I
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lgliseducan01goss
UEGLISE DU CANADA
DEPaiS MONSEIGNEUR DS LAVAt,
JUSQU'À LA CON2UÊT3
■ PREMIÈRE PARTIE
Mgr de SAINT-Vx\LI.IER
Abbé Auguste GOSSELIN
DS LA. SOCtËTÉ ROYALE DU CANADA.
DOCTUUK IvS LKTTRKS
L'ÉGLISE DU CANADA
depuis monseigneur de laval
jusqu'à la. conquête
PREMIERE PARTIE
Mgr de SAINT-VALLIER
QUEBEC
Typ. Laflamme & Proulx
1911
Nil obstat,
O.-E. Mathieo, ptre,
Censor deputatus.
Quebeci, die lo maii 191 1.
Jmprimatur.
t L.-N., Archiep. Quebecea.
Quebect, die 21 maii 1911.
MG 1 8 ,95e
A VAN T-PROPO S
Dans la lettre qu'il nous faisait l'honneur de nous écrire
de la part de X. S. P. le Pape Léon XllI , pour aceuser
réception de notre \'iE de ^P'" de Laval, Son Eminence le
Cardinal RampoUa nous disait : « Sa Sainteté ne doute pas
que vous are:: fait une œuvre vraiment utile, et que vous
aile:: continuer à mettre en lumière par vos écrits les gloires
de l'Eglise canadienne. »
Le livre que nous offrons aujourd'hui au public n'a pas
besoin d'autre préface que ces encourageantes paroles du
Saint-Père. En publiant ce travail, objet de longues et
patientes recherches, nous z'ouloiis tout simplement, dans
l'humble mesure de nos forces, « continuer à mettre en
lumière les gloires de notre Eglise ». reprendre l'histoire de
cette Eglise au point oit nous l'avons laissée par nos deux
ouvrages, la Vie de M^ de Lavae et La Missiox du
Canada avant M^ de Laval, et la mener un peu plus loin.
Ce nouveau volume couvre toute l'administration épisco-
pale de Mgr de S aint-V allier, et porte l'histoire de l'Eglise
canadienne jusqu'à la fin de Z/-'/, date de la mort du vénéré
Prélat.
Si Dieu nous prête vie et santé, nous espérons pouvoir,
dans un avenir assez prochain, donner un autre volume qui
conduira cette histoire jusqu'à la Conquête: date unique^
VIII AVANT-PROPOS
exceptionnelle, z'raiincnt à part, où s'opéra un changement
radical dans les rapports de l'autorité religieuse avec les
pouvoirs civUs, en ce pays.
Puisse notre nouveau volume lecez'oir du public un favo-
rable aecucil! Puisse-t-il, surtout, répondre un peu à l'attente
de nos bienveillants confrères qui nous le demandent depuis
si longtemps, depuis trop longtemps, peut-être ! Nous
n'avons, du reste, d'autre excuse à leur offrir, pour notre
retard, que la difficulté de la tâche entreprise, et le désir que
nous avions de la remplir le mieux possible. Notre princi-
pal souci, en écrivant l'histoire, a toujours été de nous con-
former à la grande loi imposée à l'historien: « Ne quid falsi
audeat; ne quid veri non audeat \ » « Je me laisse faire par
la vérité, » disait un jour Brunetière ^.
1. ''Jamais rien de contraire à la vérité; mais toute la vérité." —
Parole de Cicéron, citée par M. de Meaux dans le Correspondant du lo
cet. 1898, et reprise par Léon XIII lui-même dans son encyclique
sur l'étude de l'histoire.
2. Cité par M. de Vogué dans la Revue des Deux-Mondes du ler
janvier 1907.
L'EGLISE DU CANADA
sous MGR DE SAINT-VALLIER
CHAPITRE I
ESQUISSE PRELIMINAIRE
Entrée en matière. — Naissance de Mgr de Saint- Vallier; sa famille;
son éducation. — Le comte de Saint- Vallier, son arrière-petit-neveu,
au Congrès de Berlin. — Caractère de Mgr de Saint- Vallier. — Esprit
religieux de sa famille. — Aumônier de la Cour. — Nommé par le
Roi à l'évêché de Québec. — Lettre de Mgr de Laval au pape Inno-
cent XL — Mgr de Saint- Vallier au Canada. — Le gouverneur De-
nonville.
L'histoire de l'Eglise du Canada se confond naturelle-
ment avec celle de M""" de Laval pour toute la période
qui s'étend depuis son arrivée en ce pays comme vicaire apos-
tolique en 1659, jusqu'à sa démission volontaire comme
évêque de Québec en 1684, c'est-à-dire pour tout le temps
de son administration épiscopale. De 1684 à 1708, date
de sa mort, c'est la première partie de l'épiscopat de son
successeur, c'est la période mouvementée de la réforme du
séminaire de Québec, tel que l'avait établi le premier évêque
de la Nouvelle-France, avec l'agrément du Roi, « pour ser-
2 l'éguse du canada
vir de clergé à cette nouvelle Eglise ^ » ; et cette réforme,
l'un des épisodes les plus importants de l'histoire de l'Eglise
canadienne, nous l'avons racontée, avec toutes ses circons-
tances, dans la Vie de Mgr de Laval " : nous n'y reviendrons
pas, ou du moins nous n'en parlerons qu'incidemment, en
autant que cela sera nécessaire pour suivre le cours des faits.
Mais ce n'est qu'un épisode dans l'histoire de notre Eglise.
Outre la réforme du Séminaire, il y a, dans cette première
période de l'histoire de M^ de Saint- Vallier, son œuvre pas-
torale, ses visites épiscopales, ses travaux pour le bien de ses
ouailles, ses fondations; il y a ses luttes énergiques pour le
maintien des droits de l'Eglise; il y a ce que nous avons
appelé quelque part les « épisodes de sa carrière militante ' » :
tout cela demande d'être raconté aussi fidèlement que pos-
sible. Mais ne convient-il pas tout d'abord de faire connaître
le personnage distingué qui entre en scène pour succéder à
M^ de Laval ?
Jean-Baptiste de la Croix-Chevrières de Saint- Vallier,
deuxième évêque de Québec, naquit à Grenoble, en Dau-
phiné, le 14 novembre 1653 ^ du mariage de Jean de la
Croix, seigneur de Chevrières, comte de Saint- Vallier, et de
Marie de Sayne. Il était donc de trente ans plus jeune que
M^ de Laval, et dans sa trente-deuxième année, lorsqu'il
fut appelé par le Roi au siège épiscopal de la Nouvelle-
France.
Il avait reçu au baptême le nom de Jean-Baptiste : heu-
reux présage de ce qu'il devait être un jour, destiné qu'il
1. Edifs et Ordonnances, t. I, p. 34 et 35.
2. Vie de Mgr de Laval, t. II, ch. 24 et suivants.
3. Mgr de Saint-Vallier et son temps, Evreux, 1898, p. 3.
4. C'était en France, l'époque de la Fronde, dans sa dernière phase ;
au Canada, un temps d'accalmie dans la lutte de nos pères contre les
Iroquois.
sous M*"" DE SAIiXT-VALLIER 3
était à « conduire clans les voies du salut ' » le peuple qui a
choisi pour patron le saint Précurseur '".
Il était le septième d'une famille patriarcale de dix en-
fants et reçut, dès le bas âge, tant à la maison paternelle
qu'au séminaire de sa ville natale, l'éducation la plus solide
et la plus distinguée. A dix-neuf ans, il était docteur de Sor-
bonne. Ses écrits, ses lettres pastorales, ses mandements dé-
notent chez leur auteur une haute culture intellectuelle. La
lettre, par exemple, qu'il adressa à l'un de ses amis, au
retour de son premier voyage en Canada, pour lui dire ses
impressions et lui faire le récit de ce qu'il avait vu et appris
dans ce pays lointain, devenu sa patrie adoptive, est un
modèle achevé de style et de narration agréable. Elle fut
mise en volume, et cet ouvrage se lit encore avec intérêt ^.
Dans cette lettre si remarquable, l'auteur parle quelque
part de « la noble Maison de Laval », à laquelle appartenait
son prédécesseur. Sa propre famille, sans être d'une noblesse
aussi ancienne et aussi rapprochée du trône que celle des
Montmorency-Laval, n'en était pas moins l'une des plus il-
lustres et des plus nobles du Royaume : et c'est une gloire
inappréciable pour l'Eglise canadienne, que ses deux pre-
miers évêques ont été non seulement des hommes apostoli-
ques de premier ordre, de véritables saints, mais des hommes
qui, par leur naissance, commandaient le respect des officiers
de la cour, et pouvaient tenir tête, au Canada, à ceux que le
Roi y envoyait pour représenter son autorité.
1. Luc, I, 79.
2. Ce choix a été ratifié officiellement par le saint-siège, en 1908, à
l'occasion des noces d'or de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec.
3. Etat présent de l'Eglise et de la colonie française dans la Nou-
velle-France, par M. l'évêque de Québec. A Paris, chez Robert Pépie,
rue Saint-Jacques, à l'image de Saint-Basile, au-dessus de la fontaine
Saint-Séverin. 1688. Lettre de M. l'évêque de Québec, oii il rend compte
à un de ses amis de son premier voyage de Canada, et de l'état oii il a
laissé l'Eglise et la colonie. — C'est un petit volume de 26y pages.
4 Iv EGLISE DU CANADA
La famille Saint- Vallier a donné de tout temps à la France
des hommes remarquables, qui l'ont servie noblement,
avec dévouement, avec intelligence, avec zèle, dans toutes
les carrières, soit dans l'armée, soit dans la magistrature ou
la diplomatie. De nos jours, encore, dans les premières an-
nées de la troisième république, nous avons vu un comte de
Saint-Vallier représenter honorablement son pays à l'am-
bassade d'Allemagne: il assistait, en sa qualité d'ambassa-
deur français, au Congrès de Berlin, en 1878 : et voici ce
qu'écrivait à son sujet le comte de Moùy, l'un des secrétaires
du congrès:
« Cet ambassadeur de premier ordre, dit-il, a laissé une
impression ineffaçable dans le souvenir de ceux qui l'ont
connu. La destinée lui avait prodigué les dons les plus
rares, en même temps que d'âpres rigueurs. Tout en lui,
l'expression de ses traits, l'éclat de ses yeux, sa voix accen-
tuée, son élégance patricienne, révélait une nature d'élite.
Ses facultés justifiaient sa rapide élévation, et il savait tem-
pérer par le charme et la souplesse de son esprit l'apparence
un peu hautaine de son attitude. Mais il payait cher ces
faveurs de la fortune : depuis de longues années, les crises
intermittentes d'une maladie incurable, un squirre stomacal,
épuisaient lentement ses forces. . . Il dominait ses souf-
frances par un travail incessant, et par l'intrépidité de son
âme. Ce stoïque toujours militant avait pris une part consi-
dérable à la formation du cabinet où siégeait M. Wadding-
ton : il dirigeait en maître notre ambassade. . . »
M. de i\IoiJy, toujours sous le charme de cette personna-
lité noble et remarquable, ajoutait un peu plus loin:
« Je l'ai vu peu de temps avant sa fin : son corps était
vaincu, mais non pas son courage: son caractère, sa pensée
et son cœur n'avaient pas fléchi \ »
I. Souvenirs d'un diplomate, Récits et portraits du Congrès de Ber-
lin, dans la Re-vue des Deux-Mondes du 15 octobre 1904, p. 746.
sous M^ DE SAINT-VALUER 5
■Qui ne reconnaîtrait dans cette peinture du comte de
Saint- Vallier de nos jours plusieurs des traits de caractère
de son arrière-grand-oncle ', le deuxième évêque de Québec?
Sans parler de « sa rapide élévation », sans parler de « son
élégance patricienne » et du « charme personnel » qu'il devait,
lui aussi, à sa naissance '^, cette indomptable énergie, cette
« intrépidité d'âme », avec lesquelles il passait à travers tous
les obstacles comme au milieu de nos vastes forêts et de nos
rudes campagnes, cette constance imperturbable qu'il savait
garder même en présence des sollicitations les plus pressantes
d'un Louis XIV, cette fougue, ce travail incessant, qui rap-
pelle le mot d'un homme célèbre sur saint Charles Borromée,
qu'il appelait « un remue-ménage de sacristie » ^, cette hu-
meur « militante », cette inflexibilité » dans les décisions,
cette disposition à toujours agir en « maître », et jusqu'à ces
« âpres aigreurs », dont il souffrit peut-être encore plus que
ceux qui eurent à s'en plaindre: n'est-ce pas là autant de
grandes qualités, mélangées de fâcheux défauts, que les
contemporains remarquaient en M^*" de Saint- Vallier ? N'ou-
blions jamais que les hommes les mieux doués, même les
« natures d'élite», ne sont jamais parfaits*, et que de tous
il faut dire qu'ils ont au moins les défauts de leurs qualités.
1. " Mgr de Saint- Vallier, deuxième évêque de Québec, était mon
arrière-grand-oncle, et son souvenir est demeuré l'un des plus vénérés
dans notre famille." (Lettre du comte de Saint-Vallier à la commu-
nauté de l'Hôpital-Général de Québec, i8 août 1878. citée dans Mgr de
Saint-Vallier et l'Hôpital-Général de Québec, p. 706).
2. " Il charmait toutes les personnes qui lui parlaient, par ses honnê-
tetés. " (Sœur Juchereau, Hist. de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 283.)
3. Le célèbre Annibal Caro, secrétaire du cardinal Farnèse, disait de
saint Charles Borromée, pour exprimer son activité: "De Rome, je ne
sais quelle nouvelle vous donner, si ce n'est que ce remue-ménage de
sacristie a entrepris de la refaire toute entière : et Rome ne suffit pas à
son ardeur..." {Vie de saint Charles Borromée, archevêque de Milan,
par l'abbé Ch. Sylvain, Lille, 1884).
4- " Toute perfection en cette vie est mêlée de quelque imperfection."
{Imitation de J.-C, liv. l, ch. IIL)
6 L EGUSE DU CANADA
Les hommes parfaits n'ont jamais existé que dans l'imagi-
nation des romanciers.
Si les traditions d'honneur et de patriotisme étaient héré-
ditaires dans la famille Saint- Vallier, celles d'un profond
respect pour la religion et d'un sincère attachement à
l'Eglise l'étaient également. Décidé à embrasser l'état ecclé-
siastique et à renoncer à tous les avantages qui l'attendaient
dans le monde, le jeune Saint-Vallier n'eut pas à chercher
bien loin des exemples de fidélité à suivre sa vocation. Son
aïeul paternel, Jean-Baptiste de la Croix, seigneur de Che-
vrières, d'Ornacieux et de Pisançon, comte de Saint-Val-
lier et de Vais, devenu veuf à l'âge de cinquante ans, avait
renoncé généreusement au monde et embrassé l'état ecclé-
siastique, puis était devenu évêque de Grenoble. Il avait
deux fils : l'un d'eux fut le père du deuxième évêque de
Québec; l'autre se fit prêtre, lui aussi, devint ensuite coad-
juteur de son père, puis lui succéda sur le siège épiscopal de
Grenoble. Mais il ne vécut pas longtemps ; et il eut pour suc-
cesseur, à Grenoble, M^ Le Camus. Ce prélat si austère, qui a
même laissé une certaine réputation de janséniste, s'attacha
au jeune abbé de Saint-\''allier, le fortifia de plus en plus
dans sa vocation, et le nomma chanoine de sa cathédrale. Es-
pérait-il en faire un troisième évêque Saint-Vallier pour le
siège de Grenoble? La Providence, en tout cas, en décida
autrement : elle nous le réservait, et ]X)ur arriver à ses fins,
se servit précisément de l'ambition plus ou moins vaniteuse
et mondaine d'un membre de sa famille. L'abbé de Saint-
Vallier avait à la cour un frère aîné \ capitaine des gardes
du Roi : celui-ci, à l'afifût de toutes les bonnes occasions,
saisit la première qui se présenta pour solliciter en faveur de
son frère, et à son insu, la charge d'aumônier ordinaire du
I. L'ancêtre du comte de Saint-Vallier dont il a été parlé plus haut.
sous M*^*' DE SAINT-VALLIER 7
Roi. Il l'obtint; et l'abbé de Saint- Vallier dut quitter Gre-
noble, sa ville natale, pour se rendre à Versailles.
A la cour du grand Roi, si brillante, si pleine de séduc-
tions et de dangers, l'abbé de Saint- Vallier sut rester ce qu'il
avait été à Grenoble et ce qu'il resta toujours : un parfait
ecclésiastique. D'une régularité exemplaire, d'une tenue
irréprochable, d'une vertu à toute épreuve, « il vécut à la
cour sans devenir un abbé de cour — in ipsa Aida non Auli-
ciis w, suivant le magnifique témoignage que lui rendait un
jour M^ de Laval \ Pour lui, la charge d'aumônier ne fut
jamais une sinécure ; et il en profita, au contraire, pour faire
tout le bien possible dans un milieu si ingrat, si rebelle d'or-
dinaire aux salutaires influences. Son zèle ix)ur ramener les
âmes à Dieu ou pour les confirmer dans le bien était sans
bornes ; sa charité et son désintéressement, admirables : et
c'est précisément durant son séjour à la cour qu'il fonda, de
sa fortune personnelle, un hospice pour les pauvres, non loin
de sa ville natale de Grenoble.
Louis XIV n'avait pas manqué de remarquer et d'appré-
cier le zèle et les vertus de son aumônier : il lui offrit à deux
reprises deux des plus importants évêchés de son royaume:
celui de Tours et celui de Marseille. Mais l'abbé déclina
avec une respectueuse reconnaissance les offres du Roi. La
Providence nous le réservait, mettant à profit, cette fois,
non plus les ambitions humaines d'un frère, mais l'humilité
et l'abnégation du vertueux aumônier lui-même.
On sait à quelle occasion le siège épiscopal de la Nouvelle-
France lui fut ofïert. AP"" de Laval ayant résolu de donner
sa démission, à cause d'infinnités précoces dont il se voyait
accablé, et ayant réussi, quoique avec peine -, à la faire
T. Lettre de Mgr de Laval au pape Innocent XL citée un peu plus
loin.
2. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, par la Sœur Juchereau,
" cette maîtresse femme," comme l'appelle un écrivain de la Revue des
Deux-Moudes, mai 1898, p. 328.
O L EGLISE DU CANADA
accepter, avait proposé au Roi l'abbé de Saint- Vallier pour
lui succéder ; et celui-ci ayant été pressenti sur ce sujet avait
consenti à devenir évêque de Québec. Voici ce qu'écrivait
de Paris au pape Innocent XI, au printemps de 1685, M^ de
Laval :
« Très-Saint-Père, je me vois rendu à un tel degré d'infir-
mité, que, me trouvant incapable de soutenir le fardeau de
l'épiscopat ^, je me suis décidé de moi-même à donner ma
démission, suivant les canons. J'ai donc passé en France,
sur la fin de l'année dernière, pour m'occuper de me trouver
un successeur qui pût être agréé par le Roi ^ et par le saint-
siège.
1. Déchargé de ce fardeau, le Prélat vécut encore plus de vingt ans,
et ne mourut qu'en 1708, dans sa quatre-vingt-sixième année. On a
prétendu qu'il avait exagéré ses infirmités, pour faire agréer sa démis-
sion C'est lui faire une injure gratuite. Mgr de Laval était trop franc
et trop sincère pour mentir, surtout au souverain pontife. Or, il dit
expressément : " Je me vois rendu à un tel degré d'infirmité, que me
trouvant incapable de soutenir le fardeau de l'épiscopat. . . " Il faut
donc admettre comme réelle et valable la raison qu'il donne, ses infir-
mités, pour faire accepter sa démission.
Ce qui n'empêche pas qu'à cette raison, comme nous l'avons écrit
dans Mgr de Saint-Vallier et son temps, pouvaient s'en ajouter
d'autres : " Son humilité, écrit la Sœur Juchereau, lui persuadait qu'un
autre à sa place ferait plus de bien que lui, quoiqu'il en fît véritable-
ment beaucoup, parce qu'il ne cherchait que la gloire de Dieu et le
salut de son troupeau. " Il se sentait débordé par l'ingérence de plus en
plus pressante de la Cour et des autorités coloniales dans l'exercice de
ses fonctions épiscopales, la fixation des cures, l'administration des
paroisses, débordé surtout par les ravages de la traite de l'eau-de-vie,
qu'il ne lui était plus permis de combattre avec la même vigueur
qu'autrefois. N'avait-il pas été obligé, quelques années auparavant
(1679), à la prière du Roi, de restreindre son cas réservé au fait seule-
ment de ceux qui allaient dans les bois, loin des habitations françaises,
vendre de l'eau-de-vie aux sauvages? Partout ailleurs le commerce des
boissons enivrantes était à l'abri des peines ecclésiastiques. Les hommes
les plus énergiques finissent par s'user, à la lutte. Mgr de Laval se
persuada " qu'un autre à sa place ferait plus de bien que lui ", c'est-à-
dire, qu'un évêque plus jeune et plus ardent pourrait reprendre et con-
tinuer avec vigueur et efificacité les bons combats d'autrefois " pour la
gloire de Dieu et le salut de son troupeau". (Mgr de Saint-Vallier et
son temps, p. 5. — Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, 1751.)
2. Notons bien ce passage. Le Roi, d'après la Sœur Juchereau,
" avait laissé à Mgr de Laval le choix de son successeur " ; et lorsque
l'on songe au chagrin qu'éprouva le pieux Prélat, quand il vit son
sous M^ DE SAINT-VALUER 9
« Le choix du Roi s'est arrêté sur la personne de l'illustre
abbé de Saint-Vallier, qui réside à la cour même, sans être
un abbé de cour : c'est un homme grave, malgré sa jeunesse,
et très modeste, malgré l'éclat de sa naissance, de sa science
et de ses vertus. Il est d'autant plus digne du siège épisco-
pal de la Nouvelle-France, qu'il a plus redouté d'être évéque
dans l'ancienne France, où il n'y a pas une seule Eglise qui
n'ambitionnât d'avoir un tel prélat. Pour lui, il n'ambi-
tionne aucun évêché ; mais il n'en fuirait aucun, non plus, et
irait bravement à n'importe lequel qui lui serait imposé:
exemple vraiment digne des temps apostoliques.
« Je ne doute pas, Très-Saint-Père, que Votre Sainteté ne
ratifie volontiers le choix du Souverain, et qu'Elle ne m'en
félicite, ainsi que toute l'Eglise canadienne. Votre Sainteté a
déjà appris, par la lettre que vous a écrite l'abbé de Saint-
Vallier lui-même, qu'enflammé d'un saint zèle il n'a pas
attendu ses Bulles pontificales pour aller se dévouer au bien
de ses futurs diocésains: muni de simples lettres de grand-
successeur réfermer son Séminaire, on se demande pourquoi il n'avait
pas choisi pour le remplacer sur le siège de Québec un homme qui
partageât toutes ses vues et consentit à maintenir l'institution^ du
Séminaire telle qu'il l'avait établie. Voici ce que nous écrivions à ce
sujet dans Mgr de Saint-Vallier et son temps:
" N'oublions pas que, bien que le choix de son successeur lui fût
laissé, il ne pouvait le prendre cependant que parmi ceux qui, d'après
les coutumes de l'époque, étaient épiscopables, c'est-à-dire dans les
rangs de la noblesse, parmi ceux qui étaient le plus en vue à la cour.
Un prêtre de son Séminaire, un de ses missionnaires du Canada, voilà
bien le personnage qui eût pu continuer le plus efficacement son œuvre
telle qu'il l'avait commencée. Mais avait-il quelque chance de le faire
agréer par la cour? Evidemment non.
" Parmi tous ceux qu'il pouvait proposer pour l'épiscopat du Canada,
Mgr de Laval choisit celui qui lui parut le plus vertueux et le plus
zélé: cela fait honneur à son désintéressement. Dans cette circonstance,
comme toujours, il agit en saint. Il choisit, de concert avec M. Du-
douyt, l'abbé de Saint-Vallier, et le proposa au Roi comme son succes-
seur, dans l'espérance que, par sa fortune personnelle et son influence à
la cour où il exerçait les fonctions d'aumônier depuis plus de dix ans,
il pourrait être utile à l'Eglise du Canada, mettant sa confiance en
Dieu pour tout le reste, et s'abandonnant sans arrière-pensée à la
divine Providence. "
lO L EGLISE DU CANADA
vicaire que je lui ai données, il a quitté le séminaire des
Missions-Etrangères, où je demeure moi-même, pour se ren-
dre à La Rochelle, et là s'embarquer sur le premier vaisseau
pour aller à Québec, et passer toute l'année à visiter le
diocèse. Il reviendra ensuite en France ; puis, après sa consé-
cration, ma santé étant un peu refaite par mon séjour à
Paris, il m'emmènera avec lui au sein de mon Eglise, où je
désire mourir. »
M^"" de Laval faisait ensuite au souverain pontife une
peinture délicieuse de l'Eglise du Canada, et surtout du
Chapitre qu'il avait établi avant de la quitter; puis il ajou-
tait, avec une touchante humilité, en parlant de son succes-
seur et du nouveau gouverneur, M. de Denonville, qui pas-
sait en Amérique sur le même vaisseau que l'abbé de Saint-
Vallier:
« J'ai l'espoir que tous deux vont réparer heureusement
les fautes qui peuvent avoir été commises par d'autres, et
par moi en particulier. De nouveaux deux et une nouvelle
terre ^ vont être créés au Canada : tout va être agréablement
renouvelé dans cette Eglise. Que Votre Sainteté daigne
seulement lui continuer sa paternelle affection, s'intéresser à
elle, la protéger, la recommander à Dieu, au saint sacrifice,
et lui accorder sa bénédiction apostolique ". »
Les relations étaient si tendues, à cette époque, entre la
cour de France et celle de Rome, que l'on n'avait pu deman-
der immédiatement les Bulles de l'abbé de Saint- Vallier.
M^ de Laval demeurait évêque de Québec jusqu'à la consé-
cration de son successeur et restait à Paris. L'abbé de Saint-
Vallier, pressé de visiter le diocèse auquel le Roi l'avait
nommé, reçut de M^"" de Laval des lettres de grand-vicaire,
et quitta Paris au mois de mai 1685 pour aller s'embarquer à
La Rochelle.
1. Isaïe, ch. 65, v. 17.
2. Archives de l'évêché de Québec, documents copiés au Vatican.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER II
Avant de quitter la capitale, il avait écrit au souverain
pontife une magnifique lettre, ix)ur lui exprimer son pro-
fond respect, ainsi que son admiration pour ses vertus :
« J'aurai toujours, disait-il, ces vertus présentes à mon es-
prit, dans mon voyage, afin d'exciter mon zèle à travailler
au salut des âmes. » Et il priait le saint-père de bénir ses
travaux \
Il emmenait avec lui neuf ecclésiastiques, dont six Sulpi-
ciens : MM. Trouvé et D'Urfé, anciens missionnaires du
Canada, et MM. Mossu, Bergier, Foulques et Geoffroy. Il
partait, chargé de secours de toutes sortes qu'il avait obtenus
de sa famille et de la cour pour l'Eglise de la Nouvelle-
France.
Il fit voile de La Rochelle dans le cours du mois de juin,
sur le même vaisseau que DenonviUe, gardant av^ec lui deux
de ses prêtres. Les sept autres se partagèrent sur deux
autres navires qui firent voile en même temps, remplis de
passagers.
DenonviUe avait obtenu, en effet, de la cour, une recrue de
cinq cents soldats pour la Nouvelle-France. Ces soldats
étaient entassés sur les deux vaisseaux: une maladie pesti-
lentielle éclata au milieu d'eux, pendant la traversée, et un
grand nombre en moururent. Deux des prêtres de l'abbé de
Saint-Vallier furent victimes de leur zèle auprès des ma-
lades :
«J'avoue, écrit le pieux Prélat, que je fus sensiblement tou-
ché de la mort de ces deux ouvriers évangéliques ; mais, après
tout, je leur portai plus d'envie que de compassion, bénis-
sant mille fois Dieu de l'honneur qu'il leur avait fait de les
appeler à lui par une espèce de martyre de charité "... »
Le nouveau gouverneur que la France envoyait au Canada
1. Archives de l'évêché de Québec, documents copiés au Vatican.
2. Mandements des Evêques de Québec, t. I, p. 192.
12 L ÉGLISE DU CANADA
n'a pas laissé dans notre histoire une trace bien brillante
comme administrateur. Son nom pâlit à côté de celui de
Frontenac. La perfidie dont il se rendit coupable à l'égard
des chefs Irociuois à Catarakouï, où il les avait attirés comme
dans un guet-apens, et surtout le rôle odieux qu'il fit jouer
aux missionnaires, en cette occasion, font une tache indélé-
bile sur sa mémoire ^. Mais au point de vue religieux,
Denonville fut vraiment l'idéal d'un gouverneur chrétien.
On a les « Avis donnés par M""" de Saint- Vallier au gou-
verneur et à la gouvernante du Canada sur l'obligation où
ils sont de donner le bon exemple au peuple -. » Ces avis
leur furent donnés probablement pendant la traversée, puis
transcrits dans les registres de l'évêché, où l'on peut encore
les lire. On croît rêver en parcourant ces pages admirables,
qui nous rappellent les touchantes et pieuses homélies des
anciens Pères de l'Eglise. Ces recommandations au sujet
des festins, des bals, de la danse, des représentations théâ-
trales sont vraiment dignes d'un saint Jean Chrysostôme ou
d'un saint Ambroise; et l'on ne sait ce qu'il faut le plus
admirer, du zèle courageux du Prélat qui ne craignait pas
de parler avec tant d'autorité à un gouverneur, ou de la
vertu de ce gouverneur et de sa famille, qui, nous le savons
par l'histoire, accueillirent avec respect ces recommandations
et ces avis de leur pasteur, lequel n'avait pas même encore
le caractère épiscopal, et s'y conformèrent exactement et de
bon cœur tout le temps de leur séjour au Canada. Quel
triomphe pour l'abbé de Saint- Vallier! Faut-il s'étonner si,
dans la lettre que nous avons déjà citée, il fait un si bel éloge
de Denonville, « un aussi bon serviteur de Dieu, dit-il, qu'il
est un fidèle ministre de son Prince », et de sa femme, qui
1. Relations des Jésuites, édition Burrows, t. 64, p. 240, Lettre du
P. Jean de Lamberville à un missionnaire de Chine, Paris, 23 janvier
1695.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 169.
sous M''''" DE SAINT-VALLIER 13
« l'imite de près, ajoiite-t-il, et est à la tête de toutes les
bonnes œuvres » ? Et à cette occasion le pieux Prélat ne
manque pas de faire cette remarque si juste et si vraie :
« Une femme chrétienne, de quelque rang qu'elle puisse
être, ne doit jamais demeurer inutile ; et dès qu'elle ne fait
rien, elle est en état de faire beaucoup de mal \ »
Pour surcroît de bonheur à M. de Saint- Vallier, l'inten-
dant Champigny, qui se trouvait alors au Canada, n'était pas
moins religieux ni moins bon chrétien que Denonville ; et,
chose rare — on peut presque dire exceptionnelle dans la
carrière des intendants — il s'entendait parfaitement avec le
gouverneur :
« Il s'acquitte très dignement de son emploi, écrit M. de
Saint- Vallier ; et il agit si fort de concert avec le gouver-
neur, qu'on peut tout es^jérer de cette parfaite intelligence
pour le bien général du pays '. »
Hélas ! quoiqu'il soit parfaitement vrai que « la piété est
utile à tout ' », il n'est pas moins certain qu'elle ne suffit pas
pour faire un bon gouverneur; et Denonville en est un
exemple frappant. En venant au Canada, il avait instruc-
tion de réduire à la raison les farouches Iroquois, qui,
depuis longtemps, répandaient la terreur dans la colonie
française ; et c'est pour cela qu'on lui avait donné une bonne
recrue de soldats. Il se décide donc et se prépare à aller
porter la guerre dans leur pays. Mais auparavant, de con-
cert avec Champigny, il médite et exécute un plan tout-à-
fait indigne de son caractère et de sa droiture ordinaire :
sous différents prétextes, il attire à Catarakouï les princi-
paux chefs Iroquois, et là les fait saisir, enchaîner, puis em-
barquer pour la France, où les galères les attendent. Chose
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 256.
2. Ihid., p. 257.
3. Tim.. IV. 8.
14 l'éguse du canada
encore plus grave, pour exécuter ce guet-apens, il met à con-
tribution le zèle et la bonne foi des missionnaires jésuites qui
sont dans les Cinq-Cantons, au risque de compromettre à
tout jamais leur influence auprès des sauvages et le succès
des missions : c'est par eux, c'est par l'entremise surtout des
deux Lamberville, qu'il attire les Iroquois dans le guet-
apens de Catarakouï. On a peine à comprendre comment un
homme aussi religieux et aussi noble que Denonville se laisse
entraîner à une si odieuse perfidie ^ .
Son expédition au pays des Iroquois Tsonnontouans
s'exécute ensuite avec un succès facile. Mais les lendemains
sont désastreux pour la colonie française. Les Iroquois
exaspérés, le cœur rempli de vengeance, se relèvent plus fiers,
plus résolus que jamais à exterminer les Français et les
sauvages alliés. Denonville essaie de les ramener à de meil-
leurs sentiments et de conclure une paix durable. Il est
sur le point de réussir, lorsqu'il devient victime, à son tour,
d'une noire perfidie. On sait par quelle machination infâme
le fameux Kondiaronk, chef des Hurons de Michillimaki-
nac, réussit à « tuer la paix », qui était sur le point de se con-
clure entre les Iroquois et les Français. La colonie demeura
en proie aux invasions des Iroquois, l'afïreux massacre de
Lachine vint mettre le comble à toutes les horreurs; et la
cour de France n'eut pas d'autre alternative pour sauver le
pays que d'y envoyer Frontenac à la place de Denonville -.
Mais n'anticipons pas sur les événements.
1. Les Jcstiites et la Nouvelle-France, par le P. de Rochemonteix,
t. III, p. 185. — Gauthier, Histoire du Canada, p. 55.
2. Le nom du marquis de Denonville était Jacques-René de Brisay;
le nom de sa femme, Catherine Courtin. Leur fille, Mlle de Brisay,
avait d'abord songé à se faire religieuse à l'Hôtel-Dieu de Québec; elle
y renonça, et devint religieuse aux Carmélites de Chartres. " La
Carmélite, ma fille aînée, écrivait plus tard M. de Denonville à Mgr de
Laval, est toujours constante dans sa vocation, et aussi gaie que si elle
était dans le monde au milieu des plaisirs. " (Archives du Séminaire de
Québec, Lettre datée de Versailles le 23 mars 1696).
CHAPITRE II
M. DE SAINT-V ALLIER VISITE LA NOUVELLE-FRANCE
COMME GRAND VICAIRE DE M^ DE LAVAL
yi. de Saint-ValHer, à Québec. — Visite canonique des communautés. —
Au Séminaire. — L'école de Saint-Joachim. — Visite de la Côte Beau-
pré et de l'Ile d'Orléans. — Visite de Québec; affaire La Héron-
nière. — De Québec à Montréal. — L'abbé Geoffroy. — A Montréal. —
Voyage en Acadie. — Retour à Québec. — L'emplacement de l'église
de la Basse- Ville. — Retour en France.
L'abbé de Saint- Vallier arriva à Québec dans les derniers
jours de juillet (1685), et alla loger au séminaire, oti
il fut reçu avec les plus grandes marques de respect en sa
double qualité de grand-vicaire de M^'" de Laval et d'évêque
nommé par le Roi pour lui succéder. Le supérieur du Sémi-
naire était M. de Bernières ; il était en même temps curé de
Québec.
On sait ce qui a lieu dans tous les changements d'adminis-
tration. Celui qui arrive est observé avec soin, et devient
l'objet d'une comparaison plus ou moins flatteuse avec celui
qu'il remplace. M. de Saint-Vallier ne pouvait échapper à
ce jeu de l'opinion, et l'expérience ne lui fut pas défavorable.
Il eut bientôt occasion, en effet, de montrer qu'il était, comme
son prédécesseur, de la race de ces prélats héroïques qui ne se
ménagent pas. Les deux navires partis de France en même
temps que lui arrivent à Québec chargés de malades, et les
salles de l'Hôtel-Dieu se remplissent. On voit alors le nou-
i6 l'église du canada
veau Prélat jour et nuit au chevet de ces pauvres malheu-
reux, les consolant, les « embrassant tendrement ^ », les for-
tifiant par de bonnes paroles, et leur prodiguant tous les
secours de son saint ministère. Ceux qui autrefois ont été
témoins des mêmes actes de charité héroïque de la part de
l'évêque de Pétrée, lors de son arrivée dans le pays ^, éprou-
vent une grande joie et augurent beaucoup de bien de la
nouvelle administration.
Sitôt qu'il se voit libre du côté de l' Hôtel-Dieu, et remis
un peu de ses fatigues, il entreprend la visite canonique de
ses communautés religieuses, et commence par le Sémi-
naire. Il connaît déjà cette maison, son esprit, ses œuvres,
par les entretiens qu'il a eus avec M^"" de Laval et M. Du-
douyt aux Missions-Etrangères. Mais lorsqu'il voit de près
ces hommes de Dieu, les De Maizerets, les De Bernières, les
Glandelet, les Morel, formés à la même école que M^ de
Laval, et animés d'un si grand désintéressement qu'ils n'ont
rien à eux, et vont même plus loin que leurs confrères des
Missions-Etrangères de Paris, puisqu'ils pratiquent la
« désappropriation » complète ; lorsqu'il examine ces jeunes
gens — il y en avait une trentaine — qu'ils forment à la
piété et à la vertu dans le Petit Séminaire et qui vont en
classe chez les Jésuites; lorsqu'il visite le Grand Séminaire,
qui a déjà donné à l'Eglise plusieurs bons prêtres cana-
diens : l'un d'eux ^ vient de passer en France avec M^ de
Laval ; il s'y fera « aimer et estimer par ses bonnes quali-
tés ». et y mourra bientôt « en prédestiné * » ; l'abbé de Saint-
Vallier est transporté d'admiration:
« Il me sembla, dit-il, voir revivre dans l'Eglise du Ca-
1. Hùt. de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 283.
2. Vie de Mgr de Laval, t. I, p. 167.
3. L'abbé Jean Guyon, fils de Simon Guyon et de Louise Racine,
du Château-Richer.
4. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 194.
sous M^ DE SAINT-VALLIER ^^
nada quelque chose de cet esprit de détachement qui faisait
une des principales beautés de l'Eglise naissante de Jéru-
salem du temps des Apôtres. »
Il n'y peut tenir, et prend une grave résolution. Le P. de
Valois, jésuite, son confesseur à Paris, lui a conseillé,
d'après les avis de M. Dudouyt, « de se mettre du corps des
Missions-Etrangères, et d'essayer de la désappropriation du
Séminaire de Québec ». Avec une précipitation qu'il re-
grettera bientôt et lui causera bien des ennuis, il abandonne
au Séminaire de Québec tous les livres de sa bibliothèque
qu'il a apportés avec lui, et les fait marquer au chiffre de
cette maison. Puis il lui fait don, en même temps, d'une
somme de quarante-cinq mille francs « qui lui est restée du
prix de sa charge d'aumônier du Roi, ses dettes payées » :
« Je leur fis remettre, dit-il, cette somme, dont je fis don
au Séminaire de Québec, en retenant seulement l'usufruit
ma vie durant. » Ce sont ses propres expressions ^.
Le Séminaire, la Cathédrale, le Chapitre, la Cure de Qué-
bec, tout cela va ensemble, tout est desservi par les mêmes
personnes : c'est le système de M^ de Laval, approuvé et
reconnu par le Roi en 1663. Le Prélat visite tout avec soin,
et se déclare satisfait :
« Je m'estimerais heureux, écrit-il, si je pouvais soutenir
le bien que ]\'L de Québec a établi avec tant de bénédiction et
de peine pendant près de trente années. »
Pour le Chapitre, en particulier, érigé canoniquement en
conformité de la Bulle de Clément X, M"'" de Laval l'avait
entouré de toute son affection, et lui avait donné de magni-
fiques statuts, que l'on peut lire, à leur date, dans la collec-
tion des Mandements des Evêques de Québec ^. L'abbé de
Saint-Vallier y fut reçu « dans les formes », suivant son
1. Mémoire de Mgr de Saint-Vallier au P. de la Chaise, cité dans
hes Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 315.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 135.
i8 l'église du canada
expression, et ne manqua pas, sans doute, d'en voir, lui
aussi, les statuts dans les registres. Comment se fait-il qu'il
écrira plus tard :
« Notre prédécesseur, dont nous tâchons de suivre les
vestiges, ayant érigé dans notre église cathédrale un cha-
pitre, s'était réservé de faire des statuts qui servissent de
règle au dit chapitre ; et comme il na pas exécute son projet,
ni donné des statuts à la dite église, nous nous sommes
obligé d'y suppléer, et à cette fin de faire les statuts sui-
vants ^ . . . »
Singulière manière de suivre les vestiges d'un homme que
d'ignorer complètement son œuvre ! Il écrivait cela à la suite
d'une longue absence de treize ans, pendant laquelle il pou-
vait avoir oublié bien des choses. Mais n'anticipons pas.
Après la visite canonique du Séminaire, de la Cathédrale
et du Chapitre, l'abbé de Saint-Vallier fit celle des Ursuli-
nes, puis des Augustines de l' Hôtel-Dieu. Ces deux com-
munautés, qui datent de 1639, lui procurèrent de grandes
consolations spirituelles : nulle part il ne trouva à reprendre.
Chez les Jésuites, comme au Séminaire, il est reçu avec
tous les égards dus à son rang et à son mérite. Il se fait
rendre compte de leurs travaux et de leur emploi, soit dans
les missions, soit au collège :
« Leur supérieur, dit-il, est le P. Dablon, homme de mé-
rite et d'une expérience consommée, avec qui j'ai eu beau-
coup de liaison pendant mon séjour en Canada. Plus on le
voit, plus on l'estime ; et dans les comptes qu'il a bien voulu
me rendre des qualités et des travaux de tous les religieux
qui lui sont soumis, j'ai connu qu'ils sont tous des saints qui
ne respirent que Dieu seul. . .Parmi ces Pères de la Nouvelle-
France, ajoute-t-il, il y a un certain air de sainteté si sen-
I. Archives de l'évêché de Québec, Documents de Paris, Eglise du
Canada, t. I, Mandement de Mgr de Saint-Vallier, 11 septembre 17 14.
sous M*^"" DE SAINT-VAiaJEK I9
sible et si éclatant (juc je ne sais s'il peut y avoir queique
chose de plus en aucun autre endroit du monde ...»
Les Récollets habitaient encore leur couvent de la rivière
Saint-Charles. M. de Saint- Vallier est enchanté de l'en-
droit : on dirait que dès sa première ^•isite il a conçu l'idée
de l'acquérir ix>ur y fonder sa maison de prédilection: l'Hô-
pital-Général :
« Le couvent des Récollets, dit-il, s'appelle Notre-Dame-
des-Anges; le lieu est agréable, c'est la promenade de la ville
la plus belle, et l'on y va souvent par dévotion en pèlerinage.»
Que n'aurait-il pas dit de l'endroit où sont fixés aujour-
d'hui les bons religieux de saint François d'Assise, sur le
coteau Sainte-Geneviève, en face de leur ancien monastère
de Notre-Dame-des-Anges, d'où l'œil embrasse un des plus
beaux panoramas du monde ^ !
Les Récollets n'avaient encore à la Haute-Ville qu'un
hospice, une succursale de leur monastère ; et l'on sait qu'à
l'occasion de cet hospice ils avaient eu avec M^ de Laval
quelques démêlés que l'abbé de Saint-Vallier n'était proba-
blement pas sans connaître lui-même -. On dirait qu'il y
fait allusion lorsqu'il ajoute :
« Il y a dans le couvent dix ou quinze religieux de bonne
volonté, toujours prêts à aller partout où il plaît à l'évêque
de les envoyer. J'ai sujet de me louer d'eux dans les emplois
que je leur ai commis. Il y a lieu d'espérer, ajoute-t-il, que,
comme on leur enverra toujours de France des sujets bien
conditionnés, et des gardiens aussi prudents et modérés que
l'est celui qui est à présent à leur tête, nous vivrons bien
ensemble ^.))
Sitôt que l'hiver fut arrivé et qu'il y eut des bons chemins
1. Jean Bourdon et l'abbé de Saint-Sauveur, p. 244.
2. Archives de l'évêché de Québec. — Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 95.
3. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 195.
aO L EGLISE DU CANADA
de neige, rabl3é de Saint-Vallier se mit en route pour la
visite de la côte Beaupré et de l'Ile d'Orléans. Il se rendit
tout droit à Saint-Joachim. ayant soin de faire avertir, en
passant, les habitants de la côte Beaupré de sa prochaine
visite. Il lui tardait de voir l'Ecole des Arts et Métiers
établie à la Grande-Ferme par son prédécesseur. Cette école,
sous la direction de deux prêtres du Séminaire, comptait
trente-et-un élèves :
« Il y en avait dix-neuf, dit-il, qu'on appliquait à l'étude, et
le reste à des métiers. L'éloignement où ils sont de leurs
parents et de toute compagnie dangereuse à leur âge, ne con-
tribuait pas peu à les conserver dans l'innocence; et si on
avait des fonds pour soutenir ce petit séminaire, on en tire-
rait avec le temps un bon nombre de saints prêtres et d'ha-
biles artisans. »
Le but de M""" de Laval, en établissant l'Ecole de la
Grande-Ferme, n'était pas d'y former des prêtres, mais des
ouvriers habiles, suffisamment instruits ix)ur leur profession;
et l'on sait qu'en effet il sortit de cette école des hommes très
capables, dont le Conseil Supérieur fut heureux de se servir,
comme experts, en maintes occasions.
M. de Saint-Vallier, toujours avide du mieux, sans réflé-
chir que le mieux est souvent l'ennemi du bien, parce qu'il
n'est pas toujours réalisable, voulait déjà faire un petit
séminaire de cette école; de même qu'au Petit Séminaire de
Québec, où il avait pourtant admiré la piété des élèves, il
avait désiré voir un état de choses encore plus parfait, mais
peu réalisable, dans l'idée des directeurs. Vite, et du premier
coup, il les oblige à doubler le nombre de leurs élèves : il
n'oublie qu'une chose, doubler en même temps les moyens
et les ressources. Dès l'année suivante, on est obligé de
revenir au nombre d'élèves que l'on avait auparavant. Evi-
demment ces hommes n'avaient pas la même mentalité.
L'église paroissiale de Saint-Toachim était encore à la
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 21
Grande-Ferme; et il y avait trois autres églises en pierre sur
la côte Beaupré: Sainte-Anne, Château-Richer et l'Ange-
Gardien. Il y avait aussi cinq paroisses dans l'Ile d'Or-
léans: la Sainte-Famille, Saint-François, Saint-Jean, Saint-
Paul (aujourd'hui Saint-Laurent) et Saint-Pierre. M. de
Saint- Vallier fit avec le plus grand soin la visite de toutes
ces paroisses. Partout les fidèles accouraient à l'église,
comme on le fait encore aujourd'hui à la visite de l'évêque, et
s'approchaient des sacrements. M. de Saint- Vallier n'ayant
pas encore le caractère épiscopal, ne donnait pas la confir-
mation \ mais prenait plaisir à interroger les enfants, car il
nous assure qu'il les trouva partout « fort bien instruits ' » :
ce qui prouve que M^"" de Laval et le Séminaire n'avaient pas
négligé la cause de l'éducation dans leur seigneurie. Quant
aux parents : « J'ai remarqué, dit M. de Saint-Vallier, le
bon ordre qui règne parmi les habitants de ces lieux-là, qui
sont assez universellement gens de bien. » ^
Il rend le même témoignage aux familles de sa ville épis-
copale. Il les visita toutes, une à une, vers le jour de l'an,
1. Il parait certain, d'après les documents, que ni les Récollets ni
les Jésuites n'administrèrent le sacrement de confirmation, au Canada.
En avaient-ils la permission? S'ils ne l'avaient pas, c'est probablement
parce qu'ils n'avaient pas jugé à propos de la demander. Plusieurs
missionnaires jésuites ont confirmé, au Brésil. D'après Kenrick
(Traité de la Confirmation, ch. III), ce privilège avait été accordé au
P. John Carroll, avant qu'il devînt évêque de la Nouvelle-Angleterre.
Le concile de Florence (i43g-42), tenu sous Eugène IV, admet que la
délégation de simples prêtres pour la Confirmation avait souvent eu
lieu, sans que l'on puisse cesser de considérer l'Evêque comme le seul
ministre ordinaire de ce sacrement. Le concile de Trente, également
(Confer Pallavicini, Histoire du Concile de Trente, t. IX, c. 7). Pour
ne citer que quelques exemples, saint Grégoire le Grand (an. 593)
donna aux prêtres de Sardaigne le pouvoir de confirmer : Nicolas IV,
Jean XXII, Urbain V, Eugène IV, Léon X, Adrien VI ont accordé ce
pouvoir à des Frères mineurs ; Clément XI l'a accordé aux Pères-
Gardiens de Terre-Sainte ; Benoit XIV renouvelle ce pouvoir, et
retend jusqu'à permettre aux délégués Latins de confirmer des Grecs.
au besoin. (Nous devons cette note à la bienveillance d'un jeune
docteur distingué du Séminaire de Québec).
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 206.
22 L EGLISE DU CANADA
accompagné de deux ou trois de ses prêtres. Partout il
reçut l'accueil le plus respectueux et le plus cordial. Il faut
pourtant qu'il y ait toujours quelque ombre aux plus beaux
tableaux. Il y avait alors à Québec un personnage de haute
futaie, nommé La Héronnière, agent des fermiers géné-
raux de la colonie : personnage assez mal élevé, d'ailleurs,
comme la plupart des parvenus, et dont la conduite lais-
sait beaucoup à désirer. Ces gens qui n'ont pas la cons-
cience tranquille, se croient toujours visés par les prédica-
teurs, lorsque ceux-ci s'élèvent contre les désordres en géné-
ral. On lui rapporte, un jour, qu'un Jésuite a prêché forte-
ment, à la cathédrale, contre tel vice, et il se figure que ce
prédicateur a voulu parler de lui. Il entre dans une fureur
étrange, et jure de se venger à la première occasion.
« Cependant, écrit j\I. de Denonville, je sais, parce que j'y
étais, que le prédicateur ne dit rien qui piit faire soupçonner
en aucime manière qu'il voulût parler de lui. Peut-être que
s'il y avait été, il en aurait jugé de même. »
M. de Saint- Vallier et ses prêtres arrivent chez La Héron-
nière; et «ce brutal «, — c'est le mot employé par Denon-
ville — au lieu d'accueillir avec respect ses nobles visiteurs,
s'emporte d'une manière honteuse contre le Jésuite qui a
prêché contre lui, et exhale sa bile sur l'Evêque :
« Je pistolerai vos prêtres, dit-il. au premier coin de
rue que je les rencontrerai ; et quant à vos coquins de
moines, je les ferai mourir sous le bâton. »
A ces menaces et à ces injures inattendues, le Prélat,
accoutumé à se posséder lui-même, oppose la plus admirable
douceur. Il se jette au cou de ce vilain. « l'embrasse, et lui
fait une exhortation d'un ami à son ami et d'un père à son
enfant qu'il veut faire revenir » de son erreur. Peines per-
dues ! c'est l'agneau en présence du loup :
« Cette douceur, écrit M. de Denonville, lui fit si peu
d'impression qu'au lieu de se jeter à genoux pour lui deman-
sous M"' DE SAINT-VAIvUER «3
<ier pardon, reconnaissant sa faute sur le champ, au lieu,
<lis-je, de l'avoir reconnue depuis, je suis averti qu'il s'en
est vanté et glorifié V »
La visite de sa ville épiscopale terminée, M. de Saint-
Vallier avait hâte de monter à Montréal pour marquer son
«stime aux messieurs de Saint-Sulpice, qui desservaient avec
tant de zèle cette partie de la colonie. Sans être lui-même
de Saint-Sulpice, il avait en grande vénération les fils de
M. Olier, et l'estime était réciproque. M. Tronson aimait
beaucoup notre Prélat : il lui avait déjà donné six de ses
prêtres, et lui avait promis de lui en fournir encore, au
Tbesoin, pour ses missions.
Tout en montant à Montréal, M. de Saint- Vallier, avec
son activité incessante et son besoin de travail, veut visiter
toutes les paroisses et missions en haut de Québec. Qui
n'admirerait le zèle de ce jeune Prélat, accoutumé au climat
<ie la belle France, à toutes les douceurs de la vie familiale,
à Grenoble, puis à celles de la cour, à Versailles ? Il connaît
déjà depuis quelques semaines les rigueurs de nos hivers
canadiens, mais rien ne le rebute ; il est prêt à affronter les
intempéries de la saison, et se met bravement en route pour
Montréal, arrêtant, comme il Ta décidé, à toutes les paroisses
et missions qui se trouvent sur les deux rives du Saint-Lau-
rent. Voici à peu près celles qu'il y avait à cette époque :
Au nord du fleuve, Sillery, Notre-Dame-de-Foy, et
Lorette, avec deux missions de sauvages, l'une d'Abénaquis,
à Sillery, l'autre de Hurons, à Lorette : ces paroisses et
missions sont desservies par les Pères jésuites ; — la Pointe-
aux-Trembles de Neuville, la Côte Saint-Ange, les Ecu-
reuils, le Cap-Santé et Deschambault : toutes ces paroisses
sont desservies par le même prêtre, M. Pinguet ; — de l'autre
I. Archives du Canada, Correspondance générale, vol. 8, Lettre de
Denonville au ministre, 8 mai i686.
«4 l'église du canada
côt?é du fleuve, il y a Vilieu, ou Saint-Nicolas, Sainte-Croix
et Lotbinière, et le curé de ces paroisses traverse quelque-
fois, au besoin, au Cap-Santé et à Deschambault ; — les
Grondines, Sainte- Anne et Batiscan, desservies par le même
missionnaire; — Champlain et les Prairies Marsolet, au nord,
Gentilly, au sud du fleuve, desservies par le même prêtre;
les Trois-Rivières et le Cap-de-la-Madeleine, au nord, Vil-
liers, Linctôt, et Cressé ou Nicolet, au sud, forment une
grande circonscription dessei^vie par un seul prêtre, avec
l'assistance d'un Père récollet \
Venait ensuite la mission de Sorel, comprenant, outre cet
endroit, la Rivière -du-Loup, Berthier et Autray, au nord,
la Rivière Saint-François, au sud ; puis, la mission de Saint-
Ours, Contrecœur. Verchères et Chambly, avec La Valtrie
au nord du fleuve : — la mission de Repentigny, avec Saint-
Sulpice, Villy et Tlle-Jésus ; — la mission de Boucherville,
avec le Cap Saint-Michel, Petit-le-Moyne, Varennes, Trem-
blay et Longueuil ; — la Prairie de la Madeleine et la côte
Saint-Lambert, desservies par les Pères jésuites ; — les
trois paroisses de l'Ile de Montréal, Villemarie, Lachine et
la Pointe-aux-Trembles, desservies par les Sulpiciens, avec
les missions de l'Ile Sainte-Thérèse, du Haut-de-l'Ile et de
Chateauguay - .
M. de Saint- Vallier, montant à Montréal dans l'hiver de
1. Probablement le P. Sixte Le Tac, dont l'intendant De MeuHes
écrivait en 16S3 : " M. l'évêque a soufïert plusieurs années aux Trois-
Rivières le P Sixte Le Tac en qualité de curé. Il y demeure encore
présentement, et y a même bâti une petite maison fort jolie. Il m'a
avoué que le revenu de sa cure n'avait jamais monté, dans la meilleure
année, plus haut que 300 livres, dont il avait subsisté parfaitement bien,
et en avait envoyé tous les ans au moins 100 livres à son couvent: ce
qui m'a fait penser que dans une colonie nouvelle comme celle-ci, il
serait à propos de passer par-dessus plusieurs formalités qui empêchent
qu'on ne retire les religieux de leurs couvents pour desservir des
cures..." (Archives du Canada).
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 115, Plan général de l'état pré-
sent des missions du Canada, fait en l'année 1683.
sous M^ DE SAINT-VALLIER «5
1686, fit avec un zèle admirable la visite pastorale de toutes
ces paroisses et missions. Il éprouva dans ce voyage beau-
coup de consolations spirituelles, rencontrant partout cet
esprit de foi qui distinguait nos pères et dont leurs enfants
ont hérité. Mais comme elle était pauvre, à cette époque,
au point de vue matériel, cette Eglise canadienne qui lui
était échue en partage ! De presbytères, presque nulle part :
les missionnaires logeaient 'chez quelqu'un de leurs habi-
tants, ou bien chez le seigneur de l'endroit, comme par
exemple, à Boucherville, chez M. Boucher ; aux Trois-Ri-
vières, chez le gouverneur, M. de Varennes; de pauvres
chapelles, presque partout couvertes en chaume, et la plu-
part du temps dépourvues des objets les plus nécessaires au
culte :
« Je visitai sur ma route, dit le Prélat, toutes les églises
que j'y trouvai des deux côtés de la rivière: celle d'une
petite ville qu'on nomme les Trois-Rivières, et qui est fer-
mée de pieux, est la seule qui me donna de la consolation ;
toutes les autres étaient ou si prêtes à tomber en ruines, ou si
dépourvues des choses les plus nécessaires, que la pauvreté
011 je les vis m'affligea sensiblement ; et je ne doute pas que
si les personnes de piété qui sont en France avaient vu
comme moi ces lieux saints, couverts de paille, tout délabrés,
sans vaisseaux sacrés et sans ornements, elles n'en fussent
vivement touchées, et qu'elles n'étendissent leurs aumônes
jusque-là, pour y faire célébrer les divins mystères avec dé-
cence ^. »
Disons de suite qu'en effet les aumônes de la cour et
d'ailleurs affluèrent à M^ de Saint- Vallier, pour augmenter
les siennes propres, et qu'en peu d'années il réussit à mettre
sur un bon pied la plupart de ces églises et de ces paroisses.
Un des jeunes Sulpiciens qu'il avait amenés avec lui au
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 206.
26 l'église du canada
Canada, l'abbé Geoffroy, lui fut d'un grand secours dans
cette œuvre de régénération. Après avoir travaillé avec
zèle durant quelques années dans les missions de l'Acadie, il
fut installé en 1692 curé de la Prairie de la Madeleine, où il
resta jusqu'en 1697: puis il fut appelé à la desserte des deux
missions de Champlain et de Batiscan par l'Evêque, qui « le
nomma en même temps vicaire général pour toutes les pa-
roisses rurales du diocèse, avec privilège d'y pouvoir séjour-
ner quand il le voudrait, autant qu'il le jugerait à propos,
pour y construire les presbytères et les églises dont elles
auraient besoin ».
M^ de Saint- Vallier mit une partie de ses grands biens
à sa disposition. L'abbé Geoffroy dépensa lui-même presque
toutes ses ressources à l'oeuvre si méritoire et si patriotique
qui lui était confiée. « Il travailla ainsi comme grand archi-
tecte du diocèse jusqu'à la fin de sa vie. Après avoir bâti en
pierre l'église de Champlain, il construisit de même celles de
Sorel, de Contrecœur et d'autres. » Il avait établi plusieurs
écoles au Canada et en Acadie ; il rétablit à Champlain le
couvent que les Sœurs de la Congrégation y avaient eu au-
trefois ; et après avoir fait tant de bien, « il alla mourir sain-
tement à l'Hôtel-Dieu de Québec, en 1707», un an avant
M^ de Laval \ Mais revenons à la visite de M. de Saint-
Vallier à Montréal.
La réception qui lui fut faite fut tout-à-fait digne de .son
haut rang et de ses mérites :
« Je fus reçu, dit-il, avec de grandes marques d'honneur
et de joie par le gouverneur, M. de Callières, qui est un
homme fort appliqué à son devoir, brave de sa personne,
plein d'honnêteté et très capable de son emploi, au jugement
de tous ceux qui le connaissent. »
M. de Callières, qui devait un jour succéder à Frontenac
I. Les Sulpiciens en Acadie, par l'abbé Casgrain, p. 80.
sous M*"" DE SAINT-VAIXIER 27
comme gouverneur général de la colonie, était en effet un
homme très distingué. Il avait un frère qui était membre de
l'Académie française. Le château qu'il habitait à Mont-
réal était à l'endroit appelé, de son nom, « Pointe-à-Calliè-
res », et que Champlain, en 1611, avait nommé «Place
Royale ». La maison des Sulpiciens était aussi au même
endroit. Mais ils venaient de construire, sur la rue Notre-
Dame, et parallèlement à cette rue, une grande église en
pierre ' : elle avait cent-vingt-neuf pieds de long et trente-
huit de large. Tout auprès s'éle\'^it leur nouvelle résidence,
qu'on appelle aujourd'hui « le vieux Séminaire », et dont M.
de Denonville écrivait : « Ce n'est pas sans raison qu'ils ont
pris la résolution de se bâtir, car on ne saurait être plus mal
logé que ces ecclésiastiques le sont ^. » La paroisse comptait
140 familles, donnant 647 âmes.
Le supérieur du Séminaire était alors M. Dollier de Cas-
son, dont M. Grandet a écrit : « Son caractère particulier fut
de rendre la vertu aimable; sa grâce était de gagner les
cœurs et de les attirer à Dieu. » Et M. de Saint-Vallier :
« C'est un sujet de mérite et de grâce, dit-il, qui a reçu de
Dieu un merveilleux discernement pour placer ceux qui sont
sous sa conduite selon la diversité de leurs talents. Il sait
l'art de ménager tous les esprits ; et sa prudence, jointe à sa
douceur et à ses autres vertus, lui a gagné l'estime et l'affec-
tion de toutes sortes de f)ersonnes. »
M. de Saint-Vallier fit la visite canonique du Séminaire,
1. D'après une lettre d'un Père jésuite, alors à Montréal, la dédi-
cace de cette église eut lieu en 1694 : " On fit, à la Pentecôte, la dédi-
cace de leur église, cérémonie qui n'avait jamais été vue à Montréal.
Monseigneur bénit aussi notre chapelle... " Puis il ajoute: "Les mes-
sieurs amassent de la pierre pour faire un beau clocher. Celui qu'ils
ont maintenant est comme un des clochers de notre église de Poitiers,
mais de bois sur la charpente; mais l'autre sera en pierre..." (Rel.
des Jés., édit. Burrows, vol. 64, p. 138, Lettre du P. Chauchetière à son
frère, à Limoges, Villemarie, 7 août 1694).
2. Archives du Canada, Mémoire de Denonville, 1685.
38 L^ÉGLISE DU CANADA
de l'Hôtel-Dieu et de la Congrégation de Notre-Dame. Au
Séminaire, on lui témoigna la plus parfaite confiance; cha-
cun voulut lui parler « en particulier », et comme il dit lui-
même, « tous voulurent me découvrir leurs plus secrètes
dispositions ».
A l'Hôtel-Dieu et à la Congrégation, on était encore bien
pauvre, sous le rapport temporel : mais que de richesses de
vertus et de mérites ! Parlant des Sœurs de la Congrégation :
« Il n'y a point de bien qu'elles n'aient entrepris, dit le Pré-
lat, dont elles ne soient venues à bout. » Et il cite la maison
de la Providence, où elles formaient non seulement des maî-
tresses d'école, qui se répandaient dans les différents en-
droits de la colonie, mais aussi de bonnes sers^antes « capa-
bles de gagner leur vie dans le service ». Pouvons-nous pré-
tendre avoir inventé, de nos jours, les Ecoles normales et les
Ecoles ménagères?
M. de Saint- Vallier cite aussi la Mission de la Montagne,,
où les Sulpiciens avaient pour les sauvages une Réduction
qui ne le cédait en rien, pour la vertu, à celle des Jésuites, à
Sillery. Elle était sous la direction de M. de Belmont :
« Il ne se contente pas, dit-il, de leur apprendre la doctrine
chrétienne et la manière de bien vivre, il leur enseigne aussi à
parler français, et à chanter le plain-chant et la musique,
selon qu'ils ont de la voix. Les uns ont appris sous lui à être
tailleurs, les autres sont devenus cordonniers, et il y en a
même de maçons, qui ont déjà bâti de leurs propres mains
de petites maisons à l'européenne. »
C'est-à-dire que M. de Belmont avait à Montréal, pour nos
sauvages, ce que M^'' de Laval avait créé pour les Canadiens
à la Grande-Ferme de Saint-Joachim, ce que M. de Ratis-
bonne a organisé de nos jours à Jérusalem pour les jeunes
Syriens et Arabes ^, une véritable Ecole des Arts et Métiers.
I. "Visité cette après-midi (13 mars) le grand Orphelinat Saint-
sous m"" de saixt-\ai.i,ii;!< 29
M. de Saint-V'allier revint à Québec, enchante de son
voyage de Montréal. Sait-on ce qu'il avait imaginé pour se
reposer de ses fatigues ? Un voyage en Acadie ! Et quel
voyage ! dans quelles conditions ! On est encore en hiver, ou
plutôt en cette saison de l'année qui n'est ni l'hiver ni le prin-
temps, où la débâcle sur les rivières et les lacs commence, où
les chemins de neige vont devenir bientôt impraticables.
Qu'importe, il veut partir. L'un des deux prêtres que le
Séminaire de Québec entretient en Acadie, l'abbé Thury, est
venu rendre compte de sa mission, et lui en a dit des choses
men'eilleuses, qu'il veut voir de ses propres yeux. Il part
donc, le mercredi de Pâques, 2 avril, accompagné de deux
prêtres, et de cinq « canoteurs ».
Chemin faisant, il fait la visite pastorale de toutes les
missions de la côte Sud: la Pointe-de-Lévi (Saint-Joseph),
dont il trouve la chapelle <' une des plus propres et des mieux
bâties du Canada », la Pointe-à-Lacaille \ le Cap-Saint-
Ignace, les Trois-Saumons, la Bouteillerie, la Rivière-du-
Loup. Entre ces missions principales, il y en a d'autres
moins importantes, mais destinées à beaucoup d'avenir :
Montapeine, Beaumont, Ladurantaie, Bellechasse, Bonse-
cours, Saint-Denis, Lacombe. Kamouraska '. De partout les
habitants accourent pour rencontrer le Prélat, et profiter,
comme de nos jours, des grâces de la visite. Il en profite lui-
même pour les exhorter à construire un temple au Seigneur,
Pierre, fondé par M. de Ratisbonne, en dehors de la porte de Jaffa, et
tenu par les Pères de Sion. C'est un magnifique établissement,
surmonté d'une belle statue dorée de la sainte Vierge, avec cette
inscription : " Et sic in Sion firruata suin. " On y montre aux enfants
les différents corps de métiers : boulangers, menuisiers, cordonniers,
tisserands, tailleurs, etc. " (Journal inédit de mon voyage en Europe et
en Terre-Sainte, 1883-84.)
1. Appelée ainsi d'Adrien D'Abancour dit Lacaille, grand'père ma-
ternel de Louis Joliet, qui s'y noya en 1640.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 119.
30 l'église du canada
une résidence à leur missionnaire, et les encourager dans
leur noble travail de colonisateurs.
A la Rivière-du-Loup, il reste huit jours entiers, pour se
reposer un peu de ses fatigues, et n'en repart que le 7 mai.
Il y a plus d'un mois qu'il a quitté Québec.
Le voilà donc en route pour l'Acadie, avec ses deux com-
pagnons et ses cinq guides, à travers d'immenses forêts,
parsemées de lacs et sillonnées de rivières. Il observe tout,
prend note de tout; et dans sa lettre que nous avons déjà
citée bien des fois, il décrit parfaitement ces lieux qu'il a
vus, ces rivières qu'il a trav^ersées; il connaît mieux le pays
que nos meilleurs explorateurs d'aujourd'hui ; il fait preuve
de grandes vues colonisatrices. Arrivé à la rivière Saint-
Jean: «Il me semble, dit-il, qu'on pourrait faire de belles
colonies entre Medoctec et Gensec. » Çà et là, il rencontre
des sauvages chrétiens de Sillery et d'ailleurs, dont l'esprit
religieux et l'accueil sympathique le rejouissent : « L'un
d'eux, dit-il, avait été en France, et parlait très bien fran-
çais. »
Le 18 mai, il est à Miramichi, « lieu fort agréable, sur la
rivière de Manne », dit-il. Le voilà donc au nord de l'Acadie,
sur les domaines de M. de Fronsac ^ Mais que va-t-il faire
en Acadie, et qu'est-ce que l'Acadie?
Cette immense colonie, aux frontières un peu indécises,
qui s'étendait du golfe Saint-Laurent à la rivière Kénébec
dans le Maine et comprenait toute la Nouvelle-Ecosse et le
Nouveau-Brunswick, avec l'Ile du Prince-Edouard et le
Cap-Breton, faisait partie, comme la Louisiane, du diocèse
de Québec; et voilà pourquoi M. de Saint- Vallier tenait à
la visiter, pour en connaître par lui-même l'état religieux et
les besoins. M^ de Laval n'avait fait qu'y toucher, en pas-
I. Nicolas Denys de Fronsac. Il avait, à Miramichi, une concession
de terre de " quinze lieues de devanture sur quinze lieues de profon-
reur". (Documents relatifs à la Nouvelle-France, t. II, p. 40.)
sous M*^ DE SAINT-VAI.LIER 3I
sant, à son arrivée en Canada : il s'était arrêté quelques jours
à Percé, pour y donner la confirmation'. M. de Saint-
Vallier fit deux fois la visite pastorale de l'Acadie; et après
lui aucun évêque de Québec ne put remplir ce devoir, pas
plus qu'aucun d'eux, y compris M. de Saint-Vallier lui-
même, ne visita jamais la Louisiane. Ils se contentèrent de
l'administrer par des grands vicaires. Le" premier de nos
évêques qui paraît avoir sérieusement projeté d'aller en
Aca<lie. après M^"" de Saint-Vallier, c'est M*^ Denaut, en
i8oj; mais lui non plus ne put mettre son projet à exécu-
tion ".
Cela ne veut pas dire que l'Acadie ait jamais été délaissée
au point de vue religieux. Au contraire, nous y voyons, dès
l'origine de cette colonie, l'aînée de quatre ans de la colonie
canadienne, — Port-Royal fut fondé quatre ans avant Qué-
bec— quelques prêtres séculiers : puis, la mission, bien éphé-
mère, il est vrai, mais sérieuse et efficace, du P. Biard, sous
le patronage de la marquise de Guercheville. En 1632, les
Capucins y sont envoyés par Richelieu et le P. Joseph, et
établissent à Port-Royal une mission très importante '. Un
peu plus tard, les Jésuites sont envoyés, à leur tour, par
leur Supérieur de Québec, dans la partie sud de l'Acadie,
chez les Abénaquis de la vallée du Kénébec *. A part ces
missionnaires réguliers, nous rencontrons constamment en
Acadie des Pères récollets, des Cordeliers, des Pères péni-
tents, et aussi des aumôniers de navires français, qui y sé-
journent plus ou moins longtemps. Jamais les colons de
l'Acadie n'ont été complètement privés de secours religieux ^.
Lorsque M^ de Laval arriva en Amérique (1659), l'Aca-
Vie de Mgr de Laval, t. I, p. 144
Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 529.
La mission du Canada avant Mgr de Laval, p. 108.
Ibid, p. 109.
Les Sulpiciens en Acadie, p. 52.
32 l'église du canada
die appartenait à l'Angleterre, et elle ne fut rendue à la
France qu'en 1667, par le traité de Bréda. Il ne put y
envoyer un missionnaire qu'en 1676. L'abbé Petit, son
grand vicaire, curé de Port-Royal, est le premier mission-
naire qui a été envoyé en Acadie comme faisant partie
intégrante du diocèse de Québec par la Bulle de 1674.
L'abbé Thury y fut envoyé en 1684, et s'établit à Mirami-
chi. Petit et Thury étaient deux prêtres des Missions-
Etrangères de Québec : ils eurent pour successeurs dans
leur apostolat les abbés Gaulin, Leloutre, Maillard et autres.
Il était réservé à M^"" de Saint- Vallier d'introduire les Sul--
piciens en Acadie, et d'ouvrir aux fils de M. Olier ce beau
champ pour y exercer leur zèle : et ils travaillèrent toujours
en union parfaite avec leurs confrères du Séminaire de
Québec:
« Quand on traverse aujourd'hui, dit l'abbé Casgrain, la
petite ville d'Annapolis, l'ancienne capitale de l' Acadie, pour
visiter le pays environnant, on circule pendant quelque
temps entre deux charmantes rivières qui arrosent les petites
prairies occupées jadis par les proscrits, et qui vont en se rap-
prochant jusqu'à ce qu'elles ne forment plus que le même
cours d'eau, avant de se jeter dans le bassin de Port-Royal.
C'est l'image de nos deux sociétés de missionnaires. Elles
ont ainsi fertilisé le champ de l'Eglise canadienne, en tra-
vaillant dans une si parfaite union, qu'elles se confondent
aujourd'hui dans les mêmes souvenirs historiques ^.»
L' Acadie, — nous parlons ici, surtout, de l' Acadie fran-
çaise— quel admirable pays ! pays de grands et nobles souve-
nirs; pays de luttes et d'efforts généreux, de la part de ses
habitants, pour conserver leur langue, leurs traditions et leur
religion, au milieu de dangers et d'obstacles auxquels nulle
nation peut-être ne fut plus exposée; pays de bonheur et de
I. Les Sulpiciens en Acadie, p. 21.
sous M^"" DE SAIXT-VALLIER 33
joies domestiques sans égales, à certaines époques ; pays d'in-
fortunes inénarrables, en d'autres temps, comme, par exem-
ple, celui de la dispersion ; pays de mort, puis de résurrec-
tion; pays qui a su captiver l'attention d'historiens remar-
quables comme M. Rameau et l'abbé Casgrain, et exciter la
verve poétique d'un Longfellow ; pays, enfin, qui a été l'ob-
jet du zèle d'hommes apostoliques comme il s'en rencontre
p)eu, celui d'un homme admirable comme Saint-Vallier, par
exemple !
Le Prélat y passa trois grands mois, dans son voyage de
1686, parcourant le pays dans toutes les directions, visitant
tous les postes français et toutes les missions sauvages, Mi-
ramichi, Richibouctou, Shédiac, Chédabouctou, Beaubassin,
les Mines, Port-Royal, prêchant, confessant, administrant
les sacrements avec un zèle vraiment héroïque, heureux de
trouver partout tant d'esprit chrétien, tant de bonne volon-
té, tant de saints désirs du ciel. Les postes français étaient
sans doute l'objet principal de son zèle. Il s'efforçait de met-
tre les missions sur un bon pied ; il exhortait les fidèles à la
pratique fréquente des sacrements, et les prémunissait contre
les désordres. Mais il s'occupait aussi beaucoup des missions
sauvages ; et ce qui lui procurait beaucoup de consolations,
c'était de trouver souvent parmi les sauvages chrétiens de
vrais apôtres : « Il y en a, dit-il, qui, après avoir été en hiver
commencer leurs chasses par les bêtes, vont les terminer par
les hommes dans des cabanes iroquoises pour gagner à Dieu
des âmes. »
Les abbés Petit et Thury, du Séminaire de Québec, fai-
saient un bien inappréciable en Acadie ; mais ils étaient seuls.
Il leur laissa les deux bons prêtres sulpiciens qui l'accom-
pagnaient, MM. Geoffroy et Trouvé : le premier devint
l'assistant de M. Petit à Port-Royal ; l'autre fit sa résidence
à Beaubassin. M. Thury reçut les pouvoirs de vicaire géné-
ral, comme M. Petit; et le Prélat lui adressa une magnifique
34 I^'ÉGUSE DU CANADA
lettre, dans laquelle il lui faisait les recommandations les
plus importantes au sujet de la juridiction: « Il y a des mis-
sionnaires, disait-il, qui sont venus ici sans y être envoyés
par l'Evêque, qui a seul pouvoir de donner mission. . ., ils
ont plutôt détruit qu'édifié. » Il devra exiger, à l'avenir,
qu'ils prennent de lui leurs pouvoirs.
Le Prélat fit des recommandations analogues au Père
Joseph, récollet, le missionnaire de Percé, au sujet des au-
môniers de vaisseaux qui y descendaient, et donnaient trop
souvent de mauvais exemples.
A tous les missionnaires il adressa de sages conseils : « Je
désire, dit-il, qu'ils s'en tiennent aux règles et aux canons de
l'Eglise, qui leur ordonnent de ne se point mêler des affaires
temporelles de ceux dont ils doivent conduire les âmes ^. »
Aux habitants de Percé, de Beaubassin et des Mines, il
adressa des lettres magnifiques pour les exhorter à bâtir des
églises convenables, et aussi pour les prévenir contre une
foule de désordres, surtout celui de l'intempérance, qui pa-
raît avoir été de tout temps le fléau du pays. En un mot,
on est dans l'admiration à la vue du zèle qu'il déploya pour
faire le bien, et un bien aussi durable que possible, durant les
quelques semaines qu'il consacra à cette partie lointaine de
son diocèse.
Une chaloupe l'attendait à Percé, pour le ramener à Qué-
bec : elle lui avait été envoyée par le gouverneur du Canada,
M. de Denonville. Il quitta Percé dans les derniers jours
d'août, et arriva à Québec au commencement de septembre.
Son voyage avait duré cinq mois :
« M^"" notre Evêque est de retour de l'Acadie, écrivait M.
de Denonville, où il a fait sa visite par toutes les habita-
tions, avec de grandes fatigues '^ »
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 176.
2. Documents relatifs à la Nouvelle-France, t. I, p. 388.
sous M"'" DE SAINT-VALLIKK 35
Eh bien, son zèle a^xistolique n'était pas encore satisfait.
Il aurait voulu courir à la baie d'Hudson, où était allé le
P. Sylvie, accompagnant D'Iberville et M. de Troies dans
leur fameuse expédition de 1686; et l'on croit qu'il avait
même formé le projet de visiter un jour la Louisiane, cette
partie si lointaine de son diocèse, à laquelle on sait qu'il
porta toujours un vif intérêt. Mais il ne put satisfaire ces
désirs. Il voulut, du moins, avant de quitter le Canada,
visiter les missions sédentaires des Jésuites : deux fois il se
rendit à la célèbre mission iroquoise de Canaughwaga, une
première fois seul, et une deuxième fois avec le gouverneur,
M. de Denonville. Plusieurs fois il visita les missions de
Sillery et de Lorette, ainsi que les nouvelles missions abéna-
quises de la rivière Chaudière et de la rivière Bécancour, ad-
mirant toujours de plus en plus ce qu'il appelle « les miracles
de la Foi chez les sauvages ». N'était-ce pas, en effet, quel-
que chose de miraculeux, cette résolution héroïque des sau-
vages, de tout quitter pour rester fidèles à Dieu?
« Craignant, dit le pieux Prélat, de se corrompre en leur
pays, après avoir goûté la perfection de l'évangile, on les
voit tout quitter de fort bon cœur, pour aller chercher un
asile oti, tout innocents qu'ils sont depuis leur baptême, ils
vivent en pénitents le reste de leurs jours, dans la pratique
des austérités les plus crucifiantes. »
Il était donné à M. de Saint-Vallier de couronner son pre-
mier voyage au Canada par une offrande à Marie, cette
bonne Mère pour laquelle il eut toujours une si tendre dévo-
tion'.
M^ de Laval avait demandé au Roi, dès 1680, l'empla-
cement du vieux Magasin, à la Basse-Ville, pour y bâtir une
église. Le Roi le lui avait accordé, et avait autorisé le gou-
I. " Ce digne évêque portait jusqu'à la tendresse sa dévotion filiale
envers la Mère de Dieu." {Les Ursulines de Québec, t. I, p. 463).
36 l'église du canada
verneur et l'intendant du Canada à passer le contrat en son
nom. Ce contrat fut signé le 12 aoiit 1685, M. de Saint-
Vallier acceptant la donation. Le 29 octobre 1686, quelques
jours avant de partir pour la France, le Prélat transporte
au Séminaire, qui a charge de la cure de Québec, l'empla-
cement du Magasin, à la Basse-Ville, et il exprime par écrit
sa volonté formelle qu'on y bâtisse une église ; et bientôt, en
efïet, on y verra s'élever l'église de Notre-Dame-des- Vic-
toires K
M. de Saint- Vallier s'embarqua pour la France le 18
novembre, et eut une traversée des plus orageuses, pendant
laquelle plus d'une fois il pensa périr:
« Oh ! qu'il est avantageux dans ces rencontres, dit-il,
d'avoir une bonne provision de fermeté et de confiance en
Dieu! C'est le meilleur viatique que puissent prendre ceux
qui entreprennent ces voyages. . . »
Il arriva à La Rochelle le premier janvier 1687; et après
quelques jours de repos, se rendit incessamment à Paris.
I. Historique de Notre-Dame des Victoires, par le docteur Dionne.
CHAPITRE III
M. DE SAINT-VALUER, EN FRANCE^ POUR SA
CONSÉCRATION ÉPISCOPALE
I,es impressions de M. de Saint- Vallier sur le Canada. — Relation impri-
mée de son voyage. — Ses idées et celles de Mgr de Laval par rap-
port au gouvernement de son Eglise. — Pèlerinage à Annecy. — Vi-
site à sa mère. — Sa consécration épiscopale. — Retour au Canada de
l'ancien et du nouvel évêque de Québec.
LE lecteur se demande, sans doute, quelle impression M. de
Saint- Vallier avait emportée de son voyage au Canada,
et ce qu'il pensait de nous. Il ne s'est pas caché de le dire
dans la relation qu'il écrivit, à son retour en France, sous
forme de Lettre à un de ses amis: il lui dépeint son Eglise
du Canada telle qu'elle lui était apparue :
« Il est temps de finir cette longue lettre, dit-il, par ce qui
regarde la conduite des Français qui composent la colonie.
Le peuple, communément parlant, est aussi dévot que le
clergé m'a paru saint. On y remarque je ne sais quoi des
dispositions qu'on admirait autrefois dans les chrétiens des
premiers siècles : la simplicité, la dévotion et la charité s'y
montrent avec éclat ; on aide avec plaisir ceux qui commen-
cent à s'établir; chacun leur donne ou leur prête quelque
chose, et tout le monde les console et les encourage dans
leurs peines. . .
« Chaque maison, ajoute-t-il, est une petite communauté
38 l'église du canada
bien réglée, où l'on fait la prière en commun soir et matin,
où l'on récite le chapelet, où l'on a la pratique des examens
particuliers avant le repas, et où les pères et mères de fa-
milles suppléent au défaut des prêtres, en ce qui regarde la
conduite de leurs enfants et de leurs valets.
« Tout le monde y est ennemi de l'oisiveté, on y travaille
toujours à quelque chose ; les particuliers ont eu assez d'in-
dustrie pour apprendre des métiers d'eux-mêmes; de sorte
que, sans avoir eu le secours d'aucun maître, ils savent pres-
que tout faire. . . ' »
Ecrivant de Paris au pape Innocent XI, le ii août 1687,
M^ de Saint-Vallier faisait l'éloge de son prédécesseur, « qui
avait si bien mérité de l'Eglise canadienne ; c'est à bon droit,
disait-il, que tous ceux qui le connaissent vénèrent ses gran-
des vertus ». Parlant ensuite du clergé canadien : « Il y a, di-
sait-il, entre le clergé séculier et le clergé régulier une sainte
émulation dans la piété, une union parfaite, une sainte ar-
deur à travailler au salut des âmes : tous professent un entier
dévouement au saint-siège et au souverain pontife '^. »
Est-il vrai, comme l'affirme un document de l'époque,
qu'il regretta « d'avoir tant exagéré, dans la lettre qu'il avait
fait imprimer à Paris, les bonnes mœurs des peuples d'ici,
et les bénédictions que Dieu répandait sur eux ?. . . Il fut
obligé, ajoute ce document, de rejeter, dans un sermon qu'il
fit, sur les péchés du peuple, les fléaux dont le Canada était
accablé, et d'exhorter tout le monde à la pénitence et à la
prière pour apaiser la colère de Dieu. . . Mais ce discours ne
fit qu'augmenter le murmure de ses auditeurs. . . ce qui l'obli-
gea de supprimer les deux cents exemplaires de son livre
qu'il avait apportés, et qui n'ont pas paru depuis » ^. . .
1. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 252.
2. Archives de l'évêché de Québec, Documents inédits copiés au
Vatican.
3. Arch. du Canada, Corresp. générale, vol. 8, Relation venant de
Québec, 20 oct., 1688.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 39
Ce qui est certain, c'est que dans le temps même qu'il
préparait sa longue lettre à un de ses amis, il adressait à ses
fidèles une lettre pastorale, dans laquelle il s'élevait forte-
ment contre « les irrévérences et les immodesties qu'un grand
nombre de i>ersonnes commettaient dans les églises », contre
« la profanation des saints jours de fêtes et de dimanches »,
contre « le luxe qui touche de si près la luxure », contre les
« nudités de gorges et d'épaules » ' . Il parle ailleurs des
« misères spirituelles dont son diocèse est accablé », et de la
médisance, qui est un péché « quasi universel »^.
Mais il nous semble facile de tout concilier dans ces écrits
et ces paroles, quelque contradictoires qu'ils paraissent. Le
tableau délicieux que faisait M. de Saint- Vallier des mœurs
de nos pères était sans doute très exact : il l'est encore au-
jourd'hui pour la plupart de nos bonnes anciennes familles
de la campagne. On vivait en général d'une manière très
chrétienne ; on s'approchait souvent des sacrements : nous
le savons par M^"" de Saint- Vallier lui-même ^. Mais alors,
comme aujourd'hui, le désordre cherchait à pénétrer un peu
partout ; il faisait même çà et là quelques adeptes : et le
Prélat n'était pas homme à le laisser impunément étendre ses
ravages.
Denonville, lui aussi, ne craignait pas de signaler à la cour
certains désordres qu'il remarquait au Canada. Mais ce
n'étaient évidemment que des exceptions; c'étaient des om-
bres qui ne faisaient que mieux ressortir la beauté du ta-
bleau de la société canadienne en général :
« Il nous faut rendre compte, dit-il, des désordres qui se
font, non seulement dans les bois, mais dans nos habitations.
Ces désordres ne sont venus dans la jeunesse du pays que
par la fainéantise des enfants et de la grande liberté que, de
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 183.
2. Ihid., p. 267.
3. Ibid., p. 266.
40 l'église du canada
longue main, les pères et mères ont donnée à la jeunesse
d'aller dans les bois, sous prétexte de chasse ou de traite.
Du moment que les enfants peuvent porter un fusil, les pères
ne peuvent plus les retenir, et n'osent les fâcher. Jugez des
maux qui peuvent suivre d'une telle manière de vivre. Ces
dérèglements sont bien plus grands dans les familles de ceux
qui sont gentilshommes ou qui se sont mis sur le pied de le
vouloir être, soit par fainéantise, ou par vanité, n'ayant
aucune ressource pour subsister que les bois ; car n'étant pas
accoutumés à tenir la charrue, la pioche ou la hache, toute
leur ressource n'étant que le fusil, il faut qu'ils passent leur
vie dans les bois, où ils n'ont ni curés qui les gênent, ni pères
qui les contraignent. . .
« Un autre grand mal dans le pays, dit-il, c'est qu'il y a
trop de cabarets, ce qui rend presque impossible de remédier
aux maux qui en arrivent. Le métier de cabaretier est l'at-
trait de tous les fripons et paresseux, qui ne songent en rien
de ce qu'il faudrait faire pour cultiver la terre, et qui, bien
loin de là, détournent et ruinent les autres habitants. . .
« Un des plus grands maux du Canada, ajoute-t-il, c'est
l'eau-de-vie, dont l'usage est si excessif, que je n'en prévois
que la ruine du pays. . . Quantité de femmes en boivent com-
munément, et plusieurs s'en enivrent. . .
« Nous avons dans le pays, ajoute-t-il encore, un certain
nombre de garnements, surtout de mauvaises femmes, qui
vivent comme des malheureuses. En vérité, c'est la perte de
toute la jeunesse du pays. Ces gens-là n'y sont d'aucun
secours, mais capables de tout perdre et de tout gâter, fai-
sant même beaucoup de divorces. Si on savait où les en-
fermer ici, et les y nourrir, ce serait le plus grand bien du
monde à faire. . . ^ »
I. Arch. du Canada, Corresp. générale, vol. 7, Lettre de Denonville
au ministre, 13 nov. 1685.
sous W^ DE SAINT-VALUER 4I
Il est clair qu'en tout cela Denonville, de la même manière
que M. de Saint-Vallier, ne voulait parler que d'exceptions,
que d'ombres au tableau, mais d'ombres qu'il voulait empê-
cher de grandir, d'exceptions qu'il voulait empêcher de se
généraliser. L'évêque et le gouverneur étaient bien décidés
à employer les moyens les plus énergiques pour arrêter les
fléaux qui menaçaient de détruire le pays. M^' de Saint-
Vallier n'alla-t-il pas un jour jusqu'à quitter subitement
Montréal, oii il était en visite, à cause des désordres causés
par une troupe de sauvages, qui avaient été enivrés par les
cabaretiers ? Il écrivit de Québec aux habitants de Ville-
marie :
« Ne pouvant me résoudre d'être le témoin d'un spectacle
qui m'affligeait si fort, je me suis retiré pour éviter de voir
un mal que je prévoyais bien ne pouvoir arrêter par mes
exhortations \ »
Quant au fait d'avoir retiré de la circulation les exem-
plaires de son livre intitulé « Lettre à un de ses amis »,
parce qu'il aurait regretté d'y avoir fait tant d'éloges de
notre pays et de l'Eglise canadienne, nous croyons que la
chose doit s'expliquer autrement. Ce livre étant une véri-
table relation sur les missions du Canada ^, tombait, comme
les Relations des Jésuites, sous le coup du décret de la Pro-
pagande, en date du 19 décembre 1672, qui défendait de
rien publier sur les missions ou sur des choses concernant
les missions, sans une permission écrite de la Sacrée Con-
grégation. Ce décret, donné sans doute pour de graves rai-
sons, avait mis fin à la publication des Relations des Jésuites.
Mais il était général, et regardait certainement M^ de Saint-
I. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 286.
a. C'est d'ailleurs le titre que le livre avait tout d'zhord : Relcliott
des missions de la Nouvelle-France, par M. l'Evêque de Québec. Et
l'on trouve encore des exemplaires, très rares, qui portent ce titre.
(Le Bibliophile américain, Paris, Librairie Chadenat, 1907, p. 36).
42 l'éguse du canada
Vallicr comme tout autre. II est probable que le Prélat n'en
connaissait pas encore l'existence, lorsqu'il publia sa relation :
il ne s'occupa d'obtenir que la permission du Roi, qui lui fut
volontiers accordée. En arrivant au Canada, oii il avait
apporté un certain nombre d'exemplaires de son livre, il fut
probablement averti par M^ de Laval et les Jésuites de
Québec du décret qui défendait de rien publier sans une
permission écrite de la Propagande; et comme il ne tenait
nullement à rien faire qui pût déplaire au saint-siège, il
s'empressa de « supprimer les deux cents exemplaires de son
livre qu'il avait apportés, et qui n'ont pas paru depuis ^. »
Du reste, le livre de M^"" de Saint- Vallier, publié à Paris
au printemps de 1688, et répandu un peu partout en France,
surtout en Dauphiné, fut une grande bénédiction pour
l'Eglise canadienne, et lui valut une infinité d'aumônes et de
secours de toutes sortes. Des dons en argent, en ornements,
en vases sacrés affluèrent à M^ de Saint- Vallier : de la cour,
surtout, il reçut pour son Eglise des allocations annuelles
permanentes qui lui permirent de fixer des curés dans beau-
coup de missions, — il n'y en avait que vingt-cinq à son arri-
vée *, il y en eut bientôt quarante, — de bâtir des églises là oti
il y en avait besoin, de fournir ces églises de tout ce qui était
nécessaire au culte, d'entretenir les missionnaires et de leur
donner des suppléments en argent là où la dîme ne pouvait
suffire pour les faire vivre 3, de procurer la subsistance aux
prêtres âgés ou infirmes. Tout cela ne justifiait-il pas le
choix de M^ de Laval et les espérances qu'il avait conçues
que son successeur, ayant été aumônier de la cour, et un
1. Mgr de Saint-Vallier et son temps, p. 19, note.
2. Arch. du Canada, Corresp. générale, vol. 8, Réponse de la cour à
Denonville, 20 mai 1686.
3. Il avait été décidé, en 1682, que tout curé devait avoir au moins
400 francs pour vivre. On espérait qu'avec Mgr de Saint-Vallier cmi
pourrait réduire cette " portion congrue " à 300 francs. Mais elle resta
à 400 francs. (Ibid., vol. 6 et 7).
sous M*' DE SAINT-VALUER 43
aumônier si pieux et si estimé, attirerait une infinité de bien-
faits à son Eglise ?
Il est vrai qu'il éprouva d'amères déceptions, lorsqu'il vit
que son successeur n'entendait pas tout-à-fait comme lui la
manière de gouverner l'Eglise du Canada, lorsqu'il le vit
décidé à agir indépendamment du Séminaire de Québec et
à réformer cette institution, de manière à n'en faire qu'un
séminaire épiscopal ordinaire. Mais n'aurait-il pas dû s'y
attendre, et prévoir qu'un autre évêque n'aimerait pas à
être contrôlé par ses prêtres dans son administration ? M.
de Latour, toujours si favorable et si sympathique au pieux
Prélat, le dit expressément :
« Il faut convenir, écrit-il, qu'un corps de clergé si bien
lié — il parle du Séminaire de Québec — a dîi donner des
ombrages à un autre évêque, et qu'à moins d'être lui-même
de ce corps, uni d'intérêt et de sentiments, il ne pouvait man-
quer de le redouter, et de trouver de grandes difficultés dans
tout ce qu'il voudrait ordonner qui ne serait pas du goût de
ses ecclésiastiques. iM. de Laval dcz^ait s'y attendre, mais
les grandes idées de perfection dans lesquelles lui et tous ses
missionnaires avaient été élevés lui firent imaginer et espérer
de perpétuer une œuvre admirable et unique dans l'Eglise ^.»
M^ de Laval et son successeur, tous deux des hommes de
Dieu, n'avait pas la même mentalité. Le premier, n'ayant ja-
mais connu et pratiqué qu'une vie de communauté, soit dans
la congrégation du P. Bagot, ou la société des Bons-Amis,
soit dans l'Ermitage de Caen, avait imaginé un système de
gouvernement ecclésiastique où aucune résolution grave ne
se prenait qu'en commun. M. de Maizerets le dit quelque
part : « Le Prélat ne faisait rien de considérable que de con-
cert avec nous tous ^ . » M^ de Saint- Vallier, au contraire,
1. Mémoires sur la vie de M. de Laval, liv. VI, p. 95.
2. Ibid., liv. I, p. 34.
44 L ÉGLISE DU CANADA
n'avait appris à Grenoble, à Paris où à '^''^rsailles, que la ma-
nière ordinaire de gouverner les diocèses, l'évêque étant
obligé d'administrer suivant les canons, de prendre les avis
d'hommes éclairés, de suivre les règles de la justice et de
l'équité, mais restant toujours maître et seul responsable de
ses décisions.
Il est certain que M^ de Saint-Vallier apporta à la réforme
de son Séminaire tous les défauts de son caractère difficile,
tranchant, obstiné, ne ménageant pas suffisamment les es-
prits, ne tenant pas assez compte des droits acquis. D'un
autre côté, conçoit-on que le Séminaire des Missions-Etran-
gères à Paris et à Québec ait fait des démarches auprès de
la cour dès le premier voyage de M. de Saint-A''allier, pour
faire revenir le Roi sur le choix qu'il avait fait de lui pour
succéder à M^ de Laval, et cela sur le simple soupçon qu'on
avait qu'il allait tout changer au Séminaire? C'est la pre-
mière nouvelle que M. de Saint-Vallier apprit en arrivant à
Paris : on comprend qu'elle n'était pas de nature à le rap-
procher du Séminaire de Québec ; et tout vertueux qu'il
était, il se sentit blessé au vif.
Du reste, Louis XIV ne voulut pas même entendre parler
de la chose. Il exigea au contraire qu'on fît immédiatement
les démarches nécessaires auprès de la cour de Rome pour
obtenir les Bulles de M^ de Saint-Vallier. Elles furent
expédiées le 27 juillet 1687; et il fut convenu que le Prélat
recevrait la consécration épiscopale dans le cours du mois
de janvier suivant.
Retiré au Séminaire des Missions-Etrangères, 011 logeait
aussi son prédécesseur, il eut le loisir de s'entretenir avec lui
de son diocèse, et s'occupa beaucoup d'en promouvoir les
intérêts. Puis il consacra à la retraite et à la prière tout le
temps dont il put disposer. Ne voulant rien négliger de ce
qui pouvait attirer sur son épiscopat les bénédictions célestes.
sous M^"" DE SAINT-VALUER 45
il se rendit en pèlerinage au tombeau ' du modèle des pas-
teurs, l'illustre évêque de Genève, saint François de Sales.
Le souvenir de son passage à Annecy se trouve consigné dans
une circulaire rédigée au premier monastère de la Visitation.
Voici ce document ' qui nous révèle les lointaines origiites de
la dévotion à saint François de Sales dans notre pays, et
particulièrement au Séminaire de Québec :
« Fragment d'une circulaire de notre premier monastère
d'Annecy, du 27 septembre 1687 :
« M. de Chevrières ^, évêque de Québec, est venu exprès
demander à saint François de Sales l'esprit d'humilité, de
douceur et de simplicité. Il arriva en cette ville à la veille de
la Fête-Dieu, et vint aussitôt dans notre église pour savoir
s'il pourrait dire le lendemain notre messe de communauté
et communier les religieuses. M. notre confesseur, qui est
un ecclésiastique de grande exactitude pour les devoirs de
son état et le soin de notre église, ne le connaissant pas, lui
1. "En arrivant à Annecy (16 mai 1884), visite à l'église du couvent
de la Visitation, oîi reposent les corps de saint François de Sales et de
sainte Jeanne : le premier est au-dessus du maître-autel ; le second, au-
dessus d'un autel latéral: dans des châsses en marbre vert... Visité
l'église Saint-Maurice, et le premier monastère de la Visitation, qui
malheureusement est devenu un misérable hôtel. Visité ensuite le
second monastère de la Visitation, qui n'appartient pas aux Visitan-
dines, mais aux Sœurs de Saint-Joseph, ainsi que la célèbre Maison
de la Galerie, qui servit de logement à la Fondatrice et aux Sœurs de
la Visitation... Messe dite, à 7 heures (10 mai) à l'autel où est le
tombeau de sainte Jeanne de Chantai. On dit une messe propre
votive qui commence par ces mots : Egredere de donio tua. . . Visite
de nouveau Saint-Maurice, cette bonne vieille église où saint François
de Sales fit sa première communion et reçut la confirmation, puis la
cathédrale où il fut ordonné prêtre, où il prêcha souvent, et où l'on voit
encore son confessionnal, tout brisé par les couteaux des visiteurs,
comme celui du curé d'Ars..." (Journal inédit de mon voyage,
1883-84).
2. Ce document est conservé aux archives de Thonon. M. l'abbé
Bégin (aujourd'hui Mgr Bégin, archevêque de Québec) s'en était pro-
curé une copie durant son séjour à Rome en 1866, et la fit publier dans
l'Abeille de 1877, No. 6, p. 24.
3. On disait M. de Chevrières, ou l'abbé de Chevrières, comme on
avait dit pour Mgr de Laval, l'abbé de Montigny, du nom de la sei-
gneurie de leur famille.
46 l^'ÉGUSE DU CANADA
représenta la difficulté qu'il y avait de célébrer dans ce dio-
cèse sans donner des marques particulières de ce que l'on
est. Ce vertueux prélat lui répondit tout simplement qu'il
était évêque au Canada. Cette réponse ne fit qu'augmenter
le zèle de M. notre confesseur, parce qu'il voyait que la suite
de celui qui se disait évêque ne correspondait pas à sa digni-
té : ce qui l'obligea de s'offrir à lui pour lui faire compagnie
jusqu'au palais de M. l'Evêque, notre illustre Prélat, qui le
reconnut d'abord pour l'avoir vu à Paris, aumônier chez
le Roi.
« Le lendemain, ces deux illustres prélats vinrent en notre
église, où M""" de Québec demeura quelques heures dans une
sainte et profonde méditation. Après sa messe, il vit notre
communauté et nous, qu'il entretint assez longtemps des
merveilles que Dieu opère pour la conversion de ses pauvres
sauvages. Entre tout ce qu'il nous en dit de plus consolant,
c'est leur dévotion à saint François de Sales ^. Ils veulent
tous avoir de ses images dans leurs cabanes ; et la première
chose qu'ils font quand leur évêque ou quelques autres les
vont visiter, c'est de leur dire, en leur montrant cette image :
« Tiens, voilà ce que j'aime !» Il y en a même quelques-
uns d'entre eux qui ont pris le nom de saint François de
Sales, et M^ leur digne Prélat nous dit qu'il ne désespérait
d'y voir un jour de ses filles \ Si cela arrive, ce sera une
suite des miracles que la Toute-Puissance de Dieu opère
dans ces pays-là, o\i on les voit, ainsi qu'il nous en assure,
1. Mgr de Saint-Vallier leur avait parlé, sans doute, de la mission
des Abénaquis, " nouvellement établie proche Québec, sous le nom de
Saint-François-de-Sales ". (Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol.
II, Mémoire de Denonville, janvier 1690.) C'était la mission de la
rivière Chaudière, qui, en 1686, ne comptait pas moins de 600 Abéna-
quis. Il y avait aussi une autre mission d' Abénaquis, un peu moins con-
sidérable, à la rivière Bécancour: elle était également sous le vocable
de Saint-François-de-Sales. Ces deux missions étaient confiées aux
Jésuites.
2. D'après cela, Mgr de Saint-Vallier aurait donc conçu l'idée de
faire venir quelque jour les Visitandines au Canada,
sous M*^ DE 9AINT-VALLIER 47
aussi fréquents que dans la primitive Eglise. Bien de nos
Sœurs se sacrifieraient très volontiers pour porter à ces
pauvres sauvages de nouvelles connaissances de Jésus-
Christ et de la vie de leur saint Protecteur. »
D'Annecy, M. de Saint-Vallier ne manqua pas de se
rendre à Grenoble pour visiter sa pieuse et noble famille.
Il y a, au sujet de sa mère, un détail touchant. Lorsqu'il
avait accepté l'évêché du Canada, qui lui avait été proposé
par le Roi, plusieurs membres de sa famille étaient entrés
en fureur, et avaient supplié Louis XIV de revenir sur sa
décision, et de le laisser en France. Le Roi répondit tout
simplement qu'il ne dirait son dernier mot là-dessus que
lorsque la mère du jeune abbé aurait donné son consente-
ment à la nomination de son fils. Celui-ci partit donc pour
Grenoble, afin de solliciter ce consentement. Ah, qu'il fut
pénible et déchirant pour cette bonne mère de faire le sacri-
fice de son enfant ! Elle le fit pourtant, et avec une généro-
sité héroïque ; et par conséquent l'on peut dire que c'est au
Fiat de la comtesse de Saint-Vallier que l'Eglise canadienne
doit son deuxième évêque ' .
Lorsque M. de Saint-Vallier retourna à Grenoble en 1687,
sa mère vivait encore, et la séparation, cette fois, fut pour
toujours. La comtesse ne survécut que peu de temps à cette
suprême épreuve. Mais avant de mourir, elle assura à son
fils une pension viagère de cent pistoles, et le combla de
présents pour sa lointaine Eglise.
Revenu à Paris, M. de Saint-Vallier s'occupa de la publi-
cation de son livre, sa Lettre à un de ses amis. L'impression
n'en fut terminée qu'au mois de mars 1688 2. Il s'occupa
aussi de composer un Catéchisme pour son diocèse. Ce
catéchisme ne fut imprimé qu'en 1702 ; mais il en fit faire
1. Mgr de Saint-Vallier et V Hôpital-Général de Québec, p. 41.
2, Ibià., p. 74.
4^ l'église du canada
sans cloute plusieurs copies, pour l'usage de ses curés, car
nous voyons, dans une ordonnance qu'il leur adressa, au
printemps de 1691, à la veille de partir pour l'Europe,
qu'il leur recommande « de faire le catéchisme tous les di-
manches aux enfants, par demandes et par réponses, et de se
servir à cet effet de son Catéchisme '>^\
Et remarquons que tout ce qu'il fait, sa Relation, son
Catéchisme, plus tard son Rituel, il le fait lui-même ; il n'est
pas homme à le faire faire par les autres. Rien n'égale son
activité, son travail incessant. Lors de son premier voyage
au Canada, il a obtenu du Roi une somme considérable pour
continuer à sa cathédrale des réparations urgentes commen-
cées par son prédécesseur. En 1687, les marguilliers ayant
décidé d'allonger de cinquante pieds cette église, qui est trop
petite. M*^ de Saint-Vallier obtient de la cour neuf mille
francs monnaie de France, valant douze mille francs mon-
naie du Canada. Il obtient également une autre somme
assez considérable pour la construction de l'église de la
Basse-Ville. Puis il engage à Paris un bon entrepreneur et
des ouvriers, qu'il envoie au Canada ; et il écrit à M. de
Denonville de voir à ce que les travaux avancent avec rapi-
dité, afin qu'il trouve toutes choses en bon état, lorsqu'il
arrivera l'année suivante :
« Je vous écris, dit-il, par un entrepreneur de bâtiment,
que j'envoie au Canada, avec six maçons et trois charpen-
tiers, pour travailler à notre église cathédrale, et à notre
succursale. Je vous supplie de vouloir bien vous employer
pour les mettre en état d'agir et de travailler. . . Animez-les
à bien faire et à ne pas perdre de temps 2. »
M^ de Laval était encore à Paris : la cour l'y retenait,
malgré le désir qu'il avait exprimé de retourner au Canada
1. Matid. des Ev. de Québec, t. I, p. 283.
2. Cité dans Henri de Bernicres, p. 160.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 49
pour y mourir dans son séminaire. Son successeur ayant
reçu ses Bulles, le pieux Prélat signa la résignation de son
siège épiscopal le 24 janvier 1688 ; et le lendemain, jour de la
Conversion de saint Paul, M^ de Saint-Vallier fut sacré
dans l'église de Saint-Sulpice ' par le coadjuteur de l'arche-
vêque de Rouen, M*''" Colbert, évêque de Carthage. Singu-
lière coïncidence : M^"" de Laval a été obligé de se faire con-
sacrer par le nonce du Pape, dans une église exempte de
toute juridiction épiscopale, malgré l'archevêque de Rouen,
qui voulait l'empêcher d'aller exercer la juridiction au Ca-
nada, prétendant que le Canada était de son diocèse. Les
temps sont changés : la juridiction prétendue de l'arche-
vêque de Rouen au Canada a cessé depuis longtemps, grâce
à l'énergie de M^"" de Laval appuyé sur le saint-siège : et
maintenant c'est l'archevêque de Rouen lui-même qui, par
son coadjuteur, vient consacrer le deuxième évêque de la
Nouvelle-France à Saint-Sulpice.
M^"" de Laval ayant enfin obtenu de la cour la permission
de retourner dans son ancien diocèse, se prépara à quitter
Paris le plus tôt possible pour aller s'embarquer à La Ro-
chelle dès l'ouverture de la navigation.
M^"" de Saint-Vallier aurait bien aimé partir en même
temps que lui ; mais plusieurs affaires le retenaient encore
quelques semaines en France. Il avait obtenu de la cour,
pour ses ouvriers, leur passage sur les vaisseaux du Roi en
partance de La Rochelle ; et il s'inquiétait au sujet de leur
conduite pendant la traversée. S'il avait été avec eux, il
les aurait tenus en respect. Il écrit de Paris à M^ de Laval,
rendu à La Rochelle, et le supplie de vouloir bien embarquer
I. La crosse d'argent qu'il portait, lors de sa consécration, lui avait
été donnée par son frère Bernard. Il la fit fondre plus tard pour en
faire des croix pour les religieuses de son Hôpital-Général. C'est une
tradition conservée dans cette maison. {Les Ursulines des Trois-Ri-
vières, t. I, p. 154).
50 IvEGUSE DU CANADA
ces ouvriers avec lui ; « car je crains, dit-il, qu'ils ne se dis-
sipent et dépensent beaucoup ».
Sa sollicitude pour ces ouvriers est incomparable. Il ap-
prend, quelques jours après, qu'il doit passer des troupes en
Canada, et il écrit de nouveau : « Je voudrais bien que mes
ouvriers ne passent pas avec tant de soldats. »
Il n'y a pas jusqu'à un ecclésiastique boiteux qu'on lui a
représenté comme rôdant autour de La Rochelle, prêt à
s'embarquer pour la Nouvelle-France, qui ne lui donne ter-
riblement de l'inquiétude. Il écrit de nouveau à M^ de
Laval :
« L'on m'a dit avoir vu passer un ecclésiastique boiteux
qui allait en grande diligence à La Rochelle pour s'embar-
quer pour le Canada. Je n'en ai pas appris davantage, je
ne sais ce que c'est que cet ecclésiastique ; mais je vous
demande en grâce de le laisser à La Rochelle, à moins que
vous ne vissiez en lui tant de grâces que vous jugiez que ce
fût un véritable gain pour le Canada \ »
M^ de Laval arriva à Québec le 3 juin; et nous avons
raconté ailleurs avec quels transports de joie il y fut ac-
cueilli ^.
Nous avons vu avec quelle générosité le Roi était venu au
secours de M^ de Saint- Vallier pour l'entretien de ses
prêtres, pour la construction des églises, et particulièrement
celle de la Basse-Ville, pour les travaux à faire à la cathé-
drale. Il lui alloua aussi une somme considérable pour se
faire bâtir un évêché. Mais il faut toujours que l'Eglise
paie de quelque manière les faveurs de l'Etat. C'est préci-
sément à l'occasion de ces dons généreux que la cour imposa
au clergé du Canada quelques règlements que l'Evêque eut
à mettre en vigueur. Le ministre écrit à Denonville :
1. Cité dans Henri de Bernières, p. 161.
2. Vi€ de Mgr de Laval, t. II, p. 386.
sous M^*" DE SAINT-VALLIER 5I
«J'envoie un Règlement, par lequel Sa Majesté ordonne
que le gouverneur général sera encensé dans les cérémonies
de l'église après l'Evêque, et devant le Clergé. L'intendant
ne le sera qu'en l'absence du gouverneur, et après le Clergé. »
Il écrivait en même temps à l'Evêque :
« Sa Majesté désire que vous fassiez publier au prône les
ordonnances du gouverneur et de l'intendant dans le même
cas que les publications sont en usage dans le Royaume, cela
étant nécessaire pour le bien du service, et l'intention de Sa
Majesté est que l'on y traite le gouverneur général de mon-
seigneur \ »
Le ministre écrivait en même temps à M. Tronson :
« Sa Majesté agrée l'augmentation des cures que M. de
Saint- Vallier a fait en Canada jusqu'au nombre de trente-
six, au lieu de vingt-cinq qu'il y avait l'année dernière. Elle
désire que vous choisissiez onze prêtres capables de remplir
ces cures. Donnez-m'en avis quand vous les aurez trouvés,
afin que je donne ordre à leur passage ^. »
M^ de Saint- Vallier comptait évidemment sur Saint-Sul-
pice pour suppléer à ce que le Séminaire de Québec ne pour-
rait ou ne voudrait plus faire, quand il aurait opéré la ré-
forme qu'il avait en vue. M. Tronson, qui lui avait donné
six prêtres, à son premier voyage, ne put cette fois lui en
fournir que deux ou trois, qu'il emmena avec lui.
Tout va être renouvelé à Québec : un nouvel évêque ; un
nouveau grand vicaire, qui part avec lui, et dont personne
n'a encore entendu parler, M. de Merlac ; un secrétaire, qui
vient également avec eux, de Paris, et n'est encore que
simple ecclésiastique, M. Foucault.
Nous ne savons à quelle date précise M^"" de Saint- Vallier
quitta la France pour venir prendre possession de son dio-
1. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol.
2. Ibid.
52 L EGLISE DU CANADA
cèse. Le vaisseau qui l'amena au Canada arriva devant
Québec le 31 juillet, et le Prélat ne descendit à terre que le
lendemain.
M*' de Laval, qui avait été à Montréal, faire visite aux
messieurs de Saint-Sulpice, s'était hâté de revenir à Québec
pour l'arrivée de son successeur. Il se rendit à bord du vais-
seau dans la matinée du premier aoiît avec quelques-uns de
ses prêtres pour saluer M^"" de Saint- Vallier, et celui-ci fît
son entrée solennelle à la cathédrale dans l'après-midi. On
chanta le Te Deum; et, nous dit une annaliste, « l'hymne
d'actions de grâces qui retentit sous les voûtes du saint
temple, trouva un écho dans tous les cœurs » 1.
I. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôpital-Général de Québec, p. 75.
CHAPITRE IV
L^ÉGUSE DU CANADA,, DE 1688 À 169I
Maison et terrain achetés par Mgr de Saint- Vallier pour son évêché. —
Travaux à la cathédrale. — Eglise de la Basse- Ville. — Démêlés
avec le Séminaire. — Fête pour la translation d'une relique de saint
Paul. — Commencements de l'Hôpital-Général.
EN arrivant à Québec, au mois d'aoiît 1688, M^*" de Saint-
Vallier alla loger au séminaire, comme il avait fait
lors de son premier voyage. Mais il n'y resta que trois mois ;
et au commencement de novembre il alla prendre possession
d'une maison qu'il avait achetée durant son premier séjour
à Québec « pour y loger, disait-il, ses successeurs, sans être
à charge au Séminaire ». Il avait renoncé non seulement à la
« désappropriation », mais au corps même des Missions-
Etrangères. Il s'y était agrégé, disait-il, sur les conseils du
P. Le Valois, son confesseur ; il s'en séparait d'après l'avis
du même Père. Alors, n'étant plus de la maison, il ne pou-
vait convenablement y rester. Voilà sans doute ce qu'il
veut dire quand il affirme qu'on ne voulait lui laisser « au-
cun logement ». Il ajoute « qu'on voulut garder sa biblio-
thèque, et ne lui laisser aucun livre ». Il les avait donnés,
et, suivant le proverbe populaire, « chose donnée est don-
née » \ On fut cependant obligé de les lui rendre, sur les
ordres de la cour. Mais nous avons raconté tout cela ail-
leurs ^, et il n'est pas nécessaire de revenir sur ces démêlés.
1. Mémoire au P. de la Chaise, 1707, cité dans Les Jésuites et la
Nouvelle-France du P. de la Rochemonteix, t. III, p. 315-
2. Vie de Mgr de Laval, t. II.
54 Iv'ÉGLISE DU CANADA
II suffit d'en rappeler les principaux incidents, au fur et à
mesure que la suite de l'histoire semblera l'exiger.
La maison que M*^ de Saint- Vallier avait achetée, avec
tout le terrain adjacent, occupait un site magnifique. En
montant la côte de la Basse-Ville, on a d'abord à sa droite
une falaise abrupte, puis on arrive à une petite pointe de
terre inclinée vers le sud, revêtue de gazon et bornée au
nord par le mur de la ville. Cette pointe de terre a été le
premier cimetière de la Nouvelle-France : « C'est là, écrit
l'abbé Louis Beaudet, que la population primitive de Québec
dort son dernier sommeil. » Au détour du chemin, toujours
à droite en montant, et au delà de l'emplacement du cime-
tière, était la maison de M^ de Saint- Vallier. Le terrain
qu'il avait acquis avec cette maison ^ s'étendait jusqu'au jar-
din du séminaire : c'est le premier échelon du promontoire
de Québec ". Ce terrain avait déjà son histoire : il avait été
concédé, dès le commencement de la colonie, aux Récollets,
qui l'avaient défriché : c'est le premier terrain qui fut défri-
ché à la Haute-Ville. C'est là que le P. Denis Jamay, com-
missaire des Récollets, le premier chef spirituel de l'Eglise
du Canada, avait son petit jardin, si bien connu dans notre
histoire sous le nom de « Jardin du P. Denis », comme
Champlain avait le .«lien au bas de la colline, près de « l'Abi-
tation ».
Les Récollets échangèrent ce terrain avec Louis Hébert
pour celui de la rivière Saint-Charles. Guillaume Couillard,
gendre et héritier de Louis Hébert, le céda à la Compagnie
de la Nouvelle-France. Puis il devint successivement la
propriété de M"* veuve Monceaux, Anne Gagnier (plus
1. C'est aujourd'hui un magnifique parc, qu'on a appelé "parc Mont-
morency". N'aurait-il pas mieux valu l'appeler "jardin Saint -Val-
lier" ? Mgr de Laval n'a eu rien à faire avec ce terrain.
2. Le deuxième échelon est la terrasse Dufferin; le troisième, la
citadelle.
sous M^ DE SAINT-VALUER 55
tard M"* Jean Bourdon), de l'intendant Talon, et enfin de
M. ProvostS major du château et ville de Québec, de qui
M*' de Saint- Vallier l'acheta.
Le Prélat n'avait encore pour cette propriété qu'un con-
trat verbal. Le contrat notarié fut passé le 12 novembre
1688 : l'évêque acquérait la maison et le terrain de trois
arpents y adjacent pour la somme de quinze mille livres, qui
lui était allouée pour cela par le Roi ; et il était dit expressé-
ment dans le contrat que « les dits trois arpents de terre et
bâtiments susvendus devaient demeurer annexés et afïectés
à perpétuité au dit évêché de Québec, et en jouir par le dit
seigneur évêque et ses successeurs évêques d'icelui à toujours
ainsi que bon leur semblera » -. Ce passage du contrat, qu'il
est bon de noter, servit plus tard à régler le difïérend qui
s'éleva, après la mort de M^"" de Saint- Vallier, entre son
héritier, l'Hôpital-Général, et l'évêque de Québec.
Le bâtiment acquis par M^ de Saint- Vallier était une
belle maison en pierre, à deux étages, avec cuisine séparée
et hangar, cour et jardin. Le Prélat en fît sa résidence,
avec son grand vicaire M. de Merlac \ et son secrétaire, M.
Foucault. Il y avait un oratoire, où il fît quelques ordina-
tions ; et c'est aussi dans cette maison qu'il tint son premier
synode. Mais au bout de quelques années, il se fît construire
au même endroit un grand évêché, dont M. de la Potherie
faisait en 1700 la description suivante :
« C'est, dit-il, un grand bâtiment de pierre de taille, dont
1. En 1690, à la veille du siège de Québec, le major Provost com-
mandait à Québec, en l'absence de Frontenac, qui était allé à Montréal :
*' C'était un officier intelligent et capable d'agir dans un moment cri-
tique. Il avait fait travailler avec tant d'activité aux défenses de la
ville, qu'il l'avait mise à l'abri d'un coup de main." (Garneau, His-
toire du Canada, t. I, p. 339.)
2. Le Palais épiscopal de Québec, par Mgr Têtu, p_ 233.
3. Nous ne savons d'où venait ce M. de Merlac. Arrivé en Canada
en 1688, il en partit, avec Mgr de Saint- Vallier, dans l'automne de 1694,
pour n'y plus revenir.
56 l'église du canada
le principal corps de logis, avec la chapelle qui doit faire le
milieu, regarde le canal (le fleuve) ; il est accompagné d'une
aile de soixante-douze pieds de longueur, avec un pavillon
au bout, formant un avant-corps du côté de l'est. Et dans
l'angle que fait le corps de logis avec cette aile, est un pavil-
lon de la même hauteur, couvert en forme d'impériale, dans
lequel est le grand escalier. Le rez-de-chaussée de la prin-
cipale cour, étant plus élevé que les autres cours et le jardin,
fait que dans cette aile le réfectoire, les offices et la cuisine
sont en partie sous terre, tous voûtés de brique, et ne pren-
nent jour que du côté de l'est.
« La chapelle est de soixante pieds de longueur ; son por-
tail est de l'ordre composite, bâti de belle pierre de taille, qui
est une espèce de marbre brut. Ses dedans sont magnifiques
par son retable d'autel, dont les ornements sont un rac-
courci de celui du Val-de-Grâce \
« Il y aurait i>eu de palais épiscopaux en France qui
pussent l'égaler en beauté, s'il était fini. Tous les curés de
campagne qui ont des affaires particulières à la ville, y
trouvent leur chambre, et mangent ordinairement avec M.
l'Evêque, qui se trouve presque toujours au réfectoire. . . »
Hélas ! M^'' de Saint-Vallier ne devait pas jouir long-
temps de cet évêché, qu'il avait fait construire à grands frais,
tant avec ses propres ressources qu'avec une infinité de dons
recueillis en France, et qu'il appelait « la maison commune
du clergé de Québec et de Paris » ". Il finit même par l'aban-
donner définitivement pour aller rester ailleurs. Mais n'anti-
cipons pas sur les événements, et revenons au Séminaire, où,
en arrivant à Québec, le Prélat est allé loger avec son vénéré
prédécesseur.
ï. Ancien couvent de Bénédictines, fondé à Paris par Anne d'Au-
triche, mère de Louis XIV.
2. L'abbé Bois, cité par Mgr Têtu dans Le Palais épiscopal de Qué^
bec, p. 35-
sous M^ DE SAINT-VALUER 57
Il n'a rien de plus pressé, à son arrivée — et c'est bien
naturel — que d'aller visiter les travaux d'agrandissement
de sa cathédrale. L'entrepreneur et les ouvriers qu'il a
engagés à Paris sont à l'œuvre, et les travaux avancent
sûrement et rapidement, sous la surveillance de M. de
Maizerets ^ : ils seront terminés de bonne heure au prin-
temps de 1689 -. Egalement, ceux de la construction
de l'église de la Basse-Ville sont très avancés : la première
pierre de cette église a été posée le premier jour de
mai ( 1 688 ) par le gouverneur Denonville ; et en même
temps M. de Champigny, « intendant des affaires politi-
ques et des finances dans la Nouvelle-France », a posé
celle de la chapelle Sainte-Geneviève attenante à l'église.
L'église est dédiée à l'Enfant-Jésus, et ce ne sera qu'en 1690,
après la victoire de Frontenac sur les Anglais, qu'on lui don-
nera le nom de Notre-Dame-de-la-Victoire. Les citoyens
de Québec ont voulu qu'à cette église fût annexée une cha-
pelle dédiée à l'illustre patronne de Paris. Admirable atta-
chement de nos pères à tous les souvenirs de la vieille
France ! Jean Bourdon et ses censitaires ont donné le nom
de Sainte-Geneviève au coteau sur lequel ils sont allés plan-
ter leurs tentes, aux environs de Québec, comme pour se
mettre sous la protection de cette grande sainte ^ ; et la
Basse- Ville, où résident presque tous les citoyens importants
de Québec *, veut avoir un autel où sainte Geneviève soit
spécialement honorée.
Leur église fut terminée dans l'automne de 1689, vers le
temps où M^ de Saint- Vallier arriva de son second voyage
en Acadie, dont nous parlerons bientôt. Elle fut ouverte
1. Henri de Bernières, p. 161.
2. L'architecte entrepreneur des travaux, Hilaire Bernard de la
Rivière, rendit ses comptes le 2 avril. (Ibid_, p. 160 et 374.)
3. Jean Bourdon et son ami l'abbé de Saint-Sauveur, p. 59.
4- " C'est le lieu du Canada le plus peuplé. " (Lettre de Champigny au
ministre, 14 oct. 1698.)
58 l'église du canada
au culte, et le Prélat y nomma comme desservant M. Glan-
delet.
Voici ce que Charlevoix écrivait de cette église : « Sa
structure est très simple ; une propreté modeste en fait tout
l'ornement. Quelques Sœurs de la Congrégation sont logées
entre cette église et le port ; elles ne sont que quatre ou cinq,
et tiennent une école ^ »
Tout en s'occupant des travaux de sa cathédrale et de la
succursale de la Basse-Ville, M^ de Saint- Vallier avait une
foule d'autres affaires sur les bras : il devait s'occuper
d'aménager sa maison et de tout préparer pour s'y retirer
dans le cours de l'automne ; il avait à faire la distribution
des ornements, vases sacrés et autres objets qu'il avait ap-
portés de France pour les pauvres missions qui en avaient
besoin ; il avait à faire le remaniement des cures pour en
porter le nombre de vingt-cinq à quarante, comme il en était
convenu avec la cour ; il avait à déplacer certains mission-
naires pour les mettre ailleurs, et quelquefois à diviser cer-
taines paroisses trop étendues, diminuant par là même le
revenu de certains curés. Et, nous l'avons déjà dit, il n'était
pas homme à faire faire son travail par les autres : il agis-
sait lui-même, et il le faisait avec l'impétuosité et l'ardeur de
sa nature. Que de voyages il fut obligé de faire à Mont-
réal et sur les deux rives du fleuve, pour accomplir l'œuvre
qu'il avait entreprise ! et dans l'accomplissement de cette
œuvre, dans la division des paroisses, dans le déplacement
des prêtres, dans la distribution des suppléments aux mis-
sionnaires, dans celle des ornements, des vases sacrés, des
chapelles portatives, que de fois il alla se heurter contre les
prétentions du Séminaire, qui avait été chargé jusque-là de
toutes les missions !
I. Cité par le docteur Dionne, dans son Historique de N.-D. des
Victoires, p. 26.
sous M^ DE SAINT-VALUER 59
Denonville, homme pieux et désintéressé, qui ne voulait
que le bien, regrettait ces discussions qui ne pouvaient que
compromettre la paix et l'union dans l'Eglise du Canada. Il
proposa à l'Evêque et au Séminaire de tenir une conférence
pour s'entendre. Cette conférence eut lieu, en efïet, dans la
nouvelle résidence de l'évêque, vers la mi-novembre, quel-
ques jours avant le départ des derniers vaisseaux pour la
France. On convint de quelques articles de règlements, qui
furent envoyés à Paris pour l'approbation de la cour : ces
articles, examinés et revisés par le duc de Beauvilliers et
le P. Le Valois, furent renvoyés au printemps au Canada
comme règlement des rapports entre le Séminaire et l'Evê-
que. Ils n'étaient pas tous favorables au Prélat ; et comme
il est bien décidé à gouverner suivant les dictées de sa cons-
cience le diocèse qu'on lui a confié à lui, et non pas à
d'autres, il n'en tient nul compte. La situation reste tendue
entre lui et le Séminaire : il ne s'en occupe guère ; il sait
qu'il a l'oreille de la cour ; il ira lui-même en France plaider
sa cause, et il en reviendra victorieux sur toute la ligne.
En attendant, pénétré de l'idée de son devoir, il fait la
visite pastorale de ses communautés religieuses, de sa ville
épiscopale, de son diocèse. L'année 1689, qui est une des
plus désastreuses pour la colonie, à cause du massacre de
Lachine, est une des plus méritantes de tout son épiscopat,
car c'est l'année de son second voyage en Acadie.
Il voulut la commencer par une grande solennité, à l'occa-
sion du premier anniversaire de son sacre : et, par une atten-
tion délicate, donner les prémices de cette fête aux Ursu-
lines, qui, durant son absence, s'étaient relevées si vaillam-
ment des ruines de l'incendie (20 octobre 1686) qui avait
détruit leur monastère à la veille de son départ pour la
France ^.
I. Les UrsuUnes de Québec, t. I, p, 456.
6o l'église du canada
Il avait apporté de son voyage une relique insigne de saint
Paul, qu'il avait eue à l'abbaye de Maubec ; et il l'avait con-
fiée aux Ursulines pour l'enchâsser convenablement : elles
lui firent en effet une châsse admirable. La translation so-
lennelle de cette châsse à la cathédrale fut fixée au 25 jan-
vier, jour anniversaire de son sacre ; mais la veille au soir^
le Prélat voulut qu'elle fût transportée de l'église des Ursu-
lines à sa propre demeure épiscopale, pour de là être rame-
née le lendemain à la cathédrale : quatre prêtres furent
chargés de cette tâche honorable :
« Quand ils entrèrent dans l'église, écrit l'annaliste, nous
étions toutes rangées dans le chœur. . . Après avoir chanté
l'hymne de saint Paul, nous nous dirigeâmes en procession
vers la porte conventuelle, suivies des élèves françaises et
des séminaristes, chantant le Laudate Dominuni ; puis nous
nous partageâmes en deux haies pour laisser passer la pré-
cieuse relique. Elle fut portée d'abord à l'Hôtel-Dieu, et
ensuite à l'évêché, où M^"" de Québec passa cette nuit en
prières.
« Le lendemain, 25 janvier, tout le clergé de la cathédrale,
avec les Pères jésuites, vêtus en tunique, dalmatiques, ou
chasubles, et rangés chacun selon sa dignité, s'achemina en-
bel ordre vers la chapelle de l'évêché. M^"" de Laval et M^
de Saint- Vallier, revêtus de leurs habits pontificaux, sui-
vaient la procession. Quatre prêtres portaient la sainte reli-
que. En sortant de la chapelle de l'évêché, la procession se
mit en marche vers l'église des RR. Pères jésuites, oii se fit
la première station, et de là on se rendit à la cathédrale.
Tous les corps de la ville suivaient en grande tenue, et la
piété de notre population se manifesta d'une manière bien
consolante.
« Le pieux Prélat voulant que les pauvres participassent
d'une manière particulière à la joie de cette fête, ne se con-
tenta pas de leur distribuer d'abondantes aumônes, mais de
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 6l
plus, il en réunit treize, qu'il fit dîner à l'évêché, où il les
servit de ses propres mains.
« Dans l'après-midi, monseigneur officia à vêpres ; ensuite
il y eut sermon et bénédiction du saint Sacrement. Ainsi
finit cette grande journée qu'on avait passée à honorer
publiquement l'Apôtre des Nations \ «
Remarquons cette attention particulière de M^ de Saint-
Vallier pour les pauvres. La charité, l'amour des pauvres,
était bien la qualité dominante et caractéristique de ce bon
évêque. Il la tenait sans doute de sa noble famille ; mais la
grâce avait admirablement perfectionné en lui cette vertu.
Les pauvres furent toute sa vie l'objet de son affection ; et
il dépensa pour eux des sommes énormes de son patrimoine.
Nous avons dit déjà qu'étant encore aumônier à Ver-
sailles, il avait fondé un hospice pour les pauvres, non loin
de sa ville natale. Nous le verrons bientôt en fonder un
autre aux Trois-Rivières ; et dès cette année 1689, il pose à
Québec les fondements de sa maison de prédilection, l'Hôpi-
tal-Général. Il y a déjà à Québec un Bureau des Pauvres
qui fait beaucoup de bien :
« Chaque citoyen et chaque communauté, dit la Sœur Ju-
chereau ^ fournissaient tous les ans une certaine somme,
et ce revenu se montait à plus de deux mille livres, que de
sages administrateurs dispensaient si bien à tous ceux qui en
avaient besoin, qu'on ne voyait point de pauvres mendier :
cela même était défendu ^. »
Mais les infirmes et les invalides n'ont pas encore d'hos-
pice. M^*" de Saint- Vallier veut leur créer un asile où ils
puissent vivre en paix leurs derniers jours et se préparer à
bien mourir. Au risque de soulever bien des protestations,
il décide d'appliquer à la fondation de son asile le fonds du
1. Les Ursulines de Québec, t. I. p. 457.
2. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 355.
3. Edits et Ordonnances, t. II, p. I02_
62 1,'ÉGUSE DU CANADA
Bureau des Pauvres. La maison qu'il a en vue pour la fon-
dation de cet asile est la Maison de la Providence, que les
Sœurs de la Congrégation ont établie depuis deux ans à
Québec sur le modèle de celle qu'ils ont à Montréal. C'était
« une maison avec cour et jardin, dans la Haute-Ville,
proche de la grande place Notre-Dame » >. Le Prélat écrit
donc à Montréal à la vénérable Marguerite Bourgeois pour
la presser de venir à Québec transformer sa Maison de la
Providence en un Hôpital-Général et en prendre la direction.
Cette sainte fille, accoutumée à une obéissance sans borne
à ses supérieurs, quitte aussitôt Montréal pour se rendre à
pied à Québec. On est à ce moment du printemps où les
chemins sont impraticables. Elle a des rivières et des en-
droits périlleux à traverser : rien ne la rebute ; un courage
surhumain la soutient. Elle arrive à Québec, toute joyeuse
et triomphante, malgré sa grande humilité, et se met tout
entière à la disposition de l'évêque. C'est un des plus beaux
épisodes de sa carrière, si féconde en prodiges.
De concert avec l'évêque, elle jette les fondations de
l'Hôpital-Général. Une autre Sœur de la Congrégation
quitte le couvent de la Sainte-Famille^ pour venir l'aider ;
plusieurs pauvres et infirmes viennent chercher un asile et
se confier à ses soins dans la Maison de la Providence : et
alors le pieux Prélat peut entreprendre gaiement le grand
voyage qu'il a projeté.
1. Vie de la Sœur Bourgeois, par l'abbé Faillon, t. I, p. 321.
2. Le couvent de la Sainte-Famille, île d'Orléans, avait été établi trois
ou quatre ans auparavant (1685). C'est le plus ancien couvent de la
Congrégation dans le diocèse de Québec.
CHAPITRE V
l'église du canada, de 1688 À 1691 (suite)
Voyage de Mgr de Saint- Vallier à Terreneuve et en Acadie. — Mas-
sacre de Lachine. — Frontenac ; Charles LeMoyne ; D'Iberville. —
Visite pastorale. — Siège de Québec, 1690. — Premier Synode de
Québec. — Lettre pastorale de l'Evêque avant de partir pour la
France. — Départ pour la France.
LE voyage de M^' de Saint- Vallier à Terreneuve et en
Acadie, en 1689, avait été, jusqu'à ces dernières an-
nées, inconnu à l'histoire. Comment se fait-il que le Prélat
n'ait pas écrit un mot sur ce voyage? Dans la relation qu'il
avait publiée l'année précédente sous forme de Lettre à un
de ses amis, il avait raconté assez au long son premier voyage
en Acadie; puis il s'était cru obligé de supprimer les exem-
plaires de cette relation qu'il avait apportés au Canada: et
nous en avons donné plus haut la raison. C'est évidemment
pour le même motif qu'il ne jugea pas à propos d'écrire la
relation de son second voyage, qui serait aujourd'hui pour
nous si intéressante, si utile à l'histoire.
Voici tout ce que nous savons du deuxième voyage de M^'
de Saint- Vallier en Acadie, voyage qui commença par une
excursion à Terreneuve. Mais ce que nous savons est ap-
puyé sur des documents certains :
Le Prélat fréta à Québec, dans le cours de l'hiver, pour
son voyage, un petit bâtiment, commandé par le capitaine
Pierre Lalemant. Il fit voile dans les premiers jours de
mai, emmenant avec lui deux Pères récollets, le P. Sixte le
64 l'église du canada
Tac et le P. Joseph Denis, un Français et un Canadien, tous
deux pleins d'intelligence et de savoir-faire, et deux ou trois
prêtres séculiers. Il lui fallait d'abord se rendre à Plaisance,
dans l'île de Terreneuve, pour y régler certaines difficultés
religieuses, et mettre l'Eglise sur un bon pied. Il n'arriva à
Plaisance que le 21 juin, et demeura à Terreneuve près d'un
mois, profitant de ce séjour prolongé pour visiter plusieurs
établissements le long des côtes de l'île.
Il fit acheter à la Grande Grave, devant Plaisance, « une
habitation avec cabanes, graves, chafauds et chaloupes pour
la somme de douze cents livres, et nomma le P. Denis curé
de Plaisance, avec le titre de vicaire général ».
Après avoir tout réglé à cet endroit, suivant les instruc-
tions qu'il avait eues de la cour, l'Evêque partit pour les
îles Saint-Pierre et Miquelon, où il laissa un ecclésiastique.
Le commandant de la garnison de Plaisance l'y accompagna
pour lui faire rendre les honneurs dus à son rang. L'Evêque
bénit dans l'île une petite chapelle qui avait été construite
l'année précédente (1688). Au moment de partir de Saint-
Pierre, il fut averti que des flibustiers croisaient en vue de
l'île, dans l'intention de s'emparer de sa personne. Il fallut
en conséquence le faire escorter jusqu'en vue du cap Raye.
Le P. Sixte le Tac quitta Plaisance presque aussitôt après
le départ de M^ de Saint- Vallier et porta à la cour des
lettres du Prélat. Celui-ci, après avoir rendu compte de sa
mission, demandait instamment au provincial des Récol-
lets quelques religieux de son ordre pour les difiFérentes mis-
sions du Canada, et spécialement pour Plaisance, les îles
Saint-Pierre et la côte de Terreneuve, où il en fallait inces-
samment cinq ou six.
En 1690, l'évêque de Québec, voulant prouver aux habi-
tants de Plaisance et de Saint-Pierre « qu'il ne les avait pas
oubliés », leur adressait une lettre pastorale pleine d'exhor-
tation au bien, et il leur promettait des Récollets « pour de-
sous M*^ DK SAINT-VALUER 65
meurer permanemment au milieu d'eux ». Puis il leur disait,
à l'occasion du jubilé accordé par le nouveau paj^e, Alex-
andre VIII ^, qui venait de monter sur la chaire de saint
Pierre :
« Je vous prie de faire une véritable pénitence pour entrer
dans l'esprit de l'Eglise et du souverain pontife que Notre-
Seigneur a voulu donner dans ce temps malheureux de
guerre, pour la consolation du monde chrétien. Dis[X)sez-
vous donc, mes très chers enfants, à recevoir les grâces qu'il
veut bien vous procurer par le jubilé. . . »
C'est à la suite de son voyage à Terreneuve que M^"" de
Saint-Vallier fit la visite pastorale de l'^A^cadie, où il arriva
beaucoup plus tard qu'il n'était attendu, puisque, d'après une
lettre de M. Tronson, en date du 13 mai, à M. Trouvé, alors
à Port-Ro} al, il était supposé y être à cette époque :
« Je souhaite, disait-il, que M. de Saint-Vallier, qui doit
être maintenant avec vous, suivant les mesures qu'il avait
prises, vous ait apporté quelque secours, en attendant celui
de France. »
Les bons missionnaires de l'Acadie, MM. Geoffroy,
Thury, Petit et Trouvé étaient en effet dépourvus de tout.
M^" de Saint-Vallier avait obtenu du Roi la somme de
quinze cents livres, à laquelle il avait ajouté cinq cents livres
de son propre argent ; et il avait employé cette somme à
acheter beaucoup d'ornements et de vases sacrés, qu'il avait
envoyés en Acadie sur un vaisseau de la Compagnie de la
pêche sédentaire. Or ce vaisseau avait été pris par un
forban de Boston " ; de sorte que les pauvres missions aca-
diennes avaient été privées de tous ces secours. M^"" de
Saint-Vallier, en attendant de nouveaux bienfaits du Roi,
s'épuisa pour venir à leur assistance.
1. Un Vénitien, de la famille Ottoboni.
2. Documents relatifs à la Nouvelle-France, t. I, p. 469.
66 l'église du canada
Mais ce qui fit peut-être encore plus plaisir à ses mission-
naires que tous ses dons généreux, c'est que l'Evêque, avant
de partir pour TAcadie, avait eu la pieuse et délicate pensée
de détacher pour sa chère Eglise des Acadiens un morceau
de la relique insigne de saint Paul qu'il venait de placer avec
honneur dans sa cathédrale. Il en fit don à l'église de Port-
Royal, où elle resta comme un précieux souvenir de son
deuxième voyage en Acadie, et un gage de sa tendresse
pour les Acadiens '.
M^"" de Saint-V allier ne craignait pas de se créer des diflfi-
cultés, et ne reculait devant aucune, quand il croyait qu'il y
allait de son devoir. Mais aussi il avait un don particulier
pour apaiser et régler celles des autres. Il avait été à Terre-
neuve, à la demande du Roi, pour en régler quelques-unes :
il fit la même chose en Acadie. Menneval, gouverneur de
Port-Royal, avait à se plaindre de deux de ses subalternes,
Desgouttins et Souligre, et il les avait menacés de les en-
voyer au Canada rendre leurs comptes à Denonville. Le
bon Prélat, oubliant mille injures que ces ofîficiers avaient
faites à ses missionnaires, intercéda pour eux, et Menneval
les garda à leurs postes.
Il était tard dans l'automme lorsque M^"" de Saint-\'allier
rentra à Québec. Une afïreuse nouvelle l'y attendait, celle
du massacre de Lachine, qui avait jeté la terreur et la déso-
lation dans toute la colonie. La guerre avait éclaté, au
printemps, entre l'Angleterre et la France : elle allait se
faire parallèlement en Amérique entre les colonies anglaises
et le Canada. C'est la Nouvelle-Angleterre qui soulève
contre nous les Iroquois des Cinq-Cantons ; mais nous avons
pour nous les Abénaquis de la vallée du Kénébec: dans l'au-
tomne de 1689, ils détruisent seize forts de la Xouvelle-
Angleterre-. Celle-ci compte déjà deux cent mille âmes, et
1. Bulletin des Recherches historiques, novembre 1895.
2. Mémoire de Denonville, 1690.
sous M'^' DE SAINT-VAIJJi:i< 6/
le Canada en a à peine douze à quinze mille. Les Irociuois,
que rimpéritie de Denon ville n'a pas su mettre à la raison,
promènent partout le fer et la flamme dans la colonie. Mais
voici Frontenac qui revient au Canada pour remplacer De-
nonville : il e.st accueilli comme un libérateur. L'espérance
et la joie renaissent dans toutes les habitations canadiennes.
Il a le don du commandement ; il a l'oreille et le cœur des
Canadiens ; il en impose aussi aux sauvages : lui seul con-
naît la manière de traiter avec eux, de s'en faire craindre et
aimer à la fois. Un seul homme au Canada pouvait rivaliser
avec lui pour l'ascendant et l'autorité sur les sauvages :
Charles LeMoyne, de Montréal ; mais il était mort en 1685 :
« S'il eût vécu en 1689, avons-nous écrit ailleurs, qui sait
si, par sa douce influence, par l'autorité de son nom, par ses
sages conseils, il n'aurait pas réussi à empêcher les mal-
heureux événements qui provoquèrent le massacre de La-
chine ? ^))
Charles LeMoyne a laissé huit enfants, « tous les
mieux élevés du Canada ^)>, tous de futurs héros. D'Iber-
ville, surtout, quelle gloire pour la colonie de la Nouvelle-
France ! Déjà il a fait deux expéditions mémorables à la
baie d'Hudson. celles de 1686 et de 1688, et porté des coups
terribles au prestige de l'Angleterre dans cette partie de
l'Amérique. Il s'en revient au Canada, en 1689, à la prière
de Denonville ; mais il n'arrive à Québec, comme M"^"" de
Saint-Valîier, que pour apprendre l'horrible massacre de
Lachine.
Pour venger ce massacre et relever l'honneur des armes
françaises, Frontenac organise trois expéditions contre la
Nouvelle-Angleterre. D'Iberville, son frère Sainte-Hélène
et D'Ailleboust de Montet, le brave Hertel, M. de Portneuf
1. Journal d'une expédition de D'Iberville, Introduction, p. 10.
2. Lettre de Denonville au ministre, 31 oct. 1688.
68 l'église du canada
en seront les chefs, et rendront leurs noms immortels par les
affaires de Corlar, de Salmon Falls et de Casco, qui eurent
lieu dans l'hiver de 1690.
D'Iberville ira ensuite passer les étés de 1692 et 1693 à
croiser, avec M. de Bonaventure, le long des côtes de la
Nouvelle-Angleterre, et fera subir aux Anglais des pertes
immenses j^our leur commerce ^
Que font pendant ce temps les chefs spirituels du Canada,
l'ancien et le nouvel évêque de la Nouvelle-France ? Retiré
dans son séminaire, AP"" de Laval, dont la haute piété et la
vertu n'ont d'égal que le patriotisme, lève les mains vers le
Ciel pour le succès des armes françaises ; et tandis que là-
bas son illustre cousin, Montmorency-Luxembourg, se cou-
vre de gloire, et remporte sur les ennemis de la France tant
de drapeaux, suspendus ensuite aux voûtes de Notre-Dame
de Paris, qu'on l'appelle le Tapissier de Notre-Dame ^, lui
pratique dans le silence et la solitude tant de vertus que
l'Eglise du Canada en resplendit d'un éclat admirable.
Pour AP'' de Saint-Vallier. à ses prières et à ses suppli-
cations ardentes vers le Ciel, il ajoute les mérites d'une vie
laborieuse et vraiment apostolique. L'année 1690, si agitée,
si troublée, si remplie de bruits de guerre, est pour lui une
année de travaux incessants pour le bien de son Eglise. Dès
le printemps, il entreprend la visite pastorale de tout son
diocèse. Il se propose, en effet, d'aller en France dans le
cours de l'automne pour faire régler ses différends avec le
Séminaire de Québec, et il veut être en état de rendre au Roi
un compte exact de l'état de l'Eglise de la Nouvelle-France.
Il parcourt donc tout son diocèse, de paroisse en paroisse, et
presque d'habitation à habitation, voulant connaître par lui-
même autant que possible les besoins spirituels et temporels
1. Journal d'une expéd. de D'Iberville, Introd, p. 21.
2. Le Tapissier de Notre-Dame, François de Montmorency, duc de
Luxembourg, par le marquis de Ségur.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 69
de ses diocésains. Il se fait rendre compte de leurs revenus,
du revenu de ses curés et missionnaires, de l'état moral des
populations. Il examine en quel état sont les églises, les
presbytères ; il se fait rendre compte du mobilier des sacris-
ties, du nombre de vases sacrés, d'ornements, de chapelles
portatives que possède chaque mission. Il reste partout le
temps nécessaire pour bien remplir ces importants devoirs.
Il est encore en visite pastorale, lorsqu'il apprend que les
Anglais viennent de s'emparer de Port-Royal et ont emmené
prisonniers à Boston ses missionnaires, MM. Petit et
Trouvé. Quelle désolation ! Mais que peut-il y faire pour
le moment? Bientôt il apprend encore que les Anglais ont
résolu de s'emparer également du Canada, qu'ils sont en
route par trois voies différentes, et que déjà leur flotte
remonte le Saint-Laurent pour faire le siège de Québec. Il
adresse alors à ses diocésains une lettre chaleureuse pour les
exhorter à se bien défendre :
« Vous êtes suffisamment informés, dit-il, de l'étrange
calamité dont nous sommes tous menacés par l'approche des
Anglais, ennemis non seulement du nom français, mais de
notre foi et de notre religion. . . » Et il leur recommande
de se mettre en état de grâce, afin de ne pas attirer sur eux
la colère du Ciel. <■ Je me promets, ajoute-t-il, de votre piété
et de votre fidélité à votre nation et à votre Roi, que vous
prendrez toutes les mesures possibles pour bien repousser
vos ennemis et vous conserver en paix avec Dieu par l'éloi-
gnement de tout ce qui peut l'offenser. . . Je vous invite,
ajoute-t-il encore, à bien garder nos côtes, d'être exacts à
bien défendre l'entrée de notre ville ; mais comme vous la
garderez en vain si le Seigneur ne la garde, prenez pour la
meilleure et la plus sûre sauvegarde la pénitence et l'amende-
ment de la vie. . . »
Il est à Montréal, lorsqu'il apprend que la flotte ennemie
est déjà devant Québec. Il prend aussitôt le chemin de sa
^o l'église du canada
ville épiscopale. Mais M. de la Colombière, qui était aussi à
Montréal, l'a déjà devancé, accompagnant un certain nom-
bre de Montréalais, qui descendent au secours de Québec :
« Il avait arboré sur son canot, écrit la Sœur Juchereau,
un étendard où était peint le saint nom de Marie, afin d'ani-
mer ces guerriers par sa confiance en la très sainte Vierge. »
De son côté M^"" de Laval avait fait mettre sur le clocher
de la cathédrale un tableau de la sainte Famille, qui appar-
tenait aux Ursulines :
« Les Anglais, dit la Sœur Juchereau, s'efforcèrent sur-
tout, comme nous l'avons su depuis, de tirer sur ce tableau;
mais ils n'y firent aucun mal ; et cela même nous garantit,
parce que tous les coups qu'ils visaient sur l'image passaient
par-dessus Québec.
« Le danger était si grand, ajoute cette annaliste, que les
plus braves officiers regardaient la prise de Québec comme
inévitable : on se croyait tous les jours à la veille d'être
pris. . . Québec était fort mal muni pour un siège : il y avait
très peu d'armes, point de vivres. . .
« M. de Maricourt abattit avec un boulet le pavillon de
l'amiral, et sitôt qu'il fut tombé, nos Canadiens allèrent
témérairement dans un canot d'écorce l'enlever, et le tirèrent
jusqu'à terre, à la barbe des Anglais. On le porta en triom-
phe à la cathédrale. . .
« Ce qu'il y eut d'admirable, et qui assurément attira la
bénédiction du Ciel sur Québec, c'est que pendant tout le
siège on n'interrompit aucune dévotion publique. . . La ville
est disposée de telle sorte que les chemins qui conduisent
aux églises sont vus de la rade ; de sorte qu'à plusieurs
heures du jour, on voyait des processions d'hommes et de
femmes aller où les cloches les invitaient. Les Anglais les
remarquaient. Ils appelèrent M. de Grandville ^ et lui de-
I. Un brave Canadien, marguillier de Québec, qu'ils avaient fait
sous M'^'" VA-, SAINT-VAULlIvR Jl
mandèrent ce que c'était. Il leur dit naïvement : « C'est la
« messe, les vêpres et le salut. » L'assurance des citoyens de
Québec les désolait. Ils s'étonnaient de ce ([ue les femmes
osaient sortir. . . Nos dévotions ne leur plaisaient pas ; ils
jugeaient de là que nous étions fort tranquilles. . .
»< Quarante séminaristes qui étaient à Saint-Joachim et
qui brûlaient du désir de combattre, obtinrent la permission
de venir à Beauport. Ils savaient fort bien tirer, et dès la
première décharge qu'ils firent sur le camp de nos ennemis,
l'épouvante les saisit, ils se persuadèrent que toutes les mon-
tagnes voisines étaient peuplées d'Indiens qui venaient les
prendre par derrière ; de sorte que, sans tenir conseil, ils
s'embarquèrent confusément et précipitamment, laissant
leurs munitions et leurs canons, dont deux sont demeurés
à Beauport, un à Saint-Joachim, et les autres ont été apportés
à Québec.
« Dieu voulut avoir tout l'honneur de la victoire, et sa
providence parut si visiblement qu'il n'y eut personne cjui ne
confessât hautement que le Ciel avait pris notre défense. . .
La flotte fît une honteuse retraite le 21 octobre, sept jours
après son arrivée.
« M. de Frontenac fit chanter le Te Dciim dans la cathé-
drale avec toute la solennité requise. On fit ensuite une pro-
cession magnifique à toutes les églises de Québec, portant en
triomphe l'image de la très sainte Vierge, comme notre
libératrice, qui avait vaincu nos ennemis. Tout retentissait
des louanges de la Reine du ciel, qui venait de nous donner
des témoignages si singuliers de sa maternelle protection.
On établit la fête de Notre-Dame-de-la- Victoire dans l'église
de la Basse- Ville, pour mémoire éternelle de la défaite des
prisonnier dans le bas du fleuve. {Henri de Bernières, p. 198).^ Il
s'occupait de la traite, à Tadoussac, pour les fermiers généraux: c'était
un poste exemplaire sous le rapport de la tempérance. (Mémoire de
Denonville. 1690)
72 l'église du canada
Anglais ; et M. de la Colombière y prêcha avec son éloquence
ordinaire, et en fidèle serviteur de Marie. »
De leur côté, à l'occasion de la délivrance de Québec, les
religieuses de l'Hôtel-Dieu demandèrent à M^ de Saint-
Vallier d'instituer dans leur église la fête du saint Cœur de
Marie. Il le leur accorda, et leur donna en même temps un
beau mandement, qui reste comme un monument de sa
grande piété :
« Nous avons sujet de croire, disait-il, que la Mère de
Dieu, qui, par plusieurs miracles, vient de nous délivrer des
Anglais, ses ennemis et les nôtres, a inspiré à ses Filles de
rendre à son aimable Cœur des honneurs nouveaux dans la
Nouvelle-France, pour graver plus profondément dans tous
les cœurs le souvenir d'un bienfait signalé. Aussi, pour
satisfaire à un désir si pieux et si propre à immortaliser la
victoire dont nous sommes redevables à la Reine du ciel,
après avoir vu et examiné l'office et la messe du Très Sacré
Cœur de Marie, composés par le P. Eudes, dont la mémoire
est en bénédiction, et approuvés par plusieurs illustres pré-
lats, nous permettons à nos dites Filles, qui nous les ont pré-
sentés, de chanter l'un et l'autre solennellement tous les ans
le 3 juillet, ainsi qu'elles l'ont souhaité, leur accordant en
même temps l'oraison des Quarante-Heures, qui commen-
ceront le même jour. . . ^ »
Le Prélat ayant terminé sa visite pastorale, se hâta, aussi-
tôt après la levée du siège de Québec, d'adresser une lettre
à ses diocésains au sujet de cette visite :
« Nous l'avons faite, dit-il, avec toute l'exactitude dont
nous sommes capable, et Dieu nous a donné le secours dont
nous avons eu besoin pour exécuter cette entreprise assez
difificile et périlleuse, dans un temps où nos ennemis nous
attaquaient de tous côtés. . . »
I. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 342.
sous M^"" DE SAINT-VALUER 73
Il entre ensuite dans le détail de ce qu'il a vu et entendu
dans le cours de sa visite ; et le ton de sa lettre est assez
triste et désolé : on sent qu'il est sous le poids accablant des
événements :
« Nos misères temporelles ne sont rien en comparaison
des misères spirituelles dont notre diocèse est accablé. . .
Dieu nous ayant ouvert les yeux sur les désordres de ce
diocèse, et nous ayant fait sentir plus que jamais le poids de
notre charge, nous sommes obligé de reconnaître que nos
ennemis les plus redoutables sont l'ivrognerie, l'impureté, le
luxe et la médisance. . . »
Il exhorte les confesseurs à se montrer sévères pour l'ab-
solution de ces péchés ; et cependant, toujours sur ses gar-
des, on voit qu'il fait attention de ne pas dépasser les limites
d'une saine théologie.
Il faut dire la même chose des statuts qui furent publiés
dans le premier Synode tenu à Québec, le 9 novembre sui-
vant.
Nous n'avons pas les noms de ceux qui assistaient à ce
premier synode ; mais le Prélat déclare lui-même « qu'il eut
la consolation d'y voir assemblés la plus grande partie des
curés et des autres prêtres qui faisaient les fonctions curia-
les dans son diocèse ».
Avant de partir pour la France, au printemps de 1691,
il adresse une nouvelle lettre à ses curés sur un bon nombre
de sujets qui ont attiré son attention dans ses visites pasto-
rales. On ne saurait croire comme cet évêque, vraiment
digne des temps apostoliques, entrait dans tous les détails de
la vie chrétienne, et donnait à ses curés les recommandations
les plus pratiques : catéchismes aux enfants les dimanclies et
la semaine ; célébration des mariages, et certificats de liberté
à exiger dans certains cas ; observation et sanctification du
dimanche, en assistant à la messe, aux vêpres et aux ser-
mons, mais surtout en s'abstenant, ces jours-là, des assem-
.74 l'éguse du canada
blées de danse, des voyages d'affaires et du travail ; fidélité
à payer la dîme ; observation de l'abstinence et du jeiine les
jours prescrits par l'Eglise : rien n'échappe à la vigilance et
aux recommandations du zélé Prélat.
On serait porté à croire que sur certains points nous va-
lons mieux que nos ancêtres : l'Evêque revient trop souvent
sur « les nudités de gorge et d'épaules », même à l'église, et
surtout aux mariages, pour ne pas croire qu'il y avait plus
d'abus alors que nous n'en voyons aujourd'hui. Egalement,
peut-on dire que le triste usage de sortir de l'église j^endant
le prône et le sermon soit aussi général qu'il paraît l'avoir été
à cette époque ?
Enfin, à la veille de partir i>our la France, une deuxième
circulaire à ses curés, dans laquelle il entre, toujours sur les
mêmes sujets, dans des recommandations peut-être encore
plus minutieuses. Il leur prêche l'union, la charité, la vigi-
lance. Il veut que, s'il y a dans leurs paroisses des pécheurs
scandaleux, des ivrognes, des blasphémateurs, ils les aver-
tissent trois fois, puis, les signalent aux grands vicaires ; et
à son retour, dans sa prochaine visite pastorale, il leur impo-
sera la pénitence qu'ils auront méritée. Il veut que ses curés
fassent « exactement quatre fois par an la visite de leurs
paroissiens, maison par maison, pour connaître les nécessités
spirituelles et temporelles : nous vous prions, dit-il, d'en
faire un état que vous nous j)ourrez montrer dans notre pre-
mière visite ». . .
Dans la même circulaire, il fait une ordonnance qui nous
surprend, au premier abord, mais qui devait avoir sa raison
d'être, dans un temps où il n'y avait pas encore d'organisa-
tion régulière pour les écoles, et oii l'on engageait pour cela,
bien souvent, le premier venu qui offrait ses services :
« Ne souffrez pas, dit-il, aucun maître d'école qui ne soit
de bonnes mœurs, et qui n'ait fait devant vous la profession
de foi. . . »
sous M*''" DK SAINT-VALI-IRR 75
Vers la fin de sa circulaire, on trouve cette phrase déso-
lée :
« \'ous redoublerez votre ferveur et votre zèle pour le ser-
vice de cette Eglise affligée, (|ue nous voyons à deux doigts
de sa ruine si par votre fidélité nous ne détournons les maux
que nous ressentons tous les jours. »
M^"" de Saint- Vallier, qui n'avait pu partir l'automne pré-
cédent pour son voyage en France, se hâta de le faire par les
premiers vaisseaux du printemps, après avoir averti les mes-
sieurs du Séminaire qu'il entendait faire régler définitive-
ment par la cour les questions litigieuses entre eux et lui. II
ne prit pas même la peine de nommer un administrateur au
diocèse, laissant tout aux soins de la Providence.
M. de la Colombière, qui appartenait alors à Saint-Sul-
pice, et résidait à Montréal, passa en même temps que lui
en France, oîi il était rappelé par M. Tronson. Il quitta
Saint-Sulpice, entra aux Missions-Etrangères, et revint au
Canada l'année suivante avec l'Evêque. M^*" de Saint-Vallier
l'y ramenait, un peu contre l'avis de M. Tronson, pour lui
donner de l'emploi à Québec ^.
I. Faillon. Vie de la Sœur Bourgeois, t. I, p. 390.
CHAPITRE VI
M^"" DE SAINT-VALUER EN FRANCE
1691-92
Les triomphes de Louis XIV. — Le Canada, à Paris. — Bon accueil
fait à l'Evêque de Québec. — Le Règlement pour la réforme du
Séminaire. — Lettres patentes pour l'Hôpital-Général de Québec. —
Lettres patentes aux Récollets. — Retour de Mgr de Saint-Vallier
au Canada.
MGR de Saint-Vallier ne pouvait arriver à Paris clans des
circonstances plus favorables. Le Roi, revenu tout
récemment de son expédition en Flandre, oi^i il s'était cou-
vert de gloire au siège de Mons, était tout à la joie et au
triomphe. Ses armes étaient partout victorieuses : et pour-
tant, quel sérieux ennemi il avait à combattre ! le prince
d'Orange, à la tête de presque toute l'Europe coalisée, le
prince d'Orange, d'une habileté et d'une bravoure consom-
mées, qui ne se laissait pas plus abattre par l'adversité
qu'enivrer par le succès ^ !
Mais ce capitaine redoutable, qui vient de monter sur le
trône d'Angleterre ^, la France a des soldats de premier
ordre à lui opposer : Luxembourg ^, qui vient de remporter la
I Le maréchal de Luxembourg et le prince d'Orange, par le marquis
de Ségur.
2. A la suite de la bataille de la Boyne, 11 juillet 1690.
3. " Ne pourrai-je donc jamais battre ce méchant bossu-là, " disait
un jour Guillaume d'Orange. — Bossu, mais comment le sait-il? ré-
pliqua Luxembourg: il ne m'a jamais vu par derrière." {Le maréchal
de Luxembourg.)
sous M*"" DE SAINT-V ALLIER 77
victoire de Fleiirus, Tourville, qui vient de battre les flottes
anglaise et hollandaise, en face de Diepi:)e, Catinat, qui se
couvre de gloire dans le Piémont. Mons, Fleurus, Luxem-
bourg. Tourville, Catinat : ces noms glorieux sont dans
toutes les bouches, à Paris. . .
Eh bien, qui le croirait ? dans ce concert de louanges qui
réjouit la France, la partie qui regarde le Canada n'est pas
la moins appréciée. Les noms de Frontenac et de Québec sont
sur toutes les lèvres : on se répète de bouche en bouche la
parole mémorable de notre gouverneur à l'envoyé de Phipps :
« Allez dire à votre maître que je vais lui répondre par la
bouche de mes canons ! »
Et qu'on ne croie pas qu'il y ait ici exagération. « La vic-
toire de Frontenac sur les Anglais fit sensation en France.
Louis XR'' accorda des titres de noblesse à ceux qui s'y
étaient le plus distingués, et nommément aux sieurs Hertel et
Juchereau. Il voulut qu'une médaille en perpétuât le souve-
nir : d'un côté on voit la tête du Roi ; de l'autre, la France vic-
torieuse est assise sur des trophées, au pied de deux arbres
du pays, sur des rochers d'où s'échappe un torrent. Un castor
va se réfugier sous un bouclier, et le dieu sauvage du fleuve,
qui épanche son urne au pied de la déesse, la contemple avec
admiration. Pour devise on y a inscrit ces mots : Kcbeca
liberata M. D. C. X. C, et en exergue: Francia in novo orbe
victrix. — Québec délivré, 1690: — La France rictorieusc
dans le Nouveau-Monde \ »
Au nom de Frontenac les Français accolent volontiers
celui de D'Iberville : les exploits de notre héros canadien à
la baie d'Hudson excitent leur enthousiasme et les consolent
de la perte de l'Acadie. On ne saurait croire comme la
France, à cette période de notre histoire, s'intéressait au
Canada, comme elle en était fière, comme elle applaudissait
I. Dionne, Historique de N.-D. des Victoires, p. 16.
78 l'éguse du canada
à nos triomphes. Ah ! si elle avait eu à sa tête un Louis XIV,
en 1759, au lieu de son arrière-petit-fils! un Colbert ou un
Seignelay, au lieu d'un Choiseul !
jVP"" de Saint-Vallier confirme les nouvelles qui l'ont de-
vancé, et y ajoute quelques détails particuliers dont tout le
monde se montre avide ; et quand ses auditeurs, charmés
par ses récits, laissent éclater leur admiration, quelle plus
favorable occasion pour attirer sur ses ouailles les sympa-
thies des riches et des grands, en leur faisant connaître l'état
de détresse où la colonie se trouve alors réduite !
Nous avons dit que Louis XIV était tout à la joie du
triomphe de ses armes. Et pourtant, ce triomphe n'est rien,
à ses yeux, auprès de celui qu'il vient de remporter sur l'hé-
résie. Oui, il est certain qu'au jugement de Louis XIV, la
révocation de l'édit de Nantes (22 octobre 1685), que l'on
regarde aujourd'hui « comme la plus grande faute de son
règne » ^, était son plus beau titre de gloire. Cet acte impo-
litique, par lequel il fit tant de proscrits qui allèrent grossir à
l'étranger l'armée de ses ennemis, et par lequel il affaiblissait
la France de toute manière, il en jubilait, il en triomphait.
Croyait-il par là réparer l'injure qu'il avait faite autrefois
au saint-siège, dans la personne du pape Alexandre VII, puis
tout récemment dans celle d'Innocent XI, qu'il avait offensé
d'une manière indigne en faisant entrer dans Rome son am-
bassadeur Lavardin avec une escorte de mille hommes? On
aura une idée de la rigueur avec laquelle fut poursuivie en
France l'œuvre néfaste de la conversion forcée des protes-
tants, suite de la révocation de l'édit de Nantes, par les re-
commandations faites à Denonville, gouverneur du Canada :
« Il doit obliger tous les Religionnaires qui sont au Ca-
nada, d'abjurer. S'il s'en rencontrait quelques-uns d'opi-
niâtres, qui refusassent de s'instruire, qu'il se serve des
I. Mennechet, Histoire de France, p. 285
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 79^
soldats pour meltre garnison clicz eux, et les fasse mettre en
prison. Qu'il joigne à cette rigueur le soin nécessaire pour
la dite instruction, et agisse en cela de concert avec l'évê-
que *. . . »
M*"" de Saint-\'allier arrivait donc à la cour dans un mo-
ment où le Roi et ses ministres jouissaient de leur triomphe.,
pleinement satisfaits de ce qu'ils regardaient comme l'accom-
plissement d'un devoir. On était en plein règne de M""^ de
Maintenon. le règne de la piété, au moins extérieure, et de
la dévotion officielle. Oui n'aurait accueilli avec faveur un-
Prélat, un ancien aumônier de la cour, qui y avait laissé une
si grande réputation de vertu? Personnellement, M^ de
Saint-Vallier, à cette époque, avait l'oreille du Roi : nous
l'avons vu, par la mission importante qu'il lui avait confiée
à Terreneuve. Il y a, dans la fortune de tout homme, un-
moment, plus ou moins long, où elle atteint son apogée.
M^"" de Laval avait eu le sien, lorsqu'en 1663, il avait réussi
du premier coup à faire ratifier par le Roi la création de
son Séminaire et son système de gouvernement ecclésias-
tique, que Frontenac trouvait « fort singulier et extraordi-
naire » -, et surtout lorsqu'il avait été apj^elé par le Roi à
nommer lui-même le gouverneur du Canada. Mais la for-
tune avait tourné, depuis : Frontenac et Talon avaient com-
mencé à ébranler son œuvre ; ]\I"'" de Saint-V^allier allait
achever de la détruire : puis nous le verrons lui-même perdre
avant longemps son crédit à la cour.
Pour le moment, il n'a qu'à se présenter au Roi. et à lui
exposer l'objet de son voyage, c'est-à-dire le règlement de
ses difficultés avec son séminaire des Missions-Etrangères,
pour qu'immédiatement Louis XIV ordonne que sa de-
1. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 8, Réponse à Denon-
ville, 20 mai 1686.
2. Ibid., vol. ii„ Lettre de Frontenac au ministre, 20 oct. 1691.
So l'église du canada
mande soit prise en considération, et son affaire soumise à
des arbitres.
Qu'on ne s étonne pas de voir, à cette époque, les ques-
tions de cette nature, concernant le gouvernement de
l'Eglise, soumises et réglées à la cour. Cela se faisait en
vertu des concordats. En considération des services maté-
riels que le Roi s'engageait à rendre à l'Eglise, — et que
n'en rendait-il pas de toutes manières, au Canada? — le
saint-siège accordait au Roi des privilèges considérables, la
nomination même des évêques. De son côté, le roi Très-
Chrétien, par une attention délicate, confiait ordinairement
l'examen des questions religieuses à des personnages ou des
commissions ecclésiastiques. Dans le cas de M""" de Saint-
\^allier, le Roi confia l'examen et le règlement de ses diffi-
cultés avec le Séminaire à son confesseur, le P. de la Chaise,
et à l'archevêque de Paris, ]\P'' de Harlay.
La question soumise à ces commissaires fut l'objet de
leur attention la plus sérieuse, et le résultat de leur examen,
présenté au Roi, le 13 janvier 1692, sous forme d'articles ou
règlements concernant le Séminaire et le Chapitre de Qué-
bec : le Roi les approuva le même jour. Ils étaient, en tous
points, favorables à l'Evêque. Celui-ci, quelques jours après,
proposa des articles additionnels, qui furent également ap-
prouvés le 20 janvier. Tous ces règlements furent l'objet
d'un arrêt du Conseil d'Etat, rendu à Versailles le 1 1 fé-
vrier, et confinné le même jour par le Roi.
Ces règlements, nous les avons rapportés ailleurs ^, et
n'avons pas à y revenir. Ils étaient définitifs, et suivant les
désirs de M^"" de Saint-\'allier. M. de Brisacier, supérieur
des Missions-Etrangères de Paris, qui avait représenté, dans
cette affaire, ses confrères de Québec, avait dû les accepter,
pour le bien de la paix ; et il leur écrivait :
I. Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 432,
sous M^ DE SAINT-VALLIER 8l
« J'ai cru qu'il valait mieux tout souffrir que de donner le
moindre scandale en soutenant avec trop d'éclat et de résis-
tance les intérêts d'une Eglise qui, étant aussi sainte qu'elle
l'est, mérite que l'on conserve sa réputation aux dépens de
tout le reste. »
Toujours l'identification du Séminaire de Québec avec
l'Eglise de la Nouvelle-France! tant le système de M^'"" de
Laval était entré profondément dans les idées et dans les
mœurs
M. de Brisacier ajoutait, au sujet du grand Roi, qui
triomphait, à cette époque, de toutes manières, et par ses
victoires sur les ennemis de la France, et par ses victoires
sur l'hérésie :
« Vous seriez chamiés, si vous aviez entendu, comme moi,
parler ce grand Roi en père, lorsqu'il expliqua ses intentions
à monseigneur et à moi. »
Il était sous le charme, même dans la défaite. . . Cela nous
donne une idée de la mentalité de la société française, à cette
époque, par rapport au principe monarchicjue, alors surtout
que ce principe était représenté par Louis XIV, qui, par son
génie et son art de gouverner, avait courbé tous les fronts
sous le poids de son autorité.
M^"" de Saint-Vallier profita de son voyage en France et
des bonnes dispositions du Roi pour assurer à son œuvre de
prédilection, l' Hôpital-Général, qu'il avait commencé à éta-
blir à Québec, une existence stable, permanente, reconnue
par l'autorité civile. La chose, d'ailleurs, était d'autant plus
facile à obtenir qu'il était alors de la politique de la cour
d'établir un peu partout dans le Royaume des hôpitaux géné-
raux « pour empêcher l'oisiveté des mendiants, dont la plu-
part négligeaient de travailler, quoiqu'ils fussent en état de
le faire, par la facilité qu'ils avaient de subsister des au-
mônes et des charités qui leur étaient faites, et qui auraient
82 l'éguse du canada
été beaucoup plus utilement employées à soulager les pau-
vres malades et invalides » ^. . .
La permission du Roi d'établir un Hôpital-Général à Qué-
bec fut donnée à AP'' de Saint-Vallier au mois de mars 1692.
Il y a dans ses lettres patentes, signées à Versailles, un petit
passage qu'il est bon de noter, parce qu'il fait voir combien
nous avons hérité des mœurs de nos pères: on est bien en-
core, au Canada, à peu près ce que l'on était autrefois :
« Nous avons appris, dit le Roi, que la peine qu'il y a à
défricher et cultiver les terres détourne la plupart des habi-
tants des colonies de la Nouvelle-France de ce travail, quoi-
qu'ils en dussent faire leur principale occupation, et qu'ils
aient assez de force et de santé pour y travailler, de sorte
que l'oisiveté réduit les uns à mendier et les autres à se jeter
dans les bois pour y vivre dans le libertinage avec les sau-
vages, ce qui empêche les dites colonies d'être aussi peu-
plées qu'elles le devraient être. . . »
N'est-ce pas encore ce que nous voyons trop souvent par-
mi nous, des mendiants, des paresseux, des fils de cultiva-
teurs qui, au lieu de s'attacher à faire valoir la terre de leurs
ancêtres, aiment mieux aller s'enfermer dans les villes ou
émigrer aux Etats-Unis? Il n'y a plus, à proprement parler,
de coureurs de bois, mais que d'émigrés aux manufactures
étrangères !
Les lettres patentes établissant l'Hôpital-Général de Qué-
bec donnaient à cet hôpital d'excellents règlements en vingt-
huit articles. L'évêque, le gouverneur et l'intendant étaient
les administrateurs de l'institution, avec le concours d'un
certain nombre de citoyens ; et parmi les articles qui accom-
pagnaient ces lettres patentes, il y en avait un où le Roi
affirmait bien clairement le but qu'il se proposait dans l'éta-
blissement des hôpitaux généraux : détruire la mendicité, en-
I. Ed. et Ord., t. I, p. 271.
sous M^ DE SAINT-VALUER 83
courager le travail même chez ceux qu'on admettait à l'hô-
pital, et subvenir aux besoins de ceux-là seulement que le
grand âge ou les infirmités rendaient incapables de tra-
vailler :
« Voulons et ordonnons que les pauvres mendiants, va-
lides et invalides de l'un et de l'autre sexe y soient enfermés,
pour être employés aux ouvrages et travaux que les direc-
teurs du dit hôpital jugeront à propos, sans toutefois que
ceux qui seront d'âge à travailler à la culture des terres y
puissent être enfermés; et en cas qu'il s'en trouve de cette
qualité mendiants, ils seront punis de prison, et autres plus
grandes peines en cas de récidive ^. . . »
En même temps que M^ de Saint- Vallier obtenait ces
lettres patentes pour l'établissement de son Hôpital-Général,
le Roi lui en accordait d'autres pour confirmer l'établisse-
ment des Pères récollets au Canada, et assurer à leurs mai-
sons une existence stable, durable, et à l'abri de toutes mo-
lestations. Les Récollets avaient été les premiers mission-
naires du Canada, et y avaient travaillé avec infiniment de
mérite jusqu'à la première conquête de la colonie par les
Anglais. Nous avons raconté ailleurs comment ils n'avaient
pu y revenir lors de la reddition du pays à la France ^. Ils
ne purent le faire qu'en 1670; et à cette occasion M^"" de
Laval leur avait donné une magnifique lettre que nous
aimons à reproduire ici :
« François, par la grâce de Dieu et du saint-siège, évêque
de Pétrée, vicaire apostolique et premier évêque nommé de
cette région, à nos bien-aimés dans le Christ, le P. iMlart,
provincial, et les religieux récollets de l'ordre de Saint-
François, de la province de Saint-Denis, salut dans le Sei-
gneur.
1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 271.
2. La Mission du Canada avant Mgr de Laval, p. 53.
84 l'église du canada
« Le ministère évangélique qu'avec la grâce divine les reli-
gieux de votre province ont rempli dans cette nouvelle partie
du monde, sous l'autorité des souverains pontifes et le bon
plaisir du Très-Chrétien roi de France, Louis XIII, d'heu-
reuse mémoire, est un titre plus que suffisant à la fondation
que vous y faites présentement. Si fervent, en effet, fut le
zèle de vos devanciers, si exemplaire leur vie, si infatigable,
surtout, l'activité qu'ils déployèrent à propager la foi, qu'en
moins de quatorze ans l'assistance de Dieu qui fortifie ceux
qui espèrent en lui, les fit pénétrer, pour y instruire dans
leurs forêts les sauvages habitants des bois, jusqu'à l'extré-
mité des terres arrosées par ce fleuve immense.
« Néanmoins le parfum d'édification et le pieux souvenir
qu'ont laissés ces hommes apostoliques, non moins que le
désir ardent de les revoir, exprimé par les populations cana-
diennes, sont tels, qu'ils nous poussent à donner un témoi-
gnage public de l'allégresse et de la consolation causées en
tous et dans chacun par le retour de ceux qu'il y a plus de
quarante ans ont chassé les Anglais, alors ennemis jurés de
la France ^.
« C'est pourc[uoi nous vous octro3'ons les présentes lettres
patentes, afin que, selon l'ordre du roi Très-Chrétien, Louis
XIV, recouvrant et reprenant la possession de votre antique
maison de Québec, vous puissiez l'ériger en monastère de
votre Ordre, dont nous désirons d'un grand désir l'accrois-
sement perpétuel et sans mesure dans ce pays. A ces fins,
nous vous promettons le concours de toute notre autorité et
bienveillance.
« Donné à Québec, l'an 1670, le 10 novembre, sous notre
I. A l'heure où Mgr de Laval écrivait cette lettre, en 1670, la France
était en paix avec l'Angleterre, la belle-sœur de Louis XIV, Henriette-
Anne, d'Angleterre, ayant négocié avec son frère Charles II, le traité
de Douvres. Cette princesse mourut peu de temps après ; et l'on sait
le cri douloureux de Bossuet, prononçant son Oraison funèbre :
" Madame se meurt ; Madame est morte ! "
sous M^"" DE SAINT-VALUER 85
seing et sceau, et la signature accoutumée de notre secré-
taire ordinaire, (signé) François, évêque de Pétrée.
« Par mandement de mon 111""* et R"® seigneur l'Evêque
(signé) Petit \ »
11 est difficile de concilier cette belle page de M^"" de Laval
avec ce qu'écrit quelque part son premier historien, M. de
Latour ^ : « Il ne goûtait point, dit-il, l'établissement des Ré-
collets au Canada, et il avait témoigné sa répugnance quand
il en entendit parler. » M. de Latour ajoute un peu plus
loin qu'ils étaient venus « malgré lui »'.
Quoi qu'il en soit, les Récollets, revenus au Canada en
1670, y étaient bien de par la volonté du Roi, et, comme le
dit M^"" de Laval, conformément au désir « exprimé par les
populations canadiennes ». Ils y étaient bien aussi, sinon à la
demande, du moins avec l'agrément du pieux Prélat, qui
leur fit, comme on vient de le voir, le meilleur accueil, leur
souhaita de voir leurs couvents se multiplier dans le pays,
et leur confia même quelques missions *. Il leur en donna
peu, cependant : il avait déjà confié aux Jésuites toutes les
missions sauvages; et quant aux missions françaises de la
colonie, n'étaient-elles pas toutes censées dépendre du Sémi-
1. Louis Petit, né en Normandie, ancien officier du régiment de
Carignan, et futur missionnaire de l'Acadie, n'était pas encore prêtre, et
faisait son grand séminaire. Il fut ordonné quelques semaines plus
tard, le 21 décembre, et agrégé de suite au Séminaire,
2. Mémoires sur la vie de M. de Laval, p. 199 et 200.
3. Pour nous, nous avons dit tout simplement, dans notre dernière
édition de Mgr de Laval (1906, p. 236), qu'il "n'avait pas songé à
faire venir les Récollets au Canada", ce qui est vrai (il n'y avait pas
songé, la pensée ne lui en était pas venue, parce qu'il avait les Jésuites
qui faisaient toute l'œuvre des missions), et ce qui nous semble bien
différent de ce que l'on nous fait dire quelque part, " qu'il ne désirait
pas le retour des Récollets" ! (Abnanach de Saint François pour içoç,
p. 34). Ce que c'est que de ne savoir pas citer textuellement, et de ne
pas saisir les nuances des mots ! La pensée et le désir, ce n'est pourtant
pas tout-à-fait la même chose.
4. Les Trois-Rivières, l'île Percé, la Rivière Saint-Jean et le Fort
Frontenac.
86 I^'ÉGUSE DU CANADA
naire, « un Séminaire pour servir de clergé à cette nouvelle
Eglise » V?
Il était réservé à M^ de Saint-Vallier non seulement d'as-
surer aux Récollets une existence moins précaire, un établis-
sement stable et à l'abri de toute contestation, mais de leur
donner largement, et sans mesurer, de l'emploi dans son
diocèse, de profiter de leur zèle et de leurs généreuses dis-
positions, et de réaliser à leur égard le vœu exprimé bien
des fois par les gouverneurs et les intendants, dans leur
correspondance avec la cour, de les voir employés le plus
possible pour la desserte des paroisses, pour le plus grand
bien des populations disséminées çà et là sur les rives du
Saint-Laurent.
Aussi est-ce surtout à partir de M^"" de Saint-Vallier que
l'on trouve le nom des Récollets, comme curés et mission-
naires, à l'origine de la plupart de nos paroisses d'aujour-
d'hui : Beaumont, Saint-Michel, Cap-Saint-Ignace, Cap-
Santé, Sorel, Chambly, Trois-Rivières, etc. Le Prélat ne
voulant plus dépendre du Séminaire pour la desserte des
missions de son diocèse, avait besoin de s'appuyer sur
d'autres corps religieux: les Récollets se mirent généreu-
sement à sa disposition; et il rencontra le même concours
actif et dévoué chez les Sulpiciens. Nous avons déjà parlé
du rôle important que joua l'un d'eux, M. Geoffroy, dans
tout le diocèse. Un autre Sulpicien, homme d'un très grand
mérite, M. Trouvé, après avoir été fait prisonnier, avec M.
Petit, à Port-Royal, par le fameux Phipps, avait été amené
par celui-ci sur son navire, lorsqu'il vint mettre le siège
devant Québec : un échange de prisonniers lui donna la li-
berté ; et M^"" de Saint-Vallier le garda quelques années dans
sa ville épiscopale pour desservir ses communautés reli-
gieuses 2. Grâce à Saint-Sulpice et aux Récollets, le pieux
1. Ed. et Ord., t. I, p. 34.
2, Les Sulpiciens en Acadie, p. loi. — C'est ce M. Trouvé qui, avec
sous M*^"" DE SAINÏ-VALLIER 87
Prélat put suppléer pendant longtemps à ce qui devait néces-
sairement lui manquer par suite de la réforme de son Sémi-
naire de Québec.
On a prétendu * qu'il était dangereux pour les Récollets
de les faire ainsi sortir de leurs couvents, et de les isoler
dans les campagnes, au risque de leur faire perdre la vie reli-
gieuse. Mais d'abord, pas plus que les Sulpiciens, pas plus
que les prêtres des Missions-Etrangères, ils n'étaient com-
plètement isolés, dans leurs missions. Ils restaient toujoifrs
en relation de prières, d'esprit et de cœur avec leurs con-
frères du monastère, où ils retournaient de temps en temps
se retremper dans la règle, qu'il observaient d'ailleurs tou-
jours aussi fidèlement que possible. Et puis, l'expérience a
prouvé que s'il y avait des dangers pour eux dans le minis-
tère pastoral, comme il y en a, d'ailleurs, pour tout mission-
naire, ils surent noblement en triompher. Les exemples ne
sont pas rares de Récollets qui, dans l'exercice des fonctions
curiales, ont brillé par une éminente vertu. Nous n'en cite-
rons qu'un, celui du bon P. le Poyvre, qui, après avoir des-
servi successivement les paroisses de Beaumont, Saint-Mi-
chel, Cap-Saint-Ignace, L'Islet, Chambly, mourut à Détroit,
en prédestiné:
« Il vécut, dit la chronique, d'une manière très édifiante,
travaillant avec zèle au salut des âmes, parcourant les mis-
sions les plus difficiles, ce qu'il fit pendant plus de quarante
ans qu'il fut dans le pays. Plusieurs fois supérieur de la
communauté, il portait la bonne odeur de Jésus-Christ au
dedans et au dehors. Il fut trouvé mort dans sa chambre
trois heures après avoir dit la messe à l'ordinaire, âgé de
soixante-douze ans, après cinquante-cinq ans de religion^.»
l'abbé de Fénelon, avait été missionnaire des Iroquois à la baie de
Quinte, au nord du lac Ontario. Il était natif de la Touraine. (Vie
de Mgr de Laval, t. I, p. 541. — Histoire du Montréal, p. 209 et 260).
Latour, Mémoires sur la vie de M. de Laval, p. 205.
Tanguay, Répertoire du clergé canadien, p. 71.
88 l'église du canada
Les lettres patentes des Récollets furent données à M^ de
Saint- Vallier le même jour que celles de l'Hôpital-Général.
Frontenac les avait demandées à la cour dès 1681. Elles con-
firmaient l'établissement de ces bons Religieux à Québec,
et leur permettaient de s'établir à Montréal, à Plaisance, à
l'île Saint-Pierre et partout où ils pourraient se fixer « de
l'aveu et consentement du gouverneur du pa}^s et des habi-
tants des lieux où ils voudraient s'établir ^. »
Sitôt qu'il eut obtenu ces lettres patentes, le pieux Prélat se
hâta de réaliser un de ses plus chers désirs. Depuis long-
temps il avait jeté les yeux sur le couvent de Notre-Dame-
des-Anges, appartenant aux Récollets, près de la rivière
Saint-Charles, pour y installer son Hôpital-Général; et les
Récollets de Québec, qui désiraient s'établir à la Haute- Ville,
s'étaient montrés tout disposés à lui céder leur couvent,
lorsqu'il leur avait témoigné ce désir. Mais il ne pouvait
rien faire sans le consentement de leur provincial à Paris.
Celui-ci acquiesça volontiers au vœu du Prélat, et permission ■
fut donnée aux Récollets de Québec de lui céder leur couvent
de Notre-Dame-des-Anges.
M^'" de Saint- Vallier ayant réussi à obtenir tout l'objet de
son voyage, se hâta de partir pour retourner dans son dio-
cèse. Le 9 août, on apprit à Québec qu'il arrivait, et en
bonne santé. Le vaisseau qui l'avait amené de France était
arrêté à Tadoussac, mais le digne évêque avait tant hâte
de revoir son troupeau, qu'il était monté sur une barque de
pêcheur: il arriva à Québec le 15 août. « Bientôt, dit l'an-
naliste des Ursulines, nous eûmes le plaisir de le voir, et la
joie fut grande de part et d'autre ". »
1. Ed. et Ord., t. I, p. 275.
2. Les Ursulines de Québec, t. I, p. 477.
CHAPITRE VII
L,''ÉGLISE DU CANADA^ DE 169I À 1694
La colonie, durant l'absence de l'Evêque. — Mgr de Saint- Vallier ac-
quiert, pour l'Hôpital-Général, le couvent des Récollets. — Les
religieuses de l'Hôtel-Dieu se chargent de l'Hôpital-Général. —
L'œuvre pastorale de Mgr de Saint- Vallier : guerre à l'intempé-
rance et autres vices. — Une assemblée du clergé. — Mgr de Saint-
Vallier, le saint Charles Borromée de notre Eglise. — Rien de
janséniste dans sa doctrine. — Sa dévotion à la sainte Vierge et à
saint Joseph. — Jésuites et Récollets à Montréal. — Commencement
de l'Hôpital-Général des Frères Charon. — Deuxième Synode. —
Juridiction de l'évêque de Québec à la Louisiane.
LA colonie canadienne, durant l'absence de M^ de Saint-
Vallier, avait passé par de rudes épreuves. Il est vrai
qu'elle s'était couverte de gloire en repoussant les Anglais
en 1690; mais la gloire se paie toujours de quelque manière :
après la guerre, vient ordinairement la disette ; et à la disette,
pour les Canadiens, s'ajoutaient, à cette époque, les inva-
sions et les déprédations des Iroquois. Les habitants furent
obligés, presque toute l'année 1691, de se tenir aux aguets,
sur la défensive, sans pouvoir ensemencer leurs terres. La
plupart des villages importants s'étaient couverts d'ouvrages
palissades et munis de canons : ces enceintes renfermaient
ordinairement l'église et le manoir seigneurial. A la pre-
mière alarme, la population allait s'y réfugier. Il y eut des
faits d'armes héroïques de la part des Canadiens : ceux de
M°* de Verchères, en 1690, et de sa fille, en 1692, sont trop
.ÇO L EGLISE DU CANADA
connus pour que nous ne nous contentions pas de les men-
tionner seulement ^.
Aux dévastations iroquoises, qui cessèrent en 1692,
avaient succédé celles des chenilles. Frontenac et Cham-
pigny écrivaient au ministre dans le cours de l'automne :
« Nos semences et nos récoltes, disaient-ils, ont été faites
sans aucunes incursions des ennemis. Mais il n'y a pas eu
beaucoup de grains, ce qui provient d'une destruction causée
par des chenilles, qui en ont mangé et ravagé la plus grande
partie, dans toute l'étendue du pays, où elles se sont répan-
dues en si grand nombre que la terre en était toute cou-
verte. . . »
Puis ils ajoutaient : « Nous avons appris avec plaisir que
les différends entre M. l'évêque de Québec et son Séminaire
étaient terminés. . . » Hélas ! cette paix entre l'Evêque et le
Séminaire ne devait pas durer longtemps, puisque, dès l'an-
née suivante, le gouverneur et l'intendant se voyaient obli-
gés d'écrire:
« Nous avons fait ce que nous avons pu pour engager
M. TEvêque et les Ecclésiastiques de son Séminaire à ter-
miner à l'amiable les différends qu'ils avaient ensemble.
Mais nos soins ont été inutiles, et il n'y aura jamais que
l'autorité du Roi qui puisse les faire finir entièrement et
mettre les choses dans la règle ordinaire de toutes les églises
et séminaires de France 2. » Mais n'anticipons pas.
Sitôt qu'il eut réglé les affaires les plus urgentes qui l'at-
tendaient, à son retour dans son diocèse, M^'' de Saint-Val-
lier n'eut rien de plus pressé que de s'occuper de celle qu'il
avait tant à cœur, l'achat du couvent de Notre-Dame-des-
Anges pour y fonder définitivement l' Hôpital-Général. Cet
1. Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 331.
2. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 12, Lettre de Fronte-
nac et Champigny au ministre, 15 septembre 1692, et 4 novembre 1693.
sous M^"" DE SAINT-VALLIER 9I
achat fut conclu le 13 septembre 1692, Frontenac représen-
tant au contrat les révérends Pères récollets, en sa qualité
de « Syndic apostolique de ces religieux, père et protecteur
de toutes leurs missions ».
Il n'entre pas dans le cadre de cette histoire de donner en
détail les clauses de ce contrat important. Citons seulement
ce qui peut donner une idée de la propriété que l'Evêque
acquérait pour son Hôpital-Général. Les Récollets lui cé-
daient les cent-six arpents de terre qu'ils possédaient sur la
rivière Saint-Charles, ainsi que leur édifice et leur couvent.
Ce couvent consistait « en un cloître en carré long, composé
de sept ou huit arcades de chaque côté: dont l'un des dits
côtés, au sud, était le long de l'église ; le deuxième était sous
partie et le long d'un dortoir bâti de pierres, contenant
vingt-quatre cellules ; sous lequel dortoir étaient les dépense,
cuisine, réfectoire et vestibule et les caves au-dessous ;
par-dessus, un grenier de toute la longueur; le troisième
côté du dit cloître était le long d'un bâtiment de colombages,
qui consistait en chambres et offices que M^"" le comte de
Frontenac avait fait bâtir. . . ; et le quatrième côté, au nord-
est, était une simple allée de cloître sans bâtiment » ^.
A part le prix d'achat, M^*" de Saint- Vallier donnait aux
Récollets un terrain pour agrandir celui de leur hospice de
la Haute- Ville, afin de leur permettre d'y bâtir leur monas-
tère ; et de plus il leur payait une certaine somme destinée à
acquérir une petite propriété où ils firent construire plus
tard leur hospice Saint-Roch ^.
Frontenac, qui s'intéressait beaucoup à ces bons religieux,
écrivait à la cour deux jours après le contrat : « Les Récol-
lets sont les seuls de toutes les communautés de ce pays qui
n'ont jamais reçu de gratifications pour tous les établisse-
1. Mgr de Saint-Vallier et l' H ô p. -Général, p. 99.
2. Henri de Bernicres, p. 173 et 235.
92 l'église du canada
ments qu'ils y ont faits ; et si cette Providence, en qui seule
ils se confient, ne vous inspire de leur procurer quelque
secours extraordinaire, ils ne pourront de longtemps avoir
dans cette ville une maison approchante de celle qu'ils ont
quittée. M. l'Evêque paraît fort content d'avoir terminé
cette affaire ^ . . «
La Providence vint au secours des Récollets : ils se bâtir
rent à la Haute- Ville un magnifique couvent, et surtout une
très belle église, la plus belle de Québec. Charlevoix allait
jusqu'à dire qu'elle était « digne de Versailles ». La façade
de cette église, avec son perron à plusieurs degrés, donnait
sur le Château, et le gouverneur n'avait qu'un pas à faire
pour aller assister aux offices du dimanche et des jours de
fêtes. De leur côté, les bons religieux, qui étaient naturel-
lement ses aumôniers, pouvaient facilement aller dire la
messe à la chapelle intérieure du Château, s'ils en étaient
requis par le gouverneur ^.
Sitôt cju'ils eurent livré à l'Evêque leur couvent de Notre-
Dame-des- Anges, le Prélat y fit faire les réparations et les
distributions indispensables ; et dès le 30 octobre il y fit
transporter les pauvres qu'il avait à sa maison de la Provi-
dence à la Haute- Ville :
« Le vénérable Prélat, dit l'annaliste de l'Hôi^ital-Géné-
ral, les attendait dans l'église, pour les offrir à Dieu avant de
les mettre en possession de leur nouvelle demeure. »
N'est-ce pas une scène vraiment digne des temps aposto-
liques, le spectacle de cet évêque encore jeune, — il n'avait
que trente-neuf ans — attendant dans l'église ses pauvres,
ses vieillards, ses infiniies. pour les offrir au Seigneur?
L'annaliste ajoute : « Dès qu'il eut installé à Notre-Dame-
des- Anges ceux qui en devaient être désormais les habitants,
1. Corresp. générale, vol. 12.
2. Québec en 1730, p. 19.
sous M"'' DE SAINT-VALLIEK 93
M'^'" de Saint-Vallier continua de leur montrer le même inté-
rêt, le même zèle qu'auparavant ; et il n'était pas rare de le
voir enlever de sa maison épiscopale les objets de première
nécessité, pour en meubler son hôpital. Il ne se contentait
pas d'être le bienfaiteur de ses pauvres, il était au milieu
d'eux comme un père au milieu de ses enfants. S'il prenait
ici son frugal repas, il ne manquait pas d'en faire asseoir
quelqu'un à sa table, ce qu'il était dans l'habitude de faire,
au moins une fois chaque semaine, à sa maison de Québec \»
L'Hôpital-Général était encore sous la direction d'une
Sœur de la Congrégation, que la vénérable Marguerite
Bourgeois y laissait, à la demande de l'Evêque. Mais cet
arrangement ne pouvait être que temporaire. Le soin des
hôpitaux n'était pas du ressort des Sœurs de la Congréga-
tion. M""" de Saint-Vallier proposa aux révérendes Mères
Augustines de l'Hôtel-Dieu de se charger de cette nouvelle
institution, et elles acceptèrent. Nous n'avons pas intention
de raconter les différentes phases qu'eut à traverser l'Hôpi-
tal-Général avant de devenir une communauté indépendante
de la maison-mère, ni les grandes difficultés qu'eut à sur-
monter M^"" de Saint-Vallier pour l'établissement définitif
de cette communauté. Nous en avons parlé assez au long
dans la Vie de Mgr de Laval '. Ces difficultés finirent par
s'aplanir; mais elles créèrent tout d'abord tant d'embarras
au pieux fondateur, qu'il lui fallut faire jusqu'à deux voya-
ges en Europe pour arriver à ses fins. Il aimait trop les
pauvres pour que la Providence l'abandonnât dans la pour-
suite d'une œuvre destinée au soulagement des membres de
Jésus-Christ :
« Il est d'une charité sans exemple, écrivait M. de Cham-
pigny, et fait aux pauvres tout le bien possible. »
1. Mgr de Saint-Vallier et V H ô p. -Général, p. 102.
2. Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 498.
94 L EGUSE DU CANADA
« Il s'est épuisé, écrivait à son tour Frontenac, pour trou-
ver les moyens de faire subsister les pauvres dans son Hôpi-
tal, et il y a peu d'évêques qui eussent voulu prendre sur leur
bien une somme aussi considérable que celle qu'il a em-
ployée \ »
Il réussit à fonder l' Hôpital-Général d'une manière solide
et durable, et nous le verrons en faire son refuge de prédi-
lection pour le reste de ses jours.
* *
En attendant, l'heure du repos est loin d'être arrivée pour
lui. Au contraire, les trois années qui s'écoulent à partir de
son retour de France, sont peut-être les plus agitées et les
plus difficiles de sa laborieuse carrière. Il est un temps, vers
la fin de ces trois années, où il a à peu près tout le monde
contre lui, dans son diocèse, même ceux qui jusqu'alors se
sont montrés les plus favorables à son administration. Il
se voit obligé d'aller de nouveau à la cour pour expliquer sa
conduite, pour se justifier, pour se défendre; et il constate
alors que même à la cour la roue de la fortune a tourné
contre lui. Mais avant d'entamer ce chapitre de luttes et
de vicissitudes, disons un mot de son œuvre pastorale, si
belle et si méritoire, pendant la même période.
Il n'est peut-être pas d'évêque, dans tout le cours de notre
histoire, qui ait donné aussi souvent et aussi avant que M^
de Saint- Vallier dans le détail des devoirs de la vie chré-
tienne, pour les inculquer à ses diocésains, pour faire fleurir
la vertu et germer le bon grain dans le champ du Père de
famille, et en extirper la racine du vice. Dans ses visites
pastorales, il observe tout, il prend note de tout, il fait par-
I. Corresp. générale, vol. 12.
sous M^"" DE SAINT-VALUER 95
1er ses prêtres, et se rend compte de l'état moral des popula-
tions, afin de remédier aux désordres, dès qu'ils commencent
à poindre. Nous avons de lui, pour la période qui nous
occupe, un certain nombre de lettres pastorales et de man-
dements, remplis d'avis, de règlements, de recommandations
de toutes sortes. Tout peut se résumer en trois points prin-
cipaux: guerre au vice; encouragement à la piété; conser-
vation intacte de son autorité et de la juridiction que lui a
confiée le saint-siège.
Guerre au vice : « L'ivrognerie des Français et des Sau-
vages, dit-il quelque part, l'impureté, le luxe et la médi-
sance : voilà les quatre sources fatales d'où proviennent tous
les désordres de ce pays-ci \ » Et il entreprend contre ces
ennemis de l'Eglise canadienne une campagne vigoureuse et
sans merci.
La traite de l'eau-de-vie avec les sauvages, voilà l'ennemi
que M^ de Laval, avec l'aide de son clergé, avait combattu
avec tant de vigueur dès le commencement de son épiscopat.
Malheureusement, dans sa lutte contre ce fléau, contre l'in-
tempérance non seulement des sauvages, mais aussi des
Français, il n'avait rencontré souvent que du mauvais vou-
loir de la part des autorités coloniales. Plus heureux que
M^ de Laval, son successeur, s'élevant fortement contre
l'intempérance, a l'appui même de Frontenac, et sur ce sujet,
comme nous l'avons dit ailleurs ^, « il fait ses mandements
presque en collaboration avec lui ». Parlant des grands
désordres d'ivrognerie dont il a été témoin un jour à
Montréal :
« Je crois être obligé, dit-il, de vous faire remarquer que
pareille conduite est contraire aux intentions du Roi et de
notre s^ouverneur. Le Roi défend dans son ordonnance
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 312.
2. Mgr de Saint-Vallier et son temps, p. 23.
96 1,'ÉGIvISE DU CANADA
les désordres qui arriver\t dans l'excès des boissons, et M.
le comte de Frontenac m'a témoigné plusieurs fois que
rien au monde ne lui faisait tant de peine que de voir des
ivrognes, et qu'il voudrait pouvoir empêcher un péché aussi
public et scandaleux, qui met l'homme au-dessous des
bêtes ^ »
De son côté, Frontenac voulant, lui aussi, entraver autant
que possible le commerce des boissons, transmet volontiers
à la cour une proposition de l'Evêque : « Ce serait, dit-il,
d'ajouter aux droits que paient ici les boissons, à leur arri-
vée de France, quinze sous par barrique de vin, et trente
sous par barrique d'eau-de-vie, que l'agent des fermiers
généraux lèverait avec leurs autres droits, et qu'il serait
tenu de payer aux administrateurs de l'Hôpital-...»
M"'' de Saint- Vallier ne se contente pas de combattre
l'ivrognerie et l'intempérance, — il n'y a pas que cela de con-
traire à la morale — il s'attaque aussi à tous les vices et
spécialement à ceux qu'il a désignés comme la source de
tous les désordres du pays. Dans les mandements qu'il
publie pour les deux jubilés accordés presque coup sur coup
par le pape Innocent XII ^, il invite les fidèles à bien profiter
des grâces qui leur sont accordées et à réparer ainsi certains
scandales dont il a à se plaindre :
« Ce qui augmente, dit-il, l'obligation qu'on a dans le
Canada de se prévaloir de la faveur qui nous est offerte,
c'est qu'on y a plus contribué qu'ailleurs à former les orages
qui désolent toute la chrétienté: comme c'est ici une Eglise
naissante, 011 l'on a vu pendant quelque temps des étincelles
du feu et des traits de la simplicité des premiers chrétiens *,
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 287.
2. Corresp. générale, vol. 12.
3. Le napolitain Pignatelli avait succédé en 1691 au vénitien Otto-
boni.
4. Allusion à l'éloge qu'il avait fait de l'Eglise du Canada, dans sa
Lettre à un de ses amis.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 97
on a lieu de croire que les vices monstrueux qui tout récem-
ment ont succédé à ces vertus ont plus irrité le Ciel que les
anciens dérèglements des anciennes Eglises ^ . . »
Mais pour réussir dans leur campagne contre le vice, les
confesseurs, les missionnaires, les curés, doivent rester unis
dans une stricte uniformité, sous la direction de l'Evêque;
et voilà pourquoi M^"" de Saint- Vallier, au mois de février
1693, convoque une assemblée de son clergé, qui a lieu dans
son évêché. On récite d'abord le Veni Creator; puis l'Evê-
que prend la parole :
« Il n'a fallu, dit-il, que douze apôtres pour convertir le
monde. Que ne dois-je donc pas attendre de vous, qui êtes
plus nombreux? que ne dois-je pas attendre de cette belle réu-
nion de prêtres et de religieux, si bien intentionnés, si bien
disposés à travailler de concert au salut des âmes ? Le péché
sera bientôt banni de cette ville, et ensuite de tout le diocèse.
Tout dépend de la bonne administration du sacrement de pé-
nitence. . . S'il y a si peu d'amendement de vie dans ceux qui
fréquentent ce sacrement depuis tant d'années, ne serait-ce
pas parce que quelques confesseurs n'apportent pas toute la
diligence nécessaire dans une affaire de si grande impor-
tance?. . . Le remède le plus assuré et le plus efficace est de
convenir de principes siîrs, et de les garder ensuite d'une
manière uniforme. . . »
Puis il fait lui-même la lecture de cinq ou six passages
des instructions données à ses confesseurs par saint Charles
Borromée ; et il engage ses prêtres à les observer fidèlement.
Saint Charles recommande aux confesseurs de ne pas ab-
soudre ceux à qui leurs curés ont refusé l'absolution à cause
de leur vie scandaleuse : il ne veut pas qu'on reçoive à la
confession « les femmes frisées et qui auraient d'autres pa-
rures extraordinaires » : il veut que les confesseurs interro-
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 344.
7
98 l'église du canada
gent leurs pénitents sur leurs devoirs d'état : il indique les
principaux cas où les confesseurs doivent refuser l'abso-
lution.
Après la lecture de ces instructions de saint Charles Bor-
romée, M^" de Saint-Vallier fait lire dans l'Assemblée ses
propres Ordonnances, où rien n'est oublié de ce qui concerne
les principaux devoirs de la vie chrétienne, ordonnances dont
la plupart font encore partie de notre discipline ecclésias-
tique, et règlent presque toutes les questions qui peuvent
occuper un curé dans sa paroisse. En lisant ces ordonnances,
ces instructions, ces avis, on ne peut s'empêcher de dire que
M^' de Saint-Vallier a été vraiment « le saint Charles Bor-
romée de notre Eglise canadienne ».
On a prétendu que la doctrine de M^"" de Saint-Vallier
était trop sévère, et touchait presque au jansénisme. Rien
de plus contraire à la vérité. Est-ce le fait d'un janséniste,
que de recommander aux fidèles « de communier au moins
une fois tous les mois » ^ ? Est-ce se montrer trop sévère,
que d'obliger les curés de donner à leurs pénitents parfaite
liberté d'aller à confesse à d'autres ' ? Il est remarquable
comme M^"" de Saint-Vallier, même dans les cas où il se
montre un peu sévère en apparence, sait toujours garder la
mesure et s'arrêter à point. Sur certaines questions, sans
doute, comme celle du prêt à intérêt, par exemple, la théolo-
gie a des notions un peu plus larges aujourd'hui qu'autre-
fois ; mais peut-on raisonnablement exiger de M^ de Saint-
Vallier autre chose que la saine théologie de son temps ?
Disons-le. d'ailleurs, hautement: jamais le jansénisme n'a
pénétré dans notre Eglise, malgré les efïorts qu'il a faits à
plusieurs reprises pour s'y faufiler; et cela grâce à la vigi-
lance, toujours aux aguets, de nos premiers pasteurs. Elle
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 332.
2. Ibid., p. 320.
sous M^' de; saint-vallier 99
n'a jamais été janséniste, l'Eglise du Canada, qui a eu pour
premiers missionnaires les Récollets et les Jésuites, et pour
fondateur le vénérable Montmorency-Laval, l'ami, l'élève
spirituel de l'illustre Bernières de Louvigny, ce pieux laïque
« qui communiait tous les jours » ^
Pour M^"" de Saint-Vallier, il suffit de lire les « pratiques
de piété » qu'il recommande aux curés d'inspirer à leurs pa-
roissiens, pour se convaincre qu'il n'avait absolument rien
du janséniste :
« La première obligation d'un curé, dit-il, est de donner à
ses paroissiens les sentiments d'une véritable et solide piété,
les y maintenir, et les y faire avancer toujours de plus en
plus; pour y réussir, ajoute-t-il, il doit leur recommander
[•souvent d'une manière douce et forte les pratiques sui-
vantes : »
Puis il énumère ces pratiques, que nous résumons : la
prière en famille, matin et soir, suivie du chapelet de la
sainte Famille, ou de la sainte Vierge, « selon la sainte et
louable coutume de ce diocèse », — coutume, on le sait, qui
est encore en usage dans la plupart de nos campagnes ; assis-
ter régulièrement aux offices du dimanche; communier au
moins une fois tous les mois; offrir à Dieu toutes ses
actions; penser chaque jour à la mort; si l'on tombe dans
quelque faute grave, aller à confesse le plus tôt possible;
se recommander à Dieu dans les tentations ; en maladie, de-
mander de bonne heure les sacrements ; ne pas passer devant
une église sans y entrer adorer le saint Sacrement; éviter
les occasions prochaines de péché; avoir toujours quelque
bon livre dans sa maison, et y faire chaque jour quelque lec-
ture en famille : et parmi les livres qu'il recommande, sont
la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la Vie des Saints,
Vlmitation de Jéstis-Christ, le Guide des Pécheurs, la Con~
I. Latour, Mémoires sur la z'ie de M. de Laval, p. 31.
lOO L EGIvISE DU CANADA
duitc de la Confession et Communion, par saint François de
Sales, le Pensez-y-hien, etc ^.
Nous connaissons déjà la grande dévotion du pieux Prélat
envers la sainte Vierge. Il n'y a rien qu'il ne fasse pour
l'inculquer de plus en plus à ses diocésains : « L'Eglise ne se
soutient, dit-il, c[ue par la protection de Notre-Seigneur et
celle de sa très sainte Mère ^ ; » et il recommande d'avoir à
leur égard « un amour tendre et véritable ^ ». C'est sa piété
envers la sainte Vierge qui l'engage à établir à l'Hôtel-Dieu
de Québec la fête de son Sacré-Cœur ; c'est elle qui lui fait
élever en son honneur l'église de la Basse-Ville. C'est encore
sa piété envers Marie qui l'engage, en 1690, à établir dans
cette église la fête de Notre-Dame-des-Victoires, avec pro-
cession, grand'messe et sermon, tous les ans, à perpétuité.
Il va plus loin, en 1694, peu de temps avant de partir de
nouveau pour l'Europe: il étend cette fête à tout son dio-
cèse, avec office obligatoire pour ses prêtres *.
Sa dévotion à saint Joseph n'est pas moins éclatante, et
il profite de toutes les occasions pour la propager dans son
diocèse. Le curé de Montréal, M. Guyotte, et ses marguil-
liers ^ lui ayant demandé de vouloir bien ériger une confré-
rie de saint Joseph dans leur paroisse, il est heureux d'ac-
quiescer à leur prière, « voulant augmenter, dit-il, la dévo-
tion envers ce grand saint, comme une source inépuisable
de grâces pour toutes les âmes qui y auront une sincère con-
fiance » ^.
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 332.
2. Ibid., p. 273.
3. Ibid., p. 297.
4. Ibid., p. 342.
5. Les deux marguilliers qui avaient signé la requête (1693) étaient
Pierre Perthuis, marchand, originaire de Tours, et René Cuillerier, de
Clermont, près La Flèche.
6. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 297.
sous M^ DE SAINT-VALUER lOI
Qui n'admirerait la piété et le zèle de ce saint Prélat? Ils
n'ont d'égal que son attention à pourvoir aux besoins de son
immense diocèse. Sa juridiction s'étend sur toutes les pos-
sessions françaises de l'Amérique du Nord. Nous l'avons
vu envoyer de nouveaux ouvriers évangéliques en Acadie,
dans la personne des Sulpiciens, pour augmenter le nombre
de ceux qui y étaient déjà. Il vient d'organiser l'Eglise de
Plaisance, à Terreneuve, et celle des Iles Saint-Pierre et
Miquelon, en leur envoyant, « pour y demeurer, quelques
bons religieux Récollets » ' . Les Jésuites ont depuis long-
temps la charge de toutes les missions sauvages; mais ces
missions s'étendent de jour en jour du côté des Illinois, des
Miamis, des Sioux: M^ de Saint- Vallier les confirme dans
la charge de ces missions, « donnant, dit-il, à leurs Supé-
rieurs toute l'autorité de nos grands vicaires, afin qu'ils nous
informent de ce qui s'y passe et qu'ils continuent à cultiver
paisiblement cette grande vigne du Seigneur avec le même
zèle qu'ils ont fait jusqu'à présent depuis l'établissement de
cette colonie « ^ .
Pour avoir un entrepôt entre Québec et leurs missions
illinoises, les Jésuites ont résolu de recommencer, à Mont-
réal, la résidence qu'ils y avaient autrefois ; et M^ de Saint-
Vallier leur en accorde volontiers la « permission » le 22
août 1692. Le premier supérieur de la résidence est le P.
François Vaillant 3.
C'est cette même année 1692 que les Récollets vont, eux
aussi, s'établir à Montréal, comme ils en ont été autorisés par
les lettres patentes du Roi apportées de France par M^"" de
Saint- Vallier, et suivant le désir que leur en ont exprimé
quelques citoyens dès 1681. Le terrain sur lequel s'élève
1. Mand. des Ev. de Québec, p. 288.
2. Ibid., p. 274.
3. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec.
I03 l'Église du canada
leur couvent leur a été généreusement donné par les Sulpi-
ciens \
Enfin, c'est encore cette même année 1692 que les Frères
Charon ^ ont demandé la permission de fonder à Montréal
une institution dans le genre de l' Hôpital-Général de Qué-
bec, pour y retirer « les pauvres enfants orphelins, estropiés,
vieillards, infirmes et autres nécessiteux de leur sexe ». M^
de Saint- Vallier n'a pu se refuser à favoriser une œuvre si
louable. Les lettres patentes accordées par le Roi pour
l'établissement d'un Hôpital-Général à Villemarie sont du
15 avril 1694^; et les Frères Charon ont déjà commencé
leur œuvre depuis quelque temps. C'est donc trois nou-
veaux établissements religieux que M^"" de Saint-Vallier
trouve à Montréal dans la visite pastorale qu'il y fait au
printemps de 1694.
Dans cette visite pastorale, M""" de Saint-Vallier tint son
deuxième Synode. Il eut lieu « en une des salles du Sémi-
naire )\ Le Prélat y avait convoqué tous les prêtres de la
ville et du district. Il y renouvela, sous forme de statuts, les
ordonnances, avis et règlements donnés l'année précédente
dans l'assemblée ecclésiastique tenue à Québec. Puis il
communiqua à son clergé une liste de douze cas réservés,
pour des fautes dont il voulait faire concevoir aux fidèles
une grande horreur, ajoutant « qu'il ne donnerait que très
difficilement la pemiission d'en absoudre » *.
L'église paroissiale de Montréal n'était pas riche à cette
époque. A la demande du curé et des marguilliers, l'Evêque
fit de sages règlements pour lui assurer un peu de revenus.
1. Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 105.
2. Ainsi appelés du nom de leur premier supérieur, qui commença la
petite communauté avec MM. LeBer et Fredin.
3. Ed. et Ord., t. I, p. 277.
4. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 329.
sous M'*" DE SAINT-VALLIER IO3
surtout en haussant le prix des fosses du cimetière, « qui
était autour de l'église » \
M^'' de Saint- Vallier, dans cette visite pastorale, fut au
moins trois semaines à Montréal. Il était heureux dans son
séminaire de Saint-Sulpice, avec les fils spirituels de M.
Tronson qui lui avait toujours témoigné beaucoup d'estime
et d'amitié.
Nous avons dit que la juridiction de l'évêque de Québec,
d'après la Bulle d'érection de 1674, s'étendait sur toutes les
possessions françaises de l'Amérique du Nord : elle couvrait
donc toute la vallée du Mississipi, ce que l'on appelait alors
la Louisiane, découverte par le P. Marquette et JoUiet, jus-
qu'aux bouches du grand fleuve qu'avait tout récemment
explorées La Salle. Or voilà que M""" de Saint- Vallier
apprend que l'on vient de créer des vicaires apostoliques
pour cette partie lointaine de son diocèse. Il écrit au Roi
pour l'en informer:
« L'on ne peut, dit-il, retrancher une partie de ce diocèse,
■que l'on n'érige un nouvel évêché, et que les bornes n'en
soient désignées par le Roi et approuvées par le Pape, ainsi
qu'il est expressément porté par l'érection de cet évêché. »
Il écrit en même temps au cardinal d'Estrées pour lui
répéter la même chose, et l'informer de plus que les mis-
sionnaires de Québec travaillent déjà dans cette vallée du
Mississipi :
« Il y a, ajoute-t-il, une communication très facile entre
toutes ces nations et la colonie française, de sorte que ces
missions seront beaucoup mieux soutenues et administrées
sous la juridiction de l'Evêque de Québec qu'elles ne le
seraient par de simples ecclésiastiques et religieux sans dé-
pendance et qui n'ont aucun établissement qui soit solide ". »
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 338.
2. Ibid., p. 298.
I04 l'église du canada
M^ de Saint-Vallier conserva sa juridiction sur cette
partie lointaine de son diocèse, et l'on n'y envoya pas de
vicaires apostoliques. Il l'administra par ses grands vicaires.;
et cette partie de son diocèse lui causa souvent de grands
embarras. Mais il n'était pas homme à reculer devant les
difficultés. Nous allons le voir dans le prochain chapitre.
CHAPITRE VIII
l'église du canada, de 1691 À 1694 (suite)
La Journée des Dupes. — Mgr de Saint- Vallier et Frontenac. — Fron-
tenac, au point de vue religieux. — L'affaire du Tartufe et des
Cent-Pistoles. — L'affaire Mareuil. — Un cas de concubinage pu-
blic. — Officiers accusés de manquer à la messe.
ON connaît le nom donné dans l'histoire à cette fameuse
journée, où Richelieu, sur le point de succomber aux
intrigues de la Reine mère Marie de Médicis, et de se voir
politiquement ruiné, fit en un instant, par son habileté, tour-
ner de son côté la roue de la fortune, se retrouva avec Louis
XIII, et resta maître de la situation : on l'a appelée la jour-
née des dupes.
Que de fois cette expression s'est présentée à notre esprit
— avec quelques distinctions nécessaires, sans doute, — à
propos de la nomination de M. de Saint-Vallier comme suc-
cesseur de M^' de Laval! Que de déceptions, le lendemain
de cette nomination! Ne parlons pas de celles de M^ de
Laval, ni de celles de M. de Saint-Vallier lui-même; nous
les connaissons déjà assez : mais que d'espérances trompées,
chez une foule d'autres personnages, tant à la cour qu'au
Canada ! On ne peut douter, en effet, que les autorités colo-
niales, par exemple, et les officiers de la cour, ennuyés des
embarras que leur causait depuis longtemps le premier évê-
que de Québec par sa lutte courageuse contre la traite de
l'eau-de-vie et contre les désordres en général, n'aient ap-
plaudi à sa démission et au choix de son successeur. Ils espé-
io6 l'éguse du canada
mient trouver dans cet aumônier de la cour un prélat plus
facile, plus souple, plus maniable, moins opposé à leurs vues
et à leurs prétentions. Ils sont bien trompés lorsqu'ils s'aper-
çoivent que M""" de Saint-Vallier n'est pas moins inflexible
que son prédécesseur pour tout ce qui regarde l'accomplis-
sement de sa charge pastorale, et qu'il fait, lui aussi, une
guerre sans merci à tous les désordres. On s'aperçoit qu'on
a été dupe des apparences, ou d'une trop grande confiance:
on essaie alors de forcer le nouveau prélat à résigner son
siège; et ces tentatives se renouvellent jusqu'à trois fois.
Mais celui-ci, non pas par une habileté purement humaine,
comme Richelieu, mais par sa constance, sa fermeté, la
conscience de son droit, réussit à déjouer tous leur projets,
et reste maître de la situation. Le jour où M. de Saint-
Vallier fut proposé au Roi et agréé comme évêque de Qué-
bec, fut donc vraiment pour tous ces personnages la journée
des dupes.
Voulons-nous un exemple des déceptions dont nous venons
de parler? Nous n'en citerons qu'un seul, celui de Pont-
chartrain \ le ministre d'Etat. Pontchartrain n'a probable-
ment pas été étranger à la nomination de M^"" de Saint-
Vallier; il écrit à de Meulles, l'intendant du Canada, aussitôt
après cette nomination:
« Comme il a l'esprit bien fait, il se dépouillera de toutes
sortes de préventions pour chercher ce qui pourra être du
bien solide de la colonie "... »
Dix ans plus tard, que dira-t-il au sujet du même prélat,
qui se trouvait alors à Paris?
« Il ne faut pas qu'il retourne au Canada, de peur qu'il
n'achève de bouleverser l'Eglise et l'état politique d'un pays
<oti l'on a besoin d'un grand flegme pour gouverner, et où il
1. Louis Phélipeaux, seigneur de Pontchartrain.
2. Arch. du Canada, Corresp. générale, vol. 7.
sous M**" DE SAINT-VALLIER I07
ne peut recevoir de conseils que de ceux dont il ne veut point
en prendrt' »
Pontchartrain voulait surtout parler de Frontenac, son
parent, avec qui M^"" de Saint-Vallier venait de se brouiller
complètement, après avoir été son ami. Le gouverneur et
révêque étaient tous deux amis de M. Tronson, dont Fron-
tenac avait même été « condisciple au collège » ■ : c'était un
lien d'amitié et de confiance réciproques. M^ de Saint-
Vallier avait toujours tenu à rester en bons tennes avec le
gouverneur : il le visitait, s'entretenait avec lui des affaires
de son diocèse, le consultait et s'appuyait même sur lui pour
quelques-uns de ses mandements. Il lui avait accordé plu-
sieurs faveurs, entre autres la grand'messe du dimanche,
chez les Récollets, un peu au détriment des offices de la
paroisse, auxquels, cependant, il tenait tant. Connaissant sa
vanité et son faible pour les honneurs, il avait permis aux
Récollets de lui adresser la parole, comme à un prince, au
commencement de leurs sermons, à cette grand'messe, et les
Récollets s'y prêtaient d'autant plus volontiers que Fron-
tenac était leur syndic apostolique ^. Il lui avait même fait
accorder, à la paroisse, le. titre de « marguillier d'honneur
de la fabrique », avec droit d'assister aux assemblées, chose
à laquelle M^"" de Laval s'était toujours opposé, ne jugeant
pas à propos de laisser l'autorité civile s'immiscer dans les
affaires de l'Eglise * et gêner l'indépendance des délibéra-
tions des fabriciens ^.
1. Arch. du Séminaire de Québec, Mémoire sur le Canada, 1695.
2. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 13, Lettre de Fron-
tenac au ministre, 2 novembre 1695.
3. Archiv. du Sém. de Québec, Lettre de Mgr de Laval à M. de
Brisacier, 17 avril 1691.
4. " Bonaparte imposa aux fabriques la présence du maire et le
contrôle du budjet par l'administration civile, en concurrence avec le
contrôle de l'Evêque, et retira au curé la présidence de plein droit. "
(Le Correspondant du 25 mai 1907, p. 813).
5. Henri de Bernières, p. 184. — Archives de la fabrique de Notre-
Dame de Québec.
io8 l'église du canada
Frontenac était donc, tout d'abord, en ternies d'amitié
avec l'Evêque; il l'était encore dans l'automne de 1693. Au
dire de Champigny, ces deux distingués personnages étaient
même « étroitement unis ». Quelques mois plus tard, ils
étaient complètement brouillés.
L'année 1694 fut, sous certains rapports, une année terri-
ble pour l'Eglise du Canada. On a beaucoup parlé des difficul-
tés de M""" de Laval avec les différents gouverneurs du pays :
elles ne sont rien en comparaison de celles qu'eut M^ de
Saint- Vallier avec les autorités civiles du Canada. Le pre-
mier évêque de Québec, dans ses luttes courageuses contre
les autorités coloniales et les marchands au sujet de la traite
de l'eau-de-vie, s'appuyait sur son clergé, avec lequel il entre-
tenait une union parfaite, et qui lui était tout dévoué. M^
de Saint- Vallier commença par se brouiller avec son sémi-
naire, et par suite avec la plus grande partie de son clergé;
et lorsqu'il se vit obligé de faire la guerre aux désordres et
aux abus qu'il crut apercevoir au sein de son Eglise, il se
trouva isolé. Mille difficultés de toutes sortes surgirent
autour de lui. En face de cette situation, il ne sut peut-être
pas garder suffisamment son sang-froid; il se jeta dans la
lutte avec toute la fougue de son caractère. A la fin de
1694, il s'était aliéné presque tous les esprits au Canada^;
on le regardait comme un homme impossible. Quand il
passa en France, tout le monde se sentit soulagé ; et lorsque
la cour résolut de le retenir à Paris, et de lui faire résigner
son siège, il trouva peu de voix au Canada pour parler en sa
faveur et solliciter son retour. Mais revenons à Frontenac.
Sa mésintelligence avec l'Evêque, jusque-là son ami, pa-
raît avoir eu pour cause principale certaines remarques du
pieux Prélat sur la conduite de sa maison. On sait les
I. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 13, Lettre de Cham-
pigny, 7 oct. 1694; de Callières, 19 oct. 1694.
sous M^"" DE SAINT-VALIJER IO9
« Avis » que M'^'" de Saint-Vallier avait donnés à Denonville
sur l'obligation de donner le bon exemple aux peuples, et
les recommandations qu'il lui avait faites « touchant les fes-
tins, le bal et la danse, les comédies et autres déclamations,
etc », avis et recommandations que ce pieux gouverneur mit
exactement en pratique. Il est probable que M^' de Saint-
Vallier, dans son grand désir du bien, adressa les mêmes
avis à Frontenac. Mais étant donné le caractère de ce gou-
verneur, on peut croire qu'ils furent très mal reçus; on est
même sûr qu'il n'en tint aucun compte, surtout pour le
théâtre et la comédie.
Et pourtant on aurait tort de croire que Frontenac n'était
pas religieux. Au contraire, les documents les plus autorisés
de l'époque s'accordent à reconnaître qu'il l'était sincère-
ment. Citons seulement ce qu'écrivait Charlevoix à l'occa-
sion de la mort de ce gouverneur distingué :
« Il était, dit-il, dans sa soixante dix-huitième année, mais
dans un corps aussi sain qu'il est possible de l'avoir à son
âge, il conservait toute la fermeté et la vivacité d'esprit de
ses plus belles années. Il mourut comme il avait vécu, chéri
de plusieurs, estimé de tous, et avec la gloire d'avoir, sans
presque aucun secours de France, soutenu et augmenté
même une colonie ouverte et attaquée de toutes parts, et
qu'il avait trouvée sur le penchant de sa ruine.
« Il paraissait avoir un grand fond de religion, et il en
donna constamment jusqu'à sa mort des marques publiques.
On ne l'accusa jamais d'être intéressé; mais on avait de la
peine à concilier la piété, dont il faisait profession, avec la
conduite qu'il tenait à l'égard des personnes contre lesquelles
il s'était laissé prévenir. L'âcreté de son humeur un peu
atrabilaire, et une jalousie basse, dont il ne se défît jamais,
l'ont empêché de goiiter tout le fruit de ses succès, et ont un
peu démenti son caractère, oti il y avait de la fermeté, de la
noblesse et de l'élévation. Après tout, la Nouvelle-France
IIO L EGLISE DU CANADA
lui devait tout ce qu'elle était à sa mort, et l'on s'aperçut
bientôt du grand vide qu'il y laissait. »
Tout dans ce portrait nous paraît juste et définitif. Un
seul mot, peut-être, demande explication : « on ne l'accusa
jamais d'être intéressé » ; Charlevoix veut dire, sans doute,
de thésauriser par une sordide avarice : ceux-là même qui
ont accusé Frontenac de profiter de sa position pour se pro-
curer quelques gains par la traite, ne manquaient pas d'ajou-
ter qu'il ne le faisait que pour suppléer à l'insuffisance de son
traitement. Quant à ses mœurs, quoiqu'il vécût en céliba-
taire, — M""* de Frontenac était toujours restée en France
— elles furent toujours à l'abri de tout soupçon; et le
« grand fond de religion » dont parle Charlevoix, n'en don-
nait-il pas la preuve, lorsqu'il allait trois ou quatre fois par
année chez les Récollets se recueillir un peu dans la solitude
et même faire tous les ans une retraite de huit à dix jours ^ ?
On le faisait même passer pour janséniste, et il aimait à
plaisanter là-dessus ^.
Mais il n'était pas disposé à se laisser imposer comme
précepte ce qu'il croyait n'être que de conseil. L'usage de
s'amuser durant le carnaval par des spectacles ou des repré-
sentations dramatiques existait à Québec depuis longtemps :
ces spectacles réunissaient au Château Saint-Louis l'élite de
la société canadienne. Denonville s'en était abstenu, à la
demande de M^'" de Saint-Vallier ; Frontenac remit en hon-
neur chez lui ces soirées dramatiques: il y apporta du zèle,
de l'entrain, de l'enthousiasme. Il y avait alors à Québec
bon nombre d'officiers qui avaient ser\'i dans les expédi-
tions de Denonville et de La Barre, ainsi qu'au siège de-
1690: ils se chargeaient des principaux rôles et les rem-
plissaient souvent avec beaucoup de perfection. Au com-
1. Histoire de ^Hôtel-Dieu de Québec, p. 378.
2. Corresp. générale, vol. 13, Frontenac au ministre, 2 nov. 1^5.
sous M*"* DE SAINT-VALLIER III
mencement de 1694. les tragédies Nicomède et Mithridate
furent jouées au Château avec un grand succès. Le procu-
reur général, les conseillers, tous les principaux citoyens y
assistèrent. « Il y avait eu abondance de castor et bonne
récolte, écrit le cynique Lamothe-Cadillac, et l'on se réjouis-
sait par des soirées dramatiques. »
L'Evêque était au courant de toutes ces fêtes mondaines,
mais se contentait d'en gémir en silence.
Tout-à-coup le bruit se répand que l'on se prépare à jouer
le Tartufe au Château : nul doute que Froni^<^nac veut faire
pièce au clergé, qu'il n'aime pas ^ Circonstance aggravante:
celui qui doit jouer le rôle de Tartufe est un nommé Mareuil,
« lieutenant réfonné d'un détachement des troupes de la
marine », qui est au Canada depuis un an, un ami et un
protégé de Frontenac, un de ses hôtes au Château. Autre
circonstance aggravante : cet officier ne se gêne pas, dit-on,
de tenir habituellement des propos irréligieux, au grand
scandale de ceux qui ont occasion de l'entendre. L'Evêque
l'en a souvent repris; mais il ne tient aucun compte de ses
avis et continue à se moquer de Dieu, des saints et des
choses saintes.
M^ de Saint- Vallier n'y peut tenir. Dans son zèle pour
la gloire de Dieu outragé, il lance un « mandement sur les
discours impies » ; il y dénonce nommément Mareuil. Cet
homme, dit-il, « au mépris des avis souvent réitérés que
nous lui avons donnés et fait donner par des personnes très
dignes de foi, continue à tenir des discours en public et en
particulier, qui seraient capables de faire rougir le ciel et
d'attirer les carreaux de la vengeance de Dieu sur sa tête ».
Il le menace «de le retrancher du nombre des fidèles», et
I. "On est assez informé à la cour, de cet odium theologicum contre
les Puissances temporelles, qui est plus fort en ce pays qu'en pas un
autre endroit." (Corresp. générale, vol. 13, Frontenac au ministre, 2
nov. 1695).
112 I.EGUSE DU CANADA
ordonne aux prêtres « de le refuser à la sainte table », jus-
qu'à ce que, par une pénitence salutaire, il ait satisfait au
scandale qu'il a causé. Ce mandement est daté du i6 jan-
vier 1694: M^"" de Saint- Vallier était justement à faire la
visite pastorale de la paroisse ^.
Le même jour, il lance un autre mandement, « au sujet
des comédies », et publie aussi une instruction qu'il a fait
prêcher le dimanche précédent à la Basse-Ville par M.
Glandelet, desservant de la succursale. Il distingue entre les
pièces « qui sont honnêtes de leur nature, mais ne laissent pas
que d'être très dangereuses par les circonstances », et « les
comédies impies, ou impures, ou injurieuses au prochain »,
parmi lesquelles il range le Tartufe ^ :
« Nous déclarons, dit-il, que ces sortes de comédies ne
sont pas seulement dangereuses, mais qu'elles sont absolu-
ment mauvaises et criminelles d'elles-mêmes, et qu'on ne
peut y assister sans péché ^. . . »
Tout bouleversé par l'idée que le Tartufe va être repré-
senté au Château — on assure même qu'il sera joué ensuite,
par ordre du gouverneur, dans les communautés religieuses
et au Séminaire — il prend le parti d'aller trouver Fron-
tenac lui-même. Il le rencontre précisément sur la rue,
« près de l'église des Jésuites », causant avec l'intendant
Champigny. Il lui fait part de son chagrin, et « s'avise de
lui ofïrir cent pistoles, pourvai qu'il ne fasse pas jouer le
Tartufe ». Au moyen de cette somme, considérable pour
l'époque, il obtient la promesse que le spectacle n'aura pas
lieu :
« Il prit l'occasion que j'étais avec M. de Frontenac, écrit
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 301.
2. Voir, à propos du Tartufe, un magnifique article de M. de La-
prade sur la Morale de Molière, dans le Correspondant du 25 août
1876. — Mgr de Saint-Vallier et son temps, p. 35.
. 3. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 302.
sous M^"" DE SAINT-VALUCR 11$
Champigiiy, pour le prier de ne pas faire jouer cette pièce,
s'offrant de lui donner cent pistoles: ce que M. de Fronte-
nac ayant accepté, il lui en fit son billet, qui fut payé le len-
demain *. »
Et de fait la représentation de Tartufe n'eut pas lieu.
Son zèle et son activité infatigables ne s'en tiennent pas
là. Après avoir dénoncé l'acteur principal, le metteur en
scène, Mareuil, il le traduit devant le Conseil Supérieur,
« pour avoir proféré depuis qu'il est en ce pays des dis-
cours pleins d'impiété et d'une impureté scandaleuse tant
contre Dieu que contre la sainte Vierge et les saints ».
Le procureur général D'Auteuil prend bravement l'afïaire
en mains : « S'il y a lieu au monde, dit-il, où l'on doive veil-
ler à ce que l'impiété soit bannie, ce doit être en ce pays. . . »
Sur les instances, le Conseil ordonne qu'il soit procédé à une
enquête sur les accusations portées contre Mareuil ; et M. de
Villeray est chargé de tenir cette enquête. Mareuil objecte à
la procédure, et présente requête sur requête. Frontenac
intervient, et fait aux conseillers plusieurs remontrances,
cherchant à les embarrasser; mais ils n'en tiennent nul
compte. L'enquête se poursuit, et Villeray reçoit les témoi-
gnages contre Mareuil; puis, quand on juge qu'il y en a
assez, on décide d'interroger Mareuil lui-même, et sur son
refus de répondre, on le renfeiTne dans les prisons du Palais
de l'intendant ^, en même temps qu'un nommé Grignon, qui,
à son instigation, est allé de nuit enfoncer les fenêtres de la
chambre de l'Evêque ^. IMareuil reste en prison tout l'été; et
ce n'est que tard dans l'automne, après le départ des derniers
vaisseaux, que Frontenac, usant d'autorité, comme le fit plus
tard M. de Beauharnais *, lui rend la liberté ^.
1. Corresp. générale, vol. 13, Champigny au ministre, 27 oct. 1694.
2. Jugements du Conseil Supérieur, t. III, p. 924.
3. Corresp. générale, vol. 13, Champigny au ministre, 27 oct. 1694.
4. Québec en 1730, p. 49.
5. Mgr de Saint-Vallier et son temps, p. 51.
114 L EGLISE DU CANADA
Cette affaire Mareuil, jointe à celle du Tartufe et des
Cent-Pistoles, avait un peu refroidi les relations entre le
gouverneur et l'évêque : au dire de Champigny, cependant,
« l'union n'était pas encore beaucoup altérée ». Il fallait de
nouveaux scandales pour la détruire complètement.
Sitôt qu'il eut fini la visite pastorale de la ville de Québec,
M^ de Saint-Vallier se mit en route pour Montréal, faisant,
suivant sa coutume, la visite de toutes les missions sur les
deux rives du fleuve, en montant. Arrivé à Batiscan, il
apprend du curé, M. Foucault, son ancien secrétaire ^ que
François Desjordy, « capitaine réformé d'un détachement
de la marine » qui réside à Champlain, est encore en concu-
binage public avec une femme de Batiscan, dont le mari est
absent; le curé de Champlain, M. Bouquin, lui répète la
même chose : tous deux se plaignent d'un scandale qui afflige
leurs paroisses « depuis plusieurs années ». L'Evêque a déjà
écrit à ce sujet au gouverneur, ainsi qu'à M. de Vaudreuil,
commandant des troupes \ Vaudreuil a donné sa parole
que l'officier n'y retournerait plus ; et l'Evêque, de son côté,
lui a promis qu'il ne se porterait à aucune chose contre cet
officier s'il cessait ce concubinage. Mais apprenant par le
témoignage de ses deux curés que le scandale continue, il
porte contre les deux coupables une excommunication ma-
jeure, qui leur interdit l'entrée de l'église et les signale
comme devant être évités. La sentence d'excommunication
est lue au prône des messes paroissiales de Champlain et de
Batiscan le 9 février. La semaine suivante, Desjordy, « qui
demeurait à Sorel depuis un mois, par ordre de M. de Vau-
dreuil, à la prière de l'Evêque », ayant occasion de descendre
1. Celui-là même qui alla plus tard en mission au Mississipi et y
fut tué par les Akansas : " Vous avez trouvé en lui toutes les bonnes
qualités d'un missionnaire propre à travailler avec succès. " (Archiv.
du Sém. de Québec. Lettre de M. de Brisacier à Mgr de Laval, Paris 17
juin 1701).
2. Le futur gouverneur du Canada, après Callières.
sous M^ DE SAINT-VALUER II5
à Québec, passe par Batiscan ; et étant entré à l'église pour
assister à un service, le curé qui célèbre interrompt le saint
sacrifice, quitte l'autel, et se retire à la sacristie.
Desjordy et sa concubine s'adressèrent au Conseil pour
obtenir de l'Evêque réparation d'honneur. Ils auraient voulu
faire comparaître les curés Foucault et Bouquin pour leur
faire déclarer les raisons pour lesquelles ils avaient obtenu
la sentence d'excommunication, et demandaient la produc-
tion de cette sentence. Frontenac intervient : « Il faut con-
naître, dit-il, si M. l'Evêque n'a point outrepassé les bornes
de son autorité et de sa juridiction au préjudice de celles
du Roi. » M^ de Saint-Vallier réussit à faire traîner les
choses en longueur; et lorsqu'il partit pour la France, dans
l'automne, l'affaire Desjordy-Debrieux vint grossir le dos-
sier que l'on avait à envoyer contre lui à la cour \
I. Jugements du Conseil Supérieur, t. III, p. 856, 877, 885, 917. —
Corresp. générale, vol. 13, Champigny au ministre, 27 oct. 1694.
CHAPITRE IX
l'église du canada, de 1691 à 1694 (suite)
Mgr de Saint -Vallier, à Montréal. — Affaire du Prie-Dieu ; interdic-
tion de l'église des Récollets ; interdiction des Récollets. — Mgr de
Saint- Vallier et M_ de Callières. — Affaire de la solde des soldats,
retenue par leurs officiers. — Mgr de Saint- Vallier au Conseil Su-
périeur. — Il part pour l'Europe.
LES difficultés, les misères de toutes sortes se multipliaient
sur les pas de l'Evêque, à mesure qu'il s'avançait vers
Montréal : elles allaient atteindre dans cette ville leur point
culminant. Nous ne parlons, naturellement, que de celles
qui nous sont connues par les documents officiels; mais que
d'autres nous laissent entrevoir les écrits de M^"" de Saint-
Vallier 1 !
Arrivé à Sorel, il constate que le dimanche plusieurs
officiers n'ont point assisté à la messe : ce qui « est de fort
mauvais exemple », dit-il. Il écrit à Frontenac pour s'en
plaindre. Le gouverneur remet sa lettre entre les mains
des officiers incriminés, qui, à leur tour, la présentent au
Conseil, en demandant une enquête, pour avoir occasion de
se justifier et de prouver qu'ils n'ont pas manqué à la
messe.
M^"" de Saint-Vallier se rend à Montréal, où il tient le
Synode dont nous avons parlé dans un chapitre précédent. II
fait la visite de ses communautés religieuses : Saint-Sulpice
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 344.
sous M^ DE SAINT-VAIvUER II?
dont le supérieur est encore M. Dollier de Casson ; les Sœurs
de la Congrégation, qui ont pour chapelain M. Bailly; les
Sœurs de Saint- Joseph, sous la direction de M. de la Colom-
bière ; et enfin la nouvelle communauté des Frères Charon. A
la Congrégation, il y a une sœur Tardif, qui prétend avoir
des visions surnaturelles, dont on s'occupe beaucoup à Mont-
réal : elle a même entraîné à ses sentiments le directeur de
sa communauté, M. Bailly, et celui de l'Hôtel-Dieu de Saint-
Joseph, M. de la Colombière : ce qui sera cause de la sortie
de ces deux prêtres de Saint-Sulpice. M. Tronson les rap-
pelle à Paris, ainsi que la visionnaire, et met fin à toute
l'agitation \
Les Récollets profitent du passage de l'Evêque à Montréal
pour l'inviter à l'inauguration de leur couvent et de leur
nouvelle église, cérémonie à laquelle doivent aussi prendre
part le gouverneur, M. de Callières, et les principaux ci-
toyens de la ville. D'après l'intendant Champigny, cette
cérémonie avait lieu à l'occasion d'une « profession reli-
gieuse ». Le gardien des Récollets est le P. Joseph Denis,
celui-là même qui a été quelque temps missionnaire à Percé,
puis à Plaisance. Il a une sœur à Montréal, mariée à M. de
Ramesay, futur gouverneur du district. Les Récollets, qui
ne sont à Montréal que depuis peu de temps, y sont déjà
très populaires, et jouissent de la protection et de l'amitié
du gouverneur, M. de Callières.
Le jour de la cérémonie arrivé, M^ de Saint-Vallier se
rend à leur couvent, avec quelques-uns de ses ecclésiastiques ;
et, en entrant dans l'église, il constate « qu'on a placé son
prie-Dieu à côté de la chapelle, dans un endroit beaucoup
moins honorable que celui de M. de Callières, lequel est au
milieu de l'église. Surpris d'un procédé si extraordinaire,
il envoie dire au Père supérieur par un de ses ecclésiastiques
I. Paillon, Vie de la Sœur Bourgeois, t. I, p. 382.
L EGLISE DU CANADA
de faire ôter le prie-Dieu du gouverneur et de le remettre en
sa place ordinaire : ce qui est exécuté, après quelques contes-
tations ; et le Père en envoie aussitôt avertir M. de Callières.
Celui-ci arrive, fait prendre son prie-Dieu par deux officiers
et un soldat, et le fait remettre au milieu. M^'" de Saint-
Vallier lui ayant représenté que cette place ne lui était pas
due, et le gouverneur s'obstinant à y demeurer, le Prélat,
pour ne pas autoriser cette entreprise par sa présence, et
pour ne faire aucun scandale public, prend le parti de se
retirer et de sortir de l'église ».
Nous avons tenu, en racontant cet incident, à nous servir
des paroles mêmes de M^"" de Saint- Vallier dans son mé-
moire à la cour \
A la suite de la cérémonie religieuse, il y eut banquet, au
couvent des Récollets. M. de Callières y assistait, ainsi que
quelques officiers et plusieurs citoyens de la ville. Durant le
repas, un certain nombre de dames entrèrent au réfectoire,
la besace sur le dos, et firent à plusieurs reprises le tour des
tables, quêtant des mets qu'elles allèrent ensuite manger
au jardin, tout en s'amusant. « Parmi ces dames, dit le
mémoire de l'Evêque, il y en avait une ^ dont la présence
convenait encore moins dans ce lieu que celle des autres. »
Le lendemain de l'incident du prie-Dieu et du banquet,
ou plutôt de la visite des dames au banquet, M^ de Saint-
Vallier écrivit au supérieur des Récollets :
« Je vous écris cette lettre, notre cher Père, pour vous
témoigner combien j'ai été surpris de ce qui est arrivé hier
chez vous. Je crois nécessaire, pour empêcher la conti-
nuation de pareilles entreprises et pour user de prudence, que
vous ôtiez tous les prie-Dieu de votre église, même celui qui
1. Cité par le P. de Rochemonteix, dans Les Jésuites et la Nouvelle-
France, t. III, p. 321.
2. Mme de Ramesay (Marie-Charlotte Denis), sœur du P. Joseph
Denis.
sous M^"" DE SAINÏ-VALLIKR II9
pourrait être destiné pour nous, jusqu'à l'arrivée de M. le
comte de Frontenac, auquel vous rendrez les honneurs ac-
coutumés \ »
Quelques jours après, M'^''" de Saint-Vallier étant entré
dans l'église des Récollets ixDur y faire sa visite au saint
Sacrement, constata que les prie-Dieu y étaient encore. Il
était accompagné de son grand vicaire M. DoUier de Casson,
et de plusieurs autres ecclésiastiques, et alla en demander
la raison au supérieur. Celui-ci répondit qu'il avait fait
enlever les prie-Dieu, suivant son ordre, mais que le gou-
verneur, M. de Callières, était venu ce matin même, avec
deux notaires, lui signifier d'avoir à remettre les prie-Dieu,
et qu'il n'avait pu s'empêcher de lui obéir.
Il y avait donc conflit entre l'autorité religieuse et l'auto-
rité civile, et les Récollets avaient cru devoir obéir à celle-ci,
de préférence à l'autre : « Si vous voulez ôter mon prie-Dieu,
avait dit M. de Callières, je mettrai sept sentinelles pour
vous en empêcher. » M""" de Saint-Vallier « s'était aperçu
que le supérieur agissait en tout de concert avec M. de
Callières. Il savait d'ailleurs qu'ils étaient tous deux cha-
grins contre lui de ce qu'il n'avait pu soufïrir la continuation
d'un scandale qui n'était que trop public ». Il crut qu'il ne
devait pas tolérer plus longtemps la désobéissance du Père,
et se décida à interdire leur église :
« Pour continuer, dit-il, la même modération que nous
avons fait paraître dès le comencement de cette entreprise
faite en notre présence, et pour ne pas continuer à vous
commettre avec M. le gouverneur de Montréal, nous ju-
geons à propos, quoique malgré nous, de prendre la voie
la plus sijre et la plus propre pour éviter toutes ces contes-
tations, qui est de vous ordonner, comme en effet nous vous
ordonnons, sous peine de droit, de fermer la jwrte de votre
I. Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 2-2-
I20 L EGLISK DU CANADA
église, et de ne point célébrer le saint sacrifice de la messe
ni faire aucune fonction de votre ministère devant aucun
laïque : jusqu'à ce qu'ayant fait savoir nos raisons à Sa
Majesté, nous sachions ses intentions ^. «
Cet interdit fut lu au prône de la messe paroissiale de
Montréal par M. Mériel, prêtre du séminaire ", et signifié
au P. Joseph, en présence du grand vicaire de Montréal, M.
Dollier de Casson, par M. Nicolas Dubos, un prêtre de
Québec qui accompagnait l'Evêque dans sa visite. Il était
daté de Villemarie le 13 mai 1694. M^'' de Saint- Vallier
était donc encore à cette date à Montréal, attendant sans
doute l'ouverture de la navigation pour descendre à Québec,
L'église interdite des Récollets demeura fermée durant
deux mois. Pendant ce temps, le Père Commissaire des
Récollets, à Québec, Hyacinthe Perrault, fit plusieurs dé-
marches auprès de l'Evêque pour faire lever l'interdit, mais
sans résultat. M. de Callières, qui était au moins indirec-
tement l'occasion de cet interdit, ayant eu affaire à des-
cendre à Québec, l'intendant Champigny essaya, mais sans
succès, de le raccommoder avec l'Evêque. Frontenac lui-
même fit tout ce qu'il put pour obtenir la grâce des Récol-
lets : le Prélat demeura inflexible.
Leur discrétoire se réunit alors à Québec, le 6 juillet, et
décida d'adresser à l'Evêque une protestation. Dans cet
écrit, qu'ils lui font signifier par un notaire, en présence de
deux témoins ^, ils lui rappellent leurs privilèges et exemp-
tions, la complaisance avec laquelle ils lui ont abandonné
1. Cité dans Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 631.
2. Corresp. générale, vol. 13, Lettre de Callières an ministre, 19 oct.
1694. — D'après cette lettre, l'affaire du prie-Dieu aurait eu lieu " devant
le saint Sacrement exposé ". — Il va sans dire que, dans la même lettre,
M. de Callières traitait " d'impostures inouïes les insinuations de
l'Evêque contre ses mœurs ".
3. Le notaire Chamballon, et les deux témoins Etienne Godeau, cou-
vreur, et Charles Chaboulié, sculpteur.
sous M*^"" DE SAINT-VALUER 121
leur beau monastère de Notre-Dame-des-Anges en faveur
de son Hôpital-Général, le zèle avec lequel ils ont toujours
accepté les missions, même les plus difficiles de son diocèse;
puis ils lui disent combien ils sont surpris de le voir les trai-
ter si durement, après avoir reçu de lui, dans le passe, tant
de témoignages de sa bonté ' .
Ils attendent quelques jours; puis l'Evêque ne leur don-
nant pas satisfaction, ils ouvrent leur église, et reprennent
leur ministère comme auparavant.
M^ de Saint-Vallier, bien décidé à aller jusqu'au bout, et
à les interdire eux-mêmes, après avoir interdit leur église,
leur envoie une première monition, à cet effet, puis une
deuxième, puis une troisième. Le Père supérieur ayant
répondu à la première monition de l'Evêque par un défi de
lui donner par écrit les raisons de l'interdit, le Prélat les lui
donne en toute liberté dans la dernière monition : « Les
causes de l'interdit, écrit-il, sont les liaisons d'intérêt que le
supérieur du couvent de Villemarie a avec le gouverneur de
Montréal, qui sont connues de tout le monde, et qu'il n'est
pas honnête d'exprimer, ce qui s'est passé à la cérémonie, et
l'entrée scandaleuse des femmes dans le couvent ^. » Et l'in-
tendant Champigny, parlant encore plus clairement dans sa
lettre à la cour : « M. de Callières, dit-il, était désigné dans
l'interdiction à cause d'un commerce dont il était accusé
depuis longtemps avec la sœur du supérieur des Récollets *. »
L'Evêque prononça donc interdit contre les Récollets de
Montréal. Leur discrétoire de Québec déclara l'interdit nul
dans le fond et dans la forme, et ordonna à tous les reli-
gieux de continuer leurs fonctions : ce qu'ils firent, à la
grande satisfaction de leurs amis.
1. Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 633.
2. Ibid., p. 325.
3. Ihid., p. 326. — Corresp. générale, vol. 13, Champigny au ministre,
27 oct. 1694.
122 LEGUSE DU CANADA
M. de Callières, fort irrité d'avoir été désigné dans le
monitoire de l'Evêque aux Récollets, cria à la calomnie, et
fit afficher à la porte de l'église et publier au son du tam-
bour un écrit injurieux contre le Prélat. Il écrivit à la cour
pour se plaindre de sa conduite à son égard. Puis il porta
plainte au Conseil, afin d'obliger l'Evêque « à lui faire répa-
ration », et le faire condamner « en tous ses dépends, dom-
mages et intérêts ».
La demande de Callières fut communiquée à M^"" de Saint-
Vallier. Le Prélat répondit « qu'il avait lieu de s'éton-
ner de la procédure qu'entreprenait le sieur de Callières,
après avoir fait publier un libelle plein d'outrages, au son
du tambour, à la porte de l'église, pendant le service divin,
et aux endroits publics de la ville, l'avoir fait afficher à la
porte de l'église et aux lieux publics, placer des sentinelles
pour le garder, et fait rafficher nombre de jours de suite.
Comme l'union étroite, ajoute-t-il, qui se trouve entre les
Pères récollets et le sieur de Callières, qui les a obligés de
lui livrer l'original de notre dernier mandement, est une
suite de leur intelligence, puisqu'ils se rapportent à la justice
qu'en pourrait faire le sieur de Callières, comme il est arrivé
pour son libelle, dans lequel il s'établit juge de l'affaire et
décide en faveur des Récollets, faisant leur panég^-rique, et
•d'ailleurs, comme il est expressément dit qu'il portera sa
plainte au Roi, il semble par cette nouvelle manière de pro-
céder qu'il veut profiter de notre départ pour la France pour
pouvoir attaquer plus facilement et tourmenter nos ecclé-
siastiques de Villemarie. Pour prévenir toutes les suites
fâcheuses que cela pourrait causer dans cette ville et ailleurs,
nous déclarons au sieur de Callières que nous portons à Sa
Majesté nos plaintes de ses entreprises. Nous interpellons
le dit sieur de Callières de s'y rendre par tel procureur qu'il
jugera à propos, pour y dire ses raisons, protestant de nul-
lité de tout ce qui pourrait être fait au contraire sur ce sujet
sous M^'' DE SAINT-VALLIER 123
dans notre absence, et de le regarder comme auteur de
toutes les violences qui pourraient être faites » V
Voilà le courage et l'entrain avec lesquels M*^"" de Saint-
Vallier passait à travers toutes les difficultés qui se dres-
saient sur ses pas, et faisait face à ceux qui trouvaient à
redire aux actes de son administration épiscopale.
Nous n'avons pas encore parlé des officiers des troupes
que l'Evêque poursuivait depuis longtemps de ses reproches,
et auxquels il avait même défendu à ses prêtres de donner
l'absolution, parce qu'ils retenaient dans certains cas la solde
de leurs soldats. Ceux-ci, n'ayant la plupart du temps rien
à faire, s'engageaient, avec la permission de leurs officiers,
chez les habitants, auxquels ils rendaient de grands services
à cause de la rareté de la main d'ceuvre ; et les officiers, pour
grossir leurs propres apix)intements, retenaient la solde de
ces soldats, sous prétexte qu'ils étaient bien nourris et payés
par les habitants. M^"" de Saint-Vallier, ne trouvant pas cela
juste, prenait la part des soldats, et faisait la guerre aux
officiers. Il avait consulté la Sorbonne ; mais la réponse —
qui d'ailleurs lui fut favorable — se faisant attendre, il
défendait aux curés de les absoudre. C'est ainsi que M. de
Vaudreuil, au témoignage de M. de Champigny, avait été
refusé en confession par le curé de Sainte-Anne de la Pé-
rade. La plupart de ces officiers que M^"" de Saint-Vallier
privait ainsi des sacrements avaient beaucoup d'amis à la
cour, et ce sont eux peut-être qui lui firent le plus de tort
dans son voyage à Paris. Plusieurs traversèrent en France
en même temps que lui, le devancèrent à la capitale, et ré-
pandirent une foule de bruits injurieux sur son compte : on
sait cela par une lettre de M. Tremblay :
« On ne peut être plus décrié, dit-il, qu'il l'a été à la cour,
par les bruits répandus par les officiers. On a surtout relevé
I. Jugements du Conseil Supérieur, t. III, p. 960.
124 L^ ÉGLISE DU CANADA
les cent pistoles données pour empêcher la comédie du
Tartufe. Chacun en parlait selon son caprice. »
Mais il y avait surtout l'éternelle question des difficultés
entre l'Evêque et son Séminaire, c(ui, en dépit des règle-
ments, paraissait moins réglée que jamais. Ces difficultés
venaient de se compliquer d'affaires litigieuses entre le Sémi-
naire, le Chapitre et l'Evêque, à propos de l'installation d'un
chanoine, M. de la Colombière, affaires que nous avons ra-
contées ailleurs \ et que nous ne voulons mentionner ici
qu'incidemment, d'autant plus que celui qui avait soulevé ces
nouvelles difficultés, AI. de Merlac. grand vicaire de l'Evê-
que, ne paraît guère avoir mérité la confiance de ses contem-
porains. La Sœur Juchereau, parlant de sa nomination
comme supérieur de l'Hôtel-Dieu : « La supérieure s'y op-
posa, écrit-elle; elle ne croyait pas ce prêtre propre à con-
duire une communauté ; » puis, lorsqu'il fut remplacé par
M. de la Colombière : « Nous eîimes d'autant plus de joie de
le revoir, ajoute-t-elle, qu'il nous délivra de celui que l'on
nous avait donné malgré nous. » Il ne valait certainement
pas, dans tous les cas, les vénérés prêtres du séminaire, MM.
de Bernières, de Maizerets et Glandelet, qui, à cause de lui,
ou du moins à son occasion, venaient d'être frappés impi-
toyablement par M^"" de Saint-Vallier, avec défense de prê-
cher et de confesser dans son diocèse, et qui restèrent sous le
coup de cette interdiction pendant plusieurs mois.
M^' de Saint-Vallier reçut donc, dans le cours de l'été
1694, des lettres de Pontchartrain et de l'archevêque de
Paris, qui l'invitaient à passer en France pour répondre aux
différentes accusations rendues à la cour contre lui. Il se
prépara à faire le voyage. Mais avant de partir, il crut
devoir se rendre au Conseil, et mettre toutes les formes de
son côté.
I. Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 442. — Henri de Bernières, p. 298.
sous M^"" DE SAINT-VALUER I25
Profitant donc de la première séance après les vacances S
le II octobre, il se rend à l'assemblée, et présente d'abord,
pour les faire vérifier et enregistrer, les lettres patentes qu'il
a reçues pour l'établissement de l'Hôpital-Général de Mont-
réal. Puis il offre de donner des explications sur les diffi-
cultés dont il a été la cause ou l'occasion durant l'année :
« Je regrette, dit-il, que MM. le gouverneur et l'intendant
soient absents. » Alors, on députe deux conseillers auprès
de Frontenac pour l'inviter à venir au Conseil : « Je suis
occupé à mes dépêches pour la cour, dit le gouverneur, je
ne puis y aller. D'aileurs, ajoute-t-il, on a bien commencé
sans ma participation les procédures contre le sieur de
Mareuil; que l'on continue -. »
De son côté, l'intendant fait savoir que si l'on a absolu-
ment besoin de sa présence au Conseil, il s'y rendra : et MM.
Dupont et de Vitré lui ayant dit qu'en effet sa présence était
requise, il se rend à la séance.
M^ de Saint- Vallier exprime alors de nouveau le regret
que le gouverneur soit absent : « Je suis chagrin, dit-il, qu'il
n'ait pas eu agréable de se trouver au Conseil. Pressé par
mon départ pour la France de donner ordre à mes affaires,
et de pour\'oir autant que possible à ce qu'en mon absence
les ecclésiastiques de mon diocèse, qui ne sont déjà que trop
fatigués, ne soient pas exposés à de nouvelles poursuites,
qui leur pourraient faire prendre le parti d'abandonner leurs
cures et de se retirer en France, je prie la Compagnie de
trouver bon que je lui parle au sujet des arrêts et docu-
ments qu'on m'a communiqués. Dans la crainte d'omettre
quelque chose d'essentiel, et pour éviter les répétitions, j'ai
mis par écrit ce que j'avais à dire. »
1. Le Conseil prenait des vacances le printemps et l'automne : le
printemps, " pour ne divertir personne des travaux des semences ", et
l'automne, pour le temps des récoltes.
2. Jugements du Conseil Supérieur, t. III, p. 916.
126 l'éguse du canada
Il fait ensuite lecture de son écrit, contenant sept pages,
et ayant pour titre : « Réponse que fait l'Evêque aux dires
et écrits de M. le comte de Frontenac. » Il le dépose sur le
bureau, priant le Conseil de vouloir bien l'inclure dans la
liasse des documents qu'on envoie à la cour.
Il est bien regrettable que copie de cet écrit de M^"" de
Saint- Vallier n'ait pas été conservée dans les minutes du
Conseil.
Trois jours plus tard, ayant appris la manière assez déso-
bligeante avec laquelle MM. Dupont et de Vitré ont été
reçus par Frontenac, le Prélat se rend de nouveau au Con-
seil :
« Je me confinne de plus en plus dans la pensée, dit-il,
qu'après mon départ pour la France M. le gouverneur fera
ressentir sa peine aux ecclésiastiques qui sont dans les cure»
de mon diocèse. Etant curés fixes, il ont besoin de repos
et de protection pour perfectionner leur établissement. Je
vois même par la réponse de M. le gouverneur que l'on veut
intéresser le Conseil qui, depuis le commencement des diffi-
cultés, a beaucoup souffert. Je supplie de nouveau le Con-
seil de considérer que ce que j'ai été obligé de dire et
d'écrire, après avoir évité de le faire autant qu'il m'a été
possible, n'a été que par nécessité, pour ma propre défense
et celle de mon clergé, qu'on a attaqué tant de fois. . . Je le
prie d'ordonner que le tout soit envoyé au Roi, qui, par sa
sagesse et son autorité, peut d'un seul mot et sans réplique
régler toutes ces contestations ^. »
On voit comme tout cela était habile. Après avoir ré-
pandu la terreur un peu partout dans son diocèse, après
avoir bouleversé son séminaire épiscopal et interdit les trois
principaux directeurs de cette institution, après avoir lancé
ses foudres contre plusieurs personnages en vue de la colo-
I. Jugements du Conseil Supérieur, p. 918, 923.
sous M*^"" DE SAINT-VALUER 127
nie, interdit tout un couvent de religieux, et fait fermer
leur église durant plusieurs mois, le Prélat posait en victime,
prenait la défense de son clergé paroissial, tâchait de s'asu-
rer les sympathies du Conseil, la première autorité de la
colonie après le gouverneur et l'intendant, et s'inclinait
d'avance devant la sagesse des décisions royales.
On ne peut douter que, cette fois, bon nombre de per-
sonnes au Canada, voyant partir l'Evêque dans les circons-
tances que nous venons de mentionner, restèrent sous l'im-
pression que ce départ était définitif, et que le Prélat ne
reverrait pas la Nouvelle-France. Il y a dans les documents
de l'époque bien des passages qui l'indiquent : nous n'en
citerons qu'un, que nous trouvons incidemment dans une
lettre d'un Père jésuite. On sait que le Prélat avait fort
mécontenté la Compagnie en retranchant, en faveur de la
paroisse, certains catéchismes et offices religieux qui se fai-
saient dans leur église :
« Nous espérons, dit le Père, le rétablissement de tous nos
emplois, peut-être par le changement d'évèque ^. . . »
I. Relations des Jésuites, édition Burrows, t. 64, p. 144, Lettre du
P. Claude Chauchetière au P. Jacques Jouheneau, à Bordeaux ; Ville-
marie, 20 septembre 1694.
CHAPITRE X
TROISIÈME VOYAGE DE L'ÉVÊQUE EN FRANCE
ABSENCE DE 1694 À 1697
Mgr de Saint- Vallier, retenu en France par le Roi. — Il donne des
missions à ses abbayes. — Lettre à M. Glandelet. — Lettre à son
clergé du Canada. — Les décisions de la cour sur les affaires cana-
diennes. — Frontenac et les Cent-Pistoles.
MGR de Saint- Vallier partit de Québec pour la France
le 29 octobre 1694, et n'arriva à Paris qu'à la mi-
janvier, s'étant attardé assez longtemps à visiter ses abbayes.
Il en avait trois: Maubec, Lestrées et Bénévent. De ces
trois abbayes, celle de Maubec, en Berry, dans le diocèse de
Bourges, était la seule qui fût unie canoniquement à l'évê-
ché de Québec, et pour la mense abbatiale, seulement: elle
l'avait été par le décret même d'érection du diocèse en
1674. Mais elle avait été donnée à M^ de Laval par le Roi
dès 1662. Les religieux de cette abbaye appartenaient à
l'ordre des Bénédictins.
L'abbaye de Lestrées, de l'ordre de Citeaux, dans le dio-
cèse d'Evreux, avait été donnée par le Roi à M^ de Laval en
1672. Quant à l'abbaye de Bénévent, de l'ordre des Augus-
tins, dans le diocèse de Limoges, M^ de Saint- Vallier n'en
avait encore que la promesse : il n'en reçut le brevet du Roi
que le i*"" novembre 1695. Cette abbaye lui fut donnée
«pour être unie à perpétuité à l'évêché de Québec, et les
fruits et revenus de la dite abbaye faire partie de ceux du dit
sous M'^'' DE SAINT-VAUUER 129
évêché, à la charge de cinq cents livres de pension annuelle
et viagère payable à M. de la Pallière, prêtre du diocèse de
Bayeux » \ C'est à la demande de M^'" de Saint- Vallier lui-
même que cette pension avait été marquée dans le Brevet.
M. de la Pallière était le grand vicaire et le procureur de
l'Evêque à Paris, et le Prélat voulait lui assurer une hon-
nête pension, pour les services qu'il lui rendait. Quand il
alla plus tard à Rome pour l'union canonique de ses abbayes,
il essaya de faire insérer cette clause dans le Bulle d'union ;
mais, soit oubli ou autre motif, elle n'y fut pas insérée, au
grand regret du pieux Prélat ^.
Il ne paraissait pas pressé de se rendre à la cour. Il lui
semblait plus digne de laisser au Roi et à ses ministres le
temps de dépouiller à loisir le dossier des accusations portées
contre lui, et que M. de la Martinière, un des membres
du Conseil Supérieur, qui était passé en France pour ses
affaires particulières, avait été chargé de transmettre au mi-
nistre 3. Ni Frontenac, ni Callières, ni qui que ce soit de
ceux qu'il avait priés de se rendre à la cour en personne ou
par procureur, pour soutenir leurs accusations, ne l'avaient
fait : et pourtant le dossier de Frontenac, en particulier,
n'était pas moins chargé que celui de l'Evêque: on en aura
une idée par ces deux lignes de la lettre de M. de Champi-
gny au ministre :
« Le Conseil souffre, et le procureur général, surtout, de
ses dispositions. La liberté dans les avis est gênée en pré-
sence de M. de Frontenac. Cette situation des affaires
remue toutes choses *. »
Pour lui, il avait quitté son diocèse et était parti pour la
France au premier désir qu'on lui en avait témoigné. Ayant
1. Langevin, Notice biographique sur Mgr de Laval, p. 321.
2. Archiv. de l'év. de Québec, Documents inédits copiés au Vatican.
3 Corresp. générale, vol. 13, Champigny au ministre, 27 oct. 1694.
4- Ibid.
9
130 L EGLISE DU CANADA
écrit à l'archevêque de Paris ' au sujet de ses difficultés avec
le Séminaire, le Prélat lui avait répondu le 15 avril:
« J'en ai parlé au Roi, et Sa Majesté m'a chargé de vous
faire savoir qu'Elle approuve, pour y mieux pourvoir, que
vous fassiez un voyage en France cette année, et que son
intention est que vous ne différiez pas votre départ, afin que
vous puissiez ici vous-même en personne terminer et finir
toutes vos affaires. »
Pontchartrain, de son côté, lui avait écrit de Versailles le
8 mai :
« Puisque vous devez venir ici, j'aurai moins à répondre
à vos lettres, et vous éclaircirez mieux les difficultés par
votre présence 2. »
Notons, en passant, la forme polie et aimable avec la-
quelle, en ce grand siècle d'élégance et de belles manières,
on savait dire les choses les plus désagréables. M^ de Saint-
Vallier ne pouvait se méprendre sur le sort qui l'attendait
à Paris, où tant de préjugés s'étaient accumulés contre son
administration. Mais il avait conscience d'avoir fait son
devoir : on l'avait nommé évêque de Québec pour gouverner
ce lointain diocèse, si vaste, si difficile, et il entendait bien le
gouverner suivant les dictées de sa conscience, avec toute la
vigueur et l'activité de ses quarante ans. Il ne manquerait
en rien à ce qu'il devait au Roi et à ses ministres; mais ni
Frontenac, ni Callières, ni qui que ce soit ne le ferait dévier
de ce qu'il devait au Roi des rois, à l'Eglise, à sa dignité per-
sonnelle.
Rendu à Paris, après avoir fait ses visites au Roi, au
ministre, aux principaux personnages de la cour à Ver-
1. François de Harlay, ci-devant archevêque de Rouen. II mourut
subitement à Paris le 5 aoiit 1695, d'une attaque d'apoplexie, pendant
que Mgr de Saint-Vallier était en France. Le cardinal de Noailles lui
succéda.
2. Jugements du Conseil Supérieur, t. III, p. 961.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER I3I
sailles, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il y avait parti pris
de le garder en France et de lui faire résigner son siège. On
paraissait d'autant moins disposé à lui donner raison dans
les difficultés qu'il avait avec les principaux personnages de
l'Eglise et de l'Etat dans la colonie, qu'on avait plus attendu
de son esprit de conciliation, en le nommant évêque de Qué-
bec. Pontchartrain, surtout, ne pouvait taire son désap-
pointement : parent de Frontenac, il ne lui pardonnait pas
de s'être mis à dos le gouverneur, après avoir été son ami.
Et pourtant, Pontchartrain n'avait pu s'empêcher de re-
connaître que les mémoires contre le prélat lui avaient paru
fâcheux, mauvais et outrés. Il le dit à Louis XIV. M"* de
Maintenon, de son côté, était sous l'impression que ces écrits
étaient artificieux et dérogeaient au respect dii au caractère
épiscopal ^ .
Louis XIV aimait et estimait son ancien aumônier, en qui
il avait toujours remarqué une conduite irréprochable. Mais
il avait cru, en vue de la paix, devoir s'opposer pour un
temps à son retour au Canada; et il chargea Pontchartrain
de le lui faire savoir. L'évêque de Québec reçut l'ordre du
Roi avec une résignation et une humilité admirables, vrai-
ment dignes de celles que M""" de Laval avait montrées en
pareille circonstance -. Le ministre en fut touché ; et lorsqu'il
alla rendre compte au Roi de cette entrevue :
« Sire, lui dit-il, il serait à souhaiter qu'il y eût en France
beaucoup d'évêques aussi pieux que M^"" de Saint- Vallier. »
Dans une autre occasion, le même ministre fit remarquer
au Roi « que c'était une piété bien singulière que de faire
arracher un évêque de son Eglise par violence » ^.
Quoi qu'il en soit, le Roi avait parlé, il n'y avait qu'à
1. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôpital-Général de Québec, p. 120.
2. Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 376.
3. Mgr de Saint-Vallier et l' H ô p. -Général, p. 120.
132 /. L EGLISE DU CANADA
obéir. L'Evêqiie de Québec se résigna donc à rester en
France : « Retourner dans mon diocèse, disait-il, cela ne
dépend pas de ma volonté ; mais donner ma démission, cela
dépend de moi : jamais je ne la donnerai : je gouvernerai
plutôt d'ici mon diocèse ^ » En attendant des jours plus
sereins, il profita de son séjour à Paris pour y travailler à
son Rituel, à son Catéchisme, à son Recueil d'Ordonnances :
œuvre pastorale d'un mérite achevé, monument impérissable
de son zèle pour le bien de son Eglise. Puis il alla prêcher
des missions dans les paroisses de l'abbaye de Bénévent, que
le Roi venait de lui donner, et où il avait pu constater par
lui-même qu'il y en avait un grand besoin.
L'année suivante (1696) il alla en prêcher dans son ab-
baye de Maubec. Le territoire de cette abbaye était consi-
dérable : il n'y avait pas moins d'une vingtaine de cures,
toutes à la nomination de l'abbé, mais dépendantes, cela va
sans dire, du diocèse de Bourges 2. C'était vraiment comme
un petit diocèse dans le grand. Et ce petit diocèse, quoique
dépendant de Bourges, était uni par tant de liens spirituels
et temporels au diocèse de Québec! Il le fut près de cent
ans ! Avec quel zèle, avec quel dévouement IVP"' de Saint-
Vallier ne se livra-t-il pas à cette œuvre pastorale dans son
abbaye de Maubec ! Il s'en ouvrait un jour à M. Glandelet,
l'un des prêtres de son Séminaire de Québec, avec lequel il
avait commencé à opérer un heureux rapprochement :
« Ma santé, lui disait-il, est si parfaitement rétablie que
je me disposais à mon retour au Canada, pour continuer à
servir une Eglise dans laquelle, comme vous le savez très
bien, on trouve bien des moyens de sanctification. Mais la
Providence, qui sait le besoin que j'ai de retraite et de
1. Lettre de M. Tremblay, citée dans la Vie de Mgr de Laval, t. II,
p. 460.
2. Langevin, Notice biographique sur Mgr de Laval, p. 312.
sous M^"" DE SAINT-VALLIËR I33
prières, m'a encore voulu ménager une année de temps pour
me mettre en état de mieux servir mon diocèse.
«J'eus la consolation, l'année passée ( 1695), de faire deux
fort belles missions dans les dépendances de l'abbaye de
Bénévent. Le bon Dieu me ménagea, pour l'une et pour
l'autre mission, un nombre de bons ouvriers; j'en eus jus-
qu'à douze, quinze et dix-sept. J'emploierai celle-ci (1696)
à en faire deux autres dans les dépendances de celle de
Maubec, dans lesquelles je puis vous assurer qu'il y a d'ex-
trêmes besoins. . . Si la Providence continue mon exil une
troisième année, j'en pourrai faire à l'abbaye de Lestrées.
« Je crois inutile de vous apprendre la manière dont le
Roi m'a fait signifier l'ordre de retarder mon retour; la
cause de mon exil m'a beaucoup plus affligé que l'exil même.
Quand la Providence voudra que j'y retourne, elle saura
bien employer les moyens les plus efficaces et les plus suaves
en même temps pour m'y ramener ^ . . »
Ainsi, M^'' de Saint- Vallier se trouvait « en exil » dans
son propre pays. Il avait adopté le nôtre pour sa patrie; il
y était attaché de cœur, il y voulait vivre et mourir. Oui ne
serait touché de l'afifection de ce grand Evêque pour sa
pauvre Eglise de la Nouvelle-France?
Cette afifection, il l'exprimait un jour au souverain pon-
tife avec une émotion bien pénétrante :
« Ah. qu'elle est belle et sainte, disait-il, l'épouse que vous
m'avez confiée ! J'y suis attaché par les liens les plus étroits,
non seulement à cause de l'éclat de la sainteté dont elle
brille, mais aussi à cause de sa pauvreté, qui la rend si
humble aux yeux des mortels. Cette pauvreté, loin d'en
rougir, je dois plutôt m'en glorifier, en écrivant à un Pontife
qui sait si bien apprécier les conseils évangéliques ^ . . »
1. Lettre du 25 mars 1696, citée dans Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp.
Général, p. 121.
2. Documents inédits copiés au Vatican, Lettre du 11 aoijt 1687.
134 l'église du canada
Nous avons dit qu'il était bien décidé à gouverner de
France son diocèse, plutôt que d'y renoncer. Voyez, en
effet, la belle lettre pastorale que, de Paris, il adresse un
jour à ses prêtres du Canada :
« Mes très chers et très honorés Frères, avec qui j'ai
l'honneur de participer au même sacerdoce, et qui êtes appe-
lés à partager avec moi la sollicitude pastorale, je ne puis
vous exprimer la douleur que je sens d'être obligé d'être
aussi longtemps séparé de vous, principalement dans un
temps où nous aurions besoin de nous animer les uns les
autres à procurer la gloire de Dieu, et travailler au salut
des âmes. Je sais que le devoir d'un bon pasteur est de se
tenir près de ses brebis, et qu'une marque du mercenaire est
de craindre et de s'enfuir ^ ; mais outre mes obligations, il
me semble que la tendresse et l'amour que Notre-Seigneur
m'a donnés pour le troupeau qu'il m'a confié, me sollicitent
bien davantage de lui rendre cette assistance et me font
porter avec plus de déplaisir la malheureuse nécessité d'en
demeurer une année et demie éloigné.
« Je ne sais si les raisons qui m'en ont séparé sont bonnes
et agréables à Dieu, mais je sais bien que je ressens un si
grand penchant de retourner à vous, que je n'y puis résis-
ter; je suis en esprit avec vous; et quelque douceur que je
puisse avoir dans un lieu que je puis considérer comme
celui de ma naissance, quelque sujet de satisfaction que je
puisse présenter à mon esprit, je proteste cependant que je
ne suis point en repos, et que je soupire après les bois et la
solitude de notre cher diocèse. Je connais mieux en cette
occasion qu'en toute autre, qu'il vaut mieux être dans les
lieux que la grâce nous a marqués qu'en celui que la nature
ou nos inclinations pourraient choisir; que l'obligation de
l'épiscopat est plus forte que toutes les autres, et qu'on n'a
I. Jean, X, 12, 13.
sous m'^'' de saint-valuer 135
pas de droit à la moisson quand on sème dans une terre
étrangère.
« Comme l'obligation des pasteurs de l'Eglise est de tra-
vailler à détruire le péché et à établir le royaume de Dieu
dans les âmes, vous devez sans cesse veiller avec moi aux
moyens d'avancer ce divin ouvrage, en faisant paraître
pour elles une charité ardente et infatigable ; car qui ne voit
pas avec douleur, en bien des endroits de notre diocèse, la
licence avec laquelle plusieurs méprisent les commandements
de Dieu et ceux de son Eglise? Il n'y a rien de plus com-
mun, en plusieurs, que le jurement et les blasphèmes. On
voit des personnes de tout âge, de tout sexe et de toute con-
dition ne satisfaire presque jamais au commandement d'en-
tendre avec piété la sainte messe. On voit des enfants et des
domestiques qui passent la plus grande partie de l'année
sans aucun exercice de religion : les pères et les mères pré-
fèrent indignement la nourriture de quelques bêtes à leur
instruction, à leur salut, à la loi de l'Eglise et à tous les
règlements qu'on peut faire. Mais en combien d'endroits
les règles de la tempérance sont-elles violées? On ne voit
qu'exercer partout souvent des débauches honteuses ^.
« \^oilà sans doute de grands maux que vous connaissez
comme nous : faites ce que vous pourrez pour les guérir.
Nous vous exhortons et nous vous prions d'examiner et de
voir devant Dieu si vous vous acquittez de votre devoir dans
un point si essentiel à sa gloire, et d'exciter votre zèle pour
le faire avec plus de ferveur à l'avenir.
« Souvenez-vous que le sacerdoce que le Fils de Dieu a
I. Le ministre écrivait un jour de Paris au gouverneur Denonville:
■" Qu'il fasse tout son possible pour empêcher la débauche des jeunes
gens du pays, et se serve de son autorité pour châtier ceux qui contre-
viendront à ses ordres ; qu'il tâche surtout de supprimer le scandale qui
se pratique dans les débauches, ovi ces jeunes gens se mettent tout nus,
à la manière des sauvages..." (Corresp. générale, vol. 8, Réponses aux
lettres, 20 mai 1686).
136 l'église du canada
laissé à son Eglise n'est pas un caractère inutile : il est de
lui-même agissant et accompagné d'une autorité toute divine
quand elle est employée avec prudence et générosité, et qu'il
y a peu de maux où elle n'apporte des remèdes efficaces.
« Le premier moyen que vous devez mettre en usage est
le ministère de la sainte Parole, qui est toute-puissante. Je
ne vous réitère point ici l'obligation indispensable où vous
êtes de la dispenser continuellement, nous vous l'avons assez
fait connaître en toute occasion. J'ajoute seulement que la vé-
ritable charité ne se doit point lasser de parler incessamment
contre les vices et les mauvaises coutumes enracinées. Joi-
gnez à ces exhortations publiques les avis particuliers pour
ceux qui en ont besoin: ils produiront sans doute des fruits
de grâces extraordinaires, si vous les donnez avec la charité
et la discrétion convenables. ]Mais que ne pourriez-vous
point faire par l'administration du sacrement de Pénitence,
si vous en usez en prudents et fidèles dispensateurs ! Prenez
garde d'éviter avec soin dans ce ministère la précipitation, si
préjudiciable aux âmes, tous les accommodements et toutes
les maximes malheureuses qu'inspirent la chair et le sang, .
cette molle et basse indulgence qui fait tant de fausses péni-
tences et qui entretient une infinité de crimes.
« Pratiquez, s'il est possible, cette redoutable fonction
dans l'esprit de Jésus - Christ, et selon les règles de son
Eglise, qui sont si bien marquées dans les avis de saint
Charles, dont nous avons si souvent et si fortement recom-
mandé la lecture dans nos règlements. ]Mais afin que vos
peines soient tout-à-fait utiles, et vos paroles efficaces, ani-
mez-les par une conduite innocente et exemplaire ; soyez des
miroirs de vertu, dans lesquels le peuple voit clairement ses
imperfections et ses taches. Ce serait inutilement que vous
parleriez contre les vices dont vous seriez soupçonnés; vos
actions détruiraient vos paroles, et les pécheurs croiraient
en quelque façon n'être pas blâmables, lorsqu'ils feraient ce
sous M^"" DE SAINT-VALUER 137
que vous faites. Qu'il s'exhale de votre maintien, de vos
regards, de vos discours et de toute votre personne une
odeur de bonne vie et un parfum de sainteté. Enfin, con-
servez, ou plutôt augmentez toujours avec grand soin cet
esprit intérieur de piété qui est le fondement de tout le bien
que vous pourrez faire; marchez continuellement en la pré-
sence de Dieu, faites toutes choses au nom de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, dans le mouvement de sa grâce et de
ses adorables dispositions. Jusqu'ici nous avons tout sujet
de nous louer de vous et de bénir la miséricorde de Dieu qui
vous a donné des cœurs véritablement paternels et toutes
les qualités nécessaires à de fidèles pasteurs. Que mon ab-
sence ne soit cause d'aucun relâchement, et qu'à mon retour,
qui sera prompt, s'il plaît à Dieu, je vous trouve tels que
j'aie lieu de me servir de louange et de congratulation en
votre endroit, et de remercier tous ensemble le souverain
Pasteur de nos âmes, des grâces qu'il aura répandues sur le
troupeau qu'il nous a confié \ »
Qui n'admirerait le ton paternel de cette lettre, les sages
recommandations qu'elle renferme, si pratiques, si bien ap-
puyées sur la sainte Ecriture, et le parfum de piété qui s'en
exhale? Nous avons dit plus haut que M""" de Saint- Vallier
pouvait être appelé le saint Charles Borromée de notre
Eglise : cette lettre pastorale ne justifie-t-elle pas notre
assertion? Avec quelle vénération ne dut-elle pas être reçue
au Canada! Celui qui l'avait écrite, l'avait fait vraiment
tanqiiam auctoritatcni hahens, non seulement comme évêque,
mais comme homme vertueux dans le sens le plus exact du
mot et pratiquant ce qu'il enseignait aux autres. Cet homme
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 351. — Cette lettre, datée de
Paris 1696, est contresignée par Foucaulth, ce qui fait croire que le curé
de Batiscan, dont le nom est mentionné dans l'affaire de Desjordy,
avait accompagné l'Evêque dans son voyage en France. M. Foucault
était du diocèse de Paris et avait été ordonné à Québec en 1689. Il
avait été le premier secrétaire de Mgr de Saint-Vallier.
138 l'église du canada
si saint, si vraiment pasteur et évêque, ne pouvait-on facile-
ment lui pardonner, en vue de ses éminentes qualités, cer-
taines « aigreurs », certaines impétuosités ou emportements
de caractère? C'est ce qui avait frappé Pontchartrain, lors-
qu'il avait été lui intimer de la part du Roi l'ordre de rester
en France, et ce qu'il avait même insinué au Roi, à son
retour, comme nous l'avons vu. Pourquoi donc le retenir à
Paris, loin de son troupeau? Parce qu'à l'exemple de saint
Jean Baptiste, son patron, il n'avait pas craint de dire à son
ami Frontenac le Non licet de l'Evangile? Parce qu'il l'avait
également dit au gouverneur de Montréal, M. de Callières,
et avec d'autant plus d'autorité qu'il avait fait son éloge
quelques années auparavant ? Parce qu'il avait fait la
guerre à des hommes scandaleux comme Mareuil, Desjordy
et autres? Parce que, prenant la part des pauvres soldats, il
défendait aux officiers de retenir leur maigre pitance, quand
ces pauvres soldats avaient la chance de gagner quelque
chose en plus chez les habitants où ils s'engageaient ?
Il est regrettable que l'on n'ait pas les diverses décisions
■de la cour sur toutes les difficultés qui lui furent soumises à
cette époque par l'évêque, le gouverneur, l'intendant, le
Conseil. Ce qui paraît certain, c'est que, comme il arrive
presque toujours dans les règlements donnés au delà des
mers, il y eut des paroles de blâme et d'encouragement pour
tout le monde. Frontenac eut certainement son mot de
blâme, comme on le voit par les répliques qu'il adressa au
ministre. Mais il en prit d'autant plus bravement son parti
qu'il n'avait jamais été gâté de compliments par la cour; et
les remarques qu'on lui fit en cette occasion ne le rendirent
pas plus tendre pour le clergé. On lui reprocha, surtout, ce
marché quasi honteux, par lequel, moyennant finance, il
avait renoncé à faire jouer le Tartufe à Québec. N'oublions
pas que cette pièce, jugée encore aujourd'hui très sévère-
ment par les esprits sages et réfléchis, l'était encore bien plus
sous M^ DE SAINT-VALLIER 139
à l'époque où l'on se rappelait fort bien dans quelles circons-
tances elle avait été composée par Molière, à savoir pour
flatter le Roi et l'encourager dans les liaisons coupables où il
était engagé et contre lesquelles ne cessaient de protester le
clergé et la conscience publique. C'est cette comédie que
Frontenac, pour faire pièce au clergé, voulait faire jouer à
Québec, et dont M^*" de Saint-Vallier réussit à empêcher la
représentation en lui donnant son billet pour cent pistoles.
Champigny ne pouvait croire qu'il garderait cet argent : « Je
croyais, dit-il, qu'il ne tarderait pas à lui faire l'honnêteté de
lui renvoyer ces cent pistoles. . . Mais la suite me fît voir des
choses tout opposées. . . » C'est-à-dire qu'il les garda bel et
bien : ce dont il fut très blâmé par la cour :
« A l'égard des cent pistoles que M. l'Evêque m'a don-
nées, écrit-il, c'est une chose si risible, que je n'ai jamais cru
qu'on la pût tourner à mon désavantage, mais qu'elle donne-
rait matière de se réjouir à ceux qui en entendraient parler.
« Si M. l'Evêque avait voulu me croire, ajoute-t-il, et
suivre les conseils que l'amitié qu'il me témoignait alors
me donnait souvent la liberté de lui donner sur toutes les
choses que lui ou ses ecclésiastiques entreprenaient tous les
jours, et à la continuation desquelles je lui représentais qu'il
était impossible qu'à la fin on ne s'opposât, il n'aurait pas
fait tant de fausses démarches. Mais vous devez le con-
naître assez pour savoir qu'il ne suit pas toujours ce que ses
amis lui conseillent. . . »
C'est-à-dire que le Prélat n'était pas de ceux qui se laissent
guider par l'amitié ou le respect humain ; il agissait par con-
viction et par devoir : c'est ce que n'avaient pas prévu quel-
ques-uns de ceux qui avaient contribué à sa nomination
comme évêque de Québec ; et Frontenac était, à n'en pas dou-
ter, un de ceux qui avaient été déçus lors de la journée des
dupes.
CHAPITRE XI
TROISIÈME VOYAGE DE l'ÉVÊQUE EN FRANCE (suite)
SON RETOUR AU CANADA
Règlement de l'affaire des Récollets. — Rapprochement avec le Sémi-
naire de Québec. — Pèlerinage à Annecy. — Reliques de saint Fran-
çois de Sales envoyées au Séminaire. — Le Roi permet à l'Evêque
de retourner dans son diocèse. — Maladie de l'Evéqne pendant la
traversée : il est sauvé par le docteur Sarrazin.
DANS ses répliques à la cour, Frontenac ne manqua pas
de dire un mot des Récollets du Canada, dont il était
le syndic apostolique :
« Si la cour, dit-il, ne donne quelque ordre à l'affaire des
Récollets, il arrivera d'étranges scandales, les prêtres du
séminaire de Montréal ayant fait sur cela des extravagances
sans fin et sans nombre, qui se sont même étendues jusque
sur moi \ Mais je les ai souffertes patiemment, et je me
contenterai de m'en plaindre honnêtement à M. Tronson,
qui veut que je le croie mon ami, et de longue main, ayant
été condisciples au collège pendant plusieurs années ^. . . »
La cour n'eut pas besoin d'intervenir pour le règlement
de l'affaire de l'interdiction de la personne et de l'église des
Récollets de Montréal : tout s'arrangea à l'amiable ; et ce
1. Probablement parce que lui, aussi bien que M. de Callières,
n'avaient pas tenu compte de l'interdiction de l'église des Récollets, et
avaient continué de la fréquenter comme auparavant.
2. Corresp. générale, vol. 13, Frontenac au ministre, 2 nov. 1695.
sous M""" DE SAINT-VALLIER 141'
fut une des premières choses dont s'occupa M^"" de Saint-
Vallier, à son arrivée à Paris. Au printemps de 1695, le
Père provincial de la province Saint-Denis lui adressa la
requête suivante :
« Monseigneur, Frère Potentien Ozon, provincial des
Récollets de la province Saint-Denis, en France, dont ceux
de la Nouvelle-France font partie, et, comme ayant charge
des Pères du Définltoire de la dite province, remontre très
respectueusement à Votre Grandeur qu'il a appris avec dou-
leur le mécontentement et les sujets de plaintes qu'Elle avait
reçus dans notre église des Récollets de Villemarie, ce qui
l'avait engagée d'user de son autorité ordinaire et d'inter-
dire leur chapelle ou église : lequel interdit les religieux
auraient gardé fort exactement durant deux mois; au bout
desquels les dits religieux, craignant les murmures du peuple
de ce qu'ils ne pouvaient plus les assister comme auparavant,
persuadés d'ailleurs que A'^otre Grandeur était satisfaite de
leur soumission pendant deux mois, se crurent obligés, par
une complaisance trop précipitée, d'ouvrir leur église et d'y
faire l'office publiquement : ce qui a donné lieu, monseigneur,
à Votre Grandeur de croire que les dits religieux avaient
voulu mépriser l'interdit par Elle prononcé et de rendre d<^
nouvelles ordonnances contre les dits religieux, même de
les suspendre de leurs fonctions. Et comme en tout cela,
monseigneur, on ne peut imputer aux dits religieux que leur
précipitation de n'avoir pas déféré avec la soumission respec-
tueuse qu'ils devaient à vos ordonnances, et que dans le fond
ils n'ont jamais eu l'intention de blesser son autorité, ni de
manquer au respect qu'ils lui devaient, le suppliant se trouve
obligé de recourir à la bonté et à l'indulgence de Votre Gran-
deur pour l'exciter à pardonner aux dits religieux et à lever
l'interdit tant local que personnel ; se soumettant à faire telle
satisfaction qu'il lui plaira ordonner, sans préjudice de
notre Ordre.
142 L EGLISE DU CANADA
« Ce considéré, monseigneur, il plaira à Votre Grandeur
pardonner aux dits religieux, lever l'interdit tant local que
personnel, après avoir fait la satisfaction qu'il vous plaira
ordonner être faite, et en conséquence leur permettre de faire
à l'avenir leurs fonctions publiques et les services divins
dans la dite église de Villemarie, où ils sont établis. Ils con-
tinueront leurs prières et sacrifices pour la conservation de
Votre Grandeur. »
Entre gens qui sont censés ne vouloir que le bien, le salut
des âmes, la gloire de Dieu, il doit toujours y avoir moyen
de s'entendre, de s'expliquer, de se pardonner. Comment
résister d'ailleurs à de bons religieux qui avouent tout sim-
plement leur faute, faute non de malice, mais d'irréflexion et
de précipitation? M^"" de Saint-Vallier ne se fit pas prier
pour obtempérer de suite à l'humble demande du Frère
Ozon, ayant soin cependant d'y engager directement les reli-
gieux mêmes de Montréal, afin qu'ils ne pussent prétendre
que la demande du Frère Ozon avait été faite sans leur par-
ticipation :
« Vu la présente requête à nous présentée, dit-il, par le
Père provincial des Récollets de la province de Paris, et
•voulant user d'indulgence envers les dits religieux Récol-
lets, nous ordonnons qu'en faisant et réitérant par le gar-
dien et les religieux Récollets de Villemarie les déclarationjs
contenues en la présente requête présentée par le dit Père
provincial, par devant notre grand vicaire établi sur les
lieux; et après qu'ils auront tenu fermée leur église pendant
trois jours, pour satisfaction de n'avoir pas obéi à nos
ordres; et après qu'il en sera apparu à notre grand vicaire,
nous lui donnons pouvoir et ordre de lever les dits interdits
tant local que personnel, de décharger les religieux de tout
ce qu'ils ont encouru pour raison de ce, et de les rétablir
dans le plein et entier exercice de toutes les fonctions qu'ils
exerçaient auparavant dans la dite église de Villemarie.
sous M^*" DE SAINT-VALLIER X43
« En foi de quoi nous avons signé, fait contresigner par
notre secrétaire et sceller du sceau de nos armes.
« Fait à Paris ce 15 juillet 1695. »
On voit comme M^"" de Saint-Vallier, tout en se montrant
plein de condescendance pour les Pères récollets, qu'il avait
toujours aimés, et qui lui rendaient d'ailleurs tant de ser-
vices dans son diocèse, n'oubliait rien cependant de ce qu'il
devait à son autorité et à la dignité de sa charge pastorale.
Le provincial des Récollets s'empressa de faire sa sou-
mission au pieux Prélat qui avait accueilli sa requête avec
tant de bienveillance :
« Nous, Frère Potentien Ozon, provincial susdit avec ses
dites qualités, après avoir vu l'ordonnance de M^ l'évêque
de Québec, y acquiesçons et promettons de la faire exécuter
par le gardien et les religieux de Villemarie suivant sa
forme et teneur. Fait à Paris le 15 juillet 1695 \ »
Les Récollets de Montréal ne manquèrent pas de donner
à M^' de Saint-Vallier la légère satisfaction qu'il leur avait
demandée. Son grand vicaire, M. Dollier de Casson, leva
l'interdit, et tout rentra dans l'ordre.
Quant aux difficultés qui existaient entre l'Evêque et son
Séminaire de Québec, elles avaient été réglées en principe
par les articles de 1692 : il ne s'agissait que de bien observer
de part et d'autre les règlements, en y mettant chacun de la
bonne volonté. L'Evêque avait obtenu tout ce qu'il voulait ;
il s'était affranchi du contrôle du Séminaire pour la nomi-
nation aux cures, l'établissement des paroisses, la distribu-
tion des suppléments en argent accordés par le Roi. Seule-
ment, dans cette distribution, il ne fallait pas laisser de côté
le Séminaire lui-même et ses missionnaires; il fallait respec-
ter les droits acquis ; et ces vétérans du sanctuaire, les de Ber-
nières, les de Maizerets, les Glandelet, qui avaient bien mé-
I. Cité dans Les Jésuites et la NottveUe-France, t. III, p. 639.
144 L EGLISE DU CANADA
rite de l'Eglise du Canada, ne demandaient-ils pas d'être
traités avec certains égards?
Nous avons vu que dans sa lettre adressée de Paris au
clergé canadien, M^"" de Saint- Vallier disait : « Nous avons
tout sujet de nous louer de vous, et de bénir la miséricorde
de Dieu qui vous a donné toutes les qualités nécessaires à de
fidèles pasteurs. » Mais qui avait formé la plupart de ces
pasteurs, de ces prêtres, de ces missionnaires, dont il était si
heureux et si content ? sinon le Séminaire de M^*" de Laval.
Et quels prêtres que ces premiers élèves du Séminaire de
Québec ! Les Philippe Boucher, les Francheville, les Gagnon,
les Saint-Claude, les Soumande, les Pinguet, les Vachon,
les Buisson de Saint-Cosme, et tant d'autres, la gloire et
l'honneur de la Nouvelle-France, qui leur avait donné le
jour !
Chacun de ces prêtres mériterait une biographie : Philippe
Boucher, par exemple, le digne fils de Pierre Boucher, l'an-
cien gouverneur des Trois-Rivières, l'admirable curé de
Saint- Joseph de Lévis, dont il est dit dans les registres de sa
paroisse : « Son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des
âmes, celles de ses paroissiens, surtout, mettra sa mémoire
en bénédiction auprès de tous ceux qui en auront la connais-
sance : » prêtre non moins instruit que pieux, qui avait une
bibliothèque de plus de cinq cents volumes, chose énorme
pour son temps ! Francheville, le héros de la Rivière-Ouelle,
qui, joignant au meilleur esprit ecclésiastique un patrio-
tisme admirable, et apercevant les Anglais qui descendent,
en 1690, sur les rivages de sa paroisse, appelle aux armes ses
paroissiens, les conduit lui-même au feu, et fait décamper
les envahisseurs !
Voilà les prêtres auxquels s'adressait M^ de Saint-Vallier,
et dont il disait avec tant de raison : « Nous avons tout sujet
de nous louer de vous. . . » Mais ces prêtres étaient attachés
au Séminaire, auquel ils devaient tout. L'Evêque avait donc
sous M^"" DE SAINT-VALLIER 145
tout intérêt à se rapprocher du Séminaire; il ne pouvait se
dispenser de le faire, maintenant surtout qu'il n'avait plus
rien à craindre de sa part, et qu'il était devenu absolument
maître de gouverner son diocèse à sa manière. Cette fois,
il comprit de suite que c'était là surtout ce que le Roi atten-
dait de lui, et que son éloignement du Séminaire était la
principale raison pour laquelle on le retenait en France. Il
se résolut donc de se rapprocher peu à peu des Missions-
Etrangères : cela ne pouvait se faire en un jour, mais cela se
fît graduellement. Nous l'avons déjà vu écrire à M. Glan-
delet comme à un ami, après l'avoir laissé pendant plusieurs
mois sous le coup de l'interdiction. Il ne partira pas de
Paris avant d'avoir fait complètement sa paix avec M. de
Brisacier, le supérieur des Missions-Etrangères, avec M.
Tremblay, le représentant du Séminaire de Québec, en
France.
Qui avait opéré cet heureux rapprochement ? Tous les
amis de la paix religieuse en Canada, sans doute ; mais nous
croyons pouvoir affirmer que Saint-Sulpice, et tout particu-
lièrement son digne supérieur, M. Tronson, y fut pour la
plus grande part. M^"" de Saint- Vallier était très lié à Saint-
Sulpice; les Sulpiciens avaient toujours été en bons termes
avec les Missions-Etrangères : animés d'ailleurs de l'excel-
lent esprit qu'on leur connaît, ils ne pouvaient que désirer
de tout cœur que l'union la plus parfaite existât entre tous
les ouvriers de la vigne du Seigneur dans la Nouvelle-
France.
En attendant qu'il ait fait sa paix complète avec son Sé-
minaire, M^"" de Saint- Vallier travaille, comme nous l'avons
vu, à son Catéchisme et à son Rituel; il donne des missions
dans ses abbayes de Bénévent et de Maubec ; puis va revoir
son pays natal, Grenoble, sans oublier Annecy, où il aime
à aller prier en présence des reliques du modèle des pasteurs,
saint François de Sales. Il était à Annecy le 27 août
146 l'église du canada
1696 \ II est probable que c'est dans ce pèlerinage qu'il prit
la résolution de donner ce grand saint comme second patron ^
à son Séminaire de Québec, ce qu'il fit le 24 février 1698.
C'est précisément en 1696, l'année de ce pèlerinage de M^
de Saint- Vallier au tombeau de saint François de Sales, que
M. Tremblay envoya à M. Glandelet les belles reliques du
saint évêque de Genève, qui sont exposées, chaque année, à
sa fête, au Séminaire :
« Je vous envoie, lui é'Crivait-il, des reliques de saint Fran-
çois de Sales, dont un de nos messieurs, qui est près d'An-
necy, m'a fait présent. Il les a obtenues des religieuses de la
Visitation, et les a demandées pour le séminaire de Québec.
« Elles sont authentiques ; et ce qui doit les rendre encore
plus estimables, c'est que l'évéque de Genève, qui a signé cet
authentique, M^"" d' Aranthon, est regardé comme un saint ; et
l'on a pour lui, depuis sa mort, arrivée l'automne dernier,
une estime bien extraordinaire 3. . . »
Cependant les mois s'écoulaient; il y avait déjà plus de
deux ans que l'évéque de Québec avait quitté son diocèse;
on était rendu au commencement de 1697, et il n'était pas
question de son retour au Canada. Vers la mi-janvier, il
présenta à Sa Majesté un mémoire rempli de promesses de
paix et de conciliation, et exprimant le désir de rentrer dans
son diocèse ; puis il attendit.
De son côté, le Roi, qui était entré déjà depuis longtemps
dans la plus belle période de sa vie, au point de vue reli-
gieux, n'était pas sans inquiétude sur le droit qu'il s'était
arrogé de retenir un évêque loin de ses ouailles. Vers la
mi-carême, il fit donc venir auprès de lui ses deux conseil-
lers ordinaires en matières ecclésiastiques, Bossuet et le
1. M. Verreau, Rapport sur les archives du Canada, 1874, p. 215.
2. Le premier titulaire du séminaire de Québec est la sainte Famille.
3. Lettre du 16 avril 1696, citée dans VAbeille, vol. I, No. 18.
sous M^*^ DE SAINT-VALUER 147
cardinal de Noailles, archevêque de Paris, et les consulta
sur cette affaire qui inquiétait sa conscience. Les deux pré-
lats répondirent qu'on pouvait bien essayer d'obtenir d'un
évêque qu'il se déniît volontairement, mais que s'il refusait
on ne pouvait rempccher d'aller résider dans son diocèse,
suivant les canons.
Le Roi fit donc mander M""" de Saint-Vallier, lui parla
avec son affabilité ordinaire, et lui demanda, comme une
faveur, sa démission, pour le bien de l'Eglise du Canada.
Pour toute réponse, le Prélat se contenta de faire mille
protestations de respect, de reconnaissance et d'attachement
à la personne de Sa Majesté:
— « Mais, lui dit le Roi, vous ne répondez pas à ce que
je vous demande.
— « Sire, répliqua l'Evêque, il y a des choses sur les-
quelles il est plus respectueux de ne pas répondre à Votre
Majesté.
— « Alors, lui dit le Roi, prenant un ton de maître, puis-
qu'il en est ainsi, vous retournerez dans votre diocèse. Mais
voyez à y rétablir entièrement la paix; parce que si j'entends
encore parler de vous, je saurai bien vous rappeler, pour ne
plus, cette fois, vous y laisser retourner \ »
Libre, enfin, de partir pour son diocèse, M^ de Saint-
"Vallier se hâta de faire ses préparatifs de voyage, dit encore
une fois adieu à son pays natal, et s'embarqua à La Rochelle
vers la fin de mai " sur la Gironde, qui faisait partie de
l'escadre commandée par M. de Nesmond :
« La traversée fut longue et pénible, et, pour comble
de détresse, les fièvres malignes se déclarèrent sur presque
tous les vaisseaux ^. Elles sévirent avec plus de force sur
1. Histoire manuscrite du Séminaire de Québec, par Mgr Tasche-
reau, que nous avons cru devoir citer textuellement.
2. Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 372.
3. L'escadre de M. de Nesmond se composait de treize vaisseaux
(Ibid.).
148 l'église du canada
la Gironde, et l'évêque de Québec en fut gravement atteint.
Par bonheur, Thabile médecin Michel Sarrazin ^ se trouvait
sur l'escadre. Il se dévoua au service des malades avec
une charité et une assiduité dignes de tout éloge. Il en-
toura de soins encore plus particuliers le vénérable Prélat,
qui, grâce à ces secours opportuns, fut arraché à une mort
imminente. Des quinze ecclésiastiques que M^"" de Saint-
Vallier emmenait avec lui au Canada, il y en eut cinq qui
succombèrent à la contagion. Un grand nombre d'autres
passagers et plusieurs hommes de l'équipage en furent aussi
les victimes. Tous ceux qui échappèrent au péril, recon-
nurent devoir leur guérison aux soins intelligents du docteur
Sarrazin. Ce dernier pensa mourir lui-même d'épuise-
ment, d'abord, puis de la maladie, dont il fut atteint vers la
fin du voyage. Il n'était encore que convalescent quand il
arriva à Québec ; il commença, néanmoins, avec un zèle tout
nouveau, à prodiguer les secours de son art à tous ceux qui
en avaient besoin ^. »
1. Sur le docteur Sarrazin, voir notre Québec en 1730, p. 60. — "Le
sieur Sarrazin était, il y a quatre ans, chirurgien-major des troupes.
S'étant retiré un an auparavant dans un séminaire d'ici, dans le des-
sein de se faire prêtre, et nous ayant témoigné qu'il voulait quitter son
emploi, nous fûmes obligé de mander qu'on nous en envoyât un autre. . .
J'ai appris, depuis, que le dit sieur Sarrazin, ayant changé de dessein,
s'était appliqué à Paris à l'étude de la médecine, oii l'on dit qu'il a bien
réussi : ce qui ne peut être que très utile en ce pays. Ainsi, il sera de
votre bonté de voir à lui donner les moyens de subsister. (Corresp.
générale, vol. 15, Frontenac au ministre, 15 oct. 1697).
" Les sollicitations de M. l'évê'que de Québec ont ramené ici cette
année le sieur Sarrazin. Il a rendu dans la traversée de très grands
services dans la Gironde, oîi il y a eu quantité de malades, du pourpre,
et particulièrement à M. l'évêque de Québec, qui l'a été dangereu-
sement, et qu'il a tiré d'affaire..." (Ibid., Champigny au ministre, 26
août 1697).
2. Mgr de S aint-V allier et l' H ôp. -Général de Québec, p. 124.
CHAPITRE XII
l'église du canada, de 1697 À 1700
Mgr de Saint-Vallier prend possession de son nouvel évêché. — A l'Hô-
pital-Général. — Le clergé et les communautés religieuses du dio-
cèse.— Incendie de l'Hôtel-Dieu de Montréal. — Exploits de D'Iber-
ville et de Frontenac. — Paix de Ryswick ; Te Deutn. — Mort de
Frontenac.
MGR de Saint-Vallier rentra dans son diocèse vers la
mi-août (1697) ^, après une absence de près de trois
ans. Cette absence, plus longue qu'il ne l'avait désiré, lui
avait été d'autant plus sensible, qu'il avait laissé, en quittant
Québec, deux oeuvres inachevées, ou plutôt à peine commen-
cées, son évêché et son Hôpital-Général. Son évêché, il en
avait posé lui-même la pierre angulaire au printemps de
1694; et il était parti dans l'automne. Quelle dut être sa
joie, lorsque doublant la pointe de l'Ile d'Orléans, il aperçut
le magnifique bâtiment qui couronnait le promontoire de
Québec ", lorsque, surtout, descendu à terre, et montant la
côte de la Basse- Ville, il put se rendre compte des belles
proportions, de la solidité et de l'élégance de cet édifice. Le
corps principal de l'évêché, ainsi que la chapelle, était ter-
miné : dans l'automne, on ajouta une aile à cet édifice ^ ; et
1. Certainement avant le 26 août, puisque nous avons une lettre de
cette date, de M. de Champigny, oîi il est question de son retour.
2. Voir plus haut, p. 55, la description que nous en avons donnée,
d'après La Potherie.
3. C'est alors seulement que fut démolie l'ancienne maison. (Têtu,
Le Palais Episcopal de Québec, p. 22-)
150 LEGUSE DU CANADA
c'est tout ce qui fut jamais exécuté du plan, beaucoup plus
considérable, qui avait été projeté ^
Après avoir récité dans sa cathédrale les prières de l'iti-
néraire, avec les dix ecclésiastiques qui lui restaient des
quinze qui s'étaient embarqués avec lui, le pieux Prélat prit
possession de sa nouvelle demeure, qu'habitait déjà son
grand vicaire, M. de Montigny, jeune homme de vingt-huit
ans, ecclésiastique sage et vertueux, qui, en son absence, avait
administré le diocèse à la satisfaction de tout le monde; M.
Dollier de Casson, supérieur de Saint-Sulpice, avait été
chargé du district de Montréal.
Parmi les ecclésiastiques qui arrivaient à Québec avec
M^"" de Saint- Vallier, il y avait M. Geoffroy, curé de Laprai-
rie, l'ancien missionnaire de l'Acadie, dont nous avons déjà
parlé. Il était passé en France pour refaire un peu sa santé,
et allait se mettre bientôt aux nouvelles fonctions auxquelles
l'Evêque le destinait. Il y avait aussi un jeune abbé qui
n'était encore que sous-diacre, et que M^ de Saint- Vallier
avait amené avec lui de Grenoble, lors de son voyage à son
pays natal : il s'appelait Daniel-Guillaume Serré de la Co-
lombière. Ce jeune abbé devait d'abord lui servir de secré-
taire, puis, devenu prêtre, lui rendre de grands services
comme chapelain et confesseur de l'Hôpital-Général.
L'Hôpital-Général ! qui ne pense immédiatement à M^ de
Saint- Vallier, lorsque l'on prononce le nom de cette maison,
l'œuvre de son cœur, la source de ses joies les plus pures,
comme l'occasion de quelques-uns de ses plus grands cha-
grins? Quelle hâte il avait sans doute de revoir cette institu-
tion qu'il avait été obligé de laisser seule à ses débuts ! Du-
rant son séjour en France, il avait assuré à ses religieuses et
à ses pauvres un revenu sur l'Hôtel-de- Ville de Paris; et il
I. D'après l'abbé Casgrain, il voulait fonder un séminaire, à côté de
l'autre, à la tête duquel il aurait mis l'abbé Trouvé. {Les Sulpiciens
en Acadie, p. ico).
sous M*"" DE SAINT-VALLIER I5I
lui apportait des dons généreux. Laissons ici l'annaliste de
la communauté nous raconter en quelques mots la visite du
saint Prélat :
«< Quel beau jour pour nos Mères, dit-elle, que celui où il
leur fut donné de revoir leur vénérable fondateur! Ce jour-
là, l'église était parée comme aux plus belles fêtes, et Sa
Grandeur, en y entrant, ne put dissimuler sa surprise et sa
joie de voir comme tout avait changé de face. Il en fut de
même dans les autres parties de la maison. Monseigneur en
témoigna à ses filles non seulement de la satisfaction, mais
même de la reconnaissance, et il leur donna aussitôt de nou-
velles marques de son affection paternelle en leur faisant don
de quelques ornements d'église, de deux burettes, et d'un
calice d'argent ciselé. Il leur confia en outre une certaine
quantité d'efïets pour être vendus au profit de l'œuvre \ »
Nous avons dit qu'en l'absence de l'Evêque M. de Monti-
gny avait administré le diocèse à la satisfaction de tout le
monde. A sa demande, M^"" de Laval avait fait quelques-
unes des ordinations les plus pressantes. Le Séminaire de
Québec avait alors pour supérieur M. de Bernières, et ix)ur-
suivait avec zèle son œuvre si importante pour l'avenir de
notre Eglise :
« On y entretient toujours, écrit M. de Champigny, qua-
rante ou cinquante enfants, dont une partie paie pension,
d'aucuns demi-pension, et les autres y sont par charité. Ils
sont enseignés depuis les premières instructions jusqu'à la
fin de la théologie dans les écoles des Jésuites, où ils sont
envoyés deux fois par jour-. »
La cure de Québec, administrée par un prêtre du Sémi-
naire, M. Dupré, ne laissait rien à désirer; et tout le clergé
canadien, en général, dont M^'' de Saint- Vallier. comme
1. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp.-Général, p. 124.
2. Corresp. générale, vol. 17, Champigny au ministre, 20 oct. 169g.
152 l'église du canada
nous l'avons vu, était si content, montrait, au dire de l'inten-
dant Champigny, «une piété exemplaire»!.
L'Hôtel-Dieu de Québec, toujours rempli de malades,
était desservi par les religieuses Augustines avec un dé-
vouement héroïque. Les Ursulines apportaient le même
dévouement à l'éducation de la jeunesse:
« Les communautés de ce pays, ajoute l'intendant, vivent
dans une régularité exemplaire, et dans une bien plus exacte
observance que celles de France. Leur vie est pauvre et
mortifiée, se privant du nécessaire en beaucoup de choses ". »
A Montréal, M. Dollier de Casson avait avec lui des
hommes de premier mérite : M. de Belmont, MM. de la Faye,
Vaillant, Chaigneau, Guay, Mériel ^, Priât. La piété et le
zèle de ces messieurs étaient admirables. Ils desservaient
les paroisses de l'Ile et des environs. Sous leur direction,
les communautés religieuses de la Congrégation et de l'Hô-
tel-Dieu faisaient beaucoup de bien.
La nouvelle congrégation des Frères Charon, qui avait
pris naissance avant le départ pour la France de M^"" de
Saint-Vallier, donnait de grandes espérances pour l'instruc-
tion de la jeunesse et le soin des vieillards. M. de la Colom-
bière s'intéressait tout particulièrement à cette fondation et
allait chaque année passer quelques mois à Montréal pour
en promouvoir les intérêts *. Le gouverneur et l'intendant
écrivaient à la cour :
« Une maison qui sera fort utile à la colonie est celle des
Frères hospitaliers établis à Montréal. Elle n'a encore rien
coûté au Roi ni au pays. Cependant elle fait beaucoup de
bien. Il y a une salle remplie de pauvres. On a commencé
1. Corresp. générale, vol. 13, Champigny au ministre, 6 nov. 1695.
2. Ibid., vol. 17, Champigny au ministre, 20 oct. 1699.
3. " Il était le père et l'apôtre des Anglais prisonniers au Canada. "
(Sœur Juchereau, Hist. de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 449-)
4. Mgr de Sainf-ValUer et l' H ôp. -Général, p. 126.
sous M^ DE SAINT-VALUER 153
d'y retirer quelques personnes de distinction, que la néces-
sité y a réduites : ils y ont des chambres particulières et y
sont bien soignés. Le sieur de Callières ayant su qu'ils ont
prié Sa Majesté de leur accorder l'exemption des droits
d'eau-de-vie et de vin, se joint au sieur de Champigny pour
La supplier de leur faire cette grâce : leur communauté est
la seule qui soit privée de cette exemption. Si Sa Majesté
voulait avoir la bonté d'y joindre mille livres pour parvenir
plus aisément aux manufactures qu'ils vont commencer,
cela procurerait un grand avantage à eux et à la colonie,
parce qu'ils augmenteraient le nombre des jeunes gens pau-
vres qu'ils retirent pour les y employer ^ . . »
Dans le cours de l'hiver 1696, un incendie détruisît
l'Hôtel-Dieu de Montréal, qui était encore, à cette époque,
près du fleuve, à la Pointe-à-Callières. Laissons la chro-
nique raconter ce pénible événement :
« Ce malheur arriva le matin du jour de saint Mathias, 24
février. Le feu avait pris par le grenier de la vieille église ',
sans qu'on ait su comment, et paraissant d'abord au clocher,
il ne tarda guère à enflammer le bâtiment des pauvres et
celui des religieuses, qui furent consumés entièrement, sans y
pouvoir apporter aucun remède, en deux heures de temps,
à la réservée de deux boulangeries et d'une grange et ména-
gerie bâties nouvellement, qu'on eut toutes les peines du
monde à garantir. Tout ce qu'on put faire fut de s'atta-
cher à sauver une partie des meubles des appartements d'en
bas. Mais comme les bonnes Sœurs n'ont pas laissé de
perdre très considérablement en meubles, hardes et grains,
et particulièrement presque tout leur linge, tant des pauvres
que des religieuses, et entre autres celui qui se trouva sale
1. Corresp. générale, vol. 12, Callières et Champigny au ministre,
20 oct. 1699.
2. Elle avait servi d'église paroissiale jusqu'à la construction de
Notre-Dame, sur la rue Notre-Dame.
154 l'éguse du canada
de tout l'hiver, qui était dans les greniers, et tout ce qu'il y
avait dans la cave des pauvres, qui n'était point voiitée,
n'ayant pu être sauvé, cet accident les mit dans un état si
digne de compassion, que le cœur le plus barbare en aurait
été pénétré. Ce fut un grand bonheur que le vent de nord-
est, par une permission toute spéciale de Dieu, se modéra
presque tout d'un coup, sans quoi la maison où logeait alors
M. de Callières, toute voisine, avec plusieurs autres, aurait
porté le feu à la meilleure partie de la ville, qui aurait suivi
le même sort.
« Ce spectacle ayant rempli tout le monde de terreur et
de pitié, M. de Callières, pour en profiter, et battre le fer
pendant sa chaleur, fit dès le lendemain assembler tous les
habitants de Montréal et de la banlieue, et leur ayant fait
une exhortation très insinuante pour les porter à la contri-
bution et au remède, il eut tout l'effet qu'on pouvait attendre
de son éloquence et de son zèle, puisqu'on se cotisa, suivant
les mouvements de sa charité ; en sorte que cette assem-
blée produisit un secours beaucoup plus puissant qu'on ne
l'aurait diJi vraisemblablement l'espérer ; car avec la quête
que M. Dollier, supérieur du Séminaire, et M. Juchereau,
lieutenant-général, firent dans les côtes du gouvernement
de Montréal et chez les officiers et soldats, on amassa tant en
denrées, travaux, qu'argent, la somme de huit mille livres.
On peut dire avec vérité que cette contribution est assez
grosse pour le peu de moyens qui restent aux Montréalistes,
après avoir essuyé aussi longtemps qu'ils ont fait les incom-
modités de la guerre ^. . . »
Cette guerre, qui avait épuisé non seulement le district
de Montréal, mais le pays tout entier, c'est celle dont on
souffrait depuis tant d'années, par suite des incursions des
Iroquois; ce sont aussi les expéditions mémorables de nos
1. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 14, Relation de 1696.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 155
soldats et de nos miliciens sur les côtes de l'Acadie, à Terre-
neuve et à la baie d'Hudson, sous la conduite de D'Iber-
ville. Les exploits de ces héros avaient appris aux habitants
de la Nouvelle-Angleterre à respecter le nom canadien. Ceux
de Frontenac avaient répandu la terreur dans le pays des Iro-
quois. Il avait commencé par bien fortifier la ville de Qué-
bec : il avait élevé des ouvrages en palissade dans le jardin
même des Ursulines, et ce n'est pas sans regret qu'on avait
vu abattre, à cette occasion, les restes de l'antique forêt qui
couvrait autrefois le promontoire de la ville ^ Les milices
canadiennes étaient sur pied depuis longtemps ; et dans l'été
de 1696, le gouverneur, ainsi que MM. de Callières et de
Vaudreuil étaient allés, à la tête de deux mille cinq cents
hommes, dé^'aster les Cinq-Cantons. Les Iroquois avaient
été mis enfin à la raison; la Nouvelle-Angleterre, réduite à
ronger son frein. Mais nos terres étaient presque partout
restées sans culture : le Canada était épuisé.
Ce fut un beau jour celui où l'on apprit à Québec la paix
de Ryswick (20 septembre 1697), un mois environ après
le retour de M^"" de Saint-Vallier. Cette paix mettait fin en
Europe à la guerre de la coalition d'Augsbourg, et en même
temps à celle qui, en Amérique, n'en était pour ainsi dire
que l'écho. Louis XIV, qui avait remporté de si grands
avantages dans cette guerre, y avait renoncé complètement,
acceptant même l'accession de Guillaume d'Orange au trône
d'Angleterre comme un fait accompli. Le Canada seul pro-
fita de la paix de Ryswick : on lui laissa toute l'Acadie, avec
ses frontières indécises, source éternelle de difficultés, toute
la vallée du Mississipi, et même la baie d'Hudson.
Un Te Dewn solennel fut chanté dans la cathédrale de
I. Les Ursulines de Québec, t. I, p. 477. — "On détruisit un bois de
haute futaie de quatre arpents." (Archiv. du Canada, Corresp. générale,
vol. 20, Lettre des Ursulines au ministre, 1702.)
156 l'église du canada
Québec pour la paix de Ryswick \ Ce Te Dewn semblait
venir à propos, non seulement pour cette paix mondiale,
mais pour cette autre que M^"" de Saint-Vallier avait appor-
tée de France, par laquelle la plus parfaite union paraissait
exister désormais entre lui et le Séminaire, et les différents
personnages qui, à tort ou à raison, avaient eu à se plaindre
de lui, et les uns des autres. Evidemment les sages conseils
du Roi n'avaient pas été sans résultat, non plus que les tri-
bulations auxquelles le saint Evêque avait été soumis : « à
quelque chose malheur est bon ». Frontenac, Callières, le
Séminaire de Québec, les Récollets, tous ceux qui avaient
eu des difficultés avec le Prélat furent bien aises de voir
s'ouvrir une ère d'apaisement et de calme. Le Te Deiim
chanté dans l'église cathédrale de Québec, à trois heures de
l'après-midi, le 21 septembre 1698, pour la paix de Ryswick,
fut donc l'expression d'une joie universelle :
« Le gouverneur général y assista, dit la chronique, aussi
bien que l'intendant et les officiers du Conseil Supérieur et
de la Prévôté. Il y eut le soir plusieurs décharges de canon
de la ville et des vaisseaux, au moment où l'on allumait un
feu de joie dans la grande place, et tous les bourgeois firent
des illuminations à leurs fenêtres, suivant l'ordre que M.
de Frontenac leur en avait fait donner ^. »
Frontenac et Champigny, écrivant au ministre dans le
cours de l'automne, paraissaient satisfaits :
« M. l'ancien évêque, disaient-ils, et les prêtres du sémi-
naire de Québec, toujours remplis de zèle pour l'augmen-
tation de la Foi, ont engagé trois de leurs ecclésiastiques
pour porter l'évangile chez les nations établies le long du
Mississipi, qui sont, à ce qu'on a rapporté, d'une docilité
propre à y faire beaucoup de progrès.
1. Jugements du Conseil Supérieur, t. IV, p. 225.
2. Corresp. générale, vol. 15, Relation de 1698.
sous M^' DE SAINT-VALLIER I57
« M. l'évèque de Québec, ajoutaient-ils, continue avec
tant d'application à soulager les pauvres et à faire d'autres
bonnes œuvres, que nous pouvons dire qu'il fait au delà de
ses forces : ce qui ne doit pas peu vous engager, monsei-
gneur, à lui procurer la continuation des grâces que Sa Ma-
jesté lui fait, et même de les lui augmentera »
Hélas! Frontenac, lorsqu'il écrivait avec l'intendant cette
dépêché à la cour, et qu'il assistait au Te Deum pour la paix
de Ryswick, n'avait plus que quelques semaines à vivre. Il
mourut très chrétiennement à Québec le 28 novembre 1698,
et fut inhumé dans l'église des Récollets.
L'intendant Champigny fut obligé d'envoyer son courrier
par la Nouvelle-Angleterre afin de faire parvenir en France
le plus tôt possible la triste nouvelle de la mort du gouver-
neur. Sa lettre est calme et digne : on sent, en la lisant, que
l'apaisement s'était fait depuis quelque temps déjà dans les
esprits :
« Monseigneur, dit-il, je hasarde cette lettre par la voie de
la Nouvelle-Angleterre, pour vous donner avis que M. le
comte de Frontenac mourut le 28 du mois de novembre
dernier, avec les sentiments d'un véritable chrétien. Vous
aurez peut-être de la peine à croire, monseigneur, que je sois
aussi véritablement et sensiblement touché que je le suis de
sa mort, après tous les démêlés que nous avons eus ensemble.
Cependant il n'est rien de plus vrai, et on en est persuadé.
Aussi il n'y a jamais eu que les différents sentiments que
nous pouvions avoir pour le service du Roi qui nous ont
brouillés ; car de lui à moi comme particulier nous n'en avons
jamais eu. Il en a usé d'une manière si honnête à mon
égard pendant sa maladie, qu'on peut dire avoir commencé
au départ de nos vaisseaux, que je serais tout-à-fait ingrat
I. Corresp. générale, vol. 16, Lettre au ministre, 15 oct. 1698.
158 l'église du canada
si je n'en avais de la reconnaissance. Le petit testament
qu'il a fait, dont je vous envoie copie, en est une marque.
Je le ferai exécuter, et je puis vous assurer que j'ai un
très grand soin des intérêts de M"* la comtesse de Fron-
tenac \ . . »
I. Corresp. générale, vol. 16, Champigny au ministrjs, 22 déc. 1698.
CHAPITRE XIII
L^ÉGLISE DU CANADA, DE 1697 À I JOO (suitc)
Callières succède à Frontenac. — La grande épreuve de l'Hôpital-Géné-
ral. — Les Ursulines des Trois-Rivières. — Les Sœurs de la Con-
grégation. — La mission des Tamarois. — Les saints de l'époque,
— Aperçu général sur les missions du Mississipi.
MGR de Saint-Vallier regretta-t-il Frontenac? On a rai-
son de le croire. Ils avaient été amis, ils s'estimaient
l'un l'autre : les démêlés qu'ils avaient eus ensemble n'avaient
pu détruire complètement ni cette estime ni cette amitié.
L'Evêque appréciait la haute valeur du gouverneur ; il
n'ignorait pas que les hommes de cette trempe sont la force
d'un pays, et par suite le soutien de l'Eglise elle-même.
Il fallut attendre jusqu'aux vaisseaux du prmtemps pour
savoir qui succéderait à Frontenac; et toute la colonie se
réjouit lorsqu'elle apprit que c'était M. de Callières : encore
un homme avec lequel le Prélat avait eu quelques démêlés,
mais dont il savait apprécier les hautes qualités :
« Sans avoir le brillant de son prédécesseur, dit Charle-
voix, il en avait tout le solide, des vues droites et désinté-
ressées, sans préjugés et sans passion : une fermeté toujours
d'accord avec la raison, une valeur que le flegme savait mo-
dérer et rendre utile : un grand sens, beaucoup de probité et
d'honneur, et une pénétration d'esprit à laquelle une grande
application et une longue expérience avaient ajouté tout ce
que l'expérience peut donner de lumières : il avait pris dès
l6o Iv' ÉGLISE DU CANADA
les commencements un grand empire sur les sauvages, qui le
connaissaient exact à tenir sa parole et ferme à vouloir
qu'on lui gardât celles qu'on lui avait données. Les Fran-
çais, de leur côté, étaient convaincus qu'il n'exigeait jamais
rien d'eux que de raisonnable; que pour n'avoir ni la nais-
sance ni les grandes alliances du comte de Frontenac, ni le
rang de lieutenant-général des armées du Roi, il ne savait
pas moins se faire obéir que lui, mais qu'il n'était pas homme
à leur faire trop sentir le poids de l'autorité. »
Le chevalier de Vaudreuil, qui devait plus tard succéder à
M. de Callières comme gouverneur du Canada, obtint, en
attendant, le gouvernement particulier de Montréal : « Son
activité, dit Charlevoix, sa bonne mine, ses manières nobles
et aimables et la confiance des gens de guerre le rendaient
très propre à occuper un poste de cette importance. »
Frontenac, Callières, Vaudreuil : quelle belle suite de gou-
verneurs de premier ordre! Frontenac, supérieur aux deux
autres, sans doute, mais tous les trois de la même marque,
dirigés par les mêmes vues et animés des mêmes intentions
pour le bien et la gloire de leur patrie adoptive, à laquelle ils
ont rendu les services les plus signalés, et où ils ont voulu
mourir
Lorsque Callières descendit à Québec pour prendre les
rênes de l'administration, on 'aurait pu craindre que le sou-
venir des difficultés qu'il avait eues avec l'Evêque ne vînt à
se réveiller, et que les blessures, peut-être mal cicatrisées, ne
-vinssent à se rouvrir. Mais le gouverneur, dès l'automne
suivant, rassurait à ce sujet le ministre :
«Depuis que M. l'Evêque est de retour de son derrier
voyage en France, dit-il, nous avons vécu d'une manière
comme s'il ne se serait rien passé entre nous; et j'espère que
cela durera ^. . . »
I. Corresp. générale, vol. 17, Callières au ministre, 20 oct. 1699.
sous M*"" DE SAINT-VALUER l6l
Cela dura, en effet. Aucun nuage sérieux ne vint assom-
brir à cette époque l'Eglise de Québec. Il n'y eut que des
difficultés de détail. C'est ainsi que la question de l'Hôpital-
Général divisa un peu les esprits : tout le monde n'avait pas
les mêmes vues sur cette nouvelle institution : les uns auraient
voulu qu'elle ne fîit jamais qu'une succursale de l'Hôtel-
Dieu; d'autres, surtout AP"" de Saint-Vallier, tenaient à en
faire une communauté distincte, complètement séparée, et
avec noviciat.
Et pourtant le Prélat n'avait obtenu de l'Hôtel-Dieu — et
encore avec difficulté — quelques religieuses pour la fonda-
tion de son Hôpital, qu'à condition que la nouvelle maison
ne serait qu'une dépendance de l'autre : il s'était engagé à
cela par écrit :
« On fit un contrat, dit la Sœur Juchereau, où l'on stipula
tout ce qui concernait cette affaire. La maison de l'Hôpital-
Général devait tellement dépendre de celle-ci, que la supé-
rieure devait en toutes choses avoir rapport à celle d'ici ; de
sorte qu'elle ne gouvernait que comme une subdéléguée. Ce
contrat fut signé de l'évêque, du gouverneur, de l'inten-
dant. . ., et dans la suite ratifié de la cour ^. »
Bientôt cependant l'Evêque exigea qu'on lui donnât de
nouvelles religieuses, affaiblissant ainsi beaucoup l'Hôtel-
Dieu, « où il n'est resté, écrit Champigny, que dix ou douze
filles en état de servir les malades, qui y sont toujours en
grand nombre » ; et il fit de l' Hôpital-Général « une com-
munauté séparée », où l'on commença à admettre des no-
vices. Et l'intendant Champigny écrivant à la cour : « Il est
à souhaiter, disait-il, que Sa Majesté ait la bonté de donner
ses ordres pour faire cesser cette séparation ^. »
Les partisans de l'Hôtel-Dieu, — Champigny était du
1. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 357.
2. Corresp. générale, vol. 17, Champigny au ministre, 20 oct. 1699.
11
l62 I^'ÉGUSE DU CANADA
nombre — qui voulaient que l' Hôpital-Général ne fût qu'une
dépendance de cette institution, obtinrent plus qu'ils ne de-
mandaient. La cour retira ses lettres patentes de 1692, et
l'Hôpital-Général fut sur le point de disparaître.
On peut dire qu'il ne fut sauvé que par le concours donné
à M^'' de Saint- Vallier par M^ de Laval, le gouverneur et
l'intendant. Callières, surtout, rendit un service inappré-
ciable en prenant sur lui de temporiser pour l'exécution de»
ordres de la cour, et en laissant subsister l'Hôpital-Général,
en attendant que les volontés du Roi eussent occasion de
s'exprimer d'une manière plus claire. Il donna le temps à
TEvêque d'aller lui-même à la cour pour essayer de sauver
l'institution; et ce fut, en efifet, comme nous le verrons, le
but principal d'un quatrième voyage du Prélat en France.
Où sont les institutions destinées à vivre, qui n'ont pas eu
d'épreuves, à leur début? Voyons, par exemple, cette autre
fondation de A'P"" de Saint- Vallier, le monastère des Ursu-
lines des Trois-Rivières, qui date du mois d'octobre 1697,^
et dont les lettres patentes royales sont du mois de mai 1702.
Cette maison n'a pas eu, sans doute, comme l'Hôpital-Géné-
ral de Québec, la disgrâce de voir révoquer un jour ses
lettres patentes ; mais sans compter les deux incendies dont
elle a été victime, au cours de son existence \ les épreuves
lui ont-elles mancjué, à son berceau ? Rappelons, en quel-
ques mots, l'origine de cette maison, dont s'honore à juste
titre la ville des Trois-Rivières.
Les citoyens de cette ville désiraient depuis longtemps voir
s'établir au milieu d'eux une communauté qui pût donner à
leurs jeunes filles une instruction solide. Ils s'étaient adres-
I. 22 mai 1752; 2 octobre 1806. — Les Ursulines des Trois-Rivières,
t. I, p. 76.
sous m" de saixt-valmkr 163
ses aux Ursulines de Québec, à qui la chose avait souri : elles
connaissaient déjà les principales familles des Trois-Rivières,
les Hertel, les LeNeuf. les Boucher, les Poulin de Courval,
et autres, qui em'oyaient leurs filles se former et s'instruire
à leur monastère :
« Les religieuses Ursulines de Québec, écrivaient au
ministre Frontenac et Champigny, ayant dessein depuis
quelques années de faire un petit établissement aux Trois-
Rivières, et d'y envoyer quatre ou cinq de leur communauté
pour l'éducation des jeunes filles, nous avons considéré que
ce serait un assez grand bien si elles voulaient aussi se char-
ger du soin des pauvres malades, et particulièrement des
soldats; et comme nous les avons trouvées disposées à pro-
curer ce bien à la colonie, nous vous supplions, monseigneur,
de leur faire accorder sur cela les patentes qui leur sont
nécessaires.
« M. l'évêque de Québec, qui entre avec zèle dans tout
ce qui concerne la charité, s'est agréablement engagé à y
entretenir six lits de malades. La maison qu'elles prennent
pour cette œuvre leur coûte onze mille livres, monnaie du
Canada \ . . »
Cette lettre était datée du 19 octobre 1697. Déjà JVP"" de
Saint- Vallier avait pris la chose en mains, et s'était entendu
avec les Ursulines de Québec pour la fondation d'un monas-
tère qui fût à la fois une maison enseignante et un hôpital.
Il avait choisi pour cette fondation « la plus belle maison
qu'il y eût alors aux Trois-Rivières «2, celle du gouverneur,
M. de Ramesay, située sur le Platon, à cet endroit histo-
rique où Laviolette, plus de soixante ans auparavant, avait
arboré pour la première fois le drapeau aux fleurs de lys et
donné naissance à la ville, à cet endroit délicieux d'où l'œil
1. Corresp. générale, vol. 15.
2. Les Ursulines des Trois-Rivières, t. I, p. 12.
164 l'église du canada
embrasse un des plus beaux panoramas du monde. Cette mai-
son en pierre, à deux étages, était entourée de jardins ma-
gnifiques et de toutes les dépendances nécessaires. Avant de
passer le contrat, les Ursulines la visitèrent, en compagnie
de leur chapelain, M. de Montigny, et en furent enchantées.
M^ de Saint- Vallier fit une partie des frais de l'acquisition,
l'autre partie restant à la charge des destinataires :
« Il vient d'acheter, écrivaient à la cour le gouverneur et
l'intendant, une belle maison que M. de Ramesay a fait
bâtir, avec cinquante arpents de terre qui en dépendent, dont
elles tireront une partie de leur subsistance; et il leur pro-
met mille livres de rente à prendre en France ^ . . »
Les religieuses destinées à la fondation quittèrent Québec
le 23 octobre 1697, prirent possession du nouvel établisse-
ment, et inaugurèrent leur œuvre. Tout alla bien les deux
premières années; mais lorsque arriva le terme du second
paiement à faire pour l'achat de leur maison, elles se trou-
vèrent incapables de l'acquitter. La supérieure écrivant au
R. P. Lamberville : « Je ne sais, disait-elle, si notre nouvelle
fondation subsistera, ou non. Je vois des orages et des
tempêtes qui s'élèvent et la menacent de ruine -. » En efïet,
ne pouvant remplir les termes de leur contrat, il dut être
résilié. Fort heureusement, des amis vinrent au secours de
AP"" de Saint-Vallier, et le pieux Prélat, toujours plein de
courage et confiant dans la Providence, résolut d'affermir
solidement sa nouvelle fondation.
Mais il fallut quitter le Platon, sortir de cette maison où
l'on s'était installé tout d'abord, et reprendre ses travaux
dans un autre bâtiment. Il se trouva que la nouvelle maison
était encore plus propre que l'autre pour les fins de l'insti-
1. Corresp. générale, vol. 17, Callières et Champigny au ministre,
20 oct. 1699.
2. Les Ursulines des Trots-Rivières, t. I, p. 39.
sous M*"" DE SAINT-VALUER 165
tution. Le bon Dieu veillait évidemment sur cette fondation,
destinée à faire tant de bien :
« L'établissement que M. l'Evêque a fait d'un couvent
d'Ursulines aux Trois-Rivières, écrivent de nouveau le gou-
verneur et l'intendant, nous paraît utile, tant pour l'éduca-
tion des jeunes filles, que pour six lits qu'elles se sont obli-
gées de tenir pour les pauvres malades de ce lieu. Vous
verrez, monseigneur, par le mémoire ci-joint que nous vous
envoyons de leurs biens, qu'il ne suffit pour l'entretien des
huit religieuses que Sa Majesté y fixe. Mais si M. l'Evêque
y ajoute mille livres par an, comme il le promet, nous
croyons que cet établissement se pourra soutenir ^. . . »
M^ de Saint- Vallier ne manqua pas de remplir tous ses
engagements envers sa nouvelle fondation, qu'il estimait à
l'égal de son Hôpital-Général, et le monastère des Trois-
Rivières reçut ses lettres patentes ^ :
« Nous sommes bien aise d'apprendre, écrit M. de Cal-
lières, que Sa Majesté a accordé des lettres patentes aux
religieuses Llrsulines des Trois-Rivières, et que M. l'Evêque
leur a constitué une rente de mille livres pour leur entretien,
ces religieuses étant très utiles dans ce lieu pour enseigner
les jeunes filles, et pour servir d'hospitalières, comme M.
l'Evêque l'a fait espérer ^. . . »
Nous avons dit : où sont les institutions destinées à vivre,
qui n'ont pas eu d'épreuves à leur début? Voyons encore
le bel institut des Sœurs de la Congrégation de Montréal.
Il existait depuis quarante ans, et n'avait pas encore de
règles approuvées par l'autorité ecclésiastique, ni, par con-
séquent, d'existence canonique. La Sœur Bourgeois et ses
compagnes supplient M^ de Saint- Vallier de leur accorder
1. Corresp. générale, vol. 19, Callières et Champigny au ministre,
5 oct. 1701.
2. Edits et Ordonnances, t. I, p. 288.
3. Corresp. générale, vol. 20, Callières au ministre, 3 nov. 1702.
i66 l'église du canada
ce grand bienfait, et le Prélat, ayant résolu d'amalgamer
cette Congrégation avec les Ursulines, veut lui imposer des
vœux solennels, la clôture, la règle de saint Augustin; et
dans son voyage à Montréal, au printemps de 1694, il pré-
sente aux Sœurs de la Congrégation les règlements qu'il a
préparés selon ses vues. Mais elles veulent demeurer « filles
séculières, filles de paroisses » ; elles objectent à la clôture,
à la règle de saint Augustin. Le Prélat insiste, les menace
de faire disparaître leur communauté. Pleines de confiance
en Dieu, elles tiennent à l'esprit de leur institut, et finissent
par obtenir du Prélat que la chose soit référée à M. Tronson,
durant son voyage en France.
Le supérieur de Saint-Sulpice, cet homme de Dieu en qui
M^'' de Saint- Vallier a une entière confiance \ réussit à force
de ménagements à faire modifier par le Prélat les règles
trop sévères qu'il voulait leur imposer. Ce ne sont plus des
vœux solennels qu'il exige, mais des vœux simples ; il a
renoncé à la clôture; il n'ajoute aux règles qu'elles ont
suivies jusqu'ici que quelques changements de détail, que
M. Tronson les engage à accepter de bon cœur. Puis dans
l'été de 1698, le 24 juin. M"'" de Saint-Vallier étant monté à
Montréal, se rend le lendemain à la Congrégation pour y
dire la sainte messe. Il soumet aux Sœurs le règlement tel
qu'il l'a modifié : elles l'acceptent avec joie, prononcent
toutes en présence du Prélat les vœux simples de pauvreté,
de chasteté, d'obéissance et d'instruction des jeunes filles.
Quelques jours après, il descend à Québec, et réunit dans
la chapelle du séminaire les Sœurs de la Congrégation de
Québec, de l'Ile d'Orléans et du Château-Richer. et reçoit
également les vœux de ces Sœurs missionnaires ^.
1. Un écrivain de la Revue des Deux-Mondes a dit quelque part de
M. Tronson, qu'il était " le bon sens fait homme ". {Revue des Deux-
Mondes du 1er janvier 1909, p. 285.)
2. Faillon, Vie de la Sœur Bourgeois, t. II, p. 24 et suiv.
sous M'^'' DE SAINT-VALLIER 167
L'institut des Sœurs de la Congrégation avait passé par
une rude épreuve, mais en était sorti avec bonheur, grâce à
la protection de Dieu.
* *
Nous avons vu plus haut que la paix existait désormais
€ntre l'Evêque et son séminaire de Québec. De tous les
prêtres du séminaire, nul ne paraît avoir plus souffert des
difficultées passées que M. Glandelet. Dans ses lettres à M.
Boudon, il ne cesse de déplorer ces différends; il écrit, par
exemple, dans l'automne de 1696:
« Nous sommes toujours dans l'attente du succès qu'il
plaira à la divine Providence de donner aux aft'aires de cette
pauvre Eglise, pour son entière paix. Je me suis senti ins-
piré de m'abandonner plus que jamais à ses aimables
soins. . . Tous nos maux ne viennent que de nos défiances et
peu d'abandon. . . »
Mais deux ans après, il est tout à la joie : « M""" de Québec,
dit-il, est bien maintenant avec nous, et nous sommes en
paix, grâce à Dieu.
« Notre séminaire, ajoute-t-il, a commencé, cette année,
de grandes missions aux nations sauvages qui sont à huit
cents lieues d'ici, sur le fleuve Mississipi, proche la nouvelle
Espagne. Trois prêtres y sont allés au nom du Séminaire.
Ce sont des peuples infinis, et tout-à-fait abandonnés. Messis
quidetn niulta. Priez Notre-Seigneur et sa très sainte Mère
pour le succès de cette entreprise, aussi bien que de celles que
nous venons de faire à l'égard des sauvages de l'Acadie. »
La mission du Mississipi dont parle ici M. Glandelet est
plus communément connue sous le nom de « mission des
Tamarois ». Les Jésuites avaient été chargés en 1690
d'évangéliser les sauvages Outaouais, Miamis, Sioux, Illi-
i68 l'église du canada
nois \ En 1698, le premier mai, le séminaire de Québec
obtint de l'Evêque la permission d'aller prêcher l'évangile
aux sauvages de la vallée du Mississipi ^ ; et quelques mois
plus tard, le 14 juillet, l'Evêque expliquant la lettre qu'il
avait donnée à cette occasion, permettait au Séminaiire de
s'établir aux Tamarois, à l'exclusion de tous autres mission-
naires ^. Or les Tamarois étaient des Illinois, et les Jésuites
y avaient déjà une mission : ce qui donna lieu à des démêlés
qui ne se terminèrent qu'en 1702 par un règlement consenti
de part et d'autre: les Jésuites, pour le bien de la paix,
avaient renoncé à leur mission des Tamarois.
Les trois prêtres envoyés aux Tamarois par le Séminaire
étaient MM. de Montigny, Davion et Buisson de Saint-
Cosme. M. de Montigny, comme supérieur de la mission,
avait les pouvoirs de grand vicaire. Il consacrait à cette
œuvre plus de deux mille écus de rente qu'il avait de biens
de famille. De leur côté, l'Evêque et le Séminaire avaient
renoncé expressément « à tout commerce de castor et autres
qu'ils pourraient faire avec les nations sauvages » * ; et c'est
à cette condition que la permission d'envoyer des prêtres
dans ces missions leur avait été donnée par le gouverneur et
l'intendant ^
Trois autres prêtres, MM. Bergier, Boutteville et Saint-
Cosme le jeune allèrent les rejoindre l'année suivante avec
quelques frères donnés et plusieurs ouvriers. L'un de ces
prêtres, M. de Saint-Cosme, écrivant des Akansas à M^ de
Laval, lui racontait leur voyage. Ils avaient passé par
Michillimakinac, le lac Michigan, Chicago, la rivière Mia-
mis, et se louaient beaucoup de M. de Tonti, qui les avait
accompagnés dans leur expédition :
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 274.
2. Ibid., p. 377.
3. Ibid., p. 380.
4. Corresp. générale, vol. 15, Relation de 1697.
5. Ibid., vol. 17, Callières et Champigny au ministre, 20 cet. 1699.
sous M^ DE SAINT-V ALLIER 169
« Il nous a conduits, dit M. de Saint-Cosme, jusqu'aux
Akansas, nous a fait beaucoup de plaisir durant le voyage
et nous a facilité le chemin par plusieurs nations. . . Il n'a
pas fait seulement le devoir d'un brave homme, mais celui
d'un zélé missionnaire, entrant dans toutes les vues que
nous pouvions avoir, exhortant partout les sauvages à prier
et à écouter les missionnaires. Il remettait l'esprit de nos
engagés dans les petites fantaisies qu'ils pouvaient avoir,
appuyant par son exemple les exercices de dévotion que le
voyage nous permettait de faire, fréquentant fort souvent
les sacrements. . . »
Ils n'eurent qu'à se louer également de la conduite des
Jésuites à leur égard :
« Je ne saurais vous exprimer, monseigneur, continue M.
de Saint-Cosme, avec combien de cordialité et de marques
d'amitié ces révérends Pères nous reçurent et embrassèrent
pendant le temps que nous eiimes la consolation de rester
avec eux. . . »
M. de Saint-Cosme, dans sa lettre à M^ de Laval, lui
disait beaucoup de bien du naturel des sauvages qu'ils
avaient rencontrés le long du Mississipi; puis revenant à
M. de Tonti, qui avait dû les quitter pour retourner aux
Illinois :
« C'est l'homme, dit-il, qui connaît le mieux le pays. II
a été deux fois à la mer, il a été dans la profondeur des
terres jusqu'aux nations les plus éloignées; il est aimé et
craint partout. Si on faisait la découverte de ces pays, je
ne pense pas qu'on pîit la confier à un homme plus expéri-
menté que lui \ . . »
Le séminaire de Québec dépensa pour la mission des
Tamarois des sommes considérables. Il n'était à cette époque
qu'une branche des Missions-Etrangères de Paris : pouvait-
I. Lettre du 2 janvier 1699, publiée dans VAbeille du ler avril 1880.
1 70 L EGUSE DU CANADA
il y avoir une œuvre qui fût plus du ressort des Missions-
Etrangères que celle des missions du Mississipi et de
l'Acadie ?
La mission des Tamarois eut ses martyrs : MM. Foucault
et Saint-Cosme furent assassinés par les sauvages et mou-
rurent victimes de leur zèle apostolique. Elle eut des mis-
sionnaires qui vécurent dans une grande réputation de
sainteté. Ecoutons M. de Latour parler de ceux de son
temps :
« Le séminaire de Québec ne s'est pas borné, dit-il, à
former de bons prêtres pour la colonie, on y travaille encore
à y former des missionnaires pour les sauvages, ce qu'on a
exécuté depuis avec succès chez plusieurs nations, entre
autres dans celles des Abénaquis, en Acadie, des Tamarois et
des Illinois, le long du Mississipi, où l'on entretient toujours
plusieurs missionnaires, conformément à une clause du tes-
tament de M. de Laval. J'ai vu partir de mon temps les
sieurs Gaston ^ et Courrier, deux jeunes hommes plein de
ferveur et d'une très grande espérance, dont l'un fut mas-
sacré par les sauvages, l'autre y vit comme un saint, jusqu'à
y faire des choses qu'on a regardées comme des miracles.
J'ai vu à Québec le sieur Le Riche, qui, après avoir été long-
temps chez les Abénaquis, et ensuite curé à la campagne, est
mort chanoine de la cathédrale, plein de mérites, et le sieur
Thaumur de la Source, qui, après plusieurs années de séjour
chez les Tamarois, est mort à Québec, dans une si grande
réputation de sainteté, que tout le peuple, à ses obsèques,
allait faire toucher des chapelets à son corps, et déchirait ses
I. Il n'y a jamais eu de prêtre de ce nom aux Tamarois. M. de
Latour, (ou son imprimeur) a probablement mis Gaston au lieu de
Gagnon (Joseph), lequel partit en effet pour les Tamarois avec M.
Courrier dit Bourgignon au printemps de 1730: tous deux venaient
d'être ordonnés à Québec. Le seul prêtre de cette époque dont le nom
commence par Gaston est M. Gastonguay, fils d'un M. Guay, dont le
nom de baptême était Gaston : mais ce M. Gastong^uay fut toujours curé
dans les paroisses de la côte sud.
sous M^"" DIC SAINT-VALLIER I7I
habits pour avoir des reliques. J'ai cru devoir, en passant,
rendre cette justice à la piété de ces dignes ouvriers \ »
Il y avait donc des saints, et de grands saints, à cette
époque, dans l'Eglise de la Nouvelle-France, des saints qui
répandaient partout la bonne odeur de leurs vertus. C'étaient,
pour la plupart, des Canadiens, nés dans le pays, fonnés dans
le séminaire de M^"" de Laval. A fnictibiis eorum cognos-
cetis cos -. Il était donc bien vénérable cet arbre du sémi-
naire de Québec, qui portait de tels fruits de sainteté et de
vertus ! Il était donc bien vénérable celui qui l'avait planté,
bien vénérables aussi ses collaborateurs, qui l'avaient arrosé
et cultivé avec tant de soins et de vigilante sollicitude !
Les missionnaires de M""" de Laval et du séminaire de
Québec vécurent en bonne intelligence avec les Jésuites.
Rien de plus édifiant que la bonne entente entre tous ces
missionnaires qui se consolent, s'assistent et se fortifient les
uns les autres dans un ministère pénible. Ecoutons l'un
d'eux, le P. Vivier, écrivant des Illinois à ses supérieurs :
« Que de nations sauvages, dit-il, dans ces vastes con-
trées arrosées par le Missouri et ses afiiluents. s'ofïrent au
zèle des missionnaires ! Elles sont du district des messieurs
des Missions-Etrangères, à qui l'évêque de Québec les a ad-
jugées depuis plusieurs années. Ces messieurs sont ici au
nombre de trois, qui desservent deux cures françaises. On
ne peut rien de plus aimable pour le caractère, ni de pluâ
édifiant pour la conduite. Nous vivons avec eux comme si
nous étions membres d'un même corps '. »
Certes, les consolations spirituelles ne manquaient pas,
sans doute, à ces bons missionnaires de la vallée du Missis-
sipi. Le P. Jacques de Lamberville écrivant un jour à son
frère, d'une des missions illinoises : « On y compte, disait-il,
1. Mémoires sur la vie de M. de Laval, p. 100.
2. Matth., VII. 16.
3. Lettres édifiantes, t. IV, p. 318, Lettre du P. Vivier, 17 nov. 1750.
172 l'église du canada
plus de deux mille chrétiens, qui vivent dans la simplicité
et la piété des premiers chrétiens. »
Un autre missionnaire, le P. Guignas, parlant des Akan-
sas, nous dit : « Ils sont d'une pudeur que les autres nations
ignorent. Il n'y a chez cette nation d'obstacle particulier au
christianisme que son extrême penchant pour la jonglerie. »
Un autre jésuite, le P. Chauchetière : « Nous voyons dans
nos sauvages, disait-il, les beaux restes de la nature humaine,
qui sont entièrement corrompus dans les peuples policés.
De toutes les onze passions, ils n'en ont que deux; la colère
est la plus grande ; mais encore en ont-ils peu dans l'excès,
hors la guerre. Vivre en commun sans procès, se contenter
de peu sans avarice, être assidus au travail, on ne peut rien
voir de plus patient, hospitaliers, affables, libéraux, mo-
dérés dans le parler ; enfin tous nos Pères et les Français qui
ont fréquenté les sauvages estiment que la vie se passe plus
doucement parmi eux que paiTni nous. La Foi qui trouve
toutes ces préparations y fait un progrès surprenant \ »
Les Illinois étaient très attachés à la France. Lors du
massacre des Français par les Natchez, plusieurs chefs Illi-
nois, à la Nouvelle-Orléans, allèrent trouver le commandant
Perrier et lui offrirent leurs senàces pour venger ce mas-
sacre.
L'un de ces chefs, Chicagou, qui a laissé son nom à la
grande ville illinoise, avait été en France, et conservait pré-
cieusement, dans une bourse faite exprès, une magnifique
tabatière que lui avait donnée la duchesse d'Orléans.
A combien de dangers, cependant, n'étaient pas exposés
les missionnaires, au milieu de toutes ces nations sauvages,
et cela, la plupart du temps, par la faute des mauvais Fran-
çais ! Voyons, par exemple, le massacre de Natchez que
nous venons de mentionner : le P. Vivier nous dit expressé-
I. Rel. des Jés., édition Burrows, t. 64, p. 128, Lettre du 7 août 1694.
sous M**" DE SAINT-VALI^IER - 173
ment : « La tyrannie qu'un commandant français entreprit
d'exercer sur eux, les ix)ussa à bout. Un jour, ils firent
main basse sur tous les Français. . . » Ils en massacrèrent
plus de deux cents : parmi eux étaient M. de Chepar, com-
mandant, M. de Codère, commandant des Yasous, M. des
Ursins, MM. de Kelly, père et fils, MM. de Longrays, des
Noyers, Bailly. Le P. Poisson était alors missionnaire aux
Akansas, et le P. Crucy aux Natchez. Celui-ci étant mort
d'un coup de soleil, le P. Poisson était venu l'enterrer, et
c'est lui qui se trouvait aux Natchez, lors du massacre. Il
eut la tête coupée à coups de hache.
Les Natchez étaient à cent lieues de la Nouvelle-Orléans ;
les Yasous à vingt lieues de Natchez. Le ii décembre,
nouveau massacre des Français, aux Yasous, où commandait
M. des Roches, en l'absence de M. de Codère. Un Jésuite, le
P. Souel, fut massacré par les sauvages; un autre, le P.
Doutreleau, criblé de coups de fusil, finit cependant par se
sauver ^.
M. de Saint-Cosme avait été tué par les Sitimacas, sau-
vages qui habitaient le bas du Mississipi.
Voilà quelques exemples des dangers auxquels étaient
exposés sans cesse les missionnaires des Tamarois, des mis-
sions illinoises, et en général de toutes les missions de la
Louisiane.
La mission des Tamarois s'éteignit à la Conquête. M.
François Forget-Duverger en fut le dernier missionnaire.
En 1763, il prit sur lui de vendre tout l'établissement à un
négociant, nommé La Grange. Il craignait que les Anglais
ne s'emparassent de ces biens; et quoiqu'il ne fût qu'admi-
nistrateur et nullement autorisé à aliéner les propriétés, il
vendit à vil prix, et fit perdre au séminaire des terrains
dont la valeur serait énorme aujourd'hui ".
1. Lettres édifiantes, t. IV, passim.
2. Têtu, Les Evêques de Québec, p. 131.
174 ' L ÉGLISE DU CANADA
Un peu de bon sens, de réflexion et d'expérience ne nuit
pas, même chez les hommes les plus vertueux.
Dans ses lettres au séminaire de Québec pour lui pennettre
« d'envoyer des missionnaires chez les sauvages du Missis-
sipi », M^'' de Saint- Vallier parle de « son affection sincère
pour le séminaire des Missions-Etrangères » \ Cette affec-
tion ne se démentit pas. Il avait obtenu de la cour, dans
l'automne de 1697, des lettres patentes pour l'union de ses
abbayes à l'Eglise du Canada; et ces lettres confirmaient
l'union de la cure de Québec au séminaire. Les années sui-
vantes, il se montre facile pour laisser quelques prêtres
s'agréger au séminaire, entre autres le jeune M. Leblond,
qui manifestait de grands talents pour la sculpture et l'archi-
tecture :
« C'était, écrit l'auteur de l'histoire manuscrite du sémi-
naire, un sujet précieux pour IVP'' de Laval, qui n'épargnait
rien dès qu'il s'agissait de contribuer à la splendeur du culte
de Dieu et à l'ornement des églises et des autels. Le pieux
Prélat fit venir des outils pour la sculpture, et M. Leblond,
qui fut plus tard curé de la Baie Saint-Paul, s'occupa de
former des élèves ^. »
Dans son désir de promouvoir le bien de son église, M^
de Saint-A^allier, à cette époque de paix et d'union, va même
jusqu'à prendre conseil de son prédécesseur, et à tenir confé-
rence avec lui et avec les principaux membres de son clergé
de Québec, ce qu'il n'aurait certainement pas fait dans les
commencements de son administratioi ^.
M. de Montigny avait quitté Québec pour la mission des
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 377.
2. Il était quelquefois choisi comme expert par le Conseil Supérieur,
" comme connaissant dans les ouvrages de sculpture. " {Jugements du
Conseil Supérieur, t. IV, p. 487.
3. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 397.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 175
Tamarois. Ce furent deux prêtres du séminaire, MM.
Glandelet et de la Colombière, qui devinrent les vicaires
généraux de l'évêque pour le district de Québec, le supérieur
de Saint-Sulpice continuant de l'être pour le district de
Montréal.
CHAPITRE XIV
I.' ÉGLISE DU CANADA, DE 1697 À I/OO (suitc)
LES MISSIONS DE L'aCADIE
Toutes les missions de la Nouvelle-France dépendent de l'Eglise de
Québec. — Résumé de l'histoire de l'Acadie. — Le grand vicaire
Thury; ses derniers jours. — Mort des abbés Trouvé et Beaudoin.
— Mort de M. Tronson. — L'abbé Gaulin.
LE champ du Père de famille s'agrandit de plus en plus et
s'ouvre sur de nouveaux horizons. Les missionnaires de
l'évêque de Québec sont déjà rendus dans la Louisiane : bien-
tôt nous les verrons profiter des découvertes de D'Iberville
pour étendre le règne de Dieu jusqu'aux bouches du Missis-
sipi. La lumière de l'évangile brille désormais parmi les na-
tions sauvages au nord et au sud des grands Lacs, dans la
vallée du Mississipi et celles de ses affluents : au milieu de ces
nations sauvages se sont formés çà et là des petits groupes
de colons canadiens, germes de villes futures, dont les noms
français, qui subsistent encore de nos jours, attestent les
travaux héroïques de nos ancêtres, le zèle de nos mission-
naires.
Toutes ces missions dépendent de l'évêque de Québec; le
siège épiscopal de Québec est la source où tous les mission-
naires ont puisé et doivent puiser leur juridiction : « Tous
les missionnaires de la Nouvelle-France, écrit M^ de Saint-
Vallier, y doivent travailler sous la dépendance de l'évêque
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 177
de Québec \ » Récollets et Jésuites, prêtres séculiers rendent
compte de leurs travaux à leurs supérieurs, et ceux-ci à
l'évêque: de poste en poste, de village à village, se trans-
mettent les nouvelles des missions, les demandes de secours,
les encouragements au bien. Il y a à travers toutes ces
missions un courant ininterrompu de vie apostolique qui
part de Québec, qui va de la tête aux membres, et circule
partout jusqu'aux postes les plus reculés de la Louisiane.
C'est le même courant qui, parti de Québec, circule dans
les missions de Terreneuve et de l'Acadie. Seulement, de
ce côté, il y a, pour une grande partie de l'année, comme un
mur de séparation qui rend presque impossible les communi-
cations avec cette partie lointaine de la Nouvelle-France. Les
mêmes difficultés de communication existent pour le gouver-
nement civil. Le gouverneur général, qui réside à Québec,
préside aux destinées de toutes les possessions françaises en
Amérique : les gouverneurs de l'Acadie et de Terreneuve
ne sont que des gouverneurs particuliers, comme ceux de
Montréal et des Trois-Rivières. Comment le gouverneur
général pourra-t-il correspondre avec eux en tout temps de
l'année? La chose lui est impossible. A partir du dernier
départ de vaisseaux, s'il a quelque communication à faire
à l'Acadie ou en France, il est obligé de passer par la Nou-
velle-Angleterre. Aussi dès 1672 Frontenac recevait-il ins-
truction de la cour de faire faire un chemin intercolonial
pour relier l'Acadie au Canada ^ : projet qui ne put être mis
à exécution sous le régime français, mais dont nous avons
vu de nos jours la magnifique réalisation.
Il est évident que les relations de l'évêque de Québec avec
ses missionnaires de l'Acadie ne pouvaient être suivies et
constantes tout le temps de l'année. Puis, aux difficultés
1. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 298.
2. Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 224.
178 1,'ÉGIvISE DU CANADA
des communications venaient s'ajouter celles qui provenaient
de l'instabilité du régime français en Acadie. Hélas ! par
quelle série de malheurs, de révolutions, de changements
d'allégeance a passé cette colonie acadienne ! Et quel mérite
de la part des Acadiens d'être restés Français, attachés à
leur langue, à leur foi, à leurs traditions, à leur religion,
malgré tant de vicissitudes et d'infortunes ! En 1629,
l'Acadie subit le même sort que le Canada, et passe à la
couronne britannique. Rendue à la France en 1632, confiée
pour le spirituel aux Capucins \ elle passe de nouveau à
l'Angleterre en 1654, mais revient à la France en 1667 par le
traité de Bréda; et M^"" de Laval y envoie quelques années
plus tard le premier missionnaire qui y ait travaillé de la
part de l'évêque de Québec, le premier prêtre qui y ait re-
présenté l'Eglise de la Nouvelle-France, en qualité de grand
vicaire, l'abbé Petit. Moins heureux que Québec, Port-
Royal devient la proie de Phipps en 1690, et les Acadiens
voient partir pour l'exil deux de leurs missionnaires, MM.
Petit et Trouvé. L'Acadie est rendue à la France par la
paix de Ryswick, en 1697, mais pour redevenir anglaise, et
cette fois d'une manière définitive, par le traité d'Utrecht, en
171 3. Et alors commence pour les Acadiens cette ère lamen-
table d'espionnage, d'accusations, de tracasseries de toutes
sortes, où, devenus sujets anglais, mais avec des garanties
pour la conservation de leur langue et de leur religion, avec
la promesse de n'être jamais obligés de prendre les aimes
contre leurs anciens compatriotes, ils sont constamment et
de toutes manières inquiétés, poursuivis, traqués, de ma-
nière à leur rendre la vie impossible, dans le but évident de
les forcer à s'expatrier: comme ils n'ont nulle envie de le
faire, on s'en empare de force, et on les disperse aux quatre
vents du ciel (1755).
I. La Mission du Canada avant Mgr de Laval, p. 53.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 179
Que de vicissitudes de fortune pour ce beau pays de
l'Acadie ! que de revers, que de malheurs ! Au milieu de tout
cela l'Eglise de Québec reste fidèle aux Acadiens : M. Petit,
que leur a em-oyé M^ de Laval, leur consacre toute sa vie
sacerdotale, et ne revient à Québec que pour y mourir, en
1709. M. Thury, un autre prêtre du séminaire, se dévoue
tout entier à l'Eglise de TAcadie; il y reste de 1683 à 1698,
date de sa mort. C'est un des plus grands missionnaires
qu'ait jamais possédés la Nouvelle-France \ Il se fixe
d'abord à Miramichi, et de là parcourt l'Acadie en tous sens,
desservant non seulement les Acadiens, mais les sauvages
Micmacs et Abénaquis. Plus tard il quitte Miramichi, et va
fonder, au nom du Séminaire, la mission de Pentagouet.
Il se rend périodiquement à Québec pour exposer ses vues
à l'évêque, recevoir ses instructions et se retremper dans la
ferveur sacerdotale par quelques jours de retraite passés
dans son cher séminaire. Durant son dernier séjour à
Québec, M^'' de Saint- Vallier l'établit son vicaire général
pour toute l'étendue de l'Acadie, comprenant l'Ile Percé,
la baie des Chaleurs, le Cap-Breton, Port-Royal, les Mines,
îe Cap de Sable, la rivière Saint-Jean, Pentagouet, et en
général toutes les missions de l'Acadie. Quel immense terri-
toire confié à la vigilance pastorale d'un seul homme ! II
est dit quelque part d'un ancien évêque de l'Orient qu'il
« était comme le prince de toute l'Asie, totitis Asiœ prin-
ceps » ^ : ne peut-on pas dire de l'abbé Thury que son évêque
l'avait établi comme le prince de toute l'Acadie?
Le séminaire de Québec, qm venait de fonder la mission
des Tamarois, avait entrepris en même temps de donner plus
de développement à son œuvre en Acadie ; et M^"" de Saint-
Vallier lui avait donné des lettres patentes lui jDermettant
1. Thury et Petit étaient tous deux originaires de la Normandie.
2. Bréviaire romain, à la fête de saint Polycarpe.
i8o l'église du canada
de faire des établissements et des missions pour les sau-
vages dans tous les lieux de l'Acadie, et d'y nommer un
supérieur i. Cette charge de supérieur fut confiée à M.
Thury. A une époque, le séminaire de Québec eut jusqu'à
sept missionnaires à la fois dans cette partie lointaine du
diocèse: MM. Thury, Petit, Gaulin, Rageot, Guay, Mau-
doux et Deschambault.
Malheureusement l'abbé Thury ne survécut pas long-
temps à sa nomination comme supérieur de la mission de
l'Acadie. Il fut emporté, à la fleur de l'âge, en 1698, dans
l'exercice de ses travaux apostoliques. Laissons l'abbé Cas-
grain nous raconter ses derniers moments :
«Au cours du printemps de 1698, dit-il, l'abbé Thury
était occupé à établir une mission micmaque au bassin des
Mines, sur les bords de la rivière Pigiquit. Il lui donna
pour vocable la sainte Famille. . . Après y avoir surveillé les
premiers travaux, il se rendit sur la côte de l'est pour y
donner quelques missions. Arrivé à Chibouctou (aujour-
d'hui Halifax), il y fut pris d'une maladie soudaine qui
l'emporta en quelques jours, jeune encore d'âge, n'ayant
que quarante-huit ans, mais plein de mérites.
« Le grand-vicaire Thury n'avait eu pour témoins de ses
derniers moments que les rares familles micmaques campées
au bord de la baie de Chibouctou. Ces bons néophytes,
après lui avoir fermé les yeux, lui rendirent un touchant
hommage de reconnaissance et de vénération en élevant sur
sa tombe un petit monument funèbre construit à leur ma-
nière. Ils plantèrent au-dessus de la fosse de solides pieux
accolés les uns aux autres, en forme de rectangle allongé,
qu'ils couvrirent d'une espèce de voûte faite de larges écorces
cousues de racines comme leurs canots. De gros cailloux,
proprement rangés autour, complétèrent le petit monument,
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 379.
sous M^"" DE SAINT-VALUER l8l
« L'année suivante, le voyageur Dièreville ayant abordé à
Chibouctou, descendit au rivage avec quelques matelots pour
puiser de l'eau à une fontaine. Deux sauvages annés en
guerre qui les aperçurent les prirent pour des ennemis et
menacèrent de tirer sur eux; mais les ayant reconnus pour
des Français, ils les accueillirent avec de grandes marques
d'amitié. Le lendemain, trois des principaux chefs du lieu,
vinrent à bord du navire, où ils furent fêtés. On leur servit
un repas de viande et de poisson. L'équipage fut fort sur-
pris et édifié de les voir faire fort dévotement leur prière et
le signe de la croix avant et après le repas. Tous ces sau-
vages portaient autour du cou des chapelets passés en ma-
nière de scapulaire, avec un petit reliquaire, cousu dans un
morceau de drap et de droguet.
« A la suite du festin, les trois chefs firent signe à Dière-
ville et à quelques autres officiers de les suivre à terre, et ils
leur montrèrent le monument funèbre élevé à l'abbé Thury,
en leur témoignant par des gestes expressifs l'extrême regret
qu'ils avaient de l'avoir perdu. De telles manifestations
passent les plus beaux éloges. L'abbé Thury avait fait
pénétrer la reconnaissance dans les cœurs les moins suscep-
tibles de ce sentiment ^. »
L'abbé Thur}^ avait consacré une partie des loisirs que lui
laissait son ministère à des écrits sur les langues sauvages,
qui malheureusement n'ont pas été consentes. Il avait, en
particulier, traduit en micmac les principaux offices litur-
giques qu'il avait habitué ses sauvages à chanter à l'église.
Ces chants avaient laissé une impression profonde dans l'âme
du voyageur Dièreville : « Je les ai, dit-il, plus d'une fois
entendus à la grand'messe et aux vêpres. Les voix des
femmes, particulièrement, étaient si douces et si touchantes
I. Les Sulpiciens en Acadie, p. 217.
i82 l'église du canada
que je croyais entendre les anges chanter les louanges de
Dieu. »
Dans son premier voyage en Acadie, M^ de Saint-Vallier
y avait introduit deux Sulpiciens, MM. Geoffroy et Trouvé.
M. Geoffroy n'y resta que quelques années, puis revint au
Canada. M. Trouvé, au contraire, y consacra la plus grande
partie de sa vie, et y finit ses jours comme M. Thury. Sa
vocation était pour les missions acadiennes ; et chose remar-
quable, il mourut à peu près au même endroit que M. Thury,
non loin de la ville actuelle de Halifax, sur une plage
perdue de la Nouvelle-Ecosse :
« Ce furent, dit l'abbé Casgrain, de pauvres pêcheurs qui
furent témoins des derniers moments du saint missionnaire,
de cet homme de Dieu qui aurait pu, s'il l'eût préféré, passer
toute sa vie sous le beau ciel de son pays, la Touraine, dans
la jouissance de quelques riches bénéfices ou d'un paisible
canonicat. Mais il aima mieux s'exiler dans les âpres soli-
tudes du Nouveau-Monde, pour y travailler péniblement et
obscurément au salut des âmes. »
Un autre Sulpicien, l'abbé Beaudoin, était mort, lui aussi,
en Acadie, quelques années auparavant, après avoir desservi
Beaubassin et exercé son zèle parmi les sauvages. Il accom-
pagna D'Il^erville dans sa fameuse expédition sur les côtes
de 1" Acadie, au fort Pemquid, et à Terreneuve; et il écrivit
sous forme de journal le récit de cette ex^^édition \ M.
Tronson estimait beaucoup l'abbé Beaudoin, dont il appré-
ciait le zèle et les éminentes qualités. Malheureusement la
santé lui faisait défaut ; les fatigues qu'il eut à endurer dans
l'expédition de Terreneuve achevèrent d'épuiser ses forces.
Il mourut à Beaubassin dans l'été de 1699. « C'est une perte
considérable pour le pays, écrivait ]M. de Belmont, supérieur
I. Nous avons publié ce journal en 1900: "Les Xonnands au Canada;
Journal d'une expédition de D'Iberville. publié avec une introduction
et des notes. Evreux, Imprimerie de l'Eure, 1900. "
sous M''"" DE SAINT-VALLIER 183
du séminaire de Montréal ^ ; car difficilement trouvera-t-on
un missionnaire si zélé, si accoutumé à la fatigue. » Et M.
Tronson : « C'était, dit-il, un bon ouvrier, dont la mort est
sans doute affligeante, mais qui ix)rte avec elle sa consolation,
puisqu'elle lui est arrivée les amies à la main et en servant
son bon Maître. »
Hélas ! M. Tronson, lorsqu'il traçait ces lignes, n'avait
plus lui-même que quelques semaines à vivre. Il mourut à
Paris le 26 février 1700, plein de mérites et de gloire devant
Dieu.
Condisciple de Frontenac, ami de M^ de Saint- Vallier, il
exerça sans doute une grande influence sur les destinées de
l'Eglise du Canada par ses sages conseils. Une grande
partie du bien qu'il fit à cette Eglise ne sera probablement
jamais connue que de Dieu. Mais la part importante qu'il
prit aux missions de la Nouvelle-France, en leur fournis-
sant de nombreux ouvriers évangéliques, ne doit-elle pas le
faire regarder, ainsi que M. Olier, comme l'un des grands
bienfaiteurs de l'Eglise canadienne?
« Son nom, dit l'abbé Casgrain, doit être associé à celui de
M^"" de Saint-Vallier dans le souvenir des Acadiens. Tous
deux ont été pour eux des bienfaiteurs qui ne doivent pas
être oubliés. L'abbé Leschassier, qui fut élu à la mort de
M. Tronson supérieur général de Saint-Sulpice, hérita de
ses vues et de sa charité en faveur de l'Acadie ; mais il pro-
fita de l'expérience de son prédécesseur. Il attendit des
temps plus calmes, plus de sécurité dans le pays pour y faire
de nouveaux essais ^. »
Il devait s'écouler dix-sept ans après la mort de M.
Trouvé, avant que l'Acadie revît de nouveaux Sulpiciens.
Les temps étaient mauvais. L'Acadie était devenue la proie
1. M. de Belmont succéda en 1701 à M. Dollier de Casson, décédé
l'année précédente.
2. Les Sulpiciens en Acadie, p. 211.
184 Iv'ÉGUSE DU CANADA
d'intraitables officiers civils, véritables vautours, dont la
mauvaise conduite détruisait l'œuvre de la prédication evan-
gélique. Il ne fallait pourtant pas la laisser sans mission-
naires: voilà pourquoi le séminaire de Québec redoubla
d'efforts pour lui en envoyer. Nous l'avons dit : il y eut, à
une époque, jusqu'à sept prêtres des Missions-Etrangères.
Le séminaire leur allouait à chacun au moins trois cents
livres. Ces bons missionnaires restaient en communication
constante avec l'Eglise de Québec, soit directement, soit
indirectement avec le procureur du séminaire, à Paris, M.
Tremblay, qui semble avoir rempli pour les missions aca-
diennes le rôle que l'abbé de l'Ile-Dieu exerça plus tard pour
celles de la Louisiane.
M. Gaulin succéda à M. Thury comme supérieur des mis-
sions de l'Acadie, et se fixa à Pentagouet, mission fondée par
M. Thury en 1697. Il y resta jusqu'à ce que les Jésuites
obtinrent de l'Evêque cette mission abénaquise.
Nous n'entrerons pas dans le détail des difficultés que les
missionnaires éprouvèrent de tout temps de la part des offi-
ciers civils de l'Acadie, des officiers subalternes, surtout; car
le gouverneur leur était généralement favorable. M. de
Brouillan rendait un jour ce beau témoignage à M. Mau-
doux : « Ce missionnaire est d'une vertu exemplaire, qui lui
attire la vénération et la confiance de tous ses paroissiens. »
M. de Subercase, également, prenait en toute occasion la
part des missionnaires, et spécialement de M. Gaulin. Il
s'apitoyait sur le sort de ce bon missionnaire des Micmacs,
qui n'avait pas de quoi vivre : « Le sieur Gaulin, disait-il,
aurait plus besoin de trois cents écus que les autres de cent,
parce qu'il n'a ni dîme, ni revenus, et qu'il est obligé de
faire une dépense considérable dans les fréquents voyages
nécessités par ses missions. . . »
Mais que d'obstacles rencontraient les missionnaires de
la part des officiers subalternes ! M. Tremblay écrivait à
sous M*'"" DE SAINT-VALUER 185
M*^ de Laval le 15 juin 1703 : « Je suis entièrement dégoûté
par le libertinage de ceux qui ont l'autorité (en AcadieJ : ils
sont plus écoutés, cependant, que de saints missionnaires
par ce ministre (Pontchartrain), toujours disposé à les pré-
férer à eux et à condamner les gens de bien, pour soutenir
l'autorité, en quelles que mains qu'il l'ait mise.
« L/'Acadie, ajoutait M. Tremblay, est en ce moment dans
un état où je ne saurais croire que Dieu ne la livre entre les
mains des Anglais, pour en punir ceux qui la gouvernent;
car ils sont peut-être moins ses ennemis que ceux qui se
disent catholiques et sont plus corrompus de mœurs que les
hérétiques ^. . . «
Paroles qu'on dirait vraiment prophétiques, puisqu'elles
étaient écrites juste dix ans seulement avant le traité
d'Utrecht, qui fit passer définitivement l'Acadie sous la
couronne britannique.
Lorsqu'arriva cet événement, que semble avoir prévu M.
Tremblay, il ne restait plus qu'un seul missionnaire séculier
en Acadie, l'abbé Gaulin; mais il demeura intrépide à son
poste. Nous l'y retrouverons plus tard, lorsque nous verrons
les Sulpiciens rentrer dans cette partie de la vigne du Sei-
gneur oij les avaient introduits M. Tronson et M^"" de Saint-
Vallier.
I. Cité par l'abbé Casgrain, dans Les Sulpiciens en Acadie, p. 255.
CHAPITRE XV
l'église du canada, de 1697 À 1700 (suite)
LES PAROISSES CANADIENNES
Après le Règlement de 1692. — La question des cures fixes. — Les huit
mille livres de supplément. — L'édit de 1679 et le patronage des
églises. — Le patronage donné à l'évéque par l'édit de 1699. —
L'abbé GeoflFroy, grand architecte du diocèse.
DEPUIS le Règlement de 1692, qui avait fait rentrer le
séminaire de Québec dans le droit commun, cette
institution n'avait plus à s'occuper des cures, ou du moins
elle ne s'occupait que de celles dont les titulaires étaient
encore ses membres. Les curés qui faisaient partie du sémi-
naire lui rendaient compte de leur revenu : qui aurait pu les
en empêcher? Seulement, ils ne restaient agrégés au sémi-.
naire que s'ils le voulaient bien. Pour les en détacher,
l'évéque avait demandé à la cour qu'il leur fijt défendu d'y
aller loger quand ils viendraient en ville ^ ; et c'est précisé-
ment pour leur donner l'hospitalité qu'il avait bâti son grand
évêché, qu'il appelait « la maison commune du clergé de
Québec et de Paris ». Mais il n'avait pas obtenu de la cour
ce qu'il demandait. Les curés ne pouvaient sans doute
s'absenter de leur poste sans sa pemiission ; mais la permis-
sion obtenue, ils pouvaient loger au séminaire et y rester au
moins quinze jours.
L'évéque était le distributeur des suppléments accordés
I. Edits et Ordonnances, t. I, p. 266.
l'église du canada sous m*"" de saint-vallier 187
par le roi aux curés qui en avaient besoin ; mais il devait en
donner une partie au séminaire pour ses propres mission-
naires.
Les cures de la campagne n'étant plus unies au séminaire,
étaient toutes à la disposition de l'évêque. C'est lui qui
devait pounoir à leur desserte, à la desserte de ces im-
menses missions qui avaient quelquefois vingt à vingt-cinq
lieues d'étendue. C'est lui que l'on tiendra désormais respon-
sable de l'exécution ou de la non-exécution du fameux édit
de 1679, imaginé par Frontenac pour créer des embarras
à M^ de Laval : édit par lequel les dîmes n'étaient dues qu'au
curé fixe, « à chacun des curés dans l'étendue de la paroisse
où il est et où il sera établi perpétuel », au curé, par consé-
quent, qui n'avait pas à s'absenter un dimanche ou deux par
mois pour aller faire l'office dans les missions, mais donnait
l'office régulièrement chaque dimanche à ses paroissiens.
On attendait beaucoup de M^"" de Saint-Vallier pour l'éta-
blissement de ces curés fixes. Mais il ne put faire mieux
que AP"" de Laval, parce qu'il ne pouvait faire l'impossible.
Il n'avait pas assez de prêtres pour en mettre partout où il
y avait quelques groupes de colons: et d'ailleurs qui les
aurait fait vivre? Les curés devaient donc laisser quelque-
fois leur paroisse pour aller donner la messe le dimanche à
quelque mission éloignée : de là des désordres dans les pa-
roisses ainsi abandonnées ; de là des plaintes : ces plaintes
allaient quelquefois jusqu'à la cour, puis revenaient de là au
gouverneur et à l'intendant, qui y répondaient de leur
mieux :
« Je solliciterai AL l'évêque de Québec à fixer les cures,
écrit Champigny, et à faire travailler aux bâtiments des
églises et aux presbytères. . . A l'égard des huit mille livres
que Sa Majesté accorde pour l'entretien des curés, il me
parait bien nécessaire de continuer cette gratification, si on
l88 L^'ÉGLISE DU CANADA
ne vent pas priver quantité de paroisses, où il y a très peu
de dîmes, de secours spirituels ^. . . »
« Pour ce qui concerne la fixation des cures, ajoute-t-il
l'année suivante, nous presserons M. l'évêque de satisfaire
Sa Majesté. . . Mais il ne faut pas espérer que les curés
puissent de sitôt subsister sans le supplément de huit mille
livres, à cause de la pauvreté de la plus grande partie des
paroisses "... »
On est vraiment étonné de l'insistance de la cour à revenir
à tout instant sur la fixation des cures et la desserte des
paroisses: comme si des hommes apostoliques de la trempe
des Laval et des Saint-Vallier avaient eu besoin de ces
recommandations pour exciter leur zèle ! N'allons pas croire
que ces dépêches de la cour n'avaient en vue que la gloire
de Dieu et le bien des âmes. En y regardant de prés, il est
facile de constater que ce n'était pas tant le zèle de la religion
qui faisait agir les ministres de Louis XIV, que le désir de
se libérer le plus tôt possible de l'engagement ciu'ils avaient
pris de donner des suppléments aux curés qui n'avaient
pas assez de dîme pour vivre. Quant aux huit mille livres,
quelle pitié de vouloir lésiner là-dessus! Après tout, cet
argent ne provenait nullement de la caisse personnelle du
roi, mais tout simplement du revenu de la colonie, c'est-à-
dire des droits payés d'une manière ou d'une autre par
l'habitant canadien, et dont on lui remettait quelque chose
sous forme de supplément pour l'aider à payer ses curés.
Le ministre ne cesse cependant, de revenir sur les huit
mille livres; mais le gouverneur et l'intendant, de lui ré-
pondre invariablement, chaque fois, de la même manière :
« Nous ne voyons aucune apparence de pouvoir de sitôt
retrancher les huit mille livres que le roi a la bonté d'accor-
1. Corresp. générale, vol. 15, Champigny au ministre, 26 août 1697.
2. Ibid., vol. 16, Champigny au ministre, 15 oct. 1698.
sous M'^'" DE SAINT-VALLIER 189
der pour partie de la subsistance des curés '. . . Le bien que
Sa Majesté fait de donner huit mille livres pour partie de
l'entretien des curés est si nécesaire, que s'il ne se faisait pas
il y aurait impossibilité absolue d'entretenir plus de huit ou
neuf curés ". . . On ne peut rien retrancher aux curés sur
cette somme de huit mille livres, n'étant pas même suffisante
pour la quantité de missionnaires qui desservent les cures
du pays. » Et cette fois le gouverneur et l'intendant
ajoutent: « On a été obligé, cette année (1702), d'augmenter
cinq cures, savoir, une au haut de l'île de Montréal, une
autre sous le titre de Saint-Laurent, et une troisième dans la
même île, sur le bord de la rivière des Prairies, une qua-
trième à l'île Jésus et La Chênaie, et la dernière dans la sei-
gneurie de Berthier, au-dessus du lac Saint-Pierre, tous ces
lieux étant établis depuis deux ans ; et si les habitants de ces
terres n'avaient pas la consolation d'avoir des curés, ils
déserteraient et n'y voudraient pas demeurer ^. »
A propos de ces nouveaux établissements, il y a dans une
dépêche de l'intendant quelques lignes qu'il nous semble
intéressant de citer ici :
« Les habitants, dit-il, qui se sont attachés à la culture des
terres, et qui sont tombés dans de bons endroits, vivent assez
commodément, trouvant des avantages que ceux de France
n'ont point, qui sont d'être presque tous placés sur le bord
de la rivière Saint-Laurent, où ils ont quelque pêche * : et
leur maison étant au milieu du devant de leur terre, qui se
1. Corresp. générale, vol. 17, Callières et Champigny au ministre,
20 oct. 1699.
2. Ibid., vol. 18, Callières et Champigny au ministre, 5 oct. 1700.
3. Ibid., vol. 20, Callières et Champigny au ministre, 3 nov. 1702.
4. " Pas d'anguilles, et beaucoup de dispositions à la misère. " {Jour-
nal des Jésuites, 1648). — "La pêche et la chasse fournissaient une bonne
partie des provisions de bouche. En 1646, la seule pêcherie des Jésuites,
à Sillery, avait donné quarante millions d'anguilles, dont une partie fut
vendue un demi-écu le cent. " ( Ferland, Notes sur les Registres de
N.-D. de Québec, p. 82.).
190 I^'ÉGUSE DU CANADA
trouve par conséquent derrière et aux deux côtés d'eux,
comme ils n'ont point à s'éloigner pour la faire valoir, et
pour tirer leur bois, qui est à l'endroit où se terminent leurs
terres, ils ont en cela de très grandes facilités pour faire
leurs travaux. . .
« Les hommes sont fort vigoureux, ajoute-t-il, mais sans
aimer le travail de durée et qui attache. Les femmes aiment
le faste, et sont excessivement paresseuses, aussi bien celles
de la campagne que celles des villes.
« On s'entresecourt les uns les autres tout d'une autre
manière qu'on ne fait en France \ . . »
La population de la colonie canadienne, à la fin du dix-
septième siècle, était tout au plus de seize mille âmes ^ :
c'était une augmentation d'environ quatre mille depuis le
commencement de l'épiscopat de M^'' de Saint-V allier.
Lorsque le Prélat arriva de France en 1697, la figure
extérieure de son Eglise n'avait guère changé depuis la
dernière visite qu'il en avait faite : quelques nouveaux éta-
blissements, çà et là, mais peu de nouvelles églises, de nou-
veaux presbytères. L'édit de 1679 semblait avoir été ima-
giné à plaisir pour mettre des entraves à tout ce que l'évêque
voulait entreprendre pour le développement et le bien de ses
paroisses. Voulait-il, par exemple, fixer la place d'une
église, délimiter une paroisse, réparer ou construire une
église ou un presbytère, il voyait arriver le seigneur de l'en-
droit, ou quelque autre personnage important, qui se pré-
sentait avec une foule de prétentions. Voici les termes de
l'édit par rapport à la construction des églises et au patro-
nage qui devait en résulter:
« Celui qui aumônera le fonds sur lequel l'église parois-
siale sera construite, et fera de plus tous les frais du
1. Corresp. générale, vol. 17, Champigny au ministre, 20 oct. 1699.
2. Garneau, Histoire du Canada, t. II, p. 22.
sous M*^ DE SAINT-VALUER ICI
bâtiment, sera patron fondateur de la dite église, présentera
à la cure, vacation advenant, la première collation demeu-
rant libre à l'ordinaire, et jouiront lui et ses héritiers en
ligne directe et collatérale, en quelques degrés qu'ils soient,
tant du droit de présenter que des autres droits honorifiques-
qui appartiennent aux patrons. . .
« Le seigneur de fief dans lequel les habitants auront per-
mission de faire bâtir une église paroissiale, sera préféré à
tout autre pour le patronage, pourvu qu'il fasse la conditiort
de l'église égale, en aumônant le fonds et faisant les frais
du bâtiment, auquel cas le droit de patronage demeurera
attaché au principal manoir de son fief et suivra le posses-
seur, encore qu'il ne soit point de la famille du fonda-
teur \ . . »
Voilà sans doute un édit magnifique sur le papier, et qui
aurait pu produire de grands résultats, s'ils s'était trouvé au
Canada beaucoup de seigneurs en état de s'en prévaloir.
Mais où étaient-ils les seigneurs canadiens qui fussent en
état non seulement de donner le terrain de l'église, mais
surtout de faire tous les frais de construction de cette église ?"
Et remarquons qu'il ne s'agissait pas ici de construction en
bois : la cour eut plus d'une fois occasion de décider qu'elle
n'admettait que des constructions en pierre ^. Plusieurs
aumônaient volontiers le terrain de l'église, et on les récom-
pensait ordinairement en leur accordant un banc dans cette-
église. Mais à part les séminaires de Montréal et de Qué-
bec ^ qui, en leur qualité de seigneurs, bâtirent plusieurs
1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 232.
2. Ibid., p. 279.
3. En 1721, le 22 septembre, M. Glandelet, supérieur du séminaire, et
MM. Boulard et Thibout. deux autres prêtres de cette maison,
s'adressent à Mgr de Saint- Vallier pour faire reconnaître leur droit de
patronage de deux églises en pierre que le séminaire de Québec a fait
bâtir " à ses dépens ", l'église de Saint-François de Sales de l'Ile Jésus,
et celle de Saint-Joachim. Ils demandent " ce droit de patronage con-
formément à l'article 6 de l'ordonnance de Sa Majesté de 1679", et
192 L EGUSE DU CANADA
églises en pierre dans leurs seigneuries, aucun seigneur
laïque ne fut jamais en état de le faire, ni par conséquent
devenir patron d'églises.
« Il n'y a personne en ce pays qui puisse non seulement
doter une église, mais même la faire bâtir solidement à ses
dépens, écrivait l'intendant Duchesneau. Tous les gens
sont ici remplis d'une grande vanité ; il n'y a personne qui ne
prétende être patron ; chacun veut un curé dans sa terre :
tous ces gens-là, cependant, sont fort endettés et dans la
dernière pauvreté. . . Il n'y a pas un particulier dans ce pays,
ajoute-t-il, qui se puisse mettre en devoir de faire bâtir des
églises, de quelque manière que ce soit. Ils diront assez
qu'ils le feront, mais il n'est pas en leur pouvoir de l'exé-
cuter \ . . »
On se ferait difficilement une idée des prétentions que
redit de 1679 ^^ autres arrêts du même genre avaient mises
dans l'esprit de certains seigneurs -, et des embarras qu'ils
opposaient à l'évêque pour l'organisation de ses paroisses
ou l'administration de son diocèse ^. « Il y a des seigneurs,
prient en même temps Mgr de Saint-Vallier d'ériger les dites églises
" en titre de paroisses perpétuelles ". L'évêque renvoie cette demande
à son promoteur, M. Pierre-René Le Boulanger de Saint-Pierre. Celui-
ci fait une visite sur les lieux, et donne un rapport favorable le 15
septembre. Puis le 18 du même mois l'évêque émet un décret
d'érection en titre de ces paroisses. (Archives de l'évêché de Québec,
Registre C).
1. Corresp. générale, vol. 5, Duchesneau au ministre, 13 nov. 1681.
2. A Beauport, le seigneur, en quête de prétendus droits honori-
fiques, s'était mis dans la tête de se faire encenser durant la messe
comme le gouverneur. L'évêque étant alors absent du diocèse, le
curé, M. Didier Calon, laissé à ses seules lumières, et ne sachant
comment s'opposer à une pareille exigence, avait pris le parti de ne
pas se faire encenser lui-même. On ne pouvait guère pousser plus loin
le renoncement !
3. Mgr de Saint-Vallier ayant voulu un jour séparer en deux la
paroisse de la Grande-Anse (Sainte-Anne), pour en unir une moitié à
la Rivière-Ouelle, et l'autre moitié à la Grande-Pointe, le seigneur
D'Auteuil s'y opposa et présenta un mémoire à la cour, dans lequel il
faisait valoir le fait que ses enfants avaient donné à l'église quelques
vases d'argent, et que lui-même avait fait la dépense de faire peindre
sous M*" DE SAINT-VALIJKR I93
écrivait un jour le gouverneur au ministre, qui ne veulent
pas soutïrir qu'on leur change leurs églises des places où
elles ont été anciennement bâties \ »
A la vue des embarras sans nombre que lui causait l'édit
de 1679 pour l'organisation des paroisses, la construction, la
réparation et l'entretien des églises, M^"" de Saint-Vallier
sollicita la permission de bâtir lui-même les édifices reli-
gieux qu'il jugerait nécessaires ; et il obtint un arrêt du Con-
seil d'Etat, en date du 27 mai 1699, que nous allons citer à
cause de son importance:
« Sur la requête présentée au roi, étant en son Conseil,
par le sieur évêque de Québec, contenant que Sa Majesté a
ci-devant accordé aux particuliers auxquels il a fait des con-
cessions de fiefs dans la Nouvelle-France, le patronage des
églises de ces fiefs, à condition de les faire bâtir de pierre,
mais que la plupart de ces particuliers n'ont fait jusqu'à
présent auame diligence pour profiter de la grâce que Sa
Majesté a bien voulu leur faire, mais même ont empêché que
le dit sieur évêque qui, dans le droit naturel, doit être pré-
féré à tous autres pour faire faire des églises, ne les ait fait
bâtir, tantôt sur des prétextes qu'ils les feront faire inces-
samment eux-mêmes, et tantôt sur les lieux qu'ils veulent
choisir pour des paroisses, ce qui est contraire aux pieuses
intentions de Sa Majesté, ce qui cause que le service divin
ne se fait pas avec la décence qui est due. et que les habitants
ne reçoivent les secours spirituels dont ils ont besoin ;
à Paris " un très beau tableau de sainte Anne ", destiné à être placé au
retable de l'autel. " Il y a, ajoutait-il, un concours considérable à la
fête de sainte Anne, et même pendant le cours de l'année. " Et réfutant
l'objection que la paroisse ne fournissait pas assez pour le soutien du
prêtre: "Dans cet endroit, ajoutait-il, un curé vit quasi pour rien,
parce qu'étant éloigné de dix-huit lieues de la ville, les habitants ne
se donnent pas la peine d'y porter leurs volailles, et qu'il y a une grande
abondance de bétail, sans compter la pêche et la chasse." (Arch. de
l'évêché de Québec, Documents de Paris. Kglise du Canada, t. I, p. 67).
I. Corresp. générale, vol. 20, Callières au ministre, 3 nov. 1702.
194 Iv'ÉGLISE DU CANADA
« A quoi étant nécessaire de pourvoir. Sa Majesté étant en
son Conseil, a ordonné et ordonne que le dit sieur évêque
pourra faire bâtir des églises de pierre dans toutes les pa-
roisses et fiefs de la Nouvelle-France, où il n'en a pas été
fait jusqu'à présent, dans les lieux qui seront estimés les
plus convenables pour la commodité des habitants, au moyen
de quoi le patronage lui en appartiendra, sans cependant
qu'il puisse empêcher les seigneurs des dites paroisses et
fiefs, qui en auront commmencé, de les achever, ni même
ceux qui auront amassé des matériaux, de les construire,
lesquels jouiront du patronage des églises comme ils au-
raient fait avant le présent arrêt ^. »
Libre, désormais, de bâtir des églises partout où il le
jugerait nécessaire, sans s'occuper de plaire ou de déplaire
à tel ou tel seigneur, ^M^"" de Saint- Vallier se mit résolu-
ment à l'œuvre, utilisant les services d'un homme précieux,
dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, et qui en peu
d'années fit un bien immense dans son diocèse. Il confia à
l'abbé Geoffroy la desserte de deux missions, unies en-
semble, Champlain et Batiscan, et il le nomma en même
temps son vicaire général pour toutes les paroisses rurales
de son diocèse, avec privilège d'y pouvoir séjourner quand il
le voudrait, autant qu'il le jugerait à propos, pour y cons-
truire les presbytères et les églises ; et il mit une partie de ses
grands biens à sa disposition. Alors commença pour l'infa-
tigable curé de Champlain et de Batiscan une période d'acti-
vité, de travaux et de voyages, durant lesquels il ne négligea
rien pour répondre à la confiance illimitée de son évêque '.
Il travailla ainsi comme grand architecte du diocèse jus-
qu'à la fin de sa vie. Après avoir bâti en pierre l'église de
Champlain, il construisit de même celle de Sorel. de
1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 279.
2. Les Siilpiciens en Acadie, p. 80.
sous M^'' DE SAINT-VALI.IER 195
Contrecœur et d'autres. Comme il était Sulpicien, nul cloute
qu'il s'occupa de l'organisation des paroisses qui se for-
mèrent vers ce temps-là dans la seigneurie des messieurs de
Saint-Sulpice. du côté de Montréal. Grâce aux travaux de
l'abbé Geoffroy, la face du diocèse, sur plusieurs points, prit
un aspect des plus favorables.
Ne voyant rien de plus utile pour sa paroisse de Chani-
plain que d'y rétablir la mission que les Sœurs de la Congré-
gation y avait eue autrefois, il leur fit construire une maison
à ses frais, et obtint de la Sœur Marguerite Le Moine, alors
supérieure, deux de ses Sœurs pour cette mission. Comme
le pays était pauvre et qu'elles n'auraient pu y subsister par
le travail de leurs mains, il s'imposa toutes sortes de priva-
tions pour les soutenir, portant le renoncement jusqu'à
engager pour elles tout ce qu'il possédait au Canada, et
même à vendre ses livres, ses meubles et sa pendule :
« J'ai rendu compte au roi, lui écrivait le ministre, des
écoles que vous avez établies tant au Canada qu'en Acadie,
pour l'instruction de la jeunesse, et de la dépense que vous
avez faite pour l'église de Champlain, et pour la maison que
vous avez fait bâtir pour une congrégation de Filles. Sa
Majesté m'a paru fort satisfaite de votre zèle pour la religion
et pour son service. J'écris à M. Raudot, intendant, de vous
aider en ce qu'il pourra, et de me faire savoir la dépense que
vous avez faite, afin de pouvoir vous procurer quelque grâce
de Sa Majesté \ »
M. Geofïroy était bien digne, en effet, d'en recevoir quel-
qu'une pour subvenir à ses propres besoins : il avait dépensé
en constructions plus de huit mille livres. Mais il n'eut pas
le temps de profiter de la bonté du roi : avant la fin de
l'année (1707), il alla mourir saintement à l'Hôtel-Dieu
I. Lettre du ministre à M. Geoffroy, 30 juin 1707, citée par M.
Faillon dans la Vie de ta Sœur Bourgeois, t. II, p. 172.
196 l'église du canada
de Québec, sans avoir même la consolation d'être assisté
dans ses derniers moments par son évêque, qu'il avait servi
avec tant de dévouement, mais qui se trouvait alors absent
du pays^.
Le grand-vicaire de Québec, M. de la Colombière, ayant
écrit au supérieur de Saint-Sulpice, à Paris, pour lui ap-
prendre sa mort, celui-ci lui répondit:
« Nous avons bien regretté M. Geoffroy. Le bien que
vous me mandez de lui nous le fait encore plus regretter. Je
crois que ce cher défunt jouit maintenant de la récompense
de ses travaux et de ses souffrances. »
I. Les Sulpiciens en Acadie, p. 78-82.
CHAPITRE XVI
l'ceuvre pastorale de m^ de saint-vallier
DE 1697 À 1700
Mgr de Saint- Vallier renouvelle l'ordonnance de son prédécesseur
contre le Luxe. — Les offices de paroisses. — Devoirs des fidèles
envers leurs curés. — Le 3e Synode de Québec. — Mgr de Saint-
Vallier et les Religieux. — Le 4e Synode. — Dernier mandement
avant de partir pour la France.
MGR de Saint-V allier, aussi bien que M^ de Laval, n'avait
rien de plus à cœur que de voir s'élever partout dans
son diocèse des églises dignes du culte divin, propres, bien
entretenues, solides et durables. Pour encourager la cons-
truction de ces édifices en pierre, et pour inspirer aux fidèles
un plus grand respect pour leurs églises, il avait résolu de
consacrer toutes celles qui seraient en pierre, dans les villes
et à la campagne \ Son départ précipité pour l'Europe en
1700 lui fit remettre à plus tard l'exécution de ce projet; et
nous croyons qu'il ne le réalisa jamais: nous n'en voyons,
du moins, mention nulle part.
Mais les temples matériels ne sont que la figure des tem-
ples spirituels, qui sont les personnes des Chrétiens ; et ce
sont surtout ces temples spirituels, consacrés à Dieu par les
sacrements, que notre Prélat aurait désiré voir toujours
dignes de la majesté de Dieu qui les habite. De là le soin
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 395.
198 Iv'ÉGLISE DU CANADA
vigilant avec lequel il s'efforce de les préserver de toute
souillure, puis de les embellir par tous les ornements de la
vertu. De là ses ordonnances si sages contre le luxe, la
vanité, les toilettes immodestes des personnes du sexe, qu'il
regarde comme une source de scandales et une occasion
dangereuse de contagion pour les âmes des chrétiens. En
voyant le pieux Prélat revenir si souvent sur ce sujet dans
ses ordonnances, on ne peut douter qu'il n'y eiît là un mal in-
vétéré dans beaucoup de familles, parmi nos ancêtres. Et
n'allons pas croire qu'il y eût exagération, de sa part. Les
documents de l'époque s'accordent à reconnaître cet amour
du luxe, du faste et de la vanité chez un grand nombre de
femmes canadiennes : « Tous les gens sont ici remplis d'une
grande vanité, » écrit Duchesneau ; et Champigny : « Les
femmes aiment le faste, aussi bien celles de la campagne
que celles des villes. »
M^'' de Laval, qui montra toujours tant de pondération et
de sagesse dans ses décisions, et qui, au témoignage de
Marie de l'Incarnation, « ne faisait rien qu'avec prudence »,
se vit un jour obligé de lancer un mandement très sévère
« contre le luxe et la vanité des femmes et des filles dans
l'église ^ ».
Après avoir rappelé dans ce mandement les écrits des
Pères et des Docteurs de l'Eglise contre le luxe et la vanité
des femmes, les parures mondaines et criminelles, qui sont
l'occasion d'une infinité de péchés, après avoir rappelé les
châtiments dont Dieu punit quelquefois ceux qui s'en rendent
coupables, M^ de Laval ajoute :
« Que si ces vaines parures déplaisent si fort à Dieu, et
s'il en prend une si rude vengeance, de quel crime ne se
rendent pas coupables, et quelle punition ne doivent pas
attendre celles qui portent cet appareil fastueux jusque dans
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 106.
sous M''"" DE SAINT-VALLIER 199
nos églises, paraissant dans ces lieux consacrés à la prière et
à la pénitence avec des habits indécents, faisant voir des
nudités scandaleuses de bras, d'épaules et de gorge, se con-
tentant de les couvrir de toile transparente, qui ne sert bien
souvent qu'à donner plus de lustre à ces nudités honteuses, la
tête découverte,. . . et les cheveux frisés d'une manière in-
digne d'une personne chrétienne. . .
« Ce qui est encore plus criminel devant Dieu, ajoute-t-il,
c'est qu'il se trouve des filles et des femmes qui osent s'appro-
cher des sacrements, présenter le pain bénit, venir à l'of-
frande, et faire la quête dans l'église, en cet état indécent, ce
qui ne va pas seulement à la profanation de nos mystères, et
au mépris de nos plus saintes cérémonies, mais encore au
grand scandale des fidèles, dont les uns ne peuvent voir ce
dérèglement sans indignation, et les autres, étant plus faibles,
sans un grand préjudice à leur salut. >»
M^"" de Laval défend ensuite « à toutes filles et femmes,
de quelque qualité et condition qu'elles soient, de s'appro-
cher des sacrements, présenter le pain bénit, venir à l'of-
frande et faire la quête dans les églises, dans les manières
indécentes » qu'il vient de spécifier. Il défend à tous les
curés de son diocèse « de les recevoir en cet état ». II
défend « à tous les autres prêtres tant séculiers que réguliers
de les recevoir aux sacrements » : puis il ordonne que son
mandement soit lu et publié partout au prône, et affiché à
la porte des églises.
A son retour d'Europe, dans l'été de 1697, M^^ de Saint-
Vallier s'informe de ses grands vicaires des abus qui ont pu
s'introduire dans son diocèse pendant son absence : on lui en
signale six, en particulier ; et parmi ces abus, l'un des plus
graves, c'est le luxe et la vanité, contre lesquels il a déjà eu
occasion de s'élever bien des fois. Il renouvelle alors tout
ce qui a été réglé à ce sujet par son prédécesseur dans son
mandement du 26 février 1682; puis il ajoute:
200 LEGUSE DU CANADA
«Quoiqu'il soit difficile de décider jusqu'oîi l'on peut aller
dans cette matière sans pécher mortellement, il n'y a rien
cependant de plus aisé que de se perdre quand on est dans la
disposition de vouloir être vaine autant qu'on le peut sans
pécher mortellement. . . Il y a peu de personnes, ajoute-t-il,
à qui la vanité ne soit une occasion de regards ou de paroles
impudiques. Il y en a peu que la vanité n'expose à entendre
des discours contre l'honneur et à souffrir même des
libertés criminelles. La vanité ouvre toutes les portes de
l'âme, c'est-à-dire tous les sens, au démon de l'impureté.
Une femme vaine se trouve tous les jours dans des compa-
gnies oij l'on attaque la pudeur par les yeux, par les oreilles,
par la bouche, par l'imagination et par tous les sens, sa
vanité étant un signal pour tous les impudiques de s'appro-
cher d'elle.
« Que les confesseurs, ajoute-t-il encore, ne se contentent
pas que leurs pénitentes soient habillées modestement quand
elles sont dans l'église ou qu'elles s'approchent des sacre-
ments, mais qu'ils s'informent encore comment elles sont
chez elles; car nous avons su que plusieurs femmes et filles
ne se font point de scrupule d'avoir la gorge et les épaules
découvertes, quand elles sont dans leur maisons, et nous en
avons nous-même rencontrées en cet état. Nous leur
défendons expressément d'absoudre les filles et les femmes
qui porteront la gorge et les épaules découvertes, soit dedans,
soit dehors leurs maisons, ou qui ne les auront couvertes
que d'une toile transparente \ »
Un autre abus signalé au Prélat, c'est la « liberté que se
donnent les jeunes gens de proférer des paroles déshonnêtes
et à double entente, qui causent dans les mœurs une corrup-
tion universelle. C'est un abus, dit-il, qu'on doit tâcher de
I. Mand des Ev. de Québec, t. I, p. 365.
sous M*-*^ DE SAINT-V ALLIER 20I
déraciner, se comportant avec eux comme avec des impu-
diques d'habitude et des scandaleux ».
Le troisième abus contre lequel il s'élève, et qu'il a déjà
dénoncé en maintes occasions, c'est l'usure. Quelles que
soient les modifications que le temps et les circonstances ont
apportées dans nos idées sur l'argent et la valeur de l'argent,
l'usure en elle-même, dans la vraie signification du mot, est
un crime et sera toujours un crime. On admettait alors moins
facilement qu'aujourd'hui que l'on piit retirer le moindre in-
térêt de son argent: mais aujourd'hui, comme autrefois,
l'usure proprement dite est en horreur non seulement chez les
esprits chrétiens, mais chez tous les hommes bien pensants.
Quelle reconnaissance ne doit-on pas à notre pieux Prélat
pour avoir fortement inculqué dans l'âme de nos ancêtres les
principes d'honnêteté et de justice qui ont fait de notre
peuple, au moins dans le passé, un des plus honnêtes du
monde !
C'est aussi aux enseignements répétés de M^ de Saint-
Vallier qu'il faut attribuer le grand attachement du peuple
canadien pour les offices de paroisse. Il n'y a pas de sujet
sur lequel il revienne plus souvent dans ses mandements,
dans ses synodes, dans ses ordonnances, s'appuyant toujours
sur le saint concile de Trente, et sur saint Charles Bor-
romée, qu'il considère comme un de ses interprètes les plus
autorisés. Il ne prétend pas sans doute que celui qui entend
une autre messe que la messe paroissiale ne satisfait pas au
précepte; mais que devient pour lui l'obligation de s'instruire
de sa religion? et qu'aura-t-il pour suppléer au prône de sa
paroisse, s'il n'y assiste pas? Quoi de plus beau, d'ailleurs,
quoi de plus fortifiant que ce concours régulier des parois-
siens qui, le dimanche, de près et de loin, prennent le chemin
de l'église paroissiale et s'y réunissent pour prier tous en-
semble Celui qui est le Dieu de tous, grands et petits, pauvres
et riches, savants et ignorants !
202 L EGLISE DU CANADA
M^ de Saint-Vallier n'est nullement opposé aux congréga-
tions, aux saluts, aux prédications qui ont lieu dans les autres
églises : il est trop pieux lui-même pour ne pas encourager
la piété, de quelle que manière et en quel que lieu qu'elle se
manifeste. Mais avant tout, les offices paroissiaux. Il veut
que ces assemblées de congrégations, ces saluts, ces prédica-
tions ne nuisent en rien aux offices de la paroisse : il fixe des
jours, des heures, où ces dévotions non paroissiales auront
lieu, et pas autrement. On murmure, on se plaint : il n'en a
cure; il tient à ses règlements, et réussit à établir la belle
organisation paroissiale dont nous jouissons encore. Un reli-
gieux de Montréal écrit à un de ses frères, en France :
« Notre congrégation ne se tient plus, qui avait plus de cin-
quante congréganistes. Notre évêque a ordonné qu'on ne
ferait point de congrégation le dimanche au matin. Nous
avions coutume de faire tous les jeudis les saluts du saint
Sacrement: M. l'évêque ne nous en a laissé que deux par
mois, et a donné les autres à MM. de Saint-Sulpice \ » Quoi
de plus juste, pourtant, que de partager ces saluts entre la
Paroisse et l'église des Jésuites, étant donné surtout le petit
nombre d'habitants qu'il y avait alors à Montréal? Et quant
aux congrégations, le Prélat s'explique lui-même à ce sujet :
« Nous sommes parfaitement convaincu par l'expérience
d'un grand nombre d'années, qu'étant donné le petit nombre
d'habitants qui se trouvent dans les villes, ils ne peuvent pas
assister en même temps en plusieurs églises, et revenir au
service de leur paroisse, pour entendre la parole de Dieu qui
y est prêchée pendant la grand'messe les jours de dimanches
et de fêtes, lorsqu'ils ont été en quelque autre dévotion, à
cause du froid extrême qu'il fait durant l'hiver en ce
diocèse. Nous sommes obligé de déclarer que notre inten-
tion est qu'on ne commence point de prédication en aucune
I. Rel. des Jésuites, édition Burrows, t. 64, p. 118.
sous M*^*" DE SAINT-VALLIER 203
église, qu'après que celle qui se fait en notre église cathé-
drale sera achevée ; et que l'on n'en fera point à Québec et à
Villemarie dans les églises des communautés religieuses de
l'un et de l'autre sexe qu'après celles qui se font dans les
paroisses.
« Que si nous voulons bien donner une dispense de cette
règle en faveur des deux congrégations qui se tiennent aux
Jésuites à Québec et à Villemarie, parce que depuis quelque
temps ceux qui les conduisent ont grand soin de la com-
mencer de bonne heure et de la finir de même, et engagent
par leurs exhortations les congréganistes d'être fidèles à
leur paroisse, notre intention cependant est que ce règle-
ment rentre dans sa vigueur dès aussitôt qu'on cessera d'ap-
porter la diligence requise et de maintenir les congréganistes
dans le respect et l'assiduité qu'on doit à la Paroisse \ »
M^ de Saint- Vallier a été le grand apôtre de la Paroisse,
de la messe paroissiale, des offices paroissiaux. Il avait,
pour ainsi dire, le culte de la Paroisse, la regardant comme
un des meilleurs soutiens de la religion ; et il réussit à incul-
quer ce culte dans l'âme de ses diocésains. Oui ne se sou-
vient, par exemple, que dans la grande ville de Montréal, à
une époque qui n'est pas encore très éloignée, alors qu'il y
avait déjà plusieurs autres paroisses, les fidèles, cependant,
quand ils voulaient parler de l'église Notre-Dame, disaient
tout simplement: «la Paroisse». C'était leur église-mère,
l'église où leurs ancêtres avaient été baptisés, c'était encore,
pour ainsi dire, « leur paroisse ».
« L'obligation d'assister aux messes de paroisse tous les
dimanches, écrit M^ de Saint- Vallier, et d'entendre les ins-
tructions qui s'y font, est si ancienne et si bien établie, qu'on
peut dire qu'il n'y a guère de point de discipline sur lequel
l'Eglise se soit expliquée depuis longtemps, plus souvent
I. Mand. des Bv. de Québec, t. I, p. 407.
204 Iv EGLISE DU CANADA
et plus précisément. Le grand saint Charles Borromée, qui
entendait parfaitement les décrets du saint concile de Trente,
n'a rien recommandé plus fortement aux peuples de son dio-
cèse et de sa province de Milan. Il en a dressé une formule
dans son troisième concile provincial qu'il a fait publier dans
les églises de sa province. Comme ce règlement est plein de
l'Esprit de Dieu, et qu'il épuise cette matière, nous ordon-
nons à tous les curés des paroisses, des villes et du voisinage
d'en faire la lecture une fois chaque année, savoir le premier
dimanche de l'Avent avant le prône, pour donner une juste
idée aux paroissiens de leurs obligations envers leur paroisse.
« Nous défendons aux Réguliers de détourner nos diocé-
sains de leurs paroisses directement ni indirectement dans
les exhortations ou conversations particulières : ils les invi-
teront au contraire d'y être assidus. . . »
Jamais les curés n'eurent de plus grand défenseur de leurs
droits, de leurs privilèges, de leur autorité, que M^ de
Saint- Vallier :
« Nous conjurons, dit-il, tous les confesseurs séculiers et
réguliers de garder de grands ménagements de charité avec
les curés et missionnaires chargés, par leur emploi, du soin
des âmes de leur paroisse, ne jugeant point convenable, con-
formément à la conduite de saint Charles, qu'ils reçoivent
au sacrement de pénitence et qu'ils accordent l'absolution à
ceux qui n'en seraient pas trouvés dignes par leurs pasteurs,
ou qui feraient paraître contre eux une résistance ouverte et
publique; auquel cas nous les invitons de nous les renvoyer,
ou à nos grands vicaires, afin que nous examinions leurs
raisons, ou les fondements des peines et des plaintes qu'ils
pourraient avoir, pour y apporter des remèdes convenables.
« Nous recommandons, dit-il encore, à tous les fidèles de
notre diocèse d'avoir beaucoup de respect, d'obéissance et de
soumission pour leurs curés et pasteurs. Nous leur adres-
sons pour cela ces belles paroles de saint Paul, que nous leur
sous M""" DE SAINT-VALLIER 205
remettons souvent devant les yeux : <* Nous vous prions,
mes Frères, dit cet apôtre, de considérer beaucoup ceux qui
travaillent parmi vous, qui vous gouvernent selon le Sei-
gneur, d'avoir pour eux une vénération particulière, vous
conduisant de manière qu'ils puissent s'acquitter avec joie
de leurs devoirs, en ne les contristant point par des contra-
dictions importunes, de peur que les obligeant de gémir sous
le poids de leur charge, cela ne vous empêche de retirer
l'avantage que vous devez espérer de leur application et de
leur travail. «
Une des choses qui contristent le plus un curé, c'est de voir
ses paroissiens insensibles à ses avertissements, mépriser sa
parole, sortir de l'église avant ou pendant ses instructions,
ajoutant ainsi l'injure à une conduite irréHgieuse C'est un
des abus signalés au Prélat, contre lequel il cherche à réagir
dans son ordonnance :
« C'est un abus intolérable, dit-il, qui existe dans certaines
paroisses, de sortir du prône qui se fait durant la messe. Ce
mal, que l'on peut regarder comme la plus grande marque
d'irréligion qu'on puisse donner, mérite que les curés et
autres confesseurs agissent à l'égard de ceux qui y tombent
plusieurs fois, comme à l'égard des scandaleux publics aux-
quels on doit refuser non seulement l'absolution, mais même
la communion. »
Enfin, un dernier abus que le Prélat s'attache à combattre,
c'est la mauvaise sanctification des dimanches et des fêtes. Il
ordonne que l'on s'oppose de toutes ses forces aux voyages,
ventes et achats qui se font ces jours-là « sans nécessité et
sans permission de l'Eglise ». Il défend aux confesseurs
d'absoudre les coupables « sans les obliger d'aller trouver
leurs curés pour leur promettre de ne plus retomber ».
« Si l'on en doit user ainsi, ajoute-t-il, à l'égard de ceux
qui font des travaux corporels, quels sentiments doit-on
avoir de ceux qui passent tous ces saints jours en ivrogneries,
2o6 Iv^ÉGLISE DU CANADA
danses, jeux et autres divertissements criminels, et qui
croient avoir pleinement satisfait à leurs obligations, en
entendant une messe basse, souvent dans des postures fort
indécentes, l'esprit et le cœur tout remplis de l'idée et de
l'affection des choses du monde ! ^ »
Pour bien réussir dans la bonne administration de son
diocèse, M^ de Saint-Vallier, tenait à avoir le concours de
ses prêtres. Il avait déjà tenu deux synodes : il en convoque
encore deux autres, de 1697 à 1700, pour leur soumettre ses
ordonnances, les y faire souscrire, et en mieux assurer ainsi
l'exécution.
Le saint concile de Trente, dans le chapitre deuxième de
la session vingt-quatrième, recommande aux évêques de tenir
chaque année un synode diocésain: Synodi diœcesaïur quo-
tannis celehrentur. M""" de Saint-Vallier convoqua son troi-
sième synode le 23 février 1698 et il se tint à l'évêché le 27 du
même mois. Y assistaient, avec l'évêque, ses deux vicaires
généraux Glandelet et Montigny ^, puis le supérieur du sémi-
naire, Ango de Maizerets, le P. Bruyas, supérieur des
Jésuites, le P. Joseph Denis, supérieur des Récollets et le
P. Georgené, MAI. de Bernières, Germain Morin, Amador
Martin, Buisson de Saint-Cosme, Etienne Le Vallet, Jean
Pinguet, curé de Beaumont, Nicolas du Bos, Philippe
Boucher, curé de Saint- Joseph de Lévis, Joseph de la Co-
lombière, François Dupré, curé de Québec, Etienne Bou-
lard, curé de Beauport, puis un certain nombre de Récollets
et de Jésuites, portant en tout à trente-trois le nombre des
membres du synode. Tous, conformément au mandement
de convocation, s'étaient préparés par la prière et les bonnes
œuvres à cette sainte assemblée, « si propre à entretenir le
1. Matid. des Ev. de Québec, t. I, p. 361, 371, 308.
2. Montigny, à cette date, n'était pas encore parti pour la mission
des Tamarois.
sous M^ DE SAINT-V ALLIER 207
culte (le Dieu, à conserver, à rétablir et perfectionner la
discipline ecclésiastique » \
Le synode tint trois séances : dans les deux premières, on
adopta vingt-deux statuts ; dans la troisième on y fit quelques
« additions ».
La plupart des statuts du troisième synode ne sont que le
renouvellement et la confirmation des ordonnances de
révêque déjà publiées. Quelques-uns cependant sont des
règlements nouveaux, comme par exemple celui qui défend
de dire la sainte messe hors des églises ou chapelles du dio-
cèse, excepté dans les cas d'absolue nécessité ; celui qui rap-
pelle aux pasteurs l'obligation de faire le catéchisme à leurs
ouailles, et leur recommande de le faire « avec celui que nous
faisons imprimer, dit le Prélat, et auquel nous désirons que
tout le monde s'arrête » ; celui qui leur recommande de tenir
des registres exacts des Baptêmes, Mariages et Sépultures,
et, à défaut des calendriers et des Ordos qui n'existaient pas
encore, d'avoir toujours une feuille des Fêtes et des jeûnes
commandés dans ce diocèse, une feuille des cas réservés au
pape et à l'évêque, une feuille des cas où il faut refuser
l'absolution, et une feuille des pratiques de piété à con-
seiller aux familles.
Il y a un des statuts du troisième synode qui fait voir
combien l'évêque s'occupait de tout ce qui pouvait intéresser
le culte divin dans les paroisses de la campagne. Ces pa-
roisses, généralement pauvres, n'avaient pas le moyen de
payer les chantres pour les grand'messes, ni même de leur
donner des surplis. L'évêque veut qu'on leur donne au
moins une place privilégiée, une place à part dans l'église, et
que « quoique non revêtus de surplis, ils jouissent de la pré-
rogative de recevoir le pain bénit et l'eau bénite, même
devant les margiu'lliers ». Qui, parmi les anciens, ne se
I. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 367.
2o8 l'éguse du canada
rappelle, en efifet, cet endroit, généralement entouré d'une
grille élégante, dans le bas chœur des églises de la campagne,
oij se mettaient les chantres? Ils étaient fiers de cette place
qui leur était réservée ; ils étaient fiers de chanter à l'église.
Les églises ne manquaient jamais de chantres; et il y en
avait souvent parmi eux qui savaient le plain-chant d'une
manière remarquable.
Un autre statut du troisième synode recommandait de
mettre des bancs dans les églises pour procurer aux fabriques
un certain revenu. Un autre recommandait aux curés d'avoir
autant que possible dans leurs paroisses un couvent des
Sœurs de la Congrégation.
Le Prélat faisait un devoir à tous ses prêtres, à tous les
confesseurs, de lire au moins une fois par année ses ordon-
nances, pour s'y conformer avec soin. Mais il paraît qu'un
certain nombre ne tenaient pas compte de ses recommanda-
tions. Il s'en plaint dans le quatrième synode qu'il tient à
Québec, encore dans son évêché, le 8 octobre 1700, peu de
jours avant son départ pour l'Europe:
« Le peu d'exactitude, dit-il, qu'on a eu jusqu'ici à ob-
server nos ordonnances et nos statuts synodaux, nous con-
vainquant du peu de soin que l'on a eu de s'en instruire, et
de se regarder comme obligé de les suivre, nous engage de
représenter vivement à tous les curés, prêtres, confesseurs
séculiers et réguliers de ce diocèse, l'obligation indispensable
que nous leur imposons de la part de Dieu, de les lire et de
les pratiquer, surtout en ce qui regarde l'administration des
sacrements de pénitence et d'eucharistie, que nous appré-
hendons avec beaucoup de fondement n'être pas dispensés
au poids du sanctuaire \ »
Le reproche était grave, et dénotait un état de choses dé-
plorable : d'un côté, un Prélat pieux et zélé, rempli de bonnes
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 390.
sous M^' DE SAINT-VALLIER 209
intentions, s'efforçant d'établir dans son diocèse une belle
discipline ecclésiastique; de l'autre, un certain nombre de
prêtres qui ne tiennent pas compte de ses ordonnances et
critiquent sa conduite.
Nous avons déjà cité quelques lignes d'une lettre d'un
religieux de Montréal au sujet de M^ de Saint- Vallier :
« Nous sommes ici, ajoutait-il, à démêler bien des choses
avec notre évêque. Il a établi les approbations limitées. . . Il
a ôté les communions générales. Il veut qu'on refuse la
communion sans aucune raison, si ce n'est que les commu-
nions sont trop fréquentes. . . Il a publié douze cas réservés ;
il n'y en avait qu'un dans ce diocèse : mais il allègue que dans
son dernier voyage en France, les évêques lui ont dit que
c'était inouï qu'un diocèse fût sans cas réservés: sur cette
raison, il en a mis douze. . . Cet évêque, qui est si zélé, n'a
jamais osé ouvrir la bouche encore pour bannir l'ivrognerie
de son diocèse ^. »
Ceci nous semble bien injuste à l'égard d'un prélat qui
ne faisait pas un mandement, pas une ordonnance, sans y
introduire quelque passage contre l'ivrognerie. Et pour la
communion, on sait déjà qu'il profitait de toutes les occasions
pour recommander de communier fréquemment, et au moins
une fois tous les mois ".
L'auteur de la lettre que nous venons de citer la terminait
par une comparaison entre M^ de Saint- Vallier et son prédé-
cesseur :
« Son prédécesseur, qui voit tout cela, dit-il, est un saint
homme, M. de Laval, et dit avoir été bien trompé quand il
s'est démis de son évêché en faveur de celui qui, contre son
espérance, nous tourmente et ne prend à tâche que d'humi-
lier les religieux. »
1. Rel. des Jés., édit. Burrows. t. 64, p. 118.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 184, ^2.
14
2IO I^^'ÉGUSE DU CANADA
Il est probable que M^ de Saint-Vallier, tout en voulant
le bien, ne savait pas toujours le faire d'une manière
aimable. « Ses actes, dit quelque part M. Paillon, ne furent
pas toujours accompagnés de la modération que plusieurs
auraient désirée dans sa conduite \ » Et M. Tronson : « Il
n'y a à craindre pour lu», que l'excès », disait-il ". Nous
avons déjà parlé de son caractère difficile, autoritaire, peu
accessible à la contradiction. Il avait de ces « aigreurs »,
que nous avons aussi signalées, qui nuisaient à ses œuvres les
plus utiles, à ses démarches les mieux intentionnées. Après
réflexion, il revenait souvent sur ses décisions qui avaient
ofïensé ses prêtres, ses religieux; mais le mal était fait, les
blessures mettaient du temps à guérir. Il avait, par exemple,
supprimé les congrégations chez les Jésuites, le dimanche
matin, occasionnant par là bien des murmures : il les rétablit
quelque temps après, mais on ne pouvait lui pardonner
d'avoir agi avec tant de précipitation. Il leur avait retranché
le catéchisme et les « basnages » dans leur église, il leur avait
enlevé « les petites écoles » pour les donner au Séminaire :
tout cela n'était pas de nature à les disposer en sa faveur.
Nous avons tenu à citer la lettre du P. Chauchetière,
parce que, bien qu'elle eût un caractère privé, elle laisse en-
trevoir la situation où se trouvait alors M^"" de Saint-Vallier
vis-à-vis de son clergé régulier. Le Prélat s'était montré,
dans son œuvre pastorale, le protecteur et le défenseur des
droits de ses curés et de ses paroisses : ce qui était parfait.
Mais les Religieux, dans un diocèse, sont les auxiliaires-nés
des curés et de l'évêque, et méritent d'être traités, eux aussi,
avec beaucoup d'égards, et toujours suivant les règles de la
charité, de l'équité et de la justice. Peut-être M^"" de Saint-
Vallier avait-il manqué un peu de ménagements à leur
1. Vie de la Sœur Bourgeois, t. II, p. 21.
2. Ibid., p. 209.
sous M''' DE SAINT-VALUER 211
égard ; peut-être n'avait-il pas suffisamment compté avec
eux, avec leurs privilèges, avec leur influence. Cette in-
fluence, pourtant, lui aurait été bien utile dans le grand
voyage qu'il était à la veille d'entreprendre au delà des
mers.
En attendant, n'ayant plus que quelques semaines à passer
dans son diocèse, il tient son quatrième et dernier synode,
dans lequel il renouvelle toutes ses ordonnances, auxquelles
il ajoute quelques règlements nouveaux, quelques recom-
mandations importantes. Il exhorte ses curés à procurer à
leurs paroissiens la faveur d'une mission tous les ans ou
tous les deux ans, « pour leur donner plus de liberté de
s'adresser à d'autres confesseurs ». Il veut que les offices
paroissiaux aient toujours lieu à des heures fixes et régu-
lières. Les curés ne doivent pas passer un dimanche sans
prêcher ; mais leur prédication doit être « très courte, l'expé-
rience, dit-il, nous apprenant que les longs sermons excitent
plutôt à l'impatience qu'à la pratique des vertus ». Il les
conjure de faire tous les ans une retraite « pour se renou-
veler dans l'esprit ecclésiastique ». Il leur recommande de
bien observer la résidence, de tenir toujours leur église dans
un état de propreté convenable, et de s'acquitter exactement
de toutes leurs fonctions ecclésiastiques. Il n'approuve pas,
du reste, qu'ils exercent jamais les fonctions de médecin ou
de chirurgien, ni qu'ils cherchent « à entrer dans les affaires
des laïques, et à vouloir connaître et régler ce qui se passe
dans les familles » \
Nous avons vu précédemment qu'il avait adressé à son
clergé le reproche de ne pas suffisamment tenir compte de se«
ordonnances. Mais dans le dernier mandement qu'il leur
donne, avant de partir, « pour le bon règlement du diocèse »,
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 414.
212 L EGUSE DU CANADA
il semble regretter de leur avoir fait ce reproche avec trop
d'aigreur :
« Quoique nous soyons très content, dit-il, et très édifié
de la bonne conduite des prêtres et autres ecclésiastiques de
notre clergé, dont la vie est la bonne odeur de Jésus-Christ
dans ce diocèse, cependant comme l'on peut craindre que ce
qui se pratique si exactement et si fidèlement dans le com-
mencement de cette Eglise naissante ne vienne à changer,
nous avons cru devoir leur mettre devant les yeux quelques
points de discipline. »
Puis il donne à son clergé un admirable règlement de vie :
méditation d'une demi-heure, lecture du Nouveau Testa-
ment, messe tous les jours, bon emploi du temps, fuite des
divertissements mondains et des visites inutiles, etc, rien
n'y est oublié. C'est encore à peu près le règlement en
vigueur dans notre Eglise, et qui a fait du clergé canadien
un des plus pieux et des mieux réglés du monde entier.
Notre prélat n'avait plus que cinq jours pour faire ses
derniers préparatifs de voyage. Le but principal de ce
voyage, comme nous l'avons vu, était de plaider à la cour
la cause de l'Hôpital-Général, condamné à disparaître: il
voulait à tout prix sauver cette institution.
Si l'on en croit l'annaliste, on était généralement sous
l'impression, à QAiébec, qu'il ne réussirait pas. Seules, les
fondatrices de la maison conservaient l'espoir que Dieu la
sauverait du naufrage.
Le Prélat aurait bien voulu emmener avec lui son con-
fident et son ami, le jeune abbé Guillaume Seré de la Co-
lombière, qu'il avait amené de Grenoble dans son dernier
voyage et ordonné le i6 février 1698. Mais il y renonça,
en faveur de sa chère institution, le laissant à Québec pour
qu'il en eût soin sous le rapport spirituel. M. de la Colom-
bière s'acquitta de ses fonctions de chapelain avec un zèle
admirable. Il poussa le dévouement jusqu'à prendre des
sous M^ DE SAINT-V ALLIER 213
leçons de musique, de manière à pouvoir toucher l'orgue
dans l'église de l'Hôpital, afin d'aider les religieuses à chan-
ter la grand'messe, suivant leurs règles, les jours de fêtes et
de dimanches.
Quant au temporel de l'Hôpital-Général, M^ de Saint-
Vallier en chargea M. Hazeur, riche marchand de Québec,
qui demeurait à la Basse-Ville, tout près de Notre-Dame de
la Victoire. M. Hazeur lui promit de veiller aux besoins et
aux intérêts temporels de l'institution tout le temps de son
absence.
Le pieux Prélat confia l'administration de son diocèse à
MM. de Maizerets, Glandelet et Joseph de la Colombière,
qu'il nomma ses vicaires généraux; puis il s'embarqua sur
la Seine le 13 octobre 1700.
CHAPITRE XVII
M^ DE SAINT-VAL,LIER EN FRANCE
DE 1700 À 1704
La France et Louis XIV en 1700. — Bon accueil fait par le Roi à
l'évêque de Québec. — L'établissement de l'Hôpital-Général, con-
firmé. — Lettre pastorale de l'évêque à son clergé. — Réponses de
la Sorbonne et du Saint-Office sur certaines difficultés. — Voyage
à Rome. — Message du Pape à Louis XIV. — Bref du saint-père à
l'évêque. — Catéchisme, Rituel et Recueil d'Ordonnances de Mgr
de Saint- Vallier.
LE navire qui portait M^ de Saint-Vallier arriva à La
Rochelle le 29 novembre (1700) après une traversée
très orageuse. Le Prélat ne se rendit à Paris que la veille
de Noël, et alla loger chez les messieurs de Saint-Sulpice.
Son vénérable ami, M. Tronson, comme nous l'avons vu,
était mort quelques mois auparavant, et avait été remplacé
comme supérieur par M. Leschassier. On s'entretenait beau-
coup à Paris du livre de Fénelon, les Maximes des Saints,
qui avait été condamné l'année précédente (12 mars 1699)
par le pape Innocent XII, et de la soumission édifiante de
l'archevêque de Cambrai, l'élève et l'ami de Saint-Sulpice.
Innocent XII venait de mourir (27 septembre 1700); et
son successeur Clément XI se préparait à porter de rudes
coups à l'hydre du Jansénisme par son bref du 12 février
1703 contre le Cas de conscience, par sa bulle du 15 juillet
1705 Vineam Domini Sabaoth contre le silence respectueux
l'église du canada sous m*' de saint-vallier 215
des jansénistes, et surtout par la constitution Unigenitus du
8 septembre 1713.
La situation politique de la France était grave et solen-
nelle. Le jour même où M""" de Saint- Vallier débarquait à
La Rochelle est précisément celui où, d'après l'histoire,
Louis XIV, voyant partir son petit-fils Philippe de France,
duc d'Anjou, pour aller prendre possession du trône d'Es-
pagne, qui lui avait été légué par le testament de Charles II,
lui disait : « Partez, mon fils, il n'y a plus de Pyrénées ! »
Parole mémorable, qui caractérise bien un des événements
les plus importants de l'histoire : l'installation d'un Bourbon
sur le trône d'Espagne, et par suite l'agrandissement, pour
ainsi dire, de la France jusqu'à Cadix et Gibraltar \ comme
si en effet les Pyrénées n'existaient plus pour elle : événement
extrêmement grave, qui ne peut s'accomplir sans soulever
les protestations de toute l'Europe, et qui, en effet, va donner
lieu à la fameuse guerre de la succession d'Espagne: évé-
nement, pourtant, auquel la France ne peut se soustraire
sans compromettre sa dignité et son honneur, toute la gloire
du grand règne de Louis XIV et des règnes précédents.
C'est au milieu de l'excitation patriotique que cet évé-
nement soulève en France, que M^"" de Saint- Vallier arrive à
Paris. En bon Français qu'il est, il ne peut se désintéresser
de ce qui affecte l'honneur, la gloire, l'avenir peut-être de
son pays. Mais il est, avant tout, préoccupé de ses affaires
canadiennes ; son esprit et son cœur en sont pleins. Il se
hâte donc de se rendre à Versailles et sollicite une audience
du grand Roi.
Louis XIV est dans la cinquante-septième année de son
règne : il a soixante-deux ans. Rempli de gloire et de ma-
jesté, respecté du monde entier, l'idole de ses sujets, l'expé-
I. C'est à la suite de la guerre de la succession d'Espagne que
Gibraltar a passé à l'Angleterre.
2l6 I^'ÉGUSE DU CANADA
rience des hommes et des choses a assoupli sa nature hau-
taine; il a appris à mettre au point la valeur de la gloire
humaine \ et il est déjà tout préparé à entendre du fond de
sa tombe la sublime parole de Massillon : « Dieu seul est
grand ! »
Il accueillit avec une bienveillance toute spéciale son an-
cien aumônier, qui lui arrivait précédé d'un magnifique
témoignage de satisfaction de la part du gouverneur de la
Nouvelle-France. M. de Callières venait en effet d'écrire
au ministre : « Ce Prélat est très charitable, et se refuse jus-
qu'à ses nécessités. Je ne doute pas que vous ne preniez des
mesures pour qu'il continue ses libéralités à son hôpital, qui
est très utile à ce pays "... » Le Roi recommanda donc à
Pontchartrain de faire droit le plus tôt possible à ses légi-
times demandes; et dès le mois de mai 1701 le Conseil
d'Etat rendit un arrêt confirmant d'une manière définitive
l'Hôpital-Général de Québec, et permettant à l'évêque d'y
établir une communauté séparée et distincte de religieuses
hospitalières « pour prendre soin du détail du dit hôpital
sous les ordres du dit sieur évêque ^. »
Cette bonne nouvelle fut apportée à Québec dans le mois
de juin par AI. de Ramesay, commandant des troupes du
Canada, et M. de la Chênaie *, l'un des membres du Conseil
Supérieur, qui arrivèrent tous deux de France. Ils pu-
blièrent partout que l'évêque avait été parfaitement accueilli
1. " Louis XIV, rartiené par l'âge et par la religion à des maximes
plus saines, était désabusé de toutes ses anciennes idées de faste et de
magnificence : toutes ses vues tendaient alors à rétablir l'ordre dans
ses finances par une sage économie." (Bausset, Histoire de Fénelon,
t. IV, p. 3.)
2. Corresp. générale, vol. 18.
3. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp.-Général, p. 187.
4. Aubert de la Chênaie, l'ancêtre des De Gaspé, mourut en 1702,
" fort regretté, dit un document pour le bien qu'il a fait en ce pays ".
(Corresp. générale, vol. 19). Il demeurait rue Sault-au-Matelot.
sous M*"" DE SAINT-V ALLIER 217
en cour, et avait obtenu tout ce qu'il souhaitait : il avait ren-
du service à tous les Canadiens qui se trouvaient à Paris,
et employé en leur faveur son crédit auprès du ministre; le
Roi lui avait aussi accordé des lettres patentes pour l'éta-
blissement déjà fait des Ursulines. aux Trois-Rivières.
Aussitôt que le gouverneur et l'intendant furent instruits
d'une manière officielle de ce qui regardait l'Hôpital-Général,
ils s'empressèrent de donner des ordres pour y renvoyer les
religieuses qui étaient à l'Hôtel-Dieu : ce qui se fit le 7 sep-
tembre (1701I; et à partir de cette date la communauté
reprit les habitudes de vie qu'elle avait auparavant.
Mais que fait pendant ce temps M^ de Saint -Vallier? Il a
présenté au ministre Pontchartrain les mémoires qu'il a pré-
parés sur les affaires de son Eglise et attend avec confiance
les décisions de la cour. La pensée de ses diocésains, de ses
curés, de ses missionnaires ne quitte pas son esprit; elle
l'obsède, pour ainsi dire: et dès le 7 mars, il adresse à ses
prêtres une magnifique lettre pastorale, leur donnant « des
avis pour la conduite de leurs paroissiens ». Il leur parle de
l'abondance du cœur:
« Comme Notre-Seigneur, dit-il, qui est le véritable Père
et Pasteur des âmes, nous met sans cesse devant les yeux les
obligations indispensables de notre ministère, et que nous
prévoyons avec quelque fondement que les aiïaires de notre
Eglise qui nous ont obligé de sortir de notre diocèse, pour-
raient bien nous en tenir séparé encore quelques années,
nous jugeons à propos de vous faire souvenir de ce que
vous devez à Dieu et au troupeau qui vous a été confié. »
On dirait que le Prélat avait quelque pressentiment que
son absence pourrait être bien longue ; et comme un bon père
il donne d'admirables conseils à ses enfants. Il rappelle à
ses curés le grand devoir qu'ils ont de se conduire d'une
manière parfaite, s'ils veulent que leur prédication soit effi-
cace, et qu'ils ne s'entendent pas dire par ceux qu'ils désirent
ai8 l'église du canada
corriger : « Médecin, guérissez-vous vous-même \ » Aux
gouvernants, aux magistrats, aux supérieurs il rappelle leurs
devoirs envers leurs inférieurs; aux parents, leurs devoirs
envers leurs enfants ; aux enfants, leurs devoirs envers leurs
parents ; à tous, leurs devoirs d'état. A tous ils recom-
mande « la pratique de l'aumône, de cette usure innocente et
céleste, dit-il, bien différente de celle que nous avons si sou-
vent condamnée, par laquelle pour un verre d'eau on reçoit
le paradis »,
« Assurez tous les habitants des villes et des paroisses de
la campagne, ajoute-t-il, que notre affection pour eux, loin
de diminuer, s'augmente de jour en jour, que nous les por-
tons dans notre cœur pour les mettre dans celui de Notre-
Seigneur, auquel soit gloire, honneur et louange dans les
siècles des siècles. »
Au clergé séculier et régulier il recommande l'union, et
l'uniformité de direction dans la conduite des âmes, suivant
ses ordonnances :
« Les curés et autres pasteurs des âmes, dit-il, doivent se
faire un plaisir de recourir aux religieux de l'une ou de
l'autre des deux communautés que nous avons dans notre
diocèse, dans les besoins de leur paroisse: et les confesseurs
réguliers, de leur côté, doivent appuyer de toutes leurs
forces les bonnes intentions des pasteurs par une femieté et
une dispensation uniforme du sacrement de pénitence ", »
M^"" de Saint- Vallier profita de son séjour à Paris pour
exposer aux docteurs de la Sorbonne certaines difficultés
qui se présentaient souvent dans les missions sauvages,
par rapport à l'administration du baptême aux infidèles, et
en général pour l'administration des sacrements aux nou-
veaux convertis; il leur demandait la solution de ces difïi-
1. Luc, IV, 23.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 417.
sous M**" DE SAINT-VALLIER 2ig
cultes. Leur réponse lui fut donnée le lo août 1702, et il la
communiqua quelques jours après à son clergé du Canada.
Par cette réponse des docteurs les plus instruits et les plus
éminents du Royaume, se trouvait approuvée d'une manière
générale la pratique suivie par les Jésuites ^ depuis près d'un
siècle dans leurs missions, pour la conversion des sauvages.
Pour certaines difficultés, cependant, les docteurs de la
Sorbonne eux-mêmes recommandaient qu'on en référât au
saint-siège; et voilà pourquoi M^ de Saint- Vallier, se ren-
dant à Rome pour d'autres affaires importantes, en profita
pour soumettre à la Propagande les différents cas de cons-
cience qu'il avait déjà présentés à l'examen de la Sorbonne.
La Propagande les référa elle-même à la sacrée congréga-
tion du Saint-Office, présidée par le saint-père ; et celle-ci,
après avoir tout examiné et pesé avec soin, donna une
réponse précise et définitive à toutes ces difficultés le i®"" aoiît
1703. Les solutions du Saint-Office étaient généralement
plus sévères que celles de la Sorbonne, recommandant de
s'en tenir aux règles de l'Eglise et aux décisions strictes de la
théologie. Elles n'en étaient que plus favorables à la pra-
tique suivie généralement par les missionnaires de la Com-
pagnie de Jésus, à qui on avait quelquefois reproché de se
montrer trop sévères, par exemple, quand il s'agissait de
conférer le saint baptême aux infidèles. Ils ne l'étaient pas
pour baptiser les enfants ou les adultes en danger imminent
de mort ; mais pouvaient-ils prendre trop de précautions
par rapport au baptême des enfants de parents infidèles,
lorsqu'ils ne pouvaient ignorer qu'une fois ces enfants bap-
tisés, s'ils survivaient au baptême, les missionnaires étaient
obligés de les suivre, à mesure qu'ils grandissaient, pour les
I. "Ils sont sans contredit très éclairés et fort habiles au gouverne-
ment des sauvages pour le spirituel, " écrivait un jour un homme qui
leur était généralement peu sympathique. (Corresp. générale, vol. 29,
Lettre de M. de Ramesay, gouverneur de Montréal, 1708.)
220 L EGLISE DU CANADA
instruire des vérités de la religion, aussitôt qu'ils en seraient
susceptibles : ce qui était d'une difficulté presque insurmon-
table, étant donné l'instabilité des familles sauvages, leurs
courses à travers les bois, leur vie errante.
Il y avait eu évidemment des divergences d'opinion sur
toutes ces questions entre les missionnaires des différentes
communautés, car l'évêque de Québec, communiquant à ses
prêtres les réponses du Saint-Office, leur disait :
« Nous aurons désormais la consolation de vous voir tra-
vailler tous dans le même esprit et le même cœur au salut
des peuples. Il n'y aura plus de divisions. Tout se fera
dans cette unité que l'apôtre saint Paul a tant recommandée,
laquelle produit, nourrit et entretient tout le bien que peuvent
faire des missionnaires zélés pour le salut des âmes \ »
Le but principal de M^"" de Saint-Vallier, en allant à Rome,
était d'obtenir l'union canonique de ses abbayes à son Eglise,
sollicitée en vain depuis longtemps. « Ces sortes d'union à
des gens de main-morte, dit l'auteur de l'Histoire du Sémi-
naire, souffraient toujours d'innombrables difficultés. II
fallait le consentement des habitants, des curés, des évêques,
des magistrats, de la cour ; il fallait enquête sur enquête, et
des formalités dont le moindre défaut rendait tout invalide. »
Tout le travail en France était terminé; il ne restait plus
qu'à obtenir une bulle de Rome pour confirmer les lettres
patentes déjà données par la cour en 1697.
Le Prélat se mit en route pour l'Italie au commencement
de septembre 1702. Le Pape qui gouvernait alors l'Eglise
de Jésus-Christ portait le nom de Clément comme celui qui
avait érigé le diocèse de Québec. Il accueillit notre Prélat
avec d'autant plus de sympathie, que c'était le premier
évêque de l'Amérique du nord qui faisait un voyage ad
îimina :
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 423, 452, 453.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 221
« Dès le commencement, écrit M. Tremblay, Clément
XI ^ déclara qu'il voulait contenter M. l'évêque de Québec
et le renvoyer content dans son diocèse. Il ne voulut pas
que son affaire fût portée à la Congrégation des Evêques, où
elle n'aurait jamais passé, mais il fit une congrégation par-
ticulière pour cette affaire, qu'il composa de sept prélats.
Quand on l'examina, on trouva qu'elle avait été refusée
trois fois, sans que nous en eussions rien su '. »■
Les prélats de cette congrégation particulière s'assem-
blèrent trois fois pendant que M^"" de Saint-Vallier était à
Rome, et sous différents prétextes ne voulaient pas conclure.
Le pape leur témoigna alors qu'il voulait absolument accor-
der cette grâce ; et ils se décidèrent à examiner de nouveau
les propositions de l'évêque de Québec. « Mais, ajoute M.
Tremblay, ils demandaient toujours pourquoi on voulait
ôter aux religieux les menses conventuelles des abbayes
pour les donner à des chanoines. » Enfin, sur les instances
du pape, ils étaient disposés à conclure, lorsqu'ils se mirent
dans la tête d'exiger « qu'outre le procès-verbal qui avait été
fait par les Ordinaires des lieux de ces abbayes, du revenu,
des charges, des fondations, du nombre des religieux, il en
serait encore dressé un par le nonce de Paris juridiquement
en entendant des témoins. Or, ajoute encore M. Tremblay,
les nonces en France n'ont aucun pouvoir de faire de sem-
blables Informations, et il est sévèrement défendu d'y con-
courir. M^ de Saint-Vallier eut beau se récrier auprès du
pape, il n'y gagna rien. Le pape lui dit seulement qu'il fallait
faire cette Information sans bruit sur des pièces qu'on pré-
senterait à M. le nonce, sans faire aucun acte de juridiction.
M*^ de Québec ne put faire passer par-dessus cette diffi-
culté. »
1. De la famille Albani et de la ville Urbino, où est né Raphaël; pape
de 1700 à 1721.
2. Lettre à M. Glandelet, 1702, citée par Langevin, p. 145.
222 L EGLISE DU CANADA
D'après M. Tremblay, l'accueil spécialement favorable
que l'évêque avait obtenu du saint-père, avait excité contre
lui, à Rome, en certains quartiers, de véritables sentiments
de jalousie. Quelques prélats allèrent jusqu'à « lui dire de»
choses très fortes, d'avoir joui, lui et son chapitre, trente
ans d'un bien qui ne leur appartenait pas ». On était jaloux
« de la facilité qu'il avait à avoir audience, et à écrire toua
les jours au pape, et des dictinctions que le pape lui avait
accordées, en le faisant Assistant au trône pontifical ». Le
saint-père « le faisait quelquefois manger avec son frère au
Vatican, et l'y faisait entrer souvent pour se promener avec
lui familièrement dans les galeries de ce palais ». Evidem-
ment, la haute distinction personnelle de M^"" de Saint-
Vallier, non moins que sa piété, sa vertu et son mérite, avait
produit une très favorable impression sur le saint-père.
« M^*" de Québec, écrit M. Tremblay, ayant vu la réso-
lution de la congrégation de ne rien accorder sans une in-
formation du nonce de Paris, prit tout-à-coup la résolution
de revenir en France. Il partit de Rome au commencement
de février. . ., et revint si promptement qu'il fit en quatre
jours le chemin de Livourne à Marseille. . . Nous fiâmes
tout surpris de le voir arriver à Paris. . . Nous lui présen-
tâmes tous les actes sur lesquels l'union a été proposée à
Rome. M^"" le nonce verbalisa sur ces actes, et les renvoya à
Rome; mais on n'a pas trouvé cette information suffisante,
et la congrégation s'étant assemblée en a demandé encore
une autre pour terminer l'afïaire. »
Bref, ce ne fut que l'année suivante, le 7 septembre 1704,
que fut signée la bulle, sollicitée depuis si longtemps, pour
l'union canonique des abbayes de Bénévent, de Maubec et de
Lestrée. Mais, comme nous le verrons, elle n'était que par-
tiellement conforme à ce qu'on avait demandé, et ne fut aussi
que partiellement acceptée. On accepta ce qui faisait plaisir,
l'union des abbayes; on rejeta ce qui regardait le cha«-
sous M^ DE SAINT-V ALLIER 223
gement de la constitution du chapitre, et la diminution du
nombre des chanoines.
Outre le titre d'Assistant au trône pontifical qu'il avait
reçu du saint-père, M*^ de Saint-Vallier apportait de Rome
pour son diocèse un souvenir précieux : trois corps de saints
martyrs. Hélas! nous verrons quel triste sort leur était
réservé.
Le saint-père lui avait aussi confié pour le roi de France
une portion de la vraie Croix, avec un bref qu'il devait lui
présenter lui-même de la part de Sa Sainteté. Citons ici ce
bref:
« Cette lettre, écrivait à Louis XIV le pape Clément XI,
sera rendue à Votre Majesté par l'évêque de Québec, qui
part d'ici, après y avoir donné de grandes preuves de sa
piété et de son zèle pour la propagation de la foi.
« Nous l'avons chargé de porter à Votre Majesté les plus
amples et les plus sincères témoignages de cet amour pater-
nel et très tendre avec lequel nous la lui envoyons, et ensuite
du désir très ardent que nous avons de le lui témoigner par
les effets. Elle peut ajouter une foi entière à ce qu'il lui dira.
« Après avoir offert nos prières à Dieu pour attirer tou-
jours sur Votre IVÎajesté et sur sa famille royale toute sorte
de prospérités, Nous donnons à l'un et à l'autre, avec toute la
plénitude de notre afifection, la bénédiction apostolique.
"Donné à Rome, à Saint-Pierre, le ii janvier 1703, la
troisième année de notre pontificat. »
En présentant à Louis XIV la relique de la vraie Croix,
l'évêque devait lui dire de la part de Clément XI :
« Que le saint-père lui souhaitait comme au grand Cons-
tantin de surmonter ses ennemis par ce signe : In hoc signo
rinces \
I. Le souhait du saint-père était d'autant plus précieux à Loui»
XIV, qu'on était en pleine guerre de la succession d'Espagne.
224 L ÉGUSE DU CANADA
« Qu'il voyait bien que les autres princes chrétiens cher-
chaient leurs intérêts particuliers: Omnes qiuE sua sunt quœ-
runt \ mais que Sa Majesté cherchait à procurer la gloire
de Dieu, le bien de l'Eglise et le progrès de la religion; qu'il
lui recommandait de nouveau cette même Eglise, l'épouse de
Jésus-Christ, qui saurait bien le recompenser de tant de tra-
vaux entrepris pour ce grand dessein.
« Que ce n'était pas seulement en la personne de Sa Ma-
jesté que le saint-père reconnaissait ces grands sentiments,
mais dans les personnes de M^ le dauphin, de M. le duc de
Bourgogne et de toute la famille royale qu'il considérait et
qu'il aimait d'une affection toute singulière et toute pater-
nelle, et qu'il offrait à Dieu tous les jours.
« Que Sa Sainteté avait témoigné une joie sincère et
véritable en apprenant la grossesse de M"® la duchesse de
Bourgogne, et qu'Elle souhaitait et demandait de bon cœur à
Dieu qu'une si grande, si royale et si admirable famille se
multipliât de plus en plus.
« Que Sa Sainteté consentait une estime et une affection
singulière pour M^ le dauphin et pour M. le duc de Bour-
gogne, et qu'Elle priait le Ciel qu'ils marchassent tous les
deux sur les traces de leurs pères et qu'ils imitassent leurs
vertus. »
Le roi remercia le saint-père de ses bonnes paroles et de
la précieuse relique qu'il lui avait envoyée; et le prélat, de
son côté, reçut à Paris le bref suivant de Clément XI :
« A notre vénérable frère l'Evêque de Québec.
« Vénérable frère, salut et bénédiction apostolique.
« Nous avons assez connu, par la lettre pleine de recon-
naissance que nous a écrite notre très-cher fils en Notre-
Seigneur le roi Très-Chrétien, avec combien de soin et
d'agrément vous vous êtes acquitté de la commission que
I. Philip., II, 21.
sous M**" DE SAINT-VALUER 225
nous vous avons donnée d'expliquer tous les sentiments
d'estime et de tendresse paternelle que nous avons pour Sa
Majesté, en lui rendant la petite et précieuse relique que vous
lui avez donnée de notre part. Nous ne pouvons nous empê-
cher de louer votre exactitude et votre diligence, et de vous
assurer en même temps que nous sommes toujours prêt à
satisfaire à vos demandes, comme nous vous l'avons promis
lorsque vous étiez auprès de nous, aussitôt que nous aurons
appris par notre nonce, Philippe - Antoine, archevêque
d'Imola, que les choses seront en état d'être expédiées.
« Au reste, comme nous ne pouvons pas répondre à l'es-
time que vous faites paraître avoir de nous, ni nous per-
suader être tel que vous le pensez, connaissant, comme nous
le faisons, notre propre infirmité, nous pouvons au moins
vous assurer que rien n'égale le penchant que nous avons
de répondre à toute l'affection et bonne volonté que vous
jugez avec raison que nous avons pour vous, à cause du zèle
admirable que vous faites paraître pour la religion catho-
lique.
« Nous vous souhaitons et accordons avec tendresse notre
bénédiction apostolique.
« Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du pê-
cheur, le 15 mai de l'année 1703, de notre pontificat la troi-
sième. »
Entre autres demandes que AP"" de Saint-Vallier fit au
Roi durant son séjour en France, il y en avait une qui regar-
dait la dîme. Il insista pour qu'elle fût portée au treizième,
afin d'augmenter le revenu de ses prêtres. L'intendant
Beauharnais \ qui fut consulté là-dessus et connaissait
combien le pays était pauvre, répondit à la cour:
« M. l'évêque de Québec n'entend pas les intérêts de son
I. Il avait succédé à Champigny. Sa commission est du ler avril 1702.
226 1,'ÉGUSE DU CANADA
clergé en demandant que la dîme soit mise au treizième
comme en France ^ »
Elle resta sur le même pied où elle avait été fixée par le
règlement de M. de Tracy, en 1667; et elle y est encore.
*
L'intendant Beauharnais, dont nous venons de mention-
ner le nom, avait succédé à M. de Champigny, qui quitta le
Canada en 1702 pour devenir intendant au Havre, et que
AP"" de Saint-Vallier, par conséquent, ne revit pas dans son
diocèse. Ne quittons pas ce bon intendant Champigny, qui
fut toujours au Canada un chrétien exemplaire, sans citer
ici ce que raconte quelque part le P. Jacques de Lamber-
ville sur sa dévotion à la pieuse iroquoise Catherine Téga-
kouïta, morte en odeur de sainteté, et sur la faveur qu'il
avait obtenue par son intercession :
« Dieu, écrit ce Jésuite distingué, continue d'honorer une
bonne fille, iroquoise de nation, décédée et enterrée en cette
mission de Canaughwaga. Le Ciel accorde quantité de
grâces à ceux qui im.plorent son assistance. Les ecclésias-
tiques et les laïques y viennent en pèlerinage remercier Dieu
des faveurs qu'ils ont reçues par son intercession. On envoie
des présents à cette église pour marquer à Dieu sa reconnais-
sance. On envoie des présents à l'église où repose son corps.
Les paroisses entières y viennent en procession solennelle-
ment au jour annuel de son décès pour rendre grâces des
divers efïets de sa protection. Pour guérir les maladies
que les remèdes ordinaires ne soulagent pas, on avale dans
de l'eau ou dans du bouillon un peu de la poussière de son
tombeau.
« M. de Cham.pigny, intendant du Canada, avait perdu la
I. Corresp. générale, vol. 22. Lettre du 19 oct. 1705.
sous m"'' de SAIXT-VALLIER 327
voix pendant un an, au bout duquel M'"^ l'intendante * ayant
fait dire une neuvaine, il recouvra très parfaitement la voix.
Il a fait faire plusieurs petits tableaux de cette bonne fille
sauvage, qu'il distribue et qu'on garde par estime qu'on a
de la sainteté de cette vierge iroquoise, qui a conservé son.
innocence parmi tous les libertinages de l'impureté. Pen-
dant trois ans qu'elle a été dans cette mission, elle y a fait de
si grand progrès en la vertu qu'elle a mérité que Dieu la
glorifiât par quantité de guérisons miraculeuses obtenues de
Dieu par son moyen. - , ,- — -^
« M. Duluth, ajoute le P. Lamberville, capitaine dans la
marine, rapporte lui-même que depuis plusieurs années étant
fort tourmenté par la goutte, et ne se trouvant point de sou-
lagement à son mal, il fit dire une neuvaine en l'honneur de
cette bonne chrétienne, dont les prières l'ont entièrement
guéri de sa goutte le neuvième jour ^. »
M. de Champigny était tout dévoué au bien de la religion
en ce pays, et aux missionnaires. Citons encore, à son sujet,
un petit extrait d'une lettre que lui adressait, quelques jours
avant son départ du Canada, un Jésuite de Michillimakinac,
le P. de Carheil :
« Je vous supplie, disait-il, de vouloir bien remettre vous-
même ma lettre entre les mains du révérend P. Supérieur.
1. Elle était la cousine de Mgr de Laval au 3e degré.
2. Relations des Jésuites, édition Burrows, vol. 6=,, p. 30. — Au sujet
de Catherine Tégakouïata, voici un autre fait que nous trouvons dans
une lettre du P. Chauchetière : " Je prie, dit-il, le R. P. Recteur du
noviciat (de Bordeaux) de faire dire un Pater et un Ave et trois fois
le Gloria Patri à ses novices pour moi. C'est une dévotion qui est ici
(à Montréal) parmi les Sauvages et Français, qui vont au tombeau de
Catherine, enterrée dans l'église du Saut, quand ils veulent obtenir de
Dieu quelque grâce. Je l'ai commencée dès le jour de son enterrement,
et j'ai toujours cru que c'était elle qui, au bout de l'an, me conserva,
quand le vent jeta notre chapelle à bas, oîi je fus conservé, selon le
sentiment commun, miraculeusement; et je crus que cette sauvagesse
vertueuse m'avait rendu en cette occasion les services que je lui avais
rendus pendant sa maladie..." (Lettre du P. Claude Chauchetière au
P. Jacques Jouheneau, à Bordeaux ; Villemarie, 20 septembre 1694.
Rel. des Jés., édit. Burrows, vol. 64, p. 154).
228 l'Église du canada
C'est la dernière grâce que je puisse recevoir de vous avanr
votre départ de ce pays. Je serais allé moi-même en per-
sonne pour vous la demander, sur l'obligeante invitation que
vous et madame avez bien voulu me faire de descendre là-
bas pour me donner la consolation de vous saluer, de vous
voir, de vous entretenir Tun et l'autre avant votre retour en
France, où Sa Majesté vous rappelle pour l'intendance du
Havre et de toutes ses côtes maritimes. Mais l'état présent
de ma mission divisée, et qu'il faut que je réunisse, ne me
permet pas de la quitter dans le temps de sa division, pour
me procurer une consolation telle que celle-là.
« L'assurance que vous me donnez de la manière du monde
la plus obligeante, de me continuer toujours l'honneur de
votre amitié, jusqu'à vouloir que je vous écrive encore, dans
l'éloignement où nous allons être, tout ce qui se passera
dans nos missions, et que je vous représente tous les besoins
que nous pourrions avoir de votre secours avec la même
confiance que je vous les ai représentés pendant les quinze
années que le Canada a joui du bonheur de votre présence,
une telle assurance, dis-je. m'était nécessaire pour adoucir
la peine que votre départ me devait causer, et pour me le
rendre plus supportable. . . Toute votre famille, votre per-
sonne, celle de madame, celle de MM. vos enfants, et sur-
tout celle de notre petit missionnaire, me seront toujours
chères. Je n'oublierai jamais ce que je vous dois \ . . »
*
* *
Trois arrêts importants regardant le Canada furent rendus
par le Conseil d'Etat durant le séjour de M^ de Saint-V'allier
à Paris. Le premier, en date du mois de mai 1702. confirmait
I. Rel. des Jés.. édit. Burrows, vol. 65, p. 188, Lettre du R. P.
Etienne de Carheil à M. de Champigny (et non pas M. Louis-Hector de
Callières) ; Michillimakinac, 30 août 1702.
sous M^"" DE SAINT-VALLIER 229
rétablissement des Ursulines aux Trois-Rivières \ Le
deuxième, daté du 15 du même mois, unissait au séminaire
de Montréal les cures de l'Ile de Montréal et de Saint-
Sulpice ^. Le troisième portait à douze le nombre des
membres du Conseil Supérieur ; et le Roi réglait que l'un de
ces membres, appelé conseiller-clerc, fût un ecclésiastique,
« afin qu'il y ait toujours au Conseil, disait-il, quelqu'un qui
soit plus instruit et plus à portée de veiller à la conserv^ation
des droits de l'Eglise » ^. Admirables sentiments, vraiment
dignes du roi Très-Chrétien et des éloges que le pape lui
avait adressés dans le message que nous avons cité plus haut.
C'est M. Joseph de la Colombière qui fut le premier con-
seiller-clerc au Conseil Supérieur *.
C'est aussi durant son séjour à Paris, avant et après son
voyage à Rome, que M^"" de Saint-Vallier fit imprimer son
Catéchisme, son Rituel et ses Ordonnances. Le Catéchisme
porte la date de 1 702 ; le Rituel et les Ordonnances sont
datés de 1703 : et on lit à la fin du volume des Ordonnances:
" achevé d'imprimer pour la première fois le 31 mars 1703. »
Nous avons sous les yeux quelques exemplaires de ces
volumes, devenus bien rares. La reliure est évidemment la
reliure primitive; elle est forte, élégante et de belle appa-
rence. L'impression de ces volumes est nette, en beaux
caractères antiques. Le Catéchisme est rempli de citations
de la sainte Ecriture, et toutes les références sont à la
marge : ce qui donne aux pages de ce livre un aspect riche et
magnifique.
Le Catéchisme a 522 pages, sans compter le mandement,
1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 288.
2. Ibid., p. 396.
3. Ibid., p. 300.
4. M. Tremblay écrivant de Paris à M. Glandelet lui disait : " M. de
la Colombière est conseiller-clerc, et ainsi vous serez en état d'entrer
au Conseil Supérieur comme grand vicaire, outre M. de la Colom-
bière. " (.'\rchiv. du Sém. de Québec.)
230 L EGLISE DU CANADA
qui est au commencement du livre, et la table des matières,
lesquels ne sont point paginés. Le Rituel a 604 pages; le
livre des Ordonnances, 164 pages: ces deux volumes sont
reliés ensemble. Il y a au commencement du Rituel le man-
dement de l'Evêque promulguant son volume.
Nous avons dit que le Catéchisme de M"" de Saint- Vallier
porte la date de 1 702 ; et cependant nous voyons que dès
1691 le Prélat, s'adressant à ses curés, les exhortait « à
faire tous les dimanches le catéchisme aux enfants par
demandes et par réponses et à se servir pour cela de son
catéchisme » \ Nous n'avons nullement intention de faire
ici de la bibliographie; mais n'est-il pas permis de supposer
que l'impression de ce catéchisme était commencée depuis
longtemps, et ne fut complètement terminée qu'en 1 702 ?
Il commença sans doute par le catéchisme proprement dit,
la partie qui regarde la « doctrine chrétienne ». remettant
à plus tard les deux autres parties, celle qui regarde
« l'Histoire Sainte », et celle qui a pour sujet « les Fêtes
et Cérémonies de l'Eglise » ". Du moins, l'impression
de son catéchisme était certainement commencée en
1698, puisque dans son 3® synode tenu cette année,
voulant rappeler à ses curés l'obligation de faire le caté-
chisme, il leur dit : « Nous en avons fait dresser un pour
l'utilité de ce diocèse, que nous faisons imprimer ^. » Et nous
voyons que M^'" de Laval écrit de sa main une note en marge
d'une lettre qu'il a reçue de '\l. Tremblay en date du 3 juin
1696: « Saint- Vallier a fait imprimer un Rituel, un Caté-
chisme et ses Ordonnanaces *. » On peut donc supposer
1. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 283.
2. II y a, aussi, à la fin, un " Petit Catéchisme ou l'abrégé de la
Doctrine chrétienne en faveur des plus jeunes enfants, ou des per-
sonnes grossières " : titre peu alléchant, il faut l'avouer.
3. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 371.
4. Archives du Séminaire de Québec.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER ZJI
que tout cela s'imprimait depuis longtemps, mais qu'on
n'acheva d'imprimer qu'en 1702 et 1703.
Le mandement <^ pour la publication du catéchisme » est
du 7 septembre 1700, donné par conséquent avant le départ
de l'Evêque pour l'Europe. Celui du Rituel est du 8 octobre
de la même année. Tous deux sont datés de Québec, et
contresignés, le premier par M. de la Colombière Serré, le
second par M. Vallet (Etienne le Vallet).
L'édition du Rituel que nous avons sous les yeux, a,
comme nous l'avons dit, 604 pages S et se divise en deux
parties: la première partie, qui a 368 pages, a pour titre
« Les sacrements », et est en effet un véritable traité des
sacrements ; l'autre partie a pour titre : « Du sacrifice de la
messe et des prières publiques, » et se divise en quatre cha-
pitres: de la messe de paroisse; de l'eau bénite; de la pro-
cession, de l'oft'rande, du pain bénit; du Prône.
C'est dans cette deuxième partie du Rituel de M^' de
Saint-Vallier que se trouvent, imprimés la première fois
pour l'Eglise du Canada, ces admirables prônes qui se lisent
encore de nos jours aux principales fêtes, aux principales
époques de l'année, et tout particulièrement ce qu'on appelle
« le Grand Prône », cette page si onctueuse, si grave, si
solennelle, vraiment digne des temps apostoliques, que le
« peuple chrétien » ne se lasse jamais d'entendre, et qui,
pourvu qu'elle soit lue avec intelligence et avec cœur, vaut
une excellente prédication. Ces prônes n'ont évidemment
pas été composés par M^"" de Saint-Vallier lui-même; ils
nous viennent sans doute de la vieille France. Nos premiers
missionnaires les avaient dans leurs livres de prônes fran-
I. Il paraît qu'il y a quelques exemplaires, extrêmement rares, d'une
autre édition, qui serait la première, et qui aurait fait naufrage avec
Mgr de Saint-Vallier lui-même en 1704. Il ne serait resté que quel-
ques exemplaires de cette première édition. L'ouvrage aurait été
réimprimé de suite, et c'est cette deuxième édition, conforme à la
première, qui est généralement connue. L'autre a, parait-il, 671 pages.
232 l'église du canada
çais, et les lisaient à leur peuple. Mais M""" de Saint-Vallier
en a fait une chose canadienne, pour ainsi dire, en insérant
tout cela dans son Rituel destiné à l'Eglise de la Nouvelle-
France \
Quant à son Recueil d'Ordonnances, annexé, comme nous
l'avons dit, au Rituel, mais avec une pagination à part, il
renferme les statuts des quatre synodes, et de plus une ving-
taine de lettres pastorales, ou ordonnances, c'est-à-dire toutes
celles qui ont un caractère général et s'adressent à tous les
fidèles, tout ce que M^"" de Saint-Vallier, à l'époque où il
publia ce Recueil, regardait comme ses ordonnances pro-
prement dites et comme la discipline de son diocèse
I. Le Rituel de Mgr de Saint-Vallier est resté en usage dans le
diocèse jusqu'en 1864, alors qu'il fut remplacé tout simplement par le
Rituel romain (Maud. des Ev. de Québec, t .IV, p. 651). — On avait
cependant donné un extrait ou compendium du Rituel romain dès
1836 (Ibid., t. III, p. 343).
CHAPITRE XVIII
CAPTIVITÉ DE l'ÉVÊQUE EN ANGLETERRE
1 704-1 709
RETENU EN FRANCE, I709-I713. RETOUR AU CANADA
L'Eglise du Canada en l'absence de l'Evêque. — La " Paix de Mont-
réal ". — Prise de la Seine par les Anglais. — Mgr de Saint-V allier
en Angleterre. — La perte de la cargaison de la Seine, cause de
misère au Canada. — Rentré en France, le Prélat est retenu par la
cour. — Lettre à son clergé. — Retour au Canada.
IL y avait près de quatre ans que M^'" de Saint- Vallier
avait quitté son diocèse, lorsqu'au printemps de 1704
il put enfin se mettre en route pour y retourner. Ah,
qu'elle avait été éprouvée, durant son absence, l'Eglise du
Canada, et qu'il avait hâte de la revoir ! Sa ville épisco-
pale et les paroisses avoisinantes avaient été décimées par
le fléau de la picote \ La rigueur des saisons, les mau-
vaises récoltes avaient répandu partout la gêne et la misère.
Plusieurs des vétérans du clergé canadien, entre autres, M.
de Bernières, à Québec, M. Dollier de Casson, à Mont-
réal, étaient morts ; le nombre des prêtres, au lieu d'aug-
menter, diminuait; et pour comble de malheurs, la pépi-
nière même des missionnaires, le séminaire de Québec,
I. L'intendant, qui devait faire le recensement du pajs, l'avait
même retardé à cause de cela. (Corresp. générale, vol. 21, Beauharnais-
et Vaudreuil au ministre, 15 nov. 1703.)
234 L EGLISE DU CANADA
était devenu la proie des flammes : il se relevait cependant
de ses ruines, grâce à l'énergie de jVP'" de Laval et de ses
collaborateurs.
La guerre de la succession d'Espagne avait son contre-
coup au Canada : le Roi, à bout de ressources, mettait à
contribution jusqu'à la pauvre colonie canadienne, jusqu'au
supplément des pauvres curés, et ceux-ci n'ayant plus de
quoi vivre s'en allaient : « Plusieurs curés ont déjà quitté,
écrivent Callières et Champigny, et d'autres se préparent
à le faire '. » « Il y a beaucoup de peuples qui manquent de
secours religieux, faute de prêtres dans le pays, » ajoute
Champign}- -. « Les curés n'ayant point leur supplément,
c'est-à-dire n'ayant pas de quoi vivre, abandonnent leurs
paroisses, » écrivent Vaudreuil et Beauharnais ^.
Plusieurs missionnaires prennent le chemin de la Loui-
siane, où les attirent les nouveaux établissements de D'Iber-
ville et de son frère Bienville à Mobile, à Biloxi. à la
Nouvelle-Orléans. On y trouve à cette époque quelques
prêtres des Missions-Etrangères, MM. de la Vente, Huvé,
Davion, Foucault, Bergier, et de plus un certain nombre
de Jésuites, les Pères Dongé, du Ru et Limoges, que
D'Iber^-ille y a conduits*. Ainsi se réalise la prédiction
d'un intendant canadien, « que la Louisiane ferait tort au
-Canada ^> ^.
Les Jésuites ont été bien aises de l'offre qui leur a été
faite par D'Iberville et le ministre de la marine de les
établir dans le Bas-Mississipi. Mais lorsqu'il s'agit d'ob-
tenir les pouvoirs de l'Evêque de Québec, qui est en France,
1. Corresp. générale, vol. i8, Callières et Champigny au ministre,
5 oct. 1700.
2. Ibid., vol. 17, Champigny au ministre, 20 oct. 1699.
3. Ibid.. vol. 22, Vaudreuil et Beauharnais au ministre, 19 oct. 1705.
4. Lettre de M. Tremblay à Mgr de Laval, 4 avril 1705, citée par
Langevin, p. 172.
5. Corresp. générale, vol. 10, Champigny au ministre, 8 oct. 1688.
sous M**"" DE SAIN'T-VALIJER 235
le Prélat leur rapi^elle qu'il a confié au Séminaire de Québec
toutes les missions du Mississipi, celles du Bas-Mississipi,
comme celles du Haut-Mississipi. Les Jésuites demandent
à l'Evêque qu'il leur attribue un district séparé, où ils soient
seuls, et où leur supérieur ait les pouvoirs de grand vicaire :
les prêtres des Missions-Etrangères auront aussi leur dis-
trict à part, où ils seront seuls également. L'Evêque le
leur refuse. Ils font intervenir Pontchartrain auprès de
M^"" de Saint- Vallier ; celui-ci demeure inflexible ^ Ils se
décident alors à abandonner leurs missions de Mobile et
de Biloxi : les Pères du Ru, Dongé et de Limoges rentrent
en France, laissant les prêtres des Missions-Etrangères
seuls à la Louisiane. Les Jésuites ne tarderont pas cepen-
dant de rentrer dans les bonnes grâces de M""" de Saint-
Vallier et de retourner à leurs missions.
Si le pieux Prélat s'afflige de la triste situation de son
Eglise du Canada, il y a du moins un événement qui est
bien propre à le réjouir, la Paix de Montréal, ce traité
solennel que M. de Callières a réussi à conclure, en 1701,
avec les Iroquois des Cinq-Cantons, et auquel ont adhéré
presque tous les sauvages de l'Amérique du nord. Il s'en
réjouit pour le bien de son Eglise. Ah, qu'elle était oppor-
tune cette paix de Montréal, à la veille de la reprise des
hostilités entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-i\ngle-
terre, conséquence de la guerre de la succession d'Espagne!
Les Iroquois nous resteront fidèles, ou du moins observeront
la neutralité. En 1704, l'année même que M""" de Saint-
Vallier se prépare à revenir au Canada, M. de Vaudreuil
organise une expédition contre la Nouvelle-Angleterre :
Hertel de Rouville, à la tête de deux cent cinquante Cana-
diens, franchit les Alléganys. au milieu de l'hiver, et va
I. Archiv. des Colonies, Corresp. générale, C 13, vol. I, Louisiane,
Lettre du P. Gouye au ministre, Paris, 9 mars 1703.
236 l'éguse du canada
fondre sur la bourgade de Deerfield, qui est prise et détruite
de fond en comble. Plus tard il renouvelle un pareil exploit,
tombe sur le bourg palissade de Haverhill, baigné par le
Merrimac, et l'emporte d'assaut.
De ces expéditions, les Canadiens amènent avec eux bon
nombre d'Anglais prisonniers. Parmi eux, il y a beaucoup
de catholiques, et ils se trouvent si bien traités au Canada,
qu'ils demandent comme une faveur d'y rester et sollicitent
des lettres de naturalisation. Non seulement ces lettres leur
sont accordées, mais le Roi, à la demande de M^'' de Saint-
Vallier, leur alloue la somme de deux mille livres qui leur est
distribuée annuellement par l'intendant du Canada S Ces
Anglais catholiques sont les ancêtres de tant de familles
canadiennes qui n'ont d'anglais que le nom, et qui souvent
même ne parlent que le français.
*
* *
M^"" de Saint-Vallier quitta Paris, au commencement de
juin (1704), avec dix-huit ecclésiastiques qu'il avait réussi
à recruter pour son Eglise. Il se rendit à Rocliefort pour
s'y embarquer sur un des vaisseaux qui faisaient voile pour
la Nouvelle-France. Outre une foule d'objets du'il s'était
procurés à grands frais pour son Eglise, il emportait avec
lui les trois corps de saints martyrs que le pape lui avait
donnés, dans son voyage à Rome.
On est en pleine guerre de la succession d'Espagne. La
France lutte contre toute l'Europe, y compris l'Angleterre.
La mer est sillonnée de vaisseaux anglais qui font voile dans
toutes les directions, de l'Amérique, comme de la Grande-
Bretagne : comment les vaisseaux français pourront-ils pas-
ser sains et saufs au milieu de tant de pirates?
I. Corresp. générale, vol. 20, 31, 33.
sous M""" DE SAINT-VALLIER 237
La Seine, grande flûte du Roi. écrit Charlevoix, portait
à Québec M. de Saint- Vallier, son évêque, grand nombre
d'ecclésiastiques, plusieurs des plus riches particuliers. La
charge du vaisseau était estimée près d'un million. Le che-
valier de Meaupou, qui commandait ce navire, ayant aperçu
de loin quelques bâtiments qui lui parurent des barques,
leur donna la chasse, et fut bien surpris de se trouver au
milieu de la flotte de la Virginie, composée de cent cinquante
voiles et de quatre vaisseaux de guerre qui l'entouraient.
« Il n'était plus en son pouvoir d'éviter le combat, parce
qu'il était sous le vent des ennemis, et il le soutint pendant
dix heures avec une bravoure et une intrépidité qui ont peu
d'exemples. Son équipage et ses passagers le secondèrent
tout-à-fait bien : leur mousqueterie tua bien du nionde aux
Anglais. . .La résistance du chevalier de Meaupou eût été
même beaucoup plus longue, s'il n'eiit pas eu pour ses passa-
gers la complaisance de ne pas jeter à la mer les ballots qui
embarrassaient ses canons, dont il ne put faire jouer qu'une
petite partie. . . »
Ceci se passait le 26 juillet, jour de la bonne sainte Anne.
La Seine fut enfin obligée de se rendre avec ses passagers
et toute sa cargaison:
« Aussitôt, dit l'annaliste de l'Hôpital-Général, on ôta les
passagers du vaisseau prisonnier pour les mettre dans un
vaisseau de la flotte anglaise. M'"" notre fondateur, qui était
alors malade, crut qu'il lui serait plus doux de ne pas chan-
ger de navire et de demeurer dans le sien : mais il lui en
coûta bon. car les Français en étant sortis, il se trouva seul
au milieu d'hommes grossiers, qui ne respectèrent ni sa nais-
sance, ni son caractère. Un d'eux le prit à la gorge pour avoir
sa croix pectorale; un autre lui arracha son anneau, et tous
ensemble lui firent plusieurs insultes que le Prélat souffrit
avec une grande patience. Il n'avait garde de se plaindre de
ce qui ne s'attaquait qu'à sa personne, étant d'ailleurs trop
238 l'église du CAÎn\\DA
pénétré de douleur à la vue du mépris des hérétiques pour
les corps des saints martyrs qu'il apportait dans son diocèse.
Ces sacrilèges poussèrent l'impiété jusqu'à les brûler en-
guise de bois pour senàr à leur cuisine.
« Le chef de l'escadre ne tarda pas d'être instruit des
mauvais traitements qu'on faisait subir au Prélat. Il apprit
en même temps des passagers français que l'évêque de-
Québec était un homme de qualité, d'un caractère fort dis-
tingué. Sur le champ, ce digne gentilhomme envoya une-
chaloupe pour faire venir l'Evêque à bord de son vaisseau,
oii il lui fit toutes sortes d'honnêtetés. »
On conduisit la Seine d'abord à Plymouth, puis à Londres,
Sa cargaison fut vendue treize cent mille livres.
La reine Anne, qui avait succédé à Guillaume d'Orange,
en 1702, voulut voir les prisonniers, qu'elle traita avec égard,,
assignant à chacun d'eux une pension convenable. Ils furent
ensuite dispersés en différents endroits. M^ de Saint- Vallier
et ses prêtres eurent d'abord pour résidence la ville de
Rochester, puis celle de Farnham.
Avant la fin de l'année, tous les Français furent mis en
liberté, excepté toutefois les ecclésiastiques. Ceux-ci furent
retenus comme otages, dans l'espoir de pouvoir échanger
contre eux un certain nombre d'officiers anglais prisonniers
en France: cet échange fut l'objet d'une correspondance-
entre le gouvernement de Louis XIV et l'évêque de Québec,
mais ne s'opéra que quelques années plus tard.
Quant à l'évêque lui-même, il était un otage encore plus-
précieux à garder comme prisonnier d'état. On mentionne
surtout trois personnages dont on espérait obtenir la hberté-
en échange de la sienne : le baron de Méan, doyen de Liège,
que l'électeur de Cologne, à la demande de Louis XIV,
tenait prisonnier dans un château; M. Hunter, gouverneur
de la Virginie, prisonnier en France ; M. Reuss. secrétaire du
feu prince de Darmstadt : ce secrétaire avait en sa possession.
sous M^ DE SAINT-VALLIËR 239
le " cœur embaumé » de son maître, relique précieuse dont
les Français s'étaient emparés, au grand déplaisir des
Allemands et surtout de la princesse de Darmstadt.
M. Reuss eut la pennission, en 1707, d'aller en Angleterre
pour s'occuper de l'échange. Il y passa trois mois; mais nous
voyons qu'en 171 1 la princesse de Darmstadt n'était encore
en possession de son secrétaire ni du « cœur » de son mari.
Quant à M. Hunter, il obtint sa liberté en 1709, en
échange de celle du marquis de Lévy, lieutenant-général \
Ce ne fut aussi qu'en 1709 que Louis XIV, épuisé d'ar-
gent, à bout de ressources, s'étant vu obligé d'envoyer à la
Haye son ministre, le marquis de Torcy, pour entrer en
pourparler avec les chefs de la coalition européenne,
Heinsius, Malborough et Eugène de Savoie, en vue de îa
paix ", se décida à faire relâcher le baron de Méan. Cet
homme était son ennemi personnel; il avait toujours été lié
avec le prince d'Orange et les Hollandais, et avait engagé
Liège contre la France ;
« On l'avait enlevé en habit de chœur, écrit la Sœur
Juchereau, lorsqu'il sortait de l'église, sans lui donner le
temps d'entrer chez lui pour y prendre ses papiers : il fut
conduit dans un château ^. »
La liberté lui fut rendue ; et en échange M^ de Saint-
Vallier obtint aussi la sienne.
*
Nous avons une lettre de M. Tremblay à M. Glandelet, du
20 juin 1705, qui ajoute quelques détails sur la prise de la
1. Archives de la Marine, à Paris, Série B-2, vols 183-215.
2. Frédéric Masson, Introduction au journal inédit de J. B. Colbert,
p. XXIX.
3. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 419.
240 L eguse; du canada
Seine par les Anglais et la captivité de M^ de Saint-Vallier,
dont nous croyons devoir citer quelques passages :
« Je crois inutile de vous mander, dit-il, l'accident arrivé
à la Seine et la manière dont tout s'est passé. Comme
plusieurs séculiers, qui sont revenus d'Angleterre, passeront
à Québec en même temps que cette lettre, ils vous appren-
dront la témérité et l'envie de piller de nos Canadiens La
Ronde et Tilly \ qui ont conseillé à M. de Meaupou d'aller
attaquer une flotte, présumant que ce n'étaient que de petits
vaisseaux, et vous saurez par eux la manière dont on a
échangé les prisonniers, hors le Prélat et ses ecclésiastiques.
On a même renvoyé une Ursuline de Quimper, que M^"" de
Québec menait au Canada pour les Trois-Rivières, et dont
on dit du bien, et une autre fille séculière, qu'il destinait pour
r Hôpital-Général, parce qu'elle sait soigner et panser les
malades, et qu'elle se mêle un peu de pharmacie. »
M. Tremblay parle ensuite de l'affaire du baron de Méan;
cause principale de la détention de l'Evêque en Angleterre;
puis il ajoute :
« M^'" de Québec a protesté que, tant qu'on demanderait
pour lui, prisonnier de guerre, un prisonnier d'Etat, il ne
pouvait être délivré. Quant à ses ecclésiastiques, qui sont
au nombre de dix-huit, ils sont tous avec lui dans une petite
ville, à six lieues de Londres, où ils sont logés chacun dans
des maisons particulières; et M^"" de Québec est logé avec
trois ou quatre qu'il a retenus avec lui.
« Il y a deux Sulpiciens pour Montréal, fort honnêtes
gens, et M. Bouteville ". Il y faut joindre M. de Langeon,
1. Probablement Louis Denis de la Ronde, frère du P. Joseph Denis,
et Pierre-Noël Le Gardeur, seigneur de Tilly.
2. M. Bouteville, prêtre canadien, ordonné à Québec en i6g6, était
passé en France, après avoir été aux missions de la Louisiane, d'où
il avait amené un petit sauvage illinois. Mgr de Saint-Vallier se
chargea de ce petit sauvage, et l'envoya plus tard à l'abbaye de Béné-
vent; mais il mourut en chemin. M. Bouteville revint au Canada
sous M*''" DE SAINT-VALLIKR 24I
prêtre de très bonne famille, de la maison de Beauveau, qui
est un saint prêtre, et un autre prêtre de même qualité, qui
demeurait à Saint-Sulpice avec jVP"" de Québec. M. Ollivier
qui. depuis, a voyagé à Rome, en est un; et un autre qui y
a demeuré dix ou douze ans.
« Il y a quatre jeunes gens, qui ne sont pas dans les ordres
sacrés, et qu'on m'a dit être fort modestes et fort sages.
Voilà ce que j'en connais. J'ai appris que MM. de Langeon
et de Fraize s'étaient encore séparés d'eux, et même de lui,
en prenant une chambre à part, ce qui fait qu'il doit actuel-
lement avoir peu ou point de ses ecclésiastiques avec lui.
« La reine d'Angleterre donne pour chaque ecclésiastique
douze sous, et vingt-quatre sous pour monseigneur. »
D'après l'annaliste de l'Hôpital-Général. « la reine Anne
lui alloua pour son usage une somme assez considérable ; et
Louis XIV, de son côté, lui envoya quinze cents écus en
dédommagement des pertes qu'il venait d'essuyer «. Puis
elle ajoute:
« De toutes les peines qu'eut à endurer M^"" de Saint-
Vallier pendant son séjour en Angleterre, une des plus
douloureuses fut celle que lui causa l'apostasie d'un de ses
prêtres, savoisien d'origine. Ce malheureux, comme un
autre Judas, se sépara de ses frères, trahit son ministère et
sa religion, et chercha même à perdre son évêque, en faisant
courir contre lui un libelle qui ne tourna cependant qu'à sa
propre confusion. Il persévéra dans son égarement, malgré
toutes les poursuites que fit M^ de Saint- Vallier, comme le
Bon Pasteur, pour le ramener. Il se fit maître d'école en
ces lieux-là, après avoir renoncé à son caractère et à sa
croyance. »
M*"" de Saint- Vallier écrivit au souverain j)ontife le 25
en 1710, et mourut en 171 1, victime de sa charité héroïque auprès de
malades atteints de maladies contagieuses.
242 I. ÉGLISE DU CANADA
novembre pour lui apprendre sa captivité en Angleterre : il
ne faisait que relever d'une longue et douloureuse maladie,
pendant laquelle la reine Anne lui avait témoigné beaucoup
de sympathie et d'égards, jusqu'à le faire traiter par son
propre médecin.
Le saint-père, qui avait connu par lui-même le mérite de
l'évêque de Québec, durant son séjour à Rome, fut très sen-
sible à l'accident qui l'avait privé de sa liberté; et pour lui
exprimer sa sympathie, il lui donna des lettres de vicaire
apostolique pour l'Angleterre, ce qui lui permit d'exercer
plus librement son zèle en ce pays, d'employer utilement son
temps, et de faire du bien sur cette terre étrangère. Laissons
M. de Prévil, l'un des dignes Sulpiciens qui partageaient sa
captivité, nous dire quelque chose de la vie du pieux Prélat :
« Il est certain, dit-il, que M^"" de Saint-Vallier a été de
tout temps un modèle accompli de toutes les vertus; mais
on peut dire qu'il les a portées jusqu'à l'héroïsme dans cette
terre de tribulation. Nourri du pain de l'angoisse, il a tou-
jours conservé une résignation si parfaite aux ordres de la
Providence, qu'il semblait n'avoir jamais été si heureux;
il trouvait de la consolation au milieu des plus rudes
épreuves. Son zèle infatigable avait transformé sa prison
en une église, oii il exerçait les fonctions de son ministère
de manière à gagner au Seigneur les âmes les plus endurcies.
« Des catholiques romains que leurs intérêts retiennent en
Angleterre, et un bon nombre de prêtres et de religieux qui
y vivent cachés, se rassemblaient dans son appartement, où
il leur distribuait la parole de Dieu et leur conférait le»
sacrements. Quoique le Prélat prit des précautions pour
tenir secrètes les saintes pratiques de religion qu'il exerçait,
on en eut connaissance, et il eut ordre de changer de ville;
mais quelque endroit qu'on lui assignât pour prison, il sut
toujours en faire une maison de prière et y gagner des
âmes à Jésus-Christ. »
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 243
Le changement de demeure dont il est ici question, fut
de la petite ville de Farnham, où l'Evêque avait passé deux
ans, à celle de Peterhead, où il séjourna encore deux nn'*
et quelques mois.
Le sort de la Seine ne fut connu au Canada qu'une année
après sa capture. M. de Vaudreuil écrivait à la cour le i6
novembre 1704^ : «Nous n'avons pas reçu la Seine cette
année, et nous n'en avons même aucune nouvelle, ce qui noua
jette dans un terrible embarras "... » Ceux qui montaient
les navires marchands qui l'avaient abandonnée, ne s'étaient
pas vantés de l'avoir laissée à elle-même, aux prises avec
l'ennemi, à deux cent cinquante lieues de la France. Tout
le pays se ressentit de la perte de ce vaisseau ; mais les hôpi-
taux y eurent une large part : jamais le Prélat n'avait
apporté autant d'effets : toiles, étoffes, couvertures en grande
quantité pour les pauvres. Le séminaire de Québec, pour
sa part, y avait pour deux mille livres d'effets; et comme
la perte de ces objets de première nécessité obligea de les
acheter très cher au Canada, M. Tremblay estimait que le
dommage allait certainement à vingt mille livres.
Il y eut une véritable disette de sel à Québec et à Mont-
réal; et la cherté de cet objet si nécessaire causa des sou-
lèvements populaires que yi. de Vaudreuil eut beaucoup de
peine à apaiser.
Si l'on en croît Charlevoix, des malheurs comme celui de
la perte de la Seine avaient un avantage, en obligeant les
habitants canadiens à moins compter sur les produits
1. C'est précisément ce navire qui lui apportait sa commission de
gouverneur et ses instructions : ce qui explique pourquoi ces instruc-
tions ne se trouvent pas aux archives. Sa commission était datée du
1er août 1703: il en fut émané l'année suivante un duplicata, qu'il ne
put faire enregistrer au Conseil Supérieur qu'en 1705. (Jugements du
Conseil Supérieur, t. V, p. 151.)
2. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 22.
244 L EGUSE DU CANADA
d'outremer et à s'efforcer de retirer de leurs terres leurs
besoins :
« On ne s'y était pas encore avisé d'y faire de la toile,
écrit-il ; la nécessité y fit ouvrir les yeux sur cette négligence ;
on y sema du chanvre et du lin, qui y réussirent au delà de ce
qu'on avait espéré. . . »
L'intendant Raudot écrivant au ministre en 1706:
« Les habitants de ce pays, dit-il, commencent à présent à
reconnaître leur erreur. . . Ils s'adonnent à la culture de
leurs terres, à faire des chanvres et des lins, et étant encou-
ragés ils feront, à la fin, de ce pays un pays utile à la
France. . .
« C'est une augmentation d'obligation que le pays vous a,
ajoute-t-il. que la permission que vous donnez aux pauvres
gens de faire de la toile et quelques mauvaises étoffes pour
se couvrir. S'ils n'en avaient pas fait un peu, la moitié des
habitants seraient sans chemises. Ils ont tous besoin d'en
faire, car l'on peut dire que dans ce pays-ci, il n'y a personne
de riche et à qui tout ne soit nécessaire pour pouvoir
subsister ^. . . »
Quelle ironie, vraiment! Quand on songe que les Cana-
diens n'avaient pas encore eu jusque-là « la permission de
faire de la toile et des étoffes pour se couvrir » ! On voulait
les obliger à se pourvoir de leurs besoins en France : le
Canada devait être un débouché pour les produits français :
on ne songeait qu'à une chose, en faire « un pays utile à la
France » !
I. Corresp. générale, vol. 24. — L'intendant Bégon écrivait à la cour
en 1714: "La cherté des marchandises a rendu les habitants indus-
trieux, faisant des droguets avec du fil et de la laine du pays. Ils font
aussi beaucoup de toile. Il y a à Montréal jusqu'à vingt-cinq métiers
pour faire de la toile et des étoffes de laine. Les Sœurs de la Congré-
gation m'ont fait voir de l'étamine qu'elles ont fait pour leur habille-
ment, qui est aussi belle que celle qui se fait en France ; et on fait ici,
au Séminaire (de Québec), des étoffes noires pour l'habillement des
prêtres, et des bleues pour celui des pensionnaires. La nécessité leur a
fait prendre ce parti..." (Ibid., vol. 34).
sous m'^'' de saint-valuer 245
Faut-il s'étonner que ce pauvre pays fût resté en arrière
pour l'industrie et l'agriculture? Faut-il s'étonner que la
misère et la cherté des vivres et des marchandises aient
occasionné quelquefois des mouvements séditieux, des sou-
lèvements populaires ' ?
*
* *
I\Iais revenons à M^" de Saint- Vallier. Retenu captif en
Angleterre, il écrivit à ses prêtres au Canada, le 3 février
1705, sollicitant leurs prières pour pouvoir retourner dans
son diocèse le plus tôt possible '^. Il ne put sortir de l'An-
gleterre qu'en 1709; et rentré en France, il y fut retenu
quatre années entières par la cour, de sorte qu'il ne revint au
Canada qu'en 1713.
Faut-il croire, comme le prétendit le Prélat, que certaines
influences secrètes au Canada, empêchèrent son retour,
comme on avait fait en 1695 ? Nous ne voyons rien dans les
documents qui l'indique. Tant que IVP'" de Laval vécut et
qu'il put suppléer l'évêque titulaire pour les ordinations et
autres fonctions épiscopales, on ne songea pas à se plaindre
de son absence. Mais une fois l'ancien évêque disparu, en
1708. on fit immédiatement des démarches pour que M^"" de
Saint- Vallier revînt au Canada : le gouverneur et l'intendant
écrivent à la cour en 1710:
« MM. de Maizerets et Glandelet, grands vicaires, et
supérieurs du séminaire de cette ville, sont venus nous mar-
quer la nécessité que cette colonie a du retour de M. l'Evéque
pour faire les ordinations et autres fonctions épiscopales.
Son absence empêche que ce séminaire puisse fournir les
curés nécessaires^. . . »
1. Voir Mgr de Saint-Vallier et son temps, p. 79.
2. Mandements des Evêques de Québec, t. I, p. 450.
3. Corresp. générale, vol. 31.
246 l'église du canada
Deux ans plus tard, M. de Ramesay écrit de Montréal :
« Toutes les communautés et habitants de ce gouver-
nement attendent avec une très grande impatience le retour
de M. l'évêque de Québec dans son diocèse, où il serait très
nécessaire, tant pour y donner les ordres de prêtrise que
pour le soulagement des pauvres, des veuves et des orphelins.
Ils espèrent que vous aurez la bonté de le renvoyer aussitôt
que vous le pourrez ^ . . »
Non; le Prélat était retenu en France parce qu'il n'y a rien
que les cours redoutent autant que les difficultés religieuses,
et qu'on n'avait pas oublié à Versailles les querelles qu'il
avait eues autrefois avec son clergé et les autorités de la
colonie. Depuis, il avait mécontenté, à plusieurs reprises,
les religieux de Québec et de Montréal, et les nouvelles que
l'on en avait eues à la cour y avaient entretenu les préjugés
contre lui, au lieu de les effacer.
« Ce Prélat, contre la pratique générale des évêques, écrit
M. Faillon, avait agi jusqu'alors sans conseil dans son admi-
nistration, quoiqu'il eiit peut-être plus besoin que d'autres
de conseillers sages et prudents, à cause de la promptitude
de son caractère. . . Il aliéna si fort tous les esprits en
Canada et en France, par l'usage qu'il fit de son autorité,
qu'il perdit insensiblement toute créance à la cour, même
dans les choses où son bon droit semblait être incontestable.
Il en était arrivé à ce point lorsqu'il fut pris sur mer et con-
duit en Angleterre. La cour qui désirait vivement qu'il se
démît de son siège, l'en fit presser pendant sa captivité
et après sa délivrance. Mais M. de Saint- Vallier persistant à
le conserver, sur ce principe qu'un évêque doit mourir les
armes à la main, son refus aigrit de plus en plus le Roi et
ses ministres contre sa personne -. «
1. Corresp. générale, vol. 33.
2. Vie de la Sœur Bourgeois, t. II, p. 209.
sous M^ DE SAIXT-VALUER 247
On sait, d'après l'annaliste de l'Hôpital-Général, que
Pontchartrain fit une dernière tentative, en 171 2, auprès du
pieux Prélat, pour lui faire résigner son siège, lui soumet-
tant à cet effet un certain nombre de propositions auxquelles
il demandait une réjxjnse ^ Nous n'avons jamais pu nous
empêcher d'admirer le calme, le courage, la volonté inflexible
avec lesquels jVP"" de Saint-Vallier sut toujours résister à ces
injonctions, qui lui étaient faites, à lui, prélat irréprochable,
par l'autorité séculière, pour lui faire résigner un siège, qu'il
n'avait pas convoité, qu'il avait accepté par devoir, et auquel
il se croyait attaché, en honneur et en conscience, pour
toujours.
Et pourtant, il relevait d'une maladie grave qui l'avait
conduit aux portes du tombeau. Il était sous le poids de
deux grandes douleurs : la mort de son meilleur ami, yi. Le
Vallet, qui était venu le rejoindre en France pour l'aider
dans ses travaux, et venait de lui être ravi, à l'abbaye de
Bénévent, par ces mêmes fièvres malignes qui avaient failli
l'emporter lui-même; puis la nouvelle de la maladie de son
autre ami, à Québec, Serré de la Colombière, qu'il ne devait
plus revoir et qui mourut le 23 décembre 1702 à l'Hôpital-
Général dont il était le soutien.
Pontchartrain insistant pour obtenir sa démission. M'"" de
Saint-Vallier prit le parti d'écrire directement au Roi, le
suppliant de lui intimer ses ordres au sujet de son retour au
Canada. Le Roi lui accorda une audience : et le Prélat lui
rendit compte de la manière dont il conduisait son diocèse.
Puis, parlant des propositions du ministre Pontchartrain. il
ne craignit pas de dire à Louis XIV que son devoir d'évêciue
ne lui permettait pas de s'y conformer. Le Roi l'écouta
avec satisfaction, l'assura qu'il ne s'opposait plus à son
retour, persuadé que sa présence était nécesaire à son trou-
I. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôpital-Général, p. 217.
248 1,'ÉGLISE DU CANADA
peau, et lui permit de s'embarquer quand bon lui semblerait.
Mais la saison est déjà avancée; il voit bien qu'il ne
pourra prendre le vaisseau de la marine royale, destiné
pour le Canada, qui va lever l'ancre bientôt. . . Alors il se
sent bouleversé de douleur. Milles pensées lourdes et trou-
blantes pèsent sur son esprit: n'avait-il pas eu raison de
croire qu'il y avait au Canada certains personnages ecclé-
siastiques qui s'opposaient à son retour? Ils ne le reverront
peut-être pas encore cette année; mais ils auront du moins
de ses nouvelles par le navire sur lequel il devait s'embar-
quer. C'est alors qu'il se décide à écrire de Paris à son
clergé cette lettre foudroyante, dans laquelle il vise spécia-
lement ceux qu'il appelle « les faux frères ». Elle n'a pas de
date précise, mais elle est certainement de 1713:
« Vous savez, dit-il, comment le Seigneur nous a éloigné
de vous, dans le temps même que nous nous en approchions
et que nous espérions de vous rejoindre, après quatre ans de
séparation et de voyages pour les nécessités de notre Eglise.
Vous savez que la divine Providence nous a conduit en
Angleterre et que, durant cinq années, nous avons éprouvé
une compensation rude et amère de toutes les consolations
spirituelles que nous avions goiàtées dans la sainte cité de
Rome, auprès des corps des saints Apôtres et sous les yeux
du Père commun des fidèles.
« Mais ce que vous ne savez pas peut-être et ce que je
voudrais, s'il était possible, dérober à vos yeux, c'est une
épreuve bien plus fâcheuse que nous souffrons maintenant,
semblable à celle dont saint Paul se plaint et néanmoins se
glorifie dans plusieurs de ses épîtres, c'est la persécution des
faux frères, persécution qu'il appelle même, selon saint Jean
Chrysostôme, l'Ange de Satan.
« La charité que nous consentons pour ces faux frères et
l'amour de la paix nous ont fait dissimuler jusqu'ici cette
persécution, peut-être au delà de notre devoir. Nous nous
sous M*^ DE SAINT-VÀLLIER 249
sommes contenté d'en gémir devant Dieu. Nous nous
sommes flatté que notre longue patience, les excès mêmes
où ils se sont portés les feraient rentrer en eux-mêmes. . .
Mais nous voyons, avec une vive amertume de cœur, que
rien ne les touche, et que ce qu'ils craignent le plus, c'est la.
présence de leur pasteur. Ils voudraient, s'il leur était
possible, nous tenir toujours éloigné de l'Eglise de Québec,,
notre épouse; et ne pouvant, après de vains efforts, rompre
les liens qui nous attachent à elle, ils s'opposent sous main
à notre retour. Par une politique souterraine, très opposée à
l'esprit de l'évangile, ils nous retiennent dans une espèce
d'exil en ce pays-ci, en faisant naître des obstacles à notre
départ, et rendant inutile tout ce que nous faisons pour les
surmonter. . . »
Le Prélat rappelle ensuite que d'après le synode tenu à
Québec dans l'automne de 1700, les confesseurs dans les
villes devaient faire renouveler leurs pouvoirs au bout de
trois ans, et ceux des missions éloignées au bout de cinq ans :
« Nous avons déclaré solennellement dans ce synode,
dit-il, et en toute occasion, que tous ces pouvoirs expirent
avec ce terme. Néanmoins plusieurs ont la témérité de con-
fesser depuis treize ans, sans avoir fait renouveler leur
approbation. Quel dérèglement ! Quel malheur ! Et quel en
doit être le châtiment! Si les moindres fautes dans les
prêtres sont très grandes, que penser de celle-ci? Puisque
parmi nous point de défaut plus grand que celui de puis-
sance, quelle excuse, quel prétexte peut avoir ici lieu ? Où est
le titre même coloré?. . . »
Ses vicaires généraux. De Maizerets, Glandelet et La
Colombière, avaient dû pourtant se poser ces questions à
eux-mêmes ; et s'ils avaient laissé les choses dans le statu quo,
continuant implicitement la juridiction aux confesseurs,
c'est sans doute parce qu'ils avaient jugé que l'éloignement
de l'Evêque rendait très difficile et presque impossible de
•250 L EGLISE DU CANADA
recourir à lui. Ils avaient donné en 1707 un mandement
pour la publication du jubilé du pape Clément XI, et ce
jubilé avait eu lieu en 1708. Ils avaient répondu à plusieurs
cas de conscience : et en aucune occasion ils ne paraissaient
seulement avoir soupçonné que l'Evêque ne voulait pas
continuer la juridicton à ses prêtres.
Quoi qu'il en soit, le Prélat déclare que tous les pouvoirs
de confesser «cesseront au premier novembre 1714, temps
auquel nous comptons, dit-il, avec l'aide de Dieu, nous
trouver à Québec, si les faux frères ne continuent pas de
s'opposer efficacement à notre retour. »
Mais quels sont « ces faux frères » ? L'Evêque ne les
nomme pas, mais les désigne assez clairement :
« Afin de mettre, dit-il. ceux qui s'opposent à notre départ
dans la nécessité de procurer eux-mêmes efficacement ce
prompt départ, bien loin de continuer à le traverser comme
ils font, nous jugeons nécessaire, dans les circonstances
présentes, d'en venir à la fâcheuse nécessité d'ôter tout
moyen de recourir à d'autres qu'à nous, pour les choses qui
dépendent de l'autorité des évêques. Dans cette unique vue,
quelle que satisfaction que nous ayons eue par le passé et
que nous espérions encore pour l'avenir du secours de nos
vicaires généraux, nous suspendons et nous révoquons tous
les pouvoirs par nous donnés à nos dits vicaires généraux
jusqu'à présent; et nous déclarons que la présente suspension
et révocation aura lieu à commencer du premier janvier de
l'année prochaine 1714. . . »
Si A'P"" de Saint- Vallier voulait désigner sous le titre de
«faux frères» ses vicaires généraux, il est juste de dire qu'au
moins deux d'entre eux s'occupaient depuis longtemps et
sérieusement d'obtenir son retour au Canada. Nous avons
cité plus haut une lettre du gouverneur et de l'intendant à
ce sujet, en date du 2 novembre 1710.
Le malheur et les contrariétés portent quelquefois à l'in-
sous M^ DE SAINT-VALUER 25 1
justice : qui sait si M^"" de Saint-Vallier, retenu en France
par la cour, ne s'était pas trop facilement figuré que tout le
monde était contre lui au Canada? Nous avons cité plus
haut une lettre de M. de Ramesay qui prouve le contraire.
Le pieux Prélat réussit enfin à quitter la France peu de
temps après le départ de sa lettre. Il fit voile sur un misé-
rable navire appelé le Manon, et rentra dans sa ville épisco-
pale le 17 août 171 3.
On aimerait à savoir quels furent les sentiments intimes
de ses prêtres en le revoyant. La lettre si sévère qu'il leur
avait adressée de Paris avait-elle laissé dans leur esprit quel-
que trace d'amertume? Mais est-il bien siîr qu'elle leur fut
jamais distribuée? Elle fut certainement «écrite et donnée
à Paris », puis envoyée au Canada : on en a une copie à
l'archevêché de Québec : elle se trouve dans la collection
imprimée des mandements ^. Mais il y a, suivant nous, lieu
de croire que les vicaires généraux exercèrent une sage
temporisation. L'Evêque arriva, sur les entrefaites, le 17
août; et le mandement n'ayant plus sa raison d'être, ne fut
probablement jamais envoyé aux dififérents curés ou mission-
naires de la Nouvelle-France.
Le retour de l'Evêque dans son diocèse, comme nous le
dirons dans le prochain chapitre, y apporta la joie et le
contentement. L'Eglise du Canada était heureuse d'avoir
retrouvé son chef, qui lui arrivait après tant de tribulations
et d'épreuves. M. de Vaudreuil écrivant au ministre quel-
ques mois après l'arrivée de M^ de Saint-Vallier :
« J'ai attendu jusques ici, disait-il, à vous parler de l'arri-
vée de M. l'Evêque en ce pays. Je ne saurais trop vous dire
combien elle a fait de plaisir à tout le monde, et de bien
en même temps, par la quantité de prêtres qu'il a ordonnés,
dont on avait très grand besoin dans toute la colonie. Ses
I. Mandements des Evêques de Québec, t. I, p. 482.
252 I,''ÉGUSE DU CANADA
charités continuelles, d'ailleurs, font que chacun a recours
à lui. En mon particulier, j'ai une véritable joie de le
revoir, et je me fais un honneur de lui rendre visite à son
Hôpital-Général, où il demeure, le plus souvent qu'il m'est
possible \ »
I. Corresp. générale, vol. 34, Vaudreuil au ministre, 14 nov. 1713.
CHAPITRE XIX
l'église du canada, au retour de France
de son premier pasteur
Arrivée à Québec de Mgr de Saint-Vallier. — A l'Hôpital-Général. —
Renonce à habiter son évêché. — Etat de son diocèse. — Visite
de la ville. — Visite des communautés religieuses. — Entrée du
gouverneur dans les couvents. — Maladie de l'Evêque. — Aux
Trois-Rivières. — A Montréal. — Mgr de Saint-Vallier et l'ivro-
gnerie. — Fête de sainte Marie-Madeleine.
MGR de Saint-Vallier, après avoir été absent treize ans
de son diocèse, arriva à Québec le jeudi 17 aoiit
(1713). Il avait fait la traversée assez heureusement sur
un petit bâtiment marchand ; et lorsque ce vaisseau fut à
quelques lieues de la ville, le capitaine dépêcha quelques
émissaires pour annoncer l'arrivée de l'Evêque, que l'on
n'attendait plus cette année. On peut imaginer la surprise et
la joie que causa cette nouvelle. Comme le vent n'était pas
favorable, et qu'il y avait lieu de craindre que le Manon mît
beaucoup de temps à arriver dans le port, on équipa à la
hâte un des bateaux du Roi. et plusieurs personnes s'y em-
barquèrent, entre autres deux prêtres séculiers et deux
Jésuites, pour aller au devant de Sa Grandeur et lui sou-
haiter la bienvenue au nom de toute la population.
Vers trois heures et demie, on vit revenir le bateau. Cette
fois il portait le vénérable Evêque : et dès qu'on l'aperçut,
il fut salué par une décharge de tous les canons du fort et
254 L^ÉGUSE DU CANADA
des vaisseaux qui se trouvaient dans la rade. Les cloches de
la ville sonnaient à toute volée ; le gouverneur et l'intendant,
les magistrats, le clergé séculier et régulier, tous les princi-
paux citoyens étaient descendus au débarcadère; et aussitôt
que le Prélat eut mis pied à terre, il reçut leurs hommages,
et fut complimenté d'abord par l'archidiacre, M. de la
Colombière, au nom du clergé, puis par l'intendant Bégon,
au nom des citoyens. Il leur répondit en peu de mots,
« avec cette facilité gracieuse qui lui était naturelle », dit
l'annaliste de l'Hôpital-Général.
Le gouverneur du Canada, AL de Vaudreuil, ne lui était
pas inconnu: il était commandant à Montréal, avant son
départ pour l'Europe. L'intendant Bégon n'était ici que
depuis deux ans ; mais M^ de Saint-Vallier avait dû le ren-
contrer en France : il était l'ami de M. de Brisacier, supé-
rieur des Missions-Etrangères, et avait un frère prêtre, qui
était doyen de La Rochelle, et député de sa province à
l'Assemblée du Clergé. Cet abbé Bégon avait été élevé
chez les Sulpiciens et logeait chez eux quand il allait à
Paris.
M^ de Saint-V^allier ne voulut pas se servir de la voiture
qu'on avait envoyée à sa rencontre pour le conduire à la
cathédrale : il préféra monter à pied avec son clergé et les
citoyens, saluant avec affabilité la foule qui encombrait les
rues, et montrant à tous la plus aimable simplicité. Dans
cette foule, combien ne le connaissaient pas, et ne l'avaient
jamais vu! les nouveaux arrivés dans le pays; les jeunes
gens, surtout, qui étaient encore enfants, lorsqu'il était parti.
A ceux qui l'avaient connu, comme il paraissait changé dans
sa figure et dans tout son extérieur ! comme il avait vieilli !
Treize ans d'absence! presque l'espace de temps que Tacite
appelle grande mortalis œvi spatînm ! Et quelle absence !
Treize ans d'âpres travaux, d'anxiété, d'angoisse, de con-
trariétés ; treize ans, dont une grande partie en exil sur une
sous M*''' DE SAINT-VALLIËR 255
terre étrangère, loin de son diocèse, loin de sa patrie ! Il
avait quarante-sept ans quand il était parti : il en a mainte-
nant soixante. Ses cheveux ont blanchi ; ses traits altérés se
ressentent des maladies, des inquiétudes et des chagrins de
toutes sortes qu'il a éprouvés; toute sa personne fléchit un
peu sous le poids des ans: néanmoins il est encore plein de
courage et d'énergie. Il est à l'âge où son prédécesseur a
cru devoir déposer le fardeau de l'épiscopat; mais lui, il
entend bien rester à son poste mihtant, et mourir ici, dans
son diocèse, les armes à la main.
C'est bien cela que, dans sa cathédrale, après quelques
minutes d'adoration, puis le chant du Te Deum, il exprima
à ceux qui l'avaient accompagné du débarcadère à la Haute-
Ville. Dans un discours bref, mais si touchant qu'il fit
verser bien des larmes, il leur dit combien il était heureux
de se retrouver parmi ses diocésains, et qu'il entendait bien'
leur consacrer les quelques années qu'il avait encore à vivre,
puis mourir au sein de son Eglise. Il leur donna ensuite la
bénédiction du saint Sacrement, et tous se retirèrent profon-
dément émus, faisant l'éloge de leur premier Pasteur.
Le soir, M. de Vaudreuil lui donna à dîner, au château,
ainsi qu'aux principaux membres de son clergé. Puis, le
lendemain, il y eut office pontifical à la cathédrale, avec un
grand concours du peuple. « Tous admiraient l'esprit inté-
rieur avec lequel il paraissait à l'autel, » écrit l'annaliste de
l'Hôpital-Général. L'après-midi fut employée à visiter les
communautés religieuses, et le Prélat donna partout des
marques de la plus affectueuse bonté.
Il avait hâte de visiter son Hôpital-Général ; et ses bonnes
religieuses n'avaient pas moins hâte de le voir. Ce ne fut
pourtant que le troisième Jour, samedi, qu'il put descendre
leur faire visite. Sitôt qu'elles aperçurent de loin là voiture
qui leur amenait leur fondateur, elles envoyèrent au devant
de lui, comme autant de messagers de bienvenue,, tous leurs
256 l'église du canada
pauvres, leurs vieillards, ceux de leurs infirmes qui pou-
vaient marcher. Spectacle inoubliable : à la vue de tous ces
représentants du Sauveur des hommes, le Prélat descend de
voiture, les bénit, les embrasse avec tendresse, puis en leur
compagnie continue à pied sa marche vers l'Hôpital, leur
disant combien souvent il a pensé à eux durant son absence,
qu'il ne les quittera plus, qu'il va se dévouer désormais pour
leur bonheur et sera leur père jusqu'à sa mort.
Arrivé à l'Hôpital, il trouve la communauté dans le vesti-
bule, avec son digne chapelain, M. Philippe Boucher, qui le
complimente sur son retour, et lui dit combien on est heu-
reux de le revoir. Il entre ensuite à l'église, et M. Boucher
entonne le Te Deiim, qui est continué par toutes les reli-
gieuses; puis ensuite, visite de la communauté. Ah, que
de changements, dans une maison, l'espace de treize ans!
que de nouveaux arrivés ! que de disparus ! et parmi ceux-ci,
il y en a un que le Prélat ne saurait trop regretter, son ami
de cœur, le bon Serré de la Colombière, qu'il avait amené de
Grenoble pour être au Canada son appui et son soutien: il
ne le reverra plus ! Il demande où il est enterré, et il va
s'agenouiller un instant près de sa tombe pour lui donner
l'offrande d'une fervente prière.
Mais, comme tout est en ordre dans cette belle commu-
nauté, comme tout paraît y avoir été bien conduit par les
dignes supérieures qui se sont succédé durant son abesnce ! II
jette un coup d'œil à l'extérieur, sur les dépendances, sur les
jardins, sur les champs en culture : tout y respire l'aisance et
le progrès. Le vieux moulin à eau « qui ne suffisait pas
pour le public ». a fait place à un moulin à vent, qui fera
plus d'ouvrage et donnera un peu plus de revenu pour les
pauvres \ Ce nouveau moulin a été bâti à ses frais ^ : il est
heureux de le voir.
1. Corresp. générale, vol. 29.
2. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. II, p. iio.
sous M^*" DE SAINT-VALLIER 257
Il y a longtemps qu'il a signifié aux religieuses son désir
de faire désormais sa résidence à l' Hôpital-Général : aussi
n'onl-elles rien de plus pressé que de lui ouvrir l'humble
appartement qu'elles lui ont préparé en conformité de ses
vues : laissons ici parler l'annaliste :
« Monseigneur témoigna le désir de voir l'appartement
que nous lui avions fait préparer. Il le trouva de son goût,
parce qu'il n'y avait ni tapisseries, ni meubles de prix. Des
murs blanchis, des sièges très communs, et des images de
papier, une petite bibliothèque, un lit d'une étoffe fort gros-
sière, — voilà la magnificence du logement que son esprit
d'humilité et de pauvreté lui fit préférer à d'autres plus
commodes et plus convenables à sa dignité. Il nous dit qu'il
en prendrait possession à l'instant, si la visite de ses chères
ouailles ne lui réclamait encore quelques jours. Il nous dit
encore que, quoique son arrivée eût été vraiment triom-
phale au milieu de son peuple, qui lui avait donné mille béné-
dictions, rien ne lui avait fait éprouver une satisfaction
aussi vive que la joie extraordinaire que montraient ses
chères filles et ses pauvres. »
En arrivant à Québec, le Prélat avait trouvé son évêchê
occupé par l'intendant Bégon, à qui on l'avait loué, le
palais de l'Intendance ayant été incendié dans la nuit du 5
au 6 janvier précédent^ : il y avait une grande salle que le
Conseil Supérieur s'était réservée pour ses séances et celles
de la prévôté. M^" de Saint- Vallier alla donc loger au sémi-
naire, en attendant qu'il pût descendre se fixer à l'Hôpital-
Général ; et l'évêché ne le revit plus, si ce n'est de temps en
temps, à de rares intervalles, lorsqu'il assistait à quelques
séances du Conseil. Il s'y rendit le 21 août, comme pour y
faire une simple apparition et affirmer son droit. On ne l'y
revit plus que le 19 février suivant.
I. Ce palais avait été construit "à la Brasserie", sous l'intendant
de Meulles. (Ed. et Ord., t. I, p. 254.)
258 l'église du canada
Dans la séance du 14 août, le Conseil avait décidé qu'un
Te Dcum solennel serait chanté à la cathédrale le jour de
la Saint-Louis, en actions de grâces de la belle victoire de
Denain remportée par le maréchal de \^illars sur les enne-
mis de la France. La Saint-Louis était alors fête d'obli-
gation au Canada \ et c'est M^"" de Saint-Vallier lui-même
qui voulut présider à la cérémonie du Te Deum après les
vêpres solennelles du jour.
Il avait à cœur de visiter toutes les familles, pauvres et
riches, de sa ville épiscopale : « Ce fut une fête continuelle,
écrit l'annaliste de l'Hôpital : grands et petits eurent le
bonheur de le voir dans leurs maisons. Il n'y eut pas une
seule famille qu'il ne visitât, et les plus pauvres furent
celles à qui il donna plus de marques de bonté. ^>
Le dernier jour de sa visite, il administra dans la cathé-
drale le sacrement de confimiation à un grand nombre de
personnes de tout âge : il y en avait en effet qui atten-
daient ce bonheur depuis sept ou huit ans, AP"" de Laval
étant mort depuis cinq ans, et n'ayant pu confimier les deux
ou trois dernières années de sa vie :
« M^"" de Saint-Vallier, écrit l'annaliste, prêcha en cette
occasion avec tant de force et de suavité qu'il tira les
larmes de tout son auditoire. Après la cérémonie, qui ne
finit cju'à une heure de l'après-midi, il alla prendre le dîner
chez les messieurs du séminaire. Là, en présence de tous
les membres du clergé, il exposa la résolution où il était
de ne pas occuper son palais épiscopal. Ses revenus étant
très modiques, il ne se croyait pas en état de soutenir une
telle dépense. Il venait de perdre considérablement par la
déduction des rentes sur l'Hôtel-de-ville de Paris ; les cons-
tructions commencées depuis quelques années à l'Hôpital-
Général étaient coûteuses, et se faisaient à ses frais; et il ne
I. Mandevients des Ev. de Québec, t. I, p. 141.
sous M^' DE SAINT-VALUER 259
pouvait abandonner cette œuvre dont il était le fondateur et
le seul bienfaiteur. Les religieuses Ursuîines des Trois-
Rivières avaient, elles aussi, grand besoin de ses attentions.
Il était endetté en France de plus de vingt-cinq mille francs
pour des effets qu'il avait achetés pour les pauvres ; il pré-
voyait, en outre, qu'il serait dans la nécessité de contracter
de nouvelles dettes après avoir fait la visite de son diocèse.
Toutes ces raisons l'obligeaient à user personnellement d'une
stricte économie, et pour cela il était dans l'intention de se
retirer à l'Hôpital-Général. Ces messieurs durent se rendre
à l'avis du Prélat ; il fut convenu qu'il aurait une chambre
réser\-ée au séminaire, pour s'y retirer quand ses affaires
l'apelleraient en ville. »
Il fallait bien, certes, se rendre à l'avis du Prélat, d'autant
plus qu'il ne demandait celui de personne. Mais quel est
celui qui, parmi ses auditeurs et ses convives, ne fit en lui-
même la réflexion — elle était si naturelle ! — qu'il était bien
regrettable, comme il le regrettait probablement lui-même,
qu'il eiit bâti si grand et si beau cet évêché qui lui avait coûté
des sommes énormes, et qu'il ne se i\\X. pas contenté de la
maison si confortable et si « convenable, l'une des plus belles
de la ville à cette époque ^ », qui se trouvait déjà sur le
terrain où on l'avait construit, et qu'il n'avait achetée, disait-
il, « que pour loger à l'avenir ses successeurs » ^. « Il n'y a à
craindre pour lui que l'excès, » disait un jour de M^'" de
Saint-Vallier son meilleur ami, M. Tronson ^. Comme cela
se vérifiait bien pour son évêché ! Mais quand il l'avait fait
construire, il était tout plein d'idées hostiles au Séminaire : il
voulait faire lui-même un séminaire pour l'opposer à l'autre :
« Il est de notoriété publique, écrivait un jour M^"" Dosquet,
qu'il voulait établir à l'évêché un séminaire, et qu'il n'a dis-
1. Têtu, Histoire du Palais éffiscopal, p. 25.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 254.
3. Paillon, Vie de la Sœur Bourgeois, t. I, p. 209.
26o l'église du canada
continué que faute de sujets. Il a fait ensuite arracher de
ce bâtiment tout ce qu'il a pu en ôter. Il se repentait de
l'avoir fait, et s'il avait été en son pouvoir, il l'aurait
vendu \ »
« Il est probable, ajoute ailleurs M^"" Dosquet, que ce
palais a été bâti avec le secours des gratifications ou des
aumônes que AP'" de Saint-Vallier ramassait dans les voyages
qu'il faisait en France; il paraît qu'il ne le regardait pas
comme une nîaison qui lui était propre. . . M"® de Maintenon
lui faisait des gratifications considérables. Lui-même fai-
sait, lorsqu'il venait en France, des quêtes à la cour et dans
Paris. Un évêque lui donnait tous les ans cinq mille francs ;
d'autres personnes de piété entraient dans les bonnes œuvres,
et lui faisaient un revenu annuel. »
Ce revenu, ces aumônes, ces gratifications, dont une bonne
partie, au moins, avait été employée à la construction de
l'évêché, comme le pieux Prélat s'en serait bien trouvé au-
jourd'hui, soit pour payer ses dettes, soit pour faire le bien
qu'il avait en vue !
Quoi qu'il en soit, le jour même qu'avaient lieu ce dîner et
cette conférence au séminaire, il descendit à l'Hôpital-
Général pour y faire définitivement sa résidence :
« Plusieurs prêtres, dit l'annaliste, accompagnaient Sa
Grandeur; parmi eux se trouvait M. de Maizerets qui, en
sa qualité de supérieur des communautés religieuses, avait
pris un soin tout particulier de la nôtre. Il la remit aux
mains de monseigneur, qui le remercia de son dévouement
et des bontés de père qu'il avait eues pour les pauvres de son
Hôpital. »
M^ de Saint-Vallier avait amené avec lui de France un
I. Corresp. générale, vol. 56.
sous M^"" DE SAINT-VALLIEK 201
certain nombre de prêtres; mais il y en avait un plus grand
nombre qui n'avaient pu se rendre à La Rochelle pour partir
en même temps que lui. Il en attendait quinze ou seize par
les premiers vaisseaux de l'année suivante. Avec ces prêtres
et ceux qu'il avait à ordonner ici il allait pouvoir combler les
vides que la mort ou le départ de quelques missionnaires
avaient fait dans les rangs de son clergé.
On se plaignait, en effet, qu'il n'y avait pas de mission-
naires en beaucoup d'endroits. C'est ainsi, pour en donner
quelques exemples, qu'il n'y avait qu'un seul prêtre, en 1706,
M. de la Faye, pour desservir Contrecœur, Saint-Ours, Sorel
et Verchères. Les habitants de ces missions refusaient
d'aller le chercher tour à tour pour les fonctions de son
ministère et de le ramener chez lui ; ils ne voulaient plus lui
payer la dîme: ils ne se gênaient pas de faire ondoyer leurs
enfants à la maison, et ne se mettaient plus en peine de les
porter à l'église pour faire inscrire leurs noms dans les
registres ^. M. Plante dessen^ait à la fois Beaumont et
Saint-Michel ; M. Descormiers, Saint- Augustin et la Vieille-
Lorette ; le curé Ménage, Deschambault, Lachevrotière et les
Grondines. Avec les prêtres qu'il avait maintenant à sa dis-
position, M^"" de Saint- Vallier allait pour^'oir, du moins, aux
besoins les plus pressants.
Il avait hâte de faire la visite de son diocèse. Partout,
que de changements, sans doute, il allait constater ! Dan»
quel état trouverait-il les églises, les presbytères, les cime-
tières ? Son grand architecte, l'abbé Geoffroy, n'était plus
là pour voir à tout. Il n'y avait pas moins de treize endroits
où l'on demandait à construire soit des églises, soit des pres-
bytères, soit les deux à la fois ; en suivant l'ordre des dates :
à Saint-Michel, à Boucherville, au Cap-de-la-Madeleine, à
Kamouraska, à Sainte-Anne de la Pérade, à l'Ile du Pads, à
I. Ed. et Ord., t. II, p. 267.
202 L''ÉGLISE DU CANADA
Champlain. à La Chênaie, à Sainte-Geneviève de Batiscan,
à Saint-Sulpice, à Longueil, à V^rchères, à la Longue
Pointe; sans compter d'autres endroits où les édifices reli-
gieux avaient besoin de réparations urgentes.
Que d'enfants devenus des jeunes gens et même des gens
mariés soupiraient depuis longtemps après le retour de
l'évêque pour recevoir la confirmation ! Que de besoins,
que de difficultés de toutes sortes requéraient sa présence!
Dans quelques paroisses, les habitants, desservis par le curé
de la paroisse voisine, ne voulaient pas rendre leur dîme à
son presbytère. Le curé d'une paroisse voisine de la ville
étant mort, ce fut un Père jésuite qui desservit cette paroisse
une couple d'années : il abandonna généreusement à la
fabrique la dîme à laquelle il avait droit ; et les marguilliers
furent obligés de s'adresser à l'intendant pour se la faire
payer d'un certain nombre d'habitants.
Les vicaires généraux, tout le monde leur rendait ce
témoignage, avaient parfaitement rempli leurs devoirs, et
s'étaient efïorcés de remplacer l'évêque, dans la mesure du
possible. ^lais ils n'étaient plus jeunes et n'avaient plus
l'énergie d'autrefois. D'ailleurs ils n'avaient pas le caractère
épiscopal qui en impose et donne tant d'autorité. Des
désordres avaient surgi çà et là, et M. Glandelet s'était cru
obligé deux ou trois fois d'en informer l'évêque absent.
Malgré tout, le gouverneur et l'intendant ne craignaient pas
d'écrire à la cour en 1710:
« Le diocèse de Québec est parfaitement réglé. C'est une
justice qu'on doit aux grands-vicaires de M. l'évêque, qui
savent fort bien, tout en employant l'autorité ecclésiastique,
se servir de la séculière pour obliger les peuples d'avoir îa
révérence qu'ils doivent dans les églises et empêcher les
scandales. . . >> Ils ajoutaient l'année suivante : « Le clergé
est en ce pays d'une si grande édification, que les ecclésias-
tiques inspirent de la piété aux peuples. . . «
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 263
Après ces témoignages des deux plus grandes autorités
civiles du pays, qui n'avaient certainement aucun intérêt à
faire induement l'éloge du clergé canadien, n'avons-nous pas
raison de croire que le Prélat avait un peu forcé la note dans
les reproches si sévères qu'il avait adressés de Paris à ses
prêtres, à la veille de quitter la France?
Il ne voulut pas laisser passer la saison d'automne sans
se mettre en route pour visiter plusieurs paroisses des envi-
rons de Québec, et quelques-unes de la rive sud et de la rive
nord en descendant le fleuve. Il partit, accompagné de deux
prêtres, qui partagèrent l'extrême fatigue de ce voyage et
tous les travaux apostoliques de leur évêque. Dès les trois
heures du matin, on les trouvait à l'église, et ils entendaient
les confessions. Le Prélat accueillait avec bonté tous ceux
qui venaient à lui, jusqu'à l'heure de sa messe. Après la
messe, dans la matinée, il donnait la confinnation, il adres-
sait à ses ouailles toutes les recommandations nécessaires
pour le bien des âmes et le bon ordre des paroisses. Il
repartait dans l'après-midi pour aller porter à d'autres brebis
de son bercail les faveurs dont l'évêque est le principal dépo-
sitaire.
Il ne pouvait être longtemps dans chaque paroisse: la
distance d'une église à l'autre était souvent considérable ; les
chemins, généralement très mauvais : on ne commença à y
travailler sérieusement qu'en 1708, et du côté de Montréal,
utihsant pour cela les soldats, dans leurs temps de loisir \
Mais il suffisait de peu de temps à M^"" de Saint- Vallier pour
se renseigner parfaitement sur toutes choses, de manière
à pouvoir ensuite remédier aux abus, faire cesser les dé-
sordres et signaler aux curés les pratiques de piété à encou-
rager dans leurs paroisses. C'est précisément à la suite de
cette première visite pastorale après son retour de France
I. Corresp. générale, vol. 21.
264 l'église du canada
qu'il donna à ses diocésains une de ses ordonnances les plus
connues, qu'on lit encore dans nos livres de discipline ecclé-
siastique, sur le refus de l'absolution à ceux qui ne paient
pas la dime.
Durant l'hiver, il fit avec beaucoup de soin la visite cano-
nique de ses communautés religieuses, les Ursulines, l' Hôtel-
Dieu, l'Hôpital-Général. Là, comme ailleurs, et même beau-
coup plus qu'ailleurs, régnaient la piété, la vertu, la ferveur.
Mais là aussi, grâce à l'absence prolongée de l'évêque,
s'étaient introduits certains abus qui nous surprennent au-
jourd'hui, mais que les documents nous indiquent trop clai-
rement pour qu'il soit possible d'en nier l'existence. Laissons
parler M^ de Saint- Vallier lui-même : il s'adresse au Con-
seil de la marine qui, à cette époque, remplaçait à Paris le
ministre auquel on avait coutume d'écrire pour les affaires
coloniales : il se plaint du gouverneur Vaudreuil :
''Je supplie le Conseil, dit-il, de me permettre de m'expli-
quer sur un article affligeant pour moi, et auquel je ne
trouve point de remède depuis huit ans que je suis de retour
dans mon diocèse. . . J'espère de la sagesse du Conseil qu'il
donnera des ordres à M. de Vaudreuil de ne pas se servir de
son autorité temporelle pour entrer sans permission de
l'évêque dans les couvents de religieuses et y faire entrer
toutes sortes de personnes. S'il ne le faisait qu'au retour de
ses voyages en France, ou dans des cas extraordinaires, je
le souffrirais sans peine, et lui offrirais même de l'accom-
pagner; mais en tout temps, avec toutes sortes de personnes,
et sans croire avoir beoin de la permission de l'évêque,
sans se soucier de l'excommunication majeure portée par le
saint concile de Trente contre ceux qui entrent dans les
monastères sans raison et sans permission ^, aucun des
gouverneurs qui ont précédé M. de Vaudreuil, depuis trente-
I. Conc. Trid., Sessio XXV, De Regularibus et Monialibus, cap. V.
0
sous M^"" DE SAINT-VALLIER 265
six ans que je suis évêque \ n'a prétendu et regardé ces
entrées comme une suite de sa dignité. Et comment le
pourrait-elle être, puisque les rois mêmes n'y entrent point
sans en avoir la permission par des bulles expresses émanées
du saint-siège ?
« J'ai été dix à douze ans aumônier du feu Roi, et je ne
l'ai vu entrer que deux fois dans des couvents ; encore, avec
de grands ménagements de sagesse et de prudence ^ : et M.
de \''audreuil y entre très souvent, et veut entrer, tantôt avec
des femmes, tantôt avec des hommes, officiers ou autres, ne
se contentant pas de voir et d'entretenir les religieuses dans
les parloirs, mais bien dans les chambres intérieures; d'où
il arrive de grands inconvénients que je ne puis expliquer
par lettre.
« Durant le dernier hiver, à Montréal, il entrait dans leur
chœur, pour entendre la messe plus chaudement au milieu
des religieuses. Le moindre inconvénient à cela, c'est
qu'outre une trop grande dissipation qui fait tort au recueil-
lement dans lequel doivent vivre les épouses de Jésus-Christ,
cela enfle l'esprit et le cœur de quelques-unes d'entre elles.
« Je supplie le Conseil de faire comprendre à M. de
Vaudreuil que si c'est à lui, en qualité de gouverneur géné-
ral, de gouverner temporellement, il doit laisser à l'évêque
le soin de gouverner les couvents et les communautés reli-
gieuses et ecclésiastiques spirituellement ; qu'il ne doit entrer
dans les couvents que dans des cas extraordinaires, avec la
permission de l'Eglise; qu'il ne doit pas perdre de vue les
censures que le concile de Trente lance contre ceux qui y
entrent sans permission.
« J'ai cru pendant quelque temps que je pourrais lui faire
faire toutes ces réflexions par jM""^ de Vaudreuil; mais la
1. Le Prélat écrivait cette lettre en 1721.
2. Quel beau témoignage à l'esprit religieux et à la délicatesse de-
conduite de Louis XIV !
266 l'éguse du canada
voyant marcher de l'air d'une dame qui peut tout à la cour,
et à qui on ne refuse rien, je n'ai pas osé le faire. Ces
réflexions viendront mieux par la voie du Conseil \ . . »
On voit que par rapport aux abus dont se plaignait ici
AP"" de Saint-Vallier, le rôle des religieuses était plutôt
passif qu'actif. Les abus n'en existaient pas moins, entraî-
nant une foule de dangers et d'inconvénients pour les reli-
gieuses ; et la longue absence de l'évêque avait rendu ces
abus si invétérés, que. malgré toute sa vigilance et son
énergie, ils durèrent encore longtemps après lui, même avec
des circonstances aggravantes, comme on peut le voir par
une lettre de AP"" Dosquet. Ecrivant à la cour au sujet de
ses propres relations avec le gouverneur et l'intendant de
son temps, Beauharnais et Hocquart :
« La première année que j'arrivai ", dit-il, nous trouvant
seuls tous les trois, je leur parlai du bonheur d'un Etat où
le bon ordre régnait. A cette occasion, je leur dis un mot des
entrées dans les couvents, des désordres qu'elles avaient
causés, des ordonnances des rois, des canons, des bulles
des papes c]ui les défendaient sous de grièves peines; c[ue.
j'étais persuadé qu'ils étaient trop fidèles serviteurs du Roi
pour ne pas suivre ses ordres, et trop bons chrétiens pour ne
pas se soumettre aux lois de l'Eglise, même de discipline,
lorsqu'elles sont reçues par toute la France, comme celles-ci
le sont. Je leur fis lire ces ordonnances et les canons, en
leur disant que je les laissais les maîtres de prendre le
parti qu'ils voudraient ; que, quoique je ne puisse pas en
conscience leur permettre sans raisons ces sortes d'entrées,
je pouvais néanmoins les tolérer plutôt que de donner lieu â
un plus grand mal, qui serait de nous brouiller ensemble et
de nous diviser.
1. Corresp. générale, vol. 43.
2. Mgr Dosquet arriva au Canada, comme coadjuteur de IMgr de
Mornay, en 1729.
sous m""" de saint-valuer 267
« Ils m'objectèrent l'usage de ce pays-ci. Je leur dis que
M. l'évêque défunt (Saint-V'allier) permettait ou défen-
dait ces entrées, selon qu'il était bien ou mal avec les puis-
sances : ce ([ui faisait un mauvais effet dans l'esprit des
peuples; qu'une règle suivie était toujours le meilleur; que
d'ailleurs je ne pouvais souffrir ce qui s'est fait autrefois,
que des religieuses, au grand scandale du public, allassent
au Château ou à l'Intendance, à des parties de dîner ou de
souper \ . . »
M. de Vaudreuil avait si peu de scrupules par rapport à
l'entrée dans les couvents, qu'il y introduisit un jour le
fameux baron de Saint-Castin, chef des Abénaquis au fort
de Pentagouet, à moitié sauvage lui-même, qui était venu à
Québec, avec l'anglais Livingston, rencontrer le gouverneur
général au sujet des affaires de l'Acadie ". On lit à ce sujet
dans un document de l'époque :
« M. de Vaudreuil l'a promené partout, jusqu'à le faire
entrer dans tous les couvents de filles, sans exception, où il
a causé, à sa vue, tous les scandales les plus surprenants, non
seulement par rapport à la pudeur, mais aussi par rapport à
la religion : à tel point que dans l'Hôpital-Général, gouverné
par des religieuses, après avoir mis la modestie de ces
pauvres filles à bien des épreuves, ayant trouvé une statue
de sain: Michel, il commit contre le saint et son image toutes
les injures les plus grossières, et mêla tout cela de beaucoup
d'impiétés et de blasphèmes contre le culte que nous rendons
aux saints ^. »
Ceci se passait pendant la longue absence de M^"" de vSaint-
Vallier. On comprend que des faits de ce genre, qu'on ne
manqua pas de lui rapporter à son retour, durent lui laisser
une douloureuse et pénible impression. Dans la première
1. Corresp. générale, vol. 56, Mgr Dosquet au ministre, 4 sept. 1731.
2. Garneau, Histoire du Canada, t. II, p. 43.
3. Corresp. générale, vol. 33, Mém. de l'état présent du Canada, 1710.
268 l'église du CANADA
visite canonique qu'il fit à ses communautés religieuses, à
cette époque, dans l'hiver de 171 4, il se fit un devoir de leur
adresser de sages recommandations pour l'avenir, et de les
encourager dans la pratique des vertus nécessaires à leur
état. On aura une idée de ces recommandations par ce que
nous en dit l'annaliste de l' Hôpital-Général :
« Son ardente charité ainsi que son zèle s'étendit particu-
lièrement sur notre communauté. Il voulut lui-même nous
donner une retraite, et nous fit chaque jour deux discours,
nous montrant, tantôt le malheur et la disgrâce d'une âme
qui se livre à la tiédeur et au relâchement, tantôt l'impor-
tance de nos saints devoirs, et l'estime que nous devons faire
des grâces de la vocation généreuse. Il traita ces sujets
d'une manière si pathétique, que ses paroles produisirent
dans les cœurs une sincère résolution de se renouveler dans
l'exacte obser\-ance des règles et des constitutions, et dans
la pratique des vertus qui conviennent à des épouses de
Jésus-Christ.
« Ce fut à peu près vers le même temps, ajoute-t-elle, qu'il
nous donna pour confesseur le révérend P. Duparc, jésuite,
homme d'une haute vertu, et très propre à conduire les âmes
dans la voie de la perfection évangélique. »
Si l'on en croit un auteur, ^P"" de Saint-\"allier « accusait
les Pères jésuites d'enseigner et de pratiquer le probabir-
lisme, cause, disait-il, du relâchement des moeurs dans son
diocèse. Il leur défendait, ajoute le même auteur, d'ensei-
gner cette doctrine à son clergé » ^. On voit, tout de même,
que sa confiance et son affection pour les Jésuites étaient
encore plus fortes que sa crainte du probabilisme, puisqu'il
n'hésitait pas à leur donner la conduite de ce qu'il avait de
plus précieux, ses communautés religieuses.
Tout en faisant la visite canonique de ses communautés,
I. Rochemonteix, Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 560.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 269
tout en leur prêchant des retraites. JVP"" de Saint-Vallier avait
à remplir les fonctions de son ministère épiscopal, et quel-
quefois au prix de très rudes fatigues. Un jour, il lui fallut
consacrer un grand nombre de pierres d'autel ; et l'on sait
combien longue est cette cérémonie. Il faisait un grand
froid ; et il contracta une maladie sérieuse qui le retint au
lit plusieurs semaines. A peine, cependant, est-il remis un
peu de cette maladie, qu'il se rappelle qu'il a promis aux
pauvres de son hôpital de leur donner, à eux aussi, une mis-
sion; et il se met à l'œuvre. On le presse de se ménager un
peu et de prendre quelque repos : « Ne serais-je pas trop
heureux, répond-il, de mourir au milieu des travaux entre-
pris pour la gloire de Dieu? »
Qui ne se rappelle une parole analogue prononcée par son
vénérable prédécesseur. M^"" de Montmorency-Laval ^ ? Ces
deux hommes n'avaient certainement pas les mêmes idées sur
plusieurs points d'administration ; mais, comme nous l'avons
déjà fait remarquer, ils avaient bien tous deux la même
trempe de caractère : c'étaient des hommes de Dieu, dans
toute la force du mot. des hommes vraiment apostoliques.
*
* *
Dès le commencement de janvier, dans la saison la plus
rude de l'hiver, n'étant pas encore complètement rétabli de
la maladie dont nous avons parlé, il reprend le cours de ses
visites pastorales, et ne revient à Québec qu'à l'approche du
carême. Il veut distribuer lui-même les cendres aux tidèles
de sa ville épiscopale. et leur rappeler le grand devoir de la
pénitence. Mais il ne se contente pas de prêcher de paroles,
il prêche d'exemple : et l'on voit avec édification ce prélat
I. " Felices nimis, si in Dei causa moriamur ! " (Archiv. de l'év.
de Québec, Doc. copiés au Vatican, Lettre de Mgr de Laval au pape
Alexandre VII, 31 juillet 1659.)
270 LEGUSE DU CANADA
sexagénaire, encore si faible, à peine remis d'une grande
maladie, observer fidèlement le jeûne le plus rigoureux
pendant toute la sainte quarantaine.
Au printemps, à peine le fleuve est-il libre de glace, il
reprend sa visite, et se met en route dans la direction des
Trois-Rivières et de Montréal. Certes, an n'avait pas à
cette époque les moyens faciles de transport que l'on a
aujourd'hui et qui font que nos voyages sont plutôt des
promenades de plaisir. Au temps des Laval et des Saint-
Vallier, quel voyage pénible, rempli de difficultés et de dan-
gers de toutes sortes, surtout à certaines saisons de l'année,
celui des Trois-Rivières et de Montréal ! « Et cependant,
dit l'annaliste de l' Hôpital-Général, notre prélat croyait
toujours avoir acheté à vil prix le plaisir de se trouver au
milieu de ses ouailles, de les instruire, de les consoler, de
les encourager, de les secourir. »
Les secourir !. . . Il avait emporté avec lui, de Québec, la
somme de douze mille livres : en quittant les Trois-Rivières,
où il avait passé douze jours, logeant au monastère de ses-
bonnes Ursulines, il ne lui restait presque plus rien. On ima-
gine ce qu'avait fait le Prélat de son argent, à la vue des
besoins de cette communauté naissante, à la vue des besoins
de tant de familles pauvres de la ville qu'il visita une à une,
comme il avait fait à Québec. Mais aussi que de consolations
il éprouva dans cette visite des Trois-Rivières ! On lui avait
fait une réception magnifique : le gouverneur ^ et les princi-
paux citoyens, ainsi que le curé de la paroisse, qui n'était
autre que le P. Joseph Denis, dont nous avons fait connais-
sance lors de l'affaire du prie-Dieu de Montréal, étaient
venus au devant de lui, et l'avaient accompagné à l'église
I. C'était, en 1714, le marquis de Galiffet, qui avait succédé en 1710
à M. de Crisacy, lequel avait remplacé en 1702 le major Prévost, celui-
là même qui avait vendu en 1688 sa maison et son terrain, à Québec, à
Mgr de Saint-Vallier.
sous M*^*" DK SAINT-VALLIER 27 1
paroissiale, où l'on avait chanté le Te Dciiiii, et où le Prélat
avait adressé à ses fidèles quelques paroles d'édification. Il
s'était rendu ensuite à son cher monastère qu'il avait fondé :
là, il avait constaté par lui-même avec quel succès les Ursu-
lines remplissaient ses vues, à savoir, faire de leur maison
tout à la fois un hôpital de première classe et une excellente
maison d'éducation. Il était au comble de la joie, et ne
cessait d'en bénir le Seigneur.
Dès le lendemain, il commença la visite de toutes les
familles des Trois-Rivières, et ne quitta cette ville qu'après
y avoir passé douze jours, bien remplis de toutes manières.
Pour continuer sa visite pastorale, et faire le bien ailleurs
comme il l'avait fait en cette ville, il fut obligé d'emprunter
dix mille livres d'un riche citoyen \
Le Prélat se remit en route pour Montréal : « Il n'avait
fait que fort peu de chemin, écrit l'annaliste, lorsqu'un orage
violent l'obligea de chercher un abri sous le premier toit
qu'il lui fut possible d'atteindre. C'était une chaumine isolée ;
y étant entré tout pénétré de pluie, il y trouva des misères
bien dignes de ses pieuses largesses. Là habitait une pauvre
veuve, chargée de cinq enfants en bas âge, et dans la dernière
pauvreté, sans pain, sans feu. . . A cette vue, le cœur si
tendre du bon prélat est ému de compassion. Après avoir
caressé ces petits innocents, à l'exemple du divin Sauveur,
il leur distribue les rafraîchissements que les religieuses
ursulines lui ont préparés pour son voyage ; il fait à la mère
une aumône proportionnée aux besoins de sa famille, il la
console et lui donne des instructions sur la manière de
rendre ses croix méritoires pour l'éternité.
« Quelle que reconnaissance qu'eut cette pauvre femme
pour son bienfaiteur, elle ne put la lui témoigner autrement
qu'en lui offrant, ainsi qu'aux ecclésiastiques de sa suite, un
I. Mgr de S aint-V allier et V H ô p. -Général de Québec, p. 232.
272 L EGUSE DU CANADA
peu de paille pour s'y reposer pendant la nuit. Ils accep-
tèrent avec satisfaction, surtout monseigneur. Le Prélat
aimait à répéter dans la suite que cette chaumière avait eu
des charmes pour lui, à cause de sa ressemblance avec
rétable de Bethléem. »
A Montréal, de même qu'à Québec et aux Trois-Rivières,
la population se porta à la rencontre de son premier pasteur
avec des démonstrations extraordinaires de joie. Il en
témoigna sa reconnaissance dans un discours qu'il fit après
le chant du Te Deum à la Paroisse. Il fut conduit chez le
gouverneur, M. de Ramesay, et ensuite chez les messieurs de
Saint-Sulpice, dont le supérieur était à cette date M. de
Belmont. On lui avait préparé au séminaire un appartement
qu'il occupa tout le temps de son séjour à Montréal.
La ville avait un peu changé d'aspect, depuis son dernier
voyage, en 1700. M. de Callières l'avait fait entourer de
gros pieux de cèdre d'environ quinze pieds hors de terre,
« avec de fortes guérites et plateformes « \ pour la protéger
contre les sauvages. Cette fortification un peu primitive ne
dura pas longtemps, et fut remplacée par une autre quelques
années plus tard.
Dès le lendemain de son arrivée à Montréal, le Prélat
commença la visite de ses communautés religieuses, aux-
quelles il donna toutes les preuves de sa tendresse paternelle.
Il donna aussi des marques de son afïection à tous les
citoyens par ses visites, ses largesses, et son zèle pour leur
sanctification.
La grande plaie de Montréal, à cette époque, c'était l'ivro-
gnerie, le grand nombre de cabarets -, où l'on attirait surtout
les sauvages, afin de profiter de leur passion innée pour les
boissons enivrantes, et leur arracher ensuite plus facilement
1. Corresp. générale, vol. 44, Chaussegros au ministre, 25 oct. 1721.
2. Il y en avait dix-neuf en 1710, pour la population minime que
comptait alors Montréal. (Edits et Ordonnances, t. III, p. 429.)
sous M^"" DE SAINT-VALLIIÎR 273
et à vil prix les pelleteries qu'ils apportaient au marché. A
la vue des désordres qui régnent dans cette ville, le Prélat
entre dans une sainte indignation. Comme autrefois M^"" de
Laval, à Québec, il monte en chaire, et dans un discours
ferme et vigoureux, il s'élève contre les désordres de l'intem-
pérance et la passion de l'intérêt qui en est la cause, assurant
son peuple que si les coupables sont sourds à la voix de
l'exhortation, il se servira de l'autorité qui lui est confiée
pour faire observer la loi de Dieu.
Le malheur est que l'autorité civile, trop souvent, favo-
risait, au moins indirectement, la vente des boissons eni-
vrantes aux sauvages : non pas l'autorité royale ; elle venait
au contraire de la prohiber de nouveau sous des peines
sévères : le Conseil Supérieur avait enregistré une ordon-
nance du roi, par laquelle Sa Majesté faisait défense à tous
ses sujets, de quelle que qualité et condition qu'ils soient, de
vendre ni faire boire aucune eau-de-vie ni boisson enivrante
aux sauvages, à peine de confiscation des boissons, et de
punition corporelle en cas de récidive ^. Mais les autorités
coloniales toléraient souvent cette vente sous le fallacieux
prétexte d'attirer au Canada les sauvages avec leurs pelle-
teries, et de les détourner de faire leur commerce avec la
Nouvelle-Angleterre. Un jour, M^ de Saint- Vallier est
invité à une conférence tenue par le gouverneur et l'inten-
dant au sujet du commerce des boissons enivrantes avec
les sauvages. Il s'y rend avec le supérieur des Jésuites ; et
l'on essaie aussitôt, par tous les raisonnements humains
qu'on avait coutume d'employer dans ces occasions, de
l'amener à des accommodements :
« Voulez-vous donc, lui dit le gouverneur, faire perdre
ce pays au roi de France, le livrer à nos voisins, qui, doimant
aux sauvages autant d'eau-de-vie qu'ils en veulent, vont les
I. Ed. et Ord., t .II, p. 152.
274 L ÉGLISE DU CANADA
attirer tous à eux, et mettront ensuite, avec eux, toute cette
colonie en combustion?
— « Voulez-vous, répondit avec calme le pieux Prélat,
voulez-vous que nous conservions ce pays au roi de France
en offensant le Roi du Ciel?. . . Notre monarque a trop de
piété pour vouloir être maître du Canada, s'il n'en j)eut être
maître qu'à cette condition. D'ailleurs, si les sauvages, à qui
nous devons toujours refuser ce que nous ne pouvons leur
accorder sans péché, nous mettent à mort, ah ! ne vaut-il pas
mieux que nous mourions innocents que de vivre cou-
pables 1? »
Un jésuite qui était à la résidence de ]\Iontréal en 1694,
écrivait à cette date à un de ses frères en France :
« Si l'on bannissait la boisson parmi les sauvages, on con-
vient qu'ils feraient honte aux vieux chrétiens d'Europe,
dans la façon de vivre et dans la pratique généreuse de la
vertu. Mais il faut que notre Eglise ait sa part de la persé-
cution que le diable fait au christianisme par la boisson ; et
notre évéque, ajoutait-il, qui est si zélé, n'a jamais osé
ouvrir la bouche pour bannir l'ivrognerie de son diocèse 2. »
Ceci était tout-à-fait injuste, même à cette date, puisque
A'P"" de Saint-Vallier n'avait pas fait une seule ordonnance
ou lettre pastorale sans y introduire quelque chose contre
les désordres de l'intempérance. Mais si le P. Chauchetière
était encore à Montréal en 17 14, il dut regretter encore plus
d'avoir insinué que le Prélat se montrait tiède à l'égard du
vice de l'ivrognerie.
M*^' de Saint-Vallier passa plusieurs semaines à Montréal,
et ne revint à Québec que vers la mi-juillet. Il officia ponti-
ficalement à l'Hôpital-Général le 22 de ce mois, jour de
sainte Marie-Madeleine, fête patronale de la communauté:
« Nous eîimes le bonheur de le voir à l'autel le jour de
1, Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp.-Général, p. 235.
2. Rel. des Jés., édit. Burrows, t. 64.
sous M^*" DE SAlNT-VALLlER 275
notre fête titulaire, écrit l'annaliste, revêtu du magnifique
ornement de drap d'or, don de Louis XIV à la cathédrale
de Québec, que le Prélat avait apporté de France l'année
précédente '. Il était assisté de tout son clergé, qui chanta
la messe en musique. »
M. de la Colombière fit un excellent sermon sur le saint
Nom de Marie; mais il eut le tort de mêler l'éloge de
l'évêque à celui de la sainte Vierge : « Vous m'avez charge
de confusion, lui dit le Prélat, et je ne vous pardonne qu'à
condition que vous n'y retourniez plus^. » Excellente leçon,
qui fait voir le peu de cas qu'il faisait des compliments et la
répugnance qu'il avait pour les flatteurs.
1. Cet ornement sert encore à la cathédrale une fois par année, le
jeudi saint.
2. Mgr de Saint-V allier et l' H ô p. -Général, p. 233.
CHAPITRE XX
M^ DE SAINT-VALLIER ET LE CHAPITRE DE QUEBEC
L'Evêque de Québec, au Conseil Supérieur. — Enregistrement des
lettres royales de 1713. — Résumé de ces lettres. — Réforme du
Chapitre. — Le " combat des Bulles ". — Mgr de Saint- Vallier et
son Chapitre. — Le chanoine Hazeur de l'Orme à l'abbaye de
Maubec.
MGR de Saint- Vallier, comme M^"" de Laval, faisait
partie, de droit, du Conseil Supérieur, et y occupait
la seconde place, après le gouverneur, mais avant l'inten-
dant. Il avait voix délibérative, comme tous les autres
membres du Conseil. Quoiqu'il y occupât la seconde place,
il n'en avait pas, cependant, la présidence, en l'absence du
gouverneur. D'ailleurs, le gouverneur lui-même, lorsqu'il
assistait au Conseil, n'en était pour ainsi dire que le président
honoraire : le président de fait, c'était l'intendant ; c'est lui
qui dirigeait les débats, recueillait les voix et prononçait les
conclusions et les arrêts. En son absence, la présidence de
fait revenait au premier conseiller, ou au plus ancien après
lui. Lorsque l'évêque était absent du pays, il avait droit de
se faire remplacer au Conseil par un de ses grands vicaires ;
et à partir de 1703. lorsque le nombre des conseillers fut
porté à douze, de sept qu'il était auparavant ^, il y eut
I. Il n'y eut d'abord que cinq conseillers ; le nombre en fut porté à
sept par l'édit de 1675, et à douze par la Déclaration du roi de 1703.
(Ed. et Ord., t. L P- Z7, 83, 299.)
Iv'ÉGLISE DU CANADA SOUS M*^ DE SAINT-VALLIBR 277
toujours au Conseil un ecclésiastique, appelé conseiller-clerc,
qui était là pour représenter d'une manière constante les
intérêts de l'Eglise. L'Eglise avait donc deux voix au Con-
seil, celle de l'évêque ou de son grand vicaire, et celle du
conseiller-clerc.
A qui devions-nous cette belle organisation du Conseil et
la place honorable qui y était assurée à l'Eglise? sinon au
premier évêque de la Nouvelle-France. C'est M^ de Laval
qui obtint la création du Conseil Souverain; c'est même lui
qui en nomma les premiers conseillers et les premiers offi-
ciers. Il était, de famille, homme de gouvernement. Appelé
par la Providence à présider aux destinées de notre Eglise
naissante, il voulut l'établir sur un bon pied, en assurer
l'existence, faire reconnaître ses droits. Mais pour cela il
fallait lui assurer une place importante au Conseil, une
place digne des hauts intérêts qu'elle est appelée à sauve-
garder. Cette place, c'est lui qui l'occupa le premier, et l'on
sait avec quelle dignité et quelle efficacité. Ah, les belles
luttes, les luttes nobles et courageuses de Laval pour la cause
de la tempérance et contre la traite de l'eau-de-vie, pour la
cause de la dîme et la subsistance temporelle du clergé, pour
le maintien des immunités ecclésiastiques ! « Il fallait ici un
homme de cette force, » disait de lui Marie de l'Incarnation.
Il fallait un homme de cette force pour tenir tête à des
hommes de la valeur de Talon et de Frontenac, qui, eux, de
leur côté, s'étaient donné pour mission d'établir ici la supré-
matie de l'Etat, et qui, soutenus par la cour, seraient certai-
nement arrivés à leur fins gallicanes s'ils n'avaient pas ren-
contré sur leur chemin un homme d'Eglise assez fort pour
leur résister, et en même temps assez sage pour ne pas
dépasser une juste mesure.
L'Eglise canadienne occupait une belle position vis-à-vis
de l'Etat, lorsque M^ de Saint-Vallier succéda à M^ de
Laval : elle était solidement établie, organisée, respectée. Le
tyS l'église du canada
Prélat en fut ravi; il s'y attacha de tout cœur, jusqu'à ne
vouloir jamais s'en séparer, et il continua pour elle les bons
combats de son prédécesseur. Nous l'avons vu, et nous le
verrons toujours s'appliquer avec zèle à sauvegarder les
droits et les immunités de l'Eglise. Du reste, il n'était plus
nécessaire qu'il assistât au Conseil aussi régulièrement que
M^ de Laval : le conseiller-clerc était là « pour veiller à
la conservation des droits de l'Eglise ». Il suffisait que
l'évêque s'y montrât de temps en temps pour ne pas laisser
se prescrire son droit. M^ de Saint-Vallier n'assistait donc
au Conseil qu'à de rares intervalles, imitant en cela le gou-
verneur lui-même. Nous avons constaté sa présence le 21
août 171 3, quelques jours après son retour d'Europe; il est
ensuite six mois sans y retourner: nous ne l'y retrouvons
que le 19 février 17 14: puis sa place reste encore vacante
pendant cinq mois.
Mais le 30 juillet 1714, voilà le Conseil presque au com-
plet : le gouverneur, l'évêque, l'intendant sont à leurs sièges^ ;
tous les conseillers, également : il n'en manque qu'un, M.
Denis de Saint-Simon, qui est probablement absent du pays,
car son nom ne paraît pas aux séances du Conseil depuis
assez longtemps. Belle réunion de magistrats, d'hommes
intelligents, intègres et vraiment patriotes : MM. de la Mar-
tinière, de Lino, de la Colombière, Morel de la Durantaie,
Aubert de la Chênaie. Macart, Sarrazin, Cheron. Gaillard,
Chartier de Lotbinière et Hazeur, sans compter le procureur
général D'Auteuil et le greffier Monseignat -.
De tous ces personnages, celui qui paraît le plus s'inté-
resser à la séance, c'est l'évêque : on dirait qu'elle ne se tient
que pour lui ; le gouverneur et l'intendant ont l'air à l'en
1. "Le gouverneur est à la tête; il a l'évêque à sa droite, et l'inten-
dant à sa gauche : ils font eux trois une ligne sur le haut bout de la
table. " (Latour, Mcmoires sur la vie de M. de Laval, p. 113.)
2. Jugements du Conseil Supérieur, t. VI, p. 802.
sous m" de: SAINT-VALLIER 279
féliciter. De quoi s'agit-il en effet? De faire enregistrer par
le Conseil des Lettres royales que l'on vient de recevoir et
qui intéressent spécialement l'Eglise du Canada. Elles sont
datées de Fontainebleau au mois de septembre 1713, et ont
pour titre : « Don fait par le roi au chapitre de l'église
cathédrale de Québec^ de la somme de trois mille livres par
an. à prendre sur son domaine en la Nouvelle-France ^ »
Ces lettres répondent évidemment à une demande de
l'évêque ; c'est lui qui a sollicité ce don pour son église ;
c'est lui qui a consenti aux conditions auxquelles il est
accordé. Il a quitté la France avant de recevoir ces lettres ;
mais il est probable qu'il en avait la promesse, qu'il les atten-
dait, qu'il était sûr de les avoir: et elles viennent de lui
arriver par les premiers vaisseaux de la flotte de 17 14. Il
profite donc de la première séance régulière du Conseil pour
les présenter et en demander l'enregistrement. A la demande
du procureur général, le greffier donne lecture de ces lettres
et le Conseil en ordonne l'enregistrement requis par la loi.
Examinons-en le contenu : elles ont plus de portée qu'elles
n'en paraissent avoir : c'est la fin de l'ancien régime du
chapitre, tel qu'établi par M^'" de Laval : c'est le commen-
cement d'un nouveau régime inauguré par son successeur.
Louis XIV commençait ordinairement ses lettres patentes
par rappeler le grand succès de ses armes en Ein-ope, et,
pour ne pas déroger à son titre de roi Très-Chrétien, il se
faisait un devoir d'en rapporter toute la gloire à la divine
Providence. Cette fois, il n'insiste guère sur ses succès,
car, bien que l'on soit au lendemain de la grande victoire
de Denain, qui a sauvé la France, il ne peut faire oublier que
le Royaume gémit depuis longtemps sous le fléau d'une
guerre désastreuse, qu'il a éprouvé des revers sans nom et
n'a échappé que par miracle à l'invasion des ennemis. Il
I. Edits et Ordonnances, t. I, p. 339.
28o l'église du canada
passe donc légèrement sur ses succès, pour parler avec une
satisfaction marquée de sa colonie canadienne, où, dit-il,
il a toujours été « le plus ferme appui de la religion ». Il
rappelle que c'est lui qui y a envoyé M^ de Laval ; et, par un
oubli assez curieux des dates, il le fait passer au Canada en
1663, au lieu de 1659: on dirait que cette date de 1663, Q^^
est l'année où il a confirmé l'établissement du séminaire de
Québec dans la forme que lui avait donnée M^ de Laval,
l'obsède autant que AI^ de Saint- Vallier lui-même. Conti-
nuant l'histoire de l'Eglise canadiene, le Roi rappelle que le
siège épiscopal de Québec a été érigé à sa demande par le
souverain pontife le i^"" octobre 1674, et que ^P"" de Laval,
en conformité de la bulle du saint-père, a établi « un cha-
pitre composé de dignités et de chanoines », le 6 novembre
1684, « pour la subsistance duquel évêché et chapitre,
ajoute-t-il, nous avons donné les abbayes de Maubec. ordre
de Saint-Benoit, diocèse de Bourges, celle de Lestrées, ordre
de Cîteaux, diocèse d'Evreux, et celle de Bénévent, ordre
de Saint-Augustin, diocèse de Limoges, desquelles abbayes
nous avons aussi consenti que les menses conventuelles
fussent unies à la dite Eglise ». Le Roi rappelle enfin que
par son arrêt du i" octobre de l'année précédente (171 2) il
a ordonné « qu'il serait incessamment obtenu des lettres
patentes » confirmant pour les efïets civils la bulle du i"
octobre 1674, ainsi que le décret de M^ de Laval du 6
novembre 1684 érigeant le chapitre.
\'oilà pour le passé : le Roi reconnaît que tout a été
fait suivant les règles; la bulle du i*"" octobre 1674 a été
« exécutée » par ]\I^ de Laval, qui s'y est conformé en
érigeant son chapitre le 6 novembre 1684. Ce chapitre, du
reste, a ses statuts approuvés par l'évêque; les chanoines
sont nommés par l'évêque et élisent un d'entre eux pour
leur Doyen; contents du revenu des abbayes, ils remplissent
fidèlement leurs fonctions dans la cathédrale : « Le service
sous M^' DE SAINT-VALUER 281
divin, écrit Champigny, se fait dans l'église de Québec d'une
manière accomplie par MM. les évêques et leurs ecclésias-
tiques \ » Et M*^ de Saint-Vallier, à son arrivée à Québec :
« Les chanoines, dit-il, me reçurent en chapitre dans les
formes ". »
Louis XIV, cependant, continuant ses lettres patentes ;
« Nous ordonnons, dit-il, que la bulle du i*'" octobre 1674
soit exécutée. . . » Mais il vient d'écrire qu'elle a été
« exécutée » par M^ de Laval. Qu'est-ce à dire ? Reprenons-
les choses d'un peu plus haut.
Nous avons vu, dans un chapitre précédent, que M^ de
Saint-Vallier s'était rendu à Rome dans l'automne de 1702
pour essayer d'obtenir l'union canonique de ses abbayes à
son Eglise. Il n'y avait encore que la mense abbatiale de
Maubec qui fût unie canoniquement à l'Eglise du Canada;
elle l'avait été par la bulle d'érection du diocèse. Mais la
mense conventuelle de cette abbaye n'appartenait encore à
notre Eglise que par la volonté du roi : les menses abbatiales
et conventuelles de Lestrées et de Bénévent, également. M^""
de Laval avait écrit plusieurs fois au pape Innocent XI pour
le supplier d'unir canoniquement à son Eglise les abbayes
que le roi lui avait données; et le saint-père, qui avait pour
lui une grande estime, lui répondait toujours de la manière
la plus encourageante. Il finit cependant par lui avouer que
« l'affaire était hérissée de difficultés, à cause des dommages
qui résulteraient de l'union pour deux Ordres très illustres de
Religieux ^, qui avaient bien mérité de l'Eglise. Jusqu'ici,
ajoutait le saint-père, nous n'avons pas vu jour à vous
accorder votre demande » *.
1. Corresp. générale, vol. 17, Champigny au ministre, 20 oct. 1699.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 193.
3. Les Bénédictins et les Cisterciens.
4. Archiv. de l'év. de Québec, Documents copiés au Vatican.
282 l'Église du canada
M^ de Saint-V^allier allait-il être plus heureux ? Nous
savons avec quelle bienveillance il fut accueilli par le pape
Clément XI. jusqu'à exciter la jalousie d'un certain nombre
de prélats romains. Le pape nomma une congrégation spé-
ciale pour s'occuper de son affaire d'abbayes, et exprima sa
volonté qu'elle fût réglée suivant les désirs de l'évêque de
Québec. La commission se réunit plusieurs fois et apporta
à l'examen de cette question la meilleure volonté du monde ;
mais elle ne tarda pas à rencontrer ces « difficultés » que le
pape Innocent XI avait signalées à M^'' de Laval. D'ailleurs
M^*" de Saint-\^allier avait tellement parlé de la pauvreté
de son chapitre, et du besoin qu'il avait du revenu des
abbayes pour sa subsistance, qu'on lui fit entendre que
l'union canonique ne serait accordée qu'à condition de dimi-
nuer le nombre des chanoines de Québec, de manière à
sauvegarder la pension des religieux qui étaient encore
attachés à ces abbayes. Ce fut là toute l'espérance que îe
Prélat put emporter de son voyage de Rome.
Revenu à Paris, il se hâte donc d'informer le chapitre,
par une lettre en date du 20 mai 1703. du projet que l'on a
de réduire le nombre des chanoines ; et le chapitre, dans
son assemblée du 24 octobre de la même année, proteste
énergiquement contre le projet. Mais le pape Clément XI,
qui a promis à M^ de Saint-Vallier de lui accorder l'union
canonique de ses abbayes, a déjà signé la bulle qui opère
cette union: cette bulle est du 7 septembre 1704, et elle
réduit à sept le nombre des chanoines de Québec, modifiant
ainsi les lettres d'érection du chapitre de M^*" de Laval, qui
l'avait composé de cinq dignités et de douze chanoines, sans
compter quatre chapelains ou vicaires et six enfants de
chœur \ La bulle de Clément XI ne fait d'ailleurs aucune
exclusion du Séminaire, ni d'aucune communauté, comme
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 130.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 283
l'avait demandé M^"" de Saint-Vallier. Elle ne fait non plus
mention de la pension de cinq cents livres que le Prélat avait
supplié la Congrégation d'assurer c\ son grand vicaire de
Paris. M. de la Pallière, sur l'abbaye de Bénévent'. Que
de désappointements pour M^"" de Saint-Vallier! N'aurait-il
pas fait mieux de rester un peu plus longtemps à Rome pour
surveiller son affaire?
Acceptée avec reconnaissance par le séminaire des Mis-
sions-Etrangères, la bulle n'arrive à Québec qu'en septembre
1707; et le chapitre, dans son assemblée du 7 novembre,
refuse de l'accepter -. De son côté, M^"" de Saint-Vallier,
revenu à Paris de sa captivité en Angleterre, écrit au cha-
pitre, le 25 juin 171 1. pour l'encourager dans son opposition.
S'appuyant sur l'opinion des parlements, il regarde la bulle
comme non a\'enue :
« Je n'ai pu m'empêcher, dit-il, d'examiner à fond et faire
examiner par personnes habiles et versées en ces matières
les clauses de cette bulle. Tous m'ont assuré qu'elle était
insoutenable, et que jamais les parlements, où elle serait
portée pour y être enregistrée, ne la recevraient. Il faut
encore moins espérer qu'elle le soit au Conseil du roi. . .
Toutes ces raisons m'ont déterminé à prendre le parti
d'acquiescer à votre opposition. . . »
Et il ajoutait, écrivant à ses vicaires généraux, Maizerets
et Glandelet, prêtres du séminaire : « Notre-Seigneur m'a
inspiré d'acquiescer à l'opposition du chapitre, ce que j'ai
fait signifier à vos messieurs de Paris. Les choses regardées
ainsi comme rétablies sur l'ancien état, vous devez penser à
remplir les dignités et les canonicats vacants. »
Tout cela se trouve dans les registres du chapitre.
1. Archiv. de l'év. de Québec, Doc. copiés au Vatican, Lettre écrite
de Farnham par Mgr de Saint-Vallier, le 5 oct. 1705, dans laquelle le
prélat exprime là-dessus son désappointement.
2. .archiv. de l'évêchè de Québec, Registre du chapitre.
284 l'éguse du canada
Les vicaires généraux, agissant au nom de M^ de Saint-
Vallier, et tout entiers à l'idée de continuer le chapitre tel
que créé par AP"" de Laval, ne se font pas prier; et dans le
cours du mois d'octobre 171 2, il remplissent les places
vacantes du chapitre en nommant chanoines MM. Serré de
la Colombière, Calvarin, Hamel, de la Bouteillerie, Le
Picart, Plante et LeBlond; puis, le 12 décembre suivant, le
chapitre enregistre solennellement son opposition à la bulle
de Clément XL qui a modifié l'institution de M^"" de Laval et
diminué le nombre des chanoines, « étant la dite bulle, quant
aux points ci-dessus, ainsi que mon dit seigneur évêque
( Saint- Vallier) l'a reconnu, préjudiciable à son Eglise et
aux libertés de l'Eglise gallicane « ^
Voilà où en est rendue l'Eglise de Québec, sortie de la
voie où l'avait mise son premier évêque !
M^ de Saint-A^allier a brisé l'union du clergé et des cures
au séminaire de Québec : il va achever son œuvre en séparant
le Chapitre du Séminaire, et en empêchant même le Sémi-
naire d'en faire partie. Cette exclusion du Séminaire du
corps des chanoines, il n'a pu l'obtenir à Rome; il la demande
à la cour, et l'obtient facilement. Une commission est nom-
mée, sous la présidence de l'abbé Bignon, neveu de Pont-
chartrain, pour faire le partage du revenu des trois abbayes
entre l'Evéque et le Chapitre; puis le 15 septembre 171 3, le
Roi donne les lettres patentes que nous avons commencé à
analyser plus haut, où il ordonne d'exécuter la bulle du i®'
octobre 1674, qui a pourtant été exécutée déjà par M^"" de
Laval : il le fait, parce que, suivant lui, cette bulle n'a pas été
exécutée de manière à assurer au Chapitre une existence et
un revenu distincts de tout autre corps, et surtout du Sémi-
naire. Le Roi ratifie le partage du revenu des abbayes, qui
a été fait par la commission présidée par l'abbé Bignon : puis
I. Archiv. de l'évêché de Québec, Registre du Chapitre.
sous M*^ DE SAINT-VALUER 285
il déclare <( que les bénéfices du chapitre ne pourront être
possédés par aucune personne attachée à des communautés
régulières et séculières, ni aux séminaires établis en la Nou-
velle-France ». Au revenu que les chanoines retireront des
abbayes, il ajoute un don annuel de trois mille livres à
prendre sur son domaine d'occident, mais « à condition qu'il
nommera lui-même le doyen et le chantre du chapitre » \
Pour un plat de lentilles, le chapitre, qui accepte ce don,
sacrifie son indépendance, et le droit qu'il a, de par les statuts
de M^"" de Laval, de nommer son doyen. Egalement, l'évêque,
pour obtenir de la cour l'exclusion du Chapitre des prêtres
de son Séminaire, qu'il a en vain sollicitée à Rome, renonce
à la nomination de deux de ses chanoines : cette nomination
appartient maintenant à l'Etat.
Et pourquoi cette exclusion ? Ne suffisait-il pas que le
Séminaire et le Chapitre fussent deux corps distincts et
séparés, ayant chacun leur revenu? Il faut toujours en
revenir au mot de M. Tronson sur ^NP" de Saint-Vallier : « Il
n'y a à craindre pour lui que l'excès. »■
En conformité des lettres royales de 17 13, le Prélat, après
les avoir fait enregistrer au Conseil Supérieur, donne au
chapitre, le 11 septembre 1714, de nouveaux statuts, igno-
rant complètement ceux de M'"" de Laval, tout en protestant
« qu'il s'efforce de suivre ses vestiges » : il commence en effet
les siens par ce préambule :
« Notre prédécesseur en ce siège, dont nous tâchons de
suivre les vestiges, ayant érigé, en conséquence de la bulle
de N. S. P. le Pape du i^"" octobre 1674, dans notre église
cathédrale un chapitre composé de cinq dignitaires et de
douze chanoines, s'était réservé par le dit décret à faire des
statuts qui servissent de règle au dit chapitre, et comme il n'a
pas exécute son projet, ni donné des statuts à la dite église,
I. Edits et Ordonnances, t. I, p. 339.
286 l'église du canada
nous nous sommes obligé d'y suppléer et à cette fin, de faire
les statuts suivants \ . . »•
Ouvrez, cependant, le volume premier des Mandements
des Bvêqiies de Québec, vous y trouverez les « Statuts et
règlements du chapitre de Québec faits par M^^ de Laval
conjointement avec MM. les chanoines en l'année 1684»".
Tout le monde paraissait avoir oublié les faits et les dates-,
jusqu'au Roi qui, comme nous l'avons dit plus haut, dans
ses Lettres du 15 septembre 1713, faisait passer M^"" de
Laval au Canada en 1663, au lieu de 1659 !
On essaie d'obtenir de nouvelles bulles de Rome, ratifiant
les lettres royales de 171 3. Le roi Louis XV adresse à ce
sujet une supplique au souverain pontife, l'accompagnant
d'un « mémoire concernant l'église cathédrale de Québec »^
et d'un « état général du revenu temporel du Chapitre >» ^.
La cour de Rome ne juge pas à propos de revenir sur ses
sages décisions, ni de retirer la bulle de 1704; et le chapitre
de Québec continue à rester et restera jusqu'à son extinction
dans la fausse position oià il s'est mis en repoussant une
bulle pontificale pour ne s'appuyer que sur les décisions de
la cour.
M^"" Dosquet caractérisait cette situation d'une manière
pittoresque, et l'appelait le combat des Bulles:
« Il ne paraît pas, disait-il, que le chapitre de Québec ait
encore tout ce qui lui est nécessaire pour exercer les droits
des églises cathédrales ; il n'a encore ni bulles ni lettres
patentes en forme. Celle de Clément X qui donne pouvoir
à M. de Laval de l'ériger a été révoquée par une de Clémerît
XI qui réduit le nombre des chanoines à la moitié: à quoi le
chapitre s'est opposé par un acte du 7 novembre 1 707, ayant
chargé un procureur d'en obtenir une troisième ; sur quoi le
1. Arch. de l'év. de Q., Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. I, p. 2.
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 135.
3. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. I, p.'6i, 62, 63.
sous M*^"" DE SAINT-VALLIEK 28/
Roi ayant fait examiner l'état du chapitre en 1712, les
commissaires arrêtèrent (ju'ils demanderaient des lettres
patentes sur la première bulle, ce qui n'a point encore été
fait ; en sorte que le chapitre est encore dans le combat des
Bulles, n'ayant d'autres lettres patentes que celles du don de
mille écus (jue le Roi lui a fait, en attendant, jx^ur aider à sa
subsistance \ . . »■
Le Roi ajoutera de nouvelles faveurs au chapitre : en
1 724, il augmente de cinq mille livres son revenu annuel, le
portant ainsi à huit mille livres ; mais cela n'augmentera pas
le zèle des chanoines :
« Ils ne sont jamais que trois au plus au chœur, écrivait
M^"" de Saint-Vallier à la cour en 1727, et presque toujours
les mêmes, ayant les trois plus de zèle que les autres. »■ Et il
ajoutait : « Les autres disent qu'ils sont malades, ou obligés
de faire des voyages, qu'ils font sans permission. . . Je
n'ignore pas que ce chapitre, qui est entièrement soumis par
son institution à l'évêque, ne dût le consulter et agir par
dépendance. Je n'ignore pas non plus que ceux qui n'assistent
point au chœur, ne faisant point les fruits de leurs bénéfices
à eux, ne dussent être obligés, par censures, à les restituer et
à les employer à l'usage que le saint concile de Trente
ordonne ; mais n'ayant point d'autre pouvoir contre eux que
celui de lancer des censures, me conseilleriez-vous de le
faire ?
" Il est absolument nécessaire que vous écriviez à M. le
gouverneur d'ici et à M. l'intendant, de m'aider par leurs
paroles à leur faire faire leur devoir.
<' Ils diront peut-être qu'on devrait renvoyer leur procu-
reur de France ^ ix)ur y faire le sien ici, en assistant à
l'office, au lieu de dépenser tous les ans cinq cents écus au
1. Archiv. du Canada, Corresp. générale, vol. 46.
2. Le chanoine Hazeur de l'Orme, dont il est question plus loin. Il'
passa en France en 1723, et ne revint jamais au Canada.
255 I, EGLISE DU CANADA
chapitre, sans rien faire pour eux, mais travaillant uni-
quement à chercher quelques moyens de s'avancer et de faire
sa fortune : paroles que l'on avance tous les jours, et qui ne
sont que trop véritables, n'ayant point d'autre motif de son
séjour en France que celui-là. Cela convient-il? Et trois
seuls chanoines zélés peuvent-ils faire le service d'un cha-
pitre, 011 il faudrait au moins seize personnes?
« Vous me marquez qu'ils fournissent quatre chantres.
Ce sont des enfants et des écoliers, qui ne chantent que les
dimanches et les fêtes, et vont au collège les autres jours.
Cela vaut-il quatre chapelains qui assisteraient à tous les
offices tous les jours, et qui diraient des messes pour satis-
faire aux obligations, fondations et messes du Chapitre?
« Pour vous mettre encore plus au fait du spirituel du
chapitre, M. le comte de Pontchartrain, votre père, n'a
pas voulu souffrir que le séminaire de Québec fît l'office
pour le chapitre, désirant que ces deux corps fussent sépa-
rés, et fissent chacun leur office : ce qui ne se fait point
cependant. »
M^*" de Saint- Vallier donnait ensuite le détail du revenu
de l'Evêque et de son chapitre ; puis il ajoutait :
« Je vois peu de corps plus à leur aise que ce chapitre,
quoiqu'ils aient voulu écrire et persuader le contraire ^ »
Quand M^ de Saint-Vallier écrivait cette lettre si sévère
à l'égard de son chapitre, il touchait au terme de sa longue
et laborieuse carrière. Ne dirait-on pas qu'avec sa grande
et souvent douloureuse expérience des hommes et des choses,
il regrettait un peu certains actes de son administration,
comme par exemple le renversement radical du système de
son vénérable prédécesseur, surtout par rapport à la consti-
tution du Chapitre?
I. Archiv. de l'év. de Québec, Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. I,
p. 54, Lettre de Mgr de Saint-Vallier au ministre, 9 oct. 1727.
sous M*^ DE SAINT-VALLIËR 289
M^"" de Laval, en érigeant ce chapitre dans une Eglise
naissante, dénuée de ressources comme était la sienne, avait
compté beaucoup sur le désintéressement de son clergé. II
savait bien que les abbayes lointaines qu'il lui attribuait ne
donneraient jamais grand revenu à ses chanoines; mais
comme ils étaient tous agrégés au Séminaire, il savait aussi
qu'ils ne manqueraient jamais de rien, et que d'ailleurs leur
zèle à remplir leurs fonctions serait en proportion de leur
désintéressement et de leur vertu.
M^"" de Saint-Vallier brise l'union du Chapitre au Sémi-
naire. Les chanoines, désormais, laissés à eux-mêmes, sont
obligés de se faire un revenu. Il leur faut donc utiliser à
leur profit les abbayes qu'ils ont là-bas, en France, tâcher de
retirer tout ce qui leur est dû, et faire produire aux terres,
aux forêts, aux pâturages le plus de revenus possible. Il leur
faut entretenir là-bas, souvent à grands frais, des agents,
des procureurs pour gérer leurs affaires; et ces procureurs
eux-mêmes ont quelquefois besoin d'être surveillés, con-
trôlés. L'administration de ces abbayes amène inévita-
blement des procès; et des procès, des divisions, il y en a
même quelquefois entre les chanoines. Tout cela produit
nécessairement une fâcheuse impression. Le gouverneur
et l'intendant s'en plaignent à la cour :
« Ceux qui composent le chapitre, écrivent-ils, ont entre
eux des discussions d'intérêts ix)ur lesquels ils ont fait saisir
les uns sur les autres leurs revenus ^.)) Et le ministre, d'écrire
à son tour : « Le Roi a été informé que la plupart des cha-
noines s'abstiennent du service, sous prétexte de maladie,
ou des voyages qu'ils font sans aucune nécessité, en sorte
qu'ils ne sont jamais que trois au plus au chœur, et presque
toujours les mêmes. Sa Majesté, qui a été mal édifiée d'une
I. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. II, p. 46. — Corresp. générale,
vol. ^2.
290 L ÉGLISE DU CANADA
pareille conduite, m'a ordonné de vous écrire de leur expli-
quer de sa part d'être plus réguliers, à l'avenir, à remplir
leurs devoirs 1. . . »
Le ministre écrit de nouveau trois ans plus tard :
« Sa Majesté veut que vous expliquiez aux chanoines en
général et en particulier qu'Elle est informée de leur insu-
bordination et de leur relâchement dans leurs fonctions.
V'ous les avertirez d'effacer par une conduite toute différente
les mauvaises impressions qu'ils ont données contre eux, et
de se comporter de manière qu'il ne revienne plus de plainte
»
à leur sujet
On est porté à rire lorsqu'on songe que le Roi, qui se
trouvait « malédifié » de la conduite des chanoines de Qué-
bec, n'était autre que Louis XV. D'un autre côté, n'oublions
pas que c'est en sa qualité de « fondateur du chapitre »,
auquel il donnait huit mille livres de rente par année, que le
Roi se permettait de lui faire la leçon.
*
* *
De quelques traits peu favorables que l'on rencontre ainsi
çà et là dans les archives, à l'adresse du chapitre de Québec,
faut-il conclure que ce chapitre n'était pas un corps respec-
table? Nullement. Les chanoines, en général, étaient des
prêtres vertueux. Les abus, les divisions, l'apparence de
cupidité, tout cela était la conséquence de la réforme du
chapitre tel qu'établi par Al*^"" de Laval : on n'avait pas voulu
dépendre du Séminaire, et l'on dépendait maintenant de
l'Etat: il fallait se faire un revenu pour vivre, il fallait se
faire des rentes ; et l'on paraissait souvent quelque peu âpres
1. Corresp. générale, vol. 50, Maurepas à Beauharnais et Hocquart,
24 mai 1728.
2. Ibid., vol. 56.
sous M^' DE SAINT-VALLIER 29I
au gain. AP" de Saint-Vallier, qui avait créé le nouvel état
de choses, semblait en déplorer maintenant les conséquences :
il écrivait au ministre : « C'est votre père qui m'a engagé
dans cette voie : aidez-moi maintenant « à faire faire leur
devoir aux chanoines ». Et il ajoutait : « Je vois peu de corps
plus à leur aise que ce chapitre, quoiqu'ils aient voulu écrire
et persuader le contraire. »
Le Prélat avait toujours été très variable dans ses juge-
ments et ses impressions ; et nous ne pouvons nous empê-
cher de rappeler ici ce que nous écrivions naguère dans la
Vie de M^ de Laval, d'après les lettres de M. Tremblay,
procureur du séminaire de Québec à Paris:
«Au printemps de 1703, après son retour de Rome,
c'est-à-dire au moment même où il travaillait à exclure du
chapitre les prêtres de son Séminaire, il dit à M. Tremblay
qu'il en était bien revenu de ses préventions contre l'union
des cures au séminaire de Québec, et qu'il avait même formé
le dessein de donner à cette maison le soin de toutes les
paroisses depuis le lac Saint-Pierre jusqu'à la Baie Saint-
Paul et à la Rivière-Ouelle, et qu'il s'efïorçait de faire con-
sentir M. Leschassier, supérieur de Saint-Sulpice, à ce que
le séminaire de Montréal se chargeât de toute la partie supé-
rieure du diocèse.
« C'est le seul moyen, disait-il, d'avoir de bons sujets, et
de se débarrasser des Récollets, qui ne cherchaient que les
dîmes, et qui abandonnaient un endroit dès qu'ils n'y rece-
vaient plus rien. . .
« M. Tremblay, qui connaissait par expérience le carac-
tère variable du saint évêque, se contenta de répondre qu'il
en écrirait aux messieurs du Canada pour avoir leur
opinion. . . »
Nous ajoutions : « Que de chemin les idées de M^"" de
Saint-Vallier avaient fait depuis quelques années !. . . Mais
le séminaire de Québec avait pris son parti du nouvel état de
292 Iv EGLISE DU CANADA
choses, et ne se soucia guère de voir revivre l'ancienne
union des cures ^. »
N'est-il pas à croire qu'un changement analogue s'opérait
dans les idées de M^"" de Saint- Vallier par rapport à la
réforme qu'il avait faite au chapitre?
Cette réforme, on le comprend, n'avait pas eu d'effet
rétroactif. Ceux du Séminaire qui étaient déjà chanoines
conservaient leurs droits et restaient chanoines; et c'est
certainement d'eux que M^'' de Saint-Vallier disait : « Ils ne
sont jamais plus que trois au plus au chœur, et presque
toujours les mêmes, ayant les trois plus de zèle que les
autres. » M. Plante, qui était l'un des trois, mettait le
nombre à quatre ou cinq : « Il n'y a ordinairement au chœur,
écrivait-il, que quatre ou cinq chanoines, et quelquefois
moins, et ordinairement les mêmes. Ces messieurs me
paraissent un peu faciles à s'absenter et ne regardent pas
d'assez près l'obligation de résider. . . M. Le Page ' a sa terre
et ses moulins à faire valoir. M. Leclair ^ a d'autres
vues *. . . »
Quoi qu'il en soit, le chapitre de Québec, devenu un corps
tout-à-fait distinct et séparé du Séminaire prend en mains
la gestion de l'abbaye de Maubec, dont les revenus lui sont
spécialement attribués. Il fait rendre compte de leur admi-
nistration à M. Tremblay et son neveu Pépin, qui ont retiré
jusque-là les revenus de l'abbaye. Il envoie en France suc-
cessivement comme ses procureurs deux de ses chanoines,
M. Thibout ^. d'abord, puis ensuite M. Le Picart ^ Celui-ci
meurt en 1718 à l'abbaye de Maubec, qui a vu mourir sept
I. Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 510.
■ 2. Il résidait à Terrebonne, dont il était seigneur.
3. Il était curé de Saint-Vallier.
4. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. I, p. 49, 75, 89.
5. Thomas Thibout, qui devint curé de Québec à la mort de M.
Pocquet, en 171 1. Il venait de France.
6. Un Canadien, natif du Château-Richer.
sous M*^ DE SAINT-VALI.IER 293
ans auparavant (1711) M LeVallet, l'ami et le procureur
de M^ de Saint-Vallier, et où M^ de Saint-Vallier lui-même,
dans le même temps, a failli succomber à la maladie '.
Mais le plus habile procureur que le chapitre de Québec
ait jamais envoyé à Maubec, le plus actif, le plus intelligent,
le plus efficace, et sans contredit le chanoine Hazeur de
l'Orme, qui s'y rend en 1723, se dévoue aux fonctions qui
lui ont été confiées l'année précédente, et reste en France
jusqu'à sa mort. Il est le fils d'un homme de bien, le con-
seiller Hazeur, riche marchand, bon citoyen, ami des com-
munautés religieuses, qui demeure à la Basse-Ville, près de
l'église de Notre-Dame-des-Victoires, et dont la maison fait
face au port ^.
En parcourant la longue et intéressante correspondance
du chanoine Hazeur ^ le récit de ses travaux, de ses dé-
marches, de ses relations avec les curés*, les fermiers, les
habitants des domaines de l'abbaye, en voyant les amélio-
rations qu'il apporte partout, dans les églises, dans les pres-
bytères, dans la culture des fermes, dans l'administration
des bois et des forêts, on se demande tout naturellement qui
fut le plus gagnant dans la réforme du chapitre de Québec,
telle qu'opérée par M^'' de Saint-Vallier, du chapitre lui-
même, qui, après tout, ne pouvait retirer de cette abbaye
de Maubec qu'un revenu bien précaire, bien aléatoire et
variable, dépendant de mille circonstances ou accidents, de
1. Il parait que le pays de Maubec n'était pas salubre : " Ce pays-là
est très malsain, écrit M. Hazeur, à cause de la quantité d'étangs dont
il est renfermé; ce qui fait que les personnes qui l'habitent ont toutes
des visages jaunes; et à moins qu'on y soit élevé de jeunesse, l'on y
meure bientôt." (Bulletin des Recherches historiques, vol. XIII, p. 336.)
2. Voir Henri de Bernicres, édit. de 1896, passim.
3. Publiée par Mgr Têtu dans le Bulletin des Recherches historiques,
année 1907 et suivantes.
4. Il y avait vingt-trois cures, et plus de cent bâtiments dans les
dépendances de l'abbaye de Maubec. (Bull, des Recherches hist.,
vol. XIII, p. 337)
294 l'église du canada
la clémence ou de l'intempérie des saisons, du succès ou de
l'insuccès des procès qui pouvaient surgir à tout instant, de
la quantité des impôts ou décimes ^ qu'il fallait payer â
l'Etat, des frais à subir pour toute espèce de travaux ou
réparations : ou de l'abbaye elle-même, de ses paroisses, de
ses habitants, qui virent surgir tout-à-coup au milieu d'eux
un administrateur de premier ordre, un homme franc et
honnête, et de savoir-faire, comme le chanoine Hazeur, leur
arrivant avec la volonté bien arrêtée d'améliorer leur sort,
tout en faisant les affaires du chapitre dont il était le repré-
sentant.
Il n'entre nullement dans le cadre de cet ouvrage de faire
l'histoire de l'abbaye de Maubec, des changements qu'elle
eut à subir dans le cours des siècles, ni même de ce qui s'y
passa à partir du moment où ^P"" de Laval en devint abbé
commendataire, non plus que de la gestion de cette abbaye
par le chapitre de Québec et ses procureurs. C'est une his-
toire complètement à part, qui n'appartient qu'indirectement
et de bien loin à celle de l'Eglise du Canada. Nous ne pou-
vons cependant nous empêcher de citer ici un petit passage
d'une lettre de M. Hazeur, qui terminera heureusement ce
chapitre. Il s'agit, dans cet extrait, de l'arrivée du digne
chanoine à l'abbaye de Maubec, où il fut accueilli, vraiment,
comme un messie libérateur. Nous allons voir le bon effet
que produisit ce Canadien, à l'étranger, dans le pays de ces
bons Français, qui, eux, lorsqu'ils arrivaient ici, n'avaient
souvent pour nous que du dédain ; et son récit va nous
laisser entrevoir, également, l'état de détresse où il trouva
cette abbaye qu'il était appelé à administrer:
« Nous arrivâmes heureusement, dit-il, chez M. de
I. "Il est toujours fâcheux d'avoir affaire au Roi, qui se rend
maître de tout quand il lui plait. " (Lettre du chanoine Hazeur,
Bulletin des Recherches historiques, vol. XIII, p. 280.)
sous M^ DE SAINT-VALUËR 295
Bienassy \ auquel M*"" de Saint- Vallier avait, il y a long-
temps, donné des provisions de bailli de Maubec, comme
le croyant plus propre pour exercer cet emploi, lequel,
charmé de voir une personne députée du chapitre de Québec,
que lui et tous les tenanciers de l'abbaye attendaient depuis
la mort de M. Le Picart (1718) avec impatience, me reçut
avec d'autant plus de plaisir que les procureurs et les fer-
miers de l'abbaye l'avaient fort chagriné et molesté, jusqu'à
le vouloir déposséder de sa charge de bailli, sans avoir eu
aucun fondement ni raison pour le faire, suivant ce que
j'ai découvert et que je découvre encore tous les jours.
« Mon arrivée a causé une joie universelle parmi tous ces
pauvres habitants de Maubec, lesquels me reçurent, le jour
de Saint-Thomas, le 21 décembre, sans que je leur eus donné
aucun ordre, sous les armes, tirant à mon arrivée dans le
bourg une quantité de décharges de coups de fusil, ce que
faisaient les femmes et les filles comme les hommes, criant
hautement : « Vive M. l'abbé de Maubec ! » Je vous avoue,
messieurs, que toutes ces acclamations ne laissèrent pas que
de me donner beaucoup à penser, et me firent dès lors con-
naître qu'il fallait nécessairement que ces gens-là eussent été
molestés, car les évêques et autres qui ont passé ici n'ont
jamais été reçus comme je l'ai été. Mon idée ne s'est pas
trouvée fausse, comme vous le remarquerez ci-après.
« Le curé du bourg vint au devant de moi, me mena à
l'église et y chanta un Te Deiim pour remercier Dieu de mon
arrivée. Quelque temps après le Te Deiim chanté, ils firent
un grand feu de joie, où ils tirèrent encore une quantité de
décharges de fusil. La cérémonie finie, ils vinrent tous me
saluer et me témoigner la joie qu'ils avaient de voir une
I. Il est question de M. de Bienassy dans la lettre de M. Tremblay
publiée dans le Rapport sur les archives du Canada de 1887, p. XLIV.
M. de Bienassy était déjà bailli de Saint-Gauthier en 1695.
296 l'église du canada
personne du chapitre en ce pays, et me contèrent les sujets
de peine contre notre procureur et nos fermiers. Je vis
plusieurs curés, auxquels M. Pépin a fait des procès sans
beaucoup de raison \ qui me dirent hautement que, si je
n'étais pas venu, de concert avec les autres personnes qui
sont dans les dépendances de l'abbaye, ils auraient envoyé
à leurs frais et dépens un exprès en Canada avertir de ce
qui se passait ici. J'entendis les plaintes des uns et des
autres, et j'en fis de bons mémoires. . .
« Quelques jours après, je fis venir les sieurs La Brosse et
Travers, fermiers de Maubec et Chezelles, qui n'ont pas été
fort réjouis de mon arrivée, afin de me montrer leurs
comptes qu'ils venaient de régler avec M. Pépin. J'en fis un
petit extrait pour voir s'ils se rapporteraient avec ceux de
M. Pépin à Paris. Je m'en allai ensuite avec M. de Bienassy,
M. le curé de Maubec et quelques autres, faire la visite
tant du trésor que des bois et des métairies, lesquels je
trouvai en très mauvais ordre, une partie des titres perdus et
séquestrés, des bâtiments tout délabrés et les bois pillés et
ravagés. L'on me dit que c'était le sieur La Brosse qui
avait ôté les papiers, fait enlever les bois, et qu'il les avait
fait vendre à son profit. Comme j'en avais, par tout ce que
les curés et les habitants m'avaient dit, des preuves assez
convaincantes, j'ai cru qu'il était expédient d'en faire un
exemple; c'est pour cela que j'ai donné ordre au sieur de
Bienassy de poursuivre les sieurs La Brosse et Travers, afin
qu'ils eussent à nous restituer tous les torts et délits qu'ils
ont causés dans notre abbaye depuis le temps qu'ils en sont
fermiers *. . . »
N'avons-nous pas eu raison de dire que M. Hazeur de
l'Orme fut reçu à Maubec comme un messie libérateur ?
1. M. Pépin, neveu de M. Tremblay, était avocat.
2. Bulletin des recherches historiques, vol. XIII, p. 260.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 297
Sa lettre au chapitre de Québec était datée du 8 juin 1723;
et presque en même temps le juge Bienassy, dont il est
question dans cette lettre, écrivait lui aussi au chapitre :
« Non seulement tous nos habitants de Maubec remer-
cient Dieu, mais encore presque toute la province \ de nous
avoir envoyé M. de l'Orme, qui est d'un mérite distingué et
pour qui l'on a beaucoup de considération. »
M^"" de Saint- Vallier lui-même n'avait jamais été reçu â
Maubec avec autant d'enthousiasme que M. Hazeur. Est-ce
pour cela qu'il paraissait un peu jaloux du digne chanoine?
Ecrivant un jour au ministre :
« Quand je vous ai demandé, disait-il, pour la cathédrale
de Québec un Doyen - qui fût de l'ancienne France, et non
pas du Canada, ça été par le conseil de M. Bégon, notre
ancien intendant, qui connaît aussi bien que moi la dispo-
sition de leurs esprits, peu portés à se soumettre et à recon-
naître leurs supérieurs temporels, aussi bien que les spiri-
tuels, sans en excepter l'ecclésiastique qui est en France,
qui trouve très mauvais qu'on ne le fasse pas doyen. Nous
avons compris, M. Bégon et moi, qu'en le nommant pour
cette dignité, vous donneriez à mes successeurs évêques un
égal et un compagnon, plutôt qu'un inférieur, qui leur
résistera et leur disputera le terrain. Il est bien éloigné de
donner par les lettres qu'il a écrites de France ici, l'exemple
de la soumission et de l'obéissance ^. . . »
1. La province de Berry.
2. A la place de M. Glandelet, qui était mort l'année précédente
(1725). Depuis 1713 le Chapitre n'avait plus le droit de nommer son
Doyen : on y avait renoncé pour le don de 3000 livres ; et l'Evêque
était obligé d'en " demander " un à la cour !
3 Corresp. générale, vol 48, Lettre de l'Evêque au ministre, 10 sep-
tembre 1726.
CHAPITRE XXI
1,'ÉGI.ISE DE LA NOUVELIvE-FRANCE ET l'ÉTAT
SOUS M^ DE SAINT-VALLIER
'Louis XIV et l'Eglise de la Nouvelle-France. — Instructions à M. de
Callières. — Mgr de Saint-Vallier et M. de Vaudreuil. — Mme
de Vaudreuil. — Deux ordonnances de l'intendant Raudot. — Ques-
tions de préséance à l'église. — Le pain bénit, aux capitaines de
milice ; aux chantres sans surplis. — Les bancs des Seigneurs. —
L'eau bénite au gouverneur, par présentation du goupillon. —
Mariages des officiers et soldats.
EN parcourant les édits et ordonnances de Louis XIV"
qui regardent de près ou de loin l'Eglise du Canada,
on ne peut s'empêcher d'admirer les sentiments chrétiens qui
y respirent. Le Roi aime à se proclamer « le fils aîné de
l'Eglise », et « le protecteur des saints canons ». Il veut se
montrer en toute occasion « digne du titre qu'il porte de roi
«Très-Chrétien», et «contribuer de tout son pouvoir à la pro-
pagation de l'évangile parmi les sauvages de la Nouvelle-
France ». Convaincu « qu'il n'y a rien qui puisse attirer
davantage la bénédiction du Ciel sur sa personne et son
royaume », que « de faire observer les saints comman-
dements », il a tout spécialement en horreur le blasphème, et
porte les peines les plus sévères « contre ceux qui ne res-
pectent pas le nom de Dieu, celui de la sainte Vierge et des
choses saintes ». Il veut que « la discipline de l'Eglise soit
bien observée » : il permet aux Récollets de continuer et
d'étendre leurs établissements en Canada, et ils pourront y
l'église du canada sous m*"" de; saint-vallier 299
•exercer « les fonctions curiales », mais seulement « lorsque
l'évêque le jugera nécessaire et leur en donnera le pouvoir ».
Au Conseil Supérieur de Québec, il veut qu'il y ait toujours,
à part l'évêque ou son grand vicaire, un conseiller-clerc,
« pour veiller à la conservation des droits de l'Eglise ». S'il
accorde quelques faveurs aux Jésuites, aux communautés
religieuses, c'est afin « d'avoir part à leurs bonnes oeuvres »,
c'est à la condition « qu'on priera pour sa prospérité et sa
santé et la conservation de l'Etat » \
Les actes et la conduite du grand Roi furent-ils toujours
d'accord avec ses paroles ? Nous n'avons pas à nous occuper
ici de la France, ni des démêlés regrettables qu'eut Louis
XIV avec le chef suprême de l'Eglise, de sa conduite in-
digne à l'égard du pape Alexandre VII, de ses prétentions
exliorbitantes et injustes au sujet de la Régale et des consé-
quences malheureuses qui s'ensuivirent : un conflit intermi-
nable avec le souverain pontife Innocent XI. et la fameuse
déclaration du clergé de 1682, qui mit la France à deux
doigts du schisme-. Tout cela est du domaine de l'histoire
générale de l'Eglise ; aucun de ces épisodes malheureux
n'entre dans notre cadre, d'autant plus qu'ils n'eurent jamais
que peu ou point d'écho dans notre pays. Oui sont ceux
qui, dans les hameaux de la X'ouvelle-France. entendirent
jamais parler des affaires de la garde Corse, de la Régale,
de l'ambassadeur Lavardin, ou des conflits de Louis XIV
avec le souverain pontife? On ne voit pas même qu'il ait
jamais été question sérieusement de faire enregistrer au
Conseil Supérieur la fameuse déclaration de 1682, comme
elle le fut dans tous les parlements du Royaume : on n'en
I. Edits et Ordonnances, t. I, passim.
I. " Le Pape annula la déclaration et refusa l'investiture aux évêques
nommés par le Roi. Louis XIV ne voulut pas céder, et, au bout de six
ans, trente-si.x évêchés furent sans pasteurs." (Beurlier, Histoire de
ï Eglise, p. 215.)
300 I, ÉGLISE DU CANADA
trouve du moins nulle trace dans les Jugements et Délibé-
rations du Conseil.
L'Eglise du Canada, ses évêques, son clergé, ses commu-
nautés religieuses trouvèrent toujours en Louis XIV un
protecteur bienveillant et sympathique. M^"" de Saint-Vallier
savait le reconnaître lorsqu'il disait que « son Eglise avait
encore plus d'obligation à ce grand Prince que celle de
France, par le soin qu'il avait pris de la combler de ses bien-
faits » ^ Louis XIV s'intéressait à notre Eglise, à ses pro-
grès, à son avenir ; il s'intéressait aux missions de la
Nouvelle-France, à la conversion des sauvages, à leur civili-
sation, et il contribua autant qu'il le put à l'entretien du
clergé canadien et à l'œuvre des missions.
Mais il était jaloux, et souvent par excès, de son autorité;
il craignait toujours que l'Eglise n'usurpât quelqu'un de ses
droits, n'empiétât sur son domaine. Aussi voyons-nous que
dans les Instructions qu'il donne aux différents gouverneurs
qu'il envoie dans la colonie pour l'y représenter et l'admi-
nistrer en son nom, il ne manque jamais de leur recom-
mander « de prendre garde que l'évêque ne porte l'autorité
ecclésiastique plus loin qu'elle ne doit aller » : recomman-
dation bien dangereuse, et souvent funeste : ces hauts fonc-
tionnaires civils, dans les colonies lointaines, étaient déjà
suffisamment portés d'eux-mêmes à faire du zèle, à aller
au delà de leurs instructions, à s'immiscer dans les choses
qui n'étaient pas de leur ressort : que ne feront-ils pas si on
leur recommande de surveiller l'évêque et le clergé, et de
les rapporter à la cour s'ils jugent qu'ils sont allés au delà de
leurs attributions? Une grande partie de la correspondance
de nos gouverneurs et intendants roule sur des insinuations
de ce genre contre l'évêque, les religieux et le clergé en
général : on les accuse de s'opposer trop sévèrement au com-
2. M and. des Ev. de Québec, t I, p. 491.
sous M""" DlC SAINT-VALIJER 3OI
merce des boissons enivrantes ; on les accuse « de vouloir,
par toutes sortes de moyens, maintenir une autorité dans la
politique et le civil, comme ils l'ont dans le spirituel,
et de se servir de l'une à tout propos pour parvenir à
l'autre » \ C'est alors l'évêque qui, à son tour, est obligé
de se montrer jaloux de son autorité, dans toutes les ques-
tions qui, comme celle de la traite de l'eau-de-vie aux sau-
vages, ou autres de cette nature, intéressent directement la
morale, le salut des âmes, la fin de la société religieuse. Avec
des hommes comme Talon et Frontenac, par exemple,
l'évêque est obligé de se tenir toujours sur la défensive.
Nous avons dit avec quelle force M^"" de Laval sut maintenir
dignement sa position vis-à-vis de ces roués personnages et
faire respecter les droits de l'Eglise. Nous avons vu éga-
ment que M^"" de Saint-Vallier, après avoir été l'ami de
Frontenac, ne craignit pas, lui non plus, de se mettre en
guerre avec le gouverneur et quelques autres personnages de
la colonie, lorsqu'il vit qu'il y allait de son devoir, et que les
intérêts de la morale, du bon exemple, du salut des âmes,
étaient en jeu. Bien mieux, il fut soutenu à la cour dans
toutes ses prétentions, comme le prouve un document que
nous citerons tout-à-l'heure : ce qui montre que les hauts
fonctionnaires de la colonie allaient souvent au delà de
leurs intructions.
Frontenac mourut à Québec dans l'automne de 1698.
Callières, (jui commandait à Montréal, le remplaça d'alx>rd
par intérim, puis fut nommé gouverneur général du Canada
le printemps suivant. Les instructions qu'il reçut de la cour
nous paraissent si belles, que nous croyons devoir en citer
une partie, celle qui regarde la société religieuse : elles con-
firment ce que nous avons dit des dispositions bienveillantes
du Roi à l'égard de l'Eglise de la Nouvelle-France :
I. Corresp. générale, vol. 6. Lettre de La Barre au ministre
Seignelay. 1682.
302 l'église du canada
« Le devoir principal et essentiel, et celui que Sa Majesté
désire que le sieur Callières remplisse avec le plus d'appli-
cation est de satisfaire à ce qui regarde la Religion, d'oii
dépend la bénédiction qu'on doit attendre du Ciel, sans
laquelle rien ne peut avoir d'heureux succès. Sa Alajesté
veut que le sieur Callières emploie particulièrement l'auto-
rité qui lui est commise \ autant qu'il sera en son pouvoir,
à ce que Dieu soit servi dans toute la colonie et que la reli-
gion chrétienne s'étende parmi les sauvages voisins.
« Il doit pour cet effet donner toutes sortes de secours
aux misionnaires, aux Jésuites et aux religieux qui tra-
vaillent au salut des âmes, en se conduisant en cela de ma-
nière qu'il évite de faire naître entre eux aucune jalousie *.
« Sa Majesté veut qu'il conserve une parfaite intelligence
avec l'évêque de Québec, qu'il lui donne toute sorte de
secours et de protection, en tout ce qui regarde ses fonctions,
et qu'il contribue de ses soins et de son application à tout ce
qui peut regarder le bien spirituel de la colonie, sans néan-
moins aller en rien au delà de ses fonctions, ni faire rien de
son chef et sans la participation du dit Evêque. Et il lui
sera d'autant plus facile de concourir avec lui au bien spiri-
tuel de la colonie, que le dit sieur Evêque, étant d'une piété
exemplaire, sera très aise d'agir de concert avec un gouver-
neur général qu'il trouvera très bien disposé pour tout ce
qui regarde le culte divin.
« Il ne laissera pas de prendre garde que le dit sieur
Evêque ne porte l'autorité ecclésiastique plus loin qu'elle ne
doit aller, Sa Majesté voulant en ce cas qu'il représente ce
qu'il croira capable de l'empêcher, et qu'il lui rende compte
par les premiers vaiseaux de ce qui se passera à cet égard,
1. Ainsi, il y a la " Commission ", qui donne l'autorité, et les " Ins-
tructions ", qui indiquent la manière de l'employer.
2. On voulait évidemment empêcher ce qui était arrivé s«us Fron-
tenac, qui avait toujours montré trop de préférence aux Récollets.
sous M^' DE SAINT-VALUER 305
afin qu'elle y apporte les remèdes qu'elle jugera à propos.
« La colonie de Montréal recevant beaucoup de secours
des ecclésiastiques du séminaire de Saint-Sulpice qui y sont
établis, il faut que le sieur Callières leur donne toute la pro-
tection qui dépendra de lui ; et comme ces ecclésiastiques et
les Jésuites se sont appliqués depuis plusieurs années à attirer
des sauvages dans les habitations françaises, Sa Majesté
veut qu'il donne tous ses soins et son application à maintenir
et fortifier un établissement aussi avantageux, qui forti-
fiera considérablement la colonie, établira solidement la
religion chrétienne parmi les sauvages, et pourra donner
moyen à l'avenir d'appeler tous les Iroquois à la Foi, et
de les soumettre à l'obéissance de Sa Majesté.
« C'est pourquoi il doit exciter tous ceux de ces ecclésias-
tiques et Jésuites qui pourront désormais prêcher l'évangile
parmi les nations iroquoises, d'en attirer dans cet établis-
sement le plus grand nombre qu'il se pourra, et Elle désire
même qu'il lui rende compte tous les ans du progrès que
cela fera.
« Elle veut pareillement qu'il donne protection aux Récol-
lets établis à Québec et à Montréal; et s'il leur arrivait de
manquer en quelque chose au respect qu'ils doivent au dit
sieur Evêque ^, il doit avec prudence les faire rentrer dans
leur devoir, en leur faisant entendre qu'une pareille conduite
les priverait de la continuation des grâces de Sa Majesté.
Mais il y a lieu d'espérer que cela n'arivera pas, et Elle est
persuadée au contraire qu'ils continueront dans la soumis-
sion qu'ils doivent avoir pour l'Evêque, lequel de son côté se
sentira de celle qu'il trouvera à propos au salut de ses
diocésains.
« Sa Majesté désire aussi qu'il s'applique à bien connaître
I. Il est évident qu'on avait encore sur le cœur l'affaire du prie-
Dieu de Montréal, où Callières lui-même avait été impliqué.
304 t. EGLISE DU CANADA
le nombre des ecclésiastiques qui sont présents en Canada,
celui des églises, et la manière dont elles sont bâties, le
nombre des paroisses et l'étendue de chacune, si les habitants
ont les secours spirituels qui leur sont nécessaires, et géné-
ralement qu'il entre dans la connaissance de ce qui regarde
le culte et le ser\àce divin et la manière dont il se fait, pour
du tout en dresser des mémoires exacts qu'il enverra à Sa
Majesté. . .
« Sa Majesté a rendu des ordonnances pour défendre
l'usage immodéré des boissons enivrantes, qui ont été la
source des plus grands crimes commis dans la colonie. Elle
désire qu'il y tienne la main, et qu'il ait une très grande
application à réformer tous les abus et les désordres que ces
boissons ont causés.
« Elle a été informée qu'il s'est établi dans Québec des
lieux de débauche, et qu'il y a même des scandales publics
entre des officiers des troupes et des femmes des habitants.
Elle veut aussi qu'il donne une entière application à faire
cesser ces désordres par tous les moyens qu'il jugera prati-
cables, après avoir pris l'avis de l'évéque et de l'intendant. . .
«Il aura soin que les troupes vivent en bonne discipline. . .,
et qu'elles aient cet air de soldat qu'elles n'ont pas eu jusques
à présent, ce qui a particulièrement été causé par l'avidité
qu'ont eue les capitaines de profiter sur leur solde, en les
faisant travailler chez les habitants, à quoi Sa ^Majesté désire
que le sieur Callières donne ordre, et Elle espère qu'il se fera
un honneur de mettre ces troupes sur le pied de pouvoir
ensuite être mis sous les yeux de Sa Majesté, s'il convenait
un jour de les faire repasser en France ^. . . »
Ces instructions étaient données à Callières au printemps
de 1699, deux ans à peine après le retour de M""" de Saint-
Vallier de ce fameux voyage qu'il avait dià faire en France,
.1 Documents relatifs à la Nouvelle-France, t. II, p. 319-
sous M*"^ DE SAINT-VALUER 305
mandé par la cour pour répondre aux accusations injustes de
Frontenac, Callières et autres fonctionnaires qu'il avait été
obligé de reprendre pour leur conduite. Ah, que le Prélat
était bien vengé de toutes ces accusations! On avait voulu
qu'il se démit de son siège épiscopal ; on l'avait retenu
malgré lui en France, contre toutes les règles canoniques;
on lui avait causé bien des ennuis : mais il avait revendiqué
avec courage les droits de sa charge pastorale, il avait
noblement plaidé la cause du salut des âmes qui lui étaient
confiées; et aujourd'hui le Roi reconnaissait solennellement
qu'il avait eu raison dans ses luttes contre le vice et les
occasions de désordres, contre la pratique injuste des offi-
ciers qui retenaient la solde de leurs soldats, contre la con-
duite scandaleuse des fonctionnaires qui offensaient publi-
quement la morale. Dans les magnifiques instructions qu'il
donnait au nouveau gouverneur, le monarque lui recom-
mandait de ne rien faire dans tout ce qui pouvait intéresser
la religion et les bonnes mœurs, « sans la participation de
l'Evêque », et il rendait hommage à « la piété exemplaire »
de son ancien aumônier. On chercherait en vain dans toute
l'histoire, même celle de saint Louis \ une plus belle page
que celle que nous venons de citer sur les devoirs de l'Etat
par rapport à la religion.
Callières reçut ces instructions avec respect, et s'y con-
forma. Malheureusement, M^"" de Saint-Vallier ne put jouir
longtemps de l'administration bienfaisante de ce gouverneur.
Il partit de nouveau pour la France l'année suivante et ne
revint dans son diocèse qu'au bout de treize ans. Callières
mourut à Québec au printemps de 1703, assisté dans ses
derniers moments par le vénérable M^"" de Laval. Le mar-
I. "L'individu le plus parfait que l'histoire nous montre. .. Saint
Louis honore non seulement l'humanité, qu'il a pu mener à un teï
degré de perfection, mais également la philosophie chrétienne et la
société du moyen-âge, qui l'ont fait si accompli. . . " (Ch. d'Héricault,
Histoire anecdotique de la France, t. II, p. 276.)
3o6 l'église: du canada
quis de Vaudreuil, qui commandait à Montréal, le remplaça
comme gouverneur général du Canada: il y avait donc dix
ans qu'il occupait cete haute position lorsque M^"" de Saint-
Vallier revint au Canada dans l'été de 1713.
Cette longue absence du Prélat, bien involontaire de sa
part, fut regrettable de toutes manières pour l'Eglise de la
Nouvelle-France. Que d'abus se glissent inévitablement
dans un diocèse durant l'absence prolongée de son premier
pasteur ! N'est-il pas à croire, par exemple, que si M^'" de
Saint-Vallier eiît été ici dès l'arrivée au pouvoir de M. de
Vaudreuil, il eût facilement empêché ces familiarités inqua-
lifiables avec les communautés religieuses, ces entrées à tout
propos dans les couvents, qui devaient être si démoralisantes
pour les religieuses et si peu édifiantes pour le public?
" Principiis obsia : sero medicina paratur."
Il en est des mauvaises habitudes, comme des maladies
physiques : une fois que le mal est enraciné, il est plus diffi-
cile de le guérir qu'à l'apparition des premiers symptômes.
Lorsque l'Evêque constata pour la première fois le sans-
gêne avec lequel M. de Vaudreuil entrait sans permission
dans les couvents, soit pour y faire visite aux religieuses,
soit pour y conduire ses amis, soit pour entendre la messe
plus commodément et plus chaudement dans le cloître, la
chose était devenue pour le gouverneur si habituelle qu'il ne
put réussir à l'y faire renoncer.
Et pourtant M. de Vaudreuil était un homme, non seule-
ment de bonne éducation, mais très religieux. « Sa nomi-
nation comme gouverneur, dit Charlevoix, fut accordée aux
prières de tous ceux qu'il devait gouverner; il eut le concours
de tous les ordres de la colonie en sa faveur. » D'après M.
de Ramesay, le clergé canadien avait écrit à la cour pour le
faire nommer gouverneur. Il était spécialement bien vu des
Pères jésuites. Un de ses fils embrassa l'état ecclésiastique
sous m""" dk saint-valuer 307
et jouit de la haute protection du R. P. Le Tellier, confes-
seur du Roi \ M. de Ramesay ne disait que la vérité,
quoiqu'il eiît tort de la dire en mauvaise part, lorsqu'il écri-
vait : « Les Jésuites ont retrouvé leur règne ". » -^.^
Il avait soixante-trois ans lorsqu'il fut nommé gouver-
neur de la Nouvelle-France, et il était au Canada depuis
1687. Avant de venir dans notre pays, il avait servi dans
les armées du Roi, et s'était distingué à la prise de Valen-
ciennes (1677). Au Canada, il servit avec distinction dans
les expéditions de Denonville et de Frontenac contre les
Iroquois et les colons de la Nouvelle- Angleterre. Denonville
disait de lui : « C'est un cadet de qualité de Gascogne. » Il
n'était pourtant pas précisément Gascon, puisqu'il était né
en Languedoc, province, il est vrai, voisine de la Gascogne ;
et le Languedoc était l'une des provinces les mieux admi-
nistrées de l'ancienne France, un pays, par conséquent, où
il avait appris de bonne heure à apprécier les bienfaits d'une
sage administration. Il était préparé à voir l'Eglise prendre
part aux affaires publiques, au Conseil ou ailleurs, puisque
dans cette province du Languedoc, « c'était l'évêque qui,
avec les seigneurs du pays et le tiers-état, réglait la levée
des impôts suivant le cadastre » ^.
M. de Vaudreuil avait épousé à Québec Louise-Elizabeth
de Joybert, fïlle de Pierre de Joybert, seigneur de Marçon, et
de Marie-Françoise Chartier de Lotbinière*. Cette jeune
fille avait passé son enfance à Gensec, sur la rivière Saint-
Jean, 011 commandait son père. Elle était la filleule de
Frontenac. Vers sa douzième année, sa mère l'amena à
Québec, et la marquise de Denonville qui l'affectionna beau-
coup la mit au pensionnat des Ursulines en même temps que
1. Corresp. générale, vol. 31, Vaudreuil au ministre, 25 oct. 1710.
2. Ibid., vol. 22, Ramesay au ministre, 14 nov. 1704.
3. Bausset, Histoire de Fénelon, t. IV, p. 320.
4. Tante du conseiller Eustache de Lotbinière, le futur archidiacre,
qui était par conséquent cousin-germain du marquis de Vaudreuil.
3o8 l'église du canada
sa fille. « C'était, dit l'annaliste, une jeune personne d'une
vertu solide, d'un esprit supérieur, et douée de toutes les
grâces qui font le charme d'un cercle d'élite. Une sagesse
rare tempérait la vivacité de son caractère, et les attraits de
sa figure étaient rehaussés par la plus naïve expression de
modestie. »
Ce fut probablement le marquis de Denonville qui, devenu
après son retour du Canada sous-précepteur de trois princes,
la fit connaître à M™^ de Maintenon. Celle-ci fit nommer la
marquise de \^audreuil sous-gouvernante des enfants de
France, en 1708 ; et elle quitta Québec en 1709 pour se
rendre à Versailles, â'où elle ne revint qu'en 1724, un an
avant la mort de son mari. On comprend l'importance
qu'acquit à la cour cette Canadienne, élevée tout-à-coup à un
si haut rang; on s'explique surtout les airs d'importance
qu'elle se donna. IVP'' de Saint- Vallier, qui la vit sans doute
bien des fois à Versailles, y faisait allusion, lorsque dans une
lettre que nous avons déjà citée il la représentait « marchant
de l'air d'une dame qui peut tout à la cour, et à qui on ne
refuse rien ». Elle servit puissamment son mari en maintes
occasions, et l'on ne peut douter qu'elle contribua à rendre
inutiles les remarques de l'évêque sur ses entrées dans les
couvents; d'autant plus qu'elle-même, revenue plus tard au
Canada, continua pour son compte la même conduite que son
mari, entrant, sans pemiission de l'évêque, et à tout propos,
dans le couvent des Récollets, et y faisant entrer avec elle
toutes les femmes de sa suite ^.
Le marquis de Vaudreuil, nommé gouverneur du Canada
en 1703, occupa cette haute position jusqu'à sa mort en
1725. Durant sa longue administration, il eut avec l'Evêque,
outre le conflit dont nous avons parlé pour l'entrée dans les
couvents, plusieurs difficultés pour des questions de pré-
I. Corresp. générale, vol. 47, Lettre de Mgr de Saint-Vallier au
ministre, 4 oct. 1725.
sous M^' DK SAINT-V ALLIER 309
séance ou autres. Mais avant de les raconter, disons un mot
de l'intendant Raudot, que M^"" de Saint-Vallier ne connut
pas au Canada, ou qu'il ne connut, du moins, que par ses
ordonnances. M. Tremblay écrivant à M^'" de Laval au
sujet de sa nomination comme intendant :
« M. Raudot, disait-il, nous paraît un bon magistrat, qui
pourra donner quelque forme à la justice qui s'exerce au
Conseil et ailleurs. Il passe à Paris pour un bon juge, et
bien éclairé \ »
Nous avons de lui quelques ordonnances, qui sont d'un
magistrat vraiment chrétien : celle qu'il rendit par exemple
en réponse à une plainte que lui avait adressée M. Gauthier
de Brûlon, curé du Château-Richer 2 :
« Le sieur Gauthier, curé de la côte Beaupré, dit-il, voyant
avec douleur se glisser parmi ses paroissiens beaucoup de
désordres, dont il est d'autant plus touché que cela va jus-
qu'à perdre le respect qu'ils doivent à Dieu, et particu-
lièrement lorsqu'ils sont dans son église, dans le temps même
qu'on y fait le service divin, ce qui est arrivé depuis peu
à deux de ses habitants, qui étant pris de boisson profa-
nèrent ce saint lieu en se querellant et menaçant tout haut;
il vit même avec peine que ces mêmes paroissiens ne
répondent point au zèle qu'il a depuis longtemps de les
instruire, quelques-uns d'eux, dans le temps de son prône,
sortent de l'église et s'amusent à fumer à la porte et autour
d'icelle, et de ce que, pour s'en faciliter la sortie, au lieu de
se mettre dans les lieux avancés de la dite église, ils se
tiennent dans ceux qui sont les plus proches de la porte, ce
qui cause un embarras pour ceux qui y veulent entrer; et
comme jusqu'à présent il n'a pu remédier à tous ces dé-
sordres, quelque peine qu'il ait prise, par ses exhortations,
1. Arch. du Sém. de Québec, Lettre du 19 juin 1705.
2. C'était un des curés qui étaient restés agrégés au Séminaire. Il
était natif du diocèse d'Angers.
3IO L EGLISE DU CANADA
de les corriger, il a eu recours à nous, afin qu'il nous plût y
pourvoir;
« Et nous, étant persuadé que tous ces désordres ne
viennent que de la liberté qu'on se donne de vendre des
boissons les jours de fêtes et de dimanches, dont on abuse
même avant d'aller au service divin, n'y ayant personne assez
hardie qui, de sang-froid, pût causer de pareils scandales :
« Nous défendons à toutes sortes de personnes, sous quel-
que prétexte que ce soit, de donner à boire dans leurs
maisons aucunes boissons, ni même d'en vendre les jours de
fête et de dimanche, hors ceux qui en viendront demander
pour les malades, et les autres jours, de donner à boire dans
leurs dites maisons aux domiciliers, auxquels néanmoins ils
pourront en vendre ces jours-là, pour aller boire chez eux, et
ce à peine de dix livres d'amende ;
« Faisons défense aussi à toutes sortes de personnes, de se
quereller et même de s'entretenir dans les églises, d'en sortir
lorsqu'on fera le prône, et de fumer à la porte et autour des
dites églises, aussi à peine de dix livres d'amende, applicable,
aussi bien que celle ci-dessus, à la fabrique des dites églises ;
« Exhortons tous les paroissiens d'assister au service divin,
avec toute la dévotion qu'ils doivent au lieu où ils sont, et de
se mettre dans des places convenables, afin que tout le monde
puisse y entrer librement \ . . »
Cette ordonnance de l'intendant Raudot est du 12
novembre 1706. Trois atis plus tard, le curé de Saint- Joseph
de Lévis, M. Philippe Boucher, se plaint à son tour que ses
paroissiens « font marcher leurs charrois les jours de fête
et de dimanche » comme la semaine, et « contreviennent
impunément aux commandements de Dieu ». Il supplie
l'intendant de l'aider à y mettre ordre. M. Raudot rend
aussitôt cette belle ordonnance:
I. Edits et Ordonnances, t. II, p. 425.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 3II
« Nous faisons défense à tous les habitants de la paroisse
de Saint-Joseph, comme aussi à tous ceux des paroisses de ce
pays, de faire travailler leurs harnais les dimanches et fêtes
sans en avoir la permission de leurs curés, et en cas de con-
travention, permettons à tous les officiers de milice de saisir
tous les effets qui seront chargés sur les dits harnais, lesquels
demeureront confisqués au profit des fabriques des paroisses
où demeureront ceux à qui appartiendront les dits effets.
Et sera la présente ordonnance lue et publiée aux portes de
toutes les églises des paroisses de ce pays, au premier jour de
fête ou de dimanche, issue de messe de paroisse, à ce que
personne n'en ignore \ »
*
* *
A l'époque qui nous occupe, les questions de préséance à
l'église, aux processions, aux feux de joie qui se faisaient
ordinairement sur la grand'place de l'église paroissiale le
jour de la Saint-Jean et autres fêtes solennelles, jouaient un
rôle considérable, et étaient quelquefois l'occasion de beau-
coup de difficultés. En est-il autrement aujourd'hui, quoi
qu'on en dise? La cour, en 1716, donna un « règlement au
sujet des honneurs dans les églises » ^. Quelque précis et
détaillé qu'il iût, il ne pouvait cependant prévoir tous les
cas; et d'ailleurs ce règlement n'avait pas encore été publié
lorsque l'intendant Raudot rendit une ordonnance qui accor-
dait certains honneurs dans l'église aux capitaines de milice
ou «capitaines des côtes», comme on disait à cette époque.
Ces humbles officiers rendaient beaucoup de services au
gouvernement et au public : c'est à eux, par exemple, que
l'intendant adressait ses messages, ses arrêts, ses ordon-
1. Edits et Ordonnances, t. III, p. 426.
2. Ibid., t. I, p. 352.
^12 l'Église du canada
nances, et par eux qu'il les portait à la connaissance des
habitants. Raudot décida qu'ils méritaient une distinction,
et que dans les processions ils marcheraient immédiatement
après les marguilliers ; puis, qu'on leur donnerait le pain
bénit après les marguilliers. mais avant tous les autres
habitants. Les marguilliers devaient voir à ce que le bedeau
leur portât ainsi le pain bénit, et cela sous peine de dix livres
d'amende \
M^"" de Saint- Vallier s'opposa à cette ordonnance, et pria
M. Bégon, le nouvel intendant (1712-1726), de surseoir à
son exécution. Il prétendait, et avec raison, que M. Raudot
« n'avait pu donner ce droit aux capitaines de milice », dans
une affaire qui intéressait l'Eglise, le bon ordre et la disci-
pline aux offices religieux, « sans la participation de l'évêque
ou de ses grands vicaires «, et que «les capitaines de milice
n'ayant pas de place marquée dans les églises, le bedeau
n'était pas obligé d'aller les chercher ». M. Raudot s'était
fondé sur ce qui avait été réglé au Conseil d'Etat le 12 avril
1710: « Sa Majesté veut que par le Conseil Supérieur établi
à Québec, il soit réglé quelques honneurs aux principaux
habitants qui prendront soin de chaque bourgade ou com-
munauté, soit pour leur rang à l'église, soit ailleurs. »
« Les capitaines de milice sont dans ce cas, écrivait M. de
Vaudreuil, puisqu'ils ont l'honneur de commander les habi-
tants pour aller à la guerre et pour tous les autres ser\'ices
pour lesquels ils sont commandés, et d'être aussi chargés de
l'exécution des ordres des intendants. »
Puis il se plaignait que l'Evêque n'avait pas voulu en-
tendre ces raisons, et il priait le ministre « de lui faire savoir
les intentions de Sa Majesté ».
L'ordonnance de ^L Raudot fut maintenue : c'était un
échec pour l'Evêque. On assigna une place aux capitaines
I. Edits et Ordonnances, t. II, p. 275.
sous M^ DE SAINT-V ALLIER 313
de milice, dans l'église, « après les seigneurs des paroisses »,
et le bedeau leur portait le pain bénit « avant les autres
habitants » \
Plus tard cette ordonnance donna lieu à une contestation :
les chantres de Saint-Thomas et de Saint-Pierre de la
rivière du Sud s'étaient mis dans la tête, « incités par le
bedeau Jean Marot », de recevoir le pain bénit avant le
capitaine de milice, et ne voulaient plus chanter à l'église, sï
l'on ne faisait droit à leur demande. Le curé Fornel, qui
desservait les deux paroisses, envoya un exprès à Québec
pour porter plainte contre ces chantres, et faire juger le
difïérend qu'il avait avec eux; et comme la fabrique avait
payé les frais de voyage de l'exprès envoyé à Québec, il
demandait que ces frais lui fussent remboursés.
Il s'agissait évidemment de chantres qui ne se mettaient
pas au chœur, et chantaient à l'église sans être revêtus de
surplis; car autrement il n'y aurait eu aucun doute; jamais
on ne contesta au clergé le droit de recevoir l'encens, l'eau
bénite, le pain bénit avant les fidèles qui sont dans la
nef. Mais on se rappelle que M^"" de Saint-Vallier, dans
un de ses synodes, pour induire ceux qui étaient capables
de chanter, dans les pauvres églises de la campagne
qui n'avaient pas le moyen de leur procurer des surplis, à le
faire de bon cœur, avait réglé qu'on leur accorderait une
distinction, et qu'ils recevraient le pain bénit même avant les
marguilliers ; on leur donnait une place au bas-chœur, et
cette place était assez souvent entourée d'une grille. Seule-
ment, ce règlement épiscopal ne fut jamais reconnu par la
loi : il était d'ailleurs contraire au règlement royal du 27
avril 1716, qui ordonnait que le pain bénit « serait d'abord
présenté au seigneur haut-justicier, ensuite au capitaine de
I. Corresp. générale, vol. 34, Vaudreuil et Bégon au ministre, 15 nov,
1713; 20 sept. 1714.
314 Iv'ÉGUSE DU CANADA
la côte, aux juges de la seigneurie », et ensuite à tous les
fidèles sans distinction.
L'intendant Hocquart débouta, sans hésiter, la demande
des chantres de Saint-Thomas et de Saint-Pierre, enjoignant
aux marguilliers et au bedeau de se conformer au règlement
du 2^ avril 171 6. Il condamnait le bedeau Jean Marot et
deux des chantres, Jean Roussin et François Boulet, à rem-
bourser à la fabrique ses frais de voyage ; puis il laissait les
chantres libres de chanter, ou de ne pas chanter, « sans
néanmoins, ajoutait-il, qu'ils puissent le faire que de l'agré-
ment ou consentement de leur curé » \
Les seigneurs haut- justiciers, dont il est parlé plus haut,
dans les campagnes où il y en avait, jouissaient de grands
privilèges : outre qu'ils avaient le pas, dans les processions et
autres cérémonies, sur tous les autres citoyens, le curé était
obligé de les recommander nommément, eux et leur famille,
aux prières du prône, et il fallait leur donner dans l'église
un banc de grandeur double de celui des autres, un banc de
famille, qui devait être le premier en avant, à droite, à
quatre pieds du balustre. Le Conseil Supérieur avait même
été sur le point de leur accorder le droit d'y faire graver ou
peindre des « armoiries, titres, ceintures funèbres », comme
on en voit souvent en France : fort heureusement, les
vicaires généraux De Maizerets et Glandelet, prévenus de la
chose, — c'était en l'absence de M^ de Saint- Vallier — •
arrivèrent en toute hâte et supplièrent le Conseil de surseoir
à l'adoption d'une résolution si grave ^.
Que d'inconvénients, que de frais pour les pauvres églises
provenaient du droit reconnu à tel ou tel personnage d'avoir
un banc pour rien ! Il y avait peu d'églises qui n'eussent ainsi
plusieurs bancs qui ne rapportaient rien à la fabrique. A
I Udits et Ordonnances, t. II, p. 537.
2. Ih'xd., t. II, p. 155.
sous m" de saint-valuEr 315
Québec, en 1687, sur vingt-neuf bancs qu'il y avait dans la
cathédrale, il y en avait sept qui ne payaient rien, sans
compter celui du gouverneur \
A Montréal, nous voyons, par une lettre de M^ de Saint-
Vallier, que les bancs du gouverneur et autres officiers
publics avaient coîité très cher à la fabrique : « On y a fait
des théâtres, plutôt que des bancs, » écrit-il. Et faisant
allusion à un ordre impérieux que M. de Vaudreuil avait
donné pour cela aux marguilliers de Montréal : « Un grand
Je le veux, dit-il, les a obligés de s'endetter pour faire faire
ces bancs à grands frais par des menuisiers '. » Il aurait
voulu qu'au moins ces officiers les fissent construire à leurs
frais, et il réussit à obtenir un ordre de la cour à ce sujet '.
Il fît tout ce qu'il put, tout le temps de son épiscopat, pour
restreindre le nombre des bancs non payants; mais il était
débordé par les exigences des seigneurs, des officiers de
justice, des hauts fonctionnaires, et la complaisance de la
cour à leur égard. Nous lui devons, du moins, les princi-
pales règles de la tenure des bancs dans les églises, et la
facilité avec laquelle nos fabriques se procurent ainsi un
honnête revenu. Il insista surtout pour que les bancs d'une
église fussent toujours mis à la criée après la mort de leur
possesseur et de son épouse, et que leurs enfants seuls
eussent le droit de retraire; et il gagna son point, même
contre le Conseil *.
On se ferait malaisément une idée, aujourd'hui, de toutes
les difficultés qui, à l'époque qui nous occupe, pouvaient
surgir des questions de préséance ou ayant rapport aux
préséances, et du malaise qu'elles produisaient quelquefois
entre les représentants de l'autorité religieuse et de l'autorité
1. Henri de Bernicres, p. 169.
2. Documents de Paris, Eglise du Canada, t. I, p. 120.
3. Corresp. générale, vol. 40.
4. Ibid., vol. 44.
3l6 1,'ÉGUSE DU CANADA
civile. Le gouverneur général, par exemple, devait être
encensé et recevoir l'eau bénite immédiatement après
l'évêque ; cela était reconnu et admis depuis longtemps :
mais cette eau bénite devait-elle lui être donnée par asper-
sion ou par présentation du goupillon? C'est une question
qui alla à la cour, et qui fut réglée dans un sens défavorable
à l'Evêque : ce qui lui fut d'autant plus sensible que c'est lui
qui l'y avait portée. Ecoutons le gouverneur raconter lui-
même l'incident : il éicrit au Conseil de la Marine :
« M. l'Evêque n'a pas accusé juste, dit-il, en écrivant au
Conseil que je prétendais exiger de lui qu'il ordonnât au
clergé de sa cathédrale de me donner l'eau bénite par présen-
tation du goupillon entre mes mains, puisque je n'ai jamais
eu cette prétention.
« Il est vrai que, comme dans l'église de Montréal, où
j'allais tous les dimanches à la grand'messe, pendant le
séjour que j'y fis en 171 7, le goupillon me fut toujours pré-
senté par le prêtre officiant, de manière que je prenais l'eau
bénite avec le doigt, je demandai à M. l'Evêque, après mon
retour à Québec, qu'elle me fût donnée dans sa cathédrale
de la même manière qu'elle m'avait été donnée à Montréal :
ce qu'il me refusa, prétendant qu'il ne le devait pas, ayant
néanmoins laissé la liberté aux prêtres de Montréal de con-
tinuer de faire comme ils avaient commencé.
« Le supérieur du séminaire de Montréal, à qui je parlai
l'année dernière du refus de M. l'Evêque, m'assura que ce
que je demandais m'était dû; et un curé du diocèse de Qué-
bec ^ me fit voir, dans le Traité des droits honorifiques,
plusieurs arrêts rendus en faveur des seigneurs haut-
justiciers, par lesquels il était ordonné aux curés de leurs
paroisses de leur donner l'eau bénite par présentation du
goupillon, et non par aspersion.
I. Probablement Philippe Boucher, l'un des curés les plus instruits
de l'époque.
sous M^"" DE SAINT-VALLIER ^IJ
« Après avoir représenté tout cela à M. l'Evêque, qui n'a
pas voulu y avoir égard, j'ai resté dans le silence sur ce
sujet, et j'y serais encore s'il n'en avait pas écrit au Conseil.
Mais la réponse que le Conseil lui a faite sur cette matière
a terminé toute la difficulté, car elle a engagé M. l'Evêque à
me prévenir, pour m'accorder de bonne grâce ce qu'il
m'avait refusé \ . . »
Il y a tout lieu de croire qu'en cette occasion, comme en
bien d'autres, ce fut M""^ de Vaudreuil qui contribua le plus
à faire rendre par la cour cette décision, qu'elle savait si
propre à flatter son mari.
]\P'' de Saint- Vallier fût plus heureux dans le règlement
de deux autres questions importantes. Certains seigneurs,
remplis de prétentions, obligeaient leurs curés à aller dire
la messe de temps en temps dans leurs oratoires privés : il
leur fut défendu par la cour de détourner les curés « de
célébrer la messe dans les églises paroissiales » '.
On obligeait les curés de faire à leur prône, de la part de
l'Etat, toute espèce d'annonces pour affaires temporelles : ils
en furent dispensés par une déclaration royale en date du 2
aoijt 171 7; désormais ces annonces ne devaient plus se faire
qu'à l'issue de la messe paroissiale ; elles étaient lues et affi-
chées à la porte de l'église par quelque huissier, sergent ou
notaire ^.
L'Evêque n'était pas toujours soutenu à la cour dans les
questions de préséance ou d'étiquette ; mais il l'était ordi-
nairement dans celles où les droits de la conscience et de la
morale étaient intéressés. Citons-en un exemple :
Le Roi avait défendu, paraît-il, « de marier aucun officier
ni soldat sans la permission du gouverneur général ou de
celui qui commanderait en son absence ». M. de Vaudreuil
1. Corresp. générale, vol. 40, Réponses aux lettres, 28 oct. 1719.
2. Ibid., Réponse du 26 oct. 1719.
3. Edits et Ordonnances, t. I, p. 376.
3i8 l'église du canada
ayant appris que l'Evêque avait marié, durant son absence *,
un officier et plusieurs soldats, malgré l'opposition du com-
mandant, M. de Ramesay, s'en plaignit à la cour, et demanda
que l'on défendit de nouveau à l'Evêque et à ses prêtres de
le faire à l'avenir : autrement, disait-il, « les officiers feront
tous les jours de mauvais mariages; et les compagnies, qui
sont très faibles, se détruiront entièrement, parce qu'on n'y
souffre point de soldats mariés, et qu'aussitôt qu'ils le sont
on leur donne leur congé »...
« Le reproche qu'on nous fait, répondit l'Evêque, est
manifestement injuste: nous n'avons point fait de mariages
de soldats, depuis bien des années, à moins qu'ils n'aient
trompé les curés et assuré sous serment qu'ils n'étaient point
soldats. Je ne connais sur ce sujet d'autre ordonnance
royale que celle du 21 mai 1698: elle porte qu'on doit per-
mettre aux soldats de se marier, sur la première demande
qu'ils en font au gouverneur général. Mais M. de Vaudreuil
se montre très difficile à accorder ces permissions. Que de
fois je lui ai rappelé la parole de saint Paul, qui engage les
chrétiens à se marier plutôt que de briàler ' ! A cela il ne
veut rien entendre : il suffit que je veuille me mêler de ces
mariages pour qu'il refuse son consentement.
« Les soldats sont mes ouailles comme les autres chré-
tiens. Quand on leur refuse pendant huit ou dix ans la
permission de se marier, et que je les vois se livrer au
désordre et au libertinage, donnant à la colonie une infinité
d'enfants illégitimes, puis-je fermer les yeux sur ces
désordres ? Et croit-on que je serai quitte devant Dieu en
disant que je ne les ai pas mariés parce que M. de Vaudreuil
ne l'a pas voulu ?
« Quant aux officiers, l'expérience journalière fait voir
1. M. de Vaudreuil fut absent, en France, de 1714 à 1716.
2. I. Cor., VII, 9 : " Meliùs est enim nubere quàm uri. "
sous M^ DE SAINT-VALLIER 319
que plusieurs d'entre eux aussi bien que d'autres habitants,
quand on leur refuse les permissions nécessaires pour se
marier, ne font pas difficulté de se marier à la gaumine, en
déclarant devant le curé, lorsqu'ils le trouvent seul à l'église,
ou ailleurs, qu'ils se prennent pour mari et femme, devant
deux témoins qu'ils amènent. Cela est arrivé si souvent,
qu'on peut raisonnablement le craindre lorsqu'on refuse de
les marier 1.
« Pourquoi M. de Vaudreuil se plaint-il que j'aie permis
à son neveu, M. de Lantagnac, de se marier, après mille
refus de sa part de lui laisser prendre femme? Voilà un
officier de quarante ans, à qui on refuse la permission de se
marier avec la nièce de M. de Louvigny, lieutenant de roi,
fille du premier conseiller 2 ! Et cependant on les laisse se
fréquenter des années de suite sans rien faire pour les
éloigner ni les séparer! Est-ce de nature à contenter un
évêque, qui doit par son état chercher à maintenir tout le
monde dans l'ordre ^J. . . ^>
La cour fît répondre très sagement à M. de Vaudreuil
« que l'on pouvait bien casser les officiers ou leur imposer
d'autres peines, mais que ces peines ne pouvaient être com-
parées avec le bonheur ou le malheur éternel * »
Certes, voilà deux questions importantes, où le marquis
de Vaudreuil ne parait guère avec avantage : celle de l'entrée
sans permission dans les couvents de religieuses, et celle du
1. Le frère de l'intendant Bégon s'était ainsi marié "à la gaumine";
et, d'après Mgr de Saint- Vallier, " il s'était allié à une famille fort au-
dessous de la sienne ".
2. Marie - Geneviève Martin de Lino, fille de François - Mathieu
Martin de Lino et de Catherine Nolan. M. de Lino demeurait rue
Saut-au-Matelot. Sa fille avait alors 21 ans. Le lieutenant Gaspard
Adhémar, sieur de Lantagnac, était capitaine des gardes, et demeurait
avec son oncle le gouverneur au Château Saint-Louis. (Recensement
de 17 16.)
3. Corresp. générale, vol. 43.
4. Ibid.
320 l, ÉGLISE DU CANADA
mariage des officiers et des soldats. Comme, dans ces ques-
tions importantes, intéressant directement la morale, M^ de
Saint- Vallier avait bien de son côté la saine raison, l'hon-
neur, le bon sens, le sens chrétien!
CHAPITRE XXII
l'église de la NOUVELLE-FRANCE ET l'ÉTAT
SOUS M^ DE SAINT-VALLIER (suite)
Mgr de Saint- Vallier et Vaudreuil. — Le séminaire de Québec. — Le
cas de La Prairie de la Madeleine. — L'affaire du moine Bénédictin
janséniste. — L'affaire Varlet. — Les immunités ecclésiastiques.^-
Une question de taxes. — Le clergé et les corvées publiques. — .
Le clergé et les tribunaux civils. — Affaire Gamaut. — Affaire Le
Boullenger. — Affaire Montéléon - Lestringan. — Mariages à la
gaumine.
IL y avait évidemment du froid dans les relations du gou-
verneur et de l'évêque : il n'y avait pas entre eux cette
confiance réciproque, cette entente cordiale, qui aide à aplanir
les difficultés. D'où pouvait venir cette froideur?
Il est certain, tout d'abord, que M. de Vaudreuil avait,
de nature, et peut-être aussi par étude, des airs de suffisance
et de grandeur qui ne devaient pas plaire à tout le monde.
M^ de Saint-Vallier semble y faire allusion quand il lui
attribue ce « grand jE LE veux » qu'il adressait aux mar-
guilliers de Montréal \ Puis le gouverneur, aussi bien que
l'intendant Bégon, ne dissimulaient jamais leurs sympathies
pour le séminaire de Québec. Ils estimaient tous deux cette
maison « qui, depuis cinquante ans, avait rendu tant de ser-
vices à la colonie, en donnant à l'Eglise un grand nombre de
curés et de missionnaires, et en formant de bons citoyens
capables de remplir les charges publiques et d'élever d'hon-
I. Voir plus haut, p. 315.
21
322 l'Église du canada
nêtes familles » ^. Ils ne se gênaient pas de blâmer la con-
duite de l'Evêque à l'égard de cette institution; ils en écri-
vaient même à la cour. Or pour être ami de M^ de Saint-
Vallier, il fallait l'approuver en tout et ne le contredire en
rien. Il suffisait certainement que M. de Vaudreuil penchât
du côté du Séminaire, pour que l'Evêque lui montrât de la
froideur.
Tacite dit quelque part que « c'est le propre de l'esprit
humain de haïr ceux que l'on a une fois offensés » 2. M^
de Saint-Vallier avait profondément blessé le séminaire de
Québec en brisant la constitution que lui avait donnée M^""
de Laval, et en ébranlant les bases sur lesquelles il était
fondé. Malgré toute sa vertu, — car il ne peut s'agir ici de
haine proprement dite — il ne put jamais se défendre d'une
certaine aversion contre cette maison; et cette aversion se
révélait en toute occasion par mille tracasseries.
Il avait fait régler par la cour, en 171 3, qu'on ne pourrait
à l'avenir être à la fois chanoine et membre du Séminaire;
et dans la division des fonds attribués à l'Eglise du Canada,
il avait fait la part très large au Chapitre, ne donnant que
très peu de chose au Séminaire ^. Son but était de se créer
à Québec un clergé indépendant du Séminaire et sur lequel il
pijt s'appuyer. Mais il arriva que quelques prêtres qu'il avait
décidés à passer au Canada ne voulurent pas, pour une
raison ou pour une autre, y rester, et retournèrent en France.
Il se figura que c'était le Séminaire qui les " avait dégoûtés
de rester dans son diocèse » ; et il écrivit à la cour, en 171 5,
pour obtenir « qu'aucun prêtre ne pijt repasser en France
sans sa permission par écrit ».
1. Corresp. générale, vol. 39, Vaudreuil et Bégon au Conseil de
Marine, 8 nov. 1718.
2. " Proprium huinani ingenii est odissc queni lœseris." (Vita Agri-
colae, No. 42.)
3- D'après son propre aveu, il ne lui avait alloué que " quinze cent»
livres, en petits bénéfices de France". (Corresp. générale, vol. 47.)
sous M^"" DE SAINT-VALUER 323
Afin d'éloigner autant que possible le clergé du séminaire,
il prépara un projet d'ordonnance, dans lequel il réglait,
entre autres clioses, que « les missionnaires ne pourraient à
l'avenir y loger sans la permission de l'évêque » ; et il soumit
ce projet à la cour.
Enfin, pour s'assurer de la direction de cette maison, iï
demandait comme supérieur un homme de son choix. Il
mettait de côté MM. de Maizerets, Glandelet et Thibout, et
proposait son ancien grand vicaire, M. de Montigny, qui
exerçait alors les fonctions de procureur des Missions-
Etrangères, à Rome.
M. de Vaudreuil se trouvait à cette époque à Paris : il ne
manqua pas d'être consulté sur ces différents projets de
l'évêque; et son opinion fut carrément favorable au Sémi-
naire :
« Si les prêtres s'en retournent du Canada, dit-il, c'est la
faute de M. l'Evêque. Je ne crois pas qu'il convienne de
lui donner un ordre pour empêcher les prêtres de repasser
en France quand leurs affaires le demandent : ce serait le
moyen qu'il n'en passât jamais de France.
« J'ai toujours vu, ajoute-t-il, M. l'Evêque brouillé avec
le séminaire de Québec. Les curés de la campagne qui
viennent faire leurs provisions à la ville ont de tout temps
demeuré au séminaire : cela me paraît fort convenable ; et il
serait désagréable à des prêtres d'aller demander à M.
l'Evêque oii il veut qu'ils logent.
« Il me semble, ajoute-t-il encore, que le Séminaire doit
être le maître de nommer son supérieur ^. »
Il n'en fallait pas davantage pour que la cour rejetât les
propositions de l'Evêque. L'échec lui fut fort sensible : il ne
manqua pas d'en regarder M. de Vaudreuil comme l'auteur
principal et demeura très indisposé contre lui.
I. Corresp. générale, vol 35, Réponses aux lettres, 14 août 1715.
324 L EGUSE DU CANADA
Il lui reprochait de plus de montrer peu d'empressement à
se rendre à ses désirs, lorsqu'il sollicitait l'appui du bras
séculier pour l'exécution de ses ordonnances. Nos archives
mentionnent deux cas, en particulier, où, suivant lui, M. de
Vaudreuil avait montré peu de zèle à se rendre à ses désirs.
L'un de ces cas est assez étrange : il fut l'objet d'une lettre
pastorale « à nos très chers enfants les habitants de la
paroisse de La Prairie de la Madeleine ». Cette lettre fut
adressée au curé de l'endroit et lue au prône :
« C'est avec douleur, disait le Prélat, que nous avons
appris, à notre retour de France (1713), le mauvais usage
où vous étiez de paraître, contre la bienséance, en simple
chemise, sans caleçon et sans culotte, pendant l'été, pour
éviter la grande chaleur, ce qui nous a d'autant plus surpris
que nous voyons violer par là les règles de la modestie que
l'Apôtre demande dans tous les chrétiens, et donner une
occasion si prochaine de péché à vous et aux autres per-
sonnes qui peuvent vous voir en cet état. . .
« Nous avons demandé, ajoutait-il, à M. le marquis de
Vaudreuil, gouverneur général de tout le pays, de s'em-
ployer à nous aider à déraciner dans votre paroisse une si
détestable coutume qui serait la cause assurée de la damna-
tion d'un grand nombre de pères de famille aussi bien que
des enfants. . . »
M. de Vaudreuil avait-il hésité à intervenir dans une
affaire aussi scabreuse, et laissé ce soin au gouverneur parti-
culier de Montréal, dont dépendait La Prairie? 11 semble,
dans tous les cas, que l'Evêque n'était pas satisfait, car il
ajoute :
« Si vous nous obligez de gémir devant Dieu sur l'opi-
niâtreté avec laquelle quelqu'un de vous voudrait garder
une si détestable coutume, que nous regardons comme perni-
cieuse à la société civile, aussi bien qu'aux bonnes mœurs, il
n'v a rien que nous ne tentions auprès de Dieu et des
sous M*^ DE SAINT-VALUËR 325
hommes pour vous faire entrer sur cela dans votre de-
voir \ . . »
* *
Le deuxième cas mentionné dans les archives, où M^ de
Saint- Vallier sollicita en vain l'intervention du gouverneur
était encore plus grave et impérieux. Il s'agissait de faire
repasser en France un moine bénédictin janséniste, qui
s'était introduit furtivement au Canada et menaçait d'y
répandre le venin de son erreur. Laissons d'abord l'anna-
liste de r Hôtel-Dieu nous donner quelques détails sur ce
singulier personnage :
«Il vint en ce pays, dit-elle, par les vaisseaux de 1714,
un jeune homme fort modeste, qui se faisait appeler M.
Dupont. Il se logea dans la meilleure auberge de Québec ".
On remarquait en lui quelque chose de gêné, qui le faisait
soupçonner d'être un moine défroqué: il s'en défendait de
son mieux et menait ici une vie assez réglée. Il s'informait
de toutes les coutumes du Canada, et laissait entrevoir qu'il
avait envie d'y fonder un monastère.
« Cet aventurier, qui demeura quatre ans au Canada, après
avoir connu la ville, se retira proche de Kamouraska, à la
rivière des Trois-Pistoles. Il se fit dresser dans les bois
une petite cabane, à une lieue des habitations. Il y menait
une vie très dure, et venait chez ses plus proches voisins
chercher du pain et des pois, qui faisaient toute sa nourri-
ture. Il traînait lui-même son bois, était vêtu comme un
ermite, se prosternait devant tous ceux qu'il rencontrait,
leur baisait les pieds et leur disait quelques paroles édifiantes.
I. Archiv. de l'év. de Québec, Registre C, Lettre pastorale du
28 mai 1719.
2 Peut-être celle qui se trouvait alors à la Haute- Ville, coin des rues
Buade et des Jardins, tout près des Jésuites. (Recensement de 1716.)
326 I^'ÉGLISE DU CANADA
Il passait pour un saint, dans l'esprit de plusieurs, quoiqu'il
n'approchât point des sacrements.
« Quand il eut demeuré quelque temps là-bas, sa cabane
brilla, et cet accident, qui n'était peut-être pas arrivé par
hasard, le contraignit de revenir à Québec. Il y fut fort
bien reçu ; on le régala dans plusieurs maisons, on lui prêta
des livres, et on tâchait de deviner qui il était, sans y réussir.
On ne put savoir que deux ans après que c'était un Béné-
dictin nommé Dom George-François Poulet. Son supé-
rieur ayant appris de ses nouvelles, écrivit à M le marquis
de Vaudreuil, gouverneur, pour le lui recommander comme
im de ses religieux, qui avait plus de faiblesse d'esprit que
de malice. Il le pria de lui faciliter son retour en France.
Il écrivit aussi à M"^ Baudouin \ une veuve de Québec,
pour la prier de lui fournir tout ce dont il aurait besoin,
avec promesse de la payer aussitôt qu'elle le souhaiterait.
« Ce pauvre moine fut donc reconnu pour ce qu'il était,
c'est-à-dire pour un Bénédictin prêtre, qui n'avait pas dit la
messe depuis qu'il était en Canada.
« On sut tout le détail de sa conduite et le sujet de sa
campagne. Il avait été quelque temps en Hollande, sous le
P. Quesnel ", où il s'était fortifié dans le jansénisme, dont
il faisait profession ouverte. Il s'était enfui de son couvent,
parce qu'on le cherchait pour l'emprisonner, et il vint en
Canada déguisé en séculier. . . »
On comprend les inquiétudes de M""" de Saint-Vallier à la
vue de ce triste personnage. Le Prélat venait justement de
promulguer dans son diocèse la bulle Unigenitus " ; et ce
janséniste semblait venir ici pour en prêcher la contre-partie.
1. Elle demeurait rue Sous-le-Fort, près de son beau-frère le doc-
teur Gervais Baudouin. (Recensement de 1716.)
2. Le fameux janséniste de l'Oratoire, qui en fut expulsé en 1678.
C'est son livre Réflexions morales sur le N oiiveau-T estaient qui donna
lieu à la constitution Unigenitus du pape Clément XI.
3. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 486.
sous m""" de saint-vallier 327
L'on s'explique qu'il ait fait tous ses efforts pour l'éloigner
de son diocèse. Il ne put toutefois recourir à M. de \'audreuil
avant l'automne de 171 6, celui-ci étant absent en France
depuis 1714. Le moine avait déjà réussi à se faire des
amis au Canada:
« Il trouva moyen, continue la Sœur Juchereau, d'éluder
en 171 7 son embarquement. L'année suivante, en 1718,
étant tombé malade, on l'amena dans nos salles, où on le
traita fort charitablement. Il eut le pourpre ; et pendant sa
maladie tous les prêtres séculiers et réguliers le visitèrent
pour le gagner et le faire soumettre à la constitution Unige-
nitîis. Il ne voulut point y entendre : tout ce qu'on lui
disait là-dessus redoublait sa fièvre. Il ne put jamais se
résoudre d'abandonner le parti de ]M. le cardinal de
Noailles ^ : c'était la raison la plus solide qu'il apportait pour
se défendre. Enfin, il aima mieux être privé des sacrements,
comme M. l'Evêque l'ordonna, que de rentrer dans la sou-
mission due au saint-siège. »
A peine fut-il rétabli, que ses amis de la campagne
vinrent le chercher pour le dérober aux poursuites qui le
menaçaient. Mais M^"" de Saint-Vallier fit acte d'autorité
et lança une ordonnance sévère, en date du 15 septembre
1718, adressée «aux prêtres sécuhers et réguliers qui se
trouvent dans l'étendue des missions du sud de notre diocèse,
surtout à M. Auclair, curé de Kamouraska. et au P. Michel,
missionnaire de Rimouski :
« Comme rien, dit-il. ne nous paraît plus déplorable que
de voir l'empressement que font paraître quelques-uns de
nos diocésains de favoriser des personnes qui cherchent à se
perdre pour l'éternité par leur entêtement, nous avons été
véritablement touché, en remarquant dans les sieurs Côté et
I. "Un de ces hommes rares, respectables et désolants, écrit M.
d'Avenel, qui font plus de mal avec leurs vertus que d'autres avec
leurs vices." (Le Correspondant de 1877. t. IV, p. 598.)
328 l'éguse du canada
Jean Gagnon, de la Bouteillerie, la résolution prise et
exécutée d'emmener là-bas Dom George-François Poulet,
Bénédictin sorti furtivement de son couvent à l'insu de ses
supérieurs, et sans obédience, dans un habit laïque, malgré
tous les avis que nous leur avons pu faire donner par des
personnes même considérables.
« C'est pourquoi voulant faire connaître à ces personnes
et autres de notre diocèse, où demeure George-François
Poulet, religieux, l'obligation qu'ils ont de nous obéir sous
peine de péché mortel en tel cas, nous leur déclarons que
celui ou ceux qui ont pris et emmené de Québec le dit
religieux ont commis une grande faute, dont ils mériteraient
que nous nous résen^assions l'absolution. Cependant, pour
agir avec douceur, nous leur faisons seulement à savoir, à
eux et à tous autres semblables, que s'ils viennent à le pro-
téger, retirer chez eux dans leur domaine, et à l'aider à
pouvoir demeurer éloigné de nous, pour nous ôter le moyen
de le renvoyer en France à ses supérieurs, ils encourront
après trois jours de séjour et d'aide, s'ils ne le font partir
incessamment et sortir de leur dépendance après les dits
trois jours passés, l'excommunication majeure par le seul
fait, dont nous nous réservions l'absolution à nous seul.
« Et pour faire voir l'horreur que nous avons des reli-
gieux qui se sont séparés de leur communauté, qui par la
continuation de leur séparation doivent être regardés comme
apostats et excommuniés par le droit, que les évêques doivent
poursuivre et faire rentrer dans leur devoir pour satisfaire
au décret du saint concile de Trente au défaut de leur supé-
rieur, nous enjoignons à tous les curés et missionnaires qui
desservent les missions de ce côté-là jusqu'à Rimouski, non
seulement de tenir la main à ce qui est porté par la dite
ordonnance à l'égard des séculiers qui y contribueraient,
mais encore de refuser les sacrements au dit Dom Poulet,
religieux, excepté en cas de mort, et même de dire la messe
sous M*^ DE SAINÎ'-VALLIER 329
devant lui, ce que nous leur défendons sous peine de sus-
pense de leurs fonctions ou interdit des lieux où la dite
messe aura été célébrée, pour un espace de temps que nous
réglerons \ »
M^ de Saint- Vallier écrivit en même temps à la cour pour
qu'elle fît agir M. de Vaudreuil; mais il n'y eut pas besoin
de l'intervention du gouverneur : le moine bénédictin,
délaissé de tout le monde, partit dans l'automne même.
Voici comment le Conseil de Marine résumait pour le gou-
verneur la lettre de l'Evêque :
« M. l'Evêque de Québec demande s'il peut exiger de
M. de \'audreuil les secours, aide et protection nécessaires
pour faciliter les fonctions de son ministère, et si M. de
Vaudreuil peut les lui refuser dans des cas particuliers où
l'évêque ne peut se faire obéir que par des voies rudes et
difficiles.
« Le cas dont il s'agit est qu'un religieux d'un Ordre con-
sidérable, fugitif, et par le seul fait déclaré apostat et
excommunié par le droit, se retire dans son diocèse. M. de
Vaudreuil en est averti par une personne qui lui écrit de la
part du général de ce religieux, qui désire le ravoir. M. de
Vaudreuil, au lieu de lui donner avis du séjour de ce
mauvais religieux fugitif, lui promet sa protection, et
l'assure qu'à moins qu'il ne soit forcé par un ordre de la
cour de le renvoyer en France, il le laissera toujours en
Canada sans l'inquiéter. Ce religieux l'a dit à l'évêque, en
l'assurant qu'il resterait malgré lui dans son diocèse. L'évé-
nement en a été la preuve, puisqu'il n'a pu déterminer M.
de Vaudreuil à s'intéresser dans cette affaire ; et il a été
obligé, pour venir à bout de l'obstination de ce religieux,
de faire publier une ordonnance, par laquelle il a défendu
aux prêtres de dire la messe devant lui, de le recevoir aux
I. Mand. des év. de Québec, t. I, p. 496.
;i;^o h EGUSË DU canada
sacrements, menacé d'interdire les lieux où. l'on la dirait,
et porté des censures contre les personnes qui le soutien-
draient sans respect pour l'Eglise.
« Il supplie le Conseil d'envoyer ses ordres à M. de Vau-
dreuil pour faire sortir ce religieux de la colonie ^. »
M. de Vaudreuil reçut en effet, au printemps de 17 19,
l'ordre (' de faire embarquer ce religieux, et de ne souffrir
au Canada aucun ecclésiastique qui ne fiât approuvé par
l'Evêque » '. Mais, comme nous l'avons vu, Dom Poulet
-était parti de lui-même l'automne précédent :
« Il arriva heureusement en France, écrit la Sœur Juche-
reau, et ne manqua pas de se faire mettre l'année suivante
d'une manière pompeuse dans la Galette de Hollande,
comme un homme qui avait été persécuté au Canada, et
banni de ce pays pour la foi ; parce que les Jésuites n'avaient
pu souffrir l'éclat des vertus de ce grand anachorète ^. . . »
Voici ce que M. de Vaudreuil et l'intendant Bégon écri-
vaient à la cour le 26 octobre 1719:
« Le religieux Bénédictin qui s'était retiré en cette colonie
a passé en France le 2 octobre de l'année dernière sur la
Mutine, commandée par M. le chevalier de Courcy : ce qu'il
a fait de son propre mouvement, et sans y avoir été con-
traint. Le sieur de Vaudreuil est surpris que M. l'Evêque
se soit plaint de n'avoir pas obtenu de lui un ordre pour le
faire repasser en France, ce qu'il ne lui a jamais demandé!
« Ce religieux a souvent écrit et présenté des requêtes au
sieur de Vaudreuil pour se plaindre de ce que M. l'Evêque le
persécutait. Le seul usage qu'il en a fait a été de renvoyer
toujours ces écrits à M. l'Evêque, afin qu'il en usât sur ce
sujet comme il le jugerait à propos, le sieur de V^audreuil
1. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. I, p. 74.
2. Ibid.
3. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec.
sous m""" de saixt-vallier 331
n'ayant voulu rien ré[X)ndre aux demandes que lui faisait
ce religieux. . . »
Il est évident que AP'" de Saint-V'allier était resté sous
l'impression que le gouverneur n'avait pas voulu l'aider, en
cette circonstance, puisqu'il avait écrit à la cour pour s'en
plaindre. C'est ainsi que naissent quelquefois entre des per-
sonnages haut placés de regrettables malentendus, des
situations fausses. On évite de se voir, de s'expliquer, de
s'entendre, et l'on garde indéfiniment de fâcheuses im-
pressions.
*
* *
Chose étrange, ce religieux bénédictin dont nous venons
de parler était le deuxième prêtre janséniste qui passait dans
la Nouvelle-France depuis quelques années. Mais tandis
que lui ne tarda pas à se faire connaître pour ce qu'il était,
un moine qui s'était enfui de son couvent, un adepte déclaré
de la secte janséniste, l'autre personnage sut cacher parfai-
tement son jeu tout le temps de son séjour en Amérique;
il fut même, suivant toutes les apparences, un excellent
missionnaire : et ce ne fut qu'après son retour en Europe,
après six ans de séjour dans la Nouvelle-France, qu'il se
déclara comme un janséniste de la pire espèce.
Il s'appelait Dominique-Marie Varlet, et appartenait à
une famille pieuse de Paris. Il était docteur de Sorbonne, et
fut ordonné prêtre en 1706. Tanguay le fait venir au
Canada en 1707; c'est une erreur: il n'y vint qu'en 1712 *,
et ne fit d'ailleurs que passer à Québec. Il était envoyé ici
par les directeurs des Missions-Etrangères, avec l'agrément
<ie M^ de Saint-V'allier, qui était à Paris à cette époque,
pour remplacer comme supérieur de la mission des Tama-
I. Arch. du sém. de Québec, Mémoire de M. Tremblay.
332 L EGLISE DU CANADA
rois M. Bergier, qui était mort depuis quelques années. Il
jouissait évidemment de leur confiance : s'il était déjà jansé-
niste de cœur, rien n'en avait transpiré. Au témoignage de
Latour. MM. de Brisacier et Tiberge, directeurs des Mis-
sions-Etrangères de Paris, « furent toujours bons catho-
liques dans leurs sentiments». Ils n'auraient certainement
pas envoyé Varlet au Canada, et de son côté l'évêque de
Québec, alors à Paris, ne l'aurait pas laissé partir pour son
diocèse, s'ils eussent eu le moindre soupçon au sujet de son
orthodoxie.
Varlet, en arrivant à Québec, n'eut donc qu'à présenter
aux grands vicaires De Maizerets et Glandelet, qui admi-
nistraient le diocèse en l'absence de l'évêque, les lettres de
recommandation qu'il avait reçues des Missions-Etrangères
de Paris, et les pouvoirs qu'il tenait de M^' de Saint-Vallier ;
et il prit immédiatement le chemin des Tamarois, oia « il se
rendit par terre » ^, et demeura près de six ans. Ferland
nous assure « qu'il y travailla avec zèle » ". ]\Iais du reste
l'on n'entendit plus parler de lui avant l'automne de 1717. Il
revint alors à Québec pour recruter des missionnaires ; cette
fois encore, il ne fit qu'y passer et se hâta de retourner dans
sa mission, emmenant avec lui le chanoine Calvarin et
Thaumur de la Source, dont les noms sont déjà connus de
nos lecteurs.
Comme supérieur de la mission des Tamarois, il avait
déjà le titre et les pouvoirs de grand vicaire de l'évêque de
Québec ^. M^ de Saint-Vallier lui renouvela ses pouvoirs :
les lettres de grand-vicaire qu'il lui donna, lors de son pas-
sage à Québec, portent la date du 6 octobre 171 7*. A sa
demande, et à la même date, M^ de Saint-Vallier voulut bien
1. Histoire manuscrite du Séminaire.
2. Cours d'Histoire du Canada, t. II, p. 407.
3. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 378.
4. Archiv. de l'év. de Québec, Registre C.
sous M*' DE SAINT-VALLIER ^^^
confirmer l'établissement de la mission des Tamarois en
faveur du séminaire de Québec : dans cette lettre de « con-
firmation des privilèges du Séminaire », Varlet faisait dire
à l'évéque qu'il était à craindre « que des missionnaires de
quelques autres corps ne prétendissent disputer la possession
de cette mission au dit Séminaire » \ L'insinuation, d'ailleurs
toute gratuite, était évidemment dirigée contre les Pères de
la Compagnie de Jésus, et ne dut pas leur être agréable.
Du reste, Varlet jouissait toujours de la confiance des
Missions-Etrangères de Paris, à tel point que c'est vers cette
époque qu'ils le recommandèrent à Rome pour un épiscopat
dans leurs missions lointaines de l'Orient. Il en eut la nou-
velle peu de temps après son retour de Québec aux Tama-
rois, et se prépara immédiatement à retourner en France,
où il rentra dans l'automne de 1718.
Par un bref de Clément XI en date du 17 septembre, il
fut nommé évêque d'Ascalon et coadjuteur, cum futurâ
siiccessione, de l'évéque de Babylone. Il fut consacré à
Paris le 19 février 1719 par M""" de Matignon, ancien
évêque de Condom, assisté de Massillon, et de M^ de
Mornay, coadjuteur de Québec. Par une singulière coïnci-
dence, l'évéque de Babylone étant mort le jour même de la
consécration épiscopale de Varlet, celui-ci devint ce même
jour évêque en titre de Babylone.
La présence du coadjuteur de Québec à son sacre est une
nouvelle preuve qu'aux yeux des chefs spirituels de notre
Eglise il n'avait encore nullement démérité.
Mais à peine a-t-il reçu la consécration épiscopale qu'il
jette le masque, et se montre un janséniste déclaré. Il a
reçu ordre de Rome de voir le nonce de Paris avant de partir
pour son diocèse ; mais de peur que le nonce ne lui parle de
la constitution Unigenitus et ne lui demande d'y souscrire,
I. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 495.
334 Iv''éguse; du canada
il quitte Paris sans lui faire visite, et se rend de suite en
Hollande se jeter dans les bras des jansénistes. Il part pour
son diocèse dans l'automne de 1719 et se rend en Perse;
mais il a déjà fait tant d'actes répréhensibles contre l'auto-
rité du saint-siège que l'évêque d'Ispahan reçoit ordre du
pape de le suspendre de tout exercice de son ministère. Il
est interdit, excommunié : au lieu de reconnaitre ses fautes,
il revient en Hollande, consomme sa révolte et son schisme,
s'unit aux jansénistes, méprise la suspense, l'irrégularité et
l'excommunication, en appelle de la bulle Unigenittis à un
futur concile, exerce toutes les fonctions de l'épiscopat, en
dépit de la suspense, consacre même des évêques, assisté de
prêtres réfractaires comme lui, et devient chef de l'église
d'Utrecht.
Nous n'entreprendrons pas de le suivre dans les diffé-
rentes étapes de sa triste carrière janséniste. Qu'il nous
suffise de dire qu'il mourut en Hollande en 1742, schisma-
tique, et excommunié par trois papes \
Certes, ce dut être une grande douleur pour M^ de Saint-
Vallier, lorsqu'il apprit le triste revirement d'un homme qui
avait été quelques années au sennce de son Eglise, et qui
suivant toutes les apparences y « avait travaillé avec zèle » ;
pour les Missions-Etrangères, également, qui ne l'avaient
envoyé au Canada que parce qu'il était regardé alors comme
un prêtre irréprochable. Il n'y eut jamais d'hérétiques plus
consommés que les jansénistes dans l'art de la dissimula-
tion : Varlet était un maître dans cet art ; on ne le soupçonna
jamais de jansénisme durant son séjour en Amérique ; et il
n'eut pas occasion d'y répandre le venin de son erreur.
A Québec, il ne fit que passer. Au séminaire, où il resta
à peine quelques jours, si l'on eût eu le moindre soupçon
I. Notes sur Varlet publiées par l'abbé Rhéaume dans le Bulletin des
Recherches historiques^ vol. III, p. 18.
sous M*'"' DE SAINT-VALLIER ^^S
qu'il était janséniste, on l'eût immédiatement renvoyé dans
son pays. MM. de Maizerets et Glandelet étaient très déli-
cats sur la question du jansénisme : M. Tremblay voulait un
jour leur envoyer de Paris la Vie de M. de Rancé, mais il
n'osait le faire: écrivant à M. Glandelet : «Je voudrais,
dit-il, vous envoyer la Vie de M. de la Trappe, mais vous
êtes si délicat sur le jansénisme, que vous croiriez un livre
être dangereux parce qu'il parle avantageusement des per-
sonnes qui ont passé pour telles, quoiqu'elles aient protesté
très hautement ne l'être pas \ . . » Qui croira, après cela,
qu'il vint au Canada « une foule de livres jansénistes ",
comme le prétend Latour, et que « le venin ne tarda pas à
couler en Canada » ? Parlant de Varlet, il nous assure « qu'il
trouva le moyen d'y répandre Tesprit du parti » ; et cepen-
dant, il vient de dire un peu plus haut « qu'il fut méprisé
dans la Nouvelle-France pour sa conduite et pour sa doc-
trine » ". La contradiction est flagrante.
Non, le jansénisme de Varlet ne transpira jamais au Ca-
nada; et même en France, il n'en fut convaincu d'une ma-
nière certaine et évidente qu'après sa consécration épiscopale,
alors qu'il jeta le masque, n'ayant plus rien à craindre pour
les vues ambitieuses de sa carrière.
*
M^*" de Saint-Vallier se montra toujours, non seulement
« très attaché à la saine doctrine «, mais aussi en toute occa-
sion le défenseur jaloux des immunités ecclésiastiques. Nous
citerons deux ou trois faits qui eurent lieu de son temps,
pour montrer quelle était à cette époque la position du
1. Lettre citée par Langevin dans sa Notice biographique de Mgr de
Laval, p. 147.
2. Mémoires sur la vie de M de Laval, p. 49.
S2)^ Iv'ÉGUSE DU CANADA
clergé par rapport aux taxes municipales, aux corvées
publiques, aux tribunaux civils. Les hôpitaux et leurs domes-
tiques étaient exempts des charges publiques, par ordre de
la cour ^. Le droit des propriétés ecclésiastiques à l'exemp-
tion des taxes n'était pas si bien défini : il fallait être toujours
sur la défensive.
Nous sommes en 1707: il y a juste un siècle que Québec
est fondé. Or il paraît qu'à cette date les habitants de la
campagne, arrivant en ville la nuit, pour le marché, après
avoir traversé le fleuve en canot ^, au lieu d'aller se retirer à
l'auberge, faisaient un bon feu sur la grève pour se
réchauffer, en attendant le jour. Heureux temps ! heureuses
mœurs ! Il n'y avait qu'un danger dans cette pratique tout-à-
fait patriarcale, celui de mettre le feu aux maisons de îa
Basse - Ville, lesquelles étaient toutes « couvertes de bar-
deaux ». Mais le danger était si grand ^ que le Conseil Supé-
rieur crut devoir s'en occuper, et défendit sous peine
d'amende « d'allumer aucuns feux sur la grève ». Puis, afin
que la ville ne fût pas prise au dépourvu, en cas d'incendie,
il ordonna de faire faire cent seaux de cuir, et, pour les
payer, de prélever une taxe sur les cheminées, " sans excep-
tion de personne». On profita de l'occasion pour faire
réparer « l'escalier par où l'on monte de la Basse- Ville, au
haut duquel sera mis une barrière, oii le passage ne sera que
de la largeur d'un homme, pour empêcher les bestiaux de le
gfter ».
Les cent seaux de cuir, « marqués d'une fleur de lis »,
devaient être déposés « vingt au Château Saint-Louis, vingt
au Palais, vingt chez les Pères jésuites, vingt chez M.
1. Corresp. générale, vol. 20, Callières et Beauharnais au ministre,
3 nov. 1702.
2. Il n'y eut une traversée régulière en " moulins à bateaux " que vers
1722. (Ibid., vol. 44.)
3. Toute la Basse-Ville fut réduite en cendres le 5 aotit 1682. (Vie
de Mgr de Laval, t. II, p. 300.)
sous M^ DE SAINT-VAIvUER 3S7
François Hazeur, et vingt chez M. François Aubert de la
Chênaie ».
Louis Couillard de l'Epinay, procureur du roi à la pré-
vôté, fut chargé de préparer un rôle du nombre des maisons
et des cheminées, et pour cela de se transporter partout à
domicile. Le rôle, « arrêté au Conseil », fut « délivré au
commis Bergeron », chargé de faire le recouvrement de la
taxe. Il y avait dans toute la ville « six cent soixante et une
cheminées, non comprises celles du Château, du Palais, des
Pères récollets et de l'Hôtel-Dieu », lesquelles se trouvaient
sans doute exemptes.
Mais la maison de l'évêque ne l'était pas ; elle se trouvait
sur le rôle, aussi bien que le Séminaire, les Ursulines, les
Jésuites.
On n'attendit pas, à l'évêché, que le commis se présentât
pour prélever la taxe. En l'absence de l'Evêque, qui était
alors prisonnier en Angleterre, son procureur, M. Etienne
Le Vallet, adressa une requête à l'intendant Raudot, qui la
référa au Conseil. Dans cette requête, M. Le Vallet « con-
vient qu'il est très utile pour toute cette ville qu'il y ait des
seaux et autres instruments nécessaires pour obvier et remé-
dier aux accidents du feu ». L'Evêque « ne refuse pas, dit-il,
de contribuer de sa part à une si bonne œuvre, pourvu qu'il
paraisse qu'il le fait de sa pure, bonne et franche volonté,
et sans y avoir été obligé en vertu d'arrêts ou ordonnances ».
M. Le Vallet demandait « à M. l'intendant d'ordonner ou
faire ordonner par le Conseil que le palais épiscopaï fût
rayé de dessus le rôle de taxe qui avait été arrêté en ce
Conseil le 13 décembre dernier, et qu'il fiit fait une note sur
le dit rôle, déclarant qu'on n'entendait pas y comprendre la
maison de M. l'évêque, et qu'on recevrait ce que son pro-
cureur voudrait bien donner de sa bonne volonté ». Il
demandait aussi qu'on lui donnât un reçu de la somme ainsi
offerte, et qu'il fût mentionné dans ce reçu que « le procu-
23^ l'écuse du canada
reur de l'évêque avait offert de son bon gré la dj^e somme
pour être employée à l'achat d'un nombre de seaux destinés
à remédier aux accidents du feu ».
En un mot, on voulait que le principe canonique dfe
l'exemption de taxes des propriétés ecclésiastiques îùt
reconnu au Canada, comme il l'était en France de temp*
immémorial. Les propriétés (ecclésiastiques, de droit, y
étaient censées affranchies de toutes taxies générales ou
locales. ]\îais le clergé, dans ses assemblées ordinaires ou
extraordinaires, votait au roi des sommes considérables,
qui étaient prélevées sur les évêchés, sur les abbayes, sur les
différents bénéfices ecclésiastiques, et qu'on appelait les
décimes.
Le Conseil Supérieur ne refusa pas l'oft're de ^L Le Vallet;
mais il lui ordonna en même temps de « justifier des titres
et exemptions prétendus par }d. l'évêque de Québec, pour
iceux rapportés et communiqués au procureur général être
ordonné ce que de raison ». Les offres de M. Le \'allet ne
furent donc acceptées que « par provision et sans préjudice
des droits des parties au principal » \
Quant aux corvées pour les travaux publics, le droit du
clergé et des communautés religieuses d'en être exemptés ne
paraissait pas mieux défini par la loi. Ils y contribuaient
volontiers; mais on les laissait généralement à leur géné-
rosité. L'intendant Beauharnais ayant été accusé, en 1702,
d'avoir obligé le clergé à fournir des pieux pour les forti-
fications de Québec, répondit à la cour:
« Le sieur de Beauharnais n'a jamais ordonné aux curés
de fournir des pieux; et si les communautés ecclésiastiques
en ont fourni, ça été sur ce que feu M. de Callièfes lui repré-
senta de les comprendre dans les ordonnances, attendu leurs
grands domaines; et le sieur de Vaudreuil juge qu'il est
1. Jugements du Conseil Supérieur, t. V, p. 529.
sous M^ DE SAINT-V ALLIER 539
juste que les curés qui ont des habitations, sans comprendre
le presbytère, fournissent comme les habitants, puisque les
Jésuites en fournissent, à la Prairie de la Madeleine et
autres endroits, selon le bien qu'ils ont ; et le sieur de
Beauharnais a eu l'honnêteté de laisser à ces messieurs la
liberté de se taxer eux-mêmes jx)ur la quantité de pieux
qu'ils fournissaient ^ .. » ^
M. de Louvigny, lieutenant de roi, qui commandait à
Québec en 1706, eut quelques difficultés avec le supérieur
des Récollets au sujet de ces corvées pour les fortifications.
Ce religieux prétendait « que, n'étant point rentes, ils
n'étaient pas tenus de suivre les exemples des autres com-
munautés religieuses », ni par conséquent de contribuer aux
corvées. Le commandant admit que « vivant dans l'ordre
et la régularité des mendiants, sans avoir de possessions en
propre, ils étaient suivant leur institut dans la régularité, et
pouvaient être compris dans le nombre des exemptions
qu'accordait Sa Majesté ». Mais il avait le triste courage
de reprocher à ces pauvres religieux de « faire un commerce
ouvert de bière, d'avoir deux barques qu'ils frétaient, et
une voiture de louage » ; et il prétendait que par là « ils
étaient sujets aux corvées publiques ». Le digne supérieur
des Récollets finit par consentir à donner sa quote-part aux
corvées comme les autres communautés. Mais Louvigny n'en
écrivit pas moins à la cour, « afin qu'il lui pliît de décider
des justes raisons des Récollets ou des siennes » -. Nous ne
savons pas s'il y eut jamais décision fomielle à ce sujet.
Le droit du clergé d'être jugé par les tribunaux ecclé-
siastiques était l'objet de fréquentes contestations, et le Con-
seil Supérieur n'avait pas sur ce sujet de principes bien
arrêtés. Mais l'évêque et son clergé ne transigeaient pas
sur ce point.
1. Corresp. générale, vol. 21, Beauharnais au ministre, 15 nov. 1703.
2. Ibid.. vol. 2:.
340 L EGLISE DU CANADA
En 1712 un nommé Garnault', de l' Ange-Gardien, vient
se plaindre au Conseil de ce que son curé, M. Dufournel, a
refusé de l'entendre en confession. Le Conseil, sans trop
réfléchir, accueille d'abord assez bénévolement sa requête.
Mais il suffit que « M. Philippe Boucher, curé de la paroisse
de Saint- Joseph à la Pointe-de-Lévy, promoteur de l'offi-
cialité », vienne lui-même à la séance suivante, et proteste
contre la présentation de cette requête au Conseil :
« Celui qui l'a dressée, dit-il, ne savait pas sans doute que
les juges laïques ne connaissent jamais d'affaires qui regar-
dent les matières spirituelles, telles qu'est celle-ci. Quand on
accuse un prêtre de ne pas faire son devoir dans l'admi-
nistration des sacrements, il ne peut être cité pour ceJa que
par devant l'official. suivant l'article 34 de l'édit de Ver-
sailles du mois d'avril 1695. Dans l'affaire dont il s'agit,
il n'y a point d'appellation comme d'abus, puisqu'il n'y a eu
aucune procédure ; et d'accuser un curé de refuser d'entendre
à confesse un de ses paroissiens, c'est un cas dont les em-
pereurs ni les rois les plus ennemis de l'Eglise, ni aucune
justice séculière, n'ont jamais entrepris de prendre con-
naissance. . . »•
Le Conseil renvoya " le dit Garnault et sa femme à se
pourvoir devant l'official »■ -.
En 1714, Pierre Le BouUenger de Saint-Pierre, et Marie-
Renée Godefroy, son épouse, présentent une requête au
Conseil, « au nom et comme prenant le fait et cause d'Anne-
Marguerite Le BouUenger, leur fille ». Ils ont appris « que
le P. Joseph Denis, récollet, faisant les fonctions curiales
aux Trois-Rivières, aurait débité les plus noires et les plus
1. L'un des trois frères Garneau, de l' Ange-Gardien, François, Louis
et Jean, qui signaient chacun différemment, l'un Garnaud, comme son
père, l'autre, Garnaut, et le troisième, Garnaux. Ils étaient fils de
Louis Garnaud, que Tanguay nous donne comme " l'ancêtre de l'auteur
de l'histoire du Canada". (Dictionnaire généalogique, t. î, p. 252.)
2. Jugements du Conseil Supérieur, t. VI, p. 489.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 34I
atroces calomnies contre la dite Anne - Marguerite Le
Boullenger; entre autres, il se serait servi de l'occasion de
quelques remèdes qu'elle a été obligée de se faire faire par
l'ordre de M. Michel Sarrazin, conseiller en ce Conseil et
médecin du roi en ce pays, pour insinuer et persuader
qu'étant enceinte, elle aurait fait faire ces remèdes pour
faire dissiper sa prétendue grossesse; le P. Joseph a même
surpris la religion de M. l'Evêque par cette imposture
criante, ce qui l'a sans doute porté à lui défendre de la
recevoir au sacrement de pénitence pour satisfaire à son
devoir pascal ; le même Père avait donné à la dite Le
Boullenger, dès le 20 avril dernier, un billet contenant son
refus de lui permettre d'aller à confesse ailleurs pour faire
ses pâques, et ce billet est un libelle diffamatoire contre leur
fîlle, puisqu'il porte en termes exprès que M. l'Evêque ne la
croit pas en sûreté de conscience en restant dans la maison
oti elle est »...
Deux crimes bien distincts reprochés au P. Denis, dans
cette requête: diffamation de la fille Le Boullenger; refus de
l'entendre en confession.
Le Conseil Supérieur, peu fort en droit canon, au lieu de
renvoyer de suite cette affaire devant l'officialité, la transmet
à la prévôté de Québec.
Mais le chanoine Calvarin ^, « faisant les fonctions de
promoteur de l'officialité, » vient aussitôt faire opposition :
« Qu'il plaise à la cour d'ordonner, dit-il, que les ecclésias-
tiques et clercs seront maintenus et gardés dans leurs privi-
lèges; que Le Boullenger. sa femme et leur fîlle seront ren-
voyés en l'officialité pour y continuer les procédures com-
mencées à rencontre du P. Joseph Denis, et que défense soit
I. Goulvin Calvarin, un breton, natif de Vannes, arriva à Québec en
1701. Il fut fait chanoine en 1712, et se démit plus tard de son cano-
nicat pour aller aux Tamarois. (Doc. de Paris, Eglise du Canada,
t. I, p. 75)
342 L EGLISE DU CANADA
faite au sieur d'Artigny i, faisant les fonctions de lieutenant
particulier en la prévôté, d'en connaître, et aux dits Le
Boullenger, sa femme et leur fille de procéder ailleurs sur
le fait en question, à peine de nullité des procédures, et de
tous dépens, dommages et intérêts ». . .
lyp"" de Saint- Vallier inten-ient lui-même, et envoie au
Conseil un billet signé de sa main, « par lequel il déclare
qu'il garde la requête présentée à M. l'official par la demoi-
selle Saint-Pierre, en original, pour l'envoyer à M. le comte
de Pontchartrain avec les autres pièces du procès ».
Le Conseil, « ayant égard à l'opposition formée par M.
Calvarin », renvoie l'affaire Le Boullenger devant l'offi-
cialité. Mais il ordonne en même temps « qu'il soit nommé
par M. l'Evêque un autre officiai et un autre procureur »•,
le présent officiai, M. Thibout, ne pouvant servir, « parce
qu'il a été assigné comme témoin », ni M. Calvarin comme
promoteur, parce qu'il a enfreint les ordonnances, « en
communiquant à M. l'Evêque toutes les pièces du procès ».
M. Le Picart, un autre chanoine de la cathédrale, fut
nommé vice-gérant de l'officialité, et l'affaire fut informée
devant lui \
*
* sic
Terminons ce chapitre par un autre exemple de la manière
dont se réglaient à cette époque certaines causes intéressant
la religion: ce sera tout à la fois un tableau assez curieux
des mœurs du temps.
Un jour, — c'était au commencement de janvier i7ii, et
par conséquent en l'absence de AP"" de Saint-Vallier, — un
1. Louis Rouer d'Artigny, fils de l'ancien doyen du Conseil, Rouer
de Villeray, l'un des cinq premiers conseillers qui avaient été nommés
par Mgr de Laval lors de la création du Conseil.
2. Jugements du Conseil Supérieur, t. VL p- 828.
sous M^' DE SAINT-VALLIER 343
jeune homme nomellement arrivé de France se présente au
séminaire de Québec, et demande à voir un des grands
vicaires de 1 evêque. Il est accompagné d'un officier et de
la femme de cet officier. C'est ^I. Glandelet qui vient les
rencontrer au parloir: il reconnait de suite l'officier, M. de
Lestringan de Saint-Martin, capitaine des gardes du Châ-
teau, et sa femme Madeleine-Louise Juchereau de Saint-
Denis, sœur de Juchereau Duchesnay, seigneur de Bea*u-
port; il leur offre les compliments d'usage, et eux, de leur
côté, lui introduisent M. Paul de Montéléon \ qui désire
épouser leur fille. Montéléon explique qu'il vient de la part
du curé Boulard. de Beauport, où réside sa fiancée, lui
demander la pennission de se m.arier, ainsi que la dispense
de deux bans. M. Glandelet, ecclésiastique très âgé, très
pieux et très savant, mais peu diplomate, lui répond tout
simplement que, ne le connaissant pas. il ne peut lui accorder
la permission qu'il demande, à moins qu'il ne lui présente un
certificat de liberté : « C'est, dit-il, la règle du diocèse ».
Montéléon, se croyant insulté, réplique qu'il n'est pas un
imposteur, et se répand en invectives contre le grand vicaire,
qu'il accable « d'injures les plus atroces », auxquelles font
chorus Lestringan et sa femme. Aux invectives contre le
grand vicaire, ils en ajoutent d'autres contre le gouverneur
et l'intendant, qui les ont prévenus d'avance de ce qui les
attendait, s'ils ne pouvaient produire un certificat de liberté.
Montéléon. ne se possédant plus, veut se jeter sur le grand
vicaire "pour le maltraiter»; fort heureusement, il en est
empêché par la dair.e de Lestringan, qui « le prend à haut
de corps », et l'arrête. A tout cela le bon M. Glandelet,
I. D'après Tanguay, il s'appelait Louis, et était fils de Paul de
Montéléon, bouteiller du Roi. Il était, dit-il, "officier, prince du comté
de Xice, et parent de Pontchartrain ". Il mourut avant 1717, et sa
veuve se remaria à Ignace Aubert de la Chênaie. (Dict. généalogique,
t. Il, p. 63, t. III, p. 330.)
344 L EGLISE DU CANADA
n'ayant pas autre chose à opposer que le non licet de l'évan-
gile, les trois personnages s'en vont très mécontents.
Le lendemain des Rois, mercredi, 7 janvier, a lieu le
second acte de la pièce. M. Boulard, curé de Beauport,
célébrait ce matin-là le mariage d'un de ses paroissiens.
Montéléon et sa fiancée, ainsi que M""^ de Lestringan, se
rendent à l'église, et attendent, pour entrer, que le mariage
soit fait et la messe dite jusqu'après la consécration, afin
que le curé ne puisse faire manquer leur projet. Ils entrent
alors, et. au grand scandale des fidèles qui remplissent
l'église, Montéléon interpelle M. Boulard, lui demande de
le marier, et déclare à haute voix qu'il prend pour son épouse
Marie- Anne-Josette de Lestringan de Saint-Martin; celle-
ci déclare sur le même ton qu'elle prend Paul de Montéléon
pour son époux: puis après avoir fait ce mariage à la gau-
mine, ils sortent de l'église et retournent au domicile de
Lestringan.
Il est à remarquer que M. de Lestringan, « afin qu'on ne
pût le rendre complice de cette entreprise », qu'il regardait
avec raison comme infâme, avait fait en sorte « d'être ce
jour-là de garde au Château ».
M. Boulard. qui a eu connaissance de tout, sans être à
même d'empêcher le scandale, se hâte d'en dresser un procès-
verbal, après la messe : puis il l'envoie à l'intendant Raudot,
qui a déjà reçu celui de M. Glandelet, et demande réparation
du scandale qui est arrivé.
Il avertit en même temps les coupables qu'ils ont fait
« une action exécrable, un mariage illégitime, contre les lois
de l'Eglise, un attentat à son autorité », dont ils vont avoir
à rendre compte.
L'intendant Raudot communique à M. Macart ^ qui fait
I. Charles Macart (dit Champagne) était fils de Nicolas Macart et
de Marguerite Couillard, veuve de Jean Nicolet. Il demeurait rue
sous M^ DE SAINT-VALUER 345
les fonctions de procureur du roi au Conseil, la plainte du
curé Boulard avec les pièces qui l'accompagnent ; et dans la
séance du lundi 12 janvier, M. Macart saisit le Conseil de
cette triste affaire, avec toutes ses circonstances. Il expose
les faits qui se sont passés, la conduite indigne de Montéléon
à l'égard de M. Glandelet, les voies de fait qu'il a même
voulu commettre sur sa personne, le scandale affreux qu'il
a donné dans l'église de Beauport ; il demande qu'une
enquête juridique soit tenue sur tous ces faits, et qu'en
attendant la conclusion de cette affaire il soit défendu à
Montéléon de cohabiter avec sa prétendue épouse sous peine
de prison et d'une amende de cent livres payable à l'église de
Beauport. Le Conseil rend un arrêt en conséquence, et cet
arrêt est signifié aux intéressés le 15 janvier.
L'enquête ordonnée par le Conseil se tient sous la prési-
dence de Paul Dupuy, lieutenant particulier de la prévôté,
mais n'aboutit à rien : personne ne veut répondre ; et l'affaire
menace de traîner en longueur.
Sur les entrefaites, M. de Maizerets. un autre grand
vicaire de M^"" de Saint-Vallier, prend la chose en mains.
Ce vieux prêtre du Séminaire, le contemporain et l'ami de
M^ de Laval, avait beaucoup d'autorité dans tout le pays, et
surtout à Québec : c'est lui qui avait formé la plupart des
hommes publics de l'époque, ceux du moins qui étaient nés
au Canada. Du reste, il ne manquait pas d'habileté dans \e
maniement des hommes et des choses. Il écrit donc au
Conseil et le supplie de terminer au plus tôt cette affaire;
elle n'intéresse pas moins l'Etat que l'Eglise. Le Roi est îe
protecteur et le défenseur des saints canons : le Conseil
Supérieur représente ici une partie de son autorité; il doit
voir à ce que les lois de l'Eglise touchant le mariage soient
Sault-au-Matelot, tout près de M. de Lino, un autre conseiller. Il était
le beau-frère de Charles Le Gardeur, de Charles Bazire, de François
Provost, de Jean-Baptiste Deschamps. (Voir Jean Nicolet, p. 254, 268.)
.34^ l'éguse du canada
respectées. Dans le cas présent, Montéléon « a déjà avoué
sa culpabilité et donné une satisfaction publique, quoique
insuffisante, dans l'église de Beauport ». De plus, il a fait
des excuses à M. Glandelet, et celui-ci s'en est déclaré parfai-
tement satisfait." Que le Conseil passe donc par-dessus cer-
taines formalités pour ne s'en tenir qu'à celles qui sont
nécessaires ; qu'il exige de Montéléon toutes les conditions
-et réparations nécessaires, et termine l'affaire au plus tôt.
La requête de M. de Maizerets est prise en considération
par le Conseil le 26 janvier, accueillie avec beaucoup de
respect et jointe au dossier de la cause. Mais rien n'est
conclu que le 9 février. Chose singulière : Montéléon se
refusait toujours à donner des preuves de sa liberté; et
cependant il avait en mains ce qu'il lui fallait pour démon-
trer qu'il n'avait aucun engagement en France. Enfin, il
se décida à produire et à mettre entre les mains de M. de
Maizerets une lettre de sa mère, M"® de Neste, d'après
laquelle il était constaté non seulement qu'il n'était pas
marié, mais qu'elle agréerait son mariage. Cette lettre était
accompagnée de certificats attestant qu'elle était bien de la
même écriture que d'autres lettres de sa mère c|u'on avait
vues, et entre autres de plusieurs qu'elle avait écrites à
François de la Joue ^. Il n'y avait plus de raison pour qu'on
s'opposât au mariage de Montéléon. Aussi M. de Maizerets,
écrivant de nouveau au Conseil :
« Nous sommes disposés, disait-il, à consentir à la réhabi-
litation du mariage en face de l'Eglise et dans les formes
accoutumées. »
Dans sa séance du 9 février, le Conseil, après avoir en-
tendu la lecture de la lettre de M. de Maizerets et un long
I. François de la Joue, arpenteur très estimé, était mort, à cette
époque ; mais il avait plusieurs filles à Québec, une d'elles était reli-
gieuse à l'Hôtel-Dieu. (Recensement de I/16. — Dict. généalogique.)
sous M^ DE SAINT-VALLIER 347
rapport de M. Macart, faisant les fonctions de procureur
général, mit fin à toute cette affaire. « Pour le scandale
commis, » il condamne Montéléon, la fille Lestringan et sa
mère solidairement à une amende de vingt livres applicable
aux pauvres de la paroisse de Beauport. Il permet aux
époux de se pourvoir par devers le sieur grand vicaire, pour
obtenir de lui la permission de faire publier des bans, mais
seulement après qu'ils auront fait la réparation qui leur
sera par lui ordonnée. Puis, « la dite publication et répa-
ration faites, il sera par les parties contracté un mariage
suivant les formalités prescrites par l'Eglise et les lois du
Royaume ».
La fille Lestringan était déjà depuis quelque temps à l' Hô-
tel-Dieu, en conformité de l'arrêt du Conseil, qui lui avait
défendu toute cohabitation avec son fiancé : « Elle y restera,
dit le Conseil, en attendant son mariage, sans que ses père
et mère puissent l'en faire sortir sous quelque prétexte que
ce soit ; à l'effet de quoi, le Conseil fait inhibitions et
défenses à la supérieure du dit couvent de la leur remettre
entre les mains avant le temps ci-dessus marqué \ . . »
Les bans de Montéléon et de M"^ de Lestringan furent
publiés à Beauport le dimanche 15 février, et le mariage
célébré le lendemain.
Les scandales donnés par ces mariages à la gaumine déci-
dèrent M^ de Saint-Vallier à lancer son célèbre mandement,
qui semble y avoir mis fin pour toujours :
« Nous déclarons excommuniés, dit-il dans ce mande-
ment, d'une excommunication encourue par le seul fait, et
dont nous nous réser\'ons à nous seul le pouvoir d'absoudre,
tous ceux qui dans la suite oseront contracter de si détes-
tables mariages, soit devant leurs curés, soit devant d'autres
prêtres, soit séculiers, soit réguliers; ceux aussi qui seront
I. Jugements du Conseil Supérieur, t. VI, p. 139 et 171.
348 l'église du canada
assez méchants pour les conseiller, tous les témoins apostés
pour les dits mariages, et les notaires qui en dresseraient
l'acte, sauf à notre officiai, dans les cas particuliers qui
seront portés devant lui, d'imposer encore d'autres peines
particulières pour punir les prévaricateurs '. . . »
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I p. 492.
CHAPITRE XXIII
NOUVEAU REMANIEMENT DES PAROISSES
RÈGLEMENT DE 1/21
Le " Plan des missions " de 1683. — Le Règlement de 1721. — M.
Collet. — Liste de 82 districts paroissiaux. — Remarques au sujet
du Règlement de 1721. — La côte du Labrador. — Protestations
contre le Règlement. — Le curé Fornel. — Le curé Ulric. — Les
cures fixes.
LE gouverneur et l'intendant du Canada recevaient de la
cour de France en 1721 une petite note significative:
« Sa Majesté recommande à MM. de Vaudreuil et Bégon
de bien vivre avec le sieur évêque de Québec ^. . . »
Evidemment il avait transpiré quelque chose, à la cour,
des relations un peu froides qui existaient entre eux, M. de
Vaudreuil, surtout, et M^ de Saint - Vallier. Celui-ci,
d'ailleurs, s'était plaint à plusieurs reprises du gouverneur.
On aurait tort de croire, cependant, que tout était mésintelli-
gence entre ces hauts dignitaires : au contraire, ils s'enten-
dirent en maintes occasions pour assurer le bien de la colonie
et de l'Eglise ; et précisément à la date que nous venons de
mentionner, nous voyons leurs noms réunis au bas d'un
document très important, intitulé : « Règlement des districts
des paroisses de la Nouvelle-France '. »
Depuis longtemps la cour demandait ce règlement, et
1. Corresp. générale, vol. 43. Lettre du 19 déc. 1721.
2. Edits et Ordonnances, t. I, p. 443.
350 l'église du canada
voulait avoir un état aussi clair et exact que possible des
paroisses et missions qu'il était possible de créer dans la
colonie. On n'avait rien de satisfaisant ni de précis depuis le
«Plan général des missions» qui avait été fait en 1683, du
temps de M^"" de Laval. Nous avons donné une idée de ce
Plan des missions, à l'occasion de la première visite du
diocèse par M^"" de Saint- Vallier en 1685: il y avait une
quarantaine de districts paroissiaux qui avaient été organisés
par le grand vicaire de M^ de Laval, de concert avec l'in-
tendant de Meulles. Mais le règlement fait à cette occa-
sion n'avait qu'un caractère semi-officiel ; l'intendant lui
avait donne son concours, mais il avait accompagné le
grand vicaire de ^P"" de Laval surtout pour mettre la paix
et l'ordre dans tous les nouveaux centres de colonisation:
écrivant à la cour :
« Je suis parti de Québec, disait-il, à la fin de mai (1683)
avec le grand vicaire de M. l'évêque et un autre ecclésias-
tique, lesquels m'ont mené dans tous les endroits où ils ont
cru que ma présence était nécessaire pour mettre la paix
dans toutes les familles, juger leurs différends, condamner
les vicieux, et ordonner de tout ce qui regarde le temporel
de l'Eglise, comme des dimes, et autres choses, . . Je n'ai
rien épargné pour apporter la paix, et détruire cet esprit de
chicane que j'ai trouvé avoir pris de grandes racines dans
ce pays-ci. . . « Il ajoutait : « Nous avons trouvé qu'il était
d'une nécessité indispensable de faire tout d'un coup
quarante districts paroissiaux, et que par ce moyen nous
fixerions les curés à avoir l'œil sur leurs paroisses, étant
exempts de ces courses extraordinaires qui sont causes que
la plupart des peuples n'entendent la messe que trois ou
quatre fois l'année et n'ont presque point de religion \ . . >»
I. Bibliothèque du Parlement d'Ottawa, Mss. de la Nouvelle-France,
vol. IV, p. i8g, 338.
sous M^*" DE SAINT-VAIXIER 35*
Depuis ce temps la colonie avait augmenté : au recen-
sement de 1710, elle renfermait 16,355 âmes, «tant Cana-
diens que Français, établis, non compris les officiers, les
troupes et les ecclésiastiques » ' : il y en avait 30,000 en
i/'24^. Cette population, disséminée çà et là sur les deux
rivts du Saint - Laurent, n'avait presque point i^énétré
encore dans l'intérieur des terres, et se partageait, un peu
arbitrairement, en un certain nombre de paroisses ou mis-
sions. Il fallait créer de nouvelles paroisses, diviser les^
anciennes, en changer les limites : souvent les colons avaient
des espaces immenses à parcourir pour se rendre à leur
église; quelquefois même ils avaient à traverser le fleuve: à
Sorel, par exemple, comme nous le verrons.
M^"" de Saint-Vallier avait dû modifier déjà en beaucoup
d'endroits le Plan général des missions de 1683; mais rien
de ce qui avait été fait jusqu'ici n'était définitif: il fallait
faire quelque chose de relativement durable, et surtout quel-
que chose qui fût digne d'être présenté à la cour et de
recevoir la sanction royale. Mais qui allait faire ce travail?
La Providence fournit de suite à l'autorité religieuse et à
l'autorité civile de la colonie l'homme qu'il leur fallait. Cet
homme était Mathieu-Benoit Collet, procureur du roi au
Conseil Supérieur. Fils d'un avocat au Parlement de Paris,,
il était au Canada depuis quelques années, et connaissait
parfaitement le pays. Intelligent, instruit, actif, il s'était
fait une bonne réputation d'habileté, de savoir-faire et sur-
tout d'honnêteté. Lorsqu'il mourut en 1727. le gouverneur
lui rendait ce beau témoignage: « La colonie vient de faire
une très grande perte par la mort de M. Collet, procureur
général du Conseil, qui, avec sa grande capacité, avait le
talent d'accommoder une infinité de procès. » M. de Vau-
1. Corresp. générale, vol. 31.
2. Ibid., vol. 46.
352 I, EGUSE DU CANADA
dreuil avait été bien inspiré en le nommant commissaire
pour dresser ce Plan général des paroisses et missions de la
colonie, que demandait le Roi : aussi en fut-il complimenté
par la cour, où M. Collet était bien connu.
Plein d'activité et désireux de faire le bien, M. Collet
avait voulu établir à Québec une Ecole de droit, et on
lui avait envoyé de Paris les livres dont il avait besoin:
« Nous favoriserons les bonnes intentions qu'il a sur ce sujet
le plus que nous pourrons, » écrivait en souriant M. de
Vaudreuil. M. Collet en fut quitte pour ses «bonnes
intentions » : son projet n'eut pas de suites, faute d'étu-
diants ' . Il fut repris avec un peu plus de succès par son
successeur comme procureur général au Conseil, M. Le
Verrier 2.
Le commissaire nommé pour visiter la colonie et dresser
un plan général des paroisses, devait convoquer les habi-
tants, entendre leurs demandes, leurs raisons et leurs
plaintes, puis donner des procès-verbaux de commodo et
incommodo. Il partit dans l'été de 1720, accompagné d'un
greffier, et mit deux mois à faire sa tournée. Il s'acquitta
de sa tâche « avec beaucoup d'ordre et d'attention ». Ses
dépenses devaient être payées par la cour, qui avait ordonné
le travail; et le gouverneur et l'intendant recommandèrent
de le « traiter favorablement ». D'après les procès-verbaux
qu'il rapporta, le gouverneur et l'intendant, « conjointement
avec l'évêque», formèrent quatre-vingt-deux districts pa-
roissiaux, et en déterminèrent les limites et l'étendue, déci-
dant en même temps à qui les fidèles de telle localité, quand
il y avait doute, devaient payer la dîme ; puis ils envoyèrent
à la cour leur règlement, daté du 20 septembre 1721, pour
1. Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 184.
2. Voir mon mémoire, Le P. de Bonnécamps, Ottawa, 1895, P- 3i-
sous M^ DE SAINT-VALUKR 353
le faire confirmer par un arrêt du Conseil d'Etat, « afin de
prévenir les difficultés qui pourraient naître dans la suite
sur son exéaition ». Cet arrêt fut rendu le 3 mars 1722,
puis enregistré au Conseil Supérieur le 5 octobre de la même
année.
Voici les noms des différents districts paroissiaux, pour
ne pas dire paroisses. — car c'étaient presque tous des
noyaux d'un grand nombre de futures paroisses — dont les
limites furent fixées par ce règlement: au nom civil nous
ajoutons entre parenthèse le titre canonique, tel qu'il est
donné dans les Edits et Ordonnances:
Gouvernement de Québec, côté du nord, en remontant le
fleuve Saint-Laurent :
Baie Saint-Paul (Saint-Pierre et Saint-Paul). — La
Petite-Rivière (Saint-François-Xavier). — Saint-Joachim.
— Sainte-Anne. — Le Château-Richer (La Visitation de
Notre-Dame). — L'Ange-Gardien. — Saint-François (de
Sales). — Saint - Jean - Baptiste. — Saint - Laurent. — La
Sainte-Famille. — Saint-Pierre (Saint-Pierre et Saint-Paul).
— Beauport (Notre-Dame de Miséricorde). — Charlebourg
(Saint-Charles Borromée). — Québec. — Sainte-Foy. — •
La Vieille-Lorette. — Demaure (Saint-Augustin). — Neuf-
ville (Saint-François de Sales). — Portneuf dit le Cap-Santé
(La Sainte-Famille). — Eschambault et la Chevrotière. —
Les Grondines (Saint-Charles-des-Roches). — Sainte- Anne,
près Batiscan.
Côté du sud, en remontant le fleuve Saint-Laurent :
Les Camouraska (Saint-Louis). — La Bouteillerie, dit
la Rivière-Ouelle (Notre-Dame-de-LiesseJ. — La Pocatière
ou Grande- Anse (Sainte-Anne). — Bes Aulnets (Saint-
Roch). — Port-Joly. — Bon-Secours (Notre-Dame de Bon-
Secours). — Le Cap Saint-Ignace (Saint-Ignace). — La
Pointe à la Caille ( Saint-Thomas j. — Saint-Pierre. — Belle-
chasse (Notre-Dame de l' Assomption j. — La Durantaye
354 l'église du canada
( Saint- Jacques et Saint-Philippe). — Saint-Michel. — Beau-
mont ( Saint-Etienne j. — La Pointe-de Lévy (Saint-Joseph).
— Saint-Nicolas. — Tilly ( Saint- Antoine de Pade). — Sainte-
Croix. — Lotbinière ( Saint-Louis). — Eschaillons.
Gouvernement des Trois - Rivières, côté du nord, en
remontant le fleuve:
Batiscan (Saint- François- Xavier). — Champlain (la
Visitation^. — Le Cap dit de la Madeleine (Sainte-Marie-
Madeleine). — Les Trois - Rivières. — Le fief des Pères
jésuites. — Grosbois, dit les Grande et Petite Rivière Oua-
machiche (Sainte- Anne). — La Rivière du Loup, sur le
lac Saint-Pierre (Saint- Antoine). — Maskinongé (Saint-
Joseph ) .
Coté du sud, en remontant le fleuve:
Saint-Pierre, Gentilly, Cournoyer. — Bécancourt (la Na-
tivité de la sainte Vierge). — Godefroy et Tonnancourt. —
Nicolet, l'Ile Moras et la Baie Saint-Antoine. — Saint-
François, sur le lac Saint-Pierre (Saint-François-Xavier).
Gouvernement de Montréal, côté du nord, en remontant
le fleuve:
L'Ile du Pads (la Visitation^. — Berthier et Dorvilliers.
— Dautray et Lanoraye. — Lavaltrie. — Saint - Sulpice. —
Les Iles Bouchard. — Repentigny (Notre-Dame de l'As-
somption).— La Chesnaye. — Terrebonne, et le fief des
héritiers l'Angloiserie et Petit. — L'Ile Jésus (Saint-Fran-
çois de Sales). — La Rivière des Prairies ( Saint- Joseph^.
— La Pointe-aux-Trembles ( l'Enfant- JésusJ. — La Longue-
Pointe. — Montréal. — Saint - Laurent. — Lachine (les
Saints- Anges. — La Pointe - Claire ( Saint - Joachim ) . —
Sainte- Anne du Bout de l'Ile.
Côté du sud, en remontant le fleuve :
Saurel (Saint-Pierre). — Saint-Ours (T Immaculée-Con-
ception).— Contrecœur (la Sainte-Trinité). — Verchère»
(Saint - François - Xavier) . — Varennes Sainte -Anne) . —
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 355
Boucherville (la Sainte-Famille ).--Chambly (Saint-Louis).
— Longueuil (Saint-Antoine de Pade). — La Prairie de la
Madeleine (Sainte-Marie-Madeleine). — Chateauguay.
Telle est la liste des districts paroissiaux de la Nouvelle-
France, « faite en double à Québec le 20 septembre 1721 »,
et signée par M. de Vaudreuil, M^ de Saint-Vallier et l'in-
tendant Bégon. En comparant cette liste avec le Plan géné-
ral des misions de 1683, on se fait aisément une idée du dé-
veloppement graduel de la colonie. Nous ne pouvons entrer
dans tous les détails : faisons seulement quelques remarques.
On venait de créer quatre-vingt-deux districts parois-
siaux, mais il ne s'en suit pas que chacun de ces districts
avait un curé résident. Voyons, par exemple, la Baie Saint-
Paul : le curé de cette paroisse devait desservir « par voie de
mission» celle de la Petite-Rivière, et aussi «le fief des
Eboulements et celui de la Malbaie, jusqu'à ce qu'il y eiit un
nombre suffisant d'habitants pour pouvoir y ériger une
paroisse » \ Le fief de la Malbaie est l'endroit le plus
éloigné, au nord du Saint-Laurent, qui soit mentionné dans
le règlement des paroisses de 1721. Au delà, jusqu'aux
Sept-Iles, c'était la Ferme ou Traite de Tadoussac : elle com-
mençait même à l'Ile-aux-Coudres, et avait quatre-vingts
lieues de longueur, sur « soixante lieues avant dans les
terres ». On écrivait à la cour en 1683 : « Cette côte du
nord n'est point habitée^. » Mais nous voyons qu'en 1708
il y avait un fort au Labrador; et M. de Courtemanchc
écrivait à la cour « qu'il avait mené à cette côte un mission-
naire, et que ce missionnaire y était très nécessaire pour
administrer les sacrements aux gens qui y habitaient, et
1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 444.
2. Bibl. du Pari. d'Ottawa, Mss de la Nouvelle-France, vol. IV, p. 163.
356 l'éguse du canada
pour établir le christianisme parmi les sauvages 1. » Est-ce
ce missionnaire qui, quelques années plus tard, demandait à
la cour la permission de faire un établissement au Labrador
pour la pêche du loup-marin? On en écrivit au gouverneur
et à l'intendant du Canada; et ceux-ci répondirent au mi-
nistre avec beaucoup de sagesse :
« Le Labrador ne paraît guère susceptible d'un établisse-
ment pour un homme de cette robe, n'y ayant que rochers
en ce lieu; et la dissipation que cause un établissement à
conduire ne convient guère à un missionnaire ^ ».
L'Ile d'Orléans, à la date où nous sommes, s'appelle
encore l'Ile Saint-Laurent. M. Collet y a réglé plusieurs
questions : à Saint-François, « la nouvelle église qu'il est
nécessaire de construire, le sera au même lieu oii est l'an-
cienne » ; il y a quelques difficultés au sujet de la dîme entre
les curés de Saint-Jean, de Saint-Laurent et de Saint-Pierre :
tout cela est réglé pour l'avenir.
La paroisse de Charlesbourg est une de celles où l'on
compte le plus de villages : le Petit Village ; le Gros-Pin ;
Saint - Jérôme dit l'Auvergne ; Bourg - Royal ; Bourg-la-
Reine : Charlesbourg ; Saint-Claude ; Saint-Pierre ; Saint-
Joseph; Saint-Bonaventure ; Saint-Bernard; Saint-Romain;
Saint-Gabriel; Saint-Jacques: Paincourt; le Petit Saint-
Antoine et le Grand Saint-Antoine.
La paroisse de Québec s'étend jusqu'aux terres de la sei-
gneurie de Sillery et jusqu'au district de la paroisse de
Charlesbourg, « à l'exception des bâtiments et enceinte de
r Hôpital-Général, dont l'église sera érigée en paroisse pour
le dit Hôpital-Général seulement, et desservie par le cha-
pelain qui y sera établi curé, auquel les dîmes des terres des
1. Corresp. générale, vol. 29, Québec, 3 nov. 1708.
2. Ibid., vol. 49, Beauharnais et Dupuy au ministre, 20 oct. 1727;
vol. 50, Beauharnais et D'Aigremont au ministre, ler oct. 1728.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 357
pauvres qui étaient de cette paroisse appartiendront pour
subvenir à son entretien ». . . Le district de l' Hôpital-Géné-
ral fut en effet détaché de la paroisse de Québec par un acte
de M^ de Saint- Vallier en date du i8 septembre 1721 \ Il
est à remarquer que, dans son article relatif à Québec,
approuvé par AP"" de Saint- Vallier, M. Collet dit expressé-
ment que « la cure de Québec est unie au Séminaire » -.
A la Pointe-aux-Trembles de Neuville, il est permis aux
habitants dans la profondeur des terres de construire une
chapelle, et alors le curé de Neuville sera « tenu d'aller leur
dire la messe une fois par mois, un jour de fête ou de
dimanche »... Il s'agit, sans doute, d'une chapelle au Grand-
Capsa, dont nous avons souvent entendu parler par les
anciens de l'endroit.
Les paroisses de Deschambault et de La Chevrotière n'ont
pas encore de curé ; elles sont desservies « par voie de mis-
sion » par le curé des Grondines.
Les Camouraska ont six lieues de largeur, entre « le fief
de l'Anse Saint-Denis et le fief de Vertbois ». Le curé de
cette immense paroisse doit aussi desservir les fiefs de Vert-
bois, de la Rivière du Loup, du Parc, de l'Ile Verte et de la
Rivière des Trois-Pistoles, « jusqu'à ce qu'il y ait lieu d'y
ériger des paroisses ».
La paroisse de la Rivière-Ouelle s'étend, en montant,
jusqu'au fief de la Pocatière, dit la Grande- Anse, et le curé
est chargé de desservir « par voie de mission » la paroisse
de Sainte-Anne de la Pocatière, « jusqu'à ce qu'il y ait un
nombre suffisant d'habitants pour fournir à l'entretien et
subsistance d'un curé ».
Les fiefs de Port-Joly et de la Rivière des Trois-Saumons
sont desservis par le curé de Bon-Secours de l'Islet.
1. Archiv. de l'év. de Québec, Registre C.
2. Ed. et Ord., t. I, p. 446.
35^ l'église du canada
Le curé du Cap Saint-Ignace est chargé de desservir « les
Iles aux Oies, grande et petite, aux Grues, au Canot, de
Sainte-Marguerite, la Grosse-Ile, celle à Deux-Têtes et
autres petits Islets qui n'ont pas de noms et appartiennent à
la danie veuve du sieur de Grandville ».
La paroisse de Saint- Joseph de la Pointe-de-Lévy s'étend
depuis le milieu, environ, du fief de Montapeine, «jusqu'à la
rivière du Sault de la Chaudière ».
La paroisse de Sainte-Croix est desservie par le curé de
Lotbinière. « Il desservira aussi, par voie de mission, le
fief d'Eschaillons ; mais attendu le grand éloignement, il ne
sera obligé que d'y dire une messe tous les mois, un jour de
fête ou de dimanche, autant que faire se pourra, dans la
chapelle qui sera à cet effet construite sur le dit fief. » Il
n'y avait donc pas encore de chapelle à Saint-Jean Des-
chaillons.
La Pointe-du-Lac, Yamachiche, la Rivière-du-Loup,
Maskinongé sont desservais par voie de mission « jusqu'à ce
qu'il y ait un nombre suffisant d'habitants pour fournir à la
subsistance et entretien d'un curé».
Les fiefs Saint-Pierre, Gentilly et Cournover seront des-
servis par le curé de Bécancourt, quand il y en aura un
d'établi. Cette paroisse de Bécancourt renferme la mission
des sauvages : « tant qu'elle y restera, le curé qui sera établi
à Bécancourt prendra trente cordes de bois par an. pour son
chauffage, sur le domaine de la seigneurie, suivant les offres
du dit sieur de Bécancourt ».
Les fiefs Godefroy et Tonnancour « seront desservis par
voie de mission par le curé qui sera établi dans la paroisse
qui sera érigée pour Nicolet et la Baie Saint- Antoine »...
Mais cette paroisse n'existe pas encore: les seigneurs et les
habitants des fiefs de Nicolet, de l'Ile Moras et de la Baie
Saint- Antoine ont offert « de construire une église et un
presbytère proche la ligne qui sépare Nicolet de la Baie
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 359
Saint-Antoine, de donner au curé une étendue de terre pour
son utilité, et de lui laisser prendre, sur le domaine de la
Baie Saint-Antoine, trente cordes de bois par an pour son
chauffage » : on leur permet de construire cette église et ce
presbytère, « et tous devront y contribuer et y travailler »...
Le curé de l'Ile du Pads dessert, par voie de mission,
Berthier, Dorvilliers, Dautray, Lanoraie et Sorel, « jusqu'à
ce qu'il y ait un curé établi à Berthier et un à Sorel ».
Le curé de Saint-Sulpice dessert La Valtrie et les Iles
Bouchard; celui de l'Ile Jésus dessert Terrebonne et La
Chênaie.
La paroisse de Saint-Laurent est encore desservie par
voie de mission; et le curé de Sainte-Anne du Bout-de-l'Ile
dessert les fiefs de Vaudreuil et de Soulanges. Il dessert
aussi la mission des sauvages Nipissings, qui a été fondée
dans rile-aux-Tourtes par l'abbé de Breslay, de Saint-Sul-
pice. Il y a là une église et un presbytère, dont la construction
est due au zèle de M. de Breslay. Ce digne missionnaire se
dévoue maintenant aux missions de l'Acadie : et bientôt la
mission de l'Ile-aux-Tourtes se fondra avec celle du Lac
des Deux-Montagnes ^
M. de Breslay, qui avait fondé la mission de l'Ile-aux-
Tourtes, avait aussi, vers 1714. fait bâtir une chapelle à
Sainte-Anne du Bout-de-l'Ile pour accomplir un vœu qu'il
avait fait, étant très malade, s'il obtenait sa guérison par
l'intercession de la Bonne sainte Anne. Ce fut l'origine de
cette paroisse qui fut détachée de la Pointe-Claire ■.
Il n'y a encore de curé résident ni à Saint-Ours, ni à
Contrecœur, ni à Verchères : ces deux dernières paroisses
devront en avoir un incessamment; et celui de Contrecœur
desservira aussi Saint-Ours. « jusqu'à ce qu'il y ait un
1. Les Snlpiciens en Acadie, p. 287.
2. Ihid., p. 286.
360 L^'ÉGUSE DU CANADA
nombre suffisant d'habitants pour fournir à la subsistance et
entretien d'un curé ».
Le fief Chateauguay est encore trop peu établi pour être
érigé en paroisse : il continuera à être desservi par le mis-
sionnaire des sauvages iroquois du Saut-Saint-Louis.
A Chambly, il n'y a encore que la chapelle du Fort. « Vu
le petit nombre d'habitants qu'il y a dans cette seigneurie de
Chambly, qu'ils sont hors d'état de payer des dîmes, étant
pauvres, et ne commençant que d'établir leurs terres, il serait
nécessaire pour le bien de la garnison de ce Fort, d'y établir
un aumônier fixe qui fût tenu d'y résider, et de desservir
par voie de mission les habitants de la dite seigneurie, même
les fiefs des sieurs de Longueuil et de Rouville. . ., à mesure
qu'ils s'établiront, et, sous ces conditions, assurer au dit
aumônier cinq cents livres par an pour sa subsistance, jus-
qu'à ce que la dite paroisse soit suffisamment établie pour
fournir à la subsistance d'un curé. »
Tous ces détails sont extraits du règlement officiel des
paroisses signé le 20 septembre 1721 par le gouverneur,
l'évêque et l'intendant de la Nouvelle-France, et préparé
d'après les procès-verbaux de M. Collet. Ah, qu'elle était
encore peu avancée la colonie canadienne! Dans quelques-
unes des meilleures parties du pays, à peine quelques défri-
chements, quelques pauvres habitations, pas d'église, pas de
presbytère, pas de curé résident! Qu'étaient un grand
nombre de ces quatre-vingt-deux districts paroissiaux, sinon
tout simplement des cadres, dans lesquels il n'y avait encore
rien, ou presque rien? Oui : mais ces cadres n'en avaient pas
moins une grande valeur: ils appelaient, ils invitaient les
colons à venir se grouper autour d'une église en construc-
tion, auprès d'un prêtre qui allait s'occuper incessamment
de leur avenir, de l'avenir de leurs enfants. Ces cadres vont
tous se remplir, avec le temps; il faudra même les élargir, les.
sous M^ DE SAINT-VALUER 361
étendre ; la vie débordera tout autour, elle rayonnera jus-
qu'aux extrémités du pays.
* *
Il était impossible que le Règlement de 1721, sanctionné
par la cour en 1722, contentât tout le monde: aussi n'y a-t-il
pas lieu de s'étonner si l'on trouve dans les archives un
grand nombre de protestations. Nous y voyons entre autres
« une requête et liste des habitants de la Côte Saint-Ange,
qui réclament contre leur réunion aux paroisses de Saint-
Augustin et de Sainte-Foy » ; une requête des habitants de
la seigneurie Saint-Pierre, réclamant contre l'annexion de
cette seigneurie à la paroisse de Bécancourt ; » puis la plainte
de Joachim Fornel, curé de la Yieille-Lorette, qui prétend
que sa paroisse est réduite à rien :
«Joachim Fornel, curé de la Vieille-Lorette, remontre à
Votre Grandeur que. par l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi,
rendu l'année dernière, pour régler les districts des paroisses
de la Nouvelle-France, celle de Lorette se trouve réduite à
un si petit nombre d'habitants, qu'elle semble ne devoir plus
mériter le nom de paroisse, tant le nombre de ceux qui
restent est peu considérable \ . . »
Remarquons que ce curé, lorsqu'il faisait cette plainte,
n'était âgé que de vingt-six ans et n'avait que trois ans de
prêtrise ! Faut-il s'étonner qu'il y ait dans les archives bien
des choses peu édifiantes sur son compte? Le gouverneur
du Canada écrit un jour à son sujet au ministre : « Il a tenu
à plusieurs religieuses des discours sur la constitution Uni-
genittis, à l'occasion de M. le cardinal de Noailles, qui ne
convenaient guère. On lui en a fait faire des reproches par
un de ses confrères, qui lui a fait sentir sa sottise dans toute
son étendue. Il lui répondit qu'il l'avait dit pour rire. C'est
I. Corresp. générale, vol. 45.
362 Iv'ÉGUSE DU CANADA
une peste qu'un tel sujet dans un pays aussi sain que l'est
celui-ci \ »
M^"" de Saint- Vallier, qui n'était pas toujours heureux dans
ses nominations, l'avait envoyé un jour à l'Ile Royale pour
y être curé de Louisbourg, à la place des Récollets. Le gou-
verneur de l'Ile, M. de Saint-Ovide, qui le connaissait pro-
bablement, ne voulut jamais le recevoir. Le chanoine — car
il faisait partie du chapitre — fut obligé de remonter à
Québec.
Il passa en France, puis revint au Canada, à la demande
de M^ Dosquet qui, lui, ne le connaissait pas encore, mais
qui, après l'avoir connu, se reprochait de l'avoir ramené au
pays, et écrivait au ministre : « Je vous demande pardon de
vous avoir prié d'accorder le retour dans ce pays-ci au sieur
Fornel; j'avoue ma faute, car tant qu'il y restera, l'on ne
peut espérer d'y voir régner la paix. »
Il écrivait encore : « Il est important pour avoir la tran-
quillité dans le chapitre, qu'il n'y réside pas : il est inquiet, il
ne peut y souffrir de Français ^, et il décide en maître ^. »
C'est ce M. Fornel qui fut choisi par ses confrères les
chanoines pour prononcer l'oraison funèbre de M^"" de Saint-
Vallier à la cathédrale.
Du côté de Montréal, les habitants de Mouille-pieds
écrivent à M^ de Monàlle, secrétaire d'Etat, pour protester
contre leur annexion à Longueuil :
« Ce sont, disent-ils, de pauvres sujets de Sa Majesté,
habitants du lieu dit Mouille-pieds, de la paroisse de la
Prairie de la Madeleine, au Canada, que l'on veut forcer de
quitter leur dite paroisse de la Prairie de la Madeleine,
1. Archiv. de l'év. de Québec, Doc. de Paris, Eglise du Canada,
Lettre de Beauharnais au ministre, 17 oct. 1727.
2. II était flls de Jean Fornel, marchand, qui demeurait à la Bas.se-
Ville, rue Notre-Dame.
3. Doc. de Paris, Eglise du Canada.
sous M^ DE SAINT-VALUER 363
pour être de celle de Longueuil, qui osent se jeter aux pieds
de Votre Grandeur pour implorer la justice à ce sujet \ . . »
Leur curé, M. Ulric, vient appuyer leurs plaintes : il
envoie des mémoires au comte de Morvnlle pour réclamer
contre « le retranchement qu'on veut lui faire d'un endroit
très considérable de sa paroisse, nommé Mouille-pieds, pour
être attaché à celle de Longueuil ».
Sa plainte est référée à l'intendant du Canada, avec prière
de lui rendre justice. Alors M. Ulric écrit de nouveau au
secrétaire du département de la marine :
« J'ai reçu avec toute la reconnaissance possible la lettre
dont Votre Grandeur m'a honoré, de Paris, du mois d'avril.
On a renvoyé ici à M. l'intendant mes mémoires, avec ordre
de me satisfaire; mais le dessein qu'il a de faire plaisir au
gouverneur des Trois-Rivières de ce pays - lui a fait passer
sous silence les ordres de la cour à mon sujet. Cependant,
on me fait, monseigneur, l'injustice la plus criante qui fîit
jamais, et qui est à un tel excès que je ne puis assez l'ex-
primer. Mon évêque en gémit; mais que peut-il contre un
intendant qui, éloigné de la cour, prétend que l'on doit
suivre ses volontés ?
« Si j'osais supplier Votre Grandeur de dire un mot en
ma faveur au ministre de la marine, et de lui faire présenter
mon placet par quelqu'un, je le ferais, prosterné à ses
genoux ^ ; du moins. qu'Elle me fasse donner passage dans
le vaisseau de Sa Majesté, pour que je puisse moi-même
aller représenter la justice de mon droit. :»
Il paraît que l'usage de faire des petits présents aux per-
1. Corresp. générale, vol. 45.
2. C'était à cette époque (1723) Charles Le Moine de Longueuil,
qui devint ensuite gouverneur de Montréal. (Les Ursulines des Trois-
Rivières, t. in, p. 410). Il était le frère de notre héros canadien,
d'Iberville.
3. Quel abaissement !. . . " Quid non mortaîia pectora cogis, auri sacra
faînes F" (Enéide, liv. III).
364 i^'églisî; du canada
sonnages haut placés, pour se les rendre propices, était déjà
connu et pratiqué à cette époque, car M. Uîric ajoutait avec
la souplesse d'un courtisan accompli :
« C'est trop pour moi, monseigneur, que Votre Grandeur
ait agréé la peau de loup-cervier que j'ai pris la liberté de lui
faire tenir, sans encore y ajouter l'honneur de son souvenir.
J'ai hésité longtemps si je lui en enverrais cette année deux
que j'ai entre les mains; mais comme elles ne m'ont point
paru belles, à cause que l'hiver a été fort doux cette année en
ce pays-ci, je n'ai pas eu assez de confiance pour le faire. J'en
ferai venir une demi-douzaine, des mieux choisies, du meil-
leur endroit du nord, pour l'année prochaine, afin qu'au
retour des vaisseaux vous me fassiez la grâce de vouloir
bien les accepter \ . . »
Le règlement des districts de paroisses finit par être reçu
partout comme un fait accompli. Pour M. Ulric, en parti-
culier, l'Evêque employa, pour le calmer, un moyen qui lui
réussit à souhait, et qui a réussi depuis également en maintes
occasions : il le transféra à la belle cure de \^arennes ; et les
habitants de Mouille-pieds ne songèrent plus à se plaindre
de leur annexion à Longueuil : le gouverneur et l'intendant
du Canada écrivaient à la cour l'année suivante :
'< Il y a lieu de croire que le sieur Ulric, curé de la Prairie
de la Madeleine, agissait sous le nom de ceux des Mouille-
pieds, qu'il voulait avoir: car ces habitants ne demandent
plus d'être de cette paroisse, à présent qu'il est curé de
Varennes ; et le sieur Poulin qui est à sa place est content de
son district "... »
Le règlement de 1721 avait donné naissance à quatre-
vingt-deux paroisses ou districts paroissiaux. Dix ans plus
tard, on en comptait une centaine, au témoignage de M^
1. Corresp. générale, vol. 45, Lettre de M. Paul-Armand Ulric au
comte de Morville, 8 oct. 1723.
2. Ibid., vol. 47, Longueuil et Bégon au ministre, 31 oct. 1725.
sous M^"" DE SAINT-VALUER 365
Dosquet ; mais, d'après ce même témoignage, il n'y avait pas
plus d'une vingtaine de ces paroisses qui fussent « remplies
par des curés en titre » : toutes les autres n'étaient « desser-
vies que par de simples missionnaires ». C'est-à-dire que le
temps et l'expérience avaient démontré la sagesse du système
établi au Canada par M^ de Laval : ce système était le seul
pratique « dans ces espaces immenses de dix, douze et quinze
lieues, qui ne faisaient qu'une seule mission ».
« Ce système, disait M'' Dosquet, conforme à celui de
toutes les églises naissantes de l'Amérique, des Indes, de»
Philippines \ est une exécution précise de la déclaration du
mois d'avril 1663, qui porte par exprès que, pour se con-
former autant qu'on le pourrait à la primitive Eglise,
l'évêque de Québec ne fixerait irrévocablement aucun prêtre
dans aucune paroisse, mais la ferait desservir par un simple
missionnaire. On s'en est tenu constamment à cet usage. II
est vrai que de temps en temps on y a fait quelque chan-
gement. Il est venu des lettres de la cour qui portaient une
permission du Roi pour les fixer toutes ; mais cela n'a point
eu de suite. M. de Saint- Vallier a fait venir des ordres con-
traires ; il en a fixé peu lui-même ; le peu même qu'il a jugé
à propos de fixer, il l'a remis en son ancien état, à la mort
du premier titulaire "...»•
De fait, nous croyons qu'à part celui de Notre-Dame de
Québec, il n'y eut jamais au Canada de curés inamovibles
dans le sens véritable et canonique du mot. Ce que l'on en-
tendait généralement, à l'époque qui nous occupe, par « curés
fixes», c'étaient, comme l'explique quelque part l'intendant
de Meulles, des curés « qui ne seraient pas obligés d'aller
d'habitation en habitation pour desservir les peuples, mais
1. Les Philippines, dont on parle tant aujourd'hui, furent converties
en 1571, et un évêché fut alors fondé à Manille. (Beurlier, Histoire
de l Eglise, p. 203).
2. Corresp. générale, vol. 46.
366 Iv'ÉGUSE DU CANADA
qui auraient leurs églises et presbytères, oii ils demeureraient
toujours, et où les peuples iraient entendre la messe » \ . .
Les quatre-vingt-deux paroisses que nous venons d'indi-
quer, échelonnées sur une étendue de plus de deux cents
lieues, formaient le diocèse de Québec proprement dit : que
de fois M^ de Saint-Vallier en fit la visite pastorale! Mais
son diocèse s'étendait aussi jusqu'aux missions lointaines
de l'Acadie, jusqu'à l'Ile Saint-Jean et au Cap-Breton, jus-
qu'aux missions reculées de Détroit, des Tamarois, de la
Louisiane. Deux fois, en 1686 et 1689, le Prélat fît, en
visite pastorale, le voyage, alors si difficile et si périlleux,
de l'Acadie. S'il n'eût écouté que son zèle, il se serait rendu
jusqu'aux extrémités les plus lointaines de l'immense terri-
toire soumis à sa juridiction; mais son âge et ses infirmités
ne le lui permirent pas. Il dut se contenter d'y envoyer de
bons et intrépides missionnaires : les prêtres de Saint-Sul-
pice et des Missions-Etrangères rivalisèrent de zèle en
Acadie; le séminaire de Québec avait aussi la mission des
Tamarois ; les Récollets, les Jésuites, les Capucins exer-
çaient leur zèle au Détroit, dans les différents postes de
l'ouest, à la Louisiane.
Nous reparlerons de ces missions dans un prochain cha-
pitre.
I. Bibl. du Pari. d'Ottawa, Mss. de la Nouvelle-France, vol. IV,
p. 188, Lettre du 4 nov. 1683.
CHAPITRE XXIV
USS MISSIONS LOINTAINES DE L'ÉGLISE
DU CANADA
L'Acadie. — M. Gaulin. — Prise de Port-Royal. — Le traité d'Utrecht. —
Expédition manquée des Anglais contre le Canada. — Patriotisme
du clergé canadien. — La mission de Louisbourg et du Cap-Breton.
— M ission de l'Ile Saint-Jean. — M. de Breslay. — Au pays des Abé"
naquis. — Mort du P. Rasle. — La mission de Détroit. — A la Loui-
siane.— La Nouvelle-Orléans.
IL faudrait des volumes pour écrire l'histoire des missions
lointaines qui dépendaient de l'Eglise de Québec sous
le régime français : l'Acadie, Terreneuve, la Louisiane et les
Tamarois, Détroit, Michillimakinac et autres missions de
l'ouest. Dans un ouvrage comme celui-ci, où nous ne vou-
lons faire que l'histoire de l'Eglise canadienne proprement
dite, nous ne pouvons que donner un aperçu succinct de ces
missions. Il en est une, cependant, l'Acadie, qui demande
que nous nous y arrêtions un peu plus, d'abord parce qu'elle
tenait de plus près que les autres à l'Eglise de Québec, puis,
parce qu'elle fut l'objet d'une attention toute spéciale de
nos premiers évêques, que M^ de Saint-Vallier y alla deux
fois, de sa personne, et lui donna même, pour ainsi dire, les
prémices de son zèle épiscopal encore vierge.
Il était en France, puis en Angleterre, lorsque se succé-
dèrent ce que nous pouvons appeler « les derniers jours de
l'Acadie française » : jours de tribulations et d'angoissesy
368 l'église du canada
mais jours glorieux, ceux qui furent témoins des efforts
héroïques de Port-Royal pour rester français, et des gou-
verneurs Brouillan et Subercase pour conserver à la France,
presque malgré elle, cette belle colonie qui avait fait sa
gloire et sa richesse, et que l'Angleterre convoitait depuis si
longtemps ! Brouillan et Subercase : nobles figures, rayon-
nantes de gloire, à la fin du régime français en Acadie,
presque à l'égal de celles de Lévis et de Montcalm, aux
derniers jours de la Nouvelle-France!
M^ de Saint-Vallier, quoique absent, est au courant de
tout ce qui se passe en Acadie. M. Leschassier lui apprend
la mort de M. Trouvé et la détermination des Sulpiciens
d'abandonner pour le moment les missions acadiennes. M.
Tremblay lui donne toutes les nouvelles de ses confrères
des Missions-Etrangères : eux sont bien décidés à rester à
leurs postes; M. Gaulin remplace M. Thury comme supé-
rieur des missions acadiennes; M. Guay est aux Mines, M.
Rageot à Beaubassin. M. Maudoux a quitté Port-Royal en
1701, mais il est remplacé par les Récollets, qui desservent
déjà les missions de la rivière Saint-Jean, Médoctec et
Censée. M. Gaulin s'occupe spécialement des Micmacs, ces
bons sauvages pour lesquels M^ de Laval a toujours eu une
estime toute particulière : il écrit à M. Tremblay :
« M^ l'Ancien paraît fort affectionné pour la mission des
Micmacs et m'a ordonné d'y aller voir l'état dans lequel elle
est, et la disposition des sauvages. . . Ce printemps. Dieu
aidant, j'irai confesser les Micmacs et me rendrai jusqu'au
Cap-Breton.. . .Nous sommes toujours en voyage, ajoute-t-il,
et obligés de dire notre office pendant la nuit, à moins que
les bréviaires ne soient pas de bonne impression. Cela nous
incommode beaucoup, et cependant nous vous prions qu'ils
soient des plus petits, et aussi des plus nouveaux \ . . »
I. Les Sulpiciens en Acadie, p. 228.
sous M*' DE SAINT-VALLIER 369
Du reste, le bon missionnaire a dû abandonner la mission
de Pentagouët, fondée en 1687 par M. Thury. Le sémi-
naire de Québec a cédé aux instances des Jésuites, qui
depuis longtemps sollicitaient M^ de Saint- Vallier de leur
accorder cette mission pour la desservir, comme ils desser-
vaient déjà celles de Kénébec et de Narantsouak. M Trem-
blay en informe M^ de Saint- Vallier alors en Angleterre:
« Nos missionnaires, dit-il, ont enfin consenti à ce que
les Jésuites souhaitaient depuis longtemps, de réunir les
sauvages de M Gaulin à leurs missions. Le gouverneur et
l'intendant les en ont tant pressés de la part des Jésuites
qu'ils y ont donné les mains ^ . . »
Les Jésuites ont ainsi le contrôle spirituel de tout le pays
des Abénaquis, c'est-à-dire cette partie de l'Acadie qui se
trouve entre la Nouvelle-Angleterre et la presqu'île actuelle
de la Nouvelle-Ecosse. Il y a trois missions principales:
celle de Narantsouak, à laquelle le P. Rasle a attaché son
nom, celle de Kénébec, fondée par les deux Pères Bigot, et
celle de Pentagouët. M. Gaulin conserve ses Micmacs, et
M^ de Saint- ValHer recommande sa mission à la cour ^ ;
bien plus, il promet à M. Gaulin de lui donner lui-même
deux cent cinquante à trois cents livres par année « pour les
voyages qu'il est obligé de faire à sa mission et par toute
l'Acadie » ^ .
Quelle n'est pas la douleur du saint évèque. lorsque,
revenu à Paris, il apprend en 1710 que Port-Royal, après
avoir repoussé à quatre reprises différentes les attaques des
Anglais, s'est enfin vu obligé de se rendre, faute de secours
de la mère patrie ! Quelle n'est pas sa douleur, surtout,
lorsqu'on lui dit que les Anglais ont emmené prisonnier à
Boston le P. Justinien Durand, le dévoué missionnaire de
1. Les Sulpiciens en Acadie, p. 259.
2. Corresp. générale, vol. 29, Lettre du 25 mars 1708.
3. Les Sulpiciens en Acadie, p. 244.
^JO Iv EGLISE DU CANADA
Port-Royal, et que les Acadiens de cette ville et des envi-
rons sont désormais sans pasteur ! Que vont-ils devenir,
privés des secours religieux, dans les jours mauvais qu'ils
ont à traverser? C'est la deuxième fois que les Anglais font
prisonniers les prêtres de Port-Royal: en 1690, ils ont
emmené à Boston MM. Petit et Trouvé ; cette fois, ils
traitent de la même manière Justinien Durand. Et pour-
quoi ? Quels reproches ont-ils à faire à ces saints mission-
naires ? si ce n'est d'inculquer à leurs ouailles, avec la crainte
de Dieu, le culte de la patrie, l'attachement au pays de leurs
pères, c'est-à-dire, avec les principes religieux ceux de l'hon-
neur et de toutes les vertus civiques.
Il est un temps, après la prise de Port-Royal, où, comme
nous l'avons déjà dit, M. Gaulin reste le seul missionnaire
séculier dans l'Acadie proprement dite :
« Cet apôtre intrépide et dévoué, écrit l'abbé Casgrain,
ne recevait plus aucun secours de France. Il brava cepen-
dant toutes les misères et tous les dangers pour rester à son
poste. Les Anglais lui avaient voué une haine mortelle
parce qu'il avait souvent accompagné ses sauvages dans
leurs partis de guerre. Il vivait avec les Indiens et comme
les Indiens.
« Tandis que les Anglais faisaient tous leurs efforts pour
gagner et pervertir les sauvages par des présents, par des
conseils où ils cherchaient à ébranler leur foi et leur faire
comprendre que les Français ne pouvaient plus les soutenir,
l'abbé Gaulin les maintenait attachés au catholicisme et à la
France ^ »
Sa situation devint encore plus critique, lorsque le traité
d'Utrecht, en 1713, vint sceller définitivement le sort de
l'Acadie et la réunir à la couronne britannique. Mais l'abbé
Gaulin n'était pas homme à abandonner ni ses Acadiens,
I. Les Sulpiciens en Acadie, p. 276.
sous M^ DE SAINT-VALUËR 371
ni ses cheî"S Micmacs. Il leur resta fidèle, il resta à son
poste, et Dieu bénit son courage et sa persévérance. On ne
le vit revenir à Québec que pour y mourir saintement à
l'Hôtel-Dieu, en 1740, après une vie incomparable de dé-
vouement et de sacrifice.
Le retour de AP"" de Saint-Vallier dans son diocèse corn--
cide précisément avec le traité d'Utrecht. La France, qui
a perdu TAcadie, a conservé du moins sa colonie cana-
dienne ; mais celle-ci elle-même n'a échappé que par miracle.
L'année qui suivit la prise de Port-Royal, une flotte de
quatre-vingt-dix voiles, commandée par l'amiral Walker,
et portant 6,500 soldats, partit de Boston le 30 juillet
(1711), et fit voile pour Québec, tandis que Nicholson
s'avançait avec une armée aussi considérable par le lac
Champlain. Pour résister à cette invasion, le Canada
n'avait pas cinq mille hommes en état de combattre. Maïs
la Providence veille sur nous. Une partie de la flotte
anglaise va se heurter contre les récifs des Sept-Iles, dans
l'obscurité d'une tempête, et se brise complètement. Il périt
là plus de neuf cents hommes. Walker, découragé, aban-
donne son entreprise, et rebrousse chemin. Nicholson, à
cette nouvelle, en fait autant.
M. de \^audreuil avait fait de grands préparatifs pour
recevoir chaudement l'ennemi. Les habitants de la côte
sud, depuis Kamouraska jusqu'à Lévis, et ceux de la côte
nord, de la Malbaie à Québec, étaient avertis de se tenir
prêts, de veiller à empêcher les descentes des ennemis, puis
de se rassembler au premier ordre de leurs capitaines. « L'Ile
d'Orléans, disait M. de Vaudreuil, est un lieu que nos
ennemis regardent depuis longtemps comme un poste à
occuper ; » il y était allé lui-même, avec quelques officiers,
et il avait réussi à persuader les habitants d'évacuer com-
plètement leur île, faisant transporter à la côte sud et à la
côte nord leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux, tous
372 L EGLISE DU CANADA
leurs principaux effets, de manière que l'ennemi ne fût pas
tenté d'y descendre, n'y ayant aucun pillage à faire. Il
avait demandé à ces habitants un acte vraiment héroïque,
et il l'avait obtenu grâce au concours énergique que lui avait
donné le clergé de l'Ile \ Notons bien ce détail: ce n'est
jamais en vain qu'on fait appel au patriotisme du clergé
canadien; mais il ne faut jamais oublier, non plus, de lui en
tenir compte, dans l'occasion.
Du reste, le même souffle patriotique animait le clergé
dans toutes les parties du pays, en Acadie comme au Canada.
Ecoutons la voix de deux Pères récollets qui se fait en-
tendre de la mission lointaine du Bassin des Mines : Port-
Royal s'est rendu aux Anglais ; mais le traité d'Utrecht n'a
pas encore scellé le sort des Acadiens ; ils ont encore l'espoir
de rester Français : et ces deux religieux écrivent à M. de
Vaudreuil :
« Les Anglais assurent fort, dit le P. Félix, qu'il y a une
armée qui est allée au Canada au nombre de quinze à vingt
mille hommes, y compris quatre mille qui doivent aller par
terre, commandés par M. de Xicholson. Je souhaite, mon-
sieur, qu'ils soient bien battus, et que vos armes soient vic-
torieuses.
« Le P. Bonaventure a commencé une neuvaine dans sa
paroisse pour la prospérité de vos armes. Je pars au premier
jour pour me rendre à ma mission de Beaubassin, où je
demeurerai, en me méfiant toujours fort de MM. les An-
glais, sur lesquels il me paraît qu'il n'y a point de fond à
faire sur leurs promesses ; et je commencerai, aussitôt que
j'y serai arrivé, une neuvaine, et après la neuvaine des
prières publiques, jusqu'à ce que nous puissions avoir des
nouvelles qui nous apprennent le bon succès de vos armes.
« Il ne me reste plus, monsieur, qu'à vous assurer que
I. Corresp. générale, vol. 32, Vaudreuil au ministre, 25 oct. 171 r.
sous M''^ DE SAINT-VALLIER 373
j'entretiendrai toujours nos habitants dans la fidélité qu'ils
doivent au Roi, afin qu'ils puissent être toujours prêts à
exécuter avec une parfaite obéissance les ordres qu'il vous
plaira d'envoyer pour le service de Sa Majesté ^ . . »
Le P. Bonaventure. curé du Bassin des Mines, écrit de
son côté au gouverneur :
« Comme j'ai appris, à mon arrivée, qu'il était allé une
flotte en Canada pour assiéger Québec, j'ai aussitôt com-
mencé des prières publiques pour demander à Dieu qu'il
bénît vos armes et les rendît victorieuses comme elles l'ont
toujours été jusqu'à présent, et que nous puissions par la
suite ressentir les fruits de vos victoires. Nos habitants s'y
intéressent beaucoup; et s'ils trouvaient quelque occasion
pour vous témoigner leur fidélité et leur soumission, je
crois que vous auriez lieu d'être contents d'eux 2. . . »
Les Anglais avaient repris le chemin de leur pays, quand
ces lettres arrivèrent à M de Vaudreuil. Elles durent lui
faire plaisir, en lui montrant combien on appréciait d'un
bout à l'autre du pays les préparatifs qu'il avait faits pour
sauver la colonie de la Nouvelle-France. Ah, que ne fit-il
quelque chose également, quelques années plus tard, pour
venir au secours des pauvres Abénaquis ! Mais s'il en eut
la volonté, ses bons désirs furent paralysés par l'inertie de
la cour.
Tout le monde, du reste, attribua aux bonnes prières qui
s'étaient élevées vers le ciel de toutes les parties du pays,
l'heureuse délivrance de la colonie en 171 1. M. de Vâu-
dreuil l'écrivait au ministre l'année suivante :
« Il est heureux, disait-il, que la flotte des ennemis ait été
détruite par les vents, sans qu'il ait coiité une seule goutte de
1. Corresp. générale, vol. 32, le P. Félix à M. de Vaudreuil, Les
Mines, 8 septembre 171 1.
2. Ibid., vol. 31, le P. Bonaventure à M. de Vaudreuil, Bassin des
Mines, 7 septembre 171 1.
374 L EGUSE DU CANADA
sang à cette colonie. Nous en avons rendu grâce à Dieu,
très persuadés que c'est une marque visible de sa pro-
tection. ^ »
De son côté, M^"" de Saint-Vallier, lorsqu'il fut de retour
dans son diocèse, voulut qu'en action de grâces de la grande
faveur que Dieu avait accordée à son Eglise, et qu'il attri-
buait à l'intercession de Marie, l'église de la Basse-Ville iût
appelée Notre-Dame-des-Victoires, rappelant ainsi au sou-
venir des Canadiens les deux victoires remportées, quoique
de deux manières différentes, sur les Anglais qui avaient
voulu s'emparer de Québec: celle de 1690 et celle de 171 1.
Un Te Deiim se chantait tous les ans à la cathédrale, en
action de grâces de la déroute des Anglais -.
Mais retournons en Acadie, d'où sont venues à M. de
Vaudreuil les deux lettres si touchantes et si patriotiques
des Pères Félix et Bonaventure.
*
La France, en 1713, a an céder l'Acadie à l'Angleterre;
mais elle s'est réservée deux îles importantes dans le golfe
Saint-Laurent : l'Ile Saint-Jean et le Cap-Breton. C'est là
qu'elle dirigera à l'avenir ses colons et ceux des Acadiens qui
voudront émigrer. Elle commence par le Cap-Breton et y
fonde en 171 5 la ville de Louisbourg^. Puis M^"" de Saint-
Vallier envoie de suite, pour desservir la nouvelle colonie,
quelques Récollets qu'il a obtenus de France.
Mais que de déboires va lui causer cette noi:velle mission!
D'abord, ce sont des Récollets de deux provinces différentes,
1. Correspondance générale, lettre du 23 juillet 171 2.
2. Jugements du Conseil Supérieur, 1728.
3. AI. de Costebelle en fut le premier gouverneur ; et il fut remplacé
en 1720 par M. de Saint-Ovide, son ancien lieutenant à Plaisance.
sous M*'" DE SAINT-VALLIER 375
la province de Paris, et la proviiKe de Bretagne \ des reli-
gieux, par conséquent, qui n'ont pas les mêmes vues, les
mêmes habitudes, les mêmes manières, et surtout qui ont
des supérieurs différents. M""" de Saint- Vallier est obligé
d'assigner à chacun de ces deux groupes de religieux un
territoire distinct et séparé. Chaque groupe a son supérieur
local ; et les deux supérieurs sont grands vicaires de
l'évêque. Chaque groupe doit travailler sur son propre
territoire, et n'a pas de juridiction sur le territoire de l'autre.
Il est pénible d'avoir à constater de suite ce manque d'union
qui existe entre les deux groupes ; mais il ressort bien
clairement de la lettre de l'Evéque -'.
Jusque là, il n'y a de la part du Prélat qu'une mesure de
prudence. Mais voici qui est plus grave : les Récollets ont
laissé pénétrer dans l'île deux aumôniers de vaisseaux, dont
l'un est déjà interdit par l'Evêque, l'autre s'est installé dans
une cure sans aucune juridiction. M^"" de Saint- Vallier est
obligé de sévir contre ces deux intrus : il ordonne aux
Récollets de les obliger « à se retirer dans leurs diocèses et
de s'en tenir à faire leurs fonctions dans les vaisseaux dont
ils sont aumôniers » ".
Et ce n'est là encore que le commencement des déboires
du pieux Prélat. Les Récollets de Louisbourg eux-mêmes
lui causeront bien du chagrin : il se verra obligé d'écrire à
la cour pour se plaindre « de la mauvaise conduite du com-
missaire des Récollets de la province de la Bretagne ^ qui
1. Si l'on en croit Surlaville. ancien fonctionnaire de l'Ile Royale, la
province de Bretagne fournissait "peu de bons sujets". (Les derniers
jours de l'Acadie, p. 75.")
2. Mandements des Ev. de Québec, t. I, p. 489.
3. Ihid., p. 488.
4- 11 s'appelait le Frère Gratien Raoul. — Le supérieur local des
Récollets de la province de Paris s'appelait Dominique de la Marche: il
reçut, le 12 novembre 1716, à l'Ile Royale, l'abjuration du sieur Bonfils,
en présence du sieur de la Grange, chirurgien-major de l'Ile, et du
sieur Petrimoux, pilote. (Archiv. de l'év. de Québec, Registre C.)
2)7^ l'église du canada
fait les fonctions de curé à Louisbourg », et qui donne du
scandale à ses paroissiens « par ses mauvais exemples, par
ses intempérances trois ou quatre fois par semaine, et autres
choses plus messéantes ». Il l'interdira, il lui ôtera tous ses
pouvoirs ^ ; et c'est à cette occasion qu'il enverra à Louis-
bourg, comme nous l'avons déjà dit, l'abbé Fornel, pour y
être son « grand vicaire ». Mais le gouverneur, M. de Saint-
Ovide, préjugé contre ce prêtre, ne voudra pas le recevoir,
et fera signer aux habitants une pétition en faveur des
religieux. AI^ de Saint-Vallier est dans la désolation :
écrivant à la cour l'année suivante, deux mois seulement
avant de mourir :
« Je trouve, dit-il, ma conscience si embarrassée d'être
obligé de me servir de sujets si faibles pour travailler au
salut des autres, pendant qu'ils laissent un juste sujet de
craindre qu'ils ne tra^-aillent point au leur, que je ne puis
m'empêcher de juger que j'expose trop le mien en me
servant de tels sujets. . .
« Le sentiment de AL de Mésy, ordonnateur, ajoute-t-il,
est que les Ecclésiastiques (séculiers) y feraient beaucoup
mieux que les Religieux : que les certificats qu'on avait fait
donner aux habitants étant extorqués, on n'y devait point
avoir égard, étant certain que le plus grand nombre des
habitants aimeraient mieux avoir des Ecclésiastiques pour
pasteurs que des Religieux ^. . . »
Il est plus heureux à l'Ile Saint- Jean, cette autre partie
de TAcadie que le traité d'Utrecht a conservée à la France.
Aucun essai de colonisation n'a encore été fait sur cette île,
pourtant si remarquable par la fertilité de son sol et la
douceur relative de son climat. En 1720, une compagnie se
1. Corresp. générale, vol. 48, Mgr de Saint-Vallier au ministre, 10
septembre 1726.
2. Archiv. de l'Ev. de Québec, Doc. de Paris, Eglise du Canada,
t. I, p. 54, Lettre de Mgr de Saint-Vallier au ministre, 9 cet. 1727.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 377
forme en France pour y faire des établissements de culture
et de pêche : elle a pour chef le comte de Saint-Pierre,
homme riche et très influent à la cour. Au groupe de colons
que l'on se propose d'envoyer, il faut un chef spirituel, un
missionnaire qui soit bien vu et accepté par l'évêque de
Québec. M. de Breslay, ce sulpicien distingué qui a fondé
la mission de l'Ile-aux-Tourtes, en haut de Montréal, se
trouve justement à Paris. On lui propose la mission de
l'Ile Saint-Jean; et tout âgé qu'il est, il l'accepte, avec la
promesse, toutefois, qu'on lui donnera un assistant. Cet
assistant sera le jeune abbé Métivier, qui est alors à
Montréal.
Quelle n'est pas la joie de M^"" de Saint-Vallier lorsqu'il
apprend cette nouvelle, lorsqu'on lui dit que non seulement
les Sulpiciens ont accepté la mission de l'Ile Saint-Jean,
mais qu'ils sont décidés à reprendre celle de l'Acadie qu'ils
ont abandonnée depuis dix-sept ans ! Il s'empresse de nom-
mer M. de Breslay son grand vicaire, et lui donne tous les
pouvoirs nécessaires pour la mission de l'Ile Saint-Jean.
Le premier noyau de colonisation de l'Ile appelée aujour-
d'hui l'Ile du Prince-Edouard se forme au Port Lajoie :
c'est là que se bâtit la première église. Il se fait aussi des
établissements au Havre Saint-Pierre et à Malpec. MM.
de Breslay et Métivier desservent les nouveaux colons avec
beaucoup de zèle. Ils s'occupent aussi des sauvages Mic-
macs ; mais avec leur permission le grand apôtre de ces
sauvages, M. Gaulin, les visite aussi de temps en temps.
M. de Breslay est un ancien « gentilhomme de la chambre
du Roi » ; il a servi à la cour, comme autrefois M^'' de Saint-
Vallier lui-même : puis il a vendu sa charge, et renoncé au
monde pour embrasser l'état ecclésiastique. C'est un homme
distingué de toutes manières; il a gardé beaucoup d'amis à
la cour, et il s'en sert pour obtenir beaucoup de faveurs et
d'avantages pour ses missions.
^jS l'église du canada
Malheureusement, son séjour à l'Ile Saint-Jean ne sera
pas long. Lui et son confrère M. Métivier se voient obligés
de quitter leur mission en 1724 pour faire place aux Récol-
lets, que leur substitue la compagnie Saint-Pierre sous pré-
texte d'économie.
M. de Breslay devient ensuite curé de Port-Royal, où il
reste jusqu'en 1730; puis il repasse en France. Mais ses
confrères, MM. de la Goudalie et Desenclaves continuent à
rester en Acadie, l'un comme curé des Mines, l'autre à
Beaubassin. M^ de Saint- Vallier a ainsi la consolation,
sur la fin de son épiscopat, de voir ses amis de Saint-Sulpice
cultiver encore le champ du Père de famille où il les a
introduits en 1685. Ils ne quitteront leur poste qu'en 1756,
l'année qui suivra « le grand dérangement ».
*
* *
Au pays des x\bénaquis, les Jésuites ont quelques-unes
des plus belles missions sauvages de toute l'Amérique, les
plus belles, sans contredit, si l'on considère la qualité des
sauvages dont le soin leur est confié. Nous disons à des-
sein « le pays des Abénaquis » : en effet, ce petit peuple « à
l'âme française » ^ entend bien être le maître du territoire
que la Providence lui a donné; il est bien décidé à le dé-
fendre contre la convoitise et les empiétements de ses voisins
de la Nouvelle- Angleterre. Il veut être maître chez lui; il
est jaloux de sa liberté, de ses droits à la possession de ses
terres, de ses rivières, de ses forêts; il est jaloux, surtout,
de sa foi et de sa religion. « C'est, dit le P. de Roche-
monteix, la seule nation de la Nouvelle - France qui se
I. Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 402.
sous M^*" DE SAIXT-VALLIER 3/9
convertit entièrement au catholicisme. » Les Abénaquis
détestent les Anglais, leurs voisins, parce qu'ils les regardent
comme les ennemis de leur foi ; ils les détestent aussi comme
les ennemis de la France, à qui ils doivent le plus grand des
bienfaits, celui de la foi catholique.
Les Abénaquis sont tout dévoués aux Français : M. de
Vaudreuil n'a qu'un mot à dire; ils sont toujours prêts à
lui donner un coup de main dans ses entreprises.
Faut-il s'étonner qu'ils se soient attiré la haine des Anglais
de la Nouvelle-Angleterre, et que ceux-ci aient juré de les
chasser de leur territoire et de les détruire? Rien ne sera
épargné dans ce but. ni ruses, ni séductions, ni guet-apens,
ni violences.
Ah, quelle est difficile la position des missionnaires, au
milieu de ces luttes, de ces embûches, de ces trahisons aux-
quelles sont sans cesse exposés leurs bons Abénaquis !
Peuvent-ils rester neutres et indifférents, lorsqu'on cherche
à détruire leur foi et à les corrompre par l'appât de l'intérêt
ou la séduction de l'eau-de-vie? Missionnaires de paix, ils
ne les exciteront pas. sans doute, à la violence : mais leur
sera-t-il défendu de les assister de leurs conseils, de les
consoler dans leurs malheurs, de les accompagner dans leurs
guerres pour leur donner les secours spirituels dont ils ont
besoin ? Quoi qu'ils fassent, ils seront traités comme des
ennemis : on les suivra pas à pas, on leur tendra des pièges,
on usera même de violences à leur égard. Pour ne parler
que du P. Rasle. l'immortel apôtre de Narantsouak, sa vie
est mise à prix : on le suit, on le guette ; deux ou trois fois
il n'échappe que par miracle à la fureur des Anglais qui se
sont acharnés à le détruire, jusqu'à ce qu'enfin il tombe
sous leurs coups. Laissons le P. de Rochemonteix nous
raconter la fin héroïque de ce grand missionnaire : elle nous
rappelle tout-à-fait celle des Pères de Brébeuf et Daniel,
avec cette différence, que ceux-ci tombèrent sous les coups
380 l'église du canada
des sauvages, tandis que le P. Rasle fut la victime d'un
peuple civilisé :
« Une armée de onze cents hommes, dit-il, s'organise à
Boston, et le 2^ août 1724 elle tombe à l'improviste, sans
avoir été aperçue, sur le malheureux village de Narantsouak.
Il n'y avait pour le défendre qu'une cinquantaine de guer-
riers valides. Surpris à trois heures du matin, ils sortent
de leurs demeures, et une vive fusillade s'engage entre eux
et l'armée ennemie. Trop faibles pour résister, ils n'ont
qu'un but, protéger leurs femmes, leurs enfants, les vieil-
lards infirmes, et leur donner à tous le temps de gagner le
bois et de s'y mettre en sûreté.
« Au bruit de la fusillade, le P. Rasle, qui se trouvait
dans la chapelle, sort et va au devant des assaillants, dans
l'espoir d'attirer sur lui seul leur attention et de sauver la
vie à ses néophytes. Son espoir n'est pas trompé. En le
voyant, les Anglais poussent un grand cri de joie; leurs
fusils se dirigent sur lui, et il tombe sous une grêle de balles
au pied d'une croix plantée au milieu du village. Sept sau-
vages, qui se portent à son secours, meurent à ses côtés.
« Pendant ce temps, la plupart des néophytes ont pu s'en-
foncer dans la forêt, après avoir perdu une trentaine des
leurs.
« Les Anglais ne rencontrant nulle part de résistance,
pillent et brûlent les cabanes, profanent les vases sacrés et
les saintes espèces et incendient l'église. Enfin, après avoir
massacré indignement quelques femmes et des enfants qui
n'ont pu s'enfuir, ils abandonnent le village avec précipi-
tation, comme saisis d'une terreur panique.
« A peine se sont-ils retirés, que cent cinquante personnes,
qui ont échappé au massacre, rentrent à Narantsouak. Le
village en flammes présentait l'image de la ruine et de la
désolation. Rien ne les émeut comme la vue de leur père
aimé. Le P. Rasle était percé de coups, la chevelure enle-
sous M*' DE SAINT-VALUER 381
vée, le crâne brisé à coups de hache, la bouche et les yeux
remplis de boue, les os des jambes fracassés, et tour les
membres mutilés. On voyait que les ennemis s'étiient
acharnés sur ce cadavre. Les néophytes versent sur hti
d'abondantes larmes ; et après avoir plusieurs fois baise
ses précieux restes, ils l'ensevelissent à l'endroit où, la
veille, il avait célébré les saints mystères, c'est-à-dire, à la
place où était l'autel avant que l'église fût brûlée \)>
La nouvelle de la mort du P. Rasle provoqua au Canada
d'universels regrets. Mais il n'y eut de la part de M. de
Vaudreuil que des regrets et des protestations. Il écrivit
cependant à la cour pour savoir quoi faire : il lui fut répondu
de ne pas rompre la paix. Le traité d'Utrecht semblait avoir
paralysé toutes les énergies. D'ailleurs, la France, épuisée
par la guerre de la succession d'Espagne, était-elle en état
de se mettre en guerre avec l'Angleterre pour réparer l'ou-
trage fait aux Abénaquis ? Tout ce qu'elle put faire pour
ces bons sauvages, fut de leur allouer une certaine somme,
que les Jésuites étaient chargés de leur distribuer chaque
année.
^L de V^audreuil leur avait déjà proposé de quitter leur
pays, objet d'éternelles luttes avec les Anglais, pour les loger
à rile-Royale: ils s'y étaient toujours refusés. Cette fois,
un certain nombre se décidèrent à aller rejoindre leurs frères
de Bécancour et de Saint-François; d'autres firent leur
paix avec les Anglais: mais tous restèrent fidèles à la
France. La petite église de Narantsouak se releva de ses
ruines et fut pourvue de nouveau de tous les objets néces-
saires au culte, grâce aux secours que leur procura M. de
Vaudreuil. Les Abénaquis continuèrent à protéger tout
ce qu'ils purent de leur pays contre les empiétements des
Anglais, pour le garder à la France.
I. Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 467.
382 I^'ÉGUSE DU CANADA
*
Quelle ne fut pas la douleur de M^ de Saint- Vallier
lorsqu'il apprit la mort tragique de son saint missionnaire,
le P. Rasle, et les tristes événements qui venaient de se
dérouler au pays de ses chers Abénaquis! Les mauvaises
nouvelles lui arrivaient de tous côtés. Au Détroit, au
Saut-Sainte-Marie, à Michillimakinac, on faisait la guerre
aux Jésuites, et par la traite de l'eau-de-vie on détruisait
tout le bien qu'ils s'efforçaient de faire. Lamothe-Cadillac,
qui avait fondé la ville de Détroit (1700), était un ennemi
acharné des Pères de la Compagnie de Jésus; c'était le
mauvais génie de toutes les missions où il passait en qualité
de commandant. M. de Vaudreuil écrivait un jour au
ministre :
« M. de Lamothe détruit les Jésuites tant qu'il peut
auprès de Votre Grandeur; il les détruit dans l'esprit des
Français; il les détruit dans l'esprit des sauvages.»
Au Détroit, il y avait trois villages de sauvages, un vil-
lage huron, un village outaouais, et un village de Poutoua-
tamis. Ces villages sauvages étaient desservis par les Pères
Jésuites. Le fort et la garnison, ainsi que le village fran-
çais avaient un Récollet pour missionnaire : ce missionnaire
était constamment insulté par les sauvages en ivresse. Le
P. Marest. de Michillimakinac, écrivait un jour à M. de
Vaudreuil :
« Je ne dois pas m'ingérer de vous parler des nouvelles
du Détroit. Je ne les sais que par le sieur Loranger, qui
vous les détaillera toutes, et qui fera une lettre vivante et
pour les affaires d'ici et pour celles de ce lieu. Il a appris
par des sauvages qu'on avait insulté au Détroit M. de
Laforêt et le révérend P. Récollet, à l'occasion de l'eau-
de-vie. Voilà les effets funestes de cette maudite boisson.
sous M*' DE SAINT-VALLIER 383
que les voyageurs, pourtant, apportent ici-haut à barriques.
M. de Lignery doit vous en faire ses plaintes \ »
On rendit bientôt la position également intenable pour les
Jésuites. Un prêtre des Missions-Etrangères fut envoyé a
Détroit ; mais il n'y resta pas longtemps, et les habitants de
cette ville naissante furent quelques années sans pasteur.
M^"" de Saint-Vallier les avait prévenus du malheur qui
les attendait : écrivant à « ses chers enfants du Détroit » :
« Nous vous prions, leur disait-il, de considérer beaucoup
parmi vous celui qui vous gouverne au nom du Seigneur, et
qui vous avertit de votre devoir, d'avoir pour lui une véné-
ration particulière, parce qu'il travaille pour votre salut, de
lui obéir en ce qu'il exigera de vous pour le bien de vos
âmes, de ne le point contrister par des contradictions inop-
portunes, de ne le point obliger à gémir sous le poids de sa
charge. . . »
Cette lettre de M^ de Saint-Vallier, datée du 8 juin 1 720,
nous donne d'ailleurs une triste idée de la mission de
Détroit à cette époque :
« Nous apprenons, disait-il, que votre temple est dans un
état à faire compassion, aussi bien que le cimetière que vous
laissez entr'ouvert. exposé à toutes sortes d'indécence par
rapport aux bestiaux qui y entrent, et qui par ce seul fait
mérite d'être interdit. . . » Puis il leur recommandait d'avoir
beaucoup d'obéissance pour leur pasteur, « que vous avez
si grand intérêt de conserver et de ménager, ajoutait-il, ne
voyant ici personne dans le clergé séculier et régulier qui
puisse lui succéder »...
Nous avons parlé ailleurs des missions du Mississipi et
de la Louisiane inaugurées en 1698 par les prêtres du sémi-
naire de Québec, et des difficultés qu'il y eut plus tard entre
eux et les Jésuites, ou plutôt entre les Jésuites et M^ de
I. Corresp. générale, vol. 34, lettre du 19 juin 1713.
384 Jv^'ÉGUSK DU CANADA
Saint-Vallier, à propos de la mission du Bas-Mississipi, oii
d'Iberville avait installé les Pères de la Compagnie de Jésus.
Ceux-ci avaient dû quitter la mission, l'évêque de Québec
ne voulant pas leur accorder ce qu'ils demandaient, un dis-
trict séparé où ils fussent seuls. D'Iberville et ses frères
né pardonnèrent jamais à M^ de Saint-Vallier et aux Mis-
soins-Etrangères d'avoir été la cause, au moins indirecte,
du départ des Jésuites de la Louisiane. M. de Bienville,
surtout, rendit insupportable à M. de la Vente la position
qu'on lui avait donnée, celle de curé de Mobile, et l'accusa
« de faits considérables » auprès du comte de Pontchartrain,
menaçant même « de laisser la colonie si on ne l'en chas-
sait ». Le supérieur des Missions-Etrangères écrivit au
ministre :
« Nous ne pouvons défendre M. de la Vente, n'ayant
nulle instruction de sa part, ni nulle connaissance des chefs
d'accusation qu'on fait contre lui. Nous savons seulement
que c'est un homme d'un âge très mur, naturellement sage,
qui a bien fait partout ailleurs, que ses mœurs et ses inten-
tions sont très bonnes, et qu'il est très zélé pour les intérêts
de Dieu et pour le service du Roi. . . »
M. de la Vente n'avait pu faire pan^enir ses lettres et ses
explications à ses confrères. Il avait confié le paquet qui
contenait tout cela à quelqu'un qui s'en allait à la Marti-
nique; et l'on menaça le pauvre commissionnaire « de l'atta-
cher à un canon et de lui donner cent coups de corde », s'il
ne laissait le paquet à la Louisiane ^
Les prêtres des Missions-Etrangères continuèrent à des-
servir le Bas-Mississipi : l'un d'eux était curé à Biloxi, un
autre à Mobile.
Il arrivait souvent à M^"" de Saint-Vallier de mauvaises
nouvelles touchant l'irréligion qui régnait à la Louisiane.
I. Corresp. générale, vol. 27.
sous M^ DE SAINT-VALUER 385
La chose ne pouvait le surprendre. Qu'on lise l'édit de
création de la compagnie Crozat, à qui l'on confia en 1712 le
monopole du commerce et de la colonisation de la Loui-
siane ^ : pas un mot des missionnaires, pas un mot du bon
ordre à faire régner dans ce pays, ni du choix des colons.
L'esprit chrétien qui avait présidé à l'établissement de la
Nouvelle-France n'est plus celui qui anime les fondateurs
de la Louisiane. Ce pays est pourtant censé « dépendre
encore du gouvernement de la Nouvelle - France et lui
demeurer subordonné ». Mais que peut M. de Vaudreuil à
la Louisiane, lui qui n'a pas même osé faire quelque chose
pour les pauvres Abénaquis, ces amis fidèles de la France ?
M""" de Saint- Vallier, lui, fit toujours tout ce qu'il put pour
la Louisiane. Ne pouvant y aller lui-même, il supplia son
coadjuteur, M^"" de Momay, d'y aller à sa place. Ce prélat
ne pouvant se décider à traverser les mers, réussit cependant
à engager les religieux de son ordre, les Capucins, à passer
à la Nouvelle-Orléans, qui venait d'être fondée (171 7)
par ^L de Bienville. Les Jésuites y étaient déjà revenus, à
la demande de M''" de Saint- Vallier : et en 1721, le vénérable
Prélat crut devoir leur adresser une lettre pastorale « sur
les désordres de la Louisiane ». Cette lettre témoigne à la
fois de son zèle apostolique, et du triste état de cette mission
lointaine, où il arrivait sans cesse des Français de toutes
sortes qui venaient grossir le nombre des Canadiens qui y
étaient établis - :
« Les nouvelles qui nous arrivent de toutes parts, dit le
Prélat, du côté de France aussi bien que des pays d'en haut,
1. Ed. et Ord., t. I, p. 327.
2. Corresp. générale, vol. 2>7> Vaudreuil et Bégon au ministre, 14
oct. 1716. "La Louisiane, disait M. de Vaudreuil, n'est presque établie
que par des Canadiens. " — Dans son livre A travers les Registres,
p. 120, Tanguay donne la liste d'un certain nombre de ces Canadiens
établis à la Louisiane, d'après le recensement de 1724.
386 I,''ÉGUSE DU CANADA
du peu de religion et de pureté avec lequel les Français
nouveau-venus de France, de toute sorte de conditions,
vivent dans le vaste pays qu'ils sont venus habiter, le long
de ce grand fleuve, nous faisant craindre qu'il n'attire
les malédictions de Dieu lancées contre ceux qui ne veulent
pas vivre chrétiennement et selon leur état. . ., nous avons
résolu de nous opposer de toutes nos forces aux vices
publics et aux désordres qui seraient propres à nous attirer
ces malheurs. C'est pourquoi, pour y appliquer les remèdes
les plus efficaces, nous ordonnons à ceux qui sous notre
autorité conduisent les âmes, de leur déclarer que notre
intention est qu'on regarde comme des scandaleux publics
ceux qui par mépris des lois divines et humaines viennent
à commettre des impiétés scandaleuses par leurs paroles,
ou par leurs actions, par des concubinages publics des per-
sonnes qui, contre toutes les défenses qu'on peut leur faire,
veulent se fréquenter et même demeurer ensemble. Nous
ne désirons pas que ces sortes de personnes soient reçues
dans l'église et aux sacrements, qu'elles ne se soient soumises
à une pénitence publique, qui leur sera imposée par notre
grand vicaire, conformément au désir du saint concile de
Trente, qui veut qu'on impose aux pécheurs publics une
pénitence publique. «
Cette lettre pastorale fut envoyée aux Jésuites du Missis-
sipi en 1721. C'est l'année même que les Capucins arri-
vèrent à la Nouvelle-Orléans.
CHAPITRE XXV
L EGLISE DU CANADA, DE I72O A I725
Isolement de Mgr de Saint-Vallier. — Etat du Séminaire de Québec. —
Mgr de Saint-Vallier et les Canadiens. — Les Congés. — Le Don du
Roi. — Luttes de l'Evêque contre les désordres. — A l'Hôpital-
Général de Montréal. — Incendie de Montréal ; mandement de
l'Evêque. — A l'Hôpital-Général de Québec. — A l'Hôtel-Dieu. —
Aux Ursulines. — Années de misère au Canada. — Processions à
l'Hôpital-Général.
S'il arrivait à M^"" de Saint-Vallier de mauvaises nouvelles
de presque toutes les missions lointaines de son immense
diocèse, avait-il du moins quelques consolations dans son
diocèse proprement dit, dans son Eglise de Québec, où il
était revenu, malgré toutes les oppositions, pour y achever
saintement et vigoureusement, comme il l'avait commencée^
sa carrière épiscopale? Mais d'abord, quel isolement pénible
est le sien! On lui a donné un coadjuteur, un coadjuteur
même ami futurâ successione, pour lui ôter toute inquiétude
sur l'avenir, pour partager ses travaux et l'aider dans ses
vieux jours; on l'a choisi, suivant l'usage du temps, dans
une des grandes familles de France, celle des Duplessis-
Mornay ; et ce coadjuteur ne peut se décider à traverser les
mers pour aller au Canada. Le gouverneur et l'intendant
insistent pour qu'on l'envoie secourir son évêque ; ils écrivent
à la cour : « On attend ici avec un grand empressement M..
le coadjuteur, qui sera d'un grand soulagement à M.
388 Iv'ÉGUSE DU CANADA
l'Evêque \ » Le coadjuteur est inflexible ; il est rivé à la
France : et IVP'" de Saint- Vallier est réduit à s'occuper seul
de tous les détails d'administration de son grand diocèse. Il
n'a pas même de secrétaire avec lui : c'est un de ses deux
domestiques qui en fait les fonctions, quand il veut s'en
servir ". Lisez les quelques mandements qu'il a écrits depuis
son retour de France : la plupart ne sont pas même contre-
signés; et ceux qui le sont l'ont été par deux secrétaires
d'occasion ^, dont un seul, Armand, est ecclésiastique, l'autre
est Roland Tessier, son valet de confiance, à qui il lègue
trois cents francs dans son testament *.
En s'aliénant le Séminaire, qui ne faisait qu'un avec le
clergé, le vénéré Prélat a fait le vide autour de lui. Il a cru
bien faire en détachant le Chapitre du Séminaire, pour en
faire un corps absolument distinct, séparé : on sait ce qu'il
pense maintenant de ce Chapitre : « Ils ne sont jamais que
trois au plus au chœur, et presque toujours les mêmes,
ayant les trois plus de zèle que les autres. » Chacun s'occupe
de son intérêt, chacun tire de son côté.
M""" de Laval avait son Séminaire, sur lequel il pouvait
toujours compter et s'appuyer sîirement : « Le Prélat, écrit
M. de Maizerets, ne faisait rien de considérable que de con-
cert avec nous tous ^. » M^"" de Saint-Vallier a énormément
affaibli cette institution en lui retranchant la plus grande
partie de ses revenus ; elle végète, elle est endettée, elle se
soutient à peine, ayant passé par l'épreuve de deux incendies
presque successifs; elle n'a plus que trois directeurs et
quelques régents. Le gouverneur et l'intendant supplient la
cour de venir en aide à une institution qui a fait tant de bien
1. Corresp. gén. vol. 34, lettre du 20 sept. 1714.
2. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp. Général de Québec, p. 243.
3. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 491, 505.
4. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. II, p. 110.
5. Latour, Mémoires sur la vie de M. de Laval, p. 34.
sous M*^' DE SAINT-VALUER 389
et qui pourrait en faire encore ^ Le Prélat lui-même semble
regretter sincèrement de la voir dans un état si précaire :
écrivant à la cour pour lui donner un état du revenu des
principaux corps religieux de son diocèse, il nomme d'abord
le Chapitre qui « a douze mille livres de rentes, huit mille
dans le pays, et plus de quatre mille en France » ; et il le fait
suivre immédiatement du séminaire de Québec, « qui n'a,
dit-il, pour tout revenu que trois belles terres dans ce pays,
et environ quinze cents livres en petits bénéfices de France,
que je lui ai fait avoir ». Et il termine son mémoire par
cette phrase significative :
« Le ministre, avec cette connaissance exacte, pourrait
accommoder toutes choses, et par l'abondance des uns sou-
lager la disette des autres, sans qu'il en coiitât rien de
nouveau au Roi ^. »
Ah! c'est que le Prélat sait bien que c'est encore sur son
Séminaire qu'il peut le plus sûrement s'appuyer. Aussi,
c'est au Séminaire qu'il a pris tout récemment son grand
vicaire, le procureur de cette institution, M. de Varennes,
petit-fils de Pierre Boucher, l'ancien gouverneur des Trois-
Rivières. Il a tellement confiance en lui qu'il le choisit
également pour son exécuteur-testamentaire ^. Et quand il a
quelque construction à faire faire à l' Hôpital-Général ou
ailleurs, c'est Philippe Boucher, curé de Saint-Joseph de
Lévis, oncle de M. de Varennes et ami du Séminaire, qui est
son homme de confiance et qu'il fait venir pour surveiller
les travaux *.
Au séminaire, d'ailleurs, tous les anciens sont morts. M.
de Bernières (1700), M. de Maizerets (1721), M. Glan-
1. Corresp. générale, vols. 22, 31, 3Q.
2. Ibid., vol. 47, Mémoire de Mgr de Saint- Vallier, 1725.
3. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. II, p. iio. — M. de Varennes
étant mort vers le 30 mars 1726, Mgr de Saint-Vallier lui substitua
plus tard l'intendant Dupuy.
4. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp. Général, p. 237.
390 l'église du canada
delet (1725), tous ceux qui, sans le vouloir, lui portaient
ombrage: non pas qu'il n'eiit pour eux une sincère estime;
mais on comprend que ces vieux collaborateurs de l'ancien
évêque, pleins de son esprit et de ses idées, ne pouvaient lui
être tout-à-fait agréables. Ils ont fait place à de plus jeunes,
avec lesquels il lui est plus facile de s'entendre.
Malheureusement, dans cette maison, outre les embarras
financiers dont nous venons de parler, règne depuis assez
longtemps un certain malaise : les Canadiens, MM. de
Varennes, Boutteville, Hamel et autres, se plaignent que
« les prêtres venus de France montrent de la prévention
contre eux, en ne voulant admettre dans les charges aucun
des natifs du Canada » ^; et ils se décident à envoyer leurs
plaintes à Paris. C'est peut-être la nomination de M.
Thibout comme supérieur à la place de M. Glandelet qui a
été l'occasion prochaine de ces plaintes. Ces plaintes, du
reste, ne seront pas sans résultat : elles vaudront aux direc-
teurs du Séminaire la belle lettre suivante de leurs confrères
de Paris:
« Dieu nous garde, disaient les directeurs des Missions-
Etrangères, de penser comme eux (les Canadiens) ! Nous
connaissons trop votre vertu et votre charité pour vous
croire capables de vous prévenir ainsi; mais après tout,
vous conviendrez avec nous qu'il est très fâcheux que, tous
les ecclésiastiques du Canada ayant été formés dans votre
séminaire, depuis l'enfance jusqu'au sacerdoce, durant
l'espace de soixante ans, entre lesquels on ne peut nier qu'il
n'y ait des gens d'esprit et de talent, suffisamment instruits
et vertueux, il ne s'en soit point encore trouvé, dans un si
grand nombre, qui d'ailleurs sont estimés des gens du monde,
que vous ayez jugés dignes d'être unis à vous pour devenir
dès à présent vos confrères et un jour vos successeurs.
I. Histoire manuscrite du Séminaire.
sous M^ DE SAINT-VALUER 391
« Vous savez bien qu'il faut que tôt ou tard le clergé du
Canada se gouverne par lui-même, sans avoir besoin qu'on
envoie à perpétuité des prêtres français pour le gouverner.
Vous savez d'ailleurs que nos règlements portent expressé-
ment que dans tous les lieux de nos missions, dès que nous
aurons formé des prêtres du pays suffisamment pour qu'ils
puissent se passer de nous, nous nous retirerons de bon
cœur pour aller travailler ailleurs. Vous savez enfin que
vous n'êtes, pour ainsi dire, que par accident le séminaire
épiscopal des évêques de Québec, qui, quand il leur plaira,
donneront à d'autres communautés le soin de former leurs
clercs jusqu'au sacerdoce ; et alors vous demeurerez uni-
quement séminaire des Missions-Etrangères pour les sau-
vages. Il parait donc que vous devriez tendre à mettre le
plus tôt que vous pourrez entre les mains des ecclésiastiques
du Canada le soin d'élever le clergé composé de leurs com-
patriotes \ »
Il devait s'écouler encore quelques années avant que MM.
Plante et Hamel, deux prêtres canadiens, fussent choisis
comme directeurs du Séminaire. Mais le Séminaire n'eut
pas de Supérieur canadien avant la Conquête. Le premier
supérieur canadien fut M. Hubert (1774), qui devint
ensuite évêque de Québec ".
Qui le croirait ? M^ de Saint- Vallier lui-même ne put
jamais se défaire de certains préjugés contre les prêtres
canadiens : cela perce dans plusieurs de ses lettres à la cour :
« L'expérience presque journalière que nous avons ici de
l'inquiétude de l'esprit des Canadiens, qui se porte à exa-
1. Lettre de 1723, citée ('ans l'Histoire manuscrite du Séminaire.
2. Il fut supérieur du Séminaire de 1774 à 1779, puis curé de la
Sainte-Famille de 1779 à 1781. Son successeur à la Sainte-Famille qui,
avec beaucoup de raison, avait plus de respect que lui pour les arbres
du domaine curial, écrivait dans les registres : " C'est dommage qu'il
ait fait coaper un superbe Poirier pour mettre droit le chemin des
Sœurs pour aller à l'église." (Archives de la Sainte-Famille, île
d'Orléans.)
392 l'église du canada
miner ce qui ne les regarde pas, et à faire part souvent en
France de leurs fausses lumières sur des desseins dont ils
ne connaissent pas le fruit ni l'avantage. . . » Et ailleurs :
« M. Bégon connaît aussi bien que moi la disposition de
leurs esprits, peu portés à se soumettre et à reconnaître leurs
supérieurs temporels, de même que les spirituels \ . . »• L'idée
de la supériorité française sur ces pauvres coloniaux était
si naturelle à un Français !
Du reste, M^ de Saint-Vallier professait le même intérêt
et le même dévouement à tous ses diocésains, sans acception
de personnes. Le gouverneur et l'intendant jouissaient du
privilège de vendre chaque année un certain nombre de
« Congés » ou « permissions d'aller dans les pays d'en haut »,
pour faire la traite du castor avec les sauvages; et le pro-
duit de ces congés était employé à secourir les familles
pauvres du pays. On avait aboli ces congés, en 1696, sous
prétexte d'abus, et détruit par là-même une source de
revenu pour secourir les pauvres. Notre Prélat, qui fut
toujours si dévoué aux déshérités de la fortune, suppliait
la cour de rétablir les congés :
«S'ils ont été révoqués, disait-il, sous prétexte qu'il étaient
mal distribués, ou bien pour empêcher qu'il ne monte trop de
monde dans les pays d'en haut, je puis assurer de la fausseté
du premier prétexte, les familles auxquelles ils ont été dis-
tribués en ayant véritablement besoin, et M. de \'audreuil
consentant de ne distribuer ceux qui seront accordés à
l'avenir que de concert avec l'évêque et l'intendant. A
l'égard du second prétexte, l'expérience du passé fait assez
connaître que lorsqu'on n'accorde pas aux Canadiens la per-
mission de monter dans les pays d'en haut par congé, ils y
vont en plus grande foule sans congé ^. . . »
1. Corresp. générale, vol. 48, lettre du 10 sept. 1726.
2. Ibid., vol. 43, Lettre du 22 mars 1721.
sous M*^ DE SAINT-VALUER 393
Les congés furent rétablis, de même que cette belle insti-
titution appelée le Doi du Roi, par laquelle le roi de France
accordait chaque année trois mille livres à distribuer en
soixante parts de cinquante livres chacune, pour faire autant
de dots à soixante jeunes filles canadiennes, et favoriser
ainsi leur mariage. C'est l'intendant qui faisait cette dis-
tribution et qui envoyait chaque année à la cour la liste de
soixante mariages qui avaient été plus ou moins facilités par
le Don du Roi. Plusieurs de ces listes ont été conservées :
combien de familles canadiennes, en les parcourant, y trou-
veraient sans doute les noms de leurs ancêtres !
On ne saurait croire combien M^ de Saint-Vallier s'inté-
ressait à tous les détails de la vie de famille de nos anciens
Canadiens. Il avait remarqué, dans ses visites pastorales,
que presque partout, et dans les villes particulièrement, le
nombre des filles dépassait de beaucoup celui des garçons.
Vaudreuil en donnait la raison :
« Le nombre des garçons, disait-il, n'est pas proportionné
à celui des filles, parce que la pêche de la morue et la navi-
gation font sortir un grand nombre de jeunes gens, qui
passent aux îles de l'Amérique et en France, où souvent ils
s'établissent. Les voyages chez les nations sauvages donnent
occasion à plusieurs de rester à Ouabache, aux Tamarois,
et à la Louisiane, qui n'est presque établie que par des
Canadiens. »
M^'"" de Saint-Vallier signala le fait à la cour :
« Il y a, dit-il, deux ou trois mille filles plus que de gar-
çons dans la colonie. Il est par conséquent impossible de les
marier, qu'en leur envoyant de grandes recrues. Les prin-
cipales et les plus nobles familles sont remplies de filles qui
ne peuvent trouver à se marier, parce que la plupart des
officiers le sont, et qu'il n'y a personne de convenable à leur
donner. 11 y a à Montréal seul deux à trois cents filles assez
394 I^'ÉGLISE DU CANADA
distinguées, qu'on ne peut marier, manque de sujets ^. . . »■
Tout cela, de la part du gouverneur et de l'évêque, était
bien conforme à l'esprit de la cour, qui non seulement encou-
rageait le mariage au Canada, mais engageait les jeunes
gens à se marier de bonne heure, comme on peut le voir par
Tarrêt du Conseil d'Etat de 1668, « portant défenses aux
pères et mères de s'opposer au mariage de leurs enfants,
savoir les garçons à vingt ans, et les filles à seize ans » ^.
Rien de plus conforme d'ailleurs à la morale et à l'esprit
chrétien. Les mœurs de notre pays se ressentent encore des
bons principes qui furent inculqués à nos ancêtres par
l'autorité civile concurremment avec l'autorité religieuse.
* *
Autant M^ de Saint- Vallier s'intéressait au bonheur des
familles de son diocèse, favorisant d'honnêtes mariages,
tâchant de procurer aux jeunes filles qui désiraient se marier
un établissement convenable, autant il réprouvait les unions
scandaleuses qui détruisent l'esprit de famille et sont
le fléau d'une société chrétienne. Nous l'avons vu déjà, en
1694, lancer l'excommunication contre un officier résidant à
Champlain, et vivant en concubinage avec une femme de
Batiscan. En 1719, on lui signale un scandale public à
Montréal : un M. d'Ailleboust des Musseaux garde chez lui
« une fille d'Agnier », et passe pour vivre avec elle en con-
cubinage. Il écrit aussitôt à M. de la Goudalie ^, son grand
vicaire, et aux prêtres des trois communautés de la ville, Sul-
piciens, Jésuites et Récollets, pour leur «défendre de les
1. Doc. de Paris, Eglise du Canada, lettre du ler fév. 1718.
2. Corresp. générale, vol. 33.
3. Celui qui fut curé du Bassin des Mines, en Acadie, et dont il a été
question au chapitre précédent.
sous M*"" DE SAINT-VAl,UER 395
confesser et de les absoudre » : il leur défend également de
confesser et d'absoudre M""^ des Musseaux et le père de la
fille, « s'ils ne s'efforcent de faire renvoyer la dite ser-
vante » '.
Quelques années plus tard, il apprend que deux officiers
de Montréal vivent « en adultère public », l'un, Charles
d'Auteuil de Monceaux, avec Thérèse Catin, épouse de
Simon Réaume, marchand de Montréal, mais actuellement
« en voyage dans les pays d'en haut », l'autre, Pierre
d'Auteuil de la Mulotière, avec Marie-Madeleine Soulange,
épouse de Urbain Bellorget, « qui s'est retiré aux Iles par
mécontentement », probablement à cause de la mauvaise vie
de sa femme. Ces deux frères d'Auteuil sont les fils du pro-
cureur général du Roi au Conseil Supérieur, François-
Magdeleine d'Auteuil. Mais on sait que M^"" de Saint-
Vallier, dans ses réprimandes contre le vice, agit toujours
sans acception de personnes. Il écrit à la cour pour
dénoncer les coupables et mettre le gouverneur et l'inten-
dant à même de remplir leur devoir. De son côté, le pro-
cureur général fait des mémoires. . . Mais le ministre écrit
aussitôt au gouverneur et à l'intendant de faire cesser les
scandales dont se plaint l'évêque ; et dès l'année suivante
M. Bégon lui répond :
« Suivant l'ordre que vous nous avez donné l'année der-
nière, de faire passer la femme du nommé Bellorget à la
Martinique, où est son mari, M. de Vaudreuil l'a fait em-
barquer le 3 septembre dernier sur un bâtiment qui partait
d'ici pour y retourner. . . »
Quant à la dame Catin, son mari étant venu à mourir,
elle épousa quelques années plus tard le sieur de la Mulo-
tière.
Nous venons de dire que M^ de Saint-Vallier agissait
I. Archiv. de l'év. de Québec, Registre C, lettre du 26 mai 1719.
39^ l'église du canada
toujours sans acception de personnes. En voici un autre
exemple : il a appris que le sieur Denis de Bonaventure, lieu-
tenant de Roi en Acadie, entretient « un commerce scanda-
leux » avec une dame Damours de Preneuse, de Québec, qui
va le rencontrer à Port-Royal, sous prétexte sans doute de
rendre visite à ses parents. Il en informe la cour, et ordre
est aussitôt donné au gouverneur, M. de Subercase, de faire
repasser cette femme au Canada. Le gouverneur négligeant
de le faire, M^'^ de Saint-Vallier insiste auprès du ministre à
Paris pour qu'on soit écouté :
«Il conviendrait, dit-il, de faire servir le sieur de Bona-
venture ailleurs, si la dame de Preneuse reste en ce pays. »
Et le ministre, de répondre aussitôt en conformité de la
demande du Prélat :
« Qu'on envoie, dit-il, un ordre positif à M. de Subercase
de faire embarquer cette femme sur la flûte La Loire qui
porte des secours à l' Acadie, en cas qu'elle ne soit pas passée
en Canada, à l'arrivée de ce bâtiment \ »
Heureux temps, celui où la justice se rendait encore d'une
manière aussi expéditive, dans les cas où la morale était
ouvertement et scandaleusement outragée! Heureux temps
où l'autorité ci\ile se montrait si bien disposée à appuyer
l'autorité religieuse dans ses revendications légitimes pour
le bon ordre de la société chrétienne ! La licence effrontée
n'a pas de droits; elle est jugée et condamnée d'avance par
elle-même.
Cela veut-il dire que tout était parfait à cette époque dans
les rapports de l'Eglise et de l'Etat? Nous avons donné des
exemples du contraire; nous avons vu qu'en maintes occa-
sions, par exemple, M^'' de Saint - Vallier avait eu à se
plaindre de M. de Vaudreuil, surtout pour ses entrées dans
les couvents : et justement à l'époque qui nous occupe, il
I. Corresp. générale, vol. 29.
sous M^"" DE SAINT-VALUER 397
écrivait à la cour pour faire une nouvelle plainte à son
égard. Un incendie ayant éclaté à Montréal, et détruit une
grande partie de cette ville, y compris l'Hôtel-Dieu, le gou-
verneur, qui se trouvait là en cette occasion, prit sur lui,
sans en parler à l'Evêque, de faire transporter les religieuses
à l'Hôpital-Général, « et d'en chasser entièrement les bons
frères Hospitaliers, leur ôtant le moyen de pouvoir con-
tinuer leur œuvre ».
« Cela a été si loin, écrit le Prélat, qu'on a voulu détruire
cette œuvre : ce qui m'a obligé de monter en diligence à
Montréal avec M. Bégon. Notre présence fit trouver un
expédient plus doux, qui a été de donner les trois quarts du
bâtiment des Frères aux religieuses pour soigner les pauvres,
en faisant de bonnes séparations des religieuses d'avec les
Frères, auxquels ils ont trouvé un petit coin pour les loger
ainsi que les pauvres invalides.
« On devait faire aux Frères une petite cuisine pour leur
donner moyen de donner leur grande, avec toutes leurs
salles, aux religieuses. Mais dès que nous avons été partis
de Montréal, M. Bégon et moi, on a sorti les Frères de
plusieurs lieux qu'on devait leur laisser \ . .
« Si on m'avait laissé conduire, ajoute-t-il avec un peu
d'amertume, tout aurait été plus doucement; mais elles (les
religieuses) ont cru devoir plutôt s'appuyer sur le gouver-
neur que sur leur évêque.
« Je supplie le Conseil de faire comprendre à M. de Vau-
dreuil que si c'est à lui, en qualité de gouverneur général,
de gouverner tempo rellement, il doit laisser à l'évêque le
soin de gouverner les couvents et les communautés reli-
gieuses et ecclésiastiques spirituellement. . . »
I. Cela ne rappelle-t-il pas, vraiment, la chanson:
" Bonhomme, bonhomme,
Tu n'es pas maître dans ta maison,
Quand nous y sommes " ?
39^ l'église du canada
Puis il ajoutait : « M. et M""* de Vaudreuil m'ont parlé
plusieurs fois du dessein qu'ils ont de faire tomber la maison
de l'Hôpital-Général de Montréal faite par feu M. Charon,
et fondée par plusieurs personnes qui ont donné des rentes :
je suis du nombre. N'ayant pu les dissuader d'en écrire au
Conseil, je crois devoir prendre les devants pour précau-
tionner le Conseil contre les mauvais services qu'on veut
rendre à l'Hôpital. Cet hôpital mérite d'être conservé, par
le bien qu'il fait au diocèse, et par la bonne foi qu'il faut
garder au fondateur, qui a sacrifié tout son bien pour cet
établissement ^. . . »■
L'Hôpital-Général de Montréal fut maintenu; mais la
direction, un peu plus tard, en fut confiée à la vénérable
Mère d'Youville, fondatrice de la belle communauté des
Sœurs Grises.
Nous venons de mentionner l'incendie de Montréal de
1721 : voici en quels termes M. de Ramesay, commandant
de la ville, en rendait compte à la cour :
« Le feu prit le 19 juin ^ à l'Hôtel-Dieu de cette ville, et
à cause de la hauteur de l'église et du clocher, se commu-
niqua aux maisons voisines, ce qui causa un grand incendie.
Il y a eu cent trente-huit maisons de brûlées, sans corn-
prendre les magasins et autres bâtiments. Si je n'avais fait
couper le feu, en faisant abattre avec des crochets le comble
d'une maison, ce qui permit de l'éteindre, nous aurions
couru le risque d'être tous enveloppés dans ce malheur, qui
cause la perte de plus de deux millions aux marchands et
bourgeois de cette ville. . . »
1. Corresp. générale, vol. 43, lettre du 23 déc. 1721.
2. C'était le jour de l'octave de la Fête-Dieu, et l'on faisait la pro-
cession solennelle du saint Sacrement, qu'on n'avait pu faire le jour de
la fête. C'était alors l'usage de faire des décharges de mousqueterie,
aux reposoirs. A celui de l'Hôtel-Dieu, un soldat déchargea, par
mégarde, son fusil dans l'église : le feu prit à la voûte, puis au clocher,
et se répandit ensuite par la force du vent. (Paillon, Vie de la Sœur
Bourgeois, t. II, p. 274.)
sous M*^ DE SAINT-VALUËR 399'
D'après une lettre de M. de Vaudreuil, l'incendie « avait
rendu désert tout le quartier de la Place d'Armes, où le
marché se tenait »...
Comme il arrive presque toujours en pareille occasion,
au fléau de l'incendie était venu se joindre le fléau non
moins désastreux des voleurs. Le Prélat justement irrité
lança les foudres de l'excommunication contre ceux qui
s'étaient rendus coupables de pillage :
«Le fait d'un pareil pillage, disait-il, est si odieux à
Jésus-Christ et à l'Eglise, son épouse, qu'elle frappe les
coupables d'anathème et d'excommunication majeure en-
courue par le seul fait, que nous étendons sur ceux qui en
ont connaissance et qui ne voudront point les découvrir.
Pour ne vous rien laisser ignorer de l'indignation du Tout-
Puissant et de ceux qui représentent sa place sur la terre,
nous disons ici que, le nom de Dieu invoqué, nous déclarons
ceux et celles qui ont été assez cruels pour augmenter la
perte de ceux qui avaient déjà perdu dans l'incendie, par le
pillage de leurs effets sauvés, frappés d'anathème et d'ex-
communication majeure, s'ils ne rendent incessamment ce
qu'ils ont pris ou retenu de ce qui leur avait été confié de la
dépouille des biens des incendiés, sous quelque prétexte que
ce puisse être ; en sorte que s'ils ne rendent promptement ce
qu'ils ont entre les mains des dits incendiés, ils ne pourront
être absous que par nous seul, même dans le temps de
Pâques, anathème et excommunication que nous étendons
sur ceux et celles qui, connaissant les coupables, ne voudront
pas les dénoncer.
« Nous nous portons d'autant plus volontiers à cette
sévérité que nous suivons en cela l'exemple des plus saints
papes, qui déclarent par leurs constitutions que ceux qui ont
la témérité de prendre ou de retenir quelque chose des
incendiés ou des effets naufragés encourent par le seul fait
l'excommunication majeure réservée au saint-siège. »
400 I, EGUSE DU CANADA
Cette lettre, datée du 26 juin 1721, était adressée «à tous
les prêtres du diocèse qui pourraient confesser les habitants
de Montréal et lieux circonvoisins, ainsi qu'aux fidèles de la
ville ». Le Prélat en adressa une autre le même jour à tous
ses diocésains pour les engager à venir le plus promptement
possible au secours des incendiés de Montréal, et spécia-
lement aux religieuses Hospitalières qui avaient vu en un
quart de siècle leur maison détruite deux fois. Il donna
lui-même l'exemple de la charité en faisant à ces bonnes
religieuses une aumône de cinq mille livres.
Il demeura trois mois à Montréal; et en quittant cette
ville, il voulut y laisser un souvenir de sa visite, l'établis-
sement à Notre-Dame de la confrérie du Sacré-Cœur de
Marie, « pour réveiller, disait-il, l'esprit de foi qui s'affaiblit
et s'éteint presque entièrement dans le cœur de ceux dont la
conduite nous a été confiée » \ . . Rendu à Québec, il prépara
les lettres d'érection de cette confrérie, et les adressa aux
Sulpiciens le i^"" janvier 1722 pour leurs étrennes.
Il ne manqua pas de raconter aux religieuses de son
Hôpital-Général les détails de l'incendie de la ville et de
l'Hôtel-Dieu de Montréal. Ah, comme elles le félicitèrent
de l'heureuse idée qu'il avait eue quelques années aupara-
vant d'établir l'usage de faire une procession chaque
dimanche en l'honneur de la sainte Vierge pour obtenir que
leur maison fût préservée de semblables accidents. « Cette
procession, dit l'annaliste, se faisait par les pauvres : un
vieillard portait le crucifix, et l'Evêque lui-même portait la
statue de la Mère de Dieu. Les religieuses ne firent d'abord
qu'y assister; mais après la mort de leur fondateur, elles se
firent un devoir de continuer une pratique de dévotion qui
lui avait été chère, et le privilège de porter l'image de la
sainte Vierge fut accordée à l'offîcière de semaine. On a
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 503.
sous M^"" DE SAINT-VALLIER 4OI
toujours attribué dans la maison à cette pieuse pratique la
singulière protection qui a écarté de nous jusqu'à présent
les désastres d'un incendie. »
Du reste, l'Hôpital-Général, comme toutes les autres
communautés de la ville, éprouvait à cette époque une gène
considérable. Nous avons déjà parlé de celle du Séminaire.
Voici ce qu'écrit l'annaliste de l'Hôpital-Général :
« Il y eut en France une grande crise financière en 1720:
les rentes sur l'Hôtel-de-Ville subirent une baisse considé-
rable. Au lieu de quatre mille livres que Sa Grandeur per-
cevait chaque année pour être appliquées à notre établis-
sement, elle n'en touche plus que quinze cents. Ce fut une
peine pour le généreux Prélat; mais il lui fallait peu de
temps pour se résigner aux divers événements de la vie.
« Mes chères filles, dit-il alors aux religieuses, plus vous
« serez dénuées des biens de ce monde, plus vous aurez droit
« de puiser dans les trésors de la divine Providence.» Cepen-
dant, il n'était plus en état de créer de nouvelles rentes ; pour
la première fois donc il sollicita de la cour de France une
gratification en faveur de la maison qu'il avait fondée à si
grands frais, et qu'il soutenait seul depuis vingt-huit ans.
On eut égard à sa demande, et la somme de deux mille
livres fut accordée, moitié pour les pauvres, moitié pour les
religieuses. »
L'Hôtel-Dieu se ressentait lui aussi de la misère des
temps. La Sœur Duplessis, après avoir parlé des doctrines
jansénistes et gallicanes qui affligeaient la France, y compris
certaines communautés religieuses. « Il n'y a, dit-elle, que
cette misère, je veux dire l'erreur, qui n'afflige pas le
Canada \ Nous participons à toutes les autres dont la
France est accablée. La pauvreté se fait sentir ici comme
I. Notons bien ce témoignage de la Sœur Duplessis: pas de jansé-
nisme ni de gallicanisme au Canada.
402 l'éguse du canada
ailleurs, et on y a moins de ressource. Notre communauté,
comme toutes celles de France, perd le revenu qu'elle avait
sur l'Hôtel-de-Ville, et on nous rembourse nos fonds par
grâce sp>éciale que la cour fait aux maisons religieuses de
la Nouvelle-France : ce n'empêche pas que nous ne nous
trouvions à plaindre, s'il faut avoir en Canada notre peu de
bien, car il est fort doux d'avoir quelque chose en France,
et de pouvoir tirer tous les ans pour une certaine somme les
petits besoins de la maison. »
Malgré la gène où elles se trouvaient, les religieuses de
l'Hôtel-Dieu avaient dû faire construire de nouvelles salles
pour les malades, « celles qu'il y avait étant mal situées et en
mauvais état ». M^"" de Saint- Vallier leur donna pour cela
quatre mille livres, et la cour en fît autant.
Pour ne pas occuper dans les ap>partements de l'Hôtel-
Dieu le moindre espace qui pouvait servir pour les pauvres
malades, et en même temps pour être plus chez eux, les curés
du diocèse avaient fait construire « à frais communs » une
« petite maison » attenante à l'Hôtel-Dieu, pour y aller
quand ils seraient malades. M^ de Saint-Vallier adressa, à
cette occasion, une lettre très touchante aux religieuses « sur
la manière dont elles doivent soigner les ecclésiastiques :
« Elles ne doivent jamais être seules, dit-il, une religieuse
doit toujours avoir une compagne; et il faut qu'il y ait un
valet pour le soin des prêtres \ »
Aux Ursulines, on n'était pas moins à la gène qu'à
l'Hôtel-Dieu. Mais le gouverneur et l'intendant eurent beau
écrire à la cour, ils n'obtinrent rien. Les religieuses n'eurent
pas même d'indemnité pour les beaux arbres qu'on leur
avait coupés, pour les terrains et les jardins qu'on leur avait
gâtés par les travaux qu'on avait faits pour les fortifi-
cations. Il y avait sur ces fortifications une terrasse, espèce
I. Archiv. de l'év. de Québec, Registre C
sous M*^ DE SAINT-VALUER 40^
de chemin, d'où le public pouvait voir tout ce qui se passait
dans la cour et à l'intérieur du monastère \ Pour tous ces
inconvénients, aucune indemnité.
Eh bien, malgré la gène pécuniaire où elles se trouvaient,
les Ursulines réussirent à agrandir leur monastère, et à
construire une jolie chapelle, celle-là même qui existe encore
aujourd'hui. M^ de Saint-Vallier en fit la bénédiction k
15 août 1722. Elle ne fut cependant terminée complètement
qu'en 1736: on avait mis vingt-cinq ans à la bâtir, tant les
ressources faisaient défaut à cette époque! Les principaux
personnages de la colonie aidèrent à sa construction par
leurs dons généreux.
Tout le pays, en général, passait à cette époque par une
série d'épreuves de toutes sortes. En 171 6, c'était la séche-
resse, et de grands feux dans les bois. M. de Vaudreuil
écrivait en France : « La sécheresse a été si grande pendant
tout l'été que les feux ont couru de tous côtés dans les bois.
Les pinières où l'on fait le goudron à la Baie Saint-Paul
n'en ont pas été exemptes, et les bois qui avaient été disposés
pour en faire cette année deux cents barils ont été entiè-
rement consumés. Il n'y a point d'exemple en ce pays d'un
incendie aussi général, les racines des arbres ayant été
brûlées jusqu'à deux pieds dans la terre. . . »
La disette devait nécessairement suivre la sécheresse et
les incendies : « Nous sommes aujourd'hui réduits à cette
disette dont nous étions menacés, écrit M. de Vaudreuil en
171 7. Le boulanger n'a plus de blé ni de farine pour four-
nir le public, qui nous apporte chaque jour ses plaintes. Il y
a des Côtes où les habitants n'ont pas recueilli trois minots
de blé. Ces habitants n'ayant pas de quoi faire du pain
pendant l'hiver, seront encore moins en état de semer le
printemps. . . »
I. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 109.
404 L EGUSE DU CANADA
En effet, les années qui suivent ne sont guère favorables
aux cultivateurs ; et pour augmenter leur gène, il règne dans
le pays une « protection » à outrance :
« Nous avons fait enregistrer au Conseil Supérieur,
écrivent MM. de Vaudreuil et Bégon, l'arrêt du Conseil
d'Etat du Roi, qui ajoute à la disposition de celui du 4 juin
1719 la défense de porter et de s'habiller dedans ou dehors
les maisons des étoffes et marchandises de fabrique étran-
gère, et aux tailleurs et couturières d'avoir les dites étoffes
et marchandises chez eux en pièces, ni d'en faire des habits
et vêtements. Nous tiendrons la main à l'exécution de ces
arrêts ^. »
La période des mauvaises années fut très longue : com-
mencée en 1716, elle durait encore en 1722. Ecoutons
l'annaliste de l'Hôpital-Général : « Il y eut, dit-elle, en 1720,
une si grande quantité de chenilles, que nous perdîmes toute
espérance pour la récolte. Nous avions près de notre mai-
son deux pièces de blé, les insectes y fourmillaient tellement
que nous avions peine à voir les épis. Monseigneur nous
permit de faire une procession autour de nos champs, eh
chantant les litanies des saints; il voulut y prendre part, et
il fit partout l'aspersion avec l'eau bénite. Le lendemain,
les chenilles furent trouvées en monceaux dans les fossés.
On s'empressa d'en informer Sa Grandeur; elle répondit
que cette délivrance était due à l'invocation des saints et à
la vertu de l'eau bénite ; mais s'apercevant qu'on l'attribuait
à ses prières, elle en parut si confuse qu'on n'insista pas
davantage.
«L'année 1722, continue l'annaliste, fut remarquable
par une si grande sécheresse, que l'on craignit la famine.
Les campagnes étaient désolées; depuis trois mois que les
semences étaient faites, il n'était pas tombé une goutte de
I. Corresp. générale, vol. 49.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 405
pluie. L'herbe était desséchée jusqu'à la racine, et les
animaux mouraient de faim. Monseigneur, voyant la cons-
ternation générale, ordonna des prières publiques. Le peuple,
rempli de confiance en la Mère de Dieu, demanda à venir en
procession à Notre-Dame-des-Anges. Au jour assigné, le
clergé sortit de la cathédrale, portant les châsses où repo-
saient les reliques du grand Apôtre saint Paul et celles des
bienheureux martyrs saint Flavien et sainte Félicité. M^
de Saint-V^allier assista à cette procession; il y fit chanter
les litanies des saints et le Miserere. Dès que le cortège
arriva à notre église, les saintes reliques furent déposées
dans le sanctuaire sur des crédences que nous avions pré-
parées à cet effet, et que nous avions ornées de notre mieux.
La grand'messe fut chantée fort solennellement; Sa Gran-
deur donna ensuite la bénédiction du très saint Sacrement,
et les prêtres se rechargèrent de leur précieux fardeau pour
retourner à Québec. A peine furent-ils en chemin que la
pluie commença à tomber; elle continua pendant trois jours
avec tant d'abondance que la terre en fut tout abreuvée.
Cette miséricorde de la Reine des Anges augmenta la con-
fiance en sa puissante protection, et l'on vit plusieurs fois
les habitants de Charlesbourg, de Beauport, de Lorette et
de Sainte-Foy venir en procession avec leurs curés res-
pectifs, pour obtenir un temps favorable aux biens de la
terre. »
CHAPITRE XXVI
Iv'ÉGUSE DU CANADA, DE 1/20 À I725 (suite)
La question du commerce des boissons enivrantes. — Une nouvelle
ordonnance de l'intendant Bégon, combattue par Mgr de Saint-
Vallier. — Bonnes ordonnances de M. Bégon. — Le Lit de justice
de Louis XV. — Mort de Vaudreuil. — Naufrage du Chameau. —
Le nouveau gouverneur, M. de Beauharnais. — L'intendant Dupuy.
— M. Lyon de Saint-Ferréol, supérieur du Séminaire. — M. Robert,
visiteur de Saint-Sulpice.
LA question du commerce des boissons enivrantes, ou
plutôt le règlement de cette question a de tout temps
préoccupé les moralistes, les hommes publics, le clergé.
Comment concilier, dans ce commerce, les droits de la mo-
rale avec ceux d'une légitime liberté, avec les exigences de la
vie, les calculs honnêtes de l'intérêt? Le problème a tou-
jours paru hérissé de difficultés. Une chose, cependant, est
admise par tout le monde : ce commerce ne peut être toléré
qu'à certaines conditions et avec beaucoup de restrictions.
Au Canada, les représentants les plus sages de l'autorité
civile, Champlain, Montmagny, d'Ailleboust, Denonville,
Callières, Vaudreuil, ont toujours pensé, avec l'autorité reli-
gieuse, que, par rapport aux boissons enivrantes, il devait y
avoir une législation spéciale pour les sauvages : étant donné
leur caractère, leur passion innée pour l'eau-de-vie, les con-
séquences funestes de leur ivresse, on ne pouvait leur appli-
quer que la prohibition complète.
M. de Vaudreuil écrivait à la cour en 1 723 ; « Le sieur
l'église du canada sous M'^ de SAINT-VALLIER 407
Bégon continue de tenir la main à l'exécution de son ordon-
nance du 3 juillet 1720, qui fixe le nombre des cabarets â
Montréal, et de celle du 26 mai 1721, qui défend à toutes
personnes de vendre aux sauvages de l'eau-de-vie ou des
boissons enivrantes dans l'étendue de la colonie. »
Ainsi, pour les Canadiens, restriction des permis de vente
à un nombre plus ou moins grand de marchands ; pour les
Sauvages défense absolue de leur vendre des boissons
enivrantes, dans la colonie : tel était l'ordre établi à cette
époque pour le commerce des boissons.
Remarquons toutefois ces mots de la dépêche de Vau-
dreuil : « dans l'étendue de la colonie ». Par une fâcheuse
inconséquence, dans les postes éloignés, en dehors de la
colonie, la porte restait ouverte à la traite de l'eau-de-vie
avec les Sauvages. Ainsi, à l'époque qui nous occupe, de
1720 à 1725, la France faisait reconstruire à grands frais le
fort de Niagara, bâti autrefois par Denonville, et y laissait
libre le commerce des boissons, sous prétexte d'attirer les
Sauvages pour la traite des pelleteries. La Nouvelle-Angle-
terre, de son côté, avec le concours des quatre premiers
cantons iroquois, construisait le fort d'Oswégo pour détour-
ner le commerce à son profit ; et la France, bien résolue de
faire son possible pour conserver ses droits sur les pays
qu'elle avait découverts, élevait en même temps un autre
fort, celui de Saint-Frédéric, sur le lac Champlain: dans
tous ces forts, liberté absolue de la traite de l'eau-de-vie ^.
Saint-Frédéric, Oswégo, Niagara : trois points noirs, pré-
curseurs fatals de la tempête de 1759!
En 1725, l'intendant Bégon rendait une nouvelle ordon-
nance, au sujet de laquelle il écrivait au ministre le 31
octobre, peu de temps après la mort de M. de Vaudreuil :
« J'ai trouvé, disait-il, joint au mémoire du Roi du 22
I. Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 112.
4o8 l'église du canada
mai, de l'année dernière, servant d'instructions à M. Robert^,
un arrêt du Conseil d'Etat du même jour, qui commet l'in-
tendant pour réduire le nombre des cabarets dans les Côtes,
et accorder autant de permissions qu'il jugera à propos.
«Je l'ai fait enregistrer au Conseil Supérieur le 13 no-
vembre de l'année dernière, et dans les juridictions ordi-
naires de cette ville, des Trois-Rivières et de Montréal.
« J'ai rendu, ajoutait-il, le 18 janvier dernier, en confor-
mité, l'ordonnance dont copie est jointe, et j'en aï envoyé
copie dans toutes les Côtes, pour y être lue, publiée et affi-
chée par les capitaines de milice, qui m'en ont envoyé leur
rapport. »
L'intendant donnait ensuite à la cour les raisons des
différentes clauses de son ordonnance :
« M. l'Evêque, disait-il, et plusieurs curés, avec qui j'en
ai conféré, ont été d'avis comme moi, qu'il convenait qu'il
y eût deux cabarets dans chaque paroisse pour la commodité
des habitants et des voyageurs, parce que, s'il n'y en avait
qu'un, il pourrait s'en prévaloir pour vendre plus cher, et
fournir des boissons de mauvaise qualité.
I. M. Robert, au printemps de 1724, avait été nommé intendant du
Canada pour remplacer M. Bégon, et s'embarqua en juillet avec sa
femme et son fils sur la flûte royale le Chameau pour venir prendre
possession de son poste. Il mourut sur ce navire, le 24 juillet 1724, le
jour même où il sortait de la rade de La Rochelle. Mme Robert et son
fils furent obligés de continuer leur voyage jusqu'à Québec, oîi ils
arrivèrent le g octobre, et s'en retournèrent aussitôt en France par le
même vaisseau, après avoir assisté à un service solennel que le Conseil
Supérieur fit célébrer à la cathédrale pour l'infortuné intendant.
(Jugements du Conseil Supérieur, 14 oct. 1725.) Les instructions que le
Roi avait données à l'intendant Robert restèrent tout naturellement,
avec les documents qui les accompagnaient, entre les mains de M.
Bégon, qui continua à exercer les fonctions d'intendant. Chazel fut
choisi le 16 janvier 1725 pour remplacer l'intendant Robert; il s'ernbar-
qua au printemps sur le même vaisseau, le Chameau, pour venir au
Canada : et l'on sait par quelle triste infortune ce vaisseau fit naufrage
le 25 aoiit près de Louisbourg: il ne se sauva personne. Robert,
Chazel : deux de nos intendants qui moururent successivement l'un et
l'autre avant même d'entrer dans leur carrière! M. Bégon resta en
fonctions comme intendant jusqu'à l'arrivée de M. Dupuy en 1726.
sous M^ DE SAINT-VALUER 409
«J'ai écrit en conséquence aux curés des Côtes de cette
colonie pour les informer que les capitaines de milices, â
qui j'adressais cette ordonnance, avaient ordre de la leur
communiquer, et les prier de me proposer deux de leurs
paroissiens les plus honnêtes gens, à qui je pus accorder
permission de tenir cabaret.
« J'en ai envoyé, suivant le modèle ci-joint, aux curés
qui m'en ont demandé.
« Ceux de Beauport et de la Pointe-aux-Trembles ont
souhaité qu'il y en eiît trois dans chacune de leurs paroisses,
d'autres deux, d'autres un, et quelques-uns ne m'ont proposé
personne, m'ayant prié qu'il n'y en eût point dans leur
paroisse.
«J'ai obligé ceux à qui j'ai accordé des permissions,
d'avoir du vin, sur ce que les curés m'ont représenté que la
plupart de ceux qui tenaient cabaret, ne vendaient que de
l'eau-de-vie, et qu'on ne pouvait pas avoir de vin pour les
malades.
« J'ai cru que cet arrêt n'étant rendu que pour faire cesser
les plaintes des curés sur les désordres, je ne pouvais mieux
y parvenir qu'en m'en rapportant à leur choix. Je leur ai
expliqué que je révoquerais ceux qu'ils m'avaient proposés,
si dans la suite ils n'étaient pas contents d'eux, et que je les
remplacerais par ceux qu'ils me proposeraient.
« Le parti que j'ai pris leur est agréable, les habitants
étant obligés d'avoir recours à eux pour obtenir de moi ces
permissions, et de se conformer aux règles qu'ils leurs pres-
crivent. Ils connaissent mieux le caractère de leurs parois-
siens que ne pourraient faire mes subdélégués à Montréal
et aux Trois-Rivières, qui auraient bien de la peine à les con-
tenter; et c'est le moyen d'éviter bien des représentations
souvent fort exagérées des curés à l'intendant, qui ne peut se
dispenser d'y répondre.^ »
I. Corresp. générale, vol. 47, Bégon au ministre, 31 oct. 1725.
410 1,'ÉGUSE DU CANADA
C'est-à-dire que M. Bégon avait tendu un piège au clergé,
€t que le clergé, au moins une partie du clergé, s'y était fait
prendre: désormais, s'il y avait des désordres dans leurs
paroisses, les curés ne pourraient s'en prendre qu'à eux-
mêmes : ils avaient fait l'ordonnance, pour ainsi dire, en
collaboration avec l'intendant!
Ce qui était encore plus grave, c'est que l'intendant met-
tait en cause M^ de Saint- Vallier lui-même, et prétendait
qu'il n'avait agi qu'après l'avoir consulté. Mais s'il l'avait
consulté, l'avait-il bien compris? Peut-on croire qu'il ne
s'était pas complètement mépris sur les véritables sentiments
-du pieux Prélat, lorsqu'on lit la lettre suivante que M^ de
Saint- Vallier adressa à ses curés quelques jours avant l'émis-
sion de l'ordonnance de Bégon, c'est-à-dire aussitôt qu'il fut
informé que cette ordonnance allait être rendue ?
<( Je ne sais, monsieur, dit-il, qui peut être assez hardi
pour avancer que je suis bien aise qu'il y ait des cabarets
dans les paroisses; j'en gémis au contraire d'une manière à
presser Notre-Seigneur d'y mettre ordre et d'envoyer sur
ceux qui veulent gagner leur vie par un commerce si dan-
gereux des calamités qui les fassent rentrer en eux-mêmes.
C'est pour cela que Notre-Seigneur me donne la pensée de
vous écrire, ainsi que je fais à beaucoup d'autres curés, que
mon intention est que vous ne donniez pas l'absolution à
ceux qui veulent gagner leur vie par ce détestable commerce.
Ainsi, monsieur, songez que c'est moi qui vous l'ordonne
de la part de Dieu et que vous me devez l'obéissance. Vous
me ferez le plaisir de lire ce peu de paroles aux prônes de
votre paroisse et de me croire, avec toute l'estime et l'affec-
tion que vous méritez, tout à vous en Notre-Seigneur.^ »
Cette lettre si énergique donna-t-elle le coup de grâce à
l'ordonnance de M. Bégon? L'ordonnance fut certainement
I. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 511.
sous m'' de saint-valuer 411
rendue et publiée, puisque l'intendant l'écrivait à la cour, et
en envoyait même une copie ; mais nous croyons qu'elle ne
fut jamais exécutée : elle ne se trouve pas, du moins, dans
les volumes des Edits et Ordonnatices. Il y en a une autre,
d'une date postérieure, signée par l'intendant Dupuy, et
destinée probablement à la remplacer; mais elle se contente
de donner des règles générales à ceux qui obtenaient de l'in-
tendant des permis de tenir cabarets.
On peut croire, du reste, que M. Bégon avait agi de bonne
foi en toute cette affaire. Cet homme se montra toujours
bien disposé envers le clergé, obligeant à payer la dîme
ceux qui ne voulaient pas remplir leur devoir, obligeant les
gens à réparer les presbytères, les églises de leurs paroisses,
faisant payer l'amende aux vendeurs de boissons et appli-
quant ces amendes aux communautés religieuses. On doit
à cet intendant d'excellentes ordonnances, qu'on serait heu-
reux de voir exécuter de nos jours, comme par exemple
celle qui regarde l'entretien des chemins, et aussi celle qui
« défend de tirer des coups de fusils dans les villes ou sur
les granges à la campagne, ou de faire aucun feu près des
granges » : un habitant de Charlesbourg est un jour con-
damné à cinquante livres d'amende, applicable aux pauvres,
pour avoir tiré un coup de fusil en ville, et son fusil lui est
confisqué ^.
C'est à l'intendant Bégon que l'on doit l'établissement des
postes et messageries pour le transport des lettres et des
voyageurs : il accorda à M. Lanouiller de Boisclair le privi-
lège de tenir les postes pendant vingt années entre Québec et
Montréal -. Le pays n'avait pas encore eu d'institutions pos-
tales : jusque-là l'envoi des lettres s'était fait sans régularité,
par occasion ou par exprès.
1. Ed. et Ord., t. III, p. 190, 228, 238, 438, 442.
2. Garneau, Histoire du Canada, t. II, p. 158.
412 Iv'ÉGLISE DU CANADA
C'est aussi durant l'administration de l'intendant Bégon
que furent rendus deux arrêts du Conseil d'Etat intéressant
vivement l'Eglise de la Nouvelle-France. Le premier, en
date du 31 mai 1722, fixait à cinq mille livres la dot exigible
de toutes les personnes qui voulaient se faire religieuses.
On pouvait craindre que la mesure ne nuisît un peu aux vo-
cations; mais elle semblait nécessaire à un époque où toutes
les maisons religieuses du Canada se trouvaient à la gène
par suite des mauvaises affaires en France. Le second arrêt,
dont nous bénéficions encore aujourd'hui, réglait le mode
de concession des bancs dans les églises du Canada, tel que
l'avait demandé et établi ]\I^ de Saint-Vallier ^ : cet arrêt,
qui a été définitif, est du 9 juin 1723. Il est le premier qui
a été rendu pour le Canada sous le roi Louis XV, après
qu'il eut tenu son lit de justice le 22 février 1723, et déclaré
qu'ayant atteint l'âge de majorité il allait désormais gou-
verner par lui-même.
Ce lit de justice mettait fin au régime honteux de la
Régence, que la France subissait depuis neuf ans. Louis
XIV était mort en 1715, et M^' de Saint-Vallier avait écrit
à cette occasion un de ses plus beaux et plus touchants man-
dements: il ordonnait des prières en sa faveur, et célébrait
la mémoire « de ce prince, disait-il, dont Dieu avait formé
le cœur de ses mains, en le remplissant d'un esprit de reli-
gion et de piété pour lui tout extraordinaire, et d'amour
pour ses peuples») 2. Beau témoignage rendu au caractère
pieux et généreux du grand Roi par son ancien aumônier!
On ne voit pas qu'il ait jamais écrit un mot de la Régence:
il se contentait sans doute de gémir en silence sur l'humi-
liation que subissait son pays. On ne voit pas même qu'il
ait rien publié à l'occasion de l'accession du nouveau roi :
1. Ed. et Ord., t. I, p. 464, 480.
2. Mand. des Év. de Québec, t. I, p. 490,
sous M*' DE SAINT-VALUER 413
Louis XV gardait comme premier ministre le cardinal
Dubois !
Y avait-il quelqu'un de la famille de NP"" de Saint- Vallier
dans cette foule de courtisans, de conseillers d'Etat, de con-
seillers d'enquêtes et requêtes, de gens de robe, de nobles,
de pairs ecclésiastiques, de pairs laïques, de marquis, de
ducs, de princes qui remplissaient la salle du Parlement où
se tenait le lit de justice, échelonnés sur des tabourets, des
bancs, des gradins de différente hauteur, et formant comme
une pyramide vivante au haut de laquelle siégeait le jeune
Roi, entouré d'huissiers et de massiers à genoux? Nous n'y
trouvons du moins personne de son nom. Il faut lire le
compte-rendu de cette séance, et observer le maintien com-
posé de tous ces personnages, en attendant la venue du Roi,
qui attend lui-même « en la sainte chapelle » qu'on aille le
chercher, son entrée dans la salle, tout le monde un genou
en terre, et répétant cette génuflexion deux ou trois fois au
cours de la séance, à des moments convenus, puis les diffé-
rents rites scrupuleusement suivis par ceux qui ont l'inap-
préciable privilège de prendre la parole en cette occasion
mémorable, pour se faire une idée du culte dont s'était
entourée la majesté royale, culte qui supposait l'idée chré-
tienne du pouvoir chez ceux qui y prenaient part, mais
témoignait au contraire de beaucoup de légèreté et de
bassesse chez ceux, — et ils étaient nombreux — qui l'avaient
perdue.
Dans les discours prononcés en cette occasion, n'allons
pas croire que tout fiit vanité et flatterie. Il y avait sans
doute une large part faite aux compliments de circonstance
et aux obséquiosités ; mais il y avait aussi la part du sérieux,
des bons conseils, nous allions presque dire, du sermon.
Citons quelques lignes du discours du célèbre président
Lamoignon :
« Votre Majesté, dit-il, trouvera, si Elle veut, assez de
414 l'église du canada
secours pour la seconder dans le gouvernement de soi»
royaume ; mais qu'Elle nous permette de lui dire que tout
dépend de son cœur, et qu'Elle seule peut y cultiver Thuma-
nité, la tendresse pour les autres hommes, la candeur et la
bonté, si nécessaires à son bonheur et au nôtre.
« Nous osons lui offrir, en notre particulier, ce que nou*
seuls pouvons peut-être lui promettre sans mélange et sans
aucune réserve que celle qu'impose le respect, ce qu'on peut
promettre de plus utile au souverain et de plus onéreux
au sujet qui le procure, c'est, Sire, la connaissance de la
vérité. . .
« Quel bonheur pour les Français, ajoute-t-il, de trouver
dans le cœur de leur jeune monarque les sentiments
héroïques qui ont fait leur juste admiration dans le plu»
grand de leurs rois !. . . Continuez, Sire, à marcher sur des
traces si glorieuses; votre heureux naturel vous y invite,
l'éducation que vous avez reçue, pendant votre jeune âge,
vous y conduit, et l'expérience vous en fera connaître bien-
tôt les avantages.
« Elle vous apprendra que c'est la justice qui a affermi le
trône des rois, et non point l'éclat extérieur de l'appareil qui
l'environne ; que la conduite du souverain est la première loi
des sujets, et que l'exemple du monarque a sur eux plus de
pouvoir que la sévérité de ses ordonnances; qu'une égalité
d'âme toujours parfaite, toujours guidée par la prudence et
par la modération, un courage toujours ferme et inébran-
lable, mais tempéré par la clémence et par la bonté, sont des
qualités nécessaires aux princes pour leur attirer l'amour
des peuples, et qu'il n'est point d'autorité plus flatteuse pour
un grand roi, ni plus solidement établie, que celle qui s'étend
sur les cœurs: Salomon s'assit sur le trône de son père; il
plut à tous, et tout Israël lui obéit ^. . . »
I. Ed. et Ord., t. I, p. 466.
sous M*' DE SAINT-VALLIËR 415
Le lit de justice de Louis XV fut enregistré au Conseil
Supérieur de Québec le 19 juillet 1723. Le gouverneur et
l'intendant assistaient à la séance : il y avait plus de treize
ans que ces deux officiers supérieurs vivaient ensemble à
Québec, exerçant chacun leurs fonctions respectives avec
une bonne entente assez rare dans nos annales.
M. de Vaudreuil mourut à Québec le 10 octobre 1725, à
l'âge de quatre-vingt-deux ans. après la plus longue et l'une
des plus bienfaisantes administrations qu'ait eues le Canada.
Il exerçait les fonctions de gouverneur général depuis le 26
mai 1703, et était au Canada depuis 1687. ^^ ^^t inhumé
comme ses deux prédécesseurs immédiats dans l'église des
Récollets.
M*^ de Saint- Vallier avait eu souvent des reproches à lui
faire sur certains détails de sa conduite, et s'en était même
plaint à la Cour. En somme, cependant, l'Eglise du Canada
n'eut qu'à se louer des bonnes dispositions de M. de Vau-
dreuil. La colonie pleura sincèrement la mort de son gou-
verneur :
« C'est avec justice, écrivait l'annaliste des Ursulines, que
nous l'avons pleuré, car sous sa vigilante administration le
Canada a joui d'une prospérité jusqu'alors inconnue. Pen-
dant vingt-deux ans, le cultivateur, le commerçant et le
militaire n'ont eu également qu'à bénir son nom \ »
La bonne annaliste oubliait facilement les années de
disette, de sécheresse et de gène qui venait de traverser la
colonie, parce qu'elle savait bien que M. de Vaudreuil n'en
était pas responsable.
La perte de ce gouverneur distingué était d'autant plus
cruelle pour la Nouvelle-France, qu'elle venait d'en subir
une autre bien lamentable par le naufrage d'un vaisseau du
Roi portant deux cent cinquante passagers ^ et chargé de
1. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 140.
2. Mgr de Saint-V allier et Y H ôp. -Général, p. 260.
41 6 I^'ÉGUSE DU CANADA
provisions sur lesquelles comptaient des centaines de per-
sonnes.
Ce serait une histoire à la fois triste et intéressante, que
celle des naufrages dans le golfe et le fleuve Saint-Laurent;
et parmi ces naufrages celui du Chameau compterait cer-
tainement parmi les plus désastreux:
« Un accident funeste, dit Charlevoix, mit la colonie
presque toute en deuil, et lui fit perdre en un jour plus
qu'elle n'avait perdu en vingt ans de guerre. La nuit du 25
août 1725, le vaisseau du roi, le Chameau, qui allait à
Québec, se brisa près de Louisbourg, et il ne s'en sauva pas
un homme. M. de Chazel, qui venait relever M. Bégoit,
intendant du Canada, M. de Louvigny, nommé gouverneur
des Trois-Rivières, M. de la Gesse, capitaine, fîls de M. de
Ramesay, mort l'année précédente gouverneur de Montréal,
plusieurs autres officiers de la colonie, des ecclésiastiqueg,
des Récollets, des Jésuites y périrent avec tout l'équipage,
et la côte parut le lendemain toute couverte de cadavres et
de ballots. . . »
M"® de Vaudreuil était repassée en France presque aussi-
tôt après la mort de son mari ^ ; et ses filles allèrent la
rejoindre l'année suivante ^. Le ministre ayant écrit à M.
Bégon pour les lui recommander, celui-ci lui répondit le 10
octobre :
« Ma femme aura grand soin des demoiselles de Vau-
dreuil pendant la traversée. Elle se trouve fort honorée de
la commission agréable que vous avez bien voulu lui donner
de les regarder comme ses filles ^. »•
1. Elle mourut à Paris en 1740.
2. Ces demoiselles de Vaudreuil étaient les sœurs de notre dernier
gouverneur sous le régime français. L'une d'elles, Marie-Georgette,
se fit religieuse Clarisse au couvent des Ormeaux à Castres, chef-lieu
d'arrondissement de Tarn. (Les Ursulines de Québec, t. II, p. 138.)
3. Corresp. générale, vol. 48, lettre du 10 oct. 1726.
sous M^'' DE SAINT-VALLIER 4^7
Ce fut le marquis de Beauharnais qui remplaça M. de
Vaudreuil. Il arriva ici en même temps que le nouvel in-
tendant Dupuy dans l'automne de 1726 : sa commission
était du II janvier de cette année; celle de Dupuy, du 23
novembre de l'année précédente : toutes deux furent enre-
gistrées au Conseil Supérieur le même jour, 2 septembre
1726.
Le marquis de Beauharnais fut reçu à Québec avec de
grandes démonstrations de joie. Sa haute réputation mili-
taire l'avait précédé en ce pays, et ce prestige, joint à ses
talents politiques et à l'urbanité de ses manières, lui acquit
bientôt la confiance et l'affection de tous. Homme de paix,
comme tous les militaires de grande valeur, il était à la fois
doux, conciliant et ferme. Son caractère était tout l'opposé
de celui de l'intendant Dupuy ; et vraiment on aurait cherché
longtemps deux hommes incapables de s'entendre, que l'on
n'aurait pu trouver mieux que le nouveau gouverneur et le
nouvel intendant du Canada.
M. Dupuy n'était certes pas un homme sans valeur : au
contraire, c'est peut-être, avec Talon, l'intendant le plus
instruit, le plus versé dans la science légale et dans le droit
civil et canonique de l'époque qui soit venu au Canada ; mais
c'était un homme entier, autoritaire, imbu des idées les plus
gallicanes, formaliste à l'excès, retors, et avec lequel il était
bien difficile de vivre. Il n'y avait pas un an qu'il était à
Québec, qu'il était en guerre avec le gouverneur et bien
d'autres personnages. M. de Beauharnais s'était déjà plaint
de lui, et même plusieurs fois, à la cour, lorsqu'il écrivait au
ministre le 6 mars 1727:
« Je suis bien fâché que M. Dupuy me donne si souvent
occasion de vous faire des plaintes contre lui. Il a une trop
41 8 l'église du canada
grande facilité à écouter tous les discours que ses prétendus
amis lui tiennent et qu'il croit comme articles de foi. Il est
le jouet de tous les mauvais esprits du pays. . .
« Il n'est pas trop aisé, ajoute-t-il, de vivre avec un homme
d'une hauteur qui passe l'imagination. . . Il s'imagine être
devenu une divinité, ne voulant entendre sur rien ni rime,
ni raison. C'est un homme impraticable, si jamais il y en a
eu : il suffit que je dise Blanc pour qu'il dise N^oir.
« M. Dupuy, ajoute-t-il encore, fait en ce pays-ci le
général, l'évêqu-e et l'intendant. Il en donne tous les jours
de belles preuves. Il a poussé la chose, en dernier lieu,
jusqu'à faire mettre des sentinelles aux portes des églises, à
l'occasion de ses ordonnances et arrêts. Il se sert pour cela
de la maréchaussée et de deux hommes qu'il a chez lui, à qui
il fait porter la bandoulière d'archers de la marine. . . Il
prétend être en droit d'avoir deux archers, dans les cérémo-
nies, et les avoir dans son banc, à l'église, la carabine sur
l'épaule, contre les règlements. . . »
Dupuy était un homme de talent et d'une science légale
incontestable, mais il voulait en imposer par ses théories,
ses dissertations savantes, son érudition. Il était d'ailleurs
rempli de grands projets et de plans magnifiques :
« Si M. Dupuy suit toutes ses idées de jets d'eau, de
canaux, de réserv'oirs, d'architecture, écrit encore Beauhar-
nais, nous serons bientôt en ce pays sans un sou \ »
M^ de Saint-Vallier, cependant, semble s'être bien en-
tendu, dès le commencement, avec ces deux hauts fonc-
tionnaires : on dirait qu'il était pour eux comme un point
de ralliement : ils écrivent conjointement à la cour :
« M. l'évêque de Québec, prélat respectable en tout, mais
qui se distingue particulièrement par son dépouillement pour
les pauvres, nous demande de se joindre à lui pour vous
I. Corresp. générale, vols 49 et 50, passim.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 419
faire nos prières en faveur des religieuses qui desservent
l'Hôpital-Général de Québec, destiné à tenir enfennés les
insensés de ce pays \ à recevoir tous les pauvres hors d'état
de gagner leur vre, et les vieillards 2. »
Le séminaire de Québec était pour MM. de Beauhamais
et Dupuy un autre point de ralliement : tous deux s'enten-
daient parfaitement pour venir au secours de cette insti-
tution. Dupuy écrit à la cour dés le 14 octobre 1726:
« Cette communauté est pauvre ; elle est la seule qui n'ait
point ici des bienfaits du Roi. >>
Beauharnais se joint à lui l'année suivante :
« L'état où le séminaire de Québec se trouve est tout-à-
fait pressant. M. Dupuy va mettre tous ses soins pour
l'aider dans ses affaires, et apaiser ses créanciers, qui sont en
grand nombre. . .
♦< Puisque nous sommes assez heureux, ajoutent-ils, pour
que vous ayez approuvé nos vues sur la pacification inté-
rieure du séminaire de Québec, nous ne nous ralentirons
point sur tout ce qui pourra la maintenir '. . . »
La cause bien involontaire, ou plutôt l'occasion d'un cer-
tain malaise et de quelques divisions qui régnaient au sémi-
naire de Québec, et que MM. de Beauharnais et Dupuy cher-
chaient à apaiser, était l'arrivée dans cette maison d'un
homme très distingué, et dont tous les documents s'ac-
cordent à faire l'éloge, M. Lyon de Saint-Ferréol. M^ de
Saint-Vallier avait écrit au ministre en 1725:
« Je vous supplie de faire dire au supérieur du séminaire
des Missions-Etrangères qu'il serait bien convenable au
1. Comme il n'y avait pas encore d'asile pour les aliénés, les reli-
gieuses avaient consenti à leur donner un logement, et la cour leur
allouait pour cela mille livres par année. (Corresp. générale, vol. 42.)'
Elles avaient aussi un logement powr les filles repenties.
2. Ihid., vol. 48, lettre du 30 oct. 1726.
3. Ibid., vol. 49.
420 l'église du canada
bien du séminaire de Québec. . . de ne le laisser pas plus
longtemps sans supérieur \ »
M. Boulard était pourtant alors supérieur; mais comme
il était en même temps curé de Québec, le Prélat jugeait
sans doute qu'il était mieux qu'il ne cumulât pas les deux
fonctions. Les Missions-Etrangères de Paris envoyèrenr
donc à Québec, pour être supérieur du Séminaire, M. Lyon
de Saint-Ferréol. Voici ce qu'écrit à ce sujet l'auteur de
l'histoire manuscrite de cette maison :
« Au mois de juin 1726, partit pour le Canada M. Jean
Lyon de Saint-Ferréol, prêtre du diocèse de Sisteron ^, âgé
de trente-quatre ans, dun esprit mûr, d'une saine doctrine,
docteur de Sorbonne, plein de piété et de détachement de
toutes les choses du monde. On espérait aussi que sa
noblesse lui donnerait du crédit, et que son usage des com-
munautés ecclésiastiques, où il avait toujours demeuré, le
rendrait propre à rendre de grands services. Il vint donc
avec le titre de supérieur, et les directeurs du séminaire de
Québec n'eurent plus qu'à le présenter à M^"" l'Evêque.
« Il était accompagné de deux jeunes clercs tonsurés, MM.
de Pierre ^ et Valois, qui paraissaient capables de faire faire
les répétitions de théologie et de philosophie aux élèves du
séminaire, qui allaient en classe chez les Jésuites.
« Ces trois sujets avaient été présentés au Séminaire de
Paris par MM. de Saint-Sulpice, avec lesquels on resserra
plus que jamais l'union d'amitié et de charité qui existait
déjà. »
Ces dernières lignes laissent entrevoir la cause du malaise
dont nous venons de parler. M. Lyon de Saint-Ferréol
était très uni à Saint-Sulpice, quoique n'étant pas sulpicien;
1. Corresp. générale, vol. 47, Lettre du 4 oct. 1725.
2. Chef-lieu d'arrondissement des Basses-Alpes.
3. M. de Pierre était procureur du Séminaire en 1728 (Jugements
du Conseil Supérieur.)
sous U^ DE SAINT-VALLIER 421
on se figura, au séminaire de Québec, qu'il y avait un projet
secret de fondre les deux séminaires ensemble, celui de
Québec et celui de Montréal, de manière à ne faire qu'une
seule institution. M. de Saint-Ferréol était passé au Ca-
nada en même temps que plusieurs Sulpiciens, ainsi que le
Visiteur de Saint-Sulpice, M. Robert, qui venait pour la
deuxième fois visiter la maison de Montréal. M. Robert,
naturellement, descendait quelquefois à Québec pour voir
son ami : nouvelle raison de soupçonner quelque intrigue,
quelque sinistre projet d'union. Ecoutons d'ailleurs l'inten-
dant Dupuy signaler très nettement la cause du malaise que
nous avons mentionné :
« On a pris, dit-il, un éloignement marqué contre le nou-
veau supérieur, arrivé depuis un an, sur la prévention que
l'on s'est faite qu'il y a une agrégation entre le séminaire
des Missions-Etrangères et celui de Saint-Sulpice, laquelle a
pour but d'unir ce séminaire à celui de Saint-Sulpice.
« Le sieur Robert, prêtre de Saint-Sulpice, qui aime à
donner un air d'intrigue à tout ce qu'il fait, et qui par là a
gâté tout ce qu'il a entrepris dans ce pays, loin d'éloigner ce
soupçon, l'a beaucoup augmenté par ses menées; de sorte
que le supérieur, qui, de sa part, est un homme fort sage,
fort doux, et bien capable de conduire sa communauté, est
devenu la victime de la haine publique que s'est attirée le
sieur Robert en ce pays.
« Le Chapitre de Québec, animé contre le sieur Robert
au point de lui refuser place à l'église parmi eux, a essayé
de porter son ressentiment contre le Séminaire même, qu'il
s'imagine être gouverné par le sieur Robert, à cause de la
liaison qu'a conservée avec lui le nouveau supérieur. Cette
vue n'allait pas moins qu'à détruire le Séminaire, si l'on n'y
avait eu attention ^. . . »
I. Corresp. générale, vol. 49, Dupuy au ministre, 20 oct. 1727.
422 l'éguse du canada
Il est évident que M. Dupuy exagère un peu quand il
parle de « haine publique » contre le visiteur de Saint-Sul-
pice, M. Robert, et de sentiments qui auraient été jusqu'à
vouloir « détruire le Séminaire ». Il n'en ressort pas moins
de sa lettre à la cour que le nouveau supérieur du Séminaire,
M. de Saint-Ferréol, était très impopulaire, et que son im-
popularité venait surtout, comme l'écrivait plus tard M^
Dosquet, de « l'idée qu'on s'était faite qu'il voulait réunir le
séminaire de Québec à celui de Saint-Sulpice » \
M. de Montigny ^, procureur des Missions-Etrangères à
Rome, avait pourtant prémuni ses confrères de Québec
contre cette idée, et avait pris la peine de leur écrire pour
les rassurer au sujet de leur nouveau supérieur :
« Quoiqu'il ait demeuré autrefois à Saint-Sulpice, disait-
il, il n'est pas pour cela sulpicien, que comme je l'étais
au Canada, ainsi que MM. Dauric ^ et Hérault, de Leuze et
autres, qui ont passé par leur séminaire. . .
« Pour parler ici en toute confiance, je vous dirai que ce
qui nous a engagés à nous presser (de vous envoyer ce
supérieur), c'est que nous avons appris, par une personne
très sijre et extrêmement élevée en dignité dans le monde,
que les Pères jésuites avaient tenté et sollicité à la cour pour
qu'on leur accordât votre séminaire, comme très propre et
1. Corresp. générale, vol. 49, Lettre du 29 août 1730.
2. L'ancien grand vicaire de Mgr de Saint- Vallier, et le premier
supérieur de la mission des Tamarois.
3. M. Dauric était du diocèse de Grenoble comme Mgr de Saint-
Vallier. Il fut curé de Saint-Pierre, île d'Orléans, où il mourut en 1713,
et parait avoir été un de ces bons curés qui s'intéressent au bien-être
temporel de leurs paroissiens, comme à leur bien spirituel. On avait bâti
un moulin à farine dans la paroisse Saint-Pierre, les deux autres mou-
lins qu'il y avait dans l'ile étant trop éloignés. Le seigneur Berthelot,
à qui appartenaient ces deux moulins, avait obtenu du Conseil Supé-
rieur, par son agent, M. Gaillard, la fermeture du moulin de Saint-
Pierre, qui lui enlevait quelques profits. Les habitants de Saint-Pierre
se réunissent, sous la présidence de leur curé, qui appuie de tout coeur
leurs réclamations, et, grâce à l'intervention de M. Dauric, obtiennent du
Conseil que leur moulin marchera, moyennant certaines conditions qui
satisfont le seigneur. {Jugements du Conseil Supérieur, t. V, p. 397-)
sous M"^ DE SAINT-VALLIER 423
très utile à la colonie pour en faire un collège, représentant
le séminaire comme tombé. Cela vous paraîtra fort sin-
gulier, mais cela est cependant vrai. . .
« M. Robert passe au Canada, et mène avec lui plusieurs
messieurs de Saint-Sulpice pour Montréal. Nous ne doutons
pas que vous les receviez avec amitié; et comme M. Robert,
qui est bon ami du gouverneur et de l'intendant, et d'ailleurs
assez agissant, pourra faire divers voyages de Montréal
à Québec, il est bon de garder beaucoup de ménagement
avec lui. Au reste, il n'est point de notre corps, et est
attaché au séminaire de Saint-Sulpice \ »
Quoi qu'il en soit, malgré ses talents et sa bonne volonté,
M. Lyon de Saint-Ferréol ne répondit point aux espérances
qu'on avait conçues à son égard. Son administration ne
fut pas heureuse. Il ne fit rien surtout ix)ur améliorer la
condition financière du Séminaire ; et il se décida au bout
de quelques années à repasser en France.
Il était réservé à son successeur, M. Vallier, un autre
Français, de premier mérite, d'affermir le Séminaire sur un
pied de prospérité morale et matérielle qu'il ne connaissait
pas depuis longtemps. Cet homme, vraiment supérieur sous
tous les rapports, s'attacha à cette institution et lui rendit
des services inappréciables.
Quant à M. Robert, inutile d'ajouter qu'on lui prêtait bien
à tort le projet d'amalgamer le séminaire de Québec avec
celui de Montréal -. C'était le deuxième voyage qu'il faisait
au Canada comme visiteur de la maison de Montréal ; il y
1. Lettre citée par l'auteur de l'Histoire manuscrite du Séminaire.
2. Saint-Sulpice, d'ailleurs, avait déjà eu occasion d'e.xprimer bien
clairement son désintéressement à ce sujet. En 1693, au plus fort des
difficultés de Mgr de Saint-Vallier avec le séminaire de Québec, Te
vénérable M. Tronson écrivait à M. Dollier de Casson, supérieur du
séminaire de Montréal : " On nous a proposé : si, en cas que l'on fit
revenir en France les prêtres du séminaire de Québec, nous voudrions
bien nous mettre à leur place; j'ai répondu que non. " ^^Correspondance
de M. Tronson. t. II, p. 324.)
424 I.EGUSE DU CANADA
était déjà venu quelques années auparavant : et chaque fois
il était venu surtout, nous dit Tanguay, « pour y encourager
et y renouveler la ferveur des missionnaires » ^ Mais il pro-
fita aussi de son voyage pour conférer avec M^"" de Saint-
Vallier sur le projet qu'avait eu le Prélat d'unir à Saint-
Sulpice toutes les cures du gouvernement de Montréal, pro-
jet que l'on ne put réaliser que partiellement. Il s'entendit
aussi avec l'Evêque pour l'envoi de nouveaux mission-
naires en Acadie; et celui-ci ne manqua pas de lui faire part
du projet qu'il entretenait de faire venir à Québec un prêtre
distingué, qui piit être d'abord doyen du chapitre et plus
tard son successeur, projet qu'il venait de communiquer à
la cour :
« Je voudrais vous engager, écrivait au ministre M^ de
Saint-Vallier, à faire demander à M. l'abbé de Saint-Aubin ^
un prêtre de qualité et de mérite, qui pijt être Doyen, et
mériter par ses bonnes qualités de remplir ma place, que je
lui céderai bientôt, étant âgé de soixante-treize ans. M. de
Mornay, coadjuteur de Québec, qui est en France, ayant
plus de soixante et tant d'années ^, ne viendra pas assuré-
ment la remplir après ma mort *. . . »
Ce fut l'imprévu qui arriva : M^ de Mornay ne vint
jamais, en effet, «remplir sa place» au Canada; mais il
l'occupa cependant plusieurs années, tout en restant en
France.
1. Répertoire du clergé canadien, p. 89.
2. M. Maurice Le Pelletier, de Saint-Sulpice de Paris, abbé de Saint-
Aubin, était fils du ministre de ce nom.
3. Mgr de Mornay avait en effet 63 ans, à cette date.
4. Corresp. générale, vol. 48, lettre du 10 sept. 1726.
CHAPITRE XXVII
LES DERNIÈRES ANNÉES DE M^ DE SAINT-VALUËR
Maladie de Mgr de Saint- Vallier; son pèlerinage au tombeau du Frère
Didace. — Enquête de M. Glandelet sur les faits miraculeux attribués
au Frère Didace. — Dernière visite pastorale de l'Evêque. — A
l'Hôpital-Général ; établissement du Pensionnat; la chapelle du
saint Cœur de Marie. — M. de Lotbinière, nommé archidiacre ; son
éloge.
DE sa longue absence de treize ans en Europe, M^ de
Saint- Vallier n'était pas revenu avec la santé et la
vigueur qu'il avait autrefois. Les inquiétudes, le chagrin,
le malheur avaient miné sa constitution; il avait plus vieilli
qu'on ne le fait d'ordinaire dans le même espace de temps:
tout le monde l'avait remarqué, à son retour, mais surtout
ses pieuses filles de l'Hôpital-Général, dont il était main-
tenant l'hôte vénéré. Certes, il était encore loin de la cadu-
cité ; mais la maladie avait plus de prise sur lui qu'autrefois,
et il lui offrait moins de résistance.
Il fut très malade, en septembre 171 5, deux ans après son
retour; et comme la maladie, qui avait diminué un peu,
menaçait cependant de traîner en longueur, sa grande piété
l'engagea à faire un pèlerinage au tombeau du Frère Didace,
mort en odeur de sainteté à l'Hôpital des Trois-Rivières le
21 février 1699, pour lui demander sa guérison. Le Frère
Didace, religieux récollet, était né à Sainte-Anne de Beau-
426 l'église du canada
pré ^ et avait passé une bonne partie de sa vie religieuse au
couvent de son ordre dans la ville des Trois-Rivières % qu'il
avait embaumée du parfum de ses vertus. On ne parlait
depuis sa mort que de faveurs spirituelles et corporelles
obtenues par son intercession; et le pieux Prélat, dans la
visite pastorale qu'il avait faite aux Trois-Rivières l'été
précédent, avait été témoin de la confiance publique en ce
bon religieux, que tout le monde vénérait comme un saint.
Exténué par la fièvre qui l'accable, presque à bout de forces,
il a cependant le courage de se mettre en route pour les
Trois-Rivières, et va demander l'hospitalité aux bonnes
Ursulines de l'Hôpital. Puis il commence aussitôt une
neuvaine en l'honneur du Frère Didace, allant prier chaque
jour sur son tombeau ; et le dernier jour il se sent soulagé et
guéri. Il demeure cependant encore une semaine aux Trois-
Rivières, comblant l'hôpital de ses libéralités. C'est à cette
occasion qu'il procura aux Ursulines les moyens d'ajouter
une aile à leur couvent ^.
De retour à Québec, le Prélat ne manqua pas de leur
écrire qu'il se sentait parfaitement rétabli ; puis, sur leur
demande, il leur envoya l'année suivante, sous le titre
« Miracle obtenu par l'intercession du Frère Didace », cette
attestation :
« Je dois rendre, dit-il, ce témoignage de sainteté du
Frère Didace, qu'ayant une fièvre fort opiniâtre, j'en fus
délivré à la fin d'une neuvaine que je crus être obligé de
faire dans le lieu de son tombeau, qui est la petite ville des
Trois-Rivières, de mon diocèse. Ma maladie commença dans
le mois de septembre 171 5. laquelle, après avoir été assez
1. Son nom de baptême était Claude; Didace est son nom de religion.
Il était fils de George Pelletier et de Catherine Vannier, et était né le 28
juin 1657.
2. Il suivit aussi le P. Joseph Denis, à Percé, à Plaisance et à
Montréal.
3. Mgr de Saint- Voilier et l'Hôp.-Général'de Québec, p. 238.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 427
violente dans les commencements, se changea enfin en une
fièvre lente qu'aucun remède ne put enlever : ce qui me
détermina à faire un voyage au lieu où son corps résidait.
Ce ne fut qu'au dernier jour de la neuvaine que je fis dans
l'église où son corps repose ' que je fus soulagé et guéri,
Dieu voulant apparemment faire connaître à tout mon
diocèse le grand crédit qu'avait ce seniteur de Dieu auprès
de lui. en m'obligeant de reconnaître que mon mal s'aigui-
sant plutôt que de diminuer, même durant ma neuvaine,
je ne pouvais devoir ma guérison qu'à la persévérance avec
laquelle je la demandais à Dieu par les mérites de son servi-
teur. C'est le témoignage que je dois à la vérité, et que je
rends bien volontiers pour lui marquer ma reconnaissance,
et augmenter dans tous les cœurs la confiance qu'on a à ce
saint Frère récollet, dont je voudrais bien qu'on imitât les
vertus.
« Donné à Québec, sous notre seing, celui de notre secré-
taire, et scellé du sceau de nos armes, ce neuvième jour de
juin 1716. (signé) Jean, évêque de Québec". »
Toujours pénétré de reconnaissance envers le pieux Frère
Didace, et pressé par l'opinion publique qui ne cessait de
publier des faveurs extraordinaires obtenues par son inter-
cession, M^"" de Saint-Vallier chargea le Doyen de sa cathé-
drale, M. Glandelet, de faire une enquête sur tous les faits
miraculeux qu'on avait enregistrés :
« Nous donnons pouvoir, disait-il. à M. Glandelet. doyen
de la cathédrale, d'informer à Québec et aux Trois-Rivières
des guérisons miraculeuses qui ont été opérées par le très
dévot Didace, religieux récollet, mort en l'année 1699. Fait
à Québec, ce 25 mai 1717.. (signé) Jean, évêque de
Québec'. »•
1. L'église des Récollets devint chapelle protestante en 1762. i^Les
Ursulines des Trois-Rivières, t. I, p. 433.)
2. Mand. des Ev. de Québec, t. I, p. 487.
3. Les Ursulines des Trois-Rivières, t. I, p. 210.
428 l'église du canada
M. Glandelet commença son enquête aux Trois-Rivières
le i8 juillet suivant, recueillit un certain nombre de témoi-
gnages et dressa des procès-verbaux. On en conserve une
copie au séminaire de Québec. Ces Actes ou procès-verbaux
sont précédés d'une lettre du P. Joseph Denis, qui, allant
en France, s'était chargé de les emporter pour les trans-
mettre à Rome au procureur des Franciscains, qui, à son
tour, devait les communiquer à Sa Sainteté. La lettre du
P. Denis, datée du couvent des Récollets, à Gisors, le 20
mai 171 9, avait pour but de faire connaître à son confrère
de Rome la manière dont avait vécu le Frère Didace, « per-
sonne, dit-il, ne le sachant mieux que moi pour avoir été
son confesseur l'espace de quatorze ans et travaillé ensemble
à tous nos établissements du Canada ». A la suite des pro-
cès-verbaux de M. Glandelet, on avait mis l'attestation de
M^ de Saint-Vallier sur sa propre guérison; et, d'après la
lettre du P. Joseph Denis, le pieux Prélat n'attendait que la
réponse de Sa Sainteté à ce premier envoi, pour en écrire
plus long sur les vertus et la réputation de sainteté du Frère
Didace. Le P. Denis ne manqua pas de faire connaître en
France la vie édifiante de notre bon religieux canadien =
« Faites connaître au vieux monde, lui disait un docteur de
Sorbonne, dont il cite la lettre, faites connaître au vieux
monde les grâces dont il s'est rendu indigne depuis long-
temps, et dont Dieu arrose ainsi la piété du vôtre. »
M. Glandelet était le grand enquêteur canonique de
l'époque. En 1708, après la mort de M^"" de Laval, il avait
ouvert, en l'absence de M^"" de Saint-Vallier, et en sa
qualité de grand vicaire, une enquête juridique sur les faits
miraculeux attribués à l'intercession du premier évêque de
Québec : « Il fit, dit Latour, des procès-verbaux sur plusieurs
miracles opérés à son tombeau, et il laissa sur sa vie bien
des mémoires dont je me suis servi. » Mais on ne sait ce
que tout cela est devenu.
sous M^'^ DE SAINT'VALUER 429
*
* *
Malgré son grand âge et l'affaiblissement de sa santé,
M'^'' de Saint-Vallier était d'une exactitude admirable à rem-
plir tous les devoirs de sa charge épiscopale, faisant régu-
lièrement chaque année la visite canonique de ses commu-
nautés religieuses, visitant aussi tous les ans au moins une
partie de son immense diocèse. Il fit en 1725 sa dernière
visite pastorale : il était déjà plus que septuagénaire, et avait
passé un très mauvais printemps, car nous lisons dans son
testament, en date du 25 mars, qu'il était alors « infirme
dans son appartement ordinaire de l' Hôpital-Général » \
Plein de courage, cependant, et ayant repris un peu de
forces, il se mit en route, et commença sa visite par les
paroisses de Montréal. Il fut reçu partout avec de grandes
démonstrations de joie et de respect, et déploya dans cette
visite une activité et un zèle extraordinaires, prêchant
plusieurs fois par jour, et écoutant avec une patience mer-
veilleuse tous ceux qui désiraient lui parler. Persuadé qu'il
ne retournerait jamais en ces lieux, il administra le sacre-
ment de confirmation aux plus jeunes enfants 2.
On sait que le règlement de division des paroisses qu'il
avait dressé les années précédentes, de concert avec le gou-
verneur et l'intendant, avait causé dans beaucoup d'endroits
des mécontentements et des murmures. Rien de plus naturel :
M. de Longueuil, qui administra quelque temps la colonie
après la mort de M. de Vaudreuil, l'écrivait à la cour :
« Il est assez difficile, dans un règlement général, de con-
cilier l'intérêt particulier avec la vue qu'a eue M. l'Evêque
d'égaliser les cures autant que faire se pourrait ^. »
1. Documents de Paris, Eglise du Canada, t. II, p. iio.
2. Mgr de Saint-Vallier et l' H ô p. -Général, p. 262.
3. Corresp. générale, vol. 47, lettre du 31 oct. 1725.
43^ I^'ÉGUSE DU CANADA
M^"" de Saint-Vallier s'employa partout à apaiser les-
esprits, et il eut le bonheur, avant de mourir, de voir toutes-
les principales difficultés réglées par la cour d'une manière
définitive ^
Il avait été obligé, les années précédentes, de se montrer
sévère en quelques endroits: à Batiscan, par exemple, il y
en a qui ne font pas leurs pâques; il écrit au curé. M,
Gervais Lefebvre :
« Ayant appris avec douleur que plusieurs de votre
paroisse ne faisant aucun cas de l'affaire de leur salut,
avaient pris le parti de ne point faire de pâques, et s'étaient
moqués des remontrances qu'on leur avait pu faire, et des
monitions publiques qui avaient été faites à l'église selon la
règle et forme de notre Rituel; pour à quoi remédier et
obliger les dits délinquants à faire leur devoir pascal, nous
vous ordonnons de faire une troisième monition, à la messe '
de paroisse; après laquelle, s'ils ne se mettent à leur devoir,
nous désirons que vous nommiez leurs noms publiquement,,
surtout ceux des deux Levrard, frères, et Jacques Tessier,.
que nous ne manquerons pas de déclarer excommuniés, s'ils;
ne satisfont à leur communion pascale'. . . »
A Saint-Nicolas, il y a trois habitants qui ont l'habitude -
de « travailler, les dimanches et fêtes ». Il leur a déjà fait
donner « des avis particuliers » par leur curé missionnaire/
le Frère François, récollet, et ils n'en ont pas tenu compte. -^
Le Prélat écrit au Frère François, et lui ordonne « de chan-
ger les avis particuliers, que vous leur avez donnés jusqu'ici
en grand nombre, en avis publics au prône de paroisse ». Il
devra publier ces avis trois dimanches consécutifs, et ensuite
l'Evêque portera excommunication, s'il y a lieu ^,
Dans la même paroisse, mais quelques années plus tard,.
1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 509.
2. Archiv. de l'Ev. de Québec, Registre C, lettre du 23 mai 1719.
3. Ibid., lettre du 12 sept. 1718.
sous M"" DE SAINT-VALLIER 431
les habitants ne voulant pas faire à leur église et à leur pres-
bytère les réparations nécessaires, le Prélat écrit à leur curé,
M. Jean-Baptiste de la Coudraie, et menace ses paroissiens
de leur ôter leur curé, à l'automne, « s'ils ne mettent leur
église et presbytère à l'abri de la pluie « '.
A l'Ancienne-Lorette, il a fait aux gens la même menace,,
et ils n'en ont pas tenu compte. Il leur ôte leur mission-
naire. M. Chevalier, dans l'automne de 1724, «et l'oblige à
se retirer au Séminaire-^. »•
Le Prélat trouva tout réglé on en bonne voie de se régler,
dans sa visite pastorale de 1725, et il n'eut en général que
des paroles d'encouragement à persévérer dans le bien, à
adresser aux habitants des différentes paroisses.
Il n'en était pas de même dans les villes; et nous voyons-
que dans l'automne de cette même année 1725 il est obligé
d'écrire à la cour:
« On a envoyé depuis deux ans des personnes déréglées à
l'excès, coupables de presque tous les crimes, qui se piquent
non seulement de voler dans les maisons et grands chemins,
mais encore d'empoisonner, dont les religieuses et les
pauvres de l'Hôpital-Général où je demeure ont essuyé deux
terribles et efïrayantes tentatives. . .
«L'on pourrait ajouter à tout cela, dit-il, une ardeur
sans borne à vouloir s'enrichir, commune aux grands comme
aux petits ^ . . »
M^ de Saint- Vallier revint tout exténué de sa visite pas-
torale; mais au bout de quelques semaines il était passa-
1. Archiv. de l'év. de Québec. Registre C, lettre du 30 août 1724.
2. Ibid., lettre du 15 oct. 1724.
3. Corresp. générale, vol. 47, lettre du 4 oct. 1735.
432 l'église du canada
blement remis de ses fatigues. Il se trouvait si bien dans
son Hôpital-Général, sous les soins de ses bonnes religieuses !
Il se sentait chez lui, dans cette maison qu'il avait fondée;
et de leur côté, les religieuses semblaient prendre un regain
de vie quand elles voyaient leur Père au milieu d'elles:
chose remarquable, et que l'annahste de l'Hôpital tient à
constater : tandis que la communauté avait perdu pendant la
longue absence de M^"" de Saint- Vallier plusieurs de ses
sujets les plus précieux, aucune religieuse n'était morte
depuis son retour ^ Les vocations, non plus, ne man-
quaient pas; tout était progrès dans cette maison; et ici
nous ne pouvons nous empêcher de citer ce qu'écrivait Char-
levoix en 1 720 :
« L'Hôpital-Général, dit-il, est la plus belle maison du
Canada, et elle ne déparerait point nos plus grandes villes
de France. Les Pères récollets occupaient autrefois le ter-
rain où elle est située. M. de Saint- Vallier les a transférés
dans la ville, a acheté leur emplacement, et y a dépensé cent
mille écus en bâtiments, en ameublements et en fondations.
<» Le prélat fondateur, ajoute-t-il, a son appartement dans
la maison, et y fait sa résidence ordinaire; il a loué son
palais, qui est encore son ouvrage, au profit des pauvres. II
ne dédaigne pas même de servir d'aumônier à l'Hôpital
aussi bien qu'aux religieuses, et il en remplit les fonctions
avec un zèle et une assiduité qu'on admirerait dans un
simple prêtre qui vivrait de cet emploi. Des artisans ou
autres, à qui leur grand âge ou leurs infirmités ôtent le
moyen de gagner leur vie, sont reçus dans cet hôpital jus-
qu'à la concurrence du nombre de lits, et trente religieuses
sont occupées à les servir. . . La plupart sont filles de con-
dition, et comme ce ne sont pas les plus aisées, le Prélat en
a doté plusieurs "... »
1. Mgr de Saint-Vallier et l' H ô p. -Général, p. 251.
2. Ibid., p. 252.
sous M*^"" DE SAINT-VALUER 433
M^"" de Saint-Vallier, du reste, ne croyait jamais en avoir
fait assez pour son Hôpital; et c'est précisément au retour
de sa dernière visite pastorale qu'il achète pour la commu-
nauté la seigneurie de la Durantaie, qui porte aujourd'hui
son nom : Saint- ValliER. La seigneurie de Notre-Dame-
des- Anges, où est bâti l'Hôpital, appartient aux pauvres ; les
religieuses auront désormais leur propre seigneurie; et
« comme pour leur en faire prendre l'investiture, écrit l'an-
naliste, monseigneur les conduisit lui-même sur les lieux,
afin qu'elles connussent mieux les ressources que pourrait
oflFrir dans la suite cette propriété, dont la plus grande
partie était encore inculte ».
C'est aussi dans l'automne de 1725, le 20 novembre, que
fut inauguré à l'Hôpital-Général un pensionnat de jeunes
filles \ que nous avons vu abolir il y a plus d'un demi siècle ^
mais que nous nous rappelons encore avec plaisir, et qui
était une source si précieuse, non seulement de revenu, mais
surtout de vocations religieuses.
Toujours préoccupé du bonheur de sa communauté,
animé d'ailleurs des sentiments de la plus exquise piété, M^
de Saint-Vallier, dans le même automne 1725, fit ériger
dans l'église de l'Hôpital une chapelle en l'honneur de la
Mère de Dieu : « Il y fit placer, dit l'annaliste, un tableau,
dans lequel, d'après la tradition, il est lui-même représenté
en prières, devant l'image du saint Cœur de Marie ; et c'est
sous ce vocable que la chapelle fut dédiée. . . Le Prélat
choisit cette nouvelle chapelle pour le lieu de sa sépulture, et
y fit creuser sa tombe. C'est là qu'il aimait à se retirer pour
se livrer à la méditation des vérités éternelles : il y passait
1. Archiv. de l'év. de Québec, Registre C, 20 nov. 1725.
2. Par Mgr Baillargeon, du temps de l'abbé Plante, ce prêtre
si distingué, qui fut chapelain de l'Hôpital Général de 1851 au 13
septembre 1869, date de sa mort.
434 l'église du CANADA
ordinairemewt cinq heures par jour, dans les communi-
cations les plus intimes avec Dieu ^ »
Et n'est-ce pas dans ces méditations profondes qu'un
homme de Dieu comme M^'' de Saint- Vallier pouvait trouver
les lumières, la force et le courage dont il avait besoin pour
administrer son immense diocèse? Car tout âgé qu'il est,
c'est encore lui, et lui seul qui gouverne son diocèse. Nous
l'avons déjà dit, il ne peut guère compter sur personne pour
l'aider : c'est lui qui voit à tout, qui conduit tout. Le P. de la
Chasse, supérieur des Jésuites, soh confesseur et le confes-
seur de la communauté, écrit trois ou quatre mois avant la
mort du Prélat :
« AP"" de Saint- Vallier, malgré l'âge le plus avancé, tra-
vaille encore avec une vigueur infatigable au salut de ses
ouailles ^. »
« Il continuait, dit l'annaliste, à vaquer avec assiduité aux
affaires de son diocèse. On ne voyait en lui aucune marque
de caducité : son port était droit et majestueux, il conser-
vait toujours ses manières gracieuses et prévenantes; rien
dans son extérieur ne faisait appréhender un accident pro-
chain '. »
Et n'est-ce pas précisément une année seulement avant
sa mort qu'il écrivait à la cour une de ses lettres les mieux
frappées, dont nous avons déjà cité quelques extraits, et
dans laquelle il se plaignait des mauvaises dispositions de
certains prêtres canadiens, spécialement de celui que le Cha-
pitre avait député en France, « qui est loin, disait-il, de
donner l'exemple de la soumission et de l'obéissance » ? Il
ne mettait pas, cependant, tous les Canadiens sur le même
pied, et il faisait tout particulièrement un grand éloge de
M. de Lotbinière :
1. Mgr de S aint-V allier et l' H ôp. -Général, p. 256.
2. Ibid., p. 259.
3 Ihid., p. 269.
sous M^ DE SAINT-VALLIER 435
« M. de Lotbinière, disait-il, conseiller du Conseil Supé-
rieur de Québec, plein de vertu et de mérite, ayant pris îe
parti de se faire prêtre, je lui ai donné la dignité d'archi-
diacre, que feu M. de Varennes possédait. Il mériterait mieux
qu'un autre la dignité de Doyen; mais selon les lumières de
M. Bégon, qui nous quitte, et selon les miennes, il ne fau-
drait point ici de Doyen canadien, pour plusieurs raisons
importantes, qui cessent cependant si l'on n'en trouve point
de mérite qui veuille venir. Ainsi mon dit sieur de Lotbi-
nière l'emportant sur tous par ses excellentes qualités et
expérience, doit être choisi préférablement aux autres. Je
l'ai fait mon grand vicaire à cause des grands secvices qu'il
rend à ce diocèse ^. . . »
M. de Lotbinière avait épousé, le 14 avril 171 1, une demoi-
selle Davenne des Meloises 2. Devenu veuf le 25 avril 1723,
il embrassa l'état ecclésiastique, fit sa théologie au séminaire
de Québec, et fut ordonné prêtre par M^"" de Saint- Vallier
le 14 avril 1726, quinze ans jour pour jour après son.
mariage.
C'était un homme d'un caractère élevé, jouissant de l'es-
time et de la confiance générales. Homme du monde, à la^
fois, et homme d'Eglise, il faisait honneur à son ancienne-
et à sa nouvelle profession.
Il appartenait à une famille de robe, son père ayant été
lieutenant-général civil et criminel, à Québec, son grand*-
père, lieutenant-général de la prévôté. Il n'était pas encore-
en âge de majorité, lorsqu'il fut nommé par le Roi conseiller
au Conseil Supérieur, et il entra au Conseil « avec voix con-
sultative seulement, attendu sa minorité, sans y avoir voix
délibérative » ^.
T. Corresp. générale, vol. 48, lettre du 10 sept. 1726.
2. Marie-Françoise, fille de François-Marie-Renaud-Davenne, sei-
gneur des Meloises.
3. Jugeutents du Conseil Supérieur, t. VI, p. 201, 209.
436 l'église du canada
En embrassant l'état ecclésiastique, il n'avait pas cessé
pour cela de faire partie du Conseil; il s'y montrait toujours
un des plus assidus, comme il en était un des plus compé-
tents. Il devint en 1738 doyen des conseillers ^ chargé paf
conséquent de présider l'assemblée, de recueillir les suf-
frages et de prononcer les arrêts, en l'absence de l'intendant.
Comme il était instruit et laborieux, c'est à lui qu'il incom-
bait souvent d'être rapporteur dans les différentes causes,
ce qui lui donnait un surcroît d'ouvrage entre les séances.
Accablé de travaux, il était cependant un des plus assidus
au chœur. Mais, malgré sa bonne volonté, il ne pouvait
assister au chœur et au Conseil en même temps. S'il man-
quait l'office, ses confrères chanoines, jaloux peut-être de
ses dignités et de son importance, le marquaient absent, afin
de lui retrancher une partie de ses émoluments; et il s'en
plaignit au gouverneur et à la cour ^.
En plusieurs occasions M. de Lotbinière joua un rôle
important dans nos affaires ecclésiastiques. Deux fois il
prit possession du siège épiscopal, comme procureur des
évêques absents, une première fois en 1728, au nom de M^
de Mornay, une deuxième fois en 1734, au nom de M^
Dosquet. Plusieurs années de suite, durant l'épiscopat de
ce prélat, il eut à faire la visite du diocèse en qualité d'archi-
diacre. L'événement principal, cependant, auquel il attacha
son nom, ce fut la sépulture de M^"" de Saint-Vallier. Mais
n'anticipons pas.
1. Ce fut aussi en 1738 qu'il devint doyen du Chapitre.
2. Voir notre Québec en 1730, p. 42.
CHAPITRE XXVIII
LHS DERNIERS JOURS DE M^"" DE SAINT-VAEEIER
SA MALADIE ; SA MORT
Belle fin de vie de Mgr de Saint- Vallier. — Dernier anniversaire de son
sacre. — Belle fête au Pensionnat. — Fondation des Ursulines à la
Nçuvelle-Orléans. — Dernière maladie de Mgr de Saint- Vallier. —
Ses adieux à ses religieuses et aux pauvres. — Administré par
l'archidiacre, M. de Lotbinière. — Visite du gouverneur. — Ses
derniers moments. — Sa mort. — Visites à la chapelle ardente.
IL serait impossible, croyons-nous, d'imaginer une plus
belle fin de vie que celle de M^'' de Saint- Vallier. Il
s'en va graduellement au terme de sa carrière, avec courage,
sans défaillance, toujours maître de lui-même, accomplis-
sant fidèlement tous les devoirs de sa charge pastorale,
n'omettant rien de ce qu'il avait coutume de faire dans ses
meilleurs jours : il n'y a qu'une chose qu'il a été obligé
d'abandonner, la visite des paroisses ; mais à part cela, il
n'oublie rien, il ne néglige rien. Il se fait même un devoir
d'aller officier pontificalement à sa cathédrale à toutes les
principales fêtes, pour rehausser l'éclat des solennités. Il
fait toutes les ordinations qu'il y a à faire : il en fait une le
24 aoiît 1727, quatre mois seulement avant de mourir; et
quelques jours plus tard, au mois de septembre, il prépare
lui-même son courrier, son dernier courrier pour la France,
son beau pays natal.
43^ l'église du canada
Il y a un jour, un anniversaire que le pieux Prélat aime à
célébrer chaque année, à célébrer même avec magnificence,
entouré de ses religieuses et de ses pauvres, ses amis : le 25
janvier, jour anniversaire de sa consécration épiscopale. II
tient à cette solennité, pour lui-même, d'abord : quoi de plus
naturel, et de plus religieux en même temps, que de se remé-
morer les grands événements de sa vie? Il y tient surtout
pour ses pauvres, auxquels il donnera ce jour-là quelque plai-
sir extraordinaire, quelque régal, qui sera pour eux comme
un oasis au milieu du désert de la vie. Il sait, à n'en pas
douter, que le 25 janvier 1727 est le dernier anniversaire
qu'il célébrera ici bas, et il désire en conséquence que ce soit
une belle fête pour ses religieuses et pour ses pauvres. Il
demande qu'on y invite spécialement le gouverneur et l'in-
tendant, car il se propose de profiter de l'occasion pour les
intéresser à son œuvre, et leur recommander, avant de
mourir, son Hôpital-Général. Faisant venir auprès de lui
le bon Père de la Chasse, supérieur des Jésuites, il lui
demande comme une faveur de composer pour la circons-
tance une poésie qui sera récitée par quelqu'une des élèves
du Pensionnat, et qui, tout en complimentant le gouverneur
et l'intendant, les invitera à étendre leur protection sur la
communauté :
« Représentez-moi, lui dit le Prélat, comme Jacob sur le
point de quitter la vie, demandant à son fils Joseph de
prendre soin de ses autres enfants. »
Le Père de la Chasse se rendit bien volontiers au désir du
saint Prélat, et composa, sous forme de dialogue, le compli-
ment en vers qu'il lui avait demandé: il fut récité par trois
ou quatre des plus grandes et la plus jeune des élèves
du Pensionnat. L'évêque, le gouverneur et l'intendant en
furent ravis. C'est en effet une très belle poésie : que de
poèmes couronnés de nos jours ne la valent pas ! Qui n'admi-
rerait, par exemple, le vœu exprimé si naïvement par la toute
sous M"' DE SAINT-VALUER 439
jeune élève — une demoiselle Foucault, — s'adressant au
pieux Prélat courbé sous le poids des ans :
" N'allez donc pas songer à suivre
Le penchant qui vous fait désirer votre fin ;
Si vous cessiez sitôt de vivre,
De vos enfants, hélas! quel serait le destin i ?"
M. et M""* Dupuy assistaient à la séance. Est-ce à cette
occasion que M^ de Saint- Vallier, voulant sans doute inté-
resser de plus en plus l'intendant à son institution chérie et
lui assurer sa haute protection, l'informa qu'il avait le
dessein de le nommer son exécuteur testamentaire et le pria
de lui rendre ce service - ? Dans son testament, en date du
25 mars 1725, le Prélat nommait pour son exécuteur-testa-
mentaire « en ce pays » M. de Varennes, prêtre, archidiacre,
et son grand vicaire; et en France, « M. Alexandre Hainque,
sieur de Saint-Senoch, auditeur de la Chambre des Comptes
de Paris, demeurant chez M. Duel, son beau-père, avocat
au Conseil, dans l'Ile Notre-Dame »■ ^. M. de Varennes
étant mort le 30 mars 1726, le Prélat lui substitua l'inten-
dant Dupuy, se trouvant ainsi avec deux avocats comme
exécuteurs-testamentaires, un en France, l'autre au Canada.
Une des plus belles fondations qui eut lieu à cette é^xîque
dans l'immense territoire que couvrait la juridiction de
l'évêque de Québec, c'est celle des Ursulines de la Nouvelle-
Orléans : elle coïncide avec Tannée de la mort de M^'' de
Saint- Vallier. Quelle part eut le Prélat à cette fondation?
Nous n'avons rien trouvé qui pût nous pennettre de
répondre à cette question ; mais elle ne dut pas se faire
1. Mgr de Saint-Vallier et ï H ô p. -Général, p. 265.
2. Ce n'est cependant que le jour de Noël même, 1727, à quatre heures
du matin, que Mgr de Saint-Vallier, par un acte passé devant le notaire
Hiché, nomma M. Dupuy son exécuteur-testamentaire. (Jugements du
Conseil Supérieur, arrêt du 5 janvier 1728.)
3. Doc. de Paris, Eglise du Canada, t. II, p. no.
440 I. ÉGUSE DU CANADA
sans sa connaissance et son consentement. Nous savons
que le Prélat était jaloux de conserver toute l'autorité qu'il
avait reçue du saint-siège : nulle fondation religieuse de
quelque importance ne devait se faire à son insu. Les
Ursulines partaient directement de France pour se rendre
à la Nouvelle-Orléans ; et elles répondaient à l'appel
du R. P. Beaubois, jésuite, missionnaire aux rives du
Mississipi et de l'Illinois. Elles s'embarquèrent au nombre
de quatorze, dont une novice et deux converses, le 22
février 1727. Ces admirables missionnaires furent sept
années à attendre la construction d'un monastère qui leur
appartînt. Le but principal de leur fondation était l'ins-
truction des jeunes filles françaises dans un pensionnat:
« Mais, répondant à tous les besoins, écrivait un mission-
naire, elles ajoutent à leur pensionnat l'instruction des
femmes de couleur, un externat de filles, le soin des malades
dans l'hôpital, et un refuge pour les femmes repenties. Ces
travaux multipliés n'effraient pas les Ursulines ; et avec la
grâce de Dieu elles les accomplissent sans enfreindre en
rien la stricte observance de leur règle ^ »
C'est-à-dire que l'institution fondée par les Ursulines à
la Nouvelle-Orléans se rapprochait beaucoup de celles de
l'Hôpital-Général de Québec, et des Ursulines des Trois-
Rivières, deux institutions si chères à M""" de Saint-Vallier.
La fondation des Ursulines à la Nouvelle-Orléans fut tou-
jours l'objet d'une attention spéciale des évêques de Québec,
sous le régime français, par l'entremise surtout, de leur
digne grand vicaire à Paris, l'abbé de l'Ile-Dieu ".
IVP'^ de Saint-Vallier touchait enfin au terme de sa noble
1. Lettre du R. P. Petit, citée dans Les Ursulines de Québec,
t. III, p. 516.
2. Sur l'abbé de l'Ile-Dieu, voir mon mémoire Encore le P. de
Bonnécamps, Ottawa, 1897, P- 103.
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 441
et laborieuse carrière : il y avait plus de quarante ans qu'il
était évêque : aucun évêque de Québec ne l'a été aussi long-
temps que lui.
« Le jour de la Toussaint, écrit l'annaliste de l'Hôpital-
Général, il se trouva extraordinai rement faible, ayant
éprouvé durant la nuit un violent accès de fièvre. Nous le
priâmes de ne pas se rendre à la cathédrale, pour y officier
pontificalement, ce qu'il ne manquait jamais de faire aux
grandes fêtes. Il acquiesça à nos instances, nous dit la
messe, après laquelle il prêcha sur la magnificence divine
dans la récompense des bienheureux, mais avec tant de force
et d'onction qu'on eiit dit qu'il n'éprouvait aucune indispo-
sition. Depuis ce jour, il ne fit que s'afïaiblir de plus en
plus.
« Le jour de Saint- André, il soufïrait d'un grand mal de
gorge, joint à une fièvre si violente, qu'il avait peine à se
soutenir. Nous le pressâmes de dire la messe à sa chambre ;
ce fut en vain ; il voulut, à son ordinaire, la cé4ébrer à l'autel
de la salle; mais, comme il se sentait très mal, il dit à son
valet de chambre : « Tenez-vous auprès de moi tout le temps
du saint sacrifice pour me soutenir. » La communauté et
les pauvres assistèrent à cette messe, et reçurent la sainte
communion de la main du Prélat : ce fut la dernière fois.
Avant de se retirer de l'autel, il prononça ces quelques
paroles, qui furent les dernières qu'il dit en public :
« Mes enfants, l'extrême faiblesse que j'éprouve ne me
permet pas de faire d'exhortation aujourd'hui. Je laisse à
vos réflexions les deux grands objets que l'Eglise nous pré-
sente en ce jour \ La fin de l'année ecclésiastique nous doit
remettre devant les yeux avec quelle rapidité tout passe.
Nous touchons à notre dernière fin; pour s'y disposer, il
faut faire un saint usage du temps, porter sa croix, à l'im!-
I. La Saint-André, en 1727, coïncidait précisément avec le premier
dimanche de l'Avent.
-442 l'église du canada
tation du grand amateur de la Croix, le glorieux apôtre
saint André, dont on célèbre la fête. C'est elle qui a fait son
triomphe et sa gloire; et c'est par la parfaite résignation
avec laquelle vous porterez la vôtre que vous acquerrez la
vie étemelle, que je vous souhaite de toute l'étendue de
mon âme. »
Après son action de grâce, il fit une dernière visite aux
pauvres malades qui étaient au lit, disant à chacun quelques
paroles de consolation. Puis réunissant les autres, il leur
exprima la grande affection qu'il ressentait pour eux, les
assurant que cette affection ne se terminerait pas au tom-
bean :
« Vous êtes mon précieux héritage, leur dit ce bon père, je
ne vous oublierai jamais. Si vous m'obtenez miséricorde
■du Seigneur, comme je l'espère, sans cesse je prierai pour
vous. »
Heureux les pauvres qui étaient là, et qui s'entendaient
dire des paroles si affectueuses et si consolantes de la bouche
de leur évêque!
Après un peu de repos, il appelle, à leur tour, les reli-
gieuses; puis les voyant toutes réunies auprès de lui, il leur
expose en toute simplicité tout ce qu'il a fait pour elles, et
par elles ce qu'il a voulu faire pour le bon Dieu et pour les
pauvres. Il leur recommande de travailler avec ardeur à
leur sanctification, mais aussi d'avoir bien soin de ses
pauvres, de ses chers pauvres :
« Oubliez-moi, leur dit-il avec une ardeur extraordinaire,
oubliez-moi; mais pour eux. ne les oubliez jamais!»
Parole admirable, désormais historique, et qui caractérise
parfaitement le saint Evêque : il fut vraiment toute sa vie
l'homme des pauvres, l'homme de la charité, par excellence.
Toutes les vertus sont belles, excellentes : major autem
harum est charitas ^.
I. I. Cor., XIII. 13.
sous M*"" DE SAINT-VAI.UER 443
Après avoir fait à la communauté, aussi brièvement mais
aussi affectueusement que possible, les recommandations
qu'il voulait lui faire, il témoigna le désir de rester seul. Sa
maladie s'aggravait de plus en plus. Il put cependant dire
encore la sainte messe les trois jours suivants ; mais il lui
fallut ensuite prendre le lit, pour ne plus le quitter. Il pria
son ami le P. de la Chasse, de vouloir bien dire la messe
chaque matin en sa présence ; et le pieux religieux y con-
sentit de bon cœur. Mais il en profita pour lui faire un cas
de conscience de ce qu'il voulait toujours dire son bréviaire.
Le Prélat y renonça par obéissance ; mais les prêtres qui
venaient à l'Hôpital ne pouvaient lui faire de plus grand
plaisir que de réciter leur bréviaire à haute voix en sa
présence, « afin qu'il eiàt la satisfaction d'en méditer le sens,
en en entendant la lettre » ^.
Malgré les soiififrances qu'il endurait, le Prélat se faisait
mettre sur son séant, et entendait la messe avec une admi-
rable piété. Du reste, jamais un mot de plainte, jamais un
mot d'impatience dans ses souffrances. Aux nombreux per-
sonnages qui venaient le visiter, toujours ui>e humeur égale,
toujours et jusqu'à la fin ces manières gracieuses qu'il tenait
de famille, ces paroles obligeantes par lesquelles il paraissait
s'oublier lui-même pour ne penser qu'aux autres.
Son médecin, le docteur Sarrazin, et le chirurgien Ber-
thier venaient le voir tous les jours, et cherchaient à entre-
tenir en lui la confiance. Mais il ne se faisait pas illusion
sur son état, et savait bien que sa fin était prochaine.
M. et M"^ Dupuy, qui le venaient voir également, luï
ofifrirent un jour un lit plus commode que le sien, pour
qu'il pîit se délasser un peu : il les remercia, les pria de ne
point prendre tant de peine ; mais ils ne manquèrent pas de
le lui envoyer.
I. Oraison funèbre du Prélat par le P. de la Chasse.
444 L ÉGLISE DU CANADA
La maladie, cependant, s'aggravant toujours, on crut
devoir ordonner des prières publiques et faire exposer le
saint Sacrement dans les églises de la ville. La nouvelle se
répandit bientôt que l'Evêque était à la dernière extrémité;
c'était le sujet de la conversation dans toutes les familles;
la ville toute entière témoignait d'une profonde affliction.
La veille de Noël, mercredi soir, le docteur Sarrazin étant
venu lui faire visite comme à l'ordinaire, trouva son état
bien empiré, et crut devoir l'en prévenir. Le pieux Prélat le
remercia affectueusement et lui dit combien il lui était
reconnaissant pour les services qu'il lui avait rendus dans
sa maladie :
« L'arrêt fatal est prononcé, dit-il, je m'y soumets avec
amour. La vie n'est qu'un dépôt ; j'en fais volontiers le
sacrifice à Celui qui a donné la sienne pour moi. »
La nouvelle se répandit bientôt dans toute la maison, tant
parmi les religieuses que parmi les pauvres, qu'il n'y avait
plus aucun espoir de conserver le saint Evêque ; et il n'y eut
plus dans l'Hôpital qu'un cri de douleur, des larmes, des
sanglots.
M^"" de Saint-Vallier pria son confesseur, le P. de la
Chasse, d'envoyer en diligence chercher M. de Lotbinière,
l'archidiacre, pour lui administrer les sacrements : et comme
c'était à la veille de la messe de minuit, il lui fit dire de
venir seul, pour ne déranger personne dans les confessions
et dans la célébration de la naissance du Fils de Dieu. A
l'arrivée de M. de Lotbinière :
«Je vous attends avec impatience, mon cher archidiacre,
lui dit le pieux malade, afin que vous m'administriez les
sacrements de l'Eglise, notre mère. Me voilà près d'arriver
au port. . . J'espère de l'infinie miséricorde de mon Dieu
qu'il voudra bien m'ouvrir la porte de la véritable vie. . .
Demandez-lui pour moi cette grâce. »
A dix heures, il reçut le saint Viatique avec de grands
sous M'-'"' DE SAINT-VALLIKR 445
sentiments de foi et de piété. Il répondait aux prières avec
application et une parfaite liberté d'esprit. M. de Lotbi-
nière, troublé par la vue de son évêque mourant, manquait
à quelque cérémonie du rituel: le Prélat lui fit remarquer
ce qu'il avait omis. Les assistants ne pouvaient retenir leurs
larmes; la communauté, surtout, était en proie à la plus
amère douleur. . . Le malade fit approcher les religieuses et
leur dit :
« Mes enfants, recevez pour la dernière fois ma béné-
diction. Je vous bénis, au nom du Père qui vous a créées;
au nom du Fils qui vous a rachetées; au nom du Saint-
Esprit qui vous a sanctifiées. Qu'il enflamme vos cœurs de
soii divin amour; qu'il soit le principe de toutes vos actions;
qu'il vous donne la force de porter vos croix avec résigna-
tion !. . . »
C'était la deuxième ou troisième fois qu'il les exhortait à
porter leur croix avec résignation. Ses paroles semblent
vraiment prophétiques, lorsque l'on songe aux épreuves qui
dans quelques jours attendaient ces saintes filles.
Puis le Prélat ajouta : <^ Retirez-vous maintenant, mes
enfants, afin que je ne m'occupe plus que de Dieu seul. «
« De là, dit l'annaliste, nous allâmes à la messe de minuit,
qu'il ne nous fut pas possible de chanter.
« Le jour de Noël, ajoute-t-elle, le saint Sacrement fut
exposé de nouveau. Tous les pauvres, non seulement ceux
de la maison, mais encore ceux de la ville et des environs
qui avaient été l'objet des soins du Prélat, venaient en foule
à notre église pour implorer l'assistance du Ciel, et demander
à Dieu de prolonger une vie si précieuse. De son côté, le
pieux malade, les yeux attachés sur son crucifix, n'était
occuf)é que de la céleste béatitude, et ne soupirait qu'après la
possession du souverain Bien.
« A neuf heures du matin, le gouverneur étant entré,
monseigneur le fit aprocher et lui dit :
446 Iv'ÉGUSE DU CANADA
« Vous n'êtes plus à moi, mon cher marquis, ni moi à
vous. . . Souvenez-vous que la figure de ce monde passe,
qu'il n'y a que les œuvres qui nous accompagnent dans
l'éternité. »
M. de Beauharnais était un excellent homme et un parfait
chrétien : il n'en était que plus digne d'entendre une parole
chrétienne et vraiment sacerdotale, une de ces paroles qui ne
peuvent faire que du bien aux meilleurs.
« Le Prélat, continue l'annaliste, se détourna ensuite pour
n'être plus interrompu dans ses entretiens avec Dieu. On
l'entendait sans cesse prononcer de courtes mais vives aspi-
rations tirées des saintes Ecritures. Toutes les personnes
présentes étaient pénétrées d'admiration et de respect, et
plusieurs d'entre elles demandèrent qu'il leur ftît permis
d'assister à ses derniers moments, voulant, disaient-elles,
être témoins de la mort d'un saint. Plus il approchait d€
l'heure suprême, qui devait le réunir à son Dieu, plus il y
avait de paix et de sérénité dans tous ses traits. Il ne parlait
plus que pour former des actes d'amour, de confiance, de
désir. Les dernières paroles qui s'échappèrent de son cœur
et de ses lèvres furent les deux premiers versets du psaume
quarante et unième : Queniadinodiim desiderat cervus ad
fontes aquarum, ita desiderat anima mea ad te Deus. Sitivit
anima mea ad Deum fortem, vivum; quando veniam et appa-
rebo ante faciem Dei^?. . .
«Puis, élevant un peu les mains, il rendit son esprit à Dieu.
L'horloge venait de marquer minuit et un quart, le vendredi
26 décembre 1727. Le vénérable pontife, âgé de soixante-
quatorze ans, un mois et douze jours, était dans la quarante-
troisième année de son épiscopat, si l'on compte depuis sa
I. "Comme le cerf soupire après les sources d'eaux, de même mon
âme soupire vers vous, ô mon Dieu. Mon âme a soif du Dieu fort,
vivant: quand viendrai-je et paraîtrai-je en face de Dieu?"
sous M*^ DE SAINT-VALLIER 447
nomination, et la quarantième, si l'on compte depuis soa.
sacre. »
Après quelques heures, on dressa un autel dans la chambre
funèbre. L'archidiacre, M. de Lotbinière, ainsi que le R. P.
Duparc, jésuite, et le R. P. Justinien Durand, récollet, y
dirent la messe. La communauté communia à la première,,,
et resta longtemps à prier auprès du corps de son fondateur,,
que toutes arrosaient de leurs larmes.
M. Berthier. chirurgien, et le Frère Plubert, envoyé par
M. de Saint-Ferréol, supérieur du Séminaire, vinrent ensuite
embaumer le corps, en présence de M. Dupuy.
Qui ne serait touché de retrouver ainsi auprès de la
dépouille mortelle de M^ de Saint- Vallier le pieux Frère
Hubert Houssart, qui, près de vingt ans auparavant, avait
embaumé le corps de son bon maître, M^'' de Laval, en avait
envoyé des reliques en France à plusieurs membres de sa
famille, et avait écrit cette magnifique lettre, que tout le
monde connaît, sur la dernière maladie et la mort du pre-
mier évêque de la Nouvelle-France ^ ?
La grande salle de la communauté de l'Hôpital-Général
était toute tendue de noir, et illuminée d'un grand nombre
de lustres et de cierges. Le corps de M^"" de Saint- Vallier,
revêtu des habits pontificaux et posé dans sa bière, y fut
transporté; des autels furent placés de chaque côté de la
chapelle ardente ; plusieurs prêtres séculiers, ainsi que des
révérends Pères récollets et jésuites y dirent la messe; M.
de Saint-Ferréol et les messieurs du Séminaire vinrent en
corps rendre leurs devoirs à leur évêque : « les chanoines
seuls, dit l'annaliste, n'y parurent point; ils nous firent
même dire d'envoyer sonner les cloches par qui bon nous
semblerait, et demandèrent la cire nécessaire au service
qu'on devait lui faire à la cathédrale.
I. Le vénérable François de Mont)norency-Laval, iéit. de 1906, p. 419. .
448 l'éguse du canada
« Pendant sept jours que le corps fut exposé dans la
chapelle ardente, ajoute la pieuse annaliste, le concours du
peuple ne cessa point. Ils venaient en foule de la ville et des
environs, pour donner à la dépouille mortelle de leur pre-
mier pasteur des marques de leur vénération. Ils baisaient
avec respect ses vêtements, faisaient toucher à son corps des
médailles et des chapelets, demandaient à emporter quelque
chose qui lui eiît appartenu; ils en seraient venus jusqu'à
couper ses habits, si on ne les en eût empêchés ^. »
I. Mgr de Saint-Vallier et l'Hôp.-Général, p. 275.
CHAPITRE XXIX
SÉPUI.TURE DE M^ DE SAINT-VALUER
ÉVÉNEMENTS QUI LA SUIVIRENT
A propos des circonstances de la sépulture de Mgr de Saint- Vallier. —
Election de M. Boulard comme vicaire capitulaire. — Préparatifs
pour la sépulture. — Différend entre le Conseil Supérieur et le Cha-
pitre. — Obsèques privées de Mgr de Saint- Vallier. — Interdit de
l'église de l'Hôpital. — Manifeste de M. Boulard. — Situation de
l'Eglise de Québec décrite par la Sœur Duplessis. — Discussions
religieuses au Conseil Supérieur. — Intervention de M. de Beau-
harnais. — Décisions de la cour. — Mgr de Mornay et les cha-
noines de Québec.
IL y a dans les circonstances qui entourent la sépulture de
M^"" de Saint- Vallier des choses si étranges qu'il semble
bien difficile de les expliquer. L'annaliste de l'Hôpital-
Genéral, après avoir dit que le supérieur du Séminaire et ses
confrères « vinrent en corps rendre leurs devoirs » à la dé-
pouille mortelle de leur évêque, ajoute : « Les chanoines
seuls n'y parurent point.» Elle veut dire sans doute qu'ils
n'y vinrent pas en corps comme le Séminaire ; elle n'affirme
pas qu'ils n'y vinrent pas chacun en leur particulier. Mais
comment auraient-ils pu y venir en « corps », n'ayant pas de
« chef », leur Doyen étant mort depuis quelques années, et
n'ayant pas encore été remplacé? Celui qui en faisait les
fonctions, M. de Lotbinière, ne paraissait guère avoir d'au-
torité sur eux.
L'annaliste ajoute quelque chose de plus étrange : « Ils
450 L EGLISE DU CANADA
nous firent rxiême dire d'envoyer sonner les cloches par c[ui
bon nous semblerait, et demandèrent la cire nécessaire au
service qu'on devait faire à la cathédrale. » Remarquons
qu'il s'agit ici d'un simple propos attribué aux chanoines,
ou à quelqu'un d'entre eux, mais dont elle ne pouvait
évidemment garantir l'authenticité. Il est d'ailleurs d'autant
plus invraisemblable que M. Dupuy lui-même nous assure
qu'ils tendirent en noir la cathédrale « à leurs frais », et pré-
parèrent tout pour faire au Prélat des funérailles conve-
nables \
Rendons ici hommage, en passant, à la fidélité de la pieuse
annaliste. Elle peut bien s'être trompée sur quelques petits
détails ; mais en général avec quel soin pieux et quel amour
n'a-t-elle pas enregistré tous les faits relatifs à la vie, aux
vertus et aux œuvres de l'illustre fondateur de l'Hôpital-
Général! Grâce à ses notes précieuses, sa compagne de nos
jours a élevé à la mémoire du deuxième évêque de Québec
un monument impérissable, un livre extrêmement bien fait,
qui fait honneur à son auteur, ainsi qu'à la communauté
dont elle faisait partie, et qui sera toujours indispensable
à ceux qui voudront écrire quelque chose sur la vie et les
œuvres de ^P"" de Saint-\"allier.
Nous n'entreprendrons point d'expliquer, encore moins de
justifier la conduite des différents personnages qui figurent
aux obsèques de M^' de Saint-Vallier, ce triste épisode de
l'histoire de notre Eghse : il faudrait pour cela connaître à
fond leurs idées, leurs sentiments, leur appréciation les uns-
des autres : il faudrait avoir leur mentalité. Chaque époque
a la sienne : sommes-nous bien sûrs que dans cent ans, ou
deux cents ans. on jugera les hommes et les choses de notre
temps de la même manière que nous les jugeons aujour-
d'hui ? Qu'il nous suffise de rapporter les faits.
I. Edits et Ordonnances, t. II, p. 324.
sous M^'' DE SAINT-VALLIER 451
Une chose, cependant, nous parait hors de doute : c'est
que rien, dans les circonstances déplorables qui entourèrent
les obsèques de M^'' de Saint-Vallier, ne se rapportait à lui
directement : sa mémoire était chérie, vénérée de tout le
monde.
Une autre chose ne nous parait pas moins certaine : c'est
que si le Chapitre, aussitôt après la mort de M^ de Saint-
Vallier. eîjt choisi pour vicaire capitulaire celui qui s'atten-
dait évidemment à l'être, et qui s'imposait vraiment à son
choix, son pro-doyen, son archidiacre, le président habituel
de ses assemblées, l'homme de confiance de M^"" de Saint-
Vallier et son grand-vicaire, rien ne serait arrivé de tous
les épisodes disgracieux dont on fut témoin. M. de Lotbi-
nière avait tout ce qu'il fallait pour remplir noblement et
efficacement la position, et il eiit été bien vu de tout le
monde, spécialement de l'autorité civile et du Conseil Supé-
rieur. De nos jours, dans des occasions de ce genre, on.
fait assez souvent de ces choix heureux qui désarment tout
mauvais vouloir et concilient les esprits et les opinions;-,
mais notre mentalité n'est probablement pas celle d'il y a^.
deux cents ans.
Le choix de M. Boulard, comme vicaire capitulaire, qui/^
se fit dans la matinée même qui suivit la mort de l'évêque,.,
n'était pas des plus heureux. M. Boulard, alors curé de-
Québec, membre du Séminaire, et officiai, était sans doute
un parfait ecclésiastique; mais il n'était ni conciliant, ni
populaire; il manquait un peu de ce tact qui est si utile
pour le maniement des hommes. Quelques années aupa-
ravant, étant curé de Beauport, il s'était aventuré, avec son
voisin Dufournel, de l'Ange-Gardien, dans une question de
dîme, qui avait été portée au Conseil Supérieur, et de là au
Conseil d'Etat : tous deux avaient piteusement échoué dans
leur tentative de faire payer la dîme du lin, du chanvre.
452 l'éguse du canada
des animaux, des jardinages \ On ne gagne rien à se
risquer dans de pareilles aventures, que le succès seul peut
faire pardonner. Il est certain qu'au Conseil Supérieur,
en particulier, la nomination de M. Boulard comme vicaire
capitulaire devait être très mal vue.
L'assemblée du 26 décembre où ce choix s'était fait avait
été tenue si précipitamment, si à la hâte, si à l'étourdie,
que rien n'avait été écrit, ni signé. Rien n'était donc défi-
nitif ; tout était à recommencer, et tout fut repris en effet
dans une autre assemblée du Chapitre qui se tint le mer-
credi 31 décembre, cette fois encore, comme la première,
sous la présidence de M. de Lotbinière. Les autres
chanoines présents étaient le grand pénitencier Thierry
Hageur -, et MM. Hamel, Plante, Maufils, Fornel, Gode-
f roy de Tonnancour et Leclair : ils confirmèrent la nomi-
nation de M. Boulard comme vicaire capitulaire.
M. de Lotbinière n'avait pas manqué de constater, dès la
première assemblée, que non seulement il ne serait pas
nommé vicaire capitulaire, mais qu'on allait même lui con-
tester le droit, qu'il prétendait avoir, en sa qualité d'archi-
diacre, de présider aux offices solennels de la cathédrale,
et tout particulièremnt aux obsèques de l'Evêque. Il en
conféra avec l'intendant Dupuy, et tous deux furent d'avis
qu'il fallait faire décider par le Conseil Supérieur la ques-
tion de savoir qui avait droit de présider aux funérailles
de l'Evêque, l'archidiacre, qui en était d'ailleurs prié par
l'exécuteur-testamentaire, ou le Chapitre, qui voulait faire
faire la sépulture par son vicaire capitulaire. Mais le Con-
seil est en vacances, et ne peut être convoqué que pour
le lendemain des Rois ; et les funérailles sont annoncées
pour le 3 janvier. Dupuy se fait présenter par M. de Lot-
1. Voir mon mémoire Un épisode de l'histoire de la dîme au Canada,
Ottawa, 1903.
2. Frère du procureur du Chapitre à l'abbaye de Maubec.
sous M^"" DE SAINT-VALLIER 453
binière une requête le priant de régler « provisoirement »• la
question; et il assigne les parties à comparaître devant lui
le 2 janvier, vendredi midi, veille des obsèques.
Remarquons que jusqu'ici il n'est pas encore question, du
moins en apparence, de contester la validité de l'élection de
M. Boulard, ni sa juridiction : il est possible que si l'on
eût laissé M. de Lotbinière présider aux funérailles de M^
de Saint- Vallier, suivant son désir et celui de l'intendant,
exécuteur-testamentaire, si on l'avait invité, surtout, — ne
le ferait-on pas de nos jours ? — tout se serait passé convena-
blement, et l'on n'aurait eu rien de fcâcheux à déplorer. L'on
verra, du reste, que c'est le jugement que l'on porta plus tard
à la cour \
Cependant, tout va pour le mieux à l'Hôpital-Général.
Les révérends Pères récollets se sont chargés de veiller, la
nuit, en prière, auprès du corps du vénéré Prélat. De son
côté, l'intendant Dupuy, en sa qualité d'exécuteur-testamen-
taire, fait de grands préparatifs: l'église de l'Hôpital-Géné-
ral revêt une magnifique ornementation funèbre ; un im-
mense catafalque s'élève jusqu'à la voijte, prêt à recevoir
quinze cents cierges; l'intérieur de l'église, toute tendue de
noir et de blanc, est armorié aux armes de M^ de Saint-
Vallier, ainsi que le char funèbre, surmonté d'un dais, qui
doit le conduire aux différentes églises de la ville.
Voici l'ordre des funérailles, tel que réglé par l'intendant
Dupuy avec M. de Lotbinière : l'Evêque sera reçu aux portes
de la ville par le clergé, « dans la journée de samedi le 3
janvier, et conduit successivement dans les différentes
églises, puis à la cathédrale, où on le déposera le soir, et où
aura lieu le lendemain dimanche, quatre janvier, le service
solennel ; puis de là il sera rapporté en l'église paroissiale de
I. Lettre du ministre Secrétaire d'Etat à M. de Beauharnais, 3 juin
1728, citée par Langevin, p. 213.
454 L église: du canada
l'Hôpital-Général » pour l'inhumation. Au témoignage de
l'intendant Dupuy, toutes les églises avaient été parées et
tendues de noir « à leurs frais, et non aux frais des héri-
tiers » ^ : ce qui fait voir la bonne volonté avec laquelle on se
portait partout à rendre à la dépouille mortelle du pieux
Prélat l'hommage de respect et de reconnaissance qui lui
était dû.
Entre le décès de M^"" de Saint-Vallier et sa sépulture, il y
eut donc un dimanche, le 28 décembre, et une fête d'obli-
gation, le premier janvier. Quel intérêt n'y aurait-il pas
aujourd'hui à lire les quelques paroles d'éloges qui durent
être prononcées dans les différentes églises de la ville et des
environs, à l'occasion de la mort du vénéré Prélat ! Malheu-
reusement les livres de prônes du temps n'ont pas été conser-
vés. On était bien formaliste à cette époque pour une foule
de choses : on ne l'était pas assez pour d'autres, à notre gré.
Les obsèques solennelles de M^"" de Saint-Vallier devant
commencer le samedi 3 janvier, pour se terminer le lende-
main, M. de Lotbinière. qui tenait à y présider en sa qualité
d'archidiacre, avait hâte de rencontrer les chanoines à ce
sujet; et l'intendant les avait tous assignés à comparaître
devant lui vendredi midi. Il allait donc partir pour se trouver
au rendez-vous à l'heure fixée, lorsqu'il reçoit la visite de
l'huissier Dubreuil, qui vient lui apporter un écrit de la part
des chanoines : « Ils ne reconnaissent en Canada aucun juge
capable de juger les motifs de leurs différends avec le sieur
de Lotbinière, archidiacre, pas même le Conseil Supérieur
de Québec, et prétendent n'être jugés que par le Roi. Ils en
appellent à Sa Majesté et à son Conseil d'Etat de l'ordon-
nance de l'Intendant comme de juge incompétent, et décla-
rent qu'ils ne comparaîtront point à l'assignation -. »
La guerre est déclarée : jusqu'ici, il n'y avait qu'une ques-
1. Edits et Ordonnances, t. II, p. 324.
2. Ibid., p. 323.
sous M*''^ DE SAINT-VALLIER 455
tion en jeu. savoir si c'était l'archidiacre, ou le Chapitre par
son vicaire capitulaire. qui avait droit de présider aux funé-
railles de M*^"" de Saint- Vallier. L'archidiacre, à qui l'on con-
testait ce droit, voulait faire décider la chose par l'intendant,
d'abord, puis par le Conseil Supérieur. Mais le Chapitre
récuse l'autorité de l'intendant et du Conseil en pareille
matière.
Le Conseil s'assemble le 5 janvier, et relève le gant. C'est
lui, maintenant, qui attaque; il prétend que le Chapitre et
son vicaire capitulaire n'ont aucune juridiction pour gou-
verner le diocèse. Le représentant de l'autorité religieuse
en Canada, c'est le grand vicaire de jVP'' de Saint- Vallier,
c'est M. de Lotbinière, l'archidiacre. Il y a en France un
coadjuteur de l'Evêque cuni futiirâ succcssione ; ce coadju-
teur est vivant ; il vivait, du moins, aux dernières nouvelles ;
il a succédé par conséquent à M^' de Saint- Vallier, il est
évêque de Québec. Le siège épiscopal n'est pas vacant ; c'est
M^ Duplessis-Mornay qui gouverne maintenant l'Eglise du
Canada par son grand vicaire M. de Lotbinière, en atten-
dant qu'il puisse venir prendre possession de son siège. Le
vicaire capitulaire n'est rien : il lui est défendu de faire
aucun acte d'autorité. Voilà ce que décide Dupuy avec le
Conseil Supérieur dans la séance du 5 janvier 1728 \
Mais déjà M^' de Saint- Vallier a pris possession de sa
dernière demeure; sa sépulture est faite, et c'est l'archi-
diacre M. de Lotbinière qui y a présidé, suivant son désir et
celui de l'exécuteur-testamentaire. Hâtons-nous de raconter
les circonstances de cet événement.
A peine M. de Lotbinière a-t-il remis à M. Dupuy,
vendredi midi, 2 janvier, le papier que lui a apporté l'huis-
sier Dubreuil, l'écrit des chanoines récusant son autorité et
I. Mss. de Jacques Viger, copie de l'arrêt du Conseil Supérieur du
S janvier 1728.
45^ l'église du canada
celle du Conseil, que l'intendant entre en fureur, à la vue
« d'une prétention aussi monstrueuse ». La fureur trouble
évidemment son esprit, et son imagination est hantée de
mille pensées bizarres. Il se figure que les chanoines mé-
ditent « de noirs desseins », et il se laisse circonvenir par
toute espèce de bruits qui lui arrivent de tous côtés :
« Des avis nous revenaient de toutes parts, dit-il, de la
résolution prise par le Chapitre de Québec de retenir in-
duement le corps de mon dit feu sieur évêque, sa crosse, sa
mitre et ses autres ornements pontificaux, contre la teneur
précise de son testament, dont l'exécution nous a été confiée,
par lequel. . . il a désigné et choisi sa sépulture en l'église de
Notre-Dame-des-Anges,. . . Les chanoines, chapitre et curé
de Québec n'ont aucun droit, ajoute-t-il, de venir lever le
corps de mon dit feu sieur évêque \ . . »
Il entretient son esprit toute l'après-midi de cette chimère,
que les chanoines veulent profiter de la présence des restes
mortels de l'Evêque, le lendemain soir, dans la cathédrale,
pour les y inhumer. A la brunante, il n'y peut tenir; et
plein de l'idée que les chanoines méditent ce « noir com-
plot », il court à l'Hôpital-Général rejoindre M. de Lotbi-
nière, fait venir la supérieure et leur fait part à tous deux de
ses craintes :
« M^"" de Saint- Vallier, dit-il, veut être inhumé en sa cha-
pelle sépulcrale, bâtie, creusée et préparée » par ses soins.
Quel « désordre », quel « scandale public », si les chanoines
mettent à exécution leurs « desseins illégitimes » de l'inhu-
mer dans leur cathédrale ! « Comme exécuteur-testamen-
taire, ajoute-t-il, c'est moi seul qui serai responsable de ce
désordre, si je ne fais tout pour le prévenir ^. »
Et il déclare sa résolution bien arrêtée de procéder immé-
1. Edits et Ordonnances^ t. II, p. 324.
2. Ibid.
sous M^ DE SAINT-VALUER 457
diatement à l'inhumation, avec le concours de M. de Lotbi-
nière.
Il a amené avec lui comme témoins M. André de Leigne,
lieutenant-général civil et criminel de la prévôté, M. Hiché,
procureur du Roi, et M. de \^itré, son subdélégué. Il en-
joint alors à la mère Geneviève Duchesnay ^ de Saint- Au-
gustin, supérieure de l'Hôpital, de faire fermer les portes des-
vestibules des salles; puis il donne ordre, de la part du Roi,
à toutes les personnes qui sont dans la maison de se rendre
dans le vestibule de l'église, pour entendre ce qu'il a à leur
intimer. Tout le monde obéit. On est à la tombée de la nuit :
« Je suis venu faire sans le moindre délai, dit l'intendant,
l'enterrement de monseigneur, parce que MM. les chanoines
sont déterminés à l'inhumer dans la cathédrale. Je le fais,
pour conserver à la communauté de l'Hôpital-Général ses
restes précieux. »
« Parmi les personnes présentes, écrit l'annaliste, se trou-
vait M. Leclair, curé de Saint- Vallier ^, et chanoine. Il
.voulut faire quelque observation ; l'intendant n'en tint
aucun compte. M. de Lotbinière, le P. de la Chasse, jésuite,
le P. Antoine de Lino et le Frère Thomas Bertrand, récoî-
lets, prêtre et diacre, se revêtirent de leurs surplis ; M.
Leclair se vit obligé d'en faire autant. Ils se rendirent dans
la chapelle ardente, et, après les prières prescrites, ils prirent
le corps de monseigneur, qu'ils renfermèrent dans deux
cercueils, l'un de plomb, l'autre de chêne, et le portèrent à
l'église. M. Dupuy, les personnes venues avec lui, et nos
pauvres, portant des cierges, formaient le cortège funèbre.
« Ce fut M. Dupuy qui entonna le Libéra, et les hommes
de sa suite déposèrent le cercueil dans le tombeau préparé au
pied de l'autel du Sacré-Cœur de Marie. La communauté
1. Fille d'Ignace Juchereau du Chesnay, seigneur de Beauport, et
arrière-petite-fille de Robert Giffard.
2. 11 était Français, et mourut curé de Saint- Vallier le 26 nov. 1761..
45 8 i,'^:guse du canada
se tenait au choeur ; toutes étaient inconsolables de voir leur
fondateur et leur père privé, des honneurs d'une sépulture
convenable.
« Cependant, continue l'annaliste, on se disposait dans les
églises de Québec à rendre au pasteur décédé les devoirs dus
à son caractère, et les chanoines avaient fait préparer une
pompe funèbre à la cathédrale, d'oii, après le service, ils
devaient transporter solennellement le corps à Notre-Damc-
des-Anges pour l'inhumation. Ces messieurs apprirent dès
le soir même du 2 janvier que l'inhumation était déjà faite.
Ils s'en émurent, une partie de la population s'en émut aussi,
et quelques individus sonnèrent le tocsin, et publièrent que le
feu était à l' Hôpital-Général. Les grands vicaires ^ se ren-
dirent ici ; ils interdirent l'église, suspendirent la supérieure
de sa charge, et nommèrent une autre religieuse pour la
représenter. »
Mais laissons l'intendant Dupuy raconter cela à sa ma-
nière, au cours d'une ordonnance qu'il rendit contre les
chanoines, le dimanche 4 janvier, pour les obliger à « venir
rendre compte de leur conduite », le lendemain, au Conseil
Supérieur :
<* Les chanoines de l'église de Québec, dit-il, ne furent pas
longtemps sans dévoiler leurs mauvais desseins, puisque,
s'étant imaginé qu'on avait caché, et non inhumé, le corps
de mon dit sieur Evêque, ils vinrent à l'Hôpital-Général,
après avoir fait sonner le tocsin à leur église, sous prétexte
du feu qui était au dit Hôpital, ce qui était très faux, comme
le peuple l'a pu voir. . . Ils vinrent tumultueusement et sédi-
tieusement à la tête du peuple, qui les suivait en foule, et par
troupes. Ils se jetèrent d'abord confusément dans l'église
I. Il n'y avait qu'un vicaire capitulaire, M. Boulard; mais le Chapitre
avait aussi donné le titre et les pouvoirs de grands vicaires à MM.
Plante et Hamel, à Québec, de Belmont, de la Goudalie et Courtois, a
Montréal.
sous M*"" DE SAINT-VALLIER 459
avec le peuple, et la touvèrent tendue de noir jusqu'à la
voûte, le catafalque dressé tel qu'il devait servir à la céré-
monie, la tombe fermée de sa pierre, la chapelle sépulcrale
toute ouverte, l'autel en étant paré et couvert de six cierges,
avec du monde qui y priait. Puis, passant dans les lieux
réguliers, pour continuer leurs perquisitions, et dans l'en-
droit où l'on avait fait la chapelle ardente, ils revinrent à
l'église pour en enlever le très saint Sacrement, et la trou-
vant fermée ils sortirent en jetant un papier dans l'assemblée,
avec l'expression faite de bouche par un des dits chanoines,
qu'ils déposaient la supérieure de la communauté et interdi-
saient l'église, avec défense à divinis \ . . »
Dans le « manifeste » qu'il fit lire au prône de la cathé-
drale le jour des Rois, M. Boulard donnait une toute autre
couleur aux incidents de sa visite à l'Hôpital-Général le soir
de la sépulture de M^"" de Saint- Vallier :
« Nous nous y portâmes, dit-il, avec quelques chanoines et
prêtres, avec toute la simplicité, modestie, douceur, conve-
nables à notre état. Ce fut une surprise pour nous, quand
nous étant présentés ponr entrer dans l'église, nous la trou-
vâmes entrouverte, et qu'on nous dit qu'il était défendu d'y
laisser entrer personne. Nous y entrâmes, néanmoins, après
quelque résistance. Notre prière faite, étant allés dans la
salle oii le corps de feu mon dit Seigneur avait été jus-
qu'alors exposé, nous ne trouvâmes plus rien, et nous nous
informâmes de ce qu'on en avait fait: on répondit qu'il
venait d'être inhumé. Nous fûmes dans le corps de la
maison pour nous en informer plus à fond : la supérieure et
l'assistante refusèrent d'y venir, sur notre commandement
réitéré plusieurs fois ; ce qui nous obligea de procéder contre
cette désobéissance et l'attentat qu'on avait commis contre
le mérite et la dignité de ce vertueux et illustre Prélat.
I. Ed. et Ord., t. II, p. 326.
460 l'église du canada
« Après avoir été instruit suffisamment de la manière
dont la chose s'était passée, considérant de plus que c'était
une injustice et un affront au Chapitre qui se tenait prêt pour
aller lever solenellement ce vénérable dépôt, et lui faire des
obsèques avec la décence et la forme convenables, et le repor-
ter ensuite avec la même pompe à l' Hôpital-Général: sur ce
scandale arrivé, nous jugeâmes à propos d'interdire pour un
temps l'église et la supérieure ^.
« Ensuite étant retournés pour entrer dans l'église, nous
en trouvâmes les portes fermées et gardées par des gens
armés de gros bâtons que nous y laissâmes; après avoir
demandé avec toute douceur l'entrée de la dite église, ce qui
nous fut refusé, parce que, disaient ces gardes, il y avait
défense de la part du Roi d'y entrer, nous nous retirâmes et
achevâmes notre procès-verbal, et après l'avoir lu, nous le
présentâmes devant une compagnie nombreuse et très hono-
rable. Nous laissâmes l'écrit, en déclarant ce qu'il portait.
« Nous ne voulons rien dire de quelques autres indignités
dont on usa envers nous, au mépris de notre caractère ; mais
nous ne pouvons nous empêcher de nous inscrire en faux
contre tout ce qu'on avance qui n'est pas conforme au pré-
sent écrit, et déclarer nul et sans effet tout ce qu'on oserait
faire et entreprendre contre notre autorité.
« Ordonnons que cette présente déclaration sera lue et
publiée dans la chaire de l'église cathédrale et dans les
paroisses du diocèse. «
Dans le manifeste dont nous venons de citer la plus
grande partie, M. Boulard se déclare « Vicaire Général élu
canoniquement et tout d'une voix par le Chapitre, pendant
la vacance du siège, et reconnu publiquement et sans aucun
I. Geneviève Duchesnay de Saint -Augustin, fille du seigneur de
Beauport, avait été longtemps la paroissienne de M. Boulard. Née en
1683, ce n'est pas lui qui l'avait baptisée, mais c'est probablemeHt lui qui
lui avait fait faire sa première communion.
sous M" DE SAINT-VALIvIER 401
contredit pour tel >^ *. L'autoritc religieuse s'est affirmée
nettement et noblement ; elle est établie et reconnue ; elle a
pris possession. Le siège épiscopal est déclaré vacant : il ne
l'est pas en réalité, puisque là-bas. de l'autre côté des mers,
le coadjuteur cum futiirâ succession^' est devenu, même sans
le savoir, évêque de Québec, par le décès de M^"" de Saint-
Vallier; mais il y a « quasi vacance», parce que personne,
pour le moment, ne peut savoir d'une manière certaine si le
coadjuteur vit, ou non. Le Chapitre est devenu, de droit,
dépositaire de la juridiction épiscopale ; il a usé de son droit
en nommant un vicaire capitulaire, et celui-ci entend bien
faire reconnaître son autorité.
Déjà il l'a exercée d'une manière très sévère à l' Hôpital-
Général, en interdisant l'église et la supérieure. L'interdit de
l'église ne sera levé qu'à la fin de janvier; la supérieure ne
sera réintégrée dans ses fonctions que dans le cours de
l'automne.
Aussitôt que l'église de l' Hôpital-Général fut réouverte
au culte les religieuses s'empressèrent d'y faire célébrer un
service solennel pour le repos de l'âme de leur pieux fonda-
teur, et ce fut le supérieur des Jésuites, le P. de la Chasse,
qui prononça l'oraison funèbre. Au service qui fut chanté
à la cathédrale, l'oraison funèbre fut prononcée par le cha-
noine Fornel.
Le vicaire capitulaire, M. Boulard, a posé et affirmé son
autorité : elle est établie et reconnue. L'est-elle « sans aucun
contredit», comme il le prétend? Evidemment non, puis-
qu'elle est contestée avec acharnement par le Conseil Supé-
rieur, qui lui fait la guerre pendant des semaines, et rend
contre le Chapitre arrêts sur arrêts. Les esprits sont par-
tagés, à Québec : les uns sont pour M. Boulard ; d'autres
pour M. de Lotbinière ; et la division règne même dans les
I. M and. des Ev. de Québec, t. I, p. 522.
4^2 l'église du canada
œmmunautés religieuses. La situation de l'Eglise de Qué-
bec est triste et désolée. Qu'on en juge par une lettre qu'écri-
vait l'année suivante la Sœur Duplessis, de l'Hôtel-Dieu :
«
« Nous avons vu, dit-elle, une guerre ouverte entre le
Chapitre et le Conseil. Il y eut plusieurs arrêts rendus, des
conseillers exilés par notre gouverneur \ qui ont été rétablis
cette année par ordre de la cour.
« Les chanoines, se croyant maîtres absolus, firent tant de
changements, surtout dans les communautés religieuses, que
les Ursulines eurent recours au Conseil pour implorer la
protection du Roi contre les menaces qu'on leur faisait. On
avait déjà interdit leur confesseur, et on les avait traitées
fort durement dans leurs propres chaires, sur ce qu'elles
avaient dit que leur communauté avait toujours été plus
paisible quand elles avaient eu des confesseurs jésuites que
lorsqu'elles avaient eu des prêtres (séculiers).
« Cette parole a tellement choqué ces messieurs (les cha-
noines), qu'ils ont cru le clergé flétri et déshonoré. Ils
ont exercé contre ces bonnes filles tout ce qu'ils ont pensé
qui pourrait les mortifier. Ils ont empêché les sept discrètes
de communier et de se confesser toute l'année, n'ayant donné
à personne le droit de les absoudre. Elles n'ont fait ni
pâques, ni jubilé: elles se sont vues à la veille d'être excom-
muniées. On leur a fait deux monitions; mais heureu-
sement pour elles il vint en ce temps-là des nouvelles de
France, par l'Angleterre, qui apprirent que la conduite
violente des chanoines était désapprouvée de la cour. Cela
les arrêta un peu. Ils n'ont pas laissé de harceler toujours
cette maison, qui n'a été calmée qu'à l'arrivée de M^
I. M. de Beauharnais, en vue de mettre la paix au Conseil, et pour
y avoir la haute main, avait cru devoir exiler à la campagne deux con-
seillers : Guillaume Gaillard, et Louis Rouer d'Artigny. Celui-ci était
le fils de l'ancien conseiller Rouer de Villerav.
sous M*^ DE SAINT-V ALLIER 463-
l'Evcque (Dosquet). . . D'autres communautés ont aussi été
tourmentées de ces messieurs \ »
A vrai dire, il est rare que dans ces temps de passions et
de troubles, tout le monde ne se mette pas un peu dans le
tort. Le Chapitre outrepassa certainement ses droits, en .
faisant beaucoup de changements dans les cures, ce qui lui
fut reproché par la cour et par M^"" Dosquet. M. de Beau-
harnais lui-même, qui fut alors le sauveur de la situation,
outrepassa ses pouvoirs, surtout en exilant à la campagne
deux conseillers, pour s'assurer d'une majorité au Conseil;-
il agit à ses risques et périls, et fut blâmé par la cour.
Mais il s'en consola facilement, parce qu'il était convaincu
que son intervention avait été bienfaisante et approuvée par
tous les esprits bien pensants de la colonie.
En effet, il y avait plus de deux mois que le Conseil'
Supérieur de Québec ne s'occupait guère que de la question
religieuse, c'est-à-dire de ce qui ne le regardait nullement.
Il avait entrepris de détruire l'autorité du vicaire capitu—
laire, au profit de celle de l'archidiacre, M. de Lotbinière, .
et il employait pour cela tout ce que la science légale et
canonique de l'intendant Dupuy pouvait lui fournir d'ar-
guments. On est vraiment stupéfié, en parc»urant les re-
gistres du Conseil Supérieur de l'époque, de la somme de
travail, de recherches et d'écritures que s'imposa Dupuy,
et qu'il s'imposa en pure perte. Ses dissertations four-
millent de citations d'auteurs latins et d'ouvrages cano-
niques ; elles sont d'une longueur désespérante, et ne
couvrent pas moins d'une centaine de pages des registres. On
ne peut les lire aujourd'hui sans dormir: quel supplice ce
devait être pour ces pauvres conseillers, dont la plupart ne
savaient pas grand'chose en fait de droit canon, d'entendre
I. Lettre du 25 oct. 1729^ publiée naguère par M. Verreau dans 1\.
Revue Canadienne.
464 l'église du canada
ces élucubrations. et de les entendre lire par un homme
qui n'en savait guère plus qu'eux, le grand voyer Lanouiller
de Boisclair, qui faisait les fonctions de procureur général!
Si du moins tout cela avait été inofïensif ! Mais à part le
danger qu'il y avait de voir se former à Québec un groupe
de parlementaires à l'image de Dupuy, l'intendant répandait
partout dans la colonie le venin de ses ordonnances, de ses
dissertations, de ses arrêts contre l'autorité religieuse; les
capitaines de milices étaient chargés d'en faire la lecture aux
portes des églises ; et lorsque le gouverneur, comme chef
militaire de la colonie, le leur eut défendu, l'intendant obli-
gea les maîtres d'écoles à en faire la lecture à leur place *.
Comme nous l'avons écrit quelque part, « c'est probablement
le premier cas d'intervention — forcée, il est vrai — des
instituteurs dans la politique ))^.
L'intendant et le Conseil allaient encore plus loin, dans
leurs ordonnances: ils menaçaient le chapitre, les curés, le
clergé séculier et régulier, en général, de la privation de
leurs revenus et des gratifications royales, et faisaient même
saisir les dîmes, si Ton ne reconnaissait pas l'autorité de M.
de Lotbinière, et si l'on continuait à s'attacher à celle de M.
Boulard.
Ce qui mit le comble à la mesure, et détermina M. de
Beauharnais à intervenir pour faire cesser un état de choses
qui menaçait de ruiner l'Eglise de la Nouvelle-France, c'est
ce qui se passa dans la séance du Conseil du premier mars :
A la surprise et au chagrin de plusieurs, on produisit à
cette séance deux requêtes adressées au Conseil, l'une des
Ursulines, l'autre de l'Hôpital-Général de Québec. La pre-
mière était signée au nom de toute la communauté par la
Sœur Saint-Jean-1'Evangéliste, supérieure, et six de ses
1. Ed. et Ord., t. II, p. 336.
2. Québec en 17^0, p. 46.
sous M*' DS SAINT-VALLIER 465
compagnes, formant « le chapitre et conseil de là maison ».
Elles demandaient qu'il fût fait défense à M. Boulard, « se
disant Vicaire Général du chapitre de Québec, contre les
expresses défenses du Conseil Suj^érieur, de les troubler en
leur communauté par des lettres, où il leur déclare qu'elles
sont excommuniées de droit, si elles se confessent à d'autres
qu'à des confesseurs approuvés de lui, qui a la seule autorité
légitime » Elles demandaient aussi qu'il lui fiit défendu
« de faire aucun acte de juridiction en leur maison, ainsf
qu'il lui avait été défendu déjà par les arrêts du Conseil
pour toutes les maisons et communautés régulières et sécu-
lières de la Nouvelle-France, avec injonction aux commu-
nautés de se pour\'oir au dit cas contre le sieur Boulard ; les
dites religieuses Ursulines n'ayant qu'à se louer de la con-
duite des révérends Pères de la Compagnie de Jésus, et de la
paix qui est entre elles depuis qu'elles sont sous leur direc-
tion et qu'elles les ont reçus pour confesseurs de feu M.
l'Evêque de Québec, ayant par devers elles une expérience,
qui n'est que trop triste et trop récente, de la différence des
directeurs qu'on veut introduire de nouveau dans leur com-
munauté ».
La lettre de l'Hôpital-Général, adressée au Conseil, était
signée par la mère Geneviève Duchesnay de Saint- Augustin,
supérieure, et vingt et une autres religieuses, fomiant « pres-
que toute la communauté, à l'exception de quatre seule-
ment ». Elles demandaient « à être mises sous la protection
du Roi et de Justice ». Elles avaient déjà « essuyé, disaient-
elles, de la part du sieur Boulard,. . . deux interdits publics
de leur église paroissiale, sans aucune réserve et permission
des sacrements pour elles et pour leurs pauvres. . . ; elles
avaient éprouvé la déposition de leur supérieure, et la nomi-
nation d'une autre par le dit sieur Boulard: lesquels actes
illégitimes et injustes le Conseil a condamnés et déclarés
nuls par ses arrêts. . . Elles n'ont garde, ajoutaient-elles, de
iO
466. l'église du canada
désobéir au Conseil Supérieur, mais elles n'en sont pas plu»
tranquilles, le dit sieur Boulard prétendant toujours avoir
déposé la supérieure de leur maison et nommé la mère
Saint-Joseph ^ pour être supérieure en sa place, lui adressant
ses lettres, et lui enjoignant de se confomier, en qualité de
supérieure, à deux interdits qu'il vient de donner de nou-
veau, après de premiers interdits dont il s'était désisté, contre
le R. P. de la Chasse, leur confesseur à elles donné par feu
M. l'Evêque de Québec, pour les diriger, et contre le R. P.
Dupuy "... » Tout cela, ajoutaient-elles encore, « ne tend
qu'à mettre le trouble et la discorde dans notre maison,
par le concours monstrueux de deux supérieures. . . » Elles
s'en rapportaient « au Conseil Supérieur chargé par le
Roi de la protection des commmunautés de son Canada^
pour ordonner ce qu'il trouverait de raison et de justice. . . »
Derrière ces communautés, mettons bien des person-
nages qui, évidemment, les dirigeaient, les soutenaient;
l'on ne peut admettre que l'autorité du vicaire capitulaire
était généralement « reconnue et sans contredit », comme il
l'avait pensé et déclaré lui-même dans son manifeste.
Le Conseil Supérieur, dans sa séance du premier mars,
prenait fait et cause pour les deux communautés. Il
accentuait de plus en plus ses menaces contre ceux qui,
malgré ses arrêts et ses défenses, ne reconnaissaient pas la
juridiction de l'archidiacre, M. de Lotbinière, et conti-
nuaient leur allégeance au vicaire capitulaire. Puis il
assignait M. Boulard, sous les peines les plus graves, à
comparaître à son tribunal dans sa prochaine séance, le 8
mars, pour rendre compte de sa conduite, de ses interdits, de
ses mandements, de ses nominations aux cures, le traitant
de « rebelle et désobéissant aux ordres du Roi ».
1. Angélique Hayot, fille de Jean Hayot et de Louise Pelletier. Son
grand'père Thomas Hayot avait été fermier des Jésuites, à Beauport,
2. Le R. P. Dupuy, jésuite, était le fils de FIntendant.
sous M^"" DE SAINT-VALLIliR 467
M. (le Beanharnats jugea qu'il était temps d'intenenir.
Il se rend donc au Conseil pour la séance du 8 mars,
emmenant avec lui son secrétaire, M. d'Ailleboust des
Musseaux. bien décidé à mettre fin aux empiétements
de ce tribunal dans les atifaires ecclésiastiques. Malgré
l'opposition de l'intendant, du grand voyer Lanouiller de
Boisclair, et de la plupart des conseillers, il réussit à faire
admettre le discours écrit qu'il a préparé pour la circons-
tance. Mais il doit renoncer à le faire lire par son secré-
taire : celui-ci est impitoyablement chassé de la salle, comme
« étranger ». La lecture du discours du gouverneur est
faite par Lanouiller de Boisclair. Nous donnons ici en
entier ce document important:
« Nous avons vu, messieurs, avec un extrême déplaisir
ce qui s'est passé en cette colonie depuis la perte qu'elle a
faite de M. l'Evêque de Québec. Nous avons été très
surpris d'apprendre par des voies indirectes que le Conseil
Supérieur de cette ville se fût attribué le droit de connaître
et décider souverainement de matières d'autant plus déli-
cates et dangereuses qu'elles intéressent tout le corps ecclé-
siastique de ce pays, sans avoir su de nous, qui occupons
pour le Roi la première place de cette compagnie, quel est
notre sentiment sur la conduite qu'elle avait à tenir, et sur
les mesures qu'il convenait prendre dans une affaire de
cette importance.
« Le Conseil ne peut ignorer les ordres de Sa Majesté,
qui y ont été enregistrés, par lesquels il lui est défendu de
faire aucuns règlements généraux qu'en présence du gou-
verneur et de l'intendant. Nous avions lieu de nous flatter
que dans des matières aussi importantes et aussi extra-
ordinaires que le sont celles dont il est question, il n'aurait
pas pris des résolutions aussi vives que celles qu'il a prises,
sans nous avoir auparavant demandé notre avis.
« Nous espérions aussi que cette compagnie, informée du
468 l'église du canada
mauvais effet que ses arrêts multipliés faisaient dans tous
les esprits, se porterait à cesser ses poursuites, et à attendre
la décision de Sa Majesté sur des matières aussi douteuses
et aussi contestées, ainsi que le Conseil Supérieur a fait,
du temps de nos prédécesseurs, dans des affaires moins
importantes et moins délicates.
« Cette compagnie si sage, si soumise aux ordres du Roi,
voudrait-elle aujourd'hui les ignorer, pour nous ôter la
connaissance du parti qu'elle a pris de continuer ses procé-
dures, et de soutenir un ouvrage qu'elle se repent peut-
être d'avoir commencé?
« Enfin, nous apprenons que lundi dernier, premier de ce
mois, elle a rendu un arrêt contre le sieur Boulard, curé
de Québec, que le chapitre de cette ville a nommé vicaire
général de ce diocèse, et que cet arrêt, qui ne tend pas
moins qu'à attenter à la personne du sieur Boulard, jette un
trouble général dans la colonie, et y excite des murmures
dont nous ne sentons que trop les dangereuses conséquences.
Et comme il est de notre devoir de prévenir les suites fâ-
cheuses qui peuvent s'en suivre, et d'employer à cet effet
toute l'autorité qu'il a plu à Sa Majesté de nous confier,
pour arrêter le cours d'une procédure si contraire au repos
public et au bien de la colonie, nous défendons de la part du
Roi aux officiers du Conseil Supérieur de Québec, de rece-
voir dès à présent aucune requête ou réquisition, ni aucunes
réponses de la part des parties citées, et de rendre direc-
tement ou indirectement aucun arrêt sur les matières en
question; et nous suspendons, de la même autorité, l'exécu-
tion de toutes ordonnances ou arrêts ci-devant rendus sur
cette matière, jusqu'à ce qu'il ait plu à Sa Majesté d'en
ordonner. Défendons pareillement au greffier d'en écrire et
expédier, et aux huissiers, archers, ou autres, d'en signifier,
publier, ni afficher aucuns de ceux qui ont été ci-devant
rendus à ce sujet, sous peine de désobéissance.
sous M" DE SAINT-VALLIER 469
« Nous imposons silence sur toutes ces matières au sieur
de Lanouiller, conseiller, faisant les fonctions de procureur
général depuis le décès du sieur Collet, jusqu'à ce qu'il ait
plu à Sa Majesté de faire savoir ses intentions sur le tout.
« Voulons que notre présent ordre soit porté au Conseil
Supérieur au premier jour d'assemblée, pour y être lu par
un de nos secrétaires, à haute et intelligible voix, et ensuite
publié à son de tambour, et affiché en tous lieiLx où besoin
sera, tant dans cette ville, qu'en celles des Trois-Rivières et
de ^Montréal, et partout ailleurs 011 nous le jugerons néces-
saire, à ce que personne ne prétende cause d'ignorance. »
Il est facile de voir que le gouverneur n'avait pas préparé
ce discours sans consulter auparavant quelques membres
importants du clergé canadien. Au cours de la discussion
qui en suivit la lecture. Lanouiller de Boisclair ne craignit
pas de dire « qu'il était l'ouvrage des prêtres et des moines ».
Il le disait en mauvaise part, mais la chose était vraie; le
discours faisait honneur non seulement à M. de Beauhar-
nais, mais à ceux qui l'avaient inspiré, et spécialement aux
révérends Pères récollets, que Lanouiller de Boisclair avait
voulu désigner, et contre lesquels Dupuy venait d'exhaler
son mécontentement. Répondant à M. de Beauharnais:
« Puisque vous avez, lui dit-il, une si grande idée de votre
pouvoir, que ne l'exercez-vous sur le clergé de cette colonie?
que n'imposez-vous silence à ce clergé séditieux et indépen-
dant? que n'empêchez-vous le Conseil Supérieur de devenir
le jouet de ?a cabale et la fable des Récollets, qui ne montent
plus en chaire que pour insulter le Conseil, y prêcher la
révolte aux peuples, et se répandre en discours qui offensent
l'autorité et la majesté du Roi ? »
Il est toujours alloué un certain temps au condamné pour
maudire ses juges. Le Conseil Supérieur et l'intendant
Dupuy, après avoir entendu le discours de M. de Beauhar-
nais, passèrent plusieurs heures en séance à le critiquer, à
470 L EGLISE DU CANADA
l'épiloguer, à maugréer contre le gouverneur, contre le cha-
pitre et contre le clergé en général. Mais le coup décisif
était porté. Le Conseil Supérieur revint encore, pour la
forme, dans deux ou trois séances, sur les sujets que le
gouverneur lui avait défendu de traiter ; et de son côté
l'intendant rendit encore une couple d'ordonnances; mais
personne n'en fît plus de cas. Tout le monde attendit avec
patience les nouvelles qui devaient venir de France dans le
cours de l'été ou de l'automne.
En lisant le compte-rendu de la séance du 8 mars dont
nous venons de parler, on est surpris de voir M. Boulard,
le vicaire capitulaire, se rendre au Conseil Supérieur, suivant
l'ordre qu'il en avait reçu huit jours auparavant, et deman-
der à y être entendu. Il est vrai qu'il n'y venait pas pour faire
aucune soumission: mais n'aurait-il pas été plus digne de sa
part de rester chez lui ? Il remit au Conseil <' un écrit con-
tenant neuf pages » dans lequel il démontrait que le siège
épiscopal était censé vacant, qu'il avait été élu légitimement
comme vicaire capitulaire, et que les arrêts rendus contre lui
étaient nuls de plein droit. Il priait le Conseil « de per-
mettre aux huissiers de faire des significations dont il aurait
besoin pour y assigner le sieur de Lotbinière et les commu-
nautés qui entendaient le poursuivre « \
Tout cela prouve la haute idée que Ton avait à cette
époque de la justice civile, et du Conseil Supérieur qui en
était au Canada le haut dépositaire; et cela explique aussi,
sans le justifier, le recours que certaines communautés reli-
gieuses, poussées à bout, sans doute, par les souftrances
morales, et ne sachant que faire, dans les circonstances
pénibles où elles se trouvaient, avaient eu au Conseil pour
demander protection contre certains procédés dont elles se
sentaient lésées.
I. Jacques Viger, "Ma Saberdache". Copies d'ordonnances de
Dupuy et d'arrêts du Conseil Supérieur de Québec, 1728.
sous M'^'" DE SAIN'T-VALT.IER 471
Quoi qu'il en soit, M. de Beauharnais avait fait un acte
décisif et nécessaire pour ramener la i)aix dans l'Eglise de
Québec. Tout le monde se sentit soulage. Mais on le fut
encore bien plus lorsqu'on apprit, au commencement de sep-
tembre, que Dupuy était rappelé en France et relevé de ses
fonctions ^ : lorsqu'on apprit, surtout, que le Conseil Supé-
rieur venait de recevoir une lettre du ministre secrétaire
d'Etat, datée à Versailles le premier juin, qui lui enjoignait,
de la part du Roi, « de donner main-levée des saisies et
amendes prononcées par ses différents arrêts, tant contre les
Dignités, chanoines et chapitre de l'église cathédrale de
Québec, que contre le sieur Boulard, vicaire général, et
curé de la paroisse, et les Pères récollets de la dite ville ».
Le Conseil Supérieur s'exécuta de bonne grâce, et dans sa
séance du 17 septembre rendit un arrêt en conformité de la
lettre du ministre d'Etat. M. Boulard et le Chapitre durent
se déclarer satisfaits. Mais ils étaient loin de triompher.
Le ministre d'Etat, qui avait envoyé au Conseil Supérieur
l'ordre dont nous venons de parler, écrivait en même temps
à M. de Beauharnais :
« Sa Majesté a été très surprise que le Chapitre ait ignoré
le droit de l'archidiacre d'officier à l'inhumation du corps et
aux grandes fêtes, prérogative à laquelle seule il s'est fixé,
et dont le refus a donné occasion à tout ce qui s'est passé
dans la suite -. »•
Une autre chose empêchait le Chapitre de triompher:
l'archidiacre, M. de Lotbinière, venait de recevoir une lettre
de M^'"" Duplessis-Mornay lui confiant la charge honorable
de prendre possession en son nom du siège épiscopal de
1. "Les termes dont M. Dupuy s'est servi dans les ordonnances qu'il
a rendues sont si peu mesurés, et il parait tant de passion dans sa con-
duite, que Sa Majesté. .. s'est déterminée à le révoquer..." (Lettre de
M. de Maurepas à M. de Beauharnais, 3 juin 17J8, citée par Langevin,
P- 213) . .
2. Lettre de ^L de Maurepas à M. de Beauharnais, 3 jum 1728.
47^ l'église du canada
Québec. Cette lettre était datée du premier mai. M. de
Lotbinière la reçut vers la fin d'août, mais ne put mettre son
mandat à exécution que le 15 septembre, après mille diffi-
cultés qu'il rencontra de la part des chanoines. Ceux-ci
allèrent jusqu'à contester la validité de la prise de possession
du siège épiscopal par M. de Lotbinière, et en écrivirent à
la cour, qui leur donna tort. Ils écrivirent également au
nouvel évêque de Québec, M^ de Mornay, pour lui exposer
leurs difficultés, et le Prélat leur écrivit à son tour :
« Je ne répondrai pas, messieurs, aux articles particuliers
de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. La
paix et la charité ne consistent pas dans les disputes. Il faut
en éviter toutes les occasions. Tenez-vous en à ce que M^
l'évêque de Samos, mon coadjuteur, vous dira de ma part.
C'est lui seul qui est aujourd'hui revêtu de tous mes pou-
voirs et en ce cas même qu'il vînt à mourir (ce qu'à Dieu
ne plaise), je vous déclare que le gouvernement du diocèse
sera entièrement dévolu à celui ou à ceux qu'il aura établi
grand vicaire ou vicaire général, selon le pouvoir que je lui
en ai donné, et qu'on ne pourra rien changer sans des ordres
exprès et positifs de moi \ . . »
Cette lettre annonçait un homme de nerf, tel qu'en avait
besoin l'Eglise de la Nouvelle-France dans les circonstances
fâcheuses où elle se trouvait. Malheureusement le troisième
évêque de Québec ne put jamais se résoudre à venir au
Canada.
I. Citée par Mgr Têtu, dans Les Evéques de Québecj p. 166.
FIN.
INDEX
'Abeille (1'), 45, 146, 169.
'Abénaquis, 23, 31, 46, 170, 179, 184, 267, 369, 373, 378, 381,
. 382, 385.
^Abitation (Y) de Champlain, 54.
'Académie française, 27.
Acadie, Acadiens, 26, 29-32, 34, 57, 59, 63, 65. 66, 77, 85,
loi, 150, 155, 167, 170, 177, 179, 180, 182-185, 195, 267,
359, 366-372, 374, 376, 378, 394, 396, 424.
Ailleboust (d'), M., 406.
Ailleboust des Musseaux (d'), 394, 395, 467.
Akansas (les), 114, 168, 169, 172, 173.
Alexandre VÎI, 78, 269, 299.
Alexandre VIII, 65.
Allart (le Père), récollet, 83.
Alléganys, 235.
Allemagne, 4, 239.
Ambroise (saint), 12.
Amérique, 66, 67, loi, 103, 155, 177, 235, 236, 331, 334,
365- 378.
André (saint), 442.
Ange-Gardien, 21, 340, 353, 451.
Angers, 309.
Angleterre, Anglais, 32, 57, 66-69, 72, 76, 77, 83, 84, 89. 144,
152, I55> 173» 178, 185, 215, 236, 237, 239-242, 245, 246,
248. 283, 337, 367, 369, 370, 372-374, 379-381, 462.
Annapolis, 32.
Annecy, 45, 47, 145-
Anne (sainte), 193, 237, 359.
Anne d'Autriche, 56.
Anne (la reine). 238, 241, 242.
Aranthon (d') M^, 146.
Armand (M.), 388.
474 INDEX
Asie, 179. , .
Avenel (d'). M., 327.
Auclair, curé, 327.
Augsbourg, 155.
Augustin (saint), 166.
Augustins (les Religieux), 128.
Aulnais (Saint-Roch des), 353.
Auteuil (d') M., 113, 192, 278, 395.
B
Bagot (le Père), 43.
Baie Saint-Antoine, 354, 358, 359.
Baie Saint-Paul, 174, 291, 353, 355, 403.
Baillargeon (M^r), 433.
Bailly (M.), 117, I73-
Batiscan, 24, 26, 114, 115, 137. 194, 262, 353. 354, 394, 430.
Baudouin (l'abbé). 182.
Beaudouin (D""), 326.
Bausset, 216, 307.
Bayeux, 129.
Beaubois (le Père), jésuite. 440.
Beaubassin, 33, 34, 182, 368, 372, 378.
Beaudet (l'abbé), 54.
Beauhamais (le gouverneur), 113, 2^, 417-419, 445, 446,
462-464, 467, 469, 471.
Beauharnais (l'intendant), 225, 226, 233, 234, 238, 239.
Beaumont, 86, 87, 261, 353.
Beauport, 71, 192, 343-347, 353, -^05, 409, 45 1, 457- 460, 466.
Beaupré (la côte), 20, 21, 309.
Beauveau (la maison de), 241.
Beauvilliers (duc de), 59.
Bécancour, 35. 46, 354, 358, 361, 381.
Bégin (M^"" l'archevêque), 45.
Bégon (l'intendant), 244, 254. 257, 297, 312, 319, 321, 330,
349, 355. 392, 395, 397, 404, 407, 4o8, 410-412, 416, 435.
Bellorget (la), 395.
Belmont (M. de), 28, 152, 182. 183. 272, 458.
Bénévent (l'abbave de), 128, 132, 133, 145, 222, 240, 247,
280, 281. 283'.
Bénédictins, 128, 281.
Bergeron (le commis), 337.
Bergier (M). 11, 168, 234, 332.
INDEX 475
Berlin (le Congrès de), 4.
Bernières-Louvigny (M. de), 99.
Bernières (M. de), 15. 16, 124, 143, 151. 206. 238, 389.
Berthelot (M.). 422.
Berthier. ou Bellechasse, 84, 353.
Berthier. en haut, 354. 359.
Berthier (le chirurgien), 443, 447.
Beurlier (l'abbé), 299, 365.
Biard (le Père), 31.
Bienassv (AI. de), 295-297.
Bienville (M. de), 234. 384. 385.
Bignon (l'abbé), 284.
Bigot (le Père), 369.
Biloxi. 234. 235. 384.
Bois (l'abbé). 56.
Bonaparte. 107.
Bonaventure (M. de). 68, 396.
Bonaventure (le Père), récollet, 372-374.
Bonfils (M.), 375.
Bossuet, 84. 146.
Boston, 65, 69, 369-371. 380.
Bouchard (les îles), 354, 359.
Boucher, Pierre, 25. 144, 163, 389.
Boucher, Philippe, 144, 206, 256, 310, 316, 340. 389.
Boucherville, 24, 25, 261. 354.
Boudon, 167.
Boulard (le curé). 191. 206, 343-345, 420, 451-453- 458-461,
464-468, 470, 471.
Boulet. François, 314.
Boullenger (le). 192. 340-342.
Bouquin (le curé), IT4. 115.
Bourdon, Jean, 55, 57.
Bourges, 128, 132, 280.
Bourgeois (la Sœur), 62, 93, 165.
Bouteillerie (M. de la), 284.
Boutteville (M.), 168, 240, 390.
Boyne, 76.
Bréboeuf (le Père de). 379.
Bréda (le traité de). 32. 178.
Breslay (M. de), 359. 377. 378.
Brisacier (M. de). 80, 81. 107, 114. 145, 254, 332.
Brouillan (AI. de). 184, 368.
Brunetière. viii.
47^ INDEX
Bruyas (le Père), 206.
Buisson de Saint-Côme (M.), 144, 168, 169, 170, 173, 206,
Bureau des Pauvres, 161, 162.
Cadix, 215.
Caen (l'ermitage de), 43.
Calon, Didier, 192.
Callières (M, de), 26, 108, 114, 117-122, 129, 130, 138, 140,
153-156, 159, 160, 162, 16s, 216, 228, 234, 235, 272,
301-305, 338, 406.
Calvarin (le chanoine), 284, 332, 341, 342.
Camus (le), M^, 6.
Canada, Canadiens, 2, 3. 10, 11, 13, 18, 26, 37-40, 48, 50-5»,
63, 66-69, 72, 77, 78, 82, 85, 89, 96, 105, 106, 109, 137,
145, 148, 155, 160, 163, 171, 177, 178, 195, 217, 234,
236, 243-245, 248, 251, 273. 280, 297, 299, 304, 305,
307, 322-327, 330, 331, 335, 362, 371, 372, 385, 390-393.
401, 402, 406, 407, 412, 415, 434, 454, 455, 465, 470, 472,
Canaughwaga, 35, 226.
Cap-Breton. 179, 362, 366, 368, 374, 375, 381.
Cap-de-la-Madeleine, 24, 261, 354.
Cap-de-Sable, 179,
Cap-Santé, 2^, 24, 86, 353.
Cap-Saint-Ignace, 86, 87, 353, 358.
Capsa (le Grand-), 357.
Capucins, 31, 178. 366, 385, 386.
Carheil (de), le Père, 227.
Carignan (le régiment de), 85.
Caro, Annibal, 5.
Casco, 68.
Casgrain (l'abbé), 32, 33, 150, 180, 182, 183, 185, 370,
Catarakouï, 12-14, 85.
Catéchisme de M^ de Saint-Vallier, 47, 48, 145, 229, 230,
Catinat, 77.
Chaboulié, 120.
Chaigneau (l'abbé), 152.
Chaise (de la), le Père, 17, 53, 80.
Chaleurs (Baie des), 179.
Chameau (le), 408, 416.
Chamballon, 120.
Chambly, 24, 86, 87, 354, 360.
INDEX 477
Champigny (l'intendant). 13. 57, 90, 93. 108, 112-114, 117,
120-123. 129. 139. 149, 151-157, 161, 163, 187, 198, 225-
227, 234. 281.
Champlain. 27, 54. 406.
Champlain. le lac, 371.
Champlain. la paroisse. 24. 26, 114. 194, 195, 262, 354, 394.
Chapitre de Québec, 10, 17, 18. 80, 124. 280-290, 292-294,
297, 322. 388, 389. 421, 434. 451, 452, 455, 456, 458,
460-465. 471.
Charles Borromée (saint), 5, 97, 98, 136, 137, 201, 204.
Charles II, d'Angleterre, 84.
Chares II, d'Espagne. 215.
Charlesbourg. 353. 356, 405. 411.
Charlevoix, 58. 92, 109, iio, 159. 160, 237, 243, 306, 416, 432.
Charon (les Frères). 102, 117, 152. 398.
Chartres. 14.
Chasse (de la), le Père, 434, 438, 443, 444, 457, 461, 466.
Chateaugiiay, 354, 360.
Chateau-Richer. 16, 21, 166, 292, 309, 353.
Chauchetière (le Père), 27, 127, 172, 210, 227, 274.
Chaudière (la rivière), 35.
Chaussegros. 2'j2.
Chazel (l'intendant), 408, 416.
Chédabouctou. 33.
Chênaie (Aubert de la), 278, 337, 343.
Chepar (M. de), 173.
Cheron. le conseiller, 278.
Chevalier, (M.). 431.
Chevrières (l'abbé de). 45.
Chibouctou. 180, 181.
Chicago. 168, 172.
Choiseul, 78.
Cicéron, viii.
Cinq-Cantons (les), 14, 66, 155, 235.
Cimetière (le premier) de Québec, 54.
Cisterciens, 281.
Citeaux, 128, 280. 281.
Clément X. 17, 286.
Clément XI, 214, 220-224, 229, 250, 282, 284. 286, 326, 333.
Clergé canadien, 50, 51, 56.
Clermont, 100.
Codère (M. de), 173.
Coeur de Marie (le saint), 72, 433, 457.
47^ INDEX
Colbert, 78.
Collet (.M.). 351, 352, 356, 357, 360, 469.
Cologne, 238.
Colombière (M. de la). 70, 72, 75. 117, 124, 152, 175, içô-,
206, 213, 229, 249, 254, 275, 278.
Colombière (G. Seré de la), 150, 212, 231, 247, 256, 284.
Confirmation (le Sacrement de), 21.
Congés (les), 392.
Congrégation de N.-D., (les Sœurs de la), 26, 28, 58, 62, 117;^
152, 165, 166, 167, 208, 244.
Conseil d'Etat (le), 80, 394, 404, 408, 412, 451, 454.
Conseil Supérieur de Québec, 20, 276-279, 285, 293, 300, 307^
312. 314, 336-346, 351, 353, 404, 408, 415, 417, 422, 435,
436. 451-458, 461-471.
Constantin, 323.
Contrecœur, 24, 26, 195, 261, 354, 359.
Corlar, 68.
Costebelle (M. de), 374.
Côté, 327.
Côte-Saint-Ange, 23, 361.
Coudraie (de la). J.-Bte, 431.
Couillard, Guill., 54.
Couillard de Lépinay. Louis, 337.
Courcy (chevalier de), 330.
Cournoyer. 354, 358.
Courrier dit Bourguignon (l'abbé), 170.
Courtemanche (M. de), 355.
Courrai (M. Poulin de), 163.
Crisacy (M. de), 270.
Croix (vraie), 223.
Crozat (la Compagnie), 385.
Crucy (le Père), 173.
Cuillerier, René, 100.
D
Dablon (le Père), 18.
Daniel (le Père), 379.
Darmstadt (le prince de), 238, 239.
Dauphiné, 2, 42.
Dauric (M.), 422.
Dautray, 354. 359.
Davenne-des-Meloises, 435.
INDEX 479
Davion (M.). i68. 234.
DeerfieKl, 236.
De Gaspé. 216.
Denain, 258. 27g.
Denaut (M«'). 21.
Denis (le Père Joseph), 34. 64, 117, 118, 120, 206, 270, 340,
341. 426. 427.
Denonville {M. de), 10-14, 22,, 27, 34, 35, 39, 41, 48, 50, 57,.
59. 66, 67, 71, 78, 79, 109, no, 135, 307, 308, 406, 407.
Deschaillons (Saint-Jean), 354, 358.
Deschambault. 23, 24, 261, 353, 357.
Deschambault (M.), 180.
Descormiers (M.), 261.
Desenclaves (M.), 37S.
Desgouttins. 66.
Desjordy. François, 114, 115, 137, 138.
Détroit. '87, 366, 367, 382, 383.
Deux-Montagnes (le lac des), 359.
Didace (le frère), 425-427.
Dieppe, yy.
Dièreville (M.), 181.
Dionne (D""), 36, 58, yy.
Dollier de Casson (M.), 27, 117, 119, 120, 143, 150, 152, 154,
183. 233, 423.
Don du Roi (le), 393.
Dongé (le Père), 234.
Dorvilliers. 354, 359.
Dosquet CM*-''), 259, 260, 266, 286, 362, 365, 422, 436, 463, 472.-
Doutreleau (le Père), 173.
Douvres (le traité de), 84.
Du Bos (l'abbé), 120, 206.
Dubois (le cardinal), 413.
Dubreuil, huissier, 454, 455.
Duchesneau (l'intendant), 192, 198.
Duchesnay. Geneviève, 457, 460, 465.
Dudouyt (M.), 9. 16. 17.
Dufferin (la terrasse), 54.
Dufournel (M.), 340, 451.
Duluth (M.), 227.
Duparc (le Père), 268, 447.
Dupes fia journée des), 105, 106, 139.
Duplessis (la Sœur), 401, 462.
Dupont (le conseiller), 125, 126.
480 INDEX
Dupré (le curé), 151, 206.
Dupuy, Paul, 345.
Dupuy (l'intendant), 389. 408, 411, 417-422, 439, 443, 447,
450, 452-458, 463, 464, 469» 471-
Dupuy (le Père), jésuite, 466.
Eboulements,355.
Ecole des Arts et Métiers, 20, 28.
Ecureuils (les), 23.
Eglise et Etat, 50, 131.
Eglise (1'), 6, 17, 34, 43, 74, 365.
Eglise du Canada, 1-3, 9-1 1, 16, 25, 32, 37, 38, 42, 43, 47, 54,
59, 75. 80, 81, 86, 95, 98, 99, 108, 132, 133, 143, 147, 151,
161, 167, 171, 174, 178, 183, 184, 190, 217, 230-236, 249,
251, 262, 277, 280, 281, 284. 294, 298. 300, 305, 322, 350,
366, 367, 374, 387, 412, 415, 455, 462, 464, 471, 472.
Espagne, 215, 234, 236, 381.
Estât présent, livre de Saint-V^allier, 3, 38, 41, 47, 48, 63.
Estrées (d'). le cardinal, 103.
Etats-Unis, 82.
Eudes (le Père), 72.
Europe, 93, 155, 197, 199, 208, 215, 231, 236, 254, 331, 425.
Evreux, 128, 280.
Faillon (M.). 62, 75, 117, 166, 195, 210, 246, 259, 398.
Famille (la Sainte), 146, 180.
Farnham, 238, 243, 283.
Faye (M. de la), 152, 261.
Félix (le Père), récollet, 372, 374.
Fénelon, 214.
Fénelon (l'abbé), 87.
Ferland (l'abbé), 189, 332.
Flandre, 16.
Flèche (La), 100.
Fleurus, yj.
Fontainebleau, 278.
Forget-Duverger (M.), 173.
Fornel (le chanoine), 313, 361, 362, 376, 452, 461.
Foulques (M,), 11.
IN'DËX 481
Fraize (M. de), 241.
France. Frarn,-ais. 2. 8-13. 2;^, 30. 42. 47, 49. 51. 56. 57. 65-68,
73-78. 81. 83. 84, 88, 96, 108-110. 123-134. 137. ''145. 150,
156. 157. 162. 164. 166. 172, 177. 178. 189, 190. 202,
209, 215. 225, 231. 234-239. 243-245. 251. 259, 260. 275,
279. 287-299. 305. i22. 323. 325. 330. 335. 338. 343,
362, 367. 370-390. 401, 402, 407. 412. 416. 424. 427,
434. 439- 447. 455. 462. 470. 471-
Francheville (labbé). 144.
François de Sales (saint). 45. 46. 145, 146.
Fredin (M.). 102.
Freneuse (la dame). 396.
Fronde (la). 2.
Fronsac (M. de), 30.
Frontenac. 12. 14. 26. 55. 57. 67, 71. yy, 79, 88, 90, 91, 94-96,
107-120, 125. 126. 129-131. 138-140. 149, 155-160, 163,
177. 183. 187. 277. 301. 302. 305. 307.
Frontenac, le fort. \'oir Catarakouï.
Foucault (M.). 51, 55. 114, 115. 137, 170. 234.
Foucault (D"^), 439.
Gagnon. 144. 328.
Gaillard, le conseiller, 278, 422. 462.
Galifet (le marquis de), 270.
Gallicanisme. 401.
Garneau (l'historien). 55, 147. 177. 190, 340. 352, 411.
Garneau (les frères). 340.
Gascogne. 307.
Gaston, Gastonguay. 170.
Gaulin (l'abbé), 32. 180. 184. 185. 368-370, ^/j.
Gaumine (mariages à la), 319. 347.
Gauthier (l'abbé), historien. 14.
Gauthier de Rrîdon (le curé). 309.
Geneviève (sainte). 57.
Gensec. 30. 307. 368.
Gentilly, 24, 354, 358.
Geoffroy (l'abbé), 11, 26. 33, 65, 86, 150, 182, 194-196, 261.
Georgené (le Père), récollet, 206.
Gesse (M. de la), 416.
Gibraltar. 215.
Giflfard. Robert, 457.
4^2 INDEX
Gironde (la), 147, 148.
Gisorî. 427.
Glandelet (M.). 16, 58, 112, 124, T32. 143, 145, 146, 167, 175,
191, 206. 213, 221, 229, 245. 24Q, 262, 283, 297, 314,
332, 335. 343-346, 3^9. 390> 426, 427,
Godean, Etienne, 120.
Goclel'roy, la mission, 354, 358.
Goudalie (M. de la), 378, 394, 458.
Gouye (le Père), jésuite, 235.
Grandville (M. de), 70, 358.
Grandet (M.), 27.
Grenoble, 2, 6, 7, 27,, 44, 47, 145, 150, 212, 256, 422,
Grondines, 24, 261. 353, 357.
Grosse-Ile, 358.
Guav (M.), de S. Snipice, 1^2.
Guay (M.), du Sém. de Q., 180, 368.
Guignas (le Père), jésuite, 172.
Guyon (l'abbé), 16.
Guyotte (l'abbé), 100.
H
Hainque. M. de Saint-Senoch, 439.
Halifax, 180, 182.
Hamel (le chanoine), 284, 390, 391, 452, 458,
Harlay. 80. 124, 130.
Havre (le), 226, 22S.
Havre-Saint-Pierre, 377.
Haverhill, 236.
Haye (la), 239.
Hayot. Angélique, 466.
Hazeur, le conseiller, 213, 278, 293, 337.
Hazeur de l'Orme (le chanoine), 2S7, 293-297, 452,
Hazeur, Thierry, chanoine, 452.
Hébert, Louis, 54.
Heinsius, 239.
Henriette- Anne (d'Angleterre), 84.
Hérault (M.l, 422.
Héricault (d'), Charles, 305.
Héronnière (de la), 22.
Hertel de Rouville, 6j. y;', 163, 235, 360.
Hiché (M.), 439, 457.
Hocqiiart (l'intendant), 266, 314.
INDEX 483
Hollande. Hollandais, 239, 326, 330, 334.
Hôpital-Général de Québec, 19, 49, 55, 6î, 62, 81-83, 88-94,
102, 121, 140. 150, 161, 162, 165, 212, 213, 216, 217,
2Z7, 240, 241, 247, 252, 255-260, 264, 267, 274. 356, 389,
400. 401, 404, 405, 419, 425, 429, 431-433. 438, 440,
443. 444. 447. 453-4^'5-
Hôpital-Général de Montréal. 102, 125, 397, 398.
Hôtel-Dieu de Montréal, 2^'. 117, 149, 152, 153, 397-400.
Hôtel-Dieu de Québec, 14-18, 26, 60, y2, 93, 100, 124, 152,
161, 195, 217, 264, 325, 337, 346, 347, 371, 401, 402, 462.
Hubert (M^O. 391.
Hudson (la Baie d'), 35, 67, yy, 155.
Hunter (M.), 238, 239.
Hurons. 14, 23.
Huvé (M.j, 234.
Iberville (d'), 35, 67, 68, yy, 149, 155, c.76, 182, 234, 384.
Jle-Dieu (abbé de 1') 184, 440.
Ile-aux-Coudres, 355.
Ile-aux-Grues, 358.
Ile-Jésus, 189, 191, 354, 359.
Ile-aux-Oies, 358.
Ile-du-Pads, 261, 354, 359.
lîe-aux-Tourtes, 359, 377.
Ile-\'erte. 357.
Illinois, lOi, 167, 168, 170-172, 440.
Islet (D. ^y. 353. 357.
Imola (l'archevêque d'). 225.
Incarnation (Marie de 1'), 198, 2yy.
Innocent XI, 7, 8, 38, 78, 281, 282, 299.
Innocent XII, 96, 214.
Intendant (Palais de 1"). 257.
Iroquois, 2, 13, 14, 66, 87, 89, 154, 155, 235, 303, 307,
Italie, 220.
Jamay (le Père Denis), 54.
Jansénisme. 98. 214, 401.
Jardin du P. Denis, 54.
Jardin Saint- Vallier, 54.
484 INDEX
Jean-Baptiste (saint). 2, 138.
Jean-Baptiste (la Société Saint-), 3.
Jean Chrysostôme (saint). 12. 248.
Jeanne de Chantai (>ainte), 45.
Jérusalem, 17, 28. 29.
Jésuites, 16, 18, 21, 23. 24. 28, 31, 42, 46. 60. 85, 99, loi,
112, 127, 167-171. 177, 184, 189. 202. 203. 206. 210, 219,
234. 235, 253. 262. 268, 273, 274, 299, 302, 306. 307. 325,
330- 333- 33('' 337- 354- 366. 369. 378, 381-386. 394. 416,
420. 422. 433. 438. 447. 461. 465. 466.
Joliet, Louis. 29, 103.
Joseph (le Père), l'Eminence Grise, 31.
Joue (M. de la), 346.
Joybert (de). 307.
Juchereau (la Sœur). 5. 7. 8, 61, 70, 124, 152, 154, 161, 239,
327, 330.
Juchereau (M.). 77. 343- 457-
K
Kamouraska. 29. 261, 325. ^27, 2^^, 357, 371.
Kelly (MM. de). 173.
Kénébec. 30. 31. 66. 369.
Kondiaronk. 14.
L
La Barre (M. de), no. 301.
Labrador. 355, 356.
Lacs (Les Grands), 176.
La Chênaie. 216. 262. 354. 359.
La Chevrotière. 261. 353. 357.
Lachine, 14. 59. 66. 67. 354.
La forêt (M.), 382.
La Grange (M.). 173. 375.
La joie (Port-). 377.
Lamberville (le Père), 12. 14. 164. 171, 226, 227.
Lamoignon. 413.
Lamothe-Cadillac. m, 382.
Langeon (M. de), 240, 241.
Langevin (l'abbé). 129, 221, 335, 453, 47i-
Languedoc, 307.
Lanoraie. 354. 359.
INDEX 485
Lanouiller de Roisclair, 411, 464, 467. 469.
Lantagnac (M. de), 319.
Laprade (M. de), 112.
Laprairie. 24, 26, 150, 324. 339, 354, 362, 364.
La Salle, 103.
Latour (M. de). 43, 85, S7, 99, 170, 278. 332, 335. 427.
Laval (M'''" de), 1-3, 7-10. 15-17, 20, 21, 26, 28, 30, 31, 35^
42-44, 49, 50, 52, 60, 68, 70, 79, 81, 83-85, 95, 99, 105, 108,
128, 131, 151, 162, 168-171, 178, 179, 185-188, 197-199,
209, 230, 234, 245, 269, 273, 276-282, 284-286, 289, 290.
294. 301, 305. 309. 322, 345. 350. 365, 368, 388, 427, 447.
Lavaltrie, 354, 359.
Lavardin. "^S, 299.
Laviolette, 163.
LeBer. 102.
LeBlond, 174, 284.
Lefebvre (M. Gervais), 430.
Leigne (M. André de), 457,
Leloutre (l'abbé), 32.
LeMoyne. Charles, 67.
LeMoyne, (la Sœur Marguerite), 195.
Leneuf, 163.
Léon XIIL VII, VIII.
Lepage, chanoine, 292.
LeRiche, 170.
Leschassiers (M.), 183, 214, 291, 368.
Lestrées (l'abbaye de), 128, 133, 222, ;»8o, 281
Lestringan (de), 343, 344, 347.
Leuze CSl. de), 422.
Lévi>. 368, 371.
Lévy (marquis de), 239.
Levrard, 430.
Liège, 238, 239.
Lignery (^L de), 383.
Limoges, 128, 280.
Limoges (le Père de), 234, 235.
Lino (M. de). 278, 319, 345, 469.
Livingston, 267.
Livourne, 222.
Londres, 238, 240.
Longfellow. 33.
Longrays (:NL de), 173.
Longueuil. 262. 354. 362. 363, 364.
486 INDEX
Longucuil (M. de). 360, 363. 429.
Longue-Pointe. 262. 354.
Loranger (M.), 382.
Lorette, 23, 35, 261. 353, 361, 405. 431.
Lotbinière, 24. 354. 358.
Lotbinière (M. de). 278. 307. 434-430, 444-449- 451-461. 463-
466, 470-472.
Louis (saint), 305.
Louis XIII, 84, 105.
Louis XIV, 5, 7, 44, 47. 56, 77-81, 84. 131. 145-147. 155. 185,
215, 216, 223. 225. 229. 234. 238. 239. 241. 247, 275,
279-281, 284-287. 298-300. 305. 412.
Louis XV. 286, 290. 412. 413, 415.
Louisbourg, 362. 374-376. 408. 416.
Louisiane. 30, 31, 35. 103. 173. 176. 177, 184. 234, 235, 240,
366. 367. 383-385. 393-
Louvigny (M. de). 319. 339. 416.
Lyon de Saint-Ferréol (M.), 419-423. 447.
M
Macart (M.). 278. 344-347-
Magasin de la Basse-\'ille. 35. 2>^.
Maillard (l'abbé). 32.
Maintenon (M^« de), 79. 131. 260. 308.
Maizerets (Ango de). 16. 43. 57. 124, 143. 206. 213. 245, 249,
260, 283. 314. 2>^2>' 332. 335- 345. 346. 388, 389.
Malbaie. 355. 371.
!Malborough. 239.
Malpec, 377.
Manille. 365.
Manon (le). 251, 253.
Marest (le Père), 382.
Mareuil, m. 113. 114. 125. 138.
Maricourt (M. de). 70.
Marie (saint nom de). 275.
Marie-IMadeleine (sainte). 274.
Marot. Jean (le bedeau). 313. 314.
Marquette (le Père). 103.
Marseille. 7. 222.
Marsolet (les prairies), 24.
Martin. Amador. 206. f
i.\L)t;x 487
Martinicre (M. de la). 129. 278.
Martinique. 384. 395.
MasUinongé. 354. 358.
Massillon. 216, ;i^^.
Masson. Frédéric. 239.
Ivlatignon (M'O- 33ô-
Maubec (labbaye de). 60, 128, 132, 133, 145. 222. 280, 281,
293-297.
Maiuloux (l'abbé), 180. 368.
Maufïls (le chanoine). 452.
M au repas (M. de). 290. 471.
Méan (le baron de). 238-240.
Meaupou (le chevalier de), 237, 240.
Meaux (vicomte de), viii.
Médicis (Marie de). 105.
Médoctec. 30. 368.
Ménage (M,). 261.
Mennechet. 78.
Iilenneval. 66.
Mériel (l'abbé), 120, 152.
Merlac (M. de). 51, 55, 124.
Merrimac, 236.
Mésy (M. de), 376.
Métivier (l'abbé). 577, 378.
Meulles (de). 24. 106. 257, 350, 365.
Miamis. lOi. 167. 168.
Michel (le Père). 327.
Michigan (le lac). 168.
Michillimakinac. 14. 168. 227, 367, 382.
Micmacs. 179. 184, 368. 369. 371.
Milan, 204.
Mines (les), 33. 34. 179. 180. 368. 372. 373. 378. 394.
Miramichi. 30, 179.
ISIissions-Etrangères. 10. 16, 17. 44, 53. 75. 79, 80. 86. 145,
169-171. 174. 184, 234. 235. 254, 283, 323. 331-334. 366,
368. 383. 384. 390. 391. 419-422.
Mississipi. 103. 114. 155. 156, 167-171, 173, 174, 175. 234,
235. 383. 3S4. 386. 440.
Missouri. 171.
Mobile. 234. 235. 384.
Molière. 139.
M on s. 76.
Montagne (Mission de la). 28.
488 iNDKx
Montcalm, 368.
Montigny (M. de), 150. 151, 164, 168, 174, 206, 323, 422,
Montseignat. 278.
Montmorency-Luxembourg, 68, 76.
Montmorency (le parc), 54.
Montréal, la Paix de, 235.
Montréal, \'illemarie, 23, 24, 26, 2"], 41, 52, 55, 58, 62, 67,
69, 70, "z^, 88, 95, 100-103, 114, 116, 117, 120, 122,
140-143, 150, 152, 154, 160, 166, 175, 177, 189, 195,
202, 203, 209, 229, 233. 243-246, 254, 263. 265, 270-274,
301. 302, 305. 315. 316, 321, 324, 354, 362, 363, 377, 394,
397-400, 407-411, 416, 420, 421-426, 429, 458, 469.
Montéléon, 343-347-
Montmagny (M. de), 406.
Morel (M'). 16.
Morin, Germain, 206.
Mornay (M^'^ de,), 266, 333, 385, i^-], 424, 436, 455, 471. 472,
Morville (le comte de), 362, 367.
Mossu (M). II.
Mouille-pieds, 362-364.
Mouy (le comte de), 4.
N
Nantes (cdit de), ']'^.
Narantsouak, 369, 379, 380, 381.
Natchez. 172, 173.
Nesmond (M. de), 147.
Niagara, 407.
Nicholson. 371, 372.
Nicolet. Jean, 344.
Nicolet, 24, 354, 358.
Nipissings, 359.
Noailles (le cardinal de), 130, 147, 327, 361.
Normandie, 85, 179.
Notre-Dame-des-Anges, 19, 88, 90, 92, 121. 433, 456, 458.
Notre-Dame de Montréal, 27, 153, 203.
Notre-Dame-des-\'ictoires, 36, 48, 50, 57, 58, 71, yj. lOO,
213. 293. 374.
Nouvelle-Angleterre, 66-68, 155, 157, 177, 235, 2-1, 307. 369,
zi^. 407.
Nouvelle-Ecosse, 182, 369.
Nouvelle-Orléans, 172, 173, 234, 385, 386, 439, 440.
Noyers (M. des), 173.
INDEX 489
O
OHer (M.). 23, 32, 183.
Ollivier (M.), 241.
Ontario (le lac), 87.
Orange (Guillaume d'), 76, 155. 238, 239.
Ordonnances de M'^'' de S. Vallier, 229, 230, 2^2.
Orient. 179. 333.
Orléans (Tile d'), 20, 21. 149, 166, 356, 371.
Orléans (duchesse d'), 172.
Oswégo. 407.
Ottoboni, 65. 96.
Outaouais, 167.
Pallières (M. de la). 129. 283.
Paris, 7, 10, 36, 38, 44, 46-49, 59, 68, 76. 77, 106. 108, 117^
123, 128, 130. 132, 135, 137, 141, 145, 148, 150, 183,
186, 193, 196. 214, 217, 218, 222, 228, 229, 248, 251,
258, 260, 282. 2^2^ 291, 323, 331, 333, 369, 375. 380,
416, 439. 440.
Paul (saint), 60. 6r. 66, 204, 22c, 318, 324, 405.
Pelletier (M. Le), 424.
Pemquid. 182.
Pensionnat de l'Hôp.-Général. 433, 438.
Pentagouet, 179. 184, 267, 369.
Pépin (M.), 292, 296.
Percé. 31. 34. 85. 117. 179. 426.
Perreault (le Père), récollet, 120.
Perrier (M.), 172.
Perse, 334.
Perthuis (M.), 100.
Peterhead. 243.
Petit (l'abbé). 32. 33. 65, 69. 85, 86. 178-180, 370.
Petite-Rivière. 353. 355.
Petrimoux. 375.
Philippe de France. 215.
Phili])pines, 365.
Phipps. 77, 86. 178.
Picart (le), chanoine. 284. 292, 295, 342.
Piémont. 77.
Pierre (M. de). 420.
49° INDEX
Figiquit. i8o.
ï'ignatelH. 96.
PingLiet (M. Jean), 23. 206.
Plaisance, 64, 88, loi, 117, 374, 426.
Plante (M.), 261, 284. 292, 391, 452, 458.
Plante (M. E.-G.), 433.
Platon (lej, 163, 164.
Plymouth. 238.
Pocquet (le curé), 292.
Pointe-à-Callières, 27.
Pointe-à-Lacaille, 29.
Pointe-Claire, 354. 359.
l'ointe-du-Lac, 358.
Pointe-aux-Trembles de Neuville, 23. 353. 357, 409.
Pointe-aux-Trembles de Montréal, 24. 354.
Polycarpe (saint), 179.
Pontchartrain. 106, 107, 124, 130, 131. 138, 185, 216. 217,
235, 247, 284. 28S. 342, 343.
Port-Joly (wS. Jean). 353, 357.
Portneuf (M. de), 67.
Port-Royal, 31-33, 65, 66, 69, 86, 178. 179, 368-372, 3/8. 39'"»-
Potherie (M. de la), 55. 149.
Poulet, Doin George-Frs. 324, 325, 328, 330.
Poulin (le curé). 364.
Poyvre (le Père le), récollet, ^j.
Prévil (M. de). 242.
Priât (M.), 152.
Prie-Dieu (affaire du), 1 17-120, 303.
Probabilisme, 268.
Propagande (la), 42. 219.
Providence (Maison de la), 28, 62.
Proyost (M.), 55, 270. 345.
Pyrénées, 215.
Q
Ouarante-Heures. '/2.
'Québec, 10, 15, 22, 31, 34, 50-54, 57. 61. 62, 66-72, 75, 77, 81,
82, 84. 88, 92, loi, 102, iio, 114, 115, 120, 128, 148-150,
155- 156, 164, 166, 170, 175, 177. 179. 186, 203. 212. 216,
237, 240, 243, 246. 253, 263, 269-273, 275, 279, 281, 283.
304, 315, 325, 331-338, 353. 356. 357. 362, 365, 371 ' 373.
374, 405. 411, 415, 416, 423, 435. 451, 458, 461, 464.
Ouesnel (le Père), de l'Oratoire, 326.
ix'jicx 491
-Quimper, 240.
•Quinte (lu baie de), 87.
R
Rageot (M.). 180. 36S.
Rameau (M.). 33-
Ramesay (M. de). 117. 11 S, 163. 164, 216, 219. 246, 251. 272,
306, 307. 318, 398. 416.
Ranipolla (le cardinal), vu.
Rancé (M. de). 335.
Raphaël. 221.
Rasle (le Père), 369, 379-382.
Ratisbonne (M. de), 28, 29.
Raudot (l'intendant). 195, 244, 309-312. 337. 344.
Réaume (la), 395.
Récollets, 19, 21, 31. 54. 64. 83, 85-88, 91. 92. 99. roi, 107,
110. 117-122. 140-143. 156. 157, 177, 206. 291. 298, 30J.
337' 339. 362, 3^^' 3^"^' 372. 374. 375. 378. 382. 394. 415,
416. 426, 430. 432. 447. 453. 457, 469, 471.
Régale (la), 299.
Régence (la), 412.
Relations des Jésuites. 4.1.
Reliques. 405.
Repentigny, 354.
Reuss (M,). 238, 239.
Rhéaume (l'abbé), 334.
Richelieu. 31. 105. 106.
Rituel de ^I"^"" de S. Rallier, 48. 145. 229-232.
Rituel romain. 232.
Rivière (M. de la). 57.
Rivière-Ouelle. 144, 192. 291. 328. 353. 357.
Rivière-du-Loup (en haut). 354. 358.
Rivière-du-Loup (en bas). 357.
Rivière-des-Prairies, 354.
Robert (l'intendant). 408.
Robert (M.), de S. Sulpice, 421-423.
Roche fort. 236.
Rochelle (la). 10. 11. 36. 41. 50. 147. 214. 215. 254. 261. 408.
Rochester, 238.
Rochemonteix (le Père de). 14. 53. 118. 268. 378. 379.
Roches (]M. des). 173.
Rome. 5, 10. 129, 219. 220. 222. 223, 225. 229. 236. 242. 248,
281-286, 291. 323. 333. 422, 427-
492 INDEX
Ronde (AI. de la), 240.
Rouen (l'archevêque de). 49. 130.
Rouer d'Artigny, et de \"illeray, 342, 462.
Roussin, 314.
Rouville. Voir Hertel.
Royale (Ile). Voir Cap- Breton.
Ru (le Père du), 234, 235.
Ryswick (la Paix de), 149, 155, 156, 157, 178.
Sainte- Anne de Beaupré, 21, 353, 425.
Sainte-Anne de la Pérade. 24, 123, 261, 353.
Sainte- Anne (Grande-Anse), 192, 353, 357.
Sainte-Anne du Bout de l'Ile, 354. 359.
Saint-Augustin, 261, 353, 361.
Saint-Castin (Baron de), 267.
Saint-Charles (la rivière), 19, 54, SS, 91.
Sainte-Croix, 24, 353, 358.
Saint-Claude (M. de). 144.
Saint-Denis. 357.
Sainte-Famille (I. O.). 21, 62, 353, 391.
Sainte-Foy, 25, 353. 361, 405-
Saint-François (I. O.), 21, 353, 356.
Saint-Frédéric (le tort), 407.
Sainte-Geneviève (le coteau). 19.
Saint-Jean (l'Ile), 366, 374. 376-378.
Saint-Jean (I. O.), 21, 353, 356.
Saint- Jean (fête de la), 311.
Saint-Jean (rivière), 30, 85. 179, 307, 368.
Saint-Joachim. 20, 28, 71, 191, 353.
Saint-Joseph de Léyis, 29. 144, 310, 311, 340, 355, 389.
Saint-Laurent (I. O.), 21, 353, 356.
Saint-Laurent de Montréal, 354, 359.
Saint-Laurent (le fleuve), 2^, 30 69, 86, 189, 351, 353, 355,
374. 416.
Saint-Louis (la fête de), 258.
Saint-Michel, 86, Sy, 261, 354.
Saint-Nicolas, 24, 353. 430.
Saint-Ofiice (le), 219, 220.
Saint-Ours, 261, 354, 359.
Saint-Ovide (M. de), 362, 374, 376,
Saint-Paul (I. O.), 21. 353, 356.
IN'DKX
493
Saint- Pierre (I. O. ), 21, 422.
Saint-I'ierre (Riv. du Sud), 313. 314. 353.
Saint-Pierre (le lac). 291, 354, 358. 361.
Saint- F'ierre (le Cotnte de). 377. 378.
Saint-Pierre et Miquelon. 64. 88, loi.
Saint-I\t)oli (hospice). 91.
Saint-Simon (M. Denis de), 278.
Saint-Sulpice (la paroisse de). 354. 359.
Saint-Thomas. 313. 314. 353.
Saint-\'allier. la Durantaie. 292, 353. 433. 457.
Sarrazin (D'). 148. 2yS, 341. 443, 444.
Saut-Sainte-Marie, 382.
Saut-Saint-Louis. 360.
Savoie (Eugène de). 239.
Ségur (marquis de). 68, 7Ô.
Seine (ia). 213. 237. 238. 240. 243.
Seignelay (de). 78.
Séminaire de Québec. 1. 2. 9. 15-21. 29, 32. 36, 43, 44. 51, 53,
56. 58. 59. 68. 71. 75. 79. 80. 81. 85-90. 102. 112. '124,
130, 132, 143, 145, 146, 151, 156. 166-171. 174. 179. 180,
184. 186, 191. 210, 233. 235, 243, 244, 257. 280. 282-285,
288-292. 309. 322, 323. 333. 334. 237^ 343. 357. 366. 369,
383. 388-391- 40 ï. 419-423- 427- 431- 435- 447- 449. 451-
Séminaire de Saint-Sulpice. 23. 24. 27. 28. 32, 49. 51. 52. 75,
86, 87. 101. 102, 103, 116. 140. 145. 154. 175. 183, 185^
191. 196, 202, 214, 229, 240, 241, 254, 262, 272, 291, 303,
316, 366. 368. 27y, 378. 394. 400. 420-424.
Sept-lles. 355. 371.
Sillery. 23. 28, 30. 35. 189. 356.
Sion (les Pères de), 29.
Sioux, loi, 167.
Sitimacas. 173.
Sœurs-Grises, 398.
Sorel, 24. 26. 86. 114. 116, 194. 261. 351. 354, 359.
Sorbonne. 123. 218. 219, 331. 427.
Soulanges, 359.
Soumande (^I.), 144.
Souel (le Père), 173.
Souligre, 66.
Subercase (M. de). 184, 368, 396.
Surlaville, 375.
Sylvie (le Père ), 35.
Synodes de Québec, J^. 102, 116. 206. 207. 249.
494 INDEX
Tac (le Père le). 24. 63.
Tadoussac, 71, 88. 355.
Talon. =s, 79- ^77, 30i- 4^7-
Tamarois, 167^70, 173, 175, 179, 206, 532, 333, 341, 366,.
3(^7, 393. 422.
Tanguay, Sj, 331, 340. 343, 3S5, 424.
Tardif (la Sœur), 117.
Taschereau, le cardinal, 147.
Tartufe (le). 111-114, 124. 138.
Tégakouita, Catherine, 226, 227.
Tellier (le Père le). 307.
Terrebonne, 292, 354, 359.
Terreneuve, 63-66. 79, loi, 155, 177, 182, 367.
Tessier, Roland, 388.
Tessier, Jacques, 430.
Têtu (M*^--), 55-56, 149, 173, 259, 293, 472.
Thaumur de la Source, 170, 332.
Thibout, 191, 292. 323, 342, 390.
Thury (l'abbé), 29, 32, 33, 65, 179-^84. 3^8, 369.
Tiberge (M.), 332.
Tilly (de), 240, 353.
Tonnancour (de), 354, 358, 452.
Tonti (M. de), 168, 169.
Torcy (marquis de), 239.
Tours, Touraine, 7, 8y, 100, 182.
Tourville. j~.
Tracy (M. de), 226.
Tremblay (^I.), 123, 132, 145, 146, 184, 185. 221, 222, 229^
230,' 239, 240, 243,, 291, 292, 295. 309, 335, 368, 369.
Trente (le Concile de), 201, 204, 206, 264, 265, 287, 328.
Troies (M. de), 35.
Trois-Pistoles, 325, 357.
Trois-Rivières, 24, 25, 6r, 85, 86, 144, 162, 163, 165, 177, 217,.
229, 240, 270-272, 340, 354 363, 389, 408, 409, 41 6>.
425-427, 469.
Trois-Saumons, 357.
Tronson (M.). 23, 51, 65, 69, 75, 103. 107, 117, 140, 145,-
166, 182, 183, 185, 210. 214, 259, 285, 423.
Trouvé (M.), II, 33, 65, 86, 150, 178, 182, 183, 368, 370^
INDKX 495,
u
Ulric (le curé), 363, 364.
Unigcuitus (la Bulle) 326, 32;, ZZZ^ 334, 361.
Urfé (M. d'), II.
Ursins (M. des), 173.
Ursulines de Québec, 59. 60, 70, ^S, 152, 155, 163, 164, 166,.
264. 307, 337, 402. 403, 415, 462. 464, 465.
Ursulines des Trois-Rivières, 162, 165, 217, 229, 259, 270,
425, 426, 440.
Ursulines de la Xou\'clle-Orléans. 438, 439.
Utrecht (le traité d"), 178, 185, 334, 370, 371, 7,72, 2>7^, 381.
V
Vaillant (le Père), loi.
Vaillant (l'abbé), 152.
\'al-de-Grâce, 56,
X'alenciennes, 307.
X'allier (M.), 423.
\'alois (le Père le), 17, 53, 59.
\"alois (M.), 420.
\'allet (le), Etienne, 206, 231, 247, 293, 337.
Vannes, 341.
Varennes (M. de), 25, 389.
\'arennes (de), le chanoine, 389, 390, 435, 439.
\"arennes, la paroisse, 24, 354, 364.
Varlet (le janséniste), 331-335. 338.
\'atican, 129. 133. 222.
Vaudreuil {M. de), 114, 123. 155, 160, 234, 235, 243, 251,.
254. 255, 264, 265, 267, 306, 307, 312, 315, 317-319,
321-324, 327, 329, 330, 338, 349, 351, 355, 371-374, 379,
381, 382, 385, 393, 395, 396, 398, 399, 403, 404, 406,
407, 415, 417, 429.
Vaudreuil ( M'"^ de), 265, 307, 308, 317, 416.
\'audreuil (le hef), 359.
Vente (M. de la), 234, 384.
Verbois (le fief). 357.
Verchères, 261, 262. 354, 359.
Verchères (M"* de), 89.
VerreaufM. l'abbé), 146, 463.
Verrier (M. le), 352.
Versailles, 7, 23, 44, Gi, 80, 82, 92, 130, 131, 215, 246, 308,.
340, 471-
49^ INDEX
Mger, Jacques. 455, 470.
X'illars (maréchal de), 258.
\'illeray (M. de). 113.
\'irginie (la). 237, 238.
Visitation (la), 45, 46, 146.
Vitré (M. de). 125. 126, 457.
Vivier (le Père), 171, 172.
\'ogiié (M. de), viii.
W
W'abash, 393.
Waddington (M.), 4.
W'alker (l'amiral), 371.
Yamachiche. 354, 358.
Yasous, sauvages, 173.
Youville (M"»^ d'), 398.
TABLE DES MATIERES
PAGES
Avant - PRoros vu
Chapitre I. — Esquisse préliminaire i
Entrée en matière. — Naissance de Mgr de Saint- Vallier ; sa famille;
son éducation. — Le comte de Saint-Vallier, son arrière-petit-neveu,
au Congrès de Berlin. — Caractère de Mgr de Saint-Vallier. — Esprit
religieux de sa famille. — Aumônier de la Cour. — Xommé par le
Roi à l'évêché de Québec. — Lettre de Mgr de La%-al au pape Inno-
cent XL — Mgr de Saint-Vallier au Canada. — Le gouverneur De-
nonville.
Chapitre IL — M. de Saint-Vallier visite la Nouvelle-
France comme grand vicaire de AL'" de Laval 15
M. de Saint-Vallier, à Québec. — Visite canonique des communautés. —
Au Séminaire. — L'école de Saint-Joachim. — Visite de la Côte Beau-
pré et de l'Ile d'Orléans. — Visite de Québec: affaire La Héron-
nière. — De Québec à Montréal. — L'abbé Geoffroy. — A Montréal. —
Voyage en Acadie. — Retour à Québec. — L'emplacement de l'église
de la Basse- Ville. — Retour en France.
Chapitre III. — M. de Saint-\'allier en France, pour sa
consécration épiscopale 37
port au gouvernement ue son cgiise. — ireiermage a /\nnecy. — vi-
site à sa mère. — Sa consécration épiscopale. — Retour au Canada de
l'ancien et du nouvel évêque de Québec.
Chapitre IV'. — L'Eglise du Canada, de 1688 à 1691 53
Maison et terrain achetés par Mgr de Saint-Vallier pour son évêché. —
Travaux à la cathédrale. — Eglise de la Basse-Ville. — Démêlés
avec le Séminaire. — Fête pour la translation d'une relique de saint
Paul. — Commencements de l'Hôpital-Général.
498 TABLE DES MATIÈRES
PAGES
Chapitre \'. — L'Eglise du Canada, de 1688 à 1691
(sKitc) 63
Voyage de Mgr de Saint-Vallier à Terreneuve et en Acadie. — Mas-
sacre de Lachine. — Frontenac ; Charles LeMoyne ; D'Iberville. —
Visite pastorale. — Siège de Québec, 1690. — Premier Synode de
Québec. — Lettre pastorale de l'Evèque avant de partir pour la
France. — Départ pour la France.
Chapitre \'L — M-' de Saint-\'allier en France. 1691-92. 76
Les triomphes de Louis XIV. — Le Canada, à Paris. — Bon accueil
fait à l'Evéque de Québec. — Le Règlement pour la réforme du
Séminaire. — Lettres patentes pour l'Hôpital-Général de Québec. —
Lettres patentes aux Récollets. — Retour de Mgr de Saint-Vallier
au Canada.
Chapitre VII. — L'Eglise du Canada, de 1691 à 1694.. 89
La colonie, durant l'absence de l'Evèque. — Mgr de Saint-Vallier ac-
quiert, pour l'Hôpital-Général, le couvent des Récollets. — Les
religieuses de l'Hôtel-Dieu se chargent de l'Hôpital-Général. —
L'œuvre pastorale de Mgr de Saint-Vallier : guerre à l'intempé-
rance et autres vices. — Une assemblée du clergé. — Mgr de Saint-
Vallier, le saint Charles Borromée de notre Eglise. — Rien de
janséniste dans sa doctrine. — Sa dévotion à la sainte Vierge et à
saint Joseph. — Jésuites et Récollets à Montréal. — Commencement
de l'Hôpital-Général des Frères Charon. — Deuxième Sj'node. —
Juridiction de l'évêque de Québec à la Louisiane.
Chapitre VIII. — L'Eglise du Canada, de 1691 à 1694
(suite) 105
La journée des Dupes. — Mgr de Saint-Vallier et Frontenac. — Fron-
tenac, au point de vue religieux. — L'affaire du Tartufe et des
Cent-Pistoles. — L'affaire Mareuil. — Un cas de concubinage pu-
blic. — Officiers accusés de manquer à la messe.
Chapitre IX. — L'Eglise du Canada, de 1691 à 1694
(suite) 116
Mgr de Saint-Vallier, à Montréal. — Affaire du Prie-Dieu ; interdic-
tion de l'église des Récollets ; interdiction des Récollets. — Mgr de
Saint-Vallier et M. de Callières. — Affaire de la solde des soldats,
retenue par leurs officiers. — Mgr de Saint-Vallier au Conseil Su-
périeur. — Il part pour l'Europe.
TABL1-: DKS MATIÈRES 499
PAGES
Chapitre X. — Troisième voyage de l'Evêque en France.
— Absence de 1694 à 1697 128
Mgr de Saint-Vallier, retenu en France par le Roi. — Il donne des
missions à ses abbayes. — Lettre à M. Glandelet. — Lettre à son
clergé du Canada. — Les décisions de la cour sur les affaires cana-
diennes. — Frontenac et les Cent-Pistoles.
Chapitre XI. — Troisième voyage de l'Evêque en France
(suite). — Son retour au Canada 140
Règlement de l'affaire des Récollets. — Rapprochement avec le Sémi-
naire de Québec. — Pèlerinage à Annecy. — Reliques de saint Fran-
çois de Sales envoyées au Séminaire. — Le Roi permet à l'Evêque
de retourner dans son diocèse. — Maladie de l'Evêque pendant la
traversée: il est sauvé par le docteur Sarrazin.
Chapitre XII. — L'Eglise du Canada, de 1697 à 1700. . 149
Mgr de Saint-Vallier prend possession de son nouvel évêché. — A l'Hô-
pital-Général. — Le clergé et les communautés religieuses du dio-
cèse.— Incendie de l'Hôtel-Dieu de Montréal. — Exploits de D'Iber-
ville et de Frontenac. — Paix de Ryswick ; Te Deum. — Mort de
Frontenac.
Chapitre XIII. — L'Eglise du Canada, de 1697 à 1700
(suite) 159
Callières succède à Frontenac. — La grande épreuve de l'Hôpital-Géné-
ral. — Les Ursulines des Trois-Rivières. — Les Sœurs de la Con-
grégation.— La mission des Tamarois. — Les saints de l'époque.
— Aperçu général sur les missions du Mississipi.
Chapitre XIV. — L'Eglise du Canada, de 1697 à 1700
(suite), — Les missions de l'Acadie 176
Toutes les missions de la Nouvelle-France dépendent de l'Eglise de
Québec. — Résumé de l'histoire de l'Acadie. — Le grand vicaire
Thury; ses derniers jours. — Mort des abbés Trouvé et Beaudoin.
— Mort de M. Tronson. — L'abbé Gaulin.
Chapitre XV. — L'Eglise du Canada de 1697 à 1700
(suite). — Les paroisses canadiennes 186
Après le Règlement de 1692. — La question des cures fixes. — Les huit
500 TABLE DES MATIERES
PAGES
mille livres de supplément. — L'édit de 1679 et le patronage des
églises. — Le patronage donné à l'évèque par l'édit de 1699. —
L'abbé Geoffro}*, grand architecte du diocèse.
Chapitre X\'I. — L'œuvre pastorale de ^M^" de Saint-
\'allier, de 1697 à 1700 197
Mgr de Saint-Vaîlier renouvelle l'ordonnance de son prédécesseur
contre le Lu.xe. — Les offices de paroisses. — Devoirs des fidèles
envers leurs curés. — Le 3e Synode de Québec. — Mgr de Saint-
Vallier et les Religieux. — Le 4e Synode. — Dernier mandement
. avant de partir pour la France.
Chapitre X\'II. — M-"" de Saint-Valiier en France, de
1700 à T704 214
La France et Louis XIV en i;oc. — Bon accueil fait par le Roi à
l'évèque de Québec. — L'établissement de l'Hôpital-Général, con-
firmé. — Lettre pastorale de l'évèque à son clergé. — Réponses de
la Sorbonne et du Saint-Office sur certaines difficultés. — Voyage
à Rome. — Message du Pape à Louis XIV. — Bref du saint-père à
l'évèque. — Catéchisme, Rituel et Recueil d'Ordonnances de Mgr
de Saint-Vallier.
Chapitre X\'III. — Captivité de l'Evêque en Angleterre,
1704-1709. — Retenu en France, 1709-1713. — Re-
tour au Canada 233
L'Eglise du Canada en l'absence de l'Evêque. — La " Paix de Mont-
réal ". — Prise de la Seine par les Anglais. — Mgr de Saint-Vallier
en Angleterre. — La perte de la cargaison de la Seine, cause de
misère au Canada. — Rentré en France, le Prélat est retenu par la
cour. — Lettre foudroyante à son clergé. — Retour au Canada.
Chapitre XIX. — L'Eglise du Canada, au retour de
France de son premier pasteur 253
Arrivée à Québec de Mgr de Saint-Vallier. — A l'Hôpital-Général. —
Renonce à habiter son évèché. — Etat de son diocèse. — Visite
de la ville. — Visite des communautés religieuses. — Entrées du
gouverneur dans les couvents. — Maladie de l'Evêque. — Aux
Trois-Rivières. — A Montréal. — Mgr de Saint-Vallier et l'ivro-
gnerie. — Fête de sainte Marie-Madeleine.
Chapitre XX. — M^'' de Saint-Vallier et le Chapitre de
TABLE DKS MATIÈRES 501
PAGES
Québec 2/6
L'Evèque de Québec, au Conseil Supérieur. — Enregistrement des
lettres rovales de 1713. — Résumé de ces lettres. — Réforme du
Chapitre. — Le "combat des Bulles". — Mgr de Saint-Vallier et
son Chapitre. — Le chanoine Hazeur de l'Orme à l'abbaye de
Maubec.
Chafii-kk XXI. — L'Eglise de la Nouvelle - France et
l'Etat, sous Ms"" de Saint-\'allier 298
Louis XIV et l'Eglise de la Nouvelle-France. — Instructions à M. de
Callières. — Mgr de Saint-Vallier et M. de Vaudreuil. — Mme
de Vaudreuil. — Deux ordonnances de l'intendant Raudot. —Ques-
tions de préséance à l'église. — Le pain bénit, aux capitaines de
milice ; aux chantres sans surplis. — Les bancs des Seigneurs. —
L'eau bénite au gouverneur, par présentation du goupillon. —
Mariages des officiers et soldats.
Chapitre XXII. — L'Eglise de la Nouvelle-Fraîice et
l'Etat, sous Ms'' de Saint-Vallier (suite) 321
Mgr de Saint-Vallier et Vaudreuil. — Le Séminaire de Québec. — Le
cas de La Prairie de la Madeleine. — L'affaire du moine Bénédictin
janséniste. — L'affaire Varlet. — Les immunités ecclésiastiques.—
Une question de taxes. — Le clergé et les corvées publiques. —
Le clergé et les tribunaux civils. — Affaire Garnaut. — Affaire Le
Boullenger. — Aft'aire ^Montéléon - Lestringan. — ]\Iariages à la
gaumine.
Chapitre XXIII. — Xouveau remaniement des paroisses.
— Règlement de 1721 349
Le " Plan des missions " de 1683. — Le Règlement de 1721. — M,
Collet. — Liste de 82 districts paroissiaux. — Remarques au sujet
du Règlement de 1721. — La côte du Labrador. — Protestations
contre le Règlement. — Le curé Fornel. — Le curé Ulric. — Les
cures fixes.
Chapitre XXI\'. — Les missions lointaines de l'Eglise
(lu Canada 3*^7
L'Acadie. — M. Gaulin. — Prise de Port-Royal. — Le traité d'Utrecht. —
Expédition manquée des Anglais contre le Canada. — Patriotisme
du clergé canadien. — La mission de Louisbourg et du Cap-Breton.
— M ission de l'Ile Saint-Jean. — M. de Breslay. — Au pays des Abé-
naquis. — Mort du P. Rasle. — La mission de Détroit. — A la Loui-
siane.— La Nouvelle-Orléans.
502 TABLE DES MATIERES
PAGES
Chapitre XXV. — L'Eglise du Canada, de 1720 à 1725. 387
Isolement de Mgr de Saint- Vallier. — Etat du Séminaire de Québec. —
Mgr de Saint- Vallier et les Canadiens. — Les Congés. — Le Don du
Roi. — Luttes de l'Evéque contre les désordres. — A l'Hôpital-
Général de ^Montréal. — Incendie de Montréal ; mandement de
l'Evéque. — A l'Hôpital-Général de Québec. — A l'Hôtel-Dieu.—
Aux Ursulines. — Années de misère au Canada. — Processions à
l'Hôpital-Général.
Chapitre XX\'I. — L'Eglise du Canada, de 1720 à 1725
(suite) 406
La question du commerce des boissons enivrantes. — Une nouvelle
ordonnance de l'intendant Bégon, combattue par Mgr de Saint-
Vallier. — Bonnes ordonnances de >L Bégon. — Le Lit de justice
de Louis XV. — Mort de Vaudreuil. — Naufrage du Chameau. —
Le nouveau gouverneur, AL de Beauharnais. — L'intendant Dupuy.
— AL Lyon de Saint-Ferréol, supérieur du Séminaire. — M. Robert,
visiteur de Saint-Sulpice.
Chapitre XX\'IL — Les dernières années de ^l»"" de
Saint- Vallier 425
Maladie de Mgr de Saint-Vallier ; son pèlerinage au tombeau du Frère
Didace. — Enquête de M. Glandelet sur les faits miraculeux attribués
au Frère Didace. — Dernière visite pastorale de l'Evéque. — A
l'Hôpital-Général ; établissement du Pensionnat ; la chapelle du
saint Cœur de Marie. — AL de Lotbinière, nommé archidiacre ; son
éloge.
Chapitre XXX'IIL — Les derniers jours de M^"" de Saint-
Vallier. — Sa maladie ; sa mort 437
Belle fin de vie de Mgr de Saint-Vallier. — Dernier anniversaire de son
sacre. — Belle fête au Pensionnat. — Fondation des Ursulines à la
Nouvelle-Orléans. — Dernière maladie de Mgr de Saint-Vallier. —
Ses adieux à ses religieuses et aux pauvres. — Administré par
l'archidiacre. AL de Lotbinière. — Visite du gouverneur. — Ses
derniers moments. — Sa mort. — Visites à la chapelle ardente.
Chapitre XXIX. — Sépulture de ^i^'^ de Saint-Vallier. —
Evénements qui la suivirent 449
A propos des circonstances de la sépulture de Mgr de Saint-Vallier.—
Election de M. Boulard comme vicaire capitulaire. — Préparatifs
TABLE DES MATIÈRES 5O3
pour la sépulture. — Différend entre le Conseil Supérieur et le Cha-
pitre.— Obsèques privées de Mgr de Saint-Vallier. — Interdit de
l'église de l'Hôpital. — Manifeste de M. Boulard. — Situation de
l'Eglise de Québec décrite par la Sœur Duplessis. — Discussions
religieuses au Conseil Supérieur. — Intervention de M. de Beau-
harnais. — Décisions de la cour. — Mgr de Mornay et les cha-
noines de Québec.
Index
473
BX 1421 .G67 1911 v.l SMC
Gosselin. Auguste Honore
L Eglise du Canada depuis
Monseigneur de Laval Jusque
la conquête
AKF-3176 (sk)
G. H. NEWLANDS
Bookbinder
Calcdon East, Ont.