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L'ÉGLISE ET SON ŒUVRE
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LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE
PREMIERE SERIE
L'auteur et V éditeur réservent tous droits
de reproduction et de traduction.
Cet ouvrage a été déposé, conformément aux lois, en juillet 1906.
MGR GIBIER
ÉVÊQUE DE VERSAILLES
CONFÉRENCES AUX HOMMES
L'ÉGLISE ET SON ŒUVRE
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TOME TROISIÈME
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE
PREMIÈRE SÉRIE
PARIS
P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
IO, RUE CASSETTE, 10
AVANT-PROPOS
Le volume que nous offrons aujourd'hui au public est le troi-
sième de la série qui a pour titre général l'Église et son Œuvre.
Après avoir décrit successivement la Constitution intime de l'Église
et ses perpétuels Combats, nous exposons dans le présent volume
et dans celui qui suivra prochainement ses incomparables Bien-
faits.
Des Bienfaits, voilà la réponse de l'Église à toutes les injures, à
toutes les calomnies, à toutes les injustices, à toutes les attaques
de ses ennemis, et voilà le secret aussi de sa survivance à travers
le temps et de son expansion à travers l'espace. Faire du bien
c'est son arme et c'est son sceptre, arme toujours victorieuse,
sceptre qui finit par incliner les volontés reconnaissantes sous sa
douce autorité. L'heure est-elle de rappeler les Bienfaits de
l'Église? Qui pourrait les nier? Les impies affectent de les ignorer
et les dissimulent habilement, les catholiques souvent les ignokent
ou ne les connaissent qu'imparfaitement, presque tous les mécon-
naissent; de là des haines, des lâchetés, des froideurs pour celle'
qui mérite la reconnaissance des individus et des sociétés.
Composées et prêchées en 1894, alors que nous avions la charge
d'évangéliser l'importante paroisse de Saint-Paterne à Orléans,
ces conférences n'ont rien perdu de leur actualité et de leur
opportunité. En les relisant ces mois derniers, au cours de nos
laborieuses tournées pastorales, nous n'avons pas jugé qu'il y eût
utilité à les modifier; aussi bien pas plus ici que là-bas nous
n'avons le loisir ou la volonté de faire œuvre de littérateur ou
d'érudit, mais uniquement d'apôtre, d'apôtre qui dit ce qu'il sait
vrai, qui le dit avec tout son coeur, qui le dit dans la forme la plus
propre à convaincre ses frères.
A la place élevée où il a plu à la divine Providence de nous
mettre nous ne demandons qu'un seul concours, celui de porter
plus loin notre parole, de lui donner plus d'autorité et, du même
coup, de dissiper plus de préjugés, d'affermir plus de convictions,
de gagner plus d'âmes à Jésus-Christ. Puissent ces conférences
apprendre aux ennemis de l'Église que leur haine encore 'qu'in-
justifiée est criminelle, aux indifférents que leur apathie est une
ingratitude, aux catholiques que leur cause est celle de la civilisa-
tion et du bien sous toutes ses formes ; puissent ces conférences
faire œuvre de lumière en ces temps de ténèbres 1
Versailles, en la fête de la Pentecôte, 3 juin 1906.
f CHABLES,
Évéque de Versailles.
I
DANS L'ORDRE INTELLECTUEL
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — i £
^
PREMIÈRE CONFÉRENCE
Les Bienfaits de l'Église
Messieurs,
Nous avons étudié pendant une année les com-
bats de l'Eglise. Depuis dix-neuf siècles l'Église
est dans la lutte. Tour à tour ou simultanément
toutes les puissances de la terre se sont liguées
contre elle. Elle a vécu quand même. C'est déjà
prodigieux, et un tel spectacle méritait bien de
retenir notre attention pendant une année entière.
Mais j'ai maintenant à vous offrir un spectacle
encore plus beau et plus attachant. Comme son
divin Fondateur, l'Eglise a passé ici-bas en faisant le
bien : pertransiit benefaciendo. Elle mérite, à cause
de ses. bienfaits, d'être aimée de tous. Pourquoi,
malgré ses bienfaits, est-elle détestée de beaucoup?
Je m'arrête aujourd'hui devant cette affirmation et
devant cette interrogation.
I. L'Église, à cause de ses bienfaits, mérite d'être
aimée de tous.
Les bienfaits de l'Eglise!... Quel sujet instructif
4 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et réconfortant ! Quelle étude éminemment utile et
opportune ! En effet que ne dit-on pas contre l'Eglise?
On la charge d'accusations odieuses, on la dépeint
comme une société qui ne vit que par la cruauté
et l'oppression. On énumère tous les crimes com-
mis en son nom, sous le manteau de la religion ;
on fait défiler, en une procession lugubre, tous les
crimes vrais ou faux qu'on lui attribue et dont on
la rend injustement responsable et l'on dit : Voilà
ce qu'a fait l'Église ! Sur la foi de pareils témoi-
gnages, beaucoup d'hommes égarés haïssent du fond
de l'âme cette cruelle société qui s'appelle l'Eglise.
Ils ne peuvent pas la regarder sans un mouvement
de rage. Ils voudraient l'anéantir. Je le crois bien !
Elle leur apparaît laide, malfaisante, détestable.
L'Eglise est une mère ; on leur a fait croire qu'elle
était un monstre. Elle n'a que des bienfaits à ver-
ser sur le monde, et on leur a dit qu'elle était le
réceptacle de tous les vices et de tous les forfaits.
Je me propose de vous montrer dans l'Eglise la
grande bienfaitrice de l'humanité. Je vous ferai le
commentaire par les faits de la parole du philo-
sophe et publiciste Montesquieu : « Chose éton-
nante! Chose admirable! La religion chrétienne,
qui semble n'avoir d'objet que là félicité de l'autre
vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. >; Je
vous signalerai les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre
intellectuel, dans l'ordre moral, dans l'ordre maté-
riel, dans l'ordre domestiaue, dans l'ordre social.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 5
dans l'ordre religieux et surnaturel, et je vous
dirai : Aimez l'Église !
Aimez l'Église, parce qu'elle est la mère et la
gardienne du progrès intellectuel. Elle a jeté dans
le monde des idées nouvelles, et elle a assaini,
rectifié les idées de la philosophie antique. Elle a^
cultivé les lettres, les sciences et les arts. Elle leur
a donné un essor, une splendeur incomparable.
Véritable institutrice des peuples, elle a vulgarisé
la lumière, et ceux qui l'accusent d'aimer les té-
nèbres et de favoriser l'ignorance ou ne savent pas
ce qu'ils disent ou disent ce qu'ils ne croient pas;
ou ils se trompent et je les plains, ou ils mentent et
je les condamne.
Aimez l'Église parce qu'elle est la mère et la
gardienne du progrès moral. Par la lumière qu'elle
répand dans les esprits, parles consolations qu'elle
otïre aux cœurs, par le secours qu'elle prête à la
volonté, par la force de résistance qu'elle oppose aux
passions, parla multiplicité des vertus qu'elle fait
éclore, elle est la grande vitalité du monde. Les
insensés qui veulent la supprimer n'ont rien pour
la remplacer, rien sinon des phrases et des ruines
L'Église entretient ici-bas un grand foyer qui ré
chauffe les âmes : l'Évangile. Étouffez ce foyer, et
le monde est glacé dans l'égoïsme.
6 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Aimez l'Eglise parce qu'elle est la mère et la
gardienne du progrès matériel. Vous avez entendu
dire ou vous avez lu que l'Eglise était l'ennemie
déclarée des inventions modernes, de la science
appliquée à l'agriculture, à l'industrie et au com-
merce. Rien n'est plus injuste, rien n'est plus sot
que cette imputation. Et je me fais fort de vous
prouver que l'Eglise, bien loin de maudire le pro-
grès matériel, le bénit, l'encourage et le préserve
des excès et des déviations.
Aimez l'Eglise parce que, dans F ordre domes-
tique, elle a réalisé des innovations et des prodiges
que personne avant elle n'avait même soupçonnés.
Elle a réhabilité l'union conjugale, en la replaçant
sur ses bases primitives de l'unité et de l'indisso-
lubilité. Elle a réhabilité l'autorité paternelle, en
la consacrant et en la réglant. Elle a réhabilité la
femme, l'épouse, la mère, en lui rendant au foyer
la place honorable qu'elle avait perdue depuis qua-
rante siècles. Elle a réhabilité l'enfant, en lui met-
tant au front une couronne d'innocence et comme
un reflet de la divinité.
Aimez l'Eglise parce que, dans l'ordre social, elle
a opéré des changements et accompli des progrès
qui devraient soulever notre admiration et provo-
quer notre éternelle reconnaissance. Elle a affran-
chi les esclaves. Elle a ennobli le travail manuel. Elle
LES BIENFAITS DE L'EGLISE 7
a modéré le pouvoir. Elle a relevé l'obéissance. Elle
a créé la liberté vraie, l'égalité légitime, la frater-
nité sérieuse. Elle a exalté et glorifié les pauvres,
les petits, les faibles; elle leur a bâti des palais, et
elle a mis à leurs pieds des rois et des reines, des
légions d'anges terrestres pour les honorer, les
aimer et les servir.
Aimez l'Eglise parce que, dans tordre religieux
et surnaturel, elle a fait des merveilles dont elle a le
monopole, et qui sont à son front la marque écla-
tante de sa divine origine.
Elle a créé la virginité. L'Empire romain avait
de la peine à trouver une douzaine de vestales.
L'Eglise en a trouvé des milliers. Elle en a peuplé
les solitudes. Elle en a jeté sur tous les chemins du
monde, comme Dieu a jeté~ les étoiles sur tous les
chemins du firmament.
Elle a créé la pauvreté volontaire. La soif de l'or
dévore l'humanité. L'Eglise a offert au monde le
spectacle étrange d'hommes et de femmes qui font
vœu de mettre l'or et l'argent sous leurs pieds et
de vivre de rien.
Elle a créé l'obéissance. Sous tous lescieux, depuis
dix-neuf siècles, on a vu des milliers d'âmes libre-
ment soumises à la volonté d'un supérieur et abdi-
quant héroïquement leur propre personnalité.
Enfin elle a enfanté des miracles qui étincellent à
toutes les pages de son histoire, et elle a produit des
8 CONFÉRENCES AUX HOMMES
millions de saints qui ont embaumé la terre du
parfum de leurs vertus surhumaines.
Voilà, Messieurs, ce que je vais essayer de vous
raconter. Le sujet est vaste. Mais comme il est
beau ! comme il est digne de vous être présenté et
capable de vous captiver et de vous faire du bien !
Puissé-je par ma bonne volonté suppléer à mon in-
suffisance ! Et vous, Messieurs, aidez-moi de votre
attention, de votre bienveillance, de votre assiduité
croissante ! Les bienfaits de l'Eglise sont admirables
et sans nombre. L'Eglise, à cause de ses bienfaits,
mérite d'être aimée de tous. Mais ici une question
se pose qui réclame une solution immédiate.
II. Pourquoi l'Église malgré sesbienfaits est-elle
détestée de beaucoup? «
Si l'Eglise est la grande bienfaitrice de l'huma-
nité, pourquoi rencontre-t-elle tant et de si formi-
dables ennemis? Car, ce n'est pas niable, l'Eglise
sème des bienfaits, et très souvent elle ne recueille
que des ingratitudes. Pourquoi? Ne vous scanda-
lisez pas, Messieurs, de ce phénomène qui semble
étrange, mais qui, hélas! n'est que trop naturel, vu
la sottise et la méchanceté humaines.
La sottise humaine est sans limites. Elle est ca-
pable de dévorer les absurdités les plus mons-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 9
trueuses. Or, bien que l'Eglise soit évidemment la
plus grande bienfaitrice de l'humanité, il s'est ren-
contré de tout temps des milliers d'hommes qui
n'ont pas su la reconnaître, qui lui ont prêté sotte-
ment des intentions qu'elle n'a pas et lui ont attri-
bué des procédés qu'elle réprouve. Elle est mère ; ils
Font regardée comme une marâtre et un -monstre, et
partant de cette fausse opinion, de ce préjugé gros-
sier, ils lui ont déclaré la guerre au lieu de lui tendre
la main. Et encore, Messieurs, si l'Église ne rencon-
trait sur son chemin que la sottise humaine !
Mais fréquemment la sottise se complique de
méchanceté, et comment venir à bout de la méchan-
ceté humaine? Les bienfaits, loin de la désarmer,
ne font que l'irriter davantage. Athènes proscri-
vait son plus vertueux citoyen, parce que son
peuple était importuné d'entendre toujours vanter
le juste Aristide. Athènes tuait la vertu même, en
faisant boire la ciguë à Phocion et à Socrate. Rome
accordait l'influence et les faveurs populaires aux
Gracques, à Marius, à Catilina, à Clodius, à César,
César le plus vicieux des Romains avant d'en être
le plus grand; et Caton était réduit à se déchirer
les entrailles, et Brutus tombait sur son épée en
reniant la vertu. Voilà l'histoire, Messieurs. La
méchanceté humaine ne peut supporter le spec-
tacle de la vertu. Le mal est l'ennemi né du bien. Et
si maintenant vous me demandez pourquoi l'Eglise,
10 CONFÉRENCES AUX HOMMES
malgré ses bienfaits, rencontre tant et de si ter-
ribles ennemis, je vous ai répondu. L'Eglise est
l'incarnation, l'apparition visible du vrai et du
bien sur la terre. Elle compte autant d'ennemis
qu'il y a sur la terre de gens qui détestent le vrai
et le bien. Les méchants ne peuvent la tolérer,
parce qu'ils sentent d'instinct qu'elle les condamne.
Les méchants voudraient la supprimer, lui enlever
la lumière, l'air et le soleil de la liberté, parce
qu'ils sentent d'instinct qu'ils ne peuvent pas
lutter avec elle sur le terrain de la conscience et
de l'honneur. L'Eglise les importune, les exas-
père, et leur impiété voudrait anéantir le Dieu
qu'ils ont quitté. L'Eglise a des mains pour bénir
et pour semer les bienfaits; or ces maternelles
mains, ils voudraient les enchaîner. Ils attachent
donc à la croix et sa main droite et sa main
gauche ; et elle, avec ses deux mains enchaînées,
faisant encore ce qu'elle peut, dit à ses ennemis :
u Oh ! ôtez-moi ces entraves, laissez-moi bénir et sau-
ver l'humanité! » Et ses ennemis de lui répondre :
« Non! si tu étais libre, tu serais plus forte que
nous ! Si tu étais libre, tu verserais tes bienfaits
sur le monde, et le monde conquis, charmé, vien-
drait à toi ! Non, tu ne seras pas libre! » Ne vous
étonnez pas, Messieurs, que l'Eglise ait des enne-
mis. C'est sa gloire et c'est son tourment, et jus-
qu'à la fin des temps elle doit subir ce tourment
et boire à ce calice de gloire.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE {{
Pour vous, Messieurs, en présence des bienfaits
de l'Eglise, vous ne serez ni des aveugles ni des
ingrats. Vous saluerez avec amour la divine bien-
faitrice de l'humanité. Vous vous grouperez autour
d'elle avec empressement. Vous lui ferez une cein-
ture d'honneur de vos sympathies et de vos res-
pects. Vous et moi, nous chanterons ensemble les
bienfaits et les gloires de la sainte Eglise catho-
lique, et nous serons ses enfants très fiers, très
reconnaissants et inaltérablement dévoués !
Amen I
DEUXIÈME CONFÉRENCE
Les Bienfaits de l'Église dans l'ordre
intellectuel
/ — U ÉGLISE ET LES LETTRES
1° l'église et la théologie
Messieurs,
Nous allons étudier ensemble les bienfaits de
l'Église, et d'abord les bienfaits de l'Eglise dans
Tordre intellectuel à l'égard des lettres, des sciences
et des arts. Ce premier chapitre, à lui seul, exi-
gerait plusieurs volumes. Je tâcherai de le con-
denser en quelques conférences. Aujourd'hui, je
vous montrerai l'Église jetant dans le monde des
idées nouveiles, de grandes idées, comme une se-
mence destinée à féconder, à peupler, à enrichir
l'intelligence humaine. Quelles sont ces idées? où
sont-elles? Elles constituent une science dont l'an-
cien monde ne connaissait pas même le nom, la
science théologique. L'Eglise a créé la théologie.
L'Église a popularisé la théologie. Voyons cela.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 13
I. VÈglise a créé la. théologie.
Pour vous faire comprendre ce qu'est la théo-
logie, je vous prie de remarquer qu'elle vaut les
autres sciences et qu'elle les dépasse.
1° La théologie vaut les autres sciences, les sciences
profanes et purement humaines. Je ne vous en
donnerai que deux preuves qui sont topiques.
— Savez-vous comhien il faut de temps pour faire
un théologien passable? — Cinq ans. Tous les jours
l'Eglise prend des jeunes gens qui en valent d'autres
et qui généralement même sont les premiers de
leur classe, les plus forts en latin et en grec, les
meilleurs par la culture littéraire. Elle les en-
ferme dans ses grands séminaires, c'est-à-dire dans
des maisons de silence, de prière et de travail, c'est-
à-dire dans le milieu le plus favorable au dévelop-
pement des facultés intellectuelles. Elle dit au jeune
lévite : « Souviens-toi que les lèvres du prêtre sont
les gardiennes de la science. Mais pour cela il faut
étudier, il faut travailler! » Et pendant cinq ans
elle les tient plongés dans les sources vives de la
théologie. Pour faire un officier, un magistrat, un
avocat, un professeur, un médecin, un industriel,
il faut moins de temps que pour faire un théolo-
gien. Avouez qu'il y a là quelque chose qui en vaut
la peine, une science qui vaut toutes les autres
sciences.
14 CONFÉRENCES AUX HOMMES
— Ci si cinq années sont nécessaires pour faire
un théologien passable, la vie tout entière suffit à
peine pour faire un théologien éminent. Quels
hommes que les grands théologiens! Pauvrement
logés, pauvrement vêtus, pauvrement nourris, ils
étudient. Ils n'ont pas peur des livres ingrats, en-
combrants et volumineux qui découragent notre
légèreté. Ils les entassent dans de savantes biblio-
thèques, les prennent l'un après l'autre, les ouvrent,
les consultent, les annotent, en épuisent les sens
cachés, les frappent cent fois, mille fois, hier, au-
jourd'hui et toujours du marteau de la réflexion,
pour en faire jaillir des étincelles inconnues et
des rayons inédits. L'impiété déclare et voudrait
prouver que l'Église estime institution ténébreuse,
constamment occupée à abêtir l'esprit humain.
L'impiété menteuse et injuste nous calomnie, et à
ses clameurs qui ne prouvent rien j'oppose des
noms qui disent tout: Irénée, Justin, Tertullien,
Origène, Cyprien, Ambroise, Augustin, Jérôme,
Léon, Basile, Grégoire, Hilaire, Chrysostome, An-
selme, Thomas, Bonaventure, Bossuet, Fénelon,
Liguori, Lacordaire,Monsabré. Tous ces hommes-là
sont des théologiens, et, mis dans la balance, ils
égalent et surpassent souvent en puissance intel-
lectuelle les auteurs profanes auxquels nous prodi-
guons notre facile admiration. S'ils n'ont pas tou-
jours la splendeur de la forme, ils ont au moins
ce qui vaut cent fois mieux, la rectitude, la ri-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 15
chesse et la grandeur des idées. Lisez ces hommes
et reconnaissez que la théologie est une science qui
vaut les autres sciences. Ce n'est pas assez dire,
2° La théologie dépasse les autres sciences, les
sciences profanes et purement humaines. Elle les
dépasse en profondeur, en largeur et en hauteur.
Les sciences profanes vont s'alimenter à des
sources que vous connaissez et qui s'appellent la
raison, la nature, le genre humain. Pour devenir
savant, je me consulte moi-même, j 'observe la
création, et enfin j'interroge mes semblables vi-
vants ou disparus. La théologie, comme les autres
sciences, plonge ses racines dans la raison, dans la
nature et dans le genre humain. Mais elle va plus
avant; ses sources sont bien autrement profondes.
Elle a pour se nourrir mieux que la parole de
l'homme ; elle a la parole de Dieu contenue dans
l'Écriture Sainte et dans la Tradition. Et ne crai-
gnez pas que la théologie corrompe ces deux sources
et en extraie des sens et des idées qui n'y sont
pas. L'Eglise est là. Elle veille sur les sources de la
Révélation. Elle en garantit l'authenticité, l'in-
tégrité, l'inviolabilité. Le théologien peut nager
dans cet océan; l'Eglise, si je puis ainsi dire, le
tient par la main, lui signalant les points cardi-
naux, les coins obscurs et les sentiers libres, les
routes par où il faut passer et les abîmes qu'il faut
éviter.
16 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Quelle immense étendue que celle dans laquelle
se meut la théologie! Elle va de Dieu à l'atome, en
passant par l'ange et par l'homme, et elle étudie
successivement ou simultanément le monde divin,
le monde angélique, le monde humain, le monde
matériel dans les rapports multiples, profonds,
mystérieux qui les unissent. C'est immense! — Et
puis, au sein de l'œuvre de Dieu, naît, par le jeu
de la liberté créée, l'œuvre de l'homme, c'est-à-
dire un mélange de vérité et d'erreur, de bien et
de mal qui constitue l'histoire humaine. C'est im-
mense ! — Et puis ce mal introduit sur la terre, Dieu
seul peut le guérir, et, pour arriver à ce but, il ins-
titue une série de moyens qui forme une création
nouvelle au sein de la première. C'est immense! —
A la différence des sciences profanes qui se can-
tonnent dans une spécialité et qui n'en sortent pas,
la théologie, comme une mer sans rivages, par-
court toutes les sphères, va d^ Dieu à l'atome, se
meut du fini à l'infini.
Elle dépasse toutes les autres sciences en pro-
fondeur, en largeur... et en hauteur. Elle en est
la maîtresse et la reine. Elle les corrige et elle
les gouverne. Elle les élève et elle les complète.
Toutes ont besoin d'elle pour ne pas s'égarer.
Toutes ont besoin d'elle pour arriver à la lumière
totale. Philosophes, historiens, physiciens, po-
litiques, économistes, littérateurs, avocats, mé-
decins, savants de tout genre et de toute valeur,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 17
agitez-vous dans la sphère de vos spécialités; de-
mandez aux Instituts des mentions honorables, des
prix et des couronnes ; faites-vous dans l'opinion
une place honorable et une réputation incontestée...
Tout cela est bien, mais tout cela ne suffit pas. Si
on veut être une grande intelligence, une intelli-
gence complète, si on. veut marcher sûrement et aller
loin et monter haut, il faut faire un peu de théologie,
il faut boire au moins quelques gorgées à la coupe
divine de la théologie. Ah! nos grands ancêtres le
savaient bien! Ils avaient une stature intellectuelle
plus imposante que la nôtre, parce qu'ils étaient
plus théologiens que nous, qui ne le sommes pas
du tout. Rappelez-vous Condé : « Ce n'était pas
seulement la guerre qui lui donnait de l'éclat, dit
Bossuet. Son grand'génie embrassait tout, l'antique
comme le moderne, l'histoire, la philosophie, la
théologie la plus sublime... » Bossuet en savait
quelque chose ; car soutenant à vingt ans sa thèse
de théologie au collège de Navarre, Condé, à qui il
l'avait dédiée, entre tout à coup dans la salle. Bos-
suet, sans se troubler, salue et félicite le vainqueur
de Rocroi. Et le grand Condé, à ce qu'il a dit lui-
même plusieurs fois, fut tenté d'attaquer Bossuet
et de lui disputer les lauriers même de la théo-
logie. Vous le voyez. Le vainqueur de Rocroi, de
Fribourg, de Nordlingue, de Dunkerque était un
théologien. Il n'en valait que mieux... Honneur à
la théologie, Messieurs, et honneur à l'Église qui a
LBS BIENFAITS DE l/ÉGLISE. — 1-2
\S CONFÉRENCES AUX HOMMES
créé la science théologique! L'Eglise a fait quelque
chose de plus merveilleux encore.
II. L'Église a popularisé la théologie.
Je dis que cela est merveilleux. Rien de pareil ne
s'est vu dans l'ancien monde, et en dehors de
l'Église rien de pareil ne se vit dans le monde nou-
veau. Les sages de l'antiquité avaient deux doc-
trines : l'une ésotérique, intérieure, mystérieuse,
l'autre exotérique, extérieure et populaire. Ils gar-
daient pour eux le monopole des idées supérieures,
et ils laissaient la masse se repaître de grossiers
mensonges et de fables puériles. Et c'est encore la
méthode de nos sages contemporains, malgré le
grand bruit qu'ils font de leur apostolat auprès des
classes populaires. Ils ont pour le menu peuple le
dédain le plus transcendant. Il répugne à ces beaux
esprits de livrer leurs élucubrations superbes aux
malentendus de la foule. « L'humanité se compo-
sant de quelques individus exceptionnels, disent-
ils, pourvu que ce petit nombre puisse se dévelop-
per librement, il s'occupera peu de savoir comment
le reste proportionne Dieu à sa hauteur. » Qui donc
a prononcé cette parole méprisante pour le reste
de l'humanité, c'est-à-dire pour la grande masse
populaire? Qui? Un homme que nos contemporains
ont adoré bêtement pendant quarante ans, Renan.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 10
Renan, d'ailleurs, n'est pas plus cynique que Vol-
taire, lequel écrivait à son ami Damilaville : « Il
est à propos que le peuple soit guidé, et non pas
qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être. » Et
encore : « Il est essentiel qu'il y ait des gueux
ignorants. » Et encore : « Le laboureur- ne mérite
pas d'être instruit, c'est bien assez pour lui de ma-
nier le hoyau, le rabot et la lime. » Et encore :
« Ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, mais
le bon bourgeois. » Voilà, Messieurs, ce que pensent
et disent les sinistres farceurs qu'on est convenu
d'appeler les grands hommes. Ils ont pour le peuple
un mépris souverain.
Et l'Eglise? L'Eglise, elle, ne connaît pas ces
procédés prétentieux et outrageants. La science
théologique, c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur,
de plus élevé, de plus profond, l'Eglise la pro-
digue à tous. Pour 40 ou 50 centimes et souvent
pour rien, le peuple peut avoir en mains sa théo-
logie et se faire à lui-même l'honneur et le plaisir
de l'apprendre par cœur. Toutes les grandes vérités
théologiques sont résumées ou exposées dans le ca-
téchisme. « Il y a un petit livre, dit JoufTroy,
qu'on fait apprendre aux enfants et sur lequel on
les interroge à l'église. Lisez ce petit livre, vous y
trouverez une solution de toutes les questions :
origine du monde, origine de l'espèce, questions de
races, destinée de l'homme en cette vie et en l'autre,
rapports de l'homme avec Dieu, devoirs de l'homme
20 CONFÉRENCES AUX HOMMES
envers ses semblables, droits de l'homme sur la
création, l'enfant chrétien n'ignore rien. Et quand
il sera grand, il n'hésitera pas davantage sur le
droit naturel, sur le droit politique, sur le droit
des gens ; car tout cela sort, tout cela découle avec
clarté et comme de soi-même du christianisme.
Voilà ce que j'appelle une grande religion : je la
reconnais à ce signe qu'elle ne laisse sans réponse
aucune des questions qui intéressent l'humanité.»
Messieurs,, ne méprisez pas le catéchisme. Le ca-
téchisme est une force. Vous en doutez? Rappelez-
vous l'histoire d'hier. Est-ce que nous n'avons pas
vu la puissance publique se mettre en mouvement
contre ce modeste livre? Est-ce que des flots de pa-
roles n'ont pas coulé pour le submerger? Est-ce que
des lois n'ont pas été faites pour l'empêcher d'en-
trer dans les écoles et pour l'en faire sortir? Com-
prenez par là que le catéchisme est quelque chose
de grand, quelque chose de fort, quelque chose qui
compte. Puisque toutes lès hypocrisies et toutes
les violences se concertent pour déchirer les pages
du catéchisme, il nous est facile de conclure que
le Gatéchisme mérite toute notre attention et tous
nos respects. Et puis consultez vos souvenirs. Rap-
pelez-vous ces simples et admirables définitions de
Dieu, de la Création, de la Trinité, de l'Incarna-
tion, de la Rédemption, de la prière, des sacre-
ments, des fins dernières. Quel magnifique assem-
blage .d'idées profondes, sous des formules claires
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 2<
et précises! La vérité religieuse, la vérité théolo-
gique est là opulente et totale, et elle est toute mou-
lue, prête à être mangée, accessible et friable
comme le pain sur nos tables, appropriée aux plus
simples intelligences et digne des intelligences les
plus hautes.
Saluez, Messieurs, la puissance intellectuelle de
l'Église ! Elle a jeté dans le monde de grandes idées,
des idées nouvelles. Et ces idées elle ne les a point
données en partage seulement aux grands esprits,
mais elle les a semées d'une main prodigue dans
toutes les âmes, et « tel paysan, dit Lacordaire, qui
coupait le bois dans la forêt de Versailles, avait
sur les choses divines des illuminations aussi pro-
fondes que celles de Bossuet, étonnant de son élo-
quence et de sa doctrine la cour de Louis XIV ».
L'Eglise a créé la théologie. Elle a fait plus et
mieux : elle a popularisé la théologie, et, j'ose
l'affirmer, cette œuvre de vulgarisation est un des
plus beaux diamants de sa couronne royale !
Amenl
TROISIEME CONFERENCE
2° l'église ET LA PHILOSOPHIE
Messieurs,
L'Église est une grande puissance intellectuelle.
Elle a jeté dans le monde des idées nouvelles. Elle
a créé et popularisé la théologie. Mais, au-dessous
de la théologie, il y a une science humaine, qui a
sa source non plus dans la parole de Dieu, mais
dans la raison, science orgueilleuse et cependant
impuissante par elle-même à suivre son chemin et
à aller jusqu'au bout de ses principes : c'est la phi-
losophie. L'Eglise a rendu de grands services à la
philosophie : elle en a été la gardienne et la propa-
gatrice : elle Fa protégée et vulgarisée.
I. L'Église a protégé la Philosophie,
Abandonnés à eux-mêmes, les philosophes
ignorent bien des choses. Ils posent plus de pro-
blèmes qu'ils ne donnent de solutions. Ils sont
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 23
muets sur une masse de questions fondamentales
qui importent souverainement à la moralité et à la
direction de la vie. Qui a fait ce inonde? Le dogme
de la création leur échappe. Pourquoi le péché? Le
dogme de la faute originelle leur échappe. Quelle
est la nature et la vie de Dieu? Ils ne peuvent pas
pénétrer l'essence divine. Qu'y a-t-il après la vie
présente? Ils prouvent tant hien que mal l'immor-
talité de l'âme, mais ils ne sont pas capables de
vous dire si, après cette vie, notre àme immortelle
est réservée à de nouvelles épreuves, ou si son sort
est fixé définitivement. Ils nous offrent des conjec-
tures, et non des réponses catégoriques. Je n'en
finirais pas, si je voulais énumérer toutes les igno-
rances de la philosophie.
EKpuis, quand les philosophes veulent dogmati-
ser, très souvent ils se trompent. Voyez les sages de
l'antiquité. Ils se sont évanouis dans leurs pensées.
Ils ont humilié la majesté divine en la confondant
avec ce qui passe et ce qui meurt, avec la nature
inerte et la vile matière ; ils ont imaginé un Dieu
sans entrailles, sans providence et sans personna-
lité ; ils ont noyé l'origine du monde dans une éter-
nité problématique ; ils nous ont fait sortir d'un
germe méprisable; ils ont fait peser sur le monde
les mains brutales de la fatalité ; ils ont prêché ou
le néant, ou le paradis grossier des sens, ou les
transmigrations insensées de la métempsycose ;
ils ont divisé la race humaine en castes ennemies
24 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et déclaré solennellement que les esclaves n'étaient
pas des hommes. Et les philosophes contemporains?
De deux choses l'une : ou bien ils ont accepté la
direction de l'Église, ou bien ils Font repoussée.
Disciples de l'Église, ils ont marché droit dans le
chemin du vrai. Transfuges de l'Eglise, ils ont
bronché, et ils n'ont pas été plus heureux que leurs
grands ancêtres de l'ère païenne. Ils ont fait de
grands pas, mais en dehors de la voie : magni pas-
sus, sed extra viam!
Abandonnés à eux-mêmes, ne sachant plus où
donner de la tête, les philosophes finissent par dou-
ter h peu près de tout et par écrire un peut-être
sur le tombeau de la vérité. Peut-être... c'est le
dernier mot de Socrate chez les Grecs et de Pline
chez les Romains, et c'est aussi le dernier mot de
nos modernes philosophes. Que croyez-vous? Rien,
répondent-ils, et, fermant les yeux, ils s'endorment
dans le scepticisme universel. 0 Église catholique,
soleil de la raison humaine, lève-toi et viens dissi-
per les ignorances, redresser les erreurs, fixer les
hésitations des philosophes!
L'Église est la gardienne de la philosophie. Elle
la protège. Elle lui donne d'abord la rectitude. Elle
s'approche du philosophe et elle lui dit : « Tu veux
voir clair? Sois pur. » Parole profonde, Messieurs,
car trop souvent c'est le cœur qui fait mal à la
tête, ce sont les passions qui obscurcissent l'intel-
ligence, et, le vrai étant placé sur le même som-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 25
met que le bien, on ne peut atteindre le vrai que
si en même temps on aspire au bien. — L'Eglise
s'approche du philosophe et elle lui dit : « Tu veux
voir clair? Sois humble. » Parole profonde, Mes-
sieurs. On raconte qu'un grand et pieux prédicateur
du moyen âge rencontra un jour sur sa route un
jeune homme sorti récemment des écoles, et qui,
pour lui montrer sa pénétration d'esprit, se mit à
disserter subtilement sur Dieu. Le vieillard l'écouta
quelque temps en silence, puis plaçant la main
sur son épaule : « Lève les yeux, lui dit-il, et regarde
le soleil! » Le jeune homme tourna ses regards en
haut, mais, aveuglé par cette lumière éblouissante,
il dut courber la tête. « Insensé, lui dit le vieillard,
tu ne peux regarderie soleil visible, et tu veux péné-
trer Dieu qui est le soleil des âmes? » Il disait vrai.
L'orgueil veut voir Dieu face à face, et son éclat
l'aveugle. L'humilité s'incline devant lui et voit
son sentier tout inondé par sa lumière. — Enfin,
l'Eglise s'approche du philosophe, et après lui avoir
dit : « Sois pur, sois humble ! » elle ajoute : « Tu
veux voir clair? Suis-moi. » Et, en effet, sous la
direction de l'Eglise, il n'y a pas d'écart possible.
L'Eglise donne la rectitude à la philosophie.
Elle lui donne la certitude sur Dieu, sur l'âme,
sur la vie future, sur le péché, la douleur et la
mort, sur le droit et le devoir, sur toutes les grandes
questions qui intéressent la vie humaine. Presque
à la veille de mourir, un philosophe rationaliste,
26 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Cousin, disait : « Nous autres philosophes, nous
naviguons au hasard, sujets à l'égarement, exposés
au naufrage. La philosophie est un voyage d'explo-
ration, hardi, aventureux, à la recherche de l'in-
connu, à la recherche de l'infini, mais dans lequel
nous ne savons souvent où prendre terre. Vous,
catholiques, vous avez la boussole, la carte du pays,
les étoiles, le pilote, le port. » L'Eglise donne à la
philosophie la certitude et la rectitude. Elle l'em-
pêche de s'égarer. Elle fixe ses hésitations.
Enfin, elle comble ses lacunes et elle lui donne
la plénitude du vrai. En 1865, à la tribune du Corps
législatif, M. Thiers, après avoir énuméré les ser-
vices rendus à la science par l'Eglise, ajoutait mali-
cieusement : « Le catholicisme n'empêche de penser
que ceux qui n'étaient pas faits pour penser. » On
ne saurait mieux dire. Non seulement l'Eglise
n'arrête pas l'essor de la pensée humaine, mais elle
provoque et exalte cet essor. Nos penseurs catho-
liques sont infiniment plus nombreux que les sages
de l'antiquité, et, tandis que chez ces derniers vous
constatez à côté d'intuitions superbes et de magni-
fiques éclairs des défaillances lamentables et de
monstrueuses erreurs, vous admirez chez nos pen-
seurs chrétiens une surélévation«éclatante de l'esprit
humain, une envergure illimitée, une plénitude
intellectuelle qui ne laisse aucun problème sans
solution. Que si nos philosophes n'ont pas toujours
la même splendeur littéraire que les philosophes de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 27
la Grèce et de Rome, cela tient à ce qu'ils ont vécu
dans des siècles de décadence, et leur infériorité au
point de vue de la forme ne sert qu'à mieux faire res-
sortir leur supériorité sous le rapport de la doctrine.
En somme, la philosophie, depuis dix-neuf siècles,
est redevable à l'Eglise de ses meilleures conquêtes.
Elle vit de toutes les données fondamentales à jamais
acquises à la raison publique par les enseignements
si précis, si lumineux, si profonds de la Révélation.
Elle est" imbibée, pénétrée, enrichie des secours
inaperçus, mais immenses du christianisme, qui
nous environne de toutes parts et nous illumine
sans même que nous y pensions. 0 philosophes, si
vous êtes plus éclairés que Socrate, Aristote et Pla-
ton, n'imputez pas à votre raison une supériorité
qui ne vient pas d'elle. Vos doctrines, que vous
dites émaner de la nature, ne sont qu'un écho de
l'Evangile, et vos écrits portent l'empreinte de la
sainte Eglise catholique qui a sauvé la philosophie
en lui assurant la rectitude dans la recherche du
vrai, la certitude dans la découverte du vrai et la
plénitude dans la possession du vrai !
Et puis voici bien autre chose : éducatrice uni-
verselle, l'Eglise a porté la philosophie jusque dans
les rangs de l'immense multitude.
II. L'Église a vulgarisé la Philosophie,
Si quelques sages de l'antiquité, un Aristote, un
28 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Platon, ont découvert et formulé certaines vérités
philosophiques fondamentales, comme l'existence
de Dieu, celle d'une loi morale, la spiritualité et
même l'immortalité de l'âme, si ces hommes de
génie sont parvenus à rassembler quelques frag-
ments épars de la vérité. . . et encore au prix de quels
tâtonnements, de quelles hésitations, souvent même
de quelles contradictions et de quelles erreurs
grossières ? vous le savez, est-ce que le peuple est
capable par lui-même d'acquérir sur toutes ces
questions des notions suffisamment claires, com-
plètes, obligatoires? Evidemment non. Le peuple
n'a pas le temps de chercher la vérité philosophique.
Il gagne son pain de chaque jour à la sueur de son
front; ses heures tourmentées appartiennent tout
entières aux affaires de sa famille et au souci de la
vie matérielle. Et quand même il aurait le temps,
aurait-il la capacité d'esprit? Allez donc demander
à la masse des hommes de se lancer dans les sciences
spéculatives, dans les chemins ardus du travail
intellectuel, dans les sublimes profondeurs de la
philosophie! « Vous avez, je le veux, dit ici Lacor-
daire, vous avez la vérité dans vos livres et dans
vos Académies, dans l'esprit de vos professeurs
décorés et dotés; mais plus bas? Qui portera la
vérité plus bas? Qui la fera descendre jusqu'au
peuple, enfant de Dieu comme vous, et à qui ses
loisirs ne permettent de la voir que comme il voit
le soleil venant à lui le matin? Qui distribuera la
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 29
lumière de l'intelligence aux pauvres âmes des
campagnes, si enclines à se courber vers la terre,
comme leur corps, et les tiendra debout devant la
lace auguste du vrai, du beau, du saint, de ce qui
ravit l'homme et lui donne le courage de vivre?
Qui ira trouver mon frère le peuple? Qui lui portera
non pas un livre mort, mais la chose sans prix, une
foi vivante, une âme dans une parole, Dieu sen-
sible dans l'accent d'une phrase. » Qui? Messieurs.
Qui? L'Église. Seule l'Église vulgarise la philoso-
phie et la fait ruisseler dans l'âme du peuple,
comme l'eau qui tombe du ciel inondant les mon-
tagnes et les vallées.
Voyez-vous ce jeune enfant bercé dans les bras
d'une pieuse et tendre mère, puis assis sur les
bancs du catéchisme sous les regards et sous la
parole d'un vénérable prêtre, et enfin élevé dans
un collège chrétien où l'on forme son esprit, son
cœur et son caractère? Interrogez-le. Demandez-lui :
Qui a fait le monde? Où va ce monde? Que doit-
on croire? Que doit-on pratiquer ici-bas? A ces
questions si difficiles sur lesquelles ont pâli les
plus fermes génies et les intelligences les plus
vastes, il répond par une parole très courte, mais
très substantielle : Credo, je crois! Non pas : il est
possible, — non pas : peut-être, il se pourrait bien, —
mais : Je crois, Credo! Il est philosophe, et plus
philosophe que les sages d'Athènes et de Rome; il
est enseigné par Dieu lui-même ; il a des convie-
30 CONFÉRENCES AUX HOMMES
tions solides comme le diamant. Qui fait cela?
L'Eglise. Elle vulgarise la philosophie, elle la jette
dans toutes les âmes, comme Dieu a jeté sur tous
les chemins du firmament la poussière resplendis-
sante des étoiles.
Voyez-vous cet homme du peuple, cet ouvrier, ce
laboureur, ce manœuvre qui ne saisit pas le premier
mot de vos sciences, qui ignore vos discussions
sans fin, qui n'a point été mêlé au mouvement des
opinions et des idées, qui n'a point hanté vos
académies ni les livres de vos docteurs, mais qui a
son bon sens natif et la lumière de la foi, qui prie
et qui va à la messe chaque dimanche entendre
l'humble parole de son curé? Interrogez-le sur tous
les problèmes qui vous tourmentent, sur le prin-
cipe, le terme et le chemin, sur l'origine, les devoirs
et le but de la vie. Il vous répondra sans broncher.
Il est philosophe, et plus philosophe que les sages
d'Athènes et de Rome; il est enseigné par Dieu
même ; il a des convictions solides comme le dia-
mant. Qui fait cela? L'Église. Elle vulgarise la
philosophie, elle la jette dans toutes les âmes,
comme l'eau rafraîchissante et fécondante que Dieu
fait couler dans toutes les plaines.
Voyez-vous cette petite ouvrière, qui gagne son
pain à la pointe de son aiguille, et qui, chaque
matin, prélève sur sa journée une demi-heure pour
prier et pour méditer? Ah! nous autres prêtres,
nous voyons des merveilles que le monde ignore ;
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 31
)
nous entendons de pauvres petites ouvrières nous
faire cette confession qui suffirait à la gloire de Pla-
ton, si la postérité l'avait recueillie sur ses lèvres :
« Mon Père, je m'accuse d'avoir manqué une fois
cette semaine à faire ma méditation, c'est-à-dire
moi qui ai dû chaque jour gagner mon pain au
prix d'un travail sans relâche et conquérir mon
honneur à la pointe de ma glorieuse aiguille, j'ai
honte d'avoir passé un jour sans contempler l'Infini,
sans regarder mon âme, sans penser à l'immortalité,
sans m'élever par l'intelligence au-dessus de toutes
les choses terrestres. » Messieurs, quelle prodigieuse
école de vie intellectuelle que la religion qui en-
seigne à la dernière des enfants du peuple à faire
ainsi chaque jour plus de philosophie que n'en
font en toute une vie bon nombre de savants !
Ainsi opère l'Eglise. Elle vulgarise la philosophie.
Elle la jette dans toutes les âmes, comme ce pain
quotidien que Dieu fait germer dans tous les sil-
lons et abonder sur toutes les tables.
Et puis, de qui l'Eglise se sert-elle pour distribuer
à tous, d'une main prodigue, la vraie, et solide, et
totale philosophie? Voyez cet humble prêtre qui
prêche, qui confesse, qui fait le catéchisme, qui
visite ses paroissiens. C'est un philosophe, et le
meilleur philosophe que je connaisse. Un jour,
M. Cousin se promenait dans la cour de l'Institut
avec un savant professeur de philosophie. Un jeune
vicaire vint à passer, et, comme il s'éloignait, Cou»
32 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sin, le regardant de loin, s'arrêta et dit à son col-
lègue : « Mon ami, nous avons toute la vie pro-
fessé la philosophie. Nous réunissons des jeunes
gens instruits, et nous tâchons, par des arguments
laborieux, de leur démontrer qu'il y a une âme.
Pendant ce temps que fait ce jeune prêtre et où
va-t-il? 11 va réconcilier les âmes de deux époux,
fortifier l'âme d'un vieillard qui va mourir, com-
battre le vice dans l'âme d'un méchant, la tentation
dans l'âme d'une jeune fille, le désespoir dans l'âme
d'un malheureux, éclairer l'âme d'un enfant. Et
nous voudrions jeter ces gens-là à l'eau? Il vaudrait
mieux qu'on nous y précipitât nous-mêmes avec
une corde au cou. Ayons l'honnêteté de reconnaître
ce qu'ils font pour les âmes, pendant que nous
tâchons de reconnaître qu'il y a une âme ! »
Les philosophes livrés à eux-mêmes, Messieurs,
sont stériles, méprisants. Ils réunissent quelques
disciples autour de leur chaire, puis ils meurent, et
le vent passe qui emporte les philosophes et leur
doctrine avec la poussière de leurs os. L'Église
seule reste debout, et, puissance intellectuelle de
premier ordre, elle sauve la philosophie et elle la
vulgarise. Elle la préserve contre tous les écarts, et
elle la donne à tous les hommes. Elle est la grande
bienfaitrice de l'esprit humain!
Amen l
OUATRIÈME CONFÉRENCE
3° l'église et l'éloquence
Messieurs,
L'Eglise a jeté dans le monde des idées nouvelles,
elle a créé et popularisé la théologie. Il y a plus.
Elle a sauvegardé et vulgarisé la philosophie, et sa
puissance intellectuelle éclaire magistralement tout"
le champ de la pensée humaine. Avançons. Quand
l'homme a des idées, il sent aussitôt le besoin de
les exprimer. Il parle, et la parole sortant d'une
âme émue pour aller émouvoir d'autres âmes, c'est
l'éloquence. L'Eglise, Messieurs, a créé une élo-
quence nouvelle, une éloquence grandiose et popu-
laire tout ensemble. Voyons cela.
I. L'Église a créé une éloquence nouvelle.
Les anciens n'ont connu que l'éloquence judi-
ciaire et l'éloquence politique. Ils n'ont eu que la
tribune et le barreau. L'Eglise a créé l'éloquence
LES EIENFAITS JJ,K-I«LGLISE. — 1-3
34 CONFÉRENCES AUX HOMMES
religieuse. Elle a créé la chaire. Elle y fait monter
un homme qu'elle revêt d'un prestige et d'un pou-
voir absolument nouveaux.
L'Eglise donne à l'orateur sacré une autorité
extraordinaire. Voyez cet homme assis ou debout
dans la chaire de vérité. Il porte sur sa personne
comme un' reflet de la divinité. Sa tribune est un
trône suspendu entre le ciel et la terre. Il a sous
les yeux le temple avec ses voûtes élevées, ses
colonnes imposantes, ses arcades multipliées sous
lesquelles passe et repasse depuis des siècles peut-
être la multitude silencieuse ; la croix, teinte du
sang de Jésus-Christ, partout présente et sous toutes
les formes ; les flambeaux étincelants, étoiles de la
foi et de l'espérance ; l'encens qui monte au ciel,
symbole de la prière; l'autel où Dieu repose, invi-
sible et présent; les nombreux fidèles qui, agenouil-
lés, la tête inclinée dans le recueillement intérieur,
semblent déjà l'écouter avant même qu'il ait com-
mencé. Et puis, préludant à sa parole et la suivant,
ce sont d'harmonieux cantiques qui l'élèvent à un
diapason céleste. Jeté dans un pareil milieu, l'ora-
teur sacré prend comme une forme surhumaine,
comme un reflet de la divinité, maj orque videri, nil
mortale sona?is. Ajoutez à cela qu'il se présente
avec une mission divine. Il est le mandataire de
l'Eglise, et c'est tout le passé qui s'exprime par sa
bouche. Campé auprès des Pyramides, Napoléon
disait à ses soldats pour exalter leur courage :
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 35
« Soldats, songez que du haut de ces Pyramides
quarante siècles vous contemplent ! » Le plus
humble prêtre, debout dans la chaire, tenant d'une
main les Saintes Ecritures et de l'autre le dé-
pôt de la tradition, appelant à lui les Pères, les
Apôtres, les Prophètes, les Patriarches, puis s'effa-
çant lui-même derrière cette imposante assemblée,
peut dire avec la plus exacte vérité : « Du haut de
cette chaire soixante siècles vous enseignent ! » Il
parle au nom du passé, au nom de l'Eglise, au nom
même de Dieu. On reprochait à Lacordaire d'être
le ministre d'un souverain étranger. «Non, répli-
qua-t-il, cela n'est pas. Je suis le ministre de quel-
qu'un qui n'est étranger nulle part, de Dieu. »
L'orateur sacré parle au nom de Dieu. Ce n'est pas
un professeur qui vous donne ses idées, un politique
qui déroule ses projets, un père qui instruit sa
famille. Il ne parle ni au nom de l'opinion, chose
fugitive, — ni au nom de la philosophie, chose dis-
cutable, — ni au nom de l'affection, chose person-
nelle, — ni au nom de la patrie, chose locale. Il
parle au nom de Dieu. L'ordre de Dieu retentit sur
ses lèvres. C'est l'Éternité qui s'exprime par sa
bouche. Donc il n'a pas besoin d'inventer ce qu'il
doit dire.
L'Église, qui lui confère son autorité extraordi-
naire, lui offre des sujets splendides. Entendez un
mot de Gounod. Cet artiste éminent, qui fut en
même temps un humble chrétien, servait un jour
36 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la messe comme un simple enfant de chœur. A ces
paroles du premier psaume : Confitcbor tibi in ci-
thara, Gounod tressaille, son âme s'émeut, son
esprit semble échapper aux réalités du moment
pour entrer dans une sorte d'extase. Le vénérable
ecclésiastique qui célébrait la sainte messe com-
mence à craindre quelque distraction embarras-
sante. Cependant la messe continue, et à l'Evangile
l'humble servant transporte le missel à l'extrémité
de l'autel. Puis il fixe sur le texte son regard avide
et en suit religieusement la lecture pendant que le
prêtre récite à haute voix l'admirable évangile des
huit béatitudes. La lecture finie, Gounod laisse
échapper tout haut cette exclamation : « Ah ! que
c'est beau, Monsieur l'abbé, si nous recommen-
cions? » Oui, ils sont beaux les sujets traités dans
la chaire par l'orateur sacré. C'est la substance
même de l'Evangile. Ce sont les dogmes et les pré-
ceptes qui ont jailli des lèvres mêmes du Christ. Ce
sont les vérités, non seulement les plus importantes,
mais encore les plus intéressantes qui se puissent
imaginer, car elles ont la grandeur qui étonne, la
simplicité qui attire, l'actualité qui saisit et la va-
riété qui plaît. Quel qu'il soit, à cause des vérités
qu'il annonce, le prêtre est forcément éloquent.
« Les politiques et les choses de la terre ne lui sont
point inconnues, dit Chateaubriand. Mais ces choses
qui faisaient les premiers motifs de l'éloquence
antique ne sont pour l'éloquence catholique que
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 37
des raisons secondaires ; elle les voit des hauteurs
où elle domine, comme un aigle aperçoit du som-
met de la montagne les objets abaissés de la plaine. »
L'Eglise revêt l'orateur sacré d'une autorité extra-
ordinaire. Elle lui met sur les lèvres les grandes
choses qu'il doit dire.
Et enfin, pour lui indiquer la manière dont il
doit les dire, elle lui offre des modèles incompa-
rables. C'est la Bible d'abord. Ouvrez les livres de
l'Ancien et du Nouveau Testament, et vous trouvez
dans les hymnes du Psalmiste, dans les sentences
des moralistes inspirés, dans les lamentations des
Prophètes et surtout dans les pages des Évangé-
listes et des Apôtres les sentiments et les pensées
dont la parole des orateurs sacrés n'est qu'une tra-
duction et un écho fidèle. Nos saints livres sont les
modèles éternels de toute éloquence vraie. A tra-
vers dix-neuf siècles que de beaux génies sont allés
puiser là, non seulement la richesse du fond, mais
encore la splendeur de la forme, et sont devenus à
leur tour des types accomplis de l'éloquence catho-
lique 1 Jetons un regard sur cette riche galerie.
II. L'Église a créé une éloquence grandiose.
Lorsque le jeune Lacordaire entrait au séminaire
de Saint-Sulpice, Mgr de Quélen lui tendit la main
et lui dit : « Soyez le bienvenu. Vous défendiez au
38 CONFÉRENCES AUX HOMMES
barreau des causes périssables ; vous allez en dé-
fendre une dont la justice est éternelle. » En effet
l'éloquence catholique dépasse l'éloquence humaine
de toute la hauteur qu'il y a entre le ciel et la terre.
L'éloquence catholique prend sa source dans l'éter-
nité. Le Christ a dit à ses apôtres : «Allez, et en-
seignez toutes les nations!» Et aussitôt voilà
l'univers qui, pour la première fois, entend une
parole qu'il ne connaissait pas, une parole qui
vient de plus haut et qui va plus loin que toute
parole humaine, une parole qui dit : « Je suis la
vérité! Je sors de Dieu et je m'adresse aux âmes!
Le monde est à moi comme il est à Dieu! »
Les cultes anciens ne parlaient pas. A peine
installée sur la terre, l'Eglise s'empare de la parole,
ce glorieux outil de la pensée ; elle ouvre sa bouche
harmonieuse pour ne plus jamais la fermer. Et,
quand on prête l'oreille aux échos des siècles dis-
parus, on croit entendre un vaste concert qui
retentit à Jérusalem, à Antioche, à Corinthe, à
Éphèse, à Athènes, à Alexandrie, à Rome, dans les
Gaules, du Danube à l'Euphrate, de l'Europe au
Nouveau Monde, partout, un vaste concert où les
angéliques accents de Grégoire de Nazianze défient
le doux génie de Massillon, où les ardeurs île saint
Bernard et de saint François de Sales prolongent
la voix de saint Paul et de saint Irénée, où Bossuet
rivalise avec Tertullien, et Lacordaire avec saint
Ililaire et saint Cyprien !
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 39
L'Eglise n'a pas même attendu d'être sortie des
catacombes pour déployer sur le monde les grandes
ailes de l'éloquence, pour saisir la plume de Platon
et la lyre d'Homère. Dioclétien n'était pas sur le
trône que déjà Clément d'Alexandrie, Origène
composaient leurs chefs-d'œuvre, et que l'éloquence
chrétienne éclatait jeune et hardie sur les lèvres
de Justin, d'Athénagore et de Tertullien.
Et quand la paix nous fut donnée, saint Jérôme,
saint Augustin, saint Ambroise, Ghrysostome, Ba-
sile, les Pères grecs et latins se levèrent à la fois
et poussèrent à son apogée l'art de bien penser et
de bien dire. Au ive siècle, l'Eglise produit d'un
seul jet, presque sans préparation humaine, une
pléiade de grands esprits qui s'emparent de la
langue grecque et latine et lui rendent, dans une
époque de décadence, tout le prestige de Dé-
mosthène et de Cicéron. « Tous ces hommes, dit
Villemain, sont prodigieux, ils ont l'air de fonda-
teurs au milieu des ruines. »
Puis, entre saint Augustin et Bossuet, apparaît
saint Bernard, l'homme du moyen âge, le maître
de son siècle, le modèle du cloître, l'oracle des
princes et des conciles, l'orateur des foules. Il se
trouve partout et se fait entendre partout. Sa voix
semble remuer le monde entier, le pauvre dans sa
chaumière et le roi sur son trône, le moine obscur
dans sa cellule et le Souverain Pontife sur son
siège auguste. Cette grande figure de saint Bernard
40 • CONFÉRENCES AUX HOMMES
a eu le don de séduire un écrivain rationaliste,
Michelet, qui a dit de lui des choses magnifiques.
Je ne parle pas des grands orateurs catholiques
du xvae siècle. Tout le monde les connaît et les
admire. Disons seulement que, quand la chaire
contemporaine n'aurait produit qu'un Lacordaire,
cela suffirait à prouver que l'Eglise parle et qu'elle
sait parler, et que, même au point de vue humain,
elle peut rivaliser d'éloquence avec la tribune et le
barreau. Il y a des hommes qui disent que l'Église
déteste la lumière et étouffe le génie. Une pareille
affirmation n'a pas le sens commun. L'Eglise est
une puissance intellectuelle de premier ordre. Elle
est la mère de la théologie. Elle est la gardienne
de la philosophie. Elle est l'amie de l'éloquence.
Elle a créé une éloquence nouvelle et grandiose,
ce n'est pas assez dire :
III. L'Église a créé une éloquence populaire.
C'est là une particularité glorieuse qui n'ap-
partient qu'à elle. La tribune et le barreau ne
s'adressent qu'à certaines catégories. La chaire
s'adresse à tous.
Le peuple a ^besoin d'éloquence. Il a besoin des
enivrements de la parole ; il a des entrailles à
émouvoir, des endroits de son cœur où la vérité
dort, et où l'éloquence doit la surprendre et l'éveil-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 41
1er en sursaut. Ne me dites pas que le peuple est
incapable de reconnaître et de goûter les beautés
de la parole, c'est faux. Il a reçu de Dieu le don
d'être ému par un verbe éloquent. « Au pied de
l'agora d'Athènes, dit Lacordaire, comme au pied
de la tribune de Rome, le peuple écoutait la voix
de ses orateurs, et ses applaudissements avec son
silence témoignaient du goût qui rattache toute
âme humaine au plus simple comme au plus pro-
fond des arts. » Or qui parlera au peuple? l'Eglise.
L'Église abreuve le peuple d'éloquence. Elle veut
que les multitudes soient évangélisées, pauperes
evangelizantur, que les foules soient enseignées.
Dans la semaine elle réserve un jour, le dimanche,
et elle veut que ce jour-là la masse de l'humanité
soit arrachée au travail matériel et appliquée à la
culture de la vie intellectuelle. Rien qu'en France
elle dresse plus de quarante mille chaires d'où la
vérité descend sur le peuple.
Et dans ces chaires apparaît un homme, le
prêtre, qui est par excellence Y orateur populaire,
car : 1 ° La plupart du temps il vient du peuple ;
donc il le connaît, il sait ses souffrances, ses besoins,
ses aspirations, il sait à quel endroit du cœur il
faut le frapper et le saisir ; 2° Il aime son troupeau,
si petit que soit ce troupeau. Il sait ce que valent
les âmes, qu'il n'y a pas de petite assemblée parmi
les âmes, qu'une âme est à elle seule un grand
peuple. Et comme le Christ, son maître, il a une
42 CONFÉRENCES AUX HOMMES
prédilection particulière pour les petits, pour les
opprimés, pour les déshérités de la famille univer-
selle ; 3° Et non seulement il aime les hommes,
mais il aime la vérité, il la possède et il a mission
de la donner à tous. Le génie est nécessaire à
l'éloquence humaine ; il ne l'est pas à l'éloquence
divine. La foi et l'amour n'ont pas besoin de gé-
nie; ils parlent et toute la terre les reconnaît. Voilà
le prêtre, même dans le plus obscur village. Il n'a
besoin ni d'une voix sonore, ni d'une action
savante, ni d'une composition habile. Il prend dans
l'Evangile et dans son cœur la vérité, et il la jette
palpitante à la multitude affamée du pain de la
parole, et ces simples mots : Dieu, jugement, éter-
nité, jetés au hasard et sans suite sous les voûtes
d'une église, retentissent profondément dans la
conscience et y font naître de salutaires pensées et
de grands sentiments. Le prêtre a ce privilège de
captiver l'attention de la multitude, de la réunir à
jour fixe autour de sa chaire, de lui tenir le langage
de la raison et de la foi et d'en obtenir la convic-
tion et la persuasion. Il y a des éloquences hu-
maines qui réussissent à remuer violemment les
masses, à les ameuter les unes contre les autres,
à les passionner pour l'erreur et pour le mal.
Gloire à l'éloquence divine et populaire de l'Eglise !
Elle éclaire le peuple, elle le discipline, elle lui donne
la sagesse en compagnie de la science, elle lui ins-
pire l'amour de l'ordre, elle en obtient des vertus.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 43
Je sais bien que X éloquence catholique n'a pas
tout le succès qu elle pourrait et qu'elle devrait avoir.
J'aperçois, dans nos villes et dans nos campagnes,
des masses profondes qui se tiennent à distance
de l'Église, du prêtre, de la parole évangélique.
Mais à qui la faute ? Est-ce nous, ministres de Dieu,
qui repoussons les auditeurs ou refusons de les
appeler? Non. Nous demandons au contraire qu'on
laisse le peuple venir à nous ; nous demandons
qu'on lui donne son dimanche pour qu'il ait la
possibilité de venir, et qu'on lui donne l'exemple
pour qu'il ait la volonté de venir. Messieurs, la
parole de l'Eglise est nécessaire au monde. Soyez
avides de l'entendre, et amenez avec vous au pied
de la chaire tant de chrétiens baptisés, à qui la
divine parole est d'autant plus utile et indispen-
sable qu'ils en sentent moins le besoin.
Amen J
CINQUIÈME CONFÉRENCE
4° l'église ET LA POÉSIE
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance intellectuelle.
Elle est la mère de la théologie, la gardienne de
la philosophie, l'amie de l'éloquence. Or, auprès des
théologiens, des philosophes et des orateurs appa-
raissent les poètes. L'Eglise est-elle étrangère à la
poésie? Vous trouverez la réponse complète et bril-
lante à cette question dans le Génie du Christia-
nisme de Chateaubriand. Pour lors, je me conten-
terai de vous proposer là-dessus quelques réflexions
succinctes, et je vous signalerai simplement les
sources et les chefs-d'œuvre de la poésie catho-
lique.
I. Les sources de la poésie catholique.
Deux choses constituent la poésie : le fond et la
forme, des idées justes et de belles expressions. La
beauté de la forme ne suffit p^s à la poésie. Les
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 45
poètes, pas plus que les autres hommes, ne sont
dispensés d'avoir raison et ne peuvent se passer de
la vérité. Si splendide que soit leur langage, il n'est
qu'une vainc et dangereuse musique, s'il se met au
service de la frivolité ou de l'erreur. Saluez ici la
salutaire influence de l'Eglise. Elle fournit à la poé-
sie le fond et la forme.
Elle lui suggère des idées justes et substantielles.
Le poète du bon sens, Boileau, a dit :
De la foi du chrétien les mystères terribles
D'ornements égayés ne sont point susceptibles.
Boileau s'est trompé. Il est faux de dire que la
mythologie païenne est plus favorable a la poésie
que notre religion. La mythologie païenne se
compose de contes à dormir debout. Elle est tout
entière fausse. Or le beau est la splendeur du vrai,
et plus il y a de vérités dans nos dogmes, dans
notre morale et dans notre culte, plus notre reli-
gion est favorable au développement poétique. Et
puis la mythologie païenne n'est pas seulement
fausse, vide, ridicule, elle est immorale. L'Olympe
d'Homère contient plus de bassesses et de vices
qu'il n'en faudrait pour déshonorer à jamais la cour
d'un des rois de la terre. Les dieux d'Homère sont
aveugles, impuissants, voleurs, impudiques, tou-
jours occupés à se tromper, à se quereller, à se
combattre. En face de l'Olympe et du Tartare païen,
46 CONFÉRENCES AUX HOMMES
mettez le ciel et l'enfer des chrétiens, mettez notre
purgatoire si terrible et si consolant tout ensemble,
mettez la Vierge Marie avec les anges et les saints
qui peuplent le paradis, et qui portent jusqu'au
trône de Dieu les cris gémissants de l'humanité, et
reconnaissez que, dépositaire du vrai et du bien,
l'Eglise offre au poète une source d'inspiration bien
autrement féconde et pure que toutes les fables
conservées dans les traditions païennes. L'Eglise
fournit à la poésie des idées justes et substantielles.
Elle lui fournit des expressions belles et sublimes.
Il existe un livre que l'Eglise garde, explique et
commente, qui contient à lui seul toute une litté-
rature, et qui dans tous les genres offre des modèles
parfaits parce qu'ils sont divins, un livre que tous
les catholiques lisent à genoux parce qu'il garde
l'empreinte de la main du Très-Haut, un livre que
l'on baise avec amour parce qu'il répond à toutes
les aspirations de l'âme, à tous les besoins du cœur,
un livre qui a des chants de triomphe pour toutes
les joies, des gémissements pour toutes les douleurs,
des consolations pour toutes les infortunes, un livre
enfin qui est une source intarissable de poésie :
c'est la Bible, c'est-à-dire le livre par excellence de
l'humanité.
Avez-vous jamais lu la Bible? Un jour Jean Ra-
cine emmena son ami La Fontaine à l'office de
matines. Racine se mit à prier. Mais le fabuliste
LES BIENFAITS DE L'EGLISE 47
était distrait. Racine voyant son embarras lui passa
une petite Bible qu'il portait sur lui, et le hasard
voulut qu'elle s'ouvrit à la ^prophétie de Baruch.
La Fontaine se mit à lire, et, émerveillé par les
belles choses qu'il avait jusque-là ignorées, il s'écria
tout haut au grand scandale de l'assistance : « Quel
génie que ce Baruch ! » Et, depuis, il ne manquait
pas de dire à tous ceux qu'il rencontrait : « Avez-
vous lu Baruch ? C'était un grand génie ! » Lisez la
Bible, Messieurs, parcourez l'Ancien Testament
depuis cette solennelle parole qui ouvre le poème de
de la création : « Que la lumière soit, et la lumière
fut », jusqu'à ce cri touchant des Machabées prêts à
s'ensevelir sous les ruines de leur patrie déshono-
rée : « Mourons dans notre simplicité ! » et vous
serez émerveillés, et à chaque page vous rencon-
trerez le sublime. Vous le rencontrerez dans la
page mémorable qui nous raconte la genèse de
tous les êtres ; dans l'hymne nuptial qu'Adam
chante à sa compagne, l'os de ses os et la chair
de sa chair; dans les terreurs de Caïn, dans le
récit du Déluge, dans le sacrifice d'Abraham ;
dans l'histoire de Joseph, dans les scènes du Sinaï,
dans la patience de Job, dans la mansuétude et le
repentir de David, dans les maximes de Salomon,
dans les visions des prophètes et dans les luttes des
Machabées. Dans la Bible vous trouvez des accents
incomparables sur Dieu, son être, son nom, ses per-
fections, des descriptions superbes de la création
48 CONFÉRENCES AUX HOMMES
matérielle, la peinture inimitable des grandeurs et
des misères de l'âme humaine. Dans la Bible, vous
trouvez, les trois genres principaux de la poésie :
l'épopée, la poésie lyrique et la tragédie.
Et le Nouveau Testament, l'Evangile, les écrits
des Apôtres, n'est-ce pas là encore une source abon-
dante où la poésie peut venir s'abreuver? La plume
de Moïse qui raconte la Création a pour rivale la
plume des Evangélistes qui font le récit de la
Rédemption. La harpe de David et des Prophètes
n'est pas restée suspendue aux saules des fleuves de
Babylone ; nous la retrouvons vibrante et harmo-
nieuse dans la main des Apôtres, de Marie qui s'en
est servie pour glorifier le Seigneur, du vieillard
Siméon pour se réjouir du salut d'Israël, et de
saint Jean pour annoncer les derniers jours du
monde. Le sublime est intermittent dans l'Ancien
Testament; il est partout présent dans le Nouveau.
Lisez l'éternelle génération du Verbe, la naissance
de Jésus-Christ, son enfance, ses vertus, ses mi-
racles, ses paraboles, ses préceptes, ses conseils,
ses consolations. Constatez ses gémissements et ses
pleurs sur la ville ingrate qui le repousse : « Jéru-
salem, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants
autour de moi comme la poule ses poussins, et tu
ne l'as pas voulu ! » Parcourez l'histoire de la Sama-
ritaine, de la pauvre Madeleine, de la Chana-
nécnne, la parabole de l'enfant prodigue, du mau-
vais riche, le récit de la mort et de la résurrection
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 49
de Lazare, le discours du Sauveur avant la dernière
Cène, sa Passion, son silence devant les juges, ses
dernières paroles... « L'Evangile, a-t-on dit, est la
patrie du sublime. » C'est vrai. Et je voyais ces
jours-ci un homme qui venait de lire les Epîtres
le saint Paul., et qui en était ravi. Mais, hélas! qui
connaît l'Évangile? qui connaît les Epîtres de saint
Paul? Qui, parmi les gens du peuple? Personne.
Qui, parmi les gens cultivés? A peu près personne.
Que si les poètes qui cherchent des inspirations,
de grandes pensées et de grandes images, ne
veulent pas venir aux sources que l'Eglise leur pré-
sente, tant pis pour eux! Ils ressemblent à ces en-
fants mal élevés et boudeurs qui refusent les mets
exquis de la table paternelle, et qui grignottent
dans un coin un morceau de pain sec. Ce n'est pas
l'Eglise qui manque à leur génie : c'est leur esprit
vaniteux et mal fait qui repousse sottement les
richesses de l'Eglise. Quand elle est acceptée et sui-
vie, l'Église ouvre les ailes et exalte l'essor du
^énie. Mille et mille fois la preuve en a été faite.
IL Les chefs-d'œuvre de la poésie catholique.
Pendant trois cents ans l'Église cachée dans les
catacombes donnait des martyrs; le temps et l'oc-
casion lui manquaient pour susciter des poètes. Mais,
au sortir des catacombes, les chants se réveillent de
LES BIENFAITS DE i/ÉGLlSE. — 1-4
50 CONFÉRENCES AUX HOMMES
toutes parts, et la poésie chrétienne éclate sur les
lèvres harmonieuses de saint Grégoire de Nazianze
qui ressuscite l'idiome d'Homère et de Platon, de
saint Ambroise qui fait de la langue latine la
langue de la liturgie, de saint Augustin qui, dans
ses Confessions plaintives comme une élégie, re-
passe avec tant de regrets les beaux jours perdus de
sa vie. D'ailleurs les grands docteurs du ive siècle ne
sont poètes qu'à leurs heures et accidentellement .
Ils sont surtout théologiens et orateurs. Après eux
nous rencontrons saint Paulin, grand seigneur
gallo-romain, littérateur, homme de goût qui aban-
donne les muses païennes pour chanter le spiritua-
lisme chrétien; l'espagnol Prudence qui, à l'âge de
trente-sept ans, laisse les dignités et les affaires ci-
viles pour s'adonner entièrement aux travaux de
l'esprit et pour faire vibrer sur la" lyre les mystères
du christianisme ; Fortunat qui, fixé à Poitiers et
devenu évêque de cette ville, compose quatorze
livres de poésie et en particulier l'hymne Vexilla
régis. Saluons en passant le moine Alcuin qui, avant
de quitter son cloître d'York pour la cour de Char-
lemagne, chante sur un ton attendri les charmes de
sa chère et regrettée cellule ; Thomas d'Aquin dont
les hymnes au Saint-Sacrement révèlent tout en-
semble l'exactitude du théologien, la tendresse du
saint et l'inspiration du poète ; le pape Innocent III
à qui nous devons le Lies irœ, cri profond de sainte
horreur et de supplication pathétique ; le Dante
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 51
dont la Divine Comédie est comme l'épopée théo-
logique, la somme poétique du moyen âge; le Tasse
dont la Jérusalem délivrée raconte magnifiquement
l'histoire des Croisades. Citons encore Shakespeare
et Milton qui, bien que protestants, doivent cepen-
dant à la Bible mutilée les meilleures pages de leurs
œuvres ; Lope de Véga et Caldéron, fils de la ca-
tholique Espagne, qui puisèrent dans les mystères
de notre foi le sujet de leurs drames fameux, et qui
ont mérité d'avoir fourni au théâtre français des
types accomplis de grandeurs chrétiennes et cheva-
leresques.
Nous arrivons ainsi au xvne siècle. Les chefs-
d'œuvre de la poésie catholique atteignent la
perfection du genre, avec Corneille, lequel est
supérieur à Eschyle, à Sophocle et à Euripide, dit
M. Cousin, et avec Racine, lequel est supérieur à
Virgile, dit Chateaubriand . Rien qu'à lire ces hommes
on sent que le Christianisme a donné de nouvelles
ailes à la poésie. Même quand ils traitent des sujets
empruntés au paganisme, on sent que c'est l'Eglise
qui est la mère de leurs âmes et l'institutrice de
leur génie. Ils doivent à la foi catholique, jusque
dans leurs compositions les plus profanes, l'éléva-
tion de l'idée, la splendeur de l'image, la sincérité
du sentiment, la noblesse de l'expression, l'intérêt
de l'action, avec ce je ne sais quoi d'achevé que la
pensée religieuse ajoute à la beauté littéraire. Et,
s'ils avaient eu le courage de s'affranchir totale-
52 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ment des usages imposés au théâtre et de demander
toutes leurs inspirations à la seule religion catho-
lique, ils auraient couvert d'avance de leurs chants
immortels les rires et les blasphèmes des impies.
Et aujourd'hui encore, est-ce que les plus beaux
chants ne sont pas ceux qui ont une inspiration re-
ligieuse? Chateaubriand doit à la foi chrétienne ses
beautés de premier ordre; Lamartine, son disciple,
est incomparable dans ses Harmonies et ses Médita-
tions tout imprégnées de la pensée religieuse; fils
d'une sainte mère, il avait dit : « 0 Dieu de mon ber-
ceau, sois le Dieu de ma tombe ! » il méritait de mou-
rir sous la bénédiction du prêtre en baisant le Cru-
cifix qu'il avait si magnifiquement chanté. Pareille
grâce n'a pas été accordée à Victor Hugo, son rival
de gloire dont la dépouille est allée dormir sans croix
et sans prières sous la coupole profanée de Sainte-
Geneviève ; mais, malgré les écarts de la seconde
partie de sa vie, Victor Hugo doit à la foi de sa jeu-
nesse ce qu'il a de meilleur dans son cœur, et ses pre-
miers recueils, tout de pureté et de religion, lui
assureront seuls l'immortalité qu'on a vainement
demandée pour lui aux marbres du Panthéon.
Pour vous convaincre de l'influence décisive de
l'Église sur la poésie, vous n'avez qu'à voir, Mes-
sieurs, dans quels abîmes de doute, de sensualisme
et de désespoir sont tombés les poètes contempo-
rains quand ils ont voulu briser sur leur lyre la%
corde religieuse. Rien n'a pu combler dans leurs
LES BIENFAITS DE L'EGLISE *J3
fîmes le vide creusé par les croyances disparues, et
leurs plus beaux vers sont ceux d'où s'échappent le
cri du remords et du repentir, l'hommage plaintif
à la vérité qu'ils avaient trop souvent blasphémée.
Ecoutez Alfred de Musset :
Quand j'ai connu la vérité,
J'ai cru que c'était une amie;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.
Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle,
Ici-bas ont tout ignoré !
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde,
Est d'avoir quelquefois pleuré!
0
Tel a été le grand malheur de beaucoup de poètes
de notre temps. Ils n'ont pas connu la vérité catho-
lique, et l'on pourrait leur adresser ce reproche
douloureux d'Alfred de Musset, victime lui-mên'.e
de l'erreur qu'il déplore chez les autres :
Pour aller jusqu'au ciel, il vous fallait des ailes.
Vous aviez la raison, la foi vous a manqué !
La foi, voilà trop souvent ce qui manque aux
poètes, et à ceux qui ne le sont pas : aux riches et
aux pauvres, aux princes et aux peuples, aux indi-
vidus, aux familles et aux sociétés. La religion ne
nous menace pas, elle nous manque !
Amen!
SIXIÈME CONFERENCE
5° l'église et l'histoire
Messieurs,
Il est une science intéressante et utile entre toutes :
c'est la science de l'histoire, qui, en nous racontant
le passé, nous enseigne à bien employer le présent
et à bien préparer l'avenir. Cette science de l'his-
toire, pour atteindre son but, a deux conditions à
remplir : 1° Elle doit être exacte, c'est-à-dire nous
retracer sincèrement et consciencieusement les faits
passés ; 2° Elle doit être morale, c'est-à-dire nous
donner la connaissance réfléchie des lois qui pré-
sident aux événements. Je voudrais brièvement vous
montrer l'influence de l'Église sur la science histo-
rique à ce double point de vue de l'exactitude et de
la leçon morale.
I. L'Église impose à l'histoire l'exactitude.
L'exactitude est la première condition. de la science
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 55
historique. Il est bien évident que l'historien doit
être d'abord sincère et consciencieux dans le récit
des faits passés. S'il nous trompe, il manque à son
devoir le plus élémentaire.
En dehors de l'Eglise, l'exactitude historique est
chose assez rare. Les historiens de l'antiquité ont
à peu près tous le goût des amplifications oratoires
et la passion des fables. Tout le monde sait que
Tite-Live est l'inventeur des belles harangues qu'il
met dans la bouche de ses personnages. Strabon et
Quintilien ajoutaient eux-mêmes fort peu de foi
aux récits des historiens d'Alexandre, et les légendes
relatives à la fondation de Rome, aux aventures de
Romulus et de Rémus n'ont pas plus trouvé grâce
devant la critique que les détails de la guerre de
Troie. Et les historiens modernes qui ont pris vis-
à-vis de l'Eglise l'attitude de l'indifférence et de
l'hostilité ont-ils le respect de la vérité historique?
Hélas! la plupart du temps ils torturent et défi-
gurent les faits, pour les accommodera un système,
et, soit qu'ils racontent l'histoire de l'humanité,
d'un peuple ou d'un homme, ils obéissent à une
idée préconçue plutôt qu'à la préoccupation d'être
sincères dans le récit des événements.
L'Eglise, parle moyen des écrivains qu'elle inspire
et qu'elle dirige, nous met en possession de l'exac-
titude historique. L'Église veille d'abord sur les
Livres de l'Ancien Testament, et sous sa garde ces
sources profondes de l'histoire antique conservent
&6 CONFÉRENCES AUX HOMMES
toute leur inviolabilité. Avec Moïse nous remontons
jusqu'aux origines du monde. Les annales les plus
anciennes des peuples païens nous ramènent tout
au plus à la naissance des sociétés dont elles nous
rappellent les destins. L'écrivain sacré compte sous
nos yeux les générations, les siècles et les années
dont se compose le passé de l'humanité; il est le
dépositaire incorruptible des souvenirs les plus re-
culés ; il marque avec précision l'origine des grandes
nations primitives ; il donne la clef de toutes les
légendes que les poètes ont réunies autour du ber-
ceau des sociétés ; rien qu'au point de vue humain,
il tient une place à part dans la série des annalistes
anciens.
r
Nous arrivons aux Evangélistes et aux Apôtres. Ils
sont l'exactitude même. Ils ont vu de leurs yeux et
touché de leurs mains les événements qu'ils racon-
tent. Ils disent tout parle détail, même les faits qui
tournent à leur confusion. Depuis dix-neuf siècles que
l'on torture leurs écrits, on n'a pas pu en extraire
la moindre erreur de lieu ou de date. Ils sont morts
pour affirmer la sincérité et l'exactitude de leur
témoignage. Il n'est pas possible d'exiger de plus
nombreuses et de plus certaines garanties de vérité.
Après les Evangélistes et les Apôtres apparaissent
des annalistes sérieux et graves : Eusèbe, le fonda-
teur de l'histoire ecclésiastique, qui nous donne la
vraie physionomie des deux premiers siècles du
christianisme. Sa position à la cour de Constantin,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 57
tn lui livrant toutes les sources, lui avait permis
d'acquérir une vaste éruditi^i. Il est continué et
imité, quoique non égalé, par Socrate et Sozomène,
avocats à Gonstantinople, et par Théodoret, évêque de
Cyr en Syrie. L'Église latine marche sur les traces
de l'Orient. Au ive siècle, un prêtre d'Aquilée,
Ru fin, donne une excellente traduction de Y Histoire
ecclésiastique d'Eusèbe. Et bientôt Sulpice-Sévère
compose une double histoire de l'Ancien Testament
et de l'Eglise catholique poursuivie jusqu'à son
époque. Ces chroniques sont courtes. Elles se res-
sentent de la ruine prochaine de l'Empire. Elles ont
le mérite delà précision. Citons aussi les Actes des
martyrs qui portent le cachet d'une incontestable
sincérité et les Vies des saints composées au v° et au
vie siècle, qui sont une des formes de l'histoire aux
premiers temps de l'Eglise.
Voici Grégoire de Tours, témoin intelligent et
attristé, un orateur intéressant de l'étrange confu-
sion d'hommes et de choses, de crimes et de catas-
trophes au milieu de laquelle se poursuit la chute
de la vieille civilisation romaine. Puis l'histoire se
continue dansles monastèr'es. Les moines conservent
les annales des nations chrétiennes. Ils se nomment
Bède chez les Anglais, et chez les Français Abbon,
Frodoard, Richer, Raoul Glaber, Hugues, abbé de
Flavigny, et en Italie Anastase le Bibliothécaire et
les moines bénédictins, et en Allemagne les moines
de Saint-Gall. Tous ces auteurs nous ont laissé les
58 CONFÉRENCES AUX HOMMES
matériaux de l'histoire, plutôt que l'histoire elle-
même. Mais le seul fait de conserver par l'écriture
le souvenir des événements, en ces temps d'ignorance
populaire, n'était-il pas déjà un service inappré-
ciable rendu à la civilisation ?
Au xiue siècle, la science historique a de nombreux
représentants. C'est le dominicain Vincent de Beau-
vais, lecteur et confesseur de saint Louis. C'est
Guillaume, archevêque de Tyr, narrateur des Croi-
sades, avec Villehardouin et Joinville. Avec ces deux
derniers commence la série de ces mémoires qui
forment une des branches les plus originales et les
plus curieuses de la littérature française. Jehan de
Froissart est un conteur incomparable. Philippe
de Commines est le biographe très intéressant de
Louis XI.
Puis, après la Renaissance et en réponse aux at-
taques du protestantisme, nous voyons apparaître
Baronius, prêtre de l'Oratoire de Rome, qui édite
les Annales ecclésiastiques , vaste compilation mé-
thodique et raisonnée de l'histoire de l'Eglise jus-
qu'en 1198. Il est imité et suivi par deux Français :
de Tillemont et Noël Alexandre. A la même époque,
les Jésuites de Belgique, sous la direction du jésuite
Bollandus, commencent la fameuse collection des
Acta Sanclorum. Et les Bénédictins de Saint-Maur
composent la Gallia Christiana. En présence de ces
monuments immenses et magnifiques d'un travail
obscur poursuivi pendant des siècles, comme eu
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE o9
présence des cathédrales du moyen âge, on est saisi
d'une émotion respectueuse et sympathique. Quelle
race d'hommes que ces moines, invincibles à la fa-
tigue, indifférents à la gloire humaine, mais avides
de toutes les lumières, de tous les progrès, de toutes
les vertus ! Quel désintéressement, et par conséquent
quelle garantie de sincérité et d'exactitude dans
leurs grands travaux historiques !
Désormais les matériaux étaient amassés, et la
tache des vulgarisateurs était aisée. Fleury compose
son Histoire de l'Église, qui a été depuis corrigée,
complétée par Rohrbacher, Darras, dom Guéranger,
Hergenrœther. Et à côté de ces illustres défenseurs
de la vérité historique combien de travailleurs plus
obscurs, mais non moins zélés, parmi lesquels il
nous plaît de citer un simple curé de campagne,
l'abbé Gorini, quia réfuté d'une manière victorieuse
les erreurs historiques de Thierry, de Guizot, de
Thiers et de Michelet. C'est ainsi que l'Eglise-depuis
dix-neuf siècles suscite des écrivains, des annalistes,
des chroniqueurs, des historiens remarquables par
leur sincérité et leur impartialité. Elle ne craint
pas la lumière. Elle la cherche, elle la demande.
Elle va plus loin encore.
II. L'Église dégage de l'histoire la leçon morale.
L'histoire serait peu de chose si elle n'était qu'un
Técit. Il faut en faire un hommage à la Providence
60 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et une leçon pour les hommes. Il faut en extraire
l'idée morale. A quoi servirait de connaître le passé,
si on ne saisissait pas en même temps les lois qui
président à la marche des événements? Toute
l'utilité de l'histoire est là.
En dehors de l'Eglise les historiens racontent les
faits sans en dégager la leçon morale. Voyez les
historiens anciens. Tacite, le plus profond de tous,
avoue qu'il ne sait pas si les choses de la vie sont
assujetties aux lois d'une immuable nécessité, ou si
elles ne dépendent que du hasard. Les lois univer-
selles qui régissent la marche du genre humain sont
inconnues des païens ; au-delà de leur nation par-
ticulière, ils ne voient que barbarie et esclavage et
ne saisissent jamais l'humanité dans son ensemble.
C'est l'égoïsme étroit et purement national qui
peint avec Salluste, médit avec Thucydide, philo-
sophe avec Tacite, raconte avec César, harangue
avec Tite-Live, dessine des portraits avec Suétone,
Xénophon et Plutarque. Pour eux il n'y a point d'hu-
manité au-delà des limites de la patrie; pour eux,
la Providence, c'est le destin. Aussi sont-ils inca-
pables de s'élever à la conception d'une histoire
universelle, incapable de faire profiter la postérité
des grandes leçons dupasse. Quant à. nos historiens
modernes qui veulent se passer de l'Eglise, que
leurs vues sont courtes, quand elles ne sont pas
fausses ! Les meilleurs nous donnent la peinture des
événements, et non la philosophie des faits. Ils
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 6t
font passer sous nos yeux des tableaux qui nous
enivrent un instant, et non des leçons qui nous
pénètrent et nous font du bien.
L'Eglise, par le moyen des écrivains qu'elle ins-
pire et qu'elle dirige, nous fait saisir les grandes
lois de l'histoire. Voici Moïse. Il se présente à nous
comme le révélateur de la marche de l'histoire et
le prophète des destinées des nations. Il nous montre
le peuple juif préparant la venue du Messie, et
tous les événements du monde convergeant vers le
Rédempteur futur. Et ce que Moïse a indiqué, les Pro-
phètes le répètent et l'expliquent ; à la lumière de la
Bible, l'histoire de l'humanité nous apparaît resplen-
dissante d'évidence. Tout est pour le Christ, le passé
est son piédestal. L'avenir découle de lui : Christus
heri, hodie et in sœcula. Telle est la loi centrale de
l'histoire.
Avec ce lit conducteur, les historiens peuvent se
mettre en marche à travers le dédale des événe-
ments. Ils ne risquent pas de s'égarer. La sainte
Eglise tient le flambeau qui guide leurs pas et qui
éclaire leurs investigations. Voici saint Augustin.
Dans son livre de la Cité de Dieu, il fait la philo-
sophie de l'histoire, il marque les desseins de la
Providence sur le sens et le terme des grands mou-
vements de l'humanité. Il fonde ainsi la science his-
torique, la science philosophique de l'histoire. Paul
Orose, prêtre espagnol, son disciple, s'empare de
sa méthode. Salvien compose un grand ouvrage
62 CONFÉRENCES AUX HOMMES
intitulé : de Gubernatione Dei, qui se rattache de
même étroitement à la Cité de Dieu de saint Au-
gustin ; on a appelé Salvien le Bridaine du ve siècle,
et en effet il a l'impétuosité et l'éloquence de Bri-
daine. C'est lui qui a dit : « L'Empire romain rit et
meurt, Moritur et ridet ! »
Allons donc de suite à Bossuet. Politique comme
Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent
comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand
peintre que Tacite, Bossuet a, de plus, une parole
grave et un ton sublime dont on ne trouve ailleurs
aucun exemple. Le Discours sur l'histoire universelle
est un hymne au Dieu qui du haut du ciel tient
les rênes de tous les royaumes. « Bossuet, dit Cha-
teaubriand, est plus qu'un historien, c'est un Père
r
de l'Eglise, c'est un prêtre inspiré, qui a souvent
le rayon de feu sur le front, comme le législateur
des Hébreux. Quelle revue il fait de la terre ! il est
en mille lieux à la fois. Patriarche sous le palmier
de Thopel, ministre à la cour de Babylone, prêtre
à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes
et à Rome, il change de temps et de place à son
gré, il passe avec la rapidité et la majesté des
siècles. La verge de la loi à la main, avec une au-
torité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui et
Juifs et Centils au tombeau ; il vient ensuite lui-
même, à la suite du convoi de tant de générations,
et marchant appuyé surlsaïe et Jérémie, il élève ses
lamentations prophétiques à travers la poudre et les
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 63
débris du genre humain. » On a tout dit sur sa pé-
nétration. Tels chapitres sont des modèles incom-
parables, par exemple l'histoire de Rome, l'étude
du caractère du peuple, de l'organisation de la
milice, de la politique, du Sénat. La philosophie
de l'histoire se trouve ainsi mise à la portée des
modernes, et désormais les plus illustres repré-
sentants de cette science, Montesquieu en tête, ne
font guère qu'emprunter à Bossuet sa méthode et
ses enseignements.
Et en même temps que les historiens catholiques
dirigés par l'Eglise dégagent la loi des événements
dans l'histoire universelle, ils portent la même
clairvoyance dans l'histoire d'un peuple ou d'un
personnage. Ayant l'idée des ensembles, ils ont la
compréhension des détails. Ils déterminent la place
et la vocation providentielle d'une nation en parti-
culier. Ils assignent à un grand personnage son
rang et son action dans la mêlée générale des choses.
Et il serait facile par des exemples de montrer ici
la supériorité de nos écrivains catholiques. Que de
vies de saints ou de héros écrites dans notre siècle
sous la direction de l'Eglise, et qui sont des leçons
vivantes pour qui veut les lire avec attention ! Ce
ne sont pas seulement des chefs-d'œuvre de littéra-
ture. Ce sont des prédications éloquentes. La leçon
morale s'en dégage presque à chaque page.
Amen!
SEPTIÈME CONFERENCE
II. — L'ÉGLISE El LES SCIENCES
1° l'église est l'amie des sciences
Messieurs,
L'Église est une grande puissance intellectuelle.
Elle est la mère de la théologie, la gardienne de la
philosophie, l'inspiratrice de l'éloquence et de la
poésie, la maîtresse de l'histoire. Il faudrait beau-
coup d'ignorance ou de mauvaise foi pour con-
tester le bienfait de son influence sur les belles-
lettres. Mais, à côté des lettres, voici les sciences,
qui s'appellent mathématiques, astronomie, phy-
sique, chimie, géologie, biologie. Les sciences sont
aujourd'hui fort en honneur, et les progrès qu'elles
ont faits dans notre siècle les ont rendues passa-
blement orgueilleuses. Volontiers elles prendraient
à l'égard de la religion des airs de dédain et d'hos-
tilité. Etudions avec calme les rapports de l'Eglise
et des sciences.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 65
I. L'Église ne craint pas les sciences.
Que de fois vous avez lu ou entendu dire que
l'Église était en conflit avec le grand mouve-
ment scientifique qui emporte notre siècle, qu'elle
le suspectait, qu'elle en avait peur ! Rien n'est plus
faux! L'Eglise ne craint pas les sciences.
Ecoutez là-dessus les témoignages. Ils abondent.
Je n'en veux citer qu'un, le plus autorisé, celui du
grand pape Léon XIII. Parlant au nom de l'Eglise,
Léon XIII s'exprime ainsi : « Dire que l'Église est
hostile au progrès des sciences, c'est une accusa-
tion aussi niaise que chimérique. Si le monde est
un livre à chaque page duquel sont inscrits le
nom et la sagesse de Dieu, celui qui aura lu plus
avant et plus clairement dans ce livre en sortira
plus épris de L'amour de Dieu. S'il suffit d'avoir
des yeux pour voir que les cieux étoiles racontent
la gloire du Créateur, combien plus exaltera sa
puissance celui qui aura jeté son regard investiga-
teur au ciel et dans les profondeurs de la terre, sur
les astres lumineux et sur l'atome? Et vous vou-
driez que l'Église traitât avec froideur, avec indif-
férence ces études et ces recherches, et qu'elle fer-
mât le livre pour empêcher d'en poursuivre la
lecture?... Qu'il est beau l'homme, quand sur un
signe il fait tomber à ses pieds la foudre désarmée,
quand il appelle l'étincelle électrique et l'envoie,
LES BIENFAITS DE L 'ÉGLISE. — 1-5
66 CONFÉRENCES AUX HOMMES
messagère de ses volontés, par les abîmes de
l'Océan, au-delà des montagnes éventrées et au-delà
des plaines sans fin; quand il enjoint à la vapeur
de lui prêter ses ailes; quand ses ingénieux cal-
culs grandissent cette force et la conduisent par
des sentiers déterminés à donner le mouvement et
presque l'intelligence à la matière brute; quand
il évoque la lumière et lui fait illuminer la nuit
dans les rues de nos cités!... L'Eglise, mère très
aimante, bien loin d'y mettre obstacle, tressaille
de joie à la vue de ces merveilles. » Il est clair, Mes-
sieurs, que l'Eglise ne craint pas les sciences. Par
la bouche de son chef elle les approuve, elle les
admire, elle les bénit.
Et si un tel témoignage ne vous suffit pas, regar-
dez les faits. Quand on a peur d'un objet, on s'en
tient éloigné, on évite son contact. Or l'Eglise
craint si peu les sciences que journellement elle
s'en sert. Bien loin de les redouter et de les flétrir,
elle leur demande des services continuels. Elle
emploie la vapeur pour transporter ses mission-
naires au bout du monde, l'électricité pour faire
rayonner instantanément sur toute la surface du
globe la parole et la bénédiction de son chef, l'im-
primerie pour donner des bréviaires à ses prêtres,
des livres à ses étudiants, des catéchismes à l'en-
fance et de bons journaux au peuple chrétien, l'hor-
logerie pour savoir l'heure et ne pas arriver trop
tard au chevet des hommes ou des nations qui vont
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 67
mourir, l'industrie pour habiller ses ministres et
ses pauvres. Elle emploie toutes les sciences pour les
faire concourir à la justification de ses dogmes, à la
splendeur de lareligion, à la gloire de Dieu, à la diffu-
sion de l'Evangile, au bien de l'humanité. On nous
accuse d'avoir peur des sciences. Cela n'a pas le sens
commun. Nous nous en servons tous les jours.
Et d'ailleurs pourquoi l'Eglise aurait-elle peur
des sciences? Est-ce qu'il y a contradiction entre
la religion et les sciences ? Nullement. Vous vous
imaginez l'Eglise préoccupée, inquiète. Qu'on ne
scrute pas lescieux... qui sait ce qu'on y trouve-
rait? Qu'on ne creuse pas la terre, qu'on ne fouille
pas les couches du sol... il en sortirait peut-être la
confusion de nos dogmes! L'Eglise, Messieurs,
n'a pas les folles terreurs qu'on lui prête. Creusez
tout ce que vous voudrez, le ciel et la terre, l'Eglise
sait d'avance que vous n'y trouverez rien qui puisse
la confondre. La vérité est une, quoiqu'elle ait
deux rayons. Et ces deux rayons, qui s'appellent
l'un la science et l'autre la foi, partent de la même
source et se fondent dans un même éclat. Sans
doute on a vu des découvertes scientifiques se
dresser fièrement comme des objections contre
l'Eglise. Mais ce n'était là qu'une trompeuse appa-
rence. Dès que ces découvertes approfondies et
achevées ont mérité le titre de vérités certaines,
on s'est aperçu qu'elles confirmaient la foi au lieu
de la contredire... par exemple, quelle admi-
68 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ration ressentirait Bossuet s'il voyait comment la
science explique cette création de la lumière avant
le soleil, qui l'avait tant embarrassé ! Peu à peu
tous les voiles se lèvent qui s'interposaient entre
la science et la foi, et ceux qui restent se dissipe-
ront à leur tour, à leur heure. En présence des pro-
grès des sciences, les ennemis de l'Eglise éprouvent
une joie précipitée, et ses enfants une inquiétude
exagérée. Les premiers disent tout haut : Voilà
l'Église convaincue d'erreur! et les seconds gé-
missent tout bas: Hélas! si cela allait arriver!
Les uns et les autres ont tort. L'Eglise est sûre
d'elle-même, elle est sûre de l'avenir. Elle sait
qu'aucun progrès scientifique ne l'embarrassera, np
l'entravera jamais.
Pourquoi l'Église aurait-elle peur des sciences?
parce qu'on en abuse? Oui trop souvent on abuse
des sciences, on s'en sert pour le mal. On abuse de
l'imprimerie, de la vapeur, de l'électricité, en en
faisant les véhicules de l'erreur et du mal ; on
abuse de la physique, de la chimie, en opposant
au Créateur les forces qu'il a déposées dans la na-
ture. On abuse de l'astronomie et de la géologie,
en s'emparant de leurs découvertes comme d'une
arme contre la Révélation ; on abuse des sciences
biologiques et médicales, en les employant à nier
Dieu et à supprimer Fâme ; on abuse des progrès
scientifiques, en les jetant comme une pâture à
l'orgueil et à la convoitise humaine. Mais de quoi
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 69
n'abuse-t-on pas? On abuse des meilleures choses,
du vin qui mène à l'ivresse et de la richesse qui
trop souvent conduit à la dépravation ; on abuse
de la religion elle-même. Et parce qu'on abuse
des sciences, serait-il juste de les condamner? Non.
L'Église, qui est intelligente, se garde bien de
tomber t dans un si grossier sophisme.
Pourquoi donc aurait-elle peur des sciences?
parce qu'il y a des savants antireligieux? C'est cer-
tain. Il y a des savants notoirement hostiles à la
religion. Mais qu'est-ce que cela prouve? Gela
ne prouve absolument rien contre la religion. Car :
1° on peut être un grand savant et un pauvre
homme, on peut en même temps avoir de la
science et des passions, et se servir de la science
pour attaquer la religion qui condamne les pas-
sions ; et 2° on peut être un grand savant, un grand
mathématicien et un pauvre philosophe. Tel homme
habitué à rechercher les causes immédiates des
phénomènes, finit par perdre de vue la cause finale
et première de toutes les autres. Ce n'est pas sa
science qui est condamnable, c'est sa raison qui
est courte. Lalande prétendait avoir scruté le ciel
sans y rencontrer Dieu ; mais on pouvait lui
répondre que, si son œil et son télescope étaient bons,
sa raison était myope, pour ne rien dire de plus.
Et d'ailleurs Lalande n'était qu'une exception.
Bacon n'a-t-il pas dit : « Un peu de science éloigne
de la religion et beaucoup y ramène? » En résumé,
70 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'Église ne craint pas la science, mais simplement
les demi-savants. Les sciences ne sont jamais irre-
ligieuses; les demi-savants le sont souvent, parce
qu'ils ne voient pas tout et qu'ils voient mal le peu
qu'ils voient. L'Église n'a aucun motif de craindre
les sciences. Ce n'est pas assez dire.
IL L'Église favorise les sciences.
Les preuves en sont multiples. Je n'en donnerai
que trois qui sont topiques.
1° L'Église surexcite la recherche scientifique.
Est-ce que ce n'est pas à l'Église que la société mo-
derne doit cette maturité de la raison, cette disci-
pline de l'esprit qui lui ont permis l'élan, la
hardiesse d'exploration, et, en définitive, ce bon-
heur de découvertes qui caractérisent les temps
modernes et qui en font la gloire? Voyez. Qu'est-ce
que l'antiquité a découvert en quatre cents ans dans
le domaine de l'astronomie, de la physique, delà chi-
mie, de la géologie? Même après Archimède, Euclide,
Pythagore, Aristote, Hippocrate, Gallien, la forme
de notre globe n'était pas connue; l'architecture
céleste n'était pas soupçonnée; tout l'intérieur du
corps humain, dont on décrit aujourd'hui les
moindres fibres, était voilé. Qui avait soupçonné
les merveilles de la lumière, de l'électricité, et
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 71
songé à interroger les entrailles de la terre? C'est
le génie catholique, le vigoureux esprit des chré-
tiens qui a créé toutes ces sciences. Entre le génie
de l'antiquité et le génie chrétien, sous le rapport
des sciences, il n'y a pas de comparaison à établir.
L'Eglise surexcite la recherche scientifique.
2° V Église fonde des écoles pour la diffusion des
sciences. Dans nos écoles primaires, dans nos col-
lèges libres, dans nos Universités catholiques, est-
ce que l'Eglise n'enseigne pas les sciences? Est-ce
qu'elle n'obtient pas sur ce terrain des succès qui
épouvantent ses ennemis? Tenez. Nous assistons
aujourd'hui à un spectacle étonnant qu'on n'avait
pas vu depuis Julien l'Apostat. En même temps
qu'on accuse l'Eglise de haïr les sciences, on lui
reproche de les enseigner trop bien. On trouve ses
écoles trop nombreuses et trop florissantes. L'Eglise
ouvre des écoles et ce n'est pas elle qui les ferme.
Ce sont de sinistres farceurs qui se déclarent les
adorateurs de la science, et qui en sont les pires
ennemis. Voilà là vérité. L'Eglise favorise la science.
Encore un mot.
3° L'Église a produit des savants dont la liste
serait interminable et qui sont un des plus beaux
joyaux de sa couronne.
Les sciences n'ont pas commencé au xvne siècle.
Elles étaient en marche depuis longtemps. Est-ce
72 CONFÉRENCES AUX HOMMES
que ce ne sont pas les prêtres qui, au moyen âge,
ont découvert la boussole, la poudre à canon, la
rotation de la terre, le mouvement des cieux? Que
d'hommes d'Église remarquables dans les sciences à
cette époque ! Gerbert, premier pape français sous le
nom de Sylvestre II, introducteur de l'arithmétique
arabe en France, en Italie et en Allemagne, l'Ar-
chimède du xe siècle, l'inventeur d'un orgue mis en
jeu par la vapeur, des horloges à roues et auteur
de celle de Magdebourg ; Roger Bacon, franciscain
anglais du xme siècle, le génie peut-être le plus in-
ventif qui fut jamais, le vrai père de la physique
expérimentale, qui, longtemps avant son homo-
nyme, François Bacon, comprit le vide de la philo-
sophie d'Aristote et fît appel à l'expérience et à
l'observation. Le grand astronome Copernic était
un pieux chanoine. Galilée était un fier chrétien,
et, s'il a été condamné par le tribunal du Saint-
Office, c'a été non pour sa science qui était vraie,
mais pour son exégèse qui. était téméraire.
Au xme siècle, les Jésuites se placent à la tête des
études scientifiques, non seulement en Europe,
mais jusqu'en Chine et aux Indes. Et puis, est-ce
que ce ne sont pas des génies profondément reli-
gieux que Kepler, Newton, Leibnitz, Pascal, Male-
branche qui ont créé le grand courant scientifique
que nous ne faisons que continuer? Est-ce que la
foi les a'gênés dans leurs explorations les plus har-
dies? Pascal, après avoir étonné son siècle par la
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 73
profondeur de sa science, consacrait ses forces épui-
sées et son effrayant génie à l'apologie du christia-
nisme. Les grands naturalistes Buffon et Linné
avaient la foi.
Et dans notre siècle on peut affirmer que les sa-
vants les plus célèbres appartiennent presque tous
à l'Eglise. Volta, l'inventeur de la pile, professait
hautement ses convictions religieuses. Le chimiste
Faraday, l'astronome Leverrier, le jésuite Secchi
sont à nous. Nommer Guvier, Élie de Beaumont,
Ampère, Biot, Gauchy, Claude Bernard et Quatre-
fages, Dumas, Chevreul, Pasteur, n'est-ce pas mon-
trer la foi unie à la science; la foi pleine, ardente,
gouvernant toute la vie, ou du moins la foi retrou-
vée sur le lit de mort et n'exigeant au point de vue
scientifique ni un désaveu, ni la moindre rétrac-
tation?
Amen 1
HUITIÈME CONFERENCE
2° LES SCIENCZS ONT BESOIN DE LÉGLISE
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance intellectuelle.
Son influence bienfaisante sur les belles-lettres
n'est pas contestable. Mais quelle est son attitude
à l'égard des sciences? Nous l'avons vu : l'Eglise
ne craint pas les sciences, l'Église favorise les
sciences. Je poursuis cet important sujet, et je vais
essayer de vous prouver que les sciences ont besoin
de l'Eglise. Par elles-mêmes, elles sont insuffisantes
et périlleuses, et c'est l'Eglise qui les complète et
les préserve.
1. Les sciences sont insuffisantes.
Remarquez que je ne dis pas que les sciences
sont mauvaises. Si je le disais, j'énoncerais une
erreur, une énormité. Les sciences sont bonnes,
elles sont utiles, elles sont bienfaisantes. Elles con-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 75
courent au bien-être, à l'ornement, à la civilisation
du monde. Elles agrandissent, elles enrichissent,
elles perfectionnent l'esprit humain. Comment ne
pas voir ce que l'esprit humain peut gagner d'éten-
due et de force, en étudiant l'histoire de la nature,
les phénomènes et les lois du monde physique, et
surtout cette science qui est la logique même, où
tout s'enchaine et se tient avec une suite et une
rigueur incomparables, cette gymnastique intellec-
tuelle qui forme l'esprit à l'ordre et à la précision,
les mathématiques? Les sciences, même les plus
arides, les plus théoriques, les plus inutiles en
apparence, comme l'algèbre, la géométrie et les
mathématiques, possèdent une fécondité et rap-
portent un profit qu'on ne peut pas contester.
Elles sont bonnes. Mais manifestement elles sont
insuffisantes. Rien de plus répandu aujourd'hui que
le goût, j'allais dire la passion des sciences. Les
maîtres, dans les observatoires et les laboratoires,
étudient, analysent, expérimentent, et à côté d'eux
une légion d'écrivains et de conférenciers vulga-
risent et propagent leurs découvertes^ et la foule
même les écoute ou les lit avec une avidité impa-
tiente. A défaut d'orateurs et de poètes, notre temps
comptera au moins des travailleurs attentifs et
patients ; notre siècle ne sera ni un siècle artistique,
ni un siècle littéraire, ni un siècle philosophique
comme l'ont été ses devanciers ; il aspire à être et
il est, en effet, un siècle scientifique. C'est le mot
76 CONFÉRENCES AUX HOMMES
du jour. On ne parle plus que de méthode scienti-
fique, de découvertes scientifiques. C'est bien. Mais,
quelles que soient leur vogue et leur utilité vraie,
n'oublions pas que les sciences ont deux grandes
impuissances.
Elles sont impuissantes à développer V homme
tout entier. Ce rôle éminent revient aux belles-
lettres, à qui il faudra toujours donner la première
place dans l'éducation. Les sciences procèdent uni-
quement de l'intelligence ; or l'intelligence n'est
pas tout l'homme, elle n'en est même que la plus
petite partie. Au-dessus de l'intelligence, il y a le
cœur, la volonté, le caractère, autant de sphères
élevées, supérieures, où les sciences n'entrent pas.
Elles sont absolument étrangères à la formation
du cœur, de la volonté et du caractère. Constatant
cette infériorité des sciences sur les belles-lettres,
Chateaubriand a dit : « Toute pénible que cette
vérité puisse être pour les mathématiciens, il faut
cependant le dire : la nature ne les a pas faits pour
occuper le premier rang. C'est Corneille, Racine,
Boileau, ce sont les orateurs, les historiens, les
artistes qui ont immortalisé Louis XIV, bien plus
que les savants qui brillèrent aussi dans son siècle.
Tous les temps, tous les pays offrent le même
exemple. Que les mathématiciens cessent donc de
se plaindre si les peuples, par un instinct général,
font marcher les lettres avant les sciences. C'est
qu'en effet l'homme qui a laissé un seul précepte
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 77
moral, un seul sentiment touchant à la terre, est
plus utile à la société que le géomètre qui a décou-
vert les plus belles propriétés du triangle. »
Impuissantes à développer l'homme tout entier,
les sciences sont particulièrement impuissantes à
imprimer une direction morale à la vie humaine.
C'est l'évidence même. L'astronome nous apprend
comment va le ciel, et non comment on va au ciel,
quomodo it cœlum, non quomodo itur ad cœlum ! —
Les mathématiques toutes seules apprennent à faire
des ponts et non à bien vivre ; les chiffres n'ont en
eux-mêmes aucun sens moral, tout dépend de
l'usage qu'on en fait, et on peut être en même
temps un bon calculateur et un parfait usurier.
Voyons. Pensez-vous sérieusement qu'on puisse
calmer les passions avec des axiomes ; et avec des
théorèmes de géométrie ou des expériences de chi-
mie a-t-on quelque chance de maintenir la soumis-
sion aux lois, le respect des magistrats et des pro-
priétés, l'honneur des familles, la paix des Etats et
la sécurité du monde? Non. Vous aurez beau inven-
ter des machines et multiplier les découvertes, vous
ne changerez pas le fond des choses, le fond de
l'homme. La société est un être moral qui ne vit
pas seulement de matière, et les liens qui unissent
ses membres entre eux ne sont pas forgés avec des
marteaux et du fer. Le monde moral a ses lois par-
ticulières comme le monde physique, et les sciences
sont impuissantes à nous dire les lois du monde
78 CONFÉRENCES AUX HOMMES
moral, et impuissantes plus encore à nous les faire
observer. Ce n'est pas leur affaire, ce n'est pas leur
mission.
Qui donc viendra compléter les sciences et sup-
pléer à leur insuffisance? Qui donc viendra nous
dire les vérités qu'il faut croire, les devoirs qu'il
faut pratiquer, les actions qu'il faut éviter? Qui
donc viendra nous révéler les lois de l'ordre moral,
c'est-à-dire comment il faut vivre pour atteindre
notre destinée? Et surtout qui donc viendra nous
prendre par la main, nous aider, nous communj-
quer la force qui nous manque? Qui nous donnera,
avec le flambeau qui éclaire, l'impulsion qui en-
traîne? Qui? La religion, r Église. C'est l'Eglise, et
l'Eglise seule qui fait ce que les sciences ne peuvent
pas faire. Elle oriente, elle dirige la vie humaine»
Vous voulez sans elle conduire l'humanité? Vous
voulez, avec les sciences toutes seules, diriger, mo-
raliser, sauver les âmes, les familles et les sociétés?
Prenez garde. Autant vaudrait guider un vaisseau au
milieu de l'Océan sans gouvernail et sans boussole.
Les chefs et l'équipage sont libres de se livrer tout
entiers à des expériences physiques quand le na-
vire touche sur les rochers; ils sont libres, les
insensés, d'instituer des discussions interminables
quand il s'agit non de parler, mais d'agir; cepen-
dant un dernier coup de mer vient les interrompre
dans leurs scientifiques recherches, et l'abîme
ouvert engloutit à la fois les appareils, les machines,.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 79
les calculs et les savants. Les sciences sont insuffi-
santes. C'est l'Eglise qui les complète. Allons plus
loin, et disons ici toute la vérité.
II. Les sciences sont périlleuses.
Gomme le vin qui enivre, les sciences montent
à la tête et appesantissent les sens. Elles sont très
souvent une occasion d'orgueil et un instrument
de eonvoitise.
L orgueil est le premier péril des sciences. Voyez
l'homme de ce siècle. Il tient les éléments captifs
et frémissants dans ses creusets, et, maître de la
création, il se pose en rival du Créateur. « Monté
sur une nef aérienne, dit-il, je me suis promené
parmi les astres du lirmament. J'ai attaché des
ailes à mes proues aventureuses, et j'ai sillonné
l'Océan avec la vitesse des oiseaux marins. J'ai
attelé le feu à mes chars, et ma course de l'Orient
à l'Occident n'a laissé que la trace d'un éclair. Je
dompte les vagues furieuses, je commande à la
tempête, j'efface les distances, je fais mouvoir tous
les ressorts de la nature... » Voilà Le danger. A
force d'analyser la matière, l'homme de ce siècle
croit qu'il n'y a pas autre chose dans ce monde. A
force de contempler les phénomènes apparents,
l'homme de ce siècle conteste les vérités invisihles.
A force de manipuler les causes secondes, l'homme
de ce siècle oublie la cause première, A force de
80 CONFÉRENCES AUX HOMMES
mesurer les forces et les lois de la nature, l'homme
de ce siècle en arrive à laisser de côté et à suppri-
mer l'auteur de la nature.
Les sciences exclusivement et passionnément cul-
tivées sont périlleuses. Elles conduisent beaucoup
d'hommes à l'orgueil, au sentiment exagéré du pou-
voir humain, au doute, à l'incrédulité et au blas-
phème. « Si on analysait l'atmosphère intellectuelle
de ce siècle, dit Mgr Bougaud, on y trouverait au
moins quatre cinquièmes d'orgueil. » Comme il est
utile, comme il est nécessaire que la religion vienne
corriger ces excès, et que, nous prosternant au pied
des autels, elle nous rappelle que le nom qui est
au-dessus de tous les noms, c'est Dieu, que nous
ne sommes rien et qu'il est tout, et qu'à lui doivent
remonter la raison, souffle de sa bouche; la nature,
œuvre de ses mains ; l'industrie, miroir de ses per-
fections; la science, rayon de sa lumière; le pro-
grès dont il est la source unique, le régulateur su-
prême et la fin éternelle! Comme il est utile,
comme il est nécessaire que l'Église intervienne
ici pour apaiser l'orgueil humain, pour ramener les
savants à la modestie, à cette conscience de leur
faiblesse qui est le parfum des grandes âmes et le
plus bel ornement des esprits éminents! Newton
ne prononçait jamais le nom de Dieu sans incliner
sa puissante tête en signe d'adoration. Comme il
est utile, comme il est nécessaire que l'Eglise oppose
sa doctrine si purement spiritualiste aux arro-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 81
gances d'une époque de plus en plus matérialisée,
et qu'elle dise bien haut aux hommes de ce temps :
« 0 hommes, vous êtes les rois de la création et les
souverains de la matière. Mais, ne l'oubliez pas,
vous restez en même temps les sujets et les vas-
saux de Dieu. Vous êtes rois par rapport à la ma-
tière et vassaux par rapport à Dieu. Debout sur les
cimes de la Création, rappelez-vous que vous êtes au-
dessous du Créateur, et envoyez vers Lui l'hommage
de votre foi, de vos adorations, de votre reconnais-
sance et de votre amour! » Telle est l'action bienfai-
sante de l'Eglise. Elle modère les sciences. Elle en
prévient les excès. Elle les préserve de l'orgueil. Et
elle est en même temps l'arôme qui les empêche de
se corrompre.
Le sensualisme est le second péril des sciences.
Les sciences conduisent facilement à la jouissance
indéfinie et exagérée. Elles ornent la vie, elles la
peuplent de toutes les facilités du bien-être. Il y a là
un immense danger, et, si la religion n'intervient
pas pour le conjurer, tout est à craindre.
Si vous appelez les jouissances et si vous chassez
Dieu, qui seul pourrait les modérer et les contenir ;
si vous éveillez tous les appétits et si vous ôtez tous
les freins ; si vous saturez un peuple de tout ce qui
incline l'âme vers la terre et si vous le sevrez de
tout ce qui relève l'esprit vers le ciel... êtes-vous
bien sûrs que vous ne le conduirez pas à la déca-
dence? Moi, je suis sûr du contraire, et mon rai-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-6
82 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sonnement est rigoureux, mathématique. La jouis-
sance sans frein, c'est l'égoïsme qui n'a qu'une
devise : Tout pour moi, rien pour les autres!
a L'égoïste, dit Bacon, mettrait le feu à la maison
de son voisin pour faire cuire un œuf. » Avec cela
essayez de faire une société, je ne dis pas glorieuse,
mais seulement habitable, je vous en défie bien.
Dieu chassé du sein d'un peuple, le bien-être tourne
à l'égoïsme et devient un danger épouvantable, et
le progrès matériel, abandonné à sa pente, n'est
plus qu'une descente effrénée vers le plaisir, vers
la licence, vers la désorganisation sociale. Triplez,
si vous le voulez et si vous le pouvez, la vitesse de
vos chemins de fer, inventez des ailes pour traver-
ser les airs, éclipsez par vos futures découvertes
tout ce qui fait votre orgueil aujourd'hui : tout cela
ne contient pas un atome de vie morale pour les
âmes et pour la société. Si donc, vous ne ressusci-
tez pas Dieu dans les âmes, si vous ne remettez pas
la religion à la place centrale qu'elle doit occuper
dans la société, vous perdrez les âmes et vous per^-
drez la société. L'or, la matière, les plus ingé-
nieuses machines ne servent qu'à corrompre un
peuple, quand la religion est absente. La pierre
angulaire de toute société et de tout siècle, c'est
l'autel. L'Eglise catholique complète les sciences et
les préserve. Les sciences ont besoin de l'Église!
Amen!
NEUVIÈME CONFÉRENCE
[IL — V EGLISE ET LES ARTS
Messieurs,
Les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel
sont incalculables. Elle aime, elle protège, elle cul-
tive les lettres et les sciences. Est-elle également
la bienfaitrice des arts? Oui. Et il n'est vraiment
pas difficile d'en faire la preuve, en se plaçant au
double point de vue du droit et du fait. Il n'est pas
difficile de constater l'aptitude de l'Eglise à inspi-
rer les beaux-arts et son activité traditionnelle
pour les favoriser et les perfectionner. Nous allons
faire ensemble très succinctement cette double
étude sur l'Eglise inspiratrice et bienfaitrice des
arts.
I. L'Église inspiratrice des Arts.
r
L'Eglise offre aux artistes trois ressou ces pré-
84 CONFÉRENCES AUX HOMMES
cieuses que ne possédaient pas les anciens qui vi-
vaient dans le paganisme et que ne possèdent pas
les modernes qui veulent vivre en dehors du chris-
tianisme.
r
L'Eglise ouvre d'abord aux artistes les horizons
de l'infini. L'homme est fait pour l'infini, et un
objet ne peut nous plaire qu'à proportion des rap-
ports réels ou apparents qu'il a avec la perfection
infinie. Cette prédilection exclusive pour l'être il-
limité se révèle de mille manières. C'est elle qui
change la passion la plus vive en indifférence, dès
que l'objet en est trop connu. C'est elle qui nous
fait préférer la beauté qui se cache à la beauté qui
se produit. C'est elle qui, dans l'ordonnance de nos
bâtiments, de nos jardins, nous fait adopter la dis-
tribution qui en dissimule le mieux la petitesse.
Telle étant la disposition de notre cœur, le point
capital de l'art est d'éviter les formes trop dessi-
nées, trop circonscrites, et de répandre sur le fini
une teinte de l'Infini, sans toutefois tomber dans
le vague qui déplaît à notre amour du réel. Or
voilà précisément la supériorité du génie chrétien
sur le génie profane. Les chefs-d'œuvre de l'anti-
quité païenne ont un énorme défaut, celui de n'avoir
presque rien de divin. Les temples des païens sont
des palais, des théâtres ; leurs dieux ne sont que
des héros. L'architecture égyptienne vise à l'im-
mortalité, mais à l'immortalité du temps. L'archi-
tecture grecque ne pense qu'à plaire aux yeux;
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE §|
admirablement régulière dans l'ensemble, délica-
tement exquise dans les détails, elle est l'œuvre
de la pensée humaine, rien de plus. L'architecture
arabe berce l'imagination, . aime à surprendre, à
faire rêver. L'architecture chrétienne seule rappelle
à l'homme ses destinées et le fait aspirer au ciel.
L'Eglise inspire les arts en leur ouvrant les ho-
rizons de l'Infini. Elle fait plus :
Pour empêcher l'artiste de se perdre dans le
vague et le vaporeux, elle lui offre la précision et
la grandeur des idées. Deux choses sont mortelles
pour les arts : le doute et le matérialisme. Le doute
éteint le flambeau du génie, lequel ne s'allume
qu'au foyer des croyances. Comment voulez-vous
qu'on traduise et qu'on exprime le beau, quand on
ignore le vrai et quand on ne croit à rien? Et
quand on ne croit qu'à la matière, est-il possible
de traduire et d'exprimer la beauté qui a son trône
dans l'invisible? Aussi voyez ce siècle avec son ac-
tivité industrielle qui tient du prodige. Il manipule
la matière et il en tire des richesses et des jouis-
sances multiples; il construit des chemins de fer,
dévastes ponts, de grandes manufactures, de somp-
tueux bazars, et il jette à tous les échos le siffle-
ment de la vapeur et le bruit monotone des ma-
chines et des métiers. Ce n'est pas un mal. Mais,
je vous le demande, au milieu de ce culte de la
matière, que devient l'idéal, c'est-à-dire le principe
même de l'art? Messieurs, c'est la religion, c'est
86 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'Église qui garde l'idéal. L'idéal religieux est le
principe de l'art, sa cause, son inspiration, sa
force. Chez tous les peuples l'art a commencé par
une prière, par un autel, par un temple. La reli-
gion est la mère de l'art, parce qu'elle est la source
de la vie supérieure de l'àme, le foyer du vrai, du
bien et du beau. N'est-ce pas Ganova, le grand sta-
tuaire, qui écrivait à Napoléon : « Toutes les reli-
gions nourrissent l'art, mais aucune ne le fait dans
la même mesure que la nôtre. » L'irréligion coupe
les ailes au génie et le met à pied. L'Eglise, en
sauvant les croyances, sauve du même coup les
beaux-arts à qui elle présente, pour les inspirer et
les alimenter, un idéal toujours élevé et toujours
précis.
Enfin elle offre à l'artiste avec les horizons de
l'Infini, avec la grandeur et la précision des idées,
la richesse et la variété des sujets. L'artiste chrétien
tient à sa disposition tous les sujets antiques; et il
a en plus les scènes chrétiennes, c'est-à-dire des
sujets infiniment plus beaux, plus riches, plus dra-
matiques que les sujets mythologiques.
Qu'y a-t-il de comparable aux scènes de l'Ancien
Testament? Si vous voulez vous convaincre de la
richesse artistique de la Bible, parcourez simple-
ment en curieux la Bible illustrée par G. Doré ou
par Tissot, et vous constaterez qu'il y a là tout un
monde de merveilles à explorer et à traduire.
Ouvrez l'Évangile. Quelle figure que celle du
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 87
Christ! Elle réalise non pas l'idéal d'un peuple,
d'un siècle, mais l'idéal de l'humanité tout entière.
C'est la plus parfaite expression de la beauté. De-
puis qu'elle -a vu cette figure de Jésus-Christ, l'hu-
manité ne peut plus l'oublier, elle ne peut plus
concevoir ni exprimer l'idéal sans lui emprunter
quelque chose; les arts désespèrent de l'atteindre,
mais ils vont lui demander leurs plus hautes ins-
pirations, et dans notre monde moderne, les plus
grandes œuvres de la peinture, de la statuaire, de
la musique et des lettres, sont des compositions re-
ligieuses. Quiconque ignore le christianisme est
tout dépaysé dans les régions de l'art. C'est pour-
quoi un célèbre critique, sceptique mais habile à
discerner ce qui élève et abaisse l'esprit, termine
une étude sur Pascal par. ces significatives paroles.
« Depuis que le Christ est venu dans le monde, un
idéal nouveau s'est posé devant les hommes. Ceux
qui ont méconnu Jésus-Christ, regardez-y bien,
dans l'esprit ou dans le cœur, il leur a manqué
quelque chose. » Cet aveu de Sainte-Beuve est bon
à retenir. Sous une forme très catégorique, il at-
teste que la religion chrétienne est le foyer non
seulement du vrai et du bien, mais aussi le foyer
du beau.
Elle offre à l'artiste les plus magnifiques sujets :
sujets bibliques, sujets évangéliques, et enfin su-
jets historiques empruntés à nos dix-neuf siècles
de christianisme. L'artiste chrétien n'a pas besoin
88 CONFÉRENCES AUX HOMMES
d'aller fouiller les vieux siècles païens. Qu'il explore
l'histoire des martyrs, l'histoire des croisades, l'his-
toire des nations chrétiennes, l'histoire de la cha-
rité, l'histoire en un mot de l'Église catholique, et
il trouvera là de quoi nourrir son esprit, de quoi
exalter son imagination, de quoi surexciter son
F
génie. L'Eglise est l'inspiratrice des arts. Elle en
est la bienfaitrice insigne.
II. L'Église bienfaitrice des arts.
Il y a une force d'erreur qui contraint au silence.
Il y a des calomnies si grossières qu'on ne se sent
pas le courage de les réfuter. Ainsi, lorsqu'on
entend soutenir que le christianisme est l'ennemi
des arts, on demeure muet d'étonnement; car, à
l'instant même, on ne peut s'empêcher de se rap-
peler Michel- Ange, Raphaël, .Carrache, Dominique,
Le Sueur, Poussin, Goustou, Ingres, Gounod et tant
d'autres artistes dont les noms sont dans toutes les
mémoires. Impuissant à tout dire, je vais me con-
tenter de vous signaler l'influence des papes et des
moines sur la marche des beaux-arts.
Ce sont les moines qui, après les désastres des
invasions où tout périt, retrouvèrent les procédés
artistiques et consacrèrent à la louange divine des
épopées de pierre, des poèmes d'ivoire et de pein-
ture, aussi bien que les chants liturgiques des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 80
heures canoniales. Si, avec les monuments littéraires
et scientifiques, l'Eglise cloîtrée ne put pas sauver
les monuments de l'architecture romaine, elle fit
mieux : là où les Barbares en avaient détruit un,
elle en éleva vingt, supérieurs par la beauté du
travail autant que par la noblesse du but. Aux
masses gigantesques, mais uniformes et lourdes,
des cirques, des amphithéâtres, des aqueducs, des
thermes, des palais, elle substitua les masses encore
plus gigantesques des cathédrales, avec leurs mer-
veilleuses tours, des hospices et hôtels-dieu, des
universités, des châteaux, des abbayes... modèles
inimitables de grandeur et de grâce, de solidité
et de délicatesse, qui impressionnent également
l'homme du peuple et le savant, et sont un défi à
la science moderne, tant la pensée qui anima et
harmonisa si bien ce monde de merveilles artis-
tiques reste mystérieuse!
Et puis l'architecture entraîna à sa suite les autres
arts. Le sculpteur mit à contribution l'ivoire aussi
bien que la pierre et le bois. Le ciseleur enrichit
des délicatesses de son burin les vases sacrés et les
châsses des saints. On travailla le fer avec une per-
fection jusqu'alors inconnue. Les légendes des
bienheureux se déployèrent en scènes naïves et
vivantes sur d'immenses tapisseries. La peinture
couvrit des richesses de sa palette les verrières des
cathédrales aussi bien que les parchemins des ma-
nuscrits. Et la musique, entrant dans le sanctuaire
90 CONFÉRENCES AUX HOMMES
de Dieu et des arts, s'épancha en mélodies austères
ou joyeuses, mais toujours simples, dont l'oreille
suivait avec facilité le rythme et le développement.
Et en même temps qu'ils ressuscitaient les arts,
les moines, désireux d'en propager l'enseignement,
élevaient à l'ombre des cloîtres des écoles célèbres
où des générations entières d'artistes venaient
chercher des modèles, des leçons, des maîtres et
des traditions. C'est là, à l'école des moines, que
nos pères, ouvriers et patrons, ingénieurs et ma-
nœuvres, puisèrent l'idée de se grouper et de se
réunir en corporations, aussi bien pour les progrès
de l'art que pour les intérêts des artistes. Embri-
gadés sous la bannière de leurs confréries, ils exé-
cutèrent ensemble ces chefs-d'œuvre d'orfèvrerie,
de sculpture, de ferronnerie, d'enluminure, de
broderie, de tapisserie, de peinture qu'on se dis-
pute aujourd'hui, et dont le moindre est tenu pour
un trésor.
Tel fut le moyen âge. Après avoir lutté contre
mille obstacles, l'Eglise ramenait le chœur des
muses sur la terre, jusqu'au jour où, sous l'action
directe des Papes, les ruines de la Grèce et de Rome
livrèrent leurs secrets à la Renaissance.
Les Papes nous apparaissent dans l'histoire comme
les protecteurs des beaux-arts. Rome, centre radieux
des croyances chrétiennes, a été de tout temps la
capitale des arts, le paradis terrestre des artistes.
Jules II, qui semblait ne respirer que la guerre et
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 91
faisait tout trembler autour de lui, était l'idole des
Michel-Ange, des Raphaël. Sixte-Quint, si sévère, si
ennemi des folles profusions, commandait des pro-
diges aux Fontana, aux autres artistes de son temps,
et les récompensait avec une magnificence inouïe.
Hhose curieuse ! C'est l'Eglise qui a découvert, con-
servé et glorifié les monuments de Fart antique.
Elle a donné un trône à l'Apollon des païens.
L'Eglise a conscience de sa divinité, elle agit sage-
ment en rangeant autour de la tombe du pêcheur
galiléen l'innombrable famille des dieux que sa
parole renversa. Pie VII, pour bien montrer que
la grande Révolution n'avait point interrompu
l'amour traditionnel de l'Eglise pour les arts, a
comblé d'honneur l'illustre statuaire Canova. Gré-
goire XVI a donné une nouvelle tombe au pre-
mier peintre de l'univers, à Raphaël, et, continuant
l'œuvre de ses prédécesseurs, il >a complété les
immenses collections de chefs-d'œuvre amassées
dans les galeries du Vatican. Léon XIII a été un
ami éclairé et un protecteur zélé des lettres, des
sciences et des arts.
(Test assez. Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir
que l'Eglise est l'inspiratrice et la bienfaitrice des
arts. L'Eglise est divine de tous les côtés et sous
tous les aspects. Elle possède le vrai, elle répand le
bien, elle cultive le beau. Gloire à elle!
Amen!
DIXIEME CONFERENCE
IV. ~ L'ÉGLISE ET L'ENSEIGNEMENT
1° l'église et les livres de l'antiquité païenne
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance intellectuelle.
Elle aime, elle protège, elle cultive les lettres, les
sciences, les arts. Elle fait plus. Elle les propage.
Non contente d'avoir la science, elle veut la ré-
pandre, et elle ne possède la lumière que pour
la donner. Etudions ses bienfaits dans l'ordre de
renseignement. D'abord elle a conservé les sources
du savoir antique, c'est-à-dire les livres des au-
teurs païens, grecs et latins... C'est là un bienfait
immense qui mérite de retenir notre attention.
Nous allons constater et admirer aujourd'hui la con-
duite de l'Eglise à l'égard des livres de l'antiquité
païenne.
I. Quand l'Église entra dans le monde, déchira-
t-elle les livres des auteurs païens? Non. Elle s'em-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 93
para de la lyre d'Homère et la plaça dans les mains
de Grégoire de Nazianze pour chanter le vrai Dieu.
Elle lut Platon et le donna à méditer à Justin et à
Athénagore, philosophes chrétiens. Elle reçut à
Antioche les leçons de Libanius, à Rome celles de
Symmaque, à Athènes celles de la tradition tout
entière, et, après avoir surpris au pied de ces chaires
encore païennes les secrets de l'art antique, elle
ramena dans ses sanctuaires saint Basile, saint
Ambroise, saint Chrysostome avec l'éloquence ra-
jeunie, Origène et Tertullien avec la controverse
naissante, saint Jérôme avec tous les trésors de
l'érudition sacrée et profane, saint Augustin, orateur,
philosophe, historien, le dernier écrivain en qui se
résume le monde ancien qui s'éteint, le premier
penseur en qui s'annonce tout le génie de la civili-
sation moderne. Dès l'origine, l'Eglise s'empare
des livres de l'antiquité païenne et garde au monde,
envahi par la barbarie, l'art de penser, d'écrire, de
compter, de parler et de se souvenir, devenu dé-
sormais pour elle un dépôt sacré. Ceci n'est pas
contestable.
La plupart des Pères de l'Eglise avouent leur pré-
férence, ou, comme ils disent eux-mêmes, leur fai-
blesse pour l'écrivain qui a charmé leur jeunesse et
auquel ils doivent en partie les grâces de leur style,
ou la puissance de leur dialectique, ou encore leur
profonde connaissance du cœur humain.
L'Eglise non seulement permet, mais conseille à
94 CONFÉRENCES AUX HOMMES
une élite intellectuelle l'étude des lettres païennes.
Elleypousse, elle veutqu'onlesconnaisseàfond. Saint
Nil le Majeur dispose le Manuel d'Epictète à l'usage
des chrétiens. Saint Basile compose un traité, destiné
à ses disciples, sur la manière de lire les auteurs pro-
fanes. Vainement Julien l'Apostat voudrait étouf-
fer sous le mépris l'Église condamnée à l'ignorance
et la dépouiller du prestige du savoir, l'Eglise se rit
des terreurs et des persécutions de Julien. Elle le
couche dans le cercueil que lui a préparé le char-
pentier de Galilée, et elle se livre avec ardeur non
seulement aux sciences sacrées, mais encore aux
sciences profanes. Où trouver des esprits plus culti-
vés que Clément d'Alexandrie et saint Grégoire de
Nazianze, dont l'un avait approfondi et expliqué les
origines de la mythologie païenne, tandis que l'autre
puisait aux écoles d'Athènes les principes de l'élo-
quence dans laquelle il devait égaler Démosthène?
Quel grammairien païen fut plus familier avec les
classiques que saint Ambroise, dont les discours
rappellent par leur éloquence toute cicéronienne les
meilleurs temps de la littérature latine? Quel siècle
de l'antiquité a produit une érudition plus vaste
que celle de saint Augustin, et quelle encyclopédie
égala jamais la Cité de Dieu? Quel lettré, quel hu-
maniste professa pour les modèles anciens un culte
pareil à celui dont les entoura saint Jérôme ? Il em-
porte avec lui en Orient, dans la grotte de Bethlé-
hem, les livres des orateurs païens; il les lit avec
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISEx 95
un tel enthousiasme que sa piété en est effrayée.
« Homme faible et misérable, dit-il, je jeûnais avant
de lire Cicéron. Après plusieurs nuits passées dans
les veillées, après des larmes abondantes que m'ar-
rachait le souvenir de mes fautes, je prenais Pla-
ton. Lorsqu'ensuite, revenant à moi, je m'attachais
à lire les Prophètes, leurs discours me semblaient
rudes et négligés. Aveugle que j'étais, j'accusais la
lumière ! » Saint Jérôme menait de front l'étude
des Saintes Ecritures et la lecture des auteurs païens.
Il était doublement fort, et, au nom du christia-
nisme naissant, il pouvait jeter au monde ce cri de
triomphe : « Nous ne craignons aucune espèce de
comparaison. »
r
IL Au moyen âge, l'Eglise conserve avec un soin
jaloux les écrits de l'antiquité. Par un prodige de
premier ordre, elle sauve de l'invasion des Barbares
et des révolutions des peuples les chefs-d'œuvre de
la civilisation grecque et romaine. Dans l'Europe
changée en champ de bataiHe, on trouve abrités
dans les vallées, ou retranchés sur le sommet des
montagnes les asiles de la science et une armée char-
gée de la conserver et de la transmettre : les cou-
vents et les moines.
Les couvents sont partout. L'Italie en est rem-
plie. On rencontre sur les bords de la Loire les
abbayes savantes de Fleury et de Ligugé ; puis plus
96 CONFÉRENCES AUX HOMMES
loin, échelonnées vers le nord, Ferrières, Saint-
Wandrille, Le Bec, Luxeuil, Corbie. En Suisse,
fleurissent les monastères de Reichenau et de Saint-
Gall. En Angleterre, on rencontre à chaque pas
des collèges et des séminaires. En Irlande, sept
mille étudiants font entendre leur murmure stu-
dieux dans la seule ville d'Armagh. Dans la Ger-
manie presque sauvage, parmi les Saxons conver-
tis d'hier, on trouve les fondations de saint Boni-
face, l'école de Fulda et la nouvelle Corbie sur le
Wéser; bien plus, on découvre un couvent de reli-
gieuses savantes, le monastère de Roswitha.
Et que fait-on dans ces maisons religieuses? On
prie et on travaille. On étudie et on enseigne. A
côté des Saintes Écritures et des livres liturgiques,
on a les auteurs profanes. On les conserve précieu-
sement. On les transcrit magnifiquement. L'impri-
merie n'existait pas encore. Ce sont les moines qui
ont multiplié et disséminé sans relâche les pré-
cieux parchemins de l'antiquité savante. A leurs
yeux la transcription des manuscrits était une
œuvre sainte, méritoire. Il y avait des jours où
l'on priait en commun pour les copistes. Outre les
religieux appliqués habituellement à ce travail, i) y
avait certains temps, comme le Carême, où toute
la communauté s'y adonnait. Les statuts des Char-
treux, rédigés auxne siècle, prouvent que la transcrip-
tion était leur occupation ordinaire. Charlemagne
accorde la permission de chasser aux religieux de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 97
Saint-Bertin, afin qu'ils aient des peaux pour la
reliure des livres de l'abbaye.
Vous avez souvent entendu parler de l'ignorance
monacale. Sachez donc un peu à quoi vous en tenir
là-dessus. Au milieu du ixe siècle, Loup, abbé de
Ferrières, écrit au pape Benoît III pour lui deman-
der des livres qu'il ne trouve pas en France: saint
Jérôme, Cicéron, Quintilien, Térence, promettant
de les faire copier et de les renvoyer. Il avait établi
ses copistes, non à Ferrières, mais à la Celle-de-
Saint-Josse, à cause du voisinage de Montreuil, pour
l'arrivée et le retour plus faciles des livres qu'il
tirait des monastères de la Grande-Bretagne. Quel
bibliomane que Gerbert, moine, puis pape sous le
nom de Sylvestre II! Ses lettres ne parlent que de
livres et de sommes qu'il employait à faire trans-
crire ceux qu'il découvrait en France, en Italie, en
Allemagne, dans les Pays-Bas. Il demande aux
moines de Fleury les livres de Cicéron : la Ré-
publique, les Verrines et ses autres discours. Et
Pierrele Vénérable, abbé de Cluny ! Il allait jusqu'en
Espagne acheter au poids de l'or les traductions
des livres arabes, entre autres celles de l'Alcoran;
à l'abbaye de Fleury-sur-Loire, il y avait plus de
cinq mille étudiants, et chaque écolier devait,
pour l'honoraire des maîtres, leur présenter tous
les ans deux volumes qu'il avait transcrits... c'était
donc un tribut annuel de dix mille( volumes. Dans
l'incendie qui consuma le monastère de Fleury sur
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-7
98 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la fin du ixe siècle, les moines abandonnèrent
leur mobilier aux flammes pour sauver leur biblio-
thèque. — L'abbé de Saint-Galles, pour préserver
la bibliothèque de son abbaye du pillage des Hon-
grois, la faisait transporter dans les montagnes de
la Suisse. — Et les livres sacrés et ecclésiastiques
n'étaient pas seuls l'objet de tant de sollicitude.
Les moines regardaient la conservation des auteurs
profanes comme un devoir de religion. De savants
religieux, exténués de jeûnes, se consumaient de
veilles et de travaux pour nous transmettre les li-
cencieuses fictions de la mythologie. Ils espéraient
que la connaissance des étranges altérations de
l'esprit humain nous ferait mieux apprécier les lu-
mières de la foi, et dans les vérités éparses que
contenaient les livres des païens ils voyaient la
préface humaine de l'Evangile. C'est ainsi que, pen-
dant tout le moyen âge, les classiques anciens ont
été conservés et transcrits par l'Eglise avec la vigi-
lance la plus attentive. Grâce aux évêques et aux
moines, grâce à la sainte Église, la science du grec
et du latin était alors plus répandue qu'elle ne l'est
aujourd'hui. Au xme siècle, le latin est commun à
tous les rangs de,, la société, et, après la prise de
Constantinople par les Croisés, le grec se répand
de plus en plus en Occident. Toutes les œuvres de
ce temps débordent de réminiscences classiques.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 99
III. Arrive la Renaissance avec la découverte de
l'imprimerie. L'Eglise n'abandonne pas les livres
de l'antiquité païenne. Un Pape, dont le goût artis-
tique et le sens littéraire égalaient l'habileté poli-
tique, Léon X, prend la tête du mouvement et le
dirige avec une telle sagesse qu'il mérite de donner
son nom au siècle de la Renaissance. Gutenberg
vient d'inventer l'imprimerie, et les savants grecs,
exilés de Constantinople, errent sans asile. Que
fait Léon X? Il profite de ces deux circonstances
pour vulgariser en Italie" la connaissance de la
langue d'Homère. Jean de Lascaris, qu'il fait venir
de Venise, lui amène une colonie de jeunes hellé-
nistes qui, comblés de ses faveurs et de ses libéra-
lités, mettent tous leurs soins à faire connaître les
chefs-d'œuvre de cette antique littérature. Bientôt
les presses d'Aide Manuce produisent une édition
des œuvres de Platon . Homère et Sophocle sont exhu-
més de l'obscurité où ils restaient ensevelis. L'im-
primerie, aussitôt favorisée et utilisée par l'Eglise,
met à la portée de tous les lettrés les œuvres de
Pindare et de Théocrite. La langue latine appelle
également l'attention du Pape. Sadolet et Bembo,
ses secrétaires, restituent à l'idiome de Cicéron et
de Virgile sa pureté primitive. Léon X achète au
prix énorme de 500 ducats un exemplaire des cinq
premiers livres de Tacite, qui fut tiré de l'abbaye
de Gorwey en Westphalie, et le livre aux soins de
100 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'un de ses meilleurs imprimeurs. En un mot, le
goût des classiques se développe tellement qu'il va
jusqu'à l'exagération et provoque un retour des
esprits et des mœurs au paganisme.
Et pendant que l'Italie obéissait ainsi à l'impul-
sion puissante de Léon X, que devenaient l'Alle-
magne et l'Angleterre, travaillées à la même époque
par les adeptes de la réforme? « Les hautes écoles,
dit Luther, mériteraient qu'on les détruisît de fond
en comble, car jamais depuis que le monde est
monde il n'y eut d'institution plus diabolique. »
Et, de fait, sous les pas du Réformateur, les écoles
se ferment, les maîtres sont dispersés, et les peuples
retombent dans la nuit de l'ignorance.
Mais à cette même heure si critique pour l'Eglise
et pour les lettres, Dieu suscite un ordre religieux
dont la mission principale est de veiller à la con-
servation des études, de les favoriser au milieu du
protestantisme, et souvent malgré lui. Les Jésuites
relèvent ce que Luther a détruit, et à Cologne, à
Trêves, à Mayence, à Augsbourg, à Paderborn, à
Anvers, à Prague, à Posen, ils ouvrent des collèges
où les lettres anciennes sont cultivées avec ardeur.
Ils vont plus loin. Ils publient et répandent dans
toute l'Europe lettrée ces éditions annotées et
expurgées, ces commentaires si savants, si ingé-
nieux et en même temps si réservés et si prudents,
qui ont fait autorité jusqu'à nos jours dans tous les
établissements chrétiens.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 101
Et cette restauration universelle ne s'est pas bor-
née aux contrées envahies par la Réforme. Personne
n'ignore que la plupart des grands hommes de
notre xvne siècle reçurent dans les collèges des Jé-
suites l'éducation qui développa et fortifia leur gé-
nie. Et dans les collèges une large part du pro-
gramme d'instruction est donnée à l'étude des
anciens. Chez les Jésuites aucun élève n'était admis
à prendre des leçons de sciences ou de philosophie,
s'il ne possédait une connaissance suffisante des
langues grecque et latine; et cet usage, universel
dans les maisons de la compagnie de Jésus, fat
bientôt adopté dans les collèges de l'Université.
11 est donc prouvé et mille fois prouvé que dès
l'origine, et au moyen âge ou à la Renaissance, et
depuis dix-neuf siècles, l'Eglise n'a pas cessé de
veiller sur les livres de l'antiquité païenne, de
les protéger, de les propager, avant comme après
l'invention de l'imprimerie. Et ici, nous avons le
droit de redire la fière parole de saint Jérôme :
« Nous ne craignons aucune espèce de comparai-
son. » L'Eglise à travers les siècles a gardé les
sources du savoir antique. Je plaindrais ceux qui
n'auraient pas le courage de la remercier.
Amen!
ONZIÈME CONFÉRENCE
1° l'église et les livres de l'antiquité PAÏENNE
(suite)
Messieurs,
L'Église a conservé précieusement les sources
du savoir antique, les livres des anciens païens.
Comment s'expliquer une pareille conduite? Est-ce
que l'Église aurait un certain amour pour ces livres
trop souvent remplis d'erreurs et d'immoralités?
Mais oui, l'Église les aime, elle les aime sagement.
Après avoir vu ce qu'elle a fait pour eux, voyons
aujourd'hui ce qu'elle en pense. Étudions l'opinion
de l'Église sur les livres de l'antiquité païenne.
Quelle est la pensée et le désir de l'Église à ce
propos?
I. Ce que V Église pense des classiques païens.
Elle pense qu'il est utile de les connaître et de
les étudier, parce qu'ils renferment des vérités
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 103
éparses. Oui, malgré les ténèbres qui couvraient
l'intelligence humaine avant Jésus-Christ, il faut
reconnaître sur le front des grands hommes de
l'antiquité un reflet de la lumière d'en haut. Les
plus belles pages de leurs œuvres ont été inspirées
parles restes flottants des traditions hébraïques. Les
hymnes d'Orphée et de Gléanthe rappellent de loin
les chants sacrés qui célèbrent la gloire de Jého-
vah. Plusieurs passages d'Eschyle semblent des
imitations du livre de Job. Homère rivalise souvent
avec la majesté et la simplicité des récits bibliques.
De plus, les auteurs anciens travaillaient sur le
fonds commun et inépuisable des idées- et des senti-
ments naturels ; ils avaient sous les yeux le modèle
éternel de toute peinture émouvante et vraie :
l'homme même, avec ses tristesses et ses joies, ses
misères et ses vertus, et les étranges vicissitudes
de son pèlerinage ici-bas. Sans doute ils n'ont
jamais pu, malgré toutes les ressources de l'art
et toutes les puissances du talent, se rendre pleine-
ment maitres de leur sujet. Ils n'ont su découvrir
de la nature de l'homme, de son origine, de ses
destinées, de ses aspirations infinies, que très peu
de choses ; du vrai Dieu ils n'ont presque rien dit ;
et néanmoins quiconque a seulement parcouru les
chants héroïques de la Grèce sait quels monuments
le génie est parvenu à élever avec ces débris épars.
Aussi l'Eglise, dont la mission est de révéler dans
son plein jour la lumière que le paganisme avait
lOi CONFÉRENCES AUX HOMMES
parfois entrevue, se garde bien de déchirer des
pages qu'elle regarde comme une préface humaine
de l'Évangile. Elle déclare qu'il est non seulement
permis, mais utile de connaître et d'étudier les clas-
siques païens, parce qu'ils renferment des vérités
éparses.
Et aussi parce qu'ils se recommandent par une
beauté de forme tout à fait digne de respect et
d'admiration. En effet les anciens sont restés les
vrais modèles et le meilleur guide en l'art litté-
raire. Malgré la pauvreté de la doctrine païenne sur
laquelle ils ont exercé leur génie, ils sont habituelle-
ment plus simples, plus naturels, plus sincères que
leurs imitateurs modernes. Leurs écrits ne sentent
pas l'effort. Voyez les tragiques grecs en particulier.
Artistes d'une sincérité admirable, tout entiers à
l'idéal qui les a charmés, ces vieux maîtres ne
paraissent jamais préoccupés de philosopher, ni de
créer la difficulté pour conquérir l'honneur de la
vaincre. A la différence de nos auteurs modernes,
même les meilleurs, qui attachent beaucoup de
prix à éveiller, à surexciter et à satisfaire enfin la
curiosité, ils ne poursuivent qu'un but : la simple
expression du Beau. Point de complications, ni de
ruses du métier; jamais de ces coups de théâtre
dont l'effet principal est de surprendre le lecteur ou
de le tenir en haleine. S'ils s'émeuvent, c'est d'admi-
ration, de tristesse, de terreur, de pitié. L'impres-
sion qu'ils laissent, c'est celle d'un ravissement
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 105
calme, silencieux, qui repose et épanouit l'âme,
non celle d'un étonnement qui l'agite et la trouble.
Tel est le secret de l'empire exercé par les clas-
siques anciens sur les meilleurs esprits de toutes
les nations et de tous les siècles ; tel est le secret de
l'enthousiasme qui inspirait au poète, M.-J. Ghénier,
cet éloquent hommage :
Trois mille ans ont passé sur la tombe d'Homère,
Et depuis trois mille ans, Homère respecté,
Est jeune encor de gloire et d'immortalité I
L'Eglise, Messieurs, ne désavoue pas ces senti-
menls. Elle les partage. Elle déclare hautement
qu'il est utile de connaître et d'étudier les clas-
siques païens, pour la double raison qu'ils sont
recommandables et par la beauté de la forme et
par les vérités éparses qu'ils ont sauvées du nau-
frage de Terreur universelle.
Cependant, ici comme partout, il est nécessaire de
ne rien exagérer, et il importe de ne pas attribuer
à l'Eglise une admiration sans limites pour les
classiques païens. Nous connaissons sa pensée. Etu-
dions ses désirs.
II. Ce que l'Église désire par rapporta l'enseigne-
ment des classiques païens.
Dès le xvne siècle certains hommes proposèrent de
106 CONFÉRENCES AUX HOMMES
bannir les auteurs païens de l'éducation publique,
mais cette idée ne fut soutenue que par un petit
nombre d'esprits singuliers. Dans la fameuse que-
relle des Anciens et des Modernes, l'Eglise, restée
fidèle à ses traditions, continua d'admirer l'élo-
quence et la poésie répandues dans les ouvrages
classiques, comme des reflets lointains de la vérité
et de la beauté éternelles. Plus tard, en présence
des tendances de plus en plus païennes de l'ensei-
gnement universitaire, de nombreux ecclésias-
tiques demandèrent que l'on fît une part plus large
dans les collèges chrétiens à l'explication des auteurs
chrétiens. C'était justice. L'Eglise, bien entendu,
n'a jamais eu l'intention d'exclure les écrits des
Anciens. Mais elle demande trois choses qui sont
souverainement raisonnables.
r
L'Eglise demande d'abord que les classiques
païens soient expurgés. Il y a dans les auteurs païens
des énormités, des immoralités, même dans Platon,
même dans Virgile. Irez-vous étaler ces lubricités
sous les yeux d'une jeunesse curieuse et incan-
descente? Ce serait une souveraine imprudence.
Avant donc d'introduire dans le programme de
l'enseignement les ouvrages de l'antiquité, il est
absolument nécessaire de les émonder, de les dé-
barrasser des passages qui seraient dangereux pour
la vertu des étudiants. En 1853, le pape Pie IX,
écrivant aux évêques de France, leur dit : « Con-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE d07
tinuez comme vous le faites à ne rien épargner
pour que les jeunes clercs soient formés de bonne
heure à toute vertu... pour qu'ils soient instruits
avec autant de profondeur que de vigilance des
lettres humaines et des sciences sacrées... pour
qu'ils puissent apprendre l'art de parler avec élo-
quence, d'écrire élégamment, en étudiant tant les
ouvrages si excellents des saints Pères que lés écrits
des écrivains païens les plus célèbres, après qu'ils
auront été soigneusement expurgés. » La décision est
nette et précise. Il faut garder les classiques païens.
Mais, avant de les mettre entre les mains de la jeu-
nesse, il faut les expurger. Telle est la règle tracée
par l'autorité légitime, et cette règle repose sur le
plus simple bon sens. L'Eglise, mère intelligente
et attentive, désire que les classiques païens soient
expurgés.
Elle désire de plus qu'ils soient expliqués. Il
importe d'en montrer les beautés. Mais il n'im-
porte pas moins d'en montrer les lacunes et les in-
suffisances. Sans cela la jeunesse studieuse ne con-
naîtrait jamais ni ce que nous devons d'amour et
de reconnaissance au christianisme, ni ce que mé-
ritent de mépris les farceurs qui nous vantent les
lumières de la raison et de la philosophie humaine
en matière religieuse et sociale. 11 y a dans les
auteurs anciens une révélation du paganisme.
Voilà ce qu'il faut voir, montrer et expliquer. Sans
108 CONFÉRENCES AUX HOMMES
doute le tableau vrai du paganisme a un côté im-
monde qu'il faut soigneusement dérober au regard
de la jeunesse. Mais il a en même temps un côté
barbare, inhumain, qu'il importe de mettre en lu-
mière... côté tellement incroyable pour l'adoles-
cent élevé au sein d'une famille et d'une société
chrétienne qu'il est bon d'appeler en témoignage
l'élite des écrivains de l'antiquité. Voilà ce qu'il
faut montrer aux jeunes gens dans le paganisme :
l'élégance parfaite de la pensée et de la langue, la
culture passionnée des lettres, de la philosophie,
des beaux-arts s' unissant à la férocité des mœurs,
à l'atrocité des lois, et les plus nobles esprits de
l'époque justifiant, défendant, célébrant des insti-
tutions dont la barbarie nous fait frémir. Si on ne
fait pas cela, la jeunesse s'éprend d'un engouement
pernicieux et ridicule, non seulement pour la litté-
rature, mais pour la civilisation grecque et ro-
maine; et après dix-neuf siècles de christianisme on
forme des païens qui se pâment d'admiration devant
l'antiquité. Je le crois bien! Ils ne la connaissent
pas. Ils n'en ont vu que la surface brillante. On ne
leur a pas montré les plaies profondes et incu-
rables qui se cachent sous le vêtement soyeux des
nations idolâtres. L'Église veut donc et elle a rai-
son de vouloir que les classiques païens soient
expurgés et expliqués.
Elle désire enfin qu'ils soient complétés par l'étude
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 109
des classiques chrétiens. Ce que le pape Pie IX
avait dit une première fois en 1853, il l'a redit de
nouveau en 1874, à savoir « qu'il faut faire étudier
à la jeunesse, avec les ouvrages classiques des
anciens païens purgés de toute souillure, les plus
beaux écrits des auteurs chrétiens». C'est clair. Et
d'ailleurs quoi de plus raisonnable et de plus néces-
saire? On s'étonne et l'on s'afÛige de voir bon nombre
de jeunes gens afficher, au sortir des études, le mépris
des idées religieuses et faire profession d'irréligion.
Comment en serait-il autrement quand leur esprit,
préoccupé exclusivement des images de la Grèce
et de Rome, s'est habitué à voir dans les nations
païennes le type de la perfection intellectuelle et
sociale, quand l'étude du christianisme, bornée à
la simple connaissance des devoirs religieux,
semble n'être placée là que pour contraster par
l'austérité de ses dogmes et de sa morale avec les
riantes et voluptueuses fictions de la mythologie?
Dans cet âge d'illusions et de folies, quel est le
jeune homme nourri des gracieuses inventions de
la Grèce menteuse, des grandioses souvenirs de
Rome maîtresse du monde, qui ne soit tenté de
regretter cet âge d'or, qui ne s'afflige en secret de
n'être pas ou grec ou romain? L'antiquité lui est
connue jusque dans ses moindres détails, et il ne
sait pas un mot des martyrs, des écrits des Pères,
de l'histoire de nos saints, des merveilles de notre
civilisation chrétienne. C'est un désordre. Tant que
110 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la jeunesse n'aura sur la société païenne que les
jugements des auteurs païens, et sur le christia-
nisme que les leçons d'un maigre catéchisme, elle
ne connaîtra pas la vérité totale et, donnant secrè-
tement la préférence aux païens sur les chrétiens,
elle sera tentée de dire avec Voltaire: «Dieu visita
le monde et ne l'a pas changé. »
— L'Église désire que les classiques païens
soient expurgés, expliqués et complétés par l'étude
des classiques chrétiens. Elle a raison. Ne dites
pas qu'elle est exagérée dans ses prétentions et
qu'elle sacrifie les grands modèles de l'antiquité.
Bien au contraire. Elle les a toujours protégés.
Et aujourd'hui encore que voyons-nous? Nous
voyons notre société frivole abandonner de plus en
plus Tétude du latin et du grec. Le temps consa-
cré autrefois aux thèmes et aux versions est employé
maintenant aux expériences de physique et aux
leçons d'histoire naturelle. La science du bien-être
matériel peut y gagner ; mais les générations nou-
velles ne verront-elles pas en revanche diminuer
et s'éteindre la vigueur de l'intelligence, l'élévation
de la pensée, la distinction de l'esprit, la rectitude
du jugement, la noblesse du caractère ? Faut-il donc
désespérer de l'avenir intellectuel de notre pays ?
Non, l'Eglise reste. L'Eglise veille. Elle a fait la
gloire littéraire de la France comme sa grandeur
politique. Or l'Église est debout. Elle a des écoles
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE \\{
libres où elle conserve, comme, en un sanctuaire,
le dépôt des saines traditions. C'est de là que
viendra la lumière, lorsque la tempête des révolu-
tions aura passé. L'Eglise, depuis dix-neuf siècles,
garde les sources du savoir ; elle ne faillira pas à
sa tache dans l'avenir I
Amenl
DOUZIÈME CONFERENCE
2° l'église et l'enseignement SUPÉRIEUR
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance intellectuelle.
Elle protège et cultive les lettres, les sciences et les
arts. Et, non contente de posséder le savoir, elle le
répand. Elle enseigne avec un égal amour et une
vigilance égale toutes les classes de la société, les
classes dirigeantes et les classes populaires. Etu-
dions aujourd'hui les bienfaits de F Eglise dans
Tordre de l'enseignement supérieur. Il y a là ma-
tière à plusieurs volumes. J'essaierai de tout dire
en deux conférences. Nous parlerons successive-
ment des propagateurs et des établissements de l'en-
seignement supérieur.
A travers dix-neuf siècles l'Eglise a propagé l'en-
seignement supérieur par le moyen des Papes, des
évêques, des moines, des rois catholiques et d'une
multitude d'hommes éminents animés de son esprit
et sortis de son sein.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 113
I. Les Papes et les Évêques fondent l'enseigne-
ment supérieur.
En envahissant l'Europe, les barbares ensevelis-
saient dans les mêmes ruines les institutions poli-
tiques et les écoles romaines. En présence de la
force brutale, une seule puissance restait debout,
l'Eglise catholique, tenant d'une main fernfë le
flambeau de la science ramassé au milieu des dé-
bris. Et aussitôt nous la voyons partout se mettre à
l'œuvre pour enfanter l'enseignement supérieur. Les
Papes et les évêques tiennent la tête du mouvement.
En Italie, le pape Grégoire le Grand fonde dans le
palais de Latran une école de chantres où l'on
se borne d'abord à enseigner la musique, et qui,
devenue par ses transformations successives la
lumière de Rome et l'exemple de l'Occident, sert
de modèle à l'école du palais des Mérovingiens.
Gardée par le génie vigilant et initiateur de la Pa-
pauté, Rome, pendant et après les invasions, restait
reine et maîtresse entre les nations, car elle tenait
toujours le sceptre de l'intelligence.
En Espagne, les lettres grecques et latines étaient
en paix et en honneur sous la crosse des évêques.
Les écoles épiscopales se soutenaient au sein même
de l'invasion musulmane, et, à la fin du xe siècle,
l'illustre Gerbert venait s'instruire dans le palais
épiscopal de Vich en Catalogne.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-8
1 [ y CONFÉRENCES AUX HOMMES
En France, les évoques ouvraient dans leurs
palais de florissantes écoles. Hincmar, le célèbre
archevêque de Reims et Foulques, son successeur,
fondèrent ainsi un établissement d'instruction qui
conserva sa renommée pendant tout le moyen âge.
Et dans ces écoles épiscopales, comme aujourd'hui
dans nos séminaires mixtes, de futurs lévites et de
jeunes séculiers, des jeunes gens, destinés les uns
à la vie ecclésiastique et les autres à la vie du
monde, s'initiaient ensemble à la science sacrée et
à la science profane. Dans ces temps reculés, du
ve au xme siècle, l'Eglise par ses évêques s'acquit-
tait déjà de son rôle d'institutrice de l'Europe. Mais
les évêques ne pouvaient seuls suffire à une pareille
tâche, absorbés qu'ils étaient par Févangélisation
des peuples et par l'administration des diocèses;
obligés de pourvoir en même temps aux besoins
spirituels" des populations et aux nécessités tempo-
relles, de la société civile, ils n'avaient ni le temps
ni les moyens de donner tout son essor à l'enseigne-
ment supérieur.
II. Les moines apparaissent et instituent dans
leurs monastères des écoles conventuelles. Dès l'an-
née 360, saint Martin fonde à Ligugé un monastère
célèbre, puis d'autres foyers de lumière à Milan,
à Trêves, à Tulle et surtout à Marmoutiers, sa
résidence. Et successivement, sur tous les points
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE H 5
de la France, nous voyons surgir de grandes abbayes,
comme, chez nous, Ferrières-en-Gâtinais et Saint-
Benoît-sur-Loire, qui distribuent le haut enseigne-
ment et qui recueillent jusqu'à quatre ou cinq mille
élèves.
En Italie, même efflorescence de monastères et
d'écoles conventuelles. Dans la Lombardie, au fond
des âpres déserts de l'Apennin, à Bobbio, saint
Colomban venu d'Irlande fonde un grand monas-
tère où les études sont en honneur, où les traditions
du savoir se conservent si bien qu'au xe siècle la
bibliothèque de Bobbio possède des écrits de Démos-
thène et d'Aristote, les principaux poètes latins, et
une quantité incroyable de grammairiens. Et en
même temps un autre foyer de sciences s'allume au
midi de l'Italie. Saint Benoît donne à ses religieux
du mont Cassin cette règle célèbre qui régit bientôt
tous les cloîtres de l'Occident et qui impose aux
moines Bénédictins la culture des lettres.
En Irlande, les monastères sont les abris de la
science, et en Angleterre surgissent de grandes écoles
monastiques dont la renommée a rempli l'Europe
pendant des siècles : Gantorbéry, Oxford, Cambridge,
Winchester. C'est en Angleterre que Gharlemagne a
pris le moine Alcuin, qui fut le véritable éducateur
de la France carlovingienne.
Ainsi dès ces temps reculés, duv°au xme siècle,
l'Eglise, par ses évoques et par ses moines, remplis-
sait assez bien son rôle d'éducatrice de l'Europe.
416 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Cependant les moines et les évêques ne suffisaient
pas à la tâche. L'Eglise, pour assurer le service
si nécessaire de l'enseignement supérieur, chercha
et trouva de puissants collahorateurs dans la per-
sonne des princes chrétiens.
III. Les rois catholiques coopèrent efficace-
ment à la création et à la diffusion de l'enseigne-
ment supérieur, sous l'influence de l'Eglise qui les
inspire, les dirige et les encourage.
Glovis fonde une école dans son propre palais;
ses successeurs la conservent et la développent.
Cette école, après n'avoir été d'abord qu'un noviciat
ecclésiastique, devint bientôt un apprentissage des
grands emplois publics pour la jeunesse laïque.
Puis voici Charlemagne ; il se fait initier lui-même
parles savants étrangers à toutes les science^ connues
de son temps. Il attire auprès de lui le diacre lom-
bard, Pierre de Pise; Théodulphe, également lom-
bard, élevé plus tard sur le siège épiscopald'Orléans;
l'Espagnol Agobard; saint Benoît d'Aniane, et
enfin le moine anglais Alcuin, qui fut comme le
ministre de l'instruction publique de Charlemagne.
Sous sa direction, l'école du palais prit une impor-
tance et un éclat extraordinaires. Elle devint une
académie d'hommes lettrés et savants. Elle devint,
avec le concours du monarque, des moines, des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE H7
abbés et des évêques, avec le double concours du
clergé et des rois très chrétiens, cette fameuse école
de Paris, premier germe des Universités.
Là, à l'école de Paris, accouraient les écoliers
pour y recevoir les leçons des maîtres les plus
célèbres du monde entier. Ces écoliers formaient,
par leur grand nombre, une population distincte,
et, au commencement du xme siècle, sous Philippe-
Auguste, l'affluence de ces jeunes gens devint si con-
sidérable que la population s'en trouva doublée et
ju'il fallut pour ce motif élargir l'enceinte de la
Cité. L'heure était venue de donner à ce vaste corps
enseignant une organisation. Par suite d'un di-
plôme émané de Philippe-Auguste et de deux bulles
promulguées par Innocent III, lesprofesseurs et leurs
disciples se constituent en corporation, et leur com-
munauté s'appelle désormais régulièrement l'Uni-
versité des maîtres et des étudiants de Paris, ou
simplement l'Université des études, et plus tard
l'Université tout court. Nous arrivons ainsi à la
période brillante et définitive de l'enseignement
supérieur. C'est l'Eglise qui a tout fait soit par elle-
même avecsesPapes, sesévêques etses moines, soit
par les rois catholiques dont elle a suscité l'initia-
tive et dirigé les efforts. C'est elle encore qui du
xme au xixe siècle continue de tout faire par les
mêmes moyens et avec les mômes auxiliaires.
i 18 CONFÉRENCES AUX HOMMES
IV. Les hommes d'Église qui ont propagé l'en-
seignement supérieur se sont fait dans l'histoire
un nom immortel. Il m'est impossible de les citer
tous. Il est utile cependant de vous en nommer
quelques-uns.
Est-ce que ce n'étaient pas des hommes d'Eglise,
le moine Alcuin qui apprit les langues à Charle-
magne ; et le pieux Hincmar, qui jeta tant d'éclat
sur l'école de Reims; et le pape Gerbert, qui fit
asseoir toutes les sciences de son temps sur le
siège de saint Pierre ; et saint Anselme, si profon-
dément initié à la connaissance de Dieu ; et Albert
le Grand qui a tout enseigné ; et Thomas d'Aquin
qui a tout écrit; et ces précurseurs des décou-
vertes modernes, qui au fond d'une école obscure
préparaient, entre la prière et les devoirs de l'en-
seignement, les premières explosions du salpêtre
et les premières analyses de la chimie?
Et plus tard, quand la Renaissance multiplie les
chaires, est-ce que l'Église ne se multiplie pas à
son tour pour leur donner des maîtres, qui s'ap-
pellentles Minimes, les Barnabites, les Doctrinaires,
les Oratoriens, les Jésuites, en qui les Anciens
trouvent des commentateurs habiles, et la jeunesse
des apôtres dévoués?
Levez-vous de la poussière glorieuse de votre
tombe, juristes de Bologne, lettrés de Padoue, phi-
losophes et théologiens d'Alcala, de Salamanque,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE H 9
d'Oxford, de Louvain et de Paris, savants et éru-
dits de toutes les Universités du moyen âge, où le
titre d'écolier valait un titre de noblesse! Levez-
vous avec la Divine Comédie du Dante et la Somme
Théologique de l'incomparable Thomas d'Aquin !
Levez-vous, siècle de Léon X avec vos manus-
crits de Tacite et vos trois cents manuscrits de l'an-
tiquité retrouvés ; levez -vous avec vos Michel-Ange,
vos Raphaël, vos Léonard de Vinci et vos mille
éclairs de génieJ
Levez-vous, siècle de Louis XIV, grand siècle,
fils de la France et de l'Eglise ! Levez- vous avec
Racine et Corneille, avec les Oraisons funèbres
et Y Histoire universelle de Rossuet! Levez-vous,
grands hommes du plus grand de nos siècles litté-
raires, et dites-nous quels furent les maîtres qui
vous formèrent à tous les secrets de l'art de pen-
ser, de parler et d'écrire, et dites-nous si ces maîtres
ne furent pas des saints de premier ordre, des
savants de premier ordre! Ces maîtres qui ont
formé l'Europe chrétienne, qui ont produit toutes
les sommités intellectuelles de l'histoire pendant
dix-neuf siècles, ces maîtres qui furent des géants,
on les accuse d'incapacité, d'ignorance et d'obscu-
rantisme... C'est une infamie! Et au nom delà
vérité historique, au nom de l'honnêteté la plus
vulgaire, je proteste contre les menteurs et les
ignorants qui calomnient nos vieux siècles chré-
tiens, nos vieilles gloires catholiques !
120 CONFÉRENCES AUX HOMMES
L'enseignement supérieur, Messieurs, est néces-
saire à notre civilisation. Il en est la richesse et
la parure. Or l'Eglise a été dans le passé la mère,
la maîtresse et la reine de l'enseignement supé-
rieur. Elle a été la véritable institutrice de l'Eu-
rope. Comment s'est-elle acquittée de sa tâche?
1° Elle a gardé précieusement les sources du
savoir, les livres de l'antiquité païenne ; 2° Elle a
propagé le haut enseignement par le ministère
de ses Papes, de ses évêques et de ses moines,
parle concours des princes catholiques, par la col-
laboration des hommes éminents qu'elle a formés et
dont elle a fait ses mandataires et ses représentants.
L'Eglise a fourni à l'enseignement supérieur des
livres et des maîtres. Ce n'était pas assez. Elle
lui a ouvert des établissements splendides. Nous
verrons cela dimanche.
Amen 1
TREIZIÈME CONFERENCE
2° l'église et l'enseignement SUPÉRIEUR
(suite)
Messieurs,
L'Eglise estime grande puissance intellectuelle.
L'enseignement supérieur a trouvé chez elle des
propagateurs que je vous ai nommés et des éta-
blissements scolaires sur lesquels je vais appeler au-
jourd'hui votre attention. Je n'ai que le temps de
vous donner sur ces vastes sujets quelques indica-
tions succinctes.
, r
I. Je vous signale d'abord les Ecoles que l'Eglise
a ouvertes du ve au xine siècle : écoles épiscopales,
écoles du palais, et surtout écoles monastiques où
se distribue le haut savoir. Abrités dans les vallées
ou retranchés sur les sommets des montagnes, les
couvents cultivent la science et la donnent. Les
couvents parsèment l'Europe. L'Italie en est rem-
{ 22 CONFÉRENCES AUX HOMMES
plie. On rencontre sur les bords de la Loire les
abbayes savantes de Fleury et de Ligugé, et plus
loin, échelonnées vers le nord,Ferrières-en-Gâtinais,
Saint- Wandrille, Le Bec, Luxeuil, Gorbie. Ferrières
et Saint-Benoît-sur-Loire recueillent jusqu'à quatre
et cinq mille écoliers. En Suisse, fleurissent les
monastères de Beichenau et de Saint-Gall. En Angle-
terre apparaissent les grandes écoles monastiques
dont la renommée a rempli l'Europe pendant des
siècles : Cantorbéry, Oxford, Cambridge, Vinches-
ter. En Irlande, sept mille étudiants font entendre
leur murmure studieux dans la seule ville d'Ar-
magh. Et dans la Germanie presque sauvage, parmi
les Saxons convertis d'hier, on trouve les fondations
de saint Boniface : l'école de Fulda, et la nouvelle
Corbie sur le Wéser. Tout cela est antérieur au
xine siècle. Et, à partir du xme siècle, l'Eglise or-
ganise mieux encore et distribue plus largement
l'enseignement supérieur. Elle ouvre partout des
Universités.
IL Je vous signale l'Université de Paris, défini-
tivement fondée au xme siècle, et qui devient tout
de suite le type sur lequel se forment toutes les
grandes Universités du moyen âge.
Elle est constituée par l'autorité compétente, qui
r
est celle de l'Eglise. Elle doit sa naissance à un di-
plôme émané de Philippe-Auguste, diplôme que
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 123
viennent approuver et consacrer deux bulles du
pape Innocent III.
Elle comprend quatre facultés : la faculté des
Arts (lettres et sciences) ; la faculté de théologie ; puis
les facultés de droit et de médecine, qui appa-
raissent en plein exercice un peu après les autres.
Ces quatre facultés élisent des officiers au nombre
de sept, lesquels constituent un tribunal, appelé
à décider sur les affaires de la Corporation ; au-des-
sus d'eux est un recteur ou chef commun ; il exerce
une juridiction souveraine sur tout le territoire de
T Université, qui comprend près de la moitié de la
ville. C'était un grand personnage ; on le voit sou-
vent appelé à siéger au Conseil royal ; il marchait
de pair avec l'évêque de Paris. Le jour de son ins-
tallation était célébré par une procession solennelle
dont la pompe était royale et dont la tradition est
venue se perdre à la fin du xvme siècle avec toutes
les pompes du temps passé.
Le Saint-Siège entourait de faveurs l'Université.
Dans tous les règlements universitaires, on trouve
l'action et la pensée des Papes ; ce sont les Papes qui
ont fait tout l'enseignement del'Europe dansle passé.
Le nombre des étudiants était énorme. Les mo-
nastères, les abbayes envoyaient à Paris leurs plus
brillants élèves; on vit des collèges spéciaux fondés
dans la capitale pour les jeunes gens de certains
diocèses ou de certaines régions, pour les étudiants
pauvres, pour les clercs nécessiteux. On vit les terres
i2* CONFÉRENCES AUX HOMMES
les plus lointaines représentées dans cet autre pan-
démonium des nations par quelques-uns de leurs
entants. Toutes les nations de Y Europe dirigeaient
des étudiants vers F Université de Paris. Combien
les différentes facultés de notre grande cité comptent-
elles d'auditeurs actuellement? Quelques milliers à
peine. Or au xuie, au xive et au xve siècle on comptait à
Paris de seize à vingt mille écoliers; et, parmi cette
jeunesse ardente, se trouvaient toutes les illustra-
tions de l'époque, tous ceux dont la science et les
travaux ont honoré l'Europe chrétienne. C'est par
son Université que Paris est devenu la capitale in-
tellectuelle de l'univers, et son Université, Paris la
devait à l'Eglise. Qu'on le veuille ou qu'on ne le
veuille pas, nous sommes tous, par l'esprit, fils de
cette période brillante où, de tous les coins du
monde, les étudiants par milliers, les uns entre-
tenus par leur famille, d'autres travaillant manuel-
lement, d'autres même mend:ant pour vivre, ac-
couraient pour s'instruire à l'Université de Paris,
Université libre, autonome, ne dépendant d'aucun
ministre et versant cependant des torrents de lu-
mière sur le monde civilisé. Toutes les nations
voisines la prirent pour modèle et la copièrent.
III. Je vous signale les Universités d'Europe, qui
furent fondées à la suite et sur le modèle de l'Uni-
versité de Paris.
LES BIENFAITS DE I/ÉGLISE 125
En Allemagne, le pape Urbain IV érige, en 1388,
l'Université de Cologne, à la demande du Sénat et
du peuple, et il confirme l'Université de Heidelberg
et celle de Vienne. L'Université de Bàle doit son
érection au pape Pié II en 1459; celle de Mayence
est fondée par deux de ses évèques en 1482; celles
de Wurtzbourg, d'Ingolstadt, d'Erfurt, de Leipzig,
de Francfort-sur-1'Oder sont érigées ou confirmées
par les Papes.
Dans les Pays-Bas, l'Université de Louvain est
instituée par Jean, duc de Brabant, et approuvée
par le pape Martin V, en 1426. L'Université de
Liège a dû son origine et sa prospérité à l'action
de l'Eglise.
Les Universités de Cracovie et de Prague re-
montent au xive siècle.
L'Espagne fut de bonne heure la terre classique
du haut enseignement. Là l'Eglise plus qu'ailleurs
encore est mère, reine et maîtresse. Elle fonde, elle
inspire, elle dirige les Universités de Tolède, de
Séville, de Valence, de Valladolid, d'Alcala, de Sa-
lamanque, de Saragosse, de Lerida, de Coïmbre et
d'Evora.
En Angleterre, les princes et les évêques riva-
lisent de zèle et de générosité pour fonder, doter,
enrichir les Universités d'Oxford et de Cambridge;
au xme siècle, on comptait trois mille étudiants à
Oxford, même prospérité à Cambridge... quinze
collèges restaient debout dans cette ville au
126 CONFÉRENCES AUX HOMMES
xvie siècle, monuments vénérables de la ferveur
catholique des âges précédents.
Enfin l'Italie, héritière des vieilles civilisations,
avait des Universités nombreuses et florissantes,
grâce au séjour des Papes et à leur constante solli-
citude. Urbain IV établit l'Université romaine et y
appelle le grand docteur Thomas d'Aquin. Venise,
Padoue, Ferrare, Milan, Pavie eurent de bonne
heure des Universités. Celle de Bologne était cé-
lèbre entre toutes par l'éclat qu'elle avait su donner
à l'enseignement du droit.
C'est ainsi que du xue au xvie siècle, sur toute la
surface de l'Europe, l'Église avait ouvert à l'élite
des intelligences des asiles studieux où toutes les
branches du savoir humain, théologie, jurispru-
dence, médecine, littérature, étaient cultivées avec
une égale ardeur.
Et qu'on ne dise pas que le monde doit au pro-
testantisme l'essor de l'enseignement supérieur. Il
n'y a pas de mensonge historique plus flagrant que
celui-là. Deux chiffres suffisent à le confondre : à
la fin du xve siècle l'Europe avait soixante Univer-
sités, et la France à elle seule en avait dix-sept.
C'est à peine si aujourd'hui la France et l'Europe
sont aussi bien partagées. Avant de terminer, jetons
un regard sur notre pays.
LES' BIENFAITS DE L'ÉGLISE 127
IV. Je vous signale les Universités de France qui
rayonnaient autour de l'Université de Paris.
A la fin du xve siècle, à la veille du protestan-
tisme, la France comptait dix-sept Universités; à
la fin du xvme siècle, à la veille de la Révolution,
elle en compte vingt-trois, parmi lesquelles se dis-
tinguent spécialement celles d'Orléans et de Tou-
louse. La nôtre, celle d'Orléans, était très célèbre,
on y venait de partout. Dans l'espace de deux cent
cinquante ans, treize mille étudiants allemands ont
quitté leur patrie pour venir étudier chez nous
notre langue, le droit civil et le droit romain.
Et au-dessous de ces grands établissements de
l'enseignement supérieur, au-dessous des vingt-
trois Universités provinciales, cinq cent soixante-
deux collèges fondés par des cardinaux, des
évêques, de simples prêtres, quelquefois par des
familles seigneuriales, donnaient l'enseignement
secondaire à plus de soixante-douze mille élèves.
Trente-six de ces collèges étaient établis à Paris.
Et puis, ce qui est de nature à nous surprendre
davantage encore, c'est la large gratuité de l'ensei-
gnement supérieur et secondaire avant la Révolu-
tion. Rien qu'à l'Université de Paris il y avait six
cent dix-neuf bourses créées par le clergé pour les
étudiants pauvres. Dans un rapport présenté au
roi en 1842 sur l'instruction secondaire, Villemain,
128 CONFÉRENCES AUX HOMMES
alors ministre de l'Instruction publique, constate
qu'avant 1789, sur soixante-douze mille élèves,
plus de quarante mille bénéficiaient de la gratuité
entière ou partielle. Et il ajoute qu'alors l'instruc-
tion était beaucoup plus accessible qu'aujourd'hui
aux classes moyennes ou pauvres. Retenez cet aveu.
La charité chrétienne, l'Eglise avait créé avant 1789
un capital suffisant à l'entretien et aux frais d'étude
de quarante mille boursiers pour l'enseignement
secondaire.
On entend dire parfois que la Révolution a inventé
et fondé le haut enseignement. C'est une légende
qui est fausse, archi-fausse. Quand vint la Révolu-
tion, que fit-elle? Elle supprima tout l'ancien per-
sonnel de l'enseignement; elle aliéna tous les biens
immeubles des anciennes écoles. Des vingt-quatre
Universités qui existaient alors, vingt-trois dispa-
rurent; une seule resta, celle de Strasbourg, parce
qu'elle était protestante. Les cinq cent soixante-
deux collèges de France, où plus de soixante-douze
mille élèves recevaient l'instruction secondaire,
furent tous spoliés et fermés, et les professeurs qui
les desservaient mis dans l'alternative de l'aposta-
sie ou de l'exil. Voilà l'histoire. L'impartiale his-
toire nous dit qu'à travers dix-neuf siècles l'Eglise
a ouvert partout à l'enseignement supérieur de
magnifiques établissements, et ces établissements,
ce n'est pas l'Église qui les a fermés; ces foyers de
la science, ce n'est pas l'Eglise qui les a éteints!
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 129
L'Eglise a fondé toutes les Universités de la
vieille Europe. Elle les a érigées, enrichies, disci-
plinées, gouvernées. Ces Universités ont été très
nombreuses et très florissantes; elles ont eu la chré-
tienté pour auditoire, les saints pour maîtres et les
Papes pour fondateurs et pour protecteurs. Ces
Universités ont été dans le passé des foyers puis-
sants de vie intellectuelle. Or elles sont des créa-
tions de l'Eglise. Donc au nom de l'histoire on peut
et on doit affirmer que l'enseignement supérieur
pendant quinze siècles a reçu de l'Eglise tout son
éclat, tout son essor, tous ses progrès. L'Église lui
a donné des livres pour s'abreuver, des maîtres
pour se répandre, des établissements pour s'affermir
et prospérer.
Amen!
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-9
QUATORZIEME CONFERENCE
3° l'église et l'enseignement POPULAIRE
Messieurs,
Il faut répandre l'instruction ; il faut la répandre
dans les classes supérieures et dans les classes po-
pulaires. L'enfant du peuple est sacré comme l'en-
fant du riche, et il a droit comme lui à la lumière.
L'enseignement populaire est une des plus hautes
nécessités de l'ordre social. L'Eglise dans le passé
a pourvu à cette nécessité. Elle a distribué l'ensei-
gnement populaire avec autant d'ardeur que l'en-
seignement supérieur. Je vais là-dessus établir un
fait et réfuter une objection.
I. Un fait. L'Église, dans le passé, a distribué
largement l'enseignement populaire.
« C'est l'honneur de l'enseignement chrétien, dit
Ozanam, d'avoir aimé les hommes plus que la
science, d'avoir ouvert à deux battants les portes
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 131
r
de l'école. L'Eglise a fondé l'instruction primaire;
elle l'a voulue universelle et gratuite, en ordonnant
que le prêtre de chaque paroisse apprît à lire aux
petits enfants sans distinction de naissance, sans
autre récompense que les promesses de l'éternité. »
Cette affirmation est d'un homme qui savait ce
qu'il disait, qui avait étudié la question de très près
en compulsant les vieilles archives de l'histoire. Fai-
sons nous-mêmes une excursion rapide dans le passé.
Dès les premiers siècles nous voyons l'Eglise pré-
occupée des humbles et des petits, avant même
d'offrir son appui et ses lumières aux puissants
d'ici-bas. Jésus-Christ lui a dit : « Allez, ensei-
gnez ! » Et fidèle à son mandat, elle distribue à tous
la double clarté de HEvangile et de l'instruction
humaine. Au 11e et au 111e siècle, on voit des écoles
et des bibliothèques à côté des églises. Au ive et au
ve siècle des écoles rurales et populaires sont fon-
dées par les décrets authentiques des conciles ; au
vie siècle, dit Guizot, l'Ordre de Saint-Benoît fonde
dans les Gaules de nombreux monastères, et chacun
de ces monastères devient une école pour les classes
populaires, et Guizot prouve cette assertion avec
des noms propres, des chiffres et des documents
incontestables; au vme siècle, l'enseignement popu-
laire semble un fait général, tant sont nombreux
les Conciles qui prescrivent aux évoques et aux
curés de veiller à l'instruction de la jeunesse.
Voici Charlemagne, un puissant homme de
132 CONFÉRENCES AUX HOMMES
guerre, un génie organisateur et civilisateur de
premier ordre. Il veut que chaque abbaye entre-
tienne une école où les enfants puissent apprendre
la lecture, récriture et le calcul. Il multiplie les
Conciles pour établir partout l'instruction primaire.
En vingt ans il réunit trois fois à Aix-la-Chapelle
les évoques de son vaste Empire en vue de cette
capitale affaire. Sous cette impulsion, prêtres, reli-
gieux et évêques se mettent à l'œuvre. On a re-
trouvé il n'y a pas longtemps un fameux man-
dement publié en 797 par Théodulphe, évoque
d'Orléans. Il y est dit : « Que les prêtres des bourgs
et des villages tiennent des écoles. Et si un fidèle
veut leur confier ses enfants pour leur faire
apprendre les lettres, qu'ils ne refusent pas de les
accueillir et de les enseigner, au contraire qu'ils
mettent la plus grande charité à les instruire. En
s' acquittant de cette tâche, ils ne demanderont pas
de salaire et n'en accepteront pas, excepté ce que
les parents voudront bien leur offrir spontanément
comme marque de reconnaissance. » Faites bien
attention à ceci : au vme siècle, dans le diocèse d'Or-
léans, les écoles établies par Théodulphe étaient
gratuites. Ceux donc qui vantent la moderne gra-
tuité de l'enseignement auraient tort de crier au
prodige ; ils feront bien de se souvenir qu'au
viuc siècle l'Eglise distribuait l'enseignement popu-
pulaire sans demander un sou à personne. Conti-
nuons notre exploration.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 133
Du XIIe siècle à la Révolution, les largesses de
l'Église envers les enfants du peuple se continuent
et s'accentuent d'âge en âge.
En 1179, au troisième Concile de Latran, le
pape Alexandre III prescrit qu'un maître sera éta-
bli dans toutes les cathédrales pour les écoliers
pauvres. « La permission d'enseigner, dit-il, doit
être délivrée gratuitement et ne peut être refusée à
ceux qui en sont capables. » Et le même langage
se retrouve sur les lèvres de presque tous les Papes.
Pendant tout le moyen âge nous voyons les con-
trats d'apprentissage et de tutelle demander pour
le pupille et l'apprenti la fréquentation des écoles
et les moyens de s'instruire selon sa condition ; nous
voyons cette clause stipulée pour de simples domes-
tiques ou pour de simples valets de ferme. L'ar-
ticle 220 de la coutume de Normandie porte même
que, si le maître ou le tuteur ne s'acquitte pas de
cette charge, les parents pourront se pourvoir en
justice pour l'y contraindre.
Au xvie et au xvne siècle naissait une multitude
de Congrégations enseignantes pour l'un et l'autre
sexe, et spécialement pour les enfants du peuple :
les Ursulines, la Congrégation de Notre-Dame, les
Filles de la Charité, les Filles de la Sagesse, les
Frères des Ecoles chrétiennes. Le Concile de Trente,
cinquième session, entre dans les plus minu-
tieux détails pour promouvoir l'instruction popu-
laire. Le séminaire de Saint-Sulpice communique
13* CONFÉRENCES AUX HOMMES
la même impulsion à tout le clergé de France.
« Pour moi, écrit alors M. Bourdoin à son saint
ami M. Olier, pour moi, je le dis du meilleur de
mon cœur, je mendierais de porte en porte pour
faire subsister un vrai maître d'école, et je deman-
derais comme saint François-Xavier à toutes les
Universités du royaume des hommes qui voulussent
non pas aller au Japon ou dans les Indes prêcher
les infidèles, mais aller dans les écoles de paroisses
tenues pour les pauvres ; c'est là l'unique moyen
de détruire les vices et d'établir la vertu, et je défie
tous les hommes ensemble d'en trouver un meil-
leur. » Ces désirs de l'Eglise de France furent lar-
gement exaucés.
Les Frères des Ecoles chrétiennes , en particulier,
vinrent au-devant des enfants du peuple. Savez-
vous qui, en vulgarisant la science, a popularisé
notre langue nationale, cette langue française dont
nous sommes si fiers, cette langue que Corneille fit
si sublime, et Massillon si harmonieuse, cette langue
qu'un siècle immortel parla, et qui par sa clarté,
sa précision, sa richesse, est devenue la langue de
l'Europe aussi bien que celle de notre patrie? Savez-
vous qui en a fait non pas seulement le langage des
classes élevées, mais la langue du peuple de la
France? C'est Jean-Baptiste de la Salle, le jour où
il fit de notre idiome national le dialecte unique
de ses écoles. N'eût-il rendu que ce service, c'en
serait assez pour justifier cette parole que la Révo-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 135
lution elle-même ne craignit pas d'inscrire dans
le préambule de la loi du 18 août 1792 : « Les
Frères ont bien mérité de la patrie. » Oui, les
Frères ont bien mérité de la patrie, tel est le té-
moignage de leurs ennemis, de leurs amis et de
leurs élèves. En somme, au point de vue religieux,
scientifique et national, les Frères sont de puissants
éducateurs, et, quand je cherche quels reproches
on peut leur adresser, je n'en vois pas d'autre que
leurs succès. Ils sont au premier rang, on veut les
supprimer, parce qu'on ne peut pas les éclipser.
Il y a cinquante ans, en 1844, Lacordaire parlant
à Notre-Dame, disait : « Le Frère des écoles chré-
tiennes donne à l'enfant du peuple une éducation
qui ne lui coûte rien ou peu de chose, et qui est
digne d'un enfant de la patrie comme d'un enfant
de Dieu. Ici ma parole est à l'aise, ajoutait-il. La
France a authentiquement accepté le dévouement
des Frères et des Sœurs voués à l'enseignement du
peuple ; une popularité qui est la juste récompense
de leurs travaux les protège dans toute l'étendue
du pays autant que l'empire des lois. Ma parole, à
leur sujet, n'est donc point une parole accusatrice,
c'est une parole qui remercie et qui bénit. » Aujour-
d'hui, hélas! nous ne pouvons pas redire les pa-
roles de l'illustre Dominicain. La France a méconnu
les services des Frères et des Sœurs ; ils ont été
jugés indignes de donner l'enseignement, et ma
parole est une parole accusatrice pour ceux qui ont
136 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la lâcheté de ne pas les défendre et le triste cou-
rage de leur dire : Allez-vous-en! Passons. L'ingra-
titude ne supprime pas le bienfait, au contraire elle
le rend plus visible et plus méritoire, et il reste
surabondamment prouvé que l'Eglise dans le passé
a distribué largement l'enseignement populaire.
Dès lors que devient l'objection futile et méchante
qu'on ne cesse de nous opposer? J'y arrive.
IL Une objection. L'instruction n'existait pas
avant 1 789.
Cette objection est futile et méchante. Il n'est
pas difficile de la confondre.
Voici d'abord un fait : au xvuie siècle, toute pa-
roisse un peu populeuse en France avait son école;
on se plaignait môme du trop grand nombre
d'écoles. En 1773, au diocèse de Saint-Dié, baillis,
syndics, échevins, notables se plaignent que les
écoles enlèvent trop de bras à l'agriculture et aux
ateliers. « Nos bourgs et nos villages, disent-ils,
fourmillent d'une multitude d'écoles; il n'est pas
de hameau qui n'ait son grammairien. » Or, quand
on songe que le nombre des paroisses avant la Ré-
volution était beaucoup plus considérable qu'au-
jourd'hui et que presque partout il y avait un
maître d'école, on reste stupéfait de l'audace ou
de l'ignorance de ceux qui viennent nous dire
LES BIENFAITS DE L'EGLISE 137
qu'avant 1789 l'instruction était réservée à quelques
privilégiés de la naissance ou de la fortune.
Voulez-vous des chiffres? Sous Louis XV, il y
avait à Paris cent soixante écoles de garçons et
cent cinquante-sept écoles de filles, où le person-
nel enseignant était rétribué par les parents et les
élèves. Il y avait, en outre, quatre-vingt-quinze
écoles gratuites pour les deux sexes. Si Ton tient
compte que Paris a maintenant trois millions d'ha-
bitants, tandis qu'il n'en avait que six cent mille sous
Louis XV, on verra que la proportion du chiffre des
écoles est à l'avantage de l'époque de Louis XV.
Voulez-vous des témoignages non suspects? En-
tendez Taine. « Avant la Révolution, dit-il, les
petites écoles étaient innombrables. Il y avait avant
17S9, vingt-cinq mille écoles primaires, fréquen-
tées et efficaces, qui ne coûtaient rien au Trésor,
presque rien aux contribuables, très peu aux pa-
rents. 11 y avait au moins neuf cents collèges (en-
viron trois cents de plus qu'aujourd'hui) comptant
soixante-douze mille élèves. Il y avait quarante
mille boursiers, tandis qu'aujourd'hui nous en
avons à peine cinq mille. » Mais alors comment
expliquer que mon grand-père ne savait pas lire?
C'est qu'il a été élevé pendant ou après la Révolu-
tion. Il n'y avait plus d'instruction publique à cette
époque, et il en fut ainsi pendant quarante ans.
Elle ne fut sérieusement organisée que par la loi
de 1833. Il y avait dans les collèges soixante-douze
138 CONFÉRENCES AUX HOMMES
mille élèves avant 1789, mais en 1800 il n'y en
avait plus que sept mille. Et ce n'est pas seulement
Taine, c'est encore Portalis, Villemain, tous les
hommes compétents qui sont unanimes à nous
dire que la Révolution tua l'instruction en prenant
les biens du clergé qui faisaient vivre les écoles.
La Révolution, après avoir démoli, ne reconstruisit
rien. L'Empire se mit à l'œuvre de la reconstruc-
tion, puis la Restauration, puis la Monarchie de
juillet, puis les divers gouvernements qui se suc-
cédèrent; et, à mesure qu'ils ouvrirent une nou-
velle école, les courtisans du pouvoir ne man-
quèrent pas de s'écrier : Voyez-vous les progrès de
la civilisation et des lumières? Voyez-vous notre
supériorité sur les âges précédents? Et le lecteur,
ignorant et crédule, ne manquait pas de répondre :
C'est vrai ! Les uns ignoraient, et les autres faisaient
semblant d'ignorer qu'on ouvrait une école après
en avoir fermé trois.
Et remarquez qu'avant 1789 les écoles popu-
laires n'étaient pas seulement très nombreuses,
mais encore presque toutes gratuites et sérieuse-
ment gratuites. Aujourd'hui nous avons la gratuité
de l'enseignement primaire. L'instruction ne coûte
rien; c'est l'Etat qui paie, oui, mais où l'Etat
prend-il de l'argent? Dans votre poche par les
impôts de toute espèce. Et, au fond, qu'est-ce qui
paie les impôts? Tout le monde, et surtout l'ou-
vrier. Nous n'avons plus la mainmorte et la liberté
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 139
des fondations ; en échange, nous avons l'impôt obli-
gatoire. Le budget de l'instruction publique est de
plus de deux cents millions. Et d'où viennent ces
deux cents millions? De la poche des contribuables,
et j'ai dit surtout de la poche de l'ouvrier. Car le
Commerçant peut rattraper ses impôts en élevant
le prix de ses marchandises, le propriétaire en éle-
vant le prix de ses loyers, mais l'ouvrier ne peut
pas reporter sur d'autres le prix de ses impôts. Et
enfin, tout le monde étant frappé par l'impôt, il
arrive souvent que l'ouvrier paie pour le riche : par
exemple nous payons par les impôts cinquante
millions par an pour les fils des riches qui sont
élevés dans les lycées, et, chose plus criante encore,
combien d'ouvriers, de pères de famille paient
deux fois : une première fois par l'impôt pour les
écoles dont ils ne veulent pas, et une seconde fois
pour les écoles dont ils veulent! Avant 1789, la gra-
tuité de l'instruction primaire était bien autrement
sérieuse. L'Eglise avait créé pour l'instruction pri-
maire un revenu annuel de douze millions à une
époque où l'argent avait le triple de la valeur ac-
tuelle. Et d'où venaient ces douze millions? De
donations libres et spontanées. La gratuité exis-
tait, mais, au lieu de reposer sur le budget de
l'Etat et d'être par conséquent une imposition et
une imposition forcée, atteignant tout le monde,
même les gens sans enfants, frappant le pauvre au
profit du riche et les catholiques au profit d'une
140 CONFÉRENCES AUX HOMMES
secte, elle reposait uniquement sur la libéralité
des fidèles, sur des biens légitimement acquis et
sagement distribués. Elle était, par conséquent,
réelle, ioyale, généreuse, essentiellement juste et
digne de respect.
Combien donc nous aurions tort de verser des
larmes attendries sur l'ignorance de nos pères ! Sans
doute on ne connaissait pas avant 1789 les grands
mots d'instruction laïque, obligatoire et gratuite.
On ne faisait pas montre de l'enseigne; mais on
possédait la réalité. L'État ne prétendait pas tout
faire; il ne s'était point fait maitre d'école, maître
de pension, marchand de soupe ; il n'inscrivait pas
à ses budgets, généralement du moins, d'allocation
pour l'enseignement primaire, pour cette excel-
lente raison qu'il y était pourvu par un vaste sys-
tème de fondations. Le résultat en était-il moins
bon? Il est permis d'en douter. L'Église était là,
debout à son poste, donnant à l'enfant du peuple à
peu près gratuitement une instruction suffisante
dont les contribuables n'avaient pas à supporter
les frais; l'Église était là, debout à son poste, dis-
tribuant à tous, avec la science purement humaine,
les vérités et les vertus qui font les peuples forts
et les familles prospères. Sachons reconnaître ses
bienfaits. Bénissons-la, et vengeons-la des attaques
de ceux qui ignorent ou qui calomnient son passé !
Amen !
QUINZIÈME CONFÉRENCE
L'Eglise et le progrès intellectuel
Messieurs,
J'achève aujourd'hui le premier chapitre de
notre étude sur les bienfaits de l'Eglise. Nous
avons énuméré les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre
intellectuel. Elle a cultivé et enseigné les lettres,
les sciences et les arts. J'ai essayé de vous en don-
ner la preuve, non avec des phrases vides et reten-
tissantes, mais par des faits très nombreux et très
authentiques. Je résume aujourd'hui et je conclus
ce premier chapitre en vous disant que dans le
passé, dans le présent et dans l'avenir, l'Église a
été, est et sera la mère et la gardienne du progrès
intellectuel.
r
I. Dans le passé, l'Eglise a été la mère et la gar-
dienne du progrès intellectuel.
Est-ce que cela n'est pas écrit à toutes les pages
142 CONFÉRENCES AUX HOMMES
de F histoire. Sous l'inspiration de l'Église, sous sa
direction sûre et puissante, les théologiens ont
scruté les mystères de la foi, et les philosophes ont
approfondi les abîmes de la raison. Grâce à l'Eglise
l'éloquence mise en possession des plus splendides
sujets a fait vibrer, d'âge en âge, les âmes et germer
des vertus, la poésie a enchanté les hommes et
l'histoire les a instruits. Notre langue française
dont nous sommes si fiers, cette langue de la diplo-
matie qui, depuis la paix de Nimègue, a conclu tous
les traités et s'est imposée au monde entier, cette
langue universelle de toutes les pensées et de tous
les génies qui a fait dire au poète : « Tout homme
a deux pays, le sien et puis la France! » à qui
doit-elle sa fermeté et sa souplesse, sa précision et
sa clarté, sa transparence et sa beauté, sinon à
l'Eglise qui a inspiré la plume mathématique de
Descartes et de Pascal, les lèvres harmonieuses de
Bossuet et de Fénelon? Stimulé par l'Eglise, l'es-
prit scientifique s'est développé dans des propor-
tions inconnues à l'antiquité, et le génie artistique
a créé des chefs-d'œuvre qui seront éternellement
contemplés et admirés. S'il y a eu des livres brû-
lés, des traditions interrompues, des universités
abolies, des collèges confisqués ou fermés... qui a
fait cela? C'est le disciple du Coran au temps d'Omar
et de Mahomet II ; c'est Henri VIII, un des cory-
phées de la Réforme; c'est la Révolution aussi
ennemie des lettres que de l'Eglise, déclarant
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 143
qu'elle n'avait pas besoin de savants, et ensevelis-
sant sous les mêmes ruines les chaires de la vérité
et les écoles de la charité. Innocente de tous ces
vandalismes, l'Eglise n'est responsable que de la
grandeur intellectuelle de la chrétienté. Par elle
renseignement supérieur a été distribué a la jeu-
nesse studieuse des universités et des collèges. Par
elle, les petits et les humbles, les pauvres et les
déshérités ont été conviés au festin de l'intelli-
gence, comme l'avaient été au festin de l'Évangile
les aveugles, les boiteux et les mendiants. Et, en
voyant se dérouler ce glorieux passé, je me sens
pressé d'adresser à l'Eglise un cri de reconnaissance
émue: Je te salue, mère immortelle de la science
et de la sainteté ! Je te salue, mère et gardienne du
progrès intellectuel ! Salve, magna parens!
Comptez, si vous le pouvez, Messieurs, les intel-
ligences supérieures que l'Eglise a produites depuis
dix-neuf siècles. Quels noms faut-il vous citer? En
philosophie, les Augustin, les Thomas d'Aquin,
les Bacon, les Descartes, les Bossuet, les de Maistre ;
en astronomie, les Copernic, les Kepler, les Gali-
lée, les Secchi, les Leverrier; en mathématiques,
les Pascal, les Cauchy; en littérature, les Pères
de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine, tous nos
auteurs du xvu* siècle, les meilleurs auteurs mo-
dernes. Le vaillant général Lamoricière, contem-
plant cette immense pléiade qui étincelle à toutes
les pages du passé, pouvait bien à juste titre
U4 CONFÉRENCES AUX HOMMES
s'écrier : « L'Eglise a pour elle la science, l'his-
toire, la philosophie, les arts, les grands hommes;
elle a pour elle le passé, le présent et l'avenir. »
Sans doute, il y a eu aussi des hommes intelli-
gents, très intelligents qui ont vécu en dehors de
l'Église et qui ont été même ses ennemis décidés.
Gela n'est pas contestable. Mais : 1° Ne sont pas
incrédules tous ceux qui se vantent de l'être, et on
a vu souvent mourir comme des saints certains
fanfarons qui pendant leur vie faisaient parade
d'impiété. 2° Que d'hommes très intelligents en
matière profane sont de parfaits ignorants en
matière Religieuse ! Il y a tel savant qui connaît à
fond les mathématiques, l'astronomie, la médecine,
le droit, et qui ne serait pas capable de répondre
aux interrogations que nous posons à nos petits
enfants du catéchisme. Ils ignorent, donc leur voix
ne compte pas. 3° Il n'est pas rare non plus que
des gens très instruits et très intelligents soient en
même temps des orgueilleux, voulant juger Dieu,
traiter avec Dieu d'égal à égal, et mesurer sa
parole aux dimensions de leur faible raison. L'or-
gueil est le pire des vices. Dieu n'aime pas les
insurrections. Dieu n'aime pas les présomptueux,
et souvent il les punit, par l'impossibilité de croire,
de leur orgueil de vouloir tout comprendre
4° Enfin il est une passion mauvaise et impérieuse
qui est incompatible avec la foi, et qui peut très
facilement se rencontrer chez certains savants. Ils
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 145
veulent jouir, et, tout en ayant une valeur scien-
tifique incontestable, ils n'ont qu'une valeur mo-
rale très médiocre. La passion chez eux tue la foi.
Pour tous ces motifs j'affirme que l'impiété de cer-
tains savants ne prouve rien contre la religion. Et
cette impiété prouve d'autant moins que l'Eglise a
pour elle, comme je viens de le dire avec Lamori-
cière, les plus grands génies. Elle a pour elle les
hommes les plus vénérables et les plus intelligents
qui aient paru sur la terre depuis dix-neuf siècles ;
elle a pour elle le passé ; elle a pour elle aussi le
présent.
II. Dans le présent, l'Eglise est la mère et la gar-
dienne du progrès intellectuel.
Voici à peu près ce qu'on nous dit à l'heure
actuelle : « Oui, dans le passé, vous avez fait beau-
coup pour le progrès intellectuel; mais dans ce
siècle vous avez laissé périr cet héritage de gloire,
vous avez laissé tomber de vos mains le sceptre de
la science. » Nous avons laissé tomber de nos
mains le sceptre de la science?
Mais d'abord qui donc a le droit de nous faire un
tel reproche ? car, si ce sceptre est tombé de nos
mains, qui l'a ramassé et qui le tient à notre
place? Qui osera nous jeter la première pierre ? Où
sont vos grands hommes et vos grandes œuvres ?
LES BIENFAITS DE I/ÉGLISE. — 1-10
146 CONFÉRENCES AUX HOMMES
La lyre a perdu le souffle divin, et, après les poètes
du doute, il ne nous reste plus que les poètes du
néant qui chantent les croyances disparues, la
mort sens résurrection, le malheur sans espoir.
L'histoire est devenue trop souvent une sèche
nomenclature de faits et d'anecdotes, quand elle
n'est pas une conjuration cynique contre la vérité.
C'est encore dans nos temples que l'éloquence trouve
son meilleur asile. L'architecture ne sait plus jeter
vers le ciel ces coupoles hardies, ni ces flèches plus
hardies encore, qui défiaient le vol des aigles et qui
fatiguaient le regard de l'homme; ou, si cela se voit
encore, à qui le doit-on sinon au génie catholique?
Les lettres, les sciences et les arts déclinent, de
sorte que l'Eglise peut se retourner vers le siècle,
l'accuser et lui dire : « Qu'as-tu fait des lettres, des
sciences et des arts? Qu'as-tu fait de ces générations
nouvelles que tu prétendais élever à une vie intel-
lectuelle plus intense et plus développée, en les
affranchissant de la tutelle religieuse? » En perdant
l'esprit chrétien, en rêvant quelque chose de plus
beau que Jésus-Christ, de plus doux que l'Evan-
gile, ce siècle n'a rien gagné, sinon de voir s'éva-
nouir le rayonnement céleste de l'idéal, sinon
d'aboutir à des œuvres de ténèbres, et souvent à
des œuvres corrompues et corruptrices. On reproche
à l1 Eglise d'avoir laissé tomber de ses mains le
sceptre de la science ;
Est-ce vrai ? Non, Messieurs, non, il n'est pas
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 147
r
vrai que l'Eglise aujourd'hui soit au-dessous de sa
lâche, au-dessous de son passé ; il n'est pas juste
de parler de l'insuffisance intellectuelle de l'Eglise
catholique dans le présent.
Sans doute, plusieurs choses lui ont manqué au
cours de ce siècle : le temps, la liberté, l'argent.
Après les désastres de la Révolution, l'Eglise a été
obligée de courir au plus pressé, aux âmes, et c'est
à peine si elle a eu le temps de préparer des caté-
chistes, des pasteurs et des apôtres. Et puis on l'a
tenue éloignée de la jeunesse, on a tout fait pour
l'empêcher de parler et d'agir ; on l'a privée du
droit d'instruire les générations nouvelles, et il lui
a fallu, pour conquérir la liberté d'enseignement,
des luttes homériques qui ont absorbé et dévoré ses
forces. Et enfin elle est pauvre. On lui a tout pris,
et on lui dispute journellement le morceau de pain
que lui donne la charité des fidèles.
Eh bien, malgré toutes ces entraves, qu'est-il
arrivé? Il est arrivé que la sève intellectuelle a
jailli quand môme de son sein fécond et inépui-
sable. Il est arrivé qu'elle a ouvert quand même
des écoles, des collèges et des Universités, et qu'il
y a aujourd'hui quarante-quatre Instituts catho-
liques où les études sont poussées plus avant que
r
dans les Facultés officielles. Il est arrivé que l'Eglise
a brillé d'un si vif éclat dans la science et dans
l'instruction, qu'on a eu peur de la lumière de sa
face et de la puissance de sa voix. Qui eût cru, à la
148 CONFÉRENCES AUX HOMMES
fin du xvine siècle et au commencement du xixe, que
l'idée chrétienne allait reprendre possession des
esprits et inspirer ce grand mouvement littéraire
qui a uu pour chefs Chateaubriand, de Maistre,
Lamartine, Lacordaire, Ozanam, Montalembert?
Qui eût cru à une telle vitalité après de telles dé-
faites? Dans les lettres, dans les sciences, dans les
arts, dans l'enseignement l'Église de notre temps,
l'Eglise pauvre et enchaînée a fait des merveilles.
Elle n'est point indigne de son passé, et elle tient
en réserve pour l'avenir les espérances et les sources
du véritable progrès intellectuel.
r
III. Dans Y avenir, l'Eglise sera la mère et la gar-
dienne du progrès intellectuel.
Elle continuera d'aimer, de protéger, de cultiver,
d'enseigner les lettres, les sciences et les arts :
La philosophie, pour la préserver des écarts de
l'orgueil et lui faire accepter le joug de la foi ;
L'histoire, pour la détacher enfin de cette grande
conspiration contre la vérité, dans laquelle on l'a
fait entrer depuis trois siècles ;
La poésie et l'éloquence, pour en faire les ser-
vantes du vrai et du bien et pour les élever jus-
qu'au sublime ;
Les sciences mathématiques, physiques et natu-
relles pour les rapporter à Dieu leur auteur ;
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 149
Les beaux-arts pour les assainir et les transfi-
gurer.
Demain, comme hier et aujourd'hui, elle récla-
mera ses droits sur les lettres grecques et latines,
car le jour où elles sont tombées des murs
d'Alexandrie en flammes et de Gonstaritinople en
ruines, elle les a reçues dans la robe de ses papes
et de ses moines, et elle n'a pas cessé un seul jour
•de les lire et de les purifier.
Demain, comme hier et aujourd'hui, elle travail-
lera à initier les petits et les pauvres aux éléments
des lettres humaines, pour mettre à la tête de ses
alphabets le nom de Dieu et le signe auguste de la
Rédemption !
Demain, comme hier et aujourd'hui, elle ouvrira
des écoles en même temps que des temples, elle fera
des savants en même temps que des saints, elle se
donnera tout entière à la diffusion et à l'accrois-
sement de la vie chrétienne et de la vie intellectuelle.
Voilà son ambition quelquefois déçue, souvent rail-
lée, mais toujours renaissante et jamais satisfaite,
car cette ambition n'est qu'un trait de son immense
charité !
i
Ceux qui ont visité le Vatican nous disent qu'au
Vatican, dans la salle même où le Chef de l'Église
signe ses décrets infaillibles, le pinceau de Raphaël
a représenté dans des tableaux admirables la Poésie
et les Lettres, les Arts et les Sciences, la Philoso-
150 CONFÉRENCES AUX HOMMES
phie et la Théologie, comme s'il eût voulu montrer
toutes les connaissances humaines réunissant en-
semble leurs lumières et contribuant pour leur
part à l'épanouissement et au rayonnement de la
vérité chrétienne. Telle est en effet la grande pen-
sée qui résume l'histoire de l'Eglise et de l'esprit
humain. L'Église est une puissance intellectuelle
de premier ordre. Elle a été, elle est et elle sera
la mère et la gardienne du progrès intellectuel.
Saluons-la, chantons-la l
Amen!
II
DANS L'ORDRE MORAL
PREMIERE CONFÉRENCE
Importance et difficulté de la loi morale
Messieurs,
L'Eglise est la mère et la gardienne du progrès
intellectuel. C'est suffisamment et surabondam-
ment prouvé.
Mais l'intelligence n'est pas tout l'homme; elle
n'en est pas même la moitié. Dans l'homme, il y a
la conscience, le cœur, la volonté, l'âme... et toute
influence qui ne va pas jusque-là, jusqu'à l'àme, est
une influence incomplète et à peu près stérile.
Or, l'Eglise, qui agit si puissamment sur l'esprit,
agit-elle également sur le cœur, sur la volonté, sur
la conscience, sur l'àme? Oui. L'Eglise est une
grande puissance moralisatrice, elle est la mère et
la gardienne du progrès moral. Et, pour vous faire
apprécier ses immenses bienfaits dans cette seconde
sphère, il faut que je vous persuade fortement de
l'importance et des difficultés de la loi morale. La
loi morale consiste à éviter le mal et à faire le
4 54 CONFÉRENCES AUX HOMMES
bien. Est-ce important cela? oui. Est-ce facile?
non.
♦I. Importance de la loi morale.
Oui, Messieurs, il est important, il est nécessaire
de pratiquer la loi morale, c'est-à-dire d'éviter le
mal et de faire le bien.
1° Attention ! Vous êtes mortels, vous vivez aujour-
d'hui, mais demain vous ne serez plus. Que faut-il
pour vous tuer ? une fenêtre entrouverte, une
porte qu'on n'a pas fermée, une voiture qui verse,
un train qui déraille, une goutte de sang qui se
trompe de chemin dans votre tête ou dans votre
poitrine. Je salue le médecin, je le respecte, j'ad-
mire son dévouement, et, quand je suis malade, je
l'appelle auprès de mon lit de souffrance, et je
bénis sa main compatissante, intelligente et secou-
rable ; mais je constate son impuissance, je cons-
tate que depuis six mille ans la science n'a pas su
ajouter un jour de plus à notre vie, ni un pouce
à notre taille, ni ôter une ride à notre front. Vous
êtes mortels, Messieurs, et demain, penchés sur
votre dépouille inanimée, vos parents, vos amis,
vos voisins diront avec stupeur: « Il n'est plus! n
Vous ne serez plus sur la terre. Où serez-vous
donc? Vous serez devant Dieu. Et à ce moment su-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 155
prème, alors que toutes les choses d'ici-bas seront
supprimées pour vous, est-ce que Dieu vous deman-
dera si vous avez eu beaucoup de science? Est-ce
que Dieu pèsera les livres que vous aurez lus ou
composés? Est-ce que Dieu cherchera à discerner
sur vos fronts les vains titres de savants, de litté-
rateurs, de physiciens, de philosophes, d'écono-
mistes, d'académiciens? Allons donc! Dieu pèsera
vos œuvres, et non vos talents. Dieu voudra savoir
si vous avez été bons fils, bons époux, bons pères,
bons citoyens, bons chrétiens. Dieu vous deman-
dera si vous avez eu, non pas beaucoup de science,
mais beaucoup de vertu. Et devant sa justice, dans
sa balance impartiale et infaillible, le valet de
ferme qui aura observé les commandements vau-
dra mieux et pèsera davantage que l'académicien
qui se présentera au jugement la têle pleine des
connaissances les plus variées et les mains vides de
bonnes œuvres. Voilà la vérité, Messieurs. A la
lumière de vos destinées éternelles et à la lumière
du simple bon sens, la vertu vaut mieux que la
science, et l'observation de la loi morale est d'une
importance décisive!
2° Maintenant je descends de ces hauteurs,
j'ouvre la porte de votre foyer, je vous montre
votre chère famille et je vous dis : « Ne trouvez-vo'us
pas qu'il va pour vos enfants quelque chose de meil-
leur que l'instruction? A quoi leur servirait de savoir
156 CONFÉRENCES AUX HOMMES
lire s'ils ne lisent que de mauvais livres? A quoi leur
servirait de savoir écrire, si leur main coupable
devait un jour rédiger des faux? A quoi leur servirait
de savoir calculer, si le calcul devenait pour eux un
instrument de fraudes, de gains illicites et de procès
injustes? A* quoi leur servirait de savoir chanter, si
la musique était l'humble servante de leurs mau-
vaises passions et de leurs penchants honteux?
A quoi leur servirait d'avoir leur certificat d'études,
s'ils n'étaient pas respectueux, obéissants, dévoués?
A quoi leur servirait d'être bacheliers, licenciés
et docteurs, s'ils étaient incapables de pratiquer la
probité, la charité, le désintéressement? A quoi
leur servirait d'avoir la science qui est bonne, s'ils
n'avaient pas la vertu qui est meilleure encore, la
vertu sans laquelle la science n'est plus qu'un vain
simulacre et un puissant moyen de corruption? »
J'en appelle à votre cœur, à votre intelligence pa-
ternelle, et votre intelligence, votre cœur pro-
clament avec moi que l'observation de la loi morale
est d'une importance décisive.
3° Après avoir jeté un regard sur le foyer, je
contemple la société et j'admire dans son sein la
gloire des lettres, des sciences et des arts, la puis-
sance des loi 3 et des armées, le perfectionnement
des méthodes et des machines, l'accroissement de
la production et de la richesse, et j'ai la prétention
de n'être dépassé par personne dans l'admiration
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 1157
sincère que je professe pour les progrès matériels
et scientifiques de notre siècle. Mais, de bonne foi,
est-ce là toute la fortune, tout le patrimoine d'un
peuple? Comptez- vous pour rien la probité, la mo-
dération des désirs, l'esprit d'abnégation et de sacri-
fice, le feu sacré du dévouement, la pratique de la
chasteté qui est un des principes les plus féconds
de la beauté et de l'énergie des corps, et l'horreur
de la volupté qui est presque toujours pour ceux
qu'elle a touchés un vêtement de feu et comme une
robe empoisonnée qui dévore et consume même les
hercules? Pensez-vous que vous aurez jamais un
peuple fort, prospère, honorable et respecté, si la
vertu ne coule pas dans son âme comme le sang
dans ses veines ? Messieurs, pour la santé et
la bonne constitution d'un peuple, tous les pro-
grès matériels et scientifiques ne valent pas une
vertu, une idée morale, une bonne pensée, un
sentiment élevé, une parole d'amour qui console
et qui fortifie ! Si la loi morale n'est pas observée,
c'en est fait de vos âmes pour l'éternité, c'en est
fait de vos foyers désolés et déshonorés, c'en est
fait d'un peuple, d'un siècle entier, et le chapitre
de la décadence commence pour ne plus finir. Dans
votre âme et conscience vous ne pouvez pas dire
le contraire... il faut pratiquer la loi morale. C'est
nécessaire. Est-ce facile? Est-il facile d'éviter le
mal et de faire le bien ? Non.
158 CONFÉRENCES AUX HOMMES
II. Difficulté de la, loi morale.
Ici encore, Messieurs, procédons par des faits plus
que par des raisonnements et constatons trois phé-
nomènes qui me semblent incontestables.
1° 77 y a du mal en nous et autour de nous. Il y
a du mal en nous. 0 homme, je ne vous connais
pas, et je ne serais pas capable de raconter par le
défail toute votre histoire. Mais je me connais, et
il y a une chose que je sais et sur laquelle je puis
vous, interpeller avec toute l'autorité que donne la
certitude : ô hommes, mettez la main sur votre
cœur, et répondez-moi. N'est-il pas vrai qu'il y a
du mal en vous? qu'il y a derrière le mur de la vie
extérieure, dans la citadelle de la vie intime, des ,
ennemis cachés, des instincts mauvais, une racine
de sensualité, d'orgueil et de cupidité. Le mal,
nous le portons en nous. Il circule dans notre âme,
il voyage dans nos membres, il envahit toutes nos
puissances, il allume dans notre sein de vastes in-
cendies, et les plus justes sont précisément ceux
qui le sentent le mieux et en gémissent davantage.
Hommes qui m'écoutez, je sais que c'est là votre
histoire.
Et non seulement il y a du mal en nous, mais
il y en a autour de nous. Vous voyez tous les jours
la foule courir au plaisir, chercher le bien-être à
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE d50
tout prix, adorer le succès. Vous entendez re-
tentir à vos oreilles les maximes commodes dont
r
le siècle a fait son Evangile : Jouissez, enrichissez-
vous, soyez heureux ici-bas ! Et vous sentez au
fond de votre âme une voix secrète qui vous presse
de suivre de tels exemples et d'accepter de telles
maximes. Que faire entre ces attraits du dedans et
ces entraînements du dehors? Sommes-nous une
proie fatalement promise au mal? Non. Je constate
un second phénomène.
2° Nous sommes libres entre le bien et te mal.
0 mystère ineffable! nous sommes libres entre
deux attractions, entre l'attraction du bien et l'at-
traction du mal. Nous sommes libres. J'en atteste
l'homme de bien qui se sent heureux d'avoir fait de
belles actions, et le criminel qui rougit au fond de
lui-même d'en avoir commis de mauvaises. J'en
atteste toutes les langues qui nous parlent sans
cesse d'estime et de mépris, de haine et d'amour,
de vice et de vertu, de punition et de récompense.
J'en atteste toutes les sociétés qui, imputant aux
citoyens leurs actions, ont fait des lois pour la
répression des crimes. J'en atteste votre sens in-
clue et votre expérience personnelle. Quel est
celui d'entre vous qui ne voit dans ses souvenirs,
mêlés aux jours sombres et néfastes où il a cédé
aux attraits du mal et à l'orage des passions, des
jours sereins et illustres où sa volonté est demeurée
160 CONFÉRENCES AUX HOMMES
maîtresse de la tentation? N'y eût-il qu'un seul de
ces jours dans une vie, c'en serait assez pour prou-
ver que ni les penchants de notre organisme, ni les
violences du dehors ne peuvent produire malgré
nous le vouloir et la détermination. Donc il serait
faux de dire que nous sommes foncièrement et
nécessairement mauvais, et il serait également faux
de prétendre que nous sommes foncièrement et né-
cessairement bons. Ce qui est vrai, c'est que nous
naissons bons et mauvais tout ensemble. Nous ne
sommes ni anges ni bêtes; nous sommes tous les
deux à la fois. Est-ce à dire que notre volonté est à
égale distance du bien et du mal, que les deux pla-
teaux de la balance sont égaux? Non. L'expérience
nous met en présence d'un troisième phénomène.
3° Généralement nous sommes plus attirés vers le
mal que vers le bien. Il y a des exceptions à la
loi, mais la loi existe, et la voici : les attraits qui
se disputent notre volonté ne sont pas d'égale force,
et d'ordinaire l'attraction du mal est plus puissante
que l'attraction du bien. Je ne parle pas des indi-
vidus exceptionnels, je prends l'humanité dans son
ensemble, et je dis : laissée à elle-même, à sa pente
naturelle, où va-t-elle ? Hélas ! nulle discussion n'est
ici possible, elle va au mal. Les grands courants delà
vie humaine vont par eux-mêmes à la fausseté, au dé-
sordre, à l'abîme, à peu près comme les fleuves en sui-
vant leur pente vont à la mer. L'histoire tout entière
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 1G1
nous crie quel'homme a peur du vrai parce qu'ilapeur
du bien. Voyez l'enfant. Il est né d'un père et d'une
mère qui sont l'incarnation vivante de la vertu ; il
n'a respiré sur les lèvres maternelles que des souffles
«célestes; il a été entouré des précautions les plus
minutieuses... et cependant, presque dès le berceau,
le voilà emporté vers le mal, vers la révolte, vers
la colère, vers la domination injuste, vers le plaisir
sensible... et malheur à lui s'il ne rencontre pas
une main qui l'arrête, le redresse et le châtie ! Non,
Messieurs, les choses ne sont pas égales entre le
bien et le mal, et l'apôtre saint Paul se rencontre avec
le poète Ovide pour attester que, si généreuse que
soit notre nature, elle recèle des connivences plus
nombreuses avec le faux et avec le mal qu'elle n'en
prépare au vrai et au bien : « Video meliora proboque ,
détériora sequor ; Je vois le bien et je l'acclame, et
cependant je fais le mal. » Voilà l'histoire humaine,
voilà notre histoire à tous.
— La loi morale est ce qu'il y a au monde de
plus important etde plusdifficile. Il fautla pratiquer,
c'est nécessaire, mais c'est presque impossible. Qui
donc va nous aider? N'y a-t-il pas ici-bas quelque
part une institution providentielle destinée à se-
courir notre impuissance? Il y a l'Église catholique.
Elle est la grande puissance moralisatrice, et la
seule puissance moralisatrice suffisante. Je me fais
fort de vous le prouver, et ce sera pour vous et
LES BIENFAITS DE l/ÉGLISE. — 1-11
162 CONFÉRENCES AUX HOMMES
pour moi une nouvelle occasion de la bénir, un
nouveau motif de l'aimer... Ce sera la seconde
strophe de notre cantique en l'honneur de la sainte
Eglise, mère et gardienne du progrès moral autant
que du progrès intellectuel I
Amen!
DEUXIÈME CONFÉRENCE
/. — L'ÉGLISE EST UNE GRANDE PUISSANCE
MORALISATRICE
1° l'église éclaire la conscience
Messieurs,
La morale est aussi difficile que nécessaire. Qui
donc nous aidera à la pratiquer? L'Eglise. L'Église
est une grande puissance moralisatrice. Comment
cela? C'est ce que nous allons voir en sept ou huit
conférences.
D'abord l'Eglise éclaire la conscience humaine
sur la loi morale, et ce premier service qu'elle nous
rend est immense. On a dit que souvent le plus
difficile n'est pas d'accomplir son devoir, mais de
le connaître. C'est vrai. Tel est notre besoin le plus
élémentaire et le plus essentiel. Nous voulons une
notion de la loi morale, claire, précise, lumineuse,
saisissant tous les yeux et excluant toutes les hési-
tations. L'Eglise nous donne cela avant tout. Elle
offre à la conscience humaine une lumière intense
sur l'ensemble et sur le détail du devoir, des idées
morales précises, immuables et impérieuses.
164 CONFÉRENCES AUX HOMMES
I. L'Église présente à la conscience humaine des
idées morales précises.
Pour avoir une notion complète de la loi morale
adressez-vous à l'Eglise. La loi morale comprend
trois chapitres : les devoirs envers Dieu, envers le
prochain et envers nous-mêmes, et les devoirs
envers Dieu ne sont pas moins sacrés que les de-
voirs envers le prochain et envers nous-mêmes. Si
vous remplissez scrupuleusement vos devoirs indi-
viduels et sociaux, et si vous refusez de rendre à
Dieu les devoirs d'adoration, de reconnaissance, de
prière et de culte public qui lui sont dus, j'affirme
que votre morale est incomplète, puisque dans la
série de vos devoirs vous oubliez la première, la
plus haute et la plus sacrée de toutes les personna-
lités. Vous devez à Dieu l'adoration, puisqu'il est
le Maître et le Créateur,... la prière, puisqu'il est le
dispensateur libre et unique de tout ce dont nous
avons besoin,... l'action de grâces, puisqu'il vous a
tout donné, la vie, l'intelligence, la santé, vos en-
fants, vos biens, tout, et que d'un moment à l'autre il
pourrait tout vous enlever,... le culte public entier,
puisqu'il a droit à l'hommage extérieur non moins
qu'à l'hommage intime de votre être. La morale
comprend les devoirs envers Dieu aussi bien que
les devoirs envers le prochain et envers nous-
mêmes. Si vous négligez les devoirs envers Dieu,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 165
que vous reste-t-il? Les deux tiers seulement de la
morale, c'est-à-dire une morale diminuée d'un tiers,
une morale tronquée et méconnaissable, de même
que, si vous enlevez au triangle un de ses irois côtés,
vous détruisez le triangle lui-même et ne laissez à
sa place que deux lignes indécises et flottantes...
C'est géométrique, mathématique, rationnel. Et le
grand Racine écrivant à son fils avait bien raison
de lui dire : « Je me flatte, mon fils, que, faisant
votre possible pour devenir un parfait honnête
homme, vous conceviez qu'on ne peut l'être sans
rendre à Dieu ce qu'on lui doit. » Voilà du simple
bon sens. Et cependant, en dehors de l'Eglise, ce
simple bon sens est absolument et universellement
méconnu. A l'heure qu'il est, dans notre société
française décatholicisée, il y a des milliers et des
milliers d'hommes qui se proclament les plus hon-
nêtes gens du monde sans jamais donner à Dieu
ni une pensée, ni une prière, ni une génuflexion,
ni un battement de leur cœur, ni un cri de leurs
lèvres, ni une minute de leur vie. Ils traitent Dieu
comme une quantité négligeable, et vous cherche-
riez vainement chez eux, je ne dis pas le remords,
mais le soupçon d'un grand devoir oublié. Trans-
fuges de la sainte Eglise, ils ont perdu la notion
complète de la loi morale, ils n'ont plus d'idées mo-
rales précises sur l'ensemble de leurs devoirs.
Et de même, pour avoir une notion détaillée 'de la
loi morale, adressez-vous à l'Eglise. Elle vous expose,
166 CONFÉRENCES AUX HOMMES
elle vous explique les préceptes du Décalogue, la
série des obligations qu'il impose, la définition des
vertus qu'il commande, l'énumération des vices
qu'il pi oscrit et des passions qu'ilréprouve. L'Église
n'oublie rien ni personne, et elle annonce avec
limpidité la loi qui fait les époux fidèles, les enfants
respectueux, les ouvriers probes et tempérants, les
serviteurs dévoués à leurs maîtres, les riches bien-
faisants, les pauvres résignés, les sujets obéissants
sans bassesse et libres sans révolte ; la loi qui courbe
l'industrie sous le joug de la bonne foi, le commerce
sous les exigences d'une probité sévère. L'Église
suit et dissèque la loi morale jusque dans ses con-
séquences les plus éloignées et dans ses racines les
plus profondes. Elle condamne non seulement le
meurtre, mais la colère; non seulement les actes
impurs, mais le regard coupable et la pensée se-
crète et inavouable ; non seulement la vengeance
et la haine, mais le seul désir volontaire de nuire
au prochain. Y a-t-il des ténèbres dans laconscience?
Le Sacrement de Pénitence les éclaircit. Là, au tri-
bunal qui justifie ceux qui s'accusent, le chrétien
reconnaît la passion naissante, le vice caché, la fai-
blesse inattentive, le mouvement presque inaperçu
qui tourmentait son âme au milieu des embarras
de sa vie; il apprend à séparer le bien du mal; il
retrouve la vue ferme* de la loi et la notion exacte
de son devoir. Y a-t-il des oublis? La chaire les si-
gnale. Un jour par semaine, le chrétien vient à
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 167
l'Église; il s'instruit de ses obligations; il repasse
dans son esprit les préceptes du Décalogue; il fait
son examen de conscience; il donne à son âme un
bain de lumière. Imaginez un peuple tout entier
acceptant cette discipline et y adaptant sa vie, et
vous pouvez être sûrs que ce peuple conservera le
sens exact de la loi morale. Il aura la notion com-
plète et détaillée de tous ses devoirs.
Oui, mais, dites-vous, les idées morales ont bien
de la peine à s'implanter dans l'humanité. Elles y
sont fortement combattues. C'est vrai. Il ne suffit
pas de les jeter dans le monde comme une semence
qui va germer et fleurir d'elle-même. Il faut les
défendre et les protéger. Et c'est ici précisément
qu'apparaît une seconde et magnifique fonction de
l'Eglise catholique.
II. L'Eglise présente à la conscience humaine des
idées morales immuables.
Vous avez bien raison de dire, Messieurs, que la
loi morale ne peut pas se défendre toute seule. Il
y a en effet deux ordres d'idées : les unes flattent
nos passions, et celles-là sont douées d'une force
immense d'expansion ; elles débordent pour ainsi
dire d'activité et de vie; les autres, au contraire, qui
répriment nos passions, trouvent une difficulté
extrême à se frayer un chemin; elles ne sauraient
168 CONFÉRENCES AUX HOMMES
fournir leur carrière sans l'appui d'une institution
qui leur assure la stabilité. Donc la conservation et
le succès des grandes idées morales exigent des
institutions puissantes; et il faut bien se garder
d'abandonner ces idées à la mobilité de l'esprit
humain, sous peine de les voir bientôt défigurées,
ou tout au moins réduites à l'impuissance et vouées
à l'insuccès. Or quelle est la grande institution qui
maintient la loi morale dans son intégrité et dans
son inviolabilité? N'est-ce pas l'Église et seulement
l'Église?
La diversité des temps et des lieux voudrait faire
r
fléchir la loi morale. L'Eglise est là qui prêche la
même morale à Rome, à Paris, à Londres, à Moscou,
à Pékin, à Philadelphie, dans les superbes cathé-
drales et dans les modestes sanctuaires de nos
campagnes. Partout elle annonce la même morale
comme partout la même foi, et les vieux catholiques
de la fidèle Irlande, instruits depuis seize siècles
par leurs prêtres, ne pratiquent pas un autre Déca-
logue que les nouveaux convertis de la Chine, à
qui il est annoncé pour, la première fois.
La violence des passions humaines voudrait à
son tour entamer la loi morale. Les mondains
demandent grâce pour leurs plaisirs; il déplaît
aux maîtres qu'on leur reproche de traiter leurs
domestiques avec dédain, aux domestiques qu'on
leur demande du respect et de l'affection -pour
leurs maîtres ; le vindicatif, le voluptueux, l'usu-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 1G9
rier entendent sauver à tout prix l'idole de leur
cœur. Mais l'Eglise tient pour nulles toutes ces
réclamations. Connaissez-vous un retranchement
qu'elle ait opéré dans le Décaiogue? Connaissez-
vous une seule convoitise qu'elle ait jamais accep-
tée et sanctionnée ? Non. Plus d'une fois les rois,
les puissants se sont levés et ont demandé des
adoucissements, des concessions. Ils ont demandé
grâce pour l'adultère, pour le duel, pour la tyran-
nie. L'Eglise a sommé les rois de respecter la sainte
r
institution du mariage. L'Eglise a frappé les duel-
listes d'excommunication. L'Eglise n'a cessé de
protester contre la tyrannie, même honorée et
triomphante. Fénelon reproche à Louis XIV sa pas-
sion pour les combats, Bourdaloue son adultère,
Bossuet ses entreprises contre le ministère aposto-
lique. L'Eglise a dit la vérité aux rois. Les
peuples, devenus rois à leur tour, ont aussi des
flatteurs qui les perdent. Qui donc plaidera devant
eux la cause de la morale? Encore l'Eglise. Debout
dans ses chaires, elle dit aux peuples : « La pro-
priété est sacrée; n'y touchez pas. La débauche
vous perdra ; fuyez-en la contagion et le déshon-
neur. Le travail est voulu de Dieu ; acceptez-le
comme un devoir et une épreuve. La diversité des
conditions humaines est nécessaire; respectez cette
loi providentielle. L'homme n'est pas fait pour la
jouissance... » L'Eglise est la gardienne de la mo-
rale; on ne peut ni la corrompre, ni l'endormir,
170 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ni la détourner de son service. Elle garde au monde
des idées morales précises et immuables. Ce n'est
pas tout.
III. L'Eglise présente à la conscience humaine
des idées morales impérieuses.
Ce dernier service est d'une importance souve-
raine. Pour exister, le vice n'a nullement besoin
de prémisses dans l'esprit; enfant de la corruption
du cœur, il prospère, il grandit, si illogique, si
injustifiable qu'il soit. Le mal germe et pousse tout
seul au fond de notre pauvre cœur. Il n'en est pas
ainsi de la vertu. La vertu est une réaction du cœur
contre lui-même, c'est une violence habituelle faite
à nos penchants. Or, pour nous engager dans cette
pénible lutte et y persévérer, pour gravir d'un pas
ferme le rude sentier du devoir, il. nous faut non
seulement des idées' précises et immuables, sur
lesquelles notre pied ne tremble jamais; mais il
nous faut des idées morales impérieuses qui nous
poussent en avant et qui nous disent : « Soldat du
bien, marche, marche quand môme, marche tou-
jours ! Tu ne peux pas, tu ne dois pas reculer. »
Ces idées morales impérieuses, Messieurs, c'est
encore l'Église qui les propose et les impose à la
conscience humaine stimulée et entraînée.
L'Eglise nous offre de puissants motifs qui
poussent vers le bien. « Dieu, dit-elle, est l'auteur
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 171
de la loi morale ; la loi morale est en vous, mais
elle vient de plus haut que vous ; elle vient de
quelqu'un qui ne varie pas, qui, loin d'être diminué
ou changé par vos caprices, les domine et les assu-
jettit; elle vient de Dieu. Dieu, dit-elle encore, est
le Législateur de la morale ; c'est Lui qui en impose
l'accomplissement, qui lui donne sa force obliga-
toire. Dieu, dit-elle enfin, est le vengeur de la
morale ; c'est Lui qui punira la prévarication et
qui récompensera la fidélité. » Quels puissants
motifs de fuir le mal et d'accomplir son devoir !
Un Dieu, principe et terme de la morale, un Dieu
rémunérateur et vengeur, un Dieu toujours vivant,
toujours présent, qui voit tout et qui juge tout, qui
met dans la balance jusqu'à la bonne et la mau-
vaise pensée, un Dieu qui s'est fait homme et qui
est mort pour expier nos fautes, un Dieu qu'il fau-
dra recevoir demain dans un cœur pur après une
confession détaillée faite au prêtre son ministre. . . des
promesses magnifiques, des menaces effrayantes...
est-ce que vous ne voyez pas, Messieurs, toutes les
idées moralisatrices qui fermentent dans la doc-
trine de l'Eglise ? Elle fait appel à la crainte, à
l'amour, à la reconnaissance, à la raison, au cœur,
à l'intérêt. Et aux puissants motifs qui poussent
l'homme vers le bien,
Elle ajoute de nobles exemples qui attirent vers
le bien. L'Eglise présente à la conscience humaine
la vie typique de Jésus-Christ. Elle montre Jésus-
472 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Christ tombant des splendeurs du ciel dans les
anéantissements de l'Incarnation, obéissant jusqu'à
la mort de la croix, choisissant pour son partage la
pauvreté, bénissant les cœurs purs, proclamant
l'excellence de la chasteté, et, bien que mille fois
calomnié, ne permettant pas que l'on suspectât en
lui cette adorable vertu, aimant la vérité avec une
sainte passion, prodigue de ses dons, faisant le
bien sur son passage et donnant sa vie pour ceux
quil aime, venant non pour être servi, mais pour
servir les autres, acceptant tous les opprobres,
broyé sur la croix, et dans sa personne adorable et
meurtrie déifiant la douleur, enfin vivant et mou-
rant pour la gloire de son Père et le salut du
monde. Devinez, Messieurs, les passions qui
s'apaisent, les haines qui pardonnent, les vertus
qui germent, les dévouements qui se décident aux
pieds du Crucifix, sous le rayonnement de Jésus-
Christ, de la Vierge et des Saints ! Devant de tels
exemples descendus de si haut et nous atteignant
de si près, la conscience émue,, éclairée, stimulée
et entraînée, sent l'impérieux besoin de s'arracher au
mal et de s'engager dans les âpres sentiers du bien.
L'Église est une grande puissance moralisatrice.
Elle éclaire la conscience humaine. Elle nous donne
des idées morales précises, immuables et impé-
rieuses. C'est déjà splendide!
Amen!
TROISIÈME CONFERENCE
1° l'église ÉCLAIRE LA CONSCIENCE
(suite)
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance moralisatrice.
La morale... tout le monde la préconise. La vertu...
vous voulez la voir resplendir dans la vie de votre
femme et sur le front de vos enfants; vous vous
indignez quand vous vous apercevez qu'on l'ou-
trage autour de vous ; vous applaudissez au triomphe
du bien et à l'humiliation du vice. Tous, vous êtes
les partisans de la morale, et, en vous disant cela,
je ne vous adresse pas une flatterie, je constate
simplement un fait qui est l'honneur élémentaire
de la nature humaine. Or l'Église est la gardienne
de la morale. Elle éclaire la conscience et elle lui
présente des idées morales précises, immuables
et impérieuses. Ce premier service que rend l'Eglise
à la conscience humaine est déjà immense. Il cons-
titue pour l'Église une gloire et un tourment.
L'Église annonce au monde une morale précise,
immuable et impérieuse.
174 CONFÉRENCES AUX HOMMES
I. C'est son tourment.
Vous êtes-vous jamais demandé, Messieurs, pour-
quoi l'Eglise était impopulaire; pourquoi, ne ces-
sant jamais de faire le bien, elle entend toujours
autour d'elle des voix qui la contredisent, qui dé-
naturent ses intentions et qui calomnient ses actes?
Il y a là un mystère d'ingratitude qui appelle une
explication, et je vais vous la donner. Vous avez
cru peut-être que l'impopularité de l'Eglise tenait
à laprofondeur et à l'incompréhensibilité des vérités
qu'elle annonce. Détrompez- vous. L'Église est impo-
pulaire, elle est discutée, elle est malmenée, sur-
tout parce qu'elle prêche la morale, non pas une
morale telle quelle, mais une morale précise, im-
muable et impérieuse. En prêchant la vertu, l'Eglise
condamne nécessairement les passions et, en con-
damnant les passions, elle les ameute nécessaire-
ment contre elle.
Debout dans ses chaires, parlant au nom du
Ciel, l'Eglise dit : « Il y a un Dieu créateur, légis-
lateur et juge. » Et il y a des hommes qui disent:
Dieu n'est pas! Comment voulez-vous que l'Eglise
s'entende avec eux?
L'Eglise dit : « Il y a un enfer, un châtiment éter-
nel pour les prévaricateurs. » Et bon nombre de
gens qui sont intéressés à ce qu'il n'y en ait point
se récrient. Les voleurs, s'ils le pouvaient, détrui-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 175
raient la gendarmerie; de môme ceux qui ont peur
de la Justice divine sont furieux d'entendre dire
qu'elle existe. Essayez de parler de l'enfer à tous
les criminels qui sont en train de le mériter, ils
vous répondront par des ricanements diaboliques
et par des frémissements de colère. Ils ne veulent
pas qu'il y ait d'enfer. Et cependant l'Eglise dit
qu'il y en a un, et, circonstance aggravante, elle
leur prouve qu'il y en a un. Comment voulez-vous
qu'elle s'entende avec eux?
L'Eglise dit : « Un seul Dieu tu adoreras. » Et il
y a bon nombre de gens qui adorent l'argent,
d'autres qui adorent leur pot-au-feu, d'autres qui
adorent une place, ou une idole de chair. L'Église
élève sa voix vengeresse, elle crie : « Qu'a été Dieu
jusqu'à ce jour dans votre vie? Rien. Que doit-il
être? Tout. Prenez garde. Vous dépendez de sa puis-
sance, vous vivez par sa providence, il faut comp-
ter avec sa justice! » Comment voulez-vous que
l'Église s'entende avec ceux qui ne veulent donner
à Dieu ni une pensée de leur esprit, ni un batte-
ment de leur cœur, ni une minute de leur vie?
L'Église dit : « Dieu en vain tu ne jureras. » Et
il y a bon nombre de gens qui ne connaissent le
nom de Dieu que pour le maudire, ou bien pour
le prononcer d'une lèvre blasphématrice, ou bien
pour le profaner dans de faux serments. Comment
voulez-vous que l'Église s'entende avec eux?
L'Église dit : « Les Dimanches tu garderas. » Et
176 CONFÉRENCES AUX HOMMES
il y a bon nombre de gens que ce devoir impor-
tune, qui travaillent ou font travailler le dimanche,
pour qui vibre comme un reproche et un remords
la cloche qui les appelle à la prière. Gomment
voulez-vous que l'Eglise s'entende avec eux?
L'Eglise dit : «Tes père et mère honoreras.»
El ix y a des enfants qui attendent leurs quinze ans,
qui les devancent quelquefois pour secouer le joug
de l'obéissance et du respect; il y en a d'autres qui
laissent languir dans la misère et les privations
leurs vieux parents, qui abreuvent d'amertume
leurs derniers jours. CommeDt voulez-vous que
l'Église s'entende avec ces enfants ingrats, indisci-
plinés, sans cœur, sans entrailles?
L'Eglise dit : « Homicide point ne seras. » Et il
y a bon nombre de gens qui tarissent les sources
de la vie en limitant leur postérité. Et il y a bon
nombre de gens qui vivent dans la haine, la dis-
corde et les querelles, qui méditent chaque jour
des projets de vengeance, qui aimeraient mieux
perdre un membre que de pardonner une injure,
qui sèment les mauvais conseils et les mauvais
exemples et qui tuent dans le prochain la vie de
l'àme bien plus précieuse que celle du corps, c'est-
à-dire la foi et l'innocence. Comment voulez-vous
quel1 Eglise s'entende avec eux?
L'Église dit : « Impudique point ne seras. » Et il
y a bon nombre de gens qui suivent en esclaves
dociles leur mauvaise nature, qui se permettent
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 177
du matin au soir les plaisirs défendus, les conver-
sations coupables, les imaginations dangereuses,
les lectures empoisonnées, les sociétés corrompues.
Comment voulez-vous que l'Eglise s'entende avec
eux?
L'Eglise dit : « Bien d'autrui tu ne prendras. »
Et il y a bon nombre de gens pour qui la richesse
est tout et qui ont trouvé des chemins raccourcis et
commodes pour faire passer dans leurs mains le
bien d' autrui. Parlons ici clairement. Le vol n'est
pas seulement la saisie manuelle d'une somme
d'argent dans un tiroir; c'est tout acte qui, sous
une forme extérieure différente, s'y ramène en
substance. Et il n'y a pas vol seulement quand les
gendarmes et la loi interviennent, mais toutes les
fois que les droits du prochain sont lésés. Voilà la
barrière infranchissable que bon nombre de gens
veulent franchir. L'Eglise tient bon, et elle répète:
« Bien d'autrui tu ne prendras ! » Comment voulez-
vous que TEglise s'entende avec ceux qui ne veulent
pas lui obéir et qu'elle condamne?
Vous, Messieurs, vous aimez l'Eglise parce que
r
vous aimez la morale. La parole de l'Eglise ne vous
blesse pas, parce quelle vous prêche des devoirs
que vous savez respecter et pratiquer. Mais regar-
dez un peu le monde qui vous environne. Dans ce
monde, que de contempteurs de la morale, que
d'hommes qui récèlent au fond de leur cœur des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-12
178 CONFÉRENCES AUX HOMMES
connivences secrètes, voulues et obstinées avec le
mal ! Or, quand la parole incorruptible de l'Église
tombe sur ces âmes, y sera-t-elle accueillie avec
respect et avec amour? Non, ce n'est pas pos-
sible. Elle les blesse comme un fer chaud, et elle
éveille sur leurs lèvres des colères, des récrimina-
tions, des anathèmes qui retentissent comme le fra-
cas de la tempête. Ne me demandez plus mainte-
nant pourquoi l'Eglise rencontre dans le monde
tant de contradictions, tant d'impopularité et d'hos-
tilité. Elle prêche la morale, et une morale précise,
immuable et impérieuse. C'est son tourment. Et
j'ajoute aussitôt :
II . C'est sa gloire.
L'Église prêche la morale, et une morale incor-
ruptible... Tant mieux! Je n'ai jamais entendu re-
procher à une colonne d'être immobile. Que de-
viendrait l'édifice, si la colonne bougeait? Pourquoi
donc reprocheriez-vous à l'Eglise d'être immobile,
et combien cette immobilité ne vous est-elle pas sa-
lutaire? Où en serions-nous, s'il y avait des trem-
blements de la vérité et de la morale, comme il y
a des tremblements de terre? Cent et cent fois on
a vu les lois changer, l'opinion séduite, la cons-
cience aveuglée, l'honneur lui-même défaillir, et
parmi tant d'apostasies et de ruines l'Église garde
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 179
inviolablement la morale aussi bien que le dogme.
Tant mieux pour vous !
Et tant mieux pour elle ! admirez-la dans son atti-
tude. Jamais elle ne pactise avec les mauvaises pas-
sions. Fallût-il perdre un royaume, elle ne supprime
pas une syllabe de sa doctrine morale. C'est sa
gloire sans pareille, c'est son honneur incommu-
nicable. Oui, l'Eglise a l'incomparable honneur de
prêcher une morale parfaite. « L'esprit humain, dit
Thiers, a pu avoir des démêlés avec elle sur son
dogme, jamais sur sa morale. » Et cet incompa-
rable honneur de prêcher une morale parfaite lui
en attire un autre, qui en est la conséquence glo-
rieuse et douloureuse tout ensemble, celui d'ameu-
ter contre elle tous les mauvais instincts de la
nature humaine. L'Eglise catholique a ce privi-
lège unique d'exciter les colères de l'athée, de l'in-
juste, du voluptueux, de tout homme en un mot
qui outrage ici-bas par sa parole, par sa plume ou
par ses œuvres la vérité, le droit, la morale, la
vertu, c'est-à-dire Dieu lui-même. La cause du
bien, la cause même de Dieu est identifiée dans
le monde avec celle de l'Eglise, et nos adversaires
le prouvent mieux encore que nous par T indiffé-
rence et le dédain avec lesquels ils traitent la parole
du ministre protestant ou du philosophe, pour
réserver à la seule parole du Pape, des évêques et
des prêtres, à la seule parole de l'Eglise leur haine,
leurs objections les plus perfides et leurs coups
180 CONFÉRENCES AUX HOMMES
les plus retentissants. L'Église prêche la morale,
et une morale incorruptible. Tant mieux pour elle
et tant mieux pour vous, Messieurs !
Tenez. Faisons une hypothèse irréalisable. Suppo-
sons que l'Église lâche la morale, qu'elle supprime
seulement toutes les questions de probité et de chas-
teté. Supposons que l'Église cesse de prêcher une
morale précise, immuable et impérieuse. Tant pis!
Sans do-ute, ce jour-là, elle retrouverait une certaine
popularité auprès des passions humaines, heu-
reuses de lui avoir enfin fermé la bouche, heu-
reuses de ne plus l'entendre les contredire et les
condamner. Tous ceux qui aujourd'hui l'accusent
d'intolérance et d'exagération deviendraient ses
admirateurs et célébreraient à l'envi sa prudence,
sa modération, son libéralisme. Mais, ce jour-là,
vous, Messieurs, vous mépriseriez l'Église catho-
lique, et vous auriez raison, vous lui diriez et à
juste titre : « 0 Église, tu as laissé tomber de tes
mains les Tables de la Loi morale ; sentinelle infi-
dèle à ta mission, tu as cessé de monter la garde
sur les frontières sacrées du bien et du mal. 0
Église, tu n'as plus de raison d'être ici-bas, et je
te méprise! » Oui, Messieurs, le jour où, pour
gagner l'amitié du monde, nous sacrifierions les
droits de la vertu ; le jour où nos lèvres timides
et profanées cesseraient de prononcer les mots
divins de justice, de charité, de pureté ; le jour où
le courage nous manquerait pour flétrir le blas-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE J8i
phème, le parjure, le vol, l'impudicité, le vice, vous,
Messieurs, qui êtes honnêtes, qui avez l'estime et
l'amour de tout ce qui est bien et la sainte hor-
reur de tout ce qui est mal, vous vous lèveriez
pour nous maudire, et vous secoueriez la pous-
sière de vos pieds sur un sacerdoce qui ne serait
plus digne de vous parler, qui n'oserait môme plus
vous regarder en face !
Ne craignez rien. Cette extrémité honteuse pour
nous et désastreuse pour vous n'arrivera pas.
Dût-elle amasser sur sa tête jusqu'à la fin du
monde les malédictions croissantes des passions
et les violences conjurées de la brutalité et de
l'hypocrisie, jusqu'à la fin du monde l'Église
catholique prêchera la morale, et une morale
précise, immuable et impérieuse, une morale in-
corruptible. C'est son tourment et c'est sa gloire.
— En terminant, Messieurs, je veux vous racon-
ter une histoire. Vous la connaissez déjà, mais elle
est si instructive et elle revient si bien à mon
sujet que je ne puis résister au désir de vous la
redire. Il y avait à Athènes une loi singulière qui
permettait d'exiler pour dix ans un citoyen, quoi-
qu'il n'eût commis aucun crime, mais par cela
seul que Ton craignait qu'il n'acquît une trop
grande influence dans la République. C'est ce que
l'on appelait l'ostracisme, d'un mot grec qui signi-
fie coquille, parce que le peuple assemblé pronon-
182 CONFÉRENCES AUX HOMMES
çait cette étrange sentence, en votant au moyen
de coquilles sur lesquelles chacun inscrivait son
avis. Or, un jour que les citoyens étaient réunis
pour uécider du sort du vertueux Aristide, un habi-
tant de la campagne, qui ne l'avait jamais vu, lui
demanda à lui-même d'écrire sur sa coquille un
vote de bannissement. « Quel mal t'a donc fait cet
homme? » lui demanda Aristide. — « Aucun, répon-
dit l'Athénien, je ne le connais même pas! Mais je
m'ennuie de toujours l'entendre appeler le Juste. »
Ainsi, dans cette ville ingrate et légère, on condam-
nait un citoyen même pour sa vertu. Messieurs,
beaucoup d'hommes de ce siècle, campagnards ou
citadins, votent sans sourciller l'exil ou la mort
de l'Église, et quand on leur demande : « Quel mal
vous a-t-elle fait ? » ils sont obligés de répondre :
« Aucun, nous ne la connaissons même pas ; mais
nous sommes ennuyés de toujours l'entendre nous
prêcher la vérité et la vertu ! » L'Eglise, Messieurs,
est une grande puissance moralisatrice. A cause
de cela le monde la maudit, à cause de cela je vous
invite à la bénir, à la remercier et à la chanter !
Amen!
QUATRIÈME CONFÉRENCE
2° l'église FORTIFIE LA VOLONTÉ
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance moralisatrice.
Elle éclaire la conscience. Elle prêche la morale, et
une morale précise, immuable et impérieuse, une
morale incorruptible. C'est déjà beaucoup. Mais
c'est insuffisant. Car, une fois qu'on connaît son
devoir, il faut le pratiquer, et là commencent les
grosses difficultés. L'Eglise peut-elle quelque chose
contre ces difficultés? Elle éclaire la conscience.
A-t-elle un peu de force à donner à la volonté?
Oui. En présence du mal à éviter et du bien à
accomplir, la volonté humaine est faible, et l'Eglise
fortifie la volonté humaine.
I . La volonté humaine est faible.
La chose est claire, et cependant il importe de la
rendre plus claire encore, tant sont nombreux les
hommes qui ont la prétention de se suffire à eux-
184 CONFERENCES AUX HOMMES
mêmes dans la carrière de leur vie morale. La rai-
son nous suffit, disent-ils, nous n'avons pas besoin
du secours extérieur de la religion; nous avons
notre droite nature, nous n'avons que faire d'une
force surnaturelle. Ils se trompent.
Voici la vérité et la réalité. Sans doute nous avons
devant nous le bien, le beau, l'idéal ravissant de
la vertu, et à sa vue nous sommes épris, émus,
nous tressaillons d'enthousiasme, nous prenons
notre élan, nous allons partir. Hélas ! nos batte-
ments d'ailes sont sublimes, mais qu'ils sont im-
puissants! Nous ne faisons pas le bien, ou, si nous
le faisons, c'est avec peine, avec effort, la sueur au
front et médiocrement, si médiocrement que nous
en rougissons devant nous-mêmes. Nous sommes
affaiblis du côté du bien, nous sommes emportés
vers le mal, comme vers un abîme ténébreux, ab-
ject, infâme, qui nous fait horreur et qui cepen-
dant nous attire. Nous sommes dans la situation
d'un naufragé, qui, emporté par un fleuve impé-
tueux, doit faire un violent effort pour remonter
le courant. Ma conscience d'honnête homme me dit
que je dois acquérir la vertu et fuir le vice, que je
dois réprimer au dedans de moi l'esprit d'orgueil,
d'intérêt, de vengeance et de sensualité, que je dois
pratiquer la justice, la charité, la chasteté, la tem-
pérance, que je dois fournir la noble carrière des
vertus qui font l'homme de bien. Or, la chose n'est
pas douteuse, ces préceptes de la morale naturelle
/
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 185
reconnus vrais et obligatoires pour tous ne sont
faciles pour personne. Car, si nous sommes libres,
nous sommes en même temps mal équilibrés ; les
parties de notre être se battent les unes contre les
autres; et, à la conspiration puissante de tous les
instincts dépravés qui nous travaillent par le dedans,
viennent se joindre les influences mauvaises qui
nous assiègent par le dehors. Nous gravitons vers
le mal, nous sommes au penchant de l'abîme, et
nous ne pouvons remonter vers les sommets du
bien, vers l'idéal de la vertu, qu'à la condition de
déployer une grande, une très grande force de
volonté.
Notre volonté a-t-elle par elle-même dans une
mesure suffisante cette force de résister et d'agir,
de vaincre le mal et de faire le bien? Non. La
volonté de l'homme a dompté le monde physique
comme en se jouant; elle a tiré le feu des veines
du caillou ; elle a fondu les métaux, abattu les forêts,
percé les montagnes, franchi et bravé les flots. Il
n'y a qu'une conquête que l'homme n'ait pu faire
et qu'il ne fera jamais, c'est celle de son âme et de
ses instincts dépravés. Notre volonté, en face du
bien à faire et du mal à éviter, est une force qui
chancelle, qui hésite, et qui le plus souvent sacri-
fie le bien au mal, la vertu au vice, le devoir au
plaisir et à l'intérêt. Le concile de Trente a dit un
mot profond quand il a enseigné que le péché
originel avait incliné notre libre arbitre. Notre
186 CONFÉRENCES AUX HOMMES
volonté n'est plus droite, elle est courbée; il faut
donc qu'elle se redresse, et, pour qu'elle se re-
dresse, il faut qu'elle réagisse contre elle-même,
qu'elle se sacrifie, et Jules Simon a raison de dire :
« Qu'est-ce que la science du devoir? c'est propre-
ment la science du sacrifice » Or, qui dit sacrifice
dit immolation, sang versé, douleur ressentie. Non,
non, il n'est pas facile à la volonté humaine de se
soutenir dans la pratique du bien. Voici que, du
fond de l'horizon, ou plutôt des entrailles mêmes
de notre être, accourent, prompts comme la foudre,
deux adversaires redoutables qui entrent en lice
contre notre volonté : l'orgueil, orgueil de la nais-
sance, orgueil de l'esprit, orgueil de la fortune
acquise ou de la pauvreté jalouse... et le sensua-
lisme qui nait en nous, s'éveille avec les premières
ardeurs du sang, emporte la jeunesse comme dans
un tourbillon, agite l'âge mûr et trouble parfois la
vieillesse jusque d^ns la paix de ses cheveux
blancs. Que devenir ? où donc la volonté cher-
chera-t-elle un abri, un secours? Elle est faible, elle
ne peut pas se suffire à elle-même. Voici l'Eglise.
II. L'Église fortifie la volonté humaine.
L'Église éclaire la conscience, et, en donnant à
l'homme la lumière qui indique le devoir et les
motifs puissants qui poussent à l'accomplir, elle
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 187
agit déjà sur la volonté d'une manière indi-
recte, mais très réelle et très eflicace. Cependant,
pour faire le bien et éviter le mal, il ne suffit pas
de voir et de vouloir ; il faut pouvoir. L'Eglise inter-
vient et elle suggère à la volonté humaine des pos-
sibilités, des énergies, des puissances très particu-
lières. L'Eglise a reçu en dépôt la grâce et les
sacrements, et elle les distribue par le canal du sa-
cerdoce. Or, par la grâce, par les sacrements et par
le sacerdoce, l'Eglise journellement tend la main
à la volonté humaine qui n'en peut plus ; elle lui
donne la faculté et le pouvoir de réaliser ce qui ne
serait que de vagues désirs et d'inutiles aspirations.
Ce ne sont pas là, Messieurs, des affirmations chi-
mériques. Veuillez m' entendre attentivement jus-
qu'au bout. Je ne désespère pas de vous convaincre.
Je viens de nommer la grâce d'abord. Pour
triompher de cette puissance désordonnée et presque
tatale qui se nomme la passion, il ne suffit pas des
leviers plus ou moins aléatoires de la morale indé-
pendante ; il faut dans la volonté humaine un
accroissement surhumain ; cet accroissement sur-
humain, nous le nommons la grâce. D'où vient-
elle? De Dieu seul. Où agit-elle? Dans les profon-
deurs de l'âme, sur la volonté. J'entends ici le
génie matérialiste de notre époque m'interpeller
du fond de ses laboratoires et me dire : Qu'est-ce
que la grâce? Quel est ce moteur latent qui échappe
aux constatations scientifiques et que les lois nié-
188 CONFÉRENCES AUX HOMMES
caniques ne règlent pas? Quelle est cette force dont
la source et la direction sont cachées dans le ciel,
dont les ressorts ne furent jamais vus sur la terre
et dont le calibre n'est point mathématiquement
déterminé? Qu'est-ce que la grâce et existe-t-clle
seulement? — Messieurs, il est facile de répondre
aux explorateurs exclusifs de la matière et de leur
prouver, par des faits, que la grâce est une réalité et
que par elle le niveau de la moralité catholique
dépasse de beaucoup le niveau de la moralité païenne
ou simplement philosophique; nous n'avons qu'à
leur montrer les vertus des saints, les vocations
exceptionnelles et la vie des chrétiens ordinaires et
à leur dire : Regardez ! Par l'abus de sa liberté,
l'homme tombe plus bas que lui-même; par le se-
cours de la grâce, l'homme se relève jusqu'à Dieu. La
grâce est une réalité; elle descend du cœur de Dieu,
et elle décuple les forces de la volonté humaine.
Et la grâce, comment arrive-t-elle à la volonté
humaine? Par d'innombrables débouchés, par la
prière, par le jeûne, par l'aumône, par les bonnes
œuvres, enfin par les sacre?nenls. Vous auriez tort,
Messieurs, de traiter à la légère ces pratiques divi-
nement moralisatrices qu'on appelle les sacrements.
Les sacrements ne sont pas un cérémonial pure-
ment extérieur et superficiel; ils sont un des prin-
cipes les plus puissants de la moralité chrétienne,
et, à passions égales, tout homme muni de ce via-
tique divin pratique plus de vertus qu'un chrétien
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 180
de pure spéculation. Qui nous dira, par exemple,
tout ce que la volonté humaine trouve de force
dans la Pénitence et dans l'Eucharistie? «Tous
les êtres de la création, dit le curé d'Ars, ont besoin
de se nourrir pour vivre. Il faut aussi que l'âme
se nourrisse. Lorsque Dieu voulut donner une
nourriture à l'àme humaine pour la soutenir dans
le -pèlerinage de la vie, il promena ses regards sur
la création et ne trouva rien qui fût digne d'elle.
Alors il se replia sur lui-même et résolut de se don-
ner. 0 âme de l'homme, que tu es grande, puisqu'il
n'y a que Dieu qui puisse te contenter ! » Ce ne
sont pas là, Messieurs, de vaines paroles, ce sont
des faits. Les sacrements ont journellement une
double efficacité pratique : ils conservent et ils
restaurent la moralité.
En mettant la force de Dieu dans l'àme humaine,
les sacrements conservent l'innocence. En dehors
des observances sacramentelles qui attiédissent les
passions du jeune âge, pas de fleur à nos foyers
qui ne se flétrisse, pas de chasteté qui ne soit en-
iamée. Partout où il y a une innocence demeurée
intacte, ce n'est pas un pédant sceptique, c'est un
ministre de la grâce chrétienne qui est le chérubin
préposé à la garde de ce nouvel Eden ; partout où
de tels ministres sont absents, on ne voit que des
Rachels refusant d'être consolées parce que leurs
fils sont perdus pour la vertu.
En mettant la force de Dieu dans l'âme humaine,
190 CONFÉRENCES AUX HOMMES
les sacrements, non seulement conservent, mais
restaurent l'innocence. Comment restaurer une
âme qui a défailli? Il est facile de déchoir, mais il
n'est pas facile de remonter les abîmes descendus.
Tomber est une faiblesse de nature, mais se relever
est un triomphe qui la dépasse. Et ce triomphe on
ne peut le remporter qu'avec la grâce de Dieu.
Voici un homme tombé, écrasé sous le poids de sa
faute. D'autres disserteront sur ses ruines, avec les
sacrements nous les ferons, palpiter. D'autres lui
expliqueront le mouvement, avec les sacrements
nous nous chargeons de le lui donner. La volonté
humaine, destituée d'un auxiliaire surnaturel, est
incapable de revenir spontanément et seule du mal
au bien. Cet auxiliaire surnaturel, ce sont les sa-
crements qui tantôt conservent et tantôt restaurent
la moralité.
Le catholicisme qui garde intact le dépôt des
sacrements est la religion qui obtient le plus de
sacrifices de la volonté humaine. Le schisme grec,
qui les défigure, vient après. Le protestantisme, qui
en renie la plus grande partie, s'avance un degré
plus bas. Le rationalisme, qui n'en connaît aucun,
a beau se placer à l'avant-garde du mouvement
intellectuel; il est le plus attardé des symboles sur
le chemin de la vraie moralité. Que si vous objectez
ici la correction, la pureté plus ou moins authen-
tique de certaines populations russes ou anglicanes,
je vous ferai remarquer trois choses : 1° cette
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 191
sévérité des mœurs moscovites ou protestantes est
très contestable; 2° s'il y a dans le schisme et dans
riiérésie des vertus sérieuses, ces vertus sérieuses
sont dues à la portion de sève chrétienne qui reste
encore dans le schisme et dans l'hérésie ; 3° quand
on compare les peuples catholiques aux peuples
schismatiques et hérétiques, il faut tenir compte,
pour apprécier leur moralité respective, des condi-
tions climatériques et autres qui influencent ces
différents peuples. Il est évident, par exemple, que
la moralité n'est pas également réalisable sous le
ciel de la Sibérie ou de l'Allemagne, et sous les
zones ardentes de l'Espagne et de l'Italie. Vous
prétendez que les sacrements ne corrigent pas les
mœurs des catholiques méridionaux. Que serait-ce
donc si ces mêmes catholiques, déjà imparfaits
malgré ces secours divins, en étaient subitement
privés ?
La volonté humaine est faible. L'Eglise la forti-
fie au moyen de la grâce et des sacrements, et elle
distribue la grâce et les sacrements par le sacer-
doce. Je devrais ici vous parler de l'action moralisa-
trice du clergé. C'est une étude qui exige du temps
et sur laquelle je me propose de revenir plus tard.
J'en ai dit assez aujourd'hui pour vous permettre
d'admirer et de bénir l'Eglise catholique. Elle éclaire
la conscience et elle fortifie la volonté. Gloire à elle l
Amen!
CINQUIÈME CONFERENCE
3° l'église TRANSFORME LA VIE
• Messieurs,
L'Église est une grande puissance moralisatrice.
Elle éclaire la conscience, elle fortifie la volonté,
et enfin elle transforme la vie. On juge l'arbre par
ses fruits. Apprenons à connaître l'Eglise en cons-
tatant les fruits de vertu dont elle est la mère. Fai-
sons ensemble cette étude très intéressante et très
instructive.
I. Quand l'Église vient, la moralité monte.
. Je vous signale d'abord les vertus héroïques que
l'Église depuis dix-neuf siècles suscite par milliers
sur tous les points du globe, et qui sont à son front
un diadème incomparable. Qui a formé les saints?
Est-ce que ce n'est pas l'Eglise? Et, sans regarder
si haut, contemplez seulement les choses qui vous
entourent et que vous coudoyez tous les jours. Vous
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE i 93
avez, à l'heure où je vous parle, en France, sous des
noms et des costumes divers, cent cinquante mille
religieuses, toutes dévouées au service des pauvres,
des enfants, des malades. Vous qui vous occupez
d'analyser les choses morales, analysez, expliquez
celle-là, si vous le pouvez. Allez dans un hospice.
Vous trouvez là une jeune Sœur. Elle est là avec son
innocence, son dévouement, sa pureté et ses vingt
ans. On lui donne les noms les plus tendres : on
l'appelle ma Mère, on l'appelle ma Sœur. Elle n'a
qu'un voile, sa modestie. Et il y a là pour elle un
respect, et une tendresse cachée dans le respect
que rien n'a jamais surpassé dans le cœur de
l'homme. Essayez donc sans l'Eglise de faire quelque
chose d'approchant! Oui, regardez ces innombrables
religieuses qui se dépensent nuit et jour dans les
asiles sacrés de la souffrance, qui usent leur vie
dans nos écoles, qui bercent dans leurs bras et
pressent sur leur cœur les orphelins, qui recueillent
la vieillesse abandonnée, qui touchent d'une main
caressante tous les maux, toutes les blessures,
toutes les plaies, qui versent des torrents de bien-
faits dans les abîmes de la douleur et de la mi-
sère... Qui conserve à la patrie ces humbles ser-
vantes de l'humanité souffrante? Qui est là pour
les éclairer, les diriger et les soutenir? pour entre-
tenir en elles la flamme toujours vive, toujours
féconde du dévouement? Qui, sinon l'Eglise? Il
leur faut la parole du prêtre, la messe que le prêtre
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-13
194 CONFÉRENCES AUX HOMMES
célèbre, la communion que le prêtre leur distribue,
les conseils et les consolations que le prêtre leur
prodigue chaque semaine au tribunal de la péni-
tence. Il leur faut l'action incessante de l'Eglise
catholique, et, le jour où la France cesserait d'avoir
des prêtres catholiques, elle n'aurait plus de Sœurs
de charité. Comme un fleuve vient de sa source,
les vertus héroïques viennent de l'Eglise.
Et les vertus communes des simples chrétiens,
les exemples innombrables de fidélité conjugale,
d'amitié fraternelle, de tendre dévouement, de res-
pectueuse obéissance, de charité universelle qui se
renouvellent depuis dix-neuf siècles, d'âge en âge
et de peuple en peuple, ne sont-ce pas là encore
les fruits de la sève catholique? Sans doute, il y a
beaucoup à dire sur le relâchement des mœurs
d'une société telle que la nôtre, chrétienne de nom
et païenne de fait. Et cependant, parce que nous
vivons encore de l'Evangile, tout en le combattant,
nous sommes des sages, des anges, des saints, si
Ton nous compare aux païens antiques. Réunissez
dans le même tableau, les crimes, les hontes, les
décadences de toutes les histoires chrétiennes, ci-
tez les intrigues de la cour de Byzance, les meurtres
de celle de Clovis, les scandales donnés sur le trône
par Charles IX et Henri III ; dépouillez même le
Béarnais de ses qualités pour ne voir en lui que
ses vices, ôtez à Louis XIV la majesté de son règne
pour n'en signaler que les désordres, stigmatisez la
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 195
corruption de Louis XV avec la dépravation des
lettres et des arts, avec la démoralisation des classes
supérieures et d'une portion même du clergé...
qu'avez-vous prouvé, sinon que dans l'Eglise catho-
lique le vieil homme, quoique converti, sent en-
core rugir au fond de son âme les instincts de la
bête, et que, jusque sous le joug du baptême, il
lui reste des cris de rage, des goûts dépravés, une
arrière-pensée de révolte, des heures de licence et
d'oubli? Mais il n'en reste pas moins l'homme régé-
néré, l'enfant de Dieu et le frère de Jésus-Christ,
mille fois supérieur en moralité à l'homme du pa-
ganisme, à l'homme qui adorait Vénus, Mercure,
Jupiter, c'est-à-dire toutes les passions divinisées.
r
L'Eglise est venue, et, si elle n'a pas totalement
changé la face du monde ni supprimé le mal, elle
a du moins élevé le niveau de la conscience pu-
blique. Depuis dix-neuf siècles la notion chrétienne
de la morale a été fréquemment et violemment
contestée, et plus d'une fois on a essayé de lui op-
poser la divinisation des instincts naturels. Mais
l'Eglise était là, flétrissant les mauvaises mœurs,
les mauvaises lois, les mauvaises doctrines, et em-
pêchant la conscience publique de fléchir. Un cri-
tique qui n'est pas renommé par l'étroitesse de ses
préjugés, Jules Lemaître, analysait dernièrement
les Dialogues exhumés de je ne sais quel drama-
turge grec. En face de tant de cynisme et d'incons-
cience dans l'immoralité, il concluait : « Cela est
496 CONFÉRENCES AUX HOMMES
décidément de l'autre côté de la croix. » Parole
significative qui nous dit que, si grand quo soit le
mal de ce côté-ci de la croix, il n'est pas à compa-
rer avec le mal qui s'épanouissait librement et en
plein soleil de l'autre côté de la croix. Certes, Paris,
Vienne, Londres et Berlin ne sont pas des villes
d'une austérité puritaine. Cependant, les scandales
qui déshonorent ces grandes cités sont de beau-
coup inférieurs aux obscénités publiques que nous
ont révélées les fouilles de Pompéi. Aucun théâtre
d'Europe ou d'Amérique ne tolérerait aujourd'hui
les crudités révoltantes qui étaient applaudies par
les Grecs et les Romains. Même quand les mœurs
sont dépravées, la conscience publique reste exi-
geante; elle a été élevée par l'Eglise à un diapason
moral que les païens ne connaissaient pas. Et
d'ailleurs, pourquoi les grandes villes modernes
que je viens de citer sont-elles démoralisées? Parce
qu'elles échappent à la tutelle de la sainte Eglise.
La mesure de leur infidélité à l'Eglise catholique
est précisément la mesure de leur démoralisation.
Dès que l'Eglise n'est plus là, aussitôt les idées et
les mœurs glissent vers la dépravation.
II, Quand V Église s'en va, le niveau de la mora-
lité baisse.
Messieurs, si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 197
notre patrie vient à périr, savez-vous quelle en
sera la cause ? Ce ne sera pas notre défaut de cul-
ture scientifique... que de savants illustres honorent
notre pays ! Ce ne sera pas notre défaut de cul-
ture dans les arts ou dans les lettres... que de lit-
térateurs et d'artistes parmi nous! Ce ne sera pas
le défaut des lois et des constitutions... que de lé-
gislations et de constitutions depuis cent ans! Ce
ne sera pas notre défaut de perfectionnement in-
dustriel et matériel... tous les échos retentissent
du bruit de nos machines et du bruit de nos inven-
tions. Qu'est-ce donc qui amènera la perte de
notre patrie, si jamais elle périt? N'en doutez pas,
une seule chose : notre manque d'abnégation et
notre peu de vertu. Or, Messieurs, la vertu périra
chez nous, si l'Église catholique n'est pas là pour
la maintenir. Vous ne le croyez pas? Ecoutez-moi.
Vos fils charmants se laissent aujourd'hui bercer
sur vos genoux et s'y endorment du sommeil des
anges. Vous écoutez leur calme respiration, vous
contemplez leurs traits reposés. Que seront-ils un
jour? Beaux, tendres, fidèles, jaloux de l'honneur
de votre nom et toujours prêts à soutenir vos pas
chancelants qui descendent au tombeau? Malheu-
reux père, vous vous êtes trompé ! Dix-huit ans se
passent, et vos fils déshonorés oublient votre triste
vieillesse. Leurs passions et leurs vices font à
vos cœurs de mortelles blessures, et tout votre
amour n'est plus occupé qu'à ne pas les maudire.
198 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Comment, en un plomb vil, l'or pur s'est-il changé?
Ah ! ils ont déserté les autels de la religion, ils ont
tourné le dos aux ministres de l'Eglise catholique,
ils ont jeté par-dessus bord les croyances et les
pratiques religieuses qui revêtaient leurs premières
années d'innocence, de charme et d'éclat... et leur
vertu finit parce que Dieu seul ne finit pas. Quand
l'Église s'en va de l'enfance et de la jeunesse,
quand l'Église s'en va du foyer domestique, aussi-
tôt le niveau de la moralité baisse.
Vous ne le croyez pas? Voici des chiffres. Les
tableaux dressés périodiquement par le ministère
de la Justice attestent une effrayante augmentation
du nombre des crimes, et de la part de beaucoup
de criminels un prodigieux raffinement de perver-
sité et de cruauté. Pendant une seule de ces der-
nières années on a compté jusqu'à vingt-trois mille
enfants ou mineurs traduits devant les tribunaux.
D'année en année la progression de la criminalité
dans la jeunesse augmente effroyablement. L'édu-
cation soustraite à toute influence religieuse porte
ses fruits. Le nombre des crimes dans l'enfance et
dans la jeunesse a quadruplé. Voilà le paiement
sanglant du mépris de Dieu, et ce n'est là que la
première échéance. Nous aurons bientôt et nous
avons déjà les méfaits de ces enfants devenus des
hommes. Nous avons des bacheliers dynamiteurs
à qui on a dit : « N'écoutez plus la religion, elle n'a
rien à vous offrir que des fables; écoutez la science,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 109
la science est tout ; elle vous apprend que l'homme
est une brute perfectionnée, Dieu une hypothèse
inutile, la morale un préjugé. Vive la science et
périsse la religion ! » Messieurs, les criminels qui ont
chassé la religion de l'éducation ont fait une œuvre
manifestement immorale et antisociale, et l'arbre
qu'ils ont planté porte des fruits de mort qui sont
la condamnation sinistre et éclatante de leurs entre-
prises insensées et coupables. Quand l'Eglise s'en
va d'une génération élevée sans Dieu et sans Christ,
le niveau de la moralité baisse.
Vous ne le croyez pas encore? Mais vous nagez
dans cette vérité, elle vous enveloppe, elle vous
étreint, elle vous possède. Touchez-la donc du doigt.
Nous avons une religion dont le premier symbole
est une Vierge, une vierge idéalement pure, sur le
cœur de laquelle les jeunes filles viennent reposer
leur cœur et y puiser une modestie, une grâce
aimable qui les embellit, qui embellit nos foyers,
qui embellit jusqu'à nos rues; une religion dont le
second symbole est une Croix, un gibet tout sanglant
où l'homme arrivé à la maturité vient poser ses
fortes lèvres pour apprendre non pas à dominer,
mais à servir, mais à se dévouer, à s'immoler, à se
contenir, et d'où il rapporte une élévation de pensée,
une délicatesse de sentiments, une pudeur virile,
une majesté douce qui fait le charme, la sécurité
et l'honneur du foyer domestique ; une religion
dont le dernier mot est l'amour, l'amour désinté-
200 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ressé et généreux descendu sur la terre pour nous
apprendre à aimer Dieu et nos frères, pour faire
couler dans les veines de l'humanité un fleuve de
charité ; une religion enfin dont toutes les croyances
et toutes les pratiques sont une excitation puissante
et un secours permanent à la vertu, un frein
redoutable à la violence des passions. Or, si vous
ne voulez plus de tout cela, si vous niez la Vierge,
Jésus-Christ, la croix, l'Évangile, le ciel, la prière,
la confession, l'eucharistie, la religion catholique
en un mot, est-ce que vous garderez les biens qui
en découlent ? Est-ce que vous garderez la pudeur
chrétienne ? Est-ce que vous garderez le jeune
homme chaste ? Est-ce que vous garderez les
mariages unis, heureux, féconds, sans tache, avec
cet amour croissant, et cette délicatesse, et ce
dévouement, et ce respect que le christianisme y a
mis ? Est-ce que vous garderez la virginité de la
jeune fille, la dignité de la femme, la sainteté du
lien conjugal? Est-ce que vous garderez les rayons
après avoir éteint le foyer ? Est-ce que vous garderez
le fleuve et ses eaux fécondantes après avoir sup-
primé la source? Non. Vous perdrez tout cela. Et
comme ce sont les grandes mœurs qui font les
grands peuples, l'éclipsé de la religion sera le
prélude de la décadence de la race. Quand l'Eglise
catholique s'en va d'une race et d'un peuple, le
niveau de la moralité baisse.
Vous avez cru peut-être, Messieurs, que lesgloires
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 201
ou les abaissements de la cause religieuse vous
importaient peu, et qu'après tout les affaires de
Dieu, de Jésus-Christ et de l'Eglise n'étaient pas
vos affaires. Il faut revenir de cette erreur. Quand
on attaque la religion, c'est vous-mêmes qu'on
attaque. On commence dans les hauteurs les plus
sublimes une ruine qui, en tombant de si haut, doit
en entraîner et en entraîne beaucoup d'autres. Dans
ces dernières années, le clocher nouvellement cons-
truit d'une petite ville de Normandie s'effondrait
pendant la nuit. Les maisons voisines du clocher
étaient éventrées, et sept ou huit créatures humaines
surprises au milieu de leur sommeil étaient ense-
velies sous les ruines. Parce que le clocher est au
milieu du village, s'il vient à tomber, il écrase les
maisons d'alentour. Et parce que la religion est le
sommet, et le nœud, et la clef de voûte sublime de
toutes les choses humaines, si elle vient à crouler,
elle entraîne tout dans sa chute. Elle entraîne la
morale, elle, entraîne la paix et l'honneur des
familles, elle entraîne la prospérité et la sécurité
des Etats.
N'allez donc pas, ô hommes mal avisés, d'une
main battre en brèche l'Église catholique et de
l'autre soutenir l'édifice de la morale. Vous voulez
jouir des fruits de l'arbre? N'en coupez pas les
racines. Vous voulez l'effet? Ne supprimez pas la
cause Non. Unissez ensemble ces deux choses qui
202 CONFÉRENCES AUX HOMMES
se tiennent et qui n'en font qu'une : la religion qui
est la semence, et la vertu qui est la moisson; la
morale qui embaumela terre, et l'Eglise catholique
qui sauve la morale l
Amen!
SIXIÈME CONFÉRENCE
3° l'église TRANSFORME LA VIE
(suite)
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance moralisatrice.
Elle éclaire la conscience, elle fortifie la volonté,
elle transforme la vie. Ici on nous arrête, et beau-
coup de gens qui détestent la religion ou qui n'ont
pas le courage de la pratiquer nous disent : L'Eglise
transforme la vie ! ce n'est pas vrai. Les chrétiens
ne valent pas mieux que les autres. Messieurs, que
cette objection soit sincère ou déloyale, peu m'im-
porte. Mais, puisque cent fois je l'ai rencontrée sur
mon chemin, il faut que j'y réponde. On dit que les
chrétiens ne valent pas mieux que les autres. Expli-
quons-nous une bonne fois là-dessus, et tout de
suite établissons une distinction capitale entre les
vrais et les faux chrétiens. Cette distinction va tout
éclaircir et tout arranger. Je me flatte, Messieurs,
d'être toujours sincère devant vous, et j'ai la cer-
titude que ma sincérité ne vous déplaît pas. Au-
jourd'hui, j'ai besoin d'être encore plus net et plus
204 CONFÉRENCES AUX HOMMES
limpide qu'à l'ordinaire, et je vous demande de ne
pas m'en vouloir.
I. Les faux chrétiens ne valent pas mieux que les
autres. Je raccorde volontiers.
Expliquons-nous bien. Il y a trois choses dans la
religion, trois choses qu'on ne doit pas séparer,
sous peine de détruire la religion elle-même, comme
il y a trois côtés dans un triangle, et, si vous enle-
vez un seul de ces côtés, vous n'avez plus de triangle.
Dans la religion catholique il y a la foi, la pratique
et les œuvres. Un vrai catholique est celui qui
ayant la foi la professe extérieurement, et s'efforce
w d'en réaliser les principes dans sa vie quotidienne.
Un faux catholique est celui qui des trois conditions
de la religion n'en remplit qu'une ou deux. Hypo-
crite, il n'a que les pratiques religieuses sans la
foi et sans les œuvres; superficiel, il a la foi et la
pratique, mais il n'a pas les œuvres. Je ne sais pas
s'il existe quelque part de tels chrétiens; mais, s'il
en existe, je les renie, je les déclare faux et de
mauvais aloi, je les réprouve, je vous les aban-
donne, et volontiers je vous accorde qu'ils ne
valent pas mieux que les autres hommes, et qu'ils
peuvent même valoir beaucoup moins.
Les chrétiens hypocrites seraient ceux qui n'au-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 205
raient que les dehors de la religion et qui cache-
raient sous les démonstrations de la piété l'indif-
férence et l'incroyance. L'hypocrisie en matière
religieuse, c'est le mensonge dans ce qu'il a de
plus vil, car Dieu même, l'inviolable vérité, est
pris pour complice de la déloyauté.
Jadis, quand la religion avait une situation offi-
cielle, puissante et prépondérante, quand elle avait
de l'argent, des titres, des places à distribuer, il a
dû y avoir et il y a eu certainement des chrétiens
hypocrites, des Tartufes qui se sont affublés du
manteau de la piété pour conquérir des faveurs
humainement désirables. Aujourd'hui, je ne vois
pas trop les avantages temporels que la religion
peut procurer à ceux qui la pratiquent. Aujourd'hui,
les impies qui s'affichent ont plus de chance d'arri-
ver que les chrétiens qui s'agenouillent. A porter un
cierge derrière le Saint-Sacrement, on risque son
prestige et son intérêt, tandis qu'on a fout à ga-
gner en exhibant son diplôme de franc-maçon et
son certificat de libre penseur. La religion à l'heure
actuelle n'a donc pas à redouter dans son sein la
plaie hideuse de l'hypocrisie. Si cependant, par
impossible, il y avait encore dans notre monde con-
temporain quelques Tartufes exploitant la religion,
s'en faisant un moyen de vivre, de se poser et de
parvenir, volontiers je les abandonnerais à votre
mépris et à vos réprobations, et avec vous je
dirais : Arrière les hypocrites ! Ce sont de faux
206 CONFÉRENCES AUX HOMMES
chrétiens, et la religion n'est pas plus responsable
de leurs méfaits que la médecine n'est responsable
r
de la duplicité des charlatans. L'Evangile les a
flétris d'un mot, en les appelant des sépulcres
blanchis, qui cachent la pourriture et la honte sous
de belles apparences. Ils sont jugés. Ils ne valent
pas mieux, ils valent même moins que les autres
hommes.
Je passe, et j'arrive aussitôt à un autre type non
moins répugnant, et non moins dangereux de faux
chrétiens. Ce sont les chrétiens superficiels qui ont
la foi et la pratique, mais qui n'ont pas les œuvres.
Inintelligents ou lâches, ils s'imaginent que la
religion extérieure suffit, qu'avec des pratiques où
l'âme ne met rien, ou presque rien d'elle-même,
ils sont en règle avec Dieu et avec leurs semblables.
Ils prient, ils vont à la messe, ils se confessent, ils
communient. Mais tout cela est machinal et sans
vie. Sous cette surface correcte et dévote vous
chercheriez vainement l'amour de Dieu et du pro-
chain, les vertus naturelles, la véracité, la délica-
tesse, la justice, la charité, l'inviolable pudeur.
Que faut-il penser de ces chrétiens superficiels?
« De tels chrétiens, s'ils existent, dit Mgr d'Hulst,
sont la honte du christianisme, ils sont sa fai-
blesse, la cause de son décri devant les indifférents
qui regardent et qui disent : « Est-ce là le fruit de
la Rédemption d'un Dieu? » Ces inutiles, ces pusil-
lanimes prétendent s'abreuver à des sources divines
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 207
de courage, de pureté et d'amour, et voilà ce qu'ils
donnent ! C'est donc que leur foi est vaine ! » Arrière
les chrétiens superficiels ! La religion les réprouve.
Oui, s'il y a des hommes qui abritent l'absence de
la vertu et des œuvres sous des oripeaux de pra-
tiques religieuses, je vous les abandonne, et j'ose
dire que nous en sommes plus fâchés que vous,
Messieurs, parce que, chargés des intérêts de la reli-
gion, nous les voyons avec douleur compromis par
de pareils abus, qui deviennent dans beaucoup de
mains une arme facile et déloyale contre le chris-
tianisme. De grâce, ne rendez pas la religion res-
ponsable de la conduite de ceux qui n'ont de chré-
tien que le nom et les apparences. Suffit-il, pour
appartenir à l'armée française, d'en prendre un beau
matin l'uniforme et de se promener dans la rue
sous le costume d'officier, et rendrez- vous l'armée
solidaire et responsable de cette fantaisie que punit
la loi? Non certes. Eh bien, la religion ne peut
que rendre meilleur. Que s'il y a des hommes qui
ne la pratiquent pas sérieusement, qui en prennent
le costume et non la réalité, tant pis pour eux î
La religion ne les reconnaît pas pour siens, elle
les repousse, et elle reste sainte, immaculée, puis-
sante et efficace pour le bien ; elle reste la grande
force des hommes de bonne volonté qui savent
s'en servir sincèrement et loyalement. La chose
est bien comprise. Je vous accorde volontiers que
les faux chrétiens ne valent pas mieux que les
208 CONFÉRENCES AUX HOMMES
autres. Mais de votre côté, Messieurs, soyez sincères
et acceptez ma seconde proposition.
IL Les vrais chrétiens valent mieux que les
autres. Je l'affirme hautement.
Le vrai chrétien est un homme qui, ayant la foi,
la professe extérieurement et s'efforce de conformer
sa vie à sa foi, et, grâce à Dieu, de tels chrétiens
ne nous manquent pas. Sans doute, nous en avons
trop peu, mais nous en avons cependant assez pour
opposer victorieusement leurs nobles exemples à
toutes les clabauderies plus ou moins déloyales de
l'impiété. Le sujet est délicat. Comprenez-moi bien.
1° Je ne dis pas que tel homme qui est chrétien
vaut mieux que tel autre qui ne Lest pas. Ce n'est
pas ainsi qu'il faut poser la question. Vous me
citez tel ou tel homme qui se tient en dehors des
croyances et des pratiques religieuses et qui est un
modèle de pureté, de justice et de dévouement. Je
ne le conteste pas. Mais à cela je réponds deux
choses : 1° cet homme, s'il existe, n'est pas totale-
ment honnête puisqu'il manque à un devoir capi-
tal, au devoir envers Dieu; et 2° cet homme qui
oublie Dieu et qui reste correct vis-à-vis de lui-
même et de ses semblables n'est qu'une exception.
C'est un prodige, et je ne parle pas ici pour les
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 209
prodiges, mais pour lés simples et faibles mortels,
tels que nous sommes tous. Laissons donc de côté
les individualités plus ou moins exceptionnelles.
Prenons la grande masse de l'humanité, étudions
son niveau moral, et ne craignons pas d'affirmer
que les vrais chrétiens valent mieux que les
autres.
Qu'est-ce à dire? Gela veut-il dire que les vrais
chrétiens sont impeccables? Non. Ils peuvent avoir,
et ils ont souvent des travers, des défauts de carac-
tère, des faiblesses, des chutes et des rechutes, des
défaillances morales plus ou moins profondes. La
religion vient au secours de la nature, mais ne la
supprime pas. Elle ne fait pas disparaître nos défauts ;
elle nous aide seulement aies corriger. Gela est de,
toute évidence. La religion vient au secours de la
liberté humaine, mais ne la supprime pas. Elle ne
nous enlève pas le trésor de notre libre arbitre ; elle
r
nous aide simplement à en bien user. Ecoutez là-
dessus une belle parole de Montesquieu : « Dire
que la religion n'est pas un motif réprimant parce
qu'elle ne réprime pas toujours, c'est dire que
les lois civiles ne sont pas un motif réprimant non
plus. » La religion qui s'adresse à des êtres libres
ne peut pas les réprimer toujours. Elle ne les rend
point impeccables. Qu'est-ce donc que je veux dire
quand j'affirme que les vrais chrétiens sont
meilleurs que les autres?
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-14
210 CONFÉRENCES AUX HOMMES
2° Je dis d'abord que la religion offre aux hommes
les moyens de devenir meilleurs. Pour réaliser ses
bons désirs, pour vaincre le mal, pour connaître
son devoir et le pratiquer, le vrai chrétien n'est
pas seul. 11 a la lumièrequi lui vient de l'Evangile
et de l'Eglise; il a la force qui lui vient de la grâce,
de la prière et des sacrements. Eclairé, gardé, vi-
vifié parla religion, il lutte, il résiste, il triomphe.
Il tombe sans doute parce qu'il est homme, mais il
se relève parce que Dieu le relève. Il a regret de
son péché, et il vaut mieux dans sa faute que le
pharisien superbe dans sa vertu. Il possède toutes
les ressources naturelles de moralité qui sont à la
disposition de l'homme simplement honnête, et il
possède ce qui manque à ce dernier, des ressources
surnaturelles. Il voit plus clairement son devoir et
il le veut plus énergiquement. Même après ses
défaites passagères, il se remet à la lutte, et il n'est
jamais vaincu définitivement. Il pèche, mais il se
repent. Il faiblit quelquefois, mais il ne capitule
jamais. Je ne dis pas que la religion le rend im-
peccable, mais je dis qu'elle décuple sa puissance
et son courage.
Je dis que, en fait, la religion, bien comprise et
bien pratiquée, élève le niveau moral. C'est en vain
qu'on nous objecterait qu'il nesuffitpas, pour rester
honnête, d'avoir des principes religieux et qu'on
voit des scandales éclater çà et là parmi les chré-
tiens, parfois même jusque dans le sanctuaire. L'ob-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 211
jection se retourne de toute sa force contre ceux qui
nous l'envoient. Car, si la religion avec son frein
puissant est incapable à certaines heures de tenir en
bride les passions indisciplinées du cœur humain,
que sera-ce de ce cœur abandonné à lui-même et
n'ayant plus, pour le retenir, labarrière des croyances
et des pratiques religieuses? On reprochait à un
vieux général très chrétien et très pieux ses défauts
et ses saillies de caractère; on lui disait : « Gomment
se fait-il que, vous confessant et communiant
souvent, vous ayez de tels défauts ? » Et le géné-
ral de répondre : « Ah ! que serait-ce donc si je ne
me confessais pas et si je ne communiais pas? Je
serais cent fois pire! » Faites attention à ceci,
Messieurs. Les mêmes hommes dont vous persiflez
les défaillances parce qu'ils pratiquent, tombe-
raient dans des crimes s'ils ne pratiquaient pas.
S'ils ont des défauts tout en étant chrétiens, ils au-
raient ces mêmes défauts, et plus forts encore,
s'il ne l'étaient pas.
Et puis remarquez que la vertu consiste beaucoup
moins dans les résultats visibles que dans le dé-
ploiement intime de la force morale. Je m'explique.
Voilà tel homme qui n'est pas chrétien et qui élève
cependant sa vie à un certain niveau de moralité.
Mais ilaune nature heureuse, calme, portée au bien et
il vit dansun milieu où la vertu s'impose. Son mérite
est mince. A vaincre sans péril on triomphe sans
gloire. En voici un autre qui est chrétien et qui ne
212 CONFÉRENCES AUX HOMMES
vaut guère mieux ou même qui vaut moins en ap-
parence que son voisin sans religion. Mais il est
entouré de tentations etde séductions, et les passions
comme des chiens sauvages le tourmentent sans
cesse. En réalité et devant Dieu, môme avec sa
demi-vertu, il a un grand mérite, parce qu'il déploie
une grande force morale. De temps en temps il est
blessé dans la lutte. Tant mieux. Il n'en est que
plus beau. J'aime à voir sur le front des triompha-
teurs la trace des coups qu'ils ont reçus; c'est un
témoignage de la résistance des ennemis vaincus
et du courage qu'il a fallu dépenser pour les assu-
jettir. En résumé, la religion ne peut que rendre
meilleurs, et de fait elle rend toujours meilleurs les
vrais chrétiens qui savent la comprendre et la pra-
tiquer. La religion élève le niveau moral, et tout
compte fait, à passions égales, les vrais chrétiens
valent mieux que les autres.
Je sais bien que le monde dit le contraire.
Qu'importe? Le monde est injuste. Il affecte de
donner la palme de la moralité à ceux qui ne font
pas le signe de la croix; il éprouve un plaisir mal-
sain à mettre les vrais chrétiens en suspicion. 11
pardonne tout à ses partisans, et il est impitoyable
pour les disciples de Jésus-Christ. Le monde qui n'a
pas le courage de pratiquer l'Evangile contemple
avec remords ceux qui y conforment leur vie, et il
nie la vertu des chrétiens pour se dispenser de les
imiter et pour s'excuser de leur être inférieur.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 213
Dédaignez, Messieurs, les récriminations injustes du
monde, et fidèles à Dieu, à Jésus-Christ et à l'Eglise,
fidèles à la religion et à la morale, prenez la devise
qui fait les grands caractères et les grandes vertus:
Bien faire et laisser dire!
Amen!
SEPTIÈME CONFÉRENCE
II. — V ÉGLISE EST LA SEULE PUISSANCE
MORALISATRICE SUFFISANTE
1° LES INFLUENCES MORALISATRICES EN DEHORS
DE L'ÉGLISE
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance moralisatrice.
Elle éclaire la conscience, elle fortifie la volonté,
elle transforme la vie. Je vais plus loin, et j'af-
firme que l'Eglise est la seule puissance moralisa-
trice suffisante. L'affirmation est grave, car nom-
breux sont les hommes qui prétendent qu'en dehors
de l'Eglise il est parfaitement possible de pratiquer
la morale. Voyons un peu ce qu'il en est, en répon-
dant à ces deux questions :
1° Ya-t-il des influences moralisatrices en dehors
de l'Église ?
2° Ces influences moralisatrices sont-elles suf-
fisantes?
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 215
I. Y a-t-ïl en dehors de l'Église des influences
moralisatrices ? Oui.
Chez les païens, môme aux heures les plus lu-
gubres de l'humanité dégénérée, vous rencontrez
par-ci par-là des vertus naturelles qui méritent le
respect. Et depuis l'apparition du christianisme,
depuis que le sel de l'Evangile a pénétré les na-
tions et leur a infusé une vie nouvelle, vous trou-
vez des vertus véritables dans bon nombre
d'hommes qui font profession de vivre en dehors
de l'Eglise catholique, et même en dehors de toute
croyance religieuse. Le fait existe, et nous n'avons
pas le droit de le nier, ni de le rabaisser, même
dans l'intérêt de ce qui à nos yeux est la vérité.
N'avons-nous pas tous rencontré, peut-être près de
nous, à notre foyer, des hommes dont la vie était
conforme à la loi de pureté, de justice et de cha-
rité, auxquels nous n'avons jamais pu refuser notre
respect, et qui s'acheminaient vers la mort sans
qu'un rayon d'espérance et de foi religieuse en
éclairât pour eux les ténèbres? Ils étaient incroyants
et vertueux tout ensemble. Que d'autres expliquent
leur incrédulité par une corruption secrète, qu'ils
disent que c'est pour obéir aux instincts de leur
cœur qu'ils n'admettent pas les vérités religieuses;
pour moi je ne le ferai pas. Je laisse à Dieu le
jugement des cœurs, et je ne croirai jamais m'ins-
216 CONFÉRENCES AUX HOMMES
pirer de l'esprit de Jésus-Christ, en niant le bien
où je le trouve, fût-ce même au sein de Terreur la
plus profonde et la plus lamentable. Voilà donc
un fait qui n'est pas niable : on trouve en dehors
de l'Eglise des vertus réelles, un certain niveau
de moralité. Comment expliquer ce fait?
Il y a donc en dehors de l'Eglise des influences
moralisatrices? oui. D'abord autour de nous, dans
l'air que nous respirons, sans que nous nous en
doutions et même quand nous ne le voulons pas,
il y a l'influence indirecte, mais très réelle et très
puissante de l'Évangile et de l'Eglise. Vous entrez
dans un appartement chauffé par un bon-feu. Vous
éteignez le feu, et pendant de longues heures vous
vivez encore de la chaleur qui survit au foyer
éteint. Telle est la situation de beaucoup d'hommes
à l'égard de la religion chrétienne. Elle est éteinte,
et ils en vivent, et la chaleur morale qui circule
dans leur âme et dans leurs actes est une émana-
tion certaine, quoique inconsciente, du Christia-
nisme. 0 hommes détachés en apparence de Jésus-
Christ et de son Eglise, cette justice si exacte et si
rigoureuse, c'est sur les bancs du catéchisme
que vous en avez eu la notion première ! Cette inté-
grité des mœurs, c'est au sein d'une famille chré-
tienne que vous en avez contracté l'habitude ! Les
louables vertus que vous pratiquez sont le résultat
des impressions encore vives et ineffaçables d'une
enfance formée à l'école de la religion ! Vous ne
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 217
prononcez plus le nom de Jésus-Christ, vous ne
venez plus à ses fêtes, vous vous tenez à distance
de ses sacrements, mais vous vivez de son influence,
vous respirez l'air qu'il a répandu, vous jouissez de
ses bienfaits, vous êtes façonnés par l'action d'un
milieu tout pénétré encore de la sève évangélique
et catholique! A l'influence directe que l'Église
exerce sur ses fidèles, il faut ajouter l'influence
indirecte qu'elle exerce jusque sur ceux qui n'ont
pas le bonheur de croire et de pratiquer et qui se
prétendent affranchis de toute tutelle religieuse.
Mais, en dehors de cette double action de l'Église
catholique, reste-t-il en nous d'autres influences
moralisatrices ? oui. S'il y a dans l'homme des
pentes effroyables vers le mal, contre lesquelles il
doit lutter sanscesse, il y a aussi en lui des énergies
naturelles pour le bien, qu'il ne saurait jamais déra-
ciner complètement. Il y a la conscience, le senti-
ment de la dignité personnelle et de l'honneur, et,
venant au secours de ces nobles instincts, il y a
l'opinion publique, la loi, la philosophie, la science. . .
et je confesse sincèrement que toutes ces influences
agissant ensemble ne sont point à dédaigner,
qu'elles produisent dans l'humanité une somme
appréciable de moralité. Y a-t-il en dehors de l'ac-
tion directe de l'Église des influences moralisa-
trices? oui.
218 CONFÉRENCES AUX HOMMES
II. Ces influences moralisatrices sont-elles suffi-
santes ? Non.
Pour accréditer le règne de la morale, Yinclina-
tion naturelle vers le bien est-elle suffisante? Certes
cette inclination vers le bien n'est point une chi-
mère, et je respecte trop la nature humaine pour
vouloir contester et supprimer ses réelles gran-
deurs. Oui, Messieurs, il y a de l'or dans notre
argile, et le dernier des criminels sent palpiter au
fond de son âme des aptitudes et des aspirations
vers le bien. Mais soyons sincères. Nos inclinations
heureuses sont contrebalancées par beaucoup de
penchants mauvais. D'ordinaire nous sommes plus
attirés en bas qu'en haut, et, si nous n'avons pas
d'autre loi que l'instinct naturel, que le poids de la
nature laissée à elle-même, nous voilà sinon fata-
lement, du moins inévitablement entraînés vers le
mal. Abandonnez un enfant, un jeune homme à
son inclination, et vous verrez s'il ne devient pas
la proie du vice. Que dis-je, vous verrez? Mais
vous voyez cela tous les jours. Vous voyez des
jeunes gens qui suivent l'inclination du sens dé-
pravé et qui perdent avec la virginité de l'âme la
beauté et l'énergie du corps. Oh î ne me dites pas
que l'inclination est la source de la force morale,
car je pourrais vous opposer des millions de gens
qui sont voleurs par inclination, impudiques par
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 210
inclination, cruels par inclination, perdus de vices
par inclination. Un instant, me dites-vous, arrêtez.
La conscience est là pour diriger l'instinct et pour
le réformer au besoin. Voyons cela.
Pour accréditer le règne de la morale, la cons-
cience est-elle suffisante? Dieu me garde d'en nier
la puissance et la majesté! Législateur, elle pro-
mulgue la loi; accusateur, elle poursuit le cou-
pable; témoin, elle a tout vu et elle n'oublie rien;
juge, elle discute tous nos actes et aucun n'échappe
à ses arrêts; bourreau, elle punit l'infraction à la
loi. Elle sanctionne ses sentences en produisant
dans l'àme du juste une ineffable joie et dans l'àme
du méchant une tristesse poignante qui s'appelle
le remords. Tout cela est vrai. Mais il est également
vrai que. la conscience laissée à elle-même est facile
à corrompre et facile à braver. La voilà placée entre
la passion qui nous flatte et la loi qui nous gêne,
entre la passion qui nous dit : Jouis ! et la loi mo-
rale qui nous dit : Non, je te le défends! Que va-
t-elle faire cette pauvre conscience, qui n'a aucun
point d'appui en dehors d'elle-même? D'abord elle
hésité, elle discute, elle recule et elle avance, elle
va de la convoitise au devoir et du devoir à la con-
voitise, elle se dédouble pour se porter en deux
directions opposées. Mais bientôt cette duplicité lui
fait horreur, ce tiraillement lui est à charge. Il faut
choisir, et elle tombe du côté de la passion. Elle
capitule, et en capitulant une fois, dix fois, cent
220 CONFÉRENCES AUX HOMMES
fois, elle se relâche, elle se déforme, elle se fausse,
elle se brise comme un ressort qui porte un poids
trop lourd. A mesure que nous péchons, la cons-
cience proteste de moins en moins et finit par
prendre le niveau de notre conduite. Montrez-moi
dans la conscience humaine la crainte assez vive
pour arrêter l'homme sur la pente du mal, l'espé-
rance assez entraînante pour le pousser sur le sen-
tier du bien. Le remords, la honte naturelle d'avoir
mal fait? mais on s'y accoutume à la longue, on
finit par la braver sans rougir. La satisfaction inté-
rieure d'avoir bien fait? mais l'habitude rémousse,
l'opinion la combat, l'injustice la déconcerte, et
les plus honnêtes gens finissent par se demander
s'ils ne s'abusent pas en se consolant dans leur
conscience.
Pour accréditer le règne de la morale, le senti-
ment de l'honneur et de la dignité personnelle est-il
suffisant? Je vous accorde volontiers que le senti-
ment de l'honneur est un admirable sentiment,
quand il s'appuie sur l'idée de Dieu, quand il
s'abreuve au pied de la croix, quand il se nourrit
des clartés et des énergies de la religion; mais j'ose
affirmer qu'il est un sentiment à peu près insuffi-
sant et stérile, quand il n'a d'autre support que
vous et vos impressions mobiles. Allez donc dire à
cet enfant, à ce jeune homme que la passion solli-
cite, ardente, déchaînée, allez donc lui dire qu'il
songe à sa dignité personnelle ! Il y pensera plus
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 221
tard, quand il ne sera plus temps, quand la pas-
sion sera satisfaite. Non, Messieurs, il n'y a pas
dans ma nature, telle que je la connais, telle
que je l'expérimente en moi-même et dans les
autres, il n'y a pas là dans le vase fragile de
mon cœur une source de force morale équiva-
lente à mes besoins. Sortons de nous-mêmes et
cherchons.
Pour accréditer le règne de la morale, f opi-
nion est-elle suffisante? L'opinion peut empêcher
quelques actes vils et honteux et imposer à quelques
hommes une certaine correction morale. Mais je
lui vois trois grandes lacunes: 1° Elle est sans
aucune influence sur la grande masse de l'huma-
nité. Je vous demande un peu ce que peut faire à
l'immense majorité des hommes l'opinion de leurs
semblables au milieu desquels ils passent inaper-
çus? L'opinion n'atteint qu'une très minime portion
de l'humanité; 2° Elle n'atteint qu'une très minime
portion de la vie de chaque homme. Sur vingt
actions qui coulent de ma volonté, il y en a au
moins quinze qui échappent à l'opinion. Elle
ignore les crimes secrets de la pensée, les désirs
coupables du cœur, les actions de la vie privée qui
flétrissent l'âme à ses propres yeux ; 3° Et parmi les
actes qui tombent sous son contrôle, elle en accepte
un grand nombre qui sont manifestement mau-
vais. Que de fois l'opinion ratifie et approuve le
mal ! Par exemple, elle repousse impitoyablement
222 CONFÉRENCES AUX HOMMES
le criminel public, mais elle absout volontiers le
vice, quand il est élégant, et l'injustice, pourvu
qu'elle soit habile et couronnée de succès. Vouloir
faire de l'opinion la base de la moralité, c'est une
pure plaisanterie ! Nous avons plus et mieux, dit-
on, nous avons la Loi.
Pour accréditer le règne de la morale, la loi est-
elle suffisante? La loi n'est point à dédaigner. La
loi, servie par la force, punit les forfaits extérieurs,
et elle prévient beaucoup de désordres par la ter-
reur salutaire qu'elle inspire aux méchants. Mais,
hélas ! qui ne sait que les lois, même les meilleures,
sont souvent impuissantes? Qui ne sait que les
lois, même les plus sévères, s'arrêtent devant la
conscience et devant le for intérieur? Qui ne sait
que les lois sont quelquefois mauvaises, souvent
imparfaites, toujours changeantes? Non, la loi et la
force ne sont pas capables de moraliser un ^juple.
Cherchons autre chose.
Pour accréditer le règne de la morale, la philo-
sophie et la science sont-elles suffisantes? Qu'en
pensez-vous? Moi, je pense d'abord que la philoso-
phie n'a pas de symbole, qu'elle pose plus de pro-
blèmes qu'elle ne donne de solutions, qu'elle n'est
pas capable de faire marcher le plus petit village
sous sa direction, et que, si elle peut suffire à peu
près à quelques esprits cultivés, à quelques indivi-
dus exceptionnels, elle est radicalement insuffi-
sante à la grande masse de l'humanité. Je pense
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 223
qu'un jour Robespierre, effrayé de l'immoralité
délirante qui couvrait toute la nation et voulant y
mettre un terme, tant l'aspect du monde lui parais-
sait horrible, s'imagina d'écrire au seuil de nos
temples ce dogme élémentaire de la philosophie :
Le peuple français reconnaît l'existence de Dieu et
l'immortalité de l'âme. Il croyait ainsi mettre un
frein à l'orgie révolutionnaire. Mais le sang et la
boue continuèrent de couler comme auparavant...
tant il est vrai qu'en présence des passions à répri-
mer et de la morale à fonder la philosophie res-
semble à un fétu de paille qui voudrait arrêter un
fleuve débordé, à un caillou qui voudrait servir de
base à un monument grandiose ! Mais la science,
nous dit-on, la science, voilà la garantie de la
morale. Oui, parlons-en. La science est utile. Est-
elle une garantie suffisante de moralité? Non, mille
fois non. La science est la meilleure ou la pire des
choses selon l'usage qu'on en fait; elle peut servir
au mal aussi bien qu'à la vertu. Non, ce n'est pas
avec un peu de lecture, d'écriture, de calcul, de
musique, avec un peu d'histoire et de géographie,
avec la physique et la chimie, avec le grec et le
latin qu'on accrédite le règne de la morale. On peut
être très instruit et n'en être pas plus probe, plus
honnête : témoins tant de gens qui peuplent les
bagnes pour avoir trop lu, trop écrit, 'trop compté.
Et on peut vivre vertueux, capable de dévouement
sans même avoir appris à lire : témoins tant d'actes
224 CONFÉRENCES AUX HOMMES
de désintéressement, de sacrifice et d'héroïsme
accomplis par des âmes ignorantes.
Concluons. Puisque les influences moralisatrices,
que nous portons en nous-mêmes ou qui nous
viennent du milieu social où nous vivons, sont
manifestement insuffisantes, où aller? ad qtiem
ibimas? à l'Évangile et à l'Eglise. Le monde était
perdu, désorganisé, démoralisé. Jésus-Christ est
venu. Il a promulgué son Evangile, et tout est là,
dans l'Évangile. Mais encore l'Evangile n'est qu'un
livre muet et inanimé, et voilà les lettrés, les phi-
losophes, les savants, les pasteurs, les dissidents
d'un esprit élevé et d'une érudition incontestable
qui s'acharnent sur ce Livre auguste, qui en tirent
des sens impossibles et des conséquences invrai-
semblables. C'est la dispute, la confusion, le chaos.
La morale de l'Evangile est une lettre morte,
quand l'Église ne l'explique pas. La morale de
l'Évangile se contredit, quand l'Eglise n'en fixe pas
le sens. La morale de l'Evangile change au gré du
temps et des passions, quand ce n'est plus l'Eglise
qui la garde, mais l'hérésie qui s'en empare et la
licence qui la corrompt. Oui, certes, il y a en
dehors de l'Eglise des influences moralisatrices.
Mais ces influences moralisatrices sont insuffisantes.
L'Église est la seule puissance moralisatrice suffi-
sante.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 225
0 Eglise catholique, au milieu du monde qui se
décompose et qui meurt, tu es l'asile delà morale!
Je te salue, ô Eglise catholique, toujours debout,
toujours ferme, toujours incorruptible !
Amen !
LES BIENFAITS DE L ÉGLISE. — 1-15
HUITIÈME CONFERENCE
2° L'ÉGLISE SEULE ATTEINT LES AMES
Messieurs,
L'Eglise est une grande puissance moralisatrice.
Elle est la seule puissance moralisatrice suffisante.
En dehors de l'Eglise une certaine morale est pos-
sible, parce que Dieu a déposé dans la nature hu-
maine et dans la société humaine des influences
dont il serait puéril de contester la valeur et l'effi-
cacité relative. Mais, si vous voulez conquérir pour
vous-mêmes et accréditer autour de vous la morale
vraie et totale, vous ne pouvez pas vous passer de
l'Eglise catholique. Pourquoi? parce que la morale
vraie et totale a son siège dans l'àme, et que l'Eglise
seul^ atteint les âmes. Voyons cela.
I. L'Église atteint les âmes.
On parle beaucoup aujourd'hui et l'on se préoc-
cupe à juste titre de la question sociale... question
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 227
terrible et passionnante. Or, sachez-le, la question
sociale est surtout une question morale, qui ne
trouvera sa solution que dans la nature même de
l'homme, dans son être tout entier, en un mot dans
son âme; et, si vous n'atteignez pas cette âme, l'âme .
de l'homme, vous ne résoudrez jamais rien. Nous
sommes des civilisés. Mais le progrès, l'avancement
dans les sciences et dans les arts, la culture intel-
lectuelle, la civilisation, tout cela n'est rien ; il n'y
a qu'une chose qui importe, c'est l'âme. C'est elle
qu'il faut atteindre, si vous ne voulez pas échouer
misérablement dans toutes vos œuvres de civili-
sation. Ce n'est pas parce que nous avons fait des
découvertes et que nous sommes arrivés à arracher
à la nature ses secrets les plus intimes, que nous
serons plus avancés ; bien au contraire, la situation
deviendra plus terrible et le progrès nous écrasera,
si les âmes ne sont pas atteintes, modifiées, amélio-
rées. Nous sommes des chercheurs, des organisa-
teurs, des savants, des économistes. Nous dépen-
sons journellement des flots d'encre et des flots de
salive pour trouver une meilleure organisation du
travail, une meilleure organisation de la propriété,
une meilleure organisation de la famille, une meil-
leure organisation du patronage, une meilleure or-
ganisation des pouvoirs publics. Nous faisons cela,
et nous n'avons pas tort. Mais tout cela est secon-
daire. Pour résoudre la question sociale, il faut aller
plus loin et descendre plus bas. Il faut prendre
228 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'homme dans tout ce qu'il est : dans son être su-
périeur et dans son être inférieur; il faut prendre
l'homme d'abord et surtout dans son être d'en haut,
c'est-à-dire dans son intelligence, dans sa volonté,
dans sa conscience, dans son cœur, dans son âme.
Il faut atteindre les âmes.
Qui fera cela? Quelle puissance au monde mettra
la main sur l'intelligence de l'homme, sur la vo-
lonté de l'homme, sur la conscience de l'homme,
sur le cœur de l'homme? Cherchez. Il n'y a que
l'Eglise qui soit capable d'atteindre les âmes. Elle
en a la prétention, elle en a le pouvoir, et ce pou-
voir unique et merveilleux, elle l'exerce tous les
jours. Tous les jours elle agit sur l'âme de l'enfant,
sur l'âme du jeune homme et de la jeune fille, sur
l'âme du riche et du pauvre, sur l'âme du père et
de la mère, sur l'âme du souffrant et du pécheur,
sur l'âme du malade et du mourant. Elle agit sur
l'esprit, sur la volonté, sur le cœur, sur le fond
même de l'âme : terre vierge, sol sacré où germe la
loi morale, et où seulement se décident les grandes
résolutions et les généreux desseins. Vous connais-
sez sans doute la parole arrachée à Napoléon Ier
par un orgueil jaloux des grandeurs du sacerdoce
et de la puissance de Pie VII. Il disait : « Moi, je
règne sur les corps, mais lui, il règne sur les âmes. »
Tel est en effet le privilège de l'Eglise. Elle règne
sur les âmes. Elle entre dans les âmes pour y exer-
cer son action moralisatrice. Elle leur apporte la
V
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 229
lumière, la force, la consolation. Elle s'adresse à
la liberté humaine, et personne, par conséquent,
n'est forcé de subir son action. Mais, parce qu'elle
se présente et qu'elle parle au nom du ciel, elle a
un prestige, une autorité qui en impose à la cons-
cience et en obtient les plus sanglants sacrifices.
Oh! partisans de la morale indépendante, vous me
faites sourire quand vous vous attaquez à la volonté
de l'homme, cette cavale indomptée dont parle
quelque part Bossuet, quand vous me dites que
vous allez la discipliner, la soumettre au joug avec
vos préceptes sans base et sans sanction! La cavale
a les reins trop forts et les jarrets trop vigoureux;
elle brise vos faibles lacets, et elle bondit fière,
hérissée, sauvage. Qui donc pourra la dompter?
L'Eglise. En dehors de l'Eglise je vous défie de me
signaler une autre puissance au monde capable de
prendre ma volonté. Elle atteint les âmes.
IL L'Église atteint toutes les âmes»
Est-ce qu'il y a des nations qui lui échappent, qui
ne la comprennent pas ou qu'elle désespère de pé-
nétrer, d'instruire et de moraliser? Nullement. La
synagogue n'était faite que pour le peuple juif,
et le bruit de sa voix ne dépassait pas le Jourdain
et le lac de Tibériade. L'Église, elle, sort de la
Judée, et voilà qu'elle s'adresse aussitôt aux Grecs,,
230 CONFÉRENCES AUX HOMMES
aux Romains, aux Asiatiques, aux Gaulois, aux
Germains,' aux Anglo-Saxons. Elle emprunte à
chaque peuple sa langue; elle les traverse, les con-
vertit, les civilise, les moralise, et, sans toucher à
leur gouvernement ni à leur drapeau, elle s'établit
chez eux et au-dessus d'eux dans une sphère calme
et sereine, abordant toutes les âmes semées sur le
globe, prêchant la paix parmi les divisions, la jus-
tice parmi les injures, l'amour parmi les haines,
la charité sur toutes les plages, le ciel sous tous
les climats, l'éternité dans tous les temps.
Est-ce qu'il y a des siècles qui lui échappent, qui
ne la comprennent pas, ou qu'elle désespère de pé-
nétrer, d'instruire et de moraliser? Nullement. De
siècle en siècle, elle court, elle vole, elle passe, elle
va et vient, rangeant sous la même loi morale les
Romains du siècle d'Auguste, les Goths d'Alaric,
les Francs de Clovis, les Lombards d'Alboin, les
Hongrois de saint Etienne, les Normands de Rollon
et de Robert Guiscard, les Incas du xvie siècle et
les Chinois, les Africains du xixe. Elle s'harmonise
avec chaque peuple sans en revêtir le caractère,
avec chaque gouvernement sans en épouser les
excès, avec chaque siècle sans en prendre la
couleur.
Et dans chaque nation et dans chaque siècle est-ce
qu'il y a des conditions d'âge, de sexe et de rang
qui lui échappent, qui ne la comprennent pas, ou
quelle désespère de pénétrer, d'instruire et de mo-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 231
•raliser? Nullement. Elle a desparoles qui éclairent,
des sacrements qui vivifient, des pardons qui re-
lèvent, des efficacite's qui transfigurent, pour les
enfants dont la raison s'éveille et pour les vieil-
lards dont la course va finir, pour la jeune fille qui
veut rester pure et pour le jeune homme blessé par
la tentation , pour l'épouse dans ses responsabilités
et pour la mère dans ses angoisses. Elle apprend
au roi à bien user de son pouvoir, et au sujet à
rendre à César ce qui est à César; au pauvre à
supporter et à bénir la faim, et au riche à prendre
pitié de la foule et à multiplier pour elle le pain
de la bonté. Elle apprend au savant à être humble
et modeste dans sa science et à mettre d'accord sa
vie avec ses connaissances en enseignant ce qu'il
fait et en faisant ce qu'il enseigne, à l'ignorant à se
résigner au mépris du monde et à faire de sa peti-
tesse le marchepied de sa grandeur morale. En un
mot, elle a des leçons et des secours pour tous les
âges de la vie et pour toutes les conditions sociales.
Elle atteint toutes les âmes. Elle fait encore plus
et mieux.
III. L'Église atteint chaque âme en particulier.
C'est là une puissance qui n'appartient qu'à elle,
qu'on ne lui pardonne pas, et sur laquelle je veux
appeler votre attention.
232 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Certes, quand une parole éloquente, quand une
invitation vibrante à la vertu, descend de la chaire
de vérité sur un auditoire attentif, nous n'y sommes
point insensibles, et parfois nous emportons du
saint lieu une salutaire blessure au cœur qui nous
tourmente et qui nous sauve. Mais cela n'est pas
suffisant. L'Eglise dans la chaire parle à tout le
monde, et nous avons besoin qu'on nous parle à
chacun en particulier. L'Eglise a pourvu à ce
besoin. Elle envoie son prêtre. Le voici.
77 vient, et tenant dans ses mains le code de la
loi morale, il en fait à chacun une application spé-
ciale. Il l'oppose à la conscience orgueilleuse des
grands de la terre pour les éclairer et les confondre.
Il la montre à l'enfant, et il lui apprend à former
sur cette loi sainte les scrupules légitimes d'une
âme encore pure. Il réforme, en l'expliquant, les
fausses idées qu'un jeune homme commençait à
concevoir sur l'honneur et sur la vertu. Il l'élève
comme une barrière infranchissable entre la jeune
fille qui va glisser sur le bord de l'abîme et le
tentateur qui cherche à la perdre. Il la repasse
article par article au lit des mourants, et par cette
revue générale de toute une vie il appelle l'aveu
et le repentir sur toutes les fautes oubliées. Voici
le prêtre. Il vient frapper à la porte de chaque
conscience.
Il entre. Au nom du scrutateur suprême, il fait
invasion dans mon âme et dans les plus intimes
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 233
replis de mon âme. Que de choses, Messieurs, là,
dans notre intérieur, que de choses cachées et qu'il
est nécessaire pourtant de toucher et d'atteindre !
0 penchants dépravés, inclinations perverses*
idoles qu'on ne saurait jamais entièrement dé-
truire, comme vous vous ressemblez dans tous les
cœurs et qu'il importe d'arrêter vos fureurs ! Mais
comment vous atteindre? Vous avez pris pour asile
le fond de l'âme humaine, dieux d'un paganisme
immortel; vous êtes là comme dans un antre
ténébreux, au seuil duquel viennent expirer toutes
les puissances du monde! Je sais un homme, Mes-
sieurs, mais je n'en connais qu'un, qui a reçu
grâce et mission pour ouvrir la porte des con-
sciences et pour y entrer au nom du Juge éternel.
Cet homme, c'est le prêtre catholique, et il est seul
de son espèce. Il fait ce que personne ne veut et
ne. peut faire. Il vient, il entre,
77 constate. Les anatomistes, les physiologistes,
les biologistes dissèquent le corps humain, décrivent
ses organes, analysent ses fonctions et se glori-
fient de connaître les lois en vertu desquelles se
produisent les phénomènes de la vie matérielle.
Mais, j'ose le dire, le prêtre pénètre plus profondé-
ment qu'eux dans le mystère de notre grande
nature. Il va jusqu'à l'âme. Il constate la corrup-
tion originelle de la nature et ses aggravations par
le péché, les tendances au mal et les aspirations.au'
bien, la somme de mr.lice, de faiblesse et de négli-
/
234 CONFÉRENCES AUX HOMMES
gence dont on doit se défier, et la somme de bonne
volonté et d'efforts sur laquelle on peut compter.
En analysant la structure et les actes de cette âme
humaine si petite et si grande en même temps, il
voit d'où viennent les maladies morales, quelles
causes les engendrent plus ou moins prochaine-
ment, à quel régime spirituel il faut soumettre la
conscience malade pour la fortifier et prévenir
efficacement le retour du mal, par quels conseils
on la doit soutenir, par quelles oeuvres de retran-
chement, de combat et de générosité on la peut
réparer. Et, après avoir ainsi disséqué l'organisme
immatériel, il agit. Il vient, il entre, il constate.
Et enfin il gouverne cette âme qui lui est ouverte,
stimulant ses lenteurs, tempérant ses ardeurs
indiscrètes, la relevant dans ses découragements,
entretenant le feu sacré de ses désirs et lui mon-
trant d'une main sûre la voie qu'elle doit suivre et
le but qu'elle doit atteindre. Il calme les remords.
Il donne le pardon divin. Et en môme temps il
indique la passion naissante, le vice caché, la fai-
blesse inattentive, il attaque le mal dans ses racines,
il en signale les causes et les remèdes. En un mot,
il applique la loi morale là où elle doit être appli-
quée pour porter des fruits, c'est-à-dire au fond
même de chaque âme humaine.
— Saint-Marc Girardin disait un jour en pleine
Sorbonne : « Supprimez les confessionnaux, il
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 235
vous faudra augmenter le nombre des prisons et
des gendarmes. » C'est vrai. L'Eglise est la seule
puissance moralisatrice suffisante, parce que seule
elle atteint les âmes, toutes les âmes, et chaque
âme en particulier! Ah! nos ennemis le savent
bien. Ils savent que notre point d'appui est dans
les âmes, et voilà pourquoi par tous les moyens,
par les lois, par la presse, par la ruse et par la
violence, ils voudraient nous ravir les âmes, l'âme
de l'enfant, l'âme du jeune homme et de la jeune
fille, l'âme de l'épouse et de la mère, l'âme du riche
et de l'ouvrier, l'âme du moribond. Ils n'y arrive-
ront pas. Nous leur dirons : « Prenez-nous tout ce
que vous voudrez et tout ce que vous pourrez, nos
temples, nos vases sacrés, le toit qui nous abrite
et le morceau de pain qui nous nourrit. Mais les
âmes sont à nous, et nous sommes à elles. Pour
elles nous vivons, pour elles nous sommes prêts à
mourir! »
Ameji !
NEUVIEME CONFERENCE
>o , '
3° L ÉGLISE SEULE CONSOLE LA SOUFFRANCE
Messieurs,
r
L'Eglise est la seule puissance moralisatrice suf-
fisante parce que seule elle atteint les âmes, toutes
les âmes, chaque âme en particulier, et j'ajoute,
parce que seule elle console la souffrance. Il y a
dans le monde un agent mystérieux et inévitable,
c'est la souffrance, et si la souffrance est mal com-
prise et mal acceptée, elle est essentiellement dé-
moralisatrice. Qui donc nous expliquera la souf-
france? Qui nous la rendra tolérable? Qui ira
même jusqu'à la rendre sainte et féconde? Qui?
L'Église catholique.
I. Constatons le fait de la souffrance.
L'homme souffre dans son corps et dans son âme.
Son pauvre corps est en proie à la douleur
physique, à la langueur, aux maladies, à des maux
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 237
incurables; tantôt il succombe sous le poids des
forces adverses qui le pressent de toutes parts, et
tantôt il est sourdement dévoré par la force invi-
sible dont il est l'instrument, par l'âme sa com-
pagne. La lame use le fourreau. Et en même temps
qu'elle entre en communauté de maux avec la ma-
tière qu'elle anime, la pauvre âme humaine reçoit
des coups qu'elle seule peut porter : l'incertitude
de l'avenir, l'honneur changé en opprobre par les
caprices de la fortune ou la malice des hommes,
les espérances qui s'écroulent comme un édifice
ruiné, les affections que brisent l'ingratitude ou la
mort, le délaissement, la solitude... autant de
maux qu'accroît en nous la faculté que nous avons
de nous souvenir du passé et de prévoir l'avenir,
et la faculté non moins terrible de nous créer des
maux imaginaires, quand nous manquons de maux
réels.
Nous souffrons tous. Il n'y a pas d'exception.
Que de fois, hélas ! j'ai entendu au fond de mon
âme des cris lamentables. Et si dans ce moment je
m'arrêtais pour écouter la voix secrète de vos
cœurs, chacun de vous me dirait : C'est vrai, j'ai
souffert, je souffre, j'attends la souffrance ! Je vous
devine. Vous me dites : Mais le riche, lui, n'est
pas malheureux! Pardon. Il y a des douleurs en
haut, en bas, et en haut plus quelquefois qu'en
bas. Il y en a dans l'atelier du pauvre et dans le
salon du riche. Il y en a sous la pourpre, et il y en
238 CONFÉRENCES AUX HOMMES
a sous la bure. On peut murmurer contre le fait
de la souffrance, on ne peut pas le supprimer, on
peut maudire le joug, on ne peut pas l'arracher de
ses épaules.
Ajoutez à cela que la presque totalité des hommes
gémit et succombe sous l'écrasant fardeau du tra-
vail et des privations. Voyez tout ce peuple qui
gagne son pain à la sueur de ses membres, et qui
creuse un pénible sillon en l'arrosant de ses larmes.
Il rabote, il cloue, il laboure la terre, il forge le fer.
Il étouffe dans les vastes usines, il s'épuise sous la
pluie ou le soleil des vastes campagnes. Et dans ce
grand corps du monde qui travaille manuellement,
il y a des membres qui souffrent davantage : les
enfants, les malades, les délais^'.s, les pauvres.
Enfin aux épreuves multiples de la vie il faut
joindre les séparations nécessaires de la ?nort. Uen-
fant à son entrée dans l'existence s'imagine qu'il
va marcher jusqu'au sommet de l'âge en nom-
breuse compagnie. Mais, à mesure qu'il avance, il
s'aperçoit que la solitude augmente autour de lui.
Il marche sur le sentier tortueux et, arrivé à mi-
côte, il se trouve seul ou presque seul. Ma mère, où
etes-vous? Mon père, qu'ôtes-vous devenu? Frères
bien-aimés, je vous cherche. Tendres sœurs, je ne
vous vois plus. Amis d'enfance, vous m'avez donc
quitté? Oui, la mort a moissonné tout cela. La mort
nous prend nos amis, nos parents, et, meurtris par
des séparations nécessaires, nous allons pleurer sur
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 239
dos sépulcres, où dort la cendre à tout jamais
éteinte de nos meilleures affections. L'humanité
souffre. Elle a besoin de consolation. Voilà le fait.
II. Qu'avez-vous a dire et à donner pour conso-
ler la souffrance ?
Qu'allez-vous dire à cet homme qui est brisé et
qui souffre?
Vous lui dites : Voilà les biens du monde, plai-
sirs, honneurs, richesses : prends et jouis! C'est
facile à dire, mais ce n'est pas sérieux, car des
plaisirs, des honneurs et des richesses il n'y en a
pas pour tout le monde; l'immense majorité des
hommes sont condamnés à végéter dans les priva-
tions et à descendre inaperçus dans la tombe. Et
puis qu'est-ce que le plaisir, la fortune et la
gloire peuvent apporter de consolation au cœur
d'une mère qui a vu la pâle mort enlever sous ses
yeux ses enfants chéris? Si vous vous placez en
dehors de l'idée religieuse, qu'allez-vous donc dire
à ces hommes qui souffrent?
Vous leur dites : Instruisez-vous! voyez dans
quel siècle vous vivez, siècle de progrès, d'amélio-
ration matérielle, de magnifiques découvertes! —
Messieurs, tout cela est admirable, mais veuillez
remarquer qu'en disant à quelqu'un qui souffre
qu'il vit dans un siècle de progrès, vous ne séchez
2iO CONFÉRENCES AUX HOMMES
pas une seule de ses larmes, vous ne cicatrisez pas
la moindre blessure de son cœur meurtri. Enten-
dez-le vous répondre : Il y a plus d'heureux qu'au-
trefois, c'est possible. Mais qu'est-ce que cela me
fait puisque je ne suis pas du nombre? Il y a là sur
le chemin de la vie tout un peuple, que.dis-je? un
genre humain tout entier qui souffre et qui réclame
la consolation. Qu'avez-vous à lui dire?
Vous lui dites : Patience! Résignez-vous! Com-
ment? voilà tout ce que vous avez à lui dire? Il
faut qu'il se résigne? Mais de quel droit voulez-
vous qu'il se résigne? Oh! si au moins vous lui
disiez qu'après s'être résigné toute sa vie il aura
une belle récompense; si, pour comprimer la ré-
volte de son cœur, vous lui disiez qu'il y aura un
châtiment pour celui qui n'aura pas su souffrir ;
si, pour adoucir sa peine, vous lui disiez qu'il y a
tout près de lui un Dieu très puissant et infini-
ment bon, un Dieu assez bon pour l'entendre et
assez puissant pour le secourir, et que ce Dieu il
peut le prier, lui parler, l'importuner du récit de
ses misères, lui demander des faveurs, lui dire
avec la certitude d'être entendu et l'espérance
d'être exaucé : mon Dieu, je vous en prie, proté-
gez-moi ! Ah ! si du moins vous lui disiez qu'entre
Dieu et lui, entre Dieu si grand et lui si petit, il y
a des intermédiaires accommodés à sa faiblesse et
à'ses misères : Jésus, Marie, Joseph, les anges, les
saints, et puis le prêtre, c'est-à-dire un homme à
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 2 il
qui il puisse dire ses souffrances, raconter sa vie
et confier son âme, son âme travaillée par mille
inquiétudes, assaillie de mille scrupules; ah! si
vous lui disiez tout cela, si vous lui parliez de
Dieu, du ciel, de la prière, du prêtre... cela le sou-
lagerait peut-être. Mais non, vous lui dites : Pa-
tience! Résignez-vous! Parole sèche, triste, cruelle,
sans entrailles ! — Il y a ici-bas toute une huma-
nité qui gémit et qui souffre, et, quand on a ravagé
dans l'âme de cette humanité les croyances, et dans
sa vie les habitudes religieuses, on vient lui dire :
Prends patience! résigne-toi! Non, cela n'est pas
sérieux. C'est une dérision, et une dérision si-
nistre. '
Messieurs, l'humanité souffre, et, si vous ne la
consolez pas, elle marche fatalement au désespoir,
au blasphème, à la démoralisation. Qu'avez-vous à
lui donner pour la consoler, pour la soulager, pour
apaiser les tempêtes de son esprit et soigner les
plaies vives de son cœur? En dehors de l'idée reli-
gieuse, je vous défie de trouver un remède sérieux
à la douleur. C'est ici qu'apparaît la mission splen-
dide, la puissance merveilleuse de l'Eglise catho-
lique.
III. L'Église seule console la souffrance.
Elle ne supprime pas la souffrance, mais d'abord
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-16
242 CONFÉRENCES AUX HOMMES
elle l'explique. Elle va vers l'humanité gémissante
non pour la flatter, mais pour l'instruire, non pour
la repaître de chimères et d'utopies, mais pour
lui donner des réalités, pour lui dire : « 0 homme
souffrant et meurtri, écoute. Il y a un Dieu per-
sonnel et agissant, qui s'occupe de tout, qui gou-
verne tout, qui s'intéresse à tout, même aux plus
humbles détails de ta vie, puisqu'il ne tombe pas
un cheveu de ta tête sans sa permission. Ce Dieu t'a
créé pour le connaître, l'aimer, le servir et par ce
moyen obtenir la vie éternelle. » Et alors cet
homme relevant sa tête fatiguée dit : « Je souffre !
Je souffre dans mon corps, dans mon âme, dans
ma famille ! » Et la religion lui répond : « Cette
souffrance t'a été donnée comme épreuve ; il faut
lutter. Elle a sans doute sa raison d'être dans les
fautes du passé ; il faut t'humilier. Elle aura sa
compensation dans l'avenir ; il faut espérer. Il faut
souffrir avec patience, humilité, espérance, en
regardant Dieu qui vous voit, vous attend et vous
récompensera. »
Et, si cette doctrine paraît austère, et elle l'est
en effet, l'Eglise pour la faire accepter tient en ré-
serve de puissants moyens. Avec la lumière qui
explique la douleur, elle offre à ceux qui souffrent
des exemples qui la rendent supportable. Sous les
yeux de l'humanité gémissante, elle étale la chaîne
indéfinie des saints, nos frères, nos modèles et nos
intercesseurs : Marie, la mère des douleurs, Joseph,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 243
l'artisan de Nazareth, les apôtres, les martyrs et
les vierges... immense armée de créatures hu-
maines qui nous ont devancés dans l'épreuve et
qui nous attendent dans la gloire, qui sont à l'hon-
neur après avoir été à la peine. L'Eglise fait mieux
encore. Sous les yeux de l'humanité gémissante
elle étale la sanglante image du divin Crucifié.
Elle vient au devant de la souffrance, non pas avec
de belles phrases, mais avec une croix nue et sur
cette croix il y a un Dieu ! Elle ne dit qu'un mot :
Regarde. Et c'est fait. Avec des infortunes elle fait
des bienheureux. Elle embaume la souffrance, elle
la rend supportable, quelquefois délicieuse, en la
plaçant sous le doux rayonnement de la Croix. Ah !
Messieurs, vous entendez parler à chaque instant
de la question sociale. Qu'est-ce donc que la ques-
tion sociale? C'est tout simplement le problème de
la douleur qui n'est pas résolu. Il y a dans le monde
des masses de gens qui souffrent et qui ne sont pas
consolés, et qui, n'étant pas consolés, poussent des
cris de haine et rugissent sous le fouet de la dou-
leur... Voilà toute la question sociale. Pour la ré-
soudre> bon gré malgré, il faut aller à l'Eglise, qui
seule au monde est capable de nous donner la
parole de vérité qui explique la souffrance, les
exemples qui la rendent supportable.
Et les services qui la diminuent. Il y a ici tant à
dire que je ne dirai qu'un mot. L'Eglise offre à la
douleur des services dévoués et incessants. Cela
24'* CONFÉRENCES AUX HOMMES
est si vrai que, quand il y a une douleur quelque
part, c'est presque toujours auprès de la religion
de Jésus-Christ qu'elle va d'abord et d'instinct se
réfugier. Que ne fait-on pas en ce siècle pour en-
lever au peuple l'amour du prêtre? Eh bien! malgré
ces efforts sataniques, le peuple reste attaché à son
clergé. Dans ses tristesses et dans ses larmes il
prend le chemin qui mène à nos demeures ; il
vient verser son âme dans la nôtre ; et dans chaque
paroisse le presbytère est encore la maison la plus
hospitalière, la plus aimée, la plus fréquentée.
L'homme qui souffre sait parfaitement où sont
ses vrais amis, et il va les chercher dans le sein
de TEglise catholique.
L'Eglise seule console l'humanité au milieu des
épreuves de la vie, et en présence de la mort c'es*
elle encore, et elle seule qui vient à notre secours,
soit que nous perdions ceux que nous aimons, soit
que nous-mêmes soyons saisis par le trépas. L'in-
crédulité n'a à nous offrir que des paroles de
néant et de désespoir, et la philosophie hésitante et
troublée s'avoue impuissante à nous dire le secret
de la mort. L'Eglise, elle, parlant au nom du ciel,
vient calmer nos anxiétés. Elle nous annonce que
nos trépassés sont vivants, que nous pouvons les
soulager, que nous les retrouverons un jour. Mes-
sieurs, il y a des gens qui ne veulent croire ni à
Dieu, ni à Jésus-Christ, ni à aucun de nos mystères.
Mais ils sont bien forcés de croire à la mort de leur
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 245
père, de leur mère, de leurs enfants. Alors la religion
chrétienne vient murmurer à leurs oreilles ses pa-
roles de vie et d'immortalité. Pendant que le vide se
fait autour d'eux et que le monde n'a plus rien à
leur dire, la religion chrétienne leur montre le ciel,
et tout bas ils avouent qu'elle est vraiment divine,
puisque seule elle a le secret de la consolation.
Et non seulement l'Église nous console de la
mort de nos proches, mais elle embaume encore
et elle transfigure notre propre mort. Lorsque, en
1815,' le maréchal Ney fut condamné à mort, un
soldat lai dit : « Maréchal, est-ce que vous ne de-
mandez pas un prêtre? » — « Non, dit le maréchal
Ney, je ne connais pas ces gens-là. » — « Vous
avez tort, maréchal, reprit le soldat; il me semble
qu'au point où vous en êtes vous devriez mettre
ordre à votre conscience, car vous allez bientôt pa-
raître devant Dieu. Voulez-vous que les deux jeunes
orphelins que vous laissez disent de leur glo-
rieux père qu'il meurt en païen?» Cette parole
loyale et chrétienne toucha le maréchal. Il se re-
dressa et répondit les yeux en larmes : « Vous avez
raison, mon ami.. Il ne suffit pas d'avoir promené à
travers le monde les vaillantes armées de la France,
mais il faut encore mourir en honnête homme ! »
Un prêtre vint de Saint-Sulpice. Le maréchal s'en-
tretint une heure avec lui, et quand le moment
fatal fut venu et qu'il fallut monter en voiture :
« Merci, monsieur l'abbé, dit Ney, au prêtre, vous
246 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ni avez consolé ! Montez le premier, je serai avant
vous là-haut! » Quelques instants plus tard, une
voix sonore retentissait dans le parc du Luxem-
bourg : « Soldats, frappez au cœur ! » Et l'immortel
héros de la Moscowa et du Mont-Saint-Jean tom-
bait percé de douze balles. Il était mort consolé et
chrétien.
— L'Eglise seule console la souffrance. « Aussi,
puis-je conclure avec Thiers, tandis que le paga-
nisme n'a pu supporter un moment l'examen de
la raison humaine, le christianisme dure après
que Descartes a posé le fondement de la certitude,
après que Galilée a découvert le mouvement de la
terre, après que Newton a découvert l'attraction,
après que Voltaire et Rousseau ont renversé les
trônes. Et tous les politiques sages souhaitent qu'il
dure... » Et une autre fois à la tribune française
le même homme s'écriait : « Si j'avais dans mes
mains les trésors de la foi, je les ouvrirais sur mon
pays ! » Prêtre de Jésus-Christ, je vous présente ce
trésor de la foi et je l'offre à vos âmes fatiguées et
à vos cœurs meurtris. Qui que vous soyez, vous
avez souffert, vous souffrez, ou vous souffrirez de-
main : l'Eglise seule est capable de vous consoler.
Venez à elle 1
Amm!
DIXIEME CONFÉRENCE
L'Église et le progrès moral
Messieurs,
J'achève aujourd'hui le second chapitre de notre
étude sur les bienfaits de l'Eglise. L'Eglise est une
grande puissance intellectuelle, et nous avons cons-
taté son influence dans l'ordre des lettres, des
sciences, des arts et de l'enseignement. L'Église est
une grande puissance moralisatrice et la seule puis-
sance moralisatrice suffisante. Je n'ai plus qu'un
mot à dire sur ce sujet. Dans le passé, dans le pré-
sent et dans l'avenir, l'Eglise a été, est et sera la
mère et la gardienne du progrès moral.
I. Dans le passé, l'Église a été la mère et la gar-
dienne du progrès moral.
Pouvait-il en être autrement? Elle possède et elle
garde inviolablement le code complet et détaillé de
la loi morale. Cette loi éternelle que Dieu a gravée
2*8 CONFÉRENCES AUX HOMMES
dans la conscience, avant de la graver dans les
livres, à qui a-t-elle été confiée sinon à l'Église
catholique? Mais parce que la loi morale est dure
à la nature et difficile à observer, l'Eglise présente
à la faible humanité les motifs déterminants et
impérieux qui poussent à la fuite du mal et à la
pratique du bien. Elle nous dit que la morale est
l'expression de la volonté de Dieu, que c'est Dieu
qui nous commande d'être purs, d'être justes, d'être
probes, d'aimer nos frères ; elle nous montre la
récompense et les châtiments de la vie future, non
pour donner à l'accomplissement de la loi morale
un caractère intéressé ,qui lui ferait perdre son
principal mérite, mais pour soutenir la volonté
contre ses propres défaillances, en alliant à l'idée
de la perfection celle du bonheur. Et puis à ces
puissants motifs qui poussent, l'Eglise ajoute des
exemples qui entraînent. Elle suspend devant nos
yeux l'image du divin Crucifié, en qui la loi morale
a trouvé sa personnification la plus auguste, et,
au lieu de préceptes abstraits et de sentences em-
phatiques, elle nous offre le précepte simple,, vivant,
palpable en quelque sorte dans les exemples de cet
Homme-Dieu qui, après avoir été le type le plus
achevé de la vertu sur la terre, en a été le martyr.
Et si tout cela ne suffit pas, l'Eglise a encore autre
chose à nous donner : elle nous apporte le secours
d'en haut, la force divine, la grâce qu'on obtient par la
prière et qui se puise dans les sacrements. Elle nous
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 249
conduit au pied du prêtre et devant les autels ; elle
nous arrache l'aveu de nos fautes et les larmes expia-
trices qui les rachètent; elle nous nourrit de la
chair et nous abreuve du sang du Christ ; elle nous
rend une conscience régénérée et une volonté raf-
fermie pour affronter de nouveau les luttes qu'il
faut sans cesse recommencer ici-bas. Avec de tels
moyens, comment l'Eglise eût-elle été stérile et im-
puissante pour la conquête de la perfection morale?
Elle ne l'a pas été.
Depuis dix-neuf siècles l'Eglise moralise l'huma-
nité. Le fait est impossible à nier. Les ennemis de
l'Eglise eux-mêmes sont obligés de le reconnaître
et de le constater. Ecoutez là-dessus Taine, qui
fut un incrédule, mais qui ne fut pas un imposteur:
« Aujourd'hui, dit-il, après dix-neuf siècles, le chris-
tianisme est encore l'agent spirituel le plus puis-
sant, la grande paire d'ailes indispensables pour
soulever l'homme au-dessus de la vie rampante et
de ses horizons bornés, pour le conduire à travers
la patience, la résignation et l'espérance, jusqu'à
la sérénité, pour l'emporter par delà la tempérance,
la pureté, la bonté, jusqu'au dévouement et au
sacrifice. Toujours et partout depuis dix-neuf cents
ans, sitôt que ces ailes défaillent ou qu'on les
casse, les mœurs publiques et privées se dégradent.
En Italie, pendant la Renaissance, en Angleterre
sous la Restauration, en France sous la Convention
et le Directoire, on a vu l'homme se faire païen
250 CONFÉRENCES AUX HOMMES
comme au ier siècle; du même coup, il se retrou-
vait tel qu'au temps d'Auguste et de Tibère, c'est-
à-dire voluptueux et dur; il abusait des autres et
de lui-même; l'égoïsme brutal et calculateur avait
repris l'ascendant, la cruauté et la sensualité s'éta-
laient, la société devenait un coupe-gorge et un
mauvais lieu. Quand on s'est donné ce spectacle, et
de près, on peut évaluer l'apport du Christianisme
dans nos sociétés modernes, ce qu'il y a introduit
de pudeur, de douceur et d'humanité, ce qu'il y
maintient d'honnêteté, de foi et de justice. Ni la
raison philosophique, ni la culture artistique et
littéraire, ni même l'honneur féodal, militaire et
chevaleresque, ou un code, ou une administration,
ou un gouvernement ne suffit à le suppléer dans ce
service. Il n'y a que lui pour nous retenir sur notre
pente fatale, pour enrayer le glissement insensible
par lequel incessamment et de tout son poids ori-
ginel notre race rétrograde vers ses bas-fonds, et
le vieil Evangile est encore aujourd'hui le meilleur
auxiliaire de l'intérêt social. » Il est difficile, Mes-
sieurs, d'avouer plus franchement et plus éloquem-
ment l'influence moralisatrice de l'Église depuis
dix-neuf siècles. Car ce vieil Evangile, dont on
reconnaît la puissance et la fécondité, qui le garde,
qui l'explique, qui en a fait le code des nations civili-
sées, qui l'a infusé dans l'âme et dans le sang de la
chrétienté? Qui, sinon l'Eglise catholique? Et ce que
l'Église a fait jadis elle le fait encore aujourd'hui.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 2oi
II. Dans le présent l'Église est la mère et lo.
gardienne du progrès moral.
C'est facile à voir. Contemplez un peu les peuples
qui abandonnent les salutaires prescriptions de
l'Église. Ils retombent dans la barbarie. Voyez ce
qui se passe aujourd'hui dans la Grèce, en Turquie,
au nord de l'Afrique. Autrefois ces pays étaient le
théâtre d'une civilisation intellectuelle et morale
très avancée. Aujourd'hui ces peuples sont en
pleine décadence. L'Eglise n'est plus là, et ils
meurent de son absence. Il est vrai que, même sous
le régime de l'Eglise catholique, nous voyons cer-
tains peuples méridionaux se mettre à l'aise avec
la morale et se laisser aller à des désordres, à des
licences qui nous étonnent et nous scandalisent.
Réfléchissons un peu. Que serait-ce donc si ces
mêmes peuples méridionaux, déjà imparfaits mal-
gré l'influence de l'Eglise, en étaient subitement
privés? Ils seraient cent fois pires, ils tomberaient
au niveau des sensuels et féroces Musulmans.
D'ailleurs à quoi bon aller chercher loin la dé-
monstration contemporaine de l'action moralisatrice
de l'Eglise ! Voyez tout près de vous ces villes, ces
villages où l'on fait profession d'impiété, où l'on
rencontre des hommes qui se moquent superbement
de ceux qui vont à la messe, de ceux qui rem-
plissent leurs devoirs de catholiques. Est-ce que
2o2 CONFÉRENCES AUX HOMMES
dans ces villes et dans ces villages qui se vantent
d'être en progrès, la moralité est bien grande ?Res-
pecte-t-on beaucoup le bien et la réputation du
prochain? Respecte-t-on la morale naturelle? Non.
La corruption la plus effrénée s'y étale publique-
ment. Ces hommes impies, ces femmes dévergon-
dées qui nous accusent, nous catholiques, d'être en
retard, oh! ils ont bien progressé, eux, et ils sont
vraiment très avancés, non pas du côté de la
vertu, mais du côté du vice. Ils dédaignent les
sept sacrements, mais en revanche ils cultivent
soigneusement les sept péchés capitaux. Voilà leur
progrès. Qu'en pensez-vous? Le progrès des impies
m'inquiète, et j'ai résolu de donner ma préférence
au progrès par l'Eglise et avec l'Eglisn. Ecoutez
ici une parole de Michelet, elle est significative :
« Nous pouvons nous enorgueillir à bon droit, dit-
il, de tant de progrès accomplis, et cependant le
cœur se serre, quand on voit que dans ce progrès
de toutes choses la force morale n'est point aug-
mentée. » La force morale n'est point augmentée.
Pourquoi? parce que nous sommes devenus moins
chrétiens et moins catholiques que ne l'étaient
nos pères, parce que l'Eglise n'est point respectée
et obéie. La diminution de l'influence de l'Eglise
dans notre siècle est la mesure exacte, mathéma-
tique de la diminution de la force morale. Les
hommes de ce temps peuvent mépriser l'Eglise, la
persécuter, l'exiler, essayer de l'anéantir, ils ne
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 253
peuvent pas s'en passer. La démoralisation est le
châtiment de leur impiété. Dès qu'ils échappent
aux étreintes du catholicisme, ils tombent dans la
poussière et dans la fange. Aujourd'hui comme
hier, l'Eglise est la mère et la gardienne du progrès
moral. Et n'en doutez pas, ce sera demain comme
aujourd'hui et comme hier.
III. Dans Y avenir, YÈglise sera la mère et la
gardienne du progrès moral.
Vous annoncez pour l'avenir d'immenses progrès
matériels. Or, plus nos progrès matériels seront
intenses, et plus nous aurons besoin de l'Eglise
catholique. Pourquoi? parce que l'Eglise catholique
nous fait vivre de la pensée. Elle est la religion
spirituelle par excellence, et par conséquent elle est
le refuge contre le mal et le contrepoids nécessaire
au développement de nos futurs progrès matériels.
Vous étalez, et demain vous étalerez davantage
encore devant moi les splendeurs du luxe, 1 appât
des plaisirs, les séductions de l'or et de l'argent,
les enivrements de la beauté, toutes les formes les
plus inédites et les plus captivantes de la jouissance
Je risque d'être ébloui par tant d'attraits, fasciné
par tant de promesses, pris de vertige,- vaincu.
Non. Soulevé par l'Eglise, instruit, averti, menacé
et stimulé par elle, je prends mon vol, je monte
254 CONFÉRENCES AUX HOMMES
dans la lumière, je plane au-dessus de la matière.
J'allais être envahi par la vie matérielle. L'Église
m'emporte plus haut, dans l'azur de la vie morale.
Telle sera l'histoire de demain. Sinon, attendons-
nous à toutes les décadences et aux derniers abais-
sements. Le progrès matériel nous perdra, si
l'Eglise n'est pas là pour maintenir et pour exalter
le progrès moral.
Et puis, en même temps qu'il marche à un pro-
grès illimité dans l'ordre matériel, le monde se pré-
cipite vers des nouveautés inouïes dans l'ordre
politique. Il y a cent ans, Chateaubriand, traçant la
dernière page du Génie du Christianisme, écrivait :
« Une religion dont les préceptes sont un code de
morale et de vertu est une institution qui peut
suppléer à tout et devenir, entre les mains des
saints et des sages, un moyen universel de félicité.
Peut-être un jour les diverses formes de gouver-
nement paraîtront-elles indifférentes, et l'on s'en
tiendra aux simples lois morales et religieuses, qui
sont le fonds permanent des sociétés et le véritable
gouvernement des hommes. » Or, Messieurs, ces
lois morales et religieuses, qui peuvent suppléera
tout et que rien ne peut remplacer, où le monde
de demain ira-t-il les chercher, sinon dans les
mains immaculées de la sainte Eglise catholique,
sinon dans le cœur et sur les lèvres du sacerdoce
catholique ? Si vous supprimez par la pensée les
trente mille édifices religieux où la morale chré-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 255
tienne est chaque dimanche enseignée, cherchez
quels sont ailleurs les milieux où la voix du devoir
se fasse entendre. Vous ne trouverez que les écoles
et les académies. Hélas ! les écoles et les académies,
quand elles ne s'appuient pas sur l'autorité de la
religion, n'enseignent qu'une morale boiteuse^ in-
complète et impuissante. Et puis les écoles et les
académies ne s'adressent qu'à une faible minorité;
c'est dans les temples que l'immense majorité de
la nation reçoit l'enseignement du devoir ; c'est
l'Église catholique qui est seule capable d'instruire
et de moraliser la multitude et de sauver la démo-
cratie en la modérant et en la purifiant.
Demain comme aujourd'hui et hier, dans l'avenir
non moins que dans le présent et dans le passé,
l'Église sera la mère et la gardienne du progrès
moral. Son intervention apparaîtra plus nécessaire
que jamais par suite des abus et des dangers du
progrès matériel, par suite des excès et des décep-
tions du progrès politique. Ne dites pas que le
règne de l'Église est fini ; il entre dans une nou-
velle période. 11 y a encore de longs et de beaux
jours pour l'Église. Plus le monde avancera en âge,
et plus il aura besoin d'elle !
Amen !
III
DANS L'ORDRE MATÉRIEL
LES BIENFAITS DE l'ÉGLISE. — i i"T
PREMIÈRE CONFÉRENCE
L'Église n'est pas l'ennemie du progrès
matériel
Messieurs,
Nous avons étudié les bienfaits de l'Eglise dans
Tordre intellectuel et dans l'ordre moral, et nous
abordons aujourd'hui un troisième chapitre qui a
pour titre : les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre ma-
tériel. Mais ici d'abord on nous arrête et l'on nous
dit sur tous les tons : « L'Eglise est l'ennemie du
progrès matériel. » Avant tout, il est indispensable
de répondre à cette objection préliminaire qui se
pose comme un obstacle infranchissable à l'entrée
de notre route. L'objection, Messieurs, est plus so-
nore que sérieuse; il nous sera facile de la repous-
ser du pied et de la pulvériser en nous demandant :
1° d'où elle vient; 2° ce qu'elle vaut.
I. L'Église est l'ennemie du progrès matériel.
D'où vient cette objection ?
Elle vient de l'exagération de quelques-uns, de
260 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la mauvaise foi de beaucoup et de l'ignorance du
plus grand nombre.
Disons d'abord, Messieurs, que certains catho-
liques de notre temps, émus outre mesure des con-
quêtes et des excès du progrès matériel, voyant
trop l'abus qu'on en fait et pas assez ce qu'il est en
lui-même, ont pris à son endroit une attitude de
défiance et presque d'hostilité. Parce que le progrès
matériel, comme un fleuve débordé, menaçait de
tout emporter : les croyances et les mœurs, ils ont
eu l'air moins préoccupés de la manière de le régler
que de la pensée de le supprimer, et, selon la
parole d'un grand prélat américain, Mgr Ireland,
ils ont semblé vouloir faire remonter dans l'Erié
les eaux du Niagara. Ces imprudences et ces exagé-
rations de certains catholiques ont coûté cher à
l'Église.
L'impiété s'en est emparée, et avec une mau-
vaise foi insigne l'impiété contemporaine répète à
qui veut et ne veut pas l'entendre que l'Eglise est
l'ennemie du progrès matériel, qu'elle en a peur,
qu'elle le condamne, qu'elle le proscrit. Que de fois,
Messieurs, cette accusation a retenti dans les parle-
ments, dans les académies, dans la presse, dans la
rue, sur les tréteaux des politiciens et sur le papier
des journalistes et des romanciers ! Les meneurs de
l'impiété contemporaine, quand ils accusent l'Eglise
d'en vouloir au progrès matériel, savent bien qu'ils
mentent. Mais qu'importe? Pour conquérir lesfoules,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 261
il faut d'abord les aveugler, et, pour en faire un
instrument de règne, il est nécessaire de les tenir
à distance de la religion. C'est ce qui est arrivé.
A force d'entendre dire que l'Eglise était l'enne-
mie du progrès matériel, la foule a fini par le
croire. Elle a répété docilement l'objection qu'on
lui enfonçait dans la cervelle, et il faudra encore
beaucoup de temps et de patience, beaucoup de
salive et beaucoup d'encre, pour persuader à une
masse innombrable de braves gens que le pape, les
évêques et les curés ne sont point les ennemis des
télégraphes, des chemins de fer, des grandes entre-
prises, des expositions universelles, du progrès, en
un mot, de la civilisation moderne. L'Eglise est
l'ennemie du progrès matériel! Vous voyez d'où
vient cette objection. Elle vient de l'exagération de
quelques-uns, de la mauvaise foi de beaucoup et de
l'ignorance du plus grand nombre.
II. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel.
Que vaut cette objection ?
Elle ne vaut rien. Elle est nulle, et de nulle va-
leur. Non, l'Eglise n'est pas l'ennemie du progrès
matériel. J'en appelle à sa doctrine et à ses actes.
1° Entendez-la •parler. Elle déclare que le progrès
matériel est utile à l'homme et glorieux à Dieu.
262 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Messieurs, donnez au peuple des blés abon-
dants et semez des prairies pour les animaux qui
le servent, car le labourage et le pâturage sont,
selon l'expression de Sully, les deux mamelles de
l'État. Après l'agriculture, favorisez l'industrie et
les arts, et préférez les arts d'utilité aux arts d'agré-
ment. Que le commerce, cette troisième source de
la vie sociale, soit aussi l'objet de votre sollicitude.
Étendez-en les bienfaits au dedans et au dehors
de la cité, ouvrez des routes, creusez des canaux,
attelez la flamme à vos chars de fer, et faites-leur
franchir en trois bonds les bornes du monde. Tous
ces progrès sont nobles, légitimes, dignes de
louange, parce qu'ils tournent au bien public et
qu'ils rendent la vie facile et les peuples heureux.
Plus l'oisiveté sera odieuse et le travail honoré,
moins l'État aura de criminels, de mendiants, de
citoyens dangereux ou inutiles. Voilà l'enseigne-
ment de FÉglise. Elle prêche la grande loi du tra-
vail, qui est la source du progrès matériel et du
bien-être général, et elle a des foudres et des malé-
dictions pour les fainéants qui promènent leur
paresse et leur impuissance au milieu d'une
société laborieuse et affairée, qui leur donne tout
et à qui ils ne donnent rien, sinon le spectacle
d'une vie gaspillée et perdue.
Sans doute, Messieurs, l'Église prêche la vie
future et la subordination de la vie présente à la
vie future. Mais, remarquez-le bien, l'Eglise ne
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 263
nous dit pas que l'on gagne la vie future en gas-
pillant la vie présente. Elle nous dit, au contraire,
que la manière dont nous agissons ici-bas .est la
condition de ce que nous méritons là-haut. Elle
nous dit que le ciel, comme le pain, se gagne à la
sueur du front... de sorte que le point de vue du
bonheur éternel à conquérir, bien loin de stérili-
ser l'effort et d'arrêter le progrès, appelle et pro-
voque une plus grande perfection intellectuelle, une
plus grande perfection morale, une plus grande
amélioration physique et matérielle.
Sans doute encore, Messieurs, l'Eglise prêche la
patience et la résignation en vue des compensa-
tions promises dans un monde supérieur, et par là
elle se montre seule capable de donner aux trois
quarts des hommes le courage, l'espérance et la
paix. Mais, de grâce, ne lui faites pas dire ce qu'elle
ne dit pas et prenez sa doctrine tout entière. Elle
ne dit pas que la misère est un bien et qu'il faut
accepter sans murmure toutes les iniquités sociales.
Elle dit au contraire que, sous bien des rapports, la
misère est une cause puissante de dégradation mo-
rale, et qu'il faut, par conséquent, la diminuer le
plus possible. Elle dit que, pour guérir les maux
qui pèsent sur l'humanité, la charité toute seule
ne suffit pas et qu'il faut y joindre la justice, la jus-
tice qui protège le faible contre le fort, la justice
qui établit parmi les hommes une distribution
mieux entendue de la peine et du bien-être, des
264 CONFÉRENCES AUX HOMMES
charges et des jouissances. Disséquez, Messieurs, la
.doctrine de FÉglise, et je vous défie d'y trouver un
seul mot qui soit défavorable au progrès matériel.
Elle l'approuve, elle le bénit, elle l'encourage, elle
le préconise comme utile à l'homme.
Et elle l'exalte comme glorieux à Dieu. Oui, tout
vrai progrès est une glorification de Dieu. Voyons.
Est-ce vous, habiles ingénieurs, qui avez mis dans
la goutte d'eau cette puissance de dilatation, qui
en fait un levier capable de faire sauter une mon-
tagne? Est-ce vous qui avez caché dans la terre ces
minerais, qui deviennent vos colossales machines aux
pieds d'airain, à la poitrine de fer, et qui dévorent
l'espace ? Est-ce vous qui avez amoncelé ces appro-
visionnements souterrains de combustible que nous
pouvons appeler les greniers d'abondance et le
pain quotidien de notre industrie? Est-ce vous qui
vous êtes donné cet esprit, ce génie qui a su devi-
ner ces merveilles et les employer à notre profit?
Et l'Eglise serait l'ennemie de ces progrès maté-
riels qui sont un hymne retentissant du couchant à
l'aurore en l'honneur de Dieu, qui en a fourni la
matière et qui a donné à l'homme l'intelligence, la
volonté et la persévérance pour les exécuter? Mais
non. Continuez, habiles inventeurs, riches des dons
de la Providence, continuez de chercher et de
trouver. Vous êtes apologistes à votre manière.
Vous glorifiez le Dieu créateur. L'Eglise vous bénit.
Elle a dans ses rituels des bénédictions pour toutes
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 265
les créations et pour toutes les inventions, et, dans la
crainte d'être prise au dépourvu par quelque
découverte nouvelle, elle en a une pro quacnm-
que re, pour toute espèce de progrès. L'Eglise
n'est pas l'ennemie du progrès matériel.
2° Voyez-là agir. Comment se comporte-t-elle à
l'égard des inventions qui améliorent la condition
matérielle de l'homme sur la terre? D'abord, elle
approuve; nous venons de le voir. Que les chemins
de fer abrègent les distances; que l'étincelle élec-
trique fasse- communiquer instantanément l'ancien
et le nouveau monde ; qu'on trouve des remèdes
contre le choléra, contre la rage et contre toutes
les épidémies ; qu'on fabrique mieux et plus vite
tous les objets utiles ou nécessaires à la vie ; en un
mot, qu'on épargne à l'homme le plus de peine pos-
sible, qu'on lui rende moins difficile son triste pèle-
rinage sur la terre, l'Eglise applaudit, elle favorise
tous les efforts que l'on fait dans ce sens ; car sa
sollicitude s'étend aux corps aussi bien qu'aux âmes,
et elle veut le progrès matériel comme le progrès
intellectuel et moral. Mais il y a plus.
Non contente d'approuver le progrès matériel en
parole, elle s'en sert journellement et elle y tra-
vaille elle-même de siècle en siècle. Elle se sert du
progrès matériel. Voyons: de bonne foi, nourrissons-
nous je ne sais quelles rancunes insignifiantes et
ridicules à l'égard des découvertes de la science et
266 CONFÉRENCES AUX HOMMES
des progrès matériels qui en découlent ? Mais nous
sommes les premiers à en bénéficier. Nous leur de-
vons la vapeur qui nous conduit, le télégraphe
qui porte nos dépêches, le drap qui nous couvre, la
page que nous lisons, les temples qui nous abritent
et le vase sacré dans lequel nous buvons le sang
du Christ.
L'Eglise condamne si peu le progrès matériel
qu'elle s'en sert à chaque instant et qu'elle y tra-
vaille elle-même très ardemment. Nous verrons cela
à propos du commerce, de l'industrie et de l'agri-
culture. Nous verrons ce qu'a fait l'Eglise pour ces
trois grandes branches de l'activité humaine. Pour
aujourd'hui, qu'il me suffise de vous faire remar-
quer :
1° Que nous sommes si peu les ennemis du pro-
grès, que c'est nous qui avons fait ce progrès uni-
versel qui portera éternellement notre nom et qui
s'appelle dans la langue de l'histoire et dans les
conversations courantes : la civilisation chrétienne.
2° Que l'Eglise dans le passé a réhabilité le tra-
vail et formé des travailleurs, et que jamais les na-
tions n'ont développé une si grande puissance d'ac-
tion que lorsqu'elles ont agi sous l'inspiration
chrétienne. Certes, ce n'est pas aux xne, xme et
xive siècles que l'on peut adresser le reproche de
fainéantise, siècles cyclopéens qui ont couvert le sol
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 267
de l'Europe d'innombrables monuments, dont la
beauté, la solidité, la grandeur étonnent et con-
fondent notre faiblesse. Ce n'est pas davantage au
xve siècle, qui fut selon la parole de Guizot, « celui
de la plus grande activité extérieure des hommes,
un siècle de voyages, d'entreprises, de découvertes,
d'inventions de tous genres ». Et Chateaubriand ne
craint pas d'affirmer que notre temps ne laissera pas
de témoins aussi multipliés de son passage que le
temps de nos pères. Au moyen âge, sur le sol de la
France, on comptait deux millions de monuments,
parmi lesquels dix-sept cent mille clochers.
3° L'Eglise a travaillé dans le passé au progrès
matériel, et elle y travaille encore aujourd'hui, au
Canada, en Algérie, au centre de l'Afrique et chez
toutes les peuplades où elle répand par la main de
ses missionnaires les semences de la civilisation et
les premières formes de la prospérité matérielle.
Et chez nous, est-ce que l'Eglise est inactive ? Est-ce
que ses bras se croisent dans la paresse ? Est-ce que
sa sève est tarie? Tenez, comptez si vous le pouvez,
rien qu'à Orléans, les millions que l'Eglise a dé-
pensés depuis cinquante ans, les temples et les
maisons religieuses qu'elle a fait construire, les
pauvres qu'elle a secourus, les ouvriers à qui elle
a donné un travail rémunérateur, en un mot les
bienfaits de l'ordre matériel qu'elle a répandus sur
cette noble cité, et, en présence de ce spectacle ré-
268 CONFÉRENCES AUX HOMMES
tréci et local qui n'est qu'un coin d'un immense
tableau, vous redirez la parole cent fois citée du pu-
bliciste Montesquieu : « Chose étonnante, la religion
chrétienne, qui semble n'avoir d'autre but que notre
bonheur dans l'autre vie, assure encore notre féli-
cité sur cette terre. »
Donc, Messieurs, quand on dit que l'Église est
l'ennemie du progrès matériel, on nous fait une
objection nulle, sotte et malhonnête. Cette objection
ne viendra jamais se placer sur vos lèvres, et, si
vous l'entendez parfois retentir à vos. oreilles, pro-
mettez à Dieu que vous aurez le courage de la mé-
priser d'un regard et de la pulvériser d'un mot.
Amen !
DEUXIÈME CONFERENCE
L'Église est la gardienne du progrès matériel
Messieurs,
Après avoir étudié les bienfaits de l'Église dans
l'ordre intellectuel et dans l'ordre moral, nous avons
commencé l'étude de ses bienfaits dans l'ordre
matériel. Et d'abord, écartant une objection qui
voulait nous barrer la route, nous avons constaté
que l'Eglise nest point l'ennemie du progrès maté-
riel. Aujourd'hui je vais plus loin, et j'affirme que
l'Église est la gardienne du progrès matériel. Elle
le sauve en le subordonnant.
I. L'Église préserve le progrès matériel
Le progrès matériel a donc des dangers à éviter?
Oui, deux périls le menacent: l'orgueil et la cor-
ruption.
Le premier danger du progrès matériel, c'est
l'orgueil. Je suis le maître du monde, s'est écrié
270 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'homme de ce siècle. Monté sur une nef aérienne,
je me suis promené parmi les astres du firmament.
J'ai attaché des ailes âmes proues aventureuses, et
j'ai sillonné l'océan avec la vitesse des oiseaux ma-
rins. J'ai attelé le feu à mes chars, et ma course de
l'orient à l'occident n'a laissé que la trace d'un
éclair. Dieu créa les vagues furieuses, et je les
dompte. Dieu créa la tempête, et je lui commande.
Dieu créa les distances, et je les efface. Je tiens les
éléments captifs et frémissants dans mes creusets.
On s'est écrié un jour dans les hauteurs du ciel :
Qui est semblable à Dieu? Je me présente, preuves
en mains, pour soutenir cette concurrence, car celui-
là est le maître du monde qui en fait mouvoir à
son gré tous les ressorts. Ainsi parle, ou du moins
ainsi pense l'homme de ce siècle, et, « si on ana-
lysait l'atmosphère intellectuelle de notre temps,
dit Mgr Bougaud, on y trouverait au moins quatre
cinquièmes d'orgueil. »
Gomme il est utile, Messieurs, comme il est né-
cessaire que l'Eglise vienne corriger ces excès, et
que, nous prosternant au pied de ses autels, elle nous
rappelle que le nom qui est au-dessus de tous les
noms, c'est Dieu; que nous ne sommes rien et qu'il
est tout; et qu'à Lui doivent remonter la raison,
souffle de sa bouche, la nature, œuvre de ses mains,
l'industrie, miroir de ses perfections, la science,
rayon de sa lumière, le progrès enfin dont il est la
source unique, le régulateur suprême, et la fin
LES BIENFAITS DE I/ÉGLISE 271
éternelle'. Si la religion ne se lève pas au milieu
de la société pour populariser ces grandes et néces-
saires leçons, savez-vous où ira le progrès matériel?
Il ira à l'orgueil le plus insensé,
Il ira à la corruption la plus effrénée. Voilà le
second danger qui menace le progrès matériel, le
danger de la jouissance indéfinie et illimitée. Maître
de la nature, l'homme la travaille, l'exploite, en
utilise pour lui-même et pour ses semblables toutes
les énergies et tous les produits. C'est bien. Mais
cependant prenez garde. Si vous appelez la jouis-
sance et si vous chassez Dieu, qui seul pourrait la
modérer et la contenir; si vous éveillez tous les
appétits et si vous ôtez tous les freins ; si vous
saturez un peuple de tout ce qui incline l'âme vers
la terre, et si vous ie sevrez de tout ce qui relève
l'esprit vers le ciel, êtes-vous bien sûrs que vous
ne conduirez pas ce peuple à la décadence? Moi, je
suis sûr du contraire. La jouissance sans frein c'est
l'égoïsme qui n'a qu'une devise : Tout pour moi et
rien pour les autres. « L'égoïste, dit Bacon, mettrait
le feu à la maison de son voisin pour faire cuire un
œuf. » Avec cela, essayez de faire une société je ne
dis pas glorieuse, mais simplement habitable, je
vous en défie bien. Dieu chassé du sein d'un peuple,
il ne reste plus que la matière, et tout ce qui n'est
pas elle n'est rien, tout ce qui n'est pas palpable
ne vaut rien. Dieu chassé du sein d'un peuple,
il ne reste plus qu'un arrivisme féroce, le mépris
272 .CONFÉRENCES AUX HOMMES
du droit, l'absence de scrupules, l'amour de l'ar-
gent et de la jouissance immédiate et maximale,
en un mot, le culte exclusif du bien-être. C'est un
danger épouvantable.
Comme il est utile, Messieurs, comme il est né-
cessaire que l'Eglise vienne corriger ces excès, et
que, nous élevant au-dessus de la matière, elle nous
fasse entrevoir un idéal supérieur à ce qui se voit,
à ce qui se touche, à ce qui se pèse, à ce qui se
mange ! Séparé de la religion, le progrès matériel
n'est plus qu'une grande et admirable machine qui
tout à l'heure saisira par sa robe soyeuse la société
magnifiquement parée et plantureusement repue,
pour en broyer sous ses rouages les membres déli-
cats. Ce n'est pas là une vaine comparaison, mais
une poignante réalité. L'or, la matière, les plus
ingénieuses machines ne suffisent pas à faire un
peuple. La pierre angulaire de toute société et de
tout siècle, c'est l'autel. L'Eglise seule est capable
de sauver le progrès matériel de l'orgueil qui le
pervertit et de la corruption qui le déshonore. Elle
le sauve en le mettant à sa place, en le subordon-
nant.
II. L'Église subordonne le progrès matériel.
Elle le subordonne au progrès moral et religieux.
Elle place Dieu au-dessus de l'homme, l'âme au-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 273
dessus du corps, la vertu au-dessus de la richesse
et du bien-être.
Ce ri est que justice. Au nom de la simple raison
cela doit être. Car, si l'homme est roi devant la
matière, n'est-il pas vassal devant Dieu, et dès lors
n'est-il pas convenable et nécessaire que, en com-
mandant à la terre, il obéisse à Dieu, gardant ainsi
à la fois son servage et sa royauté? Et puis, dans
l'homme, l'esprit n'est-il pas supérieur au corps, le
corps n'est-il pas l'esclave et l'âme la reine, et dès
lors n'est-il pas souverainement inconvenant et
déraisonnable que la matière, outrepassant ses
droits et exagérant sa puissance, se fasse un empire
usurpé qui détrône dans l'humanité la royauté de
l'esprit?
Ah ! je sais bien ce que pensent tout bas et ce
que disent tout haut les adorateurs du bien-être et
de l'utile dans sa plus triviale acception ! Unique-
ment préoccupés des besoins inférieurs de l'homme,
uniquement appliqués à dépenser leur activité en
des œuvres vulgaires, ils reprochent à l'Eglise de
diriger nos désirs vers des biens lointains et invi-
sibles, et de déconsidérer les biens visibles qui
nous touchent de plus près. Ils accusent l'Église de
stériliser la terre en nous lançant à la poursuite
d'un bonheur qui n'est pas de ce monde. Messieurs,
r
l'Eglise ne dépouille point la terre au profit du ciel
ni le corps au profit de l'âme. Elle met seulement
toute chose à sa place, et elle est en cela éminem-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-18
274 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ment raisonnable. Elle déclare que tous les biens
matériels, si vastes qu'on les suppose, ne sauraient
remplir la vaste capacité de l'âme humaine; elle
déclare que la terre, si belle qu'elle soit, n'est point
le terme où il faut s'arrêter, mais le chemin qu'on
arrose de ses sueurs pour arriver au ciel ; elle dé-
clare que la vertu est le principal et que le bien-
être n'est que l'accessoire ; elle déclare que les
progrès de la vie matérielle, si importants qu'ils
soient quand on les considère, ne sont que secon-
daires quand on les compare à l'importance de
notre vie morale. Voilà ce que dit l'Eglise, et je
défie tout esprit sensé de ne pas trouver qu'elle a
raison. Elle subordonne le progrès matériel au
progrès moral et religieux. Ce n'est que justice.
Et j'ajoute au nom de l'histoire : Tant mieux!
r
Tant mieux pour l'humanité. Car l'Eglise, tout en
se proposant pour but suprême et dernier de nous
assurer la possession des biens éternels, a travaillé
et travaille efficacement à la splendeur et à la féli-
cité temporelle des peuples. Sa divine loi morale
qui nous pousse sans cesse vers les hauteurs ne
nous fait point oublier qu'il y a sur la terre des
devoirs à remplir. Elle nous commande d'aller à
Dieu à travers nos frères. Vous demandez des
hommes utiles à leurs semblables. Or, n'étaient-ils
pas utiles ces millions de martyrs qui ont affranchi
la conscience humaine de l'oppression des tyrans et
qui ont arrosé de leur sang la liberté des âmes?
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 275
N'étaient-ils pas utiles ces sublimes pénitents qui, par
l'austérité de leur vie, ont détruit la corruption in-
fâmedontsemouraitlemondepaïen?N'étaient-ilspas
utiles ces papes, ces évêques, ces prêtres qui allaient
au-devant des barbares et les civilisaient? N'étaient-
ils pas utiles ces pontifes et ces conciles qui récla-
maient l'affranchissement des esclaves et qui créaient
de la sorte la société des hommes libres? — N'étaient-
ils pas utiles, ces infatigables moines qui perçaient
les forêts, fécondaient la terre et ressuscitaient
l'Europe, qui recueillaient et copiaient les manus-
crits de l'antiquité, et sauvaient ainsi du naufrage
les sciences et les lettres? — N'étaient-ils pas utiles
ces vaillants chevaliers qui arrêtaient la barbarie
musulmane toute prête à envahir l'occident? —
N'étaient-ils pas utiles tous ces hommes d'Eglise
qui encourageaient les arts, fondaient des Univer-
sités pour instruire la jeunesse de tous les pays et
d'humbles écoles pour instruire les enfants du
peuple? — N'étaient-ils pas utiles tous ces saints
qui créaient d'innombrables institutions de charité
et qui, comme Vincent de Paul, sauvaient quelque-
fois des peuples entiers? — Et aujourd'hui encore
ne sont-ils pas utiles ces vaillants missionnaires
qui vont porter sur tous les rivages, avec la civili-
sation et l'Evangile, le prestige ei l'honneur des
peuples européens. — Et ces légions généreuses
d'hommes et de femmes qui, fidèles au glorieux
passé de l'Eglise, se dévouent sans trêve ni merci
276 CONFÉRENCES AUX HOMMES
au soulagement de tous les besoins de la pauvre
humanité? Au nom du passé et du présent, au nom
de l'histoire et de l'actualité, je déclare que l'Eglise
s'entend aussi bien et mieux que n'importe qui à
former des hommes utiles. En subordonnant le
progrès matériel au progrès moral et religieux,
bien loin de stériliser la vie présente, elle la rem-
plit d'immenses bienfaits. Etrange contradiction !
On accuse l'Église de trop se désintéresser de
l'utile, et en même temps on se plaint à grands
cris de ses envahissements; on lui reproche de
trop rester dans la sphère des intérêts moraux et
religieux, et, quand on la voit projeter son action
dans la sphère des intérêts matériels, on déploie
une satanique énergie pour entraver sa marche et
comprimer son influence. Laissons l'impiété se
contredire et se mentir à elle-même, et bénissons
l'Église qui sauve le progrès matériel en le subor-
donnant au progrès moral et religieux.
Le progrès matériel est chose bonne ; l'Eglise
n'en est point l'ennemie. Le progrès matériel offre
des dangers; l'Église en est la gardienne. Le pro-
grès matériel, pour ne pas dévier, doit avoir pour
contrepoids et pour lest une vertu et une croyance ;
cette vertu et cette croyance, vous les chercheriez
vainement en dehors de l'Église catholique. De
sorte que, aujourd'hui encore, nous sommes rame-
nés à la parole de Montesquieu, qui a conclu notre
dernière conférence : « Chose merveilleuse ! la reli-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 277
gion chrétienne, qui semble n'avoir d'autre objet
que notre bonheur là-haut, fait encore notre félicité
ici-bas. »
Vous connaissez sans doute le mot pittoresque
d'un ministre d'Autriche en 1848. Le prince de
Schwarzenberg a dit : « On peut tout faire avec
des baïonnettes, excepté s'asseoir dessus. » Gela
veut dire que la force par elle-même est impuis-
sante à fonder un peuple et à le mettre dans l'ordre
et dans la paix. La force est un expédient, elle n'est
point un régime. Or je dirai de même : « On peut
tout faire avec le progrès matériel, excepté s'asseoir
dessus. » Le progrès matériel dans un peuple est
comme la santé dans un homme. Avoir du sang et
des muscles, c'est quelque chose, mais ce n'est pas
tout. Pour faire un homme, il faut autre chose : il
faut un idéal, il faut du caractère, il faut de la
conscience, il faut l'élévation des pensées et la
dignité de la vie. Pour faire un peuple, le progrès
matériel ne suffit pas. Il est nécessaire de compléter
et de sauvegarder le progrès matériel par le progrès
moral et religieux. Il faut une vertu et une croyance ;
cette vertu et cette croyance ne peuvent germer et
fleurir que sous le souffle fécond de la sainte Eglise
catholique.
Amen!
TROISIEME CONFERENCE
I. — L'Église et l'Agriculture
/. — CE QUE L'ÉGLISE
A FAIT POUR L'AGRICULTURE
Messieurs,
Est-ce que l'Église s'occupe des intérêts matériels
de Thumanité? Oui. Elle s'adresse directement aux
âmes qu'elle a mission de conduire au bonheur
éternel. Mais les âmes ne vont pas sans les corps,
et comment s'occuper des unes sans se préoccuper
des autres? Pour aller au ciel, il faut passer par la
terre, et comment monter là-haut sans tenir compte
des nécessités d'ici-bas? L'Eglise, qui va àléternité,
se mêle donc aux affaires du temps. Elle n'est point
l'ennemie du progrès matériel, elle en est la gar-
dienne. Je l'ai prouvé d'une manière générale. 11
faut maintenant entrer dans les détails. J'ai l'in-
tention de vous montrer d'abord son intervention
et son influence dans une sphère où vous ne vous
attendez guère à la rencontrer, dans la sphère de
l'agriculture.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 279
I. Quand parut l'Église, où en était l'agriculture?
Si belle que soit la terre, il y faut la main de
l'homme; autrement elle n'a qu'une végétation
ingrate et dénaturée, elle se couvre de forêts im-
menses où le soleil ne pénètre plus, de plantes luxu-
riantes et éparses qui encombrent le sol et gênent
le cours des eaux ; ou bien tout à coup la vie expire,
et le désert roule sur les plus belles terres l'op-
probre de ses sables stériles. Quand l'homme s'ap-
proche de la terre avec ses outils meurtriers et
féconds, c'est la vie qui apparaît, c'est le froment
et la vigne, c'est la nourriture et le breuvage. Et
quand l'homme, au contraire, s'éloigne de quelques
pas, quand sa main s'affaiblit, quand il laisse trop
longtemps se rouiller la charrue comme l'épée se
rouille dans le fourreau, la nature toute puissante,
mais désordonnée et aveugle, reprend aussitôt
possession du sol ; l'épine triomphante élève au-
dessus des blés desséchés sa couronne de feuilles
et de fleurs ; la forêt renaît dans toute sa magni-
ficence; les bêtes sauvages s'installent dans la
cabane désolée du laboureur ; les oiseaux recons-
truisant leurs nids chantent la défaite de l'homme ;
la nature entière se réjouit comme un peuple qui a
chassé son tyran et qui a reconquis sa liberté.
Telle était, Messieurs, vers le ive et le ve siècle
de notre ère, la situation agricole dans l'Empire
CONFÉRËN EH I I HOMMES
romain démoralisé. Tool le monde voulait jouir,
ne rie' voulait travailler; les campagnes
ent <L -i mauT- jue
les mœui ent le mal au lieu de le dimi-
nuer et de le guérir. Avec cela, les ] ins
leurs incursions furieui -riaient de dévaster les
et le sol eu:
: plus qu'une image de désolation et
3 tbrèts druidiques couv m-
; les bêtes sauvage : rôder
en plein jour dans l - -romain
traînards «les diverses - germaniques s'étaient
9 bois et en avaient t'ait des repa-
ait nulle part.
- is la double action des vieux Rom rrom-
pus et des jeunes races barbares indiscipline
îlture était partout d ut perdue.
Ou ter et la réhabiliter? Oui va
remettre la main à la et à la charrue? Qui
va renouveler ! le 1 urope? Qui? Ll -
Elle va mène ivres col*
la culturr .ture du sol. Ici, II
sieurs, ir . - et constatons dans le
i intlu - les institutions monas-
tiques. Il y a quelqu à la réeep'
rs du i ligne, régiment de nouvelle
dont il prenait le commandement, le
..né leur souhaitait la bienvenue en
termes : Messieurs, notre régiment n'a par
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE
toire: nous tâcherons de lui en faire une. » Et
ces paroles si simples et si nobles faisaient cou-
rir un frisson patriotique parmi les auditeurs.
Ainsi dirent les moines il y a quinze siècles : L'agri-
culture n'a plus d'histoire: nous tâcherons de lui
en faire une. Et ils se mirent à l'œuvre. Voyons-les
se livrer au travail et donner l'exemple.
II. Le travail des moines.
Ils ont à lutter contre une nature indomptée et
sauvage. Ils ont devant eux des forêts aux futaies
gigantesques, sombres et impénétrables : des hal-
liers de ronces et d'épines : des marais et des
tourbières encombrés de racines et de troncs ren-
versés: une atmosphère humide et insalubre, tout
imprégnée de miasmes pestilentiels. Ils ont devant
eux des solitudes improductives, et. avant de les
fertiliser par le travail, il faut lutter longtemps
contre la faim et l'intempérie des saisons. Pour
conquérir les forêts et les déserts de l'Amérique, le
colon moderne s'avance armé de toutes les inven-
tions de l'industrie et de la mécanique, soutenu
par la certitude du succès. Le moine n'avait que
ses bras, et il se plongeait dans l'inconnu.
Les instruments aratoires, le fer, les graines
même pour ensemencer, tout lui manquait, tout
jusqu'aux animaux domestiques qui décuplent les
282 CONFÉRENCES AUX HOMMES
forces de l'homme. Un des faits les plus importants
dans l'histoire de l'agriculture, c'est la domestica-
tion des espèces animales, hœuf, cheval, chien,
revenus à l'état sauvage après la disparition gra-
duelle de la civilisation romaine. Dépourvus de
tout secours humain, les moines viennent à bout
de tout : du sol qui est en friche, des animaux qui
sont à l'abandon et en pleine indépendance, et
enfin des hommes bien autrement difficiles à disci-
pliner que le sol le plus ingrat, que les animaux
les plus sauvages.
Les brigands qui peuplent les forêts s'approchent
avec des intentions homicides d'un moine qui les
subjugue par sa douceur et sa bonté. Ils s'apaisent,
se convertissent, et plus d'une fois un repaire d'assas-
sins devient le berceau d'un monastère et un re-
fuge tranquille où le travail des champs remplace la
rapine.
Les seigneurs francs et germains se distraient
des émotions de la guerre par l'exercice de la chasse,
et tout doit céder à leurs exploits cynégétiques.
Mais là, au milieu des forêts, l'Église les attend.
Elle dompte leur férocité. Elle convertit les chas-
seurs en laboureurs. Elle protège la terre cultivée
contre les dévastations de la chasse et du gibier
féodal, et plus d'une fois elle transforme l'épée du
seigneur en une pacifique charrue. Témoin cet
illustre seigneur aquitain nommé Théodulphe, au
vi° siècle, qui se fit moine à Saint-Thierry près
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 283
Reims, et pendant vingt-deux ans conduisit la
charrue... C'était un laboureur infatigable, un
religieux toujours le premier aux offices et aux
psalmodies de nuit, ce qui ne l'empêchait pas de
connaître Horace et de le citer par cœur; après
vingt-deux ans de labourage, il fut élu abbé ; alors
les habitants du village voisin s'emparèrent de sa
charrue et la suspendirent à la voûte de leur église.
Noble trophée, pourquoi as-tu disparu? Nous y
aurions été en pèlerinage. Et il me semble, pour
employer l'expression de Montalembert, que « nous
aurions baisé cette relique avec autant de respect
que l'épée de Charlemagne ou la plume de Bos-
suet ». Ainsi agissent les moines à travers le
moyen âge, du ve au xvie siècle, pendant plus de
mille ans.
Vainement les guerres se succèdent ; vainement
les Barbares arrivent, ravageant tout sur leur pas-
sage, les Sarrasins, les Normands, les Hongrois, les
Danois et tant d'autres. Un moine tombe victime
de la guerre, du travail ou du climat, un autre le
remplace. Ils reviennent sans cesse à la charge,
eux ou leur postérité spirituelle, avec cette infati-
gable constance qui naît d'une association se sur-
vivant toujours à elle-même.
Ils sont partout. Prenez la carte de l'Europe,
parcourez tous les climats et tous les peuples,
interrogez l'histoire de leurs origines agricoles, et
dites quel est le pays où la bêche du moine n'a pas
284 CONFÉRENCES AUX HOMMES
passé la première. En Flandre et en Hollande, les
religieux dessèchent les marais, endiguent la mer,
contiennent les alluvions et fertilisent les sables.
En Angleterre, les disciples du moine Augustin
font de ce pays, dès le xie siècle, le pays le mieux
labouré, le mieux cultivé et le plus riche. En Alle-
magne, saint Boniface et ses disciples, les Béné-
dictins de Fulda, défrichent à eux seuls un terrain
de seize lieues de circonférence, comptent jusqu'à
dix-huit mille métairies, et plantent le Johannis-
berg, le Tokay et les meilleurs vignobles du Rhin.
Les moines du mont Cassin fertilisent le Midi, et
les Cisterciens le nord de l'Italie. En Espagne, les
moines plantent les premières vignes et les premiers
orangers, et les bergeries des couvents donnent
naissance à» l'industrie des laines. En Suède, en
Pologne, dans les contrées forestières et maréca-
geuses du Nord, les moines transforment le sol. Et
en France ? Qui a percé les forêts ? Qui a desséché les
marais? Qui a dirigé les cours d'eau? Qui a ferti-
lisé les plaines, les coteaux, le sommet des mon-
tagnes? Qui a fait de la France un jardin où
poussent à F envi le blé et la vigne, ces deux subs-
tances qui sont l'aliment royal des peuples civili-
sés ? 0ui a fait de la France une corbeille de fleurs
et de fruits? L'Eglise, les moines. Ils ont mis en
culture le tiers de notre territoire, ils ont fondé les
trois huitièmes de nos villes et de nos villages
Parcourez toute l'Europe, et indiquez-nous la con-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 285
trée où la charrue des moines n'a pas précédé la
charrue des laïques. « Assurément, dit Monialem-
hert, nous attendrons longtemps la réponse. » Par
leurs immenses travaux, les moines ont ressuscité
l'agriculture. Ils ont fait mieux : ils l'ont réhabi-
litée et ennoblie par leurs exemples.
III. L'exemple des moines.
La vie des champs, l'agriculture et les arts méca-
niques qui forment son cortège, exclusivement
abandonnés aux esclaves par la civilisation païenne
et souverainement méprisés par les Barbares, durent
aux religieux non seulement leur résurrection, mais
leur ennoblissement. « Le spectacle de plusieurs
milliers de religieux cultivant la terre, dit Chateau-
briand, mina peu à peu les préjugés barbares qui
attachaient le mépris à l'art qui nourri t les hommes. »
Ce sont les exemples plus que les doctrines qui
mènent l'humanité. Vainement eût-on prêché le
Dieu-homme employant les neuf dixièmes de sa vie
à fabriquer des jougs et des charrues. Pour que
cette croyance s'implantât dans les mœurs, il fal-
lait que l'évêque, l'abbé, le prêtre, issus plusieurs
du sang royal, laissassent fréquemment la crosse
et la plume pour saisir la bêche, la charrue et le
marteau.
L'Eglise prit donc ses moines par la main et les
286 CONFÉRENCES AUX HOMMES
conduisit dans le sillon. Elle les fit passer du psau-
tier à la bêche et de la bêche au psautier; elle en
fit à la fois des hommes de peine et des anges de
prière, des religieux et des agriculteurs. Et cet état
avili, le plus méprisé de tous fut relevé et réhabi-
lité. L'Eglise monte au manoir; elle y choisit des
fils de comtes et de barons, de ducs et de princes;
elle les mène à Cîteaux, à Cluny ou ailleurs, et là,
après les avoir dépouillés de leurs livrées mon-
daines, elle leur dit : Allez dans ces marais fan-
geux ; forgez des socs avec les épées de vos pères;
défrichez, assainissez, travaillez! Et ces fils de
grands seigneurs, ces nobles devenus moines, sai-
sissent la charrue, la bêche ou la houe qui déchirent
leurs mains délicates; ils coupent le blé, fanent
les foins, et apportent eux-mêmes les gerbes sur
leurs épaules. On les voit en file de quinze ou vingt
descendre le coteau, courbés sous le poids de leur
faix, accablés de chaleur sous leur froc de grosse
laine, le front tout ruisselant de sueurs. Ni l'étude,
ni l'enseignement des lettres, ni la crosse abbatiale
ne dispensent des travaux manuels. Le chef du mo-
nastère est le premier aux champs comme le pre-
mier au chœur. J'entends le grand saint Bernard
qui s'applaudit devant ses religieux d'être enfin
devenu un bon moissonneur. Et un jour que l'envoyé
du Pape était venu dans le couvent du saint abbé
Equatius et le cherchait parmi les copistes pour
l'emmener à Rome, les calligraphes interrogés lui
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 287
répondirent : « Il est là-bas, dans la vallée, à cou-
per du foin. »
C'est de la sorte qu'a été changée la face de la
terre et réhabilitée l'agriculture. Gomment les
peuples n'auraient-ils pas cru à la dignité du tra-
vail des "champs, quand ils voyaient un Carloman,
oncle de Gharlemagne; un Guillaume, duc d'Aqui-
taine; un Adalbert, duc de Bohême; Hugues, duc
de Bourgogne; Guy, comte d'Abbon; Herman,
margrave de Bade ; saint Benoit, comte de Mague-
lonne; Anselme, duc de Frioul, et mille autres
encore, c'est-à-dire la noblesse, la science, le talent,
la sainteté, toutes les grandeurs et toutes les gloires
relever, réhabiliter, ennoblir la charrue et placer
le hoyau du laboureur au-dessus de l'épée des con-
quérants, francs ou romains? Des exemples venus
de si haut impressionnèrent les foules et leur ins-
pirèrent l'amour, l'estime et la pratique du travail
agricole.
— Telle est, Messieurs, l'œuvre de l'Eglise et des
moines. Par leur travail personnel et par leur
exemple communicatif, les moines ont réhabilité
l'agriculture, ils ont transformé les hommes et la
terre. Ils ont civilisé en même temps les âmes et
le sol. Et cependant ouvrez certains dictionnaires
aw mot Agriculture, vous verrez qu'on y parle de
tout, excepté des moines. Demandez à des masses
de braves gens ce qu'ils pensent des moines, et ils
288 CONFÉRENCES AUX HOMMES
vous diront naïvement que les moines étaient des
ignorants et des oisifs. Le nom de ces travailleurs
intelligents et infatigables est passé sous silence ou
conspué. Leurs travaux de dix siècles sont oubliés
ou calomniés. 0 ingratitude! ignorance plus pro-
fonde encore que l'ingratitude ! Sachons, Messieurs,
que sans les moines nous n'aurions ni propriété,
ni liberté, ni patrie, ni même un morceau de pain;
c'est à eux que nous devons* tout. « Nos pères, dit
Chateaubriand, étaient des Barbares à qui l'Eglise
fut obligée d'enseigner jusqu'à l'art de se nourrir. »
Restons sur ce dernier mot.
Amen!
QUATRIÈME CONFERENCE
/. — CE QUE V ÉGLISE
A FAIT POUR L'AGRICULTURE
(suite)
Messieurs,
L'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité
dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral, et
aussi dans Tordre matériel. Dans l'ordre matériel,
l'histoire nous la montre venant au secours de
l'agriculture tombée et discréditée, et la ressusci-
tant, la réhabilitant par le travail et par l'exemple
des moines. Ce sujet n'est point épuisé. Permettez-
moi d'y revenir. L'agriculture est une science,
l'agriculture est la source de la richesse. Or, les
moines ont été de savants agriculteurs, et, en tra-
vaillant la terre, ils sont devenus riches. Je me
propose aujourd'hui de justifier la richesse des
moines et d'exalter leur science agricole.
1. La science agricole des moines.
Cette science agricole des moines n'est pas con-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-19
290 CONFERENCES AUX HOMMES
testable. Ils connaissent le sol, ils savent s'il est
apte à produire des céréales ou à recevoir des
arbres, et, avant de garder ou d'abattre une forêt,
ils étudient la nature du terrain, comptent ses
couches et calculent ses chances d'exploitation. Et
que de fois n'a-t-on pas regretté d'avoir déboisé
telle région qu'ils avaient plantée ?
Ils connaissent les phénomènes de l'atmosphère.
Ils savent quels sont les vents les plus nuisibles
aux cultures et comment il faut abriter une terre
ensemencée par de hautes futaies de hêtres et de
chênes. Ils savent à quelle exposition il est utile de
laisser les vignobles pour que le soleil verse sur
eux tous ses feux. Ils savent maintenir l'équilibre
de l'air, en alternant la végétation forestière et la
végétation alimentaire. C'est ainsi qu'ils prévinrent
de grands bouleversements atmosphériques et que
le fléau de la grêle leur fut à peu près inconnu.
C'est ainsi qu'ils alimentèrent les sources, retenant
les eaux pluviales dans les feuillages, les hautes
herbes et les broussailles, et les empêchant de des-
cendre rapidement et par torrents dans les vallées
dévastées. Ils sont nos maîtres. Et c'est pour n'avoir
pas laissé au front de nos montagnes ces couronnes
de forêts, conservées par les moines, que nous
avons vu se dessécher un grand nombre de cours
d'eau qui fertilisaient autrefois les prairies, et que
les inondations sont devenues beaucoup plus fré-
quentes et plus terribles.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 291
Ils connaissent la science hydraulique, et ils se
comportent au xii6 siècle comme s'ils, avaient été
de l'Académie des Sciences en l'année 1900. Voyez -
les à l'œuvre. Ils recueillent les eaux provenant des
pluies torrentielles ou de la fonte des neiges et les
emmagasinent dans de vastes étangs. Ils calculent
la pente nécessaire, l'imperméabilité des couches
inférieures, le volume d'eau, le groupement des
bassins, afin de maintenir ces réservoirs artificiels
dans un. état permanent de plénitude et de stabilité,
afin de leur assurer une abondance suffisante et un
débit régulier. Et de ces bassins multiples et super-
posés s'échappent des eaux puissantes et modérées,
des ruisseaux jamais taris qui arrosent les prairies
et servent de force motrice à une foule de moulins
et d'usines élevés sur les bords.
Voulez-vous d'autres témoignages encore de la
science agricole des moines? Il m'est facile de vous
satisfaire. Ils ont conservé les traités des anciens
sur l'agriculture, les livres de Varron, de Caton, de
Columelle, et ils ont ajouté aux méthodes tradi-
tionnelles de l'antiquité des procédés sagement
novateurs.
C'est à eux qu'il faut faire honneur de l'inven-
tion du drainage.
Les moines agriculteurs ont rendu aux peuples
de l'Europe le froment, cette précieuse céréale qui
est devenue la base de notre régime alimentaire et
que ne connaissaient plus nos ancêtres nomades,
292 CONFÉRENCES AUX HOMMES
quand ils vivaient à l'aventure de racines, de fruits
et de coquillages.
Les moines viticulteurs ont implanté et créé les
meilleurs vignobles de France, d'Italie, d'Allemagne
et d'Espagne. C'est ainsi qu'au monastère de Micy,
là, à deux pas d'Orléans, deux moines, attirés, l'un
du Bordelais, l'autre de l'Auvergne, par la haute
réputation de saint Mesmin, inaugurèrent un
double cépage qui a conservé jusqu'à ce jour le
nom altéré des deux provinces originelles : le Gas-
con et l'Auvernat.
Et n'est-ce pas au mérite et au travail des moines
que nous sommes redevables de nos plus belles
prairies, autrefois des vallées dénudées et des ma-
rais fangeux? N'est-ce pas à leur régime entière-
ment végétal que nous devons nos plus beaux jar-
dins potagers et les progrès de notre horticulture?
N'est-ce pas à eux que l'on doit la première culture
du mûrier, du chanvre et du lin, si bien qu'au
xue siècle la Lombardie possédait de nombreuses
fabriques de toiles, de draps et de soieries, dont
une seule nourrissait jusqu'à quarante mille âmes?
Les moines ont été d'éminents apiculteurs et arbo-
riculteurs. Ils ont introduit le pommier en Armo-
rique, le noyer en Auvergne, et jusqu'à la Révolu-
tion la Chartreuse de Paris est restée une pépinière
célèbre, fournissant des arbres fruitiers à la France
entière. La chose n'est pas niable. Les moines ont
possédé à un haut degré la science agricole.'
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 293
Ils ont fait mieux. Ils l'ont répandue et popula-
risée. Aujourd'hui nous créons des fermes-écoles
et des instituts agronomiques. Ce n'est pas mal.
C'est même très bien. Remarquons seulement que
les moines ont fait cela avant nous et mieux que
nous. Cîteaux, Gluny, Luxeuil et tontes les abbayes
de V Europe n'étaient pas seulement, il y a six cents
ans, des centres de piété et d'érudition ; c'étaient
encore des centres de culture, de vrais instituts
agronomiques, semblables à ceux que nous es-
sayons d'établir, avec cette différence que les
moines, au lieu de demander vingt millions par an
pour faire leurs expériences, ne demandaient que
des broussailles et des marais. Autour de chaque
abbaye venaient se grouper de nombreuses métai-
ries qui sont devenues depuis des villages, des
bourgs ou des villes. Toutes ces métairies monas-
tiques se rattachaient à l'abbaye, qu'on aurait pu
appeler la ferme-école régionale. Et les abbayes à
leur tour étaient reliées entre elles par des colonies
qui allaient porter sous d'autres climats le trop-plein
de la ruche monastique et la pratique de la science
agricole. Toutes ces colonies, parties du même
centre et fixées dans les pays les plus divers, se
communiquaient leurs méthodes, leurs découvertes,
leurs produits. Et ainsi se formaient par les moines,
comme par autant de courtiers agricoles, de vastes
sociétés internationales pour la propagation et le
perfectionnement de l'agriculture. Saluez, Mes-
204 CONFÉRENCES AUX HOMMES
r
sieurs, saluez l'Eglise qui par ses moines a travaillé
si puissamment à la création et à la diffusion de la
science agricole! Oui, mais les moines sont devenus
riches! Un mot pour répondre à cette objection.
II. La richesse des moines.
Les moines ont été riches, très riches. La célèbre
abbaye de Fulda possédait, dès l'époque de Char-
lemagne, trois mille métairies en Thuringe, trois
mille dans la Hesse, trois mille en Franconie, trois
mille en Bavière et trois mille en Saxe. On a éva-
lué à plus de soixante mille livres de rentes les
revenus de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés à
Paris dès le ixe siècle. En général, toutes les grandes
cultures monastiques présentent un état de pros-
périté surprenante. Que faut-il penser de ^cette
grande richesse des moines? Trois choses.
1° La richesse des moines a été lente dans sa
formation. Aujourd'hui, on s'enrichit vite. On mo-
nopolise, on accapare le blé, le café, le cuivre; on
fait la pluie et le beau temps sur tous les marchés ;
on écrase les concurrents, on exploite les consom-
mateurs, et c'est fait, le tour est joué, on réalise
en quelques jours des millions et des millions. Ou
bien, en un seul coup de bourse, on ramasse ins-
tantanément, on draine la fortune des particuliers
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 295
ou des Etats; par exemple, la fortune actuelle delà
famille Rothschild est évaluée à cinq milliards, et
elle double en moins de quinze ans. En 1800, ils
n'avaient pas le sou, et dans cent ans ils posséde-
ront trois cent vingt milliards, plus que la France
entière ne possède aujourd'hui. En présence de ces
énormités. aurez-vous le courage de crier contre la
fortune des moines? Eux, du moins, ne se sont pas
enrichis par des coups de bourse. Ils sont devenus
riches comme de bons pères de famille qui agran-
dissent au prix de leurs sueurs le petit domaine
qu'ils ont reçu de leurs ancêtres, et qui le trans-
mettent à leurs enfants pour que ceux-ci y ajoutent
leur apport personnel. Ils sont devenus riches len-
tement et laborieusement. Ils y ont mis des siècles.
2° La richesse des moines a été légitime dans ses
sources. Un jour, après de longs siècles écoulés, les
moines se sont trouvés détenteurs d'un tiers de
notre sol ; mais d'abord c'a été sans faire d'injustice
à personne, c'a été aux seuls dépens des forêts dé-
frichées, des déserts fertilisés, des marais dessé-
chés. Ensuite, ces terres fécondes, ces riches prai-
ries, ces vergers productifs ont été créés par qui?
Par eux, par leur travail opiniâtre et intelligent.
L'intelligence et l'effort sont les. deux grands fac-
teurs de la richesse. Les moines furent des agri-
culteurs intelligents et actifs. Naturellement, ils
furent riches. Qu'avez-vous à dire à cela? Tâchez
296 CONFÉRENCES AUX HOMMES
d'en faire autant. La richesse des moines a été on
ne peut plus légitime dans ses sources, et plaise à.
Dieu qu'on puisse en dire autant de toutes les ri-
chesses qui s'étalent au soleil. Et enfin!
3° La richesse des moines a été bienfaisante dans
son emploi. La richesse pour ceux qui la possèdent
n'est pas seulement un droit personnel, elle est
encore une fonction sociale. Les riches sont, de par
la volonté de Dieu, les propriétaires de leurs biens
et les distributeurs de leur superflu. Cette notion
simple et sublime de la richesse a été la règle des
moines.
Avec leurs richesses, ils ont couvert de bienfaits
les classes indigentes. Jadis, l'Eglise riche se char-
geait des pauvres. Elle mettait dans son lot tous
ceux qui n'avaient rien, elle s'obligeait à les nour-
rir. L'abbaye de Saint-Germain, à elle seule, dès le
ixe siècle, entretenait à ses frais plus de deux mille
ménages comprenant plus de dix mille âmes. Cluny
entretenait annuellement plus de dix-sept mille
pauvres. Tout ouvrier venant frapper à la porte
du monastère y trouvait toujours du travail, des
ressources et un juste salaire.
Les moines nourrissaient les classes indigentes
et soutenaient les classes agricoles. Ils offraient à
leurs tenanciers de larges bénéfices. Plusieurs ab-
bayes ne demandaient à leurs métayers que le
septième des grains. Les paysans rétribués deve-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 297
naient facilement propriétaires. Quand Turgot
prit le ministère, à la fin du xvine siècle, le quart
du sol appartenait aux laboureurs. Les meilleurs
érudits établissent par des preuves rigoureuses et
impartiales, qu'en France, en Allemagne et en
Italie, la condition du plus grand nombre était
meilleure au xme siècle qu'elle ne l'est aujour-
d'hui, soit à cause du bon marché des denrées ali-
mentaires, soit à cause des progrès agricoles. Et,
au point de vue intellectuel et moral, où en était le
paysan du xme siècle? Il avait l'école gratuite, sé-
rieusement" gratuite. La diffusion de l'enseigne-
ment primaire était presque aussi grande qu'à
l'heure actuelle, et les mœurs valaient mieux que
nos mœurs d'aujourd'hui. Cessons donc de suspec-
ter et de calomnier la richesse des moines. Elle a
été lente dans sa formation, légitime dans ses
sources, et bienfaisante dans son emploi.
Conclusion.
Les bienfaits de l'Eglise envers l'agriculture sont
patents :
1° En établissant la trêve de Dieu au milieu des
guerres du moyen âge, l'Église a protégé Fagricul-
ture contre les dévastations incessantes des barons
guerroyeurs ;
298 CONFÉRENCES AUX HOMMES
2° En affranchissant les communes, en fondant la
liberté des classes populaires, en créant à côté des
grandes propriétés seigneuriales ou monastiques,
le juste équilibre des propriétés moyennes et pe-
tites, l'Église a imprimé le plus grand essor au
progrès des cultures ;
3° Par les Croisades, l'Eglise a transporté sur
d'autres champs de bataille l'humeur belliqueuse
de nos pères au grand avantage de nos champs et
de nos moissons. Que serait devenu le travail agri-
cole en Europe, si, sans les Croisades, les Turcs
étaient restés les maîtres de notre sol? Nous serions
les victimes de l'inertie musulmane ;
4° Enfin, comme je l'ai dit et prouvé, en envoyant
partout des légions de moines agriculteurs, l'Eglise
a transformé le sol de l'Europe, elle a donné
l'exemple du travail des champs, elle a répandu la
science agricole, elle a couvert le monde de bien-
faits.
Disons tout d'un mot : Depuis dix-neuf siècles,
l'Église, bienfaitrice du genre humain, n'a qu'une
devise, celle d'un grand catholique de notre temps,
M. de Falloux : Non sibi, sed populo : rien pour
elle, tout pour le peuple !
Allez, fils de l'Église, faites de même, et le
monde vous appartiendra !
Amen!
CINQUIÈME CONFÉRENCE
//. — CE QUE DEVIENT L AGRICULTURE
EN DEHORS DE L'ÉGLISE
1° l'agriculture et le protestantisme
Messieurs,
Dans l'ordre matériel comme dans l'ordre intel-
lectuel et moral, l'Eglise est la grande bienfaitrice
de l'humanité. Que n'a-t-elle pas fait pour l'agri-
culture? Pendant plus de dix siècles, depuis l'inva-
sion des Barbares jusqu'au, protestantisme, elle a
fondé, réhabilité, fait progresser l'agriculture. Nous
avons vu cela en étudiant de près le travail, l'exemple,
la science et la richesse des moines. Au xvi6 siècle,
un grand événement se produit. L'Église perd la
moitié de l'Europe. Le protestantisme entre en
scène.
D'abord, il faut vous rappeler qu'une des causes
principales de la Réforme fut la convoitise pour les
biens des couvents, le désir de faire main basse
sur les richesses des moines. En Angleterre, en
Allemagne, dans les royaumes du Nord, les rois et
300 ' CONFÉRENCES AUX HOMMES
les plus puissants seigneurs se font protestants,
surtout parce qu'ils sont cupides et voleurs. Or, que
devint l'agriculture au milieu de ce grand boule-
versement européen, au milieu de ce brigandage
universel? Jetons un regard seulement sur l'An-
gleterre et sur la France au lendemain du protes-
tantisme.
I. L'agriculture en Angleterre à la suite du pro-
testantisme.
J'entends si souvent parler de la supériorité de
la race anglo-saxonne et de sa prééminence dans
le monde, que je ne suis point fâché de vous en
dire un petit peu de mal et de remettre les choses
au point. Au moment de la Réforme, un grand vol
s'est commis en Angleterre. Les couvents ont été
spoliés, et leurs biens sont allés enrichir des grands
seigneurs cupides et corrompus.
C'a été r abolition de la petite culture par la con-
centration excessive des biens agricoles dans un
petit nombre de mains. Est-ce un bien, cela? Je
ne le crois pas.
D'abord la petite culture renferme de précieux
avantages quand elle s'unit dans de justes propor-
tions avec la propriété grande et moyenne, et qu'elle
n'est pas poussée jusqu'à la pulvérisation du sol. La
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 301
petite et la moyenne culture, en attachant à la terre
l'homme qui la cultive, lui inspire l'esprit familial
et les vertus d'ordre, d'économie, de prévoyance,
d'activité. Elle décuple l'intensité du travail. Or,
aujourd'hui encore, en Angleterre, il n'y a pas de
petite culture. Deux mille propriétaires possèdent à
eux seuls un tiers dçs terres.
Quand môme cette situation serait favorable aux
progrès de l'agriculture, qu'importe? Est-elle favo-
rable à la dignité de la population et à l'honneur de
la race? Non, certainement. Voyons. Lequel vaut le
mieux, d'un pays couvert de petites maisons, habi-
tées par un peuple intelligent, moral, ami de l'ordre,
passionné poar son indépendance, et d'un pays où
l'œil n'aperçoit qu'un château le plus souvent inha-
bité, une maison ou deux de fermiers dans l'aisance,
des masures habitées par de misérables journaliers
et une manufacture peuplée d'automates humains
qui se consument autour d'automates artificiels?
Le premier de ces deux pays, l'Espagne, pourra
défier et user pendant six ans la puissance du con-
quérant qui parcourt au galop les capitales de
l'Europe; l'autre, s'il échappe, par ses conditions
géographiques, à l'ennemi du dehors, n'offrira ja-
mais au regard de l'observateur qu'un spectacle peu
honorable, le spectacle de quelques milliers de
riches sans entrailles se noyant dans les recherches
du luxe au milieu d'un peuple de faméliques. Et
tel est le spectacle que nous donne cette belle An-
302 CONFÉRENCES AUX HOMMES
gleterre, dont on vante avec tant d'ardeur et la
richesse, et la puissance, et les progrès matériels.
En concentrant dans quelques mains les biens vo-
lés aux couvents, l'Angleterre protestante a aboli
la petite culture.
Elle a produit un second phénomène qui n'est
guère à envier : l'assimilation de la vie agricole à
la vie manufacturière. Les fermes, en Angleterre,
sont devenues de vastes exploitations dirigées de loin
par de grands seigneurs capitalistes. On a dit que
les grandes manufactures de l'Angleterre sont des
inventions qui ont pour but de créer deux sortes
de produits : du coton et des pauvres. Or, on peut
dire à peu près la même chose des exploitations
agricoles anglaises, qui produisent du blé et des
pauvres. Le paupérisme des campagnes va de pair
avec celui des villes. Le paysan anglais n'est ni un
fermier, ni un métayer, mais un simple journalier
qui émigré sans cesse de comté en comté, en quête
de travail, exposé par ces habitudes errantes à l'ins-
tabilité des salaires et à tous les périls de l'immo-
ralité.
On dit : l'agriculture anglaise est prospère. C'est
possible. Mais le sera-t-elle toujours? On peut en
douter, quand on songe aux sourdes colères qui
s'amassent dans l'âme du paysan anglais contre
les quatre millions de lords qui exploitent son tra-
vail et sa misère. Certes, elle n'est point à envier
cette prospérité d'un peuple qui compte dix-huit
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 30Î
millions de misérables sur trente millions d'habi-
tants! D'ailleurs, écoutez ceci. En 1878, la Confé-
rence d'histoire de l'Université de Cambridge fut
appelée à délibérer sur cette question : la suppres-
sion des monastères en Angleterre a-t-elle été un
mal ou un bien pour le pays? Après trois jours de
discussion, la Conférence, exclusivement composée
d'anglicans et de gradués de l'Université, prit, à la
majorité de 88 voix contre 60, un arrêté conçu en
ces termes : « La suppression des monastères par
Henri VIII a été un cruel malheur pour le pays, et
les circonstances actuelles exigent impérieusement
le rétablissement d'institutions analogues parmi
nous. » On ne pouvait pas exprimer d'une manière
plus éloquente et plus impartiale le tort causé par
la Réforme aux classes agricoles en Angleterre.
Mais laissons l'Angleterre. Restons chez nous.
II. L'agriculture en France à la suite du protes-
tantisme.
La Réforme, sans doute, n'a pas arraché la France
au giron de l'Église. Mais elle s'est quand même
introduite chez nous par infiltration, et elle a at-
teint notre agriculture de deux manières : par la
commende et parla désertion des campagnes.
1° Par la commende d'abord. Je m'explique-
304 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Pour empêcher la France d'aller à la Réforme, la
Papauté fit une triste, mais prudente et nécessaire
concession à la Royauté. Le Concordat conclu
entre François Ier et Léon X abandonna au roi la
nomination des commendataires. Par cet acte, les
rois de France furent soustraits à la tentation d'em-
brasser la prétendue Réforme de Luther et de Calvin.
Ils n'avaient plus d'intérêt à se faire protestants.
Par la commende, en effet, ils disposaient à leur gré
des bénéfices des couvents ; ils avaient la faculté de
s'en approprier les revenus, de les donner ou de
les vendre. C'était la ruine presque inévitable de
la vie monastique, et par suite c'était une atteinte
profonde portée à F agriculture.
La vie monastique se trouve gravement compro-
mise. Les rois, maîtres des bénéfices, les distribuent
aux cadets de noblesse qui deviennent abbés,
quoique laïques, ou entrent dans le clergé sans
vocation, se contentant parfois d'en prendre par la
tonsure l'insignifiante livrée. Les abbayes sont
transformées en châteaux forts. Les pages et les
hommes d'armes y installent les jeux guerriers.
Les soigneurs s'y établissent avec leurs femmes,
leurs chiens de chasse et leurs chevaux, conservant
les moines comme des travailleurs utiles, et pre-
nant pour eux-mêmes le produit de leur travail.
Quelques-uns d'entre eux laissent à peine aux reli-
gieux de quoi subsister et les réduisent à la portion
congrue. Les monastères sont gouvernés par des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 305
ministres ambitieux, des courtisans effrontés, des
lettrés sans honneur, des hommes d'armes aussi dis-
solus dans la paix que dans la guerre, et enfin par
des abbés sans vocation. La décadence monastique
était fatale. Vainement les chapitres généraux de
Gluny, de Cîteaux et autres protestent contre le
despotisme de la commende, contre l'invasion du
laïcisme, contre les angoisses et les tortures de ce
joug étranger. Les moines se plaignent, et on ne
veut pas les entendre. Ils sont vaincus par un fléau
qui ne vient pas d'eux et qui est plus fort qu'eux.
La vie monastique, après six et sept siècles de
gloire et de bienfaits, est sur le penchant de la
ruine.
Et l'agriculture succombe avec la vie monastique.
Les monastères voient leurs toits s'effondrer et leurs
murs crouler. Les moines sont obligés de recourir
aux arrêtés des Parlements pour obtenir les répa-
rations les plus urgentes. A la veille de la Révolu-
tion, la commende leur a pris les deux tiers de leurs
immeubles ; le dernier tiers seulement a pu échap-
per à grand'peine au chancre rongeur. Et ce der-
nier tiers de leur patrimoine, ils le défendent pied
à pied, ils l'administrent soigneusement, ils le font
prospérer de leur mieux. Le marquis de Pompignan,
voulant sauver cette épave du patrimoine monas-
tique, s'écrie : « Je ne plaide point ici la cause des
moines; je plaide celle de toutes les cultures, de
tous les propriétaires, des pauvres, du travail et de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-20
306 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la population. » Ainsi, au milieu d'une société qui
se décomposait et qui allait périr, les moines, au-
tant qu'ils le pouvaient, arrêtaient la décadence ma-
térielle et sauvaient les derniers vestiges de la pros-
périté agricole. « Les plus belles cultures, dit
Chateaubriand, les paysans les plus riches, les
mieux nourris et les moins vexés, les équipages
champêtres les plus parfaits, les troupeaux les plus
gras, les fermes les mieux entretenues se trouvaient
dans les abbayes. » Hélas ! les moines avaient beau
faire. Le protestantisme avait mis la société sur
une pente fatale. Le libre examen amenait la cor-
ruption des idées et des mœurs.
2° Le mal qui avait commencé par la commende-
s'achevait parla désertion des campagnes. La déser-
tion des campagnes, ce fléau dont nous avons tant
raison de nous plaindre aujourd'hui, n'est pas nou-
veau. Il date du commencement du xvne siècle.
Henri IV se plaint déjà que les nobles abandonnent
la campagne. Au milieu du xvin6 siècle, cette dé-
sertion est devenue presque générale. Tous les do-
cuments du temps la signalent et la déplorent. On
en trouve la preuve authentique dans les registres
de la capitation, qui se percevait au lieu du domi-
cile réel ; or, cet impôt de toute la grande noblesse
et d'une partie de la moyenne est levé à Paris. Et
en même temps que les campagnes sont désertées
par les grands propriétaires, le travail agricole dé-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 307
cline. Le rendement de la terre diminue de moitié.
C'était fatal. Les campagnes se dépeuplant au profit
des villes, la consommation sur les lieux mêmes
diminuait, et par là même, la production. Les
paysans dénués de conseils, d'avances et de secours,
laissaient insensiblement décroître leur puissance
de travail. L'absentéisme de la noblesse nuisait h la
culture d'un tiers du sol qui lui appartenait, et à la
culture du second tiers qui appartenait aux petits
propriétaires ; la commende ruinait le reste, pro-
priété des couvents.
Tout le monde sentait cela à la fin du xvme siècle,
à la veille de nos grandes catastrophes. Le goût de
la nature, de la campagne saisissait tout à coup les
hautes classes. La voix de la conscience, de l'agri-
culture et de la patrie leur criait : Sortez de la
corruption des villes ; retournez aux champs, aux
montagnes, à la pureté du cœur et à la virilité de
l'esprit! Hélas! ce goût de la campagne, si beau et
si vrai en lui-même, n'était chez nos frivoles an-
cêtres qu'un goût superficiel et faux, qui tourna
misérablement à la pastorale et à la complainte. On
chantait la vie agricole ; on ne voulait plus la pra-
tiquer. On fuyait bêtement le soc de la charrue, et
on allait non moins bêtement au couperet de la
guillotine !
Amen !
SIXIÈME CONFÉRENCE
II — CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE
EN DEHORS DE VÊOLISE
2° l'agriculture et l'irréligion
Messieurs,
Pendant dix siècles l'Eglise a été la grande bien-
faitrice de l'agriculture. Au xvie siècle, le protes-
tantisme a interrompu et gâté la belle œuvre de
l'Eglise. Et aujourd'hui où en sommes-nous? où en
est l'agriculture? Aujourd'hui l'irréligion, fille légi-
time de la Réforme, continue la funeste décadence
inaugurée au xvie siècle. L'irréligion, en effet, est
l'ennemie la plus terrible de l'agriculture. L'affir-
mation semble d'abord étrange ; mais, après que
vous m'aurez entendu, je suis à peu près sûr que
vous serez tous de mon avis. Tenez! sur quoi repose
l'agriculture? Sur la bénédiction de Dieu, sur le
principe de la propriété, sur la loi du sacrifice. Or,
l'irréligion éloigne la bénédiction de Dieu, ébranle
le principe de la propriété et tue la loi du sacrifice.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 309
I. L'agriculture repose sur la, bénédiction de Dieu.
Est-ce que ce n'est pas clair comme le jour?
Quand l'homme s'est épuisé sur le sillon, quand il
a versé ses sueurs, ses larmes et le sang de ses
membres, il faut qu'il se résigne et qu'il attende...
qu'il attende quoi ? La pluie, la rosée, le vent, la
chaleur, le soleil, c'est-à-dire Dieu, car tous ces
éléments ne sont que des causes secondes qui dé-
pendent uniquement de la cause première qui est
Dieu. Vous tenez un des manches de la charrue,
c'est Dieu qui tient l'autre. Bon gré mal gré vous
labourez ensemble. Chose remarquable, les plantes
les plus sublimes et les plus nécessaires sont juste-
ment les plus exposées. Dieu a fait la fleur du blé
d'une délicatesse si exquise que le moindre coup
de froid la fait pencher languissante sur sa tige.
Et quand la vigne a donné sa fleur et que ses
grappes vermeilles semblent impatientes du pres-
soir, que faut-il pour tout détruire? Un coup de
grêle. La gelée, la sécheresse, la grêle sont là sus-
pendues sur le blé et la vigne, comme l'épée de
Damoclès toujours prête à tomber et à tout perdre.
Chassez Dieu de partout, si vous le pouvez, mais je
vous défends bien de le chasser de la vie agricole.
C'est pourtant ce qu'essaie de faire l'irréligion, et,
en se livrant à cette entreprise insensée et coupable,
qui consiste à éliminer Dieu et à le supprimer,
310 CONFÉRENCES AUX HOMMES
autant que faire se peut, elle provoque sa ven-
geance et elle éloigne ses bénédictions. Ici, Mes-
sieurs, je ne fais point de mysticisme; j'ai la pré-
tention de vous tenir le langage du bon sens le
plus élémentaire, et ce que je viens d'avancer je le
prouve par un seul exemple. Parmi les lois de Dieu,
il y en a une qui semble plus sacrée que les autres
et dont il punit plus rigoureusement dès ce monde
la violation, c'est la loi du dimanche. Eh bien,
pensez-vous que la violation publique et universelle
de cette loi divine dans nos campagnes passera
inaperçue et impunie? Non. Dieu oublié, désobéi
et méprisé n'aura pas de peine à prendre sa revanche
et il la prendra. Il stérilisera le sol et les sueurs
de l'homme, il appellera de l'étranger des produits
surabondants qu'essaieront vainement d'arrêter à
la frontière des droits compensateurs ; ou bien
encore, tirant du carquois de sa justice les fléaux
dévastateurs, il les chargera d'aller punir l'agricul-
ture prévaricatrice. L'irréligion éloigne de l'agri-
culture le premier élément de sa prospérité, la
bénédiction de Dieu. Et je ne crains pas de l'affirmer,
moins nos campagnes seront chrétiennes et plus elles
seront malheureuses. Elles en font l'expérience
depuis vingt ans. La misère s'y est accrue en pro-
portion de l'irréligion. Le retour à l'Eglise catho-
lique sera pour elles la promesse et la garantie de
la bénédiction de Dieu. — Et puis sur quoi encore
repose l'agriculture?
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 311
II. L'agriculture repose sur le principe de la, pro-
priété.
Qui de vous, Messieurs, contestera la nécessité
du droit de propriété pour le progrès des cultures?
Si la propriété est déclarée commune à tous, si la
vendange et la moisson n'appartiennent point au
vigneron et au laboureur qui les ont arrosées de
leurs sueurs, mais à la collectivité qui s'en empare
comme d'une proie, si le bien légitimement acquis
ne peut être transmis à une postérité aimée qui
agrandira encore le champ paternel, personne ne
voudra plus travailler. A quoi bon creuser des
puits, faire des drainages, planter des arbres, greffer
des vignes, à quoi bon défricher, labourer, amé-
liorer le sol, à quoi bon suer et amasser, si les
produits de mon travail ne sont ni pour moi ni pour
mes enfants? Le droit à la propriété individuelle
est la condition essentielle du travail agricole. C'est
l'évidence même.
Or, ce droit de propriété, nécessaire au progrès
agricole, l'irréligion l'attaque, l'ébranlé, le renverse,
ou le défend mal. Les mêmes hommes qui font
profession d'impiété se déclarent les ennemis de la
propriété privée. J.-J. Rousseau, Proudhon et nos
socialistes d'aujourd'hui mènent de front la guerre
à la religion et la guerre aux propriétaires. Proudhon
qui a dit : u Dieu, c'est le mal! » n'a pas tardé à
312 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ajouter : « La propriété, c'est le vol! » Et les révo-
lutionnaires les plus avancés et les plus sincères
ont une formule qui en dit long dans sa brièveté et
dont les deux termes sont solidaires : « Ni Dieu ni
maître! » C'est logique. Si Dieu n'existe pas ou s'il
n'a pas de droits, pourquoi un homme, mon égal
par nature, aurait-il sur moi des droits quelconques?
S'il n'y a pas d'autorité dans le ciel, comment y
aurait-il des autorités sur la terre? Dieu détrôné,
toutes les supériorités sociales n'ont plus de raison
d'être. Elles sont un contre-sens, une usurpation,
un scandale, et la propriété, piédestal insolent qui
élève l'homme au-dessus de ses semblables, doit
être abolie au nom de la sainte et universelle éga-
lité. Messieurs, essayez tant que vous voudrez de
vous passer de la religion pour défendre votre
bourse, votre champ, votre maison, vous n'y arri-
verez jamais. La base du droit de propriété, ce n'est
ni le travail tout seul, ni l'hérédité toute seule, ni
l'État tout seul; c'est la volonté de Dieu imposant
à l'homme le respect de ses semblables et proté-
geant le bien d'autrui. L'irréligion qui supprime
Dieu, supprime par là même le droit de propriété,
et enlève ainsi à l'agriculture le second élément de
sa prospérité. 0 hommes qui cultivez la terre, vous
voulez pouvoir dire du champ arrosé de vos sueurs :
Ce champ est à moi ! et vous avez raison. Mais, si
vous pensez que votre droit est garanti par le seul
fait de votre travail et sans aucune intervention de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 313
Dieu, vous avez tort et vous vous trompez ! Revenez
à l'Eglise catholique qui, en sauvant les droits de
Dieu, sauve en même temps les droits de la pro-
priété privée. Encore un mot.
III. L'agriculture repose sur la loi du sacrifice.
La loi du sacrifice est la loi de la société tout
entière. Regardez la société. Elle a le sacrifice à sa
base, à son milieu et à son sommet. Tous ses
rouages gémissent et rendent le son du sacrifice.
Sacrifice du mineur qui descend dans les entrailles
de la terre pour lui arracher ses trésors. Sacrifice
de l'employé des postes, des télégraphes, des che-
mins de fer, du voiturier, de l'homme de peine
qui veille, voyage et s'exténue à notre profit. Sacri-
fice du magistrat, de l'avocat, de l'homme d'affaires
qui étudie nos conflits et nos différends, les dé-
brouille et les arrange. Sacrifice du savant qui
enfante dans la douleur ou une découverte scienti-
fique, ou une œuvre d'art, ou une page sublime.
Sacrifice du soldat qui souffre et qui meurt pour
nous. Sacrifice du prêtre et du médecin qui sont
les hommes de tout le monde et qui viennent au
secours des corps pour les guérir, des âmes pour
les éclairer, les consoler, les sanctifier, les porter
vers le vrai et vers le bien, vers Dieu et vers le
ciel. Contemplez la société dans sa beauté auguste
314 • CONFÉRENCES AUX HOMMES
et touchante, et reconnaissez avec moi que la sève
qui circule à travers cet arbre immense, c'est la
sève de la souffrance, que le sang qui fait battre ce
noble cœur, c'est le sang de l'immolation, et que la
loi qui régit ce mécanisme si compliqué c'est la loi
du sacrifice !
Mais, je ne crains pas de l'affirmer, si la loi du
sacrifice préside à toutes les fonctions sociales, elle
préside surtout à la vie agricole. Voyez le labou-
reur qui part dès le matin avant le lever du soleil
et qui va engraisser la terre de ses sueurs. Quel
sacrifice plus capable de nous émouvoir et de nous
attendrir? L'agriculture ne vit que de dévouement.
Elle est une immolation quotidienne. Avant de
récolter, il faut semer, et, avant de semer, il faut
cultiver, et, pour semer, il faut prendre dans la
récolte précédente, et, en quelques années mauvaises,
sur le nécessaire. Et quand on a jeté ce grain dans
le sillon, quand on a planté cette vigne, il faut
attendre et travailler encore. Et plus les plantes
sont précieuses et nécessaires à la vie, plus il faut
dépenser pour elles de soins, de veilles, de sollici-
tudes. Les chênes viennent tout seuls ; les prairies
verdoient presque sans nous. Mais le blé, mais la
vigne! Ah! quand nous nous mettons à table, si
nous nous demandions ce qu'a coûté ce morceau de
pain, ce qu'il a demandé de sueurs et de sang
quelquefois, nous en serions épouvantés! « Voilà
pourquoi, dit Mgr Bougaud, quand Dieu voulut
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 315
demeurer sur la terre et voiler sa présence sous un
signe qui nous inspirât le respect, il se cacha dans
le pain et le vin, parce que c'était se cacher dans
les sueurs, dans les fatigues, dans les souffrances
et dans le sang de l'humanité. » La chose est plus
qu'évidente. L'agriculture repose sur la loi du
sacrifice.
Or, écoutez ceci. Il y a sur la terre une religion
qui étale sous les yeux des peuples le drapeau du
sacrifice. Il y a une religion qui adore un Dieu
mort sur la croix, et qui, montrant à ses fidèles ce
Dieu immolé, leur dit : « Voilà votre Maître, ado-
rez-le. Voilà votre modèle, imitez-le !» Il y a une
religion qui prend l'homme par la main et qui le
conduit au bonheur éternel par le sentier du sacri-
fice, en lui enseignant que toutes les gouttes de
sueur qui ruissellent de ses membres et toutes les
larmes qui tombent de ses yeux seront là-haut les
perles de son diadème, si elles sont ici-bas sainte-
ment répandues et offertes à Dieu. Il y a une religion
qui est sur la terre le réservoir providentiel et
unique de la vertu, de la résignation, de l'oubli de
soi, de la justice, de la charité, en un mot, du
sacrifice. Eh bien, hommes intelligents et honnêtes
qui m'entendez, quand la société et l'agriculture
en particulier ont tant besoin de sacrifice et ne
vivent que par le sacrifice, pensez-vous qu'il soit
opportun d'en tarir les sources et de soutirer au
peuple de nos villes et de nos campagnes la der-
316 CONFÉRENCES AUX HOMMES
nière sève religieuse qui l'anime encore? Pensez-
vous qu'il soit opportun de déchristianiser toutes
les molécules sociales et de déchaîner sur nos plaines
et sur nos villages le souffle desséchant de l'irréli-
gion? Non, cela n'est pas opportun, et tant que
j'aurai un cœur pour aimer mes semblables et une
voix pour leur parler, je leur dirai : « 0 hommes,
revenez à Dieu, à Jésus-Christ et à l'Eglise. Hommes
de la ville, soyez chrétiens. Et vous surtout, hommes
du travail des champs, aimez la religion et prati-
quez-la. Car l'agriculture repose sur la bénédiction
de Dieu, sur le principe de la propriété, sur la loi
du sacrifice, et l'irréligion n'est bonne qu'à éloigner
la bénédiction de Dieu, à ébranler le principe de la
propriété, à tuer la loi du sacrifice. L'agriculture
ne peut se passer de l'Eglise catholique. »
— Messieurs, quand Jeanne d'Arc, notre immor-
telle libératrice, fut arrivée à l'heure de l'épreuve;
quand, après avoir aimé, servi, délivré sa patrie,
elle eut pour récompense sublime l'honneur d'être
trahie, vendue, calomniée, traînée sur le bûcher
par ceux qu'elle avait sauvés, vous savez ce qu'elle
fit, la tendre vierge, l'intrépide guerrière, la sainte
martyre? Elle avisa un pauvre moine qui pleurait
à côté d'elle, et elle le pria d'aller chercher le
grand Crucifix de l'Eglise et de l'élever devant
elle, à mesure que les flammes monteraient, sûre
d y trouver jusqu'à la fin la force du dévouement
et du sacrifice. Jeanne d'Arc était partie de la
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 317
charrue et avait tenu l'épée, et la croix qui avait
ombragé son berceau et sanctifié sa mission venait
planer encore sur son dernier soupir. Crace, ense
et aratro. La charrue à la base, l'épée au milieu et
la croix au faîte : voilà Jeanne d'Arc tout entière.
Que ce soit aussi la France ! Devant les yeux de
toute la nation, élevons la croix qui seule peut nous
sauver. Élevons-la au-dessus des champs de bataille
et au-dessus des champs où dorment nos moissons,
et donnons-lui à garder l'épée du soldat et la char-
rue du laboureur 1
Amen!
SEPTIÈME CONFÉRENCE
IL — CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE
EN DEHORS DE L 'ÉGLISE
2° l'agriculture et l'irréligion
(suite)
Messieurs,
r
L'Eglise dans le passé a été la grande bienfaitrice
de l'agriculture. Dans le présent, l'agriculture au-
rait grandement tort de vouloir s'émanciper de la
tutelle de la religion. Je voudrais revenir encore
aujourd'hui sur ce sujet. Laissez-moi vous signaler
les trois plaies principales qui ravagent nos cam-
pagnes et vous en indiquer la cause et le remède.
I. La dépopulation des campagnes.
Telle est la première plaie qu'il importe de cons-
tater courageusement, d'approfondir et de guérir
au plus vite
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 310
Le phénomène n'est pas contestable. La France,
autrefois la première nation du monde, n'occupe
plus que le sixième rang avec sa population,
amoindrie d'année en année. L'Allemagne, avec un
territoire à peu près égal au nôtre en étendue et
moins fertile que le nôtre, verra doubler, en cin-
quante ans, le nombre de ses quarante-six millions
d'habitants, tandis que la France mettra deux cent
soixante et onze ans pour voir doubler le nombre
de ses trente-six millions d'âmes, et c'est à peine
si elle peut envoyer dans les colonies, comme de
pâles ombres, quelques rares représentants de la
mère-patrie. Il y a là d'abord un danger national.
évident. Un édit d'Henri IV dit : « La force et la
richesse des États ne consistent pas dans l'étendue
des terres, mais dans le nombre et dans l'aisance
des sujets. » Avec une population stationnaire ou
décroissante, nous offrons une conquête de plus en
plus facile à des peuples plus jeunes qui croissent
cinq fois plus que nous en chiffre et en puissance...
Et si le danger est effrayant au point de vue patrio-
tique, est-il moindre pour chaque famille en par-
ticulier? Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir un peu
partout des fils uniques devenant généralement
des enfants gâtés, impropres au travail et à toutes
les vertus. Vivent les familles nombreuses, dans
lesquelles les enfants sont élevés dans l'habitude
du travail et dans la pensée qu'ils auront à se faire
une position ! Et malheur à ces foyers mornes dans
320 CONFÉRENCES AUX HOMMES
lesquels un ou deux enfants bêtement adulés et
choyés aujourd'hui seront demain la proie facile
de la mort ou du vice! Et, en même temps que la
dépopulation crée un danger national et compromet
l'avenir et l'honneur des familles, elle amène la
décadence agricole. Avec une population qui baisse,
avec la pénurie d'hommes, l'activité s'énerve et
languit, les bras manquent pour le travail des
champs, la main-d'œuvre étant plus rare devient
plus chère, les produits étant moins nombreux de-
viennent plus coûteux, et, en dernière analyse, la
stérilité des familles est une atteinte profonde por-
tée à l'agriculture. Voilà une plaie actuelle, une
plaie vive, une plaie funeste.
D'où vient-elle? Elle vient principalement de
l'irréligion. On veut jouir pour soi; on veut trans-
mettre la jouissance avec la vie; on aime mieux
tarir la vie que restreindre sa propre jouissance ou
celle de ces êtres, de cet être trop souvent unique
qu'on aime d'une tendresse aveugle et basse. Le
mal existe un peu partout. Il existe dans nos cam-
pagnes, et surtout dans les pays riches, dans les
pays où le cultivateur est aisé. Et il existe surtout
dans les pays les moins chrétiens. Tenez, voyez un
peu ces races vigoureuses qui demeurent le réser-
voir de nos forces nationales. Parcourez le massif
montagneux du centre de la France, l'Auvergne,
le Rouergue, le Gévaudan, le Velay, le Forez; gra-
vissez les pentes des Alpes dans cette Savoie deve-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 321
nue française ; fouillez certaines vallées des Pyré-
nées ; explorez les landes de la généreuse Bretagne;
là vous trouverez des familles rurales où la pau-
vreté est extrême et les enfants nombreux. C'est
que, dans ces contrées privilégiées, la loi de Dieu
passe avant tout. On ne s'y défie pas de la Provi-
dence, et la Providence ne trahit pas la confiance
de ses serviteurs. On vit de peu, mais on vit, on
travaille, on fournit à la terre des bras, à la patrie
des défenseurs.
IL La désertion des campagnes.
Telle est la seconde plaie qu'il importe de cons-
tater courageusement, d'approfondir et de guérir
au plus vite.
On déserte les campagnes pour fuir dans les
villes. Ce fléau n'est pas nouveau. Il date du com-
mencement du xvne siècle. Henri IV se plaint déjà
que les nobles abandonnent la campagne. Au
xvme siècle, cette désertion est devenue presque
générale. Aujourd'hui la désertion des campagnes
est un phénomène qui frappe tous les yeux et qui
épouvante tous les observateurs. En dix ans, la po-
pulation rurale a perdu quatre millions d'âmes,
tandis que le nombre des habitants de Paris a
presque triplé depuis un demi-siècle ; et, d'année en
année, l'accroissement de Paris et des grandes villes
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-21
322 CONFÉRENCES AUX HOMMES
continue et s'accentue régulièrement. Cette énorme
pompe aspirante attire sans cesse à elle le sang et
la fortune de la France, au risque d'éclater. La
tendance à fuir le travail des champs s'universalise
de plus en plus. Le paysan n'entend pas que son
fils travaille la terre comme lui; il le pousse pour
le déclasser et le faire monter. Le fils, d'ailleurs,
n'a pas besoin d'être poussé. Il a le dégoût du vil-
lage et le goût de la ville. Partout c'est une fureur
insensée d'obtenir une petite place de commis,
d'employé du Gouvernement, de buraliste, etc., où
l'on sera rivé à sa chaine du matin au soir, réduit
à ne subsister qu'à peine, parfois même à sentir la
misère en habit noir, la plus cruelle de toutes, le
plus souvent condamné à ne jamais créer de fa-
mille et à vieillir dans le plus triste isolement,
quand on pouvait aisément garder son indépen-
dance, vivre au grand air, et s'assurer un avenir
honorable, à la condition facile de mettre vaillam-
ment, comme ses pères, la main à la charrue.
D'où vient ce mal profond, Messieurs, sinon de
l'irréligion, sinon de l'affaiblissement graduel de
l'esprit chrétien et du déchaînement d'ambition, de
vanité et de sensualisme qui en est la suite? En
redevenant païens, nous reprenons les mœurs du
paganisme, c'est-à-dire l'horreur du travail manuel
et la recherche du plaisir sensible. Le fils du paysan
ne veut plus habiter les lieux qu'habitait son père.
Pourquoi? Parce que, comme un cheval débridé,,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 323
en secouant le joug de la religion, il retrouve son
indépendance et la facilité de jouir. Et, quand je
dis qu'il retrouve son indépendance, je n'entends
pas parler de cette noble indépendance de l'homme
qui, debout sur sa motte de terre, échappe aux
servitudes honteuses, j'entends parler de cette folle
indépendance qui commence par le mépris de la
loi divine et qui finit par l'abdication de la dignité
personnelle. Le fils du paysan court aux villes, où
les salaires sont plus élevés, où la voix des ouvriers
est mieux entendue des pouvoirs publics, où la vie
est plus facile et plus abritée qu'à la campagne, où
la licence est moins contrôlée. Il déserte son vil-
lage parce qu'il n'y est plus retenu par les tradi-
tions de labeur, de sobriété et de sacrifice, par les
vieilles traditions religieuses devenues insuppor-
tables à son orgueil et à ses convoitises. Ajoutez à
cela que l'encouragement démesuré donné à l'ins-
truction tend de plus en plus à faire dédaigner la
culture. La multiplicité des déclassés s'accroît avec
le nombre toujours grandissant des diplômés. Si
l'on veut rétablir le règne du bon sens et entraver
la* désertion de nos campagnes, qu'y a-t-il à faire?
Il faut réagir contre l'irréligion qui ruine la vie
agricole en vidant les campagnes au profit des
villes, il faut ramener la société à l'école de l'Évan-
gile, aux exemples et aux leçons du royal ouvrier
Joseph, de la royale ouvrière Marie et du divin
ouvrier Jésus. Il faut revenir à l'Église catholique.
324 CONFÉRENCES AUX HOMMES
III. La démoralisation des campagnes.
Telle est la troisième plaie qu'il importe de cons-
tater courageusement, d'approfondir et de guérir
au plus vite.
L'irréligion démoralise le paysan ; la religion le
transfigure. Contemplez l'homme de la campagne
éclairé, fortifié, consolé, transfiguré par la foi. Son
foyer est pur, sain, beau, riant. Là, l'enfant ne
quitte pas sa mère; il est élevé, soigné, façonné par
elle, et, dès qu'il peut marcher, le premier appren-
tissage qu'il fait de la vie, du travail, c'est en
voyant la sueur au front de son père et en sautant
derrière lui, à travers les sillons. Là, l'homme ne
quitte pas sa compagne, ou, s'il la quitte, c'est pour
la retrouver à midi et le soir quand il revient à pas
lents, épuisé, saluant avec joie le toit qui fume et
les sourires, les tendresses de sa femme et de ses
enfants. Là, le père, la mère et les enfants ne font
qu'un cœur et qu'une âme sous le regard de Dieu
qu'ils adorent ensemble et qu'ils prient d'une- com-
mune voix. Trouvant Dieu dans sa maison qui est
comme un sanctuaire, le paysan chrétien le re-
trouve encore dans la campagne qui lui apparaît
comme un temple. A tous les angles des routes, il
aperçoit en effet la croix du Rédempteur qui est
mort pour nous ; le matin, à midi et le soir, les
doux tintements de F Angélus lui rappellent la pen-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 325
sée de Dieu ; au milieu de son village, il entre voit
sans cesse la flèche de sa vieille église qui se dresse
comme un doigt levé vers le ciel ; et, le dimanche,
les animaux se reposant à l'étable, le laboureur
chrétien prend ses vêtements de fête, et, sa femme
au bras, ses petits enfants dans ses jambes, ses ser-
viteurs autour de lui, il monte, joyeux et grave au
temple du Dieu qui l'attend pour le réconforter et
le bénir. Voilà, Messieurs, ce que fait la religion,
et voilà ce dont la France vit, et voilà ce dont nous
ne pouvons pas nous passer.
Or, l'irréligion est en train de gâter tout cela.
L'irréligion, comme un vent brûlant, décompose et
démoralise nos campagnes. Livré à lui-même, et
vidé de toute idée religieuse, le paysan s'abaisse,
se matérialise et se crétinise. Ses vertus mêmes se
tournent en vices ; sa simplicité devient grossièreté ;
la prévoyance et l'économie dégénèrent en un atta-
chement désordonné aux biens de la terre, et
même en une sordide avarice. Jaloux de ses voi-
sins, il les tient à distance et se réjouit de leurs
revers, au lieu de les aimer comme des frères et de
se solidariser avec eux contre les calamités qui me-
nacent la vie agricole. Il élève des enfants qui ont
tous les défauts des enfants des villes, sans même
en avoir les qualités. Il n'a pas la politesse de l'ou-
vrier citadin, et il en prend toutes les corruptions.
Il oublie le chemin qui mène à sa vieille église où
le vieil Evangile est enseigné par son vieux curé,
326 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et où va-t-il passer la soirée de son dimanche? au
cabaret, au cabaret qui isole l'homme de sa com-
pagne et qui, dès l'adolescence, arrache l'enfant à
son père, au cabaret où il trouve deux liqueurs
malsaines : un mauvais vin qui tue son corps et
un mauvais journal qui empoisonne son âme. La
chose n'est pas plus claire, mais elle est aussi claire
que le jour. L'irréligion n'est bonne qu'à démora-
liser, à vider, à dépeupler nos campagnes.
— Que pouvez-vous faire pour arrêter la dépo-
pulation, la désertion, la démoralisation des cam-
pagnes? Vous ferez des lois. Hélas ! les lois sans
mœurs ne sont que lettre morte, et c'est la religion
qui restaure les mœurs. Toutes les réformes, toutes
les lois supposent la réforme des mœurs, et la ré-
forme des mœurs n'est possible que par le concours
et sous l'influence de l'Eglise catholique. C'est
l'Église qui ennoblit et fait aimer le travail ma-
nuel, le travail des champs. C'est l'Eglise qui est
seule capable de réprimer la cupidité, la vanité, la
pression du luxe et du plaisir, et d'inspirer aux
populations rurales, avec la vertu, le goût de la vie
calme et modeste dont doit se contenter l'homme
deschamps. C'est l'Église qui rapprocherais grands
propriétaires et leurs fermiers et tenanciers par une
communauté d'idées, de langage, d'assistance et
r
d'affection. C'est l'Eglise libre et respectée qui sau-
vera l'agriculture en arrêtant la dépopulation, la
désertion et la démoralisation des campagnes.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 327
N'allez pas croire, Messieurs, que notre agricul-
ture est en progrès par cela seul que çà et là on
établit des fermes-écoles, des comices agricoles, des
syndicats, des cours et des sociétés d'agriculture.
€es moyens sont bons sans doute, et il ne faut pas
les négliger. Mais croire qu'ils sont tout serait
une grave erreur. Pour les progrès de l'agriculture,
il est une chose indispensable, c'est l'amour du tra-
vail, c'est la vertu, et, pour avoir de la vertu, il
faut des croyances et des habitudes religieuses.
Vous ne sortirez pas de là. La décadence d'un
peuple date de ses vices, et ses vices datent de son
irréligion et de son scepticisme. Ainsi se prépare et
s'explique la mort de tous les peuples. Si donc la
France et son agriculture veulent ressusciter et
vivre, qu'elles reviennent à Dieu, à Jésus-Christ et
r
à l'Eglise!
Amenl
HUITIÈME CONFÉRENCE
II. — L'Eglise et l'Industrie
/. — LES INVENTIONS DE L'INDUSTRIE
Messieurs,
L'agriculture est le premier facteur de la richesse
d'un peuple ; l'industrie est le second. L'agricul-
ture travaille le sol et produit la plupart des ma-
tières premières ; l'industrie s'empare de ces pro-
duits bruts et se charge de les élaborer, de les
approprier à nos divers besoins. Trois éléments
entrent dans l'industrie et concourent à sa prospé-
rité : le savant qui invente, le chef qui dirige et
l'ouvrier qui exécute. Parlons aujourd'hui des in-
ventions de l'industrie et voyons comment l'Eglise
les accueille et les encourage. Ce sera une excel-
lente occasion de dissiper beaucoup de préjugés et
de faire la lumière dans beaucoup d'esprits.
I. L'Eglise approuve les inventions de l'Industrie.
L'industrie, aidée par la science, produit des mer-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 329
veilles dont le tableau s'étale sous nos yeux. La
matière est étudiée dans ses lois les plus profondes
et dans ses propriétés les plus diverses, et les forces
productives sont centuplées par un outillage de
plus en plus perfectionné. Voyez, la cité tout en-
tière est illuminée au gaz ou à l'électricité. Au
milieu de cette cité resplendissante, la nuit comme
le jour, s'étalent, dans des galeries immenses, des
draperies, des dentelles, des tapis, des tissus aux
mille couleurs, des soieries d'une merveilleuse
beauté. Et, dans les rues et sur les boulevards de
la grande cité, se déploie sur les épaules du riche et
jusque sur les épaules de la petite ouvrière, une
pompe de vêtements qui eût étonné Rome, Athènes,
et Babylone. Entrons dans cette Exposition uni-
verselle de Paris, de Londres ou de Chicago. Voyez
toutes les inventions du génie qui ont dompté la
nature, multiplié les forces humaines et centuplé
les produits. Voyez ces mécanismes de filature et
de tissage avec leurs milliers de doigts plus ingé-
nieux, plus rapides, plus délicats que les doigts les
plus exercés, se prêter à tous les caprices de la
mode et de la fantaisie. Voyez ailleurs cet autre
mécanisme qui transmet au premier le mouvement
et la vie, cette puissance motrice de la vapeur, qui
permet à un ouvrier de faire le travail de trois cents,
et d'habiller, en un mois, et à peu de frais, tout un
peuple, comme un peuple de rois. Voyez partout
ce merveilleux outillage mis par la science au ser-
330 CONFÉRENCES AUX HOMMES
vice de l'industrie. Certes, l'homme peut abuser de
tout cela, et, nous le verrons, il n'en abuse que
trop souvent. L'industrie mal comprise et mal
dirigée mène à l'orgueil, à la corruption, au paupé-
risme, aux excès les plus lamentables. Est-elle
mauvaise et pernicieuse en elle-même ? Non, mille
fois non.
Les inventions de l'industrie méritent notre admi-
ration et notre reconnaissance . Elles attestent la puis-
sance et la bonté de Dieu qui a caché dans la nature
des énergies inépuisables et bienfaisantes.
Elles viennent de l'intelligence et du travail
humain, et, notre intelligence nous ayant été donnée
oomme un talent à faire fructifier, n'avons-nous
pas le droit et le devoir de nous en servir pour
exploiter la nature? Et, le travail étant un besoin,
une obligation naturelle et religieuse, et, par consé-
quent, un bien, l'industrie qui est le perfectionne-
ment du travail pourrait-elle être un mal ?
Les inventions de l'industrie améliorent les con-
ditions'matérielles de notre existence. Une fabri-
cation plus savante donne aux produits une forme
plus adaptée à nos besoins, et une fabrication plus
économique met ces mêmes produits à la portée
d'un plus grand nombre.
Enfin le perfectionnement des méthodes produit
une épargne de temps, de fatigues, de dépenses.
Or n'est-il pas bon que, moins absorbé par les soins
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 331
du corps, l'homme ait le loisir de lever son front
vers le ciel et de s'occuper un peu de la culture de
son âme? L'excès de la jouissance est un danger;
mais l'excès de la peine et de la gêne est un danger
égal; et il faut souhaiter que l'industrie soit suf-
fisamment prospère pour procurer à la masse de
la pauvre humanité une certaine somme de bien-
être qui lui permette de se rappeler qu'elle a une
âme. Je plains le peuple qui est tellement absorbé
par le souci du pain quotidien et tellement écrasé
sous le fardeau du travail journalier qu'il n'a plus
à donner ni une minute ni une pensée à la vie
morale et supra-sensible. Et, par conséquent, je
bénis l'industrie qui, en améliorant notre existence
matérielle, améliore par là même notre existence
spirituelle. Parmi les conquêtes qui s'offrent à
l'ambition de l'homme je n'en connais pas de plus
innocentes, de plus honorables, de plus utiles en
elles-mêmes que celles de l'industrie, et je n'hésite
pas à placer au-dessus de tous les Alexandre passés
et futurs l'homme de génie qui, au lieu de fonder
sa propre grandeur sur le ravage des royaumes, le
massacre et l'humiliation de ses semblables, leur
apprend l'art de mieux régner sur la nature et d'en
extraire avec plus d'abondance et moins de sueurs
des moyens d'existence.
L'Eglise approuve et bénit les inventions de l'in-
dustrie. L'a-t-on jamais entendue condamner les
332 CONFÉRENCES AUX HOMMES
bateaux à vapeur, le télégraphe, le gaz, l'impri-
merie, la photographie, la métallurgie, le téléphone,
et toutes les merveilleuses applications de ces admi-
rables choses? L'a-t-on jamais entendue condamner
les expositions universelles, les grandes spécula-
tions de l'industrie, les gigantesques machines et
les gigantesques produits qui sortent de ces ma-
chines? Non. L'Eglise ne blâme pas les conquêtes
de la science appliquée à l'industrie, elle ne blâme
que l'immoral emploi que l'homme serait tenté de
faire de ces conquêtes. Messieurs les savants, Mes-
sieurs les industriels, soyez les rois de la création,
mais n'oubliez pas que vous êtes les sujets du Créa-
teur, et au-dessus de vos arts et métiers, au-dessus
de vos sciences et de vos inventions, mettez le res-
pect de Dieu, l'élévation des sentiments et la pu-
reté de la vie! Voilà ce qu'enseigne l'Église. C'est
le bon sens même. Elle approuve et bénit les inven-
tions de l'industrie. Ce n'est pas assez dire :
II. L'Eglise stimule les inventions de l'industrie.
Par sa doctrine, par son exemple, par sa coopé-
ration l'Eglise a travaillé efficacement au progrès
de Tindustrie.
1° Par sa doctrine, l'Eglise a fondé le travail
libre. Les païens méprisaient le travail de l'atelier.
Les philosophes grecs et romains ne s'en cachent
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 333
pas. Le grave Aristote recommande aux hommes
libres « de ne pas courber leur droite stature à ces
rudes labeurs pour lesquels la nature a fait le corps
des animaux et des esclaves ». Un Romain aurait
rougi de se faire artisan. Cicéron écrit à son fils
Quintus, que tous ceux qui vivent d'un travail mer-
cenaire font un métier dégradant, et que jamais
un sentiment noble ne peut naître dans une bou-
tique. Sénèque s'indigne avec son disciple Lucilius
qu'on ait osé attribuer aux philosophes l'invention
des arts. « Cette invention, s'écrie-t-il, appartient
aux plus vils esclaves. La sagesse habite des lieux
plus élevés ; elle ne forme pas les mains au tra-
vail ; elle ne fabrique pas des ustensiles pour les
usages de la vie. Pourquoi lui assigner un rôle si
humble? » Ainsi pensait la sagesse antique. A ses
yeux, les métiers avaient leurs origines dans l'es-
clavage et revêtaient un caractère avilissant. Une
telle doctrine n'était guère favorable au développe-
ment de l'industrie.
L'Église est venue, et qu'a-t-elle fait? Elle a balayé
de son souffle la sagesse antique, elle a montré son
divin fondateur travaillant pendant trente ans dans
un atelier, elle a proclamé la dignité du travail et,
en affranchissant les esclaves, elle a fondé le travail
libre, le travail libre, c'est-à-dire le principe du pro-
grès industriel. « Cette grande innovation du tra-
vail libre et volontaire, dit Michelet, sera la base
de l'industrie moderne. » « L'industrie, dit Guizot,
334 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sortit de la domesticité et, au lieu d'artisans esclaves
il se forma des artisans libres qui travaillèrent non
pour un maître, mais pour le public et à leur pro-
fit. Ce fut un immense changement dans la société
et surtout dans son avenir. » Or, Messieurs, qui
a fait ce changement, qui, sinon l'Église? N'est-ce
pas elle qui a apporté aux hommes la liberté, qui l'a
implantée dans les mœurs, qui l'a fait prévaloir dans
les lois et dans les institutions sociales, posant ainsi
au milieu du monde régénéré la cause première du
progrès industriel? Elle a fait plus encore.
2° Par son exemple, l'Eglise a créé l'union de la
science et du travail. Le travail ne peut rien sans
la science. Pour que le progrès se fasse en matière
d'industrie, il faut que la science et le travail soient
en contact l'un avec l'autre. Si le savant, l'homme
instruit, l'homme qui a lu ou voyagé est en même
temps un délicat de l'ancienne Rome, un beau
rhéteur à la chevelure parfumée, à la toge symé-
triquement arrangée sur ses épaules, soyez sûrs
que, tout occupé de ses petits succès personnels
et de la vie de festin, il ne se demandera pas s'il y
aurait dans la science le secret de tel procédé propre
à faciliter la besogne de cet esclave qui travaille
loin de lui, dans son ergastule, les pieds dans les
entraves et le front marqué d'un stigmate. Et l'es-
clave, de son côté, qui travaille pour son maître et
nullement pour lui-même, qui n'est point maître
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 33!>
et n'a nul espoir de le devenir, ne s'inquiète pas
beaucoup de savoir si, grâce à tel ou tel procédé
nouveau, la denrée fabriquée par lui tournera à
son profit personnel et à l'avantage de son maître.
Quand l'atelier de l'ouvrier et le cabinet du savant
ne se connaissent pas, c'est l'arrêt, le recul, la
mort de l'industrie. Je vous indique, dans ces
quelques mots, la cause profonde de l'incapacité
industrielle du monde païen. Voyez : cet empire
romain qui avait derrière lui toute la science de la
Grèce et de l'Orient, qui unissait tant de peuples
divers par des relations fréquentes et pacifiques,
n'a pourtant pas, pendant les longs siècles de sa
durée, fait faire un seul pas un peu marqué à l'in-
dustrie. Payant un énorme tribut, dont il se plaint,
aux populations de llnde qui lui vendaient la soier
il n'a pas eu l'idée de leur emprunter le ver à soie
et de le naturaliser sur son propre sol ; cette idée
n'est venue qu'aux temps chrétiens, au vie siècle. Il
n'a pas su se faire donner le café par l'Arabie, sa
sujette, ni emprunter à l'Inde, sa voisine, le sucre
dont Pline nous donne cependant la description. Il
n'a pas su emprunter la boussole aux Chinois, avec
lesquels il était en communications au moins
indirectes. Il n'aurait eu guère qu'une denrée un
peu importante à exploiter, c'était le vin, et il fai-
sait arracher les vignes de la Gaule. En somme, les
progrès industriels sont nuls dans le paganisme.
Et cela venait de l'état social qui était faux, qui
336 • CONFÉRENCES AUX HOMMES
était mauvais, qui était injuste, qui mettait un
abîme entre la science et le travail, entre les patri-
ciens et les esclaves.
L'Église est venue, et qu'a-t-elle fait? Par son
exemple, elle a changé cet état social : non contente
de proclamer la fraternité des hommes, elle les a
rapprochés dans les mêmes travaux, dans les
mômes entreprises, dans les mêmes initiatives. Elle
a attelé à la même œuvre les grands et les petits,
les savants et les ignorants. Dans ses monastères
d'abord, puis au grand jour de la vie sociale, elle a
associé les fils des grands seigneurs et les enfants
du peuple. Elle a créé l'union de la science et du
travail, et le progrès industriel a pris son essor.
Voyez-la à l'œuvre.
3° Par sa coopération, l'Eglise a favorisé le pro-
grès de l'industrie. Les monastères n'ont pas été
seulement des maisons de prières et d'étude, ils
ont été encore presque toujours et presque partout
des fermes modèles et des ateliers modèles. « Ce
refuge des livres et du savoir, dit A. Thierry, abri-
tait des ateliers de tout genre. » « Il y avait parmi
les religieux, dit Montalembert, des familles entières
de tisserands, de charpentiers, de corroyeurs,
de tailleurs, de foulons. » Les religieux faisaient
des souliers, foulaient des draps, tressaient des
paniers, en même temps qu'ils copiaient des livres
et qu'ils cultivaient la terre. Les Barbares, qui ne
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 337
méprisaient pas moins que les anciens le travail
manuel, apprirent de l'Église, à leur arrivée en
Gaule, en Italie, en Espagne, combien les arts et
métiers étaient chose noble et respectable. Etn'est-ce
pas sous le souffle et pour ainsi dire sur le cœur de
l'Eglise que sont nées, au moyen âge, ces admirables
corporations qui ont été comme le premier épanouis-
sement de la vie industrielle dans le monde nou-
veau reconstitué par Jésus-Christ?
Enfin, Messieurs, si nous voulions parcourir toutes
les inventions de l'industrie moderne, il nous serait
facile de constater que les premiers pas dans le
champ des grandes découvertes scientifiques indus-
trielles ont été faits au xvne et au xvme siècle, c'est-
à-dire à une époque où l'Eglise tenait la première
place dans l'enseignement; que beaucoup d'inven-
teurs renommés de notre temps et des temps passés
ont été les disciples fidèles et les fils dévoués de
r
l'Eglise catholique, et que jamais leur foi de chré-
tiens n'a été un obstacle à l'essor de leur génie... Et
à l'heure qu'il est, en France et partout, ne pourrions-
nous pas citer un nombre incalculable d'hommes,
connus et respectés de tous, qui sont en même temps
des chrétiens et des savants, des catholiques parfaits
et des industriels éminents ? L'Eglise approuve, bénit,
encourage et favorise l'industrie.
Amen!
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-22
NEUVIEME CONFÉRENCE
II. — LES CHEFS DE L'INDUSTRIE
Messieurs,
L'Eglise approuve et stimule les inventions de
l'industrie. Aujourd'hui, considérons dans l'indus-
trie les chefs qui la dirigent et voyons comment
l'intervention de l'Eglise leur est utile et néces-
saire. Les chefs de l'industrie sont en présence de
deux objectifs bien distincts : une maison à faire
prospérer, des ouvriers à employer et à conduire ;
et voici les deux grandes leçons que la religion
leur inculque : 1° dans la direction de vos affaires,
soyez actifs et modérés; 2° à l'égard de vos ouvriers
soyez justes et charitables. Nous entrons en plein
dans la question sociale. Nous allons voir que
l'Eglise seule peut en donner la solution.
I. L'activité et la, modération dans la direction
de leurs affaires.
Telle est la première chose que l'Eglise demande
aux chefs de l'industrie.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 339
L'Eglise est raisonnable et intelligente, et le
premier mot qu'elle adresse aux chefs d'indus-
trie est celui-ci: Travaillez! Oui, l'industriel doit
travailler : 1° c'est son devoir. Car la loi du travail
est universelle, elle atteint le riche aussi bien que
le pauvre, et la vraie piété consiste moins dans la
longueur des oraisons, que dans une application
constante aux obligations de son état. L'industriel
doit travailler : 2° c'est son droit. Car il a une
intelligence et une volonté, il a une fortune et une
situation acquise qui sont à lui et dont il a, par
conséquent, la libre disposition. Laissez donc la
source jaillir et le fleuve couler pour le plus grand
bien des vallées et des plaines qui vont être arrosées
et fécondées. L'industriel doit travailler : 3° c'est
l'intérêt de tous. Je souhaite aux riches des sillons
plus vastes encore, le blé sera plus abondant pour
le pauvre ; des prairies plus fertiles, il multipliera
pour le pauvre les animaux qui le servent, et la
chair qui le nourrit. Je souhaite aux industriels des
tissages et des filatures encore plus perfectionnés
qui abaisseront le prix des vêtements et mettront à
la portée de tout le monde le drap et le mérinos.
Je souhaite à tous les métiers une prospérité gran-
dissante, de sorte que le travail abonde pour tous
les ouvriers, de sorte que, en produisant plus vite
et à meilleur marché, nous puissions, du même
coup, enrichir la nation et éclipser les peuples
rivaux. L'industrie, loin de nuire à l'homme et à
340 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la société, en est la gloire, la parure et la richesse.
Qu'importe que la vanité et la corruption en
abusent? Allons-nous maudire l'arbre et le con-
damner au feu, parce qu'on y cueille des fruits de
mort aussi bien que des fruits de vie? On abuse de
tout. On abuse des lettres, des sciences et des arts.
On abuse de la santé, on abuse du vin, qui est le
royal breuvage de l'homme, et, pour quelques-uns,
le moyen de se dégrader et de s'abrutir. On abuse
de l'industrie. Est-ce une raison de la proscrire?
Non. C'est simplement un motif de la conduire
avec prudence et discrétion. Aussi l'Eglise, inspi-
rée de Dieu et guidée parla foi, après avoir dit aux
chefs d'industrie : Travaillez ! leur adresse une
seconde parole.
Elle leur dit : modération! Subordonnez votre travail
au salut de votre âme, à la loi de Dieu et aux be-
soins de vos ouvriers. Tels sont les grands principes
qui doivent éclairer et diriger l'industriel chrétien.
Au milieu des vastes machines qu'il met en
mouvement et des spéculations nouvelles qu'il pro-
jette de jour en jour, il se possède, il se contient,
il se modère, et il n'oublie point le salut de son
âme. Pourquoi sommes-nous sur la terre ? Ana-
xagore répondait : « Pour contempler le soleil. »
Socrate répondait : « Pour apprendre à mourir. »
Épicure répondait : « Pour goûter des plaisirs. »
Zenon répondait : « Pour braver des douleurs. » Et
beaucoup d'hommes qui ne sont pas des philosophes
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 34f
et encore moins des chrétiens répondent : « Pour
gagner de l'argent. » Eh bien, non, ce n'est pas
cela. Nous sommes sur la terre pour faire notre
salut, pour sauver notre âme. «Que sert à l'homme
de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme?»
A quoi bon monopoliser une fortune dont le prin-
cipal eiîet, après votre mort, sera de vous faire ou-
blier? A quoi bon brasser des affaires, et leur sacri-
fier l'affaire unique et essentielle qui est l'éternité?
Ce serait jeter l'or et ramasser des cailloux.
L'industriel chrétien, au sein de sa vie laborieuse,
se rappelle qu'il a une âme à sauver, encore plus
qu'une fortune à gagner.
Et alors il accommode sa vie, ses entreprises, ses
labeurs aux exigences de la loi de Dieu. Tout en
s'efforçant de préparer à ses vieux jours une large
aisance et à ses enfants une situation équivalente
et même supérieure à la sienne, tout en travaillant
à perfectionner son outillage et ses produits, à
suivre et même à dépasser ses rivaux dans la
même industrie, il a bien soin de respecter les
règles de la probité la plus sévère ; il observe le
repos du dimanche; il évite le luxe exagéré qui
n'aurait d'autre but que de satisfaire ses passions
et de les aiguiser sans cesse ; il se tient à distance
de l'orgueil et de la volupté, qui sont les deux
grandes tentations de la richesse ; entouré de toutes
les faveurs du bien-être, il les subit plus qu'il n'y
attache son cœur
342 CONFÉRENCES AUX HOMMES
r
Admirez, Messieurs, l'influence de l'Eglise. Elle
protège nos manufactures en les couvrant du signe
de la croix. Elle sauve l'industrie en la christiani-
sant. Elle ne détruit rien, elle règle et sanctifie
tout. Elle a civilisé la 'barbarie féodale sans faire
verser une goutte de sang, sans incendier un seul
château ; elle peut seule corriger sans violence les
écarts de l'industrialisme, le sauver de ses excès en
lui imprimant une direction conforme à la loi
divine et au vœu de l'humanité. Elle agit sur les
chefs d'industrie, et, après leur avoir demandé
l'activité et la modération dans le maniement de
leurs affaires, elle leur inspire et leur demande
II. La justice et la charité à l'égard de leurs
ouvriers.
La matière est délicate et, pour éviter tout écart
de langage, je vais me dérober derrière une autorité
qui me dépasse et qui s'impose à tous. Ecoutez le
grand Pape Léon XIII dans son encyclique sur
la Condition des ouvriers.
Léon XIII trace d'une main magistrale Yidéal de
^industriel chrétien. « Quant aux riches et aux
patrons, dit-il, ils ne doivent point traiter l'ouvrier
en esclave ; il est juste qu'ils respectent en lui la
dignité de l'homme relevée encore par celle du
chrétien. Le travail du corps, au témoignage com-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 3*3
mun de la raison et de la philosophie chrétienne,
loin d'être un sujet de honte, fait honneur à
l'homme, parce qu'il lui fournit un noble moyen
de sustenter sa vie. Ce qui est honteux et inhumain,
c'est d'user de l'homme comme d'un vil instrument
de lucre, de ne l'estimer qu'en proportion de la
vigueur de ses bras. Le christianisme, en outre,
prescrit qu'il soit tenu compte des intérêts spirituels
de l'ouvrier et du bien de son âme. Aux maîtres il
revient de veiller qu'il y soit donné pleine satisfac-
tion; que l'ouvrier ne soit point livré à la séduction
et aux sollicitations corruptrices; que rien ne vienne
affaiblir en lui l'esprit de famille, ni les habitudes
d'économie. Défense encore aux maîtres d'imposer
à leurs subordonnés un travail au-dessus de leurs
forces ou en désaccord avec leur âge ou leur sexe.
Mais, parmi les principaux devoirs du patron, il
faut mettre au premier rang celui de donner à
chacun le salaire qui convient. Assurément, pour
faire la juste mesure du salaire, il y a de nombreux
points de vue à considérer, mais d'une manière
générale que le riche et le patron se souviennent
qu'exploiter la pauvreté et la misère et spéculer sur
l'indigence sont choses que réprouvent également
les lois divines et humaines. » Et le pape continue
en proscrivant sans pitié les manœuvres usuraires
qui dévorent l'épargne du pauvre, le travail du
dimanche qui tue en même temps le corps et l'âme
de l'ouvrier ; et dans des pages qui sont admirables
344 CONFÉRENCES AUX HOMMES
dès aujourd'hui, et qui seront la vivante lumière de
demain, il esquisse un à un tous les traits de l'in
dustriel chrétien, lequel s' inspirant de la justice et
de la charité évangélique, respecte religieusement
la vie matérielle, morale et religieuse des classes
populaires. L'Église catholique, Messieurs, est
splendide dans ses enseignements.
Elle nous dit que la Providence, ayant destiné
tous les hommes à vivre en société, a fait du genre
humain une immense famille, où ceux qui ont la
supériorité de l'intelligence, de la richesse et des
emplois doivent tendre la main aux ignorants, aux
pauvres et aux petits.
Elle nous dit que les conditions sociales sont et
resteront nécessairement inégales, mais qu'elles
doivent cependant se concilier et s'harmoniser par
la pratique de la justice mutuelle et de la frater-
nité chrétienne, et que, dans cette œuvre de soli-
darité, il appartient à ceux qui sont en haut de
venir simplement vers ceux qui sont en bas.
Elle nous dit que l'industriel n'est pas quitte
envers ses ouvriers, quand ses machines marchent
bien et quand il a payé loyalement le salaire con-
venu, mais qu'il a envers eux d'autres devoirs à
remplir, qu'il a charge, dans une certaine mesure,
de leur corps et de leur âme.
Elle nous dit que» l'industriel est un véritable
père qui doit traiter ses ouvriers comme une
seconde famille. Donc il se préoccupera de leurs
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 345-
intérêts matériels. Dans la fixation des salaires, il
tiendra compte à la fois de la tâche accomplie et
des besoins de chacun. Il réglera la durée du tra-
vail sur la moyenne des forces humaines. Il n'ad-
mettra les enfants à l'apprentissage qu'à un âge
raisonnable. Il établira ou il favorisera des caisses
d'épargne, des caisses de retraite, des sociétés de
secours , mutuels, ou autres institutions écono-
miques pour les temps de maladie, d'infirmités,
de vieillesse ou de chômage forcé. En un mot, il
veillera à l'amélioration du bien-être des ouvriers
et, se rappelant surtout qu'ils ont une âme
créée à l'image de Dieu et que cette âme a des
besoins nobles et impérieux, il exercera sur eux
paternellement et amicalement une action reli-
gieuse et moralisatrice.
Il fera en sorte que l'ouvrier et ses enfants soient
instruits et chrétiennement élevés. Il favorisera la
diffusion des sciences utiles et le redressement des
erreurs populaires. L'immoralité est la source
principale de la misère. Donc l'industriel défendra
ses ouvriers contre ce péril toujours menaçant. II
évitera le plus possible, au sein de l'atelier, ce
mélange hideux des âges et des sexes, qui semble
une provocation directe au libertinage ; il n'admet-
tra dans son personnel aucun membre nouveau
qui serait capable de corrompre tout l'atelier ; il
renverra impitoyablement les incorrigibles, les
scandaleux ou les tyrans qui font peser sur leurs
346 CONFÉRENCES AUX HOMMES
compagnons l'oppression de l'impiété, de la dé-
bauche ou du mauvais esprit; par d'affectueuses
remontrances et par d'habiles précautions il sauve-
gardera la décence des conversations, des lectures,
des compagnies et des divertissements. Enfin, par
ses exemples de simplicité, son horreur du luxe et
toute une conduite de vertu, il accréditera dans sa
maison le règne de la moralité; par une douceur
affectueuse et une familiarité toujours digne, il
apportera le remède le plus efficace au sentiment
de l'envie, ce mal cuisant qui irrite sans cesse les
petits contre les grands; aimant ses ouvriers
comme ses enfants, il aura, pour travailler à leur
amélioration matérielle et morale, cette perspica-
cité et ces mille inspirations du cœur que les règle-
ments et les livres n'indiquent jamais.
Et alors, o merveille ! unis à leur maître comme
à un père, les ouvriers seront unis entre eux comme
des frères. Les ouvriers et les maîtres ne formeront
plus deux classes séparées, jalouses et hostiles; ils
ne formeront qu'un seul corps dont le maître sera
la tête et les ouvriers les membres ; ou plutôt ils
ne formeront qu'une seule et même famille dont le
maître sera le patriarche ou le père, et dont les
ouvriers seront les enfants. Voilà l'idéal que nous
présente la Keligion. Il est splendide !
Cet idéal est-il réalisable? Pourquoi pas? Il suf-
firait pour celad'obéirà l'Eglise. Hommes, vous vous
plaignez sans cesse que tout va mal, qup la société
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 347
se désorganise et que la lutte entre les classes est
un feu ardent qui crépite et qui va tout embraser.
Revenez donc à l'Eglise. Elle seule peut tout
remettre en place. Cet idéal que je viens de vous
tracer et qui vous semble irréalisable avec les
mille passions humaines, cet idéal que vous rélé-
guez dans le pays des chimères et des utopies, on
l'a vu se réaliser autrefois, au moins partiellement,
sous l'influence de l'Eglise ; on a vu cette union des
ouvriers et des maîtres formant ensemble un seul
corps et une seule âme : c'était la corporation. On
a vu des ouvriers formant avec leur chef une
famille, dont le chef était le père ou le patron, et
dont les ouvriers étaient les enfants et les frères :
c'était la confrérie. Nous reviendrons plus tard sur
cet important sujet. Mais dès aujourd'hui j'ai le
droit de vous dire : « Pourquoi ne ferions-nous
pas ce qu'ont fait nos pères? Il n'est point néces-
saire, et il ne serait pas possible de ressusciter les
anciennes corporations. Mais il est nécessaire et il
est facile de ressusciter l'esprit de justice sociale
et de charité chrétienne qui animait les anciennes
corporations. Revenez à l'Église, et la question
sociale sera résolue! »
Amenl
DIXIEME CONFERENCE
///. -- LES OUVRIERS DE VINDUSIRIE
Messieurs,
Après avoir considéré les inventions qui font
vivre et progresser l'industrie, et les chefs qui la
dirigent et l'exploitent, il nous reste à étudier un
troisième et essentiel élément : l'ouvrier qui exécute
les travaux de l'entrepreneur ou du chef d'indus-
trie. Ici il y a trop à dire. Je n'aurai pas le temps
de tout dire. Cependant je veux en dire assez pour
vous faire réfléchir et pour former dans vos esprits
cette conviction que l'influence de l'Eglise est ab-
solument nécessaire aux ouvriers de l'industrie.
Entrons en matière.
I. L'Eglise ennoblit le travail de l'ouvrier.
Le travail, Messieurs, est une loi et une loi de
sacrifice. Le travail de la tête est rude : l'intelli-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 349
gence est une Eve qui enfante dans la douleur. Le
travail du corps n'est pas moins rude, et, en appa-
rence du moins, il déprime l'homme en le tenant
courbé vers la terre ou cloué à un métier. Que fait
l'Église? Elle fait ce que personne ne peut faire à
sa place. Elle réhabilite le travail manuel. C'est
sublime !
L'Eglise paille. Elle dit à l'ouvrier qu'il n'est
point un vil instrument de production comme le
fer ou le bois, ou une bête de somme, mais qu'il
a, comme son maître, une âme raisonnable et im-
mortelle, plus grande que le temps et l'espace;
qu'il vient de Dieu et qu'il va à Dieu ; qu'il est le
frère du riche et qu'il peut être son supérieur par
la vertu; que la vertu seule est la mesure de la
véritable grandeur; que le travail manuel, par les
difficultés mêmes dont il est inséparable, est mer-
veilleusement propre à faire pratiquer la vertu et
peut, par conséquent, élever l'homme à la plus
haute grandeur morale.
r
Et, non contente de parler, l'Eglise donne V exemple.
Elle réhabilite le travail manuel en le montrant
dans les moines uni parfois au plus vaste savoir
et à la plus illustre naissance. On voit saint Ber-
nard bêcher la terre, couper du bois,' le porter sur
ses épaules... Quelle leçon que l'exemple de ce
descendant illustre d'une illustre famille, de ce
grand docteur, cette lumière du monde, ce pacifica-
teur tout-puissant de l'Eglise et des empires, qui
3r»0 CONFÉRENCES AUX HOMMES
trouve un charme infini dans les abaissements vo-
lontaires du travail manuel !
Et, en même temps que l'Eglise réhabilite le tra-
vail manuel par sa doctrine et par ses exemples,
elle le canonise et le déifie. Elle place sur ses au-
tels les cendres des saints ouvriers comme celles
de saint Grépin et saint Grépinien, et elle demande
aux rois et aux reines de se mettre à genoux devant
ces restes vénérés. Elle grave l'image des saints
ouvriers sur des bannières triomphantes qui se
déploient dans de royales processions au jour de
grandes solennités, et derrière ces images sacrées
on voit tout un peuple qui chante et qui prie, qui
acclame le travail manuel couronné dans le ciel
des splendeurs éternelles et glorifié sur la terre
par les communs hommages des petits et des
grands. Comment en eût-il été autrement ? Avant
de resplendir dans les saints, le travail manuel
avait été déifié dans la personne du Christ. ^ Que
ceux qui travaillent de leurs mains se réjouissent,
dit Bossuet, Jésus-Christ est de leur corps. » Mes-
sieurs, toutes les tirades les plus pompeuses, toutes
les médailles et récompenses ne vaudront jamais
pour la classe ouvrière l'honneur qui rejaillit sur
elle des souvenirs de l'Incarnation et de l'ennoblis-
sement du travail manuel par le Fils de Dieu lui-
même. Dans l'ouvrier penché sur son enclume ou
courbé sur son sillon, relevant vers le ciel son
front ruisselant et sa poitrine haletante, je vois et
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 351
j'adore le Christ, le divin charpentier, et je me
demande s'il était possible d'élever le travail de
Tatelier à un honneur plus sublime, et à une plus
grande hauteur. Non, cela n'était pas possible. Il n'y
a que l'Eglise pour ennoblir ainsi le travail ma-
nuel. C'est déjà beaucoup. Voici encore davantage.
II. L'Église favorise l'épargne de l'ouvrier.
L'ouvrier doit économiser . Il accepte d'abord la
loi du travail; puis il vit, lui et sa famille, des
fruits de son travail ; et enfin, pour soutenir sa
vieillesse, pour subvenir à ses besoins imprévus,
pour établir ses enfants, il doit économiser. N'exa-
gérons rien. Il ne le peut pas toujours. La maladie,
le chômage, les charges d'une nombreuse famille à
élever lui permettent à peine de suffire aux néces-
sités quotidiennes. Mais il le peut souvent. La pré-
voyance et l'épargne sont des vertus qui honorent
beaucoup plus que l'assistance précaire qui lui vient
de la charité. Ah ! si j'étais ouvrier, je sais bien
ce que je ferais. Je ferais comme j'en connais beau-
coup qui mangent noblement le pain qu'ils ont no-
blement gagné, qui conquirent à la pointe de leur
outil la nourriture, le vêtement et l'habitation de
leur famille, et qui, par des efforts sublimes et
bénis de Dieu, finissent par se procurer une hon-
nête aisance. L'ouvrier ne peut pas toujours écono-
352 CONFÉRENCES AUX HOMMES
miser; mais il le peut souvent, et, quand il le peut,
il le doit ; c'est son devoir, et c'est sa gloire.
Pour économiser, l'ouvrier doit être moral et re-
ligieux. — La mesure de l'épargne parmi les ou-
vriers est la mesure même de leur esprit moral et
religieux. C'est l'abnégation qui produit l'épargne,
et c'est la religion qui produit l'abnégation. J'ai dit
la vérité aux chefs de l'industrie. Je dois la dire
également aux ouvriers de l'industrie, et je vais
vous apporter non pas des phrases qui ne seraient
bonnes qu'à vous éblouir, mais des faits et ,des
chiffres qui seront capables de vous instruire et de
vous faire trembler.
Savez-vous combien la population française ab-
sorbe d'alcool? Plus d'un million et demi d'hecto-
litres. Cette énorme consommation représente une
dépense d'un milliard six cents millions de francs
au minimum, qui est supportée presque exclusive-
ment par la classe ouvrière. Nombre d'ouvriers
dans la Seine-Inférieure et dans le Pas-de-Calais
emploient en alcool deux francs par jour sur un
salaire de quatre francs. Et la moitié de cette ef-
frayante consommation de l'alcool se fait au cabaret.
Savez-vous combien nous avons en France de
cabarets? Quatre cent cinquante mille. Gela fait, en
moyenne, un débit de boissons pour quatre-vingt-six
habitants : hommes, femmes ou enfants. Dans la
Somme, il y en a un pour soixante habitants, et
dans le Nord, un pour quarante-six. Dans les pays
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 353
industriels et miniers du Nord, vous trouvez un
cabaret sur trois maisons. A Carmaux, il y a cent
trente et un cabarets pour 9.000 âmes. Allez dans
les quartiers ouvriers de Paris ; les boutiques de
marchands de vin se touchent. Et c'est peut-être
par cent litres qu'on peut chiffrer dans ces régions
spéciales la consommation individuelle et annuelle
<de l'alcool. Nous cherchons des noms ambitieux
pour notre siècle. Appelons-le donc tout bonne-
ment le siècle de l'alcool. Cette épithète explique
à elle seule bien des choses.
Avez-vous réfléchi aux conséquences qui découlent
du phénomène hideux que je viens de vous signa-
ler? Au point de vue moral et au point de vue
matériel, l'alcool dégrade et abrutit l'homme. Il
pervertit les idées, il ruine la santé, il rend
l'épargne impossible; on en consomme, en France,
pour un milliard six cent millions de francs ;
mais il faut doubler cette somme et la porter à
trois milliards pour évaluer la perte totale qu'en-
traîne l'alcoolisme sous forme d'incapacité de tra-
vail, maladies, démences, crimes et suicides, morts
lentes ou accidentelles. Si la dynamite faisait sau-
ter la moitié de Paris et si un peuple donnait le
signal d'une guerre universelle, ni la dynamite ni
ce peuple n'arriveraient à causer à notre race
autant de désastres réels que lui en inflige le
liquide frelaté qui tombe par torrents sur notre
génération. Et je comprends la parole qu'écrivait
LES BIENFAITS DE l/ÉGLISE. — 1-23
354 • CONFÉRENCES AUX HOMMES
dernièrement un publiciste : « Quand je traverse
vers l'heure du dîner les boulevards bordés de
verres d'absinthe, j'ai envie d'y planter le bout de
ma canne, dans ces verres, pour en dégoûter les
pauvres gens qui se détériorent consciencieusement
le cerveau et la moelle épinière. » Est-ce clair?
L'ouvrier, quand c'est possible, doit économiser;
et, pour économiser, l'ouvrier doit être moral et
religieux. Vous avez la prétention de vous passer
de la religion? Répondez-moi:
Quels moyens avez-vous, en dehors de la religion,
pour favoriser l'épargne? Vous n'avez que des
moyens absolument insuffisants.
Vous augmenterez les salaires? Si c'est possible,:
je ne demande pas mieux. Mais veuillez faire atten-
tion à ceci. Ce n'est pas toujours l'augmentation
du salaire qui amène l'épargne. Si l'ouvrier n'est
ni moral ni religieux, vous aurez beau augmenter
son salaire, vous n'augmenterez pas ses économies.
Il y a, à Paris, des ouvriers qui gagnent douze ou
quinze francs par jour, et qui n'en sont pas plus
riches pour cela, et qui sont criblés de dettes, tan-
dis que je vous citerai de bons ouvriers de ma
paroisse qui, avec quatre ou cinq francs de salaire
quotidien, élèvent glorieusement leurs enfants et
font de petites économies. Je lisais dernièrement
qu'une famille de verriers, des environs de Car-
maux, dont le père et les deux fils gagnaient mille
LES BIENFAITS DB L'ÉGLISE 355
francs par mois à eux trois, n'était jamais parvenue
à se meubler. Comment voulez-vous que l'ouvrier,
même largement rétribué, fasse des économies, s'il
n'est ni moral ni religieux, s'il gaspille dans la
débauche le plus clair de ses gains?
Quel autre moyen avez-vous donc, en dehors de
la religion pour produire et favoriser l'épargne ?
Vous ouvrirez des écoles, dites-vous. Soyons sérieux.
Si l'école n'est pas religieuse, si elle n'est pas toute
pénétrée de christianisme, elle est impuissante à
moraliser l'enfant du peuple; la lecture, l'écriture
et le calcul ne possèdent par eux-mêmes aucune
vertu secrète pour former le moral de l'homme; et
les statistiques de la justice criminelle nous disent
que la progression- dans le nombre des jeunes pré-
venus a suivi l'accroissement du nombre des écoles.
Et puis l'instruction développée démesurément,
outre qu'elle ne prévient pas la misère, ne sert au
contraire qu'à l'augmenter en créant des besoins
nouveaux, en inspirant le mépris des professions
mécaniques et en multipliant le nombre des déclas-
sés. Non, Messieurs, l'école toute seule n'est pas
capable de produire et de favoriser l'épargne de
l'ouvrier. Que ferez-vous donc ?
Vous organisez des associations, des caisses de
secours et autres institutions de prévoyance ? C'est
bien. Mais l'expérience nous dit que la participation
des ouvriers à ces caisses forme une rare exception.
Elles favorisent les ouvriers qui ont déjà de la
356 CONFÉRENCES AUX HOMMES
vertu, mais sont impuissantes à la donner. Sans
doute l'association est bonne; Dieu qui a créé
l'homme pour la société a fait de la solidarité, de
l'assistance mutuelle et de l'action commune la loi
naturelle de la vie humaine, et généralement, quand
les hommes s'associent, ils se sentent plus forts
contre le mal et contre eux-mêmes ; l'émulation les
stimule, l'honneur les élève et les soutient; ils ont
chance de s'améliorer en s'appuyanf les uns sur les
autres. Mais croire que l'association peut tout, par
cela seul qu'elle est une association, c'est une erreur.
L'association ne vaut que ce que valent les hommes
qui la composent. Elle est bonne, si ses membres
sont bons, et mauvaise si ses membres sont mau-
vais. Et dès lors je vous pose impérieusement ma
question : Quel moyen avez-vous, en dehors de la
religion, pour moraliser les hommes, pour produire
et favoriser l'épargne de l'ouvrier? Quel moyen
avez-vous pour inspirer à l'oufrier les vertus pri-
vées qui sont la source, la vraie source de l'épargne?
Vous n'en avez aucun. Une conclusion s'impose.
L'épargne naît de la vertu la vertu naît de la reli-
gion; si donc vous voulez favoriser l'épargne de
l'ouvrier, d'abord et avant tout christianisez-le.
Il y a des hommes, et il y en a beaucoup, qui
veulent résoudre la question sociale en dehors de
l'Église. Ils se trompent, et ils se trompent gros-
sièrement. C'est l'Eglise qui ennoblit le travail de
LES BIENFAITS DE L'EGLISE 357
r
l'ouvrier; c'est l'Eglise qui favorise l'épargne de
l'ouvrier. Vous avez besoin d'elle. En ouvrant ses
temples, ses asiles, ses écoles, en parlant et en agis-
sant, l'Église, non seulement exerce des libertés
légitimes, mais rend un service social. Elle répand
l'Évangile, et une société qui n'est pas bâtie sur
l'Évangile du Christ ressemble à une baraque bran-
plante que la première tempête jettera par terre, en
écrasant ceux qui y demeurent. Donc, si vous vou-
lez sauver la société, si vous voulez sauver l'in-
dustrie, revenez à l'Eglise. Nous catholiques, Mes-
sieurs, nous n'avons pas assez conscience de la place
que nous tenons dans la nation et du rôle néces-
saire que nous avons à y jouer. Le monde du travail
ne peut pas se passer de nous, de nos doctrines, de
nos espérances, de la vertu moralisatrice, pacifiante
et unitive qui repose dans notre Credo, dans notre
Décalogue et dans nos saints mystères. Et, si ce
siècle ne veut pas revenir à l'Église, pour nous
venger de ses résistances et de sa stupidité, nous
n'avons qu'un mot à lui dire : « Siècle imbécile et
coupable, tu ne veux pas vivre avec l'Eglise? Tu
mourras sans elle ! » Mais non, il n'en sera pas ainsi.
Vous irez, Messieurs, au-devant de votre siècle,
vous aurez pitié de ses indécisions et de ses aveu-
glements inconscients, vous le prendrez par la main,
et vous le ramènerez, joyeux et repentant, dans les
bras et sur le cœur de l'Eglise!
Amen!
ONZIÈME CONFÉRENCE
III. — LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE
(suite)
Messieurs,
L'Église est la bienfaitrice de l'industrie. Elle
approuve et elle stimule les inventions de l'indus-
trie. Elle inspire et elle dirige les chefs de d'indus-
trie. Enfin elle agit puissamment sur les ouvriers
de l'industrie, dont elle ennoblit le travail et dont
elle favorise l'épargne. Continuons cet important
sujet. Il est actuel, il est inépuisable. Ce que j'ai à
vous dire aujourd'hui est particulièrement inté-
ressant et réclame toute votre attention. Nous
sommes dans les entrailles mêmes de la question
sociale. Constatons ensemble : 1° que l'ouvrier a
des besoins matériels et moraux; 2° que l'Eglise est
seule capable de satisfaire ces besoins de la classe
ouvrière.
I. L'ouvrier a des besoins matériels et moraux.
L'ouvrier a des besoins matériels. C'est évident. »
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 359
Il a un corps qui travaille, des membres qui
s'usent, une santé qui est exposée à la maladie. Il
a une femme et des enfants à loger, à vêtir, à nour-
rir. Il a une postérité à élever et à établir convena-
blement. Et puis il rencontre sur son chemin les
infirmités, les accidents, le chômage, la vieillesse.
Il a des besoins matériels. lia des besoins moraux.
€'est non moins évident. Il a une âme qui ré-
clame la lumière, la force, la consolation. Il est
fortement tenté, tantôt par la sensualité d'autant
plus ardente qu'elle est moins satisfaite, tantôt par
l'envie, ce mal cuisant qui irrite sans cesse les
petits contre les forts, tantôt par le découragement
ou le désespoir qui est le grand danger de ceux qui
souffrent, de ceux qui se trouvent placés plus bas et
sont plus facilement oubliés et écrasés. L'ouvrier a
des besoins, d'immenses besoins matériels et mo-
raux. Ce n'est pas niable.
Il faut s'occuper simultanément des besoins ma-
tériels et moraux de l'ouvrier. Ici apparaissent
deux erreurs, deux illusions qui sont également
dangereuses et qui appellent des explications et
des éclaircissements nécessaires.
Première erreur. Certains hommes positifs et
utilitaires avant tout s'imaginent qu'il suffit de sub-
venir aux besoins matériels de l'ouvrier et que, avec
des salaires mieux répartis et plus abondants, avec
des habitations plus salubres, avec des caisses de
3G0 CONFÉRENCES AUX HOMMES
retraite et des assurances contre les accidents, les*
maladies et la vieillesse, on résoudrait facilement
la question sociale. Ils se trompent. Vous voulez
relever le peuple, et pour cela vous lui rendez plus
faciles ses conditions d'existence, vous lui ouvrez
des ateliers et des logements hygiéniques, vous lui
préparez des secours pour les heures difficiles, vous
lui bâtissez des écoles, etc. ; tout cela, c'est quelque
chose, c'est beaucoup, mais c'est insuffisant. Vous
n'aurez rien fait pour le peuple si la volonté morale
des individus, si l'âme n'a pas pris une direction
supérieure. C'est sur l'âme qu'il faut agir, parce
qu'en définitive l'âme mène le corps et que les
peuples ne sont pas des troupeaux qu'on améliore
en changeant leur pacage. L'ouvrier n'est point
une machine, un chiffre dans l'immense addition,
un rouage dans l'immense engrenage. L'ouvrier a
une âme, et vous aurez beau travailler à améliorer
sa vie matérielle, vous n'en ferez rien qui vaille,
rien qui dure, si vous ne travaillez en même temps
à son relèvement spirituel. Aujourd'hui comme il y
a douze siècles, Messieurs, c'est dans la vie de l'âme
que sera le salut des peuples; c'est en agissant sur
l'âme que Jésus-Christ a changé le monde et trans-
formé les sociétés et les empires; c'est en relevant
comme Lui les âmes que nous obtiendrons les
mêmes résultats. L'heure du christianisme finit
toujours par sonner, et la croix qu'on affecte de dé-
daigner comme inutile sauve ceux-là mêmes qui
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 361
l'ont dédaignée. « Cherchez premièrement le règne
de Dieu et sa justice, tout le reste vous sera donné
par dessus. » L'ouvrier a des besoins moraux, il a
une âme, et croire qu'il suffit de subvenir à ses
besoins matériels, c'est une erreur et une grossière
erreur.
Seconde erreur, non moins pernicieuse que la
première. Certains hommes idéalistes et théoriciens
avant tout s'imaginent qu'il suffit de subvenir
aux besoins moraux de l'ouvrier et que, avec des
déclarations de principe et des professions de foi,
avec une puissante évangélisation des classes popu-
laires, on résoudra facilement la question sociale.
Ils se trompent. Vous voulez relever le peuple, et,
pour le relever, le christianiser. C'est bien. Mais, en
vous adressant à son âme, n'oubliez pas qu'il a un-
corps. En même temps que vous lui prêchez des ver-
tus, rendez-lui des services. Que votre parole soit ac-
compagnée et précédée par des bienfaits et des bien-
faits désintéressés. C'est la méthode apostolique, la
méthodedivine. Le fondateur de notre religion, Jésus-
Christ , a suivi cette méthode . Il semait les miracles de
sa bonté avant de semer les merveilles de sa doctrine.
Les missionnaires chez les nations infidèles se font
aimer pour se faire écouter. Manning, Ireland,
Ketteler, les grands évêques des pays germains et
saxons n'ont pas trouvé autre chose pour aborder
les classes populaires et les christianiser. Ecoutez
362 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ici une belle parole de saint Augustin. Analysant
les sentiments qu'il éprouvait à l'égard de saint
Ambroise avant sa conversion, il dit : « Eum amare
cœpi non tanquam doctorem veri, sed tanquam beni-
{jniim in me ; Je me pris à l'aimer non parce qu'il
enseignait la vérité, mais parce qu'il était bon pour
moi. » Voilà l'histoire du peuple, cet Augustin
plein de cœur et de passion, d'enthousiasme et de
misère qu'il faut aimer d'abord, que Ton convertit
après. En résumé, l'ouvrier a un corps et une âme,
et il faut s'occuper simultanément de ses besoins
matériels et de ses besoins moraux.
Qui s'en occupera? Qui? d'abord l'ouvrier lui-même.
Son sort est ici en jeu, et il importe souveraine-
ment qu'il travaille de ses propres mains et de sa
volonté propre à son amélioration matérielle et mo-
rale. Tous les progrès, toutes les réformes, tous les
changements ne feront que peu de chose sans la
coopération personnelle de l'individu. L'ouvrier a
une dignité, et vous amoindrirez cette dignité
si vous le dispensez de l'effort personnel. L'ou-
vrier a une responsabilité, et il en perdra le sen-
timent, si vous vous substituez à lui dans ses
droits, ses devoirs et ses charges. Laissez-le donc
d'abord voler de ses ailes, et créer pour ainsi dire
sa propre grandeur. Laissez-le élever librement ses
beaux et nombreux enfants, gagner leur pain et
préparer leur avenir à la pointe de son glorieux
outil. Laissez-le monter dans l'aisance, dans Tins-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 363
truction, dans la moralité, dans la belle indépen-
dance d'une vie de moins en moins besoigneuse et
de plus en plus maîtresse d'elle-même.
L'ouvrier a des besoins matériels et moraux.
C'est à lui d'abord d'y subvenir. Et puis, parce qu'il
est faible, les gouvernants, les maîtres et les riches
doivent l'aider. Est-ce tout? L'action commune
des ouvriers et des dirigeants peut-elle suffire ici?
« Ce que nous affirmons sans hésitation, dit
Léon XIII, c'est l'inanité de cette action en dehors
de celle de l'Église. C'est l'Église en effet qui
puise dans l'Évangile des doctrines capables soit
de mettre fin au conflit, soit de l'adoucir, en lui
enlevant tout ce qu'il a d'âpreté et d'aigreur;
l'Église, qui ne se contente pas d'éclairer l'esprit de
ses enseignements, mais s'efforce encore de régler
en conséquence la vie et les mœurs de chacun ;
l'Église, qui par une foule d'institutions éminem-
ment bienfaisantes tend à améliorer le sort des
classes laborieuses ; l'Église, qui veut et désire ar-
demment que toutes les classes mettent en commun
leurs lumières et leurs forces pour donner à la ques-
tion ouvrière la meilleure solution possible; l'Église
enfin qui estime que les lois et l'autorité publique
doivent, avec mesure sans doute et avec sagesse,
apporter à cette solution leur part de concours. »
Il me reste à vous commenter ces belles et grandes
paroles de Léon XIII.
364 CONFÉRENCES AUX HOMMES
II. L'Église vient au secours de la situation ma-
térielle et morale de l'ouvrier.
Messieurs, dans ce siècle qui aura vu tant de
choses étonnantes, une chose m'étonne et m'at-
triste plus que toutes les autres, c'est la défiance et
1 aversion qui s'est allumée dans l'âme du peuple
contre l'Eglise. Dans le passé et dans le présent,
l'Église m' apparaît constamment occupée des inté-
rêts matériels et moraux de l'ouvrier, et voilà
l'ouvrier qui semble lui dire : « Va-t-en! Je ne veux
pas de toi ! » Comment expliquer un pareil phéno-
mène ? L'ouvrier est-il ingrat et mauvais de parti
pris? Non. Il est trompé par de sinistres farceurs
qui lui présentent sa mère, la sainte Eglise, sous
les traits d'une marâtre. Le grand malheur et le
grand crime de ce siècle, ça été d'éloigner le peuple
de l'Eglise pour le jeter mécontent et désespéré
dans les ardeurs de l'impiété et dans les glaces de
l'indifférence. Ce phénomène, qui nous dévore et
nous consume depuis quatre-vingts ans, va-t-il durer
longtemps encore ? Ce n'est pas possible. La lumière
se lève enfin, et, à mesure qu'elle se fera plus abon-
dante, le peuple verra qu'on s'est indignement mo-
qué de lui, qu'on l'a trompé abominablement, et
que, en définitive, c'est l'Eglise qui est sa meilleure
amie et sa plus généreuse bienfaitrice. N'est-ce pas
la clarté même?
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 365
Depuis dix-neuf siècles, et aujourd'hui comme hier,
rÉglisç donne à l'ouvrier des doctrines qui l'éclai-
rent, le relèvent, le moralisent et le consolent. Elle
apprend aux hommes à supporter les inégalités
inévitables, le travail nécessaire. Elle rapproche les
classes en imposant à tous la pratique de la jus-
tice. Elle enseigne aux riches à se servir chrétien-
nement de leurs richesses, et aux pauvres à estimer
leur travail. Elle promet à l'ouvrier dans une vie
meilleure, la revanche que lui réserve la magnifi-
cence divine. Et, en relevant ainsi le peuple au point
de vue moral, en lui infusant la dignité, l'espé-
rance, la vertu, est-ce que du même coup elle ne
travaille pas à sa félicité temporelle? Est-ce que
l'amélioration matérielle n'est pas une conséquence
qui suit d'ordinaire la restauration des mœurs?
L'Eglise est la mère de la vertu et la grand' mère
de l'épargne. L'Eglise donne à l'ouvrier un ensei-
gnement qui l'éclairé, le relève, le fortifie et le
console. Et, en dehors de cet enseignement, que
reste-t-il à l'ouvrier, sinon le doute, l'indifférence
et la libre pensée, c'est-à-dire la désorientation et
la désorganisation complète de son intelligence, de
sa volonté, de son cœur et de sa vie?
Elle fait plus encore. Elle donne à l'ouvrier des
serviteurs qui l'aiment, le protègent, l'assistent.
Comptez, si vous le pouvez, les grands, les riches,
les savants enrôlés depuis dix-neuf siècles dans la
grande armée de la charité catholique. Comptez, si
366 • CONFÉRENCES AUX HOMMES
vous le pouvez, à l'heure actuelle, les milliers et
les milliers de religieux et de religieuses qui ouvrent
l'oreille à tout gémissement rendant un son nou-
veau, qui tendent la main à toutes les souffrances,
qui apportent du pain pour ceux qui ont faim, des
consolations pour ceux qui pleurent, un chevet
pour ceux qui vont mourir, qui, du matin au soir,
ne sont occupés qu'à assister l'ouvrier dans ses-
besoins matériels et moraux, dans ses orphelinsr
dans ses infirmes, dans ses vieillards. Et le pape,
les évêques et les prêtres, à quoi travaillent-ils,
sinon à améliorer le sort de la classe ouvrière? Ils
cherchent des réformes, ils prêchent la justice et la
charité, ils donnent de l'ouvrage, ils distribuent
des aumônes, et ils sont tellement les serviteurs de
l'ouvrier, que je m'étonne d'être obligé de rappeler
à mon siècle cette vérité d'une évidence resplendis-
sante et quotidienne.
L'Eglise enfin donne à l'ouvrier des institutions
qui sont de nature à améliorer sensiblement sa si-
tuation matérielle et morale. Les institutions ca-
tholiques en faveur des classes populaires rem-
plissent le passé et le présent. Pour aujourd'hui, je
ne veux vous en signaler qu'une seule, laquelle,
si elle était comprise et acceptée, suffirait à trans-
former la situation de l'ouvrier. Je veux parler
du dimanche. Le dimanche est nécessaire à
l'ouvrier. L'Angleterre et les Etats-Unis observent
rigoureusement la loi du repos du dimanche ; or,
LES BIENFAITS DE L'EGLISE 36T
c'est en ces deux pays que la prospérité matérielle
est la plus grande. «Ceux qui ne voient pas le com-
mandement divin dans la Bible ne pourront man-
quer de le trouver écrit dans l'homme lui-même »r
a dit M. Harrisson, président des Etats-Unis. Et le
général Grant a dit : a C'est le dimanche que Dieu
arrose la plante du travail pour lui faire porter ses
fruits. » Or, qu'est devenu chez nous le dimanche
de l'ouvrier? Ecoutez là-dessus le philosophe Pierre
Leroux : « Je propose de graver sur le Panthéon,
au-dessus de l'inscription : « Aux grands hommes, la
« Patrie reconnaissante ! » ces lignes : « La Révolution
« française est venue, et l'ouvrier a été obligé de
« travailler un jour de plus par semaine pour vivre. »
Est-ce là du progrès, Messieurs? Les animaux ont
besoin de se reposer. Le cheval qui se repose rend
plus de services que celui qui ne se repose pas. La
Compagnie des Omnibus de Paris donne à ses che-
vaux un jour de repos tous les cinq jours. Et nous
avons, en France, des milliers d'ouvriers qui ne se
reposent jamais et qui, ne se reposant jamais, se
tuent le corps et l'âme. 0 hommes, vous ne voulez
pas revenir à l'Eglise ? Vous retournez à l'escla-
vage...
Amen 1
DOUZIEME CONFERENCE
III. — LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE
(suite)
Messieurs,
J'achève aujourd'hui l'étude des rapports de
l'Eglise avec l'industrie. Nous avons déjà constaté
la salutaire influence de l'Eglise sur les ouvriers de
l'industrie. Il me reste à vous en offrir une dernière
preuve. Je voudrais vous faire l'histoire et vous
tracer la physionomie de l'ouvrier avant Jésus-
Christ, au moyen âge et aujourd'hui.
I. V ouvrier avant Jésus-Christ
Messieurs, il me répugne de remuer les turpi-
tudes de l'humanité. Cependant il est indispensable
de mettre en évidence cette conclusion de l'histoire
ancienne que l'ignorance seule ou la mauvaise foi
peuvent révoquer en doute, à savoir que dans l'an-
tiquité, dans le paganisme, le genre humain était
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 369
une proie abandonnée à quelques tigres : hmna-
num paucis vivit genns, selon l'expression de Lu-
cain. Avant Jésus-Christ, l'ouvrier était dans un
état lamentable tant au point de vue matériel qu'au
point de vue moral.
Vous croyez peut-être à la civilisation par les
seules forces de la nature? Eh bien, regardez un
peu ce que la nature a produit dans ses meilleurs
jours chez les nations les plus brillantes. Athènes,
reine de la civilisation antique, sur cent individus
humains, en élevait un à la dignité d'homme et
réduisait les quatre-vingt-dix-neuf autres à la con-
dition de bétail. Athènes avait vingt mille citoyens
et quatre cent mille esclaves. Ses philosophes met-
taient en doute si l'esclave avait une âme. Ne par-
lons pas de Sparte où la proportion des hommes
libres était beaucoup moindre, où le nombre des
ilotes les rendait assez vils pour qu'on en fît du
gibier destiné au plaisir de la chasse. Voilà ce
qu'était l'ouvrier sous ce beau ciel de la Grèce qui
éclaira tant d'artistes, tant de philosophes, tant
d'orateurs, tant de grands capitaines et de savants
législateurs !
A Rome, il était d'une fortune bien médiocre le
citoyen qui n'avait pas quatre à cinq cents esclaves.
Certains seigneurs, s'étant mis en tête que leurs
murènes en seraient plus délicates si on les nour-
rissait de chair humaine, occupaient des esclaves à
dépecer d'autres esclaves à l'usage de leurs viviers.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-24
370 ' CONFÉRENCES AUX HOMMES
Le massacre des esclaves était un divertissement
public, un agréable tue-temps, le meilleur antidote
contre le spleen antique. Tacite raconte comme un
fort beau spectacle la mort en un seul jour de dix-
neuf mille hommes s'égorgeaht sur le lac Fucin,
pour le bon plaisir de l'empereur Claude et du
peuple romain. Le divin Titus, modèle d'humanité^
ne croyait pas pouvoir célébrer dignement la fête
de son père Vespasien sans faire dévorer aux bêtes
trois mille prisonniers juifs. Ces boucheries étaient
aussi le complément ordinaire des festins que se
donnaient les grands de Rome. La digestion eût été
trop laborieuse si, aux vins les plus exquis, on
n'eût fait succéder le sang. Les matrones s'étouf-
faient à ces spectacles, donnaient le signal de mort
en tournant le pouce et couvraient d'applaudisse-
ments le gladiateur expirant avec grâce.
Voilà le monde ancien. Il semblait civilisé, mais
il ne l'était pas. Des arts, il y en avait avant le
Christ, et nos musées nous offrent les admirables
chefs-d'œuvre des artistes d'autrefois. Des sciences,
il y en avait avant le Christ, et nous travaillons
aujourd'hui sur l'héritage des anciens. De la phi-
losophie, il y en avait avant le Christ, et les philo-
sophes d'aujourd'hui sont des pygmées auprès des
géants qui se nommaient Aristote et Platon. Et
cependant le monde antique s'est effondré. On
croyait avoir la civilisation, ce n'était qu'une appa-
rence. On avait cru construire un superbe édifice,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 371
on n'avait bâti qu'une façade, et, quand la façade
est tombée, on a vu que derrière il n'y avait rien,
rien sinon la pourriture et la mort. Que lui man-
quait-il donc à ce monde antique ? Il lui manquait
r F
Jésus, il lui manquait l'Eglise. L'Eglise est venue,
et, recueillant la parole et la grâce de Jésus, elle les
a jetées comme une semence, comme un ferment
divin dans les sillons de la pauvre humanité. Et
alors on a vu germer et s'épanouir un peuple nou-
veau. Contemplons ce peuple nouveau.
II. L'ouvrier au moyen âge.
Ceux qui connaissent l'histoire, non pas l'histoire
des manuels idiots qui font tout remonter à 1789,
mais la grande histoire, celle qui s'appuie sur des
documents et des faits, savent le bien qu'a produit
l'Église dans le passé. Cherchez dans le moyen âge,
au xme siècle, époque sombre et rude à bien des
égards, sans doute, et que je ne donne point comme
l'idéal consommé, mais époque chrétienne cepen-
dant, cherchez si vous trouverez une classe d'êtres
comparables à nos millions de prolétaires vivant
dans l'insécurité absolue du lendemain, écrasés par
des impôts énormes, ayant toujours à redouter
l'apparition imprévue du chômage et ne pouvant
laisser à la femme et aux enfants, dans l'hypothèse
d'une disparition subite, que la misère et que la
372 CONFÉRENCES AUX HOMMES
faim. Non, vous ne trouverez pas cela. Non, l'ou-
vrier au moyen âge, sous l'empire du droit chré-
tien, sous la protection de l'Eglise, n'a pas connu
les misères matérielles et morales de l'ouvrier
moderne décatholicisé.
L'ouvrier au moyen âge est honoré et protégé
r f
par l'Eglise. L'Eglise n'hésite pas à prendre au sein
de l'humiliation des fils d'ouvriers pour les ordon-
ner prêtres et les élever par là au-dessus des sei-
gneurs. Et quand ils avaient des vertus et du génie,
ils pouvaient, ces fils d'ouvriers, parvenir au pre-
mier trône du monde, témoins : Adrien IV, le seul
pape anglais, qui était d'origine serve, et Gré-
goire VII, fils d'un charpentier. Et, non contente
d'honorer les ouvriers, l'Église les protège. En bé-
nissant l'épée du chevalier, le prêtre disait : « Dieu
saint, bénissez cette épée à deux tranchants. Qu'avec
l'un il frappe l'infidèle qui attaque l'Eglise, et
qu'avec l'autre il punisse le riche qui opprime le
pauvre! » L'Eglise met sur là même ligne et protège
du même bouclier Dieu et le peuple, Jésus-Christ
«t le pauvre, la religion et l'ouvrier.
L'ouvrier, au moyen âge, a ses jours de repos et
de sanctification. Ce n'est point cette machine vi-
vante qui Inarche sans cesse et qui s'use vite. Non,
il se repose. Il a des chômages réguliers. Il y avait,
en France, avant le Concordat, quatre-vingt-sept
jours chômés, dont cinquante-deux dimanches et
trente-cinq fêtes d'obligation. Et dans ces jours de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 373
fête religieuse voyez-le, l'ouvrier d'autrefois, venant
à son Église. En ce temps-là ce n'étaient pas les
nations hérétiques qui passaient pour observer le
mieux le grand précepte dominical ; en ce temps-là,
les villes catholiques présentaient un beau spectacle
le dimanche; les boutiques étaient fermées, même
les boutiques des pâtissiers et des barbiers ; les
églises étaient pleines; la joie brillait dans tous les
yeux. L'ouvrier, vêtu de ses habits de fête et le
cœur plein d'allégresse, escorté de sa femme et de
ses enfants, entrait dans ces belles cathédrales, où
il trouvait l'orgue pour le saluer, le prêtre pour le
bénir, les vitraux, la peinture, la statuaire pour
l'instruire, et les cérémonies saintes pour l'enchan-
ter et le transfigurer. Là, il s'asseyait à côté du
riche, enfant de Dieu et frère de Jésus-Christ
comme lui, nourri à la même table d'un aliment
divin. Là, il chantait le matin, avec le vieux Credo
de ses pères, l'hymne de sa liberté, et le soir, à
l'office des vêpres, il répétait les paroles attendris-
santes du prophète royal : « Louons le Seigneur,
car il a regardé le pauvre dans sa poussière, et il
l'a placé parmi les princes de son peuple, de ster-
eore erigens pauperem. » Et le lendemain, retour-
nant à son travail, il se sentait le corps reposé,
l'esprit illuminé de clartés souveraines, l'âme em-
baumée des parfums et ravie des harmonies du"
ciel. Je ne fais pas de la poésie, je raconte une
vieille histoire, l'histoire de l'ouvrier honoré, pro-
374 CONFÉRENCES AUX HOMMES
tégé, transfiguré par l'Eglise. Et je n'ai pas tout
dit. *
L'ouvrier, au moyen âge, a une situationmatér ielle
satisfaisante. Des inventaires mobiliers d'ouvriers et
de cultivateurs, au xine et au xive siècle, établissent
la preuve d'une aisance relative qui serait enviée
aujourd'hui par beaucoup de pays de l'Europe. Le
salaire d'alors, comparé au prix des denrées, assu-
rait aux ouvriers une vie matérielle plus large que
celle de nos ouvriers à l'heure actuelle. Ils n'étaient
pas mal logés, car la cherté et l'insalubrité des
locaux destinés aux classes laborieuses des grandes
villes sont un mal de notre époque. L'ameuble-
ment était, il est vrai, plus grossier, mais il était
conforme au goût du temps et contentait les
besoins des hommes d'alors, ce que ne font pas
les mobiliers plus raffinés d'aujourd'hui. Les com-
pagnons du moyen âge n'étaient point mal vêtus,
car, pour trouver à s'embaucher, ils devaient prou-
ver qu'ils avaient cinq ou six costumes. Enfin les
chômages périodiques, cette plaie de notre indus-
trie moderne, étaient inconnus ; en dehors des
grandes crises qui arrêtent la vie ordinaire, l'ou-
vrier incorporé était sûr d'avoir du travail. Ajoutez
à cela qu'au point de vue intellectuel le xme siècle
n'était point inférieur au nôtre. Les documents
les plus authentiques établissent pour cette époque
une proportion de lettrés qui ne serait pas dépassée
à l'époque moderne. Et maintenant cet ouvrier que
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 375
l'Église a aimé, quelle a honoré et protégé, qu'elle
a fait monter successivement de l'esclavage au ser-
vage et du servage à la dignité de citoyen libre,
«qu'est-il devenu? où en est-il?
III. L'ouvrier aujourd'hui.
Hélas! le plus souvent il est affranchi des
croyances et des pratiques religieuses. On lui a dit :
« Laisse là le temple catholique avec ses vitraux, ses
chasubles d'or et ses fêtes ; tout cela était bon
pour les peuples enfants. Il te faut autre chose,
plus et mieux. » Il a obéi.
Et d'abord le voilà sans dimanche. Sous prétexte
de liberté, le voilà réduit au sort de l'esclave an-
tique ou du galérien, condamné à traîner à perpé-
tuité le boulet des travaux forcés. Sous peine de
renvoi, sous peine de mourir de faim, il faut qu'il
travaille six jours et encore le septième jour, et
cela d'un bout de Tannée à l'autre. Autrefois il avait
son dimanche et ses fêtes religieuses ; il a perdu
tout cela. C'est déjà un immense malheur. Ce n'est
pas tout.
Autrefois, il avait sa confrérie et sa corporation.
Aujourd'hui, il est isolé. Jadis, pour se défendre
«contre la toute-puissance de l'Etat, contre les in-
justices de ses maîlres, il avait les statuts et règle-
ments de sa corporation. Regardez-le à l'heure
3*6 CONFÉRENCES AUX HOMMES
actuelle. Après cent ans d'individualisme, c'est à
peine si on vient de lui rendre une petite parcelle
du droit d'association. 11 a presque perdu l'habitude
d'user de ce droit et d'en user pour son bien, et
les syndicats ouvriers qui viennent de naître ont
encore du chemin à faire avant de procurer aux tra-
vailleurs les avantages, les secours des anciennes
corporations. Tant que ces syndicats ne seront pas
pénétrés de l'esprit chrétien, ils seront incapables
de réhabiliter la classe ouvrière.
Séparé de l'Eglise, l'ouvrier d'aujourd'hui est
exposé à la dégradation. Les incrédules disent : La
religion abrutit les hommes. Et moi je dis : C'est
l'incrédulité qui nous abrutit, puisqu'elle fait de
nous des brutes à l'origine, des brutes pendant la
vie, des brutes à la mort. Qu'est-ce que l'homme?
L'incrédule répond : Un singe perfectionné. Com-
ment l'homme doit-il vivre? L'incrédule répond:
Il doit chercher les jouissances et les satisfactions
des sens. Or c'est là précisément la vie de la brute.
Quelle est la destinée de l'homme? L'incrédule
répond : Il doit, comme les animaux, retourner au
néant. L'incrédulité fait de nous des brutes. Jetez
de telles doctrines dans un peuple, et vous recueil-
lerez chez ce peuple la déraison, les utopies révolu-
tionnaires, l'ignorance de la justice et des vérités
essentielles de la morale, en un mot la dégrada-
tion et l'abrutissement progressif. A mesure qu'il
se sépare de l'Église, l'ouvrier compromet son corps,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 377
son âme, sa famille, son pays; il voit décroître et
empirer sa situation matérielle, morale, domestique
et sociale.
— Messieurs, l'on se demande à qui appartiendra
l'avenir. Je dis que l'avenir appartiendra à l'Eglise,
Elle est — en effet — la grande bienfaitrice du peuple.
Le peuple finira par le comprendre. Il reviendra
repentant, converti, joyeux à sa divine amie, et la
démocratie reconnaissante donnera à l'Eglise une
splendeur que ne lui ont pas donnée les rois. Quand
le monde du travail verra enfin que l'Eglise n'est
pas seulement la reine du monde surnaturel et la.
reine de la morale, mais qu'elle possède aussi avec
le dévouement et le sacrifice, la clef de toutes les
questions économiques, des améliorations sociales
et des progrès de l'industrie, le monde du travail
reviendra à l'Eglise et lui rendra une popularité
plus belle et plus éclatante que celle des jours
antiques. Voilà l'avenir. Mais cet avenir ne se fera
pas tout seul. C'est à nous qu'il appartient de
l'ébaucher et de le préparer, et c'est à Dieu qu'il
appartient de le faire éclore sous la double rosée
de notre prière et de nos sueurs. Donc, mettons-
nous à genoux et prions; levons-nous et agissons l
Amen I
TREIZIÈME CONFERENCE
III. — L'Église et le Commerce
Messieurs,
L'Eglise est la bienfaitrice de l'agriculture et de
l'industrie. Disons un mot de son influence sur le
commerce.
L'agriculture produit la plupart des matières pre-
mières; l'industrie les transforme et les adapte à
nos besoins ; le commerce les échange et les fait
circuler d'homme à homme et de peuple à peuple.
Rien de plus légitime que le commerce et rien de
plus nécessaire. Chacun est incapable de pourvoir
à tous ses besoins personnels ; par le commerce, nous
recevons des autres ce qui nous manque, en leur
donnant ce que nous avons en trop. Le commerce
est une nécessité providentielle. Il oblige le Nord
et le Midi à se visiter, à se connaître et à s'aimer,
et les diverses nations à se rapprocher, à s'entr'aider,
à vivre dans l'union d'une fraternité universelle.
En enserrant les hommes de toutes les professions
et de tous les climats dans la communauté des in-
térêts matériels, le commerce leur rappelle leur
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 379
communauté d'origine et de destinée, et il prépare
ainsi l'union des intelligences et des cœurs. Le
commerce est légitime, nécessaire et voulu de Dieu.
Bien loin qu'elle le condamne, l'Église l'approuve,
le favorise et le soutient. Gomment cela? C'est ce
que nous allons voir.
I. La probité commerciale est Y âme du com-
merce.
Que voulez- vous que devienne le commerce, si la
plus stricte probité ne préside pas à toutes les
transactions, si offrant une qualité rare on livre
une qualité médiocre, si la balance trompe par le
faux poids et le mètre par un mesurage précipité,
si les meules retiennent le grain au lieu de le
broyer, si des mélanges intéressés et perfides déna-
turent la fabrication d'un produit, altèrent les subs-
tances les plus nécessaires à la vie et ajoutent à la
matière du vol tous les dangers de l'empoisonne-
ment? Que voulez-vous que devienne le commerce,
si pour obtenir une préférence, exercer un monopole
et accaparer certaines sources de la vie et de la
fortune publique, on achète les consciences, on
corrompt la presse, on s'assure des protecteurs
puissants par des présents magnifiques? Que vou-
lez-vous que devienne le commerce, si la Bourse
380 CONFÉRENCES AUX HOMMES
où se manie l'argent, et les marchés où s'échangent
les marchandises sont des antres ténébreux livrés
à la duplicité, à la fraude età l'injustice? Messieurs,
si nous ne voulons pas que la société soit une forêt
de Bondy et un mauvais lieu, proclamons bien haut
que la probité est l'âme du commerce.
Or quel moyen avez-vous d'établir la probité
commerciale? Vous avez la loi. Oui, certes la loi
est une barrière contre la cupidité humaine. Elle
recherche, poursuit et condamne le vol avec un
zèle qu'on ne saurait trop louer. Mais, hélas! com-
bien elle est impuissante à prévenir l'injustice et
souvent même à la punir ! Elle ne prévient presque
rien, et elle ne punit pas tout. Et que de fois ne la
voit-on pas frapper sans pitié un malheureux qui
aura volé une carotte dans le champ de son voisin,
et s'arrêter devant les grands coupables, frémis-
sante, inappliquée et vaincue? Messieurs, pour
sauvegarder et maintenir la probité, il faut une
puissance autre que la loi. Il faut la religion.
C'est la religion, dont l'Eglise catholique est la
plus haute expression, qui juge les lois et les jus-
tices de la terre. C'est l'Église qui seule pénètre
dans les consciences pour les éclairer, les régler,
les redresser et les purifier. C'est l'Eglise qui, par
ses tribunaux spirituels, ses sacrements et ses doc-
trines appelle l'improbité un vol et la restitution
un devoir. C'est l'Eglise qui, tout en permettant
l'intérêt légal et modéré, n'a jamais cessé de pros-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 381
crire l'usure et l'agiotage. Messieurs, en présence
de tant de fortunes solides, gigantesques, scanda-
leuses, réalisées par des spéculateurs et des manieurs
d'argent qui dépouillent en un coup de Bourse des
milliers de pauvres gens, comment voulez-vous que
le peuple ne soit pas aigri et irrité? Gomment
voulez-vous que le capital ne soit pas menacé et
avec lui toutes les entreprises industrielles et com-
merciales? Si vous voulez rétablir le règne de la
probité en haut, en bas, partout, revenez à la reli-
gion, revenez à l'Eglise. Plus un siècle est religieux,
plus il est honnête. Plus un peuple est chrétien,
plus il est probe.
II. Les voies commerciales sont la condition du
commerce.
Les voies de communication par terre et par eau
sont nécessaires au commerce. Pour échanger leurs
produits sur toute la surface du globe, les peuples
ont besoin de routes, de ponts, de canaux, de che-
mins de fer. L'Eglise ne peut pas condamner les
voies commerciales dont l'humanité ne peut pas se
passer. Elle les condamne d'autant moins que ces
voies de communication nécessaires au point de
vue matériel sont très utiles au point de vue reli-
gieux. Ce réseau magique, ce chemin de fer qui
enserre la planète dans ses anneaux, devient à son
382 CONFÉRENCES AUX HOMMES
:nsu le propagateur de la foi. L'apôtre de Jésus-
Christ, le missionnaire, auquel il fallait des mois
et des années pour aborder aux rivages infidèles,
s'élance sur le cheval de fer que la science lui
amène, et, fendant en quelque sorte les airs, il va
porter au bout du monde les idées civilisatrices de
la vérité et de la vertu évangéliques. Plus les voies
de communication sont nombreuses et rapides, plus
l'Église se réjouit. Elle se réjouit pour l'humanité
et pour elle-même;, elles en profitent toutes les
deux. «•
11 faut d'ailleurs que vous sachiez bien qu'ici,
comme en tout le reste, l'Église s'est montrée de
tout temps une puissante initiatrice. En instituant
les pèlerinages dans l'intérêt moral des peuples,
elle a travaillé grandement à la prospérité du com-
merce. C'est facile à comprendre. Les pèlerinages
auraient été à peu près impossibles sans des che-
mins et des routes, sans des bacs et des ponts.
Ouvrière infatigable, l'Eglise s'est mise à l'œuvre.
Elle institue des Ordres religieux qui prennent le
nom de Frères Pontistes et s'engagent par vœu à
construire ou à réparer des routes et des ponts.
C'est à l*urs soins qu'on doit le célèbre pont d'Avi-
gnon, construit au xne siècle, travail gigantesque
devant lequel avait reculé le génie des Romains et
de Charlemagne, travail colossal dont les débris
attestent à nos populations l'action bienfaisante de
l'Église. Au temps des Croisades, les Papes atta-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 38£
chèrent à la construction des routes et des ponts
les mêmes indulgences qu'aux pèlerinages de Jéru-
salem, et Ton vit alors tous ceux qui ne pouvaient
pas prendre part à la guerre sainte s'enrôler dans
des confréries d'ouvriers, s'unir aux moines tra-
vailleurs et offrir d'eux-mêmes des prestations
gratuites, afin de participer à leur manière aux
faveurs spirituelles des croisés et à leurs héroïques
entreprises. L'Eglise donnait l'exemple et, en ou-
vrant des routes, elle engageait à faire de même les
rois, les seigneurs féodaux et les bourgeois des
communes. Le commerce en Europe est redevable
à l'Église d'une des premières conditions de sa
prospérité : l'ouverture des voies de communica-
tion par terre et par eau.
Et en même temps qu'elle créait des voies com-
merciales, l'Eglise en assurait la sécurité au moyen
de la trêve de Dieu et de la chevalerie : deux ins-
titutions dont je n'ai pas le temps de vous parler
aujourd'hui et sur lesquelles je reviendrai plus
tard.
Et à qui faut-il attribuer l'établissement des
postes et des messageries, si favorables, pour ne
pas dire si nécessaires au commerce, sinon en
France à Louis XI, fils soumis et dévoué de l'Eglise,
en Espagne à Ferdinand et à Isabelle la Catholique,
en Italie aux Papes, les promoteurs infatigables du
progrès matériel et moral?
Enfin, quand l'Eglise embrigadait l'Europe chré-
384 CONFÉRENCES AUX HOMMES
tienne dans le grand mouvement des Croisades,
n'est-il pas évident qu'elle travaillait puissamment
au développement des échanges et à l'extension du
commerce? La piété, qui est utile à tout, eut pour
nos pères des conséquences commerciales qu'ils ne
soupçonnaient pas, mais que Dieu voyait et voulait.
Les croisades mirent en rapport des peuples qui
ne se connaissaient pas, firent faire à l'art de la
navigation des progrès immenses et donnèrent à
l'Europe chrétienne la facilité des missions étran-
gères et le goût des voyages lointains. En servant
l'idée chrétienne, les croisades du même coup con-
coururent à la prospérité commerciale de l'Europe,
et ce fut cette même idée chrétienne et ce même
zèle des croisades qui reculèrent les bornes du
monde connu, et, après avoir créé le commerce
international, créèrent aussi le commerce colonial
d;e F Europe. C'est ainsi que l'Eglise a pris sa part,
sa large part dans l'ouverture des voies de com-
munication qui sont la condition de la prospérité
commerciale. Ce n'est pas tout.
III. Les débouchés commerciaux sont le stimu-
lant du commerce.
L'fcglise a-t-elle ici encore une influence quel-
conque? Oui, certes.
D'abord on le dit, et la chose est évidente, la re-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 385
ligion est elle-même un débouché commercial. Il y
a pas mal de gens utilitaires et matérialistes qui
lui pardonnent d'exister, parce que, disent-ils, elle
est une bonne branche de commerce. Ces hommes
à l'œil rétréci ne voient qu'un tout petit côté de la
religion. Mais, enfin, ce petit côté d'une très grande
chose existe, et il est facile de constater que les be-
soins religieux alimentent une foule d'industries :
construction et entretien des monuments religieux,
ouvrages d'art en architecture, en peinture, en sta-
tuaire, en musique ; impression des livres litur-
giques ; vases sacrés et étoffes précieuses brochées
d'or et de soie; délicates ciselures, élégantes bro-
deries, tissus de fin lin ; riches tapis ; vastes ten-
tures ; sonneries ; fourniture de luminaire et d'en-
cens... C'est par centaines que l'on peut compter
les affaires commerciales dont la religion est l'oc-
casion et le stimulant. Allons plus avant.
L'Église a ouvert des débouchés commerciaux, en
créant au sein de l'Europe féodale nos premiers
marchés, dont le nom même de foires, feria, est une
révélation. Sans nous en douter, nous sommes tout
imbibés de catholicisme dans nos lois, dans nos
habitudes et jusque dans notre langage quotidien.
Ce nom de foires donné à nos marchés vient du
mot chrétien feria, qui signifie fête ou solennité
religieuse. Et tous les historiens s'accordent à re-
connaître que nos premières foires sont dues aux
fêtes des Saints qui, en attirant un grand concours
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-25
386 CONFÉRENCES AUX HOMMES
de fidèles, offraient ainsi une occasion naturelle et
facile à l'écoulement des produits et aux diverses
transactions commerciales. Et encore aujourd'hui,
nos foires principales se rattachent à des souvenirs
religieux ; c'est la foire de la Toussaint, de la Saint-
Jean, de la Madeleine, etc..
Et non contente de faciliter les relations com-
merciales en assemblant les hommes d'une même
région dans de vastes marchés placés sous la pro-
tection des saints, l'Eglise a étendu plus loin son
action et a concouru grandement à créer les colo-
nies européennes. Comment cela?
1. En inventant la boussole, elle a permis aux
navigateurs de voguer sans crainte vers des régions
inconnues et inexplorées.
2. En inspirant le zèle de Christophe Colomb,
elle a révélé à l'Europe tout un monde nouveau.
L'immense agrandissement de nos relations com-
merciales, à la suite des découvertes de Vasco de
Gama et de Christophe Colomb, n'est un secret pour
personne; mais ce qui est plus ignoré, c'est l'idée
religieuse et chrétienne qui nous a valu ce grand
événement dont nous vivons encore. Colomb était
un catholique fervent; il cherchait non pas de l'or
et de la gloire, mais des âmes à donner à Jésus-
Christ et à sauver. Et il rêvait, après avoir converti
les peuples de l'Inde, d'employer les bénéfices de
son expédition à la délivrance du saint Sépulcre.
3. Et, après avoir ouvert à l'Europe le chemin des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 387
colonies, l'Eglise lui apprit encore à les fonder, à
les conserver et à les faire fleurir. C'est ce qu'elle
fit par ses missionnaires. Et ici, il faudrait vous
raconter la civilisation coloniale par les ordres re-
ligieux. Un jour, Messieurs, nous avons été la pre-
mière nation du monde par notre marine et nos
colonies. C'était au xvne siècle, alors que nous étions
la nation catholique par excellence. Puisse la France
reprendre bientôt sa place et sa mission dans le
monde ! Puisse-t-elle bientôt retrouver, avec la
splendeur de la foi, tout son prestige au dehors et
toute sa grandeur coloniale.
Puisque je vous parle de l'Eglise dans ses rap-
ports avec le commerce, laissez-moi finir par un fait
bien significatif qui remonte au commencement du
xixe siècle. C'était en 1806. Napoléon avait vaincu
l'Europe ; il voulut frapper à son tour l'Angleterre
et il décréta le Blocus continental. C'était la ruine
du commerce pour la satisfaction d'un homme, et
c'était une injustice colossale. L'Europe entière
courba le front. Un seul homme protesta en faveur
du droit et ouvrit ses ports aux Anglais. Cet homme,
c'était le pape, c'était Pie VII, et je ne sais pas au
monde de spectacle plus beau que cette affirmation
de la conscience et du droit s'élevant au-dessus de
tout esprit de parti en face de la force et de tous
les dangers. Dans ce duel du faible contre le fort,
de Pie VII contre Napoléon, le pape fut vaincu.
388 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Napoléon réunit Rome à ses Etats ; il fit enlever
le pape et le fit transporter à Fontainebleau, où il
resta prisonnier jusqu'en 1814. Mais la crainte ne
pouvait empêcher l'Eglise de proclamer le droit et
r
la vérité. L'Eglise, Messieurs, a toujours été et res-
tera toujours la grande école du mépris de la force,
la grande école de la liberté, la grande école du
vrai et du bien ; aimez-la donc et chantez-la.
Amen!
IV
DANS L'ORDRE DOMESTIQUE
PREMIÈRE CONFERENCE
Les lois du mariage
Messieurs,
Nous avons étudié les bienfaits de l'Eglise dans
l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral et dans
l'ordre matériel, et en présence de ce triple spec-
tacle vous avez senti naître et grandir en vous le
sentiment de l'admiration et de la reconnaissance.
Est-ce tout? Non. Nous sommes à peine à la moi-
tié de notre course. De nouveaux horizons pleins
*de lumière sollicitent notre attention et vont char-
mer notre pieuse curiosité. Qu'ils viennent donc
ceux qui ont quelque souci de la vérité, ceux qui
se plaignent de n'avoir pas la foi et qui ont un
vague désir de la retrouver ! Nous avons la sainte
audace de leur promettre la possession du vrai dans
un déluge de lumière.
r
Nous allons parler des bienfaits de l'Eglise dans
l'ordre domestique, de l'influence de l'Eglise sur la
famille. La famille... c'est tout, c'est la molécule
essentielle du corps social. Si,- dans une nation, la
grande majorité des familles a des idées perverses
392 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et un sang appauvri, l'État aura beau perfection-
ner ses lois et ses institutions, il aura beau faire
des prodiges de génie dans la science et l'industrie,
la société sera misérable et dégradée ; elle n'offrira
que des esprits abaissés, des criminels et des mal-
faiteurs, et enfin des bras prêts à porter toutes les
chaînes, parce qu'ils sont impuissants à porter une
épée. Au contraire, supposez dans la majorité des
familles, des tempéraments de fer et des caractères
inébranlables, au service de convictions saines et
droites, et vous aurez trouvé un levier capable de
soulever le monde. Ce que les sources sont aux
fleuves, la vie domestique l'est à la vie sociale, la
famille à la patrie.
Mais la famille elle-même, où prend-elle sa
source? Dans l'union conjugale, et il faut que je
vous montre d'abord comment l'Eglise a réhabilité
l'union conjugale. La nature même du sujet exigera
de moi quelquefois que je touche à des points déli-
cats. Ne craignez rien. Je n'ai pas l'habitude de
vous cacher la vérité, et je vous la dirai tout entière
en restant bien entendu dans les limites consacrées
par la langue chrétienne et commandées par le
respect que je vous dois. J'ai l'intention aujourd'hui
de vous dire deux choses : 1° ce que l'Eglise pense
r
du mariage ; 2° ce que l'Eglise a fait pour sauve-
garder les lois du mariage.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 39S
»
I. Ce que l'Église pense du mariage.
L'Église pense que le mariage doit être libre.
Nulle part, en dehors des nations chrétiennes, la
liberté des époux n'a été reconnue et respectée. Ici
la femme est achetée ou enlevée, comme à Rome;
là, les mariages sont arrangés entre parents sans
que les époux se soient vus, comme en Chine ; par-
tout l'esprit de caste se dresse comme une barrière
infranchissable devant la liberté des conjoints.
L'Église fait tomber ces barrières, sources des plus
grands maux, et elle place à l'origine de l'union
matrimoniale cette liberté que notre siècle recherche-
si passionnément et qu'il aime tant à voir à la
racine de toutes les institutions. Au jour où l'époux
se présente devant les autels pour faire bénir son
union, l'Église lui dit : « Sache, jeune homme, que
tu dois respecter tes parents et recourir à leurs
conseils dans un acte aussi solennel; mais sache
cependant que devant Dieu tu portes seul la respon-
sabilité de tes actes, et que plus qu'aucun autre tu
auras à souffrir ou à te féliciter pour la vie d'un
bon ou d'un malheureux choix. Choisis mainte-
nant. Veux-tu accepter cette vierge pour épouse? »
Puis, se tournant vers la jeune fille, le prêtre lui
dit : «Veux-tu, à ton tour, accepter ce jeune homme
pour époux? » Et quand un « Oui ! » libre et solennel
a été prononcé de part et d'autre, alors, mais alors.
394 CONFÉRENCES AUX HOMMES
seulement, le prêtre donne aux époux l'anneau d'or,
symbole de l'union qui promet au nouveau foyer
le bonheur avec le maintien d'une des libertés les
plus légitimes, les plus saintes et les plus néces-
saires. L'Eglise pense que le mariage doit être libre.
Est-ce tout? Non.
r
L'Eglise pense que le mariage doit être un et
indissoluble. Avec Adam au Paradis terrestre, elle
dit des époux : « Ils seront deux dans une seule
r
chair. » Et, avec Jésus-Christ dans l'Evangile, elle
ajoute : « Ils ne seront plus deux, mais un; Jam
non sunl duo, sed una caro. » Et cette unité du
mariage, c'est la beauté et la concorde de la famille,
<î'est la force et l'honneur de la civilisation. Et, non
contente de proscrire la polygamie avec ses cor-
ruptions, ses faiblesses, ses hontes et ses servitudes,
l'Eglise proscrit encore le divorce. Elle réclame pour
le mariage la stabilité et la perpétuité des nœuds
qui le forment, et elle a raison. Elle a raison :
1° d'abord parce que Jésus-Christ qui est la vérité
même a déclaré le mariage indissoluble ; et 2° parce
que, à la lumière du simple bon sens, le divorce
toléré ou autorisé est une imprévoyance à l'égard
des époux, dont il déchaîne les passions, au lieu de
les contenir ; une injustice à l'égard de la femme
qui est impitoyablement chassée delà famille qu'elle
a formée; une cruauté à l'égard des enfants, qui
n'ont plus qu'un foyer incertain, une vie déchirée,
un nom flétri pour tout un siècle. Le divorce
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 395
enlève à la mère, comme un bétail qui se divise,
une part des enfants qu'elle a portés dans son sein,
qu'elle a nourris de ses larmes et de son amour
Mais la louve au fond des forêts, quand on lui
arrache ses petits, on lui fait une injure qu'elle
ressent; et vous, dans un pays chrétien, vous arra-
chez l'enfant à sa mère ; vous ne craignez pas de
lui faire une injure que le tigre ne pardonnerait
pas dans l'antre de ses déserts! Bénissez l'Eglise,
Messieurs. D'accord avec Jésus-Christ et avec la rai-
son, elle proclame la liberté, l'unité et l'indissolu-
bilité du mariage. Et ce n'est point là de sa part
une parole platonique; c'est une doctrine pour
laquelle elle a souffert et qui est entrée dans, les
faits au prix de ses héroïques labeurs. Ouvrons les
annales du passé.
II. Ce que l'Église a fait pour sauvegarder les
lois du mariage.
A l'Eglise ont été confiés les nœuds sacrés du
mariage. Elle les a tenus d'une main haute, ferme,
invincible. Elle y a mis la tête de ses Papes et le
sang de ses martyrs, corrigeant les mœurs, amélio-
rant les lois, bravant tantôt la colère des peuples,
tantôt les menaces des princes. Sans elle le mariage
restauré et réhabilité par Jésus-Christ n'aurait pas
subsisté vingt ans, et voilà dix-neuf siècles qu'il
396 CONFÉRENCES AUX HOMMES
est debout au milieu d'une humanité acharnée
brutalement à le renverser. Voyez cela. C'est admi-
rable !
L'Église entre dans le monde; elle y rencontre
d'abord les païens : la frivole Athènes, l'impure Co-
rinthe, cette Rome dégénérée où le divorce est
devenu une loi authentique et tellement suivie que
certaines femmes comptent plus de mariages que
d'années, et ces Corinthiens voluptueux, ces Grecs
sceptiques, ces Romains décadents acceptent les
lois inviolables du mariage chrétien dans un temps
où l'union conjugale était discréditée et profanée,
où le théâtre en avait fait son jouet, les Césars leur
proie, les philosophes et les poètes leur dérision.
L'Église continue sa marche, et elle rencontre les
Barbares, ces lions du désert, en qui la puissance
égalait la convoitise. Ils traînent après eux une
foule de femmes captives, tour à tour les élevant
sur le trône par caprice, les délaissant par liberti-
nage, et les tuant par vengeance. L'Eglise vient à
eux, la croix d'une main et l'Evangile de l'autre.
Et les Alaric, les Sigismond, les Clovis acceptent
la foi nouvelle, et les Glotilde devenues des saintes
font régner sur leur mari et sur leur peuple les
lois inviolables du mariage chrétien.
L'Église avance encore, elle rencontre le maho-
métisme, ce déluge mêlé de chair et de sang qui
a inondé presque toute l'Europe, cette doctrine
infâme qui mettait le cimeterre au service de la
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 397
volupté. Que fait l'Eglise? Pour sauver l'arche sainte
de la morale chrétienne, elle arme Charles-Martel,
saint Louis, Godefroi de Bouillon. Elle va racheter
ses filles captives chez les infidèles, plutôt que de
les laisser en proie au sensualisme oriental. Elle
refoule de croisade en croisade, loin de la France,
loin de la Sicile, loin de l'Espagne, loin des côtes
de la Méditerranée le spectacle de la polygamie
musulmane et des ignominies de la chair triom-
phante. Que seriez- vous sans elle? Vous seriez
pires que des païens, pires que des harbares : vous
seriez des Turcs!
Voici le moyen âge. Les princes se croient tout
permis parce que tout leur est possible. Mais
l'Église déploie un héroïque courage et une divine
opiniâtreté pour arrêter les passions frémissantes.
Armée de l'excommunication, elle foudroie les cor-
ruptions royales. Le grand pape Innocent III chasse
du trône de France Agnès de Méranie et rétablit
Ingelburge de Danemarck dans ses droits d'épouse
et de reine. Vainement Philippe-Auguste, pour
fléchir l'indomptable Pontife, promet aumônes,
soldats, croisade. Avec une grandeur sans égale,
Innocent III lui répond :
Que, dans Jérusalem, la croix s'élève ou tombe,
L'esprit vivant du Christ est plus saint que sa tombe !
Des historiens de mauvaise foi n'ont pas voulu
comprendre cette conduite de l'Église. Ils ont versé
398 CONFÉRENCES AUX HOMMES
des larmes de théâtre sur les victimes royales de
l'excommunication chassées de leur lit adultère ou
incestueux par la parole des Papes. Pour nous,
Messieurs, rendons grâce à l'Eglise qui a mieux aimé
tout souffrir et tout perdre que trahir la cause du
foyer. Henri IV, Louis XIV et Louis XV ne furent
pas plus épargnés que leurs ancêtres. Bossuet met au
service de la morale évangélique l'autorité de son
génie, Bourdaloue frappe comme un sourd, et,
quand les fils de l'adultère, légitimés en dépit de
la loi, de la raison, de l'honneur touchaient presque
à la couronne, quand Louis XIV s'oubliait jusqu'à
leur donner des droits au trône de saint Louis, et
que la France se taisait devant une telle audace,
ce fut, pour ces grands hommes d'Eglise, une gloire
plus grande encore que leur génie d'avoir vengé
le foyer domestique de ces abominations et de ces
scandales et d'avoir proclamé, devant les peuples et
devant les rois, les lois inviolables du mariage
chrétien.
L'attitude de l'Eglise resta la même en face de
la Réforme et de la Révolution. Henri VIII veut à
tout prix répudier Catherine d'Aragon et donner
sa couronne à Anne de Boleyn ; Philippe de Hesse
songe à posséder deux femmes à la fois; Albert de
Brandebourg brise les liens qui l'attachent à l'autel
et forme des nœuds adultères autant que sacrilèges.
Et Luther conseille, approuve, ratifie tous ces scan-
dales, et le scandale de son exemple ajoute à celui
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 399»
de sa doctrine. C'en est fait du mariage, le torrent
r
entraîne tout. Non. L'Eglise veille sur le lit nup-
tial et en sauve l'honneur. Il en coûte leur tête à
l'évêque Jean Fischer et au chancelier Thomas Morus
pour avoir résisté aux caprices tyranniques
d'Henri VIII; mais la tête d'un évoque n'en est que
plus belle quand elle tombe pour la vérité ; mais le
chancelier qui meurt pour la justice n'en est que
plus grand. « L'adultère ou l'hérésie », disait Lu-
ther. Léon X a préféré l'hérésie. « Le schisme ou
le divorce », disait Henri VIII. Clément VII a pré-
féré le schisme. Plutôt le schisme et l'hérésie que
l'adultère et le divorce ! Les hérésies se décomposent
d'elles-mêmes, les schismes passent, mais ce qui
doit demeurer, c'est la cause des mères, des épouses,
des filles, c'est la cause du genre humain, c'est
l'honneur du foyer avec les lois inviolables du ma-
riage chrétien!
Aujourd'hui encore, malgré la défaillance des lois
et des mœurs, que fait l'Eglise? Elle maintient sa
doctrine ; elle venge les droits du foyer et la sain-
teté du lit nuptial; elle refuse aux époux divor-
cés le bénéfice et l'honneur d'un nouveau mariage ;
elle en déclare les fruits illégitimes; et, gardienne
de l'Evangile, de ce code supérieur et antérieur à
tous les codes, elle répète à ceux qui veulent et à
ceux qui ne veulent pas l'entendre : « Que l'homme
ne sépare pas ce que Dieu a uni. » Elle sauve les
lois inviolables du mariage chrétien.
400 CONFÉRENCES AUX HOMMES
r
Telle est l'œuvre de l'Eglise depuis dix-neuf
siècles. Elle a protégé le mariage. Elle a lutté
héroïquement pour la liberté, l'unité et l'indissolu-
bilité de l'union conjugale. Elle a fait de cette cause
la cause totale de la civilisation. Pour arrêter la
brutalité de la chair et du sang, elle a parlé, elle a
combattu, elle a souffert. Où en seriez-vous sans
ces combats plus qu'héroïques? « Votre sang flétri
depuis des siècles, dit Lacordaire, vous serait arrivé
par les veines dune femme esclave au lieu de vous
arriver du cœur d'une femme ingénue. Tout ce que
vous avez eu de joies saintes par vos mères, vos
épouses et vos filles, eût été transformé aux joies
infâmes de la servitude trempée dans la volupté.
Vous seriez des Turcs et non des Francs. » Rendons
grâce à Dieu, Messieurs, qui nous a sauvés par le
courage de nos pères et l'intrépidité de la sainte
Eglise catholique.
Amenl
DEUXIÈME CONFERENCE
Le Bonheur dans le mariage
Messieurs,
L'Eglise est la grande bienfaitrice du genre hu-
main dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral
et dans l'ordre matériel. Mais son influence n'at-
teint pas seulement les individus, elle rayonne
dans la famille. Et déjà nous avons constaté que
depuis dix-neuf siècles l'Eglise est la gardienne
incorruptible de l'union conjugale, dont elle main-
tient la liberté, l'unité et l'indissolubilité. Ce n'est
pas tout. En même temps qu'elle sauvegarde les
lois du mariage, elle en assure le bonheur en le
réglant et en le divinisant.
I. L'Église règle le contrat matrimonial.
Vous avez entendu dire beaucoup de mal des
empêchements de mariage, et peut-être avez-vous
été tentés vous-mêmes de murmurer contre, la lé-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-26
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404 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et que le mélange des familles est un des princi-
paux remèdes pour combattre les transmissions
morbides de l'hérédité, pour assurer la conserva-
tion et le renouvellement d'un sang riche et vigou-
reux dans les races : médecins et législateurs sont
ici d'accord avec les théologiens. Par exemple, les
sourds-muets de naissance procèdent très ordinai-
rement d'une infraction grave aux règles posées
par l'Eglise, d'une dispense témérairement ou
frauduleusement demandée, d'une concession for-
cément ou même invalidement obtenue. Oui, les
familles qui promettaient de porter dans un loin-
tain avenir, avec une nombreuse postérité, le sou-
venir et la gloire de leurs ancêtres, se sont éteintes
presque à leur berceau pour avoir méconnu les
lois de l'Eglise, lois fondées sur la connaissance la
plus haute des exigences de la nature, aussi bien
que sur les règles de la morale la plus saine. N'ac-
r
cusez pas l'Eglise, Messieurs, d'avoir usurpé les
droits de l'autorité civile sur le contrat matrimonial.
Remerciez-la, au contraire, d'avoir soustrait aux
caprices des passions et à la mobilité des codes,
pour la soumettre à sa législation bienfaisante,
une institution aussi vénérable et aussi délicate que
celle de la famille. Que seriez-vous à cette heure si
l'Église, si les Pontifes romains n'avaient pas veillé
sur la moralité des peuples et légiféré sur la ma-
tière matrimoniale ? Entre les vieillards du Vatican
et Henri VIII couvert de la honte de quatre di-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 40!>
vorces et du sang de quatre assassinats, choisissez !
Ne vaut-il pas mieux confier la garde des foyers
aux Papes de Rome, qui vous offrent la plus haute
des garanties imaginables, plutôt qu'à des législa-
teurs de circonstance qui vous imposeront au
hasard des lois complaisantes autorisant tous les
désordres ? Vous voulez placer devant les foyers
une véritable garde d'honneur... laissez l'Eglise
veiller, parler, légiférer. Elle a fait ses preuves
depuis dix-neuf siècles, et elle n'est point à la veille
de quitter son poste et de faillir à sa mission. Elle
règle le contrat matrimonial. Elle fait plus encore.
II. L'Église divinise le contrat matrimonial.
L'Etat, le pouvoir civil peut-il intervenir dans le
contrat matrimonial? Oui. Il est tout simple et très
légitime que l'Etat connaisse un contrat aussi im-
portant, et que ses magistrats en dressent l'acte,
puisqu'ils sont obligés d'en surveiller les consé-
quences. Donc réglez par la loi les effets civils du
mariage, enregistrez le nom des époux contractants,
inscrivez sur vos tables le jour et le lieu où com-
mence cette nouvelle famille. Rien de mieux.
Mais l'intervention de l'Etat est-elle capable de
constituer le contrat matrimonial et d'en assurer la
félicité ? Evidemment non. Qu'est-ce que le ma-
riage ? Est-ce un simple contrat civil comme les
406 CONFÉRENCES AUX HOMMES
contrats de louage ou de vente résiliables par la
volonté des parties ? Est-ce un contrat vulgaire
comme ces contrats mercantiles dont l'objet est un
champ ou un troupeau, tout ce qui se paie ou
s'achète, tout ce qui est matériel, grossier et au-
dessous de l'homme ? Est-ce une question de dot,
d'héritage, de testament, de naissance et de mort,
de transactions temporaires? Non. Le mariage est
la rencontre de deux volontés, de deux cœurs, de
deux consciences, de deux âmes libres en un mot,
qui se donnent l'une à l'autre et pour toujours. Que
voulez-vous que fasse la loi civile en pareille ma-
tière? Allez- vous lui demander de saisir les volontés,
d'unir les cœurs, de souder les consciences, de lier
les âmes ? Allez- vous demander à la puissance pu-
blique d'entrer dans un domaine si intime et si
délicat? Elle ne le peut pas, et, ne le pouvant pas,
elle ne doit pas même l'essayer. Le monde des âmes
lui est fermé, et de toute nécessité il faut faire inter-
venir ici la puissance religieuse, il faut faire inter-
venir ici Dieu qui est le roi des âmes, le roi des
consciences, le roi des cœurs, le roi des volontés,
et qui seul par conséquent peut accepter, ratifier
et valider le contrat matrimonial.
Quelles sont les obligations du mariage? Elles
sont nombreuses et effrayantes pour la nature hu-
maine. C'est d'abord l'affection et le dévouement
réciproque. A partir de l'heure où l'homme et la
femme ont contracté mariage, mille chaînes leur
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 407
rappellent qu'ils ne s'appartiennent plus, qu'ils se
sont donnés ; mille circonstances extérieures les
meurtrissent ensemble, et quelquefois l'un par
l'autre. Et le mariage qui avait commencé sous les
ombrages parfumés de l'Eden s'achève souvent sur
une croix. Et puis au devoir ininterrompu du sup-
port mutuel vient s'ajouter le devoir plus lourd
encore de l'éducation des enfants. Sur le trône uni
du père et de la mère une fleur, disons plutôt une
épine, vient à paraître, c'est l'enfant... l'enfant,
c'est-à-dire l'objet du plus noble orgueil, et en
même temps la plus douloureuse des anxiétés. Car
ces enfants que Dieu donne, il faut les nourrir, les
élever, les préserver, leur préparer une belle âme
et une vie honorable ; et, s'ils viennent à faillir, si
le vent des orages si violents en nos tristes jours
les déprime jusqu'à terre, il faut leur parler, les
avertir, les reprendre, les relever ; il faut les puri-
fier quelquefois dans un torrent de larmes. Quels
redoutables offices! — Que voulez-vous que fasse
la loi civile en pareille matière? Irez-vous, époux,
demander aux magistrats civils qu'ils vous donnent
la force de porter votre chaîne, et de vous immoler
longtemps, de vous immoler toujours? Irez-vous
demander à la puissance publique, à la magistra-
ture de votre pays, qu'elle protège votre cœur
contre ses inconstances et contre ses défaillances?
Irez-vous lui demander qu'elle garde votre amour
conjugal chaste et pur, et qu'elle le rende ainsi
408 CONFÉRENCES AUX HOMMES
plus durable, plus profond et plus délicieux? Irez-
vous lui demander qu'elle veille sur vos enfants,
sur leur vertu, sur leur âme immortelle? Elle ne
le peut pas. Ce n'est pas son affaire, et de toute
nécessité il faut faire intervenir ici la puissance
religieuse, il faut faire intervenir Dieu qui est le
dispensateur de la lumière, de la force, de la con-
solation et du dévouement, et qui seul, par consé-
quent, peut assurer l'honneur et la félicité du
contrat matrimonial! Les païens eux-mêmes ap-
puyaient leur foyer à l'autel, et c'est auprès de la
Divinité, au pied des autels qu'ils allaient se réfu-
gier quand ils voulaient fonder une famille. C'est
évident. Il faut mettre Dieu dans le mariage. Qui
r r
fera cela? L'Eglise et l'Eglise seule.
V Église divinise le mariage. Voyez-vous ces deux
jeunes chrétiens s'avancer parmi les fleurs et l'en-
cens, aux harmonies douces et profondes des
orgues? Ce sont deux prêtres. Le prêtre catholique
est là, mais, ô spectacle étrange ! il est comme dé-
pouillé de la toute-puissance de son sacerdoce. Il
r
est là, député par l'Eglise, comme un intercesseur et
un témoin nécessaire ; comme un intercesseur pour
prier et bénir, comme un témoin pour voir et
écouter ; mais par une exception inouïe dans l'éco-
nomie des choses divines, lui, le dispensateur de
tous les sacrements, depuis le baptême jusqu'à
l'extrême-onction, il n'est point le ministre de ce
sacrement étonnant. Les ministres, ce sont les deux
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 409-
époux. Le cœur s'émeut au souffle de la nature et
de la grâce à la fois, et, tandis que leurs mains
s'unissent dans une chaste étreinte et leur voix en
une seule harmonie, ils créent du même coup sous
les yeux du prêtre, des anges et de Dieu,, le contrat
de leur amour naturel et le sacrement de leur
union surnaturelle. Dieu intervient, et les deux
âmes sont liées, liées pour toujours, liées de telle
façon que rien ni personne ne pourra jamais les
séparer. Quod Deus conjunxit, homo non separet. —
Ils peuvent s'en aller maintenant ces deux jeunes
époux dans les âpres sentiers de la vie ; ils y trou-
veront des épines, des douleurs, jamais au-dessus
de leur courage. Dieu est avec eux. Ils porteront
sans faiblir la continuité de la vie conjugale et les
lourdes responsabilités de la paternité. Une inta-
rissable force ne cessera de les soutenir à la hau-
teur de tous leurs devoirs. L'ordre, la paix, l'accord,
l'amour, l'honneur régneront toujours sous leur
toit, parce que, si la croix est là, l'onction de Dieu
y est aussi. Ils auront une couche honorée, des
berceaux heureux, un sanctuaire conjugal visité
par les anges tutélaires du foyer, des mœurs graves
dans une vie laborieuse et bénie de Dieu. Enfants
de l'Eglise qui règle et qui divinise le contrat
matrimonial, ils trouveront en elle le secret du
devoir, la source de la force et la garantie du
bonheur.
410 CONFÉRENCES AUX HOMMES
L'Église, Messieurs, a réhabilité l'union conju-
gale. Ne défaisons pas ce qu'elle a fait. Laissons le
foyer adossé à l'autel et la religion à la base de la
famille. « Pro aris et focis; Pour les foyers et pour
les autels... » C'est la devise de tous les peuples.
Que ce soit aussi la nôtre. Chassons loin de nous
les doctrines perverses qui, outrageant également
l'Évangile et le bon sens, justifient le divorce,
l'adultère, la polygamie et contestent même la
légitimité du lien conjugal!
Amen!
TROISIÈME CONFÉRENCE
L'Époux
Messieurs,
Nous avons commencé l'étude des bienfaits de
l'Église dans Tordre domestique. Et, d'abord, elle a
restauré la famille en réhabilitant l'union conju-
gale qui en est le principe. Entrons maintenant
dans le détail. La famille se compose de trois élé-
ments : l'homme, la femme et l'enfant. Et l'homme,
le chef de la famille, se présente à nous sous un
double aspect : il est époux et il est père. L'homme,
en tant qu'époux, accepte l'influence de l'Eglise ou
lui échappe, et de ces deux hypothèses profondé-
ment dissemblables naissent deux situations que
uous allons regarder de près et analyser aussi exac-
tement que possible. Le chef du foyer échappe à
l'influence de l'Eglise ; il vit dans l'indifférence ou
dans l'impiété. Les conséquences sont redoutables.
I. Le chef du foyer est impie, et il entreprend
franchement de conquérir sa femme à l'impiété
412 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et de l'identifier au néant religieux de ses propres
convictions.
D'abord cest un crime. Il n'a pas le droit de tuer
dans l'âme de sa compagne la vie religieuse. Il n'a
pas mis cela dans son contrat de mariage. Il a
caché ce poignard sous les fleurs de l'hyménée. Si
on avait su au juste qui il était quand il venait
solliciter une alliance honorable, la mère de la
jeune fille aurait tremblé peut-être avant de la
livrer. Son père aurait senti monter à ses lèvres
un refus énergique. Si l'époux incrédule avait an-
noncé son projet, si, au moment du départ, il avait
dit à sa fiancée : « Savez-vous où je veux vous
conduire? Jte veux vous conduire dans des chemins
que votre jeunesse n'a jamais fréquentés, dans les
sentiers détournés de l'incrédulité et de l'irréli-
gion » ; s'il avait eu cette franchise, probablement
il eût été délaissé, et la jeune fille eût retiré sa
main en lui disant : « Va-t-en! » Mais non. Il n'a
rien dit. Il a dit peut-être le contraire de ce qu'il
pensait, et sur son impiété méditative et secrète,
il a mis le masque d'une certaine religiosité de
commande et de circonstance. Et maintenant que
les nœuds du mariage sont formés et infrangibles,
maintenant qu'il tient sa proie, il la jette en pâture
aux doctrines de l'irréligion et du néant. C'est une
trahison criminelle.
Et, de plus, c'est une lâcheté. Car entre lui et sa
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 413
compagne les chances ne sont pas égales. Lui est
une force, sa compagne est une faiblesse. Lui est
armé pour la lutte intellectuellement, sa compagne
a vécu de la religion, et, quoique ses convictions
religieuses soient très raisonnables, généralement,
elle ne les a guère raisonnées. Et, dans tous les
cas, Thomme a devant sa compagne le prestige de
l'autorité, et la femme a devant son mari le rôle
de l'obéissance. L'homme est un gantelet de fer ;
la femme est une fleur. Les chances ne sont pas
égales, et c'est dans ces conditions que la lutte va
s'engager. Le chef du foyer entreprend de conqué-
rir sa femme à l'impiété. De deux choses l'une,
ou il réussit, ou il échoue dans son entreprise.
S'il ne réussit pas ) c'est la guerre dans son foyer,
c'est la lutte permanente entre une impiété qui
veut s'imposer et une religion qui refuse d'abdiquer.
Devant ce barbare qui vient heurter du pied l'au-
tel où elle adore le Seigneur, qui veut entrer de
force au fond de son âme et en bannir la pureté,
la foi, l'espérance, l'amour de Dieu et tous les
sentiments qui la relèvent et la consolent, la
femme se redresse, prend un front sévère et s'écrie :
« Je veux bien tout sacrifier, tout, excepté ma
conscience et mon Dieu. » Situation cruelle pour
le mari autant que pour la femme, et, afin d'y
remédier, voici ce que quelques-uns ont inventé
dans leur sagesse. Ils disent que, puisque les
hommes n'ont pas de religion, si les femmes n'en
414 CONFÉRENCES AUX HOMMES
avaient pas davantage, ce serait un moyen de re-
trouver l'union des âmes et la paix du foyer. Mes-
sieurs, le remède est pire que le mal. Parce que
certains hommes n'ont pas de religion, ce n'est
pas un motif, et ce serait un malheur de loger les
femmes à la même enseigne et de les condamner
à la même condition. Pour mettre la paix et l'éga-
lité dans le ménage, vous dites : «Appauvrissons
les femmes et privons-les de la religion qu'elles
ont. » Et moi, je dis : « Enrichissons les hommesr
et donnons-leur la religion qu'ils n'ont plus. » Est-
ce que ce n'est pas raisonnable? D'ailleurs façon-
ner pour le foyer domestique des femmes incré-
dules, est-ce que c'est facile? Est-ce même possible?
Et, dans tous les cas, est-ce qu'il n'y a pas là un
danger épouvantable ? Le chef du foyer est impie,
et il s'efforce d'associer sa compagne à son impiété;
s'il ne réussit pas, c'est la guerre.
Et s'il réussit, quel malheur encore pire ! Voyez.
En quelques années, la conscience de l'épouse
ébranlée tombe comme par morceaux sous les
coups répétés des paroles qu'elle entend, des lec-
tures qu'on lui fait faire et des exemples qu'elle
voit à son foyer conjugal. Et bientôt voilà l'homme
et la femme semblables l'un à l'autre, sans pra-
tiques religieuses, sans croyances, sans espoir, re-
gardant s'éteindre au dedans d'eux-mêmes les der-
nières lueurs de leur foi mutilée et de leur raison
égarée, et se précipitant, tête baissée, avec des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 4 i 5>
malédictions réciproques, dans l'abîme que nous
appelons l'enfer et qu'ils appellent le néant. Les
voilà élevant une postérité qui leur ressemble. La
communauté demeure; mais c'est la communauté
de l'athéisme. L'unité se réalise encore ; mais c'est
la possession indivise du mal sans remède et du
malheur sans fin. L'union règne, mais c'est l'union
sur des ruines. Vous n'êtes pas difficiles. Moi, je
trouve que c'est atroce, et je me réserve de vous
montrer bientôt qu'une femme impie, assise auprès
d'un mari impie au foyer domestique, c'est l'abo-
mination de la désolation !
Heureusement, Messieurs, ce phénomène est rare.
Ce qui l'est beaucoup moins, c'est l'indifférence du
mari contrastant avec la religion de la femme. Etu-
dions ce second tableau.
II. Le chef du foyer est indifférent.
Il est, je le suppose, plein de respect pour la reli-
gion. Il s'abstient simplement de la pratiquer. Cette
attitude est-elle inoffensive? Je vais répondre en
évitant soigneusement toute exagération.
L'indifférence du mari n'amène pas nécessaire-
ment Vin différence de la femme. On voit assez sou-
vent une femme rester chrétienne et pieuse auprès
d'un mari sans religion. On voit même quelquefois
la femme fidèle convertir le mari infidèle. On voit
416 CONFÉRENCES AUX HOMMES
des hommes indifférents subjugués à leur insu et
ramenés à la foi par la douce et pénétrante in-
fluence d'une épouse. Et si ce miracle de conversion
ne s'opère pas pendant la vie, il n'est pas rare de
le voir aboutir à la dernière heure. Un homme
irréligieux tombait malade. On va chercher un
prêtre. Il vient en se demandant comment il va
faire pour aborder cette pauvre âme. A peine est-
il entré que le malade lui dit : « Soyez le bienvenu,
je vous attendais, je veux me confesser. » — « Dieu
soit béni, dit le prêtre, mais qui donc vous a ainsi
changé ?» — « G' est un ange de Dieu qui m'a changé ! »
Et, en disant cela, il montrait de la main la porte
par où son épouse venait de sortir. « Je vous com-
prends, dit le prêtre, béni soyez-vous d'avoir écouté
ses exhortations !» — « Ses exhortations? Elle ne
m'a pas dit une parole, je le lui avais défendu. Mais
sa vie, oh ! sa vie! Durant trente ans j'ai été son
bourreau, et durant trente ans je n'ai trouvé en elle
qu'un agneau qui ne s'est pas plaint une seule fois.
Souvent, j'ai essayé de la lasser, je ne l'ai pas pu.
Monsieur, la religion qui inspire de pareils senti-
ments ne peut qu'être divine. Je suis un malheu-
reux, mais du moins je veux mourir dans les bras
du Dieu de mon épouse ! » Voilà, Messieurs, ce que
peut obtenir l'héroïsme de la femme chrétienne.
Mais ce ne sont là que des consolations de la der-
nière heure. Et il n'en reste pas moins vrai que,
le chef du foyer étant indifférent, il y a tout à
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 417
craindre pour la religion de la femme et pour la
paix du ménage.
L'indifférence du mari est généralement un
danger sérieux pour la femme. Placée en présence
dun mari indifférent, elle se pose nécessairement
des questions. Elle se demande si ce mari qu'elle
aime n'a pas de bonnes raisons pour se conduire
comme il le fait et pour se tenir à distance de toute
pratique religieuse. Elle se dit qu'après tout son
mari pourrait bien ne pas avoir tort. Et puis un
homme a beau être raisonnable, avoir pris le parti
sérieux de ne rien dire qui puisse froisser ou inquié-
ter cette jeune fille livrée sans défiance à l'honnê-
teté de sa promesse, il est bien difficile qu'en telle
ou telle occasion il se refuse à un mot, à un trait,
à une observation, à une critique. La femme
recueille cette parole échappée à son mari, la mé-
dite, la commente, lui donne une portée, en tire
une argumentation. Voilà déjà sa foi ébranlée. Elle
commence à douter. Sans faire aucune concession,
sans rien céder en paroles ni de ses croyances, ni
de ses principes, elle s'abandonne avec une cer-
taine complaisance interne à quelque détachement
de ses habitudes et de ses pratiques de dévotion.
Elle laisse d'abord tout ce qui n'est que de simple
conseil; puis, peu à peu, elle entame les principes
positifs. Elle ne prie plus que par intermittence.
Elle manque la messe de temps en temps. Ella
n'est pas impie, mais elle n'est déjà plus chré-»
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-27
418 CONFÉRENCES AUX HOMMES
tienne comme elle l'était aux beaux jours de son
adolescence. Sans cesser tout à fait de participer
aux cérémonies extérieures du culte, d'assister à
quelques offices, elle n'accomplit tous ces devoirs
que très irrégulièrement. Bientôt les sacrements
sont délaissés. C'est la ruine et la disparition de la
vie chrétienne. Le mari constate le fait avec inquié-
tude. Mais comment remédier à cet état de choses,
lorsque sa femme ne fait après tout que prendre
modèle sur lui ? Il aurait mauvaise grâce à prêcher
dans son ménage la dévotion et la ferveur, lorsqu'il
juge à propos de se tenir lui-même en dehors de
tout ce qui peut y ressembler. Voilà donc l'indif-
férence de l'homme qui a fini par dissoudre la piété
de sa compagne. L'homme et la femme sont au
même niveau, et les jeunes enfants n'ont plus per-
sonne qui les façonne aux habitudes religieuses.
Le soir, chacun se retire les lèvres closes, le cœur
froid. Il n'y a plus de prières. Je me trompe. Il y a
peut-être encore la prière furtive du petit enfant
qui a appris au catéchisme qu'il ne fallait jamais
se livrer au sommeil sans s'être auparavant recom-
mandé à Dieu. Pauvre enfant caché dans son petit
lit, il dérobe son signe de croix; il prie d'une
manière secrète et furtive, il prie pour son père
et sa mère qui ne prient plus ! — Mais je veux
bien le supposer, le mal ne va pas jusque-là.
L'indifférence de l'homme n'entame pas la piété
de la femme. La femme reste religieuse; l'homme
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 419
ne Test pas. Est-ce là un idéal bien enviable?
Ce dualisme est un danger et un malheur pour
le ménage, à qui il manque le trait d'union si né-
cessaire et si doux de la religion commune. On les
a vus jadis, ces deux époux, agenouillés ensemble
au pied des mêmes autels, et on pouvait croire
alors que Dieu resterait toujours avec eux dans le
long et difficile voyage de la vie. Hélas! à quelques
mois de distance, quoiqu'ils fussent deux sous
le même toit, quand venait l'heure de la prière,
les anges n'entendaient qu'une voix. On n'en
voyait jamais qu'un dans ce temple où ils avaient
été bénis ensemble, jamais qu'un à cette Table
où leurs existences s'étaient confondues. Lorsque
plus tard les petits enfants bégayèrent les noms
de Jésus et de Marie, il y avait auprès un homme
distrait qui avait l'air de ne pas comprendre.
Au moment où les autres se mettaient à genoux,
lui se retirait à l'écart, et quand sa compagne
voulait reprendre sa main pour le ramener à ce
prêtre qui leur avait dit jadis : « Aimez-vous ! » il
la lui refusait. La mère croit; le père ne croit pas.
La mère prie et adore ; le père ni ne prie ni
n'adore. Jamais de leurs âmes les parties sublimes
ne se touchent; et l'enfant qui sort de cette
fausse union, qui grandit entre ces deux élec-
tricités contraires, que peut-il être sinon rachi-
tique d'âme, incomplètement engendré? Dans cette
juxtaposition d'une femme chrétienne et d'un mari
420 CONFÉRENCES AUX HOMMES
qui ne l'est pas, je trouve quelque chose d'anor-
mal, de violent, d'antinaturel.
Et au nom de votre bonheur, Messieurs, et du
bonheur de votre maison et de votre postérité, je
vous souhaite à tous une foi vive et une religion
sincère et complète. Chefs de famille, l'impiété
et l'indifférence ne peuvent que vous être dange-
reuses et dommageables. Laissez l'Église catho-
lique vous éclairer et vous diriger. Elle a les pro*
messes de la vie éternelle et le secret du bonheur
dans la vie présente I
Amen !
QUATRIÈME CONFÉRENCE
L'époux
(suite)
- Messieurs,
Dans la famille il y a trois éléments : l'homme,
la femme et l'enfant; et l'homme, le chef de la
famille, se présente à nous sous un double aspect :
il est époux et il est père. Je vous ai montré que
la famille a tout à perdre à l'impiété et à l'indiffé-
rence de son chef. Aujourd'hui, laissez-moi vous
tracer le portrait des époux chrétiens. Ce portrait
va vous ravir. Plaise à Dieu qu'en le voyant passer
sous vos yeux vous puissiez tous y reconnaître
votre véridique et quotidienne histoire!
I. Sous la douce influence de l'Église, les époux
pratiquent saintement les devoirs de la vie domes-
tique.
Ce n'est ni l'opinion, ni la loi, ni l'honneur, ni
422 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la morale naturelle, ni l'amour simplement humain
qui montent la garde autour de leur foyer. L'amour
humain est changeant et capricieux, et il s'éteint
vite avec les agréments extérieurs qui Font fait
naître. — La morale naturelle est une barrière que
la passion déplace facilement. — L'honneur s'ac-
commode aux préjugés dominants et il peut masquer
sous des apparences chevaleresques et brillantes jus-
qu'au vice et à la corruption. — La loi punit quelques
délits extérieurs, mais elle ne saurait garantir la
paix et la vertu du foyer. — L'opinion enfin est
souvent pervertie, et il n'est pas rare qu'elle chante
en vers et en prose les vices les plus abjects et
qu'elle autorise ouvertement les plus profonds
désordres. Les époux chrétiens ont un gardien
plus sûr, c'est Dieu, Dieu qui voit tout, Dieu qui
entend tout, Dieu qui juge tout, Dieu qui scrute
les consciences, et qui laisse, après le devoir, la
joie, après le crime, le remords, Dieu qui règle non
seulement les actions mais les désirs, non seu-
lement les désirs mais les pensées, Dieu qui arrête
les passions impétueuses et qui, adoré, servi, in-
voqué par les époux chrétiens leur apprend le secret
de trouver le bonheur dans la vertu. Sous sa garde
invisible, ils pratiquent saintement leurs devoirs.
Entrez dans cette maison que la religion protège,
inspire et dirige. Ce n'est pas là qu'on voit les
vœux de la nature méconnus, les droits du mariage
violés, les joies de la paternité limitées par des
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 423
calculs coupables et sacrifiées à de basses considé-
rations. Ce n'est pas là qu'on écoute les conseils
d'une science économique criminelle qui, comptant
pour rien la loi de Dieu, prépare du même coup le
malheur des époux, le malheur des enfants et le
malheur de la patrie. Non. Là on admire une
couche chaste et pudique, des noces fécondes, une
table joyeuse entourée de jeunes et brillants reje-
tons. Là on trouve des âmes vaillantes qui acceptent
les douleurs de la paternité, de l'éducation et du
travail, et des âmes croyantes qui mettent au-
dessus de tout la confiance en Dieu et l'observa-
tion de sa loi. Regardez, Messieurs, autour de vous.
L'humanité s'étonne, la patrie se plaint, la famille
décroît. Que faire? Il faut revenir aux enseigne-
ments de la religion. Sous la douce influence de
l'Eglise, les époux pratiquent saintement les devoirs
de la vie domestique. Voyez-les de plus près.
r
IL Sous la douce influence de l'Eglise, les époux
goûtent paisiblement les joies de la vie domes-
tique.
Là, le père, la mère et les enfants sont unis
comme les membres d'un même corps, sont heu-
reux de se trouver ensemble et jouissent le plus
possible les uns des autres. Le père sait et sent
qu'il se doit tout entier et à toute heure aux siens.
424 CONFÉRENCES AUX HOMMES
La mère sait et sent que son premier devoir est de
faire aimer l'intérieur de sa maison. Les enfants
savent et sentent que rien n'est plus précieux que
la conversation d'un père, rien de plus parfaite-
ment doux que le cœur d'une mère. On ne connaît,
on ne cherche rien au-delà. On prend ses plaisirs
en famille. On rougirait de se livrer à des diver-
tissements prolongés en dehors du foyer. Pendant
la semaine on travaille ; le dimanche, on se repose,
et on partage en commun les joies du travail et les
joies du repos. Dès le matin du saint jour, on se
dit : « Aujourd'hui, je sens que je ne suis pas
esclave, mais enfant de Dieu; et, en signe de ma
délivrance, je vais purifier mon corps et le couvrir
d'habits de fête. » On va dans la maison de la prière
parler à Dieu, écouter sa parole, chanter ses
louanges, respirer l'atmosphère sanctifiante et
embaumée des divins offices. On en revient en-
semble pour partager les repas, les entretiens et
les loisirs de la famille. Et, le soir, quand les chants
liturgiques et les prières communes ont cessé, que
les dernières bénédictions ont été répandues sur
les fidèles et que la lampe allumée reste seule
devant les adorables tabernacles, alors, après avoir
prié devant le même autel, on se retrouve plus
intimement ensemble au même foyer pour prendre
en famille ou avec de rares amis des délassements
variés, mais toujours simples, procurant de mo-
destes récréations sans jamais être une charge.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 425-
remplissant l'âme d'une satisfaction complète sans
l'enivrer ou la fatiguer jamais. Ainsi vont les jours,
les semaines et les années dans le foyer chrétien.
C'est un séjour délicieux que Ton ne quitte qu'avec
peine, où l'on revient avec plaisir et qu'au fond
l'on préfère à tout. Et, mettant en commun leurs
jouissances, les époux y mettent aussi leurs peines-
et leurs revers.
III. Sous la douce influence de l'Église, les époux
portent courageusement les charges de la vie
domestique.
L'homme et la femme ont chacun leur tâche
respective : à l'un, Tordre de travailler la terre; à
l'autre, la mission de mettre au monde les nations
qui doivent la peupler. Le poids de l'enfantement
pèse sur les entrailles de la femme; le poids du
jour et de la chaleur écrase la tête de l'homme.
Pour tous deux, c'est le travail. Mais comme ce tra-
vail est allégé, consolé, réjoui par les prévenances
réciproques ! Quand le mari rentre le soir dans son
foyer, accablé de fatigues, épuisé de besoin, la sueur
au front, les mains durcies par la glèbe qu'il a
remuée, le dos courbé sous le fardeau de la jour-
née, il trouve au logis une ménagère attentive qui
le délasse par ses soins, son affection et son sourire.
Et quand la femme succombe sous le poids des
426 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sollicitudes que la maternité lui impose, elle trouve
dans son mari un regard qui la récompense et un
courage qui la ranime. Le mari et la femme, char-
més des grâces naïves de leurs enfants, oublient
le travail et ils se sentent heureux, même sous
le fardeau, puisqu'ils le portent d'un commun
accord.
L'homme et la femme rencontrent sur leur
chemin des chagrins et des disgrâces. C'est inévi-
table. Vous comptiez pour votre mari sur une posi-
tion sociale honorable et lucrative ; son talent la
lui méritait; mais l'intrigue le devance et la lui
enlève ; s'il l'obtient, il ne faut qu'un souffle pour
l'en faire descendre et le précipiter dans la décep-
tion. Vous fondiez sur la dot de votre femme
d'Heureuses spéculations; l'entreprise échoue, la
dot est dissipée; quelques-uns vous plaignent,
beaucoup vous accusent; tout le monde vous oublie.
Messieurs, dans notre monde contemporain rien
n'est stable, et ni la fortune, ni le talent, ni la
vertu ne peuvent nous garantir le succès et le
repos. Ajoutez à cela qu'il peut arriver et qu'il
arrive souvent que la mort, visitant votre foyer,
vous enlève prématurément un fils ou une fille
bien-aimée. Heureux les époux qui savent se
rendre l'un à l'autre la justice que le monde leur
refuse et qui sont l'un pour l'autre une consolation
et un appui ! Ils peuvent avoir et ils ont des larmes
à verser; mais ils les versent ensemble sous le
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 427
regard de Dieu qui en tempère l'amertume et en
assure le mérite. En résumé, associés dans les
mêmes devoirs, dans les mêmes joies et dans les
mêmes charges, ils trouvent dans leur commune
religion le secret de la force et du bonheur, le secret
de suffire à leur commune tâche.
IV. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux
élèvent noblement les rejetons de la vie domes-
tique.
Représentez-vous des enfants élevés entre un
père qui trace par sa parole et par ses actes les
saintes lois de l'honneur, du devoir et du sacri-
fice, et une mère, qui tempère, par la douceur de
ses leçons, la rudesse parfois pénible des leçons
paternelles. Représentez-vous les répressions pru-
dentes, les douces réprimandes, les corrections
mitigées que la conscience inspire, que l'autorité
commande, que l'affection fait accepter; et vous
conviendrez facilement que les enfants ainsi élevés,
portés de la sorte sur les grandes ailes de la sagesse
et de l'amour, n'ont qu'à monter vers le bien, sans
effort pour ainsi dire. Ils deviennent bons par imi-
tation et presque à leur insu. La religion, présente
au foyer, le transfigure sous la splendeur d'un triple
respect : le respect de Dieu, le respect mutuel des
époux, le respect filial. Un p^re et une mère au
428 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sanctuaire domestique, avec leurs mains consacrées
étendues sur les berceaux, avec des prières sur les
lèvres et des convictions dans le cœur, ce sont
comme les deux anges préposés à la garde de l'arche
d'alliance et chargés de couvrir le Saint des saints.
C'est un spectacle à ravir le ciel et la terre !
Cet enfant aux blonds cheveux dont le front pur
est humide encore à dix ans de l'eau du baptême,
et dont l'œil limpide et clair reflète avec l'azur du
ciel le sourire de Dieu ;
Ces jeunes gens à la fois modestes dans leur force
et forts dans leur modestie, à qui la chasteté a fait
goûter ses plus chères délices, et qui combattent
les grands combats du Seigneur, le nom de Jésus-
Christ sur les lèvres et le chapelet à la main;
Ces époux agenouillés comme Tobie et Sara devant
le lit nuptial, et voyant croître comme David au-
tour de leur table agrandie les rejetons de leur race
plus serrés et plus beaux que des oliviers couronnés,
de fruits ;
Ces vieillards qui achèvent leur carrière en repo-
sant leurs yeux satisfaits sur une postérité toute
rayonnante de grâce et de santé;
Et, au milieu de ce tableau, quelque vierge qui
s'est interdit même l'espérance des noces de la
terre, pour épouser dès ce monde Jésus le bien-
aimé de son âme et obtenir ainsi de suivre un jour
dans le ciel les noces de l'agneau;
Quelle variété de vertus, de mérites, de charmes
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 429
et de délices ! quelle paix, quelle douceur, quelle
union, quelle félicité, même terrestre, dans cet
assemblage qui ramasse sous le même toit l'inno-
cence du premier âge, les triomphes de la jeunesse,
la sécurité commune des époux et les plus chers
souvenirs d'une vieillesse tranquille et bénie!
Voilà, Messieurs, ce que fait l'Eglise quand on la
laisse s'introduire au foyer domestique : elle le
transfigure !
— Aborderai-je maintenant une perfide objec-
tion de l'impiété? Pourquoi pas? L'impiété dit :
« Le prêtre est l'ennemi du foyer conjugal, parce que
ce foyer se compose de quatre personnes : le père,
la mère, l'enfant, et derrière... quelqu'un qui reste
caché, un personnage mystérieux et sombre qui
exerce une influence occulte pour séparer les époux
et mettre la discussion dans le ménage. » Mes-
sieurs, malgré moninfîrmité et mes misères d'homme
faillible et pécheur, je proteste au nom de tout le
sacerdoce contre cette insinuation perfide, et j'affirme
sans crainte d'être démenti par les consciences chré-
tiennes que le s'icerdoce ne travaille qu'à une seule
chose dans la famille, à préserver et à conserver
l'immortelle union des époux. Nous apaisons les
divisions, nous calmons les ressentiments, nous
éloignons les discordes, nous pallions les torts de
chacun, nous dissimulons les fautes, nous rappe-
lons les devoirs, nous condamnons les abus... Et,
,0A CONFÉRENCES AUX HOMME»
430
nA h parole du prêtre n'est plus entendue, ce
Et, quand la religion baisse au foyer, ce n P
bonheur qui monte 1...
Amen!
CINQUIÈME CONFÉRENCE
Le père
Messieurs,
L'homme est la tête de la femme, selon l'expres-
sion de l'apôtre saint Paul. Il est époux et, à ce titre,
il a besoin de la religion. Mais voici un nouveau
rayon qui resplendit à son front. L'homme est père.
La paternité ! Chose sublime, chose divine. Gréée
par Dieu lui-même, la paternité crée à son tour la
famille, la patrie, le genre humain. Mettons en face
l'un de l'autre ces deux grands mots qui expriment
deux si grandes choses, et voyons comment la pa-
ternité et la religion peuvent et doivent s'allier,
s'harmoniser et se prêter un mutuel concours.
Pères de famille, vous avez besoin de la religion.
D'abord vous êtes des hommes et, à ce seul titre,
vous avez des ennemis cachés contre lesquels vous
ne pouvez vous défendre sans la force religieuse.
Rappelez-vous notre malheureuse armée poursuivie
par les Cosaques en 1812. Nos bataillons couverts
de neige, mutilés par le froid plus que par le fer,
étaient impitoyablement harcelés. Le soir, couchés
432 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sous la tente, ils espéraient goûter un instant de
repos. Vain espoir! A peine endormis, des hourrahs
épouvantables les réveillaient et les forçaient de
courir aux armes. Ainsi les passions poussent
devant elles l'humanité et lui portent des coups
affreux. Eh bien, qui est-ce qui pourra vous fortifier,
vous protéger, vous aguerrir et panser les bles-
sures que vous recevez dans cette grande retraite
de 1812 qu'on appelle la vie? Qui? Quoi? La santé,
la fortune, la science ne peuvent rien ici. Dans les
grands combats du bien contre le mal il n'y a que
la religion pour nous sauver. Elle vous tient et elle
s'impose à vous par là, par les faiblesses de votre
nature humaine, et vous paierez par des chutes
inévitables l'orgueil de vouloir vous passer d'elle.
Vous êtes des hommes. Mais il y a plus. Vous êtes
pères, et comme tels vous avez besoin de la reli-
gion.
I. Vous avez besoin de la religion pour porter le
fardeau des devoirs et des responsabilités qui pèsent
sur vous et qui sont immenses.
Dans l'ordre matériel, quelle mission que celle
du père de famille ! Il doit accepter les enfants que
Dieu lui donne... et, même dans les meilleures con-
ditions légales et économiques, la charge d'une
nombreuse postérité est lourde. Travail assidu,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 433
•veilles prolongées, sueurs du jour, heures dérobées
au sommeil des nuits, voilà son programme. Il faut
chaque jour qu'il revienne de l'atelier ou du bureau
avec son salaire noblement acquis, qu'il l'apporte
tout entier à sa femme et à ses enfants qui l'at-
tendent et qui lui disent merci. Il faut chaque soir,
en se mettant à table, qu'il puisse dire : « Ce pain,
c'est moi qui l'ai gagné. Ce vin, c'est le prix de
mes sueurs ! » Il faut qu'il trouve sa meilleure joie
•et sa plus douce récompense, non pas dans les
ivresses troublantes des réunions étrangères et pro-
fanes, mais dans le spectacle simple de sa famille
attablée autour de lui, comme Henri IV... Vous
savez? Henri IV jouait avec ses enfants quand
l'ambassadeur d'Espagne entra au Louvre. L'ambas-
sadeur, voyant Henri IV marcher sur les mains et
porter ses enfants sur son dos, parut surpris de
voir le roi de France en semblable abaissement.
Henri IV s'en aperçut et dit : « Monsieur l'ambas-
sadeur, êtes-vous père? » — « Oui, Sire. » — « Alors,
reprit Henri IV, je continue. » Vous feriez la même
chose, Messieurs. Parce que vous êtes pères, vous
comprenez que le travail est votre lot, et que ce
travail incessant n'admet d'autre répit que celui
des joies calmes et naïves de la vie de famille.
Pères, vous êtes la providence visible du foyer do-
mestique; tout porte sur vous. Et vous croyez
qu'avec une telle mission vous pouvez impunément
vous passer de Dieu, que votre esprit tourmenté,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — - 1-28
434 CONFÉRENCES AUX HOMxMES
votre volonté défaillante et votre cœur meurtri
n'ont pas besoin des lumières, des énergies et des
consolations de la foi? Moi, je crois le contraire et
je pense être dans la vérité. Et encore jusqu'ici je
ne vous ai parlé que du côté matériel de votre
mission.
Au point de vue moral, vos devoirs et vos respon-
sabilités ont un caractère bien autrement tragique.
Donner aux enfants la vie matérielle, les vêtir, les
nourrir, les établir, c'est quelque chose. Mais les
élever, quelle tâche ! Cet enfant a une âme. Il faut
l'instruire, il faut lui inspirer le respect de soi-même
dans l'amour de Dieu et des hommes. Et s'il venait
à tomber, il faudrait le relever, le sauver du nau-
frage et de la ruine. Vous ferez cela sans Dieu? Je
vous en défie bien. « Vous ne fonderez pas de famille,
dit Mgr Bougaud, ou, si vous en fondez une, ce sera
pour votre punition. Et cette famille, signalée du
doigt par les vieillards, apprendra aux générations
futures ce qu'elles doivent éviter pour leur bonheur,
comme ces débris ramassés au milieu des écueils
et qu'on place au bord des mers pour indiquer, aux
vaisseaux qui passent, les lieux féconds en nau-
frages. » Messieurs, l'âme d'un père de famille est
nécessairement élevée et religieuse. Quand un
homme sent peser sur sa tête les responsabilités
que je viens d'indiquer, comment ne sentirait-il
pas, d'une part, les difficultés, et, de l'autre, sa
propre faiblesse? Que fait-il alors? Il appelle Dieu
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 435
à son aide. Pères, vous avez besoin de la religion
pour porter le fardeau de vos devoirs et de vos res-
ponsabilités.
II. Vous avez besoin de la religion pour sauver
votre prestige et votre autorité.
Messieurs, il vous faut du prestige. Le père le
plus vulgaire doit resplendir devant ses enfants.
Et comment resplendira-t-il, si la religion ne le
consacre, si la majesté de Dieu ne vient pas irra-
dier sur son front? Les enfants ne vénéreront
jamais mieux leur père, que quand ils l'auront vu
découvrir chaque soir son front vénéré et l'incliner
devant Dieu. Oh! que le père est plus auguste et
plus royalement père à genoux que debout !
Messieurs, il vous faut de l'autorité, et il n'y a
que la religion pour vous la donner. Qu'est-ce que
j'entends dire partout? Que l'esprit d'indépendance
souffle dans les familles. Est-ce que vos plaintes
les plus légitimes et les plus fréquentes n'ont pas
précisément pour objet cette apparition redoutable
et cette invasion progressive de l'esprit d'indépen-
dance dans la génération actuelle? J'entends une
mère qui me dit : « Mon fils a quinze ans, et on ne
peut plus rien lui commander! » J'entends un père
qui me fait à peu près le même aveu et qui ajoute
tristement : « Ah ! autrefois, comme on obéissait
436 CONFÉRENCES AUX HOMMES
mieux! Mais les mœurs sont bien changées. » —
Oui, Messieurs, les mœurs sont changées. La base
du respect filial a été déplacée et renversée. Tous
les respects se tiennent, toutes les autorités s'en-
chaînent. N'espérez pas toucher à celle-ci sans
ébranler celle-là. Le coup de marteau que vous
donnez au rez-de-chaussée casse les pendules au
premier étage, car les planchers sont fragiles et les
cloisons sont minces, et la logique gouverne le
jeune homme malgré lui et à son insu. Quand il
s'aperçoit que dans la famille l'autorité de Dieu
n'est plus qu'un vain mot, comment voulez-vous
qu'il respecte encore l'autorité d'un père et d'une
mère? Le renversement de l'autorité divine amène
le* renversement de l'autorité paternelle. C'est
logique, c'est fatal, et c'est de l'histoire contempo-
raine. Quand la religion s'en va d'une famille,
n'allez pas croire que c'est un petit malheur. C'est
une ruine qui en amène cent autres. Parce que le
clocher est placé au milieu du village, les pierres
qui tombent du clocher écrasent les maisons d'alen-
tour; et parce que la religion est la colonne cen-
trale qui porte tout, elle entraîne avec elle dans sa
chute toutes les délicatesses du respect filial.
Pères, vous avez besoin d'autorité, et vous n'aurez
d'autorité qu'en vous adressante la religion. Il peut
commander sans crainte à ses subordonnés ce chef
de maison qui obéit lui-même à son divin supé-
rieur... Sinon, j'ai grand'peur de voir ses ordres
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 437
transgressés et son sceptre brisé. Il voudrait avoir
un trône dans la famille, et il commence par détrô-
ner Dieu le premier maître... Est-ce logique? Il
exige que ses enfants s'abaissent devant lui, et il
oublie, lui, de s'abaisser, de s'agenouiller devant
Dieu le matin, le soir, le dimanche... Est-ce lo-
gique? Il s'irrite des résistances qu'il rencontre et
il gémit sur l'émancipation du jeune âge... Et lui-
môme depuis longtemps s'est affranchi de la loi de
Dieu et des observances nécessaires de la religion...
Encore une fois, est-ce logique? Non, Messieurs, ce
n'est pas avec de telles mœurs que nous pouvons
asseoir, fonder, perpétuer des familles solides et
durables. Avec de telles mœurs depuis quarante et
soixante ans nous bâtissons sur le sable, nous éle-
vons des édifices qui s'écroulent, nous ne faisons
que des ruines. Pères de famille, mettez Dieu avec
vous, et Dieu mettra dans vos paroles, dans vos
actes, et jusque dans votre regard et sur votre front
la splendeur, le prestige et l'autorité qui élèveront
votre paternité à la hauteur d'un sacerdoce. Vous
avez besoin de la religion pour porter le fardeau
de vos devoirs et pour consacrer votre autorité.
III. Vous avez besoin de la religion pour assurer
l'empire de la vertu dans l'àme de vos enfants.
Vous voulez des enfants vertueux. Au-dessus de
438 CONFÉRENCES AUX HOMMES
leur santé, au-dessus de leur instruction, au-dessus
de leur héritage et de leur situation sociale, vous
placez leur vertu, et vous avez raison. Qu'importe
que vos enfants soient resplendissants de santé, si
un noble cœur ne bat pas dans leur poitrine?
Qu'importe qu'ils soient savants, s'ils ne sont pas
honnêtes? Qu'importe qu'ils soient riches matériel-
lement, s'ils sont d'une pauvreté morale évidente?
On peut être très mauvais père et léguer des mil-
lions à sa postérité. Le meilleur père est celui
qui donne à la société les plus vertueux enfants.
Or vos enfants ne seront pas vertueux s'ils ne
sont pas chrétiens. La religion est le bouclier de
la vertu. Même sous ce bouclier ils ne seront point
invulnérables. Que serait-ce donc si vous les jetiez
dans les grandes batailles de la vie découverts, acces-
sibles à tous les traits, désarmés, impuissants, affran-
chis du frein religieux, sans foi ni loi? « Peu ou
point de religion, disait un père à un principal de
collège en lui présentant son fils. » Peu ou point de
vertu, ont répondu par des faits des milliers de fils
à de semblables pères.
Et maintenant écoutez-moi encore. Vos enfants
ne seront pas chrétiens si vous ne l'êtes pas vous-
mêmes. J'invoque la loi de la solidarité. En vertu
de cette loi, tout homme exerce autour de lui une
influence funeste ou heureuse, et cette influence
est proportionnelle à la situation qu'on occupe. Par
exemple, quand un chef d'Etat subit une défaite
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 439
militaire, la nation tout entière est vaincue avec
lui. Quand un peuple est gouverné par un saint
comme Louis IX ou par un débauché comme
Louis XV, les citoyens participent aux avantages ou
aux inconvénients qui résultent de lafolie ou de la sa-
gesse de leur maître. Cette loi de solidarité se fait sen-
tir dans la famille. Le père porte, en lui-même, les
destinées de tous les siens, et généralement il ne
donne que ce qu'il possède. Vide de convictions reli-
gieuses, il engendre des êtres qui lui ressemblent.
J'invoque la loi de l'exemple. L'enfant ne saura
jamais prier s'il ne l'a appris tout petit sur les
genoux de sa mère, un peu plus grand aux côtés de
son père. Il ne suffit pas qu'un père dise : « Ma
fille, va prier. » Il faut qu'il dise aussi : « Mon fils,
viens prier! » ou mieux : « Prions ensemble. » Si
le père n'est pas chrétien, à sept ans l'enfant s'en
aperçoit ; à dix ans il s'en étonne ; à quinze ans il
s'en scandalise; et au premier cri des passions il
s'en fait une arme. La religion est un joug, Mes-
sieurs, et un âge arrive, l'âge des tempêtes, où le
jeune homme sent que la religion le gêne. A ce
moment-là, il aurait besoin d'un grand exemple tom-
bant de la vie de son père sur la sienne pour le
fortifier contre les courants et pour sauver sa vertu
en même temps que sa foi. Hélas! si, en ouvrant
les yeux et en scrutant la vie paternelle, il peut se
dire : « Mon père n'est pas chrétien, pourquoi le
serais-je moi-même? » son apostasie est à peu près
440 CONFÉRENCES AUX HOMMES
certaine et, du fond de l'abîme, il peut s'écrier d'une
voix accusatrice : « 0 mon père, il n'est point vrai
que vous soyez innocent de ma catastrophe. Car il y
avait de saintes observances destinées à attiédir
mes passions de vingt ans, et votre exemple m'a
enseigné à les abandonner. Il y avait des prêtres,
c'est-à-dire des hommes aux pieds desquels on étu-
die l'art de gouverner sa jeunesse, et votre exemple
m'a appris à les fuir. Enfin, il y a un Dieu dont ma
vertu chancelante avait besoin, et nous ne l'avons
jamais prié ensemble ni à la maison ni dans le
temple. » Messieurs, vous avez besoin de la reli-
gion pour assurer l'empire de la religion dans
l'âme de vos enfants; car vos enfants ne seront
vertueux qu'autant qu'ils seront chrétiens, et ils ne
seront chrétiens généralement qu'autant que vous
le serez vous-mêmes.
César allait rejoindre sa flotte, et la petite
barque qui le portait fut assaillie par une violenta
tempête. Le nautonier tremblait. « Que crains-tu?
lui dit le dictateur, tu portes César! » Chefs de fa-
mille, combien elle est agitée et menacée la barque
domestique dont vous tenez le gouvernail! Mettez
Jésus-Christ dans la barque. 11 vous sauvera, vous
et les vôtres!
Amen!
SIXIÈME CONFÉRENCE
Le Père
(suite)
Messieurs,
Vous avez besoin de la religion. Je vous apporte
aujourd'hui une seconde affirmation. Pères de fa-
mille, la religion a besoin de vous. En somme, la
grande et unique question du jour est celle-ci : il
faut christianiser la société. Qui peut faire cela?
Qui est de force à faire rentrer le christianisme
dans le monde d'aujourd'hui, et dans les généra-
tions nouvelles qui sont le monde de demain?
Qui? Vous, pères de famille. La religion est perdue
en France, et la France est perdue avec elle, si
les pères de famille ne se lèvent pas comme un
seul homme pour infuser l'Evangile dans l'âme et
dans le sang de leur postérité. Toutes les forces
sociales, à l'heure qu'il est, sont ou hostiles, ou
indifférentes, ou impuissantes au point de vue reli-
gieux. Pères, vous restez seuls sur la brèche.
442 CONFÉRENCES AUX HOMMES
I. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles? Le pouvoir civil?
Il ne faut guère y compter. On a vu cela jadis.
On a vu Charlemagne et saint Louis adopter les
principes chrétiens, les inscrire dans le Code de la
nation, leur donner force de loi et les couvrir de
leur protection royale. On a vu le Pape et l'Em-
pereur se donner la main et conduire ensemble
l'humanité, comme deux pilotes amis dirigent un
même navire en fixant du regard la même étoile
polaire. Nos pères ont fait cela, et ils étaient dans leur
droit. Peuples et princes se sont entendus pour intro-
duire l'Evangile dans leur constitution politique et
leurlégislation civile. Nous pouvons ne pas les imiter,
mais nous ne pouvons pas les blâmer. Au moyen âge
le suffrage universel des princes et des peuples était
manifestement dévoué au catholicisme, et, puisque
nous réglons notre vie politique et sociale avec le
suffrage universel, ayons la pudeur et le bon sens
de ne pas reprocher à nos ancêtres ce que nous
faisons nous-mêmes. Jadis le pouvoir civil était le
défenseur et le propagateur du christianisme.
Tel il n'est plus aujourd'hui. Je ne discute pas
le fait, je le constate. Le pouvoir civil se désinté-
resse du christianisme; il dit : « La religion, ce
n'est pas mon affaire. J'administre, je déclare la
guerre, j'entretins les armées, je protège l'agri-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 443
culture, le commerce, l'industrie, les lettres, les
sciences et les arts ; mais la religion ne me regarde
pas. » Tout ce qu'on peut demander de mieux au
pouvoir public à l'heure actuelle c'est qu'il donne
au christianisme la liberté commune. Il serait
puéril d'attendre de lui un apostolat quelconque
en faveur de l'Evangile.
II. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles ? La presse, le journalisme ?
Sans doute il y a une bonne presse... mais com-
bien elle est impuissante ! La mauvaise presse au
contraire est un marteau qui démolit chaque jour
quelque partie du symbole et du Décalogue. Elle
va tour à tour des audaces du blasphème aux
opprobres de la pornographie, et parce qu'elle flatte
tous les mauvais instincts du cœur, elle n'a même
pas besoin de talent pour réussir. La religion étant
un frein puissant pour les passions, que fait la mau-
vaise presse ? Elle attaque journellement la religion.
Elle souffle sur le monde, avec une égale ardeur et
un succès égal, l'esprit de licence et l'esprit d'im-
piété. Vous le savez autant et mieux que moi
Messieurs, bien loin que la presse soit une auxiliaire
de la vertu et de la foi, elle n'est trop souvent que
la complice de l'incrédulité et de la corruption.
Si donc vous voulez mettre le christianisme dans
444 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'âme des générations nouvelles, cherchez autre
chose.
III. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles ? L'exemple descendant des
hauteurs sociales ?
Messieurs, ce n'est pas toujours le bon exemple
qui descend des hauteurs sociales. Il n'est pas rare
de constater dans les classes dirigeantes l'efface-
ment des croyances et l'abandon du devoir.
Et quand l'exemple venu de haut est irrépro-
chable, quelle influence exerce-t-il ? Une médiocre
influence. L'émancipation des esprits est à son
comble. Chacun a ses théories personnelles et dis-
cute ses propres croyances. Autrefois, on vivait de
traditions ; aujourd'hui, ce qui est ancien a moins
de prestige que ce qui est nouveau, et le plus mo-
deste artisan se fait une religion, comme il se fait
une politique. Vous, Messieurs de la bourgeoisie,
vous avez renié les mauvais exemples de 1830 et
du xvnie siècle; je le reconnais et je vous en loue.
Mais voyez un peu ce qui se passe. On vous a
suivis quand vous descendiez, on ne vous écoute
plus quand vous essayez de remonter. Vos conseils
sont frappés de suspicion, et vos efforts, vos exem-
ples semblent stériles. Est-ce à dire que vous allez
vous décourager? Non. Le peuple ne vous suit pas
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE • 445
à l'église ; mais c'est après vous qu'il y reviendra,
comme c'est après vous qu'il l'a quittée. Il y re-
viendra peu à peu, au fur et à mesure que se re-
fera son éducation religieuse. En attendant, il s'abs-
tient, et l'exemple qui descend des hauteurs sociales
ne suffit pas à l'entraîner.
IV. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles? L'École?
Hélas ! l'école est trop souvent l'obstacle à la dif-
fusionduchristianisme.L'évêque d'Angers, MgrFrep-
pel, était à la gare de Tours. Il voit venir à lui un
homme qui paraissait très ému : « Vous êtes bien
Monseigneur d'Angers? Je savais que vous étiez
ici, et je suis accouru pour vous voir. Vous allez faire
une grande chose en fondant une Université catho-
lique. J'ai voulu vous en féliciter. Vous élèverez des
jeunes gens qui auront la foi. Ceux qui ont élevé
mon fils lui ont pris la foi et les moeurs. Je ne suis
pas riche, Monseigneur, mais voici vingt francs que
je vous prie d'accepter pour l'œuvre que vous allez
entreprendre. » L'école publique, Messieurs, n'a pas
le droit d'enseigner l'Evangile; elle n'a pas le droit
de nommer Jésus-Christ et de placer son image sous
les yeux des écoliers ; elle n'a pas le droit de lever
les âmes et les fronts vers Dieu. Elle n'est pas faite
pour christianiser, mais plutôt pour déchristianiser.
446 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Vous me dites à cela qu'il y a des écoles libres,
des écoles chrétiennes. Mais il n'y en a pas dans
les campagnes. On a de la peine à en fonder quel-
ques-unes à la ville. Et d'ailleurs l'école, même la
meilleure, ne remplace pas la famille et n'a sur
l'enfant qu'une influence restreinte et insuffisante.
Et ma question revient, de plus en plus impérieuse
et de moins en moins résolue :
V. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles? Le prêtre ?
Oui, Messieurs, nous voulons faire du bien à vos
enfants; nous le voulons passionnément, si bien
qu'on nous reproche parfois, à nous prêtres catho-
liques, d'aimer la jeunesse, de chercher à conquérir
noblement son estime et son affection. J'accepte ce
reproche et je m'en glorifie. Quel serait donc l'objet
de notre ambition et des saintes tendresses de notre
âme, sinon cette jeunesse ardente et fière, qui
croit au bien, à la vérité, à l'honneur, mais qui est
si vivement sollicitée par l'erreur et par le mal?
Nous aimons vos enfants, et nous sommes disposés
à faire le possible et l'impossible pour protéger leur
foi et leur vertu.
Mais que pouvons-nous? Lorsqu'aux champs
tristement célèbres de Reischoffen nos intrépides
cuirassiers voulurent sauver l'honneur du drapeau
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 447
français, ils firent contre les bataillons allemands
trois charges qui resteront fameuses. Vainement
essayèrent-ils de pénétrer, l'épée à la main, dans
les rangs ennemis; ils ne purent que s'ensevelir,
non pas dans leur triomphe cette fois, mais dans
leur magnanime défaite. Nous aussi, prêtres, nous
essayons de charger l'incrédulité et le vice qui
étreignent les générations naissantes. Sommes-nous
plus heureux que nos cuirassiers héroïques ? Pas
toujours. Sans vous, Messieurs, nous ne pouvons
pas grand'chose, parce que vos enfants ne sont
entre nos mains que transitoirement et que, si nous
avons votre autorité, nous n'avons pas vos sanc-
tions. Nous ne sommes puissants qu'adossés à la
famille et secondés par elle. Et encore ici expli-
quons-nous bien à qui revient, dans la famille, la
mission de christianiser les enfants et la chance
d'aboutir, de réussir en une œuvre si nécessaire et
si difficile.
VI. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles? La mère?
Oui, certes, la puissance d'une mère de famille
est grande. C'est elle qui communique à l'enfant
ses premières impressions, ses premiers goûts et,
par suite, ses habitudes souvent définitives. L'en-
fant qui a eu une mère vertueuse et tendre ne sera
448 CONFÉRENCES AUX HOMMES
jamais tout à fait mauvais. Et combien de fois, dans
les plus fougueux égarements, la pensée d'une
bonne mère et la crainte de l'affliger arrêtèrent l'en-
fant prodigue sur le bord du précipice ! Et combien
de fois, dans l'heureux travail du repentir, le souve-
nir d'une de ses paroles ou même d'un de ses regards
détermina pour lui le retour complet au bien !
Cependant, la mère toute seule ne peut pas tout.
Ses exemples et ses paroles n'ont pas le prestige et
l'autorité des paroles et des exemples paternels. Et
généralement, quand le père est indifférent ou
hostile, les destinées de la religion sont compro-
mises au foyer domestique. L'influence de la mère
est d'ordinaire insuffisante sans l'intervention du
père de famille.
VII. Qui mettra le christianisme dans l'âme des
générations nouvelles ? Le père.
Pères de famille, la religion a besoin de vous.
Elle a besoin de votre autorité. Vos enfants ont le
droit d'être chrétiens. Ils ont le droit de connaître
Dieu, de l'aimer, et de le servir, d'apprendre leur
religion, de conserver leur baptême, d être préparés
aux sacrements qui entretiennent la vie chrétienne.
Toute éducation qui contrarie ces droits, ou n'en
tient pas compte, est une éducation fausse, crimi-
nelle, meurtrière, une éducation qui renouvelle
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 449
dans un ordre supérieur l'abominable barbarie des
mœurs païennes. Vos enfants ont le droit d'être
chrétiens et de vivre en chrétiens. Un jour, maîtres
d'eux-mêmes et aveuglés par leurs passions, ils
renonceront peut-être à ce droit, et vous n'aurez
plus qu'à gémir et à pleurer sur leur apostasie.
Mais, en attendant, pères de famille, vous devez user
de votre autorité pour les protéger contre l'éduca-
tion neutre et athée qui voudrait les déchristianiser
malgré eux et malgré vous ; vous devez faire tout
ce qui est possible pour conserver et développer en
eux la vie de la grâce, cent fois plus précieuse que
la vie de la nature ; vous devez mettre votre pater-
nité au service de la religion. La religion a besoin
de vous. Elle a besoin de vos exemples. Point de
dualisme dans la famille! Il faut mettre un terme
à ce partage odieux d'un foyer, où l'on voit, d'un
côté, un père indifférent et un fils frondeur, de
l'autre, une mère et une fille appliquées à leur
devoir religieux. Non, les générations nouvelles ne
sauraient plus longtemps être tiraillées et déchirées
en sens contraires par des influences et des
exemples domestiques qui se combattent et s'en-
trechoquent sous leurs yeux. Pères, revenez à votre
mission ! Formez-nous une race neuve avec la pu-
reté du sang, la noblesse du cœur, la force du
caractère, une race qui possède des convictions,
qui s'accoutume aux privations, qui se prépare au
sacrifice, qui passe sans étonnement du foyer à
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-29
450 ' CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'école, de l'école à la caserne, trouvant partout les
mêmes exemples de foi, de tempérance, d'honneur
et de courage. C'est ainsi que sera sauvée la so-
ciété par l'infusion du christianisme dans l'âme des
générations nouvelles.
Pères de famille, la société a besoin de vous. Tout
le monde à cette heure interroge avec anxiété
l'avenir. Qu'est-ce qui constituera l'Europe nou-
velle, la France nouvelle? C'est la famille. Sans
doute nous avons l'armée. Mais l'armée elle-même
n'est, après tout, que le reflet de la famille. D'où
sort l'armée sinon des entrailles de la nation,?
Quelle est sa première école? Le foyer. Quel est le
premier sergent instructeur du jeune soldat? Son
père. Quelle est sa première caserne? La maison
paternelle. L'avenir définitif du monde appartient
aux peuples qui ont le plus de familles nombreuses,
laborieuses et chrétiennes ; et c'est le père surtout
qui fait les familles nombreuses, laborieuses et
chrétiennes. Les civilisateurs de la race humaine,
ne dites plus que ce sont les princes et les magis-
trats, les penseurs et les orateurs. Tous ces hommes,
sans doute, sont des envoyés de Dieu et des bienfai-
teurs de l'humanité-; mais leur part est nécessaire-
ment secondaire. Les vrais civilisateurs, les créa-
teurs de la France et de l'Europe, les législateurs
des sociétés modernes, ce sont les pères de famille I
Amen!
SEPTIÈME CONFÉRENCE
L'épouse
Messieurs,
L'Église est la grande bienfaitrice de l'huma-
nité dans l'ordre domestique. Elle a réhabilité
l'union conjugale. Elle a réhabilité le chef de la
famille. Elle a réhabilité la femme. La femme au
foyer est épouse et mère. Considérons-la aujour-
d'hui comme épouse et étudions-la dans les trois
attitudes différentes qu'elle peut prendre vis-à-vis
de la religion. Elle peut être ou étrangère à l'Eglise,
ou amie de l'Eglise, ou hostile à l'Eglise. Regardez
et choisissez.
I. L'épouse étrangère à l'Église.
L'épouse, dans le paganisme, inspire compassion.
Elle est la servante et l'esclave de l'homme, le jouet
de ses caprices, la victime de sa tyrannie, l'instru-
ment de ses plaisirs. Elle se prête, se cède, s'échange
452 CONFÉRENCES AUX HOMMES
comme un meuble ou un vil bétail. Elle est dé-
gradée par l'inceste, la répudiation, la prostitution
religieuse ou légale, la vente et le commerce qu'on
en fait. Et, entre toutes les plaies qui la rongent et
la déshonorent, il faut signaler surtout la poly-
gamie et le divorce. Oh ! qu'ils sont imprudents ou
criminels ceux qui veulent chasser Jésus-Christ
et nous ramener au paganisme ! Qu'était le paga-
nisme sinon de la boue et du sang, sinon le règne
triomphant de la pourriture et de l'iniquité? La
lecture des diverses législations païennes est une
révélation perpétuelle de la situation ignominieuse
faite à la femme. On la maltraite, on la déclare in-
capable de succéder à son père et à sa mère, inca-
pable de tester, incapable d'exercer la tutelle sur ses
propres enfants. On la répudie. « Elle était venue
jeune et belle, dit Lacordaire, on la renvoie flétrie
par l'âge ou l'infirmité, comme un meuble dont on
se défait quand il est fêlé par l'usage ou qu'on
s'ennuie de le voir chez soi... » « Bien plus encore,
ajoute-t-il..., la simultanéité dans le mariage, des
troupeaux de ces êtres si dignes devant Dieu et
devant notre cœur, des troupeaux de femmes en-
fermées comme un bétail entre des murailles, et
devenues, dans l'ennui de leurs jours et de leurs
nuits, la proie je ne dirai pas d'une affection, mais
la proie d'un moment au milieu de siècles d'oubli! »
Telle était l'épouse dans le paganisme.
Et depuis, en dehors de l'Évangile, a-t-elle un
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 453
meilleur sort? Le musulman, venu six siècles après
l'Evangile, a-t-il rendu à la femme sa dignité ?
Pas du tout. Bestial et tyran comme le païen, le
musulman a claquemuré la femme dans les mu-
railles de la captivité et du mépris; il a entassé
là dans ses sérails les objets de sa lâche convoitise.
« Le spectacle des mœurs musulmanes chez des
peuples qui ne manquent pas de grandeur native
est un avertissement de la Providence à la femme
chrétienne tentée d'apostasie par la sévérité de
l'Évangile; elle y apprend ce que coûte l'amour
qui n'est pas sous la protection de Dieu, et ce que
devient l'adoration de l'homme le lendemain du
jour où il n'adore plus Jésus-Christ. Elle y apprend
le degré de bassesse où elle descend dès que Jésus-
Christ n'a plus la main sur l'homme pour le contenir,
le purifier, pour contenir et purifier sa compagne et
les rendre tous deux un sanctuaire d'amour fidèle et
respectueux. » Voilà la femme étrangère à l'Église.
Dès que l'Evangile est absent, vous n'avez plus que
la bête humaine qui hurle après la liberté brutale, et
l'épouse désarmée, découronnée, dépouillée de son
divin prestige, n'est plus qu'une proie que se dis-
putent tour à tour la servitude et l'infamie. Repo-
sons nos regards sur un meilleur spectacle.
II. L'épouse amie de l'Église.
r
L'Eglise qui protège toutes les faiblesses a étendu
454 CONFÉRENCES AUX HOMMES
sa protection sur la femme, et elle a répété sous
tous les cieux cette devise célèbre qui est comme la
grande charte de l'affranchissement et de la réha-
bilitation de l'épouse : Un seul avec une seule et
pour toujours ! 0 femme, qui donc en dehors de
l'Eglise a pris ta défense? Qui a souffert et com-
battu pour toi? Est-ce le paganisme romain? Est-ce
la religion sensuelle de Mahomet? Est-ce le schisme
anglican, lui qui doit son origine à un divorce in-
voqué par la convoitise d'un roi corrompu? Est-ce
l'hérésie protestante, elle qui est entrée dans le
monde par la porte d'un moine apostat, coupable
d'avoir profané dans sa personne la sainteté du carac-
tère sacerdotal par une union doublement sacrilège ?
Et aujourd'hui encore, ô femme, qui donc souffre
et combat pour toi? Est-ce la libre pensée qui, dans
la prose et dans la poésie, dans le drame et dans le
roman, dans les journaux et dans les livres de tout
format et de toute nuance vilipende le mariage
et préconise le libertinage sans borne ? O femmes,
qui donc a eu le courage et la force de protéger
votre faiblesse et votre honneur, et de passer un
frein d'acier aux naseaux de la bête humaine pour
la tenir çn bride? Seule l'Eglise a fait cela. Elle a
fait cela malgré les menaces des peuples et la co-
lère des rois. Elle a fait cela contre les sophismes
des sages, l'éloquence des orateurs, la puissance du
glaive, toutes les passions frémissantes. Et par la
bouche d'un vieillard qui parfois gardait à peine un
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 455
souffle de vie, elle n'a cessé de dire à tous les pays
et à tous les siècles : « Une seule avec un seul et pour
toujours : voilà mon dogme. Et, pour signer ce
dogme, je trouverai, s'il le faut, le sang d'un mil-
lion de martyrs ! » Et, si le foyer domestique est
resté pur, si la désunion n'est pas entrée dans les
familles, si on n'a pas donné à une seconde épouse le
droit d'en chasser la première et d'y régner à sa
place, si la femme a reconquis et gardé la place qui
lui revient au sanctuaire conjugal, c'est l'Église
qui est responsable de ce glorieux résultat, c'est
l'Eglise qu'il faut remercier et bénir. Oh! que la
femme a donc raison de s'attacher à l'Eglise, qui
est réellement sa rédemptrice et sa meilleure
amie !
Et comme je m'explique maintenant la puissance
que possède la femme et l'apostolat qu'elle exerce
pour amener les âmes à la religion ! Voyez-la au-
près de son mari. « C'est elle, dit Lacordaire, qui
colore les événements heureux, qui embaume les
revers, qui reçoit au seuil domestique ce fugitif
des honneurs, tout meurtri de sa chute, ce proscrit
de la pensée qui n'a remporté de la science que le
martyre du doute. L'épouse chrétienne infiltre dans
ces âmes brisées le détachement et la certitude.
Elle ressuscite dans ces âmes le Dieu qui réjouissait
leur jeunesse et ravive leur vie mourante aux
sources de l'éternité. » — Et en même temps
qu'elle christianise son mari, la femme chrétienne
456 CONFÉRENCES AUX HOMMES
christianise ses enfants. De sorte que, ayant
reçu immensément de la religion, la femme lui
rend immensément. 0 beauté du plan de Dieu !
combien d'hommes qui se seraient laissé absorber
par les intérêts de la terre et auraient tout oublié,
Dieu, leur âme, leur avenir éternel, s'il n'y avait eu
près d'eux une épouse pieuse, pure et dévouée !
Combien qui, à l'heure dernière, quand toutes les
ombres seront dissipées, diront devant leur juge,
avec un cœur plein de gratitude : « Il m'est bon de
n'avoir pas été seul ! » Voilà le rôle délicat, auguste,
heureux et fécond de la femme. Et dès lors ne
voyez-vous pas quel trouble l'irréligion apporterait
à un plan si beau, quels ravages elle ferait dans
F âme de la femme ? Messieurs, l'impiété de l'homme
est triste ; elle est féconde en conséquences dan-
gereuses. Mais l'impiété de la femme est horrible.
La religion fait de la femme un ange ; l'impiété
en fait un monstre. Si répugnant que soit ce ta-
bleau, il faut que je le mette sous vos yeux. Le
phénomène est heureusement rare; cependant il
existe, et il est bon de le flageller publiquement»
III. L'épouse hostile à l'Église.
D'abord la femme devenue impie va loin dans
l'impiété. Elle ne tarde pas à dépasser l'homme.
C'est un fait d'expérience. Elle ne se contente pris
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 457
généralement de renier les vérités qu'elle avait
professées et de se donner corps et âme à l'erreur.
Elle ressent comme une haine et une fureur contre
cette vérité et, pour cette doctrine fausse dont on
Ta nouvellement imbue, un amour qui va jusqu'à
la passion. « Le temple l'importune, et son impiété
voudrait anéantir le Dieu qu'elle a quitté. » Elle
suit jusqu'au bout les principes de l'irréligion. Pen-
dant que l'homme se contente d'un assentiment gé-
néral et d'une adhésion platonique, elle frémit d'in-
dignation, elle trépigne d'impatience; elle se livre à
tous les excès de paroles et emportements de dis-
cours ; elle ne sait pas garder cette attitude cor-
recte, ce faux-semblant d'impartialité, cette bien-
veillance extérieure au moyen desquels les impies
les plus tenaces se déguisent si facilement devant
les bonnes âmes. Ah ! le libre penseur doit y re-
garder de près, doit y regarder à deux fois avant
de s'unira une femme qui lui ressemble, avant de
déchaîner dans l'âme de sa pieuse compagne la tem-
pête de l'impiété. Qu'il le sache bien... La femme
a besoin de croire et d'aimer, elle a besoin de
Dieu, de la prière, des espérances immortelles de
la religion ; elle en a besoin pour son esprit, pour
son cœur, pour sa volonté, pour son imagination;
le jour où cette vie de son âme lui est retirée, elle
la remplace par la passion du doute et les fureurs
de la haine... et c'est affreux !
La femme devenue impie perd ses dons les plus
458 CONFÉRENCES AUX HOMMES
■exquis, qui se corrompent et deviennent un im-
mense danger. Sa beauté est un piège dont on peut
tout craindre ; son esprit est un fléau dont la puis-
sance de contagion empoisonne le foyer et ses alen-
tours ; son cœur est une proie promise à la frivo-
lité et au plaisir. 0 choses exquises, quand vous
vous corrompez, vous devenez les pires : corruptio
oplimi pessima!
Et enfin quels enfants va-t-elle élever cette femme
qui s'est livrée à l'impiété et qui déjà y a perdu
ses qualités natives? Ah! c'est ici que nous entrons
dans l'abomination de la désolation. Elle éloigne
de ses enfants les pensées et les sentiments chré-
tiens qui développent et fortifient si puissamment
dans les jeunes cœurs les instincts vertueux. Elle
ne leur dit plus : « Mon fils, ma fille, agenouille-toi
et prie avec ta mère ! » Et la pure et naïve prière de
l'enfance disparaît du foyer; cette prière, dont le
poète a si bien parlé, se tait désormais sur les lèvres
glacées de la famille ; on ne voit plus
Tous les petits enfants, les yeux levés au ciel,
Disant à la même heure une même prière,
Demander pour nous grâce au Père universel.
« Oh! s'écrie ici Mgp Dupanloup, vous qui avez le
malheur de ne plus prier,» laissez donc au moins
les enfants prier avec leurs mères ! Ayez pitié de
vous-mêmes, et ne profanez pas ce que vous avez
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 459
de meilleur au monde. Dussiez- vous- me répondre :
« Vous me parlez une langue qui n'est pas la nôtre »,
je m'obstinerai à vous la parler; car, vous vous
trompez, c'est aussi la vôtre ; c'est la langue du
cœur et de la nature ; vous êtes pères et tout ce
que Dieu a mis dans un cœur paternel de délicate
et profonde tendresse n'est pas éteint en vous.
Vous avez beau être incrédules, qu'avez-vous trouvé
sur la terre, je vous le demande, de plus charmant
et de plus digne de tout respect qu'une jeune enfant
chrétienne ressemblant de loin à cette fille de
Judée qui se nomme la Vierge? Avez-vous rêvé,
avez- vous rencontré ici-bas une créature plus
aimable, et pouvez-vous d'un cœur sec la voir
agenouillée, les mains jointes, le regard au ciel,
et priant pour vous ? » Or, Messieurs, avec une
épouse impie, le foyer ne voit plus ce spectacle.
L'épouse hostile à l'Eglise est la souveraine ca-
lamité du mari et des enfants.
Amen !
HUITIEME CONFERENCE
La Mère
Messieurs,
L'Eglise a réhabilité l'épouse. Elle a réhabilité la
mère. Tous, qui que nous soyons, quand nous
remontons le fleuve de nos souvenirs, nous ren-
controns à la source de notre vie, penchée sur
notre berceau, épiant nos premiers sourires et nos
premiers bégaiements, façonnant notre enfance
dans ses sueurs et dans ses larmes, une créature
bénie, une femme exquise, une mère, auprès de
laquelle languissaient notre reconnaissance et notre
amour. Et nous nous écrions avec saint Augustin
converti : « C'est à ma mère que je dois d'être ce que
je suis! » L'honneur, la richesse et la joie des foyers
domestiques, c'est la mère chrétienne, la mère
selon le cœur de Dieu. Il ne saurait vous déplaire,
Messieurs, d'entendre chanter les gloires de la
mère de famille et de voir de près : 1° ce que la
mère de famille doit à l'Église ; 2° ce que l'Église
doit à la mère de famille.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 461
I. Ce que la, mère de famille doit à l'Église.
Elle lui doit un trône et une auréole : un trône
qui la relève et une auréole qui la transfigure.
La femme païenne était une esclave ; la femme
r
chrétienne est une reine. L'Eglise a ouvert sous
les yeux du monde régénéré la Bible, depuis la
Genèse jusqu'aux Épîtres de saint Paul, et elle a
fait lire aux enfants les textes qui leur recom-
mandent le respect de leur mère. La Genèse en
effet ne met pas de différence entre le respect dû
au père et le respect dû à la mère; à ce double
respect, elle promet la même récompense; aux
enfants qui seraient assez dénaturés pour frapper
ou maudire les auteurs de leurs jours, elle décerne
le même châtiment, c'est-à-dire la peine de mort.
Le livre des Proverbes dit : « Quand ta mère aura
vieilli, quand le sceptre du commandement sera
devenu plus faible en ses mains, que ce ne soit
pas pour toi une raison de la mépriser, mais un
double motif de respect ; Ne contemnas cum senue-
rit mater tua. » Et l'Ecriture ajoute encore : « N'ou-
blie pas les larmes de ta mère, Gemitus matris tuse
ne obliviscaris. L'œil qui aura regardé sa mère
avec mépris, qu'il soit privé de lumière, qu'il soit
arraché par les corbeaux du torrent, et que les
oiseaux de proie le dévorent. » Et ailleurs : « Ma-
ledictio matins eradicat fundamenta ; La malédiction
462 CONFÉRENCES AUX HOMMES
d'une mère est la perdition des enfants. » L'Eglise
commente, appuie et développe tous ces enseigne-
ments si précis et si beaux, et elle ne cesse de re-
vendiquer pour la mère de famille la place réservée
et le siège d'honneur qui lui revient au foyer
domestique.
Elle met sous ses pieds un trône qui la relève et
sur sa tête une auréole qui la transfigure. Comment
cela? Vous allez voir. A qui devons-nous le Christ,
notre Sauveur, notre Seigneur et notre Dieu? à
qui ? à une mère, et à la plus pure, à la plus
sainte, à la plus tendre des mères. Nous le devons
au Fiat delà Vierge Marie. Quelle merveille ! Quand
le Seigneur voulut venir ici-bas, il se créa une mère,
et, pour se la créer, il recueillit dans la nature tout
ce qu'elle possédait de sourire et de grâce ; il re-
cueillit dans les anges tout ce qu'ils avaient de
pureté et d'amour; et, pour conférer à cette créature
exquise ce je ne sais quoi d'achevé que la douleur
donne toujours aux plus sublimes figures, il mit
des larmes dans ses yeux, et, nous la montrant au
pied d'une croix, il dit : Ecce mater; Voici la femme,
voici la mère par excellence î A partir de ce jour-là,
Messieurs, la mère de famille a été transfigurée et
comme déifiée. Le culte de Marie s'étendit peu à
peu à tout son sexe. Habitué à se mettre à genoux
devant l'image et l'autel de la mère de Dieu,
l'homme ne fut plus étonné de voir une auréole
au front de sa mère, et il n'eut plus de répugnance
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 46$
à la vénérer comme une créature supérieure. Nous
sommes au moyen âge. C'est l'époque où le culte
de Marie est à son apogée ; c'est aussi l'époque où
le culte maternel fleurit au plus haut point; c'est
l'époque où saint Louis associe dans son cœur et
sur ses lèvres les trois noms de « Dieu, la France et
Marguerite ». C'est l'époque où plusieurs fonda-
teurs d'Ordres se soumettent, eux et leurs reli-
gieux, à l'autorité d'une abbesse, en l'honneur de
Marie. C'est l'époque où le bienheureux Henri de
Suzo, rencontrant une femme, dans la rue la plus
malpropre de la ville, se met aussitôt dans la boue
pour la laisser passer sur le seul endroit sec qu'il
y avait. « Mon Père, que faites-vous? lui dit
l'humble passante, vous êtes prêtre et religieux;
pourquoi me céder le pas à moi qui ne suis qu'une
pauvre femme? — Ma sœur, répondit le frère Henri,
j'ai l'habitude d'honorer et de vénérer toutes les
femmes, parce qu'elles rappellent à mon cœur la
puissante Reine du ciel, la Mère de mon Dieu,
envers qui j'ai tant d'obligations! »
Les femmes et les mères chrétiennes doivent
r r
beaucoup à l'Eglise. Grâce à l'Eglise, elles occupent
dans le monde une place respectée et importante.
Elles régnent par l'ascendant de l'exemple, par la
douceur des insinuations, par l'apostolat du sacri-
fice et des bienfaits. Qu'il s'agisse de l'univers,
d'un empire ou d'une âme, leur influence est réelle,
puissante, incontestable. Elles ont beaucoup reçu
464 CONFÉRENCES AUX HOMMES
de la sainte Eglise ; et elles lui ont aussi beaucoup
donné.
II. Ce que l'Église doit à la mère de famille.
Parcourons brièvement Y histoire de dix-neuf
siècles. Elle est toute remplie des influences mater-
nelles.
A qui l'Eglise est-elle redevable de son plus
grand génie et de son plus grand docteur, du grand
évêque d'Hippone, l'immortel auteur de la Cité de
Dieu, le docteur de la grâce, le fléau des hérésies
et l'oracle des conciles? A qui l'Église est-elle re-
devable de ce grand homme et de ce grand saint,
dont il suffit de dire, pour faire son éloge, qu'il
surpassa saint Ambroise, son maître, et qu'il fut
maître à son tour de saint Thomas et de Bossuet?
C'est à une mère chrétienne, c'est à sainte Monique,
que l'Eglise est redevable de saint Augustin.
A qui la France doit-elle le plus grand et le
plus saint de ses rois, le glorieux vainqueur de
Taillebourg et de Damiette, et le vaincu plus
glorieux encore de la Massoure, qui jusque dans les
fers dominait ses vainqueurs? A qui la France
doit-elle ce Louis IX qu'on ne sait où le plus
admirer, ou bien à l'hospice des Quinze-Vingts
lavant lui-même les pieds des aveugles et des
infirmes, ou bien à la Sainte-Chapelle, nouveau
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 465
Godefroi de Bouillon, déposant sa couronne d'or
devant la couronne d'épines du souverain Roi du
Ciel, ou bien sous le chêne de Vincennes, assis sur
un humble tertre et entouré de pauvres, de veuves
€t d'orphelins pour leur rendre la justice? A qui la
France doit-elle le plus grand et le plus saint de
ses rois ? C'est à une mère chrétienne, c'est à
Blanche de Castille, que nous devons saint Louis.
Allez où vous voudrez, en Angleterre et en
France, dans les terres du Nouveau Monde comme
dans les terres de l'Ancien Continent, partout où
vous trouverez une œuvre grande et sublime
comme le christianisme, ne demandez pas qui a
planté et qui a fait germer cette nation chrétienne :
vous trouverez toujours qu'elle a pris naissance
dans le cœur d'une mère. C'est à la reine Berthe
que l'Angleterre doit d'être devenue l'île des saints,
et c'est à sainte Clotilde que nous devons d'être
aujourd'hui des chrétiens en même temps que des
Français.
Il est raconté que le philosophe païen Libanius,
en voyant la jeune mère de saint Jean Chrysos-
tome restée veuve à vingt ans et si dévouée à son
fils, s'écriait : « 0 Dieu, quelles femmes, quelles
mères parmi ces chrétiens ! » Oui, l'histoire est
toute pleine et toute resplendissante de la beauté
grave et douce des mères chrétiennes. Et cette
exquise beauté morale n'est point éteinte ni à
jamais ensevelie dans l'histoire. Pour la retrouver,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-30
466 CONFÉRENCES AUX HOMMES
pas n'est besoin de remonter jusqu'au xme ou
au xive siècle de noire ère. De ces mères que la
religion du Christ idéalise et transfigure et qui à
leur tour sont les servantes et les apôtres de la re-
ligion du Christ, il y en a parmi nous, dans l'ombre,
une foule inconnue, immense... et c'est là ce qui
nous sauve!
Il y en a dans l'opulence et il y en a sous le
chaume, et comment raconter tout ce que le foyer
domestique leur doit d'innocence, de préservation,
de vertu conservée ou reconquise? Les influences
maternelles ravissent le ciel, embaument la terre,
sanctifient nos demeures humaines.
A qui l'homme naissant serait-il confié ? Quelle
est la main assez délicate, assez ingénieuse, assez
tendre pour assouplir cette bête fauve qui vient
de naître entre le bien et le mal, qui pourra être
un scélérat ou un saint? Ne cherchons pas si loin.
C'est la mère qui reçoit l'enfant, qui le façonne,
qui le moralise, qui le christianise. Quel est le
premier regard que rencontre cet enfant? Le re-
gard pur et pieux d'une chrétienne. Quelle est la
première parole qu'il entend? La parole ardente
de sa mère. Comment l'Evangile arrive-t-il à son
âme? Parle canal de l'amour maternel. Le prêtre
ne viendra que plus tard. La mère précède le
prêtre.
L'enfance disparaît bien vite, et la jeunesse
s'annonce avec ses instincts de liberté. Toute auto-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 467
rite pèse au jeune homme comme un joug. Une
seule autorité demeure, sinon intacte, du moins
respectée. « Nous entendons encore la vérité, dit
Lacordaire, de la bouche d'une mère aimée de
Dieu ; son regard n'a pas perdu toute autorité ; son
reproche n'est pas sans aiguillon pour causer le
remords, et, quand elle est tout à fait désarmée,
ses larmes lui restent comme un dernier comman-
dement auquel nous ne résistons pas. Elle se fraye
à notre insu des passages qui conduisent aux en-
droits les plus secrets de notre cœur, et nous
sommes étonnés de l'y trouver au moment où
nous nous croyons seuls. » Telle est, Messieurs, la
puissance singulière d'une mère chrétienne. Jusque
dans les bagnes, les hommes perdus de crimes et
d'honneur, les hommes les plus durs, aux instincts
les plus farouches, retrouvent un battement dans
leur cœur et une larme dans leurs yeux au souve-
nir de leur mère. Ce souvenir survit à tout; c'est
la dernière ruine du cœur.
Oh! l'amour d'une mère! amour que nul n'oublie 1
Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie!
Table toujours servie au paternel foyer!
Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier!
Telle est l'influence de la mère formée à l'école
de la religion. Ayant beaucoup reçu de la sainte
Eglise catholique, elle lui rend beaucoup, Elle met
le christianisme à son foyer. Ce n'est pas assez dire !
468 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Elle met le christianisme dans la société tout en-
tière. C'est à elle, à la mère chrétienne, semée
comme le sel sur la surface du monde, que l'Eu-
rope doit ses enfants plus nobles, plus beaux, plus
purs, plus délicats, plus fiers, plus grands que ne
les vit jamais l'antiquité. C'est à elle, à la mère
chrétienne, que l'Eglise catholique doit pour une
large part son expansion et sa popularité !
Amen!
NEUVIÈME CONFÉRENCE
L'enfant dans le paganisme et dans l'Évangile
Messieurs,
L'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité
dans l'ordre domestique. Elle a réhabilité l'union
conjugale, le chef de la famille, la femme. Elle a
réhabilité l'enfant. Pour aujourd'hui, nous allons
considérer l'enfant dans le paganisme et dans
l'Évangile. C'est une étude préliminaire indispen-
sable.
I. L'enfant dans le paganisme*
Il y a quelques semaines, me trouvant auprès
d'un homme intelligent et instruit, je l'entendais
me soutenir cette thèse étrange que la religion
chrétienne n'était que la suite naturelle, la conclu-
sion légitime et l'évolution définitive du paga-
nisme. Cet homme parlait sérieusement. Et, pour-
tant, la vérité m'oblige à dire qu'il énonçait en
470 CONFÉRENCES AUX HOMMES
beau langage une futile plaisanterie. Entre le pa-
ganisme et le christianisme, il y a un abîme, il y
a la distance de la nuit au jour, de la boue au rayon
de soleil. Car non seulement le paganisme n'a pas
produit le christianisme, mais le paganisme a fait
tout ce qu'il a pu pour tuer le christianisme : té-
moins les millions de martyrs qui sont tombés
sous la faulx sanglante et impitoyable de la persé-
cution païenne, D'ailleurs, si vous entendez quel-
quefois émettre devant vous cette affirmation ba-
roque qui fait du christianisme la continuation
normale et l'épanouissement logique du paganisme,
servez-vous du moyen facile de réfutation que je
vais vous offrir et qui consiste simplement à racon-
ter l'état de l'enfance dans l'antiquité. Pendant
quarante siècles, les enfants ont été l'objet du mé-
pris des sages et de l'insouciance des législateurs,
les victimes des mœurs les plus viles et des plus
impitoyables lois. C'a été de toutes parts un hor-
rible empressement pour les vendre, les exposer,
les prostituer, les tuer.
Les Perses se servaient de leurs enfants comme
esclaves. Vous n'ignorez pas ce que les Egyptiens
firent aux enfants mâles des Hébreux, comment ils
les noyaient dans les eaux du Nil. Et en Phénicie ?
On plaçait un certain nombre d'enfants dans une
statue de fonte du dieu Moloch ; on amoncelait des
fagots de bois'autour de cette statue et on y mettait
le feu. Les Perses, les Égyptiens et les Phéniciens,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 471
dites-vous, n'étaient pas civilisés. Hélas ! les Grecs
et les Romains ne valaient pas mieux.
Ecoutez les apologistes chrétiens. Ils nous disent
ce qu'ils ont vu de leurs yeux et touché de leurs
mains. Tertullien, s'adressant aux premiers magis-
trats de l'Empire, leur disait : « Parmi tous ces
hommes qui m'entourent et qui ont soif du sang
des chrétiens, parmi ces juges si rigoureux envers
nous, y en a-t-ii qui n'aient pas donné la mort à
leurs enfants, qui ne les aient pas noyés, fait périr
de faim, de froid, de misère, jetés en pâture aux
chiens et aux vautours? » Et sous cette parole ac-
cusatrice, sous ce fer chaud qui leur brûlait le vi-
sage, que faisaient les païens? Ils protestaient sans
doute, ils criaient au mensonge, à l'exagération?
Non. Ils se taisaient. — « Faire mourir vos enfants,
disait Lactance après Tertullien, c'est votre crime le
plus fréquent, mais c'est aussi de tous le plus impie ;
car, enfin, si Dieu leur a donné une âme, c'est pour
vivre, ce n'est pas pour mourir. » — Saint Justin,
parlant de ces malheureux petits enfants et de
l'affreuse prostitution pour laquelle on les réservait,
nous apprend « qu'on les nourrissait par troupeaux
comme des boucs, des chèvres, des brebis, dans
des étables humaines. » Et le célèbre avocat ro-
main, Minutius Félix, flétrit « ceux qui exposent
leurs enfants aux bêtes féroces ou aux oiseaux de
proie, ou qui ont eux-mêmes la barbarie de les
étouffer et de les écraser. » Or, les païens, accusés
472 CONFÉRENCES AUX HOMMES
publiquement de pareilles horreurs, n'ont pas con-
testé la réalité des faits incriminés, et, de plus, ces
faits incriminés se trouvent consignés dans la lé-
gislation et les philosophes de l'antiquité.
Les législateurs les plus vantés et les plus sages
de Sparte, d'Athènes, de Rome, se rencontrent
ici dans les mêmes atrocités. A Sparte, lorsqu'un
enfant vient de naître, on délibère d'abord de sa
vie ou de sa mort ; s'il est d'une complexion vigou-
reuse, il vivra ; s'il est faible ou difforme, on le
jettera dans le gouffre du mont Taygète. Et Plu-
tarque, qui nous raconte ceci, ne s'en émeut pas.
Il ajoute seulement que, « quant à ces enfants qui
n'ont ni santé ni force, il n'est bon ni pour eux, ni
pour l'Etat qu'on les laisse vivre ». — Dans l'élé-
gante Athènes, les lois de Solon autorisent formel-
lement le meurtre des enfants. Le nouveau-né est
jeté du sein de sa mère aux pieds de son père. Si
le père le relève dans ses bras, il sera préservé de
la mort; si le père détourne les yeux, on l'ex-
pose ou on le tue. — A Rome, le meurtre était
quelquefois différé jusqu'à l'âge de trois ans. Mais,
les trois ans accomplis, le père tuait l'enfant en in-
voquant les dieux du foyer. Les lois des Douze
Tables disent formellement : « Si l'enfant est contre-
fait, que le père sans délai, sans formalités, lui-
même, de sa main, tue l'enfant, — puerum, pater,
cito necato, — et, s'il est faible, qu'il l'expose. » Et
ces enfants exposés, que devenaient-ils ? La plupart
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 47$
du temps, ils périssaient de froid ou de faim. Ceux
qui survivaient étaient exploités par quatre espèces
d'industriels : parles pourvoyeurs des lieux infâmes,
par les lanistes qui les élevaient pour les jeux san-
glants du cirque, parles magiciens qui se servaient
du sang de ces innocentes créatures pour d'horribles
breuvages, et enfin par les mendiants qui les es-
tropiaient afin de spéculer sur la pitié des pas-
sants. Il me répugne, Messieurs, de vous dire ces
affreux détails, comme à vous de les entendre. Et
cependant, puisqu'après dix-neuf siècles de chris-
tianisme vous rencontrez des hommes qui vous
font l'apologie du paganisme, il faut bien que vous
puissiez leur répondre, et les convaincre d'impos-
ture ou d'illusion. Il faut bien que vous sachiez que
les mœurs infâmes dont je viens de vous dire un
mot étaient non seulement reconnues et autorisées
par les lois,
Mais justifiées et préconisées par la philosophie.
« On punit de mort les scélérats, dit Sénèque, du
même droit qu'on assomme les chiens enragés,
qu'on tue les bœufs farouches, qu'on étouffe les
monstres et qu'on noie ses enfants quand ils naissent
faibles et mal conformés. C'est du bon sens. » Voilà
le paganisme. Les scélérats, les chiens enragés,
les bœufs farouches, les monstres et les pauvres
enfants, tout cela est mis sur le même rang et con-
damné au même sort. Il faut les tuer, et c'est la
raison, c'est le droit, le même droit qui les tue. Et
474 CONFÉRENCES AUX HOMMES
ce droit infâme, c'est le fond de l'ordre moral et
social, c'est la législation qui le consacre, c'est la
philosophie qui le célèbre... Après cela, s'il y a des
hommes qui trouvent que le paganisme était beau,
qu'il était une fleur dont le christianisme n'est que
le fruit, convenez avec moi que ces hommes ne
sont pas difficiles, et qu'ils ont, pour raisonner, un
cerveau étrangement déformé. 0 mon Dieu, à quels
abîmes de démence ne va-t-on pas, quand on a peur
de la vérité ? Oui, des hommes quelquefois instruits
et intelligents aimeront mieux dévorer les plus
fortes absurdités plutôt que d'adhérer à la religion
chrétienne. Ils flairent dans le christianisme des
mystères qui révoltent leur orgueil et une morale
qui condamne leurs passions, et, sans même avoir
le courage et la sincérité d'examiner le christia-
nisme, ils lui disent : « Va-t-en ! va-t-en ! » Pour-
quoi donc? Ils devraient ajouter : « Parce que j'ai
peur de toi ! » « Les absurdités où ils tombent en
niant leur religion, dit Bossuet, deviennent plus
insoutenables que les vérités dont la hauteur les
étonne ; et, pour ne pas vouloir croire des mystères
incompréhensibles, ils suivent l'une après l'autre
d'incompréhensibles erreurs. »
Vous savez maintenant, Messieurs, ce que le pa-
ganisme pensait et faisait des enfants. Aux yeux de
ses parents et des sages, l'enfant n'était qu'un ins-
trument dont la valeur se mesurait aux services
qu'on en attendait, et rsn so^t était décidé en vue
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 475
du seul intérêt de la famille et de l'Etat. Je sais
bien qu'un poète païen, Juvénal, a écrit cette belle
parole : « Maxima puero debetur reverentia ; On doit
aux enfants les plus grands égards. » Mais ce vers
qui fait honneur à la nature humaine ne détruit
pas les horreurs que je vous ai racontées, et d'ail-
leurs, quand il est tombé de la plume de Juvénal,
le christianisme commençait à pénétrer le monde
ancien de ses maximes, et les poètes comme les
philosophes trouvaient bon de se les approprier. Il
reste prouvé que le paganisme livré à lui-même a été
abominable à l'égard des enfants. Tout va changer.
Voici Jésus-Christ qui va réhabiliter l'enfant.
IL L'enfant dans l'Evangile.
1° Jésus-Christ réhabili te l'enfant d«7?ss« personne.
Le voyez-vous, notre divin Christ, dans un coin de la
Judée, à Bethléem, sur la paille d'une étable, entre
sa mère Marie et son père nourricier Joseph? Le
voyez-vous ? Il aurait pu entrer dans le monde par
l'arc de triomphe des grandeurs humaines ; il y
entre par la porte basse de l'humilité. Pourquoi?
Que fait-il là ? Lui qui est Dieu, pourquoi est-il
ainsi rapetissé ? Ah ! comprenez et adorez ce mys-
tère. Le Christ dans sa naissance réhabilite l'en-
fance. Il couvre l'enfant de sa divinité comme d'un
manteau de gloire. Il imprime au front de l'enfant
476 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'onction même de Dieu et, couché sur la paille, sur
ce trône nouveau où viennent pourtant le recon-
naître les rois, il crie à l'humanité : « 0 hommes,
regardez-moi bien ; je ne suis qu'un enfant, mais
je suis Dieu ; apprenez à respecter en moi l'enfance
réhabilitée et divinisée ! » Du jour où cette pa-
role de transfiguration et d'apothéose s'est envolée
de l'étable de Bethléem à travers le monde, l'en-
fant a été aimé, l'enfant a été respecté, l'enfant a
été sauvé ; et de nouvelles destinées ont com-
mencé pour lui. Qu'importe que l'enfant soit
pauvre? Le Christ est né pauvre. Qu'importe que
l'enfant soit faible ? Le Christ est né faible. Le
Christ a réhabilité l'enfant dans sa personne.
2° Il l'a réhabilité par sa parole. Vous avez en-
tendu les philosophes et les législateurs de l'anti-
quité. Ecoutez maintenant Jésus-Christ, et cons-
tatez que de Lui au paganisme il y a la distance
du jour à la nuit. Un jour, ses disciples lui deman-
dent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume
des ci eux? » Et Jésus, prenant un petit enfant, le
plaçant au milieu de ses disciples, leur dit : « En
vérité, si vous ne devenez comme de petits enfants,
vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.
Quiconque se fait petit comme cet enfant est le
plus grand dans le royaume du ciel; et celui qui
reçoit un de ces enfants en mon nom me reçoit. Et
pour quiconque scandalise un de ces petits il vaudrait
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 477
mieux qu'on lui liât une meule au cou et qu'on le
jetât dans la mer. » Quel langage nouveau, étrange,
sublime ! 0 païens, ces enfants, vous les tuez, vous
les exposez, vous les prostituez... et Jésus-Christ se
tournant vers vous s'écrie : « Insensés, vous n'y en-
tendez rien ! Ces enfants, il faut leur ressembler, il
faut les respecter ! « Laissez-les venir à moi ; Sinite
aparvulos ventre ad me! » Ne repoussez plus dans
la mort ces êtres charmants, ces âmes immortelles
que j'ai faites à mon image et à ma ressemblance!
Je suis leur Père et leur Dieu ! Je vous défends de
les toucher. Si vous les blessez, c'est moi-même que
vous blessez. Si vous les scandalisez, vous êtes des
misérables, et moi qui suis la bonté infinie et l'infi-
nie douceur je déclare que vous méritez d'être noyés
dans la profondeur des océans! » Voilà, Messieurs,
les paroles du Christ, et c'est par ces paroles tendres,
puissantes, sublimes que le sens humain a été re-
fait, assaini, illuminé, que les entrailles et le cœur
de l'homme ont été régénérés, que le paganisme a-
été vaincu, et qu'on a vu un jour meilleur se lever
sur l'humanité et sur la tête des enfants.
3° Le Christ a réhabilité l'enfant dans sa personne,
par sa parole, et encore par ses actes. Ce qui est
beau, ce qui est ravissant dans l'Evangile, c'est de
voir comment notre divin et aimable Sauveur ne
fait pas un pas sur la terre sans être entouré des
enfants et de leurs mères. Le voilà dans un coin de
478 CONFÉRENCES AUX HOMMES
la Judée. Qu'il est beau quand il commande à la
tempête, quand il multiplie les pains au désert,
quand il guérit les malades, quand il ressuscite les
morts! Qu'il est beau quand il pardonne aux pé-
cheurs, quand il foudroie les orgueilleux et les
hypocrites, quand il laisse tomber les oracles de
ses lèvres et les miracles de ses mains ! Mais com-
bien il m'apparaît plus beau quand je vois les
mères lui amener leurs petits enfants et le supplier
de vouloir bien les toucher, les bénir, leur imposer
les mains et prier pour eux ! Il se laisse environner
par tous ces petits enfants ; s'approchant d'eux, Lui-
même il les regarde avec un ineffable amour, « il
leur fait de douces caresses, il met sa main sur ces
têtes innocentes, il prie pour eux : et complexam
eos, orabat super illos. » Et, attirés soit par le doux
regard de ses yeux, soit par le sourire de ses lèvres,
soit par les affectueuses paroles qui sortent de sa
bouche et de son cœur, les enfants viennent à lui
dans les villes, les bourgades et les sentiers de la
Judée. Ils le suivent partout. Ils percent la foule
pour le voir et l'entendre de plus près. Les dis-
ciples en sont ennuyés. Ils s'en irritent. Ils accueil-
lent durement ces petits enfants et leurs mères,
et vont jusqu'à les chasser avec menace ; incre-
pabant, comminabantur. Et Jésus-Christ, toujours
si bon et si indulgent, semble oublier ici sa dou-
ceur et s'indigne contre ses disciples : indigne tulit.
Sinite parvulos ventre... Nous sommes loin, bien
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 479"
loin des horreurs philosophiques et légales du pa-
ganisme à l'égard de l'enfance. Le Christ se levant
au milieu des siècles et prononçant sur les enfants
qu'il bénit cette grande parole : « Laissez venir à moi
les petits enfants ! » c'est un monde qui finit et c'est
un monde qui commence.
4° Jésus-Christ réhabilite l'enfance dans sa per-
sonne, par sa parole et par ses actes et, enfin, par
ses institutions. Qu'a-t-il institué en faveur de
l'enfance ? Il a institué le baptême, le baptême qui
régénère l'enfant, qui le purifie, qui en fait le fils
de Dieu, le frère de Jésus-Christ, le temple du
Saint-Esprit. Et ce sacrement à lui tout seul bou-
leverse les idées et les coutumes de l'ancien monde.
Tout à coup, sous les reflets du baptême, l'enfant
devient un être vénérable. Qu'importe qu'il soit
d'humble naissance ou d'une complexion faible? Ce
cher petit membre du Christ est d'autant plus
honoré et aimé qu'il ressemble mieux à Celui dont
les souffrances ont racheté le genre humain. Son
âme est pure ; son âme est grande; c'est un Dieu
en fleur ; Deum in flore. Anges du ciel, inclinez-vous !
Parents, soyez dans l'allégresse ! Et en effet, pères et
mères, quand vous considérez la charmante créa-
ture que le baptême a transfigurée, n'est-il pas
vrai que le mystère de sa vie intime, que les splen-
deurs de son âme régénérée se reflètent en son
limpide regard, et que votre foi respectueuse, non
480 CONFÉRENCES AUX HOMMES
moins que l'instinct de votre nature s'écrie : Mon
ange ? C'est par le baptême que le christianisme
commence ; c'est le sceau du baptême qui sacre le
front du nouveau-né ; c'est après le baptême qu'il
se fait autour de l'enfant comme un cercle d'hon-
neurs, de respects et de saintes émotions. J'en
appelle à l'histoire. C'est le baptême qui a sauvé
et réhabilité l'enfance, qui l'a rendue sacrée à
w
la famille, à la cité, à l'Etat. Ah! Platon, vous ne
l'aviez pas deviné cet enfant régénéré par le Christ,
quand, descendant des hauteurs de votre sublime
génie, vous traitiez l'espèce humaine comme un
troupeau de brutes, quand vous déclariez qu'il ne
fallait nourrir et élever que les enfants nés d'un
couple robuste et bien fait, seul moyen, disiez- vous,
de former un excellent troupeau. Vous ne soup-
çonniez ni l'origine ni la grandeur de l'enfant,
ô Aristote, quand vous établissiez en principe qu'on
ne doit nourrir aucun enfant faible ou mal con-
formé, quand, après avoir supputé le nombre des
naissances, vous indiquiez un moyen infâme de
débarrasser la société de son excédent ! — Si vous
doutiez encore de la réhabilitation de l'enfance par
Jésus-Christ, Messieurs, je vous dirais de regarder
les peuples infidèles à l'heure actuelle. Allez en
Chine, en Arabie, dans l'Afrique centrale, et jusque
parmi les tribus de l'Afrique française où la croix
n'a pas encore élevé la tête au-dessus de nos armes.
Pourquoi ces cadavres que roulent dans leurs eaux
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 481
tous les fleuves du Céleste Empire? Pourquoi ces
jeunes victimes qui meurent par milliers du Tell
au Sahara et au Soudan? Ah ! c'est qu'en Asie
comme en Afrique le père manque de cœur et la
mère d'entrailles ; c'est que la famille n'y a point
encore été restaurée par le baptême ; c'est que par-
tout où l'eau du baptême tarde à couler, l'enfant
n'est pas une âme, mais un peu de chair et de sang,
auquel on n'accorde ni justice ni pitié!
Le paganisme avait tout déprimé. L'Évangile a
tout relevé. Le prolétaire, le pauvre c'est une âme!
La femme si longtemps méprisée, c'est une âme!
Le difforme et le disgracié, c'est une âme ! L'en-
fant qui vient de naître, c'est une âme ! L'enfant
qui n'est pas encore né, c'est une âme déjà. « Gardez-
vous de mépriser un seul de ces petits », dit le
Christ, parce que c'est une âme égale par son ori-
gine et sa nature à la vôtre, une âme immortelle
créée par Dieu, rachetée du sang d'un Dieu, et
appelée à posséder Dieu dans les splendeurs de
l'Eternité 1
Amen!
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE.. — 1-31
DIXIEME CONFERENCE
L'enfant dans le catholicisme
Messieurs,
Nous avons vu l'enfant dans le paganisme et
l'enfant dans l'Evangile. C'est le jour succédant à
la nuit. Etudions maintenant l'enfant dans le ca-
tholicisme. Gardienne de la doctrine du Christ et
chargée de continuer son œuvre, l'Eglise, depuis
dix-neuf siècles, entoure l'enfant d'amour, de soins
et de respect. L'enfant arrive au monde avec une
triple faiblesse : faiblesse d'un corps qui peut à
peine se soutenir sur des pieds chancelants, fai-
blesse de l'esprit dont l'ignorance absolue n'a
d'égale que sa curiosité, faiblesse du cœur enclin à
tous les mauvais penchants, à tous les désirs dé-
réglés. Cette triple faiblesse appelle un triple bien-
fait : bienfait d'une vie à conserver, bienfait d'une
intelligence à développer, bienfait d'un cœur à
former. A ce triple point de vue, l'action de l'Eglise
sur l'enfance est admirable.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 483
I. Il y a, dans l'enfant, une vie matérielle à con-
server.
Que ne fait pas l'Eglise à ce seul point de vue?
Dans les siècles où TÉtat était sans entrailles et
où la famille faisait, par un partage odieux, la part
de la vie et celle de la mort parmi les enfants nés
r r
dans son sein, l'Eglise a dit à l'Etat : Cet enfant
trop difforme pour être un bon soldat sera peut-
être assez intelligent pour être un citoyen utile.
D'ailleurs c'est un corps façonné de la main de
Dieu et animé de son esprit, c'est un chrétien, je
l'ai baptisé, je le consacre, je prends sous ma pro-
tection ses jours menacés et, au besoin, je mendie-
rai pour lui le pain de l'aumône ! L'Eglise a dit à
la famille : Tu n'as pas droit de vie et de mort sur
l'enfant. Ce sont les plus disgraciés qui ont le plus
besoin de sollicitude, de tendresse et d'amour.
Garde ce corps chétif, couvre-le de baisers, déve-
loppe-le au souffle de ce nouvel esprit dont le
christianisme a rempli la société. Sois père sans
honte, sois mère sans embarras, écoute la nature ;
et laisse croître et grandir sous le regard de Dieu
les chers petits êtres qu'il lui plaît de te donner !
Dès les premiers siècles, les conciles de Nicée et
de Constantinople portent la peine de l'excommu-
nication contre ceux qui exposent les enfants, leur
ôtent la vie ou les empêchent de naître.
484 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Et, joignant l'exemple au précepte, l'Eglise s'est
mise à la recherche des enfants abandonnés; elle
leur a ouvert des asiles, des retraites, des hôpi-
taux. Nous voyons l'empereur Constantin édicter
des lois qui viennent aider l'Eglise dans son action
humanitaire à l'égard de l'enfance. Sous l'influence
de l'Église, nous voyons des filles des Césars, de
nobles patriciennes presser sur leur cœur les
pauvres enfants que leurs ancêtres auraient foulés
sous leur char. Et, à toutes les pages de l'histoire,
nous voyons l'Eglise adopter les orphelins, les re-
cueillir, les nourrir, les entretenir, les doter avec
une telle munificence que le patrimoine du pauvre
a un jour excité les convoitises de l'envie. Un jour
des voleurs ont mis la main sur les biens de
l'Église... Qu'est-il arrivé? Qu'avons-nous vu au
commencement du xixe siècle? L'Eglise, nue et dé-
pouillée, a su quand même retrouver une dotation
nouvelle à l'enfance abandonnée, et on ne compte
plus, à l'heure qu'il est, les orphelinats ouverts par
elle et entretenus par son argent. Le prêtre ven-
drait plutôt les vases de l'autel que de laisser sans
pain l'enfant dont il est le tuteur naturel. Va, sainte
Église, va! Poursuis ta carrière à travers les
siècles, mendie, recueille, bâtis, adopte, et apprends
au monde que, si tu as tant fait pour le corps,
c'est pour gagner l'âme ; apprends au monde que
cette vie matérielle dont tu as ranimé la flamme
expirante n'est vraiment chère qu'à ceux qui
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 485
veulent ranimer et sauver par là la vie mille fois
plus précieuse de l'esprit et du cœur. Dans le paga-
nisme la vie matérielle de l'enfant était un jeu ;
dans le catholicisme, elle est sacrée, parce qu'elle
sert d'enveloppe à une intelligence qu'il faut déve-
lopper et à une âme qu'il faut former.
II. Il y a, dans l'enfant, une intelligence à déve-
lopper.
Que n'a pas fait l'Eglise à ce second point de
vue!
Que de fois vous avez lu ou entendu dire que
jadis l'instruction était réservée à quelques privi-
légiés de la fortune ou de la naissance... que
l'Eglise, quand elle était au pouvoir, au sommet
des affaires, a négligé l'instruction populaire,
comme si elle avait craint pour ses dogmes une
lumière trop vive, comme si elle avait eu besoin
d'envelopper ses mystères d'une couche épaisse
d'ignorance et de ténèbres! Cent fois déjà j'ai
réfuté cette assertion menteuse. De nouveau, je la
repousse, je la flagelle, je la déclare contraire à tous
les documents historiques les plus incontestables.
Guizot, un protestant, nous dit qu'au vie siècle
les Bénédictins fondent dans les Gaules de nom-
breux monastères, et que chacun de ces monas-
tères comporte une école pour les classes populaires.
486 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Au vine siècle, Théodulphe, évêque d'Orléans,
établit des écoles gratuites dans tous les bourgs et
villages de son diocèse.
Pendant tout le moyen âge les contrats d'appren-
tissage et de tutelle stipulent que le pupille ou
l'apprenti sera mis aux écoles et instruit suivant
sa condition, et cette clause est signifiée expressé-
ment pour de simples domestiques et valets de
ferme.
Au xvie siècle, le protestantisme pille et incendie
les écoles, et l'instruction populaire subit une
éclipse. Mais bientôt, avec le Concile de Trente et
le réveil catholique qui en fut la suite, l'enseigne-
ment du peuple reprend un nouvel essor, et de
nombreuses congrégations religieuses viennent au-
devant du jeune âge et lui prodiguent le bienfait
de la science.
Si bien qu'au xvme siècle, à la veille de la Révo-
lution, au diocèse de Saint-Dié, baillis, syndics,
notables se plaignent que les écoles enlèvent trop
de bras à l'agriculture et aux ateliers. « Nos bourgs
et nos hameaux, disent-ils, fourmillent d'une mul-
titude d'écoles; il n'est pas de hameau qui n'ait
son grammairien. »
Devant de tels témoignages, Messieurs, est-il
possible d'entendre et de laisser dire que l'ensei-
gnement primaire est une invention moderne, qu'il
a été créé et mis au monde par la Libre Pensée?
Je vous demande, au nom de l'histoire et de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 487
l'équité, de protester contre cette sotte, vilaine et
perfide assertion.
Et, si l'Eglise dans le passé s'est préoccupée
grandement de l'instruction, que fait-elle encore
aujourd'hui? Elle ouvre des milliers d'écoles, et il
faudrait une fameuse audace pour l'accuser de con-
r
juration contre la lumière. L'Eglise a sauvé la vie
matérielle de l'enfant. Elle a développé sa vie in-
tellectuelle. Est-ce tout? Non. Dans l'enfant il y a
plus et mieux qu'un corps à faire vivre et une
intelligence à instruire.
III. Il y a, dans l'enfant, un cœur à former.
»
Et ici encore, ici surtout, l'action de l'Église nous
apparaît puissante et admirable. Rien ni personne
ne peut la remplacer. Essayez. Cette divine reli-
gion chrétienne, si vous la chassez des berceaux, si
vous la mettez à la porte du foyer domestique, et
à la porte de l'école, qui ne doit être que le pro-
longement du foyer domestique, si vous écartez ses
magiques influences de la tête et du cœur de vos
enfants..., que mettrez-vousàlaplace? Car, enfin, je
vous admire quand vous dites : « Je veux que mon
enfant soit bien élevé. » Mais je vous prie de re-
marquer que qui veut la fin veut les moyens. Or,
en dehors de l'élément religieux, quel moyen vous
reste-t-il pour assurer la bonne éducation de votre
488 CONFÉRENCES AUX HOMMES
enfant? La science, me répondez- vous, l'instruction.
La science... voilà l'idole que vous mettez à la
place du vrai Dieu, et à laquelle vous voulez confier
les destinées de l'enfance. De grâce, Messieurs, ne
me faites pas dire ce que je ne dis pas. Je ne dis
pas que la science est mauvaise. Je dis qu'elle est
utile, qu'elle est bonne, et qu'il faut la donner à
l'enfant dans une large mesure. Mais j'ajoute qu'elle
n'est pas suffisante pour former le cœur de l'enfant.
Elle est bonne, mais il faut autre chose. L'enfant
n'est pas seulement une intelligence et une mémoire
à meubler et à bourrer de mots, de dates, déchiffres,
de formules. L'enfant est une âme qu'il faut éclairer
sur sa destinée et sur ses devoirs, un cœur qu'il
faut cultiver et passionner pour le bien, une volonté
qu'il faut assouplir et conduire à la lutte, une
conscience qu'il faut assainir et façonner. La science
ne fera pas cela. Elle ne peut pas le faire. C'est au-
dessus de ses forces et en dehors de sa compétence.
Non, ce n'est pas avec un peu d'histoire et de géo-
graphie, avec un peu de physique et de chimie,
avec un peu de grec et de latin, que vous établirez
le règne de la vertu, de la force morale dans l'âme
et dans la vie de vos enfants. On a prétendu que
les générations nouvelles pourraient aisément se
dispenser de l'idée et de la sève religieuse, de l'idée
et de la sève évangélique; on vous l'a dit, on l'a
chanté à vos oreilles sur tous les tons... Et moi, au
nom de l'autorité de l'Eglise et de l'évidence des-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 489»
faits, je vous déclare que c'est un infâme mensonge
ou une grossière illusion. Croyez-en Diderot, un
des ennemis les plus acharnés du christianisme.
Un jour, l'académicien Bauzée, entrant brusque-
ment chez lui, le trouve expliquant le catéchisme
à sa fille ; et, comme il paraissait stupéfait : « Eh !
mon cher, lui dit Diderot, quels meilleurs fonde-
ments puis-je donner à l'éducation de ma fille pour
la rendre fille respectueuse, digne épouse et bonne
mère? Au fond, nous sommes bien forcés d'en con-
venir. Est-il une morale qui vaille celle de la reli-
gion et qui porte sur de plus puissants motifs? »
Hélas ! combien y a-t-il de Diderot dans notre
siècle, qui préconisent l'impiété devant la galerie,
et qui, rentrés à la maison, revendiquent pour leurs
enfants l'éducation chrétienne qu'ils ont chassée
des lois et qu'ils ont flétrie de la parole et de la
plume !
Messieurs, pour élever l'enfant, il faut agir sur sa
conscience. Or, la conscience, qui la forme ? C'est
la religion. Donc, la religion est nécessaire à l'édu-
cation. Elle ne dispense pas de recourir aux moyens
humains, tels que la surveillance, la correction,
l'attrait des récompenses, l'appel à la raison, au
sentiment, à l'honneur, à l'intérêt; mais ces moyens
ne sauraient la suppléer.
La surveillance? Elle n'atteint ni les pensées, ni
les désirs, ni toutes les démarches, ni toutes les
conversations.
490 CONFÉRENCES AUX HOMMES
La correction? Avec le bâton seul, on forme des
esclaves et des abrutis, et non des hommes.
Le sentiment? rien ne sèche plus vite que le
sentiment et les larmes.
La raison? Hélas! il ne suffit pas de connaître son
devoir pour l'accomplir.
L'honneur ? Quelques intelligences d'élite vous
comprendront peut-être, mais la masse ne vous
suivra pas.
L'intérêt? La morale qui repose sur l'intérêt n'est
guère solide.
Cherchez en dehors de Dieu, de Jésus-Christ et
de l'Église un système d'éducation, je vous défie de
le trouver.
Depuis dix-neuf siècles, et aujourd'hui comme
dans le passé, l'Eglise protège la vie matérielle, la
vie intellectuelle et la vie morale de l'enfant. Bé-
nissez-la et aimez-la. Faites-la bénir et aimer
.autour de vous!
Amen!
ONZIÈME CONFÉRENCE
L'enfant dans le catholicisme
(suiîi)
Messieurs,
Je vous ai montré l'enfant avili par le paganisme
et réhabilité par l'Evangile. Je vous ai montré la
réhabilitation de l'enfant réalisée dans le catholi-
cisme. Restons encore un peu en présence de ce
capital sujet. L'enfant c'est l'homme de demain,
c'est la France de l'avenir. Dans ses mains débiles,
l'enfant tient les destinées de la famille, de la so-
ciété et de la religion. Fussiez-vous arrivés au som-
met des choses, comptés parmi ceux qui modifient
le sort des nations, parmi ceux qu'on appelle le
plus justement les grands hommes, vous ne pour-
riez pas oublier la parole de Bossuet : « Les grands
hommes se forment sur les genoux de leurs mères. »
L'enfant est un homme en réduction ; l'homme est
tout entier dans l'enfant, et l'âge mûr se cou-
ronne des fruits bons ou mauvais que la jeunesse a
élaborés. Par conséquent, si vous voulez savoir ce
492 CONFÉRENCES AUX HOMMES
que seront les hommes de demain, voyez ce que
sont les enfants d'aujourd'hui; si vous voulez pré-
parer à la patrie et à l'Eglise des jours heureux et
des destinées glorieuses, infusez dans l'âme et dans
le sang des générations nouvelles une sève puis-
sante de christianisme. Pour vous faire accepter
cette conclusion je me contenterai de faire passer
sous vos yeux le tableau de l'enfant chrétien et de
vous dire : admirez, prévoyez et comparez.
I. Admirez l'enfant chrétiennement élevé.
Qu'ils sont beaux vos enfants, Messieurs, quand
la religion les touche de son sceptre divin et les
recouvre d'un reflet surnaturel; quand ils vous
sont rapportés des fonts du baptême avec la grâce
sanctifiante qui ne demande qu'à se développer, à
arriver à son terme, à gagner ses cimes, à briller,
à resplendir ; quand, arrivés à leur douzième an-
née et comprenant déjà le prix de leur âme, la
bonté de Dieu et les grandes vérités chrétiennes,
ils s'approchent de la Table des anges, et quand ils
vous reviennent le soir de ce grand jour transfigu-
rés dans la lumière de la première communion et
tout pénétrés des essences de la foi et de la vertu !
Qu'ils sont beaux quand ils s'avancent dans la vie,
le front plein de sérénité et le cœur plein d'inno-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 493
cence ! Une goutte de rosée peut refléter tout le
firmament ; ainsi une âme d'enfant reflète le ciel.
Il est beau, l'enfant transfiguré et divinisé par la
religion. Il a des amabilités qui attirent, des sail-
lies qui charment, des élans qui captivent, des
jeux môme qui ne nous laissent point froids et in-
différents. Chateaubriand se promenait un jour tout
pensif au Luxembourg, et il était absorbé à consi-
dérer des enfants qui, assis à terre, jouaient et fai-
saient des figures sur le sable. Il avait été mi-
nistre, ambassadeur, décoré du Saint-Esprit, de la
Toison d'Or, du grand-cordon de Saint-André... et
une chose l'arrête et le captive, c'est de voir des
enfants jouer sur le sable. Il avait fait René, le
Génie du Christianisme, il avait tenu tête à Napo-
léon, il avait ouvert l'ère poétique du siècle, et il
ne sait plus qu'une chose qui le captive, voir jouer
des enfants sur le sable. Il avait vu l'Amérique,
Rome, la Grèce, Jérusalem, et il est en extase de-
vant des enfants qui jouent et font des ronds sur
le sable. Oh ! que voilà bien la puissance de l'en-
fant ! Pères de famille, que voilà bien votre his-
toire! Vous vous arrêtez interdits, respectueux,
charmés, hypnotisés devant vos enfants, et vous
avez raison. Je ne sais plus quel professeur alle-
mand au xvie siècle avait coutume de donner ses
leçons la tête découverte pour honorer, disait-il,
les consuls, les chanceliers, les docteurs et les
maîtres qui sortiraient un jour de son école. Votre
494 CONFÉRENCES AUX HOMMES
enfant, Messieurs, c'est plus qu'un docteur, plus
qu'un consul. Si la religion habite dans son âme et
la parfume de ses arômes divins, c'est un élu en
germe, c'est une fleur divine, c'est un Dieu en
fleur, c'est un beau lys dans lequel viennent se
mirer les anges, c'est une belle rose, dit le curé
d'Ars, et les trois divines Personnes descendent du
ciel pour en respirer le parfum.
Si j'étais artiste, si j'avais dans ma tête le génie
d'Apelles et dans ma main son pinceau, savez-
vous comment je m'y prendrais pour peindre la
vraie beauté, pour lui donner sur la toile une
figure digne d'elle ? Voici ce que je ferais. Je la
représenterais sous la forme joyeuse d'un enfant
innocent et pieux, et je dirais sans crainte au ciel
et à la terre : « Regardez, admirez, inclinez- vous,
car voici l'image de la Beauté! C'est un enfant de
douze ans. Son visage respire la douceur. Son front
calme et pur s'épanouit dans une sérénité qui fait
penser à un ciel sans nuages. Ses lèvres donnent
un sourire qui rappelle les premières brises du
printemps. Ses yeux lancent une flamme qui jaillit
comme la splendeur matinale de l'aurore. Tous ses
traits sont vifs, animés, limpides, et forment
comme une sorte de magie vivante, reflet superbe
de la beauté idéale d'Adam et d'Eve au lendemain
de leur création. » Ce portrait, Messieurs, que je
serais impuissant à produire sur la toile, il y a un
artiste merveilleux qui, chaque jour, le réalise, et,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 495-
chaque jour, le présente à l'admiration de Dieu et
des hommes... Cet artiste, c'est un ange! Et vou-
lez-vous le connaître, cet ange invisible qui jette
sur la figure de l'enfant le sourire de la paix,
l'épanouissement de la vertu et le rayon de la
vraie Beauté? On l'appelle l'ange de la religion.
Quand la religion s'empare de l'enfant, quand elle
le couvre de ses caresses, de ses sollicitudes, et de
ses bénédictions, quand elle l'enrichit de ses lu-
mières et de ses énergies surnaturelles, ô mer-
veille! elle le transforme, elle le spiritualise, elle
en fait une créature supérieure. Et puis que va-t-il
advenir de cet enfant?
II. Prévoyez l'avenir de l'enfant chrétiennement
élevé.
Notre maturité est en germe dans notre jeune
âge, comme le fruit dans sa fleur, et la religion qui
façonne l'enfant lui prépare du même coup un
avenir glorieux et fécond. Sans doute toute fleur
ne donne pas son fruit; elle peut sécher et se flé-
trir, elle peut tomber sous une pluie d'orage.
Mais incontestablement si on n'a pas de fleurs, on
n'aura pas de fruits, et les années les plus riches
sont toujours celles qui ont le plus beau printemps;
les vies les plus fécondes sont celles qui com-
mencent par une enfance pieuse et pure.
496 CONFÉRENCES AUX HOMMES
J'en appelle à vos souvenirs, Messieurs. Tout ce
que l'homme possède de force, tout ce qu'il goûte
de joie, tout ce qu'il exerce d'influence lui vient
plus ou moins de cette heure où le sourire de la
mère a provoqué le premier sourire de l'enfant, de
cette heure où la langue de la mère a délié la
langue de l'enfant, de cette heure où la religion
maternelle s'est imprimée dans l'âme de l'enfant.
Dans la longue suite de nos années écoulées, notre
berceau reste la place la plus rayonnante, la plus
vénérée, la plus aimée, parce que c'est la plus
féconde, où nos pieds se soient jamais arrêtés. Et
à mesure que nous avançons dans la vie, nous
aimons davantage à nous rappeler les tendres et
saintes délicatesses qui ont affermi nos premiers
pas et nous ont procuré nos premières joies; plus
le fleuve nous emporte, plus nous sommes heureux
de remonter à sa source, pour y retrouver les
secours providentiels qui nous ont faits ce que
nous sommes.
Oui, les enfances pieuses et pures préparent les
maturités fécondes. Ce jeune enfant élevé dans
une atmosphère de religion et d'innocence pourra
un jour tout oublier. Qu'importe? Ce qu'il a senti
d'émotions saines et généreuses sur les genoux
d'une mère chrétienne, dans les bras d\m père
fidèle à Dieu, sur ie pavé de nos temples, il le sen-
tira toujours, à son insu, dans un repli de sa cons-
cience, comme ces parfums qui s'obstinent à la
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 497
doublure d'un vêtement. Il pourra tomber dans les
derniers excès; mais, quoi qu'il fasse, toutes les
pages de sa vie charrieront des parcelles du dia-
mant brisé, des fragments confus de la mélodie
divine qui a retenti sur son berceau. Il sera au
moins accessible au repentir. Il n'abjurera jamais
définitivement l'honneur et la vertu. Il aura après
une jeunesse ardente une maturité précoce. Il se
remettra de lui-même sous le joug de la loi, et la
religion fortement enracinée dans son enfance re-
deviendra maîtresse de sa vie et sauvera son âme
pour le temps et pour l'Eternité ! Tel est l'enfant,
quand la religion le couvre de sa majesté trois fois
sainte. Il est beau à voir, et sa beauté présente est
le prélude d'une vie qui s'annonce sans peur et
sans reproche.
III. Comparez à l'enfant chrétiennement élevé
l'enfant qui est élevé en dehors de toute instruc-
tion et de toute émotion religieuse.
Tous les noms retentissant à l'oreille de cet en-
fant, excepté le vôtre, ô mon Dieu, et celui de
votre divin Fils et de sa divine mère ; tous les
spectacles venant se montrer aux regards de cet
enfant, excepté ceux de votre maison et de vos
fêtes, ô mon Dieu ! tous les plaisirs et toutes les
joies de la terre venant de jour en jour et d'heure
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-32
498 CONFÉRENCES AUX HOMMES
en heure remuer de leur souffle cette vie tendre et
délicate, toutes, excepté ces saintes voluptés du
Temple et ces joies sacrées des cérémonies pieuses
qui devaient donner à cette âme à peine épanouie
comme une révélation et un pressentiment du
Paradis ! Ajoutez à cela dans certains milieux le
nom adorable de Dieu mêlé à d'horribles formules
d'imprécations et de blasphèmes; des paroles im-
pies et licencieuses, des calomnies populaires sur
la religion et ses ministres, qui mettent dans
l'âme de ce pauvre enfant un fond de défiance
irréfléchie, mais tenace, contre notre ministère et
contre nos personnes, contre nos enseignements
les plus simples et notre dévouement le plus pur.
Ajoutez à cela encore des exemples en opposition
directe avec la loi de Dieu et les passions de la
jeunesse se développant précisément alors d'accord
avec ces influences domestiques... !
Que pensez-vous que va devenir cet enfant? Cet
enfant ne sera pas élevé. Rien ne saura dompter
en lui ces instincts farouches dont la libre expan-
sion fait l'homme barbare. Un jour il se révélera
comme la personnification de l'égoïsme et de l'in-
gratitude, et aussi impie envers ses parents qu'en-
vers son Dieu, il leur apprendra par .leurs douleurs
et peut-être par ses crimes ce que c'est que de
vouloir se passer de Dieu !
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 499"
Le cœur d'un homme vierge est un vase profond.
Lorsque la première eau qu'on y verse est impure,
La mer y passerait sans laver la souillure ;
Car l'abîme est immense et la tache est au fond!
Malheur à l'enfant élevé sans religion ! Pendant
toute sa vie il portera dans son âme et sur son
front la trace indélébile des sentiments pervers qui
ont abreuvé ses premières années.
Pensez-y, Messieurs. Pensez-y pour vos enfants.
Pensez-y pour ces centaines et ces milliers d'en-
fants du peuple que l'on voudrait arracher aux
r
bras de la sainte Eglise. Ne le permettez pas. Sau-
vez l'enfance en la donnant à Jésus-Christ et à son
Eglise !
Amen!
DOUZIÈME CONFÉRENCE
Le jeune homme
Messieurs,
L'Église sauve l'enfant. Mais voici bien une autre
affaire. Votre enfant a grandi : il a quinze ou dix-
sept ans. Ecoutez-moi bien. C'est grave, ce que j'ai
à vous dire. Mes lèvres en sont émues, et je me de-
mande si elles vont avoir le courage d'aller jusqu'au
bout de ce tragique sujet. Pourquoi pas? Commen-
çons par le plus facile, et contemplons aujourd'hui
l'enfant devenu grand en conservant la piété de
ses premières années. Contemplons le jeune homme
sous l'égide de la sainte Eglise qui le préserve et
qui, au besoinrle ressuscite.
I. L'Église préserve le jeune homme.
Le jeune homme est beau quand il s'avance dans
la vie, ayant la religion pour armure et portant sur
son visage je ne sais quel mélange d'enthousiasme
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 501
et de gravité, d'ardeur et de réflexion qui annonce
les grandes destinées pour lesquelles Dieu le garde.
Il y a deux merveilles que j'admire ici-bas : c'est
une île au milieu de l'océan..., les flots vont et
viennent, montent, descendent, mugissent, s'ar-
rêtent toujours à temps, ne la couvrent jamais...
Et puis, c'est un jeune homme au milieu du monde,
un jeune homme enraciné dans la foi; les passions
mauvaises l'enveloppent : flots agités, flots boueux,
ils vont, ils montent, ils écument, puis se calment
et s'en vont... pourquoi? parce que Dieu est là,
habitant au cœur de ce jeune homme, veillant sur
la candeur de son front, sur la sérénité de son re-
gard,, sur l'honneur et la dignité de son âme. Qui
oserait contester la beauté d'un pareil spectacle?
Voilà un adolescent en qui la famille revivra tout
entière. L'enfant était faible, naïf, confiant ; l'ado-
lescent est grand, fort, plein d'ardeur et d'inquié-
tude. L'enfant reflétait en son âme les tendresses
de sa mère et les pensées de son père ; l'adolescent
pense par lui-même, cherche sa voix et cache sous
des traits devenus virils, des émotions et des désirs
inconnus. Ah! si vous pouviez faire reculer le temps
et ramener cet adolescent à sa douzième année !
Mais non. Cette joie, ou plutôt cette tentation ne
vous est pas permise. Aucune famille n'est destinée
à s'endormir dans les douceurs qui ont charmé ses
commencements. Votre fils vous échappe, il échappe
aux obscurités et aux tranquillités de la vie in-
502 CONFÉRENCES AUX HOMMES
consciente, et il entre à pleines voiles dans les
orages. Quelle tutelle allez-vous étendre sur cette
innocence si chère et si menacée ? Messieurs, il n'y
en a pas d'autre vraiment efficace que les salutaires
freins de la conscience chrétienne. Mithridate jetait
de For sur ses pas pour arrêter les poursuites des
Romains; le Christ sème mieux que de l'or dans
nos familles, en y semant les vertus qui en font
la paix et l'honneur. «Les passions, dit Lacordaire,
les passions comme des chiens sauvages sont aux
portes de l'adolescence. » Qui donc pourra les
dompter? Jésus-Christ. C'est Jésus-Christ, et Lui
seul qui apprend à l'adolescent à gouverner sa jeu-
nesse, à vaincre ses penchants, à résister aux en-
traînements dangereux du dehors, à sauver sa
chasteté et à doubler sans naufrage le cap de la pu-
berté, qui est pour tous le cap des Tempêtes. Jésus-
Christ député auprès du jeune homme son Eglise
qui lui offre la possibilité de vaincre le mal et
d'échapper au naufrage de sa vertu.
Hélas! vous le savez beaucoup mieux que moi,
Messieurs, puisque vous portez dans votre cœur
les angoisses de la paternité. Il est bien rare, n'est-
ce pas, que le jeune homme, même le meilleur,
préserve sa barque de toutes les avaries au milieu
d'une traversée si pleine d'orages. Les temps sont
si difficiles, les séductions si nombreuses, les occa-
sions de déchoir si puissantes et si entraînantes!
Mais n'ayez pas peur. Ce que Dieu garde est bien
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 503
gardé, et l'Église ne préserve pas seulement le
jeune homme, elle le ressuscite quand besoin en
est.
il. L'Église ressuscite le jeune homme.
Le jeune homme qui a en lui le ressort de la foi
et l'appui des pratiques religieuses n'est pas à
l'abri de toutes les misères ; il peut tomber quel-
quefois, mais il se relève toujours; il tombe parce
qu'il est faible et que les vents sont violents, mais
il se relève parce que Dieu est avec lui, et que la
grâce est toute-puissante. Que le jeune homme dé-
cliu et attristé de sa défaite regarde de notre côté,
du côté de Jésus-Christ et de ses ministres. D'autres
disserteront sur ses ruines ; avec les sacrements,
nous les ferons palpiter. D'autres lui expliqueront
le mouvement; avec les sacrements, nous nous
chargeons de le lui donner. Nous ne prétendons
pas, avec la religion, pouvoir prévenir toutes
les chutes ; mais nous en prévenons beaucoup ;
et celles qui se consomment malgré nous, nous
prétendons qu'elles sont irréparables sans nous.
Un coupable sans foi ni religion peut connaître
la lassitude, la déception, le découragement; il
ne connaîtra point le repentir, ni l'amendement
dans le sens régénérateur attaché à ces mots, et,
après avoir perdu la première innocence, il ne re-
504 CONFÉRENCES AUX HOMMES
montera point à la seconde. Nous ne remontons
jamais seuls les abîmes descendus ; mais le jeune
homme qui a la foi et qui, du fond de sa misèrer
crie vers Dieu, n'est jamais perdu sans retour.
Etiamsi mortuus fuerit, vivet. Même mort, il peut
revivre. Jésus-Christ lui tend la main, et sa défaite,
si profonde qu'elle soit, s'achève dans une victoire.
Sa mort, si longtemps qu'elle ait duré, est suivie
d'une résurrection : témoin saint Augustin, se-
couant la chaîne de vingt ans de sensualisme et
s'élançant du plus honteux esclavage jusqu'à une
sorte de transfiguration angélique ; témoins tant de
jeunes gens qui, jetés au milieu d'un monde cor-
rompu et corrupteur, se conservent purs en se con-
servant pieux, et qui, interrogés, vous diront que
c'est la religion qui les a sauvés du naufrage.
Messieurs, je mets les choses au pire et je sup-
pose l'âme du jeune homme chrétien complètement
dévastée. Il a perdu dans des désordres graves et
prolongés l'honneur de sa vertu et la sève de ses
vingt ans. Sa ruine est-elle irrémédiable, et n'y
a-t-il plus rien à espérer de cet ange dé,chu, de ce
soleil éteint? Détrompez-vous. On objectait à un
grand éducateur d'un collège catholique l'impuis-
sance et l'inutilité de son ministère. On lui mon-
trait les nombreux disciples sortis de son école et
moissonnés par les passions, et on lui disait: «L'an-
née a perdu son printemps. A quoi bon tous vos
efforts? Quels sont vos résultats? Qu'avez- vous
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 505
fait? » — « Ce que nous faisons? répondit-il. Nous
créons des remords! » Oui, Messieurs, dans l'âme
un moment égarée par la passion, la religion sur-
vivante et tenace implante le remords, et le re-
mords est le germe de la vie, l'étincelle d'un foyer
qui va renaître, la racine de la vertu future, la pro-
phétie d'une résurrection prochaine., Souvent, en
errant dans nos villes modernes, le voyageur aper-
çoit un monument dévasté. Les âges ou la main
des hommes, le temps ou les révolutions ont en-
trouvert les voûtes, fait pencher les flèches, brisé
les vitraux, abattu à demi les croix; et la lumière
des nuits, passant à travers les pierres disjointes,
n'éclaire plus que des ruines. Le voyageur s'arrête,
et une larme monte à sa paupière. Il n'y a plus
guère d'intactes que les cryptes profondes. Il des-
cend. 11 aperçoit ces forts piliers sur lesquels les
dévastateurs n'ont presque rien pu. Il les touche
d'une main attendrie; et il s'en va plein d'espé-
rance, ayant entrevu le jour où sur ces bases raf-
fermies l'édifice se relèvera dans sa majestueuse
beauté et retrouvera son antique gloire. De même,
Messieurs, donnez-moi un jeune homme sans mœurs
mais non sans principes, un jeune homme dont la
vie a été dévastée par les orages du péché, mais
dont l'âme garde ces fondations nécessaires qui sont
des croyances autorisées et fermes. Je lui rappel-
lerai le Dieu de sa mère et les joies pures de sa
religion d'autrefois ; j'éveillerai au fond de sa cons-
506 CONFÉRENCES AUX HOMMES
cience de salutaires remords; je pleurerai sur lui,
je prierai pour lui, je le convertirai, et sur les
ruines d'une jeunesse ardente et enfin domptée,
viendra s'asseoir une maturité honnête et bénie de
Dieu. Mais un jeune homme sans principes, ja-
mais, ou à peu près jamais, vous ne parviendrez à
le ramener au bien. Au-dessous des ruines entassées,
vous cherchez vainement le roc solide, le sol sur
lequel on puisse bâtir..., vous "ne le trouvez pas.
Dieu, la conscience, les sanctions éternelles, le
frein moral et religieux, tout cela n'est rien pour
cette âme, et cette âme pèche sans remords, parce
qu'elle vit sans principes. Je conclus :
1° C'est un devoir de donner à la jeunesse des
principes religieux.
C'est un devoir parce que la jeunesse en a besoin
et qu'il vaudrait mieux, en quelque sorte, lui enle-
ver le pain de la bouche que les principes religieux
de la conscience. Le corps humain a besoin du
pain pour vivre ; l'âme humaine a besoin de la reli-
gion pour vivre. Si vous laissiez vos enfants mourir
de faim, vous manqueriez à un devoir élémentaire
et essentiel, et vous seriez responsables devant la
justice des hommes ; et, si vous refusez à vos en-
fants l'élément religieux, vous manquez à un de-
voir élémentaire et essentiel, et vous êtes respon-
sables devant la justice de Dieu.
C'est un devoir de donner à la jeunesse des prin-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 507
cipes religieux, parce que ces principes religieux on
vous les a donnés à vous-mêmes pour que vous
les transmettiez à votre tour. Ce patrimoine de foi
et de religion que vous avez reçu n'est point à
vous; c'est un dépôt à conserver, c'est une richesse
à augmenter, c'est une dot à transmettre. Ce qui
fait l'humanité, la race, la famille, ce n'est pas seu-
lement le sang qui coule d'une génération à une
autre, c'est encore, et surtout, l'âme, l'honneur, la
vertu, la religion, les principes qui vont de l'aïeul
aux arrière-petits-fils, comme la sève qui passe du
tronc à la cime de l'arbre. Si la sève ne va pas dans
les branches, c'est la mort, et si les principes reli-
gieux sont supprimés et taris, j'ose vous prophétiser
que la vie ne durera pas longtemps. Jugez d'après
cela, Messieurs, combien il importe de maintenir
la jeunesse sous la discipline salutaire de l'Église
catholique.
2° Jugez combien nous sommes vos amis et vos
bienfaiteurs, nous qui travaillons de mille manières
à élever chrétiennement la jeunesse. Chose étrange!
quand nous prêchons la vérité religieuse, le monde
a toujours l'air de croire que nous défendons notre
propre cause et notre intérêt personnel. Rien n'est
plus faux que ce préjugé, qui réduit souvent à
l'impuissance nos enseignements et nos meilleurs
efforts de zèle. Non, la religion n'est point notre
affaire personnelle. Sans doute, K vérit4 religieuse
508 CONFÉRENCES AUX HOMMES
vibre sur nos lèvres, mais pour qui vibre-t-elle, si-
non pour vous ? Elle vous vise, vous intéresse et
vous atteint au moins autant que nous. Et, dans
certains sujets, comme celui que je viens de traiter
devant vous, la vérité religieuse est beaucoup plus
applicable à ceux qui l'entendent qu'à celui qui la
prêche. Car enfin, si profond que soit mon désir de
voir vos enfants chrétiennement élevés, j'y suis
moins intéressé que vous. Quand je demande que
le jeune homme aille chercher dans la religion le
secret de la vertu, pour qui est-ce que je travaille?
Pour moi ? Non. Je travaille pour vos fils, pour
vous, pour la sécurité de vos familles et pour le
bien commun. Travaillez avec moi, Messieurs, et
ensemble coopérons au relèvement de la patrie, au
relèvement des foyers, au relèvement des âmes !
Amen /
TREIZIÈME CONFERENCE
Le jeune homme
(suite)
Messieurs,
L'Eglise a réhabilité l'enfant. Elle protège ses
premières années, et quand il grandit, quand il
entre dans l'adolescence et dans la jeunesse, elle
veille sur lui avec un amour encore plus attentif et
plus tendre. Je vous ai présenté le ravissant spectacle
du jeune homme abrité sous les ailes maternelles
de l'Église. Il faut que j'aille jusqu'au bout de mon
sujet et que je vous en montre aujourd'hui le côté
attristant et douloureux. Je vous dois la vérité, et,
dussé-je vous la présenter à genoux, je ne puis
pas vous la refuser. Jetons donc ensemble un regard
plein de larmes sur le jeune homme déchristia-
nisé et constatons en lui, avec la ruine de la foi, la
ruine du respect filial et de toute vertu.
I. La ruine de la foi dans le jeune homme dé-
christianisé.
Le jeune homme déchristianisé, le jeune homme
510 CONFÉRENCES AUX HOMMES
qui a perdu la foi, on le rencontre partout à l'heure
présente dans notre monde en décomposition.
On le rencontre dans les classes populaires. En-
fant, il a fait une première communion telle quelle.
Puis il est retombé dans une famille indifférente
ou antichrétienne, dans un atelier où la foi et la
morale sont également outragées, dans des compa-
gnies suspectes ou mauvaises. Tout de suite, ou à,
peu près tout de suite, il s'affranchit des engage-
ments contractés au pied des autels comme d'un
fardeau qu'on lui dit ne plus convenir à son âge.
Il perd vite le sens religieux. Il ne prie plus. Il ne
va plus à l'Eglise. Il oublie les vérités chrétiennes
les plus élémentaires. Regardez-le passer dans les
rues de la cité, aller à son atelier ou à son ma-
gasin et en revenir, donner son dimanche au tra-
vail abrutissant ou aux divertissements frivoles ; il
est vide de toute religion; il est déchristianisé.
Mais ce n'est pas seulement dans les classes po-
pulaires que vous rencontrez le jeune homme dé-
christianisé. Vous le rencontrez aussi dans les
classes plus ou moins cultivées. Et là, son attitude
a quelque chose de plus répugnant. Je suis plein
de compassion pour le jeune ouvrier qui délaisse la
religion. Il la connaît si peu et il est en proie à tant
de séductions ! Mais voyez ce jeune homme qui
sort de l'adolescence avec un petit bagage scienti-
fique, et qui se sert du peu qu'il sait pour blas-
phémer ce qu'il ignore. Ce que Bossuet, Pascal,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 514
Fénelon, Descartes, Newton, Leibnitz, Euler ont cru
après les plus profondes méditations, il le méprise.
Pour lui ces six mille ans de foi religieuse, ces dix-
neuf siècles de christianisme et les œuvres merveil-
leuses qui sont sorties de cette foi, tout cela est
mensonge, superstition, ténèbres, sottise. Il regarde
le christianisme ; ou plutôt il ne daigne pas même
le regarder; mais il le juge et il le rejette. Et, en
le rejetant, il rejette toute foi, toute religion, et
souvent même la croyance en Dieu. Pour le mo-
ment je ne cherche pas à expliquer ce phénomène
de déchristianisation, je le constate seulement, et
je dis qu'il est lamentable. Je dis que la ruine de
la religion va engendrer ^dans l'âme et dans la vie
de ce jeune homme des ruines qui sont horribles à
voir et malheureusement trop certaines. Je dis que,
le frein religieux une fois brisé, toutes les digues
se rompent, toutes les ancres se cassent, et le vais-
seau, si beau qu'il paraisse, est une proie promise à
l'abîme.
II. La ruine du respect filial dans le jeune homme
déchristianisé.
Avec la ruine de la foi dans la jeunesse je vois
apparaître la ruine du respect filial. Quand la reli-
gion s'en va, c'est l'esprit d'indépendancequi arrive.
Messieurs, lorsque je vous parle de l'esprit d'indé-
"512 CONFÉRENCES AUX HOMMES
pendance, je ne vous dis rien d'étrange, rien qui
doive vous surprendre. Il me suffirait, si vous
éleviez quelque protestation, de vous rappeler ce
que j'entends dire partout et ce que vous voyez
vous-mêmes tous les jours. Vos plaintes les plus
fréquentes et les plus légitimes ont précisément
pour objet cette apparition redoutable et cette in-
vasion menaçante de l'esprit d'indépendance dans
la génération actuelle. L'autorité n'est plus suffisam-
ment respectée dans la famille. Où sont-ils ces
sanctuaires domestiques où rayonne sans intermit-
tence la majesté paternelle? Le jeune homme parle
de ses droits quand il devrait d'abord apprendre
«es devoirs et les observer. Il se croit admis à faire
entendre des réclamations, il discute le plus sou-
vent l'ordre donné, et chacun de ses arguments
c'est un lambeau de l'autorité qui tombe et dispa-
raît, c'est une pierre du foyer qui se disjoint et
s'écroule. Pourquoi? Pourquoi?
Parce que l'autorité de Dieu ne compte plus,
l'autorité paternelle compte encore moins. La lo-
gique gouverne le jeune homme malgré lui et à
son insu, et, du moment qu'il a détrôné dans son
âme l'autorité de Dieu, comment voulez-vous qu'il
respecte encore l'autorité d'un père et d'une mère?
Messieurs, je vous ai déjà dit cela, mais il est né-
cessaire que je vous le redise. Quand la foi s'en va
d'une jeune âme, n'allez pas croire que c'est un
petit malheur. C'est une ruine qui en entraîne
LES BIENFAITS DE L'ËGLISB 513
beaucoup d'autres. Parce que le clocher est au mi-
lieu du village, les pierres qui tombent du clocher
écrasent les maisons d'alentour, et parce que la
religion est la colonne centrale qui porte tout,
quand elle croule, elle entraîne avec elle dans sa
chute toutes les délicatesses du respect filial et, je
dois l'ajouter parce que c'est vrai, toutes les délica-
tesses de la vertu.
III. La ruine de la vertu dans le jeune homme
déchristianisé.
Avec la ruine de la foi dans la jeunesse je vois
apparaître la ruine de la vertu. Avec la défaillance
de la vie chrétienne, arrive la flétrissure du cœur.
Quoi, Messieurs? Même abrité sous le bouclier de
la religion, le jeune homme ne peut pas échapper
à tous les traits ; même chrétien, il a besoin de la
vigilance, du travail et de la sobriété pour se con-
server pur. Et des jeunes gens qui ont rejeté
toute religion, toute prière et qui ne croient plus
h rien, conserveraient la pureté du cœur et la
pureté de la vie? Non. Ce serait un miracle, et
Dieu ne permet pas un tel miracle, qui démentirait
sa parole et rendrait sa grâce inutile et méprisable.
Non, Dieu ne veut pas que l'on puisse impunément
se passer de lui, et, quand on le chasse, ce sont les
passions qui viennent prendre sa place et venger
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISB. — 1-33
514 CONFÉRENCES AUX HOMMES
son absence. Quand l'irréligion vient s'asseoir dans
une jeune âme, toutes les vertus s'envolent d'une
aile rapide, comme les oiseaux s'enfuient de la feuille
qui les abrite, dès qu'ils sentent l'approche ou en-
tendent le bruit de l'épervier. Quand la foi baisse,
ce n'est jamais la vertu qui monte. Quand l'ado-
lescent échappe au joug de la religion, il tombe
fatalement sous le joug de ses sens indisciplinés et
de ses passions victorieuses. Triste spectacle que
celui du jeune homme qui ne vit plus dans la di-
gnité de l'heure présente, depuis qu'il a effacé en
lui la pensée de Dieu, le souci des grandes desti-
nées et les traces du christianisme !
Ah ! vous pensiez peut-être que la rupture du
frein religieux dans la jeunesse était un accident
de médiocre importance et qu'il n'y avait pas là
de quoi jeter les hauts cris. Et moi, armé des
clartés de l'évidence, usant de cette liberté aposto-
lique que me permettent mon ministère et vos
sympathies, évoquant les faits douloureux que j'ai
pu constater dans les longues années de ma vie
sacerdotale mêlée à tant d'âmes et à tant de familles,
me rappelant les larmes brûlantes que tant de fois
j'ai vu tomber des yeux des pères et des mères, je
vous déclare que la rupture du frein religieux dans
la jeunesse est un malheur, et un immense
malheur ! Je vous dis que le jeune homme est placé
entre deux attractions, l'attraction du bien et
l'attraction du mal, et que, s'il ne monte pas vers
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 515
le bien sur les ailes de la religion, il sera entraîné
vers le mal par le poids de la passion.
Et même j'ose ajouter que, s'il se laisse prendre
une fois par la passion sans que la religion vienne
l'y soustraire, il ressemble à l'ouvrier dont la
blouse est saisie par l'engrenage d'une machine en
mouvement; quels que soient ses efforts et son
énergie, rien ne le sauvera. Une expression popu-
laire dit nettement le fait : il y passera tout entier.
Il y passera tout entier! Messieurs, que j'aurais ici
de choses à vous dire! Ah! si je vous disais tout,
si, après vous avoir montré, avec la religion dis-
parue, le respect filial anéanti et la pureté flétrie,
si je vous montrais les derniers excès du mal... Si
je vous montrais le vice allant jusqu'à la moelle
des os et passant comme un héritage imprévu et
maudit à une postérité tout entière... Si je vous
montrais, des familles éplorées perdant l'honneur
et la richesse dans des abîmes d'intempérance
creusés par des mains filiales... Si je vous mon-
trais l'abaissement du niveau moral et intellectuel,
la santé publique compromise de la façon la plus
grave, la race qui s'étiole, qui décroît, qui hérite
des débilités transmises et qui semble avoir été
empoisonnée dans les sources mêmes de la vie...
Si je vous montrais tout cela et encore bien d'autres
choses, vous pourriez me taxer de témérité, mais
non d'exagération, car, après tout, je ne ferais que
vous offrir la photographie exacte des phénomènes
516 CONFÉRENCES AUX HOMMES
que vous côtoyez tous les jours... Mais non, je
m'arrête; le respect de cette chaire m'impose la
réserve et la réticence, et tout ce que je pourrais
dire, tout ce que vous savez, je ne veux pas qu'on
m'accuse de l'avoir amené jusqu'ici, fût-ce pour
une flagellation sanglante, mais qui aurait encore
le malheur d'être publique. Qu'il me suffise de
vous dire que, si la première fois qu'on vit des
laves brûlantes au sommet du Vésuve on s'était
plus alarmé, ni Herculanum ni Pompéi n'auraient
disparu dans une mer de feu, et le voyageur qui
visite avec une étrange émotion les restes de ces
étranges catastrophes ne lirait pas sur les ruines
ces trop tardives paroles : Cavete, posteri! vestra
res agitur. Oui, Messieurs, il s'agit de vous, puis-
qu'il s'agit de vos fils, et puisque vous tenez avec
raison à votre bonheur et à leur vertu, à la paix de
votre famille et à l'honneur de votre nom, donnez-
leur donc la religion pour frein ; car le jeune homme
sans religion est semblable à une locomotive qui,
dans une descente rapide, n'a plus de frein, ardente
et encore belle à voir, mais dont la beauté fait fré-
mir, puisque c'est cette beauté même qui la con-
duit aux abîmes.
Messieurs, par vos paroles, par vos exemples,
par vos soins vigilants, formez-nous des fils purs,
forts, aptes au travail, à la peine et au sacrifice, et
non point de ces êtres efféminés et à demi-païens
chez qui, à peine au sortir de l'enfance, le libertin et
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 517
l'enfant gâté se mêlent avec une facilité qui devrait
faire trembler la faiblesse des pères et des mères.
Elevez-nous donc des jeunes gens qui ont une foi
et une loi, et non point de ces êtres mécréants et
corrompus, hardis contre Dieu et contre la morale,
contempteurs de la vertu et de la vérité, qui ne
peuvent que désoler également la famille, la patrie
et la religion. Préparez-nous une génération chré-
tienne, laborieuse, chaste, ardente au vrai et au
bien, afin que, si le présent est sombre, l'avenir,
au moins, s'annonce tout empourpré d'espérances
et de clartés!
Amen!
QUATORZIÈME CONFÉRENCE
La famille chrétienne
Messieurs,
L'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité
dans Tordre intellectuel, dans l'ordre moral, dans
l'ordre matériel, dans l'ordre domestique. Dans
l'ordre domestique, elle a réhabilité l'union conju-
gale, rhomme, l'enfant, la femme, le jeune homme.
J'achève et je résume cet inépuisable sujet, en vous
présentant le tableau de la famille chrétienne et
de la famille décatholicisée. Contemplons aujour-
d'hui la famille chrétienne. La famille va nous ap-
paraître créée par Dieu, défigurée par l'homme,
r
restaurée par Jésus-Christ, réalisée par l'Eglise ca-
tholique.
I. La famille créée par Dieu.
La famille est née du souffle de Dieu même dans
les berceaux de l'Eden. Vous savez tous cette suave
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 519
et véridique histoire tout embaumée des parfums
du monde naissant. C'est Dieu qui a créé l'homme,
qui lui a donné une compagne semblable à lui, et
qui, complétant l'un par l'autre les deux époux, les
deux moitiés de la même âme, a fait de l'époux
un père avec le don de la force, de l'épouse une
mère avec le don de la tendresse, et de l'enfant le
fruit de la tendresse et de la force, multiplié par la
bénédiction divine.
0 sublime constitution de la famille ! Dieu en est
l'auteur. Après Dieu et en son nom, le père et la
mère créent, car ils donnent l'être qu'ils ont reçu
et continuent ainsi de génération en génération
cette vie dont la source est en Dieu seul. Après
Dieu et en son nom, le père et la mère gouvernent
en formant le cœur, en éclairant l'esprit, en guidant
l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr lui-même vers le
vrai, le bien et le beau, terme suprême de toute
existence.
Et, pour exercer cette auguste charge, le père
et la mère ont tous deux la même autorité avec
des dons divers. Les soins de la première enfance
regardent surtout la bonté de la mère, comme ceux
de la jeunesse et de l'âge mûr intéressent surtout
la sagesse du père.
C'est au père qu'il appartient particulièrement
d'élever le fils; c'est à la mère qu'est confiée plutôt
l'éducation de la fille. Le père commande; la mère
aide à l'obéissance ; l'un est plus ferme, l'autre plus
520 CONFÉRENCES AUX HOMMES
persuasive. L'homme est la tête de la femme, la
femme est le cœur de l'homme, et de cette mu-
tuelle harmonie, résulte, avec leur propre bonheur,
le bonheur de la postérité.
Voilà la famille telle qu'elle est sortie des mains
du Créateur. Est-elle restée dans cette beauté pri-
mitive ? Hélas ! vous savez bien que non. Il faut
raconter ici l'histoire de sa déchéance.
II. La famille défigurée par l'homme.
Née du souffle de Dieu même dans les berceaux
de l'Eden, la famille a été défigurée par la passion
de l'homme. Pendant quarante siècles, nous assis-
tons au spectacle de sa décomposition. Entrez dans
la maison des païens, à Rome, à Sparte, à Athènes;
partout. Vous y trouvez l'infanticide, le divorce, la
polygamie. Vous y trouvez Mercure qui protège le
vol, Saturne qui dévore ses propres enfants, Jupi-
ter qui sanctionne et divinise l'adultère, Vénus qui
autorise les plaisirs de la chair, et les petits dieux
du foyer qui sourient à toutes les voluptés de la
table en regardant avec indulgence les péchés de
luxure... Et, vous adressant à ces familles païennes,.
vous leur direz avec Corneille :
Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux,
Vous n'en punissez point qui n'ait son maître aux cieux.
Elles devaient donc tomber en poudre ces idoles
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 52*
0
qui avaient usurpé les hommages du monde ; ils
devaient s'éteindre ces foyers domestiques, où la
religion était peut-être pire que l'incrédulité
Et, chose remarquable, la seule religion vraie
de l'antiquité, la religion juive elle-même, n'a pas
pu protéger suffisamment la belle organisation de
la famille primitive. Elle a dû faire des concessions
aux passions de l'homme et aux inconstances du
cœur, en introduisant la répudiation dans la légis-
lation matrimoniale. Comme si Dieu, afin de mon-
trer combien c'est un problème redoutable que la
création d'une famille, avait voulu réserver à la
vraie religion, et encore à la religion arrivée à son
plus haut degré de pureté et de puissance, l'hon-
neur d'assainir, de restaurer et de transfigurer les
foyers. Jésus-Christ est venu, et il a rendu à la
famille une beauté que ne lui avaient pas laissée
les jours antiques, une splendeur inconnue même
des premiers jours du monde. Voyons cela.
III. La famille restaurée par Jésus- Christ.
L'infanticide, jadis si excusable devant les philo-
sophies et les législations païennes, devint odieux
et exécrable aux yeux de Celui qui promet le
royaume des cieux aux enfants et à ceux qui leur
ressemblent. Le divorce disparaît des lois et des
mœurs au souffle de cette autre parole : « Que
l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni.»
^22 CONFÉRENCES AUX HOMMES
L'époux a un modèle dans la sainte Famille,
c'est Joseph, c'est-à-dire la fidélité, le travail, l'hon-
neur conjugal, la confiance en Dieu.
L'épouse remonte sur le trône qu'elle avait perdu,
c'est Marie qui le lui conquiert par ses vertus, et
qui le lui assure par ses exemples.
L'enfant ne peut refuser ni le respect, ni l'obéis-
sance, ni l'assistance filiale. C'est Jésus qui les lui
impose par sa vie obscure et cachée, dont l'obéis-
sance fut toute l'histoire, et erat subditus illis.
Fondée sur de telles paroles et de tels exemples,
sanctifiée à son origine parle sacrement qui donne
la grâce, totalement transformée et réhabilitée par
le Sauveur, la famille chrétienne est belle et res-
plendissante.
Le père apparaît dans toute la majesté de son
rôle ; il est roi, il porte au front un rayon de l'au-
torité divine.
La mère échange sa faiblesse naturelle contre la
dignité souveraine qui lui vient du cœur même de
Dieu.
Les deux époux trouvent dans leur fidélité réci-
proque leur sécurité commune et l'honneur com-
mun de leurs noms réunis.
L'enfant garde son âme pure et sa conscience
délicate et se prépare par l'innocence aux grands
combats de la vertu.
Le jeune homme grandit dans les veilles du tra-
vail et dans les luttes généreuses de lacharité chré-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 523
tienne, et il conserve avec l'honneur de l'âme le
dépôt du sang, mille fois plus sacré que le dépôt
de l'or.
Les parents administrent à leurs enfants l'éduca-
tion, la correction et le bon exemple, et les enfants
prodiguent à leurs parents le respect, la docilité et
l'assistance.
Sont-ce là, Messieurs, de vaines paroles ? Non,
si c'est de la poésie, c'est de la poésie puisée dans
les faits. Jésus-Christ a fait ce qu'il a voulu faire,
et, depuis dix-neuf siècles, la famille restaurée est
vivante sous nos yeux. Regardons-la.
IV. La famille réalisée par l'Eglise.
Quoi de plus beau, Messieurs, que la famille chré-
tienne dont l'Église catholique est la mère, la maî-
tresse et la gardienne, une famille chrétienne qui
est un sanctuaire dans lequel Dieu est connu, aimé,
prié, servi, adoré en commun ! Je vois, le soir, autour
d'une table éclairée d'un modeste flambeau, l'ou-
vrier souriant à ses enfants, et la main posée sur
l'épaule de l'un d'eux, enseignant à sa jeune et gra-
cieuse postérité l'art de se bien conduire parmi les
hommes. D'une voix douce et mâle il leur explique :
« Tes père et mère honoreras... », et, pour appuyer
sa doctrine, il remonte à Dieu, ouvrier éternel, ar-
tiste souverain qui a tissé les ailes du moucheron,
524 CONFÉRENCES AUX HOMMES
et dessiné le tronc superbe du palmier. Les enfants
ravis écoutent. Ils ont aperçu au front de leur père
un rayon de la divine Majesté ; ils ont aperçu dans
les hauteurs une tendresse qui dépasse la tendresse
de leur mère, et ils montent sans effort vers le bien,
portés sur les deux grandes ailes de la religion et
de la famille. Ah ! comme la vertu s'épanouit à
l'aise dans des foyers ainsi vivifiés par la foi ! La
vertu... l'enfant la boit avec le lait sur le sein ma-
ternel; il la lit dans le regard de son père, il la res-
pire avec l'air qui entre dans sa poitrine. Et, après
dix ans d'éducation sévère, de mâles exemples, de
rudes leçons mêlées d'un sincère amour, il sort du
foyer domestique armé pour la lutte, cuirassé
contre les tentations, apte à porter sur ses épaules
le poids des grands devoirs et des lourdes responsa-
bilités.
Prêtre, il honore le sacerdoce; il trace au milieu
de ses frères un sillon lumineux de doctrine, de
charité, de zèle, d'apostolat, d'amour de Dieu et
des hommes; il embaume une paroisse; il relève
les murs de Sion ; et, dans le vase fragile de son
cœur consacré, il porte à travers le monde les né-
cessaires trésors de la vérité, de la grâce et du salut.
C'est des bonnes familles que sort le prêtre saint,
le prêtre zélé, le prêtre apôtre et convertisseur.
Magistrat, il honore sa toge ; il tient d'une main
inflexible la balance de la justice ; il rassure les bons
et fait trembler les méchants, et par la dignité de
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 525
son caractère, il impose autour de lui le respect de
la loi dans le respect de sa personne. C'est des
bonnes familles que sort le magistrat correct, irré-
prochable, incorruptible.
Soldat, il honore et défend la patrie. D'où sort
l'armée, sinon des entrailles mêmes de la na-
tion, sinon de la famille sainement et religieuse-
ment constituée? La première école du soldat, c'est
le foyer ; son premier sergent instructeur, c'est son
père; sa première caserne, c'est le giron maternel.
C'est des bonnes familles que sort le soldat docile,
discipliné, dur à la fatigue, sans peur et sans re-
proche.
Agriculteur, commerçant, industriel, il honore
sa profession. Il met la conscience au-dessus de la
fortune, les intérêts éternels au-dessus des intérêts
terrestres et passagers; il voit au-dessus des ma-
chines les hommes qui les font mouvoir, au-dessus
du corps l'âme, au-dessus de l'âme Dieu qui juge
tous les mortels avec d'égales lois et, du haut de
son trône, interroge les rois. C'est des bonnes fa-
milles que sort le patron humain, l'homme d'af-
faires consciencieux, le commerçant honnête, le
citoyen fidèle à son devoir.
Artisan, domestique, valet de ferme, il accepte sa
condition ; il sanctifie son travail, il transfigure ses
souffrances, il surnaturalise ses épreuves, et, les
yeux fixés sur le Fils de Dieu fait homme, ouvrier
et fils d'ouvrier, il tombe au bout de son sillon
526 CONFÉRENCES AUX HOMMES
entre les bras de la mort et entre les bras de Dieu,
aussi noblement que ces humbles et vaillants sol-
dats que vous ensevelissiez naguère, il y a trente-
cinq ans, au soir de sanglantes batailles. C'est des
bonnes familles que sort l'ouvrier laborieux, rési-
gné, content de son sort, digne de l'admiration des
hommes et de la bénédiction de Dieu.
Oh ! qu'elle est belle et féconde la famille, ainsi
embaumée des senteurs delà religion et de la vertu !
N'en doutez pas, c'est de la sorte, par l'action de
la famille chrétienne que l'avenir se prépare, que
l'honneur se sauve; c'est par là que la France
Se redressera au milieu des nations, plus forte et
plus glorieuse que jamais ; c'est par là que le monde
moderne ressuscitera à une vie nouvelle! Vous
cherchez le salut. Vous le cherchez dans la richesse?
Il n'est pas là. Vous le cherchez dans le plaisir? Il
n'est pas là. Vous le cherchez dans l'ambition? Il
n'est pas là. Vous le cherchez dans l'agriculture, le
commerce et l'industrie ? Il n'est pas là. Vous le
cherchez dans les lettres, les sciences et les arts ?
Il n'est pas là. Vous le cherchez dans les constitu-
tions politiques ? Il n'est pas là. Vous le cherchez
dans les armées puissantes et dans les grandes al-
liances internationales ? Il n'est pas là. Où est-il
donc ? Il est dans la famille chrétienne, restaurée
par Jésus-Christ et réalisée par l'Eglise catholique.
Amen I
QUINZIÈME CONFÉRENCE
La famille décatholicisée
Messieurs,
Reportons-nous par la pensée à la scène antique
du déluge et de l'arche. En ce temps-là, le ciel était
obscur ; de grands nuages livides assombrissaient
la terre. Et Dieu dit à Noé, le second père du genre
humain : « Voici que la terre est toute remplie
d'iniquités. Entre dans l'arche et prends avec toi
tout ce qui est nécessaire pour conserver et renou-
veler l'humanité. » Et, à mesure que les vents deve-
naient plus violents, les flots plus hardis, l'arche
montait. Sous l'effort de la tempête elle s'élevait à
des hauteurs sublimes ; Elevaverunt arcam in su-
blime ! Les eaux écumaient sous ses flancs, les vents
soufflaient sur ses cimes. Elle montait toujours,
calme, sereine, portant l'humanité, les semences
de l'avenir. Et, en effet, le déluge cessa, et le salut
qui était enfermé dans l'arche en sortit, et le
monde reprit une vie nouvelle. Voilà, Messieurs,,
528 CONFÉRENCES AUX HOMMES
l'image sous laquelle je me représente la famille
chrétienne. Elle est ballottée par les tempêtes de
l'heure présente. Qu'importe? Elle renferme le
salut du monde, parce qu'elle garde inviolablement
les principes et les vertus de l'Evangile. Protégée
et vivifiée par l'Église, la famille chrétienne est la
consolation du présent et l'espoir de l'avenir. Mais,
hélas! à côté de la famille chrétienne nous sommes
obligés de considérer la famille décatholicisée, dans
laquelle il n'y a que des ruines : ruine de l'amour
conjugal, ruine du respect filial, ruine du bonheur
familial. Arrêtons-nous un instant devant ce triste
spectacle. Nous comprendrons mieux l'action bien-
r
faisante de l'Eglise, quand nous aurons constaté les
résultats de son absence.
I. Dans la famille décatholicisée, je constate
la ruine de l'amour conjugal.
L'amour conjugal a son siège dans le cœur des
deux époux. Mais le pauvre cœur humain a deux
grandes imperfections : il est changeant et il est
égoïste. Si donc vous voulez perpétuer et entretenir
l'amour conjugal, fixez le cœur humain et dilatez-
le par le sacrifice. Qui fera cela? Les deux époux?
Non, ils ne le peuvent pas. Pour que l'amour vive,
il faut qu'il plonge ses racines non seulement dans
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 529
le cœur humain, mais jusque dans le cœur de Dieu
qui ne change pas et qui est la source unique du
dévouement intarissable. «Deux jeunes époux, dit
Lacordaire, s'avancent vers l'autel à cette belle
cérémonie des noces ; ils portent avec eux toute la
joie et toute la sincérité de leur jeunesse; ils se
jurent un amour éternel. Mais bientôt la joie dimi-
nue, la fidélité chancelle, l'éternité de leurs ser-
ments s'en va par morceaux. Que s'est-il passé?
Rien. L'heure a suivi l'heure ; ils sont ce qu'ils
■étaient, sauf une heure de plus. Mais une heure
c'est beaucoup hors de Dieu. Dieu n'était point
entré dans leurs serments, il n'a pas été le com-
plice de leur amour, et leur amour finit parce que
Dieu seul ne finit pas. » Ici, Messieurs, que de
choses il y aurait à dire! que de larmes à enregis-
trer, que de drames à raconter, que de misères
cachées à produire au grand jour! Si on entrou-
vrait seulement la porte des foyers sans Dieu, on
y verrait les scènes les plus tristes et les plus dé-
sespérées, on y entendrait les cris violents de la
discorde et de la haine, on y assisterait à des
guerres intestines qui font pitié. Tirons un voile
sur ces intimités douloureuses, et disons seulement
ce qui peut et doit être dit, |i savoir que loin de
Dieu l'amour conjugal est une fleur qui manque de
sève et ne tarde guère à se flétrir.
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-34
S30 CONFÉRENCES AUX HOMMES
IL Dans la famille décatholicisée, je constate la
ruine du respect filial.
Parents, prenez garde ! Vous êtes les représen-
tants de Dieu, et, si Dieu n'est plus respecté dans
votre maison, comment serez-vous respectés vous-
mêmes? Voyez-le croître à votre table et sur vos
genoux ce jeune enfant de trois ans que vous ado-
rez et à qui vous n'apprenez pas à adorer Dieu.
Déjà il se révolte sous votre sceptre discuté et
ébranlé, car déjà il devine qu'il n'y a rien de divin
en vous, et que, par conséquent, vous n'avez ni la
force ni le droit de lui adresser la moindre répri-
mande. A mesure qu'il avance en âge, il constate
le malaise et la répugnance réciproques, les récri-
minations et les discordes, les tiraillements et les
guerres intestines qui habitent les foyers où Dieu
n'est pas; il boit à longs traits, sans même s'en
douter, le poison de ces sentiments pervers ; il
devient instinctivement ingrat et méchant; il
grandit dans des habitudes de haine et de mépris.
Avez- vous jamais lu sans frémir ce trait d'un
enfant qui ose frapper son père et le traîner sans
pitié pour son âge, sans respect pour ses cheveux
blancs, le long de cet escalier fameux, où le vieil-
lard l'arrêta tout court polir lui dire : « Grâce, mon
fils, grâce, car, moi aussi, j'ai maltraité et battu
mon père, mais je ne l'ai pas traîné plus loin!»
Vous frémissez... et vous vous rassurez en son-
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 531
géant que nos mœurs n'ont rien de cruel et que
jamais, non jamais, cela ne vous arrivera. Pour
moi, je ne veux répondre de rien. Dans la famille
décatholicisée la scène que je viens de rappeler se
renouvelle de temps en temps sous une forme plus
ou moins hideuse, et, dans tous les cas, je déclare
que, Dieu une fois détrôné au foyer domestique, il
est naturel et logique que les parents, eux aussi,
soient détrônés et qu'ils descendent, sous la poussée
de l'ingratitude filiale, l'escalier sanglant de la
dérision et du mépris.
Tenez, parlons un peu ici du traitement qu'on
inflige parfois aux vieillards dans certaines familles
dépourvues de tout sens religieux. Oserai-je le dire?
pourquoi pas? Certains parents, qui ont pénétré
l'âme de leurs enfants de l'indifférence la plus
complète et la plus coupable envers Dieu, sont ter-
riblement châtiés par l'indifférence de ces mêmes
enfants à leur égard. Il faut entendre ces enfants
insouciants, cupides et dénaturés parler de la vieil-
lesse de leur père et de leur mère, et leur repro-
cher, dans un langage souvent peu déguisé, leur
trop longue existence. Il faut les voir ces enfants
barbares exercer sur les auteurs de leurs jours une
tutelle hautaine, une sévérité implacable, une par-
cimonie qui va presque jusqu'à l'homicide. Il faut
assister à ces déplorables scènes entre un fils qui
souhaite avec imprécation la mort à son père, et un
père terrifié qui murmure tout bas des malédictions
532 CONFÉRENCES AUX HOMMES
contre son fils. 0 parents, qui avez chassé la charité
divine de votre foyerv comment pouvez-vous espé-
rer, dans vos derniers jours, d'en recueillir les
fruits? 0 maisons, d'où la religion s'est envolée,
vous n'êtes plus que des maisons en ruines ! Encore
un mot sur ce terrible aspect de nos mœurs con-
temporaines.
III. Dans la famille décatholicisée, je constate
la ruine du bonheur familial.
Autrefois, il y avait, même dans les plus étroites
demeures, une place pour Jésus-Christ; il y avait
là l'image du Dieu rédempteur; le foyer était un
sanctuaire, et ce sanctuaire avait des charmes
inexprimables. Tout le monde y était heureux.
Comment faisaient nos pères pour élever douze
enfants autour d'eux? Ils croyaient en Dieu, ils se
confiaient à sa Providence, ils l'invoquaient tous
les jours, ils méritaient les grâces de leur état
parce qu'ils en accomplissaient les devoirs. Les
enfants s'élevaient sous la garde des anges, et les
parents, contents et résignés, travaillaient sous la
garde de Dieu. Que sont devenues ces antiques
mœurs?
J'ai visité l'humble logis de l'ouvrier. Dieu n'y
est plus. Ce logis est froid et triste. Il coûte plus
cher qu'autrefois, mais le Dieu qui bénit le travail
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 533
en a été exilé. Il y a encore là des portraits et des
images, mais ce n'est plus l'image de Jésus-Christ,
c'est le portrait de quelque fameux socialiste. Au
lieu des scènes de la Bible, des nudités souvent
révoltantes pour les yeux les plus hardis. Le
bonheur du moins habite-t-il dans ces foyers dé-
catholicisés? Hélas! non. C'est à qui y rentrera
plus tard et en sortira plus vite. Des époux, des
pères s'ennuient à la maison et se trouvent mieux
partout ailleurs qu'au lieu où leurs serments et
leurs vrais intérêts devraient les retenir. Livrés à
de faux amis, ils vont dissiper leur ennui dans des
satisfactions inutiles, souvent même dans des dé-
bauches dégradantes. Des femmes sans aucun
souci pour l'intérieur de leur maison, sans aucun
esprit d'ordre, d'économie et de prévoyance, ne
font rien de ce qu'il faudrait pour faire aimer au
père et aux enfants leur chez soi et les détourner
ainsi des compagnies étrangères. Et, par suite de
cette conduite des pères et des mères, les enfants
eux-mêmes regardent et traitent la maison pater-
nelle comme une prison, à laquelle ils échappent
tout à fait, dès qu'ils le peuvent. 0 foyer de l'ou-
vrier, foyer trop souvent sans Dieu et sans autel,
malheur à toi ! Tu n'es plus qu'un foyer éteint, un
foyer sans joie, sans attrait et sans avenir!
J'ai visité la maison du riche. Dieu n'y est plus.
On en a renouvelé les meubles et la parure, mais
on a oublié d'y remettre le crucifix cher aux an-
534 CONFÉRENCES AUX HOMMES
cêtres. Trop souvent la lecture se fait dans une
mauvaise revue ou dans le journal léger; la con-
versation roule sur les profits et les pertes, sur les
affaires, sur les nouvelles du dehors et les chiffons
de la toilette. L'épouse cherche à régner, non pas
avec l'autorité immortelle de la grâce décente et
de la douce vertu, mais avec le sceptre passager
de la beauté et de la mode. Le père s'ennuie et
ne comprend rien à la majesté de son rôle et à
la grandeur de ses responsabilités. Les enfants
s'élèvent comme ils peuvent dans un intérieur que
rien ne leur fait aimer. Encore un foyer éteint, un
foyer sans joie, sans attrait et sans avenir parce
que ce foyer est sans Dieu et sans autel.
Ah! ne me demandez pas pourquoi le bonheur
familial est aujourd'hui si rare, pourquoi il y a
tant d'intérieurs tristes, désenchantés, malheureux.
Parce que Dieu n'est pas là, la joie n'y est pas.
Parce que Dieu n'y trouve plus sa gloire, l'homme
n'y trouve plus son bonheur. Il faut renoncer à
bâtir, ou bien il faut avoir le courage de descendre
jusqu'au solide, jusqu'au roc vif, jusqu'à Jésus-
Christ qui porte tout et sans lequel rien ne tient.
Vous ne voulez plus de Jésus-Christ, de son Evan-
gile, de sa religion, de son Eglise ? Tant pis. Vous
serez punis de votre néant religieux par vos infé-
licités domestiques ; et la famille détruite, le sanc-
tuaire conjugal violé, le lit nuptial déshonoré par les
plus tristes mœurs, le cœur de la femme meurtri,
LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE K35
les enfants absents ou mal élevés, les berceaux
vides ou profanés vous prouveront que l'irréligion
n'est bonne qu'à une chose... à dépeupler le ciel
et à désenchanter la terre !
Conclusion. — Le mal actuel est surtout dans la
famille. Tous les hommes vraiment observateurs et
sincères sont obligés d'en convenir. Que faire? 11
faut porter le remède là où est le mal. Il faut
reconstituer la famille selon la loi de Dieu, de
Jésus-Christ et de l'Église. Pleurez et lamentez-
vous, dites et répétez avec amertume que dans la
société tout se relâche, tout se contredit, tout est
faible, tout est méprisé. Je le crois bien. Il n'en
saurait être autrement. Est-ce avec de mauvaises
pierres qu'on bâtit un monument solide? Est-ce
avec des familles sans religion qu'on refera une
société chrétienne? Allons, Messieurs, pas tant
d'inquiétude sur les affaires du dehors et un peu
plus de sollicitude sur celles du dedans! Corrigez
vos maisons. Faites-y entrer Dieu, la Croix,
l'Evangile, les lois de la sainte Eglise. C'est le
meilleur vœu que je puisse exprimer pour la patrie
et la meilleure grâce que je puisse souhaiter à vos
familles I
Amen!
I
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS PROPRES
Alexandre III, 133.
Anaxagore, 340.
Aristide, 182.
Aristote, 333, 480.
Ars (curé d), 189.
Augustin (saint), 362, 460.
B
Bacon, 69, 82, 271.
Boileau, 45.
Bossuet, 17, 474, 491.
Bougaud (M«r), 80, 270, 314, 434.
Canova, 86.
César, 440.
Chateaubriand, 36, 51, 62, 76, 254,
285, 288, 306.
Chénier (M.-J.), 105.
Cicéron, 336.
Corneille, 520.
Cousin, 26, 32, 51.
D
Diderot, 489.
Dominé, 280.
Dupanloup (M*'), 458.
Épicure, 340.
Falloux, 298.
E
F
G
Girardin (Saint-Marc), 234*
Gounod, 36.
Grant (général), 367.
Guizot, 333.
Harisson, 367.
Henri IV, 319, 433.
Henri VIII, 399.
Hulst (M«< d'), 206.
Innocent III, 397.
Ireland, 260
Jérôme (saint), 95, 101.
Jouffroy, 19.
Justin (saint), 471.
Juvénal, 475.
538
CONFÉRENCES AUX HOMMES
Lacordaire, 21, 28, 35, 41, 400,
452, 455, 467, 502, 529.
Lactance, 471.
La Fontaine, 47.
Lamartine, 52.
Lamoricière, 144.
Lemaitre (Jules), 195.
Léon XIII, 65, 342, 363.
•Leroux (Pierbe), 367.
Libanius, 465.
Louis (saint), 463.
Luther, 399.
M
Michelet, 252, 333.
Minutius (Félix), 471.
Montalembert, 283, 285, 336.
Montesquieu, 4, 209, 267, 276.
N
Napoléon 1er, 35, 228.
Ney (maréchal), 245.
Paul (saint), 161.
Pie IX, 106, 109.
Platon, 480.
Plutarqub, 472.
pompignan (marquis de), 305.
PROUDHON, 311, 312.
Q
Quélen (M«r de), 37.
R
Racine, 165.
Renan, 18.
Sainte-Beuve, 87.
Salvien, 62.
schwarzenberg, 277.
Sénèque, 333, 473.
Simon (Jules), 186.
Socrate, 340.
Suze (Henri de), 463.
Taine, 137, 249.
ïertullien, 471.
Théodulphe, 132.
Thierry (A.), 336.
Thiers, 26, 246.
VlLLEMAIN, 128.
Voltaire, 19, 110.
Zenon, 340.
TABLE DES MATIÈRES
BIENFAITS DE L'ÉGLISE
I
DANS L'ORDRE INTELLECTUEL
Pages.
PREMIÈRE CONFÉRENCE
Les Bienfaits de l'Eglise
I. L'Eglise à cause de ses bienfaits, mérite d'être aimée de
tous 3
II. Pourquoi l'Eglise, malgré ses bienfaits, est-elle détestée
de beaucoup 8
DEUXIÈME CONFÉRENCE
Les Bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel
I. — L'Église et les Lettres
1° l'église et la théologie
I. L'Eglise a créé la théologie 14
IL L'Eglise a popularisé la théologie i&
TROISIÈME CONFÉRENCE
2° l'église et la philosophie
I. L'Eglise a protégé la philosophie 22
II. L'Eglise a vulgarisé la philosophie 27
QUATRIÈME CONFÉRENCE
3* l'église et l'éloquence
I. L'Eglise a créé une éloquence nouvelle 33
II. L'Eglise a créé une éloquence grandiose 31
III. L'Eglise a créé une éloquence populaire 40
540 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Page»-
CINQUIÈME CONFERENCE
4° l'église et la poésie
I. Les sources de la poésie catholique 44
II. Les chefs-d'œuvre de la poésie catholique 49
SIXIÈME CONFÉRENCE
5* l'église et l'histoire
I. L'Église impose à l'histoire l'exactitude ïî'4-
IL L'Eglise dégage de l'histoire la leçon morale 59
SEPTIÈME CONFÉRENCE
II. — L'Eglise et les Sciences
1° l'église est l'amie des sciences
I. L'Eglise ne craint pas les sciences 85
IL L'Eglise favorise les sciences 79
HUITIÈME CONFÉRENCE
2° LES SCIENCES ONT BESOIN DE L'ÉGLISE
I. Les sciences sont insuffisantes 74
IL Les sciences sont périlleuses 79
NEUVIÈME CONFÉRENCE
III. — L'Eglise et les Arts
I. L'Eglise inspiratrice des arts 83
II. L'Eglise bienfaitrice des arts 88
DIXIÈME CONFÉRENCE
IV. — VEglise et V Enseignement
1° L'ÉGLISE ET LES LIVRES DE L'ANTIQUITÉ PAÏENNE
I. Quand l'Eglise entra dans le monde, déchira-t-elle les livres
des auteurs païens? Non , . . . 92
IL Au moyen âge, l'Eglise conserve avec un soin jaloux les
écrits de l'antiquité 95
III. Avec la Renaissance, voici la découverte de l'Imprimerie.
L'Eglise propage les livres de l'antiquité païenne 99
TABLE DES MATIÈRES 541
Plfffli
ONZIÈME CONFÉRENCE
1* l'église et les livres de l'antiquité païenne
(Suite)
I. Ce que l'Eglise pense des classiques païens 102
IL Ce que l'Eglise désire par rapport à l'enseignement des
classiques païens 105
DOUZIÈME CONFÉRENCE
2° l'église et l'enseignement supérieur
1. Les papes et iesévêques fondent l'enseignement supérieur. 113
IL Les moines instituent dans leurs monastères des écoles
conventuelles 114
III. Les rois catholiques coopèrent à la création et à la diffu-
sion de l'enseignement supérieur 116
IV. Les hommes d'Eglise propagateurs de l'enseignement
supérieur se sont fait un nom immortel 118
TREIZIÈME CONFÉRENCE
2° l'église et l'enseignement supérieur (suite)
L Les écoles que l'Eglise a ouvertes du ve au xme siècle. .. 121
IL L'Université de Paris fondée au xine siècle 122
III. Les Universités d'Europe fondées sur le modèle de
l'Université de Paris 124
IV. Les Universités de France qui rayonnaient autour de
l'Université de Paris 127
QUATORZIÈME CONFÉRENCE
3° l'église et l'enseignement populaire
I. Un fait : L'Eglise dans le passé a distribué largement
l'enseignement populaire 130
IL Une objection : L'instruction n'existait pas avant 1789.. 136
QUINZIÈME CONFÉRENCE
l'église et le progrès intellectuel
I. Dans le passé, l'Eglise mère et gardienne du progrès
intellectuel 141
IL Dans le présent, l'Eglise mère et gardienne du progrès
intellectuel 145
III. Dans l'avenir, l'Eglise mère et gardienne du progrès
intellectuel 148
542 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Pages.
II
DANS L'ORDRE MORAL
PREMIÈRE CONFÉRENCE
Importance et difficulté de la loi morale
I. Importance de la loi morale 154
II. Difficulté de la loi morale 458
DEUXIÈME CONFÉRENCE"
I. — L'Eglise est une grande puissance moralisatrice
1° l'église éclaire la conscience
I. L'Église présente à la conscience humaine des idées mo-
rales précises 164
II. L'Eglise présente à la conscience humaine des idées
morales immuables 167
III. L'Eglise présente à la conscience humaine des idées
morales impérieuses 170
TROISIÈME CONFÉRENCE
1° l'église éclaire la conscience (suite)
I. C'est son tourment : 174
II. C'est sa gloire 478
QUATRIÈME CONFÉRENCE
2° l'église fortifie la volonté
1. La volonté humaine est faible 18$
IL L'Eglise fortifie la volonté humaine 186
CINQUIÈME CONFÉRENCE
3° l'église transforme la vie
I. Quand l'Eglise vient, la moralité monte '. 192
IL Quand l'Eglise s'en va, la moralité baisse 196
SIXIÈME CONFÉRENCE
3° l'église transforme la vie (suite)
I. Les faux chrétiens ne valent pas mieux que les autres. Je
l'accorde volontiers 204
IL Les vrais chrétiens valent mieux que les autres. Je l'af-
firme hautement 208
TABLE DES MATIÈRES 543-
. Pages.
SEPTIEME CONFERENCE
II. — L'Eglise est la seule puissance moralisatrice
suffisante ,
1° LES INFLUENCES MORALISATRICES EN DEHORS DE L'ÉGLISE
I. Y a-t-il en dehors de l'Eglise des influences moralisa-
trices? Oui 215
II. Ces influences moralisatrices sont-elles suffisantes? Non. 218
HUITIÈME CONFÉRENCE
2° L'ÉGLISE SEULE ATTEINT LES AMES
I. L'Eglise atteint les âmes 226
II. L'Eglise atteint toutes les âmes 229
III. L'Eglise atteint chaque âme en particulier 231
NEUVIÈME CONFÉRENCE
3° L'ÉGLISE SEULE CONSOLE LA SOUFFRANCE
I. Constatons le fait de la souffrance 23&-
II. Qu'avez-vous à dire et à donner pour consoler la souf-
france , 239-
III. L'Eglise seule console la souffrance 241
DIXIÈME CONFÉRENCE
L'Eglise et le progrès moral
I. Dans le passé, l'Eglise a été la mère et la gardienne du
progrès moral 24T
II. Dans le présent, l'Eglise est la mère et la gardienne du
progrès moral 251
III. Dans l'avenir, l'Eglise sera la mère et la gardienne du
progrès moral 253
III
DANS L'ORDRE MATÉRIEL
PREMIÈRE CONFÉRENCE
L'Eglise n'est pas l'ennemie du progrès matériel
I. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel. D'où vient cette
objection? 259
II. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel. Que vaut cette
objection? 261
344 * CONFÉRENCES AUX HOMMES
DEUXIÈME CONFÉRENCE
L'Eglise est la gardienne du progrès matériel
I. L'Eglise préserve le progrès matériel 269
II. L'Eglise subordonne le progrès matériel 272
TROISIÈME CONFÉRENCE
I. — L'Eglise et l'agriculture
!• CB QUE L'ÉGLISE A FAIT POUR L'AGRICULTURE
I. Quand parut l'Eglise, où en était l'agriculture ? 279
II. Le travail des moines 281
III. L'exemple des moines 285
QUATRIÈME CONFÉRENCE
!• ce que l'église a fait pour l'agriculture (suite)
I. La science agricole des moines 289
II. La richesse des moines 294
Conclusion 297
CINQUIÈME CONFÉRENCE
2° CE QUE DEVIENT l' AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE
I. — L'agriculture et le protestantisme
I. L'agriculture en Angleterre à la suite du protestantisme. . . 300
II. L'agriculture en France à la suite du protestantisme 303
SIXIÈME CONFÉRENCE
2° CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE (SUltë)
IL — L'agriculture et Virréligion
I. L'agriculture repose sur la bénédiction de Dieu 309
II. L'agriculture repose sur le principe de la propriété 311
III. L'agriculture repose sur la loi du sacrifice 313
SEPTIÈME CONFÉRENCE
2* CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE (suite)
H. — L'agriculture et Virréligion (suite)
I. La dépopulation des campagnes 318
II. La désertion des campagnes 321
III. La démoralisation des campagnes 324
TABLE DES MATIÈRES 545
Pages.
HUITIÈME CONFÉRENCE
II. — L'Eglise et l'industrie
1° LES INVENTIONS DE L'INDUSTRIE
I. L'Eglise approuve les inventions de l'industrie 328
II. L'Eglise stimule les inventions de l'industrie 332
, NEUVIÈME CONFÉRENCE
2° LES CHEFS DE L'INDUSTRIE
L'Eglise prêche aux chefs de l'industrie :
I. L'activité et la modération dans la direction de leurs
affaires 338
II. La justice et la charité à l'égard de leurs ouvriers 342
DIXIÈME CONFÉRENCE
3° LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE
I. L'Eglise ennoblit le travail de l'ouvrier 348
II. L'Eglise favorise l'épargne de l'ouvrier 351
ONZIÈME CONFÉRENCE
3° LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE [suite)
I. L'ouvrier a des besoins matériels et moraux 358
IL L'Eglise vient au secours de la situation matérielle et
morale de l'ouvrier 364
DOUZIÈME CONFÉRENCE
3° LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE {suite)
I. L'ouvrier avant Jésus-Christ 268
II. L'ouvrier au moyen âge 371
III. L'ouvrier aujourd'hui 375
TREIZIÈME CONFÉRENCE
III. — L'Eglise et le commerce
I. La probité commerciale est l'âme du commerce 379
II. Les voies commerciales sont la condition du commerce. 381
III. Les débouchés commerciaux sont le stimulant du
commerce 384
LES BIBNFAITS DE L'ÉGLISE. — 1-35
S46 CONFÉRENCES AUX HOMMES
IV
DANS L'ORDRE DOMESTIQUE
Pages.
PREMIÈRE CONFÉRENCE
Les lois du mariage
I. Ce que l'Eglise pense du mariage 393
II. Ce que l'Eglise a fait pour sauvegarder les lois du
mariage 395
DEUXIÈME CONFÉRENCE
Le bonheur dans le mariage
I. L'Eglise règle le contrat matrimonial 401
II. L'Eglise divinise le contrat matrimonial. . . 405
TROISIÈME CONFÉRENCE
L'époux
I. Le chef du foyer est impie 411
II. Le chef du foyer est indifférent 415
QUATRIÈME CONFÉRENCE
L'époux (suite)
I. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux pratiquent
saintement les devoirs de la vie domestique 421
II. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux goûtent
paisiblement les joies de la vie domestique 423
III. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux portent
courageusement les charges de la vie domestique 425
IV. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux élèvent
noblement les rejetons de la vie domestique 427
CINQUIÈME CONFÉRENCE
Le père
I. Besoin de la religion pour porter le fardeau des devoirs
et des responsabilités 432
II. Besoin de la religion pour sauver le prestige et l'autorité
paternelle 435
1X1. Besoin de la religion pour assurer l'empire de la vertu
dans l'âme des enfants 437
TABLE DES MATIÈRES
r» i 7
Pages.
SIXIÈME CONFÉRENCE
Le père [suite)
I. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles ? Le pouvoir civil? 442
II. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles ? La presse, le journalisme ? 443
III. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles? L'exemple descendant des hauteurs sociales?.. 444
IV. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles? L'école? 445
V. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles ? Le prêtre ? 446
VI. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles? La mère ? * 447
VIL Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations
nouvelles? Le père 448
SEPTIÈME CONFÉRENCE
L'épouse
l L'épouse étrangère à l'Eglise 451
IL L'épouse amie de l'Eglise 453
III. L'épouse hostile à l'Eglise 456
HUITIÈME CONFÉRENCE
La mère
I. Ce que la mère de famille doit à l'Eglise 461
H. Ce que l'Eglise doit à la mère de famille 464
NEUVIÈME CONFÉRENCE
L'enfant dans le paganisme et dans l'Evangile
I. L'enfant dans le paganisme 469
II. L'enfant dans l'Evangile 475
DIXIÈME CONFÉRENCE
L'enfant dans le catholicisme
I. H y a dans l'enfant une vie matérielle à conserver 483
II. Il y a dans l'enfant une intelligence à développer 485
III. Il y a dans l'enfant un cœur à former. 487
548 CONFÉRENCES AUX HOMMES
Pages.
ONZIÈME CONFÉRENCE.
L'enfant dans le catholicisme {suite)
I. Admirez l'enfant chrétiennement élevé 492
II. Prévoyez l'avenir de l'enfant chrétiennement élevé 495
III. Comparez à l'enfant chrétiennement élevé l'enfant élevé
en dehors de toute instruction religieuse 491
DOUZIÈME CONFÉRENCE
Le jeune homme
t. L'Eglise préserve le jeune homme 500
II. L'Eglise ressuscite le jeune homme 503
TREIZIÈME CONFÉRENCE
Le jeune homme (suite)
I. La ruine de la foi dans le jeune homme déchristianisé. . . 507
II. La ruine du respect filial dans le jeune homme déchris-
tianisé 511
III. La ruine de la vertu dans le jeune homme déchris-
tianisé 513
QUATORZIÈME CONFÉRENCE
La famille chrétienne
I.. La famille créée par Dieu . .... 518
II. La famille défigurée par l'homme 520
III. La famille restaurée par Jésus-Christ. 521
IV. La famille réalisée par l'Eglise 523
QUINZIÈME CONFÉRENCE
La famille décatholicisée
î. Dans la famille décatholicisée, ruine de l'amour conjugal. 528
II. Dans la famille décatholicisée, ruine du respect filial... 530
III. Dans la famille décatholicisée, ruine du bonheur familial. 532
TOURS, IMPRIMERIE DESLIS FRÈRES, HUE GAMBETTA, 6.
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