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Full text of "L'Église du Canada depuis Monseigneur de Laval jusqu'à la conquête"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lgliseducan03goss 


L'EGLISE  DU  CANADA 

depuis  monseigneur  de  i^avat, 
jusqu'à  i,a  conquête 


troisième  partie 
Mgr  de  PONTBRIAND 


~j^^  ^^^^ 


Abbê  Auguste  GOSSELIN 

DK   LA   SOCIÉTÉ  ROYALE   DU   CANADA 
DOCTEUR  ES  LETTRES 


L'EGLISE  DU  CANADA 

DEPUIS  MONSEIGNEUR  DE  LAVAL 


jusqu'à  la  CONQUÊTE 


TROISIÈME  PARTIE 
Mgr  de  PONTBRIAND 


QUÉBEC 
Typ.  Laflamme  &  Proulx 

I9I4 


Imprifnatur, 

t  L.-N.,  Archiep.  Quebecen. 
Quebeci,  die  vigesima  octava  novembris  1913 


AUG  18  1956 


Lettre  de  Son  Eminence 

LE  CARDINAL  R.  MERRY  DEL  VAL 

Secrétaire  (V  Etat  de  Sa  Saititetê  Pie  X 

A  l'auteur 


Secrétairie  d'Etat  ^.  . 

DE  Sa  Sainteté  ^  ^^'^^^'  '  '  novembre  1 9 1 3. 


A  Monsieur  Pabbè  Auguste  Gosselin^ 

de  la  Société  Royale  du  Canada, 

Saint' Char  le  S  de  Bellechasse. 

Monsieur  Pabbé^ 

Le  Saint-Père^  Pie  X^  a  agrée  avec  bienveillance  Phom 
mage  que  vous  avez  eu  la  filiale  pensée  de  Lui  faire  de 
la  11^  Partie  de   votre  ouvrage  intitulé  :    L'Eglisb  du 
Canada  depuis  M^^  de  Laval  jusqu'à  la  Conquête. 

Ce  nouveati  livre  sur  ^intéressante  histoire  de  P Église 
du  Canada^  répond^  ainsi  que  les  précédents,  au  noble  but 
que  vous  vous  êtes  proposé^  de  mettre  en  lumière  les  glo- 
rieuses traditions  de  foi  et  de  piété  de  la  Nouvelle- France^ 


VIII 

de  retracer  la  vie  de  ses  illustres  Evêques^  de  manifester 
leur  zèle  et  leur  sollicitude  poui  le  bien  des  ânies^  pour  la 
prospérité  et  la  grandeur  de  leur  pays. 

V auguste  Pontife  vous  félicite  de  cette  nouvelle  publi- 
cation^ <?/,  en  vous  encourageant  à  poursuivre  le  travail 
entrepris^  Il  vous  accorde  de  cœur  le  bienfait  de  la  Béné» 
diction  Apostolique. 

Avec  mes  félicitations  personnelles^  et  avec  mes  remer^ 
déments  pour  V  exemplaire  que  vous  m'' ave  s  gracieusement 
offert^  veuillez  agréer^  Monsieur  Pabbé^  V assurance  de  mes 
meilleurs  sentiments  en  Notre-Seigneur. 

R.  Card.  Mrrry  DEL  Val. 


AVANT-PROPOS 


La  lettre  si  belle  et  si  bienveillante  qu'il  nous  est  donné 
de  publier  au  commencement  de  ce  volume  nous  est  infini- 
ment précieuse:  pouvions-nous  espérer  de  mettre  notre 
humble  travail  sous  des  auspices  plus  augustes  et  plus 
consolants?  Notre  Saint  Père  le  Pape  Pie  X,  à  qui  nous 
avions  fait  hommage  de  la  deuxième  partie  de  notre  ou- 
vrage n Eglise  dît  Canada  depuis  Mgr  de  Laval  jusqu'à  la 
Conquête^  l'accueille,  comme  la  première,  avec  une  grande 
bienveillance,  et  nous  fait  dire  par  son  Bminent  Secrétaire 
d'Etat  que  «  ce  nouveau  livre  répond,  ainsi  que  les  précé- 
dents, au  noble  but  que  nous  nous  sommes  proposé  de 
mettre  en  lumière  les  glorieuses  traditions  de  foi  et  de 
piété  de  la  Nouvelle-France. . .  »  Dans  sa  grande  bonté, 
le  Saint-Père  veut  bien  nous  féliciter  de  cette  nouvelle 
publication.  Il  nous  encourage  «  à  poursuivre  le  travail 
accompli,  et  nous  accorde  de  cœur  le  bienfait  de  la  Béné- 
diction Apostolique.  » 


X  AVANT-PROPOS 

Ah,  que  de  fois  n'avons-nous  pas  ressenti  les  effets  de 
cette  auguste  et  encourageante  parole  au  cours  de  nos 
recherches,  de  nos  labeurs,  du  travail  immense  qu'il  a 
fallu  nous  imposer  pour  mener  à  bonne  fin  notre  entreprise  ! 
et  si  nos  travaux  ardus  ont  eu  quelque  succès,  nous  l'attri- 
buons sans  réserve  à  la  Bénédiction  du  Saint-Père. 

Certes,  nous  ne  nous  faisons  aucune  illusion  sur  la  valeur 
de  nos  ouvrages  :  que  d'imperfections,  sans  doute,  on  peut 
y  trouver!  Mais  enfin,  si  le  succès  matériel  peut  signifier 
quelque  chose,  il  nous  sera  peut-être  permis  de  dire  ici,  en 
toute  simplicité  et  franchise,  que  sur  deux  mille  exemplai- 
res de  chaque  volume  que  nous  avons  coutume  d'éditer, 
c'est  à  peine  s'il  nous  en  reste  une  cinquantaine  :  n'est-ce 
pas  la  preuve  qu'ils  ont  été  favorablement  accueillis  du 
public?  et  si  le  public  leur  a  fait  bon  accueil,  c'est  qu'il  a 
vu  chez  nous  la  disposition  bien  arrêtée  d'écrire  l'histoire, 
et  non  pas  des  histoires,  de  dire  la  vérité  et  toute  la  vérité, 
d'après  les  documents  les  plus  authentiques,  ayant  soin 
d'indiquer  toujours  au  bas  des  pages  ies  sources  où  nous 
avons  puisé,  de  manière  à  lui  permettre  de  vérifier  les  faits 
et  les  citations,  s'il  le  juge  à  propos. 

((  La  première  loi  de  l'histoire,  a  dit  Léon  XIII  dans  son 
admirable  lettre  sur  les  études  historiques,  c'est  de  ne 
jamais  oser  dire  rien  de  faux  ;  la  deuxième,  de  ne  pas 
craindre  de  dire  la  vérité:  que  l'écrivain,  dit-il,  ne  prête 
jamais  au  soupçon  ni  de  partialité,  ni  de  prévention. ..  ; 
que  l'histoire, 'ajoute-t-il,  soit  toujours  le  miroir  de  la  vérité 
et  de  la  sincérité.  » 

L'histoire  de  notre  Eglise  canadienne,  en  général,  est  si 
belle,  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  craindre,  en  l'écrivant,  de  dire 


AVANT.PROPOS 

la  vérité.  Quand  il  y  aurait  par  ci  par  là  quelques  ombres, 
ue  craignons  pas  de  l'admettre  franchement  :  il  n'y  a 
jamais  eu  de  tableaux   véritablement  beaux  sans  ombres. 

Un  des  membres  les  plus  distingués  de  notre  Clergé 
canadien  nous  écrivait  tout  récemment,  après  avoir  termi- 
né la  lecture  de  notre  deuxième  volume: 

«  Aucune  histoire  ne  m'a  donné  plus  de  jouissance,  plus 
de  satisfaction  :  tout  y  est  impartial,  documenté:  c'est  de 
la  vraie  histoire,  et  non  de  l'apologie.  Aussi  nous  atten- 
dons votre  troisième  Partie  avec  impatience.  .  .  » 

Cette  troisième  partie,  nous  l'offrons  aujourd'hui  au 
public  :  c'est  l'histoire  de  notre  Eglise  sous  l'épiscopat  de 
M«^  de  Pontbriand,  lequel  finit  juste  à  la  Conquête.  Avec 
ce  volume,  et  les  deux  volumes  précédents,  se  trouve  donc 
complété  l'objet  que  nous  avions  en  vue  en  donnant  à 
notre  ouvrage  le  titre  général  :  IJ Eglise  dît  Canada 
depuis  Mgr  de  Laval  jusqu'à  la  Co^iquête. 

Ces  trois  volumes,  d'ailleurs,  ont  chacun  leur  objet  dis- 
tinct, et  peuvent  se  vendre  ou  se  donner  séparément  :  le 
premier,  c'est  l'épiscopat  de  M^  de  Saint- Vallier  ;  le 
deuxième,  celui  de  ses  trois  successeurs,  les  évêques  Mor- 
nay,  Dosquet  et  de  Lauberivière  ;  le  troisième,  l'épiscopat 
de  M^  de  Pontbriand. 

Ajoutons  à  ces  trois  volumes  les  deux  volumes  de  la  Vie 
de  Mgr  de  Laval  qui  les  ont  précédés,  et  puis  cet  autre  qui 
regarde  les  commencements  de  notre  Eglise  et  auquel  nous 
avons  donné  pour  titre  La  Mission  du  Canada  avant  Mgr 
de  Laval:  voilà  donc  six  volumes  qui,  tout  en  ayant 
chacun  son  objet  distinct,  forment  un  tout  complet,  une 


XII  AVANT-PROPOS 

œuvre  d'ensemble,  que  nous  pourrions  intituler  volontiers  : 
L'Eglise  du  Canada  sous  le  Régime  français  (1615  à  1760), 
c(  Votre  livre,  disait  à  un  auteur  un  célèbre  religieux» 
appartient  à  la  publicité  des  choses  faites  pour  Dieu.  » 
Puissions-nous  mériter  ce  simple  et  modeste  éloge  !  nous 
n'en  désirons  point  d'autre. 


L'EGLISE  DU  CANADA 

sous  MGR  DE  PONTBRIAND 


CHAPITRE  I 


COUP  D'ceiL  SUR  L'ÊGUSE  DU  CANADA  EN  174I. — M^"" 
DE  PONTBRIAND,  SIXIÈME  ÊVÊQUE  DE  QUÉBEC 

L'Eglise  de  Québec  pendant  la  vacance  du  Siège.  —  Le  curé  Plante  et  ses 
vicaires  "  en  titre.  "  —  Le  Clergé  du  Canada.  —  La  population  ;  son 
homogénéité.  —  Etendue  de  la  juridiction  de  TEvêque  de  Québec. 
—  La  Belle-Rivière.  —  Nomination  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  Ce 
qu'en  écrit  M.  de  l'Orme.  —  Son  arrivée  à  Québec. 

NOUS  sommes  en  1741.  L'Église  de  la  Nouvelle-France, 
veuve  de  son  premier  Pasteur,  M^^  de  Lauberivière, 
pleure  sa  disparition  soudaine.  Il  a  passé  ici  comme  un  mé- 
téore, répandant  une  vive  clarté  par  l'éclat  de  sa  charité,  de 
sa  sainteté,  de  ses  vertus  héroïques.  Puis  il  s'est  éteint  tout- 
à-coup,  nous  laissant  dans  le  deuil  et  les  ténèbres.  Ter- 
rible épreuve  pour  notre  Eglise  !.  .  .  Disons  plutôt  :  admi- 
rable disposition  de  la  divine  Providence,  qui,  par  le  vif 
regret  que  nous  causait  la  mort  soudaine  de  ce  saint  Pré- 
lat, vraiment  digne  des  Laval  et  des  Saint- Vallier,  nous 
préparait  à  mieux  accueillir  et  apprécier  celui  qu'elle  nous 
destinait  pour  le  remplacer. 


2  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

Ce  nouvel  Evêque  est  déjà  nommé  et  connu  :  c'est  M^ 
de  Pontbriand.  Les  Canadiens  l'apprennent  par  le  pre- 
mier vaisseau  d'outre-mer,  qui  jette  l'ancre  devant  Québec 
au  commencement  d'août  ^  Mais  le  navire  sur  lequel  est 
monté  le  Prélat  n'arrivera  à  Québec  qu'à  la  fin  du  mois, 
après  quatre-vingt-quatre  jours  de  traversée  'K 

En  attendant,  c'est  le  Chapitre  qui  gouverne;  et  nous 
savons  déjà  de  quelle  manière  :  les  règles  canoniques  ne  le 
gênent  pas  plus  que  les  leçons  du  passé  et  les  avertissements 
de  la  Cour:  il  lui  faut  contenter  ses  amis,  établir  des  cures 
inamovibles,  fixer  des  curés,  nommer  même  des  «  vicaires 
perpétuels,  »  ce  qui  ne  s'est  pas  encore  vu  au  Canada. 

Cette  dernière  nomination,  de  deux  vicaires  «  en  titre  » 
pour  la  cure  de  Québec,  soulève  une  tempête.  Le  curé 
Plante,  qui  fait  lui-même  partie  du  Chapitre,  n'a  pas  voulu 
y  concourir;  il  fait  défense  à  ces  deux  prêtres  d'exercer 
les  fonctions  de  vicaire  dans  sa  paroisse  ;  il  met  cette  dé- 
fense par  écrit,  et  la  leur  envoie  signifier  à  domicile  ^  par 
l'huissier  Pilotte  *.  De  leur  côté,  les  deux  vicaires  LeChas- 
seur  et  Resche  s'en  vont  à  la  Prévôté,  et  chacun  d'eux  sé- 
parément fait  enregistrer  par  ie  greffier  Boisseau  sa  protes- 
tation contre  la  défense  du  curé.  Les  deux  protestations, 
écrites  «  au  bas  de  la  signification  qui  leur  a  été  faite  »,  sont 
identiques  ;  il  suffit  d'en  citer  une  pour  faire  connaître  les 
mœurs  du  temps  : 

«  Je  soussigné,  prêtre,  vicaire  de  Québec  en  titre  pendant 


1.  Ce  vaisseau  ramena  au  Canada  M.  de  Miniac,  qui  partit  Tannée 
suivante  (1742)  pour  l'Acadie,  en  qualité  de  visiteur  et  de  grand  vicaire 
pour  cette  colonie,  repassa  en  France  en  1750  et  ne  revint  plus  à  Québec. 
Il  devint  complètement  aveugle. 

2.  Archives  du  Canada,  Correspondance  générale,  vol.  75,  lettre  de 
M.  Hocquart  au  ministre,  7  septembre  1741. 

3.  Les  vicaires  LeChasseur  et  Resche,  comme  la  chose  se  pratique 
souvent  en  France,  ne  logeaient  pas  avec  le  curé. 

4.  L'huissier  Pierre  Pilotte  demeurait  rue  Sainte-Famille.  (Archives 
paroissiales  de  Notre-Dame  de  Québec,  Recensement  de  1744). 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  3 

le  siège  vacant,  proteste  de  nullité  contre  la  dite  défense 
qui  m'est  faite  et  signifiée  par  le  sieur  Pilotte  ce  jour  d'hui 
7  décembre  de  la  part  de  M.  Charles  Plante,  curé  de  Qué- 
bec, comme  partie  incompétente  pour  faire  de  pareilles 
défenses,  par  les  raisons  que  je  déduirai  en  temps  et  lieu,  et 
en  outre  déclare  au  dit  sieur  Plante  que  j'exercerai  mes 
fonctions  de  vicaire  de  Québec  jusqu'à  révocation  de  M.  le 
vicaire  général.  A  Québec,  ce  7  décembre  1740.  (signé) 
Chrestien  LeChasseur  ^  » 

On  ne  trouve  dans  les  registres  de  l'état  civil  aucun  acte 
de  M.  Resche  avant  le  11  février  (1741).  Mais,  ce  jour-là, 
il  fait  un  baptême,  et  signe  vicaire  e^t  titre.  Le  curé  fait 
rayer  immédiatement  les  mots  «  en  titre  «  et  dans  l'acte  et 
dans  la  signature. 

Toutes  ces  choses  sont  tellement  en  dehors  de  nos  mœurs 
actuelles  que  nous  avons  peine  à  nous  en  rendre  compte. 
Quel  désordre  dans  cette  cure  de  Québec,  où  tout  n'est  au- 
jourd'hui que  paix  et  tranquillité  sereine! 

Plus  convenable  que  son  confrère  Resche^,  LeChasseur, 
faisant  un  mariage  le  4  juin,  a  soin  d'écrire  dans  l'acte  : 
«  à  ce  commis  par  messire  Plante,  curé  de  Québec.  « 

Du  reste,  à  partir  du  30  septembre  1740  jusqu'à  l'arrivée 
de  M^^  de  Pontbriaud,  ce  sont  des  prêtres  du  Séminaire  qui 
remplissent  les  fonctions  de  vicaires  à  la  paroisse  :  MM. 
Jacrau,  Girard,  Martin  Sejelle,  Maufils,  Chevalier,  André, 
Marquiron,  Pelet  ;  et  nous  rencontrons  plus  tajd  les  noms 
de  Soupiran,  Levasseur,  Chefdeville,  De  LaValtrie,  Gas- 
tonguay,  Charles  Beaudoin  ^.     Les  chanoines  Fornel,  De 

5.  Archives  provinciales  de  Québec,  Registres  de  la  Prévôté. 

6.  Un  futur  chanoine:  il  fut  nommé  le  28  septembre  1752,  et  installé 
le  30  septembre.  Il  remplaçait  Joachim  Fornel,  qui  avait  donné  sa 
démission  le  24  avril  précédent.  C'est  le  notaire  Barolet  qui  rédigea  l'acte 
d'installation  de  M.  Resche.  (Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Re- 
gistre du  Chapitre). 

7.  Charles-Louis-Marie  Beaudoin,  "prêtre  habitué"  de  la  paroisse,, 
demeurait  chez  son  père,  le  docteur  Beaudoin. 


L^éGLISE    DU   CANADA 


Tonnancour,  Gosselin,  De  Gannes-Falaise,  De  Lotbinière 
n'apparaissent  que  de  loin  en  loin  dans  les  registres  ^ 

Le  vicaire  capitulaire,  contrarié  dans  quelques-uns  de  ses 
actes  d'administration,  quitte  la  partie  et  se  sauve  en 
France  ^.  Celui  qui  lui  succède  se  met  en  guerre  avec 
l'official  :  il  y  a  bientôt  trois  ou  quatre  causes  ecclésias- 
tiques devant  le  Conseil  Supérieur.  Triste  procédé  de  la 
part  des  prêtres,  d'appeler  ainsi  les  juges  laïques  au  règle- 
ment des  affaires  de  l'Eglise  ! 

«Notre  Chapitre,  écrit  M.  de  l'Orme,  est  composé  de 
têtes  qui  ne  pensent  guère  ce  qu'ils  font,  dans  bien  des 
rencontres.  . .  Je  comptais,  ajoute-til  au  nouveau  vicaire 
capitulaire,  qui  n'est  autre  que  son  propre  frère,  que  votre 
grand  vicariat  serait  plus  tranquille  qu'il  n'a  été  ^^.  .  .  » 

N'allons  pas  croire,  toutefois,  que  ces  faits  déplorables, 
qui  seront  un  jour  consignés  dans  les  archives  publiques  ^^, 
et  dont  l'historien,  par  conséquent,  devra  tenir  compte,  aient 
du  retentissement  au  delà  d'un  certain  rayon  autour  de 
Québec.  Il  n'y  a  encore  au  Canada  ni  journaux,  ni  télé- 
graphe, ni  téléphone  pour  répandre,  comme  de  nos  jours, 
les  mauvaises  nouvelles  aux  quatre  vents  du  ciel.  Heu- 
reux temps,  celui-là,  sous  bien  des  rapports!  Les  curés  de 
campagne,  n'ayant  pas  les  facilités  de  communication  que 
nous  avons  aujourd'hui,  absorbés  d'ailleurs  dans  les  tra- 
vaux d'un  ministère  laborieux  et  pénible,  ne  vont  à  la 
ville  tout  au  plus  qu'une  fois  ou  deux  par  année  :  il  est 
probable  que  la  plupart  ignorent  même  les  divisions  qui 
régnent  au  sein  du  clergé  de  Québec. 

Ces  curés  sont  généralement  d'excellents  prêtres,  presque 


8.  Archives  paroissiales  de  Notre-Dame  de  Québec. 

9.  Voir  notre  volume  précédent,  p.  420. 

10.  Bulletin  des  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  133,  XVI,  p.  325. 

11.  Registres  de  la  Prévôté  et  du  Conseil  Supérieur. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  5 

tous  canadiens,  formés  au  séminaire  de  Québec  :  il  n'y  a 
en  tout,  d'après  M»"*  de  Pontbriand  lui-même,  que  seize 
curés  français  ^'^.  Le  peuple  est  bon,  honnête,  sincèrement 
chrétien  :  le  nouvel  Evêque  rendra  bientôt  témoignage  à 
la  ((  piété  de  ce  peuple,  fidèle  imitateur  des  vertus  de  ceux 
qui  sont  préposés  pour  le  conduire  ^^  » 

Le  recensement  de  la  Nouvelle-France  proprement  dite, 
en  1739,  enregistrait  une  population  de  42,700  âmes  ;  elle 
sera  de  55,000,  au  recensement  de  1754.  On  voit  de  suite 
ce  qu'elle  peut  être  en  1741  ;  et  cette  population  se  répartit 
en  cent  trente-deux  paroisses  ou  localités  distinctes,  toutes 
comprises  entre  Rimouski  et  Châteauguay,  les  deux  termes 
extrêmes  de  la  colonie  canadienne  proprement  dite,  à  cette 
époque  ^*. 

De  ces  paroisses  ou  missions,  il  y  en  a  quatre-vingt- 
quinze  où  l'on  tient  registres.  La  plus  ancienne  est  Qué- 
bec ;  la  plus  récente,  Saint-Chailes  de  Chambly  ^^ 

Du  reste,  les  habitants  de  la  Nouvelle-France  ne  font 
que  commencer  à  pénétrer  dans  la  profondeur  des  terres  ; 
presque  tous  les  établissements  canadiens  sont  encore  sur 
les  rives  du  grand  fleuve  Saint-Laurent.  Il  y  a  déjà, 
cependant,  deux  ou  trois  paroisses  sur  la  rivière  Richelieu, 
et  quelques  établissements  aussi  sur  la  rivière  Chaudière  *^. 
Il  y  en  a  aussi  sur  les  bords  du  lac  Champlain,  et  nous 
verrons  que  M^^  de  Pontbriand  sera  sur  le  point  d'y  ériger 
une  paroisse  :  il  n'en  sera  empêché  que  par  les  menaces  de 
la  guerre  et  les  conseils  de  l'intendant  ^^. 


12.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  au  ministre,  22  août  1742. 

13.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  10. 

14.  Recensement  de  1870-71,  t.  IV,  p.  60. 

15.  Tanguay,  Dictionnaire  généalogique,  t.  I,  p.  601. 

16.  Rapport  concernant  les  Archives  canadiennes  pour  IÇ05,  t.  I,  p. 
42,  67. 

17.  Ihid.,  p.  45. — Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  de  Mgr  de  Pont- 
briand au  ministre,  10  novembre  1746. 


6  l'église  du  canada 

Ce  qui  caractérise  la  population  de  la  Nouvelle-France, 
c'est  sa  parfaite  homogénéité  :  homogénéité  de  croyance  et 
de  pratique  religieuse  ;  tous  les  Canadiens  sont  catho- 
liques ;  il  n'y  a  à  Québec  que  neuf  protestants  ^^  :  ce  sont 
.  des  commis  ou  associés  de  marchands  huguenots,  dont  le 
nombre  va  bientôt  augmenter  :  homogénéité  de  race  ;  tous 
les  Canadiens  viennent  de  la  belle  et  douce  France  ;  ils  par- 
lent tous  la  même  langue,  le  noble  idiome  de  leurs  ancê- 
tres, et  Franquet  dit  expressément  «  qu'ils  n'ont  pas  le 
moindre  accent  ^^.  » 

Si  l'on  trouve  çà  et  là  quelques  particuliers  originaires 
de  la  Nouvelle- Angleterre,  ce  sont  des  déserteurs  ^°,  ou  bien 
des  prisonniers  faits  par  les  Canadiens  dans  leurs  courses 
guerrières  :  ils  ont  préféré  rester  au  Canada  plutôt  que  de 
retourner  chez  eux,  afin  de  pratiquer  ici  plus  librement  la 
religion  catholique  ;  ils  sont  devenus  tout-à-fait  Canadiens  : 
ce  sont  les  ancêtres  de  ces  bonnes  familles  qui  n'ont  d'an- 
glais que  le  nom,  et  souvent  même  ne  savent  pas  un  mot 
d'anglais  -^ 


i8.  Corresp.  générale,  vol.  75,  lettre  de  Beauharnais  et  Hocquart  au 
ministre,  18  septembre  1741. 

19.  Voyages  et  Mémoires  sur  le  Canada,  publiés  par  l'Institut  cana- 
dien de  Québec  en  1889. 

20.  Il  en  vint  un  jour  trente  de  Chibouctou  (Halifax)  :  des  Anglais, 
des  Irlandais  et  des  Ecossais.  Le  ministre  français  écrivit  au  gouverneur 
et  à  l'intendant  "  de  leur  faciliter  les  moyens  de  s'établir  ".  {Rapport. . . 
pour  1Ç05,  p.  132. 

21.  Dans  une  de  leurs  incursions  si  fréquentes  chez  nos  voisins  de 

la  Nouvelle- Angleterre,  nos  sauvages  alliés  firent  prisonnier  un  jeune 
Anglais  protestant,  du  nom  de  Farnsworth,  âgé  de  dix-sept  ans,  et 
l'emmenèrent  à  Montréal.  C'était  en  1704.  M.  de  Belmont,  supérieur  de 
Saint-Sulpice,  ayant  vu  ce  jeune  homme,  offrit  à  ces  barbares  une  cer- 
taine somme  d'argent  pour  le  racheter,  l'attira  au  Séminaire,  l'instruisit 
des  vérités  de  la  religion  catholique,  le  baptisa,  puis,  avec  une  générosité 
incomparable,  l'établit  sur  une  magnifique  terre  dans  la  Pointe-aux- 
Trembles.  Le  2  octobre  1713,  ce  jeune  homme  épousa,  au  Lac  des  Deux- 
Montagnes,  une  jeune  Canadienne,  du  nom  de  Charpentier.  D'Anglais 
qu'il  était,  il  devint  tout-à-fait  Canadien  ;  son  nom  même  de  Farnsworth 
se  transforma  peu  à  peu,  et  devint  Phaneuf.  Il  est  l'ancêtre  de  cette 
belle  famille  Phaneuf,  dont  les  rameaux  se  sont  étendus  dans  toutes  les 


sous    M^'*   DE    PONTBRIAND  7 

Y  a-t-il  des  Irlandais,  venus  directement  d'Irlande?  Nous 
n'en  voyons  aucun  pour  le  moment.  Quelques  années  plus 
tard,  les  hasards  de  la  guerre  entre  l'Angleterre  et  la  France 
en  amèneront  éventuellement  un  certain  nombre  comme 
prisonniers;  et  le  ministre  français  écrira  à  M.  Hocquart: 
«Si  les  Irlandais  catholiques  conduits  au  Canada  demandent 
à  s'y  fixer,  je  ne  vois  pas  d'inconvénients  à  ce  qu'on  le  leur 
permette.»  Quelques-uns  se  prévaudront  de  cette  offre 
généreuse  ;  mais  on  n'aura  pas  à  s'en  féliciter  :  le  gouver- 
neur et  l'intendant  écriront  à  la  cour  :  «  Nous  avons  suivi 
vos  intentions  à  l'égard  des  Irlandais  catholiques  qui  ont 
voulu  rester  en  ce  pays  ;  mais  tout  catholiques  qu'ils  sont, 
la  plupart  sont  très  mauvais  sujets,  et  dont  la  colonie  ne 
tirera  jamais  grand  profit  ^^.  .  .  w 

Plus  tard  encore,  il  se  formera  à  Québec,  sous  la  conduite 
de  M.  Nairne,  une  compagnie  de  cinquante-six  Irlandais, 
qui  avaient  été  faits  prisonniers  dans  la  Nouvelle-Angle- 
terre, et  M.  de  Vaudreuil  les  emploiera  avec  succès  aux 
travaux  des  fortifications  de  la  ville  ;  mais  il  les  fera  pas- 
ser ensuite  en  France,  «  ne  croyant  pas  devoir  en  faire 
usage  pour  les  opérations  militaires  de  la  colonie.  »  En 
France,  ils  seront  incorporés  ((  dans  les  régiments  irlandais 
entretenus  au  service  du  Roi  '^^.  » 

* 
*     * 

Outre  la  Nouvelle-France,  la  juridiction  de  l'Evêque  de 


parties  du  pays.  Le  2  octobre  de  cette  année  1913,  un  bon  nombre  des 
membres  de  la  famille  Farnsworth-Phaneuf  se  réunirent  sur  la  terre 
donnée  à  leur  ancêtre  par  M.  de  Belmont,  et  sur  cette  terre  qui  appar- 
tient encore  à  un  Phaneuf,  célébrèrent  le  bi-centenaire  du  mariage  de  cet 
ancêtre,  ayant  eu  la  délicate  attention  d'inviter  à  cette  fête  de  famille 
un  représentant  de  Saint-Sulpice,  M.  René  Labelle,  le  digne  curé  actuel 
de  Notre-Dame  de  Montréal. 

22.  Corresp.  générale,  vol.  91,  lettre  de  MM.  de  La  Galissonnière  et 
Bigot  au  ministre,  28  septembre  1748. 

23.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  98,  249. 


s  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

Québec  couvre  un  immense  territoire  :  l'Acadie  anglaise, 
aux  frontières  imprécises,  source  éternelle  de  conflits  entre 
^Angleterre  et  la  France,  entre  l'Angleterre  et  les  sau- 
vages ;  PAcadie  française  ;  l'Ile  Saint- Jean  et  l'Ile  Royale  ; 
le  bassin  des  Grands  Lacs  ;  la  vallée  du  Mississipi  et  de  ses 
nombreux  affluents.  La  France  revendique  tout  ce  terri- 
toire, pour  en  avoir  fait  la  découverte,  pour  l'avoir  par- 
couru en  tous  sens  par  ses  missionnaires,  par  ses  décou- 
vreurs ;  mais  qu'a-t-elle  fait  pour  en  prendre  possession 
d'une  manière  efficace?  où  sont  les  établissements  qu'elle 
a  fondés,  par  exemple,  dans  la  vallée  de  la  Belle-Rivière  ^*, 
réclamée  par  elle?  Il  n'y  en  a  absolument  aucun  en  1741  ; 
et  voilà  que  les  colons  de  la  Nouvelle- Angleterre,  qui  se 
chiffrent  déjà  à  plus  d'un  million,  se  trouvant  à  l'étroit, 
comme  dans  une  prison,  entre  les  Alléghanys  et  l'Atlan- 
tique, commencent  à  déverser  le  surplus  de  leur  population 
au  delà  de  ces  montagnes.  .  .  Comment  la  France  pourra- 
t-elle  endiguer  cette  marée  montante?  Par  la  force  des 
choses,  n'est-elle  pas  condamnée  à  se  voir  enlever  ce  terri- 
toire qu'elle  prétend  lui  appartenir? 

Ah  !  si,  concentrant  plutôt  ses  ressotirces,  au  lieu  de  les 
éparpiller,  elle  s'était  solidement  établie  au  Canada  !  For- 
tifiée d'une  manière  inexpugnable  à  Louisbourg  et  sur  le 
promontoire  de  Québec,  n'avait-elle  pas  plus  de  chance  de 
s'y  maintenir  contre  le  flot  envahisseur,  et  de  garder  en 
Amérique  un  pied-à-terre,  pour,  de  là,  continuer  à  exercer 
sur  ce  continent  la  salutaire  influence  de  sa  civilisation  ? 

La  civilisation  française  !  Y  a-t-il  un  coin  de  l'Amé- 
rique du  Nord  où  elle  n'a  pénétré?  Jetons  les  yeux  sur  la 
carte  :   tous  ces  noms  français  qui,  envers  et  contre  tous, 

24.  "  C'étaient  des  Français  qui,  en  apercevant  du  haut  des  Alléghanys 
le  magnifique  bras  du  Mississipi,  qui  étalait  ses  flots  dorés  en  serpentant 
à  travers  la  vallée  de  l'Ohio,  avaient  poussé  cette  exclamation  :  La 
Belle-Rivière l  qui  fut  son  premier  nom."  (L'abbé  Casgrain,  Montcalm 
et  Lévis,  t.  I,  p.  53). 


sous    M»*"   DE   PONTBRIAND  9 

sont  restés  attachés  à  tant  de  lieux,  dans  ce  qu'on  appelle 
aujourd'hui  les  Etats-Unis,  ou  l'Ontario,  ou  ailleurs,  ne 
proclament-ils  pas  que  la  France  a  passé  par  là  ?  «  Il  y  a 
donc  de  la  France  partout  !  »  dit  un  soldat  dans  un  des 
romans  d'un  écrivain  célèbre  ^^ 

Qui  trop  embrasse,  mal  étreint.  Non  seulement  la 
France  n'a  pas  pris  possesion  d'une  manière  réelle  et  effi- 
cace de  l'immense  territoire  auquel  elle  prétend  avoir  droit, 
mais  dans  son  imprévoyance  inexplicable  elle  a  laissé 
l'Angleterre,  sa  rivale,  se  fortifier  à  quelques  pas  du  Canada, 
sur  la  rive  sud  du  lac  Ontario  :  point  noir,  ce  fort  Oswégo, 
présage  de  bien  des  tempêtes  !  Et  nos  archives  mention- 
nent aussi  la  présence  d'un  fort  anglais  à  Témiscamingue, 
en  1 744  2^  ! 

Fort  heureusement  le  nouvel  Evêque  qu'attend  le 
Canada  ne  supçonne  même  pas  les  épreuves  et  les  misères 
de  toutes  sortes  qui  sont  réservées  à  son  Eglise  dans  un 
avenir  prochain.  Nous  sommes  en  1741,  et  la  colonie 
jouit  encore  de  cette  paix  bienfaisante  qui  a  caractérisé  jus- 
qu'ici l'administration  de  MM.  de  Beauharnais  et  Hocquart. 

* 

*     ♦ 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  ce  nouvel  évêque  est  nom- 
mé :  La  Cour  a  fait  son  choix  dès  le  commencement  de 
décembre  1740  '-^l  La  nomination  de  M^^  de  Pontbriand 
est  l'une  des  dernières  que  fit  le  vieux  cardinal  de  Fleury, 
avant  de  mourir  le  29  janvier  1743  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
dix  ans.     Mais  qui  l'a  proposé  au  Cardinal  comme  l'homme 


25.  Cité  par  M.   Hanotaux,   dans   son   livre  'Xa  France  vivante  en 
Amérique  du  Nord,  "  p.  27. 

26.  Rapport. ..  pour  IÇ05,  lettre  du  ministre  à  Beauharnais  et  Hoc- 
quart, 30  mars  1744,  p.  25. 

27.  Edouard   Richard,   Rapport  sur   les  Archives   canadiennes  pour 
J904,  p.  272. 


>^ 


lO  VEGUSE    DU   CANADA 

qu'il  fallait  pour  gouverner  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France? 
Le  même  qui  lui  avait  désigné  M^^  Dosquet  et  M^  de 
lyauberivière  :  M.  Couturier,  supérieur  général  de  Saint- 
Sulpice.  Nous  le  savons  par  M.  de  l'Orme  :  «  Il  tient 
l'Evêché,  dit-il,  de  M.  l'abbé  Couturier  ^s.  ,, 

La  famille  de  Pontbriand,  d'ailleurs,  et  celle  de  La  Ga- 
raie,  qui  lui  était  alliée,  étaient  favorablement  connues  à 
la  Cour.  Le  comte  de  LaGaraie  s'y  étant  un  jour  rendu, 
à  la  demande  du  Roi,  y  fut  l'objet  de  prévenances  toutes 
spéciales  :  nous  avons  une  lettre  que  le  cardinal  de  Fleury 
lui  écrivit  à  cette  occasion  : 

«  Il  é:ait  bien  juste,  monsieur,  lui  dit-il,  que  le  Roi  et  la 
Reine  vous  donnassent  une  marque  particulière  de  la  satis- 
faction qu'ont  leurs  Majestés  du  bon  e£Fet  qu'a  produit 
votre  application  à  ce  qui  peut  procurer  le  bien  public  ;  et 
vous  méritez  bien  les  éloges  qui  vous  ont  été  donnés,  par 
toutes  sortes  de  raisons  ^^.  » 

M.  de  l'Orme,  annonçant  à  son  frère  la  nomination  de 
Mgr.  de  Pontbriand,  dans  une  lettre  datée  du   16  février: 

((  La  Cour,  disait-il,  a  nommé  M.  l'abbé  de  Pontbriand 
pour  évêque  de  Québec.  Il  était  pour  lors  grand  vicaire 
dans  le  diocèse  de  Saint-Malo.  C'est  un  homme  de  mérite 
et  des  premières  familles  de  Bretagne.  Il  a  environ  trente- 
deux  ans  ;  je  ne  l'ai  point  encore  vu.  J'ai  vu  M.  son  frère, 
qui  est  abbé  ^°  et  demeure  ordinairement  à  Paris.  Il  m'est 
venu  rendre  visite  et  en  même  temps  me  prier  de  certifier 
de  l'état  du  diocèse  de  Québec,  pour  M.  son  frère  l'évêque, 
pour  obtenir  ses  bulles  de  Rome.  Il  doit  passer  cette 
année  sans  faute  au  Canada.  Quand  il  sera  arrivé  à  Paris, 
je  ne  manquerai  pas  de  faire  auprès  de  lui  ce  que  j'ai  fait 


28.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  133. 

29.  L'abbé  Le  Carron,  Les  Bpoux  charitables,  p.  127. 

30.  Abbé  de  Saint-Marien  d'Auxerre. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  II 

auprès  du  défunt,  qui  est  de  le  prévenir  sur  ce  qui  regarde 
le  diocèse  et  sur  les  communautés  religieuses. 

«  Il  doit  demeurer  au  séminaire  de  Saint-Sulpice,  oii  il  a 
été  pour  ainsi  dire  élevé,  y  ayant  demeuré  pendant  dix 
ans.  Nous  verrons  s'il  en  a  sucé  les  principes  et  s'il  est 
d'humeur  à  s'en  servir.  J'ai  dit  à  M.  son  frère  qu'il  aurait 
convenu  qu'il  eût  pris  un  appartement  au  séminaire  des 
Missions-Etrangères  plutôt  qu'à  Saint-Sulpice,  eu  égard 
aux  instructions  qu'il  aurait  pu  tirer  de  plusieurs  de  ces 
messieurs,  qui  connaissent  plus  parfaitement  le  Canada 
que  ne  font  MM.  de  Saint-Sulpice.  Il  me  dit  là-dessus 
qu'ayant  été  élevé  dans  ce  séminaire,  il  convenait,  par 
reconnaissance,  qu'il  y  demeurât,  surtout  y  étant  désiré  par 
le  supérieur,  qui  lui  a  offert  des  premiers  une  chambre  ^^  » 

La  nomination  de  M^^  de  Pontbriand  par  le  Roi  fut  rati- 
fiée à  Rome,  et  le  nouveau  pape  Benoit  XCV  ^^  signa  ses 
bulles  le  6  mars.  Sitôt  qu'il  les  eut  reçues,  le  digne  Prélat 
se  prépara  à  sa  consécration  épiscopale,  qu'il  reçut  le  7 
avril  des  mains  de  l'Archevêque  de  Paris,  M^^  de  Vinti- 
mille. 

Le  17  avril,  il  prêta  serment  de  fidélité  ^^  entre  les  mains 
du  Roi  ((  entendant  la  messe  dans  la  chapelle  de  son  château 
de  Versailles  ».  Puis  il  songea  à  partir  le  plus  tôt  possible 
pour  son  diocèse,  oîi  il  n'ignorait  pas  que  sa  présence  était 
bien  nécessaire  :  il  y  avait  plus  de  vingt  prêtres  à  ordon- 
ner ^*  !  On  aura  une  idée  du  désir  qu'il  avait  de  partir 
sans  retard  pour  son  diocèse  par  les  paroles  qu'il  adressait 
à  son  frère  en  le  quittant  : 


31.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  104. 

32.  Benoit  XIV  (Prosper  Lambertini)  fut  élu  pape  le  17  août  1740.  Il 
succédait  à  Clément  XII,  qui  était  mort  le  6  février. 

33.  Il  fallait  payer  un  droit  de  trente-trois  livres  à  l'occasion  de  ce 
serment.  Ce  droit  entrait  dans  le  fond  des  aumônes  employées  "  pour 
aider  à  marier  de  pauvres  filles".  (Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  555). 

34.  Voir  mon  volume  précédent,  p.  407. 


12  I,' ÉGLISE    DU    CANADA 

«  Quand  je  serais  sûr  de  trouver  des  millions  en  arrivant 
à  Québec,  rien  ne  serait  capable  de  me  faire  embarquer^ 
tant  est  grande  la  répugnance  que  j'ai  pour  la  mer.  Mais 
il  est  question  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes  : 
rien  ne  me  retardera  ^^  » 

Ne  dirait-on  pas  qu'il  voulait  racheter  par  l'ardeur  de 
son  zèle  la  conduite  peu  courageuse  de  son  compatriote  de 
Bretagne,  M^^  de  Mornay  ? 

«  Les  dangers,  pour  être  plus  près,  écrivait-il  aussi  à  ses 
sœurs,  ne  me  frappent  point,  parce  que  la  résolution  est 
prise,  et  que  je  dois  m'attendre  à  tout.  Vos  prières,  non 
pour  ma  conservation,  mais  pour  mon  salut,  me  seront 
d'un  grand  secours.  C'est  la  seule  chose  que  je  vous  prie  de 
demander.  Peu  m'importe  de  mourir  demain  de  telle  et 
telle  manière,  pourvu  que  Dieu  ait  pitié  de  moi  ^^.  » 

M.  de  l'Orme  écrivait  le  premier  mai  à  ses  confrères  du 
Chapitre  : 

«  J'espère  que  vous  n'aurez  pas  moins  lieu  d'être  content 
de  votre  nouveau  Prélat  que  de  celui  que  vous  venez  de 
perdre.  Il  a  tous  les  talents  et  les  lumières  nécessaires 
pour  le  gouvernement  d'un  diocèse.  Avec  cela,  je  le  crois 
dans  les  sentiments  d'entretenir  l'union  et  la  paix  dans 
tous  les  différents  états.  Je  prie  le  Seigneur  qu'il  le  con- 
duise en  bon  port  et  en  bonne  santé.  » 

Il  ajoutait  quelques  jours  plus  tard,  avec  son  franc- 
parler  ordinaire  : 

«  J'ai  eu  avec  lui  plusieurs  conversations,  avant  qu'il  fût 
sacré,  dont  j'ai  été  fort  content.  Je  n'ai  pas  été  si  satisfait 
de  celles  que  j'ai  eues  depuis  son  sacre:  les  évêques  qu'il 
a  fréquentés  lui  ont  mis  bien  des  chimères  dans  l'es- 
prit, joint  à  cela  les  conseils  des  Sulpiciens  et  de  M.  de 


35.  Cité  dans  Les  Evêques  de  Québec,  p.  222. 

36.  Publié  dans  la  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  436. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  13 

Miniac  ^'.  J'ai  tâché  de  lui  ôter  toutes  ces  idées  de  son 
esprit,  et  lui  ai  fait  sentir  que  le  principal  était  de  travailler 
à  gagner  les  cœurs  des  personnes  du  pays,  sans  quoi  il  n'y 
ferait  du  bien  que  très  difficilement.  M.  Vallier  lui  a 
tenu  le  même  langage  ;  et,  ce  qu'il  y  a  de  bon,  c'est  qu'il 
l'accompagne  dans  son  voyage,  pendant  lequel  il  ne  man- 
quera pas  de  lui  dire  ce  qu'il  faut  pour  qu'il  ne  s'écarte  pas 
du  véritable  chemin  :  en  quoi  il  fera  sagement.  Il  paraît 
entreprenant,  et  avoir  envie  de  faire  bien  de  la  réforme 
dans  le  pays,  de  tenir  des  synodes,  de  faire  des  assemblées 
de  curés,  etc.  Tout  cela  est  bon  dans  la  spéculation,  mais 
peu  facile  dans  l'exécution,  eu  égard  à  l'éloignement  des 
curés  ^^.  .  .  « 

Le  supérieur  du  séminaire  de  Québec,  M.  Vallier,  qui 
était  passé  en  France  deux  ans  auparavant  pour  refaire  sa 
santé,  se  préparait  donc  à  retourner  au  Canada  en  même 
temps  que  M^^  de  Pontbriand  ;  et  le  digne  Prélat  devait 
profiter,  pendant  la  traversée,  des  lumières  et  des  conseils 
de  cet  homme  si  sage  et  si  éminent. 

Il  eut  d'ailleurs  occasion  de  voir  plusieurs  fois,  avant  de 
partir,  le  grand  vicaire  du  Canada  à  Paris,  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  auquel  il  renouvela  tous  ses  pouvoirs  ;  et  le  digne 
abbé  ne  manqua  pas  de  lui  communiquer  tous  les  avis 
qu'il  croyait  lui  être  utiles  pour  le  bon  gouvernement  de 
son  Eglise. 

M^^  de  Pontbriand  emmenait  avec  lui  deux  de  ses  com- 
patriotes bretons,  qui,  à  sa  demande,  avaient  consenti  à 
partager  ses  travaux  apostoliques  :  M.  AUenou  de  La  Ville- 
Angevin,  recteur  de  Plérin,  près  Saint-Brieuc,  oii  il  avait 
fondé  l'institut  des  Filles  du  Saint-Esprit  ;  puis  M.  Briand, 
natif  de  la  même  paroisse  de  Plérin.     La  Ville-Angevin 


37.  M.  de  Miniac  était  lui-même  Sulpicien. 

38.  Rechercher  historiques,  vol.  XIV,  p.  108,  131. 


I4  I^'ÉGLISK   DU   CANADA 

était  âgé  de  cinquante  ans  ;  Briand  avait  été  ordonné 
prêtre  l'année  précédente. 

Avec  eux  partirent  aussi  deux  autres  abbés  bretons, 
encore  simples  clercs  :  Olivier  Semelle  et  Pierre  Boucault, 
de  Rennes.  Celui-ci,  aumônier  et  secrétaire  de  l'évêque, 
fut  ordonné  prêtre  en  1742,  et  devint  chanoine  l'année  sui- 
vante. 

Outre  son  aumônier,  M^^  de  Pontbriand  avait  avec  lui 
deux  domestiques  ^^. 

Notre  petite  colonie  bretonne  alla  s'embarquer  à  Bor- 
deaux ^°  au  commencement  de  juin.  M.  Vallier  l'y  rejoi- 
gnit, avec  un  autre  prêtre  des  Missions-Etrangères,  l'abbé 
Maillard,  qui  devait  jouer  un  rôle  important  comme  grand 
vicaire  de  Québec  à  l'Ile-Royale. 

Le  voyage  se  fit  assez  heureusement  sur  le  fameux 
Rubis^  où  M^^  de  Lauberivière  et  tant  d'autres  avaient 
trouvé  les  germes  de  la  mort  l'année  précédente. 

M^^  de  Pontbriand  arriva  à  Québec  à  la  fin  d'août. 
Nous  n'avons  aucun  autre  détail  authentique  sur  la  récep- 
tion qui  lui  fut  faite,  que  ce  que  nous  apprend  la  lettre  offi- 
cielle de  M.  Hocquart  au  ministre,  en  date  du  7  septembre  : 

«  Le  vaisseau  du  Roi,  dit-il,  arriva  ici  le  30  du  mois  der- 
nier, après  quatre-vingt-quatre  jours  de  traversée.  M.  Mes- 
chin  *\  MM,  les  officiers  et  l'équipage  sont  en  bonne  santé, 


39.  Richard,  Rapport  pour  IÇ04,  p.  272. 

40.  Vicomte  du  Breil  de  Pontbriand,  Le  dernier  Bvêque  du  Canada- 
français,  Mgr  de  Pontbriand,  Paris,  1910,  p.  31. — Nous  disons  :  "  à  Bor- 
deaux ",  sur  la  foi  de  cet  auteur.  Nous  devons  ajouter,  cependant,  que 
le  Prélat  était  à  La  Rochelle  le  28  mai,  et  que  c'est  là,  du  moins,  qu'il 
paraissait  vouloir  s'embarquer.  De  La  Rochelle,  il  écrivait  ce  jour-là  à 
M.  de  Maurepas,  qui  avait  été  malade  :  "  J'ai  consolé  toute  la  ville  de  La 
Rochelle,  en  lui  apprenant  votre  convalescence,  et  tout  le  monde  s'en 
réjouit.  "  (Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr 
de  Pontbriand). 

r4i.  N'est-ce  pas  lui  qui  aurait  donné  son  nom  à  un  endroit  appelé  les 
Méchins,  dans  le  bas  du  fleuve? 


sous   M^   DE   PONTBRIAND 


15 


à  quelques  scorbutiques  près,  qui  commencent  déjà  à  se 
rétablir. 

K  M.  l'Evêque  arriva  la  veille,  par  un  canot  que  je  lui 
avais  envoyé.  M.  Deschaillons,  lieutenant  de  Roi,  com- 
mandant, lui  a  fait  rendre  les  hommages  militaires  en 
usage  ;  et  de  mon  côté  je  lui  ai  fait  la  meilleure  réception 
qu'il  m'a  été  possible ...  M.  de  Beauharnais  arriva  hier 
seulement  de  Montréal  *'^.    .  » 

Nous  savons  également  que  le  Conseil  Supérieur,  dans 
sa  séance  du  21  août,  avait  nommé  quatre  de  ses  membres 
pour  aller  présenter  les  hommages  de  l'auguste  assemblée 
au  nouvel  Evêque,  lors  de  son  arrivée.  Ceux  qui  faisaient 
partie  de  la  députation  étaient  MM.  Cugnet,  Lanouiller, 
Taschereau  et  Estèbe.  Ces  messieurs  se  rendirent  donc 
«  au  séminaire,  »  aussitôt  après  l'arrivée  de  M^^  de  Pont- 
briand,  et  «  le  complimentèrent  »  de  la  part  du  Conseil. 

Quelques  jours  plus  tard,  le  18  septembre,  l'Evêque  se 
rendit  à  son  tour  au  Palais  de  l'Intendant  pour  prendre 
séance  au  Conseil  Supérieur.  Le  Conseil,  «  extraordinai- 
rement  assemblé  »,  était  au  complet  :  M.  le  gouverneur 
général,  M.  l'intendant,  M.  Cugnet,  premier  conseiller,  M. 
Michel,  commissaire  de  la  Marine  à  Montréal,  MM.  de 
Lotbinière,  d'Artigny,  I^anouiller,  Varin,  Foucault,  Tas- 
chereau, de  Lafontaine,  Gaillard,  Estèbe,  conseillers  ;  M. 
le  procureur  général  du  Roi,  et  le  greffier  en  chef  du 
Conseil. 

Le  Conseil  prit  connaissance  du  serment  de  fidélité  prêté 
par  M^^  Pontbriand  le  17  avril  entre  les  mains  du  Roi,  et 
aussi  des  lettres  patentes  de  Sa  Majesté  en  date  du  4  mai, 
et  en  ordonna  l'enregistrement. 

Pendant  ce  temps,  le   Prélat  attendait  «dans  une  des 


42.  Corresp.  générale,  vol.  75,  lettre  au  ministre,  7  septembre  1741. 


i6  l'église  du  canada 

chambres  du  Palais.  »  MM.  Cugnet  et  Estèbe  furent  alors 
députés  vers  lui  pour  l'inviter  à  venir  prendre  séance  :  ce 
qu'il  fit  sur  le  champ,  se  plaçant  à  la  droite  du  gouverneur, 
tandis  que  l'intendant  était  à  gauche,  suivant  l'ordre  accou- 
tumé. 

Il  ne  reparut  au  Conseil  Supérieur  que  le  25  octobre  de 

l'année  suivante  *^ 


43.  Archives  provinciales  de  Québec,  Registres  du  Conseil  Supérieur. 


CHAPITRE  II 


M^  DE  PONTBRIAND  :    ESQUISSE  BIOGRAPHIQUE  ; 

SA  FAMILLE 

Mgr  de  Pontbriand,  l'hôte  du  Séminaire  de  Québec.  —  La  famille  de 
Mgr  de  Pontbriand.  —  On  n'a  pas  son  acte  de  baptême.  —  Le  comte 
de  la  Garaie.  —  Mgr  de  Pontbriand  au  Collège  de  La  Flèche.  —  A 
Paris,  chez  les  Sulpiciens.  —  Grand  vicaire  de  Saint-Malo. 

DANS  une  lettre  en  date  du  lo  mai  1741,  les  directeurs 
des  Missions-Etrangères  de  Paris  annonçaient  à  leurs 
confrères  de  Québec  l'élection  du  nouveau  pape  Benoit 
XIV  ;  puis  ils  ajoutaient  : 

«  Un  autre  sujet  de  joie  pour  vous  est  que  vous  allez 
recevoir  un  nouvel  évcque,  qui  passe  cette  année.  C'est 
M.  de  Pontbriand,  homme  d'une  famille  considérable  de 
Bretagne,  qui  était  grand  vicaire  et  chanoine  de  Saint- 
Malo,  et  qui  est  docteur  de  Sorbonne.  Il  fallait  une  per- 
sonne de  son  mérite  pour  remplacer  dignement  la  perte  que 
vous  avez  faite  de  M.  de  Eauberivière.  En  attendant  que 
son  palais  épiscopal  soit  en  état,  il  ira  demeurer  à  votre 
séminaire.  Vous  verrez  avec  lui  de  quelle  manière  vous 
pourrez  arranger  toutes  choses,  soit  par  rapport  à  son 
logement,  soit  pour  sa  nourriture  et  celle  de  toute  sa  suite. 
Il  ne  paraît  pas  fort  difficile  à  contenter,  et  il  trouvera 
aussi  en  vous  des  personnes  qui  ne  chercheront  qu'à  lui 
faire  plaisir  ^  » 


I.  Archives  du  Séminaire  de  Québec.  —  Les  signataires  de  cette  lettre 
étaient  MM.  Combes,  de  Montigny,  Montorier  et  Burg  irieu,  qui  for- 


i8  l'éguse  du  canada 

Henri-Marie  -  du  Breil  de  Pontbriand,  sixième  évêque 
de  Québec,  était  le  dernier-né  d'une  famille  de  neuf  en- 
fants :  six  garçons  et  trois  filles  ^.  Les  trois  filles  se  firent 
religieuses  au  monastère  de  la  Visitation  de  Rennes  ;  et  de 
Québec,  le  pieux  Evêque,  qui  resta  toujours  très  attaché  à 
sa  famille  ^  aimait  à  correspondre  régulièrement  chaque 
année  avec  elles,  ainsi  qu'avec  son  frère  le  comte  de 
Nevet  ^.  Ses  lettres  sont  des  modèles  d'aimable  simpli- 
cité, sans  compter  leur  grand  intérêt  historique. 

Trois  de  ses  frères  embrassèrent  la  carrière  des  armes  ^, 
et  servirent  leur  pays  avec  distinction  ;  les  deux  autres 
entrèrent  comme  lui  dans  l'état  ecclésiastique:  l'un  d'eux 
était  chanoine  de  l'Eglise  dt  Rennes,  et  devint  grand 
vicaire  de  cet  important  diocèse  ;  l'autre  résidait  à  Paris 
et  s'occupait  de  bonnes  œuvres,  surtout  de  celle  des  jeunes 
Savoyards,  auxquels  il  s'intéressait  particulièrement.  Il 
était  le  correspondant  de  son  frère  et  son  agent  de  con- 
fiance pour  une  foule  d'affaires  à  la  Cour  et  auprès  de  dif- 
férents personnages  ^  L'Evêqne  écrivant  un  jour  au  mi- 
nistre : 


maient  probablement  tout  le  personnel  dirigeant  des  Missions-Etran- 
gères, à  cette  date.M.  Tremblay  mourut  cette  année-là  même  (1741).  Il 
y  avait  onze  directeurs  aux  Missions-Etrangères  en  1753,  d'après  une 
lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand  en  date  du  21  mai  de 
cette  année.  Voir  dans  l'Appendice  une  liste  des  Supérieurs  des  M.-E.  de 
Paris  de  1663  à  1760. 

2.  Un  de  ses  mandements  est  signé  "  François-Marie-Henri.  "(Man- 
denients  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  12). 

3.  Nous  ne  tenons  pas  compte  d'une  quatrième  fille,  qui  ne  vécut  que 
deux  ans. 

4.  "Croyez  que  je  vous  suis,  ainsi  qu'à  ma  sœur  et  à  votre  petite  fa- 
mille, très  tendrement,  très  irrévocablement  attaché."  (Lettre  de  Mgr 
de  Pontbriand  à  son  frère,  le  comte  de  Nevet). 

5.  Quelques-unes  de  ses  lettres  ont  été  publiées  dans  la  Revue  Cana- 
dienne, t.  VIII,  p.  434. 

6.  L'un  d'eux  demanda  "  de  l'emploi  dans  les  troupes  du  Canada  ". 
(Richard,  Rapport. ..  pour  1Ç04,  p.  239).  Nous  n'avons  pu  nous  assurer 
s'il  est  réellement  venu. 

7.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  qui  demeurait  avec  lui  aux  Missions-Etran- 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  I9 

«J'espère,  disait-il,  que  vous  voudrez  bien  permettre  à 
mon  frère  d'avoir  l'honneur  de  vous  faire  sa  cour.  Si  je 
vous  importunais  moins  pour  moi,  je  vous  demanderais 
pour  lui  part  dans  vos  bontés  ^  » 

M^^  de  Pontbriand  naquit  au  mois  de  janvier  1708, 
l'année  même  de  la  mort  de  M^^'  de  Laval.  Chose  remar- 
quable, la  vie  du  premier  évêque  de  Québec,  continuée  par 
celle  de  son  cinquième  successeur,  qui  s'éteignit  lors  de  la 
Conquête,  couvre  toute  la  période  de  la  domination  fran- 
çaise en  Amérique  (1623 — 1708 — 1760). 

Pas  plus  que  pour  M^^  de  Laval  ^,  l'on  n'a  pu  retrouver 
l'acte  de  baptême  de  M^  de  Pontbriand,  et  par  suite  l'on 
ne  peut  dire  d'une  manière  précise  ni  le  jour  ni  le  lieu  de 
sa  naissance.  L'auteur  de  ^Histoire  manuscrite  du  Sémi- 
naire de  Québec  le  fait  naître  à  Vannes  :  il  le  dit  sans 
doute  d'après  la  tradition  conservée  dans  cette  maison;  et 
cette  tradition  nous  semble  assez  fondée  pour  qu'on  puisse 
l'admettre:  qui  peut  croire,  en  effet,  qu'au  Séminaire  on 
n'ait  pas  souvent  parlé  et  entendu  parler  de  Vannes  comme 
du  lieu  de  naissance  du  sixième  évêque  de  Québec,  à  une 
époque  oii  il  y  avait  dans  le  clergé  de  Québec  tant  de 
Bretons  ? 

Il  est  certain,  cependant,  que  sa  famille  ne  résidait  pas 
habituellement  à  Vannes,  mais  à  Pleurtuit,  non  loin  de. 
Dinard.  C'est  sur  cette  paroisse  qu'était  le  château  de 
Pontbriand  ;  et  dans  ce  château,  à  l'aspect  sombre  et  sévère, 


gères,  lui  reprochait  "  son  opposition  naturelle  pour  les  affaires  ".  Il  ne 
le  trouvait  pas  iassez  défiant,  assez  diplomate.  (Lettre  à  Mgr  de  Pont- 
briand, 3  mars  1753).  Surtout,  il  trouvait  qu'il  ne  s'intéressait  pas  assez 
aux  affaires  de  son  frère  :  "  Il  est  fâcheux  que  M.  votre  frère  n'ait  pas 
eu  plus  de  cœur  à  la  fonction  que  je  remplis  auprès  de  vous.  Il  est  plus 
jeune  que  moi;  par  conséquent,  il  doit  me  survivre,  et  je  me  serais  fait 
un  plaisir  de  travailler  sous  ses  ordres,  comme  sous  les  vôtres."  (Ibid., 
29  mars  1754). 

8.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  du  28  septembre  1742. 

9.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t  I,  p.  5. 


20  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

près  des  grèves  bretonnes,  aujourd'hui  si  fréquentées  et  si 
joyeuses,  de  Saint-Briac  et  de  Saint-Lunaire,  le  jeune  de 
Pontbriand  passa  ses  années  d'enfance. 

Il  n'avait  que  deux  ans  lorsqu'il  perdit  son  père,  Josepb- 
Yves  du  Breil,  comte  de  Pontbriand,  capitaine  des  gardes- 
côtes  de  l'évêché  de  Saint-Malo,  homme  non  moins  remar- 
quable par  sa  vertu  que  par  sa  noblesse.  Sa  mère,  Marie- 
Angélique-Sylvie  Marot  de  la  Garaie,  survécut  vingt  ans  à 
son  mari  ;  et  ce  fut  son  fils,  le  futur  évêque  de  Québec,  qui, 
devenu  prêtre  et  grand  vicaire  de  Saint-Malo,  l'assista  à 
ses  derniers  moments  ^^-  C'était  une  femme  d'une  émi- 
nente  vertu  :  ceux  qui  ont  écrit  sa  vie  l'ont  comparée  à 
sainte  Thérèse  et  à  sainte  Chantai  ;  et  en  effet  l'on  est  dans 
l'admiration  à  la  vue  des  œuvres  de  charité,  des  fondations 
pieuses,  des  actes  de  dévouement  auxquels  elle  consacra  sa 
vie,  après  avoir  complété  l'éducation  de  ses  enfants  ^^  Elle 
était  —  et  c'est  tout  dire  —  la  sœur  et  la  digne  émule  du 
célèbre  comte  de  la  Garaie,  qui  étonna  son  siècle  par  la 
grandeur  de  sa  charité  et  l'héroïcité  de  ses  vertus. 

C'est  au  comte  de  la  Garaie,  on  peut  le  dire,  non  moins 
qu'à  M.  Couturier  et  au  cardinal  de  Fleury,  que  l'Eglise 
de  Québec  doit  son  sixième  évêque.  L'abbé  de  Pontbriand 
hésita,  en  effet,  tout  d'abord,  à  accepter  l'épiscopat  du 
Canada,  et  il  ne  se  décida  que  «  sur  les  pressantes  sollicita- 
tions »  de  son  oncle.  Voici  ce  qu'écrit  à  ce  sujet  M.  Le 
Carron  : 

«  M.  de  la  Garaie  chérissait  comme  son  fils  l'abbé  de 
Pontbriand,  fils  de  sa  sœur,  chanoine  et  grand  vicaire  de 
Saint-Malo.    Il  lui  avait  servi  de  père,  et  une  union  intime 


10.  L'abbé  Le  Carron,  La  pieuse  Veuve,  p.  395. 

11.  On  a  prétendu  qu'elle  se  fit  religieuse  hospitalière.  Elle  fut  pen- 
sionnaire à  l'hôpital  de  Saumur;  puis  elle  fonda  l'hôpital  de  Josselin, 
dans  le  diocèse  de  Saint-Malo,  mais  ne  se  fit  pas  religieuse,  à  proprement 
parler.  {Ibid.,  p.  386). 


sous    M^*'    DK    PONTBKIAND  21 

rapprochait  l'oncle  et  le  neven.  En  1740,  celui-ci  fut 
nommé  à  Tévêché  de  Québec,  capitale  du  Canada.  On 
connaît  l'étendue  de  ce  vaste  diocèse,  oii  le  travail  est 
immense,  sans  secours  et  jsans  consolations  humaines.  Il 
fut,  contre  sa  première  résolution,  déterminé  par  les  pres- 
santes sollicitations  de  son  respectable  ami  à  accepter  cet 
évêché  ;  et  si  depuis,  le  nouveau  Prélat,  dont  le  troupeau 
a  été  tout  à  la  fois  aÊfligé  de  la  peste,  de  la  guerre  et  de  la 
famine,  a  témoigné  un  courage  admirable,  l'exemple  de 
son  oncle,  avec  lequel  il  conserva  toujours  une  liaison 
étroite  et  de  fréquentes  correspondances,  contribua  beau- 
coup à  lui  inspirer  cette  conduite  héroïque  ^l  » 

Comme  M^  de  Laval,  le  jeune  de  Pontbriand  fit  ses 
études  classiques  au  collège  de  La  Flèche.  C'est  là  qu'il 
apprit,  lui  aussi,  à  vénérer  les  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  Ils  lui  inspirèrent  dès  lors  cette  confiance  à  toute 
épreuve  qu'il  leur  témoigna  dans  son  administration  épis- 
copale,  spécialement  à  la  Louisiane. 

De  La  Flèche,  il  alla  à  Paris  chez  les  Sulpiciens  pour  y 
faire  sa  philosophie  et  sa  théologie  :  il  y  demeura  dix  ans. 
Ordonné  prêtre  en  1731,  il  prit  ses  degrés  de  docteur  en 
Sorbonne,  puis  retourna  dans  son  diocèse  de  Saint-Malo, 
où  l'Evêque,  connaissant  son  mérite,  sa  science  et  sa  vertu, 
pénétré  d'ailleurs  d'admiration  pour  sa  famille,  lui  donna 
toute  sa  confiance,  au  point  de  le  nommer  son  grand 
vicaire  et  de  l'appeler  à  partager  avec  lui  le  gouvernement 
de  son  Eglise. 

Cet  évêque,  malheureusement,  avait  donné  tout  d'abord 
dans  les  erreurs  jansénistes  ;  mais  il  venait  de  se  rétracter 


12.  Les  époux  charitables,  p.  200.  —  Le  comte  de  la  Garaie  mourut  le 
2  juillet  1755,  et  l'on  envoya  son  anneau  à  son  neveu  Mgr  de  Pontbriand 
au  Canada.  Celui-ci  écrivit  à  ses  sœurs:  "J'ai  reçu  l'anneau  de  M.  le 
comte  de  la  Garaie;  c'est  une  relique  précieuse  pour  moi.  "  (Lettre  du  17 
juin  1758). 


22  L'EGLISE    DU   CANADA 

d'une  manière  solennelle  et  touchante  ^^  Pour  ramener 
de  plus  en  plus  dans  la  voie  de  la  saine  doctrine  ceux  qui 
s'étaient  {égarés  sur  ses  pas,  il  voulut  se  faire  aider  par 
l'abbé  de  Pontbriand,  qui  arrivait  de  Saint-Sulpice  avec 
l'auréole  d'une  science  théologique  pure  de  tout  alliage. 
Quelle  gloire  pour  notre  Eglise  de  constater  le  beau  rôle 
que  remplit  son  sixième  évêque  dans  son  diocèse  natal, 
avant  de  venir  parmi  nous  ! 

Saint-Malo  !  n'est-ce  pas  de  cette  ville  qu'était  parti 
Jacques  Cartier,  juste  deux  siècles  auparavant,  pour  décou- 
vrir le  Canada  et  donner  un  nouveau  pays  à  la  France? 
N'est-ce  pas  dans  cette  cathédrale  si  ancienne,  si  pieuse  et 
si  intéressante,  que  l'intrépide  marin  avait  demandé  et  reçu 
la  bénédiction  de  son  évêque,  avant  de  partir  avec  ses  com- 
pagnons pour  son  aventureux  voyage.^*?  Bh  bien,  c'est 
de  la  même  ville,  c'est  de  la  même  cathédrale  que  va  partir 
celui  qui  assistera  aux  derniers  jours  de  la  Nouvelle- 
France  découverte  par  Jacques  Cartier,  et  qui  rendra  les 
derniers  devoirs  à  ses  derniers  défenseurs  ! 

Nous  n'avons  malheureusement  aucun  détail  sur  le  dé- 
part pour  le  Canada  du  grand  vicaire  de  Saint-Malo,  devenu 
évêque  de  Québec,  et  de  ses  deux  principaux  compagnons 
de  voyage,  La  Ville- Angevin  et  Briand.  Pour  être  Bretons, 
c'est-à  dire  intrépides  et  courageux,  ces  hommes  n'en  avaient 
pas  moins  un  cœur  bien  doué  er  de  profondes  affections. 
Leurs  adieux  à  leur  pays  natal  durent  être  déchirants. 
La  Ville- Angevin  quittait  une  magnifique  paroisse  et  des 
œuvres  admirables  qu'il  avait  créées  :  il  renonça  généreu- 
sement à  tout  pour  accompagner  son  ami  dans  sa  mission 
lointaine  ;  Briand  également  :  «  Invité  par  le  Prélat  à  le 
suivre  en  Amérique,  écrit  le  cardinal  Taschereau,  il  répon- 


13.  Le  dernier  Evêque  du  Canada  français,  p.  20. 

14.  Voir  mon  livre  Au  pays  de  Mgr  de  Laval,  p.  244. 


sous    M^»'    DE    PONTBRIAND  23 

dit  par  ces  paroles  de  saint  Pierre  :  Sequar  te  quocumque 
ieris  ^^.  » 

Oh,  avec  quelle  confiance  en  Dieu  ne  durent-ils  pas  s*é- 
crier  plus  tard,  comme  les  Apôtres  :  Ecce  nos  reliquimus 
omnia  et  secuti  sumus  te  :  quid  ergo  erit  nobis  ^^? 

Nous  les  avons  vus  arriver  au  Canada.  Les  voilà  à 
Québec,  les  hôtes  du  Séminaire,  où  les  a  conduits  le  Supé- 
rieur, M.  Vallier,  qui  les  accompagnait.  Voyons-les  main- 
tenant à  l'œuvre,  et  surtout  leur  chef  intrépide  M^^  de 
Pontbriand. 


15.  Histoire  manuscrite  du  Séminaire  de  Québec,  p.  809. 

16.  Uç,  XVIII,  28. 


CHAPITRE  III 


DÉBUTS  DE  l'administration  DE  M^""  DE  PONTBRIAND.  — 
SON  MANDEMENT  d'ENTRÉE 

Mgr  de  Pontbriand  prend  possession  de  son  Siège.  —  Nominations  de 
Chanoines.  —  L'amovibilité  des  cures.  —  L'Evêque,  content  de  son 
Chapitre.  —  Bonne  entente  dans  le  Clergé.  —  Mgr  de  Pontbriand 
et  les  communautés  religieuses.  —  Mandement  d'entrée.  —  Bonne 
impression  produite  par  le  Prélat. 

LE  lendemain  de  son  arrivée  à  Québec,  le  Prélat  prit 
solennellement  possession  de  son  siège  épiscopal,  et 
en  dressa  un  acte  \  qu'il  envoya  à  la  Cour.  Cet  acte  de 
prise  de  possession  lui  fut  renvoyé  à  Québec  le  printemps 
suivant,  «  légalisé  ^.  » 

Il  y  avait  trois  canonicats  vacants  :  l'un  de  ces  canoni- 
cats  fut  donné  par  la  Cour  à  l'abbé  Gosselin,  le  célèbre 
botaniste  de  l'époque  ^  ;  les  deux  autres,  par  l'Evêque,  à 
ses  compatriotes  et  amis  La  Ville-Angevin  et  Briand.  Les 
nouveaux  chanoines  furent  installés  avec  les  solennités 
ordinaires.  M.  Boucault  ne  put  devenir  chanoine  que  deux 
ans  plus  tard,  après  la  mort  de  M.  Maufils,  qu'il  remplaça. 
Il  retourna  en  France  en  1754. 

Les  stalles  du   Chapitre  se  remplissaient  de  Français. 


1.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Registre  du  Chapitre. 

2.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  3. 

3.  Ce  botaniste  recueillit  un  très  grand  nombre  de  plantes,  durant  son 
séjour  au  Canada;  et  l'intendant  Hocquart  les  transmettait  à  BuflFon. 
{Ihid.,  p.  20,  34,  57). 


l'église  du  canada  sous  m*'''"  de  pontbriand       25 

Mais  à  qui  la  faute?  De  quel  droit  les  Canadiens  auraient- 
ils  pu  s'en  plaindre?  Qu'ont-ils  fait,  pendant  la  vacance 
du  siège,  pour  mériter  la  confiance  et  les  faveurs  de 
l'Evêque?  Thierry  Hazeur,  le  vicaire  capitulaire,  a  passé 
son  temps  à  se  quereller  avec  l'ofïicial  du  diocèse  :  son 
administration  a  été  remplie  de  troubles,  tellement  que  son 
frère  lui-même  n'a  pu  s'empêcher  de  lui  en  faire  des  repro- 
ches. Du  reste,  il  n'assiste  presque  jamais  au  chœur,  sous 
prétexte  de  maladie  ;  et  cependant,  disent  les  chanoines, 
«  on  le  voit  souvent  se  promener  dans  la  ville  pendant  les 
ofiSces  ^  ».  M°^  de  Pontbriand  le  laisse  de  côté,  et  nomme 
M.  de  La  Ville-Angevin  son  vicaire  général  à  Québec. 
Puis,  à  Montréal,  tout  en  laissant  à  M.  Marchand  le  grand 
vicariat  qu'on  lui  a  donné,  et  dont  il  est  très  digne,  il  rend 
à  M.  Normant  celui  qu'on  lui  a  ôté,  réparant  ainsi  l'injure 
imméritée  que  le  Chapitre  de  Québec  a  faite  à  Saint- 
Sulpice. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  La  Mère  de  l'Incarnation  écrit 
quelque  part,  en  parlant  de  M^'^  de  Laval  :  «  Il  fallait  ici 
un  homme  de  cette  force  ^.  »  On  peut  dire  la  même  chose 
de  M^^  de  Pontbriand.  Le  Chapitre,  pendant  la  vacance  du 
siège,  a  commis  des  actes  irréguliers,  contraires  au  droit 
canonique.  Le  Prélat,  bien  décidé  à  remettre  tout  à  l'ordre 
et  à  faire  respecter  les  règles  de  l'Eglise,  exige  des  curés 
à  qui  le  Chapitre  a  donné  des  titres  de  bénéfices  inamo- 
vibles, qu'ils  les  lui  remettent.  Il  le  fait  avec  d'autant 
plus  d'autorité  qu'il  s'est  assuré  de  l'assentiment  de  |la 
Cour,  avant  de  quitter  la  France.  Il  a  vu  le  ministre  à  ce 
sujet,  et  celui-ci  de  lui  écrire  le  20  avril  : 

«  On  ne  peut  que  beaucoup  louer  votre  façon  de  penser 
sur  le  parti  que  le  Chapitre  de  Québec  a  pris  de  fixer,  de- 


4.  Registre  du  Chapitre,  assemblée  du  19  septembre  1742. 

5.  Lettres  de  Marie  de  l'Incarnation,  t.  II,  p.  138. 


26  I.*ÊGLISE   DU   CANJADA 

puis  la  mort  de  M.  de  Lauberivière,  quelques  cures  du 
diocèse.  L'intention  du  Roi  n'est  pas  que  cette  fixation 
irrégulière  subsiste  ;  et  j'écris,  par  ordre  de  Sa  Majesté,  à 
MM.  de  Beauharuais  et  Hocquart,  d'engager  le  Chapitre  à 
retirer  les  lettres  des  curés  qu'il  a  fixés.  Si  cependant  il 
y  avait  quelques  difficultés  du  Chapitre  ou  de  la  part  des 
curés,  Sa  Majesté  désire  que  vous  fassiez  valoir  vos  droits, 
qu'Elle  est  toujours  disposée  à  soutenir,  sauf  à  pourvoir 
dans  la  suite  à  la  fixation  des  cures  qui  vous  paraîtraient 
devoir  être  mises  sur  pied  ^.  » 

Il  n'y  eut  aucune  difficulté  ni  de  la  part  du  Chapitre,  ni 
de  la  part  des  curés.  Ceux-ci  n'hésitèrent  pas  à  remettre 
leurs  titres  à  l'Evêque,  et  le  Chapitre  ne  trouva  rien  à 
redire.  Que  peut-on  opposer  de  raisonnable  à  l'autorité, 
lorsqu'elle  s'appuie  sur  le  bon  droit? 

Le  fait  que  la  Cour  soutint  avec  fermeté  M^^  de  Pont- 
briand  dans  cette  question  de  la  fixation  des  cures  par 
le  Chapitre  est  d'autant  plus  remarquable  qu'elle  n'avait 
cessé  de  demander  aux  Evêques,  depuis  le  commencement 
de  notre  Eglise,  de  fixer  toutes  les  cures  du  diocèse.  Que 
n'avait-on  pas  dit  et  écrit  contre  le  système  des  cures  amo- 
vibles de  M^^"  de  Laval?  Aux  Evêques  qui  lui  succédèrent, 
on  ne  cessa  de  répéter  qu'il  fallait  en  finir  avec  ce  système, 
et  fixer  toutes  les  cures  comme  en  France  :  ils  ne  purent  ja- 
mais faire  mieux  que  M»^'de  Laval  ;  comme  lui  ils  en  fixèrent 
quelques-unes,  par  respect  pour  les  volontés  royales,  mais 
ne  cessèrent  de  déclarer  que  dans  un  pays  de  missions 
comme  le  Canada  il  était  absolument  impossible  de  n'éta- 
blir que  des  paroisses  inamovibles. 

Deux  ans  après  l'avènement  de  M^^  de  Pontbriand,  le 
Roi  écrit  à  MM.  de  Beauharuais  et  Hocquart  : 

«  Il  faut  profiter  des  bonnes  dispositions  du  nouvel  évêque 


6.  Le  dernier  Evêque  du  Canada  français,  p.  30. 


sous    M^"*   DE    PONTBRIAND  37 

pour  VOUS  concerter  avec  lui  à  l'égard  de  la  vente  de  Peau- 
de-vie,  la  fixation  des  cures,  les  dîmes,  la  réduction  du 
nombre  des  fêtes  '^.  » 

Nous  avons  des  lettres  de  M«^  de  Pontbriand  sur  tous  ces 
sujets.  Pour  la  fixation  des  cures,  en  particulier,  dès  Pan- 
née  qui  suivit  son  arrivée  au  Canada,  il  eut  occasion  de 
s'expliquer  clairement  sur  cette  question.  Suivant  son  ha- 
bitude, il  donne  les  raisons  pour  et  contre  ;  mais  il  est  facile 
de  voir  qu'il  partage  tout-à-fait  le  sentiment  de  M^^  de 
Laval  par  rapport  à  l'amovibilité  des  curés  : 

«  Il  est  impossible,  dit-il,  de  les  fixer  tous  :  or,  la  fixation 
ne  pouvant  être  universelle,  l'uniformité  est  à  désirer  : 
autrement,  la  jalousie  aura  lieu . . .  Un  évêque,  ajoute-t-il, 
a  souvent  besoin  de  changer  un  curé  de  place.  Si  les  curés 
sont  fixes,  il  ne  sera  pas  facile  de  remédier  aux  abus.  Il 
peut  se  trouver  des  curés  qui  n'inspireraient  pas  aux 
peuples  les  sentiments  d'obéissance  qu'ils  doivent  à  ceux 
qui  sont  chargés  de  faire  exécuter  les  ordres  de  Sa  Majesté. 
La  fixation  serait  un  obstacle,  si  on  voulait  y  remédier 
promptement.  » 

Le  Prélat  examine  ensuite  les  paroisses  de  son  diocèse, 
et  il  n'en  voit  que  treize,  en  tout,  «  dans  lesquelles  on  pour- 
rait absolument  fixer  ^  ».  Le  fait  est  qu'il  n'en  fixa  pas 
une  dans  tout  le  cours  de  son  administration. 

On  sait  que  M^*"  de  Laval  avait  réglé,  au  commencement 
de  son  épiscopat,  non  seulement  que  tons  les  curés  seraient 
amovibles,  mais  que  tous  rendraient  compte  de  leur  revenu 
au  Séminaire,  dont  ils  feraient  partie,  le  Séminaire  s'obli- 
geant,  à  son  tour,  de  pourvoir  à  tous  leurs  besoins,  en 
santé  comme  en  maladie.  C'était  le  système  qu'avait 
établi  le  grand  évêque  d'Hippone,  saint  Augustin,  dans  son 


7.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  12. 

8.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  au  ministre,  22  août  1742. 


28  l'église  du  canada 

diocèse  ^.  On  se  récria  avec  tant  de  force  contre  ce  sys- 
tème d'organisation  ecclésiastique  de  M^^  de  Laval,  que  le 
Roi,  qui  l'avait  tout  d'abord  approuvé  sans  réserve  ^°, 
changea  de  sentiment,  et  réforma  ce  système  si  apostolique, 
si  désintéressé  du  vénéré  Prélat  ^^ 

Eh  bien,  sait-on  ce  qui  arriva  après  la  Conquête,  ou  du 
moins  ce  qui  fut  proposé  à  cette  époque  critique  de  notre 
histoire  religieuse  ?  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  un  mé- 
moire adressé  à  la  Propagande,  en  1764,  par  le  grand 
vicaire  de  Québec,  à  Paris,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  parlant  au 
nom  de  l'Eglise  du  Canada  : 

({ Il  a  été  convenu  que  le  Clergé  des  deux  gouvernements 
(celui  de  Québec  et  celui  de  Montréal)  réuniraient  leurs 
biens  et  leurs  revenus  pour  n'en  faire  qu'une  seule  mense, 
qui  fournirait  en  commun  aux  uns  et  aux  autres  leurs 
besoins  respectifs  ^^.  » 

Quelle  est  «  cette  mense  commune ...  »,  oii  venaient  se 
fondre  les  biens,  les  dîmes,  le  casuel  du  clergé  canadien, 
sinon  quelque  chose  d'analogue  à  ce  qu'avait  imaginé  et 
créé  M^  de  Eaval  pour  la  subsistance  de  son  clergé  ?  C'est- 
à-dire  qu'à  cette  époque  critique  oîi  l'Eglise  canadienne, 
complètement  ruinée  par  le  désastre  de  la  Conquête,  reve- 
nait pour  ainsi  dire  à  sa  première  enfance,  on  ne  trouvait 
rien  de  mieux,  rien  de  plus  pratique,  pour  la  ressusciter  et 
la  relever  de  ses  ruines,  que  le  système  imaginé  par  le 
grand  évêque  Montmorency-Laval  ! 

Mais  n'anticipons  pas  sur  les  événements,  et  revenons  au 

9.  Voir  la  magnifique  étude  sur  saint  Augustin,  publiée  récemment 
dans  la  Revue  des  Deux-Mondes:  "  Il  exige  que  ses  clercs  renoncent  à 
tout  ce  qu'ils  possèdent  en  faveur  de  la  communauté,  donnant  ainsi  aux 
fidèles  l'exemple  de  la  pauvreté  volontaire.  " 

10.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  35. 

11.  Ibid.,  p.  231. 

12.  Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  card.  préfet  de  la  Propagande,  9 
millet  1764,  citée  par  Mgr  Têtu  dans  les  Recherches  historiques,  vol. 
XV,  p.  327. 


sous    M^    DE    PONTBRIAND  aç 

sixième  évêque  de  Québec,  qui  ressembla  sur  bien  des 
points  à  son  premier  prédécesseur  : 

«  Appelé  à  gouverner  ce  diocèse  aux  jours  les  plus  ora- 
geux de  son  histoire,  écrit  l'annaliste  des  Ursnlines,  M^ 
de  Pontbriand,  qui  appartenait  à  une  famille  de  saints,  et 
qui  devait  être  le  dernier  évêque  envoyé  par  l'ancienne 
France  à  la  nouvelle,  semble  s'être  appliqué  à  retracer 
en  lui  les  vertus  caractéristiques  du  saint  évêque  De 
Laval  ^^.  M 

Et  l'abbé  Casgrain  :  «  Cet  homme  apostolique,  dit-il, 
rappelait  par  son  zèle,  ses  lumières  et  sa  charité  le  plus 
illustre  de  ses  prédécesseurs,  M^^  de  Laval. .  .  Il  était  à 
la  hauteur  des  événements  dont  il  fut  le  témoin  et  des 
désastres  dont  il  devait  être  une  des  victimes  ^^  » 

Nous  avons  vu  avec  quelle  énergie  et  quel  succès  il 
répare,  dès  son  arrivée,  les  erreurs  commises  par  le  Cha- 
pitre. Celui-ci  ne  paraît  pas  lui  en  garder  rancune,  et  la 
bonne  entente  semble  parfaite,  à  cette  époque,  entre 
l'Evêque  et  ses  chanoines.  Le  Chapitre  général  se  tient 
du  13  octobre  au  6  novembre  :  l'Evêque  assiste  à  la  clôture, 
et  en  approuve  les  délibérations  : 

«  Je  n'ai  lieu  que  de  me  louer,  dit-il,  de  l'assiduité  de 
MM.  du  Chapitre  à  l'office  divin,  et  de  la  manière  dont  se 
font  les  cérémonies,  du  bon  exemple  qu'ils  donnent  tous 
dans  cette  ville,  et  j'espère  qu'ils  continueront  avec  la 
même  ferveur  et  la  même  édification.  « 

Déjà,  cependant,  les  chanoines  ont  fait  la  remarque  qu'il 
est  ferme,  et  veut  être  maître  dans  son  église.  L'un  d'eux 
ayant  écrit  là-dessus  à  M.  de  l'Orme  : 

«  L'Evêque,  répond  celui-ci,  peut  assister  aux  assemblées 
du  Chapitre  quand  il  veut,  mais  non  pas  décider,  ainsi 


13.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  245. 

14.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  418. 


30  l'église  du  canada 

qu'il  paraît  faire.     Il  n'a  que  sa  voix,  et  dans  le  Chapitre 
il  ^st  primus  inter  pares  ^^  » 

L'entente  est  parfaite,  également,  entre  les  membres  du 
clergé  séculier  et  régulier  de  Québec.  Quelques  semaines 
seulement  après  l'arrivée  de  M^^'  de  Pontbriand,  il  y  a  un 
triduum  solennel  chez  les  Jésuites  à  l'occasion  de  la  cano- 
nisation de  saint  François  Régis  ;  et  voici  ce  qu'on  lit  à  ce 
sujet  dans  le  registre  du  Chapitre,  à  la  date  du  17  no- 
vembre 1741  ' 

«  On  a  réglé  que  le  Chapitre  accompagnerait  en  corps 
M^^  l'Evêque  dimanche  prochain  pour  l'ouverture  de  la 
cérémonie  ;  on  ira  chanter  au  Collège  les  vêpres  et  le  salut. 
Le  Chapitre  y  fera  mercredi  prochain,  jour  de  la  conclusion, 
tout  l'office,  et  l'on  reviendra  en  procession  à  la  Paroisse 
pour  la  clôture  de  la  cérémonie.  » 

Quelques  semaines  plus  tard,  sur  l'invitation  du  P.  de 
Saint-Pé,  on  décide  d'aller  faire  l'office  chez  les  Jésuites  le 
Jour  de  l'an.  Même  chose  l'année  suivante,  sur  l'invita- 
tion du  nouveau  Supérieur  du  collège,  le  P.  Messaiger, 
toutefois  «  sans  conséquence  pour  l'avenir  '^;  »  et  l'on  con- 
tinua, d'année  en  année,  à  aller  faire  l'office  chez  les 
Jésuites,  soit  à  la  Saint-Ignace,  soit  à  la  Saint-François- 
Xavier,  soit  au  Jour  de  l'an  :  c'est-à-dire  que  le  Chapitre, 
tout  en  gardant  sa  liberté,  reprenait  l'usage  que  M^^  de 
Laval  avait  établi,  dès  le  commencement,  pour  rendre 
hommage  aux  services  rendus  par  les  Jésuites  à  l'Eglise 
du  Canada. 

*  '  * 

M^  de  Pontbriand  avait  à  réparer  bien  des  choses  par 


15.  Archives  du  Séminaire  de  Québec,  Cahiers  Plante,  extraits  de  la 
correspondance  de  M.  de  l'Orme. — M.  Gabriel-Edouard  Plante,  l'ancien 
chapelain  de  l'Hôpital-Général,  que  nous  avons  bien  connu,  était  un 
homme  très  versé  dans  l'histoire  de  notre  pays.  Il  est  mort  le  13  sep- 
tembre 1869. 

16.  Registre  du  Chapitre. 


sors    M^^'   DE    PONTBRIAND 


31 


rapport  aux  communautés  religieuses  de  son  diocèse,  sur- 
tout celles  de  Québec.  M.  de  l'Orme  écrivait  de  Paris  à 
ce  sujet  : 

«  J'ai  parlé  à  M.  l'Evêque  de  toutes  les  communautés 
religieuses  du  Canada.  Il  paraît  dans  de  bons  sentiments 
pour  elles.  Il  m'a  dit  qu'il  connaissait  parfaitement  les 
tracasseries  qui  s'y  trouvaient,  qu'il  avait  eu  plusieurs 
communautés  à  conduire  en  France.  Il  m'ajouta  sa  sur- 
prise de  ce  que  plusieurs  lui  avaient  parlé  des  communau- 
tés religieuses  du  pays.  Je  lui  en  expliquai  le  mystère  : 
c'est  que,  depuis  M.  Dosquet,  ces  filles  avaient  été  extrê- 
mement tourmentées,  tant  par  lui  que  par  ses  grands 
vicaires,  soit  pour  leurs  consciences  ^^,  soit  pour  leurs  élec- 
tions ;  qu'ainsi  elles  avaient  raison  de  faire  prévenir  les 
évêques  à  ce  sujet,  afin  qu'ils  ne  fussent  pas  si  durs  envers 
elles,  et  qu'ils  leur  adoucissent  le  joug  de  la  religion,  au 
lieu  de  l'appesantir,  comme  on  a  fait  jusqu'à  présent  :  «  Cela 
est  juste,  »  me  dit-il.  Il  n'y  a  que  les  Ursulines  de  Québec 
qui  l'embarrassent,  par  rapport  aux  Jésuites.     Il  est  fort  du 


17.  Extrait  d'une  lettre  de  M.  de  l'Orme  à  Thaumur  de  la  Source, 
Paris,  17  mai  1731  : 

"...  Les  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  me  paraissent  très  fâchées  que 
vous  ayez  laissé  leur  confessionnal.  Je  ne  conçois  pas  les  raisons  qui  ont 
pu  engager  M.  Dosquet  à  vous  ôter  cet  emploi,  dans  lequel  il  paraît  que 
vous  étiez  goûté  presque  universellement  de  toute  la  communauté.  Je 
vois  bien  que  l'esprit  de  jalousie  a  contribué  beaucoup  à  vous  rendre, 
encore  plus  aux  religieuses,  ce  mauvais  service.  Je  plains  ces  pauvres 
filles,  car  je  les  ai  toujours  aimées;  et  je  les  plains  d'autant  plus  qu'elles 
ont  un  homme  qui  n'est  pas  propre  à  grand'chose.  Non  seulement  je 
plains  cette  communauté,  mais  encore  les  autres  qui  sont  dans  Québec,  et 
le  Clergé,  dans  lequel  je  ne  vois  pas  beaucoup  de  paix  et  de  tranquillité. 
Il  faut  prier  Dieu  qu'il  éclaire  les  uns  et  qu'il  donne  de  la  docilité  aux 
autres  ;  car  je  prévois  que  le  feu  est  si  grand  que  l'on  aura  de  la  peine  à 
réteindre  que  par  le  secours  du  Ciel. . .  "  (Archives  du  Sém.  de  Québec, 
Cahiers  Plante). 

Ce  digne  prêtre  du  Séminaire  de  Québec  fut  envoyé  aux  Tamarois, 
d'oi!i  il  revint  plus  tard  à  Québec.  Il  mourut  à  l'Hôtel-Dieu,  "  dans  une  si 
grande  réputation  de  sainteté,  dit  Latour,  que  tout  le  peuple,  à  ses  ob- 
sèques, allait  faire  toucher  des  chapelets  à  son  corps,  et  déchirait 
ses  habits  pour  avoir  des  reliques  ".  (Mémoires  sur  la  vie  de  M.  de 
Laval,  p.  loi). 


32  l'église  du  canada 

sentiment  de  mettre  les  communautés  sur  le  pied  qu'elles 
doivent  être,  qui  est  de  leur  donner  des  confesseurs  et  supé- 
rieurs séculiers,  et  non  des  réguliers  ^^.  » 

M.  de  l'Orme  n'était  pas  si  tendre  pour  les  communautés 
religieuses  lorsqu'il  écrivait  à  son  frère  : 

«  L'obstination  des  religieuses  Ursulines  devrait  être 
punie  à  cause  du  scandale  que  ces  filles  ont  donné  en  ne 
faisant  pas  leurs  pâques  dans  le  temps  pref crit  par  l'Eglise. 
Je  ne  doute  pas  que  M.  Dosquet  ne  les  mette  petit  à  petit  à 
la  raison,  et  ne  leur  fasse  sentir  dans  la  suite  les  sottises 
qu'elles  ont  faites  dans  la  vacance  du  siège  ^^.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  dès  sa  première  visite  aux  commu- 
nautés religieuses  de  sa  ville  épiscopale,  M^^  de  Pontbriand 
sut  gagner  leur  estime  et  leur  affection  : 

«  Il  donna  à  nos  Mères,  écrit  l'annaliste  des  Ursulines, 
mille  assurances  de  cette  affection  paternelle  qui  ne  se 
démentit  jamais  dans  la  suite  ^^.  » 

L'annaliste  de  l'Hôpital  Général  écrit  à  son  tour: 

«  Notre  Mère  supérieure  n'avait  pas  manqué  de  lui  écrire 
pour  le  saluer  au  moment  de  son  arrivée.  Il  lui  répondit 
aussitôt,  même  avant  d'être  descendu  du  vaisseau,  par  une 
lettre  pleine  d'affection  et  de  bienveillance.  Nous  eûmes 
l'honneur  de  sa  visite  quelques  jours  plus  tard,  ce  qui  nous 
fut  doublement  agréable  par  l'attention  qu'il  eut  de  se  faire 
accoippagner  par  M.  Vallier  '^^.  Nous  reçûmes  Sa  Grandeur 
dans  le  vestibule  de  l'église,  où  le  P.  Maurice  Imbault  lui 
adressa  quelques  compliments.  Il  nous  donna  sa  béné- 
diction, et  nous  allâmes  chanter  le  Te  Deum  au  chœur  ^2.  » 


18.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  134,  lettre  de  M.  de  l'Orme  à 
son  frère,  11  mai  1741. 

19.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  Cahiers  Plante. 

20.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  245. 

21.  M.  Vallier  avait  été  pendant  six  ans  supérieur  ecclésiastique  de 
l'Hôpital-Général. 

22.  Mgr  de  Saint-V allier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec,  p.  305. 


sous    M^^'   DE    PONTBRIAND  33 

Quant  à  la  question  de  la  direction  des  Ursulines  par 
des  religieux,  elle  fut  bientôt  réglée  :  l'Evêque  leur  donna 
pour  confesseur  M.  de  La  Ville-Angevin,  à  la  place  du 
supérieur  des  Jésuites,  le  P.  de  Saint-Pé,  sous  prétexte  qu'il 
était  «trop  surchargé  ;  »  et  elles  en  furent  ravies  : 

((  Il  présida,  ajoute  l'annaliste,  à  nos  élections  le  24 
octobre,  accompagné  de  M.  de  Miniac  et  de  notre  nouveau 
confesseur.  » 

Jamais  évêque  ne  montra  plus  d'intérêt  à  ses  commu- 
nautés religieuses  que  M^^'  de  Pontbriand.  Nous  avons 
parcouru  un  grand  nombre  de  ses  lettres  adressées  soit  à 
l'Hôtel-Dieu  de  Québec  ou  à  celui  de  Montréal,  soit  aux 
Ursulines,  soit  aux  Sœurs  de  la  Congrégation  :  que  de 
bons  conseils,  dans  cette  correspondance,  que  d'encoura- 
gements au  milieu  des  difficultés  spirituelles  ou  tempo- 
relles, que  d'avis  importants  pour  faire  éviter  tout  ce  qui 
pourrait  nuire  à  la  perfection  religieuse  !  Qui  n'admirerait 
par  exemple,  le  règlement  qu'il  donne,  le  25  juin  1742, 
«pour  les  missionnaires  de  la  Congrégation  de  Notre- 
Dame,  »  obligées  par  leur  état  de  faire  de  longs  et  fréquents 
voyages?  que  de  sagesse  dans  les  recommandations  qu'il 
leur  fait  pour  que  ces  voyages  se  fassent  toujours  d'une 
manière  digne  de  leur  sainte  vocation  !  Que  de  sagesse, 
également,  dans  ses  règlements  «concernant  les  confesseurs 
ordinaires  et  extraordinaires  des  religieuses  !  » 

«Je  ne  suis  point,  dit-il  entre  autres  choses,  dans  l'usage 
d'exhorter  les  confesseurs  ordinaires  ou  extraordinaires  de 
voir  les  religieuses  autre  part  qu'au  tribunal.  Je  voudrais 
même,  s'il  était  possible,  qu'ils  ne  les  connussent  seulement 
pas  de  nom.  Ce  sont  des  maximes  que  j'ai  données  à  mon 
arrivée  dans  le  diocèse.  Les  confesseurs  ne  doivent  entrer 
dans  le  cloître  que  quand  il  y  a  une  espèce  de  nécessité  ^^  » 

23.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr  de 
Pontbriand. 


34  I^'ÊGUSE    DU   CANADA 


M 
*        * 


Il  ne  restait  plus  à  l'Evêque,  arrivant  dans  son  diocèse 
et  inaugurant  son  administration,  qu'à  s'adresser  publi- 
quement au  clergé  et  aux  fidèles  de  l'Eglise  canadienne,^ 
comme  leur  Père  et  leur  premier  pasteur.  Nul  de  ses 
prédécesseurs  n'avait  cru  devoir  faire  un  «  mandement 
d'entrée  »  :  il  était  réservé  à  l'ancien  grand  vicaire  de 
Saint-Malo  d'inaugurer  ici  un  usage  si  convenable.  Dans 
son  beau  mandement  du  27  septembre,  M^''  de  Pontbriand 
commence  par  rendre  un  juste  hommage  à  la  mémoire  de 
son  prédécesseur  immédiat,  dont  il  proclame  «la  sainteté 
et  la  vertu,  w  II  se  déclare  disposé  comme  lui  «à  sacrifier 
son  repos,  sa  santé,  sa  vie  même,  pour  concourir  à  la  sanc- 
tification des  âmes  ;  »  et  nous  verrons  combien  sincère  était 
l'expression  de  ces  sentiments  dans  la  bouche  du  pieux 
Prélat.  L'Evêque  fait  ensuite  l'éloge  de  ses  collaborateurs 
dans  le  saint  ministère  et  du  peuple  confié  à  ses  soins  : 

((  Quelle  joie  pour  nous,  dit-il,  de  trouver  dans  une  terre 
étrangère  et  nouvellement  soumise  à  l'empire  de  Jésus- 
Christ,  des  pasteurs  dont  les  vertus  retracent  le  zèle  des 
ministres  que  nous  avons  vus  dans  les  Eglises  les  plus 
anciennes,  et  un  peuple  fidèle  imitateur  des  vertus  de  ceux 
qui  sont  préposés  pour  le  conduire  !  >> 

Il  annonce  ensuite  qu'à  sa  demande  le  Souverain  Pontife 
a  accordé,  pour  le  jour  de  la  Toussaint,  une  indulgence 
plénière,  que  tous  les  fidèles  de  sou  diocèse  peuvent  gagner, 
aux  conditions  ordinaires.  Il  renouvelle  toutes  les  ordon- 
nances et  les  règlements  établis  par  ses  prédécesseurs.  Il 
renouvelle  également  les  pouvoirs  ordinaires  dont  jouissent 
les  prêtres  du  diocèse  ;  les  pouvoirs  extraordinaires  seuls 
cesseront  après  la  Toussaint  ^^. 


24.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  9,  mandement  du  27 
sept.  1741.  . 


sous   M»'   DE   PONTBRIAND  35 

D'après  tous  les  témoignages  contemporains,  les  débuts 
de  l'administration  épiscopale  du  nouvel  évêque  de  Québec 
produisirent  une  impression  des  plus  favorables  ;  et  cette 
bonne  impression  ne  tarda  pas  à  se  transmettre  de  l'autre 
côté  des  mers.  Le  Roi  se  réjouit  «  des  bonnes  dispositions 
de  ] 'Evêque  ;  »  il  n'y  a  rien  à  la  Cour  qu'on  ne  soit  prêt  à 
faire  pour  lui.  Le  cardinal  de  Fleury,  à  la  veille  de 
mourir,  lui  fait  obtenir  une  pension  de  trois  mille  livres  sur 
les  économats  ''^^,  en  sus  des  neuf  mille  qui  sont  déjà  allouées 
à  l'évêque  de  Québec  ;  et  d'autres  faveurs  de  ce  genre  lui 
seront  accordées  les  années  suivantes.  Le  Roi  fera  réparer 
aux  frais  de  l'Etat  son  palais  épiscopal.  L'on  montre 
partout  à  son  égard  une  si  grande  bonne  volonté  que 
l'annaliste  des  Ursulines  ne  fait  qu'exprimer  un  vœu 
général  lorsqu'elle  s'écrie  : 

«  Plaise  à  Dieu  qu'il  vive  de  longues  années,  pour  le 
bonheur  de  ce  pays  !  » 


25.  Les  économats  étaient  le  revenu  de  tous  les  bénéfices  ecclésias- 
tiques vacants,  dont  disposait  le  Roi  en  vertu  de  la  Régale.  Le  Roi  nom- 
mait un  personnage  important  pour  administrer  ces  biens  ;  et  ce  person- 
nage, qui  n'était  pas  nécessairement  un  ecclésiastique,  s'appelait  l'Eco- 
nome du  Clergé. 


CHAPITRE  IV 


LE  PALAIS   ÊPISCOPAL   DE   QUÉBEC,  RESTAURÉ   AUX    FRAIS 

DE  l'État 

Triste  état  du  Palais  épiscopal  de  Québec.  —  A  qui  appartient-il?  — 
Le  Roi  se  charge  de  le  faire  réparer.  —  Il  en  fait  don  aux  Evêques 
de  Québec.  —  Lettre  de  l'ingénieur  M.  de  Léry.  —  Lettre  de  Mgr 
de  Pontbriand. 

y  ORSOUE  Thierry  Hazeur  avait  pris  possession  du  Palais 
-■-V  épiscopal  pour  M^^  de  Lauberivière,  le  20  juin  1739, 
((  en  y  entrant  par  la  grande  et  principale  porte  »,  il  ne 
l'avait  fait  qu'avec  d'expresses  réserves,  «  par  rapport, 
disait-il,  à  l'état  où  est  actuellement  le  dit  palais  épiscopal, 
et  sans  que  la  dite  prise  de  possession  puisse  lui  préjudi- 
cier  ))  ^ 

Qu'y  avait-il  donc  dans  ce  palais,  pour  n'y  entrer  qu'avec 
tant  de  précautions  ? 

M^'^de  Saint- Vallier,  qvi  l'avait  fait  construire,  ne  l'avait 
habité  que  quelques  années.  M^^  Dosquet  y  avait  résidé 
un  peu  malgré  lui,  et  le  moins  possible.  M^^'  de  Lauberi- 
vière, en  arrivant  à  Québec,  était  allé  tout  droit  au  sémi- 
naire ;  M^^  de  Pontbriand,  également. 

Ce  pauvre  palais  épiscopal,  si  agréablement  situé,  qui 
avait  coûté,  avec  le  terrain  où  il  était  bâti,  des  sommes 
considérables,  était  devenu  une  source  d'embarras,  et 
presque  un  objet  de  répulsion  pour  nos  évêques  :    c'était  à 

I.  Têtu,  Le  Palais  épiscopal  de  Québec,  p.  64. 


l'éguse  du  canada  sous  m«^  de  PONTBRIAND      37 

qui  n'y  irait  pas,  c'était  à  qui  ne  l'entretiendrait  pas.  M»"* 
de  Saint- Vallier  l'avait  bâti  à  une  époque  où  il  s'était  mis 
en  guerre  avec  le  Séminaire  et  M^^  de  Laval  :  dans  son 
esprit  d'opposition  à  l'œuvre  de  son  prédécesseur,  il  l'avait 
bâti  bien  trop  grand  pour  lui  personnellement,  en  vue  d'y 
retirer  quelque  bon  jour,  s'il  lui  en  prenait  envie,  les  ecclé- 
siastiques de  son  grand  séminaire  2.  L'esprit  de  chicane 
qui  avait  piésidé  à  cette  construction  semblait  encore 
planer  sur  elle. 

A  qui  appartenait-elle?  Personne  ne  pouvait  ou  n'osait 
le  dire.  Etait-ce  au  Roi,  qui  avait  fourni  en  trois  termes 
le  prix  d'acquisition  du  terrain  et  des  édifices  qui  s'y  trou- 
vaient? Etait-ce  aux  évêques  de  Québec,  M^^  de  Saint- 
Vallier  ayant  construit  ces  bâtiments  «  pour  iceux  servir  au 
logement  de  ses  successeurs,  «  et  leur  en  ayant  même  fait 
donation,  quelques  années  plus  tard,  «  à  condition  qu'il  ne 
pourrait  être  rien  demandé  à  sa  succession  pour  raison  des 
réparations  qui  se  trouveraient  à  faire,  lors  de  son  décès, 
aux  abbayes  réunies  à  l'Evêché  ^7  »  Etait-ce,  suivant  l'opi- 
nion de  MM.  de  Beauharnais  et  Hocquart,  à  l'Hôpital  Géné- 
ral, qui  avait  hérité  par  testament  de  tous  les  biens  de  M^^ 
de  Saint-Vallier?  Le  pieux  fondateur  de  cette  commu- 
nauté avait  donné  l'évêché  à  ses  successeurs,  à  condition 
qu'ils  feraient  les  réparations  nécessaires  aux  abbayes  unies 
a  cet  évêché  ;  la  condition  n'avait  pas  été  remplie,  puisque 
M^^'  de  Mornay  avait  intenté  des  poursuites  à  l'Hôpital 
Général  pour  lui  faire  faire  ces  réparations  :  les  religieuses 
prétendaient  donc  entrer  en  possession  du  palais  épiscopal, 
comme  faisant  partie  de  la  succession  de  leur  fondateur. 


2.  Corrcsp.  générale,  vol.  56,  lettre  de  Mgr  Dosqnet  au  ministre,  7 
septem^>rt  1731.  —  Lettre  de  M.  Tremblay,  publiée  dans  le  Rapport  sur 
les  Archives  pour  1887,  p.  LXV. 

3.  Arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  Roi,  Sa  Majesté  y  étant,  tenu  à  Ver- 
sailles le  30  mai  1743. 


38  L'EGLISE    DU   CANADA 

Tout  était  confusion  et  chaos  dans  cette  question  de  la 
propriété  du  palais  épiscopal  de  Québec  :  on  n'y  compre- 
nait goutte.  M^^  Dosquet,  obligé,  pour  se  conformer  aux 
désirs  de  la  Cour,  de  prendre  possession  de  la  maison  et  d'y 
résider,  n'y  avait  fait  que  les  réparations  les  plus  urgentes, 
et  avait  eu  toutes  les  peines  du  monde  à  s'en  faire  rembour- 
ser le  prix.  Depuis  qu'il  avait  résigné  son  siège,  il  était 
dans  des  transes  mortelles  au  sujet  des  travaux  qui  restaient 
à  faire  à  cet  évêché,  et  il  ne  cessait  d'importuner  la  Cour 
pour  être  déchargé  de  toute  obligation  à  cet  égard  *  :  «  Soyez 
sans  inquiétude,  et  vivez  tranquille  ^),  lui  écrivait  le  mi- 
nistre. Mais  il  y  a  des  consciences  qui  ne  se  calment  pas 
aisément  ;  et  puis  il  avait  présent  à  l'esprit  le  souvenir  de 
M^^  de  Mornay,  qui  l'avait  menacé  de  poursuite  ^  Au  prin- 
temps de  1741,  apprenant  qu'un  nouvel  évêque  va  partir 
pour  le  Canada,  il  écrit  encore  deux  fois,  presque  coup  sur 
coup,  au  ministre  sur  le  même  sujet  ;  et  celui-ci  de  lui  ré- 
pondre le  20  avril  :  «  Ne  craignez  rien  ;  c'est  le  Roi  lui- 
même  qui  va  faire  ces  réparations  à  ses  dépens  ^.  » 

A  la  sollicitation  de  M^^  de  Pontbriand,  le  Roi  venait 
en  effet  de  prendre  cette  sage  détermination. 

Il  y  eut  un  premier  arrêt,  en  date  du  12  mai  1741,  par 
lequel  Sa  Majesté,  sans  déclarer  encore  qu'Elle  ferait  faire 
les  réparations  à  ses  frais,  ordonnait  que  la  maison  et  ses 
dépendances  seraient  visitées  par  l'ingénieur  en  chef  du 
Canada,  M.  de  Léry  ",  et  par  deux  experts,  nommés  l'un 


4.  D'après  l'abbé  Pâquin,  auteur  d'un  énorme  manuscrit  de  1160  pages 
sur  l'Eglise  du  Canada,  Mgr  Dosquet  était  fils  "  d'un  riche  banquier  '", 
(p.  387).  Du  reste,  cet  auteur,  comme  bien  d'autres,  n'indique  pas  la 
source  de  ses  renseignements  ;  et  il  fait  naître  Mgr  Dosquet  "  à  Lille, 
en  Flandres  ",  ce  qui  est  certainement  faux.  Voir  notre  volume  précé- 
dent, p.  49. 

5.  Voir  notre  volume  précédent,  p.  271. 

6.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  3. 

7.  Ingénieur  bien  vu  et  très  respecté  au  Canada,  qui  avait  présidé  à 
presque  tous  les  travaux  publics  de  la  colonie,  et  que  cependant  Mont- 


sous    M^^"   DE    PONTBRIAND  39 

par  révêque,  l'autre  par  l'intendant.  L'ingénieur  et  les 
experts  devaient  dresser  un  procès-verbal  de  leur  visite, 
mentionnant  les  réparations  «  nécessaires  »  à  faire,  et  le 
prix  qu'elles  coûteraient  ;  et  ce  procès-verbal  devait  être 
envoyé  à  Sa  Majesté.    Il  le  fut  en  effet  le  25  septembre  : 

«  Ce  procès-verbal,  écrivaient  au  ministre  MM.  de  Beau- 
harnais  et  Hocquart,  a  été  dressé  suivant  vos  intentions  et 
monte  à  dix  mille  quatre-vingts  livres,  dix  sols.  Il  a  été 
communiqué  à  M.  l'Evêque.  Nous  avons  tâché  de  le  faire 
expliquer  sur  le  parti  qui  lui  conviendrait  le  mieux  pour 
faire  faire  ces  réparations.  Nous  lui  avons  proposé  de  s'en 
charger  lui-même,  moyennant  la  dite  somme,  qui  pourrait 
lui  être  remise.  C'aurait  été,  à  notre  avis,  la  voie  la  plus 
abrégée  et  la  moins  sujette  à  discussion.  .'.  Il  a  prétexté 
que  le  détail  de  ces  réparations  était  trop  embarrrassant 
pour  lui,  et  qu'il  ne  pouvait  s'en  charger.  Au  fond,  nous 
pensons  qu'il  estime  qu'elles  ont  été  portées  trop  bas.  Il 
nous  a  fait  assez  entendre  qu'au  lieu  d'une  couverture 
neuve  en  planches,  il  eût  été  à  propos  d'en  faire  faire  une 
neuve  en  ardoises,  de  démolir  la  vieille  charpente,  et  d'éle- 
ver des  murs  de  refend  pour  en  substituer  une  autre  plus 
simple  en  filière.  Cette  nouvelle  charpente  et  une  cou- 
verture en  ardoises  auraient  mis  effectivement  cette  maison  à 
l'abri  de  tous  les  accidents  du  feu.  Mais  outre  que  l'objet 
était  trop  considérable  pour  en  faire  mention  dans  le  pro- 
cès-verbal, il  n'est  question  dans  l'arrêt  du  Conseil  que 
«  des  réparations  nécessaires.  » 

«  M.  l'Evêque  ne  voulant  point  se  charger  de  faire  faire 
ces  réparations,  il  paraît  nécessaire  de  les  faire  faire  sur  le 
compte  du  Roi,  soit  par  économie,  ou  au   moyen  d'une' 


calm,  dans  sa  correspondance,  appelle  "  grand  ignorant  de  son  métier  "  : 
(Corresp.  générale,  vol.  104,  lettre  à  M.  Le  Normand,  12  avril  1759) 
exemple,  entre  mille,  de  la  manière  dont  les  Français  appréciaient  les 
Canadiens  et  les  choses  du  Canada  ! 


40  I.' ÉGLISE    DU   CANADA 

adjudication.  Ces  deux  voies  ne  laissent  pas  d'être  su- 
jettes à  des  inconvénients.  En  faisant  ces  réparations  par 
économie,  il  est  certain  qu'elles  monteront  plus  haut  que 
le  devis,  parce  qu'il  sera  difficile  de  ne  pas  se  prêter  à 
quelques  ajustements,  sur  lesquels  M.  de  Pontbriand  ne 
manquera  pas  d'insister.  Si  on  emploie  la  voie  d'adjudi- 
cation, le  prix  en  pourra  être  également  porté  au  delà  des 
estimations,  parce  que  l'entrepreneur  sentira  qu'il  faudra 
qu'il  ait  de  son  côté  quelques  complaisances.  Cependant 
la  voie  d'adjudication  nous  paraît  moins  sujette  aux  dis- 
cussions, du  moins  pour  ce  qui  nous  regarde.  » 

Beauharnais  et  Hocquart  ajoutaient  ensuite,  laissant 
voir  le  penchant  qu'ils  avaient  toujours  eu  pour  l'Hôpital- 
Général  : 

((  A  l'égard  de  la  prétention  de  l'Hôpital-Général  sur 
l'évêché,  nous  l'avons  discutée  avec  M.  l'Evêque  ;  et  nous 
avons  dressé  un  mémoire,  dans  lequel  nous  avons  expliqué 
les  raisons  pour  et  contre,  sur  lesquelles  nous  espérons 
que  vous  voudrez  bien  donner  une  décision  favorable  à  cet 
hôpital  ^  » 

Le  Roi  régla  la  question.  Par  un  second  arrêt,  en  date 
du  20  avril  1742,  il  ordonne  que  (des  réparations  néces- 
saires» qu'il  faut  faire  faire  au  palais  épiscopal  de  Québec 
«seront  faites  de  ses  deniers,»  d'après  l'estimation  du 
procès  verbal  qui  lui  a  été  envoyé  et  qu'il  a  homologué. 
C'est  M.  de  Léry  lui-même  qui  est  chargé  de  les  faire 
exécuter;  et  quand  elles  seront  faites,  «il  sera  procédé  à 
leur  réception,  contradictoirement  avec  le  sieur  de 
Pontbriand,  évêque,  par  devant  le  juge  de  la  Prévôté  de 
Québec  ^,  que  Sa  Majesté  a  commis  et  commet  à  cet  effet.  » 

8.  Corresp.  générale,  vol.  75,  lettre  du  18  septembre  1741. 

9.  C'était  encore  M.  André  de  Leigne;  mais  il  était  à  la  veille  de 
prendre  sa  retraite,  en  conservant  ses  appointements.  François  Daine, 
greffier  en  chef  du  Conseil  Supérieur,  lui  succéda  en  1744  comme  juge 
de  la  Prévôté.  (Registres  du  Conseil  Supérieur,  12  octobre  1744). 


sous   M^''^  DE   PONTBRIAND  41 

Cela  fait,  «le  sieur  Dosqiiet,  ancien  évêque,  les  successions 
des  sieurs  de  Lauberivière  et  Mornay,  et  l'Hôpital  Général 
de  Québec  seront  et  demeureront  pleinement  et  valablement 
quittes  et  déchargés  envers  et  contre  tous  des  dites  répa- 
rations et  du  prix  d'icelles,  dont  Sa  Majesté  leur  fait  don  et 
remise  ^^  » 

Cet  arrêt  ne  fut  connu  à  Québec  que  dans  le  cours  de 
l'automne  (1742);  les  travaux  ne  purent  guère  commencer 
avant  le  printemps  de  1743.  Ils  furent  alors  menés  assez 
rondement  ;  de  sorte  que  M^^"  de  Pontbriand  put  prendre 
possession  de  sa  maison  épiscopale  et  s'y  installer  le  26 
octobre. 

Par  un  troisième  arrêt,  en  date  du  30  mai  de  cette  année 
1743,  le  Roi,  après  avoir  pris  connaissance  de  la  demande 
des  religieuses  de  l'Hôpital  Général  et  des  observations  de 
Beauharnais  et  Hocquart  en  leur  faveur,  «  les  déboutait  de 
leurs  prétentions,  et  réunissait  à  son  domaine,  en  tant  que 
de  besoin,  la  maison  épiscopale  et  ses  dépendances  ;  »  puis 
il  en  faisait  «  don  à  l'Evèché  et  aux  Evêques  de  Québec, 
pour  en  jouir  par  eux  en  pleine  propriété.  »  Du  reste,  il 
n'exigeait  d'eux  aucune  indemnité,  et  ne  les  obligeait  qu'à 
«  pourvoir  à  l'entretien  de  la  maison  et  de  ses  dépendances, 
comme  le  tout  appartenant  à  l'Evêché.  » 

Ah,  quel  homme  content  dut  être  M^^  Dosquet,  lui  qui, 
à  rencontre  de  Beauharnais  et  Hocquart,  avait  toujours 
soutenu  que  l'Hôpital  Général  n'avait  aucun  droit  sur  le 
palais  épiscopal  de  Québec  "  !  Qu'il  dut  être  heureux  de 
se  voir  déchargé  de  toute  obligation  par  rapport  aux  répa- 
rations à  faire  à  cette  maison  ! 

M.  de  Léry  écrivait  à  la  Cour  le  20  octobre  : 


10.  Arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  Roi,  Sa  Majesté  y  étant,  à  Fontaine- 
bleau, 20  avril  1742. 

11.  Corresp.  générale,  vol.  74,  lettre  de  Mgr  Dosquet  au  ministre,  3 
mars  1740. 


42  l'église  du  canada 

((  Le  Palais  épiscopal  aurait  été  rétabli  plus  tôt.  J'ai 
tombé  malade  le  printemps  passé,  et  été  obligé  de  rester  un 
mois  dans  le  lit.  Dans  ma  convalescence,  tout  ce  que  je 
pouvais  faire  était  d'aller  tous  les  jours  y  faire  travailler, 
étant  tout  proche  de  ma  maison  ^^.  Il  est  à  présent  en 
bon  état. 

«  On  a  été  obligé  de  faire  toute  la  charpente  et  couver- 
ture à  neuf,  les  deux  tiers  des  poutres,  portes,  fenêtres  et 
planchers  étaient  pourris.  Les  experts  ni  moi  n'avions 
pu  le  voir,  à  cause  qu'une  partie  de  ce  qui  était  gâté  était 
cachée,  et  le  reste  était  dans  la  maçonnerie.  Quand  on 
est  venu  au  rétablissement,  M.  l'Intendant  et  M.  l'Evêque 
ont  été  surpris  ;  ce  bâtiment  n'ayant  pas  été  entretenu 
depuis  le  départ  de  M.  Dosquet  (1735),  la  pluie  a  pénétré 
par  la  couverture  et  gâté  la  charpente  et  le  dedans. 

((  Je  l'ai  rétabli  de  manière  qu'il  est  tout  neuf  à  présent, 
et  je  puis  dire  qu'il  est  en  meilleur  état,  plus  solide,  plus 
logeable  qu'il  n'était  quand  il  a  été  fait. 

<(  J'ai  l'honneur  de  vous  en  envoyer  les  plans.  Vous  verrez 
que  c'est  un  beau  bâtiment,  avec  une  belle  cour,  basse- 
cour  et  jardin.  M.  l'Evêque  mérite  d'être  bien  logé,  car 
c'est  un  digne  prélat.  Il  est  convenu  avec  M.  l'intendant 
de  ne  point  rétablir  la  chapelle  :  elle  mérite  de  l'être,  car 
elle  est  belle,  ayant  un  beau  portail  de  pierre  de  taille, 
orné  d'un  ordre  d'architecture  ^^.  .  .  » 

De  son  côté,  M^^  de  Pontbriand  écrivait,  lui  aussi,  au 
ministre  : 

«  Les  fonds  destinés  pour  la  maison  épiscopale  ont  été 
entièrement  employés.  Restent  encore  la  chapelle,  l'écu- 
rie, le  crépi  d'une  partie  de  la  maison,  d'un  mur,  et  une 
clôture  de  pieux.     J'ai  été  obligé  de  faire  une  réserve  ex- 


12.  La  maison  de  M.  de  Léry  existe  encore,  et  sert  de  boutique  aux 
ouvriers  du  Séminaire.  Elle  a  pignon  sur  la  rue  Sainte-Famille. 

13.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  au  ministre,  20  oct.  1743. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  43 

presse  sur  tous  les  articles.  La  chapelle  ne  paraît  pas  à 
M.  l'intendant  bien  nécessaire  :  une  chambre  y  a  suppléé 
du  temps  de  M.  Bosquet,  et  peut  encore  y  suppléer.  L'édi- 
fice en  est  cependant  trop  beau  pour  le  laisser  périr.  Il 
était  même  naturel  de  commencer  par  là  :  le  peuple,  tout 
peuple  qu'il  est,  le  pense  ainsi.  Si  vous  n'en  jugez  pas  la 
réparation  nécessaire,  je  crois  que  vous  en  ordonnerez  la 
démolition. . .  » 


CHAPITRE  V 


ENCORE  I.E  PALAIS  ÉPISCOPAL.  —  MISÈRE  DANS  LA 

COLONIE 

Rapport  du  juge  André  de  Leigne  sur  les  travaux  de  l'évêché.— 
L'Evêque  fait  compléter  ces  travaux.  —  Etat  misérable  de  la  colo- 
nie. —  Règlements  fixant  le  prix  du  blé  et  du  pain.  —  Mgr  de 
Pontbriand  au  Conseil  Supérieur.  —  Son  plan  par  rapport  aux 
mendiants. 

iVyTGR  de  Pontbriand  n'avait  pris  possession  de  sa  maison 
^Vl  épiscopale,  le  26  octobre  (1743),  qu'en  faisant 
expressément  ses  réserves  sur  plusieurs  détails.  On  aura 
une  idée  de  l'objet  de  ces  réserves  par  l'extrait  suivant  que 
nous  faisons  du  Rapport  du  juge  de  Leigne,  qui  avait  été 
chargé  par  le  Roi  de  recevoir  les  travaux.  Il  se  rendit  à 
Pévêché  le  26  octobre,  à  huit  heures  du  matin  —  on  était 
à  cette  époque  plus  matinal  qu'aujourd'hui—,  et  fit  sa 
visite  en  compagnie  de  l'Evêque  : 

«Nous  avons  été,  dit-il,  aux  Offices,  ou  Rez-de-chaussée 
de  la  Basse-Cour,  où  nous  avons  visité  la  cuisine,  le  com- 
mun, les  caves,  les  offices,  garde-manger  et  caves  au  vin .  . . 

«  Au  bel  Etage,  ou  Rez-de-chaussée  de  la  Cour,  dans  tous 
les  appartements . .  . 

«  De  là,  au  premier  Etage.  . . 

«  Ensuite  aux  greniers.     Toute  la  charpente  est  neuve 
ainsi  que  la  couverture  en  double  plancher. 

«r  Les  têtes  de  cheminées  sont  refaites  à  neuf.  .  .  » 

Jusque-là,  le  Juge  et  l'Evêque  ne  trouvent  rien  à 
reprendre.     M.  de  Leigne  ajoute  : 


sous    M^^"    DE    PONTBRIAND  45 

«  Etant  ensuite  descendu  dans  la  Cour,  nous  avons  re- 
marqué qu'aux  deux  flancs  du  dit  bâtiment,  qui  sont  oppo- 
sés au  nord-est,  les  crépis  sont  à  faire. 

((  Nous  nous  sommes  ensuite  transporté  à  la  chapelle,  à 
la  sacristie,  et  nous  avons  remarqué  qu'il  n'a  été  fait  dans 
ces  endroits  aucune  réparation. 

«  Nous  avons  été  de  là  à  la  grande  porte  de  la  cour  de  la 
maison  épiscopale,  et  au  mur  de  continuité,  qui  va  jusqu'à 
la  maison  du  nommé  Carpentier,  et  avons  remarqué  que  le 
crépi  de  la  porte  est  à  faire,  ainsi  qu'au  dit  mur,  avec  le 
chaperon. 

«  Nous  avons  été  ensuite  conduit  à  l'écurie  et  à  la  remise, 
et  avons  remarqué  qu'il  n'y  a  été  fait  aucune  réparation  ^  » 

La  clôture  de  pieux  qui  séparait  le  terrain  de  l'évêché 
de  celui  du  séminaire  était  aussi  restée  complètement  en 
ruines. 

M.  Hocquart  proposa  à  l'évêque  de  lui  donner  la  somme 
de  douze  cent  vingt  livres  pour  lui  permettre  de  faire  les 
réparations  qui  restaient  à  faire,  de  manière  qu'il  pût  se 
désister  de  ses  réserves.  Le  Prélat  accepta  ;  la  somme  lui 
fut  comptée  le  30  octobre  1744  ;  le  Roi  ratifia  l'arrangement 
le  26  avril  1745;  puis,  dans  l'automne  de  1746,  le  22  sep- 
tembre, les  notaires  Barolet  et  Dulaurent  se  rendirent  «  en 
l'Hôtel  de  M^''  l'Evêque,  w  et  passèrent  un  acte  par  lequel 
celui-ci,  moyennant  la  somme  qu'il  avait  acceptée  de  M. 
Hocquart  pour  achever  les  réparations  de  l'évêché,  se  dé- 
sistait de  ses  réserves  et  se  déclarait  satisfait.  Hélas  !  à 
propos  de  la  chapelle  et  de  la  sacristie,  on  lisait  dans  cet 
acte  :  «  On  les  laissera  tomber  en  ruines  -  !  » 


1.  Archives  provinciales  de  Québec,  Registres  de  la  Prévôté,  Matières 
civiles. 

2.  II  est  certain,  toutefois,  que  la  chapelle  de  l'évêché  fut  quelque  peu 
entretenue,  puisqu'elle  servit,  après  la  Conquête,  pour  les  Bureaux  du 
gouvernement,  et  plus  tard  pour  les  séances  du  premier  Parlement  cana- 
dien. 


46  l'éguse  du  canada 

La  colonie  était  entrée,  à  cette  époque,  dans  une  période 
de  mauvaises  récoltes,  de  disettes,  de  maladies,  qui  n'était  que 
le  prélude  des  grands  malheurs  qui  devaient  assombrir  les 
derniers  jours  du  Régime  français  au  Canada.  La  pauvreté 
et  la  misère  régnaient  dans  nos  campagnes  et  dans  nos 
villes;  les  revenus  de  la  colonie  diminuaient,  ce  qui 
explique  la  prudence,  voisine  de  la  mesquinerie,  avec 
laquelle  on  avait  procédé  à  des  travaux  importants  comme 
ceux  des  réparations  du  Palais  épiscopal.  N'allons  pas 
croire,  en  effet,  que  c'était  avec  ses  «propres»  deniers  que 
le  Roi  faisait  exécuter  ces  travaux,  c'était  avec  ceux  de 
l'Etat,  ou  plutôt  ceux  de  la  colonie,  payables,  comme  il  le 
dit  lui-même,  «  par  le  commis  des  conseillers  généraux  de 
la  Marine  à  Québec,  »  sur  l'ordre  de  l'intendant  ^ 

On  aura  une  idée  de  la  misère  qui  commençait  à  s'appe- 
santir sur  le  Canada,  par  ces  quelques  lignes  d'une  lettre 
de  M^^  de  Pontbriand  au  ministre  : 

«Cette  année  (1743),  la  récolte  n'est  pas  plus  abondante 
que  l'année  précédente.  Les  pauvres  sont  sans  nombre. 
Je  serai  obligé  de  leur  faire  distribuer  deux  cents  pains  par 
semaine,  ce  qui  achèvera  de  me  mettre  hors  d'état  de  me 
soutenir,  nonobstant  les  bontés  que  vous  avez  pour  moi.  » 

Ecrivant  à  la  même  date,  30  octobre  1743,  à  son  frère  le 
comte  de  Nevet  : 

«  Nous  avons  eu,  lui  disait-il,  une  disette  générale.  Je 
me  suis  endetté  pour  soulager  les  pauvres  ^  Cette  année 
sera  encore  très  mauvaise.  J'espère  pourtant  vous  payer 
ce  que  je  vous  dois  dans  un  an.  Je  suis  si  fort  occupé  à 
écrire,  à  m'arranger  dans  ma  maison,  oii  je  demeure  depuis 


3.  Arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  20  avril  1742. 

4.  "  J'ai  été  obligé,  pour  secourir  les  pauvres,  d'emprunter  cinq  mille 
francs,"  écrivait-il  au  ministre  le  20  octobre  1743.  Et  il  ajoutait  le  30 
octobre   de   l'année   suivante  :    "  Tout   est   ici   à   un   prix    exorbitant.  ' 
CCorresp.  générale,  vol.  80  et  82). 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  47 

cinq  jours,  si  accablé  de  visites,  si  détourné  par  trois  ma- 
lades que  je  vais  voir  tous  les  jours,  si  embarrassé  pour 
faire  faire  les  provisions  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  pen- 
dant huit  mois  ^,  que  je  n'ai  pas  un  moment  à  moi  :  ainsi 
ne  soyez  point  étonné  de  la  brièveté  de  ma  lettre  ^.  .  .  » 

Il  suffit  donc  de  songer  à  la  pauvreté  oii  se  trouvait 
alors  la  colonie  pour  expliquer  et  excuser  la  parcimonie 
avec  laquelle  on  avait  procédé  aux  réparations  urgentes  du 
Palais  épiscopal. 

Les  années  de  disette  sont  souvent  désastreuses  pour  la 
morale.  Les  besoins  des  uns  engendrent  la  cupidité  et 
l'avarice  chez  les  autres  :  la  charité  et  la  justice  souffrent 
de  cette  mauvaise  disposition.  Au  printemps  de  1742, 
Beauharnais  et  Hocquaft  émirent  un  excellent  règlement 
de  police,  qui  fixait  le  prix  du  blé,  dans  les  campagnes,  à 
trois  francs  le  minot,  et  dans  les  villes,  sur  les  marchés,  à 
trois  francs  et  cinq  sous  :  le  prix  des  farines  était  en  pro- 
portion. Les  habitants  des  Côtes,  —  comme  on  disait 
alors  —  s'occupèrent  peu  de  ce  règlement  et  vendirent  leur 
blé  aussi  cher  qu'ils  purent. 

Dans  l'automne,  le  -25  octobre,  le  Conseil  Supérieur 
s'assemble  à  ce  sujet  ;  et  M^^  de  Pontbriand,  qui  n'y  a  pas 
paru  une  seule  fois  depuis  qu'il  y  a  pris  séance  l'année  pré- 
cédente, s'y  rend  avec  le  gouverneur  et  l'intendant  pour  les 
appuyer  de  toutes  ses  forces.  Déjà  il  a  publié  un  man- 
dement très  fort  pour  condamner  «l'odieuse  cupidité  de 
quelques-uns  des  habitants  des  Côtes,  qui  profitent  de  la- 
disette  où  sont  les  villes  pour  vendre  à  un  prix  exorbitant 
les  blés  et  les  farines.  »  La  présence  de  l'Evêque  au  Con- 
seil, à  côté  des  deux  représentants  de  l'autorité  civile,  pro- 


5.  C'était  la  première  fois  qu'il  avait  à  s'occuper  de  ce  détail.  Jusque- 
là,  il  avait  été  à  la  table  du  Séminaire,  dont  l'économe  était  M.  André, 
aidé  d'un  maître  d'hôtel  laïque,  M.  Mourisset. 

6.  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  434. 


48  L'éGLISE    DU   CANADA 

duit  un  excellent  effet.  Les  conseillers  qui  assistent  à  la 
séance  sont  MM.  Cugnet,  De  Lotbinière,  Lanouiller,  Varin, 
Foucault,  Taschereau,  De  Lafontaine  et  Estèbe.  Le  règle- 
ment de  Beauharnais  et  Hocquart  fixant  à  trois  .livres  et 
cinq  sous  le  prix  du  blé  est  sanctionné:  ceux  qui  le  ven- 
dront plus  cher  seront  passibles  d'une  amende  de  cinquante 
livres.  Le  Conseil  fixe  aussi  le  prix  du  pain  :  le  pain 
blanc  de  deux  livres  et  demie  se  vendra  cinq  sous;  le  pain 
bis,  de  six  livres,  dix  sous.  Les  boulangers  devront  tenir 
leurs  boutiques  bien  garnies  de  pain,  sous  peine  de  vingt 
livres  d'amende;  chaque  boulanger  devra  marquer  son 
pain  de  sa  marque,  et  «  l'empreinte  de  cette  marque  sera 
déposée  au  greffe  ''.  » 

En  assistant  à  cette  séance  du  Conseil  Supérieur,  M^^  de 
Pontbriand  voulait  montrer  qu'il  était  disposé  à  donner  le 
concours  de  son  autorité  à  toutes  les  mesures  d'intérêt 
public  ;  et  ce  fut  sa  règle  de  conduite  dans  tous  le  cours  de 
son  administration.  Son  attention  à  s'entendre  aussi 
parfaitement  que  possible  avec  le  gouverneur  et  l'intendant 
de  la  colonie  faisait  sa  force  à  la  Cour.  Il  n'eut  pas 
occasion  de  reparaître  au  Conseil  avant  le  mois  de  juillet 
1746;  mais  il  continua  à  soutenir  de  toutes  ses  forces  les 
représentants  de  l'autorité  royale  au  Canada  dans  la  cam- 
pagne, si  impopulaire  qu'elle  fût;  qu'ils  avaient  entreprise 
pour  maintenir  à  un  prix  raisonnable  le  coût  des  vivres. 

Il  n'y  avait  que  quelques  mois  que  le  Prélat  était  au 
pays,  que  déjà  il  en  connaissait  tous  les  besoins  :  il  avait 
même  conçu  et  proposait  à  la  Cour  des  plans  pour  y 
remédier.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  il  aurait  voulu 
que  le  Roi  eût  au  Canada  des  greniers,  où,  dans  les  années 
d'abondance,  on  mît  en  réserve  une  bonne  quantité  de  blé 
pour  les  mauvaises  années  :  «  l'expérience  apprend,  disait-il, 


7.  Archives  provinciales  de  Québec,  Registres  du  Conseil  Supérieur, 


SCUS    M^^*   DE    PONTBRIAND  49 

qu'ordinairement,  après  deux  bonnes  récoltes,  il  y  en  a  une 
mauvaise  ^.  » 

Il  aurait  voulu,  également,  que  l'on  adoptât  ici  les  mêmes 
dispositions  qu'en  France,  pour  obliger  chaque  paroisse  à 
nourrir  ses  pauvres  : 

«  Si  cela  était  ordonné,  disait-il,  on  pourrait,  vers  la  fin 
de  l'automne  de  chaque  année,  arrêter  le  nombre  de  ceux 
qui  seraient  dans  le  cas  d'avoir  besoin  d'être  assistés  ;  et  le 
rôle  étant  signé  du  curé,  du  capitaine  de  milices,  et  de 
quatre  ou  cinq  des  plus  anciens  marguilliers,  ne  paraîtrait 
pas  sujet  à  injustices.  Ce  seraient  eux,  aussi,  qui  pourraient 
déterminer  la  taxe  à  faire  en  blé  ;  le  marguillier  en  charge 
en  ferait  la  recette,  puis  en  rendrait  compte  à  l'évêque  ou 
à  ses  grands  vicaires  dans  le  cours  de  leurs  visites . .  . 

«  Il  est  constant,  ajoutait-il,  que  déjà  les  mendiants  se 
sont  multipliés  dans  le  Canada,  et  j'en  ai  vu  cette  année 
en  grand  nombre  venir  à  Québec  même  de  soixante 
lieues  ^.  Il  est  à  craindre  que  bien  loin  que  ce  nombre 
diminue,  il  ne  fasse  qu'augmenter. 

((  Vous  savez,  ajoutait-il  encore,  les  inconvénients  qu'en- 
traîne cette  mendicité  :  beaucoup  de  crimes,  beaucoup  de 
vols  et  mille  désordres  qui  sont  la  suite  d'une  vie  vaga- 
bonde et  errante,  et  qui  empêche  la  culture  des  terres. . . 

((  Les  habitants  ne  pourraient  se  plaindre  de  cette  taxe, 
puisqu'elle  est  à  l'avantage  des  pauvres.  Ceux-ci  ne  sorti- 
raient point  de  la  paroisse,  pourraient  y  travailler,  et  nous 
n'aurions  dans  les  villes  que  les  pauvres  de  la  ville  ^^ . .  .  « 

Nous  n'avons  pas  à  examiner  jusqu'à  quel  point  les 
plans  de  l'Evêque  étaient  susceptibles  d'exécution,  et  ne 


8.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  au  ministre,  22  août  1742. 

9.  La  tradition  s'en  est  conservée:  il  n'est  pas  rare  de  voir  des  men- 
diants, dans  nos  campagnes  près  de  Québec,  qui  se  disent  venir  de 
Montréal. 

10.  Corresp.  générale,  vol.  78,  autre  lettre  du  22  août  1742. 
4 


50  l'église  du  canada 

voulons  que  montrer  combien  le  digne  Prélat  avait  l'esprit 
et  le  cœur  ouverts  sur  tout  ce  qui  pouvait  intéresser  le 
bien  de  son  Eglise  et  ce  que  Pon  a  si  justement  appelé 
«  l'éternelle  question  sociale  »  ^^ 

Mais  hâtons-nous  de  voir  M^  de  Pontbriand  dans  l'exer- 
cice de  son  œuvre  comme  premier  pasteur  de  son  diocèse. 


II.  Revue  des  Deux-Mondes  du  15  mai  1913,  p.  269. 


CHAPITRE  VI 


VISITE  PASTORALE  DE  LA  PAROISSE  DE  QUÉBEC 

Le  curé  Plante.  —  Mandement  pour  la  visite.  —  Lettre  au  Chapitre.  — 
La  population  de  Québec.  —  Quelques  mauvais  sujets.  —  On  les 
fait  repasser  en  France.  —  Il  faut  reconstruire  la  cathédrale. 

MGR  de  Pontbriand  avait  hâte  de  connaître  par  lui-même 
son  immense  diocèse,  qu'il  ne  connaissait  encore  que 
par  ouï-dire.  Il  voulut  commencer,  comme  il  convenait, 
sa  visite  pastorale  par  la  paroisse  de  Notre-Dame  de  Qué- 
bec, la  plus  ancienne  du  pays,  et  adressa  pour  cela  un 
mandement  spécial,  en  date  du  9  décembre  1741,  «au  clerg^é 
et  au  peuple  »  de  cette  ville. 

Le  curé  de  Québec  était  alors  M.  Charles  Plante,  membre 
du  Chapitre  et  l'un  des  directeurs  du  séminaire  ^  Les  deux 
«(  vicaires  perpétuels  »  qu'on  lui  avait  imposés  tout  d'abord 
étaient  devenus  curés,  l'un  au  Château-Richer,  l'autre  à 
Berthier  ;  et  ce  sont  ses  confrères  du  séminaire  qui  l'assis- 
taient dans  ses  fonctions  curiales.  La  paroisse  était  très 
bien  desservie  :  M.  de  Latour  le  disait,  de  son  temps  ^  ;  et 
les  choses  n'avaient  pas  changé  depuis. 

Membre  du  Séminaire,  M.  Plante  lui  rendait  compte  de 
son  revenu.  D'après  une  statistique  officielle,  en  date  de 
1756,  signée  par  M.  Pressart,  procureur  de  cette  maison,  le 


1.  Il  était  le  neuvième  curé  titulaire  de  Québec.  Voir  dans  Henri  de 
Bernières,  p.  353,  la  liste  des  curés  en  titre  de  Québec. 

2.  Mémoires  sur  la  Vie  de  M.  de  Laval,  p.  181. 


52     .  l'église  du  canada 

revenu  du  curé  de  Québec  se  montait  alors  à  trois  mille 
livres  par  an  ^ 

Dans  son  mandement  du' 9  décembre,  M»^' de  Pontbriand 
annonçait  sa  visite  pastorale  de  Québec  pour  le  8  janvier. 
Elle  eut  lieu,  en  effet,  ce  jour-là  et  les  jours  suivants,  avec 
tous  les  bons  résultats  qui  accompagnent  d'ordinaire  la  vi- 
site de  l'Kvêque. 

«  Nous  tâcherons,  disait-il  dans  son  mandement,  de  cor- 
riger les  abus  et  les  défauts  qui  peuvent  s'être  introduits 
parmi  vous;  d'apaiser  les  querelles  et  les  divisions,  d'ac- 
commoder les  procès,  d'ôter  les  scandales,  ou  par  la  con- 
version de  ceux  qui  les  causent  (ce  que  nous  souhaitons 
ardemment),  ou  (ce  que  nous  ne  pourrons  faire  sans  dou- 
leur) par  une  punition  proportionnée  à  leurs  crimes. 
Nous  donnerons  enfin,  tant  en  public  qu'en  particulier, 
tous  les  avis  que  nous  jugerons  néces.^-aires  pour  votre 
sanctification  ;  et  comme  nous  n'épargnerons  aucun  soin 
pour  y  réussir,  nous  espérons  que  vous  ferez  aussi  de  votre 
part  ce  que  vous  devrez  pour  profiter  de  notre  travail.  .  .  » 

Acconivioder  les  procès  !  Quelle  leçon,  indirectement, 
pour  certains  ecclésiastiques  de  sa  ville  épiscopale,  qui, 
depuis  tant  d'année^;,  au  lieu  de  régler  entre  eux  leurs 
petits  différends,  allaient  à  tout  propos  étaler  leurs  divi- 
sions et  leurs  que: elles  devant  la  Prévôté  ou  le  Conseil 
supérieur!  Quelle  leçon  potir  le  Chapitre,  qui,  dans 
quelques  années,  allait  intenter  au  Séminaire  un  intermi- 
nable procès,  dont  nous  aurons  à  dire  un  mot  :  triste  page 
de  nos  annales  religieuses  ! 

M^^'  de  Pontbîiand,  dans  sa  visite,  donna  une  attention 
tonte  spéciale  aux  comptes  de  la  fabrique  ;  puis,  la  visite 
terminée,  il  écrivit  au  Chapitre  : 


3.  Manuscrits  de  Jacques  Viger,  Statistique  ecclésiastique  relative  au 
Canada  (1756-1759). 


sous   M^   DE   PONTBRIAND 


53 


«  Il  me  paraît  nécessaire  que  le  trésor  et  les  archives  de 
la  paroisse  soient  placés  dans  la  sacristie.  —  Par  l'examen 
des  comptes,  j'ai  constaté  que  le  Chapitre,  sans  ordre  des 
supérieurs  ecclésiastiques,  faisait  faire  des  ornements,  dont 
il  faisait  payer  la  moitié  à  la  Fabrique.  Je  ne  crois  pas 
que  vous  puissiez  avoir  uu  droit  si  particulier.  Si  cepen- 
dant il  y  en  avait,  je  vous  prie  de  me  le  marquer.  »  Puis 
il  ajoutait  : 

«  Les  marguilliers  m'ont  représenté  qu'ils  avaient  à  eux 
seuls  une  grande  partie  des  ornements  et  linges,  et  c'est  ce 
que  j'ai  vu  par  l'inventaire.  Il  paraît  juste  qu'il  y  ait  au 
moins  égalité.  Ainsi  je  crois  qu'il  convient  d'examiner 
entre  vous  si  véritablement  la  Fabrique  fournit  plus  d'or- 
nements que  le  Chapitre,  et  de  prendre  des  mesures  con- 
venables pour  que  tout  soit  dans  une  juste  proportion. 
Vous  aurez  pour  agréable  de  faire  écrire  sur  le  livre  de  vos 
délibérations  cette  lettre  et  la  réponse  qu'on  fera.  » 

Il  fut  répondu  :  a  L<e  Chapitre  convient  que  la  Fabrique 
a  droit  de  faire  placer  le  coffre  (des  archives)  dans  la  sacris- 
tie. Pour  ce  qui  concerne  les  ornements  et  linges  servant 
à  l'usage  de  l'église,  il  est  juste  qu'il  y  ait  une  compensa- 
tion égale  entre  le  Chapitre  et  la  Fabrique  *  ». 

De  son  côté,  le  Chapitre  demandait  que  la  Fabrique 
donnât  une  somme  plus  considérable  pour  l'office,  ((  qui 
sert  d'office  paroissial.  » 

Au  reste,  tout,  dans  la  sacristie,  avait  paru  a  l'Evêque  dans 
un  ordre  parfait.  La  cathédrale  avait  pour  sacristain  un 
nommé  Cotton,  qui  avait  soin  du  linge,  des  ornements  et 
de  toutes  les  choses  nécessaires  au  culte.  C'est  lui  qui 
confectionnait  les  cierges  et  les  hosties.  On  avait  confié 
aux  Sœurs  de  la  Congrégration  le  blanchissage  et  le  rac- 


4.  Registre  du  Chapitre,  assemblée  du  18  janvier  1742. 


54  L'iîGLISK   DU   CANADA 

commodage  du  linge  de  l'église;  les  Ursulines  en  furent 
chargées  plus  tard  ^ 

La  paroisse  de  Québec,  y  compris  la  banlieue,  comptait 
environ  cinq  mille  âmes,  près  de  mille  ménages  ^.  La  foi 
était  vive,  l'assistance  aux  oflSces  religieux  très  régulière, 
les  mœurs  chrétiennes,  en  général.  Mais  il  arrivait  assez 
souvent  de  France  de  mauvais  sujets.  C'étaient  ordinai- 
rement des  jeunes  gens  que  leurs  parents  envoyaient  ici 
pour  s'en  débarrasser  :  ils  étaient  un  scandale  pour  les  bonnes 
familles  canadiennes.  Parlant  d'un  jeune  Raymond,  qui 
faisait  le  désespoir  de  nos  autorités  religieuses  et  civiles  : 

«Un  jeune  homme  aussi  intrigant,  écrit  à  la  Cour  M. 
Hocquart,  n'est  pas  aisé  à  garder.  M.  de  Beauharnais  a 
pris  le  parti  de  le  faire  mettre  en  prison,  en  attendant  vos 
ordres.  Il  est  querelleur,  adonné  au  vin,  vend  toutes  ses 
hardes ...  Il  conviendrait  beaucoup  mieux  à  sa  famille  de 
le  faire  repasser  en  France  pour  le  faire  renfermer,  sans 
l'exposer  ici  à  quelque  fâcheuse  catastrophe  '....» 

Hocquart  en  avait  un  autre  à  renvoyer  l'année  suivante  : 

«  Marchai  de  Noroy,  dit-il,  fils  de  l'Econome  du  clergé 
(de  France),  a  été  envoyé  en  Canada,  à  la  sollicitation  de 
sa  famille.  .  .  Vous  avez  donné  ordre  à  M.  de  Beauharnais 
d'en  faire  un  cadet  à  l'aiguillette.  Sa  mauvaise  conduite 
l'a  fait  casser.  Elle  n'a  pas  été  meilleure  depuis  :  au  con- 
traire. Nous  vous  prions  de  nous  permettre  de  renvoyer 
ce  mauvais  sujet  ^  en  France  l'année  prochaine  ^.  .  .  » 

5.  Registre  du  Chapitre. 

6.  Recensement  paroissial  de  1744. 

7.  Corresp.  générale,  vol.  85,  lettre  au  ministre,  10  octobre  1746. 

8.  Voulons-nous  avoir  une  idée  de  l'instruction  de  ce  jeune  Parisien? 
voici  quelques  lignes  d'une  lettre  qu'il  écrivait  à  l'intendant  :  "  Je  prans 
la  liberté  de  vous  et  crire  ces  ligne  pour  exposer  ma  misère  qui  est  à  la 
dernier  période.  Mes  déboches  mi  ons  plongé.  Je  vous  pris  d'avoir  pitiée 
de  rt^ois  dans  ma  missère  :  el  et  des  plus  grande  dans  la  situation  pre- 
sante,  car  gé  tout  vandu  et  tout  joué,  et  me  suis  mis  dans  un  ettat  pi- 
toiable. . .  "  (Corresp.  générale,  vol.  87,  28  oct.  1747). 

9.  Ibid.,  vol.  87,  lettre  de  M.  Hocquart  au  ministre,  28  oct.  1747. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  55 

«Je  VOUS  ai  proposé  un  moyen,  écrit  au  ministre  M«'  de 
Pontbriand,  pour  vous  assurer  de  l'état  des  personnes  qui 
viennent  dans  cette  colonie.  Je  n'ai  pu  m'erapêcher  de 
vous  représenter  que  rien  n'est  plus  préjudiciable  au  bien 
du  pays  que  le  grand  nombre  de  mauvais  sujets  qu'on  y 
envoie  ^^.  . .  » 

Parmi  les  recrues  qui  arrivaient  de  France  chaque 
année,  soit  comme  soldats,  soit  comme  colons,  il  y  en  avait 
souvent  dont  la  conduite  laissait  à  désirer.  La  mère 
Sainte-Hélène  écrit  un  jour  : 

w  On  nous  a  envoyé  des  soldats  de  nouvelles  recrues,  qui 
sont  les  plus  mauvais  garnements  de  la  France.  Il  y  en  a 
en  prison  ".  » 

L'Evêque  se  plaignait  à  la  Cour  du  peu  de  surveillance 
que  l'on  apportait  à  ce  sujet  : 

«  Lorsque  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  prier,  disait-il,  de 
donner  des  ordres  pour  les  recrues  qui  viennent  de  France 
dans  cette  colonie,  j'étais  appuyé  sur  le  témoignage  de 
plusieurs  personnes  qui  ont  connaissance  que,  parmi  les 
nouvelles  levées,  il  s'est  trouvé  des  religieux  et  des 
prêtres  ;  et  moi-même  j'ai  renvoyé  un  Frère  prof  es  de  la 
Charité,  qui  est  actuellement  au  couvent  de  Metz  ^2.  » 

Et  voici  un  exemple  de  ces  tristes  recrues,  qui  venaient 
gâter  nos  populations.  Laissons  M^^  de  Pontbriand  signa- 
ler lui-même  le  cas  au  ministre,  à  la  suite  de  sa  visite  pas- 
torale de  Québec  : 

«  Un  nommé  Noiiet  dit  la  Souffleterie  ^^,  qui  fait  les 
fonctions  de  procureur  ^*,  et  qui  n'est  ici  que  depuis  quel- 


10.  Ibid.,  vol.  78,  lettre  du  28  sept.  1742. 

11.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  265. 

12.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  au  ministre,  20  oct.  1743. 

13.  Il  demeurait  sur  la  rue  des  Jardins. 

14.  Il  n'y  avait  pas  encore  d'avocats  au  Canada;  mais  quelques  indi- 
vidus se  donnaient  pour  fonction  de  représenter  à  la  Prévôté  ou  au 


56  l'église  du  canada 

ques  anuées,  demeure  chez  une  femme  dont  le  mari  est 
absent,  et  qui  a  fait  beaucoup  parler  d'elle  par  ci-devant. 
Ces  deux  personnes  causent  du  scandale.  On  s'en  plaint 
hautement.  M.  l'intendant  avait  donné  des  avis  à  ce  par- 
ticulier auparavant  mon  arrivée.  Le  curé  de  la  paroisse 
m'en  a  porté  des  plaintes.  Un  ancien  habitant,  nommé  Lar- 
ché,  m'a  parlé  pour  le  même  sujet.  M.  André  (de  Leigne)i 
lieutenant  de  police,  m'a  assuré  lui  en  avoir  parlé,  et  m'a 
dit  que  plusieurs  personnes  lui  avaient  représenté  ce  scan- 
dale. Les  Pères  Saint-Pé,  jésuite,  et  Maurice  ^^  m'ont  aussi 
dit  les  mêmes  choses.  Je  l'ai  averti  deux  fois  de  sortir  de 
cette  maison,  mais  toujours  inutilement.  Il  l'avait  promis 
à  M.  l'intendant,  mais  il  n'en  veut  plus  rien  faire.  Il 
exigerait  une  procédure  difficile  en  ces  matières,  et  peu 
convenable.  Je  vous  supplie,  monsieur,  de  le  faire  repasser 
en  France  ;  la  colonie  n'y  perdra  rien.  Je  crois  que  c'est  le 
seul  moyen  de  remédier  à  cet  abus.  Au  reste,  pourvu  que 
le  mal  soit  arrêté,  je  serai  content  ^^.  » 

Le  ministre,  toujours  bien  disposé  envers  M^^  de  Pont- 
briand,  écrivit  à  M.  Hocquart  de  lui  donner  satisfaction  ; 
et  l'intendant  répondit  l'année  suivante  à  M.  de  Maurepas  : 

<(  Le  nommé  Noûet  dit  la  Souffleterie,  de  la  conduite 
duquel  M.  l'Evêque  vous  a  rendu  compte,  est  un  mauvais 
sujet,  qui  m'a  donné  plus  d'une  fois  occasion  de  le  corriger 
sévèrement.  Après  plusieurs  avertissements  inutiles,  j'ai 
été  obligé,  à  mon  retour  de  Montréal,  de  le  tenir  à  Québec 
près  de  deux  mois  en  prison.  Il  n'y  a  point  de  chicanes 
dont  il  ne  soit  capable  dans  l'exercice  de  sa  profession  de 
praticien,  infidèle  dans  les  dépôts,  solliciteur  de  mauvais 
procès,  indiscret  dans  ses  discours  et  ses  écrits,  de  mauvaises 


Conseil  ceux  qui  ne  pouvaient  ou  ne  voulaient  y  comparaître  en  per- 
sonne. 

15.  Le  P.  Maurice  Imbault,  récollet. 

16.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  du  30  oct.  1742. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  57 

mœurs,  avec  de  Pesprit  :  voilà  le  précis  de  son  caractère. 
Je  lui  ai  fait  dire  qu'il  eût  à  s'en  retourner  en  France,  ou 
que  je  l'y  ferais  passer  d'autorité.  Il  s'est  embarqué  aujour- 
d'hui sur  le  navire  Le  Mars,  destiné  pour  La  Rochelle  ^'^.  » 

M«^  de  Pontbriand  venait  donc,  sans  éclat  et  sans  bruit, 
de  délivrer  son  Eglise  de  deux  mauvais  sujets  :  un  religieux 
défroqué  et  un  praticien  scandaleux.  Il  avait  bien  mérité 
de  tous  les  honnêtes  gens. 

Nous  avons  vu  qu'il  n'y  avait  que  neuf  protestants  à 
Québec  lorsqu'il  y  arriva.  Il  aurait  désiré  qu'il  n'y  en  eût 
aucun,  et  il  écrivait  au  ministre  : 

«  Je  ne  puis  me  dispenser  de  vous  réitérer  les  mêmes 
instances  qui  vous  ont  été  faites  par  ci-devant  sur  sept  ou 
huit  commerçants  de  la  religion  prétendue  réformée.  Je 
suis  persuadé  que  le  bien  spirituel  de  mon  diocèse  exige 
qu'on  n'en  reçût  point  dans  cette  colonie.  Je  crois  même 
pouvoir  ajouter  que  le  bien  de  l'Etat  y  est  conforme.  Si 
on  diffère,  le  nombre  se  multipliera,  et  il  sera  difficile  d'y 
remédier  ^^  » 

La  visite  pastorale  que  M^^  de  Pontbriand  venait  de  ter- 
miner avait  laissé  dans  la  paroisse  de  Québec  la  plus  agré- 
able et  la  plus  salutaire  impression  ;  et  M.  de  Léry  ne 
faisait  qu'exprimer  le  sentiment  général  lorsqu'il  écrivait 
à  la  Cour  :     «  C'est  un  digne  Prélat  !» 

De  son  côté,  M^''  de  Pontbriand  paraissait  content  des 
résultats  de  sa  visite.  Une  seule  chose  l'avait  profon- 
dément attristé:  l'état  lamentable  dans  lequel  il  avait  trouvé 
sa  cathédrale.  Elle  demandait  des  réparations  immédiates, 
ou  plutôt  une  reconstruction  complète.  Cette  reconstruc- 
tion, il  se  décida  à  l'entreprendre  le  plus  tôt  possible. 
Nous  en  parlerons  dans  un  autre  chapitre. 

17.  Ibid.,  vol.  80,  lettre  du  3  novembre  1743. 

18.  Ibid.,  vol.  89,  lettre  du  8  oct.  1747. 


CHAPITRE  VII 


VISITE  CANONIQUE  DES  TROIS  COMMUNAUTÉS  RELI- 
GIEUSES DE  QUÉBEC 

Visite  canonique  des  Ursulines.  —  Retraite  de  la  communauté.  — 
Deuxième  visite.  —  Visite  canonique  de  l'Hôtel-Dieu.  —  Les  Sœurs 
Duplessis.  —  Mariage  de  leur  frère  par  l'Evêque.  —  Visite  cano- 
nique de  THôpital-Général.  —  Mort,  à  Québec,  d'un  ex-récollet.  — 
Au  sujet  de  l'exemption  des  communautés  de  payer  la  dîme. 

LA  visite  pastorale  de  la  paroisse  de  Québec  terminée, 
M^^  de  Pontbriand  résolut  de  faire  de  suite  celle  de  ses 
trois  communautés  religieuses,  les  Ursulines,  l'Hôtel-Dieu 
et  l'Hôpital  Général.  Mais  il  leur  avait  déjà  fait  savoir 
dès  le  commencement  qu'il  voulait  être  lui-même  à  l'avenir 
leur  supérieur  ecclésiastique  ^  :  tant  il  avait  à  cœur  de 
guérir  les  blessures  dont  elles  avaient  souffert  dans  le 
passé  ! 

Il  voulut  commencer  par  les  Ursulines,  et  leur  adressa  à 
ce  sujet  un  mandement,  très  bien  fait,  comme  tous  ses 
mandements  et  lettres  pastorales,  dans  lequel  il  leur  recom- 
mandait de  prier  beaucoup  pour  que  sa  visite  produisît 
d'heureux  résultats  l  Laissons  l'annaliste  de  cette  com- 
munauté nous  parler  elle-même  des  fruits  de  cette  première 
visite  de  M^^  de  Pontbriand  : 

«  Sur  la  fin  de  janvier  1742,  écrit-elle,  eut  lieu  la  visite 


1.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  245. 

2.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr  de 
Pontbriand. 


l'église  du  canada  sous  m«'"  de  PONTBRIAND      59 

du  monastère,  telle  que  prescrite  par  nos  règles.  Cette 
visite  ne  s'était  pas  faite  depuis  nombre  d'années,  par  suite 
des  difficultés  où  l'on  s'était  vu.  La  régularité  de  notre 
maison  ne  paraît  pas  avoir  subi  aucune  altération  à  cette 
époque  ;  mais  la  diversité  de  directeurs,  le  manque  d'en- 
tente même  entre  les  différents  corps  du  Clergé,  en  1727, 
et  dans  les  années  suivantes  ;  l'absence  presque  continuelle 
d'un  premier  Pasteur:  tout  cela  devait  avoir  nui  quelque 
peu  à  cette  union  intime  et  parfaite  des  esprits  et  des 
cœurs,  union  qui  fait  la  force  et  le  bonheur  de  tout  corps 
ou  association. 

«  Mais  quel  bon  esprit  se  manifeste  dans  la  communauté, 
à  l'arrivée  du  digne  Evêque  !  Comme  on  accueille  avec 
empressement  le  moyen  d'éclaircir  les  doutes,  et  de  s'assu- 
rer que  tout  va  bien  au  monastère  !  Comme  on  entend 
avec  bonheur  cette  parole,  écrite  de  la  main  même  du 
premier  Pasteur  :  «  L'on  voit  fleurir  encore  aux  Ursulines 
((  la  ferveur  des  premières  Mères  !  » 

«  Dès  le  commencement  de  la  visite  de  M^^  de  Pont- 
briand,  toutes  nos  sœurs  furent  satisfaites  de  sa  manière  de 
procéder.  Il  ne  se  lassait  pas  de  nous  donner  des  marques 
d'intérêt  et  de  zèle,  voulant  lui-même  faire  la  distribution 
des  cierges,  à  la  Purification,  après  quoi  il  célébra  la 
sainte  messe  à  la  chapelle  des  Saints.  Il  fit  encore  la  céré- 
monie du  mercredi  des  Cendres,  et  entra  ensuite  à  l'inté- 
rieur de  la  maison  pour  en  voir  tous  les  offices,  nous  té- 
moignant à  toutes  l'affection  la  plus  paternelle  et  la  plus 
cordiale. 

«  Au  mois  d'avril  suivant,  nous  eûmes  une  retraite  géné- 
rale, oîi  la  ferveur  fut  si  grande  que  les  malades  firent 
presque  l'impossible  pour  y  assister.  M.  de  La  Ville- 
Angevin,  M.  Vallier,  du  Séminaire,  et  le  P.  Guignas  s'en 
partagèrent  les  exercices.  Monseigneur  nous  fit  lui-même 
faire  la  rénovation  des  vœux  ;  et  après  le  salut  du  Saint- 


6o  l'église  du  canada 

Sacrement,  nous  chantâmes  le  Te  Deurn.  Le  baiser  de 
paix  ordinaire  à  ce  jour  se  fit  le  soir  au  réfectoire  sur  la  fin 
du  souper.  Pour  surcroît  de  faveur,  Monseigneur  vint  le 
lendemain  donner  dans  notre  église  les  ordres  mineurs  à 
plusieurs  jeunes  ecclésiastiques  ^  » 

Le  pieux  Evêq>ie  n'attendit  pas  même  une  année  entière 
avant  de  faire  une  deuxième  visite  canonique  aux  Ursulines. 
Il  leur  adressa  en  conséquence  un  deuxième  mandement 
dès  le  27  décembre  1742,  leur  annonçant  que  sa  visite  com- 
mencerait le  30  du  même  mois  à  huit  heures  du  matin  : 

«Ma  première  visite,  leur  disait-il,  n'était  qu'une  prépa- 
ration à  celle-ci.  C'est  dans  cette  deuxième  visite  que  le 
bien  si  heureusement  commencé  sera  confirmé,  je  l'espère, 
pour  toujours.  »  Et  il  ajoutait  cette  recommandation  si  sage 
et  si  importante:  (^Nous  vous  défendons,  sous  les  peines 
de  droit,  à  toutes  en  général  et  en  particulier,  de  convenir 
entre  vous  des  choses  dont  vous  croirez  devoir  nous  donner 
connaissance  *.  » 

((Nous  voyons  le  fervent  Kvêque,  écrit  l'annaliste  des 
Ursulines,  répéter  sa  première  visite  dans  toutes  les  commu- 
nautés l'année  suivante.  Notre  retraite  commune  se  fit 
après,  M.  de  La  Ville-Angevin  et  M.  Vallier  nous  donnant 
les  méditations,  et  monseigneur  les  conférences.  On  ne  sau- 
rait exprimer  la  consolation  qui  revenait  de  ces  retraites 
générales,  dont  on  avait  été  si  longtemps  privé. 

((  En  1744,  l'infatigable  Prélat  faisait  ici  en  même  temps 
et  sa  visite  et  la  retraite,  la  communauté  s'y  étant  dispo- 
sée trois  jours  auparavant  par  la  bénédiction  du  Saint- 
Sacrement  -^  » 

Mais  revenons  à  1742.     Entre  la  visite  et  la  retraite  des 

3.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  245. 

4.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr  de 
Pontbriand. 

5.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  247. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  6l 

Ursulines,  M"^'  de  Poiitbriapd  fit  la  visite  canonique  de 
l'Hôtel-Dieu.  Ces  deux  connu unautés  avaient  célébré 
trois  ans  auparavant  leur  centième  anniversaire  de  fonda- 
tion (1639-1739).  Sœurs  jumelles,  pour  ainsi  dire,  dans 
notre  Eglise  canadienne,  elles  avaient  admirablement  con- 
servé toutes  deux  Tesprit  religieux  de  leurs  vénérables 
fondatrices.  Nous  croyons  cependant  que  l'Hôtel-Dieu 
avait  moins  souffert  que  l'autre  communauté  des  divisions 
qui  avaient  affligé  l'Eglise  du  Canada  pendant  la  vacance 
du  siège  épiscopal  :  nous  ne  le  voyons  pas,  du  moins,  dans 
la  triste  nécessité,  comme  les  Ursulines  et  l'Hôpital  Géné- 
ral, de  chercher  protection  auprès  du  Conseil  Supérieur. 
Qui  ne  se  rappelle  les  paroles  de  sympathie  que  la  sœur 
Duplessis,  de  l'Hôtel-Dieu,  adressait,  en  cette  occasion,  à 
ces  deux  communautés  ^? 

Nous  n'avons  aucun  détail  particulier  sur  la  visite  cano- 
nique de  l'Hôtel-Dieu  par  M^^'  de  Pontbriand,  au  printemps 
de  1742.  Mais  il  est  facile  de  conjecturer  avec  quel  bon- 
heur le  pieux  Prélat  constata  par  lui-même  l'esprit  tradi- 
tionnel d'austérité  et  d'aimable  simplicité  qui  tégnait  dans 
cette  maison.  Qui,  mieux  que  le  saint  Evêque,  pouvait 
apprécier  le  mérite  de  ces  bonnes  religieuses  qui  se  dé- 
vouent avec  tant  de  générosité  au  soin  des  malades  ? 

C'est  la  sœur  Duplessis  qui  était  à  la  tête  de  l'Hôtel- 
Dieu,  à  cette  époque,  et  avec  elle  était  sa  sœur  cadette  ^, 
qui  avait  la  charge  importante  de  «  dépositaire  du  bien  des 
pauvres».  On  sait  qu'à  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  grâce  à 
M^^  de  Laval,  le  bien  des  pauvres  et  celui  des  religieuses 
sont  complètement  séparés  dans  les  revenus  du  monastère  : 
ils  ont  chacun  une  administration  distincte  ^. 


6.  L' Eglise  du  Canada  sous  Mgr  de  S aint-V allier,  p.  462. 

7.  Voir  notre  volume  précédent,  p.  89. 

8.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  I  p.  47. 


62  I.*ÉGLISE   DU   CANADA 

Les  sœurs  Duplessis  avaient  une  attention  toute  spéciale 
pour  celui  des  pauvres  :  on  en  trouve  un  bel  exemple  dans 
les  ordonnances  des  intendants.  Les  revenus  de  la  sei- 
gneurie de  Saint-Augustin  et  de  plusieurs  propriétés  dans 
la  ville  appartenaient  aux  pauvres  de  l'Hôtel-Dieu  :  or,  à 
l'époque  qui  nous  occupe,  un  des  principaux  revenus  des 
seigneurs,  c'étaient  les  lods  et  ventes,  qui  devaient  se  payer 
à  chaque  mutation  de  propriété.  Mais  ces  mutations  de 
propriété,  pour  n'en  pas  perdre  le  fruit,  il  fallait  les  con- 
naître :  or,  les  religieuses,  dans  leur  monastère,  étaient 
exposées  plus  que  personne  à  les  ignorer,  et  par  là  même 
à  être  fraudées  pour  le  paiement  des  lods  et  ventes.  Les 
sœurs  Duplessis  constatent  que  leurs  pauvres  perdent  ainsi 
une  partie  de  leurs  revenus,  et  elles  s'adressent  à  l'intendant 
pour  qu'il  veuille  bien  y  remédier.  L'intendant  rend  alors 
une  ordonnance  obligeant  sous  peine  d'amende  tous  ceux 
qui  ont  des  contrats  pour  des  propriétés  appartenant  ci- 
devant  aux  pauvres  de  l'Hôtel-Dieu,  à  les  exhiber  au 
monastère,  et  à  s'acquitter  sous  le  plus  bref  délai  pour  tous 
les  lods  et  ventes  qu'ils  n'ont  pas  encore  payés. 

Les  pauvres  de  l'Hôtel-Dieu  ont  également  à  Saint-Au- 
gustin un  beau  domaine  qui  leur  rapporte  un  certain  re- 
venu par  le  foin  qu'il  produit.  Mais  les  gens,  sous  prétexte 
d'aller  pêcher  dans  la  rivière  ou  à  l'écluse  du  moulin,  font 
des  dégâts  dans  ces  prairies,  brisent  les  clôtures,  endom- 
magent la  propriété.  La  dépositaire  des  pauvres  s'adresse 
à  l'intendant,  qui  rend  une  ordonnance  très  sévère  pour 
arrêter  ces  désordres  ^. 

M^^de  Pontbriand,  qui  était  lui-même  un  homme  d'ordre 
par  excellence,  était  heureux  de  voir  l'administration  de 
l'Hôtel-Dieu  entre  des  mains  si  habiles  et  si  sages. 

Il  avait  bien  connu  en  France  le  célèbre  Père  jésuite 


9.  Edits  et  Ordonnances,  t.  III,  p.  386,  390. 


sous  mK""  de  pontbriand  63 

Duplessis  :  il  dut  être  agréablement  réjoui  de  trouver  ses 
sœurs  au  Canada.  Quelle  plus  grande  marque  d'estime  et 
d'affection  pouvait-il  leur  offrir,  que  de  leur  donner  pour 
confesseur  son  ami  de  cœur,  son  prêtre  de  confiance,  le 
jeune  abbé  Briand?  De  son  côté  la  sœur  Duplessis,  écri- 
vant un  jour  au  Prélat,  laissait  déborder  les  sentiments 
d'admiration  et  de  reconnaissance  qui  remplissaient  son 
âme: 

«  Une  naissance  illustre,  disait-elle,  une  sagesse  éminente, 
un  génie  supérieur  vous  ont  assuré  l'admiration  de  la  colo- 
nie. Une  douceur  inaltérable,  une  humilité  profonde,  une 
piété  tendre,  une  charité  inépuisable,  des  bienfaits  sans 
nombre  vous  ont  gagné  tous  nos  cœurs  ^^.  » 

M^^  de  Pontbriand  eut  un  jour  occasion  de  témoigner 
l'estime  toute  particulière  qu'il  avait  pour  la  famille 
Duplessis.  L'ancien  «  trésorier  de  la  Marine  «  au  Canada, 
George  Regnard  Duplessis,  avait  un  fils  à  Québec,  Daniel- 
Charles  Regnard  Duplessis,  frère  des  religieuses  Duplessis, 
«  officier  et  aide-major  des  troupes  entretenues  pour  le  service 
du  Roi  en  ce  pays.  »  Ce  jeune  homme  épousa,  le  29  mai 
1742,  Geneviève-Elizabeth,  fille  de  Charles  Guillemin, 
«  conseiller  du  Roi  au  Conseil  Supérieur,  »  et  ce  fut  l'Evêque 
lui-même  qui  voulut  bénir  cette  union  dans  sa  cathédrale. 
L'époux  avait  pour  témoin  de  son  mariage  Daniel  Liénard 
de  Beaujeu,  le  futur  héros  de  la  Monongahéla  ;  l'épouse, 
Nicolas-Gaspard  Boucault,  lieutenant  général  de  l'ami- 
rauté ". 

M^  de  Pontbriand  n'était  pas  prodigue  de  faveurs  de  ce 
genre  :  nous  avons  parcouru  bien  des  pages  du  registre  ; 
c'est  le  seul  acte  de  mariage  que  nous  avons  trouvé  signé 
de  sa  main. 


10.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  Bpitre  dédicatoire  à  Mgr  de 
Pontbriand. 

11.  Archives  paroissiales  de  N.-D.  de  Québec. 


64  l'église  du  canada 

Ecrivant  un  jour  à  la  Sœur  Geneviève  Duplessis,  dite 
de  l'Enfant-Jésus,  qui  Pavait  remercié  pour  la  bonté  qu41 
avait  témoignée  envers  son  frère  : 

«  Il  vous  est  libre,  disait-il  avec  une  amabilité  charmante, 
de  faire  entrer  l'amitié  que  j'ai  pour  votre  frère  dans  les 
sentiments  que  j'ai  pour  madame  Duplessis  ^^,  pourvu  que 
vous  pensiez  que  les  deux  Sœurs  Duplessis  entrent  beau- 
coup dans  l'amitié  qu'on  a  pour  le  frère  ^l  » 


* 
*      * 


Après  avoir  terminé,  au  commencement  de  l'année  1742, 
la  visite  canonique  des  Ursulines  et  de  l'Hôtel-Dieu,  le 
pieux  Prélat  remit  à  l'automne  celle  de  l'Hôpital  Général. 
Voici  ce  qu'écrivait  à  l'occasion  de  cette  visite  l'annaliste 
de  cette  communauté,  fille  de  l'Hôtel-Dieu  : 

((  Au  mois  d'octobre,  dit-elle,  il  voulut  faire  sa  visite 
dans  notre  maison.  Le  P.  Imbault,  notre  chapelain,  lui 
céda  son  appartement,  et  se  retira  dans  son  couvent  de 
Québec.  Le  vertueux  Prélat  passa  ici  huit  jours,  pendant 
lesquels,  après  avoir  dit  la  messe  à  la  salle  des  femmes,  il 
se  rendait  au  parloir,  où  il  entretenait  en  particulier  un 
certain  nombre  de  religieuses,  et  cela  avec  tant  de  bonté, 
de  charité,  de  douceur,  que  toutes  lui  ouvrirent  leur  cœur 
avec  confiance,  de  sorte  qu'il  acquit  une  connaissance  par- 
faite de  la  communauté.  Il  apprécia  en  particulier  le 
mérite  et  la  capacité  de  la  révérende  Mère  de  l'Enfant- 
Jésus,  alors  supérieure,  à  qui  il  donna  son  estime  jusqu'à 
sa  mort  ;  il  se  reposait  entièrement  sur  sa  prudence  pour 
toute  la  conduite  de  la  maison. 


12.  Marie  Le  Roy,  veuve  de  George  Regnard  Duplessis,  demeurait, 
elle  aussi,  à  Québec. 

13.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr  de 
Pontbriand. 


sous    M^'"   DE    PONTBRIAND  65 

«  Le  dernier  jour  de  la  visite,  il  tint  le  Chapitre,  selon  le 
cérémonial  de  notre  institut.  Il  nous  donna  tous  les  avis 
qu'il  jugeait  nécessaires  à  notre  position  actuelle.  Il  en- 
trait avec  tant  d'intérêt  dans  tout  ce  qui  pouvait  contribuer 
à  notre  bonheur,  que  nous  croyions  voir  en  lui  notre  saint 
fondateur  lui-même.  Il  visita  ensuite  la  maison  :  tous  les 
lieux  d'office  lui  parurent  dans  le  meilleur  ordre  possible, 
particulièrement  le  bâtiment  neuf  dont  il  approuva  les 
distributions,  excepté  toutefois  les  cellules  qu'il  fit  remar- 
quer être  trop  grandes. 

«  Le  vénérable  Evêque  nous  laissa,  après  mille  marques 
d'attention  et  de  bonté,  et  nous  ne  le  vîmes  partir  qu'à  notre 
sensible  regret. 

«  M^  de  Pontbriand,  ajoute  l'annaliste,  reviendra  bien 
des  fois  encore  encourager  et  réjouir  nos  Mères  dans  les 
jours  d'épreuves  et  d'angoisvses  ^*.  » 

On  sait  combien  les  religieuses  de  l'Hôpital  Général 
avaient  eu  à  souffrir,  dans  le  passé,  soit  de  la  part  du  Cha- 
pitre, après  la  mort  de  leur  pieux  fondateur,  soit  de  la  part 
de  M.  de  Latour  et  xie  M^^"  Dosquet  lui-même.  Ah  !  que 
M^^  de  Pontbriand  était  heureux,  lui,  de  pouvoir  les  con- 
soler, les  encourager,  les  rassurer,  et  répandre  un  peu  de 
baume  sur  leurs  blessures  !  Tout  récemment  encore  le 
chanoine  de  l'Orme,  leur  écrivant  de  Paris,  venait  de  les 
contrister,  par  une  mauvaise  nouvelle  : 

«  Le  sieur  de  l'Orme,  écrit  au  ministre  M^^  de  Pontbriand, 
a  contristé  les  religieuses  de  l'Hôpital  Général,  en  leur 
marquant  que  vous  pensiez  à  interrompre  (il  veut  dire  sans 
doute  détruire)  leur  communauté  ^^,  qu'il  les  en  avertit,  afin 
qu'elles  prennent  leurs  mesures.  Je  les  ai  assurées  que  je 
n'ai  aucune  part  dans  le  dessein,  que  vous  ne  m'en  parliez 


14.  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l' Hôpital-Général  de  Québec,  p.  307. 

15.  Et  c'était  vrai,  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 
5 


66  l'église  du  canada 

nullement,  et  qu'elles  devaient  être  tranquilles.  Je  puis 
vous  assurer  que  cette  maison  mérite  votre  protection,  et 
qu'excepté  les  dettes  tout  y  est  pour  le  présent  aussi  bien 
que  je  puis  le  désirer  ^^.  » 

M.  Hocquart,  dans  les  mauvaises  années  que  l'on  traver- 
sait, «avait  été  obligé  d'avancer  à  l'Hôpital  Général  près 
de  trois  mille  francs  en  blé  et  en  argent  pour  subvenir  à  la 
subsistance  des  infirmes  ^''  »  de  cette  maison.  La  Provi- 
dence vint  au  secours  de  l'Hôpital  Général.  Un  certain 
abbé  de  Norey,  qui  avait  été  dix  ans  récollet  profès  au 
couvent  de  Québec,  et  qui,  avec  la  permission  du  Pape, 
était  entré  en  1741  chez  les  Chanoines  Réguliers  de  Saint- 
Augustin,  mourut  à  Québec  «  dans  une  maison  particu- 
culière  »  ^^,  le  25  août  1743,  laissant  une  succession  de 
plusieurs  mille  francs.  Nous  n'avons  pas  à  examiner  ici 
comment  ce  religieux,  qui  avait  fait  vœu  de  pauvreté  et 
renoncé  à  tout  en  entrant  dans  l'ordre  de  Saint-François, 
avait  pu  amasser  ce  petit  pécule  ;  mais  grâce  à  l'évêque  et 
à  l'intendant,  une  partie  de  la  succession  fut  employée  en 
bonnes  œuvres  : 

((  L'abbé  Norey,  ci-devant  récollet,  écrit  M^^'  de  Pont- 
briand  au  ministre,  a  laissé  une  succession  qui  n'appartient 
pas  à  ses  parents,  parce  qu'il  était  encore  religieux.  Elle 
ne  peut  pas  être  regardée  comme  une  déshérence.  Il 
paraît  que  tout  doit  tourner  au  profit  des  pauvres  ^^.  .  .  * 


16.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  du  20  oct.  1743. 

17.  Ibid.,  vol.  80,  lettre  de  M.  Hocquart  au  ministre,  23  oct.  1743. 

18.  Ibid.  —  Il  fut  inhumé  sous  le  nom  de  Louis  Dumesnil.  Il  s'appe- 
lait en  effet  Louis  de  Norey  Dumesnil  ou  du  Mesny.  (Tanguay,  Dic- 
tionnaire généalogique,  t.  I,  p.  182)  Voici  l'acte  de  sa  sépulture  :  **  Le  26 
aoiit  1743,  a  été  inhumé  dans  le  cimetière  le  corps  de  monsieur  Louis 
Dumesnil,  prêtre,  ancien  religieux  de  Saint-François,  mort  le  jour  pré- 
cédent, âgé  de  quarante-sept  ans,  et  muni  de  ses  sacrements.  Présents, 
M.  Louis  Gastonguay,  prêtre,  et  autres.  (Signé)  Marquiron,  prêtre." 
(Archives  paroissiales  de  N.-D.  de  Québec). 

19.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  du  20  oct.  1743. 


sous    M^^   DE   PONTBRIAND  67 

La  Cour  de  France  décida  que  la  moitié  de  l'héritage 
irait  à  un  parent  de  l'abbé  Norey.  L'autre  partie  échut 
aux  hôpitaux  du  Canada,  et  l'Hôpital  Général  eut  sa  bonne 
part  -0.  » 

Nous  verrons  plus  loin  qu'il  eut  aussi  sa  part  dans  la 
distribution  du  legs  généreux  du  Prince  d'Orléans  aux 
institutions  canadiennes. 

* 
*      * 

Le  Séminaire  de  Québec,  les  Jésuites,  les  Ursulines  et 
les  Hospitalières  de  l'Hôtel-Dieu  avaient  été  exemptés  de 
payer  la  dîme  par  M^^  de  Laval  ;  mais  cette  exemption 
n'avait  jamais  été  confirmée  par  l'autorité  civile,  et  l'on 
commençait  à  vouloir  les  inquiéter.  Il  nous  paraît  évident, 
d'après  les  documents,  qu'en  principe  M^^  de  Pontbriand 
était  opposé  à  ces  exemptions.     Il  écrit  au  ministre  : 

«  J'ai  cru  devoir  vous  informer  que  quelques  commu- 
nautés, sans  être  autorisées  de  lettres  patentes,  mais  seule- 
ment en  vertu  d'un  privilège  donné  par  M.  de  Laval,  sans 
aucune  formalité,  prétendaient  s'exempter  de  payer  les 
dîmes.  Peut-être  serait-il  bon  que  cette  affaire  fût  ici 
discutée  à  l'amiable,  pour  confirmer  ou  détruire  cette 
exemption.     Il  y  a  quatre  communautés  '^^  » 

L'Evêque  pria  donc  ces  communautés  de  faire  chacune  un 
mémoire  pour  exposer  leurs  raisons  en  faveur  du  privilège 
dont  elles  jouissaient  ;  puis  il  écrivit  à  la  Cour  un  mois 
plus  tard  : 

(f  J'avais  dit  aux  communautés  qui  se  prétendent  ex- 
emptes de  payer  la  dîme,  de  me  présenter  un  mémoire. 
Après  avoir  vérifié  les  pièces,  et  examiné  les  faits,  j'ai  été 


2a  Rapport. . .  pour  IÇ05,  p.  26,  28. 

21.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  du  28  sept.  1742. 


68  L'ÉGLISE   DU   CANADA 

tenté  d'autoriser  en  cas  de  besoin  cette  exemption  ;  mais 
j'ai  jugé  que,  pour  le  plus  sûr,  ces  communautés  feraient 
bien  de  s'adresser  à  vous  pour  en  obtenir  une  confirmation. 
Cet  objet  paraît  de  trop  peu  de  conséquence  pour  les  priver 
d'une  grâce  qui  certainement  aurait  été  alors  scellée  de 
l'autorité  royale,  si  on  avait  cru  cette  formalité  nécessaire. 
Je  serais  mortifié  que  mon  attention  à  examiner  tout  par 
moi-même  leur  fît  perdre  ce  privilège. 

((  On  oublie  difficilement  dans  les  communautés  ;  et  on 
m'objecterait  plus  d'une  fois  la  perte  d'une  exemption  plus 
glorieuse  qu'utile  '^'^.  » 

Nous  croyons  que  les  choses  en  restèrent  là,  et  n'avons 
vu  nulle  part  confirmation  ou  abolition  par  l'autorité  civile 
du  privilège  en  question,  à  cette  époque. 

Ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  fait  voir  que  M^  de 
Pontbriand  voulait  être  véritablement  l'ami,  le  père,  le 
protecteur  de  ses  communautés  religieuses.  Nous  verrons  ' 
bientôt  ce  qu'il  fera  pour  les  Ursulines  des  Trois- Rivières, 
en  particulier  ;  et  s'il  se  montra  difficile,  tout  d'abord,  pour 
la  fondation  des  Sœurs  Grises  de  Montréal,  par  Mme 
d'Youville,  il  ne  lui  ménagea  pas  son  dévouement,  du 
moment  qu'il  la  vit  établie  sur  des  bases  solides. 


22.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  du  30  oct.  1742. 


CHAPITRE  VIII 


VISITE   PASTORALE   DU   DIOCESE 

Mandement  pour  la  visite  des  paroisses.  —  Quelques  détails  sur  cette 
visite.  —  Zèle  de  l'Evêque  en  visite  pastorale.  —  Encore  le  curé 
Voyer.  —  Soin  de  l'Evêque  à  former  des  paroisses  et  à  leur  pro- 
curer de  bons  missionnaires. 

MGR  de  Pontbriand  avait  commencé  la  visite  pastorale 
de  son  diocèse  par  la  paroisse  de  Québec  dans  le 
mois  de  janvier  1742;  il  la  continua  dans  le  cours  de  l'été, 
en  se  rendant  par  eau  de  Québec  à  Montréal,  où  il  était  le 
25  juin.  Avant  de  partir,  il  adressa  le  22  juin  au  clergé  et 
au  peuple  des  paroisses  situées  entre  Québec  et  Montréal 
un  très  beau  mandement,  pour  leur  expliquer  le  but  de  la 
visite  et  les  exhorter  à  profiter  des  grâces  qui  y  sont  atta- 
chées : 

«  Fasse  le  Ciel,  disait-il,  que  nous  remarquions  dans  les 
peuples  qui  sont  confiés  à  nos  soins,  le  même  empressement 
qu'eurent  autrefois  ceux  d'Antioche  ^  pour  écouter  les  ins- 
tructions des  Apôtres  et  recevoir  l'imposition  de  leurs 
mains  !  Nous  administrerons  comme  eux  le  sacrement  de 
Confirmation  à  tous  ceux  qui  nous  seront  présentés  par  le 
curé  ou  missionnaire,  même  à  ceux  qui  n'auraient  pas 
atteint  l'âge  de  raison.  . . 

«  Nous  écouterons  tous  ceux  et  celles  qui  voudront  nous 
parler,  soit  pour  le  bien  public,  soit  pour  le  bien  parti- 
culier. 

I.  Actes  des  Apôtres,  XI,  26. 


70  l'église  du  canada 

«  Voulons  que  les  principaux  habitants  s'assemblent  sui- 
vant l'usage  et  choisissent  quatre  d'entre  eux  d'une  probité 
reconnue,  pour  répondre,  conjointement  avec  les  marguil- 
liers  en  charge,  aux  interrogations  que  nous  ferons  sur 
l'état  de  la  paroisse,  l'administration  des  sacrements,  l'ins- 
truction des  peuples,  et  les  moyens  pour  la  rendre  moins 
pénible  au  missionnaire  ^.  » 

Nous  n'avons  malheureusement  que  très  peu  de  détails 
sur  cette  première  visite  pastorale  du  diocèse  par  M^  de 
Pontbriand,  et  n'en  connaissons  pas  même  l'itinéraire  d'une 
manière  précise.  Nous  savons,  cependant,  que  le  Prélat 
était  à  Montréal  le  25  juin  1742,  à  la  Longue- Pointe  quel- 
qu'un des  jours  suivants,  et  à  Laprairie  le  3  juillet  ^ 

A  la  Longue- Pointe,  il  dut  être  frappé  de  la  beauté  de 
cet  endroit,  de  nature  à  lui  rappeler  son  propre  pays: 
il  n'y  en  a  guère  de  plus  pittoresque  dans  les  environs 
de  Montréal.  La  petite  église  paroissiale,  dédiée  à  saint 
François  d'Assise,  existe  encore  :  elle  est  une  des  plus  an- 
ciennes du  Canada  *.  Située  à  l'extrémité  de  la  pointe, 
presque  en  face  de  l'île  Sainte-Hélène,  et  vis-à-vis  Lon- 
gueil,  qui  est  dédié  à  saint  Antoine,  la  nature  y  seconde 
admirablement  la  foi  et  la  piété. 

Conformément  à  son  mandement  pour  la  visite,  M^^  de 
Pontbriand  confirma,  à  la  Longue-Pointe,  «jusqu'aux  en- 
fants de  deux  mois  d'âge  ».  Il  eut  aussi  occasion,  dans  la 
visite  de  cette  paroisse,  de  constater  la  vérité  de  plusieurs 
guérisons  obtenues  par  l'intercession   de  son  pieux  prédé- 


2.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  17. 

3.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Ordonnance  aux  marguilliers 
de  Laprairie,. .."  Fait  au  presbytère,"  3  juillet  1742. 

4.  La  Longue-Pointe,  annexée  maintenant  à  Montréal,  ayant  fait 
d'énormes  progrès,  il  a  fallu  se  décider  à  abandonner  cette  église,  deve- 
nue trop  petite,  et  la  remplacer  par  une  autre  aux  larges  proportions.  Un 
paroissien  légua  autrefois  à  la  fabrique  une  terre,  qui  a  pris  de  nos 
jours  une  grande  valeur  ;  et  c'est  avec  le  produit  de  la  vente  des  terrains 
que  se  construira,  dit-on,  le  nouvel  édifice. 


sous   M«'   DE    PONTBRIAND  7I 

cesseur,  M^  de  Lauberivière  *  ;   et  nous  verrons  plus  loin 
la  haute  opinion  qu'il  avait  de  sa  sainteté. 

L'année  suivante,  1743,  il  fit  la  visite  de  la  Côte  Beau- 
pré et  de  l'Ile  d'Orléans.  Il  était  à  la  Sainte-Famille  le  22 
juin,  et  y  rendit  ce  jour-là  une  ordonnance  au  sujet  d'une 
terre  qui  appartenait  au  couvent.  C'est  M.  Dufrost  de  La- 
jemmerais,  l'un  des  frères  de  M°^®  d'Youville,  qui  y  était 
curé  ^. 

Un  peu  plus  tard,  il  était  à  Bécancour.  Il  y  avait  là 
une  ancienne  chapelle,  dite  «  Chapelle  de  l'Ile  »,  oii  l'on 
avait  enterré  quelques  personnes  :  elle  w  fut  interdite  pour 
les  sépultures  »  ;  et  l'Evêque  ordonna  d'enterrer  dans  le 
nouveau  cimetière:  «défense  fut  faite  d'enterrer  ailleurs». 

Il  fit  en  1744  la  visite  de  la  côte  sud,  en  descendant.  A 
Saint-Thomas,  «  il  confirma  cinq  cent  trente  personnes  de 
tout  âge,  même  des  enfants  d'un  mois  ».  Sa  deuxième 
visite  dans  cette  paroisse  eut  lieu  le  11  juillet  1750  '^. 

Dans  l'automne  de  1744,  M»*"  de  Pontbriand  avait  fait 
«  la  visite  presque  générale  des  paroisses  ^  »  de  son  diocèse. 
Il  ne  put  en  entreprendre  une  deuxième  que  cinq  ans  plus 
tard,  en  1749,  à  cause  du  malheur  des  temps. 

Du  reste,  pour  la  même  raison,  il  ne  put  jamais  sortir  de 
son  diocèse  proprement  dit  et  se  rendre,  comme  il  l'aurait 
désiré,  en  Acadie  et  en  Louisiane.  Nous  le  verrons,  cepen- 
dant, dans  sa  deuxième  visite,  aller,  au  prix  de  mille  fati- 
gues et  avec  un  zèle  vraiment  héroïque,  jusqu'au  fort  de 
la  Présentation,  aujourd'hui  Ogdensburg.  Ogdensburg,  et 
l'île  Lamotte,  dans  le  lac  Champlain,  sont  les  seuls  endroits 
du  territoire  actuel  des  Etats-Unis  qui  ont  été  visités  par 
nos  évêques,  sous  le  Régime  français.  ^. 


5.  Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  141. 

6.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec. 

7.  Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  142,  143. 

8.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  40. 

9.  Mgr  de  Laval  fit  la  visite  de  l'île  Lamotte  en  1668. 


72  I.*éGLISE   DU   CANADA 

Voulons-nous  maintenant  avoir  au  moins  quelque  idée  de 
la  manière  dont  M^  de  Pontbriand  remplissait  le  grand 
devoir  de  la  visite  pastorale?  Ecoutons  M.  Jolivet,  de  Saint- 
Sulpice,  faisant  son  éloge  funèbre  du  haut  de  la  chaire  de 
Notre-Dame  de  Montréal  : 

((  On  le  voyait  le  premier,  dit-il,  à  la  tête  de  ses  ouvriers 
apostoliques,  travailler  lui  seul  plus  qu'aucun  autre,  lasser 
les  plus  forts  et  les  plus  robustes,  prêcher  régulièrement 
quatre  ou  cinq  fois  le  jour,  et  toujours  avec  force  et  onction, 
administrer  le  sacrement  de  Confirmation  à  une  foule 
de  peuples,  faire  des  conférences  publiques  ^^,  également 
instructives  et  édifiantes,  écouter  avec  bonté  tous  ceux  qui 
s'adressaient  à  lui,  se  porter  lui-même  médiateur  entre  les 
ennemis,  corriger  les  scandales,  réformer  les  abus  ;  en  un 
mot  mettre  tout  en  usage  pour  la  conversion  des  pécheurs 
et  la  sanctification  des  âmes  confiées  à  ses  soins.  .  . 

((  Combien  de  fois  l'avez-vous  vu,  dans  le  cours  de  longs 
et  pénibles  voyages,  porter,  sans  murmure,  le  poids  et  la 
fatigue  du  jour,  faire  bien  des  lieues  à  pied  dans  de  très 
mauvais  chemins,  dans  l'eau  quelquefois  jusqu'aux  genoux, 
arriver  tout  en  sueurs  et  hors  d'haleine  ;  d'autres  fois  sur- 
pris par  les  mauvais  temps,  obligé  de  se  retirer  dans  de 
pauvres  chaumières,  tout  transi  de  froid  et  couvert  de  neige, 
obligé  de  se  coucher  sur  la  dure,  se  contenter  d'un  peu  de 
pain  et  d'eau  qu'il  trouvait  chez  ces  pauvres  gens! 

«  En  vain  les  plus  vertueux  ecclésiastiques  et  les  plus  fer- 
vents religieux  de  Québec  mettent  tout  en  usage  pour  le 
détourner  de  la  dernière  visite  qu'il  fit  en  bas,  dans  les 


10.  Il  s'agit  probablement  de  ces  conférences,  dont  la  tradition  se 
conserva  jusqu'à  nos  jours:  un  prêtre,  dans  le  chœur,  ou,  à  son  défaut, 
un  laïque  respectable,  faisait  les  questions,  et  un  autre  répondait,  en 
chaire.  L'auteur  se  rappelle  très  bien  avoir  assisté  à  ces  sortes  de  confé- 
rences, dans  son  jeune  âge.  C'était  un  mode  de  prédication  extrêmement 
intéressant,  qui  frappait  l'imagination  et  laissait  dans  l'âme  des  ensei- 
gnements qu'on  n'oubliait  jamais. 


sous   Mf^   DE   PONTBRIAND  73 

dernières  paroisses  de  son  diocèse  ;  en  vain  les  médecins 
lui  représentent  qu'il  ne  peut  l'entreprendre  sans  altérer 
considérablement  sa  santé  ;  quelle  réponse  fait-il  à  toutes 
ces  représentations  et  à  leurs  conseils?  Point  d'autre  que 
les  belles  paroles  de  l'apôtre  saint  Paul,  que  rien  n'était 
capable  de  l'arrêter  dans  la  carrière  qu'il  avait  à  fournir  ; 
qu'il  n'estimait  pas  sa  vie  plus  que  son  devoir  ^\  et  que, 
quand  il  devrait  en  mourir,  il  ne  pouvait  point  souhaiter 
une  mort  plus  sainte  et  plus  glorieuse  ^'\  ,  .  » 

Qui  ne  se  rappellerait,  en  lisant  ce  beau  passage  de  l'abbé 
Jolivet,  nos  deux  grands  évêques  Laval  et  Saint- Vallier? 
N'est-ce  pas  le  même  dévouement,  le  même  abandon  de 
soi-même,  le  même  courage  héroïque  au  milieu  des  difi&- 
cultés  du  ministère  le  plus  pénible?  Le  Ciel,  qui  réservait 
à  la  Nouvelle-France  de  si  dures  épreuves,  lui  avait  envoyé 
un  pontife  vraiment  capable  de  la  soutenir  et  de  la  fortifier 
dans  ces  temps  malheureux  :  «  Il  fallait  ici  un  homme  de 
cette  force  !  » 

Un  petit  détail  que  nous  trouvons  dans  un  de  ses  man- 
dements nous  donnera  une  idée  du  zèle  et  de  l'endurance 
du  pieux  Kvêque:  il  faisait  en  sorte,  dans  ses  visites  pasto- 
rales, qu'il  y  eût  une  messe  à  toutes  les  heures,  à  partir  de 
cinq  heures  jusqu'à  dix  heures,  mais  se  réservait  toujours 
la  dernière,  la  messe  de  dix  heures,  afin  d'avoir  plus  de 
temps  pour  entendre  les  confessions  ;  et  plus  il  pouvait 
communier  de  personnes  de  sa  propre  main,  plus  il  était 
content  ^^ 


11.  Actes  des  Apôtres,  XX,  24. 

12.  Cité  dans  Le  dernier  Bvêque  du  Canada  français,  p.  49. 

13.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  63. 


74  l'église  du  canada 


*     * 


Dans  cette  première  visite  de  son  diocèse,  si  pénible,  si 
laborieuse,  M^^  de  Pontbriand  ne  rencontra-t-il,  du  moins, 
au  point  de  vue  spirituel,  que  des  sujets  de  joie  et  de  con- 
solation? Il  aurait  été  trop  heureux.  Pour  ne  parler  que 
de  ses  missionnaires  : 

«  Il  y  a,  écrit-il  à  la  Cour  dès  le  22  août  (1742),  quelques 
sujets  dont  je  suis  très  mécontent  ^*.  » 

Et  il  se  voit  obligé  un  peu  plus  tard  d'exposer  au  mi- 
nistre la  mauvaise  conduite  de  l'un  deux,  qui  avait  déjà 
causé  bien  du  chagrin  à  M^''  Dosquet  ^^,  et  qui,  on  ne  sait 
comment,  se  trouvait  de  nouveau  attaché  à  la  paroisse  de 
Sainte-Anne  de  la  Pérade  : 

((  J'ai  été  obligé,  écrit-il,  d'agir  contre  un  prêtre  nommé 
Voyer,  missionnaire  à  Sainte-Anne.  C'est  un  sujet  peu 
sensé,  peu  appliqué  à  instruire,  contre  qui  il  y  a  eu  plusieurs 
plaintes  par  ci-devant.  Ayant  été  instruit  de  ses  excès 
dans  la  boisson,  je  lui  ordonnai,  dans  ma  visite,  ^^  de  venir 
au  Séminaire  ^^  pour  trois  mois,  en  lui  enjoignant  de 
demeurer  suspens  jusqu'à  ce  qu'il  eût  obéi.  Il  s'y  soumit 
par  écrit,  et  nonobstant  ne  tint  compte  de  la  suspense.  Je 
lui  donnai  par  trois  fois  des  avis  sur  sa  désobéissance.  Il 
fut  même  signifié  à  cet  effet.  Tout  cela  ne  servit  de  rien. 
Le  Promoteur  porta  sa  plainte  :  il  fut  conclu  pour  un 
décret  de  prise  de  corps.  Je  fis  différer  l'exécution,  et  le  fis 
avertir.  Il  vint  à  Québec,  et  parut  publiquement  en  sur- 
plis parmi  les  chanoines  ^^.     Je  lui  parlai  encore  en  secret; 

14.  Corresp.  générale,  vol.  78. 

15.  Voir  le  vol.  précédent,  p.  75. 

16.  Mgr  de  Pontbriand  fit  donc  la  visite  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade 
en  1742.  ■  J 

17.  Le  Prélat  demeurait  encore  lui-même  au  Séminaire  à  cette  époque. 

18.  Il  était  un  de  ceux  que  ces  bons  chanoines  avaient  nommés  curés 
inamovibles,  en  1729.  Mgr  Dosquet  ne  réussit  qu'à  grand'peine  à  lui 
faire  donner  sa  démission. 


sous   M«^   DE   PONTBRIAND  yS 

il  s'opiniâtra  toujours.  Il  essaya  une  requête  d*appel 
comme  d'abus  ;  elle  fut  rejetée  suivant  les  déclarations  dn 
Roi.  Je  faisais  toujours  suspendre  Pexécution  du  décret, 
pour  lui  donner  le  temps  de  se  reconnaître.  Enfin  M.  Pin- 
tendant,  qui  se  prête  toujours  au  bien,  m'engagea  à  sus- 
pendre la  procédure,  et  à  le  recevoir  dans  le  Séminaire, 
moyennant  sa  soumission  par  écrit. 

«  On  dit  que  les  sieurs  Hazeur  et  Fornel  étaient  ses 
conseillers.  Peut-être  ai-je  mal  fait  de  ne  pas  punir  une 
désobéissance  dont  on  ne  voit  aucun  exemple  en  France. 
Pour  la  première  fois,  j'ai  cru  devoir  user  de  douceur. . .  » 

A  part  quelques  exceptions  de  ce  genre,  quelques  ombres 
qui  ne  faisaient  que  ressortir  la  beauté  du  tableau  de  notre 
Eglise,  disons  de  suite  que  le  Clergé  canadien,  en  général, 
était  exemplaire,  comme  M^  de  Pontbriand  l'avait  écrit 
lui-même  dans  son  mandement  d'entrée,  et  les  paroisses 
admirablement  desservies.  L'Evêque  exprima  partout  son 
contentement,  et  à  quelques  endroits  même  son  admiration  : 

«  J'ai  été  très  édifié,  dit-il,  de  la  mission  sauvage  du 
Lac  des  Deux-Montagnes.  .  .  » 

Désormais  il  se  rendait  compte  par  lui-même  des  besoins 
de  son  diocèse,  de  la  nécessité  de  diviser  certaines  paroisses 
trop  étendues,  pour  en  former  de  nouvelles,  de  donner  des 
missionnaires  à  de  pauvres  colons  trop  éloignés  des  églises 
pour  pouvoir  y  aller  régulièrement  et  remplir,  comme  ils 
le  désiraient,  leurs  devoirs  religieux  : 

«  Il  y  a  au  moins  quinze  paroisses  qui  demandent  du 
changement,  écrit-il  à  la  Cour.  Je  présume  par  votre 
silence  —  il  avait  déjà  écrit  sur  ce  sujet  —  que  vous  ne  vous 
y  opposez  pas,  d'autant  plus  qu'il  paraît  que  c'est  aux 
Evêques  à  instituer  les  paroisses,  à  les  étendre  ou  à  les 
restreindre  selon  le  besoin,  qui  change  selon  l'augmentation 
ou  la  diminution  des  habitants  ^^.  » 

19.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  du  28  septembre  1742. 


76  l'église  du  canada 

Quelle  plaisante  ironie,  sans  paraître  y  toucher,  à  l'a- 
dresse des  ministres,  chez  qui  c'était  devenu  une  marotte 
de  demander  la  fixation  des  cures  au  Canada  !  Comment, 
les  cures  une  fois  fixées,  l'Evêque  aurait-il  pu  facilement 
les  diviser  et  les  partager,  au  besoin  ? 

Et  ne  voilà-t-il  pas  qu'à  son  insu,  contre  ses  sentiments 
bien  connus  et  son  opinion  bien  arrêtée,  ses  propres  prêtres, 
des  membres  de  son  Chapitre,  viennent  se  mettre  en  tra- 
vers de  ses  desseins,  embarrasser  son  administration  et 
favoriser  les  vues  de  la  Cour,  plutôt  que  celles  de  leur 
Bvêque : 

a  Les  sieurs  de  l'Orme  et  Falaise  "^^^  écrit-il  au  ministre, 
me  marquent  qu'ils  ont  eu  l'honneur  de  vous  présenter  un 
mémoire,  au  nom  du  Chapitre,  sur  la  fixation  des  cures. 
Je  crois  devoir  vous  prévenir  que  ces  deux  chanoines  ont 
agi  sans  la  participation  du  corps,  ce  qui  me  paraît  fort 
irrégulier  ^^  » 

Il  n'est  pas  téméraire  de  supposer  qu'il  avaient  agi  sur- 
tout à  l'instigation  de  leurs  confrères  Hazeur  et  Fornel, 
qui  ne  pouvaient  pardonner  à  l'Kvêque  d'avoir  détruit  ce 
qu'ils  avaient  fait  pendant  la  vacance  du  siège. 

Le  digne  Prélat,  au  lieu  de  s'occuper  à  fixer  les  curés, 
s'appliqua  à  fournir  de  bons  missionnaires  tous  les  endroits 
de  son  diocèse  qui  en  avaient  besoin.  Il  en  faisait  venir 
de  France  : 

((  J'espère  qu'il  me  viendra  des  prêtres  pour  les  paroisses, 


20.  Le  chanoine  de  Gannes-Falaise  avait  quitté  Québec  pour  la  France 
le  6  octobre  1742,  et  ne  devait  plus  revenir  au  Canada.  Pendant  quelques 
années,  le  Chapitre  de  Québec  se  trouva  avoir  cinq  de  ses  chanoines  es 
France:  De  l'Orme,  De  Gannes-Falaise,  Lacorne,  Fornel  et  Gosselin. 
De  Gannes-Falaise  finit  par  arriver  au  Doyenné  de  la  collégiale  de 
Saint-Sauveur,  à  Metz!  (Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  234).  Ces 
braves  gens  ne  doutaient  de  rien,  et  semblaient  avoir  pris  pour  devise: 
Audaces  fortuna  juvat! 

21.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  du  20  octobre  1743. 


sous    M«^   DE   PONTBRIAND  77 

écrit-il  un  jour  au  ministre;  mon  frère  vous  demandera 
leur  passage  avec  le  fret  de  deux  tonneaux.  » 

Comme  nous  le  verrons.  M^^  de  Pontbriand  avait  d'ex- 
cellents amis  en  France,  parmi  ses  confrères  dans  Pépis- 
copat,  qui  s'efforçaient  de  lui  envoyer  de  temps  en  temps 
des  missionnaires. 

Du  reste,  il  n'ordonna  pas  moins  de  cent  prêtres  cana- 
diens pendant  la  durée  de  son  administration. 


CHAPITRE  IX 


l'épisode  du  crucifix  outragé 

La  superstition,  en  France.  —  Episode  du  Crucifix  outragé,  à  Montréal. 
—  L'enquête.  —  Le  jugement  de  la  Prévôté.  —  Arrêt  du  Conseil 
Supérieur.  —  Mandement  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  Le  Crucifix 
outragé,  confié  aux  Sœurs  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec. 

DANS  son  beau  mandement  pour  la  visite  des  paroisses, 
M^""  de  Pontbriand  priait  ses  curés  de  lui  faire  con- 
naître ((  les  abus  ou  superstitions  qui  pourraient  s'y  rencon- 
trer ».  Avait-il  quelque  raison  de  croire  qu'il  y  en  avait 
dans  son  diocèse  ?  Mais  ne  sait-on  pas  qu'à  cette  date  la 
France,  notre  ancienne  mère  patrie,  et  surtout  sa  capitale, 
regorgeait  de  superstitions  ?  Qui  ne  se  rappelle  les  scènes 
disgracieuses  dont  Paris  fut  le  théâtre,  vers  cette  époque, 
les  prétendus  miracles,  par  exemple,  opérés  sur  la  tombe 
du  diacre  Paris,  et  les  impostures  des  convulsionnaires  au 
cimetière  de  Saint-Médard  ?  Tout  cela  en  plein  dix- 
huitième  siècle,  au  sein  de  la  civilisation  la  plus  raffinée  ! 
Comme  les  extrêmes  se  touchent  !  N'y  avait-il  pas  lieu 
de  craindre  que  quelque  émigré  français  eût  apporté  ici  les 
germes  d'une  maladie  aussi  contagieuse?  I^'événement 
prouva,  dans  tous  les  cas,  que  M^  de  Pontbriand  avait  été 
bien  inspiré  en  attirant  l'attention  de  son  clergé  sur  un 
sujet  aussi  important.  Nous  faisons  ici  allusion  au  fameux 
épisode  du  Crucifix  outrage^  qui  passionna  l'opinion  pu- 
blique, à  cette  époque,  surtout  à  Montréal.  Il  importe  d'en 
dire  un  mot  dans  cet  ouvrage. 


sous    M^*'   DE    PONTBRIAND  79 

Voici  le  fait,  tel  qu'il  fut  juridiquement  prouvé  \ 

Un  nommé  Robidoux  ''^,  cordonnier  de  son  métier,  rési- 
dant au  faubourg  Saint- Joseph,  ou  des  Récollets,  à  Montréal, 
s'était  fait  voler  une  certaine  somme  d'argent,  et  pour  la 
retrouver  s'avisa  de  confier  son  affaire  à  un  individu  qui 
avait  la  réputation  d'être  sorcier,  et  logeait  tout  près  de  lui, 
chez  un  autre  cordonnier  nommé  Lanoue.  Ce  faubourg 
Saint- Joseph  était  à  cette  époque  un  v^itable  nid  de  cordon- 
niers. Le  prétendu  sorcier  était  tout  simplement  un  soldat 
de  la  Compagnie  de  M.  de  la  Fresnière  ^,  en  garnison  à 
Montréal.  Il  était  natif  de  Paris,  âgé  de  vingt-six  à  vingt- 
sept  ans,  et  avait  une  certaine  instruction  ;  il  avait,  du 
moins,  une  très  belle  écriture  :  nous  avons  vu  sa  signature 
sur  un  document  conservé  aux  archives  ;  elle  paraît  avan- 
tageusement à  côté  de  celles  des  premiers  personnages  de 
de  l'époque,  au  Canada.  Du  reste,  sa  faconde  et  ses  res- 
sources de  langage  l'avaient  fait  surnommer  V Avocat: 
son  nom  était  François-Charles  Havard  de  Beaufort. 

Il  avait  rencontré  Robidoux  dans  la  matinée  du  28  juin 
(1742);  et  il  convint  d'aller  tenir  séance  chez  lui  le  soir 
même  :  en  effet,  il  y  était  rendu  à  huit  heures. 

La  maison  de  Robidoux  se  remplit  de  curieux.  Havard 
est  assis  gravement  près  d'une  table,  recouverte  d'une 
nappe  plus  ou  moins  blanche,  sur  laquelle  se  dressent  deux 
chandelles  allumées  et  repose  un  miroir  renversé,  dont  la 
glace  est  destinée,  paraît-il,  à  refléter  la  figure  du  voleur 
qu'il  s'agit  de  découvrir.  Havard  a  devant  lui  trois 
paquets  de  poudre,  blanche,  jaune  et  noire,  et  une  fiole 


1.  Tous  les  détails  que  nous  donnons  ici  sont  extraits  de  copies  au- 
thentiques des  Pièces  originales  conservées  aux  archives  de  la  Prévôté 
de  Montréal,  copies  faites  par  M.  Jacques  Viger  lui-même  pour  sa 
Saberdache. 

2.  Il  était  âgé  de  vingt  ans,  et  sa  femme  Anne  Lehoux  n'en  avait  que 
dix-sept.  Il  était  fils  d'un  cabaretier  de  Montréal,  Guillaume  Robidoux. 

3.  Hertel  de  la  Fresnière. 


8o  l'église   pu   CANADA 

d'huile,  qu'il  qualifie  d'huile  d'aspic.  Il  tient  à  la  main  un 
vieux  bouquin,  couvert  en  veau,  aux  coins  tout  déchirés, 
intitulé  Perba  Jesu  Christi^  ex  Evangeliis  Matth.^  Marc, 
Luc.  Joan.  ;  et,  tout  en  marmottant  quelques  versets  de  ce 
livre,  fait  mille  simagrées,  mélange  de  l'huile  avec  ses 
poudres,  et  répand  ce  liquide  sur  le  dos  du  miroir  :  tout 
cela  en  vue  de  mystifier  l'assistance,  et  d'intimider  le 
voleur,  s'il  est  là,  pour  qu'il  se  fasse  connaître. 

A  un  moment  donné,  il  demande  un  crucifix,  se  le  fait 
apporter  sur  la  table,  et  avec  une  impudence  et  un  cy- 
nisme sans  égal  il  répand  avec  une  lame  de  couteau  sur  le 
bois  de  ce  crucifix  le  même  mélange  qu'il  a  répandu  sur  le 
miroir  ;  puis  il  l'approche  du  feu  des  bougies,  sous  prétexte 
de  faire  sécher  les  drogues  qu'il  y  a  mises,  et  le  couche  en- 
suite sous  le  miroir.  Du  reste  il  a  presque  toujours  son 
livre  à  la  main,  et  par  intervalles  en  marmotte  les  versets. 
De  temps  en  temps,  les  lumières  s'éteignent,  une  ombre 
épaisse  envahit  la  salle,  les  assistants  sont  glacés  de  ter- 
reur, et  le  sorcier,  enveloppé  de  mystère,  s'anime  de  plus 
en  plus  à  abuser  de  leur  crédulité. 

Une  jeune  personne  de  distinction  *,  que  la  curiosité  a 
amenée  là  avec  sa  mère,  s'est  placée  «  tout  à  côté  de  lui  » 
pour  mieux  observer  ses  mouvements  et  ses  gestes  :  «  Lors- 
qu'il eut  éteint  les  chandelles,  dit-elle  dans  son  témoi- 
gnage, il  soulevait  par  temps  le  miroir,  et  tenait  le  haut  du 
crucifix  entre  ses  mains.  Je  le  vis  baisser  la  tête  et  enten- 
dis marmotter  en  latin  quelques  paroles  que  je  ne  compris 
pas.  Les  chandelles  étant  rallumées,  je  le  vis  ôter  le  cru- 
cifix de  dessous  le  miroir,  le  prendre  dans  sa  main,  et  es- 
sayer avec  le  bois  du  dit  crucifix  de  faire  trois  raies  sur  la 
plate-bande  de  la  cheminée.  » 

4.  Susanne  De  Selle,  âgée  de  vingt  ans,  fille  de  feu  Alexandre  De 
Selle,  écuyer,  sieur  Du  Clos,  et  de  Marguerite  Perreau.  Nous  écrivons 
ces  noms  d'après  les  pièces  documentaires. — De  Selle  avait  un  fils  qui 
servait  dans  l'armée.   (Rapport. ..  pour  1905,  p.  19). 


sous   M^'^   DE   PONTBRIAND  8l 

Le  crucifix,  aussi  bien  que  le  vieux  bouquin,  était  la 
propriété  d'un  nommé  Lanoue,  qui  était  de  complicité 
avec  Havard  dans  toute  cette  affaire.  Pour  accréditer  sa 
réputation  de  devin  et  achever  de  mystifier  les  spectateurs, 
Havard  se  cachait  dans  le  tambour  de  la  maison,  et  les 
invitait  à  toucher  une  des  trois  raies  qu'il  avait  faites  avec 
le  crucifix  sur  le  linteau  de  la  cheminée.  Il  était  convenu 
avec  Lanoue  d'un  signe  particulier  que  celui-ci  lui  devait 
faire  pour  chacune  de  ces  raies  ;  et  il  lui  était  alors  facile 
de  deviner  et  de  leur  dire  quelle  raie  on  avait  touchée. 

Cette  séance  d'une  étrange  inconvenance  dura  une 
heure  ;  et  il  va  sans  dire  que  le  nommé  Robidoux  n'était 
pas  plus  avancé  à  la  fin  qu'au  commencement  pour  le  but 
qu'il  s'était  proposé  en  faisant  venir  le  sorcier  dans  sa  mai- 
son :  son  voleur  restait  inconnu. 

La  nouvelle  de  cette  scène  disgracieuse  et  sacrilège  se 
répandit  bientôt  dans  toute  la  ville,  et  souleva  l'indignation 
publique.  Comme  il  arrive  même  souvent  en  pareille  oc- 
casion, les  choses  se  grossirent  et  prirent  des  proportions 
invraisemblables  :  le  Parisien  Havard  était  ni  plus  ni 
moins  qu'un  descendant  bien  avéré  d'un  des  Juifs  qui 
avaient  crucifié  Notre-Seigneur  ;  non  seulement  il  s'était 
servi  d'un  crucifix  pour  faire  ses  tours  de  passe-passe,  mais 
il  l'avait  foulé  aux  pieds,  il  l'avait  même  percé  avec  un 
couteau,  et  avait  fait  couler  de  nouveau  le  sang  du  divin 
Rédempteur  ! 

On  demanda  à  grands  cris  qu'il  fût  fait  une  enquête 
complète  et  sérieuse  sur  toute  cette  affaire.  M.  Foucher, 
substitut  du  procureur  général  à  Montréal  ^,  cédant  «  à  la 
voix  publique,  »  dut  s'exécuter,  et  dès  le  30  juin  piésenta 
une  requête  à  cet  effet  au  juge  de  la  Prévôté,  Guiton  de 


5.  Foucher  reçut  un  jour  une  verte  semonce  de  l'intendant  Hocquart. 
Le  Roi  se  chargeait  de  l'entretien  des  "Enfants  trouvés"  jusqu'à  l'âge 
de  dix-huit  mois.  Mais  alors  le  procureur  général  devait  "  les  engager 

6 


82  l'église  du  canada 

Monrepos  ^.  Permission  d'informer  fut  accordée  le  premier 
juillet.  Outre  l'accusé  Havard  et  ses  complices  Lanoue 
et  Robidoux,  on  n'assigna  pas  moins  de  douze  témoins,  qui 
comparurent  tour  à  tour,  à  partir  du  2  juillet,  devant  le 
juge  de  la  Prévôté  et  son  assistant,  Daniel  Migeon  de  la 
Gauchetière. 

L'enquête  dura  deux  grands  mois,  et  ne  se  termina  que 
le  30  août  :  il  y  eut  interrogatoire  de  chaque  témoin  et  de 
chaque  accusé,  à  part,  confrontation  des  témoins  et  des 
accusés,  interrogatoire  des  accusés  (f  sur  la  sellette  ;  »  rien 
ne  fut  épargné  pour  arriver  à  connaître  toute  la  vérité. 

La  Prévôté  de  Montréal  prononça  son  jugement  le  30 
août  :  en  voici  la  conclusion  : 

.  .  .«  Tout  considéré,  déclarons  le  dit  Charles  Havard  de 
Beaufort  dit  l'Avocat,  soldat  de  la  garnison  de  cette  ville, 
duement  atteint  et  convaincu  ô.^  devoir  profané  les  paroles  du 
Nouveau  lesiament  contenues  dans  le  Livre  joint  au  Pro- 
cès, ainsi  que  la  Représentation  de  J estes- Christ  crucifié^  en 
faisant  servir  l'un  et  l'autre  à  àts pronostications  et  autres 
usages  profanes  et  illicites,  même  d'avoir  oint  les  extrémi- 
tés du  dit  crucifix  et  de  l'avoir  approché  des  flammes  pour 


à  de  bons  habitants,  soit  de  la  ville,  soit  de  la  campagne,  jusqu'à  l'âge 
de  dix-huit  à  vingt  ans. . .  " 

Hocquart  apprend  un  jour  que  Foucher  n'a  pas  fait  son  devoir  à  ce 
sujet  ;  et  il  écrit  : 

"  Dans  la  liste  qui  nous  a  été  remise  des  enfants  bâtards  de  ce  gou- 
vernement (Montréal),  nous  avons  été  surpris  d'en  voir  quatre  nés  en 
1743,  six  en  1744,  dix  en  1745,  qui  sont  encore  aux  charges  du  Roi, 
tandis  qu'ils  devraient  être  engagés  sans  perte  de  temps;  et  nous  pré- 
venons le  sieur  Foucher  que,  s'il  tombe  en  pareille  négligence  à  l'avenir, 
nous  lui  ferons  supporter  en  son  propre  et  privé  nom  les  frais  d'un  si 
long  entretien. . .  Fait  à  Montréal  le  12  mars  1748.  "  (Edits  et  Ordon- 
nances, t.  II,  p.  395)- 

6.  C'est  ce  Monrepos  qui  eut  de  très  fâcheux  démêlés  avec  le  docteur 
Sylvain  (Sullivan),  de  Montréal,  démêlés  qui  furent  indirectement 
l'occasion  de  la  disgrâce  de  M.  de  Varennes,  dont  nous  dirons  un  mot 
plus  loin.  (Voir  Faillon,  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  11).  Monrepos  avait 
succédé  en  1741  au  juge  Raimbault,  dont  nous  avons  parlé  au  volume 
précédent,  p.  167. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  83 

faire  sécher  les  drogues  quUl  avait  mises  sur  le  dos  des 
extrémités  du  bois  de  la  croix  du  dit  Crucifix  ; 

ff  Po2^r  réparation  de  qîioi\  le  condamnons  à  faire  amende 
honorable,  nu  en  chemise,  la  corde  au  col,  tenant  en  ses 
mains  une  torche  de  cire  ardente  du  poids  de  deux  livres, 
au  devant  de  la  principale  porte  et  entrée  de  l'église  pa- 
roissiale de  cette  ville  ^,  et  ce  un  jour  de  marché,  au  devant 
de  laquelle  porte  de  l'église  il  sera  amené  et  conduit  par 
l'exécuteur  de  la  haute  justice,  le  dit  Havard  ayant  Ecri- 
teau  devant  et  derrière,  portant  ces  mots  :     Profanateur 

DES  CHOSES  SAINTES  ; 

((  Et  là,  étant  nu-tête  et  à  genoux,  dire  et  déclarer  à  haute 
et  intelligible  voix  que  témérairement  et  imprudemment  il 
a  proféré  les  paroles  de  N.-S.  J.-C,  contenues  au  susdit 
livre  joint  au  procès,  ainsi  que  la  représentation  et  image 
de  J.-C.  crucifié,  pour  vouloir  donner  plus  de  poids  à  ses 
devinations  et  pronostications  prohibées  par  les  lois  divines 
et  humaines,  dont  il  se  repent  et  en  demande  pardon  à 
Dieu,  au  Roi  et  à  la  Justice  ; 

«Ce  fait,  l'avons  condamné  à  servir  de  forçat  dans  les 
galères  du  Roi  l'espace  de  cinq  années.  — 

«  Et  outre,  avons  déclaré  le  dit  Charles  Lanoue  atteint 
et  convaincu  d'avoir  prêté  assistance  au  dit  Havard  de 
Beaufort,  dans  ses  pronostications  et  devinations,  et  lui 
avoir  administré  le  Crucifix  joint  au  procès  ; 

«  Pour  réparation  de  quoi  le  condamnons  à  assister  nu  en 
chemise  et  à  genoux  le  dit  Beaufort  lors  de  l'amende  hono- 
rable qu'il  fera  au  devant  de  la  porte  principale  de  l'église 
paroissiale,  où  le  dit  Lanoue  sera  également  conduit  par 
l'exécuteur  de  la  haute  justice,  et  ce  par  une  corde  dont  il 
aura  seulement  les  bras  liés  ; 


7.  L'église  paroissiale  de  Montréal,  à  cette  époque,  était  bâtie  paral- 
lèlement à  la  rue  Notre-Dame,  et  sur  la  rue  même,  qu'elle  obstruait,  par 
conséquent  :  "  L'église  de  la  paroisse  a  été  mal  placée,  écrit  quelque  part 


84  Iv'ÉGLISK   DU   CANADA 

«  Ce  fait^  avons  banni  le  dit  lî^anoue  l'espace  de  trois 
années  de  l'étendue  de  cette  juridiction,  et  à  lui  est  enjoint 
de  garder  son  ban  sous  les  peines  portées  par  les  ordon- 
nances, w 

Robidoux  avait  pris  la  fuite,  et  personne  ne  savait  ce 
qu'il  était  devenu.  La  sentence  de  la  prévôté  continuait  à 
son  égard  : 

«  Comme  aussi  avons  déclaré  la  contumace  bien  et  due- 
ment  instruite  contre  le  dit  Charles  Robidoux,  défaillant 
et  contumace,  et  l'avons  déclaré  duement  atteint  et  con- 
vaincu d'avoir  eu  recours  aux  pronostications  et  devina- 
tions  du  dit  Havard  ;  et  avoir  souffert  que  dans  sa  maison 
le  dit  Havard  ait  commis  les  profanations  dont  nous  l'avons 
déclaré  atteint  et  convaincu  ; 

«  Poîir  réparation  de  quoi  le  condamnons^  ainsi  que  le 
dit  Charles  Lanoue,  d'assister  nu  en  chemise  et  à  genoux 
le  dit  Beaufort,  lors  de  l'amende  honorable  qu'il  fera  au 
devant  de  la  dite  porte  principale  de  l'église  paroissiale  de 
cette  ville,  oii  le  dit  Charles  Robidoux  sera  également 
conduit  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice,  et  ce  par  une 
corde  dont  il  aura  seulement  les  bras  liés  :  ce  qui  sera 
transcrit  dans  un  tableau  attaché  par  l'exécuteur  de  la 
haute  justice  à  une  potence  qui,  pour  cet  effet,  sera  plantée 
sur  la  place  publique  du  marché  de  cette  ville  ; 

«  Ce  fait ^  Bannissons  le  dit  Charles  Robidoux  de  l'éten- 
due de  cette  juridiction  durant  l'espace  de  trois  ans,  et  à 
lui  enjoint  de  garder  son  ban  sous  les  peines  portées  par 
les  ordonnances . .  . 

«  Fait  et  donné  à  Montréal  par  nous  lieutenant  général 
susdit,  avec  MM.  Jean-François  Mailhot,  lieutenant  parti- 


Franquet;  elle  coupe  l'alignement  de  la  rue  principale..."  (^Voyages  et 
Mémoires,  1752,  p.  56). 


sous   M«f^   DE   PONTBRIAND  85 

culier  de  cette  juridiction,  Jean-Baptiste  Adhémar,  Nico- 
las-Auguste Guillet  de  Chaumont  et  L,ouis-Claude  Dauré 
de  Blanzy,  notaires  royaux  et  praticiens  en  ce  siège,  qui 
ont  signé  avec  nous  le  présent  jugement  le  30  août  1742 
en  la  chambre  d'audience  avant-midi.  (Signé)  Gui  ton  Mon- 
repos,  Mailhot,  Adhémar,  Chaumont,  Dauré  de  Blanzy.  » 

Le  substitut  du  procureur  général,  M.  Foucher,  après 
avoir  pris  connaissance  de  ce  jugement,  en  appela  immé- 
diatement au  Conseil  Supérieur,  et  les  prisonniers  Havard 
et  Lanoue  furent  transférés  de  la  prison  de  Montréal  w  en 
la  conciergerie  du  Palais  de  Québec.  » 

Le  Conseil  Supérieur  ne  rendit  son  arrêt  définitif  que  le 
lundi  17  septembre.  La  sentence  de  la  Prévôté  de  Mont- 
réal contre  Havard  fut  maintenue  :  seulement  le  Conseil 
Supérieur  réduisait  à  trois  ans  le  temps  qu'il  aurait  à 
servir  comme  forçat  dans  les  galères  du  Roi  ;  en  revanche, 
après  son  amende  honorable,  à  la  porte  de  l'église,  il  devait 
être  ((  battu  et  fustigé  de  verges  par  les  carrefours  et  lieux 
accoutumés  de  la  Haute  et  Basse- Ville  de  Montréal.  » 

Quant  à  Lanoue  et  Robidoux,  il  n'était  plus  question 
pour  eux  de  bannissement  :  Montréal  les  gardait  ;  ils  étaient 
seulement  condamnés,  le  premier  «  à  trois  livres  d'amende 
envers  le  Roi,  «  l'autre  «  à  trois  livres  d'aumônes  appli- 
cables au  pain  des  Prisonniers.  »  Lanoue  devait  assister  à 
l'amende  honorable  de  Havard  nu-tête  et  en  chemise,  mais 
il  devait  y  être  conduit  «  par  les  archers  de  la  maréchaus- 
sée, »  et  non  pas  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice.  Pour 
Robidoux,  outre  son  amende,  on  se  contentait  de  le  faire 
«  admonester  en  la  Chambre  d'audience.  » 

M^'^  de  Pontbriand  se  trouvait  en  visite  pastorale  à 
Montréal  dans  le  temps  même  où  l'on  procédait  à  l'enquête 
sur  cette  triste  affaire  du  Crucifix  outragé.  Il  fut  témoin 
de  l'indi^^nation  publique  contre  l'auteur  de  la  scène  étrange 
que  nous  venons  de  raconter,  et  ses  complices.     M.  Déat, 


86  l'église  du  canada 

qui  faisait  les  fonctions  de  curé  de  Montréal,  s'était  fait 
apporter  le  Crucifix,  et  put  le  montrer  à  l'Evêque  ^,  en  lui 
racontant  toutes  les  circonstances  de  la  profanation. 

De  retour  à  Québec,  l'Evêque  apprit  presque  aussitôt  le 
jugement  sévère  qui  avait  été  prononcé  par  la  Prévôté,  et 
il  en  profita  pour  donner  à  ses  diocésains  de  Montréal  un 
mandement  non  moins  énergique,  afin  d'imprimer  de  plus 
en  plus  dans  leur  âme  «  une  sainte  horreur  et  une  douleur 
profonde  »  pour  la  profanation  qui  avait  deshonoré  leur 
ville.  «  La  douleur  que  nous  avons  ressentie,  dit-il,  lorsque 
nous  avons  appris  l'impiété  commise  contre  l'auguste  repré- 
sentation de  notre  Rédempteur  a  été  trop  vive,  et  nous  en 
sommes  encore  trop  pénétré,  pour  la  resserrer  au  dedans  de 
nous-même.  »  Il  les  invitait  à  prier  pour  la  conversion  du 
coupable,  et,  comme  réparation  d'une  faute  publique,  il 
ordonnait  de  faire,  le  premier  dimanche  après  la  publication 
de  son  mandement,  «  une  procession  générale,  de  l'église 
paroissiale  à  la  chapelle  de  Bon-Secours  ^,  où.  l'on  ferait 
l'adoration  de  la  Croix  ^^.  » 

M.  Déat,  qui  s'était  fait  apporter  chez  lui  le  Crucifix 
outragé,  avait  dû  le  transmettre  aux  magistrats  pendant  le 
procès.  M^^" de  Pontbriand  le  leur  demanda,  «afin  de  pou- 
voir l'exposer  d'une  manière  particulière  à  la  vénération 
des  véritables  chrétiens.  »  Il  paraît  que  nombre  de  pa- 
roisses sollicitaient   la  faveur  de  posséder  ce  Crucifix  ^^ 


8.  On  lit  dans  une  Pièce  signée  par  Monrepos,  Migeon  de  la  Gauche- 
tière  et  le  greffier  Porlier  :  ''  Le  Crucifix  est  de  bois  de  noyer  de  France, 
au  dos  duquel  est  une  couronne  de  cuivre,  ainsi  que  le  Christ,  les  clous 
qui  le  garnissent,  et  une  tête  de  mort  au  pied  du  Christ,  et  au  haut 
d'icelui  un  petit  morceau  de  cuivre  sur  lequel  sont  les  lettres  J.  N,  R.  J." 
Ce  crucifix  était  "  attaché  au  côté  du  lit  "  de  Lanoue,  et  le  livre  "  dans 
le  tiroir  de  son  buffet.  " 

9.  La  construction  de  la  première  église  de  Bon-Secours  remonte  à 
1675.  La  vénérable  Marguerite  Bourgeois  en  avait  fait  jeter  les  fonde- 
ments dès  1657.  (Paillon,  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  t.  I,  p.  98,  234). 

10.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  19. 

11.  Jacques  Viger,  Ma  Saberdache. 


SCUS   M^   DE    PONTBRIAND  87 

L'Evêque  jugea  qu'il  ne  pouvait  être  mieux  placé  que  dans 
une  communauté  religieuse,  et  le  confia  aux  Hospitalières 
de  l'Hôtel-Dieu  du  Précieux-Sang,  à  Québec. 

((  Nous  avons  su,  écrit-il  à  ces  bonnes  religieuses,  que 
dans  le  temps  de  la  profanation,  pénétrées  de  douleur,  vous 
avez  fait  une  amende  honorable  et  une  communion  géné- 
rale. Persuadé  que  vos  dispositions  ne  sont  pas  changées, 
nous  vous  confions,  comme  à  des  épouses  fidèles,  cette 
croix  adorable  et  nous  vous  ordonnons  de  la  placer  dans 
votre  église  ^^.  .  .  » 

Elle  y  fut  portée  par  le  chanoine  Briand,  le  premier 
mars  1744,  et  elle  y  est  encore;  et  chaque  année,  le  pre- 
mier vendredi  d'octobre,  se  célèbre,  avec  grand'messe, 
vêpres,  sermon,  salut  et  amende  honorable,  la  fête  du  Cru- 
cifix outragé.  Que  de  fois  n'avons-nous  pas  entendu  an- 
noncer cette  fête  religieuse  du  haut  de  la  chaire  de  la 
cathédrale  de  Québec  !  Il  y  a,  en  effet,  indulgence  plé- 
nière  accordée  par  les  Souverains  Pontifes  à  toutes  les  per- 
sonnes qui  visitent  ce  jour-là,  avec  les  conditions  requises, 
l'église  de  l'Hôtel-Dieu. 


12.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  33. 


CHAPITRE  X 


MAUVAISES  ANNÉES,   AU   CANADA.  —  RECONSTRUCTION   DE 
LA  CATHÉDRALE.  —  PATRIOTISME  DE  L'ÉVÊQUE 

Mauvaises  récoltes.  —  Prières  publiques.  —  Fléau  des  chenilles.  — 
Eloge  des  Canadiens.  —  Reconstruction  de  la  Cathédrale;  la  Cour 
refuse  d'y  contribuer.  —  Prise  de  Louisbourg  (1745).  —  Guerre  de 
la  Succession  d'Autriche.  —  Mandement  patriotique  de  l'Evêque.  — 
Paix  d*Aix-la-  Chapelle.  —  Quête  pour  la  Cathédrale  ;  fondation  de 
messes.  —  Cathédrale  terminée.  —  Exhumation  des  corps  de  Mgr  de 
Laval  et  de  Mgr  de  Lauberivière.  —  Remerciements  aux  Récollets; 
aux  Ursulines.  —  Les  Chanoines  présentent  à  l'Evêque  son  portrait 

JE  chéris  tendrement  mon  diocèse,  »  écrivait  un  jour  M*^ 
de  Pontbriand  ^-  Quel  contraste  avec  M^^  Dosquet, 
qui  n'avait  jamais  pu  prendre  racine  au  Canada!  Et 
pourtant  notre  pays  n'avait  pas  traversé,  du  temps  de  cet 
évêqne,  une  période  de  mauvaises  années  comme  celle  où  le 
voyait  M^"^  de  Pontbriand.  Le  pieux  Prélat  venait  de 
parcourir  son  diocèse;  et  qu'avait-il  trouvé  partout?  Des 
campagnes  désolées,  des  populations  affamées  : 

«  Les  deux  dernières  récoltes,  écrit-il,  au  printemps  de 
1743,  n'ont  pas  répondu  à  nos  désirs;  les  animaux  domes- 
tiques périssent  dans  quelques  endroits,  faute  de  nourriture, 
plusieurs  familles  sont  depuis  peu  réduites  à  chercher  dans 
la  charité  des  fidèles  ces  secours  qu'elles  ont  autrefois  pro- 
curés ;  plusieurs  dans  les  campagnes  n'espèrent  se  soutenir 


I.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  26. 


l'église  du  canada  sous  m»"*  de  pontbriand      89 

jusqu'à  la  récolte  que  par  les  fruits  et  les  herbes  que  la 
terre  produit  d'elle-même . . .  L'abondance  des  neiges 
retarde  considérablement  les  semences,  et  peut-être  allons- 
nous  voir  plusieurs  terres  demeurer  incultes  ^. .  .  » 

Le  gouverneur  et  l'intendant  ont  pris  des  mesures  pour 
que  personne  ne  manque  de  blé  pour  ensemencer  les  terres, 
et  l'Evêque  exhorte  ses  curés  à  faire  bien  observer  ce  qui  a 
été  réglé  à  ce  sujet.  Il  a  ordonné  des  prières  publiques  «  à 
raison  des  besoins  de  la  colonie  »,  et  il  se  réjouit  de  la  ma- 
nière dont  on  a  suivi  ces  exercices.  Le  carême  a  été  scru- 
puleusement observé  ;  et  l'on  sait  qu'il  était  encore  dans 
toute  son  austérité  antique,  à  cette  époque  :  outre  le  jeûne 
dont  on  se  dispensait  bien  moins  facilement  qu'aujourd'hui, 
abstinence  rigoureuse  tous  les  jours,  y  compris  le  dimanche, 
à  partir  du  mercredi  des  Cendres  jusqu'à  Pâques  ^. 

«  Nous  avons  été  édifié  de  la  piété  avec  laquelle  vous 
avez  assisté  pour  la  plupart  aux  prières  publiques,  écrit 
M^  de  Pontbriand .  .  .  Vous  avez  expié  vos  fautes  par  la 
rigueur  de  l'abstinence  et  du  jeûne .  .  .  Vos  prières  ont 
paru  être  agréables  au  Seigneur.  . .  Les  campagnes,  contre 
toute  attente,  ont  été  ensemencées  aussi  abondamment  que 
les  années  précédentes,  les  temps  ont  été  favorables.  .  .  » 

Hélas  !  quelques  mois  plus  tard,  un  nouveau  fléau,  celui 
des  chenilles,  s'appesantit  sur  la  colonie  : 

2.  Ibid.,  p.  29. 

3.  On  trouve  dans  les  registres  du  Conseil  Supérieur,  à  la  date  du 
premier  décembre  1670,  un  exemple  qui  prouve  le  respect  que  l'on  pro- 
fessait alors  pour  les  lois  de  l'Eglise.  Un  nommé  Gaboury,  de  l'Ile  d'Or- 
léans, ayant  été  convaincu  ."  d'avoir  mangé  de  la  viande  pendant  le 
carême  sans  en  demander  permission  à  l'Eglise  ",  fut  condamné  par  le 
juge  Prévost  de  Lyret  "à  payer  une  vache  et  le  profit  d'une  année 
d'icelle. . .,  puis  à  être  attaché  au  poteau  public  trois  heures  de  temps,  et 
ensuite  être  conduit  au  devant  de  la  porte  de  la  Chapelle  de  l'Ile  d'Or- 
léans, où  étant  à  genoux,  les  mains  jointes,  nu-tête,  demander  pardon  à 
Dieu,  au  Roi  et  à  justice. . .,  et  à  vingt  livres  d'amende  applicable  aux 
œuvres  pies  de  la  dite  paroisse. . .  " 

Il  en  appela  au  Conseil  Supérieur,  qui  maintint  une  partie  de  la  sen- 
tence, et  lui  fit  grâce  du  reste,  mais  "  avec  défense  de  récidiver,  à  peine 
de  punition  corporelle  ".  (Jugements  du  Conseil  Supérieur,  t.  I,  p.  642.) 


90  L^ÉGLISE   DU  CANADA 

«  Les  prairies  sont  presque  entièrement  rasées  par  les 
insectes,  écrit  le  Prélat  ;  dans  certains  endroits  les  blés 
même  en  ont  souffert  ^  .  .  » 

«  L'année  1743  fut  encore  plus  pénible  que  la  précédente 
par  la  rareté  et  la  cherté  de  toutes  les  provisions  de  bouche, 
écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital  Général.  .  .  Pour  se  faire 
une  idée  de  la  misère  du  peuple,  il  suffit  de  savoir  qu^à 
Québec,  les  acheteurs  se  pressaient  en  si  grande  foule  chez 
les  boulangers,  que  plusieurs  personnes  y  perdirent  la  vie, 
sans  parier  de  celles  qui  furent  blessées  :  ce  qui  obligea  les 
autorités  de  faire  appeler  la  milice  à  la  distribution  du 
pain,  dont  la  portion  était  réglée  pour  chaque  famille  :  de 
sorte  qu'avec  son  argent  il  aurait  été  impossible  de  s'en 
procurer  davantage  ^  . ,  » 

A  leur  tour,  MM.  de  Beauharnais  et  Hocquart  écrivent 
en  octobre  1744  : 

((  L'événement  a  justifié  les  craintes  que  nous  eûmes 
Pannée  dernière  de  l'extrême  modicité  de  la  récolte  ;  ce  n'a 
été  qu'avec  des  peines  infinies  que  nous  avons  pourvu  aux 
nécessités  publiques.  Nous  avons  épuisé  toutes  nos  res- 
sources; celle  que  nous  avons  trouvée  chez  les  habitants 
aisés  a  été  une  des  principales  et  la  plus  efficace ...  Le 
peuple  a  vécu  misérablement  ;  plus  de  la  moitié  des  habitants 
de  la  campagne  se  sont  passés  de  pain  depuis  le  printemps 
jusqu'aux  récoltes.  Ils  ont  vécu  par  leur  industrie  :  la 
pêche,  la  chasse,  les  herbes  et  le  laitage  :  personne  n'a  péri 
par  la  faim.  »  Et  ils  ajoutaient  :  «  Les  provisions  envoyées 
de  France  ne  sont  arrivées  que  quinze  jours  avant  la  ré- 
colte ^  ». 


4.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  32,  mandement  du  13 
juillet  1743. 

5.  Mgr  de  S aint-V allier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec,  p.  309. 

6.  "Cette  année  (1744)  a  été  encore  plus  malheureuse  que  la  précé- 
dente. Cela  ne  m'a  point  arrangé  dans  mes  affaires.  Il  faut  s'en  consoler. 


sous   M^   DK   PONTBRIAND  9I 

Ce  fut  bien  pire  Tannée  suivante  ;  il  n'en  vint  pas  du  tout  : 

t  Nous  n'avons  point  eu  de  vaisseaux  cette  année  (1745), 
écrit  la  sœur  Duplessis:  ce  qui  ne  s'est  jamais  vu  en  Cana- 
da depuis  son  établissement  '^.  .  .  >> 

M^^  de  Pontbriand  avait  secondé  de  tout  son  pouvoir 
les  efforts  du  gouverneur  et  de  l'intendant  pour  subvenir 
aux  besoins  de  sa  ville  épiscopale.  Il  avait  une  liste  de 
de  tous  les  indigents  ;  et  il  avait  marqué  à  chaque  com- 
munauté ceux  qu'elle  devait  nourrir  à  proportion  de  ses 
moyens.  A  sa  demande,  le  Chapitre  vota  pour  les  pauvres 
une  somme  de  deux  cents  francs.^  Lui-même  faisait  dis- 
tribuer quatre-vingts  pains  par  semaine. 

Certes,  ce  n'était  donc  pas  la  prospérité  matérielle  de 
son  diocèse  qui  le  lui  faisait  «  chérir  tendrement.  «  Mais 
il  appréciait  le  courage  des  Canadiens,  leur  bonne  volonté, 
leur  patience,  leur  confiance  dans  l'avenir,  qui  devait  les 
faire  triompher  de  tous  les  maux  et  traverser  généreu- 
sement les  plus  grandes  épreuves.  Il  appréciait  leur  ingé- 
niosité à  se  tirer  d'affaire,  leur  bonne  humeur  inlassable, 
et  surtout  leur  esprit  profondément  religieux. 

Un  ancien  chroniqueur  parlant  de  notre  pays  précisé- 
ment à  l'époque  où  nous  sommes,  lui  rend  ce  beau  témoi- 
gnage : 

«  Quant  à  l'état  de  la  religion  et  des  mœurs,  nous  pou- 
vons affirmer  en  toute  assurance  qu'il  n'était  point  ou  très 
peu  tombé  de  cette  haute  ferveur,  de  cette  grande  simpli- 
cité et  de  cette  probité  intègre,  sans  aucun  mélange  d'opi- 
nion de  secte,  qui  formaient  le  trait  caractéristique  de  nos 
pères,  depuis  l'établissement  de  la  colonie  ^. . .  » 

Dieu  sait  dédommager.  Tout  est  à  un  prix  exorbitant.  La  barrique  de 
vin  coûte  deux  cent  cinquante  livres.  Il  faut  boire  de  la  petite  bière. . .  " 
(Lettre  de  Mgr  de  Pontbriand  à  ses  sœurs,  25  oct.  1744). 

7.  Revue  Canadienne,  t.  XII,  p.  603. 

8.  Registre  du  Chapitre,  assemblée  du  30  décembre  1743. 

9.  Mémoires  inédits  sur  l'Eglise  du  Canada,  par  le  curé  Faquin,  p.  442. 


92  l'église  du  canada 

Un  gouverneur  et  un  intendant  du  Canada  ont  traité 
quelque  part  nos  ancêtres  de  «  glorieux  et  de  paresseux  »  ^®  : 
glorieux,  oui,  avec  une  certaine  pointe  de  liberté  et  d'in- 
dépendance, et  aussi  avec  une  malheureuse  tendance  à 
dépenser  au  delà  de  leurs  moyens  ;  mais  paresseux,  dans  le 
vrai  sens  du  mot,  jamais.  Non,  on  ne  pouvait  avec  justice 
taxer  de  paresse  nos  ancêtres,  qui,  à  force  de  courage,  de 
persévérance  et  de  travail,  ont  fait  notre  pays  ce  qu'il  est. 

M^'  de  Pontbriand  se  montra  toujours  plus  juste  envers 
les  Canadiens,  et,  tout  en  observant  leurs  défauts  et  ne 
craignant  pas  de  les  reprendre,  dans  l'occasion,  il  savait 
reconnaître  leurs  bonnes  qualités.  Il  comptait  sur  leur 
concours  et  leur  générosité  beaucoup  plus  que  sur  l'aide  du 
Roi,  lorsqu'il  se  décida,  au  printemps  de  1745,  à  recons- 
truire sa  cathédrale,  qui  menaçait  ruine. 

Ah,  qu'il  a  besoin  lui-même  de  courage  pour  entreprendre 
de  pareils  travaux  dans  les  circonstances  où  il  se  trouve! 
Il  vient  à  peine  de  prendre  possession  de  son  évêché,  après 
avoir  passé  deux  ans  très  à  l'étroit  au  séminaire  ;  il  a  même 
encore  des  réparations  à  faire  à  cet  évêché  :  et  maintenant 
il  lui  faut  quitter  sa  cathédrale  pour  la  reconstruire  à  neuf; 
il  en  aura  une  d'emprunt,  l'église  des  Récollets,  sans  savoir 
pour  combien  de  temps  : 

«  L'église  paroissiale  de  Québec,  qui  sert  de  cathédrale  ^^, 
écrit  à  la  Cour  M.  de  Léry,  est  à  présent  trop  petite  ;  et  la 
charpente  étant  pourrie,  M.  l'Evêque  a  pris  la  résolution, 
suivant  l'avis  de  M.  le  général  et  de  MM.  l'intendant  et  les 
marguilliers  ^-,  d'en  faire  une  autre  plus  grande,  avec  des 


10.  Corresp.  générale,  vol.  91,  lettre  de  La  Galissonnière  et  Bigot  au 
ministre,  14  septembre  1748. 

11.  Remarquons  cette  expression,  qui  rend  bien  le  sentiment  public  à 
cette  époque:  l'église  paroissiale  avait  été  élevée  à  la  dignité  de  cathé- 
drale ;  mais  personne  ne  se  serait  avisé  de  dire  qu'elle  avait  été  "  sup- 
primée ". 

12.  Pas  un  mot  des  Chanoines  :  l'Evêque  ne  paraît  pas  leur  avoir 
demandé  leur  "  avis  "  pour  la  reconstruction  de  "  leur  église  ". 


sous    M""^    DE    PONTBRIAND  93 

bas-côtés,  sur  le  même  terrain  de  la  fabrique  ^^.  Le  peuple 
de  cette  ville  augmente  tous  les  ans.  Il  m'a  demandé  un 
plan,  et  de  vouloir  conduire  l'ouvrage  :  ce  que  j'ai  fait  avec 
grand  plaisir.  On  a  fait  cette  année  les  bas-côtés,  la  sacris- 
tie ;  et  le  chœui  est  élevé  environ  à  la  moitié  de  sa  hau- 
teur. 

«  Je  lui  ai  remis  les  plans,  élévations  et  profils,  et  aussi 
le  plan  de  l'ancienne  église  :  il  m'a  dit  qu'il  vous  les 
enverrait. 

<f  M.  Jacrau,  curé,  ajoute  M.  de  Léry,  vient  de  me  faire 
voir  dans  les  registres  de  baptêmes,  enterrements  et  ma- 
riages, que  le  peuple  de  la  ville  augmentait  tous  les  ans  de 
cent  trente  personnes.  J'ai  interrogé  plusieurs  curés  des 
paroisses  de  la  campagne  :  ils  m'ont  tous  dit  que  dans  leurs 
paroisses  les  habitants,  à  proportion,  augmentaient  davan- 
tage ^*  .  .  ,  » 

Les  travaux  de  la  cathédrale,  commencés  en  1745,  ne  se 
terminèrent  qu'en  1748:  tant  les  ressources  pécuniaires 
faisaient  défaut  ! 

Avec  la  permission  de  M^""  de  Pontbriand,  les  ornements 
de  l'église  furent  transportés  au  palais  épiscopal  ;  et  c'est 
là  aussi  que  se  tinrent  les  assemblées  du  Chapitre  tout  le 
temps  de  la  reconstruction  ^^ 

Le  pieux  Prélat  avait  espéré  que  la  Cour  lui  viendrait 
en  aide.  Il  avait  prié  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  de  présenter 
une  requête  au  ministre  à  ce  sujet  et  de  lui  dire  en  même 
temps  où  en  étaient  les  travaux  : 

«M.  l'Evêque  me  mande,  écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à 
M.  de  Maurepas,  que  le  quart  de  la  maçonnerie  est  déjà 
fait,  que  cette  dépense  ira  à  quatre-vingt  mille  francs,  que 


13.  Les  chanoines  prétendront  plus  tard  que  c'est  "  leur  terrain  ",  de 
par  la  bulle  de  1674. 

14.  Corresp.  générale,  vol.  84,  lettre  au  ministre,  9  novembre  1745. 

15.  Registre  du  Chapitre. 


94  l'êguse  du  canada 

cette  construction  sera  finie  en  1747,  si  la  guerre  ne  traverse 
pas  ses  opérations,  et  que  la  colonie  ne  demande  que  vingt- 
cinq  mille  francs  pour  lui  aider  à  parachever  cette  cathé- 
drale ^^.    .  » 

L'Evêque  comptait-il  beaucoup  sur  l'aide  de  la  Cour? 
Nous  ne  le  croyons  pas.  Il  comptait  beaucoup  plus,  et 
avec  raison,  sur  la  générosité  des  Canadiens.  Il  écrit  lui- 
même  an  ministre  dans  l'automne  de  1746: 

«  Je  prévois  par  votre  silence  sur  la  bâtisse  de  la  paroisse 
et  cathédrale  de  Québec  ^"^j  que  vous  n'approuvez  point 
cette  entreprise,  ou  que  vous  ne  voulez  pas  nous  aider  dans 
l'énorme  dépense  qu'il  sera  nécessaire  de  faire  pour  y 
rénssir.  Je  vous  prie  de  vous  rappeler  qu'il  est  prouvé  que 
l'ancienne  menaçait  ruine,  qu'il  était  nécessaire  d'y  pour- 
voir, que  M.  l'Intendant  pensait  qu'on  n'y  était  pas  en 
sûreté,  que  tous  les  experts  l'ont  assuré.  Je  sais  que  les 
temps  ne  sont  pas  favorables,  quoiqu'après  tout  il  paraît 
que  les  bonnes  oeuvres  devraient  se  multiplier  à  proportion 
que  les  conjonctures  sont  plus  tristes. 

«  Que  si  la  somme  que  j'ai  pris  la  liberté  de  vous  deman- 
der vous  paraît  trop  considérable,  vous  pourriez  fixer  trois 
mille  francs  par  an.  Cela  nous  mettrait  en  état  d'emprun- 
ter, et,  avec  les  rentes  de  l'église,  de  rembourser  dans  six 
ou  sept  ans.  Vous  voyez,  monsieur,  que  je  ne  me  rebute 
point  ;  j'espère  même  toujours  ;  et  il  me  faudrait,  je  pense, 
un  ordre  bien  précis  de  votre  part  pour  ne  pas  espérer. 
Nous  avons  déjà  dépensé  douze  ou  treize  mille  francs  ^®. .  .  » 


16.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  du  26  février  1746. 

17.  Ainsi,  dans  l'idée  de  Mgr  de  Pontbriand,  qui  s'exprime  d'une  ma- 
nière on  ne  peut  plus  claire,  cette  église  est  à  la  fois  "  paroisse  et  cathé- 
drale ". 

18.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  du  10  novembre  1746. 


sous   M^'   DK    PONTBRIAND  95 


* 


Les  bonnes  œuvres  devraient  se  mit liip lier  à  proportion 
que  les  conjonctures  sont  plus  tristes .  .  .  Elles  sont  bien 
tristes,  en  effet,  les  conjonctures  de  l'heure  présente  :  la 
prise  de  Louisbourg-  (17  juin  1745)  par  les  Anglais,  qui  leur 
ouvre  l'entrée  du  golfe  Saint-Laurent;  l'Ile  Royale,  perdue 
par  la  faute  du  gouverneur  Du  Quesnel,  «  homme  capri- 
cieux, inégal,  sujet  à  boire,  et  ne  connaissant  dans  le  vin 
ni  mesure,  ni  bienséance  *^,  »  par  la  faute,  également,  de 
l'ordonnateur  Bigot,  dont  les  exactions  ont  mis  en  révolte 
les  soldats  de  la  garnison,  comme  elles  soulèveront  plus 
tard  l'indignation  des  Canadiens  ;  la  confiance,  cependant, 
dont  cet  habile  coquin  jouit  à  la  cour,  où  il  paraît  faire  la 
pluie  et  le  beau  temps  '^^  ;  la  perte  de  la  flotte  du  duc 
d'Anville,  qui  a  été  envoyé  par  la  France  pour  reprendre 
Louisbourg,  et  a  vu  ses  vaisseaux  dispersés  par  une  tem- 
pête près  de  l'île  de  Sable  (14  septembre  1746). 

Voilà  pour  la  colonie. 

Mais  les  conjonctures  de  l'heure  présente  ne  sont  pas  moins 
tristes  pour  la  France.  Les  esprits  sages  regrettent  de  la 
voir  engagée  dans  une  des  guerres  les  plus  incohérentes  ^' 
et  les  moins  pratiques  qu'elle  ait  jamais  entreprises  :  la 
guerre  de  la  Succession  d'Autriche  ^2.  Ils  regrettent  encore 
plus  de  voir  le  Roi,  délivré  de  la  tutelle  gênante  du  cardi- 


19.  Louisbourg  en  1745,  Toronto,  1897,  ?•  i5- 

20.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  59  à  64. 

21.  Quoi  de  plus  incohérent,  par  exemple,  que  les  ordres  partis  de 
Versailles,  ordonnant  à  l'armée  française  de  s'éloigner  de  Vienne,  qui 
lui  est  ouverte,  pour  entrer  en  Bohême?  L'armée  s'empare  de  Prague; 
mais  elle  reçoit  aussitôt  l'ordre  d'en  sortir,  et,  dans  la  fameuse  Retraite 
de  Prague,  qui  dure  dix  jours,  elle  ne  perd  pas  moins  de  quatre  mille 
hommes,  qui  périssent  de  froid  et  de  misère! 

22.  Le  Clergé  de  France  fut  "  invité  "  à  souscrire  quinze  millions  de 
francs  pour  cette  guerre!  {Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  357). 


96  l'âglise  du  canada 

nal  de  Fleury,  sacrifier  son  honneur  et  sa  santé  à  de  hon- 
teux déportements.  Une  maladie  grave  vient  tout-à-coup 
le  clouer  sur  un  lit  de  douleur  :  il  rentre  en  lui-même  et 
brise  les  liens  honteux  qui  Penchaînent,  mais  retourne 
bientôt  à  ses  égarements  scandaleux! 

M^^  de  Pontbriand,  qui  est  au  fait  de  tout,  se  sent  navré 
de  douleur.  Autant  il  a  partagé  l'enthousiasme  de  la 
France,  qui,  au  début  du  règne  de  Louis  XV,  lui  a  décerné 
le  titre  de  Bten-aimé^  autant  il  déplore  les  faiblesses  et  les 
égarements  du  Roi.  N'allons  pas  croire,  toutefois,  qu'il 
laissera  rien  voir  à  ses  diocésains:  il  respecte  trop  l'auto- 
rité pour  chercher  à  l'ébranler  et  à  la  détruire.  Il  profite, 
au  contraire,  de  toutes  les  occasions  pour  l'exalter.  Ah, 
comme  il  aime  son  Roi,  comme  il  aime  la  France,  ce  pieux 
et  saint  Evêque!  Quel  patriotisme  respire  dans  tous  ses 
mandements  !  Voyez,  par  exemple,  comment  il  parle  de  la 
maladie  qui  a  failli  emporter  Louis  XV  : 

«  La  victoire  le  suivait,  dit-il,  lorsqu'une  maladie  dange- 
reuse, en  le  frappant,  consterna  toute  la  France  ;  l'ennemi 
même  était  contraint  de  plaindre  un  Etat  sur  le  point  de 
perdre  un  souverain  si  grand,  si  aimé  et  si  digne  de  l'être. 
Sorti  des  portes  de  la  mort,  il  se  remet  à  la  tête  des  troupes 
et  force  de  nouvelles  places  '^^.  » 

Et  voyez  maintenant  comment  il  parle  de  la  belle  con- 
duite de  Louis  XV  à  Fontenoy,  «  Fontenoy  (11  mai  1745), 
la  dernière  grande  bataille  de  la  monarchie,  et  la  dernière 
grande  victoire  du  Drapeau  blanc  !  »  écrit  quelque  part  M. 

de  Falloux  ^*: 

((  Chaque  action  de  Sa  Majesté,  dit  M^  de  Pontbriand, 

a  été  pour  nous  un  nouveau  motif  d'admiration,  d'amour, 

de  respect  et  de  fidélité.     La  dernière  nuit  passée  à  Calonne 


23.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  43,  20  juin  1745. 

24.  Le  Correspondant  de  1888,  t.  III,  p.  77. 


sous   M»''   DE    PONTBRIAND 


97 


nous  a  fourni  une  occasion  d'admirer  la  soumission  d'un 
fils,  la  tendresse  d'un  père,  la  valeur  d'un  Roi,  qui  ne  preud 
son  repos  que  comme  le  plus  simple  soldat  de  son  armée  ^5.  » 

Quel  patriotisme,  surtout,  dans  le  mandement  du  17 
juillet  1746,  où  le  pieux  Prélat  résume  les  succès  de  la 
France  dans  cette  fameuse  guerre  européenne  !  Ah,  comme 
nos  Canadiens  devaient  être  enthousiasmés  en  entendant, 
ou  plutôt  en  voyant  se  dérouler  devant  eux  cette  série  de 
victoires  françaises  ! 

«  Depuis  la  victoire  de  Fontenoy,  écrit  l'Evêque,  la  prise 
de  Tournay,  et  de  sa  citadelle,  Gand,  après  une  nouvelle 
déroute  de  six  mille  Anglais  et  Hanovriens,  a  été  enlevé, 
Gramont  soumis,  Alost  rendu,  Ninove  conquise,  Bruges  a 
ouvert  ses  portes,  Ostende,  ce  boulevard  maritime  des 
ennemis,  Ostende,  qui  avait  autrefois  si  glorieusement  sou- 
tenu un  siège  de  plus  de  trois  ans,  est  obligée  de  recon- 
naître les  drapeaux  français;  Nieuport,  Ath,  Malines, 
Louvain  ont  suivi  cet  exemple.  Enfin,  Bruxelles,  cette 
capitale  du  Brabant,  défendue  par  une  garnison  de  quinze 
mille  hommes  choisis,  couronne  au  milieu  de  l'hiver  les 
conquêtes  du  Roi.»  ^^ 

«  Reconnaissons,  écrit  ailleurs  le  Prélat,  dans  les  victoires 
que  Sa  Majesté  a  remportées,  le  doigt  de  Dieu  qui  protège 
la  France.  »  ^^ 

Aussi,  avec  quel  bonheur  s'empresse-t-il  d'ordonner  un 
Te  Deîtm  dans  sa  cathédrale  et  dans  toutes  les  ésrlises  de 
son  diocèse  chaque  fois  que  le  Roi  lui  écrit  directement 
pour  lui  annoncer  ses  victoires  ^s^  ou  qu'il  en  est  prié  par  le 
gouverneur  et  l'intendant  du  Canada,  «voulant  entrer,  dit- 


25.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  49,  14  mai  1746. 

26.  Ihid.,  t.  II,  p.  52,  17  juillet  1746. 

27.  Ihid.,  p.  55,  20  novembre  1746. 

28.  Ihid.,  p.  53,  65,  120. 

7 


98  »  l'église  du  canada 

il,  dans  les  vues  aussi  pieuses  que  respectables  de  ceux  que 
Sa  Majesté  a  placés  à  la  tête  de  cette  colonie,  et  qiie  nous 
ne  saurions  posséder  trop  longtemps  '^^.  » 

Et  quand  la  paix  a  sonné,  la  fameuse  paix  d'Aix-la- 
Chapelle  (1748),  où  le  Roi,  avec  un  étrange  désintéres- 
sement, sacrifie  toutes  ses  conquêtes  et  se  contente  de  la 
reddition  de  Louisbourg  à  la  France  ^^,  il  a  soin  de  dire  un 
mot  pour  excuser  cet  inexcusable  désintéressement,  et  fait 
ressortir  en  même  temps  l'esprit  religieux  qui  n'abandonna 
jamais  Louis  XV,  même  au  milieu  de  ses  déportements  : 

«  Notre  auguste  monarque,  dit-il,  attendri  sur  les  mal- 
heurs irréparables  de  la  guerre  même  la  plus  juste,  s'arrête 
au  milieu  de  ses  succès,  sacrifie  le  plus  grand  nombre  de 
ses  conquêtes,  pour  procurer  à  son  peuple  une  tranquillité 
parfaite.  Prince  véritablement  chrétien,  loin  de  s'en  attri- 
buer la  gloire,  il  reconnaît  qu'elle  est  un  don  précieux  et 
nous  invite  à  en  marquer  à  Dieu  notre  reconnaissance.  » 

Le  Prélat  ordonne  alors  «un  7e  Deiim  pour  la  paix», 
ainsi  que  les  prières  demandées  par  Louis  XV  : 

«  Il  sera  chanté,  dit-il,  dans  notre  église  cathédrale  de 
Québec  et  dans  les  églises  paroissiales  de  Montréal  et  des 
Trois-Rivières  un  Te  Deion  en  actions  de  grâces  de  la 
paix  ;  ordonnons  de  plus  qu'il  sera  fait  dans  les  dites  trois 
églises  un  service  solennel  pour  le  repos  des  âmes  de  ceux 
qui  sont  morts  à  la  guerre  ^^.  « 

Au  lendemain  de  la  prise  de  Louisbourg,  en  1745,  on 
avait  cru  que  les  Anglais,  profitant  de  leur  victoire,  allaient 
remonter  le  Saint-Laurent  jusqu'à  Québec  et  s'emparer  du 


29.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  p.  50,  14  mai  1746. 

30.  "  Date  tristement  mémorable,  écrit  Thureau-Dangin  à  propos  du 
traité  d'Aix-la-Chapelle,  car  elle  marque  exactement  le  point  d'arrêt 
dans  le  développement  de  la  grandeur  française,  et  l'instant  oii  la  des- 
cente commence.  "  {Les  précédents  de  la  diplomatie  Prussienne,  dans  le 
Correspondant  du  10  janvier  1883,  P-  n).- 

31.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  Il,  p.  65,  10  juillet  1749. 


sous    M»'^   DE    PONTBRIAND  99 

Canada  :  ils  s'en  étaient  vantés  ^-,  ils  espéraient  chasser 
avant  longtemps  les  Français  de  l'Amérique  du  Nord,  ils 
le  désiraient.  Quelle  belle  occasion  pour  notre  grand 
Evêque  patriote  de  fortifier  le  patriotisme  des  Canadiens, 
en  leur  rappelant  ce  qu'ils  doivent  à  la  France,  la  fille  aî- 
née de  l'Eglise,  ce  qu'ils  ont  à  craindre  de  la  protestante 
Angleterre  ! 

«  Nous  espérons,  dit-il,  que  ces  vaines  espérances  dont  ils 
se  flattent  s'évanouiront  bientôt  par  votre  valeur;  que, 
sujets  du  meilleur  de  tous  les  Rois,  on  ne  pourra  jamais 
vous  en  faire  reconnaître  un  autre  que  celui  qui  a  établi 
cette  colonie,  qui  la  soutient  et  qui  la  soutiendra.  Toute 
autre  domination  vous  paraîtrait  d'autant  plus  odieuse  que 
les  peuples  y  sont  accablés  d'impôts.  D'autres  motifs  plus 
élevés  vous  porteraient  à  résister  avec  courage  à  leurs  plus 
opiniâtres  attaques. . .  La  Religion  seule  nous  animerait, 
nous  soutiendrait  et  nous  donnerait  des  forces.  Pourrions- 
nous  jamais  consentir  que  nos  enfants  fussent  élevés  au 
milieu  de  l'hérésie,  que  nos  églises  fussent  renversées,  nos 
vases  sacrés  profanés  ^^,  les  ministres  du  Seigneur  proscrits, 
et  nous-mêmes  privés  des  sacrements  augustes  de  la  Reli- 
gion, sans  lesquels  il  nous  serait  comme  impossible  de  vivre 
chrétiennement  ^  ?  » 

Certes,  un  évêque  patriote  et  dévoué  comme  M^  de 
Pontbriand  méritait  bien,  ce  semble,  que  la  Cour  écoutât 
avec  bonté  l'humble  supplique  qu'il  lui  avait  adressée  pour 


32.  "  Les  Anglais  nous  menacent  de  venir  assiéger  Québec  l'année 
prochaine  (1746),  ils  font  des  préparatifs  pour  cela;  et  on  se  dispose  ici 
a  les  recevoir.  (Lettres  de  la  Sœur  Duplessis). 

33.  "  Les  Anglais  ont  pillé  plusieurs  établissements  français  vers  l'em- 
bouchure du  fleuve  Saint-Laurent,  et  leur  impiété  leur  a  fait  profaner 
les  vases  sacrés  d'une  église  qu'ils  avaient  brûlée."  (Ibid). 

34.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  44,  20  juin  1745. 


loo  l'église  du  canada 

obtenir  quelques  secours  pour  le  rétablissement  de  sa  cathé- 
drale. Les  temps  étaient  mauvais,  il  est  vrai,  et  dans  l'an- 
cienne et  dans  la  nouvelle  France.  Mais,  comme  il  le  dit 
lui-même,  «  les  bonnes  œuvres  ne  devaient-elles  pas  se  multi- 
plier à  proportion  que  les  conjonctures  étaient  plus  tristes?  ^> 
Eh  bien,  à  l'humble  demande  qu'il  avait  fait  présenter  à 
la  Cour  par  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  pour  obtenir  une  aide  de 
vingt-cinq  mille  francs,  il  fut  répondu  sèchement  : 

((  Il  est  assez  extraordinaire  qu'on  se  soit  déterminé,  dans 
des  conjonctures  aussi  peu  favorables  pour  les  dépenses,  à 
entreprendre  d'agrandir  la  cathédrale  de  Québec.  En  tout 
cas,  le  Roi  ne  peut  contribuer  à  ces  dépenses  -^.  » 

Le  pieux  Evêque  en  fut  quitte  pour  se  tourner  vers  ses 
bons  Canadiens,  sur  lesquels  il  avait  toujours  compté  avant 
tout,  et  dont  il  avait  admiré,  dans  ses  visites,  «  le  zèle  pour 
la  décoration  des  églises.  »  On  est  touché  aux  larmes  en 
lisant  le  beau  mandement  où  il  leur  rappelle  les  principaux 
souvenirs  que  leur  offre  la  vieille  église  de  Québec,  et  spé- 
cialement ceux  de  M^^  de  Laval  et  de  ses  pieux  collabora- 
teurs du  Séminaire  : 

«  Vous  n'ignorez  pas,  Nos  Très  Chers  Frères,  dit-il,  la 
nécessité  où  nous  avons  été  de  faire  entreprendre  la  cons- 
truction de  réglise  de  Québec,  dont  la  charpente  menaçait 
une  ruine  prochaine...  L'ouvrage  est  déjà  avancé.  La 
dépense  faite  se  monte  à  près  de  quarante  mille  livres.  Nos 
fonds  sont  épuisés,  et  nous  ne  voyons  presque  aucune  res- 
source. Des  personnes  respectables  nous  ont  assuré  que 
les  fidèles  de  notre  diocèse  contribueraient  de  grand  cœur  à 
cette  pieuse  entreprise,  si  on  leur  en  exposait  les  motifs: 
c'est  ce  qui  nous  détermine  à  vous  les  mettre  devant  les 
yeux,  ce  que  nous  faisons  d'autant  plus  volontiers  que  nous 
avons  connu  dans  nos  visites  votre  zèle  pour  la  décoration 
des  temples  du  Dieu  vivant. 

35.  Rapport. . .  pour  IÇ05,  p.  67. 


sous    M^   DE    PONTBRIAND  lOI 

«  Il  s'agit  du  premier  qui  a  été  élevé  dans  cette  colonie 
eu  son  honneur,  et  qui  est  comme  le  berceau  où  la  Religion 
a  pris  naissance.  C'est  là  oii  les  premiers  Français,  vos 
ancêtres,  se  sont  consacrés  au  Seigneur  ;  il  en  renferme 
encore  les  ossements,  qui  vous  invitent  à  contribuer  au 
bâtiment  de  cette  église.  Elle  est  plus  à  portée  que  les 
autres  d'être  vue  par  les  étrangers,  qui  seront  édifiés  s'ils  la 
voient  dans  un  état  convenable.  .  .  Elle  est  consacrée  au 
Tout-Puissant  sous  l'invocation  de  la  Très-Sainte  Vierge, 
protectrice  spéciale  de  ce  diocèse  ;  c'est  sous  le  titre  de  son 
Immaculée  Conception,  titre  qui  lui  est  infiniment  hono- 
rable :  c'en  est  assez  pour  animer  le  zèle  des  véritables 
serviteurs  de  Marie.  En  est-il  un  seul  parmi  vous,  Nos 
Très  Chers  Frères,  qui  ne  se  fasse  honneur  de  cette  glorieuse 
qualité? 

«  Elle  renferme  encore,  cette  église,  des  reliques  pré- 
cieuses, auxquelles  ce  diocèse  a  eu  si  souvent  recours,  et 
toujours  avec  succès  ^^.  .  .  C'est  dans  cette  église  que 
sont  inhumés  les  premiers  apôtres  du  Canada,  qui  ont 
élevé  la  jeunesse,  qui  ont  formé  des  prêtres  pour  les  répan- 
dre dans  les  campagnes,  qui  ont  fondé  des  places  pour  leur 
instruction  :  places  qui  subsistent  encore  et  sans  lesquelles 
il  nous  serait  impossible  de  fournir  des  curés  aux  paroisses. 
Il  me  semble  que  ces  illustres  fondateurs  demandent 
aujourd'hui  que  par  reconnaissance  vous  preniez  soin  de 
cette  église  qui  leur  a  toujours  été  précieuse  et  oii  reposent 
leurs  corps. 

«  D'ailleurs  l'endroit  où  nous  sommes  à  présent  réduit  *^ 
ne  permet  pas  de  célébrer  les  divins  mystères  avec  la  pompe 


^  36.  Il  s'agit  surtout  ici  des  reliques  des  saints  martyrs  Flavien  et  Féli- 
cité,  qui   étaient   souvent  exposées,   et  portées   en  procession   dans  les 
églises  de  la  ville.  (Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  31,  33, 
36,  114). 
37.  L'église  des  Récollets,  qui  servait  temporairement  de  cathédrale. 


I02  I^'ÉGLISE   DCJ   CANADA 

et  la  décence  convenables  ;  plusieurs  ne  peuvent  assister 
aux  instructions,  faute  de  place.  Ne  doit-il  pas  être  bien 
consolant  pour  vous  de  pouvoir  contribuer  à  la  gloire  de 
Dieu  et  au  salut  du  procbain?  C'est  sûrement  ce  que  vous 
ferez  en  contribuant  à  la  perfection  de  cette  église  ^^.  » 

Le  Prélat  expose  ensuite  à  ses  diocésains  ce  qu'est  pour 
eux,  comme  cathédrale,  l'église  paroissiale  de  Québec; 
puis  il  ordonne  une  quête  générale  qui  sera  faite  dans 
toutes  les  paroisses  de  son  diocèse  ;  et  il  exhorte  les  curés 
à  la  faire  eux-mêmes. 

La  quête  rapporta  environ  dix  mille  livres,  somme  rela- 
tivement considérable,  si  l'on  considère  la  période  de 
détresse  que  venait  de  traverser  la  colonie,  insuffisante, 
toutefois,  pour  le  parachèvement  de  la  cathédrale.  M^^  de 
Pontbriand  se  vit  obligé  de  faire  un  nouvel  appel  à  ses 
ouailles,  cette  fois  sous  forme  d'invitation  «  à  fonder  des 
messes  dans  la  cathédrale  de  Québec  ».  De  concert  avec 
M.  de  La  Galissonnière,  qui  venait  de  remplacer  M.  de 
Beauharnais,  et  avec  M.  Hocquart,  «  que  je  vois  partir  avec 
regret  ^^  »,  disait-il,  le  Prélat  autorisa  la  Fabrique  de  Qué- 
bec à  se  charger  de  cent  cinquante  messes  de  fondation. 
Le  capital  requis  pour  la  fondation  d'une  messe  à  perpé- 
tuité était  de  quatre-vingt-dix  francs.  On  donnait  «  contrat 
en  bonne  forme  »  aux  fondateurs  de  chaque  messe  :  «  étant 
annoncée  au  prône  des  grand'messes,  disait  le  Prélat,  elle 
les  fera  regarder  comme  bienfaiteurs  de  l'église,  et  elle  en- 
gagera jusqu'à  la  fin  des  siècles  les  fidèles  à  prier  pour 


eux  *^.  M 


Le  saint  Evêque  était  vraiment  inlassable  dsns  sa  re- 
cherche des  expédients  les  plus  propres  à  lui  procurer  les 

38.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  57,  22  janvier  1748. 

39.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  au  ministre,  9  octobre  1748. 

40.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  60,  16  juillet  1748. 


sous    M»^   DE    PONTBRIAND  IO3 

ressources  nécessaires  pour  terminer  son  église.  Ses  efforts 
furent  couronnés  de  succès,  M.  de  Léry  écrivait  au  mi- 
nistre le  28  octobre  1748  : 

«  La  cathédrale,  qui  sert  de  paroisse,  sera  finie  au  15  du 
mois  prochain.  Elle  est  deux  tiers  plus  grande  que  l'an- 
cienne. On  a  trouvé  une  inscription  dans  les  fondements: 
il  y  avait  quatre-vingt-seize  ans  qu'elle  était  faite.  C'était 
M.  de  Montmagny  qui  était  gouverneur  dans  le  temps  *^ 
Elle  est  faite  comme  celles  de  France,  avec  nef,  bas-côtés  et 
tribunes  .  .  Elle  est  fort  claire,  y  ayant  trente-six  grandes 
croisées  "*-...  » 

«  Je  me  suis  considérablement  endetté,  écrivait  également 
M^^  de  Pontbriand,  pour  finir  l'église  cathédrale  et  parois- 
siale de  Québec.  Je  compte  que  nous  y  serons  vers  la 
Toussaint.  Je  prévois  encore  beaucoup  de  dépenses.  Mes 
visites,  que  je  compte  recommencer  l'année  prochaine,  me 
coûteront  plus  de  quatre  mille  livres.  Depuis  que  je  suis 
dans  ce  pays,  la  famine,  la  guerre  se  sont  fait  sentir.  M. 
Hocquart  peut  vous  dire  si  mon  revenu  est  suffisant  *^.  . .  » 

L'église,  telle  que  reconstruite,  se  trouvait  allongée  de 
trente  pieds  du  côté  du  chœur  ;  et  par  conséquent  les  restes 
mortels  du  vénérable  M^^  de  Laval  et  de  M^"^  de  Lauberi- 
vière.  qui  avaient  été  inhumés  «  l'un  à  côté  de  l'autre,  » 
e  premier  en  1708,  le  second  en  1740,  «  dans  le  chœur  de 
^ancenne  église,  au-dessous  de  la  première  marche  du 
grand  autel  »,  se  seraient  trouvés  «  dans  la  nef  »  de  la  nou 
velle  église,  si  on  les  avait  laissés  où  ils  étaient.  Il  fut 
donc  décidé  qu'il  fallait  les  exhumer,  pour  les  mettre  «  dans 
la  même  ordre  qu'ils  étaient  auparavant  »,  de  manière  qu'ils 
fussent  encore  «  à  un  pied  et  demi  au-dessous  de  la  première 


41.  Il  fut  gouverneur  du  Canada,  de  1636  à  1648. 

42.  Corespondance  générale,  vol,  92. 

43.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  au  ministre,  9  octobre  1748. 


ÎT& 


104  L'EGLISE   DU   CANADA 

marche  du  grand  autel  dans  le  milieu  du  chœur  de  l'église 
nouvellement  bâtie  ». 

La  cérémonie  eut  lieu  le  24  septembre  1748,  «sur  les 
trois  heures  après-midi,  »  sous  la  présidence  de  M.  de  La 
Ville-Angevin,  «  chanoine  théologal  et  officiai  de  Québec,  » 
assisté  des  chanoines  Godefroi  de  Tonnancour  et  Poulin, 
«  MM.  les  autres  chanoines,  duement  avertis,  n'ayant  pu 
s'y  trouver.  «  M.  de  La  Ville-Angevin  bénit  la  fosse, 
chanta  le  Libéra  avec  les  oraisons  convenables,  puis  dressa 
du  tout  un  procès- verbal,  dans  lequel  on  lit  ce  qui  suit  : 

((  Avons  pris  et  retiré  trois  os  des  vertèbres  du  corps  de 
mon  dit  Seigneur  de  Lauberivière,  par  ordre  exprès  de 
mon  dit  Seigneur  de  Pontbriand,  évêque  de  Québec,  en 
présence  des  dits  MM.  les  chanoines,  du  sieur  LeBansais, 
faisant  les  fonctions  curiales  dans  la  dite  église,  du  sieur 
Roussel,  ancien  marguillier,  et  préposé  à  la  construction 
de  l'édifice  de  la  dite  nouvelle  église,  et  de  plusieurs  per- 
sonnes auxquelles  nous  avons  déclaré  publiquement  que 
par  l'ordre  de  mon  dit  Seigneur  de  Pontbriand  nous  ne 
prenions  les  dits  trois  os  des  vertèbres  du  corps  de  mon  dit» 
Seigneur  évêque  de  Lauberivière  que  pour  les  remettre  à 
Sa  Grandeur  ^*.  » 

M°^  de  Pontbriand  s'était  entendu  avec  le  Chapitre  pour 
la  manière  de  poser  le  maître-aute)  et  les  stalles  du  chœur. 

Le  Chapitre,  qui  lui  avait  déjà  donné  deux  cents  francsj 
au  commencement  des  travaux  '*^,  décida  d'offrir  encore 
«  à  M^^  l'Evêque  ou  au  marguillier  en  charge  >^  la  somme  de 
six  cent  soixante-douze  livres,  pour  l'église,  «  par  reconnais- 
sance des  grandes  libéralités,  soins  et  gracieuses  manières 
de  mon  dit  Seigneur  évêque,  qui  s'épuise,  disent  les  cha- 
noines, pour  orner  son  église  ». 


44.  Registre  du  Chapitre. 

45.  Ibid.,  assemblée  du  13  octobre  1745. 


sous   M^r   DE   PONTBRIAND  I05 

La  séance  où  cette  résolution  fut  prise  était  la  première 
qui  se  tenait  «  depuis  l'entrée  dans  la  nouvelle  église  ». 
Elle  eut  lieu  «  dans  la  Chambre  du  Chapitre  au-dessus  de 
la  sacristie  »,  et  c'est  là  qui  se  tinrent  désormais  les  assem- 
blées des  chanoines. 

Nous  avons  vu  que  les  RR.  Pères  Récollets,  pendant 
les  travaux  de  la  reconstruction  de  la  cathédrale,  avaient 
mis  généreusement  leur  église  à  la  disposition  de  l'Evêque, 
du  Chapitre  et  de  la  paroisse.  L'office  paroissial  s'y  fit 
pour  la  dernière  fois  le  premier  décembre  (1748),  qui 
se  trouvait  être  le  premier  dimanche  de  l'Avent.  «  En 
prenant  congé  des  révérends  Pères,  et  sortant  de  leur  église, 
pour  retourner  à  l'église  cathédrale,  »  M.  de  La  Ville- 
Angevin,  «  à  la  tête  du  Chapitre  et  du  Clergé  »,  leur 
adressa  le  compliment  suivant  : 

«  Mes  Très  Révérends  Pères,  C'est  avec  toute  la  sincé- 
rité possible  que  nous  vous  remercions  de  l'honnêteté  que 
vous  avez  eue  pour  nous,  en  nous  recevant  dans  votre 
église,  des  bons  et  agréables  services  que  vous  nous  avez 
rendus.  Nous  avons  tous  été  édifiés  de  vos  gracieusetés, 
de  votre  charité  et  de  vos  vertus.  Nous  en  conserverons 
toujours  et  la  mémoire  et  la  reconnaissance,  et  nous  cher- 
cherons à  notre  tour  et  saisirons  toutes  les  occasions  de 
vous  en  donner  des  marques.  Pour  cela,  nous  le  porterons 
sur  nos  registres,  afin  que  ce  soit  et  pour  nous,  et  pour 
ceux  qui  nous  succéderont  un  mémorial  éternel,  qui  en- 
tretienne et  fortifie  toujours  la  paix  et  l'union  entre  les 
deux  corps,  et  qui  les  engage  à  prier  continuellement  l'un 
pour  l'autre,  pour  qu'ils  puissent  se  réunir  un  jour  dans  la 
demeure  éternelle  du  Père  commun  de  tous,  à  laquelle 
nous  aspirons  tous.     Ainsi  soit-il  ^^,  » 

De  son  côté,  M°^  de  Pontbriand,  voulant  témoigner  sa 

46.  Registre  du  Chapitre,  assemblée  du  13  décembre  1748. 


I06  l'église    du   CANADA 

reconnaissance  aux  bons  Pères  Récollets,  résolut  de  con- 
sacrer solennellement  leur  église.  L<a  cérémonie  eut  lieu, 
avec  un  grand  concours  de  peuple,  le  ii  mai  1749;  et 
Pautorité  militaire  prêta  son  concours  pour  la  rendre  encore 
plus  brillante  et  plus  solennelle  : 

«  On  a  tiré  du  canon  pendant  la  messe,  dit  une  chronique, 
et  au  salut  une  salve  de  vingt  et  un  coups  ^l  » 

*     * 

La  cathédrale  de  M»^'  de  Pontbriand,  sans  être  un  chef- 
d'œuvre,  était  belle,  du  moins  pour  l'époque  : 

«  Vous  trouverez  une  nouvelle  et  belle  église,  dont  vous 
serez  content,»  écrivait  un  chanoine  à  l'un  de  ses  confrères 
alors  en  France  ^^. 

On  y  réinstalla,  cela  va  sans  dire,  le  trône  de  l'Evêque, 
qui  était  le  plus  bel  ornement  de  l'ancienne  cathédrale,  et 
qui  avait  été  «  donné  par  le  Roi  »  ^^. 

En  1753,  on  plaça  dans  l'église  de  magnifiques  orgues, 
fabriquées  à  Paris  sur  l'ordre  du  chanoine  de  La  Corne,  au 
nom  du  Chapitre  de  Québec,  pour  lesquelles  M^^  de  Pont- 
briand, dans  son  inépuisable  générosité,  avait  souscrit  douze 
cents  francs  : 

((  Je  n'ai  pas  reçu  l'orgue,  écrivait  à  ses  confrères  M.  de 
La  Corne,  sans  l'avoir  fait  visiter  et  toucher  par  un  habile 
organiste,  qui  est  celui  même  uu  roi  de  Pologne  ^^.  » 

Ce  nouvel  orgue  ajoutait  encore  de  l'éclat  à  la  nouvelle 
cathédrale  de  M^^  de  Pontbriand  ^^ 


47.  Journal  des  Jésuites,  cité  dans  UAheilîe,  vol.  XI,  p.  42. 

48.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  201,  lettre  de  M.  de  La  Ville- 
Angevin  au  chanoine  De  Gannes-Falaise,  30  octobre  1748. 

49.  Ihid.,  p.  362. 

50.  Ihid.,  p.  361.  . 

51.  Nous  avons  cherché  en  vain  dans  les  documents  quel  était  l'orga- 
niste, à  cette  époque.  Nous  croyons  cependant  que  c'était  M.  Resche,  et 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  IO7 

Mais  ce  qui  faisait  sa.  principale  beauté,  aux  yeux  du 
Prélat,  c'est  que  toute  la  colonie  y  avait  contribué:  les 
communautés  religieuses  elles-mêmes  avaient  donné  leur 
obole.  Il  y  a  à  ce  sujet  un  petit  détail  que  nous  ne  vou- 
lons pas  omettre,  parce  qu'il  nous  reporte  aux  beaux  jours, 
aux  jours  héroïques  de  Marie  de  l'Incarnation.  On  sait 
que  cette  sainte  religieuse  aimait  à  travailler  pour  les 
églises,  à  leur  procurer  des  ornements,  à  parer  leurs  autels  ; 
et  elle  a  transmis  à  ses  Filles  cette  généreuse  disposition, 
comme  un  précieux  héritage.  Non  seulement  les  Ursu- 
lines  avaient  offert,  comme  les  autres  communautés,  leur 
obole  pour  la  reconstruction  de  la  cathédrale  de  Québec, 
mais  elles  «  avaient  contribué  par  leurs  travaux  de  peinture 
et  de  dorure  à  l'ornementation  du  chœur  et  de  la  chaire  » 
IvC  Chapitre  crut  devoir  les  remercier  d'une  manière  spé-, 
ciale,  et  dans  un  document  écrit  ^^,  qu'il  leur  envoya  porter 
par  un  de  ses  membres,  M.  de  Tonnancour,  leur  exprima 
sa  reconnaissance  pour  avoir  travaillé  à  l'embellissement 
de  la  cathédrale  ^^. 

A  la  demande  du  Chapitre,  les  Ursulines  avaient  peint 
le  portrait  de  M^^  de  Pontbriand,  et  les  chanoines  se  fai- 
saient fête  de  le  lui  présenter,  à  la  première  occasion  favo- 
rable. Le  portrait  était  rendu  chez  M.  de  La  Ville-Ange- 
vin, et  le  vénérable  Théologal  avait  déjà  préparé  son 
compliment,  lorsque  l'Evêque  entra  subitement  dans  sa 
chambre,  et  aperçut  la  peinture.  M.  de  La  Ville-Angevin 
dut  s'exécuter  de  suite,  et  dit  au  Prélat  que  ce  portrait 


que  c'est  précisément  pour  cela  qu'il  avait  été  nommé  chanoine  l'année 
précédente.  Il  était  un  des  principaux  musiciens  de  Québec,  où  la  musi- 
que a  toujours  été  en  honneur. 

52.  Ce  document,  en  date  du  13  décembre  1748,  était  signé  par  cinq 
chanoines,  les  seuls  qu'il  y  eût  alors  à  Québec:  La  Ville- Angevin,  De 
Tonnancour,  Poulin,  Briand  et  La  Corne. 

53.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  255.  —  Registre  du  Chapitre, 
séance  du  13  décembre  1748. 


I08  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

était  un  don  du  Chapitre,  qui  priait  Sa  Grandeur  de  vou- 
loir bien  Paccepter  comme  marque  de  sa  reconnaissance  : 
«  Je  suis  mortifié,  ajoutat-il,  que  mes  confrères  ne  soient 
pas  présents  ;  je  suis  mortifié  surtout  que  le  portrait  ne  soit 
pas  plus  parfait,  mais  c'est  le  meilleur,  sans  doute,  que 
nous  pouvions  faire  exécuter  dans  ce  pays.  —  Il  est  très 
bien,  répondit  le  Prélat,  et  je  suis  très  reconnaissant  du 
présent  que  me  fait  mon  Chapitre.  » 

Les  Ursulines,  du  reste,  qui  étaient  convenues  avec  les 
chanoines  d'une  certaine  somme  pour  peindre  ce  portrait, 
ne  voulurent  pas  l'accepter,  «  trop  heureuses,  disaient-elles, 
d'avoir  cette  occasion  d'exprimer,  nous  aussi,  notre  recon- 
naissance envers  notre  digne  Prélat  »  ^^. 

54.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  7  mars  1749. 


CHAPITRE  XI 


M^  DE  PONTBRIAND  ET  I.ES  FORTIFICATIONS  DE  QUEBEC. — 
LA  TRAITE  DE  L'EAU-DE-VIE 

Malentendus  au  sujet  des  Fortifications  de  Québec.  —  Lettre  de  INIgr  de 
Pontbriand  ;  ses  propositions.  —  Franquet  et  les  Canadiens.  —  Sen- 
timents de  l'Evêque  sur  la  Traite  de  TEau-de-Vie.  —  Droits  sur  les 
boissons,  augmentés. 

LA  parcimonie  que  la  Cour  de  France  avait  montrée  pour 
la  reconstruction  de  la  cathédrale  de  Québec  —  par- 
cimonie qui  n'était  que  la  conséquence  de  la  fameuse 
guerre  de  la  Succession  d'Autriche  —  éclata  encore  davan- 
tage dans  une  autre  occasion,  qui  fit  ressortir  au  contraire 
le  patriotisme  de  l'évêque  et  de  son  clergé.  Sitôt  que  l'on 
apprit  à  Québec  le  siège  de  Louisbourg,  sa  reddition  aux 
Anglais  le  17  juin  1745,  et  la  menace  qu'ils  faisaient  de 
s'emparer  du  Canada  l'année  suivante  ^,  les  citoyens  se 
réunirent,  le  12  août,  sous  la  présidence  du  gouverneur, 
qui  avait  convoqué  l'assemblée,  et  décidèrent  à  l'unanimité 
qu'il  fallait  entourer  la  ville  d'une  enceinte  de  fortifica- 
tions. I^es  travaux  commencèrent  sans  délai,  et  au  bout 
d'un  an  il  y  avait  déjà  deux  cent  mille  francs  de  dépensés  ^ 
Lorsque  le  Roi  apprit  la  décision  prise  dans  l'assemblée 
de  Québec,  il  exprima  un  vif  mécontentement,  et  fit  écrire 
par  le  ministre  Maurepas  à  MM.  de  Beauharnais  et  Hoc- 


1.  Louisbourg  en  1745,  p.  69. 

2.  Corresp.  générale,  vol.  85,  lettre  de  Hocquart  au  Ministre,  18  sep- 
tembre 1746. 


IIO  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

quart,  le  17  mars  1746  ^,  de  faire  cesser  immédiatement  les 
travaux,  puis  de  convoquer  une  nouvelle  assemblée  «  com- 
posée des  principaux  officiers  de  la  colonie  ainsi  que  des 
principaux  habitants  de  la  ville  »,  pour  décider  «  s'il  ne 
serait  pas  plus  convenable  et  plus  avantageux  de  démolir 
ce  qui  avait  été  fait,  que  de  continuer  une  entreprise  aussi 
dispendieuse. 

((  S'il  est  décidé,  ajoutait  le  ministre,  que  la  fortification 
doit  être  continuée.  Sa  Majesté  veut  que  dans  la  même 
assemblée  il  soit  délibéré  sur  l'imposition  à  faire  pour  y 
parvenir.  » 

C'était  dire  que  le  Roi,  engagé  dans  les  guerres  euro- 
péennes, se  désintéressait  de  la  conservation  de  sa  colonie, 
et  laissait  aux  Canadiens  à  se  protéger  eux-mêmes,  s'ils 
voulaient  rester  Français!  C'était  le  commencement  de 
la  fin! 

Beauharnais  convoqua  pour  le  26  juillet  l'assemblée 
exigée  par  la  Cour,  et  écrivit  en  même  temps  aux  princi- 
paux habitants  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières  pour 
avoir  leur  avis  par  écrit.  Les  citoyens  de  Québec  et  un 
certain  nombre  de  forains,  réunis  le  26  juillet  sous  la  prési- 
dence du  gouverneur,  demandèrent  quelques  jours  pour 
réfléchir  sur  la  question  de  l'imposition  qui  leur  était  propo- 
sée, puis  s'assemblèrent  de  nouveau  le  30  juillet.  Presque 
tous  les  militaires  de  la  colonie,  comme  on  pouvait  s'y 
attendre,  votèrent  pour  que  l'on  continuât  coûte  que  coûte 
les  fortifications  ;  mais  la  plupart  des  négociants  et  autres 
bourgeois  de  la  colonie,  même  ceux  qui  avaient  demandé 
les  fortifications  l'année  précédente,  ne  voulant  pas  d'impo- 
sition spéciale  et  directe  poui  les  payer,  votèrent  pour  leur 
démolition  :  un  certain  nombre  cependant  se  rallièrent  aux 
militaires  et  se  déclarèrent  pour  la  continuation  des  travaux 


3.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  68. 


sous    M^^'   DE    PONTBRIAND  III 

au  moyen  d'une  taxe  spéciale  ;  et  le  Clergé  canadien,  repré- 
senté dans  cette  assemblée  par  PEvêque,  le  Chapitre,  le 
Séminaire  et  les  Jésuites,  fut  aussi  de  cette  opinion,  décla- 
rant qu'ils  étaient  prêts  à  tous  les  sacrifices  pour  la  protec- 
tion et  la  défense  du  pays  ^. 

La  Cour,  en  cette  occasion  comme  en  bien  d'autres,  ne 
s'était  pas  expliquée  assez  clairement  ;  la  crainte  de  s'enga- 
ger dans  une  dépense  extravagante  avait  obscurci  sa  pensée, 
et  la  note  du  ministre  s'en  était  sentie  :  elle  montrait  de  l'in- 
décision. C'est  ce  que  M^^  de  Pontbriand  ne  craignait  pas 
d'insinuer  à  celui-ci  : 

«  Je  me  crois  obligé  de  vous  marquer,  écrit-il,  que  la  li- 
berté que  vous  avez  donnée  de  continuer  ou  de  démolir  les 
fortifications  a  eu  un  effet  tout  contraire  à  vos  intentions. 
Le  partage  de  sentiments,  surtout  dans  les  temps  critiques, 
me  paraît  à  craindre.  L'idée  de  la  taille  qu'on  n'a  que 
trop  répandue  a  fait  un  mauvais  effet  ;  et  si  vous  vous 
déterminez  à  les  faire  continuer,  et  que  vous  exigiez  que 
ce  soit  aux  frais  de  la  colonie,  permettez-moi  de  vous  re- 
présenter qu'une  taxe  sur  les  boissons  enivrantes,  et  même, 
si  on  veut,  sur  les  marchandises,  de  soie  principalement, 
ne  fera  crier  personne.  En  ce  cas,  il  paraîtrait  juste  que 
Montréal  fût  déchargée  de  ce  qu'elle  paie  pour  ses  forti- 
fications. Quand  j'ai  vu  les  esprits  s'échauffer,  j'ai  cru 
devoir  demeurer  à  l'extérieur  dans  une  parfaite  neutra- 
lité. Je  puis  ajouter  que  j'ai  cent  fois  admiré  dans  cette 
occasion  l'extrême  prudence  de  M.  le  marquis  de  Beau- 
harnais  ^  » 

Il  est  évident  que  M^^  de  Pontbriand  avait  mieux  saisi 
la  pensée  de  la  Cour,  dans  toute  cette  affaire,  que  Beau- 
harnais  et  Hocquart.     Ce  n'est  pas  la  cessation  des  forti- 


4.  Corresp.  générale,  vol.  85,  Procès-verbal  d'une  assemblée  au  sujet 
des  fortifications  de  Québec,  26  juillet  1746. 

5.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  du  10  novembre  1746. 


)c^ 


112  L'EGLISE   DU   CANADA 

fications  qr 'elle  demandait  :  au  contraire,  elle  voulait  que 
les  travaux  fussent  poussés  avec  vigueur,  pourvu  que  ce 
fût  aux  frais  de  la  colonie.  On  n'avait  pas  trop  d'argent, 
là-bas,  pour  la  guerre  de  la  Succession  d'Autriche.  Le 
gouverneur  et  l'intendant  l'apprirent  à  leurs  dépens  par 
une  lettre  assez  verte  que  le  ministre  leur  adressa  de  Ver- 
sailles le  23  janvier  1747: 

((  Le  Roi  n'approuve  pas,  disait-il,  votre  indécision  con- 
cernant les  travaux  aux  fortifications.  Il  s'en  rapportait  à 
vous  pour  la  cessation  ou  la  continuation  de  ces  travaux,  à 
condition  que,  si  vous  décidiez  de  les  faire,  la  dépense  en 
serait  supportée  par  la  colonie.  Vous  avez  poursuivi  ces 
travaux,  mais  sans  grande  vigueur.  Il  fallait  ou  ne  rien 
faire,  ou  agir  avec  ardeur  ^.  » 

M.  de  Léry,  qui  conduisait  ces  travaux,  en  même  temps 
que  ceux  de  la  cathédrale,  ayant  écrit  à  la  Cour  à  ce  sujet  : 

(f  Qu'il  ne  soit  plus  question,  lui  répond  le  ministre,  de 
de  ce  qui  s'est  passé  au  sujet  de  l'entreprise  des  fortifications 
de  Québec  ;  le  Roi  a  approuvé  qu'elles  soient  continuées  ^.jj 
,  Non  seulement  elles  furent  continuées  et  menées  à  bonne 
fin,  mais  on  prit  la  peine  d'envoyer  un  ingénieur  de  France 
pour  les  examiner  et  les  approuver  ^. 

Cet  ingénieur  était  M.  Franquet.  Il  vint  ici  en  1752, 
parcourut  notre  pays,  et  adressa  à  la  Cour  des  mémoires 
très  intéressants  sur  son  voyage,  où  il  se  montre  généra- 
lement sympathique  aux  Canadiens  :  «Ils  sont  généreux  et 
obligeants  »,  écrit-il.  Esprit  fin  et  observateur,  il  note  avec 
soin  tout  ce  qui  le  frappe  dans  son  voyage,  de  ville  en  ville, 
de  paroisse  en  paroisse.  A  Lavaltrie,  par  exemple,  un 
dimanche  matin,  il  entre  dans  un  restaurant  pour  y  dé- 
jeuner: 

6.  Rapport. .  .pour  IÇ05,  p.  80. 

7.  Ihid.,  p.  100. 

8.  Ihid.,  p.  142. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  II3 

«  Mais  avertis  que  la  messe  allait  commencer,  dit-il,  nous 
sortîmes  pour  l'entendre.  En  avant  du  portail  de  l'église, 
étaient  plusieurs  chevaux  attachés  à  des  piquets  équar- 
ris.  .  .  Curieux  de  savoir  à  qui  ces  chevaux  appartenaient, 
on  répondit  qu'ils  étaient  aux  fistons  des  paroisses,  que 
chacun  d'eux  y  entretenait  son  piquet,  qu'on  nommait  tels 
les  jeunes  gens  qui,  dans  leur  accoutrement,  portaient  une 
bourse  aux  cheveux,  un  chapeau  brodé,  une  chemise  à 
manchettes  et  des  mitasses  aux  jambes,  et  avaient  dans  cet 
équipage  droit  de  conduire  en  croupe  leurs  fiancées  à 
l'église.  » 

Il  n'approuvait  évidemment  pas  les  maisons  d'éducation 
trop  relevée,  à  une  époque  surtout  oii  il  importait  de  gar- 
der le  plus  de  monde  possible  dans  les  campagnes  et  de  les 
intéresser  au  travail  des  champs  : 

«  Une  fille  instruite  fait  la  demoiselle,  dit-il,  elle  est 
maniérée,  elle  veut  prendre  un  établissement  à  la  ville,  il 
lui  faut  un  négociant  et  elle  regarde  au-dessous  d'elle 
l'état  dans  lequel  elle  est  née.  Mon  avis  serait. .  .  d'obli- 
ger les  enfants  à  se  contenter  de  l'instruction  de  leur  curé 
pour  la  religion,  et  de  ne  prendre  aucuns  principes  qui  les 
détournent  du  travail  de  leur  père.  Par  ce  moyen  les 
habitations  augmenteront,  au  lieu  de  diminuer,  et  la  cul- 
ture des  terres  se  poussera  avec  plus  de  vigueur.  « 

Au  Lac  des  Deux-Montagnes,  Franquet  est  reçu  par  les 
Sulpiciens  avec  la  plus  aimable  cordialité.     C'était  le  soir  : 

w  On  sonna  la  prière,  dit-il.  Je  me  rendis  à  l'église,  où 
était  déjà  un  grand  concours  de  monde.  Le  prêtre  ayant 
entonné  une  hymne,  les  sauvages  se  mirent  à  chanter  en 
leur  langue  :  jamais  choeur  de  religieuses  ne  forma  un 
chant  plus  doux,  plus  sonore  et  plus  d'accord.  Elles  sont 
assises  sur  les  jambes,  et  ne  causent,  ni  par  leurs  mouve- 
ments, ni  par  leurs  gestes,  et  encore  moins  par  leurs  lan- 
gues, le  moindre  scandale  et  la  moindre  indécence.  » 
I 


114  l'église  du  canada 

Le  doyen  des  Sulpiciens  du  Canada,  M.  Maurice  Quéré 
de  Fréguron,  se  trouvait  alors  au  Lac  des  Deux-Mon- 
tagnes : 

H  A  souper,  dit  Franquet,  se  trouva  l'ancien  de  MM.  les 
Sulpiciens,  blanc  comme  un  cygne,  âgé  de  quatre-vingt 
onze  ans,  missionnaire  chez  les  différentes  nations,  depuis 
soixante-deux  ans  et  plus,  mangeant  comme  le  plus  fort  de 
nous  de  tout  indifféremment,  sans  la  moindre  incommo- 
dité, lisant  sans  lunettes  comme  à  quinze  ans,  une  mémoire 
charmante,  racontant  avec  un  discours  aussi  badin  que 
fleuri,  et  discourant  sur  les  mœurs,  coutumes,  façons  et 
politique  des  sauvages.  » 

* 

M^^  de  Pontbriand  avait  proposé  au  gouvernement 
comme  un  des  moyens  les  plus  pratiques  et  les  moins  oné- 
reux pour  les  Canadiens,  une  taxe  spéciale  sur  les  bois- 
sous  enivrantes,  afin  de  se  procurer  les  ressources  néces- 
saires pour  payer  les  travaux  des  fortifications.  C'était 
aussi,  disait-il,  un  moyen  efficace  d'entraver  et  de  res- 
treindre le  commerce  de  l'eau-de-vie.  En  effet,  comme 
tous  ses  prédécesseurs,  il  était  très  opposé  à  ce  commerce, 
surtout  avec  les  sauvages.  Ecrivant  un  jour  à  la  Cour  à 
à  ce  sujet  : 

((  Ce  n'est  pas  un  coup  d'eau-de-vie  donné  aux  sauvages 
qu'on  a  prétendu  défendre,  par  ci-devant,  disait-il,  mais 
seulement  la  traite  de  l'eau-de-vie  en  bouteilles  et  en  barils 
qu'on  leur  donne  à  emporter  avec  eux.  Voilà  le  seul 
article  qui  nous  fait  peine,  et  qui  a  été  défendu  par  tous 
mes  prédécesseurs,  défendu  même  par  la  puissance  sécu- 
lière et  par  Sa  Majesté.  Il  ne  s'agit  que  de  savoir  si  en 
conscience  on  peut  faire  ce  commerce  d'eau-de-vie  en  bou- 
teilles ou  en  barils.     Si  on  ne  peut  le  faire,  l'intérêt  tem- 


sous   M*^'"   DK   PONTBRIAND  II5 

porel  d'une  colonie,  qui  ne  sera  jamais  plus  forte  que 
lorsque  Dieu  la  protégera,  ne  sera  pas  un  motif  suffisant 
pour  excuser  la  traite  de  l'eau-de-vie.  Or  il  paraît  certain, 
non  seulement  par  la  décision  de  plusieurs  docteurs  de 
Sorbonne,  mais  encore  par  expérience,  que  cette  traite 
d'eau-de-vie  en  baril  est  absolument  contraire  au  christia- 
nisme. 

«  Il  est  notoire,  et  j'en  suis  assuré  par  tous  les  mission- 
naires que  j'ai  entretenus,  et  plusieurs  officiers,  que  les  sau- 
vages ne  savent  point  boire  modérément,  et  que  quand  ils 
sont  maîtres  ils  en  boivent  toujours  ou  presque  toujours 
jusqu'à  s'enivrer,  et  même  qu'au  lieu  de  la  partager,  ils 
s'en  privent  volontiers,  pour  que  quelqu'un  d'entre  eux 
puisse  se  mettre  dans  cet  état  malheureux.  Si  ce  fait  est 
certain,  ce  dont  je  vous  crois  informé,  il  s'en  suit  évidem- 
ment que  personne  ne  peut  absoudre  ceux  qui  traitent  ainsi 
de  l'eau-de-vie,  quand  même  il  n'y  aurait  aucune  défense 
de  la  part  des  évêques,  parce  qu'il  n'est  pas  permis  de  faire 
une  chose  dont  il  s'en  suit  nécessairement  un  péché,  parce 
que  c'est  concourir  évidemment  à  l'ivresse  des  sauvages.  . . 

«  Je  voudrais  de  tout  mon  cœur  que  la  religion  pût  s'ac- 
corder ici  avec  les  intérêts  de  la  colonie,  et  que  l'on  pût 
traiter  de  l'eau-de-vie  sans  péché.  Je  serais  même  très 
charmé  si  les  plus  habiles  docteurs  pouvaient  m'ôter  les 
scrupules  que  je  puis  avoir  sur  cet  article.  Comme  je 
n'ose  espérer  des  défenses  expresses  et  générales,  je  vous 
suplie  au  moins,  monsieur,  d'en  faire  sous  des  peines  rigou- 
reuses à  l'égard  des  sauvages  chrétiens,  et  des  autres 
lorsqu'ils  sont  dans  les  trois  gouvernements  de  Québec,  de 
Montréal  et  des  Trois-Rivières  ^.  .  .  » 

Le  Prélat  ajoutait,  dans  une  autre  occasion  :    ' 

«  Il  me  semble  que  la  traite  de  l'eau-de-vie  est  le  plus 

9.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  au  ministre,  22  août  1742. 


Il6  I^'ÊGUSE   DU   CANADA 

grand  obstacle  pour  gagner  les  sauvages,  et  du  côté  des 
Illinois,  et  dans  nos  quartiers.  Toutes  les  connaissances 
que  j'acquière  me  persuadent  qu'elle  n'est  nullement  né- 
cessaire au  commerce,  qu'elle  est  dangereuse,  et  qu'on 
gagnerait  plus  facilement  les  sauvages  si  elle  n'était  point 
établie  ^^.  >) 

Voici,  d'après  Beauliarnais  et  Hocquart,  la  quantité  de 
liqueurs  qui  entrait  annuellement  au  Canada,  à  l'époque 
qui  nous  occupe  (1746)  : 

«  Il  entre,  année  commune,  en  Canada,  écrivent-ils  au 
ministre,  deux  mille  cinq  cents  barriques  de  vin,  vingt- 
cinq  à  trente  mille  veltes  d'eau-de-vie,  et  quinze  à  dix-huit 
cents  barriques  de  guildive.  »  Puis  ils  ajoutent  :  «  On  peut 
fixer  le  droit  sur  le  vin  à  douze  francs  par  barrique,  au 
lieu  de  neuf;  celui  sur  l'eau-de- vie  à  vingt-quatre  francs 
par  velte,  au  lieu  de  seize  francs,  huit  sous  ;  et  sur  la  guil- 
dive à  vingt-quatre  francs  par  barrique,  au  lieu  de  quinze 
francs.  Ce  droit  extraordinaire  donnerait  produit  par  an 
de  trente  à  quarante  mille  francs  ^^  » 

Il  est  évident  que  Beauliarnais  et  Hocquart,  eux  aussi, 
comme  M^^  de  Pontbriand,  avaient  proposé  à  la  Cour 
d'imposer  une  taxe  spéciale  sur  les  boissons  enivrantes 
pour  défrayer  les  dépenses  des  fortifications.  Le  Conseil 
d'Etat  rendit  un  arrêt,  le  23  janvier  1747,  en  conformité 
de  la  proposition  de  l'évêque,  du  gouverneur  et  de  l'inten- 
dant ;  et  cet  arrêt  fut  enregistré  au  Conseil  Supérieur  le 
26  juin  de  la  même  année.  M»""  de  Pontbriand  était  pré- 
sent à  la  séance.  Le  Conseil  d'Etat  ordonnait  «  une  aug- 
mentation pour  trois  ans  sur  les  droits  d'entrée  de  vin, 
eau-de-vie  et  guildive  ^'K  » 


10.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  au  ministre,  10  novembre  1746. 

11.  Ibid.,  vol.  85,  lettre  du  10  octobre  1746. 

12.  Registres  du  Conseil  Supérieur. 


sous    M^*"   DE    PONTBRIAND  II7 

Nous  ne  savons  si  cette  augmentation  fut  continuée  par 
la  suite.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qrl'à  partir  de  cette  date 
la  Cour  ne  cesse  de  se  plaindre  des  dépenses  toujours 
croissantes  de  la  colonie  : 

«  Travaillez  à  les  réduire,  écrit  le  ministre  au  gouver- 
neur et  à  l'intendant,  sans  quoi  on  ne  pourra  y  faire 
face  ^^.  » 

Et  pour  la  traite  de  l'eau-de-vie,  jamais  M^^'  de  Pont- 
briand  ne  put  obtenir  plus  que  ses  prédécesseurs  : 

({ Sur  la  traite  de  l'eau-de-vie,  lui  écrit  en  1753  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu,  impossible  de  dissuader  la  Cour  de  sa  nécessité. 
On  convient  des  abus  et  de  l'excès  où  l'on  porte  cette 
traite  ;  on  se  contente  de  dire  qu'on  donne  tous  les  ans  des 
ordres,  et  qu'on  en  donnera  encore  de  nouveaux  pour 
réprimer  les  premiers  et  diminuer  le  second  ;  qu'il  faut 
s'adresser  au  gouvernement  ^*.  » 


13.  Rapport. ..  pour  1905,  p.  150. 

14.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Corresp.  de  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  lettre  du  ler  avril  1753. 


CHAPITRE  XII 


M^  DE  PONTBRIAND  ET  LES  CANADIENS.  —  SES  RAPPORTS 
AVEC  MM.  DE  BEAUHARNAIS  ET  HOCQUART 

Mgr  de  Pontbriand  aime  les  Canadiens.  —  Affaire  du  Grand-Pré  ;  belle 
lettre  de  l'Evêque.  —  M.  de  Lusignan.  —  M.  de  Varennes.  —  M.  de 
Lotbinière.  —  L'abbé  de  Beaujeu.  —  Le  chanoine  La  Corne,  con- 
seiller-clerc. —  Service  pour  M.  de  Beauharnais,  chez  les  Récollets. 
—  Rapports  de  l'Evêque  avec  M.  de  Beauharnais;  avec  M.  Hoc- 
quart. 

SI  M^^  de  Pontbriand  avait  proposé  à  la  Cour,  pour  dé' 
frayer  le  coût  des  Fortifications  de  Québec,  d'imposer 
une  nouvelle  taxe  sur  les  boissons  enivrantes,  plutôt  que 
sur  des  objets  de  nécessité  pour  la  vie,  c'est  qu'il  aimait  les 
Canadiens:  il  les  aimait  comme  ses  enfants;  il  leur  était 
attaché,  comme  le  fut  plus  tard  M.  de  Vaudreuil  ;  il  crai- 
gnait de  les  voir  pressurés  par  des  impôts  intolérables.  Il 
serait  difiBcile  de  mieux  démontrer  son  affection  pour  les 
Canadiens  que  par  des  exemples.  Bien  que  les  récits  mili- 
taires n'entrent  pas  dans  le  cadre  de  cet  ouvrage,  nous 
croyons  devoir  citer  ici  ce  qu'écrivait  à  la  Cour  le  digne 
Prélat  au  sujet  du  coup  hardi  des  Canadiens  au  Bassin  des 
Mines,  en  Acadie,  dans  l'hiver  de  1747. 

On  sait  que  M.  de  Beauharnais,  en  vue  d'augmenter  les 
forces  du  duc  d'Anville,  qui  venait  avec  une  flotte  consi- 
dérable pour  reprendre  Louisbourg  et  l'Cle-Royale,  avait 
envoyé  à  sa  rencontre  un  corps  de  sept  cents  miliciens, 


l'églisk  du  canada  sous  ms^  de  pontbriand    119 

qui  devaient  se  joindre  aux  troupes  régulières  de  France  \ 
Notre  petite  armée  était  sous  les  ordres  de  M.  de  Raniesay, 
assisté  de  plusieurs  autres  officiers  canadiens  ^.  La  flotte 
du  duc  d'Anville  ayant  été  dispersée  par  les  tempêtes,  et 
une  maladie  épidémique  ayant  fait  périr  une  partie  de  ses 
troupes,  six  cents  Canadiens,  venus  en  Acadie  pour  sou- 
tenir l'expédition,  la  voyant  manquée,  se  retirèrent  à  Beau- 
bassin,  et  y  prirent  leurs  quartiers  d'hiver.  Le  11  février 
1747,  trois  cents  d'entre  eux  attaquèrent  au  Grand-Pré  3 
le  colonel  Noble,  qui  avait  sous  ses  ordres  cinq  cents 
hommes,  et  remportèrent  une  brillante  victoire.  M^^  de 
Pontbriand  écrit  au  ministre  : 

«  Le  coup  que  le  détachement  canadien  a  fait  aux  Mines 
fait  craindre  les  Anglais,  attache  les  Acadiens.  M.  de 
Ramezay,  commandant,  ne  pouvait  s'y  rendre  ;  mais  il 
donna  des  ordres  prudents,  et  sut  choisir,  M.  Coulon  *, 
capitaine,  y  a  soutenu  sa  réputation.  Une  blessure,  dont 
il  se  ressentira  encore  longtemps,  le  mit  bientôt  hors  de 
combat.     Par  bonheur,  M.  le  chevalier  de  La  Corne,  aussi 


1.  "Le  3  juin  1746,  six  des  bâtiments  destinés  pour  transporter  le 
détachement  des  milices  du  Canada  à  l'Acadie,  composé  de  700  hommes, 
y  compris  21  officiers  des  troupes,  mirent  à  la  voile  à  9  heures  du  matin, 
dans  la  rade  de  Québec,  sous  les  ordres  de  M.  Coulon,  capitaine  second 
du  détachement,  pour  aller  attendre  au  Pot-à-l'eau-de-vie  le  navire  Le 
Tourneur,  dans  lequel  M.  de  Ramesay,  commandant  général,  était  em- 
barqué. 

"  Le  sieur  Du  Hamel,  capitaine,  lui  ayant  représenté  que  le  vent  était 
trop  faible  pour  appareiller,  nous  allâmes  mouiller  à  l'Ile-aux-Oies,  à 
douze  lieues  de  Québec."  (Corresp.  générale,  vol.  87,  Extrait  du  journal 
de  M.  de  Beaujeu,  7  novembre  1747). 

2.  "Liste  des  officiers  canadiens  du  détachement:  MM.  de  Ramesay, 
capitaine  commandant  ;  Coulon,'  le  chevalier  de  La  Corne,  capitaines  ; 
Saint-Pierre,  Lanaudière,  De  Beaujeu,  Saint-Ours,  De  Lignery,  lieute- 
nants ;  La  Colombière,  Péan,  Repentigny,  Courtemanche,  La  Ronde, 
Boishébert,  enseignes  en  pied  ;  Gaspé,  Belestre,  le  chevalier  de  Saint- 
Ours,  fils,  Montession,  Le  Mercier,  Niverville,  Lotbinière,  enseignes  en 
second."   (Corresp.  générale,  vol.  87). 

3.  Les  Français  disaient  "  La  Grand-Prée  "  ou  les  Mines.  (Voir  la 
carte  de  Surlaville). 

4.  Coulon  de  Villiers,  frère  de  Jumonville. 


I20  l'Église  du  canada 

capitaine,  et  son  second,  fit  des  merveilles.  On  est  heu- 
reux que  l'Anglais,  intimidé,  demanda  une  capitulation, 
qui  leur  fut  accordée,  de  l'avis  des  autres  officiers. 

«  Le  même  M.  de  La  Corne  vient  d'arrêter  quelques  sau- 
vages Agniers,  qui  commençaient  à  épouvanter  les  quar- 
tiers de  Montréal  ^  On  se  flatte  que  le  coup  aura  d'heu- 
reuses suites.  MM.  de  La  Corne  se  distinguent  beaucoup 
dans  cette  guerre. 

w  Je  sais  que  MM.  le  général  et  l'intendant  vous  ren- 
dront un  compte  exact,  et  que  pour  animer  de  plus  en 
plus  les  officiers,  vous  récompenserez  MM.  de  Ramezay, 
Coulon  et  La  Corne.  Mais  je  crains  qu'on  oublie  M.  de 
Lusignan,  fils,  jeune  officier  qui  fut  blessé  aux  Mines,  en 
deux  endroits,  avant  M.  Coulon,  blessure  dont  il  demeu- 
rera estropié,  s'il  en  réchappe.  Il  est  impossible  d'exprimer 
ce  qu'il  a  eu  à  souffrir.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  extraordi- 
naire, c'est  que,  nageant  dans  son  sang,  et  voyant  M.  Cou- 
lon blessé,  il  disait  aux  Canadiens  :  «  Mes  aniis^  pour 
deux  hommes  morts ^  ne  perdez  pas  courage  !  ^^  M.  son 
père  est  capitaine,  et  me  paraît  rempli  de  mérite  ^.  » 

Qui  ne  serait  touché  de  l'affection  quasi  paternelle  du 
saint  Prélat  pour  ce  bon  jeune  officier  Canadien,  ou  plutôt 
ce  héros,  fils  d'un  père  qui,  lui  aussi,  avait  bien  mérité  de 
la  patrie  canadienne?  M^^'  de  Pontbriand  ajoutait: 

«  Nos  milices  canadiennes  s'aguerrissent,  et  il  paraît  que 
M.  Beau,  aide-major  de  ce  gouvernement,  ne  perd  point  les 
peines  qu'il  se  donne  pour  les  former.  Il  en  est  aimé  et 
estimé.  j> 

Le  jeune  Lusignan  reçut  de  la  Cour  une  petite  pension, 
que  M.  de  La  Galissounière  ne  trouvait  proportionnée  ni  à 
ses  besoins  ni  à  son  mérite  : 


5.  Corresp.   générale,   vol.   89,   Relation   du   chevalier    de   La   Corne, 
Montréal,  8  octobre  1747. 

6.  Ibid.,  lettre  an  ministre,  10  juillet  1747. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  121 

«  La  pension  de  cent  cinquante  francs,  dit-il,  que  vous 
avez  accordée  au  sieur  Lusignan  est  bien  modique.  Ce 
jeune  homme  est  estropié.  Il  est  encore  obligé  de  se  servir 
d'une  béquille,  sa  plaie  étant  devenue  fistuleuse  ;  et  il  est  à 
craindre  qu'il  ne  puisse  jamais  parvenir  à  une  parfaite 
guéri  son.  »  ^ 

Voyez  encore  l'intérêt  que  porte  M^^  de  Pontbriand  à  un 
autre  officier  appartenant  à  une  de  nos  plus  anciennes  et 
plus  méritantes  familles  canadiennes,  M.  de  Varennes.  Cet 
officier,  en  garnison  à  Montréal,  s'est  rendu  coupable  d'une 
faute  très  grave  contre  la  discipline  ^,  qui  lui  a  valu  la  pri- 
son et  la  perte  de  son  grade  de  capitaine.  L,e  bon  Prélat 
va  visiter  le  prisonnier,  se  sent  touché  de  son  sort,  et  sup- 
plie le  gouverneur  de  lui  accorder  au  moins  son  élargis- 
sement.    Il  l'obtient. 

Mais  la  Cour  n'est  pas  plutôt  informée  de  la  chose, 
qu'elle  ordonne  au  gouverneur  de  remettre  en  prison  le 
capitaine  dégradé,  et  écrit  en  même  temps  à  l'Bvêque  pour 
le  blâmer  de  son  intervention  inopportune.  Le  pieux 
Prélat  de  répondre  humblement  au  ministre  : 

«  Je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  avouer,  dit-il,  que  j'ai 
ressenti  très  vivement  la  disgrâce  de  M.  de  Varennes. 
J'appris  qu'il  était  malade  dans  la  prison.  Je  pensai  qu'il 
était  du  ministère  de  charité  que  j'exerce,  de  représenter 
son  état  à  M.  le  général.  J'en  obtins  l'élargissement.  Je 
m'en  repens.  Peut-être  qu'une  plus  loitgue  prison  vous 
eût  donné  occasion  de  lui  pardonner.  Si  cela  était,  je 
vous  supplie,  monsieur,  de  consoler  cet  affligé  qu'un  ser- 


7.  Corresp.  générale,  vol.  91,  lettre  au  ministre,  14  septembre  1748. 

8.  Etant  capitaine  de  garde,  il  avait  refusé  d'exécuter  un  décret  de 
prise  de  corps  contre  son  beau-frère,  le  docteur  Sylvain  (Sullivan)  :  ce 
qui  avait  permis  à  celui-ci  de  se  sauver  et  d'éviter  la  prison.  (Faillon, 
Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  11).  Sylvain  avait  eu  de  fâcheux  démêlés 
aTec  le  juge  Monrepos,  et  ce  juge  avait  obtenu  un  décret  de  prise  de 
corps  contre  lui. 


122  l'Église  du  canada 

vice  trop  officieux  de  ma  part  aurait  rendu  malheureux  ^. 

La  disgrâce  de  M.  de  Varennes  dura  plusieurs  années. 
Il  ne  fut  réintégré  capitaine  qu'en  1750. 

Voyez  encore  avec  quelle  bonté  M^  de  Pontbriand 
s'intéresse  à  l'avenir  d'un  autre  jeune  officier  canadien, 
Michel  Chartier  de  Lotbinière,  fils  du  Doyen  de  sa  cathé- 
drale : 

«  Quelque  persuadé  que  je  suis,  dit-il,  que  je  ne  dois 
m'appliquer  qu'à  ce  qui  regarde  mon  diocèse,  je  ne  puis 
refuser  aux  instances  qui  me  sont  faites  de  vous  écrire  en 
faveur  de  M.  de  Lotbinière,  officier  dans  les  troupes.  Je 
suis  en  quelque  façon  excusable  de  m'intéresser  pour  lui, 
puisqu'il  est  fils  du  Doyen  de  la  cathédrale.  Il  a  d'ailleurs 
des  qualités  personnelles  de  l'esprit  et  du  cœur.  Il  s'est 
appliqué  avec  soin  aux  mathématiques,  et  y  a  fait  de 
grands  progrès  ^^.  Il  est  actuellement  à  l'Acadie.  Il  a 
l'honneur  d'appartenir  à  M.  de  Vaudreuil  ".  » 

Lorsque  quelque  place  importante  dans  notre  Eglise 
canadienne  venait  à  vaquer,  MM.  de  Saint-Vallier  et 
Dosquet,  les  prédécesseurs  de  M^""  de  Pontbriand,  ne 
croyaient  pouvoir  la  remplir  convenablement  que  par  des 
Français.  M^"^  de  Pontbriand  a  bien  un  faible,  lui  aussi, 
pour  les  Français  ;  mais  du  moins  il  sait  faire  la  part  des 
Canadiens.  M.  Vallier,  conseiller-clerc  au  Conseil  Supé- 
rieur, vient  de  mourir  (16  janvier  1747):  il  a  assisté  au 
Conseil  pour  la  dernière  fois  le  lundi  19  décembre.  Sa 
mort  est  une  grande  perte  pour  le  Séminaire,  pour  le 
Conseil,  pour  le  pays  tout  entier. 


9.  Corresp.  générale,  vol.  82,  lettre  du  30  octobre  1744. 

10.  Voilà  donc  un  des  élèves  du  P.  de  Bonnécamps,  qui  a  fait  l'oh- 
jet  de  deux  de  nos  études  publiées  dans  les  Mémoires  de  la  Société 
Royale.  Michel  de  Lotbinière  fut  aussi  envoyé  à  La  Fère,  "pour 
prendre  des  notions  d'artillerie".  Il  épousa  en  1747  Louise  Chausse- 
gros  de  Léry,  et  fut  anobli  par  le  roi  de  France  en  1784. 

11.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  au  ministre,  10  novembre  1746. 


sous    U^^   DE    PONTBRIAND  I23 

Qui  va  le  remplacer  au  Conseil  Supérieur?  M^^*  de 
Pontbriand  pense  tout  de  suite  à  un  jeune  prêtre,  actuel- 
lement à  Paris,  qni  appartient  à  une  de  nos  premières 
familles  canadiennes.  S'il  lui  offrait  ou  lui  faisait  offrir 
la  place  importante  de  conseiller-clerc,  ne  serait-ce  pas  un 
moyen  sûr  de  l'amener  à  Québec  ?  Il  a  tant  besoin  de 
prêtres  !  et  il  en  a  tant  perdu  depuis  quelques  années,  par 
la  mort,  ou  autrement  !  M.  Marquiron,  M.  Maufils,  M. 
André,  M.  Plante,  curé  de  Québec,  M.  Vallier,  tous  prêtres 
du  Séminaire,  enlevés  par  la  mort  à  cette  institution  : 
MM.  de  Gannes-F'alaise,  Fornel,  Gosselin,  partis  pour  la 
France,  pour  ne  plus  revenir,  sans  compter  le  vieux  De 
l'Orme,  qui  y  est  depuis  tant  d'années,  qu'il  a  supplié  de 
revenir  au  pays  natal,  mais  qui  s'obstine  à  rester  à  Paris  ^^  ! 
Le  Prélat  écrit  au  ministre  : 

«  Je  ne  vois  pour  le  présent  personne  qui  puisse  vous  être 
présenté  pour  remplir  la  place  de  conseiller-clerc,  vacante 
par  la  mort  de  M.  Vallier,  justement  regretté  par  toute  la 
colonie.  Je  presse  M.  l'abbé  de  Beaujeu,  qui  est  à  Paris, 
et  de  ce  diocèse,  de  nous  venir.  Je  serais  disposé  à  lui 
donner  des  lettres  de  grand  vicaire.  Il  pourrait  occuper 
aussi  cette  place  13 .  . .  » 

Il  paraît  que  Paris  avait,  dès  cette  époque,  des  attraits 
dont  il  était  malaisé  de  se  déprendre.  Ni  les  instances  de 
M^^  de  Pontbriand,  ni  celles  de  MM.  de  Beauliarnais  et  Hoc- 
quart,  ne  purent  décider  l'abbé  de  Beaujeu  à  venir  habiter 
le  Canada.  Il  avait  sa  mère  et  une  de  ses  sœurs  à  Paris, 
son  beau-frère  à  Versailles  :  il  était  là,  pour  ainsi  dire,  en 
famille,  et  n'avait  d'ailleurs  d'autre  ambition  que  celle 
d'être  un  digne  et  saint  prêtre.  Les  titres  et  les  honneurs 
que  lui  offrait  M^^  de  Pontbriand  ne  le  tentèrent  pas:    il 


12.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.   137. 

13.  Corresp.  générale,  vol.  89,  lettre  du  8  octobre  1747. 


î-é^ 


124  VEGUSE   DU    CANADA 

déclina  Tinvitation  de  revenir  au  pays,  qu'il  avait  quitté 
fort  jeune.  Quel  dommage  pour  notre  Eglise  !  C'était,  au 
témoignage  des  MM.  de  Saint-Sulpice  de  Paris,  un  homme 
«  d'un  très  aimable  naturel.  »  M.  de  Villars  écrivait  qu'il 
((était  très  régulier,  très  aimable,  fort  estimé  et  estimable 
par  l'esprit,  par  le  cœur,  et  de  bien  des  manières.  »  Il  avait 
subi  avec  grand  succès  ses  examens  pour  le  Doctorat  à 
l'Université  de  Paris:  il  est  le  ((premier  Docteur  en  Théo- 
logie de  la  Nouvelle-France.»  Qui  sait  si  par  sa  douce 
influence,  son  aimable  caractère  et  les  ressources  de  son 
esprit  il  n'aurait  pas  réussi  à  épargner  à  l'Eglise  de  Québec 
bien  des  misères  et  des  divisions  qui  l'affligèrent  dans  la 
deuxième  partie  de  i'épiscopat  de  M^^  de  Pontbriand?  Il 
resta  à  Paris,  y  exerça  avec  zèle  le  saint  ministère,  et 
mourut  à  Saint-Sulpice  en  1791  avec  la  réputation  d'un 
saint  ^*. 

Ne  pouvant  compter  sur  l'abbé  de  Beaujeu,  l'évêque,  le 
gouverneur  et  l'intendant  du  Canada  jetèrent  les  yeux  sur 
un  autre  personnage  canadien,  pour  lui  offrir  la  place  de 
conseiller-clerc  au  Conseil  Supérieur,  et  ce  Canadien  fut 
heureux  d'accepter  : 

((  Puisque  M.  l'abbé  de  Beaujeu  ne  veut  pas  venir  dans 
ce  pays,  écrit  au  ministre  M^^  de  Pontbriand,  je  propose 
pour  conseiller-clerc  M.  l'abbé  de  La  Corne,  chanoine  de 
Québec.  Il  a  de  l'esprit  et  du  talent,  est  homme  de  condi- 
tion,   frère    de    MM.    de    La  Corne,    qui    ont    acquis    tant 


14.  Dans  son  excellente  Revue  La  Nouvelle-France,  M.  l'abbé  Lin<i- 
say  a  écrit  de  magnifiques  pages  sur  l'abbé  de  Beaujeu,  "premier  Doc- 
teur en  Théologie  "  du  Canada.  Il  possède  d'ailleurs  un  précieux  sou- 
venir de  l'illustre  abbé,  un  exemplaire  de  la  Thèse  qu'il  eut  à  soutenir  à 
la  Sorbonne  pour  le  doctorat.  Cette  thèse  imprimée,  est  comme  encadrée 
dans  une  admirable  gravure,  véritable  œuvre  d'art,  probablement  unique 
au  Canada:  l'abbé  de  Beaujeu  l'avait  envoyée  à  sa  tante  maternelle,  la 
Mère  de  la  Nativité,  Marie-Anne  Migeon  de  Bransac,  supérieure  des 
Ursulines  de  Québec.  Les  Ursulines  l'offrirent  gracieusement  à  M.  Lind- 
say,  il  y  a  quelques  années,  alors .  qu'il  remplissait  auprès  d'elles  les 
fonctions  de  chapelain. 


sous   M^'"   DE   PONTBRIAND 


125 


d'honneur  dans   cette  guerre.     Il  serait   à  souhaiter  que 
ce  conseiller  eût  des  appointements  comme  les  autres  ^^  » 

Ces  appointements  n'étaient  encore  que  de  trois  cents 
francs  :  «  Cela  suffit  à  peine,  disait  au  ministre  M^^  de 
Pontbriand,  pour  payer  la  voiture  dont  les  Conseillers  ont 
besoin  pour  se  rendre  au  Palais.  De  plus,  il  leur  faut  des 
livres,  il  leur  faut  consulter  des  auteurs  pour  se  mettre  en 
état  de  remplir  utilement  leurs  fonctions.  »  he  Prélat 
insistait  pour  que  les  appointements  fussent  augmentés  ^^  ; 
et  les  Conseillers  lui  durent  en  effet  une  augmentation  de 
leurs  honoraires. 

M.  de  La  Corne  prit  séance  au  Conseil  le  8  septembre 
1749,  occupant,  suivant  le  droit,  la  première  place  ensuite 
du  «  premier  conseiller  »  Cugnet  et  du  «  doyen  »  Lanouiller  ; 
puis  il  y  assista  assez  régulièrement  jusqu'à  son  départ 
pour  la  France  dans  l'automne  de  1750.  Il  ne  revint 
jamais  au  Canada,  et  l'on  ne  voit  pas  qu'il  ait  résigné  sa 
charge.  Il  fut  le  dernier  conseiller-clerc  au  Conseil  Supé- 
rieur de  la  Nouvelle-France. 

M^^'  de  Pontbriand  n'assistait  au  Conseil  qu'à  de  rares 
intervalles,  dans  les  grandes  circonstances,  à  peine  une 
fois  ou  deux  par  année  :  de  sorte  qu'après  la  mort  de  M. 
Vallier,  et  surtout  après  le  départ  de  M.  de  La  Corne, 
jusqu'à  la  Conquête,  l'Eglise  canadienne  ne  fut  pas  repré- 
sentée, de  fait,  au  Conseil  Supérieur. 

M.  de  La  Corne  y  était  encore,  cependant,  le  lundi 
premier  décembre  1749,  lorsque  le  Supérieur  des  RR. 
Pères  Récollets  demanda,  par  l'entremise  du  premier  huis- 
sier, à  entrer  dans  la  salle  des  séances  du  Conseil  :  il  avait, 
disait-il,  une  communication  à  faire  à  l'assemblée.  L'in- 
tendant—  c'était  à  cette  date  M.   Bigot  —  ayant  ordonné 


15.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  du  9  octobre  1748. 

16.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr  de 
Pontbriand. 


126  l'église  du  canada 

à  l'huissier  de  le  faire  entrer,  le  digne  Religieux  fit  son 
apparition  dans  la  salle,  et,  après  les  saints  d'usage,  invita 
les  conseillers,  de  la  part  de  ses  confrères  du  monastère,  à 
assister  en  corps  à  un  service  solennel  qui  devait  se  célé- 
brer le  lendemain  dans  leur  église  pour  le  repos  de  l'âme 
de  leur  regretté  syndic,  M.  le  marquis  de  Beauharnais, 
«  ci-devant  gouverneur  du  Canada  et  lieutenant  général 
pour  le  Roi  en  ce  pays.  » 

Il  y  avait  un  peu  plus  de  deux  ans  que  M.  de  Beauhar- 
nais avait  quitté  le  Canada  :  on  l'avait  rappelé  en  France 
((  pour  lui  donner  de  l'avancement  dans  la  Marine  ^'^  ;  «  et 
il  venait  de  mourir,  comblé  d'honneurs,  après  avoir  laissé 
dans  notre  pays  la  réputation  d'un  des  gouverneurs  les 
plus  intègres  et  les  plus  sages  que  nous  ayons  jamais  eus  ^^. 
Deux  gouverneurs  s'étaient  succédé  ici  depuis  son  départ  ; 
le  deuxième,  M.  de  la  Jonquière,  n'était  encore  qu'au  dé- 
but de  sou  administration. 

On  est  vraiment  surpris  qu'à  une  invitation  aussi  polie 
et  aussi  convenable  que  celle  du  bon  Père  Récollet,  le 
Conseil  Supérieur  ait  opposé  un  refus  désobligeant  ^^ 
Avait-il  encore  sur  le  cœur  la  manière  à  la  fois  sage  et 
énero-ique  avec  laquelle  M.  de  Beauharnais,  juste  vingt  ans 
auparavant,  l'avait  admonesté  et  mis  à  Tordre  à  l'occasion 
des  troubles  que,  de  concert  avec  l'intendant  Dupuy,  il 
avait  suscités  dans  l'Kglise  de  Québec  -^?  On  est  d'autant 
plus  porté  à  le  croire,  que  Lanouiller,  le  porte-parole  de 
Dupuy  et  son  âme  damnée,  qui  faisait  à  cette  époque  les 
fonctions  de  procureur  général  et  avait  joué  un  si  triste 
rôle,   était    encore    là  :    sans  être  premier  conseiller,  —  le 


17.  Corresp.  générale,  vol.  85,  lettre  de  Beauharnais  au  ministre,  28 
octobre  1746. 

18.  M.  de  Beauharnais  fut  gouverneur  du  Canada,  de  1726  à  1747. 

19.  Registres  du  Conseil  Supérieur. 

20.  Voir  notre   premier  volume  VBglise   du   Canada  sous  Mgr  de 
S aint-V allier,  p.  467. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  I27 

premier  conseiller  était  M.  Cugnet  —  il  était  doyen  du 
Conseil,  où  il  exerçait  probablement  une  certaine  influence. 
Il  n'y  a  rien  de  si  rancunier,  quelquefois,  que  les  corps 
délibérants. 

M^^*  de  Pontbriand  dut  regretter  cette  résolution  du 
Conseil  de  ne  point  assister  en  corps  au  service  solennel  de 
M.  de  Beauliarnais.     Il  estimait  sincèrement  ce  bon  eou- 

o 

verneur,  avec  lequel  il  avait  toujours  été  d'accord  : 

«  M.  de  Beauliarnais,  écrit-il  au  ministre,  pourra  vous 
informer  de  toutes  les  affaires  de  la  colonie,  qu'il  a  gou- 
vernée dans  les  temps  les  plus  difficiles,  et  jusqu'au  moment 
de  son  départ,  avec  encore  plus  de  sagesse  que  de  bonheur, 
quoique  tout  lui  ait  réussi  '^^.  » 

Le  croirait-on,  si  la  chose  n'était  en  toutes  lettres  dans 
les  archives?  Ce  gouverneur  si  sage,  si  éclairé,  si  géné- 
ralement estimé,  on  avait  voulu,  au  Canada,  le  faire  passer 
pour  un  homme  ramolli  ;  et  l'on  avait  même  écrit  dans  ce 
sens  à  la  Cour.  La  réception  qui  lui  fut  faite  à  Paris  le 
dédommagea  bien  de  ces  injustes  appréciations.  Voici  ce 
que  M.  de  l'Orme  écrivait  à  son  frère  à  ce  sujet  : 

«  M.  le  marquis  de  Beauharnais  est  arrivé  en  bonne  santé 
à  Paris  ;  il  a  été  reçu  on  ne  peut  mieux  du  Roi,  du  mi- 
nistre et  de  toutes  les  personnes  de  considération  de  la 
Cour  qui  l'ont  autrefois  connu.  Il  n'est  rien  moins  que  ce 
que  l'on  a  voulu  le  faire  passer.  Il  vient  d'être  fait  lieute- 
nant général,  preuve  évidente  qu'on  ne  le  regarde  pas 
comme  un  homme  en  enfance.  La  Cour  devrait  châtier 
les  mauvais  écrivains  du  Canada  ^2.  » 

M^'^  de  Pontbriand  n'estimait  pas  moins  M.  Hocquart, 
qui  resta  encore  un  an  au  Canada  après  le  départ  de  M.  de 
Beauharnais,  et  ne  partit  qu'en  1748: 


21.  Corresp.  générale,  vol.  87,  lettre  du  11  octobre  1747. 

22.  Recherches  historiques,  vol.  XVI,  p.  362. 


128  L'EGLISE   DU   CANADA 

«  Je  le  vois  partir  avec  regret,  écrit  l'Evêque,  et  j'ose 
dire  qu'il  en  est  de  même  de  tous  ceux  qui  veulent  le 
bien  -^  » 

Le  Chapitre,  plein  d'estime,  lui  aussi,  pour  M.  Hoc- 
quart,  avait  fait  célébrer  un  service  solennel  pour  sa  véné- 
rable mère,  décédée  en  France  quelques  années  aupara- 
vant '^^. 

M.  Hocquart,  comme  M»"^  de  Pontbriand,  estimait  et 
aimait  M.  de  Beauharnais  ;  il  écrivait  au  ministre  lors  du 
départ  de  ce  bon  gouverneur  : 

«  Chacun  s'est  empressé  de  lui  marquer  ses  regrets  de 
son  départ.  Il  a  dû  s'en  apercevoir.  Vous  connaissez 
toutes  ses  belles  qualités  :  il  avait  surtout  celles  d'être  bon, 
aimable  et  généreux  ^^  » 

Ce  digne  intendant,  le  meilleur  peut-être  qu'ait  eu  la 
Nouvelle-France,  —  nous  ne  dirons  pas  après,  mais  avec 
Talon  —  remplissait  admirablement  toutes  les  fonctions  de 
sa  charge.  Il  avait  une  foule  d'excellentes  pratiques  pour 
accommoder  les  pauvres  :  et  l'on  cite  celle-ci  en  particu- 
lier :  il  avait  fixé  deux  jours  par  semaine  pour  entendre 
leurs  plaintes,  leurs  réclamations,  leurs  contestations,  et 
leur  rendre  sommairement  justice,  comme  autrefois  saint 
Louis  sous  le  chêne  de  Vincennes  ^^. 

Il  était,  du  reste,  sincèrement  religieux.  Ceux  qui 
visitent  la  vieille  petite  église  de  Tadoussac  s'arrêtent  avec 
intérêt  en  face  de  ce  simple  avis,  encadré  et  suspendu 
quelque  part  à  la  muraille,  qui  les  reporte  à  une  date  bien 
reculée  : 

«  Messe  fondée  en  cette  chapelle,  en  1747,  tant  qu'elle 
subsistera,  en  faveur  de  M.  Hocquart,  bienfaiteur  insigne, 

23.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  du  9  octobre  1748. 

24.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  25  mai  1743. 

25.  Corresp.  générale,  vol.  88,  lettre  du  27  octobre  1747. 

26.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  7, 


sous   M*^""   DE    PONTBRIAND  129 

par  le  R.  P.  Coquart  ",  jésuite.  Cette  messe  basse  doit  se 
dire  le  26  juillet,  fête  de  sainte  Anne,  chaque  année.  » 

La  construction  de  la  première  chapelle  de  Tadoussac 
remonte  à  1647.  ^^  fondation  de  cette  messe  coïncide 
donc  avec  le  premier  centenaire  de  cette  chapelle. 

Nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  jamais  eu,  dans  tout  le 
cours  du  régime  français  au  Canada  une  période  où  les 
trois  représentants  de  l'autorité  royale,  le  gouverneur, 
l'évêque  et  l'intendant,  se  soient  entendus  d'une  manière 
aussi  parfaite  et  aussi  constante  que  dans  les  sept  premières 
années  de  l'administration  de  M^^  de  Pontbriand. 


27.  Le  P.  Coquart  était  alors  missionnaire  de  Chicoutimi  et  de  Ta- 
doussac. "Il  mourut  à  Chicoutimi  le  4  juillet  1765,  et  y  fut  inhumé  par 
le  P.  Labrosse.  Plus  tard,  son  corps  fut  descendu  et  inhumé  à  Ta- 
doussac. "  (Tanguay,  Répertoire  du  Clergé,  p.  88). 


CHAPITRE  XIII 


SUPPRESSION  DE  PLUSIEURS  FÊTES  D'OBLIGATION.  — 

RETRAITE  1  QUÉBEC.  —  JUBILÉ  DE  1745.  — 

MORT  DE  M.  VALLIER 

Grand  nombre  de  Fêtes  d'obligation,  à  cette  époque.  —  Solennité  de 
plusieurs  de  ces  Fêtes  renvoyée  au  dimanche.  —  Benoit  XIV  et  la 
France.  —  Une  retraite  à  Québec.  —  Le  Jubilé  de  1745.  —  Epidémie 
de  fièvres.  —  Mort  de  M.  Vallier.  —  Sa  sépulture.  —  Le  Chapitre 
fait  son  éloge. 

ON  se  rappelle  qu'il  y  a  quelques  années  les  autorités 
ecclésiastiques  de  notre  Province,  avec  l'assentiment 
du  Saint-Siège,  et  tenant  compte  des  circonstances  parti- 
culières où  nous  nous  trouvons  dans  ce  pays,  jugèrent  à 
propos  de  renvoyer  au  dimanche  la  solennité  de  quelques 
fêtes  qui  avaient  été  jusque-là  chômées  sur  semaine.  C'est 
ainsi  que  l'Annonciation,  la  Fête-Dieu,  la  Saint-Pierre  dis- 
parurent de  la  liste  des  fêtes  d'obligation  :  nous  n'en  avons 
plus  que  six  :  la  Circoncision,  l'Epiphanie,  l'Ascension,  la 
Toussaint,  l'Immaculée  Conception  et  Noël. 

Eh  bien,  sait-on  combien  il  y  en  avait  au  commencement 
de  l'épiscopat  de  M^'^  de  Pontbriand?  Trente-trois!  C'est- 
à-dire  qu'outre  les  cinquante-deux  dimanches  de  l'année,  il 
y  avait  trente-trois  jours  où  nos  ancêtres  chômaient  :  toutes 
les  fêtes  d'Apôtres,  deux  ou  trois  fêtes  de  la  sainte  Vierge, 
la  Saint-Joseph,  la  Sainte-Anne,  la  Saint-François-Xavier, 
etc  :  et  l'on  sait  par  la  tradition  avec  quelle  exactitude  ils 
suspendaient  leurs  travaux  et  s'abstenaient,  ces  jours-là, 


l'église  du  canada  sous  mk^  de  pontbriand     131 

comme  le  dimanche,  de  toute  œuvre  servile,  assistant  fidè- 
lement à  tous  les  offices  de  l'Eglise,  y  compris  les  vêpres, 
auxquelles  pour  rien  au  monde  ils  n'auraient  voulu  man- 
quer. Les  lundis  et  mardis  de  Pâques  et  de  la  Pentecôte 
étaient  d'obligation,  comme  la  fête  elle-même  ;  de  sorte 
qu'à  chacune  de  ces  deux  fêtes  on  était  trois  jours  de  suite 
sans  travailler. 

Depuis  longtemps  la  Cour  exprimait  aux  autorités  reli- 
gieuse et  civile  du  Canada  le  désir  que  l'on  réduisît  ici  le 
nombre  des  fêtes  chômées,  comme  on  l'avait  fait  en  France  ; 
et  un  certain  nombre  de  Canadiens,  les  hommes  d'affaires 
et  les  négociants,  surtout,  le  demandaient  également. 
Ecrivant  à  l'Evêque,  au  printemps  de  1743,  M.  de  Mau- 
repas  ^  paraissait  croire  que  la  chose  était  déjà  faite  '.  M^"^ 
de  Pontbriand  jugea  alors  qu'il  était  temps  pour  lui  de 
s'exécuter.  Mais  on  voit  par  le  mandement  qu'il  publia 
à  cette  occasion  qu'il  lui  en  coûta  beaucoup  de  supprimer 
un  certain  nombre  de  fêtes  ;  et  il  ne  se  décida  que  par  la 
pensée  qu'il  ne  les  supprimait  pas  tout-à-fait,  puisqu'il  en 
renvoyait  la  solennité  au  dimanche  : 

(f  Plusieurs  motifs  nous  ont  arrêté  jusqu'à  présent,  dit-il. 
Les  malheurs  que  ressent  depuis  quelques  années  cette 
colonie  nous  persuadent  qu'elle  ne  peut  avoir  dans  le  ciel 
trop  de  protecteurs  ;  et  tandis  que  les  dérèglements  s'aug- 
mentent tous  les  jours,  nous  conviendrait-il  de  ne  plus 
proposer  aux  peuples  des  exemples  illustres  et  capables  de 
les  exciter  à  la  pratique  des  vertus  chrétiennes?  Non, 
sans  doute  ;  nous  voulons  donc  conserver  le  culte  public 
aux  Saints  que  ce  diocèse  regarde  comme  ses  protecteurs, 
et  nous  avons  pensé  qu'en  fixant  leurs  fêtes  à  certains 
dimanches,  ce  culte  n'en  serait  que  plus  solennel . . .     Nous 


1.  Maurepas,  "le  dernier  héritier  des  traditions  prudentes  de  Fleury". 
(Duc  de  Broglie,  Marie-Thérèse  Impératrice,  t.  I,  p.  31). 

2.  Rapport. .  .pour  1905,  p.  27. 


132  l'église  du  canada 

ne  retranchons  aucune  fête;  nous  déterminons  seulement 
les  jours  :  nous  n'en  diminuons  point  la  solennité,  au  con- 
traire nous  prétendons  l'augmenter  ^.  . .  » 

Par  ce  mandement,  daté  du  24  novembre  1744,  le  Prélat 
renvoyait  au  dimanche  la  solennité  de  dix-neuf  des  trente- 
trois  fêtes  chômées  sur  semaine.  Ces  dix-neuf  fêtes  étaient 
celles  de  quelques  Apôtres,  la  Purification  et  la  Nativité  de 
la  sainte  Vierge,  la  fête  de  Notre-Dame-des-Victoires  "*,  celle 
des  saintes  Reliques,  la  Saint-Joseph,  la  Saint-Jean-Baptiste, 
la  Sainte-Anne,  la  Saint-Laurent,  la  Saint-Louis,  la  Saint- 
Michel  et  la  Saint-François-Xavier.  Il  restait  encore 
quatorze  fêtes  chômées  sur  semaine,  y  compris  les  lundis 
et  mardis  de  Pâques  et  de  la  Pentecôte  ;  et  quelques-unes  de 
ces  fêtes  n'ont  été  supprimées  ou  renvoyées  au  dimanche 
que  bien  plus  tard. 

Le  but  j^rincipal  de  la  Cour  en  demandant  à  l'autorité 
ecclésiastique  de  réduire  le  nombre  des  fêtes  chômées,  et 
celui  de  l'Evêque  en  obtempérant  au  désir  du  Roi,  était 
de  procurer  aux  fidèles,  aux  habitants  des  campagnes, 
surtout,  plus  de  facilité  pour  leurs  travaux.  Eh  bien,  sait- 
on  ce  qui  arriva?  Il  y  eut  partout  dans  nos  campagnes  un 
murmure  général  de  mécontentement.  Le  peuple  est 
essentiellement  attaché  à  ses  coutumes,  à  ses  usages,  à  ses 
traditions  religieuses,  surtout.  Il  n'y  eut  qu'une  voix  pour 
blâmer  le  mandement  de  l'Kvêque,  et  il  fallut  du  temps 
pour  convaincre  les  habitants  des  campagnes  que  «  rien 
d'essentiel  n'était  changé  dans  la  religion.  »  M^'  de  Pont- 
briand  écrivait  au  ministre  le  10  novembre  1746,  c'est-à- 
dire  deux  ans  après  son  mandement  : 

«  Les    habitants    commencent    à    être    tranquilles    sur 

3.  Mandements  des  Bvcques  de  Québec,  t.  II,  p.  41,  24  novembre  1744. 

4.  "Pourquoi  a-t-on  institué  cette  fête  dans  ce  diocèse?  Pour  la  très 
insigne  victoire  et  protection  que  nous  avons  reçue  de  la  Très  Sainte 
Vierge  contre  les  Anglais  hérétiques.  "  {Catéchisme  de  Mgr  de  Saint- 
V  allier). 


sous    M«'    DE    PONTBRIAND  I33 

la    translation    que   j'ai    faite   de    plusieurs   fêtes    au   di- 
manche ^. .  .  » 

Il  va  sans  dire  qu'il  n'avait  pu  être  question  pour  le 
pieux  Prélat  de  demander  l'autorisation  du  Saint-Siège 
avant  de  faire  ce  changement.  L'état  de  l'Europe,  à  cette 
époque,  rendait  les  communications  avec  le  centre  de  la 
catholicité  très  difficiles,  pour  ne  pas  dire  impossibles. 
Mais  le  nouvel  ordre  de  choses  reçut  dans  la  suite  l'appro- 
bation entière  du  Saint-Siège. 

* 

Dans  la  même  lettre  que  nous  avons  citée  tout-à-l'heure, 
M^*^  de  Pontbriand  écrivait  au  ministre  qu'il  avait  reçu  par 
l'entremise  du  gouverneur  et  de  l'intendant  la  bulle  du 
Jubilé  de  1745.  Ce  Jubilé,  précurseur  de  celui  de  l'Année 
sainte,  avait  été  accordé  en  1744  par  le  pape  Benoît  XIV 
pour  l'Italie  seulement  ;  mais  Louis  XV  avait  obtenu  l'an- 
née suivante  qu'il  fût  étendu  à  son  Royaume.  C'était  un 
Jubilé  tout-à-fait  particulier  pour  l'Italie,  la  France  et  ses 
colonies. 

Et  ici,  il  n'est  pas  hors  de  propos  de  rappeler  la  sympa- 
thie toujours  constante  de  l'illustre  pontife  Benoît  XIV 
pour  la  nation  française  :  il  avait  pour  elle  une  bienveil- 
lance toute  spéciale,  semblable  à  celle  que  de  nos  jours  lui 
témoigna  jusqu'à  la  fin  le  grand  pape  Léon  XIII  ^. 
Benoît  XIV  aimait  la  France  ;  il  aimait  aussi  le  roi  Louis 
XV,  sans  se  faire  illusion,  toutefois,  sur  ses  défauts  et  sur 
ses  faiblesses  :  on  lui  attribue  cette  parole  bien  caractéris- 
tique : 

«  Est-il  besoin  d'autre  preuve  de  l'existence  d'une  Provi- 


5.  Correspondance  générale,  vol.  86. 

6.  Voir  nos  Conférences  à  l'Université  Laval  sur  le  Concordat  de  1801, 
p.  64. 


134  l'égusr  du  canada 

dence,  que  de  voir  prospérer  le  royaume  de  France  sous 
Louis  XV  7?» 

Benoît  XIV  témoigna  son  amour  pour  la  France,  en  lui 
donnant  la  bulle  Ex  omnibus^  destinée  à  appaiser  les 
esprits  à  l'occasion  des  troubles  religieux  suscités  par  un 
grand  nombre  d'ecclésiastiques,  qui  s'obstinaient  encore  à 
résister  à  la  bulle  Unigenittis.  Choiseul  ^,  qui  avait  été 
envoyé  à  Rome  comme  ambassadeur  extraordinaire  pour 
obtenir  cette  bulle  Ex  omnibus^  nous  assure  que  le  Pape 
s'intéressait  d'une  manière  toute  spéciale  aux  différends 
qui  existaient  entre  la  France  et  l'Angleterre  à  propos  du 
Canada  :  il  aimait  à  se  tenir  au  courant  de  tout  ^. 

Ce  grand  Pape  témoigna  également  son  amour  pour  la 
France  en  lui  accordant,  à  la  demande  du  Roi,  le  Jubilé 
qu'il  avait  publié  pour  l'Italie,  faveur  qu'il  n'accorda  à 
aucune  autre  nation.  En  accusant  réception  de  la  bulle 
du  Jubilé,  M^^  de  Pontbriand  disait  au  ministre  : 

«  Je  ne  ferai  annoncer  le  Jubilé  que  l'hiver,  ce  temps 
étant  le  plus  favorable,  d'autant  plus  que  le  Carême  dernier 
il  y  a  eu  à  Québec  une  espèce  de  mission,  qui  m'a  paru 
avoir  fait  quelque  bien  ^^.  .  .  « 

C'est  M.  Vallier  qui  faisait  à  cette  époque  les  fonctions 
de  curé  de  Québec  ;  et  il  avait  obtenu  de  l'Evêque  un  beau 
mandement  pour  cette  retraite  publique,  destinée  à  pré- 
parer les  paroissiens  au  devoir  pascal.  Elle  commença  le 
jour  de  la  Solennité  de  .«aint  Joseph,  et  se  termina  le  mer- 
credi saint  au  matin,  «  les  autres  jours,  disait  l'Evêque, 
étant  occupés  au  grand  office  de  la  semaine  sainte  «  ;  et  il 
ajoutait:     «  Il  y  aura  dans  cette  église  pendant  les  trois 


7.  Choiseul  à  Rome,  Introduction  par  André  Hallays,  p.  XXIII. 

8.  "  Choiseul,  malgré  ses  défauts,  fut  encore  le  meilleur  ministre  qu'ait 
eu  Louis  XV."  (Comte  d'Haussonville,  Ala  jeunesse,  p.  10). 

9.  Choiseul  à  Rome,  p.  50. 

10.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  du  10  novembre  1746. 


sous    M^*"   DE    PONTBRIAND  I35 

fêtes  de  Pâques  les  prières  des  Qnarante-Heures.  »  Les 
prêtres  séculiers  et  réguliers  de  la  ville  étaient  invités  à 
ajouter  chaque  matin  à  la  messe  ((  l'oraison  pour  la  con- 
version des  pécheurs,  jusqu'à  la  Quasimodo  inclusivement». 

D'après  le  recensement  de  1744,  fait  avec  un  grand  soin 
par  le  curé  Plante,  la  ville  de  Québec,  avec  la  banlieue, 
comptait,  à  cette  date,  juste  neuf  cent  quatre-vingt-dix- 
sept  familles  ou  ménages  ^^  N'allons  pas  croire  que  tout 
fût  parfait,  dans  cette  population,  au  point  de  vue  moral  et 
religieux.  Que  de  légèreté,  par  exemple,  de  luxe  et  de 
vanité  dans  la  classe  aisée  ! 

«  Les  marchands  s'habillent  fort  élégamment,  écrit  un 
chroniqueur  en  1749,  et  poussent  la  somptuosité  dans 
les  repas  jusqu'à  la  folie.  Les  femmes  sont  tous  les  jours 
en  grande  toilette,  et  parées  autant  que  pour  une  réception 
à  la  Cour.  . .  Elles  ornent  et  poudrent  leurs  cheveux 
chaque  jour,  et  se  papillotent  chaque  nuit.  .  .  Les  gens 
de  condition  mettent  du  linge  garni  de  dentelles  ^'^.  .  .  » 

La  Sœur  Duplessis  va  plus  au  fond  des  choses,  et  les 
couleurs  de  son  pinceau  sont  plutôt  sombres  : 

((  Nous  sommes  dans  un  siècle  où  je  crains  tout,  dit-elle, 
car  la  corruption  est  à  son  comble  ;  nous  voyons  des  choses 
pitoyables  ;  on  nous  en  mande  de  semblables.  . .  La  cha- 
rité est  refroidie,  et  il  reste  bien  peu  de  foi  dans  le 
monde.  , . 

«  Nous  sommes  dans  un  pays,  ajoute-t-elle,  qui  devient 
plus  dur  que  jamais  ;  nous  n'y  voyons  rien  qui  puisse 
plaire  ;  ou  n'y  parle  que  de  misère,  de  mauvaise  foi,  de 
calomnies,  de  procès,  de  divisions.  Tout  le  monde  se 
plaint,  et  personne  ne  remédie  à  rien  ^^  .  .  » 


11.  Archives  paroissiales  de  N.-D.  de  Québec. 

12.  Voyage  de  Kalm  au  Canada. 

13.  Revue  Canadienne,  t.  XII. 


136  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

C'est  pour  y  «  remédier  »  que  M.  Vallier  avait  décidé  de 
donner  une  retraite  à  sa  paroisse  ;  et  dans  le  mandement 
que  l'Bvêque  avait  publié  à  cette  occasion,  il  invitait  ses 
prêtres  à  prier  «  pour  la  conversion  des  pécheurs.  » 

Nous  n'avons  malheureusement  aucun  détail  précis  sur 
cette  retraite  ^^  Il  est  à  présumer  qu'elle  ne  fut  pas  sans 
opérer  quelques  bons  résultats.  L'Bvêque,  toutefois,  n'en 
était  certainement  pas  enthousiasmé,  puisqu'il  se  contentait 
de  dire  «qu'elle  lui  avait  paru  avoir  fait  quelque  bien.» 

Ce  bien  fut  confirmé  et  par  là  même  augmenté  par  le 
Jubilé  de  l'automne  suivant,  que  le  pieux  Prélat  eut  l'heu- 
reuse idée  de  fixer  comme  préparation  aux  fêtes  de  Noël  et 
du  Jour  de  l'an.  D'ailleurs,  ces  exercices  n'étaient  pas, 
cette  fois,  pour  Québec  seulement,  mais  pour  tout  le  dio- 
cèse.    Beauharnais  et  Hocquart  écrivant  au  ministre  : 

((  M.  l'Bvêque,  disaient-ils,  se  propose  de  faire  publier 
après  le  départ  des  vaisseaux  la  bulle  du  Jubilé  que  vous 
lui  avez  adressée.  Les  peuples  du  Canada  sont  religieux  ; 
et  nous  jugeons  qu'ils  se  mettront  la  plupart  en  état  de 
gagner  l'indulgence  ^^  » 

M^^  de  Pontbriand  publia  la  bulle  de  Benoît  XIV  et 
l'accompagna  d'un  mandement  pour  le  Jubilé  : 

«  Bntrons,  N.  T.  C.  F.,  disait-il,  dans  les  intentions  du 
Souverain  Pontife,  dont  nous  venons  d'entendre  la  voix, 
pénétrons  dans  les  sentiments  du  Roi  qui  a  obtenu  pour  son 
Royaume  la  grâce  du  Jubilé  ;  faisons  nos  efforts  pour  nous 
conformer  aux  desseins  de  l'un  et  de  l'autre.  » 

Certes,  les  desseins  du  Saint-Père  en  accordant  ce  Jubilé 
à  la  France,  et  ceux  de  Louis  XV  en  le  lui  demandant 
pour  ses  sujets,  n'étaient  probablement  pas  absolument 
les  mêmes.     Benoît  XIV  songeait  surtout  au  bien  spirituel 


14.  Les  livres  de  prônes  de  l'époque  n'ont  pas  été  conservés. 

15.  Corresp.  générale,  vol.  85,  lettre  du  7  octobre  1746. 


se  us   M*^""   DE   PONTBRIAND  137 

de  la  nation  française  et  de  son  Roi  :  Louis  XV,  engagé 
dans  les  aventures  de  la  guerre  de  la  Succession  d'Au- 
triche, avait  surtout  en  vue  d'en  sortir  victorieux  par  les 
prières  et  les  bonnes  œuvres  de  ses  sujets.  Le  rôle  de 
l'Evêque,  dans  son  mandement,  était  de  tout  concilier,  la 
pensée  du  Saint-Père  et  celle  du  Roi,  et  de  diriger  les 
prières  de  ses  diocésains  vers  le  but  de  l'un  et  de  l'autre  : 

«  Reconnaissons,  dit-il,  dans  les  victoires  que  Sa  Ma- 
jesté a  remportées  le  doigt  de  Dieu  qui  protège  la  France  ; 
soyons  touchés  des  maux  inséparables  de  la  guerre  même 
la  plus  glorieuse  ;  ne  craignons  point  d'avouer  que  nos 
péchés  ont  empêché  et  empêchent  des  succès  plus  grands 
et  dont  nous  nous  flattions.  Souvenons-nous  que  cette 
colonie  ne  se  soutiendra  contre  les  ennemis  puissants  qui 
l'environnent  qu'autant  que  le  Ciel  la  protégera,  et  que, 
pour  mériter  ce  secours,  il  est  absolument  nécessaire  de 
changer  de  vie,  de  fuir  jusqu'à  l'apparence  même  du  péché, 
de  pratiquer  les  vertus  chrétiennes  et  enfin  de  satisfaire  à 
la  justice  divine.  » 

Parmi  les  œuvres  prescrites  pour  gagner  l'indulgence  du 
Jubilé,  il  y  avait  une  aumône  à  faire  : 

«  Nous  vous  exhortons,  disait  le  Prélat,  à  contribuer  le 
plus  que  vous  pourrez  à  la  bâtisse  de  l'église  cathédrale  et 
paroissiale  de  Québec.  » 

L'aumône  du  Jubilé  pouvait  aussi  être  appliquée  aux 
hôpitaux  de  la  ville  épiscopale  :  ils  regorgeaient  de  malades. 
L'année  1746,  qui  se  terminait  à  Québec  dans  les  exercices 
du  Jubilé,  finissait  aussi  dans  les  affres  de  la  mort.  Nos 
milices  étaient  revenues  de  leur  expédition  en  Acadie  avec 
un  grand  nombre  de  prisonniers  anglais  protestants.  Mili- 
ciens et  prisonniers  avaient  contracté  à  Chibouctou  des 
fièvres  malignes.  Ils  furent  mis  à  l'Hôtel-Dieu  en  arrivant 
à  Québec.  La  maladie  contagieuse  se  répandit  bientôt 
dans  la  ville,  puis  dans  tout  le  pays,  où  elle  continua  ses 


138  l'église  du  canada 

ravages  plusieurs  années  de  suite  ^^.  Sept  religieuses  en 
moururent  aux  Ursulines,  et  autant  à  l'Hôtel-Dieu.  L'Hô- 
pital Général  fut  obligé  d'ouvrir  ses  portes  aux  malades,  et 
là  aussi  quelques  religieuses  furent  victimes  de  la  maladie, 
ainsi  que  le  P.  Justinien  Durand,  confesseur  de  la  commu- 
nauté. 

M.  Vallier,  supérieur  du  Séminaire,  qui  faisait  les  fonc- 
tions de  curé  de  Québec,  déploya  un  zèle  admirable  auprès 
des  malades.  Comme  il  était  le  seul  prêtre  de  la  ville  qui 
sût  un  peu  l'anglais,  il  se  dévoua  surtout  à  l'instruction 
des  prisonniers  de  cette  langue  qui  voulaient  mourir  dans 
le  sein  de  l'Eglise.  Il  sacrifia  généreusement  sa  vie  pour 
eux  et  contracta  la  maladie  : 

«  On  le  voyait  nuit  et  jour  auprès  des  malades  atteints 
des  fièvres  malignes,  dit  une  annaliste.  Il  ne  tarda  pas  à 
en  être  lui-même  la  victime.  Il  mourut  le  16  janvier  1747 
dans  sa  quarantième  année  ^^.  » 

L'Evêque  se  fit  un  devoir  de  lui  administrer  lui-même 
les  derniers  sacrements.  Comme  il  était  conseiller-clerc, 
l'Intendant  et  le  Conseil  Supérieur  assistèrent  à  ses  funé- 
railles, qui  eurent  lieu  à  la  cathédrale. 

M.  Vallier  était  le  dernier  prêtre  du  Séminaire  qui 
faisait  partie  du  Chapitre  :  sa  sépulture  donna  lieu  à  un 
touchant  échange  de  bons  procédés  entre  le  Séminaire  et 
les  chanoines. 

Pour  marquer  son  respect  et  sa  reconnaissance  envers 
son  supérieur,  le  Séminaire  voulut  que  cette  sépulture  fût 
aussi  solennelle  que  possible  :  le  corps  du  défunt  fut  placé 


16.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  256. 

17.  Mgr  de  Saint-V allier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec,  p.  319. 


sous   M»*"   DE    PONTBRIAND  139 

daus  un  magnifique  mausolée,  que  Pon  entoura  d'une 
grande  quantité  de  cierges  ;  et  comme  il  en  manquait 
quelques-uns,  M.  de  La  Ville-Angevin,  «  trésorier  du  Cha- 
pitre et  préfet  de  la  sacristie  «,  les  fournit  généreusement. 

L'enterrement  fait,  M.  Pelet,  procureur  du  Séminaire, 
vint  trouver  M.  de  La  Ville-Angevin,  «  et  lui  dit  gracieu- 
sement que  MM.  du  Chapitre  pouvaient,  selon  le  droit  et 
l'usage  des  églises  paroissiales,  disposer  des  cierges  mis  au 
mausolée,  à  l'entour  du  corps,  et  aux  autels,  comme  leur 
appartenant  ».  —  «  Je  ne  puis  rien  faire  seul,  répondit  le 
préfet  ;  j'en  parlerai  aux  MM.  du  Chapitre,  qui  décideront 
ce  qu'ils  jugeront  à  propos.  » 

Il  convoqua  le  lendemain  ses  confrères,  et  il  fut  décidé 
d'abandonner  tous  les  cierges  au  Séminaire,  et  de  ne  se 
faire  rendre  que  ceux  que  le  Chapitre  avait  lui-même 
fournis.  Citons  ici  quelques  lignes  du  procès-verbal  de 
l'assemblée  :  est-il  possible  de  trouver  un  témoignage  plus 
authentique  qu'à  cette  date  (1747)  la  meilleure  entente 
existait  encore  entre  le  Chapitre  et  le  Séminaire  ? 

«  L'assemblée  a  conclu  tout  d'une  voix  que,  pour  mar- 
que de  l'estime  sincère  et  véritable  qu'elle  conservera 
toujours  des  grandes  qualités  et  rares  vertus  du  sieur 
Vallier,  et  de  l'étroite  union  qu'elle  désire  inviolablement 
entretenir  et  cimenter  de  plus  en  plus  avec  messieurs  des 
Missions-Etrangères,  elle  veut  qu'on  remette  au  dit  Sémi- 
naire tous  les  cierges  qu'ils  ont  fournis,  que  le  sieur  préfet 
retire  seulement  les  trente  qu'il  a  prêtés,  dans  l'état  qu'ils 
sont,  et  ne  redemande  rien  pour  le  luminaire  qu'il  a 
fourni...  Les  cierges  seront  reportés  au  séminaire  par 
le  sacristain  du  Chapitre. . .  »  ^^ 

Le  Chapitre  consacrait  ensuite  à  la  mémoire  de  son 
Théologal  les  lignes  suivantes,  qui  valent  bien  une  oraison 
funèbre  : 

18.  Registre  du  Chapitre,  assemblée  du  18  janvier  1747. 


140  l'église  du  canada 

«  Il  était  doué  de  toutes  les  vertus  et  avait  toutes  les 
bonnes  qualités  et  les  talents  qu'on  peut  désirer  dans  un 
parfait  ministre  de  Jésus-Christ.  Il  était  doux  et  affable, 
avec  un  esprit  vif  et  pénétrant,  un  grand  jugement  et  une 
prudence  sans  pareille  qui  le  rendait  toujours  égal  et 
tranquille.  Il  joignait  surtout  une  profonde  humilité  à 
une  grande  et  très  étendue  érudition,  une  vraie  mortifi- 
cation, et  un  mépris  de  soi-même  à  un  entier  déta- 
chement, une  charité  sans  bornes  envers  tous  les  affligés  à 
un  zèle  infatigable  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des 
âmes,  qui  fut  toujours  réglé  par  l'obéissance.  Sa  dévotion 
envers  la  très  sainte  Vierge,  qu'il  appelait  sa  bonne  Mère, 
était  solide  et  tendre.  Il  est  mort  dans  une  pleine  confiance 
en  Dieu  et  une  résignation  parfaite.  » 

(f  II  a  peu  vécu,  ajoute  un  chroniqueur  de  l'époque,  mais 
il  a  rempli  par  ses  importants  et  continuels  travaux  du 
confessionnal,  de  la  chaire  et  des  leçons  de  théologie, 
beaucoup  d'années  ;  et  sa  vie  pure  et  sainte  lui  tient  lieu 
d'une  vieillesse  vénérable  et  consommée  que  nous  espérons 
que  le  Seigneur  juste  juge,  mais  aussi  père  de  miséricorde, 
aura  couronnée  de  la  gloire  immortelle.  » 


CHx\PITRE  XIV 


M^  DE  PONTBRIAND  ET  LE  SÉMINAIRE  DE  QUÉBEC.  — 

M.  DE  I.AI.ANE 

Disette  de  prêtres  au  Séminaire;  chez  les  Jésuites.  —  Difficultés  entre 
l'Evêque  et  M.  Jacrau.  —  L'esprit  de  Mgr  de  Laval  dans  la  fonda- 
tion du  Séminaire,  et  dans  l'union  de  ce  Séminaire  avec  celui  de 
Paris.  —  Mgr  de  Pontbriand  prend  provisoirement  la  direction  de 
son  Séminaire  épiscopal.  —  M.  de  Lalane,  envoyé  à  Québec  par  le 
Séminaire  de  Paris.  —  La  paix  restaurée.  —  On  décide  de  re- 
construire la  Chapelle  incendiée  en  1701. 

LA  mort  de  M.  Vallier,  comme  nous  avons  déjà  eu  occasion 
de  le  dire,  était  une  grande  perte  pour  le  Séminaire  de 
Québec,  dont  il  était  l'âme,  le  soutien  et  la  vie.  Il  avait 
relevé  cette  maison  au  point  de  vue  des  affaires  tempo- 
relles ;  il  y  entretenait  la  paix,  l'union  et  la  discipline. 

Dans  le  séjour  de  deux  ans  qu'il  avait  fait  au  Sémi- 
naire, à  son  arrivée  à  Québec,  M^''  de  Pontbriand  avait 
remarqué  certaines  choses  qu'il  n'approuvait  pas,  au  point 
de  vue  du  règlement  :  il  en  avait  parlé  à  M.  Vallier,  qui 
lui  avait  donné  satisfaction,  et  il  se  reposait  pleinement  sur 
lui  pour  la  conduite  de  cette  maison  si  nécessaire  pour  le 
recrutement  de  son  clergé. 

Ce  qui  désolait  le  Prélat,  surtout,  c'est  que  le  Séminaire 
manquait  de  prêtres  ^  Il  s'en  ouvrit  à  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  qui  écrivit  à  M.  de  Maurepas  : 

I.  Outre  les  prêtres,  il  y  eut  presque  toujours  au  Séminaire  de  Qué- 
bec, comme  aujourd'hui,  un  contre-maître  laïque,  pour  aider  le  procu- 
reur et  l'économe  dans  leurs  fonctions.  Celui  qui  y  était  à  cette  ^oque 


142  l'église  du  canada 

«  L'Evêque  de  Québec  me  parle  de  la  disette  où  il  est  de 
prêtres  dans  son  Séminaire,  où  il  en  voudrait  au  moins 
cinq  de  plus  pour  remplir  les  postes  vacants,  et  fournir  à  la 
desserte  de  la  iparoisse  principale,  dont  le  Séminaire  est 
chargé  -.  ^) 

La  disette  de  professeurs  n'était  pas  moins  grande  au 
Collège  des  Jésuites  : 

«  L,e  Collège  de  Québec,  écrit  au  ministre  M^^  de  Pont- 
briand.  ne  se  soutiendra  point,  si  les  Pères  Jésuites  n'ont 
toujours  un  régent  de  sixième.  Cette  classe  est  comme  la 
pépinière  des  Ecoliers.  Nous  n'avons  personne  pour  mon- 
trer les  premiers  éléments.  On  se  passera  plutôt  de  la 
Théologie  et  de  la  Philosophie,  parce  que  le  Séminaire  fait 
déjà  des  conférences  sur  ces  deux  objets  ^  » 

«Il  est  nécessaire  d'envoyer  au  Canada  six  missionnaires,  » 
écrivit  sans  tarder  le  ministre  au  P.  Charlevoix,  alors  pro- 
cureur des  Jésuites  à  Paris  *. 

Les  Pères  de  Glapion,  Giraut  de  Villeneuve  et  Germain 
arrivèrent  à  Québec  dans  l'été  de  1747  ;  et  il  en  vint  encore 
deux  autres  l'année  suivante. 

Trois  jeunes  prêtres  arrivèrent,  également,  au  Séminaire, 
dans  l'été  de  1747,  MM.  Récher,  de  Bray  et  LeBansais.  Ils 
étaient  envoyés  par  le  Séminaire  de  Paris,  qui  les  recom- 
mandait tous  les  trois  d'une  manière  spéciale.  Mais  M. 
Vallier  n'était  plus  là  pour  assigner  à  chacun  la  fonction 
qu'il  aurait  à  remplir,  et  pour  faire  ce  que  l'on  appelle  à 
Saint-Sulpice  «la  distribution  des  talents.»  Qui  allait  le 
remplacer  pour  la  direction  du  Séminaire?  M.  Jacrau  s'im- 


était  un  M.  Mourisset,  dont  nous  avons  déjà  mentionné  le  nom.  Il  fut 
contre-maître  au  Séminaire  pendant  plus  de  trente  ans,  et  retourna 
définitivement  en  France  en  1752.  (Histoire  manuscrite  du  Sém.  de 
Québec,  p.  394)  • 

2.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  du  2  mars  1748. 

3.  Ibid.,  lettre  du  7  novembre  1748. 

4.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  120. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  I43 

posait  par  Page  et  l'expérience  :  c'était  un  ecclésiastique 
irréprochable;  il  avait  beaucoup  de  mérite  et  de  vertu. 
C'était  un  ancien  missionnaire,  qui  figurait  sur  la  liste  des 
(T curés  usés,»  et  qui  à  ce  titre  recevait  annuellement  trois 
cents  francs  du  budget  colonial  ^  Il  avait  toujours  rendu 
et  pouvait  rendre  encore  de  grands  services  au  Séminaire. 

Mais  quelle  différence  avec  M.  Vallier,  dont  il  n'avait 
ni  le  prestige,  ni  le  talent,  ni  la  science  !  Il  sufl&t  quelque- 
fois d'un  mot  dans  la  correspondance  des  contemporains 
pour  juger  de  la  considération  dont  jouissait  de  son  temps 
tel  ou  tel  personnage.  Le  chanoine  de  Gaunes-Falaise 
écrivant  un  jour,  de  Paris,  à  un  de  ses  confrères  de  Québec 
au  sujet  de  M.  Jacrau,  dont  il  croyait  avoir  à  se  plaindre  : 
«  Je  demande  en  grâce,  disait-il,  de  le  faire  reconduire  à  la 
cuisine;  il  ne  lui  convient  point  de  parler  sur  des  matières 
importantes  ^.  »     Aurait-il  osé  dire  cela  de  M.  Vallier? 

Ce  qui  manquait  surtout  à  M.  Jacrau,  c'était  ce  liant, 
cette  souplesse  d'esprit  et  de  caractère,  qui  faisait  la  force 
de  M.  Vallier  et  lui  gagnait  tous  les  coeurs  ;  c'était  le  tact, 
cette  précieuse  qualité  qui  supplée  à  tant  d'autres;  c'était 
la  déférence  humble  et  respectueuse  dont  un  ecclésiastique 
ne  doit  jamais  se  départir  vis-à-vis  de  ses  supérieurs. 

M.  Vallier,  tout  jeune  qu'il  était,  et  tout  nouveau  au 
Séminaire  des  Missions-Etrangères,  à  Paris  et  à  Québec, 
s'était  bien  pénétré  de  l'esprit  de  M^^  de  Laval  et  de  M.  de 
Brisacier.  Il  connaissait  à  fond  la  pensée  qui  avait  présidé 
à  la  fondation  du  Séminaire  de  Québec  et  à  son  union  avec 
celui  de  Paris.  Que  voulait  M^'  de  Laval  en  fondant  son 
Séminaire?  Il  l'établit  «pour  servir  de  clergé  à  son 
Eglise...  Il  sera  conduit  et  gouverné,  dit-il,  par  les 
supérieurs   que   nous   ou    les   successeurs   évêques   de    la 


5.  Histoire  manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 

6.  Bulletin  des  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  229. 


144  l'éguse  du  canada 

Nouvelle-France  y  établiront...  On  y  élèvera  et  for- 
mera les  jeunes  clercs  qui  paraîtront  propres  au  service  de 
Dieu . . .  On  leur  enseignera  la  manière  de  bien  administrer 
les  sacrements,  la  méthode  de  catéchiser  et  prêcher  aposto- 
liquement,  la  théologie  morale,  les  cérémonies,  le  plain- 
chant  grégorien,  et  autres  choses  appartenantes  aux  devoirs 
d'un  bon  ecclésiastique  '^.  .  .  »  N'est-ce  pas  là,  vraiment, 
un  séminaire  épiscopal  ou  diocésain,  dans  toute  la  force  du 
mot?  Et  que  voulait  le  vénérable  Prélat  en  l'unissant 
plus  tard  à  celui  de  Paris?  Détruire  son  propre  ouvrage? 
Le  rendre  indépendant  des  évêques  ses  successeurs  ?  A  Dieu 
ne  plaise  !  Il  voulait  sans  doute  fortifier  son  Séminaire 
épiscopal  en  l'unissant  à  une  maison  capable  de  lui  envoyer 
des  prêtres  pour  le  diriger,  en  attendant  qu'il  pût  se  sufi&re 
à  lui-même.  Mais  il  dit  expressément  que  les  supérieurs 
qui  seront  envoyés  de  Paris  auront  besoin  «  pour  exercer 
leur  charge,  »  de  prendre  la  a  bénédiction  et  confirmation  » 
de  l'Evêque  de  Québec.  «  Les  prêtres  envoyés  par  le 
Séminaire  de  Paris,  ajoute-t-il,  sous  notre  approbation  et 
celle  de  nos  successeurs,  pourront  enseigner  les  peuples 
qui  nous  sont  commis.  .  .  ,  à  condition  toutefois  d'être 
soumis  à  nous  et  à  nos  successeurs  évêques  en  toutes  les 
fonctions  ecclésiastiques  qui  regardent  l'assistance  et  l'ins- 
truction du  prochain  ^.  .  .  »  Quelle  attention  constante  à 
sauvegarder  ses  droits  et  ceux  de  ses  successeurs  sur  le 
siège  de  Québec  ! 

Et  cette  union  du  Séminaire  épiscopal  de  Québec  au 
Séminaire  des  Missions-Etrangères  de  Paris,  comment 
l'entendait  M.  de  Brisacier,  l'ami,  Valter  ego  de  M^^  de 
Laval  ?  Rappelons-nous  la  magnifique  lettre  qu'il  écrivait 


7.  'Ediis  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  33,  Etablissement  du  Sém.  de  Qué- 
bec, 26  mars  1663. 

8.  Ihid.,  t.  I,  p.  79.  Lettres  d'union  du  Séminaire  de  Québec  à  celui  de 
Paris,  1675. 


sous   M^""   DE   PONTBRIAND  145 

un  jour  à  ses  confrères  de  Québec  pour  les  engager  à 
donner  satisfaction  aux  prêtres  canadiens,  qui  s'étaient 
plaints  à  lui  de  ce  qu'on  ne  leur  donnait  aucune  part  dans 
la  direction  du  Séminaire  de  Québec  : 

«  Vous  savez  bien,  leur  disait-il,  que  vous  n'êtes,  pour 
ainsi  dire,  que  par  accident  le  Séminaire  épiscopal  des 
Evêques  de  Québec,  qui,  quand  il  leur  plaira,  donneront  à 
d'autres  communautés  le  soin  de  former  leurs  clercs  jus- 
qu'au sacerdoce  ;  et  alors  vous  demeurerez  uniquement 
Séminaire  des  Missions-Etrangères  pour  les  sauvages.  11 
paraît  donc  que  vous  devriez  tendre  à  mettre  le  plus  tôt 
que  vous  pourrez  entre  les  mains  des  ecclésiastiques  du 
Canada  le  soin  d'élever  le  clergé  composé  de  leurs  compa- 
triotes ^.  » 

Ainsi  donc,  dans  l'idée  de  M.  de  Brisacier,  l'union  du 
Séminaire  de  Québec  à  celui  de  Paris  n'est  que  tempo- 
raire :  tôt  ou  tard  le  Séminaire  de  Québec  reprendra  son 
autonomie  parfaite  ;  mais  en  attendant  il  n'en  est  pas  moins 
le  «  Séminaire  épiscopal  »,  le  Séminaire  diocésain  de  Qué- 
bec. Si  M.  Burgurieu,  supérieur  du  Séminaire  de  Paris, 
k  conteste  plus  tard  ^^,  c'est  évidemment  qu'il  n'a  pas, 
tout  à  fait  du  moins,  l'esprit  de  son  illustre  prédécesseur, 
l'esprit  qui  a  présidé  à  l'union  des  deux  Séminaires. 

Et  ici,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  citer,  sans 
toutefois  en  prendre  la  responsabilité,  mais  tout  simple- 
ment à  titre  documentaire,  la  remarque  que  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu  faisait  à  M^^  de  Pontbriand  sur  l'esprit  du  Sémi- 
naire de  Paris  lui-même,  à  cette  époque.     Comme  nous  le 


9.  Voir  le  premier  volume  de  cet  ouvrage,  p.  390. 

10.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  39:...  "Soit  qu'il  (le  Sémi- 
naire de  Québec)  soit  un  Séminaire  des  Missions-Etrangères,  comme 
nous  le  croyons,  et  non  un  Séminaire  diocésain,  comme  votre  mémoire 
le  suppose...  "(Lettre  de  M.  Burgurieu,  supérieur  du  Séminaire  de 
Paris,  à  Mgr  de  Pontbriand,  <j  mai  1752). 

10 


146  L^ÊGLISE   DU   CANADA 

savons,  l'abbé  y  résidait,  et  était  censé  connaître  ce  qui  sY 
passait  : 

((  L'ancien  esprit  qui  régnait  dans  cette  maison  s'est 
entièrement  évanoui.  Ceux  qui  la  composent  ont  un 
esprit  et  un  système  tout  différent,  qui  est  à  cent  picques 
de  celui  de  l'œuvre  qui  lui  a  donné  naissance.  Il  semble 
qu'ils  veulent  la  saper  par  les  fondements  et  la  convertir 
eu  toute  autre  chose  différente.  ,  . 

«  Vous  serez  de  plus  étonné,  monseigneur,  ajoutait-il, 
que  presque  tous  les  exercices  de  piété  ou  d'instruction 
pour  les  jeunes  gens  y  soient  tombés.  Plus  aucune  trace 
de  zèle.  Jusqu'au  simple  public  s'en  aperçoit  :  à  plus 
forte  raison  le  public  éclairé  ^^.  . .  » 

M.  Vallier,  lui,  possède  parfaitement  l'esprit  de  M^^  de 
Laval  et  de  M.  de  Brisacier  :  il  sait  que  le  Séminaire  de 
Québec,  dont  il  est  supérieur,  est  le  séminaire  diocésain  de 
M^^'  de  Pontbriand,  que  celui-ci,  par  conséquent,  a  non- 
seulement  le  droit,  mais  le  devoir  de  s'intéresser  à  ce  qu'il 
soit  bien  conduit,  bien  dirigé,  qu'il  ait  toujours  un  nombre 
suffisant  de  professeurs,  qu'il  entretienne  le  plus  d'élèves 
possible,  et  que  ces  élèves  soient  bien  formés  pour  le  sanc- 
tuaire, afin  de  faire  de  bons  prêtres  pour  l'Eglise  canadienne 
qui  en  a  tant  besoin.  Plein  de  déférence  pour  son  Evêque, 
M.  Vallier  se  fait  un  devoir  de  lui  rendre  compte  de  son 
administration  et  de  prendre  son  avis  dans  les  circonstances 
difficiles  :  ce  qu'il  accorde  par  déférence  au  digne  Prélat, 
il  le  reprend  en  autorité  auprès  de  lui  ;  M^^  de  Pontbriand 
a  la  plus  parfaite  confiance  en  ce  prêtre  distingué. 

Qu'arrive-t-il,  au  contraire,  après  la  mort  de  M.  Vallier? 
A  peine  M.  Jacrau  a-t-il  pris  le  timon  des  affaires  que  mille 
difficultés  surgissent  entre  lui  et  M^^  de  Pontbriand.  Nous 
avons  sous  les  yeux  un  document,  tiré  des  archives,  où 

II.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
à  Mgr  de  Pontbriand,  22  avril  1752. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  I47 

figurent,  en  deux  colonnes,  quelques-unes  de  ces  difficul- 
tés :  d'un  côté,  les  prétentions  de  M.  Jacrau,  de  Pautre 
celles  de  l'Evêque  ^^.  On  aura  une  idée  de  celles  de  M. 
Jacrau  par  les  deux  propositions  suivantes,  que  nous  lisons 
dans  le  document  : 

((  Premièrement,  le  Séminaire  de  Paris  est  maître  de 
celui  de  Québec  :  il  peut  donc  envoyer  chez  soi  ceux  qu'il 
juge  à  propos  ; 

((  Deuxièmement,  le  Séminaire  de  Québec  n'a  pas  été 
établi  comme  Séminaire  épiscopal,  ni  donné  à  un  Sémi- 
naire épiscopal.  w 

Il  est  évident  que  l'Evêque  ne  pouvait  admettre  la 
première  de  ces  deux  propositions  qu'avec  de  nombreuses 
distinctions  et  réserves:  «envoyer  chez  soi  ceux  qu'il  juge 
à  propos  !  «  N'avait-on  pas  eu  assez  du  janséniste  Varlet,  qui 
avait  été  envoyé  à  Québec  par  les  Missions-Etrangères,  du 
temps  de  M^^  de  Saint- Vallier  ^^?  Quant  à  la  deuxième 
proposition,  elle  est  contraire  non  seulement  à  l'esprit  de 
M^  de  Laval,  mais  à  l'acte  même  de  création  de  son  Sémi- 
naire, dont  nous  avons  cité  plus  haut  quelques  lignes.  M^ 
de  Pontbriand  ne  pouvait  s'entendre  dire,  sans  protester, 
que  son  Séminaire  n'était  pas  «son  Séminaire,»  n'était  pas 
le  Séminaire  diocésain,  le  Séminaire  épiscopal  de  Québec. 
Aussi  ne  tarde-t-il  pas  à  rompre  avec  M.  Jacrau  : 

«  Je  prévois,  écrit-il,  que  M.  Jacrau  est  trop  entêté  pour 
concerter  avec  moi.  Il  convient  mieux  d'attendre  un  supé- 
rieur pacifique ...» 

Et  c'est j'alors  qu'il  se  décide  à  prendre  lui-même  en 
mains  la  direction^des  affaires  et  à  nommer  aux  charges  : 

«  Voici  à  quoi  je'me  réduis,  dit-il,  par  provision,  et  pour 
le^bien  de^la^paix  : 

12.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Difl5cultés  de  l'Evêque  avec 
le  Séminaire,  (copie  de  l'original,  qui  est  au  Séminaire). 

13.  Voir  le  premier  volume  de  cet  ouvrage,  p.  331. 


148  I^'EGUSE   DU   CANADA 

«  1°  M.  Jacrau  demeurera  le  principal  vicaire  de  la 
paroisse,  ou  M.  LeBansais,  ce  qu'on  examinera  pour  le  plus 
grand  bien  ^*. 

«  2°  M.  Poulin  sera  le  deuxième,  et  n'aura  que  sa  pen- 
sion, chauffage,  dira  ses  messes  pour  lui. 

a  3°  M.  Récher  sera  le  troisième  vicaire,  et  étant  de  la 
maison  il  sera,  comme  membre  du  Séminaire,  entretenu. 

«  4°  M.  de  La  Valtrie  ^^  sera  nourri,  chauffé,  aura  ses 
messes  pour  lui,  desservira  l'Hôpital. 

«  5°  M.  Pelet  continuera  la  procure,  sous  les  yeux  de 
M.  Jacrau,  et  aura  soin  de  la  Basse-ville. 

«  6°  M.  de  Villars  sera  supérieur  immédiat  du  Grand 
et  du  Petit  Séminaire,  pour  les  permissions,  exercices, 
études  et  congés  des  pensionnaires,  fera  une  conférence  de 
morale,  confessera,  ou  un  autre,  les  Ursulines.  » 

Cette  dernière  nomination  fait  tressaillir  M.  Jacrau, 
qui  écrit  en  marge  :  «  M^^  l'Evêque  ne  peut  donner  le  titre 
de  supérieur  immédiat  du  Séminaire  à  qui  que  ce  soit,  ni 
nommer  aucun  directeur.  Cela  est  réglé  par  le  Roi»;  ce 
qui  n'empêche  pas  M°^  de  Pontbriand  de  continuer  : 

H  7°  M.  LeBansais  sera  directeur  du  Petit  Séminaire, 
assistera  aux  exercices,  fera  une  conférence  de  théologie, 
les  conférences  spirituelles  alternativement  avec  M.  Cheva- 
lier, les  Prônes  alternativement  avec  M.  Jacrau,  prêchera 
l'Avent,  se  préparera  pour  les  Prières  du  carême,  à  la 
Haute-Ville,  ou  à  la  Basse,  confessera. 

ff  8°  M.  Chevalier  suppléera  à  tout. 

«  Je  continuerai,  ajoute  l'Evêque,  à  donner  au  Séminaire 
huit  cents  francs  sur  les  Suppléments.  Par  cet  arran- 
gement, il  n'y  a,  à  bien  dire,  que  MM.  Poulin  et  La  Valtrie 


14.  Ce  fut  M.  Le  Bansais  qui  fit  les  fonctions  curiales  jusqu'à  son  en- 
trée chez  les  Jésuites,  en  1749. 

15.  François  Marganne-Le  Chapt-de  La  Valtrie,  ordonné  le  22  sep- 
tembre 1742. 


SOUvS    M^^   DE    PONTBRIAND  149 

à  la  charge  du  Séminaire,  qui  a  en  outre  la  valeur  de 
quatre  cents  francs  pour  l'Hôpital,  sans  compter  !e  surplus 
de  la  Cure.  » 

M^^  de  Pontbriand  ne  s'arrête  pas  là:  il  va  encore  plus 
loin,  au  delà  même,  croyons-nous,  de  ce  qui  s'est  jamais 
fait  par  ses  prédécesseurs  ou  ses  ^successeurs.  Il  y  a  les 
pensions  d'écoliers  fondées  par  M^^  de  Laval,  au  sujet 
desquelles  le  pieux  Prélat  avait  pris  tant  de  précautions, 
voulant  que  les  directeurs  seuls  de  Paris,  conjointement 
avec  ceux  de  Québec,  eussent  à  y  voir,  «sans  quoi,  ajoutait 
Pacte  de  fondation,  le  dit  Seigneur  Evêque  n'eût  pas  don- 
né ses  biens  au  Séminaire  ^^.  «  M^^  de  Pontbriand  prétend 
avoir  son  mot  à  dire  pour  la  distribution  de  ces  pensions: 

«  C'est  une  règle  de  droit,  dit-il  :  PEvêque  a  droit  d'ins- 
pection sur  toutes  les  fondations.  La  chose  serait-elle 
douteuse,  il  faudrait  l'interpréter  suivant  le  droit  commun. 
Est-il  naturel  qu'un  évêque  ait  voulu  par  des  mots  géné- 
raux s'exclure  lui-même?  que  dans  une  fondation  utile  à 
son  diocèse  il  ait  voulu  exclure  ses  successeurs?.  .  .  Toute 
cette  fondation  (de  M^'^  de  Laval),  ajoute-t-il,  regarde  le 
Séminaire  de  Québec  comme  Séminaire  épiscopal.  Si  on 
adonné  aux  Missions-Etrangères,  ce  n'est  qu'autant  qu'elles 
desserviraient  le  Séminaire  épiscopal.  La  vue  principale 
est  le  Séminaire;  la  deuxième  et  l'accidentelle  regarde 
ceux  qui  en  ont  soin. 

«  Je  dis  la  même  chose,  ajoute-t-il  encore,  des  fondations 
de  M.  Soumande  et  de  M^*"  de  Saint- Vallier.  Je  pense 
qu'on  ne  dispute  point  que  c'est  à  nous  à  nommer  les  per- 
sonnes qui  doivent  les  remplir.  » 

Puis  il  se  met  en  devoir  de  faire  la  distribution  des  pen- 
sions Laval,  Soumande,  Saint- Vallier  et  Duc  d'Orléans. 
«  Voici,   dit-il,   l'emploi   général  qu'on    en    fera,   sauf  les 


16;  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  224. 


150  l'église  du  canada 

représentations.  »  M.  Jacrau  a  beau  se  récrier  :  «  C'est  au 
Séminaire  à  disposer  des  places,  et  non  pas  seulement  à 
représenter  »  :  il  a  perdu  la  confiance  de  l'Evêque  ;  et 
celui-ci  passe  outre.  Il  distribue  en  trente-six  parts  iné- 
gales, variant  de  trois  cents  à  cent  francs,  le  montant  total 
des  fondations,  nomme  les  trente-six  élèves  qui  en  bénéfi- 
cieront ^'^,  et  ajoute  : 

(f  Si  MM.  du  Séminaire  veulent  présenter  quelques 
autres  sujets,  on  fera  des  efforts  pour  y  pourvoir.  S'ils 
trouvent  qu'il  faudrait  donner  moins  à  quelques-uns,  on  se 
prêtera  à  tout  ce  qui  paraîtra  juste.  .  .  » 

* 

*     * 

La  situation  était  évidemment  grave,  anormale,  les 
rapports  tendus  entre  l'Evêque  et  son  Séminaire  diocésain  : 
les  choses  ne  pouvaient  rester  longtemps  dans  un  état  si 
voisin  de  la  rupture.  On  se  hâta  d'écrire  à  Paris,  de  part 
et  d'autre  ;  et  le  Séminaire  des  Missions-Etrangères  se 
décida  à  envoyer  à  Québec  un  de  ses  propres  directeurs 
pour  améliorer  la  situation. 

M.  de  Lalane  quitta  Paris  au  printemps  de  1748,  et 
arriva  à  Québec  dans  le  cours  de  l'été  : 

«  M.  de  Lalane  va  remplacer  M.  Vallier,  écrivait  de  Paris 
M»*"  Dosquet  à  M.  Jacrau.  Il  édifiera  beaucoup  par  sa  vertu 
et  sa  piété  ^^  » 

17.  Voici  les  noms  de  ces  élèves,  et  le  montant  de  pension  que  l'Evêque 
attribuait  à  chacun  d'eux:  c'étaient,  la  plupart,  des  élèves  du  Grand 
Séminaire  : 

"  Sarault,  300  francs  ;  Porlier,  300  ;  Petit,  300  ;  Mercier,  250  ;  Lagroix, 
200;  Guai,  250;  Girauville,  200;  Morant,  150;  Duburon,  150;  Filion, 
100;  Bedard,  100;  Brassard,  200;  Normanville,  250;  Cavelier,  100;  Des- 
roches, 150;  Longval,  150;  Guai,  100;  Proult,  150;  Lataille,  150;  Dielj 
150;  Bedard,  50;  Youville,  200;  Gatien,  100;  Parent,  150;  Bériault,  150; 
Verrault,  100;  Duvernay,  200;  Baby,  150;  Brassard,  150;  Mantet,  100; 
Hamel,  100;  Lantagnac  200;  Aubert,  150;  Marchand,  100;  Valens,  140 
ou  150;  Cloutier,  100. 

18.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  lettre  du  29  février  1748. 


sous    M«'   DE    PONTBRIAND  I5I 

«  Il  s'en  va  an  Canada,  écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  avec  un 
autre  ecclésiastique  ^^,  pour  y  arranger  pendant  quelque 
temps  le  Séminaire  de  Québec,  y  nommer  un  Supérieur,  y 
placer  chaque  sujet  dans  le  poste  qu'il  peut  remplir  ''^^,  et  y 
mettre  tout  dans  l'ordre  où  il  doit  être.  Dieu  veuille  que 
ce  soit  sans  bruit  et  sans  altercation  vis-à-vis  du  Seigneur 
évêque,  qui  est  homme  ferme.  Mais  grâce  à  Dieu  je  ne 
serai  ni  témoin  ni  agent  pour  rien  dans  ce  qui  se  passera. 
Je  connais  les  vues  de  MM.  les  Supérieur  et  Directeurs  de 
cette  maison-ci  "-\  qui  sont  très  bonnes  et  très  pacifiques  ; 
mais  je  redoute  le  meum  et  le  tuum jrigtdum  ^^. .  .  » 

En  arrivant  à  Québec,  M.  de  Lalane  prit  de  suite,  avec 
l'agrément  de  l'Evêque,  les  rênes  du  gouvernement,  au 
Séminaire.  Il  y  eut  bientôt  une  détente  notable  dans  les 
esprits.  M.  de  Lalane  était,  au  dire  de  M.  de  l'Ile-Dieu, 
«un  grand  parleur»;  l'abbé  va  même  jusqu'à  écrire  «qu'il 
disait  plus  de  mots  que  de  choses»  ^^;  et  l'on  sait  que  ces 
sortes  de  gens  ont  souvent  beaucoup  de  succès.  L'Evêque, 
persuadé  qu'il  avait  trouvé  le  «Supérieur  pacifique»  avec 
lequel  il  pourrait  s'entendre,  ne  tarda  pas  à  le  nommer  son 
grand  vicaire.  Le  Chapitre  l'invita  à  assister  aux  offices 
«en  habit  canonial,»  et  ce,  disait-il,  «par  honnêteté,  et  sans 
conséquence  pour  l'avenir»  '^^.  Au  Séminaire,  ]\I.  de  La- 
lane fit  adopter  par  ses  confrères  d'excellentes  résolutions, 
qui  mettaient  en  relief  son  amour  de  l'ordre  et  de  la  disci- 
pline. On  décida,  entr'autres  choses,  que  les  directeurs  se 
réuniraient  au  moins  une  fois  par  semaine  :    il  y  aura  dans 


19.  Cet  ecclésiastique  était  M.  Pressart,  qui  devint  l'un  des  directeurs 
et  le  procureur  du  Séminaire. 

20.  En  un  mot,  faire  "  la  distribution  des  talents  ",  à  laquelle  Mgr  de 
Pontbriand  n'avait  procédé  que  d'une  manière  provisoire. 

21.  Les  Missions-Etrangères,  où  il  demeurait. 

22.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  au  ministre,  2  mars  1748. 

23.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  42. 

24.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  20  septembre  1748. 


152  L^ÉGLISE   DU   CANADA 

la  maison,  disait  le  règlement,  plusieurs  exercices  de  piété 
en  commun,  conférences  spirituelles  chaque  vendredi,  «  aux- 
quelles tout  le  monde  assistera,  et  où  les  directeurs  donne- 
ront le  sujet  de  l'oraison  chacun  leur  tour;»  on  avertira  le 
Supérieur,  quand  on  s'absentera,  etc  ^^. 

Mais  ce  qui  fit  surtout  plaisir  aux  amis  de  la  tradition, 
ce  qui  les  reportait  à  cinquante  ans  en  arrière,  ce  fut  la 
résolution  que  fit  prendre  au  Séminaire  M.  de  Lalane  de 
réaliser  sans  plus  de  délai  un  désir  souvent  exprimé  par 
M^^  de  Laval  :  celui  de  voir  construire  une  clia])eile  exté- 
rieure ^^  pour  remplacer  celle  qui  avait  été  incendiée  en 
1701,  et  n'avait  pu  être  relevée  encore,  faute  de  moyens. 
Cette  chapelle  incendiée  en  1701  était  très  belle,  avec  sa 
voûte  en  caissons  et  ses  sculptures  élégantes  et  bien  fouil- 
lées, que  les  écoliers  eux-mêmes  avaient  faites  durant  leurs 
récréations  et  leurs  jours  de  congé,  sous  la  direction  de 
leur  maître,  l'abbé  Leblond.  Elle  était  très  élevée,  oc- 
cupant les  trois  étages  de  la  maison.  Le  public  y  avait 
un  accès  facile  par  la  rue  de  la  Montagne,  qui  se  continuait, 
à  cette  époque,  devant  l'emplacement  de  l'évêché  actuel 
jusqu'à  la  porte  du  séminaire.  En  ouvrant  cette  porte,  on 
avait  à  gauche  le  Parloir  ^^,  et  à  droite  l'entrée  de  la  cha- 
pelle. Le  Parloir  ayant  été  transféré  plus  tard  à  l'endroit 
où  il  est  maintenant,  c'est  aussi  de  ce  côté  que  l'on  cons- 
truisit la  nouvelle  chapelle,  si  simple,  si  peu  prétentieuse, 
que  nous  avons  tous  connue  dans  notre  enfance,  où  nous 
entendions  la  messe  à  l'époque  de  notre  cours  d'études,  et 
que  nous  aimions  tant  à  cause  des  souvenirs  qu'elle  nous 
rappelait,  et  surtout  à  cause  des  peintures  admirables  qui 
jetaient  tant  de  vie  et  de  couleur  sur  la  blancheur  de  ses 

25.  Histoire  manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 

26.  Voir  le  No.  I  de  l'Appendice. 

27.  De  là  le  nom  de  Rue  du  Parloir  donné  à  ce  bout  de  la  rue  de  la 
Montagne  qui  avoisinait  le  Séminaire.  —  A  l'époque  de  nos  études  clas- 
siques, la  salle  du  Parloir  était  devenue  l'atelier  de  VAbeille. 


sous   M^*    DE    PONTBRIAND 


153 


murailles.  Elle  fut  incendiée  à  son  tour,  hélas!  en  1865. 
Sa  construction  remontait  au  temps  de  M.  de  Lalane. 
Nous  en  reparlerons  dans  un  autre  chapitre.  N'anticipons 
pas  davantage  sur  les  événements. 


CHAPITRE  XV 


DEUXIÈME  VISITE  PASTORALE    DE    M^""  DE    PONTBRIAND. — 
SES  RAPPORTS  AVEC  LA  JONQUIÈRE  ET  BIGOT 

Mandement  pour  la  deuxième  visite  pastorale  du  diocèse.  —  L'itinéraire. 
—  Au  Cap-de-la-Madeleine.  —  Aux  Forges  Saint-Maurice.  —  A 
Montréal  et  autres  paroisses  de  l'Ile.  —  Réception  du  nouveau 
gouverneur  à  Québec.  —  L'intendant  Bigot.  —  Caractère  de  La 
Jonquière.  —  Son  neveu,  Cabanac-Taffanel,  Doyen  du  Chapitre. 

HEUREUX  de  voir  les  travaux  de  sa  cathédrale  terminés, 
l'ordre  rétabli  dans  son  Séminaire,  la  piété  restaurée 
dans  sa  ville  épiscopale  par  le  Jubilé,  la  paix  rendue  au 
pays  par  le  traité  d'Aix-la-Chapelle  (1:^48),  M^^  de  Pont- 
briand  se  décida  au  printemps  de  1749  à  entreprendre  une 
deuxième  fois  la  visite  générale  de  son  diocèse.  Les  ma- 
ladies pestilentielles  dont  nous  avons  parlé  dans  un  cha- 
pitre précédent  régnaient  encore  un  peu  partout  dans  la 
colonie  :  nouvelle  raison  pour  ce  Prélat  zélé  et  courageux 
de  commencer  sans  délai  cette  visite,  afin  de  consoler  les 
malheureux  et  de  fortifier  tout  le  monde  dans  la  pratique 
du  bien. 

Remarquons  ici,  en  passant,  son  admirable  désintéres- 
sement :  il  a  peu  ou  point  de  ressources  personnelles,  son 
budjet  est  très  limité  ;  il  nous  assure,  cependant,  au  retour 
d'une  de  ses  courses  apostoliques,  qu'il  y  avait  dépensé 
quatre  mille  livres.  Rien  ne  l'arrête  quand  il  s'agit  de 
remplir  ses  fonctions  épiscopales  : 

«  Louer  et  animer  le  zèle  des  pasteurs,  fortifier  la  con- 
fiance et  la  soumission  des  peuples,  en  confirmer  la  foi, 


l'église  du  canada  sous  m^""  de  pontbriand    155 

nous  attendrir  sur  leurs  désordres,  reprendre,  menacer, 
punir  même,  s'il  le  faut,  les  coupables  obstinés,  réformer 
les  abus  qui  pourraient  se  rencontrer,  établir  l'uniformité, 
pourvoir  à  la  décence  et  à  la  propreté  des  églises,  examiner 
l'emploi  des  fonds  qui  y  sont  destinés,  procurer  aux  fidèles 
l'instruction,  résoudre  leurs  doutes,  établir  entre  eux  la 
paix  et  l'union  :  ce  sont  là,  Nos  Très  Chers  Enfants,  les 
grands  objets  que  nous  nous  proposons,  »  dit-il  dans  le 
mandement  qu'il  adresse  «  à  tous  les  fidèles  des  différentes 
paroisses  au-dessus  de  Québec  »  ^ 

Ce  mandement  est  daté  du  30  avril,  jour  anniversaire 
de  la  naissance  de  M^^  de  Laval  et  de  la  sainte  mort  de  la 
vénérable  Mère  de  l'Incarnation. 

Nous  avons  l'itinéraire  de  cette  deuxième  visite  pasto- 
rale de  M^^  de  Pontbriand,  du  moins  pour  la  partie  du 
diocèse  qu'il  parcourut  en  1749:  on  le  lira  sans  doute  avec 
intérêt  : 

«  Nous  visiterons,  dit-il,  la  paroisse  de  Sainte-Foye  -  le 
18  mai;  le  19,  Saint-Augustin;  le  20,  Neuville;  le  21,  les 
Ecureuils  ;  le  22,  Cap-Santé  ;  le  23,  le  Cap-Loson  ^  ;  le  soir 
du  même  jour,  les  Grondines  ;  le  24,  Sainte-Anne  de  Batis- 
can*;  le  25,  la  Rivière-Batiscan  ;  le  26,   Batiscan  ;  le  zjy 


1.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  I,  p.  62,  30  avril  1749. 

2.  Dans  son  beau  livre  Une  paroisse  historique,  Notre-Dame-de- 
Sainte-Foy,  M.  l'abbé  Scott  a  prouvé  qu'il  faut  écrire  Sainte-Foy. 

3.  Le  Cap-Loson,  ou  plutôt  Lauzon,  c'est  la  pointe  élevée  oii  est  bâtie 
l'église  de  Deschambault  :  endroit  magnifique  :  "  Eglise  de  Saint-Joseph, 
Cap  Lauzon,  sous  les  petits  pins,  seigneurie  Deschambault.  "  (Tanguay, 
A  travers  les  Registres,  p.  135).  —  Avant  cette  église,  il  y  avait  une  cha- 
pelle seigneuriale,  dite  "  Chapelle  Saint-Antoine  ".  Elle  était  interdite 
en  1741  ;  et  les  corps  qui  y  avaient  été  inhumés  furent  transportés  dans 
la  nouvelle  église.  La  cloche  de  cette  église  (Marie-Claire- Joseph)  avait 
été  bénite  le  ler  octobre  1739.  (Ibid.,  p.  138,  141).  —  En  1765,  le  2  juil- 
let, on  bénit  à  Deschambault  une  autre  *'  petite  chapelle  ",  la  chapelle 
ëe  M.  de  la  Gorgendière,  "  proche  du  manoir  seigneurial  ".  On  l'appelait 
ha  "  Chapelle  de  la  Visitation  ".  {Ibid.,  p.  188) . 

4.  Appelée  aussi  Sainte-Anne  de  la  Pérade,  du  nom  du  seigneur 
Tarieu  de  la  Pérade. 


156  l'église  du  canada 

Champlain  ;  le  28,  le  Cap  de4a-Madeleine  ;  le  29,  les  Trois- 
Rivières;  le  31,  les  Forges. 

«Le  premier  juin,  Machiche  ;  le  2,  la  Rivière-du-Loup, 
où  sera  convoqué  Masquinongé  par  le  missionnaire;  le  3, 
Berthier;  le  4,  l'Ile-du-Pads;  le  5,  Lanoraie;  le  6,  Laval- 
trie;  le  7,  Saint-Sulpice  ;  le  8,  Repentigny;  le  9,  l'As- 
somption; le  10,  Lachenaie;  le  11,  Terrebonne  ;  le  12, 
Sainte-Rose-de-Lima  ;  îe  13,  Saint-François-de-Sales-de- 
Plle-Jésus;  le  14,  la  Ri vière-des- Prairies  ;  le  15,  le  Saut-au- 
Récollet;  le  16,  Saint-Laurent. 

D'après  cet  itinéraire,  M^^  de  Pontbriand  fit  un  peu  plus 
du  quart  du  diocèse  dans  son  voyage  de  1749:  il  compléta 
en  trois  ou  quatre  fois  la  visite  de  ses  paroisses,  les  années 
suivantes,  mais  nous  n'en  connaissons  pas  les  détails. 

Il  ne  restait  généralement  qu'une  journée  dans  chaque 
paroisse,  et  ne  fit  exception  que  pour  les  Trois-Rivières, 
où  il  demeura  deux  jours,  par  amitié  sans  doute  pour  les 
bons  Pères  Récollets,  qui  desservaient  la  paroisse,  par 
complaisance,  également,  pour  les  religieuses  Ursulines, 
dont  le  monastère  avait  été  si  éprouvé  dans  les  premières 
années  de  sa  fondation  ^:  il  était  à  la  veille  de  l'être  encore 
bien  davantage. 

La  journée  qu'il  consacrait  à  chaque  paroisse  était  bien 
employée:  lui  et  les  deux  prêtres  qui  l'accompagnaient  se 
levaient  de  grand  matin  pour  entendre  les  confessions: 

('  Faites  en  sorte,  disait-il  dans  son  mandement,  d'assister 
le  jour  de  la  visite  à  la  sainte  messe.  La  première  se  dira 
vers  les  cinq  heures,  la  seconde  à  six,  la  troisième  à  sept, 
la  quatrième  à  huit,  et  la  mienne  environ  les  dix  heures. 
Quelle  consolation  pour  nous  si,  comme  dans  la  première 
visite,  nous  voyons  la  plupart  d'entre  vous  recevoir  de  nos 
mains  l'adorable  Eucharistie  !  » 

5.  Voir  mon  premier  volume,  L'Eglise  du  Canada  sous  Mgr  de  Saint- 
Voilier,  p.  162. 


sous   M^""   DE    PONTBRIAND 


157 


Dès  son  arrivée  au  presbytère,  il  se  mettait  à  la  dispo- 
de  tous  ceux  qui  désiraient  lui  parler: 

«  Nous  écouterons  avec  plaisir,  dit-il,  ceux  qui  nous 
informeront  de  ce  qu'ils  croiront  mériter  notre  attention. 
Malheur  à  ceux  qui,  par  une  charité  mal  placée,  dissimu- 
leraient des  abus  que  nous  pourrions  réformer  !  » 

Outre  les  deux  prêtres  qui  l'accompagnaient  dans  sa  vi- 
site de  3749,  M^'  de  Pontbriand  avait  avec  lui  le  jeune 
abbé  Sarault,  natif  de  Montréal,  qui  avait  fait  ses  études 
au  Séminaire  de  Québec.  Il  lui  servait  de  cérémoniaire  et 
de  secrétaire  ^.  Il  n'était  encore  que  diacre  ;  mais  comme 
il  avait  une  très  belle  voix  et  une  bonne  écriture,  il  pou- 
vait lui  être  très  utile  en  maintes  occasions.  C'était  d'ail- 
leurs un  excellent  caractère.  Sarault  fut  ordonné  prêtre 
dans  le  cours  de  l'automne  et  prit  de  suite  charge  de  la 
nouvelle  paroisse  de  Saint-Charles  de  la  Rivière  Boyer  ^, 
qu'il  gouverna  jusqu'à  sa  mort  en  1794. 

Sainte-Foy  ou  Notre-Dame-de-Foy  était  la  première 
étape  du  voyage  de  M^^  de  Pontbriand.  Pouvait-il  le  com- 
mencer sous  de  plus  heureux  auspices?  Un  endroit  tout 
embaumé  du  souvenir  de  nos  anciens  jésuites,  les  Le  Jeune, 
les  DeQuen,  les  Chaumonot  et  tant  d'autres!  L'église  de 
Charles-Amador  Martin,  le  deuxième  prêtre  canadien,  qui 
retentit  longtemps  des  accents  de  sa  voix  si  musicale  ! 
Sainte-Foy  avait  alors  pour  curé  un  autre  bon  prêtre  cana- 
dien, M.  Le  Prévost. 

A  Neuville,  encore  une  ancienne  paroisse,  dirigée  pen- 
dant longtemps  par  les  bons  vieux  prêtres  du  Séminaire, 
les  Germain  Morin,  les  Basset,  les  Pinguet,  puis  par  M.  de 
l'Orme,  avant  qu'il  partît  pour  la  France.  En  1749,  elle 
avait  pour  curé  M.  de  Lotbinière.  fils  du  doyen  de  la  ca- 


6.  Archives  paroissiales  de  Sainte-Anne  de  la  Pérade. 

7.  La  paroisse  natale  de  l'auteur. 


1^8  l'église  du  canada 

thédrale,  qui  la  gouverna  plus  de  trente  ans,  et  eut  pour 
successeur  un  autre  grand  personnage,  M^'"  Bailly  de  Mes- 
sein,  évêque  de  Capse  ^,  coadjuteur  de  Québec,  qui  mourut 
en  1794,  sans  avoir  pu  arriver  au  siège  épiscopal  de  Qué- 
bec, cette  terre  promise  qu'il  ne  fit  qu'entrevoir. 

En  arrivant  à  Sainte- Anne  de  Batiscan,  ou  de  la  Pérade, 
que  de  tristes  souvenirs  se  présentaient  à  l'esprit  de  M^ 
de  Pontbriand  :  la  mauvaise  conduite,  les  scandales  de 
Voyer  !  Mais  il  y  avait  là  un  bon  prêtre,  l'abbé  Rouillard, 
qui  s'efforçait  de  réparer,  autant  que  possible,  l'irréparable. 

Au  Cap-de-la-Madeleine,  —  Sainte-Madeleine-du-Cap,. 
comme  disait  M^^  de  Saint-Vallier — l'Evêque  fut  profondé- 
ment touché  de  la  dévotion  au  Saint-Rosaire  qui  embau- 
mait cette  paroisse,  son  pieux  sanctuaire,  surtout,  devenu 
déjà  un  lieu  de  pèlerinage.  Tout  cela  remontait  à  un  bon 
vieux  prêtre  du  Séminaire  de  Québec,  membre  du  Cha- 
pitre, l'abbé  Paul  Vachon,  Canadien  de  naisssance,  qui  fut 
curé  du  Cap  l'espace  de  quarante  ans.  Dès  1694,  il  avait 
obtenu  de  Rome  la  permission  d'ériger  dans  sa  modeste 
église  la  confrérie  du  Saint-Rosaire,  et  il  l'érigea  en  effet 
en  1697  avec  l'agrément  de  son  évêque,  M^^  de  Saint- 
Vallier.  Quelques  années  plus  tard,  le  pieux  Prélat  étant 
en  visite  pastorale  à  Sainte-Madeleine-du-Cap,  et  se  ren- 
dant aux  désirs  de  M.  Vachon,  émettait  un  décret  pour  la 
construction  d'une  nouvelle  église  à  cet  endroit  :  c'était  le 

13  mai  1714  : 

«  Nous  avons  déclaré  aux  habitants,  à  la  fin  de  notre 
prédication,  dit-il,  que  notre  intention  était  qu'ils  fissent 
paraître  leur  zèle  en  travaillant  à  la  construction  d'une 
nouvelle  église  de  pierre,  pour  la  bâtisse  de  laquelle  nous 
avons  promis  de  donner  abondamment,  et  que  nous  espé- 


8.  De  là  le  nom  de  Grand  et  Petit  Capsa  donné  à  deux  rangs  de  k 
paroisse  de  la  Pointe-aux-Trembles  de  Neuville,  dans  la  profondew 
des  terres. 


AÉ 


sous   M»*^   DE    PONTBRIAND 


159 


rons  qui  sera  faite  bientôt,  si  les  habitants  qui  sont  des 
deux  côtés  de  la  rivière  y  contribuent,  comme  nous  les  y 
exhortons  pour  l'honneur  de  la  grande  Sainte,  leur 
Patronne,  et  leur  avantage  particulier,  leur  déclarant  que 
nous  permettrons  volontiers  la  bâtisse  d'une  nouvelle  cha- 
pelle du  côté  de  Bécancour,  après  qu'ils  auront  fait  paraître 
leur  zèle  pour  la  bâtisse  de  celle  de  Sainte-Madeleine, 
qu'ils  doivent  toujours  regarder  comme  leur  église  mère 
matrice  ^. .  .  » 

Cette  église  fut  construite  en  171 7,  sous  la  direction  de 
M.  Vachon,  et  subsiste  encore  ^^.  Quel  est  le  pèlerin  qui 
n'aimera  à  se  rappeler  qu'elle  est  due  à  l'initiative  de  ce 
bon  missionnaire  du  Séminaire  de  Québec,  à  la  générosité 
de  M^^  de  Saint- Vallier,  aux  contributions  réunies  des 
habitants  du  Cap  et  de  Bécancour?  Bécancour  était  alors 
desservie  par  le  curé  du  Cap-de-la-Madeleine,  M.  Vachon. 
Selon  la  tradition,  il  se  noya  dans  le  fleuve  en  revenant  d'y 
exercer  son  ministère  sacré  :  son  corps  fut  retrouvé  et 
inhumé  sous  le  maître-autel  de  l'église  du  Cap. 

Par  son  testament,  il  abandonnait  généreusement  à  sou 
église  tout  le  bien  qu'il  laisserait  à  sa  mort  ^^ 

Ces  détails,  conservés  précieusement  aux  archives  pa- 
roissiales, intéressèrent  vivement  M^'^  de  Pontbriand,  au 
cours  de  sa  visite. 

Aux  Trois-Rivières,  le  Prélat  fut  réjoui  à  la  vue  de  la 
belle  église  paroissiale  qui  ornait  cette  ville  : 

((  Elle  est  bien  bâtie,  grande  et  bien  ornée,  écrit  Fran- 
quet.  Il  y  a  entre  autres  choses  remarquables  une  chaire 
d'une  sculpture  des  plus  fines  et  des  plus  recherchées  ^^.  » 

9.  Archives  paroissiales  du  Cap-de-la-Madeleine. 

10.  On  sait  que  la  paroisse  et  le  pèlerinage  du  Cap-de-la-Madeleine 
sont  maintenant  sous  la  direction  des  R.  R.  Pères  Oblats  de  Marie 
Immaculée,  ces  apôtres  incomparables  de  l'Amérique  du  Nord. 

11.  Archives  du  Séminaire  de  Québec,  Cahiers  Plante. 

12.  Voyages  de  franquet,  p.  16. 


l6o  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

On  ne  manqua  pas,  sans  doute,  de  parler  à  M^'^  de  Pont- 
briand  du  Frère  Didace,  qui  était  à  cette  époque  en  si 
grande  réputation  de  sainteté  aux  Trois-Rivières  et  dans 
tout  le  district. 

Des  Trois-Rivières,  le  Prélat  se  rendit  aux  Forges  de 
Saint-Maurice  ^^,  distance  de  trois  lieues.  Sa  visite  pasto- 
rale à  cet  endroit  enchanteur  dut  être  pour  lui  une  agréable 
diversion  au  milieu  des  fatigues  d'un  voyage  pénible. 
Laissons  parler  ici  un  chroniqueur  : 

«  La  petite  république  des  Forges,  dit-il,  a  compté,  à 
diverses  époques,  cinquante,  cent,  et  cent-trente  maisons. 
Les  usines  sont  noires,  les  maisons  jaunes,  gris  pâle,  rouges 
parfois,  et  toutes  si  propres,  que  pour  l'entretien  de  ces 
demeures  et  le  soin  de  leur  toilette  personnelle,  les  gens 
des  Forges  sont  passés  en  proverbe. 

((  Le  site  est  ravissant.  Un  gros  ruisseau  qui  tombe  en 
cascade  dans  le  Saint-Maurice,  coupe  l'endroit  par  le  milieu 
et  livre  ses  pouvoirs  d'eau  à  qui  veut  les  prendre  ^^  Les 
hauteurs,  couronnées  par  la  forêt  primitive,  encadrent  le 
paysage  sur  lequel  se  détache,  imposante  dans  sa  masse,  la 
«grande  maison,»  avec  son  toit  normand,  ses  murs  énormes 
et  ses  fenêtres  riantes  aux  quatre  faces  de  son  long  carré. 

«  Une  chapelle  en  bois  rond  y  existait  dès  1740.  M^"*  de 
Pontbriand  la  visita  en  1749.  Plus  tard,  elle  servit  de 
remise  pour  les  voitures,  puis  disparut.     Il  restait  encore 


13.  Le  Saint-Maurice  tient  son  nom  de  Maurice  Poulin,  qui,  dès  1668, 
avait  obtenu  et  mis  en  valeur  un  fief  le  long  de  cette  rivière  :  "  On  prit 
l'habitude  de  dire  "  la  rivière  à  Maurice  ",  et  bientôt  la  désignation  de 
"Saint-Maurice"  prévalut".  {Les  Ursulines  des  Trois-Rivières,  t.  I,  p. 
380). 

14.  Il  parait  que  l'on  coula  autrefois  aux  Forges  Saint-Maurice  des 
pièces  de  canon  :  "  Il  a  été  coulé  au  fourneau  de  Saint-Maurice  quelques 
pièces  de  canon  de  4.  par  les  soins  de  M.  le  chevalier  de  Beauharnais. 
Nous  vous  rendrons  compte  de  l'épreuve  que  nous  en  ferons  faire. . .  " 
(Corresp.  générale,  vol.  91,  lettre  de  La  Galissonnière  et  Bigot  au  mi- 
nistre, 26  septembre  1748). 


sous    M^   DE   PONTBRIAND  l6l 

en    1860  la  sacristie,  bâtiment  de  pierre,  mesurant  vingt 
pieds  sur  vingt  ^^  » 

La  chapelle  des  Forges  était  desservie  par  un  Père 
Récollet,  que  «  le  Roi  y  entretenait  à  titre  d'aumônier  »  ^^» 

* 

*      * 

L'itinéraire  de  la  visite  que  nous  avons  cité  tout-à-l'heure 
laissait  M^^  de  Pontbriand  le  16  juin  à  Saint-Laurent  de 
Montréal.  N'allons  pas  croire,  toutefois,  que  sa  visite  pas- 
torale se  termina  à  cet  endroit.  Il  y  avait  un  mois  qu'il 
était  parti  de  Québec  ;  il  ne  devait  y  retourner  que  cinq  ou 
six  semaines  plus  tard.  Il  lui  fallait  maintenant  faire  la 
visite  de  Montréal  et  de  toutes  les  paroisses  de  l'Ile.  L'iti- 
néraire n'en  mentionnait  qu'une,  Saint-Laurent  ;  mais  il  y 
avait  aussi  Lachine,  la  Pointe-Claire,  Sainte-Anne,  Sainte- 
Geneviève,  le  Saut-au-Récollet,  la  Longue-Pointe.  Toutes 
ces  paroisses  étaient  desservies  par  Saint-Sulpice  :  M.  de 
Vallières  était  à  Lachine,  M.  Perthuis  à  la  Pointe-Claire, 
M.  Depéret  à  Sainte-Anne,  M.  Faucon  ^^  à  Sainte-Gene- 
viève, M.  Matis  à  Saint-Laurent,  et  M.  Chambon  au  Saut- 
au-Récollet  ^^.  M^^  de  Pontbriand  fît  la  visite  pastorale  de 
toutes  ces  paroisses. 

Il  fit  aussi  la  visite  de  Notre-Dame  de  Montréal  et  de  ses 
communautés  religieuses.  Il  avait  surtout  à  s'occuper  de 
la  grande  affaire  de  M^^  d'Youville  et  de  ses  compagnes, 
qui  allaient  remplacer  les  Frères  Charon  à  l'Hôpital  Géné- 
ral, affaire  dont  nous  parlerons  dans  un  autre  chapitre. 
Bref,  le  pieux  Prélat  était  encore  à  Montréal  ou  dans  les 


15.  Les  Ursulines  des  Trois-Rivières,  t.  I,  p.  382. 

16.  Voyages  de  Franquet,  p.  21. 

17.  Voir,  au  volume  précédent,  p.  400,  la  lettre  de  M.  Faucon  sur  la 
dévotion  à  Mgr  de  Lauberivière. 

18.  Bdits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  592. 
n 


l62  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

environs  le  lo  juillet,  puisqu'il  datait  ce  jour-là  un  de  ses 
mandements  «  de  la  Longue-Pointe,  dans  le  cours  de  mes 
visites  ». 

La  Lougue-Pointe,  une  des  paroisses  desservies  par  les 
Sulpiciens,  avait  alors  pour  curé  M.  Benoît  Favre  ^^.  On 
y  tenait  registres  depuis  1724. 

M.  Antoine  Déat  continuait  à  desservir  la  paroisse  de 
Notre-Dame,  dont  la  ville  n'était  qu'une  partie;  le  reste 
était  encore  «  la  campagne  «  :  la  Côte  de  la  Visitation,  la 
Côte  Saint-Pierre,  la  Côte  des  Argoulets,  etc.  L'Hôpital 
Général  lui-même  était  en  dehors  de  la  ville  proprement 
dite  '^",  ainsi  que  Bon-Secours  ^^ 

Le  mandement  que  M^^  de  Pontbriand  data  de  la  Longue- 
Pointe  le  10  juillet  ordonnait  un  Te  Deiun  pour  la  Paix 
d'Aix-la-Chapelle,  qui  devait  être  chanté  le  dimanche  sui- 
vant dans  les  trois  églises  paroissiales  de  Québec,  Montréal 
et  Trois-Rivières.  C'est  le  Prélat  lui-même  qui  présida  la 
cérémonie  dans  Notre-Dame  de  Montréal. 

Tout  occupé  qu'il  était  de  mille  manières  à  Montréal, 
M^^  de  Pontbriand  se  hâta  de  descendre  à  Québec  pour  s'y 
trouver  à  l'arrivée  du  nouveau  gouverneur,  M.  de  la  Jon- 
quière,  attendu  de  jour  eu  jour,  et  le  recevoir  lui-même 
dans  sa  cathédrale.  C'était  la  troisième  fois  que  ce  gou- 
verneur se  mettait  en  route  pour  venir  prendre  en  mains  le 
commandement  de  la  Nouvelle-France,  dont  il  avait  été 
investi  dès  1746.  Cette  année-là,  il  s'était  embarqué  sur 
un  des  vaisseaux  du  duc  d'Anville,  et  subit  naturellement 
le  sort  de  cette  malheureuse  flotte.  Il  fut  cependant  assez 
heureux  pour  retourner  en  France,  d'où  il  repartit  l'année 
suivante  (1747)  pour  passer  au  Canada. 


19.  L'ancien  curé  de  la  paroisse  Saint-Sulpice,  où  il  avait  remplacé  M. 
Baret. 

20.  lEdïts  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  592. 

21.  "A  une  petite  distance  de  la  ville."    (Faillon,   Vie  de  la  Sœur 
Bourgeois,  t.  I,  p.  98). 


sous   M»*"   DE    PONTBRIAND  163 

Cette  fois,  il  commaudait  une  des  deux  escadres  envoyées 
par  la  France  en  Amérique  dans  le  but  d^attaquer  les 
vaisseaux  de  la  marine  anglaise.  C'était  à  cette  époque 
une  lutte  à  outrance  pour  la  suprématie  sur  mer,  lutte 
dans  laquelle  la  France  devait  pitoyablement  succomber. 
Jonquière  fit  la  rencontre  de  dix-neuf  navires  anglais  ayant 
des  forces  triples  de  celles  dont  il  pouvait  disposer  lui-même. 
Il  combattit  vaillamment,  mais  fut  enfin  obligé  de  baisser 
pavillon  : 

«  Notre  escadre  a  été  accablée  «,  écrivait  le  Président  du 
Conseil  de  Marine  au  duc  de  Penthièvre  ^l 

Jonquière  fut  conduit  prisonnier  en  Angleterre,  où  il 
resta  jusqu'à  la  paix  d'Aix-la-Chapelle:  et  c'est  ainsi  que 
M.  de  la  Galissonnière  le  remplaça  deux  ans  à  Québec 
comme  gouverneur  du  Canada. 

Il  put  enfin  arriver  à  Québec  dans  l'été  de  1749  pour 
prendre  les  rênes  de  son  gouvernement,  et  suivant  l'usage 
se  rendit  aussitôt  à  la  cathédrale  : 

«Il  trouva,  dit  la  chronique,  à  l'entrée  de  l'église,  M 
l'Evêque,  accompagné  de  son  Chapitre  et  du  Clergé,  trois 
d'entre  eux  revêtus  de  la  chape  et  de  dalmatiques.  L^e 
Prélat,  après  l'avoir  complimenté,  lui  présenta  à  baiser  le 
crucifix,  qui  avait  été  placé  à  cet  effet  au  bas  de  l'église 
sur  un  carreau  de  velours  violet.  Après  avoir  pris  de  l'eau 
bénite  de  la  main  de  M.  l'Evêque  qui  tenait  le  goupillon, 
il  fut  conduit  à  la  place  qui  lui  avait  été  préparée  dans  le 
lieu  le  plus  éminent  de  l'église,  le  clergé  chantant  des 
antiennes  convenables  à  sa  réception.  On  entonna  ensuite 
V Exaudiat^  et  la  cérémonie  finit  par  plusieurs  oraisons  pour 
la  conservation  de  la  santé  du  Roi. 

((  De  là,  ajoute  la  chronique,  il  se  rendit  au  Château 
Saint-Louis,  oii  il  était  attendu  par  toutes  les  personnes  de 


22.  Rapport. . .  pour  1903,  p. 


164  l'église  du  canada 

distinction  de  la  ville.  Un  moment  après  qu'il  fut  entré, 
arrivèrent  les  députés  du  Conseil  Supérieur,  qui  le  compli- 
mentèrent sur  son  heureuse  arrivée  en  cette  colonie.  Le 
Chapitre  suivit  de  près,  et  le  Théologal  à  la  tête,  M.  de  La 
Ville-Angevin,  lui  fit  un  discours  très  touchant  sur  le  choix 


23 


.  » 


que  Sa  Majesté  avait  fait  de  lui  pour  Gouverneur 

Jonquière  prit  séance  au  Conseil  Supérieur  le  16  août; 
et  M^^  de  Pontbriand,  qui  savait  toujours  (c  rendre  à  César 
ce  qui  appartient  à  César»,  ne  manqua  pas  de  lui  faire 
honneur  de  sa  présence  en  cette  occasion,  comme  il  avait 
fait  l'année  précédente,  le  2  septembre,  à  l'intendant  Bigot 
lui-même  ^*. 

Bigot  avait  en  effet  précédé  Jonquière  d'une  année  dans 
l'administration  de  la  colonie.  Il  devait  venir  sur  la  Fri- 
ponne'^^ ;  mais  il  y  eut  contre-ordre:  c'est  le  Zéphir  qui 
l'amena  au  Canada  ^^.  Pour  arriver  plus  tôt  à  Québec,  et 
y  rencontrer  l'intendant  Hocquart,  auquel  il  succédait,  il 
prit  terre  à  Saint- Joachim  ;  c'est  donc  la  Côte  Beaupré  qui 
eut  les  prémices  de  sa  présence  sur  la  terre  canadienne  ^. 

Cet  audacieux  coquin  avait  contribué  par  ses  malversa- 
tions à  la  perte  de  Louisbourg.  Il  dut  même  aller  à  Paris, 
sur  l'ordre  de  la  Cour,  pour  rendre  compte  de  sa  conduite, 
mais  n'eut  pas  de  peine  à  se  disculper  de  toutes  les  accusa- 
tions portées  contre  lui.  Le  ministre  écrivant  à  M™® 
Bigot,  sa  mère  : 

«  C'est  pour  les  affaires  du  service,  lui  dit-il,  que  l'on  a 
retenu  en  France  votre  fils.  Le  compte  qu'il  a  rendu  de 
son  administration   à   l'Ile   Royale   m'a  confirmé  dans  la 


23.  Corresp.  générale,  vol.  89. 

24.  Registres  du  Conseil  Supérieur. 

25.  Rapport,  .-.pour  1905,  p.  102. 

26.  Ihid.,  p.  105. 

27.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  de  Bigot  au  ministre,  7  septembre 
1748. 


sous    M"*'    DE    PONTBRIAND  165 

bonne  opinion  que  j'ai  de  lui.  Il  ira  vous  voir  dans 
quelques  jours  :  sa  présence  est  aujourd'hui  nécessaire  à 
Rochefort  -^.  » 

Par  son  habileté,  Bigot  avait  su  capter  la  confiance  de  la 
Cour  à  un  degré  extraordinaire.  En  voulons -nous  un 
exemple?  Il  y  a  à  peine  un  an  qu'il  est  à  Québec,  qu'il 
reçoit  l'ordre  de  se  rendre  «  à  l'Ile-Royale,  pour  y  organiser 
et  mettre  en  marche,  de  concert  avec  MM.  Desherbiers  ^ 
et  Prévost,  les  divers  services  de  la  colonie»  '^^\  et  c'est  le 
Roi  Ini-même  qui  lui  écrit  de  sa  main  pour  lui  confier  cette 
tâche  importante!  Suivant  l'expression  pittoresque  de 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  Bigot  tenait  au  Canada  «  la  manivelle 
du  gouvernement  »  ^^  Faut-il  s'étonner  de  la  confiance 
que  l'Evêque  lui-même  paraît  lui  avoir  donnée,  surtout 
dans  les  commencements?     Jonquière  écrit  un  jour  : 

«  Je  me  suis  trouvé  dans  divers  repas  avec  M.  l'Evêque 
et  M.  Bigot;  il  m'a  paru  qu'ils  étaient  d'une  très  bonne 
intelligence.  Je  ferai  dtj  mon  mieux  pour  les  y  mainte- 
nir ^-.  w 

Pour  Jonquière,  on  sait  la  réputation  d'avarice  sordide 
qu'il  a  laissée  dans  les  annales  de  notre  histoire.  Il  est  riche, 
il  est  millionnaire,  et  cependant  il  vit  en  quêteux  :  on 
raconte  de  lui,  à  ce  sujet,  des  détails  que  la  grande  histoire 
se  refuse  à  reproduire  33.     Il  profite  de  vSa   position   pour 


28.  Rapport. . .  pour  1903,  p.  55,  59. 

29.  L'Ile  Royale  ayant  été  rendue  à  la  France  par  le  traité  d'Aix-la- 
Chapelle,  M.  Desherbiers  en  fut  nommé  commandant  ou  gouverneur,  et 
M.  Prévost  commissaire  ordonnateur.  Tous  deux  s'y  rendirent  en  1749 
pour  en  prendre  possession,  des  Anglais. 

30.  Ce  M.  Prévost  reçut  un  jour  une  bonne  leçon  de  la  part  du  mi- 
nistre. Il  avait  cru  devoir  lui  faire  cadeau  d'une  peau  de  renard  :  "  La 
peau  de  renard  noir  que  vous  m'avez  envo)^ée  est  fort  belle,  lui  écrivit 
M.  Rouillé,  et  je  vous  en  remercie;  mais  je  vous  prie  de  ne  plus  me 
faire  de  tels  envois."   (Rapport. ..  pour  1905,  p.   139). 

31.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  135 

32.  Corresp.  générale,  vol.  93,  lettre  au  ministre,  20  septembre  1749. 

33.  Voir  Mémoires  sur  les  affaires  du  Canada,  de  1749  à  1760,  p.  24. 


i66  l'église  du  canada 

s'enrichir  encore  davantage,  forme  une  société  avec  Bigot, 
Bréard,  Marin  et  autres  pour  l'exploitation  des  postes  de 
l'Ouest,  et  y  réalise  des  profits  énormes.  Smith  estime  à 
trois  cent  mille  francs  la  part  seule  du  gouverneur. 
((  Bigot,  écrit  Margry,  n'avait  jamais  assez  d'argent  pour  le 
dissiper,  La  Jouquière  pour  l'entasser  34.  » 

Personne  ne  poussa  jamais  plus  loin  que  lui  le  népotisme. 
Il  trouve,  en  arrivant  à  Québec,  le  Doyenné  de  la  cathé- 
drale vacant  par  la  mort  de  M.  de  Lotbinière,  décédé  le  14 
février  1749.  Vite,  il  supplie  l'Evêque  de  l'aider  à  faire 
nommer  à  cette  dignité  un  de  ses  neveux,  et  il  écrit  au 
nouveau  ministre,  M.  Rouillé,  qui  vient  de  remplacer  M. 
de  Maurepas  : 

«  En  arrivant  dans  ce  pays,  j'ai  trouvé  le  Doyenné  du 
Chapitre  de  Québec  vacant  par  la  mort  de  M.  de  Lotbinière, 
et  j'ai  appris  que  M.  de  Maurepas  avait  dès  l'année  dernière 
jugé  à  propos  que  cette  place  fût  remplie  par  un  prêtre 
européen.  J'ai  un  neveu,  qui  est  l'abbé  de  Cabanac- 
Tafïanel  35,  curé  de  Saint-Jean-de-la-Boutavié,  dans  le  dio- 
cèse d'Albi,  que  j'ai  proposé  à  M.  l'Evêque  pour  remplir 
cette  place.  Il  m'a  promis  de  vous  en  écrire,  et  j'ose  vous 
prier  de  vouloir  bien  être  favorable  à  mon  neveu,  qui  est 
un  sujet  propre  de  toutes  les  façons  à  bien  remplir  cet 
emploi.  Je  serai  charmé  de  l'avoir  auprès  de  moi,  en 
attendant  qu'il  puisse  avoir  quelque  bénéfice,  et  je  vous 
serai  doublement  obligé  si  vous  voulez  bien  lui  accorder 
votre  protection  pour  que  cela  soit  bientôt  se-  •  .  » 

Nous  ne  savons  si  en  effet  M^^'  de  Pontbriand  écrivit  en 
faveur  de  Cabanac-Taffanel  ;  mais  il  s'était  déjà  prononcé 
pour  un  étranger  : 


34.  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  132. 

35.  Il   l'appelle   Cabanac-'i  affanel,   et   celui-ci   signait   La   Jonquière- 
Cabanac.  (Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  97). 

36.  Corresp.  générale,  vol.  93,  lettre  du  20  septembre  1749. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  167 

'(  Il  serait  à  souhaiter,  avait-il  écrit  à  la  Cour  l'année 
précédente,  que  le  successeur  de  M.  de  Lotbinière  fût  un 
komme  éclairé,  pacifique.  Peut-être  serait-il  bon  qu'il  ne 
fût  pas  de  ce  pays  37.  •  .  « 

Cabanac-Tafïanel  fut  nommé  par  le  Roi  :  c'est-à-dire 
qu'on  fit  passer  à  Québec  comme  doyen  du  Chapitre  un 
homme  qui  ne  connaissait  rien  des  traditions,  des  besoins, 
de  l'état  de  notre  Eglise  ;  un  homme  qui  ne  cherchait  qu'à 
se  placer,  «en  attendant  mieux»,  suivant  l'expression  de 
Jonquière  lui-même  ;  un  homme  atteint  comme  son  oncle 
d'une  maladie  de  famille,  la  cupidité,  et  qui  la  laisse  voir 
de  suite,  en  arrivant  : 

(f  Je  n'ai  jamais  vu  un  plus  pauvre  Chapitre,  «  dit-il  au 
ministre  la  première  fois  qu'il  lui  écrit.  Il  le  remercie  «de 
la  grâce  qu'il  lui  a  faite  «  en  lui  accordant  sou  pasj^age  pour 
le  Canada;  puis  il  ajoute:  «Les  revenus  sont  bien  minces, 
et  bien  au-dessous  de  ce  qu'il  m'en  a  coûté  pour  venir  de 
France  38.»  Et  cependant  sa  prébende  comme  Doyen  est 
double  de  celle  des  autres  chanoines;  et  la  prébende  des 
chanoines,  en  1748,  est  cotée  à  sept  cent  trente-six  livres  39; 
elle  sera  cotée,  en  1750,  à  huit  cent  quatre-vingt-sept 
livres  *^. 

Il  y  avait  tant  de  Canadiens  méritants,  formés  au  Sémi- 
naire de  Québec,  imbus  des  traditions  du  fondateur  de 
notre  Eglise,  qui  auraient  pu  avec  avantage  remplir  les 
fonctions  de  Doyen  !  et  s'il  fallait  absolument  un  Français 
pour  le  Doyenné  du  Chapitre  de  Québec,  M^^  de  Pont- 
briand  n'en  avait-il  pas  un  de  première  valeur  auprès  de 
lui,  le  chanoine  Briand,  qui  devait  être  un  jour  son  suc- 


37.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  au  ministre,  8  octobre  1747. 

38.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  Documents  de  Paris,  Eglise  du 
Canada,  t.  II,  lettre  du  4  nov.  1750. 

39.  Recherches    historiques,    vol.    XIV,    p.    200,    lettre    de    La    Ville- 
Angevin,  30  octobre  1748. 

40.  Ibid.,  p.  270. 


l68  L'ÉGLISE   DU   CANADA 

cesseur  sur  le  siège  épiscopal  ?  Il  voudra  l'avoir  plus  tard 
comme  Doyen,  mais  il  ne  sera  plus  temps.  Cabanac,  en 
effet,  ne  fut  pas  lent  à  partir  pour  la  France,  après  la  mort  de 
son  oncle  La  Jonquière,  en  quête  de  quelque  gras  bénéfice  ; 
et  M^^  de  Pontbriand  écrivit  à  M.  de  Lalane,  son  grand 
vicaire,  pour  le  prier  de  faire  nommer  M.  Briand  au 
doyenné  de  Québec,  advenant  la  démission  de  Cabanac. 
Mais  M.  de  La  Corne  avait  pris  les  devants,  et  c'est  lui  qui 
fut  nommé  par  le   Roi   Doyen   du   Chapitre   le    13   mars 

1755*'- 

Trop   de   complaisance  envers   La  Jonquière   et    Bigot 

pouvait  avoir  de  graves  inconvénients.  C'est  justement  à 
cette  époque,  par  exemple,  que  Bigot  commençait  à  déni- 
grer les  Canadiens  : 

«  L'babitant,  avide  de  gain,  écrit-il  au  ministre,  étant 
accoutumé  depuis  quelques  années  à  vendre  à  haut  prix 
les  choses  nécessaires  à  la  vie,  n'a  encore  voulu  souffrir 
aucune  diminution  ;  et  les  citoyens  des  villes  sont  forcés 
d'acheter  sur  le  prix  qu'il  exige.  Il  est  de  la  dernière 
conséquence  de  remédier  à  cet  abus  *"-...  » 

C'est-à-dire  que  Bigot  voulait  avoir  les  effets  des  habi- 
tants à  bon  marché,  pour  les  revendre  lui-même  au  gouver- 
neinent  à  des  prix  fabuleux  par  l'entremise  de  ses  amis, 
dont  il  allait  faire  la  fortune,  en  faisant  la  sienne  ! 

Il  cherche,  également,  à  dénigrer  les  membres  du  Con- 
seil Supérieur,  pour  se  faire  passer,  lui,  pour  un  parangon 
de  vertu  : 

c(  J'ai  vu  dernièrement,  dil-il,  dans  une  affaire  criminelle, 
au  Conseil,  que  les  Juges  étaient  d'accord,  avant  d'entrer, 
pour  sauver  le  coupable.  Je  veux  mettre  ordre,  si  je  le 
peux,  aux  brigues.     Elles  ne  leur  conviennent  point;    et 


41.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  97. 

42.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  du  7  novembre  1748. 


sous    M^''"   DE    PONTBRIAND  169 

c'est  rendre  un  mauvais  service  à  la  colonie  que  d'y  tolérer 
le  crime.  C'est  ce  qui  est  cause  qu'on  y  vole  impunément, 
et  surtout  le  Roi.     Mais  j'espère  que  cela  chargera  43.  » 

«  Il  est  incroyable,  ajoute-t-il  encore  l'année  suivante, 
comme  le  Roi  est  volé,  au  Canada  ^*. .  .  » 

Et  il  signale  au  ministre  une  foule  d'abus  qui,  d'après 
lui,  «  se  sont  produits  dans  les  dépenses  pour  les  travaux 
des  fortifications  )k  Puis  il  attaque  nommément,  à  ce  sujet, 
MM.  de  Léry,  père  et  fils,  lesquels  ont  toujours  joui  de 
l'estime  et  de  la  considération  des  Canadiens  *\ 

Voilà  l'hypocrite  que  le  gouverneur  semblait  prendre 
plaisir  à  montrer  comme  étant  «  en  parfaite  intelligence  » 
avec  l'Evêque  ! 


43.  Corresp.  générale,  vol.  92,  lettre  du  28  octobre  1748. 

44.  Ibid.,  vol.  93,  lettre  du  12  oct.  1749. 

45.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  108. 


CHAPITRE  XVI 


LE  JUBILÉ  DE  L' ANNÉE  SAINTE  (175O-52).  —  M^'"  DE 
PONTBRIAND  AU  FORT  DE  LA  PRÉSENTATION 

Le  Jubilé  de  1750,  célébré  an  Canada  en  1752. — Mandement  de  l'Evêque. 
—  Son  zèle  apostolique.  —  Mort  de  M.  de  la  Jonquière.  —  Le  Cha- 
pitre le  traite  comme  un  chanoine.  —  Voyage  de  l'Evêque  à  la  Pré- 
sentation. —  L'abbé  Picquet  et  ses  Sauvages,  à  Paris. 

IL  fallait  bien  que  l'Evêque  fît  tout  son  possible  pour 
s'entendre  avec  le  gouverneur  et  l'intendant  :  la  Cour 
lui  en  faisait  un  devoir,  même  pour  des  choses  qui  ne 
paraissaient  regarder  que  la  religion.  Le  ministre  lui 
envoie,  au  printemps  de  1751,  la  bulle  de  Benoît  XIV 
pour  le  Jubilé  de  l'Année  Sainte  ! 

«  Je  vous  envoie,  lui  dit-il,  la  bulle  que  le  Pape  a  fait 
remettre  au  Roi  pour  le  Jubilé.  Il  faudra  vous  concerter 
avec  MM.  de  La  Jonquière  et  Bigot  pour  la  date  de  sa 
publication  ^  » 

Cette  bulle  de  Benoît  XIV  était  datée  du  25  décembre 
1750,  et  le  Jubilé  qu'elle  annonçait  était  une  extension  à 
l'univers  chrétien  de  celui  qui  avait  été  célébré  à  Rome 
durant  l'Année  Sainte.  En  France  et  dans  tous  les  pays 
européens  le  Jubilé  avait  eu  lieu  en  1751  ;  ici,  la  bulle 
n'étant  arrivée  que  dans  l'automne,  on  ne  put  le  célébrer 
qu'en  1752.  Il  commença  le  16  janvier  et  se  termina  le 
15  juillet: 

«  Nous  avons  appris,  disait  l'Evêque  de  Québec  dans  son 

I.  Rapport. . .  pour  1903,  p.  149. 


l'église  du  canada  sous  m^  de  pontbriand    171 

mandement,  avec  quel  zèle  les  fidèles  de  Pancienne  France 
ont  fait  leurs  efforts  pour  le  gagner.  Les  spectacles  pen- 
dant un  mois  ont  cessé  ;  les  processions  continuelles  n'an- 
nonçaient partout  que  la  piété  et  la  religion.  Serait-il 
possible,  N.  T.  C.  F.,  que  nous  fussions  dans  cette  colonie 
moins  fervents,  moins  religienx  ^?i) 

Ce  mandement,  qui  était  très  long,  fut  envoyé  à  temps 
dans  toutes  les  paroisses,  avec  la  bulle,  très  longue  elle- 
même  :  le  mandement  et  la  bulle  étaient  accompagnés 
à'^Avis  étendus  et  détaillés,  adressés  à  tous  les  confesseurs, 
et  à  ces  avis  se  joignait  V Ordre  à  observer  dans  le  temps 
du  Jubilé.  Quand  on  songe  qu'il  n'y  avait  pas  encore 
d'imprimerie  au  Canada  à  cette  époque  ^,  et  que  tous  ces 
documents,  couvrant  plus  de  trente  pages,  durent  être  écrits 
à  la  main  pour  chaque  paroisse,  on  ne  peut  qu'admirer  la 
somme  de  travail  et  la  grande  bonne  volonté  que  tous  les 
ecclésiastiques  du  pays  déployèrent  en  cette  occasion. 
L'original  de  ces  documents,  ou  une  copie  authentique, 
allait  de  paroisse  en  paroisst,  de  presbytère  en  presbytère  *; 
chacun  en  prenait  une  copie  et  l'envoyait  à  son  voisin  ;  et 
le  Jubilé  commença  partout  le  16  janvier. 

Ce  fut  une  date  mémorable  dans  l'Eglise  du  Canada  pour 
le  renouvellement  de  la  piété  et  de  l'esprit  religieux.  Le 
travail  apostolique  que  l'Evêque  s'imposa  durant  ce  Jubilé 


2.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  92,  27  décembre  1751. 

3.  D'après  un  de  nos  érudits,  Mgr  de  Pontbriand  finit  par  avoir  une 
petite  imprimerie,  dont  lui  aurait  fait  présent  le  Roi  de  France  ;  et  c'est 
avec  cette  imprimerie  qu'auraient  été  imprimés  ses  deux  derniers  man- 
dements, en  1759,  l'un  à  Québec,  l'autre  à  Montréal.  (Philéas  Gagnon, 
Essai  de  Bibliographie  canadienne,  p.  381).  —  Il  est  certain  que  dès 
1748  M.  de  la  Galissonnière  avait  proposé  à  la  Cour  d'établir  une  im- 
primerie au  Canada,  "  disant  que  cela  serait  d'une  grande  utilité  pour  la 
publication  des  ordonnances,  règlements  de  police,  etc. . .  "  Le  Roi  ne 
jugea  pas  à  propos  de  faire  cette  dépense,  mais  déclara  qu'il  donnerait 
volontiers  "  un  privilège  à  l'imprimeur  qui  voudrait  faire  cette  entre- 
prise".  (Richard,  Rapport. ..  pour  1904,  p.  153). 

4.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t,  II,  p.  75. 


172  l'église  du  canada 

est  un  des  plus  beaux  traits  de  sa  carrière  épiscopale. 
Laissons  la  Mère  du  Muy  de  Sainte-Hélèue,  religieuse 
ursuline  de  Québec,  nous  en  donner  une  idée  :  elle  écrit 
aux  sœurs  de  l'Kvêque,  religieuses  de  la  Visitation,  à 
Rennes,  pour  les  féliciter  à  l'occasion  de  la  Béatification  de 
sainte  Jeanne  de  Chantai,  fondatrice  de  leur  Ordre  ;  puis 
elle  ajoute  : 

«  J'ai  bien  des  choses  à  vous  mander  de  notre  pauvre 
pays.  Il  y  en  a  de  consolantes,  et  d'autres  bien  tristes  :  les 
consolantes  sont  le  zèle  de  notre  digne  évêque,  qui  a  été 
infatigable  dans  ce  temps  de  Jubilé.  Il  a  commencé,  avant 
qu'il  fût  pablié  à  la  cathédrale,  par  donner,  lui  seul,  cinq 
jours  de  retraite  aux  trois  communautés  de  la  ville.  Il 
parlait  trois  fois  par  jour  en  public,  dans  des  froids  exces- 
sifs, vivant  très  frugalement.  Le  reste  de  la  journée  était 
employé  à  parler  en  particulier  aux  religieuses. 

«  Il  a  fait  aussi  plusieurs  exhortations  aux  prêtres,  aux 
ecclésiastiques  et  aux  élèves  du  Séminaire. 

((  Le  Jubilé  étant  ouvert  en  janvier,  on  donna  pendant 
huit  jours  trois  exercices  par  jour  dans  la  cathédrale,  et  Sa 
Grandeur  parlait  tous  les  jours  de  la  manière  la  plus  forte, 
la  plus  touchante  et  la  plus  pathétique. 

«  Cela  ne  fut  pas  plutôt  achevé  que,  sans  se  reposer,  il 
monta  à  Montréal,  qui  est  à  soixante  lieues  de  Québec,  où 
il  fit  la  même  chose,  tant  pour  le  public  que  pour  les  deux 
communautés  religieuses  qui  y  sont  ^ 

«  Mais  son  zèle  ne  se  bornant  pas  là,  il  a  été  confirmer 
et  baptiser  à  une  nouvelle  mission  de  sauvages  à  quarante 
ou  cinquante  lieues  au-dessus  de  Montréal,  par  des  chemins 
qui  lui  étaient  bien  inconnus  et  bien  affreux,  puisqu'il 
fallait  ou  sauter  des  rapides  en  canot  d'écorce,  ou   marcher 


5.  Les  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  de  Saint-Joseph  et  les  Sœurs  de  la 
Congrégation.  Mme  d'Youville  et  ses  bonnes  Sœurs  Grises  ne  comp- 
taient pas  encore  ! 


sous    M^''   DE    PONTBRIAND  I73 

à  pied,  mangé  de  moustiques,  par  des  routes  presque  im- 
praticables. 

ff  Que  pensez-vous  de  cela,  mesdames?  N'est-ce  pas  un 
apôtre  ?  Croyez-vous  qu'il  n'ait  pas  bien  gagné  son  jubilé? 
Il  a  été  cinq  mois  absent  de  Québec;  aussi,  à  son  retour,  y 
a-t-il  ramené  la  joie.  . . 

«  Ce  digne  Prélat  comptait,  en  revenant  de  Montréal,  faire 
une  semblable  mission  dans  la  ville  des  Trois-Rivières,  où 
nos  Sœurs  Ursulines  qui  y  sont  établies  auraient  eu  la  conso- 
lation de  l'entendre  :  mais  les  fâcheux  accidents  arrivés 
depuis  peu  les  ont  privées  de  ce  bien  ^.  » 

Cinq  mois  de  travaux,  de  prédications,  de  courses  apos- 
toliques :  quelle  belle  couronne  de  mérites  pour  le  pieux 
Evêque  !  Les  fatigues  et  les  souffrances  de  toutes  sortes 
ne  lui  avaient  pas  manqué,  mais  aussi  que  de  consolations 
spirituelles  !  La  plus  grande  qu'il  éprouva  peut-être,  ce 
fut  avant  son  départ,  durant  les  exercices  du  Jubilé  à  la 
cathédrale.  Le  gouverneur  étant  tombé  gravement  malade 
au  Château  Saint-Louis,  notre  Prélat  s'empressa  d'aller  le 
voir  et  eut  le  bonheur  de  le  convertir. 

La  Jonquière  avait  bien  des  défauts,  mais  il  n'était  pas 
un  honmie  pervers.  Ce  qu'il  devait  se  reprocher  le  plus 
c'était  le  scandale  qu'il  avait  donné  par  son  commerce 
frauduleux  et  cette  cupidité  qui  le  poussait  à  s'enrichir  par 
n'importe  quel  moyen,  c'était  surtout  d'avoir  accrédité  par 
son  exemple  cette  opinion  affreuse,  qu'il  n'y  a  pas  de  mal 
à  voler  le  Roi  ou  le  gouvernement.  La  Jonquière  regretta 
ses  fautes,  et  fit  voir  que  son  repentir  était  sincère  en  en 
demandant  publiquement  pardon  en  présence  de  l'Evêque 
qui  lui  administrait  les  sacrements,  et  de  tous  ceux  qui 
assistaient  à  cette  scène  touchante. 

Il  fit  plus  :  il  autorisa  le  Prélat  à  déclarer  publiquement 

6.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  248. 


174  l'éguse  du  canada 

du  haut  de  la  chaire  de  la  cathédrale  qu'il  demandait  par- 
don des  scandales  qu'il  avait  donnés  dans  son  gouver- 
nement l  Jamais  spectacle  plus  réconfortant  n'avait  été 
donné  à  Québec  depuis  les  jours  de  Mésy  ^. 

Jonquière  survécut  quelques  semaines,  et  ne  mourut  que 
le  17  mars  ^.  Il  fut  inhumé  aux  Récollets,  à  côté  de  ses 
illustres  prédécesseurs,  Frontenac,  Callières  et  Vaudreuil. 
La  levée  du  corps  avait  été  faite  au  Château  par  le  curé 
de  Québec,  «  qui  le  conduisit  en  l'église  des  Récollets  avec 
les  cérémonies  ordinaires  »  ^^. 

Il  avait  toujours  montré  beaucoup  de  sympathie  au 
Chapitre  de  Québec,  dont  le  Doyen  était  son  neveu  :  aussi 
les  chanoines,  pendant  sa  maladie,  allaient-ils  tous  les 
jours  demander  de  ses  nouvelles  ^^  ;  puis  à  sa  mort  ils  écri- 
vaient en  France  à  un  de  leurs  confrères  : 

«  M.  le  marquis  de  Jonquière,  Général  de  Québec,  est 
mort  le  17  mars  dernier  dans  les  sentiments  de  piété  et  de 
résio-nation  les  plus  parfaits  qu'on  puisse  désirer.  Il  a  été 
malade  longtemps  ;  il  s'est  vu  mourir.  Il  a  reçu  plusieurs 
fois  le  Très  Saint  Sacrement  et  tous  les  autres  sacrements. 
M.  le  Doyen  le  lui  donna  la  première  fois  qu'il  le  reçut  en 
viatique,  et  le  Chapitre  y  assista  en  corps;  et  après  la 
mort,  pour  marquer  sa  reconnaissance  et  son  respect  pour 
la  mémoire  d'un  homme  qui  l'avait  protégé  si  parfaitement, 
le  dit  Chapitre  lui  a  fait  faire  un  service  ^^,  avec  le  plus  de 


7.  Manuscrits  de  l'abbé  Casgrain,  cités  dans  Les  Bvëques  de  Québec, 
p.  240. 

8.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  449. 

9.  M  de  la  Jonquière  avait  demandé  déjà  et  obtenu  d'être  relevé  de 
ses  fonctions,  et  son  successeur,  M.  Duquesne,  était  nommé.  La  mort  ne 
fit  qu'avancer  son  terme  d'office.  \Rapport. . .  pour  IÇ05,  p.  160,  lettre  du 
Roi  à  M.  de  la  Jonquière,  11  mai  1752). 

.    10.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  Cahiers  Plante,  Acte  de  Sépulture 
du  20  mars  1752. 

11.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  13  janvier  1752. 

12.  Le  17  avril,  trentième  jour  après  le  décès. 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  I75 

décence  qu'il  lui  était  possible  ^^,  où  M.  l'Intendant,  M.  de 
Lougneil,  commandant  général,  et  tout  l'état  militaire  nous 
firent  l'honneur  d'assister  avec  beaucoup  de  monde  de  la 
ville,  et  beaucoup  de  prêtres  et  de  religieux  ;  et  de  plus 
chaque  chanoine  lui  a  dit  ou  doit  dire  sept  messes,  le  tout 
aux  fins  d'acte  capitulaire  en  bonne  forme.  Nous  vous  en 
donnons  avis  et  au  vénéré  grand  Chantre,  pour  que  vous 
vous  en  acquittiez  au  plus  tôt.  Vous  voyez  que  nous 
l'avons  regardé  comme  un  chanoine  ^^  Si  vous  voyez 
l'abbé  de  Gannes,  ou  que  vous  lui  écriviez,  priez-le  de  se 
souvenir  à  l'autel  de  notre  bon  général  ^^  .  .  » 

*     * 

La  ((  mission  de  sauvages  >>  dont  parle  la  Mère  Sainte- 
Hélène,  où  se  rendit  M^^  de  Poutbriand  durant  le  Jubilé 
de  1752,  c'est  celle  de  la  Présentation,  fondée  trois  ans  au- 
paravant ^^,  à  l'embouchure  de  la  rivière  Oswégatchie,  par 
l'abbé  Picquet,  à  plus  de  quarante  lieues  de  Montréal.  Ce 
digne  Sulpicien,  l'un  des  p!us  courageux  et  des  plus  entre- 
prenants que  la  Société  de  Saint-Sulpice  ait  jamais  envoyés 
au  Canada,  avait  fondé  cette  mission  avec  l'agrément  de 
ses  supérieurs  ecclésiastiques,  l'encouragement  de  M.  de 
la  Galissonnière  et  la  protection  de  la  Cour,  dans  le  but 
d'y  attirer  les  Iroquois  en  aussi  grand  nombre  que  pos- 


13.  "  Les  affaires  du  Chapitre  et  sa  pauvreté  le  mettent  hors  d'état  de 
faire  grand."  (Registre  du  Chapitre,  séance  du  14  avril  1752). 

14.  M.  de  la  Jonquière,  chanoine  de  Québec  !  cela  ne  fait-il  pas  rêver 
à  Chateaubriand,  chanoine  de  Latran?  "Samedi  prochain,  je  me  trans- 
forme en  chanoine  de  Saint-Jean-de-Latran;  et  dimanche  je  donne  à 
dîner  à  mes  confrères.  "  (Souvenirs  et  correspondance  tirés  des  pa- 
piers de  Mme  Récamier,  t.  I,  p.  281). 

15.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  Cahiers  Plante,  Extraits  des  papiers 
du  Chapitre  de  Québec. 

16.  Le  premier  juin  1749,  comme  il  appert  par  une  inscription  latine, 
qui  se  lit  en  tête  du  Registre  de  la  Présentation.  (Voir  notre  étude  sur 
Vabbé  Picquet  dans  les  Mémoires  de  la  Société  Royale,  1894,  p.  10). 


176  l'église  du  canada 

sible,  de  les  christianiser,  et  d'en  faire  des  amis  et  des 
alliés  de  la  France.  Il  fallait  faire  échec  à  Oswégo,  qu'on 
avait  eu  l'imprudence  de  laisser  bâtir:  dans  la  lutte  su- 
prême qui  allait  s'engager  entre  la  France  et  l'Angleterre 
pour  la  possession  du  Canada,  il  fallait  mettre  autant  que 
possible  les  sauvages  de  notre  côté,  pour  nous  aider,  pour 
augmenter  nos  forces. 

L'abbé  Picquet  se  met  donc  à  l'œuvre,  au  printemps  de 
1749.  Rien  ne  peut  arrêter  son  activité  et  son  zèle.  Ses 
premières  constructions  deviennent  la  proie  des  flammes, 
par  le  fait  de  quelques  incendiaires  Agniers,  soudoyés, 
dit-on,  par  les  Anglais  : 

((  Mais  bientôt  la  mission  sort  de  ses  cendres,  écrit  M. 
Parkman,  et  au  bout  d'une  année  ou  deux  on  y  voit  un 
Fort  en  palissades,  flanqué  de  bastions,  une  chapelle,  un 
magasin,  un  hangar,  une  étable,  des  fours,  une  scierie,  de 
vastes  champs  de  blé  et  de  légumes,  et  trois  villages  d'Iro- 
quois,  avec  quarante-neuf  cabanes  d'écorce,  pouvant  loger 
chacune  trois  ou  quatre  familles.  ,  .  Le  gouverneur  du 
Canada  envoie  une  escouade  de  soldats  pour  garder  le  Fort, 
et  cinq  pièces  de  canon  ^".  » 

Tout  cela  a  été  créé,  tout  cela  est  sorti  de  terre  par 
l'énergie  d'un  seul  homme,  l'abbé  Picquet  :  voilà  les  ori- 
gines de  la  ville  moderne  d'Ogdensburg. 

Les  Iroquois,  et  parmi  eux  les  meilleures  familles, 
accourent  en  grand  nombre  se  fixer  à  la  mission,  attirés 
par  la  beauté  du  lieu,  la  fertilité  du  sol,  l'abondance  de  la 
chasse  et  de  la  pêche  qu'il  y  a  dans  tous  les  environs, 
attirés  surtout  par  les  bons  procédés  du  missionnaire  qu'ils 
ont  connu  au  Lac  des  Deux-Montagnes,  où  il  a  été  dix  ans, 
et  qui  n'a  qu'une  chose  en  vue,  à  leur  égard  :  en  faire  de 
bons  chrétiens  et  des  amis  de  la  France. 

17.  Montcalm  et  Wolfe,  t.  I,  p.  66. 


sous  M«^  dp:  pontbriand  177 

V  La  mission  de  l'abbé  Picquet,  écrira  bientôt  M. 
Duquesne,  réussit  au  mieux.  On  doit  l'attribuer  au  talent 
de  ce  missionnaire  pour  humaniser  et  manier  le  sauvage  à 
sa  volonté  ^^.  » 

M^'"  de  Pontbriand  entend  souvent  parler,  à  Québec  et 
surtout  à  Montréal,  de  la  mission  de  la  Présentation,  et 
du  bien  qui  se  fait  dans  cette  partie  lointaine  de  son  dio- 
cèse :  il  y  a  dans  l'œuvre  de  l'abbé  Picquet  quelque  chose 
qui  remue  le  cœur  de  ce  grand  Evêque  patriote,  et  il  se 
décide  à  aller  porter  lui-même  à  sa  missiori  les  grâces  du 
Jubilé.  Ecrivant  à  ses  sœurs  les  Visitandines  dans  l'au- 
tomne de  1751  : 

«  Je  "  compte,  au  printemps,  dit-il,  aller  baptiser  trois 
cents  infidèles.  Chaque  baptême  doit  durer  environ  un 
quart  d'heure.     Le  voyage  est  pénible,  coûteux  ^^. .  .  » 

Il  part  donc  de  Montréal,  dans  la  première  ou  la  deux- 
ième semaine  de  mai,  accompagné  du  Supérieur  de  Saint- 
Sulpice,  M.  Normant,  de  M.  Montgolfier,  un  autre  Sulpi- 
cien,  et  de  M.  Briand,  qui  l'a  suivi  partout  durant  ses 
courses  apostoliques  du  Jubilé.  Le  P.  Isidore  Marsolet, 
récollet,  missionnaire  au  fort  Frontenac,  ira  les  rejoindre 
plus  tard  à  la  rivière  Oswégatchie. 

Il  s'agit  de  remonter  le  Saint-Laurent,  de  Montréal  à 
cette  rivière,  en  canot  d'écorce,  à  travers  une  infinité  de 
rapides,  dont  l'abbé  Picquet  dit  quelque  part  que  «  tous 
sont  comme  le  sépulcre  des  voyageurs  »,  tant  il  y  en  a  qui 
y  ont  péri  !  De  temps  en  temps,  impossible  d'avancer,  il 
faut  descendre  à  terre,  et  marcher  le  long  du  rivage  à  tra- 
vers les  taillis,  les  arbres  renversés,  les  marais,  les  rivières, 
les  rochers,  des  chemins  impraticables,  portant  son  canot 
et   ses   provisions   sur   ses   épaules.     Quelles  fatigues   et 


18.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre,  31  octobre  1753. 

19.  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  436. 

12 


178  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

quelles  souffrances  pour  l'Evêque  et  ses  compagnons,  qui 
font  évidemment  l'expérience  d'un  tel  voyage  pour  la  pre- 
mière fois  ! 

Ils  ont  sans  doute  avec  eux  des  canotiers  et  des  guides  ; 
mais  que  de  faux  pas,  que  de  chutes,  que  d'accidents  dou- 
loureux, et  surtout  que  de  frayeurs  à  la  vue  de  dangers 
contre  lesquels  ils  ne  sont  pas  aguerris  ! 

Sur  ce  parcours  de  plus  de  quarante  lieues,  nulle  habita- 
tion, cela  va  sans  dire.  Parlant  d'un  endroit  oii  il  faut 
nécessairement  passer  en  bateau  ou  en  canot  :  «  Si  l'on  y 
fait  la  moindre  fausse  manoeuvre,  écrit  l'abbé  Picquet,  Pon 
est  perdu  sans  ressource.  »  '^^ 

Parti  de  Montréal  le  9  mai,  trois  ans  auparavant,  M. 
Picquet  n'était  arrivé  à  l'endroit  oii  il  établit  sa  mission 
que  le  30  du  même  mois.  Depuis  ce  temps,  les  voyageurs 
avaient  acquis  un  peu  d'expérience  de  la  route  et  s'étaient 
aguerris  contre  les  dangers.  M^  de  Pontbriand  et  ses 
compagnons  arrivèrent  à  la  Présentation  vers  le  25  mai. 

Il  y  passèrent  cinq  ou  six  jours  à  instruire  les  sauvages 
et  à  leur  administrer  les  sacrements.  Ils  furent  à  l'œuvre 
du  matin  au  soir.  M^^  de  Pontbriand  baptisa  lui-même  un 
bon  nombre  de  sauvages  '^^^  fit  plusieurs  mariages  et  con- 
firma cent  vingt  personnes  ^-. 

En  quittant  la  Présentation,  il  laissa  dans  le  Registre  la 
note  suivante  : 

«  Nous  avons  désigné  pour  titulaire  de  l'église  de  la  mis- 
sion la  Sainte  Trinité,  parce  que  ce  fut  le  jour  de  cette  fête 
que  M.  Picquet  dit  la  première  messe,  sous  une  tente,  et 
que  c'est  ce  jour  (29  mai)  que  nous  avons  fini  notre  visite, 


20  Documents  de  Paris,  Eglise  du  Canada,  lettre  à  M.  de  la  Galis- 
sonnière,  4  août  1749. 

21.  Cent  quatre  vingt,  d'après  une  lettre  du  P.  de  Bonnécamps  au  P. 
Potier  :  "  Il  baptisa,  dit-on,  180  catéchumènes. . .  "  (Archives  du  Collège 
Sainte-Marie). 

22.  C'est  le  chiffre  exact,  d'après  les  archives. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  I79 

«t  baptisé  et  confirmé  ceux  qui  n'avaient  pu  l'être  les  jours 
précédents.  Fait,  arrêté  le  même  jour  29  de  mai  1752. 
(signé)  H.-M.,  évêque  de  Québec.  » 

On  conserve  au  Lac  des  Deux-Montagnes  un  précieux 
souvenir  de  la  visite  de  M^'^  de  Pontbriand  à  la  mission  de 
la  Présentation  :  une  bannière,  en  étoffe  de  soie,  faite  par 
les  Dames  religieuses  de  la  Congrégation,  sous  la  direction 
de  M.  Picquet,  et  sur  laquelle  se  lit  l'inscription  suivante 
(nous  traduisons  du  latin)  : 

«  A  Dieu  Très  Bon  et  Très  Grand,  pour  perpétuel  sou- 
venir. L'an  mil  sept  cent  cinquante  deux,  le  29  mai,  sous 
le  pontificat  de  Benoît  XIV  et  le  règne  de  Louis  XV,  M. 
de  Longueil  étant  administrateur  ''^^,  M.  Bigot,  intendant, 
et  M.  Varin  2*,  commissaire  ordonnateur  de  la  Nouvelle- 
France,  en  présence  de  M.  Normant,  vicaire  général,  et  supé- 
rieur du  Séminaire  de  Montréal,  de  M.  Briand,  chanoine  de 
Québec,  de  MM.  Montgolfier,  Guen,  Picquet,  premier  aumô- 
nier de  cette  mission,  tous  prêtres  du  même  Séminaire,  et 
de  M.  de  la  Périère  ^^,  gouverneur  de  ce  Fort,  sous  les  aus- 
pices de  la  sainte  Vierge,  et  pour  la  plus  grande  gloire  de 
Dieu,  Henri-Marie  du  Breil  de  Pontbriand,  sixième  évêque 
de  Québec,  baptisa  cent-vingt  Iroquois  des  Cinq-Cantons, 
et  les  confirma;  en  foi  de  quoi  il  apposa  sa  signature  et 
offrit  cette  bannière,  qui  doit  être  exposée  dans  l'église, 
aux  grandes  fêtes,  en  signe  d'union  entre  les  Français  et  la 


23.  Depuis  la  mort  de  M.  de  la  Jonquière. 

24.  Jean-Victor  Varin,  époux  de  Charlotte  de  Beaujeu.  Mgr  de  Pont- 
briand, étant  à  Montréal  le  12  juillet  1749,  y  baptisa  ce  jour-là  un  de 
leurs  enfants.  L'aîné,  Gilles- Victor,  fut  envoyé  en  1747  au  Collège  de  La 
Flèche:  il  était  accompagné  d'un  domestique,  Pierre  Landriette.  (Cor- 
resp.  générale,  vol.  89,  lettre  de  M.  Varin  au  ministre,  8  octobre  1747). 

25.  Boucher  de  la  Périère,  fils  de  l'enseigne  Boucher  de  la  Périère, 
qui  avait  pris  part  à  la  cc^mpagne  de  D'Iberville  à  Terreneuve  dans 
l'hiver  de  1690  à  1697.  (Voir  notre  Journal  d'une  expédition  de  D'Iber- 
ville, p.  50).  i./ê^ 


ï8o  l'Église  du  canada     ""' 

nation  iroquoise.  (signé)  Le  Chevalier  de  La  Corne,  té- 
moin au  nom  du  Roi  ;  De  La  Chauvignerie,  interprète.  » 

Cette  inscription,  sur  la  bannière,  est  entourée  d'une 
guirlande,  qui  représente  l'alliance  conclue  entre  la  France 
et  les  Cinq-Cantons  Iroquois. 

La  bannière  porte  les  armes  de  M»'^  de  Pontbriand. 

Revenu  à  Québec,  le  pieux  Evêque  se  fit  un  devoir 
d'écrire  au  ministre  M.  Rouillé  : 

«  Il  est  nécessaire  d'aider  M.  Picquet  par  une  pension. 
Il  paraît  aussi  essentiel  d'engager  MM.  de  Saint-Sulpice 
de  se  charger  de  cette  mission  de  la  Présentation.  M. 
Couturier  ne  pourra  nous  refuser.  J'ai  lieu  de  me  louer 
beaucoup  des  sujets  qu'il  envoie  :  plusieurs  s'occupent 
déjà,  avec  édificatiou,  à  une  mission  d'Iroquois  au  Lac  des 
Deux-Montagnes ...» 

Et  il  ajoutait  :  «  MM.  de  Saint-Sulpice  ne  lui  aident  pas 
(à  M.  Picquet),  parce  que  ce  n'est  qu'à  regret,  pour  ainsi 
dire,  qu'ils  nous  l'ont  prêté  pour  cette  bonne  cause  '^^.  .  .  » 

En  se  montrant  réservé  par  rapport  à  l'établissement  de 
M.  Picquet,  Saint-Sulpice  faisait  preuve  de  sa  sagesse  ordi- 
naire. Il  y  avait  du  pour  et  du  contre  dans  son  entre- 
prise ;  il  y  en  avait  surtout  dans  le  zèle  qu'il  déployait,  à 
certaines  heures.  Que  dire,  par  exemple,  de  l'idée  qu'il 
avait  eue  de  passer  en  France,  en  1753,  et  d'emmener  avec 
lui  quelques-uns  de  ses  sauvages  pour  les  exhiber  dans  les 
villes,  à  Pans  surtout,  comme  des  objets  de  curiosité,  et 
les  donner  en  spectacle  comme  on  montre  la  lanterne  ma- 
gique? L'effet  qu'il  avait  en  vue,  d'intéresser  les  Français 
en  faveur  de  la  mission,  fut  complètement  manqué.  Lors- 
qu'il quitta  Paris  pour  revenir  au  Canada,  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu  écrivit  à  M^  de  Pontbriand  : 


26.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Correspondance  de  Mgr  de 
Pontbriand. 


sous    M^'^    DE    PONTBRIAND  l8l 

«  M.  Picquet  part  avec  ses  trois  sauvages  et  un  grand 
renfort  de  missionnaires  '^^.  Je  l'ai  fort  peu  vu  pendant  son 
séjour  en  France,  où  tout  Paris  a  voulu  voir  ses  sauvages. 
On  s'y  est  prêté,  et  ce  n'est  pas,  je  crois,  ce  qu'on  a  fait  de 
mieux.  M.  Rouillé  ne  l'a  pas  même  trouvé  trop  bon. 
Mais  tout  cela  est  fait,  et  je  pense  qu'il  est  aussi  avanta- 
geux que  cela  soit  fini,  ne  pouvant  être  utile  ni  à  la  religion 
des  sauvages,  ni  à  celle  de  ceux  à  qui  on  les  montrait  ^®.  » 


27.  MM.  Robert,  Brassier,  Guichard,  Reverchon  et  Jolivet,  tous  de 
Saint-Sulpice. 

28.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  lettre  du  15  mai  1754. 


CHAPITRE  XVII 


INCENDIE  DU  MONASTERE  DES  URSULINES  DES  TROIS- 

RIVIÈRES.  —  LA  MAISON  RELEVÉE  DE  SES  RUINES 

PAR  M»^  DE  PONTBRIAND 

Un  crime  à  Montréal,  —  Un  incendie  aux  Trois-Rivières.  —  Mauvais 
sujets  au  Canada.  —  Le  Baron  de  Longueil,  administrateur  de  la 
colonie.  —  Français  et  Canadiens.  —  Mgr  de  Pontbriand  aux  Trois- 
Rivières.  —  Lettre  à  son  frère,  le  comte  de  Nevet.  —  Dimissoire  à 
l'abbé  Crépeaux.  —  Mgr  de  Pontbriand  rétablit  le  monastère  des 
Trois-Rivières. 

DANS  la  lettre  si  touchante  qu'elle  écrivait  aux  sœurs  de 
M^''  de  Pontbriand,  la  Mère  Sainte -Hélène  leur 
disait  qu'elle  avait  à  leur  apprendre  des  choses  consolantes, 
«  et  d'autres  bien  tristes  ».  Les  choses  consolantes,  nous  les 
connaissons.  Mais  voici  la  première  «  chose  triste  »  dont 
voulait  parler  la  Mère  Sainte-Hélène,  et  qui  avait  affligé 
l'Evêque  de  Québec,  à  son  retour  du  voyage  de  la  Présen- 
tation : 

((  Dans  le  temps  que  Monseigneur  était  à  IMontréal,  dit- 
elle,  il  est  arrivé  un  accident  bien  tragique.  Un  homme 
possédé  du  démon  d'avarice  a  massacré  d'une  manière 
cruelle  un  homme  et  une  femme,  qui  étaient  ses  voisins. 
Il  en  voulait  faire  autant  à  deux  filles  qu'ils  avaient,  mais 
Dieu  les  a  préservées.  Ce  meurtrier  a  été  roué  vif  ces 
jours  passés.  Vous  ne  doutez  point,  mesdames,  que  de  si 
grands  crimes  n'affligent  sensiblement  le  cœur  de  notre 
digne  Prélat,  après  s'être  donné  tant  de  peine  pour  faire 


l'église  du  canada  sous  m^^'  de  pontbriand     183 

profiter  sou  peuple  de  la  o^râce  du  Jubilé.  Mais  il  faut 
espérer  que  Dieu  le  cousolera  et  le  récompensera  de  ses 
peiues  par  d'autres  voies  ^.  » 

Hélas  !  un  nouveau  chagrin,  d'une  nature  toute  diffé- 
rente, mais  non  moins  cuisant,  l'attendait  : 

((  Ce  digne  Prélat,  ajoute  la  Mère  Sainte-Hélène,  comp- 
tait, en  revenant  de  Montréal,  donner  une  mission  dans  la 
ville  des  Trois-Rivières,  où  nos  Sœurs  Ursnliues  qui  y 
sont  établies  auraient  eu  la  consolation  de  l'entendre. 
Mais  le  fâcheux  accident  qui  lui  est  arrivé  l'a  privé  de  ce 
bien  :  deux  incendies  consécutifs  ont  presque  détruit  cette 
ville,  qui  n'est  pas  fort  peuplée.  Le  premier  ne  fut  que  de 
huit  maisons,  desquelles  nos  pauvres  Sœurs  étaient,  ce 
qui  les  a  réduites  à  la  dernière  misère,  étant  déjà  très 
pauvres.  Mais  deux  jours  après,  le  feu  reprit,  et  brûla 
encore  environ  trente-cinq  maisons.  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
fâcheux,  c'est  que,  dans  le  premier  incendie,  une  pauvre 
dame,  veuve,  s'opiniâtrant  à  sauver  son  petit  butin,  resta 
dans  les  flammes,  et  y  mourut  d'une  façon  fort  cruelle, 
ayant  demeuré  suspendue  à  des  bois,  en  sorte  qu'on  ne  put 
la  sauver. 

«  Monseigneur,  en  descendant  à  Québec,  voyant  ce  triste 
spectacle,  ne  demeura  qu'une  heure  dans  la  ville  des  Trois- 
Rivières.  Il  la  passa  presque  toute  à  consoler  les  pauvres 
religieuses  qu'il  voyait  avec  douleur  aller  par  les  rues  pour 
entendre  la  sainte  messe,  ou  laver  leur  linge  à  la  rivière, 
ou  pourvoir  à  leurs  autres  besoins.  Cependant  il  leur  a 
donné  une  grande  consolation  eu  leur  permettant  de  se 
rétablir.  Nous  leur  avions  offert  notre  maison,  oii  Dieu 
n'aurait  pas  manqué  de  faire  la  multiplication  des  pains 
pour  les  soulager.  Les  Pères  Récollets,  qui  ont  une  mai- 
son dans  la  ville,  oii  ils  font  les  fonctions  curiales,  la  leur 

I.  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  444. 


184  l'éguse  du  canada 

ont  cédée,  et  en  ont  pris  une  plus  petite,  qu'un  des  beaux- 
frères  de  la  supérieure  '^  et  de  la  dépositaire  leur  a  prêtée. 
On  travaille  fortement  à  réparer  ce  malheur,  et  j'espère 
que  Dieu  y  donnera  sa  bénédiction. 

«  On  a  lieu  de  juger,  ajoute  la  Mère  Sainte-Hélène,  que 
ce  feu  a  été  mis  par  des  soldats  de  nouvelles  recrues,  qu'on 
nous  a  envoyés  il  y  a  deux  ans,  et  qui  sont  tous  les  plus 
mauvais  garnements  de  la  France.  Il  y  en  a  en  prison, 
mais  on  n'a  point,  dit-on,  de  preuves  assez  convaincantes 
pour  les  punir  comme  coupables  ^.  « 

Franquet,  qui  visita  les  Trois-Rivières  peu  de  temps 
après  l'incendie,  écrivait  à  son  tour: 

«  Nous  parcourûmes  les  vestiges  de  l'enceinte  brûlée,  les 
quarante-cinq  maisons  et  le  couvent  des  Ursulines  consumé 
par  l'incendie  du  19  au  22  mai  de  cette  année.  Il  a  été  si 
considérable  pendant  trois  jours  qu'on  eut  toutes  les  peines 
du  monde  d'arrêter  le  feu.  On  détenait  dans  1  es  prisons 
des  soldats  soupçonnés  de  l'avoir  mis  ^  w 

M^^  de  Pontbriand  avait  donc  raison  de  recommander  à 
la  Cour  de  veiller  avec  soin  sur  le  choix  des  recrues  que 
l'on  envoyait  dans  la  colonie.  Mais,  malheureusement,  on 
n'était  pins  au  temps  de  Louis  XIV,  ni  même  dans  la  pre- 
mière période  du  règne  de  Louis  XV  :  le  régime  de  l'inco- 
hérence, du  laisser-aller  et  du  va-tout  avait  commencé.  .  . 

Ces  nouvelles  recrues  n'étant  généralement  pas  pour  nos 
campagnes,  celles-ci  resteront  à  l'abri  de  la  contagion; 
mais  ce  sont  nos  villes  qui  se  gâteront  peu  à  peu  et  seront 
témoins  de  crimes  comme  ceux  que  raconte  la  Mère  Sainte- 
Hélène. 

2.  La  Mère  Sainte-Croix,  une  Godef  roi  de  Tonnancour  ;  la  déposi- 
taire était  sa  sœur.  Leur  frère,  M.  de  Tonnancour,  garde-magasin  aux 
Trois-Rivières,  était  "  un  homme  fort  riche,  d'une  belle  figure  et  de 
beaucoup  d'esprit",  dit  Franquet.   {Voyages,  p.  16). 

3.  Revue  Canadienne,  t.  VIH,  p.  444. 

4.  Voyages  de  Franquet,  p.  16. 


sous   M»""   DE   PONTBRIAND  185 

«  Les  troupes  de  la  colonie,  écrivait  un  jour  le  gouver- 
neur Duquesne,  sont  en  grand  nombre  composées  de  déser- 
teurs ou  de  mauvais  sujets  qui  ont  fui  la  France  pour  des 
crimes  qu'ils  y  avaient  commis.  C'est  une  peste  qui  cor- 
rompt les  autres,  parce  qu'elle  donne  le  ton  aux  nouveaux 
débarqués,  ce  qui  me  fait  user  de  la  précaution,  dans  mes 
différents  mouvements,  de  laisser  dans  les  Gouvernements 
tout  ce  qui  est  reconnu  pour  mauvais  sujets,  afin  d'éviter 
la  révolte,  l'incendie,  la  désertion  et  les  vols  dont  ils  sont 
capables  ^  .  .  » 

M^"^  de  Pontbriand  avait  hâte  de  revoir  sa  ville  épisco- 
pale,  d'où  il  était  absent  depuis  cinq  mois.  «  Il  y  ramena 
la  joie  «,  nous  dit  la  Mère  Sainte-Hélène,  voulant  parler 
surtout  des  communautés  religieuses,  qu'il  s'empressa  de 
visiter  et  de  réjouir  par  toutes  les  marques  de  son  affection 
paternelle. 

Il  s'empressa  aussi  de  faire  visite  au  Baron  de  Longueil  ^, 
ce  digne  Canadien,  qui  avait  pris  les  rênes  de  l'administra- 
tion, à  la  mort  de  M.  de  la  Jonquière.  Longueil  avait 
demandé  la  commission  de  gouverneur  général  :  ((  Mais,  dit 
Ferland,  on  se  refusait  encore  à  appeler  un  enfant  du  pays 
à  cette  dignité.  »  Un  gouverneur  général  canadien  sera 
nommé  dans  deux  ans,  mais  il  sera  trop  tard  pour  éviter 
la  guerre.  Et  à  ce  sujet  Ferland  n'hésite  pas  à  mettre  en 
regard  le  système  canadien  et  le  système  français,  et  à 
donner  la  préférence    au    premier.     Bigot   représente   ici 


5.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre,  29  septembre  1754. 

6.  Le  deuxième  baron  de  Longueil,  petit-fils  de  l'illustre  Charles  Le- 
Mpyne,  et  neveu,  par  sa  mère,  de  M.  Soitart,  de  Saint-Sulpice,  le  pre- 
mier curé  nommé  à  Montréal  par  Mgr  de  Laval.  (Ferland,  Cours 
d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  501).  Il  était  gouverneur  de  Montréal,  et 
continua  de  l'être  après  ses  cinq  mois  d'administration  de  la  colonie. 


i86  l'êgi^ise  du  canada 

l'idée  française,  et  veut  entraîner  Longueil  à  la  guerre 
contre  les  Anglais  pour  les  chasser  de  la  vallée  de  l'OHo. 
Mais  qu'a  fait  la  France  pour  prendre  possession  de  cette 
vallée?  Bile  a  envoyé  Céloron  à  la  tête  d'un  détachement 
pour  y  planter  çà  et  là  quelques  poteaux  aux  armes  de  la 
France,  quelques  plaques  de  métal  avec  des  inscriptions 
françaises  "  ;  mais  nulle  part  de  fortifications,  ni  même 
d'habitations  ;  les  premières  ne  se  feront  qu'en  1753,  sous 
M.  Duquesne  ^. 

«  D'où  vient,  écrit  un  officier  distingué,  M.  des  Bourbes, 
à  son  ami  Surlaville,  vouloir  embrasser  sept  à  huit  cents 
lieues  de  pays,  et  n'avoir  que  si  peu  de  monde  à  le  sou- 
tenir ^?  » 

Longueil,  qui  représente  l'idée  canadienne,  se  refuse  à 
écouter  Bigot  ;  il  veut  attendre  que  les  limites  des  posses- 
sions anglaises  et  françaises,  laissées  indécises  par  le  traité 
d'Utrecht  (1713),  aient  été  bien  déterminées  en  Acadie  et 
ailleurs  : 

((  Les  événements  qui  suivirent,  dit  Ferland,  prouvèrent 
que  M.  de  Longueil  avait  raison  d'éviter  une  guerre  qui  ne 
lui  paraissait  propre  qu'à  entraîner  son  pays  natal  à  sa 
ruine  ^^.  » 

Il  encourut  la  colère  de  Bigot,  ce  qui  était  tout  à  son 
éloge  :   Bigot  écrit  au  ministre,  à  l'arrivée  de  M.  Duquesne  : 

«  Vous  avez  heureusement  envoyé  un  général  ;  car  si  le 
gouvernement  eût  été  encore  un  an  entre  les  mains  de  MM. 
de  Longueil,  le  système  canadien  aurait  prévalu,  et  per- 
sonne ne  se  serait  oublié  ^^  « 


7.  Voir  notre  étude  sur  le  P.  de  Bonnécamps,  et  dans  cette  étude  le 
journal  de  ce  Père  sur  l'expédition  de  Céloron  de  Blainville  en  1749. 
(Mémoires  de  la  Société  Royale,  1895,  p.  43). 

8.  Les  Forts  de  la  Presqu'île,  de  la  Rivière-aux-Bœufs,  et  de  Ma- 
chault. 

9.  Les  derniers  jours  de  l' Acadie,  p.  166. 

10.  Cours  d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  503. 

11.  Ibid. 


sous    M^'"    Dii    PONTBRIAND  Ï8.7 

Quant  à  Duquesne,  à  peine  est-il  arrivé  au  Canada, 
comme  gouverneur  générai,  que,  suivant  l'odieuse  cou- 
tume de  dénigrer  ses  prédécesseurs  en  office,  il  écrit  au 
ministre  contre  le  fils  du  Baron  de  Longueil  et  sa  famille  : 

«  Comme  je  n'ai  pas  lieu  d'être  content  du  sieur  de 
Longueil,  dit-il,  à  qui  vous  avez  donné  une  expectative,  et 
que  d'ailleurs  c'est  un  jeune  homme  qui  n'a  ni  acquit,  ni 
esprit,  encore  moins  d'éducation,  trouvez  bon,  monseigneur, 
que  je  vous  demande  de  différer  à  lui  accorder  cette  com- 
pagnie, car  il  a  besoin,  ainsi  que  sa  famille,  de  cette  petite 
mortification  pour  les  rendre  plus  réservés  à  fronder  les 
opérations  d'un  général  ^'\  » 

Voilà  un  échantillon  de  la  manière  dont  ces  Français, 
nouvellement  arrivés  ici,  traitaient  les  Canadiens,  les  dé- 
fricheurs du  sol,  les  fondateurs  de  notre  nationalité  ! 

Faut-il  s'étonner  que  nos  ancêtres  aient  si  peu  apprécié 
et  goûté  la  morgue  du  marquis  de  Duquesne,  et  qu*ils 
aient  tant  désiré  la  nomination  comme  gouverneur  général 
de  M.  de  Vaudreuil,  un  des  leurs,  qu'ils  savaient  leur  être 
si  sympathique  et  si  dévoué?  M.  de  l'Ile-Dien  parlant  de 
Duquesne  : 

«  C'est  un  homme,  dit-il,  qui  ne  raisonne  pas.  Il  est 
haut,  altier  et  suffisant  ^^ .  . .  » 

La  Baronne  de  Longueil  savait  faire  avec  beaucoup  de 
distinction  les  honneurs  du  Château,  et  M^^  de  Pontbriand 
dut  être  heureux,  en  arrivant  à  Québec,  de  le  trouver 
occupé  par  une  personne  d'un  si  haut  mérite.  Dès  sa 
première  visite,  elle  offrit  au  Prélat  de  faire  elle-même  la 
quête  dans  toute  la  ville  pour  les  Ursulines  des  Trois- 
Rivières  et  pour  les  familles  qui  avaient  été  éprouvées  par 
l'incendie   du    17   mai.     Elle  demanda  aussi  et  obtint  la 


12.  Corresp.  générale,  vol.  QQ,  lettre  au  ministre,  31  octobre  1753. 

13.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  28  mars  1756. 


l88  VÈGhlSn   DU   CANADA 

permission  d^entrer  avec  ses  filles  dans  le  monastère  des 
Ursulines  de  Québec,  où  elle  avait  reçu  son  éducation,  pour 
y  recueillir  de  la  main  de  ses  anciennes  maîtresses  les 
aumônes  en  argent  et  en  effets  qu'on  pourrait  lui  offrir. 
Elle  fit  également  la  quête  aux  Trois-Rivières,  où  son 
mari  avait  été  gouverneur  avant  d'aller  à  Montréal.  Les 
collectes  de  la  Baronne  réussirent  au  delà  de  toute  espé- 
rance, et  permirent  à  M^^'  de  Pontbriand  de  se  mettre  à 
l'œuvre  pour  relever  de  ses  ruines  le  monastère  incendié. 

* 
*     * 

La  résolution  du  Prélat,  en  effet,  était  prise:  se  dévouer 
lui-même  à  cette  œuvre,  monter  aux  Trois-Rivières,  s'y  ins- 
taller comme  il  pourrait,  y  rester  tout  le  temps  nécessaire 
et  ne  revenir  à  Québec  que  lorsque  les  Ursulines  seraient 
réintégrées  dans  leur  maison. 

Il  se  fit  accompagner  aux  Trois-Rivières  par  son  secré- 
taire et  ami,  son  prêtre  de  confiance,  le  chanoine  Briand, 
ayant  soin  d'avertir  le  Chapitre  qu'il  allait  le  garder  avec 
lui  tout  rété,  en  ayant  besoin  pour  le  gouvernement  du 
diocèse,  et  qu'il  euLendait  bien  qu'on  ne  tiendrait  pas 
compte  de  son  absence,  mais  qu'on  le  regarderait  comme 
présent  à  l'office  canonial,  de  manière  à  ne  rien  lui  faire 
perdre  des  fruits  de  sa  prébende  ^^. 

On  se  sait  pas  au  juste  la  date  de  son  départ.  Il  était 
encore  à  Québec  le  i^^'  mai  (1753),  puisqu'il  y  signa  ce 
jour-là  un  mandement  très  important  ^^;  et  il  était  aux 
Trois-Rivières  le  12  juillet,  cnr  il  y  signa  ce  jour-là  un 
autre    mandement    ^^     On    a    d'ailleurs    une    lettre    qu'il 


14.  Registre  du  Chapitre. 

15.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  99,  mandement  éta- 
blissant les  Retraites  ecclésiastiques. 

16.  Ibid.,  p.  100,  mandement  au  sujet  de  la  convalescence  de  Mgr  le 
Dauphin. 


sous    M^^   DR    PONTBRIAND  189 

écrivit  à  son  frère,  le  comte  de  Nevet,  dans  le  cours  de 
l'automne,  où  il  dit  qu'il  y  a  plus  de  six  mois  qu'il  est  aux 
Trois-Rivières.  Des  Trois-Rivières,  également,  il  écrivait 
à  son  Chapitre  le  15  octobre:  «Ne  m'attendez  pas  pour 
faire  jouer  vos  orgues.  »  Elles  étaient  arrivées,  en  effet,  à 
Québec;  et  le  lendemain,  16  octobre,  le  Prélat  écrivait  de 
nouveau  à  son  Chapitre,  et  lui  envoyait,  pour  l'aider  à  les 
payer,  la  lettre  de  change  de  douze  cent  francs  dont  nous 
avons  déjà  parlé  ^'^.  Il  est  donc  évident  qu'il  quitta  Qué- 
bec dans  les  premiers  jouis  de  mai,  et  passa  tout  l'été  aux 
Trois-Rivières.  Il  n'en  repartit  qu'au  mois  de  novembre  : 
c'est  lui  qui  assista  à  ses  derniers  moment*^  M.  de  la  Vilie- 
Angevin,  qui  mourut  à  Québec  le  :6  de  ce  mois. 

Que  fit-il  tout  ce  temps  aux  Trois-Rivières?  Quel  train 
de  vie  y  mena-t-il  ?  Le  pourrions-nous  savoir  d'une  ma- 
nière plus  authentique  que  de  sa  propre  bouche,  ou  plutôt 
qu'en  citant,  dans  son  admirable  simplicité,  la  lettre  même 
qu'il  écrivit,  sans  date  précise,  à  son  frère? 

«  On  croirait,  mon  cher  frère,  que  n'ayant  à  t'écrire 
qu'une  fois  l'année  ^^,  on  aurait  bien  des  choses  à  se  man- 
der, et  il  arrive  que,  quand  je  prends  la  plume,  je  ne 
trouve  rien  à  dire.  On  ne  s'arrête  point  aux  compli- 
ments, etc. 

((  Tout  ce  que  je  puis  vous  dire,  c'est  que  depuis  six 
mois  je  suis  aux  Trois-Rivières,  logé  au  plus  mal  ^^,  au 
milieu  de  cinquante  ouvriers  de  toute  espèce  dont  je  suis 
le  conducteur,  le  piqueur  et  le  payeur,  pour  bâtir  un  hôpi- 
tal de  deux  cents  pieds  de  long  sur  cinquante-quatre  de 
large  et  vingt-quatre  de  hauteur.     Vous  demandez  où  je 


17.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Corresp.  de  Mgr  de  Pont- 

briand. 

18.  C'est-à-dire,  l'automne,  au  départ  des  vaisseaux. 

19.  "Le  misérable  réduit  où  il  séjourna  existe  encore;  c'est  la  plus 
vieille  maison  des  Trois-Rivières."  (Les  Ursulines  des  Trois-Rivières, 
1888, 1. 1,  p.  285). 


iço  l'églisk  du  canada 

prends  fonds.  Je  fais  emprunter  les  religieuses.  Tous  mes 
domestiques  travaillent  ^°.  Je  sollicite  la  Cour  à  payer; 
on  a  fait  deux  mille  livres  d'aumônes.  Ne  croyez  pas 
qu'on  bâtisse  à  grand  marché.  Chaque  toise  de  maçonne 
doit  coûter  où  je  suis  plus  de  dix  livres  ;  j'en  ai  six  cents. 

«  Je  suis  extrêmement  fatigué.  Je  me  lève  le  plus  com- 
munément à  deux  heures  pour  mes  prières,  et  prévoir  ce 
qu'il  faut  faire  sans  cesse  sur  les  chantiers  pour  faire  tra- 
vailler mon  monde,  qui  est  à  la  journée.  Je  suis  devenu 
d'évêque,  menuisier,  charpentier,  manœuvre,  porte-boyau, 
porte-oiseaux.  Ce  métier  m'ennuie,  et  je  ne  crois  pas 
qu'on  m'y  reprenne. 

(f  One  je  voudrais  être  au  verger  ^^  !  C'est  ma  maison 
favorite.  Je  me  souviens  que  dans  ma  jeunesse,  on  disait 
que  je  vous  ressemblais,  les  cheveux  blonds,  les  yeux,  je 
n'en  sais  rien...  Aussi,  je  crois  que  je  vous  aime  plus 
particulièrement  que  les  autres.  Mais  que  dirais-je  de  la 
belle-sœur?  Il  faut  s'en  taire,  parce  que  vous  lui  montreriez 


23.  Nous  savons  qu'au  Séminaire  il  en  avait  sept.  Il  le  dit  lui-même 
dans  une  lettre  au  ministre,  en  date  du  28  septembre  1742.  (Corresp. 
générale,  vol.  78).  Il  avait  encore  le  même  nombre  de  domestiques  en 
1757.  (Ibid.,  vol.  102,  lettre  de  l'abbé  l'Ile-Dieu,  30  octobre  1757).  Mais 
il  paraît  que  la  plupart  étaient  des  jeunes  gens  de  la  campagne,  qu'il 
prenait  pour  leur  procurer  une  bonne  éducation,  d'abord,  puis  un  hon- 
nête établissement.  (L'abbé  Jolivet,  cité  dans  les  Bvêques  de  Québec,  p. 

235). 

L'un  de  ces  jeunes  gens,  nommé  Crépeaux,  prit  la  soutane,  et  M.  de 
Lalane  l'emmena  avec  lui  en  France,  en  1750,  aux  Missions-Etrangères: 
voici  ce  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait  à  son  sujet  à  Mgr  de  Pont- 
briand  : 

"  Le  jeune  ecclésiastique,  nommé  Crépeaux,  que  M.  de  Lalane  a 
amené  de  Québec  en  France,  n'est  plus  dans  cette  maison,  d'où  il  est 
sorti  pour  être  placé  au  Saint-Esprit,  oti  sa  santé  s'est  dérangée.  M.  de 
Lalane  l'a  placé  à  Saint-François  de  Sales,  où  sa  santé  s'est  rétablie.  Ce 
jeune  homme  me  tourmente  pour  lui  donner  ou  lui  obtenir  des  dimis- 
soires. . .  " 

Mgr  de  Pontbriand  lui  envoya  en  effet  son  expatriation.  (Lettre  de 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  15  mai  1754). 

21.  C'était  le  nom  de  la  résidence  du  comte  de  Nevet,  "près  de 
Rennes".  {Rapport. ..  pour  IÇ03,  p.  303). 


sous   U^  DE   PONTBRIAND  I9I 

ma  lettre,  et  elle  pourrait  en  tirer  vanité.  . .  Voilà  bien 
du  verbiage  pour  ne  rien  dire  '^'^, . .  » 

Que  de  choses  dans  cette  lettre,  écrite  pourtant  sans  la 
moindre  prétention  !  Et  comme  elle  peint  bien  celui  qui 
l'a  écrite  !  Au  physique,  d'abord  :  voilà  que  nous  savons 
maintenant,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  M^^  de  Pontbriand 
avait  (des  cheveux  blonds»;  les  yeux.  ...  s'il  «n'en  sait 
rien»,  c'est  qu'il  n'ose  pas  le  dire  ;  mais  il  est  facile  de  voir 
par  ses  portraits  qu'il  les  avait  très  perçants.  Et  au  moral, 
quelle  bonhomie  et  quelle  franchise  chez  ce  bon  évêque, 
d'après  la  lettre  qu'on  vient  de  lire  !  Ce  n'est  pas  lui  qui 
s'en  fera  accroire,  qui  cherchera  à  se  faire  passer  pour  plus 
saint  ou  plus  parfait  qu'il  n'est:  il  avoue  tout  simple- 
ment qu'il  est  «logé  au  plus  mal»,  qu'il  est  bien  «fatigué», 
et  qu'il  «s'ennuie.»  Il  est  homme,  et  ne  cherche  pas  à  se 
faire  passer  pour  autre  chose.  Et  puis,  dans  ce  «que  dirais- 
je  de  la  belle-sœur?  il  faut  s'en  taire,  ..  »,  quelle  aimable 
simplicité  !  n'est-elle  pas  digne,  vraiment,  de  saint  François 
de  Sales? 

Le  fait  de  cet  évêque  se  faisant,  pour  ainsi  dire,  ouvrier, 
conducteur  de  travaux,  menuisier,  manoeuvre,  au  besoin, 
afin  de  secourir  une  communauté  en  détresse,  est  unique 
dans  nos  annales  religieuses.  Quelque  critique  dira  peut- 
être:  ne  pouvait-il  pas  confier  cette  tâche  à  un  autre,  à 
quelque  prêtre,  à  quelque  laïque  dévoué?  Certes,  les  bons 
citoyens  ne  manquaient  pas  dans  la  petite  ville  des  Trois- 
Rivières:  elle  a  toujours  été  une  pépinière  de  familles 
honorables  :  il  y  avait  à  cette  époque  Rigaud  de  Vaudreuil, 
Hertel  de  Rouville,  de  la  Naudière,  de  Tonnancour,  de 
Saint-Ange,  Poulin  de  Courval  et  bien  d'autres.  Mais 
entre  tant  de  braves  gens,  comment  choisir  l'un  plutôt  que 
l'autre  pour  le  mettre  à  la  tête  d'une  pareille  entreprise? 

22.  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  436. 


192  l'église  du  canada 

Si  M»''  de  Pontbriand  s'est  dévoué  lui-même,  c'est  qu'il  a 
cru  la  chose  nécessaire  :  lui  seul  était  juge  de  ce  qu'il  de- 
vait faire  dans  les  circonstances.  Il  l'a  fait,  et  son  geste 
sera  toujours  réputé  comme  un  des  plus  héroïques  de  notre 
histoire. 

«  Monseigneur  est  revenu  parmi  nous  pauvre  et  épuisé 
de  forces,  écrivait,  au  retour  de  l'Evêque,  l'annaliste  que 
nous  avons  déjà  citée.  La  postérité  devra  le  regarder 
comme  le  second  fondateur  des   Ursulines   des  Trois-Ri- 

vieres  "''.  » 

«  La  Cour  est  informée  de  tout  ce  que  vous  avez  fait, 
écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  M^^  de  Pontbriand,  et  je  suis 
certain  que  l'on  veut  efficacement  vous  secourir  pour  vous 
mettre  en  état  de  faire  honneur  à  des  engagements  que 
vous  n'avez  contractés  que  pour  l'utilité  publique  et  pour 
l'Etat  même,  à  qui  vous  avez  épargné  une  dépense  qui  au- 
rait monté  au  quadruple,  si  les  entrepreneurs  et  les  gens 
du  Roi  s'en  étaient  mêlés.  Tout  mon  étonnement,  c'est 
qu'en  si  peu  de  temps  et  à  si  peu  de  frais  vous  avez  pu 
finir  un  bâ4:iment  de  deux  cents  pieds,  le  rendre  habitable 
et  y  loger  votre  communauté  '^^.  » 

Cette  communauté  s'était  détachée  de  la  maison  de  Qué- 
bec en  1731.  Dix  ans  auparavant,  Charlevoix  y  avait  trouvé 
quarante  religieuses,  «qui  desservent,  disait-il,  un  très  bel 
hôpital  ))  '^^.  Il  n'y  en  avait  plus  que  seize,  lors  de  l'incen- 
die de  1752  ^^.  Mais  elles  avaient  été  trop  éprouvées  pour 
que  la  Providence  ne  leur  envoyât  pas  de  nombreuses 
recrues  : 

«  M^^  de  Pontbriand,  écrit  leur  annaliste,  non  moins 
occupé  du  spirituel  que  du  temporel  du  monastère,  dirigeait 

23.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  266. 

24.  Arch.  de  l'arch.  de  Québec,  lettre  du  29  mars  1754. 

25.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  267. 

26.  Les  Ursulines  des  Tr ois-Rivières,  t.  I,  p.  291. 


SCUS    M^   DE    PONTBRIAND  I93 

vers  la  commimauté  trifluvienne  de  jeunes  sujets  pleins 
d'espérance,  payant  lui-même  les  dots  en  appliquant  les. 
fonds  que  le  duc  d'Orléans  avait  laissés  en  France,  savoir 
sept  mille  livres  pour  les  Ursulines  des  Trois-Rivières.  » 

Et  elle  ajoute,  en  parlant  de  la  mort  de  la  Mère  Sainte- 
Croix,  qui  était  supérieure  lors  de  l'incendie  : 

«  Cette  bonne  Mère  s'en  allait  au  moment  où  les  béné- 
dictions du  Ciel  tombaient  plus  abondantes  sur  l'œuvre 
qu'elle  avait  continuée  avec  tant  de  douleurs  ^^.  » 

27.  Les  Ursulines  des  Trois-Rivières,  t.  I,  p.  294. 


CHAPITRE  XVIII 


I.E  DUC  D'ORLÉANS  ET  L'ÉGLISE  DU  CANADA.  —  INCENDIE 
DE  l'hÔTEL-DIEU  de  QUÉBEC  ;   SA  RECONSTRUCTION 

Le  duc  d'Orléans;  ses  vertus;  ses  œuvres.  —  Fondation  d'une  rente  en 
faveur  de  notre  Eglise.  —  Distribution  de  cette  rente.  —  La  part  du 
Séminaire.  —  La  part  des  Ursulines  des  Trois-Rivières,  —  Incendie 
de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec.  —  Généreuse  disposition  de  l'Evêque.  — 
Reconstruction  de  l'Hôtel-Dieu.  —  Belle  lettre  de  la  Mère  Duplessis 
de  Sainte-Hélène. 

LE  duc  d'Orléans  dont  nous  avons  mentionné  le  nom  à 
la  fin  du  chapitre  précédent  était  fils  du  Régent,  qui 
occupa  le  trône  de  France  après  la  mort  de  Louis  XIV, 
pendant  la  minorité  de  Louis  XV,  de  1715  à  1723.  Il  eut 
le  bonheur  de  faire  mentir  le  proverbe  :  tel  père,  tel  fils. 
Autant  le  régent  Philippe  d'Orléans,  en  effet,  se  déshonora 
par  sa  vie  dépravée  et  scandaleuse,  autant  son  fils  jeta  de 
l'éclat  sur  le  nom  des  Bourbons  par  ses  vertus.  Il  fut 
véritablement  «  un  saint  à  la  Cour  de  Louis  XV  »  ;  puis, 
devenu  veuf,  il  termina  ses  jours  dans  une  humble  cellule 
de  l'abbaye  Sainte-Geneviève,  à  Paris,  menant  la  vie  d'un 
religieux,  sans  en  avoir  prononcé  les  vœux,  édifiant  tout  le 
monde  par  sa  piété,  par  sa  vertu,  par  sa  vie  remplie  de 
bonnes  œuvres.  Il  était  immensément  riche,  mais  vivait 
pauvrement,  afin  de  faire  le  plus  de  bien  possible  avec  sa 
fortune  : 

«  Le  duc  de  Luynes,  écrit  un  auteur,  estime  à  douze  ou 
quinze  cent  mille  liyres  le  chiffre  de  ses  charités  annuelles. 
Il  faisait  élever  des  enfants  dans  des  collèges  ou  dans  des 


l'église  du  canada  sous  m^'  de  pontbriand    195 

couvents,  mariait  des  filles,  dotait  des  religieuses,  faisait 
apprendre  des  métiers,  remettait  dans  leurs  affaires  des 
commerçants  à  bout  de  ressources,  soutenait  des  officiers 
pauvres,  relevait  des  maisons  nobles  ruinées,  envoyait  des 
secours  aux  catholiques  en  Prusse,  en  Silésie,  en  x\mé- 
rique,  dans  les  Indes,  ouvrait  des  écoles  et  fondait  des 
communautés  ^  )> 

Sa  vie  de  bonnes  œuvres,  de  mortifications  et  de  prière 
rappelle  beaucoup  celle  de  l'oncle  de  M^^  de  Pontbriand, 
le  comte  de  la  Garaie.  Il  mourut  à  Paris  le  4  février  1752, 
à  VsigQ  de  quarante-huit  ans  et  six  mois.  Ses  dernières 
paroles,  en  mourant,  sont  presque  celles  de  M^  de  Saint- 
Vallier  à  ses  bonnes  religieuses  de  l'Hôpital-Général  : 
«  Mes  pauvres  !  mes  chers  pauvres  !  mes  frères  !  mes  en- 
fants !»  Et  à  son  fils,  qui  pleurait  à  son  chevet  :  «  Mon  fils^ 
je  vous  recommande  la  crainte  de  Dieu,  et  les  pauvres  ^.  » 

Ce  bon  duc  d'Orléans,  dans  la  distribution  de  ses  au- 
mônes testamentaires,  n'avait  pas  oublié  l'Eglise  du  Ca- 
nada: voilà  pourquoi  nous  lui  devions  un  souvenir  et  une 
mention  dans  cet  ouvrage. 

Il  serait  curieux  de  savoir  qui  avait  suggéré  à  ce  Prince 
l'heureuse  idée  de  faire  une  fondation  pour  notre  Eglise. 
M^  de  Pontbriand  affirme  lui-même  qu'il  y  fut  pour 
quelque  chose,  ainsi  que  M.  Vallier,  dans  son  voyage  en 
France.  Mais  nous  croyons  que  ce  fut  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  avec  le  concours  de  M.  de  la  Galissonnière  ^,  qui 
acheva  de  décider  le  duc  d'Orléans.  Il  le  connaissait 
particulièrement,  et  il  l'appelle  quelque  part  dans  sa  cor- 


1.  Un  saint  à  la  cour  de  Louis  XV,  le  duc  d'Orléans,  dans  le  Corres- 
pondant de  1889,  t.  I,  p.  220,  534- 

2.  Ihid.,  p.  582. 

3.  M.  de  la  Galissonnière  avait  ses  bureaux  à  Paris  "  aux  Petits  Pères 
de  la  Place  des  Victoires";  (Corresp.  générale,  vol.  99)  et  il  est  certain 
que  pour  les  affaires  du  Canada  M.  de  TIle-Dieu  travaillait  souvent  en 
collaboration  avec  lui. 


196  l'église  du  canada 

respondance  «  le  saint  et  vertueux  Prince  w.  Il  connaissait 
encore  mieux  M.  de  Silhouette,  son  chancelier,  collabora- 
teur de  M.  de  la  Galissonnière  pour  la  fixation  des  limites 
de  l'Acadie.  Il  le  rencontrait  souvent  chez  notre  ancien 
gouverneur,  et  Ton  ne  peut  douter  qu'il  eu  ait  profité  pour 
rappeler  au  Prince,  par  son  chancelier,  la  bonne  œuvre  à 
faire  pour  le  diocèse  de  Québec.  Le  duc  d'Orléans  laissa 
«  un  fonds  de  vingt  mille  francs  pour  être  placé  en  acqui- 
sition de  rentes  sur  la  ville,  et  partagé,  pour  le  produit 
annuel,  aux  pauvres  communa,utés  du  diocèse  de  Québec  »  *. 

Laissons  l'auteur  de  l'Histoire  du  Séminaire  de  Québec 
nous  parler  de  la  fondation  du  duc  d'Orléans,  et  spéciale- 
ment de  la  part  qui  échut  à  cette  maison  : 

«  La  rente  du  duc  d'Orléans,  écrit-il,  était  de  trois  cents 
livres  ^  Cette  fondation  datait  du  28  décembre  1749.  Ce 
prince,  par  son  testament  olographe  de  ce  jour,  ordonnait 
qu'il  fût  acheté  des  contrats  sur  la  ville  ou  sur  le  clergé 
jusqu'à  la  concurrence  de  mille  livres  de  rente,  que  l'Evêque 
serait  chargé  de  distribuer  aux  communautés  des  colonies 
françaises  de  l'Amérique  septentrionale,  «  à  la  tête  des- 
«  quelles,  disait-il,  je  mets  le  Séminaire  de  Québec.  » 

«  M^^  de  Pontbriand  en  attribua  trois  cents  livres  au  Sé- 
minaire de  Québec,  pour  V instruction  et  V éducation  d^un  ou 
de  plusieurs  jeunes  ge7is.  Le  reste  fut  distribué  comme 
suit  :  aux  Ursulines  de  la  Nouvelle-Orléans,  cent  cinquante 
livres,  pour  la  dot  d'une  religieuse  ;  aux  Ursulines  des  Trois- 
Rivières,  deux  cent  cinquante  livres  pour  une  dot  et  un 
tiers  ;  enfin,  cent  livres  à  PHôtel-Dieu  de  Montréal,  cent 
livres  à  l'Hôpital-Général  de  Québec,  et  cent  livres  aux 
Soeurs  de  la  Congrégation  au  Détroit,  lorsqu'elles  y  seront 


4.  Lettre  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  20  juin  1754. 

5.  C'était  la  part  du  Séminaire  de  Québec. 


sous   M**^   DK    PONTBRIAND  197 

établies  ^:  en  attendant,  cette  somme  fut  passée  aux  Sœurs 
de  Louisbourg. 

«  Cet  état  de  distribution  fut  approuvé  par  le  duc  d*Or- 
léans  '^  le  4  mai  1756,  et  l'article  du  Séminaire  porte  que 
les  trois  cents  livres  seront  employées /^«r  P éducation  des 
jeunes  gens  dans  le  Petit  Séminaire^  ce  qui  laisse  aux  di- 
recteurs une  plus  grande  latitude  que  ne  comportait  le 
projet  de  l'Evêque,  qui  voulait  même  s'attribuer  la  nomi- 
nation des  sujets.     Cette  rente  était  sur  l'Hôtel-de-ville  ^  » 

D'après  l'état  de  distribution  de  la  fondation  du  duc 
d'Orléans  que  nous  venons  de  citer,  M^*  de  Pontbriand  ne 
pouvait  donc  disposer  annuellement  que  de  deux  cent 
cinquante  livres  pour  payer  la  dot  des  jeunes  postulantes 
ou  novices  qu'il  envoyait  aux  Ursulines  des  Trois-Rivières. 
Elles  avaient  besoin  de  sujets  pour  les  deux  œuvres  qu'elles 
avaient  à  remplir  :  le  soin  des  malades  et  l'éducation  de  la 
jeunesse.  Comment  le  Prélat  pouvait-il  arriver  à  subvenir 
à  tant  de  besoins?     Il  s'endettait: 

(f  II  me  paraît,  écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  ministre,  que 
M.  l'Evêque  de  Québec  n'a  pas  perdu  de  temps  à  rétablir 
ses  Ursulines  des  Trois-Rivières,  et  qu'il  a  également 
pourvu  à  l'hôpital  et  au  logement  des  religieuses  pour  le 
service  des  malades  et  l'instruction  des  enfants,  dont  ces 
bonnes  filles  sont  également  chargées.  Mais  je  le  vois  fort 
endetté,  si  le  Roi  ne  vient  point  à  son  secours. 

«  Nous  ne  sommes,  écrit  il  encore,  ni  M.  l'Evêque,  ni 
moi,  en  état  de  faire  des  dépenses  extraordinaires.  Le 
Yoilà   endetté   de   plus  de  vingt-cinq  mille  livres  pour  le 


6.  tv^établissement  n'eut  pas  lieu,  du  moins  du  temps  de  Mgr  de  Pont- 
kriand,  qui  l'avait  pourtant  désiré.  (Faillon,  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois, 
t  II,  p.  372). 

7.  Louis-Philippe,  petit-fils  du  Régent,  père  de  Philippe  Egalité,  et 
frand-père  de  Louis-Philippe  1er,  roi  des  Français. 

8.  Hist.  manuscrite  du  Sém.  de  Québec,  p.  990. 


198  l'église  du  canada 

rétablissement  de  sa  communauté  des  Trois-Rivières  ^  w 

La  Cour  accorda  à  M^'^  de  Pontbriand  sept  mille  livres 
pour  les  Ursulines  des  Trois-Rivières,  «  sur  les  fonds  des 
pauvres  communautés  religieuses  »  ^°. 

Bile  fit  plus:  à  la  vue  des  sacrifices  que  l'Kvêque  s'était 
imposés  et  du  peu  de  ressources  à  sa  disposition,  elle  fit 
écrire  par  le  ministre  à  l'ancien  évêque  de  Mirepoix  : 

«  L'Evêque  de  Québec  n'a  pour  tout  revenu  qu'une  pen- 
sion de  neuf  mille  livres  assignée  sur  les  économats,  une  gra- 
tification de  douze  à  quinze  cents  livres  que  lui  donne  le 
Clergé  de  France  et  environ  treize  cents  livres  de  rente 
constituée  par  un  de  ses  prédécesseurs  sur  l'Hôtel-de- Ville 
de  Paris.  Il  n'a  pas  même  de  quoi  vivre  avec  une  certaine 
décence.  Le  Roi  en  a  été  touché,  et  en  attendant  qu'il 
puisse  faire  un  arrangement  solide  pour  lui,  il  a  bien  voulu 
lui  accorder  une  gratification  extraordinaire  de  six  mille 
livres  sur  les  fonds  du  Trésor  Royal  ^^  » 

Tout  cela  fait  voir  en  quelle  estime  était  à  la  Cour  M^ 
de  Pontbriand  ;  on  l'estimait  d'autant  plus  qu'il  n'était  pas 
homme  à  se  plaindre  ou  à  solliciter  des  faveurs  : 

«  Je  n'ai  jamais  rien  souhaité  de  temporel  avec  ardeur, 
écrivait-il  un  jour . . .  C'est  la  Providence  qui  détermine 
mon  sort  ^^.  » 


Hélas  !  le  pieux  Prélat  n'était  pas  au  bout  de  ses 
épreuves.  A  peine  commence-t  il  à  se  remettre  un  peu  des 
fatigues  et  des  préoccupations  que  lui  a  causées  l'incendie 
des  Trois-Rivières,  qu'un  semblable  malheur  vient  fondre 
sur  l'Hôtel-Dieu  de  Québec. 

9.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettres  du  31  janvier  et  du  6  mai  1754. 

10.  Rapport. ..  pour  1905,  p.  138. 

11.  Ihid.,   p.  210. 

12.  Arch.  de  l'archev.  de  Québec,  lettre  à  M.  de  Maurepas,  1751.. 


sous   M«'   DE   PONTBRIAND  199 

C*était  un  samedi,  le  7  juin  1755.  En  plein  midi,  à 
l'heure  où  la  Communauté,  à  l'exception  de  quelques 
malades,  se  trouve  réunie  au  réfectoire,  rien  ne  présageant 
le  sinistre  événement,  voilà  que  soudain  une  Sœur  venant 
des  salles  entre  en  criant  :  «  Au  feu,  au  feu  !  »  Au  même 
instant,  on  voit  la  flamme  se  faire  jour  avec  violence  par  le 
toit.  L'alarme  se  répand  aussitôt  dans'la  ville  ;  ecclésias- 
tiques et  religieux,  militaires  et  citoyens,  tous  volent  au 
secours  du  saint  asile  des  pauvres  et  des  malades. 

Les  religieuses,  conservant  leur  sang-froid  au  milieu  de 
tant  d'angoisse,  songent  d'abord  à  sauver  une  Sœur  mou- 
rante, et  à  mettre  leurs  malades  en  lieu  de  sûreté.  Ce 
premier  soin  rempli,  elles  se  dispersent  par  la  maison, 
espérant  pouvoir  soustraire  quelques  objets  aux  flammes. 
Une  d'elles.  Sœur  Aune  Lajoue  du  Sacré-Cœur,  monte  à 
sa  cellule,  saisit  un  paquet,  le  jette  par  la  fenêtre,  puis 
retourne  au  lieu  de  l'embrasement. 

La  Mère  Supérieure  et  les  autres  religieuses  se  sont 
réunies  à  leurs  malades  sur  la  terrasse  dans  le  jardin  des 
pauvres.  Une  seule  ne  répond  pas  à  l'appel  :  c'est  la  Sœur 
du  Sacré-Cœur.  On  crie,  on  cherche,  mais  en  vain.  Trois 
quarts  d'heure  s'écoulent  :  l'église,  l'hôpital,  l'habitation 
des  religieuses  et  toutes  les  dépendances  du  monastère  sont 
réduites  en  cendres .. .  La  pauvre  Sœur  a  péri  dans  les 
flammes . . . 

Le  feu  dévorant,  poussé  par  un  gros  vent  de  nord-ouest, 
consume  plusieurs  maisons  de  la  Haute- Ville,  et  met  en 
danger  tout  le  quartier  Saint-Roch. 

Les  Hospitalières  prennent  alors  le  chemiu  des  Ursulines, 
où  on  leur  a  offert  l'hospitalité.  Elles  y  restent  trois 
semaines,  puis  acceptent  l'offre  généreuse  des  Pères  Jésuites, 
qui  les  reçoivent,  avec  leurs  malades,  dans  leur  Collège, 
heureux  d'acquitter  ainsi  une  dette  de  reconnaissance 
envers  l'Hôtel-Dieu,  qui,  plus  d'un  siècle  auparavant,  en 
pareille  circonstance,  les  avait  reçus  sous  son  toit. 


200  l'Église  du  canada 

«  On  n'apprit  que  plus  tard,  écrit  l'abbé  Casgrain,  quelle 
avait  été  la  cause  de  cet  épouvantable  désastre.  Deux 
matelots,  qui  avaient  été  soignés  à  l'hôpital,  avaient  conçu 
du  mécontentement  contre  la  Mère  hospitalière  et  avaient 
formé  le  projet  de  s'en  venger.  Ils  choisirent  un  jour  où  le 
vent  soufflait  avec  force,  et  mirent  le  feu  à  une  des  extré- 
mités de  la  toiture,  après  l'avoir  enduite  d'une  certaine 
quantité  de  souffre . . . 

<(  Retournés  plus  tard  en  France,  ces  deux  matelots, 
poursuivis  sans  doute  par  la  vengeance  divine,  furent  con- 
damnés à  mort  pour  un  autre  forfait.  Au  moment  de 
l'exécution,  ils  déclarèrent  sur  l'échafaud  que  le  crime  qui 
leur  causait  les  plus  grands  remords  était  d'avoir  mis  le 
feu  à  l'Hôtel-Dieu  de  Québec  ^\  » 

M^^  de  Pontbriand  était  à  Montréal,  en  visite,  lorsqu'il 
apprit  la  triste  nouvelle  de  l'incendie  de  l'Hôtel-Dieu.  Il 
s'empressa  d'écrire  aux  Hospitalières  : 

«  Mes  très  chères  Filles,  je  vous  écris  à  toutes  en  com- 
mun, et  je  puis  vous  assurer  que  je  rassemble  dans  mon 
cœur  toute  la  douleur  que  ressent  chacune  de  vous.  La 
perte  de  la  Sœur  du  Sacré-Cœur  m'attriste  infiniment  plus 
que  toutes  vos  autres  pertes  ;  car  le  bon  usage  que  vous  en 
ferez  servira  à  affermir  votre  piété,  votre  détachement  de 
toutes  les  choses  de  la  terre  au  milieu  de  la  vie  dure  et 
difficile  que  vous  aurez  à  mener  pendant  quelques  années. 
Le  public  y  perd  beaucoup  plus  que  vous,  puisqu'il  est 
privé  de  vos  soins  charitables.  Pour  ne  pas  l'en  priver 
totalement,  et  pour  vous  donner  l'occasion  de  servir  les 
membres  de  Jésus-Christ,  et  en  même  temps  pour  débar- 

13.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  407. 


sous    M^'^   DE   PONTBRIAND  20I 

rasser  les  dames  Ursulines  qui,  je  crois,  ne  pourraient  pas» 
sans  s'incommoder  notablement,  vous  conserver  pendant 
Phiver,  je  vous  communique,  par  le  mémoire  ci-joint,  les 
mesures  que  je  prends  et  que  j'engage  M.  l'intendant  à 
prendre.  Je  vous  prie  de  marquer  à  toutes  nos  chères  filles 
les  Ursulines  combien  je  suis  sensible  à  la  bonne  réception 
qu'elles  vous  ont  faite.  .  .  » 

Dans  son  mémoire,  M^""  de  Pontbriand  offrait  aux  Hos- 
pitalières et  à  leurs  malades  l'usage  entier  de  sa  maison, 
tvec  son  ameublement  et  toutes  ses  dépendances.  Il  indi- 
quait les  modifications  qu'il  fallait  faire  pour  la  rendre 
propre  à  cet  emploi  ;  puis  il  ajoutait  : 

«  Enfin,  je  livre  toute  ma  maison  pour  cette  bonne 
œuvre  ;  et  s'il  est  nécessaire  je  me  livre  moi-même  pour 
être  le  premier  infirmier  de  ce  nouvel  hôpital.  » 

Les  Hospitalières  remercièrent  le  saint  Evêque  ;  mais 
ayant  déjà  accepté  l'hospitalité  chez  les  Pères  Jésuites, 
elles  se  décidèrent  à  y  rester,  et  le  Prélat  approuva  leur 
résolution. 

Il  profita  de  son  séjour  à  Montréal  pour  y  faire  faire  une 
collecte  parmi  les  citoyens  :  elle  se  monta  à  mille  écus. 

Revenu  à  Québec,  il  n'épargna  rien  pour  secourir  les 
Hospitalières.  Il  fit  faire  une  quête  générale  dans  la  ville 
et  dans  les  campagnes.  La  collecte  faite  parmi  les  ci- 
toyens de  Québec  et  à  bord  des  vaisseaux  du  Roi,  mouillés 
dans  la  rade,  piodnisit  une  somme  de  plus  de  treize  cents 
écus.  Les  habitants  des  paroisses  apportèrent  une  bonne 
partie  du  bois  de  construction  : 

«  Mais  ce  qui  hâta  le  plus  les  ouvrages,  écrit  l'abbé 
Casgrain,  ce  fut  l'assistance  d'un  ami  aussi  puissant  que 
dévoué,  le  marquis  de  Vaudreuil,  qui  fut  le  dernier  gou- 
verneur du  Canada  sous  l'ancien  régime,  mais  qui  n'en  fut 
pas  le  moins  remarquable.  Outre  les  souscriptions  qu'il 
obtint  de  France,  il  remit  à  la  supérieure  une  somme  de 


>-CV 


202  Iv'EGIvISE   DU   CANADA 

cinq  cents  livres,  et  lui  envoya  douze  maçons  :  de  sorte  que 
les  travaux  furent  poussés  avec  assez  d'activité  pour  qu'on 
pût  espérer  que  les  deux  ailes  du  monastère  que  l'on  faisait 
rebâtir  seraient  habitables  dans  un  avenir  prochain  ^*.  » 

La  supérieure  de  l'Hôtel-Dieu  écrivant  aux  sœurs  de 
M^  de  Pontbriand,  les  Visitandines  de  Rennes,  dans  l'au- 
tomne de  1756  : 

«  Vous  savez  sans  doute,  disait-elle,  l'incendie  général  de 
notre  maison  et  hôpital,  et  de  tous  les  bâtiments  qui  en 
dépendaient,  sans  qu'il  en  soit  resté  un  seul,  quoiqu'ils 
fussent  de  pierre,  mais  couverts  de  bois,  à  la  manière  du 
pays.  Cet  accident  arriva  le  7  juin,  l'an  passé.  Depuis 
ce  temps-là,  riiesdames,  nous  habitons  un  corps  de  logis 
des  Pères  Jésuites,  qui  a  été  occupé  autrefois  par  des  pen- 
sionnaires. Cependant,  ne  pouvant  toujours  demeurer 
dans  une  maison  étrangère,  on  travaille  au  rétablissement 
de  la  nôtre,  et  monseigneur,  notre  digne  Prélat,  nous 
donne  en  cela  des  marques  sensibles  de  sa  bonté  paternelle, 
car  il  veut  bien  prendre  cet  ouvrage  si  fort  à  cœur,  qu'il 
fait  des  marchés  avec  les  ouvriers  et  les  va  voir  tous  les 
jours  pour  les  animer.  Il  nous  faut  faire  pour  cela  de 
grands  emprunts  qui  nous  font  beaucoup  endetter,  mais 
nous  y  sommes  contraintes  par  nécessité.  Monseigneur 
nous  favorise  encore  extrêmement  en  ceci,  en  nous  aidant 
de  son  crédit  pour  ne  point  payer  de  rentes,  et  quoique 
cette  dépense  ne  se  fasse  pas  à  ses  frais,  sa  protection  nous 
est  très  avantageuse,  et  nous  ne  pouvons  jamais  recon- 
naîtie  assez  les  obligations  que  nous  lui  avons. 

C'est  pourquoi,  mesdames,  vous  contribuerez  à  nous 
acquitter  avec  Sa  Grandeur,  si  vous  voulez  bien  lui  témoi- 
gner que  vous  lui  savez  gré  de  tous  les  bons  offices  qu'il 
nous  rend,  et  vous  m'engagerez  à  vous  être  fort  obligée 

14.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  425. 


sous   M«^'   DE    PONTBRIAND  203 

moi-même  de  la  part  que  vous  aurez  la  charité  de  prendre 
à  ce  qui  regarde  une  pauvre  communauté  incendiée,  qui 
est  réduite  à  recevoir  les  aumônes  de  toutes  les  personnes 
qui  veulent  bien  nous  en  faire  ^^.    .  » 

C'est  la  Sœur  Duplessis  qui  écrivait  cette  lettre,  à  la  fois 
si  simple  et  si  touchante,  la  même  qui,  dans  une  autre 
rencontre,  écrivait  à  une  amie  : 

((  Que  les  choses  de  ce  monde  sont  incertaines,  ma  chère 
amie  !  On  ne  peut  compter  sur  rien  en  ce  monde.  Atta- 
chons-nous uniquement  à  Dieu,  chacune  selon  les  devoirs 
de  notre  état  ^^  » 

Ne  dirait-on  pas  que  ces  paroles  sont  de  la  vénérable 
Marie  de  l'Incarnation?  Ah,  c'est  que  la  pieuse  fondatrice 
des  Ursulines  de  Québec  revivait  dans  ses  enfants,  dans  les 
élèves  formées  dans  sa  maison,  dans  toutes  les  grandes 
religieuses  de  l'époque,  de  même  que  Montmorency-Laval 
semblait  revivre  dans  son  cinquième  successeur  :  c'était  le 
même  esprit  de  dévouement,  de  force  et  d'abnégation. 

M^^  de  Pontbriand  eut  le  bonheur  de  voir  son  Hôtel- 
Dieu  de  Québec  se  relever  de  ses  ruines  en  très  peu  de 
temps.  Deux  ans  après  l'incendie,  il  faisait  lui-même  la 
bénédiction  du  nouvel  hôpital  au  milieu  d'un  immense 
concours  de  personnes  accourues  pour  louer  le  Seigneur  ^'^, 
La  Mère  Sainte-Hélène  qui  était  encore  là,  pouvait  mainte- 
nant chanter  son  Nunc  dimittis  :  elle  mourut,  en  effet,  peu 
de  temps  après  ^^,  et  fut  remplacée  comme  supérieure  par 


15.  Lettre  de  la  Mère  Sainte-Hélène,  Marie- Andrée  Duplessis,  19  sep- 
tembre 1756. 

16.  Revue  Canadienne,  t.  XII. 

17.  Les  Hospitalières  entrèrent  dans  leur  nouvelle  maison  le  ler  juil- 
let 1757.  (Journal  du  curé  Récher). 

18.  Sa  sœur,  la  Mère  de  l'Enfant-Jésus,  était  morte  trois  ans  aupa- 
ravant "  au  collège  des  Jésuites,  et  y  avait  été  inhumée  ".  (Arch.  de 
l'archev.  de  Québec,  lettre  de  Mgr  Dosquet  à  la  Mère  Duplessis  de 
Sainte-Hélène,  8  mars  1752). 


ao4  l'égusp:  du  canada 

la  Mère  des  Anges.  M»''  de  Pontbriand  écrivant  un  mot  à 
celle-ci  : 

«  J'espère,  disait-il,  que  Dieu  vous  donnera  son  même 
esprit,  et  que  la  ferveur  de  la  maison  ne  sera  diminuée  en 
rien  *^.  » 

«  De  toutes  les  Supérieures  qui  ont  gouverné  l'Hôtel- 
Dieu  de  Québec,  écrit  l'abbé  Casgrain,  aucune  n'a  laissé 
un  nom  plus  doux,  une  mémoire  plus  suave  que  la  Mère 
Sainte-Hélène  '^^.  » 


19.  Arch.  de  l'archev.  de  Québec,  Corresp.  de  Mgr  de  Pontbriand. 

20.  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  458. 


CHAPITRE  XIX 


j^me  d'YOUVIIJ,E.  —  LES  FRÈRES  CHARON.  —  ÉTABLIS- 
SEMENT DÉFINITIF  DE  L'HÔPITAL-GÉNÉRAL 
DE  MONTRÉAL 

Mme  d'Youville;  notes  biographiques.  —  M.  de  Lescoàt;  M.  Normant. 
—  L'Hôpital  des  Frères  Charon,  —  M.  Charon  et  Mgr  de  Laval.  — 
Ce  qui  manquait  aux  Frères  Hospitaliers.  —  Le  Frère  Turc.  —  Les 
plans  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  L'Hôpital-Général  confié  provisoi- 
rement à  Mme  d'Youville  —  Ordonnances  contradictoires.  —  L'Hô- 
pital-Général  confié  définitivement  à  Mme  d'Youville.  —  L'abbé  de 
rile-Dieu.  —  Mgr  de  Pontbriand  et  Mme  d'Youville. 

NOUS  avons  évoqué,  à  la  fin  du  chapitre  précédent,  la 
grande  figure  de  Marie  de  l'Incarnation  ;  et  voilà 
que  se  dresse  devant  nous,  à  son  heure,  la  vénérable  M™® 
d'Youville,  cette  autre  Mère  de  l'Incarnation,  l'émule  de 
la  première  par  la  vertu,  le  courage,  l'imperturbable  con- 
fiance en  la  Providence,  et  surtout  la  constance  au  milieu 
des  épreuves  d'une  carrière  très  mouvementée.  Le  croirait- 
on,  si  la  chose  ne  nous  était  attestée  par  les  documents  les 
plus  authentiques  ?  quelques-unes  de  ces  épreuves,  les  plus 
cruelles  peut-être,  les  plus  cuisantes,  lui  vinrent  du  peu  de 
confiance  que  lui  témoigna,  à  un  moment  donné,  son 
Evêque,  ce  grand  protecteur,  pourtant,  des  communautés 
religieuses. 

Jetons  un  coup  d'œil,  aussi  rapide  que  possible,  sur  les 
origines,  la  vocation  et  l'œuvre  de  l'illustre  fondatrice  des 
Sœurs  Grises  et  de  l'Hôpital-Général  de  Montréal. 

Marie-Marguerite   Dufrost  de   Lajemmerais  était  d'ori- 


2o6  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

gine  bretonne  par  son  père,  nn  officier  qui  servit  sous  M. 
de  Denonville  dans  sa  campagne  contre  les  Iroquois,  et 
devint  ensuite  commandant  au  Fort  Frontenac  :  elle  était 
canadienne  par  sa  mère,  Marie-Renée  de  Varennes,  petite- 
fille  de  Pierre  Boucher,  le  premier  gouverneur  des  Trois- 
Rivières. 

Elle  naquit  à  Varennes,  et  était  l'aînée  d'une  famille  de 
six  enfants,  dont  deux  se  firent  prêtres,  après  avoir  fait 
leurs  études  au  Séminaire  de  Québec  ^  Envoyée  elle- 
même  aux  Ursulines  de  cette  ville,  on  ne  put  l'y  laisser 
que  deux  ans,  temps  bien  court,  dont  elle  profita,  cepen- 
dant, pour  se  bien  pénétrer  de  l'esprit  de  la  Mère  de  l'In- 
carnation qui  règne  toujours  dans  ce  monastère. 

Elle  épousa  en  1722,  à  Montréal,  François  You  d'You- 
ville,  un  assez  triste  personnage,  qui  dissipa  en  peu  de 
temps  le  peu  de  bien  qu'il  avait,  et  mourut  en  1730,  lais- 
sant sa  femme  et  ses  enfants  dans  un  état  voisin  de  la 
misère.  Restée  veuve  à  l'âge  de  vingt-neuf  ans,  M™® 
d'Youville,  qui  depuis  longtemps  déjà  se  donnait  à  la 
piété  et  aux  bonnes  œuvres,  tout  en  s'occupant  de  l'éduca- 
tion de  ses  deux  fils  '^^  se  mit  sous  la  conduite  spirituelle 
d'un  vénérable  Sulpicien,  M.  dq  Lescoât,  d'origine  bre- 
tonne, lui  aussi,  et  avança  bien  vite  dans  les  voies  d'une 
grande  perfection. 

«  Un  jour,  dit  M.  Faillon,  que  ce  saint  prêtre  s'efforçait 
de  la  fortifier  dans  ses  délaissements,  il  lui  dit  ces  paroles 
que  toute  la  suite  montra  bien  n'avoir  été  proférées  que 
par  l'effet  d'une  inspiration  divine  :  «  Consolez- vous,  ma 
«  fille.  Dieu  vous  destine  à  une  grande  œuvre,  et  vous  relè- 
w  verez  une  maison  sur  son  déclin.  »     Cette  œuvre,  ajoute 

1.  Charles  et  Joseph  Dufrost  de  Lajemmerais.  Le  premier  termina  ses 
études  en  1719;  l'autre  en  1726.  {Catalogue  des  élèves  du  Séminaire  de 
Québec,  1849,  p.  21). 

2.  Joseph-François  et  Charles-Marie-Madeleine  Youville.  Ils  furent 
ordonnés  prêtres,  le  premier  en  1747,  le  second  en  1752. 


sous   M^'*   DE   PONTBRIAND  207 

M.  Paillon,  était  la  formation  de  l'institut  des  Sœurs  de  la 
Charité,  et  cette  maison  était  l'Hôpital-Général  ^  » 

Tous  ceux  qui  connaissaient  M"^®  d'Youville  faisaient 
l'éloge  de  ses  grandes  qualités.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  qui 
ne  pouvait  en  parler  cependant  que  d'après  ses  écrits  : 

«  C'est  une  personne,  disait-il,  qui  embrasse  et  saisit  bien 
son  objet.  » 

Et  M^  de  Pontbriand  lui-même,  une  fois  décidé  à  confier 
provisoirement  l'Hôpital  Général  à  M™®  d'Youville  : 

«  C'est  une  de  ces  personnes  d'un  rare  mérite,  écrit-il  à 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  et  je  pense  que  cet  hôpital  sera  bien 
entre  ses  mains.  Je  vous  recommande  autant  qu'il  est 
possible  cette  bonne  œuvre  *.  » 

Pour  les  MM.  de  Saint-Sulpice,  qui  connaissaient  depuis 
longtemps  son  mérite,  sa  vertu,  sa  force  de  caractère,  son 
esprit  pratique,  il  est  évident  qu'ils  avaient  jeté  les  yeux 
sur  elle  pour  lui  confier  la  direction  de  l'Hôpital-Général, 
qui  menaçait  de  s'éteindre.  Aussi,  pour  la  préparer  de 
longue  main  à  cette  œuvre  importante,  l'avaient-ils  enga- 
gée à  s'adjoindre  deux  ou  trois  compagnes,  à  louer  une 
maison,  et  à  y  entretenir  un  certain  nombre  de  vieillards 
et  d'infirmes,  en  un  mot  à  commencer  en  petit  ce  qu'ils  la 
croyaient  appelée  à  faire  en  grand  un  peu  plus  tard. 
Toujours  sous  la  direction  de  M.  de  Lescoât,  d'abord,  puis, 
après  sa  mort,  sous  celle  de  M.  Normant,  elle  se  mit  géné- 
reusement à  l'œuvre,  et  montra  dans  les  fonctions  qu'elle 
avait  entreprises  un  dévouement  et  un  zèle  admirables. 
Mais  que  d'épreuves  de  toutes  sortes  n'eut-elle  pas  à  endu- 
rer !  Mépris,  persécutions,  injures  atroces,  de  la  part  du 
prochain,  abattements  intérieurs,  incendie  de  sa  maison  et 
autres  accidents  fâcheux, 'elle  supporta  tout  avec  courage, 


3.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  19. 

4.  Manuscrits  de  Jacques  Viger,  Ma  Saberdache,  lettre  du  6  novembre 
1748. 


2o8  l'église  du  canada 

montrant  bien  qu'elle  était  vraiment  «  la  femme  forte  de 
l'Evangile  ».  Et  lorsqu'on  lui  fit  plus  tard  la  proposition 
de  se  charger  de  l'Hôpital-Général,  elle  était  prête  à  rem- 
plir cette  tâche  difficile  et  importante. 

Mais  quelle  était  cette  «  maison  sur  son  déclin  »,  cet 
Hôpital  qu'il  s'agissait  de  relever  et  d'établir  sur  des  bases 
solides  ? 

*     * 

Ce  que  l'on  avait  appelé  jusque-là  l'Hôpital-Général,  à 
Montréal,  ne  l'était  que  de  nom,  puisqu'il  ne  recevait  et 
ne  pouvait  recevoir  «  que  des  hommes  ».  Ses  commen- 
cements, du  reste,  avaient  été  très  réguliers.  Fondée  en 
1692  par  trois  pieux  laïques,  M.  Charon,  M.  LeBer,  frère 
de  la  célèbre  recluse  ^,  et  M.  Fredin,  cette  «  maison  de  cha- 


5.  Jeanne  LeBer,  la  célèbre  recluse,  était  la  fille  de  Jacques  LeBer, 
riche  négociant  de  Montréal.  Elle  reçut  son  éducation  aux  Ursulines  de 
Québec;  puis,  à  l'âge  de  dix-sept  ans,  elle  fit  vœu  de  chasteté,  et  vécut 
en  recluse  dix-sept  autres  années  dans  la  maison  de  son  père,  parta- 
geant son  temps  entre  la  prière,  la  lecture  et  le  travail,  et  se  livrant  à 
toutes  les  rigueurs  de  la  pénitence.  Elle  ne  sortait  que  pour  aller  en- 
tendre la  messe  le  dimanche  à  la  Paroisse.  Lorsque  les  Sœurs  de  la 
Congrégation  firent  bâtir  leur  église,  elle  voulut,  avec  la  permission  de 
son  père,  y  contribuer  pour  la  plus  grande  partie,  et  obtint  la  faveur 
de  se  faire  construire  dans  le  chœur,  en  arrière  du  maître-autel,  une 
cellule  à  trois  étages,  pour  y  vivre  dans  une  réclusion  encore  plus  par- 
faite, seule  à  seul,  pour  ainsi  dire,  avec  le  Dieu  de  l'Eucharistie.  C'est 
là  qu'elle  fut  conduite  solennellement  le  5  août  1695,  Jour  de  la  fête  de 
Notre-Dame-des-Neiges,  pour  n'en  sortir  que  le  3  octobre  1714,  jour  de 
sa  mort.  Ce  jour-là,  ses  restes  mortels  furent  exposés  dans  l'église  à  la 
piété  des  fidèles  accourus  pour  les  vénérer,  puis  le  lendemain  portés  à  la 
Paroisse,  oii  eut  lieu  le  service  solennel.  On  les  reporta  ensuite  à  la 
Congrégation,  où  ils  furent  inhumés  à  côté  de  ceux  de  son  père.  L'épi- 
taphe  portait  l'inscription  suivante  : 

"  Ci-git  vénérable  Sœur  Jeanne  LeBer,  bienfaitrice  de  cette  maison, 
qui,  ayant  été  recluse  quinze  ans  dans  la  maison  de  ses  pieux  parents,  en 
a  passé  vingt  dans  la  retraite  qu'elle  a  faite  ici.  Elle  est  décédée  le  3 
octobre  1714,  âgée  de  52  ans." 

Bienfaitrice  de  cette  maison  .•  en  effet,  non  seulement  l'église  avait  été 
construite  presque  toute  à  ses  frais,  mais  aussi  le  pensionnat  qui  s'éle- 
vait à  côté;  et  elle  se  refusa  même  le  plaisir  d'aller  le  voir!  (Faillon, 
Vie  de  la  Sœur  Bourgeois). 

On  ne  mentionne  qu'une  visite  qu'elle  aurait  reçue  tout  le  temps  de  sa 
réclusion,  celle  de  Mgr  de  Saint- Vallier  en  1699. 


sous    M»'"   DE    PONTBRIAND  209 

rite  »  avait  reçu  de  suite  l'approbation  de  M^'^  de  Saiut- 
Vallier,  et  eu  1694  des  lettres  patentes  de  la  Cour  de 
France.  Ces  lettres  patentes  permettaient  aux  pieux  fon- 
dateurs et  autres  personnes  qui  voudraient  se  joindre  à 
eux  d'établir  à  Montréal  un  Hôpital,  oii  ils  pourraient 
retirer  les  pauvres  enfants,  orphelins,  estropiés,  vieillards, 
infirmes  et  autres  nécessiteux  «  de  leur  sexe  »  ^.  Ils  étaient 
autorisés  à  se  constituer  en  communauté,  faisaient  des 
vœux  simples  et  portaient  un  costume.  On  les  appelait 
les  Frères  Hospitaliers  de  Saint-Joseph  de  la  Croix,  ou 
tout  simplement  les  Frères  Charon,  du  nom  de  leur  princi- 
pal fondateur,  qui  avait  consacré  à  cette  bonne  œuvre  toute 
sa  fortune,  laquelle  était  assez  considérable. 

De  leur  côté,  les  MM.  de  Saint-Sulpice,  toujours  prêts  à 
favoriser  le  bien  à  Montréal,  leur  avaient  cédé  un  grand  et 
magnifique  terrain  en  dehors  des  murs  de  la  ville,  pour  y 
construire  leur  maison  et  ses  dépendances,  mais  à  la  con- 
dition expresse  que,  si  la  nouvelle  communauté  venait  à 
s'éteindre,  le  Séminaire  rentrerait  dans  tous  ses  droits  sur 
la  propriété  de  ce  terrain. 

Tout  alla  bien  dans  les  commencements  de  cette  insti- 
tution. M.  Charon  et  ses  pieux  confrères  réussirent  à 
s'adjoindre  un  bon  nombre  de  collaborateurs,  et  tous  se 
livrèrent  avec  zèle  à  l'œuvre  charitable  qu'ils  avaient 
entreprise:  l'on  compta  dans  l'Hôpital  jusqu'à  cent  vieil- 
lards ou  infirmes,  qui  y  étaient  logés,  nourris  et  entretenus 
avec  soin.  Les  Frères  hospitaliers  jouissaient  à  un  haut 
degré  de  l'estime  et  de  la  considération  du  public  ;  et  ce 
fut  même  là  l'origine  des  persécutions  dirigées  contre  M™® 
d'Youville,  lorsqu'on  soupçonna  qu'on  voulait  la  substituer 
à  eux. 

M^'  de  Laval  avait  une  grande  estime  pour  M.  Charon. 


6.  Edits  et  Ordonnances,  t,  1,  p.  277. 

14 


'>x> 


2IO  L'EGLISE   DU   CANADA 

Ecrivant  un  jour  à  M.  de  Brisacier,  il  lui  recommandait  ce 
bon  Frère,  qui  était  passé  en  France  pour  intéresser  à  son 
œuvre  les  âmes  charitables  : 

«  Le  bon  M.  Charon,  disait-il,  a  beaucoup  contribué  au 
succès  de  notre  mission  des  Tamarois,  par  un  de  leurs 
Frères,  qu'il  nous  donna  l'an  passé.  Il  nous  en  a  fourni 
encore  un  cette  année.  Ces  donnés  épargneront  beaucoup 
aux  missionnaires,  la  dépense  d'un  engagé  étant  aussi 
grande  que  celle  d'un  missionnaire  même. 

((  Je  vous  prie,  et  nos  messieurs,  de  témoigner  bien  de  la 
reconnaissance  à  ce  bon  serviteur  de  Dieu,  qui  est  autant 
porté  d'affection  pour  les  missions  et  missionnaires  que  s'il 
était  du  corps.  Nous  avons  même  les  vues,  aussi  bien  que 
lui,  de  former  par  la  suite  une  communauté  de  leurs  Frères 
pour  aider  les  missions  et  accompagner  les  missionnaires 
dans  leurs  voyages.  Il  va  en  France  et  jusques  à  Paris 
pour  trouver  et  emmener  quelques  bons  sujets  pour  l'aider 
à  former  leur  communauté.  M.  de  la  Colombière  y  de- 
meure une  grande  partie  de  l'année  et  y  fait  beaucoup  de 
bien. 

«  Rendez  à  M.  Charon  tous  les  services  comme  aux 
missionnaires  mêmes  :  c'est  un  véritable  serviteur  de 
Dieu.  ''.  » 

Ce  n'était  ni  la  vertu  ni  le  zèle  qui  faisaient  défaut  aux 
Frères  Hospitaliers,  c'était  un  lien  religieux  qui  les  unît 
en  communauté,  c'était  un  noviciat  où  tous  pussent  se 
former  à  une  règle,  selon  l'esprit  de  leur  institut.  Mais 
cet  esprit,  qu'était-il?  Tous  ces  sujets  que  l'on  recrutait 
de  côté  et  d'autre,  avaient-ils  le  même  but,  la  même  pensée, 
la  même  vocation?  Qui  avait  autorité  pour  leur  imposer 
ses  vues  et  les  former  à  la  règle? 


7.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  lettre  de  Mgr  de  Laval  à  M.  de  Bri- 
sacier, 1699. 


m 


sous   M^''   DE   PONTBRIAND  211 

«  Dieu,  écrit  M.  Paillon,  quand  il  suscite  un  Institut,  ne 
manque  jamais  de  lai  préparer,  dans  son  propre  corps,  tout 
ce  qui  est  nécessaire  à  sa  perfection.  Chercher  hors  de  là 
l'esprit  qui  doit  l'animer,  serait  vouloir  introduire  dans  un 
corps  défaillant  une  chaleur  étrangère  pour  lui  donner  la 
vie  ^.  » 

M.  Charon  chercha  à  affilier  sa  petite  communauté  à 
Saint-Sulpice,  et  M.  Leschassier  l'autorisa  à  présenter  un 
mémoire  à  la  Cour  à  ce  sujet  ;  mais  «  l'union  des  deux 
corps  ivt  jugée  incompatible».  Kt  ce  qui  prouve  qu'il 
n'avait  jamais  eu  de  but  bien  arrêté  dans  son  établis- 
sement, c'est  qu'il  se  décida  alors  à  former  des  maîtres 
d'écoles  pour  la  colonie  :  il  obtint  pour  cela  de  la  Cour  de 
nouvelles  lettres  patentes  confirmant  les  premières,  celles 
de  1694,  et  autorisant  les  directeurs  de  son  Hôpital  à  faire 
faire  l'instruction  des  jeunes  gens  :  «  Voulons,  disait  le 
Roi,  qu'ils  fassent  tenir  des  Ecoles  publiques  dans  le  dit 
Hôpital,  et  qu'ils  puissent  envoyer  des  maîtres  d'écoles 
dans  toutes  les  paroisses  du  diocèse  de  Québec.  »  Notons 
bien  cependant  la  condition  expresse  qu'y  mettait  le  Roi  : 
«  Voulons  que  tous  les  dits  maîtres  d'écoles  qui  seront 
choisis  pour  enseigner  tant  dans  le  dit  Hôpital  que  dans 
les  paroisses,  soient  préalablement  tenus  de  prendre  à  cet 
effet  la  permission  du  sieur  Evêque  de  Québec  ^.  » 

Qui  n'admirerait  ici  la  prudence  et  le  bon  esprit  de  la 
Cour  de  France  ?  L'enseignement  dans  les  écoles,  la  for- 
mation intellectuelle  et  morale  des  jeunes  gens  est  un  véri- 
table apostolat,  qui  tombe  naturellement  sous  le  contrôle 
et  la  surveillance  de  l'Eglise. 

Le  Roi  accordait  ensuite  aux  Frères  Charon  une  rente 
annuelle  de  trois  mille  livres,  «  poui  .  entretien  de  six 
maîtres  d'écoles.  » 

8.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  25. 

9.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  39a 


212  L  EGLISE   DU   CANADA 

L'Hôpital-Collège  fournit  pendant  plusieurs  années  un 
bon  nombre  d'instituteurs,  qui  firent  l'école  dans  les  pa- 
roisses du  district  de  Montréal  et  jusqu'aux  Trois-Rivières. 
Mais  il  manquait  toujours  quelque  chose  d'essentiel  à  cette 
institution,  un  noviciat  qui  en  fît  une  société  vraiment 
religieuse,  et  une  école  normale  qui  formât  de  bçns  insti- 
tuteurs. 

M.  Charon,  qui  n'avait  pas  réussi  à  s'affilier  à  Saint- 
Sulpice,  essaya  de  se  reprendre  ailleurs.  Etant  passé  en 
France,  en  1718,  il  demanda  à  la  Cour  la  permission 
d'établir  à  La  Rochelle  une  Ecole  Normale  pour  y  former 
des  maîtres  d'écoles  pour  le  Canada.  Son  but  était  de  la 
confier  aux  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  ;  et  ceux-ci 
avaient  même  accepté  de  passer  au  Canada  :  mais  le  Bien- 
heureux de  la  Salle,  qui  y  avait  d'abord  consenti,  les  en 
détourna.  Comme  nous  l'avons  vu  dans  un  volume  pré- 
cédent ^^,  les  Frères  des  Ecoles  Chrétiennes  reprirent  en 
1737  le  projet  de  s'établir  au  Canada;  mais  cette  fois 
encore  ils  renoncèrent  à  l'entreprise. 

M.  Charon  mourut  (17 19)  à  bord  du  vaisseau  qui  le 
ramenait  de  France  au  Canada.  Il  avait  avec  lui  «  six 
maîtres  d'écoles  et  quelques  ouvriers  qu'il  avait  engagés 
pour  travailler  à  une  manufacture  de  bas  au  métier  »  ". 
Tant  qu'il  avait  vécu,  son  autorité  avait  suffi  pour  main- 
tenir l'ordre  et  l'union  dans  sa  communauté  ;  mais  après 
Jui,  ce  fut  le  chaos. 

Le  Frère  Turc,  nommé  par  M^'^  de  Saint-Vallier  pour  le 
remplacer,  voulut  à  son  tour,  avec  l'agrément  de  l'évêque 
de  La  Rochelle,  dont  il  était  l'ami,  établir  dans  cette  ville 
une  Ecole  Normale  pour  y  former  des  maîtres  d'écoles 
pour  la  Nouvelle-France.     Il  contracta,  au  nom  et  à  l'insu 


10.  U Eglise  du  Canada,  2e  Partie,  p.  346. 

11.  Corresp.  générale,  voL  4a 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  213 

de  sa  communauté,  des  dettes  considérables.  Ne  voyant 
pas  jour  à  les  acquitter,  il  passa  furtivement  à  Saint-Do- 
mingue ;  et  le  gouverneur  français,  le  chevalier  de  la 
Rochelar,  ayant  eu  ordre  de  le  saisir,  «de  force,  si  c'était 
nécessaire»  ^'\  il  se  retira  dans  la  partie  espagnole  de  l'île. 
La  plupart  des  Frères  Hospitaliers  se  débandèrent.  Il  en 
restait  cependant  encore  quelques-uns  à  l'Hôpital  ;  mais 
comme  ils  ne  remplissaient  plus  les  fonctions  de  maîtres 
d'écoles,  la  Cour  leur  retrancha  les  trois  mille  livres  qu'elle 
leur  avait  allouées  pour  cet  objet  ;  et  lorsque  M^^  Dosquet 
vint  au  Canada,  voyant  qu'il  n'y  avait  plus  parmi  eux 
aucune  discipline,  il  leur  fit  défense  de  recevoir  de  nou- 
veaux sujets. 

*      * 

Les  choses  en  étaient  là^  lorsque  M^^  de  Pontbriand 
devint  évêque  de  la  Nouvelle-France  en  1741.  Mis  au 
courant  de  tout,  il  apprit  que  la  Cour  désirait  que  le  nom- 
bre des  communautés  religieuses  au  Canada  fût  diminué  ^^: 
on  les  trouvait  trop  pauvres,  sans  ressources,  à  charge  à  la 
colonie,  surtout  à  la  Cour,  qu'elles  ne  cessaient  d'impor- 
tuner par  leurs  demandes.  On  parlait  même  de  réunir 
l'Hôtel-Dieu  de  Québec  à  l'Hôpital-Général  ^*:  singulière 
idée,  à  la  veille  des  événements  qui  allaient  faire  regorger 
de  malades  de  toutes  sortes  ces  deux  maisons  ! 

Pour  l'Hôpital-Général  de  Montréal,  le  Prélat  lui-même 
paraissait  décidé  à  l'unir  soit  aux  Sœurs  de  la  Congréga- 
tion ^^,  soit  aux  Hospitalières  de  Saint- Joseph  : 

12.  Richard,  Rapport. . .  pour  IÇ04,   p.  74. 

13.  Rapport. . .  pour  1905,   p.  102, 

14.  Ibid.,  p.  97,  114,  133. 

15.  Les  Sœurs  de  la  Congrégation  n'ont  pas  été  instituées  pour  s'oc- 
cuper des  hôpitaux,  mais  pour  l'éducation  des  jeunes  filles.  11  est  pro- 
bable que  le  Prélat  avait  dans  son  idée  les  Sœurs  du  Saint-Esprit  de  M. 
de  I^  Ville-Angevin,  qui,  elles,  "  avaient  à  s'occuper  de  l'éducation  des 
filles  et  du  soin  des  malades".  {Les  Epoux  charitables,  p.  157). 


214  I^'ÊGLISE    DU   CANADA 

A  toutes  les  réflexions  que  j'ai  faites  sur  PHôpital- 
Général  de  Montréal,  écrivait-il,  je  crois  devoir  en  ajouter 
une  autre  :  c'est  d'y  transporter  PHôtel-Dieu,  en  sorte  que 
les  mêmes  religieuses  eussent  soin  des  malades  et  des 
vieillards  :  quatre  salles  suffiraient.  La  dépense  serait 
moins  considérable,  parce  que  la  même  cuisine  servirait. 
Il  faudrait  moins  de  domestiques,  moins  de  religieuses  :  ce 
serait  la  même  supérieure,  et  les  mêmes  officières.  Il  y 
aurait  moins  de  frais  pour  le  chirurgien,  moins  d'ecclésias- 
tiques occupés  ;  on  pourrait  alors  tirer  des  rentes  considé- 
rables de  l'emplacement  et  des  bâtiments  de  l'Hôtel-Dieu, 
parce  qu'on  pourrait  les  affermer  ^^.  . .  » 

Il  n'y  avait  qu'une  objection  à  tout  cela  :  c'est  que  les 
religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  de  Montréal  étaient  chez  elles, 
et  qu'elles  ne  se  seraient  probablement  pas  laissé  déloger 
sans  crier  :  Gare  ! 

Quant  à  M^^'  d'Youville  et  ses  compagnes,  si  bien  for- 
mées par  les  messieurs  de  Saint-Sr.lpice,  constituées  déjà 
en  communauté,  le  Prélat,  loin  de  songer  à  elles  pour  la 
direction  de  l'Hôpital,  semble  leur  avoir  témoigné  tout 
d'abord  peu  de  confiance. 

Bientôt,  cependant,  voyant  que  les  citoyens  de  Montréal 
tiennent  absolument  à  conserver  leur  Hôpital,  et  leur 
Hôpital  indépendant  de  toute  autre  institution,  de  concert 
avec  MM.  de  Beauharnais  et  Hocquart,  et  sur  les  représem- 
tations  de  Saint-Sulpice,  il  consent  à  en  confier  «  provisoi- 
' renient  »  la  direction  à  M™^  d'Youville.  C'est  le  27  août 
1747.  Il  n'y  a  plus  que  deux  Frères  Hospitaliers  ^'^,  et  ils 
ont  déjà  offert  leur  démission.  M™^  d'Youville  s'engage  à 
leur  payer  une  pension  viagère  :  elle  se  charge  de  réparer 
la  maison  qui  tombe  en  ruines,  et  de  recevoir  autant  de 
pauvres,  d'infirmes  et  de  vieillards  «  des  deux  sexes  »  que 

16.  Corresp.  générale,  vol.  "/S,  lettre  au  ministre,  28  septembre  1742. 

17.  Faillon,  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  59. 


sous    M^^   DE   PONTBRIAND  21 5 

ses  ressources  pourront  le  lui  permettre.  Un  Sulpicien 
généreux,  M.  Boufïandeau,  a  légué  à  l'Hôpital  six  mille 
livres,  à  condition  qu'il  soit  administré  par  M^^  d'Youville  ; 
M.  Couturier  a  aussi  en  mains  huit  mille  livres  qu'il  ne 
donnera  à  l'Hôpital  qu'à  la  même  condition  ^^  ;  et  toujours 
à  la  même  condition  les  créanciers  consentent  â  sacrifier  la 
moitié  de  leurs  créances.  Avec  ces  ressources,  et  plusieurs 
autres,  M™®  d'Youville  s'engage  à  payer  les  dettes  de  l'Hô- 
pital ^^.  Tout  le  monde  est  content  du  nouvel  arran- 
gement ;  et  bien  qu'il  ne  soit  donné  que  «  provisoirement  », 
on  espère  qu'il  deviendra  définitif. 

Voici  ce  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait  au  ministre,  à 
la  date  du  22  février  1749,  au  sujet  des  plans  de  M™* 
d'Youville  : 

«  La  dame  d'Youville  me  fait  envisager  que  si  la  Cour 
voulait  lui  accorder  des  lettres  patentes  pour  la  petite 
communauté  de  Filles  de  piètè  qu'elle  a  formées  au  service 
des  pauvres  et  au  soulagement  des  malades,  elle  est  sûre  de 
rassembler  huit  mille  francs,  qu'elle  m'enverra  aussitôt 
pour  acquitter  les  dettes  de  l'Hôpital.  . . 

«  Elle  ajoutera  l'instruction  au  soulagement  des  pauvres, 
le  soin  des  femmes  à  celui  des  hommes,  par  conséquent  le 
soulagement  des  deux  sexes. 

«  Cette  nouvelle  petite  communauté  se  consacrerait  non 
seulement  à  l'instruction  des  filles,  mais  à  retirer  du  liber- 
tinage les  personnes  de  mauvaise  vie,  sans  que  le  temps  et 
les  soins  qu'elle  y  donnerait  fissent  aucun  tort  au  soula- 
gement des  pauvres  malades  -°.  .  .  » 

*      * 
Bigot  arrive  pour  remplacer  Hocquart  ;     La  Jonquière, 
dont  M.  de  la  Galissonnière  n'a  fait  qu'occuper  temporaire- 

18.  Bdits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  408. 

19.  Ibid.,  p.  391. 

20.  Mss.  de  Jacques  Viger,  Ma  Saberdache. 


2i6  l'église  du  canada 

ment  la  place,  arrive  enfin  pour  succéder  à  Beauharnais  : 
tous  deux  sont  avec  l'Evêque  les  administrateurs  de  l'Hô- 
pital-Général. Bigot  n'ignore  pas  que  la  Cour  désire  que 
l'on  diminue  le  nombre  des  communautés  religieuses  au 
Canada,  et  pour  se  rendre  agréable  au  ministre  il  propose 
que  l'on  abolisse  l'Hôpital-Général  de  Montréal,  et  qu'on 
l'unisse  à  celui  de  Québec,  qu'il  a  pris  en  affection.  De 
concert  avec  La  Jonquière,  il  se  fait  donner  un  ordre  de  la 
Cour,  en  conséquence;,  et  voilà  qu'en  effet  tous  deux  ren- 
dent une  ordonnance,  en  date  du  15  octobre  1750,  réunis- 
sant l'Hôpital-Général  de  Montréal,  «avec  tous  ses  biens 
meubles  et  immeubles  »,  à  celui  de  Québec.  M^''  de  Pont- 
briand,  du  moins,  va-t-il  protester,  et  prendre  en  mains  la 
cause  de  M™^  d'Youville?  Hélas!  son  nom  est  le  premier 
en  tête  de  l'ordonnance,  et  sa  signature  est  aussi  la  pre- 
mière au  bas  de  cet  arrêt  qui  donne  la  mort  à  l'une  de  ses 
institutions  les  plus  méritantes  ^^  ! 

Cette  ordonnance  soulève  toute  la  population  de  Mont- 
réal contre  ceux  qui  l'ont  rendue,  et  l'on  se  met  immédiate- 
ment à  l'œuvre  pour  la  faire  casser  par  la  Cour  : 

«  L'ordonnance  a  fait  ici  un  grand  bruit,  écrit  à  l'Evêque 
M.  Normant,  non  seulement  par  le  son  des  tambours  qui 
l'ont  annoncée,  mais  plus  encore  par  les  murmures,  les 
médisances  et  les  calomnies  qu'elle  a  occasionnées.  Tous 
en  ont  été  si  frappés,  que  sans  garder  aucune  mesure,  et  con- 
tre les  règles  de  la  charité,  ils  ont  éclaté  en  ressentiments  et 
contre  Votre  Grandeur  et  contre  M.  Bigot,  qu'ils  en  ont 
supposé  les  auteurs,  faisant  grâce  à  M.  le  gouverneur  géné- 
ral, et  ne  lui  donnant  aucune  part  à  cette  entreprise,  qu'ils 
croient  être  contre  ses  sentiments.  J'ai  été  et  je  suis  encore 
très  peiné  de  voir  des  excès  si  blâmables.  Dieu  offensé,  et 
la  confiance  et  le  respect  qu'ils  sont  obligés  d'avoir  pour 

21.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  404. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  21/ 

Votre  Grandeur  altérés  et  diminués.  C'est,  à  mon  avis, 
bien  mal  défendre  une  bonne  cause.  ^'-^  » 

M.  Norraant  démontrait  ensuite  à  l'Evêque  que  l'union 
qu'il  avait  faite  de  l'Hôpital-Général  de  Montréal  à  celui 
de  Québec  était  injuste  et  nulle  ;  et  il  ajoutait,  en  termi- 
nant sa  lettre  : 

«  Nos  citoyens  se  flattent  qu'on  ne  leur  refusera  ni  le 
temps  ni  les  moyens  de  faire  à  Sa  Majesté  leurs  très  hum- 
bles représentations,  et  que,  jusqu'à  ce  qu'ils  puissent  en 
informer  la  Cour,  la  réunion  n'aura  pas  lieu.  » 

M.  Normant  rédigea  lui-même  la  supplique  des  citoyens 
à  la  Cour.  Elle  fut  appuyée  par  M.  de  La  Jonquière,  qui 
écrivit  au  ministre  le  19  octobre  1751,  en  avouant  ingé- 
nuement  qu'il  avait  suivi  tout  simplement  l'avis  de  M. 
Bigot,  sans  avoir  prévu  le  tort  que  l'union  des  deux  hôpi- 
taux causerait  aux  pauvres  de  Montréal  : 

«  Mais,  dit  M.  Paillon,  l'évêque  et  l'intendant  firent  à  la 
supplique  un  accueil  moins  favorable,  et  refusèrent  abso- 
lument de  l'appuyer  ^^  » 

Ils  durent  le  regretter  plus  tard,  lorsque  leur  arriva  de 
France  l'ordre  exprès  de  suspendre  l'union  qu'ils  avaient 
faite  et  de  remettre  les  choses  dans  l'état  oii  elles  étaient 
avant  leur  ordonnance  du  15  octobre  1750  ^*. 

En  parcourant  les  ordonnances  des  intendants,  on  est 
péniblement  impressionné  à  la  lecture  de  ces  deux  décrets 
qui  se  suivent  à  quelques  mois  de  distance  et  se  détruisent 
l'un  l'autre  :  celui  du  15  octobre  1750,  qui  réunit  l'Hôpital- 
Général  de  Montréal  à  celui  de  Québec,  et  celui  du  14 
décembre  1751,  «  qui  remet  la  dame  You ville  en  possession 
de  l'Hôpital-Général  de  Montréal,  «  d'oii  elle  avait  été  si 


22.  Cité  par  M.  Faillon,  dans  la  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  79. 

23.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  84. 

24.  Rapport...  pour  IÇ05,  p.  151. 


2i8  l'église  du  canada 

honteusement  évincée  ^^  On  regrette  de  voir  le  nom  de 
l'Evêque  en  tête  de  ces  deux  pièces  contradictoires  :  trop 
d'union,  trop  d'entente  avec  Bigot  ne  lui  avait  pas  porté 
bonheur. 

Le  Prélat,  qui  avait  toujours  été  un  peu  préjugé  contre 
^me  d'Youville,  s'était  figuré  que  dans  lei  comptes  qu'elle 
avait  rendus  de  la  gestion  de  l'Hôpital,  elle  avait  voulu 
tromper  les  administrateurs;  et  voilà  pourquoi,  de  concert 
avec  Bigot,  il  s'était  montré  impitoyable  à  son  égard.  Il 
lui  écrivit  en  1751  deux  ou  trois  lettres  dont  le  ton  nous  a 
paru  peu  obligeant  ^^ 

Les  effets  mobiliers  de  l'Hôpital  que  l'on  avait  déjà 
envoyés  à  Québec,  reprirent  le  chemin  de  Montréal,  entre 
autres,  dit  M.  Faillou,  «  une  tribune  en  menuiserie  qui 
était  dans  l'église,  et  dont  les  sculptures  passaient  pour  un 
ouvrage  des  plus  rares  du  pays  »  ^^. 


Suivant  l'ordre  qu'ils  en  avaient  reçu  du  Conseil  d'Etat, 
en  date  du  12  mai  1752,  le  gouverneur,  qui  était  alors  M. 
Duquesne,  l'évêque  et  l'intendant  se  réunirent  le  28  sep- 
tembre de  la  même  année  pour  délibérer  ensemble  «  sur 
les  offres  et  conditions  faites  par  dame  veuve  Youville 
concernant  le  soin,  l'acquittement  des  dettes  et  la  direc- 
tion »  de  l'Hôpital-Général  de  Montréal.  Toutes  ces  offres 
et  conditions  furent  acceptées  par  les  trois  administra- 
teurs, «  sous  le  bon  plaisir  de  sa  Majesté  »  -^. 

On  trouve  au  bas  de  ce  document  important,  à  la  suite 


25.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  406. 

26.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  Corresp.  de  Mgr  de  Pontbriand. 

27.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  95. 

28.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  613. 


sous   M*^*"   DE    PONTBRIAND  219 

des  signatures  de  M^*'  de  Pontbriand,  du  gouverneur 
Duquesne  et  de  l'intendant  Bigot,  celles  de  M"^®  d'Youville, 
et  de  ses  compagnes,  «  administratrices  de  l'Hôpital  », 
Louise  Thaumur,  Catherine  Demers.  Catherine  Rainville, 
Thérèse  Laser,  Agathe  Véronneau,  Marie-Antoinette 
Ralle,  Marie-Joseph  Bernard. 

Ce  document  ayant  été  envoyé  au  ministre  dans  le  cours 
de  l'automne,  fut  communiqué  à  M.  Couturier  et  à  l'abbé 
de  l'Ile-Dieu,  pour  qu'ils  pussent  faire  leurs  observations; 
puis  le  Roi  donna  le  printemps  suivant  un  Règlement 
définitif  «  pour  l'administration  de  l'Hôpital-Général  de 
Montréal  ».  Ce  règlement  est  daté  de  Versailles  le  3  juin 
1753.  Le  Roi  rappelle  les  différentes  phases  qu'a  subies 
cette  institution,  son  premier  établissement  en  1694,  l'acte 
provisoire  par  lequel  on  en  avait  confié  la  direction  à  M°^* 
d'Youville  en  1747,  l'union  qu'on  avait  faite  de  cet  hôpital 
à  celui  de  Québec  en  1750,  le  rappel  de  cet  union  en  1751, 
le  traité  conclu  entre  les  administrateurs  et  M^^  d'Youville 
le  28  septembre  1752  ;  puis  il  ajoute  : 

«  La  dite  Dame  Veuve  Youville  et  ses  compagnes  seront 
et  demeureront  chargées  de  la  direction  et  administration 
du  dit  Hôpital  de  Montréal,  à  l'effet  de  quoi  nous  les  avons 
subrogées  et  subrogeons  au  lieu  et  place  des  Frères  Hospi- 
taliers, qui  y  avaient  été  ci-devant  établis,  et  voulons 
qu'elles  jouissent  des  droits,  privilèges,  exemptions  et  pré- 
rogatives portées  par  les  dites  lettres  patentes  du  15  avril 
1694  concernant  le  dit  établissement  '^^,  » 

Quel  triomphe  pour  M^"''  d'Youville!  et  connue  elle 
était  bien  récompensée  pour  la  patience,  le  courage  et 
l'humilité  qu'elle  avait  niontiée  au  milieu  des  épreuves! 

«  Mes  chères  enfants,  disait-elle  un  jour  à  ses  compagnes, 
j'admire  chaque  jour  la  divine  Providence.     Le  Père  Bter- 


29.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  616. 


220  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

nel  fait  l'objet  de  ma  grande  confiance  depuis  près  de  qua- 
rante ans  ^^.  » 

Quel  triomphe,  également,  pour  les  MM.  de  Saint-Sul- 
pice,  qui  n'avaient  cessé  de  soutenir  et  d'encourager  M°^* 
d'Youville  au  milieu  de  ses  épreuves!  Quel  triomphe, 
surtout,  pour  M.  Normant!  Il  avait  été  malade  à  l'extré- 
mité, et  on  l'avait  même  dit  mort  à  M.  Couturier  ^^  Il 
revint  cependant  à  la  santé,  et  l'on  peut  croire  que  les 
bonnes  nouvelles  qu'on  lui  donna  de  PHôpital-Général  ne 
furent  pas  étrangères  à  sa  guérison. 

Aux  MM.  de  Saint-Sulpice,  qui  firent  tant  pour  PHô- 
pital-Général de  Montréal,  il  convient  d'associer  le  nom  de 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  que  l'on  avait  chargé  d'acquitter  les 
dettes  de  cet  Hôpital,  à  Paris,  et  qui  se  donna  un  mal 
incroyable  pour  remplir  cette  rude  tâche.  Il  écrit  à  M^ 
de  Pontbriand  le  15  mai  1754:  «Je  suis  actuellement 
occupé  à  liquider  les  dettes  de  l'Hôpital  de  Montréal.  >» 
Puis,  deux  ans  plus  tard  :  <(  Cette  affaire,  dit-il,  me  donne 
plus  de  peine  que  je  ne  puis  vous  le  dire.  » 

Entre  les  différents  créanciers,  il  y  avait  surtout  un 
nommé  Gendron,  qui  se    montrait    vraiment    intraitable: 

«  Le  sieur  Gendron,  dit-il,  nous  a  fait  toutes  les  diflS- 
cultés,  je  ne  dirai  pas  qu'on  peut  imaginer,  mais  qu'on 
n'imagine  pas.  Et  quoique  chaque  créancier  qui  s'est 
présenté  nous  ait  fait  remise  de  tous  ses  intérêts  et  de  la 
moitié  de  son  capital,  le  sieur  Gendron  exige  sa  somme 
en  entier,  avec  la  simple  remise  de  ses  intérêts,  mais  sous 
la  condition,  réservée  par  sa  quittance,  qu'il  y  pourrait 
revenir  et  les  repeter,  si  pour  les  faits  de  son  père  il  venait 
à  être  inquiété  par  quelqu'un  des  créanciers  employés  dans 
le  jugement  rendu  en  leur  faveur  au  Conseil  Supérieur  de 


30.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  280. 

31.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à 
Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 


sous    M^"^   DE   PONTBRIAND  221 

Québec...  J'avoue  que  je  n'y  comprends  rien,  ni  aucun 
de  ceux  que  j'emploie  pour  cette  affaire,  et  que  je  dirais 
volontiers  de  la  proposition  du  sieur  Geudron,  que  malh 
sonat^  et  que  même  piitidè  o/et. 

«  J'ai  offert  au  sieur  Gendron  de  lui  payer  en  plein  ce 
qui  reste  dû  de  son  capital,  sous  la  condition  de  la  remise 
de  ses  intérêts.  Il  y  avait  consenti,  il  s'en  est  dédit  et  a 
manqué  à  sa  parole  ^"^.  « 

Nous  avons  appelé  M™^  d'Youville  la  fondatrice  de 
PHopital-Général  ;  et  il  nous  semble  qu'elle  mérite  ce  titre, 
non  seulement  parce  que  cet  Hôpital  ne  devint  véritable- 
ment (c  général  w  que  lorsquelle  en  prît  la  direction,  mais 
encore  parce  qu'elle  lui  communiqua  une  vie  toute  nou- 
velle par  l'esprit  religieux  et  vraiment  sui gêner is  qu'elle  y 
introduisit. 

Hâtons-nous  d'ajouter  que  M^'^  de  Pontbriand  semble 
avoir  regretté  beaucoup  dans  la  suite  la  défiance  qu'il  lui 
avait  d'abord  témoignée  ;  et  pour  l'engager  à  oublier  le 
passé  et  à  ne  plus  douter  de  son  dévouement  à  son  égard, 
il  lui  écrivit  dès  le  15  janvier  1753,  avant  même  qu'elle 
eût  reçu  de  la  Cour  les  lettres  patentes  qui  lui  confiaient 
définitivement  la  direction  de  l'Hôpital  : 

«  Vous  êtes  trop  équitable  pour  douter  des  sentiments 
d'affection  et  de  respect  que  je  me  fais  gloire  d'avoir  pour 
vous.  Qu'il  sera  consolant  pour  moi,  si  notre  projet  pour 
l'établissement  de  l'Hôpital-Général  est  confirmé  !  Dès 
qu'il  y  aura  quelque  chose  de  stable,  nous  penserons  sérieu- 
sement à  arranger  les  affaires  ^^  » 


32.  Lettres  du  15  mai  1754  et  du  28  mars  1756. 

33.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  103. 


222  l'Église  du  canada 

Le  Prélat  fit  une  visite  spéciale  à  l'Hôpital-Général  de 
Montréal  en  1755.  Il  approuva  les  règles  que  M.  Normant 
avait  déjà  données  à  M^^  d'Youville  pour  la  direction  spiri- 
tuelle de  sa  maison  ;  il  approuva  également  le  costume 
qu'elle  avait  adopté  avec  ses  compagnes.  Il  fut  dans  l'ad- 
miration à  la  vue  de  l'ordre  qui  régnait  dans  son  établisse- 
ment,^du  bien-être  qu'elle  avait  su  procurer  à  ses  pauvres, 
et  des  travaux  importants  qu'elle  avait  entrepris,  tout  en 
remplissant  ses  obligations  par  rapport  aux  dettes  du  Frère 
Turc.  La  vue,  surtout,  d'une  muraille  de  trois  mille  six 
cents  pieds  de  longueur  qu'elle  avait  commencée  pour 
enclore  le  terrain  de  l'Hôpital  le  frappa;  et  il  voulut  con- 
tribuer généreusement  à  sa  construction.  Apprenant  plus 
tard  que  non  seulement  elle  avait  mené  ces  travaux  à 
bonne  fin,  mais  qu'elle  avait  entrepris  d'agrandir  l'Hôpital 
pour  pouvoir  loger  un  plus  grand  nombre  de  vieillards  et 
d'infirmes  : 

«  J'admire,  madame,  lui  écrivait-il,  votre  confiance  en  la 
Providence  :  j'en  ai  connu  des  traits  marqués  depuis  que 
j'ai  eu  l'honneur  de  vous  connaître. . .  Je  vous  souhaite,  et 
à  vos  charitables  compagnes,  les  plus  abondantes  bénédic- 
tions ^*.  .  .  » 

34.  Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  136. 


CHAPITRE  XX 


l'Érection  des  paroisses.  —  l'affaire  du  p.  tournois 
et  des  dlles  desaulniers.  —  le  p.  de  la 

RICHARDIE.  —  M^r  DE  PONTBRIAND 
ET  LES  PROTESTANTS 

L'Edit  des  mainmortes  et  les  paroisses.  —  Projets  de  paroisses  à  la 
Basse- Ville  de  Québec  et  au  Lac  Champlain.  —  Le  P.  Tournois 
renvoyé  de  sa  mission  par  M.  de  La  Jonquière.  —  Les  Dlles  Désaul- 
niers.  —  Duquesne  veut  faire  revenir  le  P.  Tournois;  il  échoue 
dans  son  dessein.  —  Le  P.  de  la  Richardie  et  Beauharnais.  —  Mgr 
de  Pontbriand  et  les  Protestants. 

ON  ne  peut  douter  que  le  fameux  Edit  des  mainmortes  ^, 
promulgué  en  France  le  25  novembre  1743,  et  enre- 
^stré  le  5  octobre  1744  au  Conseil  Supérieur  de  Québec, 
n'ait  été  pour  quelque  chose  dans  les  entraves  apportées 
au  Règlement  de  l'Hôpital -Général  de  Montréal.  En 
émettant  cet  édit,  le  Roi  avait  surtout  en  vue  ses  colonies  ^. 
Il  voulait  «  empêcher,  disait-il,  qu'il  ne  s'y  formât  de  nou- 
veaux établissements  religieux  sans  sa  permission  ».  Il 
voulait  empêcher  aussi  que  ceux  qui  y  existaient  déjà  «  ne 
fissent  de  nouvelles  acquisitions  de  biens-fonds  ».  Il  y  a 
déjà,  ajoutait-il,  «  trop  de  ces  établissements  à  la  charge  du 
Trésor  et  des  colonies.  En  acquérant  trop  de  biens-fonds, 
ces  établissements  mettent  hors  du  commerce  une  partie 


1.  Edits  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  576. 

2.  Voici  le  titre  de  l'Edit  :  "  Déclaration  du  Roi  concernant  les  Ordres 
religieux  et  gens  de  mainmorte  établis  aux  Colonies  françaises." 


224  l'églisk  du  canada 

considérable  de  nos  domaines,  ce  qui  est  contraire  au  bien 
commun  de  la  société».  Védit  des  mainmortes  tendait 
donc  à  restreindre  à  la  fois  le  nombre  des  communautés 
religieuses  et  leur  droit  d'acquérir  des  biens-fonds. 

Ce  qui  sauva  M"""  d'Youviîle,  c'est  qu'il  ne  s'agissait  pas 
pour  elle  de  créer  précisément  un  nouvel  établissement, 
mais  d'en  relever  un  qui  penchait  vers  sa  ruine.  Au  lieu 
de  vouloir  acquérir,  elle  se  chargeait  de  payer  les  dettes 
des  autres  et  de  satisfaire  leurs  créanciers. 

On  ne  voit  pas  que  la  Déclaration  de  1743  ait  été  l'objet 
de  protestations  énergiques  de  la  part  du  clergé  canadien 
comme  celle  de  1732  ^  Au  contraire,  comme  nous  l'avons 
dit  au  chapitre  précédent,  il  semble  que  l'évêque,  le  gou- 
verneur et  l'intendant  aient  rivalisé  de  zèle  pour  s'y  con- 
former, en  cherchant  à  unir  des  établissements  même  assez 
dissemblables  et  à  diminuer  ainsi,  le  nombre  des  commu- 
nautés religieuses  du  Canada. 

L'édit  des  mainmortes  ne  fut  pourtant  pas  sans  préoccuper 
un  peu  M^^  de  Pontbriand  par  rapport  à  l'administration 
de  son  diocèse.     Ecrivant  au  ministre  dans  l'automne  de 

1744- 

((  Permettez-moi  de  vous  demander,  disait-il,  si,  dans  la 

nouvelle  Déclaration,  qui  défend  aux  gens  de  mainmorte 
de  faire  de  nouvelles  acquisitions,  l'intention  de  Sa  Majesté 
est  d'y  comprendre  les  nouvelles  paroisses.  Je  ne  saurais 
me  le  persuader  :  autrement,  il  serait  impossible  d'en  ins- 
tituer *.  )) 

Or  le  pieux  Prélat  était  bien  décidé  à  créer  des  paroisses 
partout  où  sa  conscience  lui  disait  qu'il  y  en  avait  besoin. 
Il  considérait  comme  un  de  ses  devoirs  les  plus  sacrés  de 
donner   des    missionnaires   à   tous   les   nouveaux    établis- 


3.  Voir  notre  volume  précédent,  p.  170. 

4.  Corresp.  générale,  vol.  82,  lettre  du  30  octobre  1744. 


sous   M^*"   DE    PONTBRIAND  225 

sements  qui  étaient  en  état  de  pourvoir  à  leur  subsistance, 
à  leur  logement,  aux  frais  du  culte,  à  la  construction  d'une 
chapelle  ou  d'une  église.  On  offrait  pour  cela  des  terrains, 
souvent  même  assez  considérables  ;  mais  l'édit  des  main- 
mortes ne  s'opposait-il  pas  à  ces  acquisitions?  Il  lui  fut 
répondu  que  non  ;  et  il  en  profita  pour  autoriser  l'acqui- 
•sition  de  ces  terrains.  Sur  ces  terrains  s'élevèrent  bientôt 
des  églises,  des  presbytères  :  souvent,  à  côté  de  l'église,  il 
y  avait  une  terre  dont  le  revenu  s'ajoutait  à  celui  de  la 
dîme  pour  la  subsistance  du  curé  ^  C'était  le  cas,  par 
exemple,  à  Saint-Charles  de  la  Rivière-Boyer,  où  nous 
avons  vu  M^^  de  Pontbriand  nommer  un  premier  curé  dans 
l'automne  de  1749.  Il  n'y  eut  pas  moins  de  dix-huit  à 
vingt  paroisses  qui  furent  ainsi  créées,  et  où  l'on  com- 
mença à  tenir  registres,  dans  le  cours  de  son  administration, 
sans  compter  plusieurs  missions  qui,  n'ayant  pas  encore  le 
moyen  d'avoir  un  curé  résident,  avaient  du  moins  une  cha- 
pelle, où  le  curé  de  la  paroisse  voisine  allait  faire  l'office  à 
des  intervalles  plus  ou  moins  rapprochés  ^ 

«  Mais  il  faudrait  fixer  vos  curés  d'une  manière  inamo- 
vible, il  faudrait  établir  des  cures  fixes  »  :  tel  est  le  refrain 
qu'on  lui  répète  sans  cesse,  à  la  Cour  ;  et  ce  refrain  résonne 
encore  presque  à  toutes  les  pages  de  nos  archives  !  M^^  de 
Pontbriand  fait  semblant  de  ne  pas  entendre  :  il  n'est  pas 
d'humeur  à  se  créer  à  lui-même  des  embarras  pour  la  divi- 
sion ou  le  remaniement  de  ses  paroisses,  ou  pour  le  dépla- 
cement de  ses  curés,  quand  il  jugera  la  chose  à  propos  pour 
le  bien  des  âmes.  Il  continue  à  administrer  tranquillement 
son  diocèse,  il  marche  autant  que  possible  sur  les  traces  de 


5.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  574,  581. 

6.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'en  1745,  le  curé  Duchouquet,  de  Sainte- 
Anne,  desservait  aussi  Saint-Roch  des  Aulnaies;  le  curé  Jorian,  de 
Berthier,  Saint-François  de  la  Rivière-du-Sud.  ilbid.,  t.  III,  p.  360,  379). 

15 


226  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

ses  prédécesseurs,  et  ne  fixe  pas  une  seule  paroisse  dans 
tout  le  temps  de  son  épîscopat. 

Le  croirait-on,  si  la  chose  n'était  en  toutes  lettres  dans 
les  archives?  on  lui  conteste  «le  droit  exclusif  d'ériger  des 
cures  dans  son  diocèse  «  ^.  Le  Roi,  qui  nomme  des  cha- 
noines ^,  ne  pourrait-il  pas  nommer  aussi  quelques  curés, 
et  ériger  des  cures?  On  ne  le  dit  pas  à  l'Evêque  lui-même 
directement,  on  le  fait  savoir  à  son  grand  vicaire  l'abbé  de 
nie-Dieu.  Sans  faire  semblant  de  rien,  le  Prélat  écrit 
au  ministre,  et  met  les  choses  au  point  : 

K  II  paraît  que  c'est  aux  Evêques  à  instituer  les  paroisses, 
à  les  étendre  ou  les  restreindre  selon  le  besoin,  qui  change 
selon  l'augmentation  ou  la  diminution  des  habitants  ^.» 

Nous  n'avons  que  deux  exemples  où  M^'  de  Pontbriand 
renonça  à  ses  projets  de  paroisses,  après  en  avoir  conféré 
avec  la  Cour  :  le  cas  de  la  Basse-Ville  de  Québec,  et  celui 
du  Lac  Champlain. 

Il  est  certain  que  vers  1750  ou  1751  l'Evêque  avait 
décidé  de  diviser  la  paroisse  de  Notre-Dame  de  Québec,  et 
d'en  ériger  une  nouvelle  à  la  Basse-Ville,  oii  résidaient  à 
cette  époque  la  plupart  des  marchands.  Le  projet,  du  reste, 
n'était  pas  nouveau:  il  en  avait  été  question  dès  1692  ^°. 
Mais  comme  il  s'agissait  de  la  première  cure  du  diocèse, 
érigée  d'une  manière  fixe  et  inamovible,  M^^  de  Pontbriand 
avait  cru  devoir  en  demander  la  permission  à  la  Cour  par 
l'entremise  de  son  grand  vicaire,  l'abbé  de  i'Ile-Dieu, 
auquel  il  avait  envoyé  en  même  temps  un  ancien  procès- 
verbal  de  commodo  et  incommoda  pour  l'érection  de  la  nou- 


7.  Rapport. . .  pour  IÇ03,  lettre  du  ministre  à  l'abbé  de  l'Ile-Dicu,  14 
avril  1752. 

8.  En  vertu  de  son  fameux  Don  de  3,000  livres  au  Chapitre,  "à 
prendre  sur  son  Domaine  de  la  Nouvelle-France".  (Edits  et  Ordon- 
nances, t.  I,  p.  339). 

9.  Corresp.  générale,  vol.  78. 

10.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  41. 


sous    M*^'   DE    PONTBRIAND  227 

velle  paroisse.  Le  temps  était  mal  choisi  :  il  y  avait  jus- 
tement à  cette  date  un  procès  pendant  à  la  Cour,  entre  le 
Chapitre  et  le  Séminaire  de  Québec,  au  sujet  de  la  posses- 
sion de  cette  cure  qu'il  s'agissait  de  diviser.  On  fit  savoir 
à  l'Evêque  qu'il  valait  mieux  attendre  la  fin  du  procès, 
avant  de  parler  de  diviser  la  paroisse  ;  et  comme  le  procès 
n'eut  pas  de  fin,  la  division  non  plus  n'eut  pas  lieu,  ni  par 
conséquent  la  création  de  la  nouvelle  paroisse  ^\ 

Quant  au  Lac  Champlain,  il  s'y  était  formé,  tout  autour, 
un  grrand  nombre  d'établissements  canadiens  :  MM.  Hoc- 
quart,  Péan,  De  Noyau,  De  Beaujeu,  Foucault,  Daine, 
Lusignan,  Saint-Vincent,  Contrecœur,  s'y  étaient  fait 
concéder  des  seigneuries,  et  avaient  commencé  à  y  attirer 
des  colons:  au  seul  Fort  Saint-Frédéric,  il  y  avait  déjà 
vingt  et  un  habitants  ^^.  Tout  autour  du  lac  s'éten- 
daient de  magnifiques  terres,  oii  il  y  avait  beaucoup  de 
bois  de  construction,  du  chêne,  surtout,  en  quantité,  pour 
la  construction  des  navires  ^^.  Bref,  M^"^  de  Pontbriand,  à 
la  demande  d'un  grand  nombre  de  colons,  et  «  sur  les  ordres 
de  la  Cour  »,  avait  décidé  d'ériger  une  paroisse  au  lac 
Champlain.  A  quel  endroit  précis?  La  chose  n'est  pas 
indiquée  clairement  dans  les  archives  ;  nous  croyons, 
cependant,  que  c'était  aux  environs  de  la  rivière  Chasy, 
laquelle,  ainsi  que  l'île  Lamotte  ^*,  faisait  partie  de  la  sei- 
gnerie  de  M.  Péan  ^^.  Mais  la  guerre  fit  abandonner  la 
plupart  des  établissements  canadiens  qui  s'y  étaient  formés, 
et  dérangea  les  plans  de  l'Evêque.     Ecrivant  au  ministre  : 

«  Conformément  à  vos  ordres,  disait-il,  j'ai  pris  des  arran- 
gements pour  placer  un  missionnaire  au  lac  Champlain,  lui 

11.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  46 

12.  Rapport. . .  pour  IÇ05,  p.  24. 

13.  Voir  notre  étude  Champlain  et  Hudson,  dans  les  Mémoires  de  /« 
S9ciété  Royale  de  1910,  p.  94. 

14.  Sur  l'île  Lamotte,  voir  aussi  Champlain  et  Hudson,  p.  93. 

15.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  559. 


228  l'Église  du  canada 

destinant  quatre  cents  francs  sur  les  fonds  que  Sa  Majesté  a 
destinés  en  faveur  des  curés  usés.  Mais  M.  l'intendant  ne 
croit  pas  qu'il  soit  convenable,  dans  la  position  présente, 
d'y  établir  une  paroisse.  Ce  ne  sera  probablement  qu'à  la 
paix  ;  et  je  suivrai  ponctuellement  vos  intentions  ^^.  » 

Mais  le  temps  n'était  plus  à  la  paix,  et  il  ne  fut  plus 
question  de  la  paroisse  du  Lac  Cliamplain  sous  le  régime 
français.  Hélas  !  ce  beau  lac,  qui  porte  le  nom  du  Père 
de  la  Nouvelle-France,  n'est  plus  à  nous! 

Le  prêtre  que  M^^  de  Poutbriand  aurait  placé  à  la  tête 
de  cette  nouvelle  paroisse,  aurait  desservi  également  tous 
les  établissements  français  autour  du  lac,  comme  faisait 
le  bon  missionnaire  de  la  Nouvelle-Beauce,  le  Père  Carpen- 
tier,  qui,  résidant  à  Sainte-Marie,  où  il  commença  à  tenir 
registres  en  1745,  visitait  aussi  Saint-Joseph,  Saint-François 
et  tous  les  postes  de  la  rivière  Chaudière  ^'^;  comme 
faisaient  également  les  missionnaires  de  la  rivière  Riche- 
lieu, qui,  tout  en  étant  attachés  à  une  paroisse  principale, 
en  avaient  quelquefois  deux  ou  trois  autres  à  desservir. 

*     * 

Nous  avons  vu  que  la  Cour  contestait  à  l'Evêque  le 
droit  exclusif  d'ériger  des  paroisses.  Elle  s'arrogeait  le 
droit  d'intervenir,  au  besoin  ;  et  M^^  de  Pontbriand,  toujours 
porté  à  la  conciliation,  ne  croyait  pas  devoir  en  former  de 
nouvelles  sans  en  référer  au  ministre.  Si  du  moins  l'auto- 
rité civile  avait  toujours  eu  le  même  esprit  de  conciliation  ! 
Mais  nous  avons  le  fait  d'un  gouverneur,  qui,  de  sa  seule 
autorité,  sans  en  parler  à  l'Evêque,  ni  à  qui  que  ce  soit, 


16.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  du  10  novembre  1746. 

17.  Les  sauvages  appelaient  cette  rivière  Mechatigan:  de  là,  par  cor- 
ruption, le  nom  de  Saint-Igan  donné  au  pays  le  long  de  cette  rivière. 
(Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  145). 


sous    M-^   DE    PONTBRIAND  229 

chasse  un  missionnaire  du  poste  où  l'a  placé  et  le  maintient 
la  confiance  de  ses  supérieurs  ecclésiastiques,  et  lui  en 
substitue  un  autre.  Voici  ce  que  nous  lisons,  en  effet,  dans 
le  Journal  des  Jésuites,  à  la  date  du  mois  de  mai  1750: 

«  Le  P.  Tournois  a  été  renvoyé  par  le  gouverneur  géné- 
ral, M.  de  la  Jonquière,  de  sa  situation  comme  prêtre  au 
Saut-Saint-Louis.  Ceci  a  été  fait  sans  consulter  PEvêque, 
ni  le  supérieur  des  Jésuites.  Ils  se  sont  plaints  tous  deux. 
L'Evêque  a  écrit  au  gouverneur  sur  ce  sujet,  mais  sans 
résultat.  Le  gouverneur  avait  décidé  que  M.  de  la  Breton- 
nière  devrait  être  envoyé  pour  le  remplacer,  mais  ensuite 
ordonna  au  P.  Floquet  ^^  d'y  aller  ^^.  » 

La  mission  du  Saut-Saint-Louis,  tenue  pjar  les  Jésuites  *'^°, 
était  une  belle  mission  de  sauvages  Iroquois  convertis  au 
christianisme,  semblable  à  celles  des  Sulpiciens  au  Lac  des 
Deux-Montagnes  et  à  la  Présentation.  Le  P.  Tournois, 
qui  la  dirigeait,  avec  deux  autres  Jésuites  -',  n'était  pas 
seulement  un  excellent  religieux,  c'était  un  maître  homme, 
qui  avait  une  autorité  incomparable  pour  conduire  les 
sauvages.  Deux  personnes  respectables,  les  demoiselles 
Desaulniers,  le  secondaient  efficacement  dans  ses  œuvres  : 
elles  tenaient  depuis  vingt  quatre  ans  dans  cette  mission 
un  petit  magasin,  que  les  Jésuites  encourageaient,  parce 
que  les  sauvages  pouvaient  s'y  procurer  tout  ce  dont  ils 


18.  C'est  ce  P.  Floquet  qui  fut  interdit  plus  tard  par  Mgr  Briand  pour 
avoir  pris  part  au  mouvement  de  la  Rébellion  en  1775.  Il  était  alors  à 
Montréal,  et  écrivit  à  l'Evêque  plusieurs  lettres  d'explications  et  d'ex- 
cuses. Il  était  arrivé  au  Canada  le  17  août  1744.  Il  fit  la  profession  des 
quatre  vœux  dans  l'église  des  Pères  Jésuites  à  Montréal  le  16  juillet 
1752.  11  mourut  à  Québec  le  18  octobre  1782.  Né  le  12  septembre  1716, 
il  était  entré  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  6  aoiit  1735,  et  appartenait 
à  la  province  d'Aquitaine. 

19.  Archives  du  Séminaire  de  Québec. 

20.  La  résidence  des  Jésuites  était  dans  le  Fort,  où  commandait  M. 
des  Musseaux  en  1752.  (Voyages  de  Franquet,  p.  35). 

21.^  C'étaient,  en  1746  et  1749,  les  Pères  Floquet  et  Quintin  de  la  Bre- 
tonnière.   (Catalogues  des  Jésuites). 


230  l'église  du  canada 

avaient  besoin,  sans  être  obligés  d'aller  à  Montréal,  où  ils 
trouvaient  mille  occasions  de  s'enivrer. 

Ce  qui  faisait  leur  principal  profit,  c'est  «  qu'elles  avaient 
trouvé  le  secret  de  bien  préparer  le  ginseng,  qui  se  vendait 
très  bien  en  France  »  ^^.     Leur  petit  commerce  prospérait. 

Mais  cela  ne  fait  pas  l'afEaire  des  marchands,  surtout  de 
ceux  qui  font  la  contrebande,  ou  qui  se  livrent  à  la 
traite  de  l'eau-de-vie.  Ils  vont  se  plaindre  au  gouverneur, 
M.  de  la  Jonquière  ;  et  les  demoiselles  Desaulniers,  sur  les 
conseils  des  Jésuites,  descendent  à  Québec  pour  se  justifier 
auprès  de  lui,  et  repousser  les  accusations  qu'on  a  portées 
contre  elles  ;  puis  elle  remontent  en  toute  confiance  au 
Saut-Saint-Louis,  croyant  avoir  convaincu  le  gouverneur 
de  leur  innocence. 

Au  bout  de  huit  jours,  elles  voient  arriver  chez  elles 
huit  soldats,  escortant  un  officier,  qui  leur  signifie  un  ordre 
du  gouverneur  d'avoir  à  quitter  leur  habitation  sous  vingt- 
quatre  heures,  et  de  se  retirer  à  Québec,  pour  avoir  fait  de 
la  contrebande.  Rendues  à  Québec,  elles  prennent  le  par- 
ti de  passer  en  France,  pour  aller  à  la  Cour  justifier  elles- 
mêmes  leur  conduite.  Biles  font  naufrage,  et  perdent  plus 
de  soixante  mille  francs  :   c'est  pour  elles  une  ruine  totale. 

Non  content  d'avoir  expulsé  du  Saut-Saint-Louis  les 
demoiselles  Desaulniers,  La  Jonquière,  toujours  sous  l'im- 
pression des  accusations  portées  par  les  marchands,  poussé 
aussi  à  la  violence  par  le  commandant  du  Fort,  M.  Dou- 
ville  -^  foice  le  P.  Tournois,  qu'il  suppose  de  connivence 
avec  elles,  à  quitter,  lui  aussi,  la  mission,  et  cela,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  sans  en  avoir  conféré  auparavant 


22.  Corresp.  générale,  vol.  97,  Mémoire  des  Dlles  Desaulniers  à  Mgr 
Rouillé,  1751. 

23.  "Je  crois  que  le  commandant  est  le  principal  auteur."  (Lettre  de 
Mgr  de  Pontbriand  à  M.  de  la  Galissonnière,  archives  de  l'archev.  de 
Québec). 


sous    M»^   DE    PONTBRIAND  23I 

avec  l'Evêque,  ni  obtenu  la  permission  du  supérieur,  le  P, 
Marcol.  Tournois  se  voit  obligé,  à  son  tour,  de  passer  en 
France;  et  le  gouverneur  écrit  à  la  Cour:  «Il  importe 
qu'il  ne  revienne  plus  dans  la  colonie.» 

Le  ministre  écrit  au  gouverneur  pour  lui  reprocher  la 
violence  de  ses  procédés  :  il  devait,  dans  tous  les  cas,  dit- 
il,  «  laisser  le  supérieur  des  Jésuites  rappeler  lui-même  le 
P.  Tournois  »  '^^. 

ha.  Jonquière,  loin  de  se  justifier,  renchérit  sur  tout  ce 
qu'il  a  dit  et  écrit  contre  les  demoiselles  Desaulniers,  le 
P.  Tournois  et  les  Jésuites:  «  Personne  ne  révoque  en 
doute,  dit-il,  le  commerce  étranger  que  ces  filles  ont  tou- 
jours fait.  Les  grands  et  les  petits  de  cette  colonie  n'en 
ignorent.  .  .  Quant  au  P.  Tournois,  l'étroite  liaison  qu'il 
avait  avec  elles  pour  le  commerce  n'est  pas  non  plus 
ignoré.  »  Il  parle  ensuite  «  d'une  infinité  de  rubriques  que 
les  Jésuites  ont  pratiquées  pour  le  surprendre . .  . ,  de  traits 
envenimés  qu'ils  ont  glissés  contre  lui  dans  un  mémoire.  . . 
J'ai  affaire  à  forte  partie,  ajoute-t-il,  et  à  gens  bien  malins. 
Mais  je  suis  à  l'épreuve  de  tout  «  ^^ 

Il  mourut  à  Québec  le  printemps  suivant,  et  alla  rendre 
compte  à  Dieu  de  son  administration.  M.  Duquesne  qui 
lui  succéda  était  chargé  de  s'enquérir  des  causes  de  la  dis- 
grâce du  P.  Tournois  :  il  écrivait  au  ministre  dans  l'au- 
tomne de  1752  : 

('  Quant  an  rappel  du  P.  Tournois,  on  m'a  assuré  qu'il  a 
été  occasionné  par  beaucoup  de  tracasseries  dont  ce  pays 
fourmille,  quand  on  a  des  dispositions  à  y  prêter  l'oreille. 
En  généra],  on  convient  que  c'était  un  très  bon  mission- 
naire, et  qui  avait  le  talent  de  mener  les  sauvages  comme 
il  voulait,  mais  le  plus  insolent  et  le  plus  haut  de  tous  les 


24.  Rapport. ..  pour  1905,  p.  151. 

25.  Corresp.  générale,  vol.  97,  lettre  au  ministre,  ler  novembre  1751. 


232  1,'ÉGUSE    DU   CANADA 

hommes  vis-à  vis  des  officiers  qui  ont  commandé  dans  ce 
poste. 

«  lycs  révérends  Pères  Jésuites  qui  sont  à  Québec  ont  été 
surpris  de  la  manière  que  je  l'ai  caractérisé  ;  et  ils  sont 
convenus  avec  moi  du  défaut  qu'on  lui  reproche.  Ils 
m'ont  demandé  si  je  ne  trouverais  pas  mauvais  qu'il  re- 
tournât dans  cette  colonie.  Je  leur  ai  répondu  qu'après 
une  pareille  époque  je  croyais  la  chose  difficile;  mais  que, 
si  telle  était  votre  volonté,  monseigneur,  je  lui  dirais  mon 
avis  sur  sa  conduite  passée,  afin  de  le  faire  rentrer  en  lui- 
même.  Comme  j'ai  naturellement  de  l'horreur  pour  les 
éclats  de  toute  espèce,  s'il  arrivait  pareil  cas,  je  prendrais 
la  voie  pacifique  que  vous  suggérez,  et  dont  j'ai  déjà  fait 
usage  vis-à-vis  du  P.  Marcol,  recteur,  qui  avait  placé  au 
même  Saut-Saint-Lonis  un  jeune  étourdi  capable  de  semer 
la  zizanie  entre  les  Français  et  les  sauvages.  Je  lui  ai 
envoyé  un  Mentor  qui  l'a  si  bien  rangé,  que  tout  est  dans 
une  union  parfaite  à  ce  poste  ^^ .  .  .  » 

Deux  ans  plus  tard,  tout  allait  si  mal  à  la  mission  du 
Saut-Saint-Louis,  que  M.  Duquesne  se  voyait  obligé 
d'écrire  au  ministre  : 

((  J'ai  l'honneur  de  vous  informer  que,  sur  les  reproches 
fréquents  que  j'ai  faits  au  R.  P.  Marcol,  supérieur  des 
Jésuites,  que  ses  missionnaires  du  Saut-Saint-Louis  man- 
quaient de  la  fermeté  nécessaire  pour  mener  ces  sauvages 
convenablement  %   il   m'a   répondu   que   leur   Provincial 


26.  Corresp.  générale,  vol.  98,  lettre  du  28  octobre  1752. 

27.  Outre  le  P.  Floquet,  qui  serait  allé  à  la  mission,  d'après  le  Journal 
des  Jésuites,  nous  y  trouvons  Antoine  Gourdan,  de  1751  à  1752,  et  Ni- 
colas de  Gonnor,  de  1752  à  1753  (Canada  Ecclésiastique  de  1910).  Le  P. 
de  Gonnor,  arrivé  au  pays  dès  1718,  est  probablement  le  "  mentor"  dont 
parle  M.  Duquesne.  Malheureusement  ce  bon  Père  n'avait  "jamais 
voulu  se  donner  la  peine  d'apprendre  la  langue  iroquoise  ",  (Lettre  du 
P.  Nau,  20  octobre  1734,  dans  les  Jésuits  Relations,  t.  68,  p.  224)  et  par 
conséquent  ne  pouvait  être  d'une  grande  utilité  au  Saut-Saint-Louis. 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  233 

mettait  tout  en  usage  pour  trouver  des  sujets,  mais  inutile- 
ment. 

«  Comme  il  est  prouvé  par  les  informations  que  j'ai 
prises,  que  le  P.  Tournois  a  mené  la  mission  du  Saut- 
Saint-LrOuis  supérieurement  à  tout  autre,  il  me  paraît  im- 
portant que  vous  ayez  agréable  de  lui  permettre  de  venir 
ici,  parce  que  cette  mission,  qui  augmente  considéra- 
blement, a  plus  besoin  que  jamais  d'être  menée  par  quel- 
qu'un qui  a  le  talent  de  s'en  faire  craindre  et  aimer. 

((  J'étais  trop  attaché  à  feu  M.  le  marquis  de  la  Jonquière 
pour  me  séparer  de  la  vénération  que  je  dois  à  sa  mémoire. 
Mais  je  dois  vous  dire  avec  vérité  qu'il  a  été  surpris  par 
des  mauvais  caractères  connus,  qui  l'ont  porté  à  la  violence 
commise  à  cette  occasion  ^®.  .  .  » 

Dans  une  nouvelle  lettre  qu'il  écrivait  à  la  Cour  deux 
ou  trois  semaines  plus  tard,  le  gouverneur  insistait  pour 
faire  revenir  le  P.  Tournois  au  Canada  : 

((  Jamais,  disait-il,  il  ne  fut  plus  besoin  de  renvoyer  le  P. 
Tournois  dans  cette  colonie,  ainsi  que  je  l'ai  demandé  à 
M.  Rouillé  29...  >, 

Le  P.  Tournois  pouvait-il  être  vengé  d'une  manière  plus 
noble  et  plus  complète  ?  Et  pour  les  Jésuites,  également, 
quel  triomphe,  et  quelle  vengeance  pour  toutes  les  petites 
«  tracasseries  ))  qu'on  ne  cessait  de  leur  faire  subir  !  «  Ce 
pays  fourmille  de  tracasseries  indécentes  «,  disait  M.  Du- 
quesne  dans  la  même  lettre. 

Le  P.  Tournois  ne  revint  pas  au  Canada.  Retourné 
dans  sa  province  Gallo-Belge,  il  était  devenu  directeur  du 
collège  de  Cambrai  ;  et  ses  supérieurs  ne  jugèrent  pas  à 
propos  de  le  renvoyer  dans  une  colonie  où  les  religieux 
pouvaient  être  exposés  à  tant  de  tracasseries  injustes  : 

28.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre  Rouillé,  12  octobre 
1754. 

29.  Ibid.,  lettre  du  31  octobre  1754. 


234  l'église  du  canada 

*  La  mission  du  Saut-Saint-Louis,  écrit  le  P.  de  Roche- 
monteix,  ne  se  releva  jamais  du  coup  que  lui  porta  M.  de 
la  Jonquière  par  l'expulsion  violente  de  son  meilleur  mis- 
sionnaire, le  P.  Tournois  ^°.  » 

* 
*     * 

Ah,  qu'elle  était  délicate  et  difficile  la  position  des  mis- 
sionnaires dans  leurs  missions  sauvages,  ayant  à  répondre 
non  seulement  à  leurs  supérieurs  ecclésiastiques,  mais  à 
des  gouverneurs  jaloux  de  leur  autorité,  à  des  officiers  sou- 
vent mal  disposés,  à  des  négociants  dont  ils  avaient  quel- 
quefois à  combattre  les  mauvais  instincts  de  cupidité  et  de 
fraude  ! 

Un  autre  missionnaire  Jésuite,  le  P.  de  la  Richardie,  qui 
exerçait  son  ministère  à  Détroit,  avait  encouru,  quelques 
années  auparavant,  la  disgrâce  du  gouverneur.  Cette  fois, 
c'était  M.  de  Beauharnais  qui  avait  donné  un  ordre  auquel 
le  bon  religieux  s'était  cru  obligé  de  s'opposer,  et  qui, 
m'ayant  pas  compris  le  mobile  de  sa  conduite,  s'en  était 
plaint  à  son  supérieur,  à  Québec. 

Qu'y  avait-il  donc?  Le  P.  de  la  Richardie,  à  force  de 
zèle  [et  de  patience,  avait  réussi  à  grouper  les  Hurons  de 
Détroit  et  à  en  faire  une  magnifique  chrétienté,  qui  rap- 
pelait en  tous  points  les  anciennes  réductions  de  Sillery  et 
de  Lorette.  Un  bon  jour,  ces  sauvages  reçoivent  Tordre 
du  gouverneur  de  venir,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  s'établir 
dans  les  environs  de  Montréal,  oii  ils  vont  être  exposés  de 
toutes  manières  à  perdre  ce  que  le  bon  missionnaire  leur  a 
inculqué  de  foi  et  de  religion.  Celui-ci  les  exhorte  à  rester 
où  ils  sont  :  de  là  la  disgrâce  que  lui  fait  encourir  M.  de 
Beauharnais  : 


30.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIIIe  siècle,  t.  II,  p.  50. 


sous   M«^   DE    PONTBRIAND  23^ 

((  La  conduite  que  le  P.  de  la  Richardie  a  tenue  à  l'égard 
des  Hurons,  au  Détroit,  écrit  le  gouverneur  au  ministre,  ne 
peut  être  révoquée  en  doute  ;  et  la  pureté  de  ses  intentions, 
qu'il  prétend  être  exempte  de  tout  reproche,  ne  peut  cadrer 
en  aucune  façon  avec  la  manière  dont  il  s'est  gouverné  et 
dont  les  preuves  résultent  par  les  lettres  de  ce  Père  à  ses 
supérieurs.  Quoi  qu'il  en  soit,  j'espère,  ainsi  que  vous  le 
présumez  vous-même,  que  ces  missionnaires  se  compor- 
teront plus  convenablement  à  l'avenir  que  le  P.  de  la 
Richardie  n'a  fait  à  mon  égard.  Le  service  de  Sa  Majesté 
y  étant  principalement  intéressé,  je  ne  pourrais  me  dis- 
penser de  vous  en  porter  mes  plaintes  et  d'en  arrêter  les 
progrès  par  avance  ^^  » 

Mais  nous  reviendrons  plus  tard  sur  cet  incident. 

* 
*     * 

M*^  de  Pontbriand  gémissait  de  voir  ses  missionnaires 
en  butte  à  tant  de  «  tracasseries.  »  Mais  que  pouvait-il 
faire  pour  les  protéger  efficacement?  Nous  avons  vu  qu'il 
écrivit  à  M.  de  la  Jonquière  pour  se  plaindre  du  renvoi  du 
P.  Tournois  sans  sa  participation.  Il  écrivit  aussi  à  la 
Cour.  Mais  quel  fut  le  résultat  de  ses  démarches?  pas 
plus  satisfaisant  que  celui  qu'il  avait  obtenu  lorsqu'il  avait 
porté  plainte  au  sujet  des  mauvaises  recrues  que  l'on  en- 
voyait au  Canada,  ou  à  l'occasion  du  nombre  toujours 
croissant  de  Protestants  qu'on  y  laissait  s'implanter. 
Parmi  ces  protestants,  disait- il,  «  il  y  en  a  dont  la  conduite 
est  suspecte  et  dangereuse.  Le  bien  spirituel  de  mon 
diocèse  exige  qu'on  n'en  reçoive  point  dans  cette  colonie  ; 
et  je  crois  même  pouvoir  ajouter  que  le  bien  de  l'Etat  y 
est  conforme  32.  .  .  « 


31,  Corresp.  générale,  vol.  79,  lettre  du  17  septembre  1743. 

32.  Ibid.,  vol.  89,  lettre  du  8  octobre  1747. 


236  l'église  du  canada 

Comme  dans  la  question  de  la  Traite  de  Peau-de-vie,  on 
lui  objectait  les  intérêts  du  commerce  : 

«  Le  gouverneur  et  l'intendant  prétendent,  lui  écrivait 
le  ministre,  qu'il  ne  leur  est  revenu  aucunes  plaintes  contre 
les  protestants,  qu'ils  ont  toujours  été  soumis  aux  lois  et  à 
la  police,  qu'ils  ne  font  point  d'assemblées,  qu'ils  forment 
quatorze  maisons  qui  font  les  trois  quarts  du  commerce  du 
pays,  et  que,  si  on  les  en  chassait,  ce  serait  faire  un  grand 
tort  à  la  colonie,  les  négociants  Canadiens  n'étant  pas 
en  assez  grand  nombre,  ni  assez  riches,  pour  fournir  tout 
ce  qui  est  nécessaire  ^^  » 

Tout  ce  qu'il  put  obtenir  fut  la  promesse  que  l'on  ren- 
verrait ceux  qui  étaient  de  nationalité  étrangère,  et  les 
plus  dangereux  ^*;  mais  cette  promesse  même  ne  fut  jamais 
mise  à  exécution  : 

((  Si  la  Cour  a  donné  des  ordres  pour  cela,  écrivait  un 
jour  M^^  de  Pontbriand  à  son  grand  vicaire  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  ils  n'ont  point  été  exécutés,  et  les  choses  restent 
toujours  dans  la  même  état  ^^  » 


33.  Rapport . .  pour  1905,  p.  202,  lettre  du  ministre  à  Vaudreuil  et 
Bigot,  15  juillet  1755;  lettre  du  même  à  Tévêque  de  Québec,  même  date. 

34.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  mi- 
nistre, 29  mars  1753. 

35.  Ibid.,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 


CHAPITRE  XXI 


M^''   DE    PONTBRIAND,    DANS    SKS    VISITES   PASTORALES.  — 
ASPECT  DES  CAMPAGNES  CANADIENNES.  —  ÉTABLIS- 
SEMENT  DES    RETRAITES    ECCLÉSIASTIQUES 

Visites  pastorales.  —  Distribution  de  livres.  —  Ordonnances  de  l'Evêque 
dans  différentes  paroisses.  —  Procédure  pour  la  construction  des 
églises  et  des  presbytères. — Aspect  des  campagnes.  —  Etablissement 
des  bourgs  et  villages.  —  Contre  la  tendance  à  déserter  les  cam- 
pagnes pour  la  ville.  —  Sages  ordonnances  des  intendants.  —  Af- 
faire du  curé  Hingan,  aux  Grondines.  —  Retraites  annuelles  des 
Curés.  —  Conférences  ecclésiastiques. 

NOUS  avons  vu  que  M^^  de  Pontbriand  avait  recommencé 
en  1749  la  visite  pastorale  de  son  diocèse.  Cette 
deuxième  visite  dura  plusieurs  années,  le  Prélat  ne  pou- 
vant ordinairement  parcourir  qu'une  petite  partie  de  son 
diocèse  à  la  fois,  et  quelquefois  même,  comme  en  1753, 
étant  obligé  d'omettre  complètement  sa  visite. 

Du  reste,  si  nous  n'avons  que  deux  mandements  de  M^^ 
de  Pontbriand  pour  la  visite  pastorale  de  son  diocèse,  il 
n'est  nullement  prouvé  qu'il  ne  visita  ses  paroisses  que 
deux  fois.  Nous  avons  même  la  certitude  qu'en  1758,  le 
22  juin,  il  quittait  encore  sa  ville  épiscopale  pour  faire  la 
visite  de  la  Côte  sud  en  bas  de  Québec  K 

Nous  savons  aussi  que  son  archidiacre,  ou  plutôt  celui 
qui  en  remplissait  les  fonctions,  M.  de  La  Ville-Angevin, 
visita  au  moins  quelques  parties  du  diocèse.     Il   était  à 

I.  Journal  de  M.  Récher. 


238  l'église  du  canada 

Sainte-x\nne-de-la-Péracle  et  au  Cap-de-la-Madeleine  au 
mois  d'août  1748,  car  il  y  rendit  des  ordonnances  que 
PKvêque  renouvela  et  confirma  dans  sa  visite  de  l'année 
suivante  '^.  Il  était  à  Saint  Pierre-lesBecquets  le  23  août 
de  la  même  année  :  il  y  rendit  une  ordonnance  obligeant 
le  missionnaire  à  tenir  les  registres  en  double,  et  à  en  dé- 
poser un  au  greffe  l 

Le  Prélat  avait  demandé  à  la  Cour  des  «  livres  de  piété  » 
pour  ses  missions  *  :  il  reçut  dix  neuf  cents  volumes  dans 
l'automne  de  1753,  P^^  l'entremise  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
et  du  comte  de  Saint-Florentin  ^  Quelle  joie  ce  fut  pour 
lui  d'avoir  ces  livres  à  distribuer,  au  cours  de  sa  visite 
pastorale,  en  1754  et  les  années  suivantes! 

Ce  qu'étaient  ces  volumes,  nous  pouvons  le  conjecturer 
d'après  une  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  en  date  de  1749: 

«  Les  Ursulines  de  la  Nouvelle-Orléans,  écrivait-il,  me 
demandent  de  leur  faire  l'emplette  de  livres  pour  leurs 
écoles,  comme  des  alphabets,  des  psaumes,  des  livres  fran- 
çais pour  apprendre  à  lire  à  leurs  pensionnaires,  quelques 
livres  de  piété  et  surtout  des  Heures  dont  elles  prétendent 
qu'aucun  marchand  ni  pacotilleur  ne  portent  dans  la 
colonie  :  aussi  prétendent-elles  qu'il  ne  s'en  trouve  plus  et 
que  tout  le  monde  en  manque.  Elles  n'y  ont  pas  non  plus 
de  catéchismes  pour  l'instruction  des  enfants  ^.  .  .  » 

C'était  probablement  des  livres  de  cette  sorte  que  reçut 
M^  de  Pontbriand  dans  l'automne  de  1753,  surtout 
des  catéchismes  et  des  heures.  Mais  ne  peut-on  pas  sup- 
poser avec  vraisemblance  que  c'est  aussi  à  cette  époque 


2.  Archives  paroissiales  de  Sainte-Anne  et  du  Cap-de-Ia-MadcIefse. 

3.  Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  147. 

4.  Rapport. .  .pour  1905,  p.  186. 

5.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-EWeu  a«  mi- 
nistre, 10  avril  1753. 

6.  Manuscrits  de  Jacques  Viger,  Ma  Saberdache.^ 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  239 

quMl  faut  faire  remonter  Penvoi  au  Canada  de  ces  bons 
vieux  Cantiques  de  Marseille^  dont  on  trouve  encore  quel- 
ques rares  exemplaires  dans  nos  campagnes,  où  nos  anciens 
Canadiens  ont  appris  ces  chants  religieux  qu'ils  aiment  à 
fredonner  au  milieu  de  leurs  travaux?  Que  de  fois  ne  les 
avons-nous  pas  entendus  ! 

M^^  de  Pontbriand  s'intéressait  à  l'instruction  des  enfants 
du  pays,  à  leur  instruction  religieuse,  surtout  ;  et  voilà 
pourquoi  il  déplorait,  au  cours  de  ses  visites  pastorales, 
qu'il  n'y  eût  pas  plus  d'établissements  des  Sœurs  de  la 
Congrégation  dans  nos  paroisses:  ((Elles  n'ont  encore  que 
douze  maisons,  w  écrivait-il  dans  l'aiitomne  de  1747  ^.  Ceci 
est  d'autant  plus  surprenant  que  nous  lisons  dans  un 
document  royal,  en  date  du  mois  de  février  1718,  —  les 
lettres  de  confirmation  de  l'Hôpital-Général  de  Montréal —  : 
«Les  Sœurs  de  la  Congrégation  sont  établies  dans  la  plus 
grande  partie  des  cures  de  la  campagne  ^.  y>  Avaient-elles 
été  obligées  d'abandonner  un  certain  nombre  de  paroisses? 
D'après  Franquet,  elles  n'étaient  en  tout,  en  1752,  que 
♦(  quatre-vingt,  dont  trente  à  la  ville  de  Montréal,  et  les 
autres  répandues  dans  la  campagne  )>  ^. 

Que  faisait  M*^^  de  Pontbriand  dans  chaque  paroisse,  au 
cours  de  sa  visite  pastorale?  Nous  ne  répéterons  pas  ici  ce 
que  nous  avons  écrit  dans  les  chapitres  précédents  du  zèle 
avec  lequel  il  se  donnait  tout  entier,  en  chaire  et  au  con- 
fessionnal, pour  procurer  le  bien  des  âmes.  Nous  voulons 
parler  ici  surtout  de  ce  que  nous  appellerons  la  partie  ma- 
térielle de  la  visite.  Ceux  qui  connaissent  nos  campagnes 
canadiennes,  et  admirent  l'ordre  qui  règne  généralement 
partout   dans   nos   églises,   dans   nos  fabriques,    dans    nos 


7.  Corresp.  générale,  vol.  89,  lettre  au  ministre,  8  octobre  1747. 

8.  Ed'xis  et  Ordonnances,  t.  I,  p.  390. 

9.  Voyages  de  Franquet,  p.  31. 


240  l'êguse  du  canada 

presbytères,  ne  soupçonnent  peut-être  pas  tout  ce  qu'il  a 
fallu  de  vigilance  et  de  travail  persévérant  de  la  part  de 
nos  premiers  pasteurs  pour  mettre  et  conserver  les  choses 
sur  un  bon  pied. 

Prenons,  par  exemple,  les  registres  de  l'état  civil,  au- 
jourd'hui si  bien  tenus,  tout  à  la  gloire  de  notre  Eglise 
canadienne,  et  voyons  ce  qu'ils  étaient,  à  Tépoque  de  M^ 
de  Pontbriand,  dans  une  des  paroisses  modèles  de  nos 
jours,  Saint-Augustin,  dont  l'église  était  alors  sur  la  grève, 
à  une  lieue  environ  du  Cap-Rouge  ^^.  Le  curé  Dunière 
écrit  ses  actes  «  sur  des  feuilles  volantes  »  ;  et,  dans  sa  visite 
de  1749,  l'Evêque  lui  enjoint  d'avoir  un  registre  légalisé, 
paraphé  par  l'intendant,  pour  y  entrer  régulièrement  ses 
actes  de  baptêmes,  mariages  et  sépultures.  Il  n'en  fait 
rien,  et  continue  sa  mauvaise  pratique  ;  ses  successeurs 
font  de  même;  et  ce  n'est  qu'en  1796  que  les  registres  de 
cette  riche  et  intéressante  paroisse  commencent  à  être 
tenus  comme  ils  doivent  l'être  ". 

A  Sainte-Anne  de  la  Pérade,  encore  des  irrégularités 
dans  la  tenue  des  registres  ;  et  M^^  de  Pontbriand  veut  les 
faire  disparaître:  il  faut  avoir  deux  registres,  dont  l'un 
sera  «  déposé  au  greffe  ;  on  aura  soin  d'écrire  sur  les  deux 
registres  dans  le  même  temps  et  de  faire  signer  les 
témoins  «.  Les  deux  registres  nous  seront  montrés,  dit  le 
Prélat,  «  lorsque  nous  ferons  notre  visite  du  côté  du  sud  ». 
Il  ajoute:  «Il  sera  fait  un  livre  de  délibérations... 
Nous  avons  rayé  tout  le  préambule,  espèce  informe  de 
délibération,  comme  témérairement,  injurieusement  fait  et 
allégué  sans  aucune  preuve,  dont  les  habitants,  de  concert 
avec  le  curé,  sont  convenus.  » 


10.  Voyages  de  Franquet,  p.  7. 

11.  Archives  paroissiales  de  Saint- Augustin.  —  Lettre  du  curé  actuel, 
M.  l'abbé  Godin.  à  l'auteur. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  24 1 

Plus  docile,  et  probablement  plus  intelligent  que  son 
confrère  Dunière,  le  curé  Rouillard  se  conforme  parfaite- 
ment à  l'ordonnance  de  l'Kvêque  ;  et  lorsque  celui-ci  fait 
sa  visite  «du  côté  du  sud»,  le  21  mai  1755,  il  peut  lui 
montrer  un  livre  de  délibérations  et  des  registres  conve- 
nables, que  le  Prélat  s'empresse  d'approuver.  ly'Evêque 
se  déclare  également  satisfait  des  quittances  qu'il  a  exigées 
en  1749  pour  la  reddition  des  comptes  des  marguilliers  ^^ 

On  voit  par  ces  détails  que  M^'^  de  Pontbriand  avait  à 
cœur  que  tout  fût  en  ordre  dans  les  affaires  des  Fabriques. 

A  Laprairie,  il  ordonne  aux  marguilliers  de  «  faire  payer 
les  reliquataires  dans  le  mois  de  décembre  »  13. 

A  Saint-Augustin,  il  «  oblige  le  marguillier  en  charge 
Vaillancourt  à  faire  payer  sous  trois  mois  les  vingt-quatre 
livres  que  doit  Noreau,  son  prédécesseur,  sous  peine  d'en 
répondre  en  son  propre  nom  ». 

Au  Cap-de-la-Madeleine,  il  approuve  les  comptes  de 
Michel  Belle-Rive  et  Nicolas  Labrie,  et  les  déclare  «  entiè- 
rement quittes  envers  la  Fabrique  »  ;  puis  il  ajoute  : 

<(  Avons  ordonné  que  la  balustrade  sera  affermie,  et  que 
sous  quatre  mois  l'ordonnance  de  M.  de  La  Ville-Angevin 
sera  entièrement  exécutée.  Enjoignons  au  missionnaire  ^* 
de  nous  instruire,  dans  le  dit  temps,  de  l'exécution.  Vou- 
lons que  ce  soient  les  premières  dépenses  que  l'on  fasse, 
faute  de  quoi  nous  interdirons  la  dite  église. 

«  Nous  avons  interdit  de  mettre  un  banc  du  côté  de 
l'évangile,  comme  on  faisait  ci-devant,  en  faveur  de  Louis 
Champoux.  Permettons  d'en  mettre  un  volant,  sans  accou_ 
doir,  auprès  de  la  grande  porte,  du  côté  de  l'épître. 


12.  Archives  paroissiales  de  Sainte- Anne  de  la  Pérade. 

13.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  Corresp.  de  Mgr  de  Pontbriand. 

14.  François  Morisseaux  de  Bois-Morel.  Il  était  grand  chasseur,  et 
l'un  de  ceux  qui,  après  la  Conquête,  obtinrent  la  permission  "  de  garder 
un  fusil  ",  ce  qui  était  un  privilège  très  apprécié.  (Régime  militaire  en 
Canada,  p.  301.). 

16 


ÎTÎ^ 


242  L'EGLISE   DU   CANADA 

«  Avons  permis  d'employer  le  remboursement  fait  par 
Joseph  Baret  de  la  somme  de  cent  dix  livres  aux  répara- 
tions pressantes  de  la  dite  église.  Et  comme  c'était  sur  ce 
fond  qu'était  appuyée  une  messe  de  fondation  pour  le 
sieur  Saint-Pierre,  nous  transportons  la  dite  fondation  sur 
le  constitut  que  doit  Louis  Champoux.  » 

On  voit  que  M^^  de  Pontbriand  n'était  pas  homme  à 
souffrir  certaines  coutumes,  certains  usages  abusifs,  qui 
s'introduisent  quelquefois  dans  nos  églises  ou  dans  nos 
fabriques.  Il  les  abolissait  sans  merci.  Il  voyait  en  même 
temps  à  ce  que  tout  fût  en  ordre,  bien  réparé,  bien  entre- 
tenu dans  les  édifices  du  culte.  Il  voulait  aussi  que  ses 
curés  fussent  logés  convenablement  :  nous  avons  compté, 
dans  le  seul  district  de  Québec,  onze  presbytères  qui  se 
construisirent  de  son  temps,  de  1742  à  1750,  la  plupart 
pour  remplacer  des  maisons  déjà  vieillies  par  le  temps  ou 
détruites  par  des  incendies  :  à  Saint-Thomas,  au  Cap-Saint- 
Ignace,  aux  Ecureuils,  à  Saint-Roch-des-Aulnaies,  à  Sainte- 
Croix,  à  Berthier,  à  Saint-François,  à  Saint-Pierre  ^^,  au 
Château-Richer,  à  Saint- Vallier  et  à  Beauport. 

Mais  c'est  surtout  la  maison  de  Dieu,  c'est  l'église  que 
M^'*  de  Pontbriand  tenait  à  voir  partout  dans  un  état  con- 
venable. Il  n'était  pas  exigeant,  il  ne  demandait  pas  des 
monuments,  des  édifices  de  luxe,  mais  il  voulait  que 
la  maison  de  Dieu  fût  digne  de  sa  haute  destination  ;  et 
quand  il  avait  donné  des  ordres,  il  tenait  à  ce  qu'ils  fussent 


15.  Le  presbytère  de  Berthier,  qui  était  en  pierre,  et  celui  de  Saint- 
Pierre,  tout  en  bois,  devinrent  la  proie  des  flammes,  le  premier  en  1747, 
le  second,  "dans  la  nuit  du  24  au  25  septembre  1748".  C'est  M.  Jorian 
qui  était  alors  curé  de  Berthier;  M.  La  Coudraie  était  curé  de  Saint- 
Pierre,  "  obligé  de  loger  chez  un  habitant,  à  une  distance  assez  consi- 
dérable de  l'église  pour  lui  être  extrêmement  incommode  et  aux  habi- 
tants ".  (Edîts  et  Ordonnances,  t.  III,  p.  367,  372).  —  Mgr  Tanguay 
nous  apprend,  d'après  les  Registres  de  Saint-François,  que  l'église  de 
Saint-Pierre  était  interdite  en  1750,  sans  pouvoir,  cependant,  nous  dire 
"pourquoi".   (A  travers  les  Registres,  p.  149). 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  243 

compris  et  exécutés.  Nous  avons  à  ce  sujet  un  document 
tout-à-fait  inédit  ^^,  daté  du  11  juin  1755,  que  nous  sommes 
heureux  de  donner  ici  pour  faire  voir  la  manière  de  procé- 
der, à  la  fois  forte  et  suave,  du  pieux  Evêque  : 

((  Henri  Marie  du  Hreil  de  Pontbriand,  par  la  miséricorde 
de  Dieu  et  la  grâce  du  Saint-Siège  Evêque  de  Québec, 
Conseiller  du  Roi  en  tous  ses  conseils,  etc,  aux  habitants 
de  La  Valtrie,  Salut  et  Bénédiction  en  Notre-Seigneur. 

Nous  ne  saunons  assez  vous  exprimer.  Nos  Très  Chers 
Enfants,  la  douleur  que  nous  avons  ressentie,  lorsque  nous 
avons  aperçu,  en  passant  à  votre  paroisse  ^^  que  vous  n'aviez 
pas  encore  fait  les  moindres  préparatifs  pour  élever  un 
temple  convenable  à  la  majesté  du  grand  Dieu  que  nous 
servons.  Notre  surprise  a  été  des  plus  grandes  ;  et  nous 
ne  nous  fussions  jamais  imaginé  qu'une  paroisse  établie 
depuis  si  longtemps  ^^,  et  dont  les  habitants  sont  aisés, 
pust  être  aussi  négligente. 

a  II  y  a  déjà  plusieurs  années  que  nous  vous  avons 
exhortés  à  vous  préparer  à  cet  ouvrage,  et  nous  espérions  que 
votre  zèle,  votre  piété,  votre  religion  suffiraient  pour  vous 
déterminer  à  un  devoir  que  tout  chrétien  doit  regarder 
comme  un  des  plus  essentiels  ;  persuadé  que  nous  étions 
que  vous  étiez  des  chrétiens  fervents,  nous  n'avions  pas 
voulu  vous  donner  des  ordres  précis,  d'autant  plus  que 
l'exemple  de  plusieurs  paroisses  voisines,  qui  n'étaient  ni 
si  anciennes,  ni  si  riches,  devait  être  pour  vous  un  motif 
assez  puissant  pour  exciter  votre  émulation  et  votre  zèle. 
Mais,  hélas!  nous  le  voyons  avec  douleur,  et  nous  ne  vous 
le  rappelons  que  les  larmes  aux  yeux,  comme  si  tout  ne 


16.  Nous  le  devons  à  la  grande  obligeance  de  M.  l'abbé  Naz.  Dubois, 
le  distingué  visiteur  des  Ecoles  catholiques  de  Montréal. 

17.  Ceci  laisse  entendre  que  Mgr  de  Pontbriand  n'avait  fait  que  "pas- 
ser à  La  Valtrie",  se  rendant  probablement  à  Montréal. 

18.  En  1716,  d'après  Tanguay.  (Dictionnaire  généalogique,  1. 1,  p.  601). 


244  l'Église  du  canada 

vous  venait  pas  de  Dieu,  et  qu'il  ne  fût  pas  capable  de 
vous  dédommager  des  dépenses  que  vous  feriez  pour  lui, 
vous  avez  craint  de  partager  avec  lui  des  biens  qui  ne  vous 
viennent  que  de  sa  libéralité.  Est-ce  en  vous  une  impiété? 
Est-ce  irréligion?  Est-ce  oubli  de  Dieu?  Est-ce  indiffé- 
rence pour  lui?  Est-ce  négligence?  Est-ce  la  mauvaise 
volonté  de  quelques  particuliers  qui  traversent  le  zèle  et 
l'ardeur  du  plus  grand  nombre?  Notre  Dieu,  qui  sonde 
les  cœurs,  le  connaît.  Pour  nous,  nous  ne  voulons  pas 
pénétrer  un  mystère  qui  nous  affligerait  peut-être.  Et 
sans  examiner  quel  est  le  motif  criminel  qui  vous  a  fait 
négliger  nos  conseils  et  nos  exhortations  paternelles,  nous 
nous  portons,  quoique  malgré  nous,  à  user  des  remèdes 
plus  violents.  Peut-être  que  la  sévérité  fera  plus  d'imi» 
pression  sur  vos  esprits. 

«  C'est  pourquoi  nous .  vous  avertissons,  Nos  Très  Chers 
Enfants,  que  si  sous  peu  de  temps  vous  ne  travaillez  pas  à 
votre  église,  nous  interdirons  votre  chapelle  et  retirerons 
le  missionnaire. 

«  Ce  n'est  qu'à  regret  que  nous  vous  faisons  de  telles 
menaces  ;  mais  vous  nous  y  forcez.  Ne  nous  donnez  pas 
lieu,  Nos  Très  Chers  Enfants,  de  les  exécuter.  Réparez 
par  votre  activité  et  votre  ardeur  à  pousser  l'ouvrage  votre 
négligence  passée,  dont  vous  devez  rougir  et  faire  péni- 
tence. Avouez  qu'elle  mérite  toute  l'indignation  céleste, 
et  que,  si  vous  n'en  avez  pas  encore  été  punis,  c'est  par  un 
effet  de  la  miséricordieuse  bonté  du  Seigneur.  Une  pa- 
reille indolence  fut  autrefois  punie,  dans  les  Israélites  re- 
venus de  la  Captivité,  par  une  stérilité  de  plusieurs  années, 
et  par  plusieurs  autres  calamités,  qui  cessèrent  aussitôt 
que,  touchés  de  leur  faute,  ils  eurent  commencé  à  relever 
les  ruines  de  la  maison  de  Dieu,  Comme  eux  vous  avez 
péché  ;  comme  eux,  réparez  votre  crime. 

«  Nous  entrons,  après  tout,  dans  vos  raisons  fausses  ou 


sous   M^"^   DE    PONTBRIAND  245 

véritables,  et  nous  ne  vous  demandons  qu'une  église  mé- 
diocre, mais  décente.  Nous  ne  voulons  point  vous  épui- 
ser, si  tant  est  qu'on  s'épuise  en  donnant  au  Seigneur. 
Nous  ne  vous  demandons  qu'une  église  de  soixante  et 
quinze  pieds  de  longueur,  sur  trente-deux  de  largeur  de 
dedans  en  dedans,  et  même  sans  chapelle,  autour  de  la- 
quelle on  fera  un  cimetière  de  trente  pieds  de  large,  y  com- 
pris le  Rond-point.  Nous  ne  devons  pas  regarder  comme 
au-dessus  de  vos  forces  un  pareil  ouvrage  ;  et  vous  n'avez 
pas  lieu  de  vous  plaindre.  Aussi  espérons-nous  avoir  dans 
peu  la  consolation  de  le  savoir  achevé  et  parfait.  Nous 
vous  avons  marqué  la  place  de  vive  voix  ;  mais  si  vous  en 
trouvez  une  plus  convenable,  nous  ne  nous  y  opposerons 
pas,  dès  que  votre  curé  ^^  nous  en  aura  informé. 

('  Donné  au  Séminaire  de  Montréal  dans  le  cours  de 
nos  visites  le  onzième  juin  mil  sept  cent  cinquante-cinq, 
sous  notre  seing,  celui  de  notre  secrétaire,  et  le  sceau  de 
nos  armes,  (signé)  t  H.-M.,  évêque  de  Québec.  Par 
monseigneur,  Briand,  prêtre,  chanoine.  » 

* 

On  aimera  peut-être  à  savoir  quelle  procédure  il  fallait 
suivre  à  cette  époque,  lorsqu'il  s'agissait  de  construire  une 
église  ou  un  presbytère:  et  nous  ne  croyons  mieux  faire 
que  de  citer  tout  simplement  le  jugement  de  l'intendant 
Hocquart,  en  date  du  4  juillet  1747,  pour  la  reconstruction 
du  presbytère  de  Berthier  qui  avait  été  incendié.  Ce  juge- 
ment nous  fera  assister  pour  ainsi  dire  à  toutes  les  phases 
de  la  procédure  : 

«  Vu  notre  ordonnance  rendue  sur  la  requête  à  nous  pré- 


19.  Bazile  Papin,  fils  de  Gilles  Papin  et  de  Marie-Joseph  Bénard,  de 
Boucherville.  Il  avait  fait  ses  études  au  Séminaire  de  Québec  en  même 
temps  que  M.  Sarault. 


246  l'église  du  canada 

sentée  par  M.  Jorian,  prêtre,  curé  de  Berthier,  en  date  du 
27  juin  dernier,  par  laquelle  nous  aurions  ordonné  que 
tous  les  habitants  de  la  dite  paroisse  de  Berthier  s'assem- 
bleraient le  dimanche  suivant  à  l'issue  de  la  messe  parois- 
siale, pour,  en  présence  du  dit  sieur  Jorian,  du  capitaine  de 
milice  '^^  et  des  marguilliers  de  la  dite  paroisse,  procéder  à 
l'élection  de  deux  syndics  d'entre  les  principaux  habitants 
du  dit  lieu,  pour  la  conduite  du  rétablissement  du  presby- 
tère de  la  dite  paroisse  qui  a  été  incendié,  dont  il  serait 
dressé  piocès-verbal  ;  lesquels  syndics,  ainsi  nommés  et 
choisis,  arrêteraient  l'état  estimatif  des  réparations  à  faire 
au  dit  presbytère,  et  dresseraient  en  conséquence  un  second 
état  de  répartition  de  ce  que  chaque  habitant  devrait  four- 
nir pour  sa  quote-part  dans  les  dites  réparations,  tant  en 
argent,  qu'en  travail  ou  autrement,  suivant  leurs  biens  et 
facultés  et  le  plus  équitablement  que  faire  se  pourrait, 
pour,  le  tout  à  nous  apporté,  être  ordonné  ce  qu'il  appar- 
tiendrait ; 

((  Le  procès-verbal  d'assemblée,  faite  en  conséquence,  de 
tous  les  habitants  de  la  dite  paroisse  de  Berthier,  le  deux 
de  ce  mois,  dans  laquelle  Jean  Pruneau  et  Joseph  Dagneau, 
habitants  du  dit  lieu,  ont  été  nommés  et  choisis  pour  syn- 
dics à  la  conduite  des  dites  réparations  ; 

«  L'état  estimatif  dressé  par  les  dits  syndics,  des  maté- 
riaux nécessaires  pour  le  rétablissement  du  dit  presbytère, 
montant  à  la  somme  de  six  cent  soixante-dix-sept  livres,  au 
bas  duquel  état  est  une  répartition  de  cette  somme  sur  les 
habitants  de  la  dite  paroisse,  à  proportion  de  ce  que  chacun 
d'eux  possède  de  terre,  et  à  raison  de  trois  livres  six  sols 
par  chaque  arpent  de  front,  attendu  qu'il  se  trouve  dans  la 
dite  Côte  deux  cent  cinq  arpents  de  terre  de  front  habités: 


20.  Le  capitaine  de  milice,  dans  chaque  paroisse,  était  à  cette  époque 
un  personnage  important,  que  l'on  voit  figurer  dans  la  plupart  des  actes 
publics  à  côté  du  curé  et  des  marguilliers.  Il  fallait  compter  avec  lui. 


sous   M«''   DE   PONTBRIAND  247 

le  tout  en  date  du  trois  de  ce  dit  mois,  signé  «  Rousselot  »  ^^, 
pour  les  dits  Pruneau  et  Dagneau  ; 

((  Nous  avons  homologué  et  homologuons  le  dit  procès- 
verbal  et  états  estimatif  et  de  répartition  que  nous  avons 
paraphés  ;  en  conséquence  : 

«  Ordonnons  que  les  habitants  de  la  dite  paroisse  de 
Berthier  paieront  en  argent,  travail  ou  autrement,  la  somme 
de  trois  livres  six  sols  par  chaque  arpent  de  terre  de  front 
qu'ils  possèdent  dans  la  dite  paroisse,  et  dont  il  sera  dressé 
un  état  par  les  dits  syndics,  conjointement  avec  le  dit  sieur 
curé  ; 

«  Autorisons  les  dits  Pruneau  et  Dagneau,  syndics,  à 
faire,  contre  les  habitants  refusants,  toutes  poursuites  pour 
raison  de  leur  quote-part  dans  les  dites  réparations  ^2. . .  » 

Ainsi,  dans  huit  jours,  du  27  juin  au  4  juillet,  tout  avait 
été  réglé  et  mis  en  loi,  de  manière  que  l'on  put  se  mettre 
immédiatement  à  l'œuvre  pour  la  reconstruction  de  ce 
presbytère  et  le  rendre  logeable  dans  le  cours  de  l'au- 
tomne. 

Quelquefois  des  incidents  assez  curieux  venaient  compli- 
quer la  marche  des  affaires.  C'est  ainsi  qu'en  1743,  le 
curé  Dolbec,  du  Cap  Saint-Ignace,  après  avoir  suivi  les 
formes  ordinaires,  obtient  la  permission  de  faire  bâtir  un 
presbytère  dans  la  seigneurie  Gamache,  l'une  des  deux  sei- 
gneuries de  cette  paroisse,  l'autre  étant  la  seigneurie  Vin- 
celotte.  Ivcs  travaux  commencent,  et  bientôt  la  maçonne- 
rie s'élève  à  une  certaine  hauteur.  Mais  voilà  que  dans 
l'été  de  1744  M^^  de  Pontbriand  passe  en  visite  pastorale  au 
Cap-Saint-Ignace.  Le  seigneur  Vincelotte  en  profite  pour 
le  convaincre  que  le  presbytère  serait  plus  avantageu- 
sement placé  sur  sa  seigneurie  :  il  s'engage,  d'ailleurs,  si 


21.  Pierre-François    Rousselot,    notaire    royal,    beau-frère    du    curé 
Jorian. 

22.  Bdits  et  Ordonnances,  t.  III,  p.  367. 


248  l'église  du  canada 

on  lui  accorde  sa  demande,  à  mettre  à  ses  frais  le  nouveau 
presbytère  à  la  même  hauteur  que  celui  qu'on  a  commencé 
sur  le  fief  Gamache  ;  il  promet  de  plus  une  terre  complète 
pour  l'usage  du  curé  ;  les  paroissiens,  en  général,  paraissent 
approuver  les  nouveaux  arrangements,  et  M^"^  de  Pont- 
briand  donne,  en  conséquence,  un  mandement  en  date  du 
10  mars  1745,  ordonnant  que  les  travaux  commencés  sur 
le  fief  Gamache  seront  abandonnés,  et  que  le  presbytère 
sera  bâti  sur  le  fief  Vincelotte.  Les  arrangements  conclus 
avec  Vincelotte  sont  signés  par  lui,  par  PEvêque,  et  par 
les  curés  LaCorne,  de  Saint-Michel,  Jorian,  de  Berthier,  et 
Duchouquet,  de  Sainte-Anne,  qui  accompagnent  le  Prélat 
dans  sa  visite.  Le  presbytère  coûtera  quatorze  cent  vingt 
livres,  et  Vincelotte  aura  à  payer  pour  sa  part  deux  cents 
livres.  Le  tout  est  ratifié  et  homologué  par  l'intendant 
Hocquart.  Le  presbytère  du  Cap-Saint-Ignace  devra  être 
livré  et  logeable  dans  l'automne  de  1745  ^^ 


*     * 


Et  maintenant,  voulons-nous  avoir  une  idée  de  l'appa- 
rence de  nos  campagnes  canadiennes,  telles  qu'elles  se  pré- 
sentaient à  'M^^  de  Pontbriand  au  cours  de  ses  visites  ?  Il 
n'y  avait  encore  que  les  rangées  de  maisons  de  cultiva- 
teurs, aux  toits  abrupts,  généralement  propres,  longues  et 
étroites,  mais  confortables,  la  plupart  en  pierre  et  blanchies 
à  la  chaux,  ainsi  que  leurs  dépendances,  la  plupart  aussi  le 
long  du  chemin  royal,  quelques-unes  cependant  loin  de  la 
voie  publique,  mais  à  proximité  de  quelqiie  source  d'eau 
pure,  d'une  valeur  inappréciable,  et  ainsi  de  suite  «de  con* 
cessions  en  concessions»,  pour  nous  servir  d'une  expression 
vraiment   canadienne,   encore   en   usage,   et    qu'on    aurait 


23.  Edits  et  Ordonnances,  t.  ÎT,  p.  572,  575. 


sers    M^   DE    PONTBRIAND  249 

grand  tort  de  remplacer  par  quelque  autre  prétendue  plus 
académique. 

Vers  le  milieu  d'une  de  ces  concessions,  au  centre  de  la 
paroisse,  le  presbytère  et  Péglise,  encore  isolés,  ou  à  peu 
près  :  le  presbytère,  généralement  en  pierre  et  blanchi  à  la 
chaux,  ne  différant  guère  des  autres  maisons  que  par  la 
longueur  que  lui  ajoute  <(  la  salle  des  habitants  :  »  Péglise, 
toujours  proprette,  entourée  du  cimetière,  et  à  Pombre  de 
beaux  arbres,  surmontée  d'un  de  ces  jolis  clochers  dont 
parle  René  Bazin  : 

((  J'ai  aperçu,  dit-il,  enveloppé  d'ormeaux,  un  clocher  fin 
tout  blanc,   d'où  partait   l'Angélus    du    soir,   et  j'ai  dit  : 
puisque  mon  Dieu  est  là  présent,  les  Canadiens  sont  tout 
autour  !  » 

C'est  en  effet  autour  de  Péglise  que  les  trouve  rassem- 
blés M^^  de  Pontbriand,  à  son  arrivée  dans  chaque  paroisse, 
agenouillés,  attendant  sa  bénédiction  :  touchant  spectacle, 
qui  lui  rappelle  sa  catholique  Bretagne. 

A  peine  deux  ou  trois  emplacitaires,  auprès  de  Péglise  : 
la  Cour  ne  les  tolérait  pas,  et  l'intendant  veillait.  La 
Cour  ne  les  tolérait  pas,  parce  qu'elle  voulait  avant  tout 
encourager  la  culture  des  terres:  idée  excellente,  pourvu 
qu'elle  fût  appliquée  avec  de  sages  tempéraments.  Il  y 
avait  en  effet  un  édit  royal,  en  date  du  28  avril  1745,  défen- 
dant expressément  de  se  bâtir  sur  une  terre,  à  moins  qu'elle 
n'eût  au  moins  un  arpent  et  demi  de  front  sur  trente  à 
quarante  de  profondeur,  prohibant  par  conséquent  de  se 
bâtir  sur  un  simple  emplacement  2*.  La  chose  n'était 
tolérée  que  «  dans  la  banlieue  des  villes  a,  afin  que  les 
citoyens  pussent  s'y  procurer  «  une  abondance  de  menues 
denrées  ». 

Le  premier  bourg  ou  village  que  nous  trouvons  «  aulo- 


24.  Hdits  et  Ordonnances,  t.  I.  p.  385. 


250  L'éGUSE   DU   CANADA 

risé»  par  les  ordonnances  des  intendants,  est  celui  du 
Château-Richer,  dans  la  seigneurie  des  MM.  du  Séminaire 
de  Québec,  qui  en  demandèrent  l'établissement,  au  mois 
de  janvier  1753:  il  avait  «environ  quatre  arpents  de  front, 
sur  le  bord  de  l'eau,  sur  quatre  arpents  de  profondeur  »  : 

«  Ce  village,  disait  M.  de  Villars,  signataire  de  la  requête, 
bien  loin  de  préjudicier  au  défrichement  et  à  l'avancement 
des  terres  ^^,  leur  est  au  contraire  favorable,  en  ce  que,  y 
ayant  dans  ces  paroisses  (de  la  Côte  Beaupré)  très  peu  d'ou- 
vriers, la  plupart  des  habitants  sont  obligés  de  venir  à 
Québec  pour  acheter  leurs  outils  et  instruments  d'agri- 
culture ou  les  faire  raccommoder,  ce  qui  leur  occasionne 
non  seulement  des  frais  considérables,  mais  encore  une 
grande  perte  de  temps  et  par  conséquent  un  retardement 
au  progrès  et  à  l'avancement  de  leurs  terres,  au  lieu  qu'en 
fixant  un  terrain  destiné  pour  un  village,  les  ouvriers  de 
toute  espèce  auront  la  liberté  de  s'y  établir  et  d'y  bâtir 
des  maisons  sur  les  emplacements  qui  leur  seront  à  cet  effet 
concédés  -^.  » 

Pour  les  mêmes  raisons,  les  MM.  du  Séminaire  de 
Québec  demandèrent  et  obtinrent  le  25  août  de  la  même 
année  l'établissement  d'un  autre  village,  (f  sur  la  Pointe  de 
l'Est  «  de  leur  autre  seigneurie,  l'Ile-Jésus. 

En  1754,  nous  voyons  commencer  un  bourg  à  Saint- 
Michel  de  la  Durantaie,  autorisé  sur  la  demande  du 
seigneur  Péan  de  la  Livaudière  ;  un  autre,  à  l'Assomption, 
qui  a  été  demandé  par  le  curé  Degeay,  le  capitaine  Juillet 
et  autres  habitants  de  la  paroisse  ;  un  troisième  à  la 
Pointe-aux-Trembles  de  Neuville,  accordé  à  la  demande 
de  la  veuve  Desmeloises,  propriétaire  de  la  seigneurie. 


25.  Avant  d'être  Supérieur,  M.  de  Villars  avait  été  Econome,  et  fai- 
sait valoir  les  fermes  du  Séminaire.  {Les  UrsuHnes  de  Québec,  t.  II,  p. 
.259). 

26.  Bdits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  410. 


sous    M^"^   DE   PONTBRIAND  25 1 

En  1757,  un  bourg  s'établit  au  Coteau-des-Cèdres,  et 
l'année  suivante  un  autre  bourg  à  Saint-Denis  de  Riche- 
lieu, toujours  avec  la  permission  expresse  de  l'intendant, 
qui  fixe  et  détermine  l'étendue  que  doivent  avoir  ces 
bourgs  et  ces  villages  :  ce  qui  leur  donne  une  apparence 
beaucoup  plus  régulière  que  celle  de  nos  villages  d'au- 
jourd'hui, généralement  bâtis  un  peu  au  hasard  et  à 
l'aventure. 

Comme  aujourd'hui,  il  y  avait  une  malheureuse  ten- 
dance des  cultivateurs  à  se  dégoûter  du  travail  de  la  terre 
et  à  déserter  les  campagnes  pour  aller  se  fixer  en  ville  ;  et 
cette  tendance  n'était  pas  particulière  au  Canada,  elle  exis- 
tait également  en  France,  ou  plutôt  c'est  bien  de  là  qu'elle 
nous  venait  : 

«  Un  esprit  tentateur,  écrit  à  ce  sujet  le  duc  de  Broglie, 
circule  dans  nos  campagnes,  soufflant  tout  bas  à  l'oreille 
du  cultivateur  tout  ce  qui  peut  le  dégoûter  de  sa  terre 
natale  ou  de  sa  profession  héréditaire  -^.  » 

Ici,  cette  tendance  avait  été  encouragée  par  les  travaux 
des  fortifications,  et  même  ceux  de  la  cathédrale,  qui  n'a- 
vaient pu  se  faire  sans  qu'on  fût  obligé  de  recourir  à  la 
main-d'œuvre  des  habitants.  En  1749,  l'intendant  crut 
devoir  faire  une  ordonnance  très  sévère  à  ce  sujet: 

«  Les  travaux  considérables  qui  se  sont  faits  pour  le  compte 
du  Roi  depuis  quelque^  années,  disait-il,  ont  attiré  en  cette 
ville  quantité  d'hommes  mariés  de  la  campagne,  qui  ont 
abandonné  leurs  terres,  soit  pour  se  mettre  charretiers,  soit 
pour  travailler  à  la  journée,  ou  même  pour  y  tenir  cabaret, 
ce  qui  fait  un  tort  considérable  à  la  colonie,  les  terres  n'é- 
tant ni  cultivées,  ni  augmentées  comme  elles  devraient 
l'être.  .  .  Il  est  à  craindre  qu'à  l'avenir,  les  travaux  deve- 
nant moins  considérables,  ces  habitants  se  trouvent  réduits 

27.  Le  Correspondant  de  1867,  t.  III,  p.  467. 


252  l'Église  du  canada 

à  la  mendicité;  et  il  est  de  la  dernière  conséquence,  pour 
le  bien  général  de  la  colonie,  d'augmenter  la  culture  des 
terres  : 

«  Nous  faisons  très  expresses  défenses  à  tous  les  habi- 
tants qui  ont  des  terres  à  la  campagne,  de  venir  s'établir 
en  cette  ville,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  sans  notre 
permission  par  écrit,  à  peine  contre  les  contrevenants 
d'être  chassés  de  la  ville  et  renvoyés  sur  leurs  terres,  leurs 
meubles  et  effets  confisqués,  et  en  outre  en  cinquante  livres 
d'amende  ; 

«  Et  afin  de  parvenir  à  connaître  ceux  des  dits  habitants 
qui  seraient  venus  furtivement  s'établir  en  ville,  nous 
ordonnons  que  tous  particuliers  de  cette  ville  et  des  fau- 
bourgs, qui  loueront  à  l'avenir  des  maisons  ou  chambres  à 
des  gens  dont  l'état  leur  sera  inconnu,  ou  qu'ils  pourront 
soupçonner  d'être  des  habitants  de  la  campagne,  seront 
tenus  d'aller  déclarer  au  lieutenant  général  de  police, 
trois  jours  après  qu'ils  auront  loué,  les  noms,  surnoms 
et  profession  de  ceux  auxquels  ils  auront  loué  les  dites 
maisons  ou  chambres,  à  peine  contre  les  particuliers  con- 
trevenants, de  cent  livres  d'amende  -^.  .  .  « 

Qui  n'admirerait  la  sagesse  et  l'à-propos  de  ce  règle- 
ment? Comme  il  était  important,  surtout  à  cette  époque, 
de  rappeler  aux  Canadiens  la  nécessité  de  s'attacher  à  la 
culture  de  la  terre,  de  s'emparer  du  sol,  de  le  défricher  et 
de  lui  faire  rendre  toutes  ses  richesses!  Il  fallait  les 
détourner  de  prendre  le  chemin  des  villes,  oii  ils  ne  pou- 
vaient trouver  ordinairement  que  déceptions  et  dangers. 

M^^"  de  Pontbriand  applaudissait  aux  sages  ordonnances 
de  nos  intendants.  Il  était  très  attaché,  surtout,  à  M. 
Hocquart,  et  celui-ci  se  montrait  disposé  à  le  seconder  dans 
toutes  les  mesures  qui  pouvaient  intéresser  le  bien  de  son 

28.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  399, 


sous    M°^   DE    PONTBRIAND  253 

diocèse.  Ici,  par  exemple,  ce  sont  des  syndics  qui  viennent 
se  plaindre  que  quelques  habitants  ne  veulent  pas  payer 
leur  quote-part  pour  la  construction  ou  la  réparation  d'une 
église  :  Hocquart  condamne  ces  habitants  sans  merci.  Là, 
ce  sont  des  curés  qui  portent  plainte  contre  certains  parois- 
siens qui  ne  paient  pas  exactement  et  fidèlement  leur  dîme  : 
l'intendant  oblige  ces  paroissiens  à  remplir  leur  devoir. 
Ailleurs,  ce  sont  d'autres  paroissiens  qui  refusent  de 
«  rendre  le  pain  bénit  »  à  leur  tour  :  c'est,  par  exemple, 
à  Montréal,  la  Dame  Pécaudy-LaCorne  ''^^,  qui  se  croit 
exempte,  on  ne  sait  pourquoi,  de  remplir  cette  obligation  : 
Hocquart  la  fait  condamner  impitoyablement  par  le  Con- 
seil Supérieur  ;  et  son  procureur  Noiiette,  qui,  dans  ses 
réponses  au  curé  Déat  et  aux  marguilliers  de  Montréal  ^®, 
s'est  servi  de  termes  peu  respectueux,  est  condamné  à  une 
amende  de  vingt-quatre  livres  ^^  :  c'est  encore,  dans  la 
Nouvelle-Beauce,  le  nommé  Ponteville,  qui,  lui  aussi, 
«  refuse  depuis  quatre  mois  de  rendre  le  pain  bénit  »  ; 
Hocquart  lui  enjoint  de  faire  son  devoir,  et  de  plus  il 
ordonne  à  François  Lessard,  habitant  de  la  dite  seigneurie, 
«de  faire  conduire  en  ville,  sous  bonne  et  sûre  garde,  le 
dit  Ponteville,  pour  lui  rendre  compte  de  sa  conduite  >>  ^2. 

* 

*      * 

Nous  avons  vu  que  lors  de  sa  première  visite  pastorale 
M^  de  Pontbriand  avait  eu  à  se  plaindre  de  la  conduite  de 
quelques-uns  de  ses  prêtres.     Nous  ne  croyons  pas  qu'il  ait 


29.  Marie  Pécaudy  de  Contrecœur,  veuve  de  Jean-Louis  de  Chapt, 

sieur  de  La  Corne.  Elle  était  la  mère  du  chanoine  La  Corne. 

30.  Jacques  Charly,  Louis  Cavelier  et  Pierre  Coureau  La  Coste  étaient 

marguilliers  à  cette  date  (1742). 

31.  Edits  et  Ordonnances,  t.  II,  p.  212,  arrêt  du  Conseil  Supérieur,  17 
décembre  1742. 

32.  Ibid.,  p.  576,  2^  septembre  1745. 


254  l'église  du  canada 

trouvé  à  redire  en  quoi  que  ce  soit  contre  la  conduite  per- 
sonnelle de  son  clergé  dans  sa  deuxième  visite. 

Nous  ne  pouvons  cependant  passer  sous  silence  un  inci- 
dent, arrivé  quelques  années  plus  tard,  qui  montre  com- 
bien le  pieux  Evêque  avait  à  cœur  de  rendre  justice  à  tout 
le  monde,  et  surtout  de  ne  pas  laisser  aux  tribunaux  civils 
à  juger  les  fautes  attribuées  à  son  clergé,  mais  de  les  juger 
et  de  les  punir  lui-même,  s'il  y  avait  lieu. 

Il  avait  été  obligé  de  confier  la  paroisse  des  Grondines  à 
un  jeune  prêtre  français  récemment  ordonné,  qui,  animé 
d'un  zèle  peu  éclairé,  s'était  permis  d'attaquer  et  de  nom- 
mer en  chaire  quelques  paroissiens  dont  il  croyait  avoir  à 
se  plaindre.  L'affaire  était  déjà  rendue  devant  la  Prévôté 
de  Québec,  lorsque  M^^  de  Pontbriand  demanda  et  obtint 
qu'elle  fût  référée  à  son  tribunal.  Contentons-nous  de  ci- 
ter ici  tout  simplement  l'ordonnance  qu'il  rendit  dans 
cette  cause  :  nous  le  faisons  d'autant  plus  volontiers  qu'elle 
fait  ressortir  son  amour  de  la  justice,  et  aussi  l'esprit  chré- 
tien avec  lequel  les  parties  acceptèrent  son  jugement  : 

((  Sur  les  plaintes  réitérées,  dit  le  Prélat,  portées  par  les 
nommés  Grondines  ^^,  père  et  fils,  contre  messire  Hingan  ^*, 
curé-missionnaire  des  Grondines,  vu  la  lettre  missive  du 
dit  missionnaire  à  nous  écrite  par  ci-devant,  vu  l'ordon- 
nance rendue  par  M.  le  lieutenant-général  civil  et  crimi- 
nel de  la  Prévôté  de  Québec,  le  30  mars  dernier,  signifiée 
au  dit  missionnaire  le  4  avril,  après  avoir  aujourd'hui  in- 
terrogé le  susdit  missionnaire,  nous  avons  reconnu  qu'il 
avait  manqué  essentiellement  et  s'était  servi,  au  prône  de 
la  messe  paroissiale,  de  termes  injurieux  contre  les  dits 
Grondines   père   et  fils,   le  premier  dimanche   de   Carême 


33.  Hamelin  dit  Grondines.  Voir  Dictionnaire  généalogique  de  Tan- 
guay. 

34.  Jacques  Hingan,  né  à  Avranches  en  1729,  ordonné  à  Québec  e« 
1753,  nommé  curé  des  Grondines  en  1754.  Il  n'avait  en  1757  que  28  ans. 


sous   M^  DE   PONTBRIAND  255 

dernier  ;  et  étant  de  notre  devoir  de  ne  pas  laisser  impunie 
une  faute  de  cette  nature,  nous  avons  ordonné  et  ordonnons 
au  dit  missionnaire  de  se  rétracter  à  la  première  messe 
paroissiale  qu'il  dira  en  la  dite  paroisse  des  Grondines,  et 
de  dire  qu'il  se  repent  d'avoir  nommé  publiquement  les 
sieurs  Grondines  père  et  fils,  qu'il  désavoue  les  paroles 
dures  dont  il  s'est  servi  à  leur  égard,  qu'il  les  reconnaît 
pour  des  gens  d'honneur  et  de  probité,  et  qu'il  prie  ses 
paroissiens  d'oublier  entièrement  ce  qui  lui  a  pu  échapper 
en  cette  occasion. 

(f  Deuxièmement,  il  est  encore  ordonné  au  dit  sieur  Hin- 
gan  de  se  retirer  dans  notre  Séminaire  de  Québec  vers  le 
19  de  juin  prochain  jusque  vers  la  mi-juillet,  pour  y  pren- 
dre l'esprit  ecclésiastique. 

«  Troisièmement,  en  esprit  de  pénitence  et  par  aumône  il 
donnera  aux  pauvres  les  plus  nécessiteux  de  sa  paroisse  la 
somme  de  trois  livres  ;  et  attendu  que  le  dit  sieur  Hingan 
a  déclaré  qu'il  n'était  pas  nécessaire  de  lui  signifier  la  dite 
ordonnance,  qu'il  s'y  soumettait  avec  respect,  et  qu'il  l'exé- 
cuterait à  la  lettre,  il  a  signé  avec  nous  en  double,  dont 
nous  remettrons  un  autant  entre  les  mains  de  Maître 
Panet  ^^,  notaire  en  cette  ville,  et  procureur  en  cette  partie 
des  dits  Grondines  père  et  fils;  et  nous  a  déclaré  qu'en 
conséquence,  au  dit  nom,  il  se  tenait  pour  content  et  se 
désistait  de  toute  procédure  commencée  en  cette  occasion. 

«  Fait  double  à  Québec,  dans  notre  Palais  épiscopal,  ce 
18  avril  1757,  à.  quatre  heures  de  l'après-midi,  sous  le 
seing  du  dit  sieur  Hingan,  notre  signature  et  le  sceau 
de  nus  armes,  (signé)  J.  Hingan,  prêtre  ;  H.-M.,  évêque 
de  Québec  ^^.  » 


35.  Jean-Claude  Panet,  époux  de  Marie-Louise  Barolet,  père  de  Mgr 
Panet,  douzième  évêque  de  Québec,  et  bisaïeul  maternel  de  Son  Em.  le 
Cardinal  Taschereau. 

36.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec 


2^6  l'église  du  canada 


M^  de  Poîitbriand  profita  de  sa  visite  pastorale  pour 
consulter  ses  principaux  curés  sur  un  projet  qu'il  avait 
conçu  depuis  longtemps,  et  qu'il  se  décida  enfin  à  mettre 
à  exécution  :  celui  d'établir  les  retraites  ecclésiastiques  an- 
nuelles. Le  mandement  qu'il  donna  à  ce  sujet  est  daté  du 
premier  mai  1753:  la  Retraite  aura  lieu  au  Séminaire  de 
Québec  ^^,  et  durera  huit  jours  ;  chacun  devra  la  faire  au 
moins  tous  les  deux  ans  ^^.  Le  Séminaire  a  été  agrandi 
l'année  précédente  et  pourra  fournir  des  chambres  à  tous 
les  retraitants.  Il  y  a  maintenant  un  jardin,  entouré  tout 
récemment  d'un  mur,  où  ils  pourront  se  délasser  dans  les 
temps  libres.  L'Evêque  se  charge  de  payer  leur  pension 
ou  de  la  leur  faire  payer  ^^. 

Comment  se  faisait  cette  retraite  ecclésiastique?  Une 
note  que  nous  trouvons,  à  la  date  du  31  août  1757,  nous 
en  donne  quelque  idée  : 

«  Mercredi  au  soir,  commença  la  Retraite  de  MM.  les 
Curés,  au  nombre  de  vingt,  laquelle  finit  le  mercredi  sui- 
vant, après  l'oraison,  après  avoir  duré  six  jours  complets  et 
francs.  M.  Jacrau  y  a  prêché  deux  sermons,  sur  le  Petit 
nombre  des  Elus,  et  sur  la  Pénitence  comme  vertu  ;  M. 
Collet  **^,  trois,  sur  le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu,  du  salut  des 


;i/.  Pour  les  curés  du  gouvernement  de  Montréal,  il  y  eut  un  arran- 
gement spécial  avec  les  MM.  de  Saint-Sulpice  et  leur  supérieur  général, 
M.  Couturier. 

38.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  99,  ler  mai  1753. 

39.  Histoire  manuscrite  du  Sém.  de  Québec,  p.  930,  934. 

40.  Charles- Ange  Collet  avait  été  agrégé  au  Séminaire  le  17  août 
1751.  Les  directeurs  lui  avaient  laissé  "la  libre  disposition  de  l'honoraire 
de  ses  messes  pendant  huit  ans":  (Histoire  manuscrite  du  Séminaire) 
ce  qui  prouve  que  la  désappropriation  existait  encore  à  cette  époque.  Il 
quitta  le  séminaire  en  1758  pour  devenir  chanoine.  Il  fut  le  dernier 
nommé  chanoine  du  Chapitre  de  Québec. 


sous    M^**   DE    PONTBRIAND  257 

âmes,  et  sur  les  devoirs  de?  confesseurs  ;  et  moi  (M.  Récher), 
un,  sur  le  Paradis.  Monseigneur  a  mangé  au  Séminaire 
pendant  toute  la  Retraite,  et  a  assisté  à  tous  les  exer- 
cices 41-  » 

On  a  prétendu  que  le  Prélat  avait  aussi  établi  les  Con- 
férences ecclésiastiques.  Il  en  eut  le  projet,  et  le  soumit  à 
son  clergé,  en  même  temps  que  celui  des  Retraites  *^. 
Mais  sait-on  ce  qu'il  entendait  par  conférences  ecclésias- 
tiques? Comprenant  mieux  que  personne  qu'il  était  à  peu 
près  impossible,  à  cette  époque,  que  plusieurs  curés  se 
réunissent  souvent  à"  des  jours  déterminés,  tout  ce  qu'il 
proposait,  c'était  d'envoyer  à  ses  prêtres  tous  les  six  mois 
quelques  sujets  à  étudier  et  à  développer  :  chacun  aurait 
mis  par  écrit  le  résultat  de  ses  recherches  et  de  ses  études, 
et  l'aurait  envoyé  à  l'Evêque,  qui,  lui,  aurait  revu  tous  ces 
travaux,  et  en  aurait  fait  un  résumé,  qu'il  aurait  commu- 
niqué à  son  clergé,  avec  ses  propres  réflexions,  à  la  Re- 
traite ecclésiastique.  C'était  une  excellente  manière  de 
recommander  à  ses  prêtres  la  pratique  de  l'étude  ;  et  il  avait 
autorité  pour  le  faire,  lui  qui,  au  dire  de  son  panégyriste, 
trouvait  moyen,  malgré  ses  nombreuses  occupations,  de 
consacrer  plusieurs  heures  par  jour  à  l'étude  43,  et  disait  à 
son  clergé  :  «  Je  ne  crains  point  le  travail,  dès  qu'il  peut 
être  utile  à  mon  diocèse  44.  >^ 

Du  reste,  nous  n'avons  pu  nous  assurer  si  ce  projet  de 
Conférences  ecclésiastiques,  même  dans  les  conditions 
restreintes  que  nous  venons  d'expliquer,  fut  mis  à  exécu- 
tion. Nous  n'avons  trouvé  trace  nulle  part  de  ces  Etudes 
périodiques  du  Clergé,  à  cette  époque. 


41.  Journal  du  curé  Récher. 

42.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  24,  Circulaire  du  6 
décembre  1742. 

43.  Oraison  funèbre  par  l'abbé  Jolivet. 

44.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  26. 

17 


CHAPITRE  XXII 


NOMINATION  DE  M.  RECHER  A  LA  CURE  DE  QUEBEC.  — 

PRISE  DE  POSSESSION.  —  M^^  DE  PONTBRIAND  ET 

LE     CHAPITRE.  —  CONSTRUCTION     DE     LA 

CHAPELLE    DU   SÉMINAIRE 

Nomination  de  M.  Delbois  à  la  Cure  de  Québec.  —  L'esprit  de  Mgr  de 
Laval,  en  unissant  cette  cure  au  Séminaire.  —  Nomination  de  M. 
Récher  par  le  Séminaire  ;  par  l'Evêque.  —  Prise  de  possession.  — 
Le  Chapitre  et  le  Curé.  —  Le  Chapitre  et  l'Evêque.  —  Construction 
et  bénédiction  de  la  Chapelle  extérieure  du  Séminaire. 

DEPUIS  la  mort  de  M.  Plante,  au  printemps  de  1744, 
c'est-à-dire  depuis  plus  de  cinq  ans,  la  paroisse  de 
Québec,  la  première  paroisse  du  diocèse,  était  restée  sans 
curé  en  titre.  Les  Missions-Etrangères  de  Paris  avaient 
nommé  curé  en  1745  nn  M.  Delbois,  et  ce  monsieur  avait 
même  quitté  Paris  pour  venir  au  Canada,  lorsqu'il  tomba 
gravement  malade  : 

«  Le  curé  qui  a  été  nommé  pour  Québec  a  été  malade  à 
l'extrémité  depuis  son  départ  de  Paris  »,  écrivait  M.  de 
l'Orme  à  un  de  ses  confrères  \ 

Rendu  à  la  santé,  il  refusa  ensuite  de  venir.  Agissait-il 
de  lui-même,  par  une  heureuse  inspiration,  ou  faut-il  voir 
ici  l'intervention  de  quelque  prudent  personnage,  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu,  par  exemple,  qui  lui  aurait  fait  comprendre 
l'inconvenance  et  le  danger  d'aller  s'imposer,  lui,  complè- 

I.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  Cahiers  Plante. 


L'EGLISE  DU  CANADA  SOUS  M^^'  DE  PONTBRIAND      259 

temetit  étranger,  comme  curé  de  la  première  paroisse  de  la 
Nouvelle-France?  De  quel  œil  M^^  de  Pontbriand  aurait- 
il  vu  arriver  ici  comme  curé  de  Québec  un  homme  dont 
il  n'avait  peut-être  jamais  entendu  parler,  et  qui,  proba- 
blement, ne  connaissait  rien. des  choses  du  Canada? 

Pourquoi  ne  rappellerions-nous  pas  ici  le  soin  délicat  et 
attentif  avec  lequel  le  pieux  fondateur  de  notre  Eglise, 
M^^  de  Laval,  recommandait  au  Séminaire,  en  1687,  de 
remplacer  à  la  cure  de  Québec  M.  de  Bernières,  tout  bon 
curé,  tout  vertueux  iet  dévoué  qu'il  était,  par  un  autre 
prêtre  plus  acceptable  à  M^^  de  Saint-Vallier  ^?  M.  de 
Bernières  résigna  volontiers  son  bénéfice,  et  le  Séminaire 
nomma  à  sa  place  un  autre  de  ses  prêtres,  M.  Dupré. 
Voilà  bien  l'esprit  de  M°^  de  Laval,  un  esprit  de  paix  et  de 
conciliation.  En  unissant  la  cure  de  Québec  à  son  Sémi- 
naire, en  donnant  à  celui-ci  le  privilège  de  nommer  à  cette 
cure,  il  ne  prétend  nullement  mettre  l'Evêque  de  côté  :  au 
contraire,  il  veut  qu'on  s'entende  avec  lui  pour  cette  nomi- 
nation, et  qu'elle  se  fasse  de  manière  à  lui  être  agréable. 

L'esprit  de  M»^'  de  Laval,  ou,  si  l'on  veut,  celui  de  M. 
de  Brisacier,  —  c'était  le  même  —  s'était-il  parfaitement 
conservé  aux  Missions-Etrangères  3?  La  nomination  de 
M.  Delbois  à  la  cure  de  Québec  nous  fournit  une  nouvelle 
occasion  d'en  douter. 

De  tous  ceux  qui  avaient  pu  connaître  M.°^  de  Laval  et 
se  pénétrer  de  son  esprit,  le  dernier,  M.  de  Montigny,  était 
mort  depuis  quelques  années.  M.  de  l'Orme  écrivait  à 
cette  occasion  : 

«  Les  messieurs  des  Missions-Etrangères  ont  perdu  un 
grand  sujet.     Quoiqu'il  fût  fort  infirme,  il   avait  la  tête 


2.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  lettre  de  Mgr  de  Laval  au  Sém.  de 
^^uébec,  Paris,  9  juin  1687.  —  Henri  de  Bernières,  p.  254, 

3.  Voir  dans  l'Apendice,  No.  II,  une  liste  des  Supérieurs  des  Missions- 
Etrangères,  de  1663  à  1760. 


26o  l'église  du  canada 

bonne,  et  n'était  capable  que  de  leur  donner  de  bons  con- 
seils. .  .  Il  était  le  soutien  de  tout  le  Canada  ;  il  en  prenait 
le  parti  dans  toutes  les  occasions  *.  » 

N'oublions  pas  d'ailleurs  qu'il  y  eut  toujours  des  doutes 
sur  la  validité  de  l'union  de  la  cure  de  Québec  au  Sémi- 
naire ;  et  celui-ci  finira  un  jour  par  le  reconnaître  lui- 
même,  lorsqu'il  se  démettra  définitivement  de  cette  cure  : 

«  Le  dernier  acte  d'union,  en  date  du  14  novembre  1684, 
dirat-il  alors,  ne  nous  a  pas  paru  revêtu  de  toutes  les  for- 
malités requises  ^  » 

La  plupart  des  nominations  à  la  cure  de  Québec  s'étaient 
faites  par  compromis.  MM.  Thibout,  Boulard  et  Plante, 
nommés  et  présentés  par  le  Séminaire,  n'avaient  été 
acceptés  comme  curés  que  parce  qu'ils  étaient  en  même 
temps  membres  du  Chapitre  et  du  Séminaire,  ce  qui  éludait 
la  plupart  des  difficultés.  On  sait  le  conflit  qui  éclata 
entre  M^^'  Dosquet  et  le  Séminaire,  à  propos  de  la  cure  de 
Québec,  après  la  mort  de  M.  BouUard.  Voici  comment 
M.  de  Latour  raconte  lui-même  l'incident  : 

«  J'étais  alors  Doyen  du  Chapitre,  dit-il  ;  j'avais  été 
nommé  Curé  par  le  Séminaire,  et  le  Prélat  m'offrait  son 
titre;  mais  le  Séminaire,  pour  ne  pas  risquer  son  droit,  ne 
voulait  pas  que  je  l'acceptasse,  et  prétendait  que  je  ne  fisse 
valoir  que  le  sien.     Je  ne  voulus  pas  le  bénéfice  ^. .  .  » 

Le  même  conflit  allait-il  se  répéter  avec  M^^  de  Pont- 
briand?  Pour  l'éviter,  il  aurait  fallu  d'autant  plus  de  tact, 
de  modération  et  de  déférence,  que  la  défiance  de  l'Evêque 
avait  été  mise  en  éveil  par  la  maladresse  de  M.  Jacrau  et 
sa  prétention  de  ne  pas  regarder  le  Séminaire  de  Québec 
comme  un  Séminaire  vraiment  épiscopal  et  diocésain. 


4.  Archiv.  du  Sém.  de  Québec,  Cahiers  Plante. 

5.  Acte  de  démission  de  la  cure  de  Québec,  cité  dans  les  Recherches 
hist07'iques,  vol.  XVI,  p.  40. 

6.  Mémoires  sur  la  Vie  de  M.  de  Laval,  p.  180. 


sous    M^'^   DE    PONTBRIAND  201 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  LeBansais,  qui  faisait  très  di- 
gnement les  fonctions  curiales  à  Québec  depuis  deux  ans, 
étant  entré  chez  les  Jésuites  dans  l'automne  de  1749,  le 
Séminaire  jugea  qu'il  était  temps  de  s'exécuter  et  de  nom- 
mer un  curé  en  titre.  On  avait  un  sujet  qui  paraissait 
propre  à-  remplir  cette  fonction,  M.  Récher,  venu  au 
Canada  en  même  temps  que  M.  LeBansais.  Les  direc- 
teurs de  Paris,  en  l'envoyant  à  Québec,  avaient  écrit  que 
c'était  ((  un  esprit  solide,  appliqué,  attentif  à  tous  ses 
devoirs  »  l  L'un  d'eux,  M.  de  Lalane,  était  maintenant 
supérieur  du  Séminaire  de  Québec  ^  ;  il  n'eut  pas  de  peine 
à  engager  ses  confrères  Jacrau  et  de  Villars  à  signer  avec 
lui  la  nomination  de  M.  Récher. 

Cette  nomination,  datée  du  premier  octobre  1749,  se  fit 
dans  toutes  les  formes,  et  par  acte  notarié.  Au  bas  de 
l'acte,  outre  les  signatures  de  MM.  de  Lalane,  Jacrau  et  de 
Villars,  se  trouvent  celles  des  notaires  Dulaurent  et  Bou- 
cault. 

Voici  d'ailleurs  le  texte  même  de  cet  acte  de  nomination 
et  présentation  de  M,  Réchtr  : 

«  A  M^^  l'Illustrissime  et  Révérendissime  Evêque  de 
Québec. 

«f  Nous  prêtres  supérieur  et  directeurs  du  Séminaire  des 
Missions-Etrangères  établi  en  cette  ville  de  Québec,  repré- 
sentés par  Christophe  de  Lalane,  prêtre,  docteur  en  théo- 
logie, directeur  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères  de 
Paris  et  supérieur  des  Missions  de  cette  ville,  Mathurin- 
Joseph  Jacrau,  procureur,  et  François  Sorbier  de  Villars, 
directeurs  du  Séminaire  ^,  y  demeurant. 

7.  Histoire  manuscrite  du  Sém.  de  Québec 

8.  M.  de  Lalane  devint  plus  tard  supérieur  des  Missions-Etrangères 
et  Paris,  et  en  même  temps  supérieur  du  Séminaire  de  Langres  et  de 
celui  d'Aire.  (Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  20 
juin  1754). 

9.  MM.  de  Lalane,  Jacrau,  de  Villars,  et  M.  Récher  lui-même  étaient 
à  cette  date  les  seuls  directeurs  du  Séminaire  de  Québec.  Les  autres 


202  l'Église  du  canada 

«  La  cure  de  Québec,  érigée  sous  le  titre  et  invocation 
de  la  Sainte-Famille  ^^,  étant  présentement  vacante  par  le 
décès  de  M.  Charles  Plante,  prêtre  de  votre  diocèse, 
ancien  chanoine  de  la  Cathédrale  de  cette  ville,  et  dernier 
pourvu  de  la  dite  cure,  décédé  le  vingt  mars  dix-sept  cent 
quarante-quatre,  de  laquelle  cure  la  nomination  et  la 
présentation  appartient  aux  dits  supérieur  et  directeurs 
du  dit  Séminaire  de  Québec,  à  cause  de  l'union  qui  a  été 
faite  au  dit  Séminaire,  et  à  vous,  monseigneur,  la  provision, 
l'institution  et  toute  autre  disposition,  à  cause  de  votre 
dignité  épiscopale,  nous  avons  nommé  et  présenté  M. 
maître  Jean-Félix  Récher,  prêtre  du  diocèse  de  Rouen, 
l'un  des  directeurs  du  dit  Séminaire  de  cette  ville,  de 
bonnes  vie  et  moeurs,  et  que  nous  espérons  que  Votrje 
Grandeur  trouvera  capable  de  bien  et  duement  desservir  la 
dite  cure,  pour  être  pourvu  d'icelle,  vous  suppliant  et 
requérant  à  cet  effet  de  lui  en  accorder  toutes  les  provi- 
sions requises  et  ne  le  priver,  à  l'effet  qu'il  en  puisse  pren- 
dre possession  en  gardant  les  formalités  ordinaires,  sans 
préjudice  de  notre  droit  et  de  celui  d'autrui. 

a  Fait  et  passé  à  Québec  au  dit  Séminaire,  en  présence 
et  par  devant  les  notaires  royaux  en  la  Prévôté  de  Québec 
y  résidant  soussignés,  l'an  mil  sept  cent  quarante  neuf,  le 
premier  jour  d'octobre,  et  avons  avec  les  dits  notaires 
signé  ces  présentes  avec  leur  minute  demeurée  à  Maître 
Boucault,  l'un  des  dits  notaires,  et  apposé  le  cachet  de  nos 
armes  aux  présentes.  Ainsi  signé:  Lalane,  sup.  ;  Jacrau, 
prêtre,  Villars  prêtre.  Du  Laurent,  Boucault  ^*  ». 

prêtres  de  la  maison  étaient  MM.  Pressart,  Lamicq  et  Chevalier.  C'est- 
à-dire  que  depuis  la  mort  de  'M.  ]\Iaufils  (1743)  et  celle  de  M.  Plante 
(1744),  il  n'y  avait  plus  un  seul  prêtre  canadien  agrégé  au  Séminaire  de 
Québec!  M.  Pelet  était  parti  pour  la  France  l'année  précédente  (1748) 
et  ne  revint  plus  au  Canada  :  lui-même,  d'ailleurs,  était  français. 

10.  Elle  avait  été  érigée  à  l'autel  de  la  Sainte-Famille  par  Mgr  de 
Laval  à  la  tin  d'octobre  1678,  à  la  veille  de  son  départ  pour  son  troisième 
voyage  en  France.   (Archives  du  Sém.  de  Québec). 

11.  Cité  dans  le  Bulletin  des  Recherche-s  historiques,  vol.  IX,  p.  99. 


sous    M-^'   DE    PONTBRIAND  263 

Dans  cette  pièce,  rédigée  avec  soin,  revient  deux  ou  trois 
fois  le  nom  du  «Séminaire  des  Missions-Etrangères  de 
Paris  et  de  Québec»,  mais  pas  une  fois  on  ne  dit  à  l'Hvê- 
que  :  «votre  Séminaire».  C'était  manquer  une  excellente 
occasion  de  lui  être  agréable,  et  cela  en  toute  vérité  et 
justice.  Et  puis,  qui  lui  présente-t-on  pour  la  cure  de 
Québec,  à  la  place  de  M.  Plante,  «prêtre  de  votre  diocèse»? 
Un  prêtre  «du  diocèse  de  Rouen!»  On  dirait  que  ces 
Français,  même  après  avoir  accepté  l'agrégation  au  Sémi- 
naire diocésain,  même  après  avoir  accepté  un  bénéfice,  et 
un  bénéfice  inamovible,  dans  le  diocèse  de  Québec,  ne  se 
regardent  nullement  comme  incorporés  à  ce  diocèse,  qui 
n'est  bon  que  pour  les  Canadiens.  Ils  entendent  bien 
rester  étrangers  ici,  ils  ne  sont  à  Québec  qu'en  passant, 
pour  administrer  ce  qu'ils  appellent  «leur  Séminaire»  ^'K 

M.  de  l'Ile-Dieu,  qui  les  connaissait  bien,  puisqu'il 
demeurait  chez  eux,  écrivait,  précisément  à  cette  époque, 
à  M.  Rouillé,  qui  avait  remplacé  au  ministère  M.  de 
Maurepas  : 

«  Ils  prétendent  ne  dépendre  en  rien  de  M.  l'Evêque  de 
Québec  pour  leur  Séminaire  de  Québec  et  les  missions 
qu'ils  ont  dans  les  colonies  de  son  diocèse  13.  » 

Aussi,  M°^  de  Pontbriand  ne  se  gênera-t-il  pas,  à  son 
tour,  d'affirmer  bientôt  la  contrepartie  de  leurs  prétentions, 
en  leur  parlant  de  «  son  Séminaire.  »  Mais  avant  tout  il 
ne  veut  rien  précipiter,  il  veut  s'instruire,  il  veut  étudier 
les  pièces:  il  y  a  cinq  ans  qu'on  attend  la  nomination 
d'un  curé  en  titr.e  de  Québec,  on  attendra  bien  encore  cinq 
semaines.  Ce  n'est  donc  que  le  3  novembre  qu'il  répond 
à  la  présentation  du  Séminaire.  Voici  les  Provisions  de  la 
cure  de  Québec  pour  M.  Récher,  telles  qu'elles  se  trouvent 


12.  Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  23  mai  1751, 
dans  les  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p,  35. 

13.  Corresp.  générale,  vol.  98,  lettre  du  30  décembre  1752. 


264  l'éguse  du  canada 

dans  le  Registre  du  Chapitre  :  nous  traduisons  du  latin  : 
«  A  notre  cher  Fils  en  Jésus-Christ,  maître  Jean-Félix 
Récher,  prêtre  du  diocèse  de  Rouen,  l'un  des  directeurs  de 
notre  Séminaire  de  Québec,  Salut  et  Bénédiction. 

a  Après  avoir  pris  connaissance  de  la  lettre  de  présenta- 
tion de  votre  personne  pour  la  Cure  de  la  paroisse  de  la 
Sainte-Famille  de  Québec,  écrite  et  signée  par  les  Supé- 
rieur et  autres  Directeurs  de  notre  Séminaire,  en  présence 
des  notaires  royaux  Dulaurent  et  Boucault,  le  1^^  octobre 
1749;  après  avoir  pris  également  connaissance  de  la 
cession  de  leurs  droits  à  la  dite  Cure  que  firent  les  cha- 
noines du  Chapitre  de  Québec  le  13  novembre  1684,  et 
aussi  des  Lettres  d'union  de  la  dite  Cure  à  notre  Séminaire 
de  Québec  en  date  du  14  novembre  de  la  même  année,  et 
enfin  de  l'acte  Royal  du  mois  d'octobre  1697  confirmant 
la  dite  union  :  nous,  soupçonnant  qu'il  y  a  abus  ^*  dans  la 
dite  union  de  la  Cure  à  notre  Séminaire,  alléguée  dans  le 
cas  présent,  tant  parce  que  c'étaient  les  mêmes  personnes 
qui  renonçaient  à  leurs  droits  comme  chanoines  et  qui  les 
reprenaient  comme  directeurs  du  séminaire,  que  parce  que 
le  Curé  de  la  dite  paroisse  ne  peut  en  posséder  les  fruits  et 
les  revenus  ^^,  et  qu'il  ne  lui  est  pas  même  libre  ni  licite 
d'en  disposer  pour  faire  l'aumône  ;  nous,  pour  ces  raisons, 
et  pour  d'autres  que  nous  déduirons,  au  besoin,  avons 
déclaré  et  déclarons  que  nous  ne  tenons  aucun  compte  de 
la  dite  présentation. 

«  Nous  n'en  reconnaissons  pas  moins  dans  le  sujet  qui 
nous  est  présenté  et  nommé  un  prêtre  capable  et  bien  pro- 
pre à  administrer  avec  soin  la  dite  paroisse.  Aussi  nous 
vous  acceptons  volontiers  ;  et  connaissant  votre  capacité  et 
votre  mérite,  nous  vous  avons  conféré  et  donné,   conférons 


14.  Abusum  reperiri  siispicantes. 

15.  A  cause  de  la  désappropriation,  à  laquelle  s'engageaient  les  prêtres 
agrégés  au  Séminaire  de  Québec. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  265 

et  donnons  la  dite  Cure  de  l'Eglise  paroissiale  de  la  Sainte- 
Famille,  vacante  par  la  mort  de  Maître  Charles  Plante, 
son  dernier  possesseur,  vous  conférant  en  même  temps  par 
les  présentes  tous  les  droits,  fruits  et  émoluments  attachés 
à  la  dite  Cure. 

((  Mandons,  en  conséquence,  à  tout  prêtre  ou  notaire 
public  à  votre  disposition,  de  vous  mettre,  en  vertu  des 
présentes,  vous,  ou  votre  procureur,  en  votre  nom  et  pour 
vous,  en  possession  corporelle,  réelle  et  actuelle  de  la  dite 
Paroisse  (dont  le  titre  est  à  l'autel  érigé  sous  l'invocation  de 
la  Très-Sainte  Famille,  dans  la  partie  sud  de  notre  église 
cathédrale),  en  possession  également  de  tous  les  droits, 
fruits  et  émoluments  de  la  dite  paroisse,  et  ce  avec  les 
solennités  accoutumées,  sans  préjudice  de  notre  droit,  de 
celui  d'autrui,  et  surtout  de  celui  de  notre  Séminaire. 

«  Donné  à  Québec  sous  notre  seing  et  notre  sceau  et  la 
signature  de  notre  secrétaire  ordinaire  le  3  novembre  1749, 
en  présence  des  témoins  soussignés,  (signé)  f  H. -M., 
Evêque  de  Québec,  Pocqueleau,  prêtre,  M.  Guignas,  S.  J. 
Par  mandement  de  Plllme  et  Rme  Evêque  de  Québec, 
(signé)  Briand,  secrétaire.  » 

M.  Récher,  l'un  des  directeurs  du  Séminaire,  étaij.  donc 
curé  de  Québec,  mais  sans  aucun  égard  à  la  présentation 
du  Séminaire,  uniquement  par  la  volonté  et  la  nomination 
de  l'Evêque.  Nous  avons  vu  qu'en  pareil  cas  M.  de  La- 
tour  avait  cru  devoir  refuser  le  bénéfice,  pour  ne  pas  com- 
promettre le  droit  du  Séminaire  de  Québec  en  acceptant 
le  titre  épiscopal.  Cette  fois  on  jugea  plus  prudent  que 
M.  Récher  acceptât  la  Cure,  quitte  à  faire  ses  réserves  en 
faveur  du  droit  de  présentation  du  Séminaire.  Ces  ré- 
serves se  firent  solennellement  dans  l'acte  d'installation  du 
nouveau  curé,  laquelle  eut  lieu  le  lendemain  même  de  sa 
nomination.  On  ne  lira  pas  sans  intérêt  cet  acte  d'instal- 
lation de  M.  Récher  à  la  Cure  de   la  Sainte-Famille   de 


266  L'ÉGLISE    DU   CANADA 

Québec,  et  de  sa  prise  de  possession  de  l'autel  que  MS"*  de 
Pontbriand  lui  avait  indiqué  d'une  manière  si  précise, 
«  dans  la  partie  sud  de  notre  église  cathédrale  )>  : 

((  L'an  1749,  le  4  novembre,  à  onze  heures  du  matin,  en 
la  présence  de  nous  Notaires  Royaux  en  la  Prévôté  de 
Québec  résidents,  soussignés,  et  de  M.  François  Lamicq, 
prêtre,  vicaire  de  Québec,  et  Antoine  Morand,  prêtre  et 
vicaire  de  la  paroisse  de  Saint-Joseph  de  la  Pointe  de 
Lévy,  de  présent  en  cette  ville,  et  du  sieur  Jean-Henry 
Bomon,  praticien,  demeurant  en  cette  ville  ; 

«  Monsieur  Maître  Jean-Félix  Récher,  prêtre  du  diocèse 
de  Rouen,  l'un  des  directeurs  du  Séminaire  de  cette  ville, 
pourvu  de  la  Cure  de  Québec,  érigée  sous  le  titre  et  l'invo- 
cation de  la  Sainte-Famille,  vacante  par  le  décès  de  M. 
Charles  Plante,  prêtre,  ancien  chanoine  de  la  Cathédrale 
de  cette  ville,  dernier  titulaire  et  possesseur  paisible  de  la 
dite  Cure,  suivant  les  lettres  de  nomination  et  présentation 
de  MM.  les  Supérieur  et  Directeurs  du  Séminaire  des 
Missions-Etrangères  établies  en  cette  ville,  et  auxquels 
appartient  seul  le  droit  de  présenter  et  nommer  à  la  dite 
Cure  ^^  à  cause  de  l'union  qui  a  été  faite  au  dit  Sémi- 
naire, et  en  conséquence  du  titre  qui  en  a  été  accordé  par 
M^^  l'Illustrissime  et  Révérendissime  Henri-Marie  du  Breil 
de  Pontbriand,  Bvêque  de  Québec,  en  date  du  trois  du 
présent  mois,  à  nous  représenté,  le  tout  duement  scellé  et 
en  bonne  forme,  et  en  vertu  tant  des  lettres  de  nomination 
et  présentation,  que  du  titre  délivré  par  mon  dit  Seigneur 
l'Evêque,  a  été  mis  par  messire  Christophe  de  Lalane, 
prêtre,  docteur  en  théologie,  directeur  du  Séminaire  des 
Missions-Etrangères  de   Paris,  et  supérieur  du  Séminaire 


16.  C'était  aussi  l'opinion  de  M.  de  l'Orme,  avant  qu'il  fût  question  du 
Procès  :  "  La  Cure  de  Québec  est  à  la  nomination  du  Séminaire,  et  non 
de  l'Evêque."  (Lettre  à  son  frère,  ler  aoiît  1741,  citée  dans  les  Re- 
cherches historiques,  vol.  XVI,  p.  325)- 


sous   M^*"   DE   PONTBRIAND  267 

des  dites  Missions  de  cette  ville,  et  grand  vicaire  de  M^^ 
l'Evêque  de  Québec,  demeurant  au  dit  Séminaire,  et  pour 
ce  présent,  en  la  possession  corporelle,  réelle  et  actuelle  de 
la  dite  Cure,  de  ses  droits,  appartenances  et  dépendances, 
par  la  libre  entrée  en  la  dite  église,  prise  d'eau  bénite, 
prières  à  Dieu  faites  devant  l'autel  de  la  Sainte-Famillc) 
toucher  du  pupitre  des  Fonts  Baptismaux,  de  la  Chaire  à 
prêcher,  son  des  cloches,  exhibition  et  lecture  des  dites 
lettres  de  présentation,  et  nomination,  et  du  titre  de  M^^ 
l'Evêque  de  Québec,  rendu  à  mon  dit  sieur  Réclier,  lequel 
a  déclaré  qu'il  n'a  point  baisé  et  touché  le  grand  autel  par 
déférence  pour  M^^  l'Evêque,  qui  a  témoigné  ne  le  vouloir 
pas.  sans  cependant  que  cela  puisse  tirer  à  conséquence 
pour  ses  droits,  ni  ceux  de  MM.  du  Séminaire, 

«  Déclare  de  plus  qu'il  y  a  dans  le  dit  titre  des  restric- 
tions et  des  clauses  préjudiciables  aux  droite;  du  Séminaire, 
contre  lesquelles  mes  dits  sieurs  Supérieur  et  Curé  pro- 
testent au  nom  du  dit  Séminaire,  en  tant  que  de  besoin,  se 
réservant  de  se  faire  histaller  dans  la  place  affectée  au 
Curé,  dans  le  chœur,  par  MM.  les  Chanoines  de  la  Cathé- 
drale de  cette  ville,  desquelles  déclarations  et  protestations 
nous  notaires  susdits  avons  donné  acte. 

«  Laquelle  prise  de  possession  a  été  lue  à  haute  voix  par 
nous  dit  notaire,  présents  les  dits  témoins,  et  à  laquelle 
personne  ne  s'est  opposé,  dont  acte  requis  et  octroyé,  en  la 
dite  église,  les  jour  et  an  susdits,  présence  que  dit  est,  signé 
à  la  minute  des  présentes  demeurée  à  M.  Boucault,  l'un 
des  dits  notaires,  (signé)  Lalane,  prêtre,  J.-F.  Récher, 
Lamiq,  prêtre,  Morand,  prêtre,  J.-H.  Bomon,  et  de  nous 
notaires  soussignés,  avec  paraphe,  (signé)  Du  Laurent, 
Boucault.  » 

Voilà  bien  la  mentalité  de  l'époque  :  chacun  est  à  che- 
val sur  son  droit,  et  prétend  s'y  maintenir,  sans  trop  de 
bruit,  toutefois,  ni  contestations  :  ou  fait  ses  réserves,  on 


268  l'Église  du  canada 

maintient  ses  prétentions,  et  l'on  passe  outre.  L'Evêque 
ne  tient  pas  compte  de  l'union  de  la  Cure  au  Séminaire,  et 
nomme  lui-même  le  Curé:  le  Supérieur  du  Séminaire,  qui 
est  son  grand  vicaire,  s'en  vient  affirmer  «  qu'il  a  seul 
droit  de  nommer  à  la  Cure,  à  cause  de  cette  union  », 
et  personne  ne  paraît  trouver  la  chose  inconvenante. 
L'Evêque  défend  au  Curé  «  de  baiser  et  toucher  le  grand 
autel  »  :  celui-ci  s'en  abstient  «  par  déférence,  »  tout  en  se 
réservant  le  droit  de  le  faire  plus  tard,  s'il  se  présente 
quelque  occasion  plus  favorable. 

Sur  ce  point,  cependant,  l'Evêque  paraît  bien  ferme. 
Dans  une  assemblée  du  Chapitre,  il  renouvelle  la  défense 
qu'il  a  faite  au  Curé  «  de  prendre  possession  au  grand 
autel  ».  A  cette  défense  il  en  ajoute  quelques  autres  :  il  ne 
veut  pas  que  le  Curé  «  porte  l'étole  en  faisant  ses  prônes  m  ; 
il  ne  veut  pas  que  a  les  mariages  et  les  enterrements  se 
fassent  pendant  les  offices  canoniaux  »  ;  il  défend  absolu- 
ment «  de  faire  les  catéchismes  dans  la  sacristie,  d'y  écrire 
les  registres  des  Baptêmes  et  Mariages,  et  même  d'y  prépa- 
rer les  enfants  pour  la  confession  »  ;  il  ajoute  que  «  sans 
une  permission  spéciale  du  Chapitre  il  ne  sera  point  per- 
mis de  tendre  le  chœur  en  noir  >k  Puis  il  enjoint  au  Cha- 
pitre de  tenir  la  main  à  tout  ce  qu'il  vient  de  prescrire,  et 
de  ((  communiquer  à  M.  le  Curé,  de  la  part  de  l'Evêque, 
tout  ce  qui  peut  le  regarder  pour  s'y  rendre  exact  »  ^^. 

On  veut  évidemment  confiner  M.  Récher  dans  sa  cha^ 
pelle  de  la  Sainte-Famille,  «  dans  la  partie  sud  de  la  Cathé^ 
drale  ».  Il  s'y  résigne  ;  et  le  mercredi  des  Cendres,  il  fait 
l'office  paroissial  à  son  autel,  bénit  les  Cendres  et  les  dis^ 
tribue  à  ses  paroissiens,  au  grand  mécontentement  du  Cha^ 
pitre,  qui  proteste,  dans  une  de  ses  assemblées  subsé^ 
queutes,  contre  ce  que  k  s'est  avisé  »  de  faire  le  Curé,  w  au 


17.  Registre  di4  Chapitre,  assemblée  du  20  décembre  1749. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  269 

préjudice  des  droits  de  l'église  cathédrale,  et  contre  la  cou- 
tume de  tout  temps  observée  »  ^^. 

Mais  voici  la  fête  de  la  Sainte-Famille,  où  il  semble 
naturel  que  le  Curé  célèbre  soleunellemeut  la  messe  «à  son 
autel  »  paroissial.  Mais  c'ést  en  même  temps  «  la  fête 
décanale  du  Chapitre  w,  et  il  est  d'usage  que  ce  jour-là  le 
Doyen  officie  solennellement  à  l'autel  de  la  Sainte-Famille. 
Les  chanoines  sont  d'avis  que  le  Curé  «  n'y  doit  point  dire 
de  grand'messe  >k  II  ne  convient  pas  «  qu'il  entre  en 
concurrence  pour  célébrer  solennellement  à  l'une  des  cha- 
pelles de  la  cathédrale  ;  »  et  comme  (c  l'office  de  la  cathé- 
drale sert  pour  la  paroisse  »,  le  Doyen  seul  officiera  ce  jour- 
là  à  l'autel  de  la  Sainte-Famille.  Pour  arriver  sûrement 
à  cette  fin,  voici  la  conclusion  que  prend  le  Chapitre  : 

«  La  Compagnie,  tout  d'une  voix,  après  mûre  délibé- 
ration, a  donné  ordre  au  chanoine  Perreault,  «  préfet  de  la 
sacristie  »,  de  refuser  les  ornements  au  dit  sieur  Récher 
pour  célébrer  la  grand'messe  ;  et  pour  l'instruire  parfai- 
tement des  intentions  du  Chapitre  et  de  ses  ordres,  on 
remettra  au  dit  sieur  Perreault  une  copie  de  la  présente 
conclusion  capitulaire,  qu'il  remettra  lui-même  au  Curé, 
en  présence  de  témoins,  la  veille  du  dit  jour  (fête  de  la 
Sainte- Famille),  afin  qu'il  sache  les  ordres  du  Chapitré  et 
qu'il  s'y    conforme  ^^.  » 

M.  Récher  avait  été  nommé  chanoine  honoraire  le  sur- 
lendemain de  son  installation  comme  curé.  Il  y  avait 
d'abord  eu  quelque  hésitation  à  ce  sujet:  les  chanoines, 
pour  la  plupart,  ne  connaissaient  rien  des  traditions  du 
passé.  Il  avait  fallu  que  l'Kvêque,  qui  était  pourtant  aussi 
nouveau  qu'eux  au  Canada,  mais  qui  s'était  donné  la  peine 


18.  Ibid.,  assemblée  du  11  mai  1753. 

19.  Registre  du  Chapitre,  assemblée  du  11  mai  1753.  Mgr  de  Pont- 
briand  venait  justement  de  partir  pour  les  Trois-Rivières,  où  il  passa 
l'été  pour  la  reconstruction  du  monastère  des  Ursulines. 


270  I^'ÉGLISE    DU   CANADA 

d'étudier  notre  histoire,  leur  montrât  dans  les  registres  le 
précédent  de  M.  Dupré,  qui  en  pareil  cas  avait  été  nommé 
chanoine  honoraire,  pour  les  décider  à  accorder  la  même 
faveur  à  M.  Récher.  Quel  ne  fut  pas  plus  tard  leur  désap- 
pointement, lorsqu'ils  s'aperçurent  qu'en  lui  donnant  ce 
titre  ils  l'avaient  reconnu  par  là  même  comme  Curé  de 
Québec,  eux  qui  venaient  de  découvrir,  comme  nous  le 
verrons  bientôt,  que  la  Cure  de  Québec  leur  appartenait, 
et  non  pas  au  Séminaire  !  Ils  décident  alors  de  revenir 
sur  leur  décision,  et  ne  veulent  plus  le  reconnaître  comme 
chanoine  honoraire.  M.  Récher  s'en  tient  à  sa  nomina- 
tion, confirmée  par  l'Evêque.  Ils  veulent  du  moins  que 
les  chanoines  prébendes  passent  avant  lui  :  il  s'en  tient  à 
son  droit  de  préséance  suivant  la  date  de  sa  nomination  ;  et 
comme  M.  Perreault  a  été  nommé  et  installé  chanoine 
après  lui  '^^,  il  guette  le  moment  où  il  pourra  exercer  ce 
droit  de  préséance.  Ce  sera  le  dimanche  des  Rameaux  : 
plus  vif  que  M.  Perreault,  il  prend  le  pas  sur  lui,  et  va  re- 
cevoir avant  lui  son  rameau  de  la  main  de  l'Evêque.  Le 
Chapitre  proteste,  dans  une  séance  subséquente,  et  «  pour 
marquer  son  amour  de  la  paix  >•,  il  se  contente  de  «  réser- 
ver ses  droits)).  Comme  conclusion,  on  donnera  copie  de 
cette  résolution  le  plus  tôt  possible  à  M.  Récher,  «  dans 
la  sacristie,  en  la  présence  des  ecclésiastiques  assemblés  »  '^^. 

* 
*      * 

On  était  entré  dans  l'ère  des  réserves,  et  elle  devait 
durer  jusqu'à  la  Conquête  :  le  Séminaire  fait  ses  réserves  ; 
le   Chapitre  fait   les   siennes  ;    l'Evêque    également.     On 


20.  Nomination  de  Joseph-François  Perreault,  le  13  décembre  1750, 
"  en  la  Chambre  du  Chapitre,  au-dessus  de  la  sacristie  de  l'église  cathé- 
drale de  Québec";  installation  le  samedi  19  décembre. 

21.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  7  mars  1751. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  2/1 

invite  toujours  le  Prélat  à  liouorer  de  sa  présence  la  séance 
de  clôture  du  Chapitre  général  qui  se  tient  chaque  année 
et  dure  deux  ou  trois  mois.  Il  s'y  rend,  sans  y  manquer 
autant  que  possible,  prend  connaissance  de  toutes  les  déli- 
bérations du  Chapitre,  et  les  sanctionne;  mais  il  est  rare 
qu'il  leur  donne  son  approbation  sans  faire  beaucoup  de 
réserves.  On  aimera  peut-être  à  en  avoir  un  exemple  : 
nous  le  prenons  au  hasard  dans  le  Registre  du  Chapitre, 
à  la  date  du  4  décembre  1755: 

a  Le  4  décembre  1755,  après  avoir  observé  ce  qui  est 
d'usage  pour  la  clôture  du  Chapitre  général,  M^^'  l'Evêque 
s'est  rendu  à  la  Chambre  ordinaire,  où  se  sont  trouvés  M. 
de  Tonnancour,  théologal  ^''^,  MM.  Poulin,  Briand,  Gaillard, 
Perreault,  Resche,  Rigauville,  Cugnet  et  Saint-Onge,  cha- 
noines, (M.  de  La  Corne,  doyen/  et  M.  Hazeur,  grand 
chantre,  à  Paris,  pour  affaires  du  Chapitre,  M,  de  Miniac, 
archidiacre,  en  France,  à  raison  de  maladie,  et  M.  lîazeur, 
grand  pénitencier,  à  l'HôpitalGénéral,  pour  la  m.ême 
raison)  -^ 

((  Après  les  prières  ordinaires.  Sa  Grandeur  a  pris  lecture 
des  délibérations  de  Tautre  part  depuis  le  10  décembre 
1753,  et  a  déclaré  qu'il  ne  pouvait  pas  les  approuver, 
qu'avec  les  réserves  qu'il  a  faites  dans  les  autres  Chapitres 
généraux  ;  spécialement,  qu'il  ne  pouvait  approuver  le 
retranchement  des  Chantres  2*  ;  spécialement  encore  sur 
des  innovations  qui  ont  été  faites  par  M.  Perreault  dans  la 


22.  Il  venait  de  remplacer  comme  théologal  M.  de  La  Ville-Angevin, 
décédé  le  16  novembre  1753. 

23.  En  comptant  les  absents,  le  Chapitre  était  donc  complet,  à  cette 
date  (1755). 

24-  Il  y  avait  une  prébende  de  chanoine  qui  était  affectée  au  paiement 
des  chantres  et  des  enfants  de  chœur.  En  retranchant  les  chantres,  les 
chanoines  augmentaient  d'autant  leur  pitance  ;  mais  comme  ces  chantres 
et  les  enfants  de  chœur  n'étaient  autres  que  des  écoliers  et  des  ecclé- 
siastiques, l'Evêque  tenait  à  les  garder,  afin  de  leur  aider  à  payer  leur 
pension  au  Séminaire.  De  là  bien  des  contestations  entre  le  Prélat  et 
son  Chapitre. 


ÎT^ 


'272  J^' EGLISE   DU   CANADA 

prise  de  possession  du  Doyenné  pour  M.  de  La  Corne  ^, 
lesquelles  réserves  sont  sauf  les  droits  du  dit  Chapitre,  et 
ne  sont  que  pour  empêcher  la  prescription,  sauf  à  un  cha- 
cun de  faire  valoir  ses  droits,  quand  il  le  jugera  à  propos, 
et  à  prouver  qu'il  n'y  a  point  d'innovation. 

«  Et  après  lecture  faite  des  susdites  réserves  de  M°^ 
.l'Evêque,  le  Chapitre  a  déclaré  qu'en  signant  la  clôture 
du  Chapitre  général,  il  n'entendait  point  approuver  les 
dites  réserves,  et  qu'au  contraire  il  se  réservait  tous  ses 
droits,  prétendant  que  les  nommées  innovations  ne  l'é- 
taient point  ^^,  et  qu'il  n'était  point  obligé  d'avoir  des 
Chantres  ^l 

((  Et  à  l'instant,  M^'"  l'Evêque  a  déclaré  qu'il  laissait  au 
Chapitre  la  liberté  de  faire  valoir  ses  droits. 

«  M^  l'Evêque  a  déclaré  qu'il  donnait  les  chapes  faites 
en  1750,  et  les  tableaux  qu'il  a  fait  poser  dans  le  chœur,  à 
l'église  cathédrale. 

«  Et  en  cas  que,  par  événement^  on  fît  une  séparation 
d'ofi&ce,  on  se  servira  des  dites  chapes;  et  à  l'égard  des 
tableaux,  ils  demeureront  où  ils  sont  placés. 

«  Fait  et  arrêté  dans  l'assemblée  capitulaire  les  dits  jours 
et  an  que  dessus,  (signé)  H.-M.,  Evêque  de  Québec, 
Tonnancour,  théologal,  Poulin,  Briand,  Perreault,  Resche, 
Rigauville,  Cugnet,  Saint-Onge,  Gaillard,  secrétaire.  » 

Ainsi  l'Evêque  fait  ses  réserves,   le    Chapitre   fait   les 


25.  Le  Chapitre  était  en  procès  avec  le  Séminaire  pour  la  possession 
de  la  Cure  de  Québec.  Le  chanoine  Perreault,  prenant  possession, 
comme  procureur,  du  Doyenné  de  M.  de  La  Corne,  dans  l'automne  de 
1755,  s'était  permis  en  même  temps  de  faire  la  cérémonie  de  la  prise  de 
possession  de  la  Cure  par  M.  de  La  Corne,  comme  si  le  Chapitre  avait 
déjà  gagné  son  procès!  C'est  contre  cette  "innovation"  que  protestait 
Mgr  de  Pontbriand. 

26.  Ceci  était  faux.  Le  dernier  acte  de  prise  de  possession  du  Doyenné 
était  celui  de  M.  de  Lotbinière,  le  14  septembre  1738;  or,  rien  dans  cet 
acte  de  semblable  à  celui  de  M.  Perreault. 

27.  Les  Chantres  remplaçaient  les  Chapelains;  or  les  Chapelains 
étaient  dans  l'institution  du  Chapitre. 


sous   M*^^   DE   PONTBRIAND  273 

siennes,  et  maintient  ses  prétentions.  Tout  cela  nous  paraît 
aujourd'hui  bien  singulier,  mais  c'était  la  mentalité  de 
l'époque  :  cela  paraissait  à  tous  chose  naturelle,  et  sans 
conséquence  pour  le  maintien  de  la  paix.  L'Hvêque  garde 
si  peu  de  ressentiment  contre  son  Chapitre,  que  dans  la 
même  séance  capitulaire  il  abandonne  généreusement  à 
son  église  les  chapes  et  les  tableaux  qu'il  a  fait  faire  à  ses 
propres  frais. 

Nous  avons  signalé  plus  haut  les  réserves  que  le  Sémi- 
naire avait  cru  devoir  faire,  lui  aussi,  lors  de  l'installation 
de  M.  Récher,  en  faveur  du  droit  de  nommer  à  la  Cure  de 
Québec,  qui  lui  était  contesté  par  l'Bvêque.  Il  nous  reste, 
avant  de  clore  ce  chapitre,  à  raconter  un  autre  incident, 
oii  il  se  crut  obligé  de  faire  également  ses  réserves  et  ses 
protestations.  Nous  voulons  parler  de  la  Bénédiction  de 
la  Chapelle  extérieure  qu'il  venait  de  faire  construire  en 
conformité  des  volontés  de  M^^  de  Laval. 

La  construction  de  cette  chapelle  était  un  acte  de  justice, 
pour  l'acquit  d'une  obligation  contractée  par  le  séminaire 
envers  son  pieux  fondateur,  qui  lui  avait  fourni  une  somme 
nécessaire  pour  se  libérer  d'une  dette,  à  condition  de  bâtir 
cette  chapelle.  La  chapelle  avait  été  construite,  mais 
elle  avait  brûlé  en  1701,  et  il  fallait  la  reconstruire  pour 
remplir  les  intentions  de  M^^  de  Laval. 

Dans  l'acte,  écrit  de  sa  main,  par  lequel  M^"*  de  Laval 
exigeait  la  construction  de  cette  chapelle,  il  disait  expres- 
sément : 

(c  Nous  voulons  que  la  dite  chapelle  soit  ouverte  à  tous  les 
fidèles  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  pour  y  faire  leurs  prières, 
afin  que  Notre-Seigneur  nous  ayant  fait,  comme  je  l'es. 
père,  miséricorde,  nous  puissions  y  participer,  et  qu'ils 
puissent  jouir  de  la  consolation  et  bénédiction  d'assister  et 

18 


274  l'église  du  canada 

avoir  part  à  toutes  les  prières  et  divins  offices  qui  se  feront 
dans  la  dite  chapelle  par  les  prêtres  du  dit  Séminaire  des 
Missions-Etrangères,  auquel,  pour  cet  effet,  nous  donnons, 
par  ce  présent  écrit,  tout  le  pouvoir  et  permission  qui  lui 
peut  être  nécessaire,  et  autant  que  besoin  serait,  de  faire 
bâtir  et  construire  la  dite  chapelle  et  d'y  célébrer  tous  les 
jours  à  perpétuité  la  sainte  messe,  de  prêcher,  catéchiser  et 
confesser,  d'y  faire  tout  l'ofii;:e  divin,  et  généralement  d'y 
exercer  toutes  les  fonctions  qui  sont  propres  à  l'institut  du 
Séminaire  des  Missions-Etrangères  "^.  » 

La  reconstruction  de  la  chapelle  incendiée  en  1701, 
commencée  du  temps  de  M.  de  Lalane,  avait  été  continuée 
après  son  départ  pour  la  France  dans  l'automne  de  1750; 
et  l'édifice  fut  prêt  à  bénir  an  mois  de  décembre  1752, 
c'est-à-dire  l'année  même  du  Jubilé  de  l'année  sainte  au 
Canada.  Par  déférence,  et  sans  se  prévaloir  de  l'autorisa- 
tion donnée  autrefois  par  M^^  de  Laval,  M.  de  Villars,  qui 
avait  remplacé  M.  de  Lalane  comme  supérieur  du  Sémi- 
naire, alla  trouver  M^  de  Pontbriand  pour  avoir  la  per- 
mission d'y  dire  la  messe  et  d'y  garder  le  Saint-Sacrement. 
Citons  ici  cette  permission,  telle  qu'elle  se  trouve  inscrite 
dans  l'Histoire  du  Séminaire  par  M^'  Taschereau  : 

«  Nous,  Henri-Marie  du  Breil  de  Pontbriand,  évêque  de 
Québec. 

«  Sur  ce  que  le  sieur  de  Villars,  supérieur  de  notre  Sémi- 
naire épiscopal,  nous  a  représenté  que  le  Séminaire  avait 
fait  bâtir  une  chapelle  assez  décente  ^^  pour  y  célébrer  la 
sainte  messe  ;  quoiqu'il  fût  à  souhaiter  que  les  prêtres  du 


28.  Archives  du  Sém.  de  Québec,  Pièce  autographe  de  Mgr  de  Laval, 
6  octobre  1684.  Voir  cette  pièce  dans  l'Appendice,  No.  i. 

29.  C'est,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  la  chapelle  (incendiée  en 
1865)  que  nous  avons  connue,  et  que  nous  aimions  tant  dans  sa  char- 
mante simplicité.  Nous  entendions  (les  pensionnaires)  la  messe  dans  le 
jubé  de  cette  chapelle,  les  externes  dans  la  nef. 


sous   M^""   DE    PONTBRIAND  275 

Séminaire  fournissent  deux  messes  à  l'Hôtel-Dieu,  autant 
aux  Ursulines,  et  même  nombre  à  la  Basse- Ville  ;  per- 
suadé qu'ils  le  feront  autant  qu'ils  le  pourront,  et  voulant 
d'ailleurs,  autant  qu'il  est  en  nous,  empêcher  nos  Sémina- 
ristes, tant  du  grand  que  du  petit  Séminaire,  de  sortir, 
même  pour  entendre  la  sainte  messe,  quoique  fort  près  de 
notre  église  cathédrale,  nous  avons  permis  et  permettons, 
en  considération  des  dits  séminaristes  et  des  directeurs 
infirmes,  au  dit  sieur  de  Villars,  de  bénir  la  dite  chapelle, 
et  permettons  d'y  dire  la  messe  :  jamais  pendant  l'office 
paroissial  ou  cathédral.  La  dite  permission  de  dire  la 
messe  sera  révocable  ad  nutum  :  principalement  dans  les 
cas  où  nous  jugerions  nécessaire  que  les  dits  prêtres 
allassent  dire  la  messe  autre  part. 

«  Et  sur  ce  que  le  dit  sieur  Je  Villars  nous  a  aussi  repré- 
senté que,  pour  la  communion  des  séminaristes  et  pour 
leur  donner  la  facilité  d'aller  adorer  le  Très  Saint  Sacre- 
ment, il  serait  convenable  de  le  conserver  dans  la  dite 
chapelle,  nous  y  avons  consenti  et  consentons  par  ces  pré- 
sentes, pareillement  jusqu'à  révocation,  d'y  conserv^er  le 
Très  Saint  Sacrement,  sans  cependant  l'exposer,  à  moins 
d'une  permission  spéciale. 

((  Donné  à  Québec  le  6  décembre  1752.  » 

«  Au  bas  de  cet  acte,  ajoute  M^^  Taschereau,  on  trouve 
la  protestation  suivante,  écrite  et  signée  par  M.  de  Villars  : 

((  Je  soussigné,  prêtre,  supérieur  du  Séminaire  des  Mis- 
sions-Etrangères établi  à  Québec,  reconnais  avoir  demandé 
à  M^  de  Pontbriand,  évêque  de  Québec,  de  vouloir  bénir 
ou  faire  bénir  la  Chapelle  du  dit  Séminaire  nouvellement 
construite.  Mais  ayant  trouvé  dans  la  dite  permission  ac- 
cordée les  jour  et  an  portés  dans  l'acte  ci-dessus,  plusieurs 
expressions  et  choses  contraires  aux  droits  du  susdit  Sémi- 
naire des  Missions-Etrangères,  et  à  la  permission  expresse 
donnée  à  perpétuité  par  M^^  François  de  Laval,  en  date 


276 


L^ÊGUSE   DU  CANADA 


du  6  octobre  1684,  et  reconnue  par  Genaple,  notaire,  le  3 
novembre  1693,  pour  l'érection  d'une  chapelle  au  dit  Sémi- 
naire, j'ai  protesté  et  je  proteste  par  les  présentes  contre 
les  clauses  contenues  dans  la  susdite  permission  donnée 
par  M^  de  Pontbriand,  en  tant  qu'elle  est  contraire  aux 
droits  du  dit  Séminaire  des  Missions-Btrano^ères  ^^.  » 


30.  Histoire  manuscrite  du  Sém.  de  Québec,  p.  937.  —  "  La  sacristie, 
ajoute  Mgr  Taschereau,  était  alors,  selon  l'ancienne  coutume,  comprise 
dans  le  corps  même  de  la  chapelle.  Six  ans  plus  tard  (1758),  M.  Jacrau 
fut  chargé  d'examiner  le  terrain  au  nord  de  la  chapelle  et  de  dresser 
un  plan  pour  une  sacristie  extérieure.  Cela  ne  fut  exécuté  qu'en  1764, 
lorsque  cette  chapelle,  devenue  paroissiale  par  l'incendie  de  la  Cathé- 
drale en  1759,  eut  besoin  d'être  agrandie  autant  que  possible  pour  con- 
tenir tous  les  fidèles. 

"  Les  chapelles  latérales  furent  construites  beaucoup  plus  tard.  Celle 
de  Saint-Jean-Baptiste  a  été  construite  de  fond  en  comble  et  ornée  par 
Mgr  Briand  qui  paya  encore  la  boiserie  du  chœur. . . 

"  M.  Jacrau  obtint  en  1766,  pendant  un  voyage  à  Paris,  trois  indul- 
gences plénières  pour  le  Séminaire,  aux  jours  que  l'Evêque  fixerait. 
(Lettre  du  Card.  Pamphili  à  M.  Jacrau,  24  décembre  1766)." 


CHAPITRE  XXIII 


LE   CHAPITRE   REVENDIQUE   LA   CURE   DE   QUÉBEC.  — 

PROCÈS  AVEC  LE  SÉMINAIRE  :    k  QUÉBEC, 

d'abord  ;    À  PARIS  ENSUITE 

Rupture  entre  le  Chapitre  et  le  Séminaire.  —  Origine  du  Procès.  —  On 
étudie  les  archives.  —  Avis  de  l'Evêque  aux  Chanoines.  —  Son 
attitude  par  rapport  au  Procès.  —  Requête  du  Chapitre  au  Conseil 
Supérieur.  —  Incident  La  Ville-Angevin.  —  Mgr  de  Pontbriand  et 
son  Théologal.  —  Jugement  de  l'affaire  Récher.  —  Rapports  de 
l'Evêque  avec  son  Chapitre.  —  L'affaire  du  Procès,  évoquée  en 
France.  —  Prétentions  outrées  du  Chapitre  ;  sa  maladresse.  —  Com- 
paraison entre  De  l'Orme  et  La  Corne.  —  Les  agissements  de  La 
Corne  à  Paris. — Habileté  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères. — 
La  Corne,  plus  heureux  que  le  Chapitre. 

LE  lecteur  se  rappelle  l'échange  de  bons  procédés  qu'il  y 
avait  eu  entre  le  Chapitre  et  le  Séminaire  de  Québec 
lors  des  funérailles  de  M.  Vallier,  au  commencement  de 
1747.  Les  relations  étaient  encore  cordiales  l'année  sui- 
vante :  les  chanoines  invitaient  M.  de  Lalane  à  se  mettre 
au  chœur  avec  eux  en  habit  canonial  ;  l'un  d'eux,  M.  Pou- 
lin,  qui  faisait  les  fonctions  de  vicaire  à  la  cathédrale,  pen- 
sionnait au  Séminaire  ;  enfin,  ils  venaient  de  nommer  le 
curé  Récher  chanoine  honoraire.  Mais  bientôt  la  rupture 
se  fait  entre  le  Séminaire  et  le  Chapitre  ;  on  passe  presque 
sans  transition  de  la  bienveillance  à  la  froideur,  puis  aux 
mauvais  procédés,  puis  enfin  aux  plus  âpres  récrimina- 
tions : 

«  Les  chanoines  ont  été  trompés  par   les   messieurs  du 


278  l'éguse  du  canada 

Séminaire,  qui  conduisent  tout  selon  leurs  vues  de  tout 
avoir  et  de  tout  gouverner,  »  écrit  M.  Perreault,  nouvel- 
lement entré  au  Chapitre  \ 

«  Ils  nous  ont  enlevé  et  la  cure  et  notre  propre  église, 
écrivent  les  chanoines  ;  il  nous  faut  l'emplacement  entier 
du  presbytère  'K  » 

Le  Chapitre  ne  ménage  pas  les  anciens  évêques  : 

«  Il  y  a  eu,  dit-il,  des  abus  visibles  commis  par  les 
Seigneurs  Evêques  de  Québec  3.  » 

Avec  une  maladresse  incroyable,  il  ne  ménage  pas  même 
M^""  de  Pontbriand  : 

((  Il  prétend  être  maître  de  tout,  écrit  M.  de  La  Ville- 
Angevin.  . .  Il  a  à  cœur  d'humilier  le  chapitre. . .  S'il 
veut  nous  embarrasser  davantage,  je  crois  qu'il  serait  bon 
de  l'embarrasser  lui-même  et  les  marguilliers  ^  » 

Grâce  au  dévouement  inlassable  de  l'Evêque,  à  la  géné- 
rosité du  clergé  et  de  tout  le  diocèse,  on  a  une  magnifique 
cathédrale,  éclatante  de  blancheur,  avec  un  choeur  superbe, 
orné  de  dorures  et  de  beaux  tableaux  donnés  par  le  Prélat 
lui-même  ;  on  a  une  belle  sacristie,  bien  pourvue  de  tous 
les  ornements  nécessaires  au  culte,  et  au-dessus  une 
chambre  très  commode  pour  les  assemblées  capitulaires  ; 
le  service  divin  se  fait  à  la  perfection  dans  la  cathédrale, 
avec  le  concours  des  élèves  du  grand  et  du  petit  Sémi- 
naire :  et  l'on  n'est  pas  content  !  .  .  .  Peut-on  l'être  jamais 
parfaitement  en  ce  monde?  Le  démon  de  la  chicane  a 
fouetté  les  imaginations,  évoqué  des  chimères,  et  semé 
mille  exigences  dans  les  esprits. 

L'orif^^ine  de  tout  cela,  c'est  la  lettre  de  nomination  de 


1.  Recherches  historiques,  vol    XIV,  p.  260. 

2.  Ibid.,  p.  269. 

3.  Ibid.,   vol.  XIV,  p.  269. 

4.  Ibid.,  p.  362,  364. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  279 

M.  Récher  à  la  Cure  de  Québec,  dans  laquelle  l'Evêque 
déclare  qu'il  ne  tient  nul  compte  de  la  présentation  du 
Séminaire,  parce  qu'il  a  des  doutes  sur  la  validité  de 
l'union  de  la  Cure  au  Séminaire,  les  chanoines  de  1684 
n'ayant  cédé  leurs  droits  à  cette  Cure  que  pour  les 
reprendre  comme  directeurs  de  cette  institution,  leur  démis- 
sion, par  conséquent,  n'étant,  selon  lui,  ni  sincère,  ni  véri- 
table. 

Voilà  l'inconvénient  de  trop  remuer  le  passé  et  de  s'at- 
tarder à  regarder  en  arrière  ! 

«  Nos  prédécesseurs,  concluent  les  chanoines,  n'avaient 
donc  pas  droit  de  se  démettre  ainsi  de  la  Cure  au  détri- 
ment de  leurs  successeurs  ;  cette  démission  doit  être  regar- 
dée comme  non  avenue,  la  Cure  nous  appartient,  c'est  à 
nous  à  l'administrer  et  à  en  percevoir  les  revenus.  » 

Il  n'y  a  qu'une  chose  qui  leur  fait  défaut,  mais  une  chose 
bien  importante  :  la  possession,  qui  est  contre  eux  depuis 
plus  de  soixante  ans  ! 

L'Evêque,  qui  a  constaté  leur  ignorance  des  archives, 
à  l'occasion  de  la  nomination  de  M.  Récher  comme  cha- 
noine honoraire,  les  engage  à  en  prendre  connaissance,  à 
parcourir  les  titres  et  les  documents  de  l'église  cathédrale, 
à  les  mettre  en  ordre  ;  et  il  ordonne  tout  spécialement  à 
M.  de  La  Ville-Angevin  de  le  faire,  «  d'examiner  les  pa- 
piers et  titres  concernant  les  droits  du  Chapitre  pour  s'ins- 
truire à  fond  des  obligations  et  droits  du  dit  Chapitre  »  ^ 

Voilà  donc  M.  de  La  Ville-Angevin  avec  ses  collègues 
de  Tonnancour  et  Gaillard,  dans  les  papiers  du  Chapitre, 
de  la  Fabrique  et  de  l'église  cathédrale.  La  bulle  de 
1674,  érigeant  le  diocèse  de  Québec,  qu'ils  n'ont  en- 
core jamais  lue,  les  frappe  d'une  manière  toute  spéciale. 
L'Evêque  l'interprète  à  sa  manière  ;  eux  lui  donnent  une 

5.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  29  décembre  1749. 


28o  L*ÉGLISE   DU   CANADA 

interprétatiou  différente  :  ils  y  voient  la  confirmation  de 
toutes  leurs  prétentions  :  la  Cure  leur  appartient,  c'est  à 
eux  qu'a  été  confié  par  le  Saint-Siège  le  soin  des  âmes  ; 
l'église,  avec  tout  le  terrain  qui  l'entoure,  leur  appartient  ; 
la  paroisse  a  été  «  supprimée  »,  il  n'y  en  a  plus  ;  ils  ont 
même  un  droit  d'expropriation  pour  tous  les  terrains  avoi- 
sinant  l'église  dont  ils  auraient  besoin  pour  y  construire 
les  logements  des  chanoines  ^. 

Et  voilà  qu'ils  apprennent  que  les  marguilliers  sont  sur 
le  point  de  construire  un  presbytère  pour  le  Curé,  un  pres- 
bytère sur  leur  propre  terrain  à  eux  chanoines  !  C'est  le 
temps,  ou  jamais,  pour  le  Chapitre  de  faire  valoir  ses  droits. 
Il  faut,  de  toute  nécessité,  qu'il  s'oppose  à  la  construction 
de  ce  presbytère  sur  un  terrain  qui  lui  appartient.  C'est 
le  temps,  ou  jamais,  de  réclamer  la  Cure  et  toutes  ses 
dépendances.  La  question  fait  l'objet  des  délibérations  du 
Chapitre  dans  cinq  séances  consécutives,  du  12  janvier  au 
27  février  1750.  Ils  ne  sont  que  six  chanoines:  le  Théo- 
logal, M.  de  La  Ville-Angevin,  qui  préside  les  assemblées, 
en  l'absence  du  Doyen,  attendu  dans  le  cours  de  l'au- 
tomne '^,  et  MM.  de  Tonnancour,  Poulin,  Briand,  de  La 
Corne  et  Gaillard  ;  les  autres  sont  en  France  ou  ailleurs 
par  maladie  ou  pour  d'autres  raisons  :  mais  à  chaque 
séance  les  six  sont  «  unanimes  »  h  adopter  la  résolution  d'en 
appeler  au  Conseil  Supérieur  pour  la  revendication  de  tous 
les  droits  du  Chapitre.  L'Evêque  en  est  averti,  et  M.  de 
Tonnancour  chargé  de  préparer  la  requête  au  Conseil  ^. 

M^^  de  Pontbriand  est  d'autant  plus  désolé  de  voir  la 
tournure  que  prennent  les  choses  et  l'agitation  qui  se  pré- 
pare dans  son  Eglise,  qu'il  se  reproche  un  peu  d'en  être 


6.  Ceci  n'est  que  le  résumé  d'un  de  leurs  Mémoires  à  la  Cour, 

7.  Cabanac-Lajonquière  avait  été  nommé  le  23  novembre  précédent 
par  la  Cour. 

8.  Registre  du  Chapitre. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  28 1 

indirectement  la  cause.  S'il  n'avait  pas  engagé  ses  cha- 
Moines  à  fouiller  les  archives,  à  goûter  de  ce  fruit  qui 
donne  la  connaissance  du  bien  et  du  mal  !. .  .  Ces  vieux 
papiers  ont  besoin  d'être  lus  avec  tact,  avec  intelligence, 
avec  sagesse,  et  toujours  à  la  lumière  de  la  tradition  et  des 
enseignements  du  passé ...  Il  faut  tout  contrôler  et  expli- 
quer par  le  besoin  des  circonstances  et  les  mœurs  de 
Pépoque.  Il  ne  faut  pas  se  contenter  de  voir  la  lettre  des 
documents,  il  faut  avoir  égard  à  l'esprit  qui  les  a  dictés. 

On  a  prétendu  que  le  Prélat  n'avait  qu'un  mot  à  dire» 
il  n'avait  qu'à  se  rendre  à  la  Cour,  où  il  avait  beaucoup 
d'influence,  pour  faire  décider  immédiatement  la  question 
dans  le  sens  qu'il  aurait  désiré.  La  chose  est  possible  ; 
mais  il  était  trop  juste,  il  avait  trop  le  sens  de  l'équité 
pour  le  faire.  Si  le  droit  était  d'un  côté,  il  n'était  pas  de 
l'autre  ;  et  il  n'était  pas  homme  à  vouloir  faire  pencher  la 
balance  peut-être  du  mauvais  côté  par  le  poids  de  son  auto- 
rité et  de  son  influence.  Il  était  donc  bien  aise  que  la 
question  se  décidât  une  fois  pour  tontes  suivant  la  justice 
et  l'équité  ;  mais  il  voulait  avant  tout  que  l'on  procédât 
sans  bruit,  à  l'amiable,  sans  blesser  les  règles  de  la  charité. 
Voilà  pourquoi  il  donne  de  sages  avis  à  ses  chanoines  à 
plusieurs  reprises,  mais  surtout  en  les  réunissant  expressé- 
ment pour  cela  le  17  février,  à  six  heures  du  soir,  au  Palais 
épiscopal  ^^  : 

«  Je  vous  offre  ma  maison  comme  un  terrain  neutre,  leur 
dit-il  ;  venez  ici  avec  les  directeurs  du  Séminaire,  et  tâchez 
de  vous  entendre  pour  arriver  à  un  règlement  équitable  et 
définitif.  Ou  bien,  consultez  en  France  trois  des  meilleurs 
avocats,  avant  d'entreprendre  la  moindre  procédure,  et 
faites  régler  vos  difficultés  par  arbitrage.  Ou  bien  encore, 
demandez   au   Roi  des  commissaires,   qui    entendent    vos 


10.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  Corresp.  de  Mgr  de  Pontbriand. 


282  VtGLlSn   DU   CANADA 

raisons  de  part  et  d'autre,  étudient  soigneusement  la 
question  et  la  règlent,  sans  que  l'Eglise  de  Québec  soit  le 
théâtre  d'un  procès  scandaleux  »  ^^ 

Le  Séminaire  de  Québec  acceptait  volontiers  n'importe 
lequel  de  ces  avis.  Le  Chapitre,  au  contraire,  les  rejetait 
tous  l'un  après  l'autre  ^'\  et  tenait  d'autant  plus  à  sa  déci- 
sion d'en  appeler  au  Conseil  Supérieur,  qu'il  soupçonnait 
l'Evêque  de  lui  être  opposé. 

L'était-il,  en  effet?  Il  est  certain  que  M^^  de  Pont- 
briand  était  décidé,  s'il  y  avait  procès,  à  intervenir  ;  et  il 
en  avertit  franchement  les  chanoines  : 

«  Je  me  trouverai  nécessairement  et  malgré  moi  impli- 
pliqué  dans  cette  discussion,  dit-il,  parce  que  je  sais  que 
vous  prétendez  acquérir  le  droit  de  nommer  à  la  Cure  13.  » 

Or  sur  ce  point,  de  nommer  à  la  Cure  de  Québec,  son 
opinion  était  bien  arrêtée  :  il  voulait,  puisque  la  chose 
n'était  pas  clairement  définie,  assurer  ce  droit  à  l'Evêque, 
que  ce  fût  le  Séminaire,  ou  que  ce  fût  le  Chapitre  qui 
gagnât  le  Procès.  Il  ne  voulait  pas  intervenir  pour  faire 
pencher  la  balance  d'un  côté  plutôt  que  de  l'autre  ;  mais 
si  le  Séminaire  gardait  la  cure,  il  voulait  que  ce  fût 
l'Evêque  qui  choisît  parmi  les  prêtres  de  l'institution  et 
nommât  le  Curé,  comme  il  avait  fait  pour  M.  Récher  ;  et 
également  si  le  Chapitre  gagnait  sa  cause,  il  voulait  que 
l'Evêque  pût  faire  son  choix  lui-même  parmi  les  chanoines 
et  nommer  curé  eu  titre  l'homme  de  son  choix  : 

«  Dès  que  l'Evêque  connut,  dit-il  dans  un  de  ses  mé- 
moires, que  le  Chapitre  voulait  desservir  la  paroisse  ad 
turiium^  ou  ne  nommer  qu'un  vicaire  amovible,  ou  s'il  en 
nommait  un  perpétuel,  qu'il  serait  en  même  temps  cha- 


11.  Registre  du  Chapitre. 

12.  Registre  du  Chapitre,  séances  des  23  et  2^  février  1750. 

13.  Ibid.,  dans  le  deuxième  avis  de  Mgr  de  Pontbriand. 


sous   M^**   DE    PONTBRIAND  283 

noine,  qu'on  ne  lui  donnerait  qu'une  très  médiocre  partie 
des  dîmes  et  du  casuel,  qu'on  ne  donnerait  aux  vicaires 
que  certains  honoraires,  alors  l'Evêque  de  Québec  a  cru, 
pour  l'intérêt  de  son  siège,  devoir  intervenir,  et  sans  vou- 
loir entrer  dans  le  fond  des  contestations  respectives,  il  a 
conclu  seulement  que  dans  le  cas  où  Ton  ôterait  au  Sémi- 
naire la  Cure,  il  fût  ordonné  que  lui  et  ses  successeurs 
évêques  pourraient  choisir  un  des  membres  de  l'église 
cathédrale  pour  être  par  eux  institué,  en  la  forme  ordi- 
naire, curé  de  la  paroisse  ;  lequel  jouirait  des  dîmes  et  du 
casuel,  et  ne  pourrait  être  que  chanoine  honoraire,  à  qui 
les  évêques  donneraient  des  vicaires  suivant  l'exigence  des 
cas  ^*.  » 

Les  chanoines  convoitaient  la  Cure  pour  grossir  leur 
prébende  :  ce  que  l'Evêque,  évidemment,  ne  jugeait  pas 
nécessaire  ^^,  d'après  le  passage  de  son  mémoire  que  nous 
venons  de  citer.  Ses  sympathies,  sous  ce  rapport,  étaient 
plutôt  pour  le  Séminaire,  parce  qu'il  savait  que  là  le 
revenu  de  la  Cure  retournait  tout  simplement  à  l'œuvre  de 
l'institution,  c'est-à  dire  au  profit  de  ses  chers  ecclésias- 
tiques et  écoliers,  auxquels  il  paraît  avoir  toujours  montré 
le  plus  vif  intérêt,  car  ils  étaient  l'espoir  de  son  clergé  et 
de  son  Eglise  : 

«  On  attaque  le  Séminaire  directement,  dit-il  au  Cha- 
pitre ^^,  et  on  lui  enlève  une  Cure  qui  peut  devenir  consi- 
dérable, et  le  mettre  en  état  d'élever  gratuitement  un 
grand  nombre  de  jeunes  gens  ;  et  même  par  le  moyen  de 
l'union  qui  subsiste  aujourd'hui,  les  Séminaristes  sont  en 


14.  Cité  par  l'auteur  de  l'Histoire  manuscrite  du  Séminaire. 

15.  A  la  date  où  nous  sommes,  la  prébende  de  chaque  chanoine  était 
rendue  à  887  livres.  (Lettre  du  Chapitre  à  M.  de  l'Orme,  5  septembre 
1750,  citée  dans  les  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  270). 

16.  Registre  du  Chapitre,  dans  le  deuxième  avis  de  Mgr  de  Pont- 
briand. 


284  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

lieu  de  se  former  aux  fonctions  curiales:  deux  avantages 
qui  ne  se  trouveront  point  si  l'on  prive  le  Séminaire  de  la 
Cure.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  de  Tonnancour  prépara  sa  Re 
quête  au  Conseil  Supérieur,  en  conformité  de  la  décision 
du  Chapitre  du  27  février,  et  la  lut  à  ses  confrères  dans 
leur  séance  du  18  mars.  Le  Chapitre  l'approuva,  et  «pour 
faire  voir  son  respect  pour  M^-  l'Evêque  et  son  estime 
pour  MM.  du  Séminaire  »,  décida  «  de  la  leur  communi- 
quer pour  deux  jours»,  puis  de  l'envoyer  au  Conseil  Supé- 
rieur. On  décida  aussi  qu'il  était  à  propos  de  rendre  visite 
à  l'évêque,  au  gouverneur,  à  l'intendant  et  à  MM.  du  Con- 
seil, «pour  leur  demander  leur  protection  »  ^"^  :  histoire,  pro- 
bablement inconsciente,  de  suborner  leurs  juges  avant  le 
procès  !  Le  Conseil  admit  la  Requête,  mais  ne  la  prit  en 
considération  que  dans  sa  séance  du  30  juin.  Citons-eH 
quelques  ligues  : 

Les  Chanoines  demandent  au  Conseil  de  les  recevoir 
((  appelants  comme  d'abns  de  l'acte  de  création  de  nouvelle 
paroisse  dans  la  Cathédrale  de  Québec  et  de  l'union  qui  en 
fut  faite  au  Séminaire  des  Missions-Etrangères  établi  en 
cette  ville  par  M.  de  Laval,  évêque,  le  14  novembre  1684, 
et  aussi  de  la  collation  et  provision  donnée  de  la  dite  Cure 
par  M.  de  Pontbriand,  évêque  de  Québec,  le  3  novembre 
dernier,  et  de  tout  ce  qui  a  été  fait  par  mon  dit  Seigneur 
Evêque  à  Pencontre  des  Bulles  du  Pape  Clément  X  de 
l'année  1674...  »  Ils  demandent  donc  qu'il  leur  soit 
«expédié  des  lettres  de  relief  d'appel  comme  d'abus,  et 
qu'on  leur  permette  de  faire  appeler  ensemble  et  par  un 
seul  acte  le  sieur  Récher,  curé  de  Québec,  et  les  Supérieur 
et  directeurs  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères,  et  par 
actes  différents  tous  autres  qu'il  sera  vu  appartenir,  pour 


ly.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  18  mars  1750. 


sous    M*^'^   DE    POXTBRIAND  285 

A'oir  juger  les  dits  abus  commis,  et  ordonner.  .  .  que  la 
Bulle  du  Pape  Clément  X  sera  exécutée  selon  sa  forme  et 
teneur  ^^,  le  soin  des  âmes  et  administration  donnés  aux  cha- 
noines, l'église,  la  sacristie,  fabrique  et  biens  en  dépendants 
attribués  à  iceux,  conformément  à  la  dite  Bulle  de  1674 
pour  mense  capitulaire.  .  .  »  Le  Chapitre  se  réservait  le 
droit  de  demander  plus  tard  des  «  lettres  de  restitution.  .  . 
et  de  réparation  pour  tous  les  torts  qu'on  lui  avait 
faits  ^^ .  . .  » 

Le  Chapitre  avait  commis,  entre  autres  maladresses, 
celle  d'attaquer  directement  son  Evêque  dans  un  de  ses 
actes  les  plus  solennels,  la  nomination  du  curé  de  Québec  : 
«  Je  voudrais  bien,  lui  écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  que 
vous  seriez  restés  amis  de  votre  Evêque  ^^.  »  Et  n'est-ce 
pas  le  cas  de  rappeler  ici  ce  qu'écrivait  un  jour  M.  de 
l'Orme,  cet  homme  si  sage,  si  habile  et  si  bien  équilibré 
mais  il  était  de  l'ancienne  école  :  «  Notre  Chapitre  est 
composé  de  têtes  qui  ne  pensent  guère  ce  qu'ils  font  dans 
bien  des  rencontres  '^^.  »  A  quoi  ne  s'exposait-il  pas,  en 
effet,  en  s'adressant  à  un  tribunal  laïque  pour  le  jugement 
de  choses  essentiellement  ecclésiastiques,  et  cela  malgré 
les  avertissements  répétés  de  l'Evêque  ?  En  pareille  cir- 
constance, M^^  de  Saint-Vallier  n'avait-il  pas  interdit  trois 
des  plus  anciens  et  respectables  membres  de  son  clergé, 
De  Bernières,  Ango  de  Maizerets  et  Glandelet  '^~? 

Tout-à  coup,  le  tonnerre  gronde  et  la  tempête  éclate  : 


18.  L'exécution  d'une  bulle,  et  par  suite  la  manière  de  l'interpréter, 
confiée  au  Conseil  Supérieur!  Personne  ne  songe  à  aller  à  Rome  pour 
faire  décider  un  litige  si  essentiellement  ecclésiastique!  O  tempora!  0 
mores! 

19.  Archives  de  la  Province  de  Québec,  Registres  du  Conseil  Supé- 
rieur, séance  du  30  juin  1750. 

20.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  357. 

21.  Ihid,.  p.  133. 

22.  Henri  de  Bernières,  p.  299. 


286  l'église  du  canada 

un  bruit  étrange  et  terrible  retentit  bientôt  par  toute  la 
ville  :  rBvêque  a  chassé  de  l'évêché  son  grand  vicaire,  le 
théologal  de  son  Chapitre  !  Ne  voulant  pas  aller  jusqu'à 
interdire  ses  chanoines,  il  a  pris  ce  moyen  pour  protester 
énergiquement  et  publiqnement  contre  leur  conduite.  Il 
choisit  l'un  deux,  le  plus  entêté,  leur  chef,  leur  principal 
conseiller,  celui  qui  est  l'âme  de  toutes  leurs  résolutions  : 
c'est  son  hôte  depuis  dix  ans,  il  le  bannit  de  sa  maison,  et 
il  le  fait  de  la  manière  le  plus  sévère  et  la  plus  impitoyable. 
On  dirait  même  qu'il  voudrait  le  voir  bien  loin,  car  on  lit 
dans  \ç  Jour7ial  des  Jésuites^  à  la  date  du  premier  juin  1750:" 

«  M.  de  La  Ville-Angevin,  officiai,  théologal,  et  chanoine 
de  la  cathédrale,  banni  de  l'évêché  par  M.  de  Pontbriand, 
évêque  de  Québec,  ayant  demandé  retraite  dans  notre  mai- 
son, l'Evêque  s'y  oppose;  tous  nos  Pères  demandent  qu'il 
soit  admis,  et  menacent,  en  cas  de  refus,  d'en  écrire  à  Paris 
et  à  Rome.  Il  est  donc  reçu  ;  l'Evêque  nous  en  veut  du 
mal  ^^». 

Et  n'allons  pas  croire  que  c'est  là  le  résultat  d'une  brus- 
querie passagère,  que  le  Prélat  va  regretter  bientôt.  Il 
part  presque  aussitôt  pour  faire  un  bout  de  visite  pasto- 
rale ^*,  s'éloignant  du  théâtre  d'une  scène  orageuse  qui  lui 
a  peut-être  coûté  bien  des  efforts  ;  puis  au  bout  de  quatre 
mois  il  écrit  à  ses  soeurs,  les  Visitandines  de  Rennes  : 

«  Je  suis  entièrement  fâché  de  la  conduite  qu'a  tenue  et 
que  tient  encore  M.  de  La  Ville- Angevin  ;  aussi  je  lui  ai 
ôté  toute  ma  confiance,  et  il  ne  demeure  plus  chez  moi  ^^)». 


23.  Archives  du  Sém.  de  Québec.  —  L'Abeille,  vol.  XI,  p.  42. 

24.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  Ordonnance  du  19  juin  i75«, 
"Fait  à  Saint-François,  en  visite".  —  Nous  croyons  qu'il  s'agit  ici  de 
"  Saint-François-Xavier  de  la  Petite-Rivière,  côte  de  Beaupré  ",  où  \\ 
était  le  17  juin  1750,  d'après  Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  149. 
Il  traversa  ensuite  de  la  côte  nord  à  la  côte  sud,  car  il  était  à  Saint- 
Thomas  le  II  juillet  suivant. 

25.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  71. 


sous   M*^   DE   PONTBRIAND  287 

La  Ville-Angevin,  d'après  ce  passage,  ne  regrette  évi- 
demment rien;  les  autres  chanoines  non  plus:  ils  laissent 
continuer  l'affaire  au  Conseil  Supérieur.  Triste  exemple 
d'une  opiniâtreté  et  d'un  entêtement  que  l'on  trouve  quel- 
quefois même  chez  d'excellents  prêtres  : 

«  Le  Chapitre,  disaient  les  chanoines,  n'a  entrepris  ce 
procès  que  par  la  nécessité  pressante  où  il  se  trouvait  pour 
l'acquit  de  sa  conscience  !  »  ^^ 

* 
*     * 

Du  Collège  des  Jésuites  où  il  avait  obtenu  refuge,  le 
vieux  Théologal  se  rendait  assiduement  à  l'office  canonial 
et  aux  assemblées  capitulaires,  entraîné  par  son  désir 
d'attiser  le  feu  de  la  lutte,  non  moins  que  par  l'ardeur  de 
sa  foi  bretonne.  Obligé  bientôt  de  se  servir  d'une  béquille, 
à  cause  de  ses  infirmités,  il  n'en  fut  pas  moins  jusqu'à  sa 
mort  l'un  des  plus  assidus  au  chœur. 

On  ne  peut  douter  que  ce  fut  son  ardeur  opiniâtre  à 
contredire  l'Evêque  dans  l'affaire  du  Procès  du  Chapitre  au 
Conseil  Supérieur,  qui  fut  la  cause  principale  de  sa  disgrâce 
et  de  son  expulsion  de  l'évêché.  Nous  croyons  cependant 
qu'il  était  devenu  depuis  longtemps  pour  le  Prélat  un 
personnage  assez  encombrant  et  insupportable,  et  ne  vou- 
lons en  donner  d'autre  preuve  que  celle-ci  : 

Nommé  Théologal  du  Chapitre  en  1747,  il  s'était  pris 
d'un  beau  zèle  pour  en  remplir  les  fonctions,  et  inaugurer 
tout  un  système  de  Conférences,  auquel  ses  prédécesseurs, 
même  les  plus  doctes  et  les  plus  vertueux,  comme  M. 
Vallier,  par  exemple,  ne  paraissaient  pas  même  avoir  songé. 
Mais  au  lieu  d'en  parler  tout  simplement  à  son  Evêque,  chez 
lequel  il  demeure,  il  lui  adresse  une  longue  lettre  de  six 


26.  Registres  du  Conseil  Supérieur,  séance  du  16  octobre  1750. 


288  l'église  du  canada 

pages  grand  in-folio,  dans  laquelle  il  lui  fait  d'intermi- 
nables citations  latines  du  quatrième  et  du  cinquième 
Concile  de  Latran,  du  Concile  général  de  Bâle,  de  la 
Pragmatique  Sanction  de  Charles  VII,  du  Concile  de 
Trente,  pour  lui  démontrer  les  obligations  d'un  Théologal 
par  rapport  à  la  Prédication.  Cette  longue  lettre  fait 
penser  tout  naturellement  aux  fameuses  élucubrations  de 
l'intendant  Dupuy,  au  Conseil  Supérieur,  tout  émaillées 
de  citations  latines  des  anciens  jurisconsultes.  Quelle 
dépense  d'érudition!  Non  plus  sapere  qtiam  oportet...^ 
sed  sapere  ad  sobrietatem  ^^. 

La  Ville-Angevin  demande  donc  à  l'Evêque  d'être  «  tenu 
de  faire  toutes  les  semaines  de  l'année,  excepté  le  temps 
des  vacances,  une  ou  deux  ou  trois  leçons  ou  conférences 
de  l'Ecriture  Sainte  aux  Ecclésiastiques,  selon  qu'il  plaira 
à  Sa  Grandeur  d'ordonner  et  régler  )>. . . 

Pour  la  prédication,  sa  prétention  est  de  prêcher  à  son 
tour,  alternativement  avec  le  Curé.  Il  se  croit  évidem- 
ment aussi  curé  dans  la  cathédrale  que  le  Curé  dans  son 
église  paroissiale: 

«  L'église,  dit-il,  étant  en  même  temps  et  cathédrale  et 
paroissiale  ^^,  il  pourrait  arriver  des  disputes  ou  différends 
entre  le  Théologal  et  le  Curé,  s'ils  venaient  à  prétendre 
avoir  droit  de  prêcher  à  même  jour,  ce  qui  serait  tout  au 
moins  peu  édifiant,  et  ce  qui  n'arrivera  pas  quand  les 
obligations  et  les  jours  d'un  chacun  seront  marqués  et 
réglés. .  .  » 

On  ne  peut  s'empêcher  de  sourire  en  lisant  la  réponse  de 
î'Evêque  à  son  théologal.  D'abord,  il  lui  accorde  le  maxi- 
mum de  Conférences  qu'il  a  demandées,  et  il  peut  «  obliger 
ceux  qui  composent  le  Chapitre  d'y  assister,  autant  toute- 


27.  Rom.,  XII,  3. 

28.  Il   n'avait   pas   encore   découvert   qu'elle   avait   été   "  supprimée 
comme  église  paroissiale  ! 


sous  mS'"  de  pontbriand  289 

fois  que  les  règles  du  droit  le  permettent  ».  Seulement,  il 
aura  à  se  procurer  pour  cela  «  un  appartement  convenable, 
à  ses  frais  et  dépens  ».  Quant  aux  «  Ecclésiastiques  de  la 
ville  et  aux  Séminaristes  »,  PEvêque  se  réserve  le  droit  de 
les  obliger  à  y  assister,  s'il  le  juge  à  propos,  mais  le  théo- 
logal devra  «  les  recevoir  gratuitement  ». 

Pour  la  prédication,  l'Evêque  se  réserve  l'Avent  et  le 
Carême,  où  il  aura  «  un  prédicateur  spécial  ».  Il  accorde 
deux  ou  trois  fêtes  au  Théologal,  «oii  il  pourra  prêcher»; 
mais  «il  ne  fera  pas  de  droit  les  annonces  de  la  paroisse»: 
elles  appartiennent  au  Curé,  ainsi  que  la  prédication  en 
général,  «  tant  que  les  offices  de  la  Cathédrale  et  de  la 
Paroisse  ne  seront  point  séparés  ».  S'il  arrivait  qu'ils 
fussent  séparés,  alors  le  Théologal  «sera  obligé  de  prêcher, 
par  lui  ou  par  d'autres,  toutes  les  fêtes  et  dimanches»  '^^. 

Le  coup  que  reçut  M.  de  La  Ville-Angevin  par  son  ban- 
nissement de  l'évêché  apaisa  probablement  son  zèle  pour 
la  prédication  et  les  conférences,  mais  ne  diminua  en  rien, 
comme  nous  l'avons  vu,  son  ardeur  pour  la  revendication 
des  droits  des  chanoines.  Leur  doyen  Cabanac  arrive  le 
10  septembre  et  se  joint  à  eux  d'autant  plus  volontiers 
pour  toutes  leurs  plaidoieries,  qu'il  s'agit  d'une  augmenta- 
tion de  prébende  en  perspective.  Nous  savons  déjà  que  le 
gouverneur  La  Jonquière  se  fait  avec  empressement  leur 
protecteur  et  leur  avocat  à  la  Cour. 

Le  Séminaire  de  Québec,  d'une  part,  et  M.  Récher,  de 
l'autre  part,  ont  envoyé  au  Conseil  Supérieur  leurs  réponses 
à  la  Requête  du  Chapitre;  et  le  16  octobre  est  fixé  pour 
l'examen  de  ces  pièces. 

L'affaire  de  M.  Récher  est  jugée  séance  tenante.  Le 
jugement  du  Conseil  Supérieur  est  bien  court  et  bien  net: 
«pour  la  collation  de  la  Cure  de  Québec  à  M.  Récher,  il 


29.  Registre  du  Chapitre. 

19 


290  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

n'y  a  pas  d'abus».     Le   Conseil   «maintient  le  dit  sieur 
Récher  en  pleine  possession  et  jouissance  de  la  dite  Cure 
et  condamne  le  Chapitre  en  l'amende  de  soixante  quinze 
livres  et  aux  dépens  »  ^°. 

Restait  la  contestation  principale,  entre  le  Chapitre  et  le 
Séminaire,  par  rapport  au  droit  respectif  de  l'un  ou  de 
l'autre  à  la  possession  de  la  Cure  et  de  ses  dépendances  : 
elle  n'était  pas  si  facile  à  régler,  le  procès  aurait  duré 
longtemps,  et  il  n'est  pas  aisé  de  prévoir  quelle  en  aurait 
été  l'issue.  Mais  le  Conseil  Supérieur  n'eut  plus  à  s'en 
occuper.  L'affaire  fut  évoquée  à  la  Cour  de  France,  à  la 
demande  de  M^  de  Pontbriand,  qui  voulait  éloigner  de 
son  Eglise  cette  source  d'agitation  et  de  scandale.  Le 
Chapitre  députa  à  Paris  un  de  ses  membres,  M.  de  La 
Corne,  pour  faire  valoir  ses  droits,  et  le  Séminaire  des 
Missions-Etrangères  était  là  pour  défendre  les  siens  ;  de 
sorte  que  le  Séminaire  épiscopal  de  Québec,  aussi  en 
dehors  que  possible  du  mouvement  et  de  l'agitation  des 
partis,  n'étant  plus  à  proprement  parler  sur  le  terrain 
même  de  la  lutte,  put  continuer  en  paix  son  oeuvre  méri- 
toire et  bienfaisante  pour  l'Eglise  canadienne. 

L'Evêque  était  plus  exposé  aux  coups.  Ce  qu'il  eut  à 
endurer  de  la  part  de  son  Chapitre,  à  l'occasion  de  ce  pro- 
cès, qu'on  en  juge  par  quelques  lignes  de  sa  correspon- 
dance 31.     Il  écrit  à  M.  de  Maurepas  : 

((  Mon  Chapitre  vient  d'intenter  un  procès  au  Séminaire, 
en  insultant  à  tous  les  évêques  qui  nous  ont  précédé,  et  en 
formant  sept  ou  huit  appels  comme  d'abus ...  Il  ne  m'a 
pas  été  possible  de  suspendre  cette  division,  qui  est  un 
grand  scandale  pour  mon  diocèse.  Je  compte  que  vous 
voudrez  bien  vous  employer  pour  empêcher  ces  dissen- 


30.  Registres  du  Conseil  Supérieur. 

31.  Archives  de  l'archev.  de  Québec. 


sous    M^   DE   PONTBRIAND  29I 

sions.  Je  prévois  que  cette  discussion  sera  longue  avec 
mon  Séminaire ...  Je  me  verrais  moi-même  en  procès,  et 
il  me  semble,  monseigneur,  qu'alors  je  devrais  renoncer  à 
un  pays  dur,  où  la  paix  ne  serait  pas,  et  où  je  deviendrais 
plaideur  malgré  moi.  .  .  » 

Il  écrit  à  M.  de  la  Galissonnière,  son  ami  ^^  :  a  Grand 
procès  que  le  Chapitre  intente  au  Séminaire  sur  la  Cure, 
en  conséquence  de  la  Bulle  d'érection,  qui  semble  lui 
donner  le  tort.  Il  a  formé  huit  appels  comme  d'abus, 
inutilement.  J'ai  conseillé  des  conférences  à  l'amiable, 
des  consultations  en  France,  ou,  pour  éviter  l'éclat  dans  ce 
pays,  de  demander  des  commissaires  au  Roi.  Je  suis  per- 
suadé que  si  vous  aviez  été  ici,  on  eût  arrêté  la  vivacité  du 
Chapitre,  qui  croit  son  droit  évidentissime.  » 

Et  dans  une  lettre  à  M.  de  la  Porte,  le  Prélat  ajoute  : 

«Je  voudrais  voir  le  procès  qui  trouble  le  Clergé  du 
Canada  décidé.  Toute  mon  occupation,  ici,  est  d'arrêter 
les  parties  et  de  suspendre  les  coups,  de  gémir  en  particu- 
lier sur  ceux  que  je  ne  puis  écarter.  » 

Mais  ce  qui  donne  surtout  une  idée  du  peu  d'égards 
des  chanoines  pour  leur  Evêque,  c'est  la  lettre  suivante 
qu'il  leur  adresse  à  la  fin  de  novembre  1751,  à  la  veille, 
pour  ainsi  dire,  du  Jubilé  de  l'Année  Sainte  qui  va  bientôt 
s'ouvrir  pour  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France  : 

«  Puisque  vous  avez,  dit -il,  si  peu  de  déférence  pour  votre 
Evêque,  je  prends  mon  parti,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  en 
soit  informée.  Je  vous  cède  pendant  cet  intervalle  tous 
mes  droits. , .  J'aime  mieux  céder,  plier,  que  de  plaider, 
ou  que  d'user  d'autorité,  iqui  ne  ferait  que  vous  aigrir. .  . 

«  Par  le  Cérémonial,  vous  êtes  obligés  de  venir  me  cher- 
cher, ou  me  reconduire,  lors  même  que  je  ne  fais  qu'assister 


32.  "  M.  de  la  Galissonnière  est  son  intime.  "  (Lettre  de  M.  de  La 
Corne  au  Chapitre,  9  mars  1752,  dans  les  Recherches  historiques,  toI. 
XV.  p.  16). 


292  l'éguse  du  canada 

à  l'office.  .  .  Pour  ne  pas  m'exposer  à  plusieurs  manque- 
ments de  votre  part,  et  pour  n'être  pas  obligé  de  disputer 
à  chaque  fois,  je  m'abstiens  d'assister  à  l'office  public.  » 

Il  leur  reproche  ensuite  d'avoir,  le  25  août,  renvoyé 
Matines  au  lendemain,  afin  d'assister  à  une  pièce  chez  les 
Jésuites  ;  puis  il  ajoute  : 

c(  Je  sais  que  plusieurs  d'entre  vous  ont  voulu  persuader 
à  M.  le  Doyen  qu'il  devait  avoir  le  premier  confessionnal, 
qu'il  devait  prendre  celui  de  M.  le  Curé,  même  par  force, 
que  le  prédicateur  devait,  en  mon  absence,  lui  demander 
la  bénédiction,  qu'il  devait  être  encensé  en  particulier.  .  . 
Il  est  douloureux  pour  moi  qu'on  cherche  à  exciter  des 
troubles.  J'aime  la  paix,  et  c'est  par  cet  esprit  que  je  vous 
donnai  mes  avis  au  commencement  des  disputes,  avis  mal 
reçus,  qui  m'attirèrent  de  votre  part  une  réponse  peu 
mesurée,  avis  que  vous  avez  suivis  vous-mêmes  neuf  mois 
après  33. 

((  C'est  par  ce  même  esprit  que  j'engage  M.  le  Curé  à 
garder  le  silence  sur  les  difficultés  que  vous  lui  faites, 
depuis  même  qu'il  a  été  maintenu  par  un  arrêt  du  Conseil 
Supérieur. 

«  Je  passe  plusieurs  articles  dan  s  lesquels  je  crois  mes 
droits  violés,  mon  caractère  méprisé.  Je  vous  déclare, 
messieurs,  que  mon  silence  ne  doit  pas  être  pris  pour  une 
approbation,  que  je  m'oppose  formellement  à  tout  ce  que 
vous  avez  fait  et  à  tout  ce  que  vous  pourriez  faire  contre 
mes  droits.  Je  suis  résolu,  au  moyen  de  cette  protestation 
de  ne  rien  vous  demander,  de  ne  rien  exiger  de  vous,  de 
ne  vous  contredire  en  rien,  et  lorsque  je  m'adresserai  à  Sa 


33.  En  effet  M.  de  La  Corne  n'était  parti,  tout  d'abord,  que  pour 
"  consulter  ",  de  la  part  du  Chapitre,  après  que  celui-ci  eut  perdu  son 
procès  dans  l'affaire  Récher  :  "  La  perte  d'un  des  points  du  procès  que 
le  Chapitre  avait  intenté  au  Séminaire  vient  d'ouvrir  les  yeux  au  Cha- 
pitre. Il  se  détermine  à  consulter  en  France. . .  Il  envoie  comme  député 
M.  de  La  Corne. . .  "  (Lettre  de  Mgr  de  Pontbriand  au  ministre,  7 
novembre  1750). 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  293 

Majesté,  vous  serez  auparavant  informés  de  toutes  mes 
demandes ...» 

Voilà  quelles  étaient  à  cette  époque  les  relations  de  M^ 
de  Pontbriand  avec  son  Chapitre.  Les  chanoines  étaient 
si  excités  et  gardaient  si  peu  de  mesure  que,  dans  une  de 
leurs  séances,  le  Doyen,  tout  favorable  qu'il  leur  était,  se 
crut  obligé  de  leur  prêcher  «  l'obligation  de  donner  bon 
exemple  »,  et  de  leur  rappeler  «  la  manière  de  tenir  les 
assemblées,  la  paix  et  l'union  qu'on  y  doit  garder,  la 
sagesse,  la  modestie,  la  charité,  l'honnêteté  avec  lesquelles 
on  devait  donner  son  avis  »  34. 

A  force  de  patience,  de  douceur  et  de  condescendance,  le 
Prélat  finit  par  avoir  une  paix  au  moins  relative.  Le 
Jubilé  de  1752,  nous  aimons  à  le  croire,  ne  contribua  pas 
peu  à  apaiser  les  esprits.  M^^^  de  Pontbriand  passa  une 
grande  partie  de  l'année  1753  aux  Trois-Rivières,  occupé 
à  relever  le  monastère  incendié  des  Ursulines  ;  et  lorsqu'il 
revint  à  Québec  dans  le  cours  de  l'automne,  ce  fut  pour 
assister  à  ses  derniers  moments  son  ancien  ami  La  Ville- 
Angevin,  qui  avait  été  le  plus  ardent  dans  la  lutte  :  décédé 
le  16  novembre,  il  fut  inhumé  le  lendemain  par  M.  de 
Tounancour,  l'Bvêque  se  contentant  d'assister  au  service  ^^ 

* 

C'est  à  Paris,  maintenant,  que  le  Chapitre  de  Québec 
va  faire  valoir  ses  droits  et  ses  prétentions  contre  le  Sémi- 
naire des  Missions-Etrangères.  M^'^  de  Pontbriand  a  obte- 
nu du  Roi,  pour  le  bien  de  la  paix  dans  son  Eglise,  que 
cette  affaire  soit  plaidée  à  Paris,  et  non  à  Québec. 

Une  chose,  cependant,  qu'il  semble  n'avoir  pas  prévue, 


34.  Registre  du  Chapitre,  séance  du  11  octobre  1751. 

35.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  76. 


294  l'êguse  du  canada 

c'est  que  les  chanoines,  délivrés  désormais  de  toute  crainte 
révérencielle  de  la  part  des  Canadiens,  qui  aiment  le  Sémi- 
naire de  Québec  et  lui  sont  attachés,  ne  connaîtront  plus 
aucun  frein,  et  s'abandonneront  à  des  excès  de  langage,  à 
des  accusations  et  à  des  prétentions  que  le  Prélat  et  l'abbé 
de  l'Ile-Dieu  ne  craindront  pas  d'appeler  «  exorbitantes  ^.  » 

Dans  leur  Requête  au  Conseil  Supérieur,  les  chanoines 
gardaient  encore  quelque  mesure  vis-à-vis  du  Séminaire  de 
Québec  et  de  ses  pieux  fondateurs  ;  ils  allaient  même  jus- 
qu'à dire  : 

((  On  supplie  le  Conseil  d'être  bien  persuadé  que  tous  ceux 
X[ui  composent  le  Chapitre  sont  remplis  d'estime,  d'affec- 
tion et  même  de  respect  pour  MM.  du  Séminaire  et  pour 
ceux  qui  le  gouvernent,  qui  peuvent  être  dans  une  par- 
faite bonne  foi,  et  même  pour  tous  ceux  qui  l'ont  gou- 
verné dans  le  commencement,  qui  ont  eu  les  meilleures 
intentions,  et  ont  agi  pour  le  plus  grand  bien,  mais  qui, 
comme  hommes,  ont  pu  se  tromper,  et  méritent  néan- 
moins toute  l'estime  et  la  reconnaissance  de  toute  la  colo- 
nie, et  particulièrement  des  Ecclésiastiques,  auxquels  ils 
ont  rendu  de  si  grands  et  de  si  importants  services  *^   . .  » 

Eh  bien,  ce  sont  ces  hommes  aux  «  meilleures  inten- 
tions »,  qui  «  méritent  toute  l'estime  et  la  reconnaissance  de 
toute  la  colonie  »,  et  dont  elle  a  toujours  admiré  le  désin- 
téressement, que  les  chanoines,  une  fois  rendus  à  Paris, 
traiteront  d'usurpateurs,  de  gens  cupides,  de  méprisables 
despotes  : 

«  Le  Séminaire  s'était  rendu  despotique,  et  méprisait  les 
règlements  du  Prince  et  les  droits  de  l'épiscopat.  .  . 

«  Le  Chapitre  était  la  victime  de  la  cupidité  et  de  l'intel- 


36.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  229.  —  Lettre  de  l'abbé  de 
rile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 

27.  Registres  du  Conseil  Supérieur,  séance  du  30  juin  1750. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  295 

ligence  qui  régnaient  entre  ceux  qui  régissaient  ses  affaires 
et  le  Séminaire. .  . 

«  Le  Séminaire,  en  possession  de  la  première  Cure  du 
Canada,  tout  puissant  dans  le  Chapitre  dont  il  remplissait 
les  places,  maître  de  toutes  les  cures  du  pays,  qui  lui 
avaient  été  unies  par  le  Décret  de  1663,  ne  connut  bientôt 
plus  aucune  autorité,  et  étendit  de  plus  en  plus  les  bornes 
de  la  domination  dont  il  avait  formé  le  plan  dès  le  premier 
moment  de  son  entrée  dans  le  Canada.  Il  disposa  à  son 
gré  des  revenus  du  Chapitre,  et  fît  sentir  aux  curés  de 
campagne  la  dureté  qui  accompagne  ordinairement  un 
pouvoir  usurpé  ^^.  .  .  >> 

Au  Conseil  Supérieur,  les  chanoines  s'étaient  contentés 
de  se  réserver  le  droit  de  demander  en  temps  et  lieu  «  répa- 
ration des  torts  faits  au  Chapitre  »  ^^  par  le  Séminaire  ;  ils 
n'osaient  pas  encore  rien  réclamer  de  ceux  à  qui  «  la 
colonie  entière  devait  de  la  reconnaissance  ».  A  Paris, 
leurs  exigences  n'ont  plus  de  bornes  : 

((  L'église  cathédrale  de  Québec,  dont  les  Supérieurs  du 
Séminaire  se  sont  emparés,  sera  rendue  au  Chapitre  avec 
tous  ses  droits,  sacristie.  Fabrique  et  les  biens  en  dépen- 
dants ... 

((  Pour  indemniser  en  partie  le  Chapitre  des  usurpa- 
tions faites  sur  lui  par  les  Supérieurs  et  directeurs  du 
Séminaire,  et  des  injustices  qu'ils  lui  ont  faites  depuis 
plus  de  soixante  ans,  on  devra  les  condamner  à  lui  payer 
la  somme  de  cinquante  mille  livres  dans  le  délai  de  trois 
années .  . . 

«  La  petite  métairie  de  la  Canardière,  avec  la  maison  et 
bâtiments,  sera  laissée  et  abandonnée  aux  Chanoines  et 
Chapitre,  pour  servir  les  dites  terres  et  maison  à  faire  sub- 
sister les  membres  du  Chapitre. 

38.  Mémoire  du  Chapitre  (63  pages  grand  in-folio)  1756,  p.  10,  19,  23. 

39.  Registres  du  Conseil  Supérieur,  séance  du  lundi  30  juin  1750. 


296  l'église  du  canada 

((  Si  le  Séminaire  refuse,  il  devra  être  condamné  à  rendre 
compte,  et  à  restituer  au  Chapitre  toute  la  somme  qui 
lui  est  due  avec  les  intérêts,  savoir  quatre  cent  mille 
francs  ^^.  » 

M^^  de  Pontbriand  avait  obtenu  de  la  Cour,  par  un  édit 
daté  du  12  mai  1752,  droit  d'intervenir  dans  le  procès;  et 
dans  son  Mémoire  imprimé,  présenté  au  ministre  le  4 
mars  1753,  il  ne  cachait  pas  ses  sympathies  pour  le  Sémi- 
naire : 

«  La  cure  de  Québec,  disait-il,  sera  mieux  desservie  par 
le  Séminaire.  Les  ecclésiastiques  pourront  plus  facilement 
apprendre  les  fonctions  curiales.  Le  curé,  vivant  dans 
une  communauté,  sera  toujours  plus  régulier:  s'il  faisait 
une  faute,  la  communauté  la  répare.  » 

Et  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  disait  au  ministre  en  lui  présen- 
tant ce  mémoire  : 

«  Dans  les  notes  de  M.  l'Evêque  de  Québec,  qu'il  m'a 
envoyées  cette  aunée,  il  déduit  clairement  les  motifs  qu'il 
a  de  désirer  que  les  choses  restent  dans  l'état  où  elles  sont, 
persuadé  qu'il  conviendrait  mieux  à  tous  égards  que  la 
Cure  continuât  d'être  desservie  par  le  Séminaire  ^^  » 

Dans  un  de  leurs  mémoires,  les  chanoines  attribuaient 
les  sympathies  de  M^^  de  Pontbriand  pour  le  Séminaire 
aux  promesses  que  celui-ci  lui  avait  faites,  et  aussi  à  la 
crainte  qu'il  lui  avait  inspirée  : 

«  Tel  est  l'empire,  disaient-ils,  qu'ont  acquis  dans  le 
Canada  les  prêtres  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères, 
qu'ils  se  sont  rendus  redoutables  à  ceux  mêmes  sous  l'auto- 
rité desquels  ils  devraient  être  suivant  toutes  les  règles  *^ . . .  » 

Mais  il  n'entre  nullement  dans  notre  dessein  d'analyser 
toutes  les  pièces  de  ce  procès,  ces  mémoires  et  c^  requêtes 


40.  Mémoire  du  Chapitre,  1756. 

41.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  du  4  mars  1753. 

42.  Mémoire  du  Chapitre,  1755. 


sous    M«^   DE   PONTBRIAND  297 

iuterminables,  tant  du  Chapitre  que  du  Séminaire,  qui 
feraient  à  eux  seuls  un  immense  volume,  ni  de  raconter 
toutes  les  phases  de  cette  contestation,  qui  dura  jusqu'à  la 
Conquête,  et  n'eut  aucune  issue.  Tout  se  passe  à  Paris, 
rien  n'intéresse  directement  l'Eglise  du  Canada,  où  tout 
reste  tranquille  et  rien  n'est  changé,  suivant  le  désir  même 
qu'avait  exprimé  son  pieux  et  saint  Evêque. 

Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  le  Chapitre,  par  ses  préten- 
tions outrées,  par  ses  exigences  sans  bornes,  par  son  peu 
de  ménagement  pour  tout  ce  qui  s'était  fait  avant  lui  dans 
l'Eglise  de  Québec,  par  son  manque  d'égards  pour  le  pieux 
Fondateur  de  cette  Eglise  et  aussi  pour  M^^  de  Pontbriand, 
dont  les  vertus  apostoliques  étaient  si  appréciées  à  la  Cour, 
ne  prit  nullement  le  moyen  de  gagner  une  cause  où  il  y 
avait  pourtant  plusieurs  points  à  faire  valoir  en  sa  faveur. 
M.  de  l'Orme  lui  écrivait  un  jour  :  Les  invectives  et  les 
injures  dans  un  procès  font  souvent  tort  à  une  bonne 
cause  ))  *^  ;  et  M.  de  La  Corne  lui-même  ne  pouvait  s'em- 
pêcher quelquefois  de  trouver  le  Chapitre  «  trop  exa- 
gère  »  **. 

La  Corne  et  De  l'Orme  représentaient  tous  deux  le  Cha- 
pitre à  Paris.  Mais  quelle  différence  dans  la  correspon- 
dance de  l'un  et  de  l'autre  !  Dans  celle  de  De  l'Orme, 
une  dignité,  une  mesure,  une  sagesse  toujours  soutenue. 
Jamais  il  ne  s'emballe  ;  jamais  chez  lui  d'enthousiasme  ni 
de  craintes  exagérées  :  il  avertit  tranquillement  le  Cha- 
pitre :  «  L'affaire  ne  se  terminera  pas  de  sitôt.  ^^  »  On  voit 
qu'il  appartient  à  l'ancienne  école,  l'école  traditionnelle, 
celle  qui  ne  juge  pas  seulement  d'après  les  textes,  mais 
qui  tient  compte  des  circonstances  de  temps  et  de  lieu,  qui 
apprécie  les  difficultés  exceptionnelles  où  se  sont  trouvés 

43.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  m. 

44.  Ibid.,  p.  II. 
45   Ibid.,  p.  4. 


298  l'éguse  du  canada 

les  fondateurs  de  notre  Eglise  :  ils  n'ont  pas  toujours  fait 
ce  qu'ils  auraient  voulu,  mais  ce  qu'ils  ont  pu  ;  et  après 
tout,  ce  qu'ils  ont  fait  n'était  pas  si  mal,  puisque,  suivant 
l'expression  si  juste  du  cardinal  -Taschereau,  ce  sont  eux 
w  qui  ont  posé  les  fondements  de  la  belle  discipline  ecclé- 
siastique et  paroissiale  de  nos  jours  »  ^^.  Dans  la  corres- 
pondance de  M.  de  l'Orme,  jamais  un  mot  contre  les  fon- 
dateurs de  notre  Eglise,  ce  que  l'on  ne  peut  pas  dire  de 
toutes  les  lettres  de  ses  confrères. 

M.  de  La  Corne  était  un  homme  de  talent,  et  M^  de 
Pontbriand  reconnaissait  en  lui  beaucoup  de  «  mérite  per- 
sonnel »  *^.  Mais  que  de  choses  choquantes  dans  sa  corres- 
pondance et  dans  ses  agissements  à  Paris  pour  la  cause  du 
Chapitre  !  Quand  il  parle  de  ses  adversaires,  les  prêtres 
du  Séminaire  de  Paris,  il  les  appelle  d'une  manière  sarcas- 
tique  ((  ces  gens  dévots  qui  se  piquent  d'une  vertu  distin- 
guée, ces  directeurs  d'un  mérite  peu  commun,  d'une  probi- 
té à  l'épreuve,  d'une  droiture  inaltérable  »  ^^  ;  et  un  peu 
plus  loin  il  parle  de  «  leurs  ruses  ordinaires,  de  leurs  ru- 
briques et  de  leurs  dois  »  ^^.  Quand  il  parle  de  ses  prédé- 
cesseurs, de  M.  de  Latour,  par  exemple,  et  de  ses  travaux 
à  l'abbaye  de  Maubec  :  «  Tout  cela  est  fait  à  la  diable, 
dit-il,  rien  n'est  juste,  nous  avons  été  dupés  ^.  »  M.  de 
l'Orme  lui-même  ^\  si  fin  et  si  habile,  ne  trouve  pas  grâce 
à  ses  yeux  :  «  On  le  persuade  aisément,  dit-il,  et  on  abuse 
de  sa  droiture  ^'.  » 

Du  reste,  quand  il  arrive  à  Paris,  il  est  tout  à  la  joie  et 
à  l'espérance  :    «  Nos  affaires,  dit-il,  paraissent  prendre  un 

46.  Lettre  à  l'auteur,  publiée  en  tête  de  la  Vie  de  Mgr  de  Laval. 

47.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  237. 

48.  Ibid.,  p.  332. 

49.  Ibid.,  vol.  XV,  p.  33. 

50.  Ibid.,  vol.  XIV,  p.  336 

51.  M.  de  l'Orme  mourut  à  Paris  en  1771,  à  l'âge  de  89  ans. 
=,2.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  231. 


sous   M»''   DE   PONTBRIAND  299 

bon  train  53  ;  »  et  un  peu  plus  tard  :  «  Nous  devons  certai- 
nement gagner  ^^  »  Et  puis,  il  a  des  moyens  à  lui  de 
réussir  :  d'abord,  il  a  pour  lui  la  famille  Péan  :  grande 
recommandation  !  et  «  par  le  moyen  de  la  famille  Péan, 
dit-il,  nous  avons  grande  allée  auprès  de  trois  des  commis- 
saires »  qui  doivent  nous  juger.  Puis  il  y  a  l'oncle  de  son 
ami  Le  Mercier  ^^,  officier  du  Canada,  «  qui  est  grand 
archidiacre  de  Lisieux,  très  riche  et  très  bon  gentilhomme. 
Je  lui  ai  fait  présent,  dit-il,  de  mon  capot  de  castor.  Mais 
c'est  parce  qu'il  sait  que  je  suis  l'ami  de  M.  le  Mercier, 
son  neveu,  qu'il  m'aime  à  la  folie.  D'ailleurs,  ajoute-t-il, 
il  ne  peut  souffrir  messieurs  les  évêques  ^,  encore  moins 
les  communautés  vis-à-vis  d'un  Chapitre.  Je  voudrais  que 
vous  vissiez  ce  qu'il  m'en  a  écrit  à  mots  couverts.  C'est 
un  homme  d'esprit  fort  savant.  Il  doit  venir  à  Paris  ;  il 
ne  nous  sera  pas  d'une  petite  ressource  »  ^'^. 

Il  a  donné  son  capot  de  castor  à  cet  archidiacre  «  qui  ne 
peut  souffrir  les  évêques  »  ;  s'il  pouvait  en  faire  autant  à 
*  son  avocat  »,  qui  a  Pafïaire  du  Chapitre  en  mains  : 

«  Je  demande  à  ma  famille,  écrit-il,  de  quoi  faire  quelques 
présents  en  peaux  pour  M.  de  Chamousset,  une  doublure 
d'habit,  et  un  manchon  pour  la  dame  qu'il  vient  d'épou- 
ser... Je  demande  en  outre  huit  martres  pour  deux 
autres  personnes.  .  .  Si  mes  frères  ne  me  font  point  de 
cadeau,  ils  prendront  sur  mon  canonicat  ce  que  cela  aura 
coûté  ^^ .  .  .  )) 


53.  Ibid.,  vol.  XIV,  p.  325. 

54.  Ibid.,  vol.  XV,  p.  6. 

55.  Mercier  et  Péan,  deux  associés  de  Bigot,  deux  amis  du  chanoine 
La  Corne  !  "  Le  sieur  Bigot,  Péan  et  Mercier,  ses  associés,  sont  passés 
en  France  et  emportent  bien  des  millions  avec  eux  :  le  Canada  est  en- 
tièrement ruiné..."  (Lettre  de  Raymond  à  Surlaville,  Québec,  28  oc- 
tobre 1754,  citée  dans  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  129). 

56.  Notons  le  plaisir  évident  avec  lequel  La  Corne  mentionne  ce  petit 
détail.  Or  nous  savons  qu'à  Québec  il  avait  été  pendant  deux  ans  l'hôte 
de  Mgr  de  Pontbriand,  avant  de  partir  pour  la  France. 

57.  Recherches  historiques,  vol.  XIV,  p.  333. 

58.  Ibid.,  vol.  XV,  p.  104. 


300  L'ÉGLISE   DU   CANADA 

Du  reste,  il  faut  peu  de  chose  pour  leurrer  le  bon  cha- 
noine :  une  politesse,  par  exemple,  un  bon  dîner.  C'est 
l'archevêque  de  Paris  qui  l'a  fait  prier  d'aller  chez  lui  : 
«  J'y  ai  été  trois  fois,  et  ai  passé  plus  de  six  heures  avec  lui 
dans  son  cabinet  ^^  »  M.  de  Boulogne,  le  rapporteur  dans 
la  cause,  lui  fait  la  même  politesse  :  «  J'ai  été  assez  heu- 
reux pour  faire  sa  conquête  ;  je  suis  même  ami  avec  lui, 
et  j'ai  l'avantage  de  passer  des  heures  entières  avec  lui 
dans  son  cabinet.»  On  l'invite  même  à  dîner:  «J'ai  été 
assez  heureux  pour  plaire  à  M.  son  père  et  à  M""®  sa  mère  ; 
ils  m'ont  fait  l'honneur  de  m'inviter  à  manger,  ces  jours 
passés,  m'assurant  que  je  leur  ferais  grand  plaisir  toutes 
les  fois  que  je  pourrais  aller  manger  leur  soupe  ^^  .  .  »  Il 
peste  contre  un  de  ses  avocats,  Varlet,  peut-être  celui  qui 
le  trompe  le  moins  :  «  Cet  homme  est  ma  croix,  jamais  je 
ne  pourrai  le  regarder  d'un  bon  œil  ^^  »  D'Héricourt,  au 
contraire,  est  «adorable»:  «J'ai  eu  le  bonheur,  dit-il,  de 
lui  plaire.  » 

Mais  ni  les  politesses,  ni  les  dîners,  ni  même  les  présents 
ne  font  guère  avancer  les  choses.  Tous  ces  avocats,  ces 
rapporteurs,  ces  commissaires  ne  demandent  pas  mieux 
que  de  prendre  leur  temps,  de  prolonger  l'étude  de  la 
question,  et  de  faire  fortune  aux  dépens  d'un  Chapitre  qui 
se  dit  «  bien  pauvre  »,  et  qui,  après  tout,  n'a  pas  trop  l'air 
de  l'être.  Et  notre  chanoine  commence  à  se  désoler  : 
«  Je  m'ennuie  mortellement.  .  .  Ça  va  mal.  .  .  Je  ne  sais 
plus  ce  que  j'écris.  .  .      Le  procès  nous  ruine  ^'\  . .  » 

Il  s'en  prend  naturellement  à  ses  adversaires,  les  prêtres 
des  Missions  Etrangères  :  «Ils  usent  de  tous  les  moyens 
pour  me   dégoûter.  .  .     Ils   sont,   malheureusement   pour 

59.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  137. 

60.  Ibid.,  p.  140. 

61.  Ibid.,  p.  130. 

62.  Ibid.,  p.  7,  107,  109,  139- 


sous  m8^'  de  pontbriand  301 

nous,  fort  répandus  dans  ce  pays-ci,  ils  ont  des  ressources 
infinies  ^^ . . .  » 

Voilà,  en  effet,  ce  qui  faisait,  dans  toute  cette  affaire  de 
procès,  la  grande  force  du  Séminaire  des  Missions-Etran- 
gères: il  était  chez  lui,  et  de  plus  il  était  sur  la  défensive. 
Il  était  chez  lui,  connaissant  parfaitement  le  terrain  oii  il 
avait  à  se  défendre,  les  personnages  avec  lesquels  il  avait  à 
traiter,  ayant  naturellement  beaucoup  d'amis  et  d'influence 
à  la  Cour  et  dans  tout  le  pays. 

Il  faut  bien  reconnaître,  d'ailleurs,  quand  on  a  parcouru 
les  mémoires  des  deux  partis,  que  ceux  du  Séminaire  sont 
beaucoup  plus  pondérés,  beaucoup  plus  dans  la  mesure 
et  dans  la  bonne  note  que  ceux  du  Chapitre.  M.  de  I^a 
Corne  disait  de  M^^  de  Pontbriand  qu'il  était  «  fin  et  poli- 
tique comme  personne  »  ^*.  Il  est  probable  que,  sans 
l'avouer,  il  pensait  bien  la  même  chose  des  Missions-Etran- 
gères :  au  lieu  d'injurier  les  Supérieurs,  elles  tâchent  de  les 
avoir  pour  amis,  et  de  les  mettre  de  leur  côté  ;  elles  savent, 
dans  leurs  requêtes  et  mémoires,  ce  qu'il  faut  dire,  et  pas 
davantage  ;  elles  restent  sur  la  défensive  et  parent  les 
coups,  sans  chercher  à  porter  la  guerre  dans  le  camp 
ennemi.  Voilà  ce  qui  fait  leur  force.  Donnons-en  un 
exemple  : 

IvC  Chapitre  a  eu  la  maladresse  d'attaquer  M^^  de  Pont- 
briand ;  le  Séminaire  lui  répond,  heureux  d'avoir  cette 
occasion  de  faire  plaisir  à  l'Evêque  : 

(c  Ce  n'est  point  sous  un  Prélat  tel  que  M^^  de  Pontbriand 
que  l'ordre  et  la  discipline  se  perdent  dans  une  Eglise,  et 
qu'il  est  besoin  qu'un  Chapitre  entreprenne  de  les  y  établir. 
Ses  lumières,  son  zèle,  ses  travaux,  sa  vigilance,  son  atta- 
chement si    constant   à   son   Eglise  la  garantissent  d'un 


63.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  66,  133. 

64.  Ibîd.,  p.  34. 


302  l'église  du  canada 

pareil  malheur.  Et  si  malgré  ses  soins  il  s'y  glissait  quel- 
que abus,  il  ne  faudrait  pas  d'autres  mains  que  les  siennes 
pour  en  faire  la  réforme  ^. .  .  » 

Voyez  encore  comme  il  était  habile,  de  la  part  du  Sémi- 
naire, de  rassurer  M^^  de  Pontbriand  au  sujet  de  sa  préten- 
due indépendance  : 

((  Cette  prétendue  indépendance  du  Séminaire  de  Québec 
et  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères  de  Paris,  de 
laquelle,  selon  le  Chapitre,  naissent  tous  les  abus  qu'il 
déplore,  et  qu'il  veut  réformer  dans  l'Eglise  du  Canada, 
n'est  qu'un  pur  fantôme.  Ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  deux 
Séminaires  ne  prétend  ni  n'a  jamais  prétendu  être  en 
aucune  manière  exempt  de  la  juridiction  de  l'Ordinaire. 
Celui  de  Paris  se  reconnaît  et  s'est  toujours  reconnu  pleine- 
ment soumis  à  la  juridiction  de  M.  l'archevêque  de  Paris, 
dans  toute  l'étendue  du  droit  commun,  et  celui  de  Québec 
s'est  toujours  reconnu  pareillement  soumis  à  la  juridiction 
de  l'Evêque,  conformément  au  droit  commun  et  aux  lettres 
patentes  d'union.  Est-il  possible  que  le  Chapitre  ignore 
ce  fait?  Ou,  comment,  ne  l'ignorant  pas,  ose-t-il  tant  se 
récrier  sur  les  abus  de  cette  indépendance,  et  la  proposer 
comme  moyen  et  unique  moyen  pour  faire  déclarer  nulle 
et  abusive  l'union  du  Séminaire  à  celui  des  Missions- 
Etrangères  de  Paris  ^?  » 

Quant  à  la  demande  vraiment  étrange  que  le  Chapitre 
faisait  de  l'église  de  Québec,  de  la  Fabrique  et  de  tous  ses 
biens,  voici  ce  que  répondait  le  Séminaire  : 

«  Le  Chapitre  a  mal  à  propos  dirigé  ces  demandes  contre 
le  Séminaire.  Le  Séminaire  ne  prétend  aucun  droit  à 
l'église  de  Québec.  Les  paroissiens  et  le  Curé  de  Québec 
en  prétendent  sans  doute  à  toutes  ces  choses.  Ils  ne  se 
persuaderont  pas  aisément   que  le  Chapitre  puisse,  sous 

65.  Mémoire  du  Séminaire,  1757,  p.  14. 

66.  Ibid.,  p.  15. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  303 

prétexte  de  la  Bulle,  s'emparer  de  leur  église,  et  les  mettre 
dans  la  nécessité  d'en  construire  une  autre,  ni  qu'il  puisse 
s'approprier  leur  Fabrique  et  les  biens  qui  en  dépendent. 
C'est  à  eux  que  le  Chapitre  doit  s'adresser  pour  faire  valoir 
ses  prétentions,  s'il  le  juge  à  propos  ^^.  » 

*     * 

M.  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait  un  jour  à  M^  de  Pont- 
briand  au  sujet  du  procès  entre  le  Chapitre  et  le  Sémi- 
naire : 

V  Je  crains  bien  que  cette  affaire  ne  finisse  pas  de  sitôt. 
Les  prêtres  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères  répon- 
dent fort  lentement,  et  profitent  un  peu  de  ce  qu'ils  sont 
tranquilles  sur  le  pavé  de  Paris. .  .  Pendant  ce  temps-là 
votre  Chapitre  est  désert,  et  se  consume  en  frais  de  députés 
et  d'agents.  Il  faut  avouer,  monseigneur,  que  les  hommes, 
pour  la  plupart,  ne  font  guère  ce  qu'ils  doivent  faire,  et 
sont  bien  rarement  où  ils  devraient  être.  Dieu  veuille  ter- 
miner cette  malheureuse  affaire,  dans  laquelle  la  Cour 
vous  rend  toute  la  justice  que  vous  méritez  du  côté  des 
peines  que  vous  vous  êtes  données  pour  concilier  ces  deux 
premiers  corps  de  votre  diocèse  ^®  ! . . .  w 

Le  Procès  se  termina  forcément,  à  la  Conquête,  mais 
sans  aucune  solution  ni  d'un  côté  ni  de  l'autre.  Tout  le 
monde,  Evêque,  Séminaire,  Chapitre,  resta  sur  le  même 
pied  qu'il  était  auparavant. 

Bientôt  le  Séminaire,  comme  nous  avons  déjà  eu  occasion 
de  le  dire,  renonça  de  lui-même  à  la  Cure  de  Québec,  les 
chanoines  s'éteignirent  les  uns  après  les  autres,  sans  être 
remplacés,  et  le  Chapitre  de  Québec  ne  fut  plus  qu'une 
chose  du  passé. 

67.  Mémoire  du  Séminaire,  1757,  p.  18. 

68.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  136.  _.     ^^ 


304  I^'ÉGUSE   DU   CANADA 

Ce  fut  M.  de  La  Corne  qui  fut  sans  doute  le  plus  ga- 
gnant dans  toute  cette  affaire.  Tout  en  remplissant  ses 
devoirs  comme  représentant  du  Chapitre,  à  Paris,  il  avait 
trouvé  le  moyen  de  s'en  faire  nommer  le  Doyen  par  la 
Cour  en  1755.  Bientôt  il  devint  aussi  abbé  de  Maubec  : 
cette  abbaye  importante,  que  le  Chapitre,  dans  un  moment 
de  véritable  hallucination,  avait  voulu  abandonner,  un 
jour,  mais  qu'il  avait  heureusement  réussi  à  reprendre  ^^, 
finit  par  lui  échapper,  après  la  Conquête,  et  le  Doyen  en 
devint  l'acquéreur,  moyennant  une  certaine  rente  à  payer 
à  ses  confrères  ;  puis,  par-dessus  le  marché,  il  obtint  la 
riche  abbaye  de  l'Etoile  '^^. 

Ecrivant  un  jour  à  Québec  à  l'un  de  ses  confrères,  au 
sujet  de  la  France  :  «  Ce  malheureux  pays  est  ruineux, 
disait-il,  il  faut  y  être  pour  le  savoir  "^^  »  Et  de  la  ville 
de  Paris  il  disait  :  «  Je  la  regarde  comme  l'enfer  de  ceux 
qui  y  ont  des  procès  '^^  w  Après  tout,  Paris  et  la  France 
ne  lui  avaient  pas  été  trop  incléments. 


69.  Registre  du  Chapitre,  séances  du  14  octobre  1749  et  du  5  novembre 
1750. 

70.  Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  267. 

71.  Ibid.,  p.  130. 

72.  Ibid.,  p.  7. 


CHAPITRE  XXIV 


COUP  D'œiL  SUR   LES   MISSIONS   LOINTAINES   DE   L'ÉGLISE 
DE  QUÉBEC  :  —  I.   LA  LOUISIANE 

Les  travaux  multiples  qui  occupent  l'Evêque  à  la  fois. — Le  plus  résident 
de  tous  nos  évêques. — Capucins  et  Jésuites  à  la  Nouvelle-Orléans.  — 
Un  seul  grand  vicaire.  —  Les  Ursulines  et  leur  œuvre.  —  M.  de 
Vaudreuil,  gouverneur  de  la  Louisiane.  —  Bienville  et  Périer.  — 
Massacre  des  Français,  aux  Natchez.  —  Le  drame  des  Chicachas.  — 
Mgr  de  Pontbriand  et  les  Capucins.  —  Ce  qu'écrit  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu.  —  La  Louisiane  en  1763. 

MGR  de  Pontbriand  écrivait  à  la  Cour  dans  l'automne  de 
1742  : 

«  Sur  les  plaintes  de  M.  Cosby,  gouverneur  de  l'Acadie, 
sur  de  petites  discussions  entre  les  missionnaires  de  ces 
quartiers,  sur  le  besoin  qu'il  y  a  d'un  prêtre  capable,  je  me 
suis  déterminé  à  y  envoyer  M  de  Miniac  ^  ;  d'autant  plus 
que  M.  de  la  Goudalie  ^  m'a  marqué  par  trois  fois  qu'il  ne 
pouvait  continuer  d'être  grand  vicaire,  ni  même  demeurer 
en  Acadie.  J'espère  cependant  que  M.  de  Miniac  pourra 
le  retenir  ^. .  .  » 

lyC  Prélat  ajoutait  l'année  suivante  : 

«  IvC  gouvernement  de  l'Acadie  a  fait  bien  des  difficultés 
pour  recevoir  MM.  de  Miniac  et  Girard  ^     Il  m'en  a  écrit 


1.  L'archidiacre  revenu  au  Canada  l'année  précédente. 

2.  M.  de  la  Goudalie,  de  Saint-Sulpice,  vicaire  général  pour  l'Acadie, 
était  curé  de  Port-Royal. 

3.  Corresp.  générale,  vol.  78,  lettre  au  ministre,  28  septembre  1742. 

4.  M.  Girard  était  curé  de  Cobequid. 

20 


306  L^ÊGI^ISE   DU   CANADA 

même  sur  un  certain  ton  qui  est  conforme  aux  principes 
anglicans.  Je  me  suis  contenté  de  citer  les  traités  de  paix, 
d'assurer  que  nos  missionnaires  n'y  allaient  point  par  des 
motifs  humains,  ou  pour  soustraire  les  peuples  à  l'obéis- 
sance légitime  ;  qu'il  leur  était  expressément  recommandé 
de  respecter  les  ordres  du  gouvernement.  Tout  est  actuel- 
lement en  paix  ^  » 

Dans  cette  lettre  adressée  à  la  Cour,  M^''  de  Pontbriand 
passait  sans  transition  de  l'Acadie  à  la  Louisiane,  puis  de 
la  Louisiane  à  Louisbourg.  A  la  Nouvelle-Orléans,  les 
Capucins  menaçaient  de  repasser  en  France,  si  leur  Supé- 
rieur n'avait  pas  le  titre  de  grand  vicaire  comme  celui  des 
Jésuites  ^.  Au  Cap-Breton,  les  Récollets  faisaient  les 
mêmes  menaces,  et  se  plaignaient  du  grand  vicaire  sécu- 
lier, M.  Maillard,  qui  représentait  là  l'Evêque  de  Québec  '^  : 

«  En  l'état  où  sont  les  choses,  écrivait  le  ministre  à  M^ 
de  Pontbriand,  et  tenant  compte  du  caractère  de  M.  Mail- 
lard, il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  ramener  la  paix  que  de 
rappeler  ce  missionnaire.  Je  vais  prendre  les  ordres  du 
Roi  à  cet  effet,  et  je  le  fais  d'autant  plus  volontiers  que  j'ai 
appris  que  vous  avez  établi  M.  de  Miniac  votre  grand 
vicaire  pour  l'Acadie  et  pour  l'Ile-Royale.  » 

M.  de  Miniac  était  en  effet  grand  vicaire  de  Québec  pour 
l'Acadie  et  l'Ile  Royale;  mais  M.  Maillard  l'était  égale- 
ment, et  M^^  de  Pontbriand  n'était  pas  d'humeur  à  se 
priver  des  services  de  ce  grand  missionnaire,  l'un  des  plus 
grands  que  les  Missions-Etrangères  aient  jamais  envoyés 
dans  la  Nouvelle-France  :  et  de  fait,  à  la  demande  de  son 
supérieur,  M.  de  Combes,  la  Cour  suspendit  pour  un  an 
son  rappel  en  France,  puis  le  laissa  tranquille  ^ 


5.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  au  ministre,  20  octobre  1743. 

6.  Rapport. ..  pour  IÇ05,  p.  11,  lettre  du  ministre  à  l'évêque,  21  mai 

1743- 

7.  Ibîd.,  p.  5,  lettre  du  ministre  à  l'évêque,  13  février  1743. 

^.  Rapport.  ..pour  1905,  p.  6,  lettre  du  ministre  à  l'évêque,  28  mars 
1743. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  307 

«  A  l'égard  de  la  Louisiane,  souffrez,  monsieur,  écrivait 
au  ministre  M^^  de  Pontbriand,  que  je  vous  représente  qu'il 
est  à  propos  qu'il  n'y  ait  qu'un  grand  vicaire.  S'il  y  en 
avait  deux,  il  n'y  aurait  plus  de  subordination.  Les  abus 
qui  se  glissent  ne  peuvent  être  réformés  ;  chacun  se  com- 
porte comme  il  veut.  Nous  ne  connaissons  rien  de  ce  qui 
se  passe.  Au  contraire,  dans  la  position  présente,  si  quel- 
qu'un se  dérange,  on  est  bientôt  instruit. 

«  Je  n'ai  pas  cru,  ajoutait-il,  devoir  laisser  M.  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu  absolument  maître  sur  l'article  du  grand  vicaire, 
afin  de  rendre  ce  changement  plus  difficile,  et  de  lui  donner 
occasion  de  refuser  les  Capucins  sans  les  choquer.  J'ai 
pensé  que  par  ce  moyen  on  gagnerait  du  temps,  qu'on  les 
accoutumerait  ainsi  peu  à  peu  à  ce  nouveau  gouvernement. 
D'ailleurs  je  crois  qu'il  convient  que  le  Provincial  s'adresse 
à  moi  au  moins  une  fois  dans  la  vie  ^.  » 

Puis  il  passait  sans  transition  à  l'affaire  de  M.  Maillard 
et  des  Récollets  à  l'Ile-Royale  : 

«  Il  est  constant,  disait-il,  que  les  Récollets  de  l'Ile- 
Royale,  depuis  plusieurs  années,  ne  se  comportaient  pas 
bien.  Il  est  certain  que  M.  Maillard  n'a  rien  fait  d'écla- 
tant contre  eux,  qu'il  a  du  zèle,  de  la  piété,  et  que  je  n'en 
ai  jamais  reçu  aucune  plainte.  Il  est  important  pour  le 
bien  de  la  Religion  qu'il  y  ait  à  Louisbourg  ou  aux 
environs  un  grand  vicaire  séculier  :  il  éclaire  la  conduite  des 
autres,  et  en  est  sévèrement  examiné.  Ces  bons  relieieux 
veulent  être  indépendants.  Voilà  la  source  des  plaintes 
qu'on  vous  a  portées.  Ils  remuèrent,  dès  qu'ils  connurent 
qu'ils  n'étaient  plus  grands  vicaires  ;  ils  menacent  de 
quitter.  Je  crois,  avec  votre  permission,  que  vous  con- 
damnez ces  menaces,  et  que  même  vous  ne  les  croyez  pas 
réelles.     M.  de  Aliiiiac  est  trop  éloigné  pour  agir  à  Louis- 

9.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  du  20  octobre  1743. 


3o8  l'egusk  du  canada 

bourg  ^".  Il  est  triste  pour  moi  de  voir  des  religieux 
vouloir  être  malgré  moi  grands  vicaires,  et  pour  réussir 
chercher  tous  les  moyens  d'obtenir  des  ordres  de  votre 
part  pour  le  rappel  de  M.  Maillard. 

((  Je  n'ai  pas  besoin  de  m'expliquer  davantage  à  un  mi- 
nistre aussi  éclairé,  ajoutait-il.  Malgré  tout  ce  que  je 
viens  de  vous  dire,  j'ai  poussé  la  modération  au  dernier 
point  à  l'égard  de  ces  religieux,  plutôt  pour  entrer  dans 
vos  vues,  que  pour  leur  satisfaction  et  pour  calmer  cette 
ambition  mal  placée.  J'ai  renoncé  à  mes  propres  lumières. 
M.  Maillard  et  le  Père  Commissaire  ont  chacun  mes  pou- 
voirs, pour  les  exercer  de  concert;  et  lorsqu'ils  ne  sero^it 
point  d'accord,  ils  doivent  m'écrire  conjointement.  J'ai 
donné  aux  premiers  des  instructions  qui  doivent  naturel- 
lement établir  la  paix.  Je  vous  avoue  que  ce  petit  sacri- 
fice m'a  coûté:  mais  que  ne  fait-on  pas,  lorsqu'il  s'agit 
de  suivre  vos  intentions  ^^?  » 

Rien,  croyons-nous,  n'est  plus  propre  à  donner  une  idée 
de  la  position  de  l'Evêque  de  Québec,  à  cette  époque,  dans 
son  immense  diocèse,  que  de  grouper  ainsi,  comme  dans 
un  tableau,  quelques  extraits  de  sa  correspondance.  Il 
-faudrait  aussi  grouper  les  faits,  et  exposer  à  la  fois,  dans 
un  même  plan,  tous  ceux  qui  se  sont  passés  à  peu  près  à 
la  même  date,  montrer,  par  exemple,  que  les  actes  d'insu- 
bordination de  ses  ouvriers  évangéliques,  à  l'Acadie  et  à  la 
Louisiane,  faisaient  écho,  pour  ainsi  dire,  à  ceux  de  son 
Chapitre,  qui  méprisait  ses  avis,  et  persistait  à  aller  devant 
le  Conseil  Supérieur  pour  une  cause  purement  ecclésias- 
tique ;  il  faudrait  montrer  que  toutes  les  mauvaises  nou- 
velles qui  lui  arrivent  des  parties  les  plus  lointaines  de 
son  diocèse  viennent  le  surprendre  au  milieu  de  ses  visites 


10.  Sa  résidence  était  à  Port-Royal. 

11.  Corresp.  générale,  vol.  80,  lettre  du  20  octobre  1743. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  309 

pastorales,  au  milieu  des  travaux  pénibles  que  lui  impose 
la  reconstruction  de  sa  cathédrale  ou  celle  de  ses  hôpitaux 
incendiés,  au  milieu  des  graves  soucis  que  lui  donne  l'af- 
faire de  M^®  d'Youville  et  de  l'Hôpital-Général  de  Mont- 
réal, au  milieu  des  mille  tracas  d'une  vie  épiscopale  très 
occupée.  Quelle  immense  administration  !  Et  qu'il  est 
beau  de  voir  notre  Prélat  ferme  et  constant  au  milieu  de 
tous  les  travaux  et  de  toutes  les  épreuves,  voyant  à  tout, 
suffisant  à  tout,  se  possédant  toujours,  et  ne  se  laissant 
jamais  abattre  par  les  événements  !  Bien  des  fois,  sans 
doute,  il  serait  tenté  de  se  donner  une  distraction  légitime, 
d'aller  revoir,  par  exemple,  son  pays  natal,  la  belle  et  douce 
France.  Il  y  a  même  pensé  sérieusement,  car  il  écrit  un 
jour  au  ministre  :  ((  Ce  serait  une  occasion  pour  moi  de 
vous  communiquer  bien  des  choses  essentielles  au  bien  de 
mon  diocèse  et  à  celui  de  la  colonie  ^^  »  On  l'attend,  on 
le  désire  à  la  Cour,  où  il  est  en  singulière  estime  ^^  ;  il  sera 
reçu  à  bras  ouverts  par  ses  parents,  par  ses  amis  : 

((  Je  ne  puis  dissimuler  l'envie  que  j'avais  de  vous  voir, 
écrit-il  un  jour  à  ses  sœurs,  mais  je  vous  prie  de  ne  plus 
me  parler  de  mon  voyage.  C'est  une  tentation  pour  moi. 
Que  dis-je?...  Parlez-m'en  toujours  avec  force.  Mon 
devoir  m'engageia  alors  à  vous  convaincre,  et  en  le  faisant 
je  me  convaincrai  moi-même  que  l'ennui  et  les  croix  ne 
furent  jamais  une  raison  à  un  Evêque  de  quitter  son  trou- 
peau ^*.  » 

Quelle  parole  admirable  !  quelle  parole  réconfortante  ! 
Comme  elle  donne  une  haute  idée  de  M^^'  de  Pontbriand  ! 

Il  reste  donc  ferme  et  fidèle  à  son  poste.  Il  a  été  sans 
contredit  le  plus  résident  de  tous  nos  Evêques,  et,  suivant 


12.  Corresp.  générale,  vol.  89,  lettre  du  10  juillet  1747. 

13.  Rapport. . .  pour  IÇ05,  p.  210,  227. 

14.  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  436,  lettre  du  28  octobre  1751. 


310  l'église  du  canada 

l'expression  si  juste  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  «  un  Prélat 
digne  des  premiers  siècles  de  l'Eglise  »  ^^ 

* 
*     * 

Comme  nous  l'avons  dit  ailleurs  ^^,  il  faudrait  des  vo- 
lumes pour  écrire  l'histoire  des  missions  lointaines  qui 
dépendaient  de  l'Eglise  de  Québec.  Dans  un  ouvrage 
comme  celui-ci,  nous  ne  pouvons  que  jeter  un  coup  d'œil 
sur  ces  missions.  Commençons  par  la  Louisiane,  et  sup- 
posons tout  d'abord  que  nous  sommes  en  1729. 

Cette  mission  comprend  toute  la  vallée  du  Mississipi, 
depuis  le  Wisconsin  jusqu'au  golfe  du  Mexique.  Aux 
Jésuites  sont  confiées  toutes  les  missions  sauvages,  à  part 
celle  des  Tamarois.  qui  appartient  aux  Missions-Etrangères. 
Les  Capucins  ont  la  desserte  de  tous  les  postes  français  du 
Bas-Mississipi  :  les  Jésuites,  ceux  du  Haut-Mississipi. 

Le  supérieur  des  Capucins  réside  à  la  Nouvelle-Orléans  ; 
le  supérieur  des  Jésuites,  aussi,  et  c'est  lui  qui  a  la  con- 
duite spirituelle  des  Ursulines,  mais  il  n'est  grand  vicaire 
que  pour  les  missions  sauvages.  Le  supérieur  des  Capu- 
cins, seul,  est  grand  vicaire  à  la  Nouvelle-Orléans  et  dans 
tous  les  postes  français.  Ainsi  l'a  réglé  M^'^  de  Mornay, 
Capucin  lui-même;  et  cet  arrangement  subsiste  tout  le 
temps  de  son  administration  et  celle  de  M^^  Dosquet. 

On  se  rappelle  les  graves  difficultés  qui  s'en  suivirent 
entre  le  P.  Raphaël,  supérieur  des  Capucins,  et  le  P.  de 
Beaubois,  supérieur  des  Jésuites.  Le  P.  Raphaël  alla 
jusqu'à  interdire  les  Jésuites,  et  ne  leva  l'interdit  qu'à  sa 
mort,  en  1734  ^l  Le  P.  Mathias,  qui  lui  succéda,  ne  se 
montra  guère  plus  clément,  et  ce  ne  fut  que  quatre  ans 


15.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  au  ministre,  30  octobre  1757. 

16.  L'Eglise  du  Canada. . .,  lère  Partie,  p.  367. 

17.  Ihid.,  2e  Partie,  p.  23. 


sous    M»""    DE    PONTBRIAND  3II 

plus  tard,  en  1738,  sous  le  supériorat  de  son  successeur,  le 
P.  Philippe,  que  les  Jésuites  jouirent  d'une  paix  au  moins 
relative,  grâce  à  Pesprit  conciliant  de  ce  bon  Père  capucin, 
grâce  aussi  aux  nouveaux  arrangements  que  l'abbé  de 
Pile-Dieu,  après  la  démission  de  M^''  Dosquet,  crut  devoir 
établir  entre  les  deux  ordres  religieux  qui  desservaient  la 
Louisiane,  les  mettant  indépendants  l'un  de  l'autre  pour  la 
juridiction,  chacun  dans  leur  mission  respective  : 

«D'après  cet  arrangement,  qui  ôtait  absolument  toute 
rivalité  de  juridiction,  je  crus,  dit-il,  pouvoir  me  promettre 
que  l'effet  cesserait  avec  la  cause,  et  effectivement  je  n'en- 
tendis plus  parler  de  discussion  ni  d'altercation  entre  les 
deux  ordres  religieux  ^^.  » 

Cet  état  de  choses  durait  encore  lorsque  M^^  de  Pont- 
briand  fut  nommé  évêque  de  Québec,  et  le  Prélat  semblait 
disposé  à  le  maintenir,  lorsqu'arrivé  à  La  Rochelle,  il 
reçoit  de  la  Louisiane  de  nouvelles  plaintes  contre  les 
Capucins.  Il  avait  donné  ordre  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu, 
avant  de  partir,  d'expédier  des  lettres  de  grand  vicaire  au 
supérieur  des  Jésuites,  à  celui  des  Capucins,  et  à  celui  des 
Missions-Etrangères.  Il  lui  écrit  immédiatement  de  n'en 
pas  envoyer  aux  Capucins,  «  étant  déterminé,  dit  l'abbé  de 
rile-Dieu,  à  les  soumettre  aux  Jésuites  et  à  ne  donner  des 
lettres  de  grand  vicaire  qu'à  ces  derniers  pour  le  haut 
et  tout  le  bas  de  la  colonie  ^^.  Nous  avons  vu  la  raison 
qu'il  en  donnait,  dans  une  lettre  adressée  au  ministre  que 
nous  avons  citée  au  commencement  de  ce  chapitre.  S'il 
avait  décidé  de  soumettre  les  Capucins  de  la  Louisiane  à 
la  juridiction  des  Jésuites,  ce  n'était  pas  qu'il  préférât 
ceux-ci  aux  autres.  Il  aimait  et  estimait  tous  les  religieux 
en  général  : 


18.  Cité  dans  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIIIe  siècle, 
t  I,  p.  324. 

19.  Ihid.,  p.  328. 


312  l'êguse  du  canada 

«  Je  vous  le  répète,  écrit-il  un  jour  à  ses  sœurs  les  Visi- 
tandines,  je  ne  suis  point  attaché  à  aucun  habit  en  parti- 
culier, et  je  crois  que  nous  devons  tous  n'envisager  que  la 
plus  grande  gloire  de  Dieu  ^°.  » 

Certes,  il  estimait  beaucoup  les  Jésuites,  et  il  disait 
pourquoi  : 

(f  II  est  certain  que  j'aime  et  que  j'estime  les  Jésuites, 
parce  que,  Dieu  merci,  ceux  que  je  connais  méritent  beau- 
coup. » 

On  raconte  à  ce  sujet  un  trait  bien  touchant.  Quelques 
mois  seulement  avant  d'écrire  à  ses  sœurs  la  lettre  que 
nous  venons  de  citer,  il  avait  visité  à  son  lit  de  mort,  au 
Collège  de  Québec,  un  bon  vieux  religieux  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  le  P.  Chardon,  qui  avait  une  grande  réputa- 
tion de  sainteté.  Le  Prélat  se  jette  à  genoux,  et  lui  de- 
mande sa  bénédiction  :  a  C'est  à  vous,  monseigneur,  à  me 
bénir  »,  lui  dit  le  Jésuite.  M^^  de  Pontbriand  le  bénit  en 
effet  ;  mais  après  avoir  reçu  cette  bénédiction,  le  P.  Char- 
don fut  obligé  de  consentir  à  ce  que  le  Prélat  exigeait 
de  lui  ^^.  » 

Nous  le  répétons,  cependant,  ce  n'est  pas  parce  que 
l'Evêque  de  Québec  estimait  les  Jésuites  qu'il  leur  avait 
donné  le  grand  vicariat  de  la  Louisiane  de  préférence  aux 
Capucins.  Mais  il  voulait,  pour  le  bon  ordre,  qu'il  n'y 
eût  qu'un  seul  grand  vicaire.  Les  Capucins  ne  tardèrent 
pas  de  se  plaindre  de  la  position  qu'il  leur  faisait  ;  mais  sa 
décision,  approuvée  et  sanctionnée  par  la  Cour  ^^,  fut  irré- 
vocable, comme  avait  été  celle  de  M^^  de  Mornay  par  rap- 
port aux  Jésuites. 

Tout  allait  dépendre,  évidemfnent,  pour  la  paix  reli- 


20.  Lettre  du  25  octobre  1744,  publiée  dans  la  Revue  Canadienne,  t. 
VIII,  p.  435. 

21.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIII e  siècle,  t.  II,  p.  52. 

22.  Corresp.  générale,  vol.  100,  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  mi- 
nistre, 3  novembre  1755. 


sous    M«^   DE    PONTBRIAND  313 

gieuse  dans  la  colonie,  du  caractère  plus  ou  moins  conci- 
liant du  supérieur  des  Capucins  et  de  celui  des  Jésuites. 
Fort  heureusement,  les  deux  premiers,  du  temps  de  M^^  de 
Pontbriand,  le  P.  de  Vitry,  jésuite,  et  le  P.  de  Ramber- 
villiers,  capucin,  étaient  des  hommes  de  Dieu  dans  toute 
Pacceptiou  du  mot  : 

«  Ils  sont  dans  une  grande  union  et  une  parfaite  intelli- 
gence w,  écrit  M.  de  l'Ile-Dieu  en  1745.  Parlant  des  Jé- 
suites de  la  Ivouisiane,  en  général  :  «  Ce  sont,  dit-il  l'année 
suivante,  d'excellents  sujets  qui  se  conduisent  fort  bien 
dans  leurs  missions  des  Illinois  et  des  Missouris.  Ils  ont 
un  P.  de  Vitry  résidant  à  la  Nouvelle-Orléans,  qui  y 
exerce  les  fonctions  de  grand  vicaire  sur  les  Capucins, 
suivant  les  derniers  arrangements  de  M.  PEvêque  de  Qué- 
bec :  c'est  un  esprit  liant  et  conciliant,  qui  conduit  très 
bien  sa  barque  et  au  gré  même  de  ceux  sur  qui  il  a  auto- 
rité. »  Parlant  ensuite  des  Capucins,  qui  étaient  au  nombre 
de  douze,  enviiron  :  «  I,e  P.  de  Rambervilliers,  dit-il,  se 
loue  beaucoup  de  tous  ses  confrères,  chacun  dans  leur  poste, 
qu'ils  desservent  au  grand  contentement  et  à  l'édification 
de  la  colonie  '^^.  « 

Les  Ursulines,  à  la  Nouvelle-Orléans,  étaient  de  pré- 
cieux auxiliaires  pour  les  missionnaires.  Qui  pourrait 
dire  tout  le  bien  dont  elles  furent  l'instrument  providen- 
tiel dans  cette  ville  naissante  ? 

«  Depuis  quatorze  ans  que  je  m'occupe  de  la  Nouvelle- 
Orléans,  écrivait  en  1745  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  je  n'ai  eu 
que  de  bonnes  nouvelles  sur  les  Ursulines.  Elles  y  rendent 
de  grands  services  pour  l'Education  et  pour  les  Hôpitaux. 
Elles  enseignent  les  négresses  à  part.  . .  Mais,  ajoutait-il, 
elles  ont  grand  besoin  de  secours.  Elles  n'ont  rien  reçu 
depuis  deux  ans  de  ce  qui  leur  est  dû .  . .  » 

23.  Archives  de  l'archev.  de  Québec,  lettre  au  ministre,  23  août  1752. 


314  I^'ÊGUSE   DU   CANADA 

Grâce  à  M.  Rouillé,  dont  il  ne  cessait  de  dire  du  bien, 
il  leur  obtint  sept  mille  livres,  à  prendre  sur  la  Loterie  des 
Communautés  ^*. 

Mais  elles  avaient  de  grandes  dépenses  à  faire  pour  le 
service  de  leur  maison  et  de  ses  dépendances  ;  et  ce  service 
se  faisait,  suivant  l'usage  de  l'endroit,  par  des  nègres 
esclaves.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait  au  ministre  en 
1746: 

«  Les  Ursulines  de  la  Nouvelle-Orléans  ont  été  obligées 
d'acheter  vingt-quatre  têtes  de  nègres  pour  le  prix  de 
trente  mille  francs  ^^  » 

Le  commissaire-ordonnateur,  M.  Le  Normand,  qui  n'ai- 
mait pas  les  Jésuites,  regardait  aussi  d'un  mauvais  œil  les 
Ursulines,  qui  avaient  toujours  tenu  à  rester  sous  leur  con- 
duite, à  l'exclusion  des  Capucins.  Non  seulement  il  les 
payait  mal,  mais  il  les  accusait  fort  injustement  «d'avoir 
spolié  l'Hôpital  dont  elles  avaient  la  direction  : 

«  Je  soupçonne  M.  Le  Normand  d'être  préjugé  contre  les 
Ursulines  et  les  Jésuites,  écrit  l'abbé  de  Pile-Dieu.  Il 
a  fait  descendre  des  Tamarois  à  la  Nouvelle-Orléans  M. 
l'abbé  Laurent  pour  desservir  l'Hôpital,  et  il  ne  reste  plus 
aux  Tamarois  que  deux  vieux  prêtres  fort  âgés.  )>  Et  il 
ajoutait  deux  ans  plus  tard,  en  parlant  des  Ursulines: 
«  Ce  sont  pourtant  de  bonnes  et  saintes  filles,  qui  rendent 
de  grands  services  à  la  colonie.  Vous  ne  pourriez  mieux 
vous  en  rapporter,  disait-il  au  ministre,  qu'à  M.  de  Vau- 
dreuil,  dont  tout  le  monde  se  loue  dans  la  colonie,  par  le 
bien  qu'il  y  fait,  et  par  la  douceur  de  son  gouvernement.  » 

Celui  qui  fut  notre  dernier  gouverneur  sous  le  régime 
français,  avant  la  Conquête,  avait  été  nommé  gouverneur 
de  la  Louisiane  en  1742,  et  son  gouvernement  fut  une  véri- 


24.  Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dîeu  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 

25.  Manuscrits  de  Jacques  Viger,  Ma  Saberdache. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  315 

table    bénédiction    pour    la    colonie.     Jugeons-en   par   ces 
quelques  lignes  de  Pabbé  de  TIle-Dieu  au  ministre  : 

((  M.  de  Vaudreuil,  dit-il,  fait  des  biens  immenses  à  la 
Nouvelle-Orléans.  Toutes  les  lettres  que  j'en  reçois  sont 
pleines  de  ses  éloges,  et  il  me  parait  qu'il  n'y  sert  pas 
moins  bien  la  religion  que  l'Etat.  Je  suis  pénétré  d'édifi- 
cation en  voyant  les  détails  dans  lesquels  la  bonté  de  son 
cœur  le  fait  entrer,  à  en  juger  même  par  les  lettres  qu'il 
me  fait  l'honneur  de  m'écrire.  Il  est  actuellement  occupé 
à  prendre  des  mesures  avec  M.  l'Evêque  pour  faire  venir 
quelques  religieuses  de  Québec  pour  secourir  et  soulager 
les  Ursulines  de  la  Louisiane,  par  la  difficulté  où  l'on  est, 
et  même  l'impossibilité,  d'en  faire  passer  de  France,  dans 
la  circonstance  de  la  guerre  ^^.  .  .  » 

Les  Ursulines  de  la  Nouvelle-Orléans  étaient  au  nombre 
de  douze  en  1745.  Il  n'y  en  avait  plus  que  onze  en  1747, 
et  d'après  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  il  en  aurait  fallu  au  moins 
une  trentaine. 

Du  reste,  le  bon  exemple  de  M.  de  Vaudreuil  avait  été 
contagieux  :  le  commissaire-ordonnateur,  M.  Le  Normand, 
se  montrait  désormais  bien  disposé  à  leur  égard  ;  et  puis  la 
paix  et  l'union  continuaient  à  régner  entre  les  Capucins  et 
les  Jésuites  : 

((  Suivant  ce  que  me  marque  M.  de  Vaudreuil,  écrit  M*'^ 
de  Pontbriand  au  ministre,  il  est  convenable  que  l'arran- 
gement que  j'ai  pris  pour  le  grand  vicariat  subsiste.  Les 
lettres  que  je  reçois  de  ce  pays,  ajoute-t-il,  ne  cessent  de 
louer  ce  gouverneur  comme  réunissant  toutes  les  qualités 
nécessaires  pour  être  à  la  tête  d'une  colonie  ^'^.  « 

Il  avait  succédé  à  M.  de  Bienville,  qui  fut  gouverneur 
•  de  la  Louisiane  à  trois  reprises  différentes.     Sa  troisième 


26.  Lettre  du  12  septembre  1747. 

27.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  du  10  novembre  1746. 


3l6  L'EGLISE   DU   CANADA 

administration  et  celle  de  M.  Périer  qui  Pavait  précédée 
restent  marquées  dans  l'histoire  par  quelques-uns  des  coups 
les  plus  sanglants  qui  ont  frappé  les  Français  en  Amé- 
rique. Qui  ne  connaît  l'affreux  massacre  de  deux  cent 
vingt  sept  Français  ^^,  aux  Nsrchez,  en  1729,  suivi  de  près 
par  une  autre  boucherie  terrible,  chez  les  Yasous,  à  la  fin 
de  la  même  année?  Deux  Jésuites,  le  P.  Poisson  et  le  P. 
Souel,  payèrent  de  leur  vie,  en  ces  occasions,  leur  dévoue- 
ment à  la  Religion  et  à  la  Patrie;  et  un  troisième,  le  P. 
d'Outreleau,  n'échappa  au  massacre  que  par  miracle  :  il 
put  se  rendre  à  la  Nouvelle-Orléans,  mais  criblé  de  bles- 
sures. 

Périer,  gouverneur  de  la  Louisiane,  ne  s'était  pas  assez 
défié  de  ces  tribus  sauvages  du  Mississipi,  autrefois  amies 
des  PVançais  -^,  mais  les  plus  traîtres  de  tous  les  sauvages 
de  l'Amérique  du  Nord,  sans  excepter  même  les  Iroquois. 
Il  ne  s'était  pas  assez  défié  des  Anglais,  qui  les  soudoyaient 
et  s'en  servaient  pour  couper  les  communications  entre  la 
Louisiane  et  le  Canada,  et  continuer  leurs  établissements 
commencés  à  la  Belle-Rivière. 

M.  de  Bienville,  qui  succède  à  Périer,  ouvre  les  yeux,  et 
se  décide  à  entreprendre  une  expédition  contre  les  Chica- 
chas  ^^,  nation  très  hostile  aux  Français  et  alliée  aux  An- 
glais. Il  écrit  au  gouverneur  des  Illinois,  M.  d'Artaguette, 
de  venir  le  rejoindre  avec  un  détachement  de  miliciens  et 
de  sauvages  aussi  nombreux  que  possible.  Le  coup  est 
fixé  pour  le  10  mai  1736.  Malheureusement  l'entente 
entre  les  deux  chefs  n'a  pas  été  parfaite,  les  deux  corps 
n'ont    pu   se    rejoindre.     Les    Chicachas,    guidés    par   les 


'S^.  Rapport.  ..pour  1Ç05,  p.  449. 

29.  Ihid.,  p.  443,  Mémoire  du  sieur  de  Mandeville,  1709. 

30.  Ces  sauvages  étaient  fixés  à  80  lieues  au  nord  des  Natchez,  un  peu 
au  nord  des  Yasous,  à  peu  près  à  l'endroit  où  s'étaient  rendus  Joliet  et 
Marquette  en  1673. 


sous   M^^    DE    PONTBRIAND  317 

ÂDglais,  se  sont  fortifiés  dans  leurs  retrancliements  ;  ils 
attendent  de  pied  ferme  les  Français.  Deux  assauts  livrés 
le  même  jour  sont  vigoureusement  repoussés.  Bienville 
ne  croyant  pas  avoir  besoin  de  son  artillerie,  l'a  laissée  à 
sept  lieues  de  là  ;  il  n'a  plus  le  temps  de  la  faire  venir,  car 
les  sauvages  des  autres  bourgs  accourent  nombreux  au 
secours  du  grand  village.  Bienville  ordonne  la  retraite  et 
reprend  honteux  et  attiisté  le  chemin  de  la  Mobile. 

M.  d'Artaguette  arrive  quelques  jours  plus  tard,  et  ap- 
prend l'échec  de  Bienville.  A  son  tour,  il  essaie  de  s'em- 
parer du  grand  village  des  Chicachas.  Un  premier  fort 
est  enlevé  d'emblée,  puis  un  second  ;  à  l'assaut  du  trois- 
ième, il  est  blessé,  et  tombe.  Découragés,  les  sauvages 
alliés  prennent  la  fuite  précipitamment,  à  l'exception  des 
Iroquois,  qui  font  des  prodiges  de  valeur.  Avec  eux,  les 
officiers  tiennent  tête  à  l'ennemi,  jusqu'au  moment  où, 
débordés,  succombant  sous  le  nombre,  force  fut  de  songer, 
eux  aussi,  à  la  retraite. 

La  plupart  des  Français  et  des  Iroquois  parviennent  à  se 
dégager  et  se  retirent  en  bon  ordre  sous  la  conduite  de 
Voisin,  soldat  de  seize  ans,  qui  s'improvise  officier,  et 
dirige  la  retraite  avec  le  sang  froid  et  l'expérience  d'un 
vieux  capitaine.  Poursuivi  par  les  Chicachas  pendant 
vingt  cinq  lieues,  il  les  tient  en  respect  et  fait  parcourir  à 
ses  hommes,  électrisés  par  son  exemple,  quarante-cinq 
lieues,  sans  vivres  et  emportant  les  blessés. 

A  l'assaut  du  troisième  fort,  quelques  miliciens  et  les 
trois  frères  Drouet  de  Richarville,  officiers  distingués, 
avaient  trouvé  une  mort  glorieuse.  MM.  d'Artaguette,  de 
Vincennes,  de  Coulange,  le  quatrième  des  frères  Drouet, 
du  Tisné,  d'Esgly,  de  Saint-Ange,  de  Tonti,  et  quinze  à 
seize  soldats  sont  faits  prisonniers  et  conduits  sur  un  monti- 
cule au  milieu  du  bourg.  Là,  dépouillés  d'abord  de  leurs 
vêtements,  insultés  et  cruellement  flagellés,  ils  sont  ensuite 


3i8  l'église  du  canada 

jetés  sur  deux  bûchers,  où  ils  expirent  clans  les  plus  atroces 
souffrances. 

((  Avec  ces  héros,  écrit  le  P.  de  Rochemonteix,  mourait 
des  mêmes  tortures  le  Jésuite  Antoine  Sénat. . .  Au  mois 
de  mai  1736,  il  assistait  les  Français  et  les  Sauvages  à 
l'assaut  du  village  des  Chicachas.  Il  aurait  pu  s'enfuir 
avec  Voisin  et  ses  compagnons:  on  le  lui  conseilla,  on  lui 
offrit  même  un  cheval  ;  mais  il  refusa,  son  devoir  étant 
d'être  avec  les  Français  que  les  ennemis  venaient  de  faire 
prisonniers.  Il  fut  pris  avec  eux.  Avec  eux  il  marcha 
au  lieu  du  supplice  ;  avec  eux  il  subit  les  derniers  outrages 
et  la  bastonnade.  C'est  le  rêve  de  son  cœur  d'apôtre  qui 
se  réalise.  Il  entend  la  confession  de  ses  compagnons,  il 
les  absout  et  les  exhorte  à  offrir  à  Dieu  avec  courage  et  en 
vrais  martyrs  le  sacrifice  de  leur  vie.  Avant  de  monter 
sur  le  bûcher,  tous  se  mettent  à  genoux,  ils  prient,  puis  ils 
entonnent  d'une  voix  ferme  des  psaumes  et  des  cantiques 
et  les  continuent  au  milieu  des  flammes.  Plus  tard,  en 
racontant  cette  scène  de  martyrs,  les  Sauvages  disaient 
que  ces  Français  chantaient  pour  aller  en  haut  ;  et  en  les 
voyant  mourir,  ils  faisaient  leur  éloge  par  ces  simples 
paroles  :  ((  Vraiment  ces  Français  ne  sont  pas  des  femmes, 
mais  des  hommes  !  » 

Qui  ne  se  rappellerait,  en  lisant  le  supplice  du  P.  Sénat  31 
et  de  ses  compagnons,  nos  anciens  martyrs,  les  apôtres 
de  la  nation  Huronne,  les  Pères  Daniel,  de  Brébeuf  et 
lyalemant? 

Bienville  essaya  quelques  années  plus  tard  de  réparer 
son  expédition  manquée  de  1736.  Il  se  rendit  de  nouveau 
au  pays  des  Chicachas,  et  obtint  quelques  succès  sur  ces 
sauvages,  qui  lui  demandèrent  la  paix.     Il  ne  sut  pas  la 

31.  Le  P.  Sénat  était  né  à  Auch  en  1699.  Il  appartenait  à  la  province 
de  Toulouse.  Un  de  ses  supérieurs  écrivait  de  lui  au  général  des  Jé- 
suites: " Magnus  in  omnibus,  il  est  grand  en  tout." 


sous    M»'   DE    PONTBRIAND  319 

leur  refuser  et  retourna  avec  son  petit  bonheur  à  la  Nou- 
velle-Orléans. 

Cette  paix  lui  fut  vivement  reprochée,  et  il  se  la  repro- 
cha lui-même.  Evidemment,  cet  homme  autrefois  si  actif, 
si  courageux,  avait  vieilli  de  toutes  manières. 

Découragé  de  tous  les  insuccès  de  sa  troisième  adminis- 
tration, M.  de  Bienville  donna  en  1741  sa  démission 
comme  gouverneur  de  la  Louisiane,  et  fut  remplacé  par 
M.  de  Vaudreuil. 

Celui-ci  fut  dix  ans  gouverneur  de  la  Louisiane.  Il  eut 
pour  successeur,  en  1753,  M.  de  Kerlerec,  qui  fut  le  dernier 
gouverneur  de  la  Louisiane  française. 

* 

Nous  avons  vu  combien  M^^  de  Pontbriand  appréciait 
M.  de  Vaudreuil  comme  gouverneur  ;  il  avait  d'autant 
plus  à  s'en  féliciter,  que  celui-ci  approuvait  complètement 
sa  conduite  et  ses  arrangements  par  rapport  aux  Jésuites 
et  aux  Capucins.  M.  de  Vaudreuil  aurait-il  réussi  à  main- 
tenir la  paix  entre  les  deux  ordres  religieux,  s'il  fût  resté 
gouverneur  de  la  Nouvelle-Orléans  ?  La  chose  n'est  guère 
probable  : 

«  Ces  bons  Capucins,  à  ce  que  me  mande  M.  de  Vau- 
dreuil, écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  ont  toujours  sur  le 
cœur  la  privation  de  leur  ancienne  juridiction.  Il  est 
bien  fâcheux  d'être  humble  par  état,  et  vain  par  senti- 
ment. »  Et  il  ajoutait  :  «  Je  suis  averti  par  M.  de  Vau- 
dreuil qu'il  y  a  deux  sujets  qu'il  faut  absolument  retirer  ^^.  » 

Le  P.  de  Rambervilliers  étant  mort,  ses  successeurs,  le 
P.  Dagobert,  d'abord,  puis  ensuite  le  P.  de  Rauquemont 
ne  tardèrent  pas  à  réclamer  le  grand  vicariat  dont  avaient 

32.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  26  avril  1752, 


320  L^éGLISE   DU   CANADA 

joui  autrefois  les  Capucins.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu  et 
l'Evêque  de  Québec  restant  sourds  à  leurs  plaintes,  les 
Capucins  soumirent  leurs  prétentions  au  Conseil  Supérieur 
de  la  Nouvelle-Orléans,  qui  leur  donna  tort.  Ils  en- 
voyèrent des  mémoires  à  la  Cour,  et  ne  furent  pas  plus 
heureux.  Leur  Supérieur  avait  autrefois,  du  temps  de 
M^*"  de  Mornay,  interdit  les  Jésuites  :  par  un  singulier 
retour  des  choses  d'ici-bas,  ils  virent  un  jour  M^'^  de  Pont- 
briand  interdire  deux  de  leurs  Pères  : 

<(  J'espère,  écrivait  le  Prélat  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  que  la 
Cour  me  soutiendra  et  viendra  à  l'appui  de  l'interdit  que 
j'ai  prononcé  contre  deux  Capucins  de  la  colonie,  les  plus 
mutins  et  les  plus  révoltés  contre  l'autorité  légitime  de 
l'Ordinaire  ^^.  » 

L'affaire  du  grand  vicariat  de  la  Louisiane,  à  la  demande 
de  M^''  de  Pontbriand  lui-même,  alla  à  Rome,  où  elle  traîna 
en  longueur.  Rien  n'était  encore  décidé  lorsque  l'Evêque 
mourut  en  1760:  le  Supérieur  des  Jésuites  était  encore 
son  seul  grand  vicaire  à  la  Louisiane,  et  il  resta  grand 
vicaire  jusqu'à  la  suppression  de  la  Compagnie  de  Jésus  en 

Les  Capucins  prétendaient  qu'ils  tenaient  leur  juridiction 
immédiatement  du  Saint-Siège,  et  qu'ils  n'avaient  pas 
besoin  de  celle  de  l'Evêque  de  Québec,  ni  de  celle  de  l'abbé 
de  l'Ile-Dieu,  ni  de  celle  du  grand  vicaire  Jésuite  de  la  Nou- 
velle Orléans.  Pour  maintenir  son  autorité,  M^^  de  Pont- 
briand demandait  à  la  Cour  d'obtenir  du  Pape  un  rescrit, 
qui  soumît  les  Capucins  à  l'autorité  de  l'Ordinaire  et  à  la 
juridiction  de  son  grand  vicaire,  quand  même  ils  en 
auraient  obtenu  une  immédiatement  du  Saint-Siège,  »  ce 
qui  n'est  pas,  disait-il,  et  n'a  jamais  été  qu'une  simple 


33.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  de  Mgr  de  Pontbriand  à  l'abbé 
de  l'Ile-Dieu,  30  octobre  1757. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  32 1 

allégation  vague  et  sans  fondement,  ni  mérite,  ni  vrai- 
semblance ^.  » 

Du  reste,  M^^  de  Pontbriand  et  son  grand  vicaire  à  Paris, 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  n'avaient  pas  que  des  actes  d'insubor- 
dination à  reprocher  aux  Capucins  : 

((  J'en  suis  on  ne  peut  plus  mécontent,  écrit  celui-ci  à 
l'Evêque  le  29  mars  1754,  au  point  d'avoir  été  obligé  de 
demander  cette  année  deux  commissaires  au  Provincial  de 
Champagne  pour  examiner  les  plaintes  qui  m'avaient  été 
portées,  et  qui  même,  malgré  moi,  sont  parvenues  à  la  Cour. 

«  Les  deux  commissaires  ont  été  envoyés  à  Paris,  et  sont 
convenus  de  l'importance  et  de  la  grièveté  des  faits,  et  par 
conséquent  de  la  nécessité  urgente  d'y  remédier. . . 

«  Le  pauvre  Père  Beaudouin,  grand  vicaire  '^  a  les  meil- 
leures intentions  du  monde  ;  mais  la  juridiction  lui  pèse, 
et  les  abus  qu'il  voit  l'affligent,  sans  avoir  assez  de  force 
pour  y  remédier ...» 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait  encore  à  l'Evêque  l'année 
suivante  : 

«  Je  suis  content  de  la  mission  des  Jésuites.  Le  Supé- 
rieur, qui  réside  à  la  Nouvelle-Orléans  avec  deux  autres 
pour  avoir  soin  des  Ursulines  et  de  l'Hôpital  des  troupes 
du  Roi,  est  un  excellent  sujet.  . . 

«f  Je  voudrais  bien  pouvoir  vous  en  dire  autant  des  Capu- 
cins, dans  tous  les  postes  qu'ils  occupent  depuis  la  Nou- 
velle-Orléans, qu'ils  desservent,  jusqu'à  la  Mobile.  Mais 
ils  ne  sont  pas  même  unis  entre  eux,  et  chacun  tire  de  son 
côté,  sans  correspondance  ni  subordination  vis-à-vis  de 
leur  Supérieur. . .  C'est  une  pitié  que  des  Conventuels 
émancipés  de  la  règle  commune,  surtout  quand  ils  sont 
obligés  de  vivre  seul  dans  des  postes  particuliers.     Mais 


34.  Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  ministre,  30  octobre  1757. 

35.  Il  avait  succédé  au  P.  de  Vitry. 

21 


332  l'Église  du  canada 

que  faire,  et  comment  les  remplacer,  si  on  venait  à  être 
forcé  de  s'en  défaire?. . .  » 

On  ne  peut  douter  que  le  clergé  séculier  et  régulier, 
dans  certaines  parties  de  la  France  surtout,  à  cette  époque 
heureusement  lointaine,  se  ressentait  du  refroidissement  de 
l'esprit  religieux — frigescente  mundo — que  l'on  remar- 
quait alors  dans  notre  ancienne  mère  patrie,  et  qui  faisait 
dire  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  :  «  Il  y  a  aujourd'hui  dans  tous 
les  corps  une  espèce  d'esprit  de  vertige.  »  Puis,  entrete- 
nant M^^  de  Pontbriand  de  l'affaire  des  «  Billets  de  confes- 
sion »,  et  l'immixtion  des  Parlements  dans  les  questions 
ecclésiastiques  : 

«  Voilà  où  nous  en  sommes,  disait-il  ;  il  n'y  a  presque 
plus  de  religion  dans  le  monde,  et  on  n'en  a  jamais  tant 
parlé.  » 

Il  ajoutait  encore  l'année  suivante  : 

«  Nous  sommes  dans  un  temps  où  la  religion  est  comptée 
pour  fort  peu  de  chose.  Dieu  veuille  la  protéger  et  sou- 
tenir son  Eglise!  Ses  promesses  sont  infaillibles  contre 
les  portes  de  l'enfer  :  serait-il  possible  qu'elles  nous  man- 
quassent contre  les  puissances  de  la  terre?  Non,  mais 
nous  manquons  à  ces  mêmes  promesses,  et  nous  nous 
exposons  à  voir  la  Foi  sortir  de  notre  sein.  . . 

«  Le  seul  parti,  ajoutait-il  encore,  que  tous  bons  citoyens 
et  tous  chrétiens  aient  à  prendre,  c'est  de  prier  pour  la 
paix  de  l'Etat  et  le  maintien  de  la  Religion,  qui  s'en  va 
grand  train.  ^^  » 

*     * 

Bougainville  parlant  de  la  Louisiane  en  1757  : 
«  La  Louisiane  disait-il,  est  encore  dans  l'enfance.     Il 
peut  y  avoir   trois   à    quatre   mille   blancs,    quatre   mille 

36,  Lettres  du  22  avril  1752,  3  mars  1753,  29  mars  1754,  25  mars  1755. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  323 

nègres,  quarante  compagnies  détachées  de  la  marine,  faisant 
deux  mille  hommes,  trois  cents  Suisses  du  Régiment  de 
Dalville.  Il  y  a  deux  villes  sans  fortifications,  la  Nou- 
velle-Orléans, belle,  des  rues  alignées,  une  grande  place  sur 
deux  corps  de  casernes,  la  Mobile,  petite  ville  comme  les 
Trois-Rivières  du  Canada  ;  quatre  bourgs:  les  Illinois,  les 
Alibamons,  Natchitoche,  la  Pointe-Coupée.  » 

D'après  le  P.  de  Rochemonteix,  lors  du  Traité  de  Paris 
(10  février  1763),  cette  vaste  contrée  de  la  Louisiane  a  con- 
tenait environ  treize  mille  habitants,  dont  quatre  à  cinq 
mille  de  couleur. 

(c  Les  Capucins,  ajoute-til,  avaient  perdu  plusieurs  des 
paroisses  où  M.  Périer  les  avait  établis,  à  savoir,  celles  de 
la  Balize,  des  Natchez,  des  Chapitoulas  et  des  Apalaches. 
Il  leur  restait  encore,  à  l'époque  du  Traité  de  Paris,  la 
Nouvelle-Orléans,  les  Allemands,  la  Pointe-Coupée,  les 
Natchitoches,  et  la  Mobile. .  .  Les  Jésuites,  en  dehors  et 
loin  de  la  Nouvelle-Orléans,  dirigeaient  les  missions  des 
Chactas,  des  Alibamons,  des  Arkansas  et  des  Illinois. 
Cette  dernière,  la  plus  importante  de  toutes,  comprenait 
plusieurs  familles  ou  tribus  sauvages,  indépendantes  les 
unes  des  autres. 

((  Les  peuplades  indiennes  de  la  Louisiane,  ajoute  encore 
le  même  auteur,  se  montrèrent  plus  rebelles  à  la  voix  du 
missionnaire  que  celles  du  Canada  ;  car,  de  fait,  à  l'excep- 
tion des  Tamarois  et  des  Kaskaskias,  aucune  nation  n'em- 
brassa la  foi  ou  n'y  persévéra.  Le  seul  résultat  pratique 
des  laborieux  efforts  des  apôtres  de  l'Evangile,  et  ce  résul- 
tat était  sans  doute  considérable,  fut  de  soustraire  les  tri- 
bus évangélisées  à  l'influence  anglaise  et  de  les  attacher  à 
la  France.  » 


CHAPITRE  XXV 


COUP  d'cëil  sur  les  missions  lointaines  de  l'église 

DE    QUÉBEC  :  —  IL    LES    MISSIONS   ILLINOISES  ;  — 

LES  TAMAROIS  ;  —  DÉTROIT  ;  —  MICHILLI- 

MAKINAC 

Au  fort  de  Chartres.  —  Au  fort  Saint- Ange.  —  Aux  Tamarois:  MM. 
Mercier,  Laurent,  Forget-Duverger.  —  Au  Détroit.  —  Lamothe- 
Cadillac.  —  Le  P.  de  la  Richardie.  —  Le  P.  Potier.  —  Les  Récollets 
,  au  Détroit.  —  Le  prétendu  voyage  de  Mgr  de  Pontbriand  au  Dé- 
troit. —  A  Michillimakinac.  —  Charles  Langlade.  —  Le  P.  du 
Jaunay.  —  Les  voyages  de  la  Vérendrye.  —  Le  premier  martyr  du 
Nord-Ouest  Canadien. 

EN  reinontant  la  vallée  du  Mississipi,  à  partir  du  pays 
des  Chicachas,  ces  terribles  ennemis  des  Français, 
pays  qui  fut  le  théâtre  de  la  mort  glorieuse  du  P.  Sénat  et 
de  ses  compagnons,  on  arrive  aux  missions  Illinoises,  les 
plus  importantes  de  la  juridiction  des  Jésuites  de  la  Loui- 
siane. Outre  un  grand  nombre  de  villages  sauvages,  il  y 
avait  plusieurs  bourgs  français,  dont  le  principal  était  le 
fort  de  Chartres,  sur  la  rive  gauche  du  Mississipi,  avec 
Sainte-Geneviève,  en  face,  de  l'autre  côté  de  la  rivière. 
Ce  poste,  où  commandait  en  1752  M.  de  Villiers,  frère  de 
Jumonville  \  fut  desservi  successivement  par  les  Pères 
Tartarin,  Vatrin  et  Aubert.  On  y  comptait  plus  de  quatre 
cents  Français,  avec  autant  de  sauvages  Kaskaskias,  et 
aussi  un  bon  nombre  de  nègres.     Il  y  avait  au  fort  de 

I.  Voyage  au  Canada  de  1751  à  1761  par  J.  C.  B.,  p.  104. 


l'église  du  canada  sous  m^"*  de  pontbriand    325 

Chartres  une  belle  église  de  cent  quatre  pieds  de  longueur 
sur  quarante-quatre  de  largeur. 

Le  P.  Vivier  desservait  un  grand  village  de  Kaskaskias 
à  quelque  distance  du  fort  de  Chartres  ;  puis,  à  soixante- 
dix  lieues  du  même  fort,  à  Pendroit  où  POuabache  se  jette 
dans  l'Ohio,  était  la  paroisse  du  fort  Saint- Ange,  desservie 
par  le  P.  Meurin.  Ce  fort  était  habité  par  des  Français  et 
entouré  de  Miamis.  Un  peu  plus  loin  était  le  fort  Vin- 
cennes,  desservi  aussi  par  un  Père  Jésuite  '^. 

La  mission  des  Tamarois  était  un  peu  au  nord  du  fort 
de  Chartres.  On  lit  dans  un  mémoire  conservé  à  la  Propa- 
gande: «MM.  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères  ont 
toujours  gouverné  et  administré  cette  mission.  Ils  y  possè- 
dent une  concession  ou  seigneurie  en  franc-alleu  de  quatre 
lieues  en  quarré  le  long  du  fleuve  du  Mississipi  dans  un 
lieu  appelé  la  Sainte-Famille.  C'est  un  grand  vicaire  de 
M^  l'Evêque  de  Québec  qui  y  exerce  la  juridiction  ecclé- 
siastique en  son  nom  3.  »  Ce  grand  vicaire  n'était  autre 
que  le  Supérieur  de  la  mission  ;  et  c'était,  dans  la  première 
partie  de  l'épiscopat  de  M^'*  de  Pontbriand,  M.  Mercier,  un 
bon  Canadien,  qui  vint  mourir  à  l'Hôtel-Dieu  de  Québec 
en  1752.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  qui  l'appelait  «un  très 
grand  sujet  «,  écrivait  à  la  Cour  en  1746  : 

((  M.  Mercier,  qui  est  supérieur  de  la  mission  des  Tama- 
rois, desservie  par  les  prêtres  séculiers  que  fournit  le  Sémi- 
naire des  Missions-Etrangères,  se  plaint  toujours  amère- 
ment de  la  grande  quantité  d'eau-de-vie  que  les  F'rançais, 
tant  voyageurs  que  marchands,  répandent  parmi  les  sau- 
vages et  les  nations  domiciliées,  qui  sont  toujours  prêtes  à 


2.  "Chez  les  Illinois,  en  1746:  les  Pères  de  Guyenne,  Vatrin,  Meurin, 
et  le  Frère  Magendie;  en  1749:  les  Pères  de  Guyenne,  Fourré,  Vivier, 
Vatrin,  Meurin,  et  le  Frère  Magendie.  "  (Archives  du  Collège  Sainte- 
Marie,  Catalogue  des  Pères  de  la  Société  de  Jésus). 

3.  Cité  dans  les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIIIe  siècle,  t. 
ï,  p.  389. 


3«6  I^'ÉGUSE   DU  CANADA 

se  révolter  et  à  s^égorger  mutuellement,  par  Pusage  et 
Pexcès  de  cette  malheureuse  boisson.  Ce  bon  mission- 
naire ne  cesse  de  demander  qu'on  veuille  bien  y  mettre 
ordre  *.  » 

On  ne  peut  douter  que  cette  traite  de  l'eau-de-vie  n'ait 
été  la  principale  cause  de  la  ruine  des  Tamarois,  ou  Kao- 
kias,  l'une  des  tribus  sauvages,  de  tout  le  Mississipi,  les 
plus  sympathiques  aux  Français,  la  principale  cause  de  la 
ruine  de  cette  mission  sauvage  qu'avait  eu  si  fort  à  cœur 
d'établir  M^^  de  Laval. 

Outre  la  mission  sauvage,  il  y  avait  quatre  villages 
français,  formant  deux  paroisses,  Sainte-Anne  et  Sainte- 
Famille  de  Kaokias,  desservis  également  par  les  MM.  des 
Missions-Etrangères.  Ces  prêtres  furent  toujours  en 
excellents  termes  avec  les  Pères  Jésuites  : 

«  On  ne  peut  rien  imaginer  de  plus  aimable  pour  le 
caractère,  ni  de  plus  édifiant  pour  la  conduite,  écrivait  le 
P.  Vivier  en  1750.  Nous  vivons  avec  eux  comme  si  nous 
étions  membres  d'un  même  corps.  » 

L'administration  des  paroisses  françaises,  aux  Tamarois, 
comme  dans  toute  la  Louisiane,  se  faisait  comme  en 
France  :  messe  et  vêpres  le  dimanche,  et  prédication,  caté- 
chisme des  enfants,  préparation  à  la  première  communion. 

((  Dieu  veuille  que  les  Missions-Etrangères  prennent 
enfin  .^oin  de  cette  mission  !  écrivait  Pabbé  de  Plie-Dieu  en 
^753-  Il  y  ^  plus  de  seize  ans  qu'on  n'y  a  entendu  parler 
d'eux!))  Il  ajoutait  quelques  semaines  plus  tard:  «M. 
Laurent  m'écrit  cette  année,  et  me  demande  de  lui  faire 
l'emplette  de  quelques  ornements  pour  son  église,  en  me 
mandant  qu'il  n'écrit  point  à  ses  supérieurs  de  Paris,  parce 
qu'il  n'a  jamais  pu  en  avoir  de  nouvelles  depuis  plus  de 
seize  ans  qu'il  l'ont  envoyé  dans  cette  mission.     D'un  autre 

4.  Corresp.  générale,  vol.  87,  lettre  au  ministre,  26  février  1746. 


sous   M^  DE   PONTBRIAND  327 

côté,  ces  messieurs  me  disent  qu'ils  leurs  écrivent  tous  les 
ans,  et  qu'ils  leur  envoient  tout  ce  qu'ils  leur  demandent. 
Qui  croire?  Il  faut  qu'il  y  ait  du  mécompte  de  part  ou 
d'autre.  Tout  ce  que  je  crois  qu'il  y  a  de  vrai,  et  ce  qu'on 
me  mande  du  voisinage  de  cette  mission,  c'est  qu'elle  est 
fort  négligée,  et  qu'elle  ne  consiste  presque  plus  qu'à  un 
très  petit  nombre  de  familles  françaises,  et  que  tous  les 
sauvages  s'en  sont  détachés  soit  pour  le  libertinage  où  les 
plonge  l'excès  de  l'eau-de-vie  qu'on  leur  vend,  ou  parce 
qu'on  ne  les  suit  pas  lorsqu'ils  vont  hiverner  dans  les  bois 
pour  leur  pêche  ou  pour  leur  chasse. 

«  Il  me  paraît  cependant  que  cette  mission  est  ou  doit 
être  assez  bien  pour  le  temporel,  puisque  les  emplettes  que 
M.  Laurent  me  propose  de  lui  faire  et  pour  lesquelles  il 
offre  d'envoyer  des  lettres  de  change,  monteraient  à  près 
de  deux  mille  francs. 

((  J'ai  proposé  à  MM.  les  Directeurs  de  cette  maison  de 
s'en  charger.     Ils  ont  refusé  ^  » 

Il  est  probable  que  le  Séminaire  de  Paris  voulait  se 
décharger  du  soin  de  cette  mission  sur  le  Séminaire  de 
Québec,  qui  l'avait  fondée  du  temps  de  M^^  de  Laval  : 

«  Comme  c'est  le  Séminaire  de  Québec  qui  est  chargé  de 
cette  mission,  écrit  encore  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  M^^  de 
Pontbriand,  vous  êtes  à  portée  d'en  parler  à  MM.  les  Supé- 
rieur et  Directeurs  de  votre  Séminaire,  afin  qu'ils  songent 
non  seulement  à  remplacer  M.  Mercier,  mais  à  augmenter 
le  nombre  de  sujets  dans  cette  mission,  car  c'est  faute  d'y 
en  avoir  envoyé  pendant  quatorze  ou  quinze  ans  que  cette 
mission  a  dépéri,  qu'elle  est  réduite  actuellement  à  une 
poignée  de  Français,  et  qu'enfin  les  nations  sauvages  s'en 
sont  détachées,  quoique  ce  soit  le  principal  objet  de  cette 
mission  ^. .  .  » 

5.  Lettres  du  3  mars  et  de  mai  1753. 

6.  Lettre  du  29  mars  1754. 


328  L'éGUSE   DU   CANADA 

Mais  le  Séminaire  de  Québec  pouvait-il  donner  ce  qu41 
n'avait  pas  ?  Il  dépendait  lui-même  de  celui  de  Paris, 
pour  le  recrutement  de  ses  prêtres  ;  à  plus  forte  raison,  la 
mission  des  Tamarois. 

Du  reste,  l'année  même  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait 
la  lettre  que  nous  venons  de  citer,  les  Missions-Etrangères 
envoyaient  un  missionnaire  aux  Tamarois,  M.  Forget- 
Duverger,  pour  assister  M.  Laurent.  Celui-ci  mourut  le 
premier  janvier  1759  ^. 

A  la  Conquête,  il  n'y  avait  plus  aux  Tamarois  que 
Forget-Duverger.  Affolé  par  cette  nouvelle,  non  moins 
que  par  la  mort  de  son  unique  confrère,  M.  Laurent,  laissé 
à  lui-même,  sans  conseil,  sans  réflexion  suffisante,  et  sur- 
tout sans  autorisation,  il  vendit  pour  une  somme  insigni- 
fiante, paraît-il,  les  propriétés  du  Séminaire,  qui  auraient 
aujourd'hui  tant  de  valeur.  Ces  propriétés  se  trouvent 
dans  le  diocèse  actuel  d'Alton. 


*     * 


Toutes  les  missions  Illinoises,  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut,  dépendaient  du  grand  vicaire  Jésuite  de  la  Nou- 
velle-Orléans. Plus  loin,  commençait  la  juridiction  du  Su- 
périeur de  Michillimakinac.  Elle  s'étendait  sur  tous  les 
postes  français  et  toutes  les  missions  sauvages  autour  du 
lac  Michigan,  et  comprenait  même  tous  les  postes  établis, 
depuis  les  découvertes  de  La  Vérendrye,  jusqu'aux  Monta- 
gnes Rocheuses.  Le  grand  vicaire  de  Michillimakinac 
envoyait,  au  nom  de  l'Evêque  de  Québec,  des  mission- 
naires partout  où  il  y  en  avait  besoin  dans  cet  immense 
territoire  ;  mais  il  y  en  avait  un  qui  résidait  dans  chacun 

7.  Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  168. 


SCUS    M'^   DE    PONTBRIAND  32^ 

des  trois  postes  suivants  :  la  Baie  Verte,  la  Rivière  Saint- 
Joseph,  et  Détroit  ^. 

De  ces  trois  postes,  le  plus  important  était  Détroit,  fondé 
en  1701  par  Lamôthe-Cadillac.  Cet  homme  entreprenant 
avait  décidé  cent  Canadiens  à  aller  s'y  établir  avec  lui  :  un 
Père  Récollet  les  accompagnait  : 

((  Les  colons  furent  enchantés  de  la  beauté  du  pays  et  de 
la  douceur  du  climat,  écrit  Garneau.  En  effet,  la  nature 
s*est  plu  à  déployer  toutes  ses  magnificences  dans  cette 
contrée  délicieuse.  Un  terrain  légèrement  ondulé,  des 
prairies  verdoyantes,  des  forêts  de  chênes,  d'érables,  de 
platanes  et  d'acacias,  des  rivières  d'une  limpidité  admirable, 
au  milieu  desquelles  les  îles  semblent  avoir  été  placées 
comme  par  la  main  de  l'art  pour  charmer  les  yeux,  tel  est 
le  tableau  qui  s'offrit  à  leur  vue.  lorsqu'ils  s'avancèrent 
dans  ces  lieux.  » 

«  Le  Détroit,  écrit  un  Père  Jésuite,  est  le  plus  beau  pays 
du  Canada.  Il  n'y  a  presque  point  d'hiver.  Toutes  sortes 
de  fruits  y  viennent  aussi  bons  qu'en  France.  On  pense  à 
y  bâtir  une  ville  ^ .  .  ,  » 

Lamothe-Cadillac  avait  beaucoup  de  qualités,  mais  aussi 
un  grand  défaut,  ou  plutôt  une  maladie  invétérée  :  l'horreur 
des  Jésuites  : 

«  Je  suis  surpris,  lui  écrivait  un  jour  le  ministre,  qu'ayant 
autant  d'esprit  que  vous  en  avez,  vous  ne  prévoyez  pas  les 
mauvaises  conséquences  de  vos  préventions,  et  du  peu  de 
ménagement  que  vous  gardez  avec  tout  le  monde,  spéciale- 
ment avec  les  Jésuites  ^^.  » 

Il  poussait  tout  à  outrance.     Dans  son  désir  de  voirpro- 

8.  En  1746  et  1749,  nous  trouvons  le  P.  de  la  Morinie  aux  Miamis 
(Rivière  Saint-Joseph),  et  le  P.  du  Jaunay  à  Michillimakinac,  Arbre- 
Croche,  et  Harbour  Springs.  (Archiv.  du  Collège  Sainte-Marie,  Cata- 
logue). 

9.  Lettre  du  P.  Nau,  2  octobre  1735. 

10.  Richard,  Rapport. . .  pour  1904,  p.  414. 


330  l'éguse  du  canada 

gresser  rapidement  sa  colonie,  il  voulait  faire  monter  cinq 
à  six  cents  Canadiens  au  Détroit  : 

K  Avez-vous  envie  de  dégarnir  le  Canada  au  profit  de 
Détroit,  ajoutait  le  ministre?  Ne  voyez-vous  pas  que 
votre  proposition  est  absurde?  Celle  d'unir  les  lacs  Erié 
et  Ontario  ne  l'est  pas  moins:  et  dans  quel  but?» 

Il  avait  réussi  à  faire  descendre  au  Détroit  un  parti  assez 
considérable  de  Hurons,  qui  étaient  au  nord  du  lac  Supé- 
rieur :  un  autre  parti  alla  se  fixer  à  Michillimakinac.  Ces 
Hurons,  comme  ceux  de  Lorette,  étaient  les  descendants 
de  ceux  qui  avaient  survécu  à  la  destruction  de  leur  nation 
par  les  Iroquois  en  1649.  C)n  envoya  à  ceux  de  Détroit  un 
bon  missionnaire  jésuite,  Vincent  de  Gueslis.  Eh  bien, 
Lamothe-Cadillac  lui  fit  tant  de  misères  et  suscita  tant 
d'obstacles  au  succès  de  son  ministère,  qu'il  fut  obligé  de 
déguerpir  ^^  Les  Hurons,  laissés  à  eux-mêmes,  sans  pas- 
teur, sans  guide  dans  les  voies  du  salut,  perdirent  bientôt 
le  peu  de  foi  qu'ils  avaient,  et  abandonnèrent  toute  pra- 
tique religieuse.  Il  y  avait  bien  les  Récollets  qui  desser- 
vaient le  Fort  et  la  paroisse  française,  mais  ils  ne  se 
croyaient  pas  sans  doute  autorisés  à  s'occuper  des  sau- 
vages; ils  auraient  craint,  eu  le  faisant,  d'outrepasser  leurs 
pouvoirs,  La  mission  huronne  resta  sans  pasteur  jusqu'en 
1728.  M.  de  Beauharnais  écrivait  à  cette  date  au  mi- 
nistre : 

«  Les  révérends  Pères  Jésuites  ont  envoyé  un  mission- 
naire aux  Hurons  du  Détroit  ;  il  paraît  très  propre  pour 
conduire  cette  mission  et  ménager  la  fierté  de  cette  nation.  » 


II.  D'après  l'abbé  le  Maire,  un  des  prêtres  des  Missions-Etrangères 
qui  desservirent  la  Nouvelle-Orléans,  à  son  berceau,  Lamothe-Cadillac, 
qui  y  commandait  à  cette  époque,  était  "  un  homme  sans  foi,  sans  reli- 
gion, sans  honneur  et  sans  conscience,  capable  d'inventer  et  de  publier 
les  plus  noires  calomnies  contre  ceux  qui  n'entraient  pas  dans  ses  pas- 
sions". (François  le  Maire,  Mémoire  inédit  sur  la  Louisiane,  1717, 
p.  17). 


sous   M^"^   DE   PONTBRIAND  33I 

Ce  missionnaire  n'était  autre  que  le  P.  de  la  Richardie, 
dont  nous  avons  déjà  parlé  dans  un  chapitre  précédent. 
A  force  de  zèle  et  de  persévérance,  il  réussit  à  réveiller  la 
foi  chez  tous  ces  Hurons,  et  à  en  faire  des  chrétiens  pra- 
tiquants. «  Il  ne  reste  pas  un  seul  infidèle  dans  toute  la 
mission  »,  écrivait-il  à  son  Général  en  1741,  l'année  même 
que  M»""  de  Pontbriand  arrivait  au  Canada.  Eh  bien,  l'on 
sait  ce  qui  arriva  deux  ans  plus  tard  :  ce  missionnaire,  que 
M.  de  Beauharnais  avait  proclamé  comme  «  très  propre  à 
conduire  la  mission  huronne  »,  il  le  fait  remplacer  en  1743 
par  un  autre  Jésuite,  un  infirme,  un  malade,  le  P.  de 
Gonnor,  qui,  à  peine  rendu  à  Détroit,  se  voit  obligé  de 
redescendre  à  Québec. 

Et  pourquoi  ce  changement?  Parce  que  le  P.  de  la 
Richardie  s'est  opposé  à  un  ordre  du  gouverneur,  qui,  on 
ne  sait  pourquoi,  voulait  faire  descendre  les  Hurons  et  les 
établir  du  côté  de  Montréal  ! 

«  Le  missionnaire,  écrit  le  P.  de  Rochemonteix,  redoutait 
pour  ses  néophytes  le  voisinage  de  Montréal.  S'il  avait 
cédé,  il  eût  compromis  gravement  l'avenir  religieux  de  sa 
mission  ^^.  » 

Il  resta  avec  ses  Hurons  du  Détroit,  après  le  départ  du 
P.  de  Gonr^or,  jusqu'à  l'arrivée  de  son  successeur,  le  P. 
Potier,  en  1646. 

La  Providence  ménageait  au  P.  de  la  Richardie  un  re- 
tour de  faveur  absolument  analogue  à  celui  qu'elle  avait 
accordé  au  P.  Tournois.  Voilà  en  effet  que  les  choses  se 
compliquent  au  Détroit,  oii  commande  M.  de  Longueil. 
Quelques  Hurons  de  Sandoské  ^^  viennent  de  tuer  cinq 
Français  qui  ont  pillé  leurs  pelleteries;  et  de  concert  avec 
un  bon  nombre  d'Iroquois  et  d'autres  sauvages,  ils  forment 


12.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XV III e  siècle,  t.  II,  p  .59. 

13.  Petit  village  au  sud  du  lac  Erié. 


332  L'éGLISE   DU   CANADA 

le  complot  d'enlever  le  commandant  de  Détroit,  ainsi  que 
le  P.  Potier,  de  massacrer  tous  les  Français,  de  s'emparer 
du  Fort  et  de  mettre  tout  à  feu  et  à  sang. 

Le  complot,  heureusement,  est  découvert  ;  la  colonie 
française  du  Détroit,  frappée  de  terreur,  se  réfugie  dans  le 
Fort  ;  on  attend  les  événements. 

Les  Hurons  de  la  mission  sont  désolés  à  la  vue  de  ce  qui 
se  prépare.  Ils  tiennent  conseil  et  déclarent  au  gouverneur 
qu'ils  ne  voient  pas  de  moyen  plus  sûr  pour  ramener  la  paix 
et  tout  réconcilier,  que  de  faire  remonter  le  P.  de  la  Richar- 
die  au  Détroit.  On  lui  mande  donc  de  revenir  en  toute 
hâte.  Il  part  de  Québec  avec  M.  de  Belestre  le  23  août  et 
arrive  à  Détroit  le  20  octobre  ^*.  Les  Hurons,  toujours 
prêts  à  déménager,  se  sont  retirés  quelque  temps  aupara- 
vant à  l'Ile-aux-Bois-Blancs.  Ils  reviennent  à  Détroit. 
De  concert  avec  le  P.  Potier,  le  P.  de  la  Richardie  leur 
choisit  un  emplacement  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  à 
l'endroit  où  est  aujourd'hui  la  ville  de  Sandwich,  et  y 
fonde  la  paroisse  huronne  de  l'Assomption. 

Il  visite  ensuite  les  rebelles  de  Sandoské,  les  ramène  au 
devoir,  quitte  de  nouveau  le  Détroit  et  rentre  à  Québec 
au  mois  d'août  1751. 

Le  P.  Potier,  resté  seul,  s'occupe  activement  de  sa 
mission,  la  maintient  dans  la  pratique  des  devoirs  religieux, 
et  durant  les  trente  ans  qu'il  la  gouverne  en  fait  une 
paroisse  modèle  ^^ 

Il  mourut  à  Sandwich  le  16  juillet  1781. 

*      * 
En  jetant  un  coup  d'œil  sur  un  plan  de  Détroit  et  des 


14.  Remarquons:  deux  mois  de  voyage  pour  aller  de  Québec  à  Dé- 
troit, et  cela  dans  la  plus  belle  saison  de  l'année. 

15.  Le  P.  Potier  avait  avec  lui,  "  comme  vicaire  "  le  P.  de  Salleneuve, 
et  aussi  le  Frère  Pierre  Gournay  dit  La  Tour.  (Catalogue). 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  333 

environs,  tels  qu'ils  étaient  à  l'époque  qui  nous  occupe,  on 
aperçoit  d'abord  le  Fort,  avec  sa  ceinture  de  palissade, 
renfermant  une  centaine  de  petites  maisons  pressées  les 
unes  sur  les  autres,  séparées  par  des  rues  très  étroites,  avec 
un  chemin  de  ronde  un  peu  plus  large  entre  le  groupe  des 
maisons  et  la  palissade.  De  chaque  côté  de  la  rivière,  sur 
une  longueur  de  sept  à  huit  milles,  une  rangée  de  blanches 
maisonnettes,  ayant  chacune  son  petit  jardin,  son  verger 
et  sa  clôture  qui  l'isole  de  ses  voisines  :  ce  sont  les  rési- 
dences de  nos  anciens  Canadiens,  les  Baby,  les  Campeau, 
les  Cuillerier-Beaubien,  les  Bisaillon,  les  Pelletier,  les 
La  Ferté,  les  Roy,  les  Parent  et  tant  d'autres,  qui  créèrent 
ce  pays,  et  lui  imprimèrent  ce  cachet  français,  qui  dure 
encore,  et  qu'il  saura  conserver,  espérons-le,  malgré  tous 
les  obstacles.  A  chaque  extrémité  de  la  rangée  des  maisons 
canadiennes,  du  côté  gauche  de  la  rivière,  au  nord,  le 
village  des  Outaouais,  où  réside  Pontiac,  cet  homme  de 
génie,  qui,  après  la  conquête,  donnera  aux  Anglais  des 
preuves  terribles  de  l'attachement  de  sa  nation  à  la  France, 
au  sud,  le  village  des  Hurons,  et  vis-à-vis,  de  l'autre  côté 
de  la  rivière,  celui  des  Poutéatomis. 

Iv'église  des  Français,  dédiée  à  sainte  Anne,  est  à  l'inté- 
rieur du  Fort  ;  et  c'est  là  aussi  que  réside  le  bon  Père 
Récollet  qui  la  dessert. 

((  Sa  maison  était  agréable  et  commode,  dit  le  P.  Crespel, 
qui  visita  son  confrère  en  1730;  c'était  pour  ainsi  dire  son 
ouvrage  et  le  séjour  de  la  vertu. 

<(  Il  partageait  le  temps  qui  n'était  pas  rempli  par  les 
devoirs  de  sa  charge,  entre  l'étude  et  les  occupations  de  la 
campagne.  Il  avait  quelques  livres,  et  le  choix  qu'il  en 
avait  fait  donnait  une  idée  de  la  pureté  de  ses  mœurs  et  de 
l'étendue  de  ses  connaissances.  La  langue  du  pays  lui 
était  assez  familière,  et  la  facilité  avec  laquelle  il  la  parlait 
le  rendait  cher  à  plusieurs  sauvages,  qui   lui  coramuni- 


334  l'église  du  canada 

quaient  leurs  réflexions  sur  toute  sorte  de  sujets,  et  princi- 
palement sur  la  religion.  L'affabilité  attire  la  confiance, 
et  personne  n'en  méritait  plus  que  ce  religieux. 

((  Il  avait  poussé  la  complaisance  envers  quelques  habi- 
tants du  Détroit  jusqu'à  leur  apprendre  la  langue  française. 
Parmi  ceux-là  j'en  ai  vu  plusieurs  dont  le  sens  droit  et  le 
jugement  solide  et  profond  auraient  fait  des  hommes  admi- 
rables, même  en  France,  si  leur  esprit  avait  été  cultivé 
par  l'étude.  Pendant  tout  le  temps  que  je  restai  chez  ce 
religieux,  je  trouvais  tous  les  jours  de  nouvelles  raisons 
d'envier  un  sort  pareil  au  sien  ^\  » 

Le  premier  desservant  de  Détroit,  celui  qui  accompa- 
gnait Lamothe-Cadillac  lors  de  la  fondation  de  la  ville, 
était  le  Père  Constantin  de  L'Halle.  Il  fut  tué  en  1706 
par  les  Outaouais,  qui  poursuivaient  les  Miamis,  au  mo- 
ment où  ceux-ci  allaient  avec  lui  se  réfugier  dans  le  Fort. 
Il  était,  dit  un  document  conservé  aux  archives  de  Détroit, 
«  dans  l'exercice  des  fonctions  de  son  ministère  ». 

Les  Pères  Récollets  qui  desservaient  l'église  de  Détroit 
du  temps  de  jNI^''  de  Pontbriand  furent,  successivement,  le 
P.  Bonaventure  Lionnard  ^^,  le  P.  Bonaventure  Carpentier 
et  le  P.  Simple  Bocquet.  C'est  ce  dernier  qui  fit,  au  prin- 
temps de  1755,  le  16  mars,  la  bénédiction  de  la  nouvelle 
église  destinée  à  remplacer  la  première  chapelle  ^^.     Il  en 

16.  Voyages  du  R.  P.  Emmanuel  Crespel  dans  le  Canada,  édition  de 
1884,  p.  23. 

17.  C'est  ainsi  que  le  P.  Bocquet  écrit  son  nom. 

18.  On  a  prétendu,  mais  sans  référer  à  aucune  source,  que  Mgr  de 
Pontbriand  était  allé  au  Détroit  faire  lui-même  cette  bénédiction,  et 
qu'il  y  demeura  "  quelques  semaines  à  exercer  son  fructueux  ministère  ". 
{Les  Evêques  de  Québec,  p.  234). 

Pour  savoir  à  quoi  nous  en  tenir  d'une  rnanière  certaine  sur  ce  préten- 
du voyage  de  Mgr  de  Pontbriand  à  Détroit  en  1755,  qui  nous  paraissait 
impossible,  nous  avons  écrit  au  curé  français  de  Sainte-Anne  de  Détroit, 
et  n'en  ayant  pas  eu  de  réponse,  nous  nous  sommes  adressé  à  un  ex- 
cellent érudit  de  cette  ville,  M.  Burton,  qui  nous  a  répondu  de  la  ma- 
nière la  plus  obligeante  :  "  J'ai  dans  ma  bibliothèque  une  copie  de  toutes 
les  archives  de  l'église  Sainte- Anne;  je  les  ai  parcourues  avec  soin,  et 


sous   M^   DK   PONTBRIAND 


335 


avait  obtenu  la  permission  de  M«^  de  Pontbriand,  et  celle 
de  bénir  le  nouveau  cimetière.  Cette  bénédiction  du  nou- 
veau cimetière  eut  lieu  le  i8  mai,  jour  de  la  Pentecôte; 
puis  le  25  juin,  en  vertu  d'une  délibération  de  la  Fabrique 
en  date  du  29  décembre  1754,  on  exhuma  tous  les  corps  et 
ossements  que  l'on  put  trouver  dans  l'ancien  cimetière,  et 
on  les  inhuma  dans  le  nouveau  ;  le  bon  Père  Bocquet  célé- 
bra ensuite  pour  ces  défunts  un  service  solennel. 

Le  3  juillet  suivant,  eut  lieu  la  translation  solennelle 
dans  la  nouvelle  église  des  restes  mortels  de  tous  ceux  qui 
avaient  été  inhumés  dans  la  vieille  chapelle,  y  compris 
ceux  du  «  vénérable  Père  Constantin  de  L'Halle  ».  C'était, 
pour  ce  bon  missionnaire,  la  deuxième  translation,  et  ce 
ne  devait  pas  être  la  dernière,  comme  nous  le  verrons  tout- 
à-l'heure.  Il  avait  d'abord  été  inhumé  dans  le  cimetière, 
puis  transféré  dans  la  chapelle,  «  sous  les  marches  de 
l'autel,  par  le  P.  Bonaventure  Lionnard  »  ;  et  voici  ce 
qu'écrit  le  P.  Bocquet  dans  l'acte  de  la  nouvelle  translation 
de  ses  restes  mortels  : 


je  ne  crois  pas  que  Mgr  de  Pontbriand  soit  jamais  venu  au  Détroit.'* 
Puis  il  ajoute:  "  Gilmary  Shea  et  Elliot,  qui  mentionnent  ce  voyage, 
n'ont  fait  que  reproduire  l'affirmation  de  Farmer,  dans  son  Histoire  du 
Détroit.  Or  Farmer  ne  savait  pas  un  mot  de  français.  Il  a  évidemment 
mal  compris  les  deux  actes  que  je  vous  envoie,  sur  lesquels  seuls  il  a  pu 
fonder  son  assertion  que  l'Evêque  était  au  Détroit  en  1755."  Ces  deux 
actes  sont  ceux  que  nous  mentionnons  ici,  dans  lesquels  le  P.  Bocquet 
fait  lui-même  mention  de  la  permission  qu'il  a  eue  de  Mgr  de  Pont- 
briand de  bénir  l'église  et  le  cimetière  de  Détroit. 

Et  voilà  comnemt  des  assertions  que  l'on  accepte  sans  preuve,  sans 
référence  aux  archives,  deviennent  des  "  faits  authentiques  ",  comme 
celui  du  prétendu  voyage  de  Mgr  de  Pontbriand  au  Détroit,  qui  tigure 
dans  les  Cardinal  Facts  of  Canadian  History  de  Taylor,  p.  62  :  "  1755, 
march  16,  Bishop  Pontbriand  visited  Détroit". 

Nous  pouvons  ajouter  que,  dans  un  article  intitulé  Sandwich,  The 
origin  of  the  Diocèse  of  London,  Mlle  Margaret  Claire  Kilroy  dit  ex- 
pressément que  la  première  visite  épiscopale  qui  eut  lieu  dans  cette 
région  fut  celle  de  Mgr  Denaut  en  1801.  {The  Catholic  Home  Maga- 
zine,-p.  ZA)- 

Ajoutons  encore  que  dans  une  liste  des  "Pères  Récollets"  qui  des- 
servirent la  mission  de  Détroit  {Recherches  historiques,  XIX,  p.  342), 
nous  voyons  figurer  le  nom  du  P.  de  la  Morinie.  Mais  le  Père  de  la 
Morinie  n'était  pas  Récollet,  il  était  Jésuite! 


336  l'éguse  du  canada 

«  Nous  les  avons  de  nouveau  déposés,  dit-il,  sous  les 
marches  de  l'autel  de  la  nouvelle  église,  en  attendant  que 
le  Rond-point  et  allonge  projetés  nous  permettent  de  lui 
donner  une  sépulture  fixe  et  convenable  à  son  mérite  et 
aux  miracles  que  plusieurs  personnes  dignes  de  foi  nous 
ont  rapporté  avoir  été  faits  par  son  intercession  en  faveur 
de  toute  la  paroisse  ^^.  » 

Le  bon  Père  Bocquet  se  tenait  régulièrement  en  rapport 
avec  son  Evêque,  comme  il  est  facile  de  voir  par  les  avis 
et  les  permissions  qu'il  en  reçoit.  Nous  venons  de  citer 
celles  que  lui  accorde  le  pieux  Prélat  pour  la  bénédiction 
de  l'église  et  du  nouveau  cimetière.  Le  16  mars  1755, 
c'est-à-dire  le  jour  même  de  la  bénédiction  de  l'église, 
«  faisant  les  fonctions  curiales,  et  muni  des  pouvoirs  de 
M^  de  Pontbriand  en  date  du  29  avril  1754  «,  il  reçoit  une 
abjuration,  en  présence  de  M.  de  Muy,  commandant  du 
Fort,  et  de  Louis  Coste  '^^.  Homme  d'ordre,  ayant  à  cœur 
de  bien  observer  la  discipline  de  l'Eglise,  il  a  consulté  son 
Evêque  sur  quelques  questions,  et  il  en  reçoit  la  réponse 
suivante  : 

«  Il  n'y  a  que  M.  le  Commandant  qui  ait  droit  à  un  Banc 
(dans  l'église).  C'est  un  abus  visible  d'en  donner  à  MM. 
les  autres  Officiers,  et  de  leur  rendre  quelques  honneurs. 
Les  marguilliers  doivent,  dans  la  bonne  règle,  avoir  l'en- 
cens et  l'eau  bénite  devant  M.  le  Commandant,  car  ces 
deux  points  sont  plutôt  pour  le  Crucifix  que  pour  les  mar- 
guilliers. Mais  on  ne  leur  présente  la  bourse,  le  pain 
bénit,  les  Cendres,  le  rameau  et  les  cierges  qu'après  le 
Commandant  ^^  » 


19.  Archives  paroissiales  de  Sainte-Anne  de  Détroit,  Pièces  dont  nous 
devons  une  copie  authentique  à  l'obligeance  de  M.  C.-M.  Burton. 

20.  Archives  d'Ottawa,  Copies  authentiques  des  Registres  de  l'état 
civil  de  Détroit,  "abjuration  de  Catherine  Horbine,  épouse  de  Michel 
Sax". 

21.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec 


sous   M^^  DK   PONTBRIAND  337 

Du  reste,  s'il  y  avait  souvent  parmi  les  Officiers  de  Dé- 
troit, —  et  l'on  peut  dire  la  même  chose  de  toutes  les  gar- 
nisons, en  général  —  des  personnes  qui  donnaient  de  mau- 
vais exemples  par  leur  vie  scandaleuse,  il  y  en  avait  aussi 
d'un  rare  mérite.  Nous  n'en  voulons  donner  d'autre 
preuve  que  la  petite  note  suivante  que  nous  trouvons  dans 
les  papiers  ^^  du  P.  Potier.  Cette  note,  datée  du  17  août 
1746,  était  adressée  par  «  M.  Navarre,  du  Détroit,  au  R.  P. 
Potier,  très  digne  prêtre  de  la  Compagnie  de  Jésus,  supé- 
rieur de  la  mission  des  Hurons  à  l'Ile-aux-Bois-Blancs  », 
où  ces  sauvages  se  fixèrent  pendant  quelque  temps.  Qui 
n'admirerait  l'esprit  religieux  qui  respire  dans  ces  quelques 
lignes  ? 

((  M.  de  Longueil,  écrit  le  digne  officier,  se  fait  une  joie 
de  vous  aller  voir,  sitôt  que  les  affaires  de  son  poste  seront 
terminées.      [1  me  promet  de  me  mener  avec  lui . .  . 

«  Nous  avons  un  petit  enfant  bien  malade,  depuis  six 
jours  qu'il  n'a  pris  aucune  nourriture  ;  c'est  notre  petit 
garçon.  Je  vous  prie,  mon  Père,  de  vouloir  bien  le  recom- 
mander à  Notre-Seigneur  dans  vos  saints  sacrifices.  Je  ne 
demande  que  la  gloire  de  Dieu.  » 

Que  nous  sommes  loin  des  diatribes  anti-jésuitiques  du 
premier  commandant  de  Détroit,  Lamothe-Cadillac  ! 


22.  Dans  sa  solitude  de  Détroit,  le  P.  Potier  se  tenait  au  courant  de 
tout  ce  qui  se  passait  d'un  peu  important  dans  le  pays,  et  enregistrait 
dans  une  espèce  de  journal  les  événements  qui  venaient  à  sa  connais- 
sance. Citons-en  quelques  lignes  pour  en  donner  une  idée:  "1746,  mai: 
le  Canada  ravitaillé.  —  2,800  Canadiens  partent  pour  l'Acadie.  —  Août  : 
Degrais,  (fils  du  Baron  de  Longueil)  fait  53  prisonniers  anglais  à  l'île 
Saint-Jean. —  Quai  bâti  à  Québec  pour  la  construction  des  vaisseaux; 
le  nouveau  chantier.  —  Septembre  :  Coup  de  M.  Rigaud.  . .  .Prend  et 
brûle  un  Fort  près  d'Orange.  —  Octobre:  deux  charpentiers  tués  à 
nie  Lamotte  par  les  Agniers.  —  Coup  de  Soulanges,  douze  personnes 
prises  ou  tuées.  —  Le  P.  Richer  refuse  la  Supériorité.  (Il  était  en  1746 
et  1749  à  la  mission  huronne,  près  Québec)  (Catalogue). — 30  décembre: 
M.  de  Longueil  reçoit  la  Croix  de  Saint-Louis.  —  Forts  bâtis  dans  les 
Côtes  du  Canada,  avec  garnison.  "  (Archives  du  Collège  Sainte-Marie, 
à  Montréal. 
22 


338  l'éguse  du  canada 


Michillimakinac,  au  nord  du  lac  Michigan,  était  la  rési- 
dence du  Supérieur  de  toutes  les  missions  de  l'Ouest,  y 
compris  Détroit,  la  Baie  Verte  et  la  Rivière  Saint- Joseph. 
Comme  à  Détroit,  il  y  avait  un  Fort  assez  important,  un 
commandant,  une  garnison,  une  église  qui  servait  à  la  fois 
pour  la  mission  sauvage  et  pour  les  Canadiens. 

Que  de  Canadiens,  en  effet,  dont  on  trouve  les  noms  dans 
les  premiers  registres  de  Michillimakinac,  de  la  Baie  Verte, 
comme  dans  ceux  de  Détroit  !  Mais  entre  tous  il  convient 
de  mentionner  ceux  de  Langlade,  père  et  fils  :  «  Augustin 
et  Charles  de  Langlade,  dit  Parkman,  ont  été  les  premiers 
habitants  résidants  de  l'Etat  du  Wisconsin  '^^.  »  Charles 
de  Langlade  fut  un  des  héros  de  la  Monongahéla  ;  et, 
diaprés  M.  Tassé,  l'auteur  si  distingué  et  si  patriote  des 
Canadiens  de  VOuest^  il  y  joua  même,  avec  ses  sauvages, 
un  rôle  décisif  '^*.  Avec  ses  sauvages,  également,  il  prit 
part  à  la  bataille  de  Montmorency,  lors  du  siège  de 
Québec  ;  et,  toujours  d'après  le  même  auteur,  il  avait 
chance  de  remporter  une  partie  décisive  sur  l'armée 
anglaise,  si  l'on  avait  écouté  sa  proposition  d'envoyer  au 
secours  et  à  l'appui  de  ses  sauvages  le  détachement  de  M. 
de  Repentigny,  qu'il  sollicitait  ^^ 

Langlade,  sur  le  soir  de  sa  vie,  comptait  avec  fierté  les 
quatre  vingt  dix  neuf  batailles  et  escarmouches  auxquelles 
il  avait  pris  part,  dans  l'intérêt  de  son  pays,  et  l'un  de  ses 
regrets  était  de  ne  pouvoir  compter  la  centième,  «  afin  de 
rendre  plus  complète,  disait-il  avec  un  légitime  orgueil, 
sa  couronne  militaire  »  ^^. 

23.  The  Conspiracy  of  Pontiac,  t.  I,  p.  342. 

24.  Les  Canadiens  de  l'Ouest,  t.  I,  p.  13.  —  Voir  aussi  Montcalm  et 
Lévis  de  l'abbé  Casgrain,  t.  I,  p.  190. 

25.  Les  Canadiens  de  l'Ouest,  t.  I,  p.  27. 

26.  Ibid.,  t.  I,  p.  99. 


sous    M^   DE    PONTBRIAND  339 

C'est  le  p.  du  Jaunay  qui  était  le  Supérieur  de  la  rési- 
dence de  Michillimakinac  du  temps  de  M^  de  Pontbriand, 
et  par  conséquent  son  grand  vicaire.  Il  avait  toujours 
avec  lui  un  ou  deux  de  ses  confrères  Jésuites,  et  les 
envoyait  en  mission,  au  besoin.  Le  P.  de  la  Morinie  y 
était  en  1746  et  en  1749.  Le  P.  Lefranc  était  là  de  1754  à 
1756  ;  c'est  celui  qui,  en  1754,  bénit  le  mariage  de  Langlade 
avec  Marie  Bourassa;  c'est  lui  qui,  également,  en  1756, 
réhabilita  le  mariage  d'un  autre  bon  Canadien,  Jean- 
Baptiste  Cadot,  commandant  au  Saut-Sainte-Marie  ^l 

De  Michillimakinac,  le  P.  du  Jaunay  allait  lui-même 
visiter,  au  besoin,  quelques  missions,  la  Baie  Verte,  la 
Rivière  Saint-Joseph,  l'Arbre- Croche.  Il  était  en  1742 
dans  cette  dernière  mission,  et,  si  l'on  en  croit  le  P.  de 
Rochemonteix,  il  y  aurait  fait  venir  de  France  une  presse 
à  imprimer  :  «  Cette  presse,  dit-il,  rendit  de  précieux  ser- 
vices à  la  mission  :  il  s'en  servit  pour  imprimer  une  Bible 
en  langue  outaouaise,  à  l'usage  des  écoles,  et  des  circulaires 
périodiques  ou  journaux  »  "-^. 

Le  P.  du  Jaunay  demeura  longtemps  à  Michillimakinac, 
plusieurs  années  même  après  la  Conquête,  et  laissa  un 
grand  souvenir  parmi  les  sauvages.  On  raconte  qu'un 
missionnaire  visitant  en  1825  ^^^  missions  indiennes 
établies  sur  les  bords  des  lacs  Supérieur  et  Michigan 
remarqua  que  le  souvenir  du  P.  du  Jaunay  était  religieu- 
sement conservé  parmi  ces  tribus  : 

((  Durant  le  voyage,  dit-il,  je  me  plaisais  à  m'entretenir 
des  Jésuites  avec  un  vieillard  qui  les  avait  connus.  Il 
s'attachait  surtout  au  P.  du  Jaunay,  qui  l'avait  préparé  au 
baptême,  admis  à  la  première  communion,  et  à  qui  souvent 
il  avait  servi  la  messe.     Il  me  fit  remarquer  l'endroit  oii  le 


27.  Ibid.,  p.  91  et  107. 

28.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIIIe  siècle,  t.  II,  p.  54. 


340  l'êguse  du  canada 

Père  disait  ordinairement  son  bréviaire  en  se  promenant  ^.  » 


* 


C'est  de  Michillimakinac  que  partit  La  Vérendrye,  à  la 
découverte  du  Nord-Ouest,  avec  les  trois  Jésuites  qui  l'ac- 
compagnèrent successivement  dans  ses  trois  voyages:  le 
P.  Messaiger  ^^,  en  1731,  le  P.  Aulneau,  en  1735,  le  P. 
Coquart,  en  1742.  C'est  un  volume  tout  entier  qu'il 
faudrait  pour  les  expéditions  de  ce  grand  découvreur 
Canadien  :  nous  ne  pouvons  dans  cet  ouvrage,  et  n'avons 
pu,  dans  le  volume  précédent  ^\  que  lui  consacrer  quelques 
lignes.  Il  est  rare  de  trouver  dans  un  homme  autant  de 
courage,  de  persévérance  et  de  mérites  que  ceux  que  l'on 
admire  dans  La  Vérendrye  :  il  est  encore  plus  rare  de  voir 
tant  de  services  récompensés  par  tant  d'ingratitude  : 

«  Au  Canada,  écrit  le  P.  de  Rochemonteix,  il  a  pour  lui 
le  gouverneur,  l'intendant,  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  la 
grandeur  et  à  l'expansion  commerciale  de  la  colonie.  A 
la  Cour,  il  ne  trouve  pas  les  mêmes  sympathies.  Un  parti 
influent,  composé  de  jaloux,  d'envieux,  d'intéressés  et  de 
piliers  d'antichambres  ministérielles,  s'est  formé  contre  ses 
projets  de  découvertes  et  a  entraîné  dans  ses  oppositions 
le  ministre  de  la  marine,  M.  de  Maurepas.  Bigot,  qui  doit 
bientôt  se  rendre  si  tristement  célèbre  au  Canada,  est  l'âme 
de  cette  intrigue  32-  >' 

Il  est  donc  vrai  qu'il  faudra  associer  le  nom  de  Bigot  à 
tous  les  déshonneurs  de  notre  pays  ! 

<f  On  blâme  l'entreprise,  continue  le  P.  de  Rochemonteix 


29.  Les  Canadiens  de  l'Ouest,  t.  I,  p.  60. 

30.  Retourné  plus  tard  à  Paris,  il  y  était  en  1753  "  procureur  des  mis- 
sions du  Canada".  (Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  ministre,  21  mars 
1753). 

31.  VBglise  du  Canada...,  2e  Partie,  p.  241. 

32.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XV II le  siècle,  t.  I,  p.  226. 


sous    M^*"   DE    PONTBRIAND  34 1 

on  déprécie  le  mérite  du  découvreur,  on  Paccuse  de  s'occu- 
per uniquement  de  commerce  ;  et  M.  de  Maurepas,  qui  a 
protégé  tant  d'autres  expéditions  ayant  un  but  scientifique, 
regrette  d'avoir  accordé  à  M.  de  la  Vérendrye  le  privilège 
de  la  traite  ;  il  refuse  absolument  de  lui  venir  en  aide.  » 

La  Vérendrye  se  voyant  abandonné  de  la  Cour,  remet  au 
gouverneur  la  commission  qu'il  en  a  reçue  pour  ses  décou- 
vertes ;  et  cette  commission  est  donnée  à  M.  des  Noyelles, 
qui  un  an  plus  tard  demande  à  être  relevé  de  son  comman- 
dement. Bientôt  l'heure  de  la  réhabilitation  sonne  pour 
La  Vérendrye.  Le  ministre,  mieux  informé,  le  nomme 
capitaine,  le  décore  de  la  Croix  de  Saint-Louis,  et  le  prie 
de  reprendre  ses  voyages  du  Nord-Ouest.  Mais  il  est  trop 
tard  :  les  chagrins,  encore  plus  que  les  travaux  et  les 
fatigues,  ont  brisé  la  robuste  constitution  de  ce  héros.  Au 
moment  où  il  se  prépare  à  partir  pour  un  nouveau  voyage, 
la  mort  le  terrasse,  le  6  décembre  1749. 

Qui  pourrait  dire  toutes  les  ,heureuses  conséquences  des 
voyages  et  des  travaux  de  ce  grand  Canadien  pour  l'avenir 
de  son  pays,  au  point  de  vue  matériel?  Qui  pourrait  dire 
tout  le  bien  que  firent  ses  compagnons,  les  missionnaires 
Jésuites,  par  les  semences  de  salut  qu'ils  répandirent  au 
milieu  de  tant  de  peuplades  sauvages  qui  probablement 
n'avaient  pas  encore  entendu  parler  de  religion? 

Les  Pères  Messaiger  et  Aulneau  n'allèrent  pas  an  delà 
du  fort  Saint-Charles;  le  P.  Coquart  se  rendit  jusqu'au  fort 
La  Reine,  où  il  hiverna  de  1743  à  1744.  Ce  fort,  établi 
par  La  Vérendrye  en  1738,  à  l'endroit  qu'occupe  aujour- 
d'hui Portage-la-Prairie,  fut  détruit  par  les  Assiniboines 
en  1752.  Le  P.  Messaiger  est  le  premier  missionnaire  qui 
visita  le  Lac  des  Bois:  il  hiverna  en  1732  au  fort  Saint- 
Charles,  construit  sur  la  rive  ouest  de  ce  lac.  Le  P. 
Aulneau  y  hiverna  à  son  tour  en  1735  ^^ 

33,  Le  P.  Coquart,  par  le  Juge  Prud'homme,  dans  la  Revue  Cana- 
dienne de  1897,  P-  81. 


342  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

u 

Il  était  arrivé  au  Canada  l'année  précédente  en  même 
temps  que  le  P.  Nau,  qui  écrivait  à  son  sujet  : 

«  Peut-être  ira-t-il  le  printemps  prochain  à  la  découverte 
de  la  Mer  d'Ouest,  parce  que  la  Cour  veut  absolument 
avoir  là-dessus  plus  que  des  conjectures. 

(f  Les  Français  qui  sont  revenus  cette  année  des  pays 
d'en  haut  nous  ont  rapporté  que  les  sauvages  leur  avaient 
dit  qu'il  y  avait  à  onze  cents  lieues  de  Québec  des  peuples 
blancs  et  barbus  soumis  à  un  Roi,  que  ces  peuples  bâtis- 
saient leurs  maisons  à  la  française,  qu'ils  avaient  des 
chevaux  et  d'autres  animaux  domestiques.  Ne  serait-ce 
point  des  Tartares  ou  des  échappés  des  Japonais?  Les 
sauvages  ont  parlé  des  Français  à  ces  peuples,  qui  ont  été 
charmés  d'apprendre  qu'il  y  eût  dans  le  Canada  une  nation 
blanche  et  barbue  comme  la  leur.  «  Les  Français  sont 
«  apparemment  nos  frères,  disent-ils,  et  nous  voudrions  bien 
«  les  voir  :  invitez-les  à  venir  chez  nous.  » 

«  Si  ce  récit  est  vrai,  voilà  une  belle  porte  ouverte  à 
l'Evangile.  Mais  on  se  défie  fort  de  la  sincérité  des  Cana- 
diens qui  ont  fait  ce  rapport,  car  il  n'est  point  de  pays  au 
monde  oii  l'on  mente  plus  qu'en  Canada  34.  •  .  » 

Le  P.  Aulneau  accompagna  donc  La  Vérendrye  dans  son 
deuxième  voyage. 

On  raconte  que  ce  bon  Père  ne  tarda  pas  d'apprendre 
suffisamment  la  langue  des  Christinaux  pour  se  faire  com- 
prendre de  ces  sauvages  :  ils  se  montrèrent  bientôt  aussi 
amis  des  Français  qu'ils  étaient  ennemis  des  Sioux. 
Ceux-ci,  qui  détestaient  déjà  les  Français,  n'en  conçurent 
que  plus  de  haine  contre  eux  ;  et  ce  fut  ainsi  que  le  zèle  du 
P.  Aulneau  pour  l'instruction  et  le  salut  des  Christinaux 
fut  la  cause  éloignée  de  sa  mort  et  de  celle  de  ses  com- 
pagnons. 

34.  Cité  dans  les  Relations  des  Jésuites,  édition  Burrows,  t.  64,  p.  224, 


SOUS'   M^'*   DE   PONTBRIAND  343 

On  était  au  fort  Saint-Charles,  près  du  lac  des  Bois.  I^a 
Vérendrye,  à  bout  de  vivres  et  de  provisions,  proposa  aux 
Français  qui  l'accompagnaient  d'aller  en  chercher  à 
Michillimakinac.  C'était  au  printemps  de  1736.  Son  fils 
aîné  s'offrit  de  partir  à  l'instant  avec  quatre  autres  Cana- 
diens et  trente  sauvages  Christinaux  :  le  P.  Aulneau  tint  à 
honneur  de  les  accompagner.  A  sept  lieues  de  là,  ils  firent 
la  rencontre  d'un  parti  de  Sioux,  qui  les  massacra  tous,  les 
Christinaux,  comme  leurs  ennemis  jurés,  les  Français, 
comme  amis  des  Christinaux. 

C'était  près  d'une  île  du  Lac  des  Bois;  et  cette  île  prit 
dès  lors  le  nom  de  l'Ile-au-Massacre.  Les  restes  mortels 
de  ces  infortunés  voyageurs  restèrent  abandonnés  sur  l'île 
jusqu'au  17  septembre  :  •-^■%         '. 

«  Ceux  qui  les  trouvèrent,  écrit  M.  Prud'homme,  virent 
les  têtes  des  Français  posées  sur  des  robes  de  castors,  la 
plupart  sans  chevelure.  Le  P.  Aulneau  avait  un  genou 
en  terre,  une  flèche  dans  la  tête  et  le  sein  ouvert.  La 
main  gauche  était  contre  terre,  et  la  main  droite  élevée 
comme  pour  implorer  le  pardon  céleste  pour  ses  bour- 
reaux .  . . 

«  Qui  pourrait  dire,  ajoute  M.  Prud'homme,  l'affliction 
de  M.  de  la  Vérendrye,  en  voyant  coup  sur  coup  l'aîné  de 
ses  fils,  son  neveu,  le  missionnaire  qui  l'accompagnait,  et 
une  partie  de  ses  gens  enlevés  par  la  mort?  Son  âme, 
toutefois,  ne  se  laissa  pas  abattre  par  la  douleur  35.  » 

Il  fit  transporter  au  fort  Saint-Charles  les  corps  de  ces 
infortunés,  leur  rendit  tous  les  honneurs  possibles,  et  ils 
furent  enterrés  sous  la  chapelle  36- 

Le  bon  P.  Aulneau  avait  tenu  à  accompagner  les  Fran- 
çais et  les  Sauvages  dans  leur  voyage  à  Michillimakinac 


35.  Le  P.  Coquart,  dans  la  Revue  Canadienne  de  1897,  P-  84. 

36.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIII e  siècle,  t.  I,  p.  224. 


344  l'église  du  canada 

pour  leur  donner,  en  cas  de  besoin,  les  secours  de  son  mi- 
nistère. Il  était  bien  aise,  également,  d'avoir  cette  occa- 
sion d'aller  rencontrer  ses  confrères,  pour  se  réconforter,  et 
leur  demander  les  secours  spirituels  dont  il  pouvait  lui- 
même  avoir  besoin.  Il  était  donc  de  toutes  manières  mar- 
tyr de  son  devoir:  et  ce  n'est  pas  sans  raison  qu'on  Pa 
appelé  ((  le  premier  martyr  du  Nord-Ouest  Canadien.  » 


CHAPITRE  XXVI 


COUP  d'cBIL  sur   I.ES   MISSIONS   LOINTAINES   DE   I^'ÉGLISE 

DE  QUÉBEC  : —  III.    LA  MISSION  MONTAGNAISE  DU 

SAGUENAY  ;  —  L^ACADIE  FRANÇAISE 

Le  P.  Coquart,  au  Saguenay.  —  Véglise  de  Tadoussac.  —  L'abbé  Co- 
quart.  —  M,  Le  Loutre  et  les  autres  missionnaires  de  l'Acadie  fran- 
çaise. —  Le  P.  Germain,  à  la  Rivière  Saint- Jean.  —  Mgr  de  Pont- 
briand  et  l'abbé  Le  Guerne. 

LE  P.  Coquart,  qui  accompagna  La  Vérendrye  dans  son 
troisième  voyage  au  Nord-Ouest,  et  passa  l'hiver  de 
1743  à  1744  au  Fort  la  Reine,  a  été  appelé  avec  raison  «  le 
premier  apôtre  de  la  Rivière-Rouge,  le  pionnier  des  mission- 
naires au  Manitoba.  C'est  à  lui,  a-t-on  dit,  que  revient 
Phonneur  d'avoir  été  le  premier  à  déposer  dans  les  pays 
d'en-haut  la  semence  de  la  Foi  »  \ 

Mais  c'est  surtout  à  la  mission  Montagnaise  du  Saguenay 
et  de  Tadoussac  qu'il  a  attaché  son  nom.  Il  a  continué 
de  1746  à  1765  l'œuvre  des  Dolbeau  '\  des  De  Quen,  des 
Albanel,  des  Crépieul,  des  Laure,  des  Maurice,  ces  admi- 
rables missionnaires  qui  répandirent  la  lumière  de  l'Evan- 


1.  Le  P.  Coquart,  dans  la  Revue  Canadienne  de  1897,  P-  81. 

2.  L'un  des  quatre  premiers  Récollets  qui  vinrent  au  Canada.  —  Nous 
avons  été  surpris  de  lire  tout  récemment  dans  un  article  intitulé  "  Chi- 
coutimi,  la  reine  du  Nord",  dans  le  Bulletin  des  Recherches  historiques, 
XIX,  360:  "Les  premiers  missionnaires  qui  évangélisèrent  le  Saguenay 
furent  les  Jésuites.  "  Et  les  Récollets  ?. . .  le  P.  Dolbeau,  et  le  P.  Le 
Caron,  à  Tadoussac?. . .  Voir  notre  volume  La  Mission  du  Canada  avant 
Mgr  de  Laval,  Récollets  et  Jésuites. 


346  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

gile  parmi  les  sauvages  de  la  région  du  Saguenay,  et 
fondèrent  «  cette  belle  chrétienté  Montagnaise,  si  pleine  de 
foi  et  de  piété,  à  laquelle,  dit  M.  Taché,  le  P.  Labrosse 
mit  la  dernière  main  »  3. 

Le  P.  Coquart  mourut  à  Chicoutimi  le  4  juillet  1765, 
et  y  fut  inhumé  par  son  successeur  dans  la  mission  Mon- 
tagnaise, le  P.  Labrosse.  Plus  tard  ses  restes  mortels 
furent  descendus  et  inhumés  à  Tadoussac,  où  ils  reposent 
maintenant  ;  et,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  par  un  sin- 
gulier échange,  le  P.  Labrosse,  décédé  et  inhumé  en  1782 
à  Tadoussac,  fut  transporté  ensuite  de  Tadoussac  à  Chi- 
coutimi *. 

Nous  avons  vu  dans  un  chapitre  précédent  que  le  P. 
Coquart  fonda  en  1747  dans  la  petite  église  de  Tadoussac 
une  messe  en  faveur  de  l'intendant  Hocquart,  bienfaiteur 
insigne  de  cette  église. 

On  a  prétendu  qu'il  n'y  avait  pour  toute  église,  à  Ta- 
doussac, à  l'arrivée  du  P.  Laure,  en  1720,  «qu'une  cabane 
d'écorce  percée  de  tous  côtés,  qui  servait  de  chapelle  ^  » 
Alors,  qu'était  devenue  la  Chapelle  «  en  bois  de  char- 
pente, »  dont  parle  la  Relation  de  1652  ^  que  l'on  orna 
d'une  «  tapisserie  »,  venue  de  France  en  même  temps  qu'une 
cloche,  que  les  bons  sauvages  Montagnais  «  voulaient  sonner 
chacun  leur  tour,  pour  voir  si  elle  parlerait  aussi  bien 
entre  leurs  mains  qu'entre  les  mains' du  P.  De  Quen»?  '. 
Est-ce  que  l'on  voit  quelque  part  qu'elle  ait  été  incendiée 
ou  détruite?  Pour  nous,  nous  n'avons  aucune  raison  de 
croire,  non  seulement  qu'elle  n'existait  plus  à  l'arrivée  du 


3.  J.-C.  Taché,  Forestiers  et  Voyageurs. 

4.  Tanguay,  Répertoire  du  Clergé,  p.  98  et  116. 

5.  Les  Jésuites  et  la  Nouvelle-France  au  XVIII e  siècle,  t.  II,  p.  7. 

6.  Relations  des  Jésuites,  1652,  p.  11. 

7.  Ibid.,  1647,  P-  64. 


sous    M«^   DE    PONTBRIAND  347 

P.  Laure,  en  1720,  ou  du  P.  Coquart,  en  1746,  mais  que  ce 
n'est  pas  la  même  qui  existe  encore  aujourd'hui  : 

*c  La  petite  église  de  1647,  écrivions-nous  naguère, 
existe  encore.  C'est  la  plus  ancienne  du  Canada,  et 
probablement  de  toute  l'Amérique.  On  la  conserve,  on 
l'entretient  avec  tout  le  soin  qu'elle  mérite.  La  cloche  de 
1647,  elle  aussi,  est  encore  là,  dans  son  petit  clocher,  et  il 
n'y  a  pas  de  touriste  qui,  allant  à  Tadoussac.  ne  tienne  à 
faire  «  parler  »  ce  vieux  témoin  des  premiers  temps  de  notre 
pays  »  ^. 

Seulement,  cette  église,  à  l'arrivée  du  P.  Coquart,  avait 
besoin  de  réparations,  et  peut-être  de  quelque  agrandis- 
sement. M.  Hocquart,  à  la  veille  de  son  départ  pour  la 
France,  fournit  au  bon  missionnaire  tout  le  bois  qui  lui 
était  nécessaire  ;  et  celui-ci,  en  reconnaissance,  fonda,  à 
l'intention  du  pieux  intendant,  la  messe  dont  nous  venons 
de  parler.  Elle  se  dit  chaque  année  le  jour  de  la  fête  de 
sainte  Anne,  et  se  dira  tant  que  l'église  subsistera. 

On  assure  que  Bigot  contribua  lui-même  deux  cents 
livres  pour  les  travaux  à  faire  à  l'église  de  Tadoussac  ^  : 
tenons-lui  compte,  au  moins,  de  cette  bonne  œuvre. 

Le  P.  Coquart  ne  se  contentait  pas  de  visiter  ce  que  l'on 
appelait  alors  les  Postes  du  Domaine  du  Roi  :  Chicoutimi, 
Tadoussac,  la  Malbaie,  les  Ilets  de  Jérémie,  les  Sept-Iles; 
il  desservait  aussi  les  Eboulements,  et  surtout  l'Ile-aux- 
Coudres,  où  il  passa  plusieurs  hivers. 

Il  était  à  Québec  lors  du  siège  de  cete  ville,  en  1759; 
puis,  après  la  capitulation,  lui  et  le  P.  Germain  accom- 
pagnèrent en  Acadie  un  certain  nombre  d'Acadiens  qui 
obtinrent  du  gouvernement  anglais  la  permission  de 
retourner  dans  leur  pays.  Il  donna  quelques  missions  aux 
Abénaquis  de  la  Rivière  Saint-Jean,  puis  retourna  chez  ses 
chers  Montagnais  du  Saguenay. 

8.  La  Mission  du  Canada  avant  Mgr  de  Laval,  p.  83. 

9.  Le  P.  Coquart,  dans  la  Revue  Canadienne  de  1897,  P-  89. 


348  I^'ÊGUSE   DU   CANADA 


* 
*       * 


N'allons  pas  confondre,  du  reste,  le  P.  Coquart,  qui 
n'alla  qu'accidentellement  en  Acadie,  avec  un  prêtre  sécu- 
lier du  même  nom,  l'abbé  Coquart,  que  l'on  trouve  en  1755 
et  1756  avec  le  P.  Germain  chez  les  Abénaquis  de  la 
Rivière  Saint-Jean.  Il  desservait  le  fort  Menagouech, 
ainsi  que  les  familles  françaises  réfugiées  autour  de  ce  Fort. 
Il  était  Breton,  ainsi  que  son  confrère,  M.  Vizien,  celui-ci 
du  diocèse  de  Saint-Pol-de-Léon,  l'abbé  Coquart  du  diocèse 
de  Tréguier  : 

«  Il  serait  bon,  monseigneur,  écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
à  M^^  de  Pontbriand,  d'écrire  un  mot  aux  évêques  de 
Saint-Pol-de-Léon  et  de  Tréguier.  L'un  et  l'autre  se 
prêtent  volontiers  à  nous  donner  des  sujets.  Le  dernier 
me  donna  l'an  passé  deux  religieuses,  et  cette  année  il  a 
consenti  volontiers  au  départ  de  M.  Coquart.  M.  l'évêque 
de  Saint-Pol-de-Léon  m'a  accordé  de  la  meilleure  grâce  du 
monde  l'exéat  de  M.  Vizien,  et  m'en  avait  même  accordé 
un  second  pour  un  autre  ecclésiastique,  qui  est  tombé 
malade  et  n'a  pu  partir.  Il  m'a  chargé  d'ailleurs  de  vous 
dire  les  choses  les  plus  polies  de  sa  part    .  .  » 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu  ajoutait:  ((J'ai  aussi  trouvé  M. 
Pévêque  de  Vannes  très  bien  disposé  ;  et,  à  dire  le  vrai, 
nous  recevons  plus  de  secours,  et  de  meilleure  grâce,  de 
Nos  Seigneurs  les  Evêques  de  Bretagne,  que  de  tous  ceux 
du  Royaume:  et  d'ailleurs  les  sujets  en  prêtres  et  en  reli- 
gieuses y  valent  bien  mieux  que  partout  ailleurs.  Il  serait 
à  souhaiter  qu'il  en  fût  de  même  des  religieux  :  notre 
pauvre  colonie  de   l 'Ile-Royale  s'en   trouverait  beaucoup 


mieux  ^° 


Dans  la  lettre  dont  nous  ne  venons  de  citer  qu'une  par- 


10.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  22  juin  1754. 


sous  ms^  de  pontbriand  349 

tie,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  faisait  allusion  à  deux  prêtres  qu'il 
avait  acceptés  de  confiance  et  envoyés  en  Acadie,  mais 
qui  ne  valaient  pas  grand'chose,  non  pas  qu'ils  fussent 
absolument  de  mauvais  sujets,  mais  l'un,  M.  du  Gué, 
était  d'une  inconstance  ineffable,  et  ne  fit  qu'un  court  sé- 
jour en  Acadie,  l'autre,  M.  Lemaire,  n'était  sain  ni  de 
corps  ni  d'esprit  :  «  Je  ne  l'avais  pris,  dit  M.  de  l'Ile- 
Dieu,  que  d'après  les  témoignages  les  plus  avantageux  ; 
mais  l'esprit  comme  le  corps  est  sujet  à  bien  des  infirmités  : 
le  bon  prêtre  nous  a  jetés  dans  de  sérieux  embarras  par  ses 
imaginations  et  son  indiscrète  direction  ^^.  w 

Par  contre,  les  Missions-Etrangères  lui  avaient  procuré 
un  excellent  ecclésiastique,  M.  Le  Guerne,  un  Breton 
comme  MM.  Vizien  et  Coquart.  Il  était  du  diocèse  de 
Quimper,  et  M^^  de  Pontbriand  l'avait  demandé  à  l'Evêque 
de  cette  ville,  «  à  cause  du  zèle  et  des  talents  «  qu'il  lui 
connaissait  ^'\  Il  allait  travailler  dans  la  même  zone  que 
ses  compatriotes  Vizien  et  Coquart,  l'Acadie  française, 
sous  la  conduite  de  M.  Le  Loutre,  ce  grand  missionnaire 
des  Micmacs,  dont  le  nom,  comme  celui  de  M.  Maillard, 
s'identifie,  pour  ainsi  dire,  avec  la  cause  acadienne.  M. 
de  l'Ile-Dieu  écrivant  un  jour  au  ministre  au  sujet  de 
MM.  Le  Loutre  et  Maillard  : 

(f  Ce  sont,  disait-il,  deux  grands  et  saints  ecclésiastiques, 
qui  ont  assez  bien  mérité  de  l'Etat  et  de  la  Religion  pour 
avoir  part  dans  votre  souvenir,  si  vous  avez  occasion  de 
leur  procurer  quelque  secours,  qu'ils  ne  demandent  que 
pour  être  plus  en  état  de  faire  le  bien  ^^.  » 

M.  Le  Guerne  n'était  pas  encore  prêtre  lorsque  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu  l'envoya  à  Québec  dans  l'été  de  1750.     M^  de 


11.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 

12.  Corresp.   générale,   vol.   96,   lettre   de   l'abbé   de  l'Ile-Dieu   à   M. 
Rouillé,  ler  avril  1750. 

13.  Lettre  au  ministre,  21  avril  1747. 


350  l'éguse  du  canada 

Pontbriand  l'ordonna  l'année  suivante,  et  le  garda  à 
l'évêché,  où,  depuis  le  départ  de  MM.  de  La  Ville-Angevin 
et  La  Corne,  il  n'avait  plus  avec  lui  que  M.  Briand.  Le 
Guerne  était  un  sujet  précieux,  qui  pouvait  lui  rendre  de 
grands  services.  Eh  bien,  tel  était  le  dévouement  du 
pieux  Prélat  pour  ses  chers  diocésains  de  l'Acadie,  que, 
connaissant  le  grand  besoin  qu'ils  avaient  d'un  prêtre,  ceux 
surtout  qui,  sur  les  conseils  de  M.  Le  Loutre,  avaient 
quitté  leurs  terres  pour  se  réfugier  dans  la  partie  de 
l'Acadie  réputée  encore  française,  il  n'hésita  pas  à  leur 
envoyer  son  jeune  ami  Le  Guerne,  l'objet  de  ses  plus 
chères  espérances.  Qu'on  ne  dise  donc  plus  que  les 
Evêques  de  Québec  négligèrent  les  Acadiens  : 

«  M.  l'Evêque  de  Québec,  écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu, 
vient  d'envoyer  à  l'Acadie  le  seul  et  unique  prêtre  qu'il 
avait  auprès  de  lui,  quoiqu'il  lui  fût  très  utile.  . .  Il  n'a 
plus  avec  lui  qui  que  ce  soit  pour  les  tournées  dans  son 
diocèse...  C'est  un  Pasteur  d'un  mérite  et  d'un  zèle 
rares  ^* .  .  .  » 

M.  Le  Guerne  partit  pour  l'Acadie  en  1753,  emportant 
avec  lui  l'estime  et  les  regrets  de  tous  ceux  qui  l'avaient 
connu.  Avec  quelle  joie  ne  fut-il  pas  accueilli  par  M.  Le 
Loutre  et  les  trois  mille  Acadiens  qui  s'étaient  déjà 
réfugiés  en  terre  française  !  M.  Le  Loutre  venait  de  bâtir 
à  Beauséjour  «  une  fort  belle  église  »  :  elle  allait  être  des- 
servie par  deux  excellents  Bretons,  Vizien  et  Le  Guerne  ; 
et  ils  avaient  là-bas,  sur  la  Rivière  Saint-Jean,  leur  compa- 
triote Coquart,  qu'ils  espéraient  rencontrer  de  temps  à 
autre.  Il  y  avait  aussi  dans  cette  partie  de  l'Acadie,  que 
l'on  appelait  l'Acadie  française,  l'abbé  Manach  :  «  C'est 
un  fort  bon  sujet,  »  écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  ^^     M. 


14.  Corresp.  générale,  vol.  98  et  99>  lettres  au  ministre,  30  décembre 
1752,  15  mars  et  6  mai  1754. 

15.  Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 


sous    M^   DE   PONTBRIAND  35 1 

Manach  avait  soin  tout  spécialement  des  sauvages,  à  la 
place  de  M.  Le  Loutre,  qui  s'occupait  surtout  des  Acadiens 
en  général. 

Donc,  cinq  prêtres  séculiers  dans  PAcadie  française,  en 
deçà  de  l'isthme  :  MM.  Le  Loutre,  Manach,  Vizien,  Le 
Guerne  et  Coquart.  Et  puis,  sur  la  Rivière  Saint- Jean,  en 
la  remontant  jusqu'à  Pentagouët,  les  Pères  Jésuites  conti- 
nuaient à  desservir,  comme  par  le  passé,  les  Abénaquis  : 
le  P.  Lauverjat  à  Médoctec,  le  P.  Audran  à  Gemsec,  le  P. 
Germain  dans  l'île  d'Ekouba.  On  y  trouve  aussi  le  P. 
Labrosse  en  1755  ^^. 

Le  P.  Germain  était  l'émule  de  M.  Le  Loutre  pour  le 
zèle  des  intérêts  français  en  Acadie  : 

«  Ce  religieux,  écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  est  un  mission- 
naire très  intelligent,  qui  m'a  envoyé  le  plan  de  la  Rivière, 
et  celui  des  postes  qu'on  y  pourrait  établir,  tant  sur  le 
front  que  dans  les  profondeurs.  La  Cour  fera  sur  cela  ce 
qu'elle  jugera  à  propos,  d'autant  plus  qu'il  s'agit  encore 
plus  du  bien  du  service  que  du  progrès  de  la  religion  ^^.  » 

Le  P.  Germain  était  à  la  mission  de  la  Rivière  Saint- 
Jean  depuis  1747:  et  il  avait  desservi  auparavant  la  mis- 
sion de  Beaubassin,  en  même  temps  que  le  P.  La  Corne, 
récollet  canadien,  desservait  Miramichi.  Voici  ce  que 
l'intendant  Hocquart  écrivait  à  la  Cour  de  ces  deux  reli- 
gieux : 

«  Nous  avons  lieu  d'être  extrêmement  contents  de  la 
conduite  que  le  P.  Germain,  jésuite,  missionnaire  à  Beau- 
bassin,  et  le  P.  La  Corne,  récollet,  missionnaire  à  Mirami- 
chi, ont  tenue  à  l'Acadie.  Ils  mériteraient  les  récom- 
penses du  Roi,  si  par  leur  état  ils  n'y  avaient  renoncé.  Le 
premier,   extrêmement  prudent  et  sage,   agréable  à  tous 


16.  Casgrain,  Un  Pèlerinage  au  pays  d'Evangéline,  p.  145. 

17.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 


352  L'ÊGUSE   DU  CANADA 

ceux  avec  qui  il  a  à  traiter,  a  été  notre  correspondant.  L<e 
second  s'est  montré  à  l'affaire  du  Port  I^ajoie,  à  la  suite  de 
ses  Micmacs,  avec  l'intrépidité  d'un  homme  de  guerre: 
tous  deux  également  zélés  pour  le  bien  de  la  Religion  et 
de  l'Etat .  .  .  )) 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  de  son  côté,  écrivait  au  sujet  de  la 
mission  de  la  Rivière  Saint-Jean  : 

«  Le  P.  Germain  et  ses  confrères  se  sont  toujours  très 
bien  conduits,  avec  une  grande  subordination  pour  leur 
premier  supérieur  ecclésiastique  et  pour  ceux  à  qui  il  a 
cru  devoir  confier  sa  juridiction  sur  eux.  On  peut  même 
ajouter  que  c'a  toujours  été  avec  un  esprit  de  désintéresse- 
ment qui  leur  a  toujours  mérité  l'estime,  la  confiance  et  la 
vénération  de  tous  les  sujets  du  Roi  qui  ont  été  confiés  à 
leurs  soins  et  à  la  conduite  et  prudente  activité  de  leur 
foi.  » 

Les  supérieurs  du  P.  Germain  appréciaient  si  bien  sa 
conduite  qu'ils  avaient  décidé  de  le  faire  monter  à  Québec 
comme  supérieur  de  toutes  les  missions  de  la  Nouvelle- 
France.  De  leur  côté,  les  autorités  de  la  colonie  jugèrent 
que  dans  les  circonstances  critiques  où  se  trouvait  l'Aca- 
die,  sa  présence,  comme  celle  de  M.  Le  Loutre,  y  était  né- 
cessaire ;  et  elles  obtinrent  qu'il  y  restât;  de  sorte  que  M. 
de  l'Ile-Dieu  put  écrire  au  ministre  : 

((  Le  P.  Messaiger,  jésuite,  procureur  des  missions  du 
Canada,  m'a  dit  qu'il  avait  pris  les  mesures  nécessaires 
pour  que  ses  supérieurs  ne  retirassent  pas  le  P.  Germain  de 
sa  mission  des  Marichites  sur  la  Rivière  Saint-Jean,  sur- 
tout dans  les  circonstances  présentes.  Ainsi  c'est  un  grand 
inconvénient  paré  de  ce  côté-là,  et  je  vais  écrire  au  P. 
,  Germain  qu'il  peut  être  tranquille  et  rester  à  sa  mission.  » 

Il  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  cet  ouvrage  de  raconter 
tous  les  travaux  et  les  efforts  de  M.  Le  Loutre  et  du  P. 
Germain  pour  attirer  de  leur  côté  les  Acadiens  et  les  sous- 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  353 

traire  aux  malheurs  auxquels  ils  les  croyaient  inévita- 
blement exposés  dans  leur  patrie.  Se  figure-t-on  les  sacri- 
fices que  l'on  demandait  à  ces  braves  gens,  et  qu'on  leur 
représentait  comme  nécessaires?  Quitter  pour  l'inconnu 
et  l'incertain  le  plus  beau  pays  du  monde,  la  maison  qui 
les  avait  vu  naître,  le  champ  qu'ils  avaient  cultivé  avec 
tant  de  soin,  et  auquel  ils  étaient  si  attachés,  leurs  meubles, 
leurs  troupeaux,  l'église  où  ils  avaient  été  baptisés  et  où 
ils  avaient  trouvé  tant  de  consolation  au  milieu  des  mi- 
sères de  la  vie  ! , .  .  Ces  sacrifices,  un  bon  nombre  les 
firent  :  la  plupart,  cependant,  préférèrent  rester  chez 
eux  ;  ils  s'accoutumèrent  peu  à  peu  au  joug  des  vainqueurs, 
et  l'on  sait  comment  ils  furent  récompensés,  à  la  fin,  de 
leur  trop  grande  confiance  dans  la  justice  de  leur  cause  et 
dans  l'honnêteté  présumée  de  ceux  qui  les  trompaient 
depuis  quarante  ans. 

M.  Le  Loutre  fit  un  voyage  exprès  en  France  dans  l'in- 
térêt des  Acadiens  réfugiés.  Lui  et  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
se  donnèrent  un  mal  incroyable  pour  obtenir  de  la  Cour 
en  leur  faveur  tous  les  avantages  possibles  ^^. 

On  sait  la  haine  que  les  Anglais  avaient  vouée  à  M. 
Le  Loutre.  Il  réussit  à  leur  échapper,  lors  de  la  prise  du 
fort  Beauséjour,  à  la  défense  duquel  il  avait  pris  une  part 
active.  Il  monta  sur  un  vaisseau  qui  s'en  allait  à  Québec; 
puis  de  Québec  il  s'embarqua  pour  la  France.  Mais  le 
navire  sur  lequel  il  était  monté  fut  pris  par  les  Anglais. 
Le  Loutre  fut  fait  prisonnier,  et  détenu  pendant  huit  ans 
au  Château  de  Jersey. 

Nous  avons  dit  combien  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  appréciait 
ce  grand  missionnaire  : 


2a  Lettre  de  l'abbé  de  rile-Dicu  à  Mgr  de  Pontbriand,  1er  avril  1753: 

"  Pendant  quatre  jours  de  travail  que  j'ai  eus  à  Versailles  avec  le  mi- 
nistre, etc." 

23 


'^ 


354  VEGUSE   DU   CANADA 

«Je  l'aime  tendrement,  écrivait-il  un  jour  au  ministre; 
et  il  le  mérite  par  ses  qualités  personnelles,  son  attache- 
ment et  son  zèle  pour  le  bien  du  service  et  le  progrès  de 
la  religion  dans  la  colonie  où  se  trouve  sa  mission,  et 
même  toutes  celles  sur  lesquelles  il  a  inspection.  » 

* 
*      * 

La  France  fit-elle  tout  ce  qu'elle  put  pour  les  Acadiens? 
Il  est  certain,  du  moins,  que  l'Eglise  n'eut  rien  à  se  repro- 
cher à  leur  égard.  Quel  dévouement  de  la  part  de  tous 
les  missionnaires  qu'elle  put  leur  envoyer  !  Et  il  n'y  eut 
pas  moins  d'une  dizaine  de  diocèses  différents  qui  contri- 
buèrent à  l'envoi  de  ces  missionnaires. 

Mais  à  part  M.  Le  Loutre,  dont  la  mission  et  le  zèle,  du 
reste,  avaient  surtout  pour  objet  les  intérêts  matériels  des 
Acadiens,  et  que,  pour  cela,  les  malins  appelaient  quelquefois 
le  «  général  »  Le  Loutre  ^^,  nul  ne  nous  paraît  avoir  déployé 
à  leur  égard  un  attachement  plus  noble,  plus  intelligent, 
plus  désintéressé  et  plus  persévérant  que  M.  Le  Guerne, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Envoyé  en  Acadie  en 
1753,  il  resta  à  son  poste  jusqu'au  mois  d'août  1757,  deux 
ans  par  conséquent  après  la  prise  de  Beauséjour  et  la  dis- 
persion des  Acadiens,  consolant  et  assistant  ceux  qui 
étaient  restés  avec  lui  dans  l'Acadie  française,  se  cachant 
avec  eux  dans  les  bois,  vivant  de  leur  vie,  les  exhortant  à 
tout  souffrir  pour  Dieu. 

Revenu  à  Québec  dans  l'automne  de  1757,  il  fut  nom- 
mé, au  printemps  de  l'année  suivante,  à  la  petite  cure  de 
Saint-François  de  l'Ile  d'Orléans,  oii  il  resta  jusqu'à  sa 
mort  le  6  décembre  1789,  à  une  interruption  près,  savoir 
de  1767  à  1769,  qu'il  passa  une  année  et  demie  au  Sémi- 

21.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  157. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  355 

naire  de  Québec  pour  y  faire  la  Rhétorique.  Il  a  été  le 
premier  Professeur  de  Rhétorique  au  Petit  Séminaire,  deve- 
nu Collège  classique  régulier  après  la  Conquête.  Ancien 
élève  des  Missions-Etrangères,  la  Providence  voulut  qu'il 
rendît  ce  noble  service  à  une  institution  qui  leur  avait  tou- 
jours été  si  intimement  liée  depuis  un  siècle. 

Nous  avons  plusieurs  lettres  de  M^^  de  Pontbriand  à  M. 
Le  Guerne  :  elles  prouvent  la  haute  estime  qu'il  avait  pour 
ce  jeune  prêtre,  et  le  grand  cas  qu'il  faisait  de  lui.  Il 
lui  écrit  le  28  juillet  1756  «à  Belair,  vers  Cocagne»,  en 
Acadie  : 

«  Mon  amitié  pour  vous  me  rend  vos  lettres  précieuses. 
Le  journal  que  vous  y  joignez  flatte  la  curiosité.  Vos  tra- 
vaux me  comblent  de  joie,  parce  que  je  vois  que,  par  votre 
courage  et  votre  zèle,  vous  méritez  de  plus  en  plus  les 
grâces  de  Dieu,  et  que  vous  lui  conservez  des  âmes  qui  lui 
sont  chères.  Mais  je  crois  avec  peine  vos  fatigues  capables 
d'altérer  votre  santé. 

«  Le  sort  des  Acadiens  m'afflige,  ajoute  le  Prélat,  à  en 
juger  par  ceux  qui  sont  ici  :  ils  ne  veulent  pas  demeurer 
parmi  nous  ;  ils  espèrent  toujours  qu'ils  pourront  re- 
tourner. .  .  » 

Il  lui  écrit  de  nouveau  le  7  octobre,  «  à  Petit-Coudiac  », 
cette  fois  : 

«  Je  me  suis  fort  attristé  sur  la  nouvelle  de  votre  maladie 
et  sur  celle  de  vos  habitants.  La  nouvelle  de  votre  conva- 
lescence m'a  beaucoup  consolé. 

«  M.  Coquart  vient  de  partir  pour  se  rendre  à  la  Rivière 
Saint-Jean.  Il  sera  peut-être  bien  difficile  de  fournir  des 
vivres  pour  les  habitants  de  Miramichi,  la  récolte  n'ayant 
pas  été  bonne  cette  année. 

«  Si  vous  revenez  ici,  je  vous  recevrai  avec  un  vrai  plai- 
sir, et  j'aurai  soin  de  vous  comme  de  moi-même.  . .  » 

Puis,  lorsque  M.  Le  Guerne  est  nommé  curé  de  Saint- 


356  L^âOLISE   DU   CANADA 

François,  quelle  bonté,  de  la  part  de  l'Evêque,  à  son  égard 
Il  est  malade,  il  est  assiégé  de  mille  difficultés,  à  propos  du 
testament  de  son  prédécesseur,  à  propos  des  comptes  de  la 
Fabrique  ;  il  s'ennuie  peut-être  : 

«  Je  crois,  lui  écrit  M^^  de  Pontbriand,  que  le  testament 
de  M.  Cloutier  '^-,  à  la  rigueur,  peut  être  disputé.  Il  faut 
être  plus  fin  que  ceux  qui  veulent  nous  tromper.  . . 

«  Vous  trouverez  peut-être  quelques  notes  sur  les  comptes, 
dès  que  vous  aurez  pris  hauteur,  et  que  vous  serez  débar- 
rassé de  ces  mauvaises  fièvres.  Ménagez-vous.  Soyez 
dans  la  joie.  Promenez  vos  yeux  sur  la  plaine  liquide  ^^, 
appelez  avec  fredonnement  les  vaisseaux,  cultivez  le  jardin. 
Ne  prétendez  pas  tout  faire  dans  un  jour.  Stcfficit  diei 
malîtia  sua  ^^  Soyez  persuadé  de  l'attachement  que  je 
vous  conserve  '^^.  » 

M^^  de  Pontbriand  devait,  ce  semble,  ces  témoignages 
d'estime  et  d'intérêt  à  ce  bon  jeune  prêtre  qu'il  avait 
demandé  à  son  vénérable  collègue  dans  l'épiscopat,  l'évêque 
de  Quimper  ;  et  nous  devions  un  souvenir  à  la  mémoire 
d'un  des  plus  dignes  ecclésiastiques  que  l'Eglise  de  France 
ait  envoyés  à  celle  du  Canada. 


22.  Alexandre  Cloutier,  curé  de  Saint-François  de  1714  à  1758,  petit- 
fils  de  Zacharie  Cloutier,  du  Chateau-Richer,  et  neveu,  par  sa  mère 
Charlotte  Guyon,  de  l'abbé  Jean  Guyon,  que  Mgr  de  Laval  emmena 
avec  lui  en  Europe  en  1684,  et  qui  mourut  à  Paris  le  10  janvier  1685. 

23.  L'église  et  le  presbytère  de  Saint-François,  à  la  pointe  est  de 
l'Ile  d'Orléans,  occupent  un  des  endroits  les  plus  délicieux  des  environs 
de  Québec. 

24.  "A  chaque  jour  suffit  son  mal."  {Matth.,  VI,  34). 

25.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec. 


CHAPITRE  XXVII 


COUP  d'cëii.  sur  les  missions  lointaines  de  l'église 

DE  QUÉBEC:  —  IV.    DANS  L'ACADIE   ANGLAISE;  — 

M^^  DE  PONTBRIAND   ET  LA  DISPERSION 

DES  ACADIENS 

Contestations  sur  les  Limites  de  l'Acadie.  —  Les  Acadiens  sous  le  gou- 
vernement anglais.  —  Conduite  des  missionnaires.  —  M.  Girard. — 
M.  Daudin.  —  M.  Desenclaves,  à  Pomcoup.  —  Les  missionnaires, 
déportés  les  premiers.  —  La  déportation  des  Acadiens;  mandement 
de  Mgr  de  Pontbriand.  —  La  résurrection  de  TAcadie. 

L'Acadie  avait  été  cédée  à  l'Angleterre  par  le  Traité 
d'Utrecht  (1713)  :  mais  qu'était  l'Acadie?  On  n'avait 
pas  même  pris  la  peine  de  s'expliquer  là-dessus  dans  le 
traité,  et  l'on  avait  laissé  cela  à  la  décision  d'un  tribunal 
composé  de  Commissaires,  qui  ne  décidèrent  rien,  parce 
qu'ils  ne  purent  ou  ne  voulurent  s'entendre  !  ce  fut  la 
guerre  qui  décida  tout.  Les  prétentions  des  Anglais  étaient 
exorbitantes  :  d'après  eux,  Beauséjour  était  «  au  centre  de 
leur  province  de  la  Nouvelle-Ecosse  ^  >>,  c'est-à-dire  qu'ils 
s'adjugeaient  au  moins  autant  de  pays  à  l'ouest  qu'à  l'est 
de  l'isthme  :  la  France,  de  son  côté,  ne  voulait  céder  tout 
au  plus  que  la  Péninsule  ;  et  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  trouvait 
même  que  c'était  encore  trop,  tant  que  la  fixation  des 
Limites  n'aurait  pas  été  arrêtée  de  part  et  d'autre  : 


I.  Journal  de  Jacau  de  Fiedmont,  publié  dans  Les  derniers  jours  de 
VAcédie,  p.  139. 


358  Iv'ÊGUSE    DU   CANADA 

«  Je  pense,  disait-il,  qu'excepté  aux  habitants  de  Port- 
Royal,  qui  est  expressément  cédé  aux  Anglais  par  le  traité 
d'Utrecht,  ils  (les  Anglais)  ne  peuvent  demander  le  ser- 
ment de  fidélité  aux  autres  Acadiens  français,  qu'après  la 
fixation  des  Limites,  puisque  jusque-là  aucune  des  deux 
nations  ne  peut  dire  :  «  Ceci  est  à  moi,  et  cela  est  à  vous  »  ; 
et  de  ce  principe  il  résulterait  une  conséquence  bien  avan- 
tageuse pour  ces  pauvres  Acadiens,  puisque,  jusqu'à  la 
fixation  des  Limites,  ils  seraient  dans  le  même  droit  et  la 
même  faculté  d'évacuer  avec  tous  leurs  effets  mobiliers 
morts  et  vifs,  oii  ils  étaient  en  17 14  ;  et  de  là  je  tire  encore 
une  seconde  conséquence,  qui  part  également  du  même 
principe,  et  qui  est  qu'on  a  eu  tort  de  laisser  prêter  aux 
Acadiens  le  serment  qu'on  a  exigé  d'eux  en  1728  et  en 
1730  2.  . .  » 

Ce  serment,  de  leur  part,  était  très  loyal  :  ils  reconnais- 
saient les  faits  accomplis,  qui  les  avaient  fait  passer  sous 
l'autorité  du  roi  de  la  Grande  Bretagne  ;  mais  ils  se  réser- 
vaient de  ne  jamais  prendre  les  armes  contre  la  France, 
leur  mère  patrie.  Ils  ne  voulurent  jamais  prêter  serment 
qu'avec  cette  restriction.  Qui  pourrait  leur  en  faire  un 
crime?  Qui  n'admirerait  au  contraire  la  noblesse  de  leurs 
sentiments? 

Maintes  fois,  dans  les  commencements,  ils  voulurent 
quitter  le  sol,  auquel  pourtant  tant  de  souvenirs  et  d'inté- 
rêts les  attachaient,  pour  se  réfugier  dans  une  zone  plus 
sûrement  française  ;  mais  on  fit  toujours  en  sorte  de  leur 
rendre  la  chose  plus  ou  moins  impossible.  On  n'était  pas 
prêt  à  les  laisser  partir,  on  n'était  pas  prêt  à  reprendre  à 
neuf  la  colonisation  du  pays  :  laisser  le  pays  se  dépeupler  ; 
faire  le  vide  autour  de  Port-Royal,  où  l'on  entretenait  à 
grands  frais  un  gouverneur  et  une  forte  garnison  :  la  chose 

2.  I^ettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  ler  avril  1753. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  359 

était-elle  possible?  Il  fallait  garder  les  Acadiens,  malgré 
eux,  d'abord  3,  puis  les  endormir  dans  une  fausse  sécurité. 
On  ne  réussit  malheureusement  que  trop  :  Halifax  fut 
fondée  ;  il  n'y  eut  que  les  Micmacs  qui  jetèrent  les  hauts 
cris  :  des  compagnies  de  colonisation  se  formèrent  ;  les 
colons  Anglais  arrivaient  par  centaines,  et  fondaient  ça  et 
là  des  établissements.  M.  Le  Loutre,  depuis  longtemps, 
invitait  les  Acadiens  à  se  retirer  d'eux-mêmes,  coûte  que 
coûte;  mais  pour  un  grand  nombre  il  jouait  le  rôle  de 
l'antique  Cassandre.  La  plupart  ne  se  réveillèrent,  à 
proprement  parler,  que  lorsqu'ils  furent  victimes  du  plus 
infâme  guet-apens,  de  la  plus  grande  iniquité,  peut-être, 
qui  ait  jamais  été  commise  par  une  nation. 

Un  des  moyens  les  plus  efficaces  que  l'on  employa  pour 
entretenir  les  Acadiens  dans  une  parfaite  sécurité,  ce  fut 
de  les  laisser  pratiquer  en  toute  liberté  leur  religion, 
comme  le  leur  accordait,  du  reste,  le  traité  d'Utrecht. 
Les  gouverneurs  de  la  Nouvelle-Ecosse,  en  général,  ne 
mirent  pas  d'entraves  sérieuses  à  cette  liberté,  et  favori- 
sèrent même  l'envoi  de  missionnaires  dans  la  colonie. 

Nous  avons  vu,  au  volume  précédent,  qu'il  y  en  avait 
six,  en  1742  :  M.  de  Miniac,  vicaire  général,  à  la  Rivière- 
aux-Canards;  M.  Desenclaves,  à  Port-Royal;  M.  de  la 
Goudalie,  aux  Mines  *;  M.  le  Chauvreulx,  à  Pigiquit  ;  M. 
Girard,  à  Cobequid  ;  M.  Laboret,  à  Beaubassin.  C'était 
suffisant  pour  les  besoins  de  la  population. 


3.  "  Ils  envoyèrent  des  détachements  de  troupes  dans  toute  l'Acadie 
pour  forcer  les  Français  et  leurs  familles,  sans  aucun  égard  aux  anciens 
traités,  à  y  rester  avec  leurs  biens  meubles  et  immeubles,  sinon  à  s'en 
aller  sans  emporter  quoi  que  ce  fût  de  ce  qui  leur  appartenait."  {Les 
derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  257). 

4.  Les  Mines,  —  ou  le  Bassin  des  Mines  —  comprenaient  trois  pa- 
roisses :  la  Grand-Prée,  et  les  deux  paroisses  de  Pigiquit,  qui  comp- 
taient dix  huit  cents  communiants.  M.  de  la  Goudalie  était  curé  de  la 
Grand-Prée;  M.  le  Chauvreulx,  des  deux  paroisses  de  Pigiquit.  {Le  Ca- 
nada-français, Documents  sur  l'Acadie,  t.  I,  p.  45). 


360  l'éguse  du  canada 

Mais  quelle  prudence  ne  fallait-il  pas,  de  la  part  du 
clergé  de  l'Acadie  anglaise,  pour  ne  pas  offusquer  un 
gouvernement  toujours  soupçonneux,  toujours  aux  aguets, 
toujours  jaloux  à  l'excès  de  son  autorité.  «  Dans  la  position 
où  se  trouvent  actuellement  l'Acadie  et  une  grande  partie 
de  l'Ile-Royale,  la  règle  de  prudence  est  à  observer  plus 
que  jamais  »  ^  écrivait  M»''  de  Pontbriand.  Cette  prudence, 
les  missionnaires  n'en  manquèrent  généralement  pas. 
Quelques-uns  semblent  même  avoir  poussé  la  timidité  à 
l'excès:  c'est  du  moins  le  reproche  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
ne  se  gênait  pas  de  faire  à  M.  le  Chauvreulx  : 

«  Je  suis  étonné,  dit-il,  que  M.  le  Chauvreulx  se  soit  dé- 
terminé à  la  prestation  du  serment  qu'il  a  fait  au  gouver- 
nement anglais.  Il  pouvait  sûrement  l'éluder,  et  sur  de 
bonnes  raisons  :  «  Je  suis,  pouvait-il  dire,  un  simple  mis- 
«  sionnaire  toléré  par  le  gouvernement,  puisqu'il  permet 
«  aux  familles  françaises  d'en  demander  et  d'en  avoir, 
((  qu'une  des  conditions  mêmes  du  Traité  est  la  liberté  de 
«  la  religion.  Comme  je  puis  être  renvoyé,  si  on  trouve 
«  que  j'aie  fait  ou  insinué  quelque  chose  contre  la  police 
«  extérieure  du  gouvernement,  je  puis  également  me  reti- 
«  rer,  et  je  ne  puis  jamais  être  réputé  sujet  du  roi  de  la 
«  Grande  Bretagne,  et  pas  plus  que  les  missionnaires  des 
«  Indes  Orientales  le  sont  de  l'empereur  de  la  Chine,  du 
«  roi  de  Siam,  de  celui  du  Tonkin,  ou  de  celui  de  la  Cochin- 
«  chine.  »  Mais  le  bon  M.  le  Chauvreulx  n'a  pas  raisonné, 
ni  vu  que  l'emprisonnement  de  M.  Girard  était  une  infrac- 
tion du  Traité  sur  la  liberté  de  religion,  une  atteinte  donnée 
au  Droit  des  gens  et  à  la  liberté  publique.  Il  a  apparem- 
ment été  séduit  par  l'exemple  de  M.  de  la  Goudalie  et  de 
M.  de  Noinville,  qui,  en  1730,  portèrent  leurs  habitants  à 
prêter  le  serment  que  M.  de  Philipps  leur  demanda  ^.  » 

5.  Corresp.  générale,  vol.  96,  lettre  à  M.  Rouillé,  ler  avril  1750. 

6.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  ler  avril  1753. 


sous   M*^'   DE   PONTBRIAND  361 

Iv'eniprisonnement,  sans  la  moindre  raison,  de  M.  Gi- 
rard, les  plaintes  adressées  à  M^'^  de  Pontbriand  contre  les 
missionnaires  par  le  gouverneur  de  l'Acadie,  M.  Cosby,  et 
les  objections  qu'il  fit  à  l'installation  de  M.  de  Miniac, 
dont  il  a  été  question  dans  un  chapitre  précédent,  voilà 
autant  d'exemples  des  tracasseries  auxquelles  étaient  expo- 
sés les  missionnaires  de  l'Acadie  anglaise. 

Sorti  de  prison,  M.  Girard  alla  exercer  le  saint  ministère 
à  l'île  Saint- Jean  ;  M.  de  Miniac  et  M.  de  la  Goudalie  étaient 
déjà  partis  pour  la  France  pour  cause  de  maladie  et  d'infir- 
mités :  il  ne  restait  plus  au  service  spirituel  des  Acadiens 
que  trois  missionnaires,  M.  le  Chauvreulx,  M.  Desenclaves, 
et  M.  Lemaire,  qui  avait  remplacé  M.  Laboret,  mais  qui, 
suivant  l'expression  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  «  avait  l'esprit 
et  la  santé  dérangés  «  '^^  et  était  à  la  veille  de  repasser  en 
France  :     M.  Daudin  le  remplaça  : 

ec  C'est  un  excellent  sujet,  écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à 
l'Evêque.  Il  a  très  bien  pris  avec  le  gouvernement  et  fait 
exempter  nos  missionnaires  du  serment  de  fidélité.  »  Puis 
il  ajoutait  :  «  Quatre  missionnaires  de  plus  suffiraient  à 
peine  dans  cette  colonie. .  .  Si  je  puis  obtenir  le  passage, 
cette  année,  pour  six  missionnaires  et  une  gratification 
pour  chacun,  j'en  enverrai  un  à  M.  Maillard,  afin  de  le 
mettre  en  état  de  s'absenter  de  sa  mission  et  de  se  porter 
de  temps  en  temps  à  Louisbourg  pour  y  tenir  les  Récollets 
en  respect,  s'ils  veulent  enfin  reconnaître  sa  juridiction.  Il 
pourra  avec  la  même  facilité  visiter  à  l'Ile  Saint-Jean  les 
quatre  paroisses  qui  s'y  sont  formées  et  qui  y  sont  des- 
servies, savoir:  la  Pointe-Prime,  par  M.  Girard;  la  Rivière 
du  Nord-est,  par  M.  Cassiette  ;  Saint-Pierre  du  Nord,  par 
M.  Dosque  ;  Malpec,  par  M.  Péronnel.  Quant  au  Fort 
Lajoie  et  aux  familles  qui  sont  dans  le  voisinage,  c'est  le 

7.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  25  mars  1755. 


362  l'église  du  canada 

p.  Ambroise,  récollet,  fort  bon  religieux,  qui  en  a  soin  ^.  » 

M.  Daudin  avait  d'abord  reçu  un  accueil  favorable,  à 
son  arrivée  en  Acadie.  Eh  bien,  il  y  a  à  peine  un  mois 
qu'il  est  installé  comme  curé  à  Port-Royal,  qu'il  se  voit 
traité  par  le  gouvernement  de  la  manière  la  plus  indigne  : 
on  le  met  en  prison,  sur  un  simple  sonpçon  —  sans  la 
moindre  preuve  —  qu'il  a  excité  les  Acadiens  à  se  révolter 
contre  les  Anglais  ^: 

«  Vous  avez  sans  doute  été  informé,  écrit  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu  à  M^  de  Pontbriand,  du  traitement  que  le  gouverne- 
ment anglais  a  fait  subir  à  quatre  des  principaux  habitants 
de  Port-Royal,  et  à  M.  Daudin,  qui  y  est  missionnaire,  en 
les  faisant  conduire  par  cinquante  fusilliers,  d'abord  dans 
les  prisons  des  Mines,  et  ensuite  à  Halifax,  au  mois  d'oc- 
tobre dernier.  Heureusement  que  M.  Daudin  a  si  bien 
soutenu,  et  avec  tant  de  liberté  et  de  dignité,  la  cause  de 
ses  habitants  et  la  sienne,  qu'ils  ont  été  relâchés  et  rétablis 
dans  leurs  postes,  et  avec  une  sorte  de  réparation  du  trai- 
tement qu'on  leur  avait  fait,  du  moins  pour  M.  Daudin, 
qui  est  un  ecclésiastique  de  mérite,  fort  aimé  de  ses  habi- 
tants et  de  tout  ce  qui  reste  d'Acadiens  français  sous  le 
gouvernement  anglais.  » 

Puis  il  ajoutait  :  «  Par  le  dénombrement  que  m'en  a 
envoyé  M.  Daudin,  il  y  en  a  environ  six  mille  trois  cent  dix 
huit,  à  qui  il  conviendrait  d'envoyer  des  prêtres  pour  les 
soutenir  dans  leur  religion  et  dans  la  fidélité  qu'ils  doivent 
à  leur  légitime  souverain,  sur  les  terres  et  sous  le  gouver- 
nement duquel  le  plus  grand  nombre  voudrait  bien  pou- 
voir passer,  surtout  ceux  qui  sont  dans  la  partie  du  sud.  » 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu  ajoutait  encore  : 

<f  J'aperçois  dans  les  lettres  de  M.  Desenclaves  des  sys- 


8.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754. 

9.  Les  derniers  jours  de  VAcadie,  p.  132. 


sous   M«^   DE    PONTBRIAND  363 

tèmes  et  une  façon  de  penser  qui  me  feraient  désirer  que, 
sur  le  prétexte  de  son  grand  âge  et  de  sa  mauvaise  santé,  il 
voulût  repasser  en  France.  Outre  les  autres  défauts  que  je 
lui  ai  remarqués,  il  est  travaillé  de  jalousie  contre  M.  Daudin, 
qui  est  un  sujet  bien  supérieur  à  lui,  à  tous  égards  ;  mais  je 
crois  qu'il  faut  le  ménager,  lui  laisser  prendre  son  parti,  et 
non  pas  le  lui  suggérer,  ce  qui,  sans  doute,  blesserait  son 
amour  propre,  dont  par  malheur  les  hommes  se  défont  diffi- 
cilement, et  presque  avec  la  vie,  surtout  quand  il  y  entre  de 
l'intérêt,  qui,  pour  l'ordinaire,  est  la  mesure  des  actions  des 
hommes  ^°.  » 

M.  Desenclaves  était  !de  beaucoup  le  plus  ancien  mis- 
sionnaire de  l'Acadie.  C'était  un  sulpicien  du  plus  grand 
mérite,  et  nous  avons  peine  à  croire  aux  sentiments  de 
jalousie  que  lui  attribue  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  Longtemps 
curé  de  Port-Royal,  il  s'y  trouva  dans  une  position  très 
délicate,  vivant  habituellement  au  milieu  des  Anglais  de 
la  garnison,  ayant  des  rapports  nécessaires  et  fréquents 
avec  les  commandants,  et  il  sut  toujours  maintenir  la 
dignité  de  son  caractère,  sans  jamais  se  compromettre.  Il 
conduisit  à  bonne  fin  les  travaux  de  la  nouvelle  église  de 
Port-Royal,  et  s'acquitta  toujours  de  son  ministère  à  la 
grande  satisfaction  de  ses  paroissiens.  Mais  le  mauvais 
état  de  sa  santé  lui  faisait  désirer  une  position  plus  modeste 
et  plus  retirée  : 

«  L'arrivée  de  M.  Daudin  à  l'Acadie,  écrit  l'abbé  Casgrain, 
lui  permit  enfin  de  réaliser  son  désir,  et  au  mois  de  juin 
1754,  après  l'avoir  installé  dans  sa  paroisse,  il  alla  se  retirer 
dans  la  petite  Thébaïde  de  Poracoup,  la  plus  lointaine  des 
missions  de  Port-Royal.  Il  s'y  trouvait  alors  vingt  ou 
vingt-cinq  familles  françaises,  formant  au  delà  de  cent 
individus,   presque  tous  pêcheurs.     Quelques-uns    étaient 


10.  Lettre  du  25  mars  1755. 


364  l'église  du  canada 

des  armateurs  fort  à  l'aise,  disposant  de  plusieurs  navires, 
avec  lesquels  ils  faisaient  un  comtnerce  actif,  principa- 
lement aux  iVntilles.  La  rade  de  Pomcoup,  où  l'on  voyait 
continuellement  entrer  et  sortir  des  voiliers  de  toute 
grandeur  et  une  foule  de  légères  embarcations  de  pêche 
offrait  un  aspect  guère  moins  animé  qu'aujourd'hui.  Cette 
rade,  dont  on  connaît  la  pittoresque  beauté,  avait  été  le 
rendez-vous  des  corsaires  et  écumeurs  de  mer  de  différentes 
nations,  français,  anglais,  espagnols,  qui  y  avaient  entre- 
tenu l'aisance  et  souvent  la  richesse  ^^  » 

C'est  cet  endroit  que  le  bon  et  doux  M.  Désenclaves 
avait  choisi  pour  s'y  reposer  un  peu,  tout  en  travaillant 
encore  dans  la  mesure  de  ses  forces  au  bien  spirituel  de 
ses  chers  Acadiens.  Il  était  là  lorsqu'arriva  «  le  grand 
dérangement  »,  qui  ne  l'atteignit  pas  tout  d'abord.  Ce  ne 
fut  qu'au  printemps  de  l'année  suivante  que  le  village  de 
Pomcoup  fut  investi,  pillé  et  incendié.  M.  Desenclaves 
fut  fait  prisonnier  avec  plusieurs  de  ses  paroissiens,  et 
transporté  au  Massachusetts,  oii  il  fut  détenu  plus  de  deux 
ans  dans  une  dure  ceptivité.  Enfin,  en  1759,  il  obtint  la 
liberté  de  repasser  en  France. 

«  Il  alla  passer,  dit  l'abbé  Casgrain,  le  peu  de  jours  qui 
lui  restaient  à  vivre  dans  le  Limousin,  son  pays  natal,  d'oii  il 
s'était  exilé  trente  ans  auparavant  pour  accomplir  l'œuvre 
de  sa  vie.     On  ignore  la  date  de  sa  mort.  » 

* 
*     * 

Mais  revenons  à  M.  Daudin  qui  avait  remplacé  M. 
Desenclaves  à  Port-Royal.  Comme  il  n'y  avait  pas  de 
grand  vicaire  dans  l'Acadie  anglaise  depuis  le  départ  de 
M.  de  Miniac,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  proposait  à  M^^  de  Pont- 

II.  Les  Sulpiciens  en  Acadie,  p.  425. 


sous    M^*    DE    PONTBRIAND  365 

briand  de  le  nommer  à  cette  fonction  ;    et  il  en  donnait  la 
raison  : 

((Il  n'est  pas  possible,  disait-il,  que  M. 'Le  Loutre  ni  M. 
Maillard  aient  aucune  inspection  sur  les  prêtres  qui  desser- 
vent l'Acadie  anglaise,  du  moins  à  découvert  :  le  premier, 
parce  qu'il  est  odieux  au  gouvernement  ;  et  il  n'est  pas 
difficile  d'en  deviner  les  raisons,  ni  le  traitement  qu'il  lui 
ferait,  s'il  tombait  entre  ses  mains  ;  le  second,  M.  Maillard, 
par  les  liaisons  nécessaires  qu'il  a  avec  le  gouvernement  de 
Louisbourg.  Ainsi,  voyez  sur  cela,  monseigneur,  ce  que 
vous  avez  à  faire  ^^  ». 

Hélas!  au  moment  même  oii  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  s'occu- 
pait ainsi  du  grand  vicariat  de  l'Acadie  anglaise,  le  sort  de 
l'abbé  Daudin  et  de  ses  confrères  se  décidait  dans  le  Con- 
seil du  gouvernement  de  Port-Royal.  La  guerre  n'est  pas 
encore  déclarée  entre  la  France  et  l'Angleterre  ;  et  cepen- 
dant, contre  le  droit  des  gens,  on  s'empare,  au  mois  de 
juin,  de  Beauséjour,  grâce  à  l'impéritie  de  Vergor,  le  com- 
mandant français,  qui  n'a  pas  su  gagner  la  confiance  et 
mettre  à  profit  la  bravoure  et  la  bonne  volonté  des  Aca- 
diens  ^^  Le  fort  Gaspareau,  où  commande  Rouer  de 
Villeray,  se  rend  quelques  jours  après.  On  exige  des  Aca- 
diens  un  serment  de  fidélité  sans  condition,  les  obligeant 
par  conséquent  à  prendre  les  armes  contre  la  France  ;  et 
sur  leur  refus,  on  se  met  à  les  inquiéter  et  à  les  harceler 
de  toutes  manières.  Pour  accomplir  sûrement  le  projet 
inique  qu'on  a  machiné  contre  eux,  il  faut  commencer  par 
leur  enlever  leurs  protecteurs  naturels,  les  missionnaires  ; 


13.  Lettre  du  25  mars  1755. 

14.  "  Il  était  plus  attaché  à  ses  intérêts  qu'à  son  métier,  dont  il  ne 
possède  aucune  partie,  écrit  Jacau  de  Fiedmont.  Ceux  qui  confient  des 
postes  à  de  tels  officiers  sont  plus  blâmables  que  les  officiers."  —  "Il 
n'avait  rien  au-dessus  du  savoir  d'un  simple  soldat,"  écrit  M.  de  Lar- 
tigue.  (tes  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  159  et  171). 


366  l'êglisr  du  canada 

et  on  n'hésite  pas  à  le  faire  sans  délai.     Ici,  laissons  parler 
Pabbé  Daudin  lui-même  : 

«  Ce  n'était  pas  assez  pour  les  Anglais,  dit-il,  de  harceler 
les  habitants,  ils  pensèrent  qu'en  enlevant  les  prêtres  ils 
disperseraient  plus  aisément  le  troupeau.  En  conséquence, 
le  Conseil  donna  ordre,  le  premier  août,  d'enlever  les  trois 
missionnaires  qui  étaient  dans  la  province  ;  et  l'on  envoya 
pour  cela  trois  détachements  de  chacun  cinquante  hommes. 
Celui  des  Mines  fut  enlevé  le  4  août.  Celui  de  la  Rivière- 
aux-Canards  se  cacha  pendant  quelques  jours  pour  aller 
dans  les  églises  consommer  les  saintes  hosties,  et  se  rendit 
lui-même  au  fort  de  Pigiquit,  le  dix,  pendant  que  son 
détachement  le  cherchait  encore.  Celui  de  Port-Royal 
(M.  Daudin  lui-même)  fut  pris  le  6  août,  en  disant  la  messe, 
qu'on  lui  laissa  achever.  Heureusement  qu'en  entendant 
tomber  les  crosses  de  fusils  tout  à  l'entour  de  l'église,  il  se 
défia  de  l'aventure,  et  consomma  les  saintes  hosties.  A 
peine  eut-il  achevé  la  messe,  que  l'officier  commandant  lui 
signifia  de  la  part  du  Roi  de  le  suivre. 

a  On  visita  la  sacristie  et  le  presbytère,  d'où  on  enleva 
tous  les  papiers,  registres,  lettres  et  mémoires.  Le  mis- 
sionnaire fut  conduit  dans  une  habitation  distante  d'un 
quart  de  lieue,  où  il  fut  consigné  jusqu'au  lendemain 
matin  que  devait  venir  un  autre  détachement  pour  l'ac- 
compagner. .  . 

«  On  rassembla  les  trois  missionnaires  dans  une  prison 
commune,  au  fort  de  Pigiquit,  et  de  là  on  les  conduisit  à 
Halifax,  avec  cent-cinquante  hommes  de  troupes.  On  ne 
peut  exprimer  quelle  fut  la  consternation  du  peuple 
lorsqu'il  se  vit  sans  prêtres  et  sans  autels.  Les  mission- 
naires donnèrent  ordre  de  dépouiller  les  autels,  de  tendre 
le  drap  mortuaire  sur  la  chaire  et  de  mettre  dessus  le  Cru- 
cifix ;  voulant  par  là  faire  entendre  à  leur  peuple  qu'il 
n'avait  plus  que  Jésus-Christ  pour  missionnaire. 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  367 

«  Tous  fondaient  en  larmes  et  réclamaient  la  protection 
du  missionnaire  de  Port-Royal,  en  le  suppliant  de  les 
mettre  sous  la  protection  de  leur  bon  Roi,  le  Roi  de 
France,  protestant  que  Sa  Majesté  Très  Chrétienne  n'avait 
pas  dans  son  Royaume  des  cœurs  plus  sincères  que  les 
leurs,  ce  que  le  missionnaire  leur  promit  autant  qu'il  serait 
en  son  pouvoir,  ignorant  lui-même  sa  destinée. 

«  Aussitôt  que  les  prêtres  furent  enlevés,  les  Anglais 
arborèrent  pavillon  sur  les  églises,  et  en  firent  des  casernes 
pour  servir  au  passage  de  leurs  troupes. 

«  Les  missionnaires  arrivèrent  donc  à  Halifax  dans  ce 
bel  accompagnement,  tambour  battant.  On  les  conduisit 
sur  la  place  d'armes,  où  ils  furent  exposés,  pendant  trois 
quarts  d'heure,  aux  railleries,  mépris  et  insultes  ^^  » 

Ils  furent  détenus  ensuite  séparément  sur  les  vaisseaux 
de  l'amiral  Boscawen,  puis  envoyés  à  Portsmouth,  en 
Angleterre,  oii  il  leur  fut  permis  de  noliser  un  petit  navire, 
qui  les  transporta  à  Saint-Malo  ^^ 

* 
*      * 

Le  récit  de  la  déportation  des  Acadiens,  avec  toutes  ses 
horreurs  et  ses  détails  d'une  incroyable  sauvagerie,  a  été 
fait  par  tant  d'auteurs,  que  nous  n'avons  nullement  l'in- 
tention de  le  reprendre.  Ce  qui  nous  semble  convenir  le 
mieux  dans  cet  ouvrage,  c'est  de  citer  tout  simplement  la 
page  si  touchante  du  mandement  de  M^  de  Pontbriand,  où 
le  pieux  Prélat  raconte  à  ses  diocésains  ce  douloureux  évé- 
nement ^l     La  guerre  de  Sept-ans,  quoique  non  oflSciel- 


15.  Cité  dans  Un  Pèlerinage  au  pays  d'Evangéline,  p.  106. 

16.  Corresp.  générale,  vol.  100,  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  mi- 
nistre, 23  décembre  1755. 

17.  La  Cour  de  France  fit  écrire  à  l'abbé  de  l'IIe-Dieu  pour  avoir  ce 
mandement  et  le  faire  imprimer.  {Rapport. ..  pour  1905,  p.  230). 


368  l'église  du  canada 

lement  déclarée  ^^  est  déjà  commencée  en  Canada,  a  cette 
lugubre  guerre,  écrit  quelque  part  M.  de  Broglie,  qui  a 
sonné  le  glas  de  notre  monarchie  »  ^^.  M«''  de  Pontbriand 
applaudit  aux  succès  remportés  par  les  Canadiens  à  la 
Belle-Rivière,  et  les  exhorte  à  continuer  la  guerre  avec 
courage  : 

«  La  guerre,  dit-il,  que  vous  avez  soutenue  jusqu'à  pré- 
sent avec  tant  de  courage,  va  encore,  selon  les  apparences, 
continuer  pendant  cette  année,  et  peut-être  avec  plus  de 
vivacité  que  jamais.  Nos  ennemis,  enflés  des  succès  qu'ils 
ont  eus  au  bas  de  la  rivière,  et  irrités  de  nos  victoires  rem- 
portées dans  le  haut  de  cette  colonie,  font  de  nouveaux 
préparatifs  et  semblent  nous  menacer  de  toutes  parts. 

La  conduite  qu'ils  tiennent  à  l'égard  des  peuples  de 
l'Acadie  nous  annonce  ce  que  nous  devrions  craindre,  s'ils 
étaient  victorieux.  Les  Acadiens,  sur  le  sort  desquels 
nous  ne  pouvons  assez  nous  attrister,  ont  été  tout-à-coup 
désarmés  et  appelés  sur  des  prétextes  spécieux  daus  diffé- 
rents Forts  ;  ils  y  viennent  avec  confiance,  et  à  peine  y 
sont-ils  arrivés,  qu'à  l'instant  ils  sont  arrêtés,  emprisonnés 
et  de  là  transportés  dans  des  pays  éloignés  et  étrangers. 
Les  femmes  éplorées  se  retirent  avec  leurs  enfants  dans  les 
bois,  exposées  à  l'injure  des  temps  et  aux  suites  funestes 
d'une  disette  presque  générale,  sans  secours  et  sans  soutien, 
maux  qu'elles  préfèrent  au  danger  de  perdre  leur  foi. 
Cependant  l'ennemi  en  enlève  un  certain  nombre  ;  pour 
intimider  les  autres,  il  menace  de  mettre  les  maris  en  une 
espèce  d'esclavage  ;  quelques-unes,  effrayées  de  cette  me- 
nace, se  rendent  au  lieu  de  l'embarquement  ;  le  plus  grand 
nombre,  dépourvu  de  tout,  se  réfugie  sur  nos  terres  ;  les 


18.  Elle  ne  le  fut  que  le  18  mai  1756  de  la  part  de  l'Angleterre,  et  le 
0  juin  de  la  part  de  la  France. 

19.  Vingt-cinq  ans  après,  dans  le  Correspondant  du  ler  juillet  1895, 
p.  37. 


sous   M*'^   DE   PONTBRIAND  369 

villages  sont  brûlés,  les  églises  ont  le  même  sort,  on 
n'épargne  que  celles  qui  doivent  servir  de  prison  à  ceux 
qu'on  n'a  pu  embarquer  ;  les  pasteurs  sont  saisis  avec  vio- 
lence et  renvoyés  pour  toujours. 

«  Telle  est.  Nos  Très  Chers  Frères,  la  triste  situation  de 
l'Acadie,  quoique  les  Traités  les  plus  solennels  et  les  con. 
ventions  faites  tout  récemment,  lors  de  l'évacuation  du 
fort  de  Beauséjour,  semblassent  lui  en  promettre  une  plus 
heureuse  :  tant  il  est  vrai  qu'il  ne  faut  pas  compter  sur 
toutes  les  promesses,  quelque  sincères  qu'elles  puissent 
paraître  !  » 

IvC  Prélat  profite  ensuite  de  ce  qui  est  arrivé  aux  Aca- 
diens  pour  mettre  les  Canadiens  en  garde  contre  ce  qui 
pourrait  leur  arriver  à  eux-mêmes: 

«  Vous  vous  souvenez,  dit-il,  que  lorsque  nous  enlevâmes 
si  glorieusement  le  fort  Nécessité,  on  nous  donna  des 
otages,  on  promit  de  rendre  les  prisonniers  faits  dans 
l'action  où  M.  de  Jumonville  fut  tué,  contre  le  droit  des 
gens  et  par  une  espèce  d'assassinat  ^^.  Les  otages  nous 
demeurent,  la  promesse  n'est  pas  exécutée.  C'est  cepen- 
dant à  la  faveur  de  mille  promesses  semblables  que  le 
général  Braddock  ^\  en  cas  de  victoire,  comptait  gagner 
une  partie  d'entre  vous,  et  envoyer  l'autre  dans  l'Ancienne 
Angleterre,  suivant  les  ordres  secrets  qu'il  en  avait  reçus  ^l 

«  Nous  apprenons  avec  joie  les  dispositions  courageuses 
dans  lesquelles  vous  êtes,  de  vous  opposer  avec  force  aux 
projets  ambitieux  de  nos  voisins,  qui  agissent  d'une  ma- 
nière si  irrégulière,  et  sur  la  parole  desquels  la  prudence 


20.  Une  espèce  d'assassinat:  voilà  comment  Mgr  de  Pontbriand  n'hé- 
sitait pas  à  caractériser  l'acte  de  Washington. 

21.^  Braddock  était  arrivé  en  Virginie  avec  deux  régiments  anglais,  le 
20  février  1755,  plus  d'un  an  avant  la  déclaration  de  la  guerre. 

22.  Notons  bien  cette  parole  de  Mgr  de  Pontbriand  :  il  devait  y  avoir, 
suivant  ce  qui  avait  été  décidé  par  les  chefs  de  Braddock,  une  dépor- 
tation  Canadienne,    semblable  à   la   déportation   Acadienne  ! 

24 


370  l'église  do  canada 

ne  permet  pas  de  se  reposer.  Ainsi,  quand  même  ils  con- 
sentiraient à  vous  laisser  dans  vos  biens,  quand  même  ils 
ne  voudraient  pas  vous  obliger  à  prendre  les  armes  contre 
la  France  —  ce  qu'ils  exigent  des  Acadiens  —  quand  même 
ils  promettraient  la  liberté  de  la  religion,  ce  qui  vient  de 
se  passer  dans  PAcadie  reudrait  suspectes  toutes  ces  pro- 
messes, et  vous  auriez  bientôt  la  douleur  de  voir  s'intro- 
duire dans  ce  diocèse,  dont  la  Foi  a  toujours  été  si  pure  23, 
les  erreurs  détestables  de  Luther  et  de  Calvin.  Vous  allez 
donc  combattre,  dans  cette  année,  non  seulement  pour  vos 
biens,  mais  encore  pour  préserver  ces  vastes  contrées  de 
l'hérésie  et  des  monstres  d'iniquité  qu'elle  enfante  à  chaque 
moment. 

«  Animés  par  un  motif  si  chrétien,  nous  espérons  les  plus 
grands  succès,  et  que  vous  mériterez  de  nouveau,  dans  cette 
campagne,  les  éloges  que  le  Roi  et  la  famille  royale  vien- 
nent de  vous  donner  à  l'occasion  de  la  victoire  remportée 
près  de  la  Belle-Rivière  ^*.  » 

Cette  belle  victoire  de  la  Monongahéla,  qui  fut  notre 
«  Fontenoy  »  et  sauva  pour  le  moment  notre  pays,  fut  au 
contraire  l'occasion  de  la  ruine  des  Acadiens  :  tant  il  est 
vrai  que  tout  se  tient  en  ce  monde  !  La  Nouvelle-Angle- 
terre, exaspérée  à  la  nouvelle  de  la  déconfiture  de  Brad- 
dock,  se  décida  immédiatement  à  frapper  un  grand  coup, 
et  à  réaliser  le  projet  machiné  depuis  longtemps  de  les 
extirper  de  leur  pays  : 

((  C'est  maintenant  que  l'on  voit,  écrivait  M^  de  Pont- 
briand  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  combien  ont  eu  raison  les 
Acadiens  d'évacuer  la  péninsule  de  l'Acadie,  et  le  tort 
qu'ont   eu   ceux    qui    y   sont    restés,    en    ne   suivant   pas 


23.  "La  Foi  a  toujours  été  si  pure"  au  Canada!  Quel  précieux  témoi- 
gnage de  la  part  de  Mgr  de  Pontbriandl  Ne  l'oublions  pas,  pour  l'op- 
poser, dans  l'occasion,  aux  ignorants  et  aux  détracteurs. 

24,  Mandements  des  Eviques  de  Québec,  t.  II,  p.  105,  mandement  du 
15  février  1756. 


se  us    M^   DE    PONTBRIAND  37 1 

l'exemple  de  ceux  qui  ont  passé  sur  les  terres  de  France, 
dès  qu'ils  ont  vu  que  les  Anglais  pensaient  à  établir  Chi- 
bouctou,  aujourd'hui  Halifax.  En  effet,  si  plus  de  qua- 
torze cents  habitants  bien  établis,  qui  se  trouvaient  alors 
dans  la  péninsule  de  l'Acadie,  eussent  passé  sur  les  terres 
de  France,  avec  tous  leurs  effets  morts  et  vifs,  il  leur  au- 
rait été  aisé  alors  de  s'y  établir  librement  et  sans  obstacle, 
et  il  n'aurait  pas  été  si  facile  de  les  y  attaquer,  de  les 
vaincre  et  de  les  disperser  comme  on  a  fait. 

«  Ce  ne  sera  qu'à  la  paix,  ajoutait  l'Evêque,  qu'on  pourra 
penser  à  rétablir  l'Acadie  ;  mais  il  y  a  trois  grands  incon- 
vénients :  premièrement,  la  ruine  presque  totale  des  habi- 
tations; deuxièmement,  la  consommation  des  bestiaux, 
dont  la  péninsule  était  bien  fournie  ;  troisièmement  enfin, 
la  dispersion  des  colons  et  cultivateurs,  dont  la  plupart 
sont  morts  de  misère  ou  de  maladie  ^^  » 

Ah,  quelle  n'eût  pas  été  la  joie  de  M^^  de  Pontbriand, 
s'il  eût  pu  assister,  comme  de  nos  jours,  à  la  «  résurrection  de 
l'Acadie  »  !  Il  les  croyais  morts,  ses  chers  Acadiens,  tant 
ils  avaient  été  frappés  cruellement,  mais  un  peuple  reli- 
gieux et  patriote  ne  meurt  pas.  Terrassés  d'une  manière 
atroce,  ils  ne  perdirent  ni  la  foi,  ni  l'espérance  ;  ils  se 
recueillirent  dans  le  malheur  ;  ils  attendirent  avec  con- 
fiance de  meilleurs  jours  :  et  ces  jours  sont  venus.  L'Aca- 
die française  n'est  pas  morte  :  elle  donne  déjà  et  donnera 
de  plus  en  plus  des  marques  tangibles  de  sa  vitalité. 

25.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 


CHAPITRE  XXVIII 


COUP   D'œiL   SUR   LES   MISSIONS   LOINTAINES   DE  L'ÉGUSB 
TH   QUÉBEC  :  —  V.     LES   MISSIONS   DE   L*ILE  SAINT- 
JEAN  ET  DE  L'ILE-ROYALE. — M.  MAILLARD 
ET  M.  LE  LOUTRE 

Plus  de  missionnaires  en  Acadie,  après  1757. — La  mission  de  l'Ile  Saint- 
Jean.  —  A  riIe-Royale.  —  Mémoire  de  l'abbé  de  l'IIe-Dieu.  — 
Raymond  et  Prévost,  gouverneur  et  commissaire-ordonnateur  de 
rile-Royale.  —  Un  projet  de  Mgr  de  Pontbriand  pour  Louisbourg. 
—  Louisbourg  se  rend  à  l'Angleterre.  —  M.  Maillard,  seul,  reste  en 
Acadie.  —  Lettres  de  MM.  Le  Loutre  et  Maillard. 

NOUS  n'avons  plus  aucun  missionnaire  dans  la  Nou- 
velle-Ecosse, sous  le  gouvernement  anglais,  ni  dans 
PAcadie  française  »,  écrivait  au  ministre  l'abbé  de  Pile- 
Dieu  \  à  la  fin  de  1755. 

Elle  est  donc  veuve  de  ses  pasteurs,  cette  péninsule  aca- 
dienne  si  belle,  si  intéressante  et  si  riche  !  Ses  enfants 
Pont  abandonnée,  elle  est  déserte ...  «  Les  rues  de  Sion 
pleurent,  elles  ne  voient  plus  personne  se  rendre,  comme 
de  coutume,  aux  solennités  religieuses  »  ^  :  les  églises  elles- 
mêmes  ont  disparu,  il  n'y  a  plus  que  ruines  et  désolation. 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu  ajoutait  : 

«  Le  seul  missionnaire  qui  était  dans  PAcadie  française, 
et  qui  desservait  au  moins  quarante  lieues  de  pays,  sur  les 


i.Corresp.  générale,  vol.  100,  lettre  du  23  décembre. 
2.  "  Viœ  Sion  lugent,  eo  quod  non  sint  qui  veniant  ad  solemnitatem.  ** 
(Lamentations  de  Jérémie,  I,  4)- 


l'église  du  canada  sous  m»^  de  PONTBRIAND    2>72> 

trois  rivières  de  Chipoudy,  Peticoudiac  et  Memramcook, 
sous  le  fort  de  Beauséjour,  a  pris  la  fuite,  sur  la  première 
nouvelle  qu'il  a  eue  que  les  Anglais  voulaient  faire  enlever 
ses  habitants  pour  les  faire  transporter  en  Angleterre. 
J'ignore  ce  qu'il  est  devenu  ;  je  le  crois  cependant  actuel- 
lement parvenu  à  Québec.  » 

Ce  n'était  pas  rendre  justice  à  M.  Le  Guerne.  L'abbé 
de  l'Ile-Dieu  se  trompait  :  il  le  reconnut  plus  tard  :  M. 
Le  Guerne  n'avait  pas  quitté  son  poste  ;  il  resta  fidèle 
jusqu'à  la  dernière  heure  à  ses  chers  Acadiens,  et  ne  quitta 
qu'au  mois  d'août  1757  le  théâtre  de  ses  travaux. 

Mais  après  1757,  plus  un  seul  missionnaire  en  Acadie, 
M.  Le  Loutre,  dont  le  rôle  a  été  si  actif  dans  le  pays  que 
sa  tête  a  été  mise  à  prix  par  le  gouverneur  d'Halifax,  a  été 
fait  prisonnier  :  il  est  maintenant  dans  le  Château  de  Jersey, 
où  il  sera  détenu  huit  ans.  M.  Desenclaves  a  tenu  bon 
tant  qu'il  a  pu,  en  se  cachant  dans  les  bois  avec  ses 
paroissiens  du  Cap  de  Sable  :  lui  aussi  est  maintenant 
prisonnier.  M.  Le  Guerne  vient  de  partir,  le  dernier: 
donc,  plus  un  vSeul  missionnaire  dans  toute  l'Acadie,  à  la 
fin  de  1757. 

Mais  les  missionnaires  de  l'Ile  Saint-Jean  et  de  l'Ilc- 
Royale  sont  encore  à  leurs  postes  :  l'heure  du  «  dérange- 
ment w  n'a  pas  encore  sonné  pour  eux. 

Dans  une  lettre  qu'il  adressait  à  M^  de  Pontbriand  le 
29  mars  1754,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  lui  donnait  d'intéres- 
sants détails  sur  la  population  de  l'Ile  Saint-Jean,  aujour- 
d'hui Ile  du  Prince- Edouard: 

«  M.  Girard,  à  la  Pointe-Prime,  a  trois  cents  habitants 
à  desservir;  M.  Dosque  ^,  à  Malpec,  trois  cent  cinquante- 
six  ;  le  P.  Gratien,  qui  a  remplacé  le  P.   Ambroise  à  Port- 


3.  M.  Dosque  devint  plus  tard   (1769)   curé  de  Québec,  succédant  à 
M.  Récher. 


374  l'église  du  canada 

Lajoye,  dessert,  outre  la  garnison,  sept  cent  soixante  trois 
habitants  ;  M.  Cassiette,  à  la  Rivière  du  nord-est,  et  M. 
Péronnel,  à  Saint-Pierre  du  Nord,  environ  douze  cents 
habitants  *. 

«Il  y  a  dans  cette  Ile,  ajoute  M.  de  l'Ile-Dieu,  cent  vingt 
sept  familles,  sur  différentes  rivières,  trop  éloignées  des 
autres  postes  pour  en  tirer  les  secours  spirituels. 

<t  Ces  cent  vingt  sept  familles  demandent  qu'on  leur 
érige  une  paroisse.  J'en  ai  écrit  à  M.  Le  Loutre,  pour  en 
conférer  avec  M.  de  Villejoint,  commandant,  et  je  lui 
mande  de  faire  à  ce  sujet  ce  qu'ils  jugeront  à  propos  pour 
le  progrès  de  la  religion  et  le  bien  du  service. 

«  Ces  cent  vingt-sept  familles  forment  huit  cent  quatre- 
vingt-dix  habitants,  qui,  dans  l'éloignement  où  ils  sont  des 
autres  postes,  ne  peuvent  guère  se  passer  d'un  ecclésias- 
tique. 

«  A  l'égard  de  la  subsistance  de  ceux  qui  y  sont  déjà,  le 
Roi  leur  donne  un  petit  secours  de  deux  cent  cinquante 
francs.  M.  Prévost  leur  a  fourni  jusqu'à  présent  des  ra- 
tions. Ils  commencent  à  tirer  quelque  chose  de  leurs  ha- 
bitants, et  la  récolte  a  été  assez  bonne  l'année  dernière 
dans  l'Ile.  Mais  ou  y  manque  de  moulins  ;  et  il  serait  né- 
cessaire d'y  envoyer  du  linge  et  de  grosses  étoffes  pour 
l'habillement  des  pauvres,  et  même  pour  fournir  à  ceux 
qui  seraient  en  état  d'en  faire  l'acquisition,  ce  qui  y  serait 
bien  plus  nécessaire  que  les  choses  qu'on  y  a  envoyées  — 
pour  s'en  défaire  ^  —  des  magasins  de  Québec  ^.  » 


4.  M.  Cassiette  était  du  diocèse  de  Langres,  M.  Péronnel,  d»  diocèse 
de  Lyon,  M.  Lemaire,  du  diocèse  d'Amiens,  M.  Daudin,  du  diocèse  de 
Blois.   (Correspondance  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu). 

5.  Bigot,  toujours  fidèle  à  lui-même,  envoyait  à  l'Ile  Saint-Jean  ce 
dont  il  ne  pouvait  "  se  défaire  "  à  Québec  ! 

6.  Lettre  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  25  mars  1755. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  375 


* 


Les  missionnaires  de  Pile  Saint-Jean  donnaient  entière 
satisfaction  à  M.  Pabbé  de  Pile-Dieu.  Il  n^en  était  pas  de 
même  de  ceux  de  PIle-Royale  : 

«Les  Récollets,  écrit  il  à  M^  de  Pontbriand,  font  tou- 
jours très  mal  à  Louisbourg  ^.  » 

Il  ajoutait  quelques  semaines  plus  tard  : 

«  Les  Récollets  de  Louisbourg  ne  veulent  guère  recon- 
naître d'autorité,  ni  professer  de  subordination.  Leurs  su- 
périeurs de  Bretagne  ont  promis  monts  et  merveilles  à 
M.  de  Drucourt  *.     Nous  verrons  ce  qui  en  résultera  ^  » 

A  vrai  dire,  ces  Religieux  n'avaient  jamais  donné  com- 
plète satisfaction  à  l'Evêque  de  Québec.  On  se  rappelle 
les  reproches  que  n'avait  cessé  de  leur  faire  M^  de  Saint- 
Vallier  ^°.  Il  avait  songé  sérieusement  à  les  remplacer  par 
des  prêtres  séculiers,  et  n'avait  cédé  qu'à  regret  au  désir 
de  la  Cour,  qui  voulait  les  maintenir  dans  le  poste  qui  leur 
avait  été  confié.  Les  P>.écollets  de  PIle-Royale,  à  cette 
époque,  appartenaient  à  différentes  provinces  de  leur 
Ordre:  ce  qui  était  un  obstacle  à  l'union.  Il  fut  décidé 
pins  tard,  en  1731  ^\  que  la  mission  de  PIle-Royale  serait 
confiée  uniquement  aux  Récollets  de  la  province  de  Bre- 
tagne, et  les  choses  allèrent  un  peu  mieux  ^'^^  sans  donner 
encore  pleine  satisfaction  à  l'autorité  religieuse  : 

«  Il  est  constant,  écrivait  M^  de  Pontbriand  deux  ans 
après  son  arrivée  à   Québec,   que  les  Récollets  de  Plle- 


7.  Lettre  du  29  mars  1754. 

8.  Gouverneur  de  l'Ile-Royale  après  M.  de  Raymond  (1753) 

9.  Lettre  du  22  juin  1754 

10.  VBglise  du  Canada. . . ,  1ère  Partie,  p.  375. 

11.  Ihid.,  deuxième  Partie,  p.  232.  » 

12.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  50. 


376  l'église  du  canada 

Royale,  depuis  plusieurs  années,  ne  se  comportaient  pas 
bien  ^^  » 

Il  les  avait  soumis  à  la  juridiction  d'un  grand  vicaire 
séculier,  M.  Maillard.  Mais  eux  voulaient  être  indépen- 
dants, et  menaçaient  de  partir,  si  leur  supérieur  n'était  paS) 
lui  aussi,  grand  vicaire  : 

«  Il  est  triste  pour  moi,  écrivait  le  Prélat  à  la  Cour,  de 
voir  des  Religieux  vouloir  être  malgré  moi  grands  vicaires, 
et  pour  réussir  chercher  tous  les  moyens  d'obtenir  des 
ordres  de  votre  part  pour  le  rappel  de  M.  Maillard.  » 

Dans  son  désir  de  conciliation,  il  fit  pour  les  Récollets 
de  rile-Royale  ce  qu'il  ne  voulut  jamais  faire  pour  les 
Capucins  de  la  Nouvelle-Orléans  :  il  donna  au  Commis- 
saire des  Récollets  les  mêmes  pouvoirs  qu'à  M.  Maillard, 
«  pour  les  exercer  de  concert  »,  tout  en  laissant  à  celui-ci  un 
droit  de  visite  et  d'inspection  sur  toutes  les  missions  de 
l'Ile-Royale  et  de  l'Ile  Saint-Jean.  Les  deux  grands  vi- 
caires, lorsqu'ils  ne  seraient  point  d'accord,  devaient  lui 
écrire  «  conjointement.  » 

Quel  fut  le  résultat  de  cette  mesure  de  conciliation? 
Trois  ans  plus  tard,  M^  de  Pontbriand  était  si  peu  content 
des  Récollets,  qu'il  voulait,  comme  M^^  de  Saint- Vallier, 
leur  substituer  des  prêtres  séculiers  ^*  ;  et  s'il  ne  le  fit  pas, 
ce  fut  pour  la  même  raison  qui  avait  arrêté  son  prédéces- 
seur, afin  d'obtempérer  aux  désirs  de  la  Cour. 

A  la  prise  de  Louisbourg  par  les  Anglais,  en  1745,  les 
Récollets  en  avaient  été  chassés.  Lorsque  la  ville  fut 
rendue  à  la  France,  en  1748,  la  Cour  les  pria  d'y  revenir; 
et  ils  y  revinrent  en  effet  au  nombre  de  six.  La  Cour 
n'était  pas  bien  aise  qu'on  leur  dît  maintenant  de  s'en 
aller. 


13.  Lettre  au  ministre,  20  octobre  1743. 

14.  Corresp.  générale,  vol.  86,  lettre  de  l'abbé  de  TIle-Dieu  au  mi- 
nistre, 26  février  1746. 


sous   M«^   DE   PONTBRIAND  Till 

Revenant  pourtant  sur  le  même  sujet,  Pabbé  de  l'Ile- 
Dieu  se  décida,  en  1751,  à  présenter  au  ministre,  «de  la 
part  de  l'Evèque  de  Québec  «,  un  mémoire,  dans  le  but  de 
faire  remplacer  les  Récollets  de  l'Ile-Royale  par  des  prêtres 
séculiers. 

Nous  n'avons  nullement  l'intention  d'analyser  ce  mé- 
moire :  qu'il  nous  suffise  de  dire  qu'il  était  d'un  bout  à 
l'autre  une  charge  contre  les  Religieux  Franciscains,  qu'il 
accusait  de  manquer  aux  devoirs  les  plus  essentiels  de  leur 
ministère  pastoral,  et  de  ne  vouloir  pas  se  soumettre  à  la 
juridiction  du  grand  vicaire  séculier,  M.  Maillard.  Il  fal- 
lait leur  substituer  des  prêtres  séculiers,  et  on  ne  devait 
leur  confier  tout  au  plus  que  le  soin  de  la  garnison  des 
Forts  1^ 

Les  renseignements  fâcheux  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
avait  obtenus  sur  les  Récollets  de  l'Ile-Royale  lui  venaient 
probablement  de  M.  Maillard,  peut-être  aussi  de  M.  Le 
Loutre;  et  l'insistance  que  l'on  mettait  à  opposer  les  prêtres 
séculiers  aux  Religieux  offrait  quelque  chose  de  louche  : 
M.  Le  Loutre  et  M.  Maillard  ne  tardèrent  pas  de  s'entendre 
dire  qu'ils  étaient  hostiles  aux  Religieux.  Un  Récollet 
qui  desservait  un  des  postes  de  l'Ile-Royale,  la  Baie  des 
Espagnols,  ayant  célébré  d'une  manière  très  irrégulière,  et 
sans  les  permissions  voulues,  le  mariage  d'un  soldat  de  la 
garnison,  fut  obligé  de  passer  en  France,  par  ordre  de  la 
Cour,  ainsi  que  le  soldat.  Un  officier  de  Louisbourg 
écrivit  à  cette  occasion  à  un  ses  amis  : 

«  MM.  Maillard  et  Le  Loutre,  qui  sont  ici,  ne  sont  pas 
fâchés  de  l'aventure:  cela  leur  livre  un  beau  champ  de 
bataille  pour  chasser  les  moines  m  ^^. 


15.  Archives    de   l'archev.    de    Québec,    mémoire   à   présenter   à    M, 
Rouillé,  après  1751. 

16.  Les  derniers  jours  de  VAcadie,  p.  113,  lettre  du  capitaine  Joubert 
à  M.  de  Surlaville. 


378  L^ÊGLISE   DU   CANADA 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  n'en  continua  pas 
moins  à  se  plaindre  des  Récollets  de  l'Ile-Royale  :  ses 
lettres  à  M*^  de  Pontbriand  étaient  tellement  remplies  de 
reproches  contre  ces  Religieux,  que  le  Prélat  crut  devoir 
un  jour  lui  en  faire  la  remarque;  et  son  grand  vicaire  lui 
répondit  pour  se  justifier  : 

«  Vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me  dire  qu*en  vous  par- 
lant de  la  mission  des  Récollets,  je  chargeais  un  peu  sur 
le  manteau  franciscain.  Je  voudrais  avoir  quelque  chose 
de  plus  consolant  à  vous  écrire  ;  mais  il  faut  vous  dire, 
monseigneur,  les  faits  tels  qu'ils  sont. 

«  Elle  est  faible  en  sujets  par  le  nombre,  plus  mince 
encore  par  la  qualité  et  l'espèce  des  sujets.  Vous  en  allez 
juger  vous-même  par  le  tableau  de  ce  qu'elle  est  et  de  ce 
qu'elle  devrait  être. 

«  Premièrement,  le  P.  Candide,  qui  y  avait  été  envoyé 
pour  curé,  y  est  mort  au  mois  de  novembre.  Il  s'y  était 
assez  bien  présenté.  Il  y  prêchait  exactement,  dit  M.  le 
comte  de  Raymond  dans  sa  lettre  par  laquelle  il  m'an- 
nonce sa  mort.  Il  y  laisse  trois  sujets,  dont  voici  à  peu 
près  le  portrait  : 

«  Le  P.  Isidore,  aumônier  du  Fort,  et  faisant  ensemble 
les  fonctions  de  curé  depuis  la  mort  du  P.  Candide.  Ce 
bon  Religieux  est  aimé  et  estimé,  mais  fort  vieux,  et  à 
moitié  sourd,  sans  aucune  espèce  de  talent.  Il  est  cepen- 
dant chargé  de  la  garnison  et  de  la  paroisse. 

«  Les  deux  autres  Religieux  sont  les  Pères  Paulin  et 
Patrice,  dont  le  gouvernement  même  demande  le  rappel  en 
France,  et  qu'il  a  été  obligé  de  rappeler  lui-même  des 
postes  éloignés,  pour  les  avoir  sous  ses  yeux. 

«  Vous  voyez  par  là,  monseigneur,  par  qui  est  desservi 
Louisbourg.  Il  y  faudrait  un  bon  Religieux  pour  Curé, 
qui  eût  des  mœurs  et  de  la  régularité,  du  zèle  et  le  talent 
de  la  parole  pour  les  Instructions  publiques  ;    un  second 


sous   M*"*    DE    PONTBRIAND  379 

pour  vicaire,  qui  soulagerait  le  premier  pour  les  prônes, 
catéchismes,  l'administration,  la  visite  et  la  consolation  des 
malades  ;  un  troisième  à  la  Grande-Batterie  ;  un  quatrième 
au  Fort  ;  un  cinquième  à  l'Hôpital  ;  et  pour  ces  cinq 
postes  il  y  a  trois  sujets  ;  et  de  quelle  espèce,  vous  le 
voyez,  monseigneur.  Jugez  par  là  si  la  ville  de  Louisbourg 
est  desservie.  » 

Bref,  de  tous  les  Religieux  de  l'Ile  Saint-Jean  et  de  l'Ile 
Royale,  il  n'y  avait  guère  que  le  P.  Ambroise  qui  trouvait 
grâce  aux  yeux  de  l'abbé  : 

«  11  n'y  a  que  le  P.  Ambroise,  aumônier  du  Port  Lajoye, 
dans  l'Ile  Saint- Jean,  dont  je  voulusse  répondre  »,  écrit-il. 

Le  comte  de  Raymond,  gouverneur  de  Louisbourg,  dont 
il  mentionne  le  nom  dans  sa  correspondance,  était  un 
excellent  homme,  dont  M.  Maillard  faisait  l'éloge,  et  dont 
les  missionnaires  n'avaient  qu'à  se  louer.  Il  n'avait  qu'un 
défaut  :  un  peu  de  vanité  :  il  aimait  à  se  faire  donner  du 
«  monseigneur  »,  au  prône,  par  le  curé,  lorsqu'il  y  assistait  ; 
il  voulait  aussi  que  son  nom  fût  mentionné  aux  prières 
du  Grand  Prône,  et  que  l'on  y  ajoutât  que  «  M^^  le  Gouver- 
neur veillait  sans  cesse  pour  le  bien  de  la  colonie  »  ^^. 

Raymond  avait  pour  adjoint  M.  Prévost,  commissaire- 
ordonnateur.  Voici  ce  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrivait  à 
M^"*  de  Pontbriand  sur  le  compte  de  ce  fonctionnaire  : 

«  Nous  avons  bien  lieu  de  nous  louer  du  gouvernement 
de  l'Ue-Royale,  et  en  particulier  de  M.  Prévost,  à  qui, 
monseigneur,  vous  pouvez  vous  adresser  avec  confiance  et 
en  toute  sûreté,  si  vous  avez  quelque  établissement  à  faire 
à  Louisbourg.  C'est  un  bon  citoyen,  qui  aime  le  bien,  et 
qui  le  fait  et  le  procure  autant  qu'il  est  en  lui.  D'ailleurs 
la  paix  et  la  bonne  intelligence  régnent  entre  les  puis- 
sances de  ce  gouvernement,  et  c'est  un  grand  avantage 

17.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  127. 


380  L'éGLISE   DU   CANADA 

pour  cette  colonie.  Si  M.  Rouillé  était  resté  Secrétaire 
d'Etat  de  la  Marine  ^^,  je  crois  qu'on  vous  aurait  donné  M. 
Prévost  *^.  » 

C'est-à-dire  que  le  Canada  fut  à  deux  doigts  de  perdre 
M.  Big-ot,  en  1754  !  Bigot  fut  sur  le  point  d'être  remplacé 
par  Prévost,  le  commissaire-ordonnateur  de  Louisbourg. 
Nous  avons  pour  cela  le  témoignage  de  Pabbé  de  Pile- 
Dieu,  corroboré  par  plusieurs  autres.  Bigot  remplacé  et 
parti,  la  carte  des  événements  aurait  pu  changer  du  tout 
au  tout.     Comme  le  sort  d'un  pays  tient  souvent  à  peu  de 

chose  ! 

* 
*     * 

Dans  la  lettre  que  nous  venons  de  citer,  l'abbé  de  Pile- 
Dieu  faisait  allusion  à  w  un  établissement  »  que  l'Evêque 
voulait  créer  à  Louisbourg.  C'est-à-dire  que  le  pieux 
Prélat,  au  zèle  inlassable,  dont  le  dévouement  s'étendait 
à  toutes  les  parties,  même  les  plus  reculées,  de  son  diocèse, 
avait  formé  le  projet  de  bâtir  à  Louisbourg  une  église  et 
un  presbytère  vraiment  dignes  de  Paveniî  qu'il  avait  rêvé 
pour  cette  cité,  la  clef  du  Canada.  Cette  église  et  ce 
presbytère,  il  aurait  pris  sur  lui  d'en  entreprendre  la  cons- 
truction avec  ses  faibles  ressources,  comme  il  avait  fait 
pour  sa  cathédrale,  quitte  à  recourir  ensuite  à  la  Cour  et  à 
ses  diocésains  : 

«  Ce  que  vous  me  faites  l'honneur  de  me  dire,  monsei- 
gneur, de  votre  projet  de  bâtir  une  église  et  un  presbytère 
à  Louisbourg,  lui  écrit  l'abbé  de  Pile-Dieu,  me  paraîtrait 
fort  avantageux,  tant  pour  la  décence  du  service  de  Dieu, 
que  pour  la  facilité  des  habitants  ;  mais  à  moins  que  la 
Cour  ne  vienne  à  votre  aide,  c'est  une  furieuse  entreprise. 


18.  Il  avait  été  remplacé  par  M.  Berryer,  plus  froid,  moins  sjrmpa- 
thique  aux  colonies. 

19.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  ler  avril  1753. 


sous   M^^   DE    PONTBRIAND  381 

et  je  ne  vois  pas  que  les  circonstances  soient  favorables, 
surtout  si  nous  avons  la  guerre,  et  que  MM.  les  Anglais  ne 
veulent  pas  accéder  à  la  fixation  des  Limites,  pour  pêcher 
en  eau  trouble,  comme  ils  l'ont  fait  jusqu'à  présent. 

«  Si  cependant  la  Cour  se  prête  à  vous  donner  des 
secours,  et  que  vous  puissiez  construire  une  église,  et  un 
presbytère  propre  à  loger  cinq  ou  six  bons  ecclésiastiques, 
je  suis  persuadé  que  MM.  du  Saint-Esprit  se  porteront 
volontiers  à  vous  les  fournir,  et  ce  serait  un  fort  grand 
avantage  que  d'avoir  à  Louisbourg  un  petit  hospice  où  les 
missionnaires  destinés  pour  l'Ile  Saint-Jean,  pour  les  ri- 
vières de  Beauséjour  et  pour  la  Rivière  Saint-Jean  pour- 
raient d'abord  débarquer,  et  où  ceux  dont  la  santé  com- 
mencerait à  dépérir  pourraient  trouver  un  asile  et  des 
sujets  pour  les  remplacer  dans  les  postes  que  leur  âge  ou 
leurs  infirmités  les  forceraient  de  quitter  ^'^.  » 

Que  de  beaux  projets  la  perte  de  Louisbourg,  d'abord, 
celle  du  Canada,  ensuite,  vinrent  arrêter,  à  peine  éclos  ! 
Que  de  déceptions,  que  de  mésaventures  !  Quant  au  projet 
de  faire  venir  au  Canada  les  prêtres  du  Saint-Esprit,  en 
aussi  grand  nombre  que  possible,  il  y  a  longtemps  qu'il 
hantait  l'imagination  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  Si  on  avait 
voulu  l'en  croire,  ces  dignes  prêtres  auraient  occupé  bien- 
tôt la  plupart  des  missions  du  Canada,  plusieurs  des  meil- 
leures cures,  et  quelques-unes  de  ses  institutions,  à  com- 
mencer par  le  Séminaire  de  Québec  !  Qui  sait  si  cette 
préoccupation  de  tout  donner  aux  Pères  du  Saint-Esprit 
ne  fut  pas  pour  quelque  chose  dans  l'insistance  de  l'abbé 
de  l'Ile-Dieu  à  se  plaindre  des  Récollets  de  Louisbourg  ? 

Après  tout,  d'après  son  propre  témoignage,  il  y  avait 
à  leur  sujet  du  pour  et  du  contre.  Il  y  avait  parmi  eux 
d'excellents  sujets;  il  y  en  avait  d'autres  dont  la  conduite 


20.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  25  mars  1755., 


382  L*  ÉGLISE   DU   CANADA 

laissait  à  désirer  comme  cela  peut  arriver  dans  tout  corps 
religieux  ;  mais  du  moment  que  la  chose  parvenait  à  la 
connaissance  des  Supérieurs,  ils  faisaient  leur  possible  pour 
y  remédier.  Il  y  avait  dans  la  mission  de  Louisbourg  des 
hommes  de  talent,  et  il  y  en  avait  d'autres  moins  bien 
doués:  qui  pourrait  en  être  surpris?  Ce  qui  aurait  pu  sur- 
prendre, c'est  qu'ils  eussent  eu  toujours  sous  la  main  des 
hommes  éminents  pour  remplacer  ceux  qui  disparaissaient, 
comme  ils  le  firent,  par  exemple,  à  la  mort  du  P.  Candide, 
cet  excellent  prédicateur,  qu'ils  purent  remplacer  de  suite 
à  la  cure  de  Louisbourg  par  un  autre  non  moins  remar- 
quable : 

«  Le  Père  Clément,  que  les  Récollets  ont  envoyé  ici  pour 
être  curé,  est  arrivé,  écrit  M.  de  Raymond.  Ce  curé  a  très 
bien  débuté.  Il  prêche  fort  bien  :  j'ai  été  à  un  sermon 
qu'il  nous  a  donné  le  jour  de  la  prise  de  possession  2^. .  .  » 

Seulement,  les  hommes  de  talent  ne  sont  pas  toujours 
les  plus  parfaits  ;  et  cela  se  fit  voir  de  suite  pour  le  P. 
Clément,  qui,  à  peine  arrivé  à  la  cure  de  Louisbourg, 
montra  tant  de  prétentions,  et  si  peu  de  disposition  à  se 
soumettre  à  la  juridiction  de  M.  Maillard,  malgré  les  recom- 
mandations que  lui  en  avait  faites  M^"^  de  Pontbriand,  que 
ses  Supérieurs  ne  tardèrent  pas  de  le  remplacer  par  un 
autre,  plus  humble,  et  par  là  même  plus  vraiment  reli- 
gieux.    Ecoutons  encore  une  fois  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  : 

<(  M.  Maillard,  écrit-il  à  l'Evêque,  ne  m'a  presque  rien 
mandé  des  Récollets  de  Louisbourg.  Il  s'est  contenté  de 
m'envoyer  le  détail  des  Postes  qu'ils  desservent,  sans  me 
parler  même  du  P.  Clément  Dasquin,  supérieur,  ni  de  ses 
prétentions,  non  plus  que  des  ordres  que  vous  lui  aviez 
donnés  à  ce  sujet,  monseigneur.  Mais  le  Provincial  qui 
vient  d'être  nommé  m'a  mandé  qu'il  changeait  le  Supé- 

ai.  Les  derniers  jours  de  fAcadie,  p.  105,  lettre  du  comte  de  Raymond 
à  M.  Rouillé,  1er  octobre  1753. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  383 

rieur,  et  rappelait  le  P.  Clément,  auquel  il  a  donné  pour 
successeur  le  P.  Ambroise  ^^,  qui  a  été  longtemps  aumônier 
au  Poit  Lajoye,  et  qui  me  paraît  un  fort  bon  Religieux,  du 
moins  à  ce  que  j'en  ai  pu  juger  pendant  le  temps  qu'il  a 
passé  à  Paris,  où  je  l'ai  beaucoup  vu. 

((  Comme  il  a  toujours  bien  vécu  avec  les  missionnaires 
séculiers  de  l'Ile  Saint- Jean,  dont  il  se  loue  beaucoup,  ainsi 
qu'ils  le  font  de  lui,  il  faut  espérer  qu'il  vivra  de  bon 
accord  et  en  bonne  intelligence  avec  M.  Maillard,  avec 
lequel  il  a  toujours  été  assez  étroitement  lié,  et  dont  il  est 
très  disposé  à  reconnaître  la  juridiction,  et  à  plus  forte 
raison  la  vôtre,  monseigneur. 

(c  Vous  trouverez  dans  ce  paquet  une  lettre  de  lui,  avec 
une  copie  de  la  Patente  de  son  Provincial,  que  j'ai  cru 
devoir  vous  faire  passer,  en  gardant  l'original  écrit  de  sa 
main,  pour  y  avoir  recours,  si  le  cas  y  écheoit. 

«  Ce  religieux  m'a  promis  de  remettre  sa  mission  dans 
Pordre  où  elle  doit  être,  et  de  bien  vivre  avec  les  Pères  de 
la  Charité  qui  desservent  l'hôpital  de  Louisbourg  ;  et  il 
m'a  paru  que  ceux  de  Paris  l'avaient  beaucoup  fêté. 

«  Tout  ce  que  je  crains  pour  lui  et  pour  le  bien  qu'il  peut 
faire,  c'est  sa  santé,  qui  est  fort  délicate  ;  car,  du  reste,  je 
le  crois  un  fort  bon  sujet,  très  bon  religieux,  et  d'un  carac- 
tère doux  et  conciliant  ^^.    .  » 

Enfin,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  allait  pouvoir  respirer  à  l'aise  : 
la  mission  de  Louisbourg  paraissait  entrée  dans  une  bonne 
voie.  Quel  bonheur  pour  lui,  s'il  pouvait  s'exempter  à 
l'avenir  de  «  charger  sur  le  manteau  franciscain  »  !  car  il 
«  professait  toujours,  disait*il,  pour  l'Ordre  religieux  la 
plus  profonde  vénération  »  2*.  Mais  les  choses  de  ce  monde 
sont  bien  caduques  ;  et  souvent  c'est  au  moment  où  l'on 

22.  Son  nom  était  Ambroise  Aubin.  {Rapport. ..  pour  1905,  p.  215). 

23.  Lettre  du  25  mars  1755. 

24.  Corresp.  générale,  vol.  loi,  lettre  au  ministre,  16  décembre  1756. 


384  l'église  du  canada 

croit  arriver  au  port  que  l'on  tombe  dans  l'abîme.  On 
connaît  la  catastrophe  de  Louisbourg,  et  la  prise,  pour  la 
seconde  fois,  de  l'Ile-Royale  par  les  Anglais,  le  26  juillet 

1758: 

((  Ce  n'était  qu'un  prêt,  disaient-ils,  que  nous  faisions  à 
la  France,  en  1748,  lorsque  nous  lui  remettions  Louis- 
bourg  -^  » 

On  connaît  également  la  noble  défense  du  commandant 
Drucourt.  Après  six  semaines  de  siège,  Louisbourg,  dé- 
fendu seulement  par  sept  mille  soldats,  fut  obligé  de  se 
rendre  à  l'amiral  Boscawen,  qui  en  avait  quinze  mille. 

Louisbourg  avait  coûté  à  la  France  plus  de  trente  mil- 
lions, avec  son  enceinte  bien  fortifiée,  et  ses  souterrains 
spacieux,  très  bien  voûtés,  dont  les  flancs  n'avaient  pas 
moins  de  dix-neuf  pieds  d'épaisseur,  «  asile  assuré  pour  les 
habitants  du  lieu,  pensait  l'abbé  Maillard,  qui  peut-être 
les  mettra  plus  d'une  fois  à  couvert  des  furies  de  la  bombe, 
et  des  coups  de  canon  »  -^. 

L'Ile-Royale  passa  définitivement  à  l'Angleterre,  et  avec 
elle  l'Ile  Saint-Jean  ;  et  c'en  fut  fait  du  règne  de  la  France 
dans  les  parages  du  golfe  Saint-Laurent. 

* 

*     * 

C'en  fut  fait  également  de  la  mission  de  Louisbourg  et  de 
celle  de  l'Ile  Saint-Jean  :  tous  les  missionnaires  séculiers 
et  réguliers  qui  s'y  trouvaient  durent  s'éloigner,  le  cœur 
triste,  la  mort  dans  l'âme,  de  ces  lieux  témoins  de  leurs 
travaux  apostoliques,  de  ces  églises  qu'ils  avaient  cons- 
truites au  prix  de  tant  de  sacrifices,  de  ces  paroissiens  aux- 
quels ils  s'étaient  attachés. 


25.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  134. 

26.  Le  Canada-français,  Documents  sur  l'Acadie,  t.  I,  p.  58. 


sou»   M^**   DE    PONTBRIAND  385 

Seul  Pabbé  Maillard,  qui  représentait  dans  ces  parages 
l'autorité  de  l'Kvêque  de  Québec,  trouva  moyen  d'y  rester. 
I]  avait  rendu  service  aux  Anglais,  en  empêchant  ses 
Micmacs  de  les  terroriser,  et  il  avait  tellement  gagné  leur 
confiance,  qu'ils  lui  permirent  de  se  fixer,  non  pas  dans  son 
ancienne  paroisse  de  Sainte-Anne  du  Cap-Breton,  mais  à 
Halifax  même,  le  chef-lieu  et  le  centre  des  Provinces 
maritimes.  Le  gouvernement  anglais  «  lui  accorda  son 
logement  et  son  habitation  au  fort  d'Halifax,  avec  la 
permission  d'y  exercer  librement  les  fonctions  de  son 
ministère  ^'^  »  en  faveur  des  deux  cent  cinquante  familles 
acadiennes  établies  aux  environs  de  la  ville.  De  là  il 
pouvait  visiter  de  temps  en  temps  les  postes  de  l'Ile- 
Royale,  de  l'Ile  Saint- Jean  et  de  toute  l'Acadie,  et  surtout 
ses  bons  sauvages  Micmacs,  qu'il  desservait  depuis  si 
longtemps,  et  dont  il  avait  fait  de  si  bons  chrétiens  et  de  si 
chauds  amis  de  la  France. 

Il  était  arrivé  en  Acadie  en  1735,  et  s'était  jeté  avec 
tant  d'ardeur  dans  l'étude  de  la  langue  micmaque,  qu'il  y 
était  passé  maître,  au  point  d'exciter  l'admiration  de  son 
confrère  Le  Loutre,  qui  arriva  deux  ans  après  lui,  et  se  fit 
son  élève  durant  tout  un  hiver  pour  l'apprendre  lui-même  ; 

«  C'est  un  trésor  que  ce  missionnaire,  écrit  M.  Le  Loutre  : 
je  crois  que  le  Seigneur  lui  a  donné  le  don  des  langues. 
Il  est  étonnant  de  voir  les  progrès  qu'il  y  a  faits  pour  le 
peu  de  temps  qu'il  y  est.  C'est  un  ouvrier  infatigable 
pour  l'étude  et  les  travaux  continuels  inséparables  de  ces 
missions  ;  c'est  un  ministre  rempli  de  l'esprit  apostolique, 
enfin  un  modèle  à  imiter.  Heureux,  si  je  pouvais  suivre 
de  loin  ses  traces,  d'avoir  vécu  avec  lui  pendant  six  à 
sept  mois  ! , . . 

((  Je  commence,   ajoutait-il,   à  écorcher  la  langue  mic- 


27.  Le  Canada-français,  Documents  sur  l'Acadie,  t.  I,  p.  =,2. 


386  l'église  du  canada 

maque,  et  à  me  faire  entendre ...  Je  n'avais  presque  plus 
d'espérance,  mais  elle  se  fortifie  de  jour  en  jour.  L'accent 
ne  me  rebute  point  ;  je  crois  qu'il  approche  un  peu  du 
basque,  de  l'anglais,  et  même  du  breton,  qui  est  ma  pre- 
mière langue  ^^  » 

Curieuses,  en  vérité,  ces  langues  sauvages  !  Très  riches 
en  images  et  en  nuances  de  toutes  sortes  pour  exprimer  les 
objets  matériels,  ce  que  l'on  voit,  ce  que  l'on  touche,  ce 
qui  tombe  sous  les  sens  ;  d'une  pauvreté  désolante  pour 
toutes  les  choses  de  l'âme,  de  l'esprit,  de  la  religion, 
surtout.  Cette  pauvreté  des  langues  sauv^ages  occasionnait 
souvent  plus  d'un  embarras  aux  missionnaires.  L'abbé  de 
l'Ile-Dieu,  dans  une  de  ses  lettres  à  M^^  de  Pontbriand, 
nous  en  donne  un  exemple,  à  propos  d'une  difiSculté  qui 
avait  été  proposée  et  à  laquelle  M.  Maillard  avait  répondu 
à  sa  manière  : 

«  J'ai  oublié  de  vous  rendre  compte,  dit-il,  de  l'éclaircis- 
sement qui  m'a  été  envoyé  par  M.  Maillard,  sur  la  forme 
de  Baptême  dont  se  servaient  les  Sauvages,  quand,  dans 
l'absence  du  missionnaire,  ils  étaient  obligés  de  faire  bapti- 
ser leurs  enfants  par  un  laïque. 

«  Vous  observerez  d'abord,  monseigneur,  qu'ils  n'ont 
point  de  nom  qui  signifie  la  qualité  de  père,  ni  celle  de  fils. 
Voici  la  forme  de  leur  Baptême,  rendue  en  français  : 

«  Je  te  baptise  au  nom  de  Celui  qui  a  un  fils,  et  de  Celui 
qui  a  un  père,  et  de  Celui  qui  procède  de  Celui  qui  a  un 
fils  et  de  Celui  qui  a  un  père. 

«  Or  Celui  qui  a  un  fils  est  le  Père  ;  Celui  qui  a  un 
père  est  le  Fils  ;  Celui  qui  procède  de  Celui  qui  a  un  fils 
et  de  Celui  qui  a  un  Père,  est  le  Saint-Esprit. 

«  Il  paraît  donc  que  cette  forme  est  équivalente,  non 
pour  les  termes  énonciatifs.  mais  pour  le  sens  énoncé,  e^  à 

28.  Le  Canada-français,  Documents  sur  l'Acadie,  t.  I,  p.  22, 


sous   M«^   DE   PONTBRIAND  387 

Baptisante  intentum^  à  celle  dont  nous  nous  servons  en 
disant  :  «  Je  te  baptise  au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du 
Saint-Esprit.  » 

«  C'est  à  vous,  monseigneur,  à  juger  et  à  décider  de  la 
validité  de  cette  forme,  et  si  elle  est  équivalente  dans  le 
sens  et  l'intention,  quoique  différente  dans  les  termes. 

((  Vous  observerez,  ajoutait  M.  de  l'Ile-Dieu,  que  les 
enfants  baptisés,  sous  la  forme  dont  je  viens  d'avoir  l'hon- 
neur de  vous  parler,  par  les  Sauvages,  sont  toujours  bapti- 
sés sous  condition,  lorsqu'ils  sont  présentés  aux  mission- 


naires '^'^.  » 


* 


Les  quelques  lettres  qui  ont  été  conservées  de  MM.  Le 
Loutre  et  Maillard  nous  donnent  une  haute  idée  de  leur 
vertu,  de  leur  zèle,  de  leur  dévouement  aux  Acadiens  en 
général,  à  leurs  bons  sauvages  en  particulier.  M.  Le 
Loutre,  que  l'on  se  figurait  préoccupé  avant  tout  des  affaires 
civiles  et  politiques  de  l'Acadie,  supplie  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu  de  lui  obtenir  de  Rome  des  Indulgences  pour  ses 
missions.  Il  lui  demande  «six  douzaines  de  catéchismes 
de  Paris,  avec  quelques  douzaines  de  Cantiques  que  j'ai 
vus,  dit-il,  au  Séminaire»  à  l'usage  des  missions.  .  .  Ajou- 
tez, je  vous  en  prie,  le  plus  que  vous  pourrez  de  chapelets  • 
ne  m'oubliez  pas,  ne  me  refusez  pas  cette  grâce  »  ^^ 

Lui  et  M.  Maillard  gardent  toujours  et  partout  un  sou- 
venir reconnaissant  et  affectueux  pour  leur  Séminaire  des 
Missions-Etrangères.  On  retrouve  avec  plaisir  dans  leurs 
lettres  les  noms  de  nos  bons  vieux  amis  du  Canada,  les 
Brisacier,  les  Montigny,  les  Tremblay,  pour  lesquels  ils  ont 
une   grande   vénération.     Ils   se   recommandent   à    leurs 


29.  Lettre  du  28  mars  1756. 

30.  Le  Canada- français,  Documents  sur  l'Acadie,  t.  I,  p.  24. 


388  I^'EGUSE   DU   CANADA 

prières  et  sollicitent  «une  part  dans  les  bonnes  œuvres 
d'une  Communauté»,  à  laquelle  ils  désirent  rester  toujours 
unis. 

C'étaient  des  hommes  de  cœur  dans  toute  la  force  du 
mot.  M.  Maillard  a  laissé  en  France  sa  vieille  mère,  mais 
il  a  eu  soin  de  la  recommander  à  l'un  des  directeurs  du 
Séminaire  de  Paris,  et  il  ne  cesse  de  penseï  à  elle.  Ecri- 
vant à  son  ami  : 

((  Je  ne  sais,  dit-il,  comment  m'exprimer  pour  louer  votre 
charité  à  l'égard  de  celle  qui  m'a  donné  le  jour,  et  pour 
vous  en  marquer  mon  éternelle  reconnaissance.  » 

Et  puis,  comme  il  est  attaché  à  M.  L,e  Ivoutre,  son  com- 
pagnon d'apostolat  !  Ils  ont  passé  l'hiver  ensemble  ;  et 
maintenant  il  faut  que  M.  Le  Loutre  le  quitte  pour  aller 
évangéliser  les  Micmacs  de  l'Acadie,  dont  il  a  appris  suffi- 
samment la  langue  : 

«  Je  suis  assez  tôt  de  retour  à  Louisbourg  pour  embrasser 
M.  Le  Loutre,  qui  embarque  pour  l'Acadie,  à  dessein 
d'hivernei  avec  les  sauvages  de  ce  pays,  qui  depuis  très 
longtemps  ont  extrêmement  faim  du  pain  spirituel  de  la 
parole.  Dieu  fait  bien  toutes  choses.  Il  m'a  procuré  un 
hivernement  des  plus  gracieux  par  le  bonheur  que  j'ai  eu 
de  posséder  M.  Le  Loutre,  et  m'a  fourni  une  belle  occasion 
rd'apprendre  en  apprenant  à  mon  confrère.  Tout  va  bien 
pour  le  nouveau  missionnaire  :  il  est  en  état  de  faire  valoir 
le  talent  évangélique  partout  où  il  trouvera  des  Micmacs. 
Il  ne  parle  pas  encore  bien  correctement,  mais  il  tient  la 
clef  des  principales  conjugaisons:  ainsi  l'usage  lui  rendra 
la  parole  assurée.  » 

En  s'éloignaut  de  Louisbourg,  M.  Le  Loutre  a  choisi  la 
meilleure  part,  et  laissé  la  plus  triste  à  son  confrère.  Hélas  I 
quelle  désolante  peinture  nous  fait  M.  Maillard  de  ce 
Louisbourg  qu'on  se  figurait  inattaquable,  et  qui  l'était 
encore  moins  au  point  de  vue  moral  et  religieux  qu'au 
point  de  vue  stratégique  ! 


sous    M^   DE    PONTBRIAND  389 

«  La  plupart  des  Français  qui  y  sont,  dit-il,  mènent  une 
vie  tout-à-fait  contraire  aux  maximes  évangéliques.  Quoi 
qu'il  en  soit,  je  suis  déterminé  à  rester  avec  les  sauvages 
de  cette  Ile,  ayant  cette  confiance  en  Jésus-Christ,  qu'en 
m'efforçant  de  remplir  tous  les  devoirs  de  mon  ministère, 
l'opiniâtre  indocilité  de  mes  ouailles  ne  mettra  point 
d*obstacle  à  mon  salut. 

«  Nous  continuons,  ajoute-t-il  à  son  ami  des  Missions- 
Etrangères,  à  profiter  des  règles  de  conduite  que  vous  nous 
donnez.  Nous  voyons  beaucoup  de  mal  au  lieu  où  nous 
sommes,  et  nous  ne  disons  rien.  C'est  tout  dire,  que  l'im- 
piété y  passe  pour  force  d'esprit.  On  a  pourtant  dans  l'ex- 
térieur un  certain  je  ne  sais  quoi  qui  fait  entrevoir  quelque 
marque  de  catholicité  ;  mais  on  est  dans  le  fond  plus 
vicieux  que  le  vice  même.  La  jeunesse  y  est  excessi- 
vement déréglée,  parce  qu'elle  n'a  devant  elle  que  de  per- 
nicieux exemples.  Les  cantines  que  les  officiers  entre- 
tiennent, au  grand  détriment  de  la  religion,  sont  des  écoles 
de  Satan  ^^  ;  les  entretiens  qu'on  y  forme  ne  sont  que  blas- 
phèmes, qu'imprécations,  que  paroles  exécratoires,  que 
discours  remplis  d'obscénités  :  on  s'y  raille  même  impuné- 
ment des  plus  saintes  cérémonies  de  l'Eglise  ^^  !  » 

Quelle  difiFérence  entre  ces  Français  de  Louisbourg,  et 
les  Acadiens  de  la  Péninsule,  «  le  peuple  le  plus  vertueux 
que  j'aie  jamais  connu  ou  dont  j'aie  lu  le  récit  dans  aucune 
histoire  ».  a  écrit  un  huguenot  qui  avait  vécu  au  milieu 
d'eux  33  ! 

La  Providence  voulut  que  leurs  deux  grands  mission- 
naires. Le  Loutre  et  Maillard,  leur  restassent  attachés  jus- 


31.  Il  n'y  en  avait  pas  moins  de  vingt-huit  à  Louisbourg,  pour  une 
population  totale  de  quatre  mille  âmes  !  On  faisait  payer  dix  pistoles 
par  année  pour  la  bâtisse  du  Couvent,  à  ceux  qui  obtenaient  la  permis- 
lion  de  tenir  ces  cantines.  {Les  derniers  jours  de  VAcadie,  p.  122). 

32.  Le  Canada-français,  Documents  sur  VAcadie,  t.  I,  p.  63. 

33.  Cité  dans  Un  Pèlerinage  au  pays  d'Evangéline,  p.  384. 


390  Iv'ÉGLISE   DU  CANADA 

qu'à  la  fin.  Le  Loutre,  sorti  enfin  de  sa  prison  de  Jersey 
et  repassé  en  France,  y  rencontra  un  groupe  important 
d'Acadiens  qui  s^étaient  réfugiés  à  Belle-Ile,  non  loin  des 
côtes  de  Bretagne  :  il  leur  témoigna  le  plus  vif  intérêt,  et 
leur  consacra  tout  ce  qui  lui  restait  de  force  et  de  santé. 
Maillard,  de  son  côté,  tout  en  desservant  ses  Acadiens 
d'Halifax,  n'oubliait  pas  les  différents  groupes  dispersés  çà 
et  là,  et  correspondait  avec  eux  autant  qu'il  le  pouvait  :  il 
écrit  un  jour  à  l'un  de  ces  groupes  : 

«  J'ai  soin  tous  les  dimanches  de  vous  avoir  présents  en 
esprit,  et  de  vous  regarder  alors  comme  joints  à  nous  dans 
l'action  du  Saint  Sacrifice.  Faites  de  même  dans  vos 
prières  communes.  . .  « 

Il  n'oubliait  pas  non  plus  ses  chers  Micmacs,  et  ce  furent 
eux  qui  l'assistèrent  dans  ses  derniers  moments,  lorsqu'il 
mourut  à  Halifax  en  1768.  C'est  là  que  reposent  ses  restes 
mortels  :  l'élite  de  la  société  civile  et  militaire  d'Halifax, 
le  Gouverneur  et  le  Conseil  firent  cortège  à  son  cercueil  '*. 


34.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  240.  —  Un  Pèlerinage  au  pays 
d'Evangéline,  p.  100. 


CHAPITRE   XXIX 


TRISTE   ETAT   DE   LA   COLONIE   CANADIENNE.  —  LES   MAL- 
VERSATIONS DE  BIGOT.  —  M.  DE  VAUDREUIL  DÉSIRÉ 
COMME  GOUVERNEUR 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu  et  l'intendant  Bigot.  —  Malversations  de  l'Inten- 
dant. —  Avertissement  de  la  Cour.  —  Bigot  passe  en  France.  — 
Renvoyé  au  Canada.  —  Vaudreuil,  désiré  comme  gouverneur.  -^ 
Les  Canadiens  et  Duquesne.  —  Duquesne  et  Vaudreuil.  —  Mgr  de 
Pontbriand  et  Vaudreuil. 

LA  revue  que  nous  venons  de  faire,  aussi  succinctement 
que  possible,  des  missions  lointaines  de  notre  Eglise, 
était  nécessaire,  puisque  ces  missions  en  faisaient  réel- 
lement partie,  en  vertu  de  la  bulle  d'érection  du  diocèse  ^ 
Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  nous  avons  dû,  pour  cela, 
nous  éloigner  du  centre  de  notre  Eglise  et  perdre  de  vue 
pour  quelque  temps  l'Eglise  de  Québec  proprement  dite. 
Hâtons-nous  d'y  revenir,  pour  ne  plus  la  quitter,  cette  fois, 
qu'à  la  fin  même  du  régime  français. 

«  Je  vois  que  votre  pauvre  colonie  est  dans  un  état 
bien  triste,  écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  M^  de  Pont- 
briand, au  printemps  de  1754.  Mais  on  ajoute  ici  bien 
difficilement  foi  aux  plaintes,  et  on  imagine  toujours 
qu'elles  sont  enflées  et  chargées  de  la  part  de  ceux  qui  sont 
lésés  ;  et  les  Bureaux  '^  ne  sont  pas  ici  pour  le  Public  contre 
les  auteurs  des  maux  qui  vous  environnent. 

1.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  I,  p.  82. 

2.  Ce  que  nous  appelons  ici  les  Départements  ministériels. 


392  L^ÉGLISE   DU   CANADA 

«  Je  suis  cependant  en  état,  ajoutait-il,  de  faire  voir  clair 
au  ministre.  Mais  le  voudra-t-il,  quoique  bien  inten- 
tionné?^ Voilà  ce  que  j'ignore,  et  ce  que  j'essaierai 
cependant,  car  il  est  fâcheux  qu'un  aussi  honnête  homme 
soit  trompé  à  ce  point.  » 

Il  s'agit  ici  des  exactions  et  de  la  corruption  effrénée  de 
Bigot  et  de  ses  complices,  qui  semblaient  avoir  juré  de 
ruiner  la  colonie,  en  la  pressurant,  avant  qu'elle  passât  à 
la  couronne  d'Angleterre,  se  doutant  bien  que  c'en  était 
fini  du  Canada  pour  la  France:  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  ajou- 
tait, en  effet  : 

«  M.  Bigot  vide  ses  magasins  et  se  défait,  sur  le  compte 
du  Roi,  de  ses  pacotilles.  Que  fera-il  de  ses  vaisseaux  de 
commerce  et  de  ses  bâtiments  de  transport,  qui  ne  font 
autre  chose  pendant  le  cours  de  l'année  que  de  voiturer, 
dans  la  belle  saison,  et  d'hiverner,  pendant  les  glaces,  dans 
les  ports  de  nos  colonies  occidentales,  pour  ne  les  pas  avoir 
sur  son  compte? 

«  Vous  croyez  peut-être,  monseigneur,  qu'ici  nous  ne 
savons  rien,  ou  que  fort  peu  de  chose,  de  ce  qui  se  passe 
chez  vous  :  pardonnez-moi  ;  et  si  le  ministre  veut,  il  n'a 
qu'à  dire  :  Loquere^  et  loquar.  » 

M.  Rouillé  ayant  été  remplacé  au  ministère,  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu  ajoutait  l'année  suivante  : 

«  Quant  au  mémoire  particulier  que  vous  m'avez  envoyé 
sur  les  abus  qui  se  commettent  au  préjudice  de  l'Etat  et 
de  la  colonie,  je  n'ai  pu  en  faire  usage.  Nous  n'avons 
plus  M.  Rouillé,  et  j'ignore  si  notre  nouveau  ministre  veut 
être  instruit  ;  mais  ce  que  je  sais,  et  ce  que  je  vois  tous  les 
jours,  c'est  qu'on  met  tout  en  œuvre  pour  qu'il  ne  le  soit 
pas  *. . .  » 

3.  C'était  encore,  à  cette  date,  M.  Rouillé  qui  était  à  la  tête  des 
affaires  coloniales  ;  mais  il  était  à  la  veille  de  faire  place  à  M.  Berryer, 
homme  malade  et  à  l'esprit  étroit. 

4.  Lettres  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754;  25  mars  1755. 


sous   M*^'   DE   PONTBRIAND  393 

Faire  fortune  aux  dépens  de  l'Etat  et  des  pauvres  Cana- 
diens, mener  la  vie  à  grandes  guides,  se  livrer  avec  un 
cynisme  éhonté  aux  plaisirs,  au  jeu,  aux  débauches  scan- 
daleuses, tel  est  l'affreux  système  que  Bigot  avait  mis  en 
honneur  à  Québec  dès  le  début  de  son  administration  et 
enseigné  à  ses  créatures,  qu'il  plaçait  d'un  bout  à  l'autre 
du  pays.  A  Vergor,  par  exemple,  qu'il  avait  fait  nommer 
commandant  à  Beauséjour  : 

«  Profitez,  mon  cher  Vergor,  écrivait-il,  profitez  de  votre 
place.  Taillez,  rognez,  vous  avez  tout  pouvoir,  afin  que 
vous  puissiez  bientôt  me  venir  joindre  en  France,  et  acheter 
un  bien  à  côté  de  moi  ^  » 

Evidemment,  d'après  la  lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu, 
M*'  de  Pontbriand  s'était  ouvert  à  lui  l'automne  précédent 
pour  lui  exposer  «  le  triste  état  de  la  colonie  »,  et  le  prier 
d'en  informer  le  ministre.  Les  plaintes  des  Canadiens, 
d'ailleurs,  arrivaient  nombreuses  et  fréquentes  à  la  Cour  ; 
on  y  était  au  fait  des  malversations  de  l'Intendant,  et  le 
ministre  l'avait  averti  plusieurs  fois  des  accusations  qu'on 
portait  contre  lui  : 

<c  On  prétend,  lui  disait-il,  que  la  Société  que  vous  avez 
formée  accapare  les  farines;  elle  les  achète  au  plus  bas 
prix  possible;  vous  les  achetez  ensuite  de  cette  Société 
pour  les  magasins  du  Roi,  et  vous  les  payez  bien  au-dessus 
du  prix  courant.  Veuillez  me  donner  des  éclaircisse- 
ments sur  cette  matière.  La  bonne  opinion  que  j'ai  de 
vous,  de  votre  zèle,  de  la  pureté  de  vos  intentions,  m'en- 
gage à  vous  avertir  qu'il  ne  faut  rien  négliger  pour  faire 
cesser  cet  état  de  choses  ^.  » 

Mais  au  lieu  de  profiter  des  avertissements.  Bigot  et 
ses  complices,  de  connivence,  d'ailleurs,  avec  le  Gouver- 


5.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  130. 

6.  Rapport...  pour  :ço5,  p.  149,  lettre  du  7  mai  1751. 


394  l'église  du  canada 

neur  général  '^,  continuaient  d'année  en  année  leur  afEreux 
système,  et  retendaient  non  seulement  aux  farines,  mais  à 
tous  les  objets  dont  il  fallait  approvisionner  les  magasins 
du  Roi  ;  et  Dieu  sait  combien  il  y  avait  de  ces  maga- 
sins dans  toute  l'étendue  de  la  colonie  !  Ils  se  mul- 
tiplièrent, naturellement,  avec  le  nombre  des  Forts  qu'il 
fallait  construire  pour  se  protéger  contre  les  Anglais.  Il 
ne  s'en  bâtit  pas  moins  de  huit,  de  1748  à  1754:  Gaspa- 
reaux,  Beauséjour,  Rouillé,  la  Présentation,  Presqu'île, 
Rivière-aux-Bœufs,  Machault,  Duquesne.  Bigot  était  in- 
téressé à  les  multiplier  :  ce  qui  faisait  la  ruine  du  pays 
faisait  sa  fortune.  Les  choses  allèrent  si  loin,  et  les  pro- 
testations devinrent  si  vives  et  si  nombreuses,  que  Bigot 
crut  devoir  demander  un  congé  pour  aller  en  France  ren- 
dre compte  à  la  Cour  et  expliquer  sa  conduite.  Il  obtint 
facilement  ce  congé  et  partit  dans  l'automne  de  1754,  lais- 
sant pour  le  remplacer  à  l'intendance  une  de  ses  créatures, 
M.  Varin. 

Il  était  si  habile,  il  avait  d'ailleurs  tant  d'amis  et  de 
protecteurs  à  la  Cour,  qu'il  réussit  à  jeter  un  voile  sur 
toutes  ses  malversations.  Un  instant  on  avait  espéré  qu'il 
allait  être  remplacé  au  Canada  par  M.  Prévost,  le  commis- 
saire ordonnateur  de  l'Ile-Royale,  ou  bien  par  M.  de  Givry, 
ou  encore  par  M.  de  la  Porte.  Ce  n'est  pas  lui  qui  fut 
remplacé  ;  c'est  l'honnête  M.  Rouillé  qui  fit  place  à 
Berryer,  au  bureau  des  affaires  coloniales,  à  ce  Berryer 
resté  tristement  célèbre  dans  notre  histoire  par  deux  pa- 
roles que  nous  nous  reprocherions  de  ne  pas  rappeler  ici 
de  suite,  adressées,  l'une  à  Bougainville,  l'autre  à  la 
duchesse  de  Mortemart.  Cette  grande  dame  lui  recom- 
mandait un  jour  Vauquelin,  qui  avait  servi  avec  honneur 
dans  la  dernière  guerre  du  Canada  ;  et  elle  sollicitait  pour 

lui  de  l'avancement  : 

_^ — • —  — 

7.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  131. 


sous   M»'   DE   PONTBRIAND  395 

rr  Madame,  lui  répondit  Berryer,  je  sais  très  bien  que  M. 
Vauquelin  a  servi  le  Roi  merveilleusement,  comme  un 
héros  ;  mais  il  n'est  pas  gentilhomme  de  naissance,  et  je 
dois  pourvoir  aux  demandes  d'un  grand  nombre  d'officiers 
de  grandes  familles.  Il  s'est  formé  dans  le  service  mar- 
chand :  qu'il  y  retourne  ^  !  » 

Quant  à  la  fameuse,  ou  plutôt  l'ignoble  parole  de  Berryer 
à  Bougainville,  l'aide-de-camp  de  Montcalm,  qui  ne  la 
connaît  ?  Bougainville  était  passé  en  France  pour  sollici- 
ter des  secours  pour  le  Canada,  et  reprochait  à  la  Cour 
l'abandon  qu'elle  faisait  de  sa  colonie  : 

«  Eh,  monsieur,  lui  dit  Berryer,  quand  le  feu  est  à  la 
maison,  on  ne  s'occupe  pas  des  écuries  ^.  —  On  ne  dira  pas, 
du  moins,  repartit  Bougainville,  que  vous  parlez  comme 
un  cheval  ^°  !  » 

Et  Berryer  nous  renvoya  Bigot  comme  intendant  du 
Canada,  voulant  sans  doute  nous  donner  par  là  la  mesure 
de  l'intérêt  qu'il  portait  à  notre  pays  ! 

«  On  a  jugé  à  propos  de  vous  renvoyer  M.  Bigot,  écrivait 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu  à  M^^  de  Pontbriand.  Je  ne  l'ai  qu'en- 
trevu une  fois  à  Versailles  :  il  sortit  de  la  maison  où  il  était 
presqu'aussitôt  qu'il  m'y  vit  entrer,  et  qu'on  m'y  eut 
nommé...  Je  n'en  devine  pas  bien  la  raison;  mais  il 
m'est  fort  égal  de  la  savoir  ou  de  l'ignorer  :  il  ne  lui  arri- 
vera jamais  autant  de  bien  que  je  lui  en  souhaite,  surtout 

8.  Cité  par  Ferland,  Cours  d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  598. 

9.  Dans  son  beau  livre  La  France  vivante  en  Amérique  du  Nord 
(p.  118),  M.  Hanotaux  attribue  cette  parole  à  Mme  de  Pompadour. 
Mais  il  est  peu  vraisemblable  que  Bougainville  aurait  osé  faire  à  Mme 
de  Pompadour  la  réponse  qu'il  fit  à  Berryer.  Or  cette  réponse  est  au 
moins  aussi  authentique  que  la  parole  qui  la  provoqua. 

Une  autre  parole,  dans  le  genre  de  celle  de  Berryer  :  "  Demandons- 
nous  si  les  chiffres  viennent  appuyer  la  thèse  que  la  France  était  tenue 
d'honneur  à  continuer  de  gorger,  quand  même,  ce  peuple  de  sangsues 
(le  peuple  canadien)  attaché  à  sa  ruine,  pour  la  garde  d'un  continent 
problématique.  "  (La  jeunesse  de  Bougainville  et  la  guerre  de  Sept-Ans, 
p.  117.) 

10.  Cité  dans  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  317. 


396  L'ÉGLISE    DU   CANADA 

du  côté  de  la  considération  et  de  l'estime  publique,  seules 
dignes  de  flatter  l'ambition  du  citoyen  et  de  remplir  ici- 
bas  le  vœu  du  chrétien  ;  car  tout  le  reste  périt  et  s'évanouit 
avec  eux,  ou  ne  survit  pas  pour  eux  ^^  » 

Il  paraît,  du  reste,  que  les  recommandations  que  Pon  fit 
à  l'intendant,  ne  furent  pas,  cette  fois,  tout-à-fait  inutiles, 
car  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  ajoutait  l'année  suivante  : 

«  La  seule  raison  qui  a  obligé  de  renvoyer  M.  Bigot  à 
Québec,  est  la  difficulté  qu'il  y  aurait  eu  à  y  faire  passer  un 
homme  tout  neuf,  dans  les  circonstances  présentes.  Il  y 
fait  bien  :  Dieu  soit  béni  !  J'ai  été  le  premier  à  en  rendre 
compte  d'après  ce  que  vous  m'en  avez  mandé,  quoiqu'il 
m'ait  évité  pendant  son  séjour  en  France  et  qu'il  soit  sorti 
de  chez  M.  de  la  Porte  parce  que  j'y  entrais,  et  d'après  la 
précaution  que  le  maître  de  la  maison  prit  de  me  nommer 
trois  fois  de  suite  par  mon  nom  »  ^^. 


* 


Il  est  regrettable  que  nous  n'ayons  pas  la  correspondance 
de  M^  de  Pontbriand  avec  son  vicaire  général  à  Paris, 
comme  nous  avons  les  lettres  de  celui-ci  au  vénéré  Prélat. 
Nous  pouvons,  du  moins,  conjecturer  sûrement,  d'après 
ces  lettres,  ce  que  lui  écrivait  l'Evêque.  Il  avait  la  plus 
grande  confiance  dans  son  vicaire  général  et  lui  parlait  à 
cœur  ouvert  des  besoins  de  son  Eglise.  La  confiance  et 
l'abandon  étaient  réciproques  : 

a  Je  suis  trop  flatté  et  par  conséquent  trop  payé,  écrivait 
à  l'Evêque  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  par  la  satisfaction  que  je 
ressens  de  pouvoir  vous  être  bon  à  quelque  chose,  et  d'avoir 
quelque  part  à  tout   le  bien   que   vous  faites   dans   votre 


11.  Lettre  du  25  mars  1755. 

12.  Lettre  du  28  mars  1756. 


sous    M^r   DE    PONTBRIAND  397 

diocèse,  et  auquel  je  m'unis,  du  moins,  d'intention,  puisque 
*e  suis  hors  d'état  d'y  contribuer  autrement  »  ^^ 

«  Laissons  là  de  côté,  monseigneur,  ajoutait-il  dans  une 
autre  circonstance,  les  épanchements  de  cœur  et  de  senti- 
ment, à  condition  que  vous  ne  me  reparlerez  plus  de  votre 
reconnaissance.  Vous  m'aimez,  je  vous  suis  attaché  ; 
nous  ne  cherchons  que  le  bien,  que  la  plus  grande  gloire  de 
Dieu,  le  profit  de  l'Etat  et  celui  de  la  Religion.  Tout  est 
dit.  Mais  ma  peine  est  que  je  ne  pourrai  plus  longtemps, 
non  pas  vous  être  attaché,  car  ce  sera  jusqu'au  dernier 
soupir  de  ma  vie,  mais  vous  rendre  les  services  que  vous 
attendez  de  moi,  car  je  me  vieillis,  et  mes  yeux  me 
quittent.  Dieu  soit  béni  !  Il  ne  nous  demandera  pas  plus 
qu'il  nous  a  donné  ^*.  » 

M^'^  de  Pontbriand  parlant  à  son  vicaire  général  du 
«  triste  état  de  la  colonie  canadienne  «,  lui  avait  dit  sans 
doute  combien  il  serait  heureux  de  voir  arriver  au  Canada 
M.  de  Vaudreuil  comme  gouverneur.  Il  en  était  question 
depuis  assez  longtemps  :  c'était  le  désir  de  toute  la  colonie. 
Ni  M.  de  la  Jonquière,  ni  le  marquis  de  Duquesne  n'avaient 
su  mériter  et  gagner  l'estime  et  la  confiance  des  Canadiens  : 
au  contraire,  ils  étaient  généralement  détestés.  On  n'en 
voulait  plus,  on  ne  voulait  plus  de  ces  gouverneurs  français 
qui  ne  savaient  pas  prendre  les  Canadiens  par  le  bon  côté, 
commandaient  nos  milices  à  temps  et  à  contretemps,  sans 
aucun  égard  aux  besoins  des  campagnes  et  de  l'agriculture. 
Duquesne  avouait  lui-même  w  que  toute  la  colonie  était 
opposée  aux  opérations  dont  il  était  chargé  »  ^^  Une 
gazette  de  France  avait  même  annoncé  qu'il  y  avait  eu 
révolte  au  Canada,  et  Duquesne  faisait  semblant  d'en  rire  : 

((  Je  n'ai  pu  m'empêcher  de  rire,  disait-il,  lorsque  j'ai  vu 

13.  Lettre  du  25  mars  1755. 

14.  Lettre  du  28  mars  1756. 

15.  Corrcsp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre,  29  septembre  1754. 


398  I.' ÉGLISE   DU  CANADA 

un  gazetier,  qui  débitait  qu'il  y  avait  eu  dans  cette  colonie 
une  révolte,  et  que  M.  Pintendant  et  moi  avions  été  assom- 
més par  le  peuple.  Il  ne  s'est  rien  passé  qui  pût  approcher 
de  cette  fausseté,  malgré  la  famine  que  nous  avons  essuyée 
pendant  deux  aus.  » 

Cette  famine  parlait  bien  haut,  cependant,  contre  son  ad- 
ministration, contre  son  imprévoyance,  contre  son  manque 
de  tact  à  l'égard  des  habitants  de  nos  campagnes.  Il  se 
sentait  repoussé  par  l'opinion  publique,  et  demandait 
néanmoins  à  la  Cour  qu'on  lui  laissât  achever  ses  trois 
ans  au  Canada.  Il  aurait  même  désiré  que  son  terme 
d'office  fût  prolongé  : 

«  Je  ne  puis  m'empêcher,  écrit-il  au  ministre,  de  vous 
témoigner  ma  sensibilité  sur  ce  que  vous  n'avez  pas  eu 
agréable  de  faire  rouler  sur  moi  jusques  en  automne  les 
opérations  du  Canada.  Je  m'attendais  à  cet  agrément,  vu 
mon  travail  et  les  connaissances  que  j'ai  acquises.  J'en  ai 
été  vivement  touché  ^^.  .  .  » 

Mais  les  Canadiens  avaient  demandé  à  grands  cris  pour 
gouverneur  un  des  leurs,  M.  de  Vaudreui),  qui  avait  fait  si 
bien  à  la  Nouvelle-Orléans,  et  la  Cour  avait  décidé  d'ob- 
tempérer à  leurs  prières  : 

((  Vous  me  demandez,  écrit  à  l'Evêque  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  si  M.  le  marquis  de  Vaudreuil  est  nommé  gouverneur 
général.  Oui . .  .  S'il  partira  cette  année  (1:754) . .  .  Non  ; 
à  moins  qu'avant  le  mois  d'août,  qui  est  le  temps  le  plus 
tardif  où  puisse  partir  une  frégate  de  France  pour  Québec, 
à  cause  des  gelées,  il  n'arrivât  quelque  révolution  qui 
obligeât  la  Cour  à  faire  partir  M.  de  Vaudreuil,  pour 
apaiser  un  mécontentement  que  je  vois  universel,  et  prêt 
à  éclater...  Mais  M.  Duquesne  a  demandé  à  finir  ses 
trois  ans  »...      Et  il   ajoutait  :     «  Si  vous  désirez  M.  de 

16.  Corresp.  générale,  vol.  100,  lettre  au  ministre,  15  juillet  1755. 


sous  m8^  de  pontbriand  399 

Vaiidreuil,  monseigneur,  on  le  regrette  beaucoup  à  la 
Louisiane,  et  à  bien  juste  titre.  Les  lettres  qu'on  m'en 
écrit  de  toutes  parts  en  chantent  les  louanges  et  en 
publient  les  regrets  »j  ^l 

Puis  l'année  suivante,  lorsque  M.  de  Vaudreuil  quitte 
Paris  pour  se  rendre  à  son  gouvernement  : 

«  Il  n'est  pas  nécessaire,  écrit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  que  je 
vous  annonce  M.  et  M™®  de  Vaudreuil,  puisque  c'est  par 
eux  que  je  vous  fais  passer  ma  lettre;  mais  je  puis  du 
moins  vous  féliciter  sur  l'acquisition  que  vous  en  faites 
dans  la  colonie.  .  .  Les  larmes  qu'ils  ont  fait  répandre  à 
la  Nouvelle-Orléans,  à  leur  départ,  et  les  regrets  qu'ils  y 
ont  laissés  sont  d'heureux  pronostics.  .  .  Fasse  le  Ciel 
qu'ils  ne  soient  pas  traversés  dans  le  bien  qu'ils  sont 
capables  de  faire  ^^  !  .  , . 

Duquesne  était  humilié  du  peu  de  succès  qu'il  avait  eu 
au  Canada.  Il  s'en  prenait  à  tout  le  monde,  même  à  son 
successeur,  qui  n'avait  pourtant  d'autre  tort  que  celui  de 
le  remplacer  : 

«  Je  ne  puis  vous  taire,  écrit-il  au  ministre,  que  mon  suc- 
cesseur, avec  qui  j'ai  beaucoup  vécu  dans  les  deux  cam- 
pagnes que  j'ai  fait  ici,  a  affecté  d'écrire  à  des  personnes 
qu'il  n'a  jamais  vues  ni  connues,  pour  leur  apprendre  sa 
nomination  au  gouvernement  du  Canada,  sans  daigner 
m'en  faire  part. 

«  Cette  indécence  a  tant  éclaté  dans  cette  colonie,  que  je 
ne  puis  m'empêcher  de  vous  prévenir  que  je  recevrai  ce 
nouveau  gouverneur  avec  toute  l'indifférence  qu'il  s'est 
attirée  de  ma  part.  Mais  je  vous  prie  d'être  bien  persuadé 
que  je  l'instruirai  avec  patience,  et  que  le  bien  du  service 
n'en  souffrira  point  ^^.  . .  » 

17.  Lettre  du  29  mars  1754. 

18.  Lettre  du  25  mars  1755. 

19.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre,  9  octobre  1754. 


400  l'église  du  canada 

Il  avait  fait,  en  plusieurs  occasions,  l'éloge  des  Cana- 
diens : 

«  Je  ne  connais  pas  dans  le  monde  de  meilleur  peuple 
que  le  Canadien.  Je  suis  enchanté  de  sa  soumission  et  de 
son  zèle ...  « 

Et  voilà  maintenant  qu'il  essaie,  sous  l'empire  de  nou- 
veaux sentiments,  à  faire  oublier  cet  éloge  : 

((  Je  ne  cherche  pas,  écrit-il,  le  suffrage  du  Canadien,  qui 
naturellement  est  ingrat ...  Le  Canada  est  un  pays  où 
l'on  est  naturellement  porté  à  ne  jamais  rendre  justice  à  ce 
qui  est  respectable  ^^.  . .  » 

Ce  qui  probablement  l'offusque  le  plus,  c'est  de  se  voir 
remplacé  au  gouvernement  de  la  colonie,  lui,  le  grand  sei- 
gneur français,  par  un  Canadien  : 

«  Il  m'est  revenu,  dit-il,  que  M.  de  Vaudreuil,  mon  suc- 
cesseur, a  écrit  à  son  frère  et  à  son  beau-frère,  qu'il  compte 
être  ici  en  mai,  ce  qui  m'engage  à  vous  prévenir  qu'il  se 
pourrait  bien  que  je  ne  pus  me  trouver  à  sa  réception,  parce 
que  c'est  directement  le  temps  où  je  serai  à  Montréal  pour 
faire  partir  le  détachement  projeté  ^^  .  . 

«  Regardez,  je  vous  prie,  comme  une  précaution  l'obser- 
vation que  je  vous  fais  à  ce  sujet,  qui  n'est  qu'en  vue  de  me 
mettre  à  l'abri  des  tracasseries  indécentes  dont  ce  pays 
fourmille,  et  qui  iraient  jusques  à  vous.  J'ose  vous  assurer 
que  je  ferai  mon  possible  pour  me  trouver  ici  à  l'arrivée  de 
ce  nouveau  gouverneur,  car  je  grille  d'envie  qu'il  arrive 
plus  tôt  que  plus  tard. 

((  J'ai  bien  à  me  plaindre  de  la  persévérance  de  son  si- 
lence ^^  ;  mais  je  me  flatte  que  nous  aurons  si  peu  de  temps 


20.  Ibîd.,  lettres  du  2  novembre  1753,  29  septembre  et  10  octobre  1754. 

21.  Il  s'agit  sans  doute  du  détachement  qui,  sous  les  ordres  de  M.  de 
Beaujeu,  remporta  le  9  juillet  1755  la  brillante  victoire  de  la  Mononga- 
héla. 

22.  Toutes  ces  plaintes  de  Duquesne  contre  M.  de  Vaudreuil  nous  pa- 
raissent d'autant  moins  fondées,  que  celui-ci  avait  été  plein  d'égards 


sous   M»"*   DE   PONTBRIAND  40I 

à  rester  ensemble  pour  le  mettre  au  fait  de  la  colonie,  que  je 
prendrai  sur  moi  de  modérer  mon  ressentiment  pour  son 
manque  d'égard  et  de  politesse  ^^.  .  .  >* 

Il  aurait  été  difficile  de  se  montrer  plus  fielleux  et  plus 
désobligeant. 

La  réception  chaleureuse  que  firent  les  Canadiens  à  M. 
de  Vaudreuil  compensa  bien  notre  nouveau  gouverneur  de 
la  bouderie  du  marquis  de  Duquesne  à  son  égard  : 

«  M.  et  M™^  la  marquise  de  Vaudreuil  ^*,  écrit  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu"  m'ont  fait  l'honneur  de  m'écrire.  Je  leur  fais 
réponse.  Je  ne  suis  pas  étonné  qu'on  les  ait  reçus  avec 
plaisir,  avec  joie  et  acclamation.  Ils  étaient  désirés,  et  ils 
sont  bien  propres  à  se  faire  aimer. 

«  Je  me  doutais,  monseigneur,  ajoute-t-il,  de  tout  ce  que 
vous  m'annoncez  de  votre  colonie,  malgré  ce  qu'en  avait 
dit  en  partant  M.  le  marquis  Duquesne  à  M.  de  Vaudreuil, 
et  ce  que  le  premier  en  a  répandu  en  ce  pays-ci.  En  vé- 
rité, le  premier  ne  raisonne  pas.  Il  est  haut,  altier  et  suf- 
fisant ;  mais,  de  vous  à  moi,  il  ne  connaît  que  le  cours  du 
fleuve  Saint-Laurent,  vos  pays  d'en  haut  et  un  peu  ceux 
de  la  Louisiane.  .  . 

«  Vous  avez  raison  de  dire,  monseigneur,  ajoute-t-il  en- 
core, que  si  notre  respectable  gouverneur  général  réussit  il 
sera  couvert  de  gloire,  et  que,  sHl  échoue^  on  ne  pourra  le 
blâmer . .  .  Je  voudrais  bien  du  moins  qu'on  lui  envoyât 
le  cordon  rouge  ;  il  mérite  cette  décoration,  et  elle  est  né- 


pour  son  successeur  à  la  Nouvelle-Orléans  :  "  M.  de  Kerlerec  et  lui,  écrit 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  se  sont  conduits  en  gens  d'esprit  et  de  tête  pendant 
le  temps  qu'ils  ont  passé  ensemble  à  la  Nouvelle-Orléans.  On  a  cru  que 
c'était  un  frère  qui  succédait  à  un  frère,  et  jusqu'au  dernier  moment 
tout  s'est  fait  en  commun  et  de  concert.  Ils  n'ont  pas  fait  une  démarche 
l'un  sans  l'autre..."   (Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  29  mars  1754). 

23.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre,  12  octobre  1754. 

24.  Pierre-François    Rigaud    de    Vaudreuil;    Louise-Thérèse    Fleury 
d'Eschambault. 

26 


402  l'église  du  canada 

cessaire  vis-à-vis  des  Anglais.  J'y  ai  fait  tout  ce  que  j'ai 
pu.     Y  aurai-je  réussi?     Me  latet^  et  multos  ^^. . .  » 

Qui  ne  remarquerait  l'estime  et  la  considération,  toujours 
soutenues,  de  M^'  de  Pontbriand  et  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
pour  notre  premier  gouverneur  canadien,  M.  de  Vaudreuil? 
«  Si  notre  respectable  gouverneur  général  réussit,  disent-ils, 
il  sera  couvert  de  gloire ...»  Ah,  c'est  qu'ils  connaissent, 
eux,  ces  bons  Français,  Canadiens  de  cœur,  la  tâche  rude 
et  difficile  qu'il  a  à  remplir  au  Canada  :  protéger  autant 
que  possible  ses  compatriotes  contre  les  exactions  d'une 
administration  corrompue,  les  traiter  avec  douceur,  équité 
et  justice,  ménager  leurs  forces.  Le  patriotisme  des 
Canadiens  n'a  pas  besoin  d'être  stimulé  ;  il  savent  ce  qu'ils 
doivent  à  la  France  : 

«  Je  n'ai  pas  eu  la  moindre  peine  de  les  faire  marcher  en 
campagne,  disait  Duquesne,  si  injuste  pourtant  à  leur 
égard.  Ils  se  sont  rendus  à  la  minute  lorsque  je  les  ai 
commandés  »  ^^. 

Mais  les  Canadiens  savent  aussi  ce  qu'ils  doivent  à  leur 
pays,  à  leurs  foyers.  La  plupart  des  officiers  français,  au 
Canada,  n'ont  en  vue  que  «  les  grâces  du  Roi  »,  suivant 
l'aveu  ingénu  de  l'un  d'eux  ^'^;  les  Canadiens  combattent, 
eux, /rd?  aris  et  focis.  En  les  appelant  sous  les  armes,  M. 
de  Vaudreuil,  qui  les  connaît,  qui  leur  est  dévoué,  ne  perdra 
jamais  de  vue  les  besoins  de  nos  campagnes  et  de  l'agri- 
culture. Voilà  sa  tâche,  voilà  son  rôle  :  rôle  effacé  et 
obscur,  mais  vraiment  providentiel. 

A  d'autres  les  rôles  brillants  et  glorieux.  La  France 
est  destinée  à  perdre  le  Canada  ;  mais  elle  ne  peut  le 
quitter  sans  gloire  :     Montcalm  et  Lévis  y  pourvoiront,  et 


25.  Lettre  à  Mgr  de  Pontbriand,  28  mars  1756. 

26.  Corresp.  générale,  vol.  99,  lettre  au  ministre,  29  septembre  1754. 
2^.  Lettre  de  Jacau  de  Fiedmont  à  Surlaville,  Québec,  20  août  1755^^ 

dans  Les  derniers  jours  de  ^Acadie,  p.  138. 


sous   M*^   DE   PONTBRIAND  403 

jetteront  sur  sa  retraite  un  éclat  incomparable.  Grâce  à 
M.  de  Vaudreuil,  le  peuple  Canadien,  dont  il  a  été  le  pro- 
tecteur et  le  père,  survivra  au  départ  de  la  France,  sans 
avoir  rien  perdu  de  sa  force  et  de  sa  vitalité. 

M.  de  Vaudreuil  n'aura  pas  réussi  à  conserver  le  Canada 
à  la  France,  ni  à  arrêter  les  malversations  de  Bigot  ;  mais 
c'est  ici  le  lieu  de  rappeler  la  parole  de  M^  de  Pontbriand 
et  de  Pabbé  Plie-Dieu  à  son  égard  : 

«  Si  M.  de  Vaudreuil  échoue,  disaient-ils,  on  ne  pourra 
le  blâmer.  » 

Tant  ils  jugeaient  la  situation  compromise  î  Vaudreuil 
conservera  jusqu'à  la  fin  l'estime  de  son  Evêque  et  de  tous 
les  honnêtes  gens.  On  sait  ce  que  M^  de  Pontbriand  écri- 
vait de  notre  premier  gouverneur  canadien  au  lendemain 
de  la  capitulation  de  Québec  : 

«  On  raisonne  ici  beaucoup  sur  les  événements  qui  sont 
arrivés;  on  condamne  facilement.  Je  les  ai  suivis  de  près, 
n'ayant  jamais  été  éloigné  de  M.  de  Vaudreuil  de  plus 
d'une  lieue.  Je  ne  puis  m'empêcher  de  dire  qu'on  a  un 
tort  infini  de  lui  attribuer  nos  malheurs.  Quoique  cette 
matière  ne  soit  pas  de  mon  ressort,  je  me  flatte  que  vous  ne 
désapprouverez  pas  un  témoignage  que  la  seule  vérité  me 
fait  rendre  '^.  » 


28.  Cité  par  Ferland,  Cours  d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  584. 


CHAPITRE  XXX 


1755 

•Les  Instructions  données  à  M.  de  Vaudreuil.  —  Les  qualités  de  Bigot.  — 
Les  usurpations  de  l'Angleterre  ;  ce  qu'en  dit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  — 
Braddock,  De  Beaujeu,  la  Monongahéla.  —  L'échec  de  Dieskau.  — 
L'abbé  de  l'Ile-Dieu  et  les  Canadiens.  —  M.  de  Vaudreuil  et  les 
Canadiens. 

M  de  Vaudreuil  reçut  à  Paris  ses  lettres  de  gouverneur 
général  de  la  Nouvelle-France  le  22  mars  1755. 
Elles  étaient  datées  du  premier  janvier.  On  eût  dit  que 
Louis  XV,  voulant  faire  plaisir  aux  Canadiens,  qui  l'avaient 
demandé  pour  gouverneur,  avait  tenu  à  leur  accorder  cette 
nomination  sous  forme  d'étrennes. 

Les  lettres  de  M.  de  Vaudreuil  étaient  accompagnées 
d'instructions  qui  lui  recommandaient  expressément,  entre 
autres  choses,  «  de  vivre  en  bonne  intelligence  »  avec  M. 
Bigot  ^  Notons  bien  cette  recommandation  :  plus  tard 
on  accusera  de  «  faiblesse  »  M.  de  Vaudreuil,  parce  qu'il 
n'aura  pas  réussi  à  mettre  un  frein  aux  malversations  de 
l'intendant.  Mais  pouvait-il  se  mettre  en  guerre  avec 
Bigot,  et  cependant  «  vivre  en  bonne  intelligence  avec 
lui  »  ?  Et  n'est-ce  pas  le  lieu  de  rappeler  ici  encore  une  fois 
la  parole  de  M^*'  de  Pontbriand  :  «  Si  M.  de  Vaudreuil 
échoue,  on  ne  pourra  le  blâmer.  »  La  situation  était 
presque  irrémédiable  ;  e1  ce  n'est  pas  lui  qui  l'avait  créée, 


I.  Rapport...  pour  1905,  p.  200. 


l'église  du  canada  sous  m»*"  de  pontbriand     405 

c'est  la  Cour,  en  renvoyant  M.  Bigot  au  Canada,  malgré 
toutes  les  observations  et  les  plaintes  qu'elle  avait  reçues 
des  Canadiens  et  de  l'Evêque  lui-même. 

Tout  ce  que  pouvait  faire  notre  gouverneur,  c'était  de 
protester  contre  le  mal  par  sa  conduite,  par  son  exemple, 
par  la  dignité  de  sa  vie  :  et  ce  devoir,  il  y  fut  fidèle  jusqu'à 
la  fin,  au  grand  contentement  de  l'Evêque  et  de  tous  les 
bons  citoyens. 

Du  reste,  il  paraît  certain  que  Bigot,  ne  fût-ce  que  par 
habileté,  crut  devoir,  à  son  retour  de  France,  mettre  de 
lui-même,  tout  d'abord,  quelque  frein  à  ses  opérations 
financières  :  à  ce  point  que  l'Evêque,  toujours  porté  à  l'in- 
dulgence, en  écrivit  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  son  conten- 
tement. Celui-ci  n'en  croyait  évidemment  rien  :  on  le 
voit  par  le  ton  un  peu  ironique  de  sa  réponse  :  »  Il  fait 
bien,  dit-il  au  Prélat  :  Dieu  soit  béni  !  » 

On  ne  pouvait  d'ailleurs  refuser  à  l'intendant  Bigot,  à 
côté  de  déplorables  instincts,  de  grandes  qualités.  M«^  de 
Pontbriand  en  signalait  un  jour  quelques-unes  dans  un  de 
ses  mandements:  il  louait  «ses  lumières,  son  activité,  sa 
vigilance,  son  industrie  pour  trouver  des  ressources  là- 
même  où  les  autres  n'en  apercevaient  pas  »  ^.  Faut-il 
s'étonner  que  M.  de  Vaudreuil.  lui  aussi,  voyant  M.  Bigot 
dans  de  meilleures  dispositions  que  par  le  passé,  et  voulant 
par  ses  bons  procédés  l'y  entretenir,  lui  ait  rendu  un  bon 
témoignage  auprès  du  ministre  ? 

«J'ai  eu  l'honneur  de  vous  informer,  écrit-il,  des  soins 
que  M.  Bigot  s'est  donnés,  pendant  son  séjour  à  Montréal, 
pour  pourvoir  à  tout  ce  qui  était  nécessaire  aux  mouve- 
ments que  j'ai  été  obligé  d'ordonner  pour  contenir  les  An- 
glais à  Chouaguen,  et  pour  mettre  l'armée  de  M.  de  Dieskau 
en  état  de  faire  une  heureuse  campagne.     Cet  intendant, 

2.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  109,  mandement  du 
15  février  1756. 


4o6  L*éGIvlSE   DU   CANADA 

monseigneur,  a  des  talents  peu  ordinaires,  ses  ressources 
pour  tout  ce  qui  tend  au  bien  du  service  sont  inexpri- 
mables, son  zèle  et  ses  lumières  m'ont  grandement  aidé 
dans  tout  ce  que  j*ai  entrepris.  Il  est  prévoyant,  actif,  et 
infatigable,  quoique  depuis  qu'il  est  dans  la  colonie  il  n'ait 
pas  eu  huit  jours  de  bonne  santé  ^.  . .  » 

M.  de  Vaudreuil  était  arrivé  à  Québec  le  23  juin  et  y 
avait  été  reçu  par  le  chevalier  de  Longueil,  en  l'absence 
de  M.  Duquesne,  qui  était  à  Montréal.  Dès  le  12  juillet  il 
était  lui-même  à  Montréal  pour  y  rencontrer  son  prédéces- 
seur et  achever  les  préparatifs  nécessaires  à  la  campagne 
de  Dieskau  *. 

Celui-ci  était  passé  au  Canada  en  même  temps  que  lui, 
à  la  tête  de  trois  mille  hommes  que  le  Roi  envoyait  au 
secours  de  sa  colonie.  C'était  la  réponse  de  Louis  XV  au 
geste  assez  singulier  de  l'Angleterre,  qui,  sans  aucune  pro- 
vocation, avait  déjà  pris  les  devants,  et  envoyé  Braddock 
en  Amérique  avec  des  troupes  sufl&santes  pour  s'emparer 
du  Canada,  s'il  le  jugeait  à  propos.  Tout  était  laissé  à  sa 
discrétion  et  à  celle  des  colons  de  la  Virginie.  L'Angle- 
terre se  défendait  encore,  cependant,  de  vouloir  la  guerre  •  : 
de  fait,  elle  ne  fut  déclarée  officiellement  qu'au  mois  de 
mai  1756;  et  cependant  les  hostilités  étaient  déjà  partout. 
L'amiral  Boscawen,  embusqué  près  des  côtes  de  Terre- 
neuve,  s'emparait  le  8  juin  de  deux  des  vaisseaux  de  l'es- 
cadre française  qui  transportait  les  troupes  de  Dieskau  au 
Canada  ;  trois  jours  auparavant  avait  eu  lieu  dans  l'église 
de  Grand-Pré  le  fameux  guet-apens  que  l'on  avait  dressé 
aux  Acadiens,  sinistre  avant-coureur   de    leur  dispersion, 


3.  Corresp.  générale,  vol.  100,  lettre  au  ministre,  28  octobre  1755. 

4.  Ibid.,  lettre  de  Vaudreuil  au  ministre,  27  juin  1755;  lettre  de  Du- 
quesne au  ministre,   15  juillet  1755. 

5.  Rapport. . .  pour   1905,  p.   203,   lettre   du   ministre  à   Duquesne,   17 
février  1755. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  407 

et  quelques  jours  plus  tard  la  prise  par  les  Anglais  des 
forts  Gaspareaux  et  Beauséjour  :  tout  cela  arrangé  de 
manière  que  la  Grande-Bretagne  pût  s'en  laver  les  mains  et 
laisser  aux  colons  de  la  Nouvelle-Angleterre  tout  l'odieux 
de  ces  tristes  exploits. 

Même  politique  du  côté  de  la  Belle-Rivière,  avec  cette 
nuance  qu'ici  l'usurpation  de  l'Angleterre  était  encore  plus 
flagrante.  Si  la  vallée  de  la  Belle-Rivière  n'appartenait 
pas  à  la  France  pour  l'avoir  parcourue  en  tous  sens  par  ses 
pionniers  et  en  avoir  pris  possession  par  Céloron  de  Blain- 
ville,  elle  appartenait  encore  moins  à  l'Angleterre:  c'est 
l'aveu  que  fait  lui-même  quelque  part  M.  Parkman  ^. 
Mais  les  colons  de  la  Virginie  ne  peuvent  plus  tenir  dans 
leurs  étroites  limites,  il  leur  faut  de  l'espace,  il  leur  faut 
des  terres.  Une  Compagnie  —  la  Compagnie  de  l'Ohio  — 
se  forme  en  1749,  et  le  Roi  d'Angleteire  lui  accorde  deux 
cent  mille  acres  de  terre  à  prendre  dans  la  vallée  de  l'Ohio, 
avec  promesse  de  lui  en  donner  trois  cent  mille  de  plys,  si 
elle  remplit  certaines  conditions.  Et  voilà  les  Anglais  qui 
s'avancent  peu  à  peu  dan?  leur  nouveau  domaine.  Ils  le 
font  tout  d'abord  avec  circonspection  ;  mais  apprenant 
bientôt  que  les  Français  ont  eu  vent  de  leur  entreprise, 
qu'ils  sont,  eux  aussi,  sur  les  lieux,  et  s'y  fortifient,  le 
gouverneur  de  la  Virginie  envoie  Washington  pour  som- 
mer ces  ((  intrus  «  d'avoir  à  déloger  d'un  territoire  qu'ils 
n'ont  pas  su  coloniser.  Nous  avons  déjà  signalé  le  résul- 
tat de  leurs  premières  rencontres,  et  cité  le  mandement  où 
M^  de  Pontbriand  apprenait  à  ses  diocésains  comment 
Jumonville  avait  succombé  dans  une  de  ces  rencontres, 
la  noble  vengeance  que  M.  de  Villiers  avait  tirée  de 
la  mort  de  son  frère  en  enlevant  à  Washington  le  fort 
Nécessité,   et  surtout   l'admirable  victoire  canadienne  de 

6.  The  Conspiracy  of  Pontiac,  t.  I,  p.  100. 


4o8  l'église  du  canada 

la  Monongahéla,  qui  aurait  dû  assurer  à  la  France  la  pos- 
session de  la  Belle-Rivière,  si  l'effet  n'en  avait  pas  été  dé- 
truit presque  aussitôt  par  la  défaite  française  du  Baron 
Dieskau. 

Cette  politique  de  l'Angleterre  de  s'avancer  sur  les  terri- 
toires en  litige  et  inoccupés,  sans  attendre  que  la  possession 
en  eût  été  déterminée  par  les  arbitres  nommés  par  elle  de 
concert  avec  la  France,  nul  ne  nous  paraît  l'avoir  mipux 
exposée  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  Ecrivant  un  jour  à  M^ 
de  Pontbriand  : 

«  Il  faut  s'attendre  à  tout,  dit-il,  de  la  part  d'une  nation 
qui  prend  ses  simples  prétentions  pour  des  titres  incontes- 
tables . .  . 

«  Le  seul  moyen  de  se  garantir  de  l'avidité  de  l'Anglais 
serait  de  se  cantonner  et  de  se  fortifier,  de  s'établir  même 
dans  ce  que  la  France  possède  encore  —  il  parlait  ici  sur- 
tout de  l'Acadie  —  en  attendant  qu'elle  pût  répéter  sur 
l'Anglais  ce  qu'il  lui  a  enlevé.  .  . 

«  En  Angleterre,  ce  sont  des  Compagnies  qui  forment 
les  premières  colonies  et  en  font  les  frais.  Si  elles  réussis- 
sent, le  gouvernement  les  avoue  et  les  en  récompense  par  de 
simples  concessions,  en  s'en  réservant  toujours  la  propriété 
domaniale  et  la  souveraineté.  Voilà  pourquoi  l'Anglais 
pousse  toujours  sa  pointe,  et  ne  donne  de  bornes  à  ses 
prétentions  que  celles  de  sa  cupidité .    , 

«  Si  au  contraire  ces  Compagnies  échouent,  le  gouver- 
nement les  désavoue.  On  en  peut  donner  pour  exemple 
ce  qui  vient  de  se  passer  dans  le  nord  de  la  Louisiane,  du 
côté  de  Détroit,  où  nombre  d'Anglais  avaient  établi  des 
magasins  dans  nos  propres  colonies.  On  s'en  est  plaint. 
Le  gouvernement  anglais  s'est  aperçu  qu'ils  n'y  étaient  pas 
assez  affermis  pour  les  y  soutenir,  et  les  a  méconnus  ''...» 

7.  Lettre  du  19  février  1753. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  409 

Mais  quant  au  territoire  de  la  Belle-Rivière,  la  Grande- 
Bretagne  était  d'autant  plus  décidée  à  s'y  maintenir  qu'elle 
en  avait  besoin  pour  ses  colons  de  la  Virginie  ;  et  elle  y 
mit  cette  énergie,  et  surtout  cet  «  esprit  de  suite  »,  qui, 
suivant  la  remarque  qu'émettait  tout  récemment  M. 
Hanotaux,  fit  presque  toujours  défaut  aux  essais  de  colo- 
nisation de  la  France  sous  l'Ancien  Régime  : 

«  Ce  qui  a  manqué  à  la  France  de  l'Ancien  Régime  pour 
garder  ses  colonies,  dit-il,  c'est  l'esprit  de  suite,  et  l'esprit 
de  sacrifice  à  l'égard  de  cette  famille  lointaine  que  l'esprit 
d'aventure  avait  essaimée  de  par  le  monde.  » 

Et  parlant  encore  un  peu  plus  loin  de  la  manière  de 
coloniser  de  la  France  d'autrefois,  M.  Hanotaux  ne  craint 
pas  de  l'appeler  une  «  colonisation  de  ménage  et  de  lési- 
nerie  »  ^. 

M.  de  la  Galissonnière  avait  recommandé,  durant  son 
séjour  au  Canada,  que  la  France  envoyât  dix  mille  colons 
dans  la  vallée  de  l'Ohio,  si  elle  voulait  en  garder  la  posses- 
sion. Quelle  ironie  !  Ne  savait-il  pas  que  c'était  là  tout 
au  plus  le  nombre  de  colons  qu'elle  avait  envoyés  au 
Canada  depuis  l'origine  de  la  colonie  ? 

Les  Canadiens,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  n'avaient 
jamais  favorisé  l'établissement  de  la  Belle-Rivière,  parce 
qu'ils  savaient  que  cet  établissement  ne  pourrait  se  faire 
qu'à  leur  détriment,  et  que  par  la  force  des  choses  les 
colons  de  la  Nouvelle- Angleterre  y  déverseraient  le  surplus 
de  leur  population.  Il  fallait  avant  tout  travailler  et  com- 
battre pro  arts  et  focis  :  ce  qui  ne  les  empêcha  pas  de  faire 
noblement  et  glorieusement  leur  devoir  lorsqu'ils  furent 
appelés  par  qui  de  droit  à  s'opposer  à  l'entrée  des  Anglais 
dans  cette  vallée  à  laquelle  la  France  avait  si  justement 
donné  le  nom  de  Belle-Rivière. 


8.  La  France  vivante  en  V Amérique  du  Nord,  p.  113  et  133. 


4IO  '  L'éGLISR    DU   CANADA 

Quelle  admirable  victoire  que  celle  de  la  Monongahéla, 
gagnée  par  une  poignée  de  Canadiens,  assistés  de  quelques 
centaines  de  sauvages,  sur  une  armée  de  trois  mille 
hommes  !  Pour  nous,  nous  avouons  franchement  que  de 
tous  les  beaux  faits  d'armes  qui  honorent  notre  histoire, 
nous  n'en  connaissons  pas  qui  commandent  davantage 
notre  admiration  :  ce  fut  une  victoire  toute  canadienne, 
gagnée  par  des  héros  animés  des  sentiments  les  plus  chré- 
tiens :    ce  qui  lui  vaut  une  page  spéciale  dans  cet  ouvrage. 

Braddock,  l'arrogant  Braddock,  s'avance  lentement  et 
fièrement  dans  l'étroite  vallée  de  la  Monongahéla,  à  la  tête 
de  son  armée  disposée  en  trois  colonnes.  Il  est  bien  sûr 
d'anéantir  cette  poignée  de  Français,  qui  est  là-bas  au  bout 
de  sa  route.  Cette  exécution  terminée,  il  filera  vers  le 
Saint-Laurent  et  s'emparera  aisément  du  Canada  ;  puis 
ensuite  —  nous  avons  pour  cela  le  témoignage  de  M^  de 
Pontbriand  lui-même  ^  —  ce  sera  la  dispersion  des  Cana- 
diens, qui  devra  aller  de  pair  avec  celle  des  Acadiens. 

Braddock  est  tellement  sûr  de  son  affaire,  qu'il  se  fait 
accompagner  dans  sa  marche  triomphante  par  sa  fiancée, 
«  habillée  en  amazone,  montée  comme  lui  sur  un  superbe 
cheval,  et  chargée  de  bijoux  et  de  pierres  précieuses  valant 
au  moins  dix  mille  livres  sterling  »  ^°. 

Nous  avons  tenu  à  mentionner  ce  détail,  pour  faire  res- 
sortir davantage  la  beauté  et  la  noblesse  de  notre  héros  si 
chrétien,  M.  de  Beaujeu,  comparé  à  son  orgueilleux  adver- 
saire. 

Les  colonnes  de  l'armée  anglaise  marchent  entre  deux 
ravins,  et  s'avancent  avec  tant  d'ordre  et  de  régularité,  que 
Washington,  qui  en  fait  partie,  est  dans  l'admiration  à  la 


9.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  106. 

10.  Lettre  de  M.  des  Bourbes  à  Surlaville,  dans  Les  derniers  jours  de 
VAcadie,  p.  154:  "Elle  fut  tuée,  dit  cet  officier,  combattant  à  côté  de 
8on  amant,  malgré  toute  l'envie  qu'on  avait  de  la  conserver  !  " 


sous    U^^    DE    PONTBRIAND  4II 

vue  de  la   prestance  et  de  la  belle  tenue  de  ces  soldats 
anglais  ". 

Ils  ne  sont  plus  qu'à  trois  lieues  du  fort  Duquesne  ;  et  M. 
de  Contrecœur,  qui  y  commande,  confie  à  M.  de  Beaujeu 
la  noble  et  héroïque  tâche  d'aller  rencontrer  l'ennemi.  Il 
n'a  que  deux  cent  cinquante  hommes  à  lui  donner  ; 
mais  quels  hommes  que  ces  Canadiens  !  et  quel  comman- 
dant, ce  M.  de  Beaujeu  !  Un  héros  chrétien,  digne  des 
temps  antiques  !  Il  a  communié  le  matin  même  ;  il  est 
décidé  à  faire  tout  son  devoir,  et  il  se  confie  en  la  Providence 
pour  le  succès. 

A  ces  deux  cent  cinquante  Canadiens  sont  venus  se 
joindre  six  cents  Sauvages,  au  nombre  desquels  figure 
Pontiac  ;  mais  à  la  vue  de  l'armée  anglaise  voilà  ces  Sau- 
vages qui  hésitent,  qui  reculent  devant  le  combat  :  «  Eh 
quoi,  leur  crie  M.  de  Beaujeu,  allez-vous  donc  abandonner 
votre  père  dans  ce  moment  critique  ?  »  Cette  parole  les 
électrise  et  ils  courent  à  la  rencontre  de  l'ennemi  :  cachés 
derrière  les  arbres,  à  leur  manière  ordinaire,  ils  tirent  sans 
merci  sur  les  Anglais  ;  aucun  de  leurs  coups  ne  porte  à 
faux  ^^ 

Les  Anglais,  massés  en  colonnes  solides,  se  tournent 
vers  les  bois  qu'ils  croient  remplis  d'ennemis.  M.  de 
Beaujeu  range  en  bataille  son  petit  détachement  de 
milices  canadiennes,  et  ouvre  le  feu.  Malheureusement 
il  tombe  frappé  de  mort,  à  l'une  des  premières  décharges 
de  l'ennemi.  Dumas  le  remplace  aussitôt  au  comman- 
dement, assisté  de  M.  de  Ligneris.  Le  combat  dure  quatre 
heures,  et  les  Anglais  finissent  par  lâcher  pied.  Bientôt 
c'est  parmi  eux  une  véritable  débandade  ;  Braddock  tombe 
mortellement  blessé  ;  les  Anglais  laissent  douze  cents  hom- 


11.  Ferland,  Cours  d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  524. 

12.  Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  152. 


412  l'êguse  du  canada 

mes  sur  le  champ  de  bataille,  et  un  immense  butin.  Nos 
milices  canadiennes  et  nos  sauvages  alliés  rentrent  triom- 
phants au  fort  Duquesne.  Une  poignée  de  Canadiens, 
avec  l'assistance  de  Dieu,  a  opéré  un  véritable  prodige  : 

((  Nous  avons  été  battus,  honteusement  battus  par  une 
poignée  d'hommes,  qui  ne  prétendaient  que  nous  inquiéter 
dans  notre  marche,  écrivait  Washington,  après  la  Monon- 
gahéla.  .  .  Que  les  œuvres  de  la  Providence  sont  mer- 
veilleuses ^^  ! . .  .  » 

M^^  de  Pontbriand  aura  donc  bien  raison  de  dire  à  ses 
diocésains  : 

«Toutes  les  puissances  de  la  terre  ne  sont  rien  devant 
Dieu  ;  elles  n'ont  de  force  qu'autant  qu'il  le  veut,  et  lui 
seul  est  maître  de  la  victoire  :  qu'il  soit  donc  le  seul  objet 
de  notre  confiance.  Si  le  Dieu  des  armées  est  pour  nous, 
qui  peut  être  contre?  La  plus  grande  force  de  l'ennemi 
ne  sera  que  faiblesse  ^*.  .  .  » 

* 

Nos  officiers  canadiens  et  nos  milices  ont  fait  noblement 
leur  devoir  à  la  Belle-Rivière,  et  obtenu  à  cette  occasion 
les  félicitations  et  les  éloges  du  Roi  et  de  la  famille 
royale  ^^  Au  tour,  maintenant,  de  M.  Dieskau  :  on  attend 
beaucoup  de  lui  :  c'est  un  maréchal  de  camp,  et  il  a  sous 
ses  ordres  plusieurs  régiments  de  troupes  régulières,  sans 
compter  les  milices  canadiennes  et  les  sauvages  que  M.  de 
Vaudreuil  a  recrutés  pour  renforcer  son  armée. 

On  sait  ce  qui  advint  de  son  expédition  au  fort  Frédé- 
ric, et  l'échec  que  lui  fit  subir  le  général  Johnson  au  Lac 
Saint-Sacrement,  échec  qui  mit  à  néant  les  heureux  effets 

13.  Cité  par  Ferland,  Cours  d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  527. 

14.  Mandements  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  107. 

15.  Ibid. 


sous   M^   DK    PONTBRIAND  413 

de  notre  victoire  de  la  Monongahéla.  Il  s'était  trop  fié  à 
lui-même  et  à  ses  connaissances  militaires,  très  précieuses 
en  Europe,  bien  peu  utiles  ici  ;  il  avait  mécontenté  les 
Sauvages  ^^;  il  avait  divisé  ses  forces  ^^,  et  n'avait  pas  su 
en  tirer  parti  : 

«  La  faute  de  Dieskau,  écrit  Ferland,  fut  la  même  que 
celle  qui  perdit  Braddock,  le  mépris  des  soldats  du  pays  et 
une  trop  grande  confiance  dans  la  tactique  européenne  ^^.  » 

La  belle  conduite  de  nos  Canadiens  à  la  Monongahéla 
fut  justement  appréciée  en  France  ;  et  dans  une  lettre  qu'il 
écrivait  à  M^^  de  Pontbriand,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  se  faisait 
l'écho  des  éloges  qu'on  leur  adressait  : 

«  Je  suis  content,  disait-il,  de  nos  chers  et  respectables 
ofl&ciers  canadiens.  J'ai  oublié  de  leur  donner  le  nom  de 
braves,  et  d'y  ajouter  celui  d'intelligents.  L'affaire  de 
l'Ohio  leur  fait  beaucoup  d'honneur.  J'ai  oiii  dire  ici  à 
un  maréchal  de  France  qu'il  voudrait  en  avoir  la  dispo- 
sition et  l'exécution  sur  son  compte.  Je  regrette  beaucoup 
les  braves  officiers  que  nous  y  avons  perdus,  aussi  bien  que 
nos  troupes  canadiennes  et  les  sauvages  alliés.  » 

Il  rendait  aussi  justice  au  Baron  Dieskau  ;  et  les  détails 
qu'il  donne  sur  son  expédition  font  voir  avec  quel  intérêt 
on  suivait  en  France  tous  nos  mouvements,  tous  les 
incidents  de  nos  courses  militaires  : 

«  L'action  du  fort  Frédéric  avait  bien  commencé,  dit-il. 
La  première  attaque  avait  réussi.  Le  feu  vif  de  notre 
part  avait  fait  succomber  beaucoup  d'Anglais;  peu  de 
pertes  pour  nous  ;  nous  restions  donc  en  force,  animés  par 
le  premier  succès.     Le  convoi  des  Anglais  intercepté  et 


16.  "  Les  sauvages  disaient  :  "  Il  faut  que  la  tête  lui  ait  tourné.  "  (Les 
derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  167).  —  "Nous  ne  ménageons  pas  assez 
ce  peuple,"  écrivait  Joubert  à  Surlaville.  (Ibid.,  p.  176). 

17.  "  Il  fallait  y  aller  avec  toutes  ses  forces.  Ce  coup  aurait  fini  la 
guerre  du  Canada."   (Joubert  à  Surlaville,  Ibid.,  p.  177). 

18.  Ferland,  Cours  d'histoire  du  Canada,  t.  II,  p.  531. 


414  VtOJ^lS^   DU  CANADA 

pris  devait  porter  l'alarme  dans  le  camp  retranché  des 
ennemis  :  mais  il  fallait  laisser  reprendre  haleine  à  nos 
troupes,  leur  donner  le  temps  de  se  rafraîchir,  et  au  Géné- 
ral celui  d'examiner  et  de  reconnaître  les  doubles  retran- 
chements des  ennemis  :  on  les  aurait  attaqués  avec  plus  de 
connaissance  de  cause,  et  plus  de  succès.  On  dira  peut- 
être  que  la  chaleur  soutenue  des  sauvages  les  a  emportés, 
et  que  M.  de  Dieskau  n'a  pas  voulu  les  abandonner,  dans  la 
crainte  de  ne  les  pas  retrouver  ;  c'est  ce  qu'on  peut  dire  de 
mieux  pour  son  apologie  :  mais  il  serait  difficile  de  lui  re- 
fuser la  bravoure,  la  valeur,  et  même  l'intrépidité  :  aussi 
en  a-t-il  bien  été  la  victime  *^. 

«  Il  a  d'ailleurs  sa  réputation  faite  ;  et  s'il  a  quelque  tort, 
c'est  d'avoir  voulu  trop  faire,  ou  trop  vite  *'^°,  de  n'avoir 
pas  assez  ménagé  ses  forces,  et  suivi  les  dispositions  de 
notre  cher  et  bien  respectable  gouverneur.  D'ailleurs, 
n'en  déplaise  à  MM.  nos  commandants  et  officiers  français, 
MM.  nos  officiers  canadiens  connaissent  mieux  la  topo- 
graphie de  leurs  colonies  et  la  manière  d'y  faire  un  coup 
de  mains  que  nos  Français,  à  qui  cependant  je  n'ai  garde 
de  refuser  le  courage,  la  bravoure  et  la  fermeté  dans  une 
affaire  en  règle,  et  où  il  y  a  plus  à  se  battre  qu'à  ruser.  » 

Ce  que  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  ajoute  un  peu  plus  loin,  dans 
la  même  lettre,  fait  voir  encore  davantage  combien  cet 
homme  admirable  aimait  les  Canadiens,  combien  il  leur 


19.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrit  en  marge  de  sa  lettre,  vis-à-vis  cet  ali- 
néa :  "  Affaire  du  fort  Frédéric,  ce  qu'on  en  pense  en  France.  On  y  a 
fort  mal  reçu  la  lettre  de  l'officier  français  (M.  de  Parfouru)  qui  a  eu 
l'imprudence  de  mander  à  un  de  ses  amis  que  depuis  que  les  Sauvages 
avaient  connu  la  valeur  des  officiers  français,  ils  ne  regardaient  plus  nos 
chers  officiers  canadiens.  Voilà  bien  le  Français,  altier  et  avantageux  I 
Quoique  j'aie  fait  mes  études  avec  le  père  ou  l'oncle  de  M.  de  Parfouru, 
je  n'ai  pu  m'en  taire,  ni  me  refuser  de  prendre  la  défense  de  nos  chers 
officiers  canadiens;  et  il  m'a  paru  bien  juste  de  veiller  à  la  réputation 
attaquée  d'hommes  respectables,  qui  exposent  leur  vie  et  prodiguent  leur 
sang  pour  la  patrie.  " 

20.  ''Trop  vite!"  N'est-ce  pas  précisément  le  reproche  qui  fut  fait 
aussi  à  Montcalm,  lors  de  la  bataille  des  Plaines  d'Abraham? 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  415 

était  dévoué  :  son  attachement  et  son  dévouement  pour  nous 
et  pour  notre  Eglise  canadienne  ne  pouvaient  être  sur- 
passés que  par  ceux  du  digne  Prélat  auquel  il  écrivait  : 

«  Je  ferai  en  sorte,  disait-il,  de  persuader  au  ministre 
qu'il  est  absolument  nécessaire,  pour  soutenir  le  courage 
de  vos  habitants,  de  donner  quelques  rations  aux  familles 
de  ceux  qui  ont  beaucoup  souffert  dans  les  expéditions  qui 
se  sont  faites.  Mais  jusqu'à  présent  on  est  si  occupé,  à  la 
cour  et  dans  le  ministère,  des  dispositions  qu'on  veut  faire 
et  qu'on  fait  journellement  pour  le  départ  de  nos  vaisseaux 
et  des  secours  qu'on  vous  destine  ^\  qu'il  est  difficile  d'ob- 
tenir l'attention  du  ministère  sur  les  besoins  particuliers. 
Soyez  sûr,  du  moins,  monseigneur,  que  je  n'oublierai  pas  ce 
que  vous  me  recommandez  ;  et  vous  n'en  aurez  pas  plus  de 
satisfaction  que  moi  si  je  réussis,  ni  ceux  qui  en  profiteront. 

«  Je  m'intéresse  particulièrement  à  M™^  de  Beaujeu  ^^, 
sans  avoir  l'honneur  d'en  être  connu.  J'ai  été  très  touché 
de  sa  perte.  J'ai  pleuré  pour  la  colonie  celle  de  M.  de 
Beaujeu.  Je  suis  fort  ami  de  M.  l'abbé  de  Beaujeu,  son 
frère;  j'ai  été  mêler  mes  larmes  aux  siennes.  J'ai  fait 
pour  cette  respectable  famille  tout  ce  qui  pouvait  dépendre 
de  moi  ;  et  j'espère  qu'elle  aura  un  sort  digne  des  services 
de  celui  qu'elle  regrette  et  qu'elle  pleure,  et  que  nous 
pleurons  tous  à  tant  de  titres  et  par  de  si  justes  motifs. 

«  Je  regrette  également  tous  ceux  qui  ont  succombé 
dans  cette  expédition  qui  couvre  de  gloire  la  nation  cana- 
dienne, et  en  particulier  M.  de  Saint-Pierre  ^^  Toutes 
les  relations  qui  sont  parvenues  en  ce  pays-ci  de  l'expédi- 

21.  Il  s'agissait  justement  à  cette  date  (28  mars  1756)  du  départ  de 
Montcalm  pour  le  Canada. 

22.  Denise-Thérèse  Migeon  de  la  Gauchetière,  veuve  de  Louis  Liénard 
de  Beaujeu,  le  héros  de  la  Monongahéla, 

23.  Le  Gardeur  de  Saint-Pierre,  "officier  chéri  de  toutes  les  nations 
sauvages."  (Les  derniers  jours  de  l'Acadie,  p.  162).  Il  commandait  un 
parti  de  sauvages,  et  fut  tué  par  un  Anglais  dans  l'expédition  de 
Dieskau. 


4l6  L'EGLISE    DU   CANADA 

tion  de  POhio,  rendent  à  la  valeur  et  à  la  réputation  de  M. 
de  Beaujeu  toute  la  justice  qui  leur  est  due.  Permettez 
que  je  fasse  ici  mon  compliment  à  Mme  de  Beaujeu,  à  qui 
je  n'écris  point,  n'en  étant  pas  connu  que  comme  je  le  suis 
de  toutes  les  familles  canadiennes,  à  qui  je  suis  fort  atta- 
ché ^*.  » 

On  a  dû  remarquer  ce  que  disait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu, 
d'après  M^^  de  Pontbriand  :  le  courage  des  habitants  de  nos 
campagnes  avait  besoin  d'être  soutenu.  Ils  étaient  rem- 
plis de  dévouement  et  de  patriotisme,  mais  on  avait  abusé 
de  leur  bonne  volonté,  on  n'avait  apporté  ni  ménagement 
ni  tact  dans  la  levée  des  milices,  dans  le  choix  de  ceux  que 
l'on  avait  appelés  sous  les  armes  :  de  là  ce  mécontente- 
ment général  contre  La  Jonquière  et  Duquesne,  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut.  Nos  Canadiens  comptaient  beau- 
coup sur  leur  compatriote  M.  de  Vaudreuil  pour  obtenir 
un  traitement  plus  raisonnable  à  l'avenir  ;  et  leur  attente 
ne  fut  pas  trompée.  Il  n'y  a  que  quelques  mois  qu'il  est  à 
la  tête  des  affaires,  et  il  écrit  au  ministre  : 

«  Cette  colonie  est  susceptible  de  grands  avantages  ; 
mais  pour  les  recueillir  elle  aurait  besoin  de  recouvrer  sa 
première  tranquillité.  Si  les  terres  étaient  cultivées,  elles 
seraient  en  état  de  nourrir  autant  de  monde  qu'il  plairait 
au  Roi  d'y  en  faire  passer.  Mais  les  habitants  sont  épuisés. 
Ceux  qui  depuis  plusieurs  années  ont  pris  des  terres  n'ont 
pu  seulement  les  défricher,  parce  qu'ils  ont  été  commandés 
par  préférence  à  des  habitants  aisés  et  très  vigoureux.  Je 
remédie  à  ces  abus  autant  qu'il  est  en  mon  possible. 

«  L'établissement  de  la  Belle-Rivière,  ajoute-t-il,  est  la 
cause  directe  de  la  ruine  des  habitants.  Il  y  en  est  mort 
un  plus  grand  nombre  que  nous  ne  pourrons  en  perdre 
pendant  plusieurs  années  de  guerre  ;    et  cela  (je  ne  puis 


24.  Lettre  de  Tabbé  de  l'Ile-Dieu  à  Mgr  de  Pontbriand,  28  mars  1756. 


sous   M»'   DE    PONTBRIAND  417 

VOUS  le  cacher),  parce  qu'ils  ont  été  forcés,  sans  aucun  des 
ménagements  que  l'humanité  exige,  à  faire  le  portage  des 
ballots  et  autres  effets  qui  avaient  un  principe  très  opposé 
au  bien  du  service. 

((  Voilà,  monseigneur,  en  quel  état  je  trouve  les  colons 
et  leurs  terres.  Je  ne  puis  refuser  à  mon  zèle  pour  le  service 
du  Roi,  et  à  mon  attachement  pour  ma  patrie,  d'avoir  l'hon- 
neur de  vous  faire  ces  observations  '^^.  » 

Le  service  du  Roi,  l'attachement  «à  sa  patrie  «:  c'était 
le  premier  gouverneur  du  Canada  qui  pouvait  faire  cette 
distinction  ;  et  il  ne  craignait  pas  de- la  faire,  en  effet,  dans 
ses  dépêches  à  la  Cour. 

Que  de  choses,  d'ailleurs,  que  d'enseignements  dans 
cette  lettre  !  Voyez-vous,  par  exemple,  nos  ancêtres,  ces 
braves  habitants  de  nos  campagnes,  succombant  sous  le 
poids  des  ballots  et  autres  effets  qu'on  les  force  à  trans- 
porter à  la  Belle-Rivière?  M.  de  Vaudreuil  nous  assure  que 
ces  ballots  «  n'avaient  rien  qui  eût  rapport  avec  les  besoins 
du  service  :  »  il  y  avait  même  dans  ces  ballots,  dans  ces 
effets,  «  un  principe  tout  opposé  ». 

Qu'était-ce  donc? 

Mais  n'entrevoyez-vous  pas  que  c'étaient  les  marchan- 
dises envoyées  par  Bigot  pour  approvisionner  les  magasins 
du  Roi,  c'est-à  dire  ses  magasins,  à  lui,  marchandises  qu'il 
se  procurait  à  vil  prix,  et  qu'il  revendait  ensuite  à  l'Etat 
au  plus  haut  prix  possible,  pour  son  profit  ^^  et  celui  de 
ses  amis?  Nos  Canadiens  lui  servent  d'hommes  de  peine, 
de  porte-faix  à  bon  marché  :  faut-il  s'étonner  qu'ils  voient 
d'un  assez  mauvais  œil  les  voyages  à  la  Belle-Rivière,  les  forts 
et  les  magasins  qu'on  y  construit,  pour  le  bien  du  service, 
peut-être,  mais  certainement  pour  la  fortune  de  l'Intendant  ? 

25.  Corresp.  générale,  vol.  100,  lettre  de  Vaudreuil  au  ministre,  30 
octobre  1755. 

26.  Bigot  avouait  un  jour  au  ministre  qu'en  une  seule  année  il  avait 
lait  plus  de  six  cent  mille  livres  de  profit  par  le  commerce  !  (Rapport, .  » 
pour  J905»  p.  3oa). 


CHAPITRE  XXXI 


LA  CORRESPONDANCE  DE  L'ABBÉ  DE  L'ILE-DIEU. — STATIS- 
TIQUES SUR  l'Église  du  canada 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  d'après  sa  correspondance.  —  Son  esprit  pratique. 
— La  connaissance  qu'il  a  de  notre  pays. — Son  grand  caractère — tSa 
fidélité  à  son  Evêque. — Sujets  de  tristesse  pour  Mgr  de  Pontbriand. 
—  Il  est  content  de  son  clergé.  —  Un  incident  au  Collège  des  Jé- 
suites. —  Un  étudiant  canadien  à  Paris.  —  L'archevêque  de  Paris 
et  l'Evêque  de  Québec.  —  Les  paroisses  du  diocèse.  —  Revenu  des 
curés. 

NOUS  touchons  à  la  guerre  de  Sept-Ans  et  aux  derniers 
jours  du  régime  français  au  Canada  ;  nous  touchons 
par  conséquent  au  terme  de  cet  ouvrage,  et  malheureu- 
sement la  Correspondance  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  qui  nous 
a  si  admirablement  servi  jusqu'ici,  va  nous  manquer  pour 
la  période  critique  qui  nous  reste  à  parcourir. 

Chose  singulière,  en  effet  :  à  partir  du  printemps  de  1756, 
nous  ne  trouvons  plus  ni  lettres  originales  ni  copies  de 
lettres  de  ce  grand  serviteur  de  l'Eglise  du  Canada.  Faut- 
il  croire  qu'il  n'écrivait  plus  à  l'Evêque  de  Québec,  et  que 
l'Evêque  ne  correspondait  plus  avec  son  vicaire  général? 
A  Dieu  ne  plaise  !  Nous  avons  la  certitude  que  la  corres- 
pondance continuait  comme  auparavant  ;  et  le  grand 
vicaire,  à  Paris,  faisait  comme  de  coutume  pour  le  ministre 
le  résumé  des  lettres  de  l'Evêque  ^  Mais  à  Québec  le 
malheur  des  temps  aura  été  cause  que  plusieurs  lettres  de 


I.  Corresp.  générale,  vol.   loi,  lettre  du  16  décembre  1756;  vol.  102, 
lettre  du  30  octobre  1757. 


l'église  du  canada  sous  m^*"  de  pontbriand    419 

l'abbé  de  l'IIe-Dieu  n'ont  pas  été  conservées  ou  n'ont  pas 
été  reçues:  le  fil  de  la  correspondance  reprend  plus  tard 
avec  M^'"  Briand. 

Pour  nous,  nous  avouons  qu'une  de  nos  jouissances,  en 
écrivant  cet  ouvrage,  a  été  de  parcourir  les  originaux 
mêmes  de  cette  correspondance,  ces  pièces  vénérables, 
datant  de  près  de  deux  siècles,  un  peu  jaunies  par  le  temps, 
mais  admirablement  conservées,  les  unes  écrites  de  la  main 
même  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  les  autres  sous  sa  dictée,  et  se 
lisant  toutes  d'une  manière  très  facile. 

Nous  ne  connaissons  pas  de  portrait  de  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  et  n'avons  par  conséquent  aucune  idée  des  traits  de 
son  visage  ;  mais  pour  sa  physionomie  morale,  quel  miroir 
plus  fidèle  pourrions-nous  souhaiter  que  sa  correspondance  ? 
Il  s'y  laisse  voir  tel  qu'il  est,  dans  toute  sa  sincérité,  un 
homme  droit,  qui  ne  veut  que  le  bien,  qui  le  veut  fran- 
chement et  simplement,  sans  rechercher  le  mieux,  assez 
souvent  l'ennemi  du  bien,  un  homme  pratique,  par  con- 
séquent, qui,  tout  appliqué  qu'il  est  aux  choses  de  Dieu  et 
de  l'Eglise,  ne  néglige  pas  le  soin  des  choses  temporelles, 
pas  pour  lui  —  il  est  le  désintéressement  même,  —  mais 
pour  les  œuvres  dont  il  est  chargé.  Nous  ne  voulons  en 
donner  qu'un  exemple  : 

Il  est  abbé  de  l'Ile-Dieu,  petite  abbaye  près  de  Rouen, 
dont  le  modeste  revenu  lui  procure  sa  subsistance  :  il  se 
contente  de  cet  humble  revenu  ecclésiastique,  ne  voulant 
rien  accepter  du  pauvre  Evêque  de  Québec,  qui  lui  a 
confié  l'administration  des  missions  lointaines  de  son 
diocèse,  et  auquel  il  consacre  tout  son  temps  et  toute  son 
énergie.  Ce  n'est  que  plus  tard  qu'il  se  hasardera  à 
demander  à  la  Cour  une  petite  pension,  comme  elle  a 
coutume  d'en  donner  à  tous  les  vicaires  généraux  du 
Royaume  'K 

2.  Il  n'abandonna  qu'en  1776  le  grand  vicariat  du  Canada.  Le  Roi  lui 
accorda  alors  la  permission  de  se  retirer,  avec  une  pension  de  quatre 


420  l'église  du  canada 

Le  revenu  de  son  abbaye  de  l'Ile-Dieu  provient  surtout 
du  loyer  de  quelques  maisons  qui  s'y  trouvent  :  or  il 
apprend  un  jour  que  ces  maisons  tombent  en  ruines.  Il 
pourrait  faire  comme  bien  d'autres,  laisser  s'accomplir 
l'œuvre  du  temps  :  ses  successeurs  en  répareront  le  désastre. 
Mais  son  honnêteté  et  son  esprit  pratique  s'y  refusent. 
Il  quitte  Paris  et  se  rend  à  Rouen,  fait  démolir  les  maisons 
ruinées  de  son  abbaye  et  en  ordonne  la  reconstruction  à 
neuf.  Il  sacrifie  pour  cela  une  ou  deux  années  de  revenu, 
et  reste  avec  si  peu  de  chose  pour  subsister,  qu'il  est  obligé 
de  vendre  une  partie  de  ses  livres,  «mes  livres,  dit-il,  qui 
faisaient  toute  ma  consolation».  Qu'importe;  il  se  rend 
le  témoignage  d'avoir  fait  son  devoir,  «  heureux,  ajoute-t-il 
dans  une  de  ses  lettres,  d'assurer  au  moins  pour  cent  ans  le 
revenu  de  mes  successeurs  ^  »  Voilà  bien  l'homme  désin- 
téressé, dévoué,  et  en  même  temps  l'homme  pratique 
qu'était  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  tel  qu'il  se  révèle  à  nous  par 
sa  correspondance. 

Que  de  fois,  en  parcourant  ses  lettres,  n'avons-nous  pas 
aussi  admiré  la  clarté,  la  lucidité  de  son  esprit,  son  intel- 
ligence des  choses  et  des  événements,  la  justesse  de  ses 
observations,  surtout  pour  les  choses  canadiennes  !  Il  con- 
naît parfaitement  notre  histoire  :  la  topographie  de  l'Aca- 
die,  de  PIle-Royale,  de  l'Ile  Saint- Jean,  de  la  Louisiane,  lui 
est  tout-à-fait  familière  :  rien  ne  lui  échappe  des  circons- 
tances des  temps,  des  faits  et  des  lieux.  Cela  est  d'autant 
plus  surprenant  qu'il  ne  visita  jamais  notre  pays,  et  ne 
pouvait  le  connaître  que  par  ses  correspondants  et  les  amis 
qu'il  recevait  à  Paris. 

Mais  ces  amis  sont  nombreux.  Il  n'y  a  guère  de  Cana- 
diens qui,  se  trouvant  de  passage  à   Paris,  ne  tiennent  à 


raille  cinq  cents  livres,  "  en  considération  des  services  qu'il  avait  rendus 
à  la  religion  et  à  l'Etat".  {Rapport. ,  .pour  1905,  p.  413). 
3.  Lettre  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  au  ministre,  16  octobre  1747. 


sous    M^   DE   PONTBRIAND  421 

aller  le  voir,  comme  ils  se  font  aussi  un  devoir  de  rendre 
visite  à  M.  de  l'Orme.  Et  quel  accueil  charmant  leur  fait 
l'abbé  de  l'Ile-Dieu  !  Il  profite  de  leur  visite  pour  se  ren- 
seigner sur  les  affaires  du  Canada  ;  et  il  est  rare  qu'il  les 
laisse  partir  sans  leur  donner  quelques  lettres  de  recom- 
mandation qui  peuvent  leur  être  utiles  pour  leur  carrière. 
Il  écrit  un  jour  à  M^^  de  Pontbriand  au  sujet  du  jeune  de 
Léry,  fils  du  célèbre  ingénieur  de  la  Nouvelle-France  : 

«  M.  de  Léry,  qui  doit  partir  demain  pour  La  Rochelle, 
afin  d'y  attendre  le  moment  de  son  embarquement,  me 
demande  cette  lettre  pour  vous,  monseigneur.  Je  l'ai 
beaucoup  vu  pendant  son  séjour  ici,  et  ai  fait  avec  lui 
une  assez  grande  liaison.  C'est  un  officier  aimable,  qui 
paie  bien  de  sa  personne.  Vous  n'avez  point  de  meilleur 
citoyen,  et  d'homme  plus  ami  de  sa  patrie.  Il  mériterait 
bien  d'être  avancé,  par  la  qualité  de  l'esprit  et  du  cœur. 
Il  n'est  point  de  mouvements  qu'il  ne  se  soit  donnés  pour 
représenter  aux  ministres  combien  il  était  important  de 
pourvoir  à  la  sûreté,  à  l'établissement  et  à  la  subsistance 
des  pauvres  Acadiens.  On  ne  pouvait  guère  députer  ici 
personne  qui  fût  plus  actif  et  plus  intelligent.  D'ailleurs, 
comme  il  a  vu  les  choses  par  lui-même  ^  il  lui  était  aisé 
de  les  rendre  an  naturel  et  d'une  manière  intéressante. 
Aussi  l'a-t-il  fait  de  tout  son  cœur.  Mais  nous  n'en  som- 
mes pas  encore  plus  avancés  sur  la  fixation  des  Limites. 
Tout  ce  qu'on  nous  a  fait  espérer,  ce  sont  des  secours  de 
subsistance  et  de  protection.  Dieu  veuille  qu'ils  soient 
proportionnés  aux  besoins!  ^.  . .  » 

La  plupart  de  nos  personnages  officiels,  de  retour  en 
France,  après  leurs  années  de  gestion  au  Canada,  tenaient 


4.  M.  de  Léry  faisait  partie  du  détachement  canadien  qui  opéra  mi 
Acadie  ce  coup  hardi  dont  nous  avons  parlé  dans  un  chapitre  précé- 
dent. 

5.  Lettre  du  14  mai  1752. 


422  L'éGUSE   DU   CANADA 

à  se  mettre  ou  à  rester  en  relations  d'amitié  avec  le  grand 
vicaire  de  Québec  à  Paris.,  C'est  ainsi  que  M.  de  la  Galis- 
sonnière,  par  exemple,  était  l'ami  intime  et  presque  le  col- 
laborateur de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  Nous  ne  connaissons 
guère  que  Bigot  qui  ait  évité  sa  rencontre  ;  et  il  est  facile 
d'en  soupçonner  la  raison. 

Chez  l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  le  caractère  était  à  la  hauteur 
de  la  vertu  et  de  l'intelligence.  Jamais  homme  ne  fut  plus 
dévoué,  plus  fidèle  à  son  Evêque  ;  jamais  homme  n'apporta 
plus  d'abandon,  plus  de  discrétion,  plus  de  soin  dans  l'ex- 
ercice de  ses  fonctions:  disons  le  mot,  il  se  donnait  lui- 
même  tout  entier  :  son  dévouement  à  M^^  de  Pontbriand, 
à  ses  projets,  à  ses  décisions,  à  ses  œuvres  épiscopales, 
était  vraiment  exclusif.  Plutôt  que  de  trahir  son  évêque, 
il  aurait  manqué  de  sincérité  à  l'égard  des  autres.  C'est 
ainsi,  par  exemple,  que  dans  l'affaire  du  Procès  du  Cha- 
pitre contre  le  Séminaire  des  Missions-Etrangères  — procès 
dans  lequel  l'Evêque  s'était  vu  forcé  d'intervenir  — ,  les 
Chanoines  de  Québec  cherchent  à  intéresser  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu  à  leur  cause,  et  lui  écrivent  dans  ce  sens.  M. 
de  Villars,  supérieur  du  Séminaire  de  Québec,  voudrait 
bien,  lui  aussi,  avoir  des  confidences;  il  épanche  son  cœur 
dans  celui  de  M.  de  l'Ile-Dieu,  en  qui  tout  le  monde  a  con- 
fiance, et  attend  de  lui  quelque  nouvelle  favorable  qui 
puisse  le  réjouir.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu  leur  donne  à  tous 
de  l'eau  bénite  de  Cour,  communique  à  M^^  de  Pontbriand 
la  réponse  qu'il  leur  fait,  et  se  réjouit  avec  lui  de  la  ma- 
nière dont  il  s'est  tiré  d'affaire  : 

w  Je  vous  envoie,  dit-il  au  Prélat,  la  lettre  que  j'écris  au 
Chapitre. .  .  Vous  verrez  combien  de  temps  il  faut  parler 
quand  on  ne  veut  rien  dire  de  positif,  et  se  renfermer  dans 
le  vague  et  le  simple  style  de  la  politesse  ;  car  je  ne  crois  pas 
qu'ils  puissent  se  plaindre  de  ma  lettre.  La  sauce  n'y  est 
pas  épargnée .  .  . 


sous   M^"^   DE    PONTBRIAND  423 

«  J'en  use  de  même,  ajoute-t-il,  avec  le  petit  bonhomme 
Villars,  qui  m'a  fait  des  reproches  de  ce  que  je  ne  lui  disais 
rien  de  votre  affaire  avec  eux  et  celle  de  M.  l'évêque 
d'Erinée  avec  le  Séminaire  de  Paris. 

«  Voici  ma  réponse  sur  la  vôtre  :  «  Je  suis  dans  cette 
«  affaire,  lui  ai-je  dit,  comme  les  facteurs  qui  portent  les 
«  lettres,  et  qui  ne  savent  pas  ce  qu'elles  contiennent  ^. .  .» 

Avec  M^^  de  Pontbriand,  au  contraire,  il  n'a  rien  de 
caché  ;  il  lui  dit  tout,  il  lui  apprend  tout  ce  qu'il  sait  des 
événements.  Il  ne  craint  pas  même,  au  besoin,  de  lui 
donner  des  conseils,  sachant  que  ce  sont  les  Evêques,  bien 
souvent,  qui  en  reçoivent  le  moins.  Ses  lettres,  quelquefois, 
sont  très  longues  :  il  y  en  a  une  qui  n'a  pas  moins  de  qua- 
rante-huit pages  in-folio.  Mais  n'oublions  pas  qu'à  cette 
époque  on  ne  pouvait  s'écrire,  de  chaque  côté  de  la  mer, 
qu'une  fois  par  année,  au  départ  des  vaisseaux.  On  se 
reprenait  souvent  quatre  ou  cinq  fois,  en.  écrivant  une 
lettre,  lorsque  la  flotte  tardait  à  partir  ;  mais  enfin,  quand 
arrivait  le  moment  de  mettre  à  la  voile,  il  fallait  fermer  les 
paquets  et  les  confier  aux  amis  qui  se  chargeaient  de  les 
remettre  aux  destinataires.  Et  lorsque  ces  paquets  arri- 
vaient, disons,  à  Québec,  quelle  joie  pour  nos  Canadiens  de 
recevoir  quantité  de  nouvelles  de  la  mère  patrie  !  quelle 
joie  pour  M^^  de  Pontbriand,  par  exemple,  qui  s'était  con- 
damné à  ne  jamais  revoir  son  pays  natal,  de  parcourir  et 
de  savourer  ces  lettres  si  longues  et  si  intéressantes  de  son 
vicaire  général  !  L'abbé  ne  se  contentait  pas  de  lui  ren- 
dre compte  des  missions  lointaines  de  son  diocèse,  mais  il 
le  mettait  au  courant  des  principales  affaires  religieuses  de 
France.  Et  que  de  choses  étranges  dans  les  affaires  de 
l'Eglise  de  France,  à  cette  époque  !  le  Jansénisme,  qu'on 
avait  cru  mort,  et  qui  se  remue  de  nouveau  ;  l'affaire  des 


6.  Lettre  du  22  avril  1752. 


424  l'êguse  du  canada 

Billets  de  confession  ;  Timmixtion  des  Parlementaires  dans 
^administration  des  sacrements;  l'exil  et  la  persécution 
de  l'archevêque  de  Paris,  de  Parchevêque  d'Aix,  des  évê- 
ques  d'Orléans  et  de  Troye,  l'exil,  également,  d'un  grand 
nombre  de  curés,  condamnés  à  ne  plus  revoir  leurs  parois- 
ses ^  !  Et  tout  cela  dans  un  pays  catholique,  sous  un  Roi 
qui  s'intitule  Très-Chrétien  et  le  Fils  aîné  de  l'Eglise! 
L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  nous  l'avons  vu,  caractérisait  d'un 
mot  la  situation  : 

((  Voilà  où  nous  en  sommes,  écrivait-il  :  il  n'y  a  presque 
plus  de  religion  dans  le  monde,  et  on  n'en  a  jamais  tant 
parlé  !  » 

Certes,  tout  n'était  pas  rose  au  Canada  pour  l'Evêque  de 
Québec  :  les  sujets  de  tristesse  ne  lui  manquaient  pas. 
N'est-ce  pas  précisément  à  l'époque  où  nous  sommes,  en 
1755,  qu'un  affreux  incendie  détruisait  l'Hôtel-Dieu  de 
Québec,  cette  maison  si  nécessaire,  dans  un  temps,  surtout, 
où,  chaque  année,  nous  arrivaient  des  vaisseaux  chargés 
de  troupes  et  de  malades  ? 

«Il  en  fut  cette  année  (1755)  comme  les  années  précé- 
dentes, écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital  général  :  à  l'arrivée 
des  vaisseaux,  vers  la  mi-juin,  il  y  avait  à  bord  plusieurs 
centaines  de  malades;  et  pour  comble  d'affliction,  ces 
malades  ne  trouvèrent  plus,  en  débarquant,  leur  asile 
accoutumé,  l'Hôtel-Dieu  de  Québec  ayant  été  consumé  par 
les  flammes. 

((  Il  ne  restait  plus  aux  autorités  d'autre  alternative  que 
de  placer  à  l'Hôpital  général  les  militaires  aussi  bien  que 
les  marins.  Nos  Mères  se  mirent  à  l'œuvre  avec  allégresse, 
embrassant  avec  ardeur  un  exercice  dans  lequel  Dieu  sait 
faire  trouver  tant  de  douceurs  et  de  charmes,  que  les  plus 
grands  amateurs  des  plaisirs  mondains  n'en  sauraient  jamais 


7.  Lettre  de  -l'abbé  de  l'Ile-Dieu,  28  mars  1756. 


sous   M^r   DE    PONTBRIAND  425 

goûter  de  semblables  au  milieu  des  divertissements  et  des 
délices.  Elles  eurent,  cette  année,  jusqu'à  quatre  cents 
militaires  à  la  fois  ^.  » 

M«'  de  Pontbriand  lui-même  ne  fut  pas  épargné,  non 
plus  que  le  personnel  de  sa  maison  : 

«  Je  suis  bien  fâché,  monseigneur,  lui  écrivait  l'abbé  de 
nie-Dieu,  que  vous  ayez  eu  toute  votre  maison  malade,  et 
que  vous  en  ayez  autant  souffert.  Votre  ville  en  est  quitte. 
Dieu  veuille  que  cela  n'ait  pas  plus  de  suite  dans  vos  cam- 
pagnes, sur  les  deux  rives  de  votre  fleuve  et  dans  les  pro- 
fondeurs ^^  !  » 

Les  épreuves  n'avaient  donc  pas  manqué  à  M^^  de  Pont- 
briand. Mais  il  avait  aussi  des  consolations.  En  com- 
parant son  Eglise  avec  celle  de  France,  il  ne  voyait  pas 
l'ombre  de  jansénisme,  ni  erreur  quelconque  dans  son  im- 
mense diocèse  :  tout  y  était  dans  l'ordre  au  point  de  vue 
religieux,  et  le  pieux  Evêque  s'en  réjouissait  :  il  avait  té- 
moigné à  son  grand  vicaire  sa  satisfaction  : 

«  Vous  me  paraissez  bien  content  de  vos  curés,  monsei- 
gneur, lui  écrivait  celui-ci  :   je  vous  en  félicite  ^^  ». 

Il  n'y  avait  que  deux  ans  que  M^*"  de  Pontbriand  avait 
établi  les  retraites  ecclésiastiques  (i^*"  mai  1753);  et  déjà 
son  clergé  en  ressentait  les  heureux  effets  :  dans  ce  clergé 
si  dispersé,  si  isolé,  provenant  de  tant  de  diocèses  diffé- 
rents, exposé  souvent  à  tant  de  dangers,  rien,  absolument 
rien  que  pouvait  regretter  le  pieux  Evêque  :  le  devoir,  la 
vertu  en  honneur  partout  ;  bien  plus,  le  dévouement  porté 
quelquefois  jusqu'à  l'héroïsme,  comme  nous  aiirons  occa- 
sion de  le  constater  bientôt. 

L'Evêque  de  Québec  avait  donc  lieu  d'être  content  de 
son  clergé,  sous  le  rapport  de  la  vertu  :  le  bon  Dieu  bénis- 

9.  Mgr  de  Saint-V allier  et  l'Hôp.  Général  de  Québec,  p.  325. 

10.  Lettre  du  28  mars  1756. 

11.  Lettre  du  25  mars  1755. 


426  l'église  du  canada 

sait  le  pasteur  et  le  troupeau.  Il  bénissait  aussi  les  efforts 
de  l'Evêque  pour  se  procurer  le  nombre  de  prêtres  néces- 
saire pour  les  besoins  du  diocèse.  Nous  avons  vu  l'intérêt 
que  M^'"  de  Pontbriand  avait  toujours  porté  à  son  grand  et 
à  son  petit  Séminaire.  S'il  eût  été  riche,  que  n'aurait-il 
pas  fait  pour  cette  institution  destinée  au  recrutement  et 
à  la  formation  du  clergé  canadien?  Mais  il  était  pauvre, 
il  avait  à  peine  le  nécessaire  pour  sa  subsistance,  il  s'en- 
dettait pour  secourir  les  pauvres.  Ne  pouvant  fonder  de 
pensions,  il  voulait,  du  moins,  faire  profiter  le  plus  grand 
nombre  d'élèves  possible  de  celles  qui  existaient  déjà, 
comme  aussi  des  quelques  ressources  dont  pouvait  dispo- 
ser le  Chapitre  pour  les  chantres  et  les  enfants  de  chœur, 
Nous  avons  vu  que  son  zèle  à  ce  sujet  lui  attira  même 
quelques  désagréments  de  la  part  de  ses  chanoines. 

Il  aimait  tendrement  son  Petit  Séminaire,  il  affection- 
nait ses  écoliers  et  ne  perdait  aucune  occasion  de  leur  faire 
plaisir;  et  à  ce  propos  nous  croyons  devoir  relater  ici  un 
incident  qui  met  bien  en  relief  la  bonté  de  son  cœur,  sa 
bonhomie,  sa  manière  d'agir  sans  arrière-pensée,  sans  se 
douter  même  quelquefois  qu'il  pouvait  se  créer  des  ennuis. 

Il  avait,  à  l'occasion  de  l'anniversaire  de  son  sacre, 
accordé  deux  ou  trois  jours  de  congé  aux  élèves  du  Petit 
Séminaire.  Ils  allaient  encore  en  classe  chez  les  Jésuites. 
Un  de  ces  congés  fut  pris  le  mardi  ;  et  il  se  trouvait  que 
le  jeudi  suivant  était  jour  de  fête  d'obligation,  puis  le  ven- 
dredi ((  fête  de  dévotion  chez  les  Jésuites  pour  la  Confrérie 
du  Sacré-Cœur  ».  La  semaine  était  donc  bien  entamée  au 
détriment  de  l'étude. 

Par  malheur,  on  avait  oublié  d'avertir  les  Jésuites  la 
veille  du  congé.  Lorsqu'on  y  alla  le  matin  *2,  on  s'aper- 
çut de  suite  que  le  congé  n'était  pas  de  leur  goût;  mais 

12.  Ce  fut  M.  Saint-Onge,  un  des  régents,  —  l'autre  était  M.  Petit  — » 
qui  y  alla,  **  par  politesse,  disait  l'Evêque,  et  non  par  devoir  ". 


sous   M^"^   DE   PONTBRIAND  427 

les  vivres  étant  déjà  rendus  à  la  ferme  Saint-Michel,  on 
passa  outre. 

Le  lendemain  du  congé,  mauvaise  humeur  des  régents 
du  Collège,  qui  la  veille  n'ont  eu  dans  leurs  classes  que  les 
externes.  L'un  d'eux  exige  que  les  maîtres  du  Petit  Sémi- 
naire lui  fassent  des  excuses  ;  et  M.  Petit  lui  écrit  pour  lui 
expliquer  comment  les  choses  se  sont  passées  ;  mais  ses 
excuses  ne  sont  pas  acceptées.  Les  autres  régents  imposent 
force  pensums  aux  élèves  du  Petit  Séminaire  ;  et  l'un  de 
ces  élèves  n'ayant  pas  voulu  se  soumettre,  on  veut  lui  don- 
ner le  fouet  :  il  préfère  s'en  aller,  et  tous  ses  confrères 
suivent  son  exemple,  faisant  un  huée  en  sortant,  et  disant 
que  M.  Petit  leur  a  conseillé  de  sortir  plutôt  que  de  se 
laisser  punir,  n'étant  pas  coupables. 

La  situation  est  grave.  Le  supérieur  du  Collège,  le  P. 
de  Saint-Pé,  en  fait  une  maladie.  Il  prétend  que  l'autorité 
de  ses  régents  est  compromise.  M.  Jacrau  va  le  voir  pour 
le  prier  de  reprendre  les  élèves  qui  sont  sortis  :  il  exige 
que  M.  Petit  vienne  à  leur  tête  faire  des  excuses  aux 
régents.     M^*  de  Pontbriand  lui  écrit  :  il  ne  répond  pas  : 

«  J'espérais,  lui  dit  le  Prélat,  recevoir  de  vos  nouvelles  : 
une  lettre  de  moi  mérite  bien  une  réponse.  » 

L'Evêque  prend  alors  le  parti  de  se  rendre  lui-même 
chez  les  Jésuites  pour  intercéder  et  demander  grâce  en 
faveur  de  ces  pauvres  écoliers  :  «  Ils  sont  punis,  pense-t-il 
sans  doute  en  lui-même,  un  peu  par  ma  faute  :  si  je  ne 
leur  avais  pas  accordé  de  congé  !...>>  Il  va  donc  au  Col- 
lège, avec  les  écoliers,  et  se  fait  accompagner  de  MM.  de 
La  Ville-Angevin,  Jacrau,  de  Villars  et  Saint-Onge.  Il 
entre  en  Sixième,  demande  grâce  pour  les  enfants,  et  sup- 
plie le  régent  de  les  recevoir.  Cehii-ci  est  inexorable,  et 
exige  absolument  que  M.  Petit  fasse  des  excuses  : 

«  Je  demandai  grâce  par  plusieurs  fois,  écrit  le  Prélat  : 
on  se  tint  ferme.  » 


428  I^'ÊGUSE   DU   CANADA 

Le  lendemain  il  écrit  au  Supérieur  : 

«  M.  Petit  n'est  pas  justiciable  des  Jésuites.  Je  me  charge 
de  le  reprendre,  après  avoir  fait  son  procès,  si  je  le  trouve 
coupable.  Il  ne  s'agit,  pour  le  moment,  que  des  enfants, 
lesquels  ne  sont  point  coupables.  Vous  pensez  que  l'auto- 
rité de  vos  régents  est  détruite.  Jamais  leur  autorité  ne 
sera  mieux  établie  que  quand  un  Evêque  demandera  qu'on 
reçoive  sans  punition  des  écoliers  non  coupables. 

«  A  vous  parler  franchement,  ajoute-t-il,  je  condamne 
plus  vos  Pères,  et  vous  en  particulier,  que  M.  Petit.  MM. 
du  Séminaire  peuvent  bien  mener  les  enfants  en  classe,  et 
condamner  le  sieur  Petit  ;  mais  si  c'est  en  mon  nom,  ils 
doivent  dire  que  je  trouve  votre  conduite  bien  plus  dérai- 
sonnable, et  bien  injurieuse  pour  moi.  Si  c'est  en  leur 
nom,  je  ne  m'en  mêle  point. 

«  Vos  régents  peuvent  dire,  s'ils  le  veulent,  qu'ils  re- 
çoivent les  enfants  en  ma  considération,  qu'on  est  per- 
suadé que  je  n'approuve  pas  M.  Petit,  qu'on  se  fait  honneur 
de  penser  que  je  prendrai  les  plus  justes  mesures  pour 
empêcher  d'inspirer  aux  enfants  des  sentiments  d'indé- 
pendance. Voilà  tout  ce  que  je  puis  permettre.  Il  serait 
mal  séant  d'exiger  davantage  ^^  » 

L'affaire  finit  par  s'arranger,  et  les  choses  reprirent  leur 
cours  ordinaire. 

Notre  unique  but,  en  relatant  cet  incident,  était  de 
montrer  jusqu'à  quel  point  M^^  de  Pontbriand  aimait  son 
Petit  Séminaire.  Il  le  regardait  comme  une  petite  famille, 
dont  il  était  le  père,  et  comme  la  pépinière  de  son  clergé. 

C'est  en  effet  au  Petit  Séminaire  qu'avaient  été  formés 
la  plupart  de  ses  prêtres,  surtout  ceux  du  district  de 
Québec  ;  et  ils  étaient  relativement  nombreux,  pour  l'é- 
poque.    Le  croirait-on,  si  la  chose  ne  nous  était  affirmée 

13.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Corresp.    Pontbriand. 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  429 

par  l'annaliste  des  Ursuiines?  Il  n'y  eut  pas  moins  de 
dix-neuf  messes  qui  se  dirent  un  matin  dans  la  chapelle 
du  monastère.  C'était  le  10  octobre  1754.  On  célébrait 
le  cinquantième  anniversaire  de  la  profession  religieuse  de 
la  vénérable  Mère  Migeon  de  la  Nativité,  tante  de  M.  de 
Beanjeu,  le  héros  de  la  Monongahéla.  La  jubilaire  renou- 
vela ses  vœux  de  religion  en  présence  de  M^^  de  Pont- 
briand  et  d'un  immense  concours  de  fidèles  accourus  pour 
la  circonstance  ^*. 

Le  croirait-on,  également?  Notre  pieux  et  intelligent 
Prélat,  devançant  son  époque,  et  comprenant  tout  aussi 
bien  que  les  Prélats  de  nos  jours  combien  la  science  est 
utile  au  prêtre,  trouvait  moyen,  malgré  l'exiguité  de  ses 
ressources,  d'entretenir  à  Paris  quelques  ecclésiastiques 
auxquels  il  aurait  voulu  procurer  une  science  théologique 
plus  qu'ordinaire.  Nous  en  connaissons  un,  du  moins, 
d'une  manière  certaine:  Michel  Valin,  jeune  Canadien, 
qu'il  avait  remarqué  tout  spécialement  au  Petit  Séminaire, 
et  qui  était  entré  chez  les  Récollets.  Il  lui  écrit  à  Paris 
le  19  octobre  1756: 

«  Je  continuerai  encore  cette  année,  mon  cher  Père,  à 
vous  faire  toucher  cent  cinquante  francs.  Si  la  guerre 
continue,  il  y  a  apparence  qu'il  faudra  encore  différer  votre 
retour.  Je  ferai  donc  ce  que  je  pourrai  pour  vous  aider, 
persuadé  qu'en  apprenant  passablement  vous  deviendrez 
très  utile  à  votre  communauté  et  à  tout  le  diocèse  ^^  Je 
suis  inquiet  sur  votre  santé.  Votre  poitrine  s'est-elle 
fortifiée  ?     Je  suis,  etc.  ^^  » 

M^  de  Pontbriand,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  était  con 
tent  de  ses  prêtres  :  il  en  appréciait  la  qualité.     Pour  le 


14.  Les  Ursuiines  de  Québec,  t.  II,  p.  272. 

15.  Le  P.  Michel  Valin,  "  clerc  récollet,  "  revint  au  Canada  en  1758, 
après  avoir  passé  deux  ans  à  Paris.  {Rapport. . .  pour  1903,  p.  273) . 

16.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  Corresp.  Pontbriand. 


430  l'église  du  canada 

nombre,  il  comptait  avant  tout  sur  son  Séminaire,  mais  il 
se  reposait  aussi  sur  la  bonne  volonté  à  son  égard  de  quel- 
ques évêques  de  France,  qui  lui  avaient  déjà  fourni  plusieurs 
bons  missionnaires  et  lui  avaient  promis  de  lui  en  procurer 
encore,  s'il  en  avait  besoin. 

Nous  avons  vu  ce  qu'il  devait,  à  ce  sujet,  à  quelques-uns 
des  évêques  de  Bretagne  :  mais  que  ne  devait-il  pas  égale- 
ment à  l'archevêque  de  Paris? 

Un  jour  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  écrit  une  longue  lettre  à 
M^"^  de  Pontbriand.  Le  paquet  est  fermé,  prêt  à  partir. 
Il  prend  la  peine  de  l'ouvrir  pour  y  ajouter  la  note  sui- 
vante : 

((  J'ai  soupçonné,  dit-il,  que  j'avais  oublié  de  vous  parler 
de  M.  l'archevêque  de  Paris.  Je  vous  ai  bien  dit  que  ce 
respectable  Prélat  était  toujours  à  Conflans  ;  mais  je  crains 
de  ne  vous  avoir  pas  dit  toutes  les  obligations  que  je  lui  ai, 
en  votre  nom.  Quel  que  besoin  qu'il  ait  de  prêtres,  il  s'en 
est  privé  plus  d'une  fois  pour  vous  en  procurer,  disant  que 
cela  était  bien  juste,  puisque  vous  n'aviez  point  de  Sémi- 
naire en  France. 

«  Mon  Dieu  !  quel  dommage  que  les  malheureuses  affaires 
de  religion  qui  troublent  le  Royaume,  et  en  particulier  la 
Capitale,  soient  survenues,  et  surtout  celle  des  hôpitaux  ! 
Nàm  indè  prima  7nali  labes.  Et  cela  est  bien  à  la  honte 
de  ceux  qui  le  persécutent  pour  des  motifs  étrangers  à 
cette  affaire,  et  qui  ne  sont  que  de  simples  prétextes.  Ce 
respectable  Prélat  a  les  mœurs  d'un  ange,  et  il  faut  qu'il 
les  ait  toujours  eues,  puisqu'on  n'oserait  y  mordre  dans 
aucun  âge  de  sa  vie.  C'est  un  modèle  de  zèle  ;  il  ne 
respire  que  pour  le  travail  et  le  détail  de  son  diocèse,  qui 
est  immense.  Il  a  une  charité  au-dessus  de  tout  ce  qu'on 
peut  imaginer.  Il  n'ouvre  les  mains  que  pour  donner  et 
répandre.  Il  vit  cependant  très  honorablement,  et  avec  une 
simple  et  noble  dignité. 


sous    M^""    DE    PONTBRIAND  43 1 

«  Il  est  doux  et  affable,  sérieux  sans  être  froid,  au  cou- 
traire,  ouvert  et  prévenant. 

{(  Je  lui  ai  présenté  M.  Daudin  :  il  l'a  reçu  avec  bonté  et 
avec  amitié. 

«  Il  nous  a  offert  des  pierres  bénites,  et  de  les  payer,  pour 
réparer  celles  de  nos  églises  qui  ont  été  pillées.  Il  s'est 
également  offert  de  nous  consacrer,  tous  les  ans,  des  saintes 
Huiles,  et  de  nous  en  faire  délivrer  pour  l'Ile-Royale  et  3a 
Louisiane,  à  raison  de  l'éloignement  où  vous  êtes  de  ces 
deux  colonies.  En  un  mot,  —  et  ce  sont  ses  propres 
termes, —  «je  m'associerai,  dit-il,  volontiers  à  M.  l'Evêque 
(c  de  Québec  pour  tous  les  services  que  je  pourrai  lui 
«  rendre.  » 

«  Vous  m'auriez  su  mauvais  gré,  monseigneur,  si  je  ne 
vous  avais  pas  fait  part  de  la  façon  de  penser  de  M. 
l'archevêque  de  Paris  à  votre  sujet  ^^  .  .  » 

*      * 

Nous  avons  quelques  statistiques,  datées  de  1756,  et 
signées  soit  par  M^^  de  Pontbriand  lui-même,  soit  par 
quelqu'un  de  ses  chanoines,  qui  nous  donnent  une  idée 
assez  exacte  de  ce  qu'étaient  les  paroisses  du  diocèse  à 
cette  date,  c'est-à-dire  à  la  veille  de  la  guerre  de  Sept-Ans, 
et  la  condition  matérielle  du  clergé  canadien,  de  son 
revenu  et  de  ceux  qui  avaient  besoin  de  supplément. 

Il  y  avait  quarante-quatre  paroisses  qui  se  suffisaient 
à  elles-mêmes  :  nous  les  donnons  ici  dans  l'ordre  même 
que  suit  le  document  :  Rivière-Ouelle  ;  L'Islet  ;  Cap- 
Saint-Ignace  ;  Saint-Thomas  ;  Saint-Pierre  ;  Saint- Vallier  ; 
Saint-François  ;  Pointe-de-Lévi  ;  Contrecœur  ;  Saint-Denys  ; 
Chambly  ;    Saint-Antoine    de    Chambly  ;    Saint-Charles  ; 


17.  Lettre  du  29  mars  1756. 


432  l'église  du  canada 

Boucherville  ;  Verchères  ;  Varennes  ;  Longueil  ;  Laprairie  ; 
Saint-Philippe  ;  Pointe-Claire  ;  Saint-Laurent  ;  Rivière- 
des-Prairies  ;  Pointe-aux-Trembles  ;  Lachenaie  ;  l'Ile-Jésus  ; 
Saint- Vincent  de  Paul  ;  PAssomption  ;  Saint-Sulpice  ; 
Lavaltrie  ;  Bertliier  ;  Yamachiche  ;  Sainte-Anne-Batiscan  ; 
Cap-Santé  ;  Neuville  ;  Lorette  ;  Charlesbourg  ;  Beauport  ; 
le  Château-Richer ;  Saint- Joachim  ;  Sainte-Famille;  Saint- 
Pierre;  Saint-Laurent;  Saint-Jean;  Montréal. 

Il  y  avait  juste  le  même  nombre  de  paroisses  (quarante- 
quatre)  auxquelles  il  fallait  donner  un  supplément  pour 
leur  curé  :  Rimouski  ;  Kamouraska  ;  Sainte- Anne  ;  Saint- 
Roch  ;  Berthier  ;  Saint-Michel  ;  Beaumont  ;  Rivière-Boyer  ; 
Saint- Antoine  ;  Saint-Nicolas;  Sainte-Croix;  Lotbinière; 
Saint-Jean-Deschaillons  ;  Nicolet  ;  Sorel  ;  Saint-François  ; 
Yamaska;  l'Immaculée-Conception  ;  Chateauguay  ;  Sou- 
langes  ;  Lachine  ;  Sainte-Anne  ;  Sainte-Geneviève  ;  Saut- 
au-Récollet;  la  Longue-Pointe  ;  l'Ile  du  Pads;  Masqui- 
nongé  ;  Rivière-du-Loup  ;  la  Pointe  du  Lac  ;  Champlain  ; 
Rivière-Batiscan  ;  Batiscan  ;  les  Grondines  ;  Cap-Lauzon  ; 
les  Ecureuils  ;  Sainte-Foy  ;  l'Ange-Gardien  ;  Sainte- Anne  ; 
Baie-Saint-Paul  ;  Saint-François  (île  d'Orléans)  ;  Saint- 
Henri  de  la  Mascouche  ;  Terrebonne  ;  Sainte-Rose  ;  Ville 
des  Trois-Rivières. 

Toutes  ces  paroisses  avaient  leur  curé  résident  ;  et  il  y 
avait  de  plus  seize  «  églises  desservies  par  le  missionnaire 
voisin,  auxquelles  il  faudrait  un  supplément,  si  on  les 
séparait  »  :  les  Eboulements  ;  l'Ile-aux-Coudres  ;  la  Petite- 
Rivière  ;  Cap-de-la-Madeleine  ;  Lanoraie  ;  Pointe-Olivier  ; 
Pile  Perrot  ;  Saint-Philippe  ;  Bécancour  ;  Saint-Pierre  des 
Evrards  ;  Sainte-Marie  de  la  Beauce  ;  Saint-Eustache  (Lot- 
binière) ;  Baie-du-Febvre  ;  Saint-Henri,  près  Pointe- Lévi  ; 
Saint- Jean,  près  PIslet  ;  Pile- Verte. 

Enfin,  il  y  avait  dix-neuf  «  endroits  où  l'on  demandait 
des  églises:»  Saint-Féréol,  profondeur  de  Saint-Joachim  ; 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  433 

Charlesboiirg,  vers  Lorette  ;  Saint-Angustin,  dans  la  pro- 
fondeur ;  profondeur  du  Cap-Santé  ;  Rivière  des  Envies, 
profondeur  de  Batiscan  ;  Rivière  du  Chicot,  profondeur  de 
Berthier  ;  entre  le  Saut  et  Saint-Laurent,  île  de  Montréal  ; 
profondeur  de  Varennes  ;  dans  Kamouraska,  à  la  Rivière 
du  Loup;  dans  Saint-Michel,  troisième  concession;  dans 
le  Lac  Champlâin  ;  dans  Saint-Vallier  ;  à  Saint-Frédéric  ; 
dans  Saint-Nicolas;  dans  Longueil,  vers  la  rivière  Cham- 
bly  ;  dans  le  nord  de  la  rivière  Chambly  ;  dans  les  profon- 
deurs de  Terrebonne  ;  Gentilly  ;  Quinzechiens.  » 

Au  bas  de  ces  statistiques,    on  lit  l'attestation   suivante  : 

«  Nous  soussignés  attestons  qu'il  y  a  dans  les  trois  gLU- 
vernements  du  diocèse  de  Québec,  qui  sont  Québec,  les 
Trois-Rivières  et  Montréal,  seize  églises  desservies  par  les 
curés  voisins,  et  qu'il  y  a  au  moins  autant  d'endroits  où 
les  habitants  demandent  à  bâtir  des  églises  :  ce  que  nous 
avons  connu  pour  avoir  accompagné  M^'^  l'Evêque  dans  ses 
visites,  ou  avoir  vu  plusieurs  requêtes  qui  lui  ont  été  pré- 
sentées, et  par  les  connaissances  particulières  que  nous 
avons  du  diocèse.  A  Québec,  ce  8  février  1756.  (signé) 
Pressart,  prêtre,  Briand,  chanoine.  » 

M.  Pressart  était  alors  procureur  du  Séminaire,  et  certi- 
fiait «  que  le  Séminaire  ne  reçoit  du  curé  de  la  ville  que 
trois  mille  francs  par  an,  laquelle  somme  suffit  à  peine 
pour  la  nourriture  et  l'entretien  du  dit  curé  et  de  ses  deux 
vicaires,  et  pour  les  gages  et  nourriture  d'un  domestique 
sans  que  le  dit  Séminaire  leur  fournisse  de  voiture  ». 

La  ((  voiture  »  était  alors  considérée  comme  indispensable 
à  un  curé  de  campagne.  Aussi  lisons-nous  dans  un  autre 
«f  état  statistique  »  les  lignes  suivantes,  sous  la  signature  des 
chanoines  Poulin,  Perreault  et  Collet  : 

«  Un  curé  ne  peut  que  très  difficilement  se  passer  d'une 
voiture,  à  cause  du  froid,  et  de  la  distance  des  paroissiens, 
souvent  éloignés  de  deux  ou  trois  lieues. . .  » 


434  l'église  du  canada 

Ces  trois  chanoines,  dont  le  premier  était  un  ancien 
curé,  évaluaient  à  quatorze  cent  quarante  deux  francs  ce 
qu'il  fallait  à  un  curé  pour  vivre  ;  et  ils  ajoutaient  : 

«  Avec  cette  somme,  un  curé  ne  mange  que  du  lard, 
comme  l'habitant,  et  n'a  que  le  vin  au-dessus. 

«  Un  curé,  ajoutaient-ils,  ne  peut  se  dispenser  d'avoir  deux 
feux,  les  jours  de  fête  et  de  dimanche;  et  l'habitant, qui  se 
retire  au  presbytère,  n'épargne  point  le  bois.  On  peut 
compter  quarante  cordes  de  bois.  » 

Voilà  bien,  sans  doute,  l'origine  de  ces  «salles  publiques», 
nécessaires  à  cette  époque,  qui  allongeaient  démesurément 
les  presbytères,  et  dont  la  mode,  fort  heureusement,  tend  à 
se  passer. 

M^^  de  Pontbriand  ne  s'éloignait  guère  de  ses  chanoines 
Poulin,  Perreault  et  Collet  lorsqu'il  disait  : 

«  Il  est  prouvé  qu'un  curé  devrait,  pour  vivre  médiocre- 
ment, avoir  douze  cents  francs  par  an  ^^.  » 

Un  certain  nombre  de  curés  recevaient  beaucoup  plus 
que  cette  somme  ;  mais  l'Evêque,  en  bon  père  de  famille, 
s'efforçait  de  procurer  au  moins  à  tous  le  nécessaire.  Quoi 
qu'il  en  soit,  c'est  avec  son  revenu,  plus  ou  moins  modique, 
plus  ou  moins  considérable,  que  le  clergé  d'autrefois  a  créé 
tant  d'œuvres,  dont  nous  bénéficions  aujourd'hui,  et  qui 
font  notre  admiration. 


i8.  Manuscrits  de  Jacques  Viger,  Statistique  relative  au  Canada 
(1756-1759).  "Je  placerai  ici,  sous  ce  titre,  copies  de  divers  "Etats" 
relatifs  au  clergé  du  Canada  de  1756  à  1759,  à  moi  communiqués  (en 
1838)  par  Messire  Jean  Holmes,  qui  avait  fait  à  Paris,  en  1837,  ^^  ^C" 
couverte  de  ces  papiers  curieux  et  intéressants,  et  qui  me  permit  alors 
*de  les  transcrire.  Montréal,  décembre  1842,  (signé)  J.  Viger." 


CHAPITRE  XXXII 


l'abbé  de  L'ILE-DIEU  annonce  X  M^""  DE  PONTBRIAND 

LE  DÉPART  DE  M.  DE  MONTCALM  POUR 

LE  CANADA 

Un  mot  de  Montcalm.  —  Ce  qu'en  pense  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  —  La  véri- 
table cause  de  la  guerre  de  Sept-Ans.  —  Vaudreuil  et  Montcalm. 
—  Lettre  de  Vaudreuil  à  la  Cour.  —  Montcalm  et  Mgr  de  Pont- 
briand. 

DANS  la  longue  et  magnifique  lettre  qu'il  adressait  à  M^ 
de  Pontbriand  le  28  mars  1756,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
lui  annonçait  le  départ  du  marquis  de  Montcalm  pour  le 
Canada.  On  aimera  à  connaître  l'opinion  de  ce  grand 
ecclésiastique  sur  le  héros  français  qui  jeta  tant  de  lustre 
sur  les  derniers  jours  de  l'Ancien  Régime  au  Canada,  et 
dont  le  nom  est  synonime  de  tant  de  gloire.  Quel  est  le 
Canadien  qui  ne  tressaille  au  souvenir  d'Oswégo,  du  fort 
George,  de  Carillon,  ces  noms  fameux  auxquels  Montcalm 
a  associé  le  sien?  Dans  toute  la  carrière  militaire  de 
Montcalm,  au  Canada,  à  part  le  désastre  final,  pas  une 
faute,  pas  un  échec,  rien  que  de  la  gloire  et  des  succès  ;  et 
dans  le  désastre  lui-même,  ne  pouvait-il  pas  dire  avec 
raison  :  «  Tout  est  perdu,  fors  l'honneur  !  » 

Le  brillant  officier  de  Candiac  avait  servi  avec  distinc- 
tion dans  plusieurs  campagnes  en  Europe  ;  et  lorsqu'il 
s'agit  de  remplacer  au  Canada  le  baron  Dieskau,  qui  n'y 
avait  pas  fait  merveille,  le  ministre  de  la  guerre  jeta  les 
yeux  sur  lui.  On  n'avait  pas  été  heureux  avec  Dieskau  : 
on  attendait  beaucoup  de  son  successeur  : 


436  l'église  du  canada 

«  Il  touchait  à  sa  quarantième  année,  écrit  son  biographe, 
M.  Chapais,  et  était  parvenu  au  complet  épanouissement 
de  toutes  ses  facultés.  Fils,  époux  et  père  dévovié,  mili- 
taire accompli,  et  possédant  de  magnifiques  états  de  service, 
homme  d'étude  et  d'action,  il  avait  goûté  tour  à  tour  les 
joies  de  la  famille  et  les  fortes  émotions  de  la  grande  guerre. 
La  culture  de  son  esprit,  la  noblesse  de  son  caractère, 
l'éclat  de  son  courage,  la  droiture  de  ses  intentions,  la  va- 
riété de  ses  aptitudes,  faisaient  de  lui  un  homme  vraiment 
supérieur  ^  » 

Nommé  vers  la  fin  de  janvier  (1756)  au  commandement 
des  troupes  que  l'on  envoyait  dans  la  Nouvelle- France, 
Montcalm  se  rendit  de  Montpellier  à  Paris  le  12  février,  et 
ne  quitta  la  capitale  que  le  15  mars  pour  aller  s'embarquer 
à  Brest.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu  le  vit  plusieurs  fois  durant 
son  séjour  à  Paris  ;  et  voici  ce  qu'il  écrivait  à  M^^  de 
Pontbriand  : 

«  Je  crois,  monseigneur,  que  vous  serez  content  du  Com- 
mandant que  la  Cour  vous  envoie,  M.  le  marquis  de 
Montcalm,  homme  de  condition  et  maréchal  des  camps  et 
armées  du  Roi  ^.  J'imagine  qu'il  a  eu  différentes  conver- 
sations avec  M.  le  marquis  Duquesne  :  c'est  assez  l'usage 
de  nos  ministres,  et  même  des  Bureaux,  de  porter  ceux 
qu'ils  envoient  dans  un  pays  à  consulter  ceux  qui  en 
viennent.  Si  les  premiers  y  ont  réussi,  tant  mieux  ;  sinon, 
tant  pis  ;  car  sur  cela  l'usage  a  force  de  loi  :  je  ne  vous  en 
dis  pas  davantage  sur  l'article. 

«  J'ai  eu  nombre  et  de  très  longues  conférences  avec  M. 
le  marquis  de  Montcalm  ^,  qui  a  l'imagination  assez  vive, 


1.  Thomas  Chapais,  Le  Marquis  de  Montcalm  {i7i2'i';5ç),  p.  26. 

2.  La  nomination  de  Montcalm  comme  maréchal  de  camp  est  du  11 
mars  1756;  et  le  Roi  lui  fit  en  même  temps  le  plaisir  de  nommer  colonel 
son  fils  aîné,  qui  n'avait  encore  que  dix-sept  ans.  —  Dieskau,  lui  aussi, 
avait  été  fait  maréchal  de  camp  à  l'occasion  de  son  envoi  au  Canada. 

3.  M.  de  Montcalm  a  de  longues  et  nombreuses  conférences  avec  M. 


sous    M^"^   DE    PONTBRIAND  4|7 

par  conséquent  beaucoup  de  sagacité  et  de  pénétration,  et 
ce  que  j'en  aime  le  mieux,  le  flegme  (quand  il  le  faut),  et  le 
sérieux  de  la  réflexion. 

(c  Je  lui  ai  communiqué  tout  ce  que  je  pouvais  savoir  de 
vos  différentes  colonies,  du  caractère  de  ceux  qui  les 
habitent  (Canadiens  ou  Sauvages  naturels  du  pays). 

«  Je  lui  ai,  surtout,  beaucoup  parlé  de  vous,  monseigneur, 
de  M.  le  marquis  et  de  M™®  la  marquise  de  Vaudreuil  ;  peu 
de  M.  Bigot,  mais  assez  pour  qu'il  puisse  lui  dire  que  je 
lui  en  ai  parlé. 

«  Je  lui  ai,  surtout,  dit  beaucoup  de  choses  de  nos  chers 
ofiiciers  canadiens,  dont  je  lui  ai  fait  un  portrait  propre  à 
mériter  son  amitié  et  son  estime. 

«  J'ai  tâché  de  lui  insinuer  qu'il  devait  gagner  leur  con- 
fiance, s'il  voulait  réussir  dans  un  pays  qu'ils  connaissaient 
mieux  que  lui,  et  que  d'ailleurs  sa  propre  gloire  était  atta- 
chée à  la  leur,  comme  la  leur  à  la  sienne. 

((  Il  m'a  paru  très  bien  disposé,  et  surtout  à  conférer  de 
concert  et  avec  confiance,  sur  les  expéditions  qu'il  y  aurait 
à  faire,  avec  notre  cher  et  respectable  gouverneur,  que  je 
suis  persuadé  que  vous  possédez  avec  autant  de  satisfaction 
que  vous  l'avez  désiré  avec  empressement. 

(c  J'ai  fort  persuadé  à  M.  le  marquis  de  Montcalm  que  la 
guerre  ne  se  faisait  pas  dans  le  pays  où  il  allait  comme 
dans  celui-ci  ;  que  les  évolutions  y  étaient  différentes,  et 
qu'il  s'y  agissait  beaucoup  plus  souvent  d'un  coup  de  main 
fait  à  propos,  que  d'une  affaire  en  règle,  et  pour  lequel  nos 
officiers  canadiens  seraient  beaucoup  plus  propres  que  ses 
officiers  français,  parce  que  (quoi  qu'en  ait  mandé  en  France 
M.  de  Parfouru)  *  leurs  troupes  de  milices  ou  de  détache- 

l'abbé  de  l'Ile-Dieu  avant  de  passer  au  Canada  :  ce  qui  fait  voir  le  f  ranë 
cas  que  l'on  faisait  à  cette  époque,  même  pour  les  choses  purement  d- 
viles  et  politiques,  de  l'opinion  des  ecclésiastiques  compétents. 

4.  C'était,  avec  Montreuil,  un  des  officiers  français  qui  nous  détfjH 
taient  le  plus. 


438  L'tGLiSE   DU   CANADA 

ments  canadiens  et  les  sauvages  nos  alliés  ont  plus  de  con- 
fiance en  eux,  sans  compter  qu'ils  connaissent  mieux  le 
local  du  pays. 

K  M.  le  marquis  de  Montcalm  vous  montrera,  sans  doute, 
aussi  bien  qu'à  M.  le  marquis  de  Vaudreuil,  les  deux 
cahiers  que  je  lui  ai  remis  ;  du  moins  je  l'ai  assuré  qu'il  le 
pouvait.  S'il  le  fait,  vous  me  ferez  grâce,  je  l'espère,  M^', 
sur  les  articles  où  j'aurai  pris  le  change;  car  j'ai  l'honneur 
de  vous  observer  ^  que  mes  simples  réflexions  ne  sont  pas 
des  décisions.  En  voilà  assez  sur  l'article  :  vous  jugerez 
vous-même  du  fond  et  de  la  forme  de  M.  le  marquis  de 
Montcalm  ;  mais  sur  ce  que  j'en  ai  vu,  il  m'a  paru  moins 
avantageux  et  plus  traitable,  moins  haut  et  plus  liant  que 
M.  Duquesne.  » 

Qui  n'admirerait  la  connaissance  qu'avait  de  notre  pays 
ce  bon  prêtre  français,  son  attachement  et  son  esprit  de 
justice  pour  nos  officiers  canadiens,  pour  nos  milices  en 
général  ?  Qui  n'admirerait  la  sagesse,  et  en  même  temps  la 
modestie  qui  respirent  dans  cette  lettre  ?  «  Mes  simples 
réflexions,  dit-il,  ne  sont  pas  des  décisions.  »  Ah,  si  tous 
ceux  qui  se  mêlent  d'écrire  pour  le  public  avaient  un  peu 
de  cette  modestie  !  On  n'en  verrait  pas  tant  qui  tranchent 
sur  tout  et  ne  doutent  de  rien.  Cette  lettre  n'est-elle  pas 
vraiment  d'un  homme  d'Etat? 

Homme  d'Etat,  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  l'était  en  effet,  non 
pas  pour  l'action  —  ce  qui  n'était  pas  son  fait,  —  mais  pour 
l'intelligence  des  choses  et  la  connaissance  des  hommes. 
Que  de  fois,  par  exemple,  n'insinua-t-il  pas  aux  ministres 
que  la  question  des  Limites  était  la  question  capitale,  qu'il 
fallait  la  régler  coûte  que  coûte,  sans  quoi  elle  amènerait 


5.  On  dit  aujourd'hui:  de  vous  faire  observer.  Mais  on  voit  par  les 
documents  qu'à  l'époque  qui  nous  occupe  le  mot  observer  était  fréquem- 
ment employé  de  la  manière  qu'il  l'est  ici. 


sous    M«^   DE    PONTBRIAND  439 

fatalement  la  guerre  !  Et  en  effet  c'est  cette  question  non 
réglée  qui  fut  la  vraie  cause  de  la  guerre  de  Sept-Ans.  Le 
duc  de  Broglie  Pécrivait  naguère  : 

«  C'est  à  propos  d'une  contestation  survenue  sur  les 
limites  de  leurs  colonies  du  Nouveau-Monde,  que  s'est  en- 
gagée entre  la  France  et  l'Angleterre  cette  lugubre  guerre 
de  Sept-Ans  qui  a  sonné  le  glas  de  notre  monarchie  ^.  » 

Si  du  moins,  dans  cette  lutte  contre  l'Angleterre,  la 
France  avait  réservé  et  concentré  toutes  ses  forces  pour  la 
défense  de  sa  colonie  canadienne,  et  pour  essayer  de  re- 
prendre l'empire  des  mers  qu'elle  avait  perdu.  .  .  Elle  les 
divise,  au  contraire,  et  s'en  va  porter  la  guerre  dans  le 
Hanovre,  cette  petite  Angleterre  continentale.  Elle  se 
ravise  plus  tard,  et  projette  ni  plus  ni  moins  qu'une  inva- 
sion de  la  Grande-Bretagne  !  Rien  que  cela  !  Louis  XV 
qui  veut  reprendre  le  rôle  de  Guillaume  le  Conquérant! 
Il  y  a  même  une  tentative  d'exécution,  mais  elle  échoue 
piteusement,  cela  va  sans  dire.  Du  grand  Frédéric  de 
Prubse,  son  allié,  —  allié  plus  ou  moins  fidèle  et  commode, 
il  est  vrai  —  la  France  se  fait  un  ennemi  irréconciliable. 
Renonçant  à  la  politique  deux  fois  séculaire  de  Richelieu, 
elle  devient  l'alliée  de  l'Autriche  ^,  épouse  ses  querelles,  et 
s'engage  dans  une  guerre  sans  issue,  où  elle  n'a  rien  à  voir, 
et  où  elle  va  perdre,  avec  sa  colonie,  tout  ce  qui  lui  reste 
de  force  et  de  prestige.  Quelle  aberration  !  Jamais  ne  se 
vérifia  mieux  la  terrible  parole  :  k  Qîios  Detis  vtUt  perderCy 
dément at  !  » 

Nous  aimerions  à  avoir  là-dessus  la  pensée  de  l'abbé  de 
l'Ile-Dieu  ;  mais,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  sa  corres- 
pondance avec  M^*^  de  Pontbriand  nous  fait  défaut  à  partir 
de  la  déclaration  officielle  de  la  guerre  de  Sept-Ans.     Que 


6.  Revue  des  Deux-Mondes  du  ler  juillet  1896,  p.  Sy. 

7.  l#e  traité  d'alliance  et  même  "  d'amitié  "  entre  la  France  et  l'Au- 
triche fut  signé  le  ler  mai  1756. 


440  L*ÉGI.ISE   DU   CANADA 

pensa-t-il,  également,  de  la  mésintelligence  qui  ne  tarda 
pas  à  surgir  entre  Montcalm  et  Vaudreuil  ?  Nous  ne  le 
savons  pas  davantage.  Mais  il  est  évident  qu'il  la  regar- 
dait comme  possible,  et  même  probable  ;  il  la  redoutait  ; 
et  il  la  craignait  d'autant  plus  qu'il  savait  que  ce  qui  avait 
perdu  le  baron  Dieskau,  c'était  le  peu  de  cas  qu'il  avait 
fait  des  officiers  canadiens,  qui  «  connaissaient  notre  pays 
beaucoup  mieux  que  lui  »,  et  savaient  aussi  beaucoup 
mieux  que  lui  «  la  manière  de  faire  la  guerre  »,  au  Canada. 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu  appréciait  sans  doute  la  valeur  et  le 
caractère  de  Montcalm  ;  il  lui  avait  paru  «  plus  traitable, 
moins  haut  et  plus  liant  que  M.  Duquesne  »  ;  mais  il  n'en 
dit  pas  davantage.  Il  a  évidemment  à  son  égard  quelque 
réserve  qu'il  n'ose  pas  exprimer  :  «  Vous  jugerez  vous-même, 
écrit-il  à  M^^'  de  Poutbriand,  du  fond  et  de  la  forme  de 
M.  le  marquis  de  Montcalm.  » 

C'est  à-dire  qu'il  ne  veut  en  aucune  façon  préjuger 
l'Évêque  à  l'égard  du  nouveau  Commandant  que  la  Cour 
envoie  dans  sa  ville  épiscopale  :  le  Prélat  le  jugera  à 
l'œuvre,  d'après  la  manière  dont  il  fera  face  à  la  situation. 
Situation  délicate  et  difficile,  celle  d'un  officier  supérieur 
français,  pétillant,  plein  de  sa  valeur,  subordonné  en  tout 
à  un  gouverneur  général  canadien  :  ce  sont,  en  effet,  les 
instructions  précises  de  la  Cour  à  M.  de  Montcalm  :  il 
«  n'aura  que  les  mêmes  pouvoirs  donnés  à  Dieskau  ».  Il 
sera  «  subordonné  en  tout  à  M.  de  Vaudreuil  »,  et  «  devra 
exécuter  et  faire  exécuter  tout  ce  qui  lui  sera  ordonné  par 
le  gouverneur  général.  »  Et  le  ministre  écrivant  à  M.  de 
Vaudreuil  lui-même  :  «  M.  de  Montcalm,  dit-il,  doit  être  en 
tout  et  pour  tout  sous  vos  ordres.  »  Ces  instructions  sont 
du  14  mars  ^;  et  dès  le  lendemain  —  preuve  évidente  de 
l'incohérence  qui  règne  dans  les  conseils  de  Louis  XV  — 

9.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  219. 


sous    M«^    DE    PONTBRIAND  44I 

il  y  a  un  «  Ordre  du  Roi  qui  donne  à  M.  de  Montcalm  le 
commandement  des  troupes  de  la  colonie  et  des  milices  »  : 
seulement,  —  nouvelle  incohérence  —  ce  document  est 
envoyé  secrètement  à  M.  de  Vaudreuil,  avec  faculté  d'en 
faire  l'usage  qu'il  voudra  ^^  Le  gouverneur,  qui  connaît 
et  aime  les  Canadiens,  comme  il  en  est  aimé  lui-même, 
sait  combien  nos  habitants  sont  susceptibles  au  sujet  du 
commandement:  il  faut  les  prendre  tels  qu'ils  sont.  Il 
sait  combien  nos  milices  canadiennes  ont  été  maltraitées 
par  le  passé  :  il  a  été  nommé  gouverneur,  à  leurs  prières, 
et  pour  être  leur  protecteur  :  c'est  une  gloire  pour  lui  ;  et 
cette  gloire,  il  entend  bien  ne  la  laisser  à  qui  que  ce  soit. 
Il  renvoie  donc  tout  simplement  à  la  Cour  l'ordre  donné  à 
M.  de  Montcalm,  —  ordre  que  celui-ci,  fort  heureusement, 
est  censé  ignorer  ^^  —  et  il  écrit  au  ministre  : 

f(  Je  ne  puis  qu'être  très  sensible  à  la  lettre  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire,  à  laquelle  est  joint 
l'ordre  du  Roi  à  M.  le  marquis  de  Montcalm  concernant  le 
commandement  des  troupes  et  milices  de  la  colonie. 
Comme  Sa  Majesté  veut  bien  s'en  rapporter  à  moi  pour 
faire  usage  de  cet  ordre  ou  le  laisser  ignorer  à  M.  de 
Montcalm,  j'ai  l'honneur  de  vous  observer: 

«  1°  Que  les  milices  sont  les  forces  les  plus  considérables 
que  nous  ayons.  Elles  ont  été  si  foulées  jusqu'à  présent, 
qu'elles  se  rebuteraient  si  elles  n'était  menées  avec  douceur. 
L'appréhension  où  je  suis  même  (fondé  sur  les  époques  dm 
passé  qui  ne  sont  que  trop  ressenties  par  le  peuple),  que 
certains  Canadiens  ne  soient  foulés,  pour  en  ménager  d'au- 
tres, par  des  considérations  particulières,  et  souvent  des  vues 


10.  Ibid.,  p.  220. 

11.  Nous  disons  à  dessein:  ''est  censé  ignorer";  mais  il  y  a  lieu  4e 
croire  qu'il  ne  l'ignorait  pas,  ou  du  moins  qu'il  ne  l'ignora  pas  long- 
temps :  il  y  avait  tant  d'incohérence,  tant  d'indiscrétions  à  la  Cour,  tant 
de  ces  "adulateurs"  dont  parle  M.  de  Vaudreuil,  toujours  prêts  à  fo- 
menter la  discorde! 


442  l'église  du  canada 

d'intérêt  ^-,  me  met  dans  l'indispensable  obligation  de  ne 
m'en  rapporter  qu'à  moi  même  pour  tous  les  comman- 
dements. Je  les  fais  avec  équité,  proportionnellement  à  la 
situation  et  à  l'étendue  des  terres  de  chaque  paroisse,  en 
sorte  que  les  terres  sont  généralement  ensemencées,  et  que, 
par  mon  application  à  ces  deux  objets,  je  concilie  la  satis- 
faction de  l'habitant  avec  la  culture  des  terres  ^'  ;  au  lieu  que, 
M***,  si  dans  les  circonstances  présentes  M.  de  Montcalm 
avait  le  commandement  des  milices,  je  ne  pourrais  éviter 
de  lui  en  laisser  l'administration  ;  et  quelque  zèle  et  péné- 
tration qu'il  ait,  il  ne  saurait  dans  l'instant  connaitre  le 
fort  et  le  faible  des  paroisses  ^*.  Il  serait  donc  obligé  de  s'en 
rapporter  et  de  donner  sa  confiance  à  des  colons  qui  certai- 
nement en  mésuseraient,  quelque  prévoyant  qu'il  puisse 
être.  J'ajoute,  M^*",  que  les  Canadiens,  quoique  très  honorés 
d'avoir  un  tel  commandant,  ne  laisseraient  pas  que  d'en  avoir 
une  peine  secrète.  Ils  ont  déjà  été  menés  durement  ;  et 
d'ailleurs  les  capitaines  des  milices,  qui  me  sont  subor- 
donnés et  à  M.  l'Intendant,  pour  la  police,  sont  extrê- 
mement foulés  dans  les  circonstances  présentes  ;  et  il  est 
sensible  qu'ils  le  seraient  bien  davantage,  s'ils  avaient  à 
répondre  et  à  obéir  à  un  troisième  chef. 

«  2°  M.  le  marquis  de  Montcalm,  quoique  d'un  excellent 
génie  et  d'un  caractère  très  liant,  ne  saurait  peut-être  se 
garantir  de  certains  adulateurs  de  la  colonie,  qui,  n'ayant 
d'autre  talent  que  de  courtiser,  parviendraient  peut-être  à 
lui  insinuer  qu'il  doit  rendre  son  commandement  despo- 


12.  Avec  de  l'argent,  des  habitants  riches  trouvaient  moyen  de  s'exem- 
ter  facilement  du  service;  les  pauvres  n'avaient  pas  cette  ressource,  et 
leurs  terres  étaient  en  souffrance. 

13.  Après  tout,  la  culture  des  terres  devait  aller  de  pair  avec  le  ser- 
\'icc,  pour  la  conservation  du  pays:  il  fallait  absolument  concilier  les 
deux  choses;  et  qui  pouvait  le  faire  avec  plus  de  discernement  que  M. 
de  Vaudreuil? 

14.  Tout  cela  nous  semble  d'une  telle  évidence,  que  nous  sommes 
étonné  qu'on  y  ait  trouvé  à  redire. 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  443 

tique.  M.  le  baron  de  Dieskau  m'en  fournit  un  exemple 
que  je  ne  saurais  oublier. 

«  J'estime  donc,  monseigneur,  sous  le  bon  plaisir  du  Roi, 
qu'il  est  à  propos  que  l'ordre  de  Sa  Majesté  à  M.  le  mar- 
quis de  Montcalm  ne  reçoive  aucun  effet.  Je  ne  dois  pas 
dissimuler  que  je  fais  en  cela  violence  à  l'attachement  que 
je  me  sens  pour  M.  de  Montcalm  ^^  Mais  je  n'ai,  en  cette 
occasion  comme  en  toutes  les  autres,  que  le  bien  du  ser- 
yice  et  de  la  colonie  pour  guide  ^^.  Lorsque  je  serai  dans 
le  cas  d'employer  M.  de  Montcalm  pour  quelque  expédi- 
tion qui  exigera  qu'il  soit  à  la  tête  des  forces  de  la  colonie, 
il  aura  de  droit  le  commandement  des  troupes  et  milices. 
Mais  jusqu'alors,  je  crois,  monseigneur,  qu'il  convient  qu'il 
ne  se  mêle  que  de  celui  des  troupes  de  terre  ^"^  ;  et  dans  la 
confiance  où  je  suis  que  le  Roi  m'approuve,  je  vous  renvoie 
ci-joint  l'ordre  de  Sa  Majesté  ^^  » 

Il  y  avait  longtemps  que  l'on  n'avait  entendu  à  la  Cour 
un  pareil  langage,  un  langage  aussi  fier,  aussi  indépendant, 
en  faveur  des  Canadiens,  en  faveur  de  la  classe  agricole, 
surtout,  la  seule  véritablement  importante  pour  l'avenir  du 
pays.  Enfin,  nos  habitants  et  nos  milices  canadiennes 
avaient  un  gouverneur  de  leur  choix,  un  protecteur  auto- 
risé, capable  de  les  défendre  auprès  des  ministres  contre  les 
radotages  que  le  marquis  de  Duquesne,  au  témoignage  de 

15.  On  a  douté  de  la  sincérité  de  cette  déclaration  d'attachement,  au 
Moment  où  la  faisait  M.  de  Vaudreuil.  Et  pourquoi  ?  A  cause  des  malen- 
tendus qui  survinrent  dans  la  suite?  Mais  il  ne  s'agit  pas  ici  de  "la 
•uite,  "  il  s'agit  du  moment  actuel.  M.  de  Vaudreuil  voit  avec  plaisir 
arriver  au  Canada  un  "  compatriote,  "  —  tous  deux  sont  originaires  du 
Languedoc  —  ;  et  il  s'en  réjouit,  à  condition  que  chacun  d'eux  reste 
dans  son  rôle. 

16.  "  Le  bien  du  service  et  de  la  colonie  :  "  son  devoir  envers  la 
France,  son  devoir  envers  le  Canada:  jamais  l'un  au  détriment  de 
l'autre:  "Avant  tout,  je  suis  Canadien!  "  semble  déjà  la  devise  de  M.  de 
Vaudreuil.. 

17.  C'est-à-dire  des  troupes  venues  directement  de  France  pour  la 
défense  du  Canada. 

18.  Corresp.  générale,  vol.  loi,  lettre  au  ministre,  16  janvier  1756. 


444  L*éGLISE   DU   CANADA 

l'abbé  de  Pile-Dieu,  ne  cessait  de  déblatérer  contre  nous  à 
Versailles. 

Il  est  certain  que  de  graves  dissentiments  et  de  regret- 
tables malentendus  ne  tardèrent  pas  à  surgir  entre  M.  de 
Montcalm  et  le  marquis  de  Vaudreuil  :  la  correspondance 
du  premier  en  fait  foi,  aussi  bien  que  son  journal.  Ces 
dissentiments  étaient,  suivant  nous,  le  résultat  presque 
inévitable  de  la  situation  que  l'on  avait  faite  à  l'un  et  à 
l'autre,  au  Canada.  Il  ne  faut  jamais  demander  aux 
hommes  plus  de  désintéressement  et  de  vertu  qu'ils  n'en 
sont  raisonnablement  capables. 

Cette  ((  animosité  »  qui  se  fit  jour  entre  le  gouverneur  et 
le  commandant  des  troupes  rendit  sans  doute  leurs  rap- 
ports personnels  très  désagréables.  Est-il  prouvé,  comme 
on  l'a  prétendu,  qu'elle  influa  beaucoup  sur  la  marche  des 
événements  et  «fut  fatale  à  la  colonie»  ^^?  Nous  ne  le 
croyons  pas.  M.  de  Montcalm  pouvait  bien  se  plaindre  du 
gouverneur,  dans  sa  correspondance,  dans  son  journal, 
dans  ses  rapports  avec  ses  amis,  comme  il  se  plaignit  éga- 
lement de  l'Evêque,  souvent  même  d'une  manière  peu  res- 
pectueuse, comme  nous  le  verrons  plus  loin  ;  mais  il  était 
trop  noble,  trop  dévoué  à  son  Roi  et  à  son  pays  pour  tra- 
hir son  devoir  par  dépit,  par  opposition  à  M.  de  Vaudreuil  : 

«  J'ose  vous  répondre  d'un  entier  dévouement  à  sauver 
cette  malheureuse  colonie  ou  périr  »,  écrivait-il  un  jour  ait 
ministre  de  la  guerre  ^°. 

Et  l'on  sait  avec  quel  héroïsme  il  racheta  cette  pro- 
messe. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  sont  là  des  choses  qui  n'entrent 
pas  précisément  dans  le  cadre  de  cet  ouvrage.  Si  nous 
avons  été  amené  à  en  dire  un  mot,  c'est  par  la  lettre  de 


19.  Casgrain,  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  72. 

20.  Chapais,  Le  Marquis  de  Montcalm,  p.  536. 


sous   M*^   DE   PONTBRIAND 


445 


Pabbé  de  l'Ile-Dieu  à  M^^  de  Pontbriand.  Laissons  le 
Prélat  à  ses  réflexions  sur  le  nouveau  commandant  des 
troupes  arrivé  à  Québec  le  13  mai  1756  : 

«  Vous  jugerez  vous-même  du  fond  et  de  la  forme  de  M. 
le  marquis  de  Montcalm  »,  lui  avait  écrit  son  grand  vicaire. 
Que  pensa  le  Prélat  breton,  lorsqu'il  le  vit  pour  la  pre- 
mière fois,  de  «  la  forme  »  de  ce  petit  méridional,  de  ce 
«  petit  homme  allègre,  tel  que  nous  le  décrit  l'abbé  Cas- 
grain,  au  regard  perçant,  à  la  parole  brève,  véhémente, 
gesticulant  avec  une  pétulance  extraordinaire  »  ^^  ?  —  «  La 
vivacité  du  tempérament  méridional,  ajoute  M.  Chapais, 
s'accusait  parfois  chez  lui  par  des  saillies  trop  impétueuses. 
Il  lui  arrivait  d'avoir  le  mot  trop  prompt  et  le  geste  trop 
preste.  Mais  ces  ombres  ne  pouvaient  voiler  les  parties 
lumineuses  de  cette  riche  et  brillante  individualité  ^l  » 

Quel  contraste,  pour  «  la  forme  »,  avec  M.  de  Vaudreuil, 
ce  «  gentilhomme  de  belle  taille,  que  nous  montre  l'abbé 
Casgrain,  fier  de  sa  personne,  autant  que  de  sa  vieille 
origine,  doux,  affable,  complètement  dévoué  aux  colons, 
qu'il  traitait  comme  ses  enfants,  et  qui  le  regardaient,  avec 
raison,  comme  leur  père  »  ^^  ! 

«  C'est  un  très  aimable  caractère,  écrivait  un  jour  M.  de 
l'Orme  de  notre  premier  gouverneur  canadien  ;  il  se  fera 
aimer  dans  quelque  poste  qu'il  se  trouve  ^^  » 

Le  jugement  de  M^^  de  Pontbriand  sur  la  personne  de 
M.  de  Montcalm,  nous  ne  le  trouvons  nulle  part.  S'il  l'a 
exprimé  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  dans  sa  correspondance, 
celle-ci  a  disparu,  comme  les  lettres  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
à  cette  époque. 

Par  contre,  il  n'y  a  pas  une  des  victoires  de  Montcalm 


21,  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  72. 

22.  Le  Marquis  de  Montcalm,  p.  26. 

23,  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  72  et  73. 

24.  Recherches  historiques,  vol.  XVI,  p.  301. 


446  l'église  du  canada 

au  Canada,  qu'il  ne  se  soit  fait  un  devoir  de  célébrer  et 
d'annoncer  à  ses  diocésains  par  quelqu'un  de  ses  admi- 
rables mandements  qu'on  aime  tant  à  lire.  Ces  victoires, 
en  effet,  il  ne  les  regardait  pas  seulement  comme  un 
triomphe  pour  la  patrie,  mais  aussi  et  surtout  pour  son 
Eglise,  l'Eglise  de  la  Nouvelle-France  à  laquelle  il  était  si 
attaché.  Aussi,  dans  ses  mandements,  rend-il  justice,  avec 
une  rare  impartialité,  à  tous  ceux  qui  y  ont  contribué,  au 
gouverneur  qui  a  ordonné  à  point  la  campagne,  à  l'inten- 
dant qui  a  pourvu  à  tous  les  besoins  des  troupes,  au  géné- 
ral qui  a  dirigé  tous  les  mouvements,  aux  officiers  français 
et  canadiens  qui  ont  concouru  au  succès,  à  l'armée  tout 
entière  qui  a  fait  noblement  son  devoir. 

Ces  lettres  pastorales  feront  l'objet  des  prochains  cha- 
pitres; et  nous  pourrons  admirer  le  patriotisme  de  ce 
grand  évêque,  qui  se  trouva  ici  dans  des  circonstances  si 
difficiles,  qui  aima  tant  notre  pays,  et  qui,  comme  Vau- 
dreuil,  auquel  il  témoigna  jusqu'à  la  fin  la  plus  sincère 
estime,  resta  toujours,  tout  Français  qu'il  était,  si  véritable- 
ment Canadien.  Et  pourquoi  ne  rappellerions-nous  pas 
ici,  en  bonne  part,  ce  que  Montcalm  osait  un  jour  dire  en 
mauvaise  part  de  M^'"  de  Pontbriand  : 

((  Ce  Prélat,  saint  homme  d'ailleurs,  et  de  bonnes  mœurs, 
a  tous  les  préjugés  d'un  Canadien,  quoique  né  en  France  *.  * 

25.  Montcalm  et  Lévis,  t  I,  p.  214. 


CHAPITRE  XXXIII 


LA  GUERRE  DE  SEPT-ANS,  AU  CANADA  (1756): — I.  MAN 

DEMENTS  DE  M^  DE  PONTBRIAND.  — 

OSWéGO 

La  guerre  de  Sept- Ans,  en  Europe;  au  Canada.  —  Levée  des  milices 
canadiennes  ;  mandement  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  Arrivée  des 
troupes  françaises.  —  Mandement  de  l'Evêque,  résumant  les  événe- 
ments militaires  au  commencement  de  1756.  —  Mandement  pour  la 
prise  d'Oswégo.  —  Drapeaux  présentés  au  Chapitre  pour  la  Ca- 
thédrale. 

LA  guerre  de  Sept-Ans  se  fit,  en  Europe,  entre  la  France, 
PAntriche  et  la  Russie,  d'une  part,  l'Angleterre  et  la 
Prusse,  de  l'autre.  Commencée  en  1756,  elle  ne  se  termina 
qu'en  1763  par  le  traité  de  Paris.  Ici,  la  lutte,  entre  la 
France  et  l'Angleterre  seules,  se  termina  beaucoup  plus 
tôt,  par  la  capitulation  de  Montréal,  en  1760;  mais  elle 
avait  aussi  commencé  au  moins  trois  ans  avant  la  déclara- 
tion officielle  de  1756;  de  sorte  que  le  nom  de  guerre  de 
Sept-Ans  peut  lui  être  justement  appliqué,  ici  comme  en 
Europe. 

Dès  1752,  le  marquis  de  Duquesne,  venant  remplacer  au 
Canada  M.  de  la  Jonquière  comme  gouverneur  général, 
avait  reçu  instruction  de  faire  une  levée  de  milices  cana- 
diennes pour  s'opposer  aux  empiétements  des  Anglais  dans 
la  vallée  de  la  Belle-Rivière.  La  mesure,  très  impopulaire 
en  elle-même,  le  fut  encore  bien  davantage  par  la  manière 
dont  elle  fut  exécutée. 


448  l'église  du  canada 

M^^  de  Pontbriand,  toujours  disposé  à  donner  à  l'Etat  le 
concours  de  son  autorité  paternelle,  ne  craignit  pas  de 
partager  avec  le  gouverneur  l'impopularité  de  cette  levée 
de  miliciens,  jugée  nécessaire  : 

«  Il  est  peu  de  familles  dans  ce  diocèse  qui  n'y  soient 
intéressées,  dit-il.  La  levée  des  miliciens  que  l'illustre 
général,  qui  gouverne  avec  autant  de  sagesse  que  de  force, 
a  été  obligé  de  faire  pour  le  bien  de  l'Etat,  vous  laisse 
dans  des  inquiétudes  qui  ne  paraissent  que  trop  au  dehors, 
tandis  que  vous  devriez  au  contraire  vous  réjouir  de  voir 
vos  parents  occupés  à  procurer  l'augmentation  et  la  sûreté 
du  pays. 

«  Nous  demandons  avec  vous  leur  prompt  retour;  mais 
demandez-le  sans  murmurer,  demandez-le  avec  soumission  ; 
c'est  le  moyen  de  l'obtenir  heureux  pour  eux  et  glorieux 
à  la  nation  \  » 

C'est  avec  l'aide  de  nos  miliciens  que  l'on  construisit  le 
fort  Presqu'île,  le  fort  aux  Bœufs,  celui  de  Machault  et 
celui  de  Duquesne.  Ils  rentrèrent  au  pays  couverts  de 
gloire  par  la  prise  du  fort  Nécessité  (4  juillet  1754)  et 
surtout  par  la  belle  victoire  de  la  Monongahéla  (  9  juillet 
1755  ).  La  joie  éclata  dans  toutes  les  familles  canadiennes  ; 
et  elle  s'accrut  encore  lorsque  l'on  apprit  l'arrivée  de  M. 
de  Vaudreuil,  qui  venait  remplacer  au  Canada  le  marquis 
de  Duquesne  : 

«  Notre  juste  joie,  disait  l'Evêque  dans  un  nouveau 
mandement,  s'est  accrue  à  l'arrivée  d'un  général  dont  les 
vertus  ont  déjà  éclaté  dans  les  premières  places  de  cette 
colonie  ^,  dont  la  prudence  a  rétabli  la  paix  et  la  tran- 
quillité dans  les  pays  de  la  Louisiane,  dont  l'affabilité  gagne 


1.  Mandements  des  Bvêques  de  Québec,  t.  II,  p.  loi,  12  juillet  1753. 

2.  M.  de  Vaudreuil  avait  été  successivement  gouverneur  des  Trois- 
Rivières,  de  Montréal  et  de  la  Louisiane,  avant  de  l'être  pour  tout  le 
Canada. 


sous    M»"^    DE    PONTBRIAND  449 

les  cœurs,  et  dont  la  prudence  seule  fait  revivre  les  peuples 
fatigués  et  presque  découragés  ^.  » 

Mais  à  côté  des  motifs  de  joie,  que  de  sujets  de  tristesse 
pour  le  pieux  Prélat  !  les  menaces  croissantes  de  l'ennemi, 
les  maladies  épidémiques  que  nous  apporte  la  flotte  à 
chaque  printemps,  l'incendie  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec 
(7  juin  1755),  la  crainte  pour  les  récoltes.  Il  fait  part  de 
tout  cela  à  ses  diocésains,  et  sollicite  ardemment  leurs 
prières  : 

«  Déjà  nos  voisins,  dit-il,  nous  ont  enlevé  un  poste  con- 
sidérable. Ils  se  préparent  du  côté  d'en  haut  pour  atta- 
quer tout  à  la  fois  nos  Forts  avancés,  contre  la  foi  d'un 
traité  confirmé  par  des  otages.  Ils  retiennent  des  prison- 
niers faits  par  surprise  et  contre  les  lois  de  la  guerre  ^ 
Une  flotte  puissante  ferme  l'embouchure  du  fleuve  ^  Une 
Maladie  épidémique,  qui  fit  autrefois  tant  de  ravages  dans 
cette  colonie  commence  à  se  répandre  et  à  donner  de  tristes 
alarmes  l  Un  incendie  rapide  a  consumé  dans  un  instant 
«ne  maison  religieuse,  l'asile  des  malades  étrangers  et 
domiciliés,  si  nécessaire  à  tout  le  pays.  L'incertitude  de 
la  récolte,  la  diflficulté  qu'il  y  aura  de  la  faire,  si  elle  est 
abondante  :  voilà.  Nos  Très  Chers  Frères,  les  sujets  de 
tristesse  et  d'inquiétude  qui  se  présentent.  » 

Puis,  le  gouverneur  ayant  été  obligé  de  faire  un  nouvel 
appel  aux  milices  : 


3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  103,  12  juillet  1755. 

5.  Allusion  à  l'affaire  Washington -Jumon vile,  28  mai  1754. 

6.  La  flotte  de  l'amiral  Boscawen,  qui  s'empara  des  deux  navires 
français  VAlcide  et  le  Lys,  le  8  juin  1755. 

7.  C'était  la  picote,  qui  fit  surtout  beaucoup  de  ravages  à  Québec. 
{Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  298).  "En  1755,  pendant  l'été  et 
l'automne,  la  petite  vérole,  disparue  depuis  vingt-deux  ans,  parcourut  de 
nouveau  le  pays,  et  comme  il  n'y  avait  qu'un  seul  élève  qui  l'eût  déjà 
eue,  on  jugea  plus  prudent  de  les  renvoyer  tous  chez  leurs  parents  pour 
passer  leurs  vacances,  qui  durèrent  trois  mois.  (Hist.  manuscrite  du 
Sém.  de  Québec). 


9t 


450  l'église  dct  canada 

«  Nous  autorisons  MM.  les  Curés,  dit  le  Prélat,  à  dire  la 
messe  paroissiale,  tout  l'été  et  l'automne,  à  sept  heures  du 
matin,  afin  que  les  peuples  puissent  ensuite  vaquer  aux 
travaux  de  la  campagne,  qui  nous  paraissent  d'autant  plus 
pressés  qu'on  a  été  obligé  de  commander  un  grand  nombre 
d'habitants.  » 

Cette  nouvelle  levée  de  miliciens  se  faisait  en  vue  de  la 
campagne  de  Dieskau.  Hélas  !  quelle  piteuse  campagne 
à  la  suite  de  la  Monongahéla  !  Nos  miliciens  rentrèrent 
chez  eux  le  cœur  navré  :  leurs  services  avaient  été  si  j>eu 
appréciés  du  commandant  français  !  Il  fallait  pour  les 
réconforter  l'encouragement  et  les  bonnes  paroles  de  leur 
Evêque,  qui  ne  manqua  pas  à  son  devoir  en  cette  cir- 
constance. Nous  avons  déjà  cité  une  partie  de  son  man- 
dement du  15  février  1756,  à  propos  de  la  dispersion  des 
Acadiens.  Après  avoir  raconté  à  ses  diocésains  ce  triste 
épisode,  il  leur  rappelle  la  belle  victoire  de  la  Monon- 
gahéla ^,  qui  leur  a  valu  les  éloges  du  Roi  et  de  la  famille 
royale,  il  relevée  leur  courage  et  leur  promet  de  grands 
succès  dans  la  prochaine  campagne  que  prépare  M.  de 
Vaudreuil  : 

((  N'appuyons  pas  notre  espérance,  dit-il,  sur  les  succès 
précédents  ;  ne  l'appuyez  pas  même  sur  la  prudence  d'un 
général  qui  connaît  le  pays,  dont  le  nom  est  respecté  de 
toutes  les  nations  (sauvages)  ;  ne  vous  rassurez  pas  encore 
sur  la  bravoure  du  soldat,  ou  du  milicien,  ni  sur  la  fermeté 
de  ceux  qui  les  commandent  :  attendre  des  forces  humaines 
le  succès,  c'est  se  tromper,  c'est  s'en  rendre  indigne. 
Toutes  les  puissances  de  la  terre  ne  sont  rien  devant  Dieu  ; 
elles  n'ont  de  force  qu'autant  qu'il  le  veut,  et  lui  seul  est 


8.  Mgr  de  Pontbriand  avait  appris  cette  victoire  à  son  retour  d'un 
voyage  qu'il  avait  fait  à  Montréal,  où  il  donna,  le  15  juin  1755,  un  man- 
dement pour  régler  définitivement  le  costume  des  Sœurs  Grises.  (Pail- 
lon, Vie  de  Mme  d'Youville,  p.  109). 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  45 1 

le  maître  de  la  victoire.  . .      Si  le  Dieu  des  armées  est  pour 
nous,  qui  peut  être  contre  nous?» 

Il  les  invite  donc  à  mettre  en  Dieu  toute  leur  confiance, 
et  leur  indique  plusieurs  pratiques  de  piété  pour  obtenir 
son  secours,  celle-ci,  entre  autres  : 

«  Que  dans  chaque  famille  il  y  ait  au  moins  chaque  mois 
une  personne  qui  s'approche  de  la  divine  Eucharistie.  » 

Il  ordonne  des  processions  et  des  prières  publiques  ;  mais 
il  ne  faut  pas  négliger  les  moyens  humains  : 

«  Vous  connaissez,  dit-il,  les  tendres  sentiments  de  l'il- 
lustre général  (M.  de  Vaudreuil)  qui  vous  gouverne,  et 
le  désir  ardent  qu'il  a  de  vous  laisser  en  paix  jouir  dans 
vos  campagnes  du  fruit  de  vos  travaux.  Les  troupes  qu'il 
a  amenées  avec  lui  *,  celles  qu'il  a  encore  demandées  à  Sa 
Majesté  ^^,  lui  donnent  lieu  de  tout  espérer  ;  mais  actuelle- 
ment l'ennemi  s'apprête  de  tous  côtés  ;  peut-il  le  laisser 
pénétrer  dans  le  centre  de  la  colonie,  et  voudriez- vous  refu- 
ser un  dernier  et  généreux  eiïort  ?  Non,  sans  doute. 
Soyez  donc  soumis  aux  commandements.  Respectez  des 
ordres  qui  doivent  vous  être  sacrés.  Dieu  bénira  cette 
obéissance  et  saura  vous  dédommager.  » 

Il  fait  ensuite  une  recommandation  bien  importante  en 
faveur  de  ceux  qui  partent  pour  le  service  : 

«  Ceux  qui  ne  sont  pas  commandés,  dit-il,  doivent,  sui- 
vant les  ordres  de  M.  le  marquis  de  Vaudreuil,  faire  les 
travaux  des  miliciens  absents  pour  le  service.  Rien  de 
plus  conforme  à  la  charité,  à  la  reconnaissance  et  à  la 
justice.  Rien  de  plus  nécessaire  pour  le  bien  de  la  colo- 
nie ;  et  y  en  a-t-il  un  seul  parmi  vous  qui  voulût,  dans  des 
circonstances  comme  celle-ci,  être  un  membre  inutile,  un 
patriote  indifférent,  un  mauvais  voisin?. .  » 

g.  Les  six  bataillons  que  la  Cour  avait  envoyés  au  Canada  avec 
Dieskau  comme  commandant.  Doreil  était  "  commissaire  général  des 
guerres  ".  {Rapport. . .  pour  1905,  p.  205) 

10.  Celles  que  Montcalm  devait  amener  avec  lui. 


452  l'église  du  canada 

Des  exhortations  si  vibrantes  de  patriotisme,  jointes 
aux  appels  d'un  gouverneur  estimé  et  chéri  de  tous  les 
Canadiens,  devaient  produire  l'effet  désiré  :  nos  ancêtres 
ne  pouvaient  rien  refuser  à  leur  évêque  .  t  à  leur  gou- 
verneur : 

«  Le  Roi  peut  prendre  tout  ce  que  nous  avons,  disaient- 
ils,  pourvu  que  le  Canada  soit  sauvé  ^^  » 

Lorsque  Duquesne  avait  fait  en  1752  la  revue  des 
miliciens  de  la  colonie,  il  en  avait  compté  treize  mille  ^^. 
Tous  ceux  qui  furent  désignés  et  choisis  pour  la  campagne 
de  1756  répondirent  à  l'appel.  L'intendant  pourvut  à 
tous  leurs  besoins  avec  cette  (*  activité  et  cette  vigilance  » 
que  M^  de  Pontbriand  aimait  à  reconnaître  ^^  ;  et  lorsque 
Montcalm  arriva  à  Québec  au  printemps  de  1756,  «il 
parut  très  satisfait  des  préparatifs  de  campagne  ordonnés 
par  M.  de  Vaudreuil  ^*  :  » 

((  L'hiver  n'a  pas  été  rude,  écrit-il  dans  une  de  ses  lettres, 
la  saison  est  très  avancée.  M.  de  Vaudreuil  a  déjà  tout 
mis  en  mouvement  :  milices,  troupes  de  la  colonie,  avec 
nos  bataillons  et  nos  sauvages  pour  entrer  en  campagne.  . .» 

La  Cour  avait  accordé  à  M.  de  Vaudreuil  un  certain 
nombre  de  troupes  régulières,  qui  passèrent  au  Canada  en 
même  temps  que  Montcalm.  Avec  lui,  également,  arri- 
vèrent plusieurs  ofiSciers  distingués  :  le  chevalier  de  Lévis, 
le  colonel  d'infanterie  Bourlamaque,  Bougainville,  etc. 
Quel  surcroit  de  besogne  pour  l'Evêque  et  son  clergé, 
cette  affluence  de  troupes,  qui  augmentaient  tout  d'un 
coup  la  population- de  la  ville  épiscopale  !  ces  soldats,  ces 
officiers,  ne  fallait-il  pas  s'occuper  de  pourvoir  à  leurs  be- 
soins religieux?     Le  dimanche,  surtout,  ne  fallait-il  pas 


11.  Ferland,  Cours  d'hist.  du  Canada,  t.  II,  p.  558. 

12.  Ihid.,  p.  502. 

13.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  109. 

14.  Casgrain,  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  74. 


sous    M«^    DE    PONTBRIAND  453 

leur  donner  la  messe  à  des  heures  réglées  ;  et  dans  quelles 
églises  pourra-t-on  le  faire  plus  commodément? 

Au  point  de  vue  social,  que  de  visites  à  recevoir  et  à 
rendre,  de  la  part  de  l'Evêque  !  Etant,  après  le  gouver- 
neur, le  premier  personnage  du  pays,  ne  doit-il  pas  inviter 
de  temps  en  temps  à  sa  table  ces  officiers  distingués?  Il 
faut  qu'il  fasse  honneur  à  sa  position  :  et  le  pourra-t-il, 
avec  son  mince  revenu,  lui,  «  l'évêque  à  gages,  Pévêque 
pauvre  de  la  primitive  Eglise  »,  comme  l'appelait  avec 
tant  de  raison  l'abbé  de  Pile-Dieu  ?  M^^  de  Pontbriand,  si 
austère  et  si  simple  dans  sa  vie  ordinaire,  sut  trouver  le 
moyen  d'être  largement  hospitalier,  quand  il  le  fallait: 
Pabbé  de  Pile-Dieu  écrivant  au  ministre: 

«  Il  a  chaque  jour,  disait-il,  sept  personnes  à  sa  table, 
matin  et  soir,  eu  égard  aux  missionnaires  qui,  de  PAcadie, 
se  sont  rendus  auprès  de  lui,  et  qui,  sans  cela,  n'auraient 
aucune  ressource  pour  vivre,  et  de  plus  à  un  nombre  d'offi- 
ciers qu'il  est  obligé  de  recevoir  ^^» 

Au  point  de  vue  religieux,  comme  au  point  de  vue  des 
mœurs,  que  de  dangers  pour  l'Eglise  de  Québec,  par  l'arri- 
vée de  ces  nouveaux  hôtes  !  Que  de  préoccupations  sé- 
rieuses pour  le  pieux  Prélat  !  Ces  officiers  français,  impré- 
gnés, pour  la  plupart,  de  l'esprit  du  dix-huitième  siècle, 
imbus  des  idées  de  Voltaire,  lecteurs  assidus  de  l'Encyclo- 
pédie, ne  vont-ils  pas  laisser  de  redoutables  traces  de  leur 
passage  au  milieu  de  notre  société  canadienne  ?  Qui  croira, 
en  effet,  qu'il  n'en  resta  pas  quelque  chose,  après  la  Con- 
quête ?  Rien  de  ces  idées  malsaines,  sans  doute,  ne  pénétra 
chez  le  peuple  de  nos  campagnes  :  mais  dans  nos  villes, 
que  d'idées  fausses,  que  de  mauvais  principes  se  firent 
jour  alors,  et  que  l'on  attribua,  non  sans  raison,  au  contact 
de  nos  Canadiens  avec  certains  esprits  français  de  l'époque  ! 

15.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 


454  l'église  du  canada 

Et  au  point  de  vue  des  mœurs,  qui  croira  que  les  tristes 
exemples  de  Bigot  et  de  ses  amis  n'eurent  pas  un  fâcheux 
effet  sur  la  haute  société  canadienne  ?  M^"^  de  Pontbriand 
s'élèvera  fortement  contre  les  désordres  :  sa  voix  retentira 
dans  le  désert. 

Il  est  juste  de  dire,  cependant,  que  tout  d'abord  il  n'eut 
qu'à  "se  féliciter  du  bon  esprit  qui  régnait  généralement 
dans  les  troupes.  Son  mandement  du  15  février  1756, 
dans  lequel  il  avait  ordonné  des  prières  publiques  pour  la 
colonie,  fut  bien  accueilli  et  produisit  d'heureux  effets. 
Voici  ce  qu'il  disait  dans  sa  lettre  pastorale  du  20  août 
suivant,  à  la  suite  de  la  prise  d'Oswégo  : 

«  Les  événements  favorables  arrivés  depuis  le  commen- 
cement des  prières  publiques  que  nous  avons  ordonnées 
dans  ce  diocèse,  semblent  annoncer.  Nos  Très  Chers 
Frères,  qu'elles  ont  été  agréables  au  Seigneur.  .  .  Plus  que 
jamais  nos  églises  ont  été  fréquentées  ;  les  grands  y  ont 
paru  avec  édification,  et  les  peuples  s'y  sont  portés  avec  une 
sainte  ardeur.  Le  militaire  en  corps  a  donné  l'exemple 
dans  une  retraite  ^^  et  une  procession  publique.  .  .  » 

Le  Prélat  résumait  ensuite  en  peu  de  mots  les  succès 
remportés  par  nos  miliciens  dans  les  coups  hardis  qu'ils 
avaient  portés  çà  et  là  dans  la  Nouvelle-Angleterre,  au 
printemps  de  1756,  sur  l'ordre  de  M.  de  Vaudreuil,  avant 
l'arrivée  de  Montcalm  : 

«  Qu'il  est  consolant  pour  vous  et  pour  nous,  disait-il, 
d'avoir  occasion  d'attribuer  aujourd'hui  à  votre  piété  et  à 
votre  religion  les  succès  que  nous  avons  eus  jusqu'à 
présent  !  Le  fort  Biills  pris  d'assaut,  dans  une  saison  la 
plus  désavantageuse,  à  la  vue  pour  ainsi  dire  d'un  ennemi 
puissant  et  averti  de  se  tenir  sur  ses  gardes  ^^  ;  l'avantage 


16.  Cette  retraite  publique,  donnée  à  Québec  en  1756,  n'est  signalée, 
que  nous  sachions,  nulle  part  ailleurs.  Elle  n'est  pas  mentionnée  dans 
le  journal  de  M.  Récher,  qui  ne  commence,  il  est  vrai,  qu'en  1757. 

17.  Le  parti  canadien  qui  s'empara  du  Fort  Bulls,  était  commandé  par 
le  jeune  M.  de  Léry. 


SCUS    M*^    DE    PONTBRIAND  455 

remporté  par  nos  barques  sur  le  lac  Ontario  ;  la  défaite  de 
plus  de  six  cents  hommes  dans  la  rivière  Chouaguen;  la 
prise  et  la  destruction  d'un  grand  nombre  de  leurs  bateaux  ; 
les  coups  réitérés  et  presque  toujours  heureux  vers  le  lac 
Saint-Sacrement  ;  la  désolation  portée  dans  les  provinces  de 
Virginie,  de  Pensylvanie  et  de  Maryland  ;  le  peu  de  monde 
que  nous  avons  perdu  :  voilà  pour  les  siècles  à  venir  des 
preuves  incontestables  de  la  bravoure  du  soldat  et  du 
milicien,  de  la  valeur  des  ofiSciers,  des  grandes  qualités  du 
Général  qui  met  tout  en  mouvement.  .  .  » 

Tout  cela,  cependant,  n'était  que  le  prélude  de  l'évé- 
nement principal  de  la  campagne  de  1756,  la  prise  d'Os- 
wégo,  que  M.  de  Vaudreuil  méditait  depuis  longtemps,  et 
qui  fut  exécutée  par  Montcalm  avec  grand  succès.  Pour 
tromper  les  Anglais,  il  se  dirigea  d'abord  avec  Lévis  du 
côté  de  Carillon,  revint  seul  à  Montréal  et  se  rendit  à 
Frontenac,  d'où  il  partit  le  4  août  pour  Oswégo.  Laissons 
M^  de  Pontbriand  raconter  à  ses  diocésains  la  prise  de  ce 
fort  sur  les  Anglais  : 

«  De  si  heureux  commencements,  dit-il,  semblaient 
assurer  le  succès  de  l'entreprise  contre  Chouaguen  ^^, 
quoique  quelques  esprits  timides  la  regardassent  comme 
au-dessus  de  nos  forces.  Plus  de  dix-huit  cents  hommes 
de  garnison  dans  ce  fort  nouvellement  construit  ^^,  tout 
placé  à  .portée  de  défendre  le  principal  et  en  empêcher 
l'approche,  des  espèces  de  frégates  armées  de  canons, 
quelques  sauvages  ennemis  toujours  à  la  découverte,  des 
secours   puissants    qu'on    attendait    depuis    longtemps    de 


18.  C'est  le  nom  que  les  Français  donnaient  à  Oswégo. 

19.  Il  y  avait  trois  Forts:  le  Fort  Ontario,  en  deçà  de  la  rivière,  fait 
de  pieux  de  dix-huit  pouces  de  diamètre  et  sortant  de  terre  de  huit  à 
dix  pieds  ;  le  vieux  Chouaguen,  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  maison  à 
mâchicoulis  crénelée  et  entourée,  à  trois  toises  de  distance,  d'un  mur 
flanqué  de  deux  tours;  et  enfin,  un  peu  plus  loin,  le  fort  George,  fait 
de  mauvais  pieux.   Tout  cela  constituait  Chouaguen  ou  Oswégo. 


456  l'église  du  canada 

Pancienne  Angleterre,  les  mouvements  menaçants  de  l'en- 
nemi du  côté  de  la  pointe,  la  difficulté  de  débarquer  et 
d'ouvrir  la  tranchée  :  ces  circonstances  et  plusieurs  autres 
étaient  dans  la  vérité  capables  de  donner  un  peu  d'inquié- 
tude, et  on  ne  pouvait  se  rassurer  que  parce  qu'un  général 
éclairé,  de  concert  avec  le  premier  magistrat  de  cette 
colonie  ^^  ordonnait  cette  expédition,  et  qu'il  la  confiait  à 
un  officier  distingué  par  son  nom,  son  grade,  son  autorité 
et  son  génie. 

((  Iv'avant-garde  de  notre  armée  était  conduite  par  un  de 
nos  gouverneurs  ^^  que  vous  respectez  et  que  vous  chéris- 
sez avec  tant  de  raison  "^'K  II  se  rendit  à  son  poste  le  10 
août  à  la  tête  des  Canadiens,  pour  faciliter  notre  débarque- 
ment, qui  se  fit  sans  perdre  un  seul  homme,  malgré  la  posi- 
tion de  l'ennemi  et  le  feu  continuel  de  ses  barques.     Le 

12,  la  tranchée  fut  ouverte  et  une  batterie  établie  contre 
le  fort  Ontario,  mais  l'ennemi  l'évacua  dans  la  nuit.     Le 

13,  nouveaux  travaux  pour  placer  nouvelles  batteries; 
enfin,  après  un  feu  des  plus  vifs  de  part  et  d'autre,  la  gar- 
nison anglaise  se  rendit  prisonnière  de  guerre  aux  condi- 
tions qu'on  voulut  bien  lui  accorder. 

«  On  annonce  dix-huit  cents  prisonniers,  cent  pièces  de 
canons  prises,  cinq  drapeaux,  des  vivres  en  abondance, 
quantité  de  munitions  de  guerre,  deux  cents  bateaux,  des 
barques,  la  caisse  militaire  enlevée,  leur  commandant  gé- 
néral emporté  par  un  boulet  de  canon. 


20.  L'intendant  de  la  Justice,  Police  et  Finances  du  Canada  était  le 
premier  magistrat  de  la  Colonie. 

21.  M.  de  Rigaud,  frère  du  gouverneur  général,  était  alors  gouver- 
neur des  Trois-Rivières.  Il  avait  été  fait  prisonnier,  sur  VÀlcide,  puis 
avait  recouvré  sa  liberté.  Il  devint  gouverneur  de  Montréal  l'année  sui- 
vante (1757).  Cest  lui  qui,  dans  l'affaire  d'Oswégo,  commandait  l'avant- 
garde,  toute  composée   de   Canadiens. 

22.  Le  Roi,  faisant  écrire  à  M.  de  Vaudreuil,  "rendait  justice  au  zèle, 
au  sentiment  d'honneur  et  à  la  probité  "  de  son  frère.  {Rapport. . .  pour 
J905,  p.  222). 


sous    M^    DE    PONTBRIAND  457 

H  Voilà  en  peu  de  mots,  Nos  Très  Cliers  Frères,  le  détail 
de  l'action  la  plus  mémorable  qui  soit  arrivée  depuis  l'éta- 
blissement de  cette  colonie.  Elle  nous  rappelle  la  victoire 
complète  remportée  l'année  dernière  contre  le  général 
Braddock.  Elle  est  d'autant  plus  étonnante  que  nous  n'y 
avons  eu  que  trois  hommes  de  tués  et  dix  à  douze  de  bles- 
sés. Les  Canadiens  ^^  les  troupes  de  France  et  de  la  colo- 
nie, les  Sauvages  mêmes,  ont  signalé  à  l'envi  leur  zèle 
pour  la  patrie  et  le  service  de  Sa  Majesté. 

K  Quels  sont,  Nos  Très  Chers  Frères,  vos  sentiments  sur 
cette  action  si  humiliante  pour  l'Anglais,  si  glorieuse  à 
notre  armée,  si  utile  au  commerce,  si  avantageuse  à  la  co- 
lonie, et  j'ose  le  dire,  si  favorable  à  la  religion?  Vous 
vous  en  êtes  déjà  expliqués  :  l'entreprise  est  des  mieux 
concertée,  l'exécution  y  a  répondu  ;  on  ne  peut  trop 
louer,  on  ne  peut  trop  aimer  les  défenseurs  de  la  patrie. 
Ces  idées  viennent  naturellement  à  l'esprit,  vous  avez 
pensé  en  bons  citoyens,  vous  avez  raisonné  en  philosophes. 
Il  est  de  notre  devoir  de  sanctifier  ces  idées  et  même  de 
vous  en  fournir  de  plus  vastes,  de  plus  sûres,  des  plus  rele- 
vées et  de  plus  conformes  à  la  grandeur  de  notre  Dieu. 

»  Il  est  grand,  ce  Dieu  de  toute  majesté,  et  sa  grandeur, 
infiniment  au-dessus  de  tout  ce  que  nous  pouvons  conce- 
voir, ne  se  montre  qu'en  partie,  et  toujours  beaucoup  plus 
qu'il  ne  le  faut  pour  mériter  nos  hommages  les  plus  res- 
pectueux. Créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  lui  seul  peut  les 
conserver,  et  rien  dans  le  monde,  excepté  le  péché,  n'ar- 
rive que  par  son  ordre.  C'est  lui  qui  nous  aime,  et  qui 
nous  protège. 

<(  De  ce  principe,  reconnu  par  toute  l'antiquité,  établi 
par  la  seule  raison,  clairement  énoncé  par  TEsprit-Saint, 


23.  Remarquons  comme  ce  bon  Evêque  met  toujours  les  Canadiens  M 
ayant  :  et  de  fait,  à  Oswégo,  sans  M.  de  Rigaud  et  son  avant-garde  cana- 
éiciine,  l'affaire  aurait  probablement  manqué. 


458  L^éGUSE   DU   CANADA 

tirons  pour  notre  instruction  les  conséquences  pratiques  : 
«  1°  N'attribuons  jamais  aux  forces  humaines  nos  pros- 
pérités, mais  reconnaissons  toujours  la  main  du  Seigneur. 
Que  les  trophées  des  victoires  les  plus  éclatantes  paraissent 
au  pied  de  nos  autels,  et  disons  tous  d'une  voix  unanime  : 
Au  seul  Dieu  de  nos  armées  appartient  toute  la  gloire  : 
soli  Deo  omnis  honor  et  gloria  '^^.  Telle  est,  en  effet,  la 
conduite  des  princes  religieux  ;  telle  est  en  particulier  celle 
de  M.  le  Général,  qui  nous  a  fait  remettre  deux  drapeaux 
pour  les  placer  dans  notre  église  cathédrale,  et  qui  nous 
invite  à  remercier  Dieu  de  la  protection  particulière  qu'il 
nous  a  accordée  dans  toutes  nos  entreprises  :  tant  il  est 
vrai  que  nos  succès  doivent  être  attribués  principalement 
au  Tout-Puissant  et  que  les  hommes  ne  sont  que  des  ins- 
truments dont  il  a  voulu  se  servir  ! 

«  Et  en  effet,  généraux  expérimentés,  soldats  aguerris, 
troupes  nombreuses,  hommes  intrépides,  prudence  hu- 
maine, mesures  bien  concertées,  ruses  de  guerre,  que 
pouvez- vous  sans  le  secours  du  Ciel?  Au  milieu  des  plus 
belles  apparences,  qu'un  bras  de  chair  ne  soit  donc  jamais 
l'objet  de  notre  confiance.  Nolite  conjidere  in principibus  ^', 
Ce  serait  une  confiance  plus  que  payenne,  puisqu'il  n'est 
aucune  nation,  quelque  barbare  qu'elle  soit,  qui  n'attribue 
au  Maître  de  la  vie  le  succès  des  armes. 

«  2°  Quoiqu'il  y  ait  une  Providence  suprême  qui  décide 
du  sort  des  empires  et  de  chaque  particulier  —  attingit  à 
fine  in  ânem  fortiter  et  disponit  omnia  suaviter  ^^  —  ne 
négligeons  point  les  moyens  humains  que  cette  même 
Providence    nous    fournit,    parce    qu'elle    veut    que    nous 


24.  I.  Tim.,  I,  17. 

25.  "Ne  mettez  pas  votre  confiance   dans  les  Grands   de  la  terre  :   le 
salut  ne  vient  pas  d'eux."   (Ps.  145,  v.  2  et  3). 

2^.  "  La  Sagesse  divine  exerce  sa  puissance  d'un  bout  du  monde  à 
l'autre,  et  dispose  tout  avec  amour."    (Livre  de  la  Sagesse,  ch.  VIII, 

Y.    I). 


Tll 


sous   M«^   DE   PONTBRIAND  459 

fassions  de  notre  côté  tous  nos  efforts.  C'est  une  condition 
qu'elle  exige,  sans  laquelle  notre  confiance  devient  pré- 
somptueuse et  téméraire.  Le  laboureur,  selon  le  langage 
de  l'Apôtre,  doit  planter  et  arroser,  et  Dieu  seul  donne 
l'accroissement  ^^.  C'est  ainsi  qu'il  est  facile  de  concilier 
les  précautions  prudentes  que  nous  prenons  dans  le  cours 
de  la  vie  avec  la  persuasion  intime  d'une  Providence  qui 
dirige  tout  et  qui  conduit  tout,  qui  soutient  tout  et  qui 
perfectionne  tout. 

«  Redevables  que  nous  lui  sommes  de  tous  nos  succès, 
ranimez  votre  confiance.  Nos  Très  Chers  Frèies,  assistez 
encore  avec  plus  de  ferveur  aux  prières  que  nous  avons 
ordonnées  par  notre  mandement  du  15  février  dernier. 
Soyez  fidèles  à  suivre  les  règles  que  nous  vous  y  avons 
données.  Priez  le  Seigneur  avec  un  cœur  reconnaissant, 
remerciez-le  de  l'arrivée  heureuse  de  nos  troupes,  offrez-lui 
des  vœux  ardents  pour  la  conservation  de  la  famille  royale, 
n'oubliez  pas  ^les  besoins  temporels  et  spirituels  de  la 
colonie  ^.  » 

Le  Prélat  ordonnait  ensuite  un  Te  Deum  pour  la  prise 
du  fort  d'Oswégo  :  il  fut  chanté  solennellement  dans  toutes 
les  églises  du  diocèse. 

Ce  mandement  était  daté  du  20  août.  Notre  armée 
triomphante  était  de  retour  et  le  pieux  Prélat  se  hâtait 
d'annoncer  à  ses  diocésains  le  succès  de  l'expédition. 
N'oublions  pas,  en  effet,  qu'il  n'y  avait  ici  aucuns  journaux, 
à  cette  époque  :  à  qui  convenait-il  mieux  qu'à  l'Evêque 
d'envoyer  à  toutes  les  paroisses  de  son  diocèse  des  nou- 
velles de  la  campagne  militaire  qui  pouvait  décider  du 
sort  de  la  colonie?  Il  n'y  avait  peut-être  pas  une  paroisse, 
et  dans  telle  ou  telle  paroisse  pas  une  famille  qui  n'eût  à  la 


27.  '^Neque  qui  plantât  est  aliquid,  neque  qui  rigat;  sed  qui  incre- 
mentiim  dat,  Deus."  (i  Cor.,  III,  7). 

28.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  iio,  20  août  1756. 


460  L^éGUSE   DU   CANADA 

guerre  quelqu'un  de  ses  membres.  Comme  un  bon  père,  M*' 
de  Pontbriand  adresse  à  tous  ses  diocésains  un  récit  de  Pcx- 
pédition,  pour  les  rassurer  sur  le  sort  de  leurs  enfants,  pour 
les  encourager  à  faire,  au  besoin,  de  nouveaux  sacrifices  et 
les  exhorter  à  tout  mettre  entre  les  mains  de  Dieu. 

Son  mandement  répandit  partout  la  joie  et  la  con- 
fiance :  on  bénissait  le  Prélat,  on  bénissait  tous  ceux  qui 
avaient  pris  part  au  succès  de  la  campagne  : 

«  LfS.  prise  de  Chouaguen,  écrivait  à  la  cour  M«^  de  Pont- 
briand, a  rempli  de  joie  toute  la  colonie.  Elle  est  due  à 
la  prudence  de  M.  le  Général,  qui  connaît  le  caractère  de 
l'Anglais,  le  local  des  lieux,  le  génie  des  Canadiens  et  de 
nos  sauvages.  Les  troupes  apercevaient  bien  des  obstacles, 
peu  accoutumées  à  brusquer  et  à  marcher  sans  règle.  Ce 
fut,  sans  contredit,  le  passage  hardi  que  M.  de  Rigaud- 
Vaudreuil  fit  faire  à  sa  troupe  légère  de  la  rivière  Choua- 
guen qui  étonna  l'ennemi.  Les  victoires,  dans  cette  colo- 
nie, sont  toujours  accompagnées  d'un  peu  d'audace  ^.  » 

Le  mandement  de  M^^  de  Pontbriand  produisit  une 
bonne  impression  non  seulement  au  Canada,  mais  aussi  en 
France.  La  Cour  exprima  le  désir  de  le  voir,  et  écrivit 
à  ce  sujet  à  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  ^°.  Elle  fit  imprimer, 
d'ailleurs,  une  relation  de  l'expédition  d'Oswégo,  et  em 
envoya  un  grand  nombre  d'exemplaires  au  Canada  pour 
être  distribués  aux  habitants,  et  leur  faire  voir  combien  le 
Roi  appréciait  leur  zèle  et  leur  conduite  ^^ 

Dans  le  concert  de  louanges  qui  accueillit  le  mandement 
de  l'Evêque,  il  y  eut  pourtant  une  voix  discordante  :  celle 
de  Montcalm.  Ce  qu'il  écrivit  à  cette  occasion  au  chera- 
lier  de  Lévis  nous  a  toujours  paru  peu  digne  de  k  l'officier 
distingué  par  son  nom,  par  son  grade,  son  autorité  et  son 

29  Corresp.  générale,  vol.  107,  lettre  au  ministre,  11  noyembre  lysjê. 

30.  Rapport. . .  pour  1Ç05,  p.  230. 

31.  lUd.,  p.  223. 


sous    M^""   DE    PONTBRIAND  461 

génie  »  qu'avait  loué  sans   arrière-pensée   et  sans   réserve 
Mfif^  de  Pontbriand  : 

((  Votre  ami  TEvêque,  dit-il,  vient  de  donner  le  plus 
ridicule  mandement  du  monde  ;  mais  gardez-vous  bien  de 
le  dire,  car  c'est  l'admiration  du  Canada  ^l  ,, 

Laissons  le  lecteur  juger  lui-même  s'il  y  avait  dans  le 
mandement  de  M^'^  de  Pontbriand  une  seule  ligne,  un  seul 
mot  qui  pût  justifier  le  mécontentement  de  Montcalm. 

M.  de  Vaudreuil  avait  réservé  pour  la  cathédrale  de 
Québec  deux  des  drapeaux  pris  sur  l'ennemi  ^'.  Ce  fut 
Bouilamaque  qui  fut  chargé  de  les  remettre  au  Chapitre, 
et  M.  de  Tonnancour  les  reçut  au  nom  de  ses  confrères. 
La  cérémonie  eut  lieu  le  dimanche  29  août,  après  vêpres  : 
Monsieur,  dit  le  colonel,  nous  vous  présentons,  de  la 
part  de  M.  le  marquis  de  Vaudreuil,  ces  drapeaux,  pris  à 
Chouaguen  sur  les  ennemis  du  Roi.  Il  les  consacre  à 
Dieu  par  vos  mains  et  les  dépose  en  cette  église,  comme  un 
monument  de  sa  piété  et  de  sa  reconnaissance  envers  le 
Seigneur,  qui  bénit  la  justice  de  nos  armes  et  protège  visi- 
blement cette  colonie.  » 

Le  chanoine  remercia  en  quelques  mots  le  colonel  Bour- 
lamaque  :  ses  paroles,  malheureusement,  ne  nous  ont  pas 
été  conservées. 


32.  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  138. 

33.  Deux  autres  drapeaux  furent  offerts  à  l'église  de  Notre-Dame  d« 
Montréal,  et  le  cinquième  à  l'église  paroissiale  des  Trois-Ririères. 


CHAPITRE  XXXIV 


LA  GUERRE  DK  SEPT-ANS,  AU  CANADA  (1757)  —  II.  MAN- 
DEMENTS DE  M«^  DE  PONTBRIAND  {suttâ).  — 
PRISE  DU  FORT  GEORGE 

Expédition  française  à  Minorque.  —  Prise  de  Mahon.  —  Te  Deutn.  — 
Lettre  de  Louis  XV  à  l'évêque  de  Québec.  —  Expédition  de  M.  de 
Rigaud.  —  Te  Deum.  —  Prise  du  Fort  George  par  Montcalm.  — 
Te  Deum.  —  Massacre  des  Anglais  par  les  Sauvages.  —  Expédi- 
tion de  M.  de  Belestre;  de  La  Durantaie.  —  Epidémie  de  fièvres  à 
Québec.  —  Héroïsme  de  l'Evêque  et  de  son  clergé.  —  La  Retraite 
ecclésiastique. 

y  A  campagne  de  1756,  au  Canada,  nous  avait  été  partout 
^i-/  favorable.  La  France  était  contente  de  nous  ;  elle 
l'était  aussi  d'elle-même  :  le  maréchal  de  Richelieu  et  M. 
de  la  Galissonnière  s'étaient  couverts  de  gloire  à  l'île 
Minorque  ^  Celui-ci,  commandant  une  escadre  française, 
avait  battu  et  dispersé  une  flotte  anglaise  bien  plus  nom- 
breuse que  la  sienne  :  revanche  tardive,  mais  réelle,  pour 
tant  d'affronts  reçus  sur  mer  par  la  France.  Le  maréchal 
de  Richelieu  avait  mis  le  siège  devant  Mahon,  et  en  peu  de 
jours  s'était  emparé  d'une  place  jugée  presque  aussi  impre- 
nable que  Gibraltar.     On  racontait  partout  avec  quelle  in- 


I.  Notre  ancien  gouverneur,  M.  de  la  Galissonnière,  ne  survécut  pas 
longtemps  à  cette  expédition.  D'après  un  document  du  14  novembre 
1756,  il  était  mort,  à  cette  date.  {Rapport. . .  pour  1905,  p.  230).  Le  cha- 
noine La  Corne  écrivant  de  Paris  à  ses  confrères  de  Québec:  "Nous 
avons  perdu,  disait-il,  M.  de  la  Galissonnière;  il  a  été  universellement 
regretté,  et  à  juste  titre."  (Archives  du  Sém.  de  Québec,  Cahiers 
Plante). 


l'église  du  canada  sous  m»"^  de  pontbriand    463 

trépidité  soldats  et  officiers  français  avaient  franchi  les 
immenses  fossés  qui  entouraient  la  forteresse,  puis,  en 
grimpant  les  uns  sur  les  autres  avaient  réussi  à  escalader 
des  murailles  que  l'on  croyait  inaccessibles,  au  grand  éton- 
nement  de  la  garnison  anglaise,  qui  avait  fini  par  capi- 
tuler. 

Invité  par  le  Roi,  qui  lui  écrivit  personnellement,  à 
faire  chanter,  à  cette  occasion,  un  Te  Deuni  d'actions  de 
grâces  dans  toutes  les  églises  de  son  diocèse,  l'Evêque  de 
Québec  se  hâta,  le  18  juin  1757,  d'adresser  à  cet  effet  une 
circulaire  à  ses  curés. 

Dans  sa  lettre  à  M^*"  de  Pontbriand  2,  Louis  XV  flétris- 
sait f(  les  excès  que  la  marine  anglaise  avait  commis  contre 
ses  vaisseaux,  au  grand  scandale  de  toute  l'Europe  ;  »  il 
flétrissait  «  cet  esprit  de  domination  que  les  Anglais 
voulaient  établir  dans  les  deux  mondes  »  ;  il  racontait 
comment  «  la  valeur  française  »,  à  Minorque,  était  venue 
à  bout  des  ennemis,  (f  qui  ne  se  fiaient  que  sur  la  force  de 
leurs  remparts  »  ;  puis,  ce  qui  dut  faire  grand  plaisir  au 
pieux  Evêque,  il  rapportait  «  au  Dieu  des  armées  tout  le 
succès  de  cette  entreprise  ». 

Mgr  ^ç.  Pontbriand  se  fit  un  devoir  de  communiquer  à 
ses  diocésains  ce  message  royal  : 

«La  lettre  dont  vous  allez  entendre  la  lecture,  disait-il 
dans  le  mandement  qui  l'accompagnait,  explique  le  succès 
des  armes  françaises  dans  la  Méditerranée.  Il  vous  aime, 
Nos  Très  Chers  Frères,  il  vous  aime,  ce  Roi  bien- aimé. 
Et  cesse-t-il  de  vous  en  donner  des  preuves  éclatantes?  Il 
envoie  encore  cette  année  les  secours  de  toute  espèce  dont 
vous  pouvez  avoir  besoin.  Plus  d'une  fois  il  a  loué  publi- 
quement votre  zèle,  votre  bravoure,  votre  soumission  à 
ceux   qui    vous   commandent;    et   toute   la    France   s'est 

2.  Mand.  des  Bv.  de  Québec ^  t.  II,  p.  120,  21  juillet  1756. 


464  L*ÊGUSE   DU   CANADA 

réjouie  avec  lui  des  avantages  que  vous  avez  eus  sur  l'en- 
nemi dans  cette  colonie.  En  prince  très  chrétien  et 
comme  fils  aîné  de  l'Eglise,  il  se  prosterne  de  cœur  et 
d'esprit  au  pied  des  autels  pour  rendre  au  Dieu  des  armées 
un  hommage  public.  » 

Au  commencement  de  cette  même  année  1757,  Louis 
XV  avait  échappé  providentiellement  à  un  horrible  atten- 
tat commis  sur  sa  personne  *.  Dans  son  mandement,  M*' 
de  Pontbriand  attribuait  la  conservation  du  Roi  à  son 
Ange  Gardien  et  à  l'Ange  tutélaire  de  la  France.  Il  ea 
profitait  pour  raviver  dans  les  âmes  de  ses  diocésains  la 
dévotion  aux  saints  Anges  Gardiens.  «  dévotion  disait-il, 
très  anciennement  établie  en  cette  colonie  »  ^  ;  il  en  profitait 
également  pour  faire  rétablir  dans  sa  cathédrale  une  cha- 
pelle qui  y  existait  autrefois,  et  qui,  évidemment,  avait 

disparu  : 

«Ceux  qui  ont  l'administration  de  la  Fabrique,  disait-il, 
prendront  incessamment  des  mesures  pour  rétablir  dans 
l'église  cathédrale  la  chapelle  de  l'Ange>Gardien  ;  et  nous 
autorisons  à  faire,  pendant  qu'on  chantera  le  Te  Deum^ 
une  quête  à  cette  intention.  » 

Dans  le  même  mandement,  notre  pieux  Prélat  faisait 
allusion,  en  passant,  à  une  expédition  qui  avait  été  entre- 
prise par  les  Canadiens,  l'hiver  précédent,  vers  le  fort 
George,  au  fond  du  lac  Saint-Sacrement.  Cette  expédi- 
tion hardie  avait  remplacé,  cette  fois,  les  courses  guerrières 
que,  chaque  hiver,  nos  ancêtres  se  permettaient  sur  les 
domaines  de  nos  voisins.  La  Nouvelle-Angleterre,  de  son 
côté,  ne  se  gênait  guère  :  ne  venait-elle  pas,  en  effet,  de 
construire  avec  une  impudence  inqualifiable  ce  fort  George, 


4.  Un  nommé  Damiens  avait  essayé  le  5  janvier  d'assassiner  ie  Roi. 
Louis  XV  voulait  lui  faire  grâce,  mais  sa  prière  ne  fut  pas  tcouté«: 
Fassassin  fut  exécuté. 

5.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  591,  601.  —  Mand.  des  Ez:  de  Québec, 
t.  I,  p.  51.  133. 


sous   M«^   DE   PONTBRIAND  465 

qui  était  une  menace  constante  pour  un  immense  territoire 
que  nous  regardions  comme  nôtre,  ce  fort  George,  «  bâti 
sur  les  terres  françaises  »,  suivant  l'expression  de  M^^  de 
Pontbriand  lui-même  ^? 

M.  de  Vaudreuil  avait  donc  organisé  l'expédition  en 
question,  et  il  en  avait  confié  le  commandement  à  son 
frère,  M.  de  Rigaud,  avec  instruction  de  s'emparer,  si  pos- 
sible, du  fort  George,  ou  du  moins  de  faire  autant  de  mal 
que  possible  aux  Anglais.  M.  de  Rigaud  était  accompa- 
gné du  chevalier  de  Longueil,  lieutenant  de  Roi  à  Qué- 
bec ;  et  ils  avaient  avec  eux  trois  oflSciers  français,  MM.  de 
Poulariez,  Dumas  et  Remercier.  L'expédition  ne  réussit 
pas  complètement  ;  on  ne  put  s'emparer  du  fort  George, 
mais  on  fit  tant  de  dégâts  dans  les  environs,  que  le  coup 
fut  réputé  un  grand  succès  et  une  excellente  préparation  à 
une  campagne  que  M.  de  Montcalm  allait  mener  à  bonne 
fin  quelques  mois  plus  tard. 

M^^  de  Pontbriand  jugea  donc  à  propos  de  donner  un 
mandement  à  ses  diocésains  pour  les  inviter  à  remercier  le 
Seigneur  du  succès,  au  moins  relatif,  de  l'expédition  de 
M.  de  Rigaud  : 

«  C'est  avec  joie,  Nos  Très  Chers  Frères,  disait-il,  que 
nous  vous  annonçons  le  succès  que  vient  d'avoir  le  déta- 
chement dont  nous  vous  avons  parlé  dans  notre  mande- 
ment du  24  février  dernier  l  Les  vues  que  celui  qui  vous 
gouverne  en  chef  s'étaient  proposées  me  paraissent  en- 
tièrement remplies,  et  puissent-elles  l'être  toujours,  parce 
qu'elles  auront  toujours  pour  objet  la  gloire  des  armées  du 
Roi  et  notre  propre  tranquillité  !  Nous  pouvons  d'autant 
plus  l'espérer,  qu'en  prenant  toutes  les  mesures  que  la  pru- 
dence peut  fournir,  il  met  néanmoins  sa  principale  con- 


6.  Mand.  des  Bv,  de  Québec,  t.  II,  p.  122. 

7.  Nous  n'avons  pas  ce  mandement. 

80 


466  Iv'ÉGLISE   DU   CANADA 

fiance  dans  la  protection  du  Dieu  des  armées.  De  concert 
avec  le  premier  magistrat  de  cette  colonie  et  avec  l'illustre 
général  qui  est  à  la  tête  des  troupes,  il  juge  que  nous 
avons  remporté  un  avantage  aussi  grand  qu'on  pouvait 
l'espérer  raisonnablement,  et  que  les  projets  ambitieux  de 
l'ennemi  sur  les  forts  Saint-Frédéric  et  Carillon  pour- 
raient peut-être  s'évanouir,  ou  du  moins  qu'ils  seront  re- 
tardés considérablement.  C'en  est  assez  pour  nous  porter 
à  rendre  à  Dieu  de  très  humbles  actions  de  grâces.  Vous 
le  remercierez  avec  amour  d'avoir  conservé  ceux  qui  com- 
mandaient le  détachement  avec  tant  d'union,  tant  de  pru- 
dence et  tant  de  fermeté,  malgré  la  difficulté  des  chemins, 
le  mauvais  temps  et  les  efforts  de  l'ennemi.  Vous  n'ou- 
blierez pas  devant  le  Seigneur  les  cinq  hommes  que  nous 
avons  perdus  dans  cette  occasion,  et  vous  redoublerez  vos 
vœux  pour  tous  les  besoins  spirituels  et  temporels  de  cette 
colonie.  » 

Le  Prélat  ordonnait  ensuite  un  Te  Deurn^  qui  devait 
être  chanté  dans  toutes  les  églises  du  diocèse. 

On  a  pu  remarquer  l'insistance  avec  laquelle  il  revient, 
dans  tous  ses  mandements,  sur  la  confiance  que  l'on  doit 
mettre,  avant  tout,  «  dans  la  protection  du  Dieu  des 
armées  ».  Ne  dirait-on  pas  qu'il  veut  faire  allusion  à 
certains  officiers  français  qui  montraient  probablement 
dans  leur  langage  un  peu  trop  de  suffisance,  se  vantant 
outre  mesure  de  leur  valeur  et  de  leur  mérite?  Ce  n'est 
certainement  pas  de  Montcalm  qu'il  parle,  de  Montcalm 
dont  il  connaît  l'esprit  religieux  et  qui  fera  un  si  beau 
geste  d'actions  de  grâces  à  Dieu,  après  Carillon.  Mais  il 
y  a  probablement,  dans  les  rangs  secondaires,  des  officiers 
à  qui  il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  les  grands  devoirs 
d'humilité  et  de  soumission  dont  on  doit  être  pénétré  en 
présence  de  Dieu,  à  la  guerre  comme  ailleurs. 

Avec  quelle  attention,  du  reste,  le  pieux  Prélat,  s'adres- 


sous   M^   DE   PONTBRIAND  467 

sant  à  ses  diocésains,  ne  sépare  jamais  dans  ses  réflexions 
et  ses  éloges  le  gouverneur,  l'intendant,  et  «  l'illustre  géné- 
ral qui  est  à  la  tête  des  troupes  »  !  Pour  lui,  il  ne  fait 
qu'un  avec  eux  ;  et  il  veut  évidemment  leur  rappeler  que 
l'union  et  la  bonne  entente  la  plus  parfaite  doivent  toujours 
régner  entre  eux,  s'ils  veulent  réussir. 

Et  voilà  que  bientôt  l'événement  vient  lui  donner  admi- 
rablement raison.  La  prise  du  fort  George  est  un  des 
épisodes  les  plus  glorieux  de  la  carrière  de  Montcalm,  et 
celui  peut-être  où  l'on  put  remarquer  le  plus  d'entente 
entre  tous  les  chefs  de  la  colonie.  L'abbé  de  l'Ile-Dieu 
écrivait  à  cette  occasion  au  ministre  : 

«  Rien  de  plus  satisfaisant  et  de  plus  favorable  aux 
succès  des  opérations  qui  se  font  dans  nos  colonies,  que  la 
parfaite  intelligence  qui  règne  entre  les  puissances  qui  y 
sont  revêtues  de  l'autorité  du  Roi  ^.  « 

Montcalm  exécute  avec  un  entrain,  une  habileté,  une 
énergie  incroyables  un  plan  qu'il  a  formé  depuis  longtemps 
de  concert  avec  M.  de  Vaudreuil.  Tout  a  été  magnifique- 
ment préparé  par  l'expédition,  canadienne  surtout,  de  M." 
de  Rigaud.  Tous  les  éléments  militaires  de  la  colonie 
concourent  à  celle  de  Montcalm  :  les  troupes  régulières  de 
France,  celles  du  Canada,  nos  milices,  nos  sauvages  alliés. 
Lévis  est  de  la  partie,  et  se  rend  avec  Montcalm  jusque 
sous  les  murs  du  fort  George,  oii  il  se  distingue  par  «  son 
zèle  et  sa  conduite  »  ^.  Bourlamaque  prend  part,  lui  aussi, 
à  l'expédition.  Le  siège  du  fort  George  commence  le 
premier  août,  et  le  9  le  commandant  anglais  se  voit  obligé 
de  capituler,  ne  recevant  pas  de  son  confrère,  le  colonel 
Webb,  qui  commande  au  fort  Lydius,  les  secours  qu'il 
lui  a  demandés  et  qui,  par  un  malentendu  inexplicable, 


8.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 

9.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  239. 


468  l'Église  du  canada 

lui  sont  refusés.  La  Providence  vient  évidemment  à  notre 
aide  ;  et  c'est  ce  que  l'Evêque  ne  manque  pas  de  faire 
ressortir  dans  son  mandement  ^^  : 

«  Ce  fort,  dit-il,  couvert  par  des  retranchements  plus 
forts  que  le  fort  même  ^\  muni  d'une  bonne  artillerie, 
défendu  par  plus  de  deux  mille  hommes,  sur  le  point  de 
recevoir  un  secours  puissant,  pouvait  résister  longtemps, 
si  Dieu  ne  nous  accordait  pas  une  protection  particulière. 
Le  commandant,  étonné  de  la  vivacité  de  nos  travaux,  de 
l'ardeur  des  troupes,  de  l'intrépidité  des  officiers,  frappé 
surtout  de  l'habileté  du  général,  peut-être  effrayé  du 
nombre  des  sauvages  qui  étaient  sous  ses  ordres  ^"-,  capitula 
le  9  de  ce  mois,  après  quatre  jours  de  tranchée  ouverte. 
Nous  n'y  avons  perdu  qu'environ  trente  hommes,  parmi 
lesquels  on  compte  quinze  sauvages.  » 

Le  prélat  aborde  ensuite  le  malheureux  incident  qui 
suivit  la  capitulation  du  fort  George  :  l'horrible  massacre 
d'un  grand  nombre  d'Anglais  par  des  Sauvages  enivrés  de 
boisson.  L'historien  Bancrof  t  assure  que  cette  boisson  leur 
avait  été  fournie  par  les  Anglais  eux-mêmes  ^^  :  qu'avaient- 
ils  donc  à  reprocher  à  Montcalm,  puisque  c'étaient  eux- 
mêmes  qui  étaient  la  vraie  cause  du  massacre  ? 

«  Vous   vous   réjouissiez   avec  raison,   dit   l'Evêque,   du 


10.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  122,  20  août  1757. 

11.  "Le  Fort  George  était  un  quarré  flanqué  de  quatre  bastions;  les 
murs  étaient  formés  de  gros  pins  terrassés  et  soutenus  par  des  pieux 
massifs  qui  formaient  un  terre-plein  de  quinze  à  dix-huit  pieds,  com- 
plètement sablé.  Au  dehors  un  rocher  fortifié,  revêtu  de  palissades,  pro- 
tégeait ia  place.  Dix  sept  cents  hommes  occupaient  le  rocher,  et  de 
temps  en  temps  relevaient  la  garnison  du  Fort. . ."  (Ferland,  Cours 
d'hist.  du  Canada,  t.  II,  p.  551). 

Ce  Fort,  après  sa  destruction  par  Montcalm,  fut  rebâti  par  les  An- 
glais et  prit  le  nom  de  Fort  William  Henr^^ 

Aujourd'hui,  il  est  remplacé  par  un  immense  et  magnifique  hôtel,  qui 
porte  le  nom  de  Hôtel  William  Henry. 

12.  Il  paraît  qu'il  n'y  en  avait  pas  moins  de  quinze  cents. 

13.  History  of  the  United  States^  t.  II,  p.  467. 


sous    M^^    DE    PONTBRIAND  469 

succès  important  remporté  par  nos  troupes,  lorsque  tout-à- 
coup  vous  avez  été  attristés  par  la  conduite  barbare  des 
sauvages  à  l'égard  des  ennemis,  peu  instruits  qu'ils  sont 
des  règles  qu'observent  les  nations  policées.  Animés  par 
la  mort  de  plusieurs  d'entre  eux,  irrités  de  ne  pas  empor- 
ter dans  leurs  villages  les  cruels  trophées  ^"*,  avides  des 
dépouilles  de  ceux  qu'ils  regardaient  comme  prisonniers,  se 
livrant  à  leur  férocité  naturelle,  malgré  nos  efforts  et  les 
soins  d'un  officier  général  qui  courut  même  des  risques  ^^ 
ils  se  jettent  avec  fureur  sur  ceux  qui  se  retiraient  avec  les 
honneurs  de  la  guerre.  Un  nombre  considérable  est  mas- 
sacré à  l'instant,  et  environ  six  cents  sont  faits  prisonniers, 
quelques-uns  sont  traités  avec  la  dernière  inhumanité.  Vous 
en  avez  été  d'autant  plus  affligés.  Nos  Très  Chers  Frères, 
que  le  caractère  propre  de  la  nation  française  est  d'avoir 
en  horreur  l'apparence  même  de  perfidie  et  qu'elle  met  sa 
principale  gloire  à  être  fidèle  aux  moindres  promesses  et  à 
traiter  avec  générosité  les  prisonniers.  » 

En  terminant  son  mandement,  le  Prélat  ordonnait  qu'il 
fût  chanté  un  service  solennel  dans  toutes  les  paroisses 
pour  ceux  qui  étaient  morts  dans  cette  campagne.  Il 
ordonnait  également  un  Te  Deum  pour  la  prise  du  fort 
George.  C'était  le  troisième  Te  Deum  que  l'on  chantait 
cette  année  pour  les  succès  des  armes  françaises. 

Aux  succès  que  nous  avons  mentionnés,  il  faut  ajouter 
celui  de  M.  Picoté  de  Belestre,  de  Montréal,  qui,  à  la  tête 
d'un  parti  de  cent  Canadiens  et  de  deux  cents  Sauvages,  se 
rendit  au  milieu  de  septembre  à  un  village  allemand  sur 
la  rivière  Mohack,   s'empara  de  deux  forts,  fit  cent  trente 


14.  Pour  les  Sauvages,  les  plus  beaux  trophées  de  la  victoire  étaient 
les  scalpes  qu'ils  enlevaient  aux  ennemis. 

15.  Montcalm  et  Lévis  risquèrent  leur  vie  pour  arrêter  leurs  sauvages 
allies,  et  sauver  les  prisonniers  anglais.  Bancroft  lui-même  rend  ce  té- 
moignage à  Montcalm.  {^Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  295.) 


470  l'Église  du  canada 

prisonniers  et  ruina  un  grand  nombre  d'habitations.  Les 
Sauvages,  qui  n'avaient  pu  satisfaire  au  fort  George  leur 
passion  pour  le  pillage,  se  reprirent  à  ce  village  allemand 
extrêmement  riche,  et  si  l'on  en  croit  l'annaliste  des  Ursu- 
lines,  un  seul  de  ces  barbares  «  emporta  pour  sa  part  trente 
huit  mille  livres  en  or.  »  M.  de  Belestre  rentra  à  Mont- 
réal le  28  septembre.  Il  n'avait  pas  perdu  un  seul  homme 
dans  son  expédition  ^^. 

Une  autre  expédition,  qui  eut  lieu  au  mois  de  mars 
1758,  à  quelque  distance  de  Carillon,  fit  également  grand 
honneur  aux  Canadiens.  Le  ministre  en  complimenta  M. 
de  Vaudreuil  : 

«  L'expédition  du  sieur  de  la  Durantaie,  disait-il,  fait  voir 
que  vous  ne  négligez  rien  de  ce  qui  peut  concourir  à 
détruire  l'ennemi  et  à  soutenir  les  avantages  constants 
remportés  sur  lui  jusqu'ici.  Le  Roi  désire  témoigner  par 
quelque  grâce  sa  satisfaction  au  sieur  de  la  Durantaie,  pour 
la  bravoure  et  l'habileté  qu'a  déployée  ce  jeune  officier  dans 
le  but  de  tromper  Robert  Rogers,  et  l'engager  à  quitter  la 
position  avantageuse  qu'il  occupait  sur  la  montagne  ^'.  Il 
récompensera  également  les  sieurs  de  Richarville  et  de 
la  Chevrotière  ^^,  qui  faisaient  partie  de  l'expédition.  La 
perte  que  les  Anglais  ont  faite  de  Robert  Rogers  doit  être 
considérable,  puisque  dans  la  relation  qu'ils  ont  faite  de 
cette  expédition,  ils  ont  affecté  de  marquer  que  Rogers 
s'était  sauvé  après  avoir  perdu  beaucoup  d'officiers  ^^. . .  » 

* 
*     * 

Dans  son  mandement  du  20  août  1757,  M^*"  de  Poat- 
briant  disait  à  ses  diocésains  : 

16.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  II,  p.  296. 

17.  La  montagne  Pelée,  sur  les  bords  du  lac  Saint-Sacrement. 

18.  Ils  avaient  été  blessés,  au  cours  de  l'engagement  avec  Rogers. 
29.  Rapport. ..  pour  1Ç05,  p.  258. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  47 1 

«  Si  VOUS  VOUS  réjouissez  des  troupes  qui  vienuent  dans 
cette  colonie,  vous  avez  la  douleur  de  voir  une  maladie 
cruelle,  dont  vous  appréhendez  les  suites,  en  enlever  un 
grand  nombre.  » 

Il  serait  difficile  de  se  faire  une  idée  de  l'état  des  choses, 
sous  ce  rapport,  à  Québec,  à  partir  de  1755  jusqu'en  1759. 
Chaque  navire  qui  amenait  des  troupes  de  France  au 
Canada  comptait  des  centaines  de  malades  : 

«  Même  avant  leur  départ  de  Brest,  écrit  l'annaliste  de 
l'Hôpital-Général,  il  y  avait  parmi  eux  des  maladies,  occa- 
sionnées par  la  fatigue  des  marches  qu'il  leur  avait  fallu 
faire  par  un  temps  affreux  et  des  chemins  impraticables.  » 

Le  nombre  des  malades,  cela  va  sans  dire,  ne  faisait  que 
s'accroître  durant  la  traversée.  En  1755,  il  n'y  eut  pas 
moins  de  quatre  cents  militaires  à  la  fois  à  l'Hôpital-Géné- 
ral. L'Hôtel-Dieu  venait  de  brûler  :  on  se  hâta  de  recons- 
truire d'abord  le  logement  des  religieuses  :  celui  des 
malades  n'était  pas  encore  rebâti  en  1756;  mais  les  reli- 
gieuses, n'écoutant  que  leur  dévouement  et  leur  charité, 
se  mirent  tellement  à  l'étroit,  qu'elles  purent  en  loger  deux 
cents  dans  la  partie  du  monastère  qui  avait  été  reconstruite 
pour  elles-mêmes.  Les  six  mille  hommes  de  troupes  que 
M.  de  Montcalm  amenait  avec  lui  étaient  arrivés  :  la 
maladie  régnait  parmi  eux  :  «  elle  sévit  parmi  ces  pauvres 
gens  avec  encore  plus  de  violence  que  l'année  précédente,  j» 
écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital-Général.  Outre  les  deux  cents 
qu'on  avait  logés  à  l'Hôtel-Dieu,  on  en  compta  jusqu'à 
six  cents  dans  le  même  temps  à  l'Hôpital,  et  il  en  mourut 
un  grand  nombre.  La  contagion  avait  éclaté  dans  un  des 
navires  avec  encore  plus  d'intensité  que  dans  les  autres,  et 
l'on  n'avait  pas  vu  de  moyen  plus  efficace  pour  détruire  ce 
foyer  d'infection,  que  d'y  mettre  le  feu,  et  de  le  laisser 
sombrer  dans  le  port  de  Québec. 

Un  grand   nombre  de    religieuses   hospitalières   furent 


472  l'église  du  canada 

atteintes  de  la  maladie  ;  trois  en  moururent,  ainsi  qu'un 
des  Pères  Franciscains  qui  s'étaient  sacrifiés  pour  le  soula- 
gement spirituel  des  pestiférés  : 

w  Le  zèle  de  M.  l'Evêque  vous  est  connu,  écrivait  au 
ministre  M.  de  Vaudreuil  dans  l'automne  de  1756:  il  est 
infatigable.  Il  allait  plusieurs  fois  par  jour  visiter  les 
hôpitaux,  surtout  pendant  qu'ils  étaient  occupés  par  les 
malades  débarqués  du  Léopard.  Leur  maladie  était  conta- 
gieuse, et  il  a  grandement  couru  risque  de  l'attraper.  Il 
soulage  d'ailleurs  les  pauvres,  et,  je  puis  dire,  beaucoup 
plus  que  ses  revenus  ne  le  lui  permettent,  eu  égard  aux 
dépenses  qu'il  est  obligé  de  faire  pour  vivre  convenable- 
ment à  son  état.  Il  a  fait  un  voyage  exprès  à  Montréal 
pour  presser  les  ouvriers  qui  étaient  employés  à  bâtir  les 
deux  salles  de  l'Hôtel-Dieu  :  il  était  la  plupart  du  temps 
sur  les  travaux.  Enfin,  sa  piété  pour  tout  ce  qui  concerne 
la  religion  et  son  zèle  pour  le  service  du  Roi  sont  inexpri- 
mables '^^.  » 

*     * 

L'année  1757  fut  encore  plus  sombre  et  plus  malheu- 
reuse que  la  précédente.  Pendant  que  nos  soldats  et  nos 
miliciens  se  couvraient  de  gloire  au  fort  George,  les  na- 
vires de  France  arrivaient  à  Québec  chargés  de  malades. 
L'Hôpital-Général  et  l'Hôtel-Dieu  furent  encombrés  : 

(f  En  peu  de  temps,  écrit  l'annaliste  de  l'Hôpital,  six 
cents  malades  remplirent  la  plus  grande  partie  de  la  mai- 
son, sans  en  excepter  les  lieux  les  plus  réguliers.  Trente 
à  quarante  offiiciers  de  tous  grades  occupaient  notre  salle 
de  communauté  et  notre  infirmerie.  Nos  classes  furent 
converties  en  hôpital  ;  et  grand  nombre  de  malades  venant 
encore,  M^*^  nous  permit  de  les  placer  dans  l'église.  » 

20.  Corresp.  générale,  vol,  loi,  lettre  du  22  octobre  1756. 


sous    M*'"   DE    PONTBRIAND  473 

Plus  de  la  moitié  des  Sœurs  furent  frappées  de  la  ma- 
ladie :  il  en  mourut  sept,  et  il  fallut  que  l'Evêque  permît  à 
un  certain  nombre  de  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  d'aller 
porter  secours  à  leurs  sœurs  de  l'Hôpital. 

((  M.  l'Evêque  de  Québec,  écrivait  l'abbé  de  l'Ile-Dieu 
au  ministre,  fait  un  grand  éloge  du  chirurgien-major  de 
l'Hôpital-Général,  M.  Briand,  et  dit  qu'il  a  secouru  seul  et 
avec  un  zèle  et  un  courage  infatigables  plus  de  douze  cents 
malades  en  les  visitant  deux  fois  par  jour.  Il  est  bien 
digne  d'une  récompense  ^^. .  .» 

Le  clergé  séculier  et  régulier  de  la  ville  déploya  en  cette 
occasion  un  zèle  vraiment  héroïque  :  il  n'y  eut  pas  moins 
de  quatre  prêtres  qui  succombèrent  à  la  contagion,  en  se 
dévouant  au  soulagement  spirituel  des  malades  :  M.  de 
Tonnancour,  théologal  du  Chapitre  ^^,  deux  des  directeurs 
du  Séminaire,  MM.  Rousseau  et  Lamicq,  et  le  P.  Gélase, 
récollet.  Un  autre  Père  récollet  tomba  gravement  malade, 
ainsi  que  le  Père  Le  Bansais,  jésuite.  M«^  de  Pontbriand 
se  décida  alors,  avec  un  courage  admirable,  à  aller  lui- 
même  faire  les  fonctions  d'aumônier  à  l'Hôpital-Général  : 

«  Tous  les  prêtres  séculiers  de  la  ville  et  les  religieux, 
écrit  l'annaliste  des  Ursulines,  y  allaient  ensuite  à  leur 
tour,  afin  de  respirer  le  moins  longtemps  possible  la  con- 
tagion; et  cela  a  duré  tant  que  la  nécessité  a  été  pres- 
sante. C'est  ce  que  nous  appelions  :  «  monter  la  garde.  » 
Sa  Grandeur  y  allait  à  son  tour  comme  les  autres.  Cet 
expédient  a  sauvé  la  vie  à  plusieurs,  qui  succombaient 
lorsqu'ils  étaient  résidents  au  milieu  du  mauvais  air:  ne 
faisant  qu'y  passer,  il  en  étaient  quittes  pour  se  bien  aérer 
au  retour.  » 


21.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 

22.  M.  de  Tonnancour  légua  au  Chapitre,  i*  trente-deux  écus  de  six 
francs;  2*  un  calice  avec  sa  patène;  3*  plusieurs  volumees.  (.Registre  du 
Ckapitre,  assemblée  du  14  novembre  1757). 


474  l'êglisk  du  canada 

L'annaliste  de  PHôpital-Général  ajoute: 

«  Notre  vénérable  Prélat  ne  se  contentait  pas  de  son 
tour:  il  suppléait  aux  absents,  il  aidait  à  tous.  Chaque 
jour  il  faisait  régulièrement  sa  visite  à  nos  pauvres 
malades.  Il  passait  au  milieu  des  souffles  de  la  mort 
qu'exhalaient  de  toutes  parts  ces  hommes  pestiférés,  pour 
écouter  les  pénitents,  consoler  les  affligés,  donner  les 
onctions  saintes  ou  le  pain  de  vie  aux  mourants,  et  pro- 
curer la  sépulture  aux  morts.  » 

Dans  la  séance  capitulaire  du  29  novembre  1757,  à 
laquelle  assista  M^^  de  Pontbriand,  le  Prélat  s'adressant  aux 
chanoines  leur  dit  «  qu'il  avait  été  très  édifié  du  zèle  que 
MM.  du  Chapitre  avaient  fait  paraître  pour  aller  assister  les 
moribonds  qui  étaient  à  l'Hôpital-Général,  attaqués  d'une 
maladie  très  contagieuse,  qui  avait  déjà  enlevé  six  con- 
fesseurs qui  s'y  étaient  prêtés  avec  le  même  zèle,  et  qu'il 
espérait  trouver  dans  le  Chapitre  le  même  secours  si 
malheureusement  il  était  obligé  de  prendre  les  mêmes 
mesures.  « 

Les  fièvres  durèrent  toute  l'année  1758  et  jusqu'au  mois 
de  mars  1759;  alors  elles  cessèrent  tout-à-fait: 

K  Mais,  ajoute  l'annaliste,  ce  ne  fut  que  pour  faire  place 
à  d'autres  circonstances  avec  lesquelles  nulle  de  celles  qui 
avaient  fait  jusqu'alors  sensation  daus  le  pays  ne  pouvait 
être  comparée.  » 

Et  elle  ajoute  encore  : 

«  Le  nombre  des  catholiques  décédés  en  notre  hôpital 
s^éleva  en  1757  à  quatre  cents,  et  en  1758  à  trois  cents: 
total,  sept  cents  personnes.  Trois  cent  quatre-vingt  dix- 
huit  étaient  militaires  ;  deux  cent  neuf  étaient  matelots  ; 
les  autres  étaient  de  la  ville  ou  de  la  maison.  Il  n'y  eut 
pas  de  mortalité  parmi  les  aumôniers  en  1758.  La  com- 
munauté, aussi,  fut  épargnée.  » 

Pour  comble  de  malheur,  une  disette  telle  que  la  colouie 


sous   M»'   DE   PONTBRIAND  475 

n'en  avait  pas  encore  éprouvé  de  semblable  vint  afflig^er 
les  Canadiens.  La  trop  grande  abondance  des  pluies  fit 
manquer  les  récoltes  deux  années  consécutives  ;  quelques- 
uns  des  vaisseaux  qui  apportaient  des  secours  de  France 
périrent  ou  furent  pris  par  les  Anglais  : 

«  La  famine,  écrit  M«^  Taschereau,  accompagna  la  peste 
de  1757.  Au  mois  de  mai,  il  fallut  réduire  les  habitants  de 
Québec  à  quatre  onces  de  pain  par  jour.  Le  Séminaire  fit 
d'énormes  sacrifices  pour  nourrir  ses  élèves  jusqu'aux 
vacances,  durant  lesquelles  ils  furent  renvoyés  chez  leurs 
parents  '^^. 

«  Le  28  septembre,  on  délibéra  s'il  serait  possible  de 
rouvrir  le  pensionnat  ;  mais  la  mauvaise  apparence  de  la 
récolte  obligea  de  suivre  le  conseil  de  l'Evêque,  en  suspen- 
dant les  fondations  et  en  se  bornant  aux  ecclésiastiques 
jusqu'à  l'arrivée  des  secours  de  France. 

((  L'année  suivante,  on  résolut,  malgré  la  disette  et  la 
cherté  des  vivres,  de  recevoir  vingt  des  pensionnaires  les 
plus  pauvres  et  incapables  de  continuer  leurs  études  hors 
du  Séminaire.  On  les  choisit  dans  les  deux  classes  les 
plus  élevées,  la  seconde  et  la  philosophie,  parce  que  l'inter- 
ruption prolongée  de  leurs  études  offrait  plus  d'inconvé- 
nients. Parmi  leurs  noms  se  trouve  celui  de  Pierre  De- 
Maut,  de  Montréal,  âgé  de  quinze  ans  :  c'est  le  dixième 
évêque  de  Québec.  Les  études  se  continuèrent  ainsi,  mal- 
gré la  disette  et  la  guerre,  jusqu'au  commencement  dm 
siège  de  Québec  '^*.  » 

La  Sœur  Duplessis,  supérieure  de  l'Hôtel-Dieu,  écrivait 
en  1757: 

«  Nous  sommes  affligées  du  fléau  de  la  famine  telle  qu'il 
ne  s'en  est  jamais  vu  de  semblable  au  Canada.     Les  rickes 


23.  N'oublions  pas  qu'en  temps  ordinaire  les  vacances  des  écoliers  se 
passaient  à  Saint- Joachim. 

24.  Hist.  manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 


47^  l'église  du  canada 

n'en  ont  pas  plus  que  les  pauvres,  et  ne  les  peuvent  pas, 
par  conséquent,  assister.  La  récolte  est  très  mauvaise,  et 
ce  pays  est  sans  ressource.  On  nous  fait  espérer  des  se- 
cours de  France  au  mois  de  mai  ;  mais  jusque-là  on  souffri- 
ra beaucoup.  La  seule  confiance  en  Dieu  peut  adoucir 
nos  craintes  et  nous  faire  profiter  de  cette  extrémité.  » 


Eh  bien,  sait-on  quelles  étaient  iles  dispositions  de  la 
haute  société  à  Québec,  au  milieu  des  horreurs  de  la  peste 
et  de  la  disette?  On  se  figure  peut-être  qu'on  s'y  couvrait 
de  sacs  et  de  cendres.  Ecoutons  la  mère  Saint-Claude  de  la 
Croix,  religieuse  de  l'Hôpital-Général:  elle  écrit  préci- 
sément à  cette  époque  à  une  religieuse  de  France  et  lui 
parle  des  riches  étoffes  qui  se  fabriquaient  au  Canada  pour 
les  ornements  d'églises  ;  puis  elle  ajoute: 

<(  Tous  nos  ornements  d'église  sont  fort  beaux  et  de  belles 
étoffes  d'or,  d'argent  et  de  soie.  Nous  sommes  accoutu- 
mees  a  en  voir,  car  jusqu'aux  servantes  s'en  habillent  dans 
notre  pays.  Le  luxe  y  est  aussi  grand  qu'à  Paris;  les 
dames  y  sont  d'une  magnificence  qu'on  n'y  peut  rien  ajou- 
ter ;  et  même  elles  portent  des  étoffes  d'or  et  d'argent. 
Je  crains  bien  que  cela  n'attire  la  malédiction  de  Dieu  sur 
notre  colonie.  L'amour  des  richesses  et  des  parures  fait 
la  principale  occupation  de  nos  dames  -^  ». 

((  Les  riches  n'en  ont  pas  plus  que  les  pauvres  «,  écrivait 
la  Sœur  Duplessis.  Elle  faisait  évidemmemt  abstraction 
de  Bigot,  dont  les  extravagances  pour  la  table,  pour  les 
réceptions,  pour  le  plaisir,  pour  le  jeu,  surtout,  faisaient 
liausser  les  épaules  à  Montcalm  lui-même. 

Ah,  que  le  digue  évêque  de  Québec,  M^^  de  Pontbriand, 


25.  Mgr  de  S aint-V allier  et  l'Hôp.    Général  de  Québec,  p.  331, 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  477 

devait  souffrir,  en  voyant  tant  de  luxe  à  côté  de  tant  de 
misère  dans  sa  ville  épiscopale  !  Pour  ménager  un  peu 
l'autorité  de  certains  personnages  officiels,  il  n'avait  pas 
encore  jugé  à  propos  de  s'élever  fortement  et  publiquement 
contre  leur  conduite  :  un  mot,  cependant,  que  nous  lisons 
dans  le  mandement  du  20  août  1757,  semble  annoncer  que 
la  mesure  est  pleine  : 

«  Ne  pénétrons  point,  dit-il,  dans  les  desseins  adorables 
de  la  Providence.  Tirons  seulement  cette  conséquence 
pratique,  que  dans  tous  les  événements  de  la  vie,  nous 
devons  envisager  la  justice  de  Dieu...  Souvenons-nous 
que  loin  de  lui  être  agréables,  nos  actions  de  grâces  mérite- 
ront les  effets  de  sa  colère,  si  elles  ne  sont  pas  soutenues 
par  la  réforme  de  nos  mœurs,  par  la  pratique  des  vertus 
chrétiennes.  Des  cantiques  de  louange  —  il  fait  allusion 
aux  le  Deum^  —  des  prières  qui  expirent  sur  les  lèvres  ne 
peuvent  jamais  êtres  reçues  favorablement.  » 

En  attendant,  le  saint  Evêque  ne  tarit  pas  de  zèle  pour 
toutes  les  fonctions  de  sa  charge.  Il  administre  avec  soin 
son  vaste  diocèse,  il  voit  à  tout,  il  dirige  tout,  avec  l'aide 
de  l'unique  prêtre  qu'il  a  avec  lui,  M.  Briand,  son  grand 
vicaire,  qui  lui  sert  en  même  temps  de  secrétaire  :  tous  ses 
mandements  sont  contresignés  jjar  lui.  Il  a  failli  le  perdre 
dans  l'automne  de  1757  :  la  maladie  l'a  terrassé  un  instant, 
pendant  qu'il  servait  d'aumônier,  à  son  tour,  à  l'Hôpital- 
Général  :  la  Providence,  fort  heureusement,  le  lui  a  con- 
servé : 

«  On  ne  peut  assez  dire,  écrit  au  ministre  l'abbé  de  l'Ile- 
Dieu,  à  quel  point  de  vigilance  et  d'attention  M.  l'Evêque 
de  Québec  porte  ses  regards  paternels  sur  tous  les  besoins 
de  son  diocèse.  Quelque  surchargé  qu'il  soit,  à  Québec, 
du  soin  des  malades  dont  l'Hôpital-Général  regorge,  il  a 
mieux  aimé  y  suppléer  lui-même  et  se  détacher  des  prêtres 
qu'il  y  pouvait  employer,  pour  les  envoyer  dans  des  postes 


478  l'église  du  canada 

éloignés,  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  oii  les  habitants 
manquaient  de  secours  spirituels  et  d'encouragement  pour 
la  culture  des  terres.  .  .  Il  est,  on  ne  dira  pas  sans  aumô- 
nier et  sans  secrétaire,  car  il  sait  s'en  passer,  mais  sans 
prêtre  pour  l'accompagner  et  le  soulager  dans  la  visite 
et  l'administration  des  malades,  où  il  consacre  les  jours 
entiers  et  la  plupart  des  nuits  :  sans  compter  que  de  cinq 
jours  en  cinq  jours  il  y  passe  vingt-quatre  heures  sans 
sortir.  Sa  seule  ressource  est  un  de  ses  chanoines,  M. 
Briand,  qui  depuis  dix-sept  ans  ne  l'a  point  quitté,  et  qui, 
sans  manquer  à  aucun  office  canonial,  trouve  le  secret 
d'être  comme  l'ombre  de  son  respectable  Prélat  dans  toutes 
les  occasions  où  il  s'agit  d'exercer  ses  œuvres  de  charité  et 
de  remplir  les  fonctions  du  ministère  ".  » 

Le  4  juillet  1757,  le  Prélat  donna  la  Confirmation  dans 
sa  cathédrale  à  plus  de  douze  cents  personnes,  les  enfants 
à  la  mamelle  eux-mêmes  y  étant  admis.  Les  enfants  de 
sept  ans  et  au-dessus  y  avaient  été  préparés  par  des  caté- 
chismes faits  exprès,  trois  fois  la  semaine,  à  la  paroisse,  à 
la  Basse-Ville  et  à  Saint-Roch,  et  par  une  confession  géné- 
rale ^. 

Quelques  semaines  plus  tard,  le  Prélat  préside  lui-même 
la  Retraite  ecclésiastique,  donnant  ainsi  l'exemple  à  ses 
prêtres.  Ils  ont  besoin  de  se  réconforter  dans  les  jours 
mauvais  qu'ils  traversent  et  pour  les  temps  encore  plus 
sombres  qui  s'annoncent. 

Le  nouveau  supérieur  du  Séminaire,  M.  Pressart,  est  là  ; 
il  a  remplacé  M.  de  Villars,  qui  est  parti  pour  la  France  : 
il  fait  la  retraite  avec  ses  confrères,  dont  deux  mourront 
dans  quelques  semaines,  martyrs  de  leur  devoir.  Outre 
les  prêtres  de  la  ville,  il  y  a  à  la  Retraite  une  vingtaine  de 
curés  du  district  de  Québec. 

27.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 
2^8  Journal  du  curé  Récher. 


sous   M«^   DE   PONTBRIAND  479 

Ils  se  pressent  autour  de  leur  Evêque  qu'ils  chérissent, 
et  dont  ils  ont  souvent  admiré  le  zèle,  au  cours  de  ses 
visites  pastorales.  Ils  craignent  maintenant  de  le  perdre  : 
sa  santé  qui  était  si  robuste  semble  décliner  de  jour  en 
jour.  L'année  1758,  dont  nous  parlerons  au  prochain 
chapitre,  verra  le  pieux  et  saint  Prélat  entreprendre  une 
dernière  visite  pastorale  dans  les  paroisses  du  bas  du  fleuve, 
au  grand  étonnement  du  clergé  et  des  fidèles,  partagés 
entre  l'admiration  d'un  pareil  :zèle  apostolique,  et  la 
crainte  de  perdre  avant  le  temps  un  Evêque  aussi  dévoué 
au  bien  de  ses  ouailles. 


CHAPITRE   XXXV 


LA    GUERRE    DE    SEPT-ANS,     AU    CANADA     (1758)  :  — 

III.    MANDEMENTS  DE  M^*"  DE  PONTBRIAND 

{suite).  —  CARILLON 

Les  Anglais,  décidés  à  s'emparer  du  Canada.  —  Mandement  de  Mgr  de 
Pontbriand.  —  Détresse  et  misère,  au  Canada.  —  La  culture  des 
patates.  —  Siège  et  prise  de  Louisbourg.  —  Victoire  de  Carillon.  — 
Mandement  de  l'Evêque;  Te  Detim.  —  Lettre  touchante  de  Mgr  de 
Pontbriand  à  ses  sœurs  les  Visitandines. 

L'Angleterre  se  sentait  humiliée  de  tous  les  échecs 
qu'elle  avait  subis  au  Canada  depuis  le  commen- 
cement de  la  guerre  ;  elle  l'était  d'autant  plus  qu'elle 
avait  plus  compté  sur  le  succès  de  ses  entreprises.  La 
déception,  surtout,  qu'elle  avait  éprouvée,  au  commen- 
cement de  juillet  1757,  en  voyant  Lord  Holburn  renoncer 
à  faire  le  siège  de  Louisbourg  dont  il  avait  promis  de 
s'emparer,  lui  faisait  mal  au  cœur:  une  armée  régulière 
de  onze  mille  hommes,  montée  sur  une  flotte  de  vingt 
vaisseaux  de  ligne,  qui  s'avance  pour  s'emparer  d'une 
place,  et  se  retire  aussitôt  sans  coup  férir,  sur  la  simple 
nouvelle,  rien  moins  que  prouvée,  qu'elle  est  occupée  par 
une  garnison  de  six  mille  hommes,  et  à  la  vue  d'une 
escadre  française  qui  vient  au  secours  des  assiégés  :  voilà 
certe  un  épisode  peu  glorieux. 

On  avait  juré  de  se  reprendre  en  1758.  Le  grand 
ministre  Pitt  qui  était  à  la  tête  de  l'administration  anglaise 
écrivit  aux  gouverneurs  des  colonies  de  la  Nouvelle-Angle- 


l'église  du  canada  sous  m*""  de  pontbriand     481 

terre  de  lever  autant  de  miliciens  que  possible  :  et  bientôt, 
avec  le  contingent  de  troupes  régulières  que  fournit  la 
Grande-Bretagne,  on  eut  une  armée  de  plus  de  cinquante 
mille  hommes  à  lancer  sur  le  Canada. 

M»^  de  Pontbriand  n'eut  pas  plutôt  appris  le  danger  dont 
la  colonie  et  par  là  même  son  Eglise  étaient  menacées, 
qu'il  adressa  un  mandement  à  ses  diocésains  pour  prescrire 
des  prières  publiques.     Ce  mandement  est  du  20  janvier 

1758: 

(f  La  colonie,  victorieuse  jusqu'ici,  dit-il,  ne  présente 
dans  son  sein  que  des  objets  lugubres  et  des  motifs  d'in- 
quiétude qui  semblent  devoir  bannir  toute  consolation. 
Moins  frappé  des  succès  et  des  victoires  que  touché  de  la 
misère  que  vous  ressentez,  notre  devoir  est  de  nous  attris- 
ter avec  vous.  Et  cette  tristesse  commune*^" doit  nous 
réunir  dans  le  même  esprit  de  piété  pour  nous  adresser  à 
Dieu  et  le  supplier  d'écarter  les  dangers  qui  nous  menacent. 

«  Et  qu'ils  sont  grands,  Nos  Très  Chers  Frères,  ces  dan- 
gers, surtout  si  pour  ensemencer  les  terres  il  faut  encore 
retrancher  sur  notre  subsistance!  bien  plus  grands,  si,  par 
des  événements  imprévus,  les  secours  de  France  sont  retar- 
dés ou  interceptés  !  Quel  cahos  immense  de  calamités  pour 
l'Etat  et  la  Religion,  si  nos  ennemis,  irrités  de  leurs  pertes, 
veulent  profiter  de  notre  situation  et  s'approchent  de  nos 
frontières  ! . .  .  » 

Puis,  à  la  vue  des  désordres  qui  régnent  à  l'Intendance 
et  dans  la  haute  société  de  Québec,  il  exhorte  ses  diocésains 
à  faire  pénitence  pour  éloigner  les  châtiments  dont  ils  sont 
menacés  : 

«  Sans  un  cœur  contrit,  dit-il,  les  jeûnes,  les  sacrifices  et 
les  vœux  ne  détournent  jamais  les  fléaux  de  la  justice 
divine.  » 

Les  Canadiens  sont  condamnés]  à  [dç:  grands  sacrifices. 
Déjà,   «  on   ne  délivre  que  quatre  onces  de  pain  chez  le 


482  l'église  du  canada 

boulanger  pour  chaque  habitant,  et  huit  onces  pour  les 
troupes.  »  L'habitant  devra  bientôt  se  contenter  de  deux 
onces  ^  On  entend  çà  et  là  de  vSérieux  murmures.  Il  y 
aurait  révolte,  si  M.  de  Vaudreuil  n'était  là;  on  lui  par- 
donne tout,  tant  on  le  sait  dévoué  aux  Canadiens  !  Néan- 
moins l'Evêque  juge  à  propos  de  venir  à  son  secours  : 

«  Ne  vous  y  trompez  pas,  Nos  Très  Chers  Frères  ;  mur- 
murer contre  les  ordres  de  ceux  qui  vous  gouvernent, 
c'est  attaquer  Dieu  même:  Qui  resistit  potestati^  Der 
ordinationi  resistit  '^  :  paroles  de  l'Esprit-Saint,  paroles  qui 
doivent  nous  conduire  dans  les  circonstances  présentes. 
Les  esprits  peuvent  se  diviser  sur  les  mesures  qu'on  pour- 
rait prendre  :  dans  le  cas  de  partage,  c'est  aux  puissances 
d'ordonner  et  à  nous  d'obéir.  .  .  » 

Il  invite  alors  les  fidèles  à  prier  «  avec  confiance,  sans 
hésiter,  avec  foi  »  ;  et  il  leur  recommande  surtout  l'Oraison 
Dominicale  : 

Qu'elle  doit  être  puissante  et  efficace,  dit-il,  cette  prière 
dictée  par  la  bouche  même  de  Jésus-Christ  !  Au-dessus  de 
toutes  les  autres,  elle  seule  suffit  ;  et  par  elle-même  elle 
doit  être  la  plus  agréable  au  Seigneur,  qui,  selon  saint 
Augustin,  lui  a  communiqué  une  grâce  particulière  ;  y 
trouver  du  goût,  c'est  la  marque  la  moins  équivoque  de 
notre  prédestination.  Si  vous  la  méditez  attentivement, 
vous  y  trouverez  l'abrégé  de  l'Evangile  et  de  toute  la 
doctrine  chrétienne  :  Breviariicm  totius  Evangelii.  Dès 
vos  plus  tendres  années,  vous  l'avez  apprise,  cette  prière 
divine.  Nous  ne  pouvons  assez  vous  exhorter  à  la  réciter 
souvent,  et  toujours  avec  respect,  avec  attention,  en  réflé- 
chissant sur  chaque  parole.  .  .  » 

Le  Prélat  enjoint  ensuite  à  ses  curés  «d'expliquer 
souvent  au  peuple  l'Oraison  Dominicale»;  puis  il  ordonne 

1.  Mgr  de  Saxnt-V allier  et  l'Hôp.  Général  de  Québec,  p.  333. 

2.  Rom.,  XIII,  2. 


sous    M^   DE    PONTBRIAND  483 

des  prières  et  des  exercices  publics,  entre  autres  «  une  pro- 
cession en  dedans  ou  en  dehors  de  l'église  »,  qui  se  fera  le 
premier  dimanche  de  carême,  après  vêpres.  «  On  y  chan- 
tera les  litanies  de  la  Très  vSainte  Vierge  et  des  Saints. 
On  y  portera  la  statue  de  la  sainte  Vierge,  et  quelques 
reliques,  s'il  est  possible  ^  » 

Dans  le  grand  besoin  de  vivres  où  se  trouvait  la  colonie, 
le  gouverneur  avait  songé  à  demander  aux  curés  «  de  céder 
au  Roi  »  la  dîme  qu'ils  recevraient  en  1758  ;  et  l'Evêque 
crut  devoir  les  engager  lui-même  à  faire  ce  sacrifice,  s'il 
leur  était  demandé  ^  Nous  n'avons  pu  nous  assurer  s'il 
fut  donné  suite  à  ce  dessein,  qui  paraissait  vraiment 
excessif.  Le  clergé,  comme  le  peuple,  était  bien  disposé 
à  faire  tous  les  sacrifices  nécessaires  ;  il  ne  fallait  pourtant 
pas  lui  demander  l'impossible  et  lui  ôter  les  moyens  de 
vivre.  On  avait  retranché  aux  Sulpiciens  la  somme  de 
six  mille  livres  qu'on  leur  accordait  annuellement  :  ils 
protestèrent  ^  On  voulut  également  retrancher  le  supplé- 
ment donné  aux  curés  qui  ne  pouvaient  vivre  du  produit 
de  leurs  dîmes;  et  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  protesta  en  leur 
nom  : 

«  Il  est  inutile,  écrit-il  au  ministre,  de  vouloir  former  des 
colonies  sans  colons;  on  ne  peut  les  rassembler  en  villages 
et  les  former  en  paroisses  si  on  ne  leur  donne  des  prêtres 
pour  en  desservir  les  postes  ;  et  ces  mêmes  prêtres  n'y 
peuvent  rester,  si  on  ne  leur  donne  de  quoi  subsister  et 
s'entretenir  ^.  » 

Bigot,  qui  vivait  dans  l'abondance  au  milieu  de  la  mi- 
sère générale,  poussait  le  cynisme  à  un  degré  incroyable  : 
il  avait  donné  ordre  à  deux  de  ses  agents.  Contrecœur  et 

3.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  125,  20  janvier  1758. 

4.  Ibid.,  p.  130,  Circulaire  du  13  février  1758. 

5.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  234,  281. 

6.  Corresp.  générale,  vol.  102,  lettre  du  30  octobre  1757. 


484  L'éGLISE   DU   CANADA 

Monrepos,  de  parcourir  les  campagnes,  et  d'exiger  de 
chaque  habitant  qu'il  déclarât  sous  serment  tout  ce  qu'il 
possédait  en  fait  de  comestibles  : 

«  Ce  dernier  acte  de  tyrannie,  écrit  l'abbé  Casgrain, 
acheva  d'indigner  le  clergé,  qui  prit  ouvertement  la  cause 
du  peuple.  D'après  l'avis  de  l'Evêque,  il  releva  les  habi- 
tants de  cet  injuste  serment,  disant  avec  raison  que  si  le 
Roi  voulait  conserver  sa  colonie,  il  devait  lui  en  fournir 
les  moyens  ;  que  nulle  puissance  n'avait  le  droit  d'arracher 
au  peuple  les  dernières  bouchées  de  pain  qui  lui  restaient, 
surtout  quand  on  ne  lui  laissait  ni  le  temps  de  semer,  ni 
celui  de  récolter,  et  que  de  plus  on  exigeait  qu'il  fût  le 
premier  à  verser  son  sang  sur  les  champs  de  bataille  ^.  » 

On  aura  une  idée  de  la  misère  qui  régnait  à  cette  époque 
dans  nos  campagnes  par  ce  petit  passage  de  Bougainville  : 
((  Beaucoup  de  gens  ne  vivent  que  de  pêche  et  jeûnent 
quand  il  ne  prennent  rien.  Quelques  habitants  sont  ré- 
duits à  vivre  d'herbes.  » 

«  L'ingénieur  Desandrouins,  écrit  l'abbé  Casgrain,  ra- 
conte qu'en  montant  de  Québec  à  Montréal,  au  milieu  de 
mai,  il  trouva  partout  la  même  détresse.  Nulle  part  il 
n'y  avait  de  pain.  Sans  la  chasse  du  printemps,  surtout 
celle  des  tourtes  qui  donnaient  alors  en  abondance  ^,  beau- 
coup de  personnes  seraient  mortes  de  faim  ^.  >> 

C'est  précisément  à  cette  époque  que  le  ministre  écrivit 
sêm  gouverneur  et  à  l'intendant  une  lettre  vraiment  curieuse 
au  sujet  de  la  culture  des  patates,  «  ce  légume  farineux, 
nourrissant,  disait-il,  qui  convient  aussi  bien  à  l'homme 
qu'au  bétail  ».  Sa  culture,  ajoutait-il,  «  serait  d'une  grande 
ressource  dans  un  temps  de  disette  ».     Il  faudrait  voir,  ce- 


7.  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  351. 

8.  "Il   y   avait   tant    de   tourtes    qu'on    les   tuait   avec    des   bâtons.  " 
{Voyage  au  Canada,  par  J.  C.  B.,  p.  43). 

9.  Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p   374. 


sous    M^'""    DE    PONTBRIAiND  485 

pendant,  si  elle  ne  ferait  pas  diminuer  la  culture  du  blé, 
«  après  qu'on  se  serait  accoutumé  à  vivre  de  patates  »  ;  et 
si  les  sauvages,  surtout,  «  peu  capables  des  soins  que  de- 
mandent les  grains,  ne  se  contenteraient  pas  de  la  culture 
des  patates,  qui  n'en  demande  aucun.  »  Et  puis,  ajoutait 
le  ministre,  «  n'y  aurait-il  pas  à  craindre,  de  la  part  des 
kabitants,  du  refroidissement  pour  la  culture  des  grains? 
Ce  refroidissement  les  conduirait  insensiblement  à  la  pa- 
resse, et  il  est  intéressant  de  les  entretenir  dans  l'acti\ité 
et  le  travail  qui  en  ont  fait  jusqu'aujourd'hui  un  peuple  si 
brave  »  ^^. 

Curieux  spécimen  de  préoccupation  paternelle  chez  ce 
ministre  ! 

Il  lui  fut  répondu  que  la  patate  n'était  pas  un  légume 
tout-à-fait  inconnu  au  Canada,  mais  que  les  Canadiens 
aimaient  encore  mieux  le  bon  pain  de  froment  que  les 
patates.  «  La  patate,  disait  M.  de  Vaudreuil,  ne  procurera 
jamais  d'argent  aux  habitants;  et  comme  il  leur  en  faut, 
ils  donneront  toujours  la  préférence  à  la  culture  du  blé, 
qui  a  une  valeur  assurée  ^\  » 

Quelques  vaisseaux  français  arrivèrent  à  Québec  vers  la 
fin  du  mois  de  mai,  chargés  de  provisions  ;  mais  il  n'y  en 
avait  pas  trop  pour  les  troupes.  M»^  de  Pontbriand  écri- 
vait le  17  juin  à  ses  sœurs  les  Visitandines  de  Rennes  : 

((  La  misère  a  été  extrême  cet  hiver.  Elle  n'est  oruère 
moindre  maintenant.  Il  n'y  a  aucun  moyen  de  soulager 
les  pauvres,  quelque  bonne  volonté  qu'on  en  ait,  parce  que 
les  vivres  manquent.  Nous  en  avons  pourtant  reçu  en 
quantité  ;  mais  ils  sont  nécessaires  pour  les  opérations  mi- 
litaires, et  le  peuple  ne  s'en  ressent  que  très  peu  :  on  lui 
donne  seulement,  depuis  l'arrivée  des  vaisseaux,  un  quar- 
teron par  jour. 

10.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  255. 

11.  Corresp.  générale,  vol.  103,  lettre  au  ministre,  8  août  1758. 


486  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

((  D'ailleurs,  ajoutait-il,  nous  soutenons  toujours  notre 
supériorité  sur  les  Anglais.  Il  serait  à  souhaiter  que  la 
France  européenne  fût  aussi  heureuse  ^'^ . .  .  » 

C'est-à-dire  qu'à  cette  date,  17  juin  1758,  on  ne  savait 
pas  encore  à  Québec  qu'une  armée  anglaise  de  quinze  mille 
hommes  venait  de  mettre  le  siège  devant  Louisbourg,  et 
que  Wolfe,  sous  les  ordres  d'Amherst,  en  avait  commencé 
le  bombardement,  comme  il  devait  faire  l'année  suivante 
à  Québec.  On  est  surpris,  d'ailleurs,  de  la  similitude  de 
plusieurs  circonstances  au  siège  de  Québec  et  à  celui  de 
Louisbourg.  Wolfe,  débarqué  sur  la  grève  de  la  Cormo- 
randière,  dans  la  baie  de  Gabarus,  escalade  la  falaise  à  un 
endroit  qui  n'était  pas  gardé,  parce  qu'on  le  jugeait  inacces- 
sible, comme  il  fit  l'année  suivante  au  Foulon.  Boishébert  *', 
à  l'extrémité  opposée  du  Cap-Breton,  à  Port-Toulouse,  a 
sous  ses  ordres  un  contingent  important  de  troupes  cana- 
diennes et  acadiennes,  avec  un  nombre  considérable  de 
Micmacs  que  lui  a  amenés  l'abbé  Maillard  et  qui  brûlent 
d'aller  combattre  les  Anglais.  Il  a  ordre  d'aller  secourir 
Louisbourg,  et  M.  Drucour,  le  commandant  de  la  place, 
compte  sur  lui.  Il  l'attend  avec  impatience.  Mais  Bois- 
hébert  n'avance  à  rien  ;  il  temporise,  malgré  les  sollicita- 
tions pressantes  de  l'abbé  Maillard  '*.  Il  finira  cependant 
par  se  rendre  à  Louisbourg,  mais  trop  tard,  et  sera  accusé 
de  trahison.  A  Louisbourg,  comme  à  Québec,  les  mêmes 
sentiments  d'antipathie  entre  les  troupes  françaises  et  les 
milices  coloniales  ^^.  L'île  de  l'Entrée,  la  Tour  de  la 
Lanterne,  la  disposition  du  camp  de  l'armée  anglaise 
autour  de  Louisbourg,  tout  cela  ressemble  à  ce  que  l'on 


12.  Cité  dans  Le  dernier  Bvêqiie  du  Canada  français,  p.  220. 

13.  Fils   de    Louis-Henri   Deschamps   de    Boishébert,    seigneur   de   la 
Rivière-Ouelle. 

14.  Rapport. . .  pour  içojj  p.  269. 

15.  Monîcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  482. 


sous   M^*"   DE   PONTBRIAND  487 

verra  dans  rautomne  de  1759  à  l'île  d'Orléans,  sur  les 
falaises  de  Lévis  et  celles  de  l' Ange-Gardien.  Tout  est 
ravagé  à  Louisbourg  et  dans  les  environs,  dans  toute  l'île 
Royale  et  à  l'île  Saint-Jean,  comme  il  sera  fait  plus  tard 
dans  les  environs  de  Québec  et  sur  les  deux  rives  du  Saint- 
Laurent.  Wolfe  exécute  dans  le  Golfe,  avec  toute  la  rigi- 
dité anglaise,  les  ordres  de  son  chef  Amherst,  mais  il  le 
fait  évidemment  à  regret  :  il  a  conscience  de  l'horreur  de 
son  acte  : 

«  Vos  ordres  ont  été  exécutés,  écrit-il  à  Amherst  ;  nous 
avons  fait  beaucoup  de  mal  et  répandu  la  terreur  des  armes 
de  Sa  Majesté  dans  toute  retendue  du  Golfe;  mais  nous 
n'avons  rien  ajouté  à  sa  réputation.  » 

Ce  sera  à  Québec  la  même  rigidité  implacable,  par 
crainte  de  l'opinion  anglaise. 

Enfin  Drucour,  le  vaillant  et  intrépide  Drucour,  se  voit 
obligé  de  capituler,  pour  se  rendre  aux  instantes  prières 
de  la  population,  comme  on  le  fera  l'année  suivante  à 
Québec.  Mais  l'histoire  tiendra  compte  de  sa  défense 
héroïque,  ainsi  que  de  la  conduite  admirable  de  sa  femme, 
qui  tous  les  jours  pendant  le  siège,  pour  encourager 
l'ardeur  des  soldats,  allait  elle-même  allumer  quelques 
pièces  de  canons  pour  bombarder  l'ennemi. 

M«^  de  Pontbriand  était  en  visite  pastorale  sur  la  côte 
sud,  loin  de  Québec,  lorsqu'il  apprit  la  triste  nouvelle  de 
la  capitulation  de  Louisbourg,  qui  ouvrait  aux  Anglais  la 
porte  de  la  colonie.  Malade  depuis  longtemps,  il  était 
parti  le  22  juin,  contre  l'avis  du  clergé  de  sa  ville  épisco- 
pale,  voulant  à  tout  prix  accomplir  les  fonctions  de  sa 
charge,  espérant  d'ailleurs  que  le  voyage  lui  ferait  du  bien  : 

«  Ma  santé  diminue  tous  les  jours,  écrit-il  à  ses  sœurs  le 
17  juin.  Je  ne  suis  pas  encore  guéri  d'un  gros  rhume 
dont  je  suis  travaillé  depuis  le  mois  de  novembre  dernier. 
Quelles  en  seront  les  suites  ?     Je  n'en  sais  rien.     Le  me- 


488  l'Église  du  canada 

decin  ne  m'en  annonce  point  cependant  de  fâcheuses  ;  et 
j'entreprends  le  22  du  courant  la  visite  d'une  partie  de 
mon  diocèse,  quoique  quelques  personnes  n'en  soient 
point  d'avis.     Peut-être  l'action  me  sera-t-elle  avantageuse.  » 

Il  nous  apprend  dans  une  autre  lettre  qu'il  visita  des 
paroisses  sur  un  parcours  de  trente  lieues;  et  c'est  dans 
cette  visite  qu'il  apprit  la  brillante  victoire  remportée  par 
Montcalm  le  8  juillet  à  Carillon.  Il  se  hâta,  à  son  retour 
à  Québec,  d'adresser  quelques  lignes  à  ses  diocésains  sous 
forme  d'un  mandement  ordonnant  un  Te  Deîtm  solennel  à 
l'occasion  de  cette  glorieuse  victoire  ^".  Mais  ce  man- 
dement se  ressent  évidemment  de  la  hâte  avec  laquelle  il 
fut  obligé  de  l'écrire,  non  moins  que  de  la  fatigue  et  de  la 
maladie  dont  souffrait  le  pieux  Prélat.  Il  n'est  vraiment 
à  la  hauteur  ni  de  ses  autres  mandements,  ni  de  l'affaire 
de  Carillon,  l'une  des  plus  éclatantes,  la  plus  éclatante 
peut-être,  que  consignent  nos  annales?  Pourquoi,  d'ail- 
leurs, y  avoir  substitué  au  nom  de  Carillo7i  ^^  celui  de 
Vaudreîiil?  Est-ce  que  réellement  pendant  quelque  temps 
on  donna  à  ce  fort,  à  ce  promontoire  célèbre,  le  nom  de 
Vaudreuil?  En  tout  cas,  la  chose  fut  bien  éphémère;  et 
c'est  Carillon,  c'est  Montcalm  qui  demeurera  toujours  dans 
l'âme  populaire  : 

«  Au  jugement  de  ceux  qui  dirigent  et  exécutent  les 
opérations  militaires,  dit  le  Prélat,  la  victoire  remportée  le 
8  de  ce  mois  près  le  fort  Vaudreuil,  renferme.  Nos  Très 
Chers  Frères,  des  traits  si  marqués  d'une  protection  visible 
du  Ciel,  que  vous  êtes  déjà  sans  doute  entrés  dans  les  sen- 


17.  Le  Te  Deiun  pour  Carillon  fut  aussi  chanté  en  France;  et  dans 
la  lettre  qui  l'ordonnait  le  Roi  parlait  de  "  ses  braves  soldats  du  Cana- 
da ".  {Montcalm  et  Lévis,  t.  II,  p.  41).  A  Paris  —  chose  curieuse  à 
noter  —  c'est  l'ancien  évêque  de  Quél3ec,  Mgr  Dosquet,  devenu  le  pre- 
«ier  grand  vicaire  de  l'archevêque,  qui  signa  le  mandement  pour  le 
Te  Deitm  de  Carillon.  (Recherches  historiques,  vol.  XV,  p.  237). 

18.  Le  mot  Carillon  vient  du  bruit  étourdissant  que  font  les  chutes 
de  la  rivière  qui  relie  le  lac  George  au  lac  Champlain. 


sous    M^"^    DE    PONTBRIAND  489 

tiinents  de  la  plus  vive  reconnaissance  :  Tarmée  ennemie, 
au  moins  de  quatre  fois  supérieure  à  la  nôtre  ^^,  s'était,  après 
des  marches  forcées  et  des  travaux  immenses,  rendue 
presque  au  point  d'établir  ses  batteries  et  n'avoir  à  forcer 
qu'un  faible  retranchement  fait  en  vingt-quatre  heures; 
animée  par  le  succès  qu'elle  avait  eu  deux  jours  aupara- 
vant ^^,  elle  pouvait  s'en  promettre  de  plus  considérables  ; 
les  nations  (sauvages)  qui  impriment  tant  de  terreur  à 
l'ennemi  n'étaient  pas  encore  arrivées  ;  les  temps  fâcheux 
arrêtaient  les  vivres  nécessaires  :  la  prudence  consommée 
du  Général,  la  valeur  à  toute  épreuve  des  officiers  et  la 
bravoure  du  soldat  ne  pouvaient  surmonter  tous  ces  obs- 
tacles réunis  sans  le  secours  puissant  du  Seigneur.  Nous 
le  demandions  depuis  longtemps  par  les  prières  publiques, 
et  il  nous  a  été  accordé  dans  le  moment  le  plus  critique. 
L'ennemi  est  mis  en  fuite  et  perd  près  de  quatre  mille 
hommes  ;  nous  n'en  perdons  qu'environ  deux  cents.  Cette 
victoire  éclatante,  et  au-dessus  de  celles  qui  ont  précédé, 
exige  de  vous,  Nos  Très  Chers  Frères,  des  actions  de 
grâces  solennelles.  En  remerciant  le  Dieu  des  armées, 
prions  avec  ardeur  pour  ceux  qui  sont  morts  depuis  le 
commencement  de  cette  campagne.  .  .  » 

Rien  d'essentiel,  sans  doute,  n'était  oublié  dans  ce  man- 
dement. Mais  il  nous  semble  évident  que  le  digne  Prélat 
n'avait  pas  encore  eu  le  temps  de  connaître  les  détails  de 
Carillon,  les  ingénieux  travaux  imaginés  et  exécutés  par 
Montcalm  pour  se  protéger  contre  l'armée  anglaise,  pour 
protéger  son  fort,  sa  vaillante  petite  armée,  et  se  retran- 


19.  Abercombie  avait  sous  ses  ordres  25,000  hommes  ;  Montcalm,  à 
f  einc  4,000  :  "  Abercombie,  dit  l'abbé  Casgrain,  se  voyait  à  la  tête  de  la 
plus  grande  armée  d'origine  européenne  qui  eût  jamais  mis  le  pied  en 
Amérique."  (Montcalm  et  Lévis,  t.  I,  p.  387). 

20.  Allusion  à  l'affaire  de  la  Rivière  à  la  Chute,  où  le  commandant 
français,  M.  de  Trépesec,  fut  blessé  à  mort,  et  où  les  Anglais  restèrent 
victorieux,  mais  perdirent  Lord  Howe,  "  la  fleur  de  la  noblesse,  le 
Meilleur  soldat  de  leur  armée  "  :  ce  qui  fut  pour  eux  un  vrai  désastre. 


490  I^'ÉGLISE   DU   CANADA 

cher  derrière  des  amas  de  troncs  d'arbres,  enchevêtrés  avec 
leurs  branches  les  uns  dans  les  autres,  de  manière  à  former 
des  chevaux  de  frize,  une  muraille  quasi  impénétrable,  où 
l'on  avait  ménagé  des  meurtrières  pour  pouvoir  tirer  sur 
l'ennemi,  tout  en  étant  à  l'abri  de  ses  coups;  il  ne  savait 
peut-être  pas  tout  l'art  merveilleux  avec  lequel  il  avait 
disposé  ses  bataillons,  ses  officiers,  confié  à  chacun  sa 
tâche,  déjoué  les  ruses  de  l'ennemi;  il  ne  se  rendait  peut- 
être  pas  compte  de  cette  tactique  militaire  vraiment  in- 
comparable, et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  de  ces  «  moyens 
humains  »  tout  à  fait  supérieurs  dont  s'était  servi  la  Pro- 
vidence pour  arriver  à  ses  fins  :  le  Prélat,  ce  nous  semble, 
en  aurait  dit  un  mot,  s'il  les  eût  connus:  il  n'aurait  pas 
manqué  de  signaler  l'empressement  avec  lequel  M.  de 
Vaudreuil  dépêcha  Lévis  avec  un  fort  contingent  de  Cana- 
diens au  secours  de  Montcalni,  aussitôt  que  celui-ci  lui  en 
fit  la  demande  :  il  n'aurait  pas  inanqué,  surtout,  de  rendre 
hommage  à  l'intrépidité  héroïque  avec  laquelle  nos  mi- 
lices canadiennes  firent  plusieurs  sorties  contre  les  en- 
nemis chaque  fois  que  leur  chef  aimé  et  respecté,  Lévis, 
leur  criait  :  «  En  avant.  Canadiens  !  »  nos  milices  cana- 
diennes qui,  comme  l'écrivait  tout  récemment  un  de  nos 
publicistes,  «  couronnèrent  d'une  auréole  la  victoire  de  Ca- 
rillon -^  w  II  nous  semble  enfin  que  s'il  l'eût  connu,  le 
vénéré  Prélat  n'eût  pas  manqué  de  signaler  à  ses  diocésains 
le  geste  magnifique  de  Montcalm,  après  sa  victoire,  plan- 
tant une  grande  croix  sur  le  lieu  même  de  son  triomphe 
déposant  son  épée  au  pied  de  cette  croix,  et  rapportant 
toute  gloire  au  Dieu  des  armées  -^ 


21.  L'Action  Sociale  de  Québec,  2  janvier  1914. 

22.  Montcalm  avait  fait  mettre  sur  la  croix  l'inscription  suivante,  qui 
était  bien  conforme  aux  sentiments  de  Mgr  de  Pontbriand  :  **  Quid  duxf 
Quid  miles?  Quid  strata  ingentia  ligna f  En  signum!  Bn  victor!  Deus 
hic,  Deus  ipse  triumphat!"  —  "Puis  le  soir,  écrit  René  Bazin,  à  la 
lueur  longue  du  jour  allongée  par  le  reflet  du  lac,  il  écrivait:  "  Quelle 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  49I 

Malheureusement,  le  succès  de  Moritcaltu  à  Carillon  ne 
pouvait  avoir  qu'un  résultat  éphémère.  La  colonie  était 
perdue  pour  la  France:  après  la  prise  de  Louisbourg  par  les 
Anglais,  celle  de  Frontenac,  où  commandait  M.  de  Noyan, 
celle  du  fort  Duquesne,  défendu  bravement  par  M.  de 
Ligneris,  qui  le  fit  sauter, 'plutôt  que  de  le  livrer  à  l'ennemi. 
Nous  étions  encerclés  de  toutes  parts,  et  ne  pouvions  que 
nous  souhaiter,  dans  la  supposition  très  probable  qu'il  fau- 
drait nous-mêmes,  avant  longtemps,  nous  rendre  à  l'ennemi, 
d'avoir  un  sort  plus  heureux  que  celui  qui  venait  d'être 
fait  à  Louisbourg  :  toute  la  garnison  de  cette  ville  em- 
menée captive  en  Angleterre,  toute  la  population  de  l'île 
Royale  conduite  en  France  ;  tous  les  habitants  de  l'île 
Saint-Jean  dispersés  comme  leurs  compatriotes,  les  Aca- 
diens,  loin  de  leurs  foyers  :  quelle  pitié  î 

Ah,  que  M^^  de  Pontbriand  avait  raison,  lorsqu'il  re- 
commandait à  ses  diocésains,  dans  le  mandement  que  nous 
venons  de  citer,  de  ranimer  leur  confiance  en  Dieu  ! 

«  Assistez,  dissit-il,  avec  plus  d'exactitude  que  jamais 
aux  prières  prescrites  par  notre  dernière  lettre  pastorale. 
Les  maladies  peuvent  s'augmenter  ;  les  peuples  souffrent 
de  la  disette  ;  la  récolte  ne  présente  rien  d'assuré  ;  nous 
attendons  encore  plusieurs  secours  de  France;  l'ennemi 
fera  probablement  de  nouveaux  efforts.  Plus  les  dangers 
sont  grands,  plus  notre  confiance  en  la  miséricorde  du  Sei- 
neur  doit  augmenter.  » 

Ecrivant  de  nouveau  à  ses  sœurs  les  Visitandines  le  25 
octobre  de  la  même  année  1758,  il  leur  donnait  d'abord 
des  nouvelles  de  sa  personne  :  ce  sont  celles-là  qu'elles 
attendaient  avec  plus  d'anxiété  : 

((  Il  faut,  leur  disait-il,  vous  dire  un  mot  de  ma  santé. 


"journée  pour  la  France!  La  trop  petite  armée  du  Roi  vient  de  battre 
'■'ses  ennemis...  Ah!  quelles  troupes  que  les  nôtres!  Je  n'en  ai  jamais 
"vu  de  pareilles."   (Nord-Sud,  Paysages  d'Amérique,  p.  33). 


492  l'église  du  canada 

Depuis  deux  aus  j'ai  un  gros  rhume.  La  toux  m'empêche 
souvent  de  dormir.  Les  efforts  que  je  fais  oui  occasionné 
des  crachements  sanguinolents  une  centaine  de  fois.  Je 
me  sens  souvent  une  fluxion  dans  la  tête.  J'ai  maigri 
beaucoup.  J'ai  presque  toujours  un  enrouement,  quelque- 
fois extinction  de  voix.  Avec  cela,  je  ne  ressens  aucune 
douleur.  Je  respire  facilement.  Ni  mal  de  dents,  ni  de 
tête,  ni  de  dos,  ni  de  poitrine.  Je  mène  une  vie  de  régime 
et  je  me  ménage. 

«  Pardonnez,  mes  chères  sœurs,  ce  détail  si  ennuyeux» 
Ce  qui  me  touche  le  plus,  c'est  que  je  n'ose,  dans  l'hiver, 
assister  souvent  à  l'office  et  faire  mes  visites  pastorales. 
J'ai  cependant  parcouru,  cet  été,  trente  lieues  environ  de 
pays,  et  cela  m'a  fait  du  bien.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  com- 
mence à  penser  sérieusement  à  un  climat  plus  doux  que 
celui  que  j'habite.  Peut-être  y  trouverais-je  quelque  sou- 
lagement. Peut-être  aussi  est-ce  la  mort  qui  m'appelle. 
Au  reste,  je  ne  partirais  qu'à  la  paix.  » 

Qui  ne  serait  touché  en  entendant  le  saint  Prélat  parler 
avec  tant  de  bonhomie  et  d'abandon  de  sa  pauvre  santé 
toute  délabrée,  ayant  à  peine  cinquante  ans?  Il  jette 
ensuite  un  coup  d'œil  sur  le  pays  qu'il  habite  depuis  près 
de  vingt  ans,  et  oii  tout  est  devenu  si  âpre  et  si  dur  à  vivre  : 

«  Voulez-vous,  dit-il  à  ses  sœurs,  savoir  notre  situation 
présente?  Pour  vivre,  on  ne  trouve  presque  rien.  Tout 
est  à  un  prix  exorbitant.  Cette  feuille  de  papier  coûte 
vingt-cinq  sous  et  demi  ;  la  barrique  de  vin  six  cents 
livres  ;  le  pain  huit  sous  ;  le  bœuf  seize  ;  les  souliers  quinze 
livres  ;  et  si  je  veux  faire  des  aumônes,  je  retranche  mon 
ordinaire  et  je  m'endette. 

«  Notre  situation  vis-à-vis  de  l'ennemi  n'est  pas  beau- 
coup plus  brillante.  Il  est  maître  de  tout  notre  fleuve, 
ayant  pris  Louisbourg.  Les  Anglais  doivent  venir  avec 
une  flotte  considérable  à   Québec.     Sans  un  miracle,   ou 


sous    M*^""    DE    PONTBRIAND  493 

des  efforts  considérables  de  la  part  de  la  France,  ou  sans 
la  paix,  nous  serons  pris.  Si  ces  messieurs  veulent  me 
laisser  au  milieu  du  troupeau,  je  resterai  ;  s'ils  m'obligent 
à  quitter,  il  faudra  bien  céder  à  la  force.  » 

Puis  ces  deux  mots:  «Je  ne  vous  parle  pas  de  notre 
famille.  La  Garaie  n'est  plus,  voilà  ma  douleur  ^^l»  Cri 
que  lui  arrache  la  mort  récente  du  célèbre  et  vertueux 
comte  de  la  Garaie,  son  oncle,  et  la  disparition  qu'il  pré- 
voit de  son  œuvre,  à  laquelle  il  a  consacré  les  prémices  de 
son  ministère  sacerdotal. 

Le  même  jour  il  écrivait  à  son  bien-aimé  frère  le  comte 
de  Nevet  : 

«  Si  la  guerre  continue  l'an  prochain,  nous  aurons 
peine  à  nous  soutenir.  Je  crains  que  nous  soyons  pris. 
J'ignore  si  les  Anglais  consentiront  à  me  laisser  dans  cette 
colonie  '^*.  « 


23.  M.  de  la  Garaie,  oncle  de  Mgr  de  Pontbriand,  était  mort  le  2 
juillet  1755,  à  l'âge  de  81  ans;  mais  on  dirait  que  le  pieux  évêque  ne 
faisait  que  de  l'apprendre.  Mme  de  la  Garaie  était  morte  le  20  juin  1757, 
âgée  de  76  ans  :  il  ne  le  savait  probablement  pas  encore. 

24.  Cité  dans  Le  dernier  Evêque  du  Canada  français,  p.  230. 


CHAPITRE  XXXVI 


LA  GUERRE  DE  SEPT- ANS,  AU  CANADA  (1759)  :  —  IV.    MAN- 
DEMENTS DE  M^^  DE  PONTBRIAND  {sitite). —  BATAILLE 
DES    PLAINES    d'ABRAHAM.  —  CAPITULATION 
DE    QUÉBEC 

Bigot  fait  l'éloge  de  Montcalm  ;  de  Vaudreuil.  —  Promotion  de  Mont- 
calm.  —  Bigot,  censuré  à  la  Cour.  —  Désordres  à  Québec.  —  Pre- 
mier mandement  de  l'Evèque.  —  Prières  publiques.  —  Deuxième 
mandement.  —  Dépit  de  Montcalm.  —  Les  Anglais  envahissent  le 
Canada.  —  Circulaire  de  l'Evèque  à  son  clergé.  —  Dévastation  du 
pays.  —  Le  curé  Martel.  —  A  Beaumont.  —  A  Lévis.  —  Le  curé 
Youville-Dufrost.  —  Le  curé  Robineau  de  Portneuf,  à  Saint- 
Joachim.  —  Siège  et  bombardement  de  Québec.  —  Mgr  de  Pont- 
briand  à  Charlesbourg.  —  Le  "  coup  des  écoliers  ".  —  Victoire  de 
Montmorency.  —  Affaire  Langlade.  —  Bataille  des  Plaines  dAbra- 
ham.  —  Capitulation  de  Québec. 


L 


'intendant   Bigot   écrivait  à  la  Cour  peu  de  temps 
après  la  bataille  de  Carillon  : 

«  M,  de  Montcalm  vient  de  rendre  un  service  mémorable 
au  Canada  :  il  a  battu  les  ennemis  et  les  a  empêchés  d'y 
pénétrer.  Le  grade  de  lieutenant-général  auquel  cette 
victoire  peut  le  faire  parvenir  le  rappellera  vraisembla- 
blement en  France.  Sa  Majesté  ne  voudra  peut-être  pas 
faire  servir  un  lieutenant-général  sous  M.  de  Vaudreuil. 
S'il  retourne,  je  le  regretterai  beaucoup.  Je  ne  saurais 
trop  répéter  que  c'est  un  officier  d'une  grande  distinction, 
et  qu'il  a  un  détail  et  des  talents  qui  sont  rares.  »  J 

Du  reste.  Bigot  faisait  aussi  l'éloge  de  M.  de  Vaudreuil  ;         1 
il  voulait  évidemment  être  bien  avec  tout  le  monde  : 


l'église  du  canada  SOUvS  M^^  DR  PONTBRIAND      495 

«  M.  de  Montcalm  et  M.  de  Vaudreuil,  écrivait-il,  ont 
tous  les  deux  des  parties  nécessaires  pour  la  conservation 
et  la  défense  du  Canada.  Le  premier  s'est  fait  connaître 
pour  un  bon  général  et  homme  d'un  grand  détail,  vif  et 
actif,  zélé  pour  le  service.  Le  second  fait  ce  qu'il  veut 
des  nations  sauvages  et  des  Canadiens,  et  il  connaît  par- 
faitement le  genre  de  guerre  de  ce  pays-ci.  [1  sait  aussi 
tirer  parti  de  la  terreur  que  les  Anglais  ont  des  Sau- 
vages ^  ». 

C'est-à-dire  que,  dans  l'opinion  de  Bigot,  comme  de  tous 
ceux,  du  reste,  qui  connaissaient  bien  la  situation  au  Ca- 
nada, les  deux  hommes,  tout  antipathiques  qu'ils  étaient 
l'un  à  l'autre,  y  étaient  nécessaires.  Aussi  la  Cour  ne 
manqua  pas  de  les  y  maintenir. 

Montcalm  avait  demandé  son  rappel  en  France  :  c'est 
un  peu  la  politique  de  ceux  qui  veulent  se  faire  prier  pour 
rester.  On  lui  répondit  en  l'élevant  au  grade  de  Lieu- 
tenant-Général des  Armées  du  Roi  ^,  ce  qui  lui  assurait  un 
traitement  annuel  de  quarante-huit  mille  livres^;  mais, 
contrairement  aux  prévisions  de  Bigot,  on  le  priait  de 
rester  à  la  tête  des  troupes  au  Canada,  et  de  s'entendre 
avec  M.  de  Vaudreuil  «  pour  défendre  encore  la  colonie 
pendant  la  campagne  prochaine,  ou  du  moins  pour  en 
conserver  la  partie  essentielle,  afin  de  pouvoir  ^ensuite  en 
recouvrer  pins  facilement  la  totalité.  M.  de  Vaudreuil, 
ajoutait  le  ministre,  devra  vous  consulter  sur  toutes  les 
opérations,  et  il  ne  fera  rien  sans  vous  ^  « 

Bougainville  était  passé  en  France,  et  avait  assuré  la 
Cour  de  «  l'union  parfaite  qui  existait  entre  Montcalm  et 

1.  Corresp.  générale,  vol.  103,  lettre  du  13  août  1758. 

2.  Lévis  fut  nommé  en  même  temps  maréchal  de  camp,  avec  un  trai- 
tement de  24,000  livres,  et  Bourlamaque  brigadier  avec  un  traitement  de 
18,000  livres. 

3.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  284. 

4.  Ihid.,  p.  287. 


496  L'EGLISE    DU   CANADA 

Vaudreuil  ^  ».     Il  voulait  évidemment  parler  de  l'union  et 
de  l'entente  extérieures,  car  l'union  des  cœurs  n'existait  pas  • 

Du  reste,  il  ne  rapportait  de  son  voyage  que  des  paroles 
d'encouragement  :  très  peu  de  secours,  rien  que  des  pro- 
messes, et  beaucoup  de  Croix  de  Saint-Louis  —  nous  en 
avons  compté  neuf  —  que  M.  de  Vaudreuil  était  chargé  de 
distribuer,  avec  quelques  pensions  pour  des  officiers  méri- 
tants, et  des  lettres  de  Capitaines  de  milices  que  le  gouver- 
neur avait  demandées  pour  des  Canadiens  ;  car  M.  de  Vau- 
dreuil n'oubliait  jamais  ses  chers  Canadiens:  il  voulait 
qu'ils  fussent  au  moins  traités  sur  un  pied  d'égalité  avec 
les  Français  ^. 

Quant  à  Bigot,  qui  avait  demandé,  lui  aussi,  de  passer 
en  France,  non-seulement  on  le  lui  refusait,  mais  on  lui 
adressait  une  lettre  foudroyante,  dans  laquelle  on  lui  re- 
prochait «  sa  mauvaise  administration  ».  La  Cour  avait 
enfin  ouvert  les  yeux  sur  son  compte,  mais  il  était  trop 
tard:  il  en  était  rendu  à  vingt  millions  de  dépenses  pour 
l'année  courante  (1758)1  «La  colonie  va  devenir,  lui 
disait-on,  un  fardeau  insupportable.  »  Le  ministre,  dans 
sa  dépêche,  le  prenait  à  tâche,  d'après  ses  propres  aveux, 
d'après  ce  qu'il  avait  écrit  lui-même,  et  il  le  confondait 
d'une  manière  terrible  : 

«  Comment  concilier,  par  exemple,  lui  disait-il,  les  de- 
mandes énormes  d'effets  que  vous  faites,  cette  année,  sous 
le  prétexte  de  disette  générale,  avec  ce  que  vous  dites  dans 
d'autres  lettres,  oii,  en  annonçant  la  prise  du  fort  Fronte- 
nac, vous  marquez  que  le  Roi  a  perdu  dans  ce  fort  une 
quantité^  prodigieuse  de  vivres  et  de  marchandises?  Ce 
fort  n'était  pourtant  pas  le  dépôt  pour  les  postes  des  lacs 
Ontario,  Erié,  et  de  la  Belle-Rivière?     D'ailleurs,  puisque 


5.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  281, 

6.  Ihid,,  p.  279. 

7.  îhid.,  p.  260. 


sous    M^"^   DE    PONTBRIAND  497 

l'on  a  dépensé  pour  un  million  dans  les  postes  de  l'ouest, 
comment  se  fait-il  qu*il  y  eût  tant  d'effets  dans  celui  de 
Frontenac  ^?» 

On  venait  de  passer  à  l'Intendance  de  Québec  et  dans 
plusieurs  maisons  de  la  ville  un  hiver  de  désordres  sans 
nom  ^.  De  l'Intendance,  les  mauvais  exemples  avaient 
gagné  la  haute  société  :  bals,  mascarades,  repas  somptueux, 
jeux  effrénés  à  l'argent,  fréquentations  scandaleuses,  on 
avait  été  témoin  des  pires  excès.  L'on  assurait  même 
qu'en  plusieurs  circonstances  la  religion  n'avait  pas  été 
épargnée  dans  ses  cérémonies  et  ses  ministres ...  Et  l'on 
était  à  la  veille  de  la  catastrophe  finale  ! 

De  tous  les  fonctionnaires  publics,  le  seul  vraiment 
sérieux,  irréprochable,  et  qui  se  tînt  toujours  en  dehors  et 
au-dessus  de  ces  folies  mondaines,  tout  en  faisant  honneur 
à  son  rang  social,  c'était  le  gouverneur,  dont  la  dignité  de 
vie  ne  se  démentit  jamais. 

Pendant  l'hiver  de  1758  à  1759,  ^^  s'occupa  de  faire  le 
recensement  de  la  colonie  pour  s'assurer  du  nombre 
d'hommes  de  seize  à  soixante  ans  en  état  de  porter  les 
armes  :  on  en  comptait  quinze  mille  deux  cent  vingt  neuf. 

Dans  un  premier  mandement  qu'il  adressait  à  ses  ouailles, 
en  date  du  17  février,  M^^*  de  Pontbriand  disait  : 

(c  De  tous  côtés,  Nos  Très  Chers  Frères,  l'ennemi  fait 
des  préparatifs  immenses  ;  ses  forces  au  moins  six  fois 
supérieures  aux  nôtres  se  mettent  déjà  en  mouvement  ". 
Nos  préparatifs  sont  plus  lents,  le  fleuve  est  à  peine  entiè- 
rement navigable,  les  semailles  qui  pressent,  et  qu'on  ne 


8.  Rapport. . .  pour  1905.  p.  279. 

9.  "  Les  plaisirs,  malgré  la  misère  et  la  perte  prochaine  de  la  colonie, 
ont  été  des  plus  vifs  à  Québec.  Il  n'y  a  jamais  eu  autant  de  bals  ni  de 
jeux  de  hasard  aussi  considérables."   {Journal  de  Montcalm). 

II.  Par  une  curieuse  coïncidence,  c'est  précisément  le  17  février,  jour 
où  l'Evêque  donnait  ce  mandement,  que  Wolfe  quitait  l'Angleterre  avec 
son  armée  pour  le  Canada. 

3'i 


498  L'EGLISE   DU   CANADA 

saurait  faire  avec  trop  de  soin,  vous  retiennent  dans  les 
campagnes,  le  défaut  de  vivres  fait  reculer  les  mouvements 
autant  qu'il  se  peut. 

«  Tout  semble  nous  manquer  à  la  fois,  et  jamais  la  colo- 
nie ne  s'est  trouvée  dans  un  état  si  critique  et  si  dan- 
gereux. Jamais  nous  n'avons  été  si  dépourvus  et  menacés 
d^une  manière  si  vive,  si  universelle,  si  opiniâtre.  C'est 
véritablement  aujourd'hui  plus  que  jamais  que  nous 
devons  dire  que  notre  unique  ressource  est  le  secours  puis- 
sant du  Seigneur. 

('  Faites  donc,  Nos  Très  Chers  Frères,  tous  vos  efforts 
pour  le  mériter  ou  du  moins  pour  n'y  mettre  point  d'obs- 
tacles. Pous  réussir,  détruisez  en  vous  tout  ce  qui  peut 
déplaire  à  notre  Dieu.  Ainsi,  c'est  le  péché  qu'ij  faut 
expier  et  auquel  il  faut  renoncer  absolument  ;  notre  con- 
version et  celle  des  pécheurs,  la  persévérance  des  justes, 
voilà  les  grands  objets  qui  doivent  nous  occuper,  persuadés 
autant  que  nous  devons  l'être  que  si  nous  recherchons 
véritablement  le  Seigneur  notre  Dieu,  il  se  présentera  à 
nous  comme  notre  souverain  défenseur.  » 

La  Prélat  ordonne  ensuite  que  le  premier  dimanche  de 
chaque  mois  on  fasse  dans  chaque  paroisse  une  procession, 
dans  laquelle  ou  chantera  les  litanies  des  Saints  et  le 
psaume  Miserere.  Au  retour  de  la  procession,  on  chantera 
les  antiennes  et  oraisons  ordinaires,  «  et  le  prêtre  fera 
amende  honorable  au  nom  des  pécheurs»:  cela  jusqu'au 
premier  octobre. 

Ces  exercices  se  firent  régulièrement,  et  les  habitants  s'y 
portèrent  en  foule  : 

«  Ils  y  allaient  tout  armés,  dit  un  chroniqueur,  la  raquette 
aux  pieds,  le  fusil  en  bandoulière.  On  montre  encore  des 
endroits  où  les  miliciens  se  réunissaient  afin  de  se  rendre 
ensemble  à  l'église  et  se  garer  de  toute  embuscade  ^^» 


1.-7.  J.-KHmond  Rov.  Histoire  de  In  Seigneurie  de  Lauson,  t.  II,  p.  26e. 


sous    M«^    DE    PONTBRIAND  499 

Od  a  pu  remarquer  que  dans  tous  ses  mandements, 
même  ceux  où  il  a  évidemment  en  vue  de  combattre  forte- 
ment le  péché  et  les  désordres,  le  pieux  Prélat  a  toujours 
soin  de  se  tenir  dans  des  généralités.  Non  seulement  — 
cela  va  saus  dire  —  il  ne  nomme  personne,  mais  il  ne 
mentionne  pas  même  les  différents  désordres  qu'il  a  en  vue 
de  combattre.  Dans  sa  grande  humilité,  il  se  met  lui-même 
au  rang  des  pécheurs  :  «  Notre  conversion,  dit-il,  et  celle 
des  pécheurs  ^),  afin  de  les  toucher  davantage,  sans  doute, 
et  de  leur  faciliter  le  retour  à  de  meilleurs  sentiments. 
Bt  pourquoi  tant  de  réserve,  lorsque  tout  le  monde  con- 
naît les  coupables,  lorsque  leurs  désordres  sont  publics  et 
Pobjet  des  regrets  de  tous  les  honnêtes  gens  ?  C'est 
que  précisément  ces  coupables  sont  presque  tous  des  per- 
sonnages officiels,  des  hommes  en  place,  et  que  le  saint 
Prélat  se  fait  scrupule  d'amoindrir  le  peu  de  prestige  qui 
leur  reste,  d'ébranler  le  peu  d'autorité  dont  ils  jouissent 
encore,  malgré  leur  indignité.  Mais  voilà  que  la  mesure 
est  pleine  ;  il  s'aperçoit  que  l'on  abuse  de  sa  charité 
et  de  sa  patience  ;  on  a  fait  semblant  de  ne  pas  comprendre 
son  dernier  mandement,  et  même  pendant  le  saint  temps 
du  carême  les  désordres  ont  été  pires  que  jamais.  Le 
dimanche  n'est  pas  plus  respecté  que  la  semaine  :  «.  Diman- 
che prochain,  bal  à  l'Intendance»,  écrit  Montcalm  à  Lévis 
à  la  date  du  9  février.  Et  cependant  l'ennemi  est  aux 
portes  de  Québec,  il  arrive  ;  bientôt  peut-être  c'en  sera  fini 
de  la  colonie  et  de  l'Eglise  du  Canada.  Le  Prélat  s'arme 
de  courage,  prend  le  glaive  de  la  justice,  et  s'adressant  de 
nouveau  à  ses  ouailles  : 

((  Vous  avez  connaissance,  dit-il,  Nos  Très  Chers  Frères, 
des  préparatifs  immenses  que  fait  l'ennemi,  de  ses  desseins 
formés  d'attaquer  la  colonie  par  quatre  endroits  différents, 
du  nombre  de  ses  troupes  réglées  et  de  ses  milices,  six  fois 
au    moins   supérieures   aux    nôtres.     Vous  n'ignorez   pas 


500  l'église  du  canada 

qu'ils  envoient  des  colliers  chez  tontes  les  nations  (sau- 
vages) pour  nous  les  enlever,  pour  animer  contre  nous 
celles  qui  voudraient  conserver  une  espèce  de  neutralité. 
Vous  savez  qu'ils  occupent  à  présent  au  bas  de  notre  fleuve 
des  ports  que  nous  regardions  comme  autant  de  barrières» 
Vous  apercevez  tous  les  motifs  de  crainte  et  de  frayeur,  et 
vous  en  êtes  sans  doute  frappés.  L'incertitude  sur  les 
affaires  d'Europe,  les  dangers  auxquels  sont  exposés  les 
secours  que  nous  attendons,  les  flottes  nombreuses  desti- 
nées à  notre  perte,  la  disette  générale  de  tout  ce  qui  est 
nécessaire  pour  se  défendre .  .  .  doivent  naturellement  faire 
encore  plus  d'impression  sur  vos  esprits. 

(f  Mais  ce  qui  doit  inquiéter  davantage,  c'est  le  peu  de 
zèle  qu'on  remarque  presque  à  tout  le  monde,  ce  sont  les 
discours  malins  et  injurieux  tenus  sur  ceux  mêmes  en  qui 
l'on  devrait  mettre  toute  sa  confiance.  Ce  qui  doit  nous 
faire  craindre,  ce  sont  les  divertissements  profanes  aux- 
quels on  s'est  livré  avec  plus  de  fureur  que  jamais  ;  ce 
sont  les  excès  intolérables  dans  les  jeux  de  hasard,  ces 
déguisements  impies  en  dérision,  ou,  pour  mieux  dire,  en 
haine  de  la  religion  ;  ce  sont  les  crimes  plus  que  jamais 
multipliés  dans  le  cours  de  cet  hiver.  Voilà  ce  qui  nous 
nous  oblige,  Nos  Très  Chers  Frères,  à  tout  craindre,  et  à 
vous  annoncer  que  Dieu  lui-même  est  irrité,  que  sa  main 
est  levée  pour  nous  frapper,  et  qu'en  effet  nous  le  méritons. 
Oui,  Nos  Très  Chers  Frères,  nous  vous  le  disons  à  la  face 
des  autels  et  dans  l'amertume  de  notre  cœur,  ce  n'est  pas 
le  nombre  de  nos  ennemis,  ce  ne  sont  pas  leurs  efforts  qui 
effraient,  et  qui  nous  font  envisager  les  plus  grands  mal- 
heurs, tant  pour  l'Etat  que  pour  la  Religion. 

«  Voilà  la  dix-huitième  année  révolue  que  le  Seigneur 
nous  a  appelé,  quoique  indigne,  à  la  conduite  de  ce  vaste 
diocèse.  Nous  vous  avons  vus  avec  douleur  souffrir  sou- 
vent de  la  famine  et  de  la  maladie,  et  presque  toujours  en 


sous    M»^   DE   PONTBRIAND  501 

guerre.  Mais  cette  année  nous  paraît  à  tous  égards  la  plus 
triste  et  la  plus  déplorable,  parce  qu'en  effet  vous  êtes  plus 
criminels  ^^.  Avait-on  jamais  entendu  parler  de  tant  de 
vols  manifestes  ^^,  de  tant  d'injustices  criantes,  de  tant  de 
rapines  honteuses?  Avait-on  vu  dans  cette  colonie  des 
maisons  consacrées,  pour  ainsi  dire,  publiquement  au 
crime?  Avait-on  vu  tant  d'abominations?  Dans  presque 
tous  les  états,  la  contagion  est  presque  générale. 

((  Elle  n'est  pourtant  pas  sans  remède,  Nos  Très  Chers 
Frères,  et  votre  malheur  n'est  pas  sans  ressource.  La  Foi 
nous  apprend  qu'une  vraie  et  sincère  conversion  peut 
arrêter  le  bras  vengeur  de  la  justice  divine,  et  que  souvent 
elle  l'a  en  effet  arrêté.  Le  mal  est  grand,  il  est  vrai  ;  mais 
le  remède  est  entre  vos  mains:  «Infidèle  Jérusalem,  reve- 
nez à  Dieu»,  et  Dieu,  suivant  sa  promesse,  se  laissera  flé- 
chir. Effacez,  Nos  Très  Chers  Frères,  effacez  prorapte- 
ment  le  passé  par  les  larmes  d'une  sincère  pénitence;  elles 
sont  puissantes  sur  le  cœur  d'un  Dieu  qui  ne  punit  qu'à 
regret.  Renoncez  pour  jamais  à  vos  désordres,  et  le  Ciel, 
propice  à  nos  vœux,  dissipera  à  l'instant  tous  nos  objets  de 
crainte  et  de  frayeur.  ^ 

«  C'est  donc  la  conversion  des  pécheurs  que  nous  nous 
proposons  dans  ces  prières  publiques.  Ames  justes, 
rendez-vous  y  assidues,  priez,  pleurez,  soupirez  avec  les 
ministres  de  Tautel,  demandez  avec  instance  que  le  Sei- 
gneur éclaire  les  pécheurs  sur  les  malheurs  de  leur  âme,  et 
qu'il  les  touche  et  les  convertisse.  Ce  sont  vos  frères  qui 
courent  à  leur  perte,  craignez  de  vous  trouver  enveloppés 
dans  leur  discrrâce. 


16.  Le  mot  ■'  criminel  "  fut  employé  par  la  Cour  elle-même,  clans  une 
lettre  à  Bigot.  (Rapport. . .  pour  1905,  p.  286). 

ij.  "Les  voleries  immenses  que  font  tous  ceux  qui  sont  employés 
aux  travaux  publics."  (Corresp.  générale,  vol.  104,  lettre  de  Montcalm 
à  Le  Normand,  12  avril  1759). 


'«< 


502  L'EGLISE   DU   CANADA 

«  Et  VOUS,  pécheurs,  nous  vous  en  prions  au  nom  de 
Jésus-Christ,  au  moins  ne  mettez  pas  obstacle  aux  faveurs 
que  nous  demandons  pour  vous.  Venez  plutôt,  nous  vous 
en  conjurons  par  tout  ce  qui  est  capable  de  vous  toucher, 
venez  les  solliciter  vous-mêmes  dans  un  esprit  de  douleur 
et  de  componction.  « 

Le  Prélat  renouvelle  ensuite  son  ordonnance  pour  la 
procession  du  premier  dimanche  de  chaque  mois  jusqu'au 
premier  octobre.  Elle  se  fera  non  seulement  dans  chaque 
paroisse,  mais  aussi  «  dans  les  camps  et  dans  les  forts  >». 
Dans  les  différentes  églises  de  Québec,  à  la  cathédrale, 
dans  l'église  de  la  Victoire  à  la  Basse- Ville,  au  Séminaire, 
chez  les  Jésuites,  les  Récollets  et  les  Ursulines,  on  fera  al- 
ternativement une  neuvaine,  et  l'Evêque  indique  les 
exercices  à  suivre  dans  ces  différentes  églises  chaque  jour 
de  la  semaine.  A  Montréal  et  aux  Trois-Rivières,  on 
observera  autant  que  possible  ce  qui  est  prescrit  pour 
Québec  ^^. 

Enfin  l'Evêque  avait  parlé  pour  être  sûrement  compris, 
et  il  l'avait  fait  avec  l'autorité  apostolique  et  les  accents 
vengeurs  des  Eaval  et  des  Saint- Vallier.  Il  ne  s'était  pas 
contenté  de  s'élever  contre  le  mal  en  général,  il  avait 
dénoncé  nommément  les  désordres  qu'il  voulait  stigma- 
tiser :  les  excès  dans  les  divertissements  profanes  et  dans 
les  jeux  de  hasard  ^^,  les  mascarades  impies  pour  jeter  dM 
discrédit  sur  la  religion,  les  vols,  les  injustices,  les  rapines 
honteuses,  la  fréquentation  de  maisons  «  consacrées  au 
crime  ».  La  morale  était  vengée,  les  citoyens  respectables 
se  sentaient  soulagés.  Les  coupables  n'étaient  ni  nommés 
ni  désignés,  mais  il  pouvaient  et  devaient  se  reconnaître, 

r8.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  134,  18  avril  1759. 

19.  "Les  fastueux  banquets,  les  danses  et  les  jeux  de  hasard  se  par- 
tageaient ces  nuits  scandaleuses  contre  lesquelles  protestaient  en  vai» 
l'Evêque  et  son  clergé."  {Montcalm  et  Lévis,  t.  i,  p.  182)  —  "On  a 
joué  indécemment  les  jeux  de  hasard,''  écrit  Montcalm.   {Ihid.,  p.  184). 


sous   M**"    DE   PONTBRIAND  503 

reutrer  en  eux-mêmes,  et  profiter  de  la  leçon  qui  leur  était 
donnée  avec  tant  de  force  à  la  fois  et  de  ménagement. 
Pour  ne  point  attirer  sur  eux  les  regards  du  public,  ceux 
surtout  de  la  postérité,  ils  n'avaient  qu'à  ne  rien  dire,  et 
surtout  ne  rien  écrire  :  c'est  ce  que  firent  la  plupart  de 
ceux  qui  se  sentirent  piqués  en  entendant  la  lecture  du 
mandement  —  on  ne  voit  nulle  part,  par  exemple,  que 
Bigot  ait  jamais  dit  ou  écrit  un  mot  contre  l'Evêqne  — 
c'est  ce  que  ne  fit  pas  Montcalm  :  il  écrit  dans  son  journal  : 

«  Le  saint  Evêque  de  Québec  vient  de  donner  un  man- 
dement pour  ordonner  des  prières  publiques  et  demander 
à  Dieu  notre  conversion.  Le  saint  Evêque  aurait  dû  se 
dispenser  d'y  parler  des  mascarades  indécentes  qu'il 
prétend  y  avoir  eu  cet  hiver  à  Québec,  et  d'une  maison  de 
prostitution  qu'il  assure  être  établie  près  des  remparts  de 
Québec.  Il  aurait  dû  aussi  entrer  en  moins  de  détails  sur 
le  danger  où  est  la  colonie  ^^.  » 

M^^  de  Pontbriand  n'avait  point  prononcé  le  mot  «  pros- 
titution »,  ni  désigné  aucune  maison,  ni  aucune  rue,  pas 
plus  celle  des  Remparts,  que  celle  du  Parloir.  Ce  n'est 
pas  l'Evêque,  c'est  lui-même  que  Montcalm  aurait  pu 
accuser  d'indiscrétion. 

Ces  lignes  écrites  dans  son  journal,  et  livrées  maintenant 
au  public,  sont  d'autant  plus  regrettables,  qu'elles  peuvent 
en  laisser  croire  sur  son  compte  beaucoup  plus  qu'il  n'y 
en  avait.  Il  était  religieux,  il  était  bon  fils,  bon  époux, 
bon  père  de  famille  :  sa  correspondance  en  fait  foi.  Le 
principal  reproche  qu'on  peut  lui  faire,  c'est  de  n'avoir  pas 
sufiSsamment  séparé  sa  cause  de  celle  d'hommes  com- 
promis, comme  les  Bigot,  les  Péan,  les  Cadet  et  tant 
.  d'autres,  c'est  d'avoir  trop  fréquenté  la  société  de  femmes 
légères   et   plus  que  frivoles  qui  faisaient  la  honte  de  la 


20.  Montcalm  et  Lévis,  t.  II,  p.  33. 


504  L'éGLISE    DU   CANADA 

société  québécoise  de  l'époque.  Dans  de  telles  «  fréquen- 
tations, »  on  laisse  toujours  quelque  lambeau  de  réputation 
et  d'honneur  ^^ 

.   * 
*      * 

Les  Anglais,  décidés  à  s'emparer  du  Canada,  avaient  mis 
sur  pied  une  armée  de  soixante  mille  hommes,  divisée  en 
trois  parties,  dont  la  principale,  sous  les  ordres  de  Wolfe, 
devait  se  porter  sur  Québec,  une  autre  devait  la  rejoindre 
en  passant  par  New- York,  le  lac  Champlain  et  la  rivière 
Richelieu,  et  la  troisième  devait  aller  tout  d'abord  s'em- 
parer de  Niagara,  puis  descendre  de  là  rejoindie  les  deux 
autres. 

Le  Canada  n'avait  à  opposer  à  tout  cela  que  six  mille 
hommes  de  troupes  régulières  et  quinze  mille  miliciens. 
Là-dessus,  il  fallait  prendre  un  contingent  assez  considé- 
rable, avec  lequel  Bourlamaqne  irait  défendre  Carillon, 
Saint-Frédéric  et  le  lac  Champlain.  Pouchot  avait  mission 
de  défendre  Niagara  avec  un  autre  contingent  de  troupes, 
et  I\I.  de  Lacorne,  avec  un  troisième  contingent,  devait 
garder  l'embouchure  de  la  rivière  Oswégo  et  la  tête  des 
rapides  des  ^lille-Iles.  Il  ne  restait  plus  à  Vaudreuil, 
Montcalm  et  Lévis,  à  Québec,  qu'environ  douze  mille 
hommes. 

A  Bougainville  fut  confié  un  détachement  assez  consi- 
dérable, avec  la  tâche  de  surveiller  la  rive  nord  du  fleuve, 
à  partir  de   Québec   en   montant,  jusqu'à   Deschambault, 


21.  "Je  suis  de  la  cour  de  Mme  Péan  (rue  du  Parloir)."  —  *' Les 
«iames  de  la  société  Péan,  avec  qui  je  suis  très  intimement."  —  "Il 
avait  repris  ses  assiduités,  dit  Casgrain,  au  salon  de  Mme  de  Beaubas- 
sin  ".  —  "  Je  suis  bien  aise  qu'on  parle  de  moi  aux  trois  dames  de  la 
rue  du  Parloir.  Flatté  de  leur  souvenir.  Je  ne  suis  véritablement  touché 
que  de  celui  d'une,  à  qui  je  trouve,  dans  certains  moments,  trop  d'esprit 
et  trop  de  charmes  pour  ma  tranquillité..."  (Montcalm,  cité  dans 
Montcahn  et  Lêz'is,  t.  II,  p.  31  et  33). 


sous   M^^   DE   PONTBRIAND  505 

pour  y  empêcher  tout  débarquement  de  l'ennemi.  Le 
reste  des  troupes  fut  disposé  en  camp  retranché  sur  la  côte 
de  Beauport  entre  la  rivière  Saint-Charles  et  le  Saut  Mont- 
morency, Vaudreuil  avait  charge  de  la  droite,  près  de  la 
rivière  Saint-Charles,  Lévis  commandait  la  partie  de  nos 
troupes  campée  du  côté  de  Montmorency,  Montcalm  était 
au  centre. 

Amherst  avait,  comme  l'année  précédente,  le  comman- 
dement supérieur  de  toute  l'armée  anglaise,  mais  spéciale- 
ment la  direction  du  corps  qui  devait  aller  rejoindre  celui 
de  Wolfe  en  passant  par  le  lac  Champlain  et  la  rivière 
Richelieu,  après  avoir  détruit  Carillon  et  Saint-Frédéric. 

Amherst  n'était  pas  un  homme  pressé  :  il  n'eut  que  le 
temps  de  s'emparer  de  Carillon  et  de  Saint-Frédéric,  sans 
avoir  même  le  plaisir  de  les  détruire,  Bourlamaque  les 
ayant  fait  sauter  lui-même  avant  de  les  quitter,  après  s'y 
être  défendu  le  plus  longtemps,  possible.  Amherst  n'alla 
pas  plus  loin  '^'^.  Bourlamaque  eut  tout  le  temps  de  ras- 
sembler ses  troupes  et  de  venir  se  fortifier  à  l'Ile-aux-Noix, 
pour  empêcher  l'ennemi  de  descendre  à  Montréal  ou  à 
Québec.  Pouchot  et  Lacorne  furent  obligés  d'abandonner 
leurs  positions  à  l'ennemi  '^^  \  mais  ils  l'occupèrent  assez 
longtemps  pour  l'empêcher  de  venir  prendre  part  au  siège 
de  Québec.     Montréal  ne  vit  pas  les  Anglais  en  1759. 

Wolfe,  parti  d'x\ngleterre  le  17  février  sur  le  Neptune^ 
vaisseau  de  quatre-vingt-dix  canons,  atteignit  Louisbourg 
vers  la  mi-mai.  La  flotte  anglaise,  commandée  par  l'amiral 
Saunders,  comprenait  vingt-deux  vaisseaux  de  ligne,  cinq 
frégates,  dix-neuf  autres  bâtiments  de  guerre  et  un  nombre 
immense  de  transports.  Wolfe  avait  sous  ses  ordres  onze 
mille  hommes  de  troupe  et  dix-huit  mille  marins. 


22,  Journal  du  curé  Récher,  4  septembre. 

23.  A  la  prise  de  Niagara,  le  P.  Virot,  jésuite,  "eut  le  corps  percé  de 
quatre  balles  et  ensuite  la  chevelure  enlevée  par  les  Sauvages".  (Ibid.). 


5o6  L'âGlrlSE  DU  CANADA 

La  flotte  anglaise  quitta  Louisbourg  le  premier  juin,  et 
s'avança  sans  coup  férir  dans  le  Saint-Laurent.  A  leur 
grande  surprise,  les  Anglais  ne  rencontrèrent  nulle  part 
d'obstacles  sérieux.  Les  vigies  françaises  postées  de  dis- 
tance en  distance  sur  la  rive  sud  annonçaient  à  Québec 
leur  arrivée  prochaine.  La  flotte  anglaise  jeta  l'ancre  le 
26  juin  près  de  l'île  d'Orléans  et  Wolfe  y  débarqua  une 
partie  de  ses  troupes. 

Laissons-le  disposer  son  armée.  Laissons  également 
l'armée  française  préparer  ses  moyens  de  défense,  car  elle 
restera  sur  la  défensive  jusqu'au  31  juillet,  jour  de  la 
bataille  de  Montmorency.  Le  lecteur  ne  doit  s'attendre  à 
trouver  dans  cet  ouvrage  que  le  moins  de  récits  militaires 
possible  :  il  ne  peut  s'agir  ici  des  mouvements  des  troupes, 
mais  de  l'action  de  l'Evêque,  de  son  clergé,  de  son  Eglise, 
dans  ces  jours  critiques  où  allait  se  décider  le  sort  de  la 
colonie. 

Dès  le  5  juin,  sitôt  qu'il  eut  appris  que  la  flotte  anglaise 
remontait  le  Saint-Laurent,  M°^  de  Pontbriand  adressa  à 
ses  curés  une  circulaire  pour  leur  donner  tous  les  avis  pra- 
tiques qui  pouvaient  leur  être  utiles  et  même  nécessaires 
dans  les  circonstances  exceptionnellement  difiiciles  où  ils 
allaient  se  trouver. 

On  a  prétendu  que  le  Prélat  adressa  aussi  un  nouveau 
mandement  à  ses  diocésains  à  cette  occasion  : 

«  L'Evêque  de  Québec,  qui  avait  la  réputation  d'un 
saint,  écrit  l'abbé  Casgrain,  et  qu'on  savait  attaqué  d'une 
maladie  mortelle,  avait  publié  un  mandement  qui  avait  été 
écouté  comme  le  testament  du  vénérable  Prélat.  Il  ordon- 
nait des  prières  publiques  et  recommandait  à  ses  diocésains 
de  se  battre  avec  la  même  vaillance  que  leurs  pères  ^*.  » 

Nous  ne  connaissons  pas  d'autre  mandement  de  M^^  de 

24.  Montcalm  et  Lévis,  t.  II,  p.  49. 


sous    M^»"    DE    PONTBRIAND  507 

Pontbriand,  à  cette  date,  que  celui  du  18  avril  que  nous 
venons  de  citer.  Le  pieux  Prélat  connaissait  assez  la 
bravoure  des  Canadiens  pour  ne  se  pas  croire  obligé  de 
leur  recommander  «  de  se  battre  avec  la  même  vaillance 
que  leurs  pères.  «  Ce  prétendu  mandement,  «  écouté  com- 
me le  testament  du  vénérable  Prélat,  »  nous  semble  imaginé 
pour  là  mise  en  scène. 

Mais  le  clergé  avait  besoin  d'instructions  précises,  de 
permissions  et  d'avis  dans  les  circonstances  graves  oii  il 
allait  se  trouver  :  ce  fut  l'objet  de  la  circulaire  du  5  juin. 

Dès' le  commencement  de  mai,  des  officiers  de  la  colonie, 
envoyés  par  le  gouverneur,  avaient  parcouru  les  deux  rives 
du  fleuve,  afin  de  contraindre  les  habitants  à  se  retirer 
dans  les  bois  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  à  l'appro- 
che de  l'ennemi.  Ils  y  devaient  conduire  aussi  leurs  bes- 
tiaux et  leurs  vivres,  afin  de  priver  l'envahisseur  de  tout 
approvisionnement  : 

«  C'est  alors,  dit  le  chroniqueur  déjà  cité,  que  l'île  d'Or- 
léans, l'île  aux  Coudres  et  toutes  les  campagnes  depuis  la 
Baie  Saint-Paul  et  la  Rivière-du-Loup  jusqu'à  Québec 
furent  évacuées.  Les  habitants  de  l'île  d'Orléans  se  réfu- 
gièrent à  Charlesbourg,  ceux  de  l'île  aux  Coudres  ^^  s'en- 
foncèrent sous  les  forêts  primitives  qui  couronnaient  alors 
les  derrières  de  la  Baie  Saint-Paul.  La  côte  de  Beaupré 
et  les  fertiles  campagnes  du  Sud  se  trouvèrent  tout-à-coup 
abandonnées  comme  par  enchantement.  Les  temples  étaient 
vides  et  sans  pasteur  ;  les  foyers  étaient  déserts.  Pendant 
toute  la  campagne,  qui  dura  cinq  long  mois,  nos  ancêtres 
durent  vivre  de  la  vie  sauvage,  isolés  de  tous,  sans  cesse 
en  alerte  ^^  » 


25.  A  l'île  aux  Coudres,  le  brave  François  Savard,  embusqué  près  4u 
Cap-à-la-Branche,  fit  prisonniers  trois  officiers  anglais,  débarqués  sur 
rîle.  L'un  d'eux  était  le  petit-fils  de  l'amiral  Durell.  "  Il  polissonnait  sur 
l'île  aux  Coudres,  "  dit  Montcalm.  11  fut  conduit  à  Québec,  où  M.  de 
Vaudreuil  eut  bien  soin  de  lui."."  (Montcalm  et  Lévis,  t.  II,  p.  y6). 

26.  J.-Edmond  Roy,  Histoire  de  la  Seigneurie  de  Lauson,  t.  II,  p.  2&^. 


5o8  l'église  du  canada 

((  MM.  les  Curés,  dit  PEvêque,  pourront  dire  la  messe 
dans  des  cabanes,  à  la  façon  des  missionnaires  sauvages. 
Ils  pourront  même  la  dire  sans  lumière,  sans  servant.  .  . 
On  conservera  dans  les  ciboires  peu  d'hosties,  et,  au 
besoin,  on  pourra  dire  la  messe  avec  des  petites  hosties. 
Dans  les  endroits  où  il  n'y  aura  pas  de  custodes,  il  ne  con- 
vient pas  de  garder  le  saint  Sacrement.  Si  cependant  le 
curé  prévoyait  ne  pouvoir  pas  dire  la  messe  le  lendemain, 
il  pourrait  laisser  une  ou  deux  petites  hosties  dans  le  cor- 
poral  dans  la  bourse,  et  l'emporter  avec  lui,  ainsi  que  les 
saintes  Huiles.  On  pourra  porter  le  saint  Viatique  secrè- 
tement et  sans  cérémonies.  .  .  » 

Pour  la  confession,  l'Evêque  donne  à  tous  les  prêtres 
déjà  approuvés  dans  le  diocèse  le  pouvoir  d'absoudre  de 
tous  les  cas  et  censures  réservés  même  au  Souverain  Pon- 
tife, ainsi  que  le  pouvoir  de  suspendre  l'exécution  des 
vœux,  de  les  commuer  et  même  d'en  dispenser. 

Il  lenr  donne  aussi  la  permission  de  faire  toutes  les  bé- 
nédictions réservées,  à  l'exception  de  celles  où  il  faudrait 
se  servir  des  saintes  Huiles.  Ils  pourront  réconcilier  les 
églises,  les  cimetières  qui  seraient  pollués,  en  bénir  de 
nouveaux,  faire  des  processions,  même  du  saint  Sacre- 
ment, selon  leur  prudence  et  la  dévotion  des  peuples.  Ils 
seront  faciles  pour  dispenser  des  jeûnes  et  de  Tabstinence. 

Pour  les  baptêmes,  comme  il  ne  sera  pas  toujours  aisé 
de  les  faire  eux-mêmes,  dispersés  dans  les  bois,  ils  permet- 
tront facilement  d'ondoyer  les  enfants.  L'eau  ordinaire 
suffira,  quand  on  ne  pourra  pas  facilement  avoir  de  l'eau 
baptismale.  Il  faudra  toujours  avoir  soin  d'enregistrer 
exactement  les  baptêmes,  ainsi  que  les  sépultures  et  les 
mariages.  S'il  se  rencontrait  quelque  enfant  né  de  pa- 
rents protestants  et  en  danger  certain  de  mort,  il  pourra 
être  baptisé  à  l'insu  de  ses  parents,  et  même  contre  leur 
volonté. 


SCUS    M^   DE    PONTBRIAND  509 

Du  reste,  M°^  de  Pontbriand  prévoyant  le  cas  où  les  en- 
nemis s'empareraient  du  pays,  recommandait  à  ses  prêtres 
d'éviter  «  dans  leurs  prédications  et  même  leurs  conversa- 
tions tout  ce  qui  pourrait  irriter  le  gouvernement  nou- 
veau. »  S'ils  demandent,  disait-il,  «  de  faire  leur  office,  le 
dimanche,  dans  votre  église,  vous  leur  laisserez  choisir 
leur  heure,  et  ferez,  après  eux,  l'office  catholique  -".  S'ils 
exigent  de  vous  le  serment  de  fidélité,  vous  pourrez  le 
faire,  en  mettant  que  c'est  uniquement  pour  le  temps 
qu'ils  seront  maîtres  du  pays  :  vous  pourrez  même  pro- 
mettre, ajoutait-il,  de  ne  rien  faire  directement  ni  indirec- 
tement contre  le  vainqueur. 

«  Si  par  hasard,  ajoutait-il  encore,  l'ennemi  entrait  dans 
une  paroisse  et  s'en  rendait  maître,  le  curé  lui  fera  toutes 
les  politesses  possibles.  Il  le  priera  d'épargner  le  sang  de 
ses  paroissiens,  et  les  églises.  » 

On  ne  pouvait,  en  vérité,  se  montrer  plus  conciliant. 

A  Saint-Laurent,  île  d'Orléans,  le  curé  Martel  avait  dû, 
suivant  l'ordonnance,  quitter  sa  paroisse  et  suivre  ses 
paroissiens  à  Charlesbourg  '^^.  Mais  avant  de  quitter  son 
presbytère,  il  y  avait  laissé  une  lettre  adressée  «  aux  dignes 
officiers  de  l'armée  anglaise.  »  Il  les  priait,  au  nom  de 
l'humanité  et  de  leur  générosité  bien  connue,  d'avoir  soin 
de  son  église,  ainsi  que  de  son  presbytère  et  de  ses  dépen- 
dances, sinon  par  égard  pour  lui,  du  moins  par  amour  de 
Dieu,  et  par  compassion  pour  ses  malheureux  paroissiens 
privés  de  leurs  demeures. 

Le  nom  du  curé  Martel,  celui  de  M.  Youville-Dufrost  de 

27.  La  chose  se  fait  encore,  pour  trois  cultes  différents,  dans  l'église 
d'une  ancienne  abbaye  augustine,  près  d'Interlaken.  (Voir  mon  livre 
Au  pays  de  Mgr  de  Laval,  p.  317). 

28.  Tanguay,  A  travers  les  Registres,  p.  173.  —  M.  Martel  mourut  a 
Saint-Laurent  en  1762.  Il  eut  pour  successeur  en  1764  son  propre  frère, 
qui  s'était  fait  jésuite  en  1737,  en  France,  et  revint  au  Canada  en  1764, 
après  la  suppression  de  la  Compagnie  de  Jésus.  (Note  du  R.  P.  Mélan- 
çon,  S.  J.,  du  Collège  Sainte-Marie,  à  l'auteur). 


5IO  "l'êguse  do  canada 

Laje minerais,  curé  de  Saint-Henri,  et  celui  du  curé  Robi- 
neau  de  Portneuf,  de  Saint-Joachim,  sont  les  seuls  que 
nous  avons  trouvés  mentionnés  dans  les  archives  publiques, 
à  l'occasion  du  siège  de  Québec.  Le  brigadier  Monckton, 
sous  les  ordres  de  Wolfe,  ayant  traversé  de  l'île  d'Orléans 
à  Beaumont,  avec  un  détachement  de  troupes  considérable, 
s'empara  de  l'église  et  y  afficha  une  proclamation  invitant 
les  Canadiens  à  se  rendre  d'eux-mêmes  aux  Anglais. 
Wolfe  leur  faisait  de  magnifiques  promesses,  et  les  menaçait 
au  contraire  de  toutes  les  horreurs  de  la  dévastation,  s'ils 
ne  se  soumettaient  pas  volontairement.  Le  feu  fut  mis 
plusieurs  fois  à  l'église;  elle  échappa  quasi  miraculeu- 
sement à  l'incendie,  et  elle  subsiste  encore,  à  l'honneur  des 
paroissiens  de  Beaumont. 

Monckton  et  Wolfe  s'installèrent  sur  les  falaises  de 
Lévis  et  y  dressèrent  de  formidables  batteries  pour  bom- 
barder Québec.  L'église  de  Saint-Joseph  fut  convertie  en 
hôpital  '^^  ce  qui  la  sauva  de  la  destruction  ;  mais  à  part 
cette  église  et  celle  de  Beaumont,  la  plupart  des  sanc- 
tuaires de  la  irive  sud  en  bas  de  Québec,  ceux  de  l'île 
d'Orléans  et  de  la  côte  Beaupré  devinrent  la  proie  des 
flammes  ;  les  villages  furent  saccagés  et  détruits. 

A  Beaumont,  l'ennemi  avait  rencontré  peu  de  résistance. 
A  Saint-Joseph,  les  Canadiens,  embusqués  derrière  les 
arbres,  sur  les  hauteurs,  et  armés  de  fusils  de  chasse, 
tirèrent  à  qui  mieux  mieux  sur  les  Anglais  et  leur  firent 
subir  d'énormes  pertes.  Le  nom  de  Charest,  qui  était  à  la 
tête  du  mouvement,  est  resté  acquis  à  l'histoire.  A  Saint- 
Henri,  le  curé  Youville-Dufrost  de  Lajemmerais  fut  fait 
prisonnier  avec  près  de  trois  cents  de  ses  paroissiens  ^  : 


29.  Journal  de  Knox,  p.  320. 

30.  Youville-Dufrost  de  Lajemmerais  retourna  à  sa  paroisse  dans  le 
cours  de  l'automne,  et  le  printemps  suivant  monta  à  Montréal,  où  il 
devint  curé  de  Sainte-Rose.  En  1761,  il  revint  à  sa  cure  de  la  Pointe- 
Lévy,  et  fit  sa  paix  avec  Murray.  (J.-Edmond  Roy,  Histoire  de  /'« 
Seigneurie  de  Lauzon,  t.  II,  p.  343)- 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  51I 

«  Monckton,  dit  la  chronique,  lui  donna  à  dîner  sous  sa 
tente,  et  fit  servir  des  rafraîchissements  à  ses  habitants. 
Dans  la  soirée,  tous  furent  transportés  à  bord  des  frégates 
qui  étaient  mouillées  en  face  du  camp  de  la  Pointe  de 
I/évy.  »  Une  proclamation  analogue  à  celle  de  Beaumont 
fut  affichée  à  la  porte  de  l'église  de  Saint-Henri.  Les 
Canadiens  demeurèrent  sourds  aux  appels  de  l'ennemi  et 
gardèrent  à  la  France  une  allégeance  inviolable. 

Dans  sa  circulaire  au  clergé  en  date  du  5  juin,  M«^  de 
Pontbriand  défendait  à  ses  prêtres,  même  aux  aumôniers 
des  camps,  de  prendre  les  armes.  En  prévision,  cependant, 
de  ce  qui  pourrait  arriver,  de  la  part  de  quelques  curés, 
qui,  en  se  défendant,  commettraient  quelque  homicide,  il 
permettait  aux  confesseurs,  au  saint  tribunal,  de  «  dispenser 
de  l'irrégularité  les  prêtres  qui  l'auraient  encourue  par 
l'homicide  volontaire  de  l'ennemi.  » 

On  ne  mentionne  aucun  prêtre  qui  aurait  pris  les  armes 
et  encouru  l'irrégularité.  M.  de  Portneuf,  curé  de  Saint- 
Joachim,  n'était  pas  armé  lorsqu'il  fut  pris  et  massacré  par 
les  Anglais.  Il  s'était  retiré  dans  les  bois  avec  ses  parois- 
siens, conformément  à  l'ordonnance  de  l'Evêque.  Les 
Anglais  ayant  traversé  de  l'île  à  Saint- Joachim,  dévastèrent 
le  village,  puis,  soupçonnant  que  les  habitants  étaient 
cachés  dans  la  forêt,  firent  semblant  de  prendre  la  fuite 
afin  de  les  faire  sortir  de  leur  retraite.  Sept  ou  huit  habi- 
tants, armés  de  fusils,  sortent  en  effet  du  bois  pour  leur 
donner  la  chasse,  et  M.  de  Portneuf  les  accompagne  pour 
leur  administrer,  au  besoin,  les  secours  de  son  ministère. 
L'ennemi  fait  volte-face,  court  après  eux  et  les  rejoint  près 
du  moulin  seigneurial.  Ils  sont  cernés,  environnés,  de 
manière  à  ne  pouvoir  fuir,  puis  massacrés  à  coup  de 
sabre.  Au  curé  on  enlève  la  chevelure;  on  lui  fracasse 
le  crâne  ;  puis  on  jette  tous  les  cadavres  dans  la  maison 
voisine  : 


512  *    l'église  du  canada 

((  Les  Anglais,  dit  la  chronique,  étaient  piqués  contre 
nos  gens,  qui  les  avaient  injuriés  de  loin  ^\  » 

<(  M.  Robineau  de  Portneuf,  écrit  M^^  Taschereau,  fut 
enterré  tout  d'abord  dans  le  champ  teint  de  son  sang,  d'où, 
quatre  jours  après,  on  le  transporta  dans  l'église  de  Sainte- 
Anne,  où  il  est  inhumé  entre  les  bancs  seigneuriaux  et  le 
chœur.  C'était  un  ancien  élève  du  Séminaire,  où  il  avait 
commencé  ses  études  le  6  octobre  1720  à  l'âge  de  treize 


ans  ^^.  J) 


* 


Le  sanglant  épisode  que  nous  venons  de  raconter  eut 
lieu  le  23  août.  Il  y  avait  près  de  deux  mois  que  Québec 
était  assiégé.  Le  bombardement  de  la  ville  avait  com- 
mencé le  12  juillet:  elle  n'était  plus  que  ruines  et  déso- 
lation. 

Dès  le  commencement  du  siège,  le  plus  grand  nombre 
des  Ursulines  et  des  Hospitalières  s'étaient  retirées  à 
PHôpital-Général,  où  MM.  Briand  et  Rigauville  adminis- 
traient les  secours  spirituels  aux  malades  et  aux  blessés. 
Les  Ursulines  restées  au  monastère  continuèrent  à  être 
desservies  par  M.  Resche  ;  M.  Poulin  desservait  PHôtel- 
Dieu,  et  MM.  Cugnet  et  Collet,  «  un  hôpital  ambulant  qui 
fut  en  opération  pendant  trois  semaines  ^^  » 

M^^  de  Pontbriand,  dont  la  santé  déjà  chancelante  se 
trouvait  encore  abattue  par  le  désolant  spectacle  de  sa  ville 
épiscopale  réduite  à  l'extrémité,  s'était  retiré  dès  le  premier 
juillet  à  Charlesbourg  ^*,  d'où  il  continua  à  gouverner  son 


31.  Journal  du  curé  Récher,  27  août. 

32.  Hist.  Manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 

33  Document  inscrit  par  Jacques  Viger  dans  sa  Saberdache. 

34.  M.  Récher  écrit  dans  son  journal,  à  la  date  du  premier  juillet 
1759:  "Monseigneur  quitte  le  Séminaire,  et  se  ^retire  à  Charlesbourg:" 
ce  qui  donne  à  entendre  qu'il  avait  déjà  quitté  à  cette  date  son  palais 
épiscopal,  pour  se  retirer  au  Séminaire. 


sous   M»*"   DE    PONTBRIAND  513 

diocèse  jusqu'à  la  prise  de  Québec,  après  laquelle  il  se 
reudit  à  Montréal.  M.  Récher  resta  dans  sa  paroisse, 
avec  M.  Vizien,  son  vicaire  ^. 

Il  y  avait  aussi  à  Québec  un  prêtre  habitué,  M.  Beau- 
douin,  fils  du  docteur  Gervais  Beaudouin,  qui  resta  à  son 
poste  tout  le  temps  du  siège  et  rendit  beaucoup  de  ser- 
vices ^^. 

MM.  Pressart  et  Gravé,  directeurs  du  Séminaire,  suivi- 
rent M^'  de  Pontbriand  à  Charlesbourg,  et  ensuite  à  Mont- 
réal, où  ils  demeurèrent  une  année.  Il  ne  resta  à  Québec 
que  MM.  Jacrau  et  Boiret  pour  veiller  à  la  conservation 
des  biens  du  Séminaire.  Ils  furent  obligés  de  demeurer 
chez  le  curé  à  cause  du  mauvais  état  où  se  trouvait  la 
maison.  Les  élèves  furent  renvoyés  de  bonne  heure,  et 
se  dispersèrent  dans  les  campagnes,  ou  bien  s'enrôlèrent 
courageusement  pour  combattre  l'ennemi  commun  '^. 

On  sait  qu'ils  donnèrent  leur  nom  à  un  coup  manqué, 
essayé  toutefois  avec  la  meilleure  intention  patriotique. 
Bon  nombre  de  citoyens,  humiliés  de  voir  qu'on  ne  faisait 
rien  d'efficace  pour  répondre  au  bombardement  de  la  ville, 
supplièrent  le  gouverneur  de  leur  permettre  de  traverser 
le  fleuve  et  d'aller  surprendre  l'ennemi  derrière  ses  batte- 
ries de  Lévis  ^^.  Le  gouverneur  ayant  approuvé  la  chose, 
le  brave  Dumas  réunit  un  fort  contingent  de  miliciens 
dont  firent  partie  les  écoliers  du  Petit  Séminaire.  La 
traversée  du  fleuve  se  fit  fort  heureusement,  la  nuit  ;  et  l'on 
se  mit  en  marche  vers  le  camp  des  Anglais.  Tout  alla 
bien  durant  quelques  heures,  et  l'on  s'avançait  avec  con- 


35.  M.  Vizien  retourna  en  France  en  novembre  1759,  en  même  temps 
que  MM.  Cugnet  et  Collet;  et  M.  Récher  resta  sans  vicaire:  "il  n'en 
avait  pas  besoin,"  dit  un  document  cité  par  Jacques  Viger  dans  sa 
Saberdache. 

36.  Jacques  Viger,  Ma  Saberdache. 

37.  Hist.  manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 

38.  Journal  du  curé  Récher,  10,  11,  13  juillet 

S3 


514  l'église  du  canada 

fiance,  lorsque  l'avant-garde  du  détachement  ayant  été 
surprise  par  quelques  soldats  anglais  rebroussa  chemin. 
La  confusion  se  mit  dans  les  rangs  :  on  ne  se  reconnaissait 
plus,  dans  les  ténèbres  :  les  Canadiens  tiraient  sur  leurs 
compatriotes,  les  prenant  pour  des  soldats  ennemis.  Dumas 
réussit  enfin  à  rallier  son  monde  et  à  le  reconduire  au 
rivage,  d'où  l'on  put  regagner  heureusement  la  ville.  Le 
coup  manqué  prit  le  noiji  de  a  coup  des  écoliers  »,  parce 
que  c'est  à  eux  que  l'on  attribuait  avec  plus  ou  moins 
de  justice  l'insuccès  de  l'expédition  '^. 

C'était  là  un  bien  pâle  incident  en  comparaison  de  la 
belle  victoire  remportée  par  les  Canadiens  sur  les  Anglais 
le  31  juillet,  et  que  l'on  a  appelée  victoire  de  Montmo- 
rency, parce  que  le  combat  eut  lieu  sur  la  batture  et  la 
falaise  de  Beauport,  non  loin  du  Saut  Montmorency. 
Montcaim  y  prit  une  part  importante  ;  mais  c'est  à  Lévis 
surtout  que  l'on  attribua  le  succès  de  la  journée  :  et  ce 
succès,  il  le  devait  principalement  à  l'intrépidité  des  Cana- 
diens*": écrivant  sur  le  champ  au  ministre  de  la  guerre: 

«  On  ne  peut  assez  faire,  disait-il,  l'éloge  des  troupes  et 
des  Canadiens,  qui  ont  été  inébranlables,  et  qui  ont  conti- 
nuellement témoigné  la  plus  grande  volonté.  » 

M.  de  Repentigny,  surtout,  se  signala  dans  cette  action, 
comme  il  l'avait  fait  quelques  jours  auparavant.  Nous 
avons  déjà  dit  un  mot  de  cet  épisode  magnifique,  où  Lan- 
glade,  après  avoir  traversé  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière 
avec  quelques  centaines  de  sauvages,  imprima  aux  Anglais 
une  indescriptible  frayeur,  et  les  mit  en  déroute,  déroute 
qui  aurait  pu  être  décisive,  si  l'affaire  avait  été  soutenue. 


39.  J.-Edmond  Roy,  Hist.  de  la  Seigneurie  de  Lauzon,  t.  II,  p.  298 

40.  "Les  Canadiens  ont  très  bien  fait,  au  jugement  même  de  M.  de 
Montcaim.  "  (Journal  du  curé  Récher,  dans  les  Recherches  historiques, 
vol.  IX,  p.  359).  Ces  mots  "ou  jugement  mtme  de  M.  de  Montcaim"  en 
disent  plus  long  que  des  volumes  sur  l'opinion  que  Montcaim  avait 
erdinairement  de  nous. 


sous    M^    DE    PONTBRIAND  5I5 

Wolfe,  à  la  tête  d'une  colonne  de  deux  mille  hommes, 
était  venu  examiner  le  gué,  gardé  par  onze  cents  Cana- 
diens, et  tenter  d'en  forcer  le  passage  : 

«  Huit  ou  neuf  cents  sauvages,  écrit  l'atbé  Casgrain, 
accourus  à  son  approche  avec  l'intrépide  Langlade,  se 
jetèrent  sans  être  aperçus  sur  la  rive  gauche  du  Montmo- 
rency, et  s'y  tinrent  tapis  ventre  à  terre,  à  une  portée  de 
pistolet  de  la  colonne  anglaise,  qui  s'était  arrêtée  et  se  pré- 
parait à  passer  le  reste  de  la  nuit  au  bivouac.  Le  silence 
de  la  forêt  qui  n'était  troublé  que  par  le  glouglou  des 
rapides  voisins  et  par  le  passage  des  brises  nocturnes  dans 
la  cime  des  arbres,  fit  croire  aux  Anglais  qu'il  n'y  avait 
pas  d'ennemis  de  ce  côté  de  la  rivière.  Le  chevalier 
Johnstone,  qui  rapporte  cet  incident,  s'étonne  qu'un  si 
grand  nombre  de  sauvages  aient  pu  se  tenir  cachés  durant 
plusieurs  heures  si  près  d'un  corps  ennemi,  sans  que  le 
moindre  bruit  ait  trahi  leur  présence.  C'était  une  des 
merveilles  de  la  stratégie  indienne. 

«  M.  de  Langlade  voyant  son  embuscade  si  bien  préparée, 
fit  signe  aux  chefs  qui  l'entouraient  de  l'attendre,  puis  se 
glissa  furtivement  en  arrière,  traversa  la  rivière,  courut  au 
camp  de  Lévis  et  lui  demanda  de  l'appuyer  par  un  gros 
détachement.  Il  l'assura  que  s'il  était  soutenu,  il  envelop- 
perait avec  son  détachement  la  troupe  anglaise,  et  qu'un 
bien  petit  nombre  retourneraient  dans  leur  camp.  L'oc- 
casion était  belle  et  tentante  ;  mais  M.  de  Lévis  ne  pou- 
vait ordonner  une  expédition  qui  exposait  à  entraîner  une 
action  générale,  sans  y  être  autorisé  par  le  commandant  en 
chef,  et  le  quartier  général  était  trop  loin  pour  qu'il  pût  en 
avoir  une  réponse  à  temps.  Tout  ce  qu'il  put  faire,  fut 
d'expédier  un  fort  détachement  en  écrivant  à  M.  de  Repen- 
tigny  qu'il  lui  en  confiait  le  commandement,  laissant  le 
reste  à  son  habileté  et  à  son  expérience. 

«  Repentigny,   aussi   brave  et   non   moins   prudent  que 


5l6  I,*ÉGLISE   DU   CANADA 

Lévis,  se  trouva  dans  le  même  embarras  que  lui.  Les 
sauvages  attendirent  le  retour  de  M.  de  Langlade.  Ils 
avaient  été  cinq  heures  étendus  à  terre  immobiles,  le  casse- 
tête  à  la  main,  ne  remuant  que  leurs  yeux  de  lynx  dans 
l'ombre. 

((  Aux  premières  lueurs  de  l'aube,  ne  voyant  venir  aucun 
secours,  ils  ne  purent  retenir  plus  longtemps  leur  ardeur. 
Un  cri  poussé  par  huit  cents  poitrines  sauvages  fit  trembler 
les  bois  et  tressaillir  les  soldats  anglais,  qui  sautèrent  sur 
leurs  armes;  mais  les  barbares,  qu'ils  craignaient  tant, 
étaient  sur  leurs  talons,  brandissant  leurs  tomahawks.  Ils 
reculèrent  en  désordre.  Wolfe  et  ses  officiers  empêchèrent 
une  panique;  mais  la  colonne  dut  retraiter  précipitamment. 

((  M.  de  Repentigny  n'osa  jeter  tout  son  monde  de  l'autre 
côté  du  gué  ;  mais  il  détacha  une  forte  escouade,  qui  alla 
prêter  main-forte  aux  Indiens.  Wolfe,  refoulé  jusque  dans 
son  camp,  dont  tous  les  régiments  avaient  pris  les  armes, 
fit  avancer  du  canon  et  marcher  le  gros  de  son  armée  contre 
les  sauvages,  qui  revinrent  triomphants  au  Passage-d'Hiver, 
après  avoir  tué  ou  blessé  environ  cent  cinquante  Anglais, 
sans  presque  aucune  perte  de  leur  part  *^  » 

Mais  ni  des  incidents  de  cette  nature,  si  encourageants 
qu'ils  fussent,  ni  même  des  victoires  comme  celle  de  Mont- 
morency, ne  pouvaient  être  des  affaires  décisives.  Tout 
dépendait  du  siège  de  Québec  ;  et  il  paraissait  évident  que 
Québec  ne  pouvait  tenir  longtemps.  Dans  l'opinion  de 
tous  les  hommes  sérieux,  le  sort  de  la  colonie  était  scellé. 

* 
*     * 

On  était  au  premier  septembre.  Il  y  avait  plus  de  deux 
mois  que  Québec  était  assiégé.     La  flotte  anglaise  station- 

41.  Montcalm  et  Lévis,  t.  II,  p.  121. 


sous    M^'   DE    PONTBRIAND  517 

nait  devant  la  ville  ;  de  temps  en  temps  quelques  vaisseaux 
s'en  détachaient  pour  aller  se  promener  en  amont  du  fleuve. 

Plusieurs  fois  déjà  l'ennemi  avait  réussi  à  opérer  des 
descentes  sur  la  rive  nord,  entre  autres  à  la  Pointe-aux- 
Trembles,  où,  fort  heureusement,  il  ne  fut  pas  longtemps  : 
Bougainville,  avec  une  poignée  de  soldats,  trois  cents  au 
plus,  fit  rembarquer  précipitamment  quinze  cents  soldats 
anglais  *^. 

L'ennemi  semblait  sûr  du  succès  définitif.  Et  cepen- 
dant,—  qui  le  croirait?  —  Wolfe  n'était  rien  moins  que 
certain  de  prendre  Québec.  N'eût  été  de  l'opinion  an- 
glaise, à  laquelle  il  fallait  donner  satisfaction,  il  aurait 
déjà  abandonné  la  partie  et  levé  le  siège.  Le  bombar- 
dement, la  destruction,  le  pillage,  tout  cela  répugnait  à 
sa  nature  généreuse  : 

«  Dans  la  situation  où  je  suis,  écrivait-il  à  Pitt  le  2 
septembre,  j'aperçois  devant  moi  tant  de  difl&cultés  que  je 
ne  sais  vraiment  à  quoi  me  déterminer.  Les  affaires  de 
la  Grande-Bretagne  requièrent  de  moi  les  mesures  les  plus 
vigoureuses  ;  et  pourtant  je  ne  devrais  mettre  à  l'épreuve 
le  courage  de  tant  de  braves  soldats  que  s'il  y  avait  au 
moins  une  lueur  d'espérance  de  réussir  *'^.  » 

Cette  lueur,  il  l'entrevoyait  encore;  mais  elle  était  si 
faible  !     Tout  autour  de  Québec,  il  ne  voyait  qu'un  point 


42.  La  jeunesse  de  Bougainvile  et  la  guerre  de  Sept- Ans,  p.  131. — On 
mentionne  le  nom  d'un  abbé  Couillard,  qui  prit  part  à  cette  action  et 
fut  blessé.  Mais  nous  ne  croyons  pas  qu'il  fût  dans  les  ordres  sacrés. 
Ne  serait-ce  pas  "  Joseph  Couillard  des  Ecores,  clerc-minoré  ",  dont 
parle  l'auteur  du  bel  ouvrage  Histoire  des  Seigneurs  de  la  Rivière-du- 
Sud  (p.  283),  qui  s'enrôla  comme  volontaire  au  Siège  de  Québec,  et  qui, 
retournant  à  Montmagny,  avec  quelques  compagnons,  le  soir  même  de 
la  bataille  des  Plaines  d'Abraham,  fit  la  rencontre  d'un  parti  anglais,  et 
périt  dans  le  combat  qu'il  eut  à  soutenir  contre  eux?  Vaudreuil,  après 
l'affaire  de  la  Pointe-aux-Trembles,  écrivait  au  sujet  de  l'abbé  Couil- 
lard :  "  Je  souhaite  que  sa  blessure  soit  légère.  Il  est  bon  gentilhomme, 
et  ai  ce  n'était  qu'un  tonsuré  et  qu'il  préférât  le  service,  il  serait  bien 
fait  pour  y  être  placé.  " 

43.  Taylor,  The  Cardinal  Facts  of  Canadian  liistory,  p.  68. 


5l8  L'ÊGUSE   DU   CANADA 

vulnérable;  mais    les   Français,   sans   doute,    y    faisaient 
bonne  garde . .  . 

Vaudreuil  le  connaissait  bien,  lui  aussi,  ce  point  vulné- 
rable :  aussi  ne  cessait-il  de  recommander  de  faire  attention 
à  la  falaise  de  l'Anse  du  Foulon,  qu'il  n'était  pas  impos- 
sible, suivant  lui,  d'escalader.  La  plupart  des  officiers  la 
regardaient  comme  inaccessible  ;  et  d'ailleurs  on  y  avait 
mis  Vergor  comme  gardien  !.  .  . 

Que  de  fois  M^""  de  Pontbriand  n'avait-il  pas  répété  dans 
ses  mandements  et  ses  lettres  pastorales,  que  tout  succès 
dépendait  de  la  divine  Providence,  que  c'était  en  elle, 
surtout,  qu'il  fallait  mettre  sa  confiance,  que  les  plus  beaux 
efforts  ne  valaient  rien,  s'ils  n'étaient  pas  appuyés  du 
secours  d'en  haut,  et  que  ce  secours  il  fallait  le  mériter  en 
évitant  le  péché  et  les  désordres  !  Au  fond,  toute  sa  doc- 
trine n'était  que  le  commentaire  de  ce  beau  verset  de  la 
sainte  Ecriture  :  Nisi  Dominus  custodierit  civitatem^  frus- 
tra vigilat  qui  custodit  eam  ^*.  Jamais  vérité  ne  se  vérifia 
d'une  manière  plus  frappante  qu'au  siège  et  à  la  prise  de 
Québec. 

On  a  mis  un  gardien  sur  la  falaise  du  Foulon,  c'est 
vrai  ;  mais  au  lieu  de  veiller,  il  dort,  et  ne  se  réveille  que 
quand  les  ennemis  sont  sur  les  hauteurs  !  Et  quand  il  eût 
veillé,  il  était  presque  seul,  ayant  donné  congé  à  la  plupart 
de  ses  miliciens  pour  aller  faire  leurs  foins  à  Lorette,  à 
condition  de  faire  aussi  les  siens,  sur  sa  terre  ! . . 

Wolfe  et  ses  ofiiciers,  après  avoir  gravi  la  côte,  sont  les 
premiers  surpris  de  leur  succès. 

A  huit  heures,  Wolfe  range  ses  troupes  en  bataille  sur 
les  Plaines  d'Abraham  :  comme  il  est  le  premier  rendu,  il 
choisit   naturellement  la  position  qui  lui  convient,  celle 


44.  Ps.  CXXVI,  I.  "  Si  le  Seigneur  ne  garde  la  ville,  c'est  en  vain  fuc 
veille  celui  qui  la  garde,  " 


sous    M^    DE    PONTBRIAND  519 

qu'il  croit  la  plus  favorable.  Montcalm  accourt  avec  ses 
soldats,  sitôt  qu*il  est  prévenu  de  la  présence  des  Anglais 
sur  la  colline  de  Québec,  et  range,  lui  aussi,  son  armée  en 
bataille. 

Un  ravin  sépare  les  deux  armées  :  position  désavanta- 
geuse pour  celle  qui  s'avancera  et  attaquera  la  première  : 
elle  sera  foudroyée  dans  la  baisseur. 

Il  y  a  des  taillis,  des  broussailles,  oti  les  Anglais  se  ca- 
chent et  dissimulent  une  partie  de  leurs  forces. 

Vaudreuil  supplie  et  fait  supplier  Montcalm  de  ne  rien 
précipiter  :  Bougainville  n'est  qu'à  une  heure  ou  deux  de 
marche;  il  accourrera,  à  la  première  nouvelle,  il  surpren- 
dra les  derrières  de  l'armée  anglaise,  il  décidera  peut-être 
favorablement  l'issue  du  combat. 

Montcalm,  du  reste,  est  trop  grand  militaire  pour  ne  pas 
savoir  «  qu'on  ne  doit  pas  livrer  de  bataille  avant  d'avoir 
réuni  toutes  ses  forces,  car  la  victoire  dépend  souvent  d'un 
seul  bataillon  *^.  »  Il  le  sait,  il  le  comprend  ;  il  désire,  il 
souhaite  que  Bougainville  arrive  :  et  cependant,  il  ne  peut 
se  décider  à  attendre.  A  dix  heures,  il  attaque  et  engage 
la  bataille. 

Ne  jugeons  et  ne  blâmons  personne.  Qui  pourrait  dire 
qu'en  cette  circonstance  grave  et  solennelle  tous  n'ont  pas 
cru  et  voulu  faire  pour  le  mieux  ?  «  L'homme  s'agite,  et 
Dieu  le  mène,  w 

L'armée  anglaise  répond  à  l'attaque  de  l'armée  française 
d'une  manière  terrible  et  victorieuse. 

En  un  quart  d'heure,  tout  est  fini.  «  La  longue  ligne 
des  uniformes  blancs  fléchit,  recule,  se  rompt.  C'est  la 
déroute  des  nôtres.  Les  Anglais  sont  maîtres  du  terrain  *^.  » 


45  C'est  une  parole  de  Bonaparte  qu'Emile  Ollivier  rappelait  naguère 
dans  un  de  ses  magnifiques  articles  publiés  dans  la  Revue  des  Deux- 
Mondes,  celui  du  ler  juin  1913,  p.  515. 

46.  J.-Edmond  Roy,  Hist.  de  la  Seigneurie  de  Lauson,  t.  II  ,p.  309. 


520  L'éGUSR   DU   CANADA 

L<eurs  cris  de  triomphe  retentissent  sur  la  colline  ;  le 
sort  de  la  colonie  est  scellé. 

Wolfe  est  mort  ;  Montcalm,  gravement  blessé,  se  fait 
conduire  chez  le  docteur  Arnoux,  rue  Saint-Iyouis,  et  s'y 
prépare  à  mourir  en  vrai  chrétien. 

L'abbé  Casgrain  fait  venir  de  Charlesbourg  M*^""  de  Pont- 
briand  à  travers  l'armée  française  en  déroute,  à  travers  les 
décombres  de  la  ville,  à  travers  les  morts  et  les  mourants, 
pour  assister  le  Général  sur  son  lit  de  mort  :  la  chose  est 
absolument  possible,  peu  probable,  nullement  nécessaire, 
et  d'ailleurs  appuyée  sur  aucun  document  de  l'époque.  Le 
curé  de  Québec,  M.  Récher,  est  en  ville,  à  la  disposition 
de  l'illustre  mourant.  Plus  près  de  lui  encore,  le  digne  cha- 
pelain des  Ursulines,  M.  Resche  :  nous  inclinons  à  croire 
que  c'est  lui,  plutôt,  qui  assista  Montcalm  à  ses  derniers 
moments.  C'est  lui,  dans  tous  les  cas,  qui  lui  donna  la 
sépulture  chrétienne,  dans  cette  fosse  quasi  légendaire 
qu'on  prétend  avoir  été  creusée  en  partie  par  une  bombe 
tombée  sur  le  monastère  des  Ursulines. 

Que  d'imprévu  !  que  de  choses  évidemment  conduites 
par  la  Providence  dans  ce  siège  et  dans  cette  prise  de 
Québec  !  Un  seul  homme  aurait  pu  agir  efiicacement  sur 
Montcalm,  et  l'empêcher  de  précipiter  le  combat  sur  les 
Plaines  d'Abraham  :  Lévis.  Mais  il  est  parti  depuis  un 
mois  pour  Montréal,  où  on  l'a  envoyé  pour  défendre  cette 
partie  de  la  colonie  contre  quelque  attaque  possible  de  la  part 
des  Anglais.  Sitôt  qu'il  apprend  la  nouvelle  de  la  bataille 
des  Plaines  d'Abraham,  et  son  triste  dénouement,  il  se  met 
en  marche  pour  Québec,  bien  décidé  à  faire  tourner,  si 
possible,  la  roue  de  la  fortune  du  côté  de  la  France,  et  à  ne 
pas  laisser  la  ville  tomber  aux  mains  des  Anglais.  Mais, 
hélas  !  il  rencontre  Vaudreuil,  qui  lui  apprend  que  Québec 
a  capitulé  ! 

L'automne  est  trop   avancé  pour  que  l'armée  française 


sous    M«^   DE    PONTBRIAND  52 1 

puisse  songer  à  prendre  immédiatement  sa  revanche.  De 
concert  avec  le  gouverneur,  Lévis  remet  la  chose  au  prin- 
temps suivant,  et  retourne  à  Montréal. 

La  Providence  ne  permettra  pas  que  la  France  quitte 
sans  gloire  la  colonie  qu'elle  a  fondée  au  prix  de  tant  de 
sacrifices  ;  et  ce  sera  un  héros  modeste,  Lévis,  un  héros  qui 
s'est  toujours  effacé,  malgré  son  grand  mérite,  qui  rempor- 
tera la  dernière  grande  victoire  française  dans  l'Amérique 
du  Nord.  Nous  en  dirons  un  mot  dans  le  prochain  cha- 
pitre. 


CHAPITRE  XXXVII 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  LA    NOUVELLE-FRANCE   (1760).  — 

LES   DERNIERS    MANDEMENTS    DE    M^'    DE    PONT- 

BRIAND.  —  BATAILLE  DE  SAINTE-FOY. — 

CAPITULATION  DE  MONTRÉAL 

Mgr  de  Pontbriand,  à  Montréal,  chez  les  Sulpiciens.  —  Premier  mande- 
ment. —  Désordres;  la  passion  de  l'ivresse.  —  L'Evêquc  et  M.  de 
Vaudreuil.  —  Description  de  la  misère  du  Canada.  —  L'Evêquc 
correspond  avec  Québec.  —  Ses  rapports  avec  Murray.  —  Deuxième 
mandement.  —  Troisième  mandement.  —  Eloge  de  Lévis.  —  Ba- 
taille de  Sainte-Foy.  Retour  de  Lévis  à  Montréal.  —  Capitulation 
de  cette  ville. 

LA  bataille  des  Plaines  d'Abraham  avait  eu  lieu  dans  la 
matinée  du  13  septembre.  Montcalm  mourut  le  len- 
demain matin,  et  fut  inhumé  le  soir  du  même  jour  ^  La 
capitulation  de  Québec  fut  signée  le  17  septembre,  à  la 
demande  pressante  des  citoyens  ^,  qui  n'avaient  plus  de 
vivres,  et  qui,  après  avoir  témoigné  à  la  mère  patrie 
jusqu'à  la  fin  la  plus  grande  loyauté,  souhaitaient  un  nou- 
vel état  de  choses  comme  une  véritable  délivrance.  Le 
général  Murray  devint  gouverneur  de  Québec  le  21  sep- 
tembre. 


I  Le  chanoine  Resche,  chapelain  des  Ursulines,  fit  l'inhumation  en 
présence  de  deux  autres  chanoines,  MM.  Cugnet  et  Collet,  qui  partirent 
pour  la  France  quelques  semaines  plus  tard. 

2.  Leur  requête  fut  présentée  au  commandant  de  Québec,  M.  de  Rame- 
say,  par  Jean  Panet,  notaire,  et  Jean  Taché,  syndic  des  marchands. 
(J.-Edmond  Roy,  Hist.  de  la  Seigneurie  de  Lauzon,  t.  II,  p.  312). 


l'église  du  canada  sous  m^""  de  pontbriand    523 

Nous  ne  savons  le  jour  précis  où  M^'^  de  Pontbriand 
quitta  Charlesbourg  pour  monter  à  Montréal.  Eut-il  le 
courage,  avant  de  partir,  d'aller  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les 
ruines  fumantes  de  son  séminaire,  de  son  évêché,  de  sa 
cathédrale,  qu'il  avait  reconstruite  quelques  années  aupa- 
ravant au  prix  de  tant  de  sacrifices  ?  Tout  nous  porte  à 
le  croire,  mais  surtout  la  description  circonstanciée  qu'il 
fit  de  Québec  quelques  semaines  plus  tard.  Il  dut  tenir 
à  dire  adieu,  peut-être  le  dernier  adieu,  à  ses  communau- 
tés religieuses,  avec  lesquelles  il  avait  entretenu,  de  Charles- 
bourg,  une  si  touchante  correspondance  ^  A  la  supérieure 
de  l'Hôtel-Dieu,  qui  lui  avait  écrit  un  jour  à  propos  d'une 
difficulté  : 

«  Soyez  tranquille,  notre  très  chère  fille,  lui  avait  répondu 
le  Prélat,  je  ne  partirai  pas  de  Québec  que  tout  soit  arran- 
gé, et  je  vous  verrai  plusieurs  fois.  » 

Il  laissa  à  sa  place,  pour  avoir  soin  de  ses  diocésains  du 
district  de  Québec,  l'homme  qui  lui  était  le  plus  cher  au 
monde,  M.  Briand,  qui  logeait  à  l'Hôpital-général  ;  et  il 
se  mit  en  route  pour  Montréal  en  compagnie  du  gouver- 
neur, qui  y  conduisait  les  restes  de  l'armée.  Des  Trois- 
Rivières,  au  commencement  d'octobre,  M.  de  Vaudreuil 
écrivait  au  chevalier  de  Lévis,  rendu  à  Montréal  avant  lui  : 

«J'arrivai  dans  cette  ville  le  premier  de  ce  mois  avec 
M.  l'Evêque.  Nous  abrégeâmes  beaucoup  les  fatigues  du 
voyage  en  profitant  d'une  goélette,  qui  était  aux  Trois- 
Rivières,  prête  à  mettre  à  la  voile.  » 

Le  pieux  Evêque  alla  demander  l'hospitalité  aux  Sulpi- 
ciens.  C'est  à  Saint-Sulpice  qu'il  avait  reçu  sa  formation 
cléricale  ;  c'est  Saint-Sulpice  qui  l'avait  fait  nommer  evê- 
que ;  et  ce  sont  également  les  Sulpiciens- qui  devaient  re- 
cevoir sa  dernière  bénédiction  et  son  dernier  soupir. 

3.  Archives  de  l'Archev.  de  Québec. 


524  l'église  du  canada 

Quelques  jours  après  son  arrivée  à  Montréal,  le  28 
octobre,  il  adressa  au  Clergé  et  aux  Fidèles  de  son  diocèse 
un  mandement,  corollaire  énergique  de  celui  du  18  avril  : 

«  Il  n'est  personne  parmi  vous.  Nos  Très  Chers  Frères, 
disait-il,  qui  ne  ressente  la  triste  situation  de  la  colonie. 
Heureux  ceux  qui,  sans  l'attribuer  faussement  et  témérai- 
rement aux  causes  secondes,  y  reconnaissent  le  bras  ven- 
geur du  Seigneur  et  s'y  soumettent  ;  plus  heureux  ceux 
qui  travaillent  avec  un  saint  zèle  à  détruire  en  eux-mêmes 
et  dans  les  autres  les  désordres  que  nous  vous  avons,  dans 
l'amertume  de  notre  cœur,  reprochés  par  notre  dernier 
mandement,  et  qui  dès  lors  nous  faisaient  craindre  et 
presque  annoncer  ce  que  nous  voyons  ! 

((  Le  mal  est  grand.  Nos  Très  Chers  Frères,  Dieu  seul 
peut  y  remédier  ;  mais  si  chaque  particulier  ne  réforme 
totalement  sa  conduite,  pourrions-nous  raisonnablement 
espérer  qu'il  cessera  de  nous  punir  ? 

«  Hélas  !  nous  le  disons  à  tout  le  monde,  nous  le  disons 
à  tous  les  états,  nous  nous  le  disons  à  nous-même,  nous  le 
disons  et  ne  pouvons  assez  en  gémir  dans  le  secret  et  dans 
le  public  :  les  désordres,  les  injustices  n'ont  point  cessé. 
L'infâme  passion  de  l'ivresse,  lors  même  que  l'ennemi  était 
à  notre  vue  et  nous  menaçait  de  toutes  parts,  a  fait  de 
grands  ravages.  Que  dirons-nous  de  ces  discours  injurieux 
contre  ce  qu'il  y  a  de  plus  respectable  et  qui  ne  tendent 
qu'à  l'indépendance,  discours  malheureusement  qui  se  ré- 
pandent dans  les  maisons  les  plus  chrétiennes,  qui  auto- 
risent les  murmures  continuels  des  peuples,  et  les  artifices 
multipliés  dont  ils  se  servent  pour  ne  pas  exécuter  les 
ordres  *. 


4.  Il  y  a,  au  fond  de  tout  cela,  des  détails  qu'il  serait  infiniment  cu- 
rieux et  intéressant  de  savoir,  mais  qui  probablement  ne  verront  jamai» 
le  jour. 


sous    M**"   DE    PONTBRIAND  535 

«  Voilà,  Nos  Très  Chers  Frères,  les  sources  principales 
de  nos  malheurs.  Si  dans  le  cours  de  cet  hiver  elles  ne 
sont  pas  arrêtées,  si  nous  voyons  comme  ci-devant  ces 
divertissements  profanes,  ces  assemblées  dangereuses,  ce 
peu  de  fidélité  à  sanctifier  les  fêtes  et  les  dimanches,  nous 
avons  tout  à  craindre,  parce  que  nous  irriterons  de  plus  en 
plus  le  Seigneur.  Mais  si  vous  revenez  sincèrement  à  lui, 
nous  vous  le  promettons  de  sa  part,  il  ne  nous  abandonnera 
certainement  pas,  et  trouvera  dans  sa  Toute-Puissance 
mille  moyens  de  rétablir  cette  colonie,  qui  touche  au  der- 
nier moment  de  sa  ruine.  Vos  prières,  alors,  lui  seront 
agréables,  et  rien  ne  vous  sera  refusé. 

«  Vous  n'y  oublierez  pas  ceux  qui  se  sont  sacrifiés  pour 
la  défense  de  la  patrie  :  l'illustre  nom  de  Montcalm,  celui 
de  tant  d'officiers  respectables,  ceux  des  soldats  et  des  mi- 
liciens ne  sortiront  point  de  votre  mémoire.  Par  inclina- 
tion, par  devoir,  vous  prierez  avec  ferveur  pour  le  repos  de 
leurs  âmes.  Les  riches  ajouteront  des  aumônes  abondantes. 
Les  circonstances  présentes  exigent  qu'on  retranche  non 
seulement  le  superflu,  mais  encore  l'utile  même,  pour 
assister  nos  frères,  qui  autrefois  assistaient  les  autres.  » 

Le  pieux  Prélat  ordonnait  ensuite  aux  prêtres  de  conti- 
nuer à  réciter  les  litanies  de  la  sainte  Vierge  à  la  suite 
de  toutes  les  basses  messes,  et  le  psaume  Miserere  à  toutes 
les  bénédictions  de  saint  Sacrement  :  puis  il  ajoutait  : 

«  Dans  les  villes  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières,  on 
fera  deux  services'  solennels  :  le  premier,  pour  M.  de 
Montcalm  et  les  officiers,  le  second,  pour  tous  ceux  qui 
sont  morts  dans  la  dernière  campagne.  Dans  les  autres 
paroisses,  MM.  les  curés  inviteront  leurs  paroissiens  à 
assister  à  une  messe  basse  qu'ils  célébreront  à  la  même 
intention  *.  » 


5.  Mand.  des  Bv.  de  Québec  t.  II,  p.  141,  28  octobre  1759. 


526    •  L'éGLiSE   DU    CANADA 

Qui  ne  serait  effrayé  à  la  vue  de  cette  peinture  de  mœurs 
que  faisait  le  saint  Evêque  dans  l'automne  de  1759,  au 
lendemain  de  la  bataille  des  Plaines  d'Abraham? 

Sa  dernière  lettre  pastorale,  celle  du  18  avril,  dont 
certains  personnages  s'étaient  montrés  si  piqués,  n'avait 
donc  rien  réformé  :  «  les  désordres,  les  injustices,  disait 
l'Evêque,  n'ont  point  cessé.  »  On  peut  en  croire  le  pieux 
Prélat:  il  n'était  nullement  porté  à  l'exagération.  Ce 
qu'il  dit  surtout  de  «  la  passion  de  l'ivresse  »,  de  l'ivresse 
(c  en  présence  de  l'ennemi  »,  ne  nous  donne-t-il  pas  terri- 
blement à  penser  en  rapport  avec  le  résultat  de  la  dernière 
campagne? 

Le  Prélat  se  fait  ensuite  un  devoir  d'écrire  à  la  Cour 
pour  attirer  la  sympathie  du  Roi  et  de  ses  ministres  sur  ses 
diocésains  si  éprouvés.  Il  n'oublie  pas  son  ami,  M.  de 
Vaudreuil,  sur  qui  certaines  personnes  osent  jeter,  bien 
injustement,  le  blâme  pour  les  malheurs  de  la  colonie.  Le 
Vœ  victis  n'a-t-il  pas  toujours  été  en  honneur  dans  certains 
milieux  ? 

«  Le  peu  de  facilité  qu'il  y  a  d'écrire  m'empêche,  dit-il 
au  ministre,  d'entrer  dans  aucun  détail.  Vous  serez 
sûrement  informé  de  la  misère  que  ressentent  tous  les  états 
de  cette  colonie.  La  description  ci-jointe  peut  en  donner 
une  idée.  Si  elle  était  répandue,  elle  occasionnerait  peut- 
être  des  aumônes. 

«On  raisonne  ici  beaucoup,  ajoute-t-il,  sur  les  évé- 
nements qui  sont  arrivés  ;  on  condamne  facilement.  Je 
les  ai  suivis  de  près,  n'ayant  jamais  été  éloigné  de  M.4é 
marquis  de  Vaudreuil  de  plus  d'une  lieue.  Je  ne  puis 
m'erapêcher  de  dire  qu'on  a  un  tort  infini  de  lui  attribuer 
nos  malheurs.  Quoique  cette  matière  ne  soit  pas  de  mon 
ressort,  je  me  flatte,  monsieur,  que  vous  ne  désapprou- 
verez pas  un  témoignage  que  la  seule  vérité  me  fait  rendre 
Le  retardement  du  départ  de  nos  vaisseaux  m'a  donné  le 


sous   M^   DE    PONTBRIAND  527 

temps  de  réunir  sous  un  seul  point  de  vue  la  critique  du 
public  sur  les  opérations  de  la  campagne  *...)> 

M.  de  Vaudreuil  pouvait  se  contenter  du  témoignage  de 
son  Evêque  ;  il  n'en  avait  pas  besoin  d'autres  :  k  on  avait 
grand  tort  de  lui  attribuer  nos  malheurs  ». 

Du  reste,  sa  vie  rangée,  sa  conduite  toujours  digne,  son 
parfait  désintéressement  le  mettaient  à  l'abri  de  tout 
soupçon  par  rapport  à  ces  désordres,  à  ces  injustices,  à  ces 
vols,  à  cette  «  passion  d'ivresse  »,  surtout,  que  M^  de  Pont- 
briand  s'était  vu  obligé  de  flétrir  d'une  manière  si  éner- 
gique, et  qui  évidemment,  dans  la  pensée  du  Prélat,  avait 
eu  pour  nous  des  conséquences  fatales. 

* 

Voici  la  «description  imparfaite  de  la  misère  du  Canada» 
qu'il  envoyait  à  la  Cour,  avec  prière  de  la  répandre  un 
peu  partout,  et  qu'il  signait  à   Montréal   le   5   novembre 

1759- 

«  Il  suffit,  disait-il,  d'exposer  la  situation  du  Canada  pour 

exciter  la  charité  des  personnes  tant  soit  peu  compatis- 
santes. 

«  Québec  a  été  bombardé  et  canonné  pendant  l'espace  de 
plus  de  deux  mois.  Cent  quatre-vingts  maisons  ont  été 
incendiées  "^  par  des  pots-à-feu  ;  toutes  les  autres,  criblées 
par  le  canon  et  les  bombes.  Les  murs  de  six  pieds  d'épais- 
seur n'ont  pas  résisté  ;  les  voûtes  dans  lesquelles  les  parti- 
culiers avaient  mis  leurs  effets  ont  été  brûlées,  écrasées  et 
pillées,  pendant  le  siège  et  après.  L'église  cathédrale  a 
été    entièrement    consumée  ^.     Dans  le  séminaire,   il   ne 

6.  Corresp.  générale,  vol.  104,  lettre  du  9  novembre  1759. 

7.  Cent-cinquante  à  la  Basse- Ville  seule.  Il  n'y  restait  plus  qu'une 

maison.   (Journal  du  curé  Réchcr).  y 

8.  Dans  la  nuit  du  22  au  23  juillet;  le  presbytère  brûla  en  même 
temps. 


528  L'ÊGUSE    DU   CANADA 

reste  de  logeable  que  la  cuisine,  où  se  retire  le  curé  de  Qué- 
bec avec  son  vicaire  ^.  Cette  communauté  a  souffert  des 
pertes  encore  plus  grandes  hors  de  la  ville,  où  l'ennemi 
lui  a  brûlé  quatre  fermes  et  trois  moulins  considérables, 
qui  faisaient  presque  tout  son  revenu. 

«  L'église  de  la  Basse- Ville  est  entièrement  détruite  ; 
celles  des  Récollets,  des  Jésuites  et  du  Séminaire  sont  hors 
d'état  de  servir  sans  de  très  grosses  réparations.  Il  n'y  a 
que  celle  des  Ursulines  où  l'on  peut  faire  l'office  avec  une 
certaine  décence,  quoique  les  Anglais  s'en  servent  pour 
quelques  cérémonies  extraordinaires. 

«  Cette  communauté  et  celle  des  Hospitalières  ont  été 
aussi  fort  endommagées.  Elles  n'ont  point  de  vivres, 
toutes  leurs  terres  ayant  été  ravagées.  Cependant  les 
religieuses  ont  trouvé  le  moyen  de  s'y  loger  tant  bien  que 
mal,  après  avoir  passé  tout  le  temps  du  siège  à  l'Hôpital- 
Général.  L'Hôtel-Dieu  est  infiniment  resserré,  parce  que 
les  malades  anglais  y  sont.  Il  y  a  quatre  ans  que  cette 
communauté  avait  brûlé  entièrement. 

«  Le  Palais  épiscopal  est  presque  détruit,  et  ne  fournit 
pas  un  seul   appartement  logeable.     Les   voûtes  ont  été 


9.  M.  Récher,  curé  de  Québec,  s'était  d'abord  établi  au  séminaire  pen- 
dant le  siège.  Dans  la  nuit  du  15  au  16  juillet,  cinq  bombes  étant  tom- 
bées sur  le  séminaire,  il  dut  se  retirer  dans  la  maison  d'un  nommé 
Flamand,  hors  les  murailles,  au  faubourg  Saint- Jean.  Cinq  jours  plus 
tard,  les  bombes  et  les  boulets  l'obligeaient  à  déloger,  et  il  venait  se 
réfugier  dans  la  maison  d'un  tanneur,  du  nom  de  Primaut,  assez  près  de 
î'Hôpital-Général.  Enfin,  "  le  dimanche  12  août,  une  heure  après  minuit, 
écrit-il  dans  son  journal,  il  vint  cinq  à  six  bombes  et  un  pot-à-feu  aux 
environs  des  tentes  de  MM.  de  Villars,  de  Vienne,  des  Granges,  placées 
au  bas  du  coteau,  derrière  la  maison  de  Primaut  et  même  plus  loin,  et 
au  delà  de  Manseau,  au  haut  du  coteau  :  ce  qui  nous  a  fort  surpris,  et 
nous  a  fait  lever  pour  aller  passer  le  reste  de  la  nuit  à  I'Hôpital- 
Général.  "  (Les  Ursulines  de  Québec,  t.  III,  p.  6). 

M.  Récher  revint  au  Séminaire  aussitôt  après  la  capitulation  de  Qué- 
bec; "mais  il  ne  fut  pas  longtemps  sans  être  obligé  d'en  sortir,  ayant 
été  dangereusement  blessé  par  un  soldat  anglais.  Nous  le  reçûmes  dans 
notre  maison.  Il  y  est  entré  le  8  novembre  1759,  et  loge  avec  M.  Resche, 
chanoine  de  la  cathédrale  et  notre  confesseur..."  (Ibid.,  p.  44). 


sous   M8f  DE   PONTBRIAND  539 

pillées.     La  maison  des  Récollets   et   celle   des   Jésuites 
sont  à  peu  près  dans  la  même  situation  :  les  Anglais  y  ont 
cependant   fait   quelques   réparations   pour   y    loger    des 
troupes.     Ils  se  sont  emparés  des  maisons  de  la  ville  les 
moins  endommagées.     Ils  chassent  même   de   chez   eux 
tous  les  jours  les  bourgeois  qui,  à  force  d'argent,  ont  fait 
raccommoder  quelques  appartements,  ou  les  mettent  si  à 
1  étroit  par  le  nombre   de   soldats   qu'ils   y   logent    que 
presque  tous  sont  obligés  d'abandonner  cette  ville'  mal- 
heureuse;  et  ils  le  font  d'autant  plus  volontiers  que  les 
Anglais  ne  veulent  rien  vendre  que  pour  de  l'argent  mon- 
naye; et  l'on  sait  que  la  monnaie  du  pays  n'est  qu'en 
papier.  ^ 

«  Les  prêtres  du  Séminaire,  les  Chanoines,  les  Jésuites 
sont  dispersés  dans  le  peu  de  pays  qui  n'est  point  encore 
sous  la  domination  anglaise.  Les  particuliers  de  la  ville 
sont  sans  bois  pour  leur  hivernement,  sans  pain,  sans 
farine  sans  viande,  et  ne  vivent  que  du  peu  de  biscuit  et 
de  lard  que  le  soldat  anglais  leur  vend  de  sa  ration  Telle 
est  l'extrémité  où  sont  réduits  les  meilleurs  bourgeois  •  on 
peut  facilement  juger  par  là  de  la  misère  du  peuple  et  des 
pauvres. 

«  Les  campagnes  ne  fournissent  point  de  ressources  et 
sont  peut-être  aussi  à  plaindre  que  la  ville  même.  Toute 
la  cote  de  Beaupré  ■»  et  l'île  d'Orléans  ont  été  détruites 
avant  a  fin  du  siège  ";  les  granges,  les  maisons  des  habi- 
tants,  les  presbytères  ont  été  incendiés  ;  les  bestiaux  qui 
restèrent,  enlevés  ;  ceux  qui  avaient  été  transportés  au- 
dessus  de  Québec  ont  presque  tous  été  pris  pour  la  subsis- 
tance de  notre  armée  ;  de  sorte  que  le  pauvre  habitant  qui 

(IbW.,"3''°4î^mbrer"°"'  "''""  ''  ^'"'  ^"^"'^"  C*"  Tourmente.  ' 


'-é" 


530  L'EGLISE    DU   CANADA 

retourne  sur  sa  terre  avec  sa  femme  et  ses  enfants  sera 
obligé  de  se  cabaner  à  la  façon  des  sauvages.  Leur  ré. 
coite,  qu'ils  n'ont  pu  faire  qu'en  en  donnant  la  moitié, 
sera  exposée  aux  injures  de  l'air,  ainsi  que  leurs  animaux. 
Les  caches  qu'on  avait  fait  dans  les  bois  ont  été  décou- 
vertes par  l'ennemi,  et  par  là  l'habitant  est  sans  hardes 
sans  meubles,  sans  charrues  et  sans  outils  pour  travailler 
la  terre  et  couper  le  bois. 

«  Les  églises  au  nombre  de  dix  ont  été  conservées  ;  mais 
les  fenêtres,  les  portes,  les  autels,  les  statues,  les  tabernacles 
ont  été  brisés.  La  mission  des  Sauvages  Abénaquis  de 
Saint-François  a  été  entièrement  détruite  par  un  parti 
d'Anglais  et  de  Sauvages.  Ils  y  ont  volé  tous  les  orne- 
ments et  vases  sacrés,  ont  jeté  par  terre  les  hosties  con- 
sacrées, ont  égorgé  une  trentaine  de  personnes,  dont  plus 
de  vingt  femmes  ou  enfants. 

«  De  l'autre  côté  de  la  rivière,  au  sud,  il  y  a  environ 
trente-six  lieues  de  pays  établis  qui  ont  été  à  peu  près 
également  ravagés,  et  qui  contenaient  dix-neuf  paroisses, 
dont  le  plus  grand  nombre  a  été  détruit. 

«  Tous  ces  quartiers  dont  nous  venons  de  parler  souffri- 
ront beaucoup,  et  ne  peuvent  aider  peisonue,  n'ont  aucune 
denrée  à  vendre,  et  ne  seront  pas  rétablis,  d'ici  en  plus  de 
vingt  ans  dans  leur  ancien  état.  Un  grand  nombre  de 
ces  habitants,  ainsi  que  de  ceux  de  Québec,  viennent  dans 
les  gouvernements  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières  ; 
mais  ils  ont  bien  de  la  peine  à  trouver  du  secours. 

K  Les  loyers  dans  les  deux  villes  sont  à  un  prix  exorbi- 
tant, ainsi  que  toutes  les  denrées.  Par  exemple,  la  livre 
de  beurre,  six  francs;  et  la  douzaine  d'œufs,  autant;  le 
mouton,  soixante-dix  à  quatre-vingts  francs,  et  les  habi- 
tants font  bien  des  difficultés  pour  prendre  les  ordon- 
nances ;  la  main  de  papier,  vingt-quatre  francs  ;  les  souliers 
trente  francs  ;  la  livre  de  savon,  autant  ;  et  toutes  les  étoffes, 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  53I 

à  proportion.  L'année  prochaine,  il  sera  difficile  d'ense- 
mencer les  terres,  parce  qu'il  n'y  a  aucun  labour  de  fait. 

(c  Voilà  bien  des  objets  de  charité  ;  et  un  chacun  peut  en 
choisir  selon  son  goût  et  son  inclination.  MM.  les  Supé- 
rieurs de  Saint-Sulpice,  des  Missions-Etrangères,  des  Jé- 
suites, et  M.  l'abbé  de  l'Ile-Dieu  recevront  volontiers  les 
aumônes  qu'on  pourra  faire,  et  trouveront  les  moyens  de 
les  faire  tenir.  On  peut  envoyer  des  robes  de  soie,  dont 
on  pourra  faire  ici  des  ornements.  Dans  les  ports  de  mer, 
à  Brest,  M.  Hocquart,  à  Bordeaux,  M.  Estèbe,  à  La  Ro- 
chelle, M.  Goguet,  se  chargeront  de  faire  tenir  les  toiles, 
les  étoffes,  le  lard,  la  farine,  Peau-devie,  le  vin,  et  géné- 
ralement tout  ce  qu'on  voudra  envoyer. 

«  J'atteste  que  dans  cette  description  de  nos  malheurs  il 
n'y  a  rien  d'exagéré,  et  je  supplie  messeigneurs  les  Evêques 
et  les  personnes  charitables  de  faire  quelques  efforts  en 
notre  faveur,     (signé)  Henri-Marie,  Evêque  de  Québec.  » 

Quel  magnifique  document  !  Qui  n'en  admirerait  la 
clarté  et  la  sincérité?  C'est  une  véritable  photographie  de 
la  situation  au  Canada.  Tout  était  à  recommencer  dans  la 
colonie,  au  moins  dans  le  district  de  Québec. 

Les  Canadiens  se  mirent  à  l'œuvre,  et  ils  le  firent  avec 
tant  de  courage  et  d'attache  à  leurs  foyers  qu'ils  y  virent 
fleurir  de  nouveau  la  prospérité  et  l'abondance. 

* 
*     * 

De  Montréal,  où  il  s'était  rendu  pour  résider  dans  la 
partie  restée  française  de  son  diocèse,  M^  de  Pontbriand 
correspondait  régulièrement  ave  son  clergé,  avec  son  grand- 
vicaire,  avec  le  curé  Récher,  avec  ses  communautés  reli- 
gieuses. Il  voyait  à  tout,  ii  dirigeait  tout,  c'est  encore  lui 
qui  était  l'âme  de  l'administration.  Que  de  cas  de  con- 
science,  par  exemple,    se   présentaient,    à    la   suite   d'un 


533  L*ÊGLISE   DU  CANADA 

bouleversement  comme  celui  qui  venait  de  remuer  de  fond 
en  comble  la  colonie  !  Il  y  a  eu  des  vols,  des  pillages  ; 
mais  la  plupart  du  temps,  ça  été  la  nécessité,  le  besoin  qui 
les  a  fait  faire  :  on  s'en  confesse  :  y  a-t-il  lieu  de  faire 
restituer?  Il  faut  éclairer  les  consciences.  Souvent  M. 
Briand  se  croit  obligé  de  consulter  son  évêque  ;  et  celui-ci 
lui  répond  toujours  avec  clarté,  avec  sagesse,  et  suivant  les 
règles  de  la  saine  théologie. 

Le  district  de  Québec,  en  grande  partie,  est  passé  à  un 
gouvernement  anglais  et  protestant.  Ah,  que  de  prudence 
ne  faut-il  pas,  de  la  part  du  clergé  et  des  communautés  reli- 
gieuses, dans  leurs  rapports  avec  ce  gouvernement,  avec 
les  officiers,  avec  les  soldats  protestants  !  M^^  de  Pont- 
briand  est  admirable  à  ce  sujet:  il  comprend  de  suite 
qu'il  ne  faut  pas  indisposer  inutilement  les  vainqueurs,  il  ne 
faut  leur  donner  aucun  prétexte  de  nous  refuser  ce  qu41s 
nous  ont  promis  formellement  par  la  capitulation  :  le  libre 
exercice  de  la  religion  catholique.     Il  écrit   à  M.   Briand  : 

«  Soyez  attentif  pour  que  ni  les  prêtres  ni  les  religieuses 
ne  parlent  point  de  religion  aux  malades  anglais,  à  l'Hôpi- 
tal-Général. M.  Murray  me  prie  de  donner  des  ordres 
bien  précis.  Veillez  aussi  pour  le  même  article  à  l'Hôtel- 
Dieu  et  aux  Ursulines.  .  .  A  l'égard  des  catholiques,  vous 
faites  bien  d'administrer  les  sacrements  le  plus  secrètement 
possible.  .  .  Il  faut  craindre  de  se  brouiller  avec  le  gou- 
verneur, pour  éviter  de  plus  grands  maux  ^^.  .  .  » 

Ecrivant  encore  un  peu  plus  tard  à  M.  Briand,  il 
ajoute  : 

«  Vous  ne  sauriez  trop  engager  MM.  les  curés  à  user  de 
toute  la  prudence  possible.  Nous  ne  devons  point  nous 
mêler  de  tout  ce  qui  regarde  le  temporel.  Le  spirituel 
doit  seul  nous  occuper  13.  » 


12.  Vicomte  de  Pontbriand,  Le  dernier  Bvêque  du  Canada  français, 
p.  277,  lettre  du  mois  de  décembre  1759. 

13.  Ibid.,  p.  278,  lettre  du  16  février  1760. 


sous   M^^   DE   PONT5RIAND  533 

Il  écrit  à  la  supérieure  de  PHôtel-Dieu  de  Québec  : 

«  Je  vois  avec  plaisir  que  le  gouvernement  sous  lequel 
vous  êtes  présentement  vous  favorise  ^*.  Il  le  fera  encore 
davantage  par  la  bonne  conduite  que  la  communauté 
aura  à  l'égard  des  pauvres  malades.  Je  vous  conseille  de 
ne  pas  leur  parler  beaucoup  de  religion  ;  ils  pourraient 
s'en  indisposer.  La  piété  et  la  modestie  de  votre  conduite 
feront  plus  d'effet,  si  Dieu  le  juge  à  propos.  Il  faut  se 
prêter  à  tout  ce  qu'on  vous  demandera,  et  vous  gêner  pour 
tout  ce  qui  peut  être  utile  aux  malades.  La  religion  chré- 
tienne exige  pour  les  princes  victorieux  et  qui  ont  conquis 
un  pays,  toute  l'obéissance,  le  respect  que  l'on  doit  aux 
autres,  de  sorte,  mes  Très  chères  Filles,  que  vous  et  toutes 
vos  Sœurs  pouvez  avoir  le  même  mérite  que  lorsque  vous 
serviez  les  Français  ^^  « 

Il  lui  écrit  encore  un  mois  plus  tard  : 

«  Je  prévois  toutes  les  misères  que  allez  ressentir  cet 
hiver.  Que  ne  puis-je  trouver  des  moyens  pour  y  remé- 
dier! Une  communauté  fervente  est  toute  puissante 
auprès  de  Dieu.  J'écris  à  M.  le  gouverneur  de  Québec, 
et  je  vous  recommande  à  lui.  Je  suis  persuadé  que  vous 
vous  conduirez  de  façon  à  ne  mériter  de  sa  part  aucun 
reproche.  Le  roi  d'Angleterre  étant  maintenant,  par  con- 
quête, souverain  de  Québec,  on  lui  doit  tous  les  sentiments 
dont  parle  l'apôtre  saint  Paul. 

«  On  me  dit  que  vous  êtes  surchargées  de  malades.     Je 


14.  "  Le  général  Murray  fit  preuve  de  la  plus  grande  humanité  à 
l'égard  des  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu.  Il  leur  fit  parvenir  régulièrement 
pendant  plusieurs  mois  tous  les  aliments  nécessaires  à  leur  subsistance.  " 
(Casgrain,  Hist.  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  445).  —  Une  petite  nièce 
de  la  duchesse  d'Aiguillon  ayant  écrit  au  grand  ministre  Pitt  pour  lui 
recommander  la  belle  communauté  de  Québec  fondée  par  son  illustre 
tante,  celui-ci  lui  répondit  par  une  magnifique  lettre  que  l'on  conserve 
au  monastère.  Il  écrivit  également  an  gouverneur  Murray,  recomman- 
dant l'Hôtel-Dieu  à  son  attention  spéciale.   (Ibid.,  p.  461). 

15.  Le  dernier  Eve  que  du  Canada  français,  p.  274,  lettre  du  12  cet. 
1759. 


534  l'église  du  canada 

m'en  réjouis  parce  que  c'est  une  occasion  pour  vous 
d'exercer  la  charité.  Je  vous  souhaite  à  toutes  beaucoup 
de  joie,  de  courage  et  de  patience.  Vous  aurez  tout  cela 
si  vous  vous  persuadez  bien  que  votre  situation  vient  de 
Dieu  et  qu'on  doit  s'y  soumettre  amoureusement.  Je  sais 
bien  que  les  premiers  mouvements  sont  contraires  ;  mais 
la  réflexion  inspire  bientôt  les  sentiments  du  saint  homine 
Job  !«....  )) 

((  Je  pense  souvent  à  l'Hôtel-Dieu,  écrit-il  encore  la  veille 
du  jour  l'an  ;  j'entre  dans  tous  vos  soins,  dans  les  peines 
de  chaque  particulière,  et  je  crois  qu'elles  me  deviennent 
propres  ^^ . . .  » 

Il  écrit  au  gouverneur  Murray  lui-même  : 

«  Si  ma  santé  me  le  permettait,  j'aurais  l'honneur  d'aller 
vous  assurer  de  mes  très  humbles  respects,  et  vous  recom- 
mander les  trois  communautés  religieuses  de  Québec.  Me 
serait-il  permis  de  vous  supplier  de  défendre  aux  troupes 
et  aux  autres  d'entrer  dans  les  appartements  qu'elles 
occupent,  suivant  leurs  règles  et  leurs  privilèges? 

((  Elles  ne  m'ont  pas  laissé  ignorer  vos  bontés,  et  j'es- 
père qu'elles  se  conduiront  de  façon  à  ne  mériter  aucun 
reproche.  C'est  ce  que  je  leur  recommande  expressément, 
ainsi  qu'à  tout  le  clergé. 

«  Pour  moi,  je  me  conduirai  toujours  suivant  les  grands 
principes  de  la  religion  chrétienne,  et  comme  tous  les 
évêques  qui  ont  des  diocésains  qui  dépendent  de  deux 
souverains;  et  si  quelqu'un  du  Clergé  s'écartait  de  ces 
principes,  je  serais  le  premier  à  y  remédier,  et  M.  Briand, 
mon  grand  vicaire  à  Québec,  une  j'ai  l'honneur  de  vous 
recommander,  entrera  dans  mes  vues  ^^    .  .  » 


i6.  Ibid.,  p.  275,  lettre  du  13  novembre  1759. 

17.  Ibid.,  lettre  du  31  décembre  1759. 

18.  Ibid.,  p.  276,  lettre  du  13  novembre  1759.     Knox  mentionne  avec 
éloge  cette  lettre  dans  son  journal,  p.  204. 


sous   M»^    DE    PONTBRIAND  535 

Les  documents  de  l'époque  ne  mentionnent  aucun  dé- 
mêlé, aucun  froissement  entre  l'autorité  religieuse  et  le 
gouvernement  de  Murray  dans  ce  premier  hiver  qui  suivit 
la  prise  de  Québec  ^^. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  M^^  de  Pontbriand 
voyait  une  partie  de  son  diocèse  aux  mains  des  Anglais  pro- 
testants. L'Île-Royale  n'était-elle  pas  devenue  anglaise  en 
1745,  comme  la  péninsule  acadienne  l'était  depuis  1713? 
Et  l'Evêque  de  Québec  n'avait-il  pas  réussi  sans  trop  de 
diflSculté  à  y  maintenir  ses  missionnaires?  Il  l'avait  fait 
avec  des  gouverneurs  qui  étaient  loin  de  valoir  Murray  : 
à  plus  forte  raison  fallait-il  espérer  que  tout  irait  pour  le 
mieux  avec  ce  haut  fonctionnaire  qui,  en  général,  sut 
apprécier  les  Canadiens,  et  fut  même  victime  de  sa  tolé- 
rance à  leur  égard. 

Non  seulement  l'Eglise  du  Canada  n'eut  rien  à  souffrir 
de  notre  premier  gouverneur  anglais,  mais  il  semble  que 
le  premier  hiver  que  l'on  passa  sous  le  nouveau  régime  ne 
fut  pas  témoin  d'orgies  et  de  scandales  comme  on  en  avait 
vus  à  Québec  l'hiver  précédent.  La  crainte  de  Dieu  est  le 
commencement  de  la  sagesse.  On  venait  d'être  terrible- 
ment éprouvé:  l'Evêque  avait  dit:  «Dieu  est  irrité,  sa 
main  est  levée  pour  nous  frapper  «  :  les  châtiments  étaient 
venus  en  effet;  et  l'on  voyait  que  l'Evêque  avait  raison. 

Dans  un  premier  mandement,  daté  de  Montréal  le  4 
février  1760,  c'est-à-dire  à  la  veille  du  Carême,  M^^  de 
Pontbriand  dispensait  ses  ouailles  du  jeûne  et  de  l'absti- 
nence, et  ne  leur  adressait  pas  les  reproches  qu'il  avait 
coutume  de  leur  faire  : 

19.  Cependant,  si  Ton  en  croit  Brasseur  de  Bourbourg  (t.  I,  p.  311), 
qui  écrit  d'après  l'historien  Smith,  la  Mère  Saint-Claude,  supérieure  de 
l'Hôpital-Général,  sœur  de  M.  de  Ramesay,  "  fut  accusée  par  les  Anglais 
d'exciter  sous  main  les  paysans  à  la  résistance".  Murray  lui  aurait  fait 
signifier  par  un  major  de  brigade,  "qu'elle  eût  à  renoncer  à  toute  entre- 
prise de  ce  genre,  en  la  menaçant,  dans  le  cas  contraire,  de  l'expulser  de 
la  ville  avec  toutes  ses  religieuses. 


536  I^'éGUSE   DU   CANADA 

((  Il  est  vrai,  Nos  Très  Chers  Frères,  disait-il,  que  la  triste 
et  fâcheuse  position  de  la  colonie,  bien  loin  de  nous  porter 
à  diminuer  les  pénitences  prescrites  par  notre  Mère  la  sainte 
Eglise,  semble  exiger  que  chacun  de  nous  y  en  ajoute  «Le 
nouvelles,  et  se  livre  avec  un  saint  courage  aux  plus 
grandes  austérités  corporelles  pour  fléchir  la  justice  de 
Dieu  et  attirer  ses  miséricordes.  Cependant  l'extrême  dif- 
ficulté de  trouver  des  vivres  maigres  nous  fait  juger  que, 
pour  condescendre  à  la  dureté  des  temps,  il  est  de  notre 
devoir  de  vous  dispenser  de  l'abstinence  prescrite,  pendant 
une  partie  du  Carême. 

((  Vous  la  connaissez  mieux  que  nous,  Nos  Très  Chers 
Frères,  cette  position  critique  de  la  colonie,  vous  en  sentez 
la  misère  présente,  vous  en  prévoyez  les  suites  fâcheuses 
pour  le  temporel  des  peuples.  Vous  portez  vos  vues  en- 
core plus  loin,  et  vous  craignez  avec  raison  que  la  religion 
ne  se  perde  insensiblement  dans  ce  diocèse,  dont  la  foi  a 
toujours  été  si  pure. 

«  Cette  année  doit  naturellement  décider  de  notre  sort. 
Il  n'est  personne  d'entre  vous  qui  ne  fasse  à  cette  occasion 
les  réflexions  les  plus  sérieuses,  personne  peut-être  qui  ne 
soit  touché  aux  larmes.  C'est  ce  qui  nous  fait  présumer 
que  votre  piété  trouvera  mille  moyens  de  suppléer  à  la 
pénitence  prescrite  dans  le  temps  du  Carême,  et  dont  nous 
allons  vous  dispenser  en  partie,  sans  craindre  aucun  incon- 
vénient. » 

Le  bon  Prélat  permettait  de  faire  gras  les  dimanche, 
lundi,  mardi  et  jeudi  de  chaque  semaine  du  Carême,  sans 
néanmoins  dispenser,  pendant  ces  jours,  du  jeûne.  On 
devait  faire  maigre,  cependant,  les  trois  premiers  jours  du 
Carême  et  la  Semaine  Sainte  toute  entière  : 

((  Nous  souhaitons,  ajoutait-il,  que  dans  chaque  maison 
on  ajoute  à  la  prière  du  soir  un  Pater  et  un  Ave  pour 
demander  à  Dieu  la  conversion  des  pécheurs,  la  persévé- 


sous    M^   DE   PONTBRIAND  537 

rance  des  justes,  la  parfaite  exécution  des  projets  que  Pou 
forme  et  que  l'on  peut  former  pour  le  bien  de  la  colonie,  et 
enfin  une  paix  prompte  et  durable  entre  les  Couronnes  ^°.  » 


* 


Le  mandement  de  M^'^  de  Pontbriand  que  nous  venons 
de  citer  ne;  renfermait  aucun  reproche  à  ses  diocésains. 
Celui  qui  va  le  suivre  constate,  au  contraire,  une  amélio- 
ration dans  leur  conduite  :  ils  ont  tenu  compte  des  avertis- 
sements de  leur  évêque,  et  il  en  remercie  le  Seigneur  ^^  : 

«  Depuis  le  commencement  de  l'hiver,  dit-il,  vous  n'avez 
point  cessé.  Nos  Très  Chers  Frères,  d'adresser  au  Seigneur 
les  vœux  les  plus  ardents,  dans  la  ferme  confiance  d'obte- 
nir ses  faveurs.  Il  semble  que  le  plus  grand  nombre 
d'entre  vous  s'est  livré  avec  plus  d'ardeur  aux  exercices  de 
piété  :  les  grands  ont  donné  l'exemple,  le  peuple  l'a  suivi. 
C'en  est  assez  pour  espérer  avec  confiance  la  protection  du 
Ciel  sur  les  opérations  militaires  de  cette  campagne,  exa- 
minées, discutées  et  dirigées  avec  soin  par  celui  qui  gou- 
verne avec  tant  de  douceur  et  de  prudence  cette  colonie. 
Les  obstacles  occasionnés  par  la  disette  générale  se  trouvent 
heureusement,  et  pour  ainsi  dire  contre  toute  espérance, 
levés.  Déjà  les  troupes  et  les  milices,  animées  d'un  nou- 
veau courage,  partent  avec  joie,  sous  la  conduite  d'un 
Général  (Lévis),  dont  la  famille  a  donné  à  l'Etat  tant 
d'illustres  défenseurs,  et  qui  sait  conserver  dans  l'action  la 
plus  vive,  cette  tranquillité  d'âme  qui  fait  les  grands 
hommes.  Continuons,  Nos  Très  Chers  Frères,  de  recourir 
au  Seigneur  encore  avec  plus  de  ferveur,  s'il  est  possible, 
et  espérons  tout  de  son  bras  tout  puissant.  » 


20.  Mand.  des  Evêques  de  Québec,  t.  II,  p.  143,  4  février  1760. 

21.  Quant  aux  officiers  des  troupes,  si  l'on  en  croit  l'auteur  de 
YHistoire  de  la  Seigneurie  de  Lauzon,  (t.  II,  p.  342),  "ils  avaient  passé 
les  nuits  dans  les  bals  ou  à  jouer  un  jeu  d'enfer",  comme  de  coutume. 


538  L^ÊGLISE   DU    CANADA 

Le  Prélat  ordonne  ensuite  de  continuer  «  dans  tout  le 
diocèse,  et  même  dans  les  camps,  «  les  prières  qu'il  a 
prescrites  dans  son  mandement  du  28  octobre.  Les  prêtres 
ajouteront  à  la  messe  l'oraison  Deus  refugium^  et  donne- 
ront, aux  messes  paroissiales,  la  bénédiction  avec  le  saint 
Ciboire  2^.  » 

C'était  la  dernière  fois  que  M^^  de  Pontbriand  s'adressait 
à  ses  diocésains.  Son  mandement  est  court  ;  mais  quelle 
onction,  quel  abandon  et  quelle  confiance  !  Il  espère  tout 
«  du  bras  tout  puissant  du  Seigneur  »,  qui  a  choisi  pour 
instrument  «  un  général  qui  sait  conserver  dans  l'action  la 
plus  vive  cette  tranquillité  d'âme  qui  fait  les  grands 
hommes.  »  Quel  bel  éloge  de  Lévis  !  et  comme  ce  portrait 
est  bien  caractéristique  !  M^"^  de  Pontbriand  avait  évidem- 
ment une  grande  estime  et  une  haute  opinion  de  Lévis  ;  il 
était  heureux,  surtout,  de  constater  qu'il  n'avait  jamais 
cessé,  lui,  en  toutes  circonstances,  de  s'entendre  avec  le 
gouverneur  que  la  Providence  avait  mis  à  la  tête  de  la 
colonie,  et  la  gouvernait  «  avec  tant  de  douceur  et  de  pru- 
dence ». 

Lévis  nous  semble  avoir  possédé  toutes  les  qualités  de 
Judas  Machabée  :  le  coup  d'œil,  la  vaillance,  l'intrépidité, 
jointe  à  la  prudence  et  à  la  possession  de  soi-même.  Cela 
veut-il-dire,  comme  on  l'a  prétendu,  qu'il  aurait  fait  mieux 
que  Montcalm  et  sauvé  la  colonie?  Et  qu'en  savons  nous? 
Tant  de  personnes  excellent  à  faire  des  suppositions  et  des 
prédictions  après  coup  !  Il  faut  toujours  en  revenir  au 
mot  de  M^^  de  Pontbriand  :  «  On  raisonne  ici  beaucoup  sur 
les  événements  qui  sont  arrivés  ;  on  condamne  facile- 
ment ...»  Tout  ce  que  nous  savons,  c'est  que  la  Provi- 
dence conduit  tout  dans  ce  monde  ;  rien  n'arrive  sans  sa 
permission.     Montcalm,  Lévis,  Vaudreuil  avaient  chacun 

22.  Mand.  des  Bv.  de  Québec,  t.  II,  p.  144,  17  avril  1760. 


sous    M^^   DE    PONTBRIAND  539 

d'admirables  qualités  :  chacun  d'eux  a  apporté  à  la  colonie 
son  tribut  de  gloire  et  de  bienfaits,  avant  qu'elle  passât  au 
nouveau  régime  que  la  Providence  lui  destinait.  Quel 
est  le  Canadien  qui  voudrait  voir  disparaître  de  notre  his- 
toire le  nom  de  Montcalm,  le  héros  de  Carillon,  celui  de 
Lévis,  le  héros  de  Montmorency  et  de  Sainte-Foy,  celui  de 
Vaudreuil,  le  père  et  le  protecteur  de  nos  ancêtres,  qui  for- 
tifia en  eux  l'idée  de  la  patrie  canadienne,  l'attachement  à 
leurs  foyers,  cette  confiance  en  eux-mêmes  dont  ils  avaient 
tant  besoin  avant  de  s'engager  dans  un  avenir  encore 
incertain  et  plein  de  périls?  En  sortant  de  la  Bastille,  où 
l'avait  conduit  le  Vœ  victis^  Vaudreuil  entendit  Choiseul 
lui  dire  : 

(f  Sa  Majesté  a  reconnu  avec  plaisir  que  la  conduite  que 
vous  avez  tenue  dans  l'administration  qui  vous  a  été  confiée, 
a  été  exempte  de  tout  reproche  ^^.  » 

Beau  témoignage,  ajouté  à  celui  de  M^*"  de  Pontbriand. 

* 

*     * 

Nous  avons  nommé  Sainte-Foy  :  c'est  la  campagne  pré- 
parée par  Vaudreuil  en  collaboration  avec  Lévis,  et  à 
laquelle  M^^  de  Pontbriand  faisait  allusion  dans  son  man- 
dement. 

lyévis  quitta  Montréal  avec  son  armée  le  17  avril,  jour 
même  de  la  publication  de  ce  mandement.  Il  avait  écrit 
la  veille  à  Bougainville,  stationné  à  l'Ile-aux-Noix  : 

«  Je  partirai  demain  matin.  Les  prières  sont  pour  nous. 
Dieu  veuille  qu'elles  soient  exaucées  !  M.  l'Evêque  a  fait 
un  beau  mandement.  » 

Le  28  avril  au  matin,  Lévis  est  à  Québec,  sur  le  coteau 
Sainte-Geneviève,  vis-à-vis  l'Hôpital-Général  ;  et  à  sa  grande 

23  Cité  dans  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  III,  p.  32. 


540  l'église  du  canada 

surprise  il  y  trouve  Murray  qui  l'attend  de  pied  ferme  avec 
son  armée  rangée  en  bataille.  Le  gouverneur  anglais  a 
été  averti  de  son  arrivée  :  il  a  eu  le  temps  de  faire  sortir  la 
plus  grande  partie  de  la  garnison  de  Québec,  de  faire  sauter 
l'église  de  Sainte-Foy,  oii  l'ennemi  aurait  pu  se  retrancher, 
de  dresser  ses  batteries  et  de  se  préparer  au  combat. 

Laissons  l'annaliste  de  l'Hôpital-Général  -*,  qui  a  tout 
vu,  nous  raconter  elle-même  Tafïaire  de  Sainte-Foy  : 

«  M.  de  Bourlamaque,  second  général  des  troupes  de 
terre,  se  trouva  à  la  vue  des  ennemis,  à  la  tête  des  premiers 
bataillons,  et  sans  avoir  le  temps  de  les  ranger.  L'artil- 
lerie anglaise  ne  manqua  pas,  en  les  voyant  paraître,  de 
faire  une  décharge  qui  en  mit  beaucoup  hors  de  combat. 
M.  de  Bourlamaque  fut  blessé  et  obligé  de  se  retirer. 

«  Le  fort  de  l'armée  était  encore  à  une  demi-lieue  de 
l'endroit  où  commença  le  premier  feu.  Nos  troupes  de  la 
marine  et  nos  milices,  plus  au  fait  des  chemins,  arrivèrent 
à  temps  pour  sauver  un  régiment  qui  se  faisait  tailler  en 
pièces  plutôt  que  de  reculer.  Ce  fut  alors  que  le  combat 
devint  furieux  et  des  plus  sanglants.  Comme  l'Anglais 
avait  été  à  même  de  se  choisir  le  terrain  le  plus  avan- 
tageux, il  ne  le  manqua  pas. 

«  Notre  armée,  en  arrivant,  ne  s'attendait  pas  à  trouver 
l'ennemi  rangé  en  bataille.  Elle  fut  obligée  de  faire  halte, 
et  ne  trouvant  pas  le  terrain  propre  à  se  déployer,  il  n'y 
eut  que  la  première  colonne  qui  fut  en  état  de  combattre. 
Le  choc  se  donna  à  quelques  pas  de  Québec,  sur  une 
hauteur  vis-à-vis  de  notre  maison.  Il  ne  se  tira  pas  un 
coup  de  canon  ni  de  fusil  qui  ne  vînt  retentir  à  nos 
oreilles.  Jugez  par  là  de  notre  situation  !  .  .  ,  L'intérêt 
de  la  nation  était  en  jeu,  ainsi  que  celui  de  nos  proches 
qui  se  trouvaient  au  nombre  des  combattants.  Cet  état 
de  souffrance  ne  se  peut  peindre.  .  . 

24.  La  Mère  Catherine  de  Saint-Ignace,  une  Juchereau-Duchesnay. 


sous   M»^   DE    PONTBRIAND  .   54I 

a  M.  notre  grand  vicaire  (le  chanoine  Briand),  qui  ne 
souffrait  pas  moins  que  nous,  nous  exhorta  à  soutenir  cet 
assaut  avec  résignation  et  soumission  aux  ordres  de  Dieu, 
après  quoi  il  alla  se  renfermer  dans  l'église,  pénétré  de  la 
plus  vive  douleur.  Comme  le  grand-prêtre  Aaron,  il 
courut  au  pied  des  autels,  et  faisant  monter  l'encens  de  sa 
prière  jusqu'au  troue  du  Tout-Puissant,  il  demandait  à 
Dieu  avec  confiance  d'arrêter  ses  coups,  et  d'épargner  le 
troupeau  qu'on  venait  de  lui  confier.  Il  se  leva  plein 
d'espérance  au  milieu  de  l'action,  pour  se  transporter  sur 
le  champ  de  bataille,  malgré  notre  opposition ...  Ce  qui 
lui  fit  prendre  ce  parti,  c'était,  nous  dit-iî,  qu'il  n'y  avait 
pas  assez  d'aumôniers  pour  assister  les  mourants,  qu'il 
croyait  être  en  grand  nombre. 

«  M.  de  Rigauville  ^^,  notre  aumônier,  plein  de  zèle,  l'y 
voulut  suivre.  Il  n'était  pas  sans  inquiétude  :  monsieur 
son  unique  frère  et  plusieurs  de  ses  proches  étaient  dans 
l'armée.  Ils  eurent  la  consolation  de  voir  l'ennemi  tour- 
ner le  dos  et  prendre  la  fuite.  L'action  avait  duré  deux 
heures.  La  valeur  et  l'intrépidité  du  Français  et  du  Cana- 
dien repoussèrent  l'ennemi  de  la  position  avantageuse  où 
il  se  trouvait.  Cependant  on  le  menait  toujours  battant 
sous  le  canon  de  la  ville. 

((  Nous  demeurâmes  maîtres  du  champ  de  bataille  et  de 
toute  l'artillerie,  et  nous  fîmes  quantité  de  prisonniers. 
L'ennemi,  renfermé  là,  n'osant  plus  paraître,  nous  pouvions 
bien  chanter  victoire.  Nous  l'avions  bien  gagnée;  mais 
qu'elle  nous  coûta  cher  '^^  !  » 

La  bataille  de  Sainte-Foy  est  gagnée  ;  mais  le  principal 
n'est  pas  fait.     Il  faut  maintenant  reprendre  la  ville,  notre 


25.  Charles  des  Bergères  de  Rigauville,  fils  de  Nicolas,  capitaine, 
seigneur  de  Bellechasse.  Son  frère  Jean-Marie  était  un  de  nos  officiers 
canadiens. 

26.  Mgr  de  Saint-Vaîlier  et  l' Hôpital-Général  de  Québec,  p.  359. 


542  l'église  du  canada 

Québec,  fondé  par  Champlain,  tombé  aux  mains  des 
Anglais.  Ici  le  succès  va  dépendre  du  secours  que  l'on 
attend  de  l'autre  côté  des  mers.  Ce  secours  viendra-t-il? 
Quelle  est  la  flotte  qui  arrivera  la  première?  Sera-ce  la 
flotte  française,  ou  la  flotte  anglaise? 

Hélas!  les  premières  voiles  que  l'on  voit  poindre  ^^  sont 
aux  couleurs  anglaises ...  «  Le  pays  est  à  bas  !  »  s'écrie 
la  Supérieure  des  Ursulines. 

Lévis  a  mis  le  siège  devant  Québec  ;  il  se  hâte  donc  de 
le  lever,  et  sans  se  troubler,  sans  rien  perdre  de  son  cou- 
rage, reprend  avec  son  armée  le  chemin  de  Montréal,  où 
vont  se  décider  définitivement  nos  destinées. 

Il  est  bien  résolu  de  répandre  pour  la  France  jusqu'à  la 
dernière  goutte  de  son  sang  et  à  tout  perdre  plutôt  que 
l'honneur.  Mais  que  peut-il  faire,  avec  une  poignée  de 
soldats,  contre  une  formidable  armée  anglaise  qui,  au  mois 
de  septembre,  arrive  de  tous  côtés  et  vient  cerner  Montréal? 
Pressé  par  les  sollicitations  de  tous,  l'illustre  général  se 
voit  obligé  de  poser  les  armes,  et  Vaudreuil  consent  à 
capituler,  après  avoir  obtenu  le  plus  de  garanties  possible, 
surtout  pour  la  liberté  du  culte  catholique. 

«  La  ville  de  Montréal,  dernier  refuge  de  la  France,  écrit 
M^^'  Taschereau,  se  rendit  aux  Anglais,  après  avoir  obtenu 
par  une  capitulation  le  libre  exercice  de  la  religion  catho- 
lique pour  toute  la  colonie.  Les  communautés  religieuses 
de  femmes  furent  maintenues  dans  la  possession  de  leurs 
constitutions  et  privilèges  ;  mais  le  même  avantage  fut 
refusé  aux  Jésuites,  aux  Récoilets  et  aux  Sulpiciens,  jus- 
qu'à ce  que  le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  eût  fait  connaître 
ses  intentions  à  leur  égard. 

«  Le  Séminaire  de  Québec  se  trouvait  en  parfaite  sûreté. 


27.  Le   9  mai.    (Taylor   The   Cardinal  Pacts  of  Canadian  History, 
p.  71). 


sous    M»'   DE    PONTBRIAND  543 

L'article  34  porte  :  «  Toutes  les  communautés  et  tous  les 
prêtres  conserveront  leurs  meubles,  la  propriété  et  l'usu- 
fruit des  seigneuries  et  autres  biens.  .  .,  et  les  dits  biens 
seront  conservés  dans  les  privilèges,  honneurs  et  exemp- 
tion '^  ». 

Il  y  avait  un  article  du  projet  de  capitulation  que  l'on 
n'avait  pu  gagner,  les  honneurs  militaires  pour  l'armée  en 
retraite.  Lévis  se  sentit  frappé  au  cœur.  Il  voulut  re- 
prendre les  armes,  et  mourir  sous  le  drapeau.  On  finit 
cependant  par  le  persuader  de  l'inutilité  de  sacrifier  à  un 
simple  point  d'honneur  la  vie  de  tant  de  généreux  oflSciers 
et  soldats,  et  il  sortit  de  Montréal  la  mort  dans  l'âme. 

Bientôt  lui  et  Vaudreuil  quittèrent  la  colonie,  théâtre  de 
leurs  travaux  et  de  leur  invincible  courage. 

28.  Hist.  manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 


CHAPITRE  XXXVIII 


LES  DERNIERS   JOURS   DE    M»^   DE    PONTBRIAND.  -r- 
SA  MORT.  —  SA  SÉPULTURE 

Maladie  de  Mgr  de  Pontbriand.  Il  se  fait  soigner  par  l'Hôtel-Dieu. — 
A  Saint- Sulpice.  —  Ecoliers  et  ecclésiastiques  de  Québec,  à  Mont- 
réal. —  Lettre  des  directeurs  du  Séminaire  de  Paris  à  ceux  de 
Québec.  —  Lettre  de  l'Evêque  à  ses  Chanoines.  —  Son  testament.  — 
Ses  dernières  paroles.  —  Sa  mort  et  sa  sépulture.  —  Lettre  de  M. 
Montgolfier  à  sa  famille.  —  La  chambre  de  l'Evêque. 

LORSQUE  Vaiidreuil  signa,  le  8  septembre,  la  capitula- 
tion de  Montréal,  il  y  avait  juste  trois  mois  jour  pour 
jour  que  M^^  de  Pontbriand  avait  rendu  sa  belle  âme  à  Dieu. 

Depuis  longtemps  il  se  sentait  atteint  de  la  maladie  qui 
devait  l'emporter:  nous  Pavons  vu  déjà  en  parler  à  ses 
sœurs,  les  Visitandines  de  Rennes  : 

((  Ma  santé  diminue  de  jour  en  jour. . .  Peut-être  est-ce 
la  mort  qui  m'appelle,  .  .  ^> 

Du  reste,  il  était  parfaitement  résigné  à  la  volonté  de 
Dieu: 

«  Vos  prières,  leur  disait-il,  non  pour  ma  conservation, 
mais  pour  mon  salut, ,  me  seront  d'une  grande  utilité. 
C'est  la  seule  chose  que  je  vous  prie  de  demander.  Peu 
m'importe  de  mourir  demain,  de  telle  ou  telle  manière, 
pourvu  que  Dieu  ait  pitié  de  moi.  Bornez  donc,  mes  très 
chères  sœurs,  vos  vœux,  et  ne  vous  embarrassez  pas  de  ma 
santé  ou  de  ma  vie.  Que  ma  seule  sanctification  vous 
touche  ^  » 


I.  Vicomte  de  Pontbriand,  Le  dernier  Bvêque  du  Canada  français 
p.  249. 


l'église  du  canada  sous  m«^  de  PONTBRIAND    545 

La  santé  du  pieux  Prélat  n'avait  encore  rien  d'alarmant 
dans  l'été  de  1759,  puisque  son  frère  le  comte  de  Pontbriand 
en  ayant  demandé  des  nouvelles  à  la  Cour,  le  ministre  lui 
répondit  : 

((  Je  n'ai  reçu  aucunes  nouvelles  directes  de  M.  l'Evêque 
de  Québec,  mais  il  paraît  qu'il  jouissait  d'une  bonne 
santé  ^.  »> 

Le  mal  dont  il  souffrait  le  minait  lentement  et  sûrement, 
sans  cependant  lui  faire  endurer  des  douleurs  intolérables, 
et  ce  mal  garda  jusqu'à  la  fin  ce  caractère,  pour  ainsi  dire, 
quasi  bénin.  C'est  pour  cela,  sans  doute,  qu'il  se  soignait 
lui-même,  et  se  servait  peu  du  médecin.  Il  s'occupait  des 
médecins  surtout  pour  les  autres  :  on  le  voit,  en  effet, 
faire  nommer  pour  l'Hôtel-Dieu  le  docteur  Chomel,  puis 
le  docteur  Le  Beau,  puis  ensuite  le  docteur  Briand  pour 
l'Hôpital-Général.  Pour  lui,  il  s'adresse  tout  simplement 
aux  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu.  Il  écrit  à  la  Supérieure 
le  31  janvier  1759: 

«  Votre  apothicairesse  pourrait-elle  me  faire  du  petit 
lait?  une  chopine,  avec  le  vinaigre,  et  passé  au  papier 
gris.  Je  l'enverrais  chercher  tous  les  matins,  et  le  ferais 
chauffer  ici.  Aurait-elle  de  quoi  me  faire  une  tisane 
cochleuria,  d'un  peu  de  genièvre,  de  chiendent,  de  réglisse? 
Je  la  ferais  ici.  Je  commence  à  me  persuader  qu'il  y  a  un 
petit  levain  scorbutique  dans  ma  maladie,  et  que  le  sang 
que  je  crache  ne  vient  point  de  la  poitrine.  Je  vous 
remercie  pour  vos  prières,  et  vous  en  demande  la  conti- 
nuation. » 

Il  lui  écrit  encore  quelques  mois  plus  tard  : 

«  Je  vous  prie  de  dire  à  la  Sœur  Saint-Guillaume  de 
m'envoyer  du  miel  et  deux  poignées  de  mille-perthuis.  » 

Il    faisait    du   reste   une  grande   dépense   de   lait,   qu'il 


2.  Rapport. . .  pour  1905,  p.  296,  lettre  du  23  novembre  1759. 

35 


546  l'église  du  canada 

achetait  à  l'Hôtel-Dieu.  Envoyant  un  jour  à  la  Supé- 
rieure trois  lettres  de  change,  il  y  ajoutait,  pour  son 
compte,  soixante-cinq  livres  : 

«  Ces  soixante-cinq  livres,  lui  disait-il.  sont  pour  le  lait 
et  les  bols  du  matin.  Depuis  avril,  vous  m'avez  fourni 
cent  cinqante  chopines  de  lait  ^  » 

Il  s'était  toujours  si  intéressé  à  la  santé  des  bonnes  Sœurs 
de  l'Hôtel-Dieu,  qu'il  ne  craignait  pas  de  leur  demander 
de  s'intéresser  un  peu  à  la  sienne  :  écrivant  à  la  Supé- 
rieure, alors  que  le  monastère  n'était  encore  qu'à  moitié 
reconstruit  : 

«  Il  faut  préserver  vos  Sœurs  du  froid,  disait-il  ;  les 
rideaux  paraisssent  nécessaires  et  convenables,  pour  la 
décence  :  mais  ce  qui  est  essentiel,  ce  sont  les  planchers  du 
haut  et  du  bas.  Pour  empêcher  le  froid,  il  vaut  mieux  se 
resserrer...»  Et  encore:  «J'ai  dit  aux  Ursulines  de 
donner,  deux  fois  par  jour,  deux  coups  de  vin  à  chaque 
religieuse.  Je  voudrais  bien  qu'on  en  fît  autant  chez  vous, 
mais  vos  dettes  m'inquiètent.  Cependant,  il  faut  se  sou- 
tenir. . .  » 

A  Montréal,  c'étaient  les  Sœurs  Grises  qui  avaient  soin 
du  saint  Evêque  ;  et  c'est  chez  elles,  tout  d'abord,  qu'il 
était  allé  se  loger,  avant  de  demander  l'hospitalité  aux 
Sulpiciens. 

Le  Séminaire  de  Montréal  comptait,  à  l'époque  où  y 
logea  le  pieux  Evêque,  trente-quatre  membres  *,  dont  un 
grand  nombre  étaient  employés  à  la  desserte  des  paroisses 
et  missions  dont  était  alors  chargé  Saint-Sulpice.  Il  avait 
pour  Supérieur  M.  Montgolfier,  originaire  du  Dauphiné. 
M.  Montgolfier  avait  remplacé  le  21  janvier  1759  M. 
Normant,  qui  ne  mourut,  toutefois,  que  le  18  juin. 


3.  Archives  de  l'archevêché  de  Québec,  lettre  du  30  septembre  1757. 

4.  Nous  en  donnons  la  liste  dans  l'Appendice,  No.  IIL 


SCUS    M^'    DE    PONTBRIAND  547 

M^'  de  Pontbriand  n'avait  plus  auprès  de  lui,  cela  va 
sans  dire,  son  Petit  Séminaire,  auquel  il  était  si  attaché: 
les  élèves  avaient  été  renvoyés  chez  leurs  parents  dès  avant 
le  commencement  du  siège  de  Québec  : 

«  Quant  aux  ecclésiastiques,  écrit  M^^  Taschereau,  ils  se 
dispersèrent  eux-mêmes  tout  d'abord,  mais  finirent  par  se 
réunir  auprès  de  l'Evêque,  à  Montréal,  où  M.  Pressart  leur 
donna  des  conférences  de  théologie,  pendant  que  M.  Gravé 
enseignait  la  philosophie  aux  écoliers  réunis  dans  cette 
ville. 

«  Il  restait  trois  cent  cinquante  francs  à  appliquer  sur 
les  fondations.  M.  Pressart,  avec  le  consentement  de 
l'Evêque,  les  distribua  aux  plus  pauvres  pour  les  aider 
à  payer  pension  en  ville.  » 

<(  C'est  avec  la  plus  vive  douleur,  écrivaient  à  leurs  con- 
frères de  Québec  les  directeurs  du  Séminaire  de  Paris,  que 
nous  avons  appris,  par  les  lettres  de  MM.  Pressart  et  Boiret, 
le  triste  état  du  Canada  et  les  pertes  immenses  qu'a  faites 
en  particulier  le  Séminaire  de  Québec,  qui  se  trouve  actu- 
ellement sans  maison,  sans  fermes  et  sans  moulins  dans 
la  Côte  de  Beaupré.  Nous  adorons  avec  soumission  les 
desseins  de  Dieu  qui  a  visité  cette  colonie,  et  qui  met  le 
Séminaire  «i  de  si  grandes  épreuves. 

«  Il  est  clair  qu'il  est  toiit-à-fait  impossible  que  le  Sémi- 
naire de  Québec  remplisse  les  bourses  fondées  par  M.  de 
Laval  et  par  M.  Soumande,  jusqu'à  ce  que  ses  affaires  tem- 
porelles soient  rétablies.  .  .  Nous  approuvons  que  l'appli- 
cation des  bourses  fondées  demeure  suspendue.  . . 

M  Nous  ne  sommes  pas  surpris,  messieurs,  des  attentions  et 
de  la  générosité  de  MM.  du  Séminaire  de  Montréal  à  votre 
égard.  Nous  en  sommes  aussi  reconnaissants  qu'on  peut 
l'être.  Il  faut  cependant  tâcher  de  leur  être  à  charge  le 
moins  qu'il  vous  sera  possible  ^.  .  .« 

5.  Hist.  manuscrite  du  Sém.  de  Québec,  p.  951. 


548  .         L'EGLISE   DU   CANADA 

Sitôt  qu'il  se  sentit  affaiblir  tout-àfait  et  pencher  vers 
la  tombe,  M^'"  de  Pontbriand  adressa  à  ses  chanoines  une 
magnifique  lettre,  qui  semble  comme  les  adieux  et  les  der- 
nières paroles  d'un  père  à  ses  enfants  :  ils  étaient  au  nom- 
bre de  neuf  avant  son  départ  pour  Montréal:  MM.  Poulin, 
Briand,  Gaillard,  Perreault,  Resche,  Rigauville,  Cugnet, 
Saint-Onge  et  Collet;  il  n'y  en  avait  plus  que  sept,  Cugnet 
et  Collet  étant  passés  en  France  : 

«  Messieurs,  leur  dit-il,  depuis  plus  d'un  an,  vous  me 
voyez  attaqué  d'une  maladie  mortelle,  et  moi-même  je  me 
persuadais  que  chaque  mois  serait  la  fin  de  ma  carrière. 
Dispersés  que  vous  ê4:es,  par  notre  permission,  et  la  néces- 
sité des  temps,  je  crois  devoir,  en  qualité  de  père,  d'évêque, 
j'ose  dire  d'ami,  vous  communiquer  mes  sentiments.  J'ai 
toujours  été,  et  je  le  suis,  pénétré  d'une  amitié  sincère  pour 
vous,  en  général  et  en  particulier.  J'ai  remis  toutes  les 
petites  discussions  du  cérémonial  ou  autre  matière  à  des 
temps  plus  favorables.  Si  je  suis  entré  dans  les  discussions 
que  vous  avez  avec  M.  le  Curé  et  le  Séminaire,  c'est  dans 
un  esprit  de  paix  et  dans  le  dessein  de  rapprocher  les  es- 
prits, n'ayant  point  sollicité  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre 
aucune  personne,  quoique  j'aie  été  en  lieu  de  le  faire.  S'il 
a  paru  quelque  chose  de  contraire  aux  sentiments  inté- 
rieurs, j'en  suis  fâché,  parce  que  vous  l'avez  été. 

«  Quoique  vous  soyez  tous  séparés,  et  qu'il  paraît  que 
vous  ne  fassiez  plus  un  corps,  quoique  j'aie  donné  à  mes 
grands  vicaires,  suivant  les  privilèges  du  Pape,  des  pouvoirs 
qu'ils  peuvent  exercer  même  après  ma  mort,  comme  je 
vous  ai  autorisés  à  cette  dispersion,  je  crois  que,  quand 
vous  apprendrez  ma  mort,  vous  devrez  vous  réunir  dans 
l'endroit  le  plus  facile,  et  pourvoir  à  la  vacance  du  siège, 
en  nommant  des  grands  vicaires.  Sur  quoi  je  vous  prie 
d'avoir  attention  à  ce  que  je  vous  demande  pour  le  bien  de 
ce  pauvre  diocèse  : 


sous   M*'   DE   PONTBRIAND  549 

«  1°  Continuez  mes  grands  vicaires,  parce  qu'ils  ont  des 
connaissances  essentielles,  et  presque  toutes  celles  que  j'ai. 
Par  ce  moyen,  on  ne  pourra  faire  la  moindre  difficulté  sur 
votre  nomination,  sauf  à  vous  à  en  nommer  d'autres. 

«  2°  Ne  multipliez  pas  les  charges  de  promoteur,  officiai, 
etc.  Tout  cela  comporterait  quelque  confusion,  quelque 
difficulté  pour  leur  assigner  des  endroits. 

«  La  nomination  faite,  quoiqu'il  parût  que  les  Chanoines 
dussent  être  réunis  et  former  un  Chapitre,  pour  que  les 
grands  vicaires,  dans  les  cas  difficiles,  y  eussent  recours, 
comme  les  Chapitres  ne  peuvent  rien  que  par  les  grands 
vicaires,  nous  croyons  que  vous  pouvez  vous  disperser, 
étant  presque  impossible  que  vous  puissiez,  dans  les 
circonstances  présentes,  vous  réunir,  et  j'ose  le  dire,  que 
propter  difficilem  recùrsum^  et  à  cause  des  circonstances 
présentes,  j'ai  pouvoir  de  vous  y  autoriser  jusqu'à  ce  qu'il 
en  soit  ordonné  par  qui  il  appartiendra  autrement. 

«  Je  me  recommande,  messieurs,  à  vos  prières,  avec  la 
même  instance  qu'un  évêque  moribond  a  coutume  de  le 
faire,  et  avec  une  confiance  toute  particulière  ^.  .  .  » 

Trois  semaines  auparr^vant,  il  avait  fait  un  testament 
olographe,  dans  lequel  il  laissait  à  son  frère,  le  comte  de 
Nevet,  ce  qui  lui  restait  de  bien  patrimonial,  à  la  charge 
d'acquitter  neuf  mille  livres  dues  au  chanoine  Tonnancour, 
c'est-à-dire  en  réalité  autant  de  dettes  que  de  bien,  ou  peu 
s'en  faut. 

Il  ordonnait  des  funérailles  aussi  simples  que  possible,  et 
donnait  quelques  gratifications  à  M.  Hubert,  son  secrétaire^ 
et  à  ses  domestiques. 

Le  reste,  à  peu  de  chose  près,  était  plutôt  des  marques 


6.  Mand.  des  Ev.  de  Québec,  t.  II,  p.  145,  19  mai  1760 

7.  Jean-François  Hubert,  qui  fut  le  neuvième  évêque  de  Québec.    Il 
n'était  encore  que  minoré,  à  la  mort  de  Mgr  de  Pontbriand. 


550  I^'éGUSE   DU   CANADA 

de  souvenir  et  d'affection  que  des  legs  d'une  valeur  appré- 
ciable : 

A  ses  sœurs  de  la  Visitation,  toutes  ses  croix  et  anneaux, 
à  l'exception  d'un  de  ceux-ci  qui  sera  donné  à  M.  de  la 
Motte- Picquet; 

A  M.  Briand,  ses  burettes,  avec  leur  plateau,  en  argent; 

A  l'Hôpital-Général  des  Sœurs  Grises,  son  linge  d'église, 
ceintures,  gants  et  mitres  ; 

A  M.  Montgolfier  ^  tous  ses  papiers  secrets  et  de  famille  ; 

Tous  ses  livres  au  Séminaire  de  Montréal,  «qui  a  pris 
soin  de  lui  »,  tous  ses  effets,  meubles,  argenterie  et  espèce  ; 

Pour  exécuteurs  testamentaires,  M.  Montgolfier  ;  à  son 
défaut,  M.  Briand,  et,  faute  de  celui-ci,  M.  Marchand. 

Rien  de  plus  touchant  que  l'attitude  du  saint  Evêque, 
les  derniers  jours  de  sa  vie  :  il  demeura  dans  un  calme  qui 
ne  se  démentit  jamais  : 

«  Le  Seigneur,  disait-il  à  son  confesseur,  M.  Montgolfier, 
me  fait  de  grandes  grâces,  en  mourant  :  je  meurs  sans 
souffrir  des  douleurs  trop  aigiies.  Il  ménage  ma  faiblesse, 
ma  sensibilité.  Je  meurs  dans  un  temps  où  les  affaires  de 
la  colonie  sont  en  bien  mauvais  état  :  il  épargne  à  mon 
cœur  une  croix  qui  lui  serait  rude.  » 

Il  demanda  et  reçut  avec  une  grande  ferveur  les  derniers 
sacrements,  des  mains  de  M.  Montgolfier,  et  s'éteignit 
doucement,  après  une  agonie  presque  insensible,  le  diman- 
che 8  juin,  à  trois  heures  de  l'après-midi.  Il  n'était  âgé 
que  de  51  ans  et  5  mois  ^. 

Sa   dernière  parole,   comme  autrefois   celle   de   M^''  de 


8.  M.  Faillon  écrit  partout  M.  Montgolfier,  sans  la  particule,  tout  en 
admettant  que  "sa  famille  avait  été  autrefois  ennoblie".  (Vie  de  Mme 
d'Youvile,  p.  376). 

9.  Knox  écrit  dans  son  journal,  à  la  date  du  3  juillet,  p.  345  : 
"  L'évêque  du  Canada  est  mort  récemment  à  Montréal.  Il  était  remar- 
quable par  sa  grande  piété,  sa  science  et  sa  grande  charité.  " 


sous    M»*"   DE   PONTBRIAND  55 1 

Saint-Vallier,  avait  été  pour  les  pauvres  :  s'adressant  au 
Supérieur  du  Séminaire  : 

«  Vous  direz  aux  pauvres  que  je  ne  leur  laisse  rien  en 
mourant,  parce  que  je  meurs  moi-même  plus  pauvre 
qu'eux.  « 

Ses  funérailles  eurent  lieu  le  10  juin  dans  l'église 
paroissiale  de  Montréal,  et  c'est  aussi  dans  le  caveau  de 
cette  église  que  ses  restes  mortels  furent  inhumés  ^^. 
L'oraison  funèbre  ne  fut  prononcée  qu'à  un  autre  service 
qui  eut  lieu  dans  la  même  église  le  25  juin  *M  l'orateur  de 
la  circonstance  fut  M.  Jollivet,  de  Saint-Sulpice  ^^,  qui  était 
au  Canada  depuis  1752. 

M.  Montgolfier  ne  put  faire  connaître  la  mort  de  M^^  de 
Pontbriand  à  sa  famille  avant  l'automne.  Il  écrivit  le  13 
septembre  à  son  frère  le  comte  de  Nevet  : 

«  C'est  avec  la  plus  sensible  douleur  que  je  vous  annonce 
la  mort  de  M^""  Henri-Marie  du  Breil  de  Pontbriand,  évê- 
que  de  Québec,  et  votre  illustre  frère,  arrivée  le  8  juin 
dernier.  Toute  la  colonie  s'attendait  à  ce  coup,  pt^ut-être 
plus  funeste  encore  pour  elle  que  la  révolution  qui  vient 
d'arriver  dans  son  gouvernement,  et  bien  plus  irréparable. 
Aussi  tout  le  monde  lui  a-t-il  accordé  des  larmes  bien 
sincères.  Je  crois  cependant  que  personne  n'en  a  été  plus 
sensiblement  touché  que  je  le  suis  encore.  Cet  illustre 
Prélat  est  mort  en  saint,  entre  mes  mains,  et  j'ai  eu  l'hon- 
neur de  lui  fermer  les  yeux  et  de  recevoir  ses  dernières 
paroles. 

«  De  son  vivant,  il  m'avait  honoré  de  sa  confiance  et  de 
la  qualité  de  son  grand  vicaire,  et,  obligé  de  fuir  Québec, 


10.  Voir  le  No.  IV,  de  l'Appendice. 

11.  A  Québec,  il  y  eut  un  service  à  l'Hôtel-Dieu  le  15  juillet  (Journal 
du  curé  Récher). 

12.  Brasseur  de  Bourbourg,  (t.  I,  p.  312)  écrit:  "Le  P.  Jolivet,  de  la 
Compagnie  de  Jésus. . .  "  Exemple  de  l'exactitude  avec  laquelle  il  y  en  a 
qui  écrivent  l'histoire  I 


552  l'église  du  canada 

après  la  destruction  de  cette  ville  infortunée,  il  nous  avait 
fait  l'honneur  de  choisir  notre  maison  pour  venir  y  termi- 
ner des  jours  languissants,  qui  lui  annonçaient  une  fin  pro- 
chaine, mais  qui  étaient  cependant  encore  bien  précieux  à 
un  peuple  qu'il  aimait  tendrement,  et  dont  il  était  infini- 
ment chéri  et  respecté. 

«  La  précipitation  et  le  tumulte  où  se  trouve  aujourd'hui 
le  Canada,  dans  le  moment  où  les  Anglais  viennent  de  s'en 
rendre  maîtres,  ne  me  permettent  pas  de  vous  écrire  si  au 
long  que  je  le  souhaiterais,  au  sujet  de  la  succession  de  cet 
illustre  défunt.  J'en  ai  adressé  tous  les  papiers  à  M.  le 
Supérieur  de  Saint-Sulpice  à  Paris.  Je  compte  qu'il  aura 
l'honneur  de  vous  en  faire  part  ^^.  » 

La  chambre  où  mourut  M^^  de  Pontbriand,  dans  le  vieux 
Séminaire  de  Montréal,  existe  encore,  et  dans  le  même  état 
où  elle  était  :  on  l'appelle  «  la  chambre  de  l'Evêque  »  :  elle 
donne  sur  le  jardin,  où  le  pieux  Prélat  a  dû  se  promener 
bien  des  fois.  Nous  l'avons  visitée  avec  un  religieux 
respect.  Qui  ne  se  sentirait  ému  en  pénétrant  dans  ce 
pieux  sanctuaire  où  s'écoulèrent  les  derniers  jours  de  ce 
bon  et  saint  Prélat,  qui  ne  vécut  que  pour  notre  Eglise, 
pour  la  patrie  canadienne,  et  lui  consacra  tout  ce  qu'il 
avait  de  force  et  d'énergie? 

13.  Revue  Canadienne,  t.  VIII,  p.  440. 


CHAPITRE  XXXIX 


EPILOGUE 

La  vacance  du  Siège.  —  Union  dans  le  Clergé.  —  Grands  vicaires  nom- 
més par  le  Chapitre.  —  M.  Montgolfier,  d'abord,  puis  M.  Briand, 
nommés  pour  l'épiscopat.  —  Les  Canadiens  espèrent  toujours  que  le 
Canada  retournera  à  la  France.  —  Le  Traité  de  1763.  —  Mgr 
Briand,  "  second  fondateur  de  l'Eglise  du  Canada  ". 

VOILA  donc  l'Eglise  de  Québec  veuve  pour  la  sixième 
fois  de  son  premier  Pasteur.  Que  va-t-elle  devenir? 
I^es  vacances  du  siège  épiscopal,  dans  le  passé,  lui  ont  été 
si  fatales  !  Et  puis,  celle  qui  vient  de  se  produire  a  lieu 
dans  des  circonstances  si  défavorables,  si  dangereuses,  si 
grosses  de  problèmes,  au  moment  où  le  pays  change  d'allé- 
geance, où  l'autorité  civile,  de  catholique  qu'elle  était, 
devient  protestante,  où  Londres,  ici  comme  dans  la  Grande- 
Bretagne,  va  probablement  vouloir  prendre  la  place  de 
Rome  dans  les  questions  religieuses!  La  capitulation 
nous  assure,  sans  doute,  la  liberté  pour  l'exercice  du  culte 
catholique;  mais  dans  quelle  mesure  cette  liberté  nous 
sera-t-elle  accordée?  comment  l'entendront  nos  nouveaux 
maîtres?  à  quelles  conditions  jugeront-ils  à  propos  de  nous 
l'accorder  ? 

Que  d'incertitudes  dans  les  esprits,  au  lendemain  de  la 
Conquête,  parmi  le  peuple,  dans  la  classe  instruite,  dans  le 
clergé  !  Le  lecteur  se  rappelle  la  courageuse  parole  de  M^ 
de  Pontbriand  à  ses  soeurs,  les  Visitandines  de  Rennes  : 


554  l'église  du  canada 

«  Si  ces  messieurs  les  Anglais  veulent  me  laisser  au 
milieu  du  troupeau,  je  resterai  ;  s'ils  m'obligent  à  quitter, 
il  faudra  bien  céder  à  la  force.  »  Et  il  ajoutait  aussitôt  : 
«  J'ignore  absolument  si  les  Anglais  consentiront  à  me 
laisser  dans  cette  colonie.  » 

ly'événement  ne  tarda  pas  à  dissiper  bien  des  incer- 
titudes. Et  d'abord,  jamais  vacance  du  siège  épiscopal  ne 
se  produisit  dans  des  conditions  plus  favorables  à  la  paix  et 
à  l'union.  Pas  la  moindre  division  dans  le  clergé  canadien: 
l'union,  la  paix,  la  bonne  entente  dans  tous  les  esprits: 
tout  le  monde  en  sentait  le  besoin.  Les  chanoines,  très  peu 
nombreux  d'ailleurs,  avaient  bien  autre  chose  à  faire  qu'à  se 
chicaner.  Ils  étaient  tout  dispersés,  engagés  çà  et  là  dans  des 
besognes  ardues;  et  c'est  à  peine  si  quatre  d'entre  eux  purent 
se  réunir  dans  la  chambre  de  M.  Resche,  aux  Ursulines, 
quelques  semaines  après  la  mort  de  M^^  de  Pontbriand, 
pour  nommer,  conformément  à  ses  instructions,  ceux  qui 
allaient  administrer  le  diocèse  pendant  la  vacance.  M. 
Briand  fut  chargé  de  toute  la  partie  du  diocèse  dépendante 
du  gouvernement  anglais  ;  M.  Perreault,  du  district  des 
Trois-Rivières  ;  M.  Montgolfier,  de  celui  de  Montréal,  y 
compris  tout  le  haut  de  la  colonie. 

Après  la  capitulation  de  Montréal,  nouvelle  assemblée 
du  Chapitre.  Le  sort  de  la  colonie  est  scellé  :  le  pays  est 
maintenant  tout  anglais  au  point  de  vue  politique.  Il 
faut  songer  à  lui  procurer  un  Evêque.  Les  Chanoines, 
tous  d'une  voix,  décident  de  proposer  à  Rome  le  nom  de 
M.  Montgolfier.  Mais  il  faut  le  faire  agréer  par  le  Roi  de  la 
Grande-Bretagne  :  or,  des  obstacles  insurmontables  surgis- 
sent de  ce  côté-là  contre  la  nomination  de  M.  Montgolfier, 
et  ce  digne  prêtre,  avec  un  désintéressement  admirable, 
renonce  volontiers  à  la  nomination  qui  lui  a  été  offerte. 
M.  Briand  est  choisi  à  sa  place  ;  sa  nomination  est  agréée 
par  le  Gouvernement  de  la  colonie  et  celui  de  l'Angleterre  ; 
Rome  confirme  le  choix  :  M.  Briand  devient  évêque. 


sous    M^*"   DE    PONTBRIAND  555 

M^^  de  Pontbriaud  avait  dit  :  «  Si  l'on  veut  me  laisser 
au  milieu  du  troupeau,  je  resterai.  «  Il  y  reste,  en  effet, 
par  son  ami,  par  son  autre  lui-même,  par  celui  que  l'abbé 
de  l'Ile-Dieu  appelait  «  l'ombre  de  son  évêque  »,  tant  il 
s'appliquait  à  marcher  sur  ses  traces,  à  modeler  son  esprit 
sur  le  sien,  à  suivre  ses  directions  !  Briand  va  continuer 
admirablement  l'œuvre  de  Pontbriand.  Jamais  homme 
ne  fut  mieux  choisi  pour  le  travail  important  et  difficile 
qu'il  y  avait  à  faire  à  cette  époque  critique  de  notre  his- 
toire religieuse  :  opérer  la  transition,  pour  notre  Eglise 
canadienne,  de  l'ancien  au  nouveau  régime,  faire  accepter, 
ou  du  moins  tolérer  par  un  gouvernement  jaloux  nos 
mœurs,  nos  usages,  nos  coutumes  françaises  et  catholiques, 
faire  accepter  également,  sans  trop  de  répugnance,  par  nos 
Canadiens  eux-mêmes  les  manières  d'agir  du  vainqueur, 
qui  leur  sont  —  et  cela  se  comprend  —  si  antipathiques. 

Tout  cela  était  d'autant  plus  difficile  que  jusqu'au  Traité 
de  1763,  et  même  longtemps  après,  les  Canadiens  ne  pou- 
vaient se  faire  à  l'idée  que  la  France  les  abandonnait  pour 
toujours.  M^^  Taschereau  nous  cite,  à  ce  sujet,  un  exem- 
ple que  nous  tenons  à  rappeler  ici,  en  terminant  : 

«  Le  gouverneur  Murray,  dit-il,  ayant  offert  au  Sémi- 
naire cinq  mille  quatre  cents  francs  pour  cent  quatre  vingt 
deux  arpents  de  terre  au  nord-est  du  ruisseau  Saint-Denis, 
on  résolut  de  les  accepter  pour  gagner  ses  bonnes  grâces. 
Les  conditions  furent  qu'il  paierait  la  rente  du  prix,  et  que 
le  terrain  serait  remis  au  Séminaire,  si  le  Canada  était 
rendu  à  la  France. 

«  Ces  derniers  mots,  ajoute-t-il,  nous  peignent  la  situation 
de  tous  les  esprits.  Les  Canadiens  persistaient  toujours 
à  croire,  parce  qu'ils  le  désiraient,  sans  doute,  que  la  Fran- 
ce ne  voudrait  pas  les  abandonner,  et  qu'elle  se  ferait  ren- 
dre une  colonie  qui  lui  avait  coûté  si  cher,  et  qui  ne  faisait 
que  commencer  à  donner  des  espérances.     Chaque  courrier 


556  l'église  dc  canada 

était  attendu  avec  une  anxiété  toujours  plus  vive  :  aussi 
quelle  affliction,  quand  arriva  la  nouvelle  du  Traité  du  10 
février  1763  !  La  plupart  des  familles  aisées,  les  fonction- 
naires, les  marchands,  les  hommes  de  loi  s'empressèrent  de 
quitter  un  pays  qui  ne  leur  offrait  plus  qu'une  perspective 
de  persécution,  de  sujétion,  d'infériorité  perpétuelle... 
Mais  il  restait  encore  une  soixantaine  de  mille  Canadiens 
français  et  catholiques  :  le  clergé  en  masse  résolut  de  par- 
tager leur  sort  et  de  remplir  à  leur  égard  jusqu'à  la  fin 
les  devoirs  d'un  ministère  tout  de  charité  et  de  conso- 
lation K  .  .» 

Le  digne  chef  de  ce  clergé  fut  M^*"  Briand.  Il  y  avait 
cent  quatre  vingt  un  prêtres  au  Canada  en  septembre 
1758:  il  en  restait  encore  cent  trente  huit  en  juillet  1766, 
année  de  sa  consécration  épiscopale.  Cette  phalange 
sacerdotale,  admirable  déjà  par  la  qualité,  s'accroîtra  en 
nombre  sous  son  administration. 

Celui  qui  continuera  cette  histoire  de  l'Eglise  du  Canada 
«à  partir  de  la  Conquête»  fera  voir  sans 'doute  comment 
ce  grand  Evêque  réussit,  à  force  de  prudence,  de  sagesse 
et  d'habileté,  à  se  faire  accepter,  respecter  et  aimer  d'un 
gouvernement  jaloux  comme  était  celui  de  l'époque,  à 
obtenir  pour  son  Eglise  la  jouissance  de  ses  droits,  à  pro- 
curer à  son  clergé,  à  ses  diocésains  une  situation  magnifique 
dans  une  colonie  soumise  à  des  autorités  protestantes,  une 
situation  meilleure,  sous  bien  des  rapports,  que  celle  qu'ils 
avaient  sous  l'ancien  régime.  Il  ne  manquera  pas  de 
constater  et  de  faire  admettre  que  ce  n'est  pas  sans  raison 
qu'on  a  appelé  M^""  Briand  «  le  second  fondateur  de  l'Eglise 
du  Canada.  » 

I.  Histoire  manuscrite  du  Sém.  de  Québec. 

Fin 


APPENDICE 


CHAPELLE  DU  SÉMINAIRE  DE  QUEBEC 

Le  6  octobre  1684,  M^'"  de  Laval,  après  avoir  parlé  du  bien 
qu'a  fait  le  Séminaire  et  de  son  intention  de  l'aider  en  tout  ce 
qu'il  pourra,  ajoute.  .  /'  Et  pour  cet  effet,  voyant  qu'il  a  esté 
jusques  à  présent  dans  l'impuissance  de  faire  bâtir  et  cons- 
truire la  chapelle  du  dit  Séminaire  des  Missions-Etrangères, 
laquelle  nous  avons  fondé  cy  devant  d'une  messe  tous  les  jours 
à  perpétuité  par  l'acte  de  donation  que  nous  lui  avons  faict  à 
Paris  dans  notre  dernier  voyage  de  France,  par  devant  Car- 
not  et  de  Troyes  notaires  le  douziesme  avril  mil  six  cent 
quatre  vingt,  à  raison  des  dépenses  que  le  dit  Séminaire  a 
esté  obligé  de  faire  aux  bastimens  nécessaires  pour  son  éta- 
blissement à  Québec,  et  de  ce  qu'il  en  est  encore  redevable  au 
sieur  Aubert  de  la  Chesnaye  de  la  somme  de  treize  mille  trois 
cents  tant  de  livres  prix  de  France  ;  pour  ayder  le  dit 
Séminaire  des  Missions-Etrangères  à  s'acquitter  de  cette 
somme  et  de  quelques  autres  dettes  qu'il  a  contractées  et  lui 
donner  ensuite  le  moyen  de  pouvoir  faire  bastir  la  dite  chap- 
pelle  lui  avons  donné  la  somme  de  huit  mille  livres  prix  de 
France,  de  laquelle  nous  lui  avons  payé  présentement  la 
somme  de  quatre  mille  livres  et  lui  avons  donné  pour  les 
autres  quatre  mil  livres  des  rescriptions  en  France  à  condi- 
tion que  le  dit  Séminaire  des  Missions-Etrangères  de  Québec 
sera  obligé  de  nous  faire  apparoir  dans  cinq  ans  ou  au  plus 
six  de  ce  jour  qu'il  aura  acquitté  la  dite  somme  de  treize  mil 
trois  cent  tant  de  livres  de  France  au  dit  sieur  Aubert  de  la 
Chesnaye  ou  au  sieur  Guenet  marchand  en  la  ville  de  Rouen 
auquel  le  dit  sieur  de  la  Chesnaye  en  a  fait  transport  et  en 
outre  que  le  dit  Séminaire  des  Misions-Etrangères  de  Québec 
sera  obligé  de  faire  bastir  au  plus  tôt  que  faire  se  pourra  la 


55S  APPENDICE 

dite  chappelle,  joignant  les  bastimens  du  dit  Séminaire  dans 
laquelle  chappelle  je  déclare  que  ma  dernière  volonté  est  d'y 
être  inhumé  et  que  si  Notre  Seigneur  m'appelle  de  cette  vie 
dans  ce  voyage,  je  désire  que  mon  corps  soit  apporté  pour  y 
estre  inhumé,  et  nous  voulons  que  la  dite  chappelle  soit 
ouverte  à  tous  fidelles  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  pour  y  faire 
leurs  prières  afin  que  Notre  Seigneur  nous  ayant  fait  comme 
je  l'espère  miséricorde,  nous  puissions  y  participer,  et  qu'ils 
puissent  jouir  de  la  consolation  et  bénédiction  d'assister  et 
avoir  part  à  toutes  les  prières  et  divins  offices  qui  se  feront 
dans  la  dite  chappelle  par  les  prestres  du  dit  Séminaire  des 
Missions  Etrangères  auquel  pour  cet  efïet  nous  donnons  par 
ce  présent  escrit  tout  le  pouvoir  et  permission  qui  lui  peut 
être  nécessaire  et  autant  que  besoin  serait  de  faire  bastir  et 
construire  la  dite  chappelle  et  d'y  célébrer  tous  les  jours  à 
perpétuité  la  sainte  messe,  de  prescher,  cathéchiser  et  con- 
fesser, d'y  faire  tout  l'office  divin  et  généralement  d'y  exer- 
cer toutes  les  fonctions  qui  sont  propres  à  l'institut  du  Sémi- 
naire des  Missions  Etrangères.  .  .  " 

Extrait  d'un  document  écrit  de  la  main  même  de  Mgr  de 
Laval  et  conservé  aux  archives  du  Séminaire  ;  lequel  extrait 
«eus  avons  fait  de  notre  propre  main  ce  jour  sixième  mars 
1913.    (signé)   A.  E.  Gosselin,  ptre,  S.  S.  Q.,  archiviste. 

II 

SUPÉRIEURS  DU  SÉMINAIRE  DES  MISSIONS-ÉTRANGÈRES 

DE  PARIS,  DEPUIS  SON  ÉTABLISSEMENT, 

JUSQU'A  LA  CONQUÊTE  ^ 

M.  Gazil  (Sup.  provisoire) 1663. 

M.  Vincent  de  Meur  (Sup.  régulier).  1664-1668 

M.  Gazil    1668-1681 

M.  de   Brisacier    1 681-1694 

M.  Tiberge 1 694-1 700 

M.  de  Brisacier 1 700-1 720 


I.  Nous  devons  cette  liste  à  Mgr  Amédée  Gosselin,  supérieur  actuel 
du  Séminaire  de  Québec,  ainsi  que  plusieurs  extraits  des  archives  de 
cette  vénérable  institution. 


APPENDICE  .      559 

M.  Jobart 1720-1724 

M.  de  Brisacier 1724-1736 

M.  Combes i736-i745 

M.  Collet 1745-1746 

M.  Dufau 1746-1750 

M.  Burgurieu   I750-I753 

M.  de  Lalane i753-i756 

M.  Hody 1756-1760 

III 

SULPICIENS  DU  SÉMINAIRE  DE  MONTRÉAL,  A  L'ÉPOQUE 
OU  Y  LOGEA  M«^  DE  PONTBRIAND 

1.  M.  Etienne  Montgolfier,  supérieur. 

2.  M.  Joseph  Isambart 

3.  M.  Hamon  Guen. 

4.  M.  Antoine  Déat. 

5.  M.  Joseph  Hourdé. 

6.  M.  Jean  Girard. 

7.  M.  Jean  Matis. 

8.  M.  Mathieu  Falcoz. 

9.  M.  Alexis  Favard. 

10.  M.  Melchior  Gallet  de  Vallières. 

11.  M.  Guillaume  Chambon. 

12.  M.  Pierre  Sartelon. 

13.  M.  François  Picquet.     . 

14.  M.  Michel  Peigné. 

15.  M.  Antoine  Faucon. 

16.  M.  Jean-Claude  Mathevet. 

17.  M.  Clément  Pages. 

18.  M.  Louis-Simon  Perthuis. 

19.  M.   Jacques  Degeay. 

20.  M.  Jean  Beauzèle. 

21.  M.  Joseph-Marie  Castagnac  de  Pontarion. 

22.  M.  Jean  Gay. 

23.  M.  Jean-Pierre  Davaux  Besson  de  la  Garde. 

24.  M.  Claude  Poncin. 

25.  M.  Jean-Baptiste  Reverchon. 

26.  M.  Louis  Jollivet. 


2J. 

M 

28. 

M 

29. 

M 

30. 

M 

31- 

M 

32. 

M 

33- 

M 

^4. 

M 

560  APPENDICE 

M.  Jean  de  Dieu-François  Robert. 

François-Auguste  Magon  de  Terlaye. 

Jean-François  Pellissier  de  Féligonde. 

Pierre-Paul-François  de  la  Garde. 

Pierre  Huet  de  la  Valinière. 

Charles  Creitte  de  Mêtric. 

Jean-Baptiste  Curatteau  de  la  Blaiserie. 
M.  Vincent  Fleury  Guichard  de  Kersident  ^. 

IV 

SÉPULTURE  DES  SULPICIENS  DE  MONTRÉAL 
(De  La  Presse  du  4  juin  191 3) 

Tous  les  membres  de  Saint-Sulpice  décédés  à  Montréal 
reposent  maintenant,  ensemble,  dans  la  crypte  de  la  belle 
chapelle  du  Grand  Séminaire,  rue  Sherbrooke-Ouest.  Jus- 
qu'ici les  prêtres  décédés  de  1671  à  1873  étaient  inhumés 
dans  la  crypte  de  l'église  Notre-Dame  ;  mais,  à  la  suite  d'une 
décision  du  Supérieur,  la  translation  des  restes  a  eu  lieu  ces 
jours-ci  et  tous  les  défunts  reposent  déjà  dans  le  même  lieu. 

Demain  matin,  à  neuf  heures,  une  grand'messe  sera  chan- 
tée à  leur  intention,  par  M.  le  chanoine  Charles  Lecoq,  le 
supérieur,  en  la  chapelle  du  Grand-Séminaire.  La  plupart  des 
Sulpiciens  de  Montréal  y  assisteront,  ainsi  que  les  élèves  du 
Grand  Séminaire,  du  Séminaire  de  Philosophie  et  du  Collège 
de  Montréal. 

La  translation  des  restes  des  défunts  s'est  faite  sans  bruit, 
selon  les  habitudes  d'humilité  qui  caractérisent  les  Messieurs 
de  Saint-Sulpice.  Nous  allons  donner  la  liste  des  noms  de 
tous  les  défunts  que  l'on  vient  d'inhumer  au  Grand  Sémi- 
naire. Il  faudrait  des  volumes  pour  parler  des  œuvres  de 
chacun  d'eux,  mais  les  vieillards  et  ceux  qui  sont  versés  dans 
l'histoire  du  Canada,  en  lisant  ces  noms,  se  rappelleront  de 
glorieux  souvenirs. 


.;i.  Nous  donnons  cette  liste  dans  l'ordre  qu'elle  nous  a  été  envoyée 
par  M.  l'abbé  Henri  Gauthier,  P.  S,  S.,  alors  archiviste  du  Séminaire 
de  Montréal. 


APPENDICE  561 

De  1671  à  1829,  les  prêtres  étaient  inhumés  dans  la  pre- 
mière église  de  Notre-Dame;  en  cette  dernière  année,  ils 
furent  transférés  dans  l'église  actuelle.  Voici  leurs  noms  et 
l'année  de  leur  sépulture  : 

MM.  Dominique  Galinier,  1671  ;  Giles  Pérot,  curé  d'office, 
1680;  Zacharie  Certin,  sous-diacre,  1687;  Mathieu  Ranuyer, 
clerc  tonsuré,  1708;  J.  A.  Boesson,  clerc,  1708;  Léonard 
Chaigneau,  171 1  ;  H.  A.  Mériel  de  Meulan,  1713;  A.  A.  de 
Valens,  1714;  Benoît  Roche,  1715;  Olivier  Lardet,  1719;  de 
la  Soudraye,  1721;  Quintien  Rangeard,  curé  d'office,  1722; 
François  Séré,  1722  ;  Robert-Michel  Gay,  missionnaire, 
1725  ;  Pierre  Remy,  curé,  1726;  François  de  Seguenot,  1728; 
François-Citoys  Chaumaux,  1728;  Ls-François  de  la  Faye, 
sous-diacre,  1729;  François  Vachon  de  Belmont,  supérieur, 
1731  ;  de  Vallières,  1732  ;  J.  C.  le  Pape  du  Lescoat,  curé 
d'office,  1733  ;  J.  B.  Artaud,  1734;  Jacques  Le  Tessier,  1735  ; 
François  Chèze,  grand  prédicateur,  1740;  Frs  Doinet,  1742; 
Simon  Saladin,  1747  ;  Jean  Boufandeau,  1747  ;  Mathieu 
Gasnault,  grand  prédicateur  et  missionnaire,  1749;  J.  J. 
Gladel,  1749;  Ant.  Benausse,  1750;  O.  Pierre  Navetier,  1751  ; 
Pierre  Le  Sueur,  1752;  de  Tréguron,  1754;  Benoît  Favre, 
1755;  Maurice  Courtois,  1755;  J.  J.  Talbot,  clerc,  1756; 
A.  C.  Amplement,  1756;  J.  B.  Breul,  missionnaire,  1757; 
Durumen,  1757;  Louis  Normant  du  Faradon,  supérieur, 
1759;  Hourdé,  1760;  J.-B.  Chevalier,  1760;  Ant.  Déat, 
grand  prédicateur,  curé  d'office,  1761  ;  Mathieu  Falcoz, 
1763;  Jean  Girard,  clerc,  1765;  Guil.  Chambon,  1768;  Jean 
Matis,  1769;  Maugras,  1771  ;  Ant.  Faucon,  curé,  1773;  G.- 
A.  Favard,  missionnaire,  1774;  Jacques  Degeay,  1774;  Ls.- 
S.  Perthuis,  1775;  I-ouis  Jollivet,  curé  d'office,  1776;  C.  de 
Pontarion,  1777;  J.-F.  Pellissier  de  Féligonde,  curé  d'office, 
1779;  Michel  Peigné,  1780;  J.-C.  Mathevet,  1781  ;  Pierre 
Sartelon,  1782  ;  François  Robert,  1784  ;  P.-P.-F.  de  La 
Garde,  1784;  Jean  Gay,  1786;  J.-P.  Davaux  Besson  de  La 
Garde,  1790;  J.-B.  Curatteau,  de  la  Blaiserie,  1790;  Etienne 
Montgolfier,  frère  de  l'inventeur  Montgolfier,  supérieur, 
1791;  Vincent-Fleury  Guichard  de  Kersident,  1793;  I^--X. 
Latour  Dezery,  curé  d'office,  1793;  Gabriel- Jean  Brassier, 
supérieur,  1798;  J.-A.-G.  Guillimin,  1800;  GuaiflFe,  1800; 
Desgarets,  1802;  Jaouen,  C.-B.,  1806;  Claude  Poncin,  181 1  ; 

36 


562  APPENDICE 

A.-A.  Molin,  181 1;  M.-F.  Leclerc,  1813;  J.-B.-J.  Chicois- 
neau,  1818;  Jos.  Borneuf,  18 19;  Claude  Rivière,  1821  ;  Frs 
Ciquart,  1824;  J.-B.-Chs  Bédard,  1825;  Ant.  Houdet,  1826; 
Simon  Boussin,  1827. 

Voici  maintenant  les  prêtres  du  Séminaire  décédés  après 
1829  et  inhumés  directement  dans  la  nouvelle  église  : 

C.-M.  Le  Saulnier,  curé  d'office,  1830;  J.-H.-Aug.  Roux, 
supérieur,  1831  ;  Anthelme  Malard,  1834;  F.-J.-M.  Humbert, 
1835;  Ant.  Sattin,  1836:  Hubert  Ls-Amable-Lamy,  1837; 
Chs-Louis  Lefebvre  de  Belle  feuille,  1838  ;  Jacques-Guil. 
Roque,  1848;  J.-L.-Melchior  Sauvage  de  Chatillonnet,  1841  ; 
Jackson- John  Richard,  protestant  converti,  décédé  en  soi- 
gnant les  malades  du  typhus,  1847;  Rémi  Carof,  1847;  P^^- 
Morgan,  1847;  Pierre  Richard,  1847;  J--B.  Etienne  Gotto- 
frey,  1847;  Claude  Fay,  curé  d'office,  1850;  J.-B.  Roupe, 
1854;  J.-B.  Breguir  dit  Saint-Pierre,  curé  d'office,  1856;  S. 
R.  Larre,  1860;  N.  Dufresne,  1863  «  Joseph  Comte,  économe 
pendant  40  ans;  M. -F. -H.  Prévost,  curé  d'office,  1864;  Do- 
minique Granet,  supérieur,  1866  ;  J.-J.  Perreault,  1866  ; 
Pierre-Louis  Billaudèle,  supérieur,  1867;  Frederick  Bake- 
well,  1867  ;  Michel  O'Brien,  1870  ;  Luc  Pellissier,  curé 
d'office,  1871  ;  Ls-Henri  Bertin,  1871  ;  Joseph-Fournier 
Préfontaine,  1872;  Léonard-Vincent  Villeneuve,  1873. 


(De  La  Presse  du  5  juin) 

En  la  chapelle  du  Grand  Séminaire  de  Théologie  a  eu  lieu 
ce  matin  une  imposante  cérémonie,  à  l'occasion  de  la  transla- 
tion des  restes  des  prêtres  de  Saint-Sulpice,  inhumés  dans  la 
crypte  de  l'église  Notre-Dame  de  1671  à  1873.  Tous  les  Sul- 
piciens  de  Montréal,  ainsi  que  quelques  prêtres  séculiers, 
entre  autres  le  chanoine  Dubuc,  y  assistaient.  La  nef  était 
remplie  par  les  élèves  du  Grand  Séminaire,  ceux  du  Sémi- 
naire de  Philosophie  et  du  Collège  de  Montréal. 

Le  service  a  été  chanté  par  M.  le  chanoine  Charles  Lecoq, 
supérieur  des  Sulpiciens  au  Canada.  Il  était  assisté  par  deux 
séminaristes,  un  diacre  et  un  sous-diacre.  La  schola  a  chanté 
une  messe  en  chant  grégorien  avec  perfection  et  on  se  serait 
cru  transporté  parmi  les  Bénédictins  de  Solesmes. 


APPENDICE  563 

Nous  avons  donné  hier  la  liste  complète  et  exacte  des 
corps  des  Sulpiciens  qui  ont  été  transférés  dans  la  crypte  du 
Grand  Séminaire,  mais  il  faut  y  ajouter  le  nom  de  Mgr 
Henri-Marie  du  Breil  de  Pontbriand,  évêque  de  Québec, 
décédé  à  Montréal  et  inhumé  parmi  les  Sulpiciens.  Ses  restes 
sont  renfermés  dans  une  châsse  en  plomb,  recouverte  de  bois 
précieux.  On  y  lit  l'inscription  suivante:  Mgr  Henri-Marie 
du  Breil  de  Pontbriand,  évêque  de  Québec,  décédé  à  Mont- 
réal le  8  juin  1760,  relevé  le  15  juillet  1836,  déposé  dans  le 
caveau  de  l'église  Notre-Dame,  et  transféré  en  cette  crypte 
le  5  juin  191 3.  Cette  châsse  sera  déposée  dans  une  niche,  que 
Ton  va  faire  pratiquer  dans  une  colonne  supportant  la  cha- 
pelle. 

Les  restes  des  autres  défunts  ont  été  transportés  la  nuit 
dans  six  cercueils,  et  ont  été  inhiunés  près  des  Sulpiciens 
décédés  de  1873  jusqu'ici.    Un  tableau  indique  leur  nom. 


IN  DEX 


Abeille  (1'),  152,  286. 

Abénacjuis,  les  sauvages,  347,  348,  351,  529. 

Abercombie,  489. 

Abraham  (Bataille  des  Plaines  d'),  414,  517,  518,  520,  522, 

526. 
Acadie,  2,  8,  71,   118,  119,   122,  137,  186,   196,  305,  306, 

337,  347-351.  354,  355.  357.  359-365,  368-373.  3^5. 

387-389.  408,  420,  421,  535. 
Acadiens,  119,  347,  350-355.  35^,  359.  3^1,  362,  364,  365, 

367-371.  373.  389.  390.  406,  410  421,  450,  491. 
Adhémar,  notaire,  85. 
Agniers,  les  sauvages,  120,  176,  337. 
Aix-la-Chapelle  (la  Paix  d'),  98,  155,  162,  165. 
Albany  (Orange),  337. 
Albanel  (le  Père),  345. 
Alibamons,  les  sauvages,  323. 
Alléghanys,  8. 
Alost,  97. 

Alton  (le  diocèse  d'),  328. 

Ambroise  (le  Père),  récollet,  362,  373,  379,  383. 
Amérique  du  nord,  8,  19,  22,  99,  159,  163,  195,  196,  316, 

347,  406,  489,  521. 
Amherst,  486,  487,  505. 
Amiens,  375. 

André  (l'abbé),  3,  47,  123. 
Ange-Gardien,  la  paroisse,  432,  487,  529. 
Anglais  (les),  6,  95,  97-99.  i09.  ii9.  120,  132,  165,  176, 

186,  316,  317,  333,  353,  357-359.  362,  363.  366,  367. 

371.  373.  37^,  381,  384,  394,  405,  407-409.  411.  413. 
415,  455.  457,  460,  463,  465,  468,  470,  475,  480-495, 
504,  505,  506,  507,  510,  511,  512-516,  519,  520,  528- 
530,  535.  542,  552,  554. 


566  INDEX 

Angleterre,  7,  8,  99,  134,  163,  176,  357,  358,  360,  365,  36f- 
370.  373'  384,  385»  392,  406-409,  439,  447,  454,  456, 
480,  481,  491,  497,  505,  517,  533,  542,  553. 

Angleterre  (la  Nouvelle-),  6-9,  407,  409,  454,  455,  464,  480. 

Anne  (sainte),  129. 

Antilles,  364. 

Antioche,  69. 

Antoine  (saint),  70. 

Anville  (le  duc  d'),  95,  118,  119,  162. 

Apalaches  (les),  sauvages,  323. 

Arbre-Croche,  329,  339. 

Archevêque  de  Paris  (F),  300,  302,  424,  430,  431,  488. 

Arkansas,  les  sauvages,  323. 

Arnoux,  médecin,  520. 

Artaguette  (M.  d'),  316,  317. 

Artigny  (d'),  le  conseiller,  15. 

Assiniboines,  les  sauvages,  341. 

Assomption  (V),  la  paroisse,  250,  432. 

Ath,  97. 

Atlantique  (T),  8. 

Aubert,  150. 

Aubert  (le  Père),  jésuite,  324. 

Audran  (le  Père),  jésuite,  351. 

Augustin  (saint),  27,  28,  482. 

Aulneau  (le  Père),  jésuite,  340-343. 

Autriche  (la  guerre  de  Succession  d'),  95,  109,  112,  137, 

439.  447- 

B 

Baby,  150,  333. 

Baie-des-Espagnols,  377. 

Baie-du-Febvre,  432. 

Baie-Saint-Paul,  432,  507. 

Baie-Verte,  328,  338,  339. 

Bailly  de  Messein,  évêque  de  Capse,  158. 

Balize  (la),  7)27,. 

Bancroft,  l'historien,  468,  469. 

Bar  et  (le  curé),  162. 

Baret  (Joseph).  242. 

Barolet,  notaire,  3,  45.  255. 

Basset  (le  curé),  157. 


INDEX  567 

Bastille  (la),  539. 

Batiscan,  155,  432,  433. 

Bazin  (René),  249,  490. 

Beaubassin,  en  Acadie,  119,  351,  359. 

Beaubassin  (Mme  de),  504. 

Beaubois  (le  Père  de),  jésuite,  310. 

Beauce  (la  Nouvelle-),  228,  253. 

Beaudouin  (Gervais),  médecin,  513. 

Beaudouin  (l'abbé),  prêtre  habitué,  3,  513. 

Beaudouin  (le  Père),  jésuite,  321. 

Beauharnais  (M.  de),  gouverneur,  9,  15,  26,  37,  39-41,  47, 

48,  54,  90,  102,  109-111,  116,  118,  123,  126,  127,  136, 

214,  216,  234,  330,  331. 
Beaujeu   (de),  le  héros  de  la  Monongahéla,  63,   119,  227, 

400,  410,  411,  415,  416,  429. 

Beaujeu  (l'abbé  de),  123,  124,  415. 

Beaumont,  la  paroisse,  432,  510,  511. 

Beauport,  242,  432,  505,  514. 

Beaupré  (la  Côte),  71,  164,  250,  507,  510,  529. 

Beauséjour,  le  fort,  350,  353,  354,  357>  365,  3^9,  373^  3^1, 

393»  394,  407- 
Beau,  aide-major,  120. 

Bécancour,  71,  159,  432. 

Bedard,  150. 

Belair,  355. 

Belle-Ile,  près  de  Bretagne,  390. 

Belestre  (Picoté  de),  119,  332,  469,  470. 

Belle-Rivière  (Ohio),  8,  186,  316.  325,  368,  370,  407-409, 
412,  413,  416,  417,  447,  496. 

Belle-Rive,  marguillier,  241. 

Belmont  (M.  de),  6,  7,  561. 

Benoit  XIV,  11,  17,  133,  134,  136,  i/O,  179. 

Bériault,  150. 

Bernières  (M.  de),  curé  de  Québec,  259,  285. 

Berryer,  le  ministre,  380,  392,  394,  395. 

Berthier  (en  bas),  51,  225,  242,  245,  246,  248. 

Berthier  (en  haut),  156,  432,  433. 

Bienville  (M.  de),  315,  316,  318,  319. 

Bigot,  l'intendant,  92,  95,  125,  164-166,  168,  170.  179,  185, 
186,  215-219,  299,  340,  347,  375,  380,  392-39^,  403- 
405,  417,  422,  437,  454,  476,  483,  494-496,  501»  503- 


568  INDEX 

Blois,  375. 

Bocquet  (le  Père  Simple),  récollet,  334-336. 

Bohème  (la),  95. 

Boiret  (M.),  513,  547- 

Boishébert,  officier  canadien,  119,  486. 

Boisseau,  le  greffier,  2. 

Bomon  (Jean-Henri),  266,  267. 

Bonaparte,  519. 

Bonnécamps  (le  Père  de),  jésuite,  122,  178,  186. 

Bonsecours  (l'église  de),  86,  162. 

Bordeaux,  14,  531. 

Boucault,  le  chanoine,  14,  24. 

Boucault,  notaire,  63,  262,  264,  267. 

Boucher  (Pierre),  206. 

Bouffandeau  (M.),  sulpicien,  215,  561. 

Bougainville,  322,  394,  395,  452,  484,  495,  504,  517,  519, 

539- 
Boulard,  le  curé,  260. 
Boulogne  (M.  de),  300. 
Bourbes  (M.  des),  186,  410. 
Bourgeois  (la  Sœur),  86. 

Bourlamaque,  452,  461,  467,  495,  504,  505,  540. 
Boscaven,  l'amiral,  367,  384,  406,  449. 
Brabant  (le),  97. 
Bransac  (Migeon  de),  124. 
Braddock,  369,  370,  406,  410,  411,  413,  457. 
Brassard,  150. 

Brasseur  de  Bourbourg,  535,  551. 
Bray  (l'abbé  de),  142. 
Bréard,  associé  de  Bigot,  166. 
Brébœuf  (le  Père  de),  318. 

Brest,  436,  471,  531- 

Bretagne  (la),  10,  12,  17,  19,  22,  249,  348,  375,  390,  430. 
Bretonnière  (le  Père  de  la),  jésuite,  229. 
Briand,  médecin,  545. 

Briand,  le  chanoine,  13,  14,  22,  24,  63,  87,  107,  167,  168, 
177,  179,  188,  229,  245,  265,  271,  272,  276,  280,  350, 

419.  433,  473,  477,  478,  523,  532,  534,  54i,  54^,  55o. 
554,  555,  556. 
Bnsacier  (M.  de),  143,  144,  146,  210,  259,  387,  558,  559. 


INDEX  569 


Broglie  (Duc  de),  131,  251,  368,  439. 

Bruges,  97. 

Bruxelles,  97. 

Buffon,  24. 

Bulls,  le  fort,  454. 

Burgurieu  (M.),  17»  HS.  559- 

Burton  (M.  C.-M.),  de  Détroit,  334,  336. 


Cabanac-Taffanel,  doyen  du  Chapitre,  166-168,  280,  289. 

Cadet,  associé  de  Bigot,  503. 

Cadot  (J.-Bte),  339. 

Calvin,  370. 

Cambrai,  233. 

Canardière  (la),  295. 

Canada,  2,  4-1 1,  21,  22,  26,  27,  38,  39,  46,  48,  49,  54,  55. 
63»  70»  73»  76,  79.  88,  91,  99,  100,  109,  116,  119,  123- 
127,  129,  131,  134,  136,  142,  151,  162,  164,  165,  167, 
169,  171,  175,  176,  179,  180,  187,  195,  201,  212,  216, 
226,  229,  233,  235,  239,  251,  258,  260,  269,  295,  296, 
299>  305.  316,  323,  329,  331,  337,  340,  342,  347,  352, 
1^7^  370.  380,  381,  387,  392,  395,  397,  400,  402-406, 
409,  410,  413,  415,  418,  421,  424,  435,  440,  443,  448, 
452,  460-462,  467,  471,  475,  476,  480,  481,  485,  494, 

495.  497>  504,  509,  527,  531.  547.  55i.  55^,  556. 
Canadiens,  2,  6,  25,  39,  91,  92,  94,  95,  97,  99,  100,  iio, 

112,  114,  1 18-120,  122,  131,  158,  167-169,  187,  236, 
239,  249,  263,  294,  329,  330,  333,  338,  342,  368,  369, 
393.  397,  398,  400-405,  409-414.  416,  417,  420,  421, 
423,  429,  437,  441-443.  446.  448,  452,  453.  456,  457' 
460,  464,  469,  470,  475,  481,  482,  485,  488,  490,  495, 

496,  507.  510,  511,  514'  515.  531.  535.  539.  54i.  555. 
556. 

Candide  (le  Père),  récollet,  378,  382. 
Capsa  (Grand  et  Petit-),  158. 
Cap-de-la-Madeleine,  156,  158,  159,  238,  241,  432. 
Cap-Lauzon.  Voir  Deschambault. 
Cap-de-Sable,  373. 
Cap-Rouge,  240. 


570  INDEX 

Cap-Santé,  155,  432,  433. 

Cap-Saint-Ignace,  242,  247,  248,  431. 

Cap-Toumiente,  529. 

Capucins,  306,  307,  310-315.  319-321,  3^3»  376- 

Carillon,  455,  466,  470,  488-491,  494,  504,  505,  539. 

Carron  (le)   (M.),  auteur,  10,  20. 

Caron  (le)  (le  Père),  récollet,  345. 

Carpentier,  habitant  de  Québec,  45. 

Carpentier  (le  Père),  récollet,  228,  334. 

Cartier  (Jacques),  22. 

Casgrain  (l'abbé),  8,  29,  174,  200,  201,  204,  338,  351,  363, 
364,  445,  452,  484,  489,  504,  506,  515,  520. 

Cassandre,  359. 

Cassiette,  missionnaire,  361,  374. 

Cavelier.  150,  253. 

Cèdres  (Coteau  des),  251. 

Céloron,  186,  407. 

Chactas,  sauvages,  323. 

Chambly,  5,  431,  433. 

Chambon,  sulpicien,  161,  559,  561. 

Chamousset,  avocat,  299. 

Chaniplain,  542. 

Champlain,  le  lac.  5,  71,  226-228,  433,  488,  504,  505. 

Chaniplain,  la  paroisse,  156,  432. 

Champagne,  la  province,  321. 

Champoux  (Louis),  241,  242. 

Chapais  (Thomas),  436,  445. 

Chapelle  du  Séminaire,  152,  153,  273-276,  557,  558. 

Chapitre  de  Québec,  2,  4,  12,  24-26,  29,  30,  52,  53,  65,  76, 
91-93,  104-108,  III,  138,  139,  151,  158,  163,  164,  166- 
168,  174,  175,  188,  226,  227,  256,  260,  264,  267-273, 
277-280,  282-304,  308,  422,  426,  461,  473,  474,  529» 
548,  549,  554. 

Chapitoulas,  sauvages,  323. 

Chardon  (le  Père),  jésuite,  312. 

Charest,  510. 

Charité  (Frères  de  la),  55,  383. 

Charlesbourg,  432,  433,  507,  509,  512,  513,  520,  523. 

Charlevoix  (le  Père),  142,  192. 

Charly  (Jacques),  marguillier,  253. 

Charon  (les  Frères),  161,  208-212,  219. 


INDEX  571 

Chartres,  le  fort,  324,  325. 

Chasseur  (le),  l'abbé,  2,  3. 

Chasy,  la  rivière,  227. 

Chateaubriand,  175. 

Chateauguay,  5,  432. 

Chateau-Richer,  51,  242,  250,  432,  529. 

Chateau-Saint-Louis,  163,  173,  174,  187. 

Chaumont  (Guillet  de),  notaire,  85. 

Chaumonot  (le  Père),  157. 

Chaudière,  la  rivière,  5,  228. 

Chauvignerie  (de  la),  180. 

Chauvreulx   (le),  missionnaire,  359-361. 

Chefdeville  (l'abbé),  3. 

Chevalier  (l'abbé),  3,  148. 

Chevrotière  (de  la),  officier  canadien,  470, 

Chibouctou   (Halifax),  6,   137,  359,   362,   366,  371,   373, 

.  385,  390- 
Chicachas,  sauvages,  316-318,  324. 

Chicoutimi,  129,  345-347- 

Chipoudy,  373. 

Choiseul,   134,  539. 

Chomel,  médecin,  545. 

Christinaux,  sauvages,  342,  343. 

Clément  X,  284,  285. 

Clément  XII,  11. 

Clément  (le  Père),  récollet,  382,  383. 

Cloutier  (le  curé),  150,  356. 

Cobequid,  305,  359. 

Cocagne,  355. 

Collet,  chanoine,  256,  433,  434,  512,  513,  522,  548. 

Colombière  (M.  de  la),  210. 

Colombière  (de  la),  officier  canadien,  119. 

Combes  (M.),  i?;  .306,  559. 

Conférences  ecclésiastiques,   257. 

Conflans,  430. 

Congrégation  (Sœurs  de  la),  33,  53,  172,  179,  196,  208, 
213,  239. 

Conseil  d'Etat,  37,  46,  116,  218. 

Conseil  Supérieur,  4,  15,  16,  39,  40,  47,  48,  52,  56,  61,  6^, 
85,  89,  116,  122,  123,  125-127,  138,  164,  168,  220,  223, 
253,  280,  282,  284,  285,  287-290,  292,  294,  295,  308. 


572  INDEX 

Contrecœur,  officier  canadien,  22^,  411,  431,  483. 

Coquart  (le  Père),  jésuite,  129,  340,  341,  345-348. 

Coquart  (l'abbé),  348-351.  355- 

Cotton,  sacristain,  53. 

Couillard  (l'abbé),  517. 

Courtemanche,  119. 

Courval  (Poulinde),  191. 

Couturier  (M.),  supérieur  de  Saint-Sulpice,  10,  20,  180,  215, 

219,  220,  256. 
Crépieul  (le  Père),  jésuite,  345. 
Crespel  (le  Père),  récollet,  333. 
Crépeaux  (l'abbé),  190. 

Cugnet,  le  chanoine.  27 t,  272,  512,  513,  522,  548. 
Cugnet,  le  conseiller,  15,  16,  48,  125,  127. 

D 
Dagobert  (le  Père),  capucin,  319. 
Daine  (François),  40,  227. 
Damiens,  assassin  du  Roi,  464. 
Daudin  (l'abbé),  361-366,  ij':^,  431. 
Dauré  de  Blanzy,  notaire,  85. 
Déat  (M.),  sulpicien,  85,  86,  162,  253,  559,  561. 
Degeay  (le  curé),  250. 
Degrais-Longueil,  officier  canadien,  '}y^'j. 
Delbois  (l'abbé),  258,  259. 
Denaut  (jVP'"),  10^  évêque  de  Québec,  335,  475 
Denonville,  gouverneur  du  Canada,  206. 
Depéret  (M.),  sulpicien,  161. 
DeQuen  (le  Père),  157,  345,  346. 
Desandrouins,  484. 
Desaulniers  (les  Dlles),  229,  230. 
Deschaillons  (M.),  15. 
Deschambault,  la  paroisse,   155,  432,  504. 
Desenclaves  (l'abbé),  sulpicien,  359,  361-364,  373. 
De  Selle  (Alex,  du  Clos),  80.. 
Desherbiers,  gouverneur  de  l'île  Royale,  165. 
Desmeloises  (veuve),  250. 
Desroches,  150. 

Détroit,  196,  234,  235,  329-332,  334-338,  408. 
Deux-Montagnes   (le  lac  des),  6,  75,   113,   114,   176,  179, 

i8o>  229. 


INDEX  573 

Didace  (le  Frère),  i6o. 

Diel,  150. 

Dieskau,  le  baron,  405,  406,  408,  412-415,  435,  436,  440, 

443,  450,  451. 
Dinard,  19. 

Dolbeau  (le  Père),  récollet,  345. 
Dolbec  (le  curé),  247. 
Doreil,  451. 
Dosquet  (Mgr),  10,  31,  2>^,  36,  38,  41-43^  65,  74,  88,  122, 

150,  203,  213,  260,  310,  311,  488. 
Dosque  (le  curé),  361,  373. 
Douville,  230. 

Drucour,  gouverneur  de  l'île  Royale,  375,  384,  486,  487. 
Dubois  (l'abbé),  243. 
Duburon  (le  curé),  150. 
Duchouquet  (le  curé),  225,  248. 
Dufrost  de  Lajemmerais.  Voir  Youville. 
Du  Gué  (l'abbé),  349. 
Du  Hamel,  officier  canadien,  119. 
Dulaurent,  notaire,  45,  262,  264,  267. 
Dumas,  officier  canadien,  411,  465,  513. 
Dunière  (le  curé),  240,  241. 
Duplessis  (veuve,  Marie  le  Roy),  64. 
Duplessis  (le  Père),  jésuite,  63. 
Duplessis   (Daniel  dis  Regnard),  63. 
Duplessis  (les  Sœurs).  Voir  Sainte-Hélène  (la  Mère). 
Dupré  (le  curé),  259,  270. 
Dupuy,  l'intendant,  126,  288. 
Duquesne,  gouverneur,   174,   177,   185-187,  218,  219,  231- 

233^  397-399,  401,  402,  406,  416,  438,  440,  443,  447, 

448,  452- 
Duquesne,  le  fort,  394,  411,  412,  448,  491. 
DuÔuesnel,  gouverneur  de  l'île  Royale,  95. 
Durand  (le  Père  Justinien),  récollet,  138. 
Durantaie  (de  la),  officier  canadien,  470. 
Durell,  l'amiral,  507. 


Eboulements  (les),  paroisse,  347,  432. 
Ecoles-Chrétiennes  (Frères  des)^  212. 


574  INDEX 

Economats  (les),  35,  54. 

Ecossais,  6. 

Ecriture  Sainte,  23,  69,  288,  356,  372,  458,  459,  482,  518. 

Ecureuils  (les),  paroisse,  155,  242,  432. 

Eglise  (1'),  32,  89,  99,  131,  138,  211,  310,  322,  336,  389, 

419^  453'  464,  536. 
Eglise  du  Canada  (V ),  i,  8-10,  20-22,  26,  28,  30,  34,  38,  50, 
57,  61,  75,  122,  124-126,  136,  143,  146,  167,  171,  195, 
258,  280,  282,  290,  291,  293,  297,  298,  301,  310,  354, 
391,  396,  415,  418,  425,  446,  453,  481,  499,  506,  535, 

553.  555,  556. 
Ekouba  (l'île  d'),  351. 
Enfant- Jésus  (T)   (la  Mère  de),  64. 
Erié,  le  lac,  330,  331,  496. 
Estèbe,  conseiller,  15,  16,  48,  531. 
Etats-Unis,  9,  71. 
Etoile  (l'abbaye  de  1'),  304. 
Europe,  356,  413,  435,  447,  463. 


Faillon  (M.),  121,  162,  197,  206-208,  211,  214,  217,  218, 

45O'  550- 
Falloux  (M.  de),  96. 

Farnsworth-Phaneuf,  6,  7. 

Faucon  (le  curé),  sulpicien,  161,  559,  561. 

Favre  (Benoit),  sulpicien,  162,  561. 

Fère  (La),  122. 

Ferland  (l'abbé),  185,  186,  395,  403,  411-413»  452,  465- 

Filion,  150. 

Flandres,  38. 

Flavien  et  Félicité  (les  saints  martyrs),  ici. 

Flèche  (La),  21,  179. 

Fleuiy  (le  Cardinal  de),  9,  10.  20,  35,  96,  131. 

Floquet  (le  Père),  jésuite,  229,  232. 

Fontenoy,  96,  97,  370. 

Forges  de  Saint-Maurice,  156,  160,  161. 

Forget-Duverger  (l'abbé),  328. 

Fornel.  le  chanoine,  3,  75,  76,  123. 

Fortifications  de  Québec,  109,  112,  114,  118. 


INDEX  575 

Foucault,  conseiller,  15,  48,  227. 

Foucher,  81,  82,  85. 

Foulon  (l'Anse  du),  486,  518. 

France,  2,  4,  6-9,  13,  22,  24-26,  29,  31,  49,  54-57,  62,  76-78, 
90,  95-98,  103,  119,  123,  125,  126,  133,  134,  136,  137, 
163-165,  167,  171,  176,  180,  181,  184,  186,  193,  194, 
200,  201,  212,  217,  223,  230,  231,  251,  280,  281,  290- 
292,  299,  304,  306,  309,  322,  323,  326,  329,  333,  334, 
339,  353,  354,  357,  35^,  365,  3^8,  370,  371,  376,  177^ 
384,  385,  392,  393,  395,  402,  403,  407-409,  413,  414, 
423,  430,  439,  443,  446,  447,  460,  462,  463,  467,  471, 
472,  475,  476,  478,  481,  486,  488,  491,  493-496,  509, 
511,  520,  521,  542,  555. 

Français,  99,  loi,  122,  167,  179,  187,  263,  316-318,  324- 
326,  331,  332,  342,  343,  359,  389,  402,  407,  410,  414, 
446,  455,  496,  518,  532,  541. 

François  d'Assise  (saint),  70. 

François  de  Sales  (saint),  191. 

François  Régis  (saint),  30. 

Franquet,  ingénieur,  6,  84,  11 2- 114,  184,  239. 

Frédéric  de  Prusse,  439. 

Fréguron  (Quéré  de),  sulpicien,  114,  561. 

Fresnière  (Hertel  de  la),  officier  canadien,  79. 

Friponne  (la),  navire,  164. 

Frontenac,  le  fort,  177,  206,  455,  491,  496,  497. 


Gaboury,  89. 

Gagnon  (Philéas),  171. 

Gaillard,  le  chanoine,  271,  272,  279,  280,  548. 

Gaillard,  le  conseiller,  15. 

Galissonnière  (M.  de  La),  gouverneur,  92,  102,  120,  163, 

171,  175,  195,  196,  215,  230,  291,  402,  409,  422. 
Gamache,  seigneur,  247,  248. 
Gand,  97. 

Gannes-Falaise  (de),  chanoine,  4,  76,  106,  123,  143,  175. 
Garaie  (le  Comte  de  la),  10,  20,  21,  195,  493. 
Garneau  (l'historien),  329. 
Gaspareaux,  le  fort,  365,  394,  407. 
Gastonguay  (l'abbé),  3,  66. 


576 


INDEX 


Gatien,  150. 

Gauchetière  (Migeon  de  la),  82,  86,  415. 

Gauthier  (l'abbé  Henri),  sulpicien,  560. 

Gélase  (le  Père),  récollet,  473. 

Gemsec,  351. 

Genaple,  notaire,  276. 

Gendron,  de  Paris,  220,  221. 

George,  le  fort,  464,  465,  467-470»  47^. 

Gibraltar,  462. 

Girard  (l'abbé),  3,  305,  359-36i,  373. 

Girauville,  150. 

Glandelet  (M.),  285. 

Glapion  (le  Père  de),  jésuite,  142. 

Godin  (le  curé),  240. 

GogTiet  (M.),  531- 

Gonnor  (le  Père  de),  jésuite,  232,  331. 

Gorgendière  (M.  de  la),  155. 

Gosselin  (le  chanoine),  4,  24,  76,  123. 

Gosselin  (M^^  Amédée),  558. 

Goudalie  (M.  de  la),  sulpicien,  305,  359-3^1- 

Gourdan  (le  Père\  jésuite.  232. 

Gratien  (le  Père),  récollet,  373. 

Gramont,  97. 

Grand-Pré,  119,  359- 

Gravé  (M.),  513.  547- 

Grondines  (les),  155,  254,  255,  432. 

Guai,  150. 

Guen  (l'abbé),  sulpicien,  179,  559- 

Gueslis  (le  Père  Vincent  de),  jésuite,  330. 

Guignas  (le  Père),  jésuite,  59,  265. 

Guillimin,  conseiller,  63. 

Guillaume-le-Conquérant,  439. 

Guyon  (l'abbé  Jean),  356. 

H 

Halifax.  Voir  Chibouctou. 
Hamel,  150. 

Hamelin  dit  Grondines,  254. 
Hanotaux  (M.),  9,  395»  409- 


INDEX  577 

Hanovre,  97,  439. 
Harbour  Springs,  329  . 
Haussonville  (Comte  d'),  134. 
Havard  de  Beau  fort,  79,  81-85. 

Hazeur  de  l'Orme,  4,  10,  12,  29,  31,  32,  65,  76,  123,  127, 
157.  175.  258,  259,  266,  271,  283,  285,  297,  298,  421, 

445- 
Hazeur  (Thierry),  25,  36,  75,  -/(i,  271. 

Héricourt  (d'),  avocat,  300. 

Hingan  (le  curé),  254,  255. 

Hippone,  27. 

Hocquart  (l'intendant),  7,  9,  14,  24,  36,  37,  39-41,  45,  47, 
48,  54,  56,  66,  81,  82,  90,  102,  103,  109,  III,  126,  127, 
128,  136,  164,  214,  215,  227,  245,  248,  252,  253,  346, 

347.  35^,  531- 
Hody  (M.),  559. 

Holburn  (Lord),  480. 

Holmes  (l'abbé),  434. 

Hôpital-Général  de  Québec,  30,  32,  40,  41,  58,  61,  64,  66, 
dy,  90,  138,  1^5,  196,  213,  216,  217,  219,  424,  471-4741 
476,  477,  512,  523,  528,  532,  539,  540,  545. 

Hôpital-Général  de  Montréal  (Sœurs  Grises),  68,  161,  162, 
172,  205,  207-209,  211-223,  239.  309.  450.  546,  550- 

Hôtel-Dieu  de  Québec,  31,  33,  37,  58,  61,  62,  64,  65,  6y,  87, 
137.  138,  148,  149.  198-204,  213,  275,  424,  449,  471- 
473.  475.  512,  523,  528,  532,  533,  534,  545,  546,  551. 

Hôtel-Dieu  de  Montréal,  33,  172,  196,  213,  214. 

Hôtel-de-Ville  de  Paris,  197,  198. 

Howe  (Lord),  489. 

Hubert  (M.),  549. 

Huet  (le  Père  Vast)  \  jésuite,  505. 

Hurons,  234,  235,  318,  330-333,  337. 


Iberville  (d'),  179. 

Illinois,  sauvages,  313,  316,  323-325,  328. 

(i).  «  9'étant  consacré  au  soin  des  malades  durant  la  traversée,  il 
mourut  de  la  contagion  à  son  arrivée  à  Québec  (19  août  1733).»  (Note 
du  R.  P.  Mélançon,  oubliée  au  cours  de  l'ouvrage) . 

S7 


INDEX 


Ile-Dieu  (l'abbé  de  1'),  13,  18,  28,  93,  100,  117,  141,  i45» 
151,  165,  180,  187,  190,  192,  195,  197,  207,  215,  219, 
220,  226,  236,  238,  258,  263,  294,  296,  303,  307,  310, 
311,  313-315.  319-322,  325-328,  348-353,  357,  360- 
365,  2,67,  370,  372-378,  380-383,  385-387,  391-393, 
395,  396,  398,  399,  401-403,  405,  408,  413,  414,  410, 
418-422,  424,  425,  430,  435-440,  444,  445,  453,  400, 

467,  473,  477,  483,  531,  555- 
Ile-aux-Bois-Blancs,  332,  337. 

Ile-aux-Coudres,  347,  432,  507- 

Ile-au-Massacre,  343. 

Ile-aux-Noix,  505,  539. 

Ile-aux-Oies,  119. 

Ile  d'Orléans,  71,  89,  354,  35^,  487,  5o6,  507,  5^0,  511,  529- 

Ile-du-Pads,   156,  432. 

Ile-Jésus,  156,  250,  432. 

Ile  Lamotte,  71,  227,  337.  r.     r       r         c. 

Ik-Royale  (Cap-Breton),  8,  14,  95,  n^,  164,  165,  306,  307, 

348,  360,  375-379,  384,  385,  394,  420,  431,  486,  4«7, 

491,  535. 
Ile-de-Sable,  95. 
Ile-Sainte-Hélène,  70. 
Ile  Saint-Jean  (du  Prince-Edouard),  8,  337,  361,  373,  375» 

376,  379,  381,  383-385,  420,  487,  491- 
Ilets  de  Jérémie,  347. 

Imbault  (le  Père  Maurice),  récollet,  32,  56,  64. 
Incarnation  (la  Mère  Marie  de  1'),  25,  107,  155,  203,  205, 

206. 
Interlaken,  509. 
Irlandais,  6,  7. 

Iroquois,  120,  170,  179,180,  229,  310,  3^7,  330- 
Isidore  (le  Père),  récollet,  378. 
Italie,   133,  134- 

J 

Jacau  de  Fiedmont,  officier,  357,  365,  402. 

Jacrau  (l'abbé),  3,  93,  142,  I43,  146-148,  150,  256,  260, 

276,  427,  513- 
Jansénisme,  21,  423. 


INDEX  579 

Japonais,  342. 

Jardins  (la  rue  des),  55. 

Jaunay  (le  Père  du),  jésuite,  329,  339. 

Jeanne  de  Chantai  (sainte),  20,  172. 

Jersey  (le  Château  de),  353,  2>7Z^  390- 

Jésuites,  21,  30,  31,  33,  67,  III,  142,  148,  201,  203,  229-234, 

261,  286,  287,  306,  310-316,  318-321,  324-326,  328- 

2>2>^,  339-341,  345.  351.  428,  502,  509,  528,  529,  531, 

542. 
Jésuites  (le  Collège  des),  142,  199,  202,  287,  292,  312,  313, 

426-428,  529. 
Jehnson,  le  général,  412. 
Johnstone  (le  chevalier),  515. 
Joliet,  316. 
Jollivet  (l'abbé),  sulpicien,  y2,  -j^,  181,  190,  257,  551,  559, 

561. 
Jonquière   (la),  gouverneur,   126,   162-166,   168,   170,   173- 

175,   179,   185,  215-217,  229-231,  233-235,  289,  397, 

416,  447. 
Jorian  (le  curé),  225,  242,  246,  248. 
Josselin  (l'hôpital  de),  20. 
Joubert,  capitaine,  ^iUy  4i3- 
Jubilé,   133,   134,   136,  137,   154,   170,  172,  173,   175,  177, 

183,  274,  291,  293. 
Judas  Machabée,  538. 
Juillet,  capitaine,  250. 
Jumonville,  324,  369,  407,  449. 

K 

Kalm,  135. 

Kamouraska,  432,  433. 

Kaokias,  sauvages,  326. 

Kaskaskias,  sauvages,  323-325. 

Kerlerec  (de),  gouverneur  de  la  Louisiane,  319,  401. 

Knox,  510,  534,  550. 

L 

Labelle  (l'abbé  René),  sulpicien,  7. 
Laboret  (l'abbé),  missionnaire,  359,  361. 


580  INDEX 

Labrie  (Nicolas),  marguillier,  241. 

Labrosse  (le  Père),  jésuite,  129,  346,  351. 

Lacs  (les  Grands),  8. 

Lac  des  Bois,  341,  343. 

Lachenaie,  156,  432. 

Lachine,  161,  432. 

Lacorne.  le  chanoine,  76,  106,  107,  124,  125,  168,  248,  253, 

271,  272,  280,  290-292,  297-299,  301,  304,  350,  351, 

462. 
Lacorne,  officier  canadien,  119,  120,  180,  504,  505. 
LaCoste   (Pierre  Courean),  marguillier,  253. 
LaCoudraie  (le  curé),  242. 
Lafontaine   (de),  conseiller,   15,  48. 
Lagroix  (l'abbé),  150. 

Laiane  (AL  de),  150-153,  168,  190,  261,  266,  274,  2J^ ,  559. 
Lalemant  (le  Père  Gabriel),  318. 
Lamicq  (M.),  262,  266.  267,  473. 
Lamothe-Cadillac,  329,  330,  334,  337. 
Lanaudière  (Tarieu  de),  119,  191. 
Langlade  (de),  338,  514,  516. 
Langres,  375. 
Languedoc,  443. 
Lanoue,  79,  81-86. 

Lanouiller,  conseiller,  15,  48,  125,  126. 
Lanoraie,  156,  432. 
Lantagnac,  150. 

La  Porte  (I\f.  de),  291,  394,  396. 
Laprairie,  70,  241,  432. 
Larché,  56. 
La  Ronde,  119. 
Lartig-ue  (M.  de),  365.     • 
La  Salle  (saint  Jean-Baptiste  de),  212. 
Lataille,  150. 

Latour  (M.  de),  31,  51,  65,  260,  265,  298. 
Lauberivière  (M-^  de),  i,  10,  14,  17.  26,  36,  41,  71,  103, 

104,  161. 
Laure  (le  Père),  jésuite,  345-347- 
Laurent   (l'abbé),  missionnaire,.  314,  326-328. 
Lauverjat  (le  Père),  jésuite,  351. 


INDHX  '  581 

Laval  (M-^  de),  i,  19,  21,  25-30,  37,  67,  73,  100,  103,  143, 
146,  147,  149,  152,  155,  1S5.  203,  209,  259,  262,  273, 
275.  297,  ^26,  327,  356,  502,  547,  557. 

La  Valtrie  (Tabbé  de),  3,  148. 

La  Valtrie,  paroisse,  112,  156,  243,  432. 

Le  Bansais  (le  Père),  jésuite,  104,  142,  148,  261,  473. 

LeBeau,  médecin,  545. 

LeBer  (Jeanne),  208. 

LeBlond  (l'abbé),  152. 

Lecoq  (M.),  supérieur  de  Saint-Sulpice,  560,  562. 

Lefranc  (le  Père),  jésuite,  339. 

LeGuerne  (l'abbéj,  349-35i>  354.  355^  373- 

Lehoux  (Anne),  79. 

Leigne  (André  de),  40,  44,  56. 

Le  Jeune  (le  Père),  jésuite,  157. 

Le  Loutre  (l'abbé),  349-354,  359,  3^5.  373,  374,  377,  S^S- 

387-390- 
Le  Maire  (l'abbé),  330. 

Leniaire   (l'abbé),  349,  361,  375. 

Le  Mercier,  officier,  119,  299,  465. 

Le  Moyne  (Charles),  185. 

Léon  XIII,  133. 

Léopard  (le),  navire,  472. 

Le  Prévost  (le  curé),  157. 

Léry  (M.  de),  le  père,  38,  40-42,  57,  92,  93,  103,  112,  122, 

169. 
Léry  (M.  de),  le  fils,  421,  454. 
Leschassier  (M.),  211. 
Lescoat  (M.  de),  sulpicien,  206,  207,  561. 
Lessart  (François),  253. 
Levasseur  (l'abbé),  3. 
Lévis  (le  Chevalier  de),  402,  452,  455,  460,  467,  469,  490, 

495,  499,  504,  505.  514-516,  520,  521,  523,  537-539' 

542,  543- 
L'Halle  (le  Père  de),  récollet,  334,  335. 

Lignerv  (M.  de),  119,  411,  491. 

Lille,  38. 

Limousin  et  Limoges,  364. 

Lindsay  (l'abbé),  124. 

Lionnard  (le  Père),  récollet,  334,  335. 


582  INDEX 

Lisieux  (un  archidiacre  de),  299. 

Londres,  553. 

Longue-Pointe,  paroisse,  70,  161,  162,  432. 

Longueil  (M.  de),  175,  179,  185-187,  331,  337,  406,  465. 

Longueil,  la  paroisse,  70,  432,  433. 

Long\^al,  150. 

Lorette,  234,  330,  432,  433,  518. 

Lotbinière  (M.  de),  archidiacre,  4,  15,  48,  122,  157,  166, 

167,  2^2. 
Lotbinière  (de),  officier,  119,  122. 
Louis  (saint),  128. 
Louis  XIV,  184,  194. 
Louis  XV,  96,  98,  133,  134,  136,  137,  179,  184,  194,  404, 

406,  439,  440,  463,  464. 
Louis-Phihppe,  roi  des  Français,   197. 
Louisbourg,  8,  95,  98,   109,   118,   164,   197,  306,  307,  361, 

365.  375-3^4'  388,  389,  480,  486,  487,  491,  492,  505, 

506.  \ 

Louisiane,   21,   71,   306,   307,  310-316,   319,  320,   322-324, 

326,  399,  401,  408,  420,  431,  448. 
Louvain,  97. 

Luynes  (le  duc  de),  194. 
Lydius,  le  fort,  467. 
Lyon,  375. 

M 

Machault,  le  fort,  186. 

Machiche,  156. 

Mahon,  462. 

Mailhot   (le  juge),  84,  85. 

Maillard    (l'abbé),   14,  306-308,  349,  361,  365,  376.  377, 

379'  7^"^^^  384-390,  486. 
Mainmortes  (l'édit  des),  223,  224. 
Maizerets   (Ango  de),  285. 
Malbaie  (la),  347. 
Malines,  97. 
Malpec,  361,  373. 
Manach   (l'abbé),  350,  351. 
Mandeville  (M.  de),  316. 


INDEX  583 

Manitoba,  345. 

Mantet,  150. 

Marchai  de  Noroy,  jeune  Parisien,  54. 

Marchand  (l'abbé),  25,  150,  550. 

Marcol  (le  Père),  jésuite,  231,  232. 

Margry,  166. 

Marin,  166. 

Marquette  (le  Père),  316. 

Marquiron  (l'abbé),  3,  66,  123. 

Mars  (le),  navire,  57. 

Marsolet  (le  Père),  récollet,   177. 

Martel   (le  curé),  509. 

Martin  (  Charles- Amador),  157. 

Masquinongé,  156,  432. 

Massachusetts,  364. 

Matis  (Jean),  sulpicien,  161,  559,  561. 
Mathias  (le  Père),  capucin,  310. 
Maubec  (Tabbaye  de),  298,  304. 
Maurepas   (M.  de),  ministre,   14,  93,   109,   131,   141,   166, 

263,  290,  340,  341. 
Maurice  (le  Père),  jésuite,  345. 
Meschin,  capitaine  de  vaisseau,  14. 
Méchins  (les),  14. 
Méditer rannée,  463. 
Médoctec,  351. 

Mélan(:on  (le  Père),  jésuite,  509,  577. 
Memramcook,  373. 
Menagouech,  348. 

Mercier  (l'abbé),  missionnaire,  150,  266,  267. 
Messaiger  (le  Père),  jésuite,  30,  340,  341,  352. 
Mésy  (Saffray  de),  gouverneur,  174. 
Metz,  55,  76. 

Meurin  (le  Père),  jésuite,  325. 
Mexique,  310. 

Miamis,  sauvages,  325,  329,  334. 
Michel  (M.),  commissaire  de  la  marine,  15. 
Michigan,  le  lac,  328,  338,  339. 
Michillimakinac,  328-330,  338-340,  343. 
Micmacs,  sauvages,  349,  352,  359,  385,  388,  390,  486. 
Migeon.  V^oir  Bransac  et  Gauchetière. 


584  INDEX 

Mille-Iles,  504. 

Mines  (Bassin  des),  1 18-120.  359,  362,  366. 

Miniac  (M.  de),  2,  13,  33,  271,  305,  306,  359,  361,  364. 

Minorque  (l'île),  462,  463. 

Miramichi,  351,  355. 

Missions-Etrangères  (Séminaire  de  Paris),  11,  14,  17,  18, 

139,  142-145.  147.  149-151,  190.  258,  259,  261,  263,  266, 
274,  276,  284,  290,  293,  296,  298,  300-303^  306,  310, 
311.  325-328,  330,  349,  355,  387-389,  422,  423,  531, 

547>  SS7>  558- 
Mississipi,  8,  310,  316,  324-326. 
Missouris,  sauvages,   313. 
Mobile  (la),  317,  321,  323. 
Mohawk,  la  rivière,  469. 
Monckton,  le  général,  510,  511. 
Monongahéla  (la),  338,  370,  400,  408,  410,  412,  413.  415, 

429,  448,  450. 
Monrepos  (Guiton  de),  S2,  85,  86,  121,  484. 
Montagnais,  sauvages,  345-347. 
Montagne  (rue  ou  côte  de  la),  152. 
Montcahn,  38,  395,  402.  414,  415,  435-43^,  440-446,  451. 

452,  454,  455,  460,  466-469,  471,  476,  488-491,  494, 

495.  499-505,  507,  514,  519'  520,  522,  525,  538. 
Montesson,  1 19. 
Montgolfier  (M.),  sulpicien,  177,  179,  546,  550,  551,  554, 

559,  561. 

Montigny  (M.  de),  des  Missions-Etrangères,  17,  259,  387. 

Montmagny  (M.  de),  gouverneur,  103. 

Montorier  (M.  de),  des  Missions-Etrangères,  17. 

Montréal  la  ville  et  le  district,  6,  15,  25,  28,  49,  56,  69,  70, 
/S,  79,  82,  84,  85,  iio,  III,  115,  120,  121,  157,  161, 
171,  172,  177,  178,  182,  188,  201,  206,  209,  212,  214, 
2 [6,  218,  229,  230,  234,  239,  243,  253,  331,  400,  405, 
406,  433,  447,  448,  450,  455,  469,  470,  472,  475,  484, 
502,  505,  510,  513,  520,  521,  523,  525,  527,  530,  531, 

535.'  539,  542-544,  547'  548,  550,  554- 
Montréal,  la  paroisse,  7,  72,  83,  84,  86,  98,  161,  162,  185, 

208,  432.  461,  551,  562,  563. 

Montreuil,  officier  français,  437. 

Morant  (l'abbé),  150,  266,  267. 


INDEX  :^85 

Morin  (Tabbé  Germain),  157. 

Morinie  (le  Père  de  la),  jésuite,  329,  335,  339. 

Morisseaux  de  Bois-Morel  (le  curé),  241 

Mornay  (M«^  de),  12,  7,7,  38,  41,  310,  312,  320. 

Morteniart  (la  duchesse  de),  394. 

Mourisset,  contremaître  au  Séminaire,  47,  142 

MnWM^^r''^^-^'"'^  ^^î-    ^^n^^'  540,  555- 
Muy  (M.  de),  officier  canadien,  336. 

N 
Nairne  (M.),  7. 

Natchez  (les),  sauvages,  316,  323. 
Natchitoche,  323. 

Nau  (le  Père),  jésuite,  232,  329,  342. 
Navarre  (M.),  officier  canadien,  ^^y. 
Nécessité  (le  fort),  369,  407,  448. 
Neuville.  Voir  Pointe-aux-Trembles  de  Québec 
Nevet  (le  comte  de),  18,  46,  189,  493,  549,  551. 
New- York,  504. 
Niagara,  504,  505. 
Nicolet,  432. 
Nieuport,  97. 
Ninove,  97. 

Niverville,   officier  canadien,   119. 
Noble  (le  colonel),  119. 
Noreau,  marguillier,  241. 
Noinville  (Tabbé  de),  missionnaire,  360. 
Norey  (l'abbé),  ex-récollet,  66,  6y. 
Normand  (M.  Le),  314,  315,  501. 
Normant  du  Faradon   (M.),  sulpicien,  25,   177,   170    oq^ 

216.  217,  220,  222,  546,  561. 
Normanville,  150. 
Nouët,  praticien,  55,  56,  253. 
Nouvelle-Ecosse.  Voir  Acadie. 

Nouvelle-Orléans,   306,   310,   313-316,  319-321,    22^    2^8 
^^     330,  37^^  398,  399,  401.  ' 

Noyan  (M.  de),  227,  491. 

O 

Oblats  de  Marie  Immaculée,  159. 
Ogdensburg,  71,  176. 


586  INDEX 

Ohio.   Voir  Belle-Rivière. 

Ollivier  (Emile),  519. 

Ontario,  9,  330,  455,  496. 

Orléans  (le  Duc  d'),  67,  149,  193-197. 

Ostende,  97. 

Oswégatchie  (la  rivière),  175,  177. 

Oswégo  (Chouaguen),  9,  176,  405,  454-457»  459-46i,  504- 

Ouabache  (la  rivière),  325. 

Ouest  canadien,  166,  338,  340-342,  344,  345- 

Outaouais,  les  sauvages,  333,  334. 

Outreleau  (le  Père  d'),  jésuite,  316. 


Palais  épiscopal,  17,  35,  36,  38,  40,  42,  44,  46,  528. 

Palais  de  l'Intendant,  16,  85,  481,  497,  499. 

Pamphili  (le  cardinal),  276. 

Panet,  notaire,  255,  522. 

Papin  (le  curé),  245. 

Pâquin  (le  curé),  38.  91. 

Parent  (l'abbé),  150. 

Parfouru  (de),  officier  français,  414,  437. 

Paris  (le  diacre),  78. 

Paris,  10,  II,  13,  17,  18,  21,  28,  31,  54,  78,  79,  81,  106, 
123,  124,  127,  142,  150,  164,  180,  181,  194,  195,  220, 
258,  271,  2^6,  286,  290,  293-295,  297,  298,  303,  304, 
321,  340,  356,  383,  387,  396,  404,  418,  420,  429,  436, 
476,  488,  552. 

Parkman,  176,  338,  407. 

Parlement  canadien,  45. 

Parloir  (rue  du),  152,  503,  504. 

Paul  (saint),  73,  533. 

Péan,  119,  227,  250,  299,  503,  504. 

Pelée  (la  montagne),  470. 

Pelet  (l'abbé),  3,  139,  148,  262. 

Pentagouet,  351. 

Pérade  (Tarieu  de  la),  155. 

Périer,  gouverneur  de  la  Louisiane,  316,  323. 

Périère  (Boucher  de  la),  179. 

Péronnel  (l'abbé),  missionnaire,  361,  374. 


INDEX  587 

Pcrreault  (le  chanoine),  269-272,  278,  433,  434,  -^i^,  548, 

554- 
Perthuis  (le  curé),  161. 
Petit  (l'abbé),  150,  426-428. 
Petitcoudiac,  355,  S73- 
Phaneuf  (la  famille),  6. 
Philippe  ,(le  Père),  capucin,  311. 
Philipps  (M.  de),  360. 
Picquet  (l'abbé),  sulpicien,  1 75-181,  559. 
Pierre  (saint),  23. 
Pigiquit,  359,  366. 
Pilotte,  huissier,  2,  3. 
Pinguet  (le  curé),  157. 
Pitt,  le  ministre  anglais,  480,  517. 
Plante  (le  curé),  i,  2,  3,  51,  123,  135,  258,  260,  262,  263, 

265,  266. 
Plante  (l'abbé  Gabriel),  30-32,  174,  175,  258,  260,  462. 
Plérin,  13. 
Pleurtuit,  19. 
Pocqueleau  (l'abbé),  265. 
Pointe-aux-Trembles  de  Québec  (Neuville),  155,  157,  158, 

250,  432,  517. 
Pointe-aux-Trembles  de  Montréal,  6,  432. 
Pointe-Claire,  161,  432. 
Pointe-Coupée,  323. 
Pointe-Lév}^  (Saint- Joseph  de  la),  266,  431,  487,  510,  511, 

Pointe-Prime,  361,  373. 

Poisson  (le  Père),  jésuite,  316. 

Pologne,  106. 

Pomcoup,  363,  364. 

Pompadour  (Mme  de),  395. 

Pontbriand  (Mgr  de),  2,  3,  5,  9-11,  13-15,  17-27.  29,  30, 
32-34^  36,  38,  40-42,  44,  46-48,  50-52,  55-59.  61-63, 
65-72,  74,  75.  77,  78,  85.  86,  88,  91-94,  96,  99,  103- 
107,  109,  114,  1 16-124,  127,  129-134,  136,  141,  142, 
145,  146,  148,  149,  151,  154,  155,  157-161,  164,  171, 
175,  177-180,  182,  184,  187,  188,  190-192,  194,  197, 
198,  200-203,  207,  213,  216,  219-221,  224-228,  235- 
243.  247-249,  252-256,  259,  260,  26^,  266,  269,  272, 


588  INDEX 

274-  276,   278,  280,   282,  286,   290,   293,   296-299,   301- 

303»  30S-3>07,  309^  312,  313,  319-322,  325.  331.  334- 
336,  339.  348,  349.  355.  356,  360-362,  364,  367-37'» 
375.  376,  37^^  379.  3^^,  3^6,  391,  393,  395-397.  402- 
405,  407,  408,  410,  412,  413,  416,  421-423.  425-431» 
434-436,  439,  445,  446,  448,  450.  452-455.  460-465, 
470,  473-476,  481,  485.  487,  490.  491.  493.  497.  5<>3» 
506,  507,  509,  511-513.  518.  520,  523,  527,  531,  532, 

535.  537-539.  544«  547.  548,  551-555.  563- 
PoiitJDriand  (l'abbé  de),  frère  de  l'évêque,  10,  18,  19. 
Pontbriand  (vicomte  de),  14. 
Ponteville,  253. 
Pontiac,  333,  411. 
Porlier  (l'abbé),  150. 
Porlier,  greffier,  86. 
Port-Lajoie,  352,  361,  ^73,,  379,  383. 
Port-Royal,  305.  308,  358,  359,  362-367. 
Port-Toulouse,  486. 

Potier  (le  Père),  jésuite,  178,  331,  7,7,2,  ^7,j. 
Pot-à-l'eau-de-vie,  119. 
Pouchot,  504,  505. 
Poulariez,  465. 
Poulin    (le  chanoine),   104,    107,   148,  271,  272,  277,  280, 

433'  434.  512,  548. 
Poulin  (Maurice),  160. 
Poutéotamis,  sauvages,  1,^^. 
Prague,  95. 

Presqu'île,  le  fort,  186,  394,  448. 
Pré.sentation   (le   fort  de  la),   71,    175,    177-180,   182,  229, 

394- 
Pressart  (l'abbé),  51,  151,  262,  433,  478,  547. 

Prévost,  commissaire  à  l'Ile-Royale,  165,  375,  379,  380,  394. 

Prévôté  de  Québec,  2,  4,  40,  45,  ^2,  55,  254,  262,  266. 

Prévôté  de  Montréal,  78,  79,  81,^82,^85,  86. 

Propagande  (la),  28,  325. 

Protestants,  137,  235. 

Proult  (l'abbé),  150. 

Prudhomme  (le  juge),  341,  343. 

Prusse,  447. 


INDEX  589 

O 

Québec  (ville  et  district).  2,  3,  6-8,  12,  18,  23-25,  2^,  31, 
36,  49,  56,  57,  69,  76,  90,  98,  99,  109,  iio,  115,  118, 
119,  123,  134,  135,  il,/,  141,  142,  148,  150.  151,  i6i- 
164,  171,  177,  188,  189,  196,  218,  230,  2i,y,  242,  250, 
261,  263,  293,  331,  332,  337,  338,  347,  353,  354,  373, 

375.  393'  396,  418,  423-  433.  449,  471,  472,  475-478. 
481,  484-488,  492,  499.  502-507,  510.  512,  513,  516- 

520,  522,  523,  5-27-535'  539.  540,  54-'.   - 
Québec,  la  cathédrale,  53,  92-94.  98.  100,  loi,  103.  105,  107, 
109.  163.  172-174,  262,  266,  276,  278,  279,  284,  288, 

295-  461,  527- 

Québec,  cure  et  paroisse,  2,  3,  51,  52,  54-58,  69,  92,  94,  100. 
102,  134,  136-138.  149.  162.  174,  226,  258-263,  265, 
266,  270,  273,  279,  280,  282,  283,  288-290,  292,  296, 

302,  303,  373,  454. 

Québec,  la  Fabrique.  53,  93,  102,  302,  303. 

Québec,  la  Basse-Ville.  148,  226.  275.  478,  502,  527.  ^28. 

Quimper.  349. 

Quinzechiens,  433. 

R 

Raimbault  (le  Juge),  82. 

Ramesay  (AI.  de),  119,  120,  522,  ^1,^. 

Rambervilliers  (le  Père  de),  capucin,  313,  319. 

Raphaël  (le  Père),  capucin,  310. 

Rauquemont  (le  Père  de),  capucin.  319. 

Raymond  (le  Comte  de),  gouverneur  de  Louisbourg.  299, 

^  375.  37^>  379.  3^2'  , 
Raymond,  jeune  Français,  54, 

Récher  (le  curé),   142,  148,  203,  257,  261-270.  2y^,  2'j'j, 
279,  282,  284,  289,  293,  373,  454,  478,  505,  512-514, 
520,  527-529,  531.  548,  551- 
Récollets,  66,  79,  92,  loi,   105,   106,  125,   156,   174,   183, 

306,  307,  330,  333-335,  345.  361,  375-379,  381-38:^, 

429,  472,  473,  502,  528,  529,  542. 
Régale  (la),  35. 
Régent  de  France  (le),  194,  197. 


590  INDEX 

Remparts  (rue  des),  503. 

Rennes,  14,  18. 

Repentigny  (de),  officier  canadien,  119,  338,  514,  515. 

Resche  (le  chanoine;,  2,  3,  106,  271,  272,  512,  520,  522, 

528,  548,  554. 
Richard  (Edouard),  archiviste,  9,   18,  171,  213. 
Richardie  (le  Père  de  la),  jésuite,  234,  235,  331,  332. 
Richarville,  officier  canadien,  317,  470. 
Richelieu  (le  Cardinal),  439. 
Richelieu,  la  rivière,  5,  504,  505. 
Richer  (le  Père),  jésuite,  337. 

Rigaud  de  Vaudreuil,  191,  337,  401,  456,  457,  460,  465,  467. 
Rigauville  (le  Chanoine),  271,  272,  512,  541,  548. 
Rimouski,  5,  432. 

Rivière-aux-Bœufs  (le  fort  de  la),  186,  394. 
Rivière-aux-Canards,  359,  366. 
Rivière-à-la-Chute,  488,  489. 
Rivière-du-Loup  (en  haut),  156.  432. 
Rivière-du-Loup  (en  bas),  433,  507. 
Rivière-du-Nord-Est,  361,  374. 
Rivière-Ouelle,  431,  486. 
Rivière-des-Prairies,  156,  432. 
Rivière-Rouge,  345. 

Rivière-Saint-Jean,  347,  348,  350-352,  355,  381. 
Rivière-Saint-Joseph,  328,  338,  339. 

Robidoux,  79,  8t,  82,  84,  85.  ' 

Robineau  cle  Portneuf  (le  curé),  510-512. 
Rochelle  (La),  14,  57,  212,  311,  421,  531. 
Rochemonteix  (le  Père  de),  234,  318,  323,  331,  339,  340. 
Rocheuses  (Montagnes-),  328. 
Rogers  (Robert),  470. 
Rome,  10,  II,  130,  133,  134,  158,  280,  285,  286,  320,  387, 

508,  548,  553,  554. 
Rosaire  (saint),  158. 
Rouen,  262-264,  266,  419,  420. 
Rouillard  (le  curé),  158,  241. 
Rouillé,  le  ministre,  165,  166,  180,  181,  230,  233,  263,  314^ 

377.  380,  392,  394. 
Rouillé,  le  fort,  394. 
Roussel,  ancien  marguillier,  104. 


INDEX  591 

Rousselot,  notaire,  247. 

Rousseau  (l'abbé),  473. 

Rouville  (Hertel  de),  191. 

Roy  (J.-Edmond),  498,  507,  510,  514,  519,  522,  537. 

Rubis  (le),  navire,  14. 

Russie,  447. 


Sacré-Cœur  (la  Confrérie  du),  426. 

Saguenay,  345-347- 

Saint-Ange  (M.  de),  191,  317,  325. 

Sainte- Anne  de  Beaupré,  512. 

Sainte-Anne  du  Bout  de  l'Ile,  161,  432. 

Sainte-Anne  de  la  Pérade,  74,  155,  157,  158,  238,  240,  241. 

Sainte-Anne  de  la  Pocatière,  225,  248,  432. 

Saint- Augustin,  seigneurie  et  paroisse,  62,   155,  240,  241^ 

433- 
Saint- Augustin  (les  Chanoines  Réguliers  de),  66. 
Saint-Briac,  20. 
Saint-Brieuc,  13. 
Saint-Charles  (la  rivière),  505. 
Saint-Charles  (Rivière  Boyer),  157,  225,  432. 
Saint-Claude  de  la  Croix  (la  Mère),  476. 
Sainte-Croix,  242,  432. 
Saint-Denis  de  Richelieu,  251,  431. 
Saint-Domingue,  213. 
Saint-Esprit  (les  Pères  du),  381. 
Saint-Esprit  (les  Filles  du),  13. 
Sainte-Famille  de  Québec,  262,  264-269. 
Sainte-Famille  (la  rue),  2,  42. 

Sainte-Famille,  I.  O.,  71,  432.  » 

Saint-Féréol,  432. 

Sainte-Foy,  155,  157,  432,  539-541. 
Saint-François  de  Beauce,  228. 
Saint-François,  Rivière  du  Sud,  225,  242,  431. 
Saint-François  de  la  Petite-Rivière,  286,  432. 
Saint-François,  I.  O.,  354,  356,  432. 
Saint-Frédéric,  le  fort,  22y,  412-414,  466,  504,  505. 
Sainte-Geneviève,  le  coteau,  539. 
Sainte-Geneviève,  la  paroisse,  161,  432. 


592  INDEX 

Sainte-Geneviève,  le  fort,  324. 

Sainte-Hélè4îe  (la  Mère  du  Muy  de),  55,  172,  175,  182-185. 

Sainte-Hélène  (la  Mère  Duplesssis  de),  61,  64,  91,  99,  135, 

203,  475,  476. 
Sainte-Hélène  (l'île),  70. 
Saint-Henri,  510,  511. 
Saint-Tgan,  228. 

Saint-Joachim,  164,  432,  475,  510,  511. 
Saint- Joseph  de  Beauce,  228. 
Saint-Laurent  de  Montréal,  156,  161,  432. 
Saint-Laurent,  L  O.,  509. 
Saint-Laurent,  le  ileuve  et  le  golfe,  15,  95,  98,  99,  177,  384, 

401,  410,  487,  306. 
Saint-Lunaire,  20. 
Saint-AJalo,  10,  17,  20-22,  34,  367. 
Sainte-Marie  de  Beauce,  228,  432. 
Saint-Maurice.    Voir  Forges. 
Saint-Médard,  78. 

Saint-Michel,  la  paroisse,  248,  250,  432,  433. 
Saint-Michel  (la  ferme),  427. 

Saint-Ofige  (le  Chanoine),  271,  2']2,  426,  427,  548. 
Saint-Ours,  officier  canadien,  119. 
Saint-Pé  (le  Père  de),  jésuite,  30,  33,  56,  427. 
Saint-Pierre,  242,  431. 
Saint-Pierre  du  Nord,  361,  374. 
Saint-Pierre  les  Becquets,  238,  432. 
Saint-Pierre,  officier  canadien,  119,  415. 
Saint-Pol-de-Léon,  348. 
Saint-Roch  de  Québec,  199,  478. 
Saint-Roch  des  Aulnaies,  225,  242,  432. 
Sainte-Rose,  4,  32,  156,  510. 

Saint-Sacrement  (le  Lac),  412,  455,  464,  470,  488. 
Saint-Siège.    Voir  Rome. 
Saint-Sulpice,  la  paroisse,  156,  162,  432. 
Saint-Sulpice  (la  Société  de),  7,  11,  12,  22,  25,  y 2,  124,  142. 

175,  180,  185,  211,  212,  305,  331,  551,  552. 
Saint-Thomas  de  Montmagny,  71,  242,  286,  431,  517. 
Saint- Vallier,  la  paroisse,  242,  431,  433. 
Saint-Vallier  (M^'"  de),  i,  36,  37,  73,  122,  132,  147,  149, 

158,  159,  195,  208,  209,  212,  259,  285,  375,  376,  502, 

551- 


INDEX  593 

Sandoské,  village  sauvage,  331,  332. 

Sandwich,  332,  335- 

Sarault  (le  curé),  150,  157,  245. 

Saumur,  20. 

Saunders,  l'amiral,  505. 

Saut-au-Récollet,  156,  161,  432. 

Saut-Saint-Louis,  229,  230,  232-234. 

Savard  (François),  507. 

Savoyards,  18. 

Scott  (le  curé),  155. 

Sejelle  (l'abbé  Martin),  3. 

Semelle  (l'abbé  Olivier),  14. 

Séminaire  de  Québec,  3,  5,  13,  17,  19,  23,  27,  ^J,  42,  45,  47, 
52,  59,  67,  74,  75,  100,  III,  122,  123,  138,  139,  141- 
152,  154,  157,  158,  167,  172,  190,  196,  197,  206,  227, 
245,  250,  255,  256,  259-268,  270,  273-280,  282-284, 
289-291,  294,  295,  302,  303,  327,  328,  355,  381,  422, 
426-430,  433,  473,  475,  478,  502,  512,  513,  527-529, 
542,  547,  548,  555,  557. 

Séminaire  de  Montréal,  6,  21,  113,  114,  161,  162,  177,  179, 
207,  209,  214,  220,  229,  245,  256,  483,  523,  542,  546, 

.547,  550-552,  559.  561. 
Séminaire  de  Paris.  Voir  Missions-Etrangères. 
Sénat  (le  Père),  jésuite,  318,  324. 
Sept-Ans  (la  guerre  de),  367,  418,  431,  439,  447. 
Sept-Iles,  347. 
Silhouette  (M.  de),  196. 
Sioux,  sauvages,  342,  343. 
Sorbonne  (la),  17,  21,  115,  124. 
Souart  (M.),  sulpicien,  185. 
Souel  (le  Père),  jésuite,  316. 
Soumande  (l'abbé),  149,  547. 
Soupiran  (l'abbé),  3. 

Sœurs  Grises.    Voir  Hôpital-Général  de  Montréal. 
Supérieur  (le  Lac),  330,  339. 

Surlav.ille  (M.),  119,  186,  299,  377,  402,  410,  413. 
Sylvain  (Sullivan)  (le  docteur),  82,  121. 

T 

Taché  (Jean),  522. 
Taché  (J.-C),  346. 
38 


594 


INDEX 


Tadoussac,  128,  129,  345-347- 

Talon  (l'intendant),  128. 

Tamarois,  sauvages,  31,  310,  314,  323,  325,  326,  328. 

Tanguay  (M^\),  5,  66,  71,  129,  155,  228,  242,  243,  255,  286, 

328,  346,  509. 
Tartares,  342. 

Tartarin  (le  Père),  jésuite,  324. 
Taschereau,  le  conseiller,  15,  48. 
Taschereau  (le  Cardinal),  19,  22,  254,  274-276,  298,  475, 

512,  542,  547,  555. 
Tassé,  auteur  canadien,  338. 
Taylor,  517,  542. 
Te  Deiim,  32,  60,  97,  98,  162,  459,  463,  464,  466,  469,  477, 

488. 
Témiscamingue,  9. 
Terrebonne,  156,  432,  433. 
Terreneuve,  179,  406. 
Têtu  (M^O,  28. 

Thaumur  de  la  Source  (l'abbé),  31. 
Thérèse  (sainte),  20. 
Thibout  (le  curé),  260. 
Thureau-Dangin,  98. 

Tiberge  (M.),  558. 

Tonnancour  (le  Chanoine  de),  4,  i04.  lo?»  271,  272,  279, 

280,  284,  293,  461,  473.  549- 
Tonnancour  (la  famille  Godefroi  de),  184,  191,  193. 

Tonti,  317. 

Toumay,  97. 

Tourneur  (le),  navire,  119. 

Tournois  (le  Père),  jésuite,  229-231,  233-235,  331. 

Traités,  d'Utrecht,   186,  357-360,  369;  —  de  Pans,  323, 

555,  556;  —  Aix-la-Chapelle,  98,  155,  162,  165. 
Tréguier,  348. 

Tremblay  (M.),  18,  37,  387- 
Trente  (le  Concile  de),  288. 
Trépesec  (M.  de),  officier  français,  489. 
Trois-Rivières,  98,  iio,  115,  156,  159,  160,  162,  173,  183, 

184,  188,  189,  191,  206,  212,  293,  323,  432,  433,  448, 

456,  461,  502,  523,  525,  554- 
Turcq.(le  Frère),  212,  222. 


INDEX  595 

u 

Ursulines  de  Québec,  29,  31-33,  35,  54,  58-61,  64,  67,  107, 
108,  124,  138,  148,  188,  192,  199,  201,  203,  206,  208, 
275,  429,  470,  473,  502,  512,  520,  528,  532,  542,  554, 

Ursulines  des  Trois-Rivières,  68,  156,  173,  183,  184,  187, 
192,  193,  196-198,  293. 

Ursulines  de  la  Nouvelle-Orléans,  196,  238,  310,  313-315, 
321. 

Université  de  Paris,  124. 

Utrecht.   Voir  Traités. 

V  : 

Vachon  (le  curé),  158,  159. 

Vaillancourt,  marguillier,  241. 

Valens,  150. 

Valin  (le  Père),  récollet,  429. 

Vallier  (M.),  13,  M,  23, 12,  59,  60,  122,  123,  125,  134,  136, 

139,  I4I-I43'  146,  i50>  195.  '^77^  287. 
Vallières  (de),  sulpicien,  161,  539. 
Vannes,  19,  348. 

Varennes  (de),  officier  canadien,  82,  121,  122. 
Varennes,  la  paroisse,  206,  432,  433. 

Varin  (M.),  15.  4^,  I79,  394- 

Varlet,  le  janséniste,  147. 

Varlet,  avocat,  300. 

Vatrin  (le  Père),  jésuite,  324,  325. 

Vaudreuil  (M.  de),  gouverneur  du  Canada,  7,  118,  122, 
187,  201,  314,  315,  319,  397-406,  412,  416,  417,  437, 
438,  440-446,  448,  450-452,  454-456.  461,  465,  467» 
470,  472,  482,  485,  488,  490,  494-496,  504,  505»  508, 
517-520,  523,  526,  527,  538,  539,  542-544. 

Vauquehn,  394,  395. 

Vérendrye  (M.  de  la),  328,  340-343,  345- 

Verger  (le),  résidence  du  Comte  de  Nevet,  190. 

Vergor,  365,  393,  518. 

Verrault,  150. 

Versailles,  11,  37,  95,  112,  123,  219,  353,  395,  444. 

Vienne,  95. 

Viger  (Jacques),  52,  79,  207,  215,  238,  314,  434,  512,  513. 


596  INDEX 

Villars  (M.  de),  124,  148,  250,  261,  274,  275,  422,  423,  427, 

478. 
Ville-Angevin  (M.  de  la),  13,  22,  24,  25,  33,  59,  60,  104- 

107,  139,  164,  167,  189,  213,  237,  241,  271,  278-280, 

286-289,  293,  350,  427. 
Villiers  (Coulon  de),  119,  120,  324,  407. 
Villejoint  (M.  de),  374. 
Villeneuve  (le  Père  Giraut  de),  jésuite,  142. 
Villeray   (Rouer  de),  365. 
Vincelotle,  seigiîeur,  247,  248. 
Vincennes  (le  chêne  de),  128. 
Vincennes  (de),  officier  canadien,  317,  325. 
Vintimille  (M^'  de),  11. 
Virginie  (la),  369,  406-409,  455. 
Virot  (le  Père),  jésuite,  505. 
Visitandines  de  Rennes,  18,  172,  177,  202,  286,  312,  485, 

491'  544'  550,  553-  . 
Vitry  (le  Père  de),  jésuite,  313,  321. 
Vivier  (le  Père),  jésuite,  325,  326. 
Vizien   (l'abbé),  348-351.  5i3- 
Voisin,  officier  canadien,  317,  318. 
Voltaire,  453. 
Voyer  (le  curé),  74,  86,  158. 

W 

Washington,  369,  407,  410,  412,  449. 

Webb  (le  colonel),  467. 

Wisconsin  (le),  310,  338. 

,Wolfe,  486,  487,  497,  504-506,  510,  515-518,  520. 

Y 

Yamachiche,  432. 

Yaniaska,  432. 

Yasous,  sauvages,  316. 

Youville   (Mme  d'),  68,  71,   161,  172,  205-207,  214-222, 

224,  309. 
Youville  (Tabbé  Dufrost),  71,  150,  206,  509,  510. 

7 

Zcphir  (le),  navire,  164 


TABLE  DES  MATIERES 

PAGES 

Lettre  de  S.  E.  le  Card.  Merry  del  Val  à  l'auteur vu 

Avant  -  propos ix 

Chapitre  L  —  Coup  d'œil  sur  l'Eglise  du  Canada  en 
1741.  —  M^""  de  Pontbriand,  sixième  évêque  de 
Québec    i 

L'Eglise  de  Québec  pendant  la  vacance  du  Siège.  —  Le  curé  Plante  et  ses 
vicaires  "  en  titre.  "  —  Le  Clergé  du  Canada.  —  La  population  ;  son 
homogénéité.  —  Etendue  de  la  juridiction  de  l'Evéque  de  Québec. 
—  La  Belle-Rivière.  —  Nomination  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  Ce 
qu'en  écrit  M.  de  l'Orme.  —  Son  arrivée  à  Québec. 

Chapitre  II.  —  jVP''  de  Pontbriand:  esquisse  biogra- 
phique ;  sa  famille 17 

Mgr  de  Pontbriand,  l'hôte  du  Séminaire  de  Québec.  —  La  famille  de 
Mgr  de  Pontbriand.  —  On  n'a  pas  son  acte  de  baptême.  —  Le  comte 
de  la  Garaie.  —  Mgr  de  Pontbriand  au  Collège  de  La  Flèche.  —  A 
Paris,  chez  les  Sulpiciens.  —  Grand  vicaire  de  Saint-Malo. 

Chapitre, III. — Débuts  de  l'administration  de  M^""  de 

Pontbriand.  —  Son  mandement  d'entrée 24 

Mgr  de  Pontbriand  prend  possession  de  son  Siège.  —  Nominations  de 
Chanoines.  —  L'amovibilité  des  cures.  —  L' Evoque,  content  de  son 
Chapitr-i.  —  Bonne  entente  dans  le  Clergé.  —  Mgr  de  Pontbriand 
et  les  communautés  religieuses.  —  Mandement  d'entrée.  —  Bonne 
impression  produite  par  le  Prélat. 

Chapitre  IV.  —  Le  Palais  épiscopal  de  Québec,  res- 
tauré aux  frais  de  l'Etat 36 

Triste  état  du  Palais  épiscopal  de  Québec.  —  A  qui  appartient-il?  — 
Le  Roi  se  charge  de  le  faire  réparer.  —  Il  en  fait  don  aux  Evêques 


598  tablb:  des  matières 

PAGKS 

de  Québec.  —  Lettre  de  l'ingénieur  M.  de  Léry.  —  Lettre  de  Mgr 
de  Pontbriand. 

Chapitre  V.  —  Encore  le  Palais  épiscopal.  —  Misère 

dans  la  colonie '. 44 

Rapport  du  juge  André  de  Leigne  sur  les  travaux  de  l'évêché. — 
L'Evêque  fait  compléter  ces  travaux.  —  Etat  misérable  de  la  colo- 
nie. —  Règlements  fixant  le  prix  du  blé  et  du  pain.  —  Mgr  de 
Pontbriand  au  Conseil  Supérieur,  —  Son  plan  par  rapport  aux 
mendiants. 

Chapitre  VI.  —  Visite  pastorale  de  la  paroisse  de 

Québec    51 

Le  curé  Plante,  —  Mandement  pour  la  visite.  —  Lettre  au  Chapitre.  — 
La  population  de  Québec.  —  Quelques  mauvais  sujets.  —  On  les 
fait  repasser  en  France.  —  Il  faut  reconstruire  la  cathédrale. 

Chapitre  VII.  —  Visite  canonique  des  trois  commu- 
nautés  religieuses  de   Québec 58 

Visite  canonique  des  Ursulines.  —  Retraite  de  la  communauté.  — 
Deuxième  visite.  —  Visite  canonique  de  l'Hôtel-Dieu.  —  Les  Sœurs 
Duplessis.  —  Mariage  de  leur  frère  par  TEvêque.  —  Visite  cano- 
nique de  l'Hôpital-Général.  —  Mort,  à  Québec,  d'un  ex-récollet.  — 
Au  sujet  de  l'exemption  des  communautés  de  payer  la  dîme. 

Chapitre  Ylll.  —  Visite  pastorale  du  diocèse 69 

Mandement  pour  la  visite  des  paroisses.  —  Quelques  détails  sur  cette 
visite.  —  Zèle  de  l'Evéque  en  visite  pastorale.  —  Encore  le  curé 
Voyer.  —  Soin  de  l'Evéque  à  former  des  paroisses  et  à  leur  pro- 
curer de  bons  missionnaires. 

Chapitre  IX.  —  L'épisode  du  Crucifix  outragé 78 

La  superstition,  en  France.  —  Episode  du  Crucifix  outragé,  à  Montréal. 
—  L'enquête.  —  Le  jugement  de  la  Prévôté.  —  Arrêt  du  Conseil 
Supérieur.  —  Mandement  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  Le  Crucifix 
outragé,  confié  aux  Sœurs  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec. 

Chapitre  X.  —  Mauvaises  années,  au  Canada. — Re- 
construction de  la  Cathédrale.  —  Patriotisme  de 


TABLE   DES   MATIERES  599 

PAGPS 

l'Evéque    88 

Mauvaises  récoltes.  —  Prières  publiques.  —  Fléau  des  chenilles.  — 
Eloge  des  Canadiens.  —  Reconstruction  de  la  Cathédrale;  la  Cour 
refuse  d'y  contribuer.  —  Prise  de  Louisbourg  (1745).  —  Guerre  de 
la  Succession  d'Autriche.  —  Mandement  patriotique  de  TEvêque.  — 
Paix  d'Aix-la-  Chapelle.  —  Quête  pour  la  Cathédrale  ;  fondation  de 
messes.  —  Cathédrale  terminée.  —  Exhumation  des  corps  de  Mgr  de 
Laval  et  de  Mgr  de  Lauberivière.  —  Remerciements  aux  Récollets; 
aux  Ursulines.  —  Les  Chanoines  présentent  à  l'Evéque  son  portrait. 

Chapitre  XL  —  M^""  de  Pontbriand  et  les  Fortifica- 
tions de  Québec.  —  La  Traite  de  TEau-de-Vie.     109 

Malentendus  au  sujet  des  Fortifications  de  Québec.  —  Lettre  de  Mgr  de 
Pontbriand  ;  ses  propositions.  —  Franquet  et  les  Canadiens.  —  Sen- 
timents de  l'Evéque  sur  la  Traite  de  l'Eau-de-Vie.  —  Droits  sur  les 
boissons,  augmentés. 

Chapitre  XIL — M^'"  de  Pontbriand  et  les  Canadiens. 
—  Ses  rapports  avec  MM.  de  Beauharnais  et 
Hocquart    118 

Mgr  de  Pontbriand  aime  les  Canadiens.  —  Affaire  du  Grand-Pré;  belle 
lettre  de  l'Evéque.  —  IM.  de  Lusignan.  —  M.  de  Varennes.  —  M.  de 
Lotbinière.  —  L'abbé  de  Beaujeu.  —  Le  chanoine  La  Corne,  con- 
seiller-clerc. —  Service  pour  M.  de  Beauharnais,  chez  les  Récollets. 
—  Rapports  de  l'Evéque  avec  M.  de  Beauharnais  ;  avec  M.  Hoc- 
quart. 

Chapitre  XIIL  —  Suppression  de  plusieurs  Fêtes 
d'obligation.  —  Retraite  à  Québec.  —  Jubilé  de 
1745.  —  Mort  de  M.  Vallier 130 

Grand  nombre  de  Fêtes  d'obligation,  à  cette  époque.  —  Solennité  de 
plusieurs  de  ces  Fêtes  renvoyée  au  dimanche.  —  Benoit  XIV  et  la 
France.  —  Une  retraite  à  Québec.  —  Le  Jubilé  de  1745.  —  Epidémie 
de  fièvres.  —  Mort  de  M.  Vallier.  —  Sa  sépulture.  —  Le  Chapitre 
fait  son   éloge. 

Chapitre  XIV. — M"''  de  Pontbriand  et  le  Séminaire 

de  Québec.  —  M.  de  Lalane 141 

Disette  de  prêtres  au  Séminaire;  chez  les  Jésuites.  —  Difficultés  entre 
l'Evéque  et  M.  Jacrau.  —  L'esprit  de  Mgr  de  Laval  dans  la  fonda- 


'6oO  TABLE    DES    MATiÈllES 

PAGKS 

tion  du  Séminaire,  et  dans  l'union  de  ce  Séminaire  avec  celui  de 
Paris.  —  Mgr  de  Pontbriand  prend  provisoirement  la  direction  de 
son  Séminaire  épiscopal.  —  M.  de  Lalane,  envoyé  à  Québec  par  le 
Séminaire  de  Paris.  —  La  paix  restaurée.  —  On  décide  de  re- 
construire la  Chapelle  incendiée  en  1701. 

Chapitre  XV. — Deuxième  visite  pastorale  de  J\P''  de 
Pontbriand.  —  Ses  rapports  avec  La  Jonquière 
et  Bigot    1 54 

Mandement  pour  la  deuxième  visite  pastorale  du  diocèse.  —  L'itinéraire. 

—  Au  Cap-de-la-Madeleine.  —  Aux  Forges  Saint-Maurice.  —  A 
Montréal  et  autres  paroisses  de  l'Ile.  —  Réception  du  nouveau 
gouverneur  à  Québec.  —  L'intendant  Bigot.  —  Caractère  de  La 
Jonquière.  —  Son  neveu,  Cabanac-Taffanel,  Doyen  du  Chapitre. 

Chapitre  XVI.  —  Le  Jubilé  de  l'année  sainte  (1750- 
52).  —  M"""  de  Pontbriand  au  Fort  de  la  Présen- 
tation        1 70 

Le  Jubilé  de  1750,  célébré  au  Canada  en  1752. — Mandement  de  l'Evêque. 

—  Son  zèle  apostolique.  —  Mort  de  M.  de  la  Jonquière.  —  Le  Cha- 
pitre le  traite  comme  un  chanoine.  —  Voyage  de  l'Evêque  à  la  Pré- 
sentation. —  L'abbé  Picquet  et  ses  Sauvages,  à  Paris. 

Chapitre  XVIL — Incendie  du  Monastère  des  Ursu- 
lines  des  Trois-Rivières.  —  La  maison  relevée  de 
ses  ruines  par  M"'  de  Pontbriand 182 

Un  crime  à  Montréal.  —  Un  incendie  aux  Trois-Rivières.  —  Mauvais 
sujets  au  Canada.  —  Le  Baron  de  Longueil,  administrateur  de  la 
colonie.  —  Français  et  Canadiens.  —  Mgr  de  Pontbriand  aux  Trois- 
Rivières.  —  Lettre  à  son  frère,  le  comte  de  Nevet.  —  Dimissoire  à 
l'abbé  Crépeaux.  —  Mgr  de  Pontbriand  rétablit  le  monastère  des 
Trois-Rivières. 

Chapitre  XVIII.  —  Le  duc  d'Orléans  et  l'Eglise  du 
Canada.  —  Incendie  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec  ; 
sa  reconstruction    I94 

Le  duc  d'Orléans  ;  ses  vertus  ;  ses  œuvres.  —  Fondation  d'une  rente  en 
faveur  de  notre  Eglise.  —  Distribution  de  cette  rente.  —  La  part  du 
Séminaire.  —  La  part  des  Ursulines  des  Trois-Rivières.  —  Incendie 
de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec.  —  Généreuse  disposition  de  l'Evêque.  — 
Reconstruction  de  l'Hôtel-Dieu.  —  Belle  lettre  de  la  Mère  Duplessi» 
de  Sainte-Hélène. 


TABLE   DES   MATIÈRES  '  6oi 

PAGKS 

Chapitre  XIX.  —  M""'  d'Youville.  —  Les  Frères 
Charon.  —  Etablissement  définitif  de  THôpital- 
Général  de  Montréal 205 

Mme  d'Youville;  notes  biographiques.  —  M.  de  Lescoat;  M.  Normant 
—  L'Hôpital  des  Frères  Charon.  —  M.  Charon  et  Mgr  de  LavaL  — 
Ce  qui  manquait  aux  Frères  Hospitaliers.  —  Le  Frère  Turc.  —  Les 
plans  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  L'Hôpital-Gcnéral  confié  provisoi- 
rement à  Mme  d'Youville  —  Ordonnances  contradictoires.  —  L'Hô- 
pital-Général confié  définitivement  à  Mme  d'Youville.  —  L'abbé  dt 
rile-Dieu.  —  Mgr  de  Pontbriand  et  Mme  d'Youville. 

Chapitre  XX. — L'érection  des  paroisses. — L'affaire 
du  P.  Tournois  et  des  Dlles  Desaulniers.  —  Le 
P.  de  la  Richardie.  —  M^'  de  Pontbriand  et  les 
Protestants 223 

VEdit  des  mainmortes  et  les  paroisses.  —  Projets  de  paroisses  à  la 
Basse-Ville  de  Québec  et  au  Lac  Champlain.  —  Le  P.  Tournois 
renvoyé  de  sa  mission  par  M.  de  La  Jonquière.  —  Les  Dlles  Desaul- 
niers. —  Duquesne  veut  faire  revenir  le  P.  Tournois;  il  échoue 
dans  son  dessein.  —  Le  P.  de  la  Richardie  et  Beauharnais.  —  Mgr 
de  Pontbriand  et  les  Protestants. 

Chapitre  XXL— M^'"  de  Pontbriand,  dans  ses  visites 
pastorales. — Aspect  des  campagnes  canadiennes. 
Etablissement  des  retraites  ecclésiastiques 237 

Visites  pastorales.  —  Distribution  de  livres.  —  Ordonnances  de  l'Evêque 
dans  différentes  paroisses.  —  Procédure  pour  la  construction  des 
églises  et  des  presbytères. — Aspect  des  campagnes.  —  Etablissement 
des  bourgs  et  villages.  —  Contre  la  tendance  à  déserter  les  cam- 
pagnes pour  la  ville.  —  Sages  ordonnances  des  intendants.  —  Af- 
faire du  curé  Hingan,  aux  Grondines.  —  Retraites  annuelles  des 
Curés.  —  Conférences  ecclésiastiques. 

Chapitre  XXIL  —  Nomination  de  M.  Récher  à  la 
Cure  de  Québec.  —  Prise  de  possession.  —  M^""  de 
Pontbriand  et  le  Chapitre.  —  Construction  de  la 
Chapelle   du    Séminaire 258 

Nomination  de  M.  Delbois  à  la  Cure  de  Québec.  —  L'esprit  de  Mgr  de 
Laval,  en  unissant  cette  cure  au  Séminaire.  —  Nomination  de  M. 
Récher  par  le  Séminaire;  par  l'Evêque.  —  Prise  de  possession.  — 


■6o2  TABLE   DES   MATIÈRES 


PAG^ 

Le  Chapitre  et  le  Curé.  —  Le  Chapitre  et  l'Evêque.  —  Construction 
et  bénédiction  de  la  Chapelle  extérieure  du  Séminaire. 

Chapitre  XXIII.  —  Le  Chapitre  revendique  la  Cure 
de  Québec. — Procès  avec  le  Séminaire  :  à  Québec, 
d'abord  ;  à  Paris  ensuite 277 

Rupture  entre  le  Chapitre  et  le  Séminaire.  —  Origine  du  Procès.  —  On 
étudie  les  archives.  —  Avis  de  l'Evêque  aux  Chanoines.  —  Son 
attitude  par  rapport  au  Procès.  —  Requête  du  Chapitre  au  Conseil 
Supérieur.  —  Incident  La  Ville-Angevin.  —  Mgr  de  Pontbriand  et 
son  Théologal.  —  Jugement  de  l'afïaire  Récher.  —  Rapports  de 
l'Evêque  avec  son  Chapitre.  —  L'affaire  du  Procès,  évoquée  en 
France.  —  Prétentions  outrées  du  Chapitre  ;  sa  maladresse.  —  Com- 
paraison entre  De  l'Orme  et  La  Corne.  —  Les  agissements  de  La 
Corne  à  Paris. — Habileté  du  Séminaire  des  Missions-Etrangères. — 
La  Corne,  plus  heureux  que  le  Chapitre. 

Chapitre  XXIV.  —  Coup  d'œil  sur  les  missions  loin- 
taines de  l'Eglise  de  Québec:  —  I.  La  Louisiane.     305 

Les  travaux  multiples  qui  occupent  l'Evêque  à  la  fois. — Le  plus  résident 
de  tous  nos  évêques. — Capucins  et  Jésuites  à  la  Nouvelle-Orléans.  — 
Un  seul  grand  vicaire.  —  Les  Ursulines  et  leur  œuvre.  —  M.  de 
Vaudreuil,  gouverneur  de  la  Louisiane.  —  Bienville  et  Périer.  — 
Massacre  des  Français,  aux  Natchcz.  —  Le  drame  des  Chicachas.  — 
Mgr  de  Pontbriand  et  les  Capucins,  —  Ce  qu'écrit  Tabbé  de  l'Ilc- 
Dieu.  —  La  Louisiane  en  1763. 

Chapitre  XXV.  —  Coup  d'œil  sur  les  missions  loin- 
taines de  l'Eglise  de  Québec  :  —  IL  Les  missions 
illinoises;  —  Les  Tamarois;  —  Détroit;  —  Mi- 
chillimakinac    324 

Au  fort  de  Chartres.  —  Au  fort  Saint-Ange.  —  Aux  Tamarois:  MM. 
Mercier,  Laurent,  Forget-Duverger.  —  Au  Détroit.  —  Lamothc- 
Cadillac.  —  Le  P.  de  la  Richardie.  —  Le  P.  Potier.  —  Les  Récollets 
au  Détroit.  —  Le  prétendu  voyage  de  Mgr  de  Pontbriand  au  Dé- 
troit. —  A  Michillimakinac.  —  Charles  Langlade.  —  Le  P.  du 
Jaunay.  —  Les  voyages  de  la  Vérendrye.  —  Le  premier  martyr  du 
Nord-Ouest  Canadien. 

Chapitre  XXVI.  —  Coup  d'œil  sur  les  missions  loin- 
taines de  l'Eglise  de  Québec  :  —  III.  La  mission 


TABLE    DES   M^ATIERES  603 

PAGBS 

montagnaise  du  Saguenay; — l'Acadie  française.     345 

Le  P.  Coquart,  au  Saguenay.  —  L'église  de  Tadoussac.  —  L'abbé  Co- 
quart.  —  M,  Le  Loutre  et  les  autres  missionnaires  de  l'Acadie  fran- 
çaise. —  Le  P.  Germain,  à  la  Rivière  Saint-Jean.  —  Mgr  de  Pont- 
briand  et  l'abbé  Le  Guerne. 

Chapitre  XXVII. — Coup  d'œil  sur  les  missions  loin- 
taines de  l'Eglise  de  Québec  :  —  IV.  Dans  l'Aca- 
die anglaise  ; — IVP''  de  Pontbriand  et  la  dispersion 
des  Acadiens    357 

Contestations  sur  les  Limites  de  l'Acadie.  —  Les  Acadiens  sous  le  gou- 
vernement anglais.  —  Conduite  des  missionnaires.  —  M.  Girard. — 
M.  Daudin.  —  M.  Desenclaves,  à  Pomcoup.  —  Les  missionnaires, 
déportés  les  premiers.  —  La  déportation  des  Acadiens;  mandement 
de  Mgr  de  Pontbriand.  —  La  résurrection  de  l'Acadie. 

Chapitre  XXVIII — Coup  d'œil  sur  les  missions  loin- 
taines de  l'Eglise  de  Québec  :  —  V.  Les  missions 
de  l'Ile  Saint-Jean  et  de  l'Ile-Royale.  —  M.  Mail- 
lard et  M.  Le  Loutre 372 

Plus  de  missionnaires  en  Acadie,  après  1757. — La  mission  de  l'Ile  Saint- 
Jean.  —  A  rile-Royale.  —  Mémoire  de  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  — 
Raymond  et  Prévost,  gouverneur  et  commissaire-ordonnateur  de 
rile-Royale.  —  Un  projet  de  Mgr  de  Pontbriand  pour  Louisbourg. 
—  Louisbourg  se  rend  à  l'Angleterre.  —  M.  Maillard,  seul,  reste  en 
Acadie.  —  Lettres  de  MM.  Le  Loutre  et  Maillard. 

Chapitre  XXIX.  —  Triste  état  de  la  colonie  cana- 
dienne. —  Les  malversations  de  Bigot.  —  M.  de 
Vaudreuil  désiré  comme  gouverneur 391 

L'abbé  de  l'Iîe-Dieu  et  l'intendant  Bigot.  —  Malversations  de  l'Inten- 
dant. —  Avertissement  de  la  Cour.  —  Bigot  passe  en  France.  — 
Renvoyé  au  Canada.  —  Vaudreuil,  désiré  comme  gouverneur.  — 
Les  Canadiens  et  Duquesne.  —  Duquesne  et  Vaudreuil.  —  Mgr  de 
Pontbriand  et  Vaudreuil. 

Chapitre  XXX.  —  1755   404 

I<es  Instructiotis  données  à  M.  de  Vaudreuil.  —  Les  qualités  de  Bigot.  — 
Les  usurpations  de  l'Angleterre;  ce  qu'en  dit  l'abbé  de  l'Ile-Dieu. — 
Braddock,  De  Beaujcu,  la  Monongahéla.  —  L'échec  de  Dieskau.  — 


6o4  TABLE    DES    MATIERES 

PAGKS 

L'abbc  de  l'Ilc-Dieu  et  les  Canadiens.  —  M.  de  Vaudreuil  et  les 
Canadiens. 

Chapitre  XXXI.  —  La  correspondance  de  Tabbé  de 

rile-Dieu. — Statistiques  sur  l'Eglise  du  Canada.     418 

L'abbé  de  l'Ile-Dieu,  d'après  sa  correspondance.  —  Son  esprit  pratique 
— La  connaissance  qu'il  a  de  notre  pays. — Son  grand  caractèrc—Sa 
fidélité  à  son  Evêque. — Sujets  de  tristesse  pour  Mgr  de  Pontbriand. 

—  Il  est  content  de  son  clergé,  —  Un  incident  au  Collège  des  Jé- 
suites. —  Un  étudiant  canadien  à  Paris.  —  L'archevêque  de  Paris 
et  l'Evêque  de  Québec.  —  Les  paroisses  du  diocèse.  —  Revenu  des 
curés. 

Chapitre  XXXIT.  —  L'abbé  de  l'Ile-Dieu  annonce  à 
M^""  de  Pontbriand  le  départ  de  M.  de  Montcalm 
pour   le   Canada 435 

Un  mot  de  Montcalm.  —  Ce  qu'en  pense  l'abbé  de  l'Ile-Dieu.  —  La  véri- 
table cause  de  la  guerre  de  Sept-Ans.  —  Vaudreuil  et  MontcalnL 

—  Lettre  de  Vaudreuil  à  la  Cour.  —  Montcalm  et  Mgr  de  Pont- 
briand. 

Chapitre  XXXIII.  —  La  guerre  de  Sept-Ans,  au 
Canada  (1756)  ;  —  I.  Mandements  de  M^"  de 
Pontbriand.  —  Oswégo 447 

La  guerre  de  Sept-Ans,  en  Europe;  au  Canada.  —  Levée  des  milices 
canadiennes  ;  mandement  de  Mgr  de  Pontbriand.  —  Arrivée  des 
troupes  françaises.  —  Mandement  de  l'Evêque,  résumant  les  événe- 
ments militaires  au  commencement  de  1756.  —  Mandement  pour  la 
prise  d'Osvvégo.  —  Drapeaux  présentés  au  Chapitre  pour  la  Ca- 
thédrale. 

Chapitre  XXXIV.  —  La  guerre  de  Sept-Ans,  au 
Canada  (1757).  —  IL  Mandements  de  M^""  de 
Pontbriand  (suite).  —  Prise  du  Fort  George..      462 

Expédition  française  à  Minorque.  —  Prise  de  Mahon.  —  Te  Deum,  — 
Lettre  de  Louis  XV  à  l'évcque  de  Québec.  —  Expédition  de  M,  d« 
Rigaud.  —  Te  Deum.  —  Prise  du  Fort  George  par  Montcalm,  -;- 
Te  Deum.  —  Massacre  des  Anglais  par  les  Sauvages.  —  Expédi- 
tion de  M.  de  Belestre:  de  La  Durantaie.  —  Epidémie  de  fièvres  à. 
Québec.  —  Héroïsme  de  l'Evêque  et  de  son  clergé.  —  La  Retraite 
ecclésiastique. 


TABJLK    DES   MATIÈKKS  605 

PAGB 

Chapitre  XXXV.  —  La  guerre  de  Sept- Ans,  au  Ca- 
nada (1758)  : — IL  Mandements  de  M'"  de  Pont- 
briand   {suite).  —  Carillon   480 

Les  Anglais,  décidés  à  s'emparer  du  Canada.  —  Mandement  de  Mgr  de 
Pontbriand.  —  Détresse  et  misère,  au  Canada.  —  La  culture  des 
patates.  —  Siège  et  prise  de  Louishourg.  —  Victoire  de  Carillon.  — 
Mandement  de  lEvêque:  Te  Deiiin.  —  Lettre  touchante  de  Mgr  de 
Pontbriand  à  ses  sœurs  les  Visitandines. 

Chapitre  XXXV L  —  La  guerre  de  Sept- Ans,  au 
Canada  (1759)  :  —  IV.  Mandements  de  M^*"  de 
Pontbriand  {suite).  —  Bataille  des  Plaines 
d'Abraham.  —  Capitulation  de  Québec 494 

Bigot  fait  l'éloge  de  Montcalm  ;  de  Vaudreuil.  —  Promotion  de  Mont- 
calm.  —  Bigot,  censuré  à  la  Cour.  —  Désordres  à  Québec.  —  Pre- 
mier mandement  de  l'Evêque.  —  Prières  publiques.  —  Deuxième 
mandement.  —  Dépit  de  Montcalm.  —  Les  Anglais  envahissent  le 
Canada.  —  Circulaire  de  l'Evêque  à  son  clergé.  —  Dévastation  du 
pays.  —  Le  curé  Martel.  —  A  Beaumont.  —  A  Lévis.  —  Le  curé 
Youville-Dufrost.  —  Le  curé  Robineau  de  Portneuf,  à  Saint- 
Joachim.  —  Siège  et  bombardement  de  Québec.  —  Mgr  de  p£>nt- 
briand  à  Charlesbourg.  —  Le  "  coup  des  écoliers  ".  —  Victoire  de 
Montmorency.  —  Affaire  Langlade.  —  Bataille  des  Plaines  d'Abra- 
ham. —  Capitulation  de  Québec 

Chapitre  XXXVII.  —  Les  derniers  jours  de  la 
Nouvelle-France  (1760).  —  Les  derniers  man- 
dements de  M"'"  de  Pontbriand.  —  Bataille  de 
Sainte-Foy.  —  Capitulation  de  Montréal 522 

Mgr  de  Pontbriand,  à  Montréal,  chez  les  Sulpiciens.  —  Premier  mande- 
ment. —  Désordres;  la  passion  de  l'ivresse.  —  L'Evêque  et  M.  de 
Vaudreuil.  —  Description  de  la  misère  du  Canada.  —  L'Evêque 
correspond  avec  Québec.  —  Ses  rapports  avec  Murray.  —  Deuxième 
mandement  —  Troisième  mandement  —  Eloge  de  Lévis.  —  Ba- 
taille de  Sainte-Foy.  Retour  de  Lévis  à  Montréal.  —  Capitulation 
de  cette  ville. 

Chapitre  XXXXVIIL  —  Le  derniers  jour  sde  M^" 

de  Pontbriand.  —  Sa  mort.  —  Sa  sépulture. . .  .      544 

Maladie  de  Mgr  de  Pontbriand.  Il  se  fait  soigner  par  l'Hôtel-Dieu. — 
A  Saint- Sulpice.  —  Ecoliers  et  ecclésiastiques  de  Québec,  à  Mont- 


6o6  TABLE    DES   MATIÈRES 

PAGIÏS 

réal.  —  Lettre  des  directeurs  du  Séminaire  de  Paris  à  ceux  de 
Québec  —  Lettre  de  l'Evêque  à  ses  Chanoines.  —  Son  testament.  — » 
Ses  dernières  paroles.  —  Sa  mort  et  sa  sépulture.  —  Lettre  de  M» 
Montgolfier  à  sa  famille.  —  La  chambre  de  l'Evêque. 

Chapitre  XXXIX.  —  Epilogue 553 

La  vacance  du  Siège.  —  Union  dans  le  Clergé.  —  Grands  vicaires  nom- 
més par  le  Chapitre.  —  M.  Montgolfier,  d'abord,  puis  M.  Briand, 
nommés  pour  l'épiscopat.  —  Les  Canadiens  espèrent  toujours  que  le 
Canada  retournera  à  la  France.  —  Le  Traité  de  1763.  —  Mgr 
Briand,  '*  second  fondateur  de  l'Eglise  du  Canada  ". 

Appendice 557 

Index 5^5 


Fini  d'imprimer 

U   dix -neuf  mars 

mil  neuf  cent  quatorze 


^ 


BX  m2\   .G67  1911  V.3  SMC 

Gosselin.  Auguste  Honore 
L'Eglise  du  Canada  depuis 
Monseigneur  de  Laval  Jusque 
la  conquet 
AKF-3176    (sk) 


G.  H.   NEWLANDS 

Bookbinder 
Caledon    East,    Ont. 


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