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Full text of "L'Église du Canada depuis Monseigneur de Laval jusqu'à la conquête"

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I 


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University  of  Ottawa 


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UEGLISE  DU  CANADA 

DEPaiS  MONSEIGNEUR  DS  LAVAt, 
JUSQU'À  LA  CON2UÊT3 


■   PREMIÈRE  PARTIE 

Mgr   de  SAINT-Vx\LI.IER 


Abbé  Auguste  GOSSELIN 

DS    LA.    SOCtËTÉ    ROYALE    DU    CANADA. 

DOCTUUK    IvS    LKTTRKS 


L'ÉGLISE  DU  CANADA 

depuis  monseigneur  de  laval 
jusqu'à  la.  conquête 


PREMIERE  PARTIE 
Mgr  de  SAINT-VALLIER 


QUEBEC 
Typ.  Laflamme  &  Proulx 

1911 


Nil  obstat, 

O.-E.  Mathieo,  ptre, 

Censor  deputatus. 

Quebeci,  die  lo  maii  191 1. 


Jmprimatur. 

t     L.-N.,  Archiep.  Quebecea. 

Quebect,  die  21  maii  1911. 


MG  1 8  ,95e 


A  VAN  T-PROPO  S 


Dans  la  lettre  qu'il  nous  faisait  l'honneur  de  nous  écrire 
de  la  part  de  X.  S.  P.  le  Pape  Léon  XllI ,  pour  aceuser 
réception  de  notre  \'iE  de  ^P'"  de  Laval,  Son  Eminence  le 
Cardinal  RampoUa  nous  disait  :  «  Sa  Sainteté  ne  doute  pas 
que  vous  are::  fait  une  œuvre  vraiment  utile,  et  que  vous 
aile::  continuer  à  mettre  en  lumière  par  vos  écrits  les  gloires 
de  l'Eglise  canadienne.  » 

Le  livre  que  nous  offrons  aujourd'hui  au  public  n'a  pas 
besoin  d'autre  préface  que  ces  encourageantes  paroles  du 
Saint-Père.  En  publiant  ce  travail,  objet  de  longues  et 
patientes  recherches,  nous  z'ouloiis  tout  simplement,  dans 
l'humble  mesure  de  nos  forces,  «  continuer  à  mettre  en 
lumière  les  gloires  de  notre  Eglise  ».  reprendre  l'histoire  de 
cette  Eglise  au  point  oit  nous  l'avons  laissée  par  nos  deux 
ouvrages,  la  Vie  de  M^  de  Lavae  et  La  Missiox  du 
Canada  avant  M^  de  Laval,  et  la  mener  un  peu  plus  loin. 

Ce  nouveau  volume  couvre  toute  l'administration  épisco- 
pale  de  Mgr  de  S aint-V allier,  et  porte  l'histoire  de  l'Eglise 
canadienne  jusqu'à  la  fin  de  Z/-'/,  date  de  la  mort  du  vénéré 
Prélat. 

Si  Dieu  nous  prête  vie  et  santé,  nous  espérons  pouvoir, 
dans  un  avenir  assez  prochain,  donner  un  autre  volume  qui 
conduira  cette  histoire  jusqu'à  la  Conquête:  date  unique^ 


VIII  AVANT-PROPOS 

exceptionnelle,  z'raiincnt  à  part,  où  s'opéra  un  changement 
radical  dans  les  rapports  de  l'autorité  religieuse  avec  les 
pouvoirs  civUs,  en  ce  pays. 

Puisse  notre  nouveau  volume  lecez'oir  du  public  un  favo- 
rable  aecucil!  Puisse-t-il,  surtout,  répondre  un  peu  à  l'attente 
de  nos  bienveillants  confrères  qui  nous  le  demandent  depuis 
si  longtemps,  depuis  trop  longtemps,  peut-être  !  Nous 
n'avons,  du  reste,  d'autre  excuse  à  leur  offrir,  pour  notre 
retard,  que  la  difficulté  de  la  tâche  entreprise,  et  le  désir  que 
nous  avions  de  la  remplir  le  mieux  possible.  Notre  princi- 
pal souci,  en  écrivant  l'histoire,  a  toujours  été  de  nous  con- 
former à  la  grande  loi  imposée  à  l'historien:  «  Ne  quid  falsi 
audeat;  ne  quid  veri  non  audeat  \  »  «  Je  me  laisse  faire  par 
la  vérité,  »  disait  un  jour  Brunetière  ^. 


1.  ''Jamais  rien  de  contraire  à  la  vérité;  mais  toute  la  vérité."  — 
Parole  de  Cicéron,  citée  par  M.  de  Meaux  dans  le  Correspondant  du  lo 
cet.  1898,  et  reprise  par  Léon  XIII  lui-même  dans  son  encyclique 
sur  l'étude  de  l'histoire. 

2.  Cité  par  M.  de  Vogué  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  du  ler 
janvier  1907. 


L'EGLISE  DU  CANADA 

sous  MGR  DE  SAINT-VALLIER 


CHAPITRE  I 


ESQUISSE    PRELIMINAIRE 

Entrée  en  matière. — Naissance  de  Mgr  de  Saint- Vallier;  sa  famille; 
son  éducation.  —  Le  comte  de  Saint- Vallier,  son  arrière-petit-neveu, 
au  Congrès  de  Berlin. — Caractère  de  Mgr  de  Saint- Vallier. — Esprit 
religieux  de  sa  famille. — Aumônier  de  la  Cour. — Nommé  par  le 
Roi  à  l'évêché  de  Québec. — Lettre  de  Mgr  de  Laval  au  pape  Inno- 
cent XL — Mgr  de  Saint- Vallier  au  Canada. — Le  gouverneur  De- 
nonville. 

L'histoire  de  l'Eglise  du  Canada  se  confond  naturelle- 
ment avec  celle  de  M"""  de  Laval  pour  toute  la  période 
qui  s'étend  depuis  son  arrivée  en  ce  pays  comme  vicaire  apos- 
tolique en  1659,  jusqu'à  sa  démission  volontaire  comme 
évêque  de  Québec  en  1684,  c'est-à-dire  pour  tout  le  temps 
de  son  administration  épiscopale.  De  1684  à  1708,  date 
de  sa  mort,  c'est  la  première  partie  de  l'épiscopat  de  son 
successeur,  c'est  la  période  mouvementée  de  la  réforme  du 
séminaire  de  Québec,  tel  que  l'avait  établi  le  premier  évêque 
de  la  Nouvelle-France,  avec  l'agrément  du  Roi,  «  pour  ser- 


2  l'éguse  du  canada 

vir  de  clergé  à  cette  nouvelle  Eglise  ^  »  ;  et  cette  réforme, 
l'un  des  épisodes  les  plus  importants  de  l'histoire  de  l'Eglise 
canadienne,  nous  l'avons  racontée,  avec  toutes  ses  circons- 
tances, dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval  "  :  nous  n'y  reviendrons 
pas,  ou  du  moins  nous  n'en  parlerons  qu'incidemment,  en 
autant  que  cela  sera  nécessaire  pour  suivre  le  cours  des  faits. 

Mais  ce  n'est  qu'un  épisode  dans  l'histoire  de  notre  Eglise. 
Outre  la  réforme  du  Séminaire,  il  y  a,  dans  cette  première 
période  de  l'histoire  de  M^  de  Saint- Vallier,  son  œuvre  pas- 
torale, ses  visites  épiscopales,  ses  travaux  pour  le  bien  de  ses 
ouailles,  ses  fondations;  il  y  a  ses  luttes  énergiques  pour  le 
maintien  des  droits  de  l'Eglise;  il  y  a  ce  que  nous  avons 
appelé  quelque  part  les  «  épisodes  de  sa  carrière  militante  '  »  : 
tout  cela  demande  d'être  raconté  aussi  fidèlement  que  pos- 
sible. Mais  ne  convient-il  pas  tout  d'abord  de  faire  connaître 
le  personnage  distingué  qui  entre  en  scène  pour  succéder  à 
M^  de  Laval  ? 

Jean-Baptiste  de  la  Croix-Chevrières  de  Saint- Vallier, 
deuxième  évêque  de  Québec,  naquit  à  Grenoble,  en  Dau- 
phiné,  le  14  novembre  1653  ^  du  mariage  de  Jean  de  la 
Croix,  seigneur  de  Chevrières,  comte  de  Saint- Vallier,  et  de 
Marie  de  Sayne.  Il  était  donc  de  trente  ans  plus  jeune  que 
M^  de  Laval,  et  dans  sa  trente-deuxième  année,  lorsqu'il 
fut  appelé  par  le  Roi  au  siège  épiscopal  de  la  Nouvelle- 
France. 

Il  avait  reçu  au  baptême  le  nom  de  Jean-Baptiste  :  heu- 
reux présage  de  ce  qu'il  devait  être  un  jour,  destiné  qu'il 


1.  Edifs  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  34  et  35. 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  ch.  24  et  suivants. 

3.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  Evreux,  1898,  p.  3. 

4.  C'était  en  France,  l'époque  de  la  Fronde,  dans  sa  dernière  phase  ; 
au  Canada,  un  temps  d'accalmie  dans  la  lutte  de  nos  pères  contre  les 
Iroquois. 


sous    M*""    DE    SAIiXT-VALLIER  3 

était  à  «  conduire  clans  les  voies  du  salut  '  »  le  peuple  qui  a 
choisi  pour  patron  le  saint  Précurseur  '". 

Il  était  le  septième  d'une  famille  patriarcale  de  dix  en- 
fants et  reçut,  dès  le  bas  âge,  tant  à  la  maison  paternelle 
qu'au  séminaire  de  sa  ville  natale,  l'éducation  la  plus  solide 
et  la  plus  distinguée.  A  dix-neuf  ans,  il  était  docteur  de  Sor- 
bonne.  Ses  écrits,  ses  lettres  pastorales,  ses  mandements  dé- 
notent chez  leur  auteur  une  haute  culture  intellectuelle.  La 
lettre,  par  exemple,  qu'il  adressa  à  l'un  de  ses  amis,  au 
retour  de  son  premier  voyage  en  Canada,  pour  lui  dire  ses 
impressions  et  lui  faire  le  récit  de  ce  qu'il  avait  vu  et  appris 
dans  ce  pays  lointain,  devenu  sa  patrie  adoptive,  est  un 
modèle  achevé  de  style  et  de  narration  agréable.  Elle  fut 
mise  en  volume,  et  cet  ouvrage  se  lit  encore  avec  intérêt  ^. 

Dans  cette  lettre  si  remarquable,  l'auteur  parle  quelque 
part  de  «  la  noble  Maison  de  Laval  »,  à  laquelle  appartenait 
son  prédécesseur.  Sa  propre  famille,  sans  être  d'une  noblesse 
aussi  ancienne  et  aussi  rapprochée  du  trône  que  celle  des 
Montmorency-Laval,  n'en  était  pas  moins  l'une  des  plus  il- 
lustres et  des  plus  nobles  du  Royaume  :  et  c'est  une  gloire 
inappréciable  pour  l'Eglise  canadienne,  que  ses  deux  pre- 
miers évêques  ont  été  non  seulement  des  hommes  apostoli- 
ques de  premier  ordre,  de  véritables  saints,  mais  des  hommes 
qui,  par  leur  naissance,  commandaient  le  respect  des  officiers 
de  la  cour,  et  pouvaient  tenir  tête,  au  Canada,  à  ceux  que  le 
Roi  y  envoyait  pour  représenter  son  autorité. 


1.  Luc,  I,  79. 

2.  Ce  choix  a  été  ratifié  officiellement  par  le  saint-siège,  en  1908,  à 
l'occasion  des  noces  d'or  de  la  Société  Saint-Jean-Baptiste  de  Québec. 

3.  Etat  présent  de  l'Eglise  et  de  la  colonie  française  dans  la  Nou- 
velle-France, par  M.  l'évêque  de  Québec.  A  Paris,  chez  Robert  Pépie, 
rue  Saint-Jacques,  à  l'image  de  Saint-Basile,  au-dessus  de  la  fontaine 
Saint-Séverin.  1688.  Lettre  de  M.  l'évêque  de  Québec,  oii  il  rend  compte 
à  un  de  ses  amis  de  son  premier  voyage  de  Canada,  et  de  l'état  oii  il  a 
laissé  l'Eglise  et  la  colonie. — C'est  un  petit  volume  de  26y  pages. 


4  Iv  EGLISE    DU    CANADA 

La  famille  Saint- Vallier  a  donné  de  tout  temps  à  la  France 
des  hommes  remarquables,  qui  l'ont  servie  noblement, 
avec  dévouement,  avec  intelligence,  avec  zèle,  dans  toutes 
les  carrières,  soit  dans  l'armée,  soit  dans  la  magistrature  ou 
la  diplomatie.  De  nos  jours,  encore,  dans  les  premières  an- 
nées de  la  troisième  république,  nous  avons  vu  un  comte  de 
Saint-Vallier  représenter  honorablement  son  pays  à  l'am- 
bassade d'Allemagne:  il  assistait,  en  sa  qualité  d'ambassa- 
deur français,  au  Congrès  de  Berlin,  en  1878  :  et  voici  ce 
qu'écrivait  à  son  sujet  le  comte  de  Moùy,  l'un  des  secrétaires 
du  congrès: 

«  Cet  ambassadeur  de  premier  ordre,  dit-il,  a  laissé  une 
impression  ineffaçable  dans  le  souvenir  de  ceux  qui  l'ont 
connu.  La  destinée  lui  avait  prodigué  les  dons  les  plus 
rares,  en  même  temps  que  d'âpres  rigueurs.  Tout  en  lui, 
l'expression  de  ses  traits,  l'éclat  de  ses  yeux,  sa  voix  accen- 
tuée, son  élégance  patricienne,  révélait  une  nature  d'élite. 
Ses  facultés  justifiaient  sa  rapide  élévation,  et  il  savait  tem- 
pérer par  le  charme  et  la  souplesse  de  son  esprit  l'apparence 
un  peu  hautaine  de  son  attitude.  Mais  il  payait  cher  ces 
faveurs  de  la  fortune  :  depuis  de  longues  années,  les  crises 
intermittentes  d'une  maladie  incurable,  un  squirre  stomacal, 
épuisaient  lentement  ses  forces.  .  .  Il  dominait  ses  souf- 
frances par  un  travail  incessant,  et  par  l'intrépidité  de  son 
âme.  Ce  stoïque  toujours  militant  avait  pris  une  part  consi- 
dérable à  la  formation  du  cabinet  où  siégeait  M.  Wadding- 
ton  :  il  dirigeait  en  maître  notre  ambassade.  .  .  » 

M.  de  i\IoiJy,  toujours  sous  le  charme  de  cette  personna- 
lité noble  et  remarquable,  ajoutait  un  peu  plus  loin: 

«  Je  l'ai  vu  peu  de  temps  avant  sa  fin  :  son  corps  était 
vaincu,  mais  non  pas  son  courage:  son  caractère,  sa  pensée 
et  son  cœur  n'avaient  pas  fléchi  \  » 

I.  Souvenirs  d'un  diplomate,  Récits  et  portraits  du  Congrès  de  Ber- 
lin, dans  la  Re-vue  des  Deux-Mondes  du  15  octobre  1904,  p.  746. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  5 

■Qui  ne  reconnaîtrait  dans  cette  peinture  du  comte  de 
Saint- Vallier  de  nos  jours  plusieurs  des  traits  de  caractère 
de  son  arrière-grand-oncle  ',  le  deuxième  évêque  de  Québec? 
Sans  parler  de  «  sa  rapide  élévation  »,  sans  parler  de  «  son 
élégance  patricienne  »  et  du  «  charme  personnel  »  qu'il  devait, 
lui  aussi,  à  sa  naissance  '^,  cette  indomptable  énergie,  cette 
«  intrépidité  d'âme  »,  avec  lesquelles  il  passait  à  travers  tous 
les  obstacles  comme  au  milieu  de  nos  vastes  forêts  et  de  nos 
rudes  campagnes,  cette  constance  imperturbable  qu'il  savait 
garder  même  en  présence  des  sollicitations  les  plus  pressantes 
d'un  Louis  XIV,  cette  fougue,  ce  travail  incessant,  qui  rap- 
pelle le  mot  d'un  homme  célèbre  sur  saint  Charles  Borromée, 
qu'il  appelait  «  un  remue-ménage  de  sacristie  »  ^,  cette  hu- 
meur «  militante  »,  cette  inflexibilité  »  dans  les  décisions, 
cette  disposition  à  toujours  agir  en  «  maître  »,  et  jusqu'à  ces 
«  âpres  aigreurs  »,  dont  il  souffrit  peut-être  encore  plus  que 
ceux  qui  eurent  à  s'en  plaindre:  n'est-ce  pas  là  autant  de 
grandes  qualités,  mélangées  de  fâcheux  défauts,  que  les 
contemporains  remarquaient  en  M^*"  de  Saint- Vallier  ?  N'ou- 
blions jamais  que  les  hommes  les  mieux  doués,  même  les 
«  natures  d'élite»,  ne  sont  jamais  parfaits*,  et  que  de  tous 
il  faut  dire  qu'ils  ont  au  moins  les  défauts  de  leurs  qualités. 


1.  "  Mgr  de  Saint- Vallier,  deuxième  évêque  de  Québec,  était  mon 
arrière-grand-oncle,  et  son  souvenir  est  demeuré  l'un  des  plus  vénérés 
dans  notre  famille."  (Lettre  du  comte  de  Saint-Vallier  à  la  commu- 
nauté de  l'Hôpital-Général  de  Québec,  i8  août  1878.  citée  dans  Mgr  de 
Saint-Vallier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec,  p.  706). 

2.  "  Il  charmait  toutes  les  personnes  qui  lui  parlaient,  par  ses  honnê- 
tetés. "  (Sœur  Juchereau,  Hist.  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  283.) 

3.  Le  célèbre  Annibal  Caro,  secrétaire  du  cardinal  Farnèse,  disait  de 
saint  Charles  Borromée,  pour  exprimer  son  activité:  "De  Rome,  je  ne 
sais  quelle  nouvelle  vous  donner,  si  ce  n'est  que  ce  remue-ménage  de 
sacristie  a  entrepris  de  la  refaire  toute  entière  :  et  Rome  ne  suffit  pas  à 
son  ardeur..."  {Vie  de  saint  Charles  Borromée,  archevêque  de  Milan, 
par  l'abbé  Ch.  Sylvain,  Lille,  1884). 

4-  "  Toute  perfection  en  cette  vie  est  mêlée  de  quelque  imperfection." 
{Imitation  de  J.-C,  liv.  l,  ch.  IIL) 


6  L  EGUSE    DU    CANADA 

Les  hommes  parfaits  n'ont  jamais  existé  que  dans  l'imagi- 
nation des  romanciers. 

Si  les  traditions  d'honneur  et  de  patriotisme  étaient  héré- 
ditaires dans  la  famille  Saint- Vallier,  celles  d'un  profond 
respect  pour  la  religion  et  d'un  sincère  attachement  à 
l'Eglise  l'étaient  également.  Décidé  à  embrasser  l'état  ecclé- 
siastique et  à  renoncer  à  tous  les  avantages  qui  l'attendaient 
dans  le  monde,  le  jeune  Saint-Vallier  n'eut  pas  à  chercher 
bien  loin  des  exemples  de  fidélité  à  suivre  sa  vocation.  Son 
aïeul  paternel,  Jean-Baptiste  de  la  Croix,  seigneur  de  Che- 
vrières,  d'Ornacieux  et  de  Pisançon,  comte  de  Saint-Val- 
lier et  de  Vais,  devenu  veuf  à  l'âge  de  cinquante  ans,  avait 
renoncé  généreusement  au  monde  et  embrassé  l'état  ecclé- 
siastique, puis  était  devenu  évêque  de  Grenoble.  Il  avait 
deux  fils  :  l'un  d'eux  fut  le  père  du  deuxième  évêque  de 
Québec;  l'autre  se  fit  prêtre,  lui  aussi,  devint  ensuite  coad- 
juteur  de  son  père,  puis  lui  succéda  sur  le  siège  épiscopal  de 
Grenoble.  Mais  il  ne  vécut  pas  longtemps  ;  et  il  eut  pour  suc- 
cesseur, à  Grenoble,  M^  Le  Camus.  Ce  prélat  si  austère,  qui  a 
même  laissé  une  certaine  réputation  de  janséniste,  s'attacha 
au  jeune  abbé  de  Saint-\''allier,  le  fortifia  de  plus  en  plus 
dans  sa  vocation,  et  le  nomma  chanoine  de  sa  cathédrale.  Es- 
pérait-il en  faire  un  troisième  évêque  Saint-Vallier  pour  le 
siège  de  Grenoble?  La  Providence,  en  tout  cas,  en  décida 
autrement  :  elle  nous  le  réservait,  et  ]X)ur  arriver  à  ses  fins, 
se  servit  précisément  de  l'ambition  plus  ou  moins  vaniteuse 
et  mondaine  d'un  membre  de  sa  famille.  L'abbé  de  Saint- 
Vallier  avait  à  la  cour  un  frère  aîné  \  capitaine  des  gardes 
du  Roi  :  celui-ci,  à  l'afifût  de  toutes  les  bonnes  occasions, 
saisit  la  première  qui  se  présenta  pour  solliciter  en  faveur  de 
son  frère,  et  à  son  insu,  la  charge  d'aumônier  ordinaire  du 

I.    L'ancêtre  du  comte  de  Saint-Vallier  dont  il  a  été  parlé  plus  haut. 


sous    M*^*'    DE    SAINT-VALLIER  7 

Roi.  Il  l'obtint;  et  l'abbé  de  Saint- Vallier  dut  quitter  Gre- 
noble, sa  ville  natale,  pour  se  rendre  à  Versailles. 

A  la  cour  du  grand  Roi,  si  brillante,  si  pleine  de  séduc- 
tions et  de  dangers,  l'abbé  de  Saint- Vallier  sut  rester  ce  qu'il 
avait  été  à  Grenoble  et  ce  qu'il  resta  toujours  :  un  parfait 
ecclésiastique.  D'une  régularité  exemplaire,  d'une  tenue 
irréprochable,  d'une  vertu  à  toute  épreuve,  «  il  vécut  à  la 
cour  sans  devenir  un  abbé  de  cour  —  in  ipsa  Aida  non  Auli- 
ciis  w,  suivant  le  magnifique  témoignage  que  lui  rendait  un 
jour  M^  de  Laval  \  Pour  lui,  la  charge  d'aumônier  ne  fut 
jamais  une  sinécure  ;  et  il  en  profita,  au  contraire,  pour  faire 
tout  le  bien  possible  dans  un  milieu  si  ingrat,  si  rebelle  d'or- 
dinaire aux  salutaires  influences.  Son  zèle  ix)ur  ramener  les 
âmes  à  Dieu  ou  pour  les  confirmer  dans  le  bien  était  sans 
bornes  ;  sa  charité  et  son  désintéressement,  admirables  :  et 
c'est  précisément  durant  son  séjour  à  la  cour  qu'il  fonda,  de 
sa  fortune  personnelle,  un  hospice  pour  les  pauvres,  non  loin 
de  sa  ville  natale  de  Grenoble. 

Louis  XIV  n'avait  pas  manqué  de  remarquer  et  d'appré- 
cier le  zèle  et  les  vertus  de  son  aumônier  :  il  lui  offrit  à  deux 
reprises  deux  des  plus  importants  évêchés  de  son  royaume: 
celui  de  Tours  et  celui  de  Marseille.  Mais  l'abbé  déclina 
avec  une  respectueuse  reconnaissance  les  offres  du  Roi.  La 
Providence  nous  le  réservait,  mettant  à  profit,  cette  fois, 
non  plus  les  ambitions  humaines  d'un  frère,  mais  l'humilité 
et  l'abnégation  du  vertueux  aumônier  lui-même. 

On  sait  à  quelle  occasion  le  siège  épiscopal  de  la  Nouvelle- 
France  lui  fut  ofïert.  AP""  de  Laval  ayant  résolu  de  donner 
sa  démission,  à  cause  d'infinnités  précoces  dont  il  se  voyait 
accablé,  et  ayant  réussi,  quoique  avec  peine  -,  à  la   faire 

T.  Lettre  de  Mgr  de  Laval  au  pape  Innocent  XL  citée  un  peu  plus 
loin. 

2.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  par  la  Sœur  Juchereau, 
"  cette  maîtresse  femme,"  comme  l'appelle  un  écrivain  de  la  Revue  des 
Deux-Moudes,  mai  1898,  p.  328. 


O  L  EGLISE    DU    CANADA 

accepter,  avait  proposé  au  Roi  l'abbé  de  Saint- Vallier  pour 
lui  succéder  ;  et  celui-ci  ayant  été  pressenti  sur  ce  sujet  avait 
consenti  à  devenir  évêque  de  Québec.  Voici  ce  qu'écrivait 
de  Paris  au  pape  Innocent  XI,  au  printemps  de  1685,  M^  de 
Laval  : 

«  Très-Saint-Père,  je  me  vois  rendu  à  un  tel  degré  d'infir- 
mité, que,  me  trouvant  incapable  de  soutenir  le  fardeau  de 
l'épiscopat  ^,  je  me  suis  décidé  de  moi-même  à  donner  ma 
démission,  suivant  les  canons.  J'ai  donc  passé  en  France, 
sur  la  fin  de  l'année  dernière,  pour  m'occuper  de  me  trouver 
un  successeur  qui  pût  être  agréé  par  le  Roi  ^  et  par  le  saint- 
siège. 

1.  Déchargé  de  ce  fardeau,  le  Prélat  vécut  encore  plus  de  vingt  ans, 
et  ne  mourut  qu'en  1708,  dans  sa  quatre-vingt-sixième  année.  On  a 
prétendu  qu'il  avait  exagéré  ses  infirmités,  pour  faire  agréer  sa  démis- 
sion C'est  lui  faire  une  injure  gratuite.  Mgr  de  Laval  était  trop  franc 
et  trop  sincère  pour  mentir,  surtout  au  souverain  pontife.  Or,  il  dit 
expressément  :  "  Je  me  vois  rendu  à  un  tel  degré  d'infirmité,  que  me 
trouvant  incapable  de  soutenir  le  fardeau  de  l'épiscopat. . .  "  Il  faut 
donc  admettre  comme  réelle  et  valable  la  raison  qu'il  donne,  ses  infir- 
mités, pour  faire  accepter  sa  démission. 

Ce  qui  n'empêche  pas  qu'à  cette  raison,  comme  nous  l'avons  écrit 
dans  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  pouvaient  s'en  ajouter 
d'autres  :  "  Son  humilité,  écrit  la  Sœur  Juchereau,  lui  persuadait  qu'un 
autre  à  sa  place  ferait  plus  de  bien  que  lui,  quoiqu'il  en  fît  véritable- 
ment beaucoup,  parce  qu'il  ne  cherchait  que  la  gloire  de  Dieu  et  le 
salut  de  son  troupeau.  "  Il  se  sentait  débordé  par  l'ingérence  de  plus  en 
plus  pressante  de  la  Cour  et  des  autorités  coloniales  dans  l'exercice  de 
ses  fonctions  épiscopales,  la  fixation  des  cures,  l'administration  des 
paroisses,  débordé  surtout  par  les  ravages  de  la  traite  de  l'eau-de-vie, 
qu'il  ne  lui  était  plus  permis  de  combattre  avec  la  même  vigueur 
qu'autrefois.  N'avait-il  pas  été  obligé,  quelques  années  auparavant 
(1679),  à  la  prière  du  Roi,  de  restreindre  son  cas  réservé  au  fait  seule- 
ment de  ceux  qui  allaient  dans  les  bois,  loin  des  habitations  françaises, 
vendre  de  l'eau-de-vie  aux  sauvages?  Partout  ailleurs  le  commerce  des 
boissons  enivrantes  était  à  l'abri  des  peines  ecclésiastiques.  Les  hommes 
les  plus  énergiques  finissent  par  s'user,  à  la  lutte.  Mgr  de  Laval  se 
persuada  "  qu'un  autre  à  sa  place  ferait  plus  de  bien  que  lui  ",  c'est-à- 
dire,  qu'un  évêque  plus  jeune  et  plus  ardent  pourrait  reprendre  et  con- 
tinuer avec  vigueur  et  efificacité  les  bons  combats  d'autrefois  "  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  le  salut  de  son  troupeau".  (Mgr  de  Saint-Vallier  et 
son  temps,  p.  5. — Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  1751.) 

2.  Notons  bien  ce  passage.  Le  Roi,  d'après  la  Sœur  Juchereau, 
"  avait  laissé  à  Mgr  de  Laval  le  choix  de  son  successeur  "  ;  et  lorsque 
l'on   songe  au   chagrin   qu'éprouva  le  pieux   Prélat,   quand   il   vit   son 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  9 

«  Le  choix  du  Roi  s'est  arrêté  sur  la  personne  de  l'illustre 
abbé  de  Saint-Vallier,  qui  réside  à  la  cour  même,  sans  être 
un  abbé  de  cour  :  c'est  un  homme  grave,  malgré  sa  jeunesse, 
et  très  modeste,  malgré  l'éclat  de  sa  naissance,  de  sa  science 
et  de  ses  vertus.  Il  est  d'autant  plus  digne  du  siège  épisco- 
pal  de  la  Nouvelle-France,  qu'il  a  plus  redouté  d'être  évéque 
dans  l'ancienne  France,  où  il  n'y  a  pas  une  seule  Eglise  qui 
n'ambitionnât  d'avoir  un  tel  prélat.  Pour  lui,  il  n'ambi- 
tionne aucun  évêché  ;  mais  il  n'en  fuirait  aucun,  non  plus,  et 
irait  bravement  à  n'importe  lequel  qui  lui  serait  imposé: 
exemple  vraiment  digne  des  temps  apostoliques. 

«  Je  ne  doute  pas,  Très-Saint-Père,  que  Votre  Sainteté  ne 
ratifie  volontiers  le  choix  du  Souverain,  et  qu'Elle  ne  m'en 
félicite,  ainsi  que  toute  l'Eglise  canadienne.  Votre  Sainteté  a 
déjà  appris,  par  la  lettre  que  vous  a  écrite  l'abbé  de  Saint- 
Vallier  lui-même,  qu'enflammé  d'un  saint  zèle  il  n'a  pas 
attendu  ses  Bulles  pontificales  pour  aller  se  dévouer  au  bien 
de  ses  futurs  diocésains:  muni  de  simples  lettres  de  grand- 


successeur  réfermer  son  Séminaire,  on  se  demande  pourquoi  il  n'avait 
pas  choisi  pour  le  remplacer  sur  le  siège  de  Québec  un  homme  qui 
partageât  toutes  ses  vues  et  consentit  à  maintenir  l'institution^  du 
Séminaire  telle  qu'il  l'avait  établie.  Voici  ce  que  nous  écrivions  à  ce 
sujet  dans  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps: 

"  N'oublions  pas  que,  bien  que  le  choix  de  son  successeur  lui  fût 
laissé,  il  ne  pouvait  le  prendre  cependant  que  parmi  ceux  qui,  d'après 
les  coutumes  de  l'époque,  étaient  épiscopables,  c'est-à-dire  dans  les 
rangs  de  la  noblesse,  parmi  ceux  qui  étaient  le  plus  en  vue  à  la  cour. 
Un  prêtre  de  son  Séminaire,  un  de  ses  missionnaires  du  Canada,  voilà 
bien  le  personnage  qui  eût  pu  continuer  le  plus  efficacement  son  œuvre 
telle  qu'il  l'avait  commencée.  Mais  avait-il  quelque  chance  de  le  faire 
agréer  par  la  cour?  Evidemment  non. 

"  Parmi  tous  ceux  qu'il  pouvait  proposer  pour  l'épiscopat  du  Canada, 
Mgr  de  Laval  choisit  celui  qui  lui  parut  le  plus  vertueux  et  le  plus 
zélé:  cela  fait  honneur  à  son  désintéressement.  Dans  cette  circonstance, 
comme  toujours,  il  agit  en  saint.  Il  choisit,  de  concert  avec  M.  Du- 
douyt,  l'abbé  de  Saint-Vallier,  et  le  proposa  au  Roi  comme  son  succes- 
seur, dans  l'espérance  que,  par  sa  fortune  personnelle  et  son  influence  à 
la  cour  où  il  exerçait  les  fonctions  d'aumônier  depuis  plus  de  dix  ans, 
il  pourrait  être  utile  à  l'Eglise  du  Canada,  mettant  sa  confiance  en 
Dieu  pour  tout  le  reste,  et  s'abandonnant  sans  arrière-pensée  à  la 
divine  Providence.  " 


lO  L  EGLISE    DU    CANADA 

vicaire  que  je  lui  ai  données,  il  a  quitté  le  séminaire  des 
Missions-Etrangères,  où  je  demeure  moi-même,  pour  se  ren- 
dre à  La  Rochelle,  et  là  s'embarquer  sur  le  premier  vaisseau 
pour  aller  à  Québec,  et  passer  toute  l'année  à  visiter  le 
diocèse.  Il  reviendra  ensuite  en  France  ;  puis,  après  sa  consé- 
cration, ma  santé  étant  un  peu  refaite  par  mon  séjour  à 
Paris,  il  m'emmènera  avec  lui  au  sein  de  mon  Eglise,  où  je 
désire  mourir.  » 

M^""  de  Laval  faisait  ensuite  au  souverain  pontife  une 
peinture  délicieuse  de  l'Eglise  du  Canada,  et  surtout  du 
Chapitre  qu'il  avait  établi  avant  de  la  quitter;  puis  il  ajou- 
tait, avec  une  touchante  humilité,  en  parlant  de  son  succes- 
seur et  du  nouveau  gouverneur,  M.  de  Denonville,  qui  pas- 
sait en  Amérique  sur  le  même  vaisseau  que  l'abbé  de  Saint- 
Vallier: 

«  J'ai  l'espoir  que  tous  deux  vont  réparer  heureusement 
les  fautes  qui  peuvent  avoir  été  commises  par  d'autres,  et 
par  moi  en  particulier.  De  nouveaux  deux  et  une  nouvelle 
terre  ^  vont  être  créés  au  Canada  :  tout  va  être  agréablement 
renouvelé  dans  cette  Eglise.  Que  Votre  Sainteté  daigne 
seulement  lui  continuer  sa  paternelle  affection,  s'intéresser  à 
elle,  la  protéger,  la  recommander  à  Dieu,  au  saint  sacrifice, 
et  lui  accorder  sa  bénédiction  apostolique  ".  » 

Les  relations  étaient  si  tendues,  à  cette  époque,  entre  la 
cour  de  France  et  celle  de  Rome,  que  l'on  n'avait  pu  deman- 
der immédiatement  les  Bulles  de  l'abbé  de  Saint- Vallier. 
M^  de  Laval  demeurait  évêque  de  Québec  jusqu'à  la  consé- 
cration de  son  successeur  et  restait  à  Paris.  L'abbé  de  Saint- 
Vallier,  pressé  de  visiter  le  diocèse  auquel  le  Roi  l'avait 
nommé,  reçut  de  M^""  de  Laval  des  lettres  de  grand-vicaire, 
et  quitta  Paris  au  mois  de  mai  1685  pour  aller  s'embarquer  à 
La  Rochelle. 

1.  Isaïe,  ch.  65,  v.  17. 

2.  Archives  de  l'évêché  de  Québec,  documents  copiés  au  Vatican. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  II 

Avant  de  quitter  la  capitale,  il  avait  écrit  au  souverain 
pontife  une  magnifique  lettre,  ix)ur  lui  exprimer  son  pro- 
fond respect,  ainsi  que  son  admiration  pour  ses  vertus  : 
«  J'aurai  toujours,  disait-il,  ces  vertus  présentes  à  mon  es- 
prit, dans  mon  voyage,  afin  d'exciter  mon  zèle  à  travailler 
au  salut  des  âmes.  »  Et  il  priait  le  saint-père  de  bénir  ses 
travaux  \ 

Il  emmenait  avec  lui  neuf  ecclésiastiques,  dont  six  Sulpi- 
ciens  :  MM.  Trouvé  et  D'Urfé,  anciens  missionnaires  du 
Canada,  et  MM.  Mossu,  Bergier,  Foulques  et  Geoffroy.  Il 
partait,  chargé  de  secours  de  toutes  sortes  qu'il  avait  obtenus 
de  sa  famille  et  de  la  cour  pour  l'Eglise  de  la  Nouvelle- 
France. 

Il  fit  voile  de  La  Rochelle  dans  le  cours  du  mois  de  juin, 
sur  le  même  vaisseau  que  DenonviUe,  gardant  av^ec  lui  deux 
de  ses  prêtres.  Les  sept  autres  se  partagèrent  sur  deux 
autres  navires  qui  firent  voile  en  même  temps,  remplis  de 
passagers. 

DenonviUe  avait  obtenu,  en  effet,  de  la  cour,  une  recrue  de 
cinq  cents  soldats  pour  la  Nouvelle-France.  Ces  soldats 
étaient  entassés  sur  les  deux  vaisseaux:  une  maladie  pesti- 
lentielle éclata  au  milieu  d'eux,  pendant  la  traversée,  et  un 
grand  nombre  en  moururent.  Deux  des  prêtres  de  l'abbé  de 
Saint-Vallier  furent  victimes  de  leur  zèle  auprès  des  ma- 
lades : 

«J'avoue,  écrit  le  pieux  Prélat,  que  je  fus  sensiblement  tou- 
ché de  la  mort  de  ces  deux  ouvriers  évangéliques  ;  mais,  après 
tout,  je  leur  portai  plus  d'envie  que  de  compassion,  bénis- 
sant mille  fois  Dieu  de  l'honneur  qu'il  leur  avait  fait  de  les 
appeler  à  lui  par  une  espèce  de  martyre  de  charité  "...  » 

Le  nouveau  gouverneur  que  la  France  envoyait  au  Canada 

1.  Archives  de  l'évêché  de  Québec,  documents  copiés  au  Vatican. 

2.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  I,  p.  192. 


12  L  ÉGLISE    DU     CANADA 

n'a  pas  laissé  dans  notre  histoire  une  trace  bien  brillante 
comme  administrateur.  Son  nom  pâlit  à  côté  de  celui  de 
Frontenac.  La  perfidie  dont  il  se  rendit  coupable  à  l'égard 
des  chefs  Irociuois  à  Catarakouï,  où  il  les  avait  attirés  comme 
dans  un  guet-apens,  et  surtout  le  rôle  odieux  qu'il  fit  jouer 
aux  missionnaires,  en  cette  occasion,  font  une  tache  indélé- 
bile sur  sa  mémoire  ^.  Mais  au  point  de  vue  religieux, 
Denonville  fut  vraiment  l'idéal  d'un  gouverneur  chrétien. 
On  a  les  «  Avis  donnés  par  M"""  de  Saint- Vallier  au  gou- 
verneur et  à  la  gouvernante  du  Canada  sur  l'obligation  où 
ils  sont  de  donner  le  bon  exemple  au  peuple  -.  »  Ces  avis 
leur  furent  donnés  probablement  pendant  la  traversée,  puis 
transcrits  dans  les  registres  de  l'évêché,  où  l'on  peut  encore 
les  lire.  On  croît  rêver  en  parcourant  ces  pages  admirables, 
qui  nous  rappellent  les  touchantes  et  pieuses  homélies  des 
anciens  Pères  de  l'Eglise.  Ces  recommandations  au  sujet 
des  festins,  des  bals,  de  la  danse,  des  représentations  théâ- 
trales sont  vraiment  dignes  d'un  saint  Jean  Chrysostôme  ou 
d'un  saint  Ambroise;  et  l'on  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus 
admirer,  du  zèle  courageux  du  Prélat  qui  ne  craignait  pas 
de  parler  avec  tant  d'autorité  à  un  gouverneur,  ou  de  la 
vertu  de  ce  gouverneur  et  de  sa  famille,  qui,  nous  le  savons 
par  l'histoire,  accueillirent  avec  respect  ces  recommandations 
et  ces  avis  de  leur  pasteur,  lequel  n'avait  pas  même  encore 
le  caractère  épiscopal,  et  s'y  conformèrent  exactement  et  de 
bon  cœur  tout  le  temps  de  leur  séjour  au  Canada.  Quel 
triomphe  pour  l'abbé  de  Saint- Vallier!  Faut-il  s'étonner  si, 
dans  la  lettre  que  nous  avons  déjà  citée,  il  fait  un  si  bel  éloge 
de  Denonville,  «  un  aussi  bon  serviteur  de  Dieu,  dit-il,  qu'il 
est  un  fidèle  ministre  de  son  Prince  »,  et  de  sa  femme,  qui 


1.  Relations  des  Jésuites,  édition  Burrows,  t.  64,  p.  240,  Lettre  du 
P.  Jean  de  Lamberville  à  un  missionnaire  de  Chine,  Paris,  23  janvier 
1695. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  169. 


sous    M''''"    DE    SAINT-VALLIER  13 

«  l'imite  de  près,  ajoiite-t-il,  et  est  à  la  tête  de  toutes  les 
bonnes  œuvres  »  ?  Et  à  cette  occasion  le  pieux  Prélat  ne 
manque  pas  de  faire  cette  remarque  si  juste  et  si  vraie  : 

«  Une  femme  chrétienne,  de  quelque  rang  qu'elle  puisse 
être,  ne  doit  jamais  demeurer  inutile  ;  et  dès  qu'elle  ne  fait 
rien,  elle  est  en  état  de  faire  beaucoup  de  mal  \  » 

Pour  surcroît  de  bonheur  à  M.  de  Saint- Vallier,  l'inten- 
dant Champigny,  qui  se  trouvait  alors  au  Canada,  n'était  pas 
moins  religieux  ni  moins  bon  chrétien  que  Denonville  ;  et, 
chose  rare  —  on  peut  presque  dire  exceptionnelle  dans  la 
carrière  des  intendants  —  il  s'entendait  parfaitement  avec  le 
gouverneur  : 

«  Il  s'acquitte  très  dignement  de  son  emploi,  écrit  M.  de 
Saint- Vallier  ;  et  il  agit  si  fort  de  concert  avec  le  gouver- 
neur, qu'on  peut  tout  es^jérer  de  cette  parfaite  intelligence 
pour  le  bien  général  du  pays  '.  » 

Hélas  !  quoiqu'il  soit  parfaitement  vrai  que  «  la  piété  est 
utile  à  tout  '  »,  il  n'est  pas  moins  certain  qu'elle  ne  suffit  pas 
pour  faire  un  bon  gouverneur;  et  Denonville  en  est  un 
exemple  frappant.  En  venant  au  Canada,  il  avait  instruc- 
tion de  réduire  à  la  raison  les  farouches  Iroquois,  qui, 
depuis  longtemps,  répandaient  la  terreur  dans  la  colonie 
française  ;  et  c'est  pour  cela  qu'on  lui  avait  donné  une  bonne 
recrue  de  soldats.  Il  se  décide  donc  et  se  prépare  à  aller 
porter  la  guerre  dans  leur  pays.  Mais  auparavant,  de  con- 
cert avec  Champigny,  il  médite  et  exécute  un  plan  tout-à- 
fait  indigne  de  son  caractère  et  de  sa  droiture  ordinaire  : 
sous  différents  prétextes,  il  attire  à  Catarakouï  les  princi- 
paux chefs  Iroquois,  et  là  les  fait  saisir,  enchaîner,  puis  em- 
barquer pour  la  France,  où  les  galères  les  attendent.     Chose 

1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  256. 

2.  Ihid.,  p.  257. 

3.  Tim..  IV.  8. 


14  l'éguse  du  canada 

encore  plus  grave,  pour  exécuter  ce  guet-apens,  il  met  à  con- 
tribution le  zèle  et  la  bonne  foi  des  missionnaires  jésuites  qui 
sont  dans  les  Cinq-Cantons,  au  risque  de  compromettre  à 
tout  jamais  leur  influence  auprès  des  sauvages  et  le  succès 
des  missions  :  c'est  par  eux,  c'est  par  l'entremise  surtout  des 
deux  Lamberville,  qu'il  attire  les  Iroquois  dans  le  guet- 
apens  de  Catarakouï.  On  a  peine  à  comprendre  comment  un 
homme  aussi  religieux  et  aussi  noble  que  Denonville  se  laisse 
entraîner  à  une  si  odieuse  perfidie  ^ . 

Son  expédition  au  pays  des  Iroquois  Tsonnontouans 
s'exécute  ensuite  avec  un  succès  facile.  Mais  les  lendemains 
sont  désastreux  pour  la  colonie  française.  Les  Iroquois 
exaspérés,  le  cœur  rempli  de  vengeance,  se  relèvent  plus  fiers, 
plus  résolus  que  jamais  à  exterminer  les  Français  et  les 
sauvages  alliés.  Denonville  essaie  de  les  ramener  à  de  meil- 
leurs sentiments  et  de  conclure  une  paix  durable.  Il  est 
sur  le  point  de  réussir,  lorsqu'il  devient  victime,  à  son  tour, 
d'une  noire  perfidie.  On  sait  par  quelle  machination  infâme 
le  fameux  Kondiaronk,  chef  des  Hurons  de  Michillimaki- 
nac,  réussit  à  «  tuer  la  paix  »,  qui  était  sur  le  point  de  se  con- 
clure entre  les  Iroquois  et  les  Français.  La  colonie  demeura 
en  proie  aux  invasions  des  Iroquois,  l'afïreux  massacre  de 
Lachine  vint  mettre  le  comble  à  toutes  les  horreurs;  et  la 
cour  de  France  n'eut  pas  d'autre  alternative  pour  sauver  le 
pays  que  d'y  envoyer  Frontenac  à  la  place  de  Denonville  -. 

Mais  n'anticipons  pas  sur  les  événements. 

1.  Les  Jcstiites  et  la  Nouvelle-France,  par  le  P.  de  Rochemonteix, 
t.  III,  p.  185. — Gauthier,  Histoire  du  Canada,  p.  55. 

2.  Le  nom  du  marquis  de  Denonville  était  Jacques-René  de  Brisay; 
le  nom  de  sa  femme,  Catherine  Courtin.  Leur  fille,  Mlle  de  Brisay, 
avait  d'abord  songé  à  se  faire  religieuse  à  l'Hôtel-Dieu  de  Québec;  elle 
y  renonça,  et  devint  religieuse  aux  Carmélites  de  Chartres.  "  La 
Carmélite,  ma  fille  aînée,  écrivait  plus  tard  M.  de  Denonville  à  Mgr  de 
Laval,  est  toujours  constante  dans  sa  vocation,  et  aussi  gaie  que  si  elle 
était  dans  le  monde  au  milieu  des  plaisirs.  "  (Archives  du  Séminaire  de 
Québec,  Lettre  datée  de  Versailles  le  23  mars  1696). 


CHAPITRE   II 


M.  DE  SAINT-V ALLIER  VISITE  LA   NOUVELLE-FRANCE 
COMME  GRAND  VICAIRE  DE  M^  DE  LAVAL 

yi.  de  Saint-ValHer,  à  Québec. — Visite  canonique  des  communautés. — 
Au  Séminaire. — L'école  de  Saint-Joachim. — Visite  de  la  Côte  Beau- 
pré et  de  l'Ile  d'Orléans. — Visite  de  Québec;  affaire  La  Héron- 
nière. — De  Québec  à  Montréal. — L'abbé  Geoffroy. — A  Montréal. — 
Voyage  en  Acadie. — Retour  à  Québec. — L'emplacement  de  l'église 
de  la  Basse- Ville. — Retour  en  France. 

L'abbé  de  Saint- Vallier  arriva  à  Québec  dans  les  derniers 
jours  de  juillet  (1685),  et  alla  loger  au  séminaire,  oti 
il  fut  reçu  avec  les  plus  grandes  marques  de  respect  en  sa 
double  qualité  de  grand-vicaire  de  M^'"  de  Laval  et  d'évêque 
nommé  par  le  Roi  pour  lui  succéder.  Le  supérieur  du  Sémi- 
naire était  M.  de  Bernières  ;  il  était  en  même  temps  curé  de 
Québec. 

On  sait  ce  qui  a  lieu  dans  tous  les  changements  d'adminis- 
tration. Celui  qui  arrive  est  observé  avec  soin,  et  devient 
l'objet  d'une  comparaison  plus  ou  moins  flatteuse  avec  celui 
qu'il  remplace.  M.  de  Saint-Vallier  ne  pouvait  échapper  à 
ce  jeu  de  l'opinion,  et  l'expérience  ne  lui  fut  pas  défavorable. 
Il  eut  bientôt  occasion,  en  effet,  de  montrer  qu'il  était,  comme 
son  prédécesseur,  de  la  race  de  ces  prélats  héroïques  qui  ne  se 
ménagent  pas.  Les  deux  navires  partis  de  France  en  même 
temps  que  lui  arrivent  à  Québec  chargés  de  malades,  et  les 
salles  de  l'Hôtel-Dieu  se  remplissent.    On  voit  alors  le  nou- 


i6  l'église  du  canada 

veau  Prélat  jour  et  nuit  au  chevet  de  ces  pauvres  malheu- 
reux, les  consolant,  les  «  embrassant  tendrement  ^  »,  les  for- 
tifiant par  de  bonnes  paroles,  et  leur  prodiguant  tous  les 
secours  de  son  saint  ministère.  Ceux  qui  autrefois  ont  été 
témoins  des  mêmes  actes  de  charité  héroïque  de  la  part  de 
l'évêque  de  Pétrée,  lors  de  son  arrivée  dans  le  pays  ^,  éprou- 
vent une  grande  joie  et  augurent  beaucoup  de  bien  de  la 
nouvelle  administration. 

Sitôt  qu'il  se  voit  libre  du  côté  de  l' Hôtel-Dieu,  et  remis 
un  peu  de  ses  fatigues,  il  entreprend  la  visite  canonique  de 
ses  communautés  religieuses,  et  commence  par  le  Sémi- 
naire. Il  connaît  déjà  cette  maison,  son  esprit,  ses  œuvres, 
par  les  entretiens  qu'il  a  eus  avec  M^""  de  Laval  et  M.  Du- 
douyt  aux  Missions-Etrangères.  Mais  lorsqu'il  voit  de  près 
ces  hommes  de  Dieu,  les  De  Maizerets,  les  De  Bernières,  les 
Glandelet,  les  Morel,  formés  à  la  même  école  que  M^  de 
Laval,  et  animés  d'un  si  grand  désintéressement  qu'ils  n'ont 
rien  à  eux,  et  vont  même  plus  loin  que  leurs  confrères  des 
Missions-Etrangères  de  Paris,  puisqu'ils  pratiquent  la 
«  désappropriation  »  complète  ;  lorsqu'il  examine  ces  jeunes 
gens  —  il  y  en  avait  une  trentaine  —  qu'ils  forment  à  la 
piété  et  à  la  vertu  dans  le  Petit  Séminaire  et  qui  vont  en 
classe  chez  les  Jésuites;  lorsqu'il  visite  le  Grand  Séminaire, 
qui  a  déjà  donné  à  l'Eglise  plusieurs  bons  prêtres  cana- 
diens :  l'un  d'eux  ^  vient  de  passer  en  France  avec  M^  de 
Laval  ;  il  s'y  fera  «  aimer  et  estimer  par  ses  bonnes  quali- 
tés ».  et  y  mourra  bientôt  «  en  prédestiné  *  »  ;  l'abbé  de  Saint- 
Vallier  est  transporté  d'admiration: 

«  Il  me  sembla,  dit-il,  voir  revivre  dans  l'Eglise  du  Ca- 


1.  Hùt.  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  283. 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  167. 

3.  L'abbé  Jean  Guyon,  fils  de  Simon  Guyon  et  de  Louise  Racine, 
du  Château-Richer. 

4.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  194. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  ^^ 

nada  quelque  chose  de  cet  esprit  de  détachement  qui  faisait 
une  des  principales  beautés  de  l'Eglise  naissante  de  Jéru- 
salem du  temps  des  Apôtres.  » 

Il  n'y  peut  tenir,  et  prend  une  grave  résolution.  Le  P.  de 
Valois,  jésuite,  son  confesseur  à  Paris,  lui  a  conseillé, 
d'après  les  avis  de  M.  Dudouyt,  «  de  se  mettre  du  corps  des 
Missions-Etrangères,  et  d'essayer  de  la  désappropriation  du 
Séminaire  de  Québec  ».  Avec  une  précipitation  qu'il  re- 
grettera bientôt  et  lui  causera  bien  des  ennuis,  il  abandonne 
au  Séminaire  de  Québec  tous  les  livres  de  sa  bibliothèque 
qu'il  a  apportés  avec  lui,  et  les  fait  marquer  au  chiffre  de 
cette  maison.  Puis  il  lui  fait  don,  en  même  temps,  d'une 
somme  de  quarante-cinq  mille  francs  «  qui  lui  est  restée  du 
prix  de  sa  charge  d'aumônier  du  Roi,  ses  dettes  payées  »  : 

«  Je  leur  fis  remettre,  dit-il,  cette  somme,  dont  je  fis  don 
au  Séminaire  de  Québec,  en  retenant  seulement  l'usufruit 
ma  vie  durant.  »  Ce  sont  ses  propres  expressions  ^. 

Le  Séminaire,  la  Cathédrale,  le  Chapitre,  la  Cure  de  Qué- 
bec, tout  cela  va  ensemble,  tout  est  desservi  par  les  mêmes 
personnes  :  c'est  le  système  de  M^  de  Laval,  approuvé  et 
reconnu  par  le  Roi  en  1663.  Le  Prélat  visite  tout  avec  soin, 
et  se  déclare  satisfait  : 

«  Je  m'estimerais  heureux,  écrit-il,  si  je  pouvais  soutenir 
le  bien  que  ]\'L  de  Québec  a  établi  avec  tant  de  bénédiction  et 
de  peine  pendant  près  de  trente  années.  » 

Pour  le  Chapitre,  en  particulier,  érigé  canoniquement  en 
conformité  de  la  Bulle  de  Clément  X,  M"'"  de  Laval  l'avait 
entouré  de  toute  son  affection,  et  lui  avait  donné  de  magni- 
fiques statuts,  que  l'on  peut  lire,  à  leur  date,  dans  la  collec- 
tion des  Mandements  des  Evêques  de  Québec  ^.  L'abbé  de 
Saint-Vallier  y  fut  reçu  «  dans  les  formes  »,  suivant  son 

1.  Mémoire  de  Mgr  de  Saint-Vallier  au  P.  de  la  Chaise,  cité  dans 
hes  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  315. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  135. 


i8  l'église  du  canada 

expression,  et  ne  manqua  pas,  sans  doute,  d'en  voir,  lui 
aussi,  les  statuts  dans  les  registres.  Comment  se  fait-il  qu'il 
écrira  plus  tard  : 

«  Notre  prédécesseur,  dont  nous  tâchons  de  suivre  les 
vestiges,  ayant  érigé  dans  notre  église  cathédrale  un  cha- 
pitre, s'était  réservé  de  faire  des  statuts  qui  servissent  de 
règle  au  dit  chapitre  ;  et  comme  il  na  pas  exécute  son  projet, 
ni  donné  des  statuts  à  la  dite  église,  nous  nous  sommes 
obligé  d'y  suppléer,  et  à  cette  fin  de  faire  les  statuts  sui- 
vants ^ .  .  .  » 

Singulière  manière  de  suivre  les  vestiges  d'un  homme  que 
d'ignorer  complètement  son  œuvre  !  Il  écrivait  cela  à  la  suite 
d'une  longue  absence  de  treize  ans,  pendant  laquelle  il  pou- 
vait avoir  oublié  bien  des  choses.     Mais  n'anticipons  pas. 

Après  la  visite  canonique  du  Séminaire,  de  la  Cathédrale 
et  du  Chapitre,  l'abbé  de  Saint-Vallier  fit  celle  des  Ursuli- 
nes,  puis  des  Augustines  de  l' Hôtel-Dieu.  Ces  deux  com- 
munautés, qui  datent  de  1639,  lui  procurèrent  de  grandes 
consolations  spirituelles  :  nulle  part  il  ne  trouva  à  reprendre. 

Chez  les  Jésuites,  comme  au  Séminaire,  il  est  reçu  avec 
tous  les  égards  dus  à  son  rang  et  à  son  mérite.  Il  se  fait 
rendre  compte  de  leurs  travaux  et  de  leur  emploi,  soit  dans 
les  missions,  soit  au  collège  : 

«  Leur  supérieur,  dit-il,  est  le  P.  Dablon,  homme  de  mé- 
rite et  d'une  expérience  consommée,  avec  qui  j'ai  eu  beau- 
coup de  liaison  pendant  mon  séjour  en  Canada.  Plus  on  le 
voit,  plus  on  l'estime  ;  et  dans  les  comptes  qu'il  a  bien  voulu 
me  rendre  des  qualités  et  des  travaux  de  tous  les  religieux 
qui  lui  sont  soumis,  j'ai  connu  qu'ils  sont  tous  des  saints  qui 
ne  respirent  que  Dieu  seul.  .  .Parmi  ces  Pères  de  la  Nouvelle- 
France,  ajoute-t-il,  il  y  a  un  certain  air  de  sainteté  si  sen- 


I.   Archives  de  l'évêché  de  Québec,  Documents  de  Paris,  Eglise  du 
Canada,  t.  I,  Mandement  de  Mgr  de  Saint-Vallier,  11  septembre  17 14. 


sous    M*^""    DE    SAINT-VAiaJEK  I9 

sible  et  si  éclatant  (juc  je  ne  sais  s'il  peut  y  avoir  queique 
chose  de  plus  en  aucun  autre  endroit  du  monde ...» 

Les  Récollets  habitaient  encore  leur  couvent  de  la  rivière 
Saint-Charles.  M.  de  Saint- Vallier  est  enchanté  de  l'en- 
droit :  on  dirait  que  dès  sa  première  ^•isite  il  a  conçu  l'idée 
de  l'acquérir  ix>ur  y  fonder  sa  maison  de  prédilection:  l'Hô- 
pital-Général  : 

«  Le  couvent  des  Récollets,  dit-il,  s'appelle  Notre-Dame- 
des-Anges;  le  lieu  est  agréable,  c'est  la  promenade  de  la  ville 
la  plus  belle,  et  l'on  y  va  souvent  par  dévotion  en  pèlerinage.» 

Que  n'aurait-il  pas  dit  de  l'endroit  où  sont  fixés  aujour- 
d'hui les  bons  religieux  de  saint  François  d'Assise,  sur  le 
coteau  Sainte-Geneviève,  en  face  de  leur  ancien  monastère 
de  Notre-Dame-des-Anges,  d'où  l'œil  embrasse  un  des  plus 
beaux  panoramas  du  monde  ^  ! 

Les  Récollets  n'avaient  encore  à  la  Haute-Ville  qu'un 
hospice,  une  succursale  de  leur  monastère  ;  et  l'on  sait  qu'à 
l'occasion  de  cet  hospice  ils  avaient  eu  avec  M^  de  Laval 
quelques  démêlés  que  l'abbé  de  Saint-Vallier  n'était  proba- 
blement pas  sans  connaître  lui-même  -.  On  dirait  qu'il  y 
fait  allusion  lorsqu'il  ajoute  : 

«  Il  y  a  dans  le  couvent  dix  ou  quinze  religieux  de  bonne 
volonté,  toujours  prêts  à  aller  partout  où  il  plaît  à  l'évêque 
de  les  envoyer.  J'ai  sujet  de  me  louer  d'eux  dans  les  emplois 
que  je  leur  ai  commis.  Il  y  a  lieu  d'espérer,  ajoute-t-il,  que, 
comme  on  leur  enverra  toujours  de  France  des  sujets  bien 
conditionnés,  et  des  gardiens  aussi  prudents  et  modérés  que 
l'est  celui  qui  est  à  présent  à  leur  tête,  nous  vivrons  bien 
ensemble  ^.)) 

Sitôt  que  l'hiver  fut  arrivé  et  qu'il  y  eut  des  bons  chemins 

1.  Jean  Bourdon  et  l'abbé  de  Saint-Sauveur,  p.  244. 

2.  Archives  de  l'évêché  de  Québec. — Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  95. 

3.  M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  195. 


aO  L  EGLISE    DU    CANADA 

de  neige,  rabl3é  de  Saint-Vallier  se  mit  en  route  pour  la 
visite  de  la  côte  Beaupré  et  de  l'Ile  d'Orléans.  Il  se  rendit 
tout  droit  à  Saint-Joachim.  ayant  soin  de  faire  avertir,  en 
passant,  les  habitants  de  la  côte  Beaupré  de  sa  prochaine 
visite.  Il  lui  tardait  de  voir  l'Ecole  des  Arts  et  Métiers 
établie  à  la  Grande-Ferme  par  son  prédécesseur.  Cette  école, 
sous  la  direction  de  deux  prêtres  du  Séminaire,  comptait 
trente-et-un  élèves  : 

«  Il  y  en  avait  dix-neuf,  dit-il,  qu'on  appliquait  à  l'étude,  et 
le  reste  à  des  métiers.  L'éloignement  où  ils  sont  de  leurs 
parents  et  de  toute  compagnie  dangereuse  à  leur  âge,  ne  con- 
tribuait pas  peu  à  les  conserver  dans  l'innocence;  et  si  on 
avait  des  fonds  pour  soutenir  ce  petit  séminaire,  on  en  tire- 
rait avec  le  temps  un  bon  nombre  de  saints  prêtres  et  d'ha- 
biles artisans.  » 

Le  but  de  M"""  de  Laval,  en  établissant  l'Ecole  de  la 
Grande-Ferme,  n'était  pas  d'y  former  des  prêtres,  mais  des 
ouvriers  habiles,  suffisamment  instruits  ix)ur  leur  profession; 
et  l'on  sait  qu'en  effet  il  sortit  de  cette  école  des  hommes  très 
capables,  dont  le  Conseil  Supérieur  fut  heureux  de  se  servir, 
comme  experts,  en  maintes  occasions. 

M.  de  Saint-Vallier,  toujours  avide  du  mieux,  sans  réflé- 
chir que  le  mieux  est  souvent  l'ennemi  du  bien,  parce  qu'il 
n'est  pas  toujours  réalisable,  voulait  déjà  faire  un  petit 
séminaire  de  cette  école;  de  même  qu'au  Petit  Séminaire  de 
Québec,  où  il  avait  pourtant  admiré  la  piété  des  élèves,  il 
avait  désiré  voir  un  état  de  choses  encore  plus  parfait,  mais 
peu  réalisable,  dans  l'idée  des  directeurs.  Vite,  et  du  premier 
coup,  il  les  oblige  à  doubler  le  nombre  de  leurs  élèves  :  il 
n'oublie  qu'une  chose,  doubler  en  même  temps  les  moyens 
et  les  ressources.  Dès  l'année  suivante,  on  est  obligé  de 
revenir  au  nombre  d'élèves  que  l'on  avait  auparavant.  Evi- 
demment ces  hommes  n'avaient  pas  la  même  mentalité. 

L'église  paroissiale  de  Saint-Toachim  était  encore  à  la 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  21 

Grande-Ferme;  et  il  y  avait  trois  autres  églises  en  pierre  sur 
la  côte  Beaupré:  Sainte-Anne,  Château-Richer  et  l'Ange- 
Gardien.  Il  y  avait  aussi  cinq  paroisses  dans  l'Ile  d'Or- 
léans: la  Sainte-Famille,  Saint-François,  Saint-Jean,  Saint- 
Paul  (aujourd'hui  Saint-Laurent)  et  Saint-Pierre.  M.  de 
Saint- Vallier  fit  avec  le  plus  grand  soin  la  visite  de  toutes 
ces  paroisses.  Partout  les  fidèles  accouraient  à  l'église, 
comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui  à  la  visite  de  l'évêque,  et 
s'approchaient  des  sacrements.  M.  de  Saint- Vallier  n'ayant 
pas  encore  le  caractère  épiscopal,  ne  donnait  pas  la  confir- 
mation \  mais  prenait  plaisir  à  interroger  les  enfants,  car  il 
nous  assure  qu'il  les  trouva  partout  «  fort  bien  instruits  '  »  : 
ce  qui  prouve  que  M^""  de  Laval  et  le  Séminaire  n'avaient  pas 
négligé  la  cause  de  l'éducation  dans  leur  seigneurie.  Quant 
aux  parents  :  «  J'ai  remarqué,  dit  M.  de  Saint-Vallier,  le 
bon  ordre  qui  règne  parmi  les  habitants  de  ces  lieux-là,  qui 
sont  assez  universellement  gens  de  bien.  »  ^ 

Il  rend  le  même  témoignage  aux  familles  de  sa  ville  épis- 
copale.    Il  les  visita  toutes,  une  à  une,  vers  le  jour  de  l'an, 


1.  Il  parait  certain,  d'après  les  documents,  que  ni  les  Récollets  ni 
les  Jésuites  n'administrèrent  le  sacrement  de  confirmation,  au  Canada. 
En  avaient-ils  la  permission?  S'ils  ne  l'avaient  pas,  c'est  probablement 
parce  qu'ils  n'avaient  pas  jugé  à  propos  de  la  demander.  Plusieurs 
missionnaires  jésuites  ont  confirmé,  au  Brésil.  D'après  Kenrick 
(Traité  de  la  Confirmation,  ch.  III),  ce  privilège  avait  été  accordé  au 
P.  John  Carroll,  avant  qu'il  devînt  évêque  de  la  Nouvelle-Angleterre. 
Le  concile  de  Florence  (i43g-42),  tenu  sous  Eugène  IV,  admet  que  la 
délégation  de  simples  prêtres  pour  la  Confirmation  avait  souvent  eu 
lieu,  sans  que  l'on  puisse  cesser  de  considérer  l'Evêque  comme  le  seul 
ministre  ordinaire  de  ce  sacrement.  Le  concile  de  Trente,  également 
(Confer  Pallavicini,  Histoire  du  Concile  de  Trente,  t.  IX,  c.  7).  Pour 
ne  citer  que  quelques  exemples,  saint  Grégoire  le  Grand  (an.  593) 
donna  aux  prêtres  de  Sardaigne  le  pouvoir  de  confirmer  :  Nicolas  IV, 
Jean  XXII,  Urbain  V,  Eugène  IV,  Léon  X,  Adrien  VI  ont  accordé  ce 
pouvoir  à  des  Frères  mineurs  ;  Clément  XI  l'a  accordé  aux  Pères- 
Gardiens  de  Terre-Sainte  ;  Benoit  XIV  renouvelle  ce  pouvoir,  et 
retend  jusqu'à  permettre  aux  délégués  Latins  de  confirmer  des  Grecs. 
au  besoin.  (Nous  devons  cette  note  à  la  bienveillance  d'un  jeune 
docteur  distingué  du  Séminaire  de  Québec). 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  206. 


22  L  EGLISE    DU    CANADA 

accompagné  de  deux  ou  trois  de  ses  prêtres.  Partout  il 
reçut  l'accueil  le  plus  respectueux  et  le  plus  cordial.  Il  faut 
pourtant  qu'il  y  ait  toujours  quelque  ombre  aux  plus  beaux 
tableaux.  Il  y  avait  alors  à  Québec  un  personnage  de  haute 
futaie,  nommé  La  Héronnière,  agent  des  fermiers  géné- 
raux de  la  colonie  :  personnage  assez  mal  élevé,  d'ailleurs, 
comme  la  plupart  des  parvenus,  et  dont  la  conduite  lais- 
sait beaucoup  à  désirer.  Ces  gens  qui  n'ont  pas  la  cons- 
cience tranquille,  se  croient  toujours  visés  par  les  prédica- 
teurs, lorsque  ceux-ci  s'élèvent  contre  les  désordres  en  géné- 
ral. On  lui  rapporte,  un  jour,  qu'un  Jésuite  a  prêché  forte- 
ment, à  la  cathédrale,  contre  tel  vice,  et  il  se  figure  que  ce 
prédicateur  a  voulu  parler  de  lui.  Il  entre  dans  une  fureur 
étrange,  et  jure  de  se  venger  à  la  première  occasion. 

«  Cependant,  écrit  j\I.  de  Denonville,  je  sais,  parce  que  j'y 
étais,  que  le  prédicateur  ne  dit  rien  qui  piit  faire  soupçonner 
en  aucime  manière  qu'il  voulût  parler  de  lui.  Peut-être  que 
s'il  y  avait  été,  il  en  aurait  jugé  de  même.  » 

M.  de  Saint- Vallier  et  ses  prêtres  arrivent  chez  La  Héron- 
nière; et  «ce  brutal  «, — c'est  le  mot  employé  par  Denon- 
ville —  au  lieu  d'accueillir  avec  respect  ses  nobles  visiteurs, 
s'emporte  d'une  manière  honteuse  contre  le  Jésuite  qui  a 
prêché  contre  lui,  et  exhale  sa  bile  sur  l'Evêque  : 

«  Je  pistolerai  vos  prêtres,  dit-il.  au  premier  coin  de 
rue  que  je  les  rencontrerai  ;  et  quant  à  vos  coquins  de 
moines,  je  les  ferai  mourir  sous  le  bâton.  » 

A  ces  menaces  et  à  ces  injures  inattendues,  le  Prélat, 
accoutumé  à  se  posséder  lui-même,  oppose  la  plus  admirable 
douceur.  Il  se  jette  au  cou  de  ce  vilain.  «  l'embrasse,  et  lui 
fait  une  exhortation  d'un  ami  à  son  ami  et  d'un  père  à  son 
enfant  qu'il  veut  faire  revenir  »  de  son  erreur.  Peines  per- 
dues !  c'est  l'agneau  en  présence  du  loup  : 

«  Cette  douceur,  écrit  M.  de  Denonville,  lui  fit  si  peu 
d'impression  qu'au  lieu  de  se  jeter  à  genoux  pour  lui  deman- 


sous    M"'    DE    SAINT-VAIvUER  «3 

<ier  pardon,  reconnaissant  sa  faute  sur  le  champ,  au  lieu, 
<lis-je,  de  l'avoir  reconnue  depuis,  je  suis  averti  qu'il  s'en 
est  vanté  et  glorifié  V  » 

La  visite  de  sa  ville  épiscopale  terminée,  M.  de  Saint- 
Vallier  avait  hâte  de  monter  à  Montréal  pour  marquer  son 
«stime  aux  messieurs  de  Saint-Sulpice,  qui  desservaient  avec 
tant  de  zèle  cette  partie  de  la  colonie.  Sans  être  lui-même 
de  Saint-Sulpice,  il  avait  en  grande  vénération  les  fils  de 
M.  Olier,  et  l'estime  était  réciproque.  M.  Tronson  aimait 
beaucoup  notre  Prélat  :  il  lui  avait  déjà  donné  six  de  ses 
prêtres,  et  lui  avait  promis  de  lui  en  fournir  encore,  au 
Tbesoin,  pour  ses  missions. 

Tout  en  montant  à  Montréal,  M.  de  Saint- Vallier,  avec 
son  activité  incessante  et  son  besoin  de  travail,  veut  visiter 
toutes  les  paroisses  et  missions  en  haut  de  Québec.  Qui 
n'admirerait  le  zèle  de  ce  jeune  Prélat,  accoutumé  au  climat 
<ie  la  belle  France,  à  toutes  les  douceurs  de  la  vie  familiale, 
à  Grenoble,  puis  à  celles  de  la  cour,  à  Versailles  ?  Il  connaît 
déjà  depuis  quelques  semaines  les  rigueurs  de  nos  hivers 
canadiens,  mais  rien  ne  le  rebute  ;  il  est  prêt  à  affronter  les 
intempéries  de  la  saison,  et  se  met  bravement  en  route  pour 
Montréal,  arrêtant,  comme  il  Ta  décidé,  à  toutes  les  paroisses 
et  missions  qui  se  trouvent  sur  les  deux  rives  du  Saint-Lau- 
rent.   Voici  à  peu  près  celles  qu'il  y  avait  à  cette  époque  : 

Au  nord  du  fleuve,  Sillery,  Notre-Dame-de-Foy,  et 
Lorette,  avec  deux  missions  de  sauvages,  l'une  d'Abénaquis, 
à  Sillery,  l'autre  de  Hurons,  à  Lorette  :  ces  paroisses  et 
missions  sont  desservies  par  les  Pères  jésuites  ;  —  la  Pointe- 
aux-Trembles de  Neuville,  la  Côte  Saint-Ange,  les  Ecu- 
reuils, le  Cap-Santé  et  Deschambault  :  toutes  ces  paroisses 
sont  desservies  par  le  même  prêtre,  M.  Pinguet  ; — de  l'autre 


I.    Archives  du  Canada,  Correspondance  générale,  vol.  8,   Lettre  de 
Denonville  au  ministre,  8  mai  i686. 


«4  l'église  du  canada 

côt?é  du  fleuve,  il  y  a  Vilieu,  ou  Saint-Nicolas,  Sainte-Croix 
et  Lotbinière,  et  le  curé  de  ces  paroisses  traverse  quelque- 
fois, au  besoin,  au  Cap-Santé  et  à  Deschambault  ;  —  les 
Grondines,  Sainte- Anne  et  Batiscan,  desservies  par  le  même 
missionnaire; — Champlain  et  les  Prairies  Marsolet,  au  nord, 
Gentilly,  au  sud  du  fleuve,  desservies  par  le  même  prêtre; 
les  Trois-Rivières  et  le  Cap-de-la-Madeleine,  au  nord,  Vil- 
liers,  Linctôt,  et  Cressé  ou  Nicolet,  au  sud,  forment  une 
grande  circonscription  dessei^vie  par  un  seul  prêtre,  avec 
l'assistance  d'un  Père  récollet  \ 

Venait  ensuite  la  mission  de  Sorel,  comprenant,  outre  cet 
endroit,  la  Rivière -du-Loup,  Berthier  et  Autray,  au  nord, 
la  Rivière  Saint-François,  au  sud  ;  puis,  la  mission  de  Saint- 
Ours,  Contrecœur.  Verchères  et  Chambly,  avec  La  Valtrie 
au  nord  du  fleuve  :  —  la  mission  de  Repentigny,  avec  Saint- 
Sulpice,  Villy  et  Tlle-Jésus  ;  —  la  mission  de  Boucherville, 
avec  le  Cap  Saint-Michel,  Petit-le-Moyne,  Varennes,  Trem- 
blay et  Longueuil  ;  —  la  Prairie  de  la  Madeleine  et  la  côte 
Saint-Lambert,  desservies  par  les  Pères  jésuites  ;  —  les 
trois  paroisses  de  l'Ile  de  Montréal,  Villemarie,  Lachine  et 
la  Pointe-aux-Trembles,  desservies  par  les  Sulpiciens,  avec 
les  missions  de  l'Ile  Sainte-Thérèse,  du  Haut-de-l'Ile  et  de 
Chateauguay  - . 

M.  de  Saint- Vallier,  montant  à  Montréal  dans  l'hiver  de 


1.  Probablement  le  P.  Sixte  Le  Tac,  dont  l'intendant  De  MeuHes 
écrivait  en  16S3  :  "  M.  l'évêque  a  soufïert  plusieurs  années  aux  Trois- 
Rivières  le  P  Sixte  Le  Tac  en  qualité  de  curé.  Il  y  demeure  encore 
présentement,  et  y  a  même  bâti  une  petite  maison  fort  jolie.  Il  m'a 
avoué  que  le  revenu  de  sa  cure  n'avait  jamais  monté,  dans  la  meilleure 
année,  plus  haut  que  300  livres,  dont  il  avait  subsisté  parfaitement  bien, 
et  en  avait  envoyé  tous  les  ans  au  moins  100  livres  à  son  couvent:  ce 
qui  m'a  fait  penser  que  dans  une  colonie  nouvelle  comme  celle-ci,  il 
serait  à  propos  de  passer  par-dessus  plusieurs  formalités  qui  empêchent 
qu'on  ne  retire  les  religieux  de  leurs  couvents  pour  desservir  des 
cures..."   (Archives  du  Canada). 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  115,  Plan  général  de  l'état  pré- 
sent des  missions  du  Canada,  fait  en  l'année  1683. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  «5 

1686,  fit  avec  un  zèle  admirable  la  visite  pastorale  de  toutes 
ces  paroisses  et  missions.  Il  éprouva  dans  ce  voyage  beau- 
coup de  consolations  spirituelles,  rencontrant  partout  cet 
esprit  de  foi  qui  distinguait  nos  pères  et  dont  leurs  enfants 
ont  hérité.  Mais  comme  elle  était  pauvre,  à  cette  époque, 
au  point  de  vue  matériel,  cette  Eglise  canadienne  qui  lui 
était  échue  en  partage  !  De  presbytères,  presque  nulle  part  : 
les  missionnaires  logeaient  'chez  quelqu'un  de  leurs  habi- 
tants, ou  bien  chez  le  seigneur  de  l'endroit,  comme  par 
exemple,  à  Boucherville,  chez  M.  Boucher  ;  aux  Trois-Ri- 
vières,  chez  le  gouverneur,  M.  de  Varennes;  de  pauvres 
chapelles,  presque  partout  couvertes  en  chaume,  et  la  plu- 
part du  temps  dépourvues  des  objets  les  plus  nécessaires  au 
culte  : 

«  Je  visitai  sur  ma  route,  dit  le  Prélat,  toutes  les  églises 
que  j'y  trouvai  des  deux  côtés  de  la  rivière:  celle  d'une 
petite  ville  qu'on  nomme  les  Trois-Rivières,  et  qui  est  fer- 
mée de  pieux,  est  la  seule  qui  me  donna  de  la  consolation  ; 
toutes  les  autres  étaient  ou  si  prêtes  à  tomber  en  ruines,  ou  si 
dépourvues  des  choses  les  plus  nécessaires,  que  la  pauvreté 
011  je  les  vis  m'affligea  sensiblement  ;  et  je  ne  doute  pas  que 
si  les  personnes  de  piété  qui  sont  en  France  avaient  vu 
comme  moi  ces  lieux  saints,  couverts  de  paille,  tout  délabrés, 
sans  vaisseaux  sacrés  et  sans  ornements,  elles  n'en  fussent 
vivement  touchées,  et  qu'elles  n'étendissent  leurs  aumônes 
jusque-là,  pour  y  faire  célébrer  les  divins  mystères  avec  dé- 
cence ^.  » 

Disons  de  suite  qu'en  effet  les  aumônes  de  la  cour  et 
d'ailleurs  affluèrent  à  M^  de  Saint- Vallier,  pour  augmenter 
les  siennes  propres,  et  qu'en  peu  d'années  il  réussit  à  mettre 
sur  un  bon  pied  la  plupart  de  ces  églises  et  de  ces  paroisses. 
Un  des  jeunes  Sulpiciens  qu'il  avait  amenés  avec  lui  au 

I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  206. 


26  l'église  du  canada 

Canada,  l'abbé  Geoffroy,  lui  fut  d'un  grand  secours  dans 
cette  œuvre  de  régénération.  Après  avoir  travaillé  avec 
zèle  durant  quelques  années  dans  les  missions  de  l'Acadie,  il 
fut  installé  en  1692  curé  de  la  Prairie  de  la  Madeleine,  où  il 
resta  jusqu'en  1697:  puis  il  fut  appelé  à  la  desserte  des  deux 
missions  de  Champlain  et  de  Batiscan  par  l'Evêque,  qui  «  le 
nomma  en  même  temps  vicaire  général  pour  toutes  les  pa- 
roisses rurales  du  diocèse,  avec  privilège  d'y  pouvoir  séjour- 
ner quand  il  le  voudrait,  autant  qu'il  le  jugerait  à  propos, 
pour  y  construire  les  presbytères  et  les  églises  dont  elles 
auraient  besoin  ». 

M^  de  Saint- Vallier  mit  une  partie  de  ses  grands  biens 
à  sa  disposition.  L'abbé  Geoffroy  dépensa  lui-même  presque 
toutes  ses  ressources  à  l'oeuvre  si  méritoire  et  si  patriotique 
qui  lui  était  confiée.  «  Il  travailla  ainsi  comme  grand  archi- 
tecte du  diocèse  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Après  avoir  bâti  en 
pierre  l'église  de  Champlain,  il  construisit  de  même  celles  de 
Sorel,  de  Contrecœur  et  d'autres.  »  Il  avait  établi  plusieurs 
écoles  au  Canada  et  en  Acadie  ;  il  rétablit  à  Champlain  le 
couvent  que  les  Sœurs  de  la  Congrégation  y  avaient  eu  au- 
trefois ;  et  après  avoir  fait  tant  de  bien,  «  il  alla  mourir  sain- 
tement à  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  en  1707»,  un  an  avant 
M^  de  Laval  \  Mais  revenons  à  la  visite  de  M.  de  Saint- 
Vallier  à  Montréal. 

La  réception  qui  lui  fut  faite  fut  tout-à-fait  digne  de  .son 
haut  rang  et  de  ses  mérites  : 

«  Je  fus  reçu,  dit-il,  avec  de  grandes  marques  d'honneur 
et  de  joie  par  le  gouverneur,  M.  de  Callières,  qui  est  un 
homme  fort  appliqué  à  son  devoir,  brave  de  sa  personne, 
plein  d'honnêteté  et  très  capable  de  son  emploi,  au  jugement 
de  tous  ceux  qui  le  connaissent.  » 

M.  de  Callières,  qui  devait  un  jour  succéder  à  Frontenac 


I.    Les  Sulpiciens  en  Acadie,  par  l'abbé  Casgrain,  p.  80. 


sous    M*""    DE    SAINT-VAIXIER  27 

comme  gouverneur  général  de  la  colonie,  était  en  effet  un 
homme  très  distingué.  Il  avait  un  frère  qui  était  membre  de 
l'Académie  française.  Le  château  qu'il  habitait  à  Mont- 
réal était  à  l'endroit  appelé,  de  son  nom,  «  Pointe-à-Calliè- 
res  »,  et  que  Champlain,  en  1611,  avait  nommé  «Place 
Royale  ».  La  maison  des  Sulpiciens  était  aussi  au  même 
endroit.  Mais  ils  venaient  de  construire,  sur  la  rue  Notre- 
Dame,  et  parallèlement  à  cette  rue,  une  grande  église  en 
pierre  '  :  elle  avait  cent-vingt-neuf  pieds  de  long  et  trente- 
huit  de  large.  Tout  auprès  s'éle\'^it  leur  nouvelle  résidence, 
qu'on  appelle  aujourd'hui  «  le  vieux  Séminaire  »,  et  dont  M. 
de  Denonville  écrivait  :  «  Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'ils  ont 
pris  la  résolution  de  se  bâtir,  car  on  ne  saurait  être  plus  mal 
logé  que  ces  ecclésiastiques  le  sont  ^.  »  La  paroisse  comptait 
140  familles,  donnant  647  âmes. 

Le  supérieur  du  Séminaire  était  alors  M.  Dollier  de  Cas- 
son,  dont  M.  Grandet  a  écrit  :  «  Son  caractère  particulier  fut 
de  rendre  la  vertu  aimable;  sa  grâce  était  de  gagner  les 
cœurs  et  de  les  attirer  à  Dieu.  »  Et  M.  de  Saint-Vallier  : 
«  C'est  un  sujet  de  mérite  et  de  grâce,  dit-il,  qui  a  reçu  de 
Dieu  un  merveilleux  discernement  pour  placer  ceux  qui  sont 
sous  sa  conduite  selon  la  diversité  de  leurs  talents.  Il  sait 
l'art  de  ménager  tous  les  esprits  ;  et  sa  prudence,  jointe  à  sa 
douceur  et  à  ses  autres  vertus,  lui  a  gagné  l'estime  et  l'affec- 
tion de  toutes  sortes  de  f)ersonnes.  » 

M.  de  Saint-Vallier  fit  la  visite  canonique  du  Séminaire, 


1.  D'après  une  lettre  d'un  Père  jésuite,  alors  à  Montréal,  la  dédi- 
cace de  cette  église  eut  lieu  en  1694  :  "  On  fit,  à  la  Pentecôte,  la  dédi- 
cace de  leur  église,  cérémonie  qui  n'avait  jamais  été  vue  à  Montréal. 
Monseigneur  bénit  aussi  notre  chapelle...  "  Puis  il  ajoute:  "Les  mes- 
sieurs amassent  de  la  pierre  pour  faire  un  beau  clocher.  Celui  qu'ils 
ont  maintenant  est  comme  un  des  clochers  de  notre  église  de  Poitiers, 
mais  de  bois  sur  la  charpente;  mais  l'autre  sera  en  pierre..."  (Rel. 
des  Jés.,  édit.  Burrows,  vol.  64,  p.  138,  Lettre  du  P.  Chauchetière  à  son 
frère,  à  Limoges,  Villemarie,  7  août  1694). 

2.  Archives  du  Canada,  Mémoire  de  Denonville,  1685. 


38  L^ÉGLISE    DU    CANADA 

de  l'Hôtel-Dieu  et  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame.  Au 
Séminaire,  on  lui  témoigna  la  plus  parfaite  confiance;  cha- 
cun voulut  lui  parler  «  en  particulier  »,  et  comme  il  dit  lui- 
même,  «  tous  voulurent  me  découvrir  leurs  plus  secrètes 
dispositions  ». 

A  l'Hôtel-Dieu  et  à  la  Congrégation,  on  était  encore  bien 
pauvre,  sous  le  rapport  temporel  :  mais  que  de  richesses  de 
vertus  et  de  mérites  !  Parlant  des  Sœurs  de  la  Congrégation  : 
«  Il  n'y  a  point  de  bien  qu'elles  n'aient  entrepris,  dit  le  Pré- 
lat, dont  elles  ne  soient  venues  à  bout.  »  Et  il  cite  la  maison 
de  la  Providence,  où  elles  formaient  non  seulement  des  maî- 
tresses d'école,  qui  se  répandaient  dans  les  différents  en- 
droits de  la  colonie,  mais  aussi  de  bonnes  sers^antes  «  capa- 
bles de  gagner  leur  vie  dans  le  service  ».  Pouvons-nous  pré- 
tendre avoir  inventé,  de  nos  jours,  les  Ecoles  normales  et  les 
Ecoles  ménagères? 

M.  de  Saint- Vallier  cite  aussi  la  Mission  de  la  Montagne,, 
où  les  Sulpiciens  avaient  pour  les  sauvages  une  Réduction 
qui  ne  le  cédait  en  rien,  pour  la  vertu,  à  celle  des  Jésuites,  à 
Sillery.    Elle  était  sous  la  direction  de  M.  de  Belmont  : 

«  Il  ne  se  contente  pas,  dit-il,  de  leur  apprendre  la  doctrine 
chrétienne  et  la  manière  de  bien  vivre,  il  leur  enseigne  aussi  à 
parler  français,  et  à  chanter  le  plain-chant  et  la  musique, 
selon  qu'ils  ont  de  la  voix.  Les  uns  ont  appris  sous  lui  à  être 
tailleurs,  les  autres  sont  devenus  cordonniers,  et  il  y  en  a 
même  de  maçons,  qui  ont  déjà  bâti  de  leurs  propres  mains 
de  petites  maisons  à  l'européenne.  » 

C'est-à-dire  que  M.  de  Belmont  avait  à  Montréal,  pour  nos 
sauvages,  ce  que  M^''  de  Laval  avait  créé  pour  les  Canadiens 
à  la  Grande-Ferme  de  Saint-Joachim,  ce  que  M.  de  Ratis- 
bonne  a  organisé  de  nos  jours  à  Jérusalem  pour  les  jeunes 
Syriens  et  Arabes  ^,  une  véritable  Ecole  des  Arts  et  Métiers. 

I.   "Visité  cette  après-midi    (13  mars)    le  grand  Orphelinat  Saint- 


sous   m""   de   saixt-\ai.i,ii;!<  29 

M.  de  Saint-V'allier  revint  à  Québec,  enchante  de  son 
voyage  de  Montréal.  Sait-on  ce  qu'il  avait  imaginé  pour  se 
reposer  de  ses  fatigues  ?  Un  voyage  en  Acadie  !  Et  quel 
voyage  !  dans  quelles  conditions  !  On  est  encore  en  hiver,  ou 
plutôt  en  cette  saison  de  l'année  qui  n'est  ni  l'hiver  ni  le  prin- 
temps, où  la  débâcle  sur  les  rivières  et  les  lacs  commence,  où 
les  chemins  de  neige  vont  devenir  bientôt  impraticables. 
Qu'importe,  il  veut  partir.  L'un  des  deux  prêtres  que  le 
Séminaire  de  Québec  entretient  en  Acadie,  l'abbé  Thury,  est 
venu  rendre  compte  de  sa  mission,  et  lui  en  a  dit  des  choses 
men'eilleuses,  qu'il  veut  voir  de  ses  propres  yeux.  Il  part 
donc,  le  mercredi  de  Pâques,  2  avril,  accompagné  de  deux 
prêtres,  et  de  cinq  «  canoteurs  ». 

Chemin  faisant,  il  fait  la  visite  pastorale  de  toutes  les 
missions  de  la  côte  Sud:  la  Pointe-de-Lévi  (Saint-Joseph), 
dont  il  trouve  la  chapelle  <'  une  des  plus  propres  et  des  mieux 
bâties  du  Canada  »,  la  Pointe-à-Lacaille  \  le  Cap-Saint- 
Ignace,  les  Trois-Saumons,  la  Bouteillerie,  la  Rivière-du- 
Loup.  Entre  ces  missions  principales,  il  y  en  a  d'autres 
moins  importantes,  mais  destinées  à  beaucoup  d'avenir  : 
Montapeine,  Beaumont,  Ladurantaie,  Bellechasse,  Bonse- 
cours,  Saint-Denis,  Lacombe.  Kamouraska  '.  De  partout  les 
habitants  accourent  pour  rencontrer  le  Prélat,  et  profiter, 
comme  de  nos  jours,  des  grâces  de  la  visite.  Il  en  profite  lui- 
même  pour  les  exhorter  à  construire  un  temple  au  Seigneur, 


Pierre,  fondé  par  M.  de  Ratisbonne,  en  dehors  de  la  porte  de  Jaffa,  et 
tenu  par  les  Pères  de  Sion.  C'est  un  magnifique  établissement, 
surmonté  d'une  belle  statue  dorée  de  la  sainte  Vierge,  avec  cette 
inscription  :  "  Et  sic  in  Sion  firruata  suin.  "  On  y  montre  aux  enfants 
les  différents  corps  de  métiers  :  boulangers,  menuisiers,  cordonniers, 
tisserands,  tailleurs,  etc.  "  (Journal  inédit  de  mon  voyage  en  Europe  et 
en  Terre-Sainte,   1883-84.) 

1.  Appelée  ainsi  d'Adrien   D'Abancour  dit  Lacaille,  grand'père  ma- 
ternel de  Louis  Joliet,  qui  s'y  noya  en  1640. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  119. 


30  l'église  du  canada 

une  résidence  à  leur  missionnaire,  et  les  encourager  dans 
leur  noble  travail  de  colonisateurs. 

A  la  Rivière-du-Loup,  il  reste  huit  jours  entiers,  pour  se 
reposer  un  peu  de  ses  fatigues,  et  n'en  repart  que  le  7  mai. 
Il  y  a  plus  d'un  mois  qu'il  a  quitté  Québec. 

Le  voilà  donc  en  route  pour  l'Acadie,  avec  ses  deux  com- 
pagnons et  ses  cinq  guides,  à  travers  d'immenses  forêts, 
parsemées  de  lacs  et  sillonnées  de  rivières.  Il  observe  tout, 
prend  note  de  tout;  et  dans  sa  lettre  que  nous  avons  déjà 
citée  bien  des  fois,  il  décrit  parfaitement  ces  lieux  qu'il  a 
vus,  ces  rivières  qu'il  a  trav^ersées;  il  connaît  mieux  le  pays 
que  nos  meilleurs  explorateurs  d'aujourd'hui  ;  il  fait  preuve 
de  grandes  vues  colonisatrices.  Arrivé  à  la  rivière  Saint- 
Jean:  «Il  me  semble,  dit-il,  qu'on  pourrait  faire  de  belles 
colonies  entre  Medoctec  et  Gensec.  »  Çà  et  là,  il  rencontre 
des  sauvages  chrétiens  de  Sillery  et  d'ailleurs,  dont  l'esprit 
religieux  et  l'accueil  sympathique  le  rejouissent  :  «  L'un 
d'eux,  dit-il,  avait  été  en  France,  et  parlait  très  bien  fran- 
çais. » 

Le  18  mai,  il  est  à  Miramichi,  «  lieu  fort  agréable,  sur  la 
rivière  de  Manne  »,  dit-il.  Le  voilà  donc  au  nord  de  l'Acadie, 
sur  les  domaines  de  M.  de  Fronsac  ^  Mais  que  va-t-il  faire 
en  Acadie,  et  qu'est-ce  que  l'Acadie? 

Cette  immense  colonie,  aux  frontières  un  peu  indécises, 
qui  s'étendait  du  golfe  Saint-Laurent  à  la  rivière  Kénébec 
dans  le  Maine  et  comprenait  toute  la  Nouvelle-Ecosse  et  le 
Nouveau-Brunswick,  avec  l'Ile  du  Prince-Edouard  et  le 
Cap-Breton,  faisait  partie,  comme  la  Louisiane,  du  diocèse 
de  Québec;  et  voilà  pourquoi  M.  de  Saint- Vallier  tenait  à 
la  visiter,  pour  en  connaître  par  lui-même  l'état  religieux  et 
les  besoins.    M^  de  Laval  n'avait  fait  qu'y  toucher,  en  pas- 

I.  Nicolas  Denys  de  Fronsac.  Il  avait,  à  Miramichi,  une  concession 
de  terre  de  "  quinze  lieues  de  devanture  sur  quinze  lieues  de  profon- 
reur".    (Documents  relatifs  à  la  Nouvelle-France,  t.  II,  p.  40.) 


sous    M*^    DE    SAINT-VAI.LIER  3I 

sant,  à  son  arrivée  en  Canada  :  il  s'était  arrêté  quelques  jours 
à  Percé,  pour  y  donner  la  confirmation'.  M.  de  Saint- 
Vallier  fit  deux  fois  la  visite  pastorale  de  l'Acadie;  et  après 
lui  aucun  évêque  de  Québec  ne  put  remplir  ce  devoir,  pas 
plus  qu'aucun  d'eux,  y  compris  M.  de  Saint-Vallier  lui- 
même,  ne  visita  jamais  la  Louisiane.  Ils  se  contentèrent  de 
l'administrer  par  des  grands  vicaires.  Le"  premier  de  nos 
évêques  qui  paraît  avoir  sérieusement  projeté  d'aller  en 
Aca<lie.  après  M^""  de  Saint-Vallier,  c'est  M*^  Denaut,  en 
i8oj;  mais  lui  non  plus  ne  put  mettre  son  projet  à  exécu- 
tion ". 

Cela  ne  veut  pas  dire  que  l'Acadie  ait  jamais  été  délaissée 
au  point  de  vue  religieux.  Au  contraire,  nous  y  voyons,  dès 
l'origine  de  cette  colonie,  l'aînée  de  quatre  ans  de  la  colonie 
canadienne, — Port-Royal  fut  fondé  quatre  ans  avant  Qué- 
bec— quelques  prêtres  séculiers  :  puis,  la  mission,  bien  éphé- 
mère, il  est  vrai,  mais  sérieuse  et  efficace,  du  P.  Biard,  sous 
le  patronage  de  la  marquise  de  Guercheville.  En  1632,  les 
Capucins  y  sont  envoyés  par  Richelieu  et  le  P.  Joseph,  et 
établissent  à  Port-Royal  une  mission  très  importante  '.  Un 
peu  plus  tard,  les  Jésuites  sont  envoyés,  à  leur  tour,  par 
leur  Supérieur  de  Québec,  dans  la  partie  sud  de  l'Acadie, 
chez  les  Abénaquis  de  la  vallée  du  Kénébec  *.  A  part  ces 
missionnaires  réguliers,  nous  rencontrons  constamment  en 
Acadie  des  Pères  récollets,  des  Cordeliers,  des  Pères  péni- 
tents, et  aussi  des  aumôniers  de  navires  français,  qui  y  sé- 
journent plus  ou  moins  longtemps.  Jamais  les  colons  de 
l'Acadie  n'ont  été  complètement  privés  de  secours  religieux  ^. 

Lorsque  M^  de  Laval  arriva  en  Amérique  (1659),  l'Aca- 


Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  144 

Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  529. 

La  mission  du  Canada  avant  Mgr  de  Laval,  p.  108. 

Ibid,  p.  109. 

Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  52. 


32  l'église  du  canada 

die  appartenait  à  l'Angleterre,  et  elle  ne  fut  rendue  à  la 
France  qu'en  1667,  par  le  traité  de  Bréda.  Il  ne  put  y 
envoyer  un  missionnaire  qu'en  1676.  L'abbé  Petit,  son 
grand  vicaire,  curé  de  Port-Royal,  est  le  premier  mission- 
naire qui  a  été  envoyé  en  Acadie  comme  faisant  partie 
intégrante  du  diocèse  de  Québec  par  la  Bulle  de  1674. 
L'abbé  Thury  y  fut  envoyé  en  1684,  et  s'établit  à  Mirami- 
chi.  Petit  et  Thury  étaient  deux  prêtres  des  Missions- 
Etrangères  de  Québec  :  ils  eurent  pour  successeurs  dans 
leur  apostolat  les  abbés  Gaulin,  Leloutre,  Maillard  et  autres. 
Il  était  réservé  à  M^""  de  Saint- Vallier  d'introduire  les  Sul-- 
piciens  en  Acadie,  et  d'ouvrir  aux  fils  de  M.  Olier  ce  beau 
champ  pour  y  exercer  leur  zèle  :  et  ils  travaillèrent  toujours 
en  union  parfaite  avec  leurs  confrères  du  Séminaire  de 
Québec: 

«  Quand  on  traverse  aujourd'hui,  dit  l'abbé  Casgrain,  la 
petite  ville  d'Annapolis,  l'ancienne  capitale  de  l' Acadie,  pour 
visiter  le  pays  environnant,  on  circule  pendant  quelque 
temps  entre  deux  charmantes  rivières  qui  arrosent  les  petites 
prairies  occupées  jadis  par  les  proscrits,  et  qui  vont  en  se  rap- 
prochant jusqu'à  ce  qu'elles  ne  forment  plus  que  le  même 
cours  d'eau,  avant  de  se  jeter  dans  le  bassin  de  Port-Royal. 
C'est  l'image  de  nos  deux  sociétés  de  missionnaires.  Elles 
ont  ainsi  fertilisé  le  champ  de  l'Eglise  canadienne,  en  tra- 
vaillant dans  une  si  parfaite  union,  qu'elles  se  confondent 
aujourd'hui  dans  les  mêmes  souvenirs  historiques  ^.» 

L' Acadie, — nous  parlons  ici,  surtout,  de  l' Acadie  fran- 
çaise— quel  admirable  pays  !  pays  de  grands  et  nobles  souve- 
nirs; pays  de  luttes  et  d'efforts  généreux,  de  la  part  de  ses 
habitants,  pour  conserver  leur  langue,  leurs  traditions  et  leur 
religion,  au  milieu  de  dangers  et  d'obstacles  auxquels  nulle 
nation  peut-être  ne  fut  plus  exposée;  pays  de  bonheur  et  de 

I.   Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  21. 


sous    M^""    DE    SAIXT-VALLIER  33 

joies  domestiques  sans  égales,  à  certaines  époques  ;  pays  d'in- 
fortunes inénarrables,  en  d'autres  temps,  comme,  par  exem- 
ple, celui  de  la  dispersion  ;  pays  de  mort,  puis  de  résurrec- 
tion; pays  qui  a  su  captiver  l'attention  d'historiens  remar- 
quables comme  M.  Rameau  et  l'abbé  Casgrain,  et  exciter  la 
verve  poétique  d'un  Longfellow  ;  pays,  enfin,  qui  a  été  l'ob- 
jet du  zèle  d'hommes  apostoliques  comme  il  s'en  rencontre 
p)eu,  celui  d'un  homme  admirable  comme  Saint-Vallier,  par 
exemple  ! 

Le  Prélat  y  passa  trois  grands  mois,  dans  son  voyage  de 
1686,  parcourant  le  pays  dans  toutes  les  directions,  visitant 
tous  les  postes  français  et  toutes  les  missions  sauvages,  Mi- 
ramichi,  Richibouctou,  Shédiac,  Chédabouctou,  Beaubassin, 
les  Mines,  Port-Royal,  prêchant,  confessant,  administrant 
les  sacrements  avec  un  zèle  vraiment  héroïque,  heureux  de 
trouver  partout  tant  d'esprit  chrétien,  tant  de  bonne  volon- 
té, tant  de  saints  désirs  du  ciel.  Les  postes  français  étaient 
sans  doute  l'objet  principal  de  son  zèle.  Il  s'efforçait  de  met- 
tre les  missions  sur  un  bon  pied  ;  il  exhortait  les  fidèles  à  la 
pratique  fréquente  des  sacrements,  et  les  prémunissait  contre 
les  désordres.  Mais  il  s'occupait  aussi  beaucoup  des  missions 
sauvages  ;  et  ce  qui  lui  procurait  beaucoup  de  consolations, 
c'était  de  trouver  souvent  parmi  les  sauvages  chrétiens  de 
vrais  apôtres  :  «  Il  y  en  a,  dit-il,  qui,  après  avoir  été  en  hiver 
commencer  leurs  chasses  par  les  bêtes,  vont  les  terminer  par 
les  hommes  dans  des  cabanes  iroquoises  pour  gagner  à  Dieu 
des  âmes.  » 

Les  abbés  Petit  et  Thury,  du  Séminaire  de  Québec,  fai- 
saient un  bien  inappréciable  en  Acadie  ;  mais  ils  étaient  seuls. 
Il  leur  laissa  les  deux  bons  prêtres  sulpiciens  qui  l'accom- 
pagnaient, MM.  Geoffroy  et  Trouvé  :  le  premier  devint 
l'assistant  de  M.  Petit  à  Port-Royal  ;  l'autre  fit  sa  résidence 
à  Beaubassin.  M.  Thury  reçut  les  pouvoirs  de  vicaire  géné- 
ral, comme  M.  Petit;  et  le  Prélat  lui  adressa  une  magnifique 


34  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

lettre,  dans  laquelle  il  lui  faisait  les  recommandations  les 
plus  importantes  au  sujet  de  la  juridiction:  «  Il  y  a  des  mis- 
sionnaires, disait-il,  qui  sont  venus  ici  sans  y  être  envoyés 
par  l'Evêque,  qui  a  seul  pouvoir  de  donner  mission.  .  .,  ils 
ont  plutôt  détruit  qu'édifié.  »  Il  devra  exiger,  à  l'avenir, 
qu'ils  prennent  de  lui  leurs  pouvoirs. 

Le  Prélat  fit  des  recommandations  analogues  au  Père 
Joseph,  récollet,  le  missionnaire  de  Percé,  au  sujet  des  au- 
môniers de  vaisseaux  qui  y  descendaient,  et  donnaient  trop 
souvent  de  mauvais  exemples. 

A  tous  les  missionnaires  il  adressa  de  sages  conseils  :  «  Je 
désire,  dit-il,  qu'ils  s'en  tiennent  aux  règles  et  aux  canons  de 
l'Eglise,  qui  leur  ordonnent  de  ne  se  point  mêler  des  affaires 
temporelles  de  ceux  dont  ils  doivent  conduire  les  âmes  ^.  » 

Aux  habitants  de  Percé,  de  Beaubassin  et  des  Mines,  il 
adressa  des  lettres  magnifiques  pour  les  exhorter  à  bâtir  des 
églises  convenables,  et  aussi  pour  les  prévenir  contre  une 
foule  de  désordres,  surtout  celui  de  l'intempérance,  qui  pa- 
raît avoir  été  de  tout  temps  le  fléau  du  pays.  En  un  mot, 
on  est  dans  l'admiration  à  la  vue  du  zèle  qu'il  déploya  pour 
faire  le  bien,  et  un  bien  aussi  durable  que  possible,  durant  les 
quelques  semaines  qu'il  consacra  à  cette  partie  lointaine  de 
son  diocèse. 

Une  chaloupe  l'attendait  à  Percé,  pour  le  ramener  à  Qué- 
bec :  elle  lui  avait  été  envoyée  par  le  gouverneur  du  Canada, 
M.  de  Denonville.  Il  quitta  Percé  dans  les  derniers  jours 
d'août,  et  arriva  à  Québec  au  commencement  de  septembre. 
Son  voyage  avait  duré  cinq  mois  : 

«  M^""  notre  Evêque  est  de  retour  de  l'Acadie,  écrivait  M. 
de  Denonville,  où  il  a  fait  sa  visite  par  toutes  les  habita- 
tions, avec  de  grandes  fatigues  '^  » 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  176. 

2.  Documents  relatifs  à  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  388. 


sous    M"'"    DE    SAINT-VALLIKK  35 

Eh  bien,  son  zèle  a^xistolique  n'était  pas  encore  satisfait. 
Il  aurait  voulu  courir  à  la  baie  d'Hudson,  où  était  allé  le 
P.  Sylvie,  accompagnant  D'Iberville  et  M.  de  Troies  dans 
leur  fameuse  expédition  de  1686;  et  l'on  croit  qu'il  avait 
même  formé  le  projet  de  visiter  un  jour  la  Louisiane,  cette 
partie  si  lointaine  de  son  diocèse,  à  laquelle  on  sait  qu'il 
porta  toujours  un  vif  intérêt.  Mais  il  ne  put  satisfaire  ces 
désirs.  Il  voulut,  du  moins,  avant  de  quitter  le  Canada, 
visiter  les  missions  sédentaires  des  Jésuites  :  deux  fois  il  se 
rendit  à  la  célèbre  mission  iroquoise  de  Canaughwaga,  une 
première  fois  seul,  et  une  deuxième  fois  avec  le  gouverneur, 
M.  de  Denonville.  Plusieurs  fois  il  visita  les  missions  de 
Sillery  et  de  Lorette,  ainsi  que  les  nouvelles  missions  abéna- 
quises  de  la  rivière  Chaudière  et  de  la  rivière  Bécancour,  ad- 
mirant toujours  de  plus  en  plus  ce  qu'il  appelle  «  les  miracles 
de  la  Foi  chez  les  sauvages  ».  N'était-ce  pas,  en  effet,  quel- 
que chose  de  miraculeux,  cette  résolution  héroïque  des  sau- 
vages, de  tout  quitter  pour  rester  fidèles  à  Dieu? 

«  Craignant,  dit  le  pieux  Prélat,  de  se  corrompre  en  leur 
pays,  après  avoir  goûté  la  perfection  de  l'évangile,  on  les 
voit  tout  quitter  de  fort  bon  cœur,  pour  aller  chercher  un 
asile  oti,  tout  innocents  qu'ils  sont  depuis  leur  baptême,  ils 
vivent  en  pénitents  le  reste  de  leurs  jours,  dans  la  pratique 
des  austérités  les  plus  crucifiantes.  » 

Il  était  donné  à  M.  de  Saint-Vallier  de  couronner  son  pre- 
mier voyage  au  Canada  par  une  offrande  à  Marie,  cette 
bonne  Mère  pour  laquelle  il  eut  toujours  une  si  tendre  dévo- 
tion'. 

M^  de  Laval  avait  demandé  au  Roi,  dès  1680,  l'empla- 
cement du  vieux  Magasin,  à  la  Basse-Ville,  pour  y  bâtir  une 
église.    Le  Roi  le  lui  avait  accordé,  et  avait  autorisé  le  gou- 


I.    "  Ce  digne  évêque  portait  jusqu'à  la  tendresse  sa  dévotion  filiale 
envers  la  Mère  de  Dieu."  {Les  Ursulines  de  Québec,  t.  I,  p.  463). 


36  l'église  du  canada 

verneur  et  l'intendant  du  Canada  à  passer  le  contrat  en  son 
nom.  Ce  contrat  fut  signé  le  12  aoiit  1685,  M.  de  Saint- 
Vallier  acceptant  la  donation.  Le  29  octobre  1686,  quelques 
jours  avant  de  partir  pour  la  France,  le  Prélat  transporte 
au  Séminaire,  qui  a  charge  de  la  cure  de  Québec,  l'empla- 
cement du  Magasin,  à  la  Basse-Ville,  et  il  exprime  par  écrit 
sa  volonté  formelle  qu'on  y  bâtisse  une  église  ;  et  bientôt,  en 
efïet,  on  y  verra  s'élever  l'église  de  Notre-Dame-des- Vic- 
toires K 

M.  de  Saint- Vallier  s'embarqua  pour  la  France  le  18 
novembre,  et  eut  une  traversée  des  plus  orageuses,  pendant 
laquelle  plus  d'une  fois  il  pensa  périr: 

«  Oh  !  qu'il  est  avantageux  dans  ces  rencontres,  dit-il, 
d'avoir  une  bonne  provision  de  fermeté  et  de  confiance  en 
Dieu!  C'est  le  meilleur  viatique  que  puissent  prendre  ceux 
qui  entreprennent  ces  voyages.  .  .  » 

Il  arriva  à  La  Rochelle  le  premier  janvier  1687;  et  après 
quelques  jours  de  repos,  se  rendit  incessamment  à  Paris. 

I.   Historique  de  Notre-Dame  des  Victoires,  par  le  docteur  Dionne. 


CHAPITRE  III 


M.    DE    SAINT-VALUER,    EN    FRANCE^    POUR    SA 
CONSÉCRATION    ÉPISCOPALE 

I,es  impressions  de  M.  de  Saint- Vallier  sur  le  Canada. — Relation  impri- 
mée de  son  voyage. — Ses  idées  et  celles  de  Mgr  de  Laval  par  rap- 
port au  gouvernement  de  son  Eglise. — Pèlerinage  à  Annecy. — Vi- 
site à  sa  mère. — Sa  consécration  épiscopale. — Retour  au  Canada  de 
l'ancien  et  du  nouvel  évêque  de  Québec. 

LE  lecteur  se  demande,  sans  doute,  quelle  impression  M.  de 
Saint- Vallier  avait  emportée  de  son  voyage  au  Canada, 
et  ce  qu'il  pensait  de  nous.  Il  ne  s'est  pas  caché  de  le  dire 
dans  la  relation  qu'il  écrivit,  à  son  retour  en  France,  sous 
forme  de  Lettre  à  un  de  ses  amis:  il  lui  dépeint  son  Eglise 
du  Canada  telle  qu'elle  lui  était  apparue  : 

«  Il  est  temps  de  finir  cette  longue  lettre,  dit-il,  par  ce  qui 
regarde  la  conduite  des  Français  qui  composent  la  colonie. 
Le  peuple,  communément  parlant,  est  aussi  dévot  que  le 
clergé  m'a  paru  saint.  On  y  remarque  je  ne  sais  quoi  des 
dispositions  qu'on  admirait  autrefois  dans  les  chrétiens  des 
premiers  siècles  :  la  simplicité,  la  dévotion  et  la  charité  s'y 
montrent  avec  éclat  ;  on  aide  avec  plaisir  ceux  qui  commen- 
cent à  s'établir;  chacun  leur  donne  ou  leur  prête  quelque 
chose,  et  tout  le  monde  les  console  et  les  encourage  dans 
leurs  peines.  .  . 

«  Chaque  maison,  ajoute-t-il,  est  une  petite  communauté 


38  l'église  du  canada 

bien  réglée,  où  l'on  fait  la  prière  en  commun  soir  et  matin, 
où  l'on  récite  le  chapelet,  où  l'on  a  la  pratique  des  examens 
particuliers  avant  le  repas,  et  où  les  pères  et  mères  de  fa- 
milles suppléent  au  défaut  des  prêtres,  en  ce  qui  regarde  la 
conduite  de  leurs  enfants  et  de  leurs  valets. 

«  Tout  le  monde  y  est  ennemi  de  l'oisiveté,  on  y  travaille 
toujours  à  quelque  chose  ;  les  particuliers  ont  eu  assez  d'in- 
dustrie pour  apprendre  des  métiers  d'eux-mêmes;  de  sorte 
que,  sans  avoir  eu  le  secours  d'aucun  maître,  ils  savent  pres- 
que tout  faire.  .  .  '  » 

Ecrivant  de  Paris  au  pape  Innocent  XI,  le  ii  août  1687, 
M^  de  Saint-Vallier  faisait  l'éloge  de  son  prédécesseur,  «  qui 
avait  si  bien  mérité  de  l'Eglise  canadienne  ;  c'est  à  bon  droit, 
disait-il,  que  tous  ceux  qui  le  connaissent  vénèrent  ses  gran- 
des vertus  ».  Parlant  ensuite  du  clergé  canadien  :  «  Il  y  a,  di- 
sait-il, entre  le  clergé  séculier  et  le  clergé  régulier  une  sainte 
émulation  dans  la  piété,  une  union  parfaite,  une  sainte  ar- 
deur à  travailler  au  salut  des  âmes  :  tous  professent  un  entier 
dévouement  au  saint-siège  et  au  souverain  pontife  '^.  » 

Est-il  vrai,  comme  l'affirme  un  document  de  l'époque, 
qu'il  regretta  «  d'avoir  tant  exagéré,  dans  la  lettre  qu'il  avait 
fait  imprimer  à  Paris,  les  bonnes  mœurs  des  peuples  d'ici, 
et  les  bénédictions  que  Dieu  répandait  sur  eux  ?.  .  .  Il  fut 
obligé,  ajoute  ce  document,  de  rejeter,  dans  un  sermon  qu'il 
fit,  sur  les  péchés  du  peuple,  les  fléaux  dont  le  Canada  était 
accablé,  et  d'exhorter  tout  le  monde  à  la  pénitence  et  à  la 
prière  pour  apaiser  la  colère  de  Dieu.  .  .  Mais  ce  discours  ne 
fit  qu'augmenter  le  murmure  de  ses  auditeurs.  .  .  ce  qui  l'obli- 
gea de  supprimer  les  deux  cents  exemplaires  de  son  livre 
qu'il  avait  apportés,  et  qui  n'ont  pas  paru  depuis  »  ^.  .  . 

1.  M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  252. 

2.  Archives  de  l'évêché  de  Québec,  Documents  inédits  copiés  au 
Vatican. 

3.  Arch.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  8,  Relation  venant  de 
Québec,  20  oct.,  1688. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  39 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  dans  le  temps  même  qu'il 
préparait  sa  longue  lettre  à  un  de  ses  amis,  il  adressait  à  ses 
fidèles  une  lettre  pastorale,  dans  laquelle  il  s'élevait  forte- 
ment contre  «  les  irrévérences  et  les  immodesties  qu'un  grand 
nombre  de  i>ersonnes  commettaient  dans  les  églises  »,  contre 
«  la  profanation  des  saints  jours  de  fêtes  et  de  dimanches  », 
contre  «  le  luxe  qui  touche  de  si  près  la  luxure  »,  contre  les 
«  nudités  de  gorges  et  d'épaules  »  ' .  Il  parle  ailleurs  des 
«  misères  spirituelles  dont  son  diocèse  est  accablé  »,  et  de  la 
médisance,  qui  est  un  péché  «  quasi  universel  »^. 

Mais  il  nous  semble  facile  de  tout  concilier  dans  ces  écrits 
et  ces  paroles,  quelque  contradictoires  qu'ils  paraissent.  Le 
tableau  délicieux  que  faisait  M.  de  Saint- Vallier  des  mœurs 
de  nos  pères  était  sans  doute  très  exact  :  il  l'est  encore  au- 
jourd'hui pour  la  plupart  de  nos  bonnes  anciennes  familles 
de  la  campagne.  On  vivait  en  général  d'une  manière  très 
chrétienne  ;  on  s'approchait  souvent  des  sacrements  :  nous 
le  savons  par  M^""  de  Saint- Vallier  lui-même  ^.  Mais  alors, 
comme  aujourd'hui,  le  désordre  cherchait  à  pénétrer  un  peu 
partout  ;  il  faisait  même  çà  et  là  quelques  adeptes  :  et  le 
Prélat  n'était  pas  homme  à  le  laisser  impunément  étendre  ses 
ravages. 

Denonville,  lui  aussi,  ne  craignait  pas  de  signaler  à  la  cour 
certains  désordres  qu'il  remarquait  au  Canada.  Mais  ce 
n'étaient  évidemment  que  des  exceptions;  c'étaient  des  om- 
bres qui  ne  faisaient  que  mieux  ressortir  la  beauté  du  ta- 
bleau de  la  société  canadienne  en  général  : 

«  Il  nous  faut  rendre  compte,  dit-il,  des  désordres  qui  se 
font,  non  seulement  dans  les  bois,  mais  dans  nos  habitations. 
Ces  désordres  ne  sont  venus  dans  la  jeunesse  du  pays  que 
par  la  fainéantise  des  enfants  et  de  la  grande  liberté  que,  de 

1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  183. 

2.  Ihid.,  p.  267. 

3.  Ibid.,  p.  266. 


40  l'église  du  canada 

longue  main,  les  pères  et  mères  ont  donnée  à  la  jeunesse 
d'aller  dans  les  bois,  sous  prétexte  de  chasse  ou  de  traite. 
Du  moment  que  les  enfants  peuvent  porter  un  fusil,  les  pères 
ne  peuvent  plus  les  retenir,  et  n'osent  les  fâcher.  Jugez  des 
maux  qui  peuvent  suivre  d'une  telle  manière  de  vivre.  Ces 
dérèglements  sont  bien  plus  grands  dans  les  familles  de  ceux 
qui  sont  gentilshommes  ou  qui  se  sont  mis  sur  le  pied  de  le 
vouloir  être,  soit  par  fainéantise,  ou  par  vanité,  n'ayant 
aucune  ressource  pour  subsister  que  les  bois  ;  car  n'étant  pas 
accoutumés  à  tenir  la  charrue,  la  pioche  ou  la  hache,  toute 
leur  ressource  n'étant  que  le  fusil,  il  faut  qu'ils  passent  leur 
vie  dans  les  bois,  où  ils  n'ont  ni  curés  qui  les  gênent,  ni  pères 
qui  les  contraignent.  .  . 

«  Un  autre  grand  mal  dans  le  pays,  dit-il,  c'est  qu'il  y  a 
trop  de  cabarets,  ce  qui  rend  presque  impossible  de  remédier 
aux  maux  qui  en  arrivent.  Le  métier  de  cabaretier  est  l'at- 
trait de  tous  les  fripons  et  paresseux,  qui  ne  songent  en  rien 
de  ce  qu'il  faudrait  faire  pour  cultiver  la  terre,  et  qui,  bien 
loin  de  là,  détournent  et  ruinent  les  autres  habitants.  .  . 

«  Un  des  plus  grands  maux  du  Canada,  ajoute-t-il,  c'est 
l'eau-de-vie,  dont  l'usage  est  si  excessif,  que  je  n'en  prévois 
que  la  ruine  du  pays.  .  .  Quantité  de  femmes  en  boivent  com- 
munément, et  plusieurs  s'en  enivrent.  .  . 

«  Nous  avons  dans  le  pays,  ajoute-t-il  encore,  un  certain 
nombre  de  garnements,  surtout  de  mauvaises  femmes,  qui 
vivent  comme  des  malheureuses.  En  vérité,  c'est  la  perte  de 
toute  la  jeunesse  du  pays.  Ces  gens-là  n'y  sont  d'aucun 
secours,  mais  capables  de  tout  perdre  et  de  tout  gâter,  fai- 
sant même  beaucoup  de  divorces.  Si  on  savait  où  les  en- 
fermer ici,  et  les  y  nourrir,  ce  serait  le  plus  grand  bien  du 
monde  à  faire.  .  .  ^  » 


I.    Arch.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  7,  Lettre  de  Denonville 
au  ministre,  13  nov.  1685. 


sous    W^    DE    SAINT-VALUER  4I 

Il  est  clair  qu'en  tout  cela  Denonville,  de  la  même  manière 
que  M.  de  Saint-Vallier,  ne  voulait  parler  que  d'exceptions, 
que  d'ombres  au  tableau,  mais  d'ombres  qu'il  voulait  empê- 
cher de  grandir,  d'exceptions  qu'il  voulait  empêcher  de  se 
généraliser.  L'évêque  et  le  gouverneur  étaient  bien  décidés 
à  employer  les  moyens  les  plus  énergiques  pour  arrêter  les 
fléaux  qui  menaçaient  de  détruire  le  pays.  M^'  de  Saint- 
Vallier  n'alla-t-il  pas  un  jour  jusqu'à  quitter  subitement 
Montréal,  oii  il  était  en  visite,  à  cause  des  désordres  causés 
par  une  troupe  de  sauvages,  qui  avaient  été  enivrés  par  les 
cabaretiers  ?  Il  écrivit  de  Québec  aux  habitants  de  Ville- 
marie  : 

«  Ne  pouvant  me  résoudre  d'être  le  témoin  d'un  spectacle 
qui  m'affligeait  si  fort,  je  me  suis  retiré  pour  éviter  de  voir 
un  mal  que  je  prévoyais  bien  ne  pouvoir  arrêter  par  mes 
exhortations  \  » 

Quant  au  fait  d'avoir  retiré  de  la  circulation  les  exem- 
plaires de  son  livre  intitulé  «  Lettre  à  un  de  ses  amis  », 
parce  qu'il  aurait  regretté  d'y  avoir  fait  tant  d'éloges  de 
notre  pays  et  de  l'Eglise  canadienne,  nous  croyons  que  la 
chose  doit  s'expliquer  autrement.  Ce  livre  étant  une  véri- 
table relation  sur  les  missions  du  Canada  ^,  tombait,  comme 
les  Relations  des  Jésuites,  sous  le  coup  du  décret  de  la  Pro- 
pagande, en  date  du  19  décembre  1672,  qui  défendait  de 
rien  publier  sur  les  missions  ou  sur  des  choses  concernant 
les  missions,  sans  une  permission  écrite  de  la  Sacrée  Con- 
grégation. Ce  décret,  donné  sans  doute  pour  de  graves  rai- 
sons, avait  mis  fin  à  la  publication  des  Relations  des  Jésuites. 
Mais  il  était  général,  et  regardait  certainement  M^  de  Saint- 


I.    M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  286. 

a.  C'est  d'ailleurs  le  titre  que  le  livre  avait  tout  d'zhord  :  Relcliott 
des  missions  de  la  Nouvelle-France,  par  M.  l'Evêque  de  Québec.  Et 
l'on  trouve  encore  des  exemplaires,  très  rares,  qui  portent  ce  titre. 
(Le  Bibliophile  américain,  Paris,  Librairie  Chadenat,  1907,  p.  36). 


42  l'éguse  du  canada 

Vallicr  comme  tout  autre.  II  est  probable  que  le  Prélat  n'en 
connaissait  pas  encore  l'existence,  lorsqu'il  publia  sa  relation  : 
il  ne  s'occupa  d'obtenir  que  la  permission  du  Roi,  qui  lui  fut 
volontiers  accordée.  En  arrivant  au  Canada,  oii  il  avait 
apporté  un  certain  nombre  d'exemplaires  de  son  livre,  il  fut 
probablement  averti  par  M^  de  Laval  et  les  Jésuites  de 
Québec  du  décret  qui  défendait  de  rien  publier  sans  une 
permission  écrite  de  la  Propagande;  et  comme  il  ne  tenait 
nullement  à  rien  faire  qui  pût  déplaire  au  saint-siège,  il 
s'empressa  de  «  supprimer  les  deux  cents  exemplaires  de  son 
livre  qu'il  avait  apportés,  et  qui  n'ont  pas  paru  depuis  ^.  » 

Du  reste,  le  livre  de  M^""  de  Saint- Vallier,  publié  à  Paris 
au  printemps  de  1688,  et  répandu  un  peu  partout  en  France, 
surtout  en  Dauphiné,  fut  une  grande  bénédiction  pour 
l'Eglise  canadienne,  et  lui  valut  une  infinité  d'aumônes  et  de 
secours  de  toutes  sortes.  Des  dons  en  argent,  en  ornements, 
en  vases  sacrés  affluèrent  à  M^  de  Saint- Vallier  :  de  la  cour, 
surtout,  il  reçut  pour  son  Eglise  des  allocations  annuelles 
permanentes  qui  lui  permirent  de  fixer  des  curés  dans  beau- 
coup de  missions, — il  n'y  en  avait  que  vingt-cinq  à  son  arri- 
vée *,  il  y  en  eut  bientôt  quarante, —  de  bâtir  des  églises  là  oti 
il  y  en  avait  besoin,  de  fournir  ces  églises  de  tout  ce  qui  était 
nécessaire  au  culte,  d'entretenir  les  missionnaires  et  de  leur 
donner  des  suppléments  en  argent  là  où  la  dîme  ne  pouvait 
suffire  pour  les  faire  vivre  3,  de  procurer  la  subsistance  aux 
prêtres  âgés  ou  infirmes.  Tout  cela  ne  justifiait-il  pas  le 
choix  de  M^  de  Laval  et  les  espérances  qu'il  avait  conçues 
que  son  successeur,  ayant  été  aumônier  de  la  cour,  et  un 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  p.  19,  note. 

2.  Arch.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  8,  Réponse  de  la  cour  à 
Denonville,  20  mai  1686. 

3.  Il  avait  été  décidé,  en  1682,  que  tout  curé  devait  avoir  au  moins 
400  francs  pour  vivre.  On  espérait  qu'avec  Mgr  de  Saint-Vallier  cmi 
pourrait  réduire  cette  "  portion  congrue  "  à  300  francs.  Mais  elle  resta 
à  400  francs.     (Ibid.,  vol.  6  et  7). 


sous    M*'    DE    SAINT-VALUER  43 

aumônier  si  pieux  et  si  estimé,  attirerait  une  infinité  de  bien- 
faits à  son  Eglise  ? 

Il  est  vrai  qu'il  éprouva  d'amères  déceptions,  lorsqu'il  vit 
que  son  successeur  n'entendait  pas  tout-à-fait  comme  lui  la 
manière  de  gouverner  l'Eglise  du  Canada,  lorsqu'il  le  vit 
décidé  à  agir  indépendamment  du  Séminaire  de  Québec  et 
à  réformer  cette  institution,  de  manière  à  n'en  faire  qu'un 
séminaire  épiscopal  ordinaire.  Mais  n'aurait-il  pas  dû  s'y 
attendre,  et  prévoir  qu'un  autre  évêque  n'aimerait  pas  à 
être  contrôlé  par  ses  prêtres  dans  son  administration  ?  M. 
de  Latour,  toujours  si  favorable  et  si  sympathique  au  pieux 
Prélat,  le  dit  expressément  : 

«  Il  faut  convenir,  écrit-il,  qu'un  corps  de  clergé  si  bien 
lié  —  il  parle  du  Séminaire  de  Québec  —  a  dîi  donner  des 
ombrages  à  un  autre  évêque,  et  qu'à  moins  d'être  lui-même 
de  ce  corps,  uni  d'intérêt  et  de  sentiments,  il  ne  pouvait  man- 
quer de  le  redouter,  et  de  trouver  de  grandes  difficultés  dans 
tout  ce  qu'il  voudrait  ordonner  qui  ne  serait  pas  du  goût  de 
ses  ecclésiastiques.  iM.  de  Laval  dcz^ait  s'y  attendre,  mais 
les  grandes  idées  de  perfection  dans  lesquelles  lui  et  tous  ses 
missionnaires  avaient  été  élevés  lui  firent  imaginer  et  espérer 
de  perpétuer  une  œuvre  admirable  et  unique  dans  l'Eglise  ^.» 

M^  de  Laval  et  son  successeur,  tous  deux  des  hommes  de 
Dieu,  n'avait  pas  la  même  mentalité.  Le  premier,  n'ayant  ja- 
mais connu  et  pratiqué  qu'une  vie  de  communauté,  soit  dans 
la  congrégation  du  P.  Bagot,  ou  la  société  des  Bons-Amis, 
soit  dans  l'Ermitage  de  Caen,  avait  imaginé  un  système  de 
gouvernement  ecclésiastique  où  aucune  résolution  grave  ne 
se  prenait  qu'en  commun.  M.  de  Maizerets  le  dit  quelque 
part  :  «  Le  Prélat  ne  faisait  rien  de  considérable  que  de  con- 
cert avec  nous  tous  ^ .  »  M^  de  Saint- Vallier,  au  contraire, 


1.  Mémoires  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  liv.  VI,  p.  95. 

2.  Ibid.,  liv.  I,  p.  34. 


44  L  ÉGLISE    DU    CANADA 

n'avait  appris  à  Grenoble,  à  Paris  où  à  '^''^rsailles,  que  la  ma- 
nière ordinaire  de  gouverner  les  diocèses,  l'évêque  étant 
obligé  d'administrer  suivant  les  canons,  de  prendre  les  avis 
d'hommes  éclairés,  de  suivre  les  règles  de  la  justice  et  de 
l'équité,  mais  restant  toujours  maître  et  seul  responsable  de 
ses  décisions. 

Il  est  certain  que  M^  de  Saint-Vallier  apporta  à  la  réforme 
de  son  Séminaire  tous  les  défauts  de  son  caractère  difficile, 
tranchant,  obstiné,  ne  ménageant  pas  suffisamment  les  es- 
prits, ne  tenant  pas  assez  compte  des  droits  acquis.  D'un 
autre  côté,  conçoit-on  que  le  Séminaire  des  Missions-Etran- 
gères à  Paris  et  à  Québec  ait  fait  des  démarches  auprès  de 
la  cour  dès  le  premier  voyage  de  M.  de  Saint-A''allier,  pour 
faire  revenir  le  Roi  sur  le  choix  qu'il  avait  fait  de  lui  pour 
succéder  à  M^  de  Laval,  et  cela  sur  le  simple  soupçon  qu'on 
avait  qu'il  allait  tout  changer  au  Séminaire?  C'est  la  pre- 
mière nouvelle  que  M.  de  Saint-Vallier  apprit  en  arrivant  à 
Paris  :  on  comprend  qu'elle  n'était  pas  de  nature  à  le  rap- 
procher du  Séminaire  de  Québec  ;  et  tout  vertueux  qu'il 
était,  il  se  sentit  blessé  au  vif. 

Du  reste,  Louis  XIV  ne  voulut  pas  même  entendre  parler 
de  la  chose.  Il  exigea  au  contraire  qu'on  fît  immédiatement 
les  démarches  nécessaires  auprès  de  la  cour  de  Rome  pour 
obtenir  les  Bulles  de  M^  de  Saint-Vallier.  Elles  furent 
expédiées  le  27  juillet  1687;  et  il  fut  convenu  que  le  Prélat 
recevrait  la  consécration  épiscopale  dans  le  cours  du  mois 
de  janvier  suivant. 

Retiré  au  Séminaire  des  Missions-Etrangères,  011  logeait 
aussi  son  prédécesseur,  il  eut  le  loisir  de  s'entretenir  avec  lui 
de  son  diocèse,  et  s'occupa  beaucoup  d'en  promouvoir  les 
intérêts.  Puis  il  consacra  à  la  retraite  et  à  la  prière  tout  le 
temps  dont  il  put  disposer.  Ne  voulant  rien  négliger  de  ce 
qui  pouvait  attirer  sur  son  épiscopat  les  bénédictions  célestes. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  45 

il  se  rendit  en  pèlerinage  au  tombeau  '  du  modèle  des  pas- 
teurs, l'illustre  évêque  de  Genève,  saint  François  de  Sales. 
Le  souvenir  de  son  passage  à  Annecy  se  trouve  consigné  dans 
une  circulaire  rédigée  au  premier  monastère  de  la  Visitation. 
Voici  ce  document  '  qui  nous  révèle  les  lointaines  origiites  de 
la  dévotion  à  saint  François  de  Sales  dans  notre  pays,  et 
particulièrement  au  Séminaire  de  Québec  : 

«  Fragment  d'une  circulaire  de  notre  premier  monastère 
d'Annecy,  du  27  septembre  1687  : 

«  M.  de  Chevrières  ^,  évêque  de  Québec,  est  venu  exprès 
demander  à  saint  François  de  Sales  l'esprit  d'humilité,  de 
douceur  et  de  simplicité.  Il  arriva  en  cette  ville  à  la  veille  de 
la  Fête-Dieu,  et  vint  aussitôt  dans  notre  église  pour  savoir 
s'il  pourrait  dire  le  lendemain  notre  messe  de  communauté 
et  communier  les  religieuses.  M.  notre  confesseur,  qui  est 
un  ecclésiastique  de  grande  exactitude  pour  les  devoirs  de 
son  état  et  le  soin  de  notre  église,  ne  le  connaissant  pas,  lui 

1.  "En  arrivant  à  Annecy  (16  mai  1884),  visite  à  l'église  du  couvent 
de  la  Visitation,  oîi  reposent  les  corps  de  saint  François  de  Sales  et  de 
sainte  Jeanne  :  le  premier  est  au-dessus  du  maître-autel  ;  le  second,  au- 
dessus  d'un  autel  latéral:  dans  des  châsses  en  marbre  vert...  Visité 
l'église  Saint-Maurice,  et  le  premier  monastère  de  la  Visitation,  qui 
malheureusement  est  devenu  un  misérable  hôtel.  Visité  ensuite  le 
second  monastère  de  la  Visitation,  qui  n'appartient  pas  aux  Visitan- 
dines,  mais  aux  Sœurs  de  Saint-Joseph,  ainsi  que  la  célèbre  Maison 
de  la  Galerie,  qui  servit  de  logement  à  la  Fondatrice  et  aux  Sœurs  de 
la  Visitation...  Messe  dite,  à  7  heures  (10  mai)  à  l'autel  où  est  le 
tombeau  de  sainte  Jeanne  de  Chantai.  On  dit  une  messe  propre 
votive  qui  commence  par  ces  mots  :  Egredere  de  donio  tua. . .  Visite 
de  nouveau  Saint-Maurice,  cette  bonne  vieille  église  où  saint  François 
de  Sales  fit  sa  première  communion  et  reçut  la  confirmation,  puis  la 
cathédrale  où  il  fut  ordonné  prêtre,  où  il  prêcha  souvent,  et  où  l'on  voit 
encore  son  confessionnal,  tout  brisé  par  les  couteaux  des  visiteurs, 
comme  celui  du  curé  d'Ars..."  (Journal  inédit  de  mon  voyage, 
1883-84). 

2.  Ce  document  est  conservé  aux  archives  de  Thonon.  M.  l'abbé 
Bégin  (aujourd'hui  Mgr  Bégin,  archevêque  de  Québec)  s'en  était  pro- 
curé une  copie  durant  son  séjour  à  Rome  en  1866,  et  la  fit  publier  dans 
l'Abeille  de  1877,  No.  6,  p.  24. 

3.  On  disait  M.  de  Chevrières,  ou  l'abbé  de  Chevrières,  comme  on 
avait  dit  pour  Mgr  de  Laval,  l'abbé  de  Montigny,  du  nom  de  la  sei- 
gneurie de  leur  famille. 


46  l^'ÉGUSE    DU    CANADA 

représenta  la  difficulté  qu'il  y  avait  de  célébrer  dans  ce  dio- 
cèse sans  donner  des  marques  particulières  de  ce  que  l'on 
est.  Ce  vertueux  prélat  lui  répondit  tout  simplement  qu'il 
était  évêque  au  Canada.  Cette  réponse  ne  fit  qu'augmenter 
le  zèle  de  M.  notre  confesseur,  parce  qu'il  voyait  que  la  suite 
de  celui  qui  se  disait  évêque  ne  correspondait  pas  à  sa  digni- 
té :  ce  qui  l'obligea  de  s'offrir  à  lui  pour  lui  faire  compagnie 
jusqu'au  palais  de  M.  l'Evêque,  notre  illustre  Prélat,  qui  le 
reconnut  d'abord  pour  l'avoir  vu  à  Paris,  aumônier  chez 
le  Roi. 

«  Le  lendemain,  ces  deux  illustres  prélats  vinrent  en  notre 
église,  où  M"""  de  Québec  demeura  quelques  heures  dans  une 
sainte  et  profonde  méditation.  Après  sa  messe,  il  vit  notre 
communauté  et  nous,  qu'il  entretint  assez  longtemps  des 
merveilles  que  Dieu  opère  pour  la  conversion  de  ses  pauvres 
sauvages.  Entre  tout  ce  qu'il  nous  en  dit  de  plus  consolant, 
c'est  leur  dévotion  à  saint  François  de  Sales  ^.  Ils  veulent 
tous  avoir  de  ses  images  dans  leurs  cabanes  ;  et  la  première 
chose  qu'ils  font  quand  leur  évêque  ou  quelques  autres  les 
vont  visiter,  c'est  de  leur  dire,  en  leur  montrant  cette  image  : 
«  Tiens,  voilà  ce  que  j'aime  !»  Il  y  en  a  même  quelques- 
uns  d'entre  eux  qui  ont  pris  le  nom  de  saint  François  de 
Sales,  et  M^  leur  digne  Prélat  nous  dit  qu'il  ne  désespérait 
d'y  voir  un  jour  de  ses  filles  \  Si  cela  arrive,  ce  sera  une 
suite  des  miracles  que  la  Toute-Puissance  de  Dieu  opère 
dans  ces  pays-là,  o\i  on  les  voit,  ainsi  qu'il  nous  en  assure, 

1.  Mgr  de  Saint-Vallier  leur  avait  parlé,  sans  doute,  de  la  mission 
des  Abénaquis,  "  nouvellement  établie  proche  Québec,  sous  le  nom  de 
Saint-François-de-Sales  ".  (Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol. 
II,  Mémoire  de  Denonville,  janvier  1690.)  C'était  la  mission  de  la 
rivière  Chaudière,  qui,  en  1686,  ne  comptait  pas  moins  de  600  Abéna- 
quis. Il  y  avait  aussi  une  autre  mission  d' Abénaquis,  un  peu  moins  con- 
sidérable, à  la  rivière  Bécancour:  elle  était  également  sous  le  vocable 
de  Saint-François-de-Sales.  Ces  deux  missions  étaient  confiées  aux 
Jésuites. 

2.  D'après  cela,  Mgr  de  Saint-Vallier  aurait  donc  conçu  l'idée  de 
faire  venir  quelque  jour  les  Visitandines  au  Canada, 


sous    M*^    DE    9AINT-VALLIER  47 

aussi  fréquents  que  dans  la  primitive  Eglise.  Bien  de  nos 
Sœurs  se  sacrifieraient  très  volontiers  pour  porter  à  ces 
pauvres  sauvages  de  nouvelles  connaissances  de  Jésus- 
Christ  et  de  la  vie  de  leur  saint  Protecteur.  » 

D'Annecy,  M.  de  Saint-Vallier  ne  manqua  pas  de  se 
rendre  à  Grenoble  pour  visiter  sa  pieuse  et  noble  famille. 
Il  y  a,  au  sujet  de  sa  mère,  un  détail  touchant.  Lorsqu'il 
avait  accepté  l'évêché  du  Canada,  qui  lui  avait  été  proposé 
par  le  Roi,  plusieurs  membres  de  sa  famille  étaient  entrés 
en  fureur,  et  avaient  supplié  Louis  XIV  de  revenir  sur  sa 
décision,  et  de  le  laisser  en  France.  Le  Roi  répondit  tout 
simplement  qu'il  ne  dirait  son  dernier  mot  là-dessus  que 
lorsque  la  mère  du  jeune  abbé  aurait  donné  son  consente- 
ment à  la  nomination  de  son  fils.  Celui-ci  partit  donc  pour 
Grenoble,  afin  de  solliciter  ce  consentement.  Ah,  qu'il  fut 
pénible  et  déchirant  pour  cette  bonne  mère  de  faire  le  sacri- 
fice de  son  enfant  !  Elle  le  fit  pourtant,  et  avec  une  généro- 
sité héroïque  ;  et  par  conséquent  l'on  peut  dire  que  c'est  au 
Fiat  de  la  comtesse  de  Saint-Vallier  que  l'Eglise  canadienne 
doit  son  deuxième  évêque  ' . 

Lorsque  M.  de  Saint-Vallier  retourna  à  Grenoble  en  1687, 
sa  mère  vivait  encore,  et  la  séparation,  cette  fois,  fut  pour 
toujours.  La  comtesse  ne  survécut  que  peu  de  temps  à  cette 
suprême  épreuve.  Mais  avant  de  mourir,  elle  assura  à  son 
fils  une  pension  viagère  de  cent  pistoles,  et  le  combla  de 
présents  pour  sa  lointaine  Eglise. 

Revenu  à  Paris,  M.  de  Saint-Vallier  s'occupa  de  la  publi- 
cation de  son  livre,  sa  Lettre  à  un  de  ses  amis.  L'impression 
n'en  fut  terminée  qu'au  mois  de  mars  1688  2.  Il  s'occupa 
aussi  de  composer  un  Catéchisme  pour  son  diocèse.  Ce 
catéchisme  ne  fut  imprimé  qu'en  1702  ;  mais  il  en  fit  faire 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  V Hôpital-Général  de  Québec,  p.  41. 

2,  Ibià.,  p.  74. 


4^  l'église  du  canada 

sans  cloute  plusieurs  copies,  pour  l'usage  de  ses  curés,  car 
nous  voyons,  dans  une  ordonnance  qu'il  leur  adressa,  au 
printemps  de  1691,  à  la  veille  de  partir  pour  l'Europe, 
qu'il  leur  recommande  «  de  faire  le  catéchisme  tous  les  di- 
manches aux  enfants,  par  demandes  et  par  réponses,  et  de  se 
servir  à  cet  effet  de  son  Catéchisme  '>^\ 

Et  remarquons  que  tout  ce  qu'il  fait,  sa  Relation,  son 
Catéchisme,  plus  tard  son  Rituel,  il  le  fait  lui-même  ;  il  n'est 
pas  homme  à  le  faire  faire  par  les  autres.  Rien  n'égale  son 
activité,  son  travail  incessant.  Lors  de  son  premier  voyage 
au  Canada,  il  a  obtenu  du  Roi  une  somme  considérable  pour 
continuer  à  sa  cathédrale  des  réparations  urgentes  commen- 
cées par  son  prédécesseur.  En  1687,  les  marguilliers  ayant 
décidé  d'allonger  de  cinquante  pieds  cette  église,  qui  est  trop 
petite.  M*^  de  Saint-Vallier  obtient  de  la  cour  neuf  mille 
francs  monnaie  de  France,  valant  douze  mille  francs  mon- 
naie du  Canada.  Il  obtient  également  une  autre  somme 
assez  considérable  pour  la  construction  de  l'église  de  la 
Basse-Ville.  Puis  il  engage  à  Paris  un  bon  entrepreneur  et 
des  ouvriers,  qu'il  envoie  au  Canada  ;  et  il  écrit  à  M.  de 
Denonville  de  voir  à  ce  que  les  travaux  avancent  avec  rapi- 
dité, afin  qu'il  trouve  toutes  choses  en  bon  état,  lorsqu'il 
arrivera  l'année  suivante  : 

«  Je  vous  écris,  dit-il,  par  un  entrepreneur  de  bâtiment, 
que  j'envoie  au  Canada,  avec  six  maçons  et  trois  charpen- 
tiers, pour  travailler  à  notre  église  cathédrale,  et  à  notre 
succursale.  Je  vous  supplie  de  vouloir  bien  vous  employer 
pour  les  mettre  en  état  d'agir  et  de  travailler.  .  .  Animez-les 
à  bien  faire  et  à  ne  pas  perdre  de  temps  2.  » 

M^  de  Laval  était  encore  à  Paris  :  la  cour  l'y  retenait, 
malgré  le  désir  qu'il  avait  exprimé  de  retourner  au  Canada 


1.  Matid.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  283. 

2.  Cité  dans  Henri  de  Bernicres,  p.  160. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  49 

pour  y  mourir  dans  son  séminaire.  Son  successeur  ayant 
reçu  ses  Bulles,  le  pieux  Prélat  signa  la  résignation  de  son 
siège  épiscopal  le  24  janvier  1688  ;  et  le  lendemain,  jour  de  la 
Conversion  de  saint  Paul,  M^  de  Saint-Vallier  fut  sacré 
dans  l'église  de  Saint-Sulpice  '  par  le  coadjuteur  de  l'arche- 
vêque de  Rouen,  M*''"  Colbert,  évêque  de  Carthage.  Singu- 
lière coïncidence  :  M^""  de  Laval  a  été  obligé  de  se  faire  con- 
sacrer par  le  nonce  du  Pape,  dans  une  église  exempte  de 
toute  juridiction  épiscopale,  malgré  l'archevêque  de  Rouen, 
qui  voulait  l'empêcher  d'aller  exercer  la  juridiction  au  Ca- 
nada, prétendant  que  le  Canada  était  de  son  diocèse.  Les 
temps  sont  changés  :  la  juridiction  prétendue  de  l'arche- 
vêque de  Rouen  au  Canada  a  cessé  depuis  longtemps,  grâce 
à  l'énergie  de  M^""  de  Laval  appuyé  sur  le  saint-siège  :  et 
maintenant  c'est  l'archevêque  de  Rouen  lui-même  qui,  par 
son  coadjuteur,  vient  consacrer  le  deuxième  évêque  de  la 
Nouvelle-France  à  Saint-Sulpice. 

M^""  de  Laval  ayant  enfin  obtenu  de  la  cour  la  permission 
de  retourner  dans  son  ancien  diocèse,  se  prépara  à  quitter 
Paris  le  plus  tôt  possible  pour  aller  s'embarquer  à  La  Ro- 
chelle dès  l'ouverture  de  la  navigation. 

M^""  de  Saint-Vallier  aurait  bien  aimé  partir  en  même 
temps  que  lui  ;  mais  plusieurs  affaires  le  retenaient  encore 
quelques  semaines  en  France.  Il  avait  obtenu  de  la  cour, 
pour  ses  ouvriers,  leur  passage  sur  les  vaisseaux  du  Roi  en 
partance  de  La  Rochelle  ;  et  il  s'inquiétait  au  sujet  de  leur 
conduite  pendant  la  traversée.  S'il  avait  été  avec  eux,  il 
les  aurait  tenus  en  respect.  Il  écrit  de  Paris  à  M^  de  Laval, 
rendu  à  La  Rochelle,  et  le  supplie  de  vouloir  bien  embarquer 


I.  La  crosse  d'argent  qu'il  portait,  lors  de  sa  consécration,  lui  avait 
été  donnée  par  son  frère  Bernard.  Il  la  fit  fondre  plus  tard  pour  en 
faire  des  croix  pour  les  religieuses  de  son  Hôpital-Général.  C'est  une 
tradition  conservée  dans  cette  maison.  {Les  Ursulines  des  Trois-Ri- 
vières,  t.  I,  p.  154). 


50  IvEGUSE    DU    CANADA 

ces  ouvriers  avec  lui  ;  «  car  je  crains,  dit-il,  qu'ils  ne  se  dis- 
sipent et  dépensent  beaucoup  ». 

Sa  sollicitude  pour  ces  ouvriers  est  incomparable.  Il  ap- 
prend, quelques  jours  après,  qu'il  doit  passer  des  troupes  en 
Canada,  et  il  écrit  de  nouveau  :  «  Je  voudrais  bien  que  mes 
ouvriers  ne  passent  pas  avec  tant  de  soldats.  » 

Il  n'y  a  pas  jusqu'à  un  ecclésiastique  boiteux  qu'on  lui  a 
représenté  comme  rôdant  autour  de  La  Rochelle,  prêt  à 
s'embarquer  pour  la  Nouvelle-France,  qui  ne  lui  donne  ter- 
riblement de  l'inquiétude.  Il  écrit  de  nouveau  à  M^  de 
Laval  : 

«  L'on  m'a  dit  avoir  vu  passer  un  ecclésiastique  boiteux 
qui  allait  en  grande  diligence  à  La  Rochelle  pour  s'embar- 
quer pour  le  Canada.  Je  n'en  ai  pas  appris  davantage,  je 
ne  sais  ce  que  c'est  que  cet  ecclésiastique  ;  mais  je  vous 
demande  en  grâce  de  le  laisser  à  La  Rochelle,  à  moins  que 
vous  ne  vissiez  en  lui  tant  de  grâces  que  vous  jugiez  que  ce 
fût  un  véritable  gain  pour  le  Canada  \  » 

M^  de  Laval  arriva  à  Québec  le  3  juin;  et  nous  avons 
raconté  ailleurs  avec  quels  transports  de  joie  il  y  fut  ac- 
cueilli ^. 

Nous  avons  vu  avec  quelle  générosité  le  Roi  était  venu  au 
secours  de  M^  de  Saint- Vallier  pour  l'entretien  de  ses 
prêtres,  pour  la  construction  des  églises,  et  particulièrement 
celle  de  la  Basse-Ville,  pour  les  travaux  à  faire  à  la  cathé- 
drale. Il  lui  alloua  aussi  une  somme  considérable  pour  se 
faire  bâtir  un  évêché.  Mais  il  faut  toujours  que  l'Eglise 
paie  de  quelque  manière  les  faveurs  de  l'Etat.  C'est  préci- 
sément à  l'occasion  de  ces  dons  généreux  que  la  cour  imposa 
au  clergé  du  Canada  quelques  règlements  que  l'Evêque  eut 
à  mettre  en  vigueur.    Le  ministre  écrit  à  Denonville  : 


1.  Cité  dans  Henri  de  Bernières,  p.  161. 

2.  Vi€  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  386. 


sous    M^*"    DE    SAINT-VALLIER  5I 

«J'envoie  un  Règlement,  par  lequel  Sa  Majesté  ordonne 
que  le  gouverneur  général  sera  encensé  dans  les  cérémonies 
de  l'église  après  l'Evêque,  et  devant  le  Clergé.  L'intendant 
ne  le  sera  qu'en  l'absence  du  gouverneur,  et  après  le  Clergé.  » 

Il  écrivait  en  même  temps  à  l'Evêque  : 

«  Sa  Majesté  désire  que  vous  fassiez  publier  au  prône  les 
ordonnances  du  gouverneur  et  de  l'intendant  dans  le  même 
cas  que  les  publications  sont  en  usage  dans  le  Royaume,  cela 
étant  nécessaire  pour  le  bien  du  service,  et  l'intention  de  Sa 
Majesté  est  que  l'on  y  traite  le  gouverneur  général  de  mon- 
seigneur \  » 

Le  ministre  écrivait  en  même  temps  à  M.  Tronson  : 

«  Sa  Majesté  agrée  l'augmentation  des  cures  que  M.  de 
Saint- Vallier  a  fait  en  Canada  jusqu'au  nombre  de  trente- 
six,  au  lieu  de  vingt-cinq  qu'il  y  avait  l'année  dernière.  Elle 
désire  que  vous  choisissiez  onze  prêtres  capables  de  remplir 
ces  cures.  Donnez-m'en  avis  quand  vous  les  aurez  trouvés, 
afin  que  je  donne  ordre  à  leur  passage  ^.  » 

M^  de  Saint- Vallier  comptait  évidemment  sur  Saint-Sul- 
pice  pour  suppléer  à  ce  que  le  Séminaire  de  Québec  ne  pour- 
rait ou  ne  voudrait  plus  faire,  quand  il  aurait  opéré  la  ré- 
forme qu'il  avait  en  vue.  M.  Tronson,  qui  lui  avait  donné 
six  prêtres,  à  son  premier  voyage,  ne  put  cette  fois  lui  en 
fournir  que  deux  ou  trois,  qu'il  emmena  avec  lui. 

Tout  va  être  renouvelé  à  Québec  :  un  nouvel  évêque  ;  un 
nouveau  grand  vicaire,  qui  part  avec  lui,  et  dont  personne 
n'a  encore  entendu  parler,  M.  de  Merlac  ;  un  secrétaire,  qui 
vient  également  avec  eux,  de  Paris,  et  n'est  encore  que 
simple  ecclésiastique,  M.  Foucault. 

Nous  ne  savons  à  quelle  date  précise  M^""  de  Saint- Vallier 
quitta  la  France  pour  venir  prendre  possession  de  son  dio- 


1.  Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol. 

2.  Ibid. 


52  L  EGLISE    DU    CANADA 

cèse.  Le  vaisseau  qui  l'amena  au  Canada  arriva  devant 
Québec  le  31  juillet,  et  le  Prélat  ne  descendit  à  terre  que  le 
lendemain. 

M*'  de  Laval,  qui  avait  été  à  Montréal,  faire  visite  aux 
messieurs  de  Saint-Sulpice,  s'était  hâté  de  revenir  à  Québec 
pour  l'arrivée  de  son  successeur.  Il  se  rendit  à  bord  du  vais- 
seau dans  la  matinée  du  premier  aoiît  avec  quelques-uns  de 
ses  prêtres  pour  saluer  M^""  de  Saint- Vallier,  et  celui-ci  fît 
son  entrée  solennelle  à  la  cathédrale  dans  l'après-midi.  On 
chanta  le  Te  Deum;  et,  nous  dit  une  annaliste,  «  l'hymne 
d'actions  de  grâces  qui  retentit  sous  les  voûtes  du  saint 
temple,  trouva  un  écho  dans  tous  les  cœurs  »  1. 

I.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec,  p.  75. 


CHAPITRE    IV 


L^ÉGUSE  DU    CANADA,,   DE    1688   À    169I 

Maison  et  terrain  achetés  par  Mgr  de  Saint- Vallier  pour  son  évêché. — 
Travaux  à  la  cathédrale.  —  Eglise  de  la  Basse- Ville.  —  Démêlés 
avec  le  Séminaire. —  Fête  pour  la  translation  d'une  relique  de  saint 
Paul.  —  Commencements  de  l'Hôpital-Général. 

EN  arrivant  à  Québec,  au  mois  d'aoiît  1688,  M^*"  de  Saint- 
Vallier  alla  loger  au  séminaire,  comme  il  avait  fait 
lors  de  son  premier  voyage.  Mais  il  n'y  resta  que  trois  mois  ; 
et  au  commencement  de  novembre  il  alla  prendre  possession 
d'une  maison  qu'il  avait  achetée  durant  son  premier  séjour 
à  Québec  «  pour  y  loger,  disait-il,  ses  successeurs,  sans  être 
à  charge  au  Séminaire  ».  Il  avait  renoncé  non  seulement  à  la 
«  désappropriation  »,  mais  au  corps  même  des  Missions- 
Etrangères.  Il  s'y  était  agrégé,  disait-il,  sur  les  conseils  du 
P.  Le  Valois,  son  confesseur  ;  il  s'en  séparait  d'après  l'avis 
du  même  Père.  Alors,  n'étant  plus  de  la  maison,  il  ne  pou- 
vait convenablement  y  rester.  Voilà  sans  doute  ce  qu'il 
veut  dire  quand  il  affirme  qu'on  ne  voulait  lui  laisser  «  au- 
cun logement  ».  Il  ajoute  «  qu'on  voulut  garder  sa  biblio- 
thèque, et  ne  lui  laisser  aucun  livre  ».  Il  les  avait  donnés, 
et,  suivant  le  proverbe  populaire,  «  chose  donnée  est  don- 
née »  \  On  fut  cependant  obligé  de  les  lui  rendre,  sur  les 
ordres  de  la  cour.  Mais  nous  avons  raconté  tout  cela  ail- 
leurs ^,  et  il  n'est  pas  nécessaire  de  revenir  sur  ces  démêlés. 


1.  Mémoire  au  P.  de  la  Chaise,   1707,  cité  dans  Les  Jésuites  et  la 
Nouvelle-France    du    P.    de    la    Rochemonteix,    t.    III,    p.    315- 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II. 


54  Iv'ÉGLISE    DU    CANADA 

II  suffit  d'en  rappeler  les  principaux  incidents,  au  fur  et  à 
mesure  que  la  suite  de  l'histoire  semblera  l'exiger. 

La  maison  que  M*^  de  Saint- Vallier  avait  achetée,  avec 
tout  le  terrain  adjacent,  occupait  un  site  magnifique.  En 
montant  la  côte  de  la  Basse-Ville,  on  a  d'abord  à  sa  droite 
une  falaise  abrupte,  puis  on  arrive  à  une  petite  pointe  de 
terre  inclinée  vers  le  sud,  revêtue  de  gazon  et  bornée  au 
nord  par  le  mur  de  la  ville.  Cette  pointe  de  terre  a  été  le 
premier  cimetière  de  la  Nouvelle-France  :  «  C'est  là,  écrit 
l'abbé  Louis  Beaudet,  que  la  population  primitive  de  Québec 
dort  son  dernier  sommeil.  »  Au  détour  du  chemin,  toujours 
à  droite  en  montant,  et  au  delà  de  l'emplacement  du  cime- 
tière, était  la  maison  de  M^  de  Saint- Vallier.  Le  terrain 
qu'il  avait  acquis  avec  cette  maison  ^  s'étendait  jusqu'au  jar- 
din du  séminaire  :  c'est  le  premier  échelon  du  promontoire 
de  Québec  ".  Ce  terrain  avait  déjà  son  histoire  :  il  avait  été 
concédé,  dès  le  commencement  de  la  colonie,  aux  Récollets, 
qui  l'avaient  défriché  :  c'est  le  premier  terrain  qui  fut  défri- 
ché à  la  Haute-Ville.  C'est  là  que  le  P.  Denis  Jamay,  com- 
missaire des  Récollets,  le  premier  chef  spirituel  de  l'Eglise 
du  Canada,  avait  son  petit  jardin,  si  bien  connu  dans  notre 
histoire  sous  le  nom  de  «  Jardin  du  P.  Denis  »,  comme 
Champlain  avait  le  .«lien  au  bas  de  la  colline,  près  de  «  l'Abi- 
tation  ». 

Les  Récollets  échangèrent  ce  terrain  avec  Louis  Hébert 
pour  celui  de  la  rivière  Saint-Charles.  Guillaume  Couillard, 
gendre  et  héritier  de  Louis  Hébert,  le  céda  à  la  Compagnie 
de  la  Nouvelle-France.  Puis  il  devint  successivement  la 
propriété   de  M"*  veuve  Monceaux,   Anne   Gagnier    (plus 


1.  C'est  aujourd'hui  un  magnifique  parc,  qu'on  a  appelé  "parc  Mont- 
morency". N'aurait-il  pas  mieux  valu  l'appeler  "jardin  Saint -Val- 
lier" ?      Mgr  de  Laval  n'a  eu  rien  à  faire  avec  ce  terrain. 

2.  Le  deuxième  échelon  est  la  terrasse  Dufferin;  le  troisième,  la 
citadelle. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  55 

tard  M"*  Jean  Bourdon),  de  l'intendant  Talon,  et  enfin  de 
M.  ProvostS  major  du  château  et  ville  de  Québec,  de  qui 
M*'  de  Saint- Vallier  l'acheta. 

Le  Prélat  n'avait  encore  pour  cette  propriété  qu'un  con- 
trat verbal.  Le  contrat  notarié  fut  passé  le  12  novembre 
1688  :  l'évêque  acquérait  la  maison  et  le  terrain  de  trois 
arpents  y  adjacent  pour  la  somme  de  quinze  mille  livres,  qui 
lui  était  allouée  pour  cela  par  le  Roi  ;  et  il  était  dit  expressé- 
ment dans  le  contrat  que  «  les  dits  trois  arpents  de  terre  et 
bâtiments  susvendus  devaient  demeurer  annexés  et  afïectés 
à  perpétuité  au  dit  évêché  de  Québec,  et  en  jouir  par  le  dit 
seigneur  évêque  et  ses  successeurs  évêques  d'icelui  à  toujours 
ainsi  que  bon  leur  semblera  »  -.  Ce  passage  du  contrat,  qu'il 
est  bon  de  noter,  servit  plus  tard  à  régler  le  difïérend  qui 
s'éleva,  après  la  mort  de  M^""  de  Saint- Vallier,  entre  son 
héritier,  l'Hôpital-Général,  et  l'évêque  de  Québec. 

Le  bâtiment  acquis  par  M^  de  Saint- Vallier  était  une 
belle  maison  en  pierre,  à  deux  étages,  avec  cuisine  séparée 
et  hangar,  cour  et  jardin.  Le  Prélat  en  fît  sa  résidence, 
avec  son  grand  vicaire  M.  de  Merlac  \  et  son  secrétaire,  M. 
Foucault.  Il  y  avait  un  oratoire,  où  il  fît  quelques  ordina- 
tions ;  et  c'est  aussi  dans  cette  maison  qu'il  tint  son  premier 
synode.  Mais  au  bout  de  quelques  années,  il  se  fît  construire 
au  même  endroit  un  grand  évêché,  dont  M.  de  la  Potherie 
faisait  en  1700  la  description  suivante  : 

«  C'est,  dit-il,  un  grand  bâtiment  de  pierre  de  taille,  dont 


1.  En  1690,  à  la  veille  du  siège  de  Québec,  le  major  Provost  com- 
mandait à  Québec,  en  l'absence  de  Frontenac,  qui  était  allé  à  Montréal  : 
*'  C'était  un  officier  intelligent  et  capable  d'agir  dans  un  moment  cri- 
tique. Il  avait  fait  travailler  avec  tant  d'activité  aux  défenses  de  la 
ville,  qu'il  l'avait  mise  à  l'abri  d'un  coup  de  main."  (Garneau,  His- 
toire du  Canada,  t.  I,  p.  339.) 

2.  Le  Palais  épiscopal  de  Québec,  par  Mgr  Têtu,  p_  233. 

3.  Nous  ne  savons  d'où  venait  ce  M.  de  Merlac.  Arrivé  en  Canada 
en  1688,  il  en  partit,  avec  Mgr  de  Saint- Vallier,  dans  l'automne  de  1694, 
pour  n'y  plus  revenir. 


56  l'église  du  canada 

le  principal  corps  de  logis,  avec  la  chapelle  qui  doit  faire  le 
milieu,  regarde  le  canal  (le  fleuve)  ;  il  est  accompagné  d'une 
aile  de  soixante-douze  pieds  de  longueur,  avec  un  pavillon 
au  bout,  formant  un  avant-corps  du  côté  de  l'est.  Et  dans 
l'angle  que  fait  le  corps  de  logis  avec  cette  aile,  est  un  pavil- 
lon de  la  même  hauteur,  couvert  en  forme  d'impériale,  dans 
lequel  est  le  grand  escalier.  Le  rez-de-chaussée  de  la  prin- 
cipale cour,  étant  plus  élevé  que  les  autres  cours  et  le  jardin, 
fait  que  dans  cette  aile  le  réfectoire,  les  offices  et  la  cuisine 
sont  en  partie  sous  terre,  tous  voûtés  de  brique,  et  ne  pren- 
nent jour  que  du  côté  de  l'est. 

«  La  chapelle  est  de  soixante  pieds  de  longueur  ;  son  por- 
tail est  de  l'ordre  composite,  bâti  de  belle  pierre  de  taille,  qui 
est  une  espèce  de  marbre  brut.  Ses  dedans  sont  magnifiques 
par  son  retable  d'autel,  dont  les  ornements  sont  un  rac- 
courci de  celui  du  Val-de-Grâce  \ 

«  Il  y  aurait  i>eu  de  palais  épiscopaux  en  France  qui 
pussent  l'égaler  en  beauté,  s'il  était  fini.  Tous  les  curés  de 
campagne  qui  ont  des  affaires  particulières  à  la  ville,  y 
trouvent  leur  chambre,  et  mangent  ordinairement  avec  M. 
l'Evêque,  qui  se  trouve  presque  toujours  au  réfectoire.  .  .  » 

Hélas  !  M^''  de  Saint-Vallier  ne  devait  pas  jouir  long- 
temps de  cet  évêché,  qu'il  avait  fait  construire  à  grands  frais, 
tant  avec  ses  propres  ressources  qu'avec  une  infinité  de  dons 
recueillis  en  France,  et  qu'il  appelait  «  la  maison  commune 
du  clergé  de  Québec  et  de  Paris  »  ".  Il  finit  même  par  l'aban- 
donner définitivement  pour  aller  rester  ailleurs.  Mais  n'anti- 
cipons pas  sur  les  événements,  et  revenons  au  Séminaire,  où, 
en  arrivant  à  Québec,  le  Prélat  est  allé  loger  avec  son  vénéré 
prédécesseur. 


ï.  Ancien  couvent  de  Bénédictines,  fondé  à  Paris  par  Anne  d'Au- 
triche, mère  de  Louis  XIV. 

2.  L'abbé  Bois,  cité  par  Mgr  Têtu  dans  Le  Palais  épiscopal  de  Qué^ 
bec,  p.  35- 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  57 

Il  n'a  rien  de  plus  pressé,  à  son  arrivée  —  et  c'est  bien 
naturel  —  que  d'aller  visiter  les  travaux  d'agrandissement 
de  sa  cathédrale.  L'entrepreneur  et  les  ouvriers  qu'il  a 
engagés  à  Paris  sont  à  l'œuvre,  et  les  travaux  avancent 
sûrement  et  rapidement,  sous  la  surveillance  de  M.  de 
Maizerets  ^  :  ils  seront  terminés  de  bonne  heure  au  prin- 
temps de  1689  -.  Egalement,  ceux  de  la  construction 
de  l'église  de  la  Basse-Ville  sont  très  avancés  :  la  première 
pierre  de  cette  église  a  été  posée  le  premier  jour  de 
mai  (  1 688  )  par  le  gouverneur  Denonville  ;  et  en  même 
temps  M.  de  Champigny,  «  intendant  des  affaires  politi- 
ques et  des  finances  dans  la  Nouvelle-France  »,  a  posé 
celle  de  la  chapelle  Sainte-Geneviève  attenante  à  l'église. 
L'église  est  dédiée  à  l'Enfant-Jésus,  et  ce  ne  sera  qu'en  1690, 
après  la  victoire  de  Frontenac  sur  les  Anglais,  qu'on  lui  don- 
nera le  nom  de  Notre-Dame-de-la-Victoire.  Les  citoyens 
de  Québec  ont  voulu  qu'à  cette  église  fût  annexée  une  cha- 
pelle dédiée  à  l'illustre  patronne  de  Paris.  Admirable  atta- 
chement de  nos  pères  à  tous  les  souvenirs  de  la  vieille 
France  !  Jean  Bourdon  et  ses  censitaires  ont  donné  le  nom 
de  Sainte-Geneviève  au  coteau  sur  lequel  ils  sont  allés  plan- 
ter leurs  tentes,  aux  environs  de  Québec,  comme  pour  se 
mettre  sous  la  protection  de  cette  grande  sainte  ^  ;  et  la 
Basse- Ville,  où  résident  presque  tous  les  citoyens  importants 
de  Québec  *,  veut  avoir  un  autel  où  sainte  Geneviève  soit 
spécialement  honorée. 

Leur  église  fut  terminée  dans  l'automne  de  1689,  vers  le 
temps  où  M^  de  Saint- Vallier  arriva  de  son  second  voyage 
en  Acadie,  dont  nous  parlerons  bientôt.     Elle  fut  ouverte 

1.  Henri  de  Bernières,  p.  161. 

2.  L'architecte  entrepreneur  des  travaux,  Hilaire  Bernard  de  la 
Rivière,  rendit  ses  comptes  le  2  avril.     (Ibid_,  p.  160  et  374.) 

3.  Jean  Bourdon  et  son  ami  l'abbé  de  Saint-Sauveur,  p.  59. 

4-  "  C'est  le  lieu  du  Canada  le  plus  peuplé.  "  (Lettre  de  Champigny  au 
ministre,  14  oct.  1698.) 


58  l'église  du  canada 

au  culte,  et  le  Prélat  y  nomma  comme  desservant  M.  Glan- 
delet. 

Voici  ce  que  Charlevoix  écrivait  de  cette  église  :  «  Sa 
structure  est  très  simple  ;  une  propreté  modeste  en  fait  tout 
l'ornement.  Quelques  Sœurs  de  la  Congrégation  sont  logées 
entre  cette  église  et  le  port  ;  elles  ne  sont  que  quatre  ou  cinq, 
et  tiennent  une  école  ^  » 

Tout  en  s'occupant  des  travaux  de  sa  cathédrale  et  de  la 
succursale  de  la  Basse-Ville,  M^  de  Saint- Vallier  avait  une 
foule  d'autres  affaires  sur  les  bras  :  il  devait  s'occuper 
d'aménager  sa  maison  et  de  tout  préparer  pour  s'y  retirer 
dans  le  cours  de  l'automne  ;  il  avait  à  faire  la  distribution 
des  ornements,  vases  sacrés  et  autres  objets  qu'il  avait  ap- 
portés de  France  pour  les  pauvres  missions  qui  en  avaient 
besoin  ;  il  avait  à  faire  le  remaniement  des  cures  pour  en 
porter  le  nombre  de  vingt-cinq  à  quarante,  comme  il  en  était 
convenu  avec  la  cour  ;  il  avait  à  déplacer  certains  mission- 
naires pour  les  mettre  ailleurs,  et  quelquefois  à  diviser  cer- 
taines paroisses  trop  étendues,  diminuant  par  là  même  le 
revenu  de  certains  curés.  Et,  nous  l'avons  déjà  dit,  il  n'était 
pas  homme  à  faire  faire  son  travail  par  les  autres  :  il  agis- 
sait lui-même,  et  il  le  faisait  avec  l'impétuosité  et  l'ardeur  de 
sa  nature.  Que  de  voyages  il  fut  obligé  de  faire  à  Mont- 
réal et  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  pour  accomplir  l'œuvre 
qu'il  avait  entreprise  !  et  dans  l'accomplissement  de  cette 
œuvre,  dans  la  division  des  paroisses,  dans  le  déplacement 
des  prêtres,  dans  la  distribution  des  suppléments  aux  mis- 
sionnaires, dans  celle  des  ornements,  des  vases  sacrés,  des 
chapelles  portatives,  que  de  fois  il  alla  se  heurter  contre  les 
prétentions  du  Séminaire,  qui  avait  été  chargé  jusque-là  de 
toutes  les  missions  ! 


I.   Cité  par  le  docteur  Dionne,   dans  son  Historique  de  N.-D.  des 
Victoires,  p.  26. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  59 

Denonville,  homme  pieux  et  désintéressé,  qui  ne  voulait 
que  le  bien,  regrettait  ces  discussions  qui  ne  pouvaient  que 
compromettre  la  paix  et  l'union  dans  l'Eglise  du  Canada.  Il 
proposa  à  l'Evêque  et  au  Séminaire  de  tenir  une  conférence 
pour  s'entendre.  Cette  conférence  eut  lieu,  en  efïet,  dans  la 
nouvelle  résidence  de  l'évêque,  vers  la  mi-novembre,  quel- 
ques jours  avant  le  départ  des  derniers  vaisseaux  pour  la 
France.  On  convint  de  quelques  articles  de  règlements,  qui 
furent  envoyés  à  Paris  pour  l'approbation  de  la  cour  :  ces 
articles,  examinés  et  revisés  par  le  duc  de  Beauvilliers  et 
le  P.  Le  Valois,  furent  renvoyés  au  printemps  au  Canada 
comme  règlement  des  rapports  entre  le  Séminaire  et  l'Evê- 
que. Ils  n'étaient  pas  tous  favorables  au  Prélat  ;  et  comme 
il  est  bien  décidé  à  gouverner  suivant  les  dictées  de  sa  cons- 
cience le  diocèse  qu'on  lui  a  confié  à  lui,  et  non  pas  à 
d'autres,  il  n'en  tient  nul  compte.  La  situation  reste  tendue 
entre  lui  et  le  Séminaire  :  il  ne  s'en  occupe  guère  ;  il  sait 
qu'il  a  l'oreille  de  la  cour  ;  il  ira  lui-même  en  France  plaider 
sa  cause,  et  il  en  reviendra  victorieux  sur  toute  la  ligne. 

En  attendant,  pénétré  de  l'idée  de  son  devoir,  il  fait  la 
visite  pastorale  de  ses  communautés  religieuses,  de  sa  ville 
épiscopale,  de  son  diocèse.  L'année  1689,  qui  est  une  des 
plus  désastreuses  pour  la  colonie,  à  cause  du  massacre  de 
Lachine,  est  une  des  plus  méritantes  de  tout  son  épiscopat, 
car  c'est  l'année  de  son  second  voyage  en  Acadie. 

Il  voulut  la  commencer  par  une  grande  solennité,  à  l'occa- 
sion du  premier  anniversaire  de  son  sacre  :  et,  par  une  atten- 
tion délicate,  donner  les  prémices  de  cette  fête  aux  Ursu- 
lines,  qui,  durant  son  absence,  s'étaient  relevées  si  vaillam- 
ment des  ruines  de  l'incendie  (20  octobre  1686)  qui  avait 
détruit  leur  monastère  à  la  veille  de  son  départ  pour  la 
France  ^. 

I.   Les  UrsuUnes  de  Québec,  t.  I,  p,  456. 


6o  l'église  du  canada 

Il  avait  apporté  de  son  voyage  une  relique  insigne  de  saint 
Paul,  qu'il  avait  eue  à  l'abbaye  de  Maubec  ;  et  il  l'avait  con- 
fiée aux  Ursulines  pour  l'enchâsser  convenablement  :  elles 
lui  firent  en  effet  une  châsse  admirable.  La  translation  so- 
lennelle de  cette  châsse  à  la  cathédrale  fut  fixée  au  25  jan- 
vier, jour  anniversaire  de  son  sacre  ;  mais  la  veille  au  soir^ 
le  Prélat  voulut  qu'elle  fût  transportée  de  l'église  des  Ursu- 
lines à  sa  propre  demeure  épiscopale,  pour  de  là  être  rame- 
née le  lendemain  à  la  cathédrale  :  quatre  prêtres  furent 
chargés  de  cette  tâche  honorable  : 

«  Quand  ils  entrèrent  dans  l'église,  écrit  l'annaliste,  nous 
étions  toutes  rangées  dans  le  chœur.  .  .  Après  avoir  chanté 
l'hymne  de  saint  Paul,  nous  nous  dirigeâmes  en  procession 
vers  la  porte  conventuelle,  suivies  des  élèves  françaises  et 
des  séminaristes,  chantant  le  Laudate  Dominuni  ;  puis  nous 
nous  partageâmes  en  deux  haies  pour  laisser  passer  la  pré- 
cieuse relique.  Elle  fut  portée  d'abord  à  l'Hôtel-Dieu,  et 
ensuite  à  l'évêché,  où  M^""  de  Québec  passa  cette  nuit  en 
prières. 

«  Le  lendemain,  25  janvier,  tout  le  clergé  de  la  cathédrale, 
avec  les  Pères  jésuites,  vêtus  en  tunique,  dalmatiques,  ou 
chasubles,  et  rangés  chacun  selon  sa  dignité,  s'achemina  en- 
bel  ordre  vers  la  chapelle  de  l'évêché.  M^""  de  Laval  et  M^ 
de  Saint- Vallier,  revêtus  de  leurs  habits  pontificaux,  sui- 
vaient la  procession.  Quatre  prêtres  portaient  la  sainte  reli- 
que. En  sortant  de  la  chapelle  de  l'évêché,  la  procession  se 
mit  en  marche  vers  l'église  des  RR.  Pères  jésuites,  oii  se  fit 
la  première  station,  et  de  là  on  se  rendit  à  la  cathédrale. 
Tous  les  corps  de  la  ville  suivaient  en  grande  tenue,  et  la 
piété  de  notre  population  se  manifesta  d'une  manière  bien 
consolante. 

«  Le  pieux  Prélat  voulant  que  les  pauvres  participassent 
d'une  manière  particulière  à  la  joie  de  cette  fête,  ne  se  con- 
tenta pas  de  leur  distribuer  d'abondantes  aumônes,  mais  de 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  6l 

plus,  il  en  réunit  treize,  qu'il  fit  dîner  à  l'évêché,  où  il  les 
servit  de  ses  propres  mains. 

«  Dans  l'après-midi,  monseigneur  officia  à  vêpres  ;  ensuite 
il  y  eut  sermon  et  bénédiction  du  saint  Sacrement.  Ainsi 
finit  cette  grande  journée  qu'on  avait  passée  à  honorer 
publiquement  l'Apôtre  des  Nations  \  « 

Remarquons  cette  attention  particulière  de  M^  de  Saint- 
Vallier  pour  les  pauvres.  La  charité,  l'amour  des  pauvres, 
était  bien  la  qualité  dominante  et  caractéristique  de  ce  bon 
évêque.  Il  la  tenait  sans  doute  de  sa  noble  famille  ;  mais  la 
grâce  avait  admirablement  perfectionné  en  lui  cette  vertu. 
Les  pauvres  furent  toute  sa  vie  l'objet  de  son  affection  ;  et 
il  dépensa  pour  eux  des  sommes  énormes  de  son  patrimoine. 

Nous  avons  dit  déjà  qu'étant  encore  aumônier  à  Ver- 
sailles, il  avait  fondé  un  hospice  pour  les  pauvres,  non  loin 
de  sa  ville  natale.  Nous  le  verrons  bientôt  en  fonder  un 
autre  aux  Trois-Rivières  ;  et  dès  cette  année  1689,  il  pose  à 
Québec  les  fondements  de  sa  maison  de  prédilection,  l'Hôpi- 
tal-Général.  Il  y  a  déjà  à  Québec  un  Bureau  des  Pauvres 
qui  fait  beaucoup  de  bien  : 

«  Chaque  citoyen  et  chaque  communauté,  dit  la  Sœur  Ju- 
chereau  ^  fournissaient  tous  les  ans  une  certaine  somme, 
et  ce  revenu  se  montait  à  plus  de  deux  mille  livres,  que  de 
sages  administrateurs  dispensaient  si  bien  à  tous  ceux  qui  en 
avaient  besoin,  qu'on  ne  voyait  point  de  pauvres  mendier  : 
cela  même  était  défendu  ^.  » 

Mais  les  infirmes  et  les  invalides  n'ont  pas  encore  d'hos- 
pice. M^*"  de  Saint- Vallier  veut  leur  créer  un  asile  où  ils 
puissent  vivre  en  paix  leurs  derniers  jours  et  se  préparer  à 
bien  mourir.  Au  risque  de  soulever  bien  des  protestations, 
il  décide  d'appliquer  à  la  fondation  de  son  asile  le  fonds  du 

1.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  I.  p.  457. 

2.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  355. 

3.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  I02_ 


62  1,'ÉGUSE    DU    CANADA 

Bureau  des  Pauvres.  La  maison  qu'il  a  en  vue  pour  la  fon- 
dation de  cet  asile  est  la  Maison  de  la  Providence,  que  les 
Sœurs  de  la  Congrégation  ont  établie  depuis  deux  ans  à 
Québec  sur  le  modèle  de  celle  qu'ils  ont  à  Montréal.  C'était 
«  une  maison  avec  cour  et  jardin,  dans  la  Haute-Ville, 
proche  de  la  grande  place  Notre-Dame  »  >.  Le  Prélat  écrit 
donc  à  Montréal  à  la  vénérable  Marguerite  Bourgeois  pour 
la  presser  de  venir  à  Québec  transformer  sa  Maison  de  la 
Providence  en  un  Hôpital-Général  et  en  prendre  la  direction. 

Cette  sainte  fille,  accoutumée  à  une  obéissance  sans  borne 
à  ses  supérieurs,  quitte  aussitôt  Montréal  pour  se  rendre  à 
pied  à  Québec.  On  est  à  ce  moment  du  printemps  où  les 
chemins  sont  impraticables.  Elle  a  des  rivières  et  des  en- 
droits périlleux  à  traverser  :  rien  ne  la  rebute  ;  un  courage 
surhumain  la  soutient.  Elle  arrive  à  Québec,  toute  joyeuse 
et  triomphante,  malgré  sa  grande  humilité,  et  se  met  tout 
entière  à  la  disposition  de  l'évêque.  C'est  un  des  plus  beaux 
épisodes  de  sa  carrière,  si  féconde  en  prodiges. 

De  concert  avec  l'évêque,  elle  jette  les  fondations  de 
l'Hôpital-Général.  Une  autre  Sœur  de  la  Congrégation 
quitte  le  couvent  de  la  Sainte-Famille^  pour  venir  l'aider  ; 
plusieurs  pauvres  et  infirmes  viennent  chercher  un  asile  et 
se  confier  à  ses  soins  dans  la  Maison  de  la  Providence  :  et 
alors  le  pieux  Prélat  peut  entreprendre  gaiement  le  grand 
voyage  qu'il  a  projeté. 


1.  Vie   de    la   Sœur   Bourgeois,   par    l'abbé   Faillon,    t.    I,    p.    321. 

2.  Le  couvent  de  la  Sainte-Famille,  île  d'Orléans,  avait  été  établi  trois 
ou  quatre  ans  auparavant  (1685).  C'est  le  plus  ancien  couvent  de  la 
Congrégation  dans  le  diocèse  de  Québec. 


CHAPITRE   V 


l'église  du  canada,  de  1688  À  1691  (suite) 

Voyage  de  Mgr  de  Saint- Vallier  à  Terreneuve  et  en  Acadie.  —  Mas- 
sacre de  Lachine.  —  Frontenac  ;  Charles  LeMoyne  ;  D'Iberville. — 
Visite  pastorale.  —  Siège  de  Québec,  1690.  —  Premier  Synode  de 
Québec.  —  Lettre  pastorale  de  l'Evêque  avant  de  partir  pour  la 
France.  —  Départ  pour  la  France. 

LE  voyage  de  M^'  de  Saint- Vallier  à  Terreneuve  et  en 
Acadie,  en  1689,  avait  été,  jusqu'à  ces  dernières  an- 
nées, inconnu  à  l'histoire.  Comment  se  fait-il  que  le  Prélat 
n'ait  pas  écrit  un  mot  sur  ce  voyage?  Dans  la  relation  qu'il 
avait  publiée  l'année  précédente  sous  forme  de  Lettre  à  un 
de  ses  amis,  il  avait  raconté  assez  au  long  son  premier  voyage 
en  Acadie;  puis  il  s'était  cru  obligé  de  supprimer  les  exem- 
plaires de  cette  relation  qu'il  avait  apportés  au  Canada:  et 
nous  en  avons  donné  plus  haut  la  raison.  C'est  évidemment 
pour  le  même  motif  qu'il  ne  jugea  pas  à  propos  d'écrire  la 
relation  de  son  second  voyage,  qui  serait  aujourd'hui  pour 
nous  si  intéressante,  si  utile  à  l'histoire. 

Voici  tout  ce  que  nous  savons  du  deuxième  voyage  de  M^' 
de  Saint- Vallier  en  Acadie,  voyage  qui  commença  par  une 
excursion  à  Terreneuve.  Mais  ce  que  nous  savons  est  ap- 
puyé sur  des  documents  certains  : 

Le  Prélat  fréta  à  Québec,  dans  le  cours  de  l'hiver,  pour 
son  voyage,  un  petit  bâtiment,  commandé  par  le  capitaine 
Pierre  Lalemant.  Il  fit  voile  dans  les  premiers  jours  de 
mai,  emmenant  avec  lui  deux  Pères  récollets,  le  P.  Sixte  le 


64  l'église  du  canada 

Tac  et  le  P.  Joseph  Denis,  un  Français  et  un  Canadien,  tous 
deux  pleins  d'intelligence  et  de  savoir-faire,  et  deux  ou  trois 
prêtres  séculiers.  Il  lui  fallait  d'abord  se  rendre  à  Plaisance, 
dans  l'île  de  Terreneuve,  pour  y  régler  certaines  difficultés 
religieuses,  et  mettre  l'Eglise  sur  un  bon  pied.  Il  n'arriva  à 
Plaisance  que  le  21  juin,  et  demeura  à  Terreneuve  près  d'un 
mois,  profitant  de  ce  séjour  prolongé  pour  visiter  plusieurs 
établissements  le  long  des  côtes  de  l'île. 

Il  fit  acheter  à  la  Grande  Grave,  devant  Plaisance,  «  une 
habitation  avec  cabanes,  graves,  chafauds  et  chaloupes  pour 
la  somme  de  douze  cents  livres,  et  nomma  le  P.  Denis  curé 
de  Plaisance,  avec  le  titre  de  vicaire  général  ». 

Après  avoir  tout  réglé  à  cet  endroit,  suivant  les  instruc- 
tions qu'il  avait  eues  de  la  cour,  l'Evêque  partit  pour  les 
îles  Saint-Pierre  et  Miquelon,  où  il  laissa  un  ecclésiastique. 
Le  commandant  de  la  garnison  de  Plaisance  l'y  accompagna 
pour  lui  faire  rendre  les  honneurs  dus  à  son  rang.  L'Evêque 
bénit  dans  l'île  une  petite  chapelle  qui  avait  été  construite 
l'année  précédente  (1688).  Au  moment  de  partir  de  Saint- 
Pierre,  il  fut  averti  que  des  flibustiers  croisaient  en  vue  de 
l'île,  dans  l'intention  de  s'emparer  de  sa  personne.  Il  fallut 
en  conséquence  le  faire  escorter  jusqu'en  vue  du  cap  Raye. 

Le  P.  Sixte  le  Tac  quitta  Plaisance  presque  aussitôt  après 
le  départ  de  M^  de  Saint- Vallier  et  porta  à  la  cour  des 
lettres  du  Prélat.  Celui-ci,  après  avoir  rendu  compte  de  sa 
mission,  demandait  instamment  au  provincial  des  Récol- 
lets quelques  religieux  de  son  ordre  pour  les  difiFérentes  mis- 
sions du  Canada,  et  spécialement  pour  Plaisance,  les  îles 
Saint-Pierre  et  la  côte  de  Terreneuve,  où  il  en  fallait  inces- 
samment cinq  ou  six. 

En  1690,  l'évêque  de  Québec,  voulant  prouver  aux  habi- 
tants de  Plaisance  et  de  Saint-Pierre  «  qu'il  ne  les  avait  pas 
oubliés  »,  leur  adressait  une  lettre  pastorale  pleine  d'exhor- 
tation au  bien,  et  il  leur  promettait  des  Récollets  «  pour  de- 


sous    M*^    DK    SAINT-VALUER  65 

meurer  permanemment  au  milieu  d'eux  ».  Puis  il  leur  disait, 
à  l'occasion  du  jubilé  accordé  par  le  nouveau  paj^e,  Alex- 
andre VIII  ^,  qui  venait  de  monter  sur  la  chaire  de  saint 
Pierre  : 

«  Je  vous  prie  de  faire  une  véritable  pénitence  pour  entrer 
dans  l'esprit  de  l'Eglise  et  du  souverain  pontife  que  Notre- 
Seigneur  a  voulu  donner  dans  ce  temps  malheureux  de 
guerre,  pour  la  consolation  du  monde  chrétien.  Dis[X)sez- 
vous  donc,  mes  très  chers  enfants,  à  recevoir  les  grâces  qu'il 
veut  bien  vous  procurer  par  le  jubilé.  .  .  » 

C'est  à  la  suite  de  son  voyage  à  Terreneuve  que  M^""  de 
Saint-Vallier  fit  la  visite  pastorale  de  l'^A^cadie,  où  il  arriva 
beaucoup  plus  tard  qu'il  n'était  attendu,  puisque,  d'après  une 
lettre  de  M.  Tronson,  en  date  du  13  mai,  à  M.  Trouvé,  alors 
à  Port-Ro}  al,  il  était  supposé  y  être  à  cette  époque  : 

«  Je  souhaite,  disait-il,  que  M.  de  Saint-Vallier,  qui  doit 
être  maintenant  avec  vous,  suivant  les  mesures  qu'il  avait 
prises,  vous  ait  apporté  quelque  secours,  en  attendant  celui 
de  France.  » 

Les  bons  missionnaires  de  l'Acadie,  MM.  Geoffroy, 
Thury,  Petit  et  Trouvé  étaient  en  effet  dépourvus  de  tout. 
M^"  de  Saint-Vallier  avait  obtenu  du  Roi  la  somme  de 
quinze  cents  livres,  à  laquelle  il  avait  ajouté  cinq  cents  livres 
de  son  propre  argent  ;  et  il  avait  employé  cette  somme  à 
acheter  beaucoup  d'ornements  et  de  vases  sacrés,  qu'il  avait 
envoyés  en  Acadie  sur  un  vaisseau  de  la  Compagnie  de  la 
pêche  sédentaire.  Or  ce  vaisseau  avait  été  pris  par  un 
forban  de  Boston  "  ;  de  sorte  que  les  pauvres  missions  aca- 
diennes  avaient  été  privées  de  tous  ces  secours.  M^""  de 
Saint-Vallier,  en  attendant  de  nouveaux  bienfaits  du  Roi, 
s'épuisa  pour  venir  à  leur  assistance. 


1.  Un  Vénitien,  de  la  famille  Ottoboni. 

2.  Documents  relatifs  à  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  469. 


66  l'église  du  canada 

Mais  ce  qui  fit  peut-être  encore  plus  plaisir  à  ses  mission- 
naires que  tous  ses  dons  généreux,  c'est  que  l'Evêque,  avant 
de  partir  pour  TAcadie,  avait  eu  la  pieuse  et  délicate  pensée 
de  détacher  pour  sa  chère  Eglise  des  Acadiens  un  morceau 
de  la  relique  insigne  de  saint  Paul  qu'il  venait  de  placer  avec 
honneur  dans  sa  cathédrale.  Il  en  fit  don  à  l'église  de  Port- 
Royal,  où  elle  resta  comme  un  précieux  souvenir  de  son 
deuxième  voyage  en  Acadie,  et  un  gage  de  sa  tendresse 
pour  les  Acadiens  '. 

M^""  de  Saint-V allier  ne  craignait  pas  de  se  créer  des  diflfi- 
cultés,  et  ne  reculait  devant  aucune,  quand  il  croyait  qu'il  y 
allait  de  son  devoir.  Mais  aussi  il  avait  un  don  particulier 
pour  apaiser  et  régler  celles  des  autres.  Il  avait  été  à  Terre- 
neuve,  à  la  demande  du  Roi,  pour  en  régler  quelques-unes  : 
il  fit  la  même  chose  en  Acadie.  Menneval,  gouverneur  de 
Port-Royal,  avait  à  se  plaindre  de  deux  de  ses  subalternes, 
Desgouttins  et  Souligre,  et  il  les  avait  menacés  de  les  en- 
voyer au  Canada  rendre  leurs  comptes  à  Denonville.  Le 
bon  Prélat,  oubliant  mille  injures  que  ces  ofîficiers  avaient 
faites  à  ses  missionnaires,  intercéda  pour  eux,  et  Menneval 
les  garda  à  leurs  postes. 

Il  était  tard  dans  l'automme  lorsque  M^""  de  Saint-\'allier 
rentra  à  Québec.  Une  afïreuse  nouvelle  l'y  attendait,  celle 
du  massacre  de  Lachine,  qui  avait  jeté  la  terreur  et  la  déso- 
lation dans  toute  la  colonie.  La  guerre  avait  éclaté,  au 
printemps,  entre  l'Angleterre  et  la  France  :  elle  allait  se 
faire  parallèlement  en  Amérique  entre  les  colonies  anglaises 
et  le  Canada.  C'est  la  Nouvelle-Angleterre  qui  soulève 
contre  nous  les  Iroquois  des  Cinq-Cantons  ;  mais  nous  avons 
pour  nous  les  Abénaquis  de  la  vallée  du  Kénébec:  dans  l'au- 
tomne de  1689,  ils  détruisent  seize  forts  de  la  Xouvelle- 
Angleterre-.    Celle-ci  compte  déjà  deux  cent  mille  âmes,  et 

1.  Bulletin  des  Recherches  historiques,  novembre   1895. 

2.  Mémoire  de  Denonville,   1690. 


sous    M'^'    DE    SAINT-VAIJJi:i<  6/ 

le  Canada  en  a  à  peine  douze  à  quinze  mille.  Les  Irociuois, 
que  rimpéritie  de  Denon ville  n'a  pas  su  mettre  à  la  raison, 
promènent  partout  le  fer  et  la  flamme  dans  la  colonie.  Mais 
voici  Frontenac  qui  revient  au  Canada  pour  remplacer  De- 
nonville  :  il  e.st  accueilli  comme  un  libérateur.  L'espérance 
et  la  joie  renaissent  dans  toutes  les  habitations  canadiennes. 
Il  a  le  don  du  commandement  ;  il  a  l'oreille  et  le  cœur  des 
Canadiens  ;  il  en  impose  aussi  aux  sauvages  :  lui  seul  con- 
naît la  manière  de  traiter  avec  eux,  de  s'en  faire  craindre  et 
aimer  à  la  fois.  Un  seul  homme  au  Canada  pouvait  rivaliser 
avec  lui  pour  l'ascendant  et  l'autorité  sur  les  sauvages  : 
Charles  LeMoyne,  de  Montréal  ;  mais  il  était  mort  en  1685  : 

«  S'il  eût  vécu  en  1689,  avons-nous  écrit  ailleurs,  qui  sait 
si,  par  sa  douce  influence,  par  l'autorité  de  son  nom,  par  ses 
sages  conseils,  il  n'aurait  pas  réussi  à  empêcher  les  mal- 
heureux événements  qui  provoquèrent  le  massacre  de  La- 
chine  ?  ^)) 

Charles  LeMoyne  a  laissé  huit  enfants,  «  tous  les 
mieux  élevés  du  Canada  ^)>,  tous  de  futurs  héros.  D'Iber- 
ville,  surtout,  quelle  gloire  pour  la  colonie  de  la  Nouvelle- 
France  !  Déjà  il  a  fait  deux  expéditions  mémorables  à  la 
baie  d'Hudson.  celles  de  1686  et  de  1688,  et  porté  des  coups 
terribles  au  prestige  de  l'Angleterre  dans  cette  partie  de 
l'Amérique.  Il  s'en  revient  au  Canada,  en  1689,  à  la  prière 
de  Denonville  ;  mais  il  n'arrive  à  Québec,  comme  M"^""  de 
Saint-Valîier,  que  pour  apprendre  l'horrible  massacre  de 
Lachine. 

Pour  venger  ce  massacre  et  relever  l'honneur  des  armes 
françaises,  Frontenac  organise  trois  expéditions  contre  la 
Nouvelle-Angleterre.  D'Iberville,  son  frère  Sainte-Hélène 
et  D'Ailleboust  de  Montet,  le  brave  Hertel,  M.  de  Portneuf 


1.  Journal  d'une  expédition  de  D'Iberville,  Introduction,  p.  10. 

2.  Lettre  de  Denonville  au  ministre,  31  oct.  1688. 


68  l'église  du  canada 

en  seront  les  chefs,  et  rendront  leurs  noms  immortels  par  les 
affaires  de  Corlar,  de  Salmon  Falls  et  de  Casco,  qui  eurent 
lieu  dans  l'hiver  de  1690. 

D'Iberville  ira  ensuite  passer  les  étés  de  1692  et  1693  à 
croiser,  avec  M.  de  Bonaventure,  le  long  des  côtes  de  la 
Nouvelle-Angleterre,  et  fera  subir  aux  Anglais  des  pertes 
immenses  j^our  leur  commerce  ^ 

Que  font  pendant  ce  temps  les  chefs  spirituels  du  Canada, 
l'ancien  et  le  nouvel  évêque  de  la  Nouvelle-France  ?  Retiré 
dans  son  séminaire,  AP""  de  Laval,  dont  la  haute  piété  et  la 
vertu  n'ont  d'égal  que  le  patriotisme,  lève  les  mains  vers  le 
Ciel  pour  le  succès  des  armes  françaises  ;  et  tandis  que  là- 
bas  son  illustre  cousin,  Montmorency-Luxembourg,  se  cou- 
vre de  gloire,  et  remporte  sur  les  ennemis  de  la  France  tant 
de  drapeaux,  suspendus  ensuite  aux  voûtes  de  Notre-Dame 
de  Paris,  qu'on  l'appelle  le  Tapissier  de  Notre-Dame  ^,  lui 
pratique  dans  le  silence  et  la  solitude  tant  de  vertus  que 
l'Eglise  du  Canada  en  resplendit  d'un  éclat  admirable. 

Pour  AP''  de  Saint-Vallier.  à  ses  prières  et  à  ses  suppli- 
cations ardentes  vers  le  Ciel,  il  ajoute  les  mérites  d'une  vie 
laborieuse  et  vraiment  apostolique.  L'année  1690,  si  agitée, 
si  troublée,  si  remplie  de  bruits  de  guerre,  est  pour  lui  une 
année  de  travaux  incessants  pour  le  bien  de  son  Eglise.  Dès 
le  printemps,  il  entreprend  la  visite  pastorale  de  tout  son 
diocèse.  Il  se  propose,  en  effet,  d'aller  en  France  dans  le 
cours  de  l'automne  pour  faire  régler  ses  différends  avec  le 
Séminaire  de  Québec,  et  il  veut  être  en  état  de  rendre  au  Roi 
un  compte  exact  de  l'état  de  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France. 
Il  parcourt  donc  tout  son  diocèse,  de  paroisse  en  paroisse,  et 
presque  d'habitation  à  habitation,  voulant  connaître  par  lui- 
même  autant  que  possible  les  besoins  spirituels  et  temporels 

1.  Journal  d'une  expéd.  de  D'Iberville,  Introd,  p.  21. 

2.  Le  Tapissier  de  Notre-Dame,  François  de  Montmorency,  duc  de 
Luxembourg,  par  le  marquis  de  Ségur. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  69 

de  ses  diocésains.  Il  se  fait  rendre  compte  de  leurs  revenus, 
du  revenu  de  ses  curés  et  missionnaires,  de  l'état  moral  des 
populations.  Il  examine  en  quel  état  sont  les  églises,  les 
presbytères  ;  il  se  fait  rendre  compte  du  mobilier  des  sacris- 
ties, du  nombre  de  vases  sacrés,  d'ornements,  de  chapelles 
portatives  que  possède  chaque  mission.  Il  reste  partout  le 
temps  nécessaire  pour  bien  remplir  ces  importants  devoirs. 

Il  est  encore  en  visite  pastorale,  lorsqu'il  apprend  que  les 
Anglais  viennent  de  s'emparer  de  Port-Royal  et  ont  emmené 
prisonniers  à  Boston  ses  missionnaires,  MM.  Petit  et 
Trouvé.  Quelle  désolation  !  Mais  que  peut-il  y  faire  pour 
le  moment?  Bientôt  il  apprend  encore  que  les  Anglais  ont 
résolu  de  s'emparer  également  du  Canada,  qu'ils  sont  en 
route  par  trois  voies  différentes,  et  que  déjà  leur  flotte 
remonte  le  Saint-Laurent  pour  faire  le  siège  de  Québec.  Il 
adresse  alors  à  ses  diocésains  une  lettre  chaleureuse  pour  les 
exhorter  à  se  bien  défendre  : 

«  Vous  êtes  suffisamment  informés,  dit-il,  de  l'étrange 
calamité  dont  nous  sommes  tous  menacés  par  l'approche  des 
Anglais,  ennemis  non  seulement  du  nom  français,  mais  de 
notre  foi  et  de  notre  religion.  .  .  »  Et  il  leur  recommande 
de  se  mettre  en  état  de  grâce,  afin  de  ne  pas  attirer  sur  eux 
la  colère  du  Ciel.  <■  Je  me  promets,  ajoute-t-il,  de  votre  piété 
et  de  votre  fidélité  à  votre  nation  et  à  votre  Roi,  que  vous 
prendrez  toutes  les  mesures  possibles  pour  bien  repousser 
vos  ennemis  et  vous  conserver  en  paix  avec  Dieu  par  l'éloi- 
gnement  de  tout  ce  qui  peut  l'offenser.  .  .  Je  vous  invite, 
ajoute-t-il  encore,  à  bien  garder  nos  côtes,  d'être  exacts  à 
bien  défendre  l'entrée  de  notre  ville  ;  mais  comme  vous  la 
garderez  en  vain  si  le  Seigneur  ne  la  garde,  prenez  pour  la 
meilleure  et  la  plus  sûre  sauvegarde  la  pénitence  et  l'amende- 
ment de  la  vie.  .  .  » 

Il  est  à  Montréal,  lorsqu'il  apprend  que  la  flotte  ennemie 
est  déjà  devant  Québec.     Il  prend  aussitôt  le  chemin  de  sa 


^o  l'église  du  canada 

ville  épiscopale.  Mais  M.  de  la  Colombière,  qui  était  aussi  à 
Montréal,  l'a  déjà  devancé,  accompagnant  un  certain  nom- 
bre de  Montréalais,  qui  descendent  au  secours  de  Québec  : 

«  Il  avait  arboré  sur  son  canot,  écrit  la  Sœur  Juchereau, 
un  étendard  où  était  peint  le  saint  nom  de  Marie,  afin  d'ani- 
mer ces  guerriers  par  sa  confiance  en  la  très  sainte  Vierge.  » 

De  son  côté  M^""  de  Laval  avait  fait  mettre  sur  le  clocher 
de  la  cathédrale  un  tableau  de  la  sainte  Famille,  qui  appar- 
tenait aux  Ursulines  : 

«  Les  Anglais,  dit  la  Sœur  Juchereau,  s'efforcèrent  sur- 
tout, comme  nous  l'avons  su  depuis,  de  tirer  sur  ce  tableau; 
mais  ils  n'y  firent  aucun  mal  ;  et  cela  même  nous  garantit, 
parce  que  tous  les  coups  qu'ils  visaient  sur  l'image  passaient 
par-dessus  Québec. 

«  Le  danger  était  si  grand,  ajoute  cette  annaliste,  que  les 
plus  braves  officiers  regardaient  la  prise  de  Québec  comme 
inévitable  :  on  se  croyait  tous  les  jours  à  la  veille  d'être 
pris.  .  .  Québec  était  fort  mal  muni  pour  un  siège  :  il  y  avait 
très  peu  d'armes,  point  de  vivres.  .  . 

«  M.  de  Maricourt  abattit  avec  un  boulet  le  pavillon  de 
l'amiral,  et  sitôt  qu'il  fut  tombé,  nos  Canadiens  allèrent 
témérairement  dans  un  canot  d'écorce  l'enlever,  et  le  tirèrent 
jusqu'à  terre,  à  la  barbe  des  Anglais.  On  le  porta  en  triom- 
phe à  la  cathédrale.  .  . 

«  Ce  qu'il  y  eut  d'admirable,  et  qui  assurément  attira  la 
bénédiction  du  Ciel  sur  Québec,  c'est  que  pendant  tout  le 
siège  on  n'interrompit  aucune  dévotion  publique.  .  .  La  ville 
est  disposée  de  telle  sorte  que  les  chemins  qui  conduisent 
aux  églises  sont  vus  de  la  rade  ;  de  sorte  qu'à  plusieurs 
heures  du  jour,  on  voyait  des  processions  d'hommes  et  de 
femmes  aller  où  les  cloches  les  invitaient.  Les  Anglais  les 
remarquaient.     Ils  appelèrent  M.  de  Grandville  ^  et  lui  de- 

I.    Un   brave   Canadien,    marguillier   de   Québec,    qu'ils   avaient    fait 


sous     M'^'"     VA-,    SAINT-VAULlIvR  Jl 

mandèrent  ce  que  c'était.  Il  leur  dit  naïvement  :  «  C'est  la 
«  messe,  les  vêpres  et  le  salut.  »  L'assurance  des  citoyens  de 
Québec  les  désolait.  Ils  s'étonnaient  de  ce  ([ue  les  femmes 
osaient  sortir.  .  .  Nos  dévotions  ne  leur  plaisaient  pas  ;  ils 
jugeaient  de  là  que  nous  étions  fort  tranquilles.  .  . 

»<  Quarante  séminaristes  qui  étaient  à  Saint-Joachim  et 
qui  brûlaient  du  désir  de  combattre,  obtinrent  la  permission 
de  venir  à  Beauport.  Ils  savaient  fort  bien  tirer,  et  dès  la 
première  décharge  qu'ils  firent  sur  le  camp  de  nos  ennemis, 
l'épouvante  les  saisit,  ils  se  persuadèrent  que  toutes  les  mon- 
tagnes voisines  étaient  peuplées  d'Indiens  qui  venaient  les 
prendre  par  derrière  ;  de  sorte  que,  sans  tenir  conseil,  ils 
s'embarquèrent  confusément  et  précipitamment,  laissant 
leurs  munitions  et  leurs  canons,  dont  deux  sont  demeurés 
à  Beauport,  un  à  Saint-Joachim,  et  les  autres  ont  été  apportés 
à  Québec. 

«  Dieu  voulut  avoir  tout  l'honneur  de  la  victoire,  et  sa 
providence  parut  si  visiblement  qu'il  n'y  eut  personne  cjui  ne 
confessât  hautement  que  le  Ciel  avait  pris  notre  défense.  .  . 
La  flotte  fît  une  honteuse  retraite  le  21  octobre,  sept  jours 
après  son  arrivée. 

«  M.  de  Frontenac  fit  chanter  le  Te  Dciim  dans  la  cathé- 
drale avec  toute  la  solennité  requise.  On  fit  ensuite  une  pro- 
cession magnifique  à  toutes  les  églises  de  Québec,  portant  en 
triomphe  l'image  de  la  très  sainte  Vierge,  comme  notre 
libératrice,  qui  avait  vaincu  nos  ennemis.  Tout  retentissait 
des  louanges  de  la  Reine  du  ciel,  qui  venait  de  nous  donner 
des  témoignages  si  singuliers  de  sa  maternelle  protection. 
On  établit  la  fête  de  Notre-Dame-de-la- Victoire  dans  l'église 
de  la  Basse- Ville,  pour  mémoire  éternelle  de  la  défaite  des 


prisonnier  dans  le  bas  du  fleuve.  {Henri  de  Bernières,  p.  198).^  Il 
s'occupait  de  la  traite,  à  Tadoussac,  pour  les  fermiers  généraux:  c'était 
un  poste  exemplaire  sous  le  rapport  de  la  tempérance.  (Mémoire  de 
Denonville.    1690) 


72  l'église  du  canada 

Anglais  ;  et  M.  de  la  Colombière  y  prêcha  avec  son  éloquence 
ordinaire,  et  en  fidèle  serviteur  de  Marie.  » 

De  leur  côté,  à  l'occasion  de  la  délivrance  de  Québec,  les 
religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  demandèrent  à  M^  de  Saint- 
Vallier  d'instituer  dans  leur  église  la  fête  du  saint  Cœur  de 
Marie.  Il  le  leur  accorda,  et  leur  donna  en  même  temps  un 
beau  mandement,  qui  reste  comme  un  monument  de  sa 
grande  piété  : 

«  Nous  avons  sujet  de  croire,  disait-il,  que  la  Mère  de 
Dieu,  qui,  par  plusieurs  miracles,  vient  de  nous  délivrer  des 
Anglais,  ses  ennemis  et  les  nôtres,  a  inspiré  à  ses  Filles  de 
rendre  à  son  aimable  Cœur  des  honneurs  nouveaux  dans  la 
Nouvelle-France,  pour  graver  plus  profondément  dans  tous 
les  cœurs  le  souvenir  d'un  bienfait  signalé.  Aussi,  pour 
satisfaire  à  un  désir  si  pieux  et  si  propre  à  immortaliser  la 
victoire  dont  nous  sommes  redevables  à  la  Reine  du  ciel, 
après  avoir  vu  et  examiné  l'office  et  la  messe  du  Très  Sacré 
Cœur  de  Marie,  composés  par  le  P.  Eudes,  dont  la  mémoire 
est  en  bénédiction,  et  approuvés  par  plusieurs  illustres  pré- 
lats, nous  permettons  à  nos  dites  Filles,  qui  nous  les  ont  pré- 
sentés, de  chanter  l'un  et  l'autre  solennellement  tous  les  ans 
le  3  juillet,  ainsi  qu'elles  l'ont  souhaité,  leur  accordant  en 
même  temps  l'oraison  des  Quarante-Heures,  qui  commen- 
ceront le  même  jour.  .  .  ^  » 

Le  Prélat  ayant  terminé  sa  visite  pastorale,  se  hâta,  aussi- 
tôt après  la  levée  du  siège  de  Québec,  d'adresser  une  lettre 
à  ses  diocésains  au  sujet  de  cette  visite  : 

«  Nous  l'avons  faite,  dit-il,  avec  toute  l'exactitude  dont 
nous  sommes  capable,  et  Dieu  nous  a  donné  le  secours  dont 
nous  avons  eu  besoin  pour  exécuter  cette  entreprise  assez 
difificile  et  périlleuse,  dans  un  temps  où  nos  ennemis  nous 
attaquaient  de  tous  côtés.  .  .  » 

I.    Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  342. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  73 

Il  entre  ensuite  dans  le  détail  de  ce  qu'il  a  vu  et  entendu 
dans  le  cours  de  sa  visite  ;  et  le  ton  de  sa  lettre  est  assez 
triste  et  désolé  :  on  sent  qu'il  est  sous  le  poids  accablant  des 
événements  : 

«  Nos  misères  temporelles  ne  sont  rien  en  comparaison 
des  misères  spirituelles  dont  notre  diocèse  est  accablé.  .  . 
Dieu  nous  ayant  ouvert  les  yeux  sur  les  désordres  de  ce 
diocèse,  et  nous  ayant  fait  sentir  plus  que  jamais  le  poids  de 
notre  charge,  nous  sommes  obligé  de  reconnaître  que  nos 
ennemis  les  plus  redoutables  sont  l'ivrognerie,  l'impureté,  le 
luxe  et  la  médisance.  .  .  » 

Il  exhorte  les  confesseurs  à  se  montrer  sévères  pour  l'ab- 
solution de  ces  péchés  ;  et  cependant,  toujours  sur  ses  gar- 
des, on  voit  qu'il  fait  attention  de  ne  pas  dépasser  les  limites 
d'une  saine  théologie. 

Il  faut  dire  la  même  chose  des  statuts  qui  furent  publiés 
dans  le  premier  Synode  tenu  à  Québec,  le  9  novembre  sui- 
vant. 

Nous  n'avons  pas  les  noms  de  ceux  qui  assistaient  à  ce 
premier  synode  ;  mais  le  Prélat  déclare  lui-même  «  qu'il  eut 
la  consolation  d'y  voir  assemblés  la  plus  grande  partie  des 
curés  et  des  autres  prêtres  qui  faisaient  les  fonctions  curia- 
les  dans  son  diocèse  ». 

Avant  de  partir  pour  la  France,  au  printemps  de  1691, 
il  adresse  une  nouvelle  lettre  à  ses  curés  sur  un  bon  nombre 
de  sujets  qui  ont  attiré  son  attention  dans  ses  visites  pasto- 
rales. On  ne  saurait  croire  comme  cet  évêque,  vraiment 
digne  des  temps  apostoliques,  entrait  dans  tous  les  détails  de 
la  vie  chrétienne,  et  donnait  à  ses  curés  les  recommandations 
les  plus  pratiques  :  catéchismes  aux  enfants  les  dimanclies  et 
la  semaine  ;  célébration  des  mariages,  et  certificats  de  liberté 
à  exiger  dans  certains  cas  ;  observation  et  sanctification  du 
dimanche,  en  assistant  à  la  messe,  aux  vêpres  et  aux  ser- 
mons, mais  surtout  en  s'abstenant,  ces  jours-là,  des  assem- 


.74  l'éguse  du  canada 

blées  de  danse,  des  voyages  d'affaires  et  du  travail  ;  fidélité 
à  payer  la  dîme  ;  observation  de  l'abstinence  et  du  jeiine  les 
jours  prescrits  par  l'Eglise  :  rien  n'échappe  à  la  vigilance  et 
aux  recommandations  du  zélé  Prélat. 

On  serait  porté  à  croire  que  sur  certains  points  nous  va- 
lons mieux  que  nos  ancêtres  :  l'Evêque  revient  trop  souvent 
sur  «  les  nudités  de  gorge  et  d'épaules  »,  même  à  l'église,  et 
surtout  aux  mariages,  pour  ne  pas  croire  qu'il  y  avait  plus 
d'abus  alors  que  nous  n'en  voyons  aujourd'hui.  Egalement, 
peut-on  dire  que  le  triste  usage  de  sortir  de  l'église  j^endant 
le  prône  et  le  sermon  soit  aussi  général  qu'il  paraît  l'avoir  été 
à  cette  époque  ? 

Enfin,  à  la  veille  de  partir  i>our  la  France,  une  deuxième 
circulaire  à  ses  curés,  dans  laquelle  il  entre,  toujours  sur  les 
mêmes  sujets,  dans  des  recommandations  peut-être  encore 
plus  minutieuses.  Il  leur  prêche  l'union,  la  charité,  la  vigi- 
lance. Il  veut  que,  s'il  y  a  dans  leurs  paroisses  des  pécheurs 
scandaleux,  des  ivrognes,  des  blasphémateurs,  ils  les  aver- 
tissent trois  fois,  puis,  les  signalent  aux  grands  vicaires  ;  et 
à  son  retour,  dans  sa  prochaine  visite  pastorale,  il  leur  impo- 
sera la  pénitence  qu'ils  auront  méritée.  Il  veut  que  ses  curés 
fassent  «  exactement  quatre  fois  par  an  la  visite  de  leurs 
paroissiens,  maison  par  maison,  pour  connaître  les  nécessités 
spirituelles  et  temporelles  :  nous  vous  prions,  dit-il,  d'en 
faire  un  état  que  vous  nous  j)ourrez  montrer  dans  notre  pre- 
mière visite  ».  .  . 

Dans  la  même  circulaire,  il  fait  une  ordonnance  qui  nous 
surprend,  au  premier  abord,  mais  qui  devait  avoir  sa  raison 
d'être,  dans  un  temps  où  il  n'y  avait  pas  encore  d'organisa- 
tion régulière  pour  les  écoles,  et  oii  l'on  engageait  pour  cela, 
bien  souvent,  le  premier  venu  qui  offrait  ses  services  : 

«  Ne  souffrez  pas,  dit-il,  aucun  maître  d'école  qui  ne  soit 
de  bonnes  mœurs,  et  qui  n'ait  fait  devant  vous  la  profession 
de  foi.  .  .  » 


sous    M*''"    DK    SAINT-VALI-IRR  75 

Vers  la  fin  de  sa  circulaire,  on  trouve  cette  phrase  déso- 
lée : 

«  \'ous  redoublerez  votre  ferveur  et  votre  zèle  pour  le  ser- 
vice de  cette  Eglise  affligée,  (|ue  nous  voyons  à  deux  doigts 
de  sa  ruine  si  par  votre  fidélité  nous  ne  détournons  les  maux 
que  nous  ressentons  tous  les  jours.  » 

M^""  de  Saint- Vallier,  qui  n'avait  pu  partir  l'automne  pré- 
cédent pour  son  voyage  en  France,  se  hâta  de  le  faire  par  les 
premiers  vaisseaux  du  printemps,  après  avoir  averti  les  mes- 
sieurs du  Séminaire  qu'il  entendait  faire  régler  définitive- 
ment par  la  cour  les  questions  litigieuses  entre  eux  et  lui.  II 
ne  prit  pas  même  la  peine  de  nommer  un  administrateur  au 
diocèse,  laissant  tout  aux  soins  de  la  Providence. 

M.  de  la  Colombière,  qui  appartenait  alors  à  Saint-Sul- 
pice,  et  résidait  à  Montréal,  passa  en  même  temps  que  lui 
en  France,  oîi  il  était  rappelé  par  M.  Tronson.  Il  quitta 
Saint-Sulpice,  entra  aux  Missions-Etrangères,  et  revint  au 
Canada  l'année  suivante  avec  l'Evêque.  M^*"  de  Saint-Vallier 
l'y  ramenait,  un  peu  contre  l'avis  de  M.  Tronson,  pour  lui 
donner  de  l'emploi  à  Québec  ^. 


I.    Faillon.  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  I,  p.  390. 


CHAPITRE   VI 


M^""  DE  SAINT-VALUER  EN   FRANCE 
1691-92 

Les  triomphes  de  Louis  XIV.  —  Le  Canada,  à  Paris.  —  Bon  accueil 
fait  à  l'Evêque  de  Québec.  —  Le  Règlement  pour  la  réforme  du 
Séminaire.  —  Lettres  patentes  pour  l'Hôpital-Général  de  Québec.  — 
Lettres  patentes  aux  Récollets.  —  Retour  de  Mgr  de  Saint-Vallier 
au  Canada. 

MGR  de  Saint-Vallier  ne  pouvait  arriver  à  Paris  clans  des 
circonstances  plus  favorables.  Le  Roi,  revenu  tout 
récemment  de  son  expédition  en  Flandre,  oi^i  il  s'était  cou- 
vert de  gloire  au  siège  de  Mons,  était  tout  à  la  joie  et  au 
triomphe.  Ses  armes  étaient  partout  victorieuses  :  et  pour- 
tant, quel  sérieux  ennemi  il  avait  à  combattre  !  le  prince 
d'Orange,  à  la  tête  de  presque  toute  l'Europe  coalisée,  le 
prince  d'Orange,  d'une  habileté  et  d'une  bravoure  consom- 
mées, qui  ne  se  laissait  pas  plus  abattre  par  l'adversité 
qu'enivrer  par  le  succès  ^  ! 

Mais  ce  capitaine  redoutable,  qui  vient  de  monter  sur  le 
trône  d'Angleterre  ^,  la  France  a  des  soldats  de  premier 
ordre  à  lui  opposer  :  Luxembourg  ^,  qui  vient  de  remporter  la 


I  Le  maréchal  de  Luxembourg  et  le  prince  d'Orange,  par  le  marquis 
de  Ségur. 

2.  A  la  suite  de  la  bataille  de  la  Boyne,  11  juillet  1690. 

3.  "  Ne  pourrai-je  donc  jamais  battre  ce  méchant  bossu-là,  "  disait 
un  jour  Guillaume  d'Orange.  —  Bossu,  mais  comment  le  sait-il?  ré- 
pliqua Luxembourg:  il  ne  m'a  jamais  vu  par  derrière."  {Le  maréchal 
de  Luxembourg.) 


sous    M*""    DE    SAINT-V ALLIER  77 

victoire  de  Fleiirus,  Tourville,  qui  vient  de  battre  les  flottes 
anglaise  et  hollandaise,  en  face  de  Diepi:)e,  Catinat,  qui  se 
couvre  de  gloire  dans  le  Piémont.  Mons,  Fleurus,  Luxem- 
bourg. Tourville,  Catinat  :  ces  noms  glorieux  sont  dans 
toutes  les  bouches,  à  Paris.  .  . 

Eh  bien,  qui  le  croirait  ?  dans  ce  concert  de  louanges  qui 
réjouit  la  France,  la  partie  qui  regarde  le  Canada  n'est  pas 
la  moins  appréciée.  Les  noms  de  Frontenac  et  de  Québec  sont 
sur  toutes  les  lèvres  :  on  se  répète  de  bouche  en  bouche  la 
parole  mémorable  de  notre  gouverneur  à  l'envoyé  de  Phipps  : 
«  Allez  dire  à  votre  maître  que  je  vais  lui  répondre  par  la 
bouche  de  mes  canons  !  » 

Et  qu'on  ne  croie  pas  qu'il  y  ait  ici  exagération.  «  La  vic- 
toire de  Frontenac  sur  les  Anglais  fit  sensation  en  France. 
Louis  XR''  accorda  des  titres  de  noblesse  à  ceux  qui  s'y 
étaient  le  plus  distingués,  et  nommément  aux  sieurs  Hertel  et 
Juchereau.  Il  voulut  qu'une  médaille  en  perpétuât  le  souve- 
nir :  d'un  côté  on  voit  la  tête  du  Roi  ;  de  l'autre,  la  France  vic- 
torieuse est  assise  sur  des  trophées,  au  pied  de  deux  arbres 
du  pays,  sur  des  rochers  d'où  s'échappe  un  torrent.  Un  castor 
va  se  réfugier  sous  un  bouclier,  et  le  dieu  sauvage  du  fleuve, 
qui  épanche  son  urne  au  pied  de  la  déesse,  la  contemple  avec 
admiration.  Pour  devise  on  y  a  inscrit  ces  mots  :  Kcbeca 
liberata  M.  D.  C.  X.  C,  et  en  exergue:  Francia  in  novo  orbe 
victrix.  —  Québec  délivré,  1690:  —  La  France  rictorieusc 
dans  le  Nouveau-Monde  \  » 

Au  nom  de  Frontenac  les  Français  accolent  volontiers 
celui  de  D'Iberville  :  les  exploits  de  notre  héros  canadien  à 
la  baie  d'Hudson  excitent  leur  enthousiasme  et  les  consolent 
de  la  perte  de  l'Acadie.  On  ne  saurait  croire  comme  la 
France,  à  cette  période  de  notre  histoire,  s'intéressait  au 
Canada,  comme  elle  en  était  fière,  comme  elle  applaudissait 

I.    Dionne,  Historique  de  N.-D.  des  Victoires,  p.  16. 


78  l'éguse  du   canada 

à  nos  triomphes.  Ah  !  si  elle  avait  eu  à  sa  tête  un  Louis  XIV, 
en  1759,  au  lieu  de  son  arrière-petit-fils!  un  Colbert  ou  un 
Seignelay,  au  lieu  d'un  Choiseul  ! 

jVP""  de  Saint-Vallier  confirme  les  nouvelles  qui  l'ont  de- 
vancé, et  y  ajoute  quelques  détails  particuliers  dont  tout  le 
monde  se  montre  avide  ;  et  quand  ses  auditeurs,  charmés 
par  ses  récits,  laissent  éclater  leur  admiration,  quelle  plus 
favorable  occasion  pour  attirer  sur  ses  ouailles  les  sympa- 
thies des  riches  et  des  grands,  en  leur  faisant  connaître  l'état 
de  détresse  où  la  colonie  se  trouve  alors  réduite  ! 

Nous  avons  dit  que  Louis  XIV  était  tout  à  la  joie  du 
triomphe  de  ses  armes.  Et  pourtant,  ce  triomphe  n'est  rien, 
à  ses  yeux,  auprès  de  celui  qu'il  vient  de  remporter  sur  l'hé- 
résie. Oui,  il  est  certain  qu'au  jugement  de  Louis  XIV,  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes  (22  octobre  1685),  que  l'on 
regarde  aujourd'hui  «  comme  la  plus  grande  faute  de  son 
règne  »  ^,  était  son  plus  beau  titre  de  gloire.  Cet  acte  impo- 
litique, par  lequel  il  fit  tant  de  proscrits  qui  allèrent  grossir  à 
l'étranger  l'armée  de  ses  ennemis,  et  par  lequel  il  affaiblissait 
la  France  de  toute  manière,  il  en  jubilait,  il  en  triomphait. 
Croyait-il  par  là  réparer  l'injure  qu'il  avait  faite  autrefois 
au  saint-siège,  dans  la  personne  du  pape  Alexandre  VII,  puis 
tout  récemment  dans  celle  d'Innocent  XI,  qu'il  avait  offensé 
d'une  manière  indigne  en  faisant  entrer  dans  Rome  son  am- 
bassadeur Lavardin  avec  une  escorte  de  mille  hommes?  On 
aura  une  idée  de  la  rigueur  avec  laquelle  fut  poursuivie  en 
France  l'œuvre  néfaste  de  la  conversion  forcée  des  protes- 
tants, suite  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  par  les  re- 
commandations faites  à  Denonville,  gouverneur  du  Canada  : 

«  Il  doit  obliger  tous  les  Religionnaires  qui  sont  au  Ca- 
nada, d'abjurer.  S'il  s'en  rencontrait  quelques-uns  d'opi- 
niâtres,  qui   refusassent   de   s'instruire,   qu'il   se   serve   des 


I.    Mennechet,  Histoire  de  France,  p.  285 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  79^ 

soldats  pour  meltre  garnison  clicz  eux,  et  les  fasse  mettre  en 
prison.  Qu'il  joigne  à  cette  rigueur  le  soin  nécessaire  pour 
la  dite  instruction,  et  agisse  en  cela  de  concert  avec  l'évê- 
que  *.  .  .  » 

M*""  de  Saint-\'allier  arrivait  donc  à  la  cour  dans  un  mo- 
ment où  le  Roi  et  ses  ministres  jouissaient  de  leur  triomphe., 
pleinement  satisfaits  de  ce  qu'ils  regardaient  comme  l'accom- 
plissement d'un  devoir.  On  était  en  plein  règne  de  M""^  de 
Maintenon.  le  règne  de  la  piété,  au  moins  extérieure,  et  de 
la  dévotion  officielle.  Oui  n'aurait  accueilli  avec  faveur  un- 
Prélat,  un  ancien  aumônier  de  la  cour,  qui  y  avait  laissé  une 
si  grande  réputation  de  vertu?  Personnellement,  M^  de 
Saint-Vallier,  à  cette  époque,  avait  l'oreille  du  Roi  :  nous 
l'avons  vu,  par  la  mission  importante  qu'il  lui  avait  confiée 
à  Terreneuve.  Il  y  a,  dans  la  fortune  de  tout  homme,  un- 
moment,  plus  ou  moins  long,  où  elle  atteint  son  apogée. 
M^""  de  Laval  avait  eu  le  sien,  lorsqu'en  1663,  il  avait  réussi 
du  premier  coup  à  faire  ratifier  par  le  Roi  la  création  de 
son  Séminaire  et  son  système  de  gouvernement  ecclésias- 
tique, que  Frontenac  trouvait  «  fort  singulier  et  extraordi- 
naire »  -,  et  surtout  lorsqu'il  avait  été  apj^elé  par  le  Roi  à 
nommer  lui-même  le  gouverneur  du  Canada.  Mais  la  for- 
tune avait  tourné,  depuis  :  Frontenac  et  Talon  avaient  com- 
mencé à  ébranler  son  œuvre  ;  ]\I"'"  de  Saint-V^allier  allait 
achever  de  la  détruire  :  puis  nous  le  verrons  lui-même  perdre 
avant  longemps  son  crédit  à  la  cour. 

Pour  le  moment,  il  n'a  qu'à  se  présenter  au  Roi.  et  à  lui 
exposer  l'objet  de  son  voyage,  c'est-à-dire  le  règlement  de 
ses  difficultés  avec  son  séminaire  des  Missions-Etrangères, 
pour  qu'immédiatement   Louis    XIV   ordonne   que   sa   de- 


1.  Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  8,  Réponse  à  Denon- 
ville,  20  mai  1686. 

2.  Ibid.,  vol.  ii„  Lettre  de  Frontenac  au  ministre,  20  oct.  1691. 


So  l'église  du  canada 

mande  soit  prise  en  considération,  et  son  affaire  soumise  à 
des  arbitres. 

Qu'on  ne  s  étonne  pas  de  voir,  à  cette  époque,  les  ques- 
tions de  cette  nature,  concernant  le  gouvernement  de 
l'Eglise,  soumises  et  réglées  à  la  cour.  Cela  se  faisait  en 
vertu  des  concordats.  En  considération  des  services  maté- 
riels que  le  Roi  s'engageait  à  rendre  à  l'Eglise,  —  et  que 
n'en  rendait-il  pas  de  toutes  manières,  au  Canada?  —  le 
saint-siège  accordait  au  Roi  des  privilèges  considérables,  la 
nomination  même  des  évêques.  De  son  côté,  le  roi  Très- 
Chrétien,  par  une  attention  délicate,  confiait  ordinairement 
l'examen  des  questions  religieuses  à  des  personnages  ou  des 
commissions  ecclésiastiques.  Dans  le  cas  de  M"""  de  Saint- 
\^allier,  le  Roi  confia  l'examen  et  le  règlement  de  ses  diffi- 
cultés avec  le  Séminaire  à  son  confesseur,  le  P.  de  la  Chaise, 
et  à  l'archevêque  de  Paris,  ]\P''  de  Harlay. 

La  question  soumise  à  ces  commissaires  fut  l'objet  de 
leur  attention  la  plus  sérieuse,  et  le  résultat  de  leur  examen, 
présenté  au  Roi,  le  13  janvier  1692,  sous  forme  d'articles  ou 
règlements  concernant  le  Séminaire  et  le  Chapitre  de  Qué- 
bec :  le  Roi  les  approuva  le  même  jour.  Ils  étaient,  en  tous 
points,  favorables  à  l'Evêque.  Celui-ci,  quelques  jours  après, 
proposa  des  articles  additionnels,  qui  furent  également  ap- 
prouvés le  20  janvier.  Tous  ces  règlements  furent  l'objet 
d'un  arrêt  du  Conseil  d'Etat,  rendu  à  Versailles  le  1 1  fé- 
vrier, et  confinné  le  même  jour  par  le  Roi. 

Ces  règlements,  nous  les  avons  rapportés  ailleurs  ^,  et 
n'avons  pas  à  y  revenir.  Ils  étaient  définitifs,  et  suivant  les 
désirs  de  M^""  de  Saint-\'allier.  M.  de  Brisacier,  supérieur 
des  Missions-Etrangères  de  Paris,  qui  avait  représenté,  dans 
cette  affaire,  ses  confrères  de  Québec,  avait  dû  les  accepter, 
pour  le  bien  de  la  paix  ;  et  il  leur  écrivait  : 

I.    Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  432, 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  8l 

«  J'ai  cru  qu'il  valait  mieux  tout  souffrir  que  de  donner  le 
moindre  scandale  en  soutenant  avec  trop  d'éclat  et  de  résis- 
tance les  intérêts  d'une  Eglise  qui,  étant  aussi  sainte  qu'elle 
l'est,  mérite  que  l'on  conserve  sa  réputation  aux  dépens  de 
tout  le  reste.  » 

Toujours  l'identification  du  Séminaire  de  Québec  avec 
l'Eglise  de  la  Nouvelle-France!  tant  le  système  de  M^'""  de 
Laval  était  entré  profondément  dans  les  idées  et  dans  les 


mœurs 


M.  de  Brisacier  ajoutait,  au  sujet  du  grand  Roi,  qui 
triomphait,  à  cette  époque,  de  toutes  manières,  et  par  ses 
victoires  sur  les  ennemis  de  la  France,  et  par  ses  victoires 
sur  l'hérésie  : 

«  Vous  seriez  chamiés,  si  vous  aviez  entendu,  comme  moi, 
parler  ce  grand  Roi  en  père,  lorsqu'il  expliqua  ses  intentions 
à  monseigneur  et  à  moi.  » 

Il  était  sous  le  charme,  même  dans  la  défaite.  .  .  Cela  nous 
donne  une  idée  de  la  mentalité  de  la  société  française,  à  cette 
époque,  par  rapport  au  principe  monarchicjue,  alors  surtout 
que  ce  principe  était  représenté  par  Louis  XIV,  qui,  par  son 
génie  et  son  art  de  gouverner,  avait  courbé  tous  les  fronts 
sous  le  poids  de  son  autorité. 

M^""  de  Saint-Vallier  profita  de  son  voyage  en  France  et 
des  bonnes  dispositions  du  Roi  pour  assurer  à  son  œuvre  de 
prédilection,  l' Hôpital-Général,  qu'il  avait  commencé  à  éta- 
blir à  Québec,  une  existence  stable,  permanente,  reconnue 
par  l'autorité  civile.  La  chose,  d'ailleurs,  était  d'autant  plus 
facile  à  obtenir  qu'il  était  alors  de  la  politique  de  la  cour 
d'établir  un  peu  partout  dans  le  Royaume  des  hôpitaux  géné- 
raux «  pour  empêcher  l'oisiveté  des  mendiants,  dont  la  plu- 
part négligeaient  de  travailler,  quoiqu'ils  fussent  en  état  de 
le  faire,  par  la  facilité  qu'ils  avaient  de  subsister  des  au- 
mônes et  des  charités  qui  leur  étaient  faites,  et  qui  auraient 


82  l'éguse  du  canada 

été  beaucoup  plus  utilement  employées  à  soulager  les  pau- 
vres malades  et  invalides  »  ^.  .  . 

La  permission  du  Roi  d'établir  un  Hôpital-Général  à  Qué- 
bec fut  donnée  à  AP''  de  Saint-Vallier  au  mois  de  mars  1692. 
Il  y  a  dans  ses  lettres  patentes,  signées  à  Versailles,  un  petit 
passage  qu'il  est  bon  de  noter,  parce  qu'il  fait  voir  combien 
nous  avons  hérité  des  mœurs  de  nos  pères:  on  est  bien  en- 
core, au  Canada,  à  peu  près  ce  que  l'on  était  autrefois  : 

«  Nous  avons  appris,  dit  le  Roi,  que  la  peine  qu'il  y  a  à 
défricher  et  cultiver  les  terres  détourne  la  plupart  des  habi- 
tants des  colonies  de  la  Nouvelle-France  de  ce  travail,  quoi- 
qu'ils en  dussent  faire  leur  principale  occupation,  et  qu'ils 
aient  assez  de  force  et  de  santé  pour  y  travailler,  de  sorte 
que  l'oisiveté  réduit  les  uns  à  mendier  et  les  autres  à  se  jeter 
dans  les  bois  pour  y  vivre  dans  le  libertinage  avec  les  sau- 
vages, ce  qui  empêche  les  dites  colonies  d'être  aussi  peu- 
plées qu'elles  le  devraient  être.  .  .  » 

N'est-ce  pas  encore  ce  que  nous  voyons  trop  souvent  par- 
mi nous,  des  mendiants,  des  paresseux,  des  fils  de  cultiva- 
teurs qui,  au  lieu  de  s'attacher  à  faire  valoir  la  terre  de  leurs 
ancêtres,  aiment  mieux  aller  s'enfermer  dans  les  villes  ou 
émigrer  aux  Etats-Unis?  Il  n'y  a  plus,  à  proprement  parler, 
de  coureurs  de  bois,  mais  que  d'émigrés  aux  manufactures 
étrangères  ! 

Les  lettres  patentes  établissant  l'Hôpital-Général  de  Qué- 
bec donnaient  à  cet  hôpital  d'excellents  règlements  en  vingt- 
huit  articles.  L'évêque,  le  gouverneur  et  l'intendant  étaient 
les  administrateurs  de  l'institution,  avec  le  concours  d'un 
certain  nombre  de  citoyens  ;  et  parmi  les  articles  qui  accom- 
pagnaient ces  lettres  patentes,  il  y  en  avait  un  où  le  Roi 
affirmait  bien  clairement  le  but  qu'il  se  proposait  dans  l'éta- 
blissement des  hôpitaux  généraux  :  détruire  la  mendicité,  en- 

I.   Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  271. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  83 

courager  le  travail  même  chez  ceux  qu'on  admettait  à  l'hô- 
pital, et  subvenir  aux  besoins  de  ceux-là  seulement  que  le 
grand  âge  ou  les  infirmités  rendaient  incapables  de  tra- 
vailler : 

«  Voulons  et  ordonnons  que  les  pauvres  mendiants,  va- 
lides et  invalides  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  y  soient  enfermés, 
pour  être  employés  aux  ouvrages  et  travaux  que  les  direc- 
teurs du  dit  hôpital  jugeront  à  propos,  sans  toutefois  que 
ceux  qui  seront  d'âge  à  travailler  à  la  culture  des  terres  y 
puissent  être  enfermés;  et  en  cas  qu'il  s'en  trouve  de  cette 
qualité  mendiants,  ils  seront  punis  de  prison,  et  autres  plus 
grandes  peines  en  cas  de  récidive  ^.  .  .  » 

En  même  temps  que  M^  de  Saint- Vallier  obtenait  ces 
lettres  patentes  pour  l'établissement  de  son  Hôpital-Général, 
le  Roi  lui  en  accordait  d'autres  pour  confirmer  l'établisse- 
ment des  Pères  récollets  au  Canada,  et  assurer  à  leurs  mai- 
sons une  existence  stable,  durable,  et  à  l'abri  de  toutes  mo- 
lestations.  Les  Récollets  avaient  été  les  premiers  mission- 
naires du  Canada,  et  y  avaient  travaillé  avec  infiniment  de 
mérite  jusqu'à  la  première  conquête  de  la  colonie  par  les 
Anglais.  Nous  avons  raconté  ailleurs  comment  ils  n'avaient 
pu  y  revenir  lors  de  la  reddition  du  pays  à  la  France  ^.  Ils 
ne  purent  le  faire  qu'en  1670;  et  à  cette  occasion  M^""  de 
Laval  leur  avait  donné  une  magnifique  lettre  que  nous 
aimons  à  reproduire  ici  : 

«  François,  par  la  grâce  de  Dieu  et  du  saint-siège,  évêque 
de  Pétrée,  vicaire  apostolique  et  premier  évêque  nommé  de 
cette  région,  à  nos  bien-aimés  dans  le  Christ,  le  P.  iMlart, 
provincial,  et  les  religieux  récollets  de  l'ordre  de  Saint- 
François,  de  la  province  de  Saint-Denis,  salut  dans  le  Sei- 
gneur. 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  271. 

2.  La  Mission  du  Canada  avant  Mgr  de  Laval,  p.  53. 


84  l'église  du   canada 

«  Le  ministère  évangélique  qu'avec  la  grâce  divine  les  reli- 
gieux de  votre  province  ont  rempli  dans  cette  nouvelle  partie 
du  monde,  sous  l'autorité  des  souverains  pontifes  et  le  bon 
plaisir  du  Très-Chrétien  roi  de  France,  Louis  XIII,  d'heu- 
reuse mémoire,  est  un  titre  plus  que  suffisant  à  la  fondation 
que  vous  y  faites  présentement.  Si  fervent,  en  effet,  fut  le 
zèle  de  vos  devanciers,  si  exemplaire  leur  vie,  si  infatigable, 
surtout,  l'activité  qu'ils  déployèrent  à  propager  la  foi,  qu'en 
moins  de  quatorze  ans  l'assistance  de  Dieu  qui  fortifie  ceux 
qui  espèrent  en  lui,  les  fit  pénétrer,  pour  y  instruire  dans 
leurs  forêts  les  sauvages  habitants  des  bois,  jusqu'à  l'extré- 
mité des  terres  arrosées  par  ce  fleuve  immense. 

«  Néanmoins  le  parfum  d'édification  et  le  pieux  souvenir 
qu'ont  laissés  ces  hommes  apostoliques,  non  moins  que  le 
désir  ardent  de  les  revoir,  exprimé  par  les  populations  cana- 
diennes, sont  tels,  qu'ils  nous  poussent  à  donner  un  témoi- 
gnage public  de  l'allégresse  et  de  la  consolation  causées  en 
tous  et  dans  chacun  par  le  retour  de  ceux  qu'il  y  a  plus  de 
quarante  ans  ont  chassé  les  Anglais,  alors  ennemis  jurés  de 
la  France  ^. 

«  C'est  pourc[uoi  nous  vous  octro3'ons  les  présentes  lettres 
patentes,  afin  que,  selon  l'ordre  du  roi  Très-Chrétien,  Louis 
XIV,  recouvrant  et  reprenant  la  possession  de  votre  antique 
maison  de  Québec,  vous  puissiez  l'ériger  en  monastère  de 
votre  Ordre,  dont  nous  désirons  d'un  grand  désir  l'accrois- 
sement perpétuel  et  sans  mesure  dans  ce  pays.  A  ces  fins, 
nous  vous  promettons  le  concours  de  toute  notre  autorité  et 
bienveillance. 

«  Donné  à  Québec,  l'an  1670,  le  10  novembre,  sous  notre 


I.  A  l'heure  où  Mgr  de  Laval  écrivait  cette  lettre,  en  1670,  la  France 
était  en  paix  avec  l'Angleterre,  la  belle-sœur  de  Louis  XIV,  Henriette- 
Anne,  d'Angleterre,  ayant  négocié  avec  son  frère  Charles  II,  le  traité 
de  Douvres.  Cette  princesse  mourut  peu  de  temps  après  ;  et  l'on  sait 
le  cri  douloureux  de  Bossuet,  prononçant  son  Oraison  funèbre  : 
"  Madame  se  meurt  ;  Madame  est  morte  !  " 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  85 

seing  et  sceau,  et  la  signature  accoutumée  de  notre  secré- 
taire ordinaire,  (signé)  François,  évêque  de  Pétrée. 

«  Par  mandement  de  mon  111""*  et  R"®  seigneur  l'Evêque 
(signé)   Petit  \  » 

11  est  difficile  de  concilier  cette  belle  page  de  M^""  de  Laval 
avec  ce  qu'écrit  quelque  part  son  premier  historien,  M.  de 
Latour  ^  :  «  Il  ne  goûtait  point,  dit-il,  l'établissement  des  Ré- 
collets au  Canada,  et  il  avait  témoigné  sa  répugnance  quand 
il  en  entendit  parler.  »  M.  de  Latour  ajoute  un  peu  plus 
loin  qu'ils  étaient  venus  «  malgré  lui  »'. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Récollets,  revenus  au  Canada  en 
1670,  y  étaient  bien  de  par  la  volonté  du  Roi,  et,  comme  le 
dit  M^""  de  Laval,  conformément  au  désir  «  exprimé  par  les 
populations  canadiennes  ».  Ils  y  étaient  bien  aussi,  sinon  à  la 
demande,  du  moins  avec  l'agrément  du  pieux  Prélat,  qui 
leur  fit,  comme  on  vient  de  le  voir,  le  meilleur  accueil,  leur 
souhaita  de  voir  leurs  couvents  se  multiplier  dans  le  pays, 
et  leur  confia  même  quelques  missions  *.  Il  leur  en  donna 
peu,  cependant  :  il  avait  déjà  confié  aux  Jésuites  toutes  les 
missions  sauvages;  et  quant  aux  missions  françaises  de  la 
colonie,  n'étaient-elles  pas  toutes  censées  dépendre  du  Sémi- 


1.  Louis  Petit,  né  en  Normandie,  ancien  officier  du  régiment  de 
Carignan,  et  futur  missionnaire  de  l'Acadie,  n'était  pas  encore  prêtre,  et 
faisait  son  grand  séminaire.  Il  fut  ordonné  quelques  semaines  plus 
tard,  le  21  décembre,  et  agrégé  de  suite  au  Séminaire, 

2.  Mémoires  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  199  et  200. 

3.  Pour  nous,  nous  avons  dit  tout  simplement,  dans  notre  dernière 
édition  de  Mgr  de  Laval  (1906,  p.  236),  qu'il  "n'avait  pas  songé  à 
faire  venir  les  Récollets  au  Canada",  ce  qui  est  vrai  (il  n'y  avait  pas 
songé,  la  pensée  ne  lui  en  était  pas  venue,  parce  qu'il  avait  les  Jésuites 
qui  faisaient  toute  l'œuvre  des  missions),  et  ce  qui  nous  semble  bien 
différent  de  ce  que  l'on  nous  fait  dire  quelque  part,  "  qu'il  ne  désirait 
pas  le  retour  des  Récollets"  !  (Abnanach  de  Saint  François  pour  içoç, 
p.  34).  Ce  que  c'est  que  de  ne  savoir  pas  citer  textuellement,  et  de  ne 
pas  saisir  les  nuances  des  mots  !  La  pensée  et  le  désir,  ce  n'est  pourtant 
pas  tout-à-fait  la  même  chose. 

4.  Les  Trois-Rivières,  l'île  Percé,  la  Rivière  Saint-Jean  et  le  Fort 
Frontenac. 


86  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

naire,  «  un  Séminaire  pour  servir  de  clergé  à  cette  nouvelle 
Eglise  »  V? 

Il  était  réservé  à  M^  de  Saint-Vallier  non  seulement  d'as- 
surer aux  Récollets  une  existence  moins  précaire,  un  établis- 
sement stable  et  à  l'abri  de  toute  contestation,  mais  de  leur 
donner  largement,  et  sans  mesurer,  de  l'emploi  dans  son 
diocèse,  de  profiter  de  leur  zèle  et  de  leurs  généreuses  dis- 
positions, et  de  réaliser  à  leur  égard  le  vœu  exprimé  bien 
des  fois  par  les  gouverneurs  et  les  intendants,  dans  leur 
correspondance  avec  la  cour,  de  les  voir  employés  le  plus 
possible  pour  la  desserte  des  paroisses,  pour  le  plus  grand 
bien  des  populations  disséminées  çà  et  là  sur  les  rives  du 
Saint-Laurent. 

Aussi  est-ce  surtout  à  partir  de  M^""  de  Saint-Vallier  que 
l'on  trouve  le  nom  des  Récollets,  comme  curés  et  mission- 
naires, à  l'origine  de  la  plupart  de  nos  paroisses  d'aujour- 
d'hui :  Beaumont,  Saint-Michel,  Cap-Saint-Ignace,  Cap- 
Santé,  Sorel,  Chambly,  Trois-Rivières,  etc.  Le  Prélat  ne 
voulant  plus  dépendre  du  Séminaire  pour  la  desserte  des 
missions  de  son  diocèse,  avait  besoin  de  s'appuyer  sur 
d'autres  corps  religieux:  les  Récollets  se  mirent  généreu- 
sement à  sa  disposition;  et  il  rencontra  le  même  concours 
actif  et  dévoué  chez  les  Sulpiciens.  Nous  avons  déjà  parlé 
du  rôle  important  que  joua  l'un  d'eux,  M.  Geoffroy,  dans 
tout  le  diocèse.  Un  autre  Sulpicien,  homme  d'un  très  grand 
mérite,  M.  Trouvé,  après  avoir  été  fait  prisonnier,  avec  M. 
Petit,  à  Port-Royal,  par  le  fameux  Phipps,  avait  été  amené 
par  celui-ci  sur  son  navire,  lorsqu'il  vint  mettre  le  siège 
devant  Québec  :  un  échange  de  prisonniers  lui  donna  la  li- 
berté ;  et  M^""  de  Saint-Vallier  le  garda  quelques  années  dans 
sa  ville  épiscopale  pour  desservir  ses  communautés  reli- 
gieuses 2.     Grâce  à  Saint-Sulpice  et  aux  Récollets,  le  pieux 

1.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  34. 

2,  Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  loi.  —  C'est  ce  M.  Trouvé  qui,  avec 


sous    M*^""    DE    SAINÏ-VALLIER  87 

Prélat  put  suppléer  pendant  longtemps  à  ce  qui  devait  néces- 
sairement lui  manquer  par  suite  de  la  réforme  de  son  Sémi- 
naire de  Québec. 

On  a  prétendu  *  qu'il  était  dangereux  pour  les  Récollets 
de  les  faire  ainsi  sortir  de  leurs  couvents,  et  de  les  isoler 
dans  les  campagnes,  au  risque  de  leur  faire  perdre  la  vie  reli- 
gieuse. Mais  d'abord,  pas  plus  que  les  Sulpiciens,  pas  plus 
que  les  prêtres  des  Missions-Etrangères,  ils  n'étaient  com- 
plètement isolés,  dans  leurs  missions.  Ils  restaient  toujoifrs 
en  relation  de  prières,  d'esprit  et  de  cœur  avec  leurs  con- 
frères du  monastère,  où  ils  retournaient  de  temps  en  temps 
se  retremper  dans  la  règle,  qu'il  observaient  d'ailleurs  tou- 
jours aussi  fidèlement  que  possible.  Et  puis,  l'expérience  a 
prouvé  que  s'il  y  avait  des  dangers  pour  eux  dans  le  minis- 
tère pastoral,  comme  il  y  en  a,  d'ailleurs,  pour  tout  mission- 
naire, ils  surent  noblement  en  triompher.  Les  exemples  ne 
sont  pas  rares  de  Récollets  qui,  dans  l'exercice  des  fonctions 
curiales,  ont  brillé  par  une  éminente  vertu.  Nous  n'en  cite- 
rons qu'un,  celui  du  bon  P.  le  Poyvre,  qui,  après  avoir  des- 
servi successivement  les  paroisses  de  Beaumont,  Saint-Mi- 
chel, Cap-Saint-Ignace,  L'Islet,  Chambly,  mourut  à  Détroit, 
en  prédestiné: 

«  Il  vécut,  dit  la  chronique,  d'une  manière  très  édifiante, 
travaillant  avec  zèle  au  salut  des  âmes,  parcourant  les  mis- 
sions les  plus  difficiles,  ce  qu'il  fit  pendant  plus  de  quarante 
ans  qu'il  fut  dans  le  pays.  Plusieurs  fois  supérieur  de  la 
communauté,  il  portait  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  au 
dedans  et  au  dehors.  Il  fut  trouvé  mort  dans  sa  chambre 
trois  heures  après  avoir  dit  la  messe  à  l'ordinaire,  âgé  de 
soixante-douze  ans,  après  cinquante-cinq  ans  de  religion^.» 

l'abbé  de  Fénelon,  avait  été  missionnaire  des  Iroquois  à  la  baie  de 
Quinte,  au  nord  du  lac  Ontario.  Il  était  natif  de  la  Touraine.  (Vie 
de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  541.  —  Histoire  du  Montréal,  p.  209  et  260). 

Latour,  Mémoires  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  205. 

Tanguay,  Répertoire  du  clergé  canadien,  p.  71. 


88  l'église  du  canada 

Les  lettres  patentes  des  Récollets  furent  données  à  M^  de 
Saint- Vallier  le  même  jour  que  celles  de  l'Hôpital-Général. 
Frontenac  les  avait  demandées  à  la  cour  dès  1681.  Elles  con- 
firmaient l'établissement  de  ces  bons  Religieux  à  Québec, 
et  leur  permettaient  de  s'établir  à  Montréal,  à  Plaisance,  à 
l'île  Saint-Pierre  et  partout  où  ils  pourraient  se  fixer  «  de 
l'aveu  et  consentement  du  gouverneur  du  pa}^s  et  des  habi- 
tants des  lieux  où  ils  voudraient  s'établir  ^.  » 

Sitôt  qu'il  eut  obtenu  ces  lettres  patentes,  le  pieux  Prélat  se 
hâta  de  réaliser  un  de  ses  plus  chers  désirs.  Depuis  long- 
temps il  avait  jeté  les  yeux  sur  le  couvent  de  Notre-Dame- 
des-Anges,  appartenant  aux  Récollets,  près  de  la  rivière 
Saint-Charles,  pour  y  installer  son  Hôpital-Général;  et  les 
Récollets  de  Québec,  qui  désiraient  s'établir  à  la  Haute- Ville, 
s'étaient  montrés  tout  disposés  à  lui  céder  leur  couvent, 
lorsqu'il  leur  avait  témoigné  ce  désir.  Mais  il  ne  pouvait 
rien  faire  sans  le  consentement  de  leur  provincial  à  Paris. 
Celui-ci  acquiesça  volontiers  au  vœu  du  Prélat,  et  permission  ■ 
fut  donnée  aux  Récollets  de  Québec  de  lui  céder  leur  couvent 
de  Notre-Dame-des-Anges. 

M^'"  de  Saint- Vallier  ayant  réussi  à  obtenir  tout  l'objet  de 
son  voyage,  se  hâta  de  partir  pour  retourner  dans  son  dio- 
cèse. Le  9  août,  on  apprit  à  Québec  qu'il  arrivait,  et  en 
bonne  santé.  Le  vaisseau  qui  l'avait  amené  de  France  était 
arrêté  à  Tadoussac,  mais  le  digne  évêque  avait  tant  hâte 
de  revoir  son  troupeau,  qu'il  était  monté  sur  une  barque  de 
pêcheur:  il  arriva  à  Québec  le  15  août.  «  Bientôt,  dit  l'an- 
naliste des  Ursulines,  nous  eûmes  le  plaisir  de  le  voir,  et  la 
joie  fut  grande  de  part  et  d'autre  ".  » 


1.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  275. 

2.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  I,  p.  477. 


CHAPITRE    VII 


L,''ÉGLISE  DU   CANADA^  DE    169I    À   1694 

La  colonie,  durant  l'absence  de  l'Evêque.  —  Mgr  de  Saint- Vallier  ac- 
quiert, pour  l'Hôpital-Général,  le  couvent  des  Récollets.  —  Les 
religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  se  chargent  de  l'Hôpital-Général. — 
L'œuvre  pastorale  de  Mgr  de  Saint- Vallier  :  guerre  à  l'intempé- 
rance et  autres  vices.  —  Une  assemblée  du  clergé.  —  Mgr  de  Saint- 
Vallier,  le  saint  Charles  Borromée  de  notre  Eglise.  —  Rien  de 
janséniste  dans  sa  doctrine.  —  Sa  dévotion  à  la  sainte  Vierge  et  à 
saint  Joseph.  —  Jésuites  et  Récollets  à  Montréal.  —  Commencement 
de  l'Hôpital-Général  des  Frères  Charon.  —  Deuxième  Synode. — 
Juridiction  de  l'évêque  de  Québec  à  la  Louisiane. 

LA  colonie  canadienne,  durant  l'absence  de  M^  de  Saint- 
Vallier,  avait  passé  par  de  rudes  épreuves.  Il  est  vrai 
qu'elle  s'était  couverte  de  gloire  en  repoussant  les  Anglais 
en  1690;  mais  la  gloire  se  paie  toujours  de  quelque  manière  : 
après  la  guerre,  vient  ordinairement  la  disette  ;  et  à  la  disette, 
pour  les  Canadiens,  s'ajoutaient,  à  cette  époque,  les  inva- 
sions et  les  déprédations  des  Iroquois.  Les  habitants  furent 
obligés,  presque  toute  l'année  1691,  de  se  tenir  aux  aguets, 
sur  la  défensive,  sans  pouvoir  ensemencer  leurs  terres.  La 
plupart  des  villages  importants  s'étaient  couverts  d'ouvrages 
palissades  et  munis  de  canons  :  ces  enceintes  renfermaient 
ordinairement  l'église  et  le  manoir  seigneurial.  A  la  pre- 
mière alarme,  la  population  allait  s'y  réfugier.  Il  y  eut  des 
faits  d'armes  héroïques  de  la  part  des  Canadiens  :  ceux  de 
M°*  de  Verchères,  en  1690,  et  de  sa  fille,  en  1692,  sont  trop 


.ÇO  L  EGLISE    DU    CANADA 

connus  pour  que  nous  ne  nous  contentions  pas  de  les  men- 
tionner seulement  ^. 

Aux  dévastations  iroquoises,  qui  cessèrent  en  1692, 
avaient  succédé  celles  des  chenilles.  Frontenac  et  Cham- 
pigny  écrivaient  au  ministre  dans  le  cours  de  l'automne  : 

«  Nos  semences  et  nos  récoltes,  disaient-ils,  ont  été  faites 
sans  aucunes  incursions  des  ennemis.  Mais  il  n'y  a  pas  eu 
beaucoup  de  grains,  ce  qui  provient  d'une  destruction  causée 
par  des  chenilles,  qui  en  ont  mangé  et  ravagé  la  plus  grande 
partie,  dans  toute  l'étendue  du  pays,  où  elles  se  sont  répan- 
dues en  si  grand  nombre  que  la  terre  en  était  toute  cou- 
verte. .  .  » 

Puis  ils  ajoutaient  :  «  Nous  avons  appris  avec  plaisir  que 
les  différends  entre  M.  l'évêque  de  Québec  et  son  Séminaire 
étaient  terminés. .  .  »  Hélas  !  cette  paix  entre  l'Evêque  et  le 
Séminaire  ne  devait  pas  durer  longtemps,  puisque,  dès  l'an- 
née suivante,  le  gouverneur  et  l'intendant  se  voyaient  obli- 
gés d'écrire: 

«  Nous  avons  fait  ce  que  nous  avons  pu  pour  engager 
M.  TEvêque  et  les  Ecclésiastiques  de  son  Séminaire  à  ter- 
miner à  l'amiable  les  différends  qu'ils  avaient  ensemble. 
Mais  nos  soins  ont  été  inutiles,  et  il  n'y  aura  jamais  que 
l'autorité  du  Roi  qui  puisse  les  faire  finir  entièrement  et 
mettre  les  choses  dans  la  règle  ordinaire  de  toutes  les  églises 
et  séminaires  de  France  2.  »  Mais  n'anticipons  pas. 

Sitôt  qu'il  eut  réglé  les  affaires  les  plus  urgentes  qui  l'at- 
tendaient, à  son  retour  dans  son  diocèse,  M^''  de  Saint-Val- 
lier  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  de  s'occuper  de  celle  qu'il 
avait  tant  à  cœur,  l'achat  du  couvent  de  Notre-Dame-des- 
Anges  pour  y  fonder  définitivement  l' Hôpital-Général.    Cet 


1.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  I,  p.  331. 

2.  Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  12,  Lettre  de  Fronte- 
nac et  Champigny  au  ministre,  15  septembre  1692,  et  4  novembre  1693. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  9I 

achat  fut  conclu  le  13  septembre  1692,  Frontenac  représen- 
tant au  contrat  les  révérends  Pères  récollets,  en  sa  qualité 
de  «  Syndic  apostolique  de  ces  religieux,  père  et  protecteur 
de  toutes  leurs  missions  ». 

Il  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  cette  histoire  de  donner  en 
détail  les  clauses  de  ce  contrat  important.  Citons  seulement 
ce  qui  peut  donner  une  idée  de  la  propriété  que  l'Evêque 
acquérait  pour  son  Hôpital-Général.  Les  Récollets  lui  cé- 
daient les  cent-six  arpents  de  terre  qu'ils  possédaient  sur  la 
rivière  Saint-Charles,  ainsi  que  leur  édifice  et  leur  couvent. 
Ce  couvent  consistait  «  en  un  cloître  en  carré  long,  composé 
de  sept  ou  huit  arcades  de  chaque  côté:  dont  l'un  des  dits 
côtés,  au  sud,  était  le  long  de  l'église  ;  le  deuxième  était  sous 
partie  et  le  long  d'un  dortoir  bâti  de  pierres,  contenant 
vingt-quatre  cellules  ;  sous  lequel  dortoir  étaient  les  dépense, 
cuisine,  réfectoire  et  vestibule  et  les  caves  au-dessous  ; 
par-dessus,  un  grenier  de  toute  la  longueur;  le  troisième 
côté  du  dit  cloître  était  le  long  d'un  bâtiment  de  colombages, 
qui  consistait  en  chambres  et  offices  que  M^""  le  comte  de 
Frontenac  avait  fait  bâtir.  .  .  ;  et  le  quatrième  côté,  au  nord- 
est,  était  une  simple  allée  de  cloître  sans  bâtiment  »  ^. 

A  part  le  prix  d'achat,  M^*"  de  Saint- Vallier  donnait  aux 
Récollets  un  terrain  pour  agrandir  celui  de  leur  hospice  de 
la  Haute- Ville,  afin  de  leur  permettre  d'y  bâtir  leur  monas- 
tère ;  et  de  plus  il  leur  payait  une  certaine  somme  destinée  à 
acquérir  une  petite  propriété  où  ils  firent  construire  plus 
tard  leur  hospice  Saint-Roch  ^. 

Frontenac,  qui  s'intéressait  beaucoup  à  ces  bons  religieux, 
écrivait  à  la  cour  deux  jours  après  le  contrat  :  «  Les  Récol- 
lets sont  les  seuls  de  toutes  les  communautés  de  ce  pays  qui 
n'ont  jamais  reçu  de  gratifications  pour  tous  les  établisse- 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l' H ô p. -Général,  p.  99. 

2.  Henri  de  Bernicres,  p.  173  et  235. 


92  l'église  du  canada 

ments  qu'ils  y  ont  faits  ;  et  si  cette  Providence,  en  qui  seule 
ils  se  confient,  ne  vous  inspire  de  leur  procurer  quelque 
secours  extraordinaire,  ils  ne  pourront  de  longtemps  avoir 
dans  cette  ville  une  maison  approchante  de  celle  qu'ils  ont 
quittée.  M.  l'Evêque  paraît  fort  content  d'avoir  terminé 
cette  affaire  ^  .  .  « 

La  Providence  vint  au  secours  des  Récollets  :  ils  se  bâtir 
rent  à  la  Haute- Ville  un  magnifique  couvent,  et  surtout  une 
très  belle  église,  la  plus  belle  de  Québec.  Charlevoix  allait 
jusqu'à  dire  qu'elle  était  «  digne  de  Versailles  ».  La  façade 
de  cette  église,  avec  son  perron  à  plusieurs  degrés,  donnait 
sur  le  Château,  et  le  gouverneur  n'avait  qu'un  pas  à  faire 
pour  aller  assister  aux  offices  du  dimanche  et  des  jours  de 
fêtes.  De  leur  côté,  les  bons  religieux,  qui  étaient  naturel- 
lement ses  aumôniers,  pouvaient  facilement  aller  dire  la 
messe  à  la  chapelle  intérieure  du  Château,  s'ils  en  étaient 
requis  par  le  gouverneur  ^. 

Sitôt  cju'ils  eurent  livré  à  l'Evêque  leur  couvent  de  Notre- 
Dame-des- Anges,  le  Prélat  y  fit  faire  les  réparations  et  les 
distributions  indispensables  ;  et  dès  le  30  octobre  il  y  fit 
transporter  les  pauvres  qu'il  avait  à  sa  maison  de  la  Provi- 
dence à  la  Haute- Ville  : 

«  Le  vénérable  Prélat,  dit  l'annaliste  de  l'Hôi^ital-Géné- 
ral,  les  attendait  dans  l'église,  pour  les  offrir  à  Dieu  avant  de 
les  mettre  en  possession  de  leur  nouvelle  demeure.  » 

N'est-ce  pas  une  scène  vraiment  digne  des  temps  aposto- 
liques, le  spectacle  de  cet  évêque  encore  jeune,  —  il  n'avait 
que  trente-neuf  ans  —  attendant  dans  l'église  ses  pauvres, 
ses  vieillards,  ses  infiniies.  pour  les  offrir  au  Seigneur? 

L'annaliste  ajoute  :  «  Dès  qu'il  eut  installé  à  Notre-Dame- 
des- Anges  ceux  qui  en  devaient  être  désormais  les  habitants, 


1.  Corresp.  générale,  vol.  12. 

2.  Québec   en   1730,  p.   19. 


sous    M"''    DE    SAINT-VALLIEK  93 

M'^'"  de  Saint-Vallier  continua  de  leur  montrer  le  même  inté- 
rêt, le  même  zèle  qu'auparavant  ;  et  il  n'était  pas  rare  de  le 
voir  enlever  de  sa  maison  épiscopale  les  objets  de  première 
nécessité,  pour  en  meubler  son  hôpital.  Il  ne  se  contentait 
pas  d'être  le  bienfaiteur  de  ses  pauvres,  il  était  au  milieu 
d'eux  comme  un  père  au  milieu  de  ses  enfants.  S'il  prenait 
ici  son  frugal  repas,  il  ne  manquait  pas  d'en  faire  asseoir 
quelqu'un  à  sa  table,  ce  qu'il  était  dans  l'habitude  de  faire, 
au  moins  une  fois  chaque  semaine,  à  sa  maison  de  Québec  \» 

L'Hôpital-Général  était  encore  sous  la  direction  d'une 
Sœur  de  la  Congrégation,  que  la  vénérable  Marguerite 
Bourgeois  y  laissait,  à  la  demande  de  l'Evêque.  Mais  cet 
arrangement  ne  pouvait  être  que  temporaire.  Le  soin  des 
hôpitaux  n'était  pas  du  ressort  des  Sœurs  de  la  Congréga- 
tion. M"""  de  Saint-Vallier  proposa  aux  révérendes  Mères 
Augustines  de  l'Hôtel-Dieu  de  se  charger  de  cette  nouvelle 
institution,  et  elles  acceptèrent.  Nous  n'avons  pas  intention 
de  raconter  les  différentes  phases  qu'eut  à  traverser  l'Hôpi- 
tal-Général  avant  de  devenir  une  communauté  indépendante 
de  la  maison-mère,  ni  les  grandes  difficultés  qu'eut  à  sur- 
monter M^""  de  Saint-Vallier  pour  l'établissement  définitif 
de  cette  communauté.  Nous  en  avons  parlé  assez  au  long 
dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval  '.  Ces  difficultés  finirent  par 
s'aplanir;  mais  elles  créèrent  tout  d'abord  tant  d'embarras 
au  pieux  fondateur,  qu'il  lui  fallut  faire  jusqu'à  deux  voya- 
ges en  Europe  pour  arriver  à  ses  fins.  Il  aimait  trop  les 
pauvres  pour  que  la  Providence  l'abandonnât  dans  la  pour- 
suite d'une  œuvre  destinée  au  soulagement  des  membres  de 
Jésus-Christ  : 

«  Il  est  d'une  charité  sans  exemple,  écrivait  M.  de  Cham- 
pigny,  et  fait  aux  pauvres  tout  le  bien  possible.  » 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  V H ô p. -Général,  p.  102. 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  498. 


94  L  EGUSE    DU    CANADA 

«  Il  s'est  épuisé,  écrivait  à  son  tour  Frontenac,  pour  trou- 
ver les  moyens  de  faire  subsister  les  pauvres  dans  son  Hôpi- 
tal, et  il  y  a  peu  d'évêques  qui  eussent  voulu  prendre  sur  leur 
bien  une  somme  aussi  considérable  que  celle  qu'il  a  em- 
ployée \  » 

Il  réussit  à  fonder  l' Hôpital-Général  d'une  manière  solide 
et  durable,  et  nous  le  verrons  en  faire  son  refuge  de  prédi- 
lection pour  le  reste  de  ses  jours. 


*  * 


En  attendant,  l'heure  du  repos  est  loin  d'être  arrivée  pour 
lui.  Au  contraire,  les  trois  années  qui  s'écoulent  à  partir  de 
son  retour  de  France,  sont  peut-être  les  plus  agitées  et  les 
plus  difficiles  de  sa  laborieuse  carrière.  Il  est  un  temps,  vers 
la  fin  de  ces  trois  années,  où  il  a  à  peu  près  tout  le  monde 
contre  lui,  dans  son  diocèse,  même  ceux  qui  jusqu'alors  se 
sont  montrés  les  plus  favorables  à  son  administration.  Il 
se  voit  obligé  d'aller  de  nouveau  à  la  cour  pour  expliquer  sa 
conduite,  pour  se  justifier,  pour  se  défendre;  et  il  constate 
alors  que  même  à  la  cour  la  roue  de  la  fortune  a  tourné 
contre  lui.  Mais  avant  d'entamer  ce  chapitre  de  luttes  et 
de  vicissitudes,  disons  un  mot  de  son  œuvre  pastorale,  si 
belle  et  si  méritoire,  pendant  la  même  période. 

Il  n'est  peut-être  pas  d'évêque,  dans  tout  le  cours  de  notre 
histoire,  qui  ait  donné  aussi  souvent  et  aussi  avant  que  M^ 
de  Saint- Vallier  dans  le  détail  des  devoirs  de  la  vie  chré- 
tienne, pour  les  inculquer  à  ses  diocésains,  pour  faire  fleurir 
la  vertu  et  germer  le  bon  grain  dans  le  champ  du  Père  de 
famille,  et  en  extirper  la  racine  du  vice.  Dans  ses  visites 
pastorales,  il  observe  tout,  il  prend  note  de  tout,  il  fait  par- 

I.  Corresp.  générale,  vol.  12. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  95 

1er  ses  prêtres,  et  se  rend  compte  de  l'état  moral  des  popula- 
tions, afin  de  remédier  aux  désordres,  dès  qu'ils  commencent 
à  poindre.  Nous  avons  de  lui,  pour  la  période  qui  nous 
occupe,  un  certain  nombre  de  lettres  pastorales  et  de  man- 
dements, remplis  d'avis,  de  règlements,  de  recommandations 
de  toutes  sortes.  Tout  peut  se  résumer  en  trois  points  prin- 
cipaux: guerre  au  vice;  encouragement  à  la  piété;  conser- 
vation intacte  de  son  autorité  et  de  la  juridiction  que  lui  a 
confiée  le  saint-siège. 

Guerre  au  vice  :  «  L'ivrognerie  des  Français  et  des  Sau- 
vages, dit-il  quelque  part,  l'impureté,  le  luxe  et  la  médi- 
sance :  voilà  les  quatre  sources  fatales  d'où  proviennent  tous 
les  désordres  de  ce  pays-ci  \  »  Et  il  entreprend  contre  ces 
ennemis  de  l'Eglise  canadienne  une  campagne  vigoureuse  et 
sans  merci. 

La  traite  de  l'eau-de-vie  avec  les  sauvages,  voilà  l'ennemi 
que  M^  de  Laval,  avec  l'aide  de  son  clergé,  avait  combattu 
avec  tant  de  vigueur  dès  le  commencement  de  son  épiscopat. 
Malheureusement,  dans  sa  lutte  contre  ce  fléau,  contre  l'in- 
tempérance non  seulement  des  sauvages,  mais  aussi  des 
Français,  il  n'avait  rencontré  souvent  que  du  mauvais  vou- 
loir de  la  part  des  autorités  coloniales.  Plus  heureux  que 
M^  de  Laval,  son  successeur,  s'élevant  fortement  contre 
l'intempérance,  a  l'appui  même  de  Frontenac,  et  sur  ce  sujet, 
comme  nous  l'avons  dit  ailleurs  ^,  «  il  fait  ses  mandements 
presque  en  collaboration  avec  lui  ».  Parlant  des  grands 
désordres  d'ivrognerie  dont  il  a  été  témoin  un  jour  à 
Montréal  : 

«  Je  crois  être  obligé,  dit-il,  de  vous  faire  remarquer  que 
pareille  conduite  est  contraire  aux  intentions  du  Roi  et  de 
notre  s^ouverneur.     Le   Roi  défend  dans  son  ordonnance 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  312. 

2.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  p.  23. 


96  1,'ÉGIvISE    DU    CANADA 

les  désordres  qui  arriver\t  dans  l'excès  des  boissons,  et  M. 
le  comte  de  Frontenac  m'a  témoigné  plusieurs  fois  que 
rien  au  monde  ne  lui  faisait  tant  de  peine  que  de  voir  des 
ivrognes,  et  qu'il  voudrait  pouvoir  empêcher  un  péché  aussi 
public  et  scandaleux,  qui  met  l'homme  au-dessous  des 
bêtes  ^  » 

De  son  côté,  Frontenac  voulant,  lui  aussi,  entraver  autant 
que  possible  le  commerce  des  boissons,  transmet  volontiers 
à  la  cour  une  proposition  de  l'Evêque  :  «  Ce  serait,  dit-il, 
d'ajouter  aux  droits  que  paient  ici  les  boissons,  à  leur  arri- 
vée de  France,  quinze  sous  par  barrique  de  vin,  et  trente 
sous  par  barrique  d'eau-de-vie,  que  l'agent  des  fermiers 
généraux  lèverait  avec  leurs  autres  droits,  et  qu'il  serait 
tenu  de  payer  aux  administrateurs  de  l'Hôpital-...» 

M"''  de  Saint- Vallier  ne  se  contente  pas  de  combattre 
l'ivrognerie  et  l'intempérance, —  il  n'y  a  pas  que  cela  de  con- 
traire à  la  morale  —  il  s'attaque  aussi  à  tous  les  vices  et 
spécialement  à  ceux  qu'il  a  désignés  comme  la  source  de 
tous  les  désordres  du  pays.  Dans  les  mandements  qu'il 
publie  pour  les  deux  jubilés  accordés  presque  coup  sur  coup 
par  le  pape  Innocent  XII  ^,  il  invite  les  fidèles  à  bien  profiter 
des  grâces  qui  leur  sont  accordées  et  à  réparer  ainsi  certains 
scandales  dont  il  a  à  se  plaindre  : 

«  Ce  qui  augmente,  dit-il,  l'obligation  qu'on  a  dans  le 
Canada  de  se  prévaloir  de  la  faveur  qui  nous  est  offerte, 
c'est  qu'on  y  a  plus  contribué  qu'ailleurs  à  former  les  orages 
qui  désolent  toute  la  chrétienté:  comme  c'est  ici  une  Eglise 
naissante,  011  l'on  a  vu  pendant  quelque  temps  des  étincelles 
du  feu  et  des  traits  de  la  simplicité  des  premiers  chrétiens  *, 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  287. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  12. 

3.  Le  napolitain  Pignatelli  avait  succédé  en  1691   au  vénitien  Otto- 
boni. 

4.  Allusion  à  l'éloge  qu'il  avait  fait  de  l'Eglise  du  Canada,  dans  sa 
Lettre  à  un  de  ses  amis. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  97 

on  a  lieu  de  croire  que  les  vices  monstrueux  qui  tout  récem- 
ment ont  succédé  à  ces  vertus  ont  plus  irrité  le  Ciel  que  les 
anciens  dérèglements  des  anciennes  Eglises  ^  . .  » 

Mais  pour  réussir  dans  leur  campagne  contre  le  vice,  les 
confesseurs,  les  missionnaires,  les  curés,  doivent  rester  unis 
dans  une  stricte  uniformité,  sous  la  direction  de  l'Evêque; 
et  voilà  pourquoi  M^""  de  Saint- Vallier,  au  mois  de  février 
1693,  convoque  une  assemblée  de  son  clergé,  qui  a  lieu  dans 
son  évêché.  On  récite  d'abord  le  Veni  Creator;  puis  l'Evê- 
que prend  la  parole  : 

«  Il  n'a  fallu,  dit-il,  que  douze  apôtres  pour  convertir  le 
monde.  Que  ne  dois-je  donc  pas  attendre  de  vous,  qui  êtes 
plus  nombreux?  que  ne  dois-je  pas  attendre  de  cette  belle  réu- 
nion de  prêtres  et  de  religieux,  si  bien  intentionnés,  si  bien 
disposés  à  travailler  de  concert  au  salut  des  âmes  ?  Le  péché 
sera  bientôt  banni  de  cette  ville,  et  ensuite  de  tout  le  diocèse. 
Tout  dépend  de  la  bonne  administration  du  sacrement  de  pé- 
nitence. .  .  S'il  y  a  si  peu  d'amendement  de  vie  dans  ceux  qui 
fréquentent  ce  sacrement  depuis  tant  d'années,  ne  serait-ce 
pas  parce  que  quelques  confesseurs  n'apportent  pas  toute  la 
diligence  nécessaire  dans  une  affaire  de  si  grande  impor- 
tance?. .  .  Le  remède  le  plus  assuré  et  le  plus  efficace  est  de 
convenir  de  principes  siîrs,  et  de  les  garder  ensuite  d'une 
manière  uniforme. .  .  » 

Puis  il  fait  lui-même  la  lecture  de  cinq  ou  six  passages 
des  instructions  données  à  ses  confesseurs  par  saint  Charles 
Borromée  ;  et  il  engage  ses  prêtres  à  les  observer  fidèlement. 
Saint  Charles  recommande  aux  confesseurs  de  ne  pas  ab- 
soudre ceux  à  qui  leurs  curés  ont  refusé  l'absolution  à  cause 
de  leur  vie  scandaleuse  :  il  ne  veut  pas  qu'on  reçoive  à  la 
confession  «  les  femmes  frisées  et  qui  auraient  d'autres  pa- 
rures extraordinaires  »  :  il  veut  que  les  confesseurs  interro- 

I.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  344. 
7 


98  l'église  du  canada 

gent  leurs  pénitents  sur  leurs  devoirs  d'état  :  il  indique  les 
principaux  cas  où  les  confesseurs  doivent  refuser  l'abso- 
lution. 

Après  la  lecture  de  ces  instructions  de  saint  Charles  Bor- 
romée,  M^"  de  Saint-Vallier  fait  lire  dans  l'Assemblée  ses 
propres  Ordonnances,  où  rien  n'est  oublié  de  ce  qui  concerne 
les  principaux  devoirs  de  la  vie  chrétienne,  ordonnances  dont 
la  plupart  font  encore  partie  de  notre  discipline  ecclésias- 
tique, et  règlent  presque  toutes  les  questions  qui  peuvent 
occuper  un  curé  dans  sa  paroisse.  En  lisant  ces  ordonnances, 
ces  instructions,  ces  avis,  on  ne  peut  s'empêcher  de  dire  que 
M^'  de  Saint-Vallier  a  été  vraiment  «  le  saint  Charles  Bor- 
romée  de  notre  Eglise  canadienne  ». 

On  a  prétendu  que  la  doctrine  de  M^""  de  Saint-Vallier 
était  trop  sévère,  et  touchait  presque  au  jansénisme.  Rien 
de  plus  contraire  à  la  vérité.  Est-ce  le  fait  d'un  janséniste, 
que  de  recommander  aux  fidèles  «  de  communier  au  moins 
une  fois  tous  les  mois  »  ^  ?  Est-ce  se  montrer  trop  sévère, 
que  d'obliger  les  curés  de  donner  à  leurs  pénitents  parfaite 
liberté  d'aller  à  confesse  à  d'autres  '  ?  Il  est  remarquable 
comme  M^""  de  Saint-Vallier,  même  dans  les  cas  où  il  se 
montre  un  peu  sévère  en  apparence,  sait  toujours  garder  la 
mesure  et  s'arrêter  à  point.  Sur  certaines  questions,  sans 
doute,  comme  celle  du  prêt  à  intérêt,  par  exemple,  la  théolo- 
gie a  des  notions  un  peu  plus  larges  aujourd'hui  qu'autre- 
fois ;  mais  peut-on  raisonnablement  exiger  de  M^  de  Saint- 
Vallier  autre  chose  que  la  saine  théologie  de  son  temps  ? 

Disons-le.  d'ailleurs,  hautement:  jamais  le  jansénisme  n'a 
pénétré  dans  notre  Eglise,  malgré  les  efïorts  qu'il  a  faits  à 
plusieurs  reprises  pour  s'y  faufiler;  et  cela  grâce  à  la  vigi- 
lance, toujours  aux  aguets,  de  nos  premiers  pasteurs.     Elle 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  332. 

2.  Ibid.,  p.  320. 


sous  M^'  de;  saint-vallier  99 

n'a  jamais  été  janséniste,  l'Eglise  du  Canada,  qui  a  eu  pour 
premiers  missionnaires  les  Récollets  et  les  Jésuites,  et  pour 
fondateur  le  vénérable  Montmorency-Laval,  l'ami,  l'élève 
spirituel  de  l'illustre  Bernières  de  Louvigny,  ce  pieux  laïque 
«  qui  communiait  tous  les  jours  »  ^ 

Pour  M^""  de  Saint-Vallier,  il  suffit  de  lire  les  «  pratiques 
de  piété  »  qu'il  recommande  aux  curés  d'inspirer  à  leurs  pa- 
roissiens, pour  se  convaincre  qu'il  n'avait  absolument  rien 
du  janséniste  : 

«  La  première  obligation  d'un  curé,  dit-il,  est  de  donner  à 
ses  paroissiens  les  sentiments  d'une  véritable  et  solide  piété, 
les  y  maintenir,  et  les  y  faire  avancer  toujours  de  plus  en 
plus;  pour  y  réussir,  ajoute-t-il,  il  doit  leur  recommander 
[•souvent  d'une  manière  douce  et  forte  les  pratiques  sui- 
vantes :  » 

Puis  il  énumère  ces  pratiques,  que  nous  résumons  :  la 
prière  en  famille,  matin  et  soir,  suivie  du  chapelet  de  la 
sainte  Famille,  ou  de  la  sainte  Vierge,  «  selon  la  sainte  et 
louable  coutume  de  ce  diocèse  »,  —  coutume,  on  le  sait,  qui 
est  encore  en  usage  dans  la  plupart  de  nos  campagnes  ;  assis- 
ter régulièrement  aux  offices  du  dimanche;  communier  au 
moins  une  fois  tous  les  mois;  offrir  à  Dieu  toutes  ses 
actions;  penser  chaque  jour  à  la  mort;  si  l'on  tombe  dans 
quelque  faute  grave,  aller  à  confesse  le  plus  tôt  possible; 
se  recommander  à  Dieu  dans  les  tentations  ;  en  maladie,  de- 
mander de  bonne  heure  les  sacrements  ;  ne  pas  passer  devant 
une  église  sans  y  entrer  adorer  le  saint  Sacrement;  éviter 
les  occasions  prochaines  de  péché;  avoir  toujours  quelque 
bon  livre  dans  sa  maison,  et  y  faire  chaque  jour  quelque  lec- 
ture en  famille  :  et  parmi  les  livres  qu'il  recommande,  sont 
la  Vie  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  la  Vie  des  Saints, 
Vlmitation  de  Jéstis-Christ,  le  Guide  des  Pécheurs,  la  Con~ 

I.    Latour,  Mémoires  sur  la  z'ie  de  M.  de  Laval,  p.  31. 


lOO  L  EGIvISE    DU    CANADA 

duitc  de  la  Confession  et  Communion,  par  saint  François  de 
Sales,  le  Pensez-y-hien,  etc  ^. 

Nous  connaissons  déjà  la  grande  dévotion  du  pieux  Prélat 
envers  la  sainte  Vierge.  Il  n'y  a  rien  qu'il  ne  fasse  pour 
l'inculquer  de  plus  en  plus  à  ses  diocésains  :  «  L'Eglise  ne  se 
soutient,  dit-il,  c[ue  par  la  protection  de  Notre-Seigneur  et 
celle  de  sa  très  sainte  Mère  ^  ;  »  et  il  recommande  d'avoir  à 
leur  égard  «  un  amour  tendre  et  véritable  ^  ».  C'est  sa  piété 
envers  la  sainte  Vierge  qui  l'engage  à  établir  à  l'Hôtel-Dieu 
de  Québec  la  fête  de  son  Sacré-Cœur  ;  c'est  elle  qui  lui  fait 
élever  en  son  honneur  l'église  de  la  Basse-Ville.  C'est  encore 
sa  piété  envers  Marie  qui  l'engage,  en  1690,  à  établir  dans 
cette  église  la  fête  de  Notre-Dame-des-Victoires,  avec  pro- 
cession, grand'messe  et  sermon,  tous  les  ans,  à  perpétuité. 
Il  va  plus  loin,  en  1694,  peu  de  temps  avant  de  partir  de 
nouveau  pour  l'Europe:  il  étend  cette  fête  à  tout  son  dio- 
cèse, avec  office  obligatoire  pour  ses  prêtres  *. 

Sa  dévotion  à  saint  Joseph  n'est  pas  moins  éclatante,  et 
il  profite  de  toutes  les  occasions  pour  la  propager  dans  son 
diocèse.  Le  curé  de  Montréal,  M.  Guyotte,  et  ses  marguil- 
liers  ^  lui  ayant  demandé  de  vouloir  bien  ériger  une  confré- 
rie de  saint  Joseph  dans  leur  paroisse,  il  est  heureux  d'ac- 
quiescer à  leur  prière,  «  voulant  augmenter,  dit-il,  la  dévo- 
tion envers  ce  grand  saint,  comme  une  source  inépuisable 
de  grâces  pour  toutes  les  âmes  qui  y  auront  une  sincère  con- 
fiance »  ^. 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  332. 

2.  Ibid.,  p.  273. 

3.  Ibid.,  p.  297. 

4.  Ibid.,  p.  342. 

5.  Les  deux  marguilliers  qui  avaient  signé  la  requête  (1693)  étaient 
Pierre  Perthuis,  marchand,  originaire  de  Tours,  et  René  Cuillerier,  de 
Clermont,  près  La  Flèche. 

6.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  297. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  lOI 

Qui  n'admirerait  la  piété  et  le  zèle  de  ce  saint  Prélat?  Ils 
n'ont  d'égal  que  son  attention  à  pourvoir  aux  besoins  de  son 
immense  diocèse.  Sa  juridiction  s'étend  sur  toutes  les  pos- 
sessions françaises  de  l'Amérique  du  Nord.  Nous  l'avons 
vu  envoyer  de  nouveaux  ouvriers  évangéliques  en  Acadie, 
dans  la  personne  des  Sulpiciens,  pour  augmenter  le  nombre 
de  ceux  qui  y  étaient  déjà.  Il  vient  d'organiser  l'Eglise  de 
Plaisance,  à  Terreneuve,  et  celle  des  Iles  Saint-Pierre  et 
Miquelon,  en  leur  envoyant,  «  pour  y  demeurer,  quelques 
bons  religieux  Récollets  »  ' .  Les  Jésuites  ont  depuis  long- 
temps la  charge  de  toutes  les  missions  sauvages;  mais  ces 
missions  s'étendent  de  jour  en  jour  du  côté  des  Illinois,  des 
Miamis,  des  Sioux:  M^  de  Saint- Vallier  les  confirme  dans 
la  charge  de  ces  missions,  «  donnant,  dit-il,  à  leurs  Supé- 
rieurs toute  l'autorité  de  nos  grands  vicaires,  afin  qu'ils  nous 
informent  de  ce  qui  s'y  passe  et  qu'ils  continuent  à  cultiver 
paisiblement  cette  grande  vigne  du  Seigneur  avec  le  même 
zèle  qu'ils  ont  fait  jusqu'à  présent  depuis  l'établissement  de 
cette  colonie  «  ^ . 

Pour  avoir  un  entrepôt  entre  Québec  et  leurs  missions 
illinoises,  les  Jésuites  ont  résolu  de  recommencer,  à  Mont- 
réal, la  résidence  qu'ils  y  avaient  autrefois  ;  et  M^  de  Saint- 
Vallier  leur  en  accorde  volontiers  la  «  permission  »  le  22 
août  1692.  Le  premier  supérieur  de  la  résidence  est  le  P. 
François  Vaillant  3. 

C'est  cette  même  année  1692  que  les  Récollets  vont,  eux 
aussi,  s'établir  à  Montréal,  comme  ils  en  ont  été  autorisés  par 
les  lettres  patentes  du  Roi  apportées  de  France  par  M^""  de 
Saint- Vallier,  et  suivant  le  désir  que  leur  en  ont  exprimé 
quelques  citoyens  dès  1681.     Le  terrain  sur  lequel  s'élève 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  p.  288. 

2.  Ibid.,  p.  274. 

3.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec. 


I03  l'Église  du  canada 

leur  couvent  leur  a  été  généreusement  donné  par  les  Sulpi- 
ciens  \ 

Enfin,  c'est  encore  cette  même  année  1692  que  les  Frères 
Charon  ^  ont  demandé  la  permission  de  fonder  à  Montréal 
une  institution  dans  le  genre  de  l' Hôpital-Général  de  Qué- 
bec, pour  y  retirer  «  les  pauvres  enfants  orphelins,  estropiés, 
vieillards,  infirmes  et  autres  nécessiteux  de  leur  sexe  ».  M^ 
de  Saint- Vallier  n'a  pu  se  refuser  à  favoriser  une  œuvre  si 
louable.  Les  lettres  patentes  accordées  par  le  Roi  pour 
l'établissement  d'un  Hôpital-Général  à  Villemarie  sont  du 
15  avril  1694^;  et  les  Frères  Charon  ont  déjà  commencé 
leur  œuvre  depuis  quelque  temps.  C'est  donc  trois  nou- 
veaux établissements  religieux  que  M^""  de  Saint-Vallier 
trouve  à  Montréal  dans  la  visite  pastorale  qu'il  y  fait  au 
printemps  de  1694. 

Dans  cette  visite  pastorale,  M"""  de  Saint-Vallier  tint  son 
deuxième  Synode.  Il  eut  lieu  «  en  une  des  salles  du  Sémi- 
naire )\  Le  Prélat  y  avait  convoqué  tous  les  prêtres  de  la 
ville  et  du  district.  Il  y  renouvela,  sous  forme  de  statuts,  les 
ordonnances,  avis  et  règlements  donnés  l'année  précédente 
dans  l'assemblée  ecclésiastique  tenue  à  Québec.  Puis  il 
communiqua  à  son  clergé  une  liste  de  douze  cas  réservés, 
pour  des  fautes  dont  il  voulait  faire  concevoir  aux  fidèles 
une  grande  horreur,  ajoutant  «  qu'il  ne  donnerait  que  très 
difficilement  la  pemiission  d'en  absoudre  »  *. 

L'église  paroissiale  de  Montréal  n'était  pas  riche  à  cette 
époque.  A  la  demande  du  curé  et  des  marguilliers,  l'Evêque 
fit  de  sages  règlements  pour  lui  assurer  un  peu  de  revenus. 


1.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  105. 

2.  Ainsi  appelés  du  nom  de  leur  premier  supérieur,  qui  commença  la 
petite  communauté  avec  MM.  LeBer  et  Fredin. 

3.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  277. 

4.  M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  329. 


sous    M'*"    DE    SAINT-VALLIER  IO3 

surtout  en  haussant  le  prix  des  fosses  du  cimetière,  «  qui 
était  autour  de  l'église  »  \ 

M^''  de  Saint- Vallier,  dans  cette  visite  pastorale,  fut  au 
moins  trois  semaines  à  Montréal.  Il  était  heureux  dans  son 
séminaire  de  Saint-Sulpice,  avec  les  fils  spirituels  de  M. 
Tronson  qui  lui  avait  toujours  témoigné  beaucoup  d'estime 
et  d'amitié. 

Nous  avons  dit  que  la  juridiction  de  l'évêque  de  Québec, 
d'après  la  Bulle  d'érection  de  1674,  s'étendait  sur  toutes  les 
possessions  françaises  de  l'Amérique  du  Nord  :  elle  couvrait 
donc  toute  la  vallée  du  Mississipi,  ce  que  l'on  appelait  alors 
la  Louisiane,  découverte  par  le  P.  Marquette  et  JoUiet,  jus- 
qu'aux bouches  du  grand  fleuve  qu'avait  tout  récemment 
explorées  La  Salle.  Or  voilà  que  M"""  de  Saint- Vallier 
apprend  que  l'on  vient  de  créer  des  vicaires  apostoliques 
pour  cette  partie  lointaine  de  son  diocèse.  Il  écrit  au  Roi 
pour  l'en  informer: 

«  L'on  ne  peut,  dit-il,  retrancher  une  partie  de  ce  diocèse, 
■que  l'on  n'érige  un  nouvel  évêché,  et  que  les  bornes  n'en 
soient  désignées  par  le  Roi  et  approuvées  par  le  Pape,  ainsi 
qu'il  est  expressément  porté  par  l'érection  de  cet  évêché.  » 

Il  écrit  en  même  temps  au  cardinal  d'Estrées  pour  lui 
répéter  la  même  chose,  et  l'informer  de  plus  que  les  mis- 
sionnaires de  Québec  travaillent  déjà  dans  cette  vallée  du 
Mississipi  : 

«  Il  y  a,  ajoute-t-il,  une  communication  très  facile  entre 
toutes  ces  nations  et  la  colonie  française,  de  sorte  que  ces 
missions  seront  beaucoup  mieux  soutenues  et  administrées 
sous  la  juridiction  de  l'Evêque  de  Québec  qu'elles  ne  le 
seraient  par  de  simples  ecclésiastiques  et  religieux  sans  dé- 
pendance et  qui  n'ont  aucun  établissement  qui  soit  solide  ".  » 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  338. 

2.  Ibid.,  p.  298. 


I04  l'église  du  canada 

M^  de  Saint-Vallier  conserva  sa  juridiction  sur  cette 
partie  lointaine  de  son  diocèse,  et  l'on  n'y  envoya  pas  de 
vicaires  apostoliques.  Il  l'administra  par  ses  grands  vicaires.; 
et  cette  partie  de  son  diocèse  lui  causa  souvent  de  grands 
embarras.  Mais  il  n'était  pas  homme  à  reculer  devant  les 
difficultés.    Nous  allons  le  voir  dans  le  prochain  chapitre. 


CHAPITRE  VIII 


l'église  du  canada,  de  1691  À  1694  (suite) 

La  Journée  des  Dupes.  —  Mgr  de  Saint- Vallier  et  Frontenac.  —  Fron- 
tenac, au  point  de  vue  religieux.  —  L'affaire  du  Tartufe  et  des 
Cent-Pistoles.  —  L'affaire  Mareuil.  —  Un  cas  de  concubinage  pu- 
blic. —  Officiers  accusés  de  manquer  à  la  messe. 

ON  connaît  le  nom  donné  dans  l'histoire  à  cette  fameuse 
journée,  où  Richelieu,  sur  le  point  de  succomber  aux 
intrigues  de  la  Reine  mère  Marie  de  Médicis,  et  de  se  voir 
politiquement  ruiné,  fit  en  un  instant,  par  son  habileté,  tour- 
ner de  son  côté  la  roue  de  la  fortune,  se  retrouva  avec  Louis 
XIII,  et  resta  maître  de  la  situation  :  on  l'a  appelée  la  jour- 
née des  dupes. 

Que  de  fois  cette  expression  s'est  présentée  à  notre  esprit 
—  avec  quelques  distinctions  nécessaires,  sans  doute,  —  à 
propos  de  la  nomination  de  M.  de  Saint-Vallier  comme  suc- 
cesseur de  M^'  de  Laval!  Que  de  déceptions,  le  lendemain 
de  cette  nomination!  Ne  parlons  pas  de  celles  de  M^  de 
Laval,  ni  de  celles  de  M.  de  Saint-Vallier  lui-même;  nous 
les  connaissons  déjà  assez  :  mais  que  d'espérances  trompées, 
chez  une  foule  d'autres  personnages,  tant  à  la  cour  qu'au 
Canada  !  On  ne  peut  douter,  en  effet,  que  les  autorités  colo- 
niales, par  exemple,  et  les  officiers  de  la  cour,  ennuyés  des 
embarras  que  leur  causait  depuis  longtemps  le  premier  évê- 
que  de  Québec  par  sa  lutte  courageuse  contre  la  traite  de 
l'eau-de-vie  et  contre  les  désordres  en  général,  n'aient  ap- 
plaudi à  sa  démission  et  au  choix  de  son  successeur.   Ils  espé- 


io6  l'éguse  du  canada 

mient  trouver  dans  cet  aumônier  de  la  cour  un  prélat  plus 
facile,  plus  souple,  plus  maniable,  moins  opposé  à  leurs  vues 
et  à  leurs  prétentions.  Ils  sont  bien  trompés  lorsqu'ils  s'aper- 
çoivent que  M"""  de  Saint-Vallier  n'est  pas  moins  inflexible 
que  son  prédécesseur  pour  tout  ce  qui  regarde  l'accomplis- 
sement de  sa  charge  pastorale,  et  qu'il  fait,  lui  aussi,  une 
guerre  sans  merci  à  tous  les  désordres.  On  s'aperçoit  qu'on 
a  été  dupe  des  apparences,  ou  d'une  trop  grande  confiance: 
on  essaie  alors  de  forcer  le  nouveau  prélat  à  résigner  son 
siège;  et  ces  tentatives  se  renouvellent  jusqu'à  trois  fois. 
Mais  celui-ci,  non  pas  par  une  habileté  purement  humaine, 
comme  Richelieu,  mais  par  sa  constance,  sa  fermeté,  la 
conscience  de  son  droit,  réussit  à  déjouer  tous  leur  projets, 
et  reste  maître  de  la  situation.  Le  jour  où  M.  de  Saint- 
Vallier  fut  proposé  au  Roi  et  agréé  comme  évêque  de  Qué- 
bec, fut  donc  vraiment  pour  tous  ces  personnages  la  journée 
des  dupes. 

Voulons-nous  un  exemple  des  déceptions  dont  nous  venons 
de  parler?  Nous  n'en  citerons  qu'un  seul,  celui  de  Pont- 
chartrain  \  le  ministre  d'Etat.  Pontchartrain  n'a  probable- 
ment pas  été  étranger  à  la  nomination  de  M^""  de  Saint- 
Vallier;  il  écrit  à  de  Meulles,  l'intendant  du  Canada,  aussitôt 
après  cette  nomination: 

«  Comme  il  a  l'esprit  bien  fait,  il  se  dépouillera  de  toutes 
sortes  de  préventions  pour  chercher  ce  qui  pourra  être  du 
bien  solide  de  la  colonie  "...  » 

Dix  ans  plus  tard,  que  dira-t-il  au  sujet  du  même  prélat, 
qui  se  trouvait  alors  à  Paris? 

«  Il  ne  faut  pas  qu'il  retourne  au  Canada,  de  peur  qu'il 
n'achève  de  bouleverser  l'Eglise  et  l'état  politique  d'un  pays 
<oti  l'on  a  besoin  d'un  grand  flegme  pour  gouverner,  et  où  il 


1.  Louis  Phélipeaux,   seigneur  de  Pontchartrain. 

2.  Arch.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  7. 


sous    M**"    DE    SAINT-VALLIER  I07 

ne  peut  recevoir  de  conseils  que  de  ceux  dont  il  ne  veut  point 
en  prendrt'    » 

Pontchartrain  voulait  surtout  parler  de  Frontenac,  son 
parent,  avec  qui  M^""  de  Saint-Vallier  venait  de  se  brouiller 
complètement,  après  avoir  été  son  ami.  Le  gouverneur  et 
révêque  étaient  tous  deux  amis  de  M.  Tronson,  dont  Fron- 
tenac avait  même  été  «  condisciple  au  collège  »  ■  :  c'était  un 
lien  d'amitié  et  de  confiance  réciproques.  M^  de  Saint- 
Vallier  avait  toujours  tenu  à  rester  en  bons  tennes  avec  le 
gouverneur  :  il  le  visitait,  s'entretenait  avec  lui  des  affaires 
de  son  diocèse,  le  consultait  et  s'appuyait  même  sur  lui  pour 
quelques-uns  de  ses  mandements.  Il  lui  avait  accordé  plu- 
sieurs faveurs,  entre  autres  la  grand'messe  du  dimanche, 
chez  les  Récollets,  un  peu  au  détriment  des  offices  de  la 
paroisse,  auxquels,  cependant,  il  tenait  tant.  Connaissant  sa 
vanité  et  son  faible  pour  les  honneurs,  il  avait  permis  aux 
Récollets  de  lui  adresser  la  parole,  comme  à  un  prince,  au 
commencement  de  leurs  sermons,  à  cette  grand'messe,  et  les 
Récollets  s'y  prêtaient  d'autant  plus  volontiers  que  Fron- 
tenac était  leur  syndic  apostolique  ^.  Il  lui  avait  même  fait 
accorder,  à  la  paroisse,  le.  titre  de  «  marguillier  d'honneur 
de  la  fabrique  »,  avec  droit  d'assister  aux  assemblées,  chose 
à  laquelle  M^""  de  Laval  s'était  toujours  opposé,  ne  jugeant 
pas  à  propos  de  laisser  l'autorité  civile  s'immiscer  dans  les 
affaires  de  l'Eglise  *  et  gêner  l'indépendance  des  délibéra- 
tions des  fabriciens  ^. 


1.  Arch.  du  Séminaire  de  Québec,  Mémoire  sur  le  Canada,  1695. 

2.  Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  13,  Lettre  de  Fron- 
tenac au  ministre,  2  novembre  1695. 

3.  Archiv.  du  Sém.  de  Québec,  Lettre  de  Mgr  de  Laval  à  M.  de 
Brisacier,  17  avril  1691. 

4.  "  Bonaparte  imposa  aux  fabriques  la  présence  du  maire  et  le 
contrôle  du  budjet  par  l'administration  civile,  en  concurrence  avec  le 
contrôle  de  l'Evêque,  et  retira  au  curé  la  présidence  de  plein  droit.  " 
(Le  Correspondant  du  25  mai  1907,  p.  813). 

5.  Henri  de  Bernières,  p.  184.  —  Archives  de  la  fabrique  de  Notre- 
Dame  de  Québec. 


io8  l'église  du  canada 

Frontenac  était  donc,  tout  d'abord,  en  ternies  d'amitié 
avec  l'Evêque;  il  l'était  encore  dans  l'automne  de  1693.  Au 
dire  de  Champigny,  ces  deux  distingués  personnages  étaient 
même  «  étroitement  unis  ».  Quelques  mois  plus  tard,  ils 
étaient  complètement  brouillés. 

L'année  1694  fut,  sous  certains  rapports,  une  année  terri- 
ble pour  l'Eglise  du  Canada.  On  a  beaucoup  parlé  des  difficul- 
tés de  M"""  de  Laval  avec  les  différents  gouverneurs  du  pays  : 
elles  ne  sont  rien  en  comparaison  de  celles  qu'eut  M^  de 
Saint- Vallier  avec  les  autorités  civiles  du  Canada.  Le  pre- 
mier évêque  de  Québec,  dans  ses  luttes  courageuses  contre 
les  autorités  coloniales  et  les  marchands  au  sujet  de  la  traite 
de  l'eau-de-vie,  s'appuyait  sur  son  clergé,  avec  lequel  il  entre- 
tenait une  union  parfaite,  et  qui  lui  était  tout  dévoué.  M^ 
de  Saint- Vallier  commença  par  se  brouiller  avec  son  sémi- 
naire, et  par  suite  avec  la  plus  grande  partie  de  son  clergé; 
et  lorsqu'il  se  vit  obligé  de  faire  la  guerre  aux  désordres  et 
aux  abus  qu'il  crut  apercevoir  au  sein  de  son  Eglise,  il  se 
trouva  isolé.  Mille  difficultés  de  toutes  sortes  surgirent 
autour  de  lui.  En  face  de  cette  situation,  il  ne  sut  peut-être 
pas  garder  suffisamment  son  sang-froid;  il  se  jeta  dans  la 
lutte  avec  toute  la  fougue  de  son  caractère.  A  la  fin  de 
1694,  il  s'était  aliéné  presque  tous  les  esprits  au  Canada^; 
on  le  regardait  comme  un  homme  impossible.  Quand  il 
passa  en  France,  tout  le  monde  se  sentit  soulagé  ;  et  lorsque 
la  cour  résolut  de  le  retenir  à  Paris,  et  de  lui  faire  résigner 
son  siège,  il  trouva  peu  de  voix  au  Canada  pour  parler  en  sa 
faveur  et  solliciter  son  retour.     Mais  revenons  à  Frontenac. 

Sa  mésintelligence  avec  l'Evêque,  jusque-là  son  ami,  pa- 
raît avoir  eu  pour  cause  principale  certaines  remarques  du 
pieux  Prélat  sur  la  conduite  de  sa  maison.     On  sait  les 


I.    Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.   13,  Lettre  de  Cham- 
pigny, 7  oct.  1694;  de  Callières,  19  oct.  1694. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALIJER  IO9 

«  Avis  »  que  M'^'"  de  Saint-Vallier  avait  donnés  à  Denonville 
sur  l'obligation  de  donner  le  bon  exemple  aux  peuples,  et 
les  recommandations  qu'il  lui  avait  faites  «  touchant  les  fes- 
tins, le  bal  et  la  danse,  les  comédies  et  autres  déclamations, 
etc  »,  avis  et  recommandations  que  ce  pieux  gouverneur  mit 
exactement  en  pratique.  Il  est  probable  que  M^'  de  Saint- 
Vallier,  dans  son  grand  désir  du  bien,  adressa  les  mêmes 
avis  à  Frontenac.  Mais  étant  donné  le  caractère  de  ce  gou- 
verneur, on  peut  croire  qu'ils  furent  très  mal  reçus;  on  est 
même  sûr  qu'il  n'en  tint  aucun  compte,  surtout  pour  le 
théâtre  et  la  comédie. 

Et  pourtant  on  aurait  tort  de  croire  que  Frontenac  n'était 
pas  religieux.  Au  contraire,  les  documents  les  plus  autorisés 
de  l'époque  s'accordent  à  reconnaître  qu'il  l'était  sincère- 
ment. Citons  seulement  ce  qu'écrivait  Charlevoix  à  l'occa- 
sion de  la  mort  de  ce  gouverneur  distingué  : 

«  Il  était,  dit-il,  dans  sa  soixante  dix-huitième  année,  mais 
dans  un  corps  aussi  sain  qu'il  est  possible  de  l'avoir  à  son 
âge,  il  conservait  toute  la  fermeté  et  la  vivacité  d'esprit  de 
ses  plus  belles  années.  Il  mourut  comme  il  avait  vécu,  chéri 
de  plusieurs,  estimé  de  tous,  et  avec  la  gloire  d'avoir,  sans 
presque  aucun  secours  de  France,  soutenu  et  augmenté 
même  une  colonie  ouverte  et  attaquée  de  toutes  parts,  et 
qu'il  avait  trouvée  sur  le  penchant  de  sa  ruine. 

«  Il  paraissait  avoir  un  grand  fond  de  religion,  et  il  en 
donna  constamment  jusqu'à  sa  mort  des  marques  publiques. 
On  ne  l'accusa  jamais  d'être  intéressé;  mais  on  avait  de  la 
peine  à  concilier  la  piété,  dont  il  faisait  profession,  avec  la 
conduite  qu'il  tenait  à  l'égard  des  personnes  contre  lesquelles 
il  s'était  laissé  prévenir.  L'âcreté  de  son  humeur  un  peu 
atrabilaire,  et  une  jalousie  basse,  dont  il  ne  se  défît  jamais, 
l'ont  empêché  de  goiiter  tout  le  fruit  de  ses  succès,  et  ont  un 
peu  démenti  son  caractère,  oti  il  y  avait  de  la  fermeté,  de  la 
noblesse  et  de  l'élévation.  Après  tout,  la  Nouvelle-France 


IIO  L  EGLISE    DU    CANADA 

lui  devait  tout  ce  qu'elle  était  à  sa  mort,  et  l'on  s'aperçut 
bientôt  du  grand  vide  qu'il  y  laissait.  » 

Tout  dans  ce  portrait  nous  paraît  juste  et  définitif.  Un 
seul  mot,  peut-être,  demande  explication  :  «  on  ne  l'accusa 
jamais  d'être  intéressé  »  ;  Charlevoix  veut  dire,  sans  doute, 
de  thésauriser  par  une  sordide  avarice  :  ceux-là  même  qui 
ont  accusé  Frontenac  de  profiter  de  sa  position  pour  se  pro- 
curer quelques  gains  par  la  traite,  ne  manquaient  pas  d'ajou- 
ter qu'il  ne  le  faisait  que  pour  suppléer  à  l'insuffisance  de  son 
traitement.  Quant  à  ses  mœurs,  quoiqu'il  vécût  en  céliba- 
taire, —  M""*  de  Frontenac  était  toujours  restée  en  France 
—  elles  furent  toujours  à  l'abri  de  tout  soupçon;  et  le 
«  grand  fond  de  religion  »  dont  parle  Charlevoix,  n'en  don- 
nait-il pas  la  preuve,  lorsqu'il  allait  trois  ou  quatre  fois  par 
année  chez  les  Récollets  se  recueillir  un  peu  dans  la  solitude 
et  même  faire  tous  les  ans  une  retraite  de  huit  à  dix  jours  ^  ? 
On  le  faisait  même  passer  pour  janséniste,  et  il  aimait  à 
plaisanter  là-dessus  ^. 

Mais  il  n'était  pas  disposé  à  se  laisser  imposer  comme 
précepte  ce  qu'il  croyait  n'être  que  de  conseil.  L'usage  de 
s'amuser  durant  le  carnaval  par  des  spectacles  ou  des  repré- 
sentations dramatiques  existait  à  Québec  depuis  longtemps  : 
ces  spectacles  réunissaient  au  Château  Saint-Louis  l'élite  de 
la  société  canadienne.  Denonville  s'en  était  abstenu,  à  la 
demande  de  M^'"  de  Saint-Vallier  ;  Frontenac  remit  en  hon- 
neur chez  lui  ces  soirées  dramatiques:  il  y  apporta  du  zèle, 
de  l'entrain,  de  l'enthousiasme.  Il  y  avait  alors  à  Québec 
bon  nombre  d'officiers  qui  avaient  ser\'i  dans  les  expédi- 
tions de  Denonville  et  de  La  Barre,  ainsi  qu'au  siège  de- 
1690:  ils  se  chargeaient  des  principaux  rôles  et  les  rem- 
plissaient souvent  avec  beaucoup  de  perfection.     Au  com- 


1.  Histoire  de  ^Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  378. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  13,  Frontenac  au  ministre,  2  nov.  1^5. 


sous    M*"*    DE    SAINT-VALLIER  III 

mencement  de  1694.  les  tragédies  Nicomède  et  Mithridate 
furent  jouées  au  Château  avec  un  grand  succès.  Le  procu- 
reur général,  les  conseillers,  tous  les  principaux  citoyens  y 
assistèrent.  «  Il  y  avait  eu  abondance  de  castor  et  bonne 
récolte,  écrit  le  cynique  Lamothe-Cadillac,  et  l'on  se  réjouis- 
sait par  des  soirées  dramatiques.  » 

L'Evêque  était  au  courant  de  toutes  ces  fêtes  mondaines, 
mais  se  contentait  d'en  gémir  en  silence. 

Tout-à-coup  le  bruit  se  répand  que  l'on  se  prépare  à  jouer 
le  Tartufe  au  Château  :  nul  doute  que  Froni^<^nac  veut  faire 
pièce  au  clergé,  qu'il  n'aime  pas  ^  Circonstance  aggravante: 
celui  qui  doit  jouer  le  rôle  de  Tartufe  est  un  nommé  Mareuil, 
«  lieutenant  réfonné  d'un  détachement  des  troupes  de  la 
marine  »,  qui  est  au  Canada  depuis  un  an,  un  ami  et  un 
protégé  de  Frontenac,  un  de  ses  hôtes  au  Château.  Autre 
circonstance  aggravante  :  cet  officier  ne  se  gêne  pas,  dit-on, 
de  tenir  habituellement  des  propos  irréligieux,  au  grand 
scandale  de  ceux  qui  ont  occasion  de  l'entendre.  L'Evêque 
l'en  a  souvent  repris;  mais  il  ne  tient  aucun  compte  de  ses 
avis  et  continue  à  se  moquer  de  Dieu,  des  saints  et  des 
choses  saintes. 

M^  de  Saint- Vallier  n'y  peut  tenir.  Dans  son  zèle  pour 
la  gloire  de  Dieu  outragé,  il  lance  un  «  mandement  sur  les 
discours  impies  »  ;  il  y  dénonce  nommément  Mareuil.  Cet 
homme,  dit-il,  «  au  mépris  des  avis  souvent  réitérés  que 
nous  lui  avons  donnés  et  fait  donner  par  des  personnes  très 
dignes  de  foi,  continue  à  tenir  des  discours  en  public  et  en 
particulier,  qui  seraient  capables  de  faire  rougir  le  ciel  et 
d'attirer  les  carreaux  de  la  vengeance  de  Dieu  sur  sa  tête  ». 
Il  le  menace  «de  le  retrancher  du  nombre  des  fidèles»,  et 


I.  "On  est  assez  informé  à  la  cour,  de  cet  odium  theologicum  contre 
les  Puissances  temporelles,  qui  est  plus  fort  en  ce  pays  qu'en  pas  un 
autre  endroit."  (Corresp.  générale,  vol.  13,  Frontenac  au  ministre,  2 
nov.   1695). 


112  I.EGUSE    DU    CANADA 

ordonne  aux  prêtres  «  de  le  refuser  à  la  sainte  table  »,  jus- 
qu'à ce  que,  par  une  pénitence  salutaire,  il  ait  satisfait  au 
scandale  qu'il  a  causé.  Ce  mandement  est  daté  du  i6  jan- 
vier 1694:  M^""  de  Saint- Vallier  était  justement  à  faire  la 
visite  pastorale  de  la  paroisse  ^. 

Le  même  jour,  il  lance  un  autre  mandement,  «  au  sujet 
des  comédies  »,  et  publie  aussi  une  instruction  qu'il  a  fait 
prêcher  le  dimanche  précédent  à  la  Basse-Ville  par  M. 
Glandelet,  desservant  de  la  succursale.  Il  distingue  entre  les 
pièces  «  qui  sont  honnêtes  de  leur  nature,  mais  ne  laissent  pas 
que  d'être  très  dangereuses  par  les  circonstances  »,  et  «  les 
comédies  impies,  ou  impures,  ou  injurieuses  au  prochain  », 
parmi  lesquelles  il  range  le  Tartufe  ^  : 

«  Nous  déclarons,  dit-il,  que  ces  sortes  de  comédies  ne 
sont  pas  seulement  dangereuses,  mais  qu'elles  sont  absolu- 
ment mauvaises  et  criminelles  d'elles-mêmes,  et  qu'on  ne 
peut  y  assister  sans  péché  ^.  .  .  » 

Tout  bouleversé  par  l'idée  que  le  Tartufe  va  être  repré- 
senté au  Château  —  on  assure  même  qu'il  sera  joué  ensuite, 
par  ordre  du  gouverneur,  dans  les  communautés  religieuses 
et  au  Séminaire  —  il  prend  le  parti  d'aller  trouver  Fron- 
tenac lui-même.  Il  le  rencontre  précisément  sur  la  rue, 
«  près  de  l'église  des  Jésuites  »,  causant  avec  l'intendant 
Champigny.  Il  lui  fait  part  de  son  chagrin,  et  «  s'avise  de 
lui  ofïrir  cent  pistoles,  pourvai  qu'il  ne  fasse  pas  jouer  le 
Tartufe  ».  Au  moyen  de  cette  somme,  considérable  pour 
l'époque,  il  obtient  la  promesse  que  le  spectacle  n'aura  pas 
lieu  : 

«  Il  prit  l'occasion  que  j'étais  avec  M.  de  Frontenac,  écrit 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  301. 

2.  Voir,  à  propos  du  Tartufe,  un  magnifique  article  de  M.  de  La- 
prade  sur  la  Morale  de  Molière,  dans  le  Correspondant  du  25  août 
1876.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  p.  35. 

.  3.    Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  302. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUCR  11$ 

Champigiiy,  pour  le  prier  de  ne  pas  faire  jouer  cette  pièce, 
s'offrant  de  lui  donner  cent  pistoles:  ce  que  M.  de  Fronte- 
nac ayant  accepté,  il  lui  en  fit  son  billet,  qui  fut  payé  le  len- 
demain *.  » 

Et  de  fait  la  représentation  de  Tartufe  n'eut  pas  lieu. 

Son  zèle  et  son  activité  infatigables  ne  s'en  tiennent  pas 
là.  Après  avoir  dénoncé  l'acteur  principal,  le  metteur  en 
scène,  Mareuil,  il  le  traduit  devant  le  Conseil  Supérieur, 
«  pour  avoir  proféré  depuis  qu'il  est  en  ce  pays  des  dis- 
cours pleins  d'impiété  et  d'une  impureté  scandaleuse  tant 
contre  Dieu  que  contre  la  sainte  Vierge  et  les  saints  ». 

Le  procureur  général  D'Auteuil  prend  bravement  l'afïaire 
en  mains  :  «  S'il  y  a  lieu  au  monde,  dit-il,  où  l'on  doive  veil- 
ler à  ce  que  l'impiété  soit  bannie,  ce  doit  être  en  ce  pays.  .  .  » 
Sur  les  instances,  le  Conseil  ordonne  qu'il  soit  procédé  à  une 
enquête  sur  les  accusations  portées  contre  Mareuil  ;  et  M.  de 
Villeray  est  chargé  de  tenir  cette  enquête.  Mareuil  objecte  à 
la  procédure,  et  présente  requête  sur  requête.  Frontenac 
intervient,  et  fait  aux  conseillers  plusieurs  remontrances, 
cherchant  à  les  embarrasser;  mais  ils  n'en  tiennent  nul 
compte.  L'enquête  se  poursuit,  et  Villeray  reçoit  les  témoi- 
gnages contre  Mareuil;  puis,  quand  on  juge  qu'il  y  en  a 
assez,  on  décide  d'interroger  Mareuil  lui-même,  et  sur  son 
refus  de  répondre,  on  le  renfeiTne  dans  les  prisons  du  Palais 
de  l'intendant  ^,  en  même  temps  qu'un  nommé  Grignon,  qui, 
à  son  instigation,  est  allé  de  nuit  enfoncer  les  fenêtres  de  la 
chambre  de  l'Evêque  ^.  IMareuil  reste  en  prison  tout  l'été;  et 
ce  n'est  que  tard  dans  l'automne,  après  le  départ  des  derniers 
vaisseaux,  que  Frontenac,  usant  d'autorité,  comme  le  fit  plus 
tard  M.  de  Beauharnais  *,  lui  rend  la  liberté  ^. 

1.  Corresp.  générale,  vol.  13,  Champigny  au  ministre,  27  oct.  1694. 

2.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  III,  p.  924. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  13,  Champigny  au  ministre,  27  oct.  1694. 

4.  Québec  en  1730,  p.  49. 

5.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  p.  51. 


114  L  EGLISE    DU    CANADA 

Cette  affaire  Mareuil,  jointe  à  celle  du  Tartufe  et  des 
Cent-Pistoles,  avait  un  peu  refroidi  les  relations  entre  le 
gouverneur  et  l'évêque  :  au  dire  de  Champigny,  cependant, 
«  l'union  n'était  pas  encore  beaucoup  altérée  ».  Il  fallait  de 
nouveaux  scandales  pour  la  détruire  complètement. 

Sitôt  qu'il  eut  fini  la  visite  pastorale  de  la  ville  de  Québec, 
M^  de  Saint-Vallier  se  mit  en  route  pour  Montréal,  faisant, 
suivant  sa  coutume,  la  visite  de  toutes  les  missions  sur  les 
deux  rives  du  fleuve,  en  montant.  Arrivé  à  Batiscan,  il 
apprend  du  curé,  M.  Foucault,  son  ancien  secrétaire  ^  que 
François  Desjordy,  «  capitaine  réformé  d'un  détachement 
de  la  marine  »  qui  réside  à  Champlain,  est  encore  en  concu- 
binage public  avec  une  femme  de  Batiscan,  dont  le  mari  est 
absent;  le  curé  de  Champlain,  M.  Bouquin,  lui  répète  la 
même  chose  :  tous  deux  se  plaignent  d'un  scandale  qui  afflige 
leurs  paroisses  «  depuis  plusieurs  années  ».  L'Evêque  a  déjà 
écrit  à  ce  sujet  au  gouverneur,  ainsi  qu'à  M.  de  Vaudreuil, 
commandant  des  troupes  \  Vaudreuil  a  donné  sa  parole 
que  l'officier  n'y  retournerait  plus  ;  et  l'Evêque,  de  son  côté, 
lui  a  promis  qu'il  ne  se  porterait  à  aucune  chose  contre  cet 
officier  s'il  cessait  ce  concubinage.  Mais  apprenant  par  le 
témoignage  de  ses  deux  curés  que  le  scandale  continue,  il 
porte  contre  les  deux  coupables  une  excommunication  ma- 
jeure, qui  leur  interdit  l'entrée  de  l'église  et  les  signale 
comme  devant  être  évités.  La  sentence  d'excommunication 
est  lue  au  prône  des  messes  paroissiales  de  Champlain  et  de 
Batiscan  le  9  février.  La  semaine  suivante,  Desjordy,  «  qui 
demeurait  à  Sorel  depuis  un  mois,  par  ordre  de  M.  de  Vau- 
dreuil, à  la  prière  de  l'Evêque  »,  ayant  occasion  de  descendre 


1.  Celui-là  même  qui  alla  plus  tard  en  mission  au  Mississipi  et  y 
fut  tué  par  les  Akansas  :  "  Vous  avez  trouvé  en  lui  toutes  les  bonnes 
qualités  d'un  missionnaire  propre  à  travailler  avec  succès.  "  (Archiv. 
du  Sém.  de  Québec.  Lettre  de  M.  de  Brisacier  à  Mgr  de  Laval,  Paris  17 
juin  1701). 

2.  Le  futur  gouverneur  du  Canada,  après  Callières. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  II5 

à  Québec,  passe  par  Batiscan  ;  et  étant  entré  à  l'église  pour 
assister  à  un  service,  le  curé  qui  célèbre  interrompt  le  saint 
sacrifice,  quitte  l'autel,  et  se  retire  à  la  sacristie. 

Desjordy  et  sa  concubine  s'adressèrent  au  Conseil  pour 
obtenir  de  l'Evêque  réparation  d'honneur.  Ils  auraient  voulu 
faire  comparaître  les  curés  Foucault  et  Bouquin  pour  leur 
faire  déclarer  les  raisons  pour  lesquelles  ils  avaient  obtenu 
la  sentence  d'excommunication,  et  demandaient  la  produc- 
tion de  cette  sentence.  Frontenac  intervient  :  «  Il  faut  con- 
naître, dit-il,  si  M.  l'Evêque  n'a  point  outrepassé  les  bornes 
de  son  autorité  et  de  sa  juridiction  au  préjudice  de  celles 
du  Roi.  »  M^  de  Saint-Vallier  réussit  à  faire  traîner  les 
choses  en  longueur;  et  lorsqu'il  partit  pour  la  France,  dans 
l'automne,  l'affaire  Desjordy-Debrieux  vint  grossir  le  dos- 
sier que  l'on  avait  à  envoyer  contre  lui  à  la  cour  \ 


I.   Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  III,  p.  856,  877,  885,  917. — 
Corresp.  générale,  vol.  13,  Champigny  au  ministre,  27  oct.  1694. 


CHAPITRE  IX 


l'église  du  canada,  de  1691  à  1694  (suite) 

Mgr  de  Saint  -Vallier,  à  Montréal.  —  Affaire  du  Prie-Dieu  ;  interdic- 
tion de  l'église  des  Récollets  ;  interdiction  des  Récollets.  —  Mgr  de 
Saint- Vallier  et  M_  de  Callières.  —  Affaire  de  la  solde  des  soldats, 
retenue  par  leurs  officiers.  —  Mgr  de  Saint- Vallier  au  Conseil  Su- 
périeur. —  Il  part  pour  l'Europe. 

LES  difficultés,  les  misères  de  toutes  sortes  se  multipliaient 
sur  les  pas  de  l'Evêque,  à  mesure  qu'il  s'avançait  vers 
Montréal  :  elles  allaient  atteindre  dans  cette  ville  leur  point 
culminant.  Nous  ne  parlons,  naturellement,  que  de  celles 
qui  nous  sont  connues  par  les  documents  officiels;  mais  que 
d'autres  nous  laissent  entrevoir  les  écrits  de  M^""  de  Saint- 
Vallier  1  ! 

Arrivé  à  Sorel,  il  constate  que  le  dimanche  plusieurs 
officiers  n'ont  point  assisté  à  la  messe  :  ce  qui  «  est  de  fort 
mauvais  exemple  »,  dit-il.  Il  écrit  à  Frontenac  pour  s'en 
plaindre.  Le  gouverneur  remet  sa  lettre  entre  les  mains 
des  officiers  incriminés,  qui,  à  leur  tour,  la  présentent  au 
Conseil,  en  demandant  une  enquête,  pour  avoir  occasion  de 
se  justifier  et  de  prouver  qu'ils  n'ont  pas  manqué  à  la 
messe. 

M^""  de  Saint-Vallier  se  rend  à  Montréal,  où  il  tient  le 
Synode  dont  nous  avons  parlé  dans  un  chapitre  précédent.  II 
fait  la  visite  de  ses  communautés  religieuses  :  Saint-Sulpice 

I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  344. 


sous    M^    DE    SAINT-VAIvUER  II? 

dont  le  supérieur  est  encore  M.  Dollier  de  Casson  ;  les  Sœurs 
de  la  Congrégation,  qui  ont  pour  chapelain  M.  Bailly;  les 
Sœurs  de  Saint- Joseph,  sous  la  direction  de  M.  de  la  Colom- 
bière  ;  et  enfin  la  nouvelle  communauté  des  Frères  Charon.  A 
la  Congrégation,  il  y  a  une  sœur  Tardif,  qui  prétend  avoir 
des  visions  surnaturelles,  dont  on  s'occupe  beaucoup  à  Mont- 
réal :  elle  a  même  entraîné  à  ses  sentiments  le  directeur  de 
sa  communauté,  M.  Bailly,  et  celui  de  l'Hôtel-Dieu  de  Saint- 
Joseph,  M.  de  la  Colombière  :  ce  qui  sera  cause  de  la  sortie 
de  ces  deux  prêtres  de  Saint-Sulpice.  M.  Tronson  les  rap- 
pelle à  Paris,  ainsi  que  la  visionnaire,  et  met  fin  à  toute 
l'agitation  \ 

Les  Récollets  profitent  du  passage  de  l'Evêque  à  Montréal 
pour  l'inviter  à  l'inauguration  de  leur  couvent  et  de  leur 
nouvelle  église,  cérémonie  à  laquelle  doivent  aussi  prendre 
part  le  gouverneur,  M.  de  Callières,  et  les  principaux  ci- 
toyens de  la  ville.  D'après  l'intendant  Champigny,  cette 
cérémonie  avait  lieu  à  l'occasion  d'une  «  profession  reli- 
gieuse ».  Le  gardien  des  Récollets  est  le  P.  Joseph  Denis, 
celui-là  même  qui  a  été  quelque  temps  missionnaire  à  Percé, 
puis  à  Plaisance.  Il  a  une  sœur  à  Montréal,  mariée  à  M.  de 
Ramesay,  futur  gouverneur  du  district.  Les  Récollets,  qui 
ne  sont  à  Montréal  que  depuis  peu  de  temps,  y  sont  déjà 
très  populaires,  et  jouissent  de  la  protection  et  de  l'amitié 
du  gouverneur,  M.  de  Callières. 

Le  jour  de  la  cérémonie  arrivé,  M^  de  Saint-Vallier  se 
rend  à  leur  couvent,  avec  quelques-uns  de  ses  ecclésiastiques  ; 
et,  en  entrant  dans  l'église,  il  constate  «  qu'on  a  placé  son 
prie-Dieu  à  côté  de  la  chapelle,  dans  un  endroit  beaucoup 
moins  honorable  que  celui  de  M.  de  Callières,  lequel  est  au 
milieu  de  l'église.  Surpris  d'un  procédé  si  extraordinaire, 
il  envoie  dire  au  Père  supérieur  par  un  de  ses  ecclésiastiques 

I.    Paillon,  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  I,  p.  382. 


L  EGLISE    DU    CANADA 

de  faire  ôter  le  prie-Dieu  du  gouverneur  et  de  le  remettre  en 
sa  place  ordinaire  :  ce  qui  est  exécuté,  après  quelques  contes- 
tations ;  et  le  Père  en  envoie  aussitôt  avertir  M.  de  Callières. 
Celui-ci  arrive,  fait  prendre  son  prie-Dieu  par  deux  officiers 
et  un  soldat,  et  le  fait  remettre  au  milieu.  M^'"  de  Saint- 
Vallier  lui  ayant  représenté  que  cette  place  ne  lui  était  pas 
due,  et  le  gouverneur  s'obstinant  à  y  demeurer,  le  Prélat, 
pour  ne  pas  autoriser  cette  entreprise  par  sa  présence,  et 
pour  ne  faire  aucun  scandale  public,  prend  le  parti  de  se 
retirer  et  de  sortir  de  l'église  ». 

Nous  avons  tenu,  en  racontant  cet  incident,  à  nous  servir 
des  paroles  mêmes  de  M^""  de  Saint- Vallier  dans  son  mé- 
moire à  la  cour  \ 

A  la  suite  de  la  cérémonie  religieuse,  il  y  eut  banquet,  au 
couvent  des  Récollets.  M.  de  Callières  y  assistait,  ainsi  que 
quelques  officiers  et  plusieurs  citoyens  de  la  ville.  Durant  le 
repas,  un  certain  nombre  de  dames  entrèrent  au  réfectoire, 
la  besace  sur  le  dos,  et  firent  à  plusieurs  reprises  le  tour  des 
tables,  quêtant  des  mets  qu'elles  allèrent  ensuite  manger 
au  jardin,  tout  en  s'amusant.  «  Parmi  ces  dames,  dit  le 
mémoire  de  l'Evêque,  il  y  en  avait  une  ^  dont  la  présence 
convenait  encore  moins  dans  ce  lieu  que  celle  des  autres.  » 

Le  lendemain  de  l'incident  du  prie-Dieu  et  du  banquet, 
ou  plutôt  de  la  visite  des  dames  au  banquet,  M^  de  Saint- 
Vallier  écrivit  au  supérieur  des  Récollets  : 

«  Je  vous  écris  cette  lettre,  notre  cher  Père,  pour  vous 
témoigner  combien  j'ai  été  surpris  de  ce  qui  est  arrivé  hier 
chez  vous.  Je  crois  nécessaire,  pour  empêcher  la  conti- 
nuation de  pareilles  entreprises  et  pour  user  de  prudence,  que 
vous  ôtiez  tous  les  prie-Dieu  de  votre  église,  même  celui  qui 


1.  Cité  par  le  P.  de  Rochemonteix,  dans  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle- 
France,  t.  III,  p.  321. 

2.  Mme  de  Ramesay    (Marie-Charlotte  Denis),  sœur  du  P.  Joseph 
Denis. 


sous    M^""    DE    SAINÏ-VALLIKR  II9 

pourrait  être  destiné  pour  nous,  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  le 
comte  de  Frontenac,  auquel  vous  rendrez  les  honneurs  ac- 
coutumés \  » 

Quelques  jours  après,  M'^''"  de  Saint-Vallier  étant  entré 
dans  l'église  des  Récollets  ixDur  y  faire  sa  visite  au  saint 
Sacrement,  constata  que  les  prie-Dieu  y  étaient  encore.  Il 
était  accompagné  de  son  grand  vicaire  M.  DoUier  de  Casson, 
et  de  plusieurs  autres  ecclésiastiques,  et  alla  en  demander 
la  raison  au  supérieur.  Celui-ci  répondit  qu'il  avait  fait 
enlever  les  prie-Dieu,  suivant  son  ordre,  mais  que  le  gou- 
verneur, M.  de  Callières,  était  venu  ce  matin  même,  avec 
deux  notaires,  lui  signifier  d'avoir  à  remettre  les  prie-Dieu, 
et  qu'il  n'avait  pu  s'empêcher  de  lui  obéir. 

Il  y  avait  donc  conflit  entre  l'autorité  religieuse  et  l'auto- 
rité civile,  et  les  Récollets  avaient  cru  devoir  obéir  à  celle-ci, 
de  préférence  à  l'autre  :  «  Si  vous  voulez  ôter  mon  prie-Dieu, 
avait  dit  M.  de  Callières,  je  mettrai  sept  sentinelles  pour 
vous  en  empêcher.  »  M"""  de  Saint-Vallier  «  s'était  aperçu 
que  le  supérieur  agissait  en  tout  de  concert  avec  M.  de 
Callières.  Il  savait  d'ailleurs  qu'ils  étaient  tous  deux  cha- 
grins contre  lui  de  ce  qu'il  n'avait  pu  soufïrir  la  continuation 
d'un  scandale  qui  n'était  que  trop  public  ».  Il  crut  qu'il  ne 
devait  pas  tolérer  plus  longtemps  la  désobéissance  du  Père, 
et  se  décida  à  interdire  leur  église  : 

«  Pour  continuer,  dit-il,  la  même  modération  que  nous 
avons  fait  paraître  dès  le  comencement  de  cette  entreprise 
faite  en  notre  présence,  et  pour  ne  pas  continuer  à  vous 
commettre  avec  M.  le  gouverneur  de  Montréal,  nous  ju- 
geons à  propos,  quoique  malgré  nous,  de  prendre  la  voie 
la  plus  sijre  et  la  plus  propre  pour  éviter  toutes  ces  contes- 
tations, qui  est  de  vous  ordonner,  comme  en  effet  nous  vous 
ordonnons,  sous  peine  de  droit,  de  fermer  la  jwrte  de  votre 

I.    Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  2-2- 


I20  L  EGLISK    DU    CANADA 

église,  et  de  ne  point  célébrer  le  saint  sacrifice  de  la  messe 
ni  faire  aucune  fonction  de  votre  ministère  devant  aucun 
laïque  :  jusqu'à  ce  qu'ayant  fait  savoir  nos  raisons  à  Sa 
Majesté,  nous  sachions  ses  intentions  ^.  « 

Cet  interdit  fut  lu  au  prône  de  la  messe  paroissiale  de 
Montréal  par  M.  Mériel,  prêtre  du  séminaire  ",  et  signifié 
au  P.  Joseph,  en  présence  du  grand  vicaire  de  Montréal,  M. 
Dollier  de  Casson,  par  M.  Nicolas  Dubos,  un  prêtre  de 
Québec  qui  accompagnait  l'Evêque  dans  sa  visite.  Il  était 
daté  de  Villemarie  le  13  mai  1694.  M^''  de  Saint- Vallier 
était  donc  encore  à  cette  date  à  Montréal,  attendant  sans 
doute  l'ouverture  de  la  navigation  pour  descendre  à  Québec, 

L'église  interdite  des  Récollets  demeura  fermée  durant 
deux  mois.  Pendant  ce  temps,  le  Père  Commissaire  des 
Récollets,  à  Québec,  Hyacinthe  Perrault,  fit  plusieurs  dé- 
marches auprès  de  l'Evêque  pour  faire  lever  l'interdit,  mais 
sans  résultat.  M.  de  Callières,  qui  était  au  moins  indirec- 
tement l'occasion  de  cet  interdit,  ayant  eu  affaire  à  des- 
cendre à  Québec,  l'intendant  Champigny  essaya,  mais  sans 
succès,  de  le  raccommoder  avec  l'Evêque.  Frontenac  lui- 
même  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  obtenir  la  grâce  des  Récol- 
lets :  le  Prélat  demeura  inflexible. 

Leur  discrétoire  se  réunit  alors  à  Québec,  le  6  juillet,  et 
décida  d'adresser  à  l'Evêque  une  protestation.  Dans  cet 
écrit,  qu'ils  lui  font  signifier  par  un  notaire,  en  présence  de 
deux  témoins  ^,  ils  lui  rappellent  leurs  privilèges  et  exemp- 
tions, la  complaisance  avec  laquelle  ils  lui  ont  abandonné 


1.  Cité  dans  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  631. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  13,  Lettre  de  Callières  an  ministre,  19  oct. 
1694. — D'après  cette  lettre,  l'affaire  du  prie-Dieu  aurait  eu  lieu  "  devant 
le  saint  Sacrement  exposé  ". — Il  va  sans  dire  que,  dans  la  même  lettre, 
M.  de  Callières  traitait  "  d'impostures  inouïes  les  insinuations  de 
l'Evêque  contre  ses  mœurs  ". 

3.  Le  notaire  Chamballon,  et  les  deux  témoins  Etienne  Godeau,  cou- 
vreur, et  Charles  Chaboulié,  sculpteur. 


sous    M*^""    DE    SAINT-VALUER  121 

leur  beau  monastère  de  Notre-Dame-des-Anges  en  faveur 
de  son  Hôpital-Général,  le  zèle  avec  lequel  ils  ont  toujours 
accepté  les  missions,  même  les  plus  difficiles  de  son  diocèse; 
puis  ils  lui  disent  combien  ils  sont  surpris  de  le  voir  les  trai- 
ter si  durement,  après  avoir  reçu  de  lui,  dans  le  passe,  tant 
de  témoignages  de  sa  bonté  ' . 

Ils  attendent  quelques  jours;  puis  l'Evêque  ne  leur  don- 
nant pas  satisfaction,  ils  ouvrent  leur  église,  et  reprennent 
leur  ministère  comme  auparavant. 

M^  de  Saint-Vallier,  bien  décidé  à  aller  jusqu'au  bout,  et 
à  les  interdire  eux-mêmes,  après  avoir  interdit  leur  église, 
leur  envoie  une  première  monition,  à  cet  effet,  puis  une 
deuxième,  puis  une  troisième.  Le  Père  supérieur  ayant 
répondu  à  la  première  monition  de  l'Evêque  par  un  défi  de 
lui  donner  par  écrit  les  raisons  de  l'interdit,  le  Prélat  les  lui 
donne  en  toute  liberté  dans  la  dernière  monition  :  «  Les 
causes  de  l'interdit,  écrit-il,  sont  les  liaisons  d'intérêt  que  le 
supérieur  du  couvent  de  Villemarie  a  avec  le  gouverneur  de 
Montréal,  qui  sont  connues  de  tout  le  monde,  et  qu'il  n'est 
pas  honnête  d'exprimer,  ce  qui  s'est  passé  à  la  cérémonie,  et 
l'entrée  scandaleuse  des  femmes  dans  le  couvent  ^.  »  Et  l'in- 
tendant Champigny,  parlant  encore  plus  clairement  dans  sa 
lettre  à  la  cour  :  «  M.  de  Callières,  dit-il,  était  désigné  dans 
l'interdiction  à  cause  d'un  commerce  dont  il  était  accusé 
depuis  longtemps  avec  la  sœur  du  supérieur  des  Récollets  *.  » 

L'Evêque  prononça  donc  interdit  contre  les  Récollets  de 
Montréal.  Leur  discrétoire  de  Québec  déclara  l'interdit  nul 
dans  le  fond  et  dans  la  forme,  et  ordonna  à  tous  les  reli- 
gieux de  continuer  leurs  fonctions  :  ce  qu'ils  firent,  à  la 
grande  satisfaction  de  leurs  amis. 

1.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  633. 

2.  Ibid.,  p.  325. 

3.  Ihid.,  p.  326. — Corresp.  générale,  vol.  13,  Champigny  au  ministre, 
27  oct.   1694. 


122  LEGUSE    DU    CANADA 

M.  de  Callières,  fort  irrité  d'avoir  été  désigné  dans  le 
monitoire  de  l'Evêque  aux  Récollets,  cria  à  la  calomnie,  et 
fit  afficher  à  la  porte  de  l'église  et  publier  au  son  du  tam- 
bour un  écrit  injurieux  contre  le  Prélat.  Il  écrivit  à  la  cour 
pour  se  plaindre  de  sa  conduite  à  son  égard.  Puis  il  porta 
plainte  au  Conseil,  afin  d'obliger  l'Evêque  «  à  lui  faire  répa- 
ration »,  et  le  faire  condamner  «  en  tous  ses  dépends,  dom- 
mages et  intérêts  ». 

La  demande  de  Callières  fut  communiquée  à  M^""  de  Saint- 
Vallier.  Le  Prélat  répondit  «  qu'il  avait  lieu  de  s'éton- 
ner de  la  procédure  qu'entreprenait  le  sieur  de  Callières, 
après  avoir  fait  publier  un  libelle  plein  d'outrages,  au  son 
du  tambour,  à  la  porte  de  l'église,  pendant  le  service  divin, 
et  aux  endroits  publics  de  la  ville,  l'avoir  fait  afficher  à  la 
porte  de  l'église  et  aux  lieux  publics,  placer  des  sentinelles 
pour  le  garder,  et  fait  rafficher  nombre  de  jours  de  suite. 
Comme  l'union  étroite,  ajoute-t-il,  qui  se  trouve  entre  les 
Pères  récollets  et  le  sieur  de  Callières,  qui  les  a  obligés  de 
lui  livrer  l'original  de  notre  dernier  mandement,  est  une 
suite  de  leur  intelligence,  puisqu'ils  se  rapportent  à  la  justice 
qu'en  pourrait  faire  le  sieur  de  Callières,  comme  il  est  arrivé 
pour  son  libelle,  dans  lequel  il  s'établit  juge  de  l'affaire  et 
décide  en  faveur  des  Récollets,  faisant  leur  panég^-rique,  et 
•d'ailleurs,  comme  il  est  expressément  dit  qu'il  portera  sa 
plainte  au  Roi,  il  semble  par  cette  nouvelle  manière  de  pro- 
céder qu'il  veut  profiter  de  notre  départ  pour  la  France  pour 
pouvoir  attaquer  plus  facilement  et  tourmenter  nos  ecclé- 
siastiques de  Villemarie.  Pour  prévenir  toutes  les  suites 
fâcheuses  que  cela  pourrait  causer  dans  cette  ville  et  ailleurs, 
nous  déclarons  au  sieur  de  Callières  que  nous  portons  à  Sa 
Majesté  nos  plaintes  de  ses  entreprises.  Nous  interpellons 
le  dit  sieur  de  Callières  de  s'y  rendre  par  tel  procureur  qu'il 
jugera  à  propos,  pour  y  dire  ses  raisons,  protestant  de  nul- 
lité de  tout  ce  qui  pourrait  être  fait  au  contraire  sur  ce  sujet 


sous    M^''    DE    SAINT-VALLIER  123 

dans   notre   absence,   et  de   le   regarder  comme   auteur  de 
toutes  les  violences  qui  pourraient  être  faites  »  V 

Voilà  le  courage  et  l'entrain  avec  lesquels  M*^""  de  Saint- 
Vallier  passait  à  travers  toutes  les  difficultés  qui  se  dres- 
saient sur  ses  pas,  et  faisait  face  à  ceux  qui  trouvaient  à 
redire  aux  actes  de  son  administration  épiscopale. 

Nous  n'avons  pas  encore  parlé  des  officiers  des  troupes 
que  l'Evêque  poursuivait  depuis  longtemps  de  ses  reproches, 
et  auxquels  il  avait  même  défendu  à  ses  prêtres  de  donner 
l'absolution,  parce  qu'ils  retenaient  dans  certains  cas  la  solde 
de  leurs  soldats.  Ceux-ci,  n'ayant  la  plupart  du  temps  rien 
à  faire,  s'engageaient,  avec  la  permission  de  leurs  officiers, 
chez  les  habitants,  auxquels  ils  rendaient  de  grands  services 
à  cause  de  la  rareté  de  la  main  d'ceuvre  ;  et  les  officiers,  pour 
grossir  leurs  propres  apix)intements,  retenaient  la  solde  de 
ces  soldats,  sous  prétexte  qu'ils  étaient  bien  nourris  et  payés 
par  les  habitants.  M^""  de  Saint-Vallier,  ne  trouvant  pas  cela 
juste,  prenait  la  part  des  soldats,  et  faisait  la  guerre  aux 
officiers.  Il  avait  consulté  la  Sorbonne  ;  mais  la  réponse  — 
qui  d'ailleurs  lui  fut  favorable  —  se  faisant  attendre,  il 
défendait  aux  curés  de  les  absoudre.  C'est  ainsi  que  M.  de 
Vaudreuil,  au  témoignage  de  M.  de  Champigny,  avait  été 
refusé  en  confession  par  le  curé  de  Sainte-Anne  de  la  Pé- 
rade.  La  plupart  de  ces  officiers  que  M^""  de  Saint-Vallier 
privait  ainsi  des  sacrements  avaient  beaucoup  d'amis  à  la 
cour,  et  ce  sont  eux  peut-être  qui  lui  firent  le  plus  de  tort 
dans  son  voyage  à  Paris.  Plusieurs  traversèrent  en  France 
en  même  temps  que  lui,  le  devancèrent  à  la  capitale,  et  ré- 
pandirent une  foule  de  bruits  injurieux  sur  son  compte  :  on 
sait  cela  par  une  lettre  de  M.  Tremblay  : 

«  On  ne  peut  être  plus  décrié,  dit-il,  qu'il  l'a  été  à  la  cour, 
par  les  bruits  répandus  par  les  officiers.    On  a  surtout  relevé 

I.    Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  III,  p.  960. 


124  L^ ÉGLISE    DU    CANADA 

les  cent  pistoles  données  pour  empêcher  la  comédie  du 
Tartufe.    Chacun  en  parlait  selon  son  caprice.  » 

Mais  il  y  avait  surtout  l'éternelle  question  des  difficultés 
entre  l'Evêque  et  son  Séminaire,  c(ui,  en  dépit  des  règle- 
ments, paraissait  moins  réglée  que  jamais.  Ces  difficultés 
venaient  de  se  compliquer  d'affaires  litigieuses  entre  le  Sémi- 
naire, le  Chapitre  et  l'Evêque,  à  propos  de  l'installation  d'un 
chanoine,  M.  de  la  Colombière,  affaires  que  nous  avons  ra- 
contées ailleurs  \  et  que  nous  ne  voulons  mentionner  ici 
qu'incidemment,  d'autant  plus  que  celui  qui  avait  soulevé  ces 
nouvelles  difficultés,  AI.  de  Merlac.  grand  vicaire  de  l'Evê- 
que, ne  paraît  guère  avoir  mérité  la  confiance  de  ses  contem- 
porains. La  Sœur  Juchereau,  parlant  de  sa  nomination 
comme  supérieur  de  l'Hôtel-Dieu  :  «  La  supérieure  s'y  op- 
posa, écrit-elle;  elle  ne  croyait  pas  ce  prêtre  propre  à  con- 
duire une  communauté  ;  »  puis,  lorsqu'il  fut  remplacé  par 
M.  de  la  Colombière  :  «  Nous  eîimes  d'autant  plus  de  joie  de 
le  revoir,  ajoute-t-elle,  qu'il  nous  délivra  de  celui  que  l'on 
nous  avait  donné  malgré  nous.  »  Il  ne  valait  certainement 
pas,  dans  tous  les  cas,  les  vénérés  prêtres  du  séminaire,  MM. 
de  Bernières,  de  Maizerets  et  Glandelet,  qui,  à  cause  de  lui, 
ou  du  moins  à  son  occasion,  venaient  d'être  frappés  impi- 
toyablement par  M^""  de  Saint-Vallier,  avec  défense  de  prê- 
cher et  de  confesser  dans  son  diocèse,  et  qui  restèrent  sous  le 
coup  de  cette  interdiction  pendant  plusieurs  mois. 

M^'  de  Saint-Vallier  reçut  donc,  dans  le  cours  de  l'été 
1694,  des  lettres  de  Pontchartrain  et  de  l'archevêque  de 
Paris,  qui  l'invitaient  à  passer  en  France  pour  répondre  aux 
différentes  accusations  rendues  à  la  cour  contre  lui.  Il  se 
prépara  à  faire  le  voyage.  Mais  avant  de  partir,  il  crut 
devoir  se  rendre  au  Conseil,  et  mettre  toutes  les  formes  de 
son  côté. 

I.    Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  442.  —  Henri  de  Bernières,  p.  298. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  I25 

Profitant  donc  de  la  première  séance  après  les  vacances  S 
le  II  octobre,  il  se  rend  à  l'assemblée,  et  présente  d'abord, 
pour  les  faire  vérifier  et  enregistrer,  les  lettres  patentes  qu'il 
a  reçues  pour  l'établissement  de  l'Hôpital-Général  de  Mont- 
réal. Puis  il  offre  de  donner  des  explications  sur  les  diffi- 
cultés dont  il  a  été  la  cause  ou  l'occasion  durant  l'année  : 
«  Je  regrette,  dit-il,  que  MM.  le  gouverneur  et  l'intendant 
soient  absents.  »  Alors,  on  députe  deux  conseillers  auprès 
de  Frontenac  pour  l'inviter  à  venir  au  Conseil  :  «  Je  suis 
occupé  à  mes  dépêches  pour  la  cour,  dit  le  gouverneur,  je 
ne  puis  y  aller.  D'aileurs,  ajoute-t-il,  on  a  bien  commencé 
sans  ma  participation  les  procédures  contre  le  sieur  de 
Mareuil;  que  l'on  continue  -.  » 

De  son  côté,  l'intendant  fait  savoir  que  si  l'on  a  absolu- 
ment besoin  de  sa  présence  au  Conseil,  il  s'y  rendra  :  et  MM. 
Dupont  et  de  Vitré  lui  ayant  dit  qu'en  effet  sa  présence  était 
requise,  il  se  rend  à  la  séance. 

M^  de  Saint- Vallier  exprime  alors  de  nouveau  le  regret 
que  le  gouverneur  soit  absent  :  «  Je  suis  chagrin,  dit-il,  qu'il 
n'ait  pas  eu  agréable  de  se  trouver  au  Conseil.  Pressé  par 
mon  départ  pour  la  France  de  donner  ordre  à  mes  affaires, 
et  de  pour\'oir  autant  que  possible  à  ce  qu'en  mon  absence 
les  ecclésiastiques  de  mon  diocèse,  qui  ne  sont  déjà  que  trop 
fatigués,  ne  soient  pas  exposés  à  de  nouvelles  poursuites, 
qui  leur  pourraient  faire  prendre  le  parti  d'abandonner  leurs 
cures  et  de  se  retirer  en  France,  je  prie  la  Compagnie  de 
trouver  bon  que  je  lui  parle  au  sujet  des  arrêts  et  docu- 
ments qu'on  m'a  communiqués.  Dans  la  crainte  d'omettre 
quelque  chose  d'essentiel,  et  pour  éviter  les  répétitions,  j'ai 
mis  par  écrit  ce  que  j'avais  à  dire.  » 

1.  Le  Conseil  prenait  des  vacances  le  printemps  et  l'automne  :  le 
printemps,  "  pour  ne  divertir  personne  des  travaux  des  semences  ",  et 
l'automne,  pour  le  temps  des  récoltes. 

2.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  III,  p.  916. 


126  l'éguse  du  canada 

Il  fait  ensuite  lecture  de  son  écrit,  contenant  sept  pages, 
et  ayant  pour  titre  :  «  Réponse  que  fait  l'Evêque  aux  dires 
et  écrits  de  M.  le  comte  de  Frontenac.  »  Il  le  dépose  sur  le 
bureau,  priant  le  Conseil  de  vouloir  bien  l'inclure  dans  la 
liasse  des  documents  qu'on  envoie  à  la  cour. 

Il  est  bien  regrettable  que  copie  de  cet  écrit  de  M^""  de 
Saint- Vallier  n'ait  pas  été  conservée  dans  les  minutes  du 
Conseil. 

Trois  jours  plus  tard,  ayant  appris  la  manière  assez  déso- 
bligeante avec  laquelle  MM.  Dupont  et  de  Vitré  ont  été 
reçus  par  Frontenac,  le  Prélat  se  rend  de  nouveau  au  Con- 
seil : 

«  Je  me  confinne  de  plus  en  plus  dans  la  pensée,  dit-il, 
qu'après  mon  départ  pour  la  France  M.  le  gouverneur  fera 
ressentir  sa  peine  aux  ecclésiastiques  qui  sont  dans  les  cure» 
de  mon  diocèse.  Etant  curés  fixes,  il  ont  besoin  de  repos 
et  de  protection  pour  perfectionner  leur  établissement.  Je 
vois  même  par  la  réponse  de  M.  le  gouverneur  que  l'on  veut 
intéresser  le  Conseil  qui,  depuis  le  commencement  des  diffi- 
cultés, a  beaucoup  souffert.  Je  supplie  de  nouveau  le  Con- 
seil de  considérer  que  ce  que  j'ai  été  obligé  de  dire  et 
d'écrire,  après  avoir  évité  de  le  faire  autant  qu'il  m'a  été 
possible,  n'a  été  que  par  nécessité,  pour  ma  propre  défense 
et  celle  de  mon  clergé,  qu'on  a  attaqué  tant  de  fois.  . .  Je  le 
prie  d'ordonner  que  le  tout  soit  envoyé  au  Roi,  qui,  par  sa 
sagesse  et  son  autorité,  peut  d'un  seul  mot  et  sans  réplique 
régler  toutes  ces  contestations  ^.  » 

On  voit  comme  tout  cela  était  habile.  Après  avoir  ré- 
pandu la  terreur  un  peu  partout  dans  son  diocèse,  après 
avoir  bouleversé  son  séminaire  épiscopal  et  interdit  les  trois 
principaux  directeurs  de  cette  institution,  après  avoir  lancé 
ses  foudres  contre  plusieurs  personnages  en  vue  de  la  colo- 

I.   Jugements  du  Conseil  Supérieur,  p.  918,  923. 


sous    M*^""    DE    SAINT-VALUER  127 

nie,  interdit  tout  un  couvent  de  religieux,  et  fait  fermer 
leur  église  durant  plusieurs  mois,  le  Prélat  posait  en  victime, 
prenait  la  défense  de  son  clergé  paroissial,  tâchait  de  s'asu- 
rer  les  sympathies  du  Conseil,  la  première  autorité  de  la 
colonie  après  le  gouverneur  et  l'intendant,  et  s'inclinait 
d'avance  devant  la  sagesse  des  décisions  royales. 

On  ne  peut  douter  que,  cette  fois,  bon  nombre  de  per- 
sonnes au  Canada,  voyant  partir  l'Evêque  dans  les  circons- 
tances que  nous  venons  de  mentionner,  restèrent  sous  l'im- 
pression que  ce  départ  était  définitif,  et  que  le  Prélat  ne 
reverrait  pas  la  Nouvelle-France.  Il  y  a  dans  les  documents 
de  l'époque  bien  des  passages  qui  l'indiquent  :  nous  n'en 
citerons  qu'un,  que  nous  trouvons  incidemment  dans  une 
lettre  d'un  Père  jésuite.  On  sait  que  le  Prélat  avait  fort 
mécontenté  la  Compagnie  en  retranchant,  en  faveur  de  la 
paroisse,  certains  catéchismes  et  offices  religieux  qui  se  fai- 
saient dans  leur  église  : 

«  Nous  espérons,  dit  le  Père,  le  rétablissement  de  tous  nos 
emplois,  peut-être  par  le  changement  d'évèque  ^.  .  .  » 


I.  Relations  des  Jésuites,  édition  Burrows,  t.  64,  p.  144,  Lettre  du 
P.  Claude  Chauchetière  au  P.  Jacques  Jouheneau,  à  Bordeaux  ;  Ville- 
marie,  20  septembre  1694. 


CHAPITRE  X 


TROISIÈME  VOYAGE  DE  L'ÉVÊQUE  EN  FRANCE 
ABSENCE  DE    1694  À   1697 

Mgr  de  Saint- Vallier,  retenu  en  France  par  le  Roi.  —  Il  donne  des 
missions  à  ses  abbayes.  —  Lettre  à  M.  Glandelet.  —  Lettre  à  son 
clergé  du  Canada.  —  Les  décisions  de  la  cour  sur  les  affaires  cana- 
diennes. —  Frontenac  et  les  Cent-Pistoles. 

MGR  de  Saint- Vallier  partit  de  Québec  pour  la  France 
le  29  octobre  1694,  et  n'arriva  à  Paris  qu'à  la  mi- 
janvier,  s'étant  attardé  assez  longtemps  à  visiter  ses  abbayes. 

Il  en  avait  trois:  Maubec,  Lestrées  et  Bénévent.  De  ces 
trois  abbayes,  celle  de  Maubec,  en  Berry,  dans  le  diocèse  de 
Bourges,  était  la  seule  qui  fût  unie  canoniquement  à  l'évê- 
ché  de  Québec,  et  pour  la  mense  abbatiale,  seulement:  elle 
l'avait  été  par  le  décret  même  d'érection  du  diocèse  en 
1674.  Mais  elle  avait  été  donnée  à  M^  de  Laval  par  le  Roi 
dès  1662.  Les  religieux  de  cette  abbaye  appartenaient  à 
l'ordre  des  Bénédictins. 

L'abbaye  de  Lestrées,  de  l'ordre  de  Citeaux,  dans  le  dio- 
cèse d'Evreux,  avait  été  donnée  par  le  Roi  à  M^  de  Laval  en 
1672.  Quant  à  l'abbaye  de  Bénévent,  de  l'ordre  des  Augus- 
tins,  dans  le  diocèse  de  Limoges,  M^  de  Saint- Vallier  n'en 
avait  encore  que  la  promesse  :  il  n'en  reçut  le  brevet  du  Roi 
que  le  i*""  novembre  1695.  Cette  abbaye  lui  fut  donnée 
«pour  être  unie  à  perpétuité  à  l'évêché  de  Québec,  et  les 
fruits  et  revenus  de  la  dite  abbaye  faire  partie  de  ceux  du  dit 


sous    M'^''    DE    SAINT-VAUUER  129 

évêché,  à  la  charge  de  cinq  cents  livres  de  pension  annuelle 
et  viagère  payable  à  M.  de  la  Pallière,  prêtre  du  diocèse  de 
Bayeux  »  \  C'est  à  la  demande  de  M^'"  de  Saint- Vallier  lui- 
même  que  cette  pension  avait  été  marquée  dans  le  Brevet. 
M.  de  la  Pallière  était  le  grand  vicaire  et  le  procureur  de 
l'Evêque  à  Paris,  et  le  Prélat  voulait  lui  assurer  une  hon- 
nête pension,  pour  les  services  qu'il  lui  rendait.  Quand  il 
alla  plus  tard  à  Rome  pour  l'union  canonique  de  ses  abbayes, 
il  essaya  de  faire  insérer  cette  clause  dans  le  Bulle  d'union  ; 
mais,  soit  oubli  ou  autre  motif,  elle  n'y  fut  pas  insérée,  au 
grand  regret  du  pieux  Prélat  ^. 

Il  ne  paraissait  pas  pressé  de  se  rendre  à  la  cour.  Il  lui 
semblait  plus  digne  de  laisser  au  Roi  et  à  ses  ministres  le 
temps  de  dépouiller  à  loisir  le  dossier  des  accusations  portées 
contre  lui,  et  que  M.  de  la  Martinière,  un  des  membres 
du  Conseil  Supérieur,  qui  était  passé  en  France  pour  ses 
affaires  particulières,  avait  été  chargé  de  transmettre  au  mi- 
nistre 3.  Ni  Frontenac,  ni  Callières,  ni  qui  que  ce  soit  de 
ceux  qu'il  avait  priés  de  se  rendre  à  la  cour  en  personne  ou 
par  procureur,  pour  soutenir  leurs  accusations,  ne  l'avaient 
fait  :  et  pourtant  le  dossier  de  Frontenac,  en  particulier, 
n'était  pas  moins  chargé  que  celui  de  l'Evêque:  on  en  aura 
une  idée  par  ces  deux  lignes  de  la  lettre  de  M.  de  Champi- 
gny  au  ministre  : 

«  Le  Conseil  souffre,  et  le  procureur  général,  surtout,  de 
ses  dispositions.  La  liberté  dans  les  avis  est  gênée  en  pré- 
sence de  M.  de  Frontenac.  Cette  situation  des  affaires 
remue  toutes  choses  *.  » 

Pour  lui,  il  avait  quitté  son  diocèse  et  était  parti  pour  la 
France  au  premier  désir  qu'on  lui  en  avait  témoigné.  Ayant 


1.  Langevin,  Notice  biographique  sur  Mgr  de  Laval,  p.  321. 

2.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Documents  inédits  copiés  au  Vatican. 
3    Corresp.  générale,  vol.  13,  Champigny  au  ministre,  27  oct.  1694. 
4-    Ibid. 

9 


130  L  EGLISE    DU    CANADA 

écrit  à  l'archevêque  de  Paris  '  au  sujet  de  ses  difficultés  avec 
le  Séminaire,  le  Prélat  lui  avait  répondu  le  15  avril: 

«  J'en  ai  parlé  au  Roi,  et  Sa  Majesté  m'a  chargé  de  vous 
faire  savoir  qu'Elle  approuve,  pour  y  mieux  pourvoir,  que 
vous  fassiez  un  voyage  en  France  cette  année,  et  que  son 
intention  est  que  vous  ne  différiez  pas  votre  départ,  afin  que 
vous  puissiez  ici  vous-même  en  personne  terminer  et  finir 
toutes  vos  affaires.  » 

Pontchartrain,  de  son  côté,  lui  avait  écrit  de  Versailles  le 
8  mai  : 

«  Puisque  vous  devez  venir  ici,  j'aurai  moins  à  répondre 
à  vos  lettres,  et  vous  éclaircirez  mieux  les  difficultés  par 
votre  présence  2.  » 

Notons,  en  passant,  la  forme  polie  et  aimable  avec  la- 
quelle, en  ce  grand  siècle  d'élégance  et  de  belles  manières, 
on  savait  dire  les  choses  les  plus  désagréables.  M^  de  Saint- 
Vallier  ne  pouvait  se  méprendre  sur  le  sort  qui  l'attendait 
à  Paris,  où  tant  de  préjugés  s'étaient  accumulés  contre  son 
administration.  Mais  il  avait  conscience  d'avoir  fait  son 
devoir  :  on  l'avait  nommé  évêque  de  Québec  pour  gouverner 
ce  lointain  diocèse,  si  vaste,  si  difficile,  et  il  entendait  bien  le 
gouverner  suivant  les  dictées  de  sa  conscience,  avec  toute  la 
vigueur  et  l'activité  de  ses  quarante  ans.  Il  ne  manquerait 
en  rien  à  ce  qu'il  devait  au  Roi  et  à  ses  ministres;  mais  ni 
Frontenac,  ni  Callières,  ni  qui  que  ce  soit  ne  le  ferait  dévier 
de  ce  qu'il  devait  au  Roi  des  rois,  à  l'Eglise,  à  sa  dignité  per- 
sonnelle. 

Rendu  à  Paris,  après  avoir  fait  ses  visites  au  Roi,  au 
ministre,   aux  principaux  personnages  de  la  cour  à  Ver- 


1.  François  de  Harlay,  ci-devant  archevêque  de  Rouen.     II  mourut 

subitement  à  Paris  le  5  aoiit  1695,  d'une  attaque  d'apoplexie,  pendant 
que  Mgr  de  Saint-Vallier  était  en  France.  Le  cardinal  de  Noailles  lui 
succéda. 

2.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  III,  p.  961. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  I3I 

sailles,  il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  qu'il  y  avait  parti  pris 
de  le  garder  en  France  et  de  lui  faire  résigner  son  siège.  On 
paraissait  d'autant  moins  disposé  à  lui  donner  raison  dans 
les  difficultés  qu'il  avait  avec  les  principaux  personnages  de 
l'Eglise  et  de  l'Etat  dans  la  colonie,  qu'on  avait  plus  attendu 
de  son  esprit  de  conciliation,  en  le  nommant  évêque  de  Qué- 
bec. Pontchartrain,  surtout,  ne  pouvait  taire  son  désap- 
pointement :  parent  de  Frontenac,  il  ne  lui  pardonnait  pas 
de  s'être  mis  à  dos  le  gouverneur,  après  avoir  été  son  ami. 

Et  pourtant,  Pontchartrain  n'avait  pu  s'empêcher  de  re- 
connaître que  les  mémoires  contre  le  prélat  lui  avaient  paru 
fâcheux,  mauvais  et  outrés.  Il  le  dit  à  Louis  XIV.  M"*  de 
Maintenon,  de  son  côté,  était  sous  l'impression  que  ces  écrits 
étaient  artificieux  et  dérogeaient  au  respect  dii  au  caractère 
épiscopal  ^ . 

Louis  XIV  aimait  et  estimait  son  ancien  aumônier,  en  qui 
il  avait  toujours  remarqué  une  conduite  irréprochable.  Mais 
il  avait  cru,  en  vue  de  la  paix,  devoir  s'opposer  pour  un 
temps  à  son  retour  au  Canada;  et  il  chargea  Pontchartrain 
de  le  lui  faire  savoir.  L'évêque  de  Québec  reçut  l'ordre  du 
Roi  avec  une  résignation  et  une  humilité  admirables,  vrai- 
ment dignes  de  celles  que  M"""  de  Laval  avait  montrées  en 
pareille  circonstance  -.  Le  ministre  en  fut  touché  ;  et  lorsqu'il 
alla  rendre  compte  au  Roi  de  cette  entrevue  : 

«  Sire,  lui  dit-il,  il  serait  à  souhaiter  qu'il  y  eût  en  France 
beaucoup  d'évêques  aussi  pieux  que  M^""  de  Saint- Vallier.  » 

Dans  une  autre  occasion,  le  même  ministre  fit  remarquer 
au  Roi  «  que  c'était  une  piété  bien  singulière  que  de  faire 
arracher  un  évêque  de  son  Eglise  par  violence  »  ^. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  Roi  avait  parlé,  il  n'y  avait  qu'à 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec,  p.  120. 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  376. 

3.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l' H ô p. -Général,  p.  120. 


132  /.  L  EGLISE    DU    CANADA 

obéir.  L'Evêqiie  de  Québec  se  résigna  donc  à  rester  en 
France  :  «  Retourner  dans  mon  diocèse,  disait-il,  cela  ne 
dépend  pas  de  ma  volonté  ;  mais  donner  ma  démission,  cela 
dépend  de  moi  :  jamais  je  ne  la  donnerai  :  je  gouvernerai 
plutôt  d'ici  mon  diocèse  ^  »  En  attendant  des  jours  plus 
sereins,  il  profita  de  son  séjour  à  Paris  pour  y  travailler  à 
son  Rituel,  à  son  Catéchisme,  à  son  Recueil  d'Ordonnances  : 
œuvre  pastorale  d'un  mérite  achevé,  monument  impérissable 
de  son  zèle  pour  le  bien  de  son  Eglise.  Puis  il  alla  prêcher 
des  missions  dans  les  paroisses  de  l'abbaye  de  Bénévent,  que 
le  Roi  venait  de  lui  donner,  et  où  il  avait  pu  constater  par 
lui-même  qu'il  y  en  avait  un  grand  besoin. 

L'année  suivante  (1696)  il  alla  en  prêcher  dans  son  ab- 
baye de  Maubec.  Le  territoire  de  cette  abbaye  était  consi- 
dérable :  il  n'y  avait  pas  moins  d'une  vingtaine  de  cures, 
toutes  à  la  nomination  de  l'abbé,  mais  dépendantes,  cela  va 
sans  dire,  du  diocèse  de  Bourges  2.  C'était  vraiment  comme 
un  petit  diocèse  dans  le  grand.  Et  ce  petit  diocèse,  quoique 
dépendant  de  Bourges,  était  uni  par  tant  de  liens  spirituels 
et  temporels  au  diocèse  de  Québec!  Il  le  fut  près  de  cent 
ans  !  Avec  quel  zèle,  avec  quel  dévouement  IVP"'  de  Saint- 
Vallier  ne  se  livra-t-il  pas  à  cette  œuvre  pastorale  dans  son 
abbaye  de  Maubec  !  Il  s'en  ouvrait  un  jour  à  M.  Glandelet, 
l'un  des  prêtres  de  son  Séminaire  de  Québec,  avec  lequel  il 
avait  commencé  à  opérer  un  heureux  rapprochement  : 

«  Ma  santé,  lui  disait-il,  est  si  parfaitement  rétablie  que 
je  me  disposais  à  mon  retour  au  Canada,  pour  continuer  à 
servir  une  Eglise  dans  laquelle,  comme  vous  le  savez  très 
bien,  on  trouve  bien  des  moyens  de  sanctification.  Mais  la 
Providence,   qui   sait  le  besoin  que  j'ai   de  retraite  et  de 


1.  Lettre  de  M.  Tremblay,  citée  dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II, 
p.  460. 

2.  Langevin,  Notice  biographique  sur  Mgr  de  Laval,  p.  312. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIËR  I33 

prières,  m'a  encore  voulu  ménager  une  année  de  temps  pour 
me  mettre  en  état  de  mieux  servir  mon  diocèse. 

«J'eus  la  consolation,  l'année  passée  (  1695),  de  faire  deux 
fort  belles  missions  dans  les  dépendances  de  l'abbaye  de 
Bénévent.  Le  bon  Dieu  me  ménagea,  pour  l'une  et  pour 
l'autre  mission,  un  nombre  de  bons  ouvriers;  j'en  eus  jus- 
qu'à douze,  quinze  et  dix-sept.  J'emploierai  celle-ci  (1696) 
à  en  faire  deux  autres  dans  les  dépendances  de  celle  de 
Maubec,  dans  lesquelles  je  puis  vous  assurer  qu'il  y  a  d'ex- 
trêmes besoins.  .  .  Si  la  Providence  continue  mon  exil  une 
troisième  année,  j'en  pourrai  faire  à  l'abbaye  de  Lestrées. 

«  Je  crois  inutile  de  vous  apprendre  la  manière  dont  le 
Roi  m'a  fait  signifier  l'ordre  de  retarder  mon  retour;  la 
cause  de  mon  exil  m'a  beaucoup  plus  affligé  que  l'exil  même. 
Quand  la  Providence  voudra  que  j'y  retourne,  elle  saura 
bien  employer  les  moyens  les  plus  efficaces  et  les  plus  suaves 
en  même  temps  pour  m'y  ramener  ^  .  .  » 

Ainsi,  M^''  de  Saint- Vallier  se  trouvait  «  en  exil  »  dans 
son  propre  pays.  Il  avait  adopté  le  nôtre  pour  sa  patrie;  il 
y  était  attaché  de  cœur,  il  y  voulait  vivre  et  mourir.  Oui  ne 
serait  touché  de  l'afifection  de  ce  grand  Evêque  pour  sa 
pauvre  Eglise  de  la  Nouvelle-France? 

Cette  afifection,  il  l'exprimait  un  jour  au  souverain  pon- 
tife avec  une  émotion  bien  pénétrante  : 

«  Ah.  qu'elle  est  belle  et  sainte,  disait-il,  l'épouse  que  vous 
m'avez  confiée  !  J'y  suis  attaché  par  les  liens  les  plus  étroits, 
non  seulement  à  cause  de  l'éclat  de  la  sainteté  dont  elle 
brille,  mais  aussi  à  cause  de  sa  pauvreté,  qui  la  rend  si 
humble  aux  yeux  des  mortels.  Cette  pauvreté,  loin  d'en 
rougir,  je  dois  plutôt  m'en  glorifier,  en  écrivant  à  un  Pontife 
qui  sait  si  bien  apprécier  les  conseils  évangéliques  ^  .  .  » 


1.  Lettre  du  25  mars  1696,  citée  dans  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp. 
Général,  p.  121. 

2.  Documents  inédits  copiés  au  Vatican,  Lettre  du  11  aoijt  1687. 


134  l'église  du  canada 

Nous  avons  dit  qu'il  était  bien  décidé  à  gouverner  de 
France  son  diocèse,  plutôt  que  d'y  renoncer.  Voyez,  en 
effet,  la  belle  lettre  pastorale  que,  de  Paris,  il  adresse  un 
jour  à  ses  prêtres  du  Canada  : 

«  Mes  très  chers  et  très  honorés  Frères,  avec  qui  j'ai 
l'honneur  de  participer  au  même  sacerdoce,  et  qui  êtes  appe- 
lés à  partager  avec  moi  la  sollicitude  pastorale,  je  ne  puis 
vous  exprimer  la  douleur  que  je  sens  d'être  obligé  d'être 
aussi  longtemps  séparé  de  vous,  principalement  dans  un 
temps  où  nous  aurions  besoin  de  nous  animer  les  uns  les 
autres  à  procurer  la  gloire  de  Dieu,  et  travailler  au  salut 
des  âmes.  Je  sais  que  le  devoir  d'un  bon  pasteur  est  de  se 
tenir  près  de  ses  brebis,  et  qu'une  marque  du  mercenaire  est 
de  craindre  et  de  s'enfuir  ^  ;  mais  outre  mes  obligations,  il 
me  semble  que  la  tendresse  et  l'amour  que  Notre-Seigneur 
m'a  donnés  pour  le  troupeau  qu'il  m'a  confié,  me  sollicitent 
bien  davantage  de  lui  rendre  cette  assistance  et  me  font 
porter  avec  plus  de  déplaisir  la  malheureuse  nécessité  d'en 
demeurer  une  année  et  demie  éloigné. 

«  Je  ne  sais  si  les  raisons  qui  m'en  ont  séparé  sont  bonnes 
et  agréables  à  Dieu,  mais  je  sais  bien  que  je  ressens  un  si 
grand  penchant  de  retourner  à  vous,  que  je  n'y  puis  résis- 
ter; je  suis  en  esprit  avec  vous;  et  quelque  douceur  que  je 
puisse  avoir  dans  un  lieu  que  je  puis  considérer  comme 
celui  de  ma  naissance,  quelque  sujet  de  satisfaction  que  je 
puisse  présenter  à  mon  esprit,  je  proteste  cependant  que  je 
ne  suis  point  en  repos,  et  que  je  soupire  après  les  bois  et  la 
solitude  de  notre  cher  diocèse.  Je  connais  mieux  en  cette 
occasion  qu'en  toute  autre,  qu'il  vaut  mieux  être  dans  les 
lieux  que  la  grâce  nous  a  marqués  qu'en  celui  que  la  nature 
ou  nos  inclinations  pourraient  choisir;  que  l'obligation  de 
l'épiscopat  est  plus  forte  que  toutes  les  autres,  et  qu'on  n'a 

I.   Jean,  X,  12,  13. 


sous  m'^''  de  saint-valuer  135 

pas  de  droit  à  la  moisson  quand  on  sème  dans  une  terre 
étrangère. 

«  Comme  l'obligation  des  pasteurs  de  l'Eglise  est  de  tra- 
vailler à  détruire  le  péché  et  à  établir  le  royaume  de  Dieu 
dans  les  âmes,  vous  devez  sans  cesse  veiller  avec  moi  aux 
moyens  d'avancer  ce  divin  ouvrage,  en  faisant  paraître 
pour  elles  une  charité  ardente  et  infatigable  ;  car  qui  ne  voit 
pas  avec  douleur,  en  bien  des  endroits  de  notre  diocèse,  la 
licence  avec  laquelle  plusieurs  méprisent  les  commandements 
de  Dieu  et  ceux  de  son  Eglise?  Il  n'y  a  rien  de  plus  com- 
mun, en  plusieurs,  que  le  jurement  et  les  blasphèmes.  On 
voit  des  personnes  de  tout  âge,  de  tout  sexe  et  de  toute  con- 
dition ne  satisfaire  presque  jamais  au  commandement  d'en- 
tendre avec  piété  la  sainte  messe.  On  voit  des  enfants  et  des 
domestiques  qui  passent  la  plus  grande  partie  de  l'année 
sans  aucun  exercice  de  religion  :  les  pères  et  les  mères  pré- 
fèrent indignement  la  nourriture  de  quelques  bêtes  à  leur 
instruction,  à  leur  salut,  à  la  loi  de  l'Eglise  et  à  tous  les 
règlements  qu'on  peut  faire.  Mais  en  combien  d'endroits 
les  règles  de  la  tempérance  sont-elles  violées?  On  ne  voit 
qu'exercer  partout  souvent  des  débauches  honteuses  ^. 

«  \^oilà  sans  doute  de  grands  maux  que  vous  connaissez 
comme  nous  :  faites  ce  que  vous  pourrez  pour  les  guérir. 
Nous  vous  exhortons  et  nous  vous  prions  d'examiner  et  de 
voir  devant  Dieu  si  vous  vous  acquittez  de  votre  devoir  dans 
un  point  si  essentiel  à  sa  gloire,  et  d'exciter  votre  zèle  pour 
le  faire  avec  plus  de  ferveur  à  l'avenir. 

«  Souvenez-vous  que  le  sacerdoce  que  le  Fils  de  Dieu  a 


I.  Le  ministre  écrivait  un  jour  de  Paris  au  gouverneur  Denonville: 
■"  Qu'il  fasse  tout  son  possible  pour  empêcher  la  débauche  des  jeunes 
gens  du  pays,  et  se  serve  de  son  autorité  pour  châtier  ceux  qui  contre- 
viendront à  ses  ordres  ;  qu'il  tâche  surtout  de  supprimer  le  scandale  qui 
se  pratique  dans  les  débauches,  ovi  ces  jeunes  gens  se  mettent  tout  nus, 
à  la  manière  des  sauvages..."  (Corresp.  générale,  vol.  8,  Réponses  aux 
lettres,  20  mai  1686). 


136  l'église  du  canada 

laissé  à  son  Eglise  n'est  pas  un  caractère  inutile  :  il  est  de 
lui-même  agissant  et  accompagné  d'une  autorité  toute  divine 
quand  elle  est  employée  avec  prudence  et  générosité,  et  qu'il 
y  a  peu  de  maux  où  elle  n'apporte  des  remèdes  efficaces. 

«  Le  premier  moyen  que  vous  devez  mettre  en  usage  est 
le  ministère  de  la  sainte  Parole,  qui  est  toute-puissante.  Je 
ne  vous  réitère  point  ici  l'obligation  indispensable  où  vous 
êtes  de  la  dispenser  continuellement,  nous  vous  l'avons  assez 
fait  connaître  en  toute  occasion.  J'ajoute  seulement  que  la  vé- 
ritable charité  ne  se  doit  point  lasser  de  parler  incessamment 
contre  les  vices  et  les  mauvaises  coutumes  enracinées.  Joi- 
gnez à  ces  exhortations  publiques  les  avis  particuliers  pour 
ceux  qui  en  ont  besoin:  ils  produiront  sans  doute  des  fruits 
de  grâces  extraordinaires,  si  vous  les  donnez  avec  la  charité 
et  la  discrétion  convenables.  ]Mais  que  ne  pourriez-vous 
point  faire  par  l'administration  du  sacrement  de  Pénitence, 
si  vous  en  usez  en  prudents  et  fidèles  dispensateurs  !  Prenez 
garde  d'éviter  avec  soin  dans  ce  ministère  la  précipitation,  si 
préjudiciable  aux  âmes,  tous  les  accommodements  et  toutes 
les  maximes  malheureuses  qu'inspirent  la  chair  et  le  sang, . 
cette  molle  et  basse  indulgence  qui  fait  tant  de  fausses  péni- 
tences et  qui  entretient  une  infinité  de  crimes. 

«  Pratiquez,  s'il  est  possible,  cette  redoutable  fonction 
dans  l'esprit  de  Jésus  -  Christ,  et  selon  les  règles  de  son 
Eglise,  qui  sont  si  bien  marquées  dans  les  avis  de  saint 
Charles,  dont  nous  avons  si  souvent  et  si  fortement  recom- 
mandé la  lecture  dans  nos  règlements.  ]Mais  afin  que  vos 
peines  soient  tout-à-fait  utiles,  et  vos  paroles  efficaces,  ani- 
mez-les par  une  conduite  innocente  et  exemplaire  ;  soyez  des 
miroirs  de  vertu,  dans  lesquels  le  peuple  voit  clairement  ses 
imperfections  et  ses  taches.  Ce  serait  inutilement  que  vous 
parleriez  contre  les  vices  dont  vous  seriez  soupçonnés;  vos 
actions  détruiraient  vos  paroles,  et  les  pécheurs  croiraient 
en  quelque  façon  n'être  pas  blâmables,  lorsqu'ils  feraient  ce 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  137 

que  vous  faites.  Qu'il  s'exhale  de  votre  maintien,  de  vos 
regards,  de  vos  discours  et  de  toute  votre  personne  une 
odeur  de  bonne  vie  et  un  parfum  de  sainteté.  Enfin,  con- 
servez, ou  plutôt  augmentez  toujours  avec  grand  soin  cet 
esprit  intérieur  de  piété  qui  est  le  fondement  de  tout  le  bien 
que  vous  pourrez  faire;  marchez  continuellement  en  la  pré- 
sence de  Dieu,  faites  toutes  choses  au  nom  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  dans  le  mouvement  de  sa  grâce  et  de 
ses  adorables  dispositions.  Jusqu'ici  nous  avons  tout  sujet 
de  nous  louer  de  vous  et  de  bénir  la  miséricorde  de  Dieu  qui 
vous  a  donné  des  cœurs  véritablement  paternels  et  toutes 
les  qualités  nécessaires  à  de  fidèles  pasteurs.  Que  mon  ab- 
sence ne  soit  cause  d'aucun  relâchement,  et  qu'à  mon  retour, 
qui  sera  prompt,  s'il  plaît  à  Dieu,  je  vous  trouve  tels  que 
j'aie  lieu  de  me  servir  de  louange  et  de  congratulation  en 
votre  endroit,  et  de  remercier  tous  ensemble  le  souverain 
Pasteur  de  nos  âmes,  des  grâces  qu'il  aura  répandues  sur  le 
troupeau  qu'il  nous  a  confié  \  » 

Qui  n'admirerait  le  ton  paternel  de  cette  lettre,  les  sages 
recommandations  qu'elle  renferme,  si  pratiques,  si  bien  ap- 
puyées sur  la  sainte  Ecriture,  et  le  parfum  de  piété  qui  s'en 
exhale?  Nous  avons  dit  plus  haut  que  M"""  de  Saint- Vallier 
pouvait  être  appelé  le  saint  Charles  Borromée  de  notre 
Eglise  :  cette  lettre  pastorale  ne  justifie-t-elle  pas  notre 
assertion?  Avec  quelle  vénération  ne  dut-elle  pas  être  reçue 
au  Canada!  Celui  qui  l'avait  écrite,  l'avait  fait  vraiment 
tanqiiam  auctoritatcni  hahens,  non  seulement  comme  évêque, 
mais  comme  homme  vertueux  dans  le  sens  le  plus  exact  du 
mot  et  pratiquant  ce  qu'il  enseignait  aux  autres.  Cet  homme 


I.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  351.  —  Cette  lettre,  datée  de 
Paris  1696,  est  contresignée  par  Foucaulth,  ce  qui  fait  croire  que  le  curé 
de  Batiscan,  dont  le  nom  est  mentionné  dans  l'affaire  de  Desjordy, 
avait  accompagné  l'Evêque  dans  son  voyage  en  France.  M.  Foucault 
était  du  diocèse  de  Paris  et  avait  été  ordonné  à  Québec  en  1689.  Il 
avait  été  le  premier  secrétaire  de  Mgr  de  Saint-Vallier. 


138  l'église  du  canada 

si  saint,  si  vraiment  pasteur  et  évêque,  ne  pouvait-on  facile- 
ment lui  pardonner,  en  vue  de  ses  éminentes  qualités,  cer- 
taines «  aigreurs  »,  certaines  impétuosités  ou  emportements 
de  caractère?  C'est  ce  qui  avait  frappé  Pontchartrain,  lors- 
qu'il avait  été  lui  intimer  de  la  part  du  Roi  l'ordre  de  rester 
en  France,  et  ce  qu'il  avait  même  insinué  au  Roi,  à  son 
retour,  comme  nous  l'avons  vu.  Pourquoi  donc  le  retenir  à 
Paris,  loin  de  son  troupeau?  Parce  qu'à  l'exemple  de  saint 
Jean  Baptiste,  son  patron,  il  n'avait  pas  craint  de  dire  à  son 
ami  Frontenac  le  Non  licet  de  l'Evangile?  Parce  qu'il  l'avait 
également  dit  au  gouverneur  de  Montréal,  M.  de  Callières, 
et  avec  d'autant  plus  d'autorité  qu'il  avait  fait  son  éloge 
quelques  années  auparavant  ?  Parce  qu'il  avait  fait  la 
guerre  à  des  hommes  scandaleux  comme  Mareuil,  Desjordy 
et  autres?  Parce  que,  prenant  la  part  des  pauvres  soldats,  il 
défendait  aux  officiers  de  retenir  leur  maigre  pitance,  quand 
ces  pauvres  soldats  avaient  la  chance  de  gagner  quelque 
chose  en  plus  chez  les  habitants  où  ils  s'engageaient  ? 

Il  est  regrettable  que  l'on  n'ait  pas  les  diverses  décisions 
■de  la  cour  sur  toutes  les  difficultés  qui  lui  furent  soumises  à 
cette  époque  par  l'évêque,  le  gouverneur,  l'intendant,  le 
Conseil.  Ce  qui  paraît  certain,  c'est  que,  comme  il  arrive 
presque  toujours  dans  les  règlements  donnés  au  delà  des 
mers,  il  y  eut  des  paroles  de  blâme  et  d'encouragement  pour 
tout  le  monde.  Frontenac  eut  certainement  son  mot  de 
blâme,  comme  on  le  voit  par  les  répliques  qu'il  adressa  au 
ministre.  Mais  il  en  prit  d'autant  plus  bravement  son  parti 
qu'il  n'avait  jamais  été  gâté  de  compliments  par  la  cour;  et 
les  remarques  qu'on  lui  fit  en  cette  occasion  ne  le  rendirent 
pas  plus  tendre  pour  le  clergé.  On  lui  reprocha,  surtout,  ce 
marché  quasi  honteux,  par  lequel,  moyennant  finance,  il 
avait  renoncé  à  faire  jouer  le  Tartufe  à  Québec.  N'oublions 
pas  que  cette  pièce,  jugée  encore  aujourd'hui  très  sévère- 
ment par  les  esprits  sages  et  réfléchis,  l'était  encore  bien  plus 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  139 

à  l'époque  où  l'on  se  rappelait  fort  bien  dans  quelles  circons- 
tances elle  avait  été  composée  par  Molière,  à  savoir  pour 
flatter  le  Roi  et  l'encourager  dans  les  liaisons  coupables  où  il 
était  engagé  et  contre  lesquelles  ne  cessaient  de  protester  le 
clergé  et  la  conscience  publique.  C'est  cette  comédie  que 
Frontenac,  pour  faire  pièce  au  clergé,  voulait  faire  jouer  à 
Québec,  et  dont  M^*"  de  Saint-Vallier  réussit  à  empêcher  la 
représentation  en  lui  donnant  son  billet  pour  cent  pistoles. 
Champigny  ne  pouvait  croire  qu'il  garderait  cet  argent  :  «  Je 
croyais,  dit-il,  qu'il  ne  tarderait  pas  à  lui  faire  l'honnêteté  de 
lui  renvoyer  ces  cent  pistoles.  .  .  Mais  la  suite  me  fît  voir  des 
choses  tout  opposées.  .  .  »  C'est-à-dire  qu'il  les  garda  bel  et 
bien  :  ce  dont  il  fut  très  blâmé  par  la  cour  : 

«  A  l'égard  des  cent  pistoles  que  M.  l'Evêque  m'a  don- 
nées, écrit-il,  c'est  une  chose  si  risible,  que  je  n'ai  jamais  cru 
qu'on  la  pût  tourner  à  mon  désavantage,  mais  qu'elle  donne- 
rait matière  de  se  réjouir  à  ceux  qui  en  entendraient  parler. 

«  Si  M.  l'Evêque  avait  voulu  me  croire,  ajoute-t-il,  et 
suivre  les  conseils  que  l'amitié  qu'il  me  témoignait  alors 
me  donnait  souvent  la  liberté  de  lui  donner  sur  toutes  les 
choses  que  lui  ou  ses  ecclésiastiques  entreprenaient  tous  les 
jours,  et  à  la  continuation  desquelles  je  lui  représentais  qu'il 
était  impossible  qu'à  la  fin  on  ne  s'opposât,  il  n'aurait  pas 
fait  tant  de  fausses  démarches.  Mais  vous  devez  le  con- 
naître assez  pour  savoir  qu'il  ne  suit  pas  toujours  ce  que  ses 
amis  lui  conseillent.  .  .  » 

C'est-à-dire  que  le  Prélat  n'était  pas  de  ceux  qui  se  laissent 
guider  par  l'amitié  ou  le  respect  humain  ;  il  agissait  par  con- 
viction et  par  devoir  :  c'est  ce  que  n'avaient  pas  prévu  quel- 
ques-uns de  ceux  qui  avaient  contribué  à  sa  nomination 
comme  évêque  de  Québec  ;  et  Frontenac  était,  à  n'en  pas  dou- 
ter, un  de  ceux  qui  avaient  été  déçus  lors  de  la  journée  des 
dupes. 


CHAPITRE   XI 


TROISIÈME  VOYAGE  DE  l'ÉVÊQUE  EN  FRANCE   (suite) 
SON   RETOUR  AU   CANADA 

Règlement  de  l'affaire  des  Récollets.  —  Rapprochement  avec  le  Sémi- 
naire de  Québec.  —  Pèlerinage  à  Annecy.  —  Reliques  de  saint  Fran- 
çois de  Sales  envoyées  au  Séminaire.  —  Le  Roi  permet  à  l'Evêque 
de  retourner  dans  son  diocèse.  —  Maladie  de  l'Evéqne  pendant  la 
traversée  :  il  est  sauvé  par  le  docteur  Sarrazin. 

DANS  ses  répliques  à  la  cour,  Frontenac  ne  manqua  pas 
de  dire  un  mot  des  Récollets  du  Canada,  dont  il  était 
le  syndic  apostolique  : 

«  Si  la  cour,  dit-il,  ne  donne  quelque  ordre  à  l'affaire  des 
Récollets,  il  arrivera  d'étranges  scandales,  les  prêtres  du 
séminaire  de  Montréal  ayant  fait  sur  cela  des  extravagances 
sans  fin  et  sans  nombre,  qui  se  sont  même  étendues  jusque 
sur  moi  \  Mais  je  les  ai  souffertes  patiemment,  et  je  me 
contenterai  de  m'en  plaindre  honnêtement  à  M.  Tronson, 
qui  veut  que  je  le  croie  mon  ami,  et  de  longue  main,  ayant 
été  condisciples  au  collège  pendant  plusieurs  années  ^.  .  .  » 

La  cour  n'eut  pas  besoin  d'intervenir  pour  le  règlement 
de  l'affaire  de  l'interdiction  de  la  personne  et  de  l'église  des 
Récollets  de  Montréal  :  tout  s'arrangea  à  l'amiable  ;  et  ce 


1.  Probablement  parce  que  lui,  aussi  bien  que  M.  de  Callières, 
n'avaient  pas  tenu  compte  de  l'interdiction  de  l'église  des  Récollets,  et 
avaient  continué  de  la  fréquenter  comme  auparavant. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  13,  Frontenac  au  ministre,  2  nov.  1695. 


sous    M"""    DE    SAINT-VALLIER  141' 

fut  une  des  premières  choses  dont  s'occupa  M^""  de  Saint- 
Vallier,  à  son  arrivée  à  Paris.  Au  printemps  de  1695,  le 
Père  provincial  de  la  province  Saint-Denis  lui  adressa  la 
requête  suivante  : 

«  Monseigneur,  Frère  Potentien  Ozon,  provincial  des 
Récollets  de  la  province  Saint-Denis,  en  France,  dont  ceux 
de  la  Nouvelle-France  font  partie,  et,  comme  ayant  charge 
des  Pères  du  Définltoire  de  la  dite  province,  remontre  très 
respectueusement  à  Votre  Grandeur  qu'il  a  appris  avec  dou- 
leur le  mécontentement  et  les  sujets  de  plaintes  qu'Elle  avait 
reçus  dans  notre  église  des  Récollets  de  Villemarie,  ce  qui 
l'avait  engagée  d'user  de  son  autorité  ordinaire  et  d'inter- 
dire leur  chapelle  ou  église  :  lequel  interdit  les  religieux 
auraient  gardé  fort  exactement  durant  deux  mois;  au  bout 
desquels  les  dits  religieux,  craignant  les  murmures  du  peuple 
de  ce  qu'ils  ne  pouvaient  plus  les  assister  comme  auparavant, 
persuadés  d'ailleurs  que  A'^otre  Grandeur  était  satisfaite  de 
leur  soumission  pendant  deux  mois,  se  crurent  obligés,  par 
une  complaisance  trop  précipitée,  d'ouvrir  leur  église  et  d'y 
faire  l'office  publiquement  :  ce  qui  a  donné  lieu,  monseigneur, 
à  Votre  Grandeur  de  croire  que  les  dits  religieux  avaient 
voulu  mépriser  l'interdit  par  Elle  prononcé  et  de  rendre  d<^ 
nouvelles  ordonnances  contre  les  dits  religieux,  même  de 
les  suspendre  de  leurs  fonctions.  Et  comme  en  tout  cela, 
monseigneur,  on  ne  peut  imputer  aux  dits  religieux  que  leur 
précipitation  de  n'avoir  pas  déféré  avec  la  soumission  respec- 
tueuse qu'ils  devaient  à  vos  ordonnances,  et  que  dans  le  fond 
ils  n'ont  jamais  eu  l'intention  de  blesser  son  autorité,  ni  de 
manquer  au  respect  qu'ils  lui  devaient,  le  suppliant  se  trouve 
obligé  de  recourir  à  la  bonté  et  à  l'indulgence  de  Votre  Gran- 
deur pour  l'exciter  à  pardonner  aux  dits  religieux  et  à  lever 
l'interdit  tant  local  que  personnel  ;  se  soumettant  à  faire  telle 
satisfaction  qu'il  lui  plaira  ordonner,  sans  préjudice  de 
notre  Ordre. 


142  L  EGLISE    DU    CANADA 

«  Ce  considéré,  monseigneur,  il  plaira  à  Votre  Grandeur 
pardonner  aux  dits  religieux,  lever  l'interdit  tant  local  que 
personnel,  après  avoir  fait  la  satisfaction  qu'il  vous  plaira 
ordonner  être  faite,  et  en  conséquence  leur  permettre  de  faire 
à  l'avenir  leurs  fonctions  publiques  et  les  services  divins 
dans  la  dite  église  de  Villemarie,  où  ils  sont  établis.  Ils  con- 
tinueront leurs  prières  et  sacrifices  pour  la  conservation  de 
Votre  Grandeur.  » 

Entre  gens  qui  sont  censés  ne  vouloir  que  le  bien,  le  salut 
des  âmes,  la  gloire  de  Dieu,  il  doit  toujours  y  avoir  moyen 
de  s'entendre,  de  s'expliquer,  de  se  pardonner.  Comment 
résister  d'ailleurs  à  de  bons  religieux  qui  avouent  tout  sim- 
plement leur  faute,  faute  non  de  malice,  mais  d'irréflexion  et 
de  précipitation?  M^""  de  Saint-Vallier  ne  se  fit  pas  prier 
pour  obtempérer  de  suite  à  l'humble  demande  du  Frère 
Ozon,  ayant  soin  cependant  d'y  engager  directement  les  reli- 
gieux mêmes  de  Montréal,  afin  qu'ils  ne  pussent  prétendre 
que  la  demande  du  Frère  Ozon  avait  été  faite  sans  leur  par- 
ticipation : 

«  Vu  la  présente  requête  à  nous  présentée,  dit-il,  par  le 
Père  provincial  des  Récollets  de  la  province  de  Paris,  et 
•voulant  user  d'indulgence  envers  les  dits  religieux  Récol- 
lets, nous  ordonnons  qu'en  faisant  et  réitérant  par  le  gar- 
dien et  les  religieux  Récollets  de  Villemarie  les  déclarationjs 
contenues  en  la  présente  requête  présentée  par  le  dit  Père 
provincial,  par  devant  notre  grand  vicaire  établi  sur  les 
lieux;  et  après  qu'ils  auront  tenu  fermée  leur  église  pendant 
trois  jours,  pour  satisfaction  de  n'avoir  pas  obéi  à  nos 
ordres;  et  après  qu'il  en  sera  apparu  à  notre  grand  vicaire, 
nous  lui  donnons  pouvoir  et  ordre  de  lever  les  dits  interdits 
tant  local  que  personnel,  de  décharger  les  religieux  de  tout 
ce  qu'ils  ont  encouru  pour  raison  de  ce,  et  de  les  rétablir 
dans  le  plein  et  entier  exercice  de  toutes  les  fonctions  qu'ils 
exerçaient  auparavant  dans  la  dite  église  de  Villemarie. 


sous    M^*"    DE    SAINT-VALLIER  X43 

«  En  foi  de  quoi  nous  avons  signé,  fait  contresigner  par 
notre  secrétaire  et  sceller  du  sceau  de  nos  armes. 

«  Fait  à  Paris  ce  15  juillet  1695.  » 

On  voit  comme  M^""  de  Saint-Vallier,  tout  en  se  montrant 
plein  de  condescendance  pour  les  Pères  récollets,  qu'il  avait 
toujours  aimés,  et  qui  lui  rendaient  d'ailleurs  tant  de  ser- 
vices dans  son  diocèse,  n'oubliait  rien  cependant  de  ce  qu'il 
devait  à  son  autorité  et  à  la  dignité  de  sa  charge  pastorale. 

Le  provincial  des  Récollets  s'empressa  de  faire  sa  sou- 
mission au  pieux  Prélat  qui  avait  accueilli  sa  requête  avec 
tant  de  bienveillance  : 

«  Nous,  Frère  Potentien  Ozon,  provincial  susdit  avec  ses 
dites  qualités,  après  avoir  vu  l'ordonnance  de  M^  l'évêque 
de  Québec,  y  acquiesçons  et  promettons  de  la  faire  exécuter 
par  le  gardien  et  les  religieux  de  Villemarie  suivant  sa 
forme  et  teneur.     Fait  à  Paris  le  15  juillet  1695  \  » 

Les  Récollets  de  Montréal  ne  manquèrent  pas  de  donner 
à  M^'  de  Saint-Vallier  la  légère  satisfaction  qu'il  leur  avait 
demandée.  Son  grand  vicaire,  M.  Dollier  de  Casson,  leva 
l'interdit,  et  tout  rentra  dans  l'ordre. 

Quant  aux  difficultés  qui  existaient  entre  l'Evêque  et  son 
Séminaire  de  Québec,  elles  avaient  été  réglées  en  principe 
par  les  articles  de  1692  :  il  ne  s'agissait  que  de  bien  observer 
de  part  et  d'autre  les  règlements,  en  y  mettant  chacun  de  la 
bonne  volonté.  L'Evêque  avait  obtenu  tout  ce  qu'il  voulait  ; 
il  s'était  affranchi  du  contrôle  du  Séminaire  pour  la  nomi- 
nation aux  cures,  l'établissement  des  paroisses,  la  distribu- 
tion des  suppléments  en  argent  accordés  par  le  Roi.  Seule- 
ment, dans  cette  distribution,  il  ne  fallait  pas  laisser  de  côté 
le  Séminaire  lui-même  et  ses  missionnaires;  il  fallait  respec- 
ter les  droits  acquis  ;  et  ces  vétérans  du  sanctuaire,  les  de  Ber- 
nières,  les  de  Maizerets,  les  Glandelet,  qui  avaient  bien  mé- 

I.    Cité  dans  Les  Jésuites  et  la  NottveUe-France,  t.  III,  p.  639. 


144  L  EGLISE    DU    CANADA 

rite  de  l'Eglise  du  Canada,  ne  demandaient-ils  pas  d'être 
traités  avec  certains  égards? 

Nous  avons  vu  que  dans  sa  lettre  adressée  de  Paris  au 
clergé  canadien,  M^""  de  Saint- Vallier  disait  :  «  Nous  avons 
tout  sujet  de  nous  louer  de  vous,  et  de  bénir  la  miséricorde 
de  Dieu  qui  vous  a  donné  toutes  les  qualités  nécessaires  à  de 
fidèles  pasteurs.  »  Mais  qui  avait  formé  la  plupart  de  ces 
pasteurs,  de  ces  prêtres,  de  ces  missionnaires,  dont  il  était  si 
heureux  et  si  content  ?  sinon  le  Séminaire  de  M^*"  de  Laval. 
Et  quels  prêtres  que  ces  premiers  élèves  du  Séminaire  de 
Québec  !  Les  Philippe  Boucher,  les  Francheville,  les  Gagnon, 
les  Saint-Claude,  les  Soumande,  les  Pinguet,  les  Vachon, 
les  Buisson  de  Saint-Cosme,  et  tant  d'autres,  la  gloire  et 
l'honneur  de  la  Nouvelle-France,  qui  leur  avait  donné  le 
jour  ! 

Chacun  de  ces  prêtres  mériterait  une  biographie  :  Philippe 
Boucher,  par  exemple,  le  digne  fils  de  Pierre  Boucher,  l'an- 
cien gouverneur  des  Trois-Rivières,  l'admirable  curé  de 
Saint- Joseph  de  Lévis,  dont  il  est  dit  dans  les  registres  de  sa 
paroisse  :  «  Son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des 
âmes,  celles  de  ses  paroissiens,  surtout,  mettra  sa  mémoire 
en  bénédiction  auprès  de  tous  ceux  qui  en  auront  la  connais- 
sance :  »  prêtre  non  moins  instruit  que  pieux,  qui  avait  une 
bibliothèque  de  plus  de  cinq  cents  volumes,  chose  énorme 
pour  son  temps  !  Francheville,  le  héros  de  la  Rivière-Ouelle, 
qui,  joignant  au  meilleur  esprit  ecclésiastique  un  patrio- 
tisme admirable,  et  apercevant  les  Anglais  qui  descendent, 
en  1690,  sur  les  rivages  de  sa  paroisse,  appelle  aux  armes  ses 
paroissiens,  les  conduit  lui-même  au  feu,  et  fait  décamper 
les  envahisseurs  ! 

Voilà  les  prêtres  auxquels  s'adressait  M^  de  Saint-Vallier, 
et  dont  il  disait  avec  tant  de  raison  :  «  Nous  avons  tout  sujet 
de  nous  louer  de  vous.  .  .  »  Mais  ces  prêtres  étaient  attachés 
au  Séminaire,  auquel  ils  devaient  tout.   L'Evêque  avait  donc 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  145 

tout  intérêt  à  se  rapprocher  du  Séminaire;  il  ne  pouvait  se 
dispenser  de  le  faire,  maintenant  surtout  qu'il  n'avait  plus 
rien  à  craindre  de  sa  part,  et  qu'il  était  devenu  absolument 
maître  de  gouverner  son  diocèse  à  sa  manière.  Cette  fois, 
il  comprit  de  suite  que  c'était  là  surtout  ce  que  le  Roi  atten- 
dait de  lui,  et  que  son  éloignement  du  Séminaire  était  la 
principale  raison  pour  laquelle  on  le  retenait  en  France.  Il 
se  résolut  donc  de  se  rapprocher  peu  à  peu  des  Missions- 
Etrangères  :  cela  ne  pouvait  se  faire  en  un  jour,  mais  cela  se 
fît  graduellement.  Nous  l'avons  déjà  vu  écrire  à  M.  Glan- 
delet  comme  à  un  ami,  après  l'avoir  laissé  pendant  plusieurs 
mois  sous  le  coup  de  l'interdiction.  Il  ne  partira  pas  de 
Paris  avant  d'avoir  fait  complètement  sa  paix  avec  M.  de 
Brisacier,  le  supérieur  des  Missions-Etrangères,  avec  M. 
Tremblay,  le  représentant  du  Séminaire  de  Québec,  en 
France. 

Qui  avait  opéré  cet  heureux  rapprochement  ?  Tous  les 
amis  de  la  paix  religieuse  en  Canada,  sans  doute  ;  mais  nous 
croyons  pouvoir  affirmer  que  Saint-Sulpice,  et  tout  particu- 
lièrement son  digne  supérieur,  M.  Tronson,  y  fut  pour  la 
plus  grande  part.  M^""  de  Saint- Vallier  était  très  lié  à  Saint- 
Sulpice;  les  Sulpiciens  avaient  toujours  été  en  bons  termes 
avec  les  Missions-Etrangères  :  animés  d'ailleurs  de  l'excel- 
lent esprit  qu'on  leur  connaît,  ils  ne  pouvaient  que  désirer 
de  tout  cœur  que  l'union  la  plus  parfaite  existât  entre  tous 
les  ouvriers  de  la  vigne  du  Seigneur  dans  la  Nouvelle- 
France. 

En  attendant  qu'il  ait  fait  sa  paix  complète  avec  son  Sé- 
minaire, M^""  de  Saint- Vallier  travaille,  comme  nous  l'avons 
vu,  à  son  Catéchisme  et  à  son  Rituel;  il  donne  des  missions 
dans  ses  abbayes  de  Bénévent  et  de  Maubec  ;  puis  va  revoir 
son  pays  natal,  Grenoble,  sans  oublier  Annecy,  où  il  aime 
à  aller  prier  en  présence  des  reliques  du  modèle  des  pasteurs, 
saint  François  de   Sales.      Il  était  à  Annecy  le   27  août 


146  l'église  du  canada 

1696  \  II  est  probable  que  c'est  dans  ce  pèlerinage  qu'il  prit 
la  résolution  de  donner  ce  grand  saint  comme  second  patron  ^ 
à  son  Séminaire  de  Québec,  ce  qu'il  fit  le  24  février  1698. 

C'est  précisément  en  1696,  l'année  de  ce  pèlerinage  de  M^ 
de  Saint- Vallier  au  tombeau  de  saint  François  de  Sales,  que 
M.  Tremblay  envoya  à  M.  Glandelet  les  belles  reliques  du 
saint  évêque  de  Genève,  qui  sont  exposées,  chaque  année,  à 
sa  fête,  au  Séminaire  : 

«  Je  vous  envoie,  lui  é'Crivait-il,  des  reliques  de  saint  Fran- 
çois de  Sales,  dont  un  de  nos  messieurs,  qui  est  près  d'An- 
necy, m'a  fait  présent.  Il  les  a  obtenues  des  religieuses  de  la 
Visitation,  et  les  a  demandées  pour  le  séminaire  de  Québec. 

«  Elles  sont  authentiques  ;  et  ce  qui  doit  les  rendre  encore 
plus  estimables,  c'est  que  l'évéque  de  Genève,  qui  a  signé  cet 
authentique,  M^""  d' Aranthon,  est  regardé  comme  un  saint  ;  et 
l'on  a  pour  lui,  depuis  sa  mort,  arrivée  l'automne  dernier, 
une  estime  bien  extraordinaire  3.  .  .  » 

Cependant  les  mois  s'écoulaient;  il  y  avait  déjà  plus  de 
deux  ans  que  l'évéque  de  Québec  avait  quitté  son  diocèse; 
on  était  rendu  au  commencement  de  1697,  et  il  n'était  pas 
question  de  son  retour  au  Canada.  Vers  la  mi-janvier,  il 
présenta  à  Sa  Majesté  un  mémoire  rempli  de  promesses  de 
paix  et  de  conciliation,  et  exprimant  le  désir  de  rentrer  dans 
son  diocèse  ;  puis  il  attendit. 

De  son  côté,  le  Roi,  qui  était  entré  déjà  depuis  longtemps 
dans  la  plus  belle  période  de  sa  vie,  au  point  de  vue  reli- 
gieux, n'était  pas  sans  inquiétude  sur  le  droit  qu'il  s'était 
arrogé  de  retenir  un  évêque  loin  de  ses  ouailles.  Vers  la 
mi-carême,  il  fit  donc  venir  auprès  de  lui  ses  deux  conseil- 
lers ordinaires  en  matières  ecclésiastiques,   Bossuet   et   le 


1.  M.  Verreau,  Rapport  sur  les  archives  du  Canada,  1874,  p.  215. 

2.  Le  premier  titulaire  du  séminaire  de  Québec  est  la  sainte  Famille. 

3.  Lettre  du  16  avril  1696,  citée  dans  VAbeille,  vol.  I,  No.  18. 


sous    M^*^    DE    SAINT-VALUER  147 

cardinal  de  Noailles,  archevêque  de  Paris,  et  les  consulta 
sur  cette  affaire  qui  inquiétait  sa  conscience.  Les  deux  pré- 
lats répondirent  qu'on  pouvait  bien  essayer  d'obtenir  d'un 
évêque  qu'il  se  déniît  volontairement,  mais  que  s'il  refusait 
on  ne  pouvait  rempccher  d'aller  résider  dans  son  diocèse, 
suivant  les  canons. 

Le  Roi  fit  donc  mander  M"""  de  Saint-Vallier,  lui  parla 
avec  son  affabilité  ordinaire,  et  lui  demanda,  comme  une 
faveur,  sa  démission,  pour  le  bien  de  l'Eglise  du  Canada. 
Pour  toute  réponse,  le  Prélat  se  contenta  de  faire  mille 
protestations  de  respect,  de  reconnaissance  et  d'attachement 
à  la  personne  de  Sa  Majesté: 

—  «  Mais,  lui  dit  le  Roi,  vous  ne  répondez  pas  à  ce  que 
je  vous  demande. 

—  «  Sire,  répliqua  l'Evêque,  il  y  a  des  choses  sur  les- 
quelles il  est  plus  respectueux  de  ne  pas  répondre  à  Votre 
Majesté. 

—  «  Alors,  lui  dit  le  Roi,  prenant  un  ton  de  maître,  puis- 
qu'il en  est  ainsi,  vous  retournerez  dans  votre  diocèse.  Mais 
voyez  à  y  rétablir  entièrement  la  paix;  parce  que  si  j'entends 
encore  parler  de  vous,  je  saurai  bien  vous  rappeler,  pour  ne 
plus,  cette  fois,  vous  y  laisser  retourner  \  » 

Libre,  enfin,  de  partir  pour  son  diocèse,  M^  de  Saint- 
"Vallier  se  hâta  de  faire  ses  préparatifs  de  voyage,  dit  encore 
une  fois  adieu  à  son  pays  natal,  et  s'embarqua  à  La  Rochelle 
vers  la  fin  de  mai  "  sur  la  Gironde,  qui  faisait  partie  de 
l'escadre  commandée  par  M.  de  Nesmond  : 

«  La  traversée  fut  longue  et  pénible,  et,  pour  comble 
de  détresse,  les  fièvres  malignes  se  déclarèrent  sur  presque 
tous  les  vaisseaux  ^.     Elles  sévirent  avec  plus  de  force  sur 

1.  Histoire  manuscrite  du  Séminaire  de  Québec,  par  Mgr  Tasche- 
reau,  que  nous  avons  cru  devoir  citer  textuellement. 

2.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  I,  p.  372. 

3.  L'escadre  de  M.  de  Nesmond  se  composait  de  treize  vaisseaux 
(Ibid.). 


148  l'église  du  canada 

la  Gironde,  et  l'évêque  de  Québec  en  fut  gravement  atteint. 
Par  bonheur,  Thabile  médecin  Michel  Sarrazin  ^  se  trouvait 
sur  l'escadre.  Il  se  dévoua  au  service  des  malades  avec 
une  charité  et  une  assiduité  dignes  de  tout  éloge.  Il  en- 
toura de  soins  encore  plus  particuliers  le  vénérable  Prélat, 
qui,  grâce  à  ces  secours  opportuns,  fut  arraché  à  une  mort 
imminente.  Des  quinze  ecclésiastiques  que  M^""  de  Saint- 
Vallier  emmenait  avec  lui  au  Canada,  il  y  en  eut  cinq  qui 
succombèrent  à  la  contagion.  Un  grand  nombre  d'autres 
passagers  et  plusieurs  hommes  de  l'équipage  en  furent  aussi 
les  victimes.  Tous  ceux  qui  échappèrent  au  péril,  recon- 
nurent devoir  leur  guérison  aux  soins  intelligents  du  docteur 
Sarrazin.  Ce  dernier  pensa  mourir  lui-même  d'épuise- 
ment, d'abord,  puis  de  la  maladie,  dont  il  fut  atteint  vers  la 
fin  du  voyage.  Il  n'était  encore  que  convalescent  quand  il 
arriva  à  Québec  ;  il  commença,  néanmoins,  avec  un  zèle  tout 
nouveau,  à  prodiguer  les  secours  de  son  art  à  tous  ceux  qui 
en  avaient  besoin  ^.  » 


1.  Sur  le  docteur  Sarrazin,  voir  notre  Québec  en  1730,  p.  60.  —  "Le 
sieur  Sarrazin  était,  il  y  a  quatre  ans,  chirurgien-major  des  troupes. 
S'étant  retiré  un  an  auparavant  dans  un  séminaire  d'ici,  dans  le  des- 
sein de  se  faire  prêtre,  et  nous  ayant  témoigné  qu'il  voulait  quitter  son 
emploi,  nous  fûmes  obligé  de  mander  qu'on  nous  en  envoyât  un  autre. . . 
J'ai  appris,  depuis,  que  le  dit  sieur  Sarrazin,  ayant  changé  de  dessein, 
s'était  appliqué  à  Paris  à  l'étude  de  la  médecine,  oii  l'on  dit  qu'il  a  bien 
réussi  :  ce  qui  ne  peut  être  que  très  utile  en  ce  pays.  Ainsi,  il  sera  de 
votre  bonté  de  voir  à  lui  donner  les  moyens  de  subsister.  (Corresp. 
générale,  vol.  15,  Frontenac  au  ministre,  15  oct.  1697). 

"  Les  sollicitations  de  M.  l'évê'que  de  Québec  ont  ramené  ici  cette 
année  le  sieur  Sarrazin.  Il  a  rendu  dans  la  traversée  de  très  grands 
services  dans  la  Gironde,  oîi  il  y  a  eu  quantité  de  malades,  du  pourpre, 
et  particulièrement  à  M.  l'évêque  de  Québec,  qui  l'a  été  dangereu- 
sement, et  qu'il  a  tiré  d'affaire..."  (Ibid.,  Champigny  au  ministre,  26 
août  1697). 

2.  Mgr  de  S aint-V allier  et  l' H ôp. -Général  de  Québec,  p.  124. 


CHAPITRE    XII 


l'église  du  canada,  de  1697  À  1700 

Mgr  de  Saint-Vallier  prend  possession  de  son  nouvel  évêché.  —  A  l'Hô- 
pital-Général.  —  Le  clergé  et  les  communautés  religieuses  du  dio- 
cèse.—  Incendie  de  l'Hôtel-Dieu  de  Montréal. —  Exploits  de  D'Iber- 
ville  et  de  Frontenac.  —  Paix  de  Ryswick  ;  Te  Deutn.  —  Mort  de 
Frontenac. 

MGR  de  Saint-Vallier  rentra  dans  son  diocèse  vers  la 
mi-août  (1697)  ^,  après  une  absence  de  près  de  trois 
ans.  Cette  absence,  plus  longue  qu'il  ne  l'avait  désiré,  lui 
avait  été  d'autant  plus  sensible,  qu'il  avait  laissé,  en  quittant 
Québec,  deux  oeuvres  inachevées,  ou  plutôt  à  peine  commen- 
cées, son  évêché  et  son  Hôpital-Général.  Son  évêché,  il  en 
avait  posé  lui-même  la  pierre  angulaire  au  printemps  de 
1694;  et  il  était  parti  dans  l'automne.  Quelle  dut  être  sa 
joie,  lorsque  doublant  la  pointe  de  l'Ile  d'Orléans,  il  aperçut 
le  magnifique  bâtiment  qui  couronnait  le  promontoire  de 
Québec  ",  lorsque,  surtout,  descendu  à  terre,  et  montant  la 
côte  de  la  Basse- Ville,  il  put  se  rendre  compte  des  belles 
proportions,  de  la  solidité  et  de  l'élégance  de  cet  édifice.  Le 
corps  principal  de  l'évêché,  ainsi  que  la  chapelle,  était  ter- 
miné :  dans  l'automne,  on  ajouta  une  aile  à  cet  édifice  ^  ;  et 

1.  Certainement  avant  le  26  août,  puisque  nous  avons  une  lettre  de 
cette  date,  de  M.  de  Champigny,  oîi  il  est  question  de  son  retour. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  55,  la  description  que  nous  en  avons  donnée, 
d'après  La  Potherie. 

3.  C'est  alors  seulement  que  fut  démolie  l'ancienne  maison.   (Têtu, 
Le  Palais  Episcopal  de  Québec,  p.  22-) 


150  LEGUSE    DU    CANADA 

c'est  tout  ce  qui  fut  jamais  exécuté  du  plan,  beaucoup  plus 
considérable,  qui  avait  été  projeté  ^ 

Après  avoir  récité  dans  sa  cathédrale  les  prières  de  l'iti- 
néraire, avec  les  dix  ecclésiastiques  qui  lui  restaient  des 
quinze  qui  s'étaient  embarqués  avec  lui,  le  pieux  Prélat  prit 
possession  de  sa  nouvelle  demeure,  qu'habitait  déjà  son 
grand  vicaire,  M.  de  Montigny,  jeune  homme  de  vingt-huit 
ans,  ecclésiastique  sage  et  vertueux,  qui,  en  son  absence,  avait 
administré  le  diocèse  à  la  satisfaction  de  tout  le  monde;  M. 
Dollier  de  Casson,  supérieur  de  Saint-Sulpice,  avait  été 
chargé  du  district  de  Montréal. 

Parmi  les  ecclésiastiques  qui  arrivaient  à  Québec  avec 
M^""  de  Saint- Vallier,  il  y  avait  M.  Geoffroy,  curé  de  Laprai- 
rie,  l'ancien  missionnaire  de  l'Acadie,  dont  nous  avons  déjà 
parlé.  Il  était  passé  en  France  pour  refaire  un  peu  sa  santé, 
et  allait  se  mettre  bientôt  aux  nouvelles  fonctions  auxquelles 
l'Evêque  le  destinait.  Il  y  avait  aussi  un  jeune  abbé  qui 
n'était  encore  que  sous-diacre,  et  que  M^  de  Saint- Vallier 
avait  amené  avec  lui  de  Grenoble,  lors  de  son  voyage  à  son 
pays  natal  :  il  s'appelait  Daniel-Guillaume  Serré  de  la  Co- 
lombière.  Ce  jeune  abbé  devait  d'abord  lui  servir  de  secré- 
taire, puis,  devenu  prêtre,  lui  rendre  de  grands  services 
comme  chapelain  et  confesseur  de  l'Hôpital-Général. 

L'Hôpital-Général  !  qui  ne  pense  immédiatement  à  M^  de 
Saint- Vallier,  lorsque  l'on  prononce  le  nom  de  cette  maison, 
l'œuvre  de  son  cœur,  la  source  de  ses  joies  les  plus  pures, 
comme  l'occasion  de  quelques-uns  de  ses  plus  grands  cha- 
grins? Quelle  hâte  il  avait  sans  doute  de  revoir  cette  institu- 
tion qu'il  avait  été  obligé  de  laisser  seule  à  ses  débuts  !  Du- 
rant son  séjour  en  France,  il  avait  assuré  à  ses  religieuses  et 
à  ses  pauvres  un  revenu  sur  l'Hôtel-de- Ville  de  Paris;  et  il 

I.  D'après  l'abbé  Casgrain,  il  voulait  fonder  un  séminaire,  à  côté  de 
l'autre,  à  la  tête  duquel  il  aurait  mis  l'abbé  Trouvé.  {Les  Sulpiciens 
en  Acadie,  p.  ico). 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  I5I 

lui  apportait  des  dons  généreux.  Laissons  ici  l'annaliste  de 
la  communauté  nous  raconter  en  quelques  mots  la  visite  du 
saint  Prélat  : 

«<  Quel  beau  jour  pour  nos  Mères,  dit-elle,  que  celui  où  il 
leur  fut  donné  de  revoir  leur  vénérable  fondateur!  Ce  jour- 
là,  l'église  était  parée  comme  aux  plus  belles  fêtes,  et  Sa 
Grandeur,  en  y  entrant,  ne  put  dissimuler  sa  surprise  et  sa 
joie  de  voir  comme  tout  avait  changé  de  face.  Il  en  fut  de 
même  dans  les  autres  parties  de  la  maison.  Monseigneur  en 
témoigna  à  ses  filles  non  seulement  de  la  satisfaction,  mais 
même  de  la  reconnaissance,  et  il  leur  donna  aussitôt  de  nou- 
velles marques  de  son  affection  paternelle  en  leur  faisant  don 
de  quelques  ornements  d'église,  de  deux  burettes,  et  d'un 
calice  d'argent  ciselé.  Il  leur  confia  en  outre  une  certaine 
quantité  d'efïets  pour  être  vendus  au  profit  de  l'œuvre  \  » 

Nous  avons  dit  qu'en  l'absence  de  l'Evêque  M.  de  Monti- 
gny  avait  administré  le  diocèse  à  la  satisfaction  de  tout  le 
monde.  A  sa  demande,  M^""  de  Laval  avait  fait  quelques- 
unes  des  ordinations  les  plus  pressantes.  Le  Séminaire  de 
Québec  avait  alors  pour  supérieur  M.  de  Bernières,  et  ix)ur- 
suivait  avec  zèle  son  œuvre  si  importante  pour  l'avenir  de 
notre  Eglise  : 

«  On  y  entretient  toujours,  écrit  M.  de  Champigny,  qua- 
rante ou  cinquante  enfants,  dont  une  partie  paie  pension, 
d'aucuns  demi-pension,  et  les  autres  y  sont  par  charité.  Ils 
sont  enseignés  depuis  les  premières  instructions  jusqu'à  la 
fin  de  la  théologie  dans  les  écoles  des  Jésuites,  où  ils  sont 
envoyés  deux  fois  par  jour-.  » 

La  cure  de  Québec,  administrée  par  un  prêtre  du  Sémi- 
naire, M.  Dupré,  ne  laissait  rien  à  désirer;  et  tout  le  clergé 
canadien,   en  général,   dont   M^''  de   Saint- Vallier.   comme 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp.-Général,  p.  124. 

2.  Corresp.  générale,  vol.   17,  Champigny  au  ministre,  20  oct.  169g. 


152  l'église  du  canada 

nous  l'avons  vu,  était  si  content,  montrait,  au  dire  de  l'inten- 
dant Champigny,  «une  piété  exemplaire»!. 

L'Hôtel-Dieu  de  Québec,  toujours  rempli  de  malades, 
était  desservi  par  les  religieuses  Augustines  avec  un  dé- 
vouement héroïque.  Les  Ursulines  apportaient  le  même 
dévouement  à  l'éducation  de  la  jeunesse: 

«  Les  communautés  de  ce  pays,  ajoute  l'intendant,  vivent 
dans  une  régularité  exemplaire,  et  dans  une  bien  plus  exacte 
observance  que  celles  de  France.  Leur  vie  est  pauvre  et 
mortifiée,  se  privant  du  nécessaire  en  beaucoup  de  choses  ".  » 

A  Montréal,  M.  Dollier  de  Casson  avait  avec  lui  des 
hommes  de  premier  mérite  :  M.  de  Belmont,  MM.  de  la  Faye, 
Vaillant,  Chaigneau,  Guay,  Mériel  ^,  Priât.  La  piété  et  le 
zèle  de  ces  messieurs  étaient  admirables.  Ils  desservaient 
les  paroisses  de  l'Ile  et  des  environs.  Sous  leur  direction, 
les  communautés  religieuses  de  la  Congrégation  et  de  l'Hô- 
tel-Dieu faisaient  beaucoup  de  bien. 

La  nouvelle  congrégation  des  Frères  Charon,  qui  avait 
pris  naissance  avant  le  départ  pour  la  France  de  M^""  de 
Saint-Vallier,  donnait  de  grandes  espérances  pour  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse  et  le  soin  des  vieillards.  M.  de  la  Colom- 
bière  s'intéressait  tout  particulièrement  à  cette  fondation  et 
allait  chaque  année  passer  quelques  mois  à  Montréal  pour 
en  promouvoir  les  intérêts  *.  Le  gouverneur  et  l'intendant 
écrivaient  à  la  cour  : 

«  Une  maison  qui  sera  fort  utile  à  la  colonie  est  celle  des 
Frères  hospitaliers  établis  à  Montréal.  Elle  n'a  encore  rien 
coûté  au  Roi  ni  au  pays.  Cependant  elle  fait  beaucoup  de 
bien.    Il  y  a  une  salle  remplie  de  pauvres.    On  a  commencé 


1.  Corresp.  générale,  vol.  13,  Champigny  au  ministre,  6  nov.  1695. 

2.  Ibid.,  vol.  17,  Champigny  au  ministre,  20  oct.  1699. 

3.  "  Il  était  le  père  et  l'apôtre  des  Anglais  prisonniers  au  Canada.  " 
(Sœur  Juchereau,  Hist.  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  449-) 

4.  Mgr  de  Sainf-ValUer  et  l' H ôp. -Général,  p.  126. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  153 

d'y  retirer  quelques  personnes  de  distinction,  que  la  néces- 
sité y  a  réduites  :  ils  y  ont  des  chambres  particulières  et  y 
sont  bien  soignés.  Le  sieur  de  Callières  ayant  su  qu'ils  ont 
prié  Sa  Majesté  de  leur  accorder  l'exemption  des  droits 
d'eau-de-vie  et  de  vin,  se  joint  au  sieur  de  Champigny  pour 
La  supplier  de  leur  faire  cette  grâce  :  leur  communauté  est 
la  seule  qui  soit  privée  de  cette  exemption.  Si  Sa  Majesté 
voulait  avoir  la  bonté  d'y  joindre  mille  livres  pour  parvenir 
plus  aisément  aux  manufactures  qu'ils  vont  commencer, 
cela  procurerait  un  grand  avantage  à  eux  et  à  la  colonie, 
parce  qu'ils  augmenteraient  le  nombre  des  jeunes  gens  pau- 
vres qu'ils  retirent  pour  les  y  employer  ^  .  .  » 

Dans  le  cours  de  l'hiver  1696,  un  incendie  détruisît 
l'Hôtel-Dieu  de  Montréal,  qui  était  encore,  à  cette  époque, 
près  du  fleuve,  à  la  Pointe-à-Callières.  Laissons  la  chro- 
nique raconter  ce  pénible  événement  : 

«  Ce  malheur  arriva  le  matin  du  jour  de  saint  Mathias,  24 
février.  Le  feu  avait  pris  par  le  grenier  de  la  vieille  église  ', 
sans  qu'on  ait  su  comment,  et  paraissant  d'abord  au  clocher, 
il  ne  tarda  guère  à  enflammer  le  bâtiment  des  pauvres  et 
celui  des  religieuses,  qui  furent  consumés  entièrement,  sans  y 
pouvoir  apporter  aucun  remède,  en  deux  heures  de  temps, 
à  la  réservée  de  deux  boulangeries  et  d'une  grange  et  ména- 
gerie bâties  nouvellement,  qu'on  eut  toutes  les  peines  du 
monde  à  garantir.  Tout  ce  qu'on  put  faire  fut  de  s'atta- 
cher à  sauver  une  partie  des  meubles  des  appartements  d'en 
bas.  Mais  comme  les  bonnes  Sœurs  n'ont  pas  laissé  de 
perdre  très  considérablement  en  meubles,  hardes  et  grains, 
et  particulièrement  presque  tout  leur  linge,  tant  des  pauvres 
que  des  religieuses,  et  entre  autres  celui  qui  se  trouva  sale 


1.  Corresp.  générale,  vol.   12,   Callières  et  Champigny  au   ministre, 
20  oct.   1699. 

2.  Elle   avait    servi    d'église    paroissiale   jusqu'à    la    construction    de 
Notre-Dame,  sur  la  rue  Notre-Dame. 


154  l'éguse  du  canada 

de  tout  l'hiver,  qui  était  dans  les  greniers,  et  tout  ce  qu'il  y 
avait  dans  la  cave  des  pauvres,  qui  n'était  point  voiitée, 
n'ayant  pu  être  sauvé,  cet  accident  les  mit  dans  un  état  si 
digne  de  compassion,  que  le  cœur  le  plus  barbare  en  aurait 
été  pénétré.  Ce  fut  un  grand  bonheur  que  le  vent  de  nord- 
est,  par  une  permission  toute  spéciale  de  Dieu,  se  modéra 
presque  tout  d'un  coup,  sans  quoi  la  maison  où  logeait  alors 
M.  de  Callières,  toute  voisine,  avec  plusieurs  autres,  aurait 
porté  le  feu  à  la  meilleure  partie  de  la  ville,  qui  aurait  suivi 
le  même  sort. 

«  Ce  spectacle  ayant  rempli  tout  le  monde  de  terreur  et 
de  pitié,  M.  de  Callières,  pour  en  profiter,  et  battre  le  fer 
pendant  sa  chaleur,  fit  dès  le  lendemain  assembler  tous  les 
habitants  de  Montréal  et  de  la  banlieue,  et  leur  ayant  fait 
une  exhortation  très  insinuante  pour  les  porter  à  la  contri- 
bution et  au  remède,  il  eut  tout  l'effet  qu'on  pouvait  attendre 
de  son  éloquence  et  de  son  zèle,  puisqu'on  se  cotisa,  suivant 
les  mouvements  de  sa  charité  ;  en  sorte  que  cette  assem- 
blée produisit  un  secours  beaucoup  plus  puissant  qu'on  ne 
l'aurait  diJi  vraisemblablement  l'espérer  ;  car  avec  la  quête 
que  M.  Dollier,  supérieur  du  Séminaire,  et  M.  Juchereau, 
lieutenant-général,  firent  dans  les  côtes  du  gouvernement 
de  Montréal  et  chez  les  officiers  et  soldats,  on  amassa  tant  en 
denrées,  travaux,  qu'argent,  la  somme  de  huit  mille  livres. 
On  peut  dire  avec  vérité  que  cette  contribution  est  assez 
grosse  pour  le  peu  de  moyens  qui  restent  aux  Montréalistes, 
après  avoir  essuyé  aussi  longtemps  qu'ils  ont  fait  les  incom- 
modités de  la  guerre  ^.  . .  » 

Cette  guerre,  qui  avait  épuisé  non  seulement  le  district 
de  Montréal,  mais  le  pays  tout  entier,  c'est  celle  dont  on 
souffrait  depuis  tant  d'années,  par  suite  des  incursions  des 
Iroquois;  ce  sont  aussi  les  expéditions  mémorables  de  nos 

1.   Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  14,  Relation  de  1696. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  155 

soldats  et  de  nos  miliciens  sur  les  côtes  de  l'Acadie,  à  Terre- 
neuve  et  à  la  baie  d'Hudson,  sous  la  conduite  de  D'Iber- 
ville.  Les  exploits  de  ces  héros  avaient  appris  aux  habitants 
de  la  Nouvelle-Angleterre  à  respecter  le  nom  canadien.  Ceux 
de  Frontenac  avaient  répandu  la  terreur  dans  le  pays  des  Iro- 
quois.  Il  avait  commencé  par  bien  fortifier  la  ville  de  Qué- 
bec :  il  avait  élevé  des  ouvrages  en  palissade  dans  le  jardin 
même  des  Ursulines,  et  ce  n'est  pas  sans  regret  qu'on  avait 
vu  abattre,  à  cette  occasion,  les  restes  de  l'antique  forêt  qui 
couvrait  autrefois  le  promontoire  de  la  ville  ^  Les  milices 
canadiennes  étaient  sur  pied  depuis  longtemps  ;  et  dans  l'été 
de  1696,  le  gouverneur,  ainsi  que  MM.  de  Callières  et  de 
Vaudreuil  étaient  allés,  à  la  tête  de  deux  mille  cinq  cents 
hommes,  dé^'aster  les  Cinq-Cantons.  Les  Iroquois  avaient 
été  mis  enfin  à  la  raison;  la  Nouvelle-Angleterre,  réduite  à 
ronger  son  frein.  Mais  nos  terres  étaient  presque  partout 
restées  sans  culture  :  le  Canada  était  épuisé. 

Ce  fut  un  beau  jour  celui  où  l'on  apprit  à  Québec  la  paix 
de  Ryswick  (20  septembre  1697),  un  mois  environ  après 
le  retour  de  M^""  de  Saint-Vallier.  Cette  paix  mettait  fin  en 
Europe  à  la  guerre  de  la  coalition  d'Augsbourg,  et  en  même 
temps  à  celle  qui,  en  Amérique,  n'en  était  pour  ainsi  dire 
que  l'écho.  Louis  XIV,  qui  avait  remporté  de  si  grands 
avantages  dans  cette  guerre,  y  avait  renoncé  complètement, 
acceptant  même  l'accession  de  Guillaume  d'Orange  au  trône 
d'Angleterre  comme  un  fait  accompli.  Le  Canada  seul  pro- 
fita de  la  paix  de  Ryswick  :  on  lui  laissa  toute  l'Acadie,  avec 
ses  frontières  indécises,  source  éternelle  de  difficultés,  toute 
la  vallée  du  Mississipi,  et  même  la  baie  d'Hudson. 

Un  Te  Dewn  solennel  fut  chanté  dans  la  cathédrale  de 


I.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  I,  p.  477.  —  "On  détruisit  un  bois  de 
haute  futaie  de  quatre  arpents."  (Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale, 
vol.  20,  Lettre  des  Ursulines  au  ministre,  1702.) 


156  l'église  du  canada 

Québec  pour  la  paix  de  Ryswick  \  Ce  Te  Dewn  semblait 
venir  à  propos,  non  seulement  pour  cette  paix  mondiale, 
mais  pour  cette  autre  que  M^""  de  Saint-Vallier  avait  appor- 
tée de  France,  par  laquelle  la  plus  parfaite  union  paraissait 
exister  désormais  entre  lui  et  le  Séminaire,  et  les  différents 
personnages  qui,  à  tort  ou  à  raison,  avaient  eu  à  se  plaindre 
de  lui,  et  les  uns  des  autres.  Evidemment  les  sages  conseils 
du  Roi  n'avaient  pas  été  sans  résultat,  non  plus  que  les  tri- 
bulations auxquelles  le  saint  Evêque  avait  été  soumis  :  «  à 
quelque  chose  malheur  est  bon  ».  Frontenac,  Callières,  le 
Séminaire  de  Québec,  les  Récollets,  tous  ceux  qui  avaient 
eu  des  difficultés  avec  le  Prélat  furent  bien  aises  de  voir 
s'ouvrir  une  ère  d'apaisement  et  de  calme.  Le  Te  Deiim 
chanté  dans  l'église  cathédrale  de  Québec,  à  trois  heures  de 
l'après-midi,  le  21  septembre  1698,  pour  la  paix  de  Ryswick, 
fut  donc  l'expression  d'une  joie  universelle  : 

«  Le  gouverneur  général  y  assista,  dit  la  chronique,  aussi 
bien  que  l'intendant  et  les  officiers  du  Conseil  Supérieur  et 
de  la  Prévôté.  Il  y  eut  le  soir  plusieurs  décharges  de  canon 
de  la  ville  et  des  vaisseaux,  au  moment  où  l'on  allumait  un 
feu  de  joie  dans  la  grande  place,  et  tous  les  bourgeois  firent 
des  illuminations  à  leurs  fenêtres,  suivant  l'ordre  que  M. 
de  Frontenac  leur  en  avait  fait  donner  ^.  » 

Frontenac  et  Champigny,  écrivant  au  ministre  dans  le 
cours  de  l'automne,  paraissaient  satisfaits  : 

«  M.  l'ancien  évêque,  disaient-ils,  et  les  prêtres  du  sémi- 
naire de  Québec,  toujours  remplis  de  zèle  pour  l'augmen- 
tation de  la  Foi,  ont  engagé  trois  de  leurs  ecclésiastiques 
pour  porter  l'évangile  chez  les  nations  établies  le  long  du 
Mississipi,  qui  sont,  à  ce  qu'on  a  rapporté,  d'une  docilité 
propre  à  y  faire  beaucoup  de  progrès. 


1.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  IV,  p.  225. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  15,  Relation  de  1698. 


sous    M^'    DE    SAINT-VALLIER  I57 

«  M.  l'évèque  de  Québec,  ajoutaient-ils,  continue  avec 
tant  d'application  à  soulager  les  pauvres  et  à  faire  d'autres 
bonnes  œuvres,  que  nous  pouvons  dire  qu'il  fait  au  delà  de 
ses  forces  :  ce  qui  ne  doit  pas  peu  vous  engager,  monsei- 
gneur, à  lui  procurer  la  continuation  des  grâces  que  Sa  Ma- 
jesté lui  fait,  et  même  de  les  lui  augmentera  » 

Hélas!  Frontenac,  lorsqu'il  écrivait  avec  l'intendant  cette 
dépêché  à  la  cour,  et  qu'il  assistait  au  Te  Deum  pour  la  paix 
de  Ryswick,  n'avait  plus  que  quelques  semaines  à  vivre.  Il 
mourut  très  chrétiennement  à  Québec  le  28  novembre  1698, 
et  fut  inhumé  dans  l'église  des  Récollets. 

L'intendant  Champigny  fut  obligé  d'envoyer  son  courrier 
par  la  Nouvelle-Angleterre  afin  de  faire  parvenir  en  France 
le  plus  tôt  possible  la  triste  nouvelle  de  la  mort  du  gouver- 
neur. Sa  lettre  est  calme  et  digne  :  on  sent,  en  la  lisant,  que 
l'apaisement  s'était  fait  depuis  quelque  temps  déjà  dans  les 
esprits  : 

«  Monseigneur,  dit-il,  je  hasarde  cette  lettre  par  la  voie  de 
la  Nouvelle-Angleterre,  pour  vous  donner  avis  que  M.  le 
comte  de  Frontenac  mourut  le  28  du  mois  de  novembre 
dernier,  avec  les  sentiments  d'un  véritable  chrétien.  Vous 
aurez  peut-être  de  la  peine  à  croire,  monseigneur,  que  je  sois 
aussi  véritablement  et  sensiblement  touché  que  je  le  suis  de 
sa  mort,  après  tous  les  démêlés  que  nous  avons  eus  ensemble. 
Cependant  il  n'est  rien  de  plus  vrai,  et  on  en  est  persuadé. 
Aussi  il  n'y  a  jamais  eu  que  les  différents  sentiments  que 
nous  pouvions  avoir  pour  le  service  du  Roi  qui  nous  ont 
brouillés  ;  car  de  lui  à  moi  comme  particulier  nous  n'en  avons 
jamais  eu.  Il  en  a  usé  d'une  manière  si  honnête  à  mon 
égard  pendant  sa  maladie,  qu'on  peut  dire  avoir  commencé 
au  départ  de  nos  vaisseaux,  que  je  serais  tout-à-fait  ingrat 

I.    Corresp.  générale,  vol.  16,  Lettre  au  ministre,  15  oct.  1698. 


158  l'église  du  canada 

si  je  n'en  avais  de  la  reconnaissance.  Le  petit  testament 
qu'il  a  fait,  dont  je  vous  envoie  copie,  en  est  une  marque. 
Je  le  ferai  exécuter,  et  je  puis  vous  assurer  que  j'ai  un 
très  grand  soin  des  intérêts  de  M"*  la  comtesse  de  Fron- 
tenac \  .  .  » 


I.   Corresp.  générale,  vol.  16,  Champigny  au  ministrjs,  22  déc.  1698. 


CHAPITRE    XIII 


L^ÉGLISE  DU   CANADA,   DE    1697   À    I JOO    (suitc) 

Callières  succède  à  Frontenac.  —  La  grande  épreuve  de  l'Hôpital-Géné- 
ral.  —  Les  Ursulines  des  Trois-Rivières.  —  Les  Sœurs  de  la  Con- 
grégation. —  La  mission  des  Tamarois.  —  Les  saints  de  l'époque, 
—  Aperçu  général  sur  les  missions  du  Mississipi. 

MGR  de  Saint-Vallier  regretta-t-il  Frontenac?  On  a  rai- 
son de  le  croire.  Ils  avaient  été  amis,  ils  s'estimaient 
l'un  l'autre  :  les  démêlés  qu'ils  avaient  eus  ensemble  n'avaient 
pu  détruire  complètement  ni  cette  estime  ni  cette  amitié. 
L'Evêque  appréciait  la  haute  valeur  du  gouverneur  ;  il 
n'ignorait  pas  que  les  hommes  de  cette  trempe  sont  la  force 
d'un  pays,  et  par  suite  le  soutien  de  l'Eglise  elle-même. 

Il  fallut  attendre  jusqu'aux  vaisseaux  du  prmtemps  pour 
savoir  qui  succéderait  à  Frontenac;  et  toute  la  colonie  se 
réjouit  lorsqu'elle  apprit  que  c'était  M.  de  Callières  :  encore 
un  homme  avec  lequel  le  Prélat  avait  eu  quelques  démêlés, 
mais  dont  il  savait  apprécier  les  hautes  qualités  : 

«  Sans  avoir  le  brillant  de  son  prédécesseur,  dit  Charle- 
voix,  il  en  avait  tout  le  solide,  des  vues  droites  et  désinté- 
ressées, sans  préjugés  et  sans  passion  :  une  fermeté  toujours 
d'accord  avec  la  raison,  une  valeur  que  le  flegme  savait  mo- 
dérer et  rendre  utile  :  un  grand  sens,  beaucoup  de  probité  et 
d'honneur,  et  une  pénétration  d'esprit  à  laquelle  une  grande 
application  et  une  longue  expérience  avaient  ajouté  tout  ce 
que  l'expérience  peut  donner  de  lumières  :  il  avait  pris  dès 


l6o  Iv' ÉGLISE    DU    CANADA 

les  commencements  un  grand  empire  sur  les  sauvages,  qui  le 
connaissaient  exact  à  tenir  sa  parole  et  ferme  à  vouloir 
qu'on  lui  gardât  celles  qu'on  lui  avait  données.  Les  Fran- 
çais, de  leur  côté,  étaient  convaincus  qu'il  n'exigeait  jamais 
rien  d'eux  que  de  raisonnable;  que  pour  n'avoir  ni  la  nais- 
sance ni  les  grandes  alliances  du  comte  de  Frontenac,  ni  le 
rang  de  lieutenant-général  des  armées  du  Roi,  il  ne  savait 
pas  moins  se  faire  obéir  que  lui,  mais  qu'il  n'était  pas  homme 
à  leur  faire  trop  sentir  le  poids  de  l'autorité.  » 

Le  chevalier  de  Vaudreuil,  qui  devait  plus  tard  succéder  à 
M.  de  Callières  comme  gouverneur  du  Canada,  obtint,  en 
attendant,  le  gouvernement  particulier  de  Montréal  :  «  Son 
activité,  dit  Charlevoix,  sa  bonne  mine,  ses  manières  nobles 
et  aimables  et  la  confiance  des  gens  de  guerre  le  rendaient 
très  propre  à  occuper  un  poste  de  cette  importance.  » 

Frontenac,  Callières,  Vaudreuil  :  quelle  belle  suite  de  gou- 
verneurs de  premier  ordre!  Frontenac,  supérieur  aux  deux 
autres,  sans  doute,  mais  tous  les  trois  de  la  même  marque, 
dirigés  par  les  mêmes  vues  et  animés  des  mêmes  intentions 
pour  le  bien  et  la  gloire  de  leur  patrie  adoptive,  à  laquelle  ils 
ont  rendu  les  services  les  plus  signalés,  et  où  ils  ont  voulu 


mourir 


Lorsque  Callières  descendit  à  Québec  pour  prendre  les 
rênes  de  l'administration,  on  'aurait  pu  craindre  que  le  sou- 
venir des  difficultés  qu'il  avait  eues  avec  l'Evêque  ne  vînt  à 
se  réveiller,  et  que  les  blessures,  peut-être  mal  cicatrisées,  ne 
-vinssent  à  se  rouvrir.  Mais  le  gouverneur,  dès  l'automne 
suivant,  rassurait  à  ce  sujet  le  ministre  : 

«Depuis  que  M.  l'Evêque  est  de  retour  de  son  derrier 
voyage  en  France,  dit-il,  nous  avons  vécu  d'une  manière 
comme  s'il  ne  se  serait  rien  passé  entre  nous;  et  j'espère  que 
cela  durera  ^. . .  » 

I.    Corresp.  générale,  vol.  17,  Callières  au  ministre,  20  oct.  1699. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALUER  l6l 

Cela  dura,  en  effet.  Aucun  nuage  sérieux  ne  vint  assom- 
brir à  cette  époque  l'Eglise  de  Québec.  Il  n'y  eut  que  des 
difficultés  de  détail.  C'est  ainsi  que  la  question  de  l'Hôpital- 
Général  divisa  un  peu  les  esprits  :  tout  le  monde  n'avait  pas 
les  mêmes  vues  sur  cette  nouvelle  institution  :  les  uns  auraient 
voulu  qu'elle  ne  fîit  jamais  qu'une  succursale  de  l'Hôtel- 
Dieu;  d'autres,  surtout  AP""  de  Saint-Vallier,  tenaient  à  en 
faire  une  communauté  distincte,  complètement  séparée,  et 
avec  noviciat. 

Et  pourtant  le  Prélat  n'avait  obtenu  de  l'Hôtel-Dieu  —  et 
encore  avec  difficulté  —  quelques  religieuses  pour  la  fonda- 
tion de  son  Hôpital,  qu'à  condition  que  la  nouvelle  maison 
ne  serait  qu'une  dépendance  de  l'autre  :  il  s'était  engagé  à 
cela  par  écrit  : 

«  On  fit  un  contrat,  dit  la  Sœur  Juchereau,  où  l'on  stipula 
tout  ce  qui  concernait  cette  affaire.  La  maison  de  l'Hôpital- 
Général  devait  tellement  dépendre  de  celle-ci,  que  la  supé- 
rieure devait  en  toutes  choses  avoir  rapport  à  celle  d'ici  ;  de 
sorte  qu'elle  ne  gouvernait  que  comme  une  subdéléguée.  Ce 
contrat  fut  signé  de  l'évêque,  du  gouverneur,  de  l'inten- 
dant. .  .,  et  dans  la  suite  ratifié  de  la  cour  ^.  » 

Bientôt  cependant  l'Evêque  exigea  qu'on  lui  donnât  de 
nouvelles  religieuses,  affaiblissant  ainsi  beaucoup  l'Hôtel- 
Dieu,  «  où  il  n'est  resté,  écrit  Champigny,  que  dix  ou  douze 
filles  en  état  de  servir  les  malades,  qui  y  sont  toujours  en 
grand  nombre  »  ;  et  il  fit  de  l' Hôpital-Général  «  une  com- 
munauté séparée  »,  où  l'on  commença  à  admettre  des  no- 
vices. Et  l'intendant  Champigny  écrivant  à  la  cour  :  «  Il  est 
à  souhaiter,  disait-il,  que  Sa  Majesté  ait  la  bonté  de  donner 
ses  ordres  pour  faire  cesser  cette  séparation  ^.  » 

Les   partisans    de   l'Hôtel-Dieu,  —  Champigny   était   du 


1.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  357. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  17,  Champigny  au  ministre,  20  oct.  1699. 

11 


l62  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

nombre  —  qui  voulaient  que  l' Hôpital-Général  ne  fût  qu'une 
dépendance  de  cette  institution,  obtinrent  plus  qu'ils  ne  de- 
mandaient. La  cour  retira  ses  lettres  patentes  de  1692,  et 
l'Hôpital-Général  fut  sur  le  point  de  disparaître. 

On  peut  dire  qu'il  ne  fut  sauvé  que  par  le  concours  donné 
à  M^''  de  Saint- Vallier  par  M^  de  Laval,  le  gouverneur  et 
l'intendant.  Callières,  surtout,  rendit  un  service  inappré- 
ciable en  prenant  sur  lui  de  temporiser  pour  l'exécution  de» 
ordres  de  la  cour,  et  en  laissant  subsister  l'Hôpital-Général, 
en  attendant  que  les  volontés  du  Roi  eussent  occasion  de 
s'exprimer  d'une  manière  plus  claire.  Il  donna  le  temps  à 
TEvêque  d'aller  lui-même  à  la  cour  pour  essayer  de  sauver 
l'institution;  et  ce  fut,  en  efifet,  comme  nous  le  verrons,  le 
but  principal  d'un  quatrième  voyage  du  Prélat  en  France. 


Où  sont  les  institutions  destinées  à  vivre,  qui  n'ont  pas  eu 
d'épreuves,  à  leur  début?  Voyons,  par  exemple,  cette  autre 
fondation  de  A'P""  de  Saint- Vallier,  le  monastère  des  Ursu- 
lines  des  Trois-Rivières,  qui  date  du  mois  d'octobre  1697,^ 
et  dont  les  lettres  patentes  royales  sont  du  mois  de  mai  1702. 
Cette  maison  n'a  pas  eu,  sans  doute,  comme  l'Hôpital-Géné- 
ral de  Québec,  la  disgrâce  de  voir  révoquer  un  jour  ses 
lettres  patentes  ;  mais  sans  compter  les  deux  incendies  dont 
elle  a  été  victime,  au  cours  de  son  existence  \  les  épreuves 
lui  ont-elles  mancjué,  à  son  berceau  ?  Rappelons,  en  quel- 
ques mots,  l'origine  de  cette  maison,  dont  s'honore  à  juste 
titre  la  ville  des  Trois-Rivières. 

Les  citoyens  de  cette  ville  désiraient  depuis  longtemps  voir 
s'établir  au  milieu  d'eux  une  communauté  qui  pût  donner  à 
leurs  jeunes  filles  une  instruction  solide.    Ils  s'étaient  adres- 


I.   22  mai  1752;  2  octobre  1806.  —  Les  Ursulines  des  Trois-Rivières, 
t.  I,  p.  76. 


sous  m"  de  saixt-valmkr  163 

ses  aux  Ursulines  de  Québec,  à  qui  la  chose  avait  souri  :  elles 
connaissaient  déjà  les  principales  familles  des  Trois-Rivières, 
les  Hertel,  les  LeNeuf.  les  Boucher,  les  Poulin  de  Courval, 
et  autres,  qui  em'oyaient  leurs  filles  se  former  et  s'instruire 
à  leur  monastère  : 

«  Les  religieuses  Ursulines  de  Québec,  écrivaient  au 
ministre  Frontenac  et  Champigny,  ayant  dessein  depuis 
quelques  années  de  faire  un  petit  établissement  aux  Trois- 
Rivières,  et  d'y  envoyer  quatre  ou  cinq  de  leur  communauté 
pour  l'éducation  des  jeunes  filles,  nous  avons  considéré  que 
ce  serait  un  assez  grand  bien  si  elles  voulaient  aussi  se  char- 
ger du  soin  des  pauvres  malades,  et  particulièrement  des 
soldats;  et  comme  nous  les  avons  trouvées  disposées  à  pro- 
curer ce  bien  à  la  colonie,  nous  vous  supplions,  monseigneur, 
de  leur  faire  accorder  sur  cela  les  patentes  qui  leur  sont 
nécessaires. 

«  M.  l'évêque  de  Québec,  qui  entre  avec  zèle  dans  tout 
ce  qui  concerne  la  charité,  s'est  agréablement  engagé  à  y 
entretenir  six  lits  de  malades.  La  maison  qu'elles  prennent 
pour  cette  œuvre  leur  coûte  onze  mille  livres,  monnaie  du 
Canada  \  . . » 

Cette  lettre  était  datée  du  19  octobre  1697.  Déjà  JVP""  de 
Saint- Vallier  avait  pris  la  chose  en  mains,  et  s'était  entendu 
avec  les  Ursulines  de  Québec  pour  la  fondation  d'un  monas- 
tère qui  fût  à  la  fois  une  maison  enseignante  et  un  hôpital. 
Il  avait  choisi  pour  cette  fondation  «  la  plus  belle  maison 
qu'il  y  eût  alors  aux  Trois-Rivières  «2,  celle  du  gouverneur, 
M.  de  Ramesay,  située  sur  le  Platon,  à  cet  endroit  histo- 
rique où  Laviolette,  plus  de  soixante  ans  auparavant,  avait 
arboré  pour  la  première  fois  le  drapeau  aux  fleurs  de  lys  et 
donné  naissance  à  la  ville,  à  cet  endroit  délicieux  d'où  l'œil 


1.  Corresp.  générale,   vol.   15. 

2.  Les   Ursulines  des  Trois-Rivières,  t.  I,  p.   12. 


164  l'église  du  canada 

embrasse  un  des  plus  beaux  panoramas  du  monde.  Cette  mai- 
son en  pierre,  à  deux  étages,  était  entourée  de  jardins  ma- 
gnifiques et  de  toutes  les  dépendances  nécessaires.  Avant  de 
passer  le  contrat,  les  Ursulines  la  visitèrent,  en  compagnie 
de  leur  chapelain,  M.  de  Montigny,  et  en  furent  enchantées. 
M^  de  Saint- Vallier  fit  une  partie  des  frais  de  l'acquisition, 
l'autre  partie  restant  à  la  charge  des  destinataires  : 

«  Il  vient  d'acheter,  écrivaient  à  la  cour  le  gouverneur  et 
l'intendant,  une  belle  maison  que  M.  de  Ramesay  a  fait 
bâtir,  avec  cinquante  arpents  de  terre  qui  en  dépendent,  dont 
elles  tireront  une  partie  de  leur  subsistance;  et  il  leur  pro- 
met mille  livres  de  rente  à  prendre  en  France  ^  .  .  » 

Les  religieuses  destinées  à  la  fondation  quittèrent  Québec 
le  23  octobre  1697,  prirent  possession  du  nouvel  établisse- 
ment, et  inaugurèrent  leur  œuvre.  Tout  alla  bien  les  deux 
premières  années;  mais  lorsque  arriva  le  terme  du  second 
paiement  à  faire  pour  l'achat  de  leur  maison,  elles  se  trou- 
vèrent incapables  de  l'acquitter.  La  supérieure  écrivant  au 
R.  P.  Lamberville  :  «  Je  ne  sais,  disait-elle,  si  notre  nouvelle 
fondation  subsistera,  ou  non.  Je  vois  des  orages  et  des 
tempêtes  qui  s'élèvent  et  la  menacent  de  ruine  -.  »  En  efïet, 
ne  pouvant  remplir  les  termes  de  leur  contrat,  il  dut  être 
résilié.  Fort  heureusement,  des  amis  vinrent  au  secours  de 
AP""  de  Saint-Vallier,  et  le  pieux  Prélat,  toujours  plein  de 
courage  et  confiant  dans  la  Providence,  résolut  d'affermir 
solidement  sa  nouvelle  fondation. 

Mais  il  fallut  quitter  le  Platon,  sortir  de  cette  maison  où 
l'on  s'était  installé  tout  d'abord,  et  reprendre  ses  travaux 
dans  un  autre  bâtiment.  Il  se  trouva  que  la  nouvelle  maison 
était  encore  plus  propre  que  l'autre  pour  les  fins  de  l'insti- 


1.  Corresp.  générale,   vol.   17,   Callières  et  Champigny  au  ministre, 
20  oct.  1699. 

2.  Les  Ursulines  des  Trots-Rivières,  t.  I,  p.  39. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALUER  165 

tution.  Le  bon  Dieu  veillait  évidemment  sur  cette  fondation, 
destinée  à  faire  tant  de  bien  : 

«  L'établissement  que  M.  l'Evêque  a  fait  d'un  couvent 
d'Ursulines  aux  Trois-Rivières,  écrivent  de  nouveau  le  gou- 
verneur et  l'intendant,  nous  paraît  utile,  tant  pour  l'éduca- 
tion des  jeunes  filles,  que  pour  six  lits  qu'elles  se  sont  obli- 
gées de  tenir  pour  les  pauvres  malades  de  ce  lieu.  Vous 
verrez,  monseigneur,  par  le  mémoire  ci-joint  que  nous  vous 
envoyons  de  leurs  biens,  qu'il  ne  suffit  pour  l'entretien  des 
huit  religieuses  que  Sa  Majesté  y  fixe.  Mais  si  M.  l'Evêque 
y  ajoute  mille  livres  par  an,  comme  il  le  promet,  nous 
croyons  que  cet  établissement  se  pourra  soutenir  ^.  .  .  » 

M^  de  Saint- Vallier  ne  manqua  pas  de  remplir  tous  ses 
engagements  envers  sa  nouvelle  fondation,  qu'il  estimait  à 
l'égal  de  son  Hôpital-Général,  et  le  monastère  des  Trois- 
Rivières  reçut  ses  lettres  patentes  ^  : 

«  Nous  sommes  bien  aise  d'apprendre,  écrit  M.  de  Cal- 
lières,  que  Sa  Majesté  a  accordé  des  lettres  patentes  aux 
religieuses  Llrsulines  des  Trois-Rivières,  et  que  M.  l'Evêque 
leur  a  constitué  une  rente  de  mille  livres  pour  leur  entretien, 
ces  religieuses  étant  très  utiles  dans  ce  lieu  pour  enseigner 
les  jeunes  filles,  et  pour  servir  d'hospitalières,  comme  M. 
l'Evêque  l'a  fait  espérer  ^.  .  .  » 

Nous  avons  dit  :  où  sont  les  institutions  destinées  à  vivre, 
qui  n'ont  pas  eu  d'épreuves  à  leur  début?  Voyons  encore 
le  bel  institut  des  Sœurs  de  la  Congrégation  de  Montréal. 
Il  existait  depuis  quarante  ans,  et  n'avait  pas  encore  de 
règles  approuvées  par  l'autorité  ecclésiastique,  ni,  par  con- 
séquent, d'existence  canonique.  La  Sœur  Bourgeois  et  ses 
compagnes  supplient  M^  de  Saint- Vallier  de  leur  accorder 


1.  Corresp.   générale,  vol.    19,   Callières   et   Champigny   au   ministre, 
5  oct.  1701. 

2.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  288. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  20,  Callières  au  ministre,  3  nov.  1702. 


i66  l'église  du  canada 

ce  grand  bienfait,  et  le  Prélat,  ayant  résolu  d'amalgamer 
cette  Congrégation  avec  les  Ursulines,  veut  lui  imposer  des 
vœux  solennels,  la  clôture,  la  règle  de  saint  Augustin;  et 
dans  son  voyage  à  Montréal,  au  printemps  de  1694,  il  pré- 
sente aux  Sœurs  de  la  Congrégation  les  règlements  qu'il  a 
préparés  selon  ses  vues.  Mais  elles  veulent  demeurer  «  filles 
séculières,  filles  de  paroisses  »  ;  elles  objectent  à  la  clôture, 
à  la  règle  de  saint  Augustin.  Le  Prélat  insiste,  les  menace 
de  faire  disparaître  leur  communauté.  Pleines  de  confiance 
en  Dieu,  elles  tiennent  à  l'esprit  de  leur  institut,  et  finissent 
par  obtenir  du  Prélat  que  la  chose  soit  référée  à  M.  Tronson, 
durant  son  voyage  en  France. 

Le  supérieur  de  Saint-Sulpice,  cet  homme  de  Dieu  en  qui 
M^''  de  Saint- Vallier  a  une  entière  confiance  \  réussit  à  force 
de  ménagements  à  faire  modifier  par  le  Prélat  les  règles 
trop  sévères  qu'il  voulait  leur  imposer.  Ce  ne  sont  plus  des 
vœux  solennels  qu'il  exige,  mais  des  vœux  simples  ;  il  a 
renoncé  à  la  clôture;  il  n'ajoute  aux  règles  qu'elles  ont 
suivies  jusqu'ici  que  quelques  changements  de  détail,  que 
M.  Tronson  les  engage  à  accepter  de  bon  cœur.  Puis  dans 
l'été  de  1698,  le  24  juin.  M"'"  de  Saint-Vallier  étant  monté  à 
Montréal,  se  rend  le  lendemain  à  la  Congrégation  pour  y 
dire  la  sainte  messe.  Il  soumet  aux  Sœurs  le  règlement  tel 
qu'il  l'a  modifié  :  elles  l'acceptent  avec  joie,  prononcent 
toutes  en  présence  du  Prélat  les  vœux  simples  de  pauvreté, 
de  chasteté,  d'obéissance  et  d'instruction  des  jeunes  filles. 

Quelques  jours  après,  il  descend  à  Québec,  et  réunit  dans 
la  chapelle  du  séminaire  les  Sœurs  de  la  Congrégation  de 
Québec,  de  l'Ile  d'Orléans  et  du  Château-Richer.  et  reçoit 
également  les  vœux  de  ces  Sœurs  missionnaires  ^. 


1.  Un  écrivain  de  la  Revue  des  Deux-Mondes  a  dit  quelque  part  de 
M.  Tronson,  qu'il  était  "  le  bon  sens  fait  homme  ".  {Revue  des  Deux- 
Mondes  du  1er  janvier  1909,  p.  285.) 

2.  Faillon,  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  II,  p.  24  et  suiv. 


sous    M'^''    DE    SAINT-VALLIER  167 

L'institut  des  Sœurs  de  la  Congrégation  avait  passé  par 
une  rude  épreuve,  mais  en  était  sorti  avec  bonheur,  grâce  à 
la  protection  de  Dieu. 

*  * 


Nous  avons  vu  plus  haut  que  la  paix  existait  désormais 
€ntre  l'Evêque  et  son  séminaire  de  Québec.  De  tous  les 
prêtres  du  séminaire,  nul  ne  paraît  avoir  plus  souffert  des 
difficultées  passées  que  M.  Glandelet.  Dans  ses  lettres  à  M. 
Boudon,  il  ne  cesse  de  déplorer  ces  différends;  il  écrit,  par 
exemple,  dans  l'automne  de  1696: 

«  Nous  sommes  toujours  dans  l'attente  du  succès  qu'il 
plaira  à  la  divine  Providence  de  donner  aux  aft'aires  de  cette 
pauvre  Eglise,  pour  son  entière  paix.  Je  me  suis  senti  ins- 
piré de  m'abandonner  plus  que  jamais  à  ses  aimables 
soins.  .  .  Tous  nos  maux  ne  viennent  que  de  nos  défiances  et 
peu  d'abandon.  .  .  » 

Mais  deux  ans  après,  il  est  tout  à  la  joie  :  «  M"""  de  Québec, 
dit-il,  est  bien  maintenant  avec  nous,  et  nous  sommes  en 
paix,  grâce  à  Dieu. 

«  Notre  séminaire,  ajoute-t-il,  a  commencé,  cette  année, 
de  grandes  missions  aux  nations  sauvages  qui  sont  à  huit 
cents  lieues  d'ici,  sur  le  fleuve  Mississipi,  proche  la  nouvelle 
Espagne.  Trois  prêtres  y  sont  allés  au  nom  du  Séminaire. 
Ce  sont  des  peuples  infinis,  et  tout-à-fait  abandonnés.  Messis 
quidetn  niulta.  Priez  Notre-Seigneur  et  sa  très  sainte  Mère 
pour  le  succès  de  cette  entreprise,  aussi  bien  que  de  celles  que 
nous  venons  de  faire  à  l'égard  des  sauvages  de  l'Acadie.  » 

La  mission  du  Mississipi  dont  parle  ici  M.  Glandelet  est 
plus  communément  connue  sous  le  nom  de  «  mission  des 
Tamarois  ».  Les  Jésuites  avaient  été  chargés  en  1690 
d'évangéliser  les  sauvages  Outaouais,  Miamis,  Sioux,  Illi- 


i68  l'église  du  canada 

nois  \  En  1698,  le  premier  mai,  le  séminaire  de  Québec 
obtint  de  l'Evêque  la  permission  d'aller  prêcher  l'évangile 
aux  sauvages  de  la  vallée  du  Mississipi  ^  ;  et  quelques  mois 
plus  tard,  le  14  juillet,  l'Evêque  expliquant  la  lettre  qu'il 
avait  donnée  à  cette  occasion,  permettait  au  Séminaiire  de 
s'établir  aux  Tamarois,  à  l'exclusion  de  tous  autres  mission- 
naires ^.  Or  les  Tamarois  étaient  des  Illinois,  et  les  Jésuites 
y  avaient  déjà  une  mission  :  ce  qui  donna  lieu  à  des  démêlés 
qui  ne  se  terminèrent  qu'en  1702  par  un  règlement  consenti 
de  part  et  d'autre:  les  Jésuites,  pour  le  bien  de  la  paix, 
avaient  renoncé  à  leur  mission  des  Tamarois. 

Les  trois  prêtres  envoyés  aux  Tamarois  par  le  Séminaire 
étaient  MM.  de  Montigny,  Davion  et  Buisson  de  Saint- 
Cosme.  M.  de  Montigny,  comme  supérieur  de  la  mission, 
avait  les  pouvoirs  de  grand  vicaire.  Il  consacrait  à  cette 
œuvre  plus  de  deux  mille  écus  de  rente  qu'il  avait  de  biens 
de  famille.  De  leur  côté,  l'Evêque  et  le  Séminaire  avaient 
renoncé  expressément  «  à  tout  commerce  de  castor  et  autres 
qu'ils  pourraient  faire  avec  les  nations  sauvages  »  *  ;  et  c'est 
à  cette  condition  que  la  permission  d'envoyer  des  prêtres 
dans  ces  missions  leur  avait  été  donnée  par  le  gouverneur  et 
l'intendant  ^ 

Trois  autres  prêtres,  MM.  Bergier,  Boutteville  et  Saint- 
Cosme  le  jeune  allèrent  les  rejoindre  l'année  suivante  avec 
quelques  frères  donnés  et  plusieurs  ouvriers.  L'un  de  ces 
prêtres,  M.  de  Saint-Cosme,  écrivant  des  Akansas  à  M^  de 
Laval,  lui  racontait  leur  voyage.  Ils  avaient  passé  par 
Michillimakinac,  le  lac  Michigan,  Chicago,  la  rivière  Mia- 
mis,  et  se  louaient  beaucoup  de  M.  de  Tonti,  qui  les  avait 
accompagnés  dans  leur  expédition  : 

1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  274. 

2.  Ibid.,  p.  377. 

3.  Ibid.,  p.  380. 

4.  Corresp.  générale,  vol.  15,  Relation  de  1697. 

5.  Ibid.,  vol.  17,  Callières  et  Champigny  au  ministre,  20  cet.  1699. 


sous    M^    DE    SAINT-V ALLIER  169 

«  Il  nous  a  conduits,  dit  M.  de  Saint-Cosme,  jusqu'aux 
Akansas,  nous  a  fait  beaucoup  de  plaisir  durant  le  voyage 
et  nous  a  facilité  le  chemin  par  plusieurs  nations.  .  .  Il  n'a 
pas  fait  seulement  le  devoir  d'un  brave  homme,  mais  celui 
d'un  zélé  missionnaire,  entrant  dans  toutes  les  vues  que 
nous  pouvions  avoir,  exhortant  partout  les  sauvages  à  prier 
et  à  écouter  les  missionnaires.  Il  remettait  l'esprit  de  nos 
engagés  dans  les  petites  fantaisies  qu'ils  pouvaient  avoir, 
appuyant  par  son  exemple  les  exercices  de  dévotion  que  le 
voyage  nous  permettait  de  faire,  fréquentant  fort  souvent 
les  sacrements. .  .  » 

Ils  n'eurent  qu'à  se  louer  également  de  la  conduite  des 
Jésuites  à  leur  égard  : 

«  Je  ne  saurais  vous  exprimer,  monseigneur,  continue  M. 
de  Saint-Cosme,  avec  combien  de  cordialité  et  de  marques 
d'amitié  ces  révérends  Pères  nous  reçurent  et  embrassèrent 
pendant  le  temps  que  nous  eiimes  la  consolation  de  rester 
avec  eux.  .  .  » 

M.  de  Saint-Cosme,  dans  sa  lettre  à  M^  de  Laval,  lui 
disait  beaucoup  de  bien  du  naturel  des  sauvages  qu'ils 
avaient  rencontrés  le  long  du  Mississipi;  puis  revenant  à 
M.  de  Tonti,  qui  avait  dû  les  quitter  pour  retourner  aux 
Illinois  : 

«  C'est  l'homme,  dit-il,  qui  connaît  le  mieux  le  pays.  II 
a  été  deux  fois  à  la  mer,  il  a  été  dans  la  profondeur  des 
terres  jusqu'aux  nations  les  plus  éloignées;  il  est  aimé  et 
craint  partout.  Si  on  faisait  la  découverte  de  ces  pays,  je 
ne  pense  pas  qu'on  pîit  la  confier  à  un  homme  plus  expéri- 
menté que  lui  \  .  .  » 

Le  séminaire  de  Québec  dépensa  pour  la  mission  des 
Tamarois  des  sommes  considérables.  Il  n'était  à  cette  époque 
qu'une  branche  des  Missions-Etrangères  de  Paris  :  pouvait- 

I.   Lettre  du  2  janvier  1699,  publiée  dans  VAbeille  du  ler  avril  1880. 


1 70  L  EGUSE    DU    CANADA 

il  y  avoir  une  œuvre  qui  fût  plus  du  ressort  des  Missions- 
Etrangères  que  celle  des  missions  du  Mississipi  et  de 
l'Acadie  ? 

La  mission  des  Tamarois  eut  ses  martyrs  :  MM.  Foucault 
et  Saint-Cosme  furent  assassinés  par  les  sauvages  et  mou- 
rurent victimes  de  leur  zèle  apostolique.  Elle  eut  des  mis- 
sionnaires qui  vécurent  dans  une  grande  réputation  de 
sainteté.  Ecoutons  M.  de  Latour  parler  de  ceux  de  son 
temps  : 

«  Le  séminaire  de  Québec  ne  s'est  pas  borné,  dit-il,  à 
former  de  bons  prêtres  pour  la  colonie,  on  y  travaille  encore 
à  y  former  des  missionnaires  pour  les  sauvages,  ce  qu'on  a 
exécuté  depuis  avec  succès  chez  plusieurs  nations,  entre 
autres  dans  celles  des  Abénaquis,  en  Acadie,  des  Tamarois  et 
des  Illinois,  le  long  du  Mississipi,  où  l'on  entretient  toujours 
plusieurs  missionnaires,  conformément  à  une  clause  du  tes- 
tament de  M.  de  Laval.  J'ai  vu  partir  de  mon  temps  les 
sieurs  Gaston  ^  et  Courrier,  deux  jeunes  hommes  plein  de 
ferveur  et  d'une  très  grande  espérance,  dont  l'un  fut  mas- 
sacré par  les  sauvages,  l'autre  y  vit  comme  un  saint,  jusqu'à 
y  faire  des  choses  qu'on  a  regardées  comme  des  miracles. 
J'ai  vu  à  Québec  le  sieur  Le  Riche,  qui,  après  avoir  été  long- 
temps chez  les  Abénaquis,  et  ensuite  curé  à  la  campagne,  est 
mort  chanoine  de  la  cathédrale,  plein  de  mérites,  et  le  sieur 
Thaumur  de  la  Source,  qui,  après  plusieurs  années  de  séjour 
chez  les  Tamarois,  est  mort  à  Québec,  dans  une  si  grande 
réputation  de  sainteté,  que  tout  le  peuple,  à  ses  obsèques, 
allait  faire  toucher  des  chapelets  à  son  corps,  et  déchirait  ses 

I.  Il  n'y  a  jamais  eu  de  prêtre  de  ce  nom  aux  Tamarois.  M.  de 
Latour,  (ou  son  imprimeur)  a  probablement  mis  Gaston  au  lieu  de 
Gagnon  (Joseph),  lequel  partit  en  effet  pour  les  Tamarois  avec  M. 
Courrier  dit  Bourgignon  au  printemps  de  1730:  tous  deux  venaient 
d'être  ordonnés  à  Québec.  Le  seul  prêtre  de  cette  époque  dont  le  nom 
commence  par  Gaston  est  M.  Gastonguay,  fils  d'un  M.  Guay,  dont  le 
nom  de  baptême  était  Gaston  :  mais  ce  M.  Gastong^uay  fut  toujours  curé 
dans  les  paroisses  de  la  côte  sud. 


sous    M^""    DIC    SAINT-VALLIER  I7I 

habits  pour  avoir  des  reliques.  J'ai  cru  devoir,  en  passant, 
rendre  cette  justice  à  la  piété  de  ces  dignes  ouvriers  \  » 

Il  y  avait  donc  des  saints,  et  de  grands  saints,  à  cette 
époque,  dans  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France,  des  saints  qui 
répandaient  partout  la  bonne  odeur  de  leurs  vertus.  C'étaient, 
pour  la  plupart,  des  Canadiens,  nés  dans  le  pays,  fonnés  dans 
le  séminaire  de  M^""  de  Laval.  A  fnictibiis  eorum  cognos- 
cetis  cos  -.  Il  était  donc  bien  vénérable  cet  arbre  du  sémi- 
naire de  Québec,  qui  portait  de  tels  fruits  de  sainteté  et  de 
vertus  !  Il  était  donc  bien  vénérable  celui  qui  l'avait  planté, 
bien  vénérables  aussi  ses  collaborateurs,  qui  l'avaient  arrosé 
et  cultivé  avec  tant  de  soins  et  de  vigilante  sollicitude  ! 

Les  missionnaires  de  M"""  de  Laval  et  du  séminaire  de 
Québec  vécurent  en  bonne  intelligence  avec  les  Jésuites. 
Rien  de  plus  édifiant  que  la  bonne  entente  entre  tous  ces 
missionnaires  qui  se  consolent,  s'assistent  et  se  fortifient  les 
uns  les  autres  dans  un  ministère  pénible.  Ecoutons  l'un 
d'eux,  le  P.  Vivier,  écrivant  des  Illinois  à  ses  supérieurs  : 

«  Que  de  nations  sauvages,  dit-il,  dans  ces  vastes  con- 
trées arrosées  par  le  Missouri  et  ses  afiiluents.  s'ofïrent  au 
zèle  des  missionnaires  !  Elles  sont  du  district  des  messieurs 
des  Missions-Etrangères,  à  qui  l'évêque  de  Québec  les  a  ad- 
jugées depuis  plusieurs  années.  Ces  messieurs  sont  ici  au 
nombre  de  trois,  qui  desservent  deux  cures  françaises.  On 
ne  peut  rien  de  plus  aimable  pour  le  caractère,  ni  de  pluâ 
édifiant  pour  la  conduite.  Nous  vivons  avec  eux  comme  si 
nous  étions  membres  d'un  même  corps  '.  » 

Certes,  les  consolations  spirituelles  ne  manquaient  pas, 
sans  doute,  à  ces  bons  missionnaires  de  la  vallée  du  Missis- 
sipi.  Le  P.  Jacques  de  Lamberville  écrivant  un  jour  à  son 
frère,  d'une  des  missions  illinoises  :  «  On  y  compte,  disait-il, 


1.  Mémoires  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  100. 

2.  Matth.,  VII.  16. 

3.  Lettres  édifiantes,  t.  IV,  p.  318,  Lettre  du  P.  Vivier,  17  nov.  1750. 


172  l'église  du  canada 

plus  de  deux  mille  chrétiens,  qui  vivent  dans  la  simplicité 
et  la  piété  des  premiers  chrétiens.  » 

Un  autre  missionnaire,  le  P.  Guignas,  parlant  des  Akan- 
sas,  nous  dit  :  «  Ils  sont  d'une  pudeur  que  les  autres  nations 
ignorent.  Il  n'y  a  chez  cette  nation  d'obstacle  particulier  au 
christianisme  que  son  extrême  penchant  pour  la  jonglerie.  » 

Un  autre  jésuite,  le  P.  Chauchetière  :  «  Nous  voyons  dans 
nos  sauvages,  disait-il,  les  beaux  restes  de  la  nature  humaine, 
qui  sont  entièrement  corrompus  dans  les  peuples  policés. 
De  toutes  les  onze  passions,  ils  n'en  ont  que  deux;  la  colère 
est  la  plus  grande  ;  mais  encore  en  ont-ils  peu  dans  l'excès, 
hors  la  guerre.  Vivre  en  commun  sans  procès,  se  contenter 
de  peu  sans  avarice,  être  assidus  au  travail,  on  ne  peut  rien 
voir  de  plus  patient,  hospitaliers,  affables,  libéraux,  mo- 
dérés dans  le  parler  ;  enfin  tous  nos  Pères  et  les  Français  qui 
ont  fréquenté  les  sauvages  estiment  que  la  vie  se  passe  plus 
doucement  parmi  eux  que  paiTni  nous.  La  Foi  qui  trouve 
toutes  ces  préparations  y  fait  un  progrès  surprenant  \  » 

Les  Illinois  étaient  très  attachés  à  la  France.  Lors  du 
massacre  des  Français  par  les  Natchez,  plusieurs  chefs  Illi- 
nois, à  la  Nouvelle-Orléans,  allèrent  trouver  le  commandant 
Perrier  et  lui  offrirent  leurs  senàces  pour  venger  ce  mas- 
sacre. 

L'un  de  ces  chefs,  Chicagou,  qui  a  laissé  son  nom  à  la 
grande  ville  illinoise,  avait  été  en  France,  et  conservait  pré- 
cieusement, dans  une  bourse  faite  exprès,  une  magnifique 
tabatière  que  lui  avait  donnée  la  duchesse  d'Orléans. 

A  combien  de  dangers,  cependant,  n'étaient  pas  exposés 
les  missionnaires,  au  milieu  de  toutes  ces  nations  sauvages, 
et  cela,  la  plupart  du  temps,  par  la  faute  des  mauvais  Fran- 
çais !  Voyons,  par  exemple,  le  massacre  de  Natchez  que 
nous  venons  de  mentionner  :  le  P.  Vivier  nous  dit  expressé- 

I.   Rel.  des  Jés.,  édition  Burrows,  t.  64,  p.  128,  Lettre  du  7  août  1694. 


sous    M**"    DE    SAINT-VALI^IER  -  173 

ment  :  «  La  tyrannie  qu'un  commandant  français  entreprit 
d'exercer  sur  eux,  les  ix)ussa  à  bout.  Un  jour,  ils  firent 
main  basse  sur  tous  les  Français.  .  .  »  Ils  en  massacrèrent 
plus  de  deux  cents  :  parmi  eux  étaient  M.  de  Chepar,  com- 
mandant, M.  de  Codère,  commandant  des  Yasous,  M.  des 
Ursins,  MM.  de  Kelly,  père  et  fils,  MM.  de  Longrays,  des 
Noyers,  Bailly.  Le  P.  Poisson  était  alors  missionnaire  aux 
Akansas,  et  le  P.  Crucy  aux  Natchez.  Celui-ci  étant  mort 
d'un  coup  de  soleil,  le  P.  Poisson  était  venu  l'enterrer,  et 
c'est  lui  qui  se  trouvait  aux  Natchez,  lors  du  massacre.  Il 
eut  la  tête  coupée  à  coups  de  hache. 

Les  Natchez  étaient  à  cent  lieues  de  la  Nouvelle-Orléans  ; 
les  Yasous  à  vingt  lieues  de  Natchez.  Le  ii  décembre, 
nouveau  massacre  des  Français,  aux  Yasous,  où  commandait 
M.  des  Roches,  en  l'absence  de  M.  de  Codère.  Un  Jésuite,  le 
P.  Souel,  fut  massacré  par  les  sauvages;  un  autre,  le  P. 
Doutreleau,  criblé  de  coups  de  fusil,  finit  cependant  par  se 
sauver  ^. 

M.  de  Saint-Cosme  avait  été  tué  par  les  Sitimacas,  sau- 
vages qui  habitaient  le  bas  du  Mississipi. 

Voilà  quelques  exemples  des  dangers  auxquels  étaient 
exposés  sans  cesse  les  missionnaires  des  Tamarois,  des  mis- 
sions illinoises,  et  en  général  de  toutes  les  missions  de  la 
Louisiane. 

La  mission  des  Tamarois  s'éteignit  à  la  Conquête.  M. 
François  Forget-Duverger  en  fut  le  dernier  missionnaire. 
En  1763,  il  prit  sur  lui  de  vendre  tout  l'établissement  à  un 
négociant,  nommé  La  Grange.  Il  craignait  que  les  Anglais 
ne  s'emparassent  de  ces  biens;  et  quoiqu'il  ne  fût  qu'admi- 
nistrateur et  nullement  autorisé  à  aliéner  les  propriétés,  il 
vendit  à  vil  prix,  et  fit  perdre  au  séminaire  des  terrains 
dont  la  valeur  serait  énorme  aujourd'hui  ". 

1.  Lettres  édifiantes,  t.  IV,  passim. 

2.  Têtu,  Les  Evêques  de  Québec,  p.  131. 


174  '  L  ÉGLISE    DU    CANADA 

Un  peu  de  bon  sens,  de  réflexion  et  d'expérience  ne  nuit 
pas,  même  chez  les  hommes  les  plus  vertueux. 

Dans  ses  lettres  au  séminaire  de  Québec  pour  lui  pennettre 
«  d'envoyer  des  missionnaires  chez  les  sauvages  du  Missis- 
sipi  »,  M^''  de  Saint- Vallier  parle  de  «  son  affection  sincère 
pour  le  séminaire  des  Missions-Etrangères  »  \  Cette  affec- 
tion ne  se  démentit  pas.  Il  avait  obtenu  de  la  cour,  dans 
l'automne  de  1697,  des  lettres  patentes  pour  l'union  de  ses 
abbayes  à  l'Eglise  du  Canada;  et  ces  lettres  confirmaient 
l'union  de  la  cure  de  Québec  au  séminaire.  Les  années  sui- 
vantes, il  se  montre  facile  pour  laisser  quelques  prêtres 
s'agréger  au  séminaire,  entre  autres  le  jeune  M.  Leblond, 
qui  manifestait  de  grands  talents  pour  la  sculpture  et  l'archi- 
tecture : 

«  C'était,  écrit  l'auteur  de  l'histoire  manuscrite  du  sémi- 
naire, un  sujet  précieux  pour  IVP''  de  Laval,  qui  n'épargnait 
rien  dès  qu'il  s'agissait  de  contribuer  à  la  splendeur  du  culte 
de  Dieu  et  à  l'ornement  des  églises  et  des  autels.  Le  pieux 
Prélat  fit  venir  des  outils  pour  la  sculpture,  et  M.  Leblond, 
qui  fut  plus  tard  curé  de  la  Baie  Saint-Paul,  s'occupa  de 
former  des  élèves  ^.  » 

Dans  son  désir  de  promouvoir  le  bien  de  son  église,  M^ 
de  Saint-A^allier,  à  cette  époque  de  paix  et  d'union,  va  même 
jusqu'à  prendre  conseil  de  son  prédécesseur,  et  à  tenir  confé- 
rence avec  lui  et  avec  les  principaux  membres  de  son  clergé 
de  Québec,  ce  qu'il  n'aurait  certainement  pas  fait  dans  les 
commencements  de  son  administratioi  ^. 

M.  de  Montigny  avait  quitté  Québec  pour  la  mission  des 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  377. 

2.  Il  était  quelquefois  choisi  comme  expert  par  le  Conseil  Supérieur, 
"  comme  connaissant  dans  les  ouvrages  de  sculpture.  "  {Jugements  du 
Conseil  Supérieur,  t.  IV,  p.  487. 

3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  397. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  175 

Tamarois.  Ce  furent  deux  prêtres  du  séminaire,  MM. 
Glandelet  et  de  la  Colombière,  qui  devinrent  les  vicaires 
généraux  de  l'évêque  pour  le  district  de  Québec,  le  supérieur 
de  Saint-Sulpice  continuant  de  l'être  pour  le  district  de 
Montréal. 


CHAPITRE    XIV 


I.' ÉGLISE  DU   CANADA,   DE    1697  À    I/OO    (suitc) 
LES  MISSIONS  DE  L'aCADIE 

Toutes  les  missions  de  la  Nouvelle-France  dépendent  de  l'Eglise  de 
Québec.  —  Résumé  de  l'histoire  de  l'Acadie.  —  Le  grand  vicaire 
Thury;  ses  derniers  jours.  —  Mort  des  abbés  Trouvé  et  Beaudoin. 
—  Mort  de  M.  Tronson.  —  L'abbé  Gaulin. 

LE  champ  du  Père  de  famille  s'agrandit  de  plus  en  plus  et 
s'ouvre  sur  de  nouveaux  horizons.  Les  missionnaires  de 
l'évêque  de  Québec  sont  déjà  rendus  dans  la  Louisiane  :  bien- 
tôt nous  les  verrons  profiter  des  découvertes  de  D'Iberville 
pour  étendre  le  règne  de  Dieu  jusqu'aux  bouches  du  Missis- 
sipi.  La  lumière  de  l'évangile  brille  désormais  parmi  les  na- 
tions sauvages  au  nord  et  au  sud  des  grands  Lacs,  dans  la 
vallée  du  Mississipi  et  celles  de  ses  affluents  :  au  milieu  de  ces 
nations  sauvages  se  sont  formés  çà  et  là  des  petits  groupes 
de  colons  canadiens,  germes  de  villes  futures,  dont  les  noms 
français,  qui  subsistent  encore  de  nos  jours,  attestent  les 
travaux  héroïques  de  nos  ancêtres,  le  zèle  de  nos  mission- 
naires. 

Toutes  ces  missions  dépendent  de  l'évêque  de  Québec;  le 
siège  épiscopal  de  Québec  est  la  source  où  tous  les  mission- 
naires ont  puisé  et  doivent  puiser  leur  juridiction  :  «  Tous 
les  missionnaires  de  la  Nouvelle-France,  écrit  M^  de  Saint- 
Vallier,  y  doivent  travailler  sous  la  dépendance  de  l'évêque 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  177 

de  Québec  \  »  Récollets  et  Jésuites,  prêtres  séculiers  rendent 
compte  de  leurs  travaux  à  leurs  supérieurs,  et  ceux-ci  à 
l'évêque:  de  poste  en  poste,  de  village  à  village,  se  trans- 
mettent les  nouvelles  des  missions,  les  demandes  de  secours, 
les  encouragements  au  bien.  Il  y  a  à  travers  toutes  ces 
missions  un  courant  ininterrompu  de  vie  apostolique  qui 
part  de  Québec,  qui  va  de  la  tête  aux  membres,  et  circule 
partout  jusqu'aux  postes  les  plus  reculés  de  la  Louisiane. 

C'est  le  même  courant  qui,  parti  de  Québec,  circule  dans 
les  missions  de  Terreneuve  et  de  l'Acadie.  Seulement,  de 
ce  côté,  il  y  a,  pour  une  grande  partie  de  l'année,  comme  un 
mur  de  séparation  qui  rend  presque  impossible  les  communi- 
cations avec  cette  partie  lointaine  de  la  Nouvelle-France.  Les 
mêmes  difficultés  de  communication  existent  pour  le  gouver- 
nement civil.  Le  gouverneur  général,  qui  réside  à  Québec, 
préside  aux  destinées  de  toutes  les  possessions  françaises  en 
Amérique  :  les  gouverneurs  de  l'Acadie  et  de  Terreneuve 
ne  sont  que  des  gouverneurs  particuliers,  comme  ceux  de 
Montréal  et  des  Trois-Rivières.  Comment  le  gouverneur 
général  pourra-t-il  correspondre  avec  eux  en  tout  temps  de 
l'année?  La  chose  lui  est  impossible.  A  partir  du  dernier 
départ  de  vaisseaux,  s'il  a  quelque  communication  à  faire 
à  l'Acadie  ou  en  France,  il  est  obligé  de  passer  par  la  Nou- 
velle-Angleterre. Aussi  dès  1672  Frontenac  recevait-il  ins- 
truction de  la  cour  de  faire  faire  un  chemin  intercolonial 
pour  relier  l'Acadie  au  Canada  ^  :  projet  qui  ne  put  être  mis 
à  exécution  sous  le  régime  français,  mais  dont  nous  avons 
vu  de  nos  jours  la  magnifique  réalisation. 

Il  est  évident  que  les  relations  de  l'évêque  de  Québec  avec 
ses  missionnaires  de  l'Acadie  ne  pouvaient  être  suivies  et 
constantes  tout  le  temps  de  l'année.     Puis,  aux  difficultés 


1.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  298. 

2.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  I,  p.  224. 


178  1,'ÉGIvISE    DU    CANADA 

des  communications  venaient  s'ajouter  celles  qui  provenaient 
de  l'instabilité  du  régime  français  en  Acadie.  Hélas  !  par 
quelle  série  de  malheurs,  de  révolutions,  de  changements 
d'allégeance  a  passé  cette  colonie  acadienne  !  Et  quel  mérite 
de  la  part  des  Acadiens  d'être  restés  Français,  attachés  à 
leur  langue,  à  leur  foi,  à  leurs  traditions,  à  leur  religion, 
malgré  tant  de  vicissitudes  et  d'infortunes  !  En  1629, 
l'Acadie  subit  le  même  sort  que  le  Canada,  et  passe  à  la 
couronne  britannique.  Rendue  à  la  France  en  1632,  confiée 
pour  le  spirituel  aux  Capucins  \  elle  passe  de  nouveau  à 
l'Angleterre  en  1654,  mais  revient  à  la  France  en  1667  par  le 
traité  de  Bréda;  et  M^""  de  Laval  y  envoie  quelques  années 
plus  tard  le  premier  missionnaire  qui  y  ait  travaillé  de  la 
part  de  l'évêque  de  Québec,  le  premier  prêtre  qui  y  ait  re- 
présenté l'Eglise  de  la  Nouvelle-France,  en  qualité  de  grand 
vicaire,  l'abbé  Petit.  Moins  heureux  que  Québec,  Port- 
Royal  devient  la  proie  de  Phipps  en  1690,  et  les  Acadiens 
voient  partir  pour  l'exil  deux  de  leurs  missionnaires,  MM. 
Petit  et  Trouvé.  L'Acadie  est  rendue  à  la  France  par  la 
paix  de  Ryswick,  en  1697,  mais  pour  redevenir  anglaise,  et 
cette  fois  d'une  manière  définitive,  par  le  traité  d'Utrecht,  en 
171 3.  Et  alors  commence  pour  les  Acadiens  cette  ère  lamen- 
table d'espionnage,  d'accusations,  de  tracasseries  de  toutes 
sortes,  où,  devenus  sujets  anglais,  mais  avec  des  garanties 
pour  la  conservation  de  leur  langue  et  de  leur  religion,  avec 
la  promesse  de  n'être  jamais  obligés  de  prendre  les  aimes 
contre  leurs  anciens  compatriotes,  ils  sont  constamment  et 
de  toutes  manières  inquiétés,  poursuivis,  traqués,  de  ma- 
nière à  leur  rendre  la  vie  impossible,  dans  le  but  évident  de 
les  forcer  à  s'expatrier:  comme  ils  n'ont  nulle  envie  de  le 
faire,  on  s'en  empare  de  force,  et  on  les  disperse  aux  quatre 
vents  du  ciel   (1755). 

I.   La  Mission  du  Canada  avant  Mgr  de  Laval,  p.  53. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  179 

Que  de  vicissitudes  de  fortune  pour  ce  beau  pays  de 
l'Acadie  !  que  de  revers,  que  de  malheurs  !  Au  milieu  de  tout 
cela  l'Eglise  de  Québec  reste  fidèle  aux  Acadiens  :  M.  Petit, 
que  leur  a  em-oyé  M^  de  Laval,  leur  consacre  toute  sa  vie 
sacerdotale,  et  ne  revient  à  Québec  que  pour  y  mourir,  en 
1709.  M.  Thury,  un  autre  prêtre  du  séminaire,  se  dévoue 
tout  entier  à  l'Eglise  de  TAcadie;  il  y  reste  de  1683  à  1698, 
date  de  sa  mort.  C'est  un  des  plus  grands  missionnaires 
qu'ait  jamais  possédés  la  Nouvelle-France  \  Il  se  fixe 
d'abord  à  Miramichi,  et  de  là  parcourt  l'Acadie  en  tous  sens, 
desservant  non  seulement  les  Acadiens,  mais  les  sauvages 
Micmacs  et  Abénaquis.  Plus  tard  il  quitte  Miramichi,  et  va 
fonder,  au  nom  du  Séminaire,  la  mission  de  Pentagouet. 

Il  se  rend  périodiquement  à  Québec  pour  exposer  ses  vues 
à  l'évêque,  recevoir  ses  instructions  et  se  retremper  dans  la 
ferveur  sacerdotale  par  quelques  jours  de  retraite  passés 
dans  son  cher  séminaire.  Durant  son  dernier  séjour  à 
Québec,  M^''  de  Saint- Vallier  l'établit  son  vicaire  général 
pour  toute  l'étendue  de  l'Acadie,  comprenant  l'Ile  Percé, 
la  baie  des  Chaleurs,  le  Cap-Breton,  Port-Royal,  les  Mines, 
îe  Cap  de  Sable,  la  rivière  Saint-Jean,  Pentagouet,  et  en 
général  toutes  les  missions  de  l'Acadie.  Quel  immense  terri- 
toire confié  à  la  vigilance  pastorale  d'un  seul  homme  !  II 
est  dit  quelque  part  d'un  ancien  évêque  de  l'Orient  qu'il 
«  était  comme  le  prince  de  toute  l'Asie,  totitis  Asiœ  prin- 
ceps  »  ^  :  ne  peut-on  pas  dire  de  l'abbé  Thury  que  son  évêque 
l'avait  établi  comme  le  prince  de  toute  l'Acadie? 

Le  séminaire  de  Québec,  qm  venait  de  fonder  la  mission 
des  Tamarois,  avait  entrepris  en  même  temps  de  donner  plus 
de  développement  à  son  œuvre  en  Acadie  ;  et  M^""  de  Saint- 
Vallier  lui  avait  donné  des  lettres  patentes  lui  jDermettant 


1.  Thury  et  Petit  étaient  tous  deux  originaires  de  la  Normandie. 

2.  Bréviaire  romain,  à  la  fête  de  saint  Polycarpe. 


i8o  l'église  du  canada 

de  faire  des  établissements  et  des  missions  pour  les  sau- 
vages dans  tous  les  lieux  de  l'Acadie,  et  d'y  nommer  un 
supérieur  i.  Cette  charge  de  supérieur  fut  confiée  à  M. 
Thury.  A  une  époque,  le  séminaire  de  Québec  eut  jusqu'à 
sept  missionnaires  à  la  fois  dans  cette  partie  lointaine  du 
diocèse:  MM.  Thury,  Petit,  Gaulin,  Rageot,  Guay,  Mau- 
doux  et  Deschambault. 

Malheureusement  l'abbé  Thury  ne  survécut  pas  long- 
temps à  sa  nomination  comme  supérieur  de  la  mission  de 
l'Acadie.  Il  fut  emporté,  à  la  fleur  de  l'âge,  en  1698,  dans 
l'exercice  de  ses  travaux  apostoliques.  Laissons  l'abbé  Cas- 
grain  nous  raconter  ses  derniers  moments  : 

«Au  cours  du  printemps  de  1698,  dit-il,  l'abbé  Thury 
était  occupé  à  établir  une  mission  micmaque  au  bassin  des 
Mines,  sur  les  bords  de  la  rivière  Pigiquit.  Il  lui  donna 
pour  vocable  la  sainte  Famille.  .  .  Après  y  avoir  surveillé  les 
premiers  travaux,  il  se  rendit  sur  la  côte  de  l'est  pour  y 
donner  quelques  missions.  Arrivé  à  Chibouctou  (aujour- 
d'hui Halifax),  il  y  fut  pris  d'une  maladie  soudaine  qui 
l'emporta  en  quelques  jours,  jeune  encore  d'âge,  n'ayant 
que  quarante-huit  ans,  mais  plein  de  mérites. 

«  Le  grand-vicaire  Thury  n'avait  eu  pour  témoins  de  ses 
derniers  moments  que  les  rares  familles  micmaques  campées 
au  bord  de  la  baie  de  Chibouctou.  Ces  bons  néophytes, 
après  lui  avoir  fermé  les  yeux,  lui  rendirent  un  touchant 
hommage  de  reconnaissance  et  de  vénération  en  élevant  sur 
sa  tombe  un  petit  monument  funèbre  construit  à  leur  ma- 
nière. Ils  plantèrent  au-dessus  de  la  fosse  de  solides  pieux 
accolés  les  uns  aux  autres,  en  forme  de  rectangle  allongé, 
qu'ils  couvrirent  d'une  espèce  de  voûte  faite  de  larges  écorces 
cousues  de  racines  comme  leurs  canots.  De  gros  cailloux, 
proprement  rangés  autour,  complétèrent  le  petit  monument, 

I.    Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  379. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  l8l 

«  L'année  suivante,  le  voyageur  Dièreville  ayant  abordé  à 
Chibouctou,  descendit  au  rivage  avec  quelques  matelots  pour 
puiser  de  l'eau  à  une  fontaine.  Deux  sauvages  annés  en 
guerre  qui  les  aperçurent  les  prirent  pour  des  ennemis  et 
menacèrent  de  tirer  sur  eux;  mais  les  ayant  reconnus  pour 
des  Français,  ils  les  accueillirent  avec  de  grandes  marques 
d'amitié.  Le  lendemain,  trois  des  principaux  chefs  du  lieu, 
vinrent  à  bord  du  navire,  où  ils  furent  fêtés.  On  leur  servit 
un  repas  de  viande  et  de  poisson.  L'équipage  fut  fort  sur- 
pris et  édifié  de  les  voir  faire  fort  dévotement  leur  prière  et 
le  signe  de  la  croix  avant  et  après  le  repas.  Tous  ces  sau- 
vages portaient  autour  du  cou  des  chapelets  passés  en  ma- 
nière de  scapulaire,  avec  un  petit  reliquaire,  cousu  dans  un 
morceau  de  drap  et  de  droguet. 

«  A  la  suite  du  festin,  les  trois  chefs  firent  signe  à  Dière- 
ville et  à  quelques  autres  officiers  de  les  suivre  à  terre,  et  ils 
leur  montrèrent  le  monument  funèbre  élevé  à  l'abbé  Thury, 
en  leur  témoignant  par  des  gestes  expressifs  l'extrême  regret 
qu'ils  avaient  de  l'avoir  perdu.  De  telles  manifestations 
passent  les  plus  beaux  éloges.  L'abbé  Thury  avait  fait 
pénétrer  la  reconnaissance  dans  les  cœurs  les  moins  suscep- 
tibles de  ce  sentiment  ^.  » 

L'abbé  Thur}^  avait  consacré  une  partie  des  loisirs  que  lui 
laissait  son  ministère  à  des  écrits  sur  les  langues  sauvages, 
qui  malheureusement  n'ont  pas  été  consentes.  Il  avait,  en 
particulier,  traduit  en  micmac  les  principaux  offices  litur- 
giques qu'il  avait  habitué  ses  sauvages  à  chanter  à  l'église. 
Ces  chants  avaient  laissé  une  impression  profonde  dans  l'âme 
du  voyageur  Dièreville  :  «  Je  les  ai,  dit-il,  plus  d'une  fois 
entendus  à  la  grand'messe  et  aux  vêpres.  Les  voix  des 
femmes,  particulièrement,  étaient  si  douces  et  si  touchantes 

I.    Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  217. 


i82  l'église  du  canada 

que  je  croyais  entendre  les  anges  chanter  les  louanges  de 
Dieu.  » 

Dans  son  premier  voyage  en  Acadie,  M^  de  Saint-Vallier 
y  avait  introduit  deux  Sulpiciens,  MM.  Geoffroy  et  Trouvé. 
M.  Geoffroy  n'y  resta  que  quelques  années,  puis  revint  au 
Canada.  M.  Trouvé,  au  contraire,  y  consacra  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie,  et  y  finit  ses  jours  comme  M.  Thury.  Sa 
vocation  était  pour  les  missions  acadiennes  ;  et  chose  remar- 
quable, il  mourut  à  peu  près  au  même  endroit  que  M.  Thury, 
non  loin  de  la  ville  actuelle  de  Halifax,  sur  une  plage 
perdue  de  la  Nouvelle-Ecosse  : 

«  Ce  furent,  dit  l'abbé  Casgrain,  de  pauvres  pêcheurs  qui 
furent  témoins  des  derniers  moments  du  saint  missionnaire, 
de  cet  homme  de  Dieu  qui  aurait  pu,  s'il  l'eût  préféré,  passer 
toute  sa  vie  sous  le  beau  ciel  de  son  pays,  la  Touraine,  dans 
la  jouissance  de  quelques  riches  bénéfices  ou  d'un  paisible 
canonicat.  Mais  il  aima  mieux  s'exiler  dans  les  âpres  soli- 
tudes du  Nouveau-Monde,  pour  y  travailler  péniblement  et 
obscurément  au  salut  des  âmes.  » 

Un  autre  Sulpicien,  l'abbé  Beaudoin,  était  mort,  lui  aussi, 
en  Acadie,  quelques  années  auparavant,  après  avoir  desservi 
Beaubassin  et  exercé  son  zèle  parmi  les  sauvages.  Il  accom- 
pagna D'Il^erville  dans  sa  fameuse  expédition  sur  les  côtes 
de  1" Acadie,  au  fort  Pemquid,  et  à  Terreneuve;  et  il  écrivit 
sous  forme  de  journal  le  récit  de  cette  ex^^édition  \  M. 
Tronson  estimait  beaucoup  l'abbé  Beaudoin,  dont  il  appré- 
ciait le  zèle  et  les  éminentes  qualités.  Malheureusement  la 
santé  lui  faisait  défaut  ;  les  fatigues  qu'il  eut  à  endurer  dans 
l'expédition  de  Terreneuve  achevèrent  d'épuiser  ses  forces. 
Il  mourut  à  Beaubassin  dans  l'été  de  1699.  «  C'est  une  perte 
considérable  pour  le  pays,  écrivait  ]M.  de  Belmont,  supérieur 

I.  Nous  avons  publié  ce  journal  en  1900:  "Les  Xonnands  au  Canada; 
Journal  d'une  expédition  de  D'Iberville.  publié  avec  une  introduction 
et  des  notes.    Evreux,  Imprimerie  de  l'Eure,  1900.  " 


sous    M''""    DE    SAINT-VALLIER  183 

du  séminaire  de  Montréal  ^  ;  car  difficilement  trouvera-t-on 
un  missionnaire  si  zélé,  si  accoutumé  à  la  fatigue.  »  Et  M. 
Tronson  :  «  C'était,  dit-il,  un  bon  ouvrier,  dont  la  mort  est 
sans  doute  affligeante,  mais  qui  ix)rte  avec  elle  sa  consolation, 
puisqu'elle  lui  est  arrivée  les  amies  à  la  main  et  en  servant 
son  bon  Maître.  » 

Hélas  !  M.  Tronson,  lorsqu'il  traçait  ces  lignes,  n'avait 
plus  lui-même  que  quelques  semaines  à  vivre.  Il  mourut  à 
Paris  le  26  février  1700,  plein  de  mérites  et  de  gloire  devant 
Dieu. 

Condisciple  de  Frontenac,  ami  de  M^  de  Saint- Vallier,  il 
exerça  sans  doute  une  grande  influence  sur  les  destinées  de 
l'Eglise  du  Canada  par  ses  sages  conseils.  Une  grande 
partie  du  bien  qu'il  fit  à  cette  Eglise  ne  sera  probablement 
jamais  connue  que  de  Dieu.  Mais  la  part  importante  qu'il 
prit  aux  missions  de  la  Nouvelle-France,  en  leur  fournis- 
sant de  nombreux  ouvriers  évangéliques,  ne  doit-elle  pas  le 
faire  regarder,  ainsi  que  M.  Olier,  comme  l'un  des  grands 
bienfaiteurs  de  l'Eglise  canadienne? 

«  Son  nom,  dit  l'abbé  Casgrain,  doit  être  associé  à  celui  de 
M^""  de  Saint-Vallier  dans  le  souvenir  des  Acadiens.  Tous 
deux  ont  été  pour  eux  des  bienfaiteurs  qui  ne  doivent  pas 
être  oubliés.  L'abbé  Leschassier,  qui  fut  élu  à  la  mort  de 
M.  Tronson  supérieur  général  de  Saint-Sulpice,  hérita  de 
ses  vues  et  de  sa  charité  en  faveur  de  l'Acadie  ;  mais  il  pro- 
fita de  l'expérience  de  son  prédécesseur.  Il  attendit  des 
temps  plus  calmes,  plus  de  sécurité  dans  le  pays  pour  y  faire 
de  nouveaux  essais  ^.  » 

Il  devait  s'écouler  dix-sept  ans  après  la  mort  de  M. 
Trouvé,  avant  que  l'Acadie  revît  de  nouveaux  Sulpiciens. 
Les  temps  étaient  mauvais.    L'Acadie  était  devenue  la  proie 

1.  M.  de  Belmont  succéda  en  1701  à  M.  Dollier  de  Casson,  décédé 
l'année  précédente. 

2.  Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  211. 


184  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

d'intraitables  officiers  civils,  véritables  vautours,  dont  la 
mauvaise  conduite  détruisait  l'œuvre  de  la  prédication  evan- 
gélique.  Il  ne  fallait  pourtant  pas  la  laisser  sans  mission- 
naires: voilà  pourquoi  le  séminaire  de  Québec  redoubla 
d'efforts  pour  lui  en  envoyer.  Nous  l'avons  dit  :  il  y  eut,  à 
une  époque,  jusqu'à  sept  prêtres  des  Missions-Etrangères. 
Le  séminaire  leur  allouait  à  chacun  au  moins  trois  cents 
livres.  Ces  bons  missionnaires  restaient  en  communication 
constante  avec  l'Eglise  de  Québec,  soit  directement,  soit 
indirectement  avec  le  procureur  du  séminaire,  à  Paris,  M. 
Tremblay,  qui  semble  avoir  rempli  pour  les  missions  aca- 
diennes  le  rôle  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  exerça  plus  tard  pour 
celles  de  la  Louisiane. 

M.  Gaulin  succéda  à  M.  Thury  comme  supérieur  des  mis- 
sions de  l'Acadie,  et  se  fixa  à  Pentagouet,  mission  fondée  par 
M.  Thury  en  1697.  Il  y  resta  jusqu'à  ce  que  les  Jésuites 
obtinrent  de  l'Evêque  cette  mission  abénaquise. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  difficultés  que  les 
missionnaires  éprouvèrent  de  tout  temps  de  la  part  des  offi- 
ciers civils  de  l'Acadie,  des  officiers  subalternes,  surtout;  car 
le  gouverneur  leur  était  généralement  favorable.  M.  de 
Brouillan  rendait  un  jour  ce  beau  témoignage  à  M.  Mau- 
doux  :  «  Ce  missionnaire  est  d'une  vertu  exemplaire,  qui  lui 
attire  la  vénération  et  la  confiance  de  tous  ses  paroissiens.  » 
M.  de  Subercase,  également,  prenait  en  toute  occasion  la 
part  des  missionnaires,  et  spécialement  de  M.  Gaulin.  Il 
s'apitoyait  sur  le  sort  de  ce  bon  missionnaire  des  Micmacs, 
qui  n'avait  pas  de  quoi  vivre  :  «  Le  sieur  Gaulin,  disait-il, 
aurait  plus  besoin  de  trois  cents  écus  que  les  autres  de  cent, 
parce  qu'il  n'a  ni  dîme,  ni  revenus,  et  qu'il  est  obligé  de 
faire  une  dépense  considérable  dans  les  fréquents  voyages 
nécessités  par  ses  missions.  . .  » 

Mais  que  d'obstacles  rencontraient  les  missionnaires  de 
la  part  des  officiers  subalternes  !     M.  Tremblay  écrivait  à 


sous    M*'""    DE    SAINT-VALUER  185 

M*^  de  Laval  le  15  juin  1703  :  «  Je  suis  entièrement  dégoûté 
par  le  libertinage  de  ceux  qui  ont  l'autorité  (en  AcadieJ  :  ils 
sont  plus  écoutés,  cependant,  que  de  saints  missionnaires 
par  ce  ministre  (Pontchartrain),  toujours  disposé  à  les  pré- 
férer à  eux  et  à  condamner  les  gens  de  bien,  pour  soutenir 
l'autorité,  en  quelles  que  mains  qu'il  l'ait  mise. 

«  L/'Acadie,  ajoutait  M.  Tremblay,  est  en  ce  moment  dans 
un  état  où  je  ne  saurais  croire  que  Dieu  ne  la  livre  entre  les 
mains  des  Anglais,  pour  en  punir  ceux  qui  la  gouvernent; 
car  ils  sont  peut-être  moins  ses  ennemis  que  ceux  qui  se 
disent  catholiques  et  sont  plus  corrompus  de  mœurs  que  les 
hérétiques  ^.  .  .  « 

Paroles  qu'on  dirait  vraiment  prophétiques,  puisqu'elles 
étaient  écrites  juste  dix  ans  seulement  avant  le  traité 
d'Utrecht,  qui  fit  passer  définitivement  l'Acadie  sous  la 
couronne  britannique. 

Lorsqu'arriva  cet  événement,  que  semble  avoir  prévu  M. 
Tremblay,  il  ne  restait  plus  qu'un  seul  missionnaire  séculier 
en  Acadie,  l'abbé  Gaulin;  mais  il  demeura  intrépide  à  son 
poste.  Nous  l'y  retrouverons  plus  tard,  lorsque  nous  verrons 
les  Sulpiciens  rentrer  dans  cette  partie  de  la  vigne  du  Sei- 
gneur oij  les  avaient  introduits  M.  Tronson  et  M^""  de  Saint- 
Vallier. 

I.   Cité  par  l'abbé  Casgrain,  dans  Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  255. 


CHAPITRE    XV 


l'église  du  canada,  de  1697  À  1700  (suite) 

LES    PAROISSES    CANADIENNES 

Après  le  Règlement  de  1692.  —  La  question  des  cures  fixes.  —  Les  huit 
mille  livres  de  supplément.  —  L'édit  de  1679  et  le  patronage  des 
églises.  —  Le  patronage  donné  à  l'évéque  par  l'édit  de  1699. — 
L'abbé  GeoflFroy,  grand  architecte  du  diocèse. 

DEPUIS  le  Règlement  de  1692,  qui  avait  fait  rentrer  le 
séminaire  de  Québec  dans  le  droit  commun,  cette 
institution  n'avait  plus  à  s'occuper  des  cures,  ou  du  moins 
elle  ne  s'occupait  que  de  celles  dont  les  titulaires  étaient 
encore  ses  membres.  Les  curés  qui  faisaient  partie  du  sémi- 
naire lui  rendaient  compte  de  leur  revenu  :  qui  aurait  pu  les 
en  empêcher?  Seulement,  ils  ne  restaient  agrégés  au  sémi-. 
naire  que  s'ils  le  voulaient  bien.  Pour  les  en  détacher, 
l'évéque  avait  demandé  à  la  cour  qu'il  leur  fijt  défendu  d'y 
aller  loger  quand  ils  viendraient  en  ville  ^  ;  et  c'est  précisé- 
ment pour  leur  donner  l'hospitalité  qu'il  avait  bâti  son  grand 
évêché,  qu'il  appelait  «  la  maison  commune  du  clergé  de 
Québec  et  de  Paris  ».  Mais  il  n'avait  pas  obtenu  de  la  cour 
ce  qu'il  demandait.  Les  curés  ne  pouvaient  sans  doute 
s'absenter  de  leur  poste  sans  sa  pemiission  ;  mais  la  permis- 
sion obtenue,  ils  pouvaient  loger  au  séminaire  et  y  rester  au 
moins  quinze  jours. 

L'évéque  était  le  distributeur  des  suppléments  accordés 

I.    Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  266. 


l'église  du  canada  sous  m*""  de  saint-vallier    187 

par  le  roi  aux  curés  qui  en  avaient  besoin  ;  mais  il  devait  en 
donner  une  partie  au  séminaire  pour  ses  propres  mission- 
naires. 

Les  cures  de  la  campagne  n'étant  plus  unies  au  séminaire, 
étaient  toutes  à  la  disposition  de  l'évêque.  C'est  lui  qui 
devait  pounoir  à  leur  desserte,  à  la  desserte  de  ces  im- 
menses missions  qui  avaient  quelquefois  vingt  à  vingt-cinq 
lieues  d'étendue.  C'est  lui  que  l'on  tiendra  désormais  respon- 
sable de  l'exécution  ou  de  la  non-exécution  du  fameux  édit 
de  1679,  imaginé  par  Frontenac  pour  créer  des  embarras 
à  M^  de  Laval  :  édit  par  lequel  les  dîmes  n'étaient  dues  qu'au 
curé  fixe,  «  à  chacun  des  curés  dans  l'étendue  de  la  paroisse 
où  il  est  et  où  il  sera  établi  perpétuel  »,  au  curé,  par  consé- 
quent, qui  n'avait  pas  à  s'absenter  un  dimanche  ou  deux  par 
mois  pour  aller  faire  l'office  dans  les  missions,  mais  donnait 
l'office  régulièrement  chaque  dimanche  à  ses  paroissiens. 

On  attendait  beaucoup  de  M^""  de  Saint-Vallier  pour  l'éta- 
blissement de  ces  curés  fixes.  Mais  il  ne  put  faire  mieux 
que  AP""  de  Laval,  parce  qu'il  ne  pouvait  faire  l'impossible. 
Il  n'avait  pas  assez  de  prêtres  pour  en  mettre  partout  où  il 
y  avait  quelques  groupes  de  colons:  et  d'ailleurs  qui  les 
aurait  fait  vivre?  Les  curés  devaient  donc  laisser  quelque- 
fois leur  paroisse  pour  aller  donner  la  messe  le  dimanche  à 
quelque  mission  éloignée  :  de  là  des  désordres  dans  les  pa- 
roisses ainsi  abandonnées  ;  de  là  des  plaintes  :  ces  plaintes 
allaient  quelquefois  jusqu'à  la  cour,  puis  revenaient  de  là  au 
gouverneur  et  à  l'intendant,  qui  y  répondaient  de  leur 
mieux  : 

«  Je  solliciterai  AL  l'évêque  de  Québec  à  fixer  les  cures, 
écrit  Champigny,  et  à  faire  travailler  aux  bâtiments  des 
églises  et  aux  presbytères.  .  .  A  l'égard  des  huit  mille  livres 
que  Sa  Majesté  accorde  pour  l'entretien  des  curés,  il  me 
parait  bien  nécessaire  de  continuer  cette  gratification,  si  on 


l88  L^'ÉGLISE    DU    CANADA 

ne  vent  pas  priver  quantité  de  paroisses,  où  il  y  a  très  peu 
de  dîmes,  de  secours  spirituels  ^.  .  .  » 

«  Pour  ce  qui  concerne  la  fixation  des  cures,  ajoute-t-il 
l'année  suivante,  nous  presserons  M.  l'évêque  de  satisfaire 
Sa  Majesté.  .  .  Mais  il  ne  faut  pas  espérer  que  les  curés 
puissent  de  sitôt  subsister  sans  le  supplément  de  huit  mille 
livres,  à  cause  de  la  pauvreté  de  la  plus  grande  partie  des 
paroisses  "...  » 

On  est  vraiment  étonné  de  l'insistance  de  la  cour  à  revenir 
à  tout  instant  sur  la  fixation  des  cures  et  la  desserte  des 
paroisses:  comme  si  des  hommes  apostoliques  de  la  trempe 
des  Laval  et  des  Saint-Vallier  avaient  eu  besoin  de  ces 
recommandations  pour  exciter  leur  zèle  !  N'allons  pas  croire 
que  ces  dépêches  de  la  cour  n'avaient  en  vue  que  la  gloire 
de  Dieu  et  le  bien  des  âmes.  En  y  regardant  de  prés,  il  est 
facile  de  constater  que  ce  n'était  pas  tant  le  zèle  de  la  religion 
qui  faisait  agir  les  ministres  de  Louis  XIV,  que  le  désir  de 
se  libérer  le  plus  tôt  possible  de  l'engagement  ciu'ils  avaient 
pris  de  donner  des  suppléments  aux  curés  qui  n'avaient 
pas  assez  de  dîme  pour  vivre.  Quant  aux  huit  mille  livres, 
quelle  pitié  de  vouloir  lésiner  là-dessus!  Après  tout,  cet 
argent  ne  provenait  nullement  de  la  caisse  personnelle  du 
roi,  mais  tout  simplement  du  revenu  de  la  colonie,  c'est-à- 
dire  des  droits  payés  d'une  manière  ou  d'une  autre  par 
l'habitant  canadien,  et  dont  on  lui  remettait  quelque  chose 
sous  forme  de  supplément  pour  l'aider  à  payer  ses  curés. 

Le  ministre  ne  cesse  cependant,  de  revenir  sur  les  huit 
mille  livres;  mais  le  gouverneur  et  l'intendant,  de  lui  ré- 
pondre invariablement,  chaque  fois,  de  la  même  manière  : 

«  Nous  ne  voyons  aucune  apparence  de  pouvoir  de  sitôt 
retrancher  les  huit  mille  livres  que  le  roi  a  la  bonté  d'accor- 


1.  Corresp.  générale,  vol.  15,  Champigny  au  ministre,  26  août  1697. 

2.  Ibid.,  vol.  16,  Champigny  au  ministre,  15  oct.  1698. 


sous    M'^'"    DE    SAINT-VALLIER  189 

der  pour  partie  de  la  subsistance  des  curés  '.  .  .  Le  bien  que 
Sa  Majesté  fait  de  donner  huit  mille  livres  pour  partie  de 
l'entretien  des  curés  est  si  nécesaire,  que  s'il  ne  se  faisait  pas 
il  y  aurait  impossibilité  absolue  d'entretenir  plus  de  huit  ou 
neuf  curés  ".  .  .  On  ne  peut  rien  retrancher  aux  curés  sur 
cette  somme  de  huit  mille  livres,  n'étant  pas  même  suffisante 
pour  la  quantité  de  missionnaires  qui  desservent  les  cures 
du  pays.  »  Et  cette  fois  le  gouverneur  et  l'intendant 
ajoutent:  «  On  a  été  obligé,  cette  année  (1702),  d'augmenter 
cinq  cures,  savoir,  une  au  haut  de  l'île  de  Montréal,  une 
autre  sous  le  titre  de  Saint-Laurent,  et  une  troisième  dans  la 
même  île,  sur  le  bord  de  la  rivière  des  Prairies,  une  qua- 
trième à  l'île  Jésus  et  La  Chênaie,  et  la  dernière  dans  la  sei- 
gneurie de  Berthier,  au-dessus  du  lac  Saint-Pierre,  tous  ces 
lieux  étant  établis  depuis  deux  ans  ;  et  si  les  habitants  de  ces 
terres  n'avaient  pas  la  consolation  d'avoir  des  curés,  ils 
déserteraient  et  n'y  voudraient  pas  demeurer  ^.  » 

A  propos  de  ces  nouveaux  établissements,  il  y  a  dans  une 
dépêche  de  l'intendant  quelques  lignes  qu'il  nous  semble 
intéressant  de  citer  ici  : 

«  Les  habitants,  dit-il,  qui  se  sont  attachés  à  la  culture  des 
terres,  et  qui  sont  tombés  dans  de  bons  endroits,  vivent  assez 
commodément,  trouvant  des  avantages  que  ceux  de  France 
n'ont  point,  qui  sont  d'être  presque  tous  placés  sur  le  bord 
de  la  rivière  Saint-Laurent,  où  ils  ont  quelque  pêche  *  :  et 
leur  maison  étant  au  milieu  du  devant  de  leur  terre,  qui  se 


1.  Corresp.  générale,  vol.  17,  Callières  et  Champigny  au  ministre, 
20  oct.  1699. 

2.  Ibid.,  vol.  18,  Callières  et  Champigny  au  ministre,  5  oct.  1700. 

3.  Ibid.,  vol.  20,  Callières  et  Champigny  au  ministre,  3  nov.  1702. 

4.  "  Pas  d'anguilles,  et  beaucoup  de  dispositions  à  la  misère.  "  {Jour- 
nal des  Jésuites,  1648). — "La  pêche  et  la  chasse  fournissaient  une  bonne 
partie  des  provisions  de  bouche.  En  1646,  la  seule  pêcherie  des  Jésuites, 
à  Sillery,  avait  donné  quarante  millions  d'anguilles,  dont  une  partie  fut 
vendue  un  demi-écu  le  cent.  "  (  Ferland,  Notes  sur  les  Registres  de 
N.-D.  de  Québec,  p.  82.). 


190  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

trouve  par  conséquent  derrière  et  aux  deux  côtés  d'eux, 
comme  ils  n'ont  point  à  s'éloigner  pour  la  faire  valoir,  et 
pour  tirer  leur  bois,  qui  est  à  l'endroit  où  se  terminent  leurs 
terres,  ils  ont  en  cela  de  très  grandes  facilités  pour  faire 
leurs  travaux.  .  . 

«  Les  hommes  sont  fort  vigoureux,  ajoute-t-il,  mais  sans 
aimer  le  travail  de  durée  et  qui  attache.  Les  femmes  aiment 
le  faste,  et  sont  excessivement  paresseuses,  aussi  bien  celles 
de  la  campagne  que  celles  des  villes. 

«  On  s'entresecourt  les  uns  les  autres  tout  d'une  autre 
manière  qu'on  ne  fait  en  France  \  .  .  » 

La  population  de  la  colonie  canadienne,  à  la  fin  du  dix- 
septième  siècle,  était  tout  au  plus  de  seize  mille  âmes  ^  : 
c'était  une  augmentation  d'environ  quatre  mille  depuis  le 
commencement  de  l'épiscopat  de  M^''  de  Saint-V allier. 

Lorsque  le  Prélat  arriva  de  France  en  1697,  la  figure 
extérieure  de  son  Eglise  n'avait  guère  changé  depuis  la 
dernière  visite  qu'il  en  avait  faite  :  quelques  nouveaux  éta- 
blissements, çà  et  là,  mais  peu  de  nouvelles  églises,  de  nou- 
veaux presbytères.  L'édit  de  1679  semblait  avoir  été  ima- 
giné à  plaisir  pour  mettre  des  entraves  à  tout  ce  que  l'évêque 
voulait  entreprendre  pour  le  développement  et  le  bien  de  ses 
paroisses.  Voulait-il,  par  exemple,  fixer  la  place  d'une 
église,  délimiter  une  paroisse,  réparer  ou  construire  une 
église  ou  un  presbytère,  il  voyait  arriver  le  seigneur  de  l'en- 
droit, ou  quelque  autre  personnage  important,  qui  se  pré- 
sentait avec  une  foule  de  prétentions.  Voici  les  termes  de 
l'édit  par  rapport  à  la  construction  des  églises  et  au  patro- 
nage qui  devait  en  résulter: 

«  Celui  qui  aumônera  le  fonds  sur  lequel  l'église  parois- 
siale  sera   construite,    et    fera  de   plus   tous   les    frais   du 


1.  Corresp.  générale,  vol.  17,  Champigny  au  ministre,  20  oct.  1699. 

2.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  22. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALUER  ICI 

bâtiment,  sera  patron  fondateur  de  la  dite  église,  présentera 
à  la  cure,  vacation  advenant,  la  première  collation  demeu- 
rant libre  à  l'ordinaire,  et  jouiront  lui  et  ses  héritiers  en 
ligne  directe  et  collatérale,  en  quelques  degrés  qu'ils  soient, 
tant  du  droit  de  présenter  que  des  autres  droits  honorifiques- 
qui  appartiennent  aux  patrons.  .  . 

«  Le  seigneur  de  fief  dans  lequel  les  habitants  auront  per- 
mission de  faire  bâtir  une  église  paroissiale,  sera  préféré  à 
tout  autre  pour  le  patronage,  pourvu  qu'il  fasse  la  conditiort 
de  l'église  égale,  en  aumônant  le  fonds  et  faisant  les  frais 
du  bâtiment,  auquel  cas  le  droit  de  patronage  demeurera 
attaché  au  principal  manoir  de  son  fief  et  suivra  le  posses- 
seur, encore  qu'il  ne  soit  point  de  la  famille  du  fonda- 
teur \  .  .  » 

Voilà  sans  doute  un  édit  magnifique  sur  le  papier,  et  qui 
aurait  pu  produire  de  grands  résultats,  s'ils  s'était  trouvé  au 
Canada  beaucoup  de  seigneurs  en  état  de  s'en  prévaloir. 
Mais  où  étaient-ils  les  seigneurs  canadiens  qui  fussent  en 
état  non  seulement  de  donner  le  terrain  de  l'église,  mais 
surtout  de  faire  tous  les  frais  de  construction  de  cette  église  ?" 
Et  remarquons  qu'il  ne  s'agissait  pas  ici  de  construction  en 
bois  :  la  cour  eut  plus  d'une  fois  occasion  de  décider  qu'elle 
n'admettait  que  des  constructions  en  pierre  ^.  Plusieurs 
aumônaient  volontiers  le  terrain  de  l'église,  et  on  les  récom- 
pensait ordinairement  en  leur  accordant  un  banc  dans  cette- 
église.  Mais  à  part  les  séminaires  de  Montréal  et  de  Qué- 
bec ^  qui,  en  leur  qualité  de  seigneurs,  bâtirent  plusieurs 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  232. 

2.  Ibid.,  p.  279. 

3.  En  1721,  le  22  septembre,  M.  Glandelet,  supérieur  du  séminaire,  et 
MM.  Boulard  et  Thibout.  deux  autres  prêtres  de  cette  maison, 
s'adressent  à  Mgr  de  Saint- Vallier  pour  faire  reconnaître  leur  droit  de 
patronage  de  deux  églises  en  pierre  que  le  séminaire  de  Québec  a  fait 
bâtir  "  à  ses  dépens  ",  l'église  de  Saint-François  de  Sales  de  l'Ile  Jésus, 
et  celle  de  Saint-Joachim.  Ils  demandent  "  ce  droit  de  patronage  con- 
formément à  l'article  6  de  l'ordonnance  de   Sa  Majesté  de  1679",  et 


192  L  EGUSE    DU    CANADA 

églises  en  pierre  dans  leurs  seigneuries,  aucun  seigneur 
laïque  ne  fut  jamais  en  état  de  le  faire,  ni  par  conséquent 
devenir  patron  d'églises. 

«  Il  n'y  a  personne  en  ce  pays  qui  puisse  non  seulement 
doter  une  église,  mais  même  la  faire  bâtir  solidement  à  ses 
dépens,  écrivait  l'intendant  Duchesneau.  Tous  les  gens 
sont  ici  remplis  d'une  grande  vanité  ;  il  n'y  a  personne  qui  ne 
prétende  être  patron  ;  chacun  veut  un  curé  dans  sa  terre  : 
tous  ces  gens-là,  cependant,  sont  fort  endettés  et  dans  la 
dernière  pauvreté.  . .  Il  n'y  a  pas  un  particulier  dans  ce  pays, 
ajoute-t-il,  qui  se  puisse  mettre  en  devoir  de  faire  bâtir  des 
églises,  de  quelque  manière  que  ce  soit.  Ils  diront  assez 
qu'ils  le  feront,  mais  il  n'est  pas  en  leur  pouvoir  de  l'exé- 
cuter \  .  .  » 

On  se  ferait  difficilement  une  idée  des  prétentions  que 
redit  de  1679  ^^  autres  arrêts  du  même  genre  avaient  mises 
dans  l'esprit  de  certains  seigneurs  -,  et  des  embarras  qu'ils 
opposaient  à  l'évêque  pour  l'organisation  de  ses  paroisses 
ou  l'administration  de  son  diocèse  ^.     «  Il  y  a  des  seigneurs, 


prient  en  même  temps  Mgr  de  Saint-Vallier  d'ériger  les  dites  églises 
"  en  titre  de  paroisses  perpétuelles  ".  L'évêque  renvoie  cette  demande 
à  son  promoteur,  M.  Pierre-René  Le  Boulanger  de  Saint-Pierre.  Celui- 
ci  fait  une  visite  sur  les  lieux,  et  donne  un  rapport  favorable  le  15 
septembre.  Puis  le  18  du  même  mois  l'évêque  émet  un  décret 
d'érection  en  titre  de  ces  paroisses.  (Archives  de  l'évêché  de  Québec, 
Registre  C). 

1.  Corresp.  générale,  vol.  5,  Duchesneau  au  ministre,  13  nov.  1681. 

2.  A  Beauport,  le  seigneur,  en  quête  de  prétendus  droits  honori- 
fiques, s'était  mis  dans  la  tête  de  se  faire  encenser  durant  la  messe 
comme  le  gouverneur.  L'évêque  étant  alors  absent  du  diocèse,  le 
curé,  M.  Didier  Calon,  laissé  à  ses  seules  lumières,  et  ne  sachant 
comment  s'opposer  à  une  pareille  exigence,  avait  pris  le  parti  de  ne 
pas  se  faire  encenser  lui-même.  On  ne  pouvait  guère  pousser  plus  loin 
le  renoncement  ! 

3.  Mgr  de  Saint-Vallier  ayant  voulu  un  jour  séparer  en  deux  la 
paroisse  de  la  Grande-Anse  (Sainte-Anne),  pour  en  unir  une  moitié  à 
la  Rivière-Ouelle,  et  l'autre  moitié  à  la  Grande-Pointe,  le  seigneur 
D'Auteuil  s'y  opposa  et  présenta  un  mémoire  à  la  cour,  dans  lequel  il 
faisait  valoir  le  fait  que  ses  enfants  avaient  donné  à  l'église  quelques 
vases  d'argent,  et  que  lui-même  avait  fait  la  dépense  de  faire  peindre 


sous    M*"    DE    SAINT-VALIJKR  I93 

écrivait  un  jour  le  gouverneur  au  ministre,  qui  ne  veulent 
pas  soutïrir  qu'on  leur  change  leurs  églises  des  places  où 
elles  ont  été  anciennement  bâties  \  » 

A  la  vue  des  embarras  sans  nombre  que  lui  causait  l'édit 
de  1679  pour  l'organisation  des  paroisses,  la  construction,  la 
réparation  et  l'entretien  des  églises,  M^""  de  Saint-Vallier 
sollicita  la  permission  de  bâtir  lui-même  les  édifices  reli- 
gieux qu'il  jugerait  nécessaires  ;  et  il  obtint  un  arrêt  du  Con- 
seil d'Etat,  en  date  du  27  mai  1699,  que  nous  allons  citer  à 
cause  de  son  importance: 

«  Sur  la  requête  présentée  au  roi,  étant  en  son  Conseil, 
par  le  sieur  évêque  de  Québec,  contenant  que  Sa  Majesté  a 
ci-devant  accordé  aux  particuliers  auxquels  il  a  fait  des  con- 
cessions de  fiefs  dans  la  Nouvelle-France,  le  patronage  des 
églises  de  ces  fiefs,  à  condition  de  les  faire  bâtir  de  pierre, 
mais  que  la  plupart  de  ces  particuliers  n'ont  fait  jusqu'à 
présent  auame  diligence  pour  profiter  de  la  grâce  que  Sa 
Majesté  a  bien  voulu  leur  faire,  mais  même  ont  empêché  que 
le  dit  sieur  évêque  qui,  dans  le  droit  naturel,  doit  être  pré- 
féré à  tous  autres  pour  faire  faire  des  églises,  ne  les  ait  fait 
bâtir,  tantôt  sur  des  prétextes  qu'ils  les  feront  faire  inces- 
samment eux-mêmes,  et  tantôt  sur  les  lieux  qu'ils  veulent 
choisir  pour  des  paroisses,  ce  qui  est  contraire  aux  pieuses 
intentions  de  Sa  Majesté,  ce  qui  cause  que  le  service  divin 
ne  se  fait  pas  avec  la  décence  qui  est  due.  et  que  les  habitants 
ne  reçoivent  les  secours  spirituels  dont  ils  ont  besoin  ; 


à  Paris  "  un  très  beau  tableau  de  sainte  Anne  ",  destiné  à  être  placé  au 
retable  de  l'autel.  "  Il  y  a,  ajoutait-il,  un  concours  considérable  à  la 
fête  de  sainte  Anne,  et  même  pendant  le  cours  de  l'année.  "  Et  réfutant 
l'objection  que  la  paroisse  ne  fournissait  pas  assez  pour  le  soutien  du 
prêtre:  "Dans  cet  endroit,  ajoutait-il,  un  curé  vit  quasi  pour  rien, 
parce  qu'étant  éloigné  de  dix-huit  lieues  de  la  ville,  les  habitants  ne 
se  donnent  pas  la  peine  d'y  porter  leurs  volailles,  et  qu'il  y  a  une  grande 
abondance  de  bétail,  sans  compter  la  pêche  et  la  chasse."  (Arch.  de 
l'évêché  de  Québec,  Documents  de  Paris.  Kglise  du  Canada,  t.  I,  p.  67). 
I.    Corresp.  générale,  vol.  20,  Callières  au  ministre,  3  nov.  1702. 


194  Iv'ÉGLISE    DU    CANADA 

«  A  quoi  étant  nécessaire  de  pourvoir.  Sa  Majesté  étant  en 
son  Conseil,  a  ordonné  et  ordonne  que  le  dit  sieur  évêque 
pourra  faire  bâtir  des  églises  de  pierre  dans  toutes  les  pa- 
roisses et  fiefs  de  la  Nouvelle-France,  où  il  n'en  a  pas  été 
fait  jusqu'à  présent,  dans  les  lieux  qui  seront  estimés  les 
plus  convenables  pour  la  commodité  des  habitants,  au  moyen 
de  quoi  le  patronage  lui  en  appartiendra,  sans  cependant 
qu'il  puisse  empêcher  les  seigneurs  des  dites  paroisses  et 
fiefs,  qui  en  auront  commmencé,  de  les  achever,  ni  même 
ceux  qui  auront  amassé  des  matériaux,  de  les  construire, 
lesquels  jouiront  du  patronage  des  églises  comme  ils  au- 
raient fait  avant  le  présent  arrêt  ^.  » 

Libre,  désormais,  de  bâtir  des  églises  partout  où  il  le 
jugerait  nécessaire,  sans  s'occuper  de  plaire  ou  de  déplaire 
à  tel  ou  tel  seigneur,  ^M^""  de  Saint- Vallier  se  mit  résolu- 
ment à  l'œuvre,  utilisant  les  services  d'un  homme  précieux, 
dont  nous  avons  déjà  parlé  plusieurs  fois,  et  qui  en  peu 
d'années  fit  un  bien  immense  dans  son  diocèse.  Il  confia  à 
l'abbé  Geoffroy  la  desserte  de  deux  missions,  unies  en- 
semble, Champlain  et  Batiscan,  et  il  le  nomma  en  même 
temps  son  vicaire  général  pour  toutes  les  paroisses  rurales 
de  son  diocèse,  avec  privilège  d'y  pouvoir  séjourner  quand  il 
le  voudrait,  autant  qu'il  le  jugerait  à  propos,  pour  y  cons- 
truire les  presbytères  et  les  églises  ;  et  il  mit  une  partie  de  ses 
grands  biens  à  sa  disposition.  Alors  commença  pour  l'infa- 
tigable curé  de  Champlain  et  de  Batiscan  une  période  d'acti- 
vité, de  travaux  et  de  voyages,  durant  lesquels  il  ne  négligea 
rien  pour  répondre  à  la  confiance  illimitée  de  son  évêque  '. 

Il  travailla  ainsi  comme  grand  architecte  du  diocèse  jus- 
qu'à la  fin  de  sa  vie.  Après  avoir  bâti  en  pierre  l'église  de 
Champlain,    il    construisit    de    même    celle    de    Sorel.    de 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  279. 

2.  Les  Siilpiciens  en  Acadie,  p.  80. 


sous    M^''    DE    SAINT-VALI.IER  195 

Contrecœur  et  d'autres.  Comme  il  était  Sulpicien,  nul  cloute 
qu'il  s'occupa  de  l'organisation  des  paroisses  qui  se  for- 
mèrent vers  ce  temps-là  dans  la  seigneurie  des  messieurs  de 
Saint-Sulpice.  du  côté  de  Montréal.  Grâce  aux  travaux  de 
l'abbé  Geoffroy,  la  face  du  diocèse,  sur  plusieurs  points,  prit 
un  aspect  des  plus  favorables. 

Ne  voyant  rien  de  plus  utile  pour  sa  paroisse  de  Chani- 
plain  que  d'y  rétablir  la  mission  que  les  Sœurs  de  la  Congré- 
gation y  avait  eue  autrefois,  il  leur  fit  construire  une  maison 
à  ses  frais,  et  obtint  de  la  Sœur  Marguerite  Le  Moine,  alors 
supérieure,  deux  de  ses  Sœurs  pour  cette  mission.  Comme 
le  pays  était  pauvre  et  qu'elles  n'auraient  pu  y  subsister  par 
le  travail  de  leurs  mains,  il  s'imposa  toutes  sortes  de  priva- 
tions pour  les  soutenir,  portant  le  renoncement  jusqu'à 
engager  pour  elles  tout  ce  qu'il  possédait  au  Canada,  et 
même  à  vendre  ses  livres,  ses  meubles  et  sa  pendule  : 

«  J'ai  rendu  compte  au  roi,  lui  écrivait  le  ministre,  des 
écoles  que  vous  avez  établies  tant  au  Canada  qu'en  Acadie, 
pour  l'instruction  de  la  jeunesse,  et  de  la  dépense  que  vous 
avez  faite  pour  l'église  de  Champlain,  et  pour  la  maison  que 
vous  avez  fait  bâtir  pour  une  congrégation  de  Filles.  Sa 
Majesté  m'a  paru  fort  satisfaite  de  votre  zèle  pour  la  religion 
et  pour  son  service.  J'écris  à  M.  Raudot,  intendant,  de  vous 
aider  en  ce  qu'il  pourra,  et  de  me  faire  savoir  la  dépense  que 
vous  avez  faite,  afin  de  pouvoir  vous  procurer  quelque  grâce 
de  Sa  Majesté  \  » 

M.  Geofïroy  était  bien  digne,  en  effet,  d'en  recevoir  quel- 
qu'une pour  subvenir  à  ses  propres  besoins  :  il  avait  dépensé 
en  constructions  plus  de  huit  mille  livres.  Mais  il  n'eut  pas 
le  temps  de  profiter  de  la  bonté  du  roi  :  avant  la  fin  de 
l'année    (1707),   il  alla  mourir  saintement  à  l'Hôtel-Dieu 


I.    Lettre   du   ministre   à   M.   Geoffroy,   30   juin    1707,   citée   par   M. 
Faillon  dans  la  Vie  de  ta  Sœur  Bourgeois,  t.  II,  p.  172. 


196  l'église  du  canada 

de  Québec,  sans  avoir  même  la  consolation  d'être  assisté 
dans  ses  derniers  moments  par  son  évêque,  qu'il  avait  servi 
avec  tant  de  dévouement,  mais  qui  se  trouvait  alors  absent 
du  pays^. 

Le  grand-vicaire  de  Québec,  M.  de  la  Colombière,  ayant 
écrit  au  supérieur  de  Saint-Sulpice,  à  Paris,  pour  lui  ap- 
prendre sa  mort,  celui-ci  lui  répondit: 

«  Nous  avons  bien  regretté  M.  Geoffroy.  Le  bien  que 
vous  me  mandez  de  lui  nous  le  fait  encore  plus  regretter.  Je 
crois  que  ce  cher  défunt  jouit  maintenant  de  la  récompense 
de  ses  travaux  et  de  ses  souffrances.  » 

I.   Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  78-82. 


CHAPITRE   XVI 


l'ceuvre  pastorale  de  m^  de  saint-vallier 
DE  1697  À  1700 

Mgr  de  Saint- Vallier  renouvelle  l'ordonnance  de  son  prédécesseur 
contre  le  Luxe.  —  Les  offices  de  paroisses.  —  Devoirs  des  fidèles 
envers  leurs  curés.  —  Le  3e  Synode  de  Québec.  —  Mgr  de  Saint- 
Vallier  et  les  Religieux.  —  Le  4e  Synode.  —  Dernier  mandement 
avant  de  partir  pour  la  France. 

MGR  de  Saint-V allier,  aussi  bien  que  M^  de  Laval,  n'avait 
rien  de  plus  à  cœur  que  de  voir  s'élever  partout  dans 
son  diocèse  des  églises  dignes  du  culte  divin,  propres,  bien 
entretenues,  solides  et  durables.  Pour  encourager  la  cons- 
truction de  ces  édifices  en  pierre,  et  pour  inspirer  aux  fidèles 
un  plus  grand  respect  pour  leurs  églises,  il  avait  résolu  de 
consacrer  toutes  celles  qui  seraient  en  pierre,  dans  les  villes 
et  à  la  campagne  \  Son  départ  précipité  pour  l'Europe  en 
1700  lui  fit  remettre  à  plus  tard  l'exécution  de  ce  projet;  et 
nous  croyons  qu'il  ne  le  réalisa  jamais:  nous  n'en  voyons, 
du  moins,  mention  nulle  part. 

Mais  les  temples  matériels  ne  sont  que  la  figure  des  tem- 
ples spirituels,  qui  sont  les  personnes  des  Chrétiens  ;  et  ce 
sont  surtout  ces  temples  spirituels,  consacrés  à  Dieu  par  les 
sacrements,  que  notre  Prélat  aurait  désiré  voir  toujours 
dignes  de  la  majesté  de  Dieu  qui  les  habite.     De  là  le  soin 

I.    Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  395. 


198  Iv'ÉGLISE    DU    CANADA 

vigilant  avec  lequel  il  s'efforce  de  les  préserver  de  toute 
souillure,  puis  de  les  embellir  par  tous  les  ornements  de  la 
vertu.  De  là  ses  ordonnances  si  sages  contre  le  luxe,  la 
vanité,  les  toilettes  immodestes  des  personnes  du  sexe,  qu'il 
regarde  comme  une  source  de  scandales  et  une  occasion 
dangereuse  de  contagion  pour  les  âmes  des  chrétiens.  En 
voyant  le  pieux  Prélat  revenir  si  souvent  sur  ce  sujet  dans 
ses  ordonnances,  on  ne  peut  douter  qu'il  n'y  eiît  là  un  mal  in- 
vétéré dans  beaucoup  de  familles,  parmi  nos  ancêtres.  Et 
n'allons  pas  croire  qu'il  y  eût  exagération,  de  sa  part.  Les 
documents  de  l'époque  s'accordent  à  reconnaître  cet  amour 
du  luxe,  du  faste  et  de  la  vanité  chez  un  grand  nombre  de 
femmes  canadiennes  :  «  Tous  les  gens  sont  ici  remplis  d'une 
grande  vanité,  »  écrit  Duchesneau  ;  et  Champigny  :  «  Les 
femmes  aiment  le  faste,  aussi  bien  celles  de  la  campagne 
que  celles  des  villes.  » 

M^''  de  Laval,  qui  montra  toujours  tant  de  pondération  et 
de  sagesse  dans  ses  décisions,  et  qui,  au  témoignage  de 
Marie  de  l'Incarnation,  «  ne  faisait  rien  qu'avec  prudence  », 
se  vit  un  jour  obligé  de  lancer  un  mandement  très  sévère 
«  contre  le  luxe  et  la  vanité  des  femmes  et  des  filles  dans 
l'église  ^  ». 

Après  avoir  rappelé  dans  ce  mandement  les  écrits  des 
Pères  et  des  Docteurs  de  l'Eglise  contre  le  luxe  et  la  vanité 
des  femmes,  les  parures  mondaines  et  criminelles,  qui  sont 
l'occasion  d'une  infinité  de  péchés,  après  avoir  rappelé  les 
châtiments  dont  Dieu  punit  quelquefois  ceux  qui  s'en  rendent 
coupables,  M^  de  Laval  ajoute  : 

«  Que  si  ces  vaines  parures  déplaisent  si  fort  à  Dieu,  et 
s'il  en  prend  une  si  rude  vengeance,  de  quel  crime  ne  se 
rendent  pas  coupables,  et  quelle  punition  ne  doivent  pas 
attendre  celles  qui  portent  cet  appareil  fastueux  jusque  dans 


I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  106. 


sous    M''""    DE    SAINT-VALLIER  199 

nos  églises,  paraissant  dans  ces  lieux  consacrés  à  la  prière  et 
à  la  pénitence  avec  des  habits  indécents,  faisant  voir  des 
nudités  scandaleuses  de  bras,  d'épaules  et  de  gorge,  se  con- 
tentant de  les  couvrir  de  toile  transparente,  qui  ne  sert  bien 
souvent  qu'à  donner  plus  de  lustre  à  ces  nudités  honteuses,  la 
tête  découverte,.  .  .  et  les  cheveux  frisés  d'une  manière  in- 
digne d'une  personne  chrétienne.  .  . 

«  Ce  qui  est  encore  plus  criminel  devant  Dieu,  ajoute-t-il, 
c'est  qu'il  se  trouve  des  filles  et  des  femmes  qui  osent  s'appro- 
cher des  sacrements,  présenter  le  pain  bénit,  venir  à  l'of- 
frande, et  faire  la  quête  dans  l'église,  en  cet  état  indécent,  ce 
qui  ne  va  pas  seulement  à  la  profanation  de  nos  mystères,  et 
au  mépris  de  nos  plus  saintes  cérémonies,  mais  encore  au 
grand  scandale  des  fidèles,  dont  les  uns  ne  peuvent  voir  ce 
dérèglement  sans  indignation,  et  les  autres,  étant  plus  faibles, 
sans  un  grand  préjudice  à  leur  salut.  >» 

M^""  de  Laval  défend  ensuite  «  à  toutes  filles  et  femmes, 
de  quelque  qualité  et  condition  qu'elles  soient,  de  s'appro- 
cher des  sacrements,  présenter  le  pain  bénit,  venir  à  l'of- 
frande et  faire  la  quête  dans  les  églises,  dans  les  manières 
indécentes  »  qu'il  vient  de  spécifier.  Il  défend  à  tous  les 
curés  de  son  diocèse  «  de  les  recevoir  en  cet  état  ».  II 
défend  «  à  tous  les  autres  prêtres  tant  séculiers  que  réguliers 
de  les  recevoir  aux  sacrements  »  :  puis  il  ordonne  que  son 
mandement  soit  lu  et  publié  partout  au  prône,  et  affiché  à 
la  porte  des  églises. 

A  son  retour  d'Europe,  dans  l'été  de  1697,  M^^  de  Saint- 
Vallier  s'informe  de  ses  grands  vicaires  des  abus  qui  ont  pu 
s'introduire  dans  son  diocèse  pendant  son  absence  :  on  lui  en 
signale  six,  en  particulier  ;  et  parmi  ces  abus,  l'un  des  plus 
graves,  c'est  le  luxe  et  la  vanité,  contre  lesquels  il  a  déjà  eu 
occasion  de  s'élever  bien  des  fois.  Il  renouvelle  alors  tout 
ce  qui  a  été  réglé  à  ce  sujet  par  son  prédécesseur  dans  son 
mandement  du  26  février  1682;  puis  il  ajoute: 


200  LEGUSE    DU    CANADA 

«Quoiqu'il  soit  difficile  de  décider  jusqu'oîi  l'on  peut  aller 
dans  cette  matière  sans  pécher  mortellement,  il  n'y  a  rien 
cependant  de  plus  aisé  que  de  se  perdre  quand  on  est  dans  la 
disposition  de  vouloir  être  vaine  autant  qu'on  le  peut  sans 
pécher  mortellement.  .  .  Il  y  a  peu  de  personnes,  ajoute-t-il, 
à  qui  la  vanité  ne  soit  une  occasion  de  regards  ou  de  paroles 
impudiques.  Il  y  en  a  peu  que  la  vanité  n'expose  à  entendre 
des  discours  contre  l'honneur  et  à  souffrir  même  des 
libertés  criminelles.  La  vanité  ouvre  toutes  les  portes  de 
l'âme,  c'est-à-dire  tous  les  sens,  au  démon  de  l'impureté. 
Une  femme  vaine  se  trouve  tous  les  jours  dans  des  compa- 
gnies oij  l'on  attaque  la  pudeur  par  les  yeux,  par  les  oreilles, 
par  la  bouche,  par  l'imagination  et  par  tous  les  sens,  sa 
vanité  étant  un  signal  pour  tous  les  impudiques  de  s'appro- 
cher d'elle. 

«  Que  les  confesseurs,  ajoute-t-il  encore,  ne  se  contentent 
pas  que  leurs  pénitentes  soient  habillées  modestement  quand 
elles  sont  dans  l'église  ou  qu'elles  s'approchent  des  sacre- 
ments, mais  qu'ils  s'informent  encore  comment  elles  sont 
chez  elles;  car  nous  avons  su  que  plusieurs  femmes  et  filles 
ne  se  font  point  de  scrupule  d'avoir  la  gorge  et  les  épaules 
découvertes,  quand  elles  sont  dans  leur  maisons,  et  nous  en 
avons  nous-même  rencontrées  en  cet  état.  Nous  leur 
défendons  expressément  d'absoudre  les  filles  et  les  femmes 
qui  porteront  la  gorge  et  les  épaules  découvertes,  soit  dedans, 
soit  dehors  leurs  maisons,  ou  qui  ne  les  auront  couvertes 
que  d'une  toile  transparente  \  » 

Un  autre  abus  signalé  au  Prélat,  c'est  la  «  liberté  que  se 
donnent  les  jeunes  gens  de  proférer  des  paroles  déshonnêtes 
et  à  double  entente,  qui  causent  dans  les  mœurs  une  corrup- 
tion universelle.     C'est  un  abus,  dit-il,  qu'on  doit  tâcher  de 

I.    Mand  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  365. 


sous    M*-*^    DE    SAINT-V ALLIER  20I 

déraciner,  se  comportant  avec  eux  comme  avec  des  impu- 
diques d'habitude  et  des  scandaleux  ». 

Le  troisième  abus  contre  lequel  il  s'élève,  et  qu'il  a  déjà 
dénoncé  en  maintes  occasions,  c'est  l'usure.  Quelles  que 
soient  les  modifications  que  le  temps  et  les  circonstances  ont 
apportées  dans  nos  idées  sur  l'argent  et  la  valeur  de  l'argent, 
l'usure  en  elle-même,  dans  la  vraie  signification  du  mot,  est 
un  crime  et  sera  toujours  un  crime.  On  admettait  alors  moins 
facilement  qu'aujourd'hui  que  l'on  piit  retirer  le  moindre  in- 
térêt de  son  argent:  mais  aujourd'hui,  comme  autrefois, 
l'usure  proprement  dite  est  en  horreur  non  seulement  chez  les 
esprits  chrétiens,  mais  chez  tous  les  hommes  bien  pensants. 
Quelle  reconnaissance  ne  doit-on  pas  à  notre  pieux  Prélat 
pour  avoir  fortement  inculqué  dans  l'âme  de  nos  ancêtres  les 
principes  d'honnêteté  et  de  justice  qui  ont  fait  de  notre 
peuple,  au  moins  dans  le  passé,  un  des  plus  honnêtes  du 
monde  ! 

C'est  aussi  aux  enseignements  répétés  de  M^  de  Saint- 
Vallier  qu'il  faut  attribuer  le  grand  attachement  du  peuple 
canadien  pour  les  offices  de  paroisse.  Il  n'y  a  pas  de  sujet 
sur  lequel  il  revienne  plus  souvent  dans  ses  mandements, 
dans  ses  synodes,  dans  ses  ordonnances,  s'appuyant  toujours 
sur  le  saint  concile  de  Trente,  et  sur  saint  Charles  Bor- 
romée,  qu'il  considère  comme  un  de  ses  interprètes  les  plus 
autorisés.  Il  ne  prétend  pas  sans  doute  que  celui  qui  entend 
une  autre  messe  que  la  messe  paroissiale  ne  satisfait  pas  au 
précepte;  mais  que  devient  pour  lui  l'obligation  de  s'instruire 
de  sa  religion?  et  qu'aura-t-il  pour  suppléer  au  prône  de  sa 
paroisse,  s'il  n'y  assiste  pas?  Quoi  de  plus  beau,  d'ailleurs, 
quoi  de  plus  fortifiant  que  ce  concours  régulier  des  parois- 
siens qui,  le  dimanche,  de  près  et  de  loin,  prennent  le  chemin 
de  l'église  paroissiale  et  s'y  réunissent  pour  prier  tous  en- 
semble Celui  qui  est  le  Dieu  de  tous,  grands  et  petits,  pauvres 
et  riches,  savants  et  ignorants  ! 


202  L  EGLISE    DU    CANADA 

M^  de  Saint-Vallier  n'est  nullement  opposé  aux  congréga- 
tions, aux  saluts,  aux  prédications  qui  ont  lieu  dans  les  autres 
églises  :  il  est  trop  pieux  lui-même  pour  ne  pas  encourager 
la  piété,  de  quelle  que  manière  et  en  quel  que  lieu  qu'elle  se 
manifeste.  Mais  avant  tout,  les  offices  paroissiaux.  Il  veut 
que  ces  assemblées  de  congrégations,  ces  saluts,  ces  prédica- 
tions ne  nuisent  en  rien  aux  offices  de  la  paroisse  :  il  fixe  des 
jours,  des  heures,  où  ces  dévotions  non  paroissiales  auront 
lieu,  et  pas  autrement.  On  murmure,  on  se  plaint  :  il  n'en  a 
cure;  il  tient  à  ses  règlements,  et  réussit  à  établir  la  belle 
organisation  paroissiale  dont  nous  jouissons  encore.  Un  reli- 
gieux de  Montréal  écrit  à  un  de  ses  frères,  en  France  : 
«  Notre  congrégation  ne  se  tient  plus,  qui  avait  plus  de  cin- 
quante congréganistes.  Notre  évêque  a  ordonné  qu'on  ne 
ferait  point  de  congrégation  le  dimanche  au  matin.  Nous 
avions  coutume  de  faire  tous  les  jeudis  les  saluts  du  saint 
Sacrement:  M.  l'évêque  ne  nous  en  a  laissé  que  deux  par 
mois,  et  a  donné  les  autres  à  MM.  de  Saint-Sulpice  \  »  Quoi 
de  plus  juste,  pourtant,  que  de  partager  ces  saluts  entre  la 
Paroisse  et  l'église  des  Jésuites,  étant  donné  surtout  le  petit 
nombre  d'habitants  qu'il  y  avait  alors  à  Montréal?  Et  quant 
aux  congrégations,  le  Prélat  s'explique  lui-même  à  ce  sujet  : 

«  Nous  sommes  parfaitement  convaincu  par  l'expérience 
d'un  grand  nombre  d'années,  qu'étant  donné  le  petit  nombre 
d'habitants  qui  se  trouvent  dans  les  villes,  ils  ne  peuvent  pas 
assister  en  même  temps  en  plusieurs  églises,  et  revenir  au 
service  de  leur  paroisse,  pour  entendre  la  parole  de  Dieu  qui 
y  est  prêchée  pendant  la  grand'messe  les  jours  de  dimanches 
et  de  fêtes,  lorsqu'ils  ont  été  en  quelque  autre  dévotion,  à 
cause  du  froid  extrême  qu'il  fait  durant  l'hiver  en  ce 
diocèse.  Nous  sommes  obligé  de  déclarer  que  notre  inten- 
tion est  qu'on  ne  commence  point  de  prédication  en  aucune 

I.    Rel.  des  Jésuites,  édition  Burrows,  t.  64,  p.  118. 


sous    M*^*"    DE    SAINT-VALLIER  203 

église,  qu'après  que  celle  qui  se  fait  en  notre  église  cathé- 
drale sera  achevée  ;  et  que  l'on  n'en  fera  point  à  Québec  et  à 
Villemarie  dans  les  églises  des  communautés  religieuses  de 
l'un  et  de  l'autre  sexe  qu'après  celles  qui  se  font  dans  les 
paroisses. 

«  Que  si  nous  voulons  bien  donner  une  dispense  de  cette 
règle  en  faveur  des  deux  congrégations  qui  se  tiennent  aux 
Jésuites  à  Québec  et  à  Villemarie,  parce  que  depuis  quelque 
temps  ceux  qui  les  conduisent  ont  grand  soin  de  la  com- 
mencer de  bonne  heure  et  de  la  finir  de  même,  et  engagent 
par  leurs  exhortations  les  congréganistes  d'être  fidèles  à 
leur  paroisse,  notre  intention  cependant  est  que  ce  règle- 
ment rentre  dans  sa  vigueur  dès  aussitôt  qu'on  cessera  d'ap- 
porter la  diligence  requise  et  de  maintenir  les  congréganistes 
dans  le  respect  et  l'assiduité  qu'on  doit  à  la  Paroisse  \  » 

M^  de  Saint- Vallier  a  été  le  grand  apôtre  de  la  Paroisse, 
de  la  messe  paroissiale,  des  offices  paroissiaux.  Il  avait, 
pour  ainsi  dire,  le  culte  de  la  Paroisse,  la  regardant  comme 
un  des  meilleurs  soutiens  de  la  religion  ;  et  il  réussit  à  incul- 
quer ce  culte  dans  l'âme  de  ses  diocésains.  Oui  ne  se  sou- 
vient, par  exemple,  que  dans  la  grande  ville  de  Montréal,  à 
une  époque  qui  n'est  pas  encore  très  éloignée,  alors  qu'il  y 
avait  déjà  plusieurs  autres  paroisses,  les  fidèles,  cependant, 
quand  ils  voulaient  parler  de  l'église  Notre-Dame,  disaient 
tout  simplement:  «la  Paroisse».  C'était  leur  église-mère, 
l'église  où  leurs  ancêtres  avaient  été  baptisés,  c'était  encore, 
pour  ainsi  dire,  «  leur  paroisse  ». 

«  L'obligation  d'assister  aux  messes  de  paroisse  tous  les 
dimanches,  écrit  M^  de  Saint- Vallier,  et  d'entendre  les  ins- 
tructions qui  s'y  font,  est  si  ancienne  et  si  bien  établie,  qu'on 
peut  dire  qu'il  n'y  a  guère  de  point  de  discipline  sur  lequel 
l'Eglise  se  soit  expliquée  depuis  longtemps,   plus   souvent 


I.    Mand.  des  Bv.  de  Québec,  t.  I,  p.  407. 


204  Iv  EGLISE    DU    CANADA 

et  plus  précisément.  Le  grand  saint  Charles  Borromée,  qui 
entendait  parfaitement  les  décrets  du  saint  concile  de  Trente, 
n'a  rien  recommandé  plus  fortement  aux  peuples  de  son  dio- 
cèse et  de  sa  province  de  Milan.  Il  en  a  dressé  une  formule 
dans  son  troisième  concile  provincial  qu'il  a  fait  publier  dans 
les  églises  de  sa  province.  Comme  ce  règlement  est  plein  de 
l'Esprit  de  Dieu,  et  qu'il  épuise  cette  matière,  nous  ordon- 
nons à  tous  les  curés  des  paroisses,  des  villes  et  du  voisinage 
d'en  faire  la  lecture  une  fois  chaque  année,  savoir  le  premier 
dimanche  de  l'Avent  avant  le  prône,  pour  donner  une  juste 
idée  aux  paroissiens  de  leurs  obligations  envers  leur  paroisse. 

«  Nous  défendons  aux  Réguliers  de  détourner  nos  diocé- 
sains de  leurs  paroisses  directement  ni  indirectement  dans 
les  exhortations  ou  conversations  particulières  :  ils  les  invi- 
teront au  contraire  d'y  être  assidus.  .  .  » 

Jamais  les  curés  n'eurent  de  plus  grand  défenseur  de  leurs 
droits,  de  leurs  privilèges,  de  leur  autorité,  que  M^  de 
Saint- Vallier  : 

«  Nous  conjurons,  dit-il,  tous  les  confesseurs  séculiers  et 
réguliers  de  garder  de  grands  ménagements  de  charité  avec 
les  curés  et  missionnaires  chargés,  par  leur  emploi,  du  soin 
des  âmes  de  leur  paroisse,  ne  jugeant  point  convenable,  con- 
formément à  la  conduite  de  saint  Charles,  qu'ils  reçoivent 
au  sacrement  de  pénitence  et  qu'ils  accordent  l'absolution  à 
ceux  qui  n'en  seraient  pas  trouvés  dignes  par  leurs  pasteurs, 
ou  qui  feraient  paraître  contre  eux  une  résistance  ouverte  et 
publique;  auquel  cas  nous  les  invitons  de  nous  les  renvoyer, 
ou  à  nos  grands  vicaires,  afin  que  nous  examinions  leurs 
raisons,  ou  les  fondements  des  peines  et  des  plaintes  qu'ils 
pourraient  avoir,  pour  y  apporter  des  remèdes  convenables. 

«  Nous  recommandons,  dit-il  encore,  à  tous  les  fidèles  de 
notre  diocèse  d'avoir  beaucoup  de  respect,  d'obéissance  et  de 
soumission  pour  leurs  curés  et  pasteurs.  Nous  leur  adres- 
sons pour  cela  ces  belles  paroles  de  saint  Paul,  que  nous  leur 


sous    M"""    DE    SAINT-VALLIER  205 

remettons  souvent  devant  les  yeux  :  <*  Nous  vous  prions, 
mes  Frères,  dit  cet  apôtre,  de  considérer  beaucoup  ceux  qui 
travaillent  parmi  vous,  qui  vous  gouvernent  selon  le  Sei- 
gneur, d'avoir  pour  eux  une  vénération  particulière,  vous 
conduisant  de  manière  qu'ils  puissent  s'acquitter  avec  joie 
de  leurs  devoirs,  en  ne  les  contristant  point  par  des  contra- 
dictions importunes,  de  peur  que  les  obligeant  de  gémir  sous 
le  poids  de  leur  charge,  cela  ne  vous  empêche  de  retirer 
l'avantage  que  vous  devez  espérer  de  leur  application  et  de 
leur  travail.  « 

Une  des  choses  qui  contristent  le  plus  un  curé,  c'est  de  voir 
ses  paroissiens  insensibles  à  ses  avertissements,  mépriser  sa 
parole,  sortir  de  l'église  avant  ou  pendant  ses  instructions, 
ajoutant  ainsi  l'injure  à  une  conduite  irréHgieuse  C'est  un 
des  abus  signalés  au  Prélat,  contre  lequel  il  cherche  à  réagir 
dans  son  ordonnance  : 

«  C'est  un  abus  intolérable,  dit-il,  qui  existe  dans  certaines 
paroisses,  de  sortir  du  prône  qui  se  fait  durant  la  messe.  Ce 
mal,  que  l'on  peut  regarder  comme  la  plus  grande  marque 
d'irréligion  qu'on  puisse  donner,  mérite  que  les  curés  et 
autres  confesseurs  agissent  à  l'égard  de  ceux  qui  y  tombent 
plusieurs  fois,  comme  à  l'égard  des  scandaleux  publics  aux- 
quels on  doit  refuser  non  seulement  l'absolution,  mais  même 
la  communion.  » 

Enfin,  un  dernier  abus  que  le  Prélat  s'attache  à  combattre, 
c'est  la  mauvaise  sanctification  des  dimanches  et  des  fêtes.  Il 
ordonne  que  l'on  s'oppose  de  toutes  ses  forces  aux  voyages, 
ventes  et  achats  qui  se  font  ces  jours-là  «  sans  nécessité  et 
sans  permission  de  l'Eglise  ».  Il  défend  aux  confesseurs 
d'absoudre  les  coupables  «  sans  les  obliger  d'aller  trouver 
leurs  curés  pour  leur  promettre  de  ne  plus  retomber  ». 

«  Si  l'on  en  doit  user  ainsi,  ajoute-t-il,  à  l'égard  de  ceux 
qui  font  des  travaux  corporels,  quels  sentiments  doit-on 
avoir  de  ceux  qui  passent  tous  ces  saints  jours  en  ivrogneries, 


2o6  Iv^ÉGLISE    DU    CANADA 

danses,  jeux  et  autres  divertissements  criminels,  et  qui 
croient  avoir  pleinement  satisfait  à  leurs  obligations,  en 
entendant  une  messe  basse,  souvent  dans  des  postures  fort 
indécentes,  l'esprit  et  le  cœur  tout  remplis  de  l'idée  et  de 
l'affection  des  choses  du  monde  !  ^  » 

Pour  bien  réussir  dans  la  bonne  administration  de  son 
diocèse,  M^  de  Saint-Vallier,  tenait  à  avoir  le  concours  de 
ses  prêtres.  Il  avait  déjà  tenu  deux  synodes  :  il  en  convoque 
encore  deux  autres,  de  1697  à  1700,  pour  leur  soumettre  ses 
ordonnances,  les  y  faire  souscrire,  et  en  mieux  assurer  ainsi 
l'exécution. 

Le  saint  concile  de  Trente,  dans  le  chapitre  deuxième  de 
la  session  vingt-quatrième,  recommande  aux  évêques  de  tenir 
chaque  année  un  synode  diocésain:  Synodi  diœcesaïur  quo- 
tannis  celehrentur.  M"""  de  Saint-Vallier  convoqua  son  troi- 
sième synode  le  23  février  1698  et  il  se  tint  à  l'évêché  le  27  du 
même  mois.  Y  assistaient,  avec  l'évêque,  ses  deux  vicaires 
généraux  Glandelet  et  Montigny  ^,  puis  le  supérieur  du  sémi- 
naire, Ango  de  Maizerets,  le  P.  Bruyas,  supérieur  des 
Jésuites,  le  P.  Joseph  Denis,  supérieur  des  Récollets  et  le 
P.  Georgené,  MAI.  de  Bernières,  Germain  Morin,  Amador 
Martin,  Buisson  de  Saint-Cosme,  Etienne  Le  Vallet,  Jean 
Pinguet,  curé  de  Beaumont,  Nicolas  du  Bos,  Philippe 
Boucher,  curé  de  Saint- Joseph  de  Lévis,  Joseph  de  la  Co- 
lombière,  François  Dupré,  curé  de  Québec,  Etienne  Bou- 
lard,  curé  de  Beauport,  puis  un  certain  nombre  de  Récollets 
et  de  Jésuites,  portant  en  tout  à  trente-trois  le  nombre  des 
membres  du  synode.  Tous,  conformément  au  mandement 
de  convocation,  s'étaient  préparés  par  la  prière  et  les  bonnes 
œuvres  à  cette  sainte  assemblée,  «  si  propre  à  entretenir  le 


1.  Matid.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  361,  371,  308. 

2.  Montigny,  à  cette  date,  n'était  pas  encore  parti  pour  la  mission 
des  Tamarois. 


sous    M^    DE    SAINT-V ALLIER  207 

culte  (le  Dieu,  à  conserver,  à  rétablir  et  perfectionner  la 
discipline  ecclésiastique  »  \ 

Le  synode  tint  trois  séances  :  dans  les  deux  premières,  on 
adopta  vingt-deux  statuts  ;  dans  la  troisième  on  y  fit  quelques 
«  additions  ». 

La  plupart  des  statuts  du  troisième  synode  ne  sont  que  le 
renouvellement  et  la  confirmation  des  ordonnances  de 
révêque  déjà  publiées.  Quelques-uns  cependant  sont  des 
règlements  nouveaux,  comme  par  exemple  celui  qui  défend 
de  dire  la  sainte  messe  hors  des  églises  ou  chapelles  du  dio- 
cèse, excepté  dans  les  cas  d'absolue  nécessité  ;  celui  qui  rap- 
pelle aux  pasteurs  l'obligation  de  faire  le  catéchisme  à  leurs 
ouailles,  et  leur  recommande  de  le  faire  «  avec  celui  que  nous 
faisons  imprimer,  dit  le  Prélat,  et  auquel  nous  désirons  que 
tout  le  monde  s'arrête  »  ;  celui  qui  leur  recommande  de  tenir 
des  registres  exacts  des  Baptêmes,  Mariages  et  Sépultures, 
et,  à  défaut  des  calendriers  et  des  Ordos  qui  n'existaient  pas 
encore,  d'avoir  toujours  une  feuille  des  Fêtes  et  des  jeûnes 
commandés  dans  ce  diocèse,  une  feuille  des  cas  réservés  au 
pape  et  à  l'évêque,  une  feuille  des  cas  où  il  faut  refuser 
l'absolution,  et  une  feuille  des  pratiques  de  piété  à  con- 
seiller aux  familles. 

Il  y  a  un  des  statuts  du  troisième  synode  qui  fait  voir 
combien  l'évêque  s'occupait  de  tout  ce  qui  pouvait  intéresser 
le  culte  divin  dans  les  paroisses  de  la  campagne.  Ces  pa- 
roisses, généralement  pauvres,  n'avaient  pas  le  moyen  de 
payer  les  chantres  pour  les  grand'messes,  ni  même  de  leur 
donner  des  surplis.  L'évêque  veut  qu'on  leur  donne  au 
moins  une  place  privilégiée,  une  place  à  part  dans  l'église,  et 
que  «  quoique  non  revêtus  de  surplis,  ils  jouissent  de  la  pré- 
rogative de  recevoir  le  pain  bénit  et  l'eau  bénite,  même 
devant  les  margiu'lliers  ».     Qui,   parmi  les  anciens,   ne  se 

I.    M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  367. 


2o8  l'éguse  du  canada 

rappelle,  en  efifet,  cet  endroit,  généralement  entouré  d'une 
grille  élégante,  dans  le  bas  chœur  des  églises  de  la  campagne, 
oij  se  mettaient  les  chantres?  Ils  étaient  fiers  de  cette  place 
qui  leur  était  réservée  ;  ils  étaient  fiers  de  chanter  à  l'église. 
Les  églises  ne  manquaient  jamais  de  chantres;  et  il  y  en 
avait  souvent  parmi  eux  qui  savaient  le  plain-chant  d'une 
manière  remarquable. 

Un  autre  statut  du  troisième  synode  recommandait  de 
mettre  des  bancs  dans  les  églises  pour  procurer  aux  fabriques 
un  certain  revenu.  Un  autre  recommandait  aux  curés  d'avoir 
autant  que  possible  dans  leurs  paroisses  un  couvent  des 
Sœurs  de  la  Congrégation. 

Le  Prélat  faisait  un  devoir  à  tous  ses  prêtres,  à  tous  les 
confesseurs,  de  lire  au  moins  une  fois  par  année  ses  ordon- 
nances, pour  s'y  conformer  avec  soin.  Mais  il  paraît  qu'un 
certain  nombre  ne  tenaient  pas  compte  de  ses  recommanda- 
tions. Il  s'en  plaint  dans  le  quatrième  synode  qu'il  tient  à 
Québec,  encore  dans  son  évêché,  le  8  octobre  1700,  peu  de 
jours  avant  son  départ  pour  l'Europe: 

«  Le  peu  d'exactitude,  dit-il,  qu'on  a  eu  jusqu'ici  à  ob- 
server nos  ordonnances  et  nos  statuts  synodaux,  nous  con- 
vainquant du  peu  de  soin  que  l'on  a  eu  de  s'en  instruire,  et 
de  se  regarder  comme  obligé  de  les  suivre,  nous  engage  de 
représenter  vivement  à  tous  les  curés,  prêtres,  confesseurs 
séculiers  et  réguliers  de  ce  diocèse,  l'obligation  indispensable 
que  nous  leur  imposons  de  la  part  de  Dieu,  de  les  lire  et  de 
les  pratiquer,  surtout  en  ce  qui  regarde  l'administration  des 
sacrements  de  pénitence  et  d'eucharistie,  que  nous  appré- 
hendons avec  beaucoup  de  fondement  n'être  pas  dispensés 
au  poids  du  sanctuaire  \  » 

Le  reproche  était  grave,  et  dénotait  un  état  de  choses  dé- 
plorable :  d'un  côté,  un  Prélat  pieux  et  zélé,  rempli  de  bonnes 

I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  390. 


sous    M^'    DE    SAINT-VALLIER  209 

intentions,  s'efforçant  d'établir  dans  son  diocèse  une  belle 
discipline  ecclésiastique;  de  l'autre,  un  certain  nombre  de 
prêtres  qui  ne  tiennent  pas  compte  de  ses  ordonnances  et 
critiquent  sa  conduite. 

Nous  avons  déjà  cité  quelques  lignes  d'une  lettre  d'un 
religieux  de  Montréal  au  sujet  de  M^  de  Saint- Vallier  : 
«  Nous  sommes  ici,  ajoutait-il,  à  démêler  bien  des  choses 
avec  notre  évêque.  Il  a  établi  les  approbations  limitées.  .  .  Il 
a  ôté  les  communions  générales.  Il  veut  qu'on  refuse  la 
communion  sans  aucune  raison,  si  ce  n'est  que  les  commu- 
nions sont  trop  fréquentes.  .  .  Il  a  publié  douze  cas  réservés  ; 
il  n'y  en  avait  qu'un  dans  ce  diocèse  :  mais  il  allègue  que  dans 
son  dernier  voyage  en  France,  les  évêques  lui  ont  dit  que 
c'était  inouï  qu'un  diocèse  fût  sans  cas  réservés:  sur  cette 
raison,  il  en  a  mis  douze.  .  .  Cet  évêque,  qui  est  si  zélé,  n'a 
jamais  osé  ouvrir  la  bouche  encore  pour  bannir  l'ivrognerie 
de  son  diocèse  ^.  » 

Ceci  nous  semble  bien  injuste  à  l'égard  d'un  prélat  qui 
ne  faisait  pas  un  mandement,  pas  une  ordonnance,  sans  y 
introduire  quelque  passage  contre  l'ivrognerie.  Et  pour  la 
communion,  on  sait  déjà  qu'il  profitait  de  toutes  les  occasions 
pour  recommander  de  communier  fréquemment,  et  au  moins 
une  fois  tous  les  mois  ". 

L'auteur  de  la  lettre  que  nous  venons  de  citer  la  terminait 
par  une  comparaison  entre  M^  de  Saint- Vallier  et  son  prédé- 
cesseur : 

«  Son  prédécesseur,  qui  voit  tout  cela,  dit-il,  est  un  saint 
homme,  M.  de  Laval,  et  dit  avoir  été  bien  trompé  quand  il 
s'est  démis  de  son  évêché  en  faveur  de  celui  qui,  contre  son 
espérance,  nous  tourmente  et  ne  prend  à  tâche  que  d'humi- 
lier les  religieux.  » 


1.  Rel.  des  Jés.,  édit.  Burrows.  t.  64,  p.  118. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  184,  ^2. 

14 


2IO  I^^'ÉGUSE    DU    CANADA 

Il  est  probable  que  M^  de  Saint-Vallier,  tout  en  voulant 
le  bien,  ne  savait  pas  toujours  le  faire  d'une  manière 
aimable.  «  Ses  actes,  dit  quelque  part  M.  Paillon,  ne  furent 
pas  toujours  accompagnés  de  la  modération  que  plusieurs 
auraient  désirée  dans  sa  conduite  \  »  Et  M.  Tronson  :  «  Il 
n'y  a  à  craindre  pour  lu»,  que  l'excès  »,  disait-il  ".  Nous 
avons  déjà  parlé  de  son  caractère  difficile,  autoritaire,  peu 
accessible  à  la  contradiction.  Il  avait  de  ces  «  aigreurs  », 
que  nous  avons  aussi  signalées,  qui  nuisaient  à  ses  œuvres  les 
plus  utiles,  à  ses  démarches  les  mieux  intentionnées.  Après 
réflexion,  il  revenait  souvent  sur  ses  décisions  qui  avaient 
ofïensé  ses  prêtres,  ses  religieux;  mais  le  mal  était  fait,  les 
blessures  mettaient  du  temps  à  guérir.  Il  avait,  par  exemple, 
supprimé  les  congrégations  chez  les  Jésuites,  le  dimanche 
matin,  occasionnant  par  là  bien  des  murmures  :  il  les  rétablit 
quelque  temps  après,  mais  on  ne  pouvait  lui  pardonner 
d'avoir  agi  avec  tant  de  précipitation.  Il  leur  avait  retranché 
le  catéchisme  et  les  «  basnages  »  dans  leur  église,  il  leur  avait 
enlevé  «  les  petites  écoles  »  pour  les  donner  au  Séminaire  : 
tout  cela  n'était  pas  de  nature  à  les  disposer  en  sa  faveur. 

Nous  avons  tenu  à  citer  la  lettre  du  P.  Chauchetière, 
parce  que,  bien  qu'elle  eût  un  caractère  privé,  elle  laisse  en- 
trevoir la  situation  où  se  trouvait  alors  M^""  de  Saint-Vallier 
vis-à-vis  de  son  clergé  régulier.  Le  Prélat  s'était  montré, 
dans  son  œuvre  pastorale,  le  protecteur  et  le  défenseur  des 
droits  de  ses  curés  et  de  ses  paroisses  :  ce  qui  était  parfait. 
Mais  les  Religieux,  dans  un  diocèse,  sont  les  auxiliaires-nés 
des  curés  et  de  l'évêque,  et  méritent  d'être  traités,  eux  aussi, 
avec  beaucoup  d'égards,  et  toujours  suivant  les  règles  de  la 
charité,  de  l'équité  et  de  la  justice.  Peut-être  M^""  de  Saint- 
Vallier   avait-il   manqué   un   peu   de   ménagements   à   leur 


1.  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  II,  p.  21. 

2.  Ibid.,  p.  209. 


sous    M'''    DE    SAINT-VALUER  211 

égard  ;  peut-être  n'avait-il  pas  suffisamment  compté  avec 
eux,  avec  leurs  privilèges,  avec  leur  influence.  Cette  in- 
fluence, pourtant,  lui  aurait  été  bien  utile  dans  le  grand 
voyage  qu'il  était  à  la  veille  d'entreprendre  au  delà  des 
mers. 

En  attendant,  n'ayant  plus  que  quelques  semaines  à  passer 
dans  son  diocèse,  il  tient  son  quatrième  et  dernier  synode, 
dans  lequel  il  renouvelle  toutes  ses  ordonnances,  auxquelles 
il  ajoute  quelques  règlements  nouveaux,  quelques  recom- 
mandations importantes.  Il  exhorte  ses  curés  à  procurer  à 
leurs  paroissiens  la  faveur  d'une  mission  tous  les  ans  ou 
tous  les  deux  ans,  «  pour  leur  donner  plus  de  liberté  de 
s'adresser  à  d'autres  confesseurs  ».  Il  veut  que  les  offices 
paroissiaux  aient  toujours  lieu  à  des  heures  fixes  et  régu- 
lières. Les  curés  ne  doivent  pas  passer  un  dimanche  sans 
prêcher  ;  mais  leur  prédication  doit  être  «  très  courte,  l'expé- 
rience, dit-il,  nous  apprenant  que  les  longs  sermons  excitent 
plutôt  à  l'impatience  qu'à  la  pratique  des  vertus  ».  Il  les 
conjure  de  faire  tous  les  ans  une  retraite  «  pour  se  renou- 
veler dans  l'esprit  ecclésiastique  ».  Il  leur  recommande  de 
bien  observer  la  résidence,  de  tenir  toujours  leur  église  dans 
un  état  de  propreté  convenable,  et  de  s'acquitter  exactement 
de  toutes  leurs  fonctions  ecclésiastiques.  Il  n'approuve  pas, 
du  reste,  qu'ils  exercent  jamais  les  fonctions  de  médecin  ou 
de  chirurgien,  ni  qu'ils  cherchent  «  à  entrer  dans  les  affaires 
des  laïques,  et  à  vouloir  connaître  et  régler  ce  qui  se  passe 
dans  les  familles  »  \ 

Nous  avons  vu  précédemment  qu'il  avait  adressé  à  son 
clergé  le  reproche  de  ne  pas  suffisamment  tenir  compte  de  se« 
ordonnances.  Mais  dans  le  dernier  mandement  qu'il  leur 
donne,  avant  de  partir,  «  pour  le  bon  règlement  du  diocèse  », 


I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  414. 


212  L  EGUSE    DU    CANADA 

il  semble  regretter  de  leur  avoir  fait  ce  reproche  avec  trop 
d'aigreur  : 

«  Quoique  nous  soyons  très  content,  dit-il,  et  très  édifié 
de  la  bonne  conduite  des  prêtres  et  autres  ecclésiastiques  de 
notre  clergé,  dont  la  vie  est  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ 
dans  ce  diocèse,  cependant  comme  l'on  peut  craindre  que  ce 
qui  se  pratique  si  exactement  et  si  fidèlement  dans  le  com- 
mencement de  cette  Eglise  naissante  ne  vienne  à  changer, 
nous  avons  cru  devoir  leur  mettre  devant  les  yeux  quelques 
points  de  discipline.  » 

Puis  il  donne  à  son  clergé  un  admirable  règlement  de  vie  : 
méditation  d'une  demi-heure,  lecture  du  Nouveau  Testa- 
ment, messe  tous  les  jours,  bon  emploi  du  temps,  fuite  des 
divertissements  mondains  et  des  visites  inutiles,  etc,  rien 
n'y  est  oublié.  C'est  encore  à  peu  près  le  règlement  en 
vigueur  dans  notre  Eglise,  et  qui  a  fait  du  clergé  canadien 
un  des  plus  pieux  et  des  mieux  réglés  du  monde  entier. 

Notre  prélat  n'avait  plus  que  cinq  jours  pour  faire  ses 
derniers  préparatifs  de  voyage.  Le  but  principal  de  ce 
voyage,  comme  nous  l'avons  vu,  était  de  plaider  à  la  cour 
la  cause  de  l'Hôpital-Général,  condamné  à  disparaître:  il 
voulait  à  tout  prix  sauver  cette  institution. 

Si  l'on  en  croit  l'annaliste,  on  était  généralement  sous 
l'impression,  à  QAiébec,  qu'il  ne  réussirait  pas.  Seules,  les 
fondatrices  de  la  maison  conservaient  l'espoir  que  Dieu  la 
sauverait  du  naufrage. 

Le  Prélat  aurait  bien  voulu  emmener  avec  lui  son  con- 
fident et  son  ami,  le  jeune  abbé  Guillaume  Seré  de  la  Co- 
lombière,  qu'il  avait  amené  de  Grenoble  dans  son  dernier 
voyage  et  ordonné  le  i6  février  1698.  Mais  il  y  renonça, 
en  faveur  de  sa  chère  institution,  le  laissant  à  Québec  pour 
qu'il  en  eût  soin  sous  le  rapport  spirituel.  M.  de  la  Colom- 
bière  s'acquitta  de  ses  fonctions  de  chapelain  avec  un  zèle 
admirable.     Il  poussa  le  dévouement  jusqu'à  prendre  des 


sous    M^    DE    SAINT-V ALLIER  213 

leçons  de  musique,  de  manière  à  pouvoir  toucher  l'orgue 
dans  l'église  de  l'Hôpital,  afin  d'aider  les  religieuses  à  chan- 
ter la  grand'messe,  suivant  leurs  règles,  les  jours  de  fêtes  et 
de  dimanches. 

Quant  au  temporel  de  l'Hôpital-Général,  M^  de  Saint- 
Vallier  en  chargea  M.  Hazeur,  riche  marchand  de  Québec, 
qui  demeurait  à  la  Basse-Ville,  tout  près  de  Notre-Dame  de 
la  Victoire.  M.  Hazeur  lui  promit  de  veiller  aux  besoins  et 
aux  intérêts  temporels  de  l'institution  tout  le  temps  de  son 
absence. 

Le  pieux  Prélat  confia  l'administration  de  son  diocèse  à 
MM.  de  Maizerets,  Glandelet  et  Joseph  de  la  Colombière, 
qu'il  nomma  ses  vicaires  généraux;  puis  il  s'embarqua  sur 
la  Seine  le  13  octobre  1700. 


CHAPITRE   XVII 


M^  DE  SAINT-VAL,LIER  EN  FRANCE 
DE  1700  À  1704 

La  France  et  Louis  XIV  en  1700.  —  Bon  accueil  fait  par  le  Roi  à 
l'évêque  de  Québec.  —  L'établissement  de  l'Hôpital-Général,  con- 
firmé. —  Lettre  pastorale  de  l'évêque  à  son  clergé.  —  Réponses  de 
la  Sorbonne  et  du  Saint-Office  sur  certaines  difficultés.  —  Voyage 
à  Rome.  —  Message  du  Pape  à  Louis  XIV.  —  Bref  du  saint-père  à 
l'évêque.  —  Catéchisme,  Rituel  et  Recueil  d'Ordonnances  de  Mgr 
de  Saint- Vallier. 

LE  navire  qui  portait  M^  de  Saint-Vallier  arriva  à  La 
Rochelle  le  29  novembre  (1700)  après  une  traversée 
très  orageuse.  Le  Prélat  ne  se  rendit  à  Paris  que  la  veille 
de  Noël,  et  alla  loger  chez  les  messieurs  de  Saint-Sulpice. 
Son  vénérable  ami,  M.  Tronson,  comme  nous  l'avons  vu, 
était  mort  quelques  mois  auparavant,  et  avait  été  remplacé 
comme  supérieur  par  M.  Leschassier.  On  s'entretenait  beau- 
coup à  Paris  du  livre  de  Fénelon,  les  Maximes  des  Saints, 
qui  avait  été  condamné  l'année  précédente  (12  mars  1699) 
par  le  pape  Innocent  XII,  et  de  la  soumission  édifiante  de 
l'archevêque  de  Cambrai,  l'élève  et  l'ami  de  Saint-Sulpice. 
Innocent  XII  venait  de  mourir  (27  septembre  1700);  et 
son  successeur  Clément  XI  se  préparait  à  porter  de  rudes 
coups  à  l'hydre  du  Jansénisme  par  son  bref  du  12  février 
1703  contre  le  Cas  de  conscience,  par  sa  bulle  du  15  juillet 
1705  Vineam  Domini  Sabaoth  contre  le  silence  respectueux 


l'église  du  canada  sous  m*'  de  saint-vallier    215 

des  jansénistes,  et  surtout  par  la  constitution  Unigenitus  du 
8  septembre   1713. 

La  situation  politique  de  la  France  était  grave  et  solen- 
nelle. Le  jour  même  où  M"""  de  Saint- Vallier  débarquait  à 
La  Rochelle  est  précisément  celui  où,  d'après  l'histoire, 
Louis  XIV,  voyant  partir  son  petit-fils  Philippe  de  France, 
duc  d'Anjou,  pour  aller  prendre  possession  du  trône  d'Es- 
pagne, qui  lui  avait  été  légué  par  le  testament  de  Charles  II, 
lui  disait  :  «  Partez,  mon  fils,  il  n'y  a  plus  de  Pyrénées  !  » 
Parole  mémorable,  qui  caractérise  bien  un  des  événements 
les  plus  importants  de  l'histoire  :  l'installation  d'un  Bourbon 
sur  le  trône  d'Espagne,  et  par  suite  l'agrandissement,  pour 
ainsi  dire,  de  la  France  jusqu'à  Cadix  et  Gibraltar  \  comme 
si  en  effet  les  Pyrénées  n'existaient  plus  pour  elle  :  événement 
extrêmement  grave,  qui  ne  peut  s'accomplir  sans  soulever 
les  protestations  de  toute  l'Europe,  et  qui,  en  effet,  va  donner 
lieu  à  la  fameuse  guerre  de  la  succession  d'Espagne:  évé- 
nement, pourtant,  auquel  la  France  ne  peut  se  soustraire 
sans  compromettre  sa  dignité  et  son  honneur,  toute  la  gloire 
du  grand  règne  de  Louis  XIV  et  des  règnes  précédents. 

C'est  au  milieu  de  l'excitation  patriotique  que  cet  évé- 
nement soulève  en  France,  que  M^""  de  Saint- Vallier  arrive  à 
Paris.  En  bon  Français  qu'il  est,  il  ne  peut  se  désintéresser 
de  ce  qui  affecte  l'honneur,  la  gloire,  l'avenir  peut-être  de 
son  pays.  Mais  il  est,  avant  tout,  préoccupé  de  ses  affaires 
canadiennes  ;  son  esprit  et  son  cœur  en  sont  pleins.  Il  se 
hâte  donc  de  se  rendre  à  Versailles  et  sollicite  une  audience 
du  grand  Roi. 

Louis  XIV  est  dans  la  cinquante-septième  année  de  son 
règne  :  il  a  soixante-deux  ans.  Rempli  de  gloire  et  de  ma- 
jesté, respecté  du  monde  entier,  l'idole  de  ses  sujets,  l'expé- 


I.    C'est   à   la    suite   de    la   guerre   de    la    succession    d'Espagne   que 
Gibraltar  a  passé  à  l'Angleterre. 


2l6  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

rience  des  hommes  et  des  choses  a  assoupli  sa  nature  hau- 
taine; il  a  appris  à  mettre  au  point  la  valeur  de  la  gloire 
humaine  \  et  il  est  déjà  tout  préparé  à  entendre  du  fond  de 
sa  tombe  la  sublime  parole  de  Massillon  :  «  Dieu  seul  est 
grand  !  » 

Il  accueillit  avec  une  bienveillance  toute  spéciale  son  an- 
cien aumônier,  qui  lui  arrivait  précédé  d'un  magnifique 
témoignage  de  satisfaction  de  la  part  du  gouverneur  de  la 
Nouvelle-France.  M.  de  Callières  venait  en  effet  d'écrire 
au  ministre  :  «  Ce  Prélat  est  très  charitable,  et  se  refuse  jus- 
qu'à ses  nécessités.  Je  ne  doute  pas  que  vous  ne  preniez  des 
mesures  pour  qu'il  continue  ses  libéralités  à  son  hôpital,  qui 
est  très  utile  à  ce  pays  "...  »  Le  Roi  recommanda  donc  à 
Pontchartrain  de  faire  droit  le  plus  tôt  possible  à  ses  légi- 
times demandes;  et  dès  le  mois  de  mai  1701  le  Conseil 
d'Etat  rendit  un  arrêt  confirmant  d'une  manière  définitive 
l'Hôpital-Général  de  Québec,  et  permettant  à  l'évêque  d'y 
établir  une  communauté  séparée  et  distincte  de  religieuses 
hospitalières  «  pour  prendre  soin  du  détail  du  dit  hôpital 
sous  les  ordres  du  dit  sieur  évêque  ^.  » 

Cette  bonne  nouvelle  fut  apportée  à  Québec  dans  le  mois 
de  juin  par  AI.  de  Ramesay,  commandant  des  troupes  du 
Canada,  et  M.  de  la  Chênaie  *,  l'un  des  membres  du  Conseil 
Supérieur,  qui  arrivèrent  tous  deux  de  France.  Ils  pu- 
blièrent partout  que  l'évêque  avait  été  parfaitement  accueilli 


1.  "  Louis  XIV,  rartiené  par  l'âge  et  par  la  religion  à  des  maximes 
plus  saines,  était  désabusé  de  toutes  ses  anciennes  idées  de  faste  et  de 
magnificence  :  toutes  ses  vues  tendaient  alors  à  rétablir  l'ordre  dans 
ses  finances  par  une  sage  économie."  (Bausset,  Histoire  de  Fénelon, 
t.  IV,  p.  3.) 

2.  Corresp.  générale,  vol.   18. 

3.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp.-Général,  p.  187. 

4.  Aubert  de  la  Chênaie,  l'ancêtre  des  De  Gaspé,  mourut  en  1702, 
"  fort  regretté,  dit  un  document  pour  le  bien  qu'il  a  fait  en  ce  pays  ". 
(Corresp.  générale,  vol.  19).    Il  demeurait  rue  Sault-au-Matelot. 


sous    M*""    DE    SAINT-V ALLIER  217 

en  cour,  et  avait  obtenu  tout  ce  qu'il  souhaitait  :  il  avait  ren- 
du service  à  tous  les  Canadiens  qui  se  trouvaient  à  Paris, 
et  employé  en  leur  faveur  son  crédit  auprès  du  ministre;  le 
Roi  lui  avait  aussi  accordé  des  lettres  patentes  pour  l'éta- 
blissement déjà  fait  des  Ursulines.  aux  Trois-Rivières. 

Aussitôt  que  le  gouverneur  et  l'intendant  furent  instruits 
d'une  manière  officielle  de  ce  qui  regardait  l'Hôpital-Général, 
ils  s'empressèrent  de  donner  des  ordres  pour  y  renvoyer  les 
religieuses  qui  étaient  à  l'Hôtel-Dieu  :  ce  qui  se  fit  le  7  sep- 
tembre (1701I;  et  à  partir  de  cette  date  la  communauté 
reprit  les  habitudes  de  vie  qu'elle  avait  auparavant. 

Mais  que  fait  pendant  ce  temps  M^  de  Saint -Vallier?  Il  a 
présenté  au  ministre  Pontchartrain  les  mémoires  qu'il  a  pré- 
parés sur  les  affaires  de  son  Eglise  et  attend  avec  confiance 
les  décisions  de  la  cour.  La  pensée  de  ses  diocésains,  de  ses 
curés,  de  ses  missionnaires  ne  quitte  pas  son  esprit;  elle 
l'obsède,  pour  ainsi  dire:  et  dès  le  7  mars,  il  adresse  à  ses 
prêtres  une  magnifique  lettre  pastorale,  leur  donnant  «  des 
avis  pour  la  conduite  de  leurs  paroissiens  ».  Il  leur  parle  de 
l'abondance  du  cœur: 

«  Comme  Notre-Seigneur,  dit-il,  qui  est  le  véritable  Père 
et  Pasteur  des  âmes,  nous  met  sans  cesse  devant  les  yeux  les 
obligations  indispensables  de  notre  ministère,  et  que  nous 
prévoyons  avec  quelque  fondement  que  les  aiïaires  de  notre 
Eglise  qui  nous  ont  obligé  de  sortir  de  notre  diocèse,  pour- 
raient bien  nous  en  tenir  séparé  encore  quelques  années, 
nous  jugeons  à  propos  de  vous  faire  souvenir  de  ce  que 
vous  devez  à  Dieu  et  au  troupeau  qui  vous  a  été  confié.  » 

On  dirait  que  le  Prélat  avait  quelque  pressentiment  que 
son  absence  pourrait  être  bien  longue  ;  et  comme  un  bon  père 
il  donne  d'admirables  conseils  à  ses  enfants.  Il  rappelle  à 
ses  curés  le  grand  devoir  qu'ils  ont  de  se  conduire  d'une 
manière  parfaite,  s'ils  veulent  que  leur  prédication  soit  effi- 
cace, et  qu'ils  ne  s'entendent  pas  dire  par  ceux  qu'ils  désirent 


ai8  l'église  du  canada 

corriger  :  «  Médecin,  guérissez-vous  vous-même  \  »  Aux 
gouvernants,  aux  magistrats,  aux  supérieurs  il  rappelle  leurs 
devoirs  envers  leurs  inférieurs;  aux  parents,  leurs  devoirs 
envers  leurs  enfants  ;  aux  enfants,  leurs  devoirs  envers  leurs 
parents  ;  à  tous,  leurs  devoirs  d'état.  A  tous  ils  recom- 
mande «  la  pratique  de  l'aumône,  de  cette  usure  innocente  et 
céleste,  dit-il,  bien  différente  de  celle  que  nous  avons  si  sou- 
vent condamnée,  par  laquelle  pour  un  verre  d'eau  on  reçoit 
le  paradis  », 

«  Assurez  tous  les  habitants  des  villes  et  des  paroisses  de 
la  campagne,  ajoute-t-il,  que  notre  affection  pour  eux,  loin 
de  diminuer,  s'augmente  de  jour  en  jour,  que  nous  les  por- 
tons dans  notre  cœur  pour  les  mettre  dans  celui  de  Notre- 
Seigneur,  auquel  soit  gloire,  honneur  et  louange  dans  les 
siècles  des  siècles.  » 

Au  clergé  séculier  et  régulier  il  recommande  l'union,  et 
l'uniformité  de  direction  dans  la  conduite  des  âmes,  suivant 
ses  ordonnances  : 

«  Les  curés  et  autres  pasteurs  des  âmes,  dit-il,  doivent  se 
faire  un  plaisir  de  recourir  aux  religieux  de  l'une  ou  de 
l'autre  des  deux  communautés  que  nous  avons  dans  notre 
diocèse,  dans  les  besoins  de  leur  paroisse:  et  les  confesseurs 
réguliers,  de  leur  côté,  doivent  appuyer  de  toutes  leurs 
forces  les  bonnes  intentions  des  pasteurs  par  une  femieté  et 
une  dispensation  uniforme  du  sacrement  de  pénitence  ",  » 

M^""  de  Saint- Vallier  profita  de  son  séjour  à  Paris  pour 
exposer  aux  docteurs  de  la  Sorbonne  certaines  difficultés 
qui  se  présentaient  souvent  dans  les  missions  sauvages, 
par  rapport  à  l'administration  du  baptême  aux  infidèles,  et 
en  général  pour  l'administration  des  sacrements  aux  nou- 
veaux convertis;  il  leur  demandait  la  solution  de  ces  difïi- 


1.  Luc,  IV,  23. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  417. 


sous    M**"    DE    SAINT-VALLIER  2ig 

cultes.  Leur  réponse  lui  fut  donnée  le  lo  août  1702,  et  il  la 
communiqua  quelques  jours  après  à  son  clergé  du  Canada. 
Par  cette  réponse  des  docteurs  les  plus  instruits  et  les  plus 
éminents  du  Royaume,  se  trouvait  approuvée  d'une  manière 
générale  la  pratique  suivie  par  les  Jésuites  ^  depuis  près  d'un 
siècle  dans  leurs  missions,  pour  la  conversion  des  sauvages. 
Pour  certaines  difficultés,  cependant,  les  docteurs  de  la 
Sorbonne  eux-mêmes  recommandaient  qu'on  en  référât  au 
saint-siège;  et  voilà  pourquoi  M^  de  Saint- Vallier,  se  ren- 
dant à  Rome  pour  d'autres  affaires  importantes,  en  profita 
pour  soumettre  à  la  Propagande  les  différents  cas  de  cons- 
cience qu'il  avait  déjà  présentés  à  l'examen  de  la  Sorbonne. 
La  Propagande  les  référa  elle-même  à  la  sacrée  congréga- 
tion du  Saint-Office,  présidée  par  le  saint-père  ;  et  celle-ci, 
après  avoir  tout  examiné  et  pesé  avec  soin,  donna  une 
réponse  précise  et  définitive  à  toutes  ces  difficultés  le  i®""  aoiît 
1703.  Les  solutions  du  Saint-Office  étaient  généralement 
plus  sévères  que  celles  de  la  Sorbonne,  recommandant  de 
s'en  tenir  aux  règles  de  l'Eglise  et  aux  décisions  strictes  de  la 
théologie.  Elles  n'en  étaient  que  plus  favorables  à  la  pra- 
tique suivie  généralement  par  les  missionnaires  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  à  qui  on  avait  quelquefois  reproché  de  se 
montrer  trop  sévères,  par  exemple,  quand  il  s'agissait  de 
conférer  le  saint  baptême  aux  infidèles.  Ils  ne  l'étaient  pas 
pour  baptiser  les  enfants  ou  les  adultes  en  danger  imminent 
de  mort  ;  mais  pouvaient-ils  prendre  trop  de  précautions 
par  rapport  au  baptême  des  enfants  de  parents  infidèles, 
lorsqu'ils  ne  pouvaient  ignorer  qu'une  fois  ces  enfants  bap- 
tisés, s'ils  survivaient  au  baptême,  les  missionnaires  étaient 
obligés  de  les  suivre,  à  mesure  qu'ils  grandissaient,  pour  les 


I.  "Ils  sont  sans  contredit  très  éclairés  et  fort  habiles  au  gouverne- 
ment des  sauvages  pour  le  spirituel,  "  écrivait  un  jour  un  homme  qui 
leur  était  généralement  peu  sympathique.  (Corresp.  générale,  vol.  29, 
Lettre  de  M.  de  Ramesay,  gouverneur  de  Montréal,   1708.) 


220  L  EGLISE    DU    CANADA 

instruire  des  vérités  de  la  religion,  aussitôt  qu'ils  en  seraient 
susceptibles  :  ce  qui  était  d'une  difficulté  presque  insurmon- 
table, étant  donné  l'instabilité  des  familles  sauvages,  leurs 
courses  à  travers  les  bois,  leur  vie  errante. 

Il  y  avait  eu  évidemment  des  divergences  d'opinion  sur 
toutes  ces  questions  entre  les  missionnaires  des  différentes 
communautés,  car  l'évêque  de  Québec,  communiquant  à  ses 
prêtres  les  réponses  du  Saint-Office,  leur  disait  : 

«  Nous  aurons  désormais  la  consolation  de  vous  voir  tra- 
vailler tous  dans  le  même  esprit  et  le  même  cœur  au  salut 
des  peuples.  Il  n'y  aura  plus  de  divisions.  Tout  se  fera 
dans  cette  unité  que  l'apôtre  saint  Paul  a  tant  recommandée, 
laquelle  produit,  nourrit  et  entretient  tout  le  bien  que  peuvent 
faire  des  missionnaires  zélés  pour  le  salut  des  âmes  \  » 

Le  but  principal  de  M^""  de  Saint-Vallier,  en  allant  à  Rome, 
était  d'obtenir  l'union  canonique  de  ses  abbayes  à  son  Eglise, 
sollicitée  en  vain  depuis  longtemps.  «  Ces  sortes  d'union  à 
des  gens  de  main-morte,  dit  l'auteur  de  l'Histoire  du  Sémi- 
naire, souffraient  toujours  d'innombrables  difficultés.  II 
fallait  le  consentement  des  habitants,  des  curés,  des  évêques, 
des  magistrats,  de  la  cour  ;  il  fallait  enquête  sur  enquête,  et 
des  formalités  dont  le  moindre  défaut  rendait  tout  invalide.  » 
Tout  le  travail  en  France  était  terminé;  il  ne  restait  plus 
qu'à  obtenir  une  bulle  de  Rome  pour  confirmer  les  lettres 
patentes  déjà  données  par  la  cour  en  1697. 

Le  Prélat  se  mit  en  route  pour  l'Italie  au  commencement 
de  septembre  1702.  Le  Pape  qui  gouvernait  alors  l'Eglise 
de  Jésus-Christ  portait  le  nom  de  Clément  comme  celui  qui 
avait  érigé  le  diocèse  de  Québec.  Il  accueillit  notre  Prélat 
avec  d'autant  plus  de  sympathie,  que  c'était  le  premier 
évêque  de  l'Amérique  du  nord  qui  faisait  un  voyage  ad 
îimina  : 

I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  423,  452,  453. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  221 

«  Dès  le  commencement,  écrit  M.  Tremblay,  Clément 
XI  ^  déclara  qu'il  voulait  contenter  M.  l'évêque  de  Québec 
et  le  renvoyer  content  dans  son  diocèse.  Il  ne  voulut  pas 
que  son  affaire  fût  portée  à  la  Congrégation  des  Evêques,  où 
elle  n'aurait  jamais  passé,  mais  il  fit  une  congrégation  par- 
ticulière pour  cette  affaire,  qu'il  composa  de  sept  prélats. 
Quand  on  l'examina,  on  trouva  qu'elle  avait  été  refusée 
trois  fois,  sans  que  nous  en  eussions  rien  su  '.  »■ 

Les  prélats  de  cette  congrégation  particulière  s'assem- 
blèrent trois  fois  pendant  que  M^""  de  Saint-Vallier  était  à 
Rome,  et  sous  différents  prétextes  ne  voulaient  pas  conclure. 
Le  pape  leur  témoigna  alors  qu'il  voulait  absolument  accor- 
der cette  grâce  ;  et  ils  se  décidèrent  à  examiner  de  nouveau 
les  propositions  de  l'évêque  de  Québec.  «  Mais,  ajoute  M. 
Tremblay,  ils  demandaient  toujours  pourquoi  on  voulait 
ôter  aux  religieux  les  menses  conventuelles  des  abbayes 
pour  les  donner  à  des  chanoines.  »  Enfin,  sur  les  instances 
du  pape,  ils  étaient  disposés  à  conclure,  lorsqu'ils  se  mirent 
dans  la  tête  d'exiger  «  qu'outre  le  procès-verbal  qui  avait  été 
fait  par  les  Ordinaires  des  lieux  de  ces  abbayes,  du  revenu, 
des  charges,  des  fondations,  du  nombre  des  religieux,  il  en 
serait  encore  dressé  un  par  le  nonce  de  Paris  juridiquement 
en  entendant  des  témoins.  Or,  ajoute  encore  M.  Tremblay, 
les  nonces  en  France  n'ont  aucun  pouvoir  de  faire  de  sem- 
blables Informations,  et  il  est  sévèrement  défendu  d'y  con- 
courir. M^  de  Saint-Vallier  eut  beau  se  récrier  auprès  du 
pape,  il  n'y  gagna  rien.  Le  pape  lui  dit  seulement  qu'il  fallait 
faire  cette  Information  sans  bruit  sur  des  pièces  qu'on  pré- 
senterait à  M.  le  nonce,  sans  faire  aucun  acte  de  juridiction. 
M*^  de  Québec  ne  put  faire  passer  par-dessus  cette  diffi- 
culté. » 


1.  De  la  famille  Albani  et  de  la  ville  Urbino,  où  est  né  Raphaël;  pape 
de  1700  à  1721. 

2.  Lettre  à  M.  Glandelet,  1702,  citée  par  Langevin,  p.  145. 


222  L  EGLISE    DU    CANADA 

D'après  M.  Tremblay,  l'accueil  spécialement  favorable 
que  l'évêque  avait  obtenu  du  saint-père,  avait  excité  contre 
lui,  à  Rome,  en  certains  quartiers,  de  véritables  sentiments 
de  jalousie.  Quelques  prélats  allèrent  jusqu'à  «  lui  dire  de» 
choses  très  fortes,  d'avoir  joui,  lui  et  son  chapitre,  trente 
ans  d'un  bien  qui  ne  leur  appartenait  pas  ».  On  était  jaloux 
«  de  la  facilité  qu'il  avait  à  avoir  audience,  et  à  écrire  toua 
les  jours  au  pape,  et  des  dictinctions  que  le  pape  lui  avait 
accordées,  en  le  faisant  Assistant  au  trône  pontifical  ».  Le 
saint-père  «  le  faisait  quelquefois  manger  avec  son  frère  au 
Vatican,  et  l'y  faisait  entrer  souvent  pour  se  promener  avec 
lui  familièrement  dans  les  galeries  de  ce  palais  ».  Evidem- 
ment, la  haute  distinction  personnelle  de  M^""  de  Saint- 
Vallier,  non  moins  que  sa  piété,  sa  vertu  et  son  mérite,  avait 
produit  une  très  favorable  impression  sur  le  saint-père. 

«  M^*"  de  Québec,  écrit  M.  Tremblay,  ayant  vu  la  réso- 
lution de  la  congrégation  de  ne  rien  accorder  sans  une  in- 
formation du  nonce  de  Paris,  prit  tout-à-coup  la  résolution 
de  revenir  en  France.  Il  partit  de  Rome  au  commencement 
de  février.  .  .,  et  revint  si  promptement  qu'il  fit  en  quatre 
jours  le  chemin  de  Livourne  à  Marseille.  .  .  Nous  fiâmes 
tout  surpris  de  le  voir  arriver  à  Paris.  .  .  Nous  lui  présen- 
tâmes tous  les  actes  sur  lesquels  l'union  a  été  proposée  à 
Rome.  M^""  le  nonce  verbalisa  sur  ces  actes,  et  les  renvoya  à 
Rome;  mais  on  n'a  pas  trouvé  cette  information  suffisante, 
et  la  congrégation  s'étant  assemblée  en  a  demandé  encore 
une  autre  pour  terminer  l'afïaire.  » 

Bref,  ce  ne  fut  que  l'année  suivante,  le  7  septembre  1704, 
que  fut  signée  la  bulle,  sollicitée  depuis  si  longtemps,  pour 
l'union  canonique  des  abbayes  de  Bénévent,  de  Maubec  et  de 
Lestrée.  Mais,  comme  nous  le  verrons,  elle  n'était  que  par- 
tiellement conforme  à  ce  qu'on  avait  demandé,  et  ne  fut  aussi 
que  partiellement  acceptée.  On  accepta  ce  qui  faisait  plaisir, 
l'union  des  abbayes;  on  rejeta  ce  qui  regardait  le  cha«- 


sous    M^    DE    SAINT-V ALLIER  223 

gement  de  la  constitution  du  chapitre,  et  la  diminution  du 
nombre  des  chanoines. 

Outre  le  titre  d'Assistant  au  trône  pontifical  qu'il  avait 
reçu  du  saint-père,  M*^  de  Saint-Vallier  apportait  de  Rome 
pour  son  diocèse  un  souvenir  précieux  :  trois  corps  de  saints 
martyrs.  Hélas!  nous  verrons  quel  triste  sort  leur  était 
réservé. 

Le  saint-père  lui  avait  aussi  confié  pour  le  roi  de  France 
une  portion  de  la  vraie  Croix,  avec  un  bref  qu'il  devait  lui 
présenter  lui-même  de  la  part  de  Sa  Sainteté.  Citons  ici  ce 
bref: 

«  Cette  lettre,  écrivait  à  Louis  XIV  le  pape  Clément  XI, 
sera  rendue  à  Votre  Majesté  par  l'évêque  de  Québec,  qui 
part  d'ici,  après  y  avoir  donné  de  grandes  preuves  de  sa 
piété  et  de  son  zèle  pour  la  propagation  de  la  foi. 

«  Nous  l'avons  chargé  de  porter  à  Votre  Majesté  les  plus 
amples  et  les  plus  sincères  témoignages  de  cet  amour  pater- 
nel et  très  tendre  avec  lequel  nous  la  lui  envoyons,  et  ensuite 
du  désir  très  ardent  que  nous  avons  de  le  lui  témoigner  par 
les  effets.  Elle  peut  ajouter  une  foi  entière  à  ce  qu'il  lui  dira. 

«  Après  avoir  offert  nos  prières  à  Dieu  pour  attirer  tou- 
jours sur  Votre  IVÎajesté  et  sur  sa  famille  royale  toute  sorte 
de  prospérités,  Nous  donnons  à  l'un  et  à  l'autre,  avec  toute  la 
plénitude  de  notre  afifection,  la  bénédiction  apostolique. 

"Donné  à  Rome,  à  Saint-Pierre,  le  ii  janvier  1703,  la 
troisième  année  de  notre  pontificat.  » 

En  présentant  à  Louis  XIV  la  relique  de  la  vraie  Croix, 
l'évêque  devait  lui  dire  de  la  part  de  Clément  XI  : 

«  Que  le  saint-père  lui  souhaitait  comme  au  grand  Cons- 
tantin de  surmonter  ses  ennemis  par  ce  signe  :  In  hoc  signo 
rinces  \ 


I.    Le   souhait    du    saint-père    était    d'autant    plus   précieux   à    Loui» 
XIV,  qu'on  était  en  pleine  guerre  de  la  succession  d'Espagne. 


224  L  ÉGUSE    DU    CANADA 

«  Qu'il  voyait  bien  que  les  autres  princes  chrétiens  cher- 
chaient leurs  intérêts  particuliers:  Omnes  qiuE  sua  sunt  quœ- 
runt  \  mais  que  Sa  Majesté  cherchait  à  procurer  la  gloire 
de  Dieu,  le  bien  de  l'Eglise  et  le  progrès  de  la  religion;  qu'il 
lui  recommandait  de  nouveau  cette  même  Eglise,  l'épouse  de 
Jésus-Christ,  qui  saurait  bien  le  recompenser  de  tant  de  tra- 
vaux entrepris  pour  ce  grand  dessein. 

«  Que  ce  n'était  pas  seulement  en  la  personne  de  Sa  Ma- 
jesté que  le  saint-père  reconnaissait  ces  grands  sentiments, 
mais  dans  les  personnes  de  M^  le  dauphin,  de  M.  le  duc  de 
Bourgogne  et  de  toute  la  famille  royale  qu'il  considérait  et 
qu'il  aimait  d'une  affection  toute  singulière  et  toute  pater- 
nelle, et  qu'il  offrait  à  Dieu  tous  les  jours. 

«  Que  Sa  Sainteté  avait  témoigné  une  joie  sincère  et 
véritable  en  apprenant  la  grossesse  de  M"®  la  duchesse  de 
Bourgogne,  et  qu'Elle  souhaitait  et  demandait  de  bon  cœur  à 
Dieu  qu'une  si  grande,  si  royale  et  si  admirable  famille  se 
multipliât  de  plus  en  plus. 

«  Que  Sa  Sainteté  consentait  une  estime  et  une  affection 
singulière  pour  M^  le  dauphin  et  pour  M.  le  duc  de  Bour- 
gogne, et  qu'Elle  priait  le  Ciel  qu'ils  marchassent  tous  les 
deux  sur  les  traces  de  leurs  pères  et  qu'ils  imitassent  leurs 
vertus.  » 

Le  roi  remercia  le  saint-père  de  ses  bonnes  paroles  et  de 
la  précieuse  relique  qu'il  lui  avait  envoyée;  et  le  prélat,  de 
son  côté,  reçut  à  Paris  le  bref  suivant  de  Clément  XI  : 

«  A  notre  vénérable  frère  l'Evêque  de  Québec. 

«  Vénérable  frère,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

«  Nous  avons  assez  connu,  par  la  lettre  pleine  de  recon- 
naissance que  nous  a  écrite  notre  très-cher  fils  en  Notre- 
Seigneur  le  roi  Très-Chrétien,  avec  combien  de  soin  et 
d'agrément  vous  vous  êtes  acquitté  de  la  commission  que 

I.    Philip.,  II,  21. 


sous    M**"    DE    SAINT-VALUER  225 

nous  vous  avons  donnée  d'expliquer  tous  les  sentiments 
d'estime  et  de  tendresse  paternelle  que  nous  avons  pour  Sa 
Majesté,  en  lui  rendant  la  petite  et  précieuse  relique  que  vous 
lui  avez  donnée  de  notre  part.  Nous  ne  pouvons  nous  empê- 
cher de  louer  votre  exactitude  et  votre  diligence,  et  de  vous 
assurer  en  même  temps  que  nous  sommes  toujours  prêt  à 
satisfaire  à  vos  demandes,  comme  nous  vous  l'avons  promis 
lorsque  vous  étiez  auprès  de  nous,  aussitôt  que  nous  aurons 
appris  par  notre  nonce,  Philippe  -  Antoine,  archevêque 
d'Imola,  que  les  choses  seront  en  état  d'être  expédiées. 

«  Au  reste,  comme  nous  ne  pouvons  pas  répondre  à  l'es- 
time que  vous  faites  paraître  avoir  de  nous,  ni  nous  per- 
suader être  tel  que  vous  le  pensez,  connaissant,  comme  nous 
le  faisons,  notre  propre  infirmité,  nous  pouvons  au  moins 
vous  assurer  que  rien  n'égale  le  penchant  que  nous  avons 
de  répondre  à  toute  l'affection  et  bonne  volonté  que  vous 
jugez  avec  raison  que  nous  avons  pour  vous,  à  cause  du  zèle 
admirable  que  vous  faites  paraître  pour  la  religion  catho- 
lique. 

«  Nous  vous  souhaitons  et  accordons  avec  tendresse  notre 
bénédiction  apostolique. 

«  Donné  à  Rome,  à  Saint-Pierre,  sous  l'anneau  du  pê- 
cheur, le  15  mai  de  l'année  1703,  de  notre  pontificat  la  troi- 
sième. » 

Entre  autres  demandes  que  AP""  de  Saint-Vallier  fit  au 
Roi  durant  son  séjour  en  France,  il  y  en  avait  une  qui  regar- 
dait la  dîme.  Il  insista  pour  qu'elle  fût  portée  au  treizième, 
afin  d'augmenter  le  revenu  de  ses  prêtres.  L'intendant 
Beauharnais  \  qui  fut  consulté  là-dessus  et  connaissait 
combien  le  pays  était  pauvre,  répondit  à  la  cour: 

«  M.  l'évêque  de  Québec  n'entend  pas  les  intérêts  de  son 

I.    Il  avait  succédé  à  Champigny.  Sa  commission  est  du  ler  avril  1702. 


226  1,'ÉGUSE    DU    CANADA 

clergé  en   demandant  que  la  dîme  soit  mise  au  treizième 
comme  en  France  ^  » 

Elle  resta  sur  le  même  pied  où  elle  avait  été  fixée  par  le 
règlement  de  M.  de  Tracy,  en  1667;  et  elle  y  est  encore. 

* 

L'intendant  Beauharnais,  dont  nous  venons  de  mention- 
ner le  nom,  avait  succédé  à  M.  de  Champigny,  qui  quitta  le 
Canada  en  1702  pour  devenir  intendant  au  Havre,  et  que 
AP""  de  Saint-Vallier,  par  conséquent,  ne  revit  pas  dans  son 
diocèse.  Ne  quittons  pas  ce  bon  intendant  Champigny,  qui 
fut  toujours  au  Canada  un  chrétien  exemplaire,  sans  citer 
ici  ce  que  raconte  quelque  part  le  P.  Jacques  de  Lamber- 
ville  sur  sa  dévotion  à  la  pieuse  iroquoise  Catherine  Téga- 
kouïta,  morte  en  odeur  de  sainteté,  et  sur  la  faveur  qu'il 
avait  obtenue  par  son  intercession  : 

«  Dieu,  écrit  ce  Jésuite  distingué,  continue  d'honorer  une 
bonne  fille,  iroquoise  de  nation,  décédée  et  enterrée  en  cette 
mission  de  Canaughwaga.  Le  Ciel  accorde  quantité  de 
grâces  à  ceux  qui  im.plorent  son  assistance.  Les  ecclésias- 
tiques et  les  laïques  y  viennent  en  pèlerinage  remercier  Dieu 
des  faveurs  qu'ils  ont  reçues  par  son  intercession.  On  envoie 
des  présents  à  cette  église  pour  marquer  à  Dieu  sa  reconnais- 
sance. On  envoie  des  présents  à  l'église  où  repose  son  corps. 
Les  paroisses  entières  y  viennent  en  procession  solennelle- 
ment au  jour  annuel  de  son  décès  pour  rendre  grâces  des 
divers  efïets  de  sa  protection.  Pour  guérir  les  maladies 
que  les  remèdes  ordinaires  ne  soulagent  pas,  on  avale  dans 
de  l'eau  ou  dans  du  bouillon  un  peu  de  la  poussière  de  son 
tombeau. 

«  M.  de  Cham.pigny,  intendant  du  Canada,  avait  perdu  la 

I.   Corresp.  générale,  vol.  22.  Lettre  du  19  oct.  1705. 


sous    m"''    de    SAIXT-VALLIER  327 

voix  pendant  un  an,  au  bout  duquel  M'"^  l'intendante  *  ayant 
fait  dire  une  neuvaine,  il  recouvra  très  parfaitement  la  voix. 
Il  a  fait  faire  plusieurs  petits  tableaux  de  cette  bonne  fille 
sauvage,  qu'il  distribue  et  qu'on  garde  par  estime  qu'on  a 
de  la  sainteté  de  cette  vierge  iroquoise,  qui  a  conservé  son. 
innocence  parmi  tous  les  libertinages  de  l'impureté.  Pen- 
dant trois  ans  qu'elle  a  été  dans  cette  mission,  elle  y  a  fait  de 
si  grand  progrès  en  la  vertu  qu'elle  a  mérité  que  Dieu  la 
glorifiât  par  quantité  de  guérisons  miraculeuses  obtenues  de 
Dieu  par  son  moyen.  -    ,  ,-  —    -^ 

«  M.  Duluth,  ajoute  le  P.  Lamberville,  capitaine  dans  la 
marine,  rapporte  lui-même  que  depuis  plusieurs  années  étant 
fort  tourmenté  par  la  goutte,  et  ne  se  trouvant  point  de  sou- 
lagement à  son  mal,  il  fit  dire  une  neuvaine  en  l'honneur  de 
cette  bonne  chrétienne,  dont  les  prières  l'ont  entièrement 
guéri  de  sa  goutte  le  neuvième  jour  ^.  » 

M.  de  Champigny  était  tout  dévoué  au  bien  de  la  religion 
en  ce  pays,  et  aux  missionnaires.  Citons  encore,  à  son  sujet, 
un  petit  extrait  d'une  lettre  que  lui  adressait,  quelques  jours 
avant  son  départ  du  Canada,  un  Jésuite  de  Michillimakinac, 
le  P.  de  Carheil  : 

«  Je  vous  supplie,  disait-il,  de  vouloir  bien  remettre  vous- 
même  ma  lettre  entre  les  mains  du  révérend  P.  Supérieur. 

1.  Elle  était  la  cousine  de  Mgr  de  Laval  au  3e  degré. 

2.  Relations  des  Jésuites,  édition  Burrows,  vol.  6=,,  p.  30.  —  Au  sujet 
de  Catherine  Tégakouïata,  voici  un  autre  fait  que  nous  trouvons  dans 
une  lettre  du  P.  Chauchetière  :  "  Je  prie,  dit-il,  le  R.  P.  Recteur  du 
noviciat  (de  Bordeaux)  de  faire  dire  un  Pater  et  un  Ave  et  trois  fois 
le  Gloria  Patri  à  ses  novices  pour  moi.  C'est  une  dévotion  qui  est  ici 
(à  Montréal)  parmi  les  Sauvages  et  Français,  qui  vont  au  tombeau  de 
Catherine,  enterrée  dans  l'église  du  Saut,  quand  ils  veulent  obtenir  de 
Dieu  quelque  grâce.  Je  l'ai  commencée  dès  le  jour  de  son  enterrement, 
et  j'ai  toujours  cru  que  c'était  elle  qui,  au  bout  de  l'an,  me  conserva, 
quand  le  vent  jeta  notre  chapelle  à  bas,  oîi  je  fus  conservé,  selon  le 
sentiment  commun,  miraculeusement;  et  je  crus  que  cette  sauvagesse 
vertueuse  m'avait  rendu  en  cette  occasion  les  services  que  je  lui  avais 
rendus  pendant  sa  maladie..."  (Lettre  du  P.  Claude  Chauchetière  au 
P.  Jacques  Jouheneau,  à  Bordeaux  ;  Villemarie,  20  septembre  1694. 
Rel.  des  Jés.,  édit.  Burrows,  vol.  64,  p.  154). 


228  l'Église  du  canada 

C'est  la  dernière  grâce  que  je  puisse  recevoir  de  vous  avanr 
votre  départ  de  ce  pays.  Je  serais  allé  moi-même  en  per- 
sonne pour  vous  la  demander,  sur  l'obligeante  invitation  que 
vous  et  madame  avez  bien  voulu  me  faire  de  descendre  là- 
bas  pour  me  donner  la  consolation  de  vous  saluer,  de  vous 
voir,  de  vous  entretenir  Tun  et  l'autre  avant  votre  retour  en 
France,  où  Sa  Majesté  vous  rappelle  pour  l'intendance  du 
Havre  et  de  toutes  ses  côtes  maritimes.  Mais  l'état  présent 
de  ma  mission  divisée,  et  qu'il  faut  que  je  réunisse,  ne  me 
permet  pas  de  la  quitter  dans  le  temps  de  sa  division,  pour 
me  procurer  une  consolation  telle  que  celle-là. 

«  L'assurance  que  vous  me  donnez  de  la  manière  du  monde 
la  plus  obligeante,  de  me  continuer  toujours  l'honneur  de 
votre  amitié,  jusqu'à  vouloir  que  je  vous  écrive  encore,  dans 
l'éloignement  où  nous  allons  être,  tout  ce  qui  se  passera 
dans  nos  missions,  et  que  je  vous  représente  tous  les  besoins 
que  nous  pourrions  avoir  de  votre  secours  avec  la  même 
confiance  que  je  vous  les  ai  représentés  pendant  les  quinze 
années  que  le  Canada  a  joui  du  bonheur  de  votre  présence, 
une  telle  assurance,  dis-je.  m'était  nécessaire  pour  adoucir 
la  peine  que  votre  départ  me  devait  causer,  et  pour  me  le 
rendre  plus  supportable.  .  .  Toute  votre  famille,  votre  per- 
sonne, celle  de  madame,  celle  de  MM.  vos  enfants,  et  sur- 
tout celle  de  notre  petit  missionnaire,  me  seront  toujours 
chères.     Je  n'oublierai  jamais  ce  que  je  vous  dois  \  .  .  » 

* 

*  * 

Trois  arrêts  importants  regardant  le  Canada  furent  rendus 
par  le  Conseil  d'Etat  durant  le  séjour  de  M^  de  Saint-V'allier 
à  Paris. Le  premier,  en  date  du  mois  de  mai  1702.  confirmait 


I.  Rel.  des  Jés..  édit.  Burrows,  vol.  65,  p.  188,  Lettre  du  R.  P. 
Etienne  de  Carheil  à  M.  de  Champigny  (et  non  pas  M.  Louis-Hector  de 
Callières)  ;    Michillimakinac,   30  août   1702. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  229 

rétablissement  des  Ursulines  aux  Trois-Rivières  \  Le 
deuxième,  daté  du  15  du  même  mois,  unissait  au  séminaire 
de  Montréal  les  cures  de  l'Ile  de  Montréal  et  de  Saint- 
Sulpice  ^.  Le  troisième  portait  à  douze  le  nombre  des 
membres  du  Conseil  Supérieur  ;  et  le  Roi  réglait  que  l'un  de 
ces  membres,  appelé  conseiller-clerc,  fût  un  ecclésiastique, 
«  afin  qu'il  y  ait  toujours  au  Conseil,  disait-il,  quelqu'un  qui 
soit  plus  instruit  et  plus  à  portée  de  veiller  à  la  conserv^ation 
des  droits  de  l'Eglise  »  ^.  Admirables  sentiments,  vraiment 
dignes  du  roi  Très-Chrétien  et  des  éloges  que  le  pape  lui 
avait  adressés  dans  le  message  que  nous  avons  cité  plus  haut. 
C'est  M.  Joseph  de  la  Colombière  qui  fut  le  premier  con- 
seiller-clerc au  Conseil  Supérieur  *. 

C'est  aussi  durant  son  séjour  à  Paris,  avant  et  après  son 
voyage  à  Rome,  que  M^""  de  Saint-Vallier  fit  imprimer  son 
Catéchisme,  son  Rituel  et  ses  Ordonnances.  Le  Catéchisme 
porte  la  date  de  1 702  ;  le  Rituel  et  les  Ordonnances  sont 
datés  de  1703  :  et  on  lit  à  la  fin  du  volume  des  Ordonnances: 
"  achevé  d'imprimer  pour  la  première  fois  le  31  mars  1703.  » 

Nous  avons  sous  les  yeux  quelques  exemplaires  de  ces 
volumes,  devenus  bien  rares.  La  reliure  est  évidemment  la 
reliure  primitive;  elle  est  forte,  élégante  et  de  belle  appa- 
rence. L'impression  de  ces  volumes  est  nette,  en  beaux 
caractères  antiques.  Le  Catéchisme  est  rempli  de  citations 
de  la  sainte  Ecriture,  et  toutes  les  références  sont  à  la 
marge  :  ce  qui  donne  aux  pages  de  ce  livre  un  aspect  riche  et 
magnifique. 

Le  Catéchisme  a  522  pages,  sans  compter  le  mandement, 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  288. 

2.  Ibid.,  p.  396. 

3.  Ibid.,  p.  300. 

4.  M.  Tremblay  écrivant  de  Paris  à  M.  Glandelet  lui  disait  :  "  M.  de 
la  Colombière  est  conseiller-clerc,  et  ainsi  vous  serez  en  état  d'entrer 
au  Conseil  Supérieur  comme  grand  vicaire,  outre  M.  de  la  Colom- 
bière. "   (.'\rchiv.  du  Sém.  de  Québec.) 


230  L  EGLISE    DU    CANADA 

qui  est  au  commencement  du  livre,  et  la  table  des  matières, 
lesquels  ne  sont  point  paginés.  Le  Rituel  a  604  pages;  le 
livre  des  Ordonnances,  164  pages:  ces  deux  volumes  sont 
reliés  ensemble.  Il  y  a  au  commencement  du  Rituel  le  man- 
dement de  l'Evêque  promulguant  son  volume. 

Nous  avons  dit  que  le  Catéchisme  de  M""  de  Saint- Vallier 
porte  la  date  de  1 702  ;  et  cependant  nous  voyons  que  dès 
1691  le  Prélat,  s'adressant  à  ses  curés,  les  exhortait  «  à 
faire  tous  les  dimanches  le  catéchisme  aux  enfants  par 
demandes  et  par  réponses  et  à  se  servir  pour  cela  de  son 
catéchisme  »  \  Nous  n'avons  nullement  intention  de  faire 
ici  de  la  bibliographie;  mais  n'est-il  pas  permis  de  supposer 
que  l'impression  de  ce  catéchisme  était  commencée  depuis 
longtemps,  et  ne  fut  complètement  terminée  qu'en  1 702  ? 
Il  commença  sans  doute  par  le  catéchisme  proprement  dit, 
la  partie  qui  regarde  la  «  doctrine  chrétienne  ».  remettant 
à  plus  tard  les  deux  autres  parties,  celle  qui  regarde 
«  l'Histoire  Sainte  »,  et  celle  qui  a  pour  sujet  «  les  Fêtes 
et  Cérémonies  de  l'Eglise  »  ".  Du  moins,  l'impression 
de  son  catéchisme  était  certainement  commencée  en 
1698,  puisque  dans  son  3®  synode  tenu  cette  année, 
voulant  rappeler  à  ses  curés  l'obligation  de  faire  le  caté- 
chisme, il  leur  dit  :  «  Nous  en  avons  fait  dresser  un  pour 
l'utilité  de  ce  diocèse,  que  nous  faisons  imprimer  ^.  »  Et  nous 
voyons  que  M^'"  de  Laval  écrit  de  sa  main  une  note  en  marge 
d'une  lettre  qu'il  a  reçue  de  '\l.  Tremblay  en  date  du  3  juin 
1696:  «  Saint- Vallier  a  fait  imprimer  un  Rituel,  un  Caté- 
chisme  et   ses   Ordonnanaces  *.  »    On   peut   donc    supposer 


1.  M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  283. 

2.  II  y  a,  aussi,  à  la  fin,  un  "  Petit  Catéchisme  ou  l'abrégé  de  la 
Doctrine  chrétienne  en  faveur  des  plus  jeunes  enfants,  ou  des  per- 
sonnes grossières  "  :  titre  peu  alléchant,  il  faut  l'avouer. 

3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  371. 

4.  Archives  du   Séminaire  de  Québec. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  ZJI 

que  tout  cela  s'imprimait  depuis  longtemps,  mais  qu'on 
n'acheva  d'imprimer  qu'en  1702  et  1703. 

Le  mandement  <^  pour  la  publication  du  catéchisme  »  est 
du  7  septembre  1700,  donné  par  conséquent  avant  le  départ 
de  l'Evêque  pour  l'Europe.  Celui  du  Rituel  est  du  8  octobre 
de  la  même  année.  Tous  deux  sont  datés  de  Québec,  et 
contresignés,  le  premier  par  M.  de  la  Colombière  Serré,  le 
second  par  M.  Vallet  (Etienne  le  Vallet). 

L'édition  du  Rituel  que  nous  avons  sous  les  yeux,  a, 
comme  nous  l'avons  dit,  604  pages  S  et  se  divise  en  deux 
parties:  la  première  partie,  qui  a  368  pages,  a  pour  titre 
«  Les  sacrements  »,  et  est  en  effet  un  véritable  traité  des 
sacrements  ;  l'autre  partie  a  pour  titre  :  «  Du  sacrifice  de  la 
messe  et  des  prières  publiques,  »  et  se  divise  en  quatre  cha- 
pitres: de  la  messe  de  paroisse;  de  l'eau  bénite;  de  la  pro- 
cession, de  l'oft'rande,  du  pain  bénit;  du  Prône. 

C'est  dans  cette  deuxième  partie  du  Rituel  de  M^'  de 
Saint-Vallier  que  se  trouvent,  imprimés  la  première  fois 
pour  l'Eglise  du  Canada,  ces  admirables  prônes  qui  se  lisent 
encore  de  nos  jours  aux  principales  fêtes,  aux  principales 
époques  de  l'année,  et  tout  particulièrement  ce  qu'on  appelle 
«  le  Grand  Prône  »,  cette  page  si  onctueuse,  si  grave,  si 
solennelle,  vraiment  digne  des  temps  apostoliques,  que  le 
«  peuple  chrétien  »  ne  se  lasse  jamais  d'entendre,  et  qui, 
pourvu  qu'elle  soit  lue  avec  intelligence  et  avec  cœur,  vaut 
une  excellente  prédication.  Ces  prônes  n'ont  évidemment 
pas  été  composés  par  M^""  de  Saint-Vallier  lui-même;  ils 
nous  viennent  sans  doute  de  la  vieille  France.  Nos  premiers 
missionnaires  les  avaient  dans  leurs  livres  de  prônes  fran- 

I.  Il  paraît  qu'il  y  a  quelques  exemplaires,  extrêmement  rares,  d'une 
autre  édition,  qui  serait  la  première,  et  qui  aurait  fait  naufrage  avec 
Mgr  de  Saint-Vallier  lui-même  en  1704.  Il  ne  serait  resté  que  quel- 
ques exemplaires  de  cette  première  édition.  L'ouvrage  aurait  été 
réimprimé  de  suite,  et  c'est  cette  deuxième  édition,  conforme  à  la 
première,  qui  est  généralement  connue.     L'autre  a,  parait-il,  671  pages. 


232  l'église  du  canada 

çais,  et  les  lisaient  à  leur  peuple.  Mais  M"""  de  Saint-Vallier 
en  a  fait  une  chose  canadienne,  pour  ainsi  dire,  en  insérant 
tout  cela  dans  son  Rituel  destiné  à  l'Eglise  de  la  Nouvelle- 
France  \ 

Quant  à  son  Recueil  d'Ordonnances,  annexé,  comme  nous 
l'avons  dit,  au  Rituel,  mais  avec  une  pagination  à  part,  il 
renferme  les  statuts  des  quatre  synodes,  et  de  plus  une  ving- 
taine de  lettres  pastorales,  ou  ordonnances,  c'est-à-dire  toutes 
celles  qui  ont  un  caractère  général  et  s'adressent  à  tous  les 
fidèles,  tout  ce  que  M^""  de  Saint-Vallier,  à  l'époque  où  il 
publia  ce  Recueil,  regardait  comme  ses  ordonnances  pro- 
prement dites  et  comme  la  discipline  de  son  diocèse 


I.  Le  Rituel  de  Mgr  de  Saint-Vallier  est  resté  en  usage  dans  le 
diocèse  jusqu'en  1864,  alors  qu'il  fut  remplacé  tout  simplement  par  le 
Rituel  romain  (Maud.  des  Ev.  de  Québec,  t  .IV,  p.  651).  —  On  avait 
cependant  donné  un  extrait  ou  compendium  du  Rituel  romain  dès 
1836  (Ibid.,  t.  III,  p.  343). 


CHAPITRE  XVIII 


CAPTIVITÉ   DE   l'ÉVÊQUE    EN    ANGLETERRE 

1 704-1 709 

RETENU  EN  FRANCE,  I709-I713. RETOUR  AU  CANADA 

L'Eglise  du  Canada  en  l'absence  de  l'Evêque.  —  La  "  Paix  de  Mont- 
réal ".  —  Prise  de  la  Seine  par  les  Anglais.  —  Mgr  de  Saint-V allier 
en  Angleterre.  —  La  perte  de  la  cargaison  de  la  Seine,  cause  de 
misère  au  Canada.  —  Rentré  en  France,  le  Prélat  est  retenu  par  la 
cour.  —  Lettre  à  son  clergé.  —  Retour  au  Canada. 

IL  y  avait  près  de  quatre  ans  que  M^'"  de  Saint- Vallier 
avait  quitté  son  diocèse,  lorsqu'au  printemps  de  1704 
il  put  enfin  se  mettre  en  route  pour  y  retourner.  Ah, 
qu'elle  avait  été  éprouvée,  durant  son  absence,  l'Eglise  du 
Canada,  et  qu'il  avait  hâte  de  la  revoir  !  Sa  ville  épisco- 
pale  et  les  paroisses  avoisinantes  avaient  été  décimées  par 
le  fléau  de  la  picote  \  La  rigueur  des  saisons,  les  mau- 
vaises récoltes  avaient  répandu  partout  la  gêne  et  la  misère. 
Plusieurs  des  vétérans  du  clergé  canadien,  entre  autres,  M. 
de  Bernières,  à  Québec,  M.  Dollier  de  Casson,  à  Mont- 
réal, étaient  morts  ;  le  nombre  des  prêtres,  au  lieu  d'aug- 
menter, diminuait;  et  pour  comble  de  malheurs,  la  pépi- 
nière  même   des   missionnaires,    le    séminaire    de    Québec, 


I.  L'intendant,  qui  devait  faire  le  recensement  du  pajs,  l'avait 
même  retardé  à  cause  de  cela.  (Corresp.  générale,  vol.  21,  Beauharnais- 
et  Vaudreuil  au  ministre,  15  nov.  1703.) 


234  L  EGLISE    DU    CANADA 

était  devenu  la  proie  des  flammes  :  il  se  relevait  cependant 
de  ses  ruines,  grâce  à  l'énergie  de  jVP'"  de  Laval  et  de  ses 
collaborateurs. 

La  guerre  de  la  succession  d'Espagne  avait  son  contre- 
coup au  Canada  :  le  Roi,  à  bout  de  ressources,  mettait  à 
contribution  jusqu'à  la  pauvre  colonie  canadienne,  jusqu'au 
supplément  des  pauvres  curés,  et  ceux-ci  n'ayant  plus  de 
quoi  vivre  s'en  allaient  :  «  Plusieurs  curés  ont  déjà  quitté, 
écrivent  Callières  et  Champigny,  et  d'autres  se  préparent 
à  le  faire  '.  »  «  Il  y  a  beaucoup  de  peuples  qui  manquent  de 
secours  religieux,  faute  de  prêtres  dans  le  pays,  »  ajoute 
Champign}-  -.  «  Les  curés  n'ayant  point  leur  supplément, 
c'est-à-dire  n'ayant  pas  de  quoi  vivre,  abandonnent  leurs 
paroisses,  »  écrivent  Vaudreuil  et  Beauharnais  ^. 

Plusieurs  missionnaires  prennent  le  chemin  de  la  Loui- 
siane, où  les  attirent  les  nouveaux  établissements  de  D'Iber- 
ville  et  de  son  frère  Bienville  à  Mobile,  à  Biloxi.  à  la 
Nouvelle-Orléans.  On  y  trouve  à  cette  époque  quelques 
prêtres  des  Missions-Etrangères,  MM.  de  la  Vente,  Huvé, 
Davion,  Foucault,  Bergier,  et  de  plus  un  certain  nombre 
de  Jésuites,  les  Pères  Dongé,  du  Ru  et  Limoges,  que 
D'Iber^-ille  y  a  conduits*.  Ainsi  se  réalise  la  prédiction 
d'un  intendant  canadien,  «  que  la  Louisiane  ferait  tort  au 
-Canada  ^>  ^. 

Les  Jésuites  ont  été  bien  aises  de  l'offre  qui  leur  a  été 
faite  par  D'Iberville  et  le  ministre  de  la  marine  de  les 
établir  dans  le  Bas-Mississipi.  Mais  lorsqu'il  s'agit  d'ob- 
tenir les  pouvoirs  de  l'Evêque  de  Québec,  qui  est  en  France, 


1.  Corresp.  générale,   vol.    i8,   Callières   et   Champigny  au   ministre, 
5  oct.  1700. 

2.  Ibid.,  vol.  17,  Champigny  au  ministre,  20  oct.  1699. 

3.  Ibid..  vol.  22,  Vaudreuil  et  Beauharnais  au  ministre,  19  oct.  1705. 

4.  Lettre  de  M.  Tremblay  à  Mgr  de  Laval,  4  avril  1705,  citée  par 
Langevin,  p.   172. 

5.  Corresp.  générale,  vol.  10,  Champigny  au  ministre,  8  oct.  1688. 


sous    M**""    DE    SAIN'T-VALIJER  235 

le  Prélat  leur  rapi^elle  qu'il  a  confié  au  Séminaire  de  Québec 
toutes  les  missions  du  Mississipi,  celles  du  Bas-Mississipi, 
comme  celles  du  Haut-Mississipi.  Les  Jésuites  demandent 
à  l'Evêque  qu'il  leur  attribue  un  district  séparé,  où  ils  soient 
seuls,  et  où  leur  supérieur  ait  les  pouvoirs  de  grand  vicaire  : 
les  prêtres  des  Missions-Etrangères  auront  aussi  leur  dis- 
trict à  part,  où  ils  seront  seuls  également.  L'Evêque  le 
leur  refuse.  Ils  font  intervenir  Pontchartrain  auprès  de 
M^""  de  Saint- Vallier  ;  celui-ci  demeure  inflexible  ^  Ils  se 
décident  alors  à  abandonner  leurs  missions  de  Mobile  et 
de  Biloxi  :  les  Pères  du  Ru,  Dongé  et  de  Limoges  rentrent 
en  France,  laissant  les  prêtres  des  Missions-Etrangères 
seuls  à  la  Louisiane.  Les  Jésuites  ne  tarderont  pas  cepen- 
dant de  rentrer  dans  les  bonnes  grâces  de  M"""  de  Saint- 
Vallier  et  de  retourner  à  leurs  missions. 

Si  le  pieux  Prélat  s'afflige  de  la  triste  situation  de  son 
Eglise  du  Canada,  il  y  a  du  moins  un  événement  qui  est 
bien  propre  à  le  réjouir,  la  Paix  de  Montréal,  ce  traité 
solennel  que  M.  de  Callières  a  réussi  à  conclure,  en  1701, 
avec  les  Iroquois  des  Cinq-Cantons,  et  auquel  ont  adhéré 
presque  tous  les  sauvages  de  l'Amérique  du  nord.  Il  s'en 
réjouit  pour  le  bien  de  son  Eglise.  Ah,  qu'elle  était  oppor- 
tune cette  paix  de  Montréal,  à  la  veille  de  la  reprise  des 
hostilités  entre  la  Nouvelle-France  et  la  Nouvelle-i\ngle- 
terre,  conséquence  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne! 
Les  Iroquois  nous  resteront  fidèles,  ou  du  moins  observeront 
la  neutralité.  En  1704,  l'année  même  que  M"""  de  Saint- 
Vallier  se  prépare  à  revenir  au  Canada,  M.  de  Vaudreuil 
organise  une  expédition  contre  la  Nouvelle-Angleterre  : 
Hertel  de  Rouville,  à  la  tête  de  deux  cent  cinquante  Cana- 
diens,  franchit  les  Alléganys.  au  milieu  de  l'hiver,  et  va 


I.    Archiv.  des  Colonies,  Corresp.  générale,  C  13,  vol.   I,  Louisiane, 
Lettre  du  P.  Gouye  au  ministre,  Paris,  9  mars  1703. 


236  l'éguse  du   canada 

fondre  sur  la  bourgade  de  Deerfield,  qui  est  prise  et  détruite 
de  fond  en  comble.  Plus  tard  il  renouvelle  un  pareil  exploit, 
tombe  sur  le  bourg  palissade  de  Haverhill,  baigné  par  le 
Merrimac,  et  l'emporte  d'assaut. 

De  ces  expéditions,  les  Canadiens  amènent  avec  eux  bon 
nombre  d'Anglais  prisonniers.  Parmi  eux,  il  y  a  beaucoup 
de  catholiques,  et  ils  se  trouvent  si  bien  traités  au  Canada, 
qu'ils  demandent  comme  une  faveur  d'y  rester  et  sollicitent 
des  lettres  de  naturalisation.  Non  seulement  ces  lettres  leur 
sont  accordées,  mais  le  Roi,  à  la  demande  de  M^''  de  Saint- 
Vallier,  leur  alloue  la  somme  de  deux  mille  livres  qui  leur  est 
distribuée  annuellement  par  l'intendant  du  Canada  S  Ces 
Anglais  catholiques  sont  les  ancêtres  de  tant  de  familles 
canadiennes  qui  n'ont  d'anglais  que  le  nom,  et  qui  souvent 
même  ne  parlent  que  le  français. 

* 
*  * 

M^""  de  Saint-Vallier  quitta  Paris,  au  commencement  de 
juin  (1704),  avec  dix-huit  ecclésiastiques  qu'il  avait  réussi 
à  recruter  pour  son  Eglise.  Il  se  rendit  à  Rocliefort  pour 
s'y  embarquer  sur  un  des  vaisseaux  qui  faisaient  voile  pour 
la  Nouvelle-France.  Outre  une  foule  d'objets  du'il  s'était 
procurés  à  grands  frais  pour  son  Eglise,  il  emportait  avec 
lui  les  trois  corps  de  saints  martyrs  que  le  pape  lui  avait 
donnés,  dans  son  voyage  à  Rome. 

On  est  en  pleine  guerre  de  la  succession  d'Espagne.  La 
France  lutte  contre  toute  l'Europe,  y  compris  l'Angleterre. 
La  mer  est  sillonnée  de  vaisseaux  anglais  qui  font  voile  dans 
toutes  les  directions,  de  l'Amérique,  comme  de  la  Grande- 
Bretagne  :  comment  les  vaisseaux  français  pourront-ils  pas- 
ser sains  et  saufs  au  milieu  de  tant  de  pirates? 

I.    Corresp.  générale,  vol.  20,  31,  33. 


sous    M"""    DE    SAINT-VALLIER  237 

La  Seine,  grande  flûte  du  Roi.  écrit  Charlevoix,  portait 
à  Québec  M.  de  Saint- Vallier,  son  évêque,  grand  nombre 
d'ecclésiastiques,  plusieurs  des  plus  riches  particuliers.  La 
charge  du  vaisseau  était  estimée  près  d'un  million.  Le  che- 
valier de  Meaupou,  qui  commandait  ce  navire,  ayant  aperçu 
de  loin  quelques  bâtiments  qui  lui  parurent  des  barques, 
leur  donna  la  chasse,  et  fut  bien  surpris  de  se  trouver  au 
milieu  de  la  flotte  de  la  Virginie,  composée  de  cent  cinquante 
voiles  et  de  quatre  vaisseaux  de  guerre  qui  l'entouraient. 

«  Il  n'était  plus  en  son  pouvoir  d'éviter  le  combat,  parce 
qu'il  était  sous  le  vent  des  ennemis,  et  il  le  soutint  pendant 
dix  heures  avec  une  bravoure  et  une  intrépidité  qui  ont  peu 
d'exemples.  Son  équipage  et  ses  passagers  le  secondèrent 
tout-à-fait  bien  :  leur  mousqueterie  tua  bien  du  nionde  aux 
Anglais.  .  .La  résistance  du  chevalier  de  Meaupou  eût  été 
même  beaucoup  plus  longue,  s'il  n'eiit  pas  eu  pour  ses  passa- 
gers la  complaisance  de  ne  pas  jeter  à  la  mer  les  ballots  qui 
embarrassaient  ses  canons,  dont  il  ne  put  faire  jouer  qu'une 
petite  partie.  .  .  » 

Ceci  se  passait  le  26  juillet,  jour  de  la  bonne  sainte  Anne. 

La  Seine  fut  enfin  obligée  de  se  rendre  avec  ses  passagers 
et  toute  sa  cargaison: 

«  Aussitôt,  dit  l'annaliste  de  l'Hôpital-Général,  on  ôta  les 
passagers  du  vaisseau  prisonnier  pour  les  mettre  dans  un 
vaisseau  de  la  flotte  anglaise.  M'""  notre  fondateur,  qui  était 
alors  malade,  crut  qu'il  lui  serait  plus  doux  de  ne  pas  chan- 
ger de  navire  et  de  demeurer  dans  le  sien  :  mais  il  lui  en 
coûta  bon.  car  les  Français  en  étant  sortis,  il  se  trouva  seul 
au  milieu  d'hommes  grossiers,  qui  ne  respectèrent  ni  sa  nais- 
sance, ni  son  caractère.  Un  d'eux  le  prit  à  la  gorge  pour  avoir 
sa  croix  pectorale;  un  autre  lui  arracha  son  anneau,  et  tous 
ensemble  lui  firent  plusieurs  insultes  que  le  Prélat  souffrit 
avec  une  grande  patience.  Il  n'avait  garde  de  se  plaindre  de 
ce  qui  ne  s'attaquait  qu'à  sa  personne,  étant  d'ailleurs  trop 


238  l'église   du    CAÎn\\DA 

pénétré  de  douleur  à  la  vue  du  mépris  des  hérétiques  pour 
les  corps  des  saints  martyrs  qu'il  apportait  dans  son  diocèse. 
Ces  sacrilèges  poussèrent  l'impiété  jusqu'à  les  brûler  en- 
guise  de  bois  pour  senàr  à  leur  cuisine. 

«  Le  chef  de  l'escadre  ne  tarda  pas  d'être  instruit  des 
mauvais  traitements  qu'on  faisait  subir  au  Prélat.  Il  apprit 
en  même  temps  des  passagers  français  que  l'évêque  de- 
Québec  était  un  homme  de  qualité,  d'un  caractère  fort  dis- 
tingué. Sur  le  champ,  ce  digne  gentilhomme  envoya  une- 
chaloupe  pour  faire  venir  l'Evêque  à  bord  de  son  vaisseau, 
oii  il  lui  fit  toutes  sortes  d'honnêtetés.  » 

On  conduisit  la  Seine  d'abord  à  Plymouth,  puis  à  Londres, 
Sa  cargaison  fut  vendue  treize  cent  mille  livres. 

La  reine  Anne,  qui  avait  succédé  à  Guillaume  d'Orange, 
en  1702,  voulut  voir  les  prisonniers,  qu'elle  traita  avec  égard,, 
assignant  à  chacun  d'eux  une  pension  convenable.  Ils  furent 
ensuite  dispersés  en  différents  endroits.  M^  de  Saint- Vallier 
et  ses  prêtres  eurent  d'abord  pour  résidence  la  ville  de 
Rochester,  puis  celle  de  Farnham. 

Avant  la  fin  de  l'année,  tous  les  Français  furent  mis  en 
liberté,  excepté  toutefois  les  ecclésiastiques.  Ceux-ci  furent 
retenus  comme  otages,  dans  l'espoir  de  pouvoir  échanger 
contre  eux  un  certain  nombre  d'officiers  anglais  prisonniers 
en  France:  cet  échange  fut  l'objet  d'une  correspondance- 
entre  le  gouvernement  de  Louis  XIV  et  l'évêque  de  Québec, 
mais  ne  s'opéra  que  quelques  années  plus  tard. 

Quant  à  l'évêque  lui-même,  il  était  un  otage  encore  plus- 
précieux  à  garder  comme  prisonnier  d'état.  On  mentionne 
surtout  trois  personnages  dont  on  espérait  obtenir  la  hberté- 
en  échange  de  la  sienne  :  le  baron  de  Méan,  doyen  de  Liège, 
que  l'électeur  de  Cologne,  à  la  demande  de  Louis  XIV, 
tenait  prisonnier  dans  un  château;  M.  Hunter,  gouverneur 
de  la  Virginie,  prisonnier  en  France  ;  M.  Reuss.  secrétaire  du 
feu  prince  de  Darmstadt  :  ce  secrétaire  avait  en  sa  possession. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIËR  239 

le  "  cœur  embaumé  »  de  son  maître,  relique  précieuse  dont 
les  Français  s'étaient  emparés,  au  grand  déplaisir  des 
Allemands  et  surtout  de  la  princesse  de  Darmstadt. 

M.  Reuss  eut  la  pennission,  en  1707,  d'aller  en  Angleterre 
pour  s'occuper  de  l'échange.  Il  y  passa  trois  mois;  mais  nous 
voyons  qu'en  171 1  la  princesse  de  Darmstadt  n'était  encore 
en  possession  de  son  secrétaire  ni  du  «  cœur  »  de  son  mari. 

Quant  à  M.  Hunter,  il  obtint  sa  liberté  en  1709,  en 
échange  de  celle  du  marquis  de  Lévy,  lieutenant-général  \ 

Ce  ne  fut  aussi  qu'en  1709  que  Louis  XIV,  épuisé  d'ar- 
gent, à  bout  de  ressources,  s'étant  vu  obligé  d'envoyer  à  la 
Haye  son  ministre,  le  marquis  de  Torcy,  pour  entrer  en 
pourparler  avec  les  chefs  de  la  coalition  européenne, 
Heinsius,  Malborough  et  Eugène  de  Savoie,  en  vue  de  îa 
paix  ",  se  décida  à  faire  relâcher  le  baron  de  Méan.  Cet 
homme  était  son  ennemi  personnel;  il  avait  toujours  été  lié 
avec  le  prince  d'Orange  et  les  Hollandais,  et  avait  engagé 
Liège  contre  la  France  ; 

«  On  l'avait  enlevé  en  habit  de  chœur,  écrit  la  Sœur 
Juchereau,  lorsqu'il  sortait  de  l'église,  sans  lui  donner  le 
temps  d'entrer  chez  lui  pour  y  prendre  ses  papiers  :  il  fut 
conduit  dans  un  château  ^.  » 

La  liberté  lui  fut  rendue  ;  et  en  échange  M^  de  Saint- 
Vallier  obtint  aussi  la  sienne. 


* 


Nous  avons  une  lettre  de  M.  Tremblay  à  M.  Glandelet,  du 
20  juin  1705,  qui  ajoute  quelques  détails  sur  la  prise  de  la 


1.  Archives  de  la  Marine,  à  Paris,  Série  B-2,  vols  183-215. 

2.  Frédéric  Masson,  Introduction  au  journal  inédit  de  J.  B.  Colbert, 
p.  XXIX. 

3.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  419. 


240  L  eguse;  du  canada 

Seine  par  les  Anglais  et  la  captivité  de  M^  de  Saint-Vallier, 
dont  nous  croyons  devoir  citer  quelques  passages  : 

«  Je  crois  inutile  de  vous  mander,  dit-il,  l'accident  arrivé 
à  la  Seine  et  la  manière  dont  tout  s'est  passé.  Comme 
plusieurs  séculiers,  qui  sont  revenus  d'Angleterre,  passeront 
à  Québec  en  même  temps  que  cette  lettre,  ils  vous  appren- 
dront la  témérité  et  l'envie  de  piller  de  nos  Canadiens  La 
Ronde  et  Tilly  \  qui  ont  conseillé  à  M.  de  Meaupou  d'aller 
attaquer  une  flotte,  présumant  que  ce  n'étaient  que  de  petits 
vaisseaux,  et  vous  saurez  par  eux  la  manière  dont  on  a 
échangé  les  prisonniers,  hors  le  Prélat  et  ses  ecclésiastiques. 
On  a  même  renvoyé  une  Ursuline  de  Quimper,  que  M^""  de 
Québec  menait  au  Canada  pour  les  Trois-Rivières,  et  dont 
on  dit  du  bien,  et  une  autre  fille  séculière,  qu'il  destinait  pour 
r Hôpital-Général,  parce  qu'elle  sait  soigner  et  panser  les 
malades,  et  qu'elle  se  mêle  un  peu  de  pharmacie.  » 

M.  Tremblay  parle  ensuite  de  l'affaire  du  baron  de  Méan; 
cause  principale  de  la  détention  de  l'Evêque  en  Angleterre; 
puis  il  ajoute  : 

«  M^'"  de  Québec  a  protesté  que,  tant  qu'on  demanderait 
pour  lui,  prisonnier  de  guerre,  un  prisonnier  d'Etat,  il  ne 
pouvait  être  délivré.  Quant  à  ses  ecclésiastiques,  qui  sont 
au  nombre  de  dix-huit,  ils  sont  tous  avec  lui  dans  une  petite 
ville,  à  six  lieues  de  Londres,  où  ils  sont  logés  chacun  dans 
des  maisons  particulières;  et  M^""  de  Québec  est  logé  avec 
trois  ou  quatre  qu'il  a  retenus  avec  lui. 

«  Il  y  a  deux  Sulpiciens  pour  Montréal,  fort  honnêtes 
gens,  et  M.  Bouteville  ".     Il  y  faut  joindre  M.  de  Langeon, 


1.  Probablement  Louis  Denis  de  la  Ronde,  frère  du  P.  Joseph  Denis, 
et  Pierre-Noël  Le  Gardeur,  seigneur  de  Tilly. 

2.  M.  Bouteville,  prêtre  canadien,  ordonné  à  Québec  en  i6g6,  était 
passé  en  France,  après  avoir  été  aux  missions  de  la  Louisiane,  d'où 
il  avait  amené  un  petit  sauvage  illinois.  Mgr  de  Saint-Vallier  se 
chargea  de  ce  petit  sauvage,  et  l'envoya  plus  tard  à  l'abbaye  de  Béné- 
vent;    mais   il   mourut   en   chemin.      M.    Bouteville   revint   au   Canada 


sous    M*''"    DE    SAINT-VALLIKR  24I 

prêtre  de  très  bonne  famille,  de  la  maison  de  Beauveau,  qui 
est  un  saint  prêtre,  et  un  autre  prêtre  de  même  qualité,  qui 
demeurait  à  Saint-Sulpice  avec  jVP""  de  Québec.  M.  Ollivier 
qui.  depuis,  a  voyagé  à  Rome,  en  est  un;  et  un  autre  qui  y 
a  demeuré  dix  ou  douze  ans. 

«  Il  y  a  quatre  jeunes  gens,  qui  ne  sont  pas  dans  les  ordres 
sacrés,  et  qu'on  m'a  dit  être  fort  modestes  et  fort  sages. 
Voilà  ce  que  j'en  connais.  J'ai  appris  que  MM.  de  Langeon 
et  de  Fraize  s'étaient  encore  séparés  d'eux,  et  même  de  lui, 
en  prenant  une  chambre  à  part,  ce  qui  fait  qu'il  doit  actuel- 
lement avoir  peu  ou  point  de  ses  ecclésiastiques  avec  lui. 

«  La  reine  d'Angleterre  donne  pour  chaque  ecclésiastique 
douze  sous,  et  vingt-quatre  sous  pour  monseigneur.  » 

D'après  l'annaliste  de  l'Hôpital-Général.  «  la  reine  Anne 
lui  alloua  pour  son  usage  une  somme  assez  considérable  ;  et 
Louis  XIV,  de  son  côté,  lui  envoya  quinze  cents  écus  en 
dédommagement  des  pertes  qu'il  venait  d'essuyer  «.  Puis 
elle  ajoute: 

«  De  toutes  les  peines  qu'eut  à  endurer  M^""  de  Saint- 
Vallier  pendant  son  séjour  en  Angleterre,  une  des  plus 
douloureuses  fut  celle  que  lui  causa  l'apostasie  d'un  de  ses 
prêtres,  savoisien  d'origine.  Ce  malheureux,  comme  un 
autre  Judas,  se  sépara  de  ses  frères,  trahit  son  ministère  et 
sa  religion,  et  chercha  même  à  perdre  son  évêque,  en  faisant 
courir  contre  lui  un  libelle  qui  ne  tourna  cependant  qu'à  sa 
propre  confusion.  Il  persévéra  dans  son  égarement,  malgré 
toutes  les  poursuites  que  fit  M^  de  Saint- Vallier,  comme  le 
Bon  Pasteur,  pour  le  ramener.  Il  se  fit  maître  d'école  en 
ces  lieux-là,  après  avoir  renoncé  à  son  caractère  et  à  sa 
croyance.  » 

M*""  de  Saint- Vallier  écrivit  au  souverain  j)ontife  le  25 


en  1710,  et  mourut  en   171 1,  victime  de  sa  charité  héroïque  auprès  de 
malades  atteints  de  maladies  contagieuses. 


242  I.  ÉGLISE    DU    CANADA 

novembre  pour  lui  apprendre  sa  captivité  en  Angleterre  :  il 
ne  faisait  que  relever  d'une  longue  et  douloureuse  maladie, 
pendant  laquelle  la  reine  Anne  lui  avait  témoigné  beaucoup 
de  sympathie  et  d'égards,  jusqu'à  le  faire  traiter  par  son 
propre  médecin. 

Le  saint-père,  qui  avait  connu  par  lui-même  le  mérite  de 
l'évêque  de  Québec,  durant  son  séjour  à  Rome,  fut  très  sen- 
sible à  l'accident  qui  l'avait  privé  de  sa  liberté;  et  pour  lui 
exprimer  sa  sympathie,  il  lui  donna  des  lettres  de  vicaire 
apostolique  pour  l'Angleterre,  ce  qui  lui  permit  d'exercer 
plus  librement  son  zèle  en  ce  pays,  d'employer  utilement  son 
temps,  et  de  faire  du  bien  sur  cette  terre  étrangère.  Laissons 
M.  de  Prévil,  l'un  des  dignes  Sulpiciens  qui  partageaient  sa 
captivité,  nous  dire  quelque  chose  de  la  vie  du  pieux  Prélat  : 

«  Il  est  certain,  dit-il,  que  M^""  de  Saint-Vallier  a  été  de 
tout  temps  un  modèle  accompli  de  toutes  les  vertus;  mais 
on  peut  dire  qu'il  les  a  portées  jusqu'à  l'héroïsme  dans  cette 
terre  de  tribulation.  Nourri  du  pain  de  l'angoisse,  il  a  tou- 
jours conservé  une  résignation  si  parfaite  aux  ordres  de  la 
Providence,  qu'il  semblait  n'avoir  jamais  été  si  heureux; 
il  trouvait  de  la  consolation  au  milieu  des  plus  rudes 
épreuves.  Son  zèle  infatigable  avait  transformé  sa  prison 
en  une  église,  oii  il  exerçait  les  fonctions  de  son  ministère 
de  manière  à  gagner  au  Seigneur  les  âmes  les  plus  endurcies. 

«  Des  catholiques  romains  que  leurs  intérêts  retiennent  en 
Angleterre,  et  un  bon  nombre  de  prêtres  et  de  religieux  qui 
y  vivent  cachés,  se  rassemblaient  dans  son  appartement,  où 
il  leur  distribuait  la  parole  de  Dieu  et  leur  conférait  le» 
sacrements.  Quoique  le  Prélat  prit  des  précautions  pour 
tenir  secrètes  les  saintes  pratiques  de  religion  qu'il  exerçait, 
on  en  eut  connaissance,  et  il  eut  ordre  de  changer  de  ville; 
mais  quelque  endroit  qu'on  lui  assignât  pour  prison,  il  sut 
toujours  en  faire  une  maison  de  prière  et  y  gagner  des 
âmes  à  Jésus-Christ.  » 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  243 

Le  changement  de  demeure  dont  il  est  ici  question,  fut 
de  la  petite  ville  de  Farnham,  où  l'Evêque  avait  passé  deux 
ans,  à  celle  de  Peterhead,  où  il  séjourna  encore  deux  nn'* 
et  quelques  mois. 

Le  sort  de  la  Seine  ne  fut  connu  au  Canada  qu'une  année 
après  sa  capture.  M.  de  Vaudreuil  écrivait  à  la  cour  le  i6 
novembre  1704^  :  «Nous  n'avons  pas  reçu  la  Seine  cette 
année,  et  nous  n'en  avons  même  aucune  nouvelle,  ce  qui  noua 
jette  dans  un  terrible  embarras  "...  »  Ceux  qui  montaient 
les  navires  marchands  qui  l'avaient  abandonnée,  ne  s'étaient 
pas  vantés  de  l'avoir  laissée  à  elle-même,  aux  prises  avec 
l'ennemi,  à  deux  cent  cinquante  lieues  de  la  France.  Tout 
le  pays  se  ressentit  de  la  perte  de  ce  vaisseau  ;  mais  les  hôpi- 
taux y  eurent  une  large  part  :  jamais  le  Prélat  n'avait 
apporté  autant  d'effets  :  toiles,  étoffes,  couvertures  en  grande 
quantité  pour  les  pauvres.  Le  séminaire  de  Québec,  pour 
sa  part,  y  avait  pour  deux  mille  livres  d'effets;  et  comme 
la  perte  de  ces  objets  de  première  nécessité  obligea  de  les 
acheter  très  cher  au  Canada,  M.  Tremblay  estimait  que  le 
dommage  allait  certainement  à  vingt  mille  livres. 

Il  y  eut  une  véritable  disette  de  sel  à  Québec  et  à  Mont- 
réal; et  la  cherté  de  cet  objet  si  nécessaire  causa  des  sou- 
lèvements populaires  que  yi.  de  Vaudreuil  eut  beaucoup  de 
peine  à  apaiser. 

Si  l'on  en  croît  Charlevoix,  des  malheurs  comme  celui  de 
la  perte  de  la  Seine  avaient  un  avantage,  en  obligeant  les 
habitants    canadiens    à    moins    compter    sur    les    produits 


1.  C'est  précisément  ce  navire  qui  lui  apportait  sa  commission  de 
gouverneur  et  ses  instructions  :  ce  qui  explique  pourquoi  ces  instruc- 
tions ne  se  trouvent  pas  aux  archives.  Sa  commission  était  datée  du 
1er  août  1703:  il  en  fut  émané  l'année  suivante  un  duplicata,  qu'il  ne 
put  faire  enregistrer  au  Conseil  Supérieur  qu'en  1705.  (Jugements  du 
Conseil  Supérieur,  t.  V,  p.   151.) 

2.  Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  22. 


244  L  EGUSE    DU    CANADA 

d'outremer  et  à  s'efforcer  de  retirer  de  leurs  terres  leurs 
besoins  : 

«  On  ne  s'y  était  pas  encore  avisé  d'y  faire  de  la  toile, 
écrit-il  ;  la  nécessité  y  fit  ouvrir  les  yeux  sur  cette  négligence  ; 
on  y  sema  du  chanvre  et  du  lin,  qui  y  réussirent  au  delà  de  ce 
qu'on  avait  espéré.  .  .  » 

L'intendant  Raudot  écrivant  au  ministre  en  1706: 

«  Les  habitants  de  ce  pays,  dit-il,  commencent  à  présent  à 
reconnaître  leur  erreur.  .  .  Ils  s'adonnent  à  la  culture  de 
leurs  terres,  à  faire  des  chanvres  et  des  lins,  et  étant  encou- 
ragés ils  feront,  à  la  fin,  de  ce  pays  un  pays  utile  à  la 
France.  .  . 

«  C'est  une  augmentation  d'obligation  que  le  pays  vous  a, 
ajoute-t-il.  que  la  permission  que  vous  donnez  aux  pauvres 
gens  de  faire  de  la  toile  et  quelques  mauvaises  étoffes  pour 
se  couvrir.  S'ils  n'en  avaient  pas  fait  un  peu,  la  moitié  des 
habitants  seraient  sans  chemises.  Ils  ont  tous  besoin  d'en 
faire,  car  l'on  peut  dire  que  dans  ce  pays-ci,  il  n'y  a  personne 
de  riche  et  à  qui  tout  ne  soit  nécessaire  pour  pouvoir 
subsister  ^.  .  .  » 

Quelle  ironie,  vraiment!  Quand  on  songe  que  les  Cana- 
diens n'avaient  pas  encore  eu  jusque-là  «  la  permission  de 
faire  de  la  toile  et  des  étoffes  pour  se  couvrir  »  !  On  voulait 
les  obliger  à  se  pourvoir  de  leurs  besoins  en  France  :  le 
Canada  devait  être  un  débouché  pour  les  produits  français  : 
on  ne  songeait  qu'à  une  chose,  en  faire  «  un  pays  utile  à  la 
France  »  ! 

I.  Corresp.  générale,  vol.  24.  —  L'intendant  Bégon  écrivait  à  la  cour 
en  1714:  "La  cherté  des  marchandises  a  rendu  les  habitants  indus- 
trieux, faisant  des  droguets  avec  du  fil  et  de  la  laine  du  pays.  Ils  font 
aussi  beaucoup  de  toile.  Il  y  a  à  Montréal  jusqu'à  vingt-cinq  métiers 
pour  faire  de  la  toile  et  des  étoffes  de  laine.  Les  Sœurs  de  la  Congré- 
gation m'ont  fait  voir  de  l'étamine  qu'elles  ont  fait  pour  leur  habille- 
ment, qui  est  aussi  belle  que  celle  qui  se  fait  en  France  ;  et  on  fait  ici, 
au  Séminaire  (de  Québec),  des  étoffes  noires  pour  l'habillement  des 
prêtres,  et  des  bleues  pour  celui  des  pensionnaires.  La  nécessité  leur  a 
fait  prendre  ce  parti..."   (Ibid.,  vol.  34). 


sous  m'^''  de  saint-valuer  245 

Faut-il  s'étonner  que  ce  pauvre  pays  fût  resté  en  arrière 
pour  l'industrie  et  l'agriculture?  Faut-il  s'étonner  que  la 
misère  et  la  cherté  des  vivres  et  des  marchandises  aient 
occasionné  quelquefois  des  mouvements  séditieux,  des  sou- 
lèvements populaires  '  ? 

* 
*   * 

I\Iais  revenons  à  M^"  de  Saint- Vallier.  Retenu  captif  en 
Angleterre,  il  écrivit  à  ses  prêtres  au  Canada,  le  3  février 
1705,  sollicitant  leurs  prières  pour  pouvoir  retourner  dans 
son  diocèse  le  plus  tôt  possible  '^.  Il  ne  put  sortir  de  l'An- 
gleterre qu'en  1709;  et  rentré  en  France,  il  y  fut  retenu 
quatre  années  entières  par  la  cour,  de  sorte  qu'il  ne  revint  au 
Canada  qu'en  1713. 

Faut-il  croire,  comme  le  prétendit  le  Prélat,  que  certaines 
influences  secrètes  au  Canada,  empêchèrent  son  retour, 
comme  on  avait  fait  en  1695  ?  Nous  ne  voyons  rien  dans  les 
documents  qui  l'indique.  Tant  que  IVP'"  de  Laval  vécut  et 
qu'il  put  suppléer  l'évêque  titulaire  pour  les  ordinations  et 
autres  fonctions  épiscopales,  on  ne  songea  pas  à  se  plaindre 
de  son  absence.  Mais  une  fois  l'ancien  évêque  disparu,  en 
1708.  on  fit  immédiatement  des  démarches  pour  que  M^""  de 
Saint- Vallier  revînt  au  Canada  :  le  gouverneur  et  l'intendant 
écrivent  à  la  cour  en  1710: 

«  MM.  de  Maizerets  et  Glandelet,  grands  vicaires,  et 
supérieurs  du  séminaire  de  cette  ville,  sont  venus  nous  mar- 
quer la  nécessité  que  cette  colonie  a  du  retour  de  M.  l'Evéque 
pour  faire  les  ordinations  et  autres  fonctions  épiscopales. 
Son  absence  empêche  que  ce  séminaire  puisse  fournir  les 
curés  nécessaires^.  .  .  » 


1.  Voir  Mgr  de  Saint-Vallier  et  son  temps,  p.  79. 

2.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  I,  p.  450. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  31. 


246  l'église  du  canada 

Deux  ans  plus  tard,  M.  de  Ramesay  écrit  de  Montréal  : 
«  Toutes  les  communautés  et  habitants  de  ce  gouver- 
nement attendent  avec  une  très  grande  impatience  le  retour 
de  M.  l'évêque  de  Québec  dans  son  diocèse,  où  il  serait  très 
nécessaire,  tant  pour  y  donner  les  ordres  de  prêtrise  que 
pour  le  soulagement  des  pauvres,  des  veuves  et  des  orphelins. 
Ils  espèrent  que  vous  aurez  la  bonté  de  le  renvoyer  aussitôt 
que  vous   le   pourrez  ^  .  .  » 

Non;  le  Prélat  était  retenu  en  France  parce  qu'il  n'y  a  rien 
que  les  cours  redoutent  autant  que  les  difficultés  religieuses, 
et  qu'on  n'avait  pas  oublié  à  Versailles  les  querelles  qu'il 
avait  eues  autrefois  avec  son  clergé  et  les  autorités  de  la 
colonie.  Depuis,  il  avait  mécontenté,  à  plusieurs  reprises, 
les  religieux  de  Québec  et  de  Montréal,  et  les  nouvelles  que 
l'on  en  avait  eues  à  la  cour  y  avaient  entretenu  les  préjugés 
contre  lui,  au  lieu  de  les  effacer. 

«  Ce  Prélat,  contre  la  pratique  générale  des  évêques,  écrit 
M.  Faillon,  avait  agi  jusqu'alors  sans  conseil  dans  son  admi- 
nistration, quoiqu'il  eiit  peut-être  plus  besoin  que  d'autres 
de  conseillers  sages  et  prudents,  à  cause  de  la  promptitude 
de  son  caractère.  .  .  Il  aliéna  si  fort  tous  les  esprits  en 
Canada  et  en  France,  par  l'usage  qu'il  fit  de  son  autorité, 
qu'il  perdit  insensiblement  toute  créance  à  la  cour,  même 
dans  les  choses  où  son  bon  droit  semblait  être  incontestable. 
Il  en  était  arrivé  à  ce  point  lorsqu'il  fut  pris  sur  mer  et  con- 
duit en  Angleterre.  La  cour  qui  désirait  vivement  qu'il  se 
démît  de  son  siège,  l'en  fit  presser  pendant  sa  captivité 
et  après  sa  délivrance.  Mais  M.  de  Saint- Vallier  persistant  à 
le  conserver,  sur  ce  principe  qu'un  évêque  doit  mourir  les 
armes  à  la  main,  son  refus  aigrit  de  plus  en  plus  le  Roi  et 
ses  ministres  contre  sa  personne  -.  « 


1.  Corresp.  générale,  vol.   33. 

2.  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  II,  p.  209. 


sous    M^    DE    SAIXT-VALUER  247 

On  sait,  d'après  l'annaliste  de  l'Hôpital-Général,  que 
Pontchartrain  fit  une  dernière  tentative,  en  171 2,  auprès  du 
pieux  Prélat,  pour  lui  faire  résigner  son  siège,  lui  soumet- 
tant à  cet  effet  un  certain  nombre  de  propositions  auxquelles 
il  demandait  une  réjxjnse  ^  Nous  n'avons  jamais  pu  nous 
empêcher  d'admirer  le  calme,  le  courage,  la  volonté  inflexible 
avec  lesquels  jVP""  de  Saint-Vallier  sut  toujours  résister  à  ces 
injonctions,  qui  lui  étaient  faites,  à  lui,  prélat  irréprochable, 
par  l'autorité  séculière,  pour  lui  faire  résigner  un  siège,  qu'il 
n'avait  pas  convoité,  qu'il  avait  accepté  par  devoir,  et  auquel 
il  se  croyait  attaché,  en  honneur  et  en  conscience,  pour 
toujours. 

Et  pourtant,  il  relevait  d'une  maladie  grave  qui  l'avait 
conduit  aux  portes  du  tombeau.  Il  était  sous  le  poids  de 
deux  grandes  douleurs  :  la  mort  de  son  meilleur  ami,  yi.  Le 
Vallet,  qui  était  venu  le  rejoindre  en  France  pour  l'aider 
dans  ses  travaux,  et  venait  de  lui  être  ravi,  à  l'abbaye  de 
Bénévent,  par  ces  mêmes  fièvres  malignes  qui  avaient  failli 
l'emporter  lui-même;  puis  la  nouvelle  de  la  maladie  de  son 
autre  ami,  à  Québec,  Serré  de  la  Colombière,  qu'il  ne  devait 
plus  revoir  et  qui  mourut  le  23  décembre  1702  à  l'Hôpital- 
Général  dont  il  était  le  soutien. 

Pontchartrain  insistant  pour  obtenir  sa  démission.  M'""  de 
Saint-Vallier  prit  le  parti  d'écrire  directement  au  Roi,  le 
suppliant  de  lui  intimer  ses  ordres  au  sujet  de  son  retour  au 
Canada.  Le  Roi  lui  accorda  une  audience  :  et  le  Prélat  lui 
rendit  compte  de  la  manière  dont  il  conduisait  son  diocèse. 
Puis,  parlant  des  propositions  du  ministre  Pontchartrain.  il 
ne  craignit  pas  de  dire  à  Louis  XIV  que  son  devoir  d'évêciue 
ne  lui  permettait  pas  de  s'y  conformer.  Le  Roi  l'écouta 
avec  satisfaction,  l'assura  qu'il  ne  s'opposait  plus  à  son 
retour,  persuadé  que  sa  présence  était  nécesaire  à  son  trou- 

I.   Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôpital-Général,  p.  217. 


248  1,'ÉGLISE    DU    CANADA 

peau,  et  lui  permit  de  s'embarquer  quand  bon  lui  semblerait. 

Mais  la  saison  est  déjà  avancée;  il  voit  bien  qu'il  ne 
pourra  prendre  le  vaisseau  de  la  marine  royale,  destiné 
pour  le  Canada,  qui  va  lever  l'ancre  bientôt.  .  .  Alors  il  se 
sent  bouleversé  de  douleur.  Milles  pensées  lourdes  et  trou- 
blantes pèsent  sur  son  esprit:  n'avait-il  pas  eu  raison  de 
croire  qu'il  y  avait  au  Canada  certains  personnages  ecclé- 
siastiques qui  s'opposaient  à  son  retour?  Ils  ne  le  reverront 
peut-être  pas  encore  cette  année;  mais  ils  auront  du  moins 
de  ses  nouvelles  par  le  navire  sur  lequel  il  devait  s'embar- 
quer. C'est  alors  qu'il  se  décide  à  écrire  de  Paris  à  son 
clergé  cette  lettre  foudroyante,  dans  laquelle  il  vise  spécia- 
lement ceux  qu'il  appelle  «  les  faux  frères  ».  Elle  n'a  pas  de 
date  précise,  mais  elle  est  certainement  de  1713: 

«  Vous  savez,  dit-il,  comment  le  Seigneur  nous  a  éloigné 
de  vous,  dans  le  temps  même  que  nous  nous  en  approchions 
et  que  nous  espérions  de  vous  rejoindre,  après  quatre  ans  de 
séparation  et  de  voyages  pour  les  nécessités  de  notre  Eglise. 
Vous  savez  que  la  divine  Providence  nous  a  conduit  en 
Angleterre  et  que,  durant  cinq  années,  nous  avons  éprouvé 
une  compensation  rude  et  amère  de  toutes  les  consolations 
spirituelles  que  nous  avions  goiàtées  dans  la  sainte  cité  de 
Rome,  auprès  des  corps  des  saints  Apôtres  et  sous  les  yeux 
du  Père  commun  des  fidèles. 

«  Mais  ce  que  vous  ne  savez  pas  peut-être  et  ce  que  je 
voudrais,  s'il  était  possible,  dérober  à  vos  yeux,  c'est  une 
épreuve  bien  plus  fâcheuse  que  nous  souffrons  maintenant, 
semblable  à  celle  dont  saint  Paul  se  plaint  et  néanmoins  se 
glorifie  dans  plusieurs  de  ses  épîtres,  c'est  la  persécution  des 
faux  frères,  persécution  qu'il  appelle  même,  selon  saint  Jean 
Chrysostôme,  l'Ange  de  Satan. 

«  La  charité  que  nous  consentons  pour  ces  faux  frères  et 
l'amour  de  la  paix  nous  ont  fait  dissimuler  jusqu'ici  cette 
persécution,  peut-être  au  delà  de  notre  devoir.     Nous  nous 


sous    M*^    DE    SAINT-VÀLLIER  249 

sommes  contenté  d'en  gémir  devant  Dieu.  Nous  nous 
sommes  flatté  que  notre  longue  patience,  les  excès  mêmes 
où  ils  se  sont  portés  les  feraient  rentrer  en  eux-mêmes.  .  . 
Mais  nous  voyons,  avec  une  vive  amertume  de  cœur,  que 
rien  ne  les  touche,  et  que  ce  qu'ils  craignent  le  plus,  c'est  la. 
présence  de  leur  pasteur.  Ils  voudraient,  s'il  leur  était 
possible,  nous  tenir  toujours  éloigné  de  l'Eglise  de  Québec,, 
notre  épouse;  et  ne  pouvant,  après  de  vains  efforts,  rompre 
les  liens  qui  nous  attachent  à  elle,  ils  s'opposent  sous  main 
à  notre  retour.  Par  une  politique  souterraine,  très  opposée  à 
l'esprit  de  l'évangile,  ils  nous  retiennent  dans  une  espèce 
d'exil  en  ce  pays-ci,  en  faisant  naître  des  obstacles  à  notre 
départ,  et  rendant  inutile  tout  ce  que  nous  faisons  pour  les 
surmonter.  .  .  » 

Le  Prélat  rappelle  ensuite  que  d'après  le  synode  tenu  à 
Québec  dans  l'automne  de  1700,  les  confesseurs  dans  les 
villes  devaient  faire  renouveler  leurs  pouvoirs  au  bout  de 
trois  ans,  et  ceux  des  missions  éloignées  au  bout  de  cinq  ans  : 

«  Nous  avons  déclaré  solennellement  dans  ce  synode, 
dit-il,  et  en  toute  occasion,  que  tous  ces  pouvoirs  expirent 
avec  ce  terme.  Néanmoins  plusieurs  ont  la  témérité  de  con- 
fesser depuis  treize  ans,  sans  avoir  fait  renouveler  leur 
approbation.  Quel  dérèglement  !  Quel  malheur  !  Et  quel  en 
doit  être  le  châtiment!  Si  les  moindres  fautes  dans  les 
prêtres  sont  très  grandes,  que  penser  de  celle-ci?  Puisque 
parmi  nous  point  de  défaut  plus  grand  que  celui  de  puis- 
sance, quelle  excuse,  quel  prétexte  peut  avoir  ici  lieu  ?  Où  est 
le  titre  même  coloré?.  .  .  » 

Ses  vicaires  généraux.  De  Maizerets,  Glandelet  et  La 
Colombière,  avaient  dû  pourtant  se  poser  ces  questions  à 
eux-mêmes  ;  et  s'ils  avaient  laissé  les  choses  dans  le  statu  quo, 
continuant  implicitement  la  juridiction  aux  confesseurs, 
c'est  sans  doute  parce  qu'ils  avaient  jugé  que  l'éloignement 
de  l'Evêque  rendait  très  difficile  et  presque  impossible  de 


•250  L  EGLISE    DU    CANADA 

recourir  à  lui.  Ils  avaient  donné  en  1707  un  mandement 
pour  la  publication  du  jubilé  du  pape  Clément  XI,  et  ce 
jubilé  avait  eu  lieu  en  1708.  Ils  avaient  répondu  à  plusieurs 
cas  de  conscience  :  et  en  aucune  occasion  ils  ne  paraissaient 
seulement  avoir  soupçonné  que  l'Evêque  ne  voulait  pas 
continuer  la  juridicton  à  ses  prêtres. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  Prélat  déclare  que  tous  les  pouvoirs 
de  confesser  «cesseront  au  premier  novembre  1714,  temps 
auquel  nous  comptons,  dit-il,  avec  l'aide  de  Dieu,  nous 
trouver  à  Québec,  si  les  faux  frères  ne  continuent  pas  de 
s'opposer  efficacement  à  notre  retour.  » 

Mais  quels  sont  «  ces  faux  frères  »  ?  L'Evêque  ne  les 
nomme  pas,  mais  les  désigne  assez  clairement  : 

«  Afin  de  mettre,  dit-il.  ceux  qui  s'opposent  à  notre  départ 
dans  la  nécessité  de  procurer  eux-mêmes  efficacement  ce 
prompt  départ,  bien  loin  de  continuer  à  le  traverser  comme 
ils  font,  nous  jugeons  nécessaire,  dans  les  circonstances 
présentes,  d'en  venir  à  la  fâcheuse  nécessité  d'ôter  tout 
moyen  de  recourir  à  d'autres  qu'à  nous,  pour  les  choses  qui 
dépendent  de  l'autorité  des  évêques.  Dans  cette  unique  vue, 
quelle  que  satisfaction  que  nous  ayons  eue  par  le  passé  et 
que  nous  espérions  encore  pour  l'avenir  du  secours  de  nos 
vicaires  généraux,  nous  suspendons  et  nous  révoquons  tous 
les  pouvoirs  par  nous  donnés  à  nos  dits  vicaires  généraux 
jusqu'à  présent;  et  nous  déclarons  que  la  présente  suspension 
et  révocation  aura  lieu  à  commencer  du  premier  janvier  de 
l'année  prochaine  1714.  .  .  » 

Si  A'P""  de  Saint- Vallier  voulait  désigner  sous  le  titre  de 
«faux  frères»  ses  vicaires  généraux,  il  est  juste  de  dire  qu'au 
moins  deux  d'entre  eux  s'occupaient  depuis  longtemps  et 
sérieusement  d'obtenir  son  retour  au  Canada.  Nous  avons 
cité  plus  haut  une  lettre  du  gouverneur  et  de  l'intendant  à 
ce  sujet,  en  date  du  2  novembre  1710. 

Le  malheur  et  les  contrariétés  portent  quelquefois  à  l'in- 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  25 1 

justice  :  qui  sait  si  M^""  de  Saint-Vallier,  retenu  en  France 
par  la  cour,  ne  s'était  pas  trop  facilement  figuré  que  tout  le 
monde  était  contre  lui  au  Canada?  Nous  avons  cité  plus 
haut  une  lettre  de  M.  de  Ramesay  qui  prouve  le  contraire. 

Le  pieux  Prélat  réussit  enfin  à  quitter  la  France  peu  de 
temps  après  le  départ  de  sa  lettre.  Il  fit  voile  sur  un  misé- 
rable navire  appelé  le  Manon,  et  rentra  dans  sa  ville  épisco- 
pale  le  17  août  171 3. 

On  aimerait  à  savoir  quels  furent  les  sentiments  intimes 
de  ses  prêtres  en  le  revoyant.  La  lettre  si  sévère  qu'il  leur 
avait  adressée  de  Paris  avait-elle  laissé  dans  leur  esprit  quel- 
que trace  d'amertume?  Mais  est-il  bien  siîr  qu'elle  leur  fut 
jamais  distribuée?  Elle  fut  certainement  «écrite  et  donnée 
à  Paris  »,  puis  envoyée  au  Canada  :  on  en  a  une  copie  à 
l'archevêché  de  Québec  :  elle  se  trouve  dans  la  collection 
imprimée  des  mandements  ^.  Mais  il  y  a,  suivant  nous,  lieu 
de  croire  que  les  vicaires  généraux  exercèrent  une  sage 
temporisation.  L'Evêque  arriva,  sur  les  entrefaites,  le  17 
août;  et  le  mandement  n'ayant  plus  sa  raison  d'être,  ne  fut 
probablement  jamais  envoyé  aux  dififérents  curés  ou  mission- 
naires de  la  Nouvelle-France. 

Le  retour  de  l'Evêque  dans  son  diocèse,  comme  nous  le 
dirons  dans  le  prochain  chapitre,  y  apporta  la  joie  et  le 
contentement.  L'Eglise  du  Canada  était  heureuse  d'avoir 
retrouvé  son  chef,  qui  lui  arrivait  après  tant  de  tribulations 
et  d'épreuves.  M.  de  Vaudreuil  écrivant  au  ministre  quel- 
ques mois  après  l'arrivée  de  M^  de  Saint-Vallier  : 

«  J'ai  attendu  jusques  ici,  disait-il,  à  vous  parler  de  l'arri- 
vée de  M.  l'Evêque  en  ce  pays.  Je  ne  saurais  trop  vous  dire 
combien  elle  a  fait  de  plaisir  à  tout  le  monde,  et  de  bien 
en  même  temps,  par  la  quantité  de  prêtres  qu'il  a  ordonnés, 
dont  on  avait  très  grand  besoin  dans  toute  la  colonie.     Ses 

I.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  I,  p.  482. 


252  I,''ÉGUSE    DU    CANADA 

charités  continuelles,  d'ailleurs,  font  que  chacun  a  recours 
à  lui.  En  mon  particulier,  j'ai  une  véritable  joie  de  le 
revoir,  et  je  me  fais  un  honneur  de  lui  rendre  visite  à  son 
Hôpital-Général,  où  il  demeure,  le  plus  souvent  qu'il  m'est 
possible  \  » 

I.    Corresp.  générale,  vol.  34,  Vaudreuil  au  ministre,  14  nov.  1713. 


CHAPITRE    XIX 


l'église  du  canada,  au  retour  de  France 
de  son  premier  pasteur 

Arrivée  à  Québec  de  Mgr  de  Saint-Vallier.  —  A  l'Hôpital-Général.  — 
Renonce  à  habiter  son  évêché.  —  Etat  de  son  diocèse.  —  Visite 
de  la  ville.  —  Visite  des  communautés  religieuses.  —  Entrée  du 
gouverneur  dans  les  couvents.  —  Maladie  de  l'Evêque.  —  Aux 
Trois-Rivières. —  A  Montréal.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'ivro- 
gnerie. —  Fête  de  sainte  Marie-Madeleine. 

MGR  de  Saint-Vallier,  après  avoir  été  absent  treize  ans 
de  son  diocèse,  arriva  à  Québec  le  jeudi  17  aoiit 
(1713).  Il  avait  fait  la  traversée  assez  heureusement  sur 
un  petit  bâtiment  marchand  ;  et  lorsque  ce  vaisseau  fut  à 
quelques  lieues  de  la  ville,  le  capitaine  dépêcha  quelques 
émissaires  pour  annoncer  l'arrivée  de  l'Evêque,  que  l'on 
n'attendait  plus  cette  année.  On  peut  imaginer  la  surprise  et 
la  joie  que  causa  cette  nouvelle.  Comme  le  vent  n'était  pas 
favorable,  et  qu'il  y  avait  lieu  de  craindre  que  le  Manon  mît 
beaucoup  de  temps  à  arriver  dans  le  port,  on  équipa  à  la 
hâte  un  des  bateaux  du  Roi.  et  plusieurs  personnes  s'y  em- 
barquèrent, entre  autres  deux  prêtres  séculiers  et  deux 
Jésuites,  pour  aller  au  devant  de  Sa  Grandeur  et  lui  sou- 
haiter la  bienvenue  au  nom  de  toute  la  population. 

Vers  trois  heures  et  demie,  on  vit  revenir  le  bateau.  Cette 
fois  il  portait  le  vénérable  Evêque  :  et  dès  qu'on  l'aperçut, 
il  fut  salué  par  une  décharge  de  tous  les  canons  du  fort  et 


254  L^ÉGUSE    DU    CANADA 

des  vaisseaux  qui  se  trouvaient  dans  la  rade.  Les  cloches  de 
la  ville  sonnaient  à  toute  volée  ;  le  gouverneur  et  l'intendant, 
les  magistrats,  le  clergé  séculier  et  régulier,  tous  les  princi- 
paux citoyens  étaient  descendus  au  débarcadère;  et  aussitôt 
que  le  Prélat  eut  mis  pied  à  terre,  il  reçut  leurs  hommages, 
et  fut  complimenté  d'abord  par  l'archidiacre,  M.  de  la 
Colombière,  au  nom  du  clergé,  puis  par  l'intendant  Bégon, 
au  nom  des  citoyens.  Il  leur  répondit  en  peu  de  mots, 
«  avec  cette  facilité  gracieuse  qui  lui  était  naturelle  »,  dit 
l'annaliste  de  l'Hôpital-Général. 

Le  gouverneur  du  Canada,  AL  de  Vaudreuil,  ne  lui  était 
pas  inconnu:  il  était  commandant  à  Montréal,  avant  son 
départ  pour  l'Europe.  L'intendant  Bégon  n'était  ici  que 
depuis  deux  ans  ;  mais  M^  de  Saint-Vallier  avait  dû  le  ren- 
contrer en  France  :  il  était  l'ami  de  M.  de  Brisacier,  supé- 
rieur des  Missions-Etrangères,  et  avait  un  frère  prêtre,  qui 
était  doyen  de  La  Rochelle,  et  député  de  sa  province  à 
l'Assemblée  du  Clergé.  Cet  abbé  Bégon  avait  été  élevé 
chez  les  Sulpiciens  et  logeait  chez  eux  quand  il  allait  à 
Paris. 

M^  de  Saint-V^allier  ne  voulut  pas  se  servir  de  la  voiture 
qu'on  avait  envoyée  à  sa  rencontre  pour  le  conduire  à  la 
cathédrale  :  il  préféra  monter  à  pied  avec  son  clergé  et  les 
citoyens,  saluant  avec  affabilité  la  foule  qui  encombrait  les 
rues,  et  montrant  à  tous  la  plus  aimable  simplicité.  Dans 
cette  foule,  combien  ne  le  connaissaient  pas,  et  ne  l'avaient 
jamais  vu!  les  nouveaux  arrivés  dans  le  pays;  les  jeunes 
gens,  surtout,  qui  étaient  encore  enfants,  lorsqu'il  était  parti. 
A  ceux  qui  l'avaient  connu,  comme  il  paraissait  changé  dans 
sa  figure  et  dans  tout  son  extérieur  !  comme  il  avait  vieilli  ! 
Treize  ans  d'absence!  presque  l'espace  de  temps  que  Tacite 
appelle  grande  mortalis  œvi  spatînm  !  Et  quelle  absence  ! 
Treize  ans  d'âpres  travaux,  d'anxiété,  d'angoisse,  de  con- 
trariétés ;  treize  ans,  dont  une  grande  partie  en  exil  sur  une 


sous    M*'''    DE    SAINT-VALLIËR  255 

terre  étrangère,  loin  de  son  diocèse,  loin  de  sa  patrie  !  Il 
avait  quarante-sept  ans  quand  il  était  parti  :  il  en  a  mainte- 
nant soixante.  Ses  cheveux  ont  blanchi  ;  ses  traits  altérés  se 
ressentent  des  maladies,  des  inquiétudes  et  des  chagrins  de 
toutes  sortes  qu'il  a  éprouvés;  toute  sa  personne  fléchit  un 
peu  sous  le  poids  des  ans:  néanmoins  il  est  encore  plein  de 
courage  et  d'énergie.  Il  est  à  l'âge  où  son  prédécesseur  a 
cru  devoir  déposer  le  fardeau  de  l'épiscopat;  mais  lui,  il 
entend  bien  rester  à  son  poste  mihtant,  et  mourir  ici,  dans 
son  diocèse,  les  armes  à  la  main. 

C'est  bien  cela  que,  dans  sa  cathédrale,  après  quelques 
minutes  d'adoration,  puis  le  chant  du  Te  Deum,  il  exprima 
à  ceux  qui  l'avaient  accompagné  du  débarcadère  à  la  Haute- 
Ville.  Dans  un  discours  bref,  mais  si  touchant  qu'il  fit 
verser  bien  des  larmes,  il  leur  dit  combien  il  était  heureux 
de  se  retrouver  parmi  ses  diocésains,  et  qu'il  entendait  bien' 
leur  consacrer  les  quelques  années  qu'il  avait  encore  à  vivre, 
puis  mourir  au  sein  de  son  Eglise.  Il  leur  donna  ensuite  la 
bénédiction  du  saint  Sacrement,  et  tous  se  retirèrent  profon- 
dément émus,  faisant  l'éloge  de  leur  premier  Pasteur. 

Le  soir,  M.  de  Vaudreuil  lui  donna  à  dîner,  au  château, 
ainsi  qu'aux  principaux  membres  de  son  clergé.  Puis,  le 
lendemain,  il  y  eut  office  pontifical  à  la  cathédrale,  avec  un 
grand  concours  du  peuple.  «  Tous  admiraient  l'esprit  inté- 
rieur avec  lequel  il  paraissait  à  l'autel,  »  écrit  l'annaliste  de 
l'Hôpital-Général.  L'après-midi  fut  employée  à  visiter  les 
communautés  religieuses,  et  le  Prélat  donna  partout  des 
marques  de  la  plus  affectueuse  bonté. 

Il  avait  hâte  de  visiter  son  Hôpital-Général  ;  et  ses  bonnes 
religieuses  n'avaient  pas  moins  hâte  de  le  voir.  Ce  ne  fut 
pourtant  que  le  troisième  Jour,  samedi,  qu'il  put  descendre 
leur  faire  visite.  Sitôt  qu'elles  aperçurent  de  loin  là  voiture 
qui  leur  amenait  leur  fondateur,  elles  envoyèrent  au  devant 
de  lui,  comme  autant  de  messagers  de  bienvenue,,  tous  leurs 


256  l'église  du  canada 

pauvres,  leurs  vieillards,  ceux  de  leurs  infirmes  qui  pou- 
vaient marcher.  Spectacle  inoubliable  :  à  la  vue  de  tous  ces 
représentants  du  Sauveur  des  hommes,  le  Prélat  descend  de 
voiture,  les  bénit,  les  embrasse  avec  tendresse,  puis  en  leur 
compagnie  continue  à  pied  sa  marche  vers  l'Hôpital,  leur 
disant  combien  souvent  il  a  pensé  à  eux  durant  son  absence, 
qu'il  ne  les  quittera  plus,  qu'il  va  se  dévouer  désormais  pour 
leur  bonheur  et  sera  leur  père  jusqu'à  sa  mort. 

Arrivé  à  l'Hôpital,  il  trouve  la  communauté  dans  le  vesti- 
bule, avec  son  digne  chapelain,  M.  Philippe  Boucher,  qui  le 
complimente  sur  son  retour,  et  lui  dit  combien  on  est  heu- 
reux de  le  revoir.  Il  entre  ensuite  à  l'église,  et  M.  Boucher 
entonne  le  Te  Deiim,  qui  est  continué  par  toutes  les  reli- 
gieuses; puis  ensuite,  visite  de  la  communauté.  Ah,  que 
de  changements,  dans  une  maison,  l'espace  de  treize  ans! 
que  de  nouveaux  arrivés  !  que  de  disparus  !  et  parmi  ceux-ci, 
il  y  en  a  un  que  le  Prélat  ne  saurait  trop  regretter,  son  ami 
de  cœur,  le  bon  Serré  de  la  Colombière,  qu'il  avait  amené  de 
Grenoble  pour  être  au  Canada  son  appui  et  son  soutien:  il 
ne  le  reverra  plus  !  Il  demande  où  il  est  enterré,  et  il  va 
s'agenouiller  un  instant  près  de  sa  tombe  pour  lui  donner 
l'offrande  d'une  fervente  prière. 

Mais,  comme  tout  est  en  ordre  dans  cette  belle  commu- 
nauté, comme  tout  paraît  y  avoir  été  bien  conduit  par  les 
dignes  supérieures  qui  se  sont  succédé  durant  son  abesnce  !  II 
jette  un  coup  d'œil  à  l'extérieur,  sur  les  dépendances,  sur  les 
jardins,  sur  les  champs  en  culture  :  tout  y  respire  l'aisance  et 
le  progrès.  Le  vieux  moulin  à  eau  «  qui  ne  suffisait  pas 
pour  le  public  ».  a  fait  place  à  un  moulin  à  vent,  qui  fera 
plus  d'ouvrage  et  donnera  un  peu  plus  de  revenu  pour  les 
pauvres  \  Ce  nouveau  moulin  a  été  bâti  à  ses  frais  ^  :  il  est 
heureux  de  le  voir. 

1.  Corresp.  générale,  vol.  29. 

2.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  II,  p.  iio. 


sous    M^*"    DE    SAINT-VALLIER  257 

Il  y  a  longtemps  qu'il  a  signifié  aux  religieuses  son  désir 
de  faire  désormais  sa  résidence  à  l' Hôpital-Général  :  aussi 
n'onl-elles  rien  de  plus  pressé  que  de  lui  ouvrir  l'humble 
appartement  qu'elles  lui  ont  préparé  en  conformité  de  ses 
vues  :  laissons  ici  parler  l'annaliste  : 

«  Monseigneur  témoigna  le  désir  de  voir  l'appartement 
que  nous  lui  avions  fait  préparer.  Il  le  trouva  de  son  goût, 
parce  qu'il  n'y  avait  ni  tapisseries,  ni  meubles  de  prix.  Des 
murs  blanchis,  des  sièges  très  communs,  et  des  images  de 
papier,  une  petite  bibliothèque,  un  lit  d'une  étoffe  fort  gros- 
sière, —  voilà  la  magnificence  du  logement  que  son  esprit 
d'humilité  et  de  pauvreté  lui  fit  préférer  à  d'autres  plus 
commodes  et  plus  convenables  à  sa  dignité.  Il  nous  dit  qu'il 
en  prendrait  possession  à  l'instant,  si  la  visite  de  ses  chères 
ouailles  ne  lui  réclamait  encore  quelques  jours.  Il  nous  dit 
encore  que,  quoique  son  arrivée  eût  été  vraiment  triom- 
phale au  milieu  de  son  peuple,  qui  lui  avait  donné  mille  béné- 
dictions, rien  ne  lui  avait  fait  éprouver  une  satisfaction 
aussi  vive  que  la  joie  extraordinaire  que  montraient  ses 
chères  filles  et  ses  pauvres.  » 

En  arrivant  à  Québec,  le  Prélat  avait  trouvé  son  évêchê 
occupé  par  l'intendant  Bégon,  à  qui  on  l'avait  loué,  le 
palais  de  l'Intendance  ayant  été  incendié  dans  la  nuit  du  5 
au  6  janvier  précédent^  :  il  y  avait  une  grande  salle  que  le 
Conseil  Supérieur  s'était  réservée  pour  ses  séances  et  celles 
de  la  prévôté.  M^"  de  Saint- Vallier  alla  donc  loger  au  sémi- 
naire, en  attendant  qu'il  pût  descendre  se  fixer  à  l'Hôpital- 
Général  ;  et  l'évêché  ne  le  revit  plus,  si  ce  n'est  de  temps  en 
temps,  à  de  rares  intervalles,  lorsqu'il  assistait  à  quelques 
séances  du  Conseil.  Il  s'y  rendit  le  21  août,  comme  pour  y 
faire  une  simple  apparition  et  affirmer  son  droit.  On  ne  l'y 
revit  plus  que  le  19  février  suivant. 

I.  Ce  palais  avait  été  construit  "à  la  Brasserie",  sous  l'intendant 
de  Meulles.  (Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  254.) 


258  l'église  du  canada 

Dans  la  séance  du  14  août,  le  Conseil  avait  décidé  qu'un 
Te  Dcum  solennel  serait  chanté  à  la  cathédrale  le  jour  de 
la  Saint-Louis,  en  actions  de  grâces  de  la  belle  victoire  de 
Denain  remportée  par  le  maréchal  de  \^illars  sur  les  enne- 
mis de  la  France.  La  Saint-Louis  était  alors  fête  d'obli- 
gation au  Canada  \  et  c'est  M^""  de  Saint-Vallier  lui-même 
qui  voulut  présider  à  la  cérémonie  du  Te  Deum  après  les 
vêpres  solennelles  du  jour. 

Il  avait  à  cœur  de  visiter  toutes  les  familles,  pauvres  et 
riches,  de  sa  ville  épiscopale  :  «  Ce  fut  une  fête  continuelle, 
écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital  :  grands  et  petits  eurent  le 
bonheur  de  le  voir  dans  leurs  maisons.  Il  n'y  eut  pas  une 
seule  famille  qu'il  ne  visitât,  et  les  plus  pauvres  furent 
celles  à  qui  il  donna  plus  de  marques  de  bonté.  ^> 

Le  dernier  jour  de  sa  visite,  il  administra  dans  la  cathé- 
drale le  sacrement  de  confimiation  à  un  grand  nombre  de 
personnes  de  tout  âge  :  il  y  en  avait  en  effet  qui  atten- 
daient ce  bonheur  depuis  sept  ou  huit  ans,  AP""  de  Laval 
étant  mort  depuis  cinq  ans,  et  n'ayant  pu  confimier  les  deux 
ou  trois  dernières  années  de  sa  vie  : 

«  M^""  de  Saint-Vallier,  écrit  l'annaliste,  prêcha  en  cette 
occasion  avec  tant  de  force  et  de  suavité  qu'il  tira  les 
larmes  de  tout  son  auditoire.  Après  la  cérémonie,  qui  ne 
finit  cju'à  une  heure  de  l'après-midi,  il  alla  prendre  le  dîner 
chez  les  messieurs  du  séminaire.  Là,  en  présence  de  tous 
les  membres  du  clergé,  il  exposa  la  résolution  où  il  était 
de  ne  pas  occuper  son  palais  épiscopal.  Ses  revenus  étant 
très  modiques,  il  ne  se  croyait  pas  en  état  de  soutenir  une 
telle  dépense.  Il  venait  de  perdre  considérablement  par  la 
déduction  des  rentes  sur  l'Hôtel-de-ville  de  Paris  ;  les  cons- 
tructions commencées  depuis  quelques  années  à  l'Hôpital- 
Général  étaient  coûteuses,  et  se  faisaient  à  ses  frais;  et  il  ne 

I.    Mandevients  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  141. 


sous    M^'    DE    SAINT-VALUER  259 

pouvait  abandonner  cette  œuvre  dont  il  était  le  fondateur  et 
le  seul  bienfaiteur.  Les  religieuses  Ursuîines  des  Trois- 
Rivières  avaient,  elles  aussi,  grand  besoin  de  ses  attentions. 
Il  était  endetté  en  France  de  plus  de  vingt-cinq  mille  francs 
pour  des  effets  qu'il  avait  achetés  pour  les  pauvres  ;  il  pré- 
voyait, en  outre,  qu'il  serait  dans  la  nécessité  de  contracter 
de  nouvelles  dettes  après  avoir  fait  la  visite  de  son  diocèse. 
Toutes  ces  raisons  l'obligeaient  à  user  personnellement  d'une 
stricte  économie,  et  pour  cela  il  était  dans  l'intention  de  se 
retirer  à  l'Hôpital-Général.  Ces  messieurs  durent  se  rendre 
à  l'avis  du  Prélat  ;  il  fut  convenu  qu'il  aurait  une  chambre 
réser\-ée  au  séminaire,  pour  s'y  retirer  quand  ses  affaires 
l'apelleraient  en  ville.  » 

Il  fallait  bien,  certes,  se  rendre  à  l'avis  du  Prélat,  d'autant 
plus  qu'il  ne  demandait  celui  de  personne.  Mais  quel  est 
celui  qui,  parmi  ses  auditeurs  et  ses  convives,  ne  fit  en  lui- 
même  la  réflexion  —  elle  était  si  naturelle  !  —  qu'il  était  bien 
regrettable,  comme  il  le  regrettait  probablement  lui-même, 
qu'il  eiit  bâti  si  grand  et  si  beau  cet  évêché  qui  lui  avait  coûté 
des  sommes  énormes,  et  qu'il  ne  se  i\\X.  pas  contenté  de  la 
maison  si  confortable  et  si  «  convenable,  l'une  des  plus  belles 
de  la  ville  à  cette  époque  ^  »,  qui  se  trouvait  déjà  sur  le 
terrain  où  on  l'avait  construit,  et  qu'il  n'avait  achetée,  disait- 
il,  «  que  pour  loger  à  l'avenir  ses  successeurs  »  ^.  «  Il  n'y  a  à 
craindre  pour  lui  que  l'excès,  »  disait  un  jour  de  M^'"  de 
Saint-Vallier  son  meilleur  ami,  M.  Tronson  ^.  Comme  cela 
se  vérifiait  bien  pour  son  évêché  !  Mais  quand  il  l'avait  fait 
construire,  il  était  tout  plein  d'idées  hostiles  au  Séminaire  :  il 
voulait  faire  lui-même  un  séminaire  pour  l'opposer  à  l'autre  : 

«  Il  est  de  notoriété  publique,  écrivait  un  jour  M^""  Dosquet, 
qu'il  voulait  établir  à  l'évêché  un  séminaire,  et  qu'il  n'a  dis- 


1.  Têtu,  Histoire  du  Palais  éffiscopal,  p.  25. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  254. 

3.  Paillon,  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  I,  p.  209. 


26o  l'église  du  canada 

continué  que  faute  de  sujets.  Il  a  fait  ensuite  arracher  de 
ce  bâtiment  tout  ce  qu'il  a  pu  en  ôter.  Il  se  repentait  de 
l'avoir  fait,  et  s'il  avait  été  en  son  pouvoir,  il  l'aurait 
vendu  \  » 

«  Il  est  probable,  ajoute  ailleurs  M^""  Dosquet,  que  ce 
palais  a  été  bâti  avec  le  secours  des  gratifications  ou  des 
aumônes  que  AP'"  de  Saint-Vallier  ramassait  dans  les  voyages 
qu'il  faisait  en  France;  il  paraît  qu'il  ne  le  regardait  pas 
comme  une  nîaison  qui  lui  était  propre.  .  .  M"®  de  Maintenon 
lui  faisait  des  gratifications  considérables.  Lui-même  fai- 
sait, lorsqu'il  venait  en  France,  des  quêtes  à  la  cour  et  dans 
Paris.  Un  évêque  lui  donnait  tous  les  ans  cinq  mille  francs  ; 
d'autres  personnes  de  piété  entraient  dans  les  bonnes  œuvres, 
et  lui  faisaient  un  revenu  annuel.  » 

Ce  revenu,  ces  aumônes,  ces  gratifications,  dont  une  bonne 
partie,  au  moins,  avait  été  employée  à  la  construction  de 
l'évêché,  comme  le  pieux  Prélat  s'en  serait  bien  trouvé  au- 
jourd'hui, soit  pour  payer  ses  dettes,  soit  pour  faire  le  bien 
qu'il  avait  en  vue  ! 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  jour  même  qu'avaient  lieu  ce  dîner  et 
cette  conférence  au  séminaire,  il  descendit  à  l'Hôpital- 
Général  pour  y  faire  définitivement  sa  résidence  : 

«  Plusieurs  prêtres,  dit  l'annaliste,  accompagnaient  Sa 
Grandeur;  parmi  eux  se  trouvait  M.  de  Maizerets  qui,  en 
sa  qualité  de  supérieur  des  communautés  religieuses,  avait 
pris  un  soin  tout  particulier  de  la  nôtre.  Il  la  remit  aux 
mains  de  monseigneur,  qui  le  remercia  de  son  dévouement 
et  des  bontés  de  père  qu'il  avait  eues  pour  les  pauvres  de  son 
Hôpital.  » 


M^  de  Saint-Vallier  avait  amené  avec  lui  de  France  un 


I.    Corresp.  générale,  vol.  56. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIEK  201 

certain  nombre  de  prêtres;  mais  il  y  en  avait  un  plus  grand 
nombre  qui  n'avaient  pu  se  rendre  à  La  Rochelle  pour  partir 
en  même  temps  que  lui.  Il  en  attendait  quinze  ou  seize  par 
les  premiers  vaisseaux  de  l'année  suivante.  Avec  ces  prêtres 
et  ceux  qu'il  avait  à  ordonner  ici  il  allait  pouvoir  combler  les 
vides  que  la  mort  ou  le  départ  de  quelques  missionnaires 
avaient  fait  dans  les  rangs  de  son  clergé. 

On  se  plaignait,  en  effet,  qu'il  n'y  avait  pas  de  mission- 
naires en  beaucoup  d'endroits.  C'est  ainsi,  pour  en  donner 
quelques  exemples,  qu'il  n'y  avait  qu'un  seul  prêtre,  en  1706, 
M.  de  la  Faye,  pour  desservir  Contrecœur,  Saint-Ours,  Sorel 
et  Verchères.  Les  habitants  de  ces  missions  refusaient 
d'aller  le  chercher  tour  à  tour  pour  les  fonctions  de  son 
ministère  et  de  le  ramener  chez  lui  ;  ils  ne  voulaient  plus  lui 
payer  la  dîme:  ils  ne  se  gênaient  pas  de  faire  ondoyer  leurs 
enfants  à  la  maison,  et  ne  se  mettaient  plus  en  peine  de  les 
porter  à  l'église  pour  faire  inscrire  leurs  noms  dans  les 
registres  ^.  M.  Plante  dessen^ait  à  la  fois  Beaumont  et 
Saint-Michel  ;  M.  Descormiers,  Saint- Augustin  et  la  Vieille- 
Lorette  ;  le  curé  Ménage,  Deschambault,  Lachevrotière  et  les 
Grondines.  Avec  les  prêtres  qu'il  avait  maintenant  à  sa  dis- 
position, M^""  de  Saint- Vallier  allait  pour^'oir,  du  moins,  aux 
besoins  les  plus  pressants. 

Il  avait  hâte  de  faire  la  visite  de  son  diocèse.  Partout, 
que  de  changements,  sans  doute,  il  allait  constater  !  Dan» 
quel  état  trouverait-il  les  églises,  les  presbytères,  les  cime- 
tières ?  Son  grand  architecte,  l'abbé  Geoffroy,  n'était  plus 
là  pour  voir  à  tout.  Il  n'y  avait  pas  moins  de  treize  endroits 
où  l'on  demandait  à  construire  soit  des  églises,  soit  des  pres- 
bytères, soit  les  deux  à  la  fois  ;  en  suivant  l'ordre  des  dates  : 
à  Saint-Michel,  à  Boucherville,  au  Cap-de-la-Madeleine,  à 
Kamouraska,  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade,  à  l'Ile  du  Pads,  à 

I.    Ed.  et  Ord.,  t.  II,  p.  267. 


202  L''ÉGLISE    DU    CANADA 

Champlain.  à  La  Chênaie,  à  Sainte-Geneviève  de  Batiscan, 
à  Saint-Sulpice,  à  Longueil,  à  V^rchères,  à  la  Longue 
Pointe;  sans  compter  d'autres  endroits  où  les  édifices  reli- 
gieux avaient  besoin  de  réparations  urgentes. 

Que  d'enfants  devenus  des  jeunes  gens  et  même  des  gens 
mariés  soupiraient  depuis  longtemps  après  le  retour  de 
l'évêque  pour  recevoir  la  confirmation  !  Que  de  besoins, 
que  de  difficultés  de  toutes  sortes  requéraient  sa  présence! 
Dans  quelques  paroisses,  les  habitants,  desservis  par  le  curé 
de  la  paroisse  voisine,  ne  voulaient  pas  rendre  leur  dîme  à 
son  presbytère.  Le  curé  d'une  paroisse  voisine  de  la  ville 
étant  mort,  ce  fut  un  Père  jésuite  qui  desservit  cette  paroisse 
une  couple  d'années  :  il  abandonna  généreusement  à  la 
fabrique  la  dîme  à  laquelle  il  avait  droit  ;  et  les  marguilliers 
furent  obligés  de  s'adresser  à  l'intendant  pour  se  la  faire 
payer  d'un  certain  nombre  d'habitants. 

Les  vicaires  généraux,  tout  le  monde  leur  rendait  ce 
témoignage,  avaient  parfaitement  rempli  leurs  devoirs,  et 
s'étaient  efïorcés  de  remplacer  l'évêque,  dans  la  mesure  du 
possible.  ^lais  ils  n'étaient  plus  jeunes  et  n'avaient  plus 
l'énergie  d'autrefois.  D'ailleurs  ils  n'avaient  pas  le  caractère 
épiscopal  qui  en  impose  et  donne  tant  d'autorité.  Des 
désordres  avaient  surgi  çà  et  là,  et  M.  Glandelet  s'était  cru 
obligé  deux  ou  trois  fois  d'en  informer  l'évêque  absent. 
Malgré  tout,  le  gouverneur  et  l'intendant  ne  craignaient  pas 
d'écrire  à  la  cour  en  1710: 

«  Le  diocèse  de  Québec  est  parfaitement  réglé.  C'est  une 
justice  qu'on  doit  aux  grands-vicaires  de  M.  l'évêque,  qui 
savent  fort  bien,  tout  en  employant  l'autorité  ecclésiastique, 
se  servir  de  la  séculière  pour  obliger  les  peuples  d'avoir  îa 
révérence  qu'ils  doivent  dans  les  églises  et  empêcher  les 
scandales.  .  .  >>  Ils  ajoutaient  l'année  suivante  :  «  Le  clergé 
est  en  ce  pays  d'une  si  grande  édification,  que  les  ecclésias- 
tiques inspirent  de  la  piété  aux  peuples.  .  .  « 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  263 

Après  ces  témoignages  des  deux  plus  grandes  autorités 
civiles  du  pays,  qui  n'avaient  certainement  aucun  intérêt  à 
faire  induement  l'éloge  du  clergé  canadien,  n'avons-nous  pas 
raison  de  croire  que  le  Prélat  avait  un  peu  forcé  la  note  dans 
les  reproches  si  sévères  qu'il  avait  adressés  de  Paris  à  ses 
prêtres,  à  la  veille  de  quitter  la  France? 

Il  ne  voulut  pas  laisser  passer  la  saison  d'automne  sans 
se  mettre  en  route  pour  visiter  plusieurs  paroisses  des  envi- 
rons de  Québec,  et  quelques-unes  de  la  rive  sud  et  de  la  rive 
nord  en  descendant  le  fleuve.  Il  partit,  accompagné  de  deux 
prêtres,  qui  partagèrent  l'extrême  fatigue  de  ce  voyage  et 
tous  les  travaux  apostoliques  de  leur  évêque.  Dès  les  trois 
heures  du  matin,  on  les  trouvait  à  l'église,  et  ils  entendaient 
les  confessions.  Le  Prélat  accueillait  avec  bonté  tous  ceux 
qui  venaient  à  lui,  jusqu'à  l'heure  de  sa  messe.  Après  la 
messe,  dans  la  matinée,  il  donnait  la  confinnation,  il  adres- 
sait à  ses  ouailles  toutes  les  recommandations  nécessaires 
pour  le  bien  des  âmes  et  le  bon  ordre  des  paroisses.  Il 
repartait  dans  l'après-midi  pour  aller  porter  à  d'autres  brebis 
de  son  bercail  les  faveurs  dont  l'évêque  est  le  principal  dépo- 
sitaire. 

Il  ne  pouvait  être  longtemps  dans  chaque  paroisse:  la 
distance  d'une  église  à  l'autre  était  souvent  considérable  ;  les 
chemins,  généralement  très  mauvais  :  on  ne  commença  à  y 
travailler  sérieusement  qu'en  1708,  et  du  côté  de  Montréal, 
utihsant  pour  cela  les  soldats,  dans  leurs  temps  de  loisir  \ 
Mais  il  suffisait  de  peu  de  temps  à  M^""  de  Saint- Vallier  pour 
se  renseigner  parfaitement  sur  toutes  choses,  de  manière 
à  pouvoir  ensuite  remédier  aux  abus,  faire  cesser  les  dé- 
sordres et  signaler  aux  curés  les  pratiques  de  piété  à  encou- 
rager dans  leurs  paroisses.  C'est  précisément  à  la  suite  de 
cette  première  visite  pastorale  après  son  retour  de  France 

I.    Corresp.  générale,  vol.  21. 


264  l'église  du  canada 

qu'il  donna  à  ses  diocésains  une  de  ses  ordonnances  les  plus 
connues,  qu'on  lit  encore  dans  nos  livres  de  discipline  ecclé- 
siastique, sur  le  refus  de  l'absolution  à  ceux  qui  ne  paient 
pas  la  dime. 

Durant  l'hiver,  il  fit  avec  beaucoup  de  soin  la  visite  cano- 
nique de  ses  communautés  religieuses,  les  Ursulines,  l' Hôtel- 
Dieu,  l'Hôpital-Général.  Là,  comme  ailleurs,  et  même  beau- 
coup plus  qu'ailleurs,  régnaient  la  piété,  la  vertu,  la  ferveur. 
Mais  là  aussi,  grâce  à  l'absence  prolongée  de  l'évêque, 
s'étaient  introduits  certains  abus  qui  nous  surprennent  au- 
jourd'hui, mais  que  les  documents  nous  indiquent  trop  clai- 
rement pour  qu'il  soit  possible  d'en  nier  l'existence.  Laissons 
parler  M^  de  Saint- Vallier  lui-même  :  il  s'adresse  au  Con- 
seil de  la  marine  qui,  à  cette  époque,  remplaçait  à  Paris  le 
ministre  auquel  on  avait  coutume  d'écrire  pour  les  affaires 
coloniales  :  il  se  plaint  du  gouverneur  Vaudreuil  : 

''Je  supplie  le  Conseil,  dit-il,  de  me  permettre  de  m'expli- 
quer  sur  un  article  affligeant  pour  moi,  et  auquel  je  ne 
trouve  point  de  remède  depuis  huit  ans  que  je  suis  de  retour 
dans  mon  diocèse.  .  .  J'espère  de  la  sagesse  du  Conseil  qu'il 
donnera  des  ordres  à  M.  de  Vaudreuil  de  ne  pas  se  servir  de 
son  autorité  temporelle  pour  entrer  sans  permission  de 
l'évêque  dans  les  couvents  de  religieuses  et  y  faire  entrer 
toutes  sortes  de  personnes.  S'il  ne  le  faisait  qu'au  retour  de 
ses  voyages  en  France,  ou  dans  des  cas  extraordinaires,  je 
le  souffrirais  sans  peine,  et  lui  offrirais  même  de  l'accom- 
pagner; mais  en  tout  temps,  avec  toutes  sortes  de  personnes, 
et  sans  croire  avoir  beoin  de  la  permission  de  l'évêque, 
sans  se  soucier  de  l'excommunication  majeure  portée  par  le 
saint  concile  de  Trente  contre  ceux  qui  entrent  dans  les 
monastères  sans  raison  et  sans  permission  ^,  aucun  des 
gouverneurs  qui  ont  précédé  M.  de  Vaudreuil,  depuis  trente- 

I.    Conc.  Trid.,  Sessio  XXV,  De  Regularibus  et  Monialibus,  cap.  V. 


0 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  265 

six  ans  que  je  suis  évêque  \  n'a  prétendu  et  regardé  ces 
entrées  comme  une  suite  de  sa  dignité.  Et  comment  le 
pourrait-elle  être,  puisque  les  rois  mêmes  n'y  entrent  point 
sans  en  avoir  la  permission  par  des  bulles  expresses  émanées 
du  saint-siège  ? 

«  J'ai  été  dix  à  douze  ans  aumônier  du  feu  Roi,  et  je  ne 
l'ai  vu  entrer  que  deux  fois  dans  des  couvents  ;  encore,  avec 
de  grands  ménagements  de  sagesse  et  de  prudence  ^  :  et  M. 
de  \''audreuil  y  entre  très  souvent,  et  veut  entrer,  tantôt  avec 
des  femmes,  tantôt  avec  des  hommes,  officiers  ou  autres,  ne 
se  contentant  pas  de  voir  et  d'entretenir  les  religieuses  dans 
les  parloirs,  mais  bien  dans  les  chambres  intérieures;  d'où 
il  arrive  de  grands  inconvénients  que  je  ne  puis  expliquer 
par  lettre. 

«  Durant  le  dernier  hiver,  à  Montréal,  il  entrait  dans  leur 
chœur,  pour  entendre  la  messe  plus  chaudement  au  milieu 
des  religieuses.  Le  moindre  inconvénient  à  cela,  c'est 
qu'outre  une  trop  grande  dissipation  qui  fait  tort  au  recueil- 
lement dans  lequel  doivent  vivre  les  épouses  de  Jésus-Christ, 
cela  enfle  l'esprit  et  le  cœur  de  quelques-unes  d'entre  elles. 

«  Je  supplie  le  Conseil  de  faire  comprendre  à  M.  de 
Vaudreuil  que  si  c'est  à  lui,  en  qualité  de  gouverneur  géné- 
ral, de  gouverner  temporellement,  il  doit  laisser  à  l'évêque 
le  soin  de  gouverner  les  couvents  et  les  communautés  reli- 
gieuses et  ecclésiastiques  spirituellement  ;  qu'il  ne  doit  entrer 
dans  les  couvents  que  dans  des  cas  extraordinaires,  avec  la 
permission  de  l'Eglise;  qu'il  ne  doit  pas  perdre  de  vue  les 
censures  que  le  concile  de  Trente  lance  contre  ceux  qui  y 
entrent  sans  permission. 

«  J'ai  cru  pendant  quelque  temps  que  je  pourrais  lui  faire 
faire  toutes  ces  réflexions  par  jM""^  de  Vaudreuil;  mais  la 

1.  Le  Prélat  écrivait  cette  lettre  en   1721. 

2.  Quel  beau  témoignage  à  l'esprit  religieux  et  à  la  délicatesse  de- 
conduite  de  Louis  XIV  ! 


266  l'éguse  du  canada 

voyant  marcher  de  l'air  d'une  dame  qui  peut  tout  à  la  cour, 
et  à  qui  on  ne  refuse  rien,  je  n'ai  pas  osé  le  faire.  Ces 
réflexions  viendront  mieux  par  la  voie  du  Conseil  \  .  .  » 

On  voit  que  par  rapport  aux  abus  dont  se  plaignait  ici 
AP""  de  Saint-Vallier,  le  rôle  des  religieuses  était  plutôt 
passif  qu'actif.  Les  abus  n'en  existaient  pas  moins,  entraî- 
nant une  foule  de  dangers  et  d'inconvénients  pour  les  reli- 
gieuses ;  et  la  longue  absence  de  l'évêque  avait  rendu  ces 
abus  si  invétérés,  que.  malgré  toute  sa  vigilance  et  son 
énergie,  ils  durèrent  encore  longtemps  après  lui,  même  avec 
des  circonstances  aggravantes,  comme  on  peut  le  voir  par 
une  lettre  de  AP""  Dosquet.  Ecrivant  à  la  cour  au  sujet  de 
ses  propres  relations  avec  le  gouverneur  et  l'intendant  de 
son  temps,  Beauharnais  et  Hocquart  : 

«  La  première  année  que  j'arrivai  ",  dit-il,  nous  trouvant 
seuls  tous  les  trois,  je  leur  parlai  du  bonheur  d'un  Etat  où 
le  bon  ordre  régnait.  A  cette  occasion,  je  leur  dis  un  mot  des 
entrées  dans  les  couvents,  des  désordres  qu'elles  avaient 
causés,  des  ordonnances  des  rois,  des  canons,  des  bulles 
des  papes  c]ui  les  défendaient  sous  de  grièves  peines;  c[ue. 
j'étais  persuadé  qu'ils  étaient  trop  fidèles  serviteurs  du  Roi 
pour  ne  pas  suivre  ses  ordres,  et  trop  bons  chrétiens  pour  ne 
pas  se  soumettre  aux  lois  de  l'Eglise,  même  de  discipline, 
lorsqu'elles  sont  reçues  par  toute  la  France,  comme  celles-ci 
le  sont.  Je  leur  fis  lire  ces  ordonnances  et  les  canons,  en 
leur  disant  que  je  les  laissais  les  maîtres  de  prendre  le 
parti  qu'ils  voudraient  ;  que,  quoique  je  ne  puisse  pas  en 
conscience  leur  permettre  sans  raisons  ces  sortes  d'entrées, 
je  pouvais  néanmoins  les  tolérer  plutôt  que  de  donner  lieu  â 
un  plus  grand  mal,  qui  serait  de  nous  brouiller  ensemble  et 
de  nous  diviser. 


1.  Corresp.  générale,  vol.  43. 

2.  Mgr  Dosquet  arriva  au   Canada,  comme  coadjuteur  de  IMgr  de 
Mornay,  en  1729. 


sous  m"""  de  saint-valuer  267 

«  Ils  m'objectèrent  l'usage  de  ce  pays-ci.  Je  leur  dis  que 
M.  l'évêque  défunt  (Saint-V'allier)  permettait  ou  défen- 
dait ces  entrées,  selon  qu'il  était  bien  ou  mal  avec  les  puis- 
sances :  ce  ([ui  faisait  un  mauvais  effet  dans  l'esprit  des 
peuples;  qu'une  règle  suivie  était  toujours  le  meilleur;  que 
d'ailleurs  je  ne  pouvais  souffrir  ce  qui  s'est  fait  autrefois, 
que  des  religieuses,  au  grand  scandale  du  public,  allassent 
au  Château  ou  à  l'Intendance,  à  des  parties  de  dîner  ou  de 
souper \  .  .  » 

M.  de  Vaudreuil  avait  si  peu  de  scrupules  par  rapport  à 
l'entrée  dans  les  couvents,  qu'il  y  introduisit  un  jour  le 
fameux  baron  de  Saint-Castin,  chef  des  Abénaquis  au  fort 
de  Pentagouet,  à  moitié  sauvage  lui-même,  qui  était  venu  à 
Québec,  avec  l'anglais  Livingston,  rencontrer  le  gouverneur 
général  au  sujet  des  affaires  de  l'Acadie  ".  On  lit  à  ce  sujet 
dans  un  document  de  l'époque  : 

«  M.  de  Vaudreuil  l'a  promené  partout,  jusqu'à  le  faire 
entrer  dans  tous  les  couvents  de  filles,  sans  exception,  où  il 
a  causé,  à  sa  vue,  tous  les  scandales  les  plus  surprenants,  non 
seulement  par  rapport  à  la  pudeur,  mais  aussi  par  rapport  à 
la  religion  :  à  tel  point  que  dans  l'Hôpital-Général,  gouverné 
par  des  religieuses,  après  avoir  mis  la  modestie  de  ces 
pauvres  filles  à  bien  des  épreuves,  ayant  trouvé  une  statue 
de  sain:  Michel,  il  commit  contre  le  saint  et  son  image  toutes 
les  injures  les  plus  grossières,  et  mêla  tout  cela  de  beaucoup 
d'impiétés  et  de  blasphèmes  contre  le  culte  que  nous  rendons 
aux  saints  ^.  » 

Ceci  se  passait  pendant  la  longue  absence  de  M^""  de  vSaint- 
Vallier.  On  comprend  que  des  faits  de  ce  genre,  qu'on  ne 
manqua  pas  de  lui  rapporter  à  son  retour,  durent  lui  laisser 
une  douloureuse  et  pénible  impression.     Dans  la  première 

1.  Corresp.  générale,  vol.  56,  Mgr  Dosquet  au  ministre,  4  sept.  1731. 

2.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  43. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  33,  Mém.  de  l'état  présent  du  Canada,  1710. 


268  l'église    du     CANADA 

visite  canonique  qu'il  fit  à  ses  communautés  religieuses,  à 
cette  époque,  dans  l'hiver  de  171 4,  il  se  fit  un  devoir  de  leur 
adresser  de  sages  recommandations  pour  l'avenir,  et  de  les 
encourager  dans  la  pratique  des  vertus  nécessaires  à  leur 
état.  On  aura  une  idée  de  ces  recommandations  par  ce  que 
nous  en  dit  l'annaliste  de  l' Hôpital-Général  : 

«  Son  ardente  charité  ainsi  que  son  zèle  s'étendit  particu- 
lièrement sur  notre  communauté.  Il  voulut  lui-même  nous 
donner  une  retraite,  et  nous  fit  chaque  jour  deux  discours, 
nous  montrant,  tantôt  le  malheur  et  la  disgrâce  d'une  âme 
qui  se  livre  à  la  tiédeur  et  au  relâchement,  tantôt  l'impor- 
tance de  nos  saints  devoirs,  et  l'estime  que  nous  devons  faire 
des  grâces  de  la  vocation  généreuse.  Il  traita  ces  sujets 
d'une  manière  si  pathétique,  que  ses  paroles  produisirent 
dans  les  cœurs  une  sincère  résolution  de  se  renouveler  dans 
l'exacte  obser\-ance  des  règles  et  des  constitutions,  et  dans 
la  pratique  des  vertus  qui  conviennent  à  des  épouses  de 
Jésus-Christ. 

«  Ce  fut  à  peu  près  vers  le  même  temps,  ajoute-t-elle,  qu'il 
nous  donna  pour  confesseur  le  révérend  P.  Duparc,  jésuite, 
homme  d'une  haute  vertu,  et  très  propre  à  conduire  les  âmes 
dans  la  voie  de  la  perfection  évangélique.  » 

Si  l'on  en  croit  un  auteur,  ^P""  de  Saint-\"allier  «  accusait 
les  Pères  jésuites  d'enseigner  et  de  pratiquer  le  probabir- 
lisme,  cause,  disait-il,  du  relâchement  des  moeurs  dans  son 
diocèse.  Il  leur  défendait,  ajoute  le  même  auteur,  d'ensei- 
gner cette  doctrine  à  son  clergé  »  ^.  On  voit,  tout  de  même, 
que  sa  confiance  et  son  affection  pour  les  Jésuites  étaient 
encore  plus  fortes  que  sa  crainte  du  probabilisme,  puisqu'il 
n'hésitait  pas  à  leur  donner  la  conduite  de  ce  qu'il  avait  de 
plus  précieux,  ses  communautés  religieuses. 

Tout  en  faisant  la  visite  canonique  de  ses  communautés, 

I.   Rochemonteix,  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  560. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  269 

tout  en  leur  prêchant  des  retraites.  JVP""  de  Saint-Vallier  avait 
à  remplir  les  fonctions  de  son  ministère  épiscopal,  et  quel- 
quefois au  prix  de  très  rudes  fatigues.  Un  jour,  il  lui  fallut 
consacrer  un  grand  nombre  de  pierres  d'autel  ;  et  l'on  sait 
combien  longue  est  cette  cérémonie.  Il  faisait  un  grand 
froid  ;  et  il  contracta  une  maladie  sérieuse  qui  le  retint  au 
lit  plusieurs  semaines.  A  peine,  cependant,  est-il  remis  un 
peu  de  cette  maladie,  qu'il  se  rappelle  qu'il  a  promis  aux 
pauvres  de  son  hôpital  de  leur  donner,  à  eux  aussi,  une  mis- 
sion; et  il  se  met  à  l'œuvre.  On  le  presse  de  se  ménager  un 
peu  et  de  prendre  quelque  repos  :  «  Ne  serais-je  pas  trop 
heureux,  répond-il,  de  mourir  au  milieu  des  travaux  entre- 
pris pour  la  gloire  de  Dieu?  » 

Qui  ne  se  rappelle  une  parole  analogue  prononcée  par  son 
vénérable  prédécesseur.  M^""  de  Montmorency-Laval  ^  ?  Ces 
deux  hommes  n'avaient  certainement  pas  les  mêmes  idées  sur 
plusieurs  points  d'administration  ;  mais,  comme  nous  l'avons 
déjà  fait  remarquer,  ils  avaient  bien  tous  deux  la  même 
trempe  de  caractère  :  c'étaient  des  hommes  de  Dieu,  dans 
toute  la  force  du  mot.  des  hommes  vraiment  apostoliques. 

* 
*  * 

Dès  le  commencement  de  janvier,  dans  la  saison  la  plus 
rude  de  l'hiver,  n'étant  pas  encore  complètement  rétabli  de 
la  maladie  dont  nous  avons  parlé,  il  reprend  le  cours  de  ses 
visites  pastorales,  et  ne  revient  à  Québec  qu'à  l'approche  du 
carême.  Il  veut  distribuer  lui-même  les  cendres  aux  tidèles 
de  sa  ville  épiscopale.  et  leur  rappeler  le  grand  devoir  de  la 
pénitence.  Mais  il  ne  se  contente  pas  de  prêcher  de  paroles, 
il  prêche  d'exemple  :  et  l'on  voit  avec  édification  ce  prélat 


I.  "  Felices  nimis,  si  in  Dei  causa  moriamur  !  "  (Archiv.  de  l'év. 
de  Québec,  Doc.  copiés  au  Vatican,  Lettre  de  Mgr  de  Laval  au  pape 
Alexandre  VII,  31  juillet  1659.) 


270  LEGUSE    DU    CANADA 

sexagénaire,  encore  si  faible,  à  peine  remis  d'une  grande 
maladie,  observer  fidèlement  le  jeûne  le  plus  rigoureux 
pendant  toute  la  sainte  quarantaine. 

Au  printemps,  à  peine  le  fleuve  est-il  libre  de  glace,  il 
reprend  sa  visite,  et  se  met  en  route  dans  la  direction  des 
Trois-Rivières  et  de  Montréal.  Certes,  an  n'avait  pas  à 
cette  époque  les  moyens  faciles  de  transport  que  l'on  a 
aujourd'hui  et  qui  font  que  nos  voyages  sont  plutôt  des 
promenades  de  plaisir.  Au  temps  des  Laval  et  des  Saint- 
Vallier,  quel  voyage  pénible,  rempli  de  difficultés  et  de  dan- 
gers de  toutes  sortes,  surtout  à  certaines  saisons  de  l'année, 
celui  des  Trois-Rivières  et  de  Montréal  !  «  Et  cependant, 
dit  l'annaliste  de  l' Hôpital-Général,  notre  prélat  croyait 
toujours  avoir  acheté  à  vil  prix  le  plaisir  de  se  trouver  au 
milieu  de  ses  ouailles,  de  les  instruire,  de  les  consoler,  de 
les  encourager,  de  les  secourir.  » 

Les  secourir  !.  .  .  Il  avait  emporté  avec  lui,  de  Québec,  la 
somme  de  douze  mille  livres  :  en  quittant  les  Trois-Rivières, 
où  il  avait  passé  douze  jours,  logeant  au  monastère  de  ses- 
bonnes  Ursulines,  il  ne  lui  restait  presque  plus  rien.  On  ima- 
gine ce  qu'avait  fait  le  Prélat  de  son  argent,  à  la  vue  des 
besoins  de  cette  communauté  naissante,  à  la  vue  des  besoins 
de  tant  de  familles  pauvres  de  la  ville  qu'il  visita  une  à  une, 
comme  il  avait  fait  à  Québec.  Mais  aussi  que  de  consolations 
il  éprouva  dans  cette  visite  des  Trois-Rivières  !  On  lui  avait 
fait  une  réception  magnifique  :  le  gouverneur  ^  et  les  princi- 
paux citoyens,  ainsi  que  le  curé  de  la  paroisse,  qui  n'était 
autre  que  le  P.  Joseph  Denis,  dont  nous  avons  fait  connais- 
sance lors  de  l'affaire  du  prie-Dieu  de  Montréal,  étaient 
venus  au  devant  de  lui,  et  l'avaient  accompagné  à  l'église 


I.  C'était,  en  1714,  le  marquis  de  Galiffet,  qui  avait  succédé  en  1710 
à  M.  de  Crisacy,  lequel  avait  remplacé  en  1702  le  major  Prévost,  celui- 
là  même  qui  avait  vendu  en  1688  sa  maison  et  son  terrain,  à  Québec,  à 
Mgr   de   Saint-Vallier. 


sous    M*^*"    DK    SAINT-VALLIER  27 1 

paroissiale,  où  l'on  avait  chanté  le  Te  Dciiiii,  et  où  le  Prélat 
avait  adressé  à  ses  fidèles  quelques  paroles  d'édification.  Il 
s'était  rendu  ensuite  à  son  cher  monastère  qu'il  avait  fondé  : 
là,  il  avait  constaté  par  lui-même  avec  quel  succès  les  Ursu- 
lines  remplissaient  ses  vues,  à  savoir,  faire  de  leur  maison 
tout  à  la  fois  un  hôpital  de  première  classe  et  une  excellente 
maison  d'éducation.  Il  était  au  comble  de  la  joie,  et  ne 
cessait  d'en  bénir  le  Seigneur. 

Dès  le  lendemain,  il  commença  la  visite  de  toutes  les 
familles  des  Trois-Rivières,  et  ne  quitta  cette  ville  qu'après 
y  avoir  passé  douze  jours,  bien  remplis  de  toutes  manières. 
Pour  continuer  sa  visite  pastorale,  et  faire  le  bien  ailleurs 
comme  il  l'avait  fait  en  cette  ville,  il  fut  obligé  d'emprunter 
dix  mille  livres  d'un  riche  citoyen  \ 

Le  Prélat  se  remit  en  route  pour  Montréal  :  «  Il  n'avait 
fait  que  fort  peu  de  chemin,  écrit  l'annaliste,  lorsqu'un  orage 
violent  l'obligea  de  chercher  un  abri  sous  le  premier  toit 
qu'il  lui  fut  possible  d'atteindre.  C'était  une  chaumine  isolée  ; 
y  étant  entré  tout  pénétré  de  pluie,  il  y  trouva  des  misères 
bien  dignes  de  ses  pieuses  largesses.  Là  habitait  une  pauvre 
veuve,  chargée  de  cinq  enfants  en  bas  âge,  et  dans  la  dernière 
pauvreté,  sans  pain,  sans  feu.  .  .  A  cette  vue,  le  cœur  si 
tendre  du  bon  prélat  est  ému  de  compassion.  Après  avoir 
caressé  ces  petits  innocents,  à  l'exemple  du  divin  Sauveur, 
il  leur  distribue  les  rafraîchissements  que  les  religieuses 
ursulines  lui  ont  préparés  pour  son  voyage  ;  il  fait  à  la  mère 
une  aumône  proportionnée  aux  besoins  de  sa  famille,  il  la 
console  et  lui  donne  des  instructions  sur  la  manière  de 
rendre  ses  croix  méritoires  pour  l'éternité. 

«  Quelle  que  reconnaissance  qu'eut  cette  pauvre  femme 
pour  son  bienfaiteur,  elle  ne  put  la  lui  témoigner  autrement 
qu'en  lui  offrant,  ainsi  qu'aux  ecclésiastiques  de  sa  suite,  un 

I.   Mgr  de  S aint-V allier  et  V H ô p. -Général  de  Québec,  p.  232. 


272  L  EGUSE    DU    CANADA 

peu  de  paille  pour  s'y  reposer  pendant  la  nuit.  Ils  accep- 
tèrent avec  satisfaction,  surtout  monseigneur.  Le  Prélat 
aimait  à  répéter  dans  la  suite  que  cette  chaumière  avait  eu 
des  charmes  pour  lui,  à  cause  de  sa  ressemblance  avec 
rétable  de  Bethléem.  » 

A  Montréal,  de  même  qu'à  Québec  et  aux  Trois-Rivières, 
la  population  se  porta  à  la  rencontre  de  son  premier  pasteur 
avec  des  démonstrations  extraordinaires  de  joie.  Il  en 
témoigna  sa  reconnaissance  dans  un  discours  qu'il  fit  après 
le  chant  du  Te  Deum  à  la  Paroisse.  Il  fut  conduit  chez  le 
gouverneur,  M.  de  Ramesay,  et  ensuite  chez  les  messieurs  de 
Saint-Sulpice,  dont  le  supérieur  était  à  cette  date  M.  de 
Belmont.  On  lui  avait  préparé  au  séminaire  un  appartement 
qu'il  occupa  tout  le  temps  de  son  séjour  à  Montréal. 

La  ville  avait  un  peu  changé  d'aspect,  depuis  son  dernier 
voyage,  en  1700.  M.  de  Callières  l'avait  fait  entourer  de 
gros  pieux  de  cèdre  d'environ  quinze  pieds  hors  de  terre, 
«  avec  de  fortes  guérites  et  plateformes  «  \  pour  la  protéger 
contre  les  sauvages.  Cette  fortification  un  peu  primitive  ne 
dura  pas  longtemps,  et  fut  remplacée  par  une  autre  quelques 
années  plus  tard. 

Dès  le  lendemain  de  son  arrivée  à  Montréal,  le  Prélat 
commença  la  visite  de  ses  communautés  religieuses,  aux- 
quelles il  donna  toutes  les  preuves  de  sa  tendresse  paternelle. 
Il  donna  aussi  des  marques  de  son  afïection  à  tous  les 
citoyens  par  ses  visites,  ses  largesses,  et  son  zèle  pour  leur 
sanctification. 

La  grande  plaie  de  Montréal,  à  cette  époque,  c'était  l'ivro- 
gnerie, le  grand  nombre  de  cabarets  -,  où  l'on  attirait  surtout 
les  sauvages,  afin  de  profiter  de  leur  passion  innée  pour  les 
boissons  enivrantes,  et  leur  arracher  ensuite  plus  facilement 


1.  Corresp.  générale,  vol.  44,  Chaussegros  au  ministre,  25  oct.  1721. 

2.  Il  y  en  avait  dix-neuf  en   1710,  pour  la  population  minime  que 
comptait  alors  Montréal.     (Edits  et  Ordonnances,  t.  III,  p.  429.) 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIIÎR  273 

et  à  vil  prix  les  pelleteries  qu'ils  apportaient  au  marché.  A 
la  vue  des  désordres  qui  régnent  dans  cette  ville,  le  Prélat 
entre  dans  une  sainte  indignation.  Comme  autrefois  M^""  de 
Laval,  à  Québec,  il  monte  en  chaire,  et  dans  un  discours 
ferme  et  vigoureux,  il  s'élève  contre  les  désordres  de  l'intem- 
pérance et  la  passion  de  l'intérêt  qui  en  est  la  cause,  assurant 
son  peuple  que  si  les  coupables  sont  sourds  à  la  voix  de 
l'exhortation,  il  se  servira  de  l'autorité  qui  lui  est  confiée 
pour  faire  observer  la  loi  de  Dieu. 

Le  malheur  est  que  l'autorité  civile,  trop  souvent,  favo- 
risait, au  moins  indirectement,  la  vente  des  boissons  eni- 
vrantes aux  sauvages  :  non  pas  l'autorité  royale  ;  elle  venait 
au  contraire  de  la  prohiber  de  nouveau  sous  des  peines 
sévères  :  le  Conseil  Supérieur  avait  enregistré  une  ordon- 
nance du  roi,  par  laquelle  Sa  Majesté  faisait  défense  à  tous 
ses  sujets,  de  quelle  que  qualité  et  condition  qu'ils  soient,  de 
vendre  ni  faire  boire  aucune  eau-de-vie  ni  boisson  enivrante 
aux  sauvages,  à  peine  de  confiscation  des  boissons,  et  de 
punition  corporelle  en  cas  de  récidive  ^.  Mais  les  autorités 
coloniales  toléraient  souvent  cette  vente  sous  le  fallacieux 
prétexte  d'attirer  au  Canada  les  sauvages  avec  leurs  pelle- 
teries, et  de  les  détourner  de  faire  leur  commerce  avec  la 
Nouvelle-Angleterre.  Un  jour,  M^  de  Saint- Vallier  est 
invité  à  une  conférence  tenue  par  le  gouverneur  et  l'inten- 
dant au  sujet  du  commerce  des  boissons  enivrantes  avec 
les  sauvages.  Il  s'y  rend  avec  le  supérieur  des  Jésuites  ;  et 
l'on  essaie  aussitôt,  par  tous  les  raisonnements  humains 
qu'on  avait  coutume  d'employer  dans  ces  occasions,  de 
l'amener  à  des  accommodements  : 

«  Voulez-vous  donc,  lui  dit  le  gouverneur,  faire  perdre 
ce  pays  au  roi  de  France,  le  livrer  à  nos  voisins,  qui,  doimant 
aux  sauvages  autant  d'eau-de-vie  qu'ils  en  veulent,  vont  les 

I.    Ed.  et  Ord.,  t  .II,  p.  152. 


274  L  ÉGLISE    DU    CANADA 

attirer  tous  à  eux,  et  mettront  ensuite,  avec  eux,  toute  cette 
colonie  en  combustion? 

—  «  Voulez-vous,  répondit  avec  calme  le  pieux  Prélat, 
voulez-vous  que  nous  conservions  ce  pays  au  roi  de  France 
en  offensant  le  Roi  du  Ciel?.  .  .  Notre  monarque  a  trop  de 
piété  pour  vouloir  être  maître  du  Canada,  s'il  n'en  j)eut  être 
maître  qu'à  cette  condition.  D'ailleurs,  si  les  sauvages,  à  qui 
nous  devons  toujours  refuser  ce  que  nous  ne  pouvons  leur 
accorder  sans  péché,  nous  mettent  à  mort,  ah  !  ne  vaut-il  pas 
mieux  que  nous  mourions  innocents  que  de  vivre  cou- 
pables 1?  » 

Un  jésuite  qui  était  à  la  résidence  de  ]\Iontréal  en  1694, 
écrivait  à  cette  date  à  un  de  ses  frères  en  France  : 

«  Si  l'on  bannissait  la  boisson  parmi  les  sauvages,  on  con- 
vient qu'ils  feraient  honte  aux  vieux  chrétiens  d'Europe, 
dans  la  façon  de  vivre  et  dans  la  pratique  généreuse  de  la 
vertu.  Mais  il  faut  que  notre  Eglise  ait  sa  part  de  la  persé- 
cution que  le  diable  fait  au  christianisme  par  la  boisson  ;  et 
notre  évéque,  ajoutait-il,  qui  est  si  zélé,  n'a  jamais  osé 
ouvrir  la  bouche  pour  bannir  l'ivrognerie  de  son  diocèse  2.  » 

Ceci  était  tout-à-fait  injuste,  même  à  cette  date,  puisque 
A'P""  de  Saint-Vallier  n'avait  pas  fait  une  seule  ordonnance 
ou  lettre  pastorale  sans  y  introduire  quelque  chose  contre 
les  désordres  de  l'intempérance.  Mais  si  le  P.  Chauchetière 
était  encore  à  Montréal  en  17 14,  il  dut  regretter  encore  plus 
d'avoir  insinué  que  le  Prélat  se  montrait  tiède  à  l'égard  du 
vice  de  l'ivrognerie. 

M*^'  de  Saint-Vallier  passa  plusieurs  semaines  à  Montréal, 
et  ne  revint  à  Québec  que  vers  la  mi-juillet.  Il  officia  ponti- 
ficalement  à  l'Hôpital-Général  le  22  de  ce  mois,  jour  de 
sainte  Marie-Madeleine,  fête  patronale  de  la  communauté: 

«  Nous  eîimes  le  bonheur  de  le  voir  à  l'autel  le  jour  de 

1,  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp.-Général,  p.  235. 

2.  Rel.  des  Jés.,  édit.  Burrows,  t.  64. 


sous    M^*"    DE    SAlNT-VALLlER  275 

notre  fête  titulaire,  écrit  l'annaliste,  revêtu  du  magnifique 
ornement  de  drap  d'or,  don  de  Louis  XIV  à  la  cathédrale 
de  Québec,  que  le  Prélat  avait  apporté  de  France  l'année 
précédente  '.  Il  était  assisté  de  tout  son  clergé,  qui  chanta 
la  messe  en  musique.  » 

M.  de  la  Colombière  fit  un  excellent  sermon  sur  le  saint 
Nom  de  Marie;  mais  il  eut  le  tort  de  mêler  l'éloge  de 
l'évêque  à  celui  de  la  sainte  Vierge  :  «  Vous  m'avez  charge 
de  confusion,  lui  dit  le  Prélat,  et  je  ne  vous  pardonne  qu'à 
condition  que  vous  n'y  retourniez  plus^.  »  Excellente  leçon, 
qui  fait  voir  le  peu  de  cas  qu'il  faisait  des  compliments  et  la 
répugnance  qu'il  avait  pour  les  flatteurs. 


1.  Cet  ornement  sert  encore  à  la  cathédrale  une  fois  par  année,  le 
jeudi  saint. 

2.  Mgr  de  Saint-V allier  et  l' H ô p. -Général,  p.  233. 


CHAPITRE   XX 


M^  DE  SAINT-VALLIER  ET  LE  CHAPITRE  DE  QUEBEC 

L'Evêque  de  Québec,  au  Conseil  Supérieur.  —  Enregistrement  des 
lettres  royales  de  1713.  —  Résumé  de  ces  lettres.  —  Réforme  du 
Chapitre.  —  Le  "  combat  des  Bulles  ".  —  Mgr  de  Saint- Vallier  et 
son  Chapitre.  —  Le  chanoine  Hazeur  de  l'Orme  à  l'abbaye  de 
Maubec. 

MGR  de  Saint- Vallier,  comme  M^""  de  Laval,  faisait 
partie,  de  droit,  du  Conseil  Supérieur,  et  y  occupait 
la  seconde  place,  après  le  gouverneur,  mais  avant  l'inten- 
dant. Il  avait  voix  délibérative,  comme  tous  les  autres 
membres  du  Conseil.  Quoiqu'il  y  occupât  la  seconde  place, 
il  n'en  avait  pas,  cependant,  la  présidence,  en  l'absence  du 
gouverneur.  D'ailleurs,  le  gouverneur  lui-même,  lorsqu'il 
assistait  au  Conseil,  n'en  était  pour  ainsi  dire  que  le  président 
honoraire  :  le  président  de  fait,  c'était  l'intendant  ;  c'est  lui 
qui  dirigeait  les  débats,  recueillait  les  voix  et  prononçait  les 
conclusions  et  les  arrêts.  En  son  absence,  la  présidence  de 
fait  revenait  au  premier  conseiller,  ou  au  plus  ancien  après 
lui.  Lorsque  l'évêque  était  absent  du  pays,  il  avait  droit  de 
se  faire  remplacer  au  Conseil  par  un  de  ses  grands  vicaires  ; 
et  à  partir  de  1703.  lorsque  le  nombre  des  conseillers  fut 
porté  à   douze,   de   sept   qu'il   était   auparavant  ^,   il   y  eut 

I.  Il  n'y  eut  d'abord  que  cinq  conseillers  ;  le  nombre  en  fut  porté  à 
sept  par  l'édit  de  1675,  et  à  douze  par  la  Déclaration  du  roi  de  1703. 
(Ed.  et  Ord.,  t.  L  P-  Z7,  83,  299.) 


Iv'ÉGLISE  DU  CANADA  SOUS  M*^  DE  SAINT-VALLIBR     277 

toujours  au  Conseil  un  ecclésiastique,  appelé  conseiller-clerc, 
qui  était  là  pour  représenter  d'une  manière  constante  les 
intérêts  de  l'Eglise.  L'Eglise  avait  donc  deux  voix  au  Con- 
seil, celle  de  l'évêque  ou  de  son  grand  vicaire,  et  celle  du 
conseiller-clerc. 

A  qui  devions-nous  cette  belle  organisation  du  Conseil  et 
la  place  honorable  qui  y  était  assurée  à  l'Eglise?  sinon  au 
premier  évêque  de  la  Nouvelle-France.  C'est  M^  de  Laval 
qui  obtint  la  création  du  Conseil  Souverain;  c'est  même  lui 
qui  en  nomma  les  premiers  conseillers  et  les  premiers  offi- 
ciers. Il  était,  de  famille,  homme  de  gouvernement.  Appelé 
par  la  Providence  à  présider  aux  destinées  de  notre  Eglise 
naissante,  il  voulut  l'établir  sur  un  bon  pied,  en  assurer 
l'existence,  faire  reconnaître  ses  droits.  Mais  pour  cela  il 
fallait  lui  assurer  une  place  importante  au  Conseil,  une 
place  digne  des  hauts  intérêts  qu'elle  est  appelée  à  sauve- 
garder. Cette  place,  c'est  lui  qui  l'occupa  le  premier,  et  l'on 
sait  avec  quelle  dignité  et  quelle  efficacité.  Ah,  les  belles 
luttes,  les  luttes  nobles  et  courageuses  de  Laval  pour  la  cause 
de  la  tempérance  et  contre  la  traite  de  l'eau-de-vie,  pour  la 
cause  de  la  dîme  et  la  subsistance  temporelle  du  clergé,  pour 
le  maintien  des  immunités  ecclésiastiques  !  «  Il  fallait  ici  un 
homme  de  cette  force,  »  disait  de  lui  Marie  de  l'Incarnation. 
Il  fallait  un  homme  de  cette  force  pour  tenir  tête  à  des 
hommes  de  la  valeur  de  Talon  et  de  Frontenac,  qui,  eux,  de 
leur  côté,  s'étaient  donné  pour  mission  d'établir  ici  la  supré- 
matie de  l'Etat,  et  qui,  soutenus  par  la  cour,  seraient  certai- 
nement arrivés  à  leur  fins  gallicanes  s'ils  n'avaient  pas  ren- 
contré sur  leur  chemin  un  homme  d'Eglise  assez  fort  pour 
leur  résister,  et  en  même  temps  assez  sage  pour  ne  pas 
dépasser  une  juste  mesure. 

L'Eglise  canadienne  occupait  une  belle  position  vis-à-vis 
de  l'Etat,  lorsque  M^  de  Saint-Vallier  succéda  à  M^  de 
Laval  :  elle  était  solidement  établie,  organisée,  respectée.  Le 


tyS  l'église  du  canada 

Prélat  en  fut  ravi;  il  s'y  attacha  de  tout  cœur,  jusqu'à  ne 
vouloir  jamais  s'en  séparer,  et  il  continua  pour  elle  les  bons 
combats  de  son  prédécesseur.  Nous  l'avons  vu,  et  nous  le 
verrons  toujours  s'appliquer  avec  zèle  à  sauvegarder  les 
droits  et  les  immunités  de  l'Eglise.  Du  reste,  il  n'était  plus 
nécessaire  qu'il  assistât  au  Conseil  aussi  régulièrement  que 
M^  de  Laval  :  le  conseiller-clerc  était  là  «  pour  veiller  à 
la  conservation  des  droits  de  l'Eglise  ».  Il  suffisait  que 
l'évêque  s'y  montrât  de  temps  en  temps  pour  ne  pas  laisser 
se  prescrire  son  droit.  M^  de  Saint-Vallier  n'assistait  donc 
au  Conseil  qu'à  de  rares  intervalles,  imitant  en  cela  le  gou- 
verneur lui-même.  Nous  avons  constaté  sa  présence  le  21 
août  171 3,  quelques  jours  après  son  retour  d'Europe;  il  est 
ensuite  six  mois  sans  y  retourner:  nous  ne  l'y  retrouvons 
que  le  19  février  17 14:  puis  sa  place  reste  encore  vacante 
pendant  cinq  mois. 

Mais  le  30  juillet  1714,  voilà  le  Conseil  presque  au  com- 
plet :  le  gouverneur,  l'évêque,  l'intendant  sont  à  leurs  sièges^  ; 
tous  les  conseillers,  également  :  il  n'en  manque  qu'un,  M. 
Denis  de  Saint-Simon,  qui  est  probablement  absent  du  pays, 
car  son  nom  ne  paraît  pas  aux  séances  du  Conseil  depuis 
assez  longtemps.  Belle  réunion  de  magistrats,  d'hommes 
intelligents,  intègres  et  vraiment  patriotes  :  MM.  de  la  Mar- 
tinière,  de  Lino,  de  la  Colombière,  Morel  de  la  Durantaie, 
Aubert  de  la  Chênaie.  Macart,  Sarrazin,  Cheron.  Gaillard, 
Chartier  de  Lotbinière  et  Hazeur,  sans  compter  le  procureur 
général  D'Auteuil  et  le  greffier  Monseignat  -. 

De  tous  ces  personnages,  celui  qui  paraît  le  plus  s'inté- 
resser à  la  séance,  c'est  l'évêque  :  on  dirait  qu'elle  ne  se  tient 
que  pour  lui  ;  le  gouverneur  et  l'intendant  ont  l'air  à  l'en 


1.  "Le  gouverneur  est  à  la  tête;  il  a  l'évêque  à  sa  droite,  et  l'inten- 
dant à  sa  gauche  :  ils  font  eux  trois  une  ligne  sur  le  haut  bout  de  la 
table.  "  (Latour,  Mcmoires  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  113.) 

2.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  VI,  p.  802. 


sous    m"    de:    SAINT-VALLIER  279 

féliciter.  De  quoi  s'agit-il  en  effet?  De  faire  enregistrer  par 
le  Conseil  des  Lettres  royales  que  l'on  vient  de  recevoir  et 
qui  intéressent  spécialement  l'Eglise  du  Canada.  Elles  sont 
datées  de  Fontainebleau  au  mois  de  septembre  1713,  et  ont 
pour  titre  :  «  Don  fait  par  le  roi  au  chapitre  de  l'église 
cathédrale  de  Québec^  de  la  somme  de  trois  mille  livres  par 
an.  à  prendre  sur  son  domaine  en  la  Nouvelle-France  ^  » 
Ces  lettres  répondent  évidemment  à  une  demande  de 
l'évêque  ;  c'est  lui  qui  a  sollicité  ce  don  pour  son  église  ; 
c'est  lui  qui  a  consenti  aux  conditions  auxquelles  il  est 
accordé.  Il  a  quitté  la  France  avant  de  recevoir  ces  lettres  ; 
mais  il  est  probable  qu'il  en  avait  la  promesse,  qu'il  les  atten- 
dait, qu'il  était  sûr  de  les  avoir:  et  elles  viennent  de  lui 
arriver  par  les  premiers  vaisseaux  de  la  flotte  de  17 14.  Il 
profite  donc  de  la  première  séance  régulière  du  Conseil  pour 
les  présenter  et  en  demander  l'enregistrement.  A  la  demande 
du  procureur  général,  le  greffier  donne  lecture  de  ces  lettres 
et  le  Conseil  en  ordonne  l'enregistrement  requis  par  la  loi. 

Examinons-en  le  contenu  :  elles  ont  plus  de  portée  qu'elles 
n'en  paraissent  avoir  :  c'est  la  fin  de  l'ancien  régime  du 
chapitre,  tel  qu'établi  par  M^'"  de  Laval  :  c'est  le  commen- 
cement d'un  nouveau  régime  inauguré  par  son  successeur. 

Louis  XIV  commençait  ordinairement  ses  lettres  patentes 
par  rappeler  le  grand  succès  de  ses  armes  en  Ein-ope,  et, 
pour  ne  pas  déroger  à  son  titre  de  roi  Très-Chrétien,  il  se 
faisait  un  devoir  d'en  rapporter  toute  la  gloire  à  la  divine 
Providence.  Cette  fois,  il  n'insiste  guère  sur  ses  succès, 
car,  bien  que  l'on  soit  au  lendemain  de  la  grande  victoire 
de  Denain,  qui  a  sauvé  la  France,  il  ne  peut  faire  oublier  que 
le  Royaume  gémit  depuis  longtemps  sous  le  fléau  d'une 
guerre  désastreuse,  qu'il  a  éprouvé  des  revers  sans  nom  et 
n'a  échappé  que  par  miracle  à  l'invasion  des  ennemis.     Il 

I.   Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  339. 


28o  l'église  du  canada 

passe  donc  légèrement  sur  ses  succès,  pour  parler  avec  une 
satisfaction  marquée  de  sa  colonie  canadienne,  où,  dit-il, 
il  a  toujours  été  «  le  plus  ferme  appui  de  la  religion  ».  Il 
rappelle  que  c'est  lui  qui  y  a  envoyé  M^  de  Laval  ;  et,  par  un 
oubli  assez  curieux  des  dates,  il  le  fait  passer  au  Canada  en 
1663,  au  lieu  de  1659:  on  dirait  que  cette  date  de  1663,  Q^^ 
est  l'année  où  il  a  confirmé  l'établissement  du  séminaire  de 
Québec  dans  la  forme  que  lui  avait  donnée  M^  de  Laval, 
l'obsède  autant  que  AI^  de  Saint- Vallier  lui-même.  Conti- 
nuant l'histoire  de  l'Eglise  canadiene,  le  Roi  rappelle  que  le 
siège  épiscopal  de  Québec  a  été  érigé  à  sa  demande  par  le 
souverain  pontife  le  i^""  octobre  1674,  et  que  ^P""  de  Laval, 
en  conformité  de  la  bulle  du  saint-père,  a  établi  «  un  cha- 
pitre composé  de  dignités  et  de  chanoines  »,  le  6  novembre 
1684,  «  pour  la  subsistance  duquel  évêché  et  chapitre, 
ajoute-t-il,  nous  avons  donné  les  abbayes  de  Maubec.  ordre 
de  Saint-Benoit,  diocèse  de  Bourges,  celle  de  Lestrées,  ordre 
de  Cîteaux,  diocèse  d'Evreux,  et  celle  de  Bénévent,  ordre 
de  Saint-Augustin,  diocèse  de  Limoges,  desquelles  abbayes 
nous  avons  aussi  consenti  que  les  menses  conventuelles 
fussent  unies  à  la  dite  Eglise  ».  Le  Roi  rappelle  enfin  que 
par  son  arrêt  du  i"  octobre  de  l'année  précédente  (171 2)  il 
a  ordonné  «  qu'il  serait  incessamment  obtenu  des  lettres 
patentes  »  confirmant  pour  les  efïets  civils  la  bulle  du  i" 
octobre  1674,  ainsi  que  le  décret  de  M^  de  Laval  du  6 
novembre  1684  érigeant  le  chapitre. 

\'oilà  pour  le  passé  :  le  Roi  reconnaît  que  tout  a  été 
fait  suivant  les  règles;  la  bulle  du  i*""  octobre  1674  a  été 
«  exécutée  »  par  ]\I^  de  Laval,  qui  s'y  est  conformé  en 
érigeant  son  chapitre  le  6  novembre  1684.  Ce  chapitre,  du 
reste,  a  ses  statuts  approuvés  par  l'évêque;  les  chanoines 
sont  nommés  par  l'évêque  et  élisent  un  d'entre  eux  pour 
leur  Doyen;  contents  du  revenu  des  abbayes,  ils  remplissent 
fidèlement  leurs  fonctions  dans  la  cathédrale  :  «  Le  service 


sous    M^'    DE    SAINT-VALUER  281 

divin,  écrit  Champigny,  se  fait  dans  l'église  de  Québec  d'une 
manière  accomplie  par  MM.  les  évêques  et  leurs  ecclésias- 
tiques \  »  Et  M*^  de  Saint-Vallier,  à  son  arrivée  à  Québec  : 
«  Les  chanoines,  dit-il,  me  reçurent  en  chapitre  dans  les 
formes  ".  » 

Louis  XIV,  cependant,  continuant  ses  lettres  patentes  ; 
«  Nous  ordonnons,  dit-il,  que  la  bulle  du  i*'"  octobre  1674 
soit  exécutée.  .  .  »  Mais  il  vient  d'écrire  qu'elle  a  été 
«  exécutée  »  par  M^  de  Laval.  Qu'est-ce  à  dire  ?  Reprenons- 
les  choses  d'un  peu  plus  haut. 

Nous  avons  vu,  dans  un  chapitre  précédent,  que  M^  de 
Saint-Vallier  s'était  rendu  à  Rome  dans  l'automne  de  1702 
pour  essayer  d'obtenir  l'union  canonique  de  ses  abbayes  à 
son  Eglise.  Il  n'y  avait  encore  que  la  mense  abbatiale  de 
Maubec  qui  fût  unie  canoniquement  à  l'Eglise  du  Canada; 
elle  l'avait  été  par  la  bulle  d'érection  du  diocèse.  Mais  la 
mense  conventuelle  de  cette  abbaye  n'appartenait  encore  à 
notre  Eglise  que  par  la  volonté  du  roi  :  les  menses  abbatiales 
et  conventuelles  de  Lestrées  et  de  Bénévent,  également.  M^"" 
de  Laval  avait  écrit  plusieurs  fois  au  pape  Innocent  XI  pour 
le  supplier  d'unir  canoniquement  à  son  Eglise  les  abbayes 
que  le  roi  lui  avait  données;  et  le  saint-père,  qui  avait  pour 
lui  une  grande  estime,  lui  répondait  toujours  de  la  manière 
la  plus  encourageante.  Il  finit  cependant  par  lui  avouer  que 
«  l'affaire  était  hérissée  de  difficultés,  à  cause  des  dommages 
qui  résulteraient  de  l'union  pour  deux  Ordres  très  illustres  de 
Religieux  ^,  qui  avaient  bien  mérité  de  l'Eglise.  Jusqu'ici, 
ajoutait  le  saint-père,  nous  n'avons  pas  vu  jour  à  vous 
accorder  votre  demande  »  *. 


1.  Corresp.  générale,  vol.  17,  Champigny  au  ministre,  20  oct.   1699. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  193. 

3.  Les  Bénédictins  et  les  Cisterciens. 

4.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Documents  copiés  au  Vatican. 


282  l'Église  du  canada 

M^  de  Saint-V^allier  allait-il  être  plus  heureux  ?  Nous 
savons  avec  quelle  bienveillance  il  fut  accueilli  par  le  pape 
Clément  XI.  jusqu'à  exciter  la  jalousie  d'un  certain  nombre 
de  prélats  romains.  Le  pape  nomma  une  congrégation  spé- 
ciale pour  s'occuper  de  son  affaire  d'abbayes,  et  exprima  sa 
volonté  qu'elle  fût  réglée  suivant  les  désirs  de  l'évêque  de 
Québec.  La  commission  se  réunit  plusieurs  fois  et  apporta 
à  l'examen  de  cette  question  la  meilleure  volonté  du  monde  ; 
mais  elle  ne  tarda  pas  à  rencontrer  ces  «  difficultés  »  que  le 
pape  Innocent  XI  avait  signalées  à  M^''  de  Laval.  D'ailleurs 
M^*"  de  Saint-\^allier  avait  tellement  parlé  de  la  pauvreté 
de  son  chapitre,  et  du  besoin  qu'il  avait  du  revenu  des 
abbayes  pour  sa  subsistance,  qu'on  lui  fit  entendre  que 
l'union  canonique  ne  serait  accordée  qu'à  condition  de  dimi- 
nuer le  nombre  des  chanoines  de  Québec,  de  manière  à 
sauvegarder  la  pension  des  religieux  qui  étaient  encore 
attachés  à  ces  abbayes.  Ce  fut  là  toute  l'espérance  que  îe 
Prélat  put  emporter  de  son  voyage  de  Rome. 

Revenu  à  Paris,  il  se  hâte  donc  d'informer  le  chapitre, 
par  une  lettre  en  date  du  20  mai  1703.  du  projet  que  l'on  a 
de  réduire  le  nombre  des  chanoines  ;  et  le  chapitre,  dans 
son  assemblée  du  24  octobre  de  la  même  année,  proteste 
énergiquement  contre  le  projet.  Mais  le  pape  Clément  XI, 
qui  a  promis  à  M^  de  Saint-Vallier  de  lui  accorder  l'union 
canonique  de  ses  abbayes,  a  déjà  signé  la  bulle  qui  opère 
cette  union:  cette  bulle  est  du  7  septembre  1704,  et  elle 
réduit  à  sept  le  nombre  des  chanoines  de  Québec,  modifiant 
ainsi  les  lettres  d'érection  du  chapitre  de  M^*"  de  Laval,  qui 
l'avait  composé  de  cinq  dignités  et  de  douze  chanoines,  sans 
compter  quatre  chapelains  ou  vicaires  et  six  enfants  de 
chœur  \  La  bulle  de  Clément  XI  ne  fait  d'ailleurs  aucune 
exclusion  du  Séminaire,  ni  d'aucune  communauté,  comme 


I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  130. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  283 

l'avait  demandé  M^""  de  Saint-Vallier.  Elle  ne  fait  non  plus 
mention  de  la  pension  de  cinq  cents  livres  que  le  Prélat  avait 
supplié  la  Congrégation  d'assurer  c\  son  grand  vicaire  de 
Paris.  M.  de  la  Pallière,  sur  l'abbaye  de  Bénévent'.  Que 
de  désappointements  pour  M^""  de  Saint-Vallier!  N'aurait-il 
pas  fait  mieux  de  rester  un  peu  plus  longtemps  à  Rome  pour 
surveiller  son  affaire? 

Acceptée  avec  reconnaissance  par  le  séminaire  des  Mis- 
sions-Etrangères, la  bulle  n'arrive  à  Québec  qu'en  septembre 
1707;  et  le  chapitre,  dans  son  assemblée  du  7  novembre, 
refuse  de  l'accepter  -.  De  son  côté,  M^""  de  Saint-Vallier, 
revenu  à  Paris  de  sa  captivité  en  Angleterre,  écrit  au  cha- 
pitre, le  25  juin  171 1.  pour  l'encourager  dans  son  opposition. 
S'appuyant  sur  l'opinion  des  parlements,  il  regarde  la  bulle 
comme  non  a\'enue  : 

«  Je  n'ai  pu  m'empêcher,  dit-il,  d'examiner  à  fond  et  faire 
examiner  par  personnes  habiles  et  versées  en  ces  matières 
les  clauses  de  cette  bulle.  Tous  m'ont  assuré  qu'elle  était 
insoutenable,  et  que  jamais  les  parlements,  où  elle  serait 
portée  pour  y  être  enregistrée,  ne  la  recevraient.  Il  faut 
encore  moins  espérer  qu'elle  le  soit  au  Conseil  du  roi.  .  . 
Toutes  ces  raisons  m'ont  déterminé  à  prendre  le  parti 
d'acquiescer  à  votre  opposition.  .  .  » 

Et  il  ajoutait,  écrivant  à  ses  vicaires  généraux,  Maizerets 
et  Glandelet,  prêtres  du  séminaire  :  «  Notre-Seigneur  m'a 
inspiré  d'acquiescer  à  l'opposition  du  chapitre,  ce  que  j'ai 
fait  signifier  à  vos  messieurs  de  Paris.  Les  choses  regardées 
ainsi  comme  rétablies  sur  l'ancien  état,  vous  devez  penser  à 
remplir  les  dignités  et  les  canonicats  vacants.  » 

Tout  cela  se  trouve  dans  les  registres  du  chapitre. 


1.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Doc.  copiés  au  Vatican,  Lettre  écrite 
de  Farnham  par  Mgr  de  Saint-Vallier,  le  5  oct.  1705,  dans  laquelle  le 
prélat  exprime   là-dessus  son   désappointement. 

2.  .archiv.  de  l'évêchè  de  Québec,  Registre  du  chapitre. 


284  l'éguse  du  canada 

Les  vicaires  généraux,  agissant  au  nom  de  M^  de  Saint- 
Vallier,  et  tout  entiers  à  l'idée  de  continuer  le  chapitre  tel 
que  créé  par  AP""  de  Laval,  ne  se  font  pas  prier;  et  dans  le 
cours  du  mois  d'octobre  171 2,  il  remplissent  les  places 
vacantes  du  chapitre  en  nommant  chanoines  MM.  Serré  de 
la  Colombière,  Calvarin,  Hamel,  de  la  Bouteillerie,  Le 
Picart,  Plante  et  LeBlond;  puis,  le  12  décembre  suivant,  le 
chapitre  enregistre  solennellement  son  opposition  à  la  bulle 
de  Clément  XL  qui  a  modifié  l'institution  de  M^""  de  Laval  et 
diminué  le  nombre  des  chanoines,  «  étant  la  dite  bulle,  quant 
aux  points  ci-dessus,  ainsi  que  mon  dit  seigneur  évêque 
( Saint- Vallier)  l'a  reconnu,  préjudiciable  à  son  Eglise  et 
aux  libertés  de  l'Eglise  gallicane  «  ^ 

Voilà  où  en  est  rendue  l'Eglise  de  Québec,  sortie  de  la 
voie  où  l'avait  mise  son  premier  évêque  ! 

M^  de  Saint-A^allier  a  brisé  l'union  du  clergé  et  des  cures 
au  séminaire  de  Québec  :  il  va  achever  son  œuvre  en  séparant 
le  Chapitre  du  Séminaire,  et  en  empêchant  même  le  Sémi- 
naire d'en  faire  partie.  Cette  exclusion  du  Séminaire  du 
corps  des  chanoines,  il  n'a  pu  l'obtenir  à  Rome;  il  la  demande 
à  la  cour,  et  l'obtient  facilement.  Une  commission  est  nom- 
mée, sous  la  présidence  de  l'abbé  Bignon,  neveu  de  Pont- 
chartrain,  pour  faire  le  partage  du  revenu  des  trois  abbayes 
entre  l'Evéque  et  le  Chapitre;  puis  le  15  septembre  171 3,  le 
Roi  donne  les  lettres  patentes  que  nous  avons  commencé  à 
analyser  plus  haut,  où  il  ordonne  d'exécuter  la  bulle  du  i®' 
octobre  1674,  qui  a  pourtant  été  exécutée  déjà  par  M^""  de 
Laval  :  il  le  fait,  parce  que,  suivant  lui,  cette  bulle  n'a  pas  été 
exécutée  de  manière  à  assurer  au  Chapitre  une  existence  et 
un  revenu  distincts  de  tout  autre  corps,  et  surtout  du  Sémi- 
naire. Le  Roi  ratifie  le  partage  du  revenu  des  abbayes,  qui 
a  été  fait  par  la  commission  présidée  par  l'abbé  Bignon  :  puis 

I.   Archiv.  de  l'évêché  de  Québec,  Registre  du  Chapitre. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALUER  285 

il  déclare  <(  que  les  bénéfices  du  chapitre  ne  pourront  être 
possédés  par  aucune  personne  attachée  à  des  communautés 
régulières  et  séculières,  ni  aux  séminaires  établis  en  la  Nou- 
velle-France ».  Au  revenu  que  les  chanoines  retireront  des 
abbayes,  il  ajoute  un  don  annuel  de  trois  mille  livres  à 
prendre  sur  son  domaine  d'occident,  mais  «  à  condition  qu'il 
nommera  lui-même  le  doyen  et  le  chantre  du  chapitre  »  \ 

Pour  un  plat  de  lentilles,  le  chapitre,  qui  accepte  ce  don, 
sacrifie  son  indépendance,  et  le  droit  qu'il  a,  de  par  les  statuts 
de  M^""  de  Laval,  de  nommer  son  doyen.  Egalement,  l'évêque, 
pour  obtenir  de  la  cour  l'exclusion  du  Chapitre  des  prêtres 
de  son  Séminaire,  qu'il  a  en  vain  sollicitée  à  Rome,  renonce 
à  la  nomination  de  deux  de  ses  chanoines  :  cette  nomination 
appartient  maintenant  à  l'Etat. 

Et  pourquoi  cette  exclusion  ?  Ne  suffisait-il  pas  que  le 
Séminaire  et  le  Chapitre  fussent  deux  corps  distincts  et 
séparés,  ayant  chacun  leur  revenu?  Il  faut  toujours  en 
revenir  au  mot  de  M.  Tronson  sur  ^NP"  de  Saint-Vallier  :  «  Il 
n'y  a  à  craindre  pour  lui  que  l'excès.  »■ 

En  conformité  des  lettres  royales  de  17 13,  le  Prélat,  après 
les  avoir  fait  enregistrer  au  Conseil  Supérieur,  donne  au 
chapitre,  le  11  septembre  1714,  de  nouveaux  statuts,  igno- 
rant complètement  ceux  de  M'""  de  Laval,  tout  en  protestant 
«  qu'il  s'efforce  de  suivre  ses  vestiges  »  :  il  commence  en  effet 
les  siens  par  ce  préambule  : 

«  Notre  prédécesseur  en  ce  siège,  dont  nous  tâchons  de 
suivre  les  vestiges,  ayant  érigé,  en  conséquence  de  la  bulle 
de  N.  S.  P.  le  Pape  du  i^""  octobre  1674,  dans  notre  église 
cathédrale  un  chapitre  composé  de  cinq  dignitaires  et  de 
douze  chanoines,  s'était  réservé  par  le  dit  décret  à  faire  des 
statuts  qui  servissent  de  règle  au  dit  chapitre,  et  comme  il  n'a 
pas  exécute  son  projet,  ni  donné  des  statuts  à  la  dite  église, 

I.    Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  339. 


286  l'église  du   canada 

nous  nous  sommes  obligé  d'y  suppléer  et  à  cette  fin,  de  faire 
les  statuts  suivants  \  .  .  »• 

Ouvrez,  cependant,  le  volume  premier  des  Mandements 
des  Bvêqiies  de  Québec,  vous  y  trouverez  les  «  Statuts  et 
règlements  du  chapitre  de  Québec  faits  par  M^^  de  Laval 
conjointement  avec  MM.  les  chanoines  en  l'année  1684»". 

Tout  le  monde  paraissait  avoir  oublié  les  faits  et  les  dates-, 
jusqu'au  Roi  qui,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  dans 
ses  Lettres  du  15  septembre  1713,  faisait  passer  M^""  de 
Laval  au  Canada  en  1663,  au  lieu  de  1659  ! 

On  essaie  d'obtenir  de  nouvelles  bulles  de  Rome,  ratifiant 
les  lettres  royales  de  171 3.  Le  roi  Louis  XV  adresse  à  ce 
sujet  une  supplique  au  souverain  pontife,  l'accompagnant 
d'un  «  mémoire  concernant  l'église  cathédrale  de  Québec  »^ 
et  d'un  «  état  général  du  revenu  temporel  du  Chapitre  >»  ^. 

La  cour  de  Rome  ne  juge  pas  à  propos  de  revenir  sur  ses 
sages  décisions,  ni  de  retirer  la  bulle  de  1704;  et  le  chapitre 
de  Québec  continue  à  rester  et  restera  jusqu'à  son  extinction 
dans  la  fausse  position  oià  il  s'est  mis  en  repoussant  une 
bulle  pontificale  pour  ne  s'appuyer  que  sur  les  décisions  de 
la  cour. 

M^""  Dosquet  caractérisait  cette  situation  d'une  manière 
pittoresque,  et  l'appelait  le  combat  des  Bulles: 

«  Il  ne  paraît  pas,  disait-il,  que  le  chapitre  de  Québec  ait 
encore  tout  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  exercer  les  droits 
des  églises  cathédrales  ;  il  n'a  encore  ni  bulles  ni  lettres 
patentes  en  forme.  Celle  de  Clément  X  qui  donne  pouvoir 
à  M.  de  Laval  de  l'ériger  a  été  révoquée  par  une  de  Clémerît 
XI  qui  réduit  le  nombre  des  chanoines  à  la  moitié:  à  quoi  le 
chapitre  s'est  opposé  par  un  acte  du  7  novembre  1 707,  ayant 
chargé  un  procureur  d'en  obtenir  une  troisième  ;  sur  quoi  le 


1.  Arch.  de  l'év.  de  Q.,  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  I,  p.  2. 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  135. 

3.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  I,  p.'6i,  62,  63. 


sous    M*^""    DE    SAINT-VALLIEK  28/ 

Roi  ayant  fait  examiner  l'état  du  chapitre  en  1712,  les 
commissaires  arrêtèrent  (ju'ils  demanderaient  des  lettres 
patentes  sur  la  première  bulle,  ce  qui  n'a  point  encore  été 
fait  ;  en  sorte  que  le  chapitre  est  encore  dans  le  combat  des 
Bulles,  n'ayant  d'autres  lettres  patentes  que  celles  du  don  de 
mille  écus  (jue  le  Roi  lui  a  fait,  en  attendant,  jx^ur  aider  à  sa 
subsistance  \  .  .  »■ 

Le  Roi  ajoutera  de  nouvelles  faveurs  au  chapitre  :  en 
1 724,  il  augmente  de  cinq  mille  livres  son  revenu  annuel,  le 
portant  ainsi  à  huit  mille  livres  ;  mais  cela  n'augmentera  pas 
le  zèle  des  chanoines  : 

«  Ils  ne  sont  jamais  que  trois  au  plus  au  chœur,  écrivait 
M^""  de  Saint-Vallier  à  la  cour  en  1727,  et  presque  toujours 
les  mêmes,  ayant  les  trois  plus  de  zèle  que  les  autres.  »■  Et  il 
ajoutait  :  «  Les  autres  disent  qu'ils  sont  malades,  ou  obligés 
de  faire  des  voyages,  qu'ils  font  sans  permission.  .  .  Je 
n'ignore  pas  que  ce  chapitre,  qui  est  entièrement  soumis  par 
son  institution  à  l'évêque,  ne  dût  le  consulter  et  agir  par 
dépendance.  Je  n'ignore  pas  non  plus  que  ceux  qui  n'assistent 
point  au  chœur,  ne  faisant  point  les  fruits  de  leurs  bénéfices 
à  eux,  ne  dussent  être  obligés,  par  censures,  à  les  restituer  et 
à  les  employer  à  l'usage  que  le  saint  concile  de  Trente 
ordonne  ;  mais  n'ayant  point  d'autre  pouvoir  contre  eux  que 
celui  de  lancer  des  censures,  me  conseilleriez-vous  de  le 
faire  ? 

"  Il  est  absolument  nécessaire  que  vous  écriviez  à  M.  le 
gouverneur  d'ici  et  à  M.  l'intendant,  de  m'aider  par  leurs 
paroles  à  leur  faire  faire  leur  devoir. 

<'  Ils  diront  peut-être  qu'on  devrait  renvoyer  leur  procu- 
reur de  France  ^  ix)ur  y  faire  le  sien  ici,  en  assistant  à 
l'office,  au  lieu  de  dépenser  tous  les  ans  cinq  cents  écus  au 


1.  Archiv.  du  Canada,  Corresp.  générale,  vol.  46. 

2.  Le  chanoine  Hazeur  de  l'Orme,  dont  il  est  question  plus  loin.     Il' 
passa  en  France  en  1723,  et  ne  revint  jamais  au  Canada. 


255  I,  EGLISE    DU    CANADA 

chapitre,  sans  rien  faire  pour  eux,  mais  travaillant  uni- 
quement à  chercher  quelques  moyens  de  s'avancer  et  de  faire 
sa  fortune  :  paroles  que  l'on  avance  tous  les  jours,  et  qui  ne 
sont  que  trop  véritables,  n'ayant  point  d'autre  motif  de  son 
séjour  en  France  que  celui-là.  Cela  convient-il?  Et  trois 
seuls  chanoines  zélés  peuvent-ils  faire  le  service  d'un  cha- 
pitre, 011  il  faudrait  au  moins  seize  personnes? 

«  Vous  me  marquez  qu'ils  fournissent  quatre  chantres. 
Ce  sont  des  enfants  et  des  écoliers,  qui  ne  chantent  que  les 
dimanches  et  les  fêtes,  et  vont  au  collège  les  autres  jours. 
Cela  vaut-il  quatre  chapelains  qui  assisteraient  à  tous  les 
offices  tous  les  jours,  et  qui  diraient  des  messes  pour  satis- 
faire aux  obligations,  fondations  et  messes  du  Chapitre? 

«  Pour  vous  mettre  encore  plus  au  fait  du  spirituel  du 
chapitre,  M.  le  comte  de  Pontchartrain,  votre  père,  n'a 
pas  voulu  souffrir  que  le  séminaire  de  Québec  fît  l'office 
pour  le  chapitre,  désirant  que  ces  deux  corps  fussent  sépa- 
rés, et  fissent  chacun  leur  office  :  ce  qui  ne  se  fait  point 
cependant.  » 

M^*"  de  Saint- Vallier  donnait  ensuite  le  détail  du  revenu 
de  l'Evêque  et  de  son  chapitre  ;  puis  il  ajoutait  : 

«  Je  vois  peu  de  corps  plus  à  leur  aise  que  ce  chapitre, 
quoiqu'ils  aient  voulu  écrire  et  persuader  le  contraire  ^  » 

Quand  M^  de  Saint-Vallier  écrivait  cette  lettre  si  sévère 
à  l'égard  de  son  chapitre,  il  touchait  au  terme  de  sa  longue 
et  laborieuse  carrière.  Ne  dirait-on  pas  qu'avec  sa  grande 
et  souvent  douloureuse  expérience  des  hommes  et  des  choses, 
il  regrettait  un  peu  certains  actes  de  son  administration, 
comme  par  exemple  le  renversement  radical  du  système  de 
son  vénérable  prédécesseur,  surtout  par  rapport  à  la  consti- 
tution du  Chapitre? 


I.   Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  I, 
p.  54,  Lettre  de  Mgr  de  Saint-Vallier  au  ministre,  9  oct.  1727. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIËR  289 

M^""  de  Laval,  en  érigeant  ce  chapitre  dans  une  Eglise 
naissante,  dénuée  de  ressources  comme  était  la  sienne,  avait 
compté  beaucoup  sur  le  désintéressement  de  son  clergé.  II 
savait  bien  que  les  abbayes  lointaines  qu'il  lui  attribuait  ne 
donneraient  jamais  grand  revenu  à  ses  chanoines;  mais 
comme  ils  étaient  tous  agrégés  au  Séminaire,  il  savait  aussi 
qu'ils  ne  manqueraient  jamais  de  rien,  et  que  d'ailleurs  leur 
zèle  à  remplir  leurs  fonctions  serait  en  proportion  de  leur 
désintéressement  et  de  leur  vertu. 

M^""  de  Saint-Vallier  brise  l'union  du  Chapitre  au  Sémi- 
naire. Les  chanoines,  désormais,  laissés  à  eux-mêmes,  sont 
obligés  de  se  faire  un  revenu.  Il  leur  faut  donc  utiliser  à 
leur  profit  les  abbayes  qu'ils  ont  là-bas,  en  France,  tâcher  de 
retirer  tout  ce  qui  leur  est  dû,  et  faire  produire  aux  terres, 
aux  forêts,  aux  pâturages  le  plus  de  revenus  possible.  Il  leur 
faut  entretenir  là-bas,  souvent  à  grands  frais,  des  agents, 
des  procureurs  pour  gérer  leurs  affaires;  et  ces  procureurs 
eux-mêmes  ont  quelquefois  besoin  d'être  surveillés,  con- 
trôlés. L'administration  de  ces  abbayes  amène  inévita- 
blement des  procès;  et  des  procès,  des  divisions,  il  y  en  a 
même  quelquefois  entre  les  chanoines.  Tout  cela  produit 
nécessairement  une  fâcheuse  impression.  Le  gouverneur 
et  l'intendant  s'en  plaignent  à  la  cour  : 

«  Ceux  qui  composent  le  chapitre,  écrivent-ils,  ont  entre 
eux  des  discussions  d'intérêts  ix)ur  lesquels  ils  ont  fait  saisir 
les  uns  sur  les  autres  leurs  revenus  ^.))  Et  le  ministre,  d'écrire 
à  son  tour  :  «  Le  Roi  a  été  informé  que  la  plupart  des  cha- 
noines s'abstiennent  du  service,  sous  prétexte  de  maladie, 
ou  des  voyages  qu'ils  font  sans  aucune  nécessité,  en  sorte 
qu'ils  ne  sont  jamais  que  trois  au  plus  au  chœur,  et  presque 
toujours  les  mêmes.     Sa  Majesté,  qui  a  été  mal  édifiée  d'une 


I.    Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  II,  p.  46.  —  Corresp.  générale, 
vol.    ^2. 


290  L  ÉGLISE    DU    CANADA 

pareille  conduite,  m'a  ordonné  de  vous  écrire  de  leur  expli- 
quer de  sa  part  d'être  plus  réguliers,  à  l'avenir,  à  remplir 
leurs  devoirs  1.  .  .  » 

Le  ministre  écrit  de  nouveau  trois  ans  plus  tard  : 
«  Sa  Majesté  veut  que  vous  expliquiez  aux  chanoines  en 
général  et  en  particulier  qu'Elle  est  informée  de  leur  insu- 
bordination et  de  leur  relâchement  dans  leurs  fonctions. 
V'ous  les  avertirez  d'effacer  par  une  conduite  toute  différente 
les  mauvaises  impressions  qu'ils  ont  données  contre  eux,  et 
de  se  comporter  de  manière  qu'il  ne  revienne  plus  de  plainte 


» 


à  leur  sujet 

On  est  porté  à  rire  lorsqu'on  songe  que  le  Roi,  qui  se 
trouvait  «  malédifié  »  de  la  conduite  des  chanoines  de  Qué- 
bec, n'était  autre  que  Louis  XV.  D'un  autre  côté,  n'oublions 
pas  que  c'est  en  sa  qualité  de  «  fondateur  du  chapitre  », 
auquel  il  donnait  huit  mille  livres  de  rente  par  année,  que  le 
Roi  se  permettait  de  lui  faire  la  leçon. 


* 
*  * 


De  quelques  traits  peu  favorables  que  l'on  rencontre  ainsi 
çà  et  là  dans  les  archives,  à  l'adresse  du  chapitre  de  Québec, 
faut-il  conclure  que  ce  chapitre  n'était  pas  un  corps  respec- 
table? Nullement.  Les  chanoines,  en  général,  étaient  des 
prêtres  vertueux.  Les  abus,  les  divisions,  l'apparence  de 
cupidité,  tout  cela  était  la  conséquence  de  la  réforme  du 
chapitre  tel  qu'établi  par  Al*^""  de  Laval  :  on  n'avait  pas  voulu 
dépendre  du  Séminaire,  et  l'on  dépendait  maintenant  de 
l'Etat:  il  fallait  se  faire  un  revenu  pour  vivre,  il  fallait  se 
faire  des  rentes  ;  et  l'on  paraissait  souvent  quelque  peu  âpres 


1.  Corresp.  générale,  vol.  50,  Maurepas  à  Beauharnais  et  Hocquart, 
24  mai  1728. 

2.  Ibid.,  vol.  56. 


sous    M^'    DE    SAINT-VALLIER  29I 

au  gain.  AP"  de  Saint-Vallier,  qui  avait  créé  le  nouvel  état 
de  choses,  semblait  en  déplorer  maintenant  les  conséquences  : 
il  écrivait  au  ministre  :  «  C'est  votre  père  qui  m'a  engagé 
dans  cette  voie  :  aidez-moi  maintenant  «  à  faire  faire  leur 
devoir  aux  chanoines  ».  Et  il  ajoutait  :  «  Je  vois  peu  de  corps 
plus  à  leur  aise  que  ce  chapitre,  quoiqu'ils  aient  voulu  écrire 
et  persuader  le  contraire.  » 

Le  Prélat  avait  toujours  été  très  variable  dans  ses  juge- 
ments et  ses  impressions  ;  et  nous  ne  pouvons  nous  empê- 
cher de  rappeler  ici  ce  que  nous  écrivions  naguère  dans  la 
Vie  de  M^  de  Laval,  d'après  les  lettres  de  M.  Tremblay, 
procureur  du  séminaire  de  Québec  à  Paris: 

«Au  printemps  de  1703,  après  son  retour  de  Rome, 
c'est-à-dire  au  moment  même  où  il  travaillait  à  exclure  du 
chapitre  les  prêtres  de  son  Séminaire,  il  dit  à  M.  Tremblay 
qu'il  en  était  bien  revenu  de  ses  préventions  contre  l'union 
des  cures  au  séminaire  de  Québec,  et  qu'il  avait  même  formé 
le  dessein  de  donner  à  cette  maison  le  soin  de  toutes  les 
paroisses  depuis  le  lac  Saint-Pierre  jusqu'à  la  Baie  Saint- 
Paul  et  à  la  Rivière-Ouelle,  et  qu'il  s'efïorçait  de  faire  con- 
sentir M.  Leschassier,  supérieur  de  Saint-Sulpice,  à  ce  que 
le  séminaire  de  Montréal  se  chargeât  de  toute  la  partie  supé- 
rieure du  diocèse. 

«  C'est  le  seul  moyen,  disait-il,  d'avoir  de  bons  sujets,  et 
de  se  débarrasser  des  Récollets,  qui  ne  cherchaient  que  les 
dîmes,  et  qui  abandonnaient  un  endroit  dès  qu'ils  n'y  rece- 
vaient plus  rien.  .  . 

«  M.  Tremblay,  qui  connaissait  par  expérience  le  carac- 
tère variable  du  saint  évêque,  se  contenta  de  répondre  qu'il 
en  écrirait  aux  messieurs  du  Canada  pour  avoir  leur 
opinion.  .  .  » 

Nous  ajoutions  :  «  Que  de  chemin  les  idées  de  M^""  de 
Saint-Vallier  avaient  fait  depuis  quelques  années  !.  .  .  Mais 
le  séminaire  de  Québec  avait  pris  son  parti  du  nouvel  état  de 


292  Iv  EGLISE    DU    CANADA 

choses,  et  ne  se  soucia  guère  de  voir  revivre  l'ancienne 
union  des  cures  ^.  » 

N'est-il  pas  à  croire  qu'un  changement  analogue  s'opérait 
dans  les  idées  de  M^""  de  Saint- Vallier  par  rapport  à  la 
réforme  qu'il  avait  faite  au  chapitre? 

Cette  réforme,  on  le  comprend,  n'avait  pas  eu  d'effet 
rétroactif.  Ceux  du  Séminaire  qui  étaient  déjà  chanoines 
conservaient  leurs  droits  et  restaient  chanoines;  et  c'est 
certainement  d'eux  que  M^''  de  Saint-Vallier  disait  :  «  Ils  ne 
sont  jamais  plus  que  trois  au  plus  au  chœur,  et  presque 
toujours  les  mêmes,  ayant  les  trois  plus  de  zèle  que  les 
autres.  »  M.  Plante,  qui  était  l'un  des  trois,  mettait  le 
nombre  à  quatre  ou  cinq  :  «  Il  n'y  a  ordinairement  au  chœur, 
écrivait-il,  que  quatre  ou  cinq  chanoines,  et  quelquefois 
moins,  et  ordinairement  les  mêmes.  Ces  messieurs  me 
paraissent  un  peu  faciles  à  s'absenter  et  ne  regardent  pas 
d'assez  près  l'obligation  de  résider.  .  .  M.  Le  Page  '  a  sa  terre 
et  ses  moulins  à  faire  valoir.  M.  Leclair  ^  a  d'autres 
vues  *.  .  .  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  chapitre  de  Québec,  devenu  un  corps 
tout-à-fait  distinct  et  séparé  du  Séminaire  prend  en  mains 
la  gestion  de  l'abbaye  de  Maubec,  dont  les  revenus  lui  sont 
spécialement  attribués.  Il  fait  rendre  compte  de  leur  admi- 
nistration à  M.  Tremblay  et  son  neveu  Pépin,  qui  ont  retiré 
jusque-là  les  revenus  de  l'abbaye.  Il  envoie  en  France  suc- 
cessivement comme  ses  procureurs  deux  de  ses  chanoines, 
M.  Thibout  ^.  d'abord,  puis  ensuite  M.  Le  Picart  ^  Celui-ci 
meurt  en  1718  à  l'abbaye  de  Maubec,  qui  a  vu  mourir  sept 


I.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  510. 

■  2.  Il  résidait  à  Terrebonne,  dont  il  était  seigneur. 

3.  Il  était  curé  de   Saint-Vallier. 

4.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  I,  p.  49,  75,  89. 

5.  Thomas   Thibout,   qui    devint   curé   de   Québec   à   la   mort   de    M. 
Pocquet,  en  171 1.     Il  venait  de  France. 

6.  Un   Canadien,   natif  du   Château-Richer. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALI.IER  293 

ans  auparavant  (1711)  M  LeVallet,  l'ami  et  le  procureur 
de  M^  de  Saint-Vallier,  et  où  M^  de  Saint-Vallier  lui-même, 
dans  le  même  temps,  a  failli  succomber  à  la  maladie  '. 

Mais  le  plus  habile  procureur  que  le  chapitre  de  Québec 
ait  jamais  envoyé  à  Maubec,  le  plus  actif,  le  plus  intelligent, 
le  plus  efficace,  et  sans  contredit  le  chanoine  Hazeur  de 
l'Orme,  qui  s'y  rend  en  1723,  se  dévoue  aux  fonctions  qui 
lui  ont  été  confiées  l'année  précédente,  et  reste  en  France 
jusqu'à  sa  mort.  Il  est  le  fils  d'un  homme  de  bien,  le  con- 
seiller Hazeur,  riche  marchand,  bon  citoyen,  ami  des  com- 
munautés religieuses,  qui  demeure  à  la  Basse-Ville,  près  de 
l'église  de  Notre-Dame-des-Victoires,  et  dont  la  maison  fait 
face  au  port  ^. 

En  parcourant  la  longue  et  intéressante  correspondance 
du  chanoine  Hazeur  ^  le  récit  de  ses  travaux,  de  ses  dé- 
marches, de  ses  relations  avec  les  curés*,  les  fermiers,  les 
habitants  des  domaines  de  l'abbaye,  en  voyant  les  amélio- 
rations qu'il  apporte  partout,  dans  les  églises,  dans  les  pres- 
bytères, dans  la  culture  des  fermes,  dans  l'administration 
des  bois  et  des  forêts,  on  se  demande  tout  naturellement  qui 
fut  le  plus  gagnant  dans  la  réforme  du  chapitre  de  Québec, 
telle  qu'opérée  par  M^''  de  Saint-Vallier,  du  chapitre  lui- 
même,  qui,  après  tout,  ne  pouvait  retirer  de  cette  abbaye 
de  Maubec  qu'un  revenu  bien  précaire,  bien  aléatoire  et 
variable,  dépendant  de  mille  circonstances  ou  accidents,  de 


1.  Il  parait  que  le  pays  de  Maubec  n'était  pas  salubre  :  "  Ce  pays-là 
est  très  malsain,  écrit  M.  Hazeur,  à  cause  de  la  quantité  d'étangs  dont 
il  est  renfermé;  ce  qui  fait  que  les  personnes  qui  l'habitent  ont  toutes 
des  visages  jaunes;  et  à  moins  qu'on  y  soit  élevé  de  jeunesse,  l'on  y 
meure  bientôt."  (Bulletin  des  Recherches  historiques,  vol.  XIII,  p.  336.) 

2.  Voir  Henri  de  Bernicres,  édit.  de   1896,  passim. 

3.  Publiée  par  Mgr  Têtu  dans  le  Bulletin  des  Recherches  historiques, 
année  1907  et  suivantes. 

4.  Il  y  avait  vingt-trois  cures,  et  plus  de  cent  bâtiments  dans  les 
dépendances  de  l'abbaye  de  Maubec.  (Bull,  des  Recherches  hist., 
vol.  XIII,  p.  337) 


294  l'église  du  canada 

la  clémence  ou  de  l'intempérie  des  saisons,  du  succès  ou  de 
l'insuccès  des  procès  qui  pouvaient  surgir  à  tout  instant,  de 
la  quantité  des  impôts  ou  décimes  ^  qu'il  fallait  payer  â 
l'Etat,  des  frais  à  subir  pour  toute  espèce  de  travaux  ou 
réparations  :  ou  de  l'abbaye  elle-même,  de  ses  paroisses,  de 
ses  habitants,  qui  virent  surgir  tout-à-coup  au  milieu  d'eux 
un  administrateur  de  premier  ordre,  un  homme  franc  et 
honnête,  et  de  savoir-faire,  comme  le  chanoine  Hazeur,  leur 
arrivant  avec  la  volonté  bien  arrêtée  d'améliorer  leur  sort, 
tout  en  faisant  les  affaires  du  chapitre  dont  il  était  le  repré- 
sentant. 

Il  n'entre  nullement  dans  le  cadre  de  cet  ouvrage  de  faire 
l'histoire  de  l'abbaye  de  Maubec,  des  changements  qu'elle 
eut  à  subir  dans  le  cours  des  siècles,  ni  même  de  ce  qui  s'y 
passa  à  partir  du  moment  où  ^P""  de  Laval  en  devint  abbé 
commendataire,  non  plus  que  de  la  gestion  de  cette  abbaye 
par  le  chapitre  de  Québec  et  ses  procureurs.  C'est  une  his- 
toire complètement  à  part,  qui  n'appartient  qu'indirectement 
et  de  bien  loin  à  celle  de  l'Eglise  du  Canada.  Nous  ne  pou- 
vons cependant  nous  empêcher  de  citer  ici  un  petit  passage 
d'une  lettre  de  M.  Hazeur,  qui  terminera  heureusement  ce 
chapitre.  Il  s'agit,  dans  cet  extrait,  de  l'arrivée  du  digne 
chanoine  à  l'abbaye  de  Maubec,  où  il  fut  accueilli,  vraiment, 
comme  un  messie  libérateur.  Nous  allons  voir  le  bon  effet 
que  produisit  ce  Canadien,  à  l'étranger,  dans  le  pays  de  ces 
bons  Français,  qui,  eux,  lorsqu'ils  arrivaient  ici,  n'avaient 
souvent  pour  nous  que  du  dédain  ;  et  son  récit  va  nous 
laisser  entrevoir,  également,  l'état  de  détresse  où  il  trouva 
cette  abbaye  qu'il  était  appelé  à  administrer: 

«  Nous    arrivâmes    heureusement,    dit-il,    chez    M.    de 


I.  "Il  est  toujours  fâcheux  d'avoir  affaire  au  Roi,  qui  se  rend 
maître  de  tout  quand  il  lui  plait.  "  (Lettre  du  chanoine  Hazeur, 
Bulletin  des  Recherches  historiques,  vol.  XIII,  p.  280.) 


sous    M^    DE    SAINT-VALUËR  295 

Bienassy  \  auquel  M*""  de  Saint- Vallier  avait,  il  y  a  long- 
temps, donné  des  provisions  de  bailli  de  Maubec,  comme 
le  croyant  plus  propre  pour  exercer  cet  emploi,  lequel, 
charmé  de  voir  une  personne  députée  du  chapitre  de  Québec, 
que  lui  et  tous  les  tenanciers  de  l'abbaye  attendaient  depuis 
la  mort  de  M.  Le  Picart  (1718)  avec  impatience,  me  reçut 
avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  les  procureurs  et  les  fer- 
miers de  l'abbaye  l'avaient  fort  chagriné  et  molesté,  jusqu'à 
le  vouloir  déposséder  de  sa  charge  de  bailli,  sans  avoir  eu 
aucun  fondement  ni  raison  pour  le  faire,  suivant  ce  que 
j'ai  découvert  et  que  je  découvre  encore  tous  les  jours. 

«  Mon  arrivée  a  causé  une  joie  universelle  parmi  tous  ces 
pauvres  habitants  de  Maubec,  lesquels  me  reçurent,  le  jour 
de  Saint-Thomas,  le  21  décembre,  sans  que  je  leur  eus  donné 
aucun  ordre,  sous  les  armes,  tirant  à  mon  arrivée  dans  le 
bourg  une  quantité  de  décharges  de  coups  de  fusil,  ce  que 
faisaient  les  femmes  et  les  filles  comme  les  hommes,  criant 
hautement  :  «  Vive  M.  l'abbé  de  Maubec  !  »  Je  vous  avoue, 
messieurs,  que  toutes  ces  acclamations  ne  laissèrent  pas  que 
de  me  donner  beaucoup  à  penser,  et  me  firent  dès  lors  con- 
naître qu'il  fallait  nécessairement  que  ces  gens-là  eussent  été 
molestés,  car  les  évêques  et  autres  qui  ont  passé  ici  n'ont 
jamais  été  reçus  comme  je  l'ai  été.  Mon  idée  ne  s'est  pas 
trouvée  fausse,  comme  vous  le  remarquerez  ci-après. 

«  Le  curé  du  bourg  vint  au  devant  de  moi,  me  mena  à 
l'église  et  y  chanta  un  Te  Deiim  pour  remercier  Dieu  de  mon 
arrivée.  Quelque  temps  après  le  Te  Deiim  chanté,  ils  firent 
un  grand  feu  de  joie,  où  ils  tirèrent  encore  une  quantité  de 
décharges  de  fusil.  La  cérémonie  finie,  ils  vinrent  tous  me 
saluer  et  me  témoigner  la  joie  qu'ils  avaient  de  voir  une 


I.  Il  est  question  de  M.  de  Bienassy  dans  la  lettre  de  M.  Tremblay 
publiée  dans  le  Rapport  sur  les  archives  du  Canada  de  1887,  p.  XLIV. 
M.  de  Bienassy  était  déjà  bailli  de  Saint-Gauthier  en  1695. 


296  l'église  du  canada 

personne  du  chapitre  en  ce  pays,  et  me  contèrent  les  sujets 
de  peine  contre  notre  procureur  et  nos  fermiers.  Je  vis 
plusieurs  curés,  auxquels  M.  Pépin  a  fait  des  procès  sans 
beaucoup  de  raison  \  qui  me  dirent  hautement  que,  si  je 
n'étais  pas  venu,  de  concert  avec  les  autres  personnes  qui 
sont  dans  les  dépendances  de  l'abbaye,  ils  auraient  envoyé 
à  leurs  frais  et  dépens  un  exprès  en  Canada  avertir  de  ce 
qui  se  passait  ici.  J'entendis  les  plaintes  des  uns  et  des 
autres,  et  j'en  fis  de  bons  mémoires.  .  . 

«  Quelques  jours  après,  je  fis  venir  les  sieurs  La  Brosse  et 
Travers,  fermiers  de  Maubec  et  Chezelles,  qui  n'ont  pas  été 
fort  réjouis  de  mon  arrivée,  afin  de  me  montrer  leurs 
comptes  qu'ils  venaient  de  régler  avec  M.  Pépin.  J'en  fis  un 
petit  extrait  pour  voir  s'ils  se  rapporteraient  avec  ceux  de 
M.  Pépin  à  Paris.  Je  m'en  allai  ensuite  avec  M.  de  Bienassy, 
M.  le  curé  de  Maubec  et  quelques  autres,  faire  la  visite 
tant  du  trésor  que  des  bois  et  des  métairies,  lesquels  je 
trouvai  en  très  mauvais  ordre,  une  partie  des  titres  perdus  et 
séquestrés,  des  bâtiments  tout  délabrés  et  les  bois  pillés  et 
ravagés.  L'on  me  dit  que  c'était  le  sieur  La  Brosse  qui 
avait  ôté  les  papiers,  fait  enlever  les  bois,  et  qu'il  les  avait 
fait  vendre  à  son  profit.  Comme  j'en  avais,  par  tout  ce  que 
les  curés  et  les  habitants  m'avaient  dit,  des  preuves  assez 
convaincantes,  j'ai  cru  qu'il  était  expédient  d'en  faire  un 
exemple;  c'est  pour  cela  que  j'ai  donné  ordre  au  sieur  de 
Bienassy  de  poursuivre  les  sieurs  La  Brosse  et  Travers,  afin 
qu'ils  eussent  à  nous  restituer  tous  les  torts  et  délits  qu'ils 
ont  causés  dans  notre  abbaye  depuis  le  temps  qu'ils  en  sont 
fermiers  *.  .  .  » 

N'avons-nous  pas  eu  raison  de  dire  que  M.  Hazeur  de 
l'Orme   fut  reçu  à  Maubec  comme  un  messie  libérateur  ? 


1.  M.  Pépin,  neveu  de  M.  Tremblay,  était  avocat. 

2.  Bulletin  des  recherches  historiques,  vol.  XIII,  p.  260. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  297 

Sa  lettre  au  chapitre  de  Québec  était  datée  du  8  juin  1723; 
et  presque  en  même  temps  le  juge  Bienassy,  dont  il  est 
question  dans  cette  lettre,  écrivait  lui  aussi  au  chapitre  : 

«  Non  seulement  tous  nos  habitants  de  Maubec  remer- 
cient Dieu,  mais  encore  presque  toute  la  province  \  de  nous 
avoir  envoyé  M.  de  l'Orme,  qui  est  d'un  mérite  distingué  et 
pour  qui  l'on  a  beaucoup  de  considération.  » 

M^""  de  Saint- Vallier  lui-même  n'avait  jamais  été  reçu  â 
Maubec  avec  autant  d'enthousiasme  que  M.  Hazeur.  Est-ce 
pour  cela  qu'il  paraissait  un  peu  jaloux  du  digne  chanoine? 
Ecrivant  un  jour  au  ministre  : 

«  Quand  je  vous  ai  demandé,  disait-il,  pour  la  cathédrale 
de  Québec  un  Doyen  -  qui  fût  de  l'ancienne  France,  et  non 
pas  du  Canada,  ça  été  par  le  conseil  de  M.  Bégon,  notre 
ancien  intendant,  qui  connaît  aussi  bien  que  moi  la  dispo- 
sition de  leurs  esprits,  peu  portés  à  se  soumettre  et  à  recon- 
naître leurs  supérieurs  temporels,  aussi  bien  que  les  spiri- 
tuels, sans  en  excepter  l'ecclésiastique  qui  est  en  France, 
qui  trouve  très  mauvais  qu'on  ne  le  fasse  pas  doyen.  Nous 
avons  compris,  M.  Bégon  et  moi,  qu'en  le  nommant  pour 
cette  dignité,  vous  donneriez  à  mes  successeurs  évêques  un 
égal  et  un  compagnon,  plutôt  qu'un  inférieur,  qui  leur 
résistera  et  leur  disputera  le  terrain.  Il  est  bien  éloigné  de 
donner  par  les  lettres  qu'il  a  écrites  de  France  ici,  l'exemple 
de  la  soumission  et  de  l'obéissance  ^.  .  .  » 


1.  La  province  de  Berry. 

2.  A  la  place  de  M.  Glandelet,  qui  était  mort  l'année  précédente 
(1725).  Depuis  1713  le  Chapitre  n'avait  plus  le  droit  de  nommer  son 
Doyen  :  on  y  avait  renoncé  pour  le  don  de  3000  livres  ;  et  l'Evêque 
était  obligé  d'en  "  demander  "  un  à  la  cour  ! 

3  Corresp.  générale,  vol  48,  Lettre  de  l'Evêque  au  ministre,  10  sep- 
tembre  1726. 


CHAPITRE   XXI 


1,'ÉGI.ISE  DE  LA   NOUVELIvE-FRANCE  ET   l'ÉTAT 
SOUS   M^  DE  SAINT-VALLIER 

'Louis  XIV  et  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France.  —  Instructions  à  M.  de 
Callières.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  et  M.  de  Vaudreuil.  —  Mme 
de  Vaudreuil.  —  Deux  ordonnances  de  l'intendant  Raudot.  — Ques- 
tions de  préséance  à  l'église.  —  Le  pain  bénit,  aux  capitaines  de 
milice  ;  aux  chantres  sans  surplis.  —  Les  bancs  des  Seigneurs.  — 
L'eau  bénite  au  gouverneur,  par  présentation  du  goupillon.  — 
Mariages  des  officiers  et  soldats. 

EN  parcourant  les  édits  et  ordonnances  de  Louis  XIV" 
qui  regardent  de  près  ou  de  loin  l'Eglise  du  Canada, 
on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  les  sentiments  chrétiens  qui 
y  respirent.  Le  Roi  aime  à  se  proclamer  «  le  fils  aîné  de 
l'Eglise  »,  et  «  le  protecteur  des  saints  canons  ».  Il  veut  se 
montrer  en  toute  occasion  «  digne  du  titre  qu'il  porte  de  roi 
«Très-Chrétien»,  et  «contribuer  de  tout  son  pouvoir  à  la  pro- 
pagation de  l'évangile  parmi  les  sauvages  de  la  Nouvelle- 
France  ».  Convaincu  «  qu'il  n'y  a  rien  qui  puisse  attirer 
davantage  la  bénédiction  du  Ciel  sur  sa  personne  et  son 
royaume  »,  que  «  de  faire  observer  les  saints  comman- 
dements »,  il  a  tout  spécialement  en  horreur  le  blasphème,  et 
porte  les  peines  les  plus  sévères  «  contre  ceux  qui  ne  res- 
pectent pas  le  nom  de  Dieu,  celui  de  la  sainte  Vierge  et  des 
choses  saintes  ».  Il  veut  que  «  la  discipline  de  l'Eglise  soit 
bien  observée  »  :  il  permet  aux  Récollets  de  continuer  et 
d'étendre  leurs  établissements  en  Canada,  et  ils  pourront  y 


l'église  du  canada  sous  m*""  de;  saint-vallier    299 

•exercer  «  les  fonctions  curiales  »,  mais  seulement  «  lorsque 
l'évêque  le  jugera  nécessaire  et  leur  en  donnera  le  pouvoir  ». 
Au  Conseil  Supérieur  de  Québec,  il  veut  qu'il  y  ait  toujours, 
à  part  l'évêque  ou  son  grand  vicaire,  un  conseiller-clerc, 
«  pour  veiller  à  la  conservation  des  droits  de  l'Eglise  ».  S'il 
accorde  quelques  faveurs  aux  Jésuites,  aux  communautés 
religieuses,  c'est  afin  «  d'avoir  part  à  leurs  bonnes  oeuvres  », 
c'est  à  la  condition  «  qu'on  priera  pour  sa  prospérité  et  sa 
santé  et  la  conservation  de  l'Etat  »  \ 

Les  actes  et  la  conduite  du  grand  Roi  furent-ils  toujours 
d'accord  avec  ses  paroles  ?  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper 
ici  de  la  France,  ni  des  démêlés  regrettables  qu'eut  Louis 
XIV  avec  le  chef  suprême  de  l'Eglise,  de  sa  conduite  in- 
digne à  l'égard  du  pape  Alexandre  VII,  de  ses  prétentions 
exliorbitantes  et  injustes  au  sujet  de  la  Régale  et  des  consé- 
quences malheureuses  qui  s'ensuivirent  :  un  conflit  intermi- 
nable avec  le  souverain  pontife  Innocent  XI.  et  la  fameuse 
déclaration  du  clergé  de  1682,  qui  mit  la  France  à  deux 
doigts  du  schisme-.  Tout  cela  est  du  domaine  de  l'histoire 
générale  de  l'Eglise  ;  aucun  de  ces  épisodes  malheureux 
n'entre  dans  notre  cadre,  d'autant  plus  qu'ils  n'eurent  jamais 
que  peu  ou  point  d'écho  dans  notre  pays.  Oui  sont  ceux 
qui,  dans  les  hameaux  de  la  X'ouvelle-France.  entendirent 
jamais  parler  des  affaires  de  la  garde  Corse,  de  la  Régale, 
de  l'ambassadeur  Lavardin,  ou  des  conflits  de  Louis  XIV 
avec  le  souverain  pontife?  On  ne  voit  pas  même  qu'il  ait 
jamais  été  question  sérieusement  de  faire  enregistrer  au 
Conseil  Supérieur  la  fameuse  déclaration  de  1682,  comme 
elle  le  fut  dans  tous  les  parlements  du  Royaume  :  on  n'en 


I.    Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  passim. 

I.  "  Le  Pape  annula  la  déclaration  et  refusa  l'investiture  aux  évêques 
nommés  par  le  Roi.  Louis  XIV  ne  voulut  pas  céder,  et,  au  bout  de  six 
ans,  trente-si.x  évêchés  furent  sans  pasteurs."  (Beurlier,  Histoire  de 
ï Eglise,  p.  215.) 


300  I,  ÉGLISE    DU    CANADA 

trouve  du  moins  nulle  trace  dans  les  Jugements  et  Délibé- 
rations du  Conseil. 

L'Eglise  du  Canada,  ses  évêques,  son  clergé,  ses  commu- 
nautés religieuses  trouvèrent  toujours  en  Louis  XIV  un 
protecteur  bienveillant  et  sympathique.  M^""  de  Saint-Vallier 
savait  le  reconnaître  lorsqu'il  disait  que  «  son  Eglise  avait 
encore  plus  d'obligation  à  ce  grand  Prince  que  celle  de 
France,  par  le  soin  qu'il  avait  pris  de  la  combler  de  ses  bien- 
faits »  ^  Louis  XIV  s'intéressait  à  notre  Eglise,  à  ses  pro- 
grès, à  son  avenir  ;  il  s'intéressait  aux  missions  de  la 
Nouvelle-France,  à  la  conversion  des  sauvages,  à  leur  civili- 
sation, et  il  contribua  autant  qu'il  le  put  à  l'entretien  du 
clergé  canadien  et  à  l'œuvre  des  missions. 

Mais  il  était  jaloux,  et  souvent  par  excès,  de  son  autorité; 
il  craignait  toujours  que  l'Eglise  n'usurpât  quelqu'un  de  ses 
droits,  n'empiétât  sur  son  domaine.  Aussi  voyons-nous  que 
dans  les  Instructions  qu'il  donne  aux  différents  gouverneurs 
qu'il  envoie  dans  la  colonie  pour  l'y  représenter  et  l'admi- 
nistrer en  son  nom,  il  ne  manque  jamais  de  leur  recom- 
mander «  de  prendre  garde  que  l'évêque  ne  porte  l'autorité 
ecclésiastique  plus  loin  qu'elle  ne  doit  aller  »  :  recomman- 
dation bien  dangereuse,  et  souvent  funeste  :  ces  hauts  fonc- 
tionnaires civils,  dans  les  colonies  lointaines,  étaient  déjà 
suffisamment  portés  d'eux-mêmes  à  faire  du  zèle,  à  aller 
au  delà  de  leurs  instructions,  à  s'immiscer  dans  les  choses 
qui  n'étaient  pas  de  leur  ressort  :  que  ne  feront-ils  pas  si  on 
leur  recommande  de  surveiller  l'évêque  et  le  clergé,  et  de 
les  rapporter  à  la  cour  s'ils  jugent  qu'ils  sont  allés  au  delà  de 
leurs  attributions?  Une  grande  partie  de  la  correspondance 
de  nos  gouverneurs  et  intendants  roule  sur  des  insinuations 
de  ce  genre  contre  l'évêque,  les  religieux  et  le  clergé  en 
général  :  on  les  accuse  de  s'opposer  trop  sévèrement  au  com- 

2.    M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t  I,  p.  491. 


sous    M"""    DlC    SAINT-VALIJER  3OI 

merce  des  boissons  enivrantes  ;  on  les  accuse  «  de  vouloir, 
par  toutes  sortes  de  moyens,  maintenir  une  autorité  dans  la 
politique  et  le  civil,  comme  ils  l'ont  dans  le  spirituel, 
et  de  se  servir  de  l'une  à  tout  propos  pour  parvenir  à 
l'autre  »  \  C'est  alors  l'évêque  qui,  à  son  tour,  est  obligé 
de  se  montrer  jaloux  de  son  autorité,  dans  toutes  les  ques- 
tions qui,  comme  celle  de  la  traite  de  l'eau-de-vie  aux  sau- 
vages, ou  autres  de  cette  nature,  intéressent  directement  la 
morale,  le  salut  des  âmes,  la  fin  de  la  société  religieuse.  Avec 
des  hommes  comme  Talon  et  Frontenac,  par  exemple, 
l'évêque  est  obligé  de  se  tenir  toujours  sur  la  défensive. 
Nous  avons  dit  avec  quelle  force  M^""  de  Laval  sut  maintenir 
dignement  sa  position  vis-à-vis  de  ces  roués  personnages  et 
faire  respecter  les  droits  de  l'Eglise.  Nous  avons  vu  éga- 
ment  que  M^""  de  Saint-Vallier,  après  avoir  été  l'ami  de 
Frontenac,  ne  craignit  pas,  lui  non  plus,  de  se  mettre  en 
guerre  avec  le  gouverneur  et  quelques  autres  personnages  de 
la  colonie,  lorsqu'il  vit  qu'il  y  allait  de  son  devoir,  et  que  les 
intérêts  de  la  morale,  du  bon  exemple,  du  salut  des  âmes, 
étaient  en  jeu.  Bien  mieux,  il  fut  soutenu  à  la  cour  dans 
toutes  ses  prétentions,  comme  le  prouve  un  document  que 
nous  citerons  tout-à-l'heure  :  ce  qui  montre  que  les  hauts 
fonctionnaires  de  la  colonie  allaient  souvent  au  delà  de 
leurs  intructions. 

Frontenac  mourut  à  Québec  dans  l'automne  de  1698. 
Callières,  (jui  commandait  à  Montréal,  le  remplaça  d'alx>rd 
par  intérim,  puis  fut  nommé  gouverneur  général  du  Canada 
le  printemps  suivant.  Les  instructions  qu'il  reçut  de  la  cour 
nous  paraissent  si  belles,  que  nous  croyons  devoir  en  citer 
une  partie,  celle  qui  regarde  la  société  religieuse  :  elles  con- 
firment ce  que  nous  avons  dit  des  dispositions  bienveillantes 
du  Roi  à  l'égard  de  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France  : 

I.  Corresp.  générale,  vol.  6.  Lettre  de  La  Barre  au  ministre 
Seignelay.  1682. 


302  l'église  du  canada 

«  Le  devoir  principal  et  essentiel,  et  celui  que  Sa  Majesté 
désire  que  le  sieur  Callières  remplisse  avec  le  plus  d'appli- 
cation est  de  satisfaire  à  ce  qui  regarde  la  Religion,  d'oii 
dépend  la  bénédiction  qu'on  doit  attendre  du  Ciel,  sans 
laquelle  rien  ne  peut  avoir  d'heureux  succès.  Sa  Alajesté 
veut  que  le  sieur  Callières  emploie  particulièrement  l'auto- 
rité qui  lui  est  commise  \  autant  qu'il  sera  en  son  pouvoir, 
à  ce  que  Dieu  soit  servi  dans  toute  la  colonie  et  que  la  reli- 
gion chrétienne  s'étende  parmi  les  sauvages  voisins. 

«  Il  doit  pour  cet  effet  donner  toutes  sortes  de  secours 
aux  misionnaires,  aux  Jésuites  et  aux  religieux  qui  tra- 
vaillent au  salut  des  âmes,  en  se  conduisant  en  cela  de  ma- 
nière qu'il  évite  de  faire  naître  entre  eux  aucune  jalousie  *. 

«  Sa  Majesté  veut  qu'il  conserve  une  parfaite  intelligence 
avec  l'évêque  de  Québec,  qu'il  lui  donne  toute  sorte  de 
secours  et  de  protection,  en  tout  ce  qui  regarde  ses  fonctions, 
et  qu'il  contribue  de  ses  soins  et  de  son  application  à  tout  ce 
qui  peut  regarder  le  bien  spirituel  de  la  colonie,  sans  néan- 
moins aller  en  rien  au  delà  de  ses  fonctions,  ni  faire  rien  de 
son  chef  et  sans  la  participation  du  dit  Evêque.  Et  il  lui 
sera  d'autant  plus  facile  de  concourir  avec  lui  au  bien  spiri- 
tuel de  la  colonie,  que  le  dit  sieur  Evêque,  étant  d'une  piété 
exemplaire,  sera  très  aise  d'agir  de  concert  avec  un  gouver- 
neur général  qu'il  trouvera  très  bien  disposé  pour  tout  ce 
qui  regarde  le  culte  divin. 

«  Il  ne  laissera  pas  de  prendre  garde  que  le  dit  sieur 
Evêque  ne  porte  l'autorité  ecclésiastique  plus  loin  qu'elle  ne 
doit  aller,  Sa  Majesté  voulant  en  ce  cas  qu'il  représente  ce 
qu'il  croira  capable  de  l'empêcher,  et  qu'il  lui  rende  compte 
par  les  premiers  vaiseaux  de  ce  qui  se  passera  à  cet  égard, 


1.  Ainsi,  il  y  a  la  "  Commission  ",  qui  donne  l'autorité,  et  les  "  Ins- 
tructions ",  qui  indiquent  la  manière  de  l'employer. 

2.  On  voulait  évidemment  empêcher  ce  qui  était  arrivé  s«us  Fron- 
tenac, qui  avait  toujours  montré  trop  de  préférence  aux  Récollets. 


sous    M^'    DE    SAINT-VALUER  305 

afin  qu'elle  y  apporte  les  remèdes  qu'elle  jugera  à  propos. 

«  La  colonie  de  Montréal  recevant  beaucoup  de  secours 
des  ecclésiastiques  du  séminaire  de  Saint-Sulpice  qui  y  sont 
établis,  il  faut  que  le  sieur  Callières  leur  donne  toute  la  pro- 
tection qui  dépendra  de  lui  ;  et  comme  ces  ecclésiastiques  et 
les  Jésuites  se  sont  appliqués  depuis  plusieurs  années  à  attirer 
des  sauvages  dans  les  habitations  françaises,  Sa  Majesté 
veut  qu'il  donne  tous  ses  soins  et  son  application  à  maintenir 
et  fortifier  un  établissement  aussi  avantageux,  qui  forti- 
fiera considérablement  la  colonie,  établira  solidement  la 
religion  chrétienne  parmi  les  sauvages,  et  pourra  donner 
moyen  à  l'avenir  d'appeler  tous  les  Iroquois  à  la  Foi,  et 
de  les  soumettre  à  l'obéissance  de  Sa  Majesté. 

«  C'est  pourquoi  il  doit  exciter  tous  ceux  de  ces  ecclésias- 
tiques et  Jésuites  qui  pourront  désormais  prêcher  l'évangile 
parmi  les  nations  iroquoises,  d'en  attirer  dans  cet  établis- 
sement le  plus  grand  nombre  qu'il  se  pourra,  et  Elle  désire 
même  qu'il  lui  rende  compte  tous  les  ans  du  progrès  que 
cela  fera. 

«  Elle  veut  pareillement  qu'il  donne  protection  aux  Récol- 
lets établis  à  Québec  et  à  Montréal;  et  s'il  leur  arrivait  de 
manquer  en  quelque  chose  au  respect  qu'ils  doivent  au  dit 
sieur  Evêque  ^,  il  doit  avec  prudence  les  faire  rentrer  dans 
leur  devoir,  en  leur  faisant  entendre  qu'une  pareille  conduite 
les  priverait  de  la  continuation  des  grâces  de  Sa  Majesté. 
Mais  il  y  a  lieu  d'espérer  que  cela  n'arivera  pas,  et  Elle  est 
persuadée  au  contraire  qu'ils  continueront  dans  la  soumis- 
sion qu'ils  doivent  avoir  pour  l'Evêque,  lequel  de  son  côté  se 
sentira  de  celle  qu'il  trouvera  à  propos  au  salut  de  ses 
diocésains. 

«  Sa  Majesté  désire  aussi  qu'il  s'applique  à  bien  connaître 


I.    Il   est  évident  qu'on  avait  encore  sur  le  cœur  l'affaire  du   prie- 
Dieu  de  Montréal,  où  Callières  lui-même  avait  été  impliqué. 


304  t.  EGLISE    DU    CANADA 

le  nombre  des  ecclésiastiques  qui  sont  présents  en  Canada, 
celui  des  églises,  et  la  manière  dont  elles  sont  bâties,  le 
nombre  des  paroisses  et  l'étendue  de  chacune,  si  les  habitants 
ont  les  secours  spirituels  qui  leur  sont  nécessaires,  et  géné- 
ralement qu'il  entre  dans  la  connaissance  de  ce  qui  regarde 
le  culte  et  le  ser\àce  divin  et  la  manière  dont  il  se  fait,  pour 
du  tout  en  dresser  des  mémoires  exacts  qu'il  enverra  à  Sa 
Majesté.  .  . 

«  Sa  Majesté  a  rendu  des  ordonnances  pour  défendre 
l'usage  immodéré  des  boissons  enivrantes,  qui  ont  été  la 
source  des  plus  grands  crimes  commis  dans  la  colonie.  Elle 
désire  qu'il  y  tienne  la  main,  et  qu'il  ait  une  très  grande 
application  à  réformer  tous  les  abus  et  les  désordres  que  ces 
boissons  ont  causés. 

«  Elle  a  été  informée  qu'il  s'est  établi  dans  Québec  des 
lieux  de  débauche,  et  qu'il  y  a  même  des  scandales  publics 
entre  des  officiers  des  troupes  et  des  femmes  des  habitants. 
Elle  veut  aussi  qu'il  donne  une  entière  application  à  faire 
cesser  ces  désordres  par  tous  les  moyens  qu'il  jugera  prati- 
cables, après  avoir  pris  l'avis  de  l'évéque  et  de  l'intendant.  . . 

«Il  aura  soin  que  les  troupes  vivent  en  bonne  discipline.  .  ., 
et  qu'elles  aient  cet  air  de  soldat  qu'elles  n'ont  pas  eu  jusques 
à  présent,  ce  qui  a  particulièrement  été  causé  par  l'avidité 
qu'ont  eue  les  capitaines  de  profiter  sur  leur  solde,  en  les 
faisant  travailler  chez  les  habitants,  à  quoi  Sa  ^Majesté  désire 
que  le  sieur  Callières  donne  ordre,  et  Elle  espère  qu'il  se  fera 
un  honneur  de  mettre  ces  troupes  sur  le  pied  de  pouvoir 
ensuite  être  mis  sous  les  yeux  de  Sa  Majesté,  s'il  convenait 
un  jour  de  les  faire  repasser  en  France  ^.  .  .  » 

Ces  instructions  étaient  données  à  Callières  au  printemps 
de  1699,  deux  ans  à  peine  après  le  retour  de  M"""  de  Saint- 
Vallier  de  ce  fameux  voyage  qu'il  avait  dià  faire  en  France, 

.1    Documents  relatifs  à  la  Nouvelle-France,  t.  II,  p.  319- 


sous    M*"^    DE    SAINT-VALUER  305 

mandé  par  la  cour  pour  répondre  aux  accusations  injustes  de 
Frontenac,  Callières  et  autres  fonctionnaires  qu'il  avait  été 
obligé  de  reprendre  pour  leur  conduite.  Ah,  que  le  Prélat 
était  bien  vengé  de  toutes  ces  accusations!  On  avait  voulu 
qu'il  se  démit  de  son  siège  épiscopal  ;  on  l'avait  retenu 
malgré  lui  en  France,  contre  toutes  les  règles  canoniques; 
on  lui  avait  causé  bien  des  ennuis  :  mais  il  avait  revendiqué 
avec  courage  les  droits  de  sa  charge  pastorale,  il  avait 
noblement  plaidé  la  cause  du  salut  des  âmes  qui  lui  étaient 
confiées;  et  aujourd'hui  le  Roi  reconnaissait  solennellement 
qu'il  avait  eu  raison  dans  ses  luttes  contre  le  vice  et  les 
occasions  de  désordres,  contre  la  pratique  injuste  des  offi- 
ciers qui  retenaient  la  solde  de  leurs  soldats,  contre  la  con- 
duite scandaleuse  des  fonctionnaires  qui  offensaient  publi- 
quement la  morale.  Dans  les  magnifiques  instructions  qu'il 
donnait  au  nouveau  gouverneur,  le  monarque  lui  recom- 
mandait de  ne  rien  faire  dans  tout  ce  qui  pouvait  intéresser 
la  religion  et  les  bonnes  mœurs,  «  sans  la  participation  de 
l'Evêque  »,  et  il  rendait  hommage  à  «  la  piété  exemplaire  » 
de  son  ancien  aumônier.  On  chercherait  en  vain  dans  toute 
l'histoire,  même  celle  de  saint  Louis  \  une  plus  belle  page 
que  celle  que  nous  venons  de  citer  sur  les  devoirs  de  l'Etat 
par  rapport  à  la  religion. 

Callières  reçut  ces  instructions  avec  respect,  et  s'y  con- 
forma. Malheureusement,  M^""  de  Saint-Vallier  ne  put  jouir 
longtemps  de  l'administration  bienfaisante  de  ce  gouverneur. 
Il  partit  de  nouveau  pour  la  France  l'année  suivante  et  ne 
revint  dans  son  diocèse  qu'au  bout  de  treize  ans.  Callières 
mourut  à  Québec  au  printemps  de  1703,  assisté  dans  ses 
derniers  moments  par  le  vénérable  M^""  de  Laval.     Le  mar- 

I.  "L'individu  le  plus  parfait  que  l'histoire  nous  montre. ..  Saint 
Louis  honore  non  seulement  l'humanité,  qu'il  a  pu  mener  à  un  teï 
degré  de  perfection,  mais  également  la  philosophie  chrétienne  et  la 
société  du  moyen-âge,  qui  l'ont  fait  si  accompli.  . .  "  (Ch.  d'Héricault, 
Histoire  anecdotique  de  la  France,  t.  II,  p.  276.) 


3o6  l'église:  du  canada 

quis  de  Vaudreuil,  qui  commandait  à  Montréal,  le  remplaça 
comme  gouverneur  général  du  Canada:  il  y  avait  donc  dix 
ans  qu'il  occupait  cete  haute  position  lorsque  M^""  de  Saint- 
Vallier  revint  au  Canada  dans  l'été  de  1713. 

Cette  longue  absence  du  Prélat,  bien  involontaire  de  sa 
part,  fut  regrettable  de  toutes  manières  pour  l'Eglise  de  la 
Nouvelle-France.  Que  d'abus  se  glissent  inévitablement 
dans  un  diocèse  durant  l'absence  prolongée  de  son  premier 
pasteur  !  N'est-il  pas  à  croire,  par  exemple,  que  si  M^'"  de 
Saint-Vallier  eiît  été  ici  dès  l'arrivée  au  pouvoir  de  M.  de 
Vaudreuil,  il  eût  facilement  empêché  ces  familiarités  inqua- 
lifiables avec  les  communautés  religieuses,  ces  entrées  à  tout 
propos  dans  les  couvents,  qui  devaient  être  si  démoralisantes 
pour  les  religieuses  et  si  peu  édifiantes  pour  le  public? 

"  Principiis  obsia  :   sero  medicina  paratur." 

Il  en  est  des  mauvaises  habitudes,  comme  des  maladies 
physiques  :  une  fois  que  le  mal  est  enraciné,  il  est  plus  diffi- 
cile de  le  guérir  qu'à  l'apparition  des  premiers  symptômes. 
Lorsque  l'Evêque  constata  pour  la  première  fois  le  sans- 
gêne  avec  lequel  M.  de  Vaudreuil  entrait  sans  permission 
dans  les  couvents,  soit  pour  y  faire  visite  aux  religieuses, 
soit  pour  y  conduire  ses  amis,  soit  pour  entendre  la  messe 
plus  commodément  et  plus  chaudement  dans  le  cloître,  la 
chose  était  devenue  pour  le  gouverneur  si  habituelle  qu'il  ne 
put  réussir  à  l'y  faire  renoncer. 

Et  pourtant  M.  de  Vaudreuil  était  un  homme,  non  seule- 
ment de  bonne  éducation,  mais  très  religieux.  «  Sa  nomi- 
nation comme  gouverneur,  dit  Charlevoix,  fut  accordée  aux 
prières  de  tous  ceux  qu'il  devait  gouverner;  il  eut  le  concours 
de  tous  les  ordres  de  la  colonie  en  sa  faveur.  »  D'après  M. 
de  Ramesay,  le  clergé  canadien  avait  écrit  à  la  cour  pour  le 
faire  nommer  gouverneur.  Il  était  spécialement  bien  vu  des 
Pères  jésuites.    Un  de  ses  fils  embrassa  l'état  ecclésiastique 


sous  m"""  dk  saint-valuer  307 

et  jouit  de  la  haute  protection  du  R.  P.  Le  Tellier,  confes- 
seur du  Roi  \  M.  de  Ramesay  ne  disait  que  la  vérité, 
quoiqu'il  eiît  tort  de  la  dire  en  mauvaise  part,  lorsqu'il  écri- 
vait :  «  Les  Jésuites  ont  retrouvé  leur  règne  ".  »  -^.^ 

Il  avait  soixante-trois  ans  lorsqu'il  fut  nommé  gouver- 
neur de  la  Nouvelle-France,  et  il  était  au  Canada  depuis 
1687.  Avant  de  venir  dans  notre  pays,  il  avait  servi  dans 
les  armées  du  Roi,  et  s'était  distingué  à  la  prise  de  Valen- 
ciennes  (1677).  Au  Canada,  il  servit  avec  distinction  dans 
les  expéditions  de  Denonville  et  de  Frontenac  contre  les 
Iroquois  et  les  colons  de  la  Nouvelle- Angleterre.  Denonville 
disait  de  lui  :  «  C'est  un  cadet  de  qualité  de  Gascogne.  »  Il 
n'était  pourtant  pas  précisément  Gascon,  puisqu'il  était  né 
en  Languedoc,  province,  il  est  vrai,  voisine  de  la  Gascogne  ; 
et  le  Languedoc  était  l'une  des  provinces  les  mieux  admi- 
nistrées de  l'ancienne  France,  un  pays,  par  conséquent,  où 
il  avait  appris  de  bonne  heure  à  apprécier  les  bienfaits  d'une 
sage  administration.  Il  était  préparé  à  voir  l'Eglise  prendre 
part  aux  affaires  publiques,  au  Conseil  ou  ailleurs,  puisque 
dans  cette  province  du  Languedoc,  «  c'était  l'évêque  qui, 
avec  les  seigneurs  du  pays  et  le  tiers-état,  réglait  la  levée 
des  impôts  suivant  le  cadastre  »  ^. 

M.  de  Vaudreuil  avait  épousé  à  Québec  Louise-Elizabeth 
de  Joybert,  fïlle  de  Pierre  de  Joybert,  seigneur  de  Marçon,  et 
de  Marie-Françoise  Chartier  de  Lotbinière*.  Cette  jeune 
fille  avait  passé  son  enfance  à  Gensec,  sur  la  rivière  Saint- 
Jean,  011  commandait  son  père.  Elle  était  la  filleule  de 
Frontenac.  Vers  sa  douzième  année,  sa  mère  l'amena  à 
Québec,  et  la  marquise  de  Denonville  qui  l'affectionna  beau- 
coup la  mit  au  pensionnat  des  Ursulines  en  même  temps  que 

1.  Corresp.  générale,  vol.  31,  Vaudreuil  au  ministre,  25  oct.  1710. 

2.  Ibid.,  vol.  22,  Ramesay  au  ministre,  14  nov.  1704. 

3.  Bausset,  Histoire  de  Fénelon,  t.  IV,  p.  320. 

4.  Tante  du  conseiller  Eustache  de  Lotbinière,  le  futur  archidiacre, 
qui  était  par  conséquent  cousin-germain  du  marquis  de  Vaudreuil. 


3o8  l'église  du  canada 

sa  fille.  «  C'était,  dit  l'annaliste,  une  jeune  personne  d'une 
vertu  solide,  d'un  esprit  supérieur,  et  douée  de  toutes  les 
grâces  qui  font  le  charme  d'un  cercle  d'élite.  Une  sagesse 
rare  tempérait  la  vivacité  de  son  caractère,  et  les  attraits  de 
sa  figure  étaient  rehaussés  par  la  plus  naïve  expression  de 
modestie.  » 

Ce  fut  probablement  le  marquis  de  Denonville  qui,  devenu 
après  son  retour  du  Canada  sous-précepteur  de  trois  princes, 
la  fit  connaître  à  M™^  de  Maintenon.  Celle-ci  fit  nommer  la 
marquise  de  \^audreuil  sous-gouvernante  des  enfants  de 
France,  en  1708  ;  et  elle  quitta  Québec  en  1709  pour  se 
rendre  à  Versailles,  â'où  elle  ne  revint  qu'en  1724,  un  an 
avant  la  mort  de  son  mari.  On  comprend  l'importance 
qu'acquit  à  la  cour  cette  Canadienne,  élevée  tout-à-coup  à  un 
si  haut  rang;  on  s'explique  surtout  les  airs  d'importance 
qu'elle  se  donna.  IVP''  de  Saint- Vallier,  qui  la  vit  sans  doute 
bien  des  fois  à  Versailles,  y  faisait  allusion,  lorsque  dans  une 
lettre  que  nous  avons  déjà  citée  il  la  représentait  «  marchant 
de  l'air  d'une  dame  qui  peut  tout  à  la  cour,  et  à  qui  on  ne 
refuse  rien  ».  Elle  servit  puissamment  son  mari  en  maintes 
occasions,  et  l'on  ne  peut  douter  qu'elle  contribua  à  rendre 
inutiles  les  remarques  de  l'évêque  sur  ses  entrées  dans  les 
couvents;  d'autant  plus  qu'elle-même,  revenue  plus  tard  au 
Canada,  continua  pour  son  compte  la  même  conduite  que  son 
mari,  entrant,  sans  pemiission  de  l'évêque,  et  à  tout  propos, 
dans  le  couvent  des  Récollets,  et  y  faisant  entrer  avec  elle 
toutes  les  femmes  de  sa  suite  ^. 

Le  marquis  de  Vaudreuil,  nommé  gouverneur  du  Canada 
en  1703,  occupa  cette  haute  position  jusqu'à  sa  mort  en 
1725.  Durant  sa  longue  administration,  il  eut  avec  l'Evêque, 
outre  le  conflit  dont  nous  avons  parlé  pour  l'entrée  dans  les 
couvents,   plusieurs   difficultés   pour   des   questions   de  pré- 

I.  Corresp.  générale,  vol.  47,  Lettre  de  Mgr  de  Saint-Vallier  au 
ministre,  4  oct.  1725. 


sous    M^'    DK    SAINT-V ALLIER  309 

séance  ou  autres.  Mais  avant  de  les  raconter,  disons  un  mot 
de  l'intendant  Raudot,  que  M^""  de  Saint-Vallier  ne  connut 
pas  au  Canada,  ou  qu'il  ne  connut,  du  moins,  que  par  ses 
ordonnances.  M.  Tremblay  écrivant  à  M^'"  de  Laval  au 
sujet  de  sa  nomination  comme  intendant  : 

«  M.  Raudot,  disait-il,  nous  paraît  un  bon  magistrat,  qui 
pourra  donner  quelque  forme  à  la  justice  qui  s'exerce  au 
Conseil  et  ailleurs.  Il  passe  à  Paris  pour  un  bon  juge,  et 
bien  éclairé  \  » 

Nous  avons  de  lui  quelques  ordonnances,  qui  sont  d'un 
magistrat  vraiment  chrétien  :  celle  qu'il  rendit  par  exemple 
en  réponse  à  une  plainte  que  lui  avait  adressée  M.  Gauthier 
de  Brûlon,  curé  du  Château-Richer  2  : 

«  Le  sieur  Gauthier,  curé  de  la  côte  Beaupré,  dit-il,  voyant 
avec  douleur  se  glisser  parmi  ses  paroissiens  beaucoup  de 
désordres,  dont  il  est  d'autant  plus  touché  que  cela  va  jus- 
qu'à perdre  le  respect  qu'ils  doivent  à  Dieu,  et  particu- 
lièrement lorsqu'ils  sont  dans  son  église,  dans  le  temps  même 
qu'on  y  fait  le  service  divin,  ce  qui  est  arrivé  depuis  peu 
à  deux  de  ses  habitants,  qui  étant  pris  de  boisson  profa- 
nèrent ce  saint  lieu  en  se  querellant  et  menaçant  tout  haut; 
il  vit  même  avec  peine  que  ces  mêmes  paroissiens  ne 
répondent  point  au  zèle  qu'il  a  depuis  longtemps  de  les 
instruire,  quelques-uns  d'eux,  dans  le  temps  de  son  prône, 
sortent  de  l'église  et  s'amusent  à  fumer  à  la  porte  et  autour 
d'icelle,  et  de  ce  que,  pour  s'en  faciliter  la  sortie,  au  lieu  de 
se  mettre  dans  les  lieux  avancés  de  la  dite  église,  ils  se 
tiennent  dans  ceux  qui  sont  les  plus  proches  de  la  porte,  ce 
qui  cause  un  embarras  pour  ceux  qui  y  veulent  entrer;  et 
comme  jusqu'à  présent  il  n'a  pu  remédier  à  tous  ces  dé- 
sordres, quelque  peine  qu'il  ait  prise,  par  ses  exhortations, 

1.  Arch.  du  Sém.  de  Québec,  Lettre  du  19  juin  1705. 

2.  C'était  un  des  curés  qui  étaient  restés  agrégés  au  Séminaire.  Il 
était  natif  du  diocèse  d'Angers. 


3IO  L  EGLISE    DU    CANADA 

de  les  corriger,  il  a  eu  recours  à  nous,  afin  qu'il  nous  plût  y 
pourvoir; 

«  Et  nous,  étant  persuadé  que  tous  ces  désordres  ne 
viennent  que  de  la  liberté  qu'on  se  donne  de  vendre  des 
boissons  les  jours  de  fêtes  et  de  dimanches,  dont  on  abuse 
même  avant  d'aller  au  service  divin,  n'y  ayant  personne  assez 
hardie  qui,  de  sang-froid,  pût  causer  de  pareils  scandales  : 

«  Nous  défendons  à  toutes  sortes  de  personnes,  sous  quel- 
que prétexte  que  ce  soit,  de  donner  à  boire  dans  leurs 
maisons  aucunes  boissons,  ni  même  d'en  vendre  les  jours  de 
fête  et  de  dimanche,  hors  ceux  qui  en  viendront  demander 
pour  les  malades,  et  les  autres  jours,  de  donner  à  boire  dans 
leurs  dites  maisons  aux  domiciliers,  auxquels  néanmoins  ils 
pourront  en  vendre  ces  jours-là,  pour  aller  boire  chez  eux,  et 
ce  à  peine  de  dix  livres  d'amende  ; 

«  Faisons  défense  aussi  à  toutes  sortes  de  personnes,  de  se 
quereller  et  même  de  s'entretenir  dans  les  églises,  d'en  sortir 
lorsqu'on  fera  le  prône,  et  de  fumer  à  la  porte  et  autour  des 
dites  églises,  aussi  à  peine  de  dix  livres  d'amende,  applicable, 
aussi  bien  que  celle  ci-dessus,  à  la  fabrique  des  dites  églises  ; 

«  Exhortons  tous  les  paroissiens  d'assister  au  service  divin, 
avec  toute  la  dévotion  qu'ils  doivent  au  lieu  où  ils  sont,  et  de 
se  mettre  dans  des  places  convenables,  afin  que  tout  le  monde 
puisse  y  entrer  librement  \  .  .  » 

Cette  ordonnance  de  l'intendant  Raudot  est  du  12 
novembre  1706.  Trois  atis  plus  tard,  le  curé  de  Saint- Joseph 
de  Lévis,  M.  Philippe  Boucher,  se  plaint  à  son  tour  que  ses 
paroissiens  «  font  marcher  leurs  charrois  les  jours  de  fête 
et  de  dimanche  »  comme  la  semaine,  et  «  contreviennent 
impunément  aux  commandements  de  Dieu  ».  Il  supplie 
l'intendant  de  l'aider  à  y  mettre  ordre.  M.  Raudot  rend 
aussitôt  cette  belle  ordonnance: 

I.   Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  425. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  3II 

«  Nous  faisons  défense  à  tous  les  habitants  de  la  paroisse 
de  Saint-Joseph,  comme  aussi  à  tous  ceux  des  paroisses  de  ce 
pays,  de  faire  travailler  leurs  harnais  les  dimanches  et  fêtes 
sans  en  avoir  la  permission  de  leurs  curés,  et  en  cas  de  con- 
travention, permettons  à  tous  les  officiers  de  milice  de  saisir 
tous  les  effets  qui  seront  chargés  sur  les  dits  harnais,  lesquels 
demeureront  confisqués  au  profit  des  fabriques  des  paroisses 
où  demeureront  ceux  à  qui  appartiendront  les  dits  effets. 
Et  sera  la  présente  ordonnance  lue  et  publiée  aux  portes  de 
toutes  les  églises  des  paroisses  de  ce  pays,  au  premier  jour  de 
fête  ou  de  dimanche,  issue  de  messe  de  paroisse,  à  ce  que 
personne  n'en  ignore  \  » 

* 

*  * 

A  l'époque  qui  nous  occupe,  les  questions  de  préséance  à 
l'église,  aux  processions,  aux  feux  de  joie  qui  se  faisaient 
ordinairement  sur  la  grand'place  de  l'église  paroissiale  le 
jour  de  la  Saint-Jean  et  autres  fêtes  solennelles,  jouaient  un 
rôle  considérable,  et  étaient  quelquefois  l'occasion  de  beau- 
coup de  difficultés.  En  est-il  autrement  aujourd'hui,  quoi 
qu'on  en  dise?  La  cour,  en  1716,  donna  un  «  règlement  au 
sujet  des  honneurs  dans  les  églises  »  ^.  Quelque  précis  et 
détaillé  qu'il  iût,  il  ne  pouvait  cependant  prévoir  tous  les 
cas;  et  d'ailleurs  ce  règlement  n'avait  pas  encore  été  publié 
lorsque  l'intendant  Raudot  rendit  une  ordonnance  qui  accor- 
dait certains  honneurs  dans  l'église  aux  capitaines  de  milice 
ou  «capitaines  des  côtes»,  comme  on  disait  à  cette  époque. 
Ces  humbles  officiers  rendaient  beaucoup  de  services  au 
gouvernement  et  au  public  :  c'est  à  eux,  par  exemple,  que 
l'intendant  adressait   ses  messages,   ses   arrêts,   ses  ordon- 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  III,  p.  426. 

2.  Ibid.,  t.  I,  p.  352. 


^12  l'Église  du  canada 

nances,  et  par  eux  qu'il  les  portait  à  la  connaissance  des 
habitants.  Raudot  décida  qu'ils  méritaient  une  distinction, 
et  que  dans  les  processions  ils  marcheraient  immédiatement 
après  les  marguilliers  ;  puis,  qu'on  leur  donnerait  le  pain 
bénit  après  les  marguilliers.  mais  avant  tous  les  autres 
habitants.  Les  marguilliers  devaient  voir  à  ce  que  le  bedeau 
leur  portât  ainsi  le  pain  bénit,  et  cela  sous  peine  de  dix  livres 
d'amende  \ 

M^""  de  Saint- Vallier  s'opposa  à  cette  ordonnance,  et  pria 
M.  Bégon,  le  nouvel  intendant  (1712-1726),  de  surseoir  à 
son  exécution.  Il  prétendait,  et  avec  raison,  que  M.  Raudot 
«  n'avait  pu  donner  ce  droit  aux  capitaines  de  milice  »,  dans 
une  affaire  qui  intéressait  l'Eglise,  le  bon  ordre  et  la  disci- 
pline aux  offices  religieux,  «  sans  la  participation  de  l'évêque 
ou  de  ses  grands  vicaires  «,  et  que  «les  capitaines  de  milice 
n'ayant  pas  de  place  marquée  dans  les  églises,  le  bedeau 
n'était  pas  obligé  d'aller  les  chercher  ».  M.  Raudot  s'était 
fondé  sur  ce  qui  avait  été  réglé  au  Conseil  d'Etat  le  12  avril 
1710:  «  Sa  Majesté  veut  que  par  le  Conseil  Supérieur  établi 
à  Québec,  il  soit  réglé  quelques  honneurs  aux  principaux 
habitants  qui  prendront  soin  de  chaque  bourgade  ou  com- 
munauté, soit  pour  leur  rang  à  l'église,  soit  ailleurs.  » 

«  Les  capitaines  de  milice  sont  dans  ce  cas,  écrivait  M.  de 
Vaudreuil,  puisqu'ils  ont  l'honneur  de  commander  les  habi- 
tants pour  aller  à  la  guerre  et  pour  tous  les  autres  ser\'ices 
pour  lesquels  ils  sont  commandés,  et  d'être  aussi  chargés  de 
l'exécution  des  ordres  des  intendants.  » 

Puis  il  se  plaignait  que  l'Evêque  n'avait  pas  voulu  en- 
tendre ces  raisons,  et  il  priait  le  ministre  «  de  lui  faire  savoir 
les  intentions  de  Sa  Majesté  ». 

L'ordonnance  de  ^L  Raudot  fut  maintenue  :  c'était  un 
échec  pour  l'Evêque.     On  assigna  une  place  aux  capitaines 

I.   Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  275. 


sous    M^    DE    SAINT-V ALLIER  313 

de  milice,  dans  l'église,  «  après  les  seigneurs  des  paroisses  », 
et  le  bedeau  leur  portait  le  pain  bénit  «  avant  les  autres 
habitants  »  \ 

Plus  tard  cette  ordonnance  donna  lieu  à  une  contestation  : 
les  chantres  de  Saint-Thomas  et  de  Saint-Pierre  de  la 
rivière  du  Sud  s'étaient  mis  dans  la  tête,  «  incités  par  le 
bedeau  Jean  Marot  »,  de  recevoir  le  pain  bénit  avant  le 
capitaine  de  milice,  et  ne  voulaient  plus  chanter  à  l'église,  sï 
l'on  ne  faisait  droit  à  leur  demande.  Le  curé  Fornel,  qui 
desservait  les  deux  paroisses,  envoya  un  exprès  à  Québec 
pour  porter  plainte  contre  ces  chantres,  et  faire  juger  le 
difïérend  qu'il  avait  avec  eux;  et  comme  la  fabrique  avait 
payé  les  frais  de  voyage  de  l'exprès  envoyé  à  Québec,  il 
demandait  que  ces  frais  lui  fussent  remboursés. 

Il  s'agissait  évidemment  de  chantres  qui  ne  se  mettaient 
pas  au  chœur,  et  chantaient  à  l'église  sans  être  revêtus  de 
surplis;  car  autrement  il  n'y  aurait  eu  aucun  doute;  jamais 
on  ne  contesta  au  clergé  le  droit  de  recevoir  l'encens,  l'eau 
bénite,  le  pain  bénit  avant  les  fidèles  qui  sont  dans  la 
nef.  Mais  on  se  rappelle  que  M^""  de  Saint-Vallier,  dans 
un  de  ses  synodes,  pour  induire  ceux  qui  étaient  capables 
de  chanter,  dans  les  pauvres  églises  de  la  campagne 
qui  n'avaient  pas  le  moyen  de  leur  procurer  des  surplis,  à  le 
faire  de  bon  cœur,  avait  réglé  qu'on  leur  accorderait  une 
distinction,  et  qu'ils  recevraient  le  pain  bénit  même  avant  les 
marguilliers  ;  on  leur  donnait  une  place  au  bas-chœur,  et 
cette  place  était  assez  souvent  entourée  d'une  grille.  Seule- 
ment, ce  règlement  épiscopal  ne  fut  jamais  reconnu  par  la 
loi  :  il  était  d'ailleurs  contraire  au  règlement  royal  du  27 
avril  1716,  qui  ordonnait  que  le  pain  bénit  «  serait  d'abord 
présenté  au  seigneur  haut-justicier,  ensuite  au  capitaine  de 


I.    Corresp.  générale,  vol.  34,  Vaudreuil  et  Bégon  au  ministre,  15  nov, 
1713;  20  sept.  1714. 


314  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

la  côte,  aux  juges  de  la  seigneurie  »,  et  ensuite  à  tous  les 
fidèles  sans  distinction. 

L'intendant  Hocquart  débouta,  sans  hésiter,  la  demande 
des  chantres  de  Saint-Thomas  et  de  Saint-Pierre,  enjoignant 
aux  marguilliers  et  au  bedeau  de  se  conformer  au  règlement 
du  2^  avril  171 6.  Il  condamnait  le  bedeau  Jean  Marot  et 
deux  des  chantres,  Jean  Roussin  et  François  Boulet,  à  rem- 
bourser à  la  fabrique  ses  frais  de  voyage  ;  puis  il  laissait  les 
chantres  libres  de  chanter,  ou  de  ne  pas  chanter,  «  sans 
néanmoins,  ajoutait-il,  qu'ils  puissent  le  faire  que  de  l'agré- 
ment ou  consentement  de  leur  curé  »  \ 

Les  seigneurs  haut- justiciers,  dont  il  est  parlé  plus  haut, 
dans  les  campagnes  où  il  y  en  avait,  jouissaient  de  grands 
privilèges  :  outre  qu'ils  avaient  le  pas,  dans  les  processions  et 
autres  cérémonies,  sur  tous  les  autres  citoyens,  le  curé  était 
obligé  de  les  recommander  nommément,  eux  et  leur  famille, 
aux  prières  du  prône,  et  il  fallait  leur  donner  dans  l'église 
un  banc  de  grandeur  double  de  celui  des  autres,  un  banc  de 
famille,  qui  devait  être  le  premier  en  avant,  à  droite,  à 
quatre  pieds  du  balustre.  Le  Conseil  Supérieur  avait  même 
été  sur  le  point  de  leur  accorder  le  droit  d'y  faire  graver  ou 
peindre  des  «  armoiries,  titres,  ceintures  funèbres  »,  comme 
on  en  voit  souvent  en  France  :  fort  heureusement,  les 
vicaires  généraux  De  Maizerets  et  Glandelet,  prévenus  de  la 
chose,  —  c'était  en  l'absence  de  M^  de  Saint- Vallier  — • 
arrivèrent  en  toute  hâte  et  supplièrent  le  Conseil  de  surseoir 
à  l'adoption  d'une  résolution  si  grave  ^. 

Que  d'inconvénients,  que  de  frais  pour  les  pauvres  églises 
provenaient  du  droit  reconnu  à  tel  ou  tel  personnage  d'avoir 
un  banc  pour  rien  !  Il  y  avait  peu  d'églises  qui  n'eussent  ainsi 
plusieurs  bancs  qui  ne  rapportaient  rien  à  la  fabrique.     A 


I    Udits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  537. 
2.    Ih'xd.,  t.  II,  p.  155. 


sous  m"  de  saint-valuEr  315 

Québec,  en  1687,  sur  vingt-neuf  bancs  qu'il  y  avait  dans  la 
cathédrale,  il  y  en  avait  sept  qui  ne  payaient  rien,  sans 
compter  celui  du  gouverneur  \ 

A  Montréal,  nous  voyons,  par  une  lettre  de  M^  de  Saint- 
Vallier,  que  les  bancs  du  gouverneur  et  autres  officiers 
publics  avaient  coîité  très  cher  à  la  fabrique  :  «  On  y  a  fait 
des  théâtres,  plutôt  que  des  bancs,  »  écrit-il.  Et  faisant 
allusion  à  un  ordre  impérieux  que  M.  de  Vaudreuil  avait 
donné  pour  cela  aux  marguilliers  de  Montréal  :  «  Un  grand 
Je  le  veux,  dit-il,  les  a  obligés  de  s'endetter  pour  faire  faire 
ces  bancs  à  grands  frais  par  des  menuisiers  '.  »  Il  aurait 
voulu  qu'au  moins  ces  officiers  les  fissent  construire  à  leurs 
frais,  et  il  réussit  à  obtenir  un  ordre  de  la  cour  à  ce  sujet  '. 

Il  fît  tout  ce  qu'il  put,  tout  le  temps  de  son  épiscopat,  pour 
restreindre  le  nombre  des  bancs  non  payants;  mais  il  était 
débordé  par  les  exigences  des  seigneurs,  des  officiers  de 
justice,  des  hauts  fonctionnaires,  et  la  complaisance  de  la 
cour  à  leur  égard.  Nous  lui  devons,  du  moins,  les  princi- 
pales règles  de  la  tenure  des  bancs  dans  les  églises,  et  la 
facilité  avec  laquelle  nos  fabriques  se  procurent  ainsi  un 
honnête  revenu.  Il  insista  surtout  pour  que  les  bancs  d'une 
église  fussent  toujours  mis  à  la  criée  après  la  mort  de  leur 
possesseur  et  de  son  épouse,  et  que  leurs  enfants  seuls 
eussent  le  droit  de  retraire;  et  il  gagna  son  point,  même 
contre  le  Conseil  *. 

On  se  ferait  malaisément  une  idée,  aujourd'hui,  de  toutes 
les  difficultés  qui,  à  l'époque  qui  nous  occupe,  pouvaient 
surgir  des  questions  de  préséance  ou  ayant  rapport  aux 
préséances,  et  du  malaise  qu'elles  produisaient  quelquefois 
entre  les  représentants  de  l'autorité  religieuse  et  de  l'autorité 


1.  Henri  de  Bernicres,  p.  169. 

2.  Documents  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  I,  p.  120. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  40. 

4.  Ibid.,  vol.  44. 


3l6  1,'ÉGUSE    DU    CANADA 

civile.  Le  gouverneur  général,  par  exemple,  devait  être 
encensé  et  recevoir  l'eau  bénite  immédiatement  après 
l'évêque  ;  cela  était  reconnu  et  admis  depuis  longtemps  : 
mais  cette  eau  bénite  devait-elle  lui  être  donnée  par  asper- 
sion ou  par  présentation  du  goupillon?  C'est  une  question 
qui  alla  à  la  cour,  et  qui  fut  réglée  dans  un  sens  défavorable 
à  l'Evêque  :  ce  qui  lui  fut  d'autant  plus  sensible  que  c'est  lui 
qui  l'y  avait  portée.  Ecoutons  le  gouverneur  raconter  lui- 
même  l'incident  :  il  éicrit  au  Conseil  de  la  Marine  : 

«  M.  l'Evêque  n'a  pas  accusé  juste,  dit-il,  en  écrivant  au 
Conseil  que  je  prétendais  exiger  de  lui  qu'il  ordonnât  au 
clergé  de  sa  cathédrale  de  me  donner  l'eau  bénite  par  présen- 
tation du  goupillon  entre  mes  mains,  puisque  je  n'ai  jamais 
eu  cette  prétention. 

«  Il  est  vrai  que,  comme  dans  l'église  de  Montréal,  où 
j'allais  tous  les  dimanches  à  la  grand'messe,  pendant  le 
séjour  que  j'y  fis  en  171 7,  le  goupillon  me  fut  toujours  pré- 
senté par  le  prêtre  officiant,  de  manière  que  je  prenais  l'eau 
bénite  avec  le  doigt,  je  demandai  à  M.  l'Evêque,  après  mon 
retour  à  Québec,  qu'elle  me  fût  donnée  dans  sa  cathédrale 
de  la  même  manière  qu'elle  m'avait  été  donnée  à  Montréal  : 
ce  qu'il  me  refusa,  prétendant  qu'il  ne  le  devait  pas,  ayant 
néanmoins  laissé  la  liberté  aux  prêtres  de  Montréal  de  con- 
tinuer de  faire  comme  ils  avaient  commencé. 

«  Le  supérieur  du  séminaire  de  Montréal,  à  qui  je  parlai 
l'année  dernière  du  refus  de  M.  l'Evêque,  m'assura  que  ce 
que  je  demandais  m'était  dû;  et  un  curé  du  diocèse  de  Qué- 
bec ^  me  fit  voir,  dans  le  Traité  des  droits  honorifiques, 
plusieurs  arrêts  rendus  en  faveur  des  seigneurs  haut- 
justiciers,  par  lesquels  il  était  ordonné  aux  curés  de  leurs 
paroisses  de  leur  donner  l'eau  bénite  par  présentation  du 
goupillon,  et  non  par  aspersion. 

I.  Probablement  Philippe  Boucher,  l'un  des  curés  les  plus  instruits 
de  l'époque. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  ^IJ 

«  Après  avoir  représenté  tout  cela  à  M.  l'Evêque,  qui  n'a 
pas  voulu  y  avoir  égard,  j'ai  resté  dans  le  silence  sur  ce 
sujet,  et  j'y  serais  encore  s'il  n'en  avait  pas  écrit  au  Conseil. 
Mais  la  réponse  que  le  Conseil  lui  a  faite  sur  cette  matière 
a  terminé  toute  la  difficulté,  car  elle  a  engagé  M.  l'Evêque  à 
me  prévenir,  pour  m'accorder  de  bonne  grâce  ce  qu'il 
m'avait  refusé  \  .  .  » 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'en  cette  occasion,  comme  en 
bien  d'autres,  ce  fut  M""^  de  Vaudreuil  qui  contribua  le  plus 
à  faire  rendre  par  la  cour  cette  décision,  qu'elle  savait  si 
propre  à  flatter  son  mari. 

]\P''  de  Saint- Vallier  fût  plus  heureux  dans  le  règlement 
de  deux  autres  questions  importantes.  Certains  seigneurs, 
remplis  de  prétentions,  obligeaient  leurs  curés  à  aller  dire 
la  messe  de  temps  en  temps  dans  leurs  oratoires  privés  :  il 
leur  fut  défendu  par  la  cour  de  détourner  les  curés  «  de 
célébrer  la  messe  dans  les  églises  paroissiales  »  '. 

On  obligeait  les  curés  de  faire  à  leur  prône,  de  la  part  de 
l'Etat,  toute  espèce  d'annonces  pour  affaires  temporelles  :  ils 
en  furent  dispensés  par  une  déclaration  royale  en  date  du  2 
aoijt  171 7;  désormais  ces  annonces  ne  devaient  plus  se  faire 
qu'à  l'issue  de  la  messe  paroissiale  ;  elles  étaient  lues  et  affi- 
chées à  la  porte  de  l'église  par  quelque  huissier,  sergent  ou 
notaire  ^. 

L'Evêque  n'était  pas  toujours  soutenu  à  la  cour  dans  les 
questions  de  préséance  ou  d'étiquette  ;  mais  il  l'était  ordi- 
nairement dans  celles  où  les  droits  de  la  conscience  et  de  la 
morale  étaient  intéressés.     Citons-en  un  exemple  : 

Le  Roi  avait  défendu,  paraît-il,  «  de  marier  aucun  officier 
ni  soldat  sans  la  permission  du  gouverneur  général  ou  de 
celui  qui  commanderait  en  son  absence  ».     M.  de  Vaudreuil 

1.  Corresp.  générale,  vol.  40,  Réponses  aux  lettres,  28  oct.  1719. 

2.  Ibid.,  Réponse  du  26  oct.  1719. 

3.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  376. 


3i8  l'église  du  canada 

ayant  appris  que  l'Evêque  avait  marié,  durant  son  absence  *, 
un  officier  et  plusieurs  soldats,  malgré  l'opposition  du  com- 
mandant, M.  de  Ramesay,  s'en  plaignit  à  la  cour,  et  demanda 
que  l'on  défendit  de  nouveau  à  l'Evêque  et  à  ses  prêtres  de 
le  faire  à  l'avenir  :  autrement,  disait-il,  «  les  officiers  feront 
tous  les  jours  de  mauvais  mariages;  et  les  compagnies,  qui 
sont  très  faibles,  se  détruiront  entièrement,  parce  qu'on  n'y 
souffre  point  de  soldats  mariés,  et  qu'aussitôt  qu'ils  le  sont 
on  leur  donne  leur  congé  »... 

«  Le  reproche  qu'on  nous  fait,  répondit  l'Evêque,  est 
manifestement  injuste:  nous  n'avons  point  fait  de  mariages 
de  soldats,  depuis  bien  des  années,  à  moins  qu'ils  n'aient 
trompé  les  curés  et  assuré  sous  serment  qu'ils  n'étaient  point 
soldats.  Je  ne  connais  sur  ce  sujet  d'autre  ordonnance 
royale  que  celle  du  21  mai  1698:  elle  porte  qu'on  doit  per- 
mettre aux  soldats  de  se  marier,  sur  la  première  demande 
qu'ils  en  font  au  gouverneur  général.  Mais  M.  de  Vaudreuil 
se  montre  très  difficile  à  accorder  ces  permissions.  Que  de 
fois  je  lui  ai  rappelé  la  parole  de  saint  Paul,  qui  engage  les 
chrétiens  à  se  marier  plutôt  que  de  briàler  '  !  A  cela  il  ne 
veut  rien  entendre  :  il  suffit  que  je  veuille  me  mêler  de  ces 
mariages  pour  qu'il  refuse  son  consentement. 

«  Les  soldats  sont  mes  ouailles  comme  les  autres  chré- 
tiens. Quand  on  leur  refuse  pendant  huit  ou  dix  ans  la 
permission  de  se  marier,  et  que  je  les  vois  se  livrer  au 
désordre  et  au  libertinage,  donnant  à  la  colonie  une  infinité 
d'enfants  illégitimes,  puis-je  fermer  les  yeux  sur  ces 
désordres  ?  Et  croit-on  que  je  serai  quitte  devant  Dieu  en 
disant  que  je  ne  les  ai  pas  mariés  parce  que  M.  de  Vaudreuil 
ne  l'a  pas  voulu  ? 

«  Quant  aux  officiers,  l'expérience  journalière   fait  voir 


1.  M.  de  Vaudreuil  fut  absent,  en  France,  de  1714  à  1716. 

2.  I.  Cor.,  VII,  9  :  "  Meliùs  est  enim  nubere  quàm  uri.  " 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  319 

que  plusieurs  d'entre  eux  aussi  bien  que  d'autres  habitants, 
quand  on  leur  refuse  les  permissions  nécessaires  pour  se 
marier,  ne  font  pas  difficulté  de  se  marier  à  la  gaumine,  en 
déclarant  devant  le  curé,  lorsqu'ils  le  trouvent  seul  à  l'église, 
ou  ailleurs,  qu'ils  se  prennent  pour  mari  et  femme,  devant 
deux  témoins  qu'ils  amènent.  Cela  est  arrivé  si  souvent, 
qu'on  peut  raisonnablement  le  craindre  lorsqu'on  refuse  de 
les  marier  1. 

«  Pourquoi  M.  de  Vaudreuil  se  plaint-il  que  j'aie  permis 
à  son  neveu,  M.  de  Lantagnac,  de  se  marier,  après  mille 
refus  de  sa  part  de  lui  laisser  prendre  femme?  Voilà  un 
officier  de  quarante  ans,  à  qui  on  refuse  la  permission  de  se 
marier  avec  la  nièce  de  M.  de  Louvigny,  lieutenant  de  roi, 
fille  du  premier  conseiller  2  !  Et  cependant  on  les  laisse  se 
fréquenter  des  années  de  suite  sans  rien  faire  pour  les 
éloigner  ni  les  séparer!  Est-ce  de  nature  à  contenter  un 
évêque,  qui  doit  par  son  état  chercher  à  maintenir  tout  le 
monde  dans  l'ordre  ^J.  . .  ^> 

La  cour  fît  répondre  très  sagement  à  M.  de  Vaudreuil 
«  que  l'on  pouvait  bien  casser  les  officiers  ou  leur  imposer 
d'autres  peines,  mais  que  ces  peines  ne  pouvaient  être  com- 
parées avec  le  bonheur  ou  le  malheur  éternel  *  » 

Certes,  voilà  deux  questions  importantes,  où  le  marquis 
de  Vaudreuil  ne  parait  guère  avec  avantage  :  celle  de  l'entrée 
sans  permission  dans  les  couvents  de  religieuses,  et  celle  du 


1.  Le  frère  de  l'intendant  Bégon  s'était  ainsi  marié  "à  la  gaumine"; 
et,  d'après  Mgr  de  Saint- Vallier,  "  il  s'était  allié  à  une  famille  fort  au- 
dessous  de  la  sienne  ". 

2.  Marie  -  Geneviève  Martin  de  Lino,  fille  de  François  -  Mathieu 
Martin  de  Lino  et  de  Catherine  Nolan.  M.  de  Lino  demeurait  rue 
Saut-au-Matelot.  Sa  fille  avait  alors  21  ans.  Le  lieutenant  Gaspard 
Adhémar,  sieur  de  Lantagnac,  était  capitaine  des  gardes,  et  demeurait 
avec  son  oncle  le  gouverneur  au  Château  Saint-Louis.  (Recensement 
de  17 16.) 

3.  Corresp.  générale,  vol.  43. 

4.  Ibid. 


320  l,  ÉGLISE    DU    CANADA 

mariage  des  officiers  et  des  soldats.  Comme,  dans  ces  ques- 
tions importantes,  intéressant  directement  la  morale,  M^  de 
Saint- Vallier  avait  bien  de  son  côté  la  saine  raison,  l'hon- 
neur, le  bon  sens,  le  sens  chrétien! 


CHAPITRE   XXII 


l'église  de   la   NOUVELLE-FRANCE  ET   l'ÉTAT 
SOUS   M^  DE   SAINT-VALLIER    (suite) 

Mgr  de  Saint- Vallier  et  Vaudreuil.  —  Le  séminaire  de  Québec.  —  Le 
cas  de  La  Prairie  de  la  Madeleine.  —  L'affaire  du  moine  Bénédictin 
janséniste.  —  L'affaire  Varlet.  —  Les  immunités  ecclésiastiques.^- 
Une  question  de  taxes.  —  Le  clergé  et  les  corvées  publiques. — . 
Le  clergé  et  les  tribunaux  civils.  —  Affaire  Gamaut.  —  Affaire  Le 
Boullenger.  —  Affaire  Montéléon  -  Lestringan.  —  Mariages  à  la 
gaumine. 

IL  y  avait  évidemment  du  froid  dans  les  relations  du  gou- 
verneur et  de  l'évêque  :  il  n'y  avait  pas  entre  eux  cette 
confiance  réciproque,  cette  entente  cordiale,  qui  aide  à  aplanir 
les  difficultés.    D'où  pouvait  venir  cette  froideur? 

Il  est  certain,  tout  d'abord,  que  M.  de  Vaudreuil  avait, 
de  nature,  et  peut-être  aussi  par  étude,  des  airs  de  suffisance 
et  de  grandeur  qui  ne  devaient  pas  plaire  à  tout  le  monde. 
M^  de  Saint-Vallier  semble  y  faire  allusion  quand  il  lui 
attribue  ce  «  grand  jE  LE  veux  »  qu'il  adressait  aux  mar- 
guilliers  de  Montréal  \  Puis  le  gouverneur,  aussi  bien  que 
l'intendant  Bégon,  ne  dissimulaient  jamais  leurs  sympathies 
pour  le  séminaire  de  Québec.  Ils  estimaient  tous  deux  cette 
maison  «  qui,  depuis  cinquante  ans,  avait  rendu  tant  de  ser- 
vices à  la  colonie,  en  donnant  à  l'Eglise  un  grand  nombre  de 
curés  et  de  missionnaires,  et  en  formant  de  bons  citoyens 
capables  de  remplir  les  charges  publiques  et  d'élever  d'hon- 

I.    Voir  plus  haut,  p.  315. 

21 


322  l'Église  du  canada 

nêtes  familles  »  ^.  Ils  ne  se  gênaient  pas  de  blâmer  la  con- 
duite de  l'Evêque  à  l'égard  de  cette  institution;  ils  en  écri- 
vaient même  à  la  cour.  Or  pour  être  ami  de  M^  de  Saint- 
Vallier,  il  fallait  l'approuver  en  tout  et  ne  le  contredire  en 
rien.  Il  suffisait  certainement  que  M.  de  Vaudreuil  penchât 
du  côté  du  Séminaire,  pour  que  l'Evêque  lui  montrât  de  la 
froideur. 

Tacite  dit  quelque  part  que  «  c'est  le  propre  de  l'esprit 
humain  de  haïr  ceux  que  l'on  a  une  fois  offensés  »  2.  M^ 
de  Saint-Vallier  avait  profondément  blessé  le  séminaire  de 
Québec  en  brisant  la  constitution  que  lui  avait  donnée  M^"" 
de  Laval,  et  en  ébranlant  les  bases  sur  lesquelles  il  était 
fondé.  Malgré  toute  sa  vertu,  — car  il  ne  peut  s'agir  ici  de 
haine  proprement  dite — il  ne  put  jamais  se  défendre  d'une 
certaine  aversion  contre  cette  maison;  et  cette  aversion  se 
révélait  en  toute  occasion  par  mille  tracasseries. 

Il  avait  fait  régler  par  la  cour,  en  171 3,  qu'on  ne  pourrait 
à  l'avenir  être  à  la  fois  chanoine  et  membre  du  Séminaire; 
et  dans  la  division  des  fonds  attribués  à  l'Eglise  du  Canada, 
il  avait  fait  la  part  très  large  au  Chapitre,  ne  donnant  que 
très  peu  de  chose  au  Séminaire  ^.  Son  but  était  de  se  créer 
à  Québec  un  clergé  indépendant  du  Séminaire  et  sur  lequel  il 
pijt  s'appuyer.  Mais  il  arriva  que  quelques  prêtres  qu'il  avait 
décidés  à  passer  au  Canada  ne  voulurent  pas,  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  y  rester,  et  retournèrent  en  France. 
Il  se  figura  que  c'était  le  Séminaire  qui  les  "  avait  dégoûtés 
de  rester  dans  son  diocèse  »  ;  et  il  écrivit  à  la  cour,  en  171 5, 
pour  obtenir  «  qu'aucun  prêtre  ne  pijt  repasser  en  France 
sans  sa  permission  par  écrit  ». 


1.  Corresp.    générale,    vol.   39,    Vaudreuil    et    Bégon    au    Conseil    de 
Marine,  8  nov.  1718. 

2.  "  Proprium  huinani  ingenii  est  odissc  queni  lœseris."   (Vita  Agri- 
colae,  No.  42.) 

3-    D'après  son  propre  aveu,  il  ne  lui  avait  alloué  que  "  quinze  cent» 
livres,  en  petits  bénéfices  de  France".     (Corresp.  générale,  vol.  47.) 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  323 

Afin  d'éloigner  autant  que  possible  le  clergé  du  séminaire, 
il  prépara  un  projet  d'ordonnance,  dans  lequel  il  réglait, 
entre  autres  clioses,  que  «  les  missionnaires  ne  pourraient  à 
l'avenir  y  loger  sans  la  permission  de  l'évêque  »  ;  et  il  soumit 
ce  projet  à  la  cour. 

Enfin,  pour  s'assurer  de  la  direction  de  cette  maison,  iï 
demandait  comme  supérieur  un  homme  de  son  choix.  Il 
mettait  de  côté  MM.  de  Maizerets,  Glandelet  et  Thibout,  et 
proposait  son  ancien  grand  vicaire,  M.  de  Montigny,  qui 
exerçait  alors  les  fonctions  de  procureur  des  Missions- 
Etrangères,  à  Rome. 

M.  de  Vaudreuil  se  trouvait  à  cette  époque  à  Paris  :  il  ne 
manqua  pas  d'être  consulté  sur  ces  différents  projets  de 
l'évêque;  et  son  opinion  fut  carrément  favorable  au  Sémi- 
naire : 

«  Si  les  prêtres  s'en  retournent  du  Canada,  dit-il,  c'est  la 
faute  de  M.  l'Evêque.  Je  ne  crois  pas  qu'il  convienne  de 
lui  donner  un  ordre  pour  empêcher  les  prêtres  de  repasser 
en  France  quand  leurs  affaires  le  demandent  :  ce  serait  le 
moyen  qu'il  n'en  passât  jamais  de  France. 

«  J'ai  toujours  vu,  ajoute-t-il,  M.  l'Evêque  brouillé  avec 
le  séminaire  de  Québec.  Les  curés  de  la  campagne  qui 
viennent  faire  leurs  provisions  à  la  ville  ont  de  tout  temps 
demeuré  au  séminaire  :  cela  me  paraît  fort  convenable  ;  et  il 
serait  désagréable  à  des  prêtres  d'aller  demander  à  M. 
l'Evêque  oii  il  veut  qu'ils  logent. 

«  Il  me  semble,  ajoute-t-il  encore,  que  le  Séminaire  doit 
être  le  maître  de  nommer  son  supérieur  ^.  » 

Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  que  la  cour  rejetât  les 
propositions  de  l'Evêque.  L'échec  lui  fut  fort  sensible  :  il  ne 
manqua  pas  d'en  regarder  M.  de  Vaudreuil  comme  l'auteur 
principal  et  demeura  très  indisposé  contre  lui. 

I.  Corresp.  générale,  vol  35,  Réponses  aux  lettres,  14  août  1715. 


324  L  EGUSE    DU    CANADA 

Il  lui  reprochait  de  plus  de  montrer  peu  d'empressement  à 
se  rendre  à  ses  désirs,  lorsqu'il  sollicitait  l'appui  du  bras 
séculier  pour  l'exécution  de  ses  ordonnances.  Nos  archives 
mentionnent  deux  cas,  en  particulier,  où,  suivant  lui,  M.  de 
Vaudreuil  avait  montré  peu  de  zèle  à  se  rendre  à  ses  désirs. 

L'un  de  ces  cas  est  assez  étrange  :  il  fut  l'objet  d'une  lettre 
pastorale  «  à  nos  très  chers  enfants  les  habitants  de  la 
paroisse  de  La  Prairie  de  la  Madeleine  ».  Cette  lettre  fut 
adressée  au  curé  de  l'endroit  et  lue  au  prône  : 

«  C'est  avec  douleur,  disait  le  Prélat,  que  nous  avons 
appris,  à  notre  retour  de  France  (1713),  le  mauvais  usage 
où  vous  étiez  de  paraître,  contre  la  bienséance,  en  simple 
chemise,  sans  caleçon  et  sans  culotte,  pendant  l'été,  pour 
éviter  la  grande  chaleur,  ce  qui  nous  a  d'autant  plus  surpris 
que  nous  voyons  violer  par  là  les  règles  de  la  modestie  que 
l'Apôtre  demande  dans  tous  les  chrétiens,  et  donner  une 
occasion  si  prochaine  de  péché  à  vous  et  aux  autres  per- 
sonnes qui  peuvent  vous  voir  en  cet  état.  .  . 

«  Nous  avons  demandé,  ajoutait-il,  à  M.  le  marquis  de 
Vaudreuil,  gouverneur  général  de  tout  le  pays,  de  s'em- 
ployer à  nous  aider  à  déraciner  dans  votre  paroisse  une  si 
détestable  coutume  qui  serait  la  cause  assurée  de  la  damna- 
tion d'un  grand  nombre  de  pères  de  famille  aussi  bien  que 
des  enfants.  .  .  » 

M.  de  Vaudreuil  avait-il  hésité  à  intervenir  dans  une 
affaire  aussi  scabreuse,  et  laissé  ce  soin  au  gouverneur  parti- 
culier de  Montréal,  dont  dépendait  La  Prairie?  11  semble, 
dans  tous  les  cas,  que  l'Evêque  n'était  pas  satisfait,  car  il 
ajoute  : 

«  Si  vous  nous  obligez  de  gémir  devant  Dieu  sur  l'opi- 
niâtreté avec  laquelle  quelqu'un  de  vous  voudrait  garder 
une  si  détestable  coutume,  que  nous  regardons  comme  perni- 
cieuse à  la  société  civile,  aussi  bien  qu'aux  bonnes  mœurs,  il 
n'v  a   rien   que   nous  ne  tentions  auprès   de   Dieu  et   des 


sous    M*^    DE    SAINT-VALUËR  325 

hommes  pour  vous   faire  entrer  sur  cela   dans  votre  de- 
voir \  .  .  » 

*  * 

Le  deuxième  cas  mentionné  dans  les  archives,  où  M^  de 
Saint- Vallier  sollicita  en  vain  l'intervention  du  gouverneur 
était  encore  plus  grave  et  impérieux.  Il  s'agissait  de  faire 
repasser  en  France  un  moine  bénédictin  janséniste,  qui 
s'était  introduit  furtivement  au  Canada  et  menaçait  d'y 
répandre  le  venin  de  son  erreur.  Laissons  d'abord  l'anna- 
liste de  r Hôtel-Dieu  nous  donner  quelques  détails  sur  ce 
singulier  personnage  : 

«Il  vint  en  ce  pays,  dit-elle,  par  les  vaisseaux  de  1714, 
un  jeune  homme  fort  modeste,  qui  se  faisait  appeler  M. 
Dupont.  Il  se  logea  dans  la  meilleure  auberge  de  Québec  ". 
On  remarquait  en  lui  quelque  chose  de  gêné,  qui  le  faisait 
soupçonner  d'être  un  moine  défroqué:  il  s'en  défendait  de 
son  mieux  et  menait  ici  une  vie  assez  réglée.  Il  s'informait 
de  toutes  les  coutumes  du  Canada,  et  laissait  entrevoir  qu'il 
avait  envie  d'y  fonder  un  monastère. 

«  Cet  aventurier,  qui  demeura  quatre  ans  au  Canada,  après 
avoir  connu  la  ville,  se  retira  proche  de  Kamouraska,  à  la 
rivière  des  Trois-Pistoles.  Il  se  fit  dresser  dans  les  bois 
une  petite  cabane,  à  une  lieue  des  habitations.  Il  y  menait 
une  vie  très  dure,  et  venait  chez  ses  plus  proches  voisins 
chercher  du  pain  et  des  pois,  qui  faisaient  toute  sa  nourri- 
ture. Il  traînait  lui-même  son  bois,  était  vêtu  comme  un 
ermite,  se  prosternait  devant  tous  ceux  qu'il  rencontrait, 
leur  baisait  les  pieds  et  leur  disait  quelques  paroles  édifiantes. 


I.   Archiv.    de    l'év.    de    Québec,    Registre    C,    Lettre   pastorale    du 
28  mai  1719. 

2  Peut-être  celle  qui  se  trouvait  alors  à  la  Haute- Ville,  coin  des  rues 
Buade  et  des  Jardins,  tout  près  des  Jésuites.     (Recensement  de  1716.) 


326  I^'ÉGLISE    DU    CANADA 

Il  passait  pour  un  saint,  dans  l'esprit  de  plusieurs,  quoiqu'il 
n'approchât  point  des  sacrements. 

«  Quand  il  eut  demeuré  quelque  temps  là-bas,  sa  cabane 
brilla,  et  cet  accident,  qui  n'était  peut-être  pas  arrivé  par 
hasard,  le  contraignit  de  revenir  à  Québec.  Il  y  fut  fort 
bien  reçu  ;  on  le  régala  dans  plusieurs  maisons,  on  lui  prêta 
des  livres,  et  on  tâchait  de  deviner  qui  il  était,  sans  y  réussir. 
On  ne  put  savoir  que  deux  ans  après  que  c'était  un  Béné- 
dictin nommé  Dom  George-François  Poulet.  Son  supé- 
rieur ayant  appris  de  ses  nouvelles,  écrivit  à  M  le  marquis 
de  Vaudreuil,  gouverneur,  pour  le  lui  recommander  comme 
im  de  ses  religieux,  qui  avait  plus  de  faiblesse  d'esprit  que 
de  malice.  Il  le  pria  de  lui  faciliter  son  retour  en  France. 
Il  écrivit  aussi  à  M"^  Baudouin  \  une  veuve  de  Québec, 
pour  la  prier  de  lui  fournir  tout  ce  dont  il  aurait  besoin, 
avec  promesse  de  la  payer  aussitôt  qu'elle  le  souhaiterait. 

«  Ce  pauvre  moine  fut  donc  reconnu  pour  ce  qu'il  était, 
c'est-à-dire  pour  un  Bénédictin  prêtre,  qui  n'avait  pas  dit  la 
messe  depuis  qu'il  était  en  Canada. 

«  On  sut  tout  le  détail  de  sa  conduite  et  le  sujet  de  sa 
campagne.  Il  avait  été  quelque  temps  en  Hollande,  sous  le 
P.  Quesnel  ",  où  il  s'était  fortifié  dans  le  jansénisme,  dont 
il  faisait  profession  ouverte.  Il  s'était  enfui  de  son  couvent, 
parce  qu'on  le  cherchait  pour  l'emprisonner,  et  il  vint  en 
Canada  déguisé  en  séculier.  .  .  » 

On  comprend  les  inquiétudes  de  M"""  de  Saint-Vallier  à  la 
vue  de  ce  triste  personnage.  Le  Prélat  venait  justement  de 
promulguer  dans  son  diocèse  la  bulle  Unigenitus  "  ;  et  ce 
janséniste  semblait  venir  ici  pour  en  prêcher  la  contre-partie. 


1.  Elle  demeurait  rue  Sous-le-Fort,  près  de  son  beau-frère  le  doc- 
teur Gervais  Baudouin.     (Recensement  de  1716.) 

2.  Le  fameux  janséniste  de  l'Oratoire,  qui  en  fut  expulsé  en  1678. 
C'est  son  livre  Réflexions  morales  sur  le  N oiiveau-T estaient  qui  donna 
lieu  à  la  constitution  Unigenitus  du  pape  Clément  XI. 

3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  486. 


sous  m"""  de  saint-vallier  327 

L'on  s'explique  qu'il  ait  fait  tous  ses  efforts  pour  l'éloigner 
de  son  diocèse.  Il  ne  put  toutefois  recourir  à  M.  de  \'audreuil 
avant  l'automne  de  171 6,  celui-ci  étant  absent  en  France 
depuis  1714.  Le  moine  avait  déjà  réussi  à  se  faire  des 
amis  au  Canada: 

«  Il  trouva  moyen,  continue  la  Sœur  Juchereau,  d'éluder 
en  171 7  son  embarquement.  L'année  suivante,  en  1718, 
étant  tombé  malade,  on  l'amena  dans  nos  salles,  où  on  le 
traita  fort  charitablement.  Il  eut  le  pourpre  ;  et  pendant  sa 
maladie  tous  les  prêtres  séculiers  et  réguliers  le  visitèrent 
pour  le  gagner  et  le  faire  soumettre  à  la  constitution  Unige- 
nitîis.  Il  ne  voulut  point  y  entendre  :  tout  ce  qu'on  lui 
disait  là-dessus  redoublait  sa  fièvre.  Il  ne  put  jamais  se 
résoudre  d'abandonner  le  parti  de  ]M.  le  cardinal  de 
Noailles  ^  :  c'était  la  raison  la  plus  solide  qu'il  apportait  pour 
se  défendre.  Enfin,  il  aima  mieux  être  privé  des  sacrements, 
comme  M.  l'Evêque  l'ordonna,  que  de  rentrer  dans  la  sou- 
mission due  au  saint-siège.  » 

A  peine  fut-il  rétabli,  que  ses  amis  de  la  campagne 
vinrent  le  chercher  pour  le  dérober  aux  poursuites  qui  le 
menaçaient.  Mais  M^""  de  Saint-Vallier  fit  acte  d'autorité 
et  lança  une  ordonnance  sévère,  en  date  du  15  septembre 
1718,  adressée  «aux  prêtres  sécuhers  et  réguliers  qui  se 
trouvent  dans  l'étendue  des  missions  du  sud  de  notre  diocèse, 
surtout  à  M.  Auclair,  curé  de  Kamouraska.  et  au  P.  Michel, 
missionnaire  de  Rimouski  : 

«  Comme  rien,  dit-il.  ne  nous  paraît  plus  déplorable  que 
de  voir  l'empressement  que  font  paraître  quelques-uns  de 
nos  diocésains  de  favoriser  des  personnes  qui  cherchent  à  se 
perdre  pour  l'éternité  par  leur  entêtement,  nous  avons  été 
véritablement  touché,  en  remarquant  dans  les  sieurs  Côté  et 

I.  "Un  de  ces  hommes  rares,  respectables  et  désolants,  écrit  M. 
d'Avenel,  qui  font  plus  de  mal  avec  leurs  vertus  que  d'autres  avec 
leurs  vices."  (Le  Correspondant  de  1877.  t.  IV,  p.  598.) 


328  l'éguse  du  canada 

Jean  Gagnon,  de  la  Bouteillerie,  la  résolution  prise  et 
exécutée  d'emmener  là-bas  Dom  George-François  Poulet, 
Bénédictin  sorti  furtivement  de  son  couvent  à  l'insu  de  ses 
supérieurs,  et  sans  obédience,  dans  un  habit  laïque,  malgré 
tous  les  avis  que  nous  leur  avons  pu  faire  donner  par  des 
personnes  même  considérables. 

«  C'est  pourquoi  voulant  faire  connaître  à  ces  personnes 
et  autres  de  notre  diocèse,  où  demeure  George-François 
Poulet,  religieux,  l'obligation  qu'ils  ont  de  nous  obéir  sous 
peine  de  péché  mortel  en  tel  cas,  nous  leur  déclarons  que 
celui  ou  ceux  qui  ont  pris  et  emmené  de  Québec  le  dit 
religieux  ont  commis  une  grande  faute,  dont  ils  mériteraient 
que  nous  nous  résen^assions  l'absolution.  Cependant,  pour 
agir  avec  douceur,  nous  leur  faisons  seulement  à  savoir,  à 
eux  et  à  tous  autres  semblables,  que  s'ils  viennent  à  le  pro- 
téger, retirer  chez  eux  dans  leur  domaine,  et  à  l'aider  à 
pouvoir  demeurer  éloigné  de  nous,  pour  nous  ôter  le  moyen 
de  le  renvoyer  en  France  à  ses  supérieurs,  ils  encourront 
après  trois  jours  de  séjour  et  d'aide,  s'ils  ne  le  font  partir 
incessamment  et  sortir  de  leur  dépendance  après  les  dits 
trois  jours  passés,  l'excommunication  majeure  par  le  seul 
fait,  dont  nous  nous  réservions  l'absolution  à  nous  seul. 

«  Et  pour  faire  voir  l'horreur  que  nous  avons  des  reli- 
gieux qui  se  sont  séparés  de  leur  communauté,  qui  par  la 
continuation  de  leur  séparation  doivent  être  regardés  comme 
apostats  et  excommuniés  par  le  droit,  que  les  évêques  doivent 
poursuivre  et  faire  rentrer  dans  leur  devoir  pour  satisfaire 
au  décret  du  saint  concile  de  Trente  au  défaut  de  leur  supé- 
rieur, nous  enjoignons  à  tous  les  curés  et  missionnaires  qui 
desservent  les  missions  de  ce  côté-là  jusqu'à  Rimouski,  non 
seulement  de  tenir  la  main  à  ce  qui  est  porté  par  la  dite 
ordonnance  à  l'égard  des  séculiers  qui  y  contribueraient, 
mais  encore  de  refuser  les  sacrements  au  dit  Dom  Poulet, 
religieux,  excepté  en  cas  de  mort,  et  même  de  dire  la  messe 


sous    M*^    DE    SAINÎ'-VALLIER  329 

devant  lui,  ce  que  nous  leur  défendons  sous  peine  de  sus- 
pense de  leurs  fonctions  ou  interdit  des  lieux  où  la  dite 
messe  aura  été  célébrée,  pour  un  espace  de  temps  que  nous 
réglerons  \  » 

M^  de  Saint- Vallier  écrivit  en  même  temps  à  la  cour  pour 
qu'elle  fît  agir  M.  de  Vaudreuil;  mais  il  n'y  eut  pas  besoin 
de  l'intervention  du  gouverneur  :  le  moine  bénédictin, 
délaissé  de  tout  le  monde,  partit  dans  l'automne  même. 
Voici  comment  le  Conseil  de  Marine  résumait  pour  le  gou- 
verneur la  lettre  de  l'Evêque  : 

«  M.  l'Evêque  de  Québec  demande  s'il  peut  exiger  de 
M.  de  \'audreuil  les  secours,  aide  et  protection  nécessaires 
pour  faciliter  les  fonctions  de  son  ministère,  et  si  M.  de 
Vaudreuil  peut  les  lui  refuser  dans  des  cas  particuliers  où 
l'évêque  ne  peut  se  faire  obéir  que  par  des  voies  rudes  et 
difficiles. 

«  Le  cas  dont  il  s'agit  est  qu'un  religieux  d'un  Ordre  con- 
sidérable, fugitif,  et  par  le  seul  fait  déclaré  apostat  et 
excommunié  par  le  droit,  se  retire  dans  son  diocèse.  M.  de 
Vaudreuil  en  est  averti  par  une  personne  qui  lui  écrit  de  la 
part  du  général  de  ce  religieux,  qui  désire  le  ravoir.  M.  de 
Vaudreuil,  au  lieu  de  lui  donner  avis  du  séjour  de  ce 
mauvais  religieux  fugitif,  lui  promet  sa  protection,  et 
l'assure  qu'à  moins  qu'il  ne  soit  forcé  par  un  ordre  de  la 
cour  de  le  renvoyer  en  France,  il  le  laissera  toujours  en 
Canada  sans  l'inquiéter.  Ce  religieux  l'a  dit  à  l'évêque,  en 
l'assurant  qu'il  resterait  malgré  lui  dans  son  diocèse.  L'évé- 
nement en  a  été  la  preuve,  puisqu'il  n'a  pu  déterminer  M. 
de  Vaudreuil  à  s'intéresser  dans  cette  affaire  ;  et  il  a  été 
obligé,  pour  venir  à  bout  de  l'obstination  de  ce  religieux, 
de  faire  publier  une  ordonnance,  par  laquelle  il  a  défendu 
aux  prêtres  de  dire  la  messe  devant  lui,  de  le  recevoir  aux 

I.   Mand.  des  év.  de  Québec,  t.  I,  p.  496. 


;i;^o  h  EGUSË  DU  canada 

sacrements,  menacé  d'interdire  les  lieux  où.  l'on  la  dirait, 
et  porté  des  censures  contre  les  personnes  qui  le  soutien- 
draient sans  respect  pour  l'Eglise. 

«  Il  supplie  le  Conseil  d'envoyer  ses  ordres  à  M.  de  Vau- 
dreuil  pour  faire  sortir  ce  religieux  de  la  colonie  ^.  » 

M.  de  Vaudreuil  reçut  en  effet,  au  printemps  de  17 19, 
l'ordre  ('  de  faire  embarquer  ce  religieux,  et  de  ne  souffrir 
au  Canada  aucun  ecclésiastique  qui  ne  fiât  approuvé  par 
l'Evêque  »  '.  Mais,  comme  nous  l'avons  vu,  Dom  Poulet 
-était  parti  de  lui-même  l'automne  précédent  : 

«  Il  arriva  heureusement  en  France,  écrit  la  Sœur  Juche- 
reau,  et  ne  manqua  pas  de  se  faire  mettre  l'année  suivante 
d'une  manière  pompeuse  dans  la  Galette  de  Hollande, 
comme  un  homme  qui  avait  été  persécuté  au  Canada,  et 
banni  de  ce  pays  pour  la  foi  ;  parce  que  les  Jésuites  n'avaient 
pu  souffrir  l'éclat  des  vertus  de  ce  grand  anachorète  ^.  .  .  » 

Voici  ce  que  M.  de  Vaudreuil  et  l'intendant  Bégon  écri- 
vaient à  la  cour  le  26  octobre  1719: 

«  Le  religieux  Bénédictin  qui  s'était  retiré  en  cette  colonie 
a  passé  en  France  le  2  octobre  de  l'année  dernière  sur  la 
Mutine,  commandée  par  M.  le  chevalier  de  Courcy  :  ce  qu'il 
a  fait  de  son  propre  mouvement,  et  sans  y  avoir  été  con- 
traint. Le  sieur  de  Vaudreuil  est  surpris  que  M.  l'Evêque 
se  soit  plaint  de  n'avoir  pas  obtenu  de  lui  un  ordre  pour  le 
faire  repasser  en  France,  ce  qu'il  ne  lui  a  jamais  demandé! 

«  Ce  religieux  a  souvent  écrit  et  présenté  des  requêtes  au 
sieur  de  Vaudreuil  pour  se  plaindre  de  ce  que  M.  l'Evêque  le 
persécutait.  Le  seul  usage  qu'il  en  a  fait  a  été  de  renvoyer 
toujours  ces  écrits  à  M.  l'Evêque,  afin  qu'il  en  usât  sur  ce 
sujet  comme  il  le  jugerait  à  propos,  le  sieur  de  V^audreuil 


1.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  I,  p.  74. 

2.  Ibid. 

3.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec. 


sous  m"""  de  saixt-vallier  331 

n'ayant  voulu  rien  ré[X)ndre  aux  demandes  que  lui  faisait 
ce  religieux.  .  .  » 

Il  est  évident  que  AP'"  de  Saint-V'allier  était  resté  sous 
l'impression  que  le  gouverneur  n'avait  pas  voulu  l'aider,  en 
cette  circonstance,  puisqu'il  avait  écrit  à  la  cour  pour  s'en 
plaindre.  C'est  ainsi  que  naissent  quelquefois  entre  des  per- 
sonnages haut  placés  de  regrettables  malentendus,  des 
situations  fausses.  On  évite  de  se  voir,  de  s'expliquer,  de 
s'entendre,  et  l'on  garde  indéfiniment  de  fâcheuses  im- 
pressions. 

* 
*  * 

Chose  étrange,  ce  religieux  bénédictin  dont  nous  venons 
de  parler  était  le  deuxième  prêtre  janséniste  qui  passait  dans 
la  Nouvelle-France  depuis  quelques  années.  Mais  tandis 
que  lui  ne  tarda  pas  à  se  faire  connaître  pour  ce  qu'il  était, 
un  moine  qui  s'était  enfui  de  son  couvent,  un  adepte  déclaré 
de  la  secte  janséniste,  l'autre  personnage  sut  cacher  parfai- 
tement son  jeu  tout  le  temps  de  son  séjour  en  Amérique; 
il  fut  même,  suivant  toutes  les  apparences,  un  excellent 
missionnaire  :  et  ce  ne  fut  qu'après  son  retour  en  Europe, 
après  six  ans  de  séjour  dans  la  Nouvelle-France,  qu'il  se 
déclara  comme  un  janséniste  de  la  pire  espèce. 

Il  s'appelait  Dominique-Marie  Varlet,  et  appartenait  à 
une  famille  pieuse  de  Paris.  Il  était  docteur  de  Sorbonne,  et 
fut  ordonné  prêtre  en  1706.  Tanguay  le  fait  venir  au 
Canada  en  1707;  c'est  une  erreur:  il  n'y  vint  qu'en  1712  *, 
et  ne  fit  d'ailleurs  que  passer  à  Québec.  Il  était  envoyé  ici 
par  les  directeurs  des  Missions-Etrangères,  avec  l'agrément 
<ie  M^  de  Saint-V'allier,  qui  était  à  Paris  à  cette  époque, 
pour  remplacer  comme  supérieur  de  la  mission  des  Tama- 

I.   Arch.  du  sém.  de  Québec,  Mémoire  de  M.  Tremblay. 


332  L  EGLISE    DU    CANADA 

rois  M.  Bergier,  qui  était  mort  depuis  quelques  années.  Il 
jouissait  évidemment  de  leur  confiance  :  s'il  était  déjà  jansé- 
niste de  cœur,  rien  n'en  avait  transpiré.  Au  témoignage  de 
Latour.  MM.  de  Brisacier  et  Tiberge,  directeurs  des  Mis- 
sions-Etrangères de  Paris,  «  furent  toujours  bons  catho- 
liques dans  leurs  sentiments».  Ils  n'auraient  certainement 
pas  envoyé  Varlet  au  Canada,  et  de  son  côté  l'évêque  de 
Québec,  alors  à  Paris,  ne  l'aurait  pas  laissé  partir  pour  son 
diocèse,  s'ils  eussent  eu  le  moindre  soupçon  au  sujet  de  son 
orthodoxie. 

Varlet,  en  arrivant  à  Québec,  n'eut  donc  qu'à  présenter 
aux  grands  vicaires  De  Maizerets  et  Glandelet,  qui  admi- 
nistraient le  diocèse  en  l'absence  de  l'évêque,  les  lettres  de 
recommandation  qu'il  avait  reçues  des  Missions-Etrangères 
de  Paris,  et  les  pouvoirs  qu'il  tenait  de  M^'  de  Saint-Vallier  ; 
et  il  prit  immédiatement  le  chemin  des  Tamarois,  oia  «  il  se 
rendit  par  terre  »  ^,  et  demeura  près  de  six  ans.  Ferland 
nous  assure  «  qu'il  y  travailla  avec  zèle  »  ".  ]\Iais  du  reste 
l'on  n'entendit  plus  parler  de  lui  avant  l'automne  de  1717.  Il 
revint  alors  à  Québec  pour  recruter  des  missionnaires  ;  cette 
fois  encore,  il  ne  fit  qu'y  passer  et  se  hâta  de  retourner  dans 
sa  mission,  emmenant  avec  lui  le  chanoine  Calvarin  et 
Thaumur  de  la  Source,  dont  les  noms  sont  déjà  connus  de 
nos  lecteurs. 

Comme  supérieur  de  la  mission  des  Tamarois,  il  avait 
déjà  le  titre  et  les  pouvoirs  de  grand  vicaire  de  l'évêque  de 
Québec  ^.  M^  de  Saint-Vallier  lui  renouvela  ses  pouvoirs  : 
les  lettres  de  grand-vicaire  qu'il  lui  donna,  lors  de  son  pas- 
sage à  Québec,  portent  la  date  du  6  octobre  171 7*.  A  sa 
demande,  et  à  la  même  date,  M^  de  Saint-Vallier  voulut  bien 


1.  Histoire  manuscrite  du  Séminaire. 

2.  Cours  d'Histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  407. 

3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  378. 

4.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Registre  C. 


sous    M*'    DE    SAINT-VALLIER  ^^^ 

confirmer  l'établissement  de  la  mission  des  Tamarois  en 
faveur  du  séminaire  de  Québec  :  dans  cette  lettre  de  «  con- 
firmation des  privilèges  du  Séminaire  »,  Varlet  faisait  dire 
à  l'évéque  qu'il  était  à  craindre  «  que  des  missionnaires  de 
quelques  autres  corps  ne  prétendissent  disputer  la  possession 
de  cette  mission  au  dit  Séminaire  »  \  L'insinuation,  d'ailleurs 
toute  gratuite,  était  évidemment  dirigée  contre  les  Pères  de 
la  Compagnie  de  Jésus,  et  ne  dut  pas  leur  être  agréable. 

Du  reste,  Varlet  jouissait  toujours  de  la  confiance  des 
Missions-Etrangères  de  Paris,  à  tel  point  que  c'est  vers  cette 
époque  qu'ils  le  recommandèrent  à  Rome  pour  un  épiscopat 
dans  leurs  missions  lointaines  de  l'Orient.  Il  en  eut  la  nou- 
velle peu  de  temps  après  son  retour  de  Québec  aux  Tama- 
rois, et  se  prépara  immédiatement  à  retourner  en  France, 
où  il  rentra  dans  l'automne  de  1718. 

Par  un  bref  de  Clément  XI  en  date  du  17  septembre,  il 
fut  nommé  évêque  d'Ascalon  et  coadjuteur,  cum  futurâ 
siiccessione,  de  l'évéque  de  Babylone.  Il  fut  consacré  à 
Paris  le  19  février  1719  par  M"""  de  Matignon,  ancien 
évêque  de  Condom,  assisté  de  Massillon,  et  de  M^  de 
Mornay,  coadjuteur  de  Québec.  Par  une  singulière  coïnci- 
dence, l'évéque  de  Babylone  étant  mort  le  jour  même  de  la 
consécration  épiscopale  de  Varlet,  celui-ci  devint  ce  même 
jour  évêque  en  titre  de  Babylone. 

La  présence  du  coadjuteur  de  Québec  à  son  sacre  est  une 
nouvelle  preuve  qu'aux  yeux  des  chefs  spirituels  de  notre 
Eglise  il  n'avait  encore  nullement  démérité. 

Mais  à  peine  a-t-il  reçu  la  consécration  épiscopale  qu'il 
jette  le  masque,  et  se  montre  un  janséniste  déclaré.  Il  a 
reçu  ordre  de  Rome  de  voir  le  nonce  de  Paris  avant  de  partir 
pour  son  diocèse  ;  mais  de  peur  que  le  nonce  ne  lui  parle  de 
la  constitution  Unigenitus  et  ne  lui  demande  d'y  souscrire, 

I.  M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  495. 


334  Iv''éguse;  du  canada 

il  quitte  Paris  sans  lui  faire  visite,  et  se  rend  de  suite  en 
Hollande  se  jeter  dans  les  bras  des  jansénistes.  Il  part  pour 
son  diocèse  dans  l'automne  de  1719  et  se  rend  en  Perse; 
mais  il  a  déjà  fait  tant  d'actes  répréhensibles  contre  l'auto- 
rité du  saint-siège  que  l'évêque  d'Ispahan  reçoit  ordre  du 
pape  de  le  suspendre  de  tout  exercice  de  son  ministère.  Il 
est  interdit,  excommunié  :  au  lieu  de  reconnaitre  ses  fautes, 
il  revient  en  Hollande,  consomme  sa  révolte  et  son  schisme, 
s'unit  aux  jansénistes,  méprise  la  suspense,  l'irrégularité  et 
l'excommunication,  en  appelle  de  la  bulle  Unigenittis  à  un 
futur  concile,  exerce  toutes  les  fonctions  de  l'épiscopat,  en 
dépit  de  la  suspense,  consacre  même  des  évêques,  assisté  de 
prêtres  réfractaires  comme  lui,  et  devient  chef  de  l'église 
d'Utrecht. 

Nous  n'entreprendrons  pas  de  le  suivre  dans  les  diffé- 
rentes étapes  de  sa  triste  carrière  janséniste.  Qu'il  nous 
suffise  de  dire  qu'il  mourut  en  Hollande  en  1742,  schisma- 
tique,  et  excommunié  par  trois  papes  \ 

Certes,  ce  dut  être  une  grande  douleur  pour  M^  de  Saint- 
Vallier,  lorsqu'il  apprit  le  triste  revirement  d'un  homme  qui 
avait  été  quelques  années  au  sennce  de  son  Eglise,  et  qui 
suivant  toutes  les  apparences  y  «  avait  travaillé  avec  zèle  »  ; 
pour  les  Missions-Etrangères,  également,  qui  ne  l'avaient 
envoyé  au  Canada  que  parce  qu'il  était  regardé  alors  comme 
un  prêtre  irréprochable.  Il  n'y  eut  jamais  d'hérétiques  plus 
consommés  que  les  jansénistes  dans  l'art  de  la  dissimula- 
tion :  Varlet  était  un  maître  dans  cet  art  ;  on  ne  le  soupçonna 
jamais  de  jansénisme  durant  son  séjour  en  Amérique  ;  et  il 
n'eut  pas  occasion  d'y  répandre  le  venin  de  son  erreur. 

A  Québec,  il  ne  fit  que  passer.  Au  séminaire,  où  il  resta 
à  peine  quelques  jours,  si  l'on  eût  eu  le  moindre  soupçon 


I.    Notes  sur  Varlet  publiées  par  l'abbé  Rhéaume  dans  le  Bulletin  des 
Recherches  historiques^  vol.  III,  p.  18. 


sous    M*'"'    DE    SAINT-VALLIER  ^^S 

qu'il  était  janséniste,  on  l'eût  immédiatement  renvoyé  dans 
son  pays.  MM.  de  Maizerets  et  Glandelet  étaient  très  déli- 
cats sur  la  question  du  jansénisme  :  M.  Tremblay  voulait  un 
jour  leur  envoyer  de  Paris  la  Vie  de  M.  de  Rancé,  mais  il 
n'osait  le  faire:  écrivant  à  M.  Glandelet  :  «Je  voudrais, 
dit-il,  vous  envoyer  la  Vie  de  M.  de  la  Trappe,  mais  vous 
êtes  si  délicat  sur  le  jansénisme,  que  vous  croiriez  un  livre 
être  dangereux  parce  qu'il  parle  avantageusement  des  per- 
sonnes qui  ont  passé  pour  telles,  quoiqu'elles  aient  protesté 
très  hautement  ne  l'être  pas  \  .  .  »  Qui  croira,  après  cela, 
qu'il  vint  au  Canada  «  une  foule  de  livres  jansénistes  ", 
comme  le  prétend  Latour,  et  que  «  le  venin  ne  tarda  pas  à 
couler  en  Canada  »  ?  Parlant  de  Varlet,  il  nous  assure  «  qu'il 
trouva  le  moyen  d'y  répandre  Tesprit  du  parti  »  ;  et  cepen- 
dant, il  vient  de  dire  un  peu  plus  haut  «  qu'il  fut  méprisé 
dans  la  Nouvelle-France  pour  sa  conduite  et  pour  sa  doc- 
trine »  ".    La  contradiction  est  flagrante. 

Non,  le  jansénisme  de  Varlet  ne  transpira  jamais  au  Ca- 
nada; et  même  en  France,  il  n'en  fut  convaincu  d'une  ma- 
nière certaine  et  évidente  qu'après  sa  consécration  épiscopale, 
alors  qu'il  jeta  le  masque,  n'ayant  plus  rien  à  craindre  pour 
les  vues  ambitieuses  de  sa  carrière. 


* 


M^*"  de  Saint-Vallier  se  montra  toujours,  non  seulement 
«  très  attaché  à  la  saine  doctrine  «,  mais  aussi  en  toute  occa- 
sion le  défenseur  jaloux  des  immunités  ecclésiastiques.  Nous 
citerons  deux  ou  trois  faits  qui  eurent  lieu  de  son  temps, 
pour  montrer  quelle  était   à   cette   époque   la   position   du 


1.  Lettre  citée  par  Langevin  dans  sa  Notice  biographique  de  Mgr  de 
Laval,  p.  147. 

2.  Mémoires  sur  la  vie  de  M  de  Laval,  p.  49. 


S2)^  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

clergé  par  rapport  aux  taxes  municipales,  aux  corvées 
publiques,  aux  tribunaux  civils.  Les  hôpitaux  et  leurs  domes- 
tiques étaient  exempts  des  charges  publiques,  par  ordre  de 
la  cour  ^.  Le  droit  des  propriétés  ecclésiastiques  à  l'exemp- 
tion des  taxes  n'était  pas  si  bien  défini  :  il  fallait  être  toujours 
sur  la  défensive. 

Nous  sommes  en  1707:  il  y  a  juste  un  siècle  que  Québec 
est  fondé.  Or  il  paraît  qu'à  cette  date  les  habitants  de  la 
campagne,  arrivant  en  ville  la  nuit,  pour  le  marché,  après 
avoir  traversé  le  fleuve  en  canot  ^,  au  lieu  d'aller  se  retirer  à 
l'auberge,  faisaient  un  bon  feu  sur  la  grève  pour  se 
réchauffer,  en  attendant  le  jour.  Heureux  temps  !  heureuses 
mœurs  !  Il  n'y  avait  qu'un  danger  dans  cette  pratique  tout-à- 
fait  patriarcale,  celui  de  mettre  le  feu  aux  maisons  de  îa 
Basse  -  Ville,  lesquelles  étaient  toutes  «  couvertes  de  bar- 
deaux ».  Mais  le  danger  était  si  grand  ^  que  le  Conseil  Supé- 
rieur crut  devoir  s'en  occuper,  et  défendit  sous  peine 
d'amende  «  d'allumer  aucuns  feux  sur  la  grève  ».  Puis,  afin 
que  la  ville  ne  fût  pas  prise  au  dépourvu,  en  cas  d'incendie, 
il  ordonna  de  faire  faire  cent  seaux  de  cuir,  et,  pour  les 
payer,  de  prélever  une  taxe  sur  les  cheminées,  "  sans  excep- 
tion de  personne».  On  profita  de  l'occasion  pour  faire 
réparer  «  l'escalier  par  où  l'on  monte  de  la  Basse- Ville,  au 
haut  duquel  sera  mis  une  barrière,  oii  le  passage  ne  sera  que 
de  la  largeur  d'un  homme,  pour  empêcher  les  bestiaux  de  le 
gfter  ». 

Les  cent  seaux  de  cuir,  «  marqués  d'une  fleur  de  lis  », 
devaient  être  déposés  «  vingt  au  Château  Saint-Louis,  vingt 
au   Palais,   vingt   chez   les    Pères   jésuites,    vingt   chez   M. 


1.  Corresp.  générale,  vol.  20,  Callières  et  Beauharnais  au  ministre, 
3  nov.  1702. 

2.  Il  n'y  eut  une  traversée  régulière  en  "  moulins  à  bateaux  "  que  vers 
1722.     (Ibid.,  vol.  44.) 

3.  Toute  la  Basse-Ville  fut  réduite  en  cendres  le  5  aotit  1682.     (Vie 
de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  300.) 


sous    M^    DE    SAINT-VAIvUER  3S7 

François  Hazeur,  et  vingt  chez  M.  François  Aubert  de  la 
Chênaie  ». 

Louis  Couillard  de  l'Epinay,  procureur  du  roi  à  la  pré- 
vôté, fut  chargé  de  préparer  un  rôle  du  nombre  des  maisons 
et  des  cheminées,  et  pour  cela  de  se  transporter  partout  à 
domicile.  Le  rôle,  «  arrêté  au  Conseil  »,  fut  «  délivré  au 
commis  Bergeron  »,  chargé  de  faire  le  recouvrement  de  la 
taxe.  Il  y  avait  dans  toute  la  ville  «  six  cent  soixante  et  une 
cheminées,  non  comprises  celles  du  Château,  du  Palais,  des 
Pères  récollets  et  de  l'Hôtel-Dieu  »,  lesquelles  se  trouvaient 
sans  doute  exemptes. 

Mais  la  maison  de  l'évêque  ne  l'était  pas  ;  elle  se  trouvait 
sur  le  rôle,  aussi  bien  que  le  Séminaire,  les  Ursulines,  les 
Jésuites. 

On  n'attendit  pas,  à  l'évêché,  que  le  commis  se  présentât 
pour  prélever  la  taxe.  En  l'absence  de  l'Evêque,  qui  était 
alors  prisonnier  en  Angleterre,  son  procureur,  M.  Etienne 
Le  Vallet,  adressa  une  requête  à  l'intendant  Raudot,  qui  la 
référa  au  Conseil.  Dans  cette  requête,  M.  Le  Vallet  «  con- 
vient qu'il  est  très  utile  pour  toute  cette  ville  qu'il  y  ait  des 
seaux  et  autres  instruments  nécessaires  pour  obvier  et  remé- 
dier aux  accidents  du  feu  ».  L'Evêque  «  ne  refuse  pas,  dit-il, 
de  contribuer  de  sa  part  à  une  si  bonne  œuvre,  pourvu  qu'il 
paraisse  qu'il  le  fait  de  sa  pure,  bonne  et  franche  volonté, 
et  sans  y  avoir  été  obligé  en  vertu  d'arrêts  ou  ordonnances  ». 
M.  Le  Vallet  demandait  «  à  M.  l'intendant  d'ordonner  ou 
faire  ordonner  par  le  Conseil  que  le  palais  épiscopaï  fût 
rayé  de  dessus  le  rôle  de  taxe  qui  avait  été  arrêté  en  ce 
Conseil  le  13  décembre  dernier,  et  qu'il  fiit  fait  une  note  sur 
le  dit  rôle,  déclarant  qu'on  n'entendait  pas  y  comprendre  la 
maison  de  M.  l'évêque,  et  qu'on  recevrait  ce  que  son  pro- 
cureur voudrait  bien  donner  de  sa  bonne  volonté  ».  Il 
demandait  aussi  qu'on  lui  donnât  un  reçu  de  la  somme  ainsi 
offerte,  et  qu'il  fût  mentionné  dans  ce  reçu  que  «  le  procu- 


23^  l'écuse  du  canada 

reur  de  l'évêque  avait  offert  de  son  bon  gré  la  dj^e  somme 
pour  être  employée  à  l'achat  d'un  nombre  de  seaux  destinés 
à  remédier  aux  accidents  du  feu  ». 

En  un  mot,  on  voulait  que  le  principe  canonique  dfe 
l'exemption  de  taxes  des  propriétés  ecclésiastiques  îùt 
reconnu  au  Canada,  comme  il  l'était  en  France  de  temp* 
immémorial.  Les  propriétés  (ecclésiastiques,  de  droit,  y 
étaient  censées  affranchies  de  toutes  taxies  générales  ou 
locales.  ]\îais  le  clergé,  dans  ses  assemblées  ordinaires  ou 
extraordinaires,  votait  au  roi  des  sommes  considérables, 
qui  étaient  prélevées  sur  les  évêchés,  sur  les  abbayes,  sur  les 
différents  bénéfices  ecclésiastiques,  et  qu'on  appelait  les 
décimes. 

Le  Conseil  Supérieur  ne  refusa  pas  l'oft're  de  ^L  Le  Vallet; 
mais  il  lui  ordonna  en  même  temps  de  «  justifier  des  titres 
et  exemptions  prétendus  par  }d.  l'évêque  de  Québec,  pour 
iceux  rapportés  et  communiqués  au  procureur  général  être 
ordonné  ce  que  de  raison  ».  Les  offres  de  M.  Le  \'allet  ne 
furent  donc  acceptées  que  «  par  provision  et  sans  préjudice 
des  droits  des  parties  au  principal  »  \ 

Quant  aux  corvées  pour  les  travaux  publics,  le  droit  du 
clergé  et  des  communautés  religieuses  d'en  être  exemptés  ne 
paraissait  pas  mieux  défini  par  la  loi.  Ils  y  contribuaient 
volontiers;  mais  on  les  laissait  généralement  à  leur  géné- 
rosité. L'intendant  Beauharnais  ayant  été  accusé,  en  1702, 
d'avoir  obligé  le  clergé  à  fournir  des  pieux  pour  les  forti- 
fications de  Québec,  répondit  à  la  cour: 

«  Le  sieur  de  Beauharnais  n'a  jamais  ordonné  aux  curés 
de  fournir  des  pieux;  et  si  les  communautés  ecclésiastiques 
en  ont  fourni,  ça  été  sur  ce  que  feu  M.  de  Callièfes  lui  repré- 
senta de  les  comprendre  dans  les  ordonnances,  attendu  leurs 
grands  domaines;  et  le  sieur  de  Vaudreuil  juge  qu'il  est 

1.    Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  V,  p.  529. 


sous    M^    DE    SAINT-V ALLIER  539 

juste  que  les  curés  qui  ont  des  habitations,  sans  comprendre 
le  presbytère,  fournissent  comme  les  habitants,  puisque  les 
Jésuites  en  fournissent,  à  la  Prairie  de  la  Madeleine  et 
autres  endroits,  selon  le  bien  qu'ils  ont  ;  et  le  sieur  de 
Beauharnais  a  eu  l'honnêteté  de  laisser  à  ces  messieurs  la 
liberté  de  se  taxer  eux-mêmes  jx)ur  la  quantité  de  pieux 
qu'ils   fournissaient  ^  ..  »  ^ 

M.  de  Louvigny,  lieutenant  de  roi,  qui  commandait  à 
Québec  en  1706,  eut  quelques  difficultés  avec  le  supérieur 
des  Récollets  au  sujet  de  ces  corvées  pour  les  fortifications. 
Ce  religieux  prétendait  «  que,  n'étant  point  rentes,  ils 
n'étaient  pas  tenus  de  suivre  les  exemples  des  autres  com- 
munautés religieuses  »,  ni  par  conséquent  de  contribuer  aux 
corvées.  Le  commandant  admit  que  «  vivant  dans  l'ordre 
et  la  régularité  des  mendiants,  sans  avoir  de  possessions  en 
propre,  ils  étaient  suivant  leur  institut  dans  la  régularité,  et 
pouvaient  être  compris  dans  le  nombre  des  exemptions 
qu'accordait  Sa  Majesté  ».  Mais  il  avait  le  triste  courage 
de  reprocher  à  ces  pauvres  religieux  de  «  faire  un  commerce 
ouvert  de  bière,  d'avoir  deux  barques  qu'ils  frétaient,  et 
une  voiture  de  louage  »  ;  et  il  prétendait  que  par  là  «  ils 
étaient  sujets  aux  corvées  publiques  ».  Le  digne  supérieur 
des  Récollets  finit  par  consentir  à  donner  sa  quote-part  aux 
corvées  comme  les  autres  communautés.  Mais  Louvigny  n'en 
écrivit  pas  moins  à  la  cour,  «  afin  qu'il  lui  pliît  de  décider 
des  justes  raisons  des  Récollets  ou  des  siennes  »  -.  Nous  ne 
savons  pas  s'il  y  eut  jamais  décision  fomielle  à  ce  sujet. 

Le  droit  du  clergé  d'être  jugé  par  les  tribunaux  ecclé- 
siastiques était  l'objet  de  fréquentes  contestations,  et  le  Con- 
seil Supérieur  n'avait  pas  sur  ce  sujet  de  principes  bien 
arrêtés.  Mais  l'évêque  et  son  clergé  ne  transigeaient  pas 
sur  ce  point. 

1.  Corresp.  générale,  vol.  21,  Beauharnais  au  ministre,  15  nov.  1703. 

2.  Ibid..  vol.  2:. 


340  L  EGLISE    DU    CANADA 

En  1712  un  nommé  Garnault',  de  l' Ange-Gardien,  vient 
se  plaindre  au  Conseil  de  ce  que  son  curé,  M.  Dufournel,  a 
refusé  de  l'entendre  en  confession.  Le  Conseil,  sans  trop 
réfléchir,  accueille  d'abord  assez  bénévolement  sa  requête. 
Mais  il  suffit  que  «  M.  Philippe  Boucher,  curé  de  la  paroisse 
de  Saint- Joseph  à  la  Pointe-de-Lévy,  promoteur  de  l'offi- 
cialité  »,  vienne  lui-même  à  la  séance  suivante,  et  proteste 
contre  la  présentation  de  cette  requête  au  Conseil  : 

«  Celui  qui  l'a  dressée,  dit-il,  ne  savait  pas  sans  doute  que 
les  juges  laïques  ne  connaissent  jamais  d'affaires  qui  regar- 
dent les  matières  spirituelles,  telles  qu'est  celle-ci.  Quand  on 
accuse  un  prêtre  de  ne  pas  faire  son  devoir  dans  l'admi- 
nistration des  sacrements,  il  ne  peut  être  cité  pour  ceJa  que 
par  devant  l'official.  suivant  l'article  34  de  l'édit  de  Ver- 
sailles du  mois  d'avril  1695.  Dans  l'affaire  dont  il  s'agit, 
il  n'y  a  point  d'appellation  comme  d'abus,  puisqu'il  n'y  a  eu 
aucune  procédure  ;  et  d'accuser  un  curé  de  refuser  d'entendre 
à  confesse  un  de  ses  paroissiens,  c'est  un  cas  dont  les  em- 
pereurs ni  les  rois  les  plus  ennemis  de  l'Eglise,  ni  aucune 
justice  séculière,  n'ont  jamais  entrepris  de  prendre  con- 
naissance. .  .  »• 

Le  Conseil  renvoya  "  le  dit  Garnault  et  sa  femme  à  se 
pourvoir  devant  l'official  »■  -. 

En  1714,  Pierre  Le  BouUenger  de  Saint-Pierre,  et  Marie- 
Renée  Godefroy,  son  épouse,  présentent  une  requête  au 
Conseil,  «  au  nom  et  comme  prenant  le  fait  et  cause  d'Anne- 
Marguerite  Le  BouUenger,  leur  fille  ».  Ils  ont  appris  «  que 
le  P.  Joseph  Denis,  récollet,  faisant  les  fonctions  curiales 
aux  Trois-Rivières,  aurait  débité  les  plus  noires  et  les  plus 

1.  L'un  des  trois  frères  Garneau,  de  l' Ange-Gardien,  François,  Louis 
et  Jean,  qui  signaient  chacun  différemment,  l'un  Garnaud,  comme  son 
père,  l'autre,  Garnaut,  et  le  troisième,  Garnaux.  Ils  étaient  fils  de 
Louis  Garnaud,  que  Tanguay  nous  donne  comme  "  l'ancêtre  de  l'auteur 
de  l'histoire  du  Canada".   (Dictionnaire  généalogique,  t.  î,  p.  252.) 

2.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  VI,  p.  489. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  34I 

atroces  calomnies  contre  la  dite  Anne  -  Marguerite  Le 
Boullenger;  entre  autres,  il  se  serait  servi  de  l'occasion  de 
quelques  remèdes  qu'elle  a  été  obligée  de  se  faire  faire  par 
l'ordre  de  M.  Michel  Sarrazin,  conseiller  en  ce  Conseil  et 
médecin  du  roi  en  ce  pays,  pour  insinuer  et  persuader 
qu'étant  enceinte,  elle  aurait  fait  faire  ces  remèdes  pour 
faire  dissiper  sa  prétendue  grossesse;  le  P.  Joseph  a  même 
surpris  la  religion  de  M.  l'Evêque  par  cette  imposture 
criante,  ce  qui  l'a  sans  doute  porté  à  lui  défendre  de  la 
recevoir  au  sacrement  de  pénitence  pour  satisfaire  à  son 
devoir  pascal  ;  le  même  Père  avait  donné  à  la  dite  Le 
Boullenger,  dès  le  20  avril  dernier,  un  billet  contenant  son 
refus  de  lui  permettre  d'aller  à  confesse  ailleurs  pour  faire 
ses  pâques,  et  ce  billet  est  un  libelle  diffamatoire  contre  leur 
fîlle,  puisqu'il  porte  en  termes  exprès  que  M.  l'Evêque  ne  la 
croit  pas  en  sûreté  de  conscience  en  restant  dans  la  maison 
oti  elle  est  »... 

Deux  crimes  bien  distincts  reprochés  au  P.  Denis,  dans 
cette  requête:  diffamation  de  la  fille  Le  Boullenger;  refus  de 
l'entendre  en  confession. 

Le  Conseil  Supérieur,  peu  fort  en  droit  canon,  au  lieu  de 
renvoyer  de  suite  cette  affaire  devant  l'officialité,  la  transmet 
à  la  prévôté  de  Québec. 

Mais  le  chanoine  Calvarin  ^,  «  faisant  les  fonctions  de 
promoteur  de  l'officialité,  »  vient  aussitôt  faire  opposition  : 
«  Qu'il  plaise  à  la  cour  d'ordonner,  dit-il,  que  les  ecclésias- 
tiques et  clercs  seront  maintenus  et  gardés  dans  leurs  privi- 
lèges; que  Le  Boullenger.  sa  femme  et  leur  fîlle  seront  ren- 
voyés en  l'officialité  pour  y  continuer  les  procédures  com- 
mencées à  rencontre  du  P.  Joseph  Denis,  et  que  défense  soit 


I.  Goulvin  Calvarin,  un  breton,  natif  de  Vannes,  arriva  à  Québec  en 
1701.  Il  fut  fait  chanoine  en  1712,  et  se  démit  plus  tard  de  son  cano- 
nicat  pour  aller  aux  Tamarois.  (Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada, 
t.  I,  p.  75) 


342  L  EGLISE    DU    CANADA 

faite  au  sieur  d'Artigny  i,  faisant  les  fonctions  de  lieutenant 
particulier  en  la  prévôté,  d'en  connaître,  et  aux  dits  Le 
Boullenger,  sa  femme  et  leur  fille  de  procéder  ailleurs  sur 
le  fait  en  question,  à  peine  de  nullité  des  procédures,  et  de 
tous  dépens,  dommages  et  intérêts  ».  .  . 

lyp""  de  Saint- Vallier  inten-ient  lui-même,  et  envoie  au 
Conseil  un  billet  signé  de  sa  main,  «  par  lequel  il  déclare 
qu'il  garde  la  requête  présentée  à  M.  l'official  par  la  demoi- 
selle Saint-Pierre,  en  original,  pour  l'envoyer  à  M.  le  comte 
de  Pontchartrain  avec  les  autres  pièces  du  procès  ». 

Le  Conseil,  «  ayant  égard  à  l'opposition  formée  par  M. 
Calvarin  »,  renvoie  l'affaire  Le  Boullenger  devant  l'offi- 
cialité.  Mais  il  ordonne  en  même  temps  «  qu'il  soit  nommé 
par  M.  l'Evêque  un  autre  officiai  et  un  autre  procureur  »•, 
le  présent  officiai,  M.  Thibout,  ne  pouvant  servir,  «  parce 
qu'il  a  été  assigné  comme  témoin  »,  ni  M.  Calvarin  comme 
promoteur,  parce  qu'il  a  enfreint  les  ordonnances,  «  en 
communiquant  à  M.  l'Evêque  toutes  les  pièces  du  procès  ». 

M.  Le  Picart,  un  autre  chanoine  de  la  cathédrale,  fut 
nommé  vice-gérant  de  l'officialité,  et  l'affaire  fut  informée 
devant  lui  \ 

* 

*     sic 

Terminons  ce  chapitre  par  un  autre  exemple  de  la  manière 
dont  se  réglaient  à  cette  époque  certaines  causes  intéressant 
la  religion:  ce  sera  tout  à  la  fois  un  tableau  assez  curieux 
des  mœurs  du  temps. 

Un  jour,  —  c'était  au  commencement  de  janvier  i7ii,  et 
par  conséquent  en  l'absence  de  AP""  de  Saint-Vallier,  —  un 


1.  Louis  Rouer  d'Artigny,  fils  de  l'ancien  doyen  du  Conseil,  Rouer 
de  Villeray,  l'un  des  cinq  premiers  conseillers  qui  avaient  été  nommés 
par  Mgr  de  Laval  lors  de  la  création  du  Conseil. 

2.  Jugements  du   Conseil  Supérieur,  t.   VL   p-  828. 


sous    M^'    DE    SAINT-VALLIER  343 

jeune  homme  nomellement  arrivé  de  France  se  présente  au 
séminaire  de  Québec,  et  demande  à  voir  un  des  grands 
vicaires  de  1  evêque.  Il  est  accompagné  d'un  officier  et  de 
la  femme  de  cet  officier.  C'est  ^I.  Glandelet  qui  vient  les 
rencontrer  au  parloir:  il  reconnait  de  suite  l'officier,  M.  de 
Lestringan  de  Saint-Martin,  capitaine  des  gardes  du  Châ- 
teau, et  sa  femme  Madeleine-Louise  Juchereau  de  Saint- 
Denis,  sœur  de  Juchereau  Duchesnay,  seigneur  de  Bea*u- 
port;  il  leur  offre  les  compliments  d'usage,  et  eux,  de  leur 
côté,  lui  introduisent  M.  Paul  de  Montéléon  \  qui  désire 
épouser  leur  fille.  Montéléon  explique  qu'il  vient  de  la  part 
du  curé  Boulard.  de  Beauport,  où  réside  sa  fiancée,  lui 
demander  la  pennission  de  se  m.arier,  ainsi  que  la  dispense 
de  deux  bans.  M.  Glandelet,  ecclésiastique  très  âgé,  très 
pieux  et  très  savant,  mais  peu  diplomate,  lui  répond  tout 
simplement  que,  ne  le  connaissant  pas.  il  ne  peut  lui  accorder 
la  permission  qu'il  demande,  à  moins  qu'il  ne  lui  présente  un 
certificat  de  liberté  :  «  C'est,  dit-il,  la  règle  du  diocèse  ». 
Montéléon,  se  croyant  insulté,  réplique  qu'il  n'est  pas  un 
imposteur,  et  se  répand  en  invectives  contre  le  grand  vicaire, 
qu'il  accable  «  d'injures  les  plus  atroces  »,  auxquelles  font 
chorus  Lestringan  et  sa  femme.  Aux  invectives  contre  le 
grand  vicaire,  ils  en  ajoutent  d'autres  contre  le  gouverneur 
et  l'intendant,  qui  les  ont  prévenus  d'avance  de  ce  qui  les 
attendait,  s'ils  ne  pouvaient  produire  un  certificat  de  liberté. 
Montéléon.  ne  se  possédant  plus,  veut  se  jeter  sur  le  grand 
vicaire  "pour  le  maltraiter»;  fort  heureusement,  il  en  est 
empêché  par  la  dair.e  de  Lestringan,  qui  «  le  prend  à  haut 
de  corps  »,  et  l'arrête.     A  tout  cela  le  bon  M.   Glandelet, 


I.  D'après  Tanguay,  il  s'appelait  Louis,  et  était  fils  de  Paul  de 
Montéléon,  bouteiller  du  Roi.  Il  était,  dit-il,  "officier,  prince  du  comté 
de  Xice,  et  parent  de  Pontchartrain  ".  Il  mourut  avant  1717,  et  sa 
veuve  se  remaria  à  Ignace  Aubert  de  la  Chênaie.  (Dict.  généalogique, 
t.  Il,  p.  63,  t.  III,  p.  330.) 


344  L  EGLISE    DU    CANADA 

n'ayant  pas  autre  chose  à  opposer  que  le  non  licet  de  l'évan- 
gile, les  trois  personnages  s'en  vont  très  mécontents. 

Le  lendemain  des  Rois,  mercredi,  7  janvier,  a  lieu  le 
second  acte  de  la  pièce.  M.  Boulard,  curé  de  Beauport, 
célébrait  ce  matin-là  le  mariage  d'un  de  ses  paroissiens. 
Montéléon  et  sa  fiancée,  ainsi  que  M""^  de  Lestringan,  se 
rendent  à  l'église,  et  attendent,  pour  entrer,  que  le  mariage 
soit  fait  et  la  messe  dite  jusqu'après  la  consécration,  afin 
que  le  curé  ne  puisse  faire  manquer  leur  projet.  Ils  entrent 
alors,  et.  au  grand  scandale  des  fidèles  qui  remplissent 
l'église,  Montéléon  interpelle  M.  Boulard,  lui  demande  de 
le  marier,  et  déclare  à  haute  voix  qu'il  prend  pour  son  épouse 
Marie- Anne-Josette  de  Lestringan  de  Saint-Martin;  celle- 
ci  déclare  sur  le  même  ton  qu'elle  prend  Paul  de  Montéléon 
pour  son  époux:  puis  après  avoir  fait  ce  mariage  à  la  gau- 
mine,  ils  sortent  de  l'église  et  retournent  au  domicile  de 
Lestringan. 

Il  est  à  remarquer  que  M.  de  Lestringan,  «  afin  qu'on  ne 
pût  le  rendre  complice  de  cette  entreprise  »,  qu'il  regardait 
avec  raison  comme  infâme,  avait  fait  en  sorte  «  d'être  ce 
jour-là  de  garde  au  Château  ». 

M.  Boulard.  qui  a  eu  connaissance  de  tout,  sans  être  à 
même  d'empêcher  le  scandale,  se  hâte  d'en  dresser  un  procès- 
verbal,  après  la  messe  :  puis  il  l'envoie  à  l'intendant  Raudot, 
qui  a  déjà  reçu  celui  de  M.  Glandelet,  et  demande  réparation 
du  scandale  qui  est  arrivé. 

Il  avertit  en  même  temps  les  coupables  qu'ils  ont  fait 
«  une  action  exécrable,  un  mariage  illégitime,  contre  les  lois 
de  l'Eglise,  un  attentat  à  son  autorité  »,  dont  ils  vont  avoir 
à  rendre  compte. 

L'intendant  Raudot  communique  à  M.  Macart  ^  qui  fait 


I.  Charles  Macart   (dit  Champagne)   était  fils  de  Nicolas  Macart  et 
de   Marguerite   Couillard,   veuve   de   Jean    Nicolet.     Il   demeurait   rue 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  345 

les  fonctions  de  procureur  du  roi  au  Conseil,  la  plainte  du 
curé  Boulard  avec  les  pièces  qui  l'accompagnent  ;  et  dans  la 
séance  du  lundi  12  janvier,  M.  Macart  saisit  le  Conseil  de 
cette  triste  affaire,  avec  toutes  ses  circonstances.  Il  expose 
les  faits  qui  se  sont  passés,  la  conduite  indigne  de  Montéléon 
à  l'égard  de  M.  Glandelet,  les  voies  de  fait  qu'il  a  même 
voulu  commettre  sur  sa  personne,  le  scandale  affreux  qu'il 
a  donné  dans  l'église  de  Beauport  ;  il  demande  qu'une 
enquête  juridique  soit  tenue  sur  tous  ces  faits,  et  qu'en 
attendant  la  conclusion  de  cette  affaire  il  soit  défendu  à 
Montéléon  de  cohabiter  avec  sa  prétendue  épouse  sous  peine 
de  prison  et  d'une  amende  de  cent  livres  payable  à  l'église  de 
Beauport.  Le  Conseil  rend  un  arrêt  en  conséquence,  et  cet 
arrêt  est  signifié  aux  intéressés  le  15  janvier. 

L'enquête  ordonnée  par  le  Conseil  se  tient  sous  la  prési- 
dence de  Paul  Dupuy,  lieutenant  particulier  de  la  prévôté, 
mais  n'aboutit  à  rien  :  personne  ne  veut  répondre  ;  et  l'affaire 
menace  de  traîner  en  longueur. 

Sur  les  entrefaites,  M.  de  Maizerets.  un  autre  grand 
vicaire  de  M^""  de  Saint-Vallier,  prend  la  chose  en  mains. 
Ce  vieux  prêtre  du  Séminaire,  le  contemporain  et  l'ami  de 
M^  de  Laval,  avait  beaucoup  d'autorité  dans  tout  le  pays,  et 
surtout  à  Québec  :  c'est  lui  qui  avait  formé  la  plupart  des 
hommes  publics  de  l'époque,  ceux  du  moins  qui  étaient  nés 
au  Canada.  Du  reste,  il  ne  manquait  pas  d'habileté  dans  \e 
maniement  des  hommes  et  des  choses.  Il  écrit  donc  au 
Conseil  et  le  supplie  de  terminer  au  plus  tôt  cette  affaire; 
elle  n'intéresse  pas  moins  l'Etat  que  l'Eglise.  Le  Roi  est  îe 
protecteur  et  le  défenseur  des  saints  canons  :  le  Conseil 
Supérieur  représente  ici  une  partie  de  son  autorité;  il  doit 
voir  à  ce  que  les  lois  de  l'Eglise  touchant  le  mariage  soient 

Sault-au-Matelot,  tout  près  de  M.  de  Lino,  un  autre  conseiller.  Il  était 
le  beau-frère  de  Charles  Le  Gardeur,  de  Charles  Bazire,  de  François 
Provost,  de  Jean-Baptiste  Deschamps.  (Voir  Jean  Nicolet,  p.  254,  268.) 


.34^  l'éguse  du  canada 

respectées.  Dans  le  cas  présent,  Montéléon  «  a  déjà  avoué 
sa  culpabilité  et  donné  une  satisfaction  publique,  quoique 
insuffisante,  dans  l'église  de  Beauport  ».  De  plus,  il  a  fait 
des  excuses  à  M.  Glandelet,  et  celui-ci  s'en  est  déclaré  parfai- 
tement satisfait."  Que  le  Conseil  passe  donc  par-dessus  cer- 
taines formalités  pour  ne  s'en  tenir  qu'à  celles  qui  sont 
nécessaires  ;  qu'il  exige  de  Montéléon  toutes  les  conditions 
-et  réparations  nécessaires,  et  termine  l'affaire  au  plus  tôt. 

La  requête  de  M.  de  Maizerets  est  prise  en  considération 
par  le  Conseil  le  26  janvier,  accueillie  avec  beaucoup  de 
respect  et  jointe  au  dossier  de  la  cause.  Mais  rien  n'est 
conclu  que  le  9  février.  Chose  singulière  :  Montéléon  se 
refusait  toujours  à  donner  des  preuves  de  sa  liberté;  et 
cependant  il  avait  en  mains  ce  qu'il  lui  fallait  pour  démon- 
trer  qu'il  n'avait  aucun  engagement  en  France.  Enfin,  il 
se  décida  à  produire  et  à  mettre  entre  les  mains  de  M.  de 
Maizerets  une  lettre  de  sa  mère,  M"®  de  Neste,  d'après 
laquelle  il  était  constaté  non  seulement  qu'il  n'était  pas 
marié,  mais  qu'elle  agréerait  son  mariage.  Cette  lettre  était 
accompagnée  de  certificats  attestant  qu'elle  était  bien  de  la 
même  écriture  que  d'autres  lettres  de  sa  mère  c|u'on  avait 
vues,  et  entre  autres  de  plusieurs  qu'elle  avait  écrites  à 
François  de  la  Joue  ^.  Il  n'y  avait  plus  de  raison  pour  qu'on 
s'opposât  au  mariage  de  Montéléon.  Aussi  M.  de  Maizerets, 
écrivant  de  nouveau  au  Conseil  : 

«  Nous  sommes  disposés,  disait-il,  à  consentir  à  la  réhabi- 
litation du  mariage  en  face  de  l'Eglise  et  dans  les  formes 
accoutumées.  » 

Dans  sa  séance  du  9  février,  le  Conseil,  après  avoir  en- 
tendu la  lecture  de  la  lettre  de  M.  de  Maizerets  et  un  long 


I.  François  de  la  Joue,  arpenteur  très  estimé,  était  mort,  à  cette 
époque  ;  mais  il  avait  plusieurs  filles  à  Québec,  une  d'elles  était  reli- 
gieuse à  l'Hôtel-Dieu.   (Recensement  de  I/16. — Dict.  généalogique.) 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  347 

rapport  de  M.  Macart,  faisant  les  fonctions  de  procureur 
général,  mit  fin  à  toute  cette  affaire.  «  Pour  le  scandale 
commis,  »  il  condamne  Montéléon,  la  fille  Lestringan  et  sa 
mère  solidairement  à  une  amende  de  vingt  livres  applicable 
aux  pauvres  de  la  paroisse  de  Beauport.  Il  permet  aux 
époux  de  se  pourvoir  par  devers  le  sieur  grand  vicaire,  pour 
obtenir  de  lui  la  permission  de  faire  publier  des  bans,  mais 
seulement  après  qu'ils  auront  fait  la  réparation  qui  leur 
sera  par  lui  ordonnée.  Puis,  «  la  dite  publication  et  répa- 
ration faites,  il  sera  par  les  parties  contracté  un  mariage 
suivant  les  formalités  prescrites  par  l'Eglise  et  les  lois  du 
Royaume  ». 

La  fille  Lestringan  était  déjà  depuis  quelque  temps  à  l' Hô- 
tel-Dieu, en  conformité  de  l'arrêt  du  Conseil,  qui  lui  avait 
défendu  toute  cohabitation  avec  son  fiancé  :  «  Elle  y  restera, 
dit  le  Conseil,  en  attendant  son  mariage,  sans  que  ses  père 
et  mère  puissent  l'en  faire  sortir  sous  quelque  prétexte  que 
ce  soit  ;  à  l'effet  de  quoi,  le  Conseil  fait  inhibitions  et 
défenses  à  la  supérieure  du  dit  couvent  de  la  leur  remettre 
entre  les  mains  avant  le  temps  ci-dessus  marqué  \  .  .  » 

Les  bans  de  Montéléon  et  de  M"^  de  Lestringan  furent 
publiés  à  Beauport  le  dimanche  15  février,  et  le  mariage 
célébré  le  lendemain. 

Les  scandales  donnés  par  ces  mariages  à  la  gaumine  déci- 
dèrent M^  de  Saint-Vallier  à  lancer  son  célèbre  mandement, 
qui  semble  y  avoir  mis  fin  pour  toujours  : 

«  Nous  déclarons  excommuniés,  dit-il  dans  ce  mande- 
ment, d'une  excommunication  encourue  par  le  seul  fait,  et 
dont  nous  nous  réser\'ons  à  nous  seul  le  pouvoir  d'absoudre, 
tous  ceux  qui  dans  la  suite  oseront  contracter  de  si  détes- 
tables mariages,  soit  devant  leurs  curés,  soit  devant  d'autres 
prêtres,  soit  séculiers,  soit  réguliers;  ceux  aussi  qui  seront 

I.    Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  VI,  p.  139  et  171. 


348  l'église  du  canada 

assez  méchants  pour  les  conseiller,  tous  les  témoins  apostés 
pour  les  dits  mariages,  et  les  notaires  qui  en  dresseraient 
l'acte,  sauf  à  notre  officiai,  dans  les  cas  particuliers  qui 
seront  portés  devant  lui,  d'imposer  encore  d'autres  peines 
particulières  pour  punir  les  prévaricateurs  '.  .  .  » 

2.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I  p.  492. 


CHAPITRE  XXIII 


NOUVEAU   REMANIEMENT   DES    PAROISSES 
RÈGLEMENT  DE    1/21 

Le  "  Plan  des  missions  "  de  1683.  —  Le  Règlement  de  1721.  —  M. 
Collet.  —  Liste  de  82  districts  paroissiaux.  —  Remarques  au  sujet 
du  Règlement  de  1721.  —  La  côte  du  Labrador.  —  Protestations 
contre  le  Règlement.  —  Le  curé  Fornel.  —  Le  curé  Ulric.  —  Les 
cures  fixes. 

LE  gouverneur  et  l'intendant  du  Canada  recevaient  de  la 
cour  de  France  en  1721  une  petite  note  significative: 

«  Sa  Majesté  recommande  à  MM.  de  Vaudreuil  et  Bégon 
de  bien  vivre  avec  le  sieur  évêque  de  Québec  ^.  .  .  » 

Evidemment  il  avait  transpiré  quelque  chose,  à  la  cour, 
des  relations  un  peu  froides  qui  existaient  entre  eux,  M.  de 
Vaudreuil,  surtout,  et  M^  de  Saint  -  Vallier.  Celui-ci, 
d'ailleurs,  s'était  plaint  à  plusieurs  reprises  du  gouverneur. 
On  aurait  tort  de  croire,  cependant,  que  tout  était  mésintelli- 
gence entre  ces  hauts  dignitaires  :  au  contraire,  ils  s'enten- 
dirent en  maintes  occasions  pour  assurer  le  bien  de  la  colonie 
et  de  l'Eglise  ;  et  précisément  à  la  date  que  nous  venons  de 
mentionner,  nous  voyons  leurs  noms  réunis  au  bas  d'un 
document  très  important,  intitulé  :  «  Règlement  des  districts 
des  paroisses  de  la  Nouvelle-France  '.  » 

Depuis   longtemps   la   cour  demandait   ce   règlement,   et 


1.  Corresp.  générale,  vol.  43.  Lettre  du  19  déc.  1721. 

2.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  443. 


350  l'église  du  canada 

voulait  avoir  un  état  aussi  clair  et  exact  que  possible  des 
paroisses  et  missions  qu'il  était  possible  de  créer  dans  la 
colonie.  On  n'avait  rien  de  satisfaisant  ni  de  précis  depuis  le 
«Plan  général  des  missions»  qui  avait  été  fait  en  1683,  du 
temps  de  M^""  de  Laval.  Nous  avons  donné  une  idée  de  ce 
Plan  des  missions,  à  l'occasion  de  la  première  visite  du 
diocèse  par  M^""  de  Saint- Vallier  en  1685:  il  y  avait  une 
quarantaine  de  districts  paroissiaux  qui  avaient  été  organisés 
par  le  grand  vicaire  de  M^  de  Laval,  de  concert  avec  l'in- 
tendant de  Meulles.  Mais  le  règlement  fait  à  cette  occa- 
sion n'avait  qu'un  caractère  semi-officiel  ;  l'intendant  lui 
avait  donne  son  concours,  mais  il  avait  accompagné  le 
grand  vicaire  de  ^P""  de  Laval  surtout  pour  mettre  la  paix 
et  l'ordre  dans  tous  les  nouveaux  centres  de  colonisation: 
écrivant  à  la  cour  : 

«  Je  suis  parti  de  Québec,  disait-il,  à  la  fin  de  mai  (1683) 
avec  le  grand  vicaire  de  M.  l'évêque  et  un  autre  ecclésias- 
tique, lesquels  m'ont  mené  dans  tous  les  endroits  où  ils  ont 
cru  que  ma  présence  était  nécessaire  pour  mettre  la  paix 
dans  toutes  les  familles,  juger  leurs  différends,  condamner 
les  vicieux,  et  ordonner  de  tout  ce  qui  regarde  le  temporel 
de  l'Eglise,  comme  des  dimes,  et  autres  choses,  . .  Je  n'ai 
rien  épargné  pour  apporter  la  paix,  et  détruire  cet  esprit  de 
chicane  que  j'ai  trouvé  avoir  pris  de  grandes  racines  dans 
ce  pays-ci.  .  .  «  Il  ajoutait  :  «  Nous  avons  trouvé  qu'il  était 
d'une  nécessité  indispensable  de  faire  tout  d'un  coup 
quarante  districts  paroissiaux,  et  que  par  ce  moyen  nous 
fixerions  les  curés  à  avoir  l'œil  sur  leurs  paroisses,  étant 
exempts  de  ces  courses  extraordinaires  qui  sont  causes  que 
la  plupart  des  peuples  n'entendent  la  messe  que  trois  ou 
quatre  fois  l'année  et  n'ont  presque  point  de  religion  \  .  .  >» 


I.    Bibliothèque  du  Parlement  d'Ottawa,  Mss.  de  la  Nouvelle-France, 
vol.  IV,  p.  i8g,  338. 


sous    M^*"    DE    SAINT-VAIXIER  35* 

Depuis  ce  temps  la  colonie  avait  augmenté  :  au  recen- 
sement de  1710,  elle  renfermait  16,355  âmes,  «tant  Cana- 
diens que  Français,  établis,  non  compris  les  officiers,  les 
troupes  et  les  ecclésiastiques  »  '  :  il  y  en  avait  30,000  en 
i/'24^.  Cette  population,  disséminée  çà  et  là  sur  les  deux 
rivts  du  Saint  -  Laurent,  n'avait  presque  point  i^énétré 
encore  dans  l'intérieur  des  terres,  et  se  partageait,  un  peu 
arbitrairement,  en  un  certain  nombre  de  paroisses  ou  mis- 
sions. Il  fallait  créer  de  nouvelles  paroisses,  diviser  les^ 
anciennes,  en  changer  les  limites  :  souvent  les  colons  avaient 
des  espaces  immenses  à  parcourir  pour  se  rendre  à  leur 
église;  quelquefois  même  ils  avaient  à  traverser  le  fleuve:  à 
Sorel,  par  exemple,  comme  nous  le  verrons. 

M^""  de  Saint-Vallier  avait  dû  modifier  déjà  en  beaucoup 
d'endroits  le  Plan  général  des  missions  de  1683;  mais  rien 
de  ce  qui  avait  été  fait  jusqu'ici  n'était  définitif:  il  fallait 
faire  quelque  chose  de  relativement  durable,  et  surtout  quel- 
que chose  qui  fût  digne  d'être  présenté  à  la  cour  et  de 
recevoir  la  sanction  royale.    Mais  qui  allait  faire  ce  travail? 

La  Providence  fournit  de  suite  à  l'autorité  religieuse  et  à 
l'autorité  civile  de  la  colonie  l'homme  qu'il  leur  fallait.  Cet 
homme  était  Mathieu-Benoit  Collet,  procureur  du  roi  au 
Conseil  Supérieur.  Fils  d'un  avocat  au  Parlement  de  Paris,, 
il  était  au  Canada  depuis  quelques  années,  et  connaissait 
parfaitement  le  pays.  Intelligent,  instruit,  actif,  il  s'était 
fait  une  bonne  réputation  d'habileté,  de  savoir-faire  et  sur- 
tout d'honnêteté.  Lorsqu'il  mourut  en  1727.  le  gouverneur 
lui  rendait  ce  beau  témoignage:  «  La  colonie  vient  de  faire 
une  très  grande  perte  par  la  mort  de  M.  Collet,  procureur 
général  du  Conseil,  qui,  avec  sa  grande  capacité,  avait  le 
talent  d'accommoder  une  infinité  de  procès.  »     M.  de  Vau- 


1.  Corresp.  générale,  vol.  31. 

2.  Ibid.,  vol.  46. 


352  I,  EGUSE    DU    CANADA 

dreuil  avait  été  bien  inspiré  en  le  nommant  commissaire 
pour  dresser  ce  Plan  général  des  paroisses  et  missions  de  la 
colonie,  que  demandait  le  Roi  :  aussi  en  fut-il  complimenté 
par  la  cour,  où  M.  Collet  était  bien  connu. 

Plein  d'activité  et  désireux  de  faire  le  bien,  M.  Collet 
avait  voulu  établir  à  Québec  une  Ecole  de  droit,  et  on 
lui  avait  envoyé  de  Paris  les  livres  dont  il  avait  besoin: 
«  Nous  favoriserons  les  bonnes  intentions  qu'il  a  sur  ce  sujet 
le  plus  que  nous  pourrons,  »  écrivait  en  souriant  M.  de 
Vaudreuil.  M.  Collet  en  fut  quitte  pour  ses  «bonnes 
intentions  »  :  son  projet  n'eut  pas  de  suites,  faute  d'étu- 
diants ' .  Il  fut  repris  avec  un  peu  plus  de  succès  par  son 
successeur  comme  procureur  général  au  Conseil,  M.  Le 
Verrier  2. 

Le  commissaire  nommé  pour  visiter  la  colonie  et  dresser 
un  plan  général  des  paroisses,  devait  convoquer  les  habi- 
tants, entendre  leurs  demandes,  leurs  raisons  et  leurs 
plaintes,  puis  donner  des  procès-verbaux  de  commodo  et 
incommodo.  Il  partit  dans  l'été  de  1720,  accompagné  d'un 
greffier,  et  mit  deux  mois  à  faire  sa  tournée.  Il  s'acquitta 
de  sa  tâche  «  avec  beaucoup  d'ordre  et  d'attention  ».  Ses 
dépenses  devaient  être  payées  par  la  cour,  qui  avait  ordonné 
le  travail;  et  le  gouverneur  et  l'intendant  recommandèrent 
de  le  «  traiter  favorablement  ».  D'après  les  procès-verbaux 
qu'il  rapporta,  le  gouverneur  et  l'intendant,  «  conjointement 
avec  l'évêque»,  formèrent  quatre-vingt-deux  districts  pa- 
roissiaux, et  en  déterminèrent  les  limites  et  l'étendue,  déci- 
dant en  même  temps  à  qui  les  fidèles  de  telle  localité,  quand 
il  y  avait  doute,  devaient  payer  la  dîme  ;  puis  ils  envoyèrent 
à  la  cour  leur  règlement,  daté  du  20  septembre  1721,  pour 


1.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  I,  p.  184. 

2.  Voir  mon  mémoire,  Le  P.  de  Bonnécamps,  Ottawa,  1895,  P-  3i- 


sous    M^    DE    SAINT-VALUKR  353 

le  faire  confirmer  par  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat,  «  afin  de 
prévenir  les  difficultés  qui  pourraient  naître  dans  la  suite 
sur  son  exéaition  ».  Cet  arrêt  fut  rendu  le  3  mars  1722, 
puis  enregistré  au  Conseil  Supérieur  le  5  octobre  de  la  même 
année. 

Voici  les  noms  des  différents  districts  paroissiaux,  pour 
ne  pas  dire  paroisses.  —  car  c'étaient  presque  tous  des 
noyaux  d'un  grand  nombre  de  futures  paroisses  —  dont  les 
limites  furent  fixées  par  ce  règlement:  au  nom  civil  nous 
ajoutons  entre  parenthèse  le  titre  canonique,  tel  qu'il  est 
donné  dans  les  Edits  et  Ordonnances: 

Gouvernement  de  Québec,  côté  du  nord,  en  remontant  le 
fleuve  Saint-Laurent  : 

Baie  Saint-Paul  (Saint-Pierre  et  Saint-Paul).  —  La 
Petite-Rivière    (Saint-François-Xavier). —  Saint-Joachim. 

—  Sainte-Anne.  —  Le  Château-Richer  (La  Visitation  de 
Notre-Dame). —  L'Ange-Gardien. —  Saint-François  (de 
Sales).  —  Saint  -  Jean  -  Baptiste.  —  Saint  -  Laurent.  —  La 
Sainte-Famille. — Saint-Pierre  (Saint-Pierre  et  Saint-Paul). 

—  Beauport  (Notre-Dame  de  Miséricorde).  —  Charlebourg 
(Saint-Charles  Borromée).  —  Québec.  —  Sainte-Foy.  — • 
La  Vieille-Lorette.  —  Demaure  (Saint-Augustin). —  Neuf- 
ville  (Saint-François  de  Sales). — Portneuf  dit  le  Cap-Santé 
(La  Sainte-Famille).  —  Eschambault  et  la  Chevrotière. — 
Les  Grondines  (Saint-Charles-des-Roches). —  Sainte- Anne, 
près  Batiscan. 

Côté  du  sud,  en  remontant  le  fleuve  Saint-Laurent  : 
Les  Camouraska  (Saint-Louis). — La  Bouteillerie,  dit 
la  Rivière-Ouelle  (Notre-Dame-de-LiesseJ.  —  La  Pocatière 
ou  Grande- Anse  (Sainte-Anne).  —  Bes  Aulnets  (Saint- 
Roch). —  Port-Joly. —  Bon-Secours  (Notre-Dame  de  Bon- 
Secours). —  Le  Cap  Saint-Ignace  (Saint-Ignace).  —  La 
Pointe  à  la  Caille  (  Saint-Thomas j. —  Saint-Pierre. —  Belle- 
chasse    (Notre-Dame    de    l' Assomption j. — La    Durantaye 


354  l'église  du  canada 

( Saint- Jacques  et  Saint-Philippe). —  Saint-Michel. — Beau- 
mont  ( Saint-Etienne j. — La  Pointe-de  Lévy  (Saint-Joseph). 
— Saint-Nicolas. — Tilly  (  Saint- Antoine  de  Pade). — Sainte- 
Croix.  —  Lotbinière   ( Saint-Louis).  —  Eschaillons. 

Gouvernement  des  Trois  -  Rivières,  côté  du  nord,  en 
remontant  le  fleuve: 

Batiscan  (Saint- François- Xavier).  —  Champlain  (la 
Visitation^.  —  Le  Cap  dit  de  la  Madeleine  (Sainte-Marie- 
Madeleine).  —  Les  Trois  -  Rivières.  —  Le  fief  des  Pères 
jésuites.  —  Grosbois,  dit  les  Grande  et  Petite  Rivière  Oua- 
machiche  (Sainte- Anne).  —  La  Rivière  du  Loup,  sur  le 
lac  Saint-Pierre  (Saint- Antoine).  —  Maskinongé  (Saint- 
Joseph  ) . 

Coté  du  sud,  en  remontant  le  fleuve: 

Saint-Pierre,  Gentilly,  Cournoyer. —  Bécancourt  (la  Na- 
tivité de  la  sainte  Vierge).  —  Godefroy  et  Tonnancourt.  — 
Nicolet,  l'Ile  Moras  et  la  Baie  Saint-Antoine.  —  Saint- 
François,  sur  le  lac  Saint-Pierre  (Saint-François-Xavier). 

Gouvernement  de  Montréal,  côté  du  nord,  en  remontant 
le  fleuve: 

L'Ile  du  Pads  (la  Visitation^.  —  Berthier  et  Dorvilliers. 

—  Dautray  et  Lanoraye.  —  Lavaltrie.  —  Saint  -  Sulpice.  — 
Les  Iles  Bouchard.  —  Repentigny  (Notre-Dame  de  l'As- 
somption).—  La  Chesnaye.  —  Terrebonne,  et  le  fief  des 
héritiers  l'Angloiserie  et  Petit. — L'Ile  Jésus  (Saint-Fran- 
çois de  Sales).  —  La  Rivière  des  Prairies  ( Saint- Joseph^. 

—  La  Pointe-aux-Trembles  ( l'Enfant- JésusJ. — La  Longue- 
Pointe.  —  Montréal.  —  Saint  -  Laurent.  —  Lachine  (les 
Saints- Anges.  —  La  Pointe  -  Claire  (  Saint  -  Joachim  ) .  — 
Sainte- Anne  du  Bout  de  l'Ile. 

Côté  du  sud,  en  remontant  le  fleuve  : 

Saurel  (Saint-Pierre).  —  Saint-Ours  (T Immaculée-Con- 
ception).—  Contrecœur  (la  Sainte-Trinité). — Verchère» 
(Saint  -  François  -  Xavier) .  —  Varennes   Sainte  -Anne) .  — 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  355 

Boucherville  (la  Sainte-Famille ).--Chambly  (Saint-Louis). 
— Longueuil  (Saint-Antoine  de  Pade). — La  Prairie  de  la 
Madeleine  (Sainte-Marie-Madeleine). — Chateauguay. 


Telle  est  la  liste  des  districts  paroissiaux  de  la  Nouvelle- 
France,  «  faite  en  double  à  Québec  le  20  septembre  1721  », 
et  signée  par  M.  de  Vaudreuil,  M^  de  Saint-Vallier  et  l'in- 
tendant Bégon.  En  comparant  cette  liste  avec  le  Plan  géné- 
ral des  misions  de  1683,  on  se  fait  aisément  une  idée  du  dé- 
veloppement graduel  de  la  colonie.  Nous  ne  pouvons  entrer 
dans  tous  les  détails  :  faisons  seulement  quelques  remarques. 

On  venait  de  créer  quatre-vingt-deux  districts  parois- 
siaux, mais  il  ne  s'en  suit  pas  que  chacun  de  ces  districts 
avait  un  curé  résident.  Voyons,  par  exemple,  la  Baie  Saint- 
Paul  :  le  curé  de  cette  paroisse  devait  desservir  «  par  voie  de 
mission»  celle  de  la  Petite-Rivière,  et  aussi  «le  fief  des 
Eboulements  et  celui  de  la  Malbaie,  jusqu'à  ce  qu'il  y  eiit  un 
nombre  suffisant  d'habitants  pour  pouvoir  y  ériger  une 
paroisse  »  \  Le  fief  de  la  Malbaie  est  l'endroit  le  plus 
éloigné,  au  nord  du  Saint-Laurent,  qui  soit  mentionné  dans 
le  règlement  des  paroisses  de  1721.  Au  delà,  jusqu'aux 
Sept-Iles,  c'était  la  Ferme  ou  Traite  de  Tadoussac  :  elle  com- 
mençait même  à  l'Ile-aux-Coudres,  et  avait  quatre-vingts 
lieues  de  longueur,  sur  «  soixante  lieues  avant  dans  les 
terres  ».  On  écrivait  à  la  cour  en  1683  :  «  Cette  côte  du 
nord  n'est  point  habitée^.  »  Mais  nous  voyons  qu'en  1708 
il  y  avait  un  fort  au  Labrador;  et  M.  de  Courtemanchc 
écrivait  à  la  cour  «  qu'il  avait  mené  à  cette  côte  un  mission- 
naire, et  que  ce  missionnaire  y  était  très  nécessaire  pour 
administrer  les  sacrements  aux  gens  qui   y   habitaient,   et 

1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  444. 

2.  Bibl.  du  Pari.  d'Ottawa,  Mss  de  la  Nouvelle-France,  vol.  IV,  p.  163. 


356  l'éguse  du  canada 

pour  établir  le  christianisme  parmi  les  sauvages  1.  »  Est-ce 
ce  missionnaire  qui,  quelques  années  plus  tard,  demandait  à 
la  cour  la  permission  de  faire  un  établissement  au  Labrador 
pour  la  pêche  du  loup-marin?  On  en  écrivit  au  gouverneur 
et  à  l'intendant  du  Canada;  et  ceux-ci  répondirent  au  mi- 
nistre avec  beaucoup  de  sagesse  : 

«  Le  Labrador  ne  paraît  guère  susceptible  d'un  établisse- 
ment pour  un  homme  de  cette  robe,  n'y  ayant  que  rochers 
en  ce  lieu;  et  la  dissipation  que  cause  un  établissement  à 
conduire  ne  convient  guère  à  un  missionnaire  ^  ». 

L'Ile  d'Orléans,  à  la  date  où  nous  sommes,  s'appelle 
encore  l'Ile  Saint-Laurent.  M.  Collet  y  a  réglé  plusieurs 
questions  :  à  Saint-François,  «  la  nouvelle  église  qu'il  est 
nécessaire  de  construire,  le  sera  au  même  lieu  oii  est  l'an- 
cienne »  ;  il  y  a  quelques  difficultés  au  sujet  de  la  dîme  entre 
les  curés  de  Saint-Jean,  de  Saint-Laurent  et  de  Saint-Pierre  : 
tout  cela  est  réglé  pour  l'avenir. 

La  paroisse  de  Charlesbourg  est  une  de  celles  où  l'on 
compte  le  plus  de  villages  :  le  Petit  Village  ;  le  Gros-Pin  ; 
Saint  -  Jérôme  dit  l'Auvergne  ;  Bourg  -  Royal  ;  Bourg-la- 
Reine  :  Charlesbourg  ;  Saint-Claude  ;  Saint-Pierre  ;  Saint- 
Joseph;  Saint-Bonaventure ;  Saint-Bernard;  Saint-Romain; 
Saint-Gabriel;  Saint-Jacques:  Paincourt;  le  Petit  Saint- 
Antoine  et  le  Grand  Saint-Antoine. 

La  paroisse  de  Québec  s'étend  jusqu'aux  terres  de  la  sei- 
gneurie de  Sillery  et  jusqu'au  district  de  la  paroisse  de 
Charlesbourg,  «  à  l'exception  des  bâtiments  et  enceinte  de 
r Hôpital-Général,  dont  l'église  sera  érigée  en  paroisse  pour 
le  dit  Hôpital-Général  seulement,  et  desservie  par  le  cha- 
pelain qui  y  sera  établi  curé,  auquel  les  dîmes  des  terres  des 

1.  Corresp.  générale,  vol.  29,  Québec,  3  nov.  1708. 

2.  Ibid.,  vol.  49,  Beauharnais  et  Dupuy  au  ministre,  20  oct.  1727; 
vol.  50,  Beauharnais  et  D'Aigremont  au  ministre,  ler  oct.  1728. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  357 

pauvres  qui  étaient  de  cette  paroisse  appartiendront  pour 
subvenir  à  son  entretien  ».  .  .  Le  district  de  l' Hôpital-Géné- 
ral fut  en  effet  détaché  de  la  paroisse  de  Québec  par  un  acte 
de  M^  de  Saint- Vallier  en  date  du  i8  septembre  1721  \  Il 
est  à  remarquer  que,  dans  son  article  relatif  à  Québec, 
approuvé  par  AP""  de  Saint- Vallier,  M.  Collet  dit  expressé- 
ment que  «  la  cure  de  Québec  est  unie  au  Séminaire  »  -. 

A  la  Pointe-aux-Trembles  de  Neuville,  il  est  permis  aux 
habitants  dans  la  profondeur  des  terres  de  construire  une 
chapelle,  et  alors  le  curé  de  Neuville  sera  «  tenu  d'aller  leur 
dire  la  messe  une  fois  par  mois,  un  jour  de  fête  ou  de 
dimanche  »...  Il  s'agit,  sans  doute,  d'une  chapelle  au  Grand- 
Capsa,  dont  nous  avons  souvent  entendu  parler  par  les 
anciens  de  l'endroit. 

Les  paroisses  de  Deschambault  et  de  La  Chevrotière  n'ont 
pas  encore  de  curé  ;  elles  sont  desservies  «  par  voie  de  mis- 
sion »  par  le  curé  des  Grondines. 

Les  Camouraska  ont  six  lieues  de  largeur,  entre  «  le  fief 
de  l'Anse  Saint-Denis  et  le  fief  de  Vertbois  ».  Le  curé  de 
cette  immense  paroisse  doit  aussi  desservir  les  fiefs  de  Vert- 
bois,  de  la  Rivière  du  Loup,  du  Parc,  de  l'Ile  Verte  et  de  la 
Rivière  des  Trois-Pistoles,  «  jusqu'à  ce  qu'il  y  ait  lieu  d'y 
ériger  des  paroisses  ». 

La  paroisse  de  la  Rivière-Ouelle  s'étend,  en  montant, 
jusqu'au  fief  de  la  Pocatière,  dit  la  Grande- Anse,  et  le  curé 
est  chargé  de  desservir  «  par  voie  de  mission  »  la  paroisse 
de  Sainte-Anne  de  la  Pocatière,  «  jusqu'à  ce  qu'il  y  ait  un 
nombre  suffisant  d'habitants  pour  fournir  à  l'entretien  et 
subsistance  d'un  curé  ». 

Les  fiefs  de  Port-Joly  et  de  la  Rivière  des  Trois-Saumons 
sont  desservis  par  le  curé  de  Bon-Secours  de  l'Islet. 


1.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Registre  C. 

2.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  446. 


35^  l'église  du  canada 

Le  curé  du  Cap  Saint-Ignace  est  chargé  de  desservir  «  les 
Iles  aux  Oies,  grande  et  petite,  aux  Grues,  au  Canot,  de 
Sainte-Marguerite,  la  Grosse-Ile,  celle  à  Deux-Têtes  et 
autres  petits  Islets  qui  n'ont  pas  de  noms  et  appartiennent  à 
la  danie  veuve  du  sieur  de  Grandville  ». 

La  paroisse  de  Saint- Joseph  de  la  Pointe-de-Lévy  s'étend 
depuis  le  milieu,  environ,  du  fief  de  Montapeine,  «jusqu'à  la 
rivière  du  Sault  de  la  Chaudière  ». 

La  paroisse  de  Sainte-Croix  est  desservie  par  le  curé  de 
Lotbinière.  «  Il  desservira  aussi,  par  voie  de  mission,  le 
fief  d'Eschaillons  ;  mais  attendu  le  grand  éloignement,  il  ne 
sera  obligé  que  d'y  dire  une  messe  tous  les  mois,  un  jour  de 
fête  ou  de  dimanche,  autant  que  faire  se  pourra,  dans  la 
chapelle  qui  sera  à  cet  effet  construite  sur  le  dit  fief.  »  Il 
n'y  avait  donc  pas  encore  de  chapelle  à  Saint-Jean  Des- 
chaillons. 

La  Pointe-du-Lac,  Yamachiche,  la  Rivière-du-Loup, 
Maskinongé  sont  desservais  par  voie  de  mission  «  jusqu'à  ce 
qu'il  y  ait  un  nombre  suffisant  d'habitants  pour  fournir  à  la 
subsistance  et  entretien  d'un  curé». 

Les  fiefs  Saint-Pierre,  Gentilly  et  Cournover  seront  des- 
servis par  le  curé  de  Bécancourt,  quand  il  y  en  aura  un 
d'établi.  Cette  paroisse  de  Bécancourt  renferme  la  mission 
des  sauvages  :  «  tant  qu'elle  y  restera,  le  curé  qui  sera  établi 
à  Bécancourt  prendra  trente  cordes  de  bois  par  an.  pour  son 
chauffage,  sur  le  domaine  de  la  seigneurie,  suivant  les  offres 
du  dit  sieur  de  Bécancourt  ». 

Les  fiefs  Godefroy  et  Tonnancour  «  seront  desservis  par 
voie  de  mission  par  le  curé  qui  sera  établi  dans  la  paroisse 
qui  sera  érigée  pour  Nicolet  et  la  Baie  Saint- Antoine  »... 
Mais  cette  paroisse  n'existe  pas  encore:  les  seigneurs  et  les 
habitants  des  fiefs  de  Nicolet,  de  l'Ile  Moras  et  de  la  Baie 
Saint- Antoine  ont  offert  «  de  construire  une  église  et  un 
presbytère  proche  la  ligne  qui   sépare  Nicolet  de  la  Baie 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  359 

Saint-Antoine,  de  donner  au  curé  une  étendue  de  terre  pour 
son  utilité,  et  de  lui  laisser  prendre,  sur  le  domaine  de  la 
Baie  Saint-Antoine,  trente  cordes  de  bois  par  an  pour  son 
chauffage  »  :  on  leur  permet  de  construire  cette  église  et  ce 
presbytère,  «  et  tous  devront  y  contribuer  et  y  travailler  »... 

Le  curé  de  l'Ile  du  Pads  dessert,  par  voie  de  mission, 
Berthier,  Dorvilliers,  Dautray,  Lanoraie  et  Sorel,  «  jusqu'à 
ce  qu'il  y  ait  un  curé  établi  à  Berthier  et  un  à  Sorel  ». 

Le  curé  de  Saint-Sulpice  dessert  La  Valtrie  et  les  Iles 
Bouchard;  celui  de  l'Ile  Jésus  dessert  Terrebonne  et  La 
Chênaie. 

La  paroisse  de  Saint-Laurent  est  encore  desservie  par 
voie  de  mission;  et  le  curé  de  Sainte-Anne  du  Bout-de-l'Ile 
dessert  les  fiefs  de  Vaudreuil  et  de  Soulanges.  Il  dessert 
aussi  la  mission  des  sauvages  Nipissings,  qui  a  été  fondée 
dans  rile-aux-Tourtes  par  l'abbé  de  Breslay,  de  Saint-Sul- 
pice. Il  y  a  là  une  église  et  un  presbytère,  dont  la  construction 
est  due  au  zèle  de  M.  de  Breslay.  Ce  digne  missionnaire  se 
dévoue  maintenant  aux  missions  de  l'Acadie  :  et  bientôt  la 
mission  de  l'Ile-aux-Tourtes  se  fondra  avec  celle  du  Lac 
des  Deux-Montagnes  ^ 

M.  de  Breslay,  qui  avait  fondé  la  mission  de  l'Ile-aux- 
Tourtes,  avait  aussi,  vers  1714.  fait  bâtir  une  chapelle  à 
Sainte-Anne  du  Bout-de-l'Ile  pour  accomplir  un  vœu  qu'il 
avait  fait,  étant  très  malade,  s'il  obtenait  sa  guérison  par 
l'intercession  de  la  Bonne  sainte  Anne.  Ce  fut  l'origine  de 
cette  paroisse  qui  fut  détachée  de  la  Pointe-Claire  ■. 

Il  n'y  a  encore  de  curé  résident  ni  à  Saint-Ours,  ni  à 
Contrecœur,  ni  à  Verchères  :  ces  deux  dernières  paroisses 
devront  en  avoir  un  incessamment;  et  celui  de  Contrecœur 
desservira   aussi    Saint-Ours.    «  jusqu'à   ce    qu'il   y   ait   un 


1.  Les  Snlpiciens  en  Acadie,  p.  287. 

2.  Ihid.,  p.  286. 


360  L^'ÉGUSE    DU    CANADA 

nombre  suffisant  d'habitants  pour  fournir  à  la  subsistance  et 
entretien  d'un  curé  ». 

Le  fief  Chateauguay  est  encore  trop  peu  établi  pour  être 
érigé  en  paroisse  :  il  continuera  à  être  desservi  par  le  mis- 
sionnaire des  sauvages  iroquois  du  Saut-Saint-Louis. 

A  Chambly,  il  n'y  a  encore  que  la  chapelle  du  Fort.  «  Vu 
le  petit  nombre  d'habitants  qu'il  y  a  dans  cette  seigneurie  de 
Chambly,  qu'ils  sont  hors  d'état  de  payer  des  dîmes,  étant 
pauvres,  et  ne  commençant  que  d'établir  leurs  terres,  il  serait 
nécessaire  pour  le  bien  de  la  garnison  de  ce  Fort,  d'y  établir 
un  aumônier  fixe  qui  fût  tenu  d'y  résider,  et  de  desservir 
par  voie  de  mission  les  habitants  de  la  dite  seigneurie,  même 
les  fiefs  des  sieurs  de  Longueuil  et  de  Rouville.  .  .,  à  mesure 
qu'ils  s'établiront,  et,  sous  ces  conditions,  assurer  au  dit 
aumônier  cinq  cents  livres  par  an  pour  sa  subsistance,  jus- 
qu'à ce  que  la  dite  paroisse  soit  suffisamment  établie  pour 
fournir  à  la  subsistance  d'un  curé.  » 

Tous  ces  détails  sont  extraits  du  règlement  officiel  des 
paroisses  signé  le  20  septembre  1721  par  le  gouverneur, 
l'évêque  et  l'intendant  de  la  Nouvelle-France,  et  préparé 
d'après  les  procès-verbaux  de  M.  Collet.  Ah,  qu'elle  était 
encore  peu  avancée  la  colonie  canadienne!  Dans  quelques- 
unes  des  meilleures  parties  du  pays,  à  peine  quelques  défri- 
chements, quelques  pauvres  habitations,  pas  d'église,  pas  de 
presbytère,  pas  de  curé  résident!  Qu'étaient  un  grand 
nombre  de  ces  quatre-vingt-deux  districts  paroissiaux,  sinon 
tout  simplement  des  cadres,  dans  lesquels  il  n'y  avait  encore 
rien,  ou  presque  rien?  Oui  :  mais  ces  cadres  n'en  avaient  pas 
moins  une  grande  valeur:  ils  appelaient,  ils  invitaient  les 
colons  à  venir  se  grouper  autour  d'une  église  en  construc- 
tion, auprès  d'un  prêtre  qui  allait  s'occuper  incessamment 
de  leur  avenir,  de  l'avenir  de  leurs  enfants.  Ces  cadres  vont 
tous  se  remplir,  avec  le  temps;  il  faudra  même  les  élargir,  les. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  361 

étendre  ;  la  vie  débordera  tout  autour,  elle  rayonnera  jus- 
qu'aux extrémités  du  pays. 

*  * 

Il  était  impossible  que  le  Règlement  de  1721,  sanctionné 
par  la  cour  en  1722,  contentât  tout  le  monde:  aussi  n'y  a-t-il 
pas  lieu  de  s'étonner  si  l'on  trouve  dans  les  archives  un 
grand  nombre  de  protestations.  Nous  y  voyons  entre  autres 
«  une  requête  et  liste  des  habitants  de  la  Côte  Saint-Ange, 
qui  réclament  contre  leur  réunion  aux  paroisses  de  Saint- 
Augustin  et  de  Sainte-Foy  »  ;  une  requête  des  habitants  de 
la  seigneurie  Saint-Pierre,  réclamant  contre  l'annexion  de 
cette  seigneurie  à  la  paroisse  de  Bécancourt  ;  »  puis  la  plainte 
de  Joachim  Fornel,  curé  de  la  Yieille-Lorette,  qui  prétend 
que  sa  paroisse  est  réduite  à  rien  : 

«Joachim  Fornel,  curé  de  la  Vieille-Lorette,  remontre  à 
Votre  Grandeur  que.  par  l'arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  Roi, 
rendu  l'année  dernière,  pour  régler  les  districts  des  paroisses 
de  la  Nouvelle-France,  celle  de  Lorette  se  trouve  réduite  à 
un  si  petit  nombre  d'habitants,  qu'elle  semble  ne  devoir  plus 
mériter  le  nom  de  paroisse,  tant  le  nombre  de  ceux  qui 
restent  est  peu  considérable  \  .  .  » 

Remarquons  que  ce  curé,  lorsqu'il  faisait  cette  plainte, 
n'était  âgé  que  de  vingt-six  ans  et  n'avait  que  trois  ans  de 
prêtrise  !  Faut-il  s'étonner  qu'il  y  ait  dans  les  archives  bien 
des  choses  peu  édifiantes  sur  son  compte?  Le  gouverneur 
du  Canada  écrit  un  jour  à  son  sujet  au  ministre  :  «  Il  a  tenu 
à  plusieurs  religieuses  des  discours  sur  la  constitution  Uni- 
genittis,  à  l'occasion  de  M.  le  cardinal  de  Noailles,  qui  ne 
convenaient  guère.  On  lui  en  a  fait  faire  des  reproches  par 
un  de  ses  confrères,  qui  lui  a  fait  sentir  sa  sottise  dans  toute 
son  étendue.    Il  lui  répondit  qu'il  l'avait  dit  pour  rire.    C'est 

I.    Corresp.  générale,  vol.  45. 


362  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

une  peste  qu'un  tel  sujet  dans  un  pays  aussi  sain  que  l'est 
celui-ci  \  » 

M^""  de  Saint- Vallier,  qui  n'était  pas  toujours  heureux  dans 
ses  nominations,  l'avait  envoyé  un  jour  à  l'Ile  Royale  pour 
y  être  curé  de  Louisbourg,  à  la  place  des  Récollets.  Le  gou- 
verneur de  l'Ile,  M.  de  Saint-Ovide,  qui  le  connaissait  pro- 
bablement, ne  voulut  jamais  le  recevoir.  Le  chanoine  —  car 
il  faisait  partie  du  chapitre  —  fut  obligé  de  remonter  à 
Québec. 

Il  passa  en  France,  puis  revint  au  Canada,  à  la  demande 
de  M^  Dosquet  qui,  lui,  ne  le  connaissait  pas  encore,  mais 
qui,  après  l'avoir  connu,  se  reprochait  de  l'avoir  ramené  au 
pays,  et  écrivait  au  ministre  :  «  Je  vous  demande  pardon  de 
vous  avoir  prié  d'accorder  le  retour  dans  ce  pays-ci  au  sieur 
Fornel;  j'avoue  ma  faute,  car  tant  qu'il  y  restera,  l'on  ne 
peut  espérer  d'y  voir  régner  la  paix.  » 

Il  écrivait  encore  :  «  Il  est  important  pour  avoir  la  tran- 
quillité dans  le  chapitre,  qu'il  n'y  réside  pas  :  il  est  inquiet,  il 
ne  peut  y  souffrir  de  Français  ^,  et  il  décide  en  maître  ^.  » 

C'est  ce  M.  Fornel  qui  fut  choisi  par  ses  confrères  les 
chanoines  pour  prononcer  l'oraison  funèbre  de  M^""  de  Saint- 
Vallier  à  la  cathédrale. 

Du  côté  de  Montréal,  les  habitants  de  Mouille-pieds 
écrivent  à  M^  de  Monàlle,  secrétaire  d'Etat,  pour  protester 
contre  leur  annexion  à  Longueuil  : 

«  Ce  sont,  disent-ils,  de  pauvres  sujets  de  Sa  Majesté, 
habitants  du  lieu  dit  Mouille-pieds,  de  la  paroisse  de  la 
Prairie  de  la  Madeleine,  au  Canada,  que  l'on  veut  forcer  de 
quitter  leur  dite  paroisse  de  la  Prairie  de  la  Madeleine, 


1.  Archiv.   de  l'év.   de   Québec,   Doc.   de  Paris,   Eglise   du   Canada, 
Lettre  de  Beauharnais  au  ministre,  17  oct.  1727. 

2.  II  était  flls  de  Jean  Fornel,  marchand,  qui  demeurait  à  la  Bas.se- 
Ville,  rue  Notre-Dame. 

3.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  363 

pour  être  de  celle  de  Longueuil,  qui  osent  se  jeter  aux  pieds 
de  Votre  Grandeur  pour  implorer  la  justice  à  ce  sujet  \  .  .  » 

Leur  curé,  M.  Ulric,  vient  appuyer  leurs  plaintes  :  il 
envoie  des  mémoires  au  comte  de  Morvnlle  pour  réclamer 
contre  «  le  retranchement  qu'on  veut  lui  faire  d'un  endroit 
très  considérable  de  sa  paroisse,  nommé  Mouille-pieds,  pour 
être  attaché  à  celle  de  Longueuil  ». 

Sa  plainte  est  référée  à  l'intendant  du  Canada,  avec  prière 
de  lui  rendre  justice.  Alors  M.  Ulric  écrit  de  nouveau  au 
secrétaire  du  département  de  la  marine  : 

«  J'ai  reçu  avec  toute  la  reconnaissance  possible  la  lettre 
dont  Votre  Grandeur  m'a  honoré,  de  Paris,  du  mois  d'avril. 
On  a  renvoyé  ici  à  M.  l'intendant  mes  mémoires,  avec  ordre 
de  me  satisfaire;  mais  le  dessein  qu'il  a  de  faire  plaisir  au 
gouverneur  des  Trois-Rivières  de  ce  pays  -  lui  a  fait  passer 
sous  silence  les  ordres  de  la  cour  à  mon  sujet.  Cependant, 
on  me  fait,  monseigneur,  l'injustice  la  plus  criante  qui  fîit 
jamais,  et  qui  est  à  un  tel  excès  que  je  ne  puis  assez  l'ex- 
primer. Mon  évêque  en  gémit;  mais  que  peut-il  contre  un 
intendant  qui,  éloigné  de  la  cour,  prétend  que  l'on  doit 
suivre  ses  volontés  ? 

«  Si  j'osais  supplier  Votre  Grandeur  de  dire  un  mot  en 
ma  faveur  au  ministre  de  la  marine,  et  de  lui  faire  présenter 
mon  placet  par  quelqu'un,  je  le  ferais,  prosterné  à  ses 
genoux  ^  ;  du  moins.  qu'Elle  me  fasse  donner  passage  dans 
le  vaisseau  de  Sa  Majesté,  pour  que  je  puisse  moi-même 
aller  représenter  la  justice  de  mon  droit.  :» 

Il  paraît  que  l'usage  de  faire  des  petits  présents  aux  per- 


1.  Corresp.  générale,  vol.  45. 

2.  C'était  à  cette  époque  (1723)  Charles  Le  Moine  de  Longueuil, 
qui  devint  ensuite  gouverneur  de  Montréal.  (Les  Ursulines  des  Trois- 
Rivières,  t.  in,  p.  410).  Il  était  le  frère  de  notre  héros  canadien, 
d'Iberville. 

3.  Quel  abaissement  !. . .  "  Quid  non  mortaîia  pectora  cogis,  auri  sacra 
faînes  F"  (Enéide,  liv.  III). 


364  i^'églisî;  du  canada 

sonnages  haut  placés,  pour  se  les  rendre  propices,  était  déjà 
connu  et  pratiqué  à  cette  époque,  car  M.  Uîric  ajoutait  avec 
la  souplesse  d'un  courtisan  accompli  : 

«  C'est  trop  pour  moi,  monseigneur,  que  Votre  Grandeur 
ait  agréé  la  peau  de  loup-cervier  que  j'ai  pris  la  liberté  de  lui 
faire  tenir,  sans  encore  y  ajouter  l'honneur  de  son  souvenir. 
J'ai  hésité  longtemps  si  je  lui  en  enverrais  cette  année  deux 
que  j'ai  entre  les  mains;  mais  comme  elles  ne  m'ont  point 
paru  belles,  à  cause  que  l'hiver  a  été  fort  doux  cette  année  en 
ce  pays-ci,  je  n'ai  pas  eu  assez  de  confiance  pour  le  faire.  J'en 
ferai  venir  une  demi-douzaine,  des  mieux  choisies,  du  meil- 
leur endroit  du  nord,  pour  l'année  prochaine,  afin  qu'au 
retour  des  vaisseaux  vous  me  fassiez  la  grâce  de  vouloir 
bien  les  accepter  \  .  .  » 

Le  règlement  des  districts  de  paroisses  finit  par  être  reçu 
partout  comme  un  fait  accompli.  Pour  M.  Ulric,  en  parti- 
culier, l'Evêque  employa,  pour  le  calmer,  un  moyen  qui  lui 
réussit  à  souhait,  et  qui  a  réussi  depuis  également  en  maintes 
occasions  :  il  le  transféra  à  la  belle  cure  de  \^arennes  ;  et  les 
habitants  de  Mouille-pieds  ne  songèrent  plus  à  se  plaindre 
de  leur  annexion  à  Longueuil  :  le  gouverneur  et  l'intendant 
du  Canada  écrivaient  à  la  cour  l'année  suivante  : 

'<  Il  y  a  lieu  de  croire  que  le  sieur  Ulric,  curé  de  la  Prairie 
de  la  Madeleine,  agissait  sous  le  nom  de  ceux  des  Mouille- 
pieds,  qu'il  voulait  avoir:  car  ces  habitants  ne  demandent 
plus  d'être  de  cette  paroisse,  à  présent  qu'il  est  curé  de 
Varennes  ;  et  le  sieur  Poulin  qui  est  à  sa  place  est  content  de 
son  district  "...  » 

Le  règlement  de  1721  avait  donné  naissance  à  quatre- 
vingt-deux  paroisses  ou  districts  paroissiaux.  Dix  ans  plus 
tard,  on  en  comptait  une  centaine,  au  témoignage  de  M^ 

1.  Corresp.  générale,  vol.  45,  Lettre  de  M.  Paul-Armand  Ulric  au 
comte  de  Morville,  8  oct.  1723. 

2.  Ibid.,  vol.  47,  Longueuil  et  Bégon  au  ministre,  31  oct.  1725. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  365 

Dosquet  ;  mais,  d'après  ce  même  témoignage,  il  n'y  avait  pas 
plus  d'une  vingtaine  de  ces  paroisses  qui  fussent  «  remplies 
par  des  curés  en  titre  »  :  toutes  les  autres  n'étaient  «  desser- 
vies que  par  de  simples  missionnaires  ».  C'est-à-dire  que  le 
temps  et  l'expérience  avaient  démontré  la  sagesse  du  système 
établi  au  Canada  par  M^  de  Laval  :  ce  système  était  le  seul 
pratique  «  dans  ces  espaces  immenses  de  dix,  douze  et  quinze 
lieues,  qui  ne  faisaient  qu'une  seule  mission  ». 

«  Ce  système,  disait  M''  Dosquet,  conforme  à  celui  de 
toutes  les  églises  naissantes  de  l'Amérique,  des  Indes,  de» 
Philippines  \  est  une  exécution  précise  de  la  déclaration  du 
mois  d'avril  1663,  qui  porte  par  exprès  que,  pour  se  con- 
former autant  qu'on  le  pourrait  à  la  primitive  Eglise, 
l'évêque  de  Québec  ne  fixerait  irrévocablement  aucun  prêtre 
dans  aucune  paroisse,  mais  la  ferait  desservir  par  un  simple 
missionnaire.  On  s'en  est  tenu  constamment  à  cet  usage.  II 
est  vrai  que  de  temps  en  temps  on  y  a  fait  quelque  chan- 
gement. Il  est  venu  des  lettres  de  la  cour  qui  portaient  une 
permission  du  Roi  pour  les  fixer  toutes  ;  mais  cela  n'a  point 
eu  de  suite.  M.  de  Saint- Vallier  a  fait  venir  des  ordres  con- 
traires ;  il  en  a  fixé  peu  lui-même  ;  le  peu  même  qu'il  a  jugé 
à  propos  de  fixer,  il  l'a  remis  en  son  ancien  état,  à  la  mort 
du  premier  titulaire  "...»• 

De  fait,  nous  croyons  qu'à  part  celui  de  Notre-Dame  de 
Québec,  il  n'y  eut  jamais  au  Canada  de  curés  inamovibles 
dans  le  sens  véritable  et  canonique  du  mot.  Ce  que  l'on  en- 
tendait généralement,  à  l'époque  qui  nous  occupe,  par  «  curés 
fixes»,  c'étaient,  comme  l'explique  quelque  part  l'intendant 
de  Meulles,  des  curés  «  qui  ne  seraient  pas  obligés  d'aller 
d'habitation  en  habitation  pour  desservir  les  peuples,  mais 


1.  Les  Philippines,  dont  on  parle  tant  aujourd'hui,  furent  converties 
en  1571,  et  un  évêché  fut  alors  fondé  à  Manille.  (Beurlier,  Histoire 
de  l  Eglise,  p.  203). 

2.  Corresp.  générale,   vol.  46. 


366  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

qui  auraient  leurs  églises  et  presbytères,  oii  ils  demeureraient 
toujours,  et  où  les  peuples  iraient  entendre  la  messe  »  \  .  . 

Les  quatre-vingt-deux  paroisses  que  nous  venons  d'indi- 
quer, échelonnées  sur  une  étendue  de  plus  de  deux  cents 
lieues,  formaient  le  diocèse  de  Québec  proprement  dit  :  que 
de  fois  M^  de  Saint-Vallier  en  fit  la  visite  pastorale!  Mais 
son  diocèse  s'étendait  aussi  jusqu'aux  missions  lointaines 
de  l'Acadie,  jusqu'à  l'Ile  Saint-Jean  et  au  Cap-Breton,  jus- 
qu'aux missions  reculées  de  Détroit,  des  Tamarois,  de  la 
Louisiane.  Deux  fois,  en  1686  et  1689,  le  Prélat  fît,  en 
visite  pastorale,  le  voyage,  alors  si  difficile  et  si  périlleux, 
de  l'Acadie.  S'il  n'eût  écouté  que  son  zèle,  il  se  serait  rendu 
jusqu'aux  extrémités  les  plus  lointaines  de  l'immense  terri- 
toire soumis  à  sa  juridiction;  mais  son  âge  et  ses  infirmités 
ne  le  lui  permirent  pas.  Il  dut  se  contenter  d'y  envoyer  de 
bons  et  intrépides  missionnaires  :  les  prêtres  de  Saint-Sul- 
pice  et  des  Missions-Etrangères  rivalisèrent  de  zèle  en 
Acadie;  le  séminaire  de  Québec  avait  aussi  la  mission  des 
Tamarois  ;  les  Récollets,  les  Jésuites,  les  Capucins  exer- 
çaient leur  zèle  au  Détroit,  dans  les  différents  postes  de 
l'ouest,  à  la  Louisiane. 

Nous  reparlerons  de  ces  missions  dans  un  prochain  cha- 
pitre. 


I.    Bibl.   du   Pari.   d'Ottawa,   Mss.   de  la  Nouvelle-France,   vol.   IV, 
p.  188,  Lettre  du  4  nov.  1683. 


CHAPITRE   XXIV 


USS  MISSIONS  LOINTAINES  DE  L'ÉGLISE 

DU   CANADA 

L'Acadie. —  M.  Gaulin. —  Prise  de  Port-Royal. —  Le  traité  d'Utrecht. — 
Expédition  manquée  des  Anglais  contre  le  Canada.  —  Patriotisme 
du  clergé  canadien. — La  mission  de  Louisbourg  et  du  Cap-Breton. 
— M  ission  de  l'Ile  Saint-Jean. — M.  de  Breslay. — Au  pays  des  Abé" 
naquis. — Mort  du  P.  Rasle. — La  mission  de  Détroit. — A  la  Loui- 
siane.— La  Nouvelle-Orléans. 

IL  faudrait  des  volumes  pour  écrire  l'histoire  des  missions 
lointaines  qui  dépendaient  de  l'Eglise  de  Québec  sous 
le  régime  français  :  l'Acadie,  Terreneuve,  la  Louisiane  et  les 
Tamarois,  Détroit,  Michillimakinac  et  autres  missions  de 
l'ouest.  Dans  un  ouvrage  comme  celui-ci,  où  nous  ne  vou- 
lons faire  que  l'histoire  de  l'Eglise  canadienne  proprement 
dite,  nous  ne  pouvons  que  donner  un  aperçu  succinct  de  ces 
missions.  Il  en  est  une,  cependant,  l'Acadie,  qui  demande 
que  nous  nous  y  arrêtions  un  peu  plus,  d'abord  parce  qu'elle 
tenait  de  plus  près  que  les  autres  à  l'Eglise  de  Québec,  puis, 
parce  qu'elle  fut  l'objet  d'une  attention  toute  spéciale  de 
nos  premiers  évêques,  que  M^  de  Saint-Vallier  y  alla  deux 
fois,  de  sa  personne,  et  lui  donna  même,  pour  ainsi  dire,  les 
prémices  de  son  zèle  épiscopal  encore  vierge. 

Il  était  en  France,  puis  en  Angleterre,  lorsque  se  succé- 
dèrent ce  que  nous  pouvons  appeler  «  les  derniers  jours  de 
l'Acadie   française  »  :  jours  de  tribulations  et  d'angoissesy 


368  l'église  du  canada 

mais  jours  glorieux,  ceux  qui  furent  témoins  des  efforts 
héroïques  de  Port-Royal  pour  rester  français,  et  des  gou- 
verneurs Brouillan  et  Subercase  pour  conserver  à  la  France, 
presque  malgré  elle,  cette  belle  colonie  qui  avait  fait  sa 
gloire  et  sa  richesse,  et  que  l'Angleterre  convoitait  depuis  si 
longtemps  !  Brouillan  et  Subercase  :  nobles  figures,  rayon- 
nantes de  gloire,  à  la  fin  du  régime  français  en  Acadie, 
presque  à  l'égal  de  celles  de  Lévis  et  de  Montcalm,  aux 
derniers  jours  de  la  Nouvelle-France! 

M^  de  Saint-Vallier,  quoique  absent,  est  au  courant  de 
tout  ce  qui  se  passe  en  Acadie.  M.  Leschassier  lui  apprend 
la  mort  de  M.  Trouvé  et  la  détermination  des  Sulpiciens 
d'abandonner  pour  le  moment  les  missions  acadiennes.  M. 
Tremblay  lui  donne  toutes  les  nouvelles  de  ses  confrères 
des  Missions-Etrangères  :  eux  sont  bien  décidés  à  rester  à 
leurs  postes;  M.  Gaulin  remplace  M.  Thury  comme  supé- 
rieur des  missions  acadiennes;  M.  Guay  est  aux  Mines,  M. 
Rageot  à  Beaubassin.  M.  Maudoux  a  quitté  Port-Royal  en 
1701,  mais  il  est  remplacé  par  les  Récollets,  qui  desservent 
déjà  les  missions  de  la  rivière  Saint-Jean,  Médoctec  et 
Censée.  M.  Gaulin  s'occupe  spécialement  des  Micmacs,  ces 
bons  sauvages  pour  lesquels  M^  de  Laval  a  toujours  eu  une 
estime  toute  particulière  :  il  écrit  à  M.  Tremblay  : 

«  M^  l'Ancien  paraît  fort  affectionné  pour  la  mission  des 
Micmacs  et  m'a  ordonné  d'y  aller  voir  l'état  dans  lequel  elle 
est,  et  la  disposition  des  sauvages.  .  .  Ce  printemps.  Dieu 
aidant,  j'irai  confesser  les  Micmacs  et  me  rendrai  jusqu'au 
Cap-Breton..  .  .Nous  sommes  toujours  en  voyage,  ajoute-t-il, 
et  obligés  de  dire  notre  office  pendant  la  nuit,  à  moins  que 
les  bréviaires  ne  soient  pas  de  bonne  impression.  Cela  nous 
incommode  beaucoup,  et  cependant  nous  vous  prions  qu'ils 
soient  des  plus  petits,  et  aussi  des  plus  nouveaux  \  .  .  » 

I.   Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  228. 


sous    M*'    DE    SAINT-VALLIER  369 

Du  reste,  le  bon  missionnaire  a  dû  abandonner  la  mission 
de  Pentagouët,  fondée  en  1687  par  M.  Thury.  Le  sémi- 
naire de  Québec  a  cédé  aux  instances  des  Jésuites,  qui 
depuis  longtemps  sollicitaient  M^  de  Saint- Vallier  de  leur 
accorder  cette  mission  pour  la  desservir,  comme  ils  desser- 
vaient déjà  celles  de  Kénébec  et  de  Narantsouak.  M  Trem- 
blay en  informe  M^  de  Saint- Vallier  alors  en  Angleterre: 

«  Nos  missionnaires,  dit-il,  ont  enfin  consenti  à  ce  que 
les  Jésuites  souhaitaient  depuis  longtemps,  de  réunir  les 
sauvages  de  M  Gaulin  à  leurs  missions.  Le  gouverneur  et 
l'intendant  les  en  ont  tant  pressés  de  la  part  des  Jésuites 
qu'ils  y  ont  donné  les  mains  ^  .  .  » 

Les  Jésuites  ont  ainsi  le  contrôle  spirituel  de  tout  le  pays 
des  Abénaquis,  c'est-à-dire  cette  partie  de  l'Acadie  qui  se 
trouve  entre  la  Nouvelle-Angleterre  et  la  presqu'île  actuelle 
de  la  Nouvelle-Ecosse.  Il  y  a  trois  missions  principales: 
celle  de  Narantsouak,  à  laquelle  le  P.  Rasle  a  attaché  son 
nom,  celle  de  Kénébec,  fondée  par  les  deux  Pères  Bigot,  et 
celle  de  Pentagouët.  M.  Gaulin  conserve  ses  Micmacs,  et 
M^  de  Saint- ValHer  recommande  sa  mission  à  la  cour  ^  ; 
bien  plus,  il  promet  à  M.  Gaulin  de  lui  donner  lui-même 
deux  cent  cinquante  à  trois  cents  livres  par  année  «  pour  les 
voyages  qu'il  est  obligé  de  faire  à  sa  mission  et  par  toute 
l'Acadie  »  ^ . 

Quelle  n'est  pas  la  douleur  du  saint  évèque.  lorsque, 
revenu  à  Paris,  il  apprend  en  1710  que  Port-Royal,  après 
avoir  repoussé  à  quatre  reprises  différentes  les  attaques  des 
Anglais,  s'est  enfin  vu  obligé  de  se  rendre,  faute  de  secours 
de  la  mère  patrie  !  Quelle  n'est  pas  sa  douleur,  surtout, 
lorsqu'on  lui  dit  que  les  Anglais  ont  emmené  prisonnier  à 
Boston  le  P.  Justinien  Durand,  le  dévoué  missionnaire  de 


1.  Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  259. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  29,  Lettre  du  25  mars  1708. 

3.  Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  244. 


^JO  Iv  EGLISE    DU    CANADA 

Port-Royal,  et  que  les  Acadiens  de  cette  ville  et  des  envi- 
rons sont  désormais  sans  pasteur  !  Que  vont-ils  devenir, 
privés  des  secours  religieux,  dans  les  jours  mauvais  qu'ils 
ont  à  traverser?  C'est  la  deuxième  fois  que  les  Anglais  font 
prisonniers  les  prêtres  de  Port-Royal:  en  1690,  ils  ont 
emmené  à  Boston  MM.  Petit  et  Trouvé  ;  cette  fois,  ils 
traitent  de  la  même  manière  Justinien  Durand.  Et  pour- 
quoi ?  Quels  reproches  ont-ils  à  faire  à  ces  saints  mission- 
naires ?  si  ce  n'est  d'inculquer  à  leurs  ouailles,  avec  la  crainte 
de  Dieu,  le  culte  de  la  patrie,  l'attachement  au  pays  de  leurs 
pères,  c'est-à-dire,  avec  les  principes  religieux  ceux  de  l'hon- 
neur et  de  toutes  les  vertus  civiques. 

Il  est  un  temps,  après  la  prise  de  Port-Royal,  où,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  M.  Gaulin  reste  le  seul  missionnaire 
séculier  dans  l'Acadie  proprement  dite  : 

«  Cet  apôtre  intrépide  et  dévoué,  écrit  l'abbé  Casgrain, 
ne  recevait  plus  aucun  secours  de  France.  Il  brava  cepen- 
dant toutes  les  misères  et  tous  les  dangers  pour  rester  à  son 
poste.  Les  Anglais  lui  avaient  voué  une  haine  mortelle 
parce  qu'il  avait  souvent  accompagné  ses  sauvages  dans 
leurs  partis  de  guerre.  Il  vivait  avec  les  Indiens  et  comme 
les  Indiens. 

«  Tandis  que  les  Anglais  faisaient  tous  leurs  efforts  pour 
gagner  et  pervertir  les  sauvages  par  des  présents,  par  des 
conseils  où  ils  cherchaient  à  ébranler  leur  foi  et  leur  faire 
comprendre  que  les  Français  ne  pouvaient  plus  les  soutenir, 
l'abbé  Gaulin  les  maintenait  attachés  au  catholicisme  et  à  la 
France  ^  » 

Sa  situation  devint  encore  plus  critique,  lorsque  le  traité 
d'Utrecht,  en  1713,  vint  sceller  définitivement  le  sort  de 
l'Acadie  et  la  réunir  à  la  couronne  britannique.  Mais  l'abbé 
Gaulin  n'était  pas  homme  à  abandonner  ni  ses  Acadiens, 

I.   Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  276. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUËR  371 

ni  ses  cheî"S  Micmacs.  Il  leur  resta  fidèle,  il  resta  à  son 
poste,  et  Dieu  bénit  son  courage  et  sa  persévérance.  On  ne 
le  vit  revenir  à  Québec  que  pour  y  mourir  saintement  à 
l'Hôtel-Dieu,  en  1740,  après  une  vie  incomparable  de  dé- 
vouement et  de  sacrifice. 

Le  retour  de  AP""  de  Saint-Vallier  dans  son  diocèse  corn-- 
cide  précisément  avec  le  traité  d'Utrecht.  La  France,  qui 
a  perdu  TAcadie,  a  conservé  du  moins  sa  colonie  cana- 
dienne ;  mais  celle-ci  elle-même  n'a  échappé  que  par  miracle. 
L'année  qui  suivit  la  prise  de  Port-Royal,  une  flotte  de 
quatre-vingt-dix  voiles,  commandée  par  l'amiral  Walker, 
et  portant  6,500  soldats,  partit  de  Boston  le  30  juillet 
(1711),  et  fit  voile  pour  Québec,  tandis  que  Nicholson 
s'avançait  avec  une  armée  aussi  considérable  par  le  lac 
Champlain.  Pour  résister  à  cette  invasion,  le  Canada 
n'avait  pas  cinq  mille  hommes  en  état  de  combattre.  Maïs 
la  Providence  veille  sur  nous.  Une  partie  de  la  flotte 
anglaise  va  se  heurter  contre  les  récifs  des  Sept-Iles,  dans 
l'obscurité  d'une  tempête,  et  se  brise  complètement.  Il  périt 
là  plus  de  neuf  cents  hommes.  Walker,  découragé,  aban- 
donne son  entreprise,  et  rebrousse  chemin.  Nicholson,  à 
cette  nouvelle,  en  fait  autant. 

M.  de  \^audreuil  avait  fait  de  grands  préparatifs  pour 
recevoir  chaudement  l'ennemi.  Les  habitants  de  la  côte 
sud,  depuis  Kamouraska  jusqu'à  Lévis,  et  ceux  de  la  côte 
nord,  de  la  Malbaie  à  Québec,  étaient  avertis  de  se  tenir 
prêts,  de  veiller  à  empêcher  les  descentes  des  ennemis,  puis 
de  se  rassembler  au  premier  ordre  de  leurs  capitaines.  «  L'Ile 
d'Orléans,  disait  M.  de  Vaudreuil,  est  un  lieu  que  nos 
ennemis  regardent  depuis  longtemps  comme  un  poste  à 
occuper  ;  »  il  y  était  allé  lui-même,  avec  quelques  officiers, 
et  il  avait  réussi  à  persuader  les  habitants  d'évacuer  com- 
plètement leur  île,  faisant  transporter  à  la  côte  sud  et  à  la 
côte  nord  leurs  femmes,  leurs  enfants,  leurs  bestiaux,  tous 


372  L  EGLISE    DU    CANADA 

leurs  principaux  effets,  de  manière  que  l'ennemi  ne  fût  pas 
tenté  d'y  descendre,  n'y  ayant  aucun  pillage  à  faire.  Il 
avait  demandé  à  ces  habitants  un  acte  vraiment  héroïque, 
et  il  l'avait  obtenu  grâce  au  concours  énergique  que  lui  avait 
donné  le  clergé  de  l'Ile  \  Notons  bien  ce  détail:  ce  n'est 
jamais  en  vain  qu'on  fait  appel  au  patriotisme  du  clergé 
canadien;  mais  il  ne  faut  jamais  oublier,  non  plus,  de  lui  en 
tenir  compte,  dans  l'occasion. 

Du  reste,  le  même  souffle  patriotique  animait  le  clergé 
dans  toutes  les  parties  du  pays,  en  Acadie  comme  au  Canada. 
Ecoutons  la  voix  de  deux  Pères  récollets  qui  se  fait  en- 
tendre de  la  mission  lointaine  du  Bassin  des  Mines  :  Port- 
Royal  s'est  rendu  aux  Anglais  ;  mais  le  traité  d'Utrecht  n'a 
pas  encore  scellé  le  sort  des  Acadiens  ;  ils  ont  encore  l'espoir 
de  rester  Français  :  et  ces  deux  religieux  écrivent  à  M.  de 
Vaudreuil  : 

«  Les  Anglais  assurent  fort,  dit  le  P.  Félix,  qu'il  y  a  une 
armée  qui  est  allée  au  Canada  au  nombre  de  quinze  à  vingt 
mille  hommes,  y  compris  quatre  mille  qui  doivent  aller  par 
terre,  commandés  par  M.  de  Xicholson.  Je  souhaite,  mon- 
sieur, qu'ils  soient  bien  battus,  et  que  vos  armes  soient  vic- 
torieuses. 

«  Le  P.  Bonaventure  a  commencé  une  neuvaine  dans  sa 
paroisse  pour  la  prospérité  de  vos  armes.  Je  pars  au  premier 
jour  pour  me  rendre  à  ma  mission  de  Beaubassin,  où  je 
demeurerai,  en  me  méfiant  toujours  fort  de  MM.  les  An- 
glais, sur  lesquels  il  me  paraît  qu'il  n'y  a  point  de  fond  à 
faire  sur  leurs  promesses  ;  et  je  commencerai,  aussitôt  que 
j'y  serai  arrivé,  une  neuvaine,  et  après  la  neuvaine  des 
prières  publiques,  jusqu'à  ce  que  nous  puissions  avoir  des 
nouvelles  qui  nous  apprennent  le  bon  succès  de  vos  armes. 

«  Il  ne  me  reste  plus,  monsieur,  qu'à  vous  assurer  que 

I.  Corresp.  générale,  vol.  32,  Vaudreuil  au  ministre,  25  oct.  171  r. 


sous    M''^    DE    SAINT-VALLIER  373 

j'entretiendrai  toujours  nos  habitants  dans  la  fidélité  qu'ils 
doivent  au  Roi,  afin  qu'ils  puissent  être  toujours  prêts  à 
exécuter  avec  une  parfaite  obéissance  les  ordres  qu'il  vous 
plaira  d'envoyer  pour  le  service  de  Sa  Majesté  ^  .  .  » 

Le  P.  Bonaventure.  curé  du  Bassin  des  Mines,  écrit  de 
son  côté  au  gouverneur  : 

«  Comme  j'ai  appris,  à  mon  arrivée,  qu'il  était  allé  une 
flotte  en  Canada  pour  assiéger  Québec,  j'ai  aussitôt  com- 
mencé des  prières  publiques  pour  demander  à  Dieu  qu'il 
bénît  vos  armes  et  les  rendît  victorieuses  comme  elles  l'ont 
toujours  été  jusqu'à  présent,  et  que  nous  puissions  par  la 
suite  ressentir  les  fruits  de  vos  victoires.  Nos  habitants  s'y 
intéressent  beaucoup;  et  s'ils  trouvaient  quelque  occasion 
pour  vous  témoigner  leur  fidélité  et  leur  soumission,  je 
crois  que  vous  auriez  lieu  d'être  contents  d'eux  2.  . .  » 

Les  Anglais  avaient  repris  le  chemin  de  leur  pays,  quand 
ces  lettres  arrivèrent  à  M  de  Vaudreuil.  Elles  durent  lui 
faire  plaisir,  en  lui  montrant  combien  on  appréciait  d'un 
bout  à  l'autre  du  pays  les  préparatifs  qu'il  avait  faits  pour 
sauver  la  colonie  de  la  Nouvelle-France.  Ah,  que  ne  fit-il 
quelque  chose  également,  quelques  années  plus  tard,  pour 
venir  au  secours  des  pauvres  Abénaquis  !  Mais  s'il  en  eut 
la  volonté,  ses  bons  désirs  furent  paralysés  par  l'inertie  de 
la  cour. 

Tout  le  monde,  du  reste,  attribua  aux  bonnes  prières  qui 
s'étaient  élevées  vers  le  ciel  de  toutes  les  parties  du  pays, 
l'heureuse  délivrance  de  la  colonie  en  171 1.  M.  de  Vâu- 
dreuil  l'écrivait  au  ministre  l'année  suivante  : 

«  Il  est  heureux,  disait-il,  que  la  flotte  des  ennemis  ait  été 
détruite  par  les  vents,  sans  qu'il  ait  coiité  une  seule  goutte  de 


1.  Corresp.  générale,  vol.  32,  le  P.  Félix  à  M.  de  Vaudreuil,  Les 
Mines,  8  septembre  171 1. 

2.  Ibid.,  vol.  31,  le  P.  Bonaventure  à  M.  de  Vaudreuil,  Bassin  des 
Mines,  7  septembre  171 1. 


374  L  EGUSE    DU    CANADA 

sang  à  cette  colonie.  Nous  en  avons  rendu  grâce  à  Dieu, 
très  persuadés  que  c'est  une  marque  visible  de  sa  pro- 
tection. ^  » 

De  son  côté,  M^""  de  Saint-Vallier,  lorsqu'il  fut  de  retour 
dans  son  diocèse,  voulut  qu'en  action  de  grâces  de  la  grande 
faveur  que  Dieu  avait  accordée  à  son  Eglise,  et  qu'il  attri- 
buait à  l'intercession  de  Marie,  l'église  de  la  Basse-Ville  iût 
appelée  Notre-Dame-des-Victoires,  rappelant  ainsi  au  sou- 
venir des  Canadiens  les  deux  victoires  remportées,  quoique 
de  deux  manières  différentes,  sur  les  Anglais  qui  avaient 
voulu  s'emparer  de  Québec:  celle  de  1690  et  celle  de  171 1. 
Un  Te  Deiim  se  chantait  tous  les  ans  à  la  cathédrale,  en 
action  de  grâces  de  la  déroute  des  Anglais  -. 

Mais  retournons  en  Acadie,  d'où  sont  venues  à  M.  de 
Vaudreuil  les  deux  lettres  si  touchantes  et  si  patriotiques 
des  Pères  Félix  et  Bonaventure. 


* 


La  France,  en  1713,  a  an  céder  l'Acadie  à  l'Angleterre; 
mais  elle  s'est  réservée  deux  îles  importantes  dans  le  golfe 
Saint-Laurent  :  l'Ile  Saint-Jean  et  le  Cap-Breton.  C'est  là 
qu'elle  dirigera  à  l'avenir  ses  colons  et  ceux  des  Acadiens  qui 
voudront  émigrer.  Elle  commence  par  le  Cap-Breton  et  y 
fonde  en  171 5  la  ville  de  Louisbourg^.  Puis  M^""  de  Saint- 
Vallier  envoie  de  suite,  pour  desservir  la  nouvelle  colonie, 
quelques  Récollets  qu'il  a  obtenus  de  France. 

Mais  que  de  déboires  va  lui  causer  cette  noi:velle  mission! 
D'abord,  ce  sont  des  Récollets  de  deux  provinces  différentes, 


1.  Correspondance  générale,  lettre  du  23  juillet  171 2. 

2.  Jugements  du  Conseil  Supérieur,  1728. 

3.  AI.  de  Costebelle  en  fut  le  premier  gouverneur  ;  et  il  fut  remplacé 
en  1720  par  M.  de  Saint-Ovide,  son  ancien  lieutenant  à  Plaisance. 


sous    M*'"    DE    SAINT-VALLIER  375 

la  province  de  Paris,  et  la  proviiKe  de  Bretagne  \  des  reli- 
gieux, par  conséquent,  qui  n'ont  pas  les  mêmes  vues,  les 
mêmes  habitudes,  les  mêmes  manières,  et  surtout  qui  ont 
des  supérieurs  différents.  M"""  de  Saint- Vallier  est  obligé 
d'assigner  à  chacun  de  ces  deux  groupes  de  religieux  un 
territoire  distinct  et  séparé.  Chaque  groupe  a  son  supérieur 
local  ;  et  les  deux  supérieurs  sont  grands  vicaires  de 
l'évêque.  Chaque  groupe  doit  travailler  sur  son  propre 
territoire,  et  n'a  pas  de  juridiction  sur  le  territoire  de  l'autre. 
Il  est  pénible  d'avoir  à  constater  de  suite  ce  manque  d'union 
qui  existe  entre  les  deux  groupes  ;  mais  il  ressort  bien 
clairement  de  la  lettre  de  l'Evéque  -'. 

Jusque  là,  il  n'y  a  de  la  part  du  Prélat  qu'une  mesure  de 
prudence.  Mais  voici  qui  est  plus  grave  :  les  Récollets  ont 
laissé  pénétrer  dans  l'île  deux  aumôniers  de  vaisseaux,  dont 
l'un  est  déjà  interdit  par  l'Evêque,  l'autre  s'est  installé  dans 
une  cure  sans  aucune  juridiction.  M^""  de  Saint- Vallier  est 
obligé  de  sévir  contre  ces  deux  intrus  :  il  ordonne  aux 
Récollets  de  les  obliger  «  à  se  retirer  dans  leurs  diocèses  et 
de  s'en  tenir  à  faire  leurs  fonctions  dans  les  vaisseaux  dont 
ils  sont  aumôniers  »  ". 

Et  ce  n'est  là  encore  que  le  commencement  des  déboires 
du  pieux  Prélat.  Les  Récollets  de  Louisbourg  eux-mêmes 
lui  causeront  bien  du  chagrin  :  il  se  verra  obligé  d'écrire  à 
la  cour  pour  se  plaindre  «  de  la  mauvaise  conduite  du  com- 
missaire des  Récollets  de  la  province  de  la  Bretagne  ^  qui 


1.  Si  l'on  en  croit  Surlaville.  ancien  fonctionnaire  de  l'Ile  Royale,  la 
province  de  Bretagne  fournissait  "peu  de  bons  sujets".  (Les  derniers 
jours  de  l'Acadie,  p.  75.") 

2.  Mandements  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  489. 

3.  Ihid.,  p.  488. 

4-  11  s'appelait  le  Frère  Gratien  Raoul.  —  Le  supérieur  local  des 
Récollets  de  la  province  de  Paris  s'appelait  Dominique  de  la  Marche:  il 
reçut,  le  12  novembre  1716,  à  l'Ile  Royale,  l'abjuration  du  sieur  Bonfils, 
en  présence  du  sieur  de  la  Grange,  chirurgien-major  de  l'Ile,  et  du 
sieur  Petrimoux,  pilote.     (Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Registre  C.) 


2)7^  l'église  du  canada 

fait  les  fonctions  de  curé  à  Louisbourg  »,  et  qui  donne  du 
scandale  à  ses  paroissiens  «  par  ses  mauvais  exemples,  par 
ses  intempérances  trois  ou  quatre  fois  par  semaine,  et  autres 
choses  plus  messéantes  ».  Il  l'interdira,  il  lui  ôtera  tous  ses 
pouvoirs  ^  ;  et  c'est  à  cette  occasion  qu'il  enverra  à  Louis- 
bourg,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  l'abbé  Fornel,  pour  y 
être  son  «  grand  vicaire  ».  Mais  le  gouverneur,  M.  de  Saint- 
Ovide,  préjugé  contre  ce  prêtre,  ne  voudra  pas  le  recevoir, 
et  fera  signer  aux  habitants  une  pétition  en  faveur  des 
religieux.  AI^  de  Saint-Vallier  est  dans  la  désolation  : 
écrivant  à  la  cour  l'année  suivante,  deux  mois  seulement 
avant  de  mourir  : 

«  Je  trouve,  dit-il,  ma  conscience  si  embarrassée  d'être 
obligé  de  me  servir  de  sujets  si  faibles  pour  travailler  au 
salut  des  autres,  pendant  qu'ils  laissent  un  juste  sujet  de 
craindre  qu'ils  ne  tra^-aillent  point  au  leur,  que  je  ne  puis 
m'empêcher  de  juger  que  j'expose  trop  le  mien  en  me 
servant  de  tels  sujets.  .  . 

«  Le  sentiment  de  AL  de  Mésy,  ordonnateur,  ajoute-t-il, 
est  que  les  Ecclésiastiques  (séculiers)  y  feraient  beaucoup 
mieux  que  les  Religieux  :  que  les  certificats  qu'on  avait  fait 
donner  aux  habitants  étant  extorqués,  on  n'y  devait  point 
avoir  égard,  étant  certain  que  le  plus  grand  nombre  des 
habitants  aimeraient  mieux  avoir  des  Ecclésiastiques  pour 
pasteurs  que  des  Religieux  ^.  . .  » 

Il  est  plus  heureux  à  l'Ile  Saint- Jean,  cette  autre  partie 
de  TAcadie  que  le  traité  d'Utrecht  a  conservée  à  la  France. 
Aucun  essai  de  colonisation  n'a  encore  été  fait  sur  cette  île, 
pourtant  si  remarquable  par  la  fertilité  de  son  sol  et  la 
douceur  relative  de  son  climat.    En  1720,  une  compagnie  se 


1.  Corresp.  générale,  vol.  48,   Mgr  de  Saint-Vallier  au  ministre,   10 
septembre  1726. 

2.  Archiv.   de  l'Ev.   de  Québec,  Doc.   de  Paris,   Eglise  du   Canada, 
t.  I,  p.  54,  Lettre  de  Mgr  de  Saint-Vallier  au  ministre,  9  cet.  1727. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  377 

forme  en  France  pour  y  faire  des  établissements  de  culture 
et  de  pêche  :  elle  a  pour  chef  le  comte  de  Saint-Pierre, 
homme  riche  et  très  influent  à  la  cour.  Au  groupe  de  colons 
que  l'on  se  propose  d'envoyer,  il  faut  un  chef  spirituel,  un 
missionnaire  qui  soit  bien  vu  et  accepté  par  l'évêque  de 
Québec.  M.  de  Breslay,  ce  sulpicien  distingué  qui  a  fondé 
la  mission  de  l'Ile-aux-Tourtes,  en  haut  de  Montréal,  se 
trouve  justement  à  Paris.  On  lui  propose  la  mission  de 
l'Ile  Saint-Jean;  et  tout  âgé  qu'il  est,  il  l'accepte,  avec  la 
promesse,  toutefois,  qu'on  lui  donnera  un  assistant.  Cet 
assistant  sera  le  jeune  abbé  Métivier,  qui  est  alors  à 
Montréal. 

Quelle  n'est  pas  la  joie  de  M^""  de  Saint-Vallier  lorsqu'il 
apprend  cette  nouvelle,  lorsqu'on  lui  dit  que  non  seulement 
les  Sulpiciens  ont  accepté  la  mission  de  l'Ile  Saint-Jean, 
mais  qu'ils  sont  décidés  à  reprendre  celle  de  l'Acadie  qu'ils 
ont  abandonnée  depuis  dix-sept  ans  !  Il  s'empresse  de  nom- 
mer M.  de  Breslay  son  grand  vicaire,  et  lui  donne  tous  les 
pouvoirs  nécessaires  pour  la  mission  de  l'Ile  Saint-Jean. 

Le  premier  noyau  de  colonisation  de  l'Ile  appelée  aujour- 
d'hui l'Ile  du  Prince-Edouard  se  forme  au  Port  Lajoie  : 
c'est  là  que  se  bâtit  la  première  église.  Il  se  fait  aussi  des 
établissements  au  Havre  Saint-Pierre  et  à  Malpec.  MM. 
de  Breslay  et  Métivier  desservent  les  nouveaux  colons  avec 
beaucoup  de  zèle.  Ils  s'occupent  aussi  des  sauvages  Mic- 
macs ;  mais  avec  leur  permission  le  grand  apôtre  de  ces 
sauvages,  M.  Gaulin,  les  visite  aussi  de  temps  en  temps. 

M.  de  Breslay  est  un  ancien  «  gentilhomme  de  la  chambre 
du  Roi  »  ;  il  a  servi  à  la  cour,  comme  autrefois  M^''  de  Saint- 
Vallier  lui-même  :  puis  il  a  vendu  sa  charge,  et  renoncé  au 
monde  pour  embrasser  l'état  ecclésiastique.  C'est  un  homme 
distingué  de  toutes  manières;  il  a  gardé  beaucoup  d'amis  à 
la  cour,  et  il  s'en  sert  pour  obtenir  beaucoup  de  faveurs  et 
d'avantages  pour  ses  missions. 


^jS  l'église  du  canada 

Malheureusement,  son  séjour  à  l'Ile  Saint-Jean  ne  sera 
pas  long.  Lui  et  son  confrère  M.  Métivier  se  voient  obligés 
de  quitter  leur  mission  en  1724  pour  faire  place  aux  Récol- 
lets, que  leur  substitue  la  compagnie  Saint-Pierre  sous  pré- 
texte d'économie. 

M.  de  Breslay  devient  ensuite  curé  de  Port-Royal,  où  il 
reste  jusqu'en  1730;  puis  il  repasse  en  France.  Mais  ses 
confrères,  MM.  de  la  Goudalie  et  Desenclaves  continuent  à 
rester  en  Acadie,  l'un  comme  curé  des  Mines,  l'autre  à 
Beaubassin.  M^  de  Saint- Vallier  a  ainsi  la  consolation, 
sur  la  fin  de  son  épiscopat,  de  voir  ses  amis  de  Saint-Sulpice 
cultiver  encore  le  champ  du  Père  de  famille  où  il  les  a 
introduits  en  1685.  Ils  ne  quitteront  leur  poste  qu'en  1756, 
l'année  qui  suivra  «  le  grand  dérangement  ». 


* 
*  * 


Au  pays  des  x\bénaquis,  les  Jésuites  ont  quelques-unes 
des  plus  belles  missions  sauvages  de  toute  l'Amérique,  les 
plus  belles,  sans  contredit,  si  l'on  considère  la  qualité  des 
sauvages  dont  le  soin  leur  est  confié.  Nous  disons  à  des- 
sein «  le  pays  des  Abénaquis  »  :  en  effet,  ce  petit  peuple  «  à 
l'âme  française  »  ^  entend  bien  être  le  maître  du  territoire 
que  la  Providence  lui  a  donné;  il  est  bien  décidé  à  le  dé- 
fendre contre  la  convoitise  et  les  empiétements  de  ses  voisins 
de  la  Nouvelle- Angleterre.  Il  veut  être  maître  chez  lui;  il 
est  jaloux  de  sa  liberté,  de  ses  droits  à  la  possession  de  ses 
terres,  de  ses  rivières,  de  ses  forêts;  il  est  jaloux,  surtout, 
de  sa  foi  et  de  sa  religion.  «  C'est,  dit  le  P.  de  Roche- 
monteix,   la   seule   nation  de   la   Nouvelle  -  France   qui   se 


I.   Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  402. 


sous    M^*"    DE    SAIXT-VALLIER  3/9 

convertit  entièrement  au  catholicisme.  »  Les  Abénaquis 
détestent  les  Anglais,  leurs  voisins,  parce  qu'ils  les  regardent 
comme  les  ennemis  de  leur  foi  ;  ils  les  détestent  aussi  comme 
les  ennemis  de  la  France,  à  qui  ils  doivent  le  plus  grand  des 
bienfaits,  celui  de  la  foi  catholique. 

Les  Abénaquis  sont  tout  dévoués  aux  Français  :  M.  de 
Vaudreuil  n'a  qu'un  mot  à  dire;  ils  sont  toujours  prêts  à 
lui  donner  un  coup  de  main  dans  ses  entreprises. 

Faut-il  s'étonner  qu'ils  se  soient  attiré  la  haine  des  Anglais 
de  la  Nouvelle-Angleterre,  et  que  ceux-ci  aient  juré  de  les 
chasser  de  leur  territoire  et  de  les  détruire?  Rien  ne  sera 
épargné  dans  ce  but.  ni  ruses,  ni  séductions,  ni  guet-apens, 
ni  violences. 

Ah,  quelle  est  difficile  la  position  des  missionnaires,  au 
milieu  de  ces  luttes,  de  ces  embûches,  de  ces  trahisons  aux- 
quelles sont  sans  cesse  exposés  leurs  bons  Abénaquis  ! 
Peuvent-ils  rester  neutres  et  indifférents,  lorsqu'on  cherche 
à  détruire  leur  foi  et  à  les  corrompre  par  l'appât  de  l'intérêt 
ou  la  séduction  de  l'eau-de-vie?  Missionnaires  de  paix,  ils 
ne  les  exciteront  pas.  sans  doute,  à  la  violence  :  mais  leur 
sera-t-il  défendu  de  les  assister  de  leurs  conseils,  de  les 
consoler  dans  leurs  malheurs,  de  les  accompagner  dans  leurs 
guerres  pour  leur  donner  les  secours  spirituels  dont  ils  ont 
besoin  ?  Quoi  qu'ils  fassent,  ils  seront  traités  comme  des 
ennemis  :  on  les  suivra  pas  à  pas,  on  leur  tendra  des  pièges, 
on  usera  même  de  violences  à  leur  égard.  Pour  ne  parler 
que  du  P.  Rasle.  l'immortel  apôtre  de  Narantsouak,  sa  vie 
est  mise  à  prix  :  on  le  suit,  on  le  guette  ;  deux  ou  trois  fois 
il  n'échappe  que  par  miracle  à  la  fureur  des  Anglais  qui  se 
sont  acharnés  à  le  détruire,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  tombe 
sous  leurs  coups.  Laissons  le  P.  de  Rochemonteix  nous 
raconter  la  fin  héroïque  de  ce  grand  missionnaire  :  elle  nous 
rappelle  tout-à-fait  celle  des  Pères  de  Brébeuf  et  Daniel, 
avec  cette  différence,  que  ceux-ci  tombèrent  sous  les  coups 


380  l'église  du  canada 

des  sauvages,  tandis  que  le  P.   Rasle  fut  la  victime  d'un 
peuple  civilisé  : 

«  Une  armée  de  onze  cents  hommes,  dit-il,  s'organise  à 
Boston,  et  le  2^  août  1724  elle  tombe  à  l'improviste,  sans 
avoir  été  aperçue,  sur  le  malheureux  village  de  Narantsouak. 
Il  n'y  avait  pour  le  défendre  qu'une  cinquantaine  de  guer- 
riers valides.  Surpris  à  trois  heures  du  matin,  ils  sortent 
de  leurs  demeures,  et  une  vive  fusillade  s'engage  entre  eux 
et  l'armée  ennemie.  Trop  faibles  pour  résister,  ils  n'ont 
qu'un  but,  protéger  leurs  femmes,  leurs  enfants,  les  vieil- 
lards infirmes,  et  leur  donner  à  tous  le  temps  de  gagner  le 
bois  et  de  s'y  mettre  en  sûreté. 

«  Au  bruit  de  la  fusillade,  le  P.  Rasle,  qui  se  trouvait 
dans  la  chapelle,  sort  et  va  au  devant  des  assaillants,  dans 
l'espoir  d'attirer  sur  lui  seul  leur  attention  et  de  sauver  la 
vie  à  ses  néophytes.  Son  espoir  n'est  pas  trompé.  En  le 
voyant,  les  Anglais  poussent  un  grand  cri  de  joie;  leurs 
fusils  se  dirigent  sur  lui,  et  il  tombe  sous  une  grêle  de  balles 
au  pied  d'une  croix  plantée  au  milieu  du  village.  Sept  sau- 
vages, qui  se  portent  à  son  secours,  meurent  à  ses  côtés. 

«  Pendant  ce  temps,  la  plupart  des  néophytes  ont  pu  s'en- 
foncer dans  la  forêt,  après  avoir  perdu  une  trentaine  des 
leurs. 

«  Les  Anglais  ne  rencontrant  nulle  part  de  résistance, 
pillent  et  brûlent  les  cabanes,  profanent  les  vases  sacrés  et 
les  saintes  espèces  et  incendient  l'église.  Enfin,  après  avoir 
massacré  indignement  quelques  femmes  et  des  enfants  qui 
n'ont  pu  s'enfuir,  ils  abandonnent  le  village  avec  précipi- 
tation, comme  saisis  d'une  terreur  panique. 

«  A  peine  se  sont-ils  retirés,  que  cent  cinquante  personnes, 
qui  ont  échappé  au  massacre,  rentrent  à  Narantsouak.  Le 
village  en  flammes  présentait  l'image  de  la  ruine  et  de  la 
désolation.  Rien  ne  les  émeut  comme  la  vue  de  leur  père 
aimé.     Le  P.  Rasle  était  percé  de  coups,  la  chevelure  enle- 


sous    M*'    DE    SAINT-VALUER  381 

vée,  le  crâne  brisé  à  coups  de  hache,  la  bouche  et  les  yeux 
remplis  de  boue,  les  os  des  jambes  fracassés,  et  tour  les 
membres  mutilés.  On  voyait  que  les  ennemis  s'étiient 
acharnés  sur  ce  cadavre.  Les  néophytes  versent  sur  hti 
d'abondantes  larmes  ;  et  après  avoir  plusieurs  fois  baise 
ses  précieux  restes,  ils  l'ensevelissent  à  l'endroit  où,  la 
veille,  il  avait  célébré  les  saints  mystères,  c'est-à-dire,  à  la 
place  où  était  l'autel  avant  que  l'église  fût  brûlée  \)> 

La  nouvelle  de  la  mort  du  P.  Rasle  provoqua  au  Canada 
d'universels  regrets.  Mais  il  n'y  eut  de  la  part  de  M.  de 
Vaudreuil  que  des  regrets  et  des  protestations.  Il  écrivit 
cependant  à  la  cour  pour  savoir  quoi  faire  :  il  lui  fut  répondu 
de  ne  pas  rompre  la  paix.  Le  traité  d'Utrecht  semblait  avoir 
paralysé  toutes  les  énergies.  D'ailleurs,  la  France,  épuisée 
par  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  était-elle  en  état 
de  se  mettre  en  guerre  avec  l'Angleterre  pour  réparer  l'ou- 
trage fait  aux  Abénaquis  ?  Tout  ce  qu'elle  put  faire  pour 
ces  bons  sauvages,  fut  de  leur  allouer  une  certaine  somme, 
que  les  Jésuites  étaient  chargés  de  leur  distribuer  chaque 
année. 

^L  de  V^audreuil  leur  avait  déjà  proposé  de  quitter  leur 
pays,  objet  d'éternelles  luttes  avec  les  Anglais,  pour  les  loger 
à  rile-Royale:  ils  s'y  étaient  toujours  refusés.  Cette  fois, 
un  certain  nombre  se  décidèrent  à  aller  rejoindre  leurs  frères 
de  Bécancour  et  de  Saint-François;  d'autres  firent  leur 
paix  avec  les  Anglais:  mais  tous  restèrent  fidèles  à  la 
France.  La  petite  église  de  Narantsouak  se  releva  de  ses 
ruines  et  fut  pourvue  de  nouveau  de  tous  les  objets  néces- 
saires au  culte,  grâce  aux  secours  que  leur  procura  M.  de 
Vaudreuil.  Les  Abénaquis  continuèrent  à  protéger  tout 
ce  qu'ils  purent  de  leur  pays  contre  les  empiétements  des 
Anglais,  pour  le  garder  à  la  France. 


I.    Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  467. 


382  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 


* 


Quelle  ne  fut  pas  la  douleur  de  M^  de  Saint- Vallier 
lorsqu'il  apprit  la  mort  tragique  de  son  saint  missionnaire, 
le  P.  Rasle,  et  les  tristes  événements  qui  venaient  de  se 
dérouler  au  pays  de  ses  chers  Abénaquis!  Les  mauvaises 
nouvelles  lui  arrivaient  de  tous  côtés.  Au  Détroit,  au 
Saut-Sainte-Marie,  à  Michillimakinac,  on  faisait  la  guerre 
aux  Jésuites,  et  par  la  traite  de  l'eau-de-vie  on  détruisait 
tout  le  bien  qu'ils  s'efforçaient  de  faire.  Lamothe-Cadillac, 
qui  avait  fondé  la  ville  de  Détroit  (1700),  était  un  ennemi 
acharné  des  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus;  c'était  le 
mauvais  génie  de  toutes  les  missions  où  il  passait  en  qualité 
de  commandant.  M.  de  Vaudreuil  écrivait  un  jour  au 
ministre  : 

«  M.  de  Lamothe  détruit  les  Jésuites  tant  qu'il  peut 
auprès  de  Votre  Grandeur;  il  les  détruit  dans  l'esprit  des 
Français;  il  les  détruit  dans  l'esprit  des  sauvages.» 

Au  Détroit,  il  y  avait  trois  villages  de  sauvages,  un  vil- 
lage huron,  un  village  outaouais,  et  un  village  de  Poutoua- 
tamis.  Ces  villages  sauvages  étaient  desservis  par  les  Pères 
Jésuites.  Le  fort  et  la  garnison,  ainsi  que  le  village  fran- 
çais avaient  un  Récollet  pour  missionnaire  :  ce  missionnaire 
était  constamment  insulté  par  les  sauvages  en  ivresse.  Le 
P.  Marest.  de  Michillimakinac,  écrivait  un  jour  à  M.  de 
Vaudreuil  : 

«  Je  ne  dois  pas  m'ingérer  de  vous  parler  des  nouvelles 
du  Détroit.  Je  ne  les  sais  que  par  le  sieur  Loranger,  qui 
vous  les  détaillera  toutes,  et  qui  fera  une  lettre  vivante  et 
pour  les  affaires  d'ici  et  pour  celles  de  ce  lieu.  Il  a  appris 
par  des  sauvages  qu'on  avait  insulté  au  Détroit  M.  de 
Laforêt  et  le  révérend  P.  Récollet,  à  l'occasion  de  l'eau- 
de-vie.     Voilà  les  effets  funestes  de  cette  maudite  boisson. 


sous    M*'    DE    SAINT-VALLIER  383 

que  les  voyageurs,  pourtant,  apportent  ici-haut  à  barriques. 
M.  de  Lignery  doit  vous  en  faire  ses  plaintes  \  » 

On  rendit  bientôt  la  position  également  intenable  pour  les 
Jésuites.  Un  prêtre  des  Missions-Etrangères  fut  envoyé  a 
Détroit  ;  mais  il  n'y  resta  pas  longtemps,  et  les  habitants  de 
cette  ville  naissante  furent  quelques  années  sans  pasteur. 

M^""  de  Saint-Vallier  les  avait  prévenus  du  malheur  qui 
les  attendait  :  écrivant  à  «  ses  chers  enfants  du  Détroit  »  : 

«  Nous  vous  prions,  leur  disait-il,  de  considérer  beaucoup 
parmi  vous  celui  qui  vous  gouverne  au  nom  du  Seigneur,  et 
qui  vous  avertit  de  votre  devoir,  d'avoir  pour  lui  une  véné- 
ration particulière,  parce  qu'il  travaille  pour  votre  salut,  de 
lui  obéir  en  ce  qu'il  exigera  de  vous  pour  le  bien  de  vos 
âmes,  de  ne  le  point  contrister  par  des  contradictions  inop- 
portunes, de  ne  le  point  obliger  à  gémir  sous  le  poids  de  sa 
charge.  .  .  » 

Cette  lettre  de  M^  de  Saint-Vallier,  datée  du  8  juin  1 720, 
nous  donne  d'ailleurs  une  triste  idée  de  la  mission  de 
Détroit  à  cette  époque  : 

«  Nous  apprenons,  disait-il,  que  votre  temple  est  dans  un 
état  à  faire  compassion,  aussi  bien  que  le  cimetière  que  vous 
laissez  entr'ouvert.  exposé  à  toutes  sortes  d'indécence  par 
rapport  aux  bestiaux  qui  y  entrent,  et  qui  par  ce  seul  fait 
mérite  d'être  interdit.  .  .  »  Puis  il  leur  recommandait  d'avoir 
beaucoup  d'obéissance  pour  leur  pasteur,  «  que  vous  avez 
si  grand  intérêt  de  conserver  et  de  ménager,  ajoutait-il,  ne 
voyant  ici  personne  dans  le  clergé  séculier  et  régulier  qui 
puisse  lui  succéder  »... 

Nous  avons  parlé  ailleurs  des  missions  du  Mississipi  et 
de  la  Louisiane  inaugurées  en  1698  par  les  prêtres  du  sémi- 
naire de  Québec,  et  des  difficultés  qu'il  y  eut  plus  tard  entre 
eux  et  les  Jésuites,  ou  plutôt  entre  les  Jésuites  et  M^  de 


I.  Corresp.  générale,  vol.  34,  lettre  du  19  juin   1713. 


384  Jv^'ÉGUSK    DU    CANADA 

Saint-Vallier,  à  propos  de  la  mission  du  Bas-Mississipi,  oii 
d'Iberville  avait  installé  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus. 
Ceux-ci  avaient  dû  quitter  la  mission,  l'évêque  de  Québec 
ne  voulant  pas  leur  accorder  ce  qu'ils  demandaient,  un  dis- 
trict séparé  où  ils  fussent  seuls.  D'Iberville  et  ses  frères 
né  pardonnèrent  jamais  à  M^  de  Saint-Vallier  et  aux  Mis- 
soins-Etrangères  d'avoir  été  la  cause,  au  moins  indirecte, 
du  départ  des  Jésuites  de  la  Louisiane.  M.  de  Bienville, 
surtout,  rendit  insupportable  à  M.  de  la  Vente  la  position 
qu'on  lui  avait  donnée,  celle  de  curé  de  Mobile,  et  l'accusa 
«  de  faits  considérables  »  auprès  du  comte  de  Pontchartrain, 
menaçant  même  «  de  laisser  la  colonie  si  on  ne  l'en  chas- 
sait ».  Le  supérieur  des  Missions-Etrangères  écrivit  au 
ministre  : 

«  Nous  ne  pouvons  défendre  M.  de  la  Vente,  n'ayant 
nulle  instruction  de  sa  part,  ni  nulle  connaissance  des  chefs 
d'accusation  qu'on  fait  contre  lui.  Nous  savons  seulement 
que  c'est  un  homme  d'un  âge  très  mur,  naturellement  sage, 
qui  a  bien  fait  partout  ailleurs,  que  ses  mœurs  et  ses  inten- 
tions sont  très  bonnes,  et  qu'il  est  très  zélé  pour  les  intérêts 
de  Dieu  et  pour  le  service  du  Roi. . .  » 

M.  de  la  Vente  n'avait  pu  faire  pan^enir  ses  lettres  et  ses 
explications  à  ses  confrères.  Il  avait  confié  le  paquet  qui 
contenait  tout  cela  à  quelqu'un  qui  s'en  allait  à  la  Marti- 
nique; et  l'on  menaça  le  pauvre  commissionnaire  «  de  l'atta- 
cher à  un  canon  et  de  lui  donner  cent  coups  de  corde  »,  s'il 
ne  laissait  le  paquet  à  la  Louisiane  ^ 

Les  prêtres  des  Missions-Etrangères  continuèrent  à  des- 
servir le  Bas-Mississipi  :  l'un  d'eux  était  curé  à  Biloxi,  un 
autre  à  Mobile. 

Il  arrivait  souvent  à  M^""  de  Saint-Vallier  de  mauvaises 
nouvelles  touchant  l'irréligion  qui  régnait  à  la  Louisiane. 

I.   Corresp.  générale,  vol.  27. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  385 

La  chose  ne  pouvait  le  surprendre.  Qu'on  lise  l'édit  de 
création  de  la  compagnie  Crozat,  à  qui  l'on  confia  en  1712  le 
monopole  du  commerce  et  de  la  colonisation  de  la  Loui- 
siane ^  :  pas  un  mot  des  missionnaires,  pas  un  mot  du  bon 
ordre  à  faire  régner  dans  ce  pays,  ni  du  choix  des  colons. 
L'esprit  chrétien  qui  avait  présidé  à  l'établissement  de  la 
Nouvelle-France  n'est  plus  celui  qui  anime  les  fondateurs 
de  la  Louisiane.  Ce  pays  est  pourtant  censé  «  dépendre 
encore  du  gouvernement  de  la  Nouvelle  -  France  et  lui 
demeurer  subordonné  ».  Mais  que  peut  M.  de  Vaudreuil  à 
la  Louisiane,  lui  qui  n'a  pas  même  osé  faire  quelque  chose 
pour  les  pauvres  Abénaquis,  ces  amis  fidèles  de  la  France  ? 

M"""  de  Saint- Vallier,  lui,  fit  toujours  tout  ce  qu'il  put  pour 
la  Louisiane.  Ne  pouvant  y  aller  lui-même,  il  supplia  son 
coadjuteur,  M^""  de  Momay,  d'y  aller  à  sa  place.  Ce  prélat 
ne  pouvant  se  décider  à  traverser  les  mers,  réussit  cependant 
à  engager  les  religieux  de  son  ordre,  les  Capucins,  à  passer 
à  la  Nouvelle-Orléans,  qui  venait  d'être  fondée  (171 7) 
par  ^L  de  Bienville.  Les  Jésuites  y  étaient  déjà  revenus,  à 
la  demande  de  M''"  de  Saint- Vallier  :  et  en  1721,  le  vénérable 
Prélat  crut  devoir  leur  adresser  une  lettre  pastorale  «  sur 
les  désordres  de  la  Louisiane  ».  Cette  lettre  témoigne  à  la 
fois  de  son  zèle  apostolique,  et  du  triste  état  de  cette  mission 
lointaine,  où  il  arrivait  sans  cesse  des  Français  de  toutes 
sortes  qui  venaient  grossir  le  nombre  des  Canadiens  qui  y 
étaient  établis  -  : 

«  Les  nouvelles  qui  nous  arrivent  de  toutes  parts,  dit  le 
Prélat,  du  côté  de  France  aussi  bien  que  des  pays  d'en  haut, 


1.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  327. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  2>7>  Vaudreuil  et  Bégon  au  ministre,  14 
oct.  1716.  "La  Louisiane,  disait  M.  de  Vaudreuil,  n'est  presque  établie 
que  par  des  Canadiens.  "  —  Dans  son  livre  A  travers  les  Registres, 
p.  120,  Tanguay  donne  la  liste  d'un  certain  nombre  de  ces  Canadiens 
établis  à  la  Louisiane,  d'après  le  recensement  de  1724. 


386  I,''ÉGUSE    DU    CANADA 

du  peu  de  religion  et  de  pureté  avec  lequel  les  Français 
nouveau-venus  de  France,  de  toute  sorte  de  conditions, 
vivent  dans  le  vaste  pays  qu'ils  sont  venus  habiter,  le  long 
de  ce  grand  fleuve,  nous  faisant  craindre  qu'il  n'attire 
les  malédictions  de  Dieu  lancées  contre  ceux  qui  ne  veulent 
pas  vivre  chrétiennement  et  selon  leur  état.  .  .,  nous  avons 
résolu  de  nous  opposer  de  toutes  nos  forces  aux  vices 
publics  et  aux  désordres  qui  seraient  propres  à  nous  attirer 
ces  malheurs.  C'est  pourquoi,  pour  y  appliquer  les  remèdes 
les  plus  efficaces,  nous  ordonnons  à  ceux  qui  sous  notre 
autorité  conduisent  les  âmes,  de  leur  déclarer  que  notre 
intention  est  qu'on  regarde  comme  des  scandaleux  publics 
ceux  qui  par  mépris  des  lois  divines  et  humaines  viennent 
à  commettre  des  impiétés  scandaleuses  par  leurs  paroles, 
ou  par  leurs  actions,  par  des  concubinages  publics  des  per- 
sonnes qui,  contre  toutes  les  défenses  qu'on  peut  leur  faire, 
veulent  se  fréquenter  et  même  demeurer  ensemble.  Nous 
ne  désirons  pas  que  ces  sortes  de  personnes  soient  reçues 
dans  l'église  et  aux  sacrements,  qu'elles  ne  se  soient  soumises 
à  une  pénitence  publique,  qui  leur  sera  imposée  par  notre 
grand  vicaire,  conformément  au  désir  du  saint  concile  de 
Trente,  qui  veut  qu'on  impose  aux  pécheurs  publics  une 
pénitence  publique.  « 

Cette  lettre  pastorale  fut  envoyée  aux  Jésuites  du  Missis- 
sipi  en  1721.  C'est  l'année  même  que  les  Capucins  arri- 
vèrent à  la  Nouvelle-Orléans. 


CHAPITRE  XXV 


L  EGLISE  DU  CANADA,  DE  I72O  A  I725 

Isolement  de  Mgr  de  Saint-Vallier.  —  Etat  du  Séminaire  de  Québec.  — 
Mgr  de  Saint-Vallier  et  les  Canadiens.  —  Les  Congés.  —  Le  Don  du 
Roi.  —  Luttes  de  l'Evêque  contre  les  désordres.  —  A  l'Hôpital- 
Général  de  Montréal.  —  Incendie  de  Montréal  ;  mandement  de 
l'Evêque.  —  A  l'Hôpital-Général  de  Québec.  —  A  l'Hôtel-Dieu.  — 
Aux  Ursulines.  —  Années  de  misère  au  Canada.  —  Processions  à 
l'Hôpital-Général. 

S'il  arrivait  à  M^""  de  Saint-Vallier  de  mauvaises  nouvelles 
de  presque  toutes  les  missions  lointaines  de  son  immense 
diocèse,  avait-il  du  moins  quelques  consolations  dans  son 
diocèse  proprement  dit,  dans  son  Eglise  de  Québec,  où  il 
était  revenu,  malgré  toutes  les  oppositions,  pour  y  achever 
saintement  et  vigoureusement,  comme  il  l'avait  commencée^ 
sa  carrière  épiscopale?  Mais  d'abord,  quel  isolement  pénible 
est  le  sien!  On  lui  a  donné  un  coadjuteur,  un  coadjuteur 
même  ami  futurâ  successione,  pour  lui  ôter  toute  inquiétude 
sur  l'avenir,  pour  partager  ses  travaux  et  l'aider  dans  ses 
vieux  jours;  on  l'a  choisi,  suivant  l'usage  du  temps,  dans 
une  des  grandes  familles  de  France,  celle  des  Duplessis- 
Mornay  ;  et  ce  coadjuteur  ne  peut  se  décider  à  traverser  les 
mers  pour  aller  au  Canada.  Le  gouverneur  et  l'intendant 
insistent  pour  qu'on  l'envoie  secourir  son  évêque  ;  ils  écrivent 
à  la  cour  :  «  On  attend  ici  avec  un  grand  empressement  M.. 
le    coadjuteur,    qui    sera    d'un    grand    soulagement    à    M. 


388  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

l'Evêque  \  »  Le  coadjuteur  est  inflexible  ;  il  est  rivé  à  la 
France  :  et  IVP'"  de  Saint- Vallier  est  réduit  à  s'occuper  seul 
de  tous  les  détails  d'administration  de  son  grand  diocèse.  Il 
n'a  pas  même  de  secrétaire  avec  lui  :  c'est  un  de  ses  deux 
domestiques  qui  en  fait  les  fonctions,  quand  il  veut  s'en 
servir  ".  Lisez  les  quelques  mandements  qu'il  a  écrits  depuis 
son  retour  de  France  :  la  plupart  ne  sont  pas  même  contre- 
signés; et  ceux  qui  le  sont  l'ont  été  par  deux  secrétaires 
d'occasion  ^,  dont  un  seul,  Armand,  est  ecclésiastique,  l'autre 
est  Roland  Tessier,  son  valet  de  confiance,  à  qui  il  lègue 
trois  cents  francs  dans  son  testament  *. 

En  s'aliénant  le  Séminaire,  qui  ne  faisait  qu'un  avec  le 
clergé,  le  vénéré  Prélat  a  fait  le  vide  autour  de  lui.  Il  a  cru 
bien  faire  en  détachant  le  Chapitre  du  Séminaire,  pour  en 
faire  un  corps  absolument  distinct,  séparé  :  on  sait  ce  qu'il 
pense  maintenant  de  ce  Chapitre  :  «  Ils  ne  sont  jamais  que 
trois  au  plus  au  chœur,  et  presque  toujours  les  mêmes, 
ayant  les  trois  plus  de  zèle  que  les  autres.  »  Chacun  s'occupe 
de  son  intérêt,  chacun  tire  de  son  côté. 

M"""  de  Laval  avait  son  Séminaire,  sur  lequel  il  pouvait 
toujours  compter  et  s'appuyer  sîirement  :  «  Le  Prélat,  écrit 
M.  de  Maizerets,  ne  faisait  rien  de  considérable  que  de  con- 
cert avec  nous  tous  ^.  »  M^""  de  Saint-Vallier  a  énormément 
affaibli  cette  institution  en  lui  retranchant  la  plus  grande 
partie  de  ses  revenus  ;  elle  végète,  elle  est  endettée,  elle  se 
soutient  à  peine,  ayant  passé  par  l'épreuve  de  deux  incendies 
presque  successifs;  elle  n'a  plus  que  trois  directeurs  et 
quelques  régents.  Le  gouverneur  et  l'intendant  supplient  la 
cour  de  venir  en  aide  à  une  institution  qui  a  fait  tant  de  bien 


1.  Corresp.  gén.  vol.  34,  lettre  du  20  sept.  1714. 

2.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp.  Général  de  Québec,  p.  243. 

3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  491,  505. 

4.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  II,  p.  110. 

5.  Latour,  Mémoires  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  34. 


sous    M*^'    DE    SAINT-VALUER  389 

et  qui  pourrait  en  faire  encore  ^  Le  Prélat  lui-même  semble 
regretter  sincèrement  de  la  voir  dans  un  état  si  précaire  : 
écrivant  à  la  cour  pour  lui  donner  un  état  du  revenu  des 
principaux  corps  religieux  de  son  diocèse,  il  nomme  d'abord 
le  Chapitre  qui  «  a  douze  mille  livres  de  rentes,  huit  mille 
dans  le  pays,  et  plus  de  quatre  mille  en  France  »  ;  et  il  le  fait 
suivre  immédiatement  du  séminaire  de  Québec,  «  qui  n'a, 
dit-il,  pour  tout  revenu  que  trois  belles  terres  dans  ce  pays, 
et  environ  quinze  cents  livres  en  petits  bénéfices  de  France, 
que  je  lui  ai  fait  avoir  ».  Et  il  termine  son  mémoire  par 
cette  phrase  significative  : 

«  Le  ministre,  avec  cette  connaissance  exacte,  pourrait 
accommoder  toutes  choses,  et  par  l'abondance  des  uns  sou- 
lager la  disette  des  autres,  sans  qu'il  en  coiitât  rien  de 
nouveau  au  Roi  ^.  » 

Ah!  c'est  que  le  Prélat  sait  bien  que  c'est  encore  sur  son 
Séminaire  qu'il  peut  le  plus  sûrement  s'appuyer.  Aussi, 
c'est  au  Séminaire  qu'il  a  pris  tout  récemment  son  grand 
vicaire,  le  procureur  de  cette  institution,  M.  de  Varennes, 
petit-fils  de  Pierre  Boucher,  l'ancien  gouverneur  des  Trois- 
Rivières.  Il  a  tellement  confiance  en  lui  qu'il  le  choisit 
également  pour  son  exécuteur-testamentaire  ^.  Et  quand  il  a 
quelque  construction  à  faire  faire  à  l' Hôpital-Général  ou 
ailleurs,  c'est  Philippe  Boucher,  curé  de  Saint-Joseph  de 
Lévis,  oncle  de  M.  de  Varennes  et  ami  du  Séminaire,  qui  est 
son  homme  de  confiance  et  qu'il  fait  venir  pour  surveiller 
les  travaux  *. 

Au  séminaire,  d'ailleurs,  tous  les  anciens  sont  morts.  M. 
de  Bernières   (1700),  M.  de  Maizerets  (1721),  M.  Glan- 


1.  Corresp.  générale,  vols.  22,  31,  3Q. 

2.  Ibid.,  vol.  47,  Mémoire  de  Mgr  de  Saint- Vallier,  1725. 

3.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  II,  p.  iio.  —  M.  de  Varennes 
étant  mort  vers  le  30  mars  1726,  Mgr  de  Saint-Vallier  lui  substitua 
plus  tard  l'intendant  Dupuy. 

4.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp.  Général,  p.  237. 


390  l'église  du  canada 

delet  (1725),  tous  ceux  qui,  sans  le  vouloir,  lui  portaient 
ombrage:  non  pas  qu'il  n'eiit  pour  eux  une  sincère  estime; 
mais  on  comprend  que  ces  vieux  collaborateurs  de  l'ancien 
évêque,  pleins  de  son  esprit  et  de  ses  idées,  ne  pouvaient  lui 
être  tout-à-fait  agréables.  Ils  ont  fait  place  à  de  plus  jeunes, 
avec  lesquels  il  lui  est  plus  facile  de  s'entendre. 

Malheureusement,  dans  cette  maison,  outre  les  embarras 
financiers  dont  nous  venons  de  parler,  règne  depuis  assez 
longtemps  un  certain  malaise  :  les  Canadiens,  MM.  de 
Varennes,  Boutteville,  Hamel  et  autres,  se  plaignent  que 
«  les  prêtres  venus  de  France  montrent  de  la  prévention 
contre  eux,  en  ne  voulant  admettre  dans  les  charges  aucun 
des  natifs  du  Canada  »  ^;  et  ils  se  décident  à  envoyer  leurs 
plaintes  à  Paris.  C'est  peut-être  la  nomination  de  M. 
Thibout  comme  supérieur  à  la  place  de  M.  Glandelet  qui  a 
été  l'occasion  prochaine  de  ces  plaintes.  Ces  plaintes,  du 
reste,  ne  seront  pas  sans  résultat  :  elles  vaudront  aux  direc- 
teurs du  Séminaire  la  belle  lettre  suivante  de  leurs  confrères 
de  Paris: 

«  Dieu  nous  garde,  disaient  les  directeurs  des  Missions- 
Etrangères,  de  penser  comme  eux  (les  Canadiens)  !  Nous 
connaissons  trop  votre  vertu  et  votre  charité  pour  vous 
croire  capables  de  vous  prévenir  ainsi;  mais  après  tout, 
vous  conviendrez  avec  nous  qu'il  est  très  fâcheux  que,  tous 
les  ecclésiastiques  du  Canada  ayant  été  formés  dans  votre 
séminaire,  depuis  l'enfance  jusqu'au  sacerdoce,  durant 
l'espace  de  soixante  ans,  entre  lesquels  on  ne  peut  nier  qu'il 
n'y  ait  des  gens  d'esprit  et  de  talent,  suffisamment  instruits 
et  vertueux,  il  ne  s'en  soit  point  encore  trouvé,  dans  un  si 
grand  nombre,  qui  d'ailleurs  sont  estimés  des  gens  du  monde, 
que  vous  ayez  jugés  dignes  d'être  unis  à  vous  pour  devenir 
dès  à  présent  vos  confrères  et  un  jour  vos  successeurs. 

I.   Histoire  manuscrite  du  Séminaire. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  391 

«  Vous  savez  bien  qu'il  faut  que  tôt  ou  tard  le  clergé  du 
Canada  se  gouverne  par  lui-même,  sans  avoir  besoin  qu'on 
envoie  à  perpétuité  des  prêtres  français  pour  le  gouverner. 
Vous  savez  d'ailleurs  que  nos  règlements  portent  expressé- 
ment que  dans  tous  les  lieux  de  nos  missions,  dès  que  nous 
aurons  formé  des  prêtres  du  pays  suffisamment  pour  qu'ils 
puissent  se  passer  de  nous,  nous  nous  retirerons  de  bon 
cœur  pour  aller  travailler  ailleurs.  Vous  savez  enfin  que 
vous  n'êtes,  pour  ainsi  dire,  que  par  accident  le  séminaire 
épiscopal  des  évêques  de  Québec,  qui,  quand  il  leur  plaira, 
donneront  à  d'autres  communautés  le  soin  de  former  leurs 
clercs  jusqu'au  sacerdoce  ;  et  alors  vous  demeurerez  uni- 
quement séminaire  des  Missions-Etrangères  pour  les  sau- 
vages. Il  parait  donc  que  vous  devriez  tendre  à  mettre  le 
plus  tôt  que  vous  pourrez  entre  les  mains  des  ecclésiastiques 
du  Canada  le  soin  d'élever  le  clergé  composé  de  leurs  com- 
patriotes \  » 

Il  devait  s'écouler  encore  quelques  années  avant  que  MM. 
Plante  et  Hamel,  deux  prêtres  canadiens,  fussent  choisis 
comme  directeurs  du  Séminaire.  Mais  le  Séminaire  n'eut 
pas  de  Supérieur  canadien  avant  la  Conquête.  Le  premier 
supérieur  canadien  fut  M.  Hubert  (1774),  qui  devint 
ensuite  évêque  de  Québec  ". 

Qui  le  croirait  ?  M^  de  Saint- Vallier  lui-même  ne  put 
jamais  se  défaire  de  certains  préjugés  contre  les  prêtres 
canadiens  :  cela  perce  dans  plusieurs  de  ses  lettres  à  la  cour  : 
«  L'expérience  presque  journalière  que  nous  avons  ici  de 
l'inquiétude  de  l'esprit  des  Canadiens,  qui  se  porte  à  exa- 

1.  Lettre  de  1723,  citée  ('ans  l'Histoire  manuscrite  du  Séminaire. 

2.  Il  fut  supérieur  du  Séminaire  de  1774  à  1779,  puis  curé  de  la 
Sainte-Famille  de  1779  à  1781.  Son  successeur  à  la  Sainte-Famille  qui, 
avec  beaucoup  de  raison,  avait  plus  de  respect  que  lui  pour  les  arbres 
du  domaine  curial,  écrivait  dans  les  registres  :  "  C'est  dommage  qu'il 
ait  fait  coaper  un  superbe  Poirier  pour  mettre  droit  le  chemin  des 
Sœurs  pour  aller  à  l'église."  (Archives  de  la  Sainte-Famille,  île 
d'Orléans.) 


392  l'église  du  canada 

miner  ce  qui  ne  les  regarde  pas,  et  à  faire  part  souvent  en 
France  de  leurs  fausses  lumières  sur  des  desseins  dont  ils 
ne  connaissent  pas  le  fruit  ni  l'avantage.  .  .  »  Et  ailleurs  : 
«  M.  Bégon  connaît  aussi  bien  que  moi  la  disposition  de 
leurs  esprits,  peu  portés  à  se  soumettre  et  à  reconnaître  leurs 
supérieurs  temporels,  de  même  que  les  spirituels  \  .  .  »•  L'idée 
de  la  supériorité  française  sur  ces  pauvres  coloniaux  était 
si  naturelle  à  un  Français  ! 

Du  reste,  M^  de  Saint-Vallier  professait  le  même  intérêt 
et  le  même  dévouement  à  tous  ses  diocésains,  sans  acception 
de  personnes.  Le  gouverneur  et  l'intendant  jouissaient  du 
privilège  de  vendre  chaque  année  un  certain  nombre  de 
«  Congés  »  ou  «  permissions  d'aller  dans  les  pays  d'en  haut  », 
pour  faire  la  traite  du  castor  avec  les  sauvages;  et  le  pro- 
duit de  ces  congés  était  employé  à  secourir  les  familles 
pauvres  du  pays.  On  avait  aboli  ces  congés,  en  1696,  sous 
prétexte  d'abus,  et  détruit  par  là-même  une  source  de 
revenu  pour  secourir  les  pauvres.  Notre  Prélat,  qui  fut 
toujours  si  dévoué  aux  déshérités  de  la  fortune,  suppliait 
la  cour  de  rétablir  les  congés  : 

«S'ils  ont  été  révoqués,  disait-il,  sous  prétexte  qu'il  étaient 
mal  distribués,  ou  bien  pour  empêcher  qu'il  ne  monte  trop  de 
monde  dans  les  pays  d'en  haut,  je  puis  assurer  de  la  fausseté 
du  premier  prétexte,  les  familles  auxquelles  ils  ont  été  dis- 
tribués en  ayant  véritablement  besoin,  et  M.  de  \'audreuil 
consentant  de  ne  distribuer  ceux  qui  seront  accordés  à 
l'avenir  que  de  concert  avec  l'évêque  et  l'intendant.  A 
l'égard  du  second  prétexte,  l'expérience  du  passé  fait  assez 
connaître  que  lorsqu'on  n'accorde  pas  aux  Canadiens  la  per- 
mission de  monter  dans  les  pays  d'en  haut  par  congé,  ils  y 
vont  en  plus  grande  foule  sans  congé  ^. .  .  » 


1.  Corresp.  générale,  vol.  48,  lettre  du  10  sept.  1726. 

2.  Ibid.,  vol.  43,  Lettre  du  22  mars  1721. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALUER  393 

Les  congés  furent  rétablis,  de  même  que  cette  belle  insti- 
titution  appelée  le  Doi  du  Roi,  par  laquelle  le  roi  de  France 
accordait  chaque  année  trois  mille  livres  à  distribuer  en 
soixante  parts  de  cinquante  livres  chacune,  pour  faire  autant 
de  dots  à  soixante  jeunes  filles  canadiennes,  et  favoriser 
ainsi  leur  mariage.  C'est  l'intendant  qui  faisait  cette  dis- 
tribution et  qui  envoyait  chaque  année  à  la  cour  la  liste  de 
soixante  mariages  qui  avaient  été  plus  ou  moins  facilités  par 
le  Don  du  Roi.  Plusieurs  de  ces  listes  ont  été  conservées  : 
combien  de  familles  canadiennes,  en  les  parcourant,  y  trou- 
veraient sans  doute  les  noms  de  leurs  ancêtres  ! 

On  ne  saurait  croire  combien  M^  de  Saint-Vallier  s'inté- 
ressait à  tous  les  détails  de  la  vie  de  famille  de  nos  anciens 
Canadiens.  Il  avait  remarqué,  dans  ses  visites  pastorales, 
que  presque  partout,  et  dans  les  villes  particulièrement,  le 
nombre  des  filles  dépassait  de  beaucoup  celui  des  garçons. 
Vaudreuil  en  donnait  la  raison  : 

«  Le  nombre  des  garçons,  disait-il,  n'est  pas  proportionné 
à  celui  des  filles,  parce  que  la  pêche  de  la  morue  et  la  navi- 
gation font  sortir  un  grand  nombre  de  jeunes  gens,  qui 
passent  aux  îles  de  l'Amérique  et  en  France,  où  souvent  ils 
s'établissent.  Les  voyages  chez  les  nations  sauvages  donnent 
occasion  à  plusieurs  de  rester  à  Ouabache,  aux  Tamarois, 
et  à  la  Louisiane,  qui  n'est  presque  établie  que  par  des 
Canadiens.  » 

M^'""  de  Saint-Vallier  signala  le  fait  à  la  cour  : 

«  Il  y  a,  dit-il,  deux  ou  trois  mille  filles  plus  que  de  gar- 
çons dans  la  colonie.  Il  est  par  conséquent  impossible  de  les 
marier,  qu'en  leur  envoyant  de  grandes  recrues.  Les  prin- 
cipales et  les  plus  nobles  familles  sont  remplies  de  filles  qui 
ne  peuvent  trouver  à  se  marier,  parce  que  la  plupart  des 
officiers  le  sont,  et  qu'il  n'y  a  personne  de  convenable  à  leur 
donner.    11  y  a  à  Montréal  seul  deux  à  trois  cents  filles  assez 


394  I^'ÉGLISE    DU    CANADA 

distinguées,  qu'on  ne  peut  marier,  manque  de  sujets  ^. .  .  »■ 
Tout  cela,  de  la  part  du  gouverneur  et  de  l'évêque,  était 
bien  conforme  à  l'esprit  de  la  cour,  qui  non  seulement  encou- 
rageait le  mariage  au  Canada,  mais  engageait  les  jeunes 
gens  à  se  marier  de  bonne  heure,  comme  on  peut  le  voir  par 
Tarrêt  du  Conseil  d'Etat  de  1668,  «  portant  défenses  aux 
pères  et  mères  de  s'opposer  au  mariage  de  leurs  enfants, 
savoir  les  garçons  à  vingt  ans,  et  les  filles  à  seize  ans  »  ^. 
Rien  de  plus  conforme  d'ailleurs  à  la  morale  et  à  l'esprit 
chrétien.  Les  mœurs  de  notre  pays  se  ressentent  encore  des 
bons  principes  qui  furent  inculqués  à  nos  ancêtres  par 
l'autorité  civile  concurremment  avec  l'autorité  religieuse. 


*  * 


Autant  M^  de  Saint- Vallier  s'intéressait  au  bonheur  des 
familles  de  son  diocèse,  favorisant  d'honnêtes  mariages, 
tâchant  de  procurer  aux  jeunes  filles  qui  désiraient  se  marier 
un  établissement  convenable,  autant  il  réprouvait  les  unions 
scandaleuses  qui  détruisent  l'esprit  de  famille  et  sont 
le  fléau  d'une  société  chrétienne.  Nous  l'avons  vu  déjà,  en 
1694,  lancer  l'excommunication  contre  un  officier  résidant  à 
Champlain,  et  vivant  en  concubinage  avec  une  femme  de 
Batiscan.  En  1719,  on  lui  signale  un  scandale  public  à 
Montréal  :  un  M.  d'Ailleboust  des  Musseaux  garde  chez  lui 
«  une  fille  d'Agnier  »,  et  passe  pour  vivre  avec  elle  en  con- 
cubinage. Il  écrit  aussitôt  à  M.  de  la  Goudalie  ^,  son  grand 
vicaire,  et  aux  prêtres  des  trois  communautés  de  la  ville,  Sul- 
piciens,  Jésuites  et  Récollets,  pour  leur  «défendre  de  les 


1.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  lettre  du  ler  fév.  1718. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  33. 

3.  Celui  qui  fut  curé  du  Bassin  des  Mines,  en  Acadie,  et  dont  il  a  été 
question  au  chapitre  précédent. 


sous    M*""    DE    SAINT-VAl,UER  395 

confesser  et  de  les  absoudre  »  :  il  leur  défend  également  de 
confesser  et  d'absoudre  M""^  des  Musseaux  et  le  père  de  la 
fille,  «  s'ils  ne  s'efforcent  de  faire  renvoyer  la  dite  ser- 
vante »  '. 

Quelques  années  plus  tard,  il  apprend  que  deux  officiers 
de  Montréal  vivent  «  en  adultère  public  »,  l'un,  Charles 
d'Auteuil  de  Monceaux,  avec  Thérèse  Catin,  épouse  de 
Simon  Réaume,  marchand  de  Montréal,  mais  actuellement 
«  en  voyage  dans  les  pays  d'en  haut  »,  l'autre,  Pierre 
d'Auteuil  de  la  Mulotière,  avec  Marie-Madeleine  Soulange, 
épouse  de  Urbain  Bellorget,  «  qui  s'est  retiré  aux  Iles  par 
mécontentement  »,  probablement  à  cause  de  la  mauvaise  vie 
de  sa  femme.  Ces  deux  frères  d'Auteuil  sont  les  fils  du  pro- 
cureur général  du  Roi  au  Conseil  Supérieur,  François- 
Magdeleine  d'Auteuil.  Mais  on  sait  que  M^""  de  Saint- 
Vallier,  dans  ses  réprimandes  contre  le  vice,  agit  toujours 
sans  acception  de  personnes.  Il  écrit  à  la  cour  pour 
dénoncer  les  coupables  et  mettre  le  gouverneur  et  l'inten- 
dant à  même  de  remplir  leur  devoir.  De  son  côté,  le  pro- 
cureur général  fait  des  mémoires.  .  .  Mais  le  ministre  écrit 
aussitôt  au  gouverneur  et  à  l'intendant  de  faire  cesser  les 
scandales  dont  se  plaint  l'évêque  ;  et  dès  l'année  suivante 
M.  Bégon  lui  répond  : 

«  Suivant  l'ordre  que  vous  nous  avez  donné  l'année  der- 
nière, de  faire  passer  la  femme  du  nommé  Bellorget  à  la 
Martinique,  où  est  son  mari,  M.  de  Vaudreuil  l'a  fait  em- 
barquer le  3  septembre  dernier  sur  un  bâtiment  qui  partait 
d'ici  pour  y  retourner.  .  .  » 

Quant  à  la  dame  Catin,  son  mari  étant  venu  à  mourir, 
elle  épousa  quelques  années  plus  tard  le  sieur  de  la  Mulo- 
tière. 

Nous  venons  de  dire  que  M^  de  Saint-Vallier  agissait 

I.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Registre  C,  lettre  du  26  mai  1719. 


39^  l'église  du  canada 

toujours  sans  acception  de  personnes.  En  voici  un  autre 
exemple  :  il  a  appris  que  le  sieur  Denis  de  Bonaventure,  lieu- 
tenant de  Roi  en  Acadie,  entretient  «  un  commerce  scanda- 
leux »  avec  une  dame  Damours  de  Preneuse,  de  Québec,  qui 
va  le  rencontrer  à  Port-Royal,  sous  prétexte  sans  doute  de 
rendre  visite  à  ses  parents.  Il  en  informe  la  cour,  et  ordre 
est  aussitôt  donné  au  gouverneur,  M.  de  Subercase,  de  faire 
repasser  cette  femme  au  Canada.  Le  gouverneur  négligeant 
de  le  faire,  M^'^  de  Saint-Vallier  insiste  auprès  du  ministre  à 
Paris  pour  qu'on  soit  écouté  : 

«Il  conviendrait,  dit-il,  de  faire  servir  le  sieur  de  Bona- 
venture ailleurs,  si  la  dame  de  Preneuse  reste  en  ce  pays.  » 

Et  le  ministre,  de  répondre  aussitôt  en  conformité  de  la 
demande  du  Prélat  : 

«  Qu'on  envoie,  dit-il,  un  ordre  positif  à  M.  de  Subercase 
de  faire  embarquer  cette  femme  sur  la  flûte  La  Loire  qui 
porte  des  secours  à  l' Acadie,  en  cas  qu'elle  ne  soit  pas  passée 
en  Canada,  à  l'arrivée  de  ce  bâtiment  \  » 

Heureux  temps,  celui  où  la  justice  se  rendait  encore  d'une 
manière  aussi  expéditive,  dans  les  cas  où  la  morale  était 
ouvertement  et  scandaleusement  outragée!  Heureux  temps 
où  l'autorité  ci\ile  se  montrait  si  bien  disposée  à  appuyer 
l'autorité  religieuse  dans  ses  revendications  légitimes  pour 
le  bon  ordre  de  la  société  chrétienne  !  La  licence  effrontée 
n'a  pas  de  droits;  elle  est  jugée  et  condamnée  d'avance  par 
elle-même. 

Cela  veut-il  dire  que  tout  était  parfait  à  cette  époque  dans 
les  rapports  de  l'Eglise  et  de  l'Etat?  Nous  avons  donné  des 
exemples  du  contraire;  nous  avons  vu  qu'en  maintes  occa- 
sions, par  exemple,  M^''  de  Saint  -  Vallier  avait  eu  à  se 
plaindre  de  M.  de  Vaudreuil,  surtout  pour  ses  entrées  dans 
les  couvents  :  et  justement  à  l'époque  qui  nous  occupe,  il 

I.    Corresp.  générale,  vol.  29. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALUER  397 

écrivait  à  la  cour  pour  faire  une  nouvelle  plainte  à  son 
égard.  Un  incendie  ayant  éclaté  à  Montréal,  et  détruit  une 
grande  partie  de  cette  ville,  y  compris  l'Hôtel-Dieu,  le  gou- 
verneur, qui  se  trouvait  là  en  cette  occasion,  prit  sur  lui, 
sans  en  parler  à  l'Evêque,  de  faire  transporter  les  religieuses 
à  l'Hôpital-Général,  «  et  d'en  chasser  entièrement  les  bons 
frères  Hospitaliers,  leur  ôtant  le  moyen  de  pouvoir  con- 
tinuer leur  œuvre  ». 

«  Cela  a  été  si  loin,  écrit  le  Prélat,  qu'on  a  voulu  détruire 
cette  œuvre  :  ce  qui  m'a  obligé  de  monter  en  diligence  à 
Montréal  avec  M.  Bégon.  Notre  présence  fit  trouver  un 
expédient  plus  doux,  qui  a  été  de  donner  les  trois  quarts  du 
bâtiment  des  Frères  aux  religieuses  pour  soigner  les  pauvres, 
en  faisant  de  bonnes  séparations  des  religieuses  d'avec  les 
Frères,  auxquels  ils  ont  trouvé  un  petit  coin  pour  les  loger 
ainsi  que  les  pauvres  invalides. 

«  On  devait  faire  aux  Frères  une  petite  cuisine  pour  leur 
donner  moyen  de  donner  leur  grande,  avec  toutes  leurs 
salles,  aux  religieuses.  Mais  dès  que  nous  avons  été  partis 
de  Montréal,  M.  Bégon  et  moi,  on  a  sorti  les  Frères  de 
plusieurs  lieux  qu'on  devait  leur  laisser  \  .  . 

«  Si  on  m'avait  laissé  conduire,  ajoute-t-il  avec  un  peu 
d'amertume,  tout  aurait  été  plus  doucement;  mais  elles  (les 
religieuses)  ont  cru  devoir  plutôt  s'appuyer  sur  le  gouver- 
neur que  sur  leur  évêque. 

«  Je  supplie  le  Conseil  de  faire  comprendre  à  M.  de  Vau- 
dreuil  que  si  c'est  à  lui,  en  qualité  de  gouverneur  général, 
de  gouverner  tempo rellement,  il  doit  laisser  à  l'évêque  le 
soin  de  gouverner  les  couvents  et  les  communautés  reli- 
gieuses et  ecclésiastiques  spirituellement.  . .  » 


I.  Cela  ne  rappelle-t-il  pas,  vraiment,  la  chanson: 
"  Bonhomme,   bonhomme, 
Tu  n'es  pas  maître  dans  ta  maison, 
Quand   nous  y  sommes  "  ? 


39^  l'église  du  canada 

Puis  il  ajoutait  :  «  M.  et  M""*  de  Vaudreuil  m'ont  parlé 
plusieurs  fois  du  dessein  qu'ils  ont  de  faire  tomber  la  maison 
de  l'Hôpital-Général  de  Montréal  faite  par  feu  M.  Charon, 
et  fondée  par  plusieurs  personnes  qui  ont  donné  des  rentes  : 
je  suis  du  nombre.  N'ayant  pu  les  dissuader  d'en  écrire  au 
Conseil,  je  crois  devoir  prendre  les  devants  pour  précau- 
tionner  le  Conseil  contre  les  mauvais  services  qu'on  veut 
rendre  à  l'Hôpital.  Cet  hôpital  mérite  d'être  conservé,  par 
le  bien  qu'il  fait  au  diocèse,  et  par  la  bonne  foi  qu'il  faut 
garder  au  fondateur,  qui  a  sacrifié  tout  son  bien  pour  cet 
établissement  ^. .  .  »■ 

L'Hôpital-Général  de  Montréal  fut  maintenu;  mais  la 
direction,  un  peu  plus  tard,  en  fut  confiée  à  la  vénérable 
Mère  d'Youville,  fondatrice  de  la  belle  communauté  des 
Sœurs  Grises. 

Nous  venons  de  mentionner  l'incendie  de  Montréal  de 
1721  :  voici  en  quels  termes  M.  de  Ramesay,  commandant 
de  la  ville,  en  rendait  compte  à  la  cour  : 

«  Le  feu  prit  le  19  juin  ^  à  l'Hôtel-Dieu  de  cette  ville,  et 
à  cause  de  la  hauteur  de  l'église  et  du  clocher,  se  commu- 
niqua aux  maisons  voisines,  ce  qui  causa  un  grand  incendie. 
Il  y  a  eu  cent  trente-huit  maisons  de  brûlées,  sans  corn- 
prendre  les  magasins  et  autres  bâtiments.  Si  je  n'avais  fait 
couper  le  feu,  en  faisant  abattre  avec  des  crochets  le  comble 
d'une  maison,  ce  qui  permit  de  l'éteindre,  nous  aurions 
couru  le  risque  d'être  tous  enveloppés  dans  ce  malheur,  qui 
cause  la  perte  de  plus  de  deux  millions  aux  marchands  et 
bourgeois  de  cette  ville.  .  .  » 

1.  Corresp.  générale,  vol.  43,  lettre  du  23  déc.  1721. 

2.  C'était  le  jour  de  l'octave  de  la  Fête-Dieu,  et  l'on  faisait  la  pro- 
cession solennelle  du  saint  Sacrement,  qu'on  n'avait  pu  faire  le  jour  de 
la  fête.  C'était  alors  l'usage  de  faire  des  décharges  de  mousqueterie, 
aux  reposoirs.  A  celui  de  l'Hôtel-Dieu,  un  soldat  déchargea,  par 
mégarde,  son  fusil  dans  l'église  :  le  feu  prit  à  la  voûte,  puis  au  clocher, 
et  se  répandit  ensuite  par  la  force  du  vent.  (Paillon,  Vie  de  la  Sœur 
Bourgeois,  t.  II,  p.  274.) 


sous    M*^    DE    SAINT-VALUËR  399' 

D'après  une  lettre  de  M.  de  Vaudreuil,  l'incendie  «  avait 
rendu  désert  tout  le  quartier  de  la  Place  d'Armes,  où  le 
marché  se  tenait  »... 

Comme  il  arrive  presque  toujours  en  pareille  occasion, 
au  fléau  de  l'incendie  était  venu  se  joindre  le  fléau  non 
moins  désastreux  des  voleurs.  Le  Prélat  justement  irrité 
lança  les  foudres  de  l'excommunication  contre  ceux  qui 
s'étaient  rendus  coupables  de  pillage  : 

«Le  fait  d'un  pareil  pillage,  disait-il,  est  si  odieux  à 
Jésus-Christ  et  à  l'Eglise,  son  épouse,  qu'elle  frappe  les 
coupables  d'anathème  et  d'excommunication  majeure  en- 
courue par  le  seul  fait,  que  nous  étendons  sur  ceux  qui  en 
ont  connaissance  et  qui  ne  voudront  point  les  découvrir. 
Pour  ne  vous  rien  laisser  ignorer  de  l'indignation  du  Tout- 
Puissant  et  de  ceux  qui  représentent  sa  place  sur  la  terre, 
nous  disons  ici  que,  le  nom  de  Dieu  invoqué,  nous  déclarons 
ceux  et  celles  qui  ont  été  assez  cruels  pour  augmenter  la 
perte  de  ceux  qui  avaient  déjà  perdu  dans  l'incendie,  par  le 
pillage  de  leurs  effets  sauvés,  frappés  d'anathème  et  d'ex- 
communication majeure,  s'ils  ne  rendent  incessamment  ce 
qu'ils  ont  pris  ou  retenu  de  ce  qui  leur  avait  été  confié  de  la 
dépouille  des  biens  des  incendiés,  sous  quelque  prétexte  que 
ce  puisse  être  ;  en  sorte  que  s'ils  ne  rendent  promptement  ce 
qu'ils  ont  entre  les  mains  des  dits  incendiés,  ils  ne  pourront 
être  absous  que  par  nous  seul,  même  dans  le  temps  de 
Pâques,  anathème  et  excommunication  que  nous  étendons 
sur  ceux  et  celles  qui,  connaissant  les  coupables,  ne  voudront 
pas  les  dénoncer. 

«  Nous  nous  portons  d'autant  plus  volontiers  à  cette 
sévérité  que  nous  suivons  en  cela  l'exemple  des  plus  saints 
papes,  qui  déclarent  par  leurs  constitutions  que  ceux  qui  ont 
la  témérité  de  prendre  ou  de  retenir  quelque  chose  des 
incendiés  ou  des  effets  naufragés  encourent  par  le  seul  fait 
l'excommunication    majeure    réservée    au    saint-siège.  » 


400  I,  EGUSE    DU    CANADA 

Cette  lettre,  datée  du  26  juin  1721,  était  adressée  «à  tous 
les  prêtres  du  diocèse  qui  pourraient  confesser  les  habitants 
de  Montréal  et  lieux  circonvoisins,  ainsi  qu'aux  fidèles  de  la 
ville  ».  Le  Prélat  en  adressa  une  autre  le  même  jour  à  tous 
ses  diocésains  pour  les  engager  à  venir  le  plus  promptement 
possible  au  secours  des  incendiés  de  Montréal,  et  spécia- 
lement aux  religieuses  Hospitalières  qui  avaient  vu  en  un 
quart  de  siècle  leur  maison  détruite  deux  fois.  Il  donna 
lui-même  l'exemple  de  la  charité  en  faisant  à  ces  bonnes 
religieuses  une  aumône  de  cinq  mille  livres. 

Il  demeura  trois  mois  à  Montréal;  et  en  quittant  cette 
ville,  il  voulut  y  laisser  un  souvenir  de  sa  visite,  l'établis- 
sement à  Notre-Dame  de  la  confrérie  du  Sacré-Cœur  de 
Marie,  «  pour  réveiller,  disait-il,  l'esprit  de  foi  qui  s'affaiblit 
et  s'éteint  presque  entièrement  dans  le  cœur  de  ceux  dont  la 
conduite  nous  a  été  confiée  »  \  .  .  Rendu  à  Québec,  il  prépara 
les  lettres  d'érection  de  cette  confrérie,  et  les  adressa  aux 
Sulpiciens  le  i^""  janvier  1722  pour  leurs  étrennes. 

Il  ne  manqua  pas  de  raconter  aux  religieuses  de  son 
Hôpital-Général  les  détails  de  l'incendie  de  la  ville  et  de 
l'Hôtel-Dieu  de  Montréal.  Ah,  comme  elles  le  félicitèrent 
de  l'heureuse  idée  qu'il  avait  eue  quelques  années  aupara- 
vant d'établir  l'usage  de  faire  une  procession  chaque 
dimanche  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  pour  obtenir  que 
leur  maison  fût  préservée  de  semblables  accidents.  «  Cette 
procession,  dit  l'annaliste,  se  faisait  par  les  pauvres  :  un 
vieillard  portait  le  crucifix,  et  l'Evêque  lui-même  portait  la 
statue  de  la  Mère  de  Dieu.  Les  religieuses  ne  firent  d'abord 
qu'y  assister;  mais  après  la  mort  de  leur  fondateur,  elles  se 
firent  un  devoir  de  continuer  une  pratique  de  dévotion  qui 
lui  avait  été  chère,  et  le  privilège  de  porter  l'image  de  la 
sainte  Vierge  fut  accordée  à  l'offîcière  de  semaine.     On  a 

I.    Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  503. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  4OI 

toujours  attribué  dans  la  maison  à  cette  pieuse  pratique  la 
singulière  protection  qui  a  écarté  de  nous  jusqu'à  présent 
les  désastres  d'un  incendie.  » 

Du  reste,  l'Hôpital-Général,  comme  toutes  les  autres 
communautés  de  la  ville,  éprouvait  à  cette  époque  une  gène 
considérable.  Nous  avons  déjà  parlé  de  celle  du  Séminaire. 
Voici  ce  qu'écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital-Général  : 

«  Il  y  eut  en  France  une  grande  crise  financière  en  1720: 
les  rentes  sur  l'Hôtel-de-Ville  subirent  une  baisse  considé- 
rable. Au  lieu  de  quatre  mille  livres  que  Sa  Grandeur  per- 
cevait chaque  année  pour  être  appliquées  à  notre  établis- 
sement, elle  n'en  touche  plus  que  quinze  cents.  Ce  fut  une 
peine  pour  le  généreux  Prélat;  mais  il  lui  fallait  peu  de 
temps  pour  se  résigner  aux  divers  événements  de  la  vie. 
«  Mes  chères  filles,  dit-il  alors  aux  religieuses,  plus  vous 
«  serez  dénuées  des  biens  de  ce  monde,  plus  vous  aurez  droit 
«  de  puiser  dans  les  trésors  de  la  divine  Providence.»  Cepen- 
dant, il  n'était  plus  en  état  de  créer  de  nouvelles  rentes  ;  pour 
la  première  fois  donc  il  sollicita  de  la  cour  de  France  une 
gratification  en  faveur  de  la  maison  qu'il  avait  fondée  à  si 
grands  frais,  et  qu'il  soutenait  seul  depuis  vingt-huit  ans. 
On  eut  égard  à  sa  demande,  et  la  somme  de  deux  mille 
livres  fut  accordée,  moitié  pour  les  pauvres,  moitié  pour  les 
religieuses.  » 

L'Hôtel-Dieu  se  ressentait  lui  aussi  de  la  misère  des 
temps.  La  Sœur  Duplessis,  après  avoir  parlé  des  doctrines 
jansénistes  et  gallicanes  qui  affligeaient  la  France,  y  compris 
certaines  communautés  religieuses.  «  Il  n'y  a,  dit-elle,  que 
cette  misère,  je  veux  dire  l'erreur,  qui  n'afflige  pas  le 
Canada  \  Nous  participons  à  toutes  les  autres  dont  la 
France  est  accablée.     La  pauvreté  se  fait  sentir  ici  comme 


I.  Notons  bien  ce  témoignage  de  la  Sœur  Duplessis:  pas  de  jansé- 
nisme ni  de  gallicanisme  au  Canada. 


402  l'éguse  du  canada 

ailleurs,  et  on  y  a  moins  de  ressource.  Notre  communauté, 
comme  toutes  celles  de  France,  perd  le  revenu  qu'elle  avait 
sur  l'Hôtel-de-Ville,  et  on  nous  rembourse  nos  fonds  par 
grâce  sp>éciale  que  la  cour  fait  aux  maisons  religieuses  de 
la  Nouvelle-France  :  ce  n'empêche  pas  que  nous  ne  nous 
trouvions  à  plaindre,  s'il  faut  avoir  en  Canada  notre  peu  de 
bien,  car  il  est  fort  doux  d'avoir  quelque  chose  en  France, 
et  de  pouvoir  tirer  tous  les  ans  pour  une  certaine  somme  les 
petits  besoins  de  la  maison.  » 

Malgré  la  gène  où  elles  se  trouvaient,  les  religieuses  de 
l'Hôtel-Dieu  avaient  dû  faire  construire  de  nouvelles  salles 
pour  les  malades,  «  celles  qu'il  y  avait  étant  mal  situées  et  en 
mauvais  état  ».  M^""  de  Saint- Vallier  leur  donna  pour  cela 
quatre  mille  livres,  et  la  cour  en  fît  autant. 

Pour  ne  pas  occuper  dans  les  ap>partements  de  l'Hôtel- 
Dieu  le  moindre  espace  qui  pouvait  servir  pour  les  pauvres 
malades,  et  en  même  temps  pour  être  plus  chez  eux,  les  curés 
du  diocèse  avaient  fait  construire  «  à  frais  communs  »  une 
«  petite  maison  »  attenante  à  l'Hôtel-Dieu,  pour  y  aller 
quand  ils  seraient  malades.  M^  de  Saint-Vallier  adressa,  à 
cette  occasion,  une  lettre  très  touchante  aux  religieuses  «  sur 
la  manière  dont  elles  doivent  soigner  les  ecclésiastiques  : 

«  Elles  ne  doivent  jamais  être  seules,  dit-il,  une  religieuse 
doit  toujours  avoir  une  compagne;  et  il  faut  qu'il  y  ait  un 
valet  pour  le  soin  des  prêtres  \  » 

Aux  Ursulines,  on  n'était  pas  moins  à  la  gène  qu'à 
l'Hôtel-Dieu.  Mais  le  gouverneur  et  l'intendant  eurent  beau 
écrire  à  la  cour,  ils  n'obtinrent  rien.  Les  religieuses  n'eurent 
pas  même  d'indemnité  pour  les  beaux  arbres  qu'on  leur 
avait  coupés,  pour  les  terrains  et  les  jardins  qu'on  leur  avait 
gâtés  par  les  travaux  qu'on  avait  faits  pour  les  fortifi- 
cations.   Il  y  avait  sur  ces  fortifications  une  terrasse,  espèce 

I.   Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Registre  C 


sous    M*^    DE    SAINT-VALUER  40^ 

de  chemin,  d'où  le  public  pouvait  voir  tout  ce  qui  se  passait 
dans  la  cour  et  à  l'intérieur  du  monastère  \  Pour  tous  ces 
inconvénients,  aucune  indemnité. 

Eh  bien,  malgré  la  gène  pécuniaire  où  elles  se  trouvaient, 
les  Ursulines  réussirent  à  agrandir  leur  monastère,  et  à 
construire  une  jolie  chapelle,  celle-là  même  qui  existe  encore 
aujourd'hui.  M^  de  Saint-Vallier  en  fit  la  bénédiction  k 
15  août  1722.  Elle  ne  fut  cependant  terminée  complètement 
qu'en  1736:  on  avait  mis  vingt-cinq  ans  à  la  bâtir,  tant  les 
ressources  faisaient  défaut  à  cette  époque!  Les  principaux 
personnages  de  la  colonie  aidèrent  à  sa  construction  par 
leurs  dons  généreux. 

Tout  le  pays,  en  général,  passait  à  cette  époque  par  une 
série  d'épreuves  de  toutes  sortes.  En  171 6,  c'était  la  séche- 
resse, et  de  grands  feux  dans  les  bois.  M.  de  Vaudreuil 
écrivait  en  France  :  «  La  sécheresse  a  été  si  grande  pendant 
tout  l'été  que  les  feux  ont  couru  de  tous  côtés  dans  les  bois. 
Les  pinières  où  l'on  fait  le  goudron  à  la  Baie  Saint-Paul 
n'en  ont  pas  été  exemptes,  et  les  bois  qui  avaient  été  disposés 
pour  en  faire  cette  année  deux  cents  barils  ont  été  entiè- 
rement consumés.  Il  n'y  a  point  d'exemple  en  ce  pays  d'un 
incendie  aussi  général,  les  racines  des  arbres  ayant  été 
brûlées  jusqu'à  deux  pieds  dans  la  terre.  .  .  » 

La  disette  devait  nécessairement  suivre  la  sécheresse  et 
les  incendies  :  «  Nous  sommes  aujourd'hui  réduits  à  cette 
disette  dont  nous  étions  menacés,  écrit  M.  de  Vaudreuil  en 
171 7.  Le  boulanger  n'a  plus  de  blé  ni  de  farine  pour  four- 
nir le  public,  qui  nous  apporte  chaque  jour  ses  plaintes.  Il  y 
a  des  Côtes  où  les  habitants  n'ont  pas  recueilli  trois  minots 
de  blé.  Ces  habitants  n'ayant  pas  de  quoi  faire  du  pain 
pendant  l'hiver,  seront  encore  moins  en  état  de  semer  le 
printemps.  .  .  » 

I.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  109. 


404  L  EGUSE    DU    CANADA 

En  effet,  les  années  qui  suivent  ne  sont  guère  favorables 
aux  cultivateurs  ;  et  pour  augmenter  leur  gène,  il  règne  dans 
le  pays  une  «  protection  »  à  outrance  : 

«  Nous  avons  fait  enregistrer  au  Conseil  Supérieur, 
écrivent  MM.  de  Vaudreuil  et  Bégon,  l'arrêt  du  Conseil 
d'Etat  du  Roi,  qui  ajoute  à  la  disposition  de  celui  du  4  juin 
1719  la  défense  de  porter  et  de  s'habiller  dedans  ou  dehors 
les  maisons  des  étoffes  et  marchandises  de  fabrique  étran- 
gère, et  aux  tailleurs  et  couturières  d'avoir  les  dites  étoffes 
et  marchandises  chez  eux  en  pièces,  ni  d'en  faire  des  habits 
et  vêtements.  Nous  tiendrons  la  main  à  l'exécution  de  ces 
arrêts  ^.  » 

La  période  des  mauvaises  années  fut  très  longue  :  com- 
mencée en  1716,  elle  durait  encore  en  1722.  Ecoutons 
l'annaliste  de  l'Hôpital-Général  :  «  Il  y  eut,  dit-elle,  en  1720, 
une  si  grande  quantité  de  chenilles,  que  nous  perdîmes  toute 
espérance  pour  la  récolte.  Nous  avions  près  de  notre  mai- 
son deux  pièces  de  blé,  les  insectes  y  fourmillaient  tellement 
que  nous  avions  peine  à  voir  les  épis.  Monseigneur  nous 
permit  de  faire  une  procession  autour  de  nos  champs,  eh 
chantant  les  litanies  des  saints;  il  voulut  y  prendre  part,  et 
il  fit  partout  l'aspersion  avec  l'eau  bénite.  Le  lendemain, 
les  chenilles  furent  trouvées  en  monceaux  dans  les  fossés. 
On  s'empressa  d'en  informer  Sa  Grandeur;  elle  répondit 
que  cette  délivrance  était  due  à  l'invocation  des  saints  et  à 
la  vertu  de  l'eau  bénite  ;  mais  s'apercevant  qu'on  l'attribuait 
à  ses  prières,  elle  en  parut  si  confuse  qu'on  n'insista  pas 
davantage. 

«L'année  1722,  continue  l'annaliste,  fut  remarquable 
par  une  si  grande  sécheresse,  que  l'on  craignit  la  famine. 
Les  campagnes  étaient  désolées;  depuis  trois  mois  que  les 
semences  étaient  faites,  il  n'était  pas  tombé  une  goutte  de 

I.    Corresp.  générale,  vol.  49. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  405 

pluie.  L'herbe  était  desséchée  jusqu'à  la  racine,  et  les 
animaux  mouraient  de  faim.  Monseigneur,  voyant  la  cons- 
ternation générale,  ordonna  des  prières  publiques.  Le  peuple, 
rempli  de  confiance  en  la  Mère  de  Dieu,  demanda  à  venir  en 
procession  à  Notre-Dame-des-Anges.  Au  jour  assigné,  le 
clergé  sortit  de  la  cathédrale,  portant  les  châsses  où  repo- 
saient les  reliques  du  grand  Apôtre  saint  Paul  et  celles  des 
bienheureux  martyrs  saint  Flavien  et  sainte  Félicité.  M^ 
de  Saint-V^allier  assista  à  cette  procession;  il  y  fit  chanter 
les  litanies  des  saints  et  le  Miserere.  Dès  que  le  cortège 
arriva  à  notre  église,  les  saintes  reliques  furent  déposées 
dans  le  sanctuaire  sur  des  crédences  que  nous  avions  pré- 
parées à  cet  effet,  et  que  nous  avions  ornées  de  notre  mieux. 
La  grand'messe  fut  chantée  fort  solennellement;  Sa  Gran- 
deur donna  ensuite  la  bénédiction  du  très  saint  Sacrement, 
et  les  prêtres  se  rechargèrent  de  leur  précieux  fardeau  pour 
retourner  à  Québec.  A  peine  furent-ils  en  chemin  que  la 
pluie  commença  à  tomber;  elle  continua  pendant  trois  jours 
avec  tant  d'abondance  que  la  terre  en  fut  tout  abreuvée. 
Cette  miséricorde  de  la  Reine  des  Anges  augmenta  la  con- 
fiance en  sa  puissante  protection,  et  l'on  vit  plusieurs  fois 
les  habitants  de  Charlesbourg,  de  Beauport,  de  Lorette  et 
de  Sainte-Foy  venir  en  procession  avec  leurs  curés  res- 
pectifs, pour  obtenir  un  temps  favorable  aux  biens  de  la 
terre.  » 


CHAPITRE  XXVI 


Iv'ÉGUSE  DU  CANADA,  DE  1/20  À  I725   (suite) 

La  question  du  commerce  des  boissons  enivrantes.  —  Une  nouvelle 
ordonnance  de  l'intendant  Bégon,  combattue  par  Mgr  de  Saint- 
Vallier. —  Bonnes  ordonnances  de  M.  Bégon.  —  Le  Lit  de  justice 
de  Louis  XV.  —  Mort  de  Vaudreuil.  —  Naufrage  du  Chameau.  — 
Le  nouveau  gouverneur,  M.  de  Beauharnais.  —  L'intendant  Dupuy. 
—  M.  Lyon  de  Saint-Ferréol,  supérieur  du  Séminaire.  —  M.  Robert, 
visiteur  de  Saint-Sulpice. 

LA  question  du  commerce  des  boissons  enivrantes,  ou 
plutôt  le  règlement  de  cette  question  a  de  tout  temps 
préoccupé  les  moralistes,  les  hommes  publics,  le  clergé. 
Comment  concilier,  dans  ce  commerce,  les  droits  de  la  mo- 
rale avec  ceux  d'une  légitime  liberté,  avec  les  exigences  de  la 
vie,  les  calculs  honnêtes  de  l'intérêt?  Le  problème  a  tou- 
jours paru  hérissé  de  difficultés.  Une  chose,  cependant,  est 
admise  par  tout  le  monde  :  ce  commerce  ne  peut  être  toléré 
qu'à  certaines  conditions  et  avec  beaucoup  de  restrictions. 

Au  Canada,  les  représentants  les  plus  sages  de  l'autorité 
civile,  Champlain,  Montmagny,  d'Ailleboust,  Denonville, 
Callières,  Vaudreuil,  ont  toujours  pensé,  avec  l'autorité  reli- 
gieuse, que,  par  rapport  aux  boissons  enivrantes,  il  devait  y 
avoir  une  législation  spéciale  pour  les  sauvages  :  étant  donné 
leur  caractère,  leur  passion  innée  pour  l'eau-de-vie,  les  con- 
séquences funestes  de  leur  ivresse,  on  ne  pouvait  leur  appli- 
quer que  la  prohibition  complète. 

M.  de  Vaudreuil  écrivait  à  la  cour  en  1 723  ;  «  Le  sieur 


l'église  du  canada  sous   M'^  de  SAINT-VALLIER     407 

Bégon  continue  de  tenir  la  main  à  l'exécution  de  son  ordon- 
nance du  3  juillet  1720,  qui  fixe  le  nombre  des  cabarets  â 
Montréal,  et  de  celle  du  26  mai  1721,  qui  défend  à  toutes 
personnes  de  vendre  aux  sauvages  de  l'eau-de-vie  ou  des 
boissons  enivrantes  dans  l'étendue  de  la  colonie.  » 

Ainsi,  pour  les  Canadiens,  restriction  des  permis  de  vente 
à  un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  marchands  ;  pour  les 
Sauvages  défense  absolue  de  leur  vendre  des  boissons 
enivrantes,  dans  la  colonie  :  tel  était  l'ordre  établi  à  cette 
époque  pour  le  commerce  des  boissons. 

Remarquons  toutefois  ces  mots  de  la  dépêche  de  Vau- 
dreuil  :  «  dans  l'étendue  de  la  colonie  ».  Par  une  fâcheuse 
inconséquence,  dans  les  postes  éloignés,  en  dehors  de  la 
colonie,  la  porte  restait  ouverte  à  la  traite  de  l'eau-de-vie 
avec  les  Sauvages.  Ainsi,  à  l'époque  qui  nous  occupe,  de 
1720  à  1725,  la  France  faisait  reconstruire  à  grands  frais  le 
fort  de  Niagara,  bâti  autrefois  par  Denonville,  et  y  laissait 
libre  le  commerce  des  boissons,  sous  prétexte  d'attirer  les 
Sauvages  pour  la  traite  des  pelleteries.  La  Nouvelle-Angle- 
terre, de  son  côté,  avec  le  concours  des  quatre  premiers 
cantons  iroquois,  construisait  le  fort  d'Oswégo  pour  détour- 
ner le  commerce  à  son  profit  ;  et  la  France,  bien  résolue  de 
faire  son  possible  pour  conserver  ses  droits  sur  les  pays 
qu'elle  avait  découverts,  élevait  en  même  temps  un  autre 
fort,  celui  de  Saint-Frédéric,  sur  le  lac  Champlain:  dans 
tous  ces  forts,  liberté  absolue  de  la  traite  de  l'eau-de-vie  ^. 
Saint-Frédéric,  Oswégo,  Niagara  :  trois  points  noirs,  pré- 
curseurs fatals  de  la  tempête  de  1759! 

En  1725,  l'intendant  Bégon  rendait  une  nouvelle  ordon- 
nance, au  sujet  de  laquelle  il  écrivait  au  ministre  le  31 
octobre,  peu  de  temps  après  la  mort  de  M.  de  Vaudreuil  : 

«  J'ai  trouvé,  disait-il,  joint  au  mémoire  du  Roi  du  22 

I.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  I,  p.  112. 


4o8  l'église  du  canada 

mai,  de  l'année  dernière,  servant  d'instructions  à  M.  Robert^, 
un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  même  jour,  qui  commet  l'in- 
tendant pour  réduire  le  nombre  des  cabarets  dans  les  Côtes, 
et  accorder  autant  de  permissions  qu'il  jugera  à  propos. 

«Je  l'ai  fait  enregistrer  au  Conseil  Supérieur  le  13  no- 
vembre de  l'année  dernière,  et  dans  les  juridictions  ordi- 
naires de  cette  ville,  des  Trois-Rivières  et  de  Montréal. 

«  J'ai  rendu,  ajoutait-il,  le  18  janvier  dernier,  en  confor- 
mité, l'ordonnance  dont  copie  est  jointe,  et  j'en  aï  envoyé 
copie  dans  toutes  les  Côtes,  pour  y  être  lue,  publiée  et  affi- 
chée par  les  capitaines  de  milice,  qui  m'en  ont  envoyé  leur 
rapport.  » 

L'intendant  donnait  ensuite  à  la  cour  les  raisons  des 
différentes  clauses  de  son  ordonnance  : 

«  M.  l'Evêque,  disait-il,  et  plusieurs  curés,  avec  qui  j'en 
ai  conféré,  ont  été  d'avis  comme  moi,  qu'il  convenait  qu'il 
y  eût  deux  cabarets  dans  chaque  paroisse  pour  la  commodité 
des  habitants  et  des  voyageurs,  parce  que,  s'il  n'y  en  avait 
qu'un,  il  pourrait  s'en  prévaloir  pour  vendre  plus  cher,  et 
fournir  des  boissons  de  mauvaise  qualité. 


I.  M.  Robert,  au  printemps  de  1724,  avait  été  nommé  intendant  du 
Canada  pour  remplacer  M.  Bégon,  et  s'embarqua  en  juillet  avec  sa 
femme  et  son  fils  sur  la  flûte  royale  le  Chameau  pour  venir  prendre 
possession  de  son  poste.  Il  mourut  sur  ce  navire,  le  24  juillet  1724,  le 
jour  même  où  il  sortait  de  la  rade  de  La  Rochelle.  Mme  Robert  et  son 
fils  furent  obligés  de  continuer  leur  voyage  jusqu'à  Québec,  oîi  ils 
arrivèrent  le  g  octobre,  et  s'en  retournèrent  aussitôt  en  France  par  le 
même  vaisseau,  après  avoir  assisté  à  un  service  solennel  que  le  Conseil 
Supérieur  fit  célébrer  à  la  cathédrale  pour  l'infortuné  intendant. 
(Jugements  du  Conseil  Supérieur,  14  oct.  1725.)  Les  instructions  que  le 
Roi  avait  données  à  l'intendant  Robert  restèrent  tout  naturellement, 
avec  les  documents  qui  les  accompagnaient,  entre  les  mains  de  M. 
Bégon,  qui  continua  à  exercer  les  fonctions  d'intendant.  Chazel  fut 
choisi  le  16  janvier  1725  pour  remplacer  l'intendant  Robert;  il  s'ernbar- 
qua  au  printemps  sur  le  même  vaisseau,  le  Chameau,  pour  venir  au 
Canada  :  et  l'on  sait  par  quelle  triste  infortune  ce  vaisseau  fit  naufrage 
le  25  aoiit  près  de  Louisbourg:  il  ne  se  sauva  personne.  Robert, 
Chazel  :  deux  de  nos  intendants  qui  moururent  successivement  l'un  et 
l'autre  avant  même  d'entrer  dans  leur  carrière!  M.  Bégon  resta  en 
fonctions  comme  intendant  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  Dupuy  en  1726. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  409 

«J'ai  écrit  en  conséquence  aux  curés  des  Côtes  de  cette 
colonie  pour  les  informer  que  les  capitaines  de  milices,  â 
qui  j'adressais  cette  ordonnance,  avaient  ordre  de  la  leur 
communiquer,  et  les  prier  de  me  proposer  deux  de  leurs 
paroissiens  les  plus  honnêtes  gens,  à  qui  je  pus  accorder 
permission  de  tenir  cabaret. 

«  J'en  ai  envoyé,  suivant  le  modèle  ci-joint,  aux  curés 
qui  m'en  ont  demandé. 

«  Ceux  de  Beauport  et  de  la  Pointe-aux-Trembles  ont 
souhaité  qu'il  y  en  eiît  trois  dans  chacune  de  leurs  paroisses, 
d'autres  deux,  d'autres  un,  et  quelques-uns  ne  m'ont  proposé 
personne,  m'ayant  prié  qu'il  n'y  en  eût  point  dans  leur 
paroisse. 

«J'ai  obligé  ceux  à  qui  j'ai  accordé  des  permissions, 
d'avoir  du  vin,  sur  ce  que  les  curés  m'ont  représenté  que  la 
plupart  de  ceux  qui  tenaient  cabaret,  ne  vendaient  que  de 
l'eau-de-vie,  et  qu'on  ne  pouvait  pas  avoir  de  vin  pour  les 
malades. 

«  J'ai  cru  que  cet  arrêt  n'étant  rendu  que  pour  faire  cesser 
les  plaintes  des  curés  sur  les  désordres,  je  ne  pouvais  mieux 
y  parvenir  qu'en  m'en  rapportant  à  leur  choix.  Je  leur  ai 
expliqué  que  je  révoquerais  ceux  qu'ils  m'avaient  proposés, 
si  dans  la  suite  ils  n'étaient  pas  contents  d'eux,  et  que  je  les 
remplacerais  par  ceux  qu'ils  me  proposeraient. 

«  Le  parti  que  j'ai  pris  leur  est  agréable,  les  habitants 
étant  obligés  d'avoir  recours  à  eux  pour  obtenir  de  moi  ces 
permissions,  et  de  se  conformer  aux  règles  qu'ils  leurs  pres- 
crivent. Ils  connaissent  mieux  le  caractère  de  leurs  parois- 
siens que  ne  pourraient  faire  mes  subdélégués  à  Montréal 
et  aux  Trois-Rivières,  qui  auraient  bien  de  la  peine  à  les  con- 
tenter; et  c'est  le  moyen  d'éviter  bien  des  représentations 
souvent  fort  exagérées  des  curés  à  l'intendant,  qui  ne  peut  se 
dispenser  d'y  répondre.^  » 


I.  Corresp.  générale,  vol.  47,  Bégon  au  ministre,  31  oct.  1725. 


410  1,'ÉGUSE    DU    CANADA 

C'est-à-dire  que  M.  Bégon  avait  tendu  un  piège  au  clergé, 
€t  que  le  clergé,  au  moins  une  partie  du  clergé,  s'y  était  fait 
prendre:  désormais,  s'il  y  avait  des  désordres  dans  leurs 
paroisses,  les  curés  ne  pourraient  s'en  prendre  qu'à  eux- 
mêmes  :  ils  avaient  fait  l'ordonnance,  pour  ainsi  dire,  en 
collaboration  avec  l'intendant! 

Ce  qui  était  encore  plus  grave,  c'est  que  l'intendant  met- 
tait en  cause  M^  de  Saint- Vallier  lui-même,  et  prétendait 
qu'il  n'avait  agi  qu'après  l'avoir  consulté.  Mais  s'il  l'avait 
consulté,  l'avait-il  bien  compris?  Peut-on  croire  qu'il  ne 
s'était  pas  complètement  mépris  sur  les  véritables  sentiments 
-du  pieux  Prélat,  lorsqu'on  lit  la  lettre  suivante  que  M^  de 
Saint- Vallier  adressa  à  ses  curés  quelques  jours  avant  l'émis- 
sion de  l'ordonnance  de  Bégon,  c'est-à-dire  aussitôt  qu'il  fut 
informé  que  cette  ordonnance  allait  être  rendue  ? 

<(  Je  ne  sais,  monsieur,  dit-il,  qui  peut  être  assez  hardi 
pour  avancer  que  je  suis  bien  aise  qu'il  y  ait  des  cabarets 
dans  les  paroisses;  j'en  gémis  au  contraire  d'une  manière  à 
presser  Notre-Seigneur  d'y  mettre  ordre  et  d'envoyer  sur 
ceux  qui  veulent  gagner  leur  vie  par  un  commerce  si  dan- 
gereux des  calamités  qui  les  fassent  rentrer  en  eux-mêmes. 
C'est  pour  cela  que  Notre-Seigneur  me  donne  la  pensée  de 
vous  écrire,  ainsi  que  je  fais  à  beaucoup  d'autres  curés,  que 
mon  intention  est  que  vous  ne  donniez  pas  l'absolution  à 
ceux  qui  veulent  gagner  leur  vie  par  ce  détestable  commerce. 
Ainsi,  monsieur,  songez  que  c'est  moi  qui  vous  l'ordonne 
de  la  part  de  Dieu  et  que  vous  me  devez  l'obéissance.  Vous 
me  ferez  le  plaisir  de  lire  ce  peu  de  paroles  aux  prônes  de 
votre  paroisse  et  de  me  croire,  avec  toute  l'estime  et  l'affec- 
tion que  vous  méritez,  tout  à  vous  en  Notre-Seigneur.^  » 

Cette  lettre  si  énergique  donna-t-elle  le  coup  de  grâce  à 
l'ordonnance  de  M.  Bégon?  L'ordonnance  fut  certainement 

I.   Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  511. 


sous  m''  de  saint-valuer  411 

rendue  et  publiée,  puisque  l'intendant  l'écrivait  à  la  cour,  et 
en  envoyait  même  une  copie  ;  mais  nous  croyons  qu'elle  ne 
fut  jamais  exécutée  :  elle  ne  se  trouve  pas,  du  moins,  dans 
les  volumes  des  Edits  et  Ordonnatices.  Il  y  en  a  une  autre, 
d'une  date  postérieure,  signée  par  l'intendant  Dupuy,  et 
destinée  probablement  à  la  remplacer;  mais  elle  se  contente 
de  donner  des  règles  générales  à  ceux  qui  obtenaient  de  l'in- 
tendant des  permis  de  tenir  cabarets. 

On  peut  croire,  du  reste,  que  M.  Bégon  avait  agi  de  bonne 
foi  en  toute  cette  affaire.  Cet  homme  se  montra  toujours 
bien  disposé  envers  le  clergé,  obligeant  à  payer  la  dîme 
ceux  qui  ne  voulaient  pas  remplir  leur  devoir,  obligeant  les 
gens  à  réparer  les  presbytères,  les  églises  de  leurs  paroisses, 
faisant  payer  l'amende  aux  vendeurs  de  boissons  et  appli- 
quant ces  amendes  aux  communautés  religieuses.  On  doit 
à  cet  intendant  d'excellentes  ordonnances,  qu'on  serait  heu- 
reux de  voir  exécuter  de  nos  jours,  comme  par  exemple 
celle  qui  regarde  l'entretien  des  chemins,  et  aussi  celle  qui 
«  défend  de  tirer  des  coups  de  fusils  dans  les  villes  ou  sur 
les  granges  à  la  campagne,  ou  de  faire  aucun  feu  près  des 
granges  »  :  un  habitant  de  Charlesbourg  est  un  jour  con- 
damné à  cinquante  livres  d'amende,  applicable  aux  pauvres, 
pour  avoir  tiré  un  coup  de  fusil  en  ville,  et  son  fusil  lui  est 
confisqué  ^. 

C'est  à  l'intendant  Bégon  que  l'on  doit  l'établissement  des 
postes  et  messageries  pour  le  transport  des  lettres  et  des 
voyageurs  :  il  accorda  à  M.  Lanouiller  de  Boisclair  le  privi- 
lège de  tenir  les  postes  pendant  vingt  années  entre  Québec  et 
Montréal  -.  Le  pays  n'avait  pas  encore  eu  d'institutions  pos- 
tales :  jusque-là  l'envoi  des  lettres  s'était  fait  sans  régularité, 
par  occasion  ou  par  exprès. 


1.  Ed.  et  Ord.,  t.  III,  p.  190,  228,  238,  438,  442. 

2.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  158. 


412  Iv'ÉGLISE    DU    CANADA 

C'est  aussi  durant  l'administration  de  l'intendant  Bégon 
que  furent  rendus  deux  arrêts  du  Conseil  d'Etat  intéressant 
vivement  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France.  Le  premier,  en 
date  du  31  mai  1722,  fixait  à  cinq  mille  livres  la  dot  exigible 
de  toutes  les  personnes  qui  voulaient  se  faire  religieuses. 
On  pouvait  craindre  que  la  mesure  ne  nuisît  un  peu  aux  vo- 
cations; mais  elle  semblait  nécessaire  à  un  époque  où  toutes 
les  maisons  religieuses  du  Canada  se  trouvaient  à  la  gène 
par  suite  des  mauvaises  affaires  en  France.  Le  second  arrêt, 
dont  nous  bénéficions  encore  aujourd'hui,  réglait  le  mode 
de  concession  des  bancs  dans  les  églises  du  Canada,  tel  que 
l'avait  demandé  et  établi  ]\I^  de  Saint-Vallier  ^  :  cet  arrêt, 
qui  a  été  définitif,  est  du  9  juin  1723.  Il  est  le  premier  qui 
a  été  rendu  pour  le  Canada  sous  le  roi  Louis  XV,  après 
qu'il  eut  tenu  son  lit  de  justice  le  22  février  1723,  et  déclaré 
qu'ayant  atteint  l'âge  de  majorité  il  allait  désormais  gou- 
verner par  lui-même. 

Ce  lit  de  justice  mettait  fin  au  régime  honteux  de  la 
Régence,  que  la  France  subissait  depuis  neuf  ans.  Louis 
XIV  était  mort  en  1715,  et  M^'  de  Saint-Vallier  avait  écrit 
à  cette  occasion  un  de  ses  plus  beaux  et  plus  touchants  man- 
dements: il  ordonnait  des  prières  en  sa  faveur,  et  célébrait 
la  mémoire  «  de  ce  prince,  disait-il,  dont  Dieu  avait  formé 
le  cœur  de  ses  mains,  en  le  remplissant  d'un  esprit  de  reli- 
gion et  de  piété  pour  lui  tout  extraordinaire,  et  d'amour 
pour  ses  peuples»)  2.  Beau  témoignage  rendu  au  caractère 
pieux  et  généreux  du  grand  Roi  par  son  ancien  aumônier! 

On  ne  voit  pas  qu'il  ait  jamais  écrit  un  mot  de  la  Régence: 
il  se  contentait  sans  doute  de  gémir  en  silence  sur  l'humi- 
liation que  subissait  son  pays.  On  ne  voit  pas  même  qu'il 
ait  rien  publié  à  l'occasion  de  l'accession  du  nouveau  roi  : 


1.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  464,  480. 

2.  Mand.  des  Év.  de  Québec,  t.  I,  p.  490, 


sous    M*'    DE    SAINT-VALUER  413 

Louis  XV  gardait  comme  premier  ministre  le  cardinal 
Dubois  ! 

Y  avait-il  quelqu'un  de  la  famille  de  NP""  de  Saint- Vallier 
dans  cette  foule  de  courtisans,  de  conseillers  d'Etat,  de  con- 
seillers d'enquêtes  et  requêtes,  de  gens  de  robe,  de  nobles, 
de  pairs  ecclésiastiques,  de  pairs  laïques,  de  marquis,  de 
ducs,  de  princes  qui  remplissaient  la  salle  du  Parlement  où 
se  tenait  le  lit  de  justice,  échelonnés  sur  des  tabourets,  des 
bancs,  des  gradins  de  différente  hauteur,  et  formant  comme 
une  pyramide  vivante  au  haut  de  laquelle  siégeait  le  jeune 
Roi,  entouré  d'huissiers  et  de  massiers  à  genoux?  Nous  n'y 
trouvons  du  moins  personne  de  son  nom.  Il  faut  lire  le 
compte-rendu  de  cette  séance,  et  observer  le  maintien  com- 
posé de  tous  ces  personnages,  en  attendant  la  venue  du  Roi, 
qui  attend  lui-même  «  en  la  sainte  chapelle  »  qu'on  aille  le 
chercher,  son  entrée  dans  la  salle,  tout  le  monde  un  genou 
en  terre,  et  répétant  cette  génuflexion  deux  ou  trois  fois  au 
cours  de  la  séance,  à  des  moments  convenus,  puis  les  diffé- 
rents rites  scrupuleusement  suivis  par  ceux  qui  ont  l'inap- 
préciable privilège  de  prendre  la  parole  en  cette  occasion 
mémorable,  pour  se  faire  une  idée  du  culte  dont  s'était 
entourée  la  majesté  royale,  culte  qui  supposait  l'idée  chré- 
tienne du  pouvoir  chez  ceux  qui  y  prenaient  part,  mais 
témoignait  au  contraire  de  beaucoup  de  légèreté  et  de 
bassesse  chez  ceux, — et  ils  étaient  nombreux — qui  l'avaient 
perdue. 

Dans  les  discours  prononcés  en  cette  occasion,  n'allons 
pas  croire  que  tout  fiit  vanité  et  flatterie.  Il  y  avait  sans 
doute  une  large  part  faite  aux  compliments  de  circonstance 
et  aux  obséquiosités  ;  mais  il  y  avait  aussi  la  part  du  sérieux, 
des  bons  conseils,  nous  allions  presque  dire,  du  sermon. 
Citons  quelques  lignes  du  discours  du  célèbre  président 
Lamoignon  : 

«  Votre  Majesté,  dit-il,  trouvera,  si   Elle  veut,  assez  de 


414  l'église  du  canada 

secours  pour  la  seconder  dans  le  gouvernement  de  soi» 
royaume  ;  mais  qu'Elle  nous  permette  de  lui  dire  que  tout 
dépend  de  son  cœur,  et  qu'Elle  seule  peut  y  cultiver  Thuma- 
nité,  la  tendresse  pour  les  autres  hommes,  la  candeur  et  la 
bonté,  si  nécessaires  à  son  bonheur  et  au  nôtre. 

«  Nous  osons  lui  offrir,  en  notre  particulier,  ce  que  nou* 
seuls  pouvons  peut-être  lui  promettre  sans  mélange  et  sans 
aucune  réserve  que  celle  qu'impose  le  respect,  ce  qu'on  peut 
promettre  de  plus  utile  au  souverain  et  de  plus  onéreux 
au  sujet  qui  le  procure,  c'est,  Sire,  la  connaissance  de  la 
vérité. .  . 

«  Quel  bonheur  pour  les  Français,  ajoute-t-il,  de  trouver 
dans  le  cœur  de  leur  jeune  monarque  les  sentiments 
héroïques  qui  ont  fait  leur  juste  admiration  dans  le  plu» 
grand  de  leurs  rois  !.  .  .  Continuez,  Sire,  à  marcher  sur  des 
traces  si  glorieuses;  votre  heureux  naturel  vous  y  invite, 
l'éducation  que  vous  avez  reçue,  pendant  votre  jeune  âge, 
vous  y  conduit,  et  l'expérience  vous  en  fera  connaître  bien- 
tôt les  avantages. 

«  Elle  vous  apprendra  que  c'est  la  justice  qui  a  affermi  le 
trône  des  rois,  et  non  point  l'éclat  extérieur  de  l'appareil  qui 
l'environne  ;  que  la  conduite  du  souverain  est  la  première  loi 
des  sujets,  et  que  l'exemple  du  monarque  a  sur  eux  plus  de 
pouvoir  que  la  sévérité  de  ses  ordonnances;  qu'une  égalité 
d'âme  toujours  parfaite,  toujours  guidée  par  la  prudence  et 
par  la  modération,  un  courage  toujours  ferme  et  inébran- 
lable, mais  tempéré  par  la  clémence  et  par  la  bonté,  sont  des 
qualités  nécessaires  aux  princes  pour  leur  attirer  l'amour 
des  peuples,  et  qu'il  n'est  point  d'autorité  plus  flatteuse  pour 
un  grand  roi,  ni  plus  solidement  établie,  que  celle  qui  s'étend 
sur  les  cœurs:  Salomon  s'assit  sur  le  trône  de  son  père;  il 
plut  à  tous,  et  tout  Israël  lui  obéit  ^.  . .  » 

I.  Ed.  et  Ord.,  t.  I,  p.  466. 


sous    M*'    DE    SAINT-VALLIËR  415 

Le  lit  de  justice  de  Louis  XV  fut  enregistré  au  Conseil 
Supérieur  de  Québec  le  19  juillet  1723.  Le  gouverneur  et 
l'intendant  assistaient  à  la  séance  :  il  y  avait  plus  de  treize 
ans  que  ces  deux  officiers  supérieurs  vivaient  ensemble  à 
Québec,  exerçant  chacun  leurs  fonctions  respectives  avec 
une  bonne  entente  assez  rare  dans  nos  annales. 

M.  de  Vaudreuil  mourut  à  Québec  le  10  octobre  1725,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans.  après  la  plus  longue  et  l'une 
des  plus  bienfaisantes  administrations  qu'ait  eues  le  Canada. 
Il  exerçait  les  fonctions  de  gouverneur  général  depuis  le  26 
mai  1703,  et  était  au  Canada  depuis  1687.  ^^  ^^t  inhumé 
comme  ses  deux  prédécesseurs  immédiats  dans  l'église  des 
Récollets. 

M*^  de  Saint- Vallier  avait  eu  souvent  des  reproches  à  lui 
faire  sur  certains  détails  de  sa  conduite,  et  s'en  était  même 
plaint  à  la  Cour.  En  somme,  cependant,  l'Eglise  du  Canada 
n'eut  qu'à  se  louer  des  bonnes  dispositions  de  M.  de  Vau- 
dreuil. La  colonie  pleura  sincèrement  la  mort  de  son  gou- 
verneur : 

«  C'est  avec  justice,  écrivait  l'annaliste  des  Ursulines,  que 
nous  l'avons  pleuré,  car  sous  sa  vigilante  administration  le 
Canada  a  joui  d'une  prospérité  jusqu'alors  inconnue.  Pen- 
dant vingt-deux  ans,  le  cultivateur,  le  commerçant  et  le 
militaire  n'ont  eu  également  qu'à  bénir  son  nom  \  » 

La  bonne  annaliste  oubliait  facilement  les  années  de 
disette,  de  sécheresse  et  de  gène  qui  venait  de  traverser  la 
colonie,  parce  qu'elle  savait  bien  que  M.  de  Vaudreuil  n'en 
était  pas  responsable. 

La  perte  de  ce  gouverneur  distingué  était  d'autant  plus 
cruelle  pour  la  Nouvelle-France,  qu'elle  venait  d'en  subir 
une  autre  bien  lamentable  par  le  naufrage  d'un  vaisseau  du 
Roi  portant  deux  cent  cinquante  passagers  ^  et  chargé  de 

1.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  140. 

2.  Mgr  de  Saint-V  allier  et  Y  H  ôp. -Général,  p.  260. 


41 6  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

provisions  sur  lesquelles  comptaient  des  centaines  de  per- 
sonnes. 

Ce  serait  une  histoire  à  la  fois  triste  et  intéressante,  que 
celle  des  naufrages  dans  le  golfe  et  le  fleuve  Saint-Laurent; 
et  parmi  ces  naufrages  celui  du  Chameau  compterait  cer- 
tainement parmi  les  plus  désastreux: 

«  Un  accident  funeste,  dit  Charlevoix,  mit  la  colonie 
presque  toute  en  deuil,  et  lui  fit  perdre  en  un  jour  plus 
qu'elle  n'avait  perdu  en  vingt  ans  de  guerre.  La  nuit  du  25 
août  1725,  le  vaisseau  du  roi,  le  Chameau,  qui  allait  à 
Québec,  se  brisa  près  de  Louisbourg,  et  il  ne  s'en  sauva  pas 
un  homme.  M.  de  Chazel,  qui  venait  relever  M.  Bégoit, 
intendant  du  Canada,  M.  de  Louvigny,  nommé  gouverneur 
des  Trois-Rivières,  M.  de  la  Gesse,  capitaine,  fîls  de  M.  de 
Ramesay,  mort  l'année  précédente  gouverneur  de  Montréal, 
plusieurs  autres  officiers  de  la  colonie,  des  ecclésiastiqueg, 
des  Récollets,  des  Jésuites  y  périrent  avec  tout  l'équipage, 
et  la  côte  parut  le  lendemain  toute  couverte  de  cadavres  et 
de  ballots. . .  » 

M"®  de  Vaudreuil  était  repassée  en  France  presque  aussi- 
tôt après  la  mort  de  son  mari  ^  ;  et  ses  filles  allèrent  la 
rejoindre  l'année  suivante  ^.  Le  ministre  ayant  écrit  à  M. 
Bégon  pour  les  lui  recommander,  celui-ci  lui  répondit  le  10 
octobre  : 

«  Ma  femme  aura  grand  soin  des  demoiselles  de  Vau- 
dreuil pendant  la  traversée.  Elle  se  trouve  fort  honorée  de 
la  commission  agréable  que  vous  avez  bien  voulu  lui  donner 
de  les  regarder  comme  ses  filles  ^.  »• 


1.  Elle  mourut  à  Paris  en  1740. 

2.  Ces  demoiselles  de  Vaudreuil  étaient  les  sœurs  de  notre  dernier 
gouverneur  sous  le  régime  français.  L'une  d'elles,  Marie-Georgette, 
se  fit  religieuse  Clarisse  au  couvent  des  Ormeaux  à  Castres,  chef-lieu 
d'arrondissement  de  Tarn.     (Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  138.) 

3.  Corresp.  générale,  vol.  48,  lettre  du  10  oct.  1726. 


sous    M^''    DE    SAINT-VALLIER  4^7 


Ce  fut  le  marquis  de  Beauharnais  qui  remplaça  M.  de 
Vaudreuil.  Il  arriva  ici  en  même  temps  que  le  nouvel  in- 
tendant Dupuy  dans  l'automne  de  1726  :  sa  commission 
était  du  II  janvier  de  cette  année;  celle  de  Dupuy,  du  23 
novembre  de  l'année  précédente  :  toutes  deux  furent  enre- 
gistrées au  Conseil  Supérieur  le  même  jour,  2  septembre 
1726. 

Le  marquis  de  Beauharnais  fut  reçu  à  Québec  avec  de 
grandes  démonstrations  de  joie.  Sa  haute  réputation  mili- 
taire l'avait  précédé  en  ce  pays,  et  ce  prestige,  joint  à  ses 
talents  politiques  et  à  l'urbanité  de  ses  manières,  lui  acquit 
bientôt  la  confiance  et  l'affection  de  tous.  Homme  de  paix, 
comme  tous  les  militaires  de  grande  valeur,  il  était  à  la  fois 
doux,  conciliant  et  ferme.  Son  caractère  était  tout  l'opposé 
de  celui  de  l'intendant  Dupuy  ;  et  vraiment  on  aurait  cherché 
longtemps  deux  hommes  incapables  de  s'entendre,  que  l'on 
n'aurait  pu  trouver  mieux  que  le  nouveau  gouverneur  et  le 
nouvel  intendant  du  Canada. 

M.  Dupuy  n'était  certes  pas  un  homme  sans  valeur  :  au 
contraire,  c'est  peut-être,  avec  Talon,  l'intendant  le  plus 
instruit,  le  plus  versé  dans  la  science  légale  et  dans  le  droit 
civil  et  canonique  de  l'époque  qui  soit  venu  au  Canada  ;  mais 
c'était  un  homme  entier,  autoritaire,  imbu  des  idées  les  plus 
gallicanes,  formaliste  à  l'excès,  retors,  et  avec  lequel  il  était 
bien  difficile  de  vivre.  Il  n'y  avait  pas  un  an  qu'il  était  à 
Québec,  qu'il  était  en  guerre  avec  le  gouverneur  et  bien 
d'autres  personnages.  M.  de  Beauharnais  s'était  déjà  plaint 
de  lui,  et  même  plusieurs  fois,  à  la  cour,  lorsqu'il  écrivait  au 
ministre  le  6  mars  1727: 

«  Je  suis  bien  fâché  que  M.  Dupuy  me  donne  si  souvent 
occasion  de  vous  faire  des  plaintes  contre  lui.     Il  a  une  trop 


41 8  l'église  du  canada 

grande  facilité  à  écouter  tous  les  discours  que  ses  prétendus 
amis  lui  tiennent  et  qu'il  croit  comme  articles  de  foi.  Il  est 
le  jouet  de  tous  les  mauvais  esprits  du  pays.  .  . 

«  Il  n'est  pas  trop  aisé,  ajoute-t-il,  de  vivre  avec  un  homme 
d'une  hauteur  qui  passe  l'imagination.  .  .  Il  s'imagine  être 
devenu  une  divinité,  ne  voulant  entendre  sur  rien  ni  rime, 
ni  raison.  C'est  un  homme  impraticable,  si  jamais  il  y  en  a 
eu  :  il  suffit  que  je  dise  Blanc  pour  qu'il  dise  N^oir. 

«  M.  Dupuy,  ajoute-t-il  encore,  fait  en  ce  pays-ci  le 
général,  l'évêqu-e  et  l'intendant.  Il  en  donne  tous  les  jours 
de  belles  preuves.  Il  a  poussé  la  chose,  en  dernier  lieu, 
jusqu'à  faire  mettre  des  sentinelles  aux  portes  des  églises,  à 
l'occasion  de  ses  ordonnances  et  arrêts.  Il  se  sert  pour  cela 
de  la  maréchaussée  et  de  deux  hommes  qu'il  a  chez  lui,  à  qui 
il  fait  porter  la  bandoulière  d'archers  de  la  marine.  .  .  Il 
prétend  être  en  droit  d'avoir  deux  archers,  dans  les  cérémo- 
nies, et  les  avoir  dans  son  banc,  à  l'église,  la  carabine  sur 
l'épaule,  contre  les  règlements.  .  .  » 

Dupuy  était  un  homme  de  talent  et  d'une  science  légale 
incontestable,  mais  il  voulait  en  imposer  par  ses  théories, 
ses  dissertations  savantes,  son  érudition.  Il  était  d'ailleurs 
rempli  de  grands  projets  et  de  plans  magnifiques  : 

«  Si  M.  Dupuy  suit  toutes  ses  idées  de  jets  d'eau,  de 
canaux,  de  réserv'oirs,  d'architecture,  écrit  encore  Beauhar- 
nais,  nous  serons  bientôt  en  ce  pays  sans  un  sou  \  » 

M^  de  Saint-Vallier,  cependant,  semble  s'être  bien  en- 
tendu, dès  le  commencement,  avec  ces  deux  hauts  fonc- 
tionnaires :  on  dirait  qu'il  était  pour  eux  comme  un  point 
de  ralliement  :  ils  écrivent  conjointement  à  la  cour  : 

«  M.  l'évêque  de  Québec,  prélat  respectable  en  tout,  mais 
qui  se  distingue  particulièrement  par  son  dépouillement  pour 
les  pauvres,  nous  demande  de  se  joindre  à  lui  pour  vous 

I.    Corresp.  générale,  vols  49  et  50,  passim. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  419 

faire  nos  prières  en  faveur  des  religieuses  qui  desservent 
l'Hôpital-Général  de  Québec,  destiné  à  tenir  enfennés  les 
insensés  de  ce  pays  \  à  recevoir  tous  les  pauvres  hors  d'état 
de  gagner  leur  vre,  et  les  vieillards  2.  » 

Le  séminaire  de  Québec  était  pour  MM.  de  Beauhamais 
et  Dupuy  un  autre  point  de  ralliement  :  tous  deux  s'enten- 
daient parfaitement  pour  venir  au  secours  de  cette  insti- 
tution.    Dupuy  écrit  à  la  cour  dés  le  14  octobre  1726: 

«  Cette  communauté  est  pauvre  ;  elle  est  la  seule  qui  n'ait 
point  ici  des  bienfaits  du  Roi.  >> 

Beauharnais  se  joint  à  lui  l'année  suivante  : 

«  L'état  où  le  séminaire  de  Québec  se  trouve  est  tout-à- 
fait  pressant.  M.  Dupuy  va  mettre  tous  ses  soins  pour 
l'aider  dans  ses  affaires,  et  apaiser  ses  créanciers,  qui  sont  en 
grand  nombre. .  . 

♦<  Puisque  nous  sommes  assez  heureux,  ajoutent-ils,  pour 
que  vous  ayez  approuvé  nos  vues  sur  la  pacification  inté- 
rieure du  séminaire  de  Québec,  nous  ne  nous  ralentirons 
point  sur  tout  ce  qui  pourra  la  maintenir  '.  .  .  » 

La  cause  bien  involontaire,  ou  plutôt  l'occasion  d'un  cer- 
tain malaise  et  de  quelques  divisions  qui  régnaient  au  sémi- 
naire de  Québec,  et  que  MM.  de  Beauharnais  et  Dupuy  cher- 
chaient à  apaiser,  était  l'arrivée  dans  cette  maison  d'un 
homme  très  distingué,  et  dont  tous  les  documents  s'ac- 
cordent à  faire  l'éloge,  M.  Lyon  de  Saint-Ferréol.  M^  de 
Saint-Vallier  avait  écrit  au  ministre  en  1725: 

«  Je  vous  supplie  de  faire  dire  au  supérieur  du  séminaire 
des    Missions-Etrangères   qu'il    serait   bien    convenable   au 


1.  Comme  il  n'y  avait  pas  encore  d'asile  pour  les  aliénés,  les  reli- 
gieuses avaient  consenti  à  leur  donner  un  logement,  et  la  cour  leur 
allouait  pour  cela  mille  livres  par  année.  (Corresp.  générale,  vol.  42.)' 
Elles  avaient  aussi  un  logement  powr  les  filles  repenties. 

2.  Ihid.,  vol.  48,  lettre  du  30  oct.  1726. 

3.  Ibid.,  vol.  49. 


420  l'église  du  canada 

bien  du  séminaire  de  Québec.  .  .  de  ne  le  laisser  pas  plus 
longtemps  sans  supérieur  \  » 

M.  Boulard  était  pourtant  alors  supérieur;  mais  comme 
il  était  en  même  temps  curé  de  Québec,  le  Prélat  jugeait 
sans  doute  qu'il  était  mieux  qu'il  ne  cumulât  pas  les  deux 
fonctions.  Les  Missions-Etrangères  de  Paris  envoyèrenr 
donc  à  Québec,  pour  être  supérieur  du  Séminaire,  M.  Lyon 
de  Saint-Ferréol.  Voici  ce  qu'écrit  à  ce  sujet  l'auteur  de 
l'histoire  manuscrite  de  cette  maison  : 

«  Au  mois  de  juin  1726,  partit  pour  le  Canada  M.  Jean 
Lyon  de  Saint-Ferréol,  prêtre  du  diocèse  de  Sisteron  ^,  âgé 
de  trente-quatre  ans,  dun  esprit  mûr,  d'une  saine  doctrine, 
docteur  de  Sorbonne,  plein  de  piété  et  de  détachement  de 
toutes  les  choses  du  monde.  On  espérait  aussi  que  sa 
noblesse  lui  donnerait  du  crédit,  et  que  son  usage  des  com- 
munautés ecclésiastiques,  où  il  avait  toujours  demeuré,  le 
rendrait  propre  à  rendre  de  grands  services.  Il  vint  donc 
avec  le  titre  de  supérieur,  et  les  directeurs  du  séminaire  de 
Québec  n'eurent  plus  qu'à  le  présenter  à  M^""  l'Evêque. 

«  Il  était  accompagné  de  deux  jeunes  clercs  tonsurés,  MM. 
de  Pierre  ^  et  Valois,  qui  paraissaient  capables  de  faire  faire 
les  répétitions  de  théologie  et  de  philosophie  aux  élèves  du 
séminaire,  qui  allaient  en  classe  chez  les  Jésuites. 

«  Ces  trois  sujets  avaient  été  présentés  au  Séminaire  de 
Paris  par  MM.  de  Saint-Sulpice,  avec  lesquels  on  resserra 
plus  que  jamais  l'union  d'amitié  et  de  charité  qui  existait 
déjà.  » 

Ces  dernières  lignes  laissent  entrevoir  la  cause  du  malaise 
dont  nous  venons  de  parler.  M.  Lyon  de  Saint-Ferréol 
était  très  uni  à  Saint-Sulpice,  quoique  n'étant  pas  sulpicien; 


1.  Corresp.  générale,  vol.  47,  Lettre  du  4  oct.  1725. 

2.  Chef-lieu    d'arrondissement   des    Basses-Alpes. 

3.  M.  de  Pierre  était  procureur  du  Séminaire  en  1728   (Jugements 
du  Conseil  Supérieur.) 


sous    U^    DE    SAINT-VALLIER  421 

on  se  figura,  au  séminaire  de  Québec,  qu'il  y  avait  un  projet 
secret  de  fondre  les  deux  séminaires  ensemble,  celui  de 
Québec  et  celui  de  Montréal,  de  manière  à  ne  faire  qu'une 
seule  institution.  M.  de  Saint-Ferréol  était  passé  au  Ca- 
nada en  même  temps  que  plusieurs  Sulpiciens,  ainsi  que  le 
Visiteur  de  Saint-Sulpice,  M.  Robert,  qui  venait  pour  la 
deuxième  fois  visiter  la  maison  de  Montréal.  M.  Robert, 
naturellement,  descendait  quelquefois  à  Québec  pour  voir 
son  ami  :  nouvelle  raison  de  soupçonner  quelque  intrigue, 
quelque  sinistre  projet  d'union.  Ecoutons  d'ailleurs  l'inten- 
dant Dupuy  signaler  très  nettement  la  cause  du  malaise  que 
nous  avons  mentionné  : 

«  On  a  pris,  dit-il,  un  éloignement  marqué  contre  le  nou- 
veau supérieur,  arrivé  depuis  un  an,  sur  la  prévention  que 
l'on  s'est  faite  qu'il  y  a  une  agrégation  entre  le  séminaire 
des  Missions-Etrangères  et  celui  de  Saint-Sulpice,  laquelle  a 
pour  but  d'unir  ce  séminaire  à  celui  de  Saint-Sulpice. 

«  Le  sieur  Robert,  prêtre  de  Saint-Sulpice,  qui  aime  à 
donner  un  air  d'intrigue  à  tout  ce  qu'il  fait,  et  qui  par  là  a 
gâté  tout  ce  qu'il  a  entrepris  dans  ce  pays,  loin  d'éloigner  ce 
soupçon,  l'a  beaucoup  augmenté  par  ses  menées;  de  sorte 
que  le  supérieur,  qui,  de  sa  part,  est  un  homme  fort  sage, 
fort  doux,  et  bien  capable  de  conduire  sa  communauté,  est 
devenu  la  victime  de  la  haine  publique  que  s'est  attirée  le 
sieur  Robert  en  ce  pays. 

«  Le  Chapitre  de  Québec,  animé  contre  le  sieur  Robert 
au  point  de  lui  refuser  place  à  l'église  parmi  eux,  a  essayé 
de  porter  son  ressentiment  contre  le  Séminaire  même,  qu'il 
s'imagine  être  gouverné  par  le  sieur  Robert,  à  cause  de  la 
liaison  qu'a  conservée  avec  lui  le  nouveau  supérieur.  Cette 
vue  n'allait  pas  moins  qu'à  détruire  le  Séminaire,  si  l'on  n'y 
avait  eu  attention  ^.  .  .  » 

I.    Corresp.  générale,  vol.  49,  Dupuy  au  ministre,  20  oct.  1727. 


422  l'éguse  du  canada 

Il  est  évident  que  M.  Dupuy  exagère  un  peu  quand  il 
parle  de  «  haine  publique  »  contre  le  visiteur  de  Saint-Sul- 
pice,  M.  Robert,  et  de  sentiments  qui  auraient  été  jusqu'à 
vouloir  «  détruire  le  Séminaire  ».  Il  n'en  ressort  pas  moins 
de  sa  lettre  à  la  cour  que  le  nouveau  supérieur  du  Séminaire, 
M.  de  Saint-Ferréol,  était  très  impopulaire,  et  que  son  im- 
popularité venait  surtout,  comme  l'écrivait  plus  tard  M^ 
Dosquet,  de  «  l'idée  qu'on  s'était  faite  qu'il  voulait  réunir  le 
séminaire  de  Québec  à  celui  de  Saint-Sulpice  »  \ 

M.  de  Montigny  ^,  procureur  des  Missions-Etrangères  à 
Rome,  avait  pourtant  prémuni  ses  confrères  de  Québec 
contre  cette  idée,  et  avait  pris  la  peine  de  leur  écrire  pour 
les  rassurer  au  sujet  de  leur  nouveau  supérieur  : 

«  Quoiqu'il  ait  demeuré  autrefois  à  Saint-Sulpice,  disait- 
il,  il  n'est  pas  pour  cela  sulpicien,  que  comme  je  l'étais 
au  Canada,  ainsi  que  MM.  Dauric  ^  et  Hérault,  de  Leuze  et 
autres,  qui  ont  passé  par  leur  séminaire.  .  . 

«  Pour  parler  ici  en  toute  confiance,  je  vous  dirai  que  ce 
qui  nous  a  engagés  à  nous  presser  (de  vous  envoyer  ce 
supérieur),  c'est  que  nous  avons  appris,  par  une  personne 
très  sijre  et  extrêmement  élevée  en  dignité  dans  le  monde, 
que  les  Pères  jésuites  avaient  tenté  et  sollicité  à  la  cour  pour 
qu'on  leur  accordât  votre  séminaire,  comme  très  propre  et 

1.  Corresp.  générale,  vol.  49,  Lettre  du  29  août  1730. 

2.  L'ancien  grand  vicaire  de  Mgr  de  Saint- Vallier,  et  le  premier 
supérieur  de  la  mission  des  Tamarois. 

3.  M.  Dauric  était  du  diocèse  de  Grenoble  comme  Mgr  de  Saint- 
Vallier.  Il  fut  curé  de  Saint-Pierre,  île  d'Orléans,  où  il  mourut  en  1713, 
et  parait  avoir  été  un  de  ces  bons  curés  qui  s'intéressent  au  bien-être 
temporel  de  leurs  paroissiens,  comme  à  leur  bien  spirituel.  On  avait  bâti 
un  moulin  à  farine  dans  la  paroisse  Saint-Pierre,  les  deux  autres  mou- 
lins qu'il  y  avait  dans  l'ile  étant  trop  éloignés.  Le  seigneur  Berthelot, 
à  qui  appartenaient  ces  deux  moulins,  avait  obtenu  du  Conseil  Supé- 
rieur, par  son  agent,  M.  Gaillard,  la  fermeture  du  moulin  de  Saint- 
Pierre,  qui  lui  enlevait  quelques  profits.  Les  habitants  de  Saint-Pierre 
se  réunissent,  sous  la  présidence  de  leur  curé,  qui  appuie  de  tout  coeur 
leurs  réclamations,  et,  grâce  à  l'intervention  de  M.  Dauric,  obtiennent  du 
Conseil  que  leur  moulin  marchera,  moyennant  certaines  conditions  qui 
satisfont  le  seigneur.  {Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  V,  p.  397-) 


sous    M"^    DE    SAINT-VALLIER  423 

très  utile  à  la  colonie  pour  en  faire  un  collège,  représentant 
le  séminaire  comme  tombé.  Cela  vous  paraîtra  fort  sin- 
gulier, mais  cela  est  cependant  vrai.  .  . 

«  M.  Robert  passe  au  Canada,  et  mène  avec  lui  plusieurs 
messieurs  de  Saint-Sulpice  pour  Montréal.  Nous  ne  doutons 
pas  que  vous  les  receviez  avec  amitié;  et  comme  M.  Robert, 
qui  est  bon  ami  du  gouverneur  et  de  l'intendant,  et  d'ailleurs 
assez  agissant,  pourra  faire  divers  voyages  de  Montréal 
à  Québec,  il  est  bon  de  garder  beaucoup  de  ménagement 
avec  lui.  Au  reste,  il  n'est  point  de  notre  corps,  et  est 
attaché  au  séminaire  de  Saint-Sulpice  \  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  malgré  ses  talents  et  sa  bonne  volonté, 
M.  Lyon  de  Saint-Ferréol  ne  répondit  point  aux  espérances 
qu'on  avait  conçues  à  son  égard.  Son  administration  ne 
fut  pas  heureuse.  Il  ne  fit  rien  surtout  ix)ur  améliorer  la 
condition  financière  du  Séminaire  ;  et  il  se  décida  au  bout 
de  quelques  années  à  repasser  en  France. 

Il  était  réservé  à  son  successeur,  M.  Vallier,  un  autre 
Français,  de  premier  mérite,  d'affermir  le  Séminaire  sur  un 
pied  de  prospérité  morale  et  matérielle  qu'il  ne  connaissait 
pas  depuis  longtemps.  Cet  homme,  vraiment  supérieur  sous 
tous  les  rapports,  s'attacha  à  cette  institution  et  lui  rendit 
des  services  inappréciables. 

Quant  à  M.  Robert,  inutile  d'ajouter  qu'on  lui  prêtait  bien 
à  tort  le  projet  d'amalgamer  le  séminaire  de  Québec  avec 
celui  de  Montréal  -.  C'était  le  deuxième  voyage  qu'il  faisait 
au  Canada  comme  visiteur  de  la  maison  de  Montréal  ;  il  y 


1.  Lettre  citée  par  l'auteur  de  l'Histoire  manuscrite  du  Séminaire. 

2.  Saint-Sulpice,  d'ailleurs,  avait  déjà  eu  occasion  d'e.xprimer  bien 
clairement  son  désintéressement  à  ce  sujet.  En  1693,  au  plus  fort  des 
difficultés  de  Mgr  de  Saint-Vallier  avec  le  séminaire  de  Québec,  Te 
vénérable  M.  Tronson  écrivait  à  M.  Dollier  de  Casson,  supérieur  du 
séminaire  de  Montréal  :  "  On  nous  a  proposé  :  si,  en  cas  que  l'on  fit 
revenir  en  France  les  prêtres  du  séminaire  de  Québec,  nous  voudrions 
bien  nous  mettre  à  leur  place;  j'ai  répondu  que  non.  "  ^^Correspondance 
de  M.  Tronson.  t.  II,  p.  324.) 


424  I.EGUSE    DU    CANADA 

était  déjà  venu  quelques  années  auparavant  :  et  chaque  fois 
il  était  venu  surtout,  nous  dit  Tanguay,  «  pour  y  encourager 
et  y  renouveler  la  ferveur  des  missionnaires  »  ^  Mais  il  pro- 
fita aussi  de  son  voyage  pour  conférer  avec  M^""  de  Saint- 
Vallier  sur  le  projet  qu'avait  eu  le  Prélat  d'unir  à  Saint- 
Sulpice  toutes  les  cures  du  gouvernement  de  Montréal,  pro- 
jet que  l'on  ne  put  réaliser  que  partiellement.  Il  s'entendit 
aussi  avec  l'Evêque  pour  l'envoi  de  nouveaux  mission- 
naires en  Acadie;  et  celui-ci  ne  manqua  pas  de  lui  faire  part 
du  projet  qu'il  entretenait  de  faire  venir  à  Québec  un  prêtre 
distingué,  qui  piit  être  d'abord  doyen  du  chapitre  et  plus 
tard  son  successeur,  projet  qu'il  venait  de  communiquer  à 
la  cour  : 

«  Je  voudrais  vous  engager,  écrivait  au  ministre  M^  de 
Saint-Vallier,  à  faire  demander  à  M.  l'abbé  de  Saint-Aubin  ^ 
un  prêtre  de  qualité  et  de  mérite,  qui  pijt  être  Doyen,  et 
mériter  par  ses  bonnes  qualités  de  remplir  ma  place,  que  je 
lui  céderai  bientôt,  étant  âgé  de  soixante-treize  ans.  M.  de 
Mornay,  coadjuteur  de  Québec,  qui  est  en  France,  ayant 
plus  de  soixante  et  tant  d'années  ^,  ne  viendra  pas  assuré- 
ment la  remplir  après  ma  mort  *.  .  .  » 

Ce  fut  l'imprévu  qui  arriva  :  M^  de  Mornay  ne  vint 
jamais,  en  effet,  «remplir  sa  place»  au  Canada;  mais  il 
l'occupa  cependant  plusieurs  années,  tout  en  restant  en 
France. 


1.  Répertoire  du  clergé  canadien,  p.  89. 

2.  M.  Maurice  Le  Pelletier,  de  Saint-Sulpice  de  Paris,  abbé  de  Saint- 
Aubin,  était  fils  du  ministre  de  ce  nom. 

3.  Mgr  de  Mornay  avait  en  effet  63  ans,  à  cette  date. 

4.  Corresp.  générale,  vol.  48,  lettre  du  10  sept.  1726. 


CHAPITRE  XXVII 


LES  DERNIÈRES  ANNÉES  DE  M^  DE  SAINT-VALUËR 

Maladie  de  Mgr  de  Saint- Vallier;  son  pèlerinage  au  tombeau  du  Frère 
Didace. —  Enquête  de  M.  Glandelet  sur  les  faits  miraculeux  attribués 
au  Frère  Didace.  —  Dernière  visite  pastorale  de  l'Evêque. —  A 
l'Hôpital-Général ;  établissement  du  Pensionnat;  la  chapelle  du 
saint  Cœur  de  Marie.  —  M.  de  Lotbinière,  nommé  archidiacre  ;  son 
éloge. 

DE  sa  longue  absence  de  treize  ans  en  Europe,  M^  de 
Saint- Vallier  n'était  pas  revenu  avec  la  santé  et  la 
vigueur  qu'il  avait  autrefois.  Les  inquiétudes,  le  chagrin, 
le  malheur  avaient  miné  sa  constitution;  il  avait  plus  vieilli 
qu'on  ne  le  fait  d'ordinaire  dans  le  même  espace  de  temps: 
tout  le  monde  l'avait  remarqué,  à  son  retour,  mais  surtout 
ses  pieuses  filles  de  l'Hôpital-Général,  dont  il  était  main- 
tenant l'hôte  vénéré.  Certes,  il  était  encore  loin  de  la  cadu- 
cité ;  mais  la  maladie  avait  plus  de  prise  sur  lui  qu'autrefois, 
et  il  lui  offrait  moins  de  résistance. 

Il  fut  très  malade,  en  septembre  171 5,  deux  ans  après  son 
retour;  et  comme  la  maladie,  qui  avait  diminué  un  peu, 
menaçait  cependant  de  traîner  en  longueur,  sa  grande  piété 
l'engagea  à  faire  un  pèlerinage  au  tombeau  du  Frère  Didace, 
mort  en  odeur  de  sainteté  à  l'Hôpital  des  Trois-Rivières  le 
21  février  1699,  pour  lui  demander  sa  guérison.  Le  Frère 
Didace,  religieux  récollet,  était  né  à  Sainte-Anne  de  Beau- 


426  l'église  du  canada 

pré  ^  et  avait  passé  une  bonne  partie  de  sa  vie  religieuse  au 
couvent  de  son  ordre  dans  la  ville  des  Trois-Rivières  %  qu'il 
avait  embaumée  du  parfum  de  ses  vertus.  On  ne  parlait 
depuis  sa  mort  que  de  faveurs  spirituelles  et  corporelles 
obtenues  par  son  intercession;  et  le  pieux  Prélat,  dans  la 
visite  pastorale  qu'il  avait  faite  aux  Trois-Rivières  l'été 
précédent,  avait  été  témoin  de  la  confiance  publique  en  ce 
bon  religieux,  que  tout  le  monde  vénérait  comme  un  saint. 
Exténué  par  la  fièvre  qui  l'accable,  presque  à  bout  de  forces, 
il  a  cependant  le  courage  de  se  mettre  en  route  pour  les 
Trois-Rivières,  et  va  demander  l'hospitalité  aux  bonnes 
Ursulines  de  l'Hôpital.  Puis  il  commence  aussitôt  une 
neuvaine  en  l'honneur  du  Frère  Didace,  allant  prier  chaque 
jour  sur  son  tombeau  ;  et  le  dernier  jour  il  se  sent  soulagé  et 
guéri.  Il  demeure  cependant  encore  une  semaine  aux  Trois- 
Rivières,  comblant  l'hôpital  de  ses  libéralités.  C'est  à  cette 
occasion  qu'il  procura  aux  Ursulines  les  moyens  d'ajouter 
une  aile  à  leur  couvent  ^. 

De  retour  à  Québec,  le  Prélat  ne  manqua  pas  de  leur 
écrire  qu'il  se  sentait  parfaitement  rétabli  ;  puis,  sur  leur 
demande,  il  leur  envoya  l'année  suivante,  sous  le  titre 
«  Miracle  obtenu  par  l'intercession  du  Frère  Didace  »,  cette 
attestation  : 

«  Je  dois  rendre,  dit-il,  ce  témoignage  de  sainteté  du 
Frère  Didace,  qu'ayant  une  fièvre  fort  opiniâtre,  j'en  fus 
délivré  à  la  fin  d'une  neuvaine  que  je  crus  être  obligé  de 
faire  dans  le  lieu  de  son  tombeau,  qui  est  la  petite  ville  des 
Trois-Rivières,  de  mon  diocèse.  Ma  maladie  commença  dans 
le  mois  de  septembre  171 5.  laquelle,  après  avoir  été  assez 


1.  Son  nom  de  baptême  était  Claude;  Didace  est  son  nom  de  religion. 
Il  était  fils  de  George  Pelletier  et  de  Catherine  Vannier,  et  était  né  le  28 
juin  1657. 

2.  Il  suivit  aussi  le  P.  Joseph  Denis,  à  Percé,  à  Plaisance  et  à 
Montréal. 

3.  Mgr  de  Saint- Voilier  et  l'Hôp.-Général'de  Québec,  p.  238. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  427 

violente  dans  les  commencements,  se  changea  enfin  en  une 
fièvre  lente  qu'aucun  remède  ne  put  enlever  :  ce  qui  me 
détermina  à  faire  un  voyage  au  lieu  où  son  corps  résidait. 
Ce  ne  fut  qu'au  dernier  jour  de  la  neuvaine  que  je  fis  dans 
l'église  où  son  corps  repose  '  que  je  fus  soulagé  et  guéri, 
Dieu  voulant  apparemment  faire  connaître  à  tout  mon 
diocèse  le  grand  crédit  qu'avait  ce  seniteur  de  Dieu  auprès 
de  lui.  en  m'obligeant  de  reconnaître  que  mon  mal  s'aigui- 
sant  plutôt  que  de  diminuer,  même  durant  ma  neuvaine, 
je  ne  pouvais  devoir  ma  guérison  qu'à  la  persévérance  avec 
laquelle  je  la  demandais  à  Dieu  par  les  mérites  de  son  servi- 
teur. C'est  le  témoignage  que  je  dois  à  la  vérité,  et  que  je 
rends  bien  volontiers  pour  lui  marquer  ma  reconnaissance, 
et  augmenter  dans  tous  les  cœurs  la  confiance  qu'on  a  à  ce 
saint  Frère  récollet,  dont  je  voudrais  bien  qu'on  imitât  les 
vertus. 

«  Donné  à  Québec,  sous  notre  seing,  celui  de  notre  secré- 
taire, et  scellé  du  sceau  de  nos  armes,  ce  neuvième  jour  de 
juin  1716.    (signé)   Jean,  évêque  de  Québec".  » 

Toujours  pénétré  de  reconnaissance  envers  le  pieux  Frère 
Didace,  et  pressé  par  l'opinion  publique  qui  ne  cessait  de 
publier  des  faveurs  extraordinaires  obtenues  par  son  inter- 
cession, M^""  de  Saint-Vallier  chargea  le  Doyen  de  sa  cathé- 
drale, M.  Glandelet,  de  faire  une  enquête  sur  tous  les  faits 
miraculeux  qu'on  avait  enregistrés  : 

«  Nous  donnons  pouvoir,  disait-il.  à  M.  Glandelet.  doyen 
de  la  cathédrale,  d'informer  à  Québec  et  aux  Trois-Rivières 
des  guérisons  miraculeuses  qui  ont  été  opérées  par  le  très 
dévot  Didace,  religieux  récollet,  mort  en  l'année  1699.  Fait 
à  Québec,  ce  25  mai  1717..  (signé)  Jean,  évêque  de 
Québec'.  »• 

1.  L'église  des  Récollets  devint  chapelle  protestante  en  1762.  i^Les 
Ursulines  des  Trois-Rivières,  t.  I,  p.  433.) 

2.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  487. 

3.  Les  Ursulines  des  Trois-Rivières,  t.  I,  p.  210. 


428  l'église  du   canada 

M.  Glandelet  commença  son  enquête  aux  Trois-Rivières 
le  i8  juillet  suivant,  recueillit  un  certain  nombre  de  témoi- 
gnages et  dressa  des  procès-verbaux.  On  en  conserve  une 
copie  au  séminaire  de  Québec.  Ces  Actes  ou  procès-verbaux 
sont  précédés  d'une  lettre  du  P.  Joseph  Denis,  qui,  allant 
en  France,  s'était  chargé  de  les  emporter  pour  les  trans- 
mettre à  Rome  au  procureur  des  Franciscains,  qui,  à  son 
tour,  devait  les  communiquer  à  Sa  Sainteté.  La  lettre  du 
P.  Denis,  datée  du  couvent  des  Récollets,  à  Gisors,  le  20 
mai  171 9,  avait  pour  but  de  faire  connaître  à  son  confrère 
de  Rome  la  manière  dont  avait  vécu  le  Frère  Didace,  «  per- 
sonne, dit-il,  ne  le  sachant  mieux  que  moi  pour  avoir  été 
son  confesseur  l'espace  de  quatorze  ans  et  travaillé  ensemble 
à  tous  nos  établissements  du  Canada  ».  A  la  suite  des  pro- 
cès-verbaux de  M.  Glandelet,  on  avait  mis  l'attestation  de 
M^  de  Saint-Vallier  sur  sa  propre  guérison;  et,  d'après  la 
lettre  du  P.  Joseph  Denis,  le  pieux  Prélat  n'attendait  que  la 
réponse  de  Sa  Sainteté  à  ce  premier  envoi,  pour  en  écrire 
plus  long  sur  les  vertus  et  la  réputation  de  sainteté  du  Frère 
Didace.  Le  P.  Denis  ne  manqua  pas  de  faire  connaître  en 
France  la  vie  édifiante  de  notre  bon  religieux  canadien  = 
«  Faites  connaître  au  vieux  monde,  lui  disait  un  docteur  de 
Sorbonne,  dont  il  cite  la  lettre,  faites  connaître  au  vieux 
monde  les  grâces  dont  il  s'est  rendu  indigne  depuis  long- 
temps, et  dont  Dieu  arrose  ainsi  la  piété  du  vôtre.  » 

M.  Glandelet  était  le  grand  enquêteur  canonique  de 
l'époque.  En  1708,  après  la  mort  de  M^""  de  Laval,  il  avait 
ouvert,  en  l'absence  de  M^""  de  Saint-Vallier,  et  en  sa 
qualité  de  grand  vicaire,  une  enquête  juridique  sur  les  faits 
miraculeux  attribués  à  l'intercession  du  premier  évêque  de 
Québec  :  «  Il  fit,  dit  Latour,  des  procès-verbaux  sur  plusieurs 
miracles  opérés  à  son  tombeau,  et  il  laissa  sur  sa  vie  bien 
des  mémoires  dont  je  me  suis  servi.  »  Mais  on  ne  sait  ce 
que  tout  cela  est  devenu. 


sous    M^'^    DE    SAINT'VALUER  429 


* 
*    * 


Malgré  son  grand  âge  et  l'affaiblissement  de  sa  santé, 
M'^''  de  Saint-Vallier  était  d'une  exactitude  admirable  à  rem- 
plir tous  les  devoirs  de  sa  charge  épiscopale,  faisant  régu- 
lièrement chaque  année  la  visite  canonique  de  ses  commu- 
nautés religieuses,  visitant  aussi  tous  les  ans  au  moins  une 
partie  de  son  immense  diocèse.  Il  fit  en  1725  sa  dernière 
visite  pastorale  :  il  était  déjà  plus  que  septuagénaire,  et  avait 
passé  un  très  mauvais  printemps,  car  nous  lisons  dans  son 
testament,  en  date  du  25  mars,  qu'il  était  alors  «  infirme 
dans  son  appartement  ordinaire  de  l' Hôpital-Général  »  \ 
Plein  de  courage,  cependant,  et  ayant  repris  un  peu  de 
forces,  il  se  mit  en  route,  et  commença  sa  visite  par  les 
paroisses  de  Montréal.  Il  fut  reçu  partout  avec  de  grandes 
démonstrations  de  joie  et  de  respect,  et  déploya  dans  cette 
visite  une  activité  et  un  zèle  extraordinaires,  prêchant 
plusieurs  fois  par  jour,  et  écoutant  avec  une  patience  mer- 
veilleuse tous  ceux  qui  désiraient  lui  parler.  Persuadé  qu'il 
ne  retournerait  jamais  en  ces  lieux,  il  administra  le  sacre- 
ment de  confirmation  aux  plus  jeunes  enfants  2. 

On  sait  que  le  règlement  de  division  des  paroisses  qu'il 
avait  dressé  les  années  précédentes,  de  concert  avec  le  gou- 
verneur et  l'intendant,  avait  causé  dans  beaucoup  d'endroits 
des  mécontentements  et  des  murmures.  Rien  de  plus  naturel  : 
M.  de  Longueuil,  qui  administra  quelque  temps  la  colonie 
après  la  mort  de  M.  de  Vaudreuil,  l'écrivait  à  la  cour  : 

«  Il  est  assez  difficile,  dans  un  règlement  général,  de  con- 
cilier l'intérêt  particulier  avec  la  vue  qu'a  eue  M.  l'Evêque 
d'égaliser  les  cures  autant  que  faire  se  pourrait  ^.  » 


1.  Documents  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  II,  p.  iio. 

2.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l' H ô p. -Général,  p.  262. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  47,  lettre  du  31  oct.  1725. 


43^  I^'ÉGUSE    DU    CANADA 

M^""  de  Saint-Vallier  s'employa  partout  à  apaiser  les- 
esprits,  et  il  eut  le  bonheur,  avant  de  mourir,  de  voir  toutes- 
les  principales  difficultés  réglées  par  la  cour  d'une  manière 
définitive  ^ 

Il  avait  été  obligé,  les  années  précédentes,  de  se  montrer 
sévère  en  quelques  endroits:  à  Batiscan,  par  exemple,  il  y 
en  a  qui  ne  font  pas  leurs  pâques;  il  écrit  au  curé.  M, 
Gervais  Lefebvre  : 

«  Ayant  appris  avec  douleur  que  plusieurs  de  votre 
paroisse  ne  faisant  aucun  cas  de  l'affaire  de  leur  salut, 
avaient  pris  le  parti  de  ne  point  faire  de  pâques,  et  s'étaient 
moqués  des  remontrances  qu'on  leur  avait  pu  faire,  et  des 
monitions  publiques  qui  avaient  été  faites  à  l'église  selon  la 
règle  et  forme  de  notre  Rituel;  pour  à  quoi  remédier  et 
obliger  les  dits  délinquants  à  faire  leur  devoir  pascal,  nous 
vous  ordonnons  de  faire  une  troisième  monition,  à  la  messe ' 
de  paroisse;  après  laquelle,  s'ils  ne  se  mettent  à  leur  devoir, 
nous  désirons  que  vous  nommiez  leurs  noms  publiquement,, 
surtout  ceux  des  deux  Levrard,  frères,  et  Jacques  Tessier,. 
que  nous  ne  manquerons  pas  de  déclarer  excommuniés,  s'ils; 
ne  satisfont  à  leur  communion  pascale'.  .  .  » 

A  Saint-Nicolas,  il  y  a  trois  habitants  qui  ont  l'habitude - 
de  «  travailler,  les  dimanches  et  fêtes  ».  Il  leur  a  déjà  fait 
donner  «  des  avis  particuliers  »  par  leur  curé  missionnaire/ 
le  Frère  François,  récollet,  et  ils  n'en  ont  pas  tenu  compte. -^ 
Le  Prélat  écrit  au  Frère  François,  et  lui  ordonne  «  de  chan- 
ger les  avis  particuliers,  que  vous  leur  avez  donnés  jusqu'ici 
en  grand  nombre,  en  avis  publics  au  prône  de  paroisse  ».  Il 
devra  publier  ces  avis  trois  dimanches  consécutifs,  et  ensuite 
l'Evêque  portera  excommunication,  s'il  y  a  lieu  ^, 

Dans  la  même  paroisse,  mais  quelques  années  plus  tard,. 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  509. 

2.  Archiv.  de  l'Ev.  de  Québec,  Registre  C,  lettre  du  23  mai  1719. 

3.  Ibid.,  lettre  du  12  sept.  1718. 


sous    M""    DE    SAINT-VALLIER  431 

les  habitants  ne  voulant  pas  faire  à  leur  église  et  à  leur  pres- 
bytère les  réparations  nécessaires,  le  Prélat  écrit  à  leur  curé, 
M.  Jean-Baptiste  de  la  Coudraie,  et  menace  ses  paroissiens 
de  leur  ôter  leur  curé,  à  l'automne,  «  s'ils  ne  mettent  leur 
église  et  presbytère  à  l'abri  de  la  pluie  «  '. 

A  l'Ancienne-Lorette,  il  a  fait  aux  gens  la  même  menace,, 
et  ils  n'en  ont  pas  tenu  compte.  Il  leur  ôte  leur  mission- 
naire. M.  Chevalier,  dans  l'automne  de  1724,  «et  l'oblige  à 
se  retirer  au  Séminaire-^.  »• 

Le  Prélat  trouva  tout  réglé  on  en  bonne  voie  de  se  régler, 
dans  sa  visite  pastorale  de  1725,  et  il  n'eut  en  général  que 
des  paroles  d'encouragement  à  persévérer  dans  le  bien,  à 
adresser  aux  habitants  des  différentes  paroisses. 

Il  n'en  était  pas  de  même  dans  les  villes;  et  nous  voyons- 
que  dans  l'automne  de  cette  même  année  1725  il  est  obligé 
d'écrire  à  la  cour: 

«  On  a  envoyé  depuis  deux  ans  des  personnes  déréglées  à 
l'excès,  coupables  de  presque  tous  les  crimes,  qui  se  piquent 
non  seulement  de  voler  dans  les  maisons  et  grands  chemins, 
mais  encore  d'empoisonner,  dont  les  religieuses  et  les 
pauvres  de  l'Hôpital-Général  où  je  demeure  ont  essuyé  deux 
terribles  et  efïrayantes  tentatives.  .  . 

«L'on  pourrait  ajouter  à  tout  cela,  dit-il,  une  ardeur 
sans  borne  à  vouloir  s'enrichir,  commune  aux  grands  comme 
aux  petits  ^  .  .  » 


M^  de  Saint- Vallier  revint  tout  exténué  de  sa  visite  pas- 
torale; mais  au  bout  de  quelques  semaines  il  était  passa- 


1.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec.  Registre  C,  lettre  du  30  août  1724. 

2.  Ibid.,  lettre  du   15  oct.    1724. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  47,  lettre  du  4  oct.  1735. 


432  l'église  du  canada 

blement  remis  de  ses  fatigues.  Il  se  trouvait  si  bien  dans 
son  Hôpital-Général,  sous  les  soins  de  ses  bonnes  religieuses  ! 
Il  se  sentait  chez  lui,  dans  cette  maison  qu'il  avait  fondée; 
et  de  leur  côté,  les  religieuses  semblaient  prendre  un  regain 
de  vie  quand  elles  voyaient  leur  Père  au  milieu  d'elles: 
chose  remarquable,  et  que  l'annahste  de  l'Hôpital  tient  à 
constater  :  tandis  que  la  communauté  avait  perdu  pendant  la 
longue  absence  de  M^""  de  Saint- Vallier  plusieurs  de  ses 
sujets  les  plus  précieux,  aucune  religieuse  n'était  morte 
depuis  son  retour  ^  Les  vocations,  non  plus,  ne  man- 
quaient pas;  tout  était  progrès  dans  cette  maison;  et  ici 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  citer  ce  qu'écrivait  Char- 
levoix  en  1 720  : 

«  L'Hôpital-Général,  dit-il,  est  la  plus  belle  maison  du 
Canada,  et  elle  ne  déparerait  point  nos  plus  grandes  villes 
de  France.  Les  Pères  récollets  occupaient  autrefois  le  ter- 
rain où  elle  est  située.  M.  de  Saint- Vallier  les  a  transférés 
dans  la  ville,  a  acheté  leur  emplacement,  et  y  a  dépensé  cent 
mille  écus  en  bâtiments,  en  ameublements  et  en  fondations. 

<»  Le  prélat  fondateur,  ajoute-t-il,  a  son  appartement  dans 
la  maison,  et  y  fait  sa  résidence  ordinaire;  il  a  loué  son 
palais,  qui  est  encore  son  ouvrage,  au  profit  des  pauvres.  II 
ne  dédaigne  pas  même  de  servir  d'aumônier  à  l'Hôpital 
aussi  bien  qu'aux  religieuses,  et  il  en  remplit  les  fonctions 
avec  un  zèle  et  une  assiduité  qu'on  admirerait  dans  un 
simple  prêtre  qui  vivrait  de  cet  emploi.  Des  artisans  ou 
autres,  à  qui  leur  grand  âge  ou  leurs  infirmités  ôtent  le 
moyen  de  gagner  leur  vie,  sont  reçus  dans  cet  hôpital  jus- 
qu'à la  concurrence  du  nombre  de  lits,  et  trente  religieuses 
sont  occupées  à  les  servir.  .  .  La  plupart  sont  filles  de  con- 
dition, et  comme  ce  ne  sont  pas  les  plus  aisées,  le  Prélat  en 
a  doté  plusieurs  "...  » 

1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l' H ô p. -Général,  p.  251. 

2.  Ibid.,  p.  252. 


sous    M*^""    DE    SAINT-VALUER  433 

M^""  de  Saint-Vallier,  du  reste,  ne  croyait  jamais  en  avoir 
fait  assez  pour  son  Hôpital;  et  c'est  précisément  au  retour 
de  sa  dernière  visite  pastorale  qu'il  achète  pour  la  commu- 
nauté la  seigneurie  de  la  Durantaie,  qui  porte  aujourd'hui 
son  nom  :  Saint- ValliER.  La  seigneurie  de  Notre-Dame- 
des- Anges,  où  est  bâti  l'Hôpital,  appartient  aux  pauvres  ;  les 
religieuses  auront  désormais  leur  propre  seigneurie;  et 
«  comme  pour  leur  en  faire  prendre  l'investiture,  écrit  l'an- 
naliste, monseigneur  les  conduisit  lui-même  sur  les  lieux, 
afin  qu'elles  connussent  mieux  les  ressources  que  pourrait 
oflFrir  dans  la  suite  cette  propriété,  dont  la  plus  grande 
partie  était  encore  inculte  ». 

C'est  aussi  dans  l'automne  de  1725,  le  20  novembre,  que 
fut  inauguré  à  l'Hôpital-Général  un  pensionnat  de  jeunes 
filles  \  que  nous  avons  vu  abolir  il  y  a  plus  d'un  demi  siècle  ^ 
mais  que  nous  nous  rappelons  encore  avec  plaisir,  et  qui 
était  une  source  si  précieuse,  non  seulement  de  revenu,  mais 
surtout  de  vocations  religieuses. 

Toujours  préoccupé  du  bonheur  de  sa  communauté, 
animé  d'ailleurs  des  sentiments  de  la  plus  exquise  piété,  M^ 
de  Saint-Vallier,  dans  le  même  automne  1725,  fit  ériger 
dans  l'église  de  l'Hôpital  une  chapelle  en  l'honneur  de  la 
Mère  de  Dieu  :  «  Il  y  fit  placer,  dit  l'annaliste,  un  tableau, 
dans  lequel,  d'après  la  tradition,  il  est  lui-même  représenté 
en  prières,  devant  l'image  du  saint  Cœur  de  Marie  ;  et  c'est 
sous  ce  vocable  que  la  chapelle  fut  dédiée.  .  .  Le  Prélat 
choisit  cette  nouvelle  chapelle  pour  le  lieu  de  sa  sépulture,  et 
y  fit  creuser  sa  tombe.  C'est  là  qu'il  aimait  à  se  retirer  pour 
se  livrer  à  la  méditation  des  vérités  éternelles  :  il  y  passait 


1.  Archiv.  de  l'év.  de  Québec,  Registre  C,  20  nov.  1725. 

2.  Par  Mgr  Baillargeon,  du  temps  de  l'abbé  Plante,  ce  prêtre 
si  distingué,  qui  fut  chapelain  de  l'Hôpital  Général  de  1851  au  13 
septembre  1869,  date  de  sa  mort. 


434  l'église    du    CANADA 

ordinairemewt  cinq  heures  par  jour,  dans  les  communi- 
cations les  plus  intimes  avec  Dieu  ^  » 

Et  n'est-ce  pas  dans  ces  méditations  profondes  qu'un 
homme  de  Dieu  comme  M^''  de  Saint- Vallier  pouvait  trouver 
les  lumières,  la  force  et  le  courage  dont  il  avait  besoin  pour 
administrer  son  immense  diocèse?  Car  tout  âgé  qu'il  est, 
c'est  encore  lui,  et  lui  seul  qui  gouverne  son  diocèse.  Nous 
l'avons  déjà  dit,  il  ne  peut  guère  compter  sur  personne  pour 
l'aider  :  c'est  lui  qui  voit  à  tout,  qui  conduit  tout.  Le  P.  de  la 
Chasse,  supérieur  des  Jésuites,  soh  confesseur  et  le  confes- 
seur de  la  communauté,  écrit  trois  ou  quatre  mois  avant  la 
mort  du  Prélat  : 

«  AP""  de  Saint- Vallier,  malgré  l'âge  le  plus  avancé,  tra- 
vaille encore  avec  une  vigueur  infatigable  au  salut  de  ses 
ouailles  ^.  » 

«  Il  continuait,  dit  l'annaliste,  à  vaquer  avec  assiduité  aux 
affaires  de  son  diocèse.  On  ne  voyait  en  lui  aucune  marque 
de  caducité  :  son  port  était  droit  et  majestueux,  il  conser- 
vait toujours  ses  manières  gracieuses  et  prévenantes;  rien 
dans  son  extérieur  ne  faisait  appréhender  un  accident  pro- 
chain '.  » 

Et  n'est-ce  pas  précisément  une  année  seulement  avant 
sa  mort  qu'il  écrivait  à  la  cour  une  de  ses  lettres  les  mieux 
frappées,  dont  nous  avons  déjà  cité  quelques  extraits,  et 
dans  laquelle  il  se  plaignait  des  mauvaises  dispositions  de 
certains  prêtres  canadiens,  spécialement  de  celui  que  le  Cha- 
pitre avait  député  en  France,  «  qui  est  loin,  disait-il,  de 
donner  l'exemple  de  la  soumission  et  de  l'obéissance  »  ?  Il 
ne  mettait  pas,  cependant,  tous  les  Canadiens  sur  le  même 
pied,  et  il  faisait  tout  particulièrement  un  grand  éloge  de 
M.  de  Lotbinière  : 


1.  Mgr  de  S aint-V allier  et  l' H ôp. -Général,  p.  256. 

2.  Ibid.,  p.  259. 
3     Ihid.,  p.  269. 


sous    M^    DE    SAINT-VALLIER  435 

«  M.  de  Lotbinière,  disait-il,  conseiller  du  Conseil  Supé- 
rieur de  Québec,  plein  de  vertu  et  de  mérite,  ayant  pris  îe 
parti  de  se  faire  prêtre,  je  lui  ai  donné  la  dignité  d'archi- 
diacre, que  feu  M.  de  Varennes  possédait.  Il  mériterait  mieux 
qu'un  autre  la  dignité  de  Doyen;  mais  selon  les  lumières  de 
M.  Bégon,  qui  nous  quitte,  et  selon  les  miennes,  il  ne  fau- 
drait point  ici  de  Doyen  canadien,  pour  plusieurs  raisons 
importantes,  qui  cessent  cependant  si  l'on  n'en  trouve  point 
de  mérite  qui  veuille  venir.  Ainsi  mon  dit  sieur  de  Lotbi- 
nière l'emportant  sur  tous  par  ses  excellentes  qualités  et 
expérience,  doit  être  choisi  préférablement  aux  autres.  Je 
l'ai  fait  mon  grand  vicaire  à  cause  des  grands  secvices  qu'il 
rend  à  ce  diocèse  ^.  .  .  » 

M.  de  Lotbinière  avait  épousé,  le  14  avril  171 1,  une  demoi- 
selle Davenne  des  Meloises  2.  Devenu  veuf  le  25  avril  1723, 
il  embrassa  l'état  ecclésiastique,  fit  sa  théologie  au  séminaire 
de  Québec,  et  fut  ordonné  prêtre  par  M^""  de  Saint- Vallier 
le  14  avril  1726,  quinze  ans  jour  pour  jour  après  son. 
mariage. 

C'était  un  homme  d'un  caractère  élevé,  jouissant  de  l'es- 
time et  de  la  confiance  générales.  Homme  du  monde,  à  la^ 
fois,  et  homme  d'Eglise,  il  faisait  honneur  à  son  ancienne- 
et  à  sa  nouvelle  profession. 

Il  appartenait  à  une  famille  de  robe,  son  père  ayant  été 
lieutenant-général  civil  et  criminel,  à  Québec,  son  grand*- 
père,  lieutenant-général  de  la  prévôté.  Il  n'était  pas  encore- 
en  âge  de  majorité,  lorsqu'il  fut  nommé  par  le  Roi  conseiller 
au  Conseil  Supérieur,  et  il  entra  au  Conseil  «  avec  voix  con- 
sultative seulement,  attendu  sa  minorité,  sans  y  avoir  voix 
délibérative  »  ^. 


T.    Corresp.  générale,  vol.  48,  lettre  du  10  sept.  1726. 

2.  Marie-Françoise,    fille    de    François-Marie-Renaud-Davenne,    sei- 
gneur des  Meloises. 

3.  Jugeutents  du  Conseil  Supérieur,  t.  VI,  p.  201,  209. 


436  l'église  du  canada 

En  embrassant  l'état  ecclésiastique,  il  n'avait  pas  cessé 
pour  cela  de  faire  partie  du  Conseil;  il  s'y  montrait  toujours 
un  des  plus  assidus,  comme  il  en  était  un  des  plus  compé- 
tents. Il  devint  en  1738  doyen  des  conseillers  ^  chargé  paf 
conséquent  de  présider  l'assemblée,  de  recueillir  les  suf- 
frages et  de  prononcer  les  arrêts,  en  l'absence  de  l'intendant. 
Comme  il  était  instruit  et  laborieux,  c'est  à  lui  qu'il  incom- 
bait souvent  d'être  rapporteur  dans  les  différentes  causes, 
ce  qui  lui  donnait  un  surcroît  d'ouvrage  entre  les  séances. 

Accablé  de  travaux,  il  était  cependant  un  des  plus  assidus 
au  chœur.  Mais,  malgré  sa  bonne  volonté,  il  ne  pouvait 
assister  au  chœur  et  au  Conseil  en  même  temps.  S'il  man- 
quait l'office,  ses  confrères  chanoines,  jaloux  peut-être  de 
ses  dignités  et  de  son  importance,  le  marquaient  absent,  afin 
de  lui  retrancher  une  partie  de  ses  émoluments;  et  il  s'en 
plaignit  au  gouverneur  et  à  la  cour  ^. 

En  plusieurs  occasions  M.  de  Lotbinière  joua  un  rôle 
important  dans  nos  affaires  ecclésiastiques.  Deux  fois  il 
prit  possession  du  siège  épiscopal,  comme  procureur  des 
évêques  absents,  une  première  fois  en  1728,  au  nom  de  M^ 
de  Mornay,  une  deuxième  fois  en  1734,  au  nom  de  M^ 
Dosquet.  Plusieurs  années  de  suite,  durant  l'épiscopat  de 
ce  prélat,  il  eut  à  faire  la  visite  du  diocèse  en  qualité  d'archi- 
diacre. L'événement  principal,  cependant,  auquel  il  attacha 
son  nom,  ce  fut  la  sépulture  de  M^""  de  Saint-Vallier.  Mais 
n'anticipons  pas. 


1.  Ce  fut  aussi  en  1738  qu'il  devint  doyen  du  Chapitre. 

2.  Voir  notre  Québec  en  1730,  p.  42. 


CHAPITRE  XXVIII 


LHS  DERNIERS  JOURS  DE  M^""  DE  SAINT-VAEEIER 
SA  MALADIE  ;  SA  MORT 

Belle  fin  de  vie  de  Mgr  de  Saint- Vallier.  —  Dernier  anniversaire  de  son 
sacre.  —  Belle  fête  au  Pensionnat.  —  Fondation  des  Ursulines  à  la 
Nçuvelle-Orléans.  — Dernière  maladie  de  Mgr  de  Saint- Vallier.  — 
Ses  adieux  à  ses  religieuses  et  aux  pauvres.  —  Administré  par 
l'archidiacre,  M.  de  Lotbinière.  —  Visite  du  gouverneur.  —  Ses 
derniers  moments.  —  Sa  mort.  —  Visites  à  la  chapelle  ardente. 

IL  serait  impossible,  croyons-nous,  d'imaginer  une  plus 
belle  fin  de  vie  que  celle  de  M^''  de  Saint- Vallier.  Il 
s'en  va  graduellement  au  terme  de  sa  carrière,  avec  courage, 
sans  défaillance,  toujours  maître  de  lui-même,  accomplis- 
sant fidèlement  tous  les  devoirs  de  sa  charge  pastorale, 
n'omettant  rien  de  ce  qu'il  avait  coutume  de  faire  dans  ses 
meilleurs  jours  :  il  n'y  a  qu'une  chose  qu'il  a  été  obligé 
d'abandonner,  la  visite  des  paroisses  ;  mais  à  part  cela,  il 
n'oublie  rien,  il  ne  néglige  rien.  Il  se  fait  même  un  devoir 
d'aller  officier  pontificalement  à  sa  cathédrale  à  toutes  les 
principales  fêtes,  pour  rehausser  l'éclat  des  solennités.  Il 
fait  toutes  les  ordinations  qu'il  y  a  à  faire  :  il  en  fait  une  le 
24  aoiît  1727,  quatre  mois  seulement  avant  de  mourir;  et 
quelques  jours  plus  tard,  au  mois  de  septembre,  il  prépare 
lui-même  son  courrier,  son  dernier  courrier  pour  la  France, 
son  beau  pays  natal. 


43^  l'église  du  canada 

Il  y  a  un  jour,  un  anniversaire  que  le  pieux  Prélat  aime  à 
célébrer  chaque  année,  à  célébrer  même  avec  magnificence, 
entouré  de  ses  religieuses  et  de  ses  pauvres,  ses  amis  :  le  25 
janvier,  jour  anniversaire  de  sa  consécration  épiscopale.  II 
tient  à  cette  solennité,  pour  lui-même,  d'abord  :  quoi  de  plus 
naturel,  et  de  plus  religieux  en  même  temps,  que  de  se  remé- 
morer les  grands  événements  de  sa  vie?  Il  y  tient  surtout 
pour  ses  pauvres,  auxquels  il  donnera  ce  jour-là  quelque  plai- 
sir extraordinaire,  quelque  régal,  qui  sera  pour  eux  comme 
un  oasis  au  milieu  du  désert  de  la  vie.  Il  sait,  à  n'en  pas 
douter,  que  le  25  janvier  1727  est  le  dernier  anniversaire 
qu'il  célébrera  ici  bas,  et  il  désire  en  conséquence  que  ce  soit 
une  belle  fête  pour  ses  religieuses  et  pour  ses  pauvres.  Il 
demande  qu'on  y  invite  spécialement  le  gouverneur  et  l'in- 
tendant, car  il  se  propose  de  profiter  de  l'occasion  pour  les 
intéresser  à  son  œuvre,  et  leur  recommander,  avant  de 
mourir,  son  Hôpital-Général.  Faisant  venir  auprès  de  lui 
le  bon  Père  de  la  Chasse,  supérieur  des  Jésuites,  il  lui 
demande  comme  une  faveur  de  composer  pour  la  circons- 
tance une  poésie  qui  sera  récitée  par  quelqu'une  des  élèves 
du  Pensionnat,  et  qui,  tout  en  complimentant  le  gouverneur 
et  l'intendant,  les  invitera  à  étendre  leur  protection  sur  la 
communauté  : 

«  Représentez-moi,  lui  dit  le  Prélat,  comme  Jacob  sur  le 
point  de  quitter  la  vie,  demandant  à  son  fils  Joseph  de 
prendre  soin  de  ses  autres  enfants.  » 

Le  Père  de  la  Chasse  se  rendit  bien  volontiers  au  désir  du 
saint  Prélat,  et  composa,  sous  forme  de  dialogue,  le  compli- 
ment en  vers  qu'il  lui  avait  demandé:  il  fut  récité  par  trois 
ou  quatre  des  plus  grandes  et  la  plus  jeune  des  élèves 
du  Pensionnat.  L'évêque,  le  gouverneur  et  l'intendant  en 
furent  ravis.  C'est  en  effet  une  très  belle  poésie  :  que  de 
poèmes  couronnés  de  nos  jours  ne  la  valent  pas  !  Qui  n'admi- 
rerait, par  exemple,  le  vœu  exprimé  si  naïvement  par  la  toute 


sous    M"'    DE    SAINT-VALUER  439 

jeune    élève  —  une   demoiselle    Foucault,  —  s'adressant   au 
pieux  Prélat  courbé  sous  le  poids  des  ans  : 

"  N'allez  donc  pas  songer  à  suivre 
Le  penchant  qui  vous  fait  désirer  votre  fin  ; 
Si  vous  cessiez  sitôt  de  vivre, 
De  vos  enfants,  hélas!  quel  serait  le  destin  i  ?" 

M.  et  M""*  Dupuy  assistaient  à  la  séance.  Est-ce  à  cette 
occasion  que  M^  de  Saint- Vallier,  voulant  sans  doute  inté- 
resser de  plus  en  plus  l'intendant  à  son  institution  chérie  et 
lui  assurer  sa  haute  protection,  l'informa  qu'il  avait  le 
dessein  de  le  nommer  son  exécuteur  testamentaire  et  le  pria 
de  lui  rendre  ce  service  -  ?  Dans  son  testament,  en  date  du 
25  mars  1725,  le  Prélat  nommait  pour  son  exécuteur-testa- 
mentaire «  en  ce  pays  »  M.  de  Varennes,  prêtre,  archidiacre, 
et  son  grand  vicaire;  et  en  France,  «  M.  Alexandre  Hainque, 
sieur  de  Saint-Senoch,  auditeur  de  la  Chambre  des  Comptes 
de  Paris,  demeurant  chez  M.  Duel,  son  beau-père,  avocat 
au  Conseil,  dans  l'Ile  Notre-Dame  »■  ^.  M.  de  Varennes 
étant  mort  le  30  mars  1726,  le  Prélat  lui  substitua  l'inten- 
dant Dupuy,  se  trouvant  ainsi  avec  deux  avocats  comme 
exécuteurs-testamentaires,  un  en  France,  l'autre  au  Canada. 

Une  des  plus  belles  fondations  qui  eut  lieu  à  cette  é^xîque 
dans  l'immense  territoire  que  couvrait  la  juridiction  de 
l'évêque  de  Québec,  c'est  celle  des  Ursulines  de  la  Nouvelle- 
Orléans  :  elle  coïncide  avec  Tannée  de  la  mort  de  M^''  de 
Saint- Vallier.  Quelle  part  eut  le  Prélat  à  cette  fondation? 
Nous  n'avons  rien  trouvé  qui  pût  nous  pennettre  de 
répondre  à  cette  question  ;  mais  elle  ne  dut  pas  se  faire 


1.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  ï H ô p. -Général,  p.  265. 

2.  Ce  n'est  cependant  que  le  jour  de  Noël  même,  1727,  à  quatre  heures 
du  matin,  que  Mgr  de  Saint-Vallier,  par  un  acte  passé  devant  le  notaire 
Hiché,  nomma  M.  Dupuy  son  exécuteur-testamentaire.  (Jugements  du 
Conseil  Supérieur,  arrêt  du  5  janvier  1728.) 

3.  Doc.  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  t.  II,  p.  no. 


440  I.  ÉGUSE    DU    CANADA 

sans  sa  connaissance  et  son  consentement.  Nous  savons 
que  le  Prélat  était  jaloux  de  conserver  toute  l'autorité  qu'il 
avait  reçue  du  saint-siège  :  nulle  fondation  religieuse  de 
quelque  importance  ne  devait  se  faire  à  son  insu.  Les 
Ursulines  partaient  directement  de  France  pour  se  rendre 
à  la  Nouvelle-Orléans  ;  et  elles  répondaient  à  l'appel 
du  R.  P.  Beaubois,  jésuite,  missionnaire  aux  rives  du 
Mississipi  et  de  l'Illinois.  Elles  s'embarquèrent  au  nombre 
de  quatorze,  dont  une  novice  et  deux  converses,  le  22 
février  1727.  Ces  admirables  missionnaires  furent  sept 
années  à  attendre  la  construction  d'un  monastère  qui  leur 
appartînt.  Le  but  principal  de  leur  fondation  était  l'ins- 
truction des  jeunes  filles  françaises  dans  un  pensionnat: 

«  Mais,  répondant  à  tous  les  besoins,  écrivait  un  mission- 
naire, elles  ajoutent  à  leur  pensionnat  l'instruction  des 
femmes  de  couleur,  un  externat  de  filles,  le  soin  des  malades 
dans  l'hôpital,  et  un  refuge  pour  les  femmes  repenties.  Ces 
travaux  multipliés  n'effraient  pas  les  Ursulines  ;  et  avec  la 
grâce  de  Dieu  elles  les  accomplissent  sans  enfreindre  en 
rien  la  stricte  observance  de  leur  règle  ^  » 

C'est-à-dire  que  l'institution  fondée  par  les  Ursulines  à 
la  Nouvelle-Orléans  se  rapprochait  beaucoup  de  celles  de 
l'Hôpital-Général  de  Québec,  et  des  Ursulines  des  Trois- 
Rivières,  deux  institutions  si  chères  à  M"""  de  Saint-Vallier. 
La  fondation  des  Ursulines  à  la  Nouvelle-Orléans  fut  tou- 
jours l'objet  d'une  attention  spéciale  des  évêques  de  Québec, 
sous  le  régime  français,  par  l'entremise  surtout,  de  leur 
digne  grand  vicaire  à  Paris,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  ". 

IVP'^  de  Saint-Vallier  touchait  enfin  au  terme  de  sa  noble 


1.  Lettre    du    R.    P.    Petit,    citée    dans    Les    Ursulines    de    Québec, 
t.  III,  p.  516. 

2.  Sur    l'abbé    de   l'Ile-Dieu,    voir   mon   mémoire   Encore    le   P.    de 
Bonnécamps,  Ottawa,  1897,  P-  103. 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  441 

et  laborieuse  carrière  :  il  y  avait  plus  de  quarante  ans  qu'il 
était  évêque  :  aucun  évêque  de  Québec  ne  l'a  été  aussi  long- 
temps que  lui. 

«  Le  jour  de  la  Toussaint,  écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital- 
Général,  il  se  trouva  extraordinai rement  faible,  ayant 
éprouvé  durant  la  nuit  un  violent  accès  de  fièvre.  Nous  le 
priâmes  de  ne  pas  se  rendre  à  la  cathédrale,  pour  y  officier 
pontificalement,  ce  qu'il  ne  manquait  jamais  de  faire  aux 
grandes  fêtes.  Il  acquiesça  à  nos  instances,  nous  dit  la 
messe,  après  laquelle  il  prêcha  sur  la  magnificence  divine 
dans  la  récompense  des  bienheureux,  mais  avec  tant  de  force 
et  d'onction  qu'on  eiit  dit  qu'il  n'éprouvait  aucune  indispo- 
sition. Depuis  ce  jour,  il  ne  fit  que  s'afïaiblir  de  plus  en 
plus. 

«  Le  jour  de  Saint- André,  il  soufïrait  d'un  grand  mal  de 
gorge,  joint  à  une  fièvre  si  violente,  qu'il  avait  peine  à  se 
soutenir.  Nous  le  pressâmes  de  dire  la  messe  à  sa  chambre  ; 
ce  fut  en  vain  ;  il  voulut,  à  son  ordinaire,  la  cé4ébrer  à  l'autel 
de  la  salle;  mais,  comme  il  se  sentait  très  mal,  il  dit  à  son 
valet  de  chambre  :  «  Tenez-vous  auprès  de  moi  tout  le  temps 
du  saint  sacrifice  pour  me  soutenir.  »  La  communauté  et 
les  pauvres  assistèrent  à  cette  messe,  et  reçurent  la  sainte 
communion  de  la  main  du  Prélat  :  ce  fut  la  dernière  fois. 
Avant  de  se  retirer  de  l'autel,  il  prononça  ces  quelques 
paroles,  qui  furent  les  dernières  qu'il  dit  en  public  : 

«  Mes  enfants,  l'extrême  faiblesse  que  j'éprouve  ne  me 
permet  pas  de  faire  d'exhortation  aujourd'hui.  Je  laisse  à 
vos  réflexions  les  deux  grands  objets  que  l'Eglise  nous  pré- 
sente en  ce  jour  \  La  fin  de  l'année  ecclésiastique  nous  doit 
remettre  devant  les  yeux  avec  quelle  rapidité  tout  passe. 
Nous  touchons  à  notre  dernière  fin;  pour  s'y  disposer,  il 
faut  faire  un  saint  usage  du  temps,  porter  sa  croix,  à  l'im!- 

I.    La  Saint-André,  en  1727,  coïncidait  précisément  avec  le  premier 
dimanche  de  l'Avent. 


-442  l'église  du  canada 

tation  du  grand  amateur  de  la  Croix,  le  glorieux  apôtre 
saint  André,  dont  on  célèbre  la  fête.  C'est  elle  qui  a  fait  son 
triomphe  et  sa  gloire;  et  c'est  par  la  parfaite  résignation 
avec  laquelle  vous  porterez  la  vôtre  que  vous  acquerrez  la 
vie  étemelle,  que  je  vous  souhaite  de  toute  l'étendue  de 
mon  âme.  » 

Après  son  action  de  grâce,  il  fit  une  dernière  visite  aux 
pauvres  malades  qui  étaient  au  lit,  disant  à  chacun  quelques 
paroles  de  consolation.  Puis  réunissant  les  autres,  il  leur 
exprima  la  grande  affection  qu'il  ressentait  pour  eux,  les 
assurant  que  cette  affection  ne  se  terminerait  pas  au  tom- 
bean  : 

«  Vous  êtes  mon  précieux  héritage,  leur  dit  ce  bon  père,  je 
ne  vous  oublierai  jamais.  Si  vous  m'obtenez  miséricorde 
■du  Seigneur,  comme  je  l'espère,  sans  cesse  je  prierai  pour 
vous.  » 

Heureux  les  pauvres  qui  étaient  là,  et  qui  s'entendaient 
dire  des  paroles  si  affectueuses  et  si  consolantes  de  la  bouche 
de  leur  évêque! 

Après  un  peu  de  repos,  il  appelle,  à  leur  tour,  les  reli- 
gieuses; puis  les  voyant  toutes  réunies  auprès  de  lui,  il  leur 
expose  en  toute  simplicité  tout  ce  qu'il  a  fait  pour  elles,  et 
par  elles  ce  qu'il  a  voulu  faire  pour  le  bon  Dieu  et  pour  les 
pauvres.  Il  leur  recommande  de  travailler  avec  ardeur  à 
leur  sanctification,  mais  aussi  d'avoir  bien  soin  de  ses 
pauvres,  de  ses  chers  pauvres  : 

«  Oubliez-moi,  leur  dit-il  avec  une  ardeur  extraordinaire, 
oubliez-moi;  mais  pour  eux.  ne  les  oubliez  jamais!» 

Parole  admirable,  désormais  historique,  et  qui  caractérise 
parfaitement  le  saint  Evêque  :  il  fut  vraiment  toute  sa  vie 
l'homme  des  pauvres,  l'homme  de  la  charité,  par  excellence. 
Toutes  les  vertus  sont  belles,  excellentes  :  major  autem 
harum  est  charitas  ^. 

I.  I.  Cor.,  XIII.  13. 


sous    M*""    DE    SAINT-VAI.UER  443 

Après  avoir  fait  à  la  communauté,  aussi  brièvement  mais 
aussi  affectueusement  que  possible,  les  recommandations 
qu'il  voulait  lui  faire,  il  témoigna  le  désir  de  rester  seul.  Sa 
maladie  s'aggravait  de  plus  en  plus.  Il  put  cependant  dire 
encore  la  sainte  messe  les  trois  jours  suivants  ;  mais  il  lui 
fallut  ensuite  prendre  le  lit,  pour  ne  plus  le  quitter.  Il  pria 
son  ami  le  P.  de  la  Chasse,  de  vouloir  bien  dire  la  messe 
chaque  matin  en  sa  présence  ;  et  le  pieux  religieux  y  con- 
sentit de  bon  cœur.  Mais  il  en  profita  pour  lui  faire  un  cas 
de  conscience  de  ce  qu'il  voulait  toujours  dire  son  bréviaire. 
Le  Prélat  y  renonça  par  obéissance  ;  mais  les  prêtres  qui 
venaient  à  l'Hôpital  ne  pouvaient  lui  faire  de  plus  grand 
plaisir  que  de  réciter  leur  bréviaire  à  haute  voix  en  sa 
présence,  «  afin  qu'il  eiàt  la  satisfaction  d'en  méditer  le  sens, 
en  en  entendant  la  lettre  »  ^. 

Malgré  les  soiififrances  qu'il  endurait,  le  Prélat  se  faisait 
mettre  sur  son  séant,  et  entendait  la  messe  avec  une  admi- 
rable piété.  Du  reste,  jamais  un  mot  de  plainte,  jamais  un 
mot  d'impatience  dans  ses  souffrances.  Aux  nombreux  per- 
sonnages qui  venaient  le  visiter,  toujours  ui>e  humeur  égale, 
toujours  et  jusqu'à  la  fin  ces  manières  gracieuses  qu'il  tenait 
de  famille,  ces  paroles  obligeantes  par  lesquelles  il  paraissait 
s'oublier  lui-même  pour  ne  penser  qu'aux  autres. 

Son  médecin,  le  docteur  Sarrazin,  et  le  chirurgien  Ber- 
thier  venaient  le  voir  tous  les  jours,  et  cherchaient  à  entre- 
tenir en  lui  la  confiance.  Mais  il  ne  se  faisait  pas  illusion 
sur  son  état,  et  savait  bien  que  sa  fin  était  prochaine. 

M.  et  M"^  Dupuy,  qui  le  venaient  voir  également,  luï 
ofifrirent  un  jour  un  lit  plus  commode  que  le  sien,  pour 
qu'il  pîit  se  délasser  un  peu  :  il  les  remercia,  les  pria  de  ne 
point  prendre  tant  de  peine  ;  mais  ils  ne  manquèrent  pas  de 
le  lui  envoyer. 

I.   Oraison  funèbre  du  Prélat  par  le  P.  de  la  Chasse. 


444  L  ÉGLISE    DU    CANADA 

La  maladie,  cependant,  s'aggravant  toujours,  on  crut 
devoir  ordonner  des  prières  publiques  et  faire  exposer  le 
saint  Sacrement  dans  les  églises  de  la  ville.  La  nouvelle  se 
répandit  bientôt  que  l'Evêque  était  à  la  dernière  extrémité; 
c'était  le  sujet  de  la  conversation  dans  toutes  les  familles; 
la  ville  toute  entière  témoignait  d'une  profonde  affliction. 

La  veille  de  Noël,  mercredi  soir,  le  docteur  Sarrazin  étant 
venu  lui  faire  visite  comme  à  l'ordinaire,  trouva  son  état 
bien  empiré,  et  crut  devoir  l'en  prévenir.  Le  pieux  Prélat  le 
remercia  affectueusement  et  lui  dit  combien  il  lui  était 
reconnaissant  pour  les  services  qu'il  lui  avait  rendus  dans 
sa  maladie  : 

«  L'arrêt  fatal  est  prononcé,  dit-il,  je  m'y  soumets  avec 
amour.  La  vie  n'est  qu'un  dépôt  ;  j'en  fais  volontiers  le 
sacrifice  à  Celui  qui  a  donné  la  sienne  pour  moi.  » 

La  nouvelle  se  répandit  bientôt  dans  toute  la  maison,  tant 
parmi  les  religieuses  que  parmi  les  pauvres,  qu'il  n'y  avait 
plus  aucun  espoir  de  conserver  le  saint  Evêque  ;  et  il  n'y  eut 
plus  dans  l'Hôpital  qu'un  cri  de  douleur,  des  larmes,  des 
sanglots. 

M^""  de  Saint-Vallier  pria  son  confesseur,  le  P.  de  la 
Chasse,  d'envoyer  en  diligence  chercher  M.  de  Lotbinière, 
l'archidiacre,  pour  lui  administrer  les  sacrements  :  et  comme 
c'était  à  la  veille  de  la  messe  de  minuit,  il  lui  fit  dire  de 
venir  seul,  pour  ne  déranger  personne  dans  les  confessions 
et  dans  la  célébration  de  la  naissance  du  Fils  de  Dieu.  A 
l'arrivée  de  M.  de  Lotbinière  : 

«Je  vous  attends  avec  impatience,  mon  cher  archidiacre, 
lui  dit  le  pieux  malade,  afin  que  vous  m'administriez  les 
sacrements  de  l'Eglise,  notre  mère.  Me  voilà  près  d'arriver 
au  port.  .  .  J'espère  de  l'infinie  miséricorde  de  mon  Dieu 
qu'il  voudra  bien  m'ouvrir  la  porte  de  la  véritable  vie.  . . 
Demandez-lui  pour  moi  cette  grâce.  » 

A  dix  heures,  il  reçut  le  saint  Viatique  avec  de  grands 


sous    M'-'"'    DE    SAINT-VALLIKR  445 

sentiments  de  foi  et  de  piété.  Il  répondait  aux  prières  avec 
application  et  une  parfaite  liberté  d'esprit.  M.  de  Lotbi- 
nière,  troublé  par  la  vue  de  son  évêque  mourant,  manquait 
à  quelque  cérémonie  du  rituel:  le  Prélat  lui  fit  remarquer 
ce  qu'il  avait  omis.  Les  assistants  ne  pouvaient  retenir  leurs 
larmes;  la  communauté,  surtout,  était  en  proie  à  la  plus 
amère  douleur.  .  .  Le  malade  fit  approcher  les  religieuses  et 
leur  dit  : 

«  Mes  enfants,  recevez  pour  la  dernière  fois  ma  béné- 
diction. Je  vous  bénis,  au  nom  du  Père  qui  vous  a  créées; 
au  nom  du  Fils  qui  vous  a  rachetées;  au  nom  du  Saint- 
Esprit  qui  vous  a  sanctifiées.  Qu'il  enflamme  vos  cœurs  de 
soii  divin  amour;  qu'il  soit  le  principe  de  toutes  vos  actions; 
qu'il  vous  donne  la  force  de  porter  vos  croix  avec  résigna- 
tion !.  .  .  » 

C'était  la  deuxième  ou  troisième  fois  qu'il  les  exhortait  à 
porter  leur  croix  avec  résignation.  Ses  paroles  semblent 
vraiment  prophétiques,  lorsque  l'on  songe  aux  épreuves  qui 
dans  quelques  jours  attendaient  ces  saintes  filles. 

Puis  le  Prélat  ajouta  :  <^  Retirez-vous  maintenant,  mes 
enfants,  afin  que  je  ne  m'occupe  plus  que  de  Dieu  seul.  « 

«  De  là,  dit  l'annaliste,  nous  allâmes  à  la  messe  de  minuit, 
qu'il  ne  nous  fut  pas  possible  de  chanter. 

«  Le  jour  de  Noël,  ajoute-t-elle,  le  saint  Sacrement  fut 
exposé  de  nouveau.  Tous  les  pauvres,  non  seulement  ceux 
de  la  maison,  mais  encore  ceux  de  la  ville  et  des  environs 
qui  avaient  été  l'objet  des  soins  du  Prélat,  venaient  en  foule 
à  notre  église  pour  implorer  l'assistance  du  Ciel,  et  demander 
à  Dieu  de  prolonger  une  vie  si  précieuse.  De  son  côté,  le 
pieux  malade,  les  yeux  attachés  sur  son  crucifix,  n'était 
occuf)é  que  de  la  céleste  béatitude,  et  ne  soupirait  qu'après  la 
possession  du  souverain  Bien. 

«  A  neuf  heures  du  matin,  le  gouverneur  étant  entré, 
monseigneur  le  fit  aprocher  et  lui  dit  : 


446  Iv'ÉGUSE    DU    CANADA 

«  Vous  n'êtes  plus  à  moi,  mon  cher  marquis,  ni  moi  à 
vous.  .  .  Souvenez-vous  que  la  figure  de  ce  monde  passe, 
qu'il  n'y  a  que  les  œuvres  qui  nous  accompagnent  dans 
l'éternité.  » 

M.  de  Beauharnais  était  un  excellent  homme  et  un  parfait 
chrétien  :  il  n'en  était  que  plus  digne  d'entendre  une  parole 
chrétienne  et  vraiment  sacerdotale,  une  de  ces  paroles  qui  ne 
peuvent  faire  que  du  bien  aux  meilleurs. 

«  Le  Prélat,  continue  l'annaliste,  se  détourna  ensuite  pour 
n'être  plus  interrompu  dans  ses  entretiens  avec  Dieu.  On 
l'entendait  sans  cesse  prononcer  de  courtes  mais  vives  aspi- 
rations tirées  des  saintes  Ecritures.  Toutes  les  personnes 
présentes  étaient  pénétrées  d'admiration  et  de  respect,  et 
plusieurs  d'entre  elles  demandèrent  qu'il  leur  ftît  permis 
d'assister  à  ses  derniers  moments,  voulant,  disaient-elles, 
être  témoins  de  la  mort  d'un  saint.  Plus  il  approchait  d€ 
l'heure  suprême,  qui  devait  le  réunir  à  son  Dieu,  plus  il  y 
avait  de  paix  et  de  sérénité  dans  tous  ses  traits.  Il  ne  parlait 
plus  que  pour  former  des  actes  d'amour,  de  confiance,  de 
désir.  Les  dernières  paroles  qui  s'échappèrent  de  son  cœur 
et  de  ses  lèvres  furent  les  deux  premiers  versets  du  psaume 
quarante  et  unième  :  Queniadinodiim  desiderat  cervus  ad 
fontes  aquarum,  ita  desiderat  anima  mea  ad  te  Deus.  Sitivit 
anima  mea  ad  Deum  fortem,  vivum;  quando  veniam  et  appa- 
rebo  ante  faciem  Dei^?.  .  . 

«Puis,  élevant  un  peu  les  mains,  il  rendit  son  esprit  à  Dieu. 
L'horloge  venait  de  marquer  minuit  et  un  quart,  le  vendredi 
26  décembre  1727.  Le  vénérable  pontife,  âgé  de  soixante- 
quatorze  ans,  un  mois  et  douze  jours,  était  dans  la  quarante- 
troisième  année  de  son  épiscopat,  si  l'on  compte  depuis  sa 


I.  "Comme  le  cerf  soupire  après  les  sources  d'eaux,  de  même  mon 
âme  soupire  vers  vous,  ô  mon  Dieu.  Mon  âme  a  soif  du  Dieu  fort, 
vivant:  quand  viendrai-je  et  paraîtrai-je  en  face  de  Dieu?" 


sous    M*^    DE    SAINT-VALLIER  447 

nomination,  et  la  quarantième,  si  l'on  compte  depuis  soa. 
sacre.  » 

Après  quelques  heures,  on  dressa  un  autel  dans  la  chambre 
funèbre.  L'archidiacre,  M.  de  Lotbinière,  ainsi  que  le  R.  P. 
Duparc,  jésuite,  et  le  R.  P.  Justinien  Durand,  récollet,  y 
dirent  la  messe.  La  communauté  communia  à  la  première,,, 
et  resta  longtemps  à  prier  auprès  du  corps  de  son  fondateur,, 
que  toutes  arrosaient  de  leurs  larmes. 

M.  Berthier.  chirurgien,  et  le  Frère  Plubert,  envoyé  par 
M.  de  Saint-Ferréol,  supérieur  du  Séminaire,  vinrent  ensuite 
embaumer  le  corps,  en  présence  de  M.  Dupuy. 

Qui  ne  serait  touché  de  retrouver  ainsi  auprès  de  la 
dépouille  mortelle  de  M^  de  Saint- Vallier  le  pieux  Frère 
Hubert  Houssart,  qui,  près  de  vingt  ans  auparavant,  avait 
embaumé  le  corps  de  son  bon  maître,  M^''  de  Laval,  en  avait 
envoyé  des  reliques  en  France  à  plusieurs  membres  de  sa 
famille,  et  avait  écrit  cette  magnifique  lettre,  que  tout  le 
monde  connaît,  sur  la  dernière  maladie  et  la  mort  du  pre- 
mier évêque  de  la  Nouvelle-France  ^  ? 

La  grande  salle  de  la  communauté  de  l'Hôpital-Général 
était  toute  tendue  de  noir,  et  illuminée  d'un  grand  nombre 
de  lustres  et  de  cierges.  Le  corps  de  M^""  de  Saint- Vallier, 
revêtu  des  habits  pontificaux  et  posé  dans  sa  bière,  y  fut 
transporté;  des  autels  furent  placés  de  chaque  côté  de  la 
chapelle  ardente  ;  plusieurs  prêtres  séculiers,  ainsi  que  des 
révérends  Pères  récollets  et  jésuites  y  dirent  la  messe;  M. 
de  Saint-Ferréol  et  les  messieurs  du  Séminaire  vinrent  en 
corps  rendre  leurs  devoirs  à  leur  évêque  :  «  les  chanoines 
seuls,  dit  l'annaliste,  n'y  parurent  point;  ils  nous  firent 
même  dire  d'envoyer  sonner  les  cloches  par  qui  bon  nous 
semblerait,  et  demandèrent  la  cire  nécessaire  au  service 
qu'on  devait  lui  faire  à  la  cathédrale. 

I.  Le  vénérable  François  de  Mont)norency-Laval,  iéit.  de  1906,  p.  419.  . 


448  l'éguse  du  canada 

«  Pendant  sept  jours  que  le  corps  fut  exposé  dans  la 
chapelle  ardente,  ajoute  la  pieuse  annaliste,  le  concours  du 
peuple  ne  cessa  point.  Ils  venaient  en  foule  de  la  ville  et  des 
environs,  pour  donner  à  la  dépouille  mortelle  de  leur  pre- 
mier pasteur  des  marques  de  leur  vénération.  Ils  baisaient 
avec  respect  ses  vêtements,  faisaient  toucher  à  son  corps  des 
médailles  et  des  chapelets,  demandaient  à  emporter  quelque 
chose  qui  lui  eiît  appartenu;  ils  en  seraient  venus  jusqu'à 
couper  ses  habits,  si  on  ne  les  en  eût  empêchés  ^.  » 


I.   Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôp.-Général,  p.  275. 


CHAPITRE  XXIX 


SÉPUI.TURE  DE  M^  DE  SAINT-VALUER 
ÉVÉNEMENTS  QUI  LA  SUIVIRENT 

A  propos  des  circonstances  de  la  sépulture  de  Mgr  de  Saint- Vallier.  — 
Election  de  M.  Boulard  comme  vicaire  capitulaire.  —  Préparatifs 
pour  la  sépulture.  —  Différend  entre  le  Conseil  Supérieur  et  le  Cha- 
pitre. —  Obsèques  privées  de  Mgr  de  Saint- Vallier.  —  Interdit  de 
l'église  de  l'Hôpital.  —  Manifeste  de  M.  Boulard.  —  Situation  de 
l'Eglise  de  Québec  décrite  par  la  Sœur  Duplessis.  —  Discussions 
religieuses  au  Conseil  Supérieur.  —  Intervention  de  M.  de  Beau- 
harnais.  —  Décisions  de  la  cour.  —  Mgr  de  Mornay  et  les  cha- 
noines de  Québec. 

IL  y  a  dans  les  circonstances  qui  entourent  la  sépulture  de 
M^""  de  Saint- Vallier  des  choses  si  étranges  qu'il  semble 
bien  difficile  de  les  expliquer.  L'annaliste  de  l'Hôpital- 
Genéral,  après  avoir  dit  que  le  supérieur  du  Séminaire  et  ses 
confrères  «  vinrent  en  corps  rendre  leurs  devoirs  »  à  la  dé- 
pouille mortelle  de  leur  évêque,  ajoute  :  «  Les  chanoines 
seuls  n'y  parurent  point.»  Elle  veut  dire  sans  doute  qu'ils 
n'y  vinrent  pas  en  corps  comme  le  Séminaire  ;  elle  n'affirme 
pas  qu'ils  n'y  vinrent  pas  chacun  en  leur  particulier.  Mais 
comment  auraient-ils  pu  y  venir  en  «  corps  »,  n'ayant  pas  de 
«  chef  »,  leur  Doyen  étant  mort  depuis  quelques  années,  et 
n'ayant  pas  encore  été  remplacé?  Celui  qui  en  faisait  les 
fonctions,  M.  de  Lotbinière,  ne  paraissait  guère  avoir  d'au- 
torité sur  eux. 

L'annaliste  ajoute  quelque  chose  de  plus  étrange  :  «  Ils 


450  L  EGLISE    DU    CANADA 

nous  firent  rxiême  dire  d'envoyer  sonner  les  cloches  par  c[ui 
bon  nous  semblerait,  et  demandèrent  la  cire  nécessaire  au 
service  qu'on  devait  faire  à  la  cathédrale.  »  Remarquons 
qu'il  s'agit  ici  d'un  simple  propos  attribué  aux  chanoines, 
ou  à  quelqu'un  d'entre  eux,  mais  dont  elle  ne  pouvait 
évidemment  garantir  l'authenticité.  Il  est  d'ailleurs  d'autant 
plus  invraisemblable  que  M.  Dupuy  lui-même  nous  assure 
qu'ils  tendirent  en  noir  la  cathédrale  «  à  leurs  frais  »,  et  pré- 
parèrent tout  pour  faire  au  Prélat  des  funérailles  conve- 
nables \ 

Rendons  ici  hommage,  en  passant,  à  la  fidélité  de  la  pieuse 
annaliste.  Elle  peut  bien  s'être  trompée  sur  quelques  petits 
détails  ;  mais  en  général  avec  quel  soin  pieux  et  quel  amour 
n'a-t-elle  pas  enregistré  tous  les  faits  relatifs  à  la  vie,  aux 
vertus  et  aux  œuvres  de  l'illustre  fondateur  de  l'Hôpital- 
Général!  Grâce  à  ses  notes  précieuses,  sa  compagne  de  nos 
jours  a  élevé  à  la  mémoire  du  deuxième  évêque  de  Québec 
un  monument  impérissable,  un  livre  extrêmement  bien  fait, 
qui  fait  honneur  à  son  auteur,  ainsi  qu'à  la  communauté 
dont  elle  faisait  partie,  et  qui  sera  toujours  indispensable 
à  ceux  qui  voudront  écrire  quelque  chose  sur  la  vie  et  les 
œuvres  de  ^P""  de  Saint-\"allier. 

Nous  n'entreprendrons  point  d'expliquer,  encore  moins  de 
justifier  la  conduite  des  différents  personnages  qui  figurent 
aux  obsèques  de  M^'  de  Saint-Vallier,  ce  triste  épisode  de 
l'histoire  de  notre  Eghse  :  il  faudrait  pour  cela  connaître  à 
fond  leurs  idées,  leurs  sentiments,  leur  appréciation  les  uns- 
des  autres  :  il  faudrait  avoir  leur  mentalité.  Chaque  époque 
a  la  sienne  :  sommes-nous  bien  sûrs  que  dans  cent  ans,  ou 
deux  cents  ans.  on  jugera  les  hommes  et  les  choses  de  notre 
temps  de  la  même  manière  que  nous  les  jugeons  aujour- 
d'hui ?    Qu'il  nous  suffise  de  rapporter  les  faits. 

I.   Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  324. 


sous    M^''    DE    SAINT-VALLIER  451 

Une  chose,  cependant,  nous  parait  hors  de  doute  :  c'est 
que  rien,  dans  les  circonstances  déplorables  qui  entourèrent 
les  obsèques  de  M^''  de  Saint-Vallier,  ne  se  rapportait  à  lui 
directement  :  sa  mémoire  était  chérie,  vénérée  de  tout  le 
monde. 

Une  autre  chose  ne  nous  parait  pas  moins  certaine  :  c'est 
que  si  le  Chapitre,  aussitôt  après  la  mort  de  M^  de  Saint- 
Vallier.  eîjt  choisi  pour  vicaire  capitulaire  celui  qui  s'atten- 
dait évidemment  à  l'être,  et  qui  s'imposait  vraiment  à  son 
choix,  son  pro-doyen,  son  archidiacre,  le  président  habituel 
de  ses  assemblées,  l'homme  de  confiance  de  M^""  de  Saint- 
Vallier  et  son  grand-vicaire,  rien  ne  serait  arrivé  de  tous 
les  épisodes  disgracieux  dont  on  fut  témoin.  M.  de  Lotbi- 
nière  avait  tout  ce  qu'il  fallait  pour  remplir  noblement  et 
efficacement  la  position,  et  il  eiit  été  bien  vu  de  tout  le 
monde,  spécialement  de  l'autorité  civile  et  du  Conseil  Supé- 
rieur. De  nos  jours,  dans  des  occasions  de  ce  genre,  on. 
fait  assez  souvent  de  ces  choix  heureux  qui  désarment  tout 
mauvais  vouloir  et  concilient  les  esprits  et  les  opinions;-, 
mais  notre  mentalité  n'est  probablement  pas  celle  d'il  y  a^. 
deux  cents  ans. 

Le  choix  de  M.  Boulard,  comme  vicaire  capitulaire,  qui/^ 
se  fit  dans  la  matinée  même  qui  suivit  la  mort  de  l'évêque,., 
n'était  pas  des  plus  heureux.     M.   Boulard,  alors  curé  de- 
Québec,  membre  du  Séminaire,  et  officiai,  était  sans  doute 
un  parfait  ecclésiastique;  mais  il   n'était  ni  conciliant,   ni 
populaire;  il  manquait  un  peu  de  ce  tact  qui  est  si  utile 
pour  le  maniement  des  hommes.     Quelques  années  aupa- 
ravant, étant  curé  de  Beauport,  il  s'était  aventuré,  avec  son 
voisin  Dufournel,  de  l'Ange-Gardien,  dans  une  question  de 
dîme,  qui  avait  été  portée  au  Conseil  Supérieur,  et  de  là  au 
Conseil  d'Etat  :  tous  deux  avaient  piteusement  échoué  dans 
leur  tentative  de  faire  payer  la  dîme  du  lin,  du  chanvre. 


452  l'éguse  du  canada 

des  animaux,  des  jardinages  \  On  ne  gagne  rien  à  se 
risquer  dans  de  pareilles  aventures,  que  le  succès  seul  peut 
faire  pardonner.  Il  est  certain  qu'au  Conseil  Supérieur, 
en  particulier,  la  nomination  de  M.  Boulard  comme  vicaire 
capitulaire  devait  être  très  mal  vue. 

L'assemblée  du  26  décembre  où  ce  choix  s'était  fait  avait 
été  tenue  si  précipitamment,  si  à  la  hâte,  si  à  l'étourdie, 
que  rien  n'avait  été  écrit,  ni  signé.  Rien  n'était  donc  défi- 
nitif ;  tout  était  à  recommencer,  et  tout  fut  repris  en  effet 
dans  une  autre  assemblée  du  Chapitre  qui  se  tint  le  mer- 
credi 31  décembre,  cette  fois  encore,  comme  la  première, 
sous  la  présidence  de  M.  de  Lotbinière.  Les  autres 
chanoines  présents  étaient  le  grand  pénitencier  Thierry 
Hageur  -,  et  MM.  Hamel,  Plante,  Maufils,  Fornel,  Gode- 
f roy  de  Tonnancour  et  Leclair  :  ils  confirmèrent  la  nomi- 
nation de  M.  Boulard  comme  vicaire  capitulaire. 

M.  de  Lotbinière  n'avait  pas  manqué  de  constater,  dès  la 
première  assemblée,  que  non  seulement  il  ne  serait  pas 
nommé  vicaire  capitulaire,  mais  qu'on  allait  même  lui  con- 
tester le  droit,  qu'il  prétendait  avoir,  en  sa  qualité  d'archi- 
diacre, de  présider  aux  offices  solennels  de  la  cathédrale, 
et  tout  particulièremnt  aux  obsèques  de  l'Evêque.  Il  en 
conféra  avec  l'intendant  Dupuy,  et  tous  deux  furent  d'avis 
qu'il  fallait  faire  décider  par  le  Conseil  Supérieur  la  ques- 
tion de  savoir  qui  avait  droit  de  présider  aux  funérailles 
de  l'Evêque,  l'archidiacre,  qui  en  était  d'ailleurs  prié  par 
l'exécuteur-testamentaire,  ou  le  Chapitre,  qui  voulait  faire 
faire  la  sépulture  par  son  vicaire  capitulaire.  Mais  le  Con- 
seil est  en  vacances,  et  ne  peut  être  convoqué  que  pour 
le  lendemain  des  Rois  ;  et  les  funérailles  sont  annoncées 
pour  le  3  janvier.     Dupuy  se  fait  présenter  par  M.  de  Lot- 


1.  Voir  mon  mémoire  Un  épisode  de  l'histoire  de  la  dîme  au  Canada, 
Ottawa,  1903. 

2.  Frère  du  procureur  du  Chapitre  à  l'abbaye  de  Maubec. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIER  453 

binière  une  requête  le  priant  de  régler  «  provisoirement  »•  la 
question;  et  il  assigne  les  parties  à  comparaître  devant  lui 
le  2  janvier,  vendredi  midi,  veille  des  obsèques. 

Remarquons  que  jusqu'ici  il  n'est  pas  encore  question,  du 
moins  en  apparence,  de  contester  la  validité  de  l'élection  de 
M.  Boulard,  ni  sa  juridiction  :  il  est  possible  que  si  l'on 
eût  laissé  M.  de  Lotbinière  présider  aux  funérailles  de  M^ 
de  Saint- Vallier,  suivant  son  désir  et  celui  de  l'intendant, 
exécuteur-testamentaire,  si  on  l'avait  invité,  surtout, — ne 
le  ferait-on  pas  de  nos  jours  ? — tout  se  serait  passé  convena- 
blement, et  l'on  n'aurait  eu  rien  de  fcâcheux  à  déplorer.  L'on 
verra,  du  reste,  que  c'est  le  jugement  que  l'on  porta  plus  tard 
à  la  cour  \ 

Cependant,  tout  va  pour  le  mieux  à  l'Hôpital-Général. 
Les  révérends  Pères  récollets  se  sont  chargés  de  veiller,  la 
nuit,  en  prière,  auprès  du  corps  du  vénéré  Prélat.  De  son 
côté,  l'intendant  Dupuy,  en  sa  qualité  d'exécuteur-testamen- 
taire, fait  de  grands  préparatifs:  l'église  de  l'Hôpital-Géné- 
ral revêt  une  magnifique  ornementation  funèbre  ;  un  im- 
mense catafalque  s'élève  jusqu'à  la  voijte,  prêt  à  recevoir 
quinze  cents  cierges;  l'intérieur  de  l'église,  toute  tendue  de 
noir  et  de  blanc,  est  armorié  aux  armes  de  M^  de  Saint- 
Vallier,  ainsi  que  le  char  funèbre,  surmonté  d'un  dais,  qui 
doit  le  conduire  aux  différentes  églises  de  la  ville. 

Voici  l'ordre  des  funérailles,  tel  que  réglé  par  l'intendant 
Dupuy  avec  M.  de  Lotbinière  :  l'Evêque  sera  reçu  aux  portes 
de  la  ville  par  le  clergé,  «  dans  la  journée  de  samedi  le  3 
janvier,  et  conduit  successivement  dans  les  différentes 
églises,  puis  à  la  cathédrale,  où  on  le  déposera  le  soir,  et  où 
aura  lieu  le  lendemain  dimanche,  quatre  janvier,  le  service 
solennel  ;  puis  de  là  il  sera  rapporté  en  l'église  paroissiale  de 


I.   Lettre  du  ministre  Secrétaire  d'Etat  à  M.  de  Beauharnais,  3  juin 
1728,  citée  par  Langevin,  p.  213. 


454  L  église:  du  canada 

l'Hôpital-Général  »  pour  l'inhumation.  Au  témoignage  de 
l'intendant  Dupuy,  toutes  les  églises  avaient  été  parées  et 
tendues  de  noir  «  à  leurs  frais,  et  non  aux  frais  des  héri- 
tiers »  ^  :  ce  qui  fait  voir  la  bonne  volonté  avec  laquelle  on  se 
portait  partout  à  rendre  à  la  dépouille  mortelle  du  pieux 
Prélat  l'hommage  de  respect  et  de  reconnaissance  qui  lui 
était  dû. 

Entre  le  décès  de  M^""  de  Saint-Vallier  et  sa  sépulture,  il  y 
eut  donc  un  dimanche,  le  28  décembre,  et  une  fête  d'obli- 
gation, le  premier  janvier.  Quel  intérêt  n'y  aurait-il  pas 
aujourd'hui  à  lire  les  quelques  paroles  d'éloges  qui  durent 
être  prononcées  dans  les  différentes  églises  de  la  ville  et  des 
environs,  à  l'occasion  de  la  mort  du  vénéré  Prélat  !  Malheu- 
reusement les  livres  de  prônes  du  temps  n'ont  pas  été  conser- 
vés. On  était  bien  formaliste  à  cette  époque  pour  une  foule 
de  choses  :  on  ne  l'était  pas  assez  pour  d'autres,  à  notre  gré. 

Les  obsèques  solennelles  de  M^""  de  Saint-Vallier  devant 
commencer  le  samedi  3  janvier,  pour  se  terminer  le  lende- 
main, M.  de  Lotbinière.  qui  tenait  à  y  présider  en  sa  qualité 
d'archidiacre,  avait  hâte  de  rencontrer  les  chanoines  à  ce 
sujet;  et  l'intendant  les  avait  tous  assignés  à  comparaître 
devant  lui  vendredi  midi.  Il  allait  donc  partir  pour  se  trouver 
au  rendez-vous  à  l'heure  fixée,  lorsqu'il  reçoit  la  visite  de 
l'huissier  Dubreuil,  qui  vient  lui  apporter  un  écrit  de  la  part 
des  chanoines  :  «  Ils  ne  reconnaissent  en  Canada  aucun  juge 
capable  de  juger  les  motifs  de  leurs  différends  avec  le  sieur 
de  Lotbinière,  archidiacre,  pas  même  le  Conseil  Supérieur 
de  Québec,  et  prétendent  n'être  jugés  que  par  le  Roi.  Ils  en 
appellent  à  Sa  Majesté  et  à  son  Conseil  d'Etat  de  l'ordon- 
nance de  l'Intendant  comme  de  juge  incompétent,  et  décla- 
rent qu'ils  ne  comparaîtront  point  à  l'assignation  -.  » 

La  guerre  est  déclarée  :  jusqu'ici,  il  n'y  avait  qu'une  ques- 

1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  324. 

2.  Ibid.,  p.  323. 


sous    M*''^    DE    SAINT-VALLIER  455 

tion  en  jeu.  savoir  si  c'était  l'archidiacre,  ou  le  Chapitre  par 
son  vicaire  capitulaire.  qui  avait  droit  de  présider  aux  funé- 
railles de  M*^""  de  Saint- Vallier.  L'archidiacre,  à  qui  l'on  con- 
testait ce  droit,  voulait  faire  décider  la  chose  par  l'intendant, 
d'abord,  puis  par  le  Conseil  Supérieur.  Mais  le  Chapitre 
récuse  l'autorité  de  l'intendant  et  du  Conseil  en  pareille 
matière. 

Le  Conseil  s'assemble  le  5  janvier,  et  relève  le  gant.  C'est 
lui,  maintenant,  qui  attaque;  il  prétend  que  le  Chapitre  et 
son  vicaire  capitulaire  n'ont  aucune  juridiction  pour  gou- 
verner le  diocèse.  Le  représentant  de  l'autorité  religieuse 
en  Canada,  c'est  le  grand  vicaire  de  jVP''  de  Saint- Vallier, 
c'est  M.  de  Lotbinière,  l'archidiacre.  Il  y  a  en  France  un 
coadjuteur  de  l'Evêque  cuni  futiirâ  succcssione ;  ce  coadju- 
teur  est  vivant  ;  il  vivait,  du  moins,  aux  dernières  nouvelles  ; 
il  a  succédé  par  conséquent  à  M^'  de  Saint- Vallier,  il  est 
évêque  de  Québec.  Le  siège  épiscopal  n'est  pas  vacant  ;  c'est 
M^  Duplessis-Mornay  qui  gouverne  maintenant  l'Eglise  du 
Canada  par  son  grand  vicaire  M.  de  Lotbinière,  en  atten- 
dant qu'il  puisse  venir  prendre  possession  de  son  siège.  Le 
vicaire  capitulaire  n'est  rien  :  il  lui  est  défendu  de  faire 
aucun  acte  d'autorité.  Voilà  ce  que  décide  Dupuy  avec  le 
Conseil  Supérieur  dans  la  séance  du  5  janvier  1728  \ 

Mais  déjà  M^'  de  Saint- Vallier  a  pris  possession  de  sa 
dernière  demeure;  sa  sépulture  est  faite,  et  c'est  l'archi- 
diacre M.  de  Lotbinière  qui  y  a  présidé,  suivant  son  désir  et 
celui  de  l'exécuteur-testamentaire.  Hâtons-nous  de  raconter 
les  circonstances  de  cet  événement. 

A  peine  M.  de  Lotbinière  a-t-il  remis  à  M.  Dupuy, 
vendredi  midi,  2  janvier,  le  papier  que  lui  a  apporté  l'huis- 
sier Dubreuil,  l'écrit  des  chanoines  récusant  son  autorité  et 


I.    Mss.  de  Jacques  Viger,  copie  de  l'arrêt  du  Conseil  Supérieur  du 
S  janvier  1728. 


45^  l'église  du  canada 

celle  du  Conseil,  que  l'intendant  entre  en  fureur,  à  la  vue 
«  d'une  prétention  aussi  monstrueuse  ».  La  fureur  trouble 
évidemment  son  esprit,  et  son  imagination  est  hantée  de 
mille  pensées  bizarres.  Il  se  figure  que  les  chanoines  mé- 
ditent «  de  noirs  desseins  »,  et  il  se  laisse  circonvenir  par 
toute  espèce  de  bruits  qui  lui  arrivent  de  tous  côtés  : 

«  Des  avis  nous  revenaient  de  toutes  parts,  dit-il,  de  la 
résolution  prise  par  le  Chapitre  de  Québec  de  retenir  in- 
duement  le  corps  de  mon  dit  feu  sieur  évêque,  sa  crosse,  sa 
mitre  et  ses  autres  ornements  pontificaux,  contre  la  teneur 
précise  de  son  testament,  dont  l'exécution  nous  a  été  confiée, 
par  lequel.  .  .  il  a  désigné  et  choisi  sa  sépulture  en  l'église  de 
Notre-Dame-des-Anges,.  .  .  Les  chanoines,  chapitre  et  curé 
de  Québec  n'ont  aucun  droit,  ajoute-t-il,  de  venir  lever  le 
corps  de  mon  dit  feu  sieur  évêque  \  .  .  » 

Il  entretient  son  esprit  toute  l'après-midi  de  cette  chimère, 
que  les  chanoines  veulent  profiter  de  la  présence  des  restes 
mortels  de  l'Evêque,  le  lendemain  soir,  dans  la  cathédrale, 
pour  les  y  inhumer.  A  la  brunante,  il  n'y  peut  tenir;  et 
plein  de  l'idée  que  les  chanoines  méditent  ce  «  noir  com- 
plot »,  il  court  à  l'Hôpital-Général  rejoindre  M.  de  Lotbi- 
nière,  fait  venir  la  supérieure  et  leur  fait  part  à  tous  deux  de 
ses  craintes  : 

«  M^""  de  Saint- Vallier,  dit-il,  veut  être  inhumé  en  sa  cha- 
pelle sépulcrale,  bâtie,  creusée  et  préparée  »  par  ses  soins. 
Quel  «  désordre  »,  quel  «  scandale  public  »,  si  les  chanoines 
mettent  à  exécution  leurs  «  desseins  illégitimes  »  de  l'inhu- 
mer dans  leur  cathédrale  !  «  Comme  exécuteur-testamen- 
taire, ajoute-t-il,  c'est  moi  seul  qui  serai  responsable  de  ce 
désordre,  si  je  ne  fais  tout  pour  le  prévenir  ^.  » 

Et  il  déclare  sa  résolution  bien  arrêtée  de  procéder  immé- 


1.  Edits  et  Ordonnances^  t.  II,  p.  324. 

2.  Ibid. 


sous    M^    DE    SAINT-VALUER  457 

diatement  à  l'inhumation,  avec  le  concours  de  M.  de  Lotbi- 
nière. 

Il  a  amené  avec  lui  comme  témoins  M.  André  de  Leigne, 
lieutenant-général  civil  et  criminel  de  la  prévôté,  M.  Hiché, 
procureur  du  Roi,  et  M.  de  \^itré,  son  subdélégué.  Il  en- 
joint alors  à  la  mère  Geneviève  Duchesnay  ^  de  Saint- Au- 
gustin, supérieure  de  l'Hôpital,  de  faire  fermer  les  portes  des- 
vestibules des  salles;  puis  il  donne  ordre,  de  la  part  du  Roi, 
à  toutes  les  personnes  qui  sont  dans  la  maison  de  se  rendre 
dans  le  vestibule  de  l'église,  pour  entendre  ce  qu'il  a  à  leur 
intimer.  Tout  le  monde  obéit.  On  est  à  la  tombée  de  la  nuit  : 

«  Je  suis  venu  faire  sans  le  moindre  délai,  dit  l'intendant, 
l'enterrement  de  monseigneur,  parce  que  MM.  les  chanoines 
sont  déterminés  à  l'inhumer  dans  la  cathédrale.  Je  le  fais, 
pour  conserver  à  la  communauté  de  l'Hôpital-Général  ses 
restes  précieux.  » 

«  Parmi  les  personnes  présentes,  écrit  l'annaliste,  se  trou- 
vait M.  Leclair,  curé  de  Saint- Vallier  ^,  et  chanoine.  Il 
.voulut  faire  quelque  observation  ;  l'intendant  n'en  tint 
aucun  compte.  M.  de  Lotbinière,  le  P.  de  la  Chasse,  jésuite, 
le  P.  Antoine  de  Lino  et  le  Frère  Thomas  Bertrand,  récoî- 
lets,  prêtre  et  diacre,  se  revêtirent  de  leurs  surplis  ;  M. 
Leclair  se  vit  obligé  d'en  faire  autant.  Ils  se  rendirent  dans 
la  chapelle  ardente,  et,  après  les  prières  prescrites,  ils  prirent 
le  corps  de  monseigneur,  qu'ils  renfermèrent  dans  deux 
cercueils,  l'un  de  plomb,  l'autre  de  chêne,  et  le  portèrent  à 
l'église.  M.  Dupuy,  les  personnes  venues  avec  lui,  et  nos 
pauvres,  portant  des  cierges,  formaient  le  cortège  funèbre. 

«  Ce  fut  M.  Dupuy  qui  entonna  le  Libéra,  et  les  hommes 
de  sa  suite  déposèrent  le  cercueil  dans  le  tombeau  préparé  au 
pied  de  l'autel  du  Sacré-Cœur  de  Marie.     La  communauté 

1.  Fille  d'Ignace  Juchereau  du  Chesnay,  seigneur  de  Beauport,  et 
arrière-petite-fille  de  Robert  Giffard. 

2.  11  était  Français,  et  mourut  curé  de  Saint- Vallier  le  26  nov.  1761.. 


45 8  i,'^:guse  du  canada 

se  tenait  au  choeur  ;  toutes  étaient  inconsolables  de  voir  leur 
fondateur  et  leur  père  privé,  des  honneurs  d'une  sépulture 
convenable. 

«  Cependant,  continue  l'annaliste,  on  se  disposait  dans  les 
églises  de  Québec  à  rendre  au  pasteur  décédé  les  devoirs  dus 
à  son  caractère,  et  les  chanoines  avaient  fait  préparer  une 
pompe  funèbre  à  la  cathédrale,  d'oii,  après  le  service,  ils 
devaient  transporter  solennellement  le  corps  à  Notre-Damc- 
des-Anges  pour  l'inhumation.  Ces  messieurs  apprirent  dès 
le  soir  même  du  2  janvier  que  l'inhumation  était  déjà  faite. 
Ils  s'en  émurent,  une  partie  de  la  population  s'en  émut  aussi, 
et  quelques  individus  sonnèrent  le  tocsin,  et  publièrent  que  le 
feu  était  à  l' Hôpital-Général.  Les  grands  vicaires  ^  se  ren- 
dirent ici  ;  ils  interdirent  l'église,  suspendirent  la  supérieure 
de  sa  charge,  et  nommèrent  une  autre  religieuse  pour  la 
représenter.  » 

Mais  laissons  l'intendant  Dupuy  raconter  cela  à  sa  ma- 
nière, au  cours  d'une  ordonnance  qu'il  rendit  contre  les 
chanoines,  le  dimanche  4  janvier,  pour  les  obliger  à  «  venir 
rendre  compte  de  leur  conduite  »,  le  lendemain,  au  Conseil 
Supérieur  : 

<*  Les  chanoines  de  l'église  de  Québec,  dit-il,  ne  furent  pas 
longtemps  sans  dévoiler  leurs  mauvais  desseins,  puisque, 
s'étant  imaginé  qu'on  avait  caché,  et  non  inhumé,  le  corps 
de  mon  dit  sieur  Evêque,  ils  vinrent  à  l'Hôpital-Général, 
après  avoir  fait  sonner  le  tocsin  à  leur  église,  sous  prétexte 
du  feu  qui  était  au  dit  Hôpital,  ce  qui  était  très  faux,  comme 
le  peuple  l'a  pu  voir.  .  .  Ils  vinrent  tumultueusement  et  sédi- 
tieusement  à  la  tête  du  peuple,  qui  les  suivait  en  foule,  et  par 
troupes.     Ils  se  jetèrent  d'abord  confusément  dans  l'église 


I.  Il  n'y  avait  qu'un  vicaire  capitulaire,  M.  Boulard;  mais  le  Chapitre 
avait  aussi  donné  le  titre  et  les  pouvoirs  de  grands  vicaires  à  MM. 
Plante  et  Hamel,  à  Québec,  de  Belmont,  de  la  Goudalie  et  Courtois,  a 
Montréal. 


sous    M*""    DE    SAINT-VALLIER  459 

avec  le  peuple,  et  la  touvèrent  tendue  de  noir  jusqu'à  la 
voûte,  le  catafalque  dressé  tel  qu'il  devait  servir  à  la  céré- 
monie, la  tombe  fermée  de  sa  pierre,  la  chapelle  sépulcrale 
toute  ouverte,  l'autel  en  étant  paré  et  couvert  de  six  cierges, 
avec  du  monde  qui  y  priait.  Puis,  passant  dans  les  lieux 
réguliers,  pour  continuer  leurs  perquisitions,  et  dans  l'en- 
droit où  l'on  avait  fait  la  chapelle  ardente,  ils  revinrent  à 
l'église  pour  en  enlever  le  très  saint  Sacrement,  et  la  trou- 
vant fermée  ils  sortirent  en  jetant  un  papier  dans  l'assemblée, 
avec  l'expression  faite  de  bouche  par  un  des  dits  chanoines, 
qu'ils  déposaient  la  supérieure  de  la  communauté  et  interdi- 
saient l'église,  avec  défense  à  divinis  \  .  .  » 

Dans  le  «  manifeste  »  qu'il  fit  lire  au  prône  de  la  cathé- 
drale le  jour  des  Rois,  M.  Boulard  donnait  une  toute  autre 
couleur  aux  incidents  de  sa  visite  à  l'Hôpital-Général  le  soir 
de  la  sépulture  de  M^""  de  Saint- Vallier  : 

«  Nous  nous  y  portâmes,  dit-il,  avec  quelques  chanoines  et 
prêtres,  avec  toute  la  simplicité,  modestie,  douceur,  conve- 
nables à  notre  état.  Ce  fut  une  surprise  pour  nous,  quand 
nous  étant  présentés  ponr  entrer  dans  l'église,  nous  la  trou- 
vâmes entrouverte,  et  qu'on  nous  dit  qu'il  était  défendu  d'y 
laisser  entrer  personne.  Nous  y  entrâmes,  néanmoins,  après 
quelque  résistance.  Notre  prière  faite,  étant  allés  dans  la 
salle  oii  le  corps  de  feu  mon  dit  Seigneur  avait  été  jus- 
qu'alors exposé,  nous  ne  trouvâmes  plus  rien,  et  nous  nous 
informâmes  de  ce  qu'on  en  avait  fait:  on  répondit  qu'il 
venait  d'être  inhumé.  Nous  fûmes  dans  le  corps  de  la 
maison  pour  nous  en  informer  plus  à  fond  :  la  supérieure  et 
l'assistante  refusèrent  d'y  venir,  sur  notre  commandement 
réitéré  plusieurs  fois  ;  ce  qui  nous  obligea  de  procéder  contre 
cette  désobéissance  et  l'attentat  qu'on  avait  commis  contre 
le  mérite  et  la  dignité  de  ce  vertueux  et  illustre  Prélat. 

I.  Ed.  et  Ord.,  t.  II,  p.  326. 


460  l'église  du  canada 

«  Après  avoir  été  instruit  suffisamment  de  la  manière 
dont  la  chose  s'était  passée,  considérant  de  plus  que  c'était 
une  injustice  et  un  affront  au  Chapitre  qui  se  tenait  prêt  pour 
aller  lever  solenellement  ce  vénérable  dépôt,  et  lui  faire  des 
obsèques  avec  la  décence  et  la  forme  convenables,  et  le  repor- 
ter ensuite  avec  la  même  pompe  à  l' Hôpital-Général:  sur  ce 
scandale  arrivé,  nous  jugeâmes  à  propos  d'interdire  pour  un 
temps  l'église  et  la  supérieure  ^. 

«  Ensuite  étant  retournés  pour  entrer  dans  l'église,  nous 
en  trouvâmes  les  portes  fermées  et  gardées  par  des  gens 
armés  de  gros  bâtons  que  nous  y  laissâmes;  après  avoir 
demandé  avec  toute  douceur  l'entrée  de  la  dite  église,  ce  qui 
nous  fut  refusé,  parce  que,  disaient  ces  gardes,  il  y  avait 
défense  de  la  part  du  Roi  d'y  entrer,  nous  nous  retirâmes  et 
achevâmes  notre  procès-verbal,  et  après  l'avoir  lu,  nous  le 
présentâmes  devant  une  compagnie  nombreuse  et  très  hono- 
rable.    Nous  laissâmes  l'écrit,  en  déclarant  ce  qu'il  portait. 

«  Nous  ne  voulons  rien  dire  de  quelques  autres  indignités 
dont  on  usa  envers  nous,  au  mépris  de  notre  caractère  ;  mais 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  nous  inscrire  en  faux 
contre  tout  ce  qu'on  avance  qui  n'est  pas  conforme  au  pré- 
sent écrit,  et  déclarer  nul  et  sans  effet  tout  ce  qu'on  oserait 
faire  et  entreprendre  contre  notre  autorité. 

«  Ordonnons  que  cette  présente  déclaration  sera  lue  et 
publiée  dans  la  chaire  de  l'église  cathédrale  et  dans  les 
paroisses  du  diocèse.  « 

Dans  le  manifeste  dont  nous  venons  de  citer  la  plus 
grande  partie,  M.  Boulard  se  déclare  «  Vicaire  Général  élu 
canoniquement  et  tout  d'une  voix  par  le  Chapitre,  pendant 
la  vacance  du  siège,  et  reconnu  publiquement  et  sans  aucun 


I.  Geneviève  Duchesnay  de  Saint -Augustin,  fille  du  seigneur  de 
Beauport,  avait  été  longtemps  la  paroissienne  de  M.  Boulard.  Née  en 
1683,  ce  n'est  pas  lui  qui  l'avait  baptisée,  mais  c'est  probablemeHt  lui  qui 
lui  avait  fait  faire  sa  première  communion. 


sous    M"    DE    SAINT-VALIvIER  401 

contredit  pour  tel  >^  *.  L'autoritc  religieuse  s'est  affirmée 
nettement  et  noblement  ;  elle  est  établie  et  reconnue  ;  elle  a 
pris  possession.  Le  siège  épiscopal  est  déclaré  vacant  :  il  ne 
l'est  pas  en  réalité,  puisque  là-bas.  de  l'autre  côté  des  mers, 
le  coadjuteur  cum  futiirâ  succession^'  est  devenu,  même  sans 
le  savoir,  évêque  de  Québec,  par  le  décès  de  M^""  de  Saint- 
Vallier;  mais  il  y  a  «  quasi  vacance»,  parce  que  personne, 
pour  le  moment,  ne  peut  savoir  d'une  manière  certaine  si  le 
coadjuteur  vit,  ou  non.  Le  Chapitre  est  devenu,  de  droit, 
dépositaire  de  la  juridiction  épiscopale  ;  il  a  usé  de  son  droit 
en  nommant  un  vicaire  capitulaire,  et  celui-ci  entend  bien 
faire  reconnaître  son  autorité. 

Déjà  il  l'a  exercée  d'une  manière  très  sévère  à  l' Hôpital- 
Général,  en  interdisant  l'église  et  la  supérieure.  L'interdit  de 
l'église  ne  sera  levé  qu'à  la  fin  de  janvier;  la  supérieure  ne 
sera  réintégrée  dans  ses  fonctions  que  dans  le  cours  de 
l'automne. 

Aussitôt  que  l'église  de  l' Hôpital-Général  fut  réouverte 
au  culte  les  religieuses  s'empressèrent  d'y  faire  célébrer  un 
service  solennel  pour  le  repos  de  l'âme  de  leur  pieux  fonda- 
teur, et  ce  fut  le  supérieur  des  Jésuites,  le  P.  de  la  Chasse, 
qui  prononça  l'oraison  funèbre.  Au  service  qui  fut  chanté 
à  la  cathédrale,  l'oraison  funèbre  fut  prononcée  par  le  cha- 
noine Fornel. 

Le  vicaire  capitulaire,  M.  Boulard,  a  posé  et  affirmé  son 
autorité  :  elle  est  établie  et  reconnue.  L'est-elle  «  sans  aucun 
contredit»,  comme  il  le  prétend?  Evidemment  non,  puis- 
qu'elle est  contestée  avec  acharnement  par  le  Conseil  Supé- 
rieur, qui  lui  fait  la  guerre  pendant  des  semaines,  et  rend 
contre  le  Chapitre  arrêts  sur  arrêts.  Les  esprits  sont  par- 
tagés, à  Québec  :  les  uns  sont  pour  M.  Boulard  ;  d'autres 
pour  M.  de  Lotbinière  ;  et  la  division  règne  même  dans  les 

I.    M  and.  des  Ev.  de  Québec,  t.  I,  p.  522. 


4^2  l'église  du  canada 

œmmunautés  religieuses.  La  situation  de  l'Eglise  de  Qué- 
bec est  triste  et  désolée.  Qu'on  en  juge  par  une  lettre  qu'écri- 
vait l'année  suivante  la  Sœur  Duplessis,  de  l'Hôtel-Dieu  : 

« 

«  Nous  avons  vu,  dit-elle,  une  guerre  ouverte  entre  le 
Chapitre  et  le  Conseil.  Il  y  eut  plusieurs  arrêts  rendus,  des 
conseillers  exilés  par  notre  gouverneur  \  qui  ont  été  rétablis 
cette  année  par  ordre  de  la  cour. 

«  Les  chanoines,  se  croyant  maîtres  absolus,  firent  tant  de 
changements,  surtout  dans  les  communautés  religieuses,  que 
les  Ursulines  eurent  recours  au  Conseil  pour  implorer  la 
protection  du  Roi  contre  les  menaces  qu'on  leur  faisait.  On 
avait  déjà  interdit  leur  confesseur,  et  on  les  avait  traitées 
fort  durement  dans  leurs  propres  chaires,  sur  ce  qu'elles 
avaient  dit  que  leur  communauté  avait  toujours  été  plus 
paisible  quand  elles  avaient  eu  des  confesseurs  jésuites  que 
lorsqu'elles  avaient  eu  des  prêtres  (séculiers). 

«  Cette  parole  a  tellement  choqué  ces  messieurs  (les  cha- 
noines), qu'ils  ont  cru  le  clergé  flétri  et  déshonoré.  Ils 
ont  exercé  contre  ces  bonnes  filles  tout  ce  qu'ils  ont  pensé 
qui  pourrait  les  mortifier.  Ils  ont  empêché  les  sept  discrètes 
de  communier  et  de  se  confesser  toute  l'année,  n'ayant  donné 
à  personne  le  droit  de  les  absoudre.  Elles  n'ont  fait  ni 
pâques,  ni  jubilé:  elles  se  sont  vues  à  la  veille  d'être  excom- 
muniées. On  leur  a  fait  deux  monitions;  mais  heureu- 
sement pour  elles  il  vint  en  ce  temps-là  des  nouvelles  de 
France,  par  l'Angleterre,  qui  apprirent  que  la  conduite 
violente  des  chanoines  était  désapprouvée  de  la  cour.  Cela 
les  arrêta  un  peu.  Ils  n'ont  pas  laissé  de  harceler  toujours 
cette   maison,    qui    n'a    été    calmée    qu'à   l'arrivée    de    M^ 


I.  M.  de  Beauharnais,  en  vue  de  mettre  la  paix  au  Conseil,  et  pour 
y  avoir  la  haute  main,  avait  cru  devoir  exiler  à  la  campagne  deux  con- 
seillers :  Guillaume  Gaillard,  et  Louis  Rouer  d'Artigny.  Celui-ci  était 
le  fils  de  l'ancien  conseiller  Rouer  de  Villerav. 


sous    M*^    DE    SAINT-V ALLIER  463- 

l'Evcque  (Dosquet).  .  .  D'autres  communautés  ont  aussi  été 
tourmentées  de  ces  messieurs  \  » 

A  vrai  dire,  il  est  rare  que  dans  ces  temps  de  passions  et 
de  troubles,  tout  le  monde  ne  se  mette  pas  un  peu  dans  le 
tort.  Le  Chapitre  outrepassa  certainement  ses  droits,  en . 
faisant  beaucoup  de  changements  dans  les  cures,  ce  qui  lui 
fut  reproché  par  la  cour  et  par  M^""  Dosquet.  M.  de  Beau- 
harnais  lui-même,  qui  fut  alors  le  sauveur  de  la  situation, 
outrepassa  ses  pouvoirs,  surtout  en  exilant  à  la  campagne 
deux  conseillers,  pour  s'assurer  d'une  majorité  au  Conseil;- 
il  agit  à  ses  risques  et  périls,  et  fut  blâmé  par  la  cour. 
Mais  il  s'en  consola  facilement,  parce  qu'il  était  convaincu 
que  son  intervention  avait  été  bienfaisante  et  approuvée  par 
tous  les  esprits  bien  pensants  de  la  colonie. 

En  effet,  il  y  avait  plus  de  deux  mois  que  le  Conseil' 
Supérieur  de  Québec  ne  s'occupait  guère  que  de  la  question 
religieuse,  c'est-à-dire  de  ce  qui  ne  le  regardait  nullement. 
Il  avait  entrepris  de  détruire  l'autorité  du  vicaire  capitu— 
laire,  au  profit  de  celle  de  l'archidiacre,  M.  de  Lotbinière, . 
et  il  employait  pour  cela  tout  ce  que  la  science  légale  et 
canonique  de  l'intendant  Dupuy  pouvait  lui  fournir  d'ar- 
guments. On  est  vraiment  stupéfié,  en  parc»urant  les  re- 
gistres du  Conseil  Supérieur  de  l'époque,  de  la  somme  de 
travail,  de  recherches  et  d'écritures  que  s'imposa  Dupuy, 
et  qu'il  s'imposa  en  pure  perte.  Ses  dissertations  four- 
millent de  citations  d'auteurs  latins  et  d'ouvrages  cano- 
niques ;  elles  sont  d'une  longueur  désespérante,  et  ne 
couvrent  pas  moins  d'une  centaine  de  pages  des  registres.  On 
ne  peut  les  lire  aujourd'hui  sans  dormir:  quel  supplice  ce 
devait  être  pour  ces  pauvres  conseillers,  dont  la  plupart  ne 
savaient  pas  grand'chose  en  fait  de  droit  canon,  d'entendre 


I.    Lettre  du  25  oct.  1729^  publiée  naguère  par  M.  Verreau  dans  1\. 
Revue  Canadienne. 


464  l'église  du  canada 

ces  élucubrations.  et  de  les  entendre  lire  par  un  homme 
qui  n'en  savait  guère  plus  qu'eux,  le  grand  voyer  Lanouiller 
de  Boisclair,  qui  faisait  les  fonctions  de  procureur  général! 

Si  du  moins  tout  cela  avait  été  inofïensif  !  Mais  à  part  le 
danger  qu'il  y  avait  de  voir  se  former  à  Québec  un  groupe 
de  parlementaires  à  l'image  de  Dupuy,  l'intendant  répandait 
partout  dans  la  colonie  le  venin  de  ses  ordonnances,  de  ses 
dissertations,  de  ses  arrêts  contre  l'autorité  religieuse;  les 
capitaines  de  milices  étaient  chargés  d'en  faire  la  lecture  aux 
portes  des  églises  ;  et  lorsque  le  gouverneur,  comme  chef 
militaire  de  la  colonie,  le  leur  eut  défendu,  l'intendant  obli- 
gea les  maîtres  d'écoles  à  en  faire  la  lecture  à  leur  place  *. 
Comme  nous  l'avons  écrit  quelque  part,  «  c'est  probablement 
le  premier  cas  d'intervention  —  forcée,  il  est  vrai  —  des 
instituteurs  dans  la  politique  ))^. 

L'intendant  et  le  Conseil  allaient  encore  plus  loin,  dans 
leurs  ordonnances:  ils  menaçaient  le  chapitre,  les  curés,  le 
clergé  séculier  et  régulier,  en  général,  de  la  privation  de 
leurs  revenus  et  des  gratifications  royales,  et  faisaient  même 
saisir  les  dîmes,  si  Ton  ne  reconnaissait  pas  l'autorité  de  M. 
de  Lotbinière,  et  si  l'on  continuait  à  s'attacher  à  celle  de  M. 
Boulard. 

Ce  qui  mit  le  comble  à  la  mesure,  et  détermina  M.  de 
Beauharnais  à  intervenir  pour  faire  cesser  un  état  de  choses 
qui  menaçait  de  ruiner  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France,  c'est 
ce  qui  se  passa  dans  la  séance  du  Conseil  du  premier  mars  : 
A  la  surprise  et  au  chagrin  de  plusieurs,  on  produisit  à 
cette  séance  deux  requêtes  adressées  au  Conseil,  l'une  des 
Ursulines,  l'autre  de  l'Hôpital-Général  de  Québec.  La  pre- 
mière était  signée  au  nom  de  toute  la  communauté  par  la 
Sœur    Saint-Jean-1'Evangéliste,    supérieure,    et    six   de    ses 


1.  Ed.  et  Ord.,  t.  II,  p.  336. 

2.  Québec  en  17^0,  p.  46. 


sous    M*'    DS    SAINT-VALLIER  465 

compagnes,  formant  «  le  chapitre  et  conseil  de  là  maison  ». 
Elles  demandaient  qu'il  fût  fait  défense  à  M.  Boulard,  «  se 
disant  Vicaire  Général  du  chapitre  de  Québec,  contre  les 
expresses  défenses  du  Conseil  Suj^érieur,  de  les  troubler  en 
leur  communauté  par  des  lettres,  où  il  leur  déclare  qu'elles 
sont  excommuniées  de  droit,  si  elles  se  confessent  à  d'autres 
qu'à  des  confesseurs  approuvés  de  lui,  qui  a  la  seule  autorité 
légitime  »  Elles  demandaient  aussi  qu'il  lui  fiit  défendu 
«  de  faire  aucun  acte  de  juridiction  en  leur  maison,  ainsf 
qu'il  lui  avait  été  défendu  déjà  par  les  arrêts  du  Conseil 
pour  toutes  les  maisons  et  communautés  régulières  et  sécu- 
lières de  la  Nouvelle-France,  avec  injonction  aux  commu- 
nautés de  se  pour\'oir  au  dit  cas  contre  le  sieur  Boulard  ;  les 
dites  religieuses  Ursulines  n'ayant  qu'à  se  louer  de  la  con- 
duite des  révérends  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  et  de  la 
paix  qui  est  entre  elles  depuis  qu'elles  sont  sous  leur  direc- 
tion et  qu'elles  les  ont  reçus  pour  confesseurs  de  feu  M. 
l'Evêque  de  Québec,  ayant  par  devers  elles  une  expérience, 
qui  n'est  que  trop  triste  et  trop  récente,  de  la  différence  des 
directeurs  qu'on  veut  introduire  de  nouveau  dans  leur  com- 
munauté ». 

La  lettre  de  l'Hôpital-Général,  adressée  au  Conseil,  était 
signée  par  la  mère  Geneviève  Duchesnay  de  Saint- Augustin, 
supérieure,  et  vingt  et  une  autres  religieuses,  fomiant  «  pres- 
que toute  la  communauté,  à  l'exception  de  quatre  seule- 
ment ».  Elles  demandaient  «  à  être  mises  sous  la  protection 
du  Roi  et  de  Justice  ».  Elles  avaient  déjà  «  essuyé,  disaient- 
elles,  de  la  part  du  sieur  Boulard,. . .  deux  interdits  publics 
de  leur  église  paroissiale,  sans  aucune  réserve  et  permission 
des  sacrements  pour  elles  et  pour  leurs  pauvres.  . .  ;  elles 
avaient  éprouvé  la  déposition  de  leur  supérieure,  et  la  nomi- 
nation d'une  autre  par  le  dit  sieur  Boulard:  lesquels  actes 
illégitimes  et  injustes  le  Conseil  a  condamnés  et  déclarés 
nuls  par  ses  arrêts. . .  Elles  n'ont  garde,  ajoutaient-elles,  de 

iO 


466.  l'église  du  canada 

désobéir  au  Conseil  Supérieur,  mais  elles  n'en  sont  pas  plu» 
tranquilles,  le  dit  sieur  Boulard  prétendant  toujours  avoir 
déposé  la  supérieure  de  leur  maison  et  nommé  la  mère 
Saint-Joseph  ^  pour  être  supérieure  en  sa  place,  lui  adressant 
ses  lettres,  et  lui  enjoignant  de  se  confomier,  en  qualité  de 
supérieure,  à  deux  interdits  qu'il  vient  de  donner  de  nou- 
veau, après  de  premiers  interdits  dont  il  s'était  désisté,  contre 
le  R.  P.  de  la  Chasse,  leur  confesseur  à  elles  donné  par  feu 
M.  l'Evêque  de  Québec,  pour  les  diriger,  et  contre  le  R.  P. 
Dupuy  "...  »  Tout  cela,  ajoutaient-elles  encore,  «  ne  tend 
qu'à  mettre  le  trouble  et  la  discorde  dans  notre  maison, 
par  le  concours  monstrueux  de  deux  supérieures.  .  .  »  Elles 
s'en  rapportaient  «  au  Conseil  Supérieur  chargé  par  le 
Roi  de  la  protection  des  commmunautés  de  son  Canada^ 
pour  ordonner  ce  qu'il  trouverait  de  raison  et  de  justice.  .  .  » 

Derrière  ces  communautés,  mettons  bien  des  person- 
nages qui,  évidemment,  les  dirigeaient,  les  soutenaient; 
l'on  ne  peut  admettre  que  l'autorité  du  vicaire  capitulaire 
était  généralement  «  reconnue  et  sans  contredit  »,  comme  il 
l'avait  pensé  et  déclaré  lui-même  dans  son  manifeste. 

Le  Conseil  Supérieur,  dans  sa  séance  du  premier  mars, 
prenait  fait  et  cause  pour  les  deux  communautés.  Il 
accentuait  de  plus  en  plus  ses  menaces  contre  ceux  qui, 
malgré  ses  arrêts  et  ses  défenses,  ne  reconnaissaient  pas  la 
juridiction  de  l'archidiacre,  M.  de  Lotbinière,  et  conti- 
nuaient leur  allégeance  au  vicaire  capitulaire.  Puis  il 
assignait  M.  Boulard,  sous  les  peines  les  plus  graves,  à 
comparaître  à  son  tribunal  dans  sa  prochaine  séance,  le  8 
mars,  pour  rendre  compte  de  sa  conduite,  de  ses  interdits,  de 
ses  mandements,  de  ses  nominations  aux  cures,  le  traitant 
de  «  rebelle  et  désobéissant  aux  ordres  du  Roi  ». 

1.  Angélique  Hayot,  fille  de  Jean  Hayot  et  de  Louise  Pelletier.  Son 
grand'père  Thomas  Hayot  avait  été  fermier  des  Jésuites,  à  Beauport, 

2.  Le  R.  P.  Dupuy,  jésuite,  était  le  fils  de  FIntendant. 


sous    M^""    DE    SAINT-VALLIliR  467 

M.  (le  Beanharnats  jugea  qu'il  était  temps  d'intenenir. 
Il  se  rend  donc  au  Conseil  pour  la  séance  du  8  mars, 
emmenant  avec  lui  son  secrétaire,  M.  d'Ailleboust  des 
Musseaux.  bien  décidé  à  mettre  fin  aux  empiétements 
de  ce  tribunal  dans  les  atifaires  ecclésiastiques.  Malgré 
l'opposition  de  l'intendant,  du  grand  voyer  Lanouiller  de 
Boisclair,  et  de  la  plupart  des  conseillers,  il  réussit  à  faire 
admettre  le  discours  écrit  qu'il  a  préparé  pour  la  circons- 
tance. Mais  il  doit  renoncer  à  le  faire  lire  par  son  secré- 
taire :  celui-ci  est  impitoyablement  chassé  de  la  salle,  comme 
«  étranger  ».  La  lecture  du  discours  du  gouverneur  est 
faite  par  Lanouiller  de  Boisclair.  Nous  donnons  ici  en 
entier  ce  document  important: 

«  Nous  avons  vu,  messieurs,  avec  un  extrême  déplaisir 
ce  qui  s'est  passé  en  cette  colonie  depuis  la  perte  qu'elle  a 
faite  de  M.  l'Evêque  de  Québec.  Nous  avons  été  très 
surpris  d'apprendre  par  des  voies  indirectes  que  le  Conseil 
Supérieur  de  cette  ville  se  fût  attribué  le  droit  de  connaître 
et  décider  souverainement  de  matières  d'autant  plus  déli- 
cates et  dangereuses  qu'elles  intéressent  tout  le  corps  ecclé- 
siastique de  ce  pays,  sans  avoir  su  de  nous,  qui  occupons 
pour  le  Roi  la  première  place  de  cette  compagnie,  quel  est 
notre  sentiment  sur  la  conduite  qu'elle  avait  à  tenir,  et  sur 
les  mesures  qu'il  convenait  prendre  dans  une  affaire  de 
cette  importance. 

«  Le  Conseil  ne  peut  ignorer  les  ordres  de  Sa  Majesté, 
qui  y  ont  été  enregistrés,  par  lesquels  il  lui  est  défendu  de 
faire  aucuns  règlements  généraux  qu'en  présence  du  gou- 
verneur et  de  l'intendant.  Nous  avions  lieu  de  nous  flatter 
que  dans  des  matières  aussi  importantes  et  aussi  extra- 
ordinaires que  le  sont  celles  dont  il  est  question,  il  n'aurait 
pas  pris  des  résolutions  aussi  vives  que  celles  qu'il  a  prises, 
sans  nous  avoir  auparavant  demandé  notre  avis. 

«  Nous  espérions  aussi  que  cette  compagnie,  informée  du 


468  l'église  du  canada 

mauvais  effet  que  ses  arrêts  multipliés  faisaient  dans  tous 
les  esprits,  se  porterait  à  cesser  ses  poursuites,  et  à  attendre 
la  décision  de  Sa  Majesté  sur  des  matières  aussi  douteuses 
et  aussi  contestées,  ainsi  que  le  Conseil  Supérieur  a  fait, 
du  temps  de  nos  prédécesseurs,  dans  des  affaires  moins 
importantes  et  moins  délicates. 

«  Cette  compagnie  si  sage,  si  soumise  aux  ordres  du  Roi, 
voudrait-elle  aujourd'hui  les  ignorer,  pour  nous  ôter  la 
connaissance  du  parti  qu'elle  a  pris  de  continuer  ses  procé- 
dures, et  de  soutenir  un  ouvrage  qu'elle  se  repent  peut- 
être  d'avoir  commencé? 

«  Enfin,  nous  apprenons  que  lundi  dernier,  premier  de  ce 
mois,  elle  a  rendu  un  arrêt  contre  le  sieur  Boulard,  curé 
de  Québec,  que  le  chapitre  de  cette  ville  a  nommé  vicaire 
général  de  ce  diocèse,  et  que  cet  arrêt,  qui  ne  tend  pas 
moins  qu'à  attenter  à  la  personne  du  sieur  Boulard,  jette  un 
trouble  général  dans  la  colonie,  et  y  excite  des  murmures 
dont  nous  ne  sentons  que  trop  les  dangereuses  conséquences. 
Et  comme  il  est  de  notre  devoir  de  prévenir  les  suites  fâ- 
cheuses qui  peuvent  s'en  suivre,  et  d'employer  à  cet  effet 
toute  l'autorité  qu'il  a  plu  à  Sa  Majesté  de  nous  confier, 
pour  arrêter  le  cours  d'une  procédure  si  contraire  au  repos 
public  et  au  bien  de  la  colonie,  nous  défendons  de  la  part  du 
Roi  aux  officiers  du  Conseil  Supérieur  de  Québec,  de  rece- 
voir dès  à  présent  aucune  requête  ou  réquisition,  ni  aucunes 
réponses  de  la  part  des  parties  citées,  et  de  rendre  direc- 
tement ou  indirectement  aucun  arrêt  sur  les  matières  en 
question;  et  nous  suspendons,  de  la  même  autorité,  l'exécu- 
tion de  toutes  ordonnances  ou  arrêts  ci-devant  rendus  sur 
cette  matière,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  plu  à  Sa  Majesté  d'en 
ordonner.  Défendons  pareillement  au  greffier  d'en  écrire  et 
expédier,  et  aux  huissiers,  archers,  ou  autres,  d'en  signifier, 
publier,  ni  afficher  aucuns  de  ceux  qui  ont  été  ci-devant 
rendus  à  ce  sujet,  sous  peine  de  désobéissance. 


sous    M"    DE    SAINT-VALLIER  469 

«  Nous  imposons  silence  sur  toutes  ces  matières  au  sieur 
de  Lanouiller,  conseiller,  faisant  les  fonctions  de  procureur 
général  depuis  le  décès  du  sieur  Collet,  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
plu  à  Sa  Majesté  de  faire  savoir  ses  intentions  sur  le  tout. 

«  Voulons  que  notre  présent  ordre  soit  porté  au  Conseil 
Supérieur  au  premier  jour  d'assemblée,  pour  y  être  lu  par 
un  de  nos  secrétaires,  à  haute  et  intelligible  voix,  et  ensuite 
publié  à  son  de  tambour,  et  affiché  en  tous  lieiLx  où  besoin 
sera,  tant  dans  cette  ville,  qu'en  celles  des  Trois-Rivières  et 
de  ^Montréal,  et  partout  ailleurs  011  nous  le  jugerons  néces- 
saire, à  ce  que  personne  ne  prétende  cause  d'ignorance.  » 

Il  est  facile  de  voir  que  le  gouverneur  n'avait  pas  préparé 
ce  discours  sans  consulter  auparavant  quelques  membres 
importants  du  clergé  canadien.  Au  cours  de  la  discussion 
qui  en  suivit  la  lecture.  Lanouiller  de  Boisclair  ne  craignit 
pas  de  dire  «  qu'il  était  l'ouvrage  des  prêtres  et  des  moines  ». 
Il  le  disait  en  mauvaise  part,  mais  la  chose  était  vraie;  le 
discours  faisait  honneur  non  seulement  à  M.  de  Beauhar- 
nais,  mais  à  ceux  qui  l'avaient  inspiré,  et  spécialement  aux 
révérends  Pères  récollets,  que  Lanouiller  de  Boisclair  avait 
voulu  désigner,  et  contre  lesquels  Dupuy  venait  d'exhaler 
son  mécontentement.     Répondant  à  M.  de  Beauharnais: 

«  Puisque  vous  avez,  lui  dit-il,  une  si  grande  idée  de  votre 
pouvoir,  que  ne  l'exercez-vous  sur  le  clergé  de  cette  colonie? 
que  n'imposez-vous  silence  à  ce  clergé  séditieux  et  indépen- 
dant? que  n'empêchez-vous  le  Conseil  Supérieur  de  devenir 
le  jouet  de  ?a  cabale  et  la  fable  des  Récollets,  qui  ne  montent 
plus  en  chaire  que  pour  insulter  le  Conseil,  y  prêcher  la 
révolte  aux  peuples,  et  se  répandre  en  discours  qui  offensent 
l'autorité  et  la  majesté  du  Roi  ?  » 

Il  est  toujours  alloué  un  certain  temps  au  condamné  pour 
maudire  ses  juges.  Le  Conseil  Supérieur  et  l'intendant 
Dupuy,  après  avoir  entendu  le  discours  de  M.  de  Beauhar- 
nais, passèrent  plusieurs  heures  en  séance  à  le  critiquer,  à 


470  L  EGLISE    DU    CANADA 

l'épiloguer,  à  maugréer  contre  le  gouverneur,  contre  le  cha- 
pitre et  contre  le  clergé  en  général.  Mais  le  coup  décisif 
était  porté.  Le  Conseil  Supérieur  revint  encore,  pour  la 
forme,  dans  deux  ou  trois  séances,  sur  les  sujets  que  le 
gouverneur  lui  avait  défendu  de  traiter  ;  et  de  son  côté 
l'intendant  rendit  encore  une  couple  d'ordonnances;  mais 
personne  n'en  fît  plus  de  cas.  Tout  le  monde  attendit  avec 
patience  les  nouvelles  qui  devaient  venir  de  France  dans  le 
cours  de  l'été  ou  de  l'automne. 

En  lisant  le  compte-rendu  de  la  séance  du  8  mars  dont 
nous  venons  de  parler,  on  est  surpris  de  voir  M.  Boulard, 
le  vicaire  capitulaire,  se  rendre  au  Conseil  Supérieur,  suivant 
l'ordre  qu'il  en  avait  reçu  huit  jours  auparavant,  et  deman- 
der à  y  être  entendu.  Il  est  vrai  qu'il  n'y  venait  pas  pour  faire 
aucune  soumission:  mais  n'aurait-il  pas  été  plus  digne  de  sa 
part  de  rester  chez  lui  ?  Il  remit  au  Conseil  <'  un  écrit  con- 
tenant neuf  pages  »  dans  lequel  il  démontrait  que  le  siège 
épiscopal  était  censé  vacant,  qu'il  avait  été  élu  légitimement 
comme  vicaire  capitulaire,  et  que  les  arrêts  rendus  contre  lui 
étaient  nuls  de  plein  droit.  Il  priait  le  Conseil  «  de  per- 
mettre aux  huissiers  de  faire  des  significations  dont  il  aurait 
besoin  pour  y  assigner  le  sieur  de  Lotbinière  et  les  commu- 
nautés qui  entendaient  le  poursuivre  «  \ 

Tout  cela  prouve  la  haute  idée  que  Ton  avait  à  cette 
époque  de  la  justice  civile,  et  du  Conseil  Supérieur  qui  en 
était  au  Canada  le  haut  dépositaire;  et  cela  explique  aussi, 
sans  le  justifier,  le  recours  que  certaines  communautés  reli- 
gieuses, poussées  à  bout,  sans  doute,  par  les  souftrances 
morales,  et  ne  sachant  que  faire,  dans  les  circonstances 
pénibles  où  elles  se  trouvaient,  avaient  eu  au  Conseil  pour 
demander  protection  contre  certains  procédés  dont  elles  se 
sentaient  lésées. 

I.  Jacques  Viger,  "Ma  Saberdache".  Copies  d'ordonnances  de 
Dupuy  et  d'arrêts  du  Conseil  Supérieur  de  Québec,  1728. 


sous    M'^'"    DE    SAIN'T-VALT.IER  471 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  de  Beauharnais  avait  fait  un  acte 
décisif  et  nécessaire  pour  ramener  la  i)aix  dans  l'Eglise  de 
Québec.  Tout  le  monde  se  sentit  soulage.  Mais  on  le  fut 
encore  bien  plus  lorsqu'on  apprit,  au  commencement  de  sep- 
tembre, que  Dupuy  était  rappelé  en  France  et  relevé  de  ses 
fonctions  ^  :  lorsqu'on  apprit,  surtout,  que  le  Conseil  Supé- 
rieur venait  de  recevoir  une  lettre  du  ministre  secrétaire 
d'Etat,  datée  à  Versailles  le  premier  juin,  qui  lui  enjoignait, 
de  la  part  du  Roi,  «  de  donner  main-levée  des  saisies  et 
amendes  prononcées  par  ses  différents  arrêts,  tant  contre  les 
Dignités,  chanoines  et  chapitre  de  l'église  cathédrale  de 
Québec,  que  contre  le  sieur  Boulard,  vicaire  général,  et 
curé  de  la  paroisse,  et  les  Pères  récollets  de  la  dite  ville  ». 

Le  Conseil  Supérieur  s'exécuta  de  bonne  grâce,  et  dans  sa 
séance  du  17  septembre  rendit  un  arrêt  en  conformité  de  la 
lettre  du  ministre  d'Etat.  M.  Boulard  et  le  Chapitre  durent 
se  déclarer  satisfaits.  Mais  ils  étaient  loin  de  triompher. 
Le  ministre  d'Etat,  qui  avait  envoyé  au  Conseil  Supérieur 
l'ordre  dont  nous  venons  de  parler,  écrivait  en  même  temps 
à  M.  de  Beauharnais  : 

«  Sa  Majesté  a  été  très  surprise  que  le  Chapitre  ait  ignoré 
le  droit  de  l'archidiacre  d'officier  à  l'inhumation  du  corps  et 
aux  grandes  fêtes,  prérogative  à  laquelle  seule  il  s'est  fixé, 
et  dont  le  refus  a  donné  occasion  à  tout  ce  qui  s'est  passé 
dans  la  suite  -.  »• 

Une  autre  chose  empêchait  le  Chapitre  de  triompher: 
l'archidiacre,  M.  de  Lotbinière,  venait  de  recevoir  une  lettre 
de  M^'""  Duplessis-Mornay  lui  confiant  la  charge  honorable 
de  prendre  possession  en  son  nom  du  siège  épiscopal  de 


1.  "Les  termes  dont  M.  Dupuy  s'est  servi  dans  les  ordonnances  qu'il 
a  rendues  sont  si  peu  mesurés,  et  il  parait  tant  de  passion  dans  sa  con- 
duite, que  Sa  Majesté. ..  s'est  déterminée  à  le  révoquer..."  (Lettre  de 
M.  de  Maurepas  à  M.  de  Beauharnais,  3  juin  17J8,  citée  par  Langevin, 

P-  213)  .    . 

2.  Lettre  de  ^L  de  Maurepas  à  M.  de  Beauharnais,  3  jum  1728. 


47^  l'église  du  canada 

Québec.  Cette  lettre  était  datée  du  premier  mai.  M.  de 
Lotbinière  la  reçut  vers  la  fin  d'août,  mais  ne  put  mettre  son 
mandat  à  exécution  que  le  15  septembre,  après  mille  diffi- 
cultés qu'il  rencontra  de  la  part  des  chanoines.  Ceux-ci 
allèrent  jusqu'à  contester  la  validité  de  la  prise  de  possession 
du  siège  épiscopal  par  M.  de  Lotbinière,  et  en  écrivirent  à 
la  cour,  qui  leur  donna  tort.  Ils  écrivirent  également  au 
nouvel  évêque  de  Québec,  M^  de  Mornay,  pour  lui  exposer 
leurs  difficultés,  et  le  Prélat  leur  écrivit  à  son  tour  : 

«  Je  ne  répondrai  pas,  messieurs,  aux  articles  particuliers 
de  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire.  La 
paix  et  la  charité  ne  consistent  pas  dans  les  disputes.  Il  faut 
en  éviter  toutes  les  occasions.  Tenez-vous  en  à  ce  que  M^ 
l'évêque  de  Samos,  mon  coadjuteur,  vous  dira  de  ma  part. 
C'est  lui  seul  qui  est  aujourd'hui  revêtu  de  tous  mes  pou- 
voirs et  en  ce  cas  même  qu'il  vînt  à  mourir  (ce  qu'à  Dieu 
ne  plaise),  je  vous  déclare  que  le  gouvernement  du  diocèse 
sera  entièrement  dévolu  à  celui  ou  à  ceux  qu'il  aura  établi 
grand  vicaire  ou  vicaire  général,  selon  le  pouvoir  que  je  lui 
en  ai  donné,  et  qu'on  ne  pourra  rien  changer  sans  des  ordres 
exprès  et  positifs  de  moi  \  . .  » 

Cette  lettre  annonçait  un  homme  de  nerf,  tel  qu'en  avait 
besoin  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France  dans  les  circonstances 
fâcheuses  où  elle  se  trouvait.  Malheureusement  le  troisième 
évêque  de  Québec  ne  put  jamais  se  résoudre  à  venir  au 
Canada. 

I.   Citée  par  Mgr  Têtu,  dans  Les  Evéques  de  Québecj  p.  166. 


FIN. 


INDEX 


'Abeille  (1'),  45,  146,  169. 

'Abénaquis,  23,  31,  46,  170,  179,  184,  267,  369,  373,  378,  381, 

.  382,  385. 
^Abitation  (Y)  de  Champlain,  54. 
'Académie  française,  27. 

Acadie,  Acadiens,  26,  29-32,  34,  57,  59,  63,  65.  66,  77,  85, 
loi,  150,  155,  167,  170,  177,  179,  180,  182-185,  195,  267, 
359,  366-372,  374,  376,  378,  394,  396,  424. 
Ailleboust  (d'),  M.,  406. 
Ailleboust  des  Musseaux  (d'),  394,  395,  467. 
Akansas  (les),  114,  168,  169,  172,  173. 
Alexandre  VÎI,  78,  269,  299. 
Alexandre  VIII,  65. 
Allart  (le  Père),  récollet,  83. 
Alléganys,  235. 
Allemagne,  4,  239. 
Ambroise  (saint),  12. 
Amérique,  66,  67,    loi,   103,    155,    177,  235,   236,  331,   334, 

365-  378. 

André  (saint),  442. 

Ange-Gardien,  21,  340,  353,  451. 

Angers,  309. 

Angleterre,  Anglais,  32,  57,  66-69,  72,  76,  77,  83,  84,  89.  144, 
152,  I55>  173»  178,  185,  215,  236,  237,  239-242,  245,  246, 
248.  283,  337,  367,  369,  370,  372-374,  379-381,  462. 

Annapolis,  32. 

Annecy,  45,  47,  145- 

Anne  (sainte),  193,  237,  359. 

Anne  d'Autriche,  56. 

Anne  (la  reine).  238,  241,  242. 

Aranthon   (d')  M^,  146. 

Armand  (M.),  388. 


474  INDEX 

Asie,  179.  ,     . 

Avenel  (d').  M.,  327. 

Auclair,  curé,  327. 

Augsbourg,  155. 

Augustin  (saint),  166. 

Augustins  (les  Religieux),  128. 

Aulnais  (Saint-Roch  des),  353. 

Auteuil  (d')  M.,  113,  192,  278,  395. 

B 

Bagot  (le  Père),  43. 

Baie  Saint-Antoine,  354,  358,  359. 

Baie  Saint-Paul,  174,  291,  353,  355,  403. 

Baillargeon  (M^r),  433. 

Bailly  (M.),  117,  I73- 

Batiscan,  24,  26,  114,  115,  137.  194,  262,  353.  354,  394,  430. 

Baudouin  (l'abbé).  182. 

Beaudouin  (D""),  326. 

Bausset,  216,  307. 

Bayeux,  129. 

Beaubois  (le  Père),  jésuite.  440. 

Beaubassin,  33,  34,  182,  368,  372,  378. 

Beaudet   (l'abbé),  54. 

Beauhamais    (le  gouverneur),    113,   2^,   417-419,   445,  446, 

462-464,  467,  469,  471. 
Beauharnais   (l'intendant),  225,  226,  233,  234,  238,  239. 
Beaumont,  86,  87,  261,  353. 

Beauport,  71,  192,  343-347,  353,  -^05,  409,  45 1,  457-  460,  466. 
Beaupré  (la  côte),  20,  21,  309. 
Beauveau  (la  maison  de),  241. 
Beauvilliers  (duc  de),  59. 
Bécancour,  35.  46,  354,  358,  361,  381. 
Bégin  (M^""  l'archevêque),  45. 
Bégon   (l'intendant),  244,  254.  257,  297,  312,  319,  321,  330, 

349,  355.  392,  395,  397,  404,  407,  4o8,  410-412,  416,  435. 
Bellorget  (la),  395. 

Belmont  (M.  de),  28,  152,  182.  183.  272,  458. 
Bénévent    (l'abbave  de),    128,   132,   133,   145,  222,  240,  247, 

280,  281.  283'. 
Bénédictins,  128,  281. 
Bergeron  (le  commis),  337. 
Bergier  (M).  11,  168,  234,  332. 


INDEX  475 

Berlin  (le  Congrès  de),  4. 

Bernières-Louvigny  (M.  de),  99. 

Bernières  (M.  de),  15.  16,  124,  143,  151.  206.  238,  389. 

Berthelot   (M.).  422. 

Berthier.  ou  Bellechasse,  84,  353. 

Berthier.  en  haut,  354.  359. 

Berthier  (le  chirurgien),  443,  447. 

Beurlier    (l'abbé),   299,   365. 

Biard  (le  Père),  31. 

Bienassv  (AI.  de),  295-297. 

Bienville  (M.  de),  234.  384.  385. 

Bignon  (l'abbé),  284. 

Bigot  (le  Père),  369. 

Biloxi.  234.  235.  384. 

Bois   (l'abbé).  56. 

Bonaparte.  107. 

Bonaventure  (M.  de).  68,  396. 

Bonaventure  (le  Père),  récollet,  372-374. 

Bonfils  (M.),  375. 

Bossuet,  84.  146. 

Boston,  65,  69,  369-371.  380. 

Bouchard  (les  îles),  354,  359. 

Boucher,  Pierre,  25.  144,  163,  389. 

Boucher,  Philippe,  144,  206,  256,  310,  316,  340.  389. 

Boucherville,  24,  25,  261.  354. 

Boudon,  167. 

Boulard  (le  curé).  191.  206,  343-345,  420,  451-453-  458-461, 

464-468,  470,  471. 
Boulet.  François,  314. 
Boullenger  (le).  192.  340-342. 
Bouquin  (le  curé),  IT4.  115. 
Bourdon,  Jean,  55,  57. 
Bourges,  128,  132,  280. 
Bourgeois  (la  Sœur),  62,  93,  165. 
Bouteillerie  (M.  de  la),  284. 
Boutteville  (M.),  168,  240,  390. 
Boyne,  76. 

Bréboeuf  (le  Père  de).  379. 
Bréda  (le  traité  de).  32.  178. 
Breslay  (M.  de),  359.  377.  378. 
Brisacier  (M.  de).  80,  81.  107,  114.  145,  254,  332. 
Brouillan  (AI.  de).  184,  368. 
Brunetière.  viii. 


47^  INDEX 

Bruyas  (le  Père),  206. 

Buisson  de  Saint-Côme  (M.),  144,  168,  169,  170,  173,  206, 

Bureau  des  Pauvres,  161,  162. 


Cadix,  215. 

Caen  (l'ermitage  de),  43. 

Calon,  Didier,  192. 

Callières  (M,  de),  26,  108,  114,  117-122,  129,  130,  138,  140, 
153-156,  159,  160,  162,  16s,  216,  228,  234,  235,  272, 
301-305,  338,  406. 

Calvarin  (le  chanoine),  284,  332,  341,  342. 

Camus  (le),  M^,  6. 

Canada,  Canadiens,  2,  3.  10,  11,  13,  18,  26,  37-40,  48,  50-5», 
63,  66-69,  72,  77,  78,  82,  85,  89,  96,  105,  106,  109,  137, 
145,  148,  155,  160,  163,  171,  177,  178,  195,  217,  234, 
236,  243-245,  248,  251,  273.  280,  297,  299,  304,  305, 
307,  322-327,  330,  331,  335,  362,  371,  372,  385,  390-393. 
401,  402,  406,  407,  412,  415,  434,  454,  455,  465,  470,  472, 

Canaughwaga,  35,  226. 

Cap-Breton.  179,  362,  366,  368,  374,  375,  381. 

Cap-de-la-Madeleine,  24,  261,  354. 

Cap-de-Sable,  179, 

Cap-Santé,  2^,  24,  86,  353. 

Cap-Saint-Ignace,  86,  87,  353,  358. 

Capsa  (le  Grand-),  357. 

Capucins,  31,  178.  366,  385,  386. 

Carheil  (de),  le  Père,  227. 

Carignan  (le  régiment  de),  85. 

Caro,  Annibal,  5. 

Casco,  68. 

Casgrain   (l'abbé),  32,  33,  150,  180,   182,  183,   185,  370, 

Catarakouï,  12-14,  85. 

Catéchisme  de  M^  de  Saint-Vallier,  47,  48,  145,  229,  230, 

Catinat,  77. 

Chaboulié,  120. 

Chaigneau   (l'abbé),  152. 

Chaise  (de  la),  le  Père,  17,  53,  80. 

Chaleurs  (Baie  des),  179. 

Chameau   (le),  408,  416. 

Chamballon,  120. 

Chambly,  24,  86,  87,  354,  360. 


INDEX  477 

Champigny   (l'intendant).   13.  57,  90,  93.   108,   112-114,   117, 

120-123.  129.  139.  149,  151-157,  161,  163,  187,  198,  225- 

227,  234.  281. 
Champlain.  27,  54.  406. 
Champlain.  le  lac,  371. 

Champlain.  la  paroisse.  24.  26,  114.  194,  195,  262,  354,  394. 
Chapitre  de  Québec,    10,   17,   18.  80,   124.  280-290,  292-294, 

297,   322.   388,   389.  421,  434.  451,  452,  455,  456,  458, 

460-465.  471. 
Charles  Borromée  (saint),  5,  97,  98,  136,  137,  201,  204. 
Charles  II,  d'Angleterre,  84. 
Chares  II,  d'Espagne.  215. 
Charlesbourg.  353.  356,  405.  411. 

Charlevoix,  58.  92,  109,  iio,  159.  160,  237,  243,  306,  416,  432. 
Charon  (les  Frères).  102,  117,  152.  398. 
Chartres.  14. 

Chasse  (de  la),  le  Père,  434,  438,  443,  444,  457,  461,  466. 
Chateaugiiay,  354,  360. 
Chateau-Richer.  16,  21,  166,  292,  309,  353. 
Chauchetière  (le  Père),  27,  127,  172,  210,  227,  274. 
Chaudière   (la  rivière),  35. 
Chaussegros.  2'j2. 
Chazel   (l'intendant),  408,  416. 
Chédabouctou.  33. 

Chênaie  (Aubert  de  la),  278,  337,  343. 
Chepar  (M.  de),  173. 
Cheron.  le  conseiller,  278. 
Chevalier,   (M.).  431. 
Chevrières  (l'abbé  de).  45. 
Chibouctou.  180,  181. 
Chicago.  168,  172. 
Choiseul,  78. 
Cicéron,  viii. 

Cinq-Cantons  (les),  14,  66,  155,  235. 
Cimetière  (le  premier)  de  Québec,  54. 
Cisterciens,  281. 
Citeaux,  128,  280.  281. 
Clément  X.  17,  286. 

Clément  XI,  214,  220-224,  229,  250,  282,  284.  286,  326,  333. 
Clergé  canadien,  50,  51,  56. 
Clermont,  100. 
Codère  (M.  de),  173. 
Coeur  de  Marie  (le  saint),  72,  433,  457. 


47^  INDEX 

Colbert,  78. 

Collet  (.M.).  351,  352,  356,  357,  360,  469. 

Cologne,  238. 

Colombière   (M.  de  la).  70,  72,  75.   117,   124,   152,   175,   içô-, 

206,  213,  229,  249,  254,  275,  278. 
Colombière   (G.  Seré  de  la),   150,  212,  231,  247,  256,  284. 
Confirmation  (le  Sacrement  de),  21. 
Congés  (les),  392. 
Congrégation  de  N.-D.,  (les  Sœurs  de  la),  26,  28,  58,  62,  117;^ 

152,  165,  166,  167,  208,  244. 
Conseil  d'Etat  (le),  80,  394,  404,  408,  412,  451,  454. 
Conseil  Supérieur  de  Québec,  20,  276-279,  285,  293,  300,  307^ 

312.  314,  336-346,  351,  353,  404,  408,  415,  417,  422,  435, 

436.  451-458,  461-471. 
Constantin,  323. 

Contrecœur,  24,  26,   195,  261,  354,  359. 
Corlar,  68. 

Costebelle  (M.  de),  374. 
Côté,  327. 

Côte-Saint-Ange,  23,  361. 
Coudraie  (de  la).  J.-Bte,  431. 
Couillard,   Guill.,   54. 
Couillard  de  Lépinay.  Louis,  337. 
Courcy   (chevalier  de),  330. 
Cournoyer.  354,  358. 
Courrier  dit  Bourguignon  (l'abbé),  170. 
Courtemanche   (M.  de),  355. 
Courrai  (M.  Poulin  de),  163. 
Crisacy  (M.  de),  270. 
Croix    (vraie),  223. 
Crozat   (la  Compagnie),  385. 
Crucy  (le  Père),  173. 
Cuillerier,  René,  100. 

D 

Dablon  (le  Père),  18. 

Daniel  (le  Père),  379. 

Darmstadt  (le  prince  de),  238,  239. 

Dauphiné,  2,  42. 

Dauric  (M.),  422. 

Dautray,  354.  359. 

Davenne-des-Meloises,   435. 


INDEX  479 

Davion  (M.).  i68.  234. 

DeerfieKl,  236. 

De  Gaspé.  216. 

Denain,  258.  27g. 

Denaut  (M«').  21. 

Denis  (le  Père  Joseph),  34.  64,  117,  118,  120,  206,  270,  340, 

341.  426.  427. 
Denonville  {M.  de),  10-14,  22,,  27,  34,  35,  39,  41,  48,  50,  57,. 

59.  66,  67,  71,  78,  79,  109,  no,  135,  307,  308,  406,  407. 
Deschaillons   (Saint-Jean),  354,  358. 
Deschambault.  23,  24,  261,  353,  357. 
Deschambault  (M.),  180. 
Descormiers  (M.),  261. 
Desenclaves  (M.),  37S. 
Desgouttins.  66. 

Desjordy.  François,  114,  115,  137,  138. 
Détroit. '87,  366,  367,  382,  383. 
Deux-Montagnes  (le  lac  des),  359. 
Didace  (le  frère),  425-427. 
Dieppe,  yy. 
Dièreville  (M.),  181. 
Dionne  (D""),  36,  58,  yy. 
Dollier  de  Casson  (M.),  27,  117,  119,  120,  143,  150,  152,  154, 

183.  233,  423. 
Don  du  Roi  (le),  393. 
Dongé  (le  Père),  234. 
Dorvilliers.  354,  359. 

Dosquet  CM*-''),  259,  260,  266,  286,  362,  365,  422,  436,  463,  472.- 
Doutreleau   (le  Père),  173. 
Douvres  (le  traité  de),  84. 
Du  Bos   (l'abbé),  120,  206. 
Dubois  (le  cardinal),  413. 
Dubreuil,  huissier,  454,  455. 
Duchesneau   (l'intendant),  192,  198. 
Duchesnay.  Geneviève,  457,  460,  465. 
Dudouyt  (M.),  9.  16.  17. 
Dufferin   (la  terrasse),  54. 
Dufournel  (M.),  340,  451. 
Duluth  (M.),  227. 
Duparc  (le  Père),  268,  447. 
Dupes  fia  journée  des),  105,  106,  139. 
Duplessis  (la  Sœur),  401,  462. 
Dupont   (le  conseiller),  125,   126. 


480  INDEX 

Dupré  (le  curé),  151,  206. 

Dupuy,  Paul,  345. 

Dupuy   (l'intendant),  389.  408,  411,  417-422,  439,  443,  447, 

450,  452-458,  463,  464,  469»  471- 
Dupuy  (le  Père),  jésuite,  466. 


Eboulements,355. 

Ecole  des  Arts  et  Métiers,  20,  28. 

Ecureuils  (les),  23. 

Eglise  et  Etat,  50,  131. 

Eglise  (1'),  6,  17,  34,  43,  74,  365. 

Eglise  du  Canada,  1-3,  9-1 1,  16,  25,  32,  37,  38,  42,  43,  47,  54, 
59,  75.  80,  81,  86,  95,  98,  99,  108,  132,  133,  143,  147,  151, 
161,  167,  171,  174,  178,  183,  184,  190,  217,  230-236,  249, 
251,  262,  277,  280,  281,  284.  294,  298.  300,  305,  322,  350, 
366,  367,  374,  387,  412,  415,  455,  462,  464,  471,  472. 

Espagne,  215,  234,  236,  381. 

Estât  présent,  livre  de  Saint-V^allier,  3,  38,  41,  47,  48,  63. 

Estrées   (d').  le  cardinal,   103. 

Etats-Unis,  82. 

Eudes  (le  Père),  72. 

Europe,  93,  155,  197,  199,  208,  215,  231,  236,  254,  331,  425. 

Evreux,  128,  280. 


Faillon  (M.).  62,  75,  117,  166,  195,  210,  246,  259,  398. 

Famille  (la  Sainte),  146,  180. 

Farnham,  238,  243,  283. 

Faye  (M.  de  la),  152,  261. 

Félix  (le  Père),  récollet,  372,  374. 

Fénelon,  214. 

Fénelon   (l'abbé),  87. 

Ferland   (l'abbé),   189,  332. 

Flandre,  16. 

Flèche  (La),  100. 

Fleurus,  yj. 

Fontainebleau,  278. 

Forget-Duverger  (M.),  173. 

Fornel  (le  chanoine),  313,  361,  362,  376,  452,  461. 

Foulques   (M,),  11. 


IN'DËX  481 

Fraize  (M.  de),  241. 

France.  Frarn,-ais.  2.  8-13.  2;^,  30.  42.  47,  49.  51.  56.  57.  65-68, 
73-78.  81.  83.  84,  88,  96,  108-110.  123-134.  137. ''145.  150, 
156.  157.  162.  164.  166.  172,  177.  178.  189,  190.  202, 
209,  215.  225,  231.  234-239.  243-245.  251.  259,  260.  275, 

279.     287-299.     305.     i22.     323.     325.     330.     335.     338.     343, 
362,     367.     370-390.     401,     402,     407.     412.     416.     424.     427, 

434.  439-  447.  455.  462.  470.  471- 
Francheville   (labbé).    144. 
François  de  Sales  (saint).  45.  46.   145,  146. 
Fredin  (M.).  102. 
Freneuse  (la  dame).  396. 
Fronde  (la).  2. 
Fronsac  (M.  de),  30. 
Frontenac.  12.  14.  26.  55.  57.  67,  71.  yy,  79,  88,  90,  91,  94-96, 

107-120,   125.   126.   129-131.   138-140.   149,   155-160,   163, 

177.  183.  187.  277.  301.  302.  305.  307. 
Frontenac,  le  fort.    \'oir  Catarakouï. 
Foucault  (M.).  51,  55.  114,  115.  137,  170.  234. 
Foucault  (D"^),  439. 


Gagnon.  144.  328. 

Gaillard,  le  conseiller,  278,  422.  462. 

Galifet  (le  marquis  de),  270. 

Gallicanisme.  401. 

Garneau  (l'historien).  55,  147.  177.  190,  340.  352,  411. 

Garneau   (les   frères).  340. 

Gascogne.  307. 

Gaston,  Gastonguay.  170. 

Gaulin  (l'abbé),  32.  180.  184.  185.  368-370,  ^/j. 

Gaumine  (mariages  à  la),  319.  347. 

Gauthier   (l'abbé),  historien.   14. 

Gauthier  de  Rrîdon  (le  curé).  309. 

Geneviève  (sainte).  57. 

Gensec.  30.  307.  368. 

Gentilly,  24,  354,  358. 

Geoffroy  (l'abbé),  11,  26.  33,  65,  86,  150,  182,  194-196,  261. 

Georgené  (le  Père),  récollet,  206. 

Gesse  (M.  de  la),  416. 

Gibraltar.  215. 

Giflfard.  Robert,  457. 


4^2  INDEX 

Gironde  (la),  147,  148. 

Gisorî.  427. 

Glandelet  (M.).  16,  58,  112,  124,  T32.  143,  145,  146,  167,  175, 

191,   206.   213,  221,   229,   245.  24Q,   262,   283,   297,   314, 

332,  335.  343-346,  3^9.  390>  426,  427, 
Godean,  Etienne,  120. 
Goclel'roy,  la  mission,  354,  358. 
Goudalie  (M.  de  la),  378,  394,  458. 
Gouye  (le  Père),  jésuite,  235. 
Grandville  (M.  de),  70,  358. 
Grandet  (M.),  27. 

Grenoble,  2,  6,  7,  27,,  44,  47,  145,  150,  212,  256,  422, 
Grondines,  24,  261.  353,  357. 
Grosse-Ile,  358. 

Guav  (M.),  de  S.  Snipice,  1^2. 
Guay  (M.),  du  Sém.  de  Q.,  180,  368. 
Guignas  (le  Père),  jésuite,  172. 
Guyon  (l'abbé),  16. 
Guyotte  (l'abbé),  100. 

H 

Hainque.  M.  de  Saint-Senoch,  439. 

Halifax,  180,  182. 

Hamel  (le  chanoine),  284,  390,  391,  452,  458, 

Harlay.  80.  124,  130. 

Havre   (le),  226,  22S. 

Havre-Saint-Pierre,  377. 

Haverhill,  236. 

Haye  (la),  239. 

Hayot.  Angélique,  466. 

Hazeur,  le  conseiller,  213,  278,  293,  337. 

Hazeur  de  l'Orme    (le  chanoine),  2S7,  293-297,  452, 

Hazeur,  Thierry,  chanoine,  452. 

Hébert,  Louis,  54. 

Heinsius,  239. 

Henriette- Anne    (d'Angleterre),  84. 

Hérault   (M.l,  422. 

Héricault  (d'),  Charles,  305. 

Héronnière  (de  la),  22. 

Hertel  de  Rouville,  6j.  y;',  163,  235,  360. 

Hiché   (M.),  439,  457. 

Hocqiiart    (l'intendant),    266,   314. 


INDEX  483 

Hollande.  Hollandais,  239,  326,  330,  334. 

Hôpital-Général  de  Québec,  19,  49,  55,  6î,  62,  81-83,  88-94, 
102,  121,  140.  150,  161,  162,  165,  212,  213,  216,  217, 
2Z7,  240,  241,  247,  252,  255-260,  264,  267,  274.  356,  389, 
400.   401,   404,   405,   419,   425,   429,   431-433.   438,   440, 

443.  444.  447.  453-4^'5- 
Hôpital-Général  de  Montréal.  102,  125,  397,  398. 
Hôtel-Dieu  de  Montréal,  2^'.   117,   149,   152,   153,  397-400. 
Hôtel-Dieu  de  Québec,  14-18,  26,  60,  y2,  93,  100,  124,  152, 

161,  195,  217,  264,  325,  337,  346,  347,  371,  401,  402,  462. 
Hubert  (M^O.  391. 
Hudson  (la  Baie  d'),  35,  67,  yy,  155. 
Hunter  (M.),  238,  239. 
Hurons.  14,  23. 
Huvé  (M.j,  234. 


Iberville  (d'),  35,  67,  68,  yy,  149,  155,  c.76,  182,  234,  384. 

Jle-Dieu  (abbé  de  1')  184,  440. 

Ile-aux-Coudres,  355. 

Ile-aux-Grues,  358. 

Ile-Jésus,  189,  191,  354,  359. 

Ile-aux-Oies,  358. 

Ile-du-Pads,  261,  354,  359. 

lîe-aux-Tourtes,  359,  377. 

Ile-\'erte.  357. 

Illinois,   lOi,  167,   168,   170-172,  440. 

Islet  (D.  ^y.  353.  357. 

Imola  (l'archevêque  d').  225. 

Incarnation  (Marie  de  1'),  198,  2yy. 

Innocent  XI,  7,  8,  38,  78,  281,  282,  299. 

Innocent  XII,  96,  214. 

Intendant  (Palais  de  1").  257. 

Iroquois,  2,  13,  14,  66,  87,  89,  154,  155,  235,  303,  307, 

Italie,  220. 


Jamay  (le  Père  Denis),  54. 
Jansénisme.  98.  214,  401. 
Jardin  du  P.  Denis,  54. 
Jardin  Saint- Vallier,  54. 


484  INDEX 

Jean-Baptiste  (saint).  2,  138. 

Jean-Baptiste  (la  Société  Saint-),  3. 

Jean  Chrysostôme    (saint).    12.  248. 

Jeanne  de  Chantai   (>ainte),  45. 

Jérusalem,   17,  28.  29. 

Jésuites,  16,  18,  21,  23.  24.  28,  31,  42,  46.  60.  85,  99,  loi, 
112,  127,  167-171.  177,  184,  189.  202.  203.  206.  210,  219, 
234.  235,  253.  262.  268,  273,  274,  299,  302,  306.  307.  325, 
330-  333-  33(''  337-  354-  366.  369.  378,  381-386.  394.  416, 
420.  422.  433.  438.  447.  461.  465.  466. 

Joliet,  Louis.  29,  103. 

Joseph  (le  Père),  l'Eminence  Grise,  31. 

Joue  (M.  de  la),  346. 

Joybert  (de).  307. 

Juchereau  (la  Sœur).  5.  7.  8,  61,  70,  124,  152,  154,  161,  239, 
327,  330. 

Juchereau   (M.).  77.  343-  457- 

K 

Kamouraska.  29.  261,  325.  ^27,  2^^,  357,  371. 
Kelly  (MM.  de).  173. 
Kénébec.  30.  31.  66.  369. 
Kondiaronk.  14. 

L 

La  Barre  (M.  de),  no.  301. 

Labrador.  355,  356. 

Lacs  (Les  Grands),  176. 

La  Chênaie.  216.  262.  354.  359. 

La  Chevrotière.  261.  353.  357. 

Lachine,  14.  59.  66.  67.  354. 

La  forêt  (M.),  382. 

La  Grange  (M.).  173.  375. 

La  joie  (Port-).  377. 

Lamberville  (le  Père),  12.  14.  164.  171,  226,  227. 

Lamoignon.  413. 

Lamothe-Cadillac.  m,  382. 

Langeon  (M.  de),  240,  241. 

Langevin  (l'abbé).  129,  221,  335,  453,  47i- 

Languedoc,  307. 

Lanoraie.  354.  359. 


INDEX  485 

Lanouiller  de  Roisclair,  411,  464,  467.  469. 

Lantagnac   (M.  de),  319. 

Laprade  (M.  de),  112. 

Laprairie.  24,  26,  150,  324.  339,  354,  362,  364. 

La  Salle,  103. 

Latour  (M.  de).  43,  85,  S7,  99,  170,  278.  332,  335.  427. 

Laval  (M'''"  de),  1-3,  7-10.  15-17,  20,  21,  26,  28,  30,  31,  35^ 
42-44,  49,  50,  52,  60,  68,  70,  79,  81,  83-85,  95,  99,  105,  108, 
128,  131,  151,  162,  168-171,  178,  179,  185-188,  197-199, 
209,  230,  234,  245,  269,  273,  276-282,  284-286,  289,  290. 
294.  301,  305.  309.  322,  345.  350.  365,  368,  388,  427,  447. 

Lavaltrie,  354,  359. 

Lavardin.  "^S,  299. 

Laviolette,  163. 

LeBer.  102. 

LeBlond,  174,  284. 

Lefebvre  (M.  Gervais),  430. 

Leigne  (M.  André  de),  457, 

Leloutre  (l'abbé),  32. 

LeMoyne.  Charles,  67. 

LeMoyne,   (la  Sœur  Marguerite),   195. 

Leneuf,   163. 

Léon  XIIL  VII,  VIII. 

Lepage,  chanoine,  292. 

LeRiche,  170. 

Leschassiers  (M.),  183,  214,  291,  368. 

Lestrées   (l'abbaye  de),  128,  133,  222,  ;»8o,  281 

Lestringan   (de),  343,  344,  347. 

Leuze  CSl.  de),  422. 

Lévi>.  368,  371. 

Lévy   (marquis  de),  239. 

Levrard,  430. 

Liège,  238,  239. 

Lignery   (^L  de),  383. 

Limoges,  128,  280. 

Limoges  (le  Père  de),  234,  235. 

Lino  (M.  de).  278,  319,  345,  469. 

Livingston,  267. 

Livourne,  222. 

Londres,  238,  240. 

Longfellow.  33. 

Longrays   (:NL  de),   173. 

Longueuil.  262.  354.  362.  363,  364. 


486  INDEX 

Longucuil   (M.  de).  360,  363.  429. 

Longue-Pointe.  262.  354. 

Loranger  (M.),  382. 

Lorette,  23,  35,  261.  353,  361,  405.  431. 

Lotbinière,  24.  354.  358. 

Lotbinière  (M.  de).  278.  307.  434-430,  444-449-  451-461.  463- 

466,  470-472. 
Louis  (saint),  305. 
Louis  XIII,  84,  105. 
Louis  XIV,  5,  7,  44,  47.  56,  77-81,  84.  131.  145-147.  155.  185, 

215,  216,  223.  225.  229.   234.   238.  239.  241.  247,  275, 

279-281,  284-287.  298-300.  305.  412. 
Louis  XV.  286,  290.  412.  413,  415. 
Louisbourg,  362.  374-376.  408.  416. 
Louisiane.  30,  31,  35.  103.   173.  176.  177,  184.  234,  235,  240, 

366.  367.  383-385.  393- 
Louvigny  (M.  de).  319.  339.  416. 
Lyon  de  Saint-Ferréol  (M.),  419-423.  447. 

M 


Macart  (M.).  278.  344-347- 

Magasin  de  la  Basse-\'ille.  35.  2>^. 

Maillard  (l'abbé).  32. 

Maintenon  (M^«  de),  79.  131.  260.  308. 

Maizerets  (Ango  de).  16.  43.  57.  124,  143.  206.  213.  245,  249, 

260,  283.  314.  2>^2>'  332.  335-  345.  346.  388,  389. 
Malbaie.  355.  371. 
!Malborough.  239. 
Malpec,  377. 
Manille.  365. 
Manon  (le).  251,  253. 
Marest  (le  Père),  382. 
Mareuil,  m.  113.  114.  125.  138. 
Maricourt  (M.  de).  70. 
Marie  (saint  nom  de).  275. 
Marie-IMadeleine  (sainte).  274. 
Marot.  Jean  (le  bedeau).  313.  314. 
Marquette  (le  Père).  103. 
Marseille.  7.  222. 
Marsolet  (les  prairies),  24. 
Martin.  Amador.  206.  f 


i.\L)t;x  487 

Martinicre   (M.  de  la).   129.  278. 

Martinique.  384.  395. 

MasUinongé.  354.  358. 

Massillon.  216,  ;i^^. 

Masson.  Frédéric.  239. 

Ivlatignon  (M'O-  33ô- 

Maubec  (labbaye  de).  60,  128,  132,  133,  145.  222.  280,  281, 

293-297. 
Maiuloux  (l'abbé),  180.  368. 
Maufïls  (le  chanoine).  452. 
M  au  repas  (M.  de).  290.  471. 
Méan  (le  baron  de).  238-240. 
Meaupou  (le  chevalier  de),  237,  240. 
Meaux  (vicomte  de),  viii. 
Médicis  (Marie  de).  105. 
Médoctec.  30.  368. 
Ménage   (M,).  261. 
Mennechet.  78. 
Iilenneval.  66. 
Mériel  (l'abbé),  120,  152. 
Merlac  (M.  de).  51,  55,  124. 
Merrimac,  236. 
Mésy  (M.  de),  376. 
Métivier  (l'abbé).  577,  378. 
Meulles  (de).  24.  106.  257,  350,  365. 
Miamis.  lOi.  167.  168. 
Michel  (le  Père).  327. 
Michigan  (le  lac).  168. 
Michillimakinac.   14.   168.  227,  367,  382. 
Micmacs.  179.  184,  368.  369.  371. 
Milan,  204. 

Mines  (les),  33.  34.  179.  180.  368.  372.  373.  378.  394. 
Miramichi.  30,  179. 
ISIissions-Etrangères.   10.   16,   17.  44,  53.  75.  79,  80.  86.   145, 

169-171.  174.  184,  234.  235.  254,  283,  323.  331-334.  366, 

368.  383.  384.  390.  391.  419-422. 
Mississipi.    103.    114.    155.    156,    167-171,    173,    174,    175.   234, 

235.  383.  3S4.  386.  440. 
Missouri.  171. 
Mobile.  234.  235.  384. 
Molière.  139. 
M  on  s.  76. 
Montagne  (Mission  de  la).  28. 


488  iNDKx 

Montcalm,  368. 

Montigny   (M.  de),   150.   151,  164,   168,  174,  206,  323,  422, 

Montseignat.  278. 

Montmorency-Luxembourg,  68,  76. 

Montmorency    (le  parc),   54. 

Montréal,  la  Paix  de,  235. 

Montréal,  \'illemarie,  23,  24,  26,  2"],  41,  52,  55,  58,  62,  67, 
69,  70,  "z^,  88,  95,  100-103,  114,  116,  117,  120,  122, 
140-143,  150,  152,  154,  160,  166,  175,  177,  189,  195, 
202,  203,  209,  229,  233.  243-246,  254,  263.  265,  270-274, 
301.  302,  305.  315.  316,  321,  324,  354,  362,  363,  377,  394, 
397-400,  407-411,  416,  420,  421-426,  429,  458,  469. 

Montéléon,   343-347- 

Montmagny  (M.  de),  406. 

Morel   (M').   16. 

Morin,   Germain,  206. 

Mornay  (M^'^  de,),  266,  333,  385,  i^-],  424,  436,  455,  471.  472, 

Morville  (le  comte  de),  362,  367. 

Mossu  (M).  II. 

Mouille-pieds,  362-364. 

Mouy  (le  comte  de),  4. 

N 
Nantes  (cdit  de),  ']'^. 
Narantsouak,  369,  379,  380,  381. 
Natchez.  172,  173. 
Nesmond  (M.  de),  147. 
Niagara,  407. 
Nicholson.  371,  372. 
Nicolet.  Jean,  344. 
Nicolet,  24,  354,  358. 
Nipissings,  359. 

Noailles  (le  cardinal  de),  130,  147,  327,  361. 
Normandie,  85,   179. 

Notre-Dame-des-Anges,   19,  88,  90,  92,  121.  433,  456,  458. 
Notre-Dame  de  Montréal,  27,  153,  203. 
Notre-Dame-des-\'ictoires,    36,   48,    50,    57,    58,    71,    yj.    lOO, 

213.  293.  374. 
Nouvelle-Angleterre,  66-68,  155,  157,  177,  235,  2-1,  307.  369, 

zi^.  407. 

Nouvelle-Ecosse,  182,  369. 

Nouvelle-Orléans,  172,  173,  234,  385,  386,  439,  440. 

Noyers  (M.  des),  173. 


INDEX  489 

O 


OHer  (M.).  23,  32,  183. 

Ollivier  (M.),  241. 

Ontario  (le  lac),  87. 

Orange  (Guillaume  d'),  76,  155.  238,  239. 

Ordonnances  de  M'^''  de  S.  Vallier,  229,  230,  2^2. 

Orient.  179.  333. 

Orléans  (Tile  d'),  20,  21.  149,  166,  356,  371. 

Orléans  (duchesse  d'),  172. 

Oswégo.  407. 

Ottoboni,  65.  96. 

Outaouais,  167. 


Pallières  (M.  de  la).  129.  283. 

Paris,  7,  10,  36,  38,  44,  46-49,  59,  68,  76.  77,  106.  108,  117^ 
123,  128,  130.  132,  135,  137,  141,  145,  148,  150,  183, 
186,  193,  196.  214,  217,  218,  222,  228,  229,  248,  251, 
258,  260,  282.  2^2^  291,  323,  331,  333,  369,  375.  380, 
416,  439.   440. 

Paul  (saint),  60.  6r.  66,  204,  22c,  318,  324,  405. 

Pelletier  (M.  Le),  424. 

Pemquid.  182. 

Pensionnat  de  l'Hôp.-Général.  433,  438. 

Pentagouet,  179.  184,  267,  369. 

Pépin  (M.),  292,  296. 

Percé.  31.  34.  85.  117.  179.  426. 

Perreault   (le  Père),  récollet,   120. 

Perrier  (M.),  172. 

Perse,  334. 

Perthuis  (M.),  100. 

Peterhead.  243. 

Petit  (l'abbé).  32.  33.  65,  69.  85,  86.  178-180,  370. 

Petite-Rivière.  353.  355. 

Petrimoux.  375. 

Philippe  de  France.  215. 

Phili])pines,  365. 

Phipps.  77,  86.  178. 

Picart  (le),  chanoine.  284.  292,  295,  342. 

Piémont.  77. 

Pierre  (M.  de).  420. 


49°  INDEX 

Figiquit.   i8o. 

ï'ignatelH.  96. 

PingLiet  (M.  Jean),  23.  206. 

Plaisance,  64,  88,  loi,  117,  374,  426. 

Plante  (M.),  261,  284.  292,  391,  452,  458. 

Plante  (M.  E.-G.),  433. 

Platon  (lej,  163,  164. 

Plymouth.  238. 

Pocquet  (le  curé),  292. 

Pointe-à-Callières,  27. 

Pointe-à-Lacaille,  29. 

Pointe-Claire,  354.  359. 

l'ointe-du-Lac,  358. 

Pointe-aux-Trembles  de  Neuville,  23.  353.  357,  409. 

Pointe-aux-Trembles  de  Montréal,  24.  354. 

Polycarpe    (saint),   179. 

Pontchartrain.    106,    107,    124,    130,    131.    138,    185,   216.   217, 

235,  247,  284.  28S.  342,  343. 
Port-Joly  (wS.  Jean).  353,  357. 
Portneuf  (M.  de),  67. 

Port-Royal,  31-33,  65,  66,  69,  86,  178.  179,  368-372,  3/8.  39'"»- 
Potherie  (M.  de  la),  55.  149. 
Poulet,  Doin  George-Frs.  324,  325,  328,  330. 
Poulin   (le  curé).  364. 
Poyvre  (le  Père  le),  récollet,  ^j. 
Prévil  (M.  de).  242. 
Priât   (M.),   152. 

Prie-Dieu  (affaire  du),  1 17-120,  303. 
Probabilisme,   268. 
Propagande  (la),  42.  219. 
Providence  (Maison  de  la),  28,  62. 
Proyost  (M.),  55,  270.  345. 
Pyrénées,  215. 

Q 

Ouarante-Heures.  '/2. 

'Québec,  10,  15,  22,  31,  34,  50-54,  57.  61.  62,  66-72,  75,  77,  81, 
82,  84.  88,  92,  loi,  102,  iio,  114,  115,  120,  128,  148-150, 
155-  156,  164,  166,  170,  175,  177.  179.  186,  203.  212.  216, 
237,  240,  243,  246.  253,  263,  269-273,  275,  279,  281,  283. 
304,  315,  325,  331-338,  353.  356.  357.  362,  365,  371  '  373. 
374,  405.  411,  415,  416,  423,  435.  451,  458,  461,  464. 

Ouesnel  (le  Père),  de  l'Oratoire,  326. 


ix'jicx  491 

-Quimper,  240. 

•Quinte  (lu  baie  de),  87. 

R 
Rageot  (M.).  180.  36S. 
Rameau   (M.).  33- 
Ramesay  (M.  de).  117.  11  S,  163.  164,  216,  219.  246,  251.  272, 

306,  307.  318,  398.  416. 
Ranipolla  (le  cardinal),  vu. 
Rancé  (M.  de).  335. 
Raphaël.  221. 

Rasle  (le  Père),  369,  379-382. 
Ratisbonne  (M.  de),  28,  29. 

Raudot  (l'intendant).  195,  244,  309-312.  337.  344. 
Réaume  (la),  395. 
Récollets,  19,  21,  31.  54.  64.  83,  85-88,  91.  92.  99.  roi,  107, 

110.  117-122.  140-143.  156.  157,  177,  206.  291.  298,  30J. 

337'  339.  362,  3^^'  3^"^'  372.  374.  375.  378.  382.  394.  415, 

416.  426,  430.  432.  447.  453.  457,  469,  471. 
Régale  (la),  299. 
Régence  (la),  412. 
Relations  des  Jésuites.  4.1. 
Reliques.  405. 
Repentigny,  354. 
Reuss  (M,).  238,  239. 
Rhéaume   (l'abbé),  334. 
Richelieu.  31.  105.  106. 

Rituel  de  ^I"^""  de  S.  Rallier,  48.  145.  229-232. 
Rituel  romain.  232. 
Rivière  (M.  de  la).  57. 

Rivière-Ouelle.   144,   192.  291.  328.  353.  357. 
Rivière-du-Loup  (en  haut).  354.  358. 
Rivière-du-Loup  (en  bas).  357. 
Rivière-des-Prairies,  354. 
Robert  (l'intendant).  408. 
Robert  (M.),  de  S.  Sulpice,  421-423. 
Roche  fort.  236. 

Rochelle  (la).  10.  11.  36.  41.  50.  147.  214.  215.  254.  261.  408. 
Rochester,  238. 

Rochemonteix  (le  Père  de).  14.  53.  118.  268.  378.  379. 
Roches  (]M.  des).  173. 
Rome.  5,  10.  129,  219.  220.  222.  223,  225.  229.  236.  242.  248, 

281-286,  291.  323.  333.  422,  427- 


492  INDEX 

Ronde  (AI.  de  la),  240. 

Rouen   (l'archevêque  de).  49.   130. 

Rouer  d'Artigny,  et  de  \"illeray,  342,  462. 

Roussin,  314. 

Rouville.  Voir  Hertel. 

Royale  (Ile).    Voir  Cap- Breton. 

Ru  (le  Père  du),  234,  235. 

Ryswick  (la  Paix  de),  149,  155,  156,  157,  178. 


Sainte- Anne  de  Beaupré,  21,  353,  425. 

Sainte-Anne  de  la  Pérade.  24,  123,  261,  353. 

Sainte- Anne   (Grande-Anse),   192,  353,  357. 

Sainte-Anne  du  Bout  de  l'Ile,  354.  359. 

Saint-Augustin,  261,  353,  361. 

Saint-Castin  (Baron  de),  267. 

Saint-Charles  (la  rivière),  19,  54,  SS,  91. 

Sainte-Croix,  24,  353,  358. 

Saint-Claude  (M.  de).  144. 

Saint-Denis.  357. 

Sainte-Famille  (I.  O.).  21,  62,  353,  391. 

Sainte-Foy,  25,  353.  361,  405- 

Saint-François  (I.  O.),  21,  353,  356. 

Saint-Frédéric  (le  tort),  407. 

Sainte-Geneviève    (le  coteau).    19. 

Saint-Jean    (l'Ile),  366,  374.  376-378. 

Saint-Jean  (I.  O.),  21,  353,  356. 

Saint- Jean  (fête  de  la),  311. 

Saint-Jean   (rivière),  30,  85.   179,  307,  368. 

Saint-Joachim.  20,  28,  71,  191,  353. 

Saint-Joseph  de  Léyis,  29.  144,  310,  311,  340,  355,  389. 

Saint-Laurent   (I.  O.),  21,  353,  356. 

Saint-Laurent  de  Montréal,  354,  359. 

Saint-Laurent  (le  fleuve),  2^,  30   69,  86,   189,  351,  353,  355, 

374.  416. 
Saint-Louis   (la  fête  de),  258. 
Saint-Michel,  86,  Sy,  261,  354. 
Saint-Nicolas,  24,  353.  430. 
Saint-Ofiice   (le),  219,  220. 
Saint-Ours,  261,  354,  359. 
Saint-Ovide  (M.  de),  362,  374,  376, 
Saint-Paul   (I.  O.),  21.  353,  356. 


IN'DKX 


493 


Saint- Pierre   (I.  O.  ),  21,  422. 

Saint-I'ierre  (Riv.  du  Sud),  313.  314.  353. 

Saint-Pierre  (le  lac).  291,  354,  358.  361. 

Saint- F'ierre  (le  Cotnte  de).  377.  378. 

Saint-Pierre  et  Miquelon.  64.  88,   loi. 

Saint-I\t)oli   (hospice).  91. 

Saint-Simon  (M.  Denis  de),  278. 

Saint-Sulpice  (la  paroisse  de).  354.  359. 

Saint-Thomas.  313.  314.  353. 

Saint-\'allier.  la  Durantaie.  292,  353.  433.  457. 

Sarrazin   (D').   148.  2yS,  341.  443,  444. 

Saut-Sainte-Marie,   382. 

Saut-Saint-Louis.  360. 

Savoie  (Eugène  de).  239. 

Ségur   (marquis  de).  68,  7Ô. 

Seine  (ia).  213.  237.  238.  240.  243. 

Seignelay  (de).  78. 

Séminaire  de  Québec.  1.  2.  9.  15-21.  29,  32.  36,  43,  44.  51,  53, 
56.  58.  59.  68.  71.  75.  79.  80.  81.  85-90.  102.  112.  '124, 
130,  132,  143,  145,  146,  151,  156.  166-171.  174.  179.  180, 
184.  186,  191.  210,  233.  235,  243,  244,  257.  280.  282-285, 
288-292.  309.  322,  323.  333.  334.  237^  343.  357.  366.  369, 
383.  388-391-  40 ï.  419-423-  427-  431-  435-  447-  449.  451- 

Séminaire  de  Saint-Sulpice.  23.  24.  27.  28.  32,  49.  51.  52.  75, 
86,  87.  101.  102,  103,  116.  140.  145.  154.  175.  183,  185^ 
191.  196,  202,  214,  229,  240,  241,  254,  262,  272,  291,  303, 
316,  366.  368.  27y,  378.  394.  400.  420-424. 

Sept-lles.  355.  371. 

Sillery.  23.  28,  30.  35.  189.  356. 

Sion  (les  Pères  de),  29. 

Sioux,  loi,  167. 

Sitimacas.  173. 

Sœurs-Grises,  398. 

Sorel,  24.  26.  86.  114.  116,  194.  261.  351.  354,  359. 

Sorbonne.  123.  218.  219,  331.  427. 

Soulanges,  359. 

Soumande   (^I.),    144. 

Souel  (le  Père),  173. 

Souligre,  66. 

Subercase  (M.  de).  184,  368,  396. 

Surlaville,  375. 

Sylvie  (le  Père  ),  35. 

Synodes  de  Québec,  J^.  102,  116.  206.  207.  249. 


494  INDEX 


Tac  (le  Père  le).  24.  63. 

Tadoussac,  71,  88.  355. 

Talon.  =s,  79-  ^77,  30i-  4^7- 

Tamarois,    167^70,    173,    175,    179,  206,   532,   333,  341,  366,. 

3(^7,  393.  422. 
Tanguay,  Sj,  331,  340.  343,  3S5,  424. 
Tardif  (la  Sœur),  117. 
Taschereau,  le  cardinal,  147. 
Tartufe  (le).  111-114,  124.  138. 
Tégakouita,  Catherine,  226,  227. 
Tellier  (le  Père  le).  307. 
Terrebonne,  292,  354,  359. 

Terreneuve,  63-66.  79,  loi,  155,  177,  182,  367. 
Tessier,  Roland,  388. 
Tessier,  Jacques,  430. 

Têtu  (M*^--),  55-56,  149,  173,  259,  293,  472. 
Thaumur  de  la  Source,  170,  332. 
Thibout,  191,  292.  323,  342,  390. 
Thury  (l'abbé),  29,  32,  33,  65,  179-^84.  3^8,  369. 
Tiberge  (M.),  332. 
Tilly  (de),  240,  353. 
Tonnancour  (de),  354,  358,  452. 
Tonti  (M.  de),  168,  169. 
Torcy  (marquis  de),  239. 
Tours,  Touraine,  7,  8y,  100,  182. 
Tourville.  j~. 
Tracy   (M.  de),  226. 
Tremblay  (^I.),  123,  132,  145,  146,  184,  185.  221,  222,  229^ 

230,'  239,  240,  243,,  291,  292,  295.  309,  335,  368,  369. 
Trente  (le  Concile  de),  201,  204,  206,  264,  265,  287,  328. 
Troies  (M.  de),  35. 
Trois-Pistoles,  325,  357. 
Trois-Rivières,  24,  25,  6r,  85,  86,  144,  162,  163,  165,  177,  217,. 

229,   240,   270-272,    340,   354    363,   389,   408,   409,   41 6>. 

425-427,  469. 
Trois-Saumons,  357. 
Tronson    (M.).  23,  51,  65,  69,  75,   103.   107,   117,   140,   145,- 

166,  182,  183,  185,  210.  214,  259,  285,  423. 
Trouvé  (M.),  II,  33,  65,  86,  150,  178,  182,  183,  368,  370^ 


INDKX  495, 

u 

Ulric  (le  curé),  363,  364. 

Unigcuitus  (la  Bulle)  326,  32;,  ZZZ^  334,  361. 

Urfé  (M.  d'),  II. 

Ursins  (M.  des),  173. 

Ursulines  de  Québec,  59.  60,  70,  ^S,  152,  155,  163,  164,   166,. 

264.  307,  337,  402.  403,  415,  462.  464,  465. 
Ursulines  des   Trois-Rivières,    162,    165,   217,   229,   259,   270, 

425,  426,  440. 
Ursulines  de  la  Xou\'clle-Orléans.  438,  439. 
Utrecht  (le  traité  d"),  178,  185,  334,  370,  371,  7,72,  2>7^,  381. 

V 

Vaillant  (le  Père),  loi. 

Vaillant  (l'abbé),  152. 

\'al-de-Grâce,  56, 

X'alenciennes,  307. 

X'allier  (M.),  423. 

\'alois  (le  Père  le),  17,  53,  59. 

\"alois  (M.),  420. 

\'allet  (le),  Etienne,  206,  231,  247,  293,  337. 

Vannes,  341. 

Varennes  (M.  de),  25,  389. 

\'arennes  (de),  le  chanoine,  389,  390,  435,  439. 

\"arennes,  la  paroisse,  24,  354,  364. 

Varlet  (le  janséniste),  331-335.  338. 

\'atican,   129.  133.  222. 

Vaudreuil  {M.  de),  114,  123.  155,  160,  234,  235,  243,  251,. 
254.  255,  264,  265,  267,  306,  307,  312,  315,  317-319, 
321-324,  327,  329,  330,  338,  349,  351,  355,  371-374,  379, 
381,  382,  385,  393,  395,  396,  398,  399,  403,  404,  406, 
407,  415,  417,  429. 

Vaudreuil  (  M'"^  de),  265,  307,  308,  317,  416. 

\'audreuil   (le  hef),  359. 

Vente  (M.  de  la),  234,  384. 

Verbois  (le  fief).  357. 

Verchères,  261,  262.  354,  359. 

Verchères   (M"*  de),  89. 

VerreaufM.  l'abbé),  146,  463. 

Verrier  (M.  le),  352. 

Versailles,  7,  23,  44,  Gi,  80,  82,  92,  130,  131,  215,  246,  308,. 
340,  471- 


49^  INDEX 

Mger,  Jacques.  455,  470. 
X'illars   (maréchal  de),  258. 
\'illeray   (M.  de).   113. 
\'irginie   (la).  237,  238. 
Visitation   (la),  45,  46,  146. 
Vitré  (M.  de).  125.  126,  457. 
Vivier  (le  Père),  171,  172. 
\'ogiié  (M.  de),  viii. 


W 


W'abash,  393. 
Waddington    (M.),  4. 
W'alker  (l'amiral),  371. 


Yamachiche.  354,  358. 
Yasous,  sauvages,  173. 
Youville  (M"»^  d'),  398. 


TABLE  DES  MATIERES 

PAGES 

Avant  -  PRoros    vu 

Chapitre  I.  —  Esquisse  préliminaire i 

Entrée  en  matière. — Naissance  de  Mgr  de  Saint- Vallier  ;  sa  famille; 
son  éducation.  —  Le  comte  de  Saint-Vallier,  son  arrière-petit-neveu, 
au  Congrès  de  Berlin. — Caractère  de  Mgr  de  Saint-Vallier. — Esprit 
religieux  de  sa  famille. — Aumônier  de  la  Cour. — Xommé  par  le 
Roi  à  l'évêché  de  Québec. — Lettre  de  Mgr  de  La%-al  au  pape  Inno- 
cent XL — Mgr  de  Saint-Vallier  au  Canada. — Le  gouverneur  De- 
nonville. 

Chapitre  IL  —  M.  de  Saint-Vallier  visite  la   Nouvelle- 

France  comme  grand  vicaire  de  AL'"  de  Laval 15 

M.  de  Saint-Vallier,  à  Québec. — Visite  canonique  des  communautés. — 
Au  Séminaire. — L'école  de  Saint-Joachim. — Visite  de  la  Côte  Beau- 
pré et  de  l'Ile  d'Orléans. — Visite  de  Québec:  affaire  La  Héron- 
nière. — De  Québec  à  Montréal. — L'abbé  Geoffroy. — A  Montréal. — 
Voyage  en  Acadie. — Retour  à  Québec. — L'emplacement  de  l'église 
de  la  Basse- Ville. — Retour  en  France. 

Chapitre  III.  —  M.  de  Saint-\'allier  en  France,  pour  sa 

consécration    épiscopale    37 


port  au  gouvernement  ue  son  cgiise. — ireiermage  a  /\nnecy. —  vi- 
site à  sa  mère. — Sa  consécration  épiscopale. — Retour  au  Canada  de 
l'ancien  et  du  nouvel  évêque  de  Québec. 

Chapitre  IV'.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1688  à  1691 53 

Maison  et  terrain  achetés  par  Mgr  de  Saint-Vallier  pour  son  évêché. — 
Travaux  à  la  cathédrale.  —  Eglise  de  la  Basse-Ville.  —  Démêlés 
avec  le  Séminaire. —  Fête  pour  la  translation  d'une  relique  de  saint 
Paul.  —  Commencements  de  l'Hôpital-Général. 


498  TABLE  DES  MATIÈRES 

PAGES 

Chapitre    \'.  —  L'Eglise    du    Canada,    de    1688   à    1691 

(sKitc)    63 

Voyage  de  Mgr  de  Saint-Vallier  à  Terreneuve  et  en  Acadie.  —  Mas- 
sacre de  Lachine.  —  Frontenac  ;  Charles  LeMoyne  ;  D'Iberville.  — 
Visite  pastorale.  —  Siège  de  Québec,  1690.  —  Premier  Synode  de 
Québec.  —  Lettre  pastorale  de  l'Evèque  avant  de  partir  pour  la 
France.  —  Départ  pour  la  France. 

Chapitre  \'L  —  M-'  de  Saint-\'allier  en  France.  1691-92.     76 

Les  triomphes  de  Louis  XIV.  —  Le  Canada,  à  Paris.  —  Bon  accueil 
fait  à  l'Evéque  de  Québec.  —  Le  Règlement  pour  la  réforme  du 
Séminaire.  —  Lettres  patentes  pour  l'Hôpital-Général  de  Québec.  — 
Lettres  patentes  aux  Récollets.  —  Retour  de  Mgr  de  Saint-Vallier 
au  Canada. 

Chapitre  VII. —  L'Eglise  du  Canada,  de  1691  à  1694..     89 

La  colonie,  durant  l'absence  de  l'Evèque.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  ac- 
quiert, pour  l'Hôpital-Général,  le  couvent  des  Récollets.  —  Les 
religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  se  chargent  de  l'Hôpital-Général. — 
L'œuvre  pastorale  de  Mgr  de  Saint-Vallier  :  guerre  à  l'intempé- 
rance et  autres  vices.  —  Une  assemblée  du  clergé.  —  Mgr  de  Saint- 
Vallier,  le  saint  Charles  Borromée  de  notre  Eglise.  —  Rien  de 
janséniste  dans  sa  doctrine. —  Sa  dévotion  à  la  sainte  Vierge  et  à 
saint  Joseph.  —  Jésuites  et  Récollets  à  Montréal.  —  Commencement 
de  l'Hôpital-Général  des  Frères  Charon.  —  Deuxième  Sj'node. — 
Juridiction  de  l'évêque  de  Québec  à  la  Louisiane. 

Chapitre  VIII.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1691  à  1694 

(suite)    105 

La  journée  des  Dupes.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  et  Frontenac. — Fron- 
tenac, au  point  de  vue  religieux.  —  L'affaire  du  Tartufe  et  des 
Cent-Pistoles.  —  L'affaire  Mareuil.  —  Un  cas  de  concubinage  pu- 
blic. —  Officiers  accusés  de  manquer  à  la  messe. 

Chapitre  IX.  —  L'Eglise  du  Canada,  de   1691   à   1694 

(suite)    116 

Mgr  de  Saint-Vallier,  à  Montréal.  —  Affaire  du  Prie-Dieu  ;  interdic- 
tion de  l'église  des  Récollets  ;  interdiction  des  Récollets.  —  Mgr  de 
Saint-Vallier  et  M.  de  Callières.  —  Affaire  de  la  solde  des  soldats, 
retenue  par  leurs  officiers.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  au  Conseil  Su- 
périeur. —  Il  part  pour  l'Europe. 


TABL1-:  DKS  MATIÈRES  499 

PAGES 

Chapitre  X. —  Troisième  voyage  de  l'Evêque  en  France. 

—  Absence  de  1694  à  1697 128 

Mgr  de  Saint-Vallier,  retenu  en  France  par  le  Roi.  —  Il  donne  des 
missions  à  ses  abbayes.  —  Lettre  à  M.  Glandelet.  —  Lettre  à  son 
clergé  du  Canada.  —  Les  décisions  de  la  cour  sur  les  affaires  cana- 
diennes. —  Frontenac  et  les  Cent-Pistoles. 

Chapitre  XI. — Troisième  voyage  de  l'Evêque  en  France 

(suite).  —  Son  retour  au  Canada 140 

Règlement  de  l'affaire  des  Récollets.  —  Rapprochement  avec  le  Sémi- 
naire de  Québec.  —  Pèlerinage  à  Annecy.  —  Reliques  de  saint  Fran- 
çois de  Sales  envoyées  au  Séminaire.  —  Le  Roi  permet  à  l'Evêque 
de  retourner  dans  son  diocèse.  —  Maladie  de  l'Evêque  pendant  la 
traversée:  il  est  sauvé  par  le  docteur  Sarrazin. 

Chapitre  XII.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1697  à  1700. .     149 

Mgr  de  Saint-Vallier  prend  possession  de  son  nouvel  évêché.  —  A  l'Hô- 
pital-Général.  —  Le  clergé  et  les  communautés  religieuses  du  dio- 
cèse.—  Incendie  de  l'Hôtel-Dieu  de  Montréal. —  Exploits  de  D'Iber- 
ville  et  de  Frontenac.  —  Paix  de  Ryswick  ;  Te  Deum.  —  Mort  de 
Frontenac. 

Chapitre  XIII.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1697  à  1700 

(suite)    159 

Callières  succède  à  Frontenac.  —  La  grande  épreuve  de  l'Hôpital-Géné- 
ral.  —  Les  Ursulines  des  Trois-Rivières.  —  Les  Sœurs  de  la  Con- 
grégation.—  La   mission    des   Tamarois.  —  Les   saints   de   l'époque. 

—  Aperçu  général  sur  les  missions  du  Mississipi. 

Chapitre  XIV.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1697  à  1700 

(suite),  —  Les  missions  de  l'Acadie 176 

Toutes  les  missions  de  la  Nouvelle-France  dépendent  de  l'Eglise  de 
Québec.  —  Résumé  de  l'histoire  de  l'Acadie.  —  Le  grand  vicaire 
Thury;  ses  derniers  jours.  —  Mort  des  abbés  Trouvé  et  Beaudoin. 

—  Mort  de  M.  Tronson.  —  L'abbé  Gaulin. 

Chapitre  XV.  —  L'Eglise  du  Canada  de  1697  à  1700 

(suite).  —  Les  paroisses  canadiennes 186 

Après  le  Règlement  de  1692.  —  La  question  des  cures  fixes.  —  Les  huit 


500  TABLE  DES  MATIERES 

PAGES 

mille  livres  de  supplément.  —  L'édit  de  1679  et  le  patronage  des 
églises.  —  Le  patronage  donné  à  l'évèque  par  l'édit  de  1699. — 
L'abbé  Geoffro}*,  grand  architecte  du  diocèse. 

Chapitre  X\'I.  —  L'œuvre  pastorale  de  ^M^"  de  Saint- 

\'allier,   de   1697  à   1700 197 

Mgr    de    Saint-Vaîlier    renouvelle    l'ordonnance    de    son    prédécesseur 

contre  le   Lu.xe.  —  Les   offices   de  paroisses.  —  Devoirs   des   fidèles 

envers  leurs  curés.  —  Le  3e  Synode  de  Québec.  —  Mgr  de  Saint- 

Vallier   et   les   Religieux.  —  Le   4e   Synode.  —  Dernier    mandement 

.  avant  de  partir  pour  la  France. 

Chapitre  X\'II.  —  M-""  de  Saint-Valiier  en  France,  de 

1700  à  T704 214 

La  France  et  Louis  XIV  en  i;oc.  —  Bon  accueil  fait  par  le  Roi  à 
l'évèque  de  Québec.  —  L'établissement  de  l'Hôpital-Général,  con- 
firmé. —  Lettre  pastorale  de  l'évèque  à  son  clergé.  —  Réponses  de 
la  Sorbonne  et  du  Saint-Office  sur  certaines  difficultés.  —  Voyage 
à  Rome.  —  Message  du  Pape  à  Louis  XIV.  —  Bref  du  saint-père  à 
l'évèque.  —  Catéchisme,  Rituel  et  Recueil  d'Ordonnances  de  Mgr 
de  Saint-Vallier. 

Chapitre  X\'III. —  Captivité  de  l'Evêque  en  Angleterre, 
1704-1709.  —  Retenu  en  France,  1709-1713.  —  Re- 
tour au  Canada 233 

L'Eglise  du  Canada  en  l'absence  de  l'Evêque.  —  La  "  Paix  de  Mont- 
réal ".  —  Prise  de  la  Seine  par  les  Anglais.  —  Mgr  de  Saint-Vallier 
en  Angleterre.  —  La  perte  de  la  cargaison  de  la  Seine,  cause  de 
misère  au  Canada.  —  Rentré  en  France,  le  Prélat  est  retenu  par  la 
cour.  —  Lettre  foudroyante  à  son  clergé.  —  Retour  au  Canada. 

Chapitre   XIX.  —  L'Eglise   du   Canada,   au   retour   de 

France  de  son  premier  pasteur 253 

Arrivée  à  Québec  de  Mgr  de  Saint-Vallier.  —  A  l'Hôpital-Général.  — 
Renonce  à  habiter  son  évèché.  —  Etat  de  son  diocèse.  —  Visite 
de  la  ville.  —  Visite  des  communautés  religieuses.  —  Entrées  du 
gouverneur  dans  les  couvents.  —  Maladie  de  l'Evêque.  —  Aux 
Trois-Rivières. —  A  Montréal.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'ivro- 
gnerie. —  Fête  de  sainte  Marie-Madeleine. 

Chapitre  XX.  —  M^''  de  Saint-Vallier  et  le  Chapitre  de 


TABLE  DKS  MATIÈRES  501 

PAGES 

Québec    2/6 

L'Evèque  de  Québec,  au  Conseil  Supérieur.  —  Enregistrement  des 
lettres  rovales  de  1713.  —  Résumé  de  ces  lettres.  —  Réforme  du 
Chapitre. —  Le  "combat  des  Bulles". —  Mgr  de  Saint-Vallier  et 
son  Chapitre.  —  Le  chanoine  Hazeur  de  l'Orme  à  l'abbaye  de 
Maubec. 

Chafii-kk  XXI.  —  L'Eglise  de  la  Nouvelle  -  France  et 

l'Etat,  sous  Ms""  de  Saint-\'allier 298 

Louis  XIV  et  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France.  —  Instructions  à  M.  de 
Callières.  —  Mgr  de  Saint-Vallier  et  M.  de  Vaudreuil.  —  Mme 
de  Vaudreuil.  — Deux  ordonnances  de  l'intendant  Raudot. —Ques- 
tions de  préséance  à  l'église.  —  Le  pain  bénit,  aux  capitaines  de 
milice  ;  aux  chantres  sans  surplis.  —  Les  bancs  des  Seigneurs.  — 
L'eau  bénite  au  gouverneur,  par  présentation  du  goupillon. — 
Mariages  des  officiers  et  soldats. 

Chapitre  XXII.  —  L'Eglise  de  la   Nouvelle-Fraîice  et 

l'Etat,  sous  Ms''  de  Saint-Vallier   (suite) 321 

Mgr  de  Saint-Vallier  et  Vaudreuil.  —  Le  Séminaire  de  Québec.  —  Le 
cas  de  La  Prairie  de  la  Madeleine.  —  L'affaire  du  moine  Bénédictin 
janséniste.  —  L'affaire  Varlet.  —  Les  immunités  ecclésiastiques.— 
Une  question  de  taxes.  —  Le  clergé  et  les  corvées  publiques.  — 
Le  clergé  et  les  tribunaux  civils.  —  Affaire  Garnaut.  —  Affaire  Le 
Boullenger. —  Aft'aire  ^Montéléon  -  Lestringan. —  ]\Iariages  à  la 
gaumine. 

Chapitre  XXIII. — Xouveau  remaniement  des  paroisses. 

—  Règlement  de  1721 349 

Le  "  Plan  des  missions  "  de  1683.  —  Le  Règlement  de  1721.  —  M, 
Collet.  —  Liste  de  82  districts  paroissiaux.  —  Remarques  au  sujet 
du  Règlement  de  1721.  —  La  côte  du  Labrador.  —  Protestations 
contre  le  Règlement.  —  Le  curé  Fornel.  —  Le  curé  Ulric.  —  Les 
cures  fixes. 

Chapitre  XXI\'.  —  Les  missions  lointaines  de  l'Eglise 

(lu  Canada    3*^7 

L'Acadie. —  M.  Gaulin. —  Prise  de  Port-Royal. —  Le  traité  d'Utrecht. — 
Expédition  manquée  des  Anglais  contre  le  Canada.  —  Patriotisme 
du  clergé  canadien. — La  mission  de  Louisbourg  et  du  Cap-Breton. 
— M  ission  de  l'Ile  Saint-Jean. — M.  de  Breslay. — Au  pays  des  Abé- 
naquis. — Mort  du  P.  Rasle. — La  mission  de  Détroit. — A  la  Loui- 
siane.— La  Nouvelle-Orléans. 


502  TABLE  DES  MATIERES 

PAGES 

Chapitre  XXV.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1720  à  1725.     387 

Isolement  de  Mgr  de  Saint- Vallier.  —  Etat  du  Séminaire  de  Québec.  — 
Mgr  de  Saint- Vallier  et  les  Canadiens.  —  Les  Congés.  —  Le  Don  du 
Roi.  —  Luttes  de  l'Evéque  contre  les  désordres.  —  A  l'Hôpital- 
Général  de  ^Montréal.  —  Incendie  de  Montréal  ;  mandement  de 
l'Evéque.  —  A  l'Hôpital-Général  de  Québec.  —  A  l'Hôtel-Dieu.— 
Aux  Ursulines.  —  Années  de  misère  au  Canada.  —  Processions  à 
l'Hôpital-Général. 

Chapitre  XX\'I.  —  L'Eglise  du  Canada,  de  1720  à  1725 

(suite)    406 

La  question  du  commerce  des  boissons  enivrantes.  —  Une  nouvelle 
ordonnance  de  l'intendant  Bégon,  combattue  par  Mgr  de  Saint- 
Vallier. —  Bonnes  ordonnances  de  >L  Bégon.  —  Le  Lit  de  justice 
de  Louis  XV.  —  Mort  de  Vaudreuil.  —  Naufrage  du  Chameau. — 
Le  nouveau  gouverneur,  AL  de  Beauharnais.  —  L'intendant  Dupuy. 
—  AL  Lyon  de  Saint-Ferréol,  supérieur  du  Séminaire.  —  M.  Robert, 
visiteur  de  Saint-Sulpice. 

Chapitre  XX\'IL  —  Les  dernières  années  de  ^l»""  de 

Saint- Vallier    425 

Maladie  de  Mgr  de  Saint-Vallier  ;  son  pèlerinage  au  tombeau  du  Frère 
Didace. —  Enquête  de  M.  Glandelet  sur  les  faits  miraculeux  attribués 
au  Frère  Didace.  —  Dernière  visite  pastorale  de  l'Evéque. —  A 
l'Hôpital-Général  ;  établissement  du  Pensionnat  ;  la  chapelle  du 
saint  Cœur  de  Marie.  —  AL  de  Lotbinière,  nommé  archidiacre  ;  son 
éloge. 

Chapitre  XXX'IIL — Les  derniers  jours  de  M^""  de  Saint- 
Vallier. — Sa  maladie  ;  sa  mort 437 

Belle  fin  de  vie  de  Mgr  de  Saint-Vallier.  —  Dernier  anniversaire  de  son 
sacre.  —  Belle  fête  au  Pensionnat.  —  Fondation  des  Ursulines  à  la 
Nouvelle-Orléans. — Dernière  maladie  de  Mgr  de  Saint-Vallier. — 
Ses  adieux  à  ses  religieuses  et  aux  pauvres.  —  Administré  par 
l'archidiacre.  AL  de  Lotbinière.  —  Visite  du  gouverneur.  —  Ses 
derniers  moments.  —  Sa  mort.  —  Visites  à  la  chapelle  ardente. 

Chapitre  XXIX. —  Sépulture  de  ^i^'^  de  Saint-Vallier. — 

Evénements   qui   la   suivirent 449 

A  propos  des  circonstances  de  la  sépulture  de  Mgr  de  Saint-Vallier.— 
Election  de  M.   Boulard  comme  vicaire  capitulaire.  —  Préparatifs 


TABLE  DES   MATIÈRES  5O3 

pour  la  sépulture.  —  Différend  entre  le  Conseil  Supérieur  et  le  Cha- 
pitre.—  Obsèques  privées  de  Mgr  de  Saint-Vallier.  —  Interdit  de 
l'église  de  l'Hôpital.  —  Manifeste  de  M.  Boulard.  —  Situation  de 
l'Eglise  de  Québec  décrite  par  la  Sœur  Duplessis.  —  Discussions 
religieuses  au  Conseil  Supérieur.  —  Intervention  de  M.  de  Beau- 
harnais.  —  Décisions  de  la  cour.  —  Mgr  de  Mornay  et  les  cha- 
noines de  Québec. 


Index 


473 


BX  1421  .G67  1911  v.l  SMC 

Gosselin.  Auguste  Honore 
L  Eglise  du  Canada  depuis 
Monseigneur  de  Laval  Jusque 
la  conquête 
AKF-3176    (sk) 


G.    H.    NEWLANDS 

Bookbinder 
Calcdon    East,    Ont.