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Full text of "L'église et son œuvre"

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L'ÉGLISE  ET  SON  ŒUVRE 


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LES   BIENFAITS    DE   L'ÉGLISE 


PREMIERE  SERIE 


L'auteur  et  V éditeur  réservent  tous  droits 
de  reproduction  et  de  traduction. 


Cet  ouvrage  a  été  déposé,  conformément  aux  lois,  en  juillet  1906. 


MGR    GIBIER 

ÉVÊQUE      DE      VERSAILLES 


CONFÉRENCES   AUX    HOMMES 


L'ÉGLISE  ET  SON  ŒUVRE 


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TOME  TROISIÈME 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE 


PREMIÈRE     SÉRIE 


PARIS 
P.     LETHIELLEUX,     LIBRAIRE-ÉDITEUR 

IO,    RUE    CASSETTE,    10 


AVANT-PROPOS 


Le  volume  que  nous  offrons  aujourd'hui  au  public  est  le  troi- 
sième de  la  série  qui  a  pour  titre  général  l'Église  et  son  Œuvre. 
Après  avoir  décrit  successivement  la  Constitution  intime  de  l'Église 
et  ses  perpétuels  Combats,  nous  exposons  dans  le  présent  volume 
et  dans  celui  qui  suivra  prochainement  ses  incomparables  Bien- 
faits. 

Des  Bienfaits,  voilà  la  réponse  de  l'Église  à  toutes  les  injures,  à 
toutes  les  calomnies,  à  toutes  les  injustices,  à  toutes  les  attaques 
de  ses  ennemis,  et  voilà  le  secret  aussi  de  sa  survivance  à  travers 
le  temps  et  de  son  expansion  à  travers  l'espace.  Faire  du  bien 
c'est  son  arme  et  c'est  son  sceptre,  arme  toujours  victorieuse, 
sceptre  qui  finit  par  incliner  les  volontés  reconnaissantes  sous  sa 
douce  autorité.  L'heure  est-elle  de  rappeler  les  Bienfaits  de 
l'Église?  Qui  pourrait  les  nier?  Les  impies  affectent  de  les  ignorer 
et  les  dissimulent  habilement,  les  catholiques  souvent  les  ignokent 
ou  ne  les  connaissent  qu'imparfaitement,  presque  tous  les  mécon- 
naissent; de  là  des  haines,  des  lâchetés,  des  froideurs  pour  celle' 
qui  mérite  la  reconnaissance  des  individus  et  des  sociétés. 

Composées  et  prêchées  en  1894,  alors  que  nous  avions  la  charge 
d'évangéliser  l'importante  paroisse  de  Saint-Paterne  à  Orléans, 
ces  conférences  n'ont  rien  perdu  de  leur  actualité  et  de  leur 
opportunité.  En  les  relisant  ces  mois  derniers,  au  cours  de  nos 
laborieuses  tournées  pastorales,  nous  n'avons  pas  jugé  qu'il  y  eût 
utilité  à  les  modifier;  aussi  bien  pas  plus  ici  que  là-bas  nous 
n'avons  le  loisir  ou  la  volonté  de  faire  œuvre  de  littérateur  ou 
d'érudit,  mais  uniquement  d'apôtre,  d'apôtre  qui  dit  ce  qu'il  sait 
vrai,  qui  le  dit  avec  tout  son  coeur,  qui  le  dit  dans  la  forme  la  plus 
propre  à  convaincre  ses  frères. 

A  la  place  élevée  où  il  a  plu  à  la  divine  Providence  de  nous 
mettre  nous  ne  demandons  qu'un  seul  concours,  celui  de  porter 
plus  loin  notre  parole,  de  lui  donner  plus  d'autorité  et,  du  même 
coup,  de  dissiper  plus  de  préjugés,  d'affermir  plus  de  convictions, 
de  gagner  plus  d'âmes  à  Jésus-Christ.  Puissent  ces  conférences 
apprendre  aux  ennemis  de  l'Église  que  leur  haine  encore  'qu'in- 
justifiée est  criminelle,  aux  indifférents  que  leur  apathie  est  une 
ingratitude,  aux  catholiques  que  leur  cause  est  celle  de  la  civilisa- 
tion et  du  bien  sous  toutes  ses  formes  ;  puissent  ces  conférences 
faire  œuvre  de  lumière  en  ces  temps  de  ténèbres  1 

Versailles,  en  la  fête  de  la  Pentecôte,  3  juin  1906. 

f  CHABLES, 
Évéque  de  Versailles. 


I 

DANS  L'ORDRE  INTELLECTUEL 


LES    BIENFAITS    DE    L'ÉGLISE.    —   i  £ 


^ 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 

Les  Bienfaits  de  l'Église 

Messieurs, 

Nous  avons  étudié  pendant  une  année  les  com- 
bats de  l'Eglise.  Depuis  dix-neuf  siècles  l'Église 
est  dans  la  lutte.  Tour  à  tour  ou  simultanément 
toutes  les  puissances  de  la  terre  se  sont  liguées 
contre  elle.  Elle  a  vécu  quand  même.  C'est  déjà 
prodigieux,  et  un  tel  spectacle  méritait  bien  de 
retenir  notre  attention  pendant  une  année  entière. 
Mais  j'ai  maintenant  à  vous  offrir  un  spectacle 
encore  plus  beau  et  plus  attachant.  Comme  son 
divin  Fondateur,  l'Eglise  a  passé  ici-bas  en  faisant  le 
bien  :  pertransiit  benefaciendo.  Elle  mérite,  à  cause 
de  ses.  bienfaits,  d'être  aimée  de  tous.  Pourquoi, 
malgré  ses  bienfaits,  est-elle  détestée  de  beaucoup? 
Je  m'arrête  aujourd'hui  devant  cette  affirmation  et 
devant  cette  interrogation. 

I.  L'Église,  à  cause  de  ses  bienfaits,  mérite  d'être 
aimée  de  tous. 

Les  bienfaits  de  l'Eglise!...  Quel  sujet  instructif 


4  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  réconfortant  !  Quelle  étude  éminemment  utile  et 
opportune  !  En  effet  que  ne  dit-on  pas  contre  l'Eglise? 
On  la  charge  d'accusations  odieuses,  on  la  dépeint 
comme  une  société  qui  ne  vit  que  par  la  cruauté 
et  l'oppression.  On  énumère  tous  les  crimes  com- 
mis en  son  nom,  sous  le  manteau  de  la  religion  ; 
on  fait  défiler,  en  une  procession  lugubre,  tous  les 
crimes  vrais  ou  faux  qu'on  lui  attribue  et  dont  on 
la  rend  injustement  responsable  et  l'on  dit  :  Voilà 
ce  qu'a  fait  l'Église  !  Sur  la  foi  de  pareils  témoi- 
gnages, beaucoup  d'hommes  égarés  haïssent  du  fond 
de  l'âme  cette  cruelle  société  qui  s'appelle  l'Eglise. 
Ils  ne  peuvent  pas  la  regarder  sans  un  mouvement 
de  rage.  Ils  voudraient  l'anéantir.  Je  le  crois  bien  ! 
Elle  leur  apparaît  laide,  malfaisante,  détestable. 
L'Eglise  est  une  mère  ;  on  leur  a  fait  croire  qu'elle 
était  un  monstre.  Elle  n'a  que  des  bienfaits  à  ver- 
ser sur  le  monde,  et  on  leur  a  dit  qu'elle  était  le 
réceptacle  de  tous  les  vices  et  de  tous  les  forfaits. 
Je  me  propose  de  vous  montrer  dans  l'Eglise  la 
grande  bienfaitrice  de  l'humanité.  Je  vous  ferai  le 
commentaire  par  les  faits  de  la  parole  du  philo- 
sophe et  publiciste  Montesquieu  :  «  Chose  éton- 
nante! Chose  admirable!  La  religion  chrétienne, 
qui  semble  n'avoir  d'objet  que  là  félicité  de  l'autre 
vie,  fait  encore  notre  bonheur  dans  celle-ci.  >;  Je 
vous  signalerai  les  bienfaits  de  l'Eglise  dans  l'ordre 
intellectuel,  dans  l'ordre  moral,  dans  l'ordre  maté- 
riel, dans  l'ordre  domestiaue,  dans  l'ordre  social. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  5 

dans   l'ordre    religieux    et   surnaturel,  et  je  vous 
dirai  :  Aimez  l'Église  ! 

Aimez  l'Église,  parce  qu'elle  est  la  mère  et  la 
gardienne  du  progrès  intellectuel.  Elle  a  jeté  dans 
le  monde  des  idées  nouvelles,  et  elle  a  assaini, 
rectifié  les  idées  de  la  philosophie  antique.  Elle  a^ 
cultivé  les  lettres,  les  sciences  et  les  arts.  Elle  leur 
a  donné  un  essor,  une  splendeur  incomparable. 
Véritable  institutrice  des  peuples,  elle  a  vulgarisé 
la  lumière,  et  ceux  qui  l'accusent  d'aimer  les  té- 
nèbres et  de  favoriser  l'ignorance  ou  ne  savent  pas 
ce  qu'ils  disent  ou  disent  ce  qu'ils  ne  croient  pas; 
ou  ils  se  trompent  et  je  les  plains,  ou  ils  mentent  et 
je  les  condamne. 

Aimez  l'Église  parce  qu'elle  est  la  mère  et  la 
gardienne  du  progrès  moral.  Par  la  lumière  qu'elle 
répand  dans  les  esprits,  parles  consolations  qu'elle 
otïre  aux  cœurs,  par  le  secours  qu'elle  prête  à  la 
volonté,  par  la  force  de  résistance  qu'elle  oppose  aux 
passions,  parla  multiplicité  des  vertus  qu'elle  fait 
éclore,  elle  est  la  grande  vitalité  du  monde.  Les 
insensés  qui  veulent  la  supprimer  n'ont  rien  pour 
la  remplacer,  rien  sinon  des  phrases  et  des  ruines 
L'Église  entretient  ici-bas  un  grand  foyer  qui  ré 
chauffe  les  âmes  :  l'Évangile.  Étouffez  ce  foyer,  et 
le  monde  est  glacé  dans  l'égoïsme. 


6  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Aimez  l'Eglise  parce  qu'elle  est  la  mère  et  la 
gardienne  du  progrès  matériel.  Vous  avez  entendu 
dire  ou  vous  avez  lu  que  l'Eglise  était  l'ennemie 
déclarée  des  inventions  modernes,  de  la  science 
appliquée  à  l'agriculture,  à  l'industrie  et  au  com- 
merce. Rien  n'est  plus  injuste,  rien  n'est  plus  sot 
que  cette  imputation.  Et  je  me  fais  fort  de  vous 
prouver  que  l'Eglise,  bien  loin  de  maudire  le  pro- 
grès matériel,  le  bénit,  l'encourage  et  le  préserve 
des  excès  et  des  déviations. 

Aimez  l'Eglise  parce  que,  dans  F  ordre  domes- 
tique, elle  a  réalisé  des  innovations  et  des  prodiges 
que  personne  avant  elle  n'avait  même  soupçonnés. 
Elle  a  réhabilité  l'union  conjugale,  en  la  replaçant 
sur  ses  bases  primitives  de  l'unité  et  de  l'indisso- 
lubilité. Elle  a  réhabilité  l'autorité  paternelle,  en 
la  consacrant  et  en  la  réglant.  Elle  a  réhabilité  la 
femme,  l'épouse,  la  mère,  en  lui  rendant  au  foyer 
la  place  honorable  qu'elle  avait  perdue  depuis  qua- 
rante siècles.  Elle  a  réhabilité  l'enfant,  en  lui  met- 
tant au  front  une  couronne  d'innocence  et  comme 
un  reflet  de  la  divinité. 

Aimez  l'Eglise  parce  que,  dans  l'ordre  social,  elle 
a  opéré  des  changements  et  accompli  des  progrès 
qui  devraient  soulever  notre  admiration  et  provo- 
quer notre  éternelle  reconnaissance.  Elle  a  affran- 
chi les  esclaves.  Elle  a  ennobli  le  travail  manuel.  Elle 


LES  BIENFAITS  DE  L'EGLISE  7 

a  modéré  le  pouvoir.  Elle  a  relevé  l'obéissance.  Elle 
a  créé  la  liberté  vraie,  l'égalité  légitime,  la  frater- 
nité sérieuse.  Elle  a  exalté  et  glorifié  les  pauvres, 
les  petits,  les  faibles;  elle  leur  a  bâti  des  palais,  et 
elle  a  mis  à  leurs  pieds  des  rois  et  des  reines,  des 
légions  d'anges  terrestres  pour  les  honorer,  les 
aimer  et  les  servir. 

Aimez  l'Eglise  parce  que,  dans  tordre  religieux 
et  surnaturel,  elle  a  fait  des  merveilles  dont  elle  a  le 
monopole,  et  qui  sont  à  son  front  la  marque  écla- 
tante de  sa  divine  origine. 

Elle  a  créé  la  virginité.  L'Empire  romain  avait 
de  la  peine  à  trouver  une  douzaine  de  vestales. 
L'Eglise  en  a  trouvé  des  milliers.  Elle  en  a  peuplé 
les  solitudes.  Elle  en  a  jeté  sur  tous  les  chemins  du 
monde,  comme  Dieu  a  jeté~  les  étoiles  sur  tous  les 
chemins  du  firmament. 

Elle  a  créé  la  pauvreté  volontaire.  La  soif  de  l'or 
dévore  l'humanité.  L'Eglise  a  offert  au  monde  le 
spectacle  étrange  d'hommes  et  de  femmes  qui  font 
vœu  de  mettre  l'or  et  l'argent  sous  leurs  pieds  et 
de  vivre  de  rien. 

Elle  a  créé  l'obéissance.  Sous  tous  lescieux,  depuis 
dix-neuf  siècles,  on  a  vu  des  milliers  d'âmes  libre- 
ment soumises  à  la  volonté  d'un  supérieur  et  abdi- 
quant héroïquement  leur  propre  personnalité. 

Enfin  elle  a  enfanté  des  miracles  qui  étincellent  à 
toutes  les  pages  de  son  histoire,  et  elle  a  produit  des 


8  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

millions  de  saints  qui  ont  embaumé    la  terre  du 
parfum  de  leurs  vertus  surhumaines. 

Voilà,  Messieurs,  ce  que  je  vais  essayer  de  vous 
raconter.  Le  sujet  est  vaste.  Mais  comme  il  est 
beau  !  comme  il  est  digne  de  vous  être  présenté  et 
capable  de  vous  captiver  et  de  vous  faire  du  bien  ! 
Puissé-je  par  ma  bonne  volonté  suppléer  à  mon  in- 
suffisance !  Et  vous,  Messieurs,  aidez-moi  de  votre 
attention,  de  votre  bienveillance,  de  votre  assiduité 
croissante  !  Les  bienfaits  de  l'Eglise  sont  admirables 
et  sans  nombre.  L'Eglise,  à  cause  de  ses  bienfaits, 
mérite  d'être  aimée  de  tous.  Mais  ici  une  question 
se  pose  qui  réclame  une  solution  immédiate. 

II.  Pourquoi  l'Église  malgré  sesbienfaits  est-elle 
détestée  de  beaucoup?  « 

Si  l'Eglise  est  la  grande  bienfaitrice  de  l'huma- 
nité, pourquoi  rencontre-t-elle  tant  et  de  si  formi- 
dables ennemis?  Car,  ce  n'est  pas  niable,  l'Eglise 
sème  des  bienfaits,  et  très  souvent  elle  ne  recueille 
que  des  ingratitudes.  Pourquoi?  Ne  vous  scanda- 
lisez pas,  Messieurs,  de  ce  phénomène  qui  semble 
étrange,  mais  qui,  hélas!  n'est  que  trop  naturel,  vu 
la  sottise  et  la  méchanceté  humaines. 

La  sottise  humaine  est  sans  limites.  Elle  est  ca- 
pable   de   dévorer   les  absurdités  les  plus   mons- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  9 

trueuses.  Or,  bien  que  l'Eglise  soit  évidemment  la 
plus  grande  bienfaitrice  de  l'humanité,  il  s'est  ren- 
contré de  tout  temps  des  milliers  d'hommes  qui 
n'ont  pas  su  la  reconnaître,  qui  lui  ont  prêté  sotte- 
ment des  intentions  qu'elle  n'a  pas  et  lui  ont  attri- 
bué des  procédés  qu'elle  réprouve.  Elle  est  mère  ;  ils 
Font  regardée  comme  une  marâtre  et  un -monstre,  et 
partant  de  cette  fausse  opinion,  de  ce  préjugé  gros- 
sier, ils  lui  ont  déclaré  la  guerre  au  lieu  de  lui  tendre 
la  main.  Et  encore,  Messieurs,  si  l'Église  ne  rencon- 
trait sur  son  chemin  que  la  sottise  humaine  ! 

Mais  fréquemment  la  sottise  se  complique  de 
méchanceté,  et  comment  venir  à  bout  de  la  méchan- 
ceté humaine?  Les  bienfaits,  loin  de  la  désarmer, 
ne  font  que  l'irriter  davantage.  Athènes  proscri- 
vait son  plus  vertueux  citoyen,  parce  que  son 
peuple  était  importuné  d'entendre  toujours  vanter 
le  juste  Aristide.  Athènes  tuait  la  vertu  même,  en 
faisant  boire  la  ciguë  à  Phocion  et  à  Socrate.  Rome 
accordait  l'influence  et  les  faveurs  populaires  aux 
Gracques,  à  Marius,  à  Catilina,  à  Clodius,  à  César, 
César  le  plus  vicieux  des  Romains  avant  d'en  être 
le  plus  grand;  et  Caton  était  réduit  à  se  déchirer 
les  entrailles,  et  Brutus  tombait  sur  son  épée  en 
reniant  la  vertu.  Voilà  l'histoire,  Messieurs.  La 
méchanceté  humaine  ne  peut  supporter  le  spec- 
tacle de  la  vertu.  Le  mal  est  l'ennemi  né  du  bien.  Et 
si  maintenant  vous  me  demandez  pourquoi  l'Eglise, 


10  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

malgré  ses  bienfaits,  rencontre  tant  et  de  si  ter- 
ribles ennemis,  je  vous  ai  répondu.  L'Eglise  est 
l'incarnation,  l'apparition  visible  du  vrai  et  du 
bien  sur  la  terre.  Elle  compte  autant  d'ennemis 
qu'il  y  a  sur  la  terre  de  gens  qui  détestent  le  vrai 
et  le  bien.  Les  méchants  ne  peuvent  la  tolérer, 
parce  qu'ils  sentent  d'instinct  qu'elle  les  condamne. 
Les  méchants  voudraient  la  supprimer,  lui  enlever 
la  lumière,  l'air  et  le  soleil  de  la  liberté,  parce 
qu'ils  sentent  d'instinct  qu'ils  ne  peuvent  pas 
lutter  avec  elle  sur  le  terrain  de  la  conscience  et 
de  l'honneur.  L'Eglise  les  importune,  les  exas- 
père, et  leur  impiété  voudrait  anéantir  le  Dieu 
qu'ils  ont  quitté.  L'Eglise  a  des  mains  pour  bénir 
et  pour  semer  les  bienfaits;  or  ces  maternelles 
mains,  ils  voudraient  les  enchaîner.  Ils  attachent 
donc  à  la  croix  et  sa  main  droite  et  sa  main 
gauche  ;  et  elle,  avec  ses  deux  mains  enchaînées, 
faisant  encore  ce  qu'elle  peut,  dit  à  ses  ennemis  : 
u  Oh  !  ôtez-moi  ces  entraves,  laissez-moi  bénir  et  sau- 
ver l'humanité!  »  Et  ses  ennemis  de  lui  répondre  : 
«  Non!  si  tu  étais  libre,  tu  serais  plus  forte  que 
nous  !  Si  tu  étais  libre,  tu  verserais  tes  bienfaits 
sur  le  monde,  et  le  monde  conquis,  charmé,  vien- 
drait à  toi  !  Non,  tu  ne  seras  pas  libre!  »  Ne  vous 
étonnez  pas,  Messieurs,  que  l'Eglise  ait  des  enne- 
mis. C'est  sa  gloire  et  c'est  son  tourment,  et  jus- 
qu'à la  fin  des  temps  elle  doit  subir  ce  tourment 
et  boire  à  ce  calice  de  gloire. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  {{ 

Pour  vous,  Messieurs,  en  présence  des  bienfaits 
de  l'Eglise,  vous  ne  serez  ni  des  aveugles  ni  des 
ingrats.  Vous  saluerez  avec  amour  la  divine  bien- 
faitrice de  l'humanité.  Vous  vous  grouperez  autour 
d'elle  avec  empressement.  Vous  lui  ferez  une  cein- 
ture d'honneur  de  vos  sympathies  et  de  vos  res- 
pects. Vous  et  moi,  nous  chanterons  ensemble  les 
bienfaits  et  les  gloires  de  la  sainte  Eglise  catho- 
lique, et  nous  serons  ses  enfants  très  fiers,  très 
reconnaissants  et  inaltérablement  dévoués  ! 

Amen  I 


DEUXIÈME  CONFÉRENCE 

Les  Bienfaits  de  l'Église  dans  l'ordre 
intellectuel 

/  —  U  ÉGLISE  ET  LES  LETTRES 
1°  l'église  et  la  théologie 


Messieurs, 

Nous  allons  étudier  ensemble  les  bienfaits  de 
l'Église,  et  d'abord  les  bienfaits  de  l'Eglise  dans 
Tordre  intellectuel  à  l'égard  des  lettres,  des  sciences 
et  des  arts.  Ce  premier  chapitre,  à  lui  seul,  exi- 
gerait plusieurs  volumes.  Je  tâcherai  de  le  con- 
denser en  quelques  conférences.  Aujourd'hui,  je 
vous  montrerai  l'Église  jetant  dans  le  monde  des 
idées  nouveiles,  de  grandes  idées,  comme  une  se- 
mence destinée  à  féconder,  à  peupler,  à  enrichir 
l'intelligence  humaine.  Quelles  sont  ces  idées?  où 
sont-elles?  Elles  constituent  une  science  dont  l'an- 
cien monde  ne  connaissait  pas  même  le  nom,  la 
science  théologique.   L'Eglise  a  créé  la  théologie. 

L'Église  a  popularisé  la  théologie.  Voyons  cela. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  13 

I.  VÈglise  a  créé  la.  théologie. 

Pour  vous  faire  comprendre  ce  qu'est  la  théo- 
logie, je  vous  prie  de  remarquer  qu'elle  vaut  les 
autres  sciences  et  qu'elle  les  dépasse. 

1°  La  théologie  vaut  les  autres  sciences,  les  sciences 
profanes  et  purement  humaines.  Je  ne  vous  en 
donnerai  que  deux  preuves  qui  sont  topiques. 

—  Savez-vous  comhien  il  faut  de  temps  pour  faire 
un  théologien  passable?  —  Cinq  ans.  Tous  les  jours 
l'Eglise  prend  des  jeunes  gens  qui  en  valent  d'autres 
et  qui  généralement  même  sont  les  premiers  de 
leur  classe,  les  plus  forts  en  latin  et  en  grec,  les 
meilleurs  par  la  culture  littéraire.  Elle  les  en- 
ferme dans  ses  grands  séminaires,  c'est-à-dire  dans 
des  maisons  de  silence,  de  prière  et  de  travail,  c'est- 
à-dire  dans  le  milieu  le  plus  favorable  au  dévelop- 
pement des  facultés  intellectuelles.  Elle  dit  au  jeune 
lévite  :  «  Souviens-toi  que  les  lèvres  du  prêtre  sont 
les  gardiennes  de  la  science.  Mais  pour  cela  il  faut 
étudier,  il  faut  travailler!  »  Et  pendant  cinq  ans 
elle  les  tient  plongés  dans  les  sources  vives  de  la 
théologie.  Pour  faire  un  officier,  un  magistrat,  un 
avocat,  un  professeur,  un  médecin,  un  industriel, 
il  faut  moins  de  temps  que  pour  faire  un  théolo- 
gien. Avouez  qu'il  y  a  là  quelque  chose  qui  en  vaut 
la  peine,  une  science  qui  vaut  toutes  les  autres 
sciences. 


14  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

—  Ci  si  cinq  années  sont  nécessaires  pour  faire 
un  théologien  passable,  la  vie  tout  entière  suffit  à 
peine  pour  faire  un  théologien  éminent.  Quels 
hommes  que  les  grands  théologiens!  Pauvrement 
logés,  pauvrement  vêtus,  pauvrement  nourris,  ils 
étudient.  Ils  n'ont  pas  peur  des  livres  ingrats,  en- 
combrants et  volumineux  qui  découragent  notre 
légèreté.  Ils  les  entassent  dans  de  savantes  biblio- 
thèques, les  prennent  l'un  après  l'autre,  les  ouvrent, 
les  consultent,  les  annotent,  en  épuisent  les  sens 
cachés,  les  frappent  cent  fois,  mille  fois,  hier,  au- 
jourd'hui et  toujours  du  marteau  de  la  réflexion, 
pour  en  faire  jaillir  des  étincelles  inconnues  et 
des  rayons  inédits.  L'impiété  déclare  et  voudrait 
prouver  que  l'Église  estime  institution  ténébreuse, 
constamment  occupée  à  abêtir  l'esprit  humain. 
L'impiété  menteuse  et  injuste  nous  calomnie,  et  à 
ses  clameurs  qui  ne  prouvent  rien  j'oppose  des 
noms  qui  disent  tout:  Irénée,  Justin,  Tertullien, 
Origène,  Cyprien,  Ambroise,  Augustin,  Jérôme, 
Léon,  Basile,  Grégoire,  Hilaire,  Chrysostome,  An- 
selme, Thomas,  Bonaventure,  Bossuet,  Fénelon, 
Liguori,  Lacordaire,Monsabré.  Tous  ces  hommes-là 
sont  des  théologiens,  et,  mis  dans  la  balance,  ils 
égalent  et  surpassent  souvent  en  puissance  intel- 
lectuelle les  auteurs  profanes  auxquels  nous  prodi- 
guons notre  facile  admiration.  S'ils  n'ont  pas  tou- 
jours la  splendeur  de  la  forme,  ils  ont  au  moins 
ce  qui   vaut  cent  fois  mieux,  la  rectitude,  la  ri- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  15 

chesse  et  la  grandeur  des  idées.  Lisez  ces  hommes 
et  reconnaissez  que  la  théologie  est  une  science  qui 
vaut  les  autres  sciences.  Ce  n'est  pas  assez  dire, 

2°  La  théologie  dépasse  les  autres  sciences,  les 
sciences  profanes  et  purement  humaines.  Elle  les 
dépasse  en   profondeur,  en  largeur  et  en  hauteur. 

Les  sciences  profanes  vont  s'alimenter  à  des 
sources  que  vous  connaissez  et  qui  s'appellent  la 
raison,  la  nature,  le  genre  humain.  Pour  devenir 
savant,  je  me  consulte  moi-même,  j 'observe  la 
création,  et  enfin  j'interroge  mes  semblables  vi- 
vants ou  disparus.  La  théologie,  comme  les  autres 
sciences,  plonge  ses  racines  dans  la  raison,  dans  la 
nature  et  dans  le  genre  humain.  Mais  elle  va  plus 
avant;  ses  sources  sont  bien  autrement  profondes. 
Elle  a  pour  se  nourrir  mieux  que  la  parole  de 
l'homme  ;  elle  a  la  parole  de  Dieu  contenue  dans 
l'Écriture  Sainte  et  dans  la  Tradition.  Et  ne  crai- 
gnez pas  que  la  théologie  corrompe  ces  deux  sources 
et  en  extraie  des  sens  et  des  idées  qui  n'y  sont 
pas.  L'Eglise  est  là.  Elle  veille  sur  les  sources  de  la 
Révélation.  Elle  en  garantit  l'authenticité,  l'in- 
tégrité, l'inviolabilité.  Le  théologien  peut  nager 
dans  cet  océan;  l'Eglise,  si  je  puis  ainsi  dire,  le 
tient  par  la  main,  lui  signalant  les  points  cardi- 
naux, les  coins  obscurs  et  les  sentiers  libres,  les 
routes  par  où  il  faut  passer  et  les  abîmes  qu'il  faut 
éviter. 


16  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Quelle  immense  étendue  que  celle  dans  laquelle 
se  meut  la  théologie!  Elle  va  de  Dieu  à  l'atome,  en 
passant  par  l'ange  et  par  l'homme,  et  elle  étudie 
successivement  ou  simultanément  le  monde  divin, 
le  monde  angélique,  le  monde  humain,  le  monde 
matériel  dans  les  rapports  multiples,  profonds, 
mystérieux  qui  les  unissent.  C'est  immense!  — Et 
puis,  au  sein  de  l'œuvre  de  Dieu,  naît,  par  le  jeu 
de  la  liberté  créée,  l'œuvre  de  l'homme,  c'est-à- 
dire  un  mélange  de  vérité  et  d'erreur,  de  bien  et 
de  mal  qui  constitue  l'histoire  humaine.  C'est  im- 
mense !  —  Et  puis  ce  mal  introduit  sur  la  terre, Dieu 
seul  peut  le  guérir,  et,  pour  arriver  à  ce  but,  il  ins- 
titue une  série  de  moyens  qui  forme  une  création 
nouvelle  au  sein  de  la  première.  C'est  immense!  — 
A  la  différence  des  sciences  profanes  qui  se  can- 
tonnent dans  une  spécialité  et  qui  n'en  sortent  pas, 
la  théologie,  comme  une  mer  sans  rivages,  par- 
court toutes  les  sphères,  va  d^  Dieu  à  l'atome,  se 
meut  du  fini  à  l'infini. 

Elle  dépasse  toutes  les  autres  sciences  en  pro- 
fondeur, en  largeur...  et  en  hauteur.  Elle  en  est 
la  maîtresse  et  la  reine.  Elle  les  corrige  et  elle 
les  gouverne.  Elle  les  élève  et  elle  les  complète. 
Toutes  ont  besoin  d'elle  pour  ne  pas  s'égarer. 
Toutes  ont  besoin  d'elle  pour  arriver  à  la  lumière 
totale.  Philosophes,  historiens,  physiciens,  po- 
litiques, économistes,  littérateurs,  avocats,  mé- 
decins, savants  de  tout  genre  et  de  toute  valeur, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  17 

agitez-vous  dans  la  sphère  de  vos  spécialités;  de- 
mandez aux  Instituts  des  mentions  honorables,  des 
prix  et  des  couronnes  ;  faites-vous  dans  l'opinion 
une  place  honorable  et  une  réputation  incontestée... 
Tout  cela  est  bien,  mais  tout  cela  ne  suffit  pas.  Si 
on  veut  être  une  grande  intelligence,  une  intelli- 
gence complète,  si  on.  veut  marcher  sûrement  et  aller 
loin  et  monter  haut,  il  faut  faire  un  peu  de  théologie, 
il  faut  boire  au  moins  quelques  gorgées  à  la  coupe 
divine  de  la  théologie.  Ah!  nos  grands  ancêtres  le 
savaient  bien!  Ils  avaient  une  stature  intellectuelle 
plus  imposante  que  la  nôtre,  parce  qu'ils  étaient 
plus  théologiens  que  nous,  qui  ne  le  sommes  pas 
du  tout.  Rappelez-vous  Condé  :  «  Ce  n'était  pas 
seulement  la  guerre  qui  lui  donnait  de  l'éclat,  dit 
Bossuet.  Son  grand'génie  embrassait  tout,  l'antique 
comme  le  moderne,  l'histoire,  la  philosophie,  la 
théologie  la  plus  sublime...  »  Bossuet  en  savait 
quelque  chose  ;  car  soutenant  à  vingt  ans  sa  thèse 
de  théologie  au  collège  de  Navarre,  Condé,  à  qui  il 
l'avait  dédiée,  entre  tout  à  coup  dans  la  salle.  Bos- 
suet, sans  se  troubler,  salue  et  félicite  le  vainqueur 
de  Rocroi.  Et  le  grand  Condé,  à  ce  qu'il  a  dit  lui- 
même  plusieurs  fois,  fut  tenté  d'attaquer  Bossuet 
et  de  lui  disputer  les  lauriers  même  de  la  théo- 
logie. Vous  le  voyez.  Le  vainqueur  de  Rocroi,  de 
Fribourg,  de  Nordlingue,  de  Dunkerque  était  un 
théologien.  Il  n'en  valait  que  mieux...  Honneur  à 
la  théologie,  Messieurs,  et  honneur  à  l'Église  qui  a 

LBS    BIENFAITS    DE    l/ÉGLISE.    —    1-2 


\S  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

créé  la  science  théologique!  L'Eglise  a  fait  quelque 
chose  de  plus  merveilleux  encore. 


II.  L'Église  a  popularisé  la  théologie. 

Je  dis  que  cela  est  merveilleux.  Rien  de  pareil  ne 
s'est  vu  dans  l'ancien  monde,  et  en  dehors  de 
l'Église  rien  de  pareil  ne  se  vit  dans  le  monde  nou- 
veau. Les  sages  de  l'antiquité  avaient  deux  doc- 
trines :  l'une  ésotérique,  intérieure,  mystérieuse, 
l'autre  exotérique,  extérieure  et  populaire.  Ils  gar- 
daient pour  eux  le  monopole  des  idées  supérieures, 
et  ils  laissaient  la  masse  se  repaître  de  grossiers 
mensonges  et  de  fables  puériles.  Et  c'est  encore  la 
méthode  de  nos  sages  contemporains,  malgré  le 
grand  bruit  qu'ils  font  de  leur  apostolat  auprès  des 
classes  populaires.  Ils  ont  pour  le  menu  peuple  le 
dédain  le  plus  transcendant.  Il  répugne  à  ces  beaux 
esprits  de  livrer  leurs  élucubrations  superbes  aux 
malentendus  de  la  foule.  «  L'humanité  se  compo- 
sant de  quelques  individus  exceptionnels,  disent- 
ils,  pourvu  que  ce  petit  nombre  puisse  se  dévelop- 
per librement,  il  s'occupera  peu  de  savoir  comment 
le  reste  proportionne  Dieu  à  sa  hauteur.  »  Qui  donc 
a  prononcé  cette  parole  méprisante  pour  le  reste 
de  l'humanité,  c'est-à-dire  pour  la  grande  masse 
populaire?  Qui?  Un  homme  que  nos  contemporains 
ont  adoré  bêtement  pendant  quarante  ans,  Renan. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  10 

Renan,  d'ailleurs,  n'est  pas  plus  cynique  que  Vol- 
taire, lequel  écrivait  à  son  ami  Damilaville  :  «  Il 
est  à  propos  que  le  peuple  soit  guidé,  et  non  pas 
qu'il  soit  instruit,  il  n'est  pas  digne  de  l'être.  »  Et 
encore  :  «  Il  est  essentiel  qu'il  y  ait  des  gueux 
ignorants.  »  Et  encore  :  «  Le  laboureur-  ne  mérite 
pas  d'être  instruit,  c'est  bien  assez  pour  lui  de  ma- 
nier le  hoyau,  le  rabot  et  la  lime.  »  Et  encore  : 
«  Ce  n'est  pas  le  manœuvre  qu'il  faut  instruire,  mais 
le  bon  bourgeois.  »  Voilà,  Messieurs,  ce  que  pensent 
et  disent  les  sinistres  farceurs  qu'on  est  convenu 
d'appeler  les  grands  hommes.  Ils  ont  pour  le  peuple 
un  mépris  souverain. 

Et  l'Eglise?  L'Eglise,  elle,  ne  connaît  pas  ces 
procédés  prétentieux  et  outrageants.  La  science 
théologique,  c'est-à-dire  ce  qu'il  y  a  de  meilleur, 
de  plus  élevé,  de  plus  profond,  l'Eglise  la  pro- 
digue à  tous.  Pour  40  ou  50  centimes  et  souvent 
pour  rien,  le  peuple  peut  avoir  en  mains  sa  théo- 
logie et  se  faire  à  lui-même  l'honneur  et  le  plaisir 
de  l'apprendre  par  cœur.  Toutes  les  grandes  vérités 
théologiques  sont  résumées  ou  exposées  dans  le  ca- 
téchisme. «  Il  y  a  un  petit  livre,  dit  JoufTroy, 
qu'on  fait  apprendre  aux  enfants  et  sur  lequel  on 
les  interroge  à  l'église.  Lisez  ce  petit  livre,  vous  y 
trouverez  une  solution  de  toutes  les  questions  : 
origine  du  monde,  origine  de  l'espèce,  questions  de 
races,  destinée  de  l'homme  en  cette  vie  et  en  l'autre, 
rapports  de  l'homme  avec  Dieu,  devoirs  de  l'homme 


20  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

envers  ses  semblables,  droits  de  l'homme  sur  la 
création,  l'enfant  chrétien  n'ignore  rien.  Et  quand 
il  sera  grand,  il  n'hésitera  pas  davantage  sur  le 
droit  naturel,  sur  le  droit  politique,  sur  le  droit 
des  gens  ;  car  tout  cela  sort,  tout  cela  découle  avec 
clarté  et  comme  de  soi-même  du  christianisme. 
Voilà  ce  que  j'appelle  une  grande  religion  :  je  la 
reconnais  à  ce  signe  qu'elle  ne  laisse  sans  réponse 
aucune  des  questions  qui  intéressent  l'humanité.» 
Messieurs,, ne  méprisez  pas  le  catéchisme.  Le  ca- 
téchisme est  une  force.  Vous  en  doutez?  Rappelez- 
vous  l'histoire  d'hier.  Est-ce  que  nous  n'avons  pas 
vu  la  puissance  publique  se  mettre  en  mouvement 
contre  ce  modeste  livre?  Est-ce  que  des  flots  de  pa- 
roles n'ont  pas  coulé  pour  le  submerger?  Est-ce  que 
des  lois  n'ont  pas  été  faites  pour  l'empêcher  d'en- 
trer dans  les  écoles  et  pour  l'en  faire  sortir?  Com- 
prenez par  là  que  le  catéchisme  est  quelque  chose 
de  grand,  quelque  chose  de  fort,  quelque  chose  qui 
compte.  Puisque  toutes  lès  hypocrisies  et  toutes 
les  violences  se  concertent  pour  déchirer  les  pages 
du  catéchisme,  il  nous  est  facile  de  conclure  que 
le  Gatéchisme  mérite  toute  notre  attention  et  tous 
nos  respects.  Et  puis  consultez  vos  souvenirs.  Rap- 
pelez-vous ces  simples  et  admirables  définitions  de 
Dieu,  de  la  Création,  de  la  Trinité,  de  l'Incarna- 
tion, de  la  Rédemption,  de  la  prière,  des  sacre- 
ments, des  fins  dernières.  Quel  magnifique  assem- 
blage .d'idées  profondes,  sous  des  formules  claires 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  2< 

et  précises!  La  vérité  religieuse,  la  vérité  théolo- 
gique est  là  opulente  et  totale,  et  elle  est  toute  mou- 
lue, prête  à  être  mangée,  accessible  et  friable 
comme  le  pain  sur  nos  tables,  appropriée  aux  plus 
simples  intelligences  et  digne  des  intelligences  les 
plus  hautes. 

Saluez,  Messieurs,  la  puissance  intellectuelle  de 
l'Église  !  Elle  a  jeté  dans  le  monde  de  grandes  idées, 
des  idées  nouvelles.  Et  ces  idées  elle  ne  les  a  point 
données  en  partage  seulement  aux  grands  esprits, 
mais  elle  les  a  semées  d'une  main  prodigue  dans 
toutes  les  âmes,  et  «  tel  paysan,  dit  Lacordaire,  qui 
coupait  le  bois  dans  la  forêt  de  Versailles,  avait 
sur  les  choses  divines  des  illuminations  aussi  pro- 
fondes que  celles  de  Bossuet,  étonnant  de  son  élo- 
quence et  de  sa  doctrine  la  cour  de  Louis  XIV  ». 
L'Eglise  a  créé  la  théologie.  Elle  a  fait  plus  et 
mieux  :  elle  a  popularisé  la  théologie,  et,  j'ose 
l'affirmer,  cette  œuvre  de  vulgarisation  est  un  des 
plus  beaux  diamants  de  sa  couronne  royale  ! 

Amenl 


TROISIEME  CONFERENCE 

2°   l'église   ET   LA   PHILOSOPHIE 


Messieurs, 

L'Église  est  une  grande  puissance  intellectuelle. 
Elle  a  jeté  dans  le  monde  des  idées  nouvelles.  Elle 
a  créé  et  popularisé  la  théologie.  Mais,  au-dessous 
de  la  théologie,  il  y  a  une  science  humaine,  qui  a 
sa  source  non  plus  dans  la  parole  de  Dieu,  mais 
dans  la  raison,  science  orgueilleuse  et  cependant 
impuissante  par  elle-même  à  suivre  son  chemin  et 
à  aller  jusqu'au  bout  de  ses  principes  :  c'est  la  phi- 
losophie. L'Eglise  a  rendu  de  grands  services  à  la 
philosophie  :  elle  en  a  été  la  gardienne  et  la  propa- 
gatrice :  elle  Fa  protégée  et  vulgarisée. 


I.  L'Église  a  protégé  la  Philosophie, 

Abandonnés  à  eux-mêmes,  les  philosophes 
ignorent  bien  des  choses.  Ils  posent  plus  de  pro- 
blèmes qu'ils  ne  donnent    de    solutions.   Ils    sont 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  23 

muets  sur  une  masse  de  questions  fondamentales 
qui  importent  souverainement  à  la  moralité  et  à  la 
direction  de  la  vie.  Qui  a  fait  ce  inonde?  Le  dogme 
de  la  création  leur  échappe.  Pourquoi  le  péché?  Le 
dogme  de  la  faute  originelle  leur  échappe.  Quelle 
est  la  nature  et  la  vie  de  Dieu?  Ils  ne  peuvent  pas 
pénétrer  l'essence  divine.  Qu'y  a-t-il  après  la  vie 
présente?  Ils  prouvent  tant  hien  que  mal  l'immor- 
talité de  l'âme,  mais  ils  ne  sont  pas  capables  de 
vous  dire  si,  après  cette  vie,  notre  àme  immortelle 
est  réservée  à  de  nouvelles  épreuves,  ou  si  son  sort 
est  fixé  définitivement.  Ils  nous  offrent  des  conjec- 
tures, et  non  des  réponses  catégoriques.  Je  n'en 
finirais  pas,  si  je  voulais  énumérer  toutes  les  igno- 
rances de  la  philosophie. 

EKpuis,  quand  les  philosophes  veulent  dogmati- 
ser, très  souvent  ils  se  trompent.  Voyez  les  sages  de 
l'antiquité.  Ils  se  sont  évanouis  dans  leurs  pensées. 
Ils  ont  humilié  la  majesté  divine  en  la  confondant 
avec  ce  qui  passe  et  ce  qui  meurt,  avec  la  nature 
inerte  et  la  vile  matière  ;  ils  ont  imaginé  un  Dieu 
sans  entrailles,  sans  providence  et  sans  personna- 
lité ;  ils  ont  noyé  l'origine  du  monde  dans  une  éter- 
nité problématique  ;  ils  nous  ont  fait  sortir  d'un 
germe  méprisable;  ils  ont  fait  peser  sur  le  monde 
les  mains  brutales  de  la  fatalité  ;  ils  ont  prêché  ou 
le  néant,  ou  le  paradis  grossier  des  sens,  ou  les 
transmigrations  insensées  de  la  métempsycose  ; 
ils  ont  divisé  la  race  humaine  en  castes  ennemies 


24  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  déclaré  solennellement  que  les  esclaves  n'étaient 
pas  des  hommes.  Et  les  philosophes  contemporains? 
De  deux  choses  l'une  :  ou  bien  ils  ont  accepté  la 
direction  de  l'Église,  ou  bien  ils  Font  repoussée. 
Disciples  de  l'Église,  ils  ont  marché  droit  dans  le 
chemin  du  vrai.  Transfuges  de  l'Eglise,  ils  ont 
bronché,  et  ils  n'ont  pas  été  plus  heureux  que  leurs 
grands  ancêtres  de  l'ère  païenne.  Ils  ont  fait  de 
grands  pas,  mais  en  dehors  de  la  voie  :  magni  pas- 
sus,  sed  extra  viam! 

Abandonnés  à  eux-mêmes,  ne  sachant  plus  où 
donner  de  la  tête,  les  philosophes  finissent  par  dou- 
ter h  peu  près  de  tout  et  par  écrire  un  peut-être 
sur  le  tombeau  de  la  vérité.  Peut-être...  c'est  le 
dernier  mot  de  Socrate  chez  les  Grecs  et  de  Pline 
chez  les  Romains,  et  c'est  aussi  le  dernier  mot  de 
nos  modernes  philosophes.  Que  croyez-vous?  Rien, 
répondent-ils,  et,  fermant  les  yeux,  ils  s'endorment 
dans  le  scepticisme  universel.  0  Église  catholique, 
soleil  de  la  raison  humaine,  lève-toi  et  viens  dissi- 
per les  ignorances,  redresser  les  erreurs,  fixer  les 
hésitations  des  philosophes! 

L'Église  est  la  gardienne  de  la  philosophie.  Elle 
la  protège.  Elle  lui  donne  d'abord  la  rectitude.  Elle 
s'approche  du  philosophe  et  elle  lui  dit  :  «  Tu  veux 
voir  clair?  Sois  pur.  »  Parole  profonde,  Messieurs, 
car  trop  souvent  c'est  le  cœur  qui  fait  mal  à  la 
tête,  ce  sont  les  passions  qui  obscurcissent  l'intel- 
ligence,  et,  le  vrai  étant  placé  sur  le  même  som- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  25 

met  que  le  bien,  on  ne  peut  atteindre  le  vrai  que 
si  en  même  temps  on  aspire  au  bien.  —  L'Eglise 
s'approche  du  philosophe  et  elle  lui  dit  :  «  Tu  veux 
voir  clair?  Sois  humble.  »  Parole  profonde,  Mes- 
sieurs. On  raconte  qu'un  grand  et  pieux  prédicateur 
du  moyen  âge  rencontra  un  jour  sur  sa  route  un 
jeune  homme  sorti  récemment  des  écoles,  et  qui, 
pour  lui  montrer  sa  pénétration  d'esprit,  se  mit  à 
disserter  subtilement  sur  Dieu.  Le  vieillard  l'écouta 
quelque  temps  en  silence,  puis  plaçant  la  main 
sur  son  épaule  :  «  Lève  les  yeux,  lui  dit-il,  et  regarde 
le  soleil!  »  Le  jeune  homme  tourna  ses  regards  en 
haut,  mais,  aveuglé  par  cette  lumière  éblouissante, 
il  dut  courber  la  tête.  «  Insensé,  lui  dit  le  vieillard, 
tu  ne  peux  regarderie  soleil  visible,  et  tu  veux  péné- 
trer Dieu  qui  est  le  soleil  des  âmes?  »  Il  disait  vrai. 
L'orgueil  veut  voir  Dieu  face  à  face,  et  son  éclat 
l'aveugle.  L'humilité  s'incline  devant  lui  et  voit 
son  sentier  tout  inondé  par  sa  lumière.  —  Enfin, 
l'Eglise  s'approche  du  philosophe,  et  après  lui  avoir 
dit  :  «  Sois  pur,  sois  humble  !  »  elle  ajoute  :  «  Tu 
veux  voir  clair?  Suis-moi.  »  Et,  en  effet,  sous  la 
direction  de  l'Eglise,  il  n'y  a  pas  d'écart  possible. 
L'Eglise  donne  la  rectitude  à  la  philosophie. 

Elle  lui  donne  la  certitude  sur  Dieu,  sur  l'âme, 
sur  la  vie  future,  sur  le  péché,  la  douleur  et  la 
mort,  sur  le  droit  et  le  devoir,  sur  toutes  les  grandes 
questions  qui  intéressent  la  vie  humaine.  Presque 
à  la  veille  de  mourir,  un  philosophe  rationaliste, 


26  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Cousin,  disait  :  «  Nous  autres  philosophes,  nous 
naviguons  au  hasard,  sujets  à  l'égarement,  exposés 
au  naufrage.  La  philosophie  est  un  voyage  d'explo- 
ration, hardi,  aventureux,  à  la  recherche  de  l'in- 
connu, à  la  recherche  de  l'infini,  mais  dans  lequel 
nous  ne  savons  souvent  où  prendre  terre.  Vous, 
catholiques,  vous  avez  la  boussole,  la  carte  du  pays, 
les  étoiles,  le  pilote,  le  port.  »  L'Eglise  donne  à  la 
philosophie  la  certitude  et  la  rectitude.  Elle  l'em- 
pêche de  s'égarer.  Elle  fixe  ses  hésitations. 

Enfin,  elle  comble  ses  lacunes  et  elle  lui  donne 
la  plénitude  du  vrai.  En  1865,  à  la  tribune  du  Corps 
législatif,  M.  Thiers,  après  avoir  énuméré  les  ser- 
vices rendus  à  la  science  par  l'Eglise,  ajoutait  mali- 
cieusement :  «  Le  catholicisme  n'empêche  de  penser 
que  ceux  qui  n'étaient  pas  faits  pour  penser.  »  On 
ne  saurait  mieux  dire.  Non  seulement  l'Eglise 
n'arrête  pas  l'essor  de  la  pensée  humaine,  mais  elle 
provoque  et  exalte  cet  essor.  Nos  penseurs  catho- 
liques sont  infiniment  plus  nombreux  que  les  sages 
de  l'antiquité,  et,  tandis  que  chez  ces  derniers  vous 
constatez  à  côté  d'intuitions  superbes  et  de  magni- 
fiques éclairs  des  défaillances  lamentables  et  de 
monstrueuses  erreurs,  vous  admirez  chez  nos  pen- 
seurs chrétiens  une  surélévation«éclatante  de  l'esprit 
humain,  une  envergure  illimitée,  une  plénitude 
intellectuelle  qui  ne  laisse  aucun  problème  sans 
solution.  Que  si  nos  philosophes  n'ont  pas  toujours 
la  même  splendeur  littéraire  que  les  philosophes  de 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  27 

la  Grèce  et  de  Rome,  cela  tient  à  ce  qu'ils  ont  vécu 
dans  des  siècles  de  décadence,  et  leur  infériorité  au 
point  de  vue  de  la  forme  ne  sert  qu'à  mieux  faire  res- 
sortir leur  supériorité  sous  le  rapport  de  la  doctrine. 

En  somme,  la  philosophie,  depuis  dix-neuf  siècles, 
est  redevable  à  l'Eglise  de  ses  meilleures  conquêtes. 
Elle  vit  de  toutes  les  données  fondamentales  à  jamais 
acquises  à  la  raison  publique  par  les  enseignements 
si  précis,  si  lumineux,  si  profonds  de  la  Révélation. 
Elle  est"  imbibée,  pénétrée,  enrichie  des  secours 
inaperçus,  mais  immenses  du  christianisme,  qui 
nous  environne  de  toutes  parts  et  nous  illumine 
sans  même  que  nous  y  pensions.  0  philosophes,  si 
vous  êtes  plus  éclairés  que  Socrate,  Aristote  et  Pla- 
ton, n'imputez  pas  à  votre  raison  une  supériorité 
qui  ne  vient  pas  d'elle.  Vos  doctrines,  que  vous 
dites  émaner  de  la  nature,  ne  sont  qu'un  écho  de 
l'Evangile,  et  vos  écrits  portent  l'empreinte  de  la 
sainte  Eglise  catholique  qui  a  sauvé  la  philosophie 
en  lui  assurant  la  rectitude  dans  la  recherche  du 
vrai,  la  certitude  dans  la  découverte  du  vrai  et  la 
plénitude  dans  la  possession  du  vrai  ! 

Et  puis  voici  bien  autre  chose  :  éducatrice  uni- 
verselle, l'Eglise  a  porté  la  philosophie  jusque  dans 
les  rangs  de  l'immense  multitude. 

II.  L'Église  a  vulgarisé  la  Philosophie, 

Si  quelques  sages  de  l'antiquité,  un  Aristote,  un 


28  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Platon,  ont  découvert  et  formulé  certaines  vérités 
philosophiques  fondamentales,  comme  l'existence 
de  Dieu,  celle  d'une  loi  morale,  la  spiritualité  et 
même  l'immortalité  de  l'âme,  si  ces  hommes  de 
génie  sont  parvenus  à  rassembler  quelques  frag- 
ments épars  de  la  vérité. . .  et  encore  au  prix  de  quels 
tâtonnements,  de  quelles  hésitations,  souvent  même 
de  quelles  contradictions  et  de  quelles  erreurs 
grossières  ?  vous  le  savez,  est-ce  que  le  peuple  est 
capable  par  lui-même  d'acquérir  sur  toutes  ces 
questions  des  notions  suffisamment  claires,  com- 
plètes, obligatoires?  Evidemment  non.  Le  peuple 
n'a  pas  le  temps  de  chercher  la  vérité  philosophique. 
Il  gagne  son  pain  de  chaque  jour  à  la  sueur  de  son 
front;  ses  heures  tourmentées  appartiennent  tout 
entières  aux  affaires  de  sa  famille  et  au  souci  de  la 
vie  matérielle.  Et  quand  même  il  aurait  le  temps, 
aurait-il  la  capacité  d'esprit?  Allez  donc  demander 
à  la  masse  des  hommes  de  se  lancer  dans  les  sciences 
spéculatives,  dans  les  chemins  ardus  du  travail 
intellectuel,  dans  les  sublimes  profondeurs  de  la 
philosophie!  «  Vous  avez,  je  le  veux,  dit  ici  Lacor- 
daire,  vous  avez  la  vérité  dans  vos  livres  et  dans 
vos  Académies,  dans  l'esprit  de  vos  professeurs 
décorés  et  dotés;  mais  plus  bas?  Qui  portera  la 
vérité  plus  bas?  Qui  la  fera  descendre  jusqu'au 
peuple,  enfant  de  Dieu  comme  vous,  et  à  qui  ses 
loisirs  ne  permettent  de  la  voir  que  comme  il  voit 
le  soleil  venant  à  lui  le  matin?  Qui  distribuera  la 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  29 

lumière  de  l'intelligence  aux  pauvres  âmes  des 
campagnes,  si  enclines  à  se  courber  vers  la  terre, 
comme  leur  corps,  et  les  tiendra  debout  devant  la 
lace  auguste  du  vrai,  du  beau,  du  saint,  de  ce  qui 
ravit  l'homme  et  lui  donne  le  courage  de  vivre? 
Qui  ira  trouver  mon  frère  le  peuple?  Qui  lui  portera 
non  pas  un  livre  mort,  mais  la  chose  sans  prix,  une 
foi  vivante,  une  âme  dans  une  parole,  Dieu  sen- 
sible dans  l'accent  d'une  phrase.  »  Qui?  Messieurs. 
Qui?  L'Église.  Seule  l'Église  vulgarise  la  philoso- 
phie et  la  fait  ruisseler  dans  l'âme  du  peuple, 
comme  l'eau  qui  tombe  du  ciel  inondant  les  mon- 
tagnes et  les  vallées. 

Voyez-vous  ce  jeune  enfant  bercé  dans  les  bras 
d'une  pieuse  et  tendre  mère,  puis  assis  sur  les 
bancs  du  catéchisme  sous  les  regards  et  sous  la 
parole  d'un  vénérable  prêtre,  et  enfin  élevé  dans 
un  collège  chrétien  où  l'on  forme  son  esprit,  son 
cœur  et  son  caractère?  Interrogez-le.  Demandez-lui  : 
Qui  a  fait  le  monde?  Où  va  ce  monde?  Que  doit- 
on  croire?  Que  doit-on  pratiquer  ici-bas?  A  ces 
questions  si  difficiles  sur  lesquelles  ont  pâli  les 
plus  fermes  génies  et  les  intelligences  les  plus 
vastes,  il  répond  par  une  parole  très  courte,  mais 
très  substantielle  :  Credo,  je  crois!  Non  pas  :  il  est 
possible,  —  non  pas  :  peut-être,  il  se  pourrait  bien,  — 
mais  :  Je  crois,  Credo!  Il  est  philosophe,  et  plus 
philosophe  que  les  sages  d'Athènes  et  de  Rome;  il 
est  enseigné  par  Dieu  lui-même  ;  il  a  des  convie- 


30  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

tions  solides  comme  le  diamant.  Qui  fait  cela? 
L'Eglise.  Elle  vulgarise  la  philosophie,  elle  la  jette 
dans  toutes  les  âmes,  comme  Dieu  a  jeté  sur  tous 
les  chemins  du  firmament  la  poussière  resplendis- 
sante des  étoiles. 

Voyez-vous  cet  homme  du  peuple,  cet  ouvrier,  ce 
laboureur,  ce  manœuvre  qui  ne  saisit  pas  le  premier 
mot  de  vos  sciences,  qui  ignore  vos  discussions 
sans  fin,  qui  n'a  point  été  mêlé  au  mouvement  des 
opinions  et  des  idées,  qui  n'a  point  hanté  vos 
académies  ni  les  livres  de  vos  docteurs,  mais  qui  a 
son  bon  sens  natif  et  la  lumière  de  la  foi,  qui  prie 
et  qui  va  à  la  messe  chaque  dimanche  entendre 
l'humble  parole  de  son  curé?  Interrogez-le  sur  tous 
les  problèmes  qui  vous  tourmentent,  sur  le  prin- 
cipe, le  terme  et  le  chemin,  sur  l'origine,  les  devoirs 
et  le  but  de  la  vie.  Il  vous  répondra  sans  broncher. 
Il  est  philosophe,  et  plus  philosophe  que  les  sages 
d'Athènes  et  de  Rome;  il  est  enseigné  par  Dieu 
même  ;  il  a  des  convictions  solides  comme  le  dia- 
mant. Qui  fait  cela?  L'Église.  Elle  vulgarise  la 
philosophie,  elle  la  jette  dans  toutes  les  âmes, 
comme  l'eau  rafraîchissante  et  fécondante  que  Dieu 
fait  couler  dans  toutes  les  plaines. 

Voyez-vous  cette  petite  ouvrière,  qui  gagne  son 
pain  à  la  pointe  de  son  aiguille,  et  qui,  chaque 
matin,  prélève  sur  sa  journée  une  demi-heure  pour 
prier  et  pour  méditer?  Ah!  nous  autres  prêtres, 
nous  voyons  des  merveilles  que  le  monde  ignore  ; 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  31 

) 

nous  entendons  de  pauvres  petites  ouvrières  nous 
faire  cette  confession  qui  suffirait  à  la  gloire  de  Pla- 
ton, si  la  postérité  l'avait  recueillie  sur  ses  lèvres  : 
«  Mon  Père,  je  m'accuse  d'avoir  manqué  une  fois 
cette  semaine  à  faire  ma  méditation,  c'est-à-dire 
moi  qui  ai  dû  chaque  jour  gagner  mon  pain  au 
prix  d'un  travail  sans  relâche  et  conquérir  mon 
honneur  à  la  pointe  de  ma  glorieuse  aiguille,  j'ai 
honte  d'avoir  passé  un  jour  sans  contempler  l'Infini, 
sans  regarder  mon  âme,  sans  penser  à  l'immortalité, 
sans  m'élever  par  l'intelligence  au-dessus  de  toutes 
les  choses  terrestres.  »  Messieurs,  quelle  prodigieuse 
école  de  vie  intellectuelle  que  la  religion  qui  en- 
seigne à  la  dernière  des  enfants  du  peuple  à  faire 
ainsi  chaque  jour  plus  de  philosophie  que  n'en 
font  en  toute  une  vie  bon  nombre  de  savants  ! 
Ainsi  opère  l'Eglise.  Elle  vulgarise  la  philosophie. 
Elle  la  jette  dans  toutes  les  âmes,  comme  ce  pain 
quotidien  que  Dieu  fait  germer  dans  tous  les  sil- 
lons et  abonder  sur  toutes  les  tables. 

Et  puis,  de  qui  l'Eglise  se  sert-elle  pour  distribuer 
à  tous,  d'une  main  prodigue,  la  vraie,  et  solide,  et 
totale  philosophie?  Voyez  cet  humble  prêtre  qui 
prêche,  qui  confesse,  qui  fait  le  catéchisme,  qui 
visite  ses  paroissiens.  C'est  un  philosophe,  et  le 
meilleur  philosophe  que  je  connaisse.  Un  jour, 
M.  Cousin  se  promenait  dans  la  cour  de  l'Institut 
avec  un  savant  professeur  de  philosophie.  Un  jeune 
vicaire  vint  à  passer,  et,  comme  il  s'éloignait,  Cou» 


32  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sin,  le  regardant  de  loin,  s'arrêta  et  dit  à  son  col- 
lègue :  «  Mon  ami,  nous  avons  toute  la  vie  pro- 
fessé la  philosophie.  Nous  réunissons  des  jeunes 
gens  instruits,  et  nous  tâchons,  par  des  arguments 
laborieux,  de  leur  démontrer  qu'il  y  a  une  âme. 
Pendant  ce  temps  que  fait  ce  jeune  prêtre  et  où 
va-t-il?  11  va  réconcilier  les  âmes  de  deux  époux, 
fortifier  l'âme  d'un  vieillard  qui  va  mourir,  com- 
battre le  vice  dans  l'âme  d'un  méchant,  la  tentation 
dans  l'âme  d'une  jeune  fille,  le  désespoir  dans  l'âme 
d'un  malheureux,  éclairer  l'âme  d'un  enfant.  Et 
nous  voudrions  jeter  ces  gens-là  à  l'eau?  Il  vaudrait 
mieux  qu'on  nous  y  précipitât  nous-mêmes  avec 
une  corde  au  cou.  Ayons  l'honnêteté  de  reconnaître 
ce  qu'ils  font  pour  les  âmes,  pendant  que  nous 
tâchons  de  reconnaître  qu'il  y  a  une  âme  !  » 

Les  philosophes  livrés  à  eux-mêmes,  Messieurs, 
sont  stériles,  méprisants.  Ils  réunissent  quelques 
disciples  autour  de  leur  chaire,  puis  ils  meurent,  et 
le  vent  passe  qui  emporte  les  philosophes  et  leur 
doctrine  avec  la  poussière  de  leurs  os.  L'Église 
seule  reste  debout,  et,  puissance  intellectuelle  de 
premier  ordre,  elle  sauve  la  philosophie  et  elle  la 
vulgarise.  Elle  la  préserve  contre  tous  les  écarts,  et 
elle  la  donne  à  tous  les  hommes.  Elle  est  la  grande 
bienfaitrice  de  l'esprit  humain! 

Amen  l 


OUATRIÈME  CONFÉRENCE 


3°  l'église  et  l'éloquence 


Messieurs, 

L'Eglise  a  jeté  dans  le  monde  des  idées  nouvelles, 
elle  a  créé  et  popularisé  la  théologie.  Il  y  a  plus. 
Elle  a  sauvegardé  et  vulgarisé  la  philosophie,  et  sa 
puissance  intellectuelle  éclaire  magistralement  tout" 
le  champ  de  la  pensée  humaine.  Avançons.  Quand 
l'homme  a  des  idées,  il  sent  aussitôt  le  besoin  de 
les  exprimer.  Il  parle,  et  la  parole  sortant  d'une 
âme  émue  pour  aller  émouvoir  d'autres  âmes,  c'est 
l'éloquence.  L'Eglise,  Messieurs,  a  créé  une  élo- 
quence nouvelle,  une  éloquence  grandiose  et  popu- 
laire tout  ensemble.  Voyons  cela. 


I.  L'Église  a  créé  une  éloquence  nouvelle. 

Les  anciens  n'ont  connu  que  l'éloquence  judi- 
ciaire et  l'éloquence  politique.  Ils  n'ont  eu  que  la 
tribune  et  le  barreau.  L'Eglise  a  créé  l'éloquence 

LES    EIENFAITS  JJ,K-I«LGLISE.    —   1-3 


34  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

religieuse.  Elle  a  créé  la  chaire.  Elle  y  fait  monter 
un  homme  qu'elle  revêt  d'un  prestige  et  d'un  pou- 
voir absolument  nouveaux. 

L'Eglise  donne  à  l'orateur  sacré  une  autorité 
extraordinaire.  Voyez  cet  homme  assis  ou  debout 
dans  la  chaire  de  vérité.  Il  porte  sur  sa  personne 
comme  un' reflet  de  la  divinité.  Sa  tribune  est  un 
trône  suspendu  entre  le  ciel  et  la  terre.  Il  a  sous 
les  yeux  le  temple  avec  ses  voûtes  élevées,  ses 
colonnes  imposantes,  ses  arcades  multipliées  sous 
lesquelles  passe  et  repasse  depuis  des  siècles  peut- 
être  la  multitude  silencieuse  ;  la  croix,  teinte  du 
sang  de  Jésus-Christ,  partout  présente  et  sous  toutes 
les  formes  ;  les  flambeaux  étincelants,  étoiles  de  la 
foi  et  de  l'espérance  ;  l'encens  qui  monte  au  ciel, 
symbole  de  la  prière;  l'autel  où  Dieu  repose,  invi- 
sible et  présent;  les  nombreux  fidèles  qui,  agenouil- 
lés, la  tête  inclinée  dans  le  recueillement  intérieur, 
semblent  déjà  l'écouter  avant  même  qu'il  ait  com- 
mencé. Et  puis,  préludant  à  sa  parole  et  la  suivant, 
ce  sont  d'harmonieux  cantiques  qui  l'élèvent  à  un 
diapason  céleste.  Jeté  dans  un  pareil  milieu,  l'ora- 
teur sacré  prend  comme  une  forme  surhumaine, 
comme  un  reflet  de  la  divinité,  maj orque  videri,  nil 
mortale  sona?is.  Ajoutez  à  cela  qu'il  se  présente 
avec  une  mission  divine.  Il  est  le  mandataire  de 
l'Eglise,  et  c'est  tout  le  passé  qui  s'exprime  par  sa 
bouche.  Campé  auprès  des  Pyramides,  Napoléon 
disait   à   ses   soldats    pour  exalter  leur  courage  : 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  35 

«  Soldats,  songez  que  du  haut  de  ces  Pyramides 
quarante  siècles  vous  contemplent  !  »  Le  plus 
humble  prêtre,  debout  dans  la  chaire,  tenant  d'une 
main  les  Saintes  Ecritures  et  de  l'autre  le  dé- 
pôt de  la  tradition,  appelant  à  lui  les  Pères,  les 
Apôtres,  les  Prophètes,  les  Patriarches,  puis  s'effa- 
çant  lui-même  derrière  cette  imposante  assemblée, 
peut  dire  avec  la  plus  exacte  vérité  :  «  Du  haut  de 
cette  chaire  soixante  siècles  vous  enseignent  !  »  Il 
parle  au  nom  du  passé,  au  nom  de  l'Eglise,  au  nom 
même  de  Dieu.  On  reprochait  à  Lacordaire  d'être 
le  ministre  d'un  souverain  étranger.  «Non,  répli- 
qua-t-il,  cela  n'est  pas.  Je  suis  le  ministre  de  quel- 
qu'un qui  n'est  étranger  nulle  part,  de  Dieu.  » 
L'orateur  sacré  parle  au  nom  de  Dieu.  Ce  n'est  pas 
un  professeur  qui  vous  donne  ses  idées,  un  politique 
qui  déroule  ses  projets,  un  père  qui  instruit  sa 
famille.  Il  ne  parle  ni  au  nom  de  l'opinion,  chose 
fugitive,  —  ni  au  nom  de  la  philosophie,  chose  dis- 
cutable, —  ni  au  nom  de  l'affection,  chose  person- 
nelle, —  ni  au  nom  de  la  patrie,  chose  locale.  Il 
parle  au  nom  de  Dieu.  L'ordre  de  Dieu  retentit  sur 
ses  lèvres.  C'est  l'Éternité  qui  s'exprime  par  sa 
bouche.  Donc  il  n'a  pas  besoin  d'inventer  ce  qu'il 
doit  dire. 

L'Église,  qui  lui  confère  son  autorité  extraordi- 
naire, lui  offre  des  sujets  splendides.  Entendez  un 
mot  de  Gounod.  Cet  artiste  éminent,  qui  fut  en 
même  temps  un  humble  chrétien,  servait  un  jour 


36  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  messe  comme  un  simple  enfant  de  chœur.  A  ces 
paroles  du  premier  psaume  :  Confitcbor  tibi  in  ci- 
thara,  Gounod  tressaille,  son  âme  s'émeut,  son 
esprit  semble  échapper  aux  réalités  du  moment 
pour  entrer  dans  une  sorte  d'extase.  Le  vénérable 
ecclésiastique  qui  célébrait  la  sainte  messe  com- 
mence à  craindre  quelque  distraction  embarras- 
sante. Cependant  la  messe  continue,  et  à  l'Evangile 
l'humble  servant  transporte  le  missel  à  l'extrémité 
de  l'autel.  Puis  il  fixe  sur  le  texte  son  regard  avide 
et  en  suit  religieusement  la  lecture  pendant  que  le 
prêtre  récite  à  haute  voix  l'admirable  évangile  des 
huit  béatitudes.  La  lecture  finie,  Gounod  laisse 
échapper  tout  haut  cette  exclamation  :  «  Ah  !  que 
c'est  beau,  Monsieur  l'abbé,  si  nous  recommen- 
cions? »  Oui,  ils  sont  beaux  les  sujets  traités  dans 
la  chaire  par  l'orateur  sacré.  C'est  la  substance 
même  de  l'Evangile.  Ce  sont  les  dogmes  et  les  pré- 
ceptes qui  ont  jailli  des  lèvres  mêmes  du  Christ.  Ce 
sont  les  vérités,  non  seulement  les  plus  importantes, 
mais  encore  les  plus  intéressantes  qui  se  puissent 
imaginer,  car  elles  ont  la  grandeur  qui  étonne,  la 
simplicité  qui  attire,  l'actualité  qui  saisit  et  la  va- 
riété qui  plaît.  Quel  qu'il  soit,  à  cause  des  vérités 
qu'il  annonce,  le  prêtre  est  forcément  éloquent. 
«  Les  politiques  et  les  choses  de  la  terre  ne  lui  sont 
point  inconnues,  dit  Chateaubriand.  Mais  ces  choses 
qui  faisaient  les  premiers  motifs  de  l'éloquence 
antique  ne  sont  pour  l'éloquence  catholique  que 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  37 

des  raisons  secondaires  ;  elle  les  voit  des  hauteurs 
où  elle  domine,  comme  un  aigle  aperçoit  du  som- 
met de  la  montagne  les  objets  abaissés  de  la  plaine.  » 
L'Eglise  revêt  l'orateur  sacré  d'une  autorité  extra- 
ordinaire. Elle  lui  met  sur  les  lèvres  les  grandes 
choses  qu'il  doit  dire. 

Et  enfin,  pour  lui  indiquer  la  manière  dont  il 
doit  les  dire,  elle  lui  offre  des  modèles  incompa- 
rables. C'est  la  Bible  d'abord.  Ouvrez  les  livres  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  vous  trouvez 
dans  les  hymnes  du  Psalmiste,  dans  les  sentences 
des  moralistes  inspirés,  dans  les  lamentations  des 
Prophètes  et  surtout  dans  les  pages  des  Évangé- 
listes  et  des  Apôtres  les  sentiments  et  les  pensées 
dont  la  parole  des  orateurs  sacrés  n'est  qu'une  tra- 
duction et  un  écho  fidèle.  Nos  saints  livres  sont  les 
modèles  éternels  de  toute  éloquence  vraie.  A  tra- 
vers dix-neuf  siècles  que  de  beaux  génies  sont  allés 
puiser  là,  non  seulement  la  richesse  du  fond,  mais 
encore  la  splendeur  de  la  forme,  et  sont  devenus  à 
leur  tour  des  types  accomplis  de  l'éloquence  catho- 
lique 1  Jetons  un  regard  sur  cette  riche  galerie. 

II.  L'Église  a  créé  une  éloquence  grandiose. 

Lorsque  le  jeune  Lacordaire  entrait  au  séminaire 
de  Saint-Sulpice,  Mgr  de  Quélen  lui  tendit  la  main 
et  lui  dit  :  «  Soyez  le  bienvenu.  Vous  défendiez  au 


38  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

barreau  des  causes  périssables  ;  vous  allez  en  dé- 
fendre une  dont  la  justice  est  éternelle.  »  En  effet 
l'éloquence  catholique  dépasse  l'éloquence  humaine 
de  toute  la  hauteur  qu'il  y  a  entre  le  ciel  et  la  terre. 
L'éloquence  catholique  prend  sa  source  dans  l'éter- 
nité. Le  Christ  a  dit  à  ses  apôtres  :  «Allez,  et  en- 
seignez toutes  les  nations!»  Et  aussitôt  voilà 
l'univers  qui,  pour  la  première  fois,  entend  une 
parole  qu'il  ne  connaissait  pas,  une  parole  qui 
vient  de  plus  haut  et  qui  va  plus  loin  que  toute 
parole  humaine,  une  parole  qui  dit  :  «  Je  suis  la 
vérité!  Je  sors  de  Dieu  et  je  m'adresse  aux  âmes! 
Le  monde  est  à  moi  comme  il  est  à  Dieu!  » 

Les  cultes  anciens  ne  parlaient  pas.  A  peine 
installée  sur  la  terre,  l'Eglise  s'empare  de  la  parole, 
ce  glorieux  outil  de  la  pensée  ;  elle  ouvre  sa  bouche 
harmonieuse  pour  ne  plus  jamais  la  fermer.  Et, 
quand  on  prête  l'oreille  aux  échos  des  siècles  dis- 
parus, on  croit  entendre  un  vaste  concert  qui 
retentit  à  Jérusalem,  à  Antioche,  à  Corinthe,  à 
Éphèse,  à  Athènes,  à  Alexandrie,  à  Rome,  dans  les 
Gaules,  du  Danube  à  l'Euphrate,  de  l'Europe  au 
Nouveau  Monde,  partout,  un  vaste  concert  où  les 
angéliques  accents  de  Grégoire  de  Nazianze  défient 
le  doux  génie  de  Massillon,  où  les  ardeurs  île  saint 
Bernard  et  de  saint  François  de  Sales  prolongent 
la  voix  de  saint  Paul  et  de  saint  Irénée,  où  Bossuet 
rivalise  avec  Tertullien,  et  Lacordaire  avec  saint 
Ililaire  et  saint  Cyprien  ! 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  39 

L'Eglise  n'a  pas  même  attendu  d'être  sortie  des 
catacombes  pour  déployer  sur  le  monde  les  grandes 
ailes  de  l'éloquence,  pour  saisir  la  plume  de  Platon 
et  la  lyre  d'Homère.  Dioclétien  n'était  pas  sur  le 
trône  que  déjà  Clément  d'Alexandrie,  Origène 
composaient  leurs  chefs-d'œuvre,  et  que  l'éloquence 
chrétienne  éclatait  jeune  et  hardie  sur  les  lèvres 
de  Justin,  d'Athénagore  et  de  Tertullien. 

Et  quand  la  paix  nous  fut  donnée,  saint  Jérôme, 
saint  Augustin,  saint  Ambroise,  Ghrysostome,  Ba- 
sile, les  Pères  grecs  et  latins  se  levèrent  à  la  fois 
et  poussèrent  à  son  apogée  l'art  de  bien  penser  et 
de  bien  dire.  Au  ive  siècle,  l'Eglise  produit  d'un 
seul  jet,  presque  sans  préparation  humaine,  une 
pléiade  de  grands  esprits  qui  s'emparent  de  la 
langue  grecque  et  latine  et  lui  rendent,  dans  une 
époque  de  décadence,  tout  le  prestige  de  Dé- 
mosthène  et  de  Cicéron.  «  Tous  ces  hommes,  dit 
Villemain,  sont  prodigieux,  ils  ont  l'air  de  fonda- 
teurs au  milieu  des  ruines.  » 

Puis,  entre  saint  Augustin  et  Bossuet,  apparaît 
saint  Bernard,  l'homme  du  moyen  âge,  le  maître 
de  son  siècle,  le  modèle  du  cloître,  l'oracle  des 
princes  et  des  conciles,  l'orateur  des  foules.  Il  se 
trouve  partout  et  se  fait  entendre  partout.  Sa  voix 
semble  remuer  le  monde  entier,  le  pauvre  dans  sa 
chaumière  et  le  roi  sur  son  trône,  le  moine  obscur 
dans  sa  cellule  et  le  Souverain  Pontife  sur  son 
siège  auguste.  Cette  grande  figure  de  saint  Bernard 


40  •  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

a  eu  le  don  de  séduire  un  écrivain  rationaliste, 
Michelet,  qui  a  dit  de  lui  des  choses  magnifiques. 
Je  ne  parle  pas  des  grands  orateurs  catholiques 
du  xvae  siècle.  Tout  le  monde  les  connaît  et  les 
admire.  Disons  seulement  que,  quand  la  chaire 
contemporaine  n'aurait  produit  qu'un  Lacordaire, 
cela  suffirait  à  prouver  que  l'Eglise  parle  et  qu'elle 
sait  parler,  et  que,  même  au  point  de  vue  humain, 
elle  peut  rivaliser  d'éloquence  avec  la  tribune  et  le 
barreau.  Il  y  a  des  hommes  qui  disent  que  l'Église 
déteste  la  lumière  et  étouffe  le  génie.  Une  pareille 
affirmation  n'a  pas  le  sens  commun.  L'Eglise  est 
une  puissance  intellectuelle  de  premier  ordre.  Elle 
est  la  mère  de  la  théologie.  Elle  est  la  gardienne 
de  la  philosophie.  Elle  est  l'amie  de  l'éloquence. 
Elle  a  créé  une  éloquence  nouvelle  et  grandiose, 
ce  n'est  pas  assez  dire  : 


III.  L'Église  a  créé  une  éloquence  populaire. 

C'est  là  une  particularité  glorieuse  qui  n'ap- 
partient qu'à  elle.  La  tribune  et  le  barreau  ne 
s'adressent  qu'à  certaines  catégories.  La  chaire 
s'adresse  à  tous. 

Le  peuple  a  ^besoin  d'éloquence.  Il  a  besoin  des 
enivrements  de  la  parole  ;  il  a  des  entrailles  à 
émouvoir,  des  endroits  de  son  cœur  où  la  vérité 
dort,  et  où  l'éloquence  doit  la  surprendre  et  l'éveil- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  41 

1er  en  sursaut.  Ne  me  dites  pas  que  le  peuple  est 
incapable  de  reconnaître  et  de  goûter  les  beautés 
de  la  parole,  c'est  faux.  Il  a  reçu  de  Dieu  le  don 
d'être  ému  par  un  verbe  éloquent.  «  Au  pied  de 
l'agora  d'Athènes,  dit  Lacordaire,  comme  au  pied 
de  la  tribune  de  Rome,  le  peuple  écoutait  la  voix 
de  ses  orateurs,  et  ses  applaudissements  avec  son 
silence  témoignaient  du  goût  qui  rattache  toute 
âme  humaine  au  plus  simple  comme  au  plus  pro- 
fond des  arts.  »  Or  qui  parlera  au  peuple?  l'Eglise. 

L'Église  abreuve  le  peuple  d'éloquence.  Elle  veut 
que  les  multitudes  soient  évangélisées,  pauperes 
evangelizantur,  que  les  foules  soient  enseignées. 
Dans  la  semaine  elle  réserve  un  jour,  le  dimanche, 
et  elle  veut  que  ce  jour-là  la  masse  de  l'humanité 
soit  arrachée  au  travail  matériel  et  appliquée  à  la 
culture  de  la  vie  intellectuelle.  Rien  qu'en  France 
elle  dresse  plus  de  quarante  mille  chaires  d'où  la 
vérité  descend  sur  le  peuple. 

Et  dans  ces  chaires  apparaît  un  homme,  le 
prêtre,  qui  est  par  excellence  Y  orateur  populaire, 
car  :  1  °  La  plupart  du  temps  il  vient  du  peuple  ; 
donc  il  le  connaît,  il  sait  ses  souffrances,  ses  besoins, 
ses  aspirations,  il  sait  à  quel  endroit  du  cœur  il 
faut  le  frapper  et  le  saisir  ;  2°  Il  aime  son  troupeau, 
si  petit  que  soit  ce  troupeau.  Il  sait  ce  que  valent 
les  âmes,  qu'il  n'y  a  pas  de  petite  assemblée  parmi 
les  âmes,  qu'une  âme  est  à  elle  seule  un  grand 
peuple.  Et  comme  le  Christ,  son  maître,  il  a  une 


42  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

prédilection  particulière  pour  les  petits,  pour  les 
opprimés,  pour  les  déshérités  de  la  famille  univer- 
selle ;  3°  Et  non  seulement  il  aime  les  hommes, 
mais  il  aime  la  vérité,  il  la  possède  et  il  a  mission 
de  la  donner  à  tous.  Le  génie  est  nécessaire  à 
l'éloquence  humaine  ;  il  ne  l'est  pas  à  l'éloquence 
divine.  La  foi  et  l'amour  n'ont  pas  besoin  de  gé- 
nie; ils  parlent  et  toute  la  terre  les  reconnaît.  Voilà 
le  prêtre,  même  dans  le  plus  obscur  village.  Il  n'a 
besoin  ni  d'une  voix  sonore,  ni  d'une  action 
savante,  ni  d'une  composition  habile.  Il  prend  dans 
l'Evangile  et  dans  son  cœur  la  vérité,  et  il  la  jette 
palpitante  à  la  multitude  affamée  du  pain  de  la 
parole,  et  ces  simples  mots  :  Dieu,  jugement,  éter- 
nité, jetés  au  hasard  et  sans  suite  sous  les  voûtes 
d'une  église,  retentissent  profondément  dans  la 
conscience  et  y  font  naître  de  salutaires  pensées  et 
de  grands  sentiments.  Le  prêtre  a  ce  privilège  de 
captiver  l'attention  de  la  multitude,  de  la  réunir  à 
jour  fixe  autour  de  sa  chaire,  de  lui  tenir  le  langage 
de  la  raison  et  de  la  foi  et  d'en  obtenir  la  convic- 
tion et  la  persuasion.  Il  y  a  des  éloquences  hu- 
maines qui  réussissent  à  remuer  violemment  les 
masses,  à  les  ameuter  les  unes  contre  les  autres, 
à  les  passionner  pour  l'erreur  et  pour  le  mal. 
Gloire  à  l'éloquence  divine  et  populaire  de  l'Eglise  ! 
Elle  éclaire  le  peuple,  elle  le  discipline,  elle  lui  donne 
la  sagesse  en  compagnie  de  la  science,  elle  lui  ins- 
pire l'amour  de  l'ordre,  elle  en  obtient  des  vertus. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  43 

Je  sais  bien  que  X éloquence  catholique  n'a  pas 
tout  le  succès  qu  elle  pourrait  et  qu'elle  devrait  avoir. 
J'aperçois,  dans  nos  villes  et  dans  nos  campagnes, 
des  masses  profondes  qui  se  tiennent  à  distance 
de  l'Église,  du  prêtre,  de  la  parole  évangélique. 
Mais  à  qui  la  faute  ?  Est-ce  nous,  ministres  de  Dieu, 
qui  repoussons  les  auditeurs  ou  refusons  de  les 
appeler?  Non.  Nous  demandons  au  contraire  qu'on 
laisse  le  peuple  venir  à  nous  ;  nous  demandons 
qu'on  lui  donne  son  dimanche  pour  qu'il  ait  la 
possibilité  de  venir,  et  qu'on  lui  donne  l'exemple 
pour  qu'il  ait  la  volonté  de  venir.  Messieurs,  la 
parole  de  l'Eglise  est  nécessaire  au  monde.  Soyez 
avides  de  l'entendre,  et  amenez  avec  vous  au  pied 
de  la  chaire  tant  de  chrétiens  baptisés,  à  qui  la 
divine  parole  est  d'autant  plus  utile  et  indispen- 
sable qu'ils  en  sentent  moins  le  besoin. 

Amen  J 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE 

4°   l'église  ET   LA   POÉSIE 

Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  intellectuelle. 
Elle  est  la  mère  de  la  théologie,  la  gardienne  de 
la  philosophie,  l'amie  de  l'éloquence.  Or,  auprès  des 
théologiens,  des  philosophes  et  des  orateurs  appa- 
raissent les  poètes.  L'Eglise  est-elle  étrangère  à  la 
poésie?  Vous  trouverez  la  réponse  complète  et  bril- 
lante à  cette  question  dans  le  Génie  du  Christia- 
nisme de  Chateaubriand.  Pour  lors,  je  me  conten- 
terai de  vous  proposer  là-dessus  quelques  réflexions 
succinctes,  et  je  vous  signalerai  simplement  les 
sources  et  les  chefs-d'œuvre  de  la  poésie  catho- 
lique. 


I.  Les  sources  de  la  poésie  catholique. 

Deux  choses  constituent  la  poésie  :  le  fond  et  la 
forme,  des  idées  justes  et  de  belles  expressions.  La 
beauté  de  la  forme  ne  suffit  p^s  à  la  poésie.  Les 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  45 

poètes,  pas  plus  que  les  autres  hommes,  ne  sont 
dispensés  d'avoir  raison  et  ne  peuvent  se  passer  de 
la  vérité.  Si  splendide  que  soit  leur  langage,  il  n'est 
qu'une  vainc  et  dangereuse  musique,  s'il  se  met  au 
service  de  la  frivolité  ou  de  l'erreur.  Saluez  ici  la 
salutaire  influence  de  l'Eglise.  Elle  fournit  à  la  poé- 
sie le  fond  et  la  forme. 

Elle  lui  suggère  des  idées  justes  et  substantielles. 
Le  poète  du  bon  sens,  Boileau,  a  dit  : 

De  la  foi  du  chrétien  les  mystères  terribles 
D'ornements  égayés  ne  sont  point  susceptibles. 

Boileau  s'est  trompé.  Il  est  faux  de  dire  que  la 
mythologie  païenne  est  plus  favorable  a  la  poésie 
que  notre  religion.  La  mythologie  païenne  se 
compose  de  contes  à  dormir  debout.  Elle  est  tout 
entière  fausse.  Or  le  beau  est  la  splendeur  du  vrai, 
et  plus  il  y  a  de  vérités  dans  nos  dogmes,  dans 
notre  morale  et  dans  notre  culte,  plus  notre  reli- 
gion est  favorable  au  développement  poétique.  Et 
puis  la  mythologie  païenne  n'est  pas  seulement 
fausse,  vide,  ridicule,  elle  est  immorale.  L'Olympe 
d'Homère  contient  plus  de  bassesses  et  de  vices 
qu'il  n'en  faudrait  pour  déshonorer  à  jamais  la  cour 
d'un  des  rois  de  la  terre.  Les  dieux  d'Homère  sont 
aveugles,  impuissants,  voleurs,  impudiques,  tou- 
jours occupés  à  se  tromper,  à  se  quereller,  à  se 
combattre.  En  face  de  l'Olympe  et  du  Tartare  païen, 


46  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

mettez  le  ciel  et  l'enfer  des  chrétiens,  mettez  notre 
purgatoire  si  terrible  et  si  consolant  tout  ensemble, 
mettez  la  Vierge  Marie  avec  les  anges  et  les  saints 
qui  peuplent  le  paradis,  et  qui  portent  jusqu'au 
trône  de  Dieu  les  cris  gémissants  de  l'humanité,  et 
reconnaissez  que,  dépositaire  du  vrai  et  du  bien, 
l'Eglise  offre  au  poète  une  source  d'inspiration  bien 
autrement  féconde  et  pure  que  toutes  les  fables 
conservées  dans  les  traditions  païennes.  L'Eglise 
fournit  à  la  poésie  des  idées  justes  et  substantielles. 

Elle  lui  fournit  des  expressions  belles  et  sublimes. 
Il  existe  un  livre  que  l'Eglise  garde,  explique  et 
commente,  qui  contient  à  lui  seul  toute  une  litté- 
rature, et  qui  dans  tous  les  genres  offre  des  modèles 
parfaits  parce  qu'ils  sont  divins,  un  livre  que  tous 
les  catholiques  lisent  à  genoux  parce  qu'il  garde 
l'empreinte  de  la  main  du  Très-Haut,  un  livre  que 
l'on  baise  avec  amour  parce  qu'il  répond  à  toutes 
les  aspirations  de  l'âme,  à  tous  les  besoins  du  cœur, 
un  livre  qui  a  des  chants  de  triomphe  pour  toutes 
les  joies,  des  gémissements  pour  toutes  les  douleurs, 
des  consolations  pour  toutes  les  infortunes,  un  livre 
enfin  qui  est  une  source  intarissable  de  poésie  : 
c'est  la  Bible,  c'est-à-dire  le  livre  par  excellence  de 
l'humanité. 

Avez-vous  jamais  lu  la  Bible?  Un  jour  Jean  Ra- 
cine emmena  son  ami  La  Fontaine  à  l'office  de 
matines.  Racine  se  mit  à  prier.  Mais   le  fabuliste 


LES  BIENFAITS  DE  L'EGLISE  47 

était  distrait.  Racine  voyant  son  embarras  lui  passa 
une  petite  Bible  qu'il  portait  sur  lui,  et  le  hasard 
voulut   qu'elle  s'ouvrit  à  la  ^prophétie  de  Baruch. 
La  Fontaine  se  mit  à  lire,  et,  émerveillé  par  les 
belles  choses  qu'il  avait  jusque-là  ignorées,  il  s'écria 
tout  haut  au  grand  scandale  de  l'assistance  :  «  Quel 
génie  que  ce  Baruch  !  »  Et,  depuis,  il  ne  manquait 
pas  de  dire  à  tous  ceux  qu'il  rencontrait  :  «  Avez- 
vous  lu  Baruch  ?  C'était  un  grand  génie  !  »  Lisez  la 
Bible,    Messieurs,   parcourez    l'Ancien    Testament 
depuis  cette  solennelle  parole  qui  ouvre  le  poème  de 
de  la  création  :  «  Que  la  lumière  soit,  et  la  lumière 
fut  »,  jusqu'à  ce  cri  touchant  des  Machabées  prêts  à 
s'ensevelir  sous  les  ruines  de  leur  patrie  déshono- 
rée :  «  Mourons  dans  notre  simplicité  !  »  et   vous 
serez  émerveillés,  et  à  chaque  page  vous  rencon- 
trerez le  sublime.  Vous   le   rencontrerez   dans    la 
page    mémorable  qui   nous  raconte  la  genèse  de 
tous   les    êtres  ;    dans   l'hymne    nuptial    qu'Adam 
chante  à  sa  compagne,  l'os  de  ses  os  et  la  chair 
de  sa  chair;  dans    les   terreurs  de   Caïn,   dans  le 
récit    du    Déluge,    dans   le  sacrifice    d'Abraham  ; 
dans  l'histoire  de  Joseph,  dans  les  scènes  du  Sinaï, 
dans  la  patience  de  Job,  dans  la  mansuétude  et  le 
repentir  de  David,  dans  les  maximes  de  Salomon, 
dans  les  visions  des  prophètes  et  dans  les  luttes  des 
Machabées.  Dans  la  Bible  vous  trouvez  des  accents 
incomparables  sur  Dieu,  son  être,  son  nom,  ses  per- 
fections, des  descriptions  superbes  de  la  création 


48  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

matérielle,  la  peinture  inimitable  des  grandeurs  et 
des  misères  de  l'âme  humaine.  Dans  la  Bible,  vous 
trouvez,  les  trois  genres  principaux  de  la  poésie  : 
l'épopée,  la  poésie  lyrique  et  la  tragédie. 

Et  le  Nouveau  Testament,  l'Evangile,  les  écrits 
des  Apôtres,  n'est-ce  pas  là  encore  une  source  abon- 
dante où  la  poésie  peut  venir  s'abreuver?  La  plume 
de  Moïse  qui  raconte  la  Création  a  pour  rivale  la 
plume  des  Evangélistes  qui  font  le  récit  de  la 
Rédemption.  La  harpe  de  David  et  des  Prophètes 
n'est  pas  restée  suspendue  aux  saules  des  fleuves  de 
Babylone  ;  nous  la  retrouvons  vibrante  et  harmo- 
nieuse dans  la  main  des  Apôtres,  de  Marie  qui  s'en 
est  servie  pour  glorifier  le  Seigneur,  du  vieillard 
Siméon  pour  se  réjouir  du  salut  d'Israël,  et  de 
saint  Jean  pour  annoncer  les  derniers  jours  du 
monde.  Le  sublime  est  intermittent  dans  l'Ancien 
Testament;  il  est  partout  présent  dans  le  Nouveau. 
Lisez  l'éternelle  génération  du  Verbe,  la  naissance 
de  Jésus-Christ,  son  enfance,  ses  vertus,  ses  mi- 
racles, ses  paraboles,  ses  préceptes,  ses  conseils, 
ses  consolations.  Constatez  ses  gémissements  et  ses 
pleurs  sur  la  ville  ingrate  qui  le  repousse  :  «  Jéru- 
salem, que  de  fois  j'ai  voulu  rassembler  tes  enfants 
autour  de  moi  comme  la  poule  ses  poussins,  et  tu 
ne  l'as  pas  voulu  !  »  Parcourez  l'histoire  de  la  Sama- 
ritaine, de  la  pauvre  Madeleine,  de  la  Chana- 
nécnne,  la  parabole  de  l'enfant  prodigue,  du  mau- 
vais riche,  le  récit  de  la  mort  et  de  la  résurrection 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  49 

de  Lazare,  le  discours  du  Sauveur  avant  la  dernière 
Cène,  sa  Passion,  son  silence  devant  les  juges,  ses 
dernières  paroles...  «  L'Evangile,  a-t-on  dit,  est  la 
patrie  du  sublime.  »  C'est  vrai.  Et  je  voyais  ces 
jours-ci  un  homme  qui  venait  de  lire  les  Epîtres 
le  saint  Paul.,  et  qui  en  était  ravi.  Mais,  hélas!  qui 
connaît  l'Évangile?  qui  connaît  les  Epîtres  de  saint 
Paul?  Qui,  parmi  les  gens  du  peuple?  Personne. 
Qui,  parmi  les  gens  cultivés?  A  peu  près  personne. 
Que  si  les  poètes  qui  cherchent  des  inspirations, 
de  grandes  pensées  et  de  grandes  images,  ne 
veulent  pas  venir  aux  sources  que  l'Eglise  leur  pré- 
sente, tant  pis  pour  eux!  Ils  ressemblent  à  ces  en- 
fants mal  élevés  et  boudeurs  qui  refusent  les  mets 
exquis  de  la  table  paternelle,  et  qui  grignottent 
dans  un  coin  un  morceau  de  pain  sec.  Ce  n'est  pas 
l'Eglise  qui  manque  à  leur  génie  :  c'est  leur  esprit 
vaniteux  et  mal  fait  qui  repousse  sottement  les 
richesses  de  l'Eglise.  Quand  elle  est  acceptée  et  sui- 
vie, l'Église  ouvre  les  ailes  et  exalte  l'essor  du 
^énie.  Mille  et  mille  fois  la  preuve  en  a  été  faite. 


IL  Les  chefs-d'œuvre  de  la  poésie  catholique. 

Pendant  trois  cents  ans  l'Église  cachée  dans  les 
catacombes  donnait  des  martyrs;  le  temps  et  l'oc- 
casion lui  manquaient  pour  susciter  des  poètes.  Mais, 
au  sortir  des  catacombes,  les  chants  se  réveillent  de 

LES   BIENFAITS   DE   i/ÉGLlSE.    —   1-4 


50  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

toutes  parts,  et  la  poésie  chrétienne  éclate  sur  les 
lèvres  harmonieuses  de  saint  Grégoire  de  Nazianze 
qui  ressuscite  l'idiome  d'Homère  et  de  Platon,  de 
saint  Ambroise  qui  fait  de  la  langue  latine  la 
langue  de  la  liturgie,  de  saint  Augustin  qui,  dans 
ses  Confessions  plaintives  comme  une  élégie,  re- 
passe avec  tant  de  regrets  les  beaux  jours  perdus  de 
sa  vie.  D'ailleurs  les  grands  docteurs  du  ive  siècle  ne 
sont  poètes  qu'à  leurs  heures  et  accidentellement . 
Ils  sont  surtout  théologiens  et  orateurs.  Après  eux 
nous  rencontrons  saint  Paulin,  grand  seigneur 
gallo-romain,  littérateur,  homme  de  goût  qui  aban- 
donne les  muses  païennes  pour  chanter  le  spiritua- 
lisme chrétien;  l'espagnol  Prudence  qui,  à  l'âge  de 
trente-sept  ans,  laisse  les  dignités  et  les  affaires  ci- 
viles pour  s'adonner  entièrement  aux  travaux  de 
l'esprit  et  pour  faire  vibrer  sur  la" lyre  les  mystères 
du  christianisme  ;  Fortunat  qui,  fixé  à  Poitiers  et 
devenu  évêque  de  cette  ville,  compose  quatorze 
livres  de  poésie  et  en  particulier  l'hymne  Vexilla 
régis.  Saluons  en  passant  le  moine  Alcuin  qui,  avant 
de  quitter  son  cloître  d'York  pour  la  cour  de  Char- 
lemagne,  chante  sur  un  ton  attendri  les  charmes  de 
sa  chère  et  regrettée  cellule  ;  Thomas  d'Aquin  dont 
les  hymnes  au  Saint-Sacrement  révèlent  tout  en- 
semble l'exactitude  du  théologien,  la  tendresse  du 
saint  et  l'inspiration  du  poète  ;  le  pape  Innocent  III 
à  qui  nous  devons  le  Lies  irœ,  cri  profond  de  sainte 
horreur  et  de  supplication  pathétique  ;   le   Dante 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  51 

dont  la  Divine  Comédie  est  comme  l'épopée  théo- 
logique,  la  somme  poétique  du  moyen  âge;  le  Tasse 
dont  la  Jérusalem  délivrée  raconte  magnifiquement 
l'histoire  des  Croisades.  Citons  encore  Shakespeare 
et  Milton  qui,  bien  que  protestants,  doivent  cepen- 
dant à  la  Bible  mutilée  les  meilleures  pages  de  leurs 
œuvres  ;  Lope  de  Véga  et  Caldéron,  fils  de  la  ca- 
tholique Espagne,  qui  puisèrent  dans  les  mystères 
de  notre  foi  le  sujet  de  leurs  drames  fameux,  et  qui 
ont  mérité  d'avoir  fourni  au  théâtre  français  des 
types  accomplis  de  grandeurs  chrétiennes  et  cheva- 
leresques. 

Nous  arrivons  ainsi  au  xvne  siècle.  Les  chefs- 
d'œuvre  de  la  poésie  catholique  atteignent  la 
perfection  du  genre,  avec  Corneille,  lequel  est 
supérieur  à  Eschyle,  à  Sophocle  et  à  Euripide,  dit 
M.  Cousin,  et  avec  Racine,  lequel  est  supérieur  à 
Virgile,  dit  Chateaubriand .  Rien  qu'à  lire  ces  hommes 
on  sent  que  le  Christianisme  a  donné  de  nouvelles 
ailes  à  la  poésie.  Même  quand  ils  traitent  des  sujets 
empruntés  au  paganisme,  on  sent  que  c'est  l'Eglise 
qui  est  la  mère  de  leurs  âmes  et  l'institutrice  de 
leur  génie.  Ils  doivent  à  la  foi  catholique,  jusque 
dans  leurs  compositions  les  plus  profanes,  l'éléva- 
tion de  l'idée,  la  splendeur  de  l'image,  la  sincérité 
du  sentiment,  la  noblesse  de  l'expression,  l'intérêt 
de  l'action,  avec  ce  je  ne  sais  quoi  d'achevé  que  la 
pensée  religieuse  ajoute  à  la  beauté  littéraire.  Et, 
s'ils  avaient  eu  le  courage  de  s'affranchir  totale- 


52  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ment  des  usages  imposés  au  théâtre  et  de  demander 
toutes  leurs  inspirations  à  la  seule  religion  catho- 
lique, ils  auraient  couvert  d'avance  de  leurs  chants 
immortels  les  rires  et  les  blasphèmes  des  impies. 

Et  aujourd'hui  encore,  est-ce  que  les  plus  beaux 
chants  ne  sont  pas  ceux  qui  ont  une  inspiration  re- 
ligieuse? Chateaubriand  doit  à  la  foi  chrétienne  ses 
beautés  de  premier  ordre;  Lamartine,  son  disciple, 
est  incomparable  dans  ses  Harmonies  et  ses  Médita- 
tions tout  imprégnées  de  la  pensée  religieuse;  fils 
d'une  sainte  mère,  il  avait  dit  :  «  0  Dieu  de  mon  ber- 
ceau, sois  le  Dieu  de  ma  tombe  !  »  il  méritait  de  mou- 
rir sous  la  bénédiction  du  prêtre  en  baisant  le  Cru- 
cifix qu'il  avait  si  magnifiquement  chanté.  Pareille 
grâce  n'a  pas  été  accordée  à  Victor  Hugo,  son  rival 
de  gloire  dont  la  dépouille  est  allée  dormir  sans  croix 
et  sans  prières  sous  la  coupole  profanée  de  Sainte- 
Geneviève  ;  mais,  malgré  les  écarts  de  la  seconde 
partie  de  sa  vie,  Victor  Hugo  doit  à  la  foi  de  sa  jeu- 
nesse ce  qu'il  a  de  meilleur  dans  son  cœur,  et  ses  pre- 
miers recueils,  tout  de  pureté  et  de  religion,  lui 
assureront  seuls  l'immortalité  qu'on  a  vainement 
demandée  pour  lui  aux  marbres  du  Panthéon. 

Pour  vous  convaincre  de  l'influence  décisive  de 
l'Église  sur  la  poésie,  vous  n'avez  qu'à  voir,  Mes- 
sieurs,  dans  quels  abîmes  de  doute,  de  sensualisme 
et  de  désespoir  sont  tombés  les  poètes  contempo- 
rains quand  ils  ont  voulu  briser  sur  leur  lyre  la% 
corde  religieuse.  Rien  n'a   pu  combler  dans  leurs 


LES  BIENFAITS  DE  L'EGLISE  *J3 

fîmes  le  vide  creusé  par  les  croyances  disparues,  et 
leurs  plus  beaux  vers  sont  ceux  d'où  s'échappent  le 
cri  du  remords  et  du  repentir,  l'hommage  plaintif 
à  la  vérité  qu'ils  avaient  trop  souvent  blasphémée. 
Ecoutez  Alfred  de  Musset  : 

Quand  j'ai  connu  la  vérité, 

J'ai  cru  que  c'était  une  amie; 

Quand  je  l'ai  comprise  et  sentie, 

J'en  étais  déjà  dégoûté. 

Et  pourtant  elle  est  éternelle, 

Et  ceux  qui  se  sont  passés  d'elle, 

Ici-bas  ont  tout  ignoré  ! 

Dieu  parle,  il  faut  qu'on  lui  réponde. 

Le  seul  bien  qui  me  reste  au  monde, 

Est  d'avoir  quelquefois  pleuré! 

0 

Tel  a  été  le  grand  malheur  de  beaucoup  de  poètes 
de  notre  temps.  Ils  n'ont  pas  connu  la  vérité  catho- 
lique, et  l'on  pourrait  leur  adresser  ce  reproche 
douloureux  d'Alfred  de  Musset,  victime  lui-mên'.e 
de  l'erreur  qu'il  déplore  chez  les  autres  : 

Pour  aller  jusqu'au  ciel,  il  vous  fallait  des  ailes. 
Vous  aviez  la  raison,  la  foi  vous  a  manqué  ! 

La  foi,  voilà  trop  souvent  ce  qui  manque  aux 
poètes,  et  à  ceux  qui  ne  le  sont  pas  :  aux  riches  et 
aux  pauvres,  aux  princes  et  aux  peuples,  aux  indi- 
vidus, aux  familles  et  aux  sociétés.  La  religion  ne 
nous  menace  pas,  elle  nous  manque  ! 

Amen! 


SIXIÈME  CONFERENCE 

5°  l'église  et  l'histoire 


Messieurs, 

Il  est  une  science  intéressante  et  utile  entre  toutes  : 
c'est  la  science  de  l'histoire,  qui,  en  nous  racontant 
le  passé,  nous  enseigne  à  bien  employer  le  présent 
et  à  bien  préparer  l'avenir.  Cette  science  de  l'his- 
toire, pour  atteindre  son  but,  a  deux  conditions  à 
remplir  :  1°  Elle  doit  être  exacte,  c'est-à-dire  nous 
retracer  sincèrement  et  consciencieusement  les  faits 
passés  ;  2°  Elle  doit  être  morale,  c'est-à-dire  nous 
donner  la  connaissance  réfléchie  des  lois  qui  pré- 
sident aux  événements.  Je  voudrais  brièvement  vous 
montrer  l'influence  de  l'Église  sur  la  science  histo- 
rique à  ce  double  point  de  vue  de  l'exactitude  et  de 
la  leçon  morale. 


I.  L'Église  impose  à  l'histoire  l'exactitude. 
L'exactitude  est  la  première  condition. de  la  science 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  55 

historique.  Il  est  bien  évident  que  l'historien  doit 
être  d'abord  sincère  et  consciencieux  dans  le  récit 
des  faits  passés.  S'il  nous  trompe,  il  manque  à  son 
devoir  le  plus  élémentaire. 

En  dehors  de  l'Eglise,  l'exactitude  historique  est 
chose  assez  rare.  Les  historiens  de  l'antiquité  ont 
à  peu  près  tous  le  goût  des  amplifications  oratoires 
et  la  passion  des  fables.  Tout  le  monde  sait  que 
Tite-Live  est  l'inventeur  des  belles  harangues  qu'il 
met  dans  la  bouche  de  ses  personnages.  Strabon  et 
Quintilien  ajoutaient  eux-mêmes  fort  peu  de  foi 
aux  récits  des  historiens  d'Alexandre,  et  les  légendes 
relatives  à  la  fondation  de  Rome,  aux  aventures  de 
Romulus  et  de  Rémus  n'ont  pas  plus  trouvé  grâce 
devant  la  critique  que  les  détails  de  la  guerre  de 
Troie.  Et  les  historiens  modernes  qui  ont  pris  vis- 
à-vis  de  l'Eglise  l'attitude  de  l'indifférence  et  de 
l'hostilité  ont-ils  le  respect  de  la  vérité  historique? 
Hélas!  la  plupart  du  temps  ils  torturent  et  défi- 
gurent les  faits,  pour  les  accommodera  un  système, 
et,  soit  qu'ils  racontent  l'histoire  de  l'humanité, 
d'un  peuple  ou  d'un  homme,  ils  obéissent  à  une 
idée  préconçue  plutôt  qu'à  la  préoccupation  d'être 
sincères  dans  le  récit  des  événements. 

L'Eglise,  parle  moyen  des  écrivains  qu'elle  inspire 
et  qu'elle  dirige,  nous  met  en  possession  de  l'exac- 
titude historique.  L'Église  veille  d'abord  sur  les 
Livres  de  l'Ancien  Testament,  et  sous  sa  garde  ces 
sources  profondes  de  l'histoire  antique  conservent 


&6  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

toute  leur  inviolabilité.  Avec  Moïse  nous  remontons 
jusqu'aux  origines  du  monde.  Les  annales  les  plus 
anciennes  des  peuples  païens  nous  ramènent  tout 
au  plus  à  la  naissance  des  sociétés  dont  elles  nous 
rappellent  les  destins.  L'écrivain  sacré  compte  sous 
nos  yeux  les  générations,  les  siècles  et  les  années 
dont  se  compose  le  passé  de  l'humanité;  il  est  le 
dépositaire  incorruptible  des  souvenirs  les  plus  re- 
culés ;  il  marque  avec  précision  l'origine  des  grandes 
nations  primitives  ;  il  donne  la  clef  de  toutes  les 
légendes  que  les  poètes  ont  réunies  autour  du  ber- 
ceau des  sociétés  ;  rien  qu'au  point  de  vue  humain, 
il  tient  une  place  à  part  dans  la  série  des  annalistes 
anciens. 

r 

Nous  arrivons  aux  Evangélistes  et  aux  Apôtres.  Ils 
sont  l'exactitude  même.  Ils  ont  vu  de  leurs  yeux  et 
touché  de  leurs  mains  les  événements  qu'ils  racon- 
tent. Ils  disent  tout  parle  détail,  même  les  faits  qui 
tournent  à  leur  confusion.  Depuis  dix-neuf  siècles  que 
l'on  torture  leurs  écrits,  on  n'a  pas  pu  en  extraire 
la  moindre  erreur  de  lieu  ou  de  date.  Ils  sont  morts 
pour  affirmer  la  sincérité  et  l'exactitude  de  leur 
témoignage.  Il  n'est  pas  possible  d'exiger  de  plus 
nombreuses  et  de  plus  certaines  garanties  de  vérité. 

Après  les  Evangélistes  et  les  Apôtres  apparaissent 
des  annalistes  sérieux  et  graves  :  Eusèbe,  le  fonda- 
teur de  l'histoire  ecclésiastique,  qui  nous  donne  la 
vraie  physionomie  des  deux  premiers  siècles  du 
christianisme.  Sa  position  à  la  cour  de  Constantin, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  57 

tn  lui  livrant  toutes  les  sources,  lui  avait  permis 
d'acquérir  une  vaste  éruditi^i.  Il  est  continué  et 
imité,  quoique  non  égalé,  par  Socrate  et  Sozomène, 
avocats  à  Gonstantinople,  et  par  Théodoret,  évêque  de 
Cyr  en  Syrie.  L'Église  latine  marche  sur  les  traces 
de  l'Orient.  Au  ive  siècle,  un  prêtre  d'Aquilée, 
Ru  fin,  donne  une  excellente  traduction  de  Y  Histoire 
ecclésiastique  d'Eusèbe.  Et  bientôt  Sulpice-Sévère 
compose  une  double  histoire  de  l'Ancien  Testament 
et  de  l'Eglise  catholique  poursuivie  jusqu'à  son 
époque.  Ces  chroniques  sont  courtes.  Elles  se  res- 
sentent de  la  ruine  prochaine  de  l'Empire.  Elles  ont 
le  mérite  delà  précision.  Citons  aussi  les  Actes  des 
martyrs  qui  portent  le  cachet  d'une  incontestable 
sincérité  et  les  Vies  des  saints  composées  au  v°  et  au 
vie  siècle,  qui  sont  une  des  formes  de  l'histoire  aux 
premiers  temps  de  l'Eglise. 

Voici  Grégoire  de  Tours,  témoin  intelligent  et 
attristé,  un  orateur  intéressant  de  l'étrange  confu- 
sion d'hommes  et  de  choses,  de  crimes  et  de  catas- 
trophes au  milieu  de  laquelle  se  poursuit  la  chute 
de  la  vieille  civilisation  romaine.  Puis  l'histoire  se 
continue  dansles  monastèr'es.  Les  moines  conservent 
les  annales  des  nations  chrétiennes.  Ils  se  nomment 
Bède  chez  les  Anglais,  et  chez  les  Français  Abbon, 
Frodoard,  Richer,  Raoul  Glaber,  Hugues,  abbé  de 
Flavigny,  et  en  Italie  Anastase  le  Bibliothécaire  et 
les  moines  bénédictins,  et  en  Allemagne  les  moines 
de  Saint-Gall.  Tous  ces  auteurs  nous  ont  laissé  les 


58  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

matériaux  de  l'histoire,  plutôt  que  l'histoire  elle- 
même.  Mais  le  seul  fait  de  conserver  par  l'écriture 
le  souvenir  des  événements, en  ces  temps  d'ignorance 
populaire,  n'était-il  pas  déjà  un  service  inappré- 
ciable rendu  à  la  civilisation  ? 

Au  xiue  siècle,  la  science  historique  a  de  nombreux 
représentants.  C'est  le  dominicain  Vincent  de  Beau- 
vais,  lecteur  et  confesseur  de  saint  Louis.  C'est 
Guillaume,  archevêque  de  Tyr,  narrateur  des  Croi- 
sades, avec  Villehardouin  et  Joinville.  Avec  ces  deux 
derniers  commence  la  série  de  ces  mémoires  qui 
forment  une  des  branches  les  plus  originales  et  les 
plus  curieuses  de  la  littérature  française.  Jehan  de 
Froissart  est  un  conteur  incomparable.  Philippe 
de  Commines  est  le  biographe  très  intéressant  de 
Louis  XI. 

Puis,  après  la  Renaissance  et  en  réponse  aux  at- 
taques du  protestantisme,  nous  voyons  apparaître 
Baronius,  prêtre  de  l'Oratoire  de  Rome,  qui  édite 
les  Annales  ecclésiastiques ,  vaste  compilation  mé- 
thodique et  raisonnée  de  l'histoire  de  l'Eglise  jus- 
qu'en 1198.  Il  est  imité  et  suivi  par  deux  Français  : 
de  Tillemont  et  Noël  Alexandre.  A  la  même  époque, 
les  Jésuites  de  Belgique,  sous  la  direction  du  jésuite 
Bollandus,  commencent  la  fameuse  collection  des 
Acta  Sanclorum.  Et  les  Bénédictins  de  Saint-Maur 
composent  la  Gallia  Christiana.  En  présence  de  ces 
monuments  immenses  et  magnifiques  d'un  travail 
obscur  poursuivi  pendant  des  siècles,  comme  eu 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  o9 

présence  des  cathédrales  du  moyen  âge,  on  est  saisi 
d'une  émotion  respectueuse  et  sympathique.  Quelle 
race  d'hommes  que  ces  moines,  invincibles  à  la  fa- 
tigue, indifférents  à  la  gloire  humaine,  mais  avides 
de  toutes  les  lumières,  de  tous  les  progrès,  de  toutes 
les  vertus  !  Quel  désintéressement,  et  par  conséquent 
quelle  garantie  de  sincérité  et  d'exactitude  dans 
leurs  grands  travaux  historiques  ! 

Désormais  les  matériaux  étaient  amassés,  et  la 
tache  des  vulgarisateurs  était  aisée.  Fleury  compose 
son  Histoire  de  l'Église,  qui  a  été  depuis  corrigée, 
complétée  par  Rohrbacher,  Darras,  dom  Guéranger, 
Hergenrœther.  Et  à  côté  de  ces  illustres  défenseurs 
de  la  vérité  historique  combien  de  travailleurs  plus 
obscurs,  mais  non  moins  zélés,  parmi  lesquels  il 
nous  plaît  de  citer  un  simple  curé  de  campagne, 
l'abbé  Gorini,  quia  réfuté  d'une  manière  victorieuse 
les  erreurs  historiques  de  Thierry,  de  Guizot,  de 
Thiers  et  de  Michelet.  C'est  ainsi  que  l'Eglise-depuis 
dix-neuf  siècles  suscite  des  écrivains,  des  annalistes, 
des  chroniqueurs,  des  historiens  remarquables  par 
leur  sincérité  et  leur  impartialité.  Elle  ne  craint 
pas  la  lumière.  Elle  la  cherche,  elle  la  demande. 
Elle  va  plus  loin  encore. 

II.  L'Église  dégage  de  l'histoire  la  leçon  morale. 

L'histoire  serait  peu  de  chose  si  elle  n'était  qu'un 
Técit.  Il  faut  en  faire  un  hommage  à  la  Providence 


60  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  une  leçon  pour  les  hommes.  Il  faut  en  extraire 
l'idée  morale.  A  quoi  servirait  de  connaître  le  passé, 
si  on  ne  saisissait  pas  en  même  temps  les  lois  qui 
président  à  la  marche  des  événements?  Toute 
l'utilité  de  l'histoire  est  là. 

En  dehors  de  l'Eglise  les  historiens  racontent  les 
faits  sans  en  dégager  la  leçon  morale.  Voyez  les 
historiens  anciens.  Tacite,  le  plus  profond  de  tous, 
avoue  qu'il  ne  sait  pas  si  les  choses  de  la  vie  sont 
assujetties  aux  lois  d'une  immuable  nécessité,  ou  si 
elles  ne  dépendent  que  du  hasard.  Les  lois  univer- 
selles qui  régissent  la  marche  du  genre  humain  sont 
inconnues  des  païens  ;  au-delà  de  leur  nation  par- 
ticulière, ils  ne  voient  que  barbarie  et  esclavage  et 
ne  saisissent  jamais  l'humanité  dans  son  ensemble. 
C'est  l'égoïsme  étroit  et  purement  national  qui 
peint  avec  Salluste,  médit  avec  Thucydide,  philo- 
sophe avec  Tacite,  raconte  avec  César,  harangue 
avec  Tite-Live,  dessine  des  portraits  avec  Suétone, 
Xénophon  et  Plutarque.  Pour  eux  il  n'y  a  point  d'hu- 
manité au-delà  des  limites  de  la  patrie;  pour  eux, 
la  Providence,  c'est  le  destin.  Aussi  sont-ils  inca- 
pables de  s'élever  à  la  conception  d'une  histoire 
universelle,  incapable  de  faire  profiter  la  postérité 
des  grandes  leçons  dupasse.  Quant  à. nos  historiens 
modernes  qui  veulent  se  passer  de  l'Eglise,  que 
leurs  vues  sont  courtes,  quand  elles  ne  sont  pas 
fausses  !  Les  meilleurs  nous  donnent  la  peinture  des 
événements,    et  non   la  philosophie  des  faits.  Ils 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  6t 

font  passer  sous  nos  yeux  des  tableaux  qui  nous 
enivrent  un  instant,  et  non  des  leçons  qui  nous 
pénètrent  et  nous  font  du  bien. 

L'Eglise,  par  le  moyen  des  écrivains  qu'elle  ins- 
pire et  qu'elle  dirige,  nous  fait  saisir  les  grandes 
lois  de  l'histoire.  Voici  Moïse.  Il  se  présente  à  nous 
comme  le  révélateur  de  la  marche  de  l'histoire  et 
le  prophète  des  destinées  des  nations.  Il  nous  montre 
le  peuple  juif  préparant  la  venue  du  Messie,  et 
tous  les  événements  du  monde  convergeant  vers  le 
Rédempteur  futur.  Et  ce  que  Moïse  a  indiqué,  les  Pro- 
phètes le  répètent  et  l'expliquent  ;  à  la  lumière  de  la 
Bible,  l'histoire  de  l'humanité  nous  apparaît  resplen- 
dissante d'évidence.  Tout  est  pour  le  Christ,  le  passé 
est  son  piédestal.  L'avenir  découle  de  lui  :  Christus 
heri,  hodie  et  in  sœcula.  Telle  est  la  loi  centrale  de 
l'histoire. 

Avec  ce  lit  conducteur,  les  historiens  peuvent  se 
mettre  en  marche  à  travers  le  dédale  des  événe- 
ments. Ils  ne  risquent  pas  de  s'égarer.  La  sainte 
Eglise  tient  le  flambeau  qui  guide  leurs  pas  et  qui 
éclaire  leurs  investigations.  Voici  saint  Augustin. 
Dans  son  livre  de  la  Cité  de  Dieu,  il  fait  la  philo- 
sophie de  l'histoire,  il  marque  les  desseins  de  la 
Providence  sur  le  sens  et  le  terme  des  grands  mou- 
vements de  l'humanité.  Il  fonde  ainsi  la  science  his- 
torique, la  science  philosophique  de  l'histoire.  Paul 
Orose,  prêtre  espagnol,  son  disciple,  s'empare  de 
sa  méthode.  Salvien  compose   un  grand   ouvrage 


62  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

intitulé  :  de  Gubernatione  Dei,  qui  se  rattache  de 
même  étroitement  à  la  Cité  de  Dieu  de  saint  Au- 
gustin ;  on  a  appelé  Salvien  le  Bridaine  du  ve  siècle, 
et  en  effet  il  a  l'impétuosité  et  l'éloquence  de  Bri- 
daine. C'est  lui  qui  a  dit  :  «  L'Empire  romain  rit  et 
meurt,  Moritur  et  ridet  !  » 

Allons  donc  de  suite  à  Bossuet.  Politique  comme 
Thucydide,  moral  comme  Xénophon,  éloquent 
comme  Tite-Live,  aussi  profond  et  aussi  grand 
peintre  que  Tacite,  Bossuet  a,  de  plus,  une  parole 
grave  et  un  ton  sublime  dont  on  ne  trouve  ailleurs 
aucun  exemple.  Le  Discours  sur  l'histoire  universelle 
est  un  hymne  au  Dieu  qui  du  haut  du  ciel  tient 
les  rênes  de  tous  les  royaumes.  «  Bossuet,  dit  Cha- 
teaubriand, est  plus  qu'un  historien,  c'est  un  Père 

r 

de  l'Eglise,  c'est  un  prêtre  inspiré,  qui  a  souvent 
le  rayon  de  feu  sur  le  front,  comme  le  législateur 
des  Hébreux.  Quelle  revue  il  fait  de  la  terre  !  il  est 
en  mille  lieux  à  la  fois.  Patriarche  sous  le  palmier 
de  Thopel,  ministre  à  la  cour  de  Babylone,  prêtre 
à  Memphis,  législateur  à  Sparte,  citoyen  à  Athènes 
et  à  Rome,  il  change  de  temps  et  de  place  à  son 
gré,  il  passe  avec  la  rapidité  et  la  majesté  des 
siècles.  La  verge  de  la  loi  à  la  main,  avec  une  au- 
torité incroyable,  il  chasse  pêle-mêle  devant  lui  et 
Juifs  et  Centils  au  tombeau  ;  il  vient  ensuite  lui- 
même,  à  la  suite  du  convoi  de  tant  de  générations, 
et  marchant  appuyé  surlsaïe  et  Jérémie,  il  élève  ses 
lamentations  prophétiques  à  travers  la  poudre  et  les 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  63 

débris  du  genre  humain.  »  On  a  tout  dit  sur  sa  pé- 
nétration. Tels  chapitres  sont  des  modèles  incom- 
parables, par  exemple  l'histoire  de  Rome,  l'étude 
du  caractère  du  peuple,  de  l'organisation  de  la 
milice,  de  la  politique,  du  Sénat.  La  philosophie 
de  l'histoire  se  trouve  ainsi  mise  à  la  portée  des 
modernes,  et  désormais  les  plus  illustres  repré- 
sentants de  cette  science,  Montesquieu  en  tête,  ne 
font  guère  qu'emprunter  à  Bossuet  sa  méthode  et 
ses  enseignements. 

Et  en  même  temps  que  les  historiens  catholiques 
dirigés  par  l'Eglise  dégagent  la  loi  des  événements 
dans  l'histoire  universelle,  ils  portent  la  même 
clairvoyance  dans  l'histoire  d'un  peuple  ou  d'un 
personnage.  Ayant  l'idée  des  ensembles,  ils  ont  la 
compréhension  des  détails.  Ils  déterminent  la  place 
et  la  vocation  providentielle  d'une  nation  en  parti- 
culier. Ils  assignent  à  un  grand  personnage  son 
rang  et  son  action  dans  la  mêlée  générale  des  choses. 
Et  il  serait  facile  par  des  exemples  de  montrer  ici 
la  supériorité  de  nos  écrivains  catholiques.  Que  de 
vies  de  saints  ou  de  héros  écrites  dans  notre  siècle 
sous  la  direction  de  l'Eglise,  et  qui  sont  des  leçons 
vivantes  pour  qui  veut  les  lire  avec  attention  !  Ce 
ne  sont  pas  seulement  des  chefs-d'œuvre  de  littéra- 
ture. Ce  sont  des  prédications  éloquentes.  La  leçon 
morale  s'en  dégage  presque  à  chaque  page. 

Amen! 


SEPTIÈME  CONFERENCE 

II.  —  L'ÉGLISE  El  LES  SCIENCES 
1°  l'église  est  l'amie  des  sciences 


Messieurs, 

L'Église  est  une  grande  puissance  intellectuelle. 
Elle  est  la  mère  de  la  théologie,  la  gardienne  de  la 
philosophie,  l'inspiratrice  de  l'éloquence  et  de  la 
poésie,  la  maîtresse  de  l'histoire.  Il  faudrait  beau- 
coup d'ignorance  ou  de  mauvaise  foi  pour  con- 
tester le  bienfait  de  son  influence  sur  les  belles- 
lettres.  Mais,  à  côté  des  lettres,  voici  les  sciences, 
qui  s'appellent  mathématiques,  astronomie,  phy- 
sique, chimie,  géologie,  biologie.  Les  sciences  sont 
aujourd'hui  fort  en  honneur,  et  les  progrès  qu'elles 
ont  faits  dans  notre  siècle  les  ont  rendues  passa- 
blement orgueilleuses.  Volontiers  elles  prendraient 
à  l'égard  de  la  religion  des  airs  de  dédain  et  d'hos- 
tilité. Etudions  avec  calme  les  rapports  de  l'Eglise 
et  des  sciences. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  65 

I.  L'Église  ne  craint  pas  les  sciences. 

Que  de  fois  vous  avez  lu  ou  entendu  dire  que 
l'Église  était  en  conflit  avec  le  grand  mouve- 
ment scientifique  qui  emporte  notre  siècle,  qu'elle 
le  suspectait,  qu'elle  en  avait  peur  !  Rien  n'est  plus 
faux!  L'Eglise  ne  craint  pas  les  sciences. 

Ecoutez  là-dessus  les  témoignages.  Ils  abondent. 
Je  n'en  veux  citer  qu'un,  le  plus  autorisé,  celui  du 
grand  pape  Léon  XIII.  Parlant  au  nom  de  l'Eglise, 
Léon  XIII  s'exprime  ainsi  :  «  Dire  que  l'Église  est 
hostile  au  progrès  des  sciences,  c'est  une  accusa- 
tion aussi  niaise  que  chimérique.  Si  le  monde  est 
un  livre  à  chaque  page  duquel  sont  inscrits  le 
nom  et  la  sagesse  de  Dieu,  celui  qui  aura  lu  plus 
avant  et  plus  clairement  dans  ce  livre  en  sortira 
plus  épris  de  L'amour  de  Dieu.  S'il  suffit  d'avoir 
des  yeux  pour  voir  que  les  cieux  étoiles  racontent 
la  gloire  du  Créateur,  combien  plus  exaltera  sa 
puissance  celui  qui  aura  jeté  son  regard  investiga- 
teur au  ciel  et  dans  les  profondeurs  de  la  terre,  sur 
les  astres  lumineux  et  sur  l'atome?  Et  vous  vou- 
driez que  l'Église  traitât  avec  froideur,  avec  indif- 
férence ces  études  et  ces  recherches,  et  qu'elle  fer- 
mât le  livre  pour  empêcher  d'en  poursuivre  la 
lecture?...  Qu'il  est  beau  l'homme,  quand  sur  un 
signe  il  fait  tomber  à  ses  pieds  la  foudre  désarmée, 
quand  il  appelle   l'étincelle  électrique  et  l'envoie, 

LES   BIENFAITS    DE   L 'ÉGLISE.    —    1-5 


66  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

messagère  de  ses  volontés,  par  les  abîmes  de 
l'Océan,  au-delà  des  montagnes  éventrées  et  au-delà 
des  plaines  sans  fin;  quand  il  enjoint  à  la  vapeur 
de  lui  prêter  ses  ailes;  quand  ses  ingénieux  cal- 
culs grandissent  cette  force  et  la  conduisent  par 
des  sentiers  déterminés  à  donner  le  mouvement  et 
presque  l'intelligence  à  la  matière  brute;  quand 
il  évoque  la  lumière  et  lui  fait  illuminer  la  nuit 
dans  les  rues  de  nos  cités!...  L'Eglise,  mère  très 
aimante,  bien  loin  d'y  mettre  obstacle,  tressaille 
de  joie  à  la  vue  de  ces  merveilles.  »  Il  est  clair,  Mes- 
sieurs, que  l'Eglise  ne  craint  pas  les  sciences.  Par 
la  bouche  de  son  chef  elle  les  approuve,  elle  les 
admire,  elle  les  bénit. 

Et  si  un  tel  témoignage  ne  vous  suffit  pas,  regar- 
dez les  faits.  Quand  on  a  peur  d'un  objet,  on  s'en 
tient  éloigné,  on  évite  son  contact.  Or  l'Eglise 
craint  si  peu  les  sciences  que  journellement  elle 
s'en  sert.  Bien  loin  de  les  redouter  et  de  les  flétrir, 
elle  leur  demande  des  services  continuels.  Elle 
emploie  la  vapeur  pour  transporter  ses  mission- 
naires au  bout  du  monde,  l'électricité  pour  faire 
rayonner  instantanément  sur  toute  la  surface  du 
globe  la  parole  et  la  bénédiction  de  son  chef,  l'im- 
primerie pour  donner  des  bréviaires  à  ses  prêtres, 
des  livres  à  ses  étudiants,  des  catéchismes  à  l'en- 
fance et  de  bons  journaux  au  peuple  chrétien,  l'hor- 
logerie pour  savoir  l'heure  et  ne  pas  arriver  trop 
tard  au  chevet  des  hommes  ou  des  nations  qui  vont 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  67 

mourir,  l'industrie  pour  habiller  ses  ministres  et 
ses  pauvres.  Elle  emploie  toutes  les  sciences  pour  les 
faire  concourir  à  la  justification  de  ses  dogmes,  à  la 
splendeur  de  lareligion,  à  la  gloire  de  Dieu,  à  la  diffu- 
sion de  l'Evangile,  au  bien  de  l'humanité.  On  nous 
accuse  d'avoir  peur  des  sciences.  Cela  n'a  pas  le  sens 
commun.  Nous  nous  en  servons  tous  les  jours. 

Et  d'ailleurs  pourquoi  l'Eglise  aurait-elle  peur 
des  sciences?  Est-ce  qu'il  y  a  contradiction  entre 
la  religion  et  les  sciences  ?  Nullement.  Vous  vous 
imaginez  l'Eglise  préoccupée,  inquiète.  Qu'on  ne 
scrute  pas  lescieux...  qui  sait  ce  qu'on  y  trouve- 
rait? Qu'on  ne  creuse  pas  la  terre,  qu'on  ne  fouille 
pas  les  couches  du  sol...  il  en  sortirait  peut-être  la 
confusion  de  nos  dogmes!  L'Eglise,  Messieurs, 
n'a  pas  les  folles  terreurs  qu'on  lui  prête.  Creusez 
tout  ce  que  vous  voudrez,  le  ciel  et  la  terre,  l'Eglise 
sait  d'avance  que  vous  n'y  trouverez  rien  qui  puisse 
la  confondre.  La  vérité  est  une,  quoiqu'elle  ait 
deux  rayons.  Et  ces  deux  rayons,  qui  s'appellent 
l'un  la  science  et  l'autre  la  foi,  partent  de  la  même 
source  et  se  fondent  dans  un  même  éclat.  Sans 
doute  on  a  vu  des  découvertes  scientifiques  se 
dresser  fièrement  comme  des  objections  contre 
l'Eglise.  Mais  ce  n'était  là  qu'une  trompeuse  appa- 
rence. Dès  que  ces  découvertes  approfondies  et 
achevées  ont  mérité  le  titre  de  vérités  certaines, 
on  s'est  aperçu  qu'elles  confirmaient  la  foi  au  lieu 
de    la   contredire...     par   exemple,   quelle    admi- 


68  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ration  ressentirait  Bossuet  s'il  voyait  comment  la 
science  explique  cette  création  de  la  lumière  avant 
le  soleil,  qui  l'avait  tant  embarrassé  !  Peu  à  peu 
tous  les  voiles  se  lèvent  qui  s'interposaient  entre 
la  science  et  la  foi,  et  ceux  qui  restent  se  dissipe- 
ront à  leur  tour,  à  leur  heure.  En  présence  des  pro- 
grès des  sciences,  les  ennemis  de  l'Eglise  éprouvent 
une  joie  précipitée,  et  ses  enfants  une  inquiétude 
exagérée.  Les  premiers  disent  tout  haut  :  Voilà 
l'Église  convaincue  d'erreur!  et  les  seconds  gé- 
missent tout  bas:  Hélas!  si  cela  allait  arriver! 
Les  uns  et  les  autres  ont  tort.  L'Eglise  est  sûre 
d'elle-même,  elle  est  sûre  de  l'avenir.  Elle  sait 
qu'aucun  progrès  scientifique  ne  l'embarrassera,  np 
l'entravera  jamais. 

Pourquoi  l'Église  aurait-elle  peur  des  sciences? 
parce  qu'on  en  abuse?  Oui  trop  souvent  on  abuse 
des  sciences,  on  s'en  sert  pour  le  mal.  On  abuse  de 
l'imprimerie,  de  la  vapeur,  de  l'électricité,  en  en 
faisant  les  véhicules  de  l'erreur  et  du  mal  ;  on 
abuse  de  la  physique,  de  la  chimie,  en  opposant 
au  Créateur  les  forces  qu'il  a  déposées  dans  la  na- 
ture. On  abuse  de  l'astronomie  et  de  la  géologie, 
en  s'emparant  de  leurs  découvertes  comme  d'une 
arme  contre  la  Révélation  ;  on  abuse  des  sciences 
biologiques  et  médicales,  en  les  employant  à  nier 
Dieu  et  à  supprimer  Fâme  ;  on  abuse  des  progrès 
scientifiques,  en  les  jetant  comme  une  pâture  à 
l'orgueil  et  à  la  convoitise  humaine.  Mais  de  quoi 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  69 

n'abuse-t-on  pas?  On  abuse  des  meilleures  choses, 
du  vin  qui  mène  à  l'ivresse  et  de  la  richesse  qui 
trop  souvent  conduit  à  la  dépravation  ;  on  abuse 
de  la  religion  elle-même.  Et  parce  qu'on  abuse 
des  sciences,  serait-il  juste  de  les  condamner?  Non. 
L'Église,  qui  est  intelligente,  se  garde  bien  de 
tomber t dans  un  si  grossier  sophisme. 

Pourquoi  donc  aurait-elle  peur  des  sciences? 
parce  qu'il  y  a  des  savants  antireligieux?  C'est  cer- 
tain. Il  y  a  des  savants  notoirement  hostiles  à  la 
religion.  Mais  qu'est-ce  que  cela  prouve?  Gela 
ne  prouve  absolument  rien  contre  la  religion.  Car  : 
1°  on  peut  être  un  grand  savant  et  un  pauvre 
homme,  on  peut  en  même  temps  avoir  de  la 
science  et  des  passions,  et  se  servir  de  la  science 
pour  attaquer  la  religion  qui  condamne  les  pas- 
sions ;  et  2°  on  peut  être  un  grand  savant,  un  grand 
mathématicien  et  un  pauvre  philosophe.  Tel  homme 
habitué  à  rechercher  les  causes  immédiates  des 
phénomènes,  finit  par  perdre  de  vue  la  cause  finale 
et  première  de  toutes  les  autres.  Ce  n'est  pas  sa 
science  qui  est  condamnable,  c'est  sa  raison  qui 
est  courte.  Lalande  prétendait  avoir  scruté  le  ciel 
sans  y  rencontrer  Dieu  ;  mais  on  pouvait  lui 
répondre  que,  si  son  œil  et  son  télescope  étaient  bons, 
sa  raison  était  myope,  pour  ne  rien  dire  de  plus. 
Et  d'ailleurs  Lalande  n'était  qu'une  exception. 
Bacon  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Un  peu  de  science  éloigne 
de  la  religion  et  beaucoup  y  ramène?  »  En  résumé, 


70  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'Église  ne  craint  pas  la  science,  mais  simplement 
les  demi-savants.  Les  sciences  ne  sont  jamais  irre- 
ligieuses; les  demi-savants  le  sont  souvent,  parce 
qu'ils  ne  voient  pas  tout  et  qu'ils  voient  mal  le  peu 
qu'ils  voient.  L'Église  n'a  aucun  motif  de  craindre 
les  sciences.  Ce  n'est  pas  assez  dire. 


IL  L'Église  favorise  les  sciences. 

Les  preuves  en  sont  multiples.  Je  n'en  donnerai 
que  trois  qui  sont  topiques. 

1°  L'Église  surexcite  la  recherche  scientifique. 
Est-ce  que  ce  n'est  pas  à  l'Église  que  la  société  mo- 
derne doit  cette  maturité  de  la  raison,  cette  disci- 
pline de  l'esprit  qui  lui  ont  permis  l'élan,  la 
hardiesse  d'exploration,  et,  en  définitive,  ce  bon- 
heur de  découvertes  qui  caractérisent  les  temps 
modernes  et  qui  en  font  la  gloire?  Voyez.  Qu'est-ce 
que  l'antiquité  a  découvert  en  quatre  cents  ans  dans 
le  domaine  de  l'astronomie,  de  la  physique,  delà  chi- 
mie, de  la  géologie?  Même  après  Archimède,  Euclide, 
Pythagore,  Aristote,  Hippocrate,  Gallien,  la  forme 
de  notre  globe  n'était  pas  connue;  l'architecture 
céleste  n'était  pas  soupçonnée;  tout  l'intérieur  du 
corps  humain,  dont  on  décrit  aujourd'hui  les 
moindres  fibres,  était  voilé.  Qui  avait  soupçonné 
les  merveilles  de    la    lumière,    de  l'électricité,  et 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  71 

songé  à  interroger  les  entrailles  de  la  terre?  C'est 
le  génie  catholique,  le  vigoureux  esprit  des  chré- 
tiens qui  a  créé  toutes  ces  sciences.  Entre  le  génie 
de  l'antiquité  et  le  génie  chrétien,  sous  le  rapport 
des  sciences,  il  n'y  a  pas  de  comparaison  à  établir. 
L'Eglise  surexcite  la  recherche  scientifique. 

2°  V Église  fonde  des  écoles  pour  la  diffusion  des 
sciences.  Dans  nos  écoles  primaires,  dans  nos  col- 
lèges libres,  dans  nos  Universités  catholiques,  est- 
ce  que  l'Eglise  n'enseigne  pas  les  sciences?  Est-ce 
qu'elle  n'obtient  pas  sur  ce  terrain  des  succès  qui 
épouvantent  ses  ennemis?  Tenez.  Nous  assistons 
aujourd'hui  à  un  spectacle  étonnant  qu'on  n'avait 
pas  vu  depuis  Julien  l'Apostat.  En  même  temps 
qu'on  accuse  l'Eglise  de  haïr  les  sciences,  on  lui 
reproche  de  les  enseigner  trop  bien.  On  trouve  ses 
écoles  trop  nombreuses  et  trop  florissantes.  L'Eglise 
ouvre  des  écoles  et  ce  n'est  pas  elle  qui  les  ferme. 
Ce  sont  de  sinistres  farceurs  qui  se  déclarent  les 
adorateurs  de  la  science,  et  qui  en  sont  les  pires 
ennemis.  Voilà  là  vérité.  L'Eglise  favorise  la  science. 
Encore  un  mot. 

3°  L'Église  a  produit  des  savants  dont  la  liste 
serait  interminable  et  qui  sont  un  des  plus  beaux 
joyaux  de  sa  couronne. 

Les  sciences  n'ont  pas  commencé  au  xvne  siècle. 
Elles  étaient  en  marche  depuis  longtemps.  Est-ce 


72  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

que  ce  ne  sont  pas  les  prêtres  qui,  au  moyen  âge, 
ont  découvert  la  boussole,  la  poudre  à  canon,  la 
rotation  de  la  terre,  le  mouvement  des  cieux?  Que 
d'hommes  d'Église  remarquables  dans  les  sciences  à 
cette  époque  !  Gerbert,  premier  pape  français  sous  le 
nom  de  Sylvestre  II,  introducteur  de  l'arithmétique 
arabe  en  France,  en  Italie  et  en  Allemagne,  l'Ar- 
chimède  du  xe  siècle,  l'inventeur  d'un  orgue  mis  en 
jeu  par  la  vapeur,  des  horloges  à  roues  et  auteur 
de  celle  de  Magdebourg ;  Roger  Bacon,  franciscain 
anglais  du  xme  siècle,  le  génie  peut-être  le  plus  in- 
ventif qui  fut  jamais,  le  vrai  père  de  la  physique 
expérimentale,  qui,  longtemps  avant  son  homo- 
nyme, François  Bacon,  comprit  le  vide  de  la  philo- 
sophie d'Aristote  et  fît  appel  à  l'expérience  et  à 
l'observation.  Le  grand  astronome  Copernic  était 
un  pieux  chanoine.  Galilée  était  un  fier  chrétien, 
et,  s'il  a  été  condamné  par  le  tribunal  du  Saint- 
Office,  c'a  été  non  pour  sa  science  qui  était  vraie, 
mais  pour  son  exégèse  qui. était  téméraire. 

Au  xme  siècle,  les  Jésuites  se  placent  à  la  tête  des 
études  scientifiques,  non  seulement  en  Europe, 
mais  jusqu'en  Chine  et  aux  Indes.  Et  puis,  est-ce 
que  ce  ne  sont  pas  des  génies  profondément  reli- 
gieux que  Kepler,  Newton,  Leibnitz,  Pascal,  Male- 
branche  qui  ont  créé  le  grand  courant  scientifique 
que  nous  ne  faisons  que  continuer?  Est-ce  que  la 
foi  les  a'gênés  dans  leurs  explorations  les  plus  har- 
dies? Pascal,  après  avoir  étonné  son   siècle  par  la 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  73 

profondeur  de  sa  science,  consacrait  ses  forces  épui- 
sées et  son  effrayant  génie  à  l'apologie  du  christia- 
nisme. Les  grands  naturalistes  Buffon  et  Linné 
avaient  la  foi. 

Et  dans  notre  siècle  on  peut  affirmer  que  les  sa- 
vants les  plus  célèbres  appartiennent  presque  tous 
à  l'Eglise.  Volta,  l'inventeur  de  la  pile,  professait 
hautement  ses  convictions  religieuses.  Le  chimiste 
Faraday,  l'astronome  Leverrier,  le  jésuite  Secchi 
sont  à  nous.  Nommer  Guvier,  Élie  de  Beaumont, 
Ampère,  Biot,  Gauchy,  Claude  Bernard  et  Quatre- 
fages,  Dumas,  Chevreul,  Pasteur,  n'est-ce  pas  mon- 
trer la  foi  unie  à  la  science;  la  foi  pleine,  ardente, 
gouvernant  toute  la  vie,  ou  du  moins  la  foi  retrou- 
vée sur  le  lit  de  mort  et  n'exigeant  au  point  de  vue 
scientifique  ni  un  désaveu,  ni  la  moindre  rétrac- 
tation? 

Amen  1 


HUITIÈME  CONFERENCE 

2°    LES    SCIENCZS    ONT    BESOIN    DE   LÉGLISE 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  intellectuelle. 
Son  influence  bienfaisante  sur  les  belles-lettres 
n'est  pas  contestable.  Mais  quelle  est  son  attitude 
à  l'égard  des  sciences?  Nous  l'avons  vu  :  l'Eglise 
ne  craint  pas  les  sciences,  l'Église  favorise  les 
sciences.  Je  poursuis  cet  important  sujet,  et  je  vais 
essayer  de  vous  prouver  que  les  sciences  ont  besoin 
de  l'Eglise.  Par  elles-mêmes,  elles  sont  insuffisantes 
et  périlleuses,  et  c'est  l'Eglise  qui  les  complète  et 
les  préserve. 


1.  Les  sciences  sont  insuffisantes. 

Remarquez  que  je  ne  dis  pas  que  les  sciences 
sont  mauvaises.  Si  je  le  disais,  j'énoncerais  une 
erreur,  une  énormité.  Les  sciences  sont  bonnes, 
elles  sont  utiles,  elles  sont  bienfaisantes.  Elles  con- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  75 

courent  au  bien-être,  à  l'ornement,  à  la  civilisation 
du  monde.  Elles  agrandissent,  elles  enrichissent, 
elles  perfectionnent  l'esprit  humain.  Comment  ne 
pas  voir  ce  que  l'esprit  humain  peut  gagner  d'éten- 
due et  de  force,  en  étudiant  l'histoire  de  la  nature, 
les  phénomènes  et  les  lois  du  monde  physique,  et 
surtout  cette  science  qui  est  la  logique  même,  où 
tout  s'enchaine  et  se  tient  avec  une  suite  et  une 
rigueur  incomparables,  cette  gymnastique  intellec- 
tuelle qui  forme  l'esprit  à  l'ordre  et  à  la  précision, 
les  mathématiques?  Les  sciences,  même  les  plus 
arides,  les  plus  théoriques,  les  plus  inutiles  en 
apparence,  comme  l'algèbre,  la  géométrie  et  les 
mathématiques,  possèdent  une  fécondité  et  rap- 
portent un  profit  qu'on  ne  peut  pas  contester. 

Elles  sont  bonnes.  Mais  manifestement  elles  sont 
insuffisantes.  Rien  de  plus  répandu  aujourd'hui  que 
le  goût,  j'allais  dire  la  passion  des  sciences.  Les 
maîtres,  dans  les  observatoires  et  les  laboratoires, 
étudient,  analysent,  expérimentent,  et  à  côté  d'eux 
une  légion  d'écrivains  et  de  conférenciers  vulga- 
risent et  propagent  leurs  découvertes^  et  la  foule 
même  les  écoute  ou  les  lit  avec  une  avidité  impa- 
tiente. A  défaut  d'orateurs  et  de  poètes,  notre  temps 
comptera  au  moins  des  travailleurs  attentifs  et 
patients  ;  notre  siècle  ne  sera  ni  un  siècle  artistique, 
ni  un  siècle  littéraire,  ni  un  siècle  philosophique 
comme  l'ont  été  ses  devanciers  ;  il  aspire  à  être  et 
il  est,  en  effet,  un  siècle  scientifique.  C'est  le  mot 


76  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

du  jour.  On  ne  parle  plus  que  de  méthode  scienti- 
fique, de  découvertes  scientifiques.  C'est  bien.  Mais, 
quelles  que  soient  leur  vogue  et  leur  utilité  vraie, 
n'oublions  pas  que  les  sciences  ont  deux  grandes 
impuissances. 

Elles  sont  impuissantes  à  développer  V homme 
tout  entier.  Ce  rôle  éminent  revient  aux  belles- 
lettres,  à  qui  il  faudra  toujours  donner  la  première 
place  dans  l'éducation.  Les  sciences  procèdent  uni- 
quement de  l'intelligence  ;  or  l'intelligence  n'est 
pas  tout  l'homme,  elle  n'en  est  même  que  la  plus 
petite  partie.  Au-dessus  de  l'intelligence,  il  y  a  le 
cœur,  la  volonté,  le  caractère,  autant  de  sphères 
élevées,  supérieures,  où  les  sciences  n'entrent  pas. 
Elles  sont  absolument  étrangères  à  la  formation 
du  cœur,  de  la  volonté  et  du  caractère.  Constatant 
cette  infériorité  des  sciences  sur  les  belles-lettres, 
Chateaubriand  a  dit  :  «  Toute  pénible  que  cette 
vérité  puisse  être  pour  les  mathématiciens,  il  faut 
cependant  le  dire  :  la  nature  ne  les  a  pas  faits  pour 
occuper  le  premier  rang.  C'est  Corneille,  Racine, 
Boileau,  ce  sont  les  orateurs,  les  historiens,  les 
artistes  qui  ont  immortalisé  Louis  XIV,  bien  plus 
que  les  savants  qui  brillèrent  aussi  dans  son  siècle. 
Tous  les  temps,  tous  les  pays  offrent  le  même 
exemple.  Que  les  mathématiciens  cessent  donc  de 
se  plaindre  si  les  peuples,  par  un  instinct  général, 
font  marcher  les  lettres  avant  les  sciences.  C'est 
qu'en  effet  l'homme  qui  a  laissé  un  seul  précepte 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  77 

moral,  un  seul  sentiment  touchant  à  la  terre,  est 
plus  utile  à  la  société  que  le  géomètre  qui  a  décou- 
vert les  plus  belles  propriétés  du  triangle.  » 

Impuissantes  à  développer  l'homme  tout  entier, 
les  sciences  sont  particulièrement  impuissantes  à 
imprimer  une  direction  morale  à  la  vie  humaine. 
C'est  l'évidence  même.  L'astronome  nous  apprend 
comment  va  le  ciel,  et  non  comment  on  va  au  ciel, 
quomodo  it  cœlum,  non  quomodo  itur  ad  cœlum  !  — 
Les  mathématiques  toutes  seules  apprennent  à  faire 
des  ponts  et  non  à  bien  vivre  ;  les  chiffres  n'ont  en 
eux-mêmes  aucun  sens  moral,  tout  dépend  de 
l'usage  qu'on  en  fait,  et  on  peut  être  en  même 
temps  un  bon  calculateur  et  un  parfait  usurier. 
Voyons.  Pensez-vous  sérieusement  qu'on  puisse 
calmer  les  passions  avec  des  axiomes  ;  et  avec  des 
théorèmes  de  géométrie  ou  des  expériences  de  chi- 
mie a-t-on  quelque  chance  de  maintenir  la  soumis- 
sion aux  lois,  le  respect  des  magistrats  et  des  pro- 
priétés,  l'honneur  des  familles,  la  paix  des  Etats  et 
la  sécurité  du  monde?  Non.  Vous  aurez  beau  inven- 
ter des  machines  et  multiplier  les  découvertes,  vous 
ne  changerez  pas  le  fond  des  choses,  le  fond  de 
l'homme.  La  société  est  un  être  moral  qui  ne  vit 
pas  seulement  de  matière,  et  les  liens  qui  unissent 
ses  membres  entre  eux  ne  sont  pas  forgés  avec  des 
marteaux  et  du  fer.  Le  monde  moral  a  ses  lois  par- 
ticulières comme  le  monde  physique,  et  les  sciences 
sont  impuissantes  à  nous  dire  les  lois  du  monde 


78  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

moral,  et  impuissantes  plus  encore  à  nous  les  faire 
observer.  Ce  n'est  pas  leur  affaire,  ce  n'est  pas  leur 
mission. 

Qui  donc  viendra  compléter  les  sciences  et  sup- 
pléer à  leur  insuffisance?  Qui  donc  viendra  nous 
dire  les  vérités  qu'il  faut  croire,  les  devoirs  qu'il 
faut  pratiquer,  les  actions  qu'il  faut  éviter?  Qui 
donc  viendra  nous  révéler  les  lois  de  l'ordre  moral, 
c'est-à-dire  comment  il  faut  vivre  pour  atteindre 
notre  destinée?  Et  surtout  qui  donc  viendra  nous 
prendre  par  la  main,  nous  aider,  nous  communj- 
quer  la  force  qui  nous  manque?  Qui  nous  donnera, 
avec  le  flambeau  qui  éclaire,  l'impulsion  qui  en- 
traîne? Qui?  La  religion,  r Église.  C'est  l'Eglise,  et 
l'Eglise  seule  qui  fait  ce  que  les  sciences  ne  peuvent 
pas  faire.  Elle  oriente,  elle  dirige  la  vie  humaine» 
Vous  voulez  sans  elle  conduire  l'humanité?  Vous 
voulez,  avec  les  sciences  toutes  seules,  diriger,  mo- 
raliser, sauver  les  âmes,  les  familles  et  les  sociétés? 
Prenez  garde.  Autant  vaudrait  guider  un  vaisseau  au 
milieu  de  l'Océan  sans  gouvernail  et  sans  boussole. 
Les  chefs  et  l'équipage  sont  libres  de  se  livrer  tout 
entiers  à  des  expériences  physiques  quand  le  na- 
vire touche  sur  les  rochers;  ils  sont  libres,  les 
insensés,  d'instituer  des  discussions  interminables 
quand  il  s'agit  non  de  parler,  mais  d'agir;  cepen- 
dant un  dernier  coup  de  mer  vient  les  interrompre 
dans  leurs  scientifiques  recherches,  et  l'abîme 
ouvert  engloutit  à  la  fois  les  appareils,  les  machines,. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  79 

les  calculs  et  les  savants.  Les  sciences  sont  insuffi- 
santes. C'est  l'Eglise  qui  les  complète.  Allons  plus 
loin,  et  disons  ici  toute  la  vérité. 

II.  Les  sciences  sont  périlleuses. 

Gomme  le  vin  qui  enivre,  les  sciences  montent 
à  la  tête  et  appesantissent  les  sens.  Elles  sont  très 
souvent  une  occasion  d'orgueil  et  un  instrument 
de  eonvoitise. 

L orgueil  est  le  premier  péril  des  sciences.  Voyez 
l'homme  de  ce  siècle.  Il  tient  les  éléments  captifs 
et  frémissants  dans  ses  creusets,  et,  maître  de  la 
création,  il  se  pose  en  rival  du  Créateur.  «  Monté 
sur  une  nef  aérienne,  dit-il,  je  me  suis  promené 
parmi  les  astres  du  lirmament.  J'ai  attaché  des 
ailes  à  mes  proues  aventureuses,  et  j'ai  sillonné 
l'Océan  avec  la  vitesse  des  oiseaux  marins.  J'ai 
attelé  le  feu  à  mes  chars,  et  ma  course  de  l'Orient 
à  l'Occident  n'a  laissé  que  la  trace  d'un  éclair.  Je 
dompte  les  vagues  furieuses,  je  commande  à  la 
tempête,  j'efface  les  distances,  je  fais  mouvoir  tous 
les  ressorts  de  la  nature...  »  Voilà  Le  danger.  A 
force  d'analyser  la  matière,  l'homme  de  ce  siècle 
croit  qu'il  n'y  a  pas  autre  chose  dans  ce  monde.  A 
force  de  contempler  les  phénomènes  apparents, 
l'homme  de  ce  siècle  conteste  les  vérités  invisihles. 
A  force  de  manipuler  les  causes  secondes,  l'homme 
de  ce  siècle  oublie  la  cause  première,  A  force  de 


80  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

mesurer  les  forces  et  les  lois  de  la  nature,  l'homme 
de  ce  siècle  en  arrive  à  laisser  de  côté  et  à  suppri- 
mer l'auteur  de  la  nature. 

Les  sciences  exclusivement  et  passionnément  cul- 
tivées sont  périlleuses.  Elles  conduisent  beaucoup 
d'hommes  à  l'orgueil,  au  sentiment  exagéré  du  pou- 
voir humain,  au  doute,  à  l'incrédulité  et  au  blas- 
phème. «  Si  on  analysait  l'atmosphère  intellectuelle 
de  ce  siècle,  dit  Mgr  Bougaud,  on  y  trouverait  au 
moins  quatre  cinquièmes  d'orgueil.  »  Comme  il  est 
utile,  comme  il  est  nécessaire  que  la  religion  vienne 
corriger  ces  excès,  et  que,  nous  prosternant  au  pied 
des  autels,  elle  nous  rappelle  que  le  nom  qui  est 
au-dessus  de  tous  les  noms,  c'est  Dieu,  que  nous 
ne  sommes  rien  et  qu'il  est  tout,  et  qu'à  lui  doivent 
remonter  la  raison,  souffle  de  sa  bouche;  la  nature, 
œuvre  de  ses  mains  ;  l'industrie,  miroir  de  ses  per- 
fections; la  science,  rayon  de  sa  lumière;  le  pro- 
grès dont  il  est  la  source  unique,  le  régulateur  su- 
prême et  la  fin  éternelle!  Comme  il  est  utile, 
comme  il  est  nécessaire  que  l'Église  intervienne 
ici  pour  apaiser  l'orgueil  humain,  pour  ramener  les 
savants  à  la  modestie,  à  cette  conscience  de  leur 
faiblesse  qui  est  le  parfum  des  grandes  âmes  et  le 
plus  bel  ornement  des  esprits  éminents!  Newton 
ne  prononçait  jamais  le  nom  de  Dieu  sans  incliner 
sa  puissante  tête  en  signe  d'adoration.  Comme  il 
est  utile,  comme  il  est  nécessaire  que  l'Eglise  oppose 
sa  doctrine  si  purement  spiritualiste   aux    arro- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  81 

gances  d'une  époque  de  plus  en  plus  matérialisée, 
et  qu'elle  dise  bien  haut  aux  hommes  de  ce  temps  : 
«  0  hommes,  vous  êtes  les  rois  de  la  création  et  les 
souverains  de  la  matière.  Mais,  ne  l'oubliez  pas, 
vous  restez  en  même  temps  les  sujets  et  les  vas- 
saux de  Dieu.  Vous  êtes  rois  par  rapport  à  la  ma- 
tière et  vassaux  par  rapport  à  Dieu.  Debout  sur  les 
cimes  de  la  Création,  rappelez-vous  que  vous  êtes  au- 
dessous  du  Créateur,  et  envoyez  vers  Lui  l'hommage 
de  votre  foi,  de  vos  adorations,  de  votre  reconnais- 
sance et  de  votre  amour!  »  Telle  est  l'action  bienfai- 
sante de  l'Eglise.  Elle  modère  les  sciences.  Elle  en 
prévient  les  excès.  Elle  les  préserve  de  l'orgueil.  Et 
elle  est  en  même  temps  l'arôme  qui  les  empêche  de 
se  corrompre. 

Le  sensualisme  est  le  second  péril  des  sciences. 
Les  sciences  conduisent  facilement  à  la  jouissance 
indéfinie  et  exagérée.  Elles  ornent  la  vie,  elles  la 
peuplent  de  toutes  les  facilités  du  bien-être.  Il  y  a  là 
un  immense  danger,  et,  si  la  religion  n'intervient 
pas  pour  le  conjurer,  tout  est  à  craindre. 

Si  vous  appelez  les  jouissances  et  si  vous  chassez 
Dieu,  qui  seul  pourrait  les  modérer  et  les  contenir  ; 
si  vous  éveillez  tous  les  appétits  et  si  vous  ôtez  tous 
les  freins  ;  si  vous  saturez  un  peuple  de  tout  ce  qui 
incline  l'âme  vers  la  terre  et  si  vous  le  sevrez  de 
tout  ce  qui  relève  l'esprit  vers  le  ciel...  êtes-vous 
bien  sûrs  que  vous  ne  le  conduirez  pas  à  la  déca- 
dence? Moi,  je  suis  sûr  du  contraire,  et  mon  rai- 

LES    BIENFAITS   DE  L'ÉGLISE.    —    1-6 


82  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sonnement  est  rigoureux,  mathématique.  La  jouis- 
sance sans  frein,  c'est  l'égoïsme  qui  n'a  qu'une 
devise  :  Tout  pour  moi,  rien  pour  les  autres! 
a  L'égoïste,  dit  Bacon,  mettrait  le  feu  à  la  maison 
de  son  voisin  pour  faire  cuire  un  œuf.  »  Avec  cela 
essayez  de  faire  une  société,  je  ne  dis  pas  glorieuse, 
mais  seulement  habitable,  je  vous  en  défie  bien. 
Dieu  chassé  du  sein  d'un  peuple,  le  bien-être  tourne 
à  l'égoïsme  et  devient  un  danger  épouvantable,  et 
le  progrès  matériel,  abandonné  à  sa  pente,  n'est 
plus  qu'une  descente  effrénée  vers  le  plaisir,  vers 
la  licence,  vers  la  désorganisation  sociale.  Triplez, 
si  vous  le  voulez  et  si  vous  le  pouvez,  la  vitesse  de 
vos  chemins  de  fer,  inventez  des  ailes  pour  traver- 
ser les  airs,  éclipsez  par  vos  futures  découvertes 
tout  ce  qui  fait  votre  orgueil  aujourd'hui  :  tout  cela 
ne  contient  pas  un  atome  de  vie  morale  pour  les 
âmes  et  pour  la  société.  Si  donc,  vous  ne  ressusci- 
tez pas  Dieu  dans  les  âmes,  si  vous  ne  remettez  pas 
la  religion  à  la  place  centrale  qu'elle  doit  occuper 
dans  la  société,  vous  perdrez  les  âmes  et  vous  per^- 
drez  la  société.  L'or,  la  matière,  les  plus  ingé- 
nieuses machines  ne  servent  qu'à  corrompre  un 
peuple,  quand  la  religion  est  absente.  La  pierre 
angulaire  de  toute  société  et  de  tout  siècle,  c'est 
l'autel.  L'Eglise  catholique  complète  les  sciences  et 
les  préserve.  Les  sciences  ont  besoin  de  l'Église! 

Amen! 


NEUVIÈME  CONFÉRENCE 


[IL  —  V EGLISE  ET  LES  ARTS 


Messieurs, 

Les  bienfaits  de  l'Eglise  dans  l'ordre  intellectuel 
sont  incalculables.  Elle  aime,  elle  protège,  elle  cul- 
tive les  lettres  et  les  sciences.  Est-elle  également 
la  bienfaitrice  des  arts?  Oui.  Et  il  n'est  vraiment 
pas  difficile  d'en  faire  la  preuve,  en  se  plaçant  au 
double  point  de  vue  du  droit  et  du  fait.  Il  n'est  pas 
difficile  de  constater  l'aptitude  de  l'Eglise  à  inspi- 
rer les  beaux-arts  et  son  activité  traditionnelle 
pour  les  favoriser  et  les  perfectionner.  Nous  allons 
faire  ensemble  très  succinctement  cette  double 
étude  sur  l'Eglise  inspiratrice  et  bienfaitrice  des 
arts. 


I.  L'Église  inspiratrice  des  Arts. 

r 

L'Eglise  offre  aux  artistes  trois  ressou  ces  pré- 


84  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

cieuses  que  ne  possédaient  pas  les  anciens  qui  vi- 
vaient dans  le  paganisme  et  que  ne  possèdent  pas 
les  modernes  qui  veulent  vivre  en  dehors  du  chris- 
tianisme. 

r 

L'Eglise  ouvre  d'abord  aux  artistes  les  horizons 
de  l'infini.  L'homme  est  fait  pour  l'infini,  et  un 
objet  ne  peut  nous  plaire  qu'à  proportion  des  rap- 
ports réels  ou  apparents  qu'il  a  avec  la  perfection 
infinie.  Cette  prédilection  exclusive  pour  l'être  il- 
limité se  révèle  de  mille  manières.  C'est  elle  qui 
change  la  passion  la  plus  vive  en  indifférence,  dès 
que  l'objet  en  est  trop  connu.  C'est  elle  qui  nous 
fait  préférer  la  beauté  qui  se  cache  à  la  beauté  qui 
se  produit.  C'est  elle  qui,  dans  l'ordonnance  de  nos 
bâtiments,  de  nos  jardins,  nous  fait  adopter  la  dis- 
tribution qui  en  dissimule  le  mieux  la  petitesse. 
Telle  étant  la  disposition  de  notre  cœur,  le  point 
capital  de  l'art  est  d'éviter  les  formes  trop  dessi- 
nées, trop  circonscrites,  et  de  répandre  sur  le  fini 
une  teinte  de  l'Infini,  sans  toutefois  tomber  dans 
le  vague  qui  déplaît  à  notre  amour  du  réel.  Or 
voilà  précisément  la  supériorité  du  génie  chrétien 
sur  le  génie  profane.  Les  chefs-d'œuvre  de  l'anti- 
quité païenne  ont  un  énorme  défaut,  celui  de  n'avoir 
presque  rien  de  divin.  Les  temples  des  païens  sont 
des  palais,  des  théâtres  ;  leurs  dieux  ne  sont  que 
des  héros.  L'architecture  égyptienne  vise  à  l'im- 
mortalité, mais  à  l'immortalité  du  temps.  L'archi- 
tecture grecque  ne  pense  qu'à  plaire  aux  yeux; 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  §| 

admirablement  régulière  dans  l'ensemble,  délica- 
tement exquise  dans  les  détails,  elle  est  l'œuvre 
de  la  pensée  humaine,  rien  de  plus.  L'architecture 
arabe  berce  l'imagination, .  aime  à  surprendre,  à 
faire  rêver.  L'architecture  chrétienne  seule  rappelle 
à  l'homme  ses  destinées  et  le  fait  aspirer  au  ciel. 
L'Eglise  inspire  les  arts  en  leur  ouvrant  les  ho- 
rizons de  l'Infini.  Elle  fait  plus  : 

Pour  empêcher  l'artiste  de  se  perdre  dans  le 
vague  et  le  vaporeux,  elle  lui  offre  la  précision  et 
la  grandeur  des  idées.  Deux  choses  sont  mortelles 
pour  les  arts  :  le  doute  et  le  matérialisme.  Le  doute 
éteint  le  flambeau  du  génie,  lequel  ne  s'allume 
qu'au  foyer  des  croyances.  Comment  voulez-vous 
qu'on  traduise  et  qu'on  exprime  le  beau,  quand  on 
ignore  le  vrai  et  quand  on  ne  croit  à  rien?  Et 
quand  on  ne  croit  qu'à  la  matière,  est-il  possible 
de  traduire  et  d'exprimer  la  beauté  qui  a  son  trône 
dans  l'invisible?  Aussi  voyez  ce  siècle  avec  son  ac- 
tivité industrielle  qui  tient  du  prodige.  Il  manipule 
la  matière  et  il  en  tire  des  richesses  et  des  jouis- 
sances multiples;  il  construit  des  chemins  de  fer, 
dévastes  ponts,  de  grandes  manufactures,  de  somp- 
tueux bazars,  et  il  jette  à  tous  les  échos  le  siffle- 
ment de  la  vapeur  et  le  bruit  monotone  des  ma- 
chines et  des  métiers.  Ce  n'est  pas  un  mal.  Mais, 
je  vous  le  demande,  au  milieu  de  ce  culte  de  la 
matière,  que  devient  l'idéal,  c'est-à-dire  le  principe 
même  de  l'art?  Messieurs,    c'est  la  religion,  c'est 


86  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'Église  qui  garde  l'idéal.  L'idéal  religieux  est  le 
principe  de  l'art,  sa  cause,  son  inspiration,  sa 
force.  Chez  tous  les  peuples  l'art  a  commencé  par 
une  prière,  par  un  autel,  par  un  temple.  La  reli- 
gion est  la  mère  de  l'art,  parce  qu'elle  est  la  source 
de  la  vie  supérieure  de  l'àme,  le  foyer  du  vrai,  du 
bien  et  du  beau.  N'est-ce  pas  Ganova,  le  grand  sta- 
tuaire, qui  écrivait  à  Napoléon  :  «  Toutes  les  reli- 
gions nourrissent  l'art,  mais  aucune  ne  le  fait  dans 
la  même  mesure  que  la  nôtre.  »  L'irréligion  coupe 
les  ailes  au  génie  et  le  met  à  pied.  L'Eglise,  en 
sauvant  les  croyances,  sauve  du  même  coup  les 
beaux-arts  à  qui  elle  présente,  pour  les  inspirer  et 
les  alimenter,  un  idéal  toujours  élevé  et  toujours 
précis. 

Enfin  elle  offre  à  l'artiste  avec  les  horizons  de 
l'Infini,  avec  la  grandeur  et  la  précision  des  idées, 
la  richesse  et  la  variété  des  sujets.  L'artiste  chrétien 
tient  à  sa  disposition  tous  les  sujets  antiques;  et  il 
a  en  plus  les  scènes  chrétiennes,  c'est-à-dire  des 
sujets  infiniment  plus  beaux,  plus  riches,  plus  dra- 
matiques que  les  sujets  mythologiques. 

Qu'y  a-t-il  de  comparable  aux  scènes  de  l'Ancien 
Testament?  Si  vous  voulez  vous  convaincre  de  la 
richesse  artistique  de  la  Bible,  parcourez  simple- 
ment en  curieux  la  Bible  illustrée  par  G.  Doré  ou 
par  Tissot,  et  vous  constaterez  qu'il  y  a  là  tout  un 
monde  de  merveilles  à  explorer  et  à  traduire. 

Ouvrez  l'Évangile.   Quelle   figure   que   celle  du 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  87 

Christ!  Elle  réalise  non  pas  l'idéal  d'un  peuple, 
d'un  siècle,  mais  l'idéal  de  l'humanité  tout  entière. 
C'est  la  plus  parfaite  expression  de  la  beauté.  De- 
puis qu'elle -a  vu  cette  figure  de  Jésus-Christ,  l'hu- 
manité ne  peut  plus  l'oublier,  elle  ne  peut  plus 
concevoir  ni  exprimer  l'idéal  sans  lui  emprunter 
quelque  chose;  les  arts  désespèrent  de  l'atteindre, 
mais  ils  vont  lui  demander  leurs  plus  hautes  ins- 
pirations, et  dans  notre  monde  moderne,  les  plus 
grandes  œuvres  de  la  peinture,  de  la  statuaire,  de 
la  musique  et  des  lettres,  sont  des  compositions  re- 
ligieuses. Quiconque  ignore  le  christianisme  est 
tout  dépaysé  dans  les  régions  de  l'art.  C'est  pour- 
quoi un  célèbre  critique,  sceptique  mais  habile  à 
discerner  ce  qui  élève  et  abaisse  l'esprit,  termine 
une  étude  sur  Pascal  par.  ces  significatives  paroles. 
«  Depuis  que  le  Christ  est  venu  dans  le  monde,  un 
idéal  nouveau  s'est  posé  devant  les  hommes.  Ceux 
qui  ont  méconnu  Jésus-Christ,  regardez-y  bien, 
dans  l'esprit  ou  dans  le  cœur,  il  leur  a  manqué 
quelque  chose.  »  Cet  aveu  de  Sainte-Beuve  est  bon 
à  retenir.  Sous  une  forme  très  catégorique,  il  at- 
teste que  la  religion  chrétienne  est  le  foyer  non 
seulement  du  vrai  et  du  bien,  mais  aussi  le  foyer 
du  beau. 

Elle  offre  à  l'artiste  les  plus  magnifiques  sujets  : 
sujets  bibliques,  sujets  évangéliques,  et  enfin  su- 
jets historiques  empruntés  à  nos  dix-neuf  siècles 
de  christianisme.  L'artiste  chrétien  n'a  pas  besoin 


88  CONFÉRENCES  AUX     HOMMES 

d'aller  fouiller  les  vieux  siècles  païens.  Qu'il  explore 
l'histoire  des  martyrs,  l'histoire  des  croisades,  l'his- 
toire des  nations  chrétiennes,  l'histoire  de  la  cha- 
rité, l'histoire  en  un  mot  de  l'Église  catholique,  et 
il  trouvera  là  de  quoi  nourrir  son  esprit,  de  quoi 
exalter  son   imagination,   de  quoi  surexciter   son 

F 

génie.  L'Eglise  est  l'inspiratrice  des  arts.  Elle  en 
est  la  bienfaitrice  insigne. 


II.  L'Église  bienfaitrice  des  arts. 

Il  y  a  une  force  d'erreur  qui  contraint  au  silence. 
Il  y  a  des  calomnies  si  grossières  qu'on  ne  se  sent 
pas  le  courage  de  les  réfuter.  Ainsi,  lorsqu'on 
entend  soutenir  que  le  christianisme  est  l'ennemi 
des  arts,  on  demeure  muet  d'étonnement;  car,  à 
l'instant  même,  on  ne  peut  s'empêcher  de  se  rap- 
peler Michel- Ange,  Raphaël,  .Carrache,  Dominique, 
Le  Sueur,  Poussin,  Goustou,  Ingres,  Gounod  et  tant 
d'autres  artistes  dont  les  noms  sont  dans  toutes  les 
mémoires.  Impuissant  à  tout  dire,  je  vais  me  con- 
tenter de  vous  signaler  l'influence  des  papes  et  des 
moines  sur  la  marche  des  beaux-arts. 

Ce  sont  les  moines  qui,  après  les  désastres  des 
invasions  où  tout  périt,  retrouvèrent  les  procédés 
artistiques  et  consacrèrent  à  la  louange  divine  des 
épopées  de  pierre,  des  poèmes  d'ivoire  et  de  pein- 
ture,   aussi  bien    que    les  chants   liturgiques  des 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  80 

heures  canoniales.  Si,  avec  les  monuments  littéraires 
et  scientifiques,  l'Eglise  cloîtrée  ne  put  pas  sauver 
les  monuments  de  l'architecture  romaine,  elle  fit 
mieux  :  là  où  les  Barbares  en  avaient  détruit  un, 
elle  en  éleva  vingt,  supérieurs  par  la  beauté  du 
travail  autant  que  par  la  noblesse  du  but.  Aux 
masses  gigantesques,  mais  uniformes  et  lourdes, 
des  cirques,  des  amphithéâtres,  des  aqueducs,  des 
thermes,  des  palais,  elle  substitua  les  masses  encore 
plus  gigantesques  des  cathédrales,  avec  leurs  mer- 
veilleuses tours,  des  hospices  et  hôtels-dieu,  des 
universités,  des  châteaux,  des  abbayes...  modèles 
inimitables  de  grandeur  et  de  grâce,  de  solidité 
et  de  délicatesse,  qui  impressionnent  également 
l'homme  du  peuple  et  le  savant,  et  sont  un  défi  à 
la  science  moderne,  tant  la  pensée  qui  anima  et 
harmonisa  si  bien  ce  monde  de  merveilles  artis- 
tiques reste  mystérieuse! 

Et  puis  l'architecture  entraîna  à  sa  suite  les  autres 
arts.  Le  sculpteur  mit  à  contribution  l'ivoire  aussi 
bien  que  la  pierre  et  le  bois.  Le  ciseleur  enrichit 
des  délicatesses  de  son  burin  les  vases  sacrés  et  les 
châsses  des  saints.  On  travailla  le  fer  avec  une  per- 
fection jusqu'alors  inconnue.  Les  légendes  des 
bienheureux  se  déployèrent  en  scènes  naïves  et 
vivantes  sur  d'immenses  tapisseries.  La  peinture 
couvrit  des  richesses  de  sa  palette  les  verrières  des 
cathédrales  aussi  bien  que  les  parchemins  des  ma- 
nuscrits. Et  la  musique,  entrant  dans  le  sanctuaire 


90  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

de  Dieu  et  des  arts,  s'épancha  en  mélodies  austères 
ou  joyeuses,  mais  toujours  simples,  dont  l'oreille 
suivait  avec  facilité  le  rythme  et  le  développement. 

Et  en  même  temps  qu'ils  ressuscitaient  les  arts, 
les  moines,  désireux  d'en  propager  l'enseignement, 
élevaient  à  l'ombre  des  cloîtres  des  écoles  célèbres 
où  des  générations  entières  d'artistes  venaient 
chercher  des  modèles,  des  leçons,  des  maîtres  et 
des  traditions.  C'est  là,  à  l'école  des  moines,  que 
nos  pères,  ouvriers  et  patrons,  ingénieurs  et  ma- 
nœuvres, puisèrent  l'idée  de  se  grouper  et  de  se 
réunir  en  corporations,  aussi  bien  pour  les  progrès 
de  l'art  que  pour  les  intérêts  des  artistes.  Embri- 
gadés sous  la  bannière  de  leurs  confréries,  ils  exé- 
cutèrent ensemble  ces  chefs-d'œuvre  d'orfèvrerie, 
de  sculpture,  de  ferronnerie,  d'enluminure,  de 
broderie,  de  tapisserie,  de  peinture  qu'on  se  dis- 
pute aujourd'hui,  et  dont  le  moindre  est  tenu  pour 
un  trésor. 

Tel  fut  le  moyen  âge.  Après  avoir  lutté  contre 
mille  obstacles,  l'Eglise  ramenait  le  chœur  des 
muses  sur  la  terre,  jusqu'au  jour  où,  sous  l'action 
directe  des  Papes,  les  ruines  de  la  Grèce  et  de  Rome 
livrèrent  leurs  secrets  à  la  Renaissance. 

Les  Papes  nous  apparaissent  dans  l'histoire  comme 
les  protecteurs  des  beaux-arts.  Rome,  centre  radieux 
des  croyances  chrétiennes,  a  été  de  tout  temps  la 
capitale  des  arts,  le  paradis  terrestre  des  artistes. 
Jules  II,  qui  semblait  ne  respirer  que  la  guerre  et 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  91 

faisait  tout  trembler  autour  de  lui,  était  l'idole  des 
Michel-Ange,  des  Raphaël.  Sixte-Quint,  si  sévère,  si 
ennemi  des  folles  profusions,  commandait  des  pro- 
diges aux  Fontana,  aux  autres  artistes  de  son  temps, 
et  les  récompensait  avec  une  magnificence  inouïe. 
Hhose  curieuse  !  C'est  l'Eglise  qui  a  découvert,  con- 
servé et  glorifié  les  monuments  de  Fart  antique. 
Elle  a  donné  un  trône  à  l'Apollon  des  païens. 
L'Eglise  a  conscience  de  sa  divinité,  elle  agit  sage- 
ment en  rangeant  autour  de  la  tombe  du  pêcheur 
galiléen  l'innombrable  famille  des  dieux  que  sa 
parole  renversa.  Pie  VII,  pour  bien  montrer  que 
la  grande  Révolution  n'avait  point  interrompu 
l'amour  traditionnel  de  l'Eglise  pour  les  arts,  a 
comblé  d'honneur  l'illustre  statuaire  Canova.  Gré- 
goire XVI  a  donné  une  nouvelle  tombe  au  pre- 
mier peintre  de  l'univers,  à  Raphaël,  et,  continuant 
l'œuvre  de  ses  prédécesseurs,  il  >a  complété  les 
immenses  collections  de  chefs-d'œuvre  amassées 
dans  les  galeries  du  Vatican.  Léon  XIII  a  été  un 
ami  éclairé  et  un  protecteur  zélé  des  lettres,  des 
sciences  et  des  arts. 

(Test  assez.  Il  suffit  d'ouvrir  les  yeux  pour  voir 
que  l'Eglise  est  l'inspiratrice  et  la  bienfaitrice  des 
arts.  L'Eglise  est  divine  de  tous  les  côtés  et  sous 
tous  les  aspects.  Elle  possède  le  vrai,  elle  répand  le 
bien,  elle  cultive  le  beau.  Gloire  à  elle! 

Amen! 


DIXIEME  CONFERENCE 

IV.  ~   L'ÉGLISE  ET  L'ENSEIGNEMENT 
1°  l'église  et  les  livres  de  l'antiquité  païenne 

Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  intellectuelle. 
Elle  aime,  elle  protège,  elle  cultive  les  lettres,  les 
sciences,  les  arts.  Elle  fait  plus.  Elle  les  propage. 
Non  contente  d'avoir  la  science,  elle  veut  la  ré- 
pandre, et  elle  ne  possède  la  lumière  que  pour 
la  donner.  Etudions  ses  bienfaits  dans  l'ordre  de 
renseignement.  D'abord  elle  a  conservé  les  sources 
du  savoir  antique,  c'est-à-dire  les  livres  des  au- 
teurs païens,  grecs  et  latins...  C'est  là  un  bienfait 
immense  qui  mérite  de  retenir  notre  attention. 
Nous  allons  constater  et  admirer  aujourd'hui  la  con- 
duite de  l'Eglise  à  l'égard  des  livres  de  l'antiquité 
païenne. 


I.  Quand  l'Église  entra  dans  le  monde,  déchira- 
t-elle  les  livres  des  auteurs  païens?  Non.  Elle  s'em- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  93 

para  de  la  lyre  d'Homère  et  la  plaça  dans  les  mains 
de  Grégoire  de  Nazianze  pour  chanter  le  vrai  Dieu. 
Elle  lut  Platon  et  le  donna  à  méditer  à  Justin  et  à 
Athénagore,  philosophes  chrétiens.  Elle  reçut  à 
Antioche  les  leçons  de  Libanius,  à  Rome  celles  de 
Symmaque,  à  Athènes  celles  de  la  tradition  tout 
entière,  et,  après  avoir  surpris  au  pied  de  ces  chaires 
encore  païennes  les  secrets  de  l'art  antique,  elle 
ramena  dans  ses  sanctuaires  saint  Basile,  saint 
Ambroise,  saint  Chrysostome  avec  l'éloquence  ra- 
jeunie, Origène  et  Tertullien  avec  la  controverse 
naissante,  saint  Jérôme  avec  tous  les  trésors  de 
l'érudition  sacrée  et  profane,  saint  Augustin,  orateur, 
philosophe,  historien,  le  dernier  écrivain  en  qui  se 
résume  le  monde  ancien  qui  s'éteint,  le  premier 
penseur  en  qui  s'annonce  tout  le  génie  de  la  civili- 
sation moderne.  Dès  l'origine,  l'Eglise  s'empare 
des  livres  de  l'antiquité  païenne  et  garde  au  monde, 
envahi  par  la  barbarie,  l'art  de  penser,  d'écrire,  de 
compter,  de  parler  et  de  se  souvenir,  devenu  dé- 
sormais pour  elle  un  dépôt  sacré.  Ceci  n'est  pas 
contestable. 

La  plupart  des  Pères  de  l'Eglise  avouent  leur  pré- 
férence, ou,  comme  ils  disent  eux-mêmes,  leur  fai- 
blesse pour  l'écrivain  qui  a  charmé  leur  jeunesse  et 
auquel  ils  doivent  en  partie  les  grâces  de  leur  style, 
ou  la  puissance  de  leur  dialectique,  ou  encore  leur 
profonde  connaissance  du  cœur  humain. 

L'Eglise  non  seulement  permet,  mais  conseille  à 


94  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

une  élite  intellectuelle  l'étude  des  lettres  païennes. 
Elleypousse,  elle  veutqu'onlesconnaisseàfond.  Saint 
Nil  le  Majeur  dispose  le  Manuel  d'Epictète  à  l'usage 
des  chrétiens.  Saint  Basile  compose  un  traité,  destiné 
à  ses  disciples,  sur  la  manière  de  lire  les  auteurs  pro- 
fanes. Vainement  Julien  l'Apostat  voudrait  étouf- 
fer sous  le  mépris  l'Église  condamnée  à  l'ignorance 
et  la  dépouiller  du  prestige  du  savoir,  l'Eglise  se  rit 
des  terreurs  et  des  persécutions  de  Julien.  Elle  le 
couche  dans  le  cercueil  que  lui  a  préparé  le  char- 
pentier de  Galilée,  et  elle  se  livre  avec  ardeur  non 
seulement  aux  sciences  sacrées,  mais  encore  aux 
sciences  profanes.  Où  trouver  des  esprits  plus  culti- 
vés que  Clément  d'Alexandrie  et  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  dont  l'un  avait  approfondi  et  expliqué  les 
origines  de  la  mythologie  païenne,  tandis  que  l'autre 
puisait  aux  écoles  d'Athènes  les  principes  de  l'élo- 
quence dans  laquelle  il  devait  égaler  Démosthène? 
Quel  grammairien  païen  fut  plus  familier  avec  les 
classiques  que  saint  Ambroise,  dont  les  discours 
rappellent  par  leur  éloquence  toute  cicéronienne  les 
meilleurs  temps  de  la  littérature  latine?  Quel  siècle 
de  l'antiquité  a  produit  une  érudition  plus  vaste 
que  celle  de  saint  Augustin,  et  quelle  encyclopédie 
égala  jamais  la  Cité  de  Dieu?  Quel  lettré,  quel  hu- 
maniste professa  pour  les  modèles  anciens  un  culte 
pareil  à  celui  dont  les  entoura  saint  Jérôme  ?  Il  em- 
porte avec  lui  en  Orient,  dans  la  grotte  de  Bethlé- 
hem,  les  livres  des  orateurs  païens;   il  les  lit  avec 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISEx  95 

un  tel  enthousiasme  que  sa  piété  en  est  effrayée. 
«  Homme  faible  et  misérable,  dit-il,  je  jeûnais  avant 
de  lire  Cicéron.  Après  plusieurs  nuits  passées  dans 
les  veillées,  après  des  larmes  abondantes  que  m'ar- 
rachait le  souvenir  de  mes  fautes,  je  prenais  Pla- 
ton. Lorsqu'ensuite,  revenant  à  moi,  je  m'attachais 
à  lire  les  Prophètes,  leurs  discours  me  semblaient 
rudes  et  négligés.  Aveugle  que  j'étais,  j'accusais  la 
lumière  !  »  Saint  Jérôme  menait  de  front  l'étude 
des  Saintes  Ecritures  et  la  lecture  des  auteurs  païens. 
Il  était  doublement  fort,  et,  au  nom  du  christia- 
nisme naissant,  il  pouvait  jeter  au  monde  ce  cri  de 
triomphe  :  «  Nous  ne  craignons  aucune  espèce  de 
comparaison.  » 


r 

IL  Au  moyen  âge,  l'Eglise  conserve  avec  un  soin 
jaloux  les  écrits  de  l'antiquité.  Par  un  prodige  de 
premier  ordre,  elle  sauve  de  l'invasion  des  Barbares 
et  des  révolutions  des  peuples  les  chefs-d'œuvre  de 
la  civilisation  grecque  et  romaine.  Dans  l'Europe 
changée  en  champ  de  bataiHe,  on  trouve  abrités 
dans  les  vallées,  ou  retranchés  sur  le  sommet  des 
montagnes  les  asiles  de  la  science  et  une  armée  char- 
gée de  la  conserver  et  de  la  transmettre  :  les  cou- 
vents et  les  moines. 

Les  couvents  sont  partout.  L'Italie  en  est  rem- 
plie. On  rencontre  sur  les  bords  de  la  Loire  les 
abbayes  savantes  de  Fleury  et  de  Ligugé  ;  puis  plus 


96  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

loin,  échelonnées  vers  le  nord,  Ferrières,  Saint- 
Wandrille,  Le  Bec,  Luxeuil,  Corbie.  En  Suisse, 
fleurissent  les  monastères  de  Reichenau  et  de  Saint- 
Gall.  En  Angleterre,  on  rencontre  à  chaque  pas 
des  collèges  et  des  séminaires.  En  Irlande,  sept 
mille  étudiants  font  entendre  leur  murmure  stu- 
dieux dans  la  seule  ville  d'Armagh.  Dans  la  Ger- 
manie presque  sauvage,  parmi  les  Saxons  conver- 
tis d'hier,  on  trouve  les  fondations  de  saint  Boni- 
face,  l'école  de  Fulda  et  la  nouvelle  Corbie  sur  le 
Wéser;  bien  plus,  on  découvre  un  couvent  de  reli- 
gieuses savantes,  le  monastère  de  Roswitha. 

Et  que  fait-on  dans  ces  maisons  religieuses?  On 
prie  et  on  travaille.  On  étudie  et  on  enseigne.  A 
côté  des  Saintes  Écritures  et  des  livres  liturgiques, 
on  a  les  auteurs  profanes.  On  les  conserve  précieu- 
sement. On  les  transcrit  magnifiquement.  L'impri- 
merie n'existait  pas  encore.  Ce  sont  les  moines  qui 
ont  multiplié  et  disséminé  sans  relâche  les  pré- 
cieux parchemins  de  l'antiquité  savante.  A  leurs 
yeux  la  transcription  des  manuscrits  était  une 
œuvre  sainte,  méritoire.  Il  y  avait  des  jours  où 
l'on  priait  en  commun  pour  les  copistes.  Outre  les 
religieux  appliqués  habituellement  à  ce  travail,  i)  y 
avait  certains  temps,  comme  le  Carême,  où  toute 
la  communauté  s'y  adonnait.  Les  statuts  des  Char- 
treux, rédigés  auxne  siècle,  prouvent  que  la  transcrip- 
tion était  leur  occupation  ordinaire.  Charlemagne 
accorde  la  permission  de  chasser  aux  religieux  de 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  97 

Saint-Bertin,  afin    qu'ils  aient  des   peaux  pour  la 
reliure  des  livres  de  l'abbaye. 

Vous  avez  souvent  entendu  parler  de  l'ignorance 
monacale.  Sachez  donc  un  peu  à  quoi  vous  en  tenir 
là-dessus.  Au  milieu  du  ixe  siècle,  Loup,  abbé  de 
Ferrières,  écrit  au  pape  Benoît  III  pour  lui  deman- 
der des  livres  qu'il  ne  trouve  pas  en  France:  saint 
Jérôme,  Cicéron,  Quintilien,  Térence,  promettant 
de  les  faire  copier  et  de  les  renvoyer.  Il  avait  établi 
ses  copistes,  non  à  Ferrières,  mais  à  la  Celle-de- 
Saint-Josse,  à  cause  du  voisinage  de  Montreuil,  pour 
l'arrivée  et  le  retour  plus  faciles  des  livres  qu'il 
tirait  des  monastères  de  la  Grande-Bretagne.  Quel 
bibliomane  que  Gerbert,  moine,  puis  pape  sous  le 
nom  de  Sylvestre  II!  Ses  lettres  ne  parlent  que  de 
livres  et  de  sommes  qu'il  employait  à  faire  trans- 
crire ceux  qu'il  découvrait  en  France,  en  Italie,  en 
Allemagne,  dans  les  Pays-Bas.  Il  demande  aux 
moines  de  Fleury  les  livres  de  Cicéron  :  la  Ré- 
publique, les  Verrines  et  ses  autres  discours.  Et 
Pierrele  Vénérable,  abbé  de  Cluny  !  Il  allait  jusqu'en 
Espagne  acheter  au  poids  de  l'or  les  traductions 
des  livres  arabes,  entre  autres  celles  de  l'Alcoran; 
à  l'abbaye  de  Fleury-sur-Loire,  il  y  avait  plus  de 
cinq  mille  étudiants,  et  chaque  écolier  devait, 
pour  l'honoraire  des  maîtres,  leur  présenter  tous 
les  ans  deux  volumes  qu'il  avait  transcrits...  c'était 
donc  un  tribut  annuel  de  dix  mille(  volumes.  Dans 
l'incendie  qui  consuma  le  monastère  de  Fleury  sur 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.    —   1-7 


98  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  fin  du  ixe  siècle,  les  moines  abandonnèrent 
leur  mobilier  aux  flammes  pour  sauver  leur  biblio- 
thèque. —  L'abbé  de  Saint-Galles,  pour  préserver 
la  bibliothèque  de  son  abbaye  du  pillage  des  Hon- 
grois, la  faisait  transporter  dans  les  montagnes  de 
la  Suisse.  —  Et  les  livres  sacrés  et  ecclésiastiques 
n'étaient  pas  seuls  l'objet  de  tant  de  sollicitude. 
Les  moines  regardaient  la  conservation  des  auteurs 
profanes  comme  un  devoir  de  religion.  De  savants 
religieux,  exténués  de  jeûnes,  se  consumaient  de 
veilles  et  de  travaux  pour  nous  transmettre  les  li- 
cencieuses fictions  de  la  mythologie.  Ils  espéraient 
que  la  connaissance  des  étranges  altérations  de 
l'esprit  humain  nous  ferait  mieux  apprécier  les  lu- 
mières de  la  foi,  et  dans  les  vérités  éparses  que 
contenaient  les  livres  des  païens  ils  voyaient  la 
préface  humaine  de  l'Evangile.  C'est  ainsi  que,  pen- 
dant tout  le  moyen  âge,  les  classiques  anciens  ont 
été  conservés  et  transcrits  par  l'Eglise  avec  la  vigi- 
lance la  plus  attentive.  Grâce  aux  évêques  et  aux 
moines,  grâce  à  la  sainte  Église,  la  science  du  grec 
et  du  latin  était  alors  plus  répandue  qu'elle  ne  l'est 
aujourd'hui.  Au  xme  siècle,  le  latin  est  commun  à 
tous  les  rangs  de,,  la  société,  et,  après  la  prise  de 
Constantinople  par  les  Croisés,  le  grec  se  répand 
de  plus  en  plus  en  Occident.  Toutes  les  œuvres  de 
ce  temps  débordent  de  réminiscences  classiques. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  99 

III.  Arrive  la  Renaissance  avec  la  découverte  de 
l'imprimerie.  L'Eglise  n'abandonne  pas  les  livres 
de  l'antiquité  païenne.  Un  Pape,  dont  le  goût  artis- 
tique et  le  sens  littéraire  égalaient  l'habileté  poli- 
tique, Léon  X,  prend  la  tête  du  mouvement  et  le 
dirige  avec  une  telle  sagesse  qu'il  mérite  de  donner 
son  nom  au  siècle  de  la  Renaissance.  Gutenberg 
vient  d'inventer  l'imprimerie,  et  les  savants  grecs, 
exilés  de  Constantinople,  errent  sans  asile.  Que 
fait  Léon  X?  Il  profite  de  ces  deux  circonstances 
pour  vulgariser  en  Italie"  la  connaissance  de  la 
langue  d'Homère.  Jean  de  Lascaris,  qu'il  fait  venir 
de  Venise,  lui  amène  une  colonie  de  jeunes  hellé- 
nistes qui,  comblés  de  ses  faveurs  et  de  ses  libéra- 
lités, mettent  tous  leurs  soins  à  faire  connaître  les 
chefs-d'œuvre  de  cette  antique  littérature.  Bientôt 
les  presses  d'Aide  Manuce  produisent  une  édition 
des  œuvres  de  Platon .  Homère  et  Sophocle  sont  exhu- 
més de  l'obscurité  où  ils  restaient  ensevelis.  L'im- 
primerie,  aussitôt  favorisée  et  utilisée  par  l'Eglise, 
met  à  la  portée  de  tous  les  lettrés  les  œuvres  de 
Pindare  et  de  Théocrite.  La  langue  latine  appelle 
également  l'attention  du  Pape.  Sadolet  et  Bembo, 
ses  secrétaires,  restituent  à  l'idiome  de  Cicéron  et 
de  Virgile  sa  pureté  primitive.  Léon  X  achète  au 
prix  énorme  de  500  ducats  un  exemplaire  des  cinq 
premiers  livres  de  Tacite,  qui  fut  tiré  de  l'abbaye 
de  Gorwey  en  Westphalie,  et  le  livre  aux  soins  de 


100  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'un  de  ses  meilleurs  imprimeurs.  En  un  mot,  le 
goût  des  classiques  se  développe  tellement  qu'il  va 
jusqu'à  l'exagération  et  provoque  un  retour  des 
esprits  et  des  mœurs  au  paganisme. 

Et  pendant  que  l'Italie  obéissait  ainsi  à  l'impul- 
sion puissante  de  Léon  X,  que  devenaient  l'Alle- 
magne et  l'Angleterre,  travaillées  à  la  même  époque 
par  les  adeptes  de  la  réforme?  «  Les  hautes  écoles, 
dit  Luther,  mériteraient  qu'on  les  détruisît  de  fond 
en  comble,  car  jamais  depuis  que  le  monde  est 
monde  il  n'y  eut  d'institution  plus  diabolique.  » 
Et,  de  fait,  sous  les  pas  du  Réformateur,  les  écoles 
se  ferment,  les  maîtres  sont  dispersés,  et  les  peuples 
retombent  dans  la  nuit  de  l'ignorance. 

Mais  à  cette  même  heure  si  critique  pour  l'Eglise 
et  pour  les  lettres,  Dieu  suscite  un  ordre  religieux 
dont  la  mission  principale  est  de  veiller  à  la  con- 
servation des  études,  de  les  favoriser  au  milieu  du 
protestantisme,  et  souvent  malgré  lui.  Les  Jésuites 
relèvent  ce  que  Luther  a  détruit,  et  à  Cologne,  à 
Trêves,  à  Mayence,  à  Augsbourg,  à  Paderborn,  à 
Anvers,  à  Prague,  à  Posen,  ils  ouvrent  des  collèges 
où  les  lettres  anciennes  sont  cultivées  avec  ardeur. 
Ils  vont  plus  loin.  Ils  publient  et  répandent  dans 
toute  l'Europe  lettrée  ces  éditions  annotées  et 
expurgées,  ces  commentaires  si  savants,  si  ingé- 
nieux et  en  même  temps  si  réservés  et  si  prudents, 
qui  ont  fait  autorité  jusqu'à  nos  jours  dans  tous  les 
établissements  chrétiens. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  101 

Et  cette  restauration  universelle  ne  s'est  pas  bor- 
née aux  contrées  envahies  par  la  Réforme.  Personne 
n'ignore  que  la  plupart  des  grands  hommes  de 
notre  xvne  siècle  reçurent  dans  les  collèges  des  Jé- 
suites l'éducation  qui  développa  et  fortifia  leur  gé- 
nie. Et  dans  les  collèges  une  large  part  du  pro- 
gramme d'instruction  est  donnée  à  l'étude  des 
anciens.  Chez  les  Jésuites  aucun  élève  n'était  admis 
à  prendre  des  leçons  de  sciences  ou  de  philosophie, 
s'il  ne  possédait  une  connaissance  suffisante  des 
langues  grecque  et  latine;  et  cet  usage,  universel 
dans  les  maisons  de  la  compagnie  de  Jésus,  fat 
bientôt  adopté  dans  les  collèges  de  l'Université. 

11  est  donc  prouvé  et  mille  fois  prouvé  que  dès 
l'origine,  et  au  moyen  âge  ou  à  la  Renaissance,  et 
depuis  dix-neuf  siècles,  l'Eglise  n'a  pas  cessé  de 
veiller  sur  les  livres  de  l'antiquité  païenne,  de 
les  protéger,  de  les  propager,  avant  comme  après 
l'invention  de  l'imprimerie.  Et  ici,  nous  avons  le 
droit  de  redire  la  fière  parole  de  saint  Jérôme  : 
«  Nous  ne  craignons  aucune  espèce  de  comparai- 
son. »  L'Eglise  à  travers  les  siècles  a  gardé  les 
sources  du  savoir  antique.  Je  plaindrais  ceux  qui 
n'auraient  pas  le  courage  de  la  remercier. 

Amen! 


ONZIÈME    CONFÉRENCE 

1°  l'église  et  les   livres  de  l'antiquité  PAÏENNE 

(suite) 


Messieurs, 

L'Église  a  conservé  précieusement  les  sources 
du  savoir  antique,  les  livres  des  anciens  païens. 
Comment  s'expliquer  une  pareille  conduite?  Est-ce 
que  l'Église  aurait  un  certain  amour  pour  ces  livres 
trop  souvent  remplis  d'erreurs  et  d'immoralités? 
Mais  oui,  l'Église  les  aime,  elle  les  aime  sagement. 
Après  avoir  vu  ce  qu'elle  a  fait  pour  eux,  voyons 
aujourd'hui  ce  qu'elle  en  pense.  Étudions  l'opinion 
de  l'Église  sur  les  livres  de  l'antiquité  païenne. 
Quelle  est  la  pensée  et  le  désir  de  l'Église  à  ce 
propos? 


I.  Ce  que  V Église  pense  des  classiques  païens. 

Elle  pense  qu'il  est  utile  de  les  connaître  et  de 
les   étudier,    parce    qu'ils    renferment   des    vérités 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  103 

éparses.  Oui,  malgré  les  ténèbres  qui  couvraient 
l'intelligence  humaine  avant  Jésus-Christ,  il  faut 
reconnaître  sur  le  front  des  grands  hommes  de 
l'antiquité  un  reflet  de  la  lumière  d'en  haut.  Les 
plus  belles  pages  de  leurs  œuvres  ont  été  inspirées 
parles  restes  flottants  des  traditions  hébraïques.  Les 
hymnes  d'Orphée  et  de  Gléanthe  rappellent  de  loin 
les  chants  sacrés  qui  célèbrent  la  gloire  de  Jého- 
vah.  Plusieurs  passages  d'Eschyle  semblent  des 
imitations  du  livre  de  Job.  Homère  rivalise  souvent 
avec  la  majesté  et  la  simplicité  des  récits  bibliques. 
De  plus,  les  auteurs  anciens  travaillaient  sur  le 
fonds  commun  et  inépuisable  des  idées-  et  des  senti- 
ments naturels  ;  ils  avaient  sous  les  yeux  le  modèle 
éternel  de  toute  peinture  émouvante  et  vraie  : 
l'homme  même,  avec  ses  tristesses  et  ses  joies,  ses 
misères  et  ses  vertus,  et  les  étranges  vicissitudes 
de  son  pèlerinage  ici-bas.  Sans  doute  ils  n'ont 
jamais  pu,  malgré  toutes  les  ressources  de  l'art 
et  toutes  les  puissances  du  talent,  se  rendre  pleine- 
ment maitres  de  leur  sujet.  Ils  n'ont  su  découvrir 
de  la  nature  de  l'homme,  de  son  origine,  de  ses 
destinées,  de  ses  aspirations  infinies,  que  très  peu 
de  choses  ;  du  vrai  Dieu  ils  n'ont  presque  rien  dit  ; 
et  néanmoins  quiconque  a  seulement  parcouru  les 
chants  héroïques  de  la  Grèce  sait  quels  monuments 
le  génie  est  parvenu  à  élever  avec  ces  débris  épars. 
Aussi  l'Eglise,  dont  la  mission  est  de  révéler  dans 
son  plein  jour  la  lumière  que  le  paganisme  avait 


lOi  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

parfois  entrevue,  se  garde  bien  de  déchirer  des 
pages  qu'elle  regarde  comme  une  préface  humaine 
de  l'Évangile.  Elle  déclare  qu'il  est  non  seulement 
permis,  mais  utile  de  connaître  et  d'étudier  les  clas- 
siques païens,  parce  qu'ils  renferment  des  vérités 
éparses. 

Et  aussi  parce  qu'ils  se  recommandent  par  une 
beauté  de  forme  tout  à  fait  digne  de  respect  et 
d'admiration.  En  effet  les  anciens  sont  restés  les 
vrais  modèles  et  le  meilleur  guide  en  l'art  litté- 
raire. Malgré  la  pauvreté  de  la  doctrine  païenne  sur 
laquelle  ils  ont  exercé  leur  génie,  ils  sont  habituelle- 
ment plus  simples,  plus  naturels,  plus  sincères  que 
leurs  imitateurs  modernes.  Leurs  écrits  ne  sentent 
pas  l'effort.  Voyez  les  tragiques  grecs  en  particulier. 
Artistes  d'une  sincérité  admirable,  tout  entiers  à 
l'idéal  qui  les  a  charmés,  ces  vieux  maîtres  ne 
paraissent  jamais  préoccupés  de  philosopher,  ni  de 
créer  la  difficulté  pour  conquérir  l'honneur  de  la 
vaincre.  A  la  différence  de  nos  auteurs  modernes, 
même  les  meilleurs,  qui  attachent  beaucoup  de 
prix  à  éveiller,  à  surexciter  et  à  satisfaire  enfin  la 
curiosité,  ils  ne  poursuivent  qu'un  but  :  la  simple 
expression  du  Beau.  Point  de  complications,  ni  de 
ruses  du  métier;  jamais  de  ces  coups  de  théâtre 
dont  l'effet  principal  est  de  surprendre  le  lecteur  ou 
de  le  tenir  en  haleine.  S'ils  s'émeuvent,  c'est  d'admi- 
ration, de  tristesse,  de  terreur,  de  pitié.  L'impres- 
sion qu'ils  laissent,  c'est  celle   d'un    ravissement 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  105 

calme,  silencieux,  qui  repose  et  épanouit  l'âme, 
non  celle  d'un  étonnement  qui  l'agite  et  la  trouble. 
Tel  est  le  secret  de  l'empire  exercé  par  les  clas- 
siques anciens  sur  les  meilleurs  esprits  de  toutes 
les  nations  et  de  tous  les  siècles  ;  tel  est  le  secret  de 
l'enthousiasme  qui  inspirait  au  poète,  M.-J.  Ghénier, 
cet  éloquent  hommage  : 

Trois  mille  ans  ont  passé  sur  la  tombe  d'Homère, 
Et  depuis  trois  mille  ans,  Homère  respecté, 
Est  jeune  encor  de  gloire  et  d'immortalité  I 

L'Eglise,  Messieurs,  ne  désavoue  pas  ces  senti- 
menls.  Elle  les  partage.  Elle  déclare  hautement 
qu'il  est  utile  de  connaître  et  d'étudier  les  clas- 
siques païens,  pour  la  double  raison  qu'ils  sont 
recommandables  et  par  la  beauté  de  la  forme  et 
par  les  vérités  éparses  qu'ils  ont  sauvées  du  nau- 
frage de  Terreur  universelle. 

Cependant,  ici  comme  partout,  il  est  nécessaire  de 
ne  rien  exagérer,  et  il  importe  de  ne  pas  attribuer 
à  l'Eglise  une  admiration  sans  limites  pour  les 
classiques  païens.  Nous  connaissons  sa  pensée.  Etu- 
dions ses  désirs. 


II.  Ce  que  l'Église  désire  par  rapporta  l'enseigne- 
ment des  classiques  païens. 

Dès  le  xvne  siècle  certains  hommes  proposèrent  de 


106  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

bannir  les  auteurs  païens  de  l'éducation  publique, 
mais  cette  idée  ne  fut  soutenue  que  par  un  petit 
nombre  d'esprits  singuliers.  Dans  la  fameuse  que- 
relle des  Anciens  et  des  Modernes,  l'Eglise,  restée 
fidèle  à  ses  traditions,  continua  d'admirer  l'élo- 
quence et  la  poésie  répandues  dans  les  ouvrages 
classiques,  comme  des  reflets  lointains  de  la  vérité 
et  de  la  beauté  éternelles.  Plus  tard,  en  présence 
des  tendances  de  plus  en  plus  païennes  de  l'ensei- 
gnement universitaire,  de  nombreux  ecclésias- 
tiques demandèrent  que  l'on  fît  une  part  plus  large 
dans  les  collèges  chrétiens  à  l'explication  des  auteurs 
chrétiens.  C'était  justice.  L'Eglise,  bien  entendu, 
n'a  jamais  eu  l'intention  d'exclure  les  écrits  des 
Anciens.  Mais  elle  demande  trois  choses  qui  sont 
souverainement  raisonnables. 

r 

L'Eglise  demande  d'abord  que  les  classiques 
païens  soient  expurgés.  Il  y  a  dans  les  auteurs  païens 
des  énormités,  des  immoralités,  même  dans  Platon, 
même  dans  Virgile.  Irez-vous  étaler  ces  lubricités 
sous  les  yeux  d'une  jeunesse  curieuse  et  incan- 
descente? Ce  serait  une  souveraine  imprudence. 
Avant  donc  d'introduire  dans  le  programme  de 
l'enseignement  les  ouvrages  de  l'antiquité,  il  est 
absolument  nécessaire  de  les  émonder,  de  les  dé- 
barrasser des  passages  qui  seraient  dangereux  pour 
la  vertu  des  étudiants.  En  1853,  le  pape  Pie  IX, 
écrivant  aux  évêques  de  France,  leur  dit  :  «  Con- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  d07 

tinuez  comme  vous  le  faites  à  ne  rien  épargner 
pour  que  les  jeunes  clercs  soient  formés  de  bonne 
heure  à  toute  vertu...  pour  qu'ils  soient  instruits 
avec  autant  de  profondeur  que  de  vigilance  des 
lettres  humaines  et  des  sciences  sacrées...  pour 
qu'ils  puissent  apprendre  l'art  de  parler  avec  élo- 
quence, d'écrire  élégamment,  en  étudiant  tant  les 
ouvrages  si  excellents  des  saints  Pères  que  lés  écrits 
des  écrivains  païens  les  plus  célèbres,  après  qu'ils 
auront  été  soigneusement  expurgés.  »  La  décision  est 
nette  et  précise.  Il  faut  garder  les  classiques  païens. 
Mais,  avant  de  les  mettre  entre  les  mains  de  la  jeu- 
nesse, il  faut  les  expurger.  Telle  est  la  règle  tracée 
par  l'autorité  légitime,  et  cette  règle  repose  sur  le 
plus  simple  bon  sens.  L'Eglise,  mère  intelligente 
et  attentive,  désire  que  les  classiques  païens  soient 
expurgés. 

Elle  désire  de  plus  qu'ils  soient  expliqués.  Il 
importe  d'en  montrer  les  beautés.  Mais  il  n'im- 
porte pas  moins  d'en  montrer  les  lacunes  et  les  in- 
suffisances. Sans  cela  la  jeunesse  studieuse  ne  con- 
naîtrait jamais  ni  ce  que  nous  devons  d'amour  et 
de  reconnaissance  au  christianisme,  ni  ce  que  mé- 
ritent de  mépris  les  farceurs  qui  nous  vantent  les 
lumières  de  la  raison  et  de  la  philosophie  humaine 
en  matière  religieuse  et  sociale.  11  y  a  dans  les 
auteurs  anciens  une  révélation  du  paganisme. 
Voilà  ce  qu'il  faut  voir,  montrer  et  expliquer.  Sans 


108  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

doute  le  tableau  vrai  du  paganisme  a  un  côté  im- 
monde qu'il  faut  soigneusement  dérober  au  regard 
de  la  jeunesse.  Mais  il  a  en  même  temps  un  côté 
barbare,  inhumain,  qu'il  importe  de  mettre  en  lu- 
mière... côté  tellement  incroyable  pour  l'adoles- 
cent élevé  au  sein  d'une  famille  et  d'une  société 
chrétienne  qu'il  est  bon  d'appeler  en  témoignage 
l'élite  des  écrivains  de  l'antiquité.  Voilà  ce  qu'il 
faut  montrer  aux  jeunes  gens  dans  le  paganisme  : 
l'élégance  parfaite  de  la  pensée  et  de  la  langue,  la 
culture  passionnée  des  lettres,  de  la  philosophie, 
des  beaux-arts  s' unissant  à  la  férocité  des  mœurs, 
à  l'atrocité  des  lois,  et  les  plus  nobles  esprits  de 
l'époque  justifiant,  défendant,  célébrant  des  insti- 
tutions dont  la  barbarie  nous  fait  frémir.  Si  on  ne 
fait  pas  cela,  la  jeunesse  s'éprend  d'un  engouement 
pernicieux  et  ridicule,  non  seulement  pour  la  litté- 
rature, mais  pour  la  civilisation  grecque  et  ro- 
maine; et  après  dix-neuf  siècles  de  christianisme  on 
forme  des  païens  qui  se  pâment  d'admiration  devant 
l'antiquité.  Je  le  crois  bien!  Ils  ne  la  connaissent 
pas.  Ils  n'en  ont  vu  que  la  surface  brillante.  On  ne 
leur  a  pas  montré  les  plaies  profondes  et  incu- 
rables qui  se  cachent  sous  le  vêtement  soyeux  des 
nations  idolâtres.  L'Église  veut  donc  et  elle  a  rai- 
son de  vouloir  que  les  classiques  païens  soient 
expurgés  et  expliqués. 

Elle  désire  enfin  qu'ils  soient  complétés  par  l'étude 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  109 

des  classiques  chrétiens.  Ce  que  le  pape  Pie  IX 
avait  dit  une  première  fois  en  1853,  il  l'a  redit  de 
nouveau  en  1874,  à  savoir  «  qu'il  faut  faire  étudier 
à  la  jeunesse,  avec  les  ouvrages  classiques  des 
anciens  païens  purgés  de  toute  souillure,  les  plus 
beaux  écrits  des  auteurs  chrétiens».  C'est  clair.  Et 
d'ailleurs  quoi  de  plus  raisonnable  et  de  plus  néces- 
saire? On  s'étonne  et  l'on  s'afÛige  de  voir  bon  nombre 
de  jeunes  gens  afficher,  au  sortir  des  études,  le  mépris 
des  idées  religieuses  et  faire  profession  d'irréligion. 
Comment  en  serait-il  autrement  quand  leur  esprit, 
préoccupé  exclusivement  des  images  de  la  Grèce 
et  de  Rome,  s'est  habitué  à  voir  dans  les  nations 
païennes  le  type  de  la  perfection  intellectuelle  et 
sociale,  quand  l'étude  du  christianisme,  bornée  à 
la  simple  connaissance  des  devoirs  religieux, 
semble  n'être  placée  là  que  pour  contraster  par 
l'austérité  de  ses  dogmes  et  de  sa  morale  avec  les 
riantes  et  voluptueuses  fictions  de  la  mythologie? 
Dans  cet  âge  d'illusions  et  de  folies,  quel  est  le 
jeune  homme  nourri  des  gracieuses  inventions  de 
la  Grèce  menteuse,  des  grandioses  souvenirs  de 
Rome  maîtresse  du  monde,  qui  ne  soit  tenté  de 
regretter  cet  âge  d'or,  qui  ne  s'afflige  en  secret  de 
n'être  pas  ou  grec  ou  romain?  L'antiquité  lui  est 
connue  jusque  dans  ses  moindres  détails,  et  il  ne 
sait  pas  un  mot  des  martyrs,  des  écrits  des  Pères, 
de  l'histoire  de  nos  saints,  des  merveilles  de  notre 
civilisation  chrétienne.  C'est  un  désordre.  Tant  que 


110  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  jeunesse  n'aura  sur  la  société  païenne  que  les 
jugements  des  auteurs  païens,  et  sur  le  christia- 
nisme que  les  leçons  d'un  maigre  catéchisme,  elle 
ne  connaîtra  pas  la  vérité  totale  et,  donnant  secrè- 
tement la  préférence  aux  païens  sur  les  chrétiens, 
elle  sera  tentée  de  dire  avec  Voltaire:  «Dieu  visita 
le  monde  et  ne  l'a  pas  changé.  » 

—  L'Église  désire  que  les  classiques  païens 
soient  expurgés,  expliqués  et  complétés  par  l'étude 
des  classiques  chrétiens.  Elle  a  raison.  Ne  dites 
pas  qu'elle  est  exagérée  dans  ses  prétentions  et 
qu'elle  sacrifie  les  grands  modèles  de  l'antiquité. 
Bien  au  contraire.  Elle  les  a  toujours  protégés. 
Et  aujourd'hui  encore  que  voyons-nous?  Nous 
voyons  notre  société  frivole  abandonner  de  plus  en 
plus  Tétude  du  latin  et  du  grec.  Le  temps  consa- 
cré autrefois  aux  thèmes  et  aux  versions  est  employé 
maintenant  aux  expériences  de  physique  et  aux 
leçons  d'histoire  naturelle.  La  science  du  bien-être 
matériel  peut  y  gagner  ;  mais  les  générations  nou- 
velles ne  verront-elles  pas  en  revanche  diminuer 
et  s'éteindre  la  vigueur  de  l'intelligence,  l'élévation 
de  la  pensée,  la  distinction  de  l'esprit,  la  rectitude 
du  jugement,  la  noblesse  du  caractère  ?  Faut-il  donc 
désespérer  de  l'avenir  intellectuel  de  notre  pays  ? 
Non,  l'Eglise  reste.  L'Eglise  veille.  Elle  a  fait  la 
gloire  littéraire  de  la  France  comme  sa  grandeur 
politique.  Or  l'Église  est  debout.  Elle  a  des  écoles 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  \\{ 

libres  où  elle  conserve,  comme,  en  un  sanctuaire, 
le  dépôt  des  saines  traditions.  C'est  de  là  que 
viendra  la  lumière,  lorsque  la  tempête  des  révolu- 
tions aura  passé.  L'Eglise,  depuis  dix-neuf  siècles, 
garde  les  sources  du  savoir  ;  elle  ne  faillira  pas  à 
sa  tache  dans  l'avenir  I 

Amenl 


DOUZIÈME  CONFERENCE 

2°  l'église  et  l'enseignement   SUPÉRIEUR 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  intellectuelle. 
Elle  protège  et  cultive  les  lettres,  les  sciences  et  les 
arts.  Et,  non  contente  de  posséder  le  savoir,  elle  le 
répand.  Elle  enseigne  avec  un  égal  amour  et  une 
vigilance  égale  toutes  les  classes  de  la  société,  les 
classes  dirigeantes  et  les  classes  populaires.  Etu- 
dions aujourd'hui  les  bienfaits  de  F  Eglise  dans 
Tordre  de  l'enseignement  supérieur.  Il  y  a  là  ma- 
tière à  plusieurs  volumes.  J'essaierai  de  tout  dire 
en  deux  conférences.  Nous  parlerons  successive- 
ment des  propagateurs  et  des  établissements  de  l'en- 
seignement supérieur. 

A  travers  dix-neuf  siècles  l'Eglise  a  propagé  l'en- 
seignement supérieur  par  le  moyen  des  Papes,  des 
évêques,  des  moines,  des  rois  catholiques  et  d'une 
multitude  d'hommes  éminents  animés  de  son  esprit 
et  sortis  de  son  sein. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  113 

I.  Les  Papes  et  les  Évêques  fondent  l'enseigne- 
ment supérieur. 

En  envahissant  l'Europe,  les  barbares  ensevelis- 
saient dans  les  mêmes  ruines  les  institutions  poli- 
tiques et  les  écoles  romaines.  En  présence  de  la 
force  brutale,  une  seule  puissance  restait  debout, 
l'Eglise  catholique,  tenant  d'une  main  fernfë  le 
flambeau  de  la  science  ramassé  au  milieu  des  dé- 
bris. Et  aussitôt  nous  la  voyons  partout  se  mettre  à 
l'œuvre  pour  enfanter  l'enseignement  supérieur.  Les 
Papes  et  les  évêques  tiennent  la  tête  du  mouvement. 

En  Italie,  le  pape  Grégoire  le  Grand  fonde  dans  le 
palais  de  Latran  une  école  de  chantres  où  l'on 
se  borne  d'abord  à  enseigner  la  musique,  et  qui, 
devenue  par  ses  transformations  successives  la 
lumière  de  Rome  et  l'exemple  de  l'Occident,  sert 
de  modèle  à  l'école  du  palais  des  Mérovingiens. 
Gardée  par  le  génie  vigilant  et  initiateur  de  la  Pa- 
pauté, Rome,  pendant  et  après  les  invasions,  restait 
reine  et  maîtresse  entre  les  nations,  car  elle  tenait 
toujours  le  sceptre  de  l'intelligence. 

En  Espagne,  les  lettres  grecques  et  latines  étaient 
en  paix  et  en  honneur  sous  la  crosse  des  évêques. 
Les  écoles  épiscopales  se  soutenaient  au  sein  même 
de  l'invasion  musulmane,  et,  à  la  fin  du  xe  siècle, 
l'illustre  Gerbert  venait  s'instruire  dans  le  palais 
épiscopal  de  Vich  en  Catalogne. 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.  —  1-8 


1  [  y  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

En  France,  les  évoques  ouvraient  dans  leurs 
palais  de  florissantes  écoles.  Hincmar,  le  célèbre 
archevêque  de  Reims  et  Foulques,  son  successeur, 
fondèrent  ainsi  un  établissement  d'instruction  qui 
conserva  sa  renommée  pendant  tout  le  moyen  âge. 
Et  dans  ces  écoles  épiscopales,  comme  aujourd'hui 
dans  nos  séminaires  mixtes,  de  futurs  lévites  et  de 
jeunes  séculiers,  des  jeunes  gens,  destinés  les  uns 
à  la  vie  ecclésiastique  et  les  autres  à  la  vie  du 
monde,  s'initiaient  ensemble  à  la  science  sacrée  et 
à  la  science  profane.  Dans  ces  temps  reculés,  du 
ve  au  xme  siècle,  l'Eglise  par  ses  évêques  s'acquit- 
tait déjà  de  son  rôle  d'institutrice  de  l'Europe.  Mais 
les  évêques  ne  pouvaient  seuls  suffire  à  une  pareille 
tâche,  absorbés  qu'ils  étaient  par  Févangélisation 
des  peuples  et  par  l'administration  des  diocèses; 
obligés  de  pourvoir  en  même  temps  aux  besoins 
spirituels"  des  populations  et  aux  nécessités  tempo- 
relles, de  la  société  civile,  ils  n'avaient  ni  le  temps 
ni  les  moyens  de  donner  tout  son  essor  à  l'enseigne- 
ment supérieur. 


II.  Les  moines  apparaissent  et  instituent  dans 
leurs  monastères  des  écoles  conventuelles.  Dès  l'an- 
née 360,  saint  Martin  fonde  à  Ligugé  un  monastère 
célèbre,  puis  d'autres  foyers  de  lumière  à  Milan, 
à  Trêves,  à  Tulle  et  surtout  à  Marmoutiers,  sa 
résidence.  Et  successivement,  sur  tous  les  points 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  H  5 

de  la  France,  nous  voyons  surgir  de  grandes  abbayes, 
comme,  chez  nous,  Ferrières-en-Gâtinais  et  Saint- 
Benoît-sur-Loire,  qui  distribuent  le  haut  enseigne- 
ment et  qui  recueillent  jusqu'à  quatre  ou  cinq  mille 
élèves. 

En  Italie,  même  efflorescence  de  monastères  et 
d'écoles  conventuelles.  Dans  la  Lombardie,  au  fond 
des  âpres  déserts  de  l'Apennin,  à  Bobbio,  saint 
Colomban  venu  d'Irlande  fonde  un  grand  monas- 
tère où  les  études  sont  en  honneur,  où  les  traditions 
du  savoir  se  conservent  si  bien  qu'au  xe  siècle  la 
bibliothèque  de  Bobbio  possède  des  écrits  de  Démos- 
thène  et  d'Aristote,  les  principaux  poètes  latins,  et 
une  quantité  incroyable  de  grammairiens.  Et  en 
même  temps  un  autre  foyer  de  sciences  s'allume  au 
midi  de  l'Italie.  Saint  Benoît  donne  à  ses  religieux 
du  mont  Cassin  cette  règle  célèbre  qui  régit  bientôt 
tous  les  cloîtres  de  l'Occident  et  qui  impose  aux 
moines  Bénédictins  la  culture  des  lettres. 

En  Irlande,  les  monastères  sont  les  abris  de  la 
science,  et  en  Angleterre  surgissent  de  grandes  écoles 
monastiques  dont  la  renommée  a  rempli  l'Europe 
pendant  des  siècles  :  Gantorbéry,  Oxford,  Cambridge, 
Winchester.  C'est  en  Angleterre  que  Gharlemagne  a 
pris  le  moine  Alcuin,  qui  fut  le  véritable  éducateur 
de  la  France  carlovingienne. 

Ainsi  dès  ces  temps  reculés,  duv°au  xme  siècle, 
l'Eglise,  par  ses  évoques  et  par  ses  moines,  remplis- 
sait assez  bien  son  rôle  d'éducatrice  de   l'Europe. 


416  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Cependant  les  moines  et  les  évêques  ne  suffisaient 
pas  à  la  tâche.  L'Eglise,  pour  assurer  le  service 
si  nécessaire  de  l'enseignement  supérieur,  chercha 
et  trouva  de  puissants  collahorateurs  dans  la  per- 
sonne des  princes  chrétiens. 


III.  Les  rois  catholiques  coopèrent  efficace- 
ment à  la  création  et  à  la  diffusion  de  l'enseigne- 
ment supérieur,  sous  l'influence  de  l'Eglise  qui  les 
inspire,  les  dirige  et  les  encourage. 

Glovis  fonde  une  école  dans  son  propre  palais; 
ses  successeurs  la  conservent  et  la  développent. 
Cette  école,  après  n'avoir  été  d'abord  qu'un  noviciat 
ecclésiastique,  devint  bientôt  un  apprentissage  des 
grands  emplois  publics  pour  la  jeunesse  laïque. 

Puis  voici  Charlemagne  ;  il  se  fait  initier  lui-même 
parles  savants  étrangers  à  toutes  les  science^  connues 
de  son  temps.  Il  attire  auprès  de  lui  le  diacre  lom- 
bard, Pierre  de  Pise;  Théodulphe,  également  lom- 
bard, élevé  plus  tard  sur  le  siège épiscopald'Orléans; 
l'Espagnol  Agobard;  saint  Benoît  d'Aniane,  et 
enfin  le  moine  anglais  Alcuin,  qui  fut  comme  le 
ministre  de  l'instruction  publique  de  Charlemagne. 
Sous  sa  direction,  l'école  du  palais  prit  une  impor- 
tance et  un  éclat  extraordinaires.  Elle  devint  une 
académie  d'hommes  lettrés  et  savants.  Elle  devint, 
avec  le  concours  du  monarque,  des   moines,  des 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  H7 

abbés  et  des  évêques,  avec  le  double  concours  du 
clergé  et  des  rois  très  chrétiens,  cette  fameuse  école 
de  Paris,  premier  germe  des  Universités. 

Là,  à  l'école  de  Paris,  accouraient  les  écoliers 
pour  y  recevoir  les  leçons  des  maîtres  les  plus 
célèbres  du  monde  entier.  Ces  écoliers  formaient, 
par  leur  grand  nombre,  une  population  distincte, 
et,  au  commencement  du  xme  siècle,  sous  Philippe- 
Auguste,  l'affluence  de  ces  jeunes  gens  devint  si  con- 
sidérable que  la  population  s'en  trouva  doublée  et 
ju'il  fallut  pour  ce  motif  élargir  l'enceinte  de  la 
Cité.  L'heure  était  venue  de  donner  à  ce  vaste  corps 
enseignant  une  organisation.  Par  suite  d'un  di- 
plôme émané  de  Philippe-Auguste  et  de  deux  bulles 
promulguées  par  Innocent  III,  lesprofesseurs  et  leurs 
disciples  se  constituent  en  corporation,  et  leur  com- 
munauté s'appelle  désormais  régulièrement  l'Uni- 
versité des  maîtres  et  des  étudiants  de  Paris,  ou 
simplement  l'Université  des  études,  et  plus  tard 
l'Université  tout  court.  Nous  arrivons  ainsi  à  la 
période  brillante  et  définitive  de  l'enseignement 
supérieur.  C'est  l'Eglise  qui  a  tout  fait  soit  par  elle- 
même  avecsesPapes,  sesévêques  etses  moines,  soit 
par  les  rois  catholiques  dont  elle  a  suscité  l'initia- 
tive et  dirigé  les  efforts.  C'est  elle  encore  qui  du 
xme  au  xixe  siècle  continue  de  tout  faire  par  les 
mêmes  moyens  et  avec  les  mômes  auxiliaires. 


i  18  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

IV.  Les  hommes  d'Église  qui  ont  propagé  l'en- 
seignement supérieur  se  sont  fait  dans  l'histoire 
un  nom  immortel.  Il  m'est  impossible  de  les  citer 
tous.  Il  est  utile  cependant  de  vous  en  nommer 
quelques-uns. 

Est-ce  que  ce  n'étaient  pas  des  hommes  d'Eglise, 
le  moine  Alcuin  qui  apprit  les  langues  à  Charle- 
magne  ;  et  le  pieux  Hincmar,  qui  jeta  tant  d'éclat 
sur  l'école  de  Reims;  et  le  pape  Gerbert,  qui  fit 
asseoir  toutes  les  sciences  de  son  temps  sur  le 
siège  de  saint  Pierre  ;  et  saint  Anselme,  si  profon- 
dément initié  à  la  connaissance  de  Dieu  ;  et  Albert 
le  Grand  qui  a  tout  enseigné  ;  et  Thomas  d'Aquin 
qui  a  tout  écrit;  et  ces  précurseurs  des  décou- 
vertes modernes,  qui  au  fond  d'une  école  obscure 
préparaient,  entre  la  prière  et  les  devoirs  de  l'en- 
seignement, les  premières  explosions  du  salpêtre 
et  les  premières  analyses  de  la  chimie? 

Et  plus  tard,  quand  la  Renaissance  multiplie  les 
chaires,  est-ce  que  l'Église  ne  se  multiplie  pas  à 
son  tour  pour  leur  donner  des  maîtres,  qui  s'ap- 
pellentles  Minimes,  les  Barnabites,  les  Doctrinaires, 
les  Oratoriens,  les  Jésuites,  en  qui  les  Anciens 
trouvent  des  commentateurs  habiles,  et  la  jeunesse 
des  apôtres  dévoués? 

Levez-vous  de  la  poussière  glorieuse  de  votre 
tombe,  juristes  de  Bologne,  lettrés  de  Padoue,  phi- 
losophes et  théologiens  d'Alcala,  de  Salamanque, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  H 9 

d'Oxford,  de  Louvain  et  de  Paris,  savants  et  éru- 
dits  de  toutes  les  Universités  du  moyen  âge,  où  le 
titre  d'écolier  valait  un  titre  de  noblesse!  Levez- 
vous  avec  la  Divine  Comédie  du  Dante  et  la  Somme 
Théologique   de  l'incomparable  Thomas  d'Aquin  ! 

Levez-vous,  siècle  de  Léon  X  avec  vos  manus- 
crits de  Tacite  et  vos  trois  cents  manuscrits  de  l'an- 
tiquité retrouvés  ;  levez -vous  avec  vos  Michel-Ange, 
vos  Raphaël,  vos  Léonard  de  Vinci  et  vos  mille 
éclairs  de  génieJ 

Levez-vous,  siècle  de  Louis  XIV,  grand  siècle, 
fils  de  la  France  et  de  l'Eglise  !  Levez- vous  avec 
Racine  et  Corneille,  avec  les  Oraisons  funèbres 
et  Y  Histoire  universelle  de  Rossuet!  Levez-vous, 
grands  hommes  du  plus  grand  de  nos  siècles  litté- 
raires, et  dites-nous  quels  furent  les  maîtres  qui 
vous  formèrent  à  tous  les  secrets  de  l'art  de  pen- 
ser, de  parler  et  d'écrire,  et  dites-nous  si  ces  maîtres 
ne  furent  pas  des  saints  de  premier  ordre,  des 
savants  de  premier  ordre!  Ces  maîtres  qui  ont 
formé  l'Europe  chrétienne,  qui  ont  produit  toutes 
les  sommités  intellectuelles  de  l'histoire  pendant 
dix-neuf  siècles,  ces  maîtres  qui  furent  des  géants, 
on  les  accuse  d'incapacité,  d'ignorance  et  d'obscu- 
rantisme... C'est  une  infamie!  Et  au  nom  delà 
vérité  historique,  au  nom  de  l'honnêteté  la  plus 
vulgaire,  je  proteste  contre  les  menteurs  et  les 
ignorants  qui  calomnient  nos  vieux  siècles  chré- 
tiens, nos  vieilles  gloires  catholiques  ! 


120  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

L'enseignement  supérieur,  Messieurs,  est  néces- 
saire à  notre  civilisation.  Il  en  est  la  richesse  et 
la  parure.  Or  l'Eglise  a  été  dans  le  passé  la  mère, 
la  maîtresse  et  la  reine  de  l'enseignement  supé- 
rieur. Elle  a  été  la  véritable  institutrice  de  l'Eu- 
rope. Comment  s'est-elle  acquittée  de  sa  tâche? 
1°  Elle  a  gardé  précieusement  les  sources  du 
savoir,  les  livres  de  l'antiquité  païenne  ;  2°  Elle  a 
propagé  le  haut  enseignement  par  le  ministère 
de  ses  Papes,  de  ses  évêques  et  de  ses  moines, 
parle  concours  des  princes  catholiques,  par  la  col- 
laboration des  hommes  éminents  qu'elle  a  formés  et 
dont  elle  a  fait  ses  mandataires  et  ses  représentants. 
L'Eglise  a  fourni  à  l'enseignement  supérieur  des 
livres  et  des  maîtres.  Ce  n'était  pas  assez.  Elle 
lui  a  ouvert  des  établissements  splendides.  Nous 
verrons  cela  dimanche. 

Amen  1 


TREIZIÈME  CONFERENCE 

2°  l'église  et  l'enseignement  SUPÉRIEUR 
(suite) 


Messieurs, 

L'Eglise  estime  grande  puissance  intellectuelle. 
L'enseignement  supérieur  a  trouvé  chez  elle  des 
propagateurs  que  je  vous  ai  nommés  et  des  éta- 
blissements scolaires  sur  lesquels  je  vais  appeler  au- 
jourd'hui votre  attention.  Je  n'ai  que  le  temps  de 
vous  donner  sur  ces  vastes  sujets  quelques  indica- 
tions succinctes. 


,  r 

I.  Je  vous  signale  d'abord  les  Ecoles  que  l'Eglise 
a  ouvertes  du  ve  au  xine  siècle  :  écoles  épiscopales, 
écoles  du  palais,  et  surtout  écoles  monastiques  où 
se  distribue  le  haut  savoir.  Abrités  dans  les  vallées 
ou  retranchés  sur  les  sommets  des  montagnes,  les 
couvents  cultivent  la  science  et  la  donnent.  Les 
couvents  parsèment  l'Europe.  L'Italie  en  est  rem- 


{  22  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

plie.  On  rencontre  sur  les  bords  de  la  Loire  les 
abbayes  savantes  de  Fleury  et  de  Ligugé,  et  plus 
loin, échelonnées  vers  le  nord,Ferrières-en-Gâtinais, 
Saint- Wandrille,  Le  Bec,  Luxeuil,  Gorbie.  Ferrières 
et  Saint-Benoît-sur-Loire  recueillent  jusqu'à  quatre 
et  cinq  mille  écoliers.  En  Suisse,  fleurissent  les 
monastères  de  Beichenau  et  de  Saint-Gall.  En  Angle- 
terre apparaissent  les  grandes  écoles  monastiques 
dont  la  renommée  a  rempli  l'Europe  pendant  des 
siècles  :  Cantorbéry,  Oxford,  Cambridge,  Vinches- 
ter.  En  Irlande,  sept  mille  étudiants  font  entendre 
leur  murmure  studieux  dans  la  seule  ville  d'Ar- 
magh.  Et  dans  la  Germanie  presque  sauvage,  parmi 
les  Saxons  convertis  d'hier,  on  trouve  les  fondations 
de  saint  Boniface  :  l'école  de  Fulda,  et  la  nouvelle 
Corbie  sur  le  Wéser.  Tout  cela  est  antérieur  au 
xine  siècle.  Et,  à  partir  du  xme  siècle,  l'Eglise  or- 
ganise mieux  encore  et  distribue  plus  largement 
l'enseignement  supérieur.  Elle  ouvre  partout  des 
Universités. 


IL  Je  vous  signale  l'Université  de  Paris,  défini- 
tivement fondée  au  xme  siècle,  et  qui  devient  tout 
de  suite  le  type  sur  lequel  se  forment  toutes  les 
grandes  Universités  du  moyen  âge. 

Elle  est  constituée  par  l'autorité  compétente,  qui 

r 

est  celle  de  l'Eglise.  Elle  doit  sa  naissance  à  un  di- 
plôme  émané   de  Philippe-Auguste,  diplôme  que 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  123 

viennent  approuver  et  consacrer  deux  bulles  du 
pape  Innocent  III. 

Elle  comprend  quatre  facultés  :  la  faculté  des 
Arts  (lettres  et  sciences)  ;  la  faculté  de  théologie  ;  puis 
les  facultés  de  droit  et  de  médecine,  qui  appa- 
raissent en  plein  exercice  un  peu  après  les  autres. 

Ces  quatre  facultés  élisent  des  officiers  au  nombre 
de  sept,  lesquels  constituent  un  tribunal,  appelé 
à  décider  sur  les  affaires  de  la  Corporation  ;  au-des- 
sus d'eux  est  un  recteur  ou  chef  commun  ;  il  exerce 
une  juridiction  souveraine  sur  tout  le  territoire  de 
T Université,  qui  comprend  près  de  la  moitié  de  la 
ville.  C'était  un  grand  personnage  ;  on  le  voit  sou- 
vent appelé  à  siéger  au  Conseil  royal  ;  il  marchait 
de  pair  avec  l'évêque  de  Paris.  Le  jour  de  son  ins- 
tallation était  célébré  par  une  procession  solennelle 
dont  la  pompe  était  royale  et  dont  la  tradition  est 
venue  se  perdre  à  la  fin  du  xvme  siècle  avec  toutes 
les  pompes  du  temps  passé. 

Le  Saint-Siège  entourait  de  faveurs  l'Université. 
Dans  tous  les  règlements  universitaires,  on  trouve 
l'action  et  la  pensée  des  Papes  ;  ce  sont  les  Papes  qui 
ont  fait  tout  l'enseignement  del'Europe  dansle  passé. 

Le  nombre  des  étudiants  était  énorme.  Les  mo- 
nastères, les  abbayes  envoyaient  à  Paris  leurs  plus 
brillants  élèves;  on  vit  des  collèges  spéciaux  fondés 
dans  la  capitale  pour  les  jeunes  gens  de  certains 
diocèses  ou  de  certaines  régions,  pour  les  étudiants 
pauvres,  pour  les  clercs  nécessiteux.  On  vit  les  terres 


i2*  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

les  plus  lointaines  représentées  dans  cet  autre  pan- 
démonium  des  nations  par  quelques-uns  de  leurs 
entants.  Toutes  les  nations  de  Y  Europe  dirigeaient 
des  étudiants  vers  F  Université  de  Paris.  Combien 
les  différentes  facultés  de  notre  grande  cité  comptent- 
elles  d'auditeurs  actuellement?  Quelques  milliers  à 
peine.  Or  au  xuie,  au  xive  et  au  xve  siècle  on  comptait  à 
Paris  de  seize  à  vingt  mille  écoliers;  et,  parmi  cette 
jeunesse  ardente,  se  trouvaient  toutes  les  illustra- 
tions de  l'époque,  tous  ceux  dont  la  science  et  les 
travaux  ont  honoré  l'Europe  chrétienne.  C'est  par 
son  Université  que  Paris  est  devenu  la  capitale  in- 
tellectuelle de  l'univers,  et  son  Université,  Paris  la 
devait  à  l'Eglise.  Qu'on  le  veuille  ou  qu'on  ne  le 
veuille  pas,  nous  sommes  tous,  par  l'esprit,  fils  de 
cette  période  brillante  où,  de  tous  les  coins  du 
monde,  les  étudiants  par  milliers,  les  uns  entre- 
tenus par  leur  famille,  d'autres  travaillant  manuel- 
lement, d'autres  même  mend:ant  pour  vivre,  ac- 
couraient pour  s'instruire  à  l'Université  de  Paris, 
Université  libre,  autonome,  ne  dépendant  d'aucun 
ministre  et  versant  cependant  des  torrents  de  lu- 
mière sur  le  monde  civilisé.  Toutes  les  nations 
voisines  la  prirent  pour  modèle  et  la  copièrent. 


III.  Je  vous  signale  les  Universités  d'Europe,  qui 
furent  fondées  à  la  suite  et  sur  le  modèle  de  l'Uni- 
versité de  Paris. 


LES  BIENFAITS  DE  I/ÉGLISE  125 

En  Allemagne,  le  pape  Urbain  IV  érige,  en  1388, 
l'Université  de  Cologne,  à  la  demande  du  Sénat  et 
du  peuple,  et  il  confirme  l'Université  de  Heidelberg 
et  celle  de  Vienne.  L'Université  de  Bàle  doit  son 
érection  au  pape  Pié  II  en  1459;  celle  de  Mayence 
est  fondée  par  deux  de  ses  évèques  en  1482;  celles 
de  Wurtzbourg,  d'Ingolstadt,  d'Erfurt,  de  Leipzig, 
de  Francfort-sur-1'Oder  sont  érigées  ou  confirmées 
par  les  Papes. 

Dans  les  Pays-Bas,  l'Université  de  Louvain  est 
instituée  par  Jean,  duc  de  Brabant,  et  approuvée 
par  le  pape  Martin  V,  en  1426.  L'Université  de 
Liège  a  dû  son  origine  et  sa  prospérité  à  l'action 
de  l'Eglise. 

Les  Universités  de  Cracovie  et  de  Prague  re- 
montent au  xive  siècle. 

L'Espagne  fut  de  bonne  heure  la  terre  classique 
du  haut  enseignement.  Là  l'Eglise  plus  qu'ailleurs 
encore  est  mère,  reine  et  maîtresse.  Elle  fonde,  elle 
inspire,  elle  dirige  les  Universités  de  Tolède,  de 
Séville,  de  Valence,  de  Valladolid,  d'Alcala,  de  Sa- 
lamanque,  de  Saragosse,  de  Lerida,  de  Coïmbre  et 
d'Evora. 

En  Angleterre,  les  princes  et  les  évêques  riva- 
lisent de  zèle  et  de  générosité  pour  fonder,  doter, 
enrichir  les  Universités  d'Oxford  et  de  Cambridge; 
au  xme  siècle,  on  comptait  trois  mille  étudiants  à 
Oxford,  même  prospérité  à  Cambridge...  quinze 
collèges    restaient    debout    dans    cette    ville    au 


126  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

xvie  siècle,  monuments  vénérables  de  la  ferveur 
catholique  des  âges  précédents. 

Enfin  l'Italie,  héritière  des  vieilles  civilisations, 
avait  des  Universités  nombreuses  et  florissantes, 
grâce  au  séjour  des  Papes  et  à  leur  constante  solli- 
citude. Urbain  IV  établit  l'Université  romaine  et  y 
appelle  le  grand  docteur  Thomas  d'Aquin.  Venise, 
Padoue,  Ferrare,  Milan,  Pavie  eurent  de  bonne 
heure  des  Universités.  Celle  de  Bologne  était  cé- 
lèbre entre  toutes  par  l'éclat  qu'elle  avait  su  donner 
à  l'enseignement  du  droit. 

C'est  ainsi  que  du  xue  au  xvie  siècle,  sur  toute  la 
surface  de  l'Europe,  l'Église  avait  ouvert  à  l'élite 
des  intelligences  des  asiles  studieux  où  toutes  les 
branches  du  savoir  humain,  théologie,  jurispru- 
dence, médecine,  littérature,  étaient  cultivées  avec 
une  égale  ardeur. 

Et  qu'on  ne  dise  pas  que  le  monde  doit  au  pro- 
testantisme l'essor  de  l'enseignement  supérieur.  Il 
n'y  a  pas  de  mensonge  historique  plus  flagrant  que 
celui-là.  Deux  chiffres  suffisent  à  le  confondre  :  à 
la  fin  du  xve  siècle  l'Europe  avait  soixante  Univer- 
sités, et  la  France  à  elle  seule  en  avait  dix-sept. 
C'est  à  peine  si  aujourd'hui  la  France  et  l'Europe 
sont  aussi  bien  partagées.  Avant  de  terminer,  jetons 
un  regard  sur  notre  pays. 


LES' BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  127 

IV.  Je  vous  signale  les  Universités  de  France  qui 
rayonnaient  autour  de  l'Université  de  Paris. 

A  la  fin  du  xve  siècle,  à  la  veille  du  protestan- 
tisme, la  France  comptait  dix-sept  Universités;  à 
la  fin  du  xvme  siècle,  à  la  veille  de  la  Révolution, 
elle  en  compte  vingt-trois,  parmi  lesquelles  se  dis- 
tinguent spécialement  celles  d'Orléans  et  de  Tou- 
louse. La  nôtre,  celle  d'Orléans,  était  très  célèbre, 
on  y  venait  de  partout.  Dans  l'espace  de  deux  cent 
cinquante  ans,  treize  mille  étudiants  allemands  ont 
quitté  leur  patrie  pour  venir  étudier  chez  nous 
notre  langue,  le  droit  civil  et  le  droit  romain. 

Et  au-dessous  de  ces  grands  établissements  de 
l'enseignement  supérieur,  au-dessous  des  vingt- 
trois  Universités  provinciales,  cinq  cent  soixante- 
deux  collèges  fondés  par  des  cardinaux,  des 
évêques,  de  simples  prêtres,  quelquefois  par  des 
familles  seigneuriales,  donnaient  l'enseignement 
secondaire  à  plus  de  soixante-douze  mille  élèves. 
Trente-six  de  ces  collèges  étaient  établis  à  Paris. 

Et  puis,  ce  qui  est  de  nature  à  nous  surprendre 
davantage  encore,  c'est  la  large  gratuité  de  l'ensei- 
gnement supérieur  et  secondaire  avant  la  Révolu- 
tion. Rien  qu'à  l'Université  de  Paris  il  y  avait  six 
cent  dix-neuf  bourses  créées  par  le  clergé  pour  les 
étudiants  pauvres.  Dans  un  rapport  présenté  au 
roi  en  1842  sur  l'instruction  secondaire,  Villemain, 


128  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

alors  ministre  de  l'Instruction  publique,  constate 
qu'avant  1789,  sur  soixante-douze  mille  élèves, 
plus  de  quarante  mille  bénéficiaient  de  la  gratuité 
entière  ou  partielle.  Et  il  ajoute  qu'alors  l'instruc- 
tion était  beaucoup  plus  accessible  qu'aujourd'hui 
aux  classes  moyennes  ou  pauvres.  Retenez  cet  aveu. 
La  charité  chrétienne,  l'Eglise  avait  créé  avant  1789 
un  capital  suffisant  à  l'entretien  et  aux  frais  d'étude 
de  quarante  mille  boursiers  pour  l'enseignement 
secondaire. 

On  entend  dire  parfois  que  la  Révolution  a  inventé 
et  fondé  le  haut  enseignement.  C'est  une  légende 
qui  est  fausse,  archi-fausse.  Quand  vint  la  Révolu- 
tion, que  fit-elle?  Elle  supprima  tout  l'ancien  per- 
sonnel de  l'enseignement;  elle  aliéna  tous  les  biens 
immeubles  des  anciennes  écoles.  Des  vingt-quatre 
Universités  qui  existaient  alors,  vingt-trois  dispa- 
rurent; une  seule  resta,  celle  de  Strasbourg,  parce 
qu'elle  était  protestante.  Les  cinq  cent  soixante- 
deux  collèges  de  France,  où  plus  de  soixante-douze 
mille  élèves  recevaient  l'instruction  secondaire, 
furent  tous  spoliés  et  fermés,  et  les  professeurs  qui 
les  desservaient  mis  dans  l'alternative  de  l'aposta- 
sie ou  de  l'exil.  Voilà  l'histoire.  L'impartiale  his- 
toire nous  dit  qu'à  travers  dix-neuf  siècles  l'Eglise 
a  ouvert  partout  à  l'enseignement  supérieur  de 
magnifiques  établissements,  et  ces  établissements, 
ce  n'est  pas  l'Église  qui  les  a  fermés;  ces  foyers  de 
la  science,  ce  n'est  pas  l'Eglise  qui  les  a  éteints! 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  129 

L'Eglise  a  fondé  toutes  les  Universités  de  la 
vieille  Europe.  Elle  les  a  érigées,  enrichies,  disci- 
plinées, gouvernées.  Ces  Universités  ont  été  très 
nombreuses  et  très  florissantes;  elles  ont  eu  la  chré- 
tienté pour  auditoire,  les  saints  pour  maîtres  et  les 
Papes  pour  fondateurs  et  pour  protecteurs.  Ces 
Universités  ont  été  dans  le  passé  des  foyers  puis- 
sants de  vie  intellectuelle.  Or  elles  sont  des  créa- 
tions de  l'Eglise.  Donc  au  nom  de  l'histoire  on  peut 
et  on  doit  affirmer  que  l'enseignement  supérieur 
pendant  quinze  siècles  a  reçu  de  l'Eglise  tout  son 
éclat,  tout  son  essor,  tous  ses  progrès.  L'Église  lui 
a  donné  des  livres  pour  s'abreuver,  des  maîtres 
pour  se  répandre,  des  établissements  pour  s'affermir 
et  prospérer. 

Amen! 


LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.   —  1-9 


QUATORZIEME  CONFERENCE 

3°  l'église  et  l'enseignement  POPULAIRE 


Messieurs, 

Il  faut  répandre  l'instruction  ;  il  faut  la  répandre 
dans  les  classes  supérieures  et  dans  les  classes  po- 
pulaires. L'enfant  du  peuple  est  sacré  comme  l'en- 
fant du  riche,  et  il  a  droit  comme  lui  à  la  lumière. 
L'enseignement  populaire  est  une  des  plus  hautes 
nécessités  de  l'ordre  social.  L'Eglise  dans  le  passé 
a  pourvu  à  cette  nécessité.  Elle  a  distribué  l'ensei- 
gnement populaire  avec  autant  d'ardeur  que  l'en- 
seignement supérieur.  Je  vais  là-dessus  établir  un 
fait  et  réfuter  une  objection. 


I.  Un  fait.  L'Église,  dans  le  passé,  a  distribué 
largement  l'enseignement  populaire. 

«  C'est  l'honneur  de  l'enseignement  chrétien,  dit 
Ozanam,  d'avoir  aimé  les  hommes  plus  que  la 
science,  d'avoir  ouvert  à  deux  battants  les  portes 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  131 

r 

de  l'école.  L'Eglise  a  fondé  l'instruction  primaire; 
elle  l'a  voulue  universelle  et  gratuite,  en  ordonnant 
que  le  prêtre  de  chaque  paroisse  apprît  à  lire  aux 
petits  enfants  sans  distinction  de  naissance,  sans 
autre  récompense  que  les  promesses  de  l'éternité.  » 
Cette  affirmation  est  d'un  homme  qui  savait  ce 
qu'il  disait,  qui  avait  étudié  la  question  de  très  près 
en  compulsant  les  vieilles  archives  de  l'histoire.  Fai- 
sons nous-mêmes  une  excursion  rapide  dans  le  passé. 

Dès  les  premiers  siècles  nous  voyons  l'Eglise  pré- 
occupée des  humbles  et  des  petits,  avant  même 
d'offrir  son  appui  et  ses  lumières  aux  puissants 
d'ici-bas.  Jésus-Christ  lui  a  dit  :  «  Allez,  ensei- 
gnez !  »  Et  fidèle  à  son  mandat,  elle  distribue  à  tous 
la  double  clarté  de  HEvangile  et  de  l'instruction 
humaine.  Au  11e  et  au  111e  siècle,  on  voit  des  écoles 
et  des  bibliothèques  à  côté  des  églises.  Au  ive  et  au 
ve  siècle  des  écoles  rurales  et  populaires  sont  fon- 
dées par  les  décrets  authentiques  des  conciles  ;  au 
vie  siècle,  dit  Guizot,  l'Ordre  de  Saint-Benoît  fonde 
dans  les  Gaules  de  nombreux  monastères,  et  chacun 
de  ces  monastères  devient  une  école  pour  les  classes 
populaires,  et  Guizot  prouve  cette  assertion  avec 
des  noms  propres,  des  chiffres  et  des  documents 
incontestables;  au  vme  siècle,  l'enseignement  popu- 
laire semble  un  fait  général,  tant  sont  nombreux 
les  Conciles  qui  prescrivent  aux  évoques  et  aux 
curés  de  veiller  à  l'instruction  de  la  jeunesse. 

Voici     Charlemagne,    un    puissant    homme    de 


132  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

guerre,  un  génie  organisateur  et  civilisateur  de 
premier  ordre.  Il  veut  que  chaque  abbaye  entre- 
tienne une  école  où  les  enfants  puissent  apprendre 
la  lecture,  récriture  et  le  calcul.  Il  multiplie  les 
Conciles  pour  établir  partout  l'instruction  primaire. 
En  vingt  ans  il  réunit  trois  fois  à  Aix-la-Chapelle 
les  évoques  de  son  vaste  Empire  en  vue  de  cette 
capitale  affaire.  Sous  cette  impulsion,  prêtres,  reli- 
gieux et  évêques  se  mettent  à  l'œuvre.  On  a  re- 
trouvé il  n'y  a  pas  longtemps  un  fameux  man- 
dement publié  en  797  par  Théodulphe,  évoque 
d'Orléans.  Il  y  est  dit  :  «  Que  les  prêtres  des  bourgs 
et  des  villages  tiennent  des  écoles.  Et  si  un  fidèle 
veut  leur  confier  ses  enfants  pour  leur  faire 
apprendre  les  lettres,  qu'ils  ne  refusent  pas  de  les 
accueillir  et  de  les  enseigner,  au  contraire  qu'ils 
mettent  la  plus  grande  charité  à  les  instruire.  En 
s' acquittant  de  cette  tâche,  ils  ne  demanderont  pas 
de  salaire  et  n'en  accepteront  pas,  excepté  ce  que 
les  parents  voudront  bien  leur  offrir  spontanément 
comme  marque  de  reconnaissance.  »  Faites  bien 
attention  à  ceci  :  au  vme  siècle,  dans  le  diocèse  d'Or- 
léans, les  écoles  établies  par  Théodulphe  étaient 
gratuites.  Ceux  donc  qui  vantent  la  moderne  gra- 
tuité de  l'enseignement  auraient  tort  de  crier  au 
prodige  ;  ils  feront  bien  de  se  souvenir  qu'au 
viuc  siècle  l'Eglise  distribuait  l'enseignement  popu- 
pulaire  sans  demander  un  sou  à  personne.  Conti- 
nuons notre  exploration. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  133 

Du  XIIe  siècle  à  la  Révolution,  les  largesses  de 
l'Église  envers  les  enfants  du  peuple  se  continuent 
et  s'accentuent  d'âge  en  âge. 

En  1179,  au  troisième  Concile  de  Latran,  le 
pape  Alexandre  III  prescrit  qu'un  maître  sera  éta- 
bli dans  toutes  les  cathédrales  pour  les  écoliers 
pauvres.  «  La  permission  d'enseigner,  dit-il,  doit 
être  délivrée  gratuitement  et  ne  peut  être  refusée  à 
ceux  qui  en  sont  capables.  »  Et  le  même  langage 
se  retrouve  sur  les  lèvres  de  presque  tous  les  Papes. 

Pendant  tout  le  moyen  âge  nous  voyons  les  con- 
trats d'apprentissage  et  de  tutelle  demander  pour 
le  pupille  et  l'apprenti  la  fréquentation  des  écoles 
et  les  moyens  de  s'instruire  selon  sa  condition  ;  nous 
voyons  cette  clause  stipulée  pour  de  simples  domes- 
tiques ou  pour  de  simples  valets  de  ferme.  L'ar- 
ticle 220  de  la  coutume  de  Normandie  porte  même 
que,  si  le  maître  ou  le  tuteur  ne  s'acquitte  pas  de 
cette  charge,  les  parents  pourront  se  pourvoir  en 
justice  pour  l'y  contraindre. 

Au  xvie  et  au  xvne  siècle  naissait  une  multitude 
de  Congrégations  enseignantes  pour  l'un  et  l'autre 
sexe,  et  spécialement  pour  les  enfants  du  peuple  : 
les  Ursulines,  la  Congrégation  de  Notre-Dame,  les 
Filles  de  la  Charité,  les  Filles  de  la  Sagesse,  les 
Frères  des  Ecoles  chrétiennes.  Le  Concile  de  Trente, 
cinquième  session,  entre  dans  les  plus  minu- 
tieux détails  pour  promouvoir  l'instruction  popu- 
laire.  Le  séminaire  de  Saint-Sulpice  communique 


13*  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  même  impulsion  à  tout  le  clergé  de  France. 
«  Pour  moi,  écrit  alors  M.  Bourdoin  à  son  saint 
ami  M.  Olier,  pour  moi,  je  le  dis  du  meilleur  de 
mon  cœur,  je  mendierais  de  porte  en  porte  pour 
faire  subsister  un  vrai  maître  d'école,  et  je  deman- 
derais comme  saint  François-Xavier  à  toutes  les 
Universités  du  royaume  des  hommes  qui  voulussent 
non  pas  aller  au  Japon  ou  dans  les  Indes  prêcher 
les  infidèles,  mais  aller  dans  les  écoles  de  paroisses 
tenues  pour  les  pauvres  ;  c'est  là  l'unique  moyen 
de  détruire  les  vices  et  d'établir  la  vertu,  et  je  défie 
tous  les  hommes  ensemble  d'en  trouver  un  meil- 
leur. »  Ces  désirs  de  l'Eglise  de  France  furent  lar- 
gement exaucés. 

Les  Frères  des  Ecoles  chrétiennes ,  en  particulier, 
vinrent  au-devant  des  enfants  du  peuple.  Savez- 
vous  qui,  en  vulgarisant  la  science,  a  popularisé 
notre  langue  nationale,  cette  langue  française  dont 
nous  sommes  si  fiers,  cette  langue  que  Corneille  fit 
si  sublime,  et  Massillon  si  harmonieuse,  cette  langue 
qu'un  siècle  immortel  parla,  et  qui  par  sa  clarté, 
sa  précision,  sa  richesse,  est  devenue  la  langue  de 
l'Europe  aussi  bien  que  celle  de  notre  patrie?  Savez- 
vous  qui  en  a  fait  non  pas  seulement  le  langage  des 
classes  élevées,  mais  la  langue  du  peuple  de  la 
France?  C'est  Jean-Baptiste  de  la  Salle,  le  jour  où 
il  fit  de  notre  idiome  national  le  dialecte  unique 
de  ses  écoles.  N'eût-il  rendu  que  ce  service,  c'en 
serait  assez  pour  justifier  cette  parole  que  la  Révo- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  135 

lution  elle-même  ne  craignit  pas  d'inscrire  dans 
le  préambule  de  la  loi  du  18  août  1792  :  «  Les 
Frères  ont  bien  mérité  de  la  patrie.  »  Oui,  les 
Frères  ont  bien  mérité  de  la  patrie,  tel  est  le  té- 
moignage de  leurs  ennemis,  de  leurs  amis  et  de 
leurs  élèves.  En  somme,  au  point  de  vue  religieux, 
scientifique  et  national,  les  Frères  sont  de  puissants 
éducateurs,  et,  quand  je  cherche  quels  reproches 
on  peut  leur  adresser,  je  n'en  vois  pas  d'autre  que 
leurs  succès.  Ils  sont  au  premier  rang,  on  veut  les 
supprimer,  parce  qu'on  ne  peut  pas  les  éclipser. 

Il  y  a  cinquante  ans,  en  1844,  Lacordaire  parlant 
à  Notre-Dame,  disait  :  «  Le  Frère  des  écoles  chré- 
tiennes donne  à  l'enfant  du  peuple  une  éducation 
qui  ne  lui  coûte  rien  ou  peu  de  chose,  et  qui  est 
digne  d'un  enfant  de  la  patrie  comme  d'un  enfant 
de  Dieu.  Ici  ma  parole  est  à  l'aise,  ajoutait-il.  La 
France  a  authentiquement  accepté  le  dévouement 
des  Frères  et  des  Sœurs  voués  à  l'enseignement  du 
peuple  ;  une  popularité  qui  est  la  juste  récompense 
de  leurs  travaux  les  protège  dans  toute  l'étendue 
du  pays  autant  que  l'empire  des  lois.  Ma  parole,  à 
leur  sujet,  n'est  donc  point  une  parole  accusatrice, 
c'est  une  parole  qui  remercie  et  qui  bénit.  »  Aujour- 
d'hui, hélas!  nous  ne  pouvons  pas  redire  les  pa- 
roles de  l'illustre  Dominicain.  La  France  a  méconnu 
les  services  des  Frères  et  des  Sœurs  ;  ils  ont  été 
jugés  indignes  de  donner  l'enseignement,  et  ma 
parole  est  une  parole  accusatrice  pour  ceux  qui  ont 


136  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  lâcheté  de  ne  pas  les  défendre  et  le  triste  cou- 
rage de  leur  dire  :  Allez-vous-en!  Passons.  L'ingra- 
titude ne  supprime  pas  le  bienfait,  au  contraire  elle 
le  rend  plus  visible  et  plus  méritoire,  et  il  reste 
surabondamment  prouvé  que  l'Eglise  dans  le  passé 
a  distribué  largement  l'enseignement  populaire. 
Dès  lors  que  devient  l'objection  futile  et  méchante 
qu'on  ne  cesse  de  nous  opposer?  J'y  arrive. 


IL    Une  objection.  L'instruction  n'existait  pas 
avant  1 789. 

Cette  objection  est  futile  et  méchante.  Il  n'est 
pas  difficile  de  la  confondre. 

Voici  d'abord  un  fait  :  au  xvuie  siècle,  toute  pa- 
roisse un  peu  populeuse  en  France  avait  son  école; 
on  se  plaignait  môme  du  trop  grand  nombre 
d'écoles.  En  1773,  au  diocèse  de  Saint-Dié,  baillis, 
syndics,  échevins,  notables  se  plaignent  que  les 
écoles  enlèvent  trop  de  bras  à  l'agriculture  et  aux 
ateliers.  «  Nos  bourgs  et  nos  villages,  disent-ils, 
fourmillent  d'une  multitude  d'écoles;  il  n'est  pas 
de  hameau  qui  n'ait  son  grammairien.  »  Or,  quand 
on  songe  que  le  nombre  des  paroisses  avant  la  Ré- 
volution était  beaucoup  plus  considérable  qu'au- 
jourd'hui et  que  presque  partout  il  y  avait  un 
maître  d'école,  on  reste  stupéfait  de  l'audace  ou 
de  l'ignorance  de  ceux    qui    viennent   nous    dire 


LES  BIENFAITS  DE  L'EGLISE  137 

qu'avant  1789  l'instruction  était  réservée  à  quelques 
privilégiés  de  la  naissance  ou  de  la  fortune. 

Voulez-vous  des  chiffres?  Sous  Louis  XV,  il  y 
avait  à  Paris  cent  soixante  écoles  de  garçons  et 
cent  cinquante-sept  écoles  de  filles,  où  le  person- 
nel enseignant  était  rétribué  par  les  parents  et  les 
élèves.  Il  y  avait,  en  outre,  quatre-vingt-quinze 
écoles  gratuites  pour  les  deux  sexes.  Si  Ton  tient 
compte  que  Paris  a  maintenant  trois  millions  d'ha- 
bitants, tandis  qu'il  n'en  avait  que  six  cent  mille  sous 
Louis  XV,  on  verra  que  la  proportion  du  chiffre  des 
écoles  est  à  l'avantage  de  l'époque  de  Louis  XV. 

Voulez-vous  des  témoignages  non  suspects?  En- 
tendez Taine.  «  Avant  la  Révolution,  dit-il,  les 
petites  écoles  étaient  innombrables.  Il  y  avait  avant 
17S9,  vingt-cinq  mille  écoles  primaires,  fréquen- 
tées et  efficaces,  qui  ne  coûtaient  rien  au  Trésor, 
presque  rien  aux  contribuables,  très  peu  aux  pa- 
rents. 11  y  avait  au  moins  neuf  cents  collèges  (en- 
viron trois  cents  de  plus  qu'aujourd'hui)  comptant 
soixante-douze  mille  élèves.  Il  y  avait  quarante 
mille  boursiers,  tandis  qu'aujourd'hui  nous  en 
avons  à  peine  cinq  mille.  »  Mais  alors  comment 
expliquer  que  mon  grand-père  ne  savait  pas  lire? 
C'est  qu'il  a  été  élevé  pendant  ou  après  la  Révolu- 
tion. Il  n'y  avait  plus  d'instruction  publique  à  cette 
époque,  et  il  en  fut  ainsi  pendant  quarante  ans. 
Elle  ne  fut  sérieusement  organisée  que  par  la  loi 
de  1833.  Il  y  avait  dans  les  collèges  soixante-douze 


138  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

mille  élèves  avant  1789,  mais  en  1800  il  n'y  en 
avait  plus  que  sept  mille.  Et  ce  n'est  pas  seulement 
Taine,  c'est  encore  Portalis,  Villemain,  tous  les 
hommes  compétents  qui  sont  unanimes  à  nous 
dire  que  la  Révolution  tua  l'instruction  en  prenant 
les  biens  du  clergé  qui  faisaient  vivre  les  écoles. 
La  Révolution,  après  avoir  démoli,  ne  reconstruisit 
rien.  L'Empire  se  mit  à  l'œuvre  de  la  reconstruc- 
tion, puis  la  Restauration,  puis  la  Monarchie  de 
juillet,  puis  les  divers  gouvernements  qui  se  suc- 
cédèrent; et,  à  mesure  qu'ils  ouvrirent  une  nou- 
velle école,  les  courtisans  du  pouvoir  ne  man- 
quèrent pas  de  s'écrier  :  Voyez-vous  les  progrès  de 
la  civilisation  et  des  lumières?  Voyez-vous  notre 
supériorité  sur  les  âges  précédents?  Et  le  lecteur, 
ignorant  et  crédule,  ne  manquait  pas  de  répondre  : 
C'est  vrai  !  Les  uns  ignoraient,  et  les  autres  faisaient 
semblant  d'ignorer  qu'on  ouvrait  une  école  après 
en  avoir  fermé  trois. 

Et  remarquez  qu'avant  1789  les  écoles  popu- 
laires n'étaient  pas  seulement  très  nombreuses, 
mais  encore  presque  toutes  gratuites  et  sérieuse- 
ment gratuites.  Aujourd'hui  nous  avons  la  gratuité 
de  l'enseignement  primaire.  L'instruction  ne  coûte 
rien;  c'est  l'Etat  qui  paie,  oui,  mais  où  l'Etat 
prend-il  de  l'argent?  Dans  votre  poche  par  les 
impôts  de  toute  espèce.  Et,  au  fond,  qu'est-ce  qui 
paie  les  impôts?  Tout  le  monde,  et  surtout  l'ou- 
vrier. Nous  n'avons  plus  la  mainmorte  et  la  liberté 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  139 

des  fondations  ;  en  échange,  nous  avons  l'impôt  obli- 
gatoire. Le  budget  de  l'instruction  publique  est  de 
plus  de  deux  cents  millions.  Et  d'où  viennent  ces 
deux  cents  millions?  De  la  poche  des  contribuables, 
et  j'ai  dit  surtout  de  la  poche  de  l'ouvrier.  Car  le 
Commerçant  peut  rattraper  ses  impôts  en  élevant 
le  prix  de  ses  marchandises,  le  propriétaire  en  éle- 
vant le  prix  de  ses  loyers,  mais  l'ouvrier  ne  peut 
pas  reporter  sur  d'autres  le  prix  de  ses  impôts.  Et 
enfin,  tout  le  monde  étant  frappé  par  l'impôt,  il 
arrive  souvent  que  l'ouvrier  paie  pour  le  riche  :  par 
exemple  nous  payons  par  les  impôts  cinquante 
millions  par  an  pour  les  fils  des  riches  qui  sont 
élevés  dans  les  lycées,  et,  chose  plus  criante  encore, 
combien  d'ouvriers,  de  pères  de  famille  paient 
deux  fois  :  une  première  fois  par  l'impôt  pour  les 
écoles  dont  ils  ne  veulent  pas,  et  une  seconde  fois 
pour  les  écoles  dont  ils  veulent!  Avant  1789,  la  gra- 
tuité de  l'instruction  primaire  était  bien  autrement 
sérieuse.  L'Eglise  avait  créé  pour  l'instruction  pri- 
maire un  revenu  annuel  de  douze  millions  à  une 
époque  où  l'argent  avait  le  triple  de  la  valeur  ac- 
tuelle. Et  d'où  venaient  ces  douze  millions?  De 
donations  libres  et  spontanées.  La  gratuité  exis- 
tait, mais,  au  lieu  de  reposer  sur  le  budget  de 
l'Etat  et  d'être  par  conséquent  une  imposition  et 
une  imposition  forcée,  atteignant  tout  le  monde, 
même  les  gens  sans  enfants,  frappant  le  pauvre  au 
profit  du  riche  et  les  catholiques  au  profit   d'une 


140  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

secte,  elle  reposait  uniquement  sur  la  libéralité 
des  fidèles,  sur  des  biens  légitimement  acquis  et 
sagement  distribués.  Elle  était,  par  conséquent, 
réelle,  ioyale,  généreuse,  essentiellement  juste  et 
digne  de  respect. 

Combien  donc  nous  aurions  tort  de  verser  des 
larmes  attendries  sur  l'ignorance  de  nos  pères  !  Sans 
doute  on  ne  connaissait  pas  avant  1789  les  grands 
mots  d'instruction  laïque,  obligatoire  et  gratuite. 
On  ne  faisait  pas  montre  de  l'enseigne;  mais  on 
possédait  la  réalité.  L'État  ne  prétendait  pas  tout 
faire;  il  ne  s'était  point  fait  maitre  d'école,  maître 
de  pension,  marchand  de  soupe  ;  il  n'inscrivait  pas 
à  ses  budgets,  généralement  du  moins,  d'allocation 
pour  l'enseignement  primaire,  pour  cette  excel- 
lente raison  qu'il  y  était  pourvu  par  un  vaste  sys- 
tème de  fondations.  Le  résultat  en  était-il  moins 
bon?  Il  est  permis  d'en  douter.  L'Église  était  là, 
debout  à  son  poste,  donnant  à  l'enfant  du  peuple  à 
peu  près  gratuitement  une  instruction  suffisante 
dont  les  contribuables  n'avaient  pas  à  supporter 
les  frais;  l'Église  était  là,  debout  à  son  poste,  dis- 
tribuant à  tous,  avec  la  science  purement  humaine, 
les  vérités  et  les  vertus  qui  font  les  peuples  forts 
et  les  familles  prospères.  Sachons  reconnaître  ses 
bienfaits.  Bénissons-la,  et  vengeons-la  des  attaques 
de  ceux  qui  ignorent  ou  qui  calomnient  son  passé  ! 

Amen  ! 


QUINZIÈME  CONFÉRENCE 

L'Eglise    et    le    progrès    intellectuel 


Messieurs, 

J'achève  aujourd'hui  le  premier  chapitre  de 
notre  étude  sur  les  bienfaits  de  l'Eglise.  Nous 
avons  énuméré  les  bienfaits  de  l'Eglise  dans  l'ordre 
intellectuel.  Elle  a  cultivé  et  enseigné  les  lettres, 
les  sciences  et  les  arts.  J'ai  essayé  de  vous  en  don- 
ner la  preuve,  non  avec  des  phrases  vides  et  reten- 
tissantes, mais  par  des  faits  très  nombreux  et  très 
authentiques.  Je  résume  aujourd'hui  et  je  conclus 
ce  premier  chapitre  en  vous  disant  que  dans  le 
passé,  dans  le  présent  et  dans  l'avenir,  l'Église  a 
été,  est  et  sera  la  mère  et  la  gardienne  du  progrès 
intellectuel. 


r 

I.  Dans  le  passé,  l'Eglise  a  été  la  mère  et  la  gar- 
dienne du  progrès  intellectuel. 

Est-ce  que  cela  n'est  pas  écrit  à  toutes  les  pages 


142  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

de  F  histoire.  Sous  l'inspiration  de  l'Église,  sous  sa 
direction  sûre  et  puissante,  les  théologiens  ont 
scruté  les  mystères  de  la  foi,  et  les  philosophes  ont 
approfondi  les  abîmes  de  la  raison.  Grâce  à  l'Eglise 
l'éloquence  mise  en  possession  des  plus  splendides 
sujets  a  fait  vibrer,  d'âge  en  âge,  les  âmes  et  germer 
des  vertus,  la  poésie  a  enchanté  les  hommes  et 
l'histoire  les  a  instruits.  Notre  langue  française 
dont  nous  sommes  si  fiers,  cette  langue  de  la  diplo- 
matie qui,  depuis  la  paix  de  Nimègue,  a  conclu  tous 
les  traités  et  s'est  imposée  au  monde  entier,  cette 
langue  universelle  de  toutes  les  pensées  et  de  tous 
les  génies  qui  a  fait  dire  au  poète  :  «  Tout  homme 
a  deux  pays,  le  sien  et  puis  la  France!  »  à  qui 
doit-elle  sa  fermeté  et  sa  souplesse,  sa  précision  et 
sa  clarté,  sa  transparence  et  sa  beauté,  sinon  à 
l'Eglise  qui  a  inspiré  la  plume  mathématique  de 
Descartes  et  de  Pascal,  les  lèvres  harmonieuses  de 
Bossuet  et  de  Fénelon?  Stimulé  par  l'Eglise,  l'es- 
prit scientifique  s'est  développé  dans  des  propor- 
tions inconnues  à  l'antiquité,  et  le  génie  artistique 
a  créé  des  chefs-d'œuvre  qui  seront  éternellement 
contemplés  et  admirés.  S'il  y  a  eu  des  livres  brû- 
lés, des  traditions  interrompues,  des  universités 
abolies,  des  collèges  confisqués  ou  fermés...  qui  a 
fait  cela?  C'est  le  disciple  du  Coran  au  temps  d'Omar 
et  de  Mahomet  II  ;  c'est  Henri  VIII,  un  des  cory- 
phées de  la  Réforme;  c'est  la  Révolution  aussi 
ennemie   des   lettres    que   de    l'Eglise,    déclarant 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  143 

qu'elle  n'avait  pas  besoin  de  savants,  et  ensevelis- 
sant sous  les  mêmes  ruines  les  chaires  de  la  vérité 
et  les  écoles  de  la  charité.  Innocente  de  tous  ces 
vandalismes,  l'Eglise  n'est  responsable  que  de  la 
grandeur  intellectuelle  de  la  chrétienté.  Par  elle 
renseignement  supérieur  a  été  distribué  a  la  jeu- 
nesse studieuse  des  universités  et  des  collèges.  Par 
elle,  les  petits  et  les  humbles,  les  pauvres  et  les 
déshérités  ont  été  conviés  au  festin  de  l'intelli- 
gence, comme  l'avaient  été  au  festin  de  l'Évangile 
les  aveugles,  les  boiteux  et  les  mendiants.  Et,  en 
voyant  se  dérouler  ce  glorieux  passé,  je  me  sens 
pressé  d'adresser  à  l'Eglise  un  cri  de  reconnaissance 
émue:  Je  te  salue,  mère  immortelle  de  la  science 
et  de  la  sainteté  !  Je  te  salue,  mère  et  gardienne  du 
progrès  intellectuel  !  Salve,  magna  parens! 

Comptez,  si  vous  le  pouvez,  Messieurs,  les  intel- 
ligences supérieures  que  l'Eglise  a  produites  depuis 
dix-neuf  siècles.  Quels  noms  faut-il  vous  citer?  En 
philosophie,  les  Augustin,  les  Thomas  d'Aquin, 
les  Bacon,  les  Descartes,  les  Bossuet,  les  de  Maistre  ; 
en  astronomie,  les  Copernic,  les  Kepler,  les  Gali- 
lée, les  Secchi,  les  Leverrier;  en  mathématiques, 
les  Pascal,  les  Cauchy;  en  littérature,  les  Pères 
de  l'Eglise  grecque  et  de  l'Eglise  latine,  tous  nos 
auteurs  du  xvu*  siècle,  les  meilleurs  auteurs  mo- 
dernes. Le  vaillant  général  Lamoricière,  contem- 
plant cette  immense  pléiade  qui  étincelle  à  toutes 
les    pages  du    passé,  pouvait  bien   à  juste   titre 


U4  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

s'écrier  :  «  L'Eglise  a  pour  elle  la  science,  l'his- 
toire, la  philosophie,  les  arts,  les  grands  hommes; 
elle  a  pour  elle  le  passé,  le  présent  et  l'avenir.  » 
Sans  doute,  il  y  a  eu  aussi  des  hommes  intelli- 
gents, très  intelligents  qui  ont  vécu  en  dehors  de 
l'Église  et  qui  ont  été  même  ses  ennemis  décidés. 
Gela  n'est  pas  contestable.  Mais  :  1°  Ne  sont  pas 
incrédules  tous  ceux  qui  se  vantent  de  l'être,  et  on 
a  vu  souvent  mourir  comme  des  saints  certains 
fanfarons  qui  pendant  leur  vie  faisaient  parade 
d'impiété.  2°  Que  d'hommes  très  intelligents  en 
matière  profane  sont  de  parfaits  ignorants  en 
matière  Religieuse  !  Il  y  a  tel  savant  qui  connaît  à 
fond  les  mathématiques,  l'astronomie,  la  médecine, 
le  droit,  et  qui  ne  serait  pas  capable  de  répondre 
aux  interrogations  que  nous  posons  à  nos  petits 
enfants  du  catéchisme.  Ils  ignorent,  donc  leur  voix 
ne  compte  pas.  3°  Il  n'est  pas  rare  non  plus  que 
des  gens  très  instruits  et  très  intelligents  soient  en 
même  temps  des  orgueilleux,  voulant  juger  Dieu, 
traiter  avec  Dieu  d'égal  à  égal,  et  mesurer  sa 
parole  aux  dimensions  de  leur  faible  raison.  L'or- 
gueil est  le  pire  des  vices.  Dieu  n'aime  pas  les 
insurrections.  Dieu  n'aime  pas  les  présomptueux, 
et  souvent  il  les  punit,  par  l'impossibilité  de  croire, 
de  leur  orgueil  de  vouloir  tout  comprendre 
4°  Enfin  il  est  une  passion  mauvaise  et  impérieuse 
qui  est  incompatible  avec  la  foi,  et  qui  peut  très 
facilement  se  rencontrer  chez  certains  savants.  Ils 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  145 

veulent  jouir,  et,  tout  en  ayant  une  valeur  scien- 
tifique incontestable,  ils  n'ont  qu'une  valeur  mo- 
rale très  médiocre.  La  passion  chez  eux  tue  la  foi. 
Pour  tous  ces  motifs  j'affirme  que  l'impiété  de  cer- 
tains savants  ne  prouve  rien  contre  la  religion.  Et 
cette  impiété  prouve  d'autant  moins  que  l'Eglise  a 
pour  elle,  comme  je  viens  de  le  dire  avec  Lamori- 
cière,  les  plus  grands  génies.  Elle  a  pour  elle  les 
hommes  les  plus  vénérables  et  les  plus  intelligents 
qui  aient  paru  sur  la  terre  depuis  dix-neuf  siècles  ; 
elle  a  pour  elle  le  passé  ;  elle  a  pour  elle  aussi  le 
présent. 


II.  Dans  le  présent,  l'Eglise  est  la  mère  et  la  gar- 
dienne du  progrès  intellectuel. 

Voici  à  peu  près  ce  qu'on  nous  dit  à  l'heure 
actuelle  :  «  Oui,  dans  le  passé,  vous  avez  fait  beau- 
coup pour  le  progrès  intellectuel;  mais  dans  ce 
siècle  vous  avez  laissé  périr  cet  héritage  de  gloire, 
vous  avez  laissé  tomber  de  vos  mains  le  sceptre  de 
la  science.  »  Nous  avons  laissé  tomber  de  nos 
mains  le  sceptre  de  la  science? 

Mais  d'abord  qui  donc  a  le  droit  de  nous  faire  un 
tel  reproche  ?  car,  si  ce  sceptre  est  tombé  de  nos 
mains,  qui  l'a  ramassé  et  qui  le  tient  à  notre 
place?  Qui  osera  nous  jeter  la  première  pierre  ?  Où 
sont  vos  grands  hommes  et  vos  grandes  œuvres  ? 

LES   BIENFAITS    DE   I/ÉGLISE.    —    1-10 


146  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

La  lyre  a  perdu  le  souffle  divin,  et,  après  les  poètes 
du  doute,  il  ne  nous  reste  plus  que  les  poètes  du 
néant  qui  chantent  les  croyances  disparues,  la 
mort  sens  résurrection,  le  malheur  sans  espoir. 
L'histoire  est  devenue  trop  souvent  une  sèche 
nomenclature  de  faits  et  d'anecdotes,  quand  elle 
n'est  pas  une  conjuration  cynique  contre  la  vérité. 
C'est  encore  dans  nos  temples  que  l'éloquence  trouve 
son  meilleur  asile.  L'architecture  ne  sait  plus  jeter 
vers  le  ciel  ces  coupoles  hardies,  ni  ces  flèches  plus 
hardies  encore,  qui  défiaient  le  vol  des  aigles  et  qui 
fatiguaient  le  regard  de  l'homme;  ou,  si  cela  se  voit 
encore,  à  qui  le  doit-on  sinon  au  génie  catholique? 
Les  lettres,  les  sciences  et  les  arts  déclinent,  de 
sorte  que  l'Eglise  peut  se  retourner  vers  le  siècle, 
l'accuser  et  lui  dire  :  «  Qu'as-tu  fait  des  lettres,  des 
sciences  et  des  arts? Qu'as-tu  fait  de  ces  générations 
nouvelles  que  tu  prétendais  élever  à  une  vie  intel- 
lectuelle plus  intense  et  plus  développée,  en  les 
affranchissant  de  la  tutelle  religieuse?  »  En  perdant 
l'esprit  chrétien,  en  rêvant  quelque  chose  de  plus 
beau  que  Jésus-Christ,  de  plus  doux  que  l'Evan- 
gile, ce  siècle  n'a  rien  gagné,  sinon  de  voir  s'éva- 
nouir le  rayonnement  céleste  de  l'idéal,  sinon 
d'aboutir  à  des  œuvres  de  ténèbres,  et  souvent  à 
des  œuvres  corrompues  et  corruptrices.  On  reproche 
à  l1  Eglise  d'avoir  laissé  tomber  de  ses  mains  le 
sceptre  de  la  science  ; 
Est-ce  vrai  ?  Non,  Messieurs,  non,  il  n'est  pas 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  147 

r 

vrai  que  l'Eglise  aujourd'hui  soit  au-dessous  de  sa 
lâche,  au-dessous  de  son  passé  ;  il  n'est  pas  juste 
de  parler  de  l'insuffisance  intellectuelle  de  l'Eglise 
catholique  dans  le  présent. 

Sans  doute,  plusieurs  choses  lui  ont  manqué  au 
cours  de  ce  siècle  :  le  temps,  la  liberté,  l'argent. 
Après  les  désastres  de  la  Révolution,  l'Eglise  a  été 
obligée  de  courir  au  plus  pressé,  aux  âmes,  et  c'est 
à  peine  si  elle  a  eu  le  temps  de  préparer  des  caté- 
chistes, des  pasteurs  et  des  apôtres.  Et  puis  on  l'a 
tenue  éloignée  de  la  jeunesse,  on  a  tout  fait  pour 
l'empêcher  de  parler  et  d'agir  ;  on  l'a  privée  du 
droit  d'instruire  les  générations  nouvelles,  et  il  lui 
a  fallu,  pour  conquérir  la  liberté  d'enseignement, 
des  luttes  homériques  qui  ont  absorbé  et  dévoré  ses 
forces.  Et  enfin  elle  est  pauvre.  On  lui  a  tout  pris, 
et  on  lui  dispute  journellement  le  morceau  de  pain 
que  lui  donne  la  charité  des  fidèles. 

Eh  bien,  malgré  toutes  ces  entraves,  qu'est-il 
arrivé?  Il  est  arrivé  que  la  sève  intellectuelle  a 
jailli  quand  môme  de  son  sein  fécond  et  inépui- 
sable. Il  est  arrivé  qu'elle  a  ouvert  quand  même 
des  écoles,  des  collèges  et  des  Universités,  et  qu'il 
y  a  aujourd'hui  quarante-quatre  Instituts  catho- 
liques  où  les  études  sont  poussées  plus  avant  que 

r 

dans  les  Facultés  officielles.  Il  est  arrivé  que  l'Eglise 
a  brillé  d'un  si  vif  éclat  dans  la  science  et  dans 
l'instruction,  qu'on  a  eu  peur  de  la  lumière  de  sa 
face  et  de  la  puissance  de  sa  voix.  Qui  eût  cru,  à  la 


148  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

fin  du  xvine  siècle  et  au  commencement  du  xixe,  que 
l'idée  chrétienne  allait  reprendre  possession  des 
esprits  et  inspirer  ce  grand  mouvement  littéraire 
qui  a  uu  pour  chefs  Chateaubriand,  de  Maistre, 
Lamartine,  Lacordaire,  Ozanam,  Montalembert? 
Qui  eût  cru  à  une  telle  vitalité  après  de  telles  dé- 
faites? Dans  les  lettres,  dans  les  sciences,  dans  les 
arts,  dans  l'enseignement  l'Église  de  notre  temps, 
l'Eglise  pauvre  et  enchaînée  a  fait  des  merveilles. 
Elle  n'est  point  indigne  de  son  passé,  et  elle  tient 
en  réserve  pour  l'avenir  les  espérances  et  les  sources 
du  véritable  progrès  intellectuel. 


r 

III.  Dans  Y  avenir,  l'Eglise  sera  la  mère  et  la  gar- 
dienne du  progrès  intellectuel. 

Elle  continuera  d'aimer,  de  protéger,  de  cultiver, 
d'enseigner  les  lettres,  les  sciences  et  les  arts  : 

La  philosophie,  pour  la  préserver  des  écarts  de 
l'orgueil  et  lui  faire  accepter  le  joug  de  la  foi  ; 

L'histoire,  pour  la  détacher  enfin  de  cette  grande 
conspiration  contre  la  vérité,  dans  laquelle  on  l'a 
fait  entrer  depuis  trois  siècles  ; 

La  poésie  et  l'éloquence,  pour  en  faire  les  ser- 
vantes du  vrai  et  du  bien  et  pour  les  élever  jus- 
qu'au sublime  ; 

Les  sciences  mathématiques,  physiques  et  natu- 
relles pour  les  rapporter  à  Dieu  leur  auteur  ; 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  149 

Les  beaux-arts  pour  les  assainir  et  les  transfi- 
gurer. 

Demain,  comme  hier  et  aujourd'hui,  elle  récla- 
mera  ses  droits  sur  les  lettres  grecques  et  latines, 
car  le  jour  où  elles  sont  tombées  des  murs 
d'Alexandrie  en  flammes  et  de  Gonstaritinople  en 
ruines,  elle  les  a  reçues  dans  la  robe  de  ses  papes 
et  de  ses  moines,  et  elle  n'a  pas  cessé  un  seul  jour 
•de  les  lire  et  de  les  purifier. 

Demain,  comme  hier  et  aujourd'hui,  elle  travail- 
lera à  initier  les  petits  et  les  pauvres  aux  éléments 
des  lettres  humaines,  pour  mettre  à  la  tête  de  ses 
alphabets  le  nom  de  Dieu  et  le  signe  auguste  de  la 
Rédemption  ! 

Demain,  comme  hier  et  aujourd'hui,  elle  ouvrira 
des  écoles  en  même  temps  que  des  temples,  elle  fera 
des  savants  en  même  temps  que  des  saints,  elle  se 
donnera  tout  entière  à  la  diffusion  et  à  l'accrois- 
sement de  la  vie  chrétienne  et  de  la  vie  intellectuelle. 
Voilà  son  ambition  quelquefois  déçue,  souvent  rail- 
lée, mais  toujours  renaissante  et  jamais  satisfaite, 
car  cette  ambition  n'est  qu'un  trait  de  son  immense 
charité  ! 

i 

Ceux  qui  ont  visité  le  Vatican  nous  disent  qu'au 
Vatican,  dans  la  salle  même  où  le  Chef  de  l'Église 
signe  ses  décrets  infaillibles,  le  pinceau  de  Raphaël 
a  représenté  dans  des  tableaux  admirables  la  Poésie 
et  les  Lettres,  les  Arts  et  les  Sciences,  la  Philoso- 


150  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

phie  et  la  Théologie,  comme  s'il  eût  voulu  montrer 
toutes  les  connaissances  humaines  réunissant  en- 
semble leurs  lumières  et  contribuant  pour  leur 
part  à  l'épanouissement  et  au  rayonnement  de  la 
vérité  chrétienne.  Telle  est  en  effet  la  grande  pen- 
sée qui  résume  l'histoire  de  l'Eglise  et  de  l'esprit 
humain.  L'Église  est  une  puissance  intellectuelle 
de  premier  ordre.  Elle  a  été,  elle  est  et  elle  sera 
la  mère  et  la  gardienne  du  progrès  intellectuel. 
Saluons-la,  chantons-la  l 

Amen! 


II 
DANS  L'ORDRE  MORAL 


PREMIERE  CONFÉRENCE 

Importance  et  difficulté  de  la  loi  morale 


Messieurs, 

L'Eglise  est  la  mère  et  la  gardienne  du  progrès 
intellectuel.  C'est  suffisamment  et  surabondam- 
ment prouvé. 

Mais  l'intelligence  n'est  pas  tout  l'homme;  elle 
n'en  est  pas  même  la  moitié.  Dans  l'homme,  il  y  a 
la  conscience,  le  cœur,  la  volonté,  l'âme...  et  toute 
influence  qui  ne  va  pas  jusque-là,  jusqu'à  l'àme,  est 
une  influence  incomplète  et  à  peu  près  stérile. 

Or,  l'Eglise,  qui  agit  si  puissamment  sur  l'esprit, 
agit-elle  également  sur  le  cœur,  sur  la  volonté,  sur 
la  conscience,  sur  l'àme?  Oui.  L'Eglise  est  une 
grande  puissance  moralisatrice,  elle  est  la  mère  et 
la  gardienne  du  progrès  moral.  Et,  pour  vous  faire 
apprécier  ses  immenses  bienfaits  dans  cette  seconde 
sphère,  il  faut  que  je  vous  persuade  fortement  de 
l'importance  et  des  difficultés  de  la  loi  morale.  La 
loi  morale   consiste  à  éviter  le    mal  et  à  faire  le 


4  54  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

bien.    Est-ce  important   cela?  oui.   Est-ce  facile? 
non. 


♦I.  Importance  de  la  loi  morale. 

Oui,  Messieurs,  il  est  important,  il  est  nécessaire 
de  pratiquer  la  loi  morale,  c'est-à-dire  d'éviter  le 
mal  et  de  faire  le  bien. 

1°  Attention  !  Vous  êtes  mortels,  vous  vivez  aujour- 
d'hui, mais  demain  vous  ne  serez  plus.  Que  faut-il 
pour  vous  tuer  ?  une  fenêtre  entrouverte,  une 
porte  qu'on  n'a  pas  fermée,  une  voiture  qui  verse, 
un  train  qui  déraille,  une  goutte  de  sang  qui  se 
trompe  de  chemin  dans  votre  tête  ou  dans  votre 
poitrine.  Je  salue  le  médecin,  je  le  respecte,  j'ad- 
mire son  dévouement,  et,  quand  je  suis  malade,  je 
l'appelle  auprès  de  mon  lit  de  souffrance,  et  je 
bénis  sa  main  compatissante,  intelligente  et  secou- 
rable  ;  mais  je  constate  son  impuissance,  je  cons- 
tate que  depuis  six  mille  ans  la  science  n'a  pas  su 
ajouter  un  jour  de  plus  à  notre  vie,  ni  un  pouce 
à  notre  taille,  ni  ôter  une  ride  à  notre  front.  Vous 
êtes  mortels,  Messieurs,  et  demain,  penchés  sur 
votre  dépouille  inanimée,  vos  parents,  vos  amis, 
vos  voisins  diront  avec  stupeur:  «  Il  n'est  plus!  n 

Vous  ne  serez  plus  sur  la  terre.  Où  serez-vous 
donc?  Vous  serez  devant  Dieu.  Et  à  ce  moment  su- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  155 

prème,  alors  que  toutes  les  choses  d'ici-bas  seront 
supprimées  pour  vous,  est-ce  que  Dieu  vous  deman- 
dera si  vous  avez  eu  beaucoup  de  science?  Est-ce 
que  Dieu  pèsera  les  livres  que  vous  aurez  lus  ou 
composés?  Est-ce  que  Dieu  cherchera  à  discerner 
sur  vos  fronts  les  vains  titres  de  savants,  de  litté- 
rateurs, de  physiciens,  de  philosophes,  d'écono- 
mistes, d'académiciens?  Allons  donc!  Dieu  pèsera 
vos  œuvres,  et  non  vos  talents.  Dieu  voudra  savoir 
si  vous  avez  été  bons  fils,  bons  époux,  bons  pères, 
bons  citoyens,  bons  chrétiens.  Dieu  vous  deman- 
dera si  vous  avez  eu,  non  pas  beaucoup  de  science, 
mais  beaucoup  de  vertu.  Et  devant  sa  justice,  dans 
sa  balance  impartiale  et  infaillible,  le  valet  de 
ferme  qui  aura  observé  les  commandements  vau- 
dra mieux  et  pèsera  davantage  que  l'académicien 
qui  se  présentera  au  jugement  la  têle  pleine  des 
connaissances  les  plus  variées  et  les  mains  vides  de 
bonnes  œuvres.  Voilà  la  vérité,  Messieurs.  A  la 
lumière  de  vos  destinées  éternelles  et  à  la  lumière 
du  simple  bon  sens,  la  vertu  vaut  mieux  que  la 
science,  et  l'observation  de  la  loi  morale  est  d'une 
importance  décisive! 

2°  Maintenant  je  descends  de  ces  hauteurs, 
j'ouvre  la  porte  de  votre  foyer,  je  vous  montre 
votre  chère  famille  et  je  vous  dis  :  «  Ne  trouvez-vo'us 
pas  qu'il  va  pour  vos  enfants  quelque  chose  de  meil- 
leur que  l'instruction?  A  quoi  leur  servirait  de  savoir 


156  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

lire  s'ils  ne  lisent  que  de  mauvais  livres?  A  quoi  leur 
servirait  de  savoir  écrire,  si  leur  main  coupable 
devait  un  jour  rédiger  des  faux?  A  quoi  leur  servirait 
de  savoir  calculer,  si  le  calcul  devenait  pour  eux  un 
instrument  de  fraudes,  de  gains  illicites  et  de  procès 
injustes?  A*  quoi  leur  servirait  de  savoir  chanter,  si 
la  musique  était  l'humble  servante  de  leurs  mau- 
vaises passions  et  de  leurs  penchants  honteux? 
A  quoi  leur  servirait  d'avoir  leur  certificat  d'études, 
s'ils  n'étaient  pas  respectueux,  obéissants,  dévoués? 
A  quoi  leur  servirait  d'être  bacheliers,  licenciés 
et  docteurs,  s'ils  étaient  incapables  de  pratiquer  la 
probité,  la  charité,  le  désintéressement?  A  quoi 
leur  servirait  d'avoir  la  science  qui  est  bonne,  s'ils 
n'avaient  pas  la  vertu  qui  est  meilleure  encore,  la 
vertu  sans  laquelle  la  science  n'est  plus  qu'un  vain 
simulacre  et  un  puissant  moyen  de  corruption?  » 
J'en  appelle  à  votre  cœur,  à  votre  intelligence  pa- 
ternelle, et  votre  intelligence,  votre  cœur  pro- 
clament avec  moi  que  l'observation  de  la  loi  morale 
est  d'une  importance  décisive. 

3°  Après  avoir  jeté  un  regard  sur  le  foyer,  je 
contemple  la  société  et  j'admire  dans  son  sein  la 
gloire  des  lettres,  des  sciences  et  des  arts,  la  puis- 
sance des  loi  3  et  des  armées,  le  perfectionnement 
des  méthodes  et  des  machines,  l'accroissement  de 
la  production  et  de  la  richesse,  et  j'ai  la  prétention 
de  n'être  dépassé  par  personne  dans  l'admiration 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  1157 

sincère  que  je  professe  pour  les  progrès  matériels 
et  scientifiques  de  notre  siècle.  Mais,  de  bonne  foi, 
est-ce  là  toute  la  fortune,  tout  le  patrimoine  d'un 
peuple?  Comptez- vous  pour  rien  la  probité,  la  mo- 
dération des  désirs,  l'esprit  d'abnégation  et  de  sacri- 
fice, le  feu  sacré  du  dévouement,  la  pratique  de  la 
chasteté  qui  est  un  des  principes  les  plus  féconds 
de  la  beauté  et  de  l'énergie  des  corps,  et  l'horreur 
de  la  volupté  qui  est  presque  toujours  pour  ceux 
qu'elle  a  touchés  un  vêtement  de  feu  et  comme  une 
robe  empoisonnée  qui  dévore  et  consume  même  les 
hercules?  Pensez-vous  que  vous  aurez  jamais  un 
peuple  fort,  prospère,  honorable  et  respecté,  si  la 
vertu  ne  coule  pas  dans  son  âme  comme  le  sang 
dans  ses  veines  ?  Messieurs,  pour  la  santé  et 
la  bonne  constitution  d'un  peuple,  tous  les  pro- 
grès matériels  et  scientifiques  ne  valent  pas  une 
vertu,  une  idée  morale,  une  bonne  pensée,  un 
sentiment  élevé,  une  parole  d'amour  qui  console 
et  qui  fortifie  !  Si  la  loi  morale  n'est  pas  observée, 
c'en  est  fait  de  vos  âmes  pour  l'éternité,  c'en  est 
fait  de  vos  foyers  désolés  et  déshonorés,  c'en  est 
fait  d'un  peuple,  d'un  siècle  entier,  et  le  chapitre 
de  la  décadence  commence  pour  ne  plus  finir.  Dans 
votre  âme  et  conscience  vous  ne  pouvez  pas  dire 
le  contraire...  il  faut  pratiquer  la  loi  morale.  C'est 
nécessaire.  Est-ce  facile?  Est-il  facile  d'éviter  le 
mal  et  de  faire  le  bien  ?  Non. 


158  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 


II.  Difficulté  de  la,  loi  morale. 


Ici  encore,  Messieurs,  procédons  par  des  faits  plus 
que  par  des  raisonnements  et  constatons  trois  phé- 
nomènes qui  me  semblent  incontestables. 

1°  77  y  a  du  mal  en  nous  et  autour  de  nous.  Il  y 
a  du  mal  en  nous.  0  homme,  je  ne  vous  connais 
pas,  et  je  ne  serais  pas  capable  de  raconter  par  le 
défail  toute  votre  histoire.  Mais  je  me  connais,  et 
il  y  a  une  chose  que  je  sais  et  sur  laquelle  je  puis 
vous, interpeller  avec  toute  l'autorité  que  donne  la 
certitude  :  ô  hommes,  mettez  la  main  sur  votre 
cœur,  et  répondez-moi.  N'est-il  pas  vrai  qu'il  y  a 
du  mal  en  vous?  qu'il  y  a  derrière  le  mur  de  la  vie 
extérieure,  dans  la  citadelle  de  la  vie  intime,  des  , 
ennemis  cachés,  des  instincts  mauvais,  une  racine 
de  sensualité,  d'orgueil  et  de  cupidité.  Le  mal, 
nous  le  portons  en  nous.  Il  circule  dans  notre  âme, 
il  voyage  dans  nos  membres,  il  envahit  toutes  nos 
puissances,  il  allume  dans  notre  sein  de  vastes  in- 
cendies, et  les  plus  justes  sont  précisément  ceux 
qui  le  sentent  le  mieux  et  en  gémissent  davantage. 
Hommes  qui  m'écoutez,  je  sais  que  c'est  là  votre 
histoire. 

Et  non  seulement  il  y  a  du  mal  en  nous,  mais 
il  y  en  a  autour  de  nous.  Vous  voyez  tous  les  jours 
la   foule  courir  au  plaisir,  chercher  le  bien-être  à 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  d50 

tout  prix,  adorer  le  succès.  Vous  entendez  re- 
tentir à  vos  oreilles  les  maximes  commodes  dont 

r 

le  siècle  a  fait  son  Evangile  :  Jouissez,  enrichissez- 
vous,  soyez  heureux  ici-bas  !  Et  vous  sentez  au 
fond  de  votre  âme  une  voix  secrète  qui  vous  presse 
de  suivre  de  tels  exemples  et  d'accepter  de  telles 
maximes.  Que  faire  entre  ces  attraits  du  dedans  et 
ces  entraînements  du  dehors?  Sommes-nous  une 
proie  fatalement  promise  au  mal?  Non.  Je  constate 
un  second  phénomène. 

2°  Nous  sommes  libres  entre  le  bien  et  te  mal. 
0  mystère  ineffable!  nous  sommes  libres  entre 
deux  attractions,  entre  l'attraction  du  bien  et  l'at- 
traction du  mal.  Nous  sommes  libres.  J'en  atteste 
l'homme  de  bien  qui  se  sent  heureux  d'avoir  fait  de 
belles  actions,  et  le  criminel  qui  rougit  au  fond  de 
lui-même  d'en  avoir  commis  de  mauvaises.  J'en 
atteste  toutes  les  langues  qui  nous  parlent  sans 
cesse  d'estime  et  de  mépris,  de  haine  et  d'amour, 
de  vice  et  de  vertu,  de  punition  et  de  récompense. 
J'en  atteste  toutes  les  sociétés  qui,  imputant  aux 
citoyens  leurs  actions,  ont  fait  des  lois  pour  la 
répression  des  crimes.  J'en  atteste  votre  sens  in- 
clue et  votre  expérience  personnelle.  Quel  est 
celui  d'entre  vous  qui  ne  voit  dans  ses  souvenirs, 
mêlés  aux  jours  sombres  et  néfastes  où  il  a  cédé 
aux  attraits  du  mal  et  à  l'orage  des  passions,  des 
jours  sereins  et  illustres  où  sa  volonté  est  demeurée 


160  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

maîtresse  de  la  tentation?  N'y  eût-il  qu'un  seul  de 
ces  jours  dans  une  vie,  c'en  serait  assez  pour  prou- 
ver que  ni  les  penchants  de  notre  organisme,  ni  les 
violences  du  dehors  ne  peuvent  produire  malgré 
nous  le  vouloir  et  la  détermination.  Donc  il  serait 
faux  de  dire  que  nous  sommes  foncièrement  et 
nécessairement  mauvais,  et  il  serait  également  faux 
de  prétendre  que  nous  sommes  foncièrement  et  né- 
cessairement bons.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  nous 
naissons  bons  et  mauvais  tout  ensemble.  Nous  ne 
sommes  ni  anges  ni  bêtes;  nous  sommes  tous  les 
deux  à  la  fois.  Est-ce  à  dire  que  notre  volonté  est  à 
égale  distance  du  bien  et  du  mal,  que  les  deux  pla- 
teaux de  la  balance  sont  égaux?  Non.  L'expérience 
nous  met  en  présence  d'un  troisième  phénomène. 

3°  Généralement  nous  sommes  plus  attirés  vers  le 
mal  que  vers  le  bien.  Il  y  a  des  exceptions  à  la 
loi,  mais  la  loi  existe,  et  la  voici  :  les  attraits  qui 
se  disputent  notre  volonté  ne  sont  pas  d'égale  force, 
et  d'ordinaire  l'attraction  du  mal  est  plus  puissante 
que  l'attraction  du  bien.  Je  ne  parle  pas  des  indi- 
vidus exceptionnels,  je  prends  l'humanité  dans  son 
ensemble,  et  je  dis  :  laissée  à  elle-même,  à  sa  pente 
naturelle,  où  va-t-elle  ?  Hélas  !  nulle  discussion  n'est 
ici  possible,  elle  va  au  mal.  Les  grands  courants  delà 
vie  humaine  vont  par  eux-mêmes  à  la  fausseté,  au  dé- 
sordre, à  l'abîme,  à  peu  près  comme  les  fleuves  en  sui- 
vant leur  pente  vont  à  la  mer.  L'histoire  tout  entière 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  1G1 

nous  crie  quel'homme  a  peur  du  vrai  parce  qu'ilapeur 
du  bien.  Voyez  l'enfant.  Il  est  né  d'un  père  et  d'une 
mère  qui  sont  l'incarnation  vivante  de  la  vertu  ;  il 
n'a  respiré  sur  les  lèvres  maternelles  que  des  souffles 
«célestes;  il  a  été  entouré  des  précautions  les  plus 
minutieuses...  et  cependant,  presque  dès  le  berceau, 
le  voilà  emporté  vers  le  mal,  vers  la  révolte,  vers 
la  colère,  vers  la  domination  injuste,  vers  le  plaisir 
sensible...  et  malheur  à  lui  s'il  ne  rencontre  pas 
une  main  qui  l'arrête,  le  redresse  et  le  châtie  !  Non, 
Messieurs,  les  choses  ne  sont  pas  égales  entre  le 
bien  et  le  mal,  et  l'apôtre  saint  Paul  se  rencontre  avec 
le  poète  Ovide  pour  attester  que,  si  généreuse  que 
soit  notre  nature,  elle  recèle  des  connivences  plus 
nombreuses  avec  le  faux  et  avec  le  mal  qu'elle  n'en 
prépare  au  vrai  et  au  bien  :  «  Video  meliora  proboque , 
détériora  sequor  ;  Je  vois  le  bien  et  je  l'acclame,  et 
cependant  je  fais  le  mal.  »  Voilà  l'histoire  humaine, 
voilà  notre  histoire  à  tous. 

—  La  loi  morale  est  ce  qu'il  y  a  au  monde  de 
plus  important  etde  plusdifficile.  Il  fautla  pratiquer, 
c'est  nécessaire,  mais  c'est  presque  impossible.  Qui 
donc  va  nous  aider?  N'y  a-t-il  pas  ici-bas  quelque 
part  une  institution  providentielle  destinée  à  se- 
courir notre  impuissance?  Il  y  a  l'Église  catholique. 
Elle  est  la  grande  puissance  moralisatrice,  et  la 
seule  puissance  moralisatrice  suffisante.  Je  me  fais 
fort  de  vous   le   prouver,   et  ce  sera  pour  vous  et 

LES    BIENFAITS    DE    l/ÉGLISE.    —    1-11 


162  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

pour  moi  une  nouvelle  occasion  de  la  bénir,  un 
nouveau  motif  de  l'aimer...  Ce  sera  la  seconde 
strophe  de  notre  cantique  en  l'honneur  de  la  sainte 
Eglise,  mère  et  gardienne  du  progrès  moral  autant 
que  du  progrès  intellectuel  I 

Amen! 


DEUXIÈME  CONFÉRENCE 

/.  —  L'ÉGLISE  EST  UNE  GRANDE  PUISSANCE 
MORALISATRICE 

1°  l'église  éclaire  la  conscience 


Messieurs, 

La  morale  est  aussi  difficile  que  nécessaire.  Qui 
donc  nous  aidera  à  la  pratiquer?  L'Eglise.  L'Église 
est  une  grande  puissance  moralisatrice.  Comment 
cela?  C'est  ce  que  nous  allons  voir  en  sept  ou  huit 
conférences. 

D'abord  l'Eglise  éclaire  la  conscience  humaine 
sur  la  loi  morale,  et  ce  premier  service  qu'elle  nous 
rend  est  immense.  On  a  dit  que  souvent  le  plus 
difficile  n'est  pas  d'accomplir  son  devoir,  mais  de 
le  connaître.  C'est  vrai.  Tel  est  notre  besoin  le  plus 
élémentaire  et  le  plus  essentiel.  Nous  voulons  une 
notion  de  la  loi  morale,  claire,  précise,  lumineuse, 
saisissant  tous  les  yeux  et  excluant  toutes  les  hési- 
tations. L'Eglise  nous  donne  cela  avant  tout.  Elle 
offre  à  la  conscience  humaine  une  lumière  intense 
sur  l'ensemble  et  sur  le  détail  du  devoir,  des  idées 
morales  précises,  immuables  et  impérieuses. 


164  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

I.  L'Église  présente  à  la  conscience  humaine  des 
idées  morales  précises. 

Pour  avoir  une  notion  complète  de  la  loi  morale 
adressez-vous  à  l'Eglise.  La  loi  morale  comprend 
trois  chapitres  :  les  devoirs  envers  Dieu,  envers  le 
prochain  et  envers  nous-mêmes,  et  les  devoirs 
envers  Dieu  ne  sont  pas  moins  sacrés  que  les  de- 
voirs envers  le  prochain  et  envers  nous-mêmes.  Si 
vous  remplissez  scrupuleusement  vos  devoirs  indi- 
viduels et  sociaux,  et  si  vous  refusez  de  rendre  à 
Dieu  les  devoirs  d'adoration,  de  reconnaissance,  de 
prière  et  de  culte  public  qui  lui  sont  dus,  j'affirme 
que  votre  morale  est  incomplète,  puisque  dans  la 
série  de  vos  devoirs  vous  oubliez  la  première,  la 
plus  haute  et  la  plus  sacrée  de  toutes  les  personna- 
lités. Vous  devez  à  Dieu  l'adoration,  puisqu'il  est 
le  Maître  et  le  Créateur,...  la  prière,  puisqu'il  est  le 
dispensateur  libre  et  unique  de  tout  ce  dont  nous 
avons  besoin,...  l'action  de  grâces,  puisqu'il  vous  a 
tout  donné,  la  vie,  l'intelligence,  la  santé,  vos  en- 
fants, vos  biens,  tout,  et  que  d'un  moment  à  l'autre  il 
pourrait  tout  vous  enlever,...  le  culte  public  entier, 
puisqu'il  a  droit  à  l'hommage  extérieur  non  moins 
qu'à  l'hommage  intime  de  votre  être.  La  morale 
comprend  les  devoirs  envers  Dieu  aussi  bien  que 
les  devoirs  envers  le  prochain  et  envers  nous- 
mêmes.  Si  vous  négligez  les  devoirs  envers  Dieu, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  165 

que  vous  reste-t-il?  Les  deux  tiers  seulement  de  la 
morale,  c'est-à-dire  une  morale  diminuée  d'un  tiers, 
une  morale  tronquée  et  méconnaissable,  de  même 
que,  si  vous  enlevez  au  triangle  un  de  ses  irois  côtés, 
vous  détruisez  le  triangle  lui-même  et  ne  laissez  à 
sa  place  que  deux  lignes  indécises  et  flottantes... 
C'est  géométrique,  mathématique,  rationnel.  Et  le 
grand  Racine  écrivant  à  son  fils  avait  bien  raison 
de  lui  dire  :  «  Je  me  flatte,  mon  fils,  que,  faisant 
votre  possible  pour  devenir  un  parfait  honnête 
homme,  vous  conceviez  qu'on  ne  peut  l'être  sans 
rendre  à  Dieu  ce  qu'on  lui  doit.  »  Voilà  du  simple 
bon  sens.  Et  cependant,  en  dehors  de  l'Eglise,  ce 
simple  bon  sens  est  absolument  et  universellement 
méconnu.  A  l'heure  qu'il  est,  dans  notre  société 
française  décatholicisée,  il  y  a  des  milliers  et  des 
milliers  d'hommes  qui  se  proclament  les  plus  hon- 
nêtes gens  du  monde  sans  jamais  donner  à  Dieu 
ni  une  pensée,  ni  une  prière,  ni  une  génuflexion, 
ni  un  battement  de  leur  cœur,  ni  un  cri  de  leurs 
lèvres,  ni  une  minute  de  leur  vie.  Ils  traitent  Dieu 
comme  une  quantité  négligeable,  et  vous  cherche- 
riez vainement  chez  eux,  je  ne  dis  pas  le  remords, 
mais  le  soupçon  d'un  grand  devoir  oublié.  Trans- 
fuges de  la  sainte  Eglise,  ils  ont  perdu  la  notion 
complète  de  la  loi  morale,  ils  n'ont  plus  d'idées  mo- 
rales précises  sur  l'ensemble  de  leurs  devoirs. 

Et  de  même,  pour  avoir  une  notion  détaillée 'de  la 
loi  morale,  adressez-vous  à  l'Eglise.  Elle  vous  expose, 


166  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

elle  vous  explique  les  préceptes  du  Décalogue,  la 
série  des  obligations  qu'il  impose,  la  définition  des 
vertus  qu'il  commande,  l'énumération  des  vices 
qu'il  pi oscrit  et  des  passions  qu'ilréprouve.  L'Église 
n'oublie  rien  ni  personne,  et  elle  annonce  avec 
limpidité  la  loi  qui  fait  les  époux  fidèles,  les  enfants 
respectueux,  les  ouvriers  probes  et  tempérants,  les 
serviteurs  dévoués  à  leurs  maîtres,  les  riches  bien- 
faisants, les  pauvres  résignés,  les  sujets  obéissants 
sans  bassesse  et  libres  sans  révolte  ;  la  loi  qui  courbe 
l'industrie  sous  le  joug  de  la  bonne  foi,  le  commerce 
sous  les  exigences  d'une  probité  sévère.  L'Église 
suit  et  dissèque  la  loi  morale  jusque  dans  ses  con- 
séquences les  plus  éloignées  et  dans  ses  racines  les 
plus  profondes.  Elle  condamne  non  seulement  le 
meurtre,  mais  la  colère;  non  seulement  les  actes 
impurs,  mais  le  regard  coupable  et  la  pensée  se- 
crète et  inavouable  ;  non  seulement  la  vengeance 
et  la  haine,  mais  le  seul  désir  volontaire  de  nuire 
au  prochain.  Y a-t-il des  ténèbres  dans  laconscience? 
Le  Sacrement  de  Pénitence  les  éclaircit.  Là,  au  tri- 
bunal qui  justifie  ceux  qui  s'accusent,  le  chrétien 
reconnaît  la  passion  naissante,  le  vice  caché,  la  fai- 
blesse inattentive,  le  mouvement  presque  inaperçu 
qui  tourmentait  son  âme  au  milieu  des  embarras 
de  sa  vie;  il  apprend  à  séparer  le  bien  du  mal;  il 
retrouve  la  vue  ferme*  de  la  loi  et  la  notion  exacte 
de  son  devoir.  Y  a-t-il  des  oublis?  La  chaire  les  si- 
gnale.  Un  jour  par  semaine,  le  chrétien  vient  à 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  167 

l'Église;  il  s'instruit  de  ses  obligations;  il  repasse 
dans  son  esprit  les  préceptes  du  Décalogue;  il  fait 
son  examen  de  conscience;  il  donne  à  son  âme  un 
bain  de  lumière.  Imaginez  un  peuple  tout  entier 
acceptant  cette  discipline  et  y  adaptant  sa  vie,  et 
vous  pouvez  être  sûrs  que  ce  peuple  conservera  le 
sens  exact  de  la  loi  morale.  Il  aura  la  notion  com- 
plète et  détaillée  de  tous  ses  devoirs. 

Oui,  mais,  dites-vous,  les  idées  morales  ont  bien 
de  la  peine  à  s'implanter  dans  l'humanité.  Elles  y 
sont  fortement  combattues.  C'est  vrai.  Il  ne  suffit 
pas  de  les  jeter  dans  le  monde  comme  une  semence 
qui  va  germer  et  fleurir  d'elle-même.  Il  faut  les 
défendre  et  les  protéger.  Et  c'est  ici  précisément 
qu'apparaît  une  seconde  et  magnifique  fonction  de 
l'Eglise  catholique. 


II.  L'Eglise  présente  à  la  conscience  humaine  des 
idées  morales  immuables. 

Vous  avez  bien  raison  de  dire,  Messieurs,  que  la 
loi  morale  ne  peut  pas  se  défendre  toute  seule.  Il 
y  a  en  effet  deux  ordres  d'idées  :  les  unes  flattent 
nos  passions,  et  celles-là  sont  douées  d'une  force 
immense  d'expansion  ;  elles  débordent  pour  ainsi 
dire  d'activité  et  de  vie;  les  autres,  au  contraire,  qui 
répriment  nos  passions,  trouvent  une  difficulté 
extrême  à  se  frayer  un  chemin;  elles  ne  sauraient 


168  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

fournir  leur  carrière  sans  l'appui  d'une  institution 
qui  leur  assure  la  stabilité.  Donc  la  conservation  et 
le  succès  des  grandes  idées  morales  exigent  des 
institutions  puissantes;  et  il  faut  bien  se  garder 
d'abandonner  ces  idées  à  la  mobilité  de  l'esprit 
humain,  sous  peine  de  les  voir  bientôt  défigurées, 
ou  tout  au  moins  réduites  à  l'impuissance  et  vouées 
à  l'insuccès.  Or  quelle  est  la  grande  institution  qui 
maintient  la  loi  morale  dans  son  intégrité  et  dans 
son  inviolabilité?  N'est-ce  pas  l'Église  et  seulement 
l'Église? 

La  diversité  des  temps  et  des  lieux  voudrait  faire 

r 

fléchir  la  loi  morale.  L'Eglise  est  là  qui  prêche  la 
même  morale  à  Rome,  à  Paris,  à  Londres,  à  Moscou, 
à  Pékin,  à  Philadelphie,  dans  les  superbes  cathé- 
drales et  dans  les  modestes  sanctuaires  de  nos 
campagnes.  Partout  elle  annonce  la  même  morale 
comme  partout  la  même  foi,  et  les  vieux  catholiques 
de  la  fidèle  Irlande,  instruits  depuis  seize  siècles 
par  leurs  prêtres,  ne  pratiquent  pas  un  autre  Déca- 
logue  que  les  nouveaux  convertis  de  la  Chine,  à 
qui  il  est  annoncé  pour,  la  première  fois. 

La  violence  des  passions  humaines  voudrait  à 
son  tour  entamer  la  loi  morale.  Les  mondains 
demandent  grâce  pour  leurs  plaisirs;  il  déplaît 
aux  maîtres  qu'on  leur  reproche  de  traiter  leurs 
domestiques  avec  dédain,  aux  domestiques  qu'on 
leur  demande  du  respect  et  de  l'affection  -pour 
leurs  maîtres  ;  le  vindicatif,  le  voluptueux,  l'usu- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  1G9 

rier  entendent  sauver  à  tout  prix  l'idole  de  leur 
cœur.  Mais  l'Eglise  tient  pour  nulles  toutes  ces 
réclamations.  Connaissez-vous  un  retranchement 
qu'elle  ait  opéré  dans  le  Décaiogue?  Connaissez- 
vous  une  seule  convoitise  qu'elle  ait  jamais  accep- 
tée et  sanctionnée  ?  Non.  Plus  d'une  fois  les  rois, 
les  puissants  se  sont  levés  et  ont  demandé  des 
adoucissements,  des  concessions.  Ils  ont  demandé 
grâce  pour  l'adultère,  pour  le  duel,  pour  la  tyran- 
nie. L'Eglise  a  sommé  les  rois  de  respecter  la  sainte 

r 

institution  du  mariage.  L'Eglise  a  frappé  les  duel- 
listes d'excommunication.  L'Eglise  n'a  cessé  de 
protester  contre  la  tyrannie,  même  honorée  et 
triomphante.  Fénelon  reproche  à  Louis  XIV  sa  pas- 
sion pour  les  combats,  Bourdaloue  son  adultère, 
Bossuet  ses  entreprises  contre  le  ministère  aposto- 
lique.  L'Eglise  a  dit  la  vérité  aux  rois.  Les 
peuples,  devenus  rois  à  leur  tour,  ont  aussi  des 
flatteurs  qui  les  perdent.  Qui  donc  plaidera  devant 
eux  la  cause  de  la  morale?  Encore  l'Eglise.  Debout 
dans  ses  chaires,  elle  dit  aux  peuples  :  «  La  pro- 
priété est  sacrée;  n'y  touchez  pas.  La  débauche 
vous  perdra  ;  fuyez-en  la  contagion  et  le  déshon- 
neur. Le  travail  est  voulu  de  Dieu  ;  acceptez-le 
comme  un  devoir  et  une  épreuve.  La  diversité  des 
conditions  humaines  est  nécessaire;  respectez  cette 
loi  providentielle.  L'homme  n'est  pas  fait  pour  la 
jouissance...  »  L'Eglise  est  la  gardienne  de  la  mo- 
rale;  on  ne  peut  ni  la  corrompre,  ni  l'endormir, 


170  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ni  la  détourner  de  son  service.  Elle  garde  au  monde 
des  idées  morales  précises  et  immuables.  Ce  n'est 
pas  tout. 


III.  L'Eglise  présente  à  la  conscience  humaine 
des  idées  morales  impérieuses. 

Ce  dernier  service  est  d'une  importance  souve- 
raine. Pour  exister,  le  vice  n'a  nullement  besoin 
de  prémisses  dans  l'esprit;  enfant  de  la  corruption 
du  cœur,  il  prospère,  il  grandit,  si  illogique,  si 
injustifiable  qu'il  soit.  Le  mal  germe  et  pousse  tout 
seul  au  fond  de  notre  pauvre  cœur.  Il  n'en  est  pas 
ainsi  de  la  vertu.  La  vertu  est  une  réaction  du  cœur 
contre  lui-même,  c'est  une  violence  habituelle  faite 
à  nos  penchants.  Or,  pour  nous  engager  dans  cette 
pénible  lutte  et  y  persévérer,  pour  gravir  d'un  pas 
ferme  le  rude  sentier  du  devoir,  il.  nous  faut  non 
seulement  des  idées'  précises  et  immuables,  sur 
lesquelles  notre  pied  ne  tremble  jamais;  mais  il 
nous  faut  des  idées  morales  impérieuses  qui  nous 
poussent  en  avant  et  qui  nous  disent  :  «  Soldat  du 
bien,  marche,  marche  quand  môme,  marche  tou- 
jours !  Tu  ne  peux  pas,  tu  ne  dois  pas  reculer.  » 
Ces  idées  morales  impérieuses,  Messieurs,  c'est 
encore  l'Église  qui  les  propose  et  les  impose  à  la 
conscience  humaine  stimulée  et  entraînée. 

L'Eglise  nous  offre  de  puissants  motifs  qui 
poussent  vers  le  bien.  «  Dieu,  dit-elle,  est  l'auteur 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  171 

de  la  loi  morale  ;  la  loi  morale  est  en  vous,  mais 
elle  vient  de  plus  haut  que  vous  ;  elle  vient  de 
quelqu'un  qui  ne  varie  pas,  qui,  loin  d'être  diminué 
ou  changé  par  vos  caprices,  les  domine  et  les  assu- 
jettit; elle  vient  de  Dieu.  Dieu,  dit-elle  encore,  est 
le  Législateur  de  la  morale  ;  c'est  Lui  qui  en  impose 
l'accomplissement,  qui  lui  donne  sa  force  obliga- 
toire. Dieu,  dit-elle  enfin,  est  le  vengeur  de  la 
morale  ;  c'est  Lui  qui  punira  la  prévarication  et 
qui  récompensera  la  fidélité.  »  Quels  puissants 
motifs  de  fuir  le  mal  et  d'accomplir  son  devoir  ! 
Un  Dieu,  principe  et  terme  de  la  morale,  un  Dieu 
rémunérateur  et  vengeur,  un  Dieu  toujours  vivant, 
toujours  présent,  qui  voit  tout  et  qui  juge  tout,  qui 
met  dans  la  balance  jusqu'à  la  bonne  et  la  mau- 
vaise pensée,  un  Dieu  qui  s'est  fait  homme  et  qui 
est  mort  pour  expier  nos  fautes,  un  Dieu  qu'il  fau- 
dra recevoir  demain  dans  un  cœur  pur  après  une 
confession  détaillée  faite  au  prêtre  son  ministre. . .  des 
promesses  magnifiques,  des  menaces  effrayantes... 
est-ce  que  vous  ne  voyez  pas,  Messieurs,  toutes  les 
idées  moralisatrices  qui  fermentent  dans  la  doc- 
trine de  l'Eglise  ?  Elle  fait  appel  à  la  crainte,  à 
l'amour,  à  la  reconnaissance,  à  la  raison,  au  cœur, 
à  l'intérêt.  Et  aux  puissants  motifs  qui  poussent 
l'homme  vers  le  bien, 

Elle  ajoute  de  nobles  exemples  qui  attirent  vers 
le  bien.  L'Eglise  présente  à  la  conscience  humaine 
la  vie  typique  de  Jésus-Christ.  Elle  montre  Jésus- 


472  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Christ  tombant  des  splendeurs  du  ciel  dans  les 
anéantissements  de  l'Incarnation,  obéissant  jusqu'à 
la  mort  de  la  croix,  choisissant  pour  son  partage  la 
pauvreté,  bénissant  les  cœurs  purs,  proclamant 
l'excellence  de  la  chasteté,  et,  bien  que  mille  fois 
calomnié,  ne  permettant  pas  que  l'on  suspectât  en 
lui  cette  adorable  vertu,  aimant  la  vérité  avec  une 
sainte  passion,  prodigue  de  ses  dons,  faisant  le 
bien  sur  son  passage  et  donnant  sa  vie  pour  ceux 
quil  aime,  venant  non  pour  être  servi,  mais  pour 
servir  les  autres,  acceptant  tous  les  opprobres, 
broyé  sur  la  croix,  et  dans  sa  personne  adorable  et 
meurtrie  déifiant  la  douleur,  enfin  vivant  et  mou- 
rant pour  la  gloire  de  son  Père  et  le  salut  du 
monde.  Devinez,  Messieurs,  les  passions  qui 
s'apaisent,  les  haines  qui  pardonnent,  les  vertus 
qui  germent,  les  dévouements  qui  se  décident  aux 
pieds  du  Crucifix,  sous  le  rayonnement  de  Jésus- 
Christ,  de  la  Vierge  et  des  Saints  !  Devant  de  tels 
exemples  descendus  de  si  haut  et  nous  atteignant 
de  si  près,  la  conscience  émue,,  éclairée,  stimulée 
et  entraînée,  sent  l'impérieux  besoin  de  s'arracher  au 
mal  et  de  s'engager  dans  les  âpres  sentiers  du  bien. 
L'Église  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
Elle  éclaire  la  conscience  humaine.  Elle  nous  donne 
des  idées  morales  précises,  immuables  et  impé- 
rieuses. C'est  déjà  splendide! 

Amen! 


TROISIÈME    CONFERENCE 

1°  l'église  ÉCLAIRE  LA  CONSCIENCE 

(suite) 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
La  morale...  tout  le  monde  la  préconise.  La  vertu... 
vous  voulez  la  voir  resplendir  dans  la  vie  de  votre 
femme  et  sur  le  front  de  vos  enfants;  vous  vous 
indignez  quand  vous  vous  apercevez  qu'on  l'ou- 
trage autour  de  vous  ;  vous  applaudissez  au  triomphe 
du  bien  et  à  l'humiliation  du  vice.  Tous,  vous  êtes 
les  partisans  de  la  morale,  et,  en  vous  disant  cela, 
je  ne  vous  adresse  pas  une  flatterie,  je  constate 
simplement  un  fait  qui  est  l'honneur  élémentaire 
de  la  nature  humaine.  Or  l'Église  est  la  gardienne 
de  la  morale.  Elle  éclaire  la  conscience  et  elle  lui 
présente  des  idées  morales  précises,  immuables 
et  impérieuses.  Ce  premier  service  que  rend  l'Eglise 
à  la  conscience  humaine  est  déjà  immense.  Il  cons- 
titue pour  l'Église  une  gloire  et  un  tourment. 
L'Église  annonce  au  monde  une  morale  précise, 
immuable  et  impérieuse. 


174  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 


I.  C'est  son  tourment. 


Vous  êtes-vous  jamais  demandé,  Messieurs,  pour- 
quoi  l'Eglise  était  impopulaire;  pourquoi,  ne  ces- 
sant jamais  de  faire  le  bien,  elle  entend  toujours 
autour  d'elle  des  voix  qui  la  contredisent,  qui  dé- 
naturent ses  intentions  et  qui  calomnient  ses  actes? 
Il  y  a  là  un  mystère  d'ingratitude  qui  appelle  une 
explication,  et  je  vais  vous  la  donner.  Vous  avez 
cru  peut-être  que  l'impopularité  de  l'Eglise  tenait 
à  laprofondeur  et  à  l'incompréhensibilité  des  vérités 
qu'elle  annonce.  Détrompez- vous.  L'Église  est  impo- 
pulaire, elle  est  discutée,  elle  est  malmenée,  sur- 
tout parce  qu'elle  prêche  la  morale,  non  pas  une 
morale  telle  quelle,  mais  une  morale  précise,  im- 
muable et  impérieuse.  En  prêchant  la  vertu,  l'Eglise 
condamne  nécessairement  les  passions  et,  en  con- 
damnant les  passions,  elle  les  ameute  nécessaire- 
ment contre  elle. 

Debout  dans  ses  chaires,  parlant  au  nom  du 
Ciel,  l'Eglise  dit  :  «  Il  y  a  un  Dieu  créateur,  légis- 
lateur et  juge.  »  Et  il  y  a  des  hommes  qui  disent: 
Dieu  n'est  pas!  Comment  voulez-vous  que  l'Eglise 
s'entende  avec  eux? 

L'Eglise  dit  :  «  Il  y  a  un  enfer,  un  châtiment  éter- 
nel pour  les  prévaricateurs.  »  Et  bon  nombre  de 
gens  qui  sont  intéressés  à  ce  qu'il  n'y  en  ait  point 
se  récrient.  Les  voleurs,  s'ils  le  pouvaient,  détrui- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  175 

raient  la  gendarmerie;  de  môme  ceux  qui  ont  peur 
de  la  Justice  divine  sont  furieux  d'entendre  dire 
qu'elle  existe.  Essayez  de  parler  de  l'enfer  à  tous 
les  criminels  qui  sont  en  train  de  le  mériter,  ils 
vous  répondront  par  des  ricanements  diaboliques 
et  par  des  frémissements  de  colère.  Ils  ne  veulent 
pas  qu'il  y  ait  d'enfer.  Et  cependant  l'Eglise  dit 
qu'il  y  en  a  un,  et,  circonstance  aggravante,  elle 
leur  prouve  qu'il  y  en  a  un.  Comment  voulez-vous 
qu'elle  s'entende  avec  eux? 

L'Eglise  dit  :  «  Un  seul  Dieu  tu  adoreras.  »  Et  il 
y  a  bon  nombre  de  gens  qui  adorent  l'argent, 
d'autres  qui  adorent  leur  pot-au-feu,  d'autres  qui 
adorent  une  place,  ou  une  idole  de  chair.  L'Église 
élève  sa  voix  vengeresse,  elle  crie  :  «  Qu'a  été  Dieu 
jusqu'à  ce  jour  dans  votre  vie?  Rien.  Que  doit-il 
être?  Tout.  Prenez  garde.  Vous  dépendez  de  sa  puis- 
sance, vous  vivez  par  sa  providence,  il  faut  comp- 
ter avec  sa  justice!  »  Comment  voulez-vous  que 
l'Église  s'entende  avec  ceux  qui  ne  veulent  donner 
à  Dieu  ni  une  pensée  de  leur  esprit,  ni  un  batte- 
ment de  leur  cœur,  ni  une  minute  de  leur  vie? 

L'Église  dit  :  «  Dieu  en  vain  tu  ne  jureras.  »  Et 
il  y  a  bon  nombre  de  gens  qui  ne  connaissent  le 
nom  de  Dieu  que  pour  le  maudire,  ou  bien  pour 
le  prononcer  d'une  lèvre  blasphématrice,  ou  bien 
pour  le  profaner  dans  de  faux  serments.  Comment 
voulez-vous  que  l'Église  s'entende  avec  eux? 

L'Église  dit  :  «  Les  Dimanches  tu  garderas.  »  Et 


176  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

il  y  a  bon  nombre  de  gens  que  ce  devoir  impor- 
tune, qui  travaillent  ou  font  travailler  le  dimanche, 
pour  qui  vibre  comme  un  reproche  et  un  remords 
la  cloche  qui  les  appelle  à  la  prière.  Gomment 
voulez-vous  que  l'Eglise  s'entende  avec  eux? 

L'Eglise  dit  :  «Tes  père  et  mère  honoreras.» 
El  ix  y  a  des  enfants  qui  attendent  leurs  quinze  ans, 
qui  les  devancent  quelquefois  pour  secouer  le  joug 
de  l'obéissance  et  du  respect;  il  y  en  a  d'autres  qui 
laissent  languir  dans  la  misère  et  les  privations 
leurs  vieux  parents,  qui  abreuvent  d'amertume 
leurs  derniers  jours.  CommeDt  voulez-vous  que 
l'Église  s'entende  avec  ces  enfants  ingrats,  indisci- 
plinés, sans  cœur,  sans  entrailles? 

L'Eglise  dit  :  «  Homicide  point  ne  seras.  »  Et  il 
y  a  bon  nombre  de  gens  qui  tarissent  les  sources 
de  la  vie  en  limitant  leur  postérité.  Et  il  y  a  bon 
nombre  de  gens  qui  vivent  dans  la  haine,  la  dis- 
corde et  les  querelles,  qui  méditent  chaque  jour 
des  projets  de  vengeance,  qui  aimeraient  mieux 
perdre  un  membre  que  de  pardonner  une  injure, 
qui  sèment  les  mauvais  conseils  et  les  mauvais 
exemples  et  qui  tuent  dans  le  prochain  la  vie  de 
l'àme  bien  plus  précieuse  que  celle  du  corps,  c'est- 
à-dire  la  foi  et  l'innocence.  Comment  voulez-vous 
quel1  Eglise  s'entende  avec  eux? 

L'Église  dit  :  «  Impudique  point  ne  seras.  »  Et  il 
y  a  bon  nombre  de  gens  qui  suivent  en  esclaves 
dociles  leur   mauvaise  nature,   qui  se  permettent 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  177 

du  matin  au  soir  les  plaisirs  défendus,  les  conver- 
sations coupables,  les  imaginations  dangereuses, 
les  lectures  empoisonnées,  les  sociétés  corrompues. 
Comment  voulez-vous  que  l'Eglise  s'entende  avec 
eux? 

L'Eglise  dit  :  «  Bien  d'autrui  tu  ne  prendras.  » 
Et  il  y  a  bon  nombre  de  gens  pour  qui  la  richesse 
est  tout  et  qui  ont  trouvé  des  chemins  raccourcis  et 
commodes  pour  faire  passer  dans  leurs  mains  le 
bien  d' autrui.  Parlons  ici  clairement.  Le  vol  n'est 
pas  seulement  la  saisie  manuelle  d'une  somme 
d'argent  dans  un  tiroir;  c'est  tout  acte  qui,  sous 
une  forme  extérieure  différente,  s'y  ramène  en 
substance.  Et  il  n'y  a  pas  vol  seulement  quand  les 
gendarmes  et  la  loi  interviennent,  mais  toutes  les 
fois  que  les  droits  du  prochain  sont  lésés.  Voilà  la 
barrière  infranchissable  que  bon  nombre  de  gens 
veulent  franchir.  L'Eglise  tient  bon,  et  elle  répète: 
«  Bien  d'autrui  tu  ne  prendras  !  »  Comment  voulez- 
vous  que  TEglise  s'entende  avec  ceux  qui  ne  veulent 
pas  lui  obéir  et  qu'elle  condamne? 

Vous,  Messieurs,  vous  aimez  l'Eglise  parce  que 

r 

vous  aimez  la  morale.  La  parole  de  l'Eglise  ne  vous 
blesse  pas,  parce  quelle  vous  prêche  des  devoirs 
que  vous  savez  respecter  et  pratiquer.  Mais  regar- 
dez un  peu  le  monde  qui  vous  environne.  Dans  ce 
monde,  que  de  contempteurs  de  la  morale,  que 
d'hommes  qui  récèlent   au  fond  de  leur  cœur  des 

LES   BIENFAITS   DE    L'ÉGLISE.    —   1-12 


178  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

connivences  secrètes,  voulues  et  obstinées  avec  le 
mal  !  Or,  quand  la  parole  incorruptible  de  l'Église 
tombe  sur  ces  âmes,  y  sera-t-elle  accueillie  avec 
respect  et  avec  amour?  Non,  ce  n'est  pas  pos- 
sible. Elle  les  blesse  comme  un  fer  chaud,  et  elle 
éveille  sur  leurs  lèvres  des  colères,  des  récrimina- 
tions, des  anathèmes  qui  retentissent  comme  le  fra- 
cas de  la  tempête.  Ne  me  demandez  plus  mainte- 
nant pourquoi  l'Eglise  rencontre  dans  le  monde 
tant  de  contradictions,  tant  d'impopularité  et  d'hos- 
tilité. Elle  prêche  la  morale,  et  une  morale  précise, 
immuable  et  impérieuse.  C'est  son  tourment.  Et 
j'ajoute  aussitôt  : 


II .  C'est  sa  gloire. 

L'Église  prêche  la  morale,  et  une  morale  incor- 
ruptible... Tant  mieux!  Je  n'ai  jamais  entendu  re- 
procher à  une  colonne  d'être  immobile.  Que  de- 
viendrait l'édifice,  si  la  colonne  bougeait?  Pourquoi 
donc  reprocheriez-vous  à  l'Eglise  d'être  immobile, 
et  combien  cette  immobilité  ne  vous  est-elle  pas  sa- 
lutaire? Où  en  serions-nous,  s'il  y  avait  des  trem- 
blements de  la  vérité  et  de  la  morale,  comme  il  y 
a  des  tremblements  de  terre?  Cent  et  cent  fois  on 
a  vu  les  lois  changer,  l'opinion  séduite,  la  cons- 
cience aveuglée,  l'honneur  lui-même  défaillir,  et 
parmi  tant  d'apostasies  et  de  ruines  l'Église  garde 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  179 

inviolablement  la  morale  aussi  bien  que  le  dogme. 
Tant  mieux  pour  vous  ! 

Et  tant  mieux  pour  elle  !  admirez-la  dans  son  atti- 
tude. Jamais  elle  ne  pactise  avec  les  mauvaises  pas- 
sions. Fallût-il  perdre  un  royaume,  elle  ne  supprime 
pas  une  syllabe  de  sa  doctrine  morale.  C'est  sa 
gloire  sans  pareille,  c'est  son  honneur  incommu- 
nicable.  Oui,  l'Eglise  a  l'incomparable  honneur  de 
prêcher  une  morale  parfaite.  «  L'esprit  humain,  dit 
Thiers,  a  pu  avoir  des  démêlés  avec  elle  sur  son 
dogme,  jamais  sur  sa  morale.  »  Et  cet  incompa- 
rable honneur  de  prêcher  une  morale  parfaite  lui 
en  attire  un  autre,  qui  en  est  la  conséquence  glo- 
rieuse et  douloureuse  tout  ensemble,  celui  d'ameu- 
ter contre  elle  tous  les  mauvais  instincts  de  la 
nature  humaine.  L'Eglise  catholique  a  ce  privi- 
lège unique  d'exciter  les  colères  de  l'athée,  de  l'in- 
juste, du  voluptueux,  de  tout  homme  en  un  mot 
qui  outrage  ici-bas  par  sa  parole,  par  sa  plume  ou 
par  ses  œuvres  la  vérité,  le  droit,  la  morale,  la 
vertu,  c'est-à-dire  Dieu  lui-même.  La  cause  du 
bien,  la  cause  même  de  Dieu  est  identifiée  dans 
le  monde  avec  celle  de  l'Eglise,  et  nos  adversaires 
le  prouvent  mieux  encore  que  nous  par  T  indiffé- 
rence et  le  dédain  avec  lesquels  ils  traitent  la  parole 
du  ministre  protestant  ou  du  philosophe,  pour 
réserver  à  la  seule  parole  du  Pape,  des  évêques  et 
des  prêtres,  à  la  seule  parole  de  l'Eglise  leur  haine, 
leurs  objections   les  plus  perfides  et  leurs  coups 


180  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

les  plus  retentissants.  L'Église  prêche  la  morale, 
et  une  morale  incorruptible.  Tant  mieux  pour  elle 
et  tant  mieux  pour  vous,  Messieurs  ! 

Tenez.  Faisons  une  hypothèse  irréalisable.  Suppo- 
sons que  l'Église  lâche  la  morale,  qu'elle  supprime 
seulement  toutes  les  questions  de  probité  et  de  chas- 
teté. Supposons  que  l'Église  cesse  de  prêcher  une 
morale  précise,  immuable  et  impérieuse.  Tant  pis! 
Sans  do-ute,  ce  jour-là,  elle  retrouverait  une  certaine 
popularité  auprès  des  passions  humaines,  heu- 
reuses de  lui  avoir  enfin  fermé  la  bouche,  heu- 
reuses de  ne  plus  l'entendre  les  contredire  et  les 
condamner.  Tous  ceux  qui  aujourd'hui  l'accusent 
d'intolérance  et  d'exagération  deviendraient  ses 
admirateurs  et  célébreraient  à  l'envi  sa  prudence, 
sa  modération,  son  libéralisme.  Mais,  ce  jour-là, 
vous,  Messieurs,  vous  mépriseriez  l'Église  catho- 
lique, et  vous  auriez  raison,  vous  lui  diriez  et  à 
juste  titre  :  «  0  Église,  tu  as  laissé  tomber  de  tes 
mains  les  Tables  de  la  Loi  morale  ;  sentinelle  infi- 
dèle à  ta  mission,  tu  as  cessé  de  monter  la  garde 
sur  les  frontières  sacrées  du  bien  et  du  mal.  0 
Église,  tu  n'as  plus  de  raison  d'être  ici-bas,  et  je 
te  méprise!  »  Oui,  Messieurs,  le  jour  où,  pour 
gagner  l'amitié  du  monde,  nous  sacrifierions  les 
droits  de  la  vertu  ;  le  jour  où  nos  lèvres  timides 
et  profanées  cesseraient  de  prononcer  les  mots 
divins  de  justice,  de  charité,  de  pureté  ;  le  jour  où 
le  courage  nous  manquerait  pour  flétrir  le  blas- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  J8i 

phème,  le  parjure,  le  vol,  l'impudicité,  le  vice,  vous, 
Messieurs,  qui  êtes  honnêtes,  qui  avez  l'estime  et 
l'amour  de  tout  ce  qui  est  bien  et  la  sainte  hor- 
reur de  tout  ce  qui  est  mal,  vous  vous  lèveriez 
pour  nous  maudire,  et  vous  secoueriez  la  pous- 
sière de  vos  pieds  sur  un  sacerdoce  qui  ne  serait 
plus  digne  de  vous  parler,  qui  n'oserait  môme  plus 
vous  regarder  en  face  ! 

Ne  craignez  rien.  Cette  extrémité  honteuse  pour 
nous  et  désastreuse  pour  vous  n'arrivera  pas. 
Dût-elle  amasser  sur  sa  tête  jusqu'à  la  fin  du 
monde  les  malédictions  croissantes  des  passions 
et  les  violences  conjurées  de  la  brutalité  et  de 
l'hypocrisie,  jusqu'à  la  fin  du  monde  l'Église 
catholique  prêchera  la  morale,  et  une  morale 
précise,  immuable  et  impérieuse,  une  morale  in- 
corruptible. C'est  son  tourment  et  c'est  sa  gloire. 

—  En  terminant,  Messieurs,  je  veux  vous  racon- 
ter une  histoire.  Vous  la  connaissez  déjà,  mais  elle 
est  si  instructive  et  elle  revient  si  bien  à  mon 
sujet  que  je  ne  puis  résister  au  désir  de  vous  la 
redire.  Il  y  avait  à  Athènes  une  loi  singulière  qui 
permettait  d'exiler  pour  dix  ans  un  citoyen,  quoi- 
qu'il n'eût  commis  aucun  crime,  mais  par  cela 
seul  que  Ton  craignait  qu'il  n'acquît  une  trop 
grande  influence  dans  la  République.  C'est  ce  que 
l'on  appelait  l'ostracisme,  d'un  mot  grec  qui  signi- 
fie coquille,  parce  que  le  peuple  assemblé  pronon- 


182  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

çait  cette  étrange  sentence,  en  votant  au  moyen 
de  coquilles  sur  lesquelles  chacun  inscrivait  son 
avis.  Or,  un  jour  que  les  citoyens   étaient  réunis 
pour  uécider  du  sort  du  vertueux  Aristide,  un  habi- 
tant de  la  campagne,  qui  ne  l'avait  jamais  vu,  lui 
demanda  à  lui-même  d'écrire  sur  sa  coquille  un 
vote  de  bannissement.  «  Quel  mal  t'a  donc  fait  cet 
homme?  »  lui  demanda  Aristide.  —  «  Aucun,  répon- 
dit l'Athénien,  je  ne  le  connais  même  pas!  Mais  je 
m'ennuie  de  toujours  l'entendre  appeler  le  Juste.  » 
Ainsi,  dans  cette  ville  ingrate  et  légère,  on  condam- 
nait un  citoyen  même  pour  sa  vertu.  Messieurs, 
beaucoup  d'hommes  de  ce  siècle,  campagnards  ou 
citadins,  votent  sans  sourciller  l'exil  ou   la  mort 
de  l'Église,  et  quand  on  leur  demande  :  «  Quel  mal 
vous  a-t-elle  fait  ?  »  ils  sont  obligés  de  répondre  : 
«  Aucun,  nous  ne  la  connaissons  même  pas  ;  mais 
nous  sommes  ennuyés  de  toujours  l'entendre  nous 
prêcher  la  vérité  et  la  vertu  !  »  L'Eglise,  Messieurs, 
est  une  grande  puissance  moralisatrice.  A  cause 
de  cela  le  monde  la  maudit,  à  cause  de  cela  je  vous 
invite  à  la  bénir,  à  la  remercier  et  à  la  chanter  ! 

Amen! 


QUATRIÈME  CONFÉRENCE 

2°    l'église   FORTIFIE   LA   VOLONTÉ 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
Elle  éclaire  la  conscience.  Elle  prêche  la  morale,  et 
une  morale  précise,  immuable  et  impérieuse,  une 
morale  incorruptible.  C'est  déjà  beaucoup.  Mais 
c'est  insuffisant.  Car,  une  fois  qu'on  connaît  son 
devoir,  il  faut  le  pratiquer,  et  là  commencent  les 
grosses  difficultés.  L'Eglise  peut-elle  quelque  chose 
contre  ces  difficultés?  Elle  éclaire  la  conscience. 
A-t-elle  un  peu  de  force  à  donner  à  la  volonté? 
Oui.  En  présence  du  mal  à  éviter  et  du  bien  à 
accomplir,  la  volonté  humaine  est  faible,  et  l'Eglise 
fortifie  la  volonté  humaine. 


I .  La  volonté  humaine  est  faible. 

La  chose  est  claire,  et  cependant  il  importe  de  la 
rendre  plus  claire  encore,  tant  sont  nombreux  les 
hommes  qui  ont  la  prétention  de  se  suffire  à  eux- 


184  CONFERENCES  AUX  HOMMES 

mêmes  dans  la  carrière  de  leur  vie  morale.  La  rai- 
son nous  suffit,  disent-ils,  nous  n'avons  pas  besoin 
du  secours  extérieur  de  la  religion;  nous  avons 
notre  droite  nature,  nous  n'avons  que  faire  d'une 
force  surnaturelle.  Ils  se  trompent. 

Voici  la  vérité  et  la  réalité.  Sans  doute  nous  avons 
devant  nous  le  bien,  le  beau,  l'idéal  ravissant  de 
la  vertu,  et  à  sa  vue  nous  sommes  épris,  émus, 
nous  tressaillons  d'enthousiasme,  nous  prenons 
notre  élan,  nous  allons  partir.  Hélas  !  nos  batte- 
ments d'ailes  sont  sublimes,  mais  qu'ils  sont  im- 
puissants! Nous  ne  faisons  pas  le  bien,  ou,  si  nous 
le  faisons,  c'est  avec  peine,  avec  effort,  la  sueur  au 
front  et  médiocrement,  si  médiocrement  que  nous 
en  rougissons  devant  nous-mêmes.  Nous  sommes 
affaiblis  du  côté  du  bien,  nous  sommes  emportés 
vers  le  mal,  comme  vers  un  abîme  ténébreux,  ab- 
ject, infâme,  qui  nous  fait  horreur  et  qui  cepen- 
dant nous  attire.  Nous  sommes  dans  la  situation 
d'un  naufragé,  qui,  emporté  par  un  fleuve  impé- 
tueux, doit  faire  un  violent  effort  pour  remonter 
le  courant.  Ma  conscience  d'honnête  homme  me  dit 
que  je  dois  acquérir  la  vertu  et  fuir  le  vice,  que  je 
dois  réprimer  au  dedans  de  moi  l'esprit  d'orgueil, 
d'intérêt,  de  vengeance  et  de  sensualité,  que  je  dois 
pratiquer  la  justice,  la  charité,  la  chasteté,  la  tem- 
pérance, que  je  dois  fournir  la  noble  carrière  des 
vertus  qui  font  l'homme  de  bien.  Or,  la  chose  n'est 
pas  douteuse,  ces  préceptes  de  la  morale  naturelle 


/ 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  185 

reconnus  vrais  et  obligatoires  pour  tous  ne  sont 
faciles  pour  personne.  Car,  si  nous  sommes  libres, 
nous  sommes  en  même  temps  mal  équilibrés  ;  les 
parties  de  notre  être  se  battent  les  unes  contre  les 
autres;  et,  à  la  conspiration  puissante  de  tous  les 
instincts  dépravés  qui  nous  travaillent  par  le  dedans, 
viennent  se  joindre  les  influences  mauvaises  qui 
nous  assiègent  par  le  dehors.  Nous  gravitons  vers 
le  mal,  nous  sommes  au  penchant  de  l'abîme,  et 
nous  ne  pouvons  remonter  vers  les  sommets  du 
bien,  vers  l'idéal  de  la  vertu,  qu'à  la  condition  de 
déployer  une  grande,  une  très  grande  force  de 
volonté. 

Notre  volonté  a-t-elle  par  elle-même  dans  une 
mesure  suffisante  cette  force  de  résister  et  d'agir, 
de  vaincre  le  mal  et  de  faire  le  bien?  Non.  La 
volonté  de  l'homme  a  dompté  le  monde  physique 
comme  en  se  jouant;  elle  a  tiré  le  feu  des  veines 
du  caillou  ;  elle  a  fondu  les  métaux,  abattu  les  forêts, 
percé  les  montagnes,  franchi  et  bravé  les  flots.  Il 
n'y  a  qu'une  conquête  que  l'homme  n'ait  pu  faire 
et  qu'il  ne  fera  jamais,  c'est  celle  de  son  âme  et  de 
ses  instincts  dépravés.  Notre  volonté,  en  face  du 
bien  à  faire  et  du  mal  à  éviter,  est  une  force  qui 
chancelle,  qui  hésite,  et  qui  le  plus  souvent  sacri- 
fie le  bien  au  mal,  la  vertu  au  vice,  le  devoir  au 
plaisir  et  à  l'intérêt.  Le  concile  de  Trente  a  dit  un 
mot  profond  quand  il  a  enseigné  que  le  péché 
originel   avait    incliné  notre  libre  arbitre.    Notre 


186  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

volonté  n'est  plus  droite,  elle  est  courbée;  il  faut 
donc  qu'elle  se  redresse,  et,  pour  qu'elle  se  re- 
dresse, il  faut  qu'elle  réagisse  contre  elle-même, 
qu'elle  se  sacrifie,  et  Jules  Simon  a  raison  de  dire  : 
«  Qu'est-ce  que  la  science  du  devoir?  c'est  propre- 
ment la  science  du  sacrifice  »  Or,  qui  dit  sacrifice 
dit  immolation,  sang  versé,  douleur  ressentie.  Non, 
non,  il  n'est  pas  facile  à  la  volonté  humaine  de  se 
soutenir  dans  la  pratique  du  bien.  Voici  que,  du 
fond  de  l'horizon,  ou  plutôt  des  entrailles  mêmes 
de  notre  être,  accourent,  prompts  comme  la  foudre, 
deux  adversaires  redoutables  qui  entrent  en  lice 
contre  notre  volonté  :  l'orgueil,  orgueil  de  la  nais- 
sance, orgueil  de  l'esprit,  orgueil  de  la  fortune 
acquise  ou  de  la  pauvreté  jalouse...  et  le  sensua- 
lisme qui  nait  en  nous,  s'éveille  avec  les  premières 
ardeurs  du  sang,  emporte  la  jeunesse  comme  dans 
un  tourbillon,  agite  l'âge  mûr  et  trouble  parfois  la 
vieillesse  jusque  d^ns  la  paix  de  ses  cheveux 
blancs.  Que  devenir  ?  où  donc  la  volonté  cher- 
chera-t-elle  un  abri,  un  secours?  Elle  est  faible,  elle 
ne  peut  pas  se  suffire  à  elle-même.  Voici  l'Eglise. 


II.  L'Église  fortifie  la  volonté  humaine. 

L'Église  éclaire  la  conscience,  et,  en  donnant  à 
l'homme  la  lumière  qui  indique  le  devoir  et  les 
motifs  puissants  qui  poussent  à  l'accomplir,  elle 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  187 

agit  déjà  sur  la  volonté  d'une  manière  indi- 
recte, mais  très  réelle  et  très  eflicace.  Cependant, 
pour  faire  le  bien  et  éviter  le  mal,  il  ne  suffit  pas 
de  voir  et  de  vouloir  ;  il  faut  pouvoir.  L'Eglise  inter- 
vient et  elle  suggère  à  la  volonté  humaine  des  pos- 
sibilités, des  énergies,  des  puissances  très  particu- 
lières. L'Eglise  a  reçu  en  dépôt  la  grâce  et  les 
sacrements,  et  elle  les  distribue  par  le  canal  du  sa- 
cerdoce. Or,  par  la  grâce,  par  les  sacrements  et  par 
le  sacerdoce,  l'Eglise  journellement  tend  la  main 
à  la  volonté  humaine  qui  n'en  peut  plus  ;  elle  lui 
donne  la  faculté  et  le  pouvoir  de  réaliser  ce  qui  ne 
serait  que  de  vagues  désirs  et  d'inutiles  aspirations. 
Ce  ne  sont  pas  là,  Messieurs,  des  affirmations  chi- 
mériques. Veuillez  m' entendre  attentivement  jus- 
qu'au bout.  Je  ne  désespère  pas  de  vous  convaincre. 
Je  viens  de  nommer  la  grâce  d'abord.  Pour 
triompher  de  cette  puissance  désordonnée  et  presque 
tatale  qui  se  nomme  la  passion,  il  ne  suffit  pas  des 
leviers  plus  ou  moins  aléatoires  de  la  morale  indé- 
pendante ;  il  faut  dans  la  volonté  humaine  un 
accroissement  surhumain  ;  cet  accroissement  sur- 
humain, nous  le  nommons  la  grâce.  D'où  vient- 
elle?  De  Dieu  seul.  Où  agit-elle?  Dans  les  profon- 
deurs de  l'âme,  sur  la  volonté.  J'entends  ici  le 
génie  matérialiste  de  notre  époque  m'interpeller 
du  fond  de  ses  laboratoires  et  me  dire  :  Qu'est-ce 
que  la  grâce?  Quel  est  ce  moteur  latent  qui  échappe 
aux  constatations  scientifiques  et  que  les  lois  nié- 


188  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

caniques  ne  règlent  pas?  Quelle  est  cette  force  dont 
la  source  et  la  direction  sont  cachées  dans  le  ciel, 
dont  les  ressorts  ne  furent  jamais  vus  sur  la  terre 
et  dont  le  calibre  n'est  point  mathématiquement 
déterminé?  Qu'est-ce  que  la  grâce  et  existe-t-clle 
seulement?  —  Messieurs,  il  est  facile  de  répondre 
aux  explorateurs  exclusifs  de  la  matière  et  de  leur 
prouver,  par  des  faits,  que  la  grâce  est  une  réalité  et 
que  par  elle  le  niveau  de  la  moralité  catholique 
dépasse  de  beaucoup  le  niveau  de  la  moralité  païenne 
ou  simplement  philosophique;  nous  n'avons  qu'à 
leur  montrer  les  vertus  des  saints,  les  vocations 
exceptionnelles  et  la  vie  des  chrétiens  ordinaires  et 
à  leur  dire  :  Regardez  !  Par  l'abus  de  sa  liberté, 
l'homme  tombe  plus  bas  que  lui-même;  par  le  se- 
cours de  la  grâce,  l'homme  se  relève  jusqu'à  Dieu.  La 
grâce  est  une  réalité;  elle  descend  du  cœur  de  Dieu, 
et  elle  décuple  les  forces  de  la  volonté  humaine. 
Et  la  grâce,  comment  arrive-t-elle  à  la  volonté 
humaine?  Par  d'innombrables  débouchés,  par  la 
prière,  par  le  jeûne,  par  l'aumône,  par  les  bonnes 
œuvres,  enfin  par  les  sacre?nenls.  Vous  auriez  tort, 
Messieurs,  de  traiter  à  la  légère  ces  pratiques  divi- 
nement moralisatrices  qu'on  appelle  les  sacrements. 
Les  sacrements  ne  sont  pas  un  cérémonial  pure- 
ment extérieur  et  superficiel;  ils  sont  un  des  prin- 
cipes les  plus  puissants  de  la  moralité  chrétienne, 
et,  à  passions  égales,  tout  homme  muni  de  ce  via- 
tique divin  pratique  plus  de  vertus  qu'un  chrétien 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  180 

de  pure  spéculation.  Qui  nous  dira,  par  exemple, 
tout  ce  que  la  volonté  humaine  trouve  de  force 
dans  la  Pénitence  et  dans  l'Eucharistie?  «Tous 
les  êtres  de  la  création,  dit  le  curé  d'Ars,  ont  besoin 
de  se  nourrir  pour  vivre.  Il  faut  aussi  que  l'âme 
se  nourrisse.  Lorsque  Dieu  voulut  donner  une 
nourriture  à  l'àme  humaine  pour  la  soutenir  dans 
le  -pèlerinage  de  la  vie,  il  promena  ses  regards  sur 
la  création  et  ne  trouva  rien  qui  fût  digne  d'elle. 
Alors  il  se  replia  sur  lui-même  et  résolut  de  se  don- 
ner. 0  âme  de  l'homme,  que  tu  es  grande,  puisqu'il 
n'y  a  que  Dieu  qui  puisse  te  contenter  !  »  Ce  ne 
sont  pas  là,  Messieurs,  de  vaines  paroles,  ce  sont 
des  faits.  Les  sacrements  ont  journellement  une 
double  efficacité  pratique  :  ils  conservent  et  ils 
restaurent  la  moralité. 

En  mettant  la  force  de  Dieu  dans  l'àme  humaine, 
les  sacrements  conservent  l'innocence.  En  dehors 
des  observances  sacramentelles  qui  attiédissent  les 
passions  du  jeune  âge,  pas  de  fleur  à  nos  foyers 
qui  ne  se  flétrisse,  pas  de  chasteté  qui  ne  soit  en- 
iamée.  Partout  où  il  y  a  une  innocence  demeurée 
intacte,  ce  n'est  pas  un  pédant  sceptique,  c'est  un 
ministre  de  la  grâce  chrétienne  qui  est  le  chérubin 
préposé  à  la  garde  de  ce  nouvel  Eden  ;  partout  où 
de  tels  ministres  sont  absents,  on  ne  voit  que  des 
Rachels  refusant  d'être  consolées  parce  que  leurs 
fils  sont  perdus  pour  la  vertu. 

En  mettant  la  force  de  Dieu  dans  l'âme  humaine, 


190  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

les  sacrements,  non  seulement  conservent,  mais 
restaurent  l'innocence.  Comment  restaurer  une 
âme  qui  a  défailli?  Il  est  facile  de  déchoir,  mais  il 
n'est  pas  facile  de  remonter  les  abîmes  descendus. 
Tomber  est  une  faiblesse  de  nature,  mais  se  relever 
est  un  triomphe  qui  la  dépasse.  Et  ce  triomphe  on 
ne  peut  le  remporter  qu'avec  la  grâce  de  Dieu. 
Voici  un  homme  tombé,  écrasé  sous  le  poids  de  sa 
faute.  D'autres  disserteront  sur  ses  ruines,  avec  les 
sacrements  nous  les  ferons,  palpiter.  D'autres  lui 
expliqueront  le  mouvement,  avec  les  sacrements 
nous  nous  chargeons  de  le  lui  donner.  La  volonté 
humaine,  destituée  d'un  auxiliaire  surnaturel,  est 
incapable  de  revenir  spontanément  et  seule  du  mal 
au  bien.  Cet  auxiliaire  surnaturel,  ce  sont  les  sa- 
crements qui  tantôt  conservent  et  tantôt  restaurent 
la  moralité. 

Le  catholicisme  qui  garde  intact  le  dépôt  des 
sacrements  est  la  religion  qui  obtient  le  plus  de 
sacrifices  de  la  volonté  humaine.  Le  schisme  grec, 
qui  les  défigure,  vient  après.  Le  protestantisme,  qui 
en  renie  la  plus  grande  partie,  s'avance  un  degré 
plus  bas.  Le  rationalisme,  qui  n'en  connaît  aucun, 
a  beau  se  placer  à  l'avant-garde  du  mouvement 
intellectuel;  il  est  le  plus  attardé  des  symboles  sur 
le  chemin  de  la  vraie  moralité.  Que  si  vous  objectez 
ici  la  correction,  la  pureté  plus  ou  moins  authen- 
tique de  certaines  populations  russes  ou  anglicanes, 
je  vous  ferai   remarquer  trois   choses  :   1°  cette 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  191 

sévérité  des  mœurs  moscovites  ou  protestantes  est 
très  contestable;  2°  s'il  y  a  dans  le  schisme  et  dans 
riiérésie  des  vertus  sérieuses,  ces  vertus  sérieuses 
sont  dues  à  la  portion  de  sève  chrétienne  qui  reste 
encore  dans  le  schisme  et  dans  l'hérésie  ;  3°  quand 
on  compare  les  peuples  catholiques  aux  peuples 
schismatiques  et  hérétiques,  il  faut  tenir  compte, 
pour  apprécier  leur  moralité  respective,  des  condi- 
tions climatériques  et  autres  qui  influencent  ces 
différents  peuples.  Il  est  évident,  par  exemple,  que 
la  moralité  n'est  pas  également  réalisable  sous  le 
ciel  de  la  Sibérie  ou  de  l'Allemagne,  et  sous  les 
zones  ardentes  de  l'Espagne  et  de  l'Italie.  Vous 
prétendez  que  les  sacrements  ne  corrigent  pas  les 
mœurs  des  catholiques  méridionaux.  Que  serait-ce 
donc  si  ces  mêmes  catholiques,  déjà  imparfaits 
malgré  ces  secours  divins,  en  étaient  subitement 
privés  ? 

La  volonté  humaine  est  faible.  L'Eglise  la  forti- 
fie au  moyen  de  la  grâce  et  des  sacrements,  et  elle 
distribue  la  grâce  et  les  sacrements  par  le  sacer- 
doce. Je  devrais  ici  vous  parler  de  l'action  moralisa- 
trice du  clergé.  C'est  une  étude  qui  exige  du  temps 
et  sur  laquelle  je  me  propose  de  revenir  plus  tard. 
J'en  ai  dit  assez  aujourd'hui  pour  vous  permettre 
d'admirer  et  de  bénir  l'Eglise  catholique.  Elle  éclaire 
la  conscience  et  elle  fortifie  la  volonté.  Gloire  à  elle  l 

Amen! 


CINQUIÈME  CONFERENCE 

3°   l'église    TRANSFORME   LA   VIE 


•  Messieurs, 

L'Église  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
Elle  éclaire  la  conscience,  elle  fortifie  la  volonté, 
et  enfin  elle  transforme  la  vie.  On  juge  l'arbre  par 
ses  fruits.  Apprenons  à  connaître  l'Eglise  en  cons- 
tatant les  fruits  de  vertu  dont  elle  est  la  mère.  Fai- 
sons ensemble  cette  étude  très  intéressante  et  très 
instructive. 


I.  Quand  l'Église  vient,  la  moralité  monte. 

.  Je  vous  signale  d'abord  les  vertus  héroïques  que 
l'Église  depuis  dix-neuf  siècles  suscite  par  milliers 
sur  tous  les  points  du  globe,  et  qui  sont  à  son  front 
un  diadème  incomparable.  Qui  a  formé  les  saints? 
Est-ce  que  ce  n'est  pas  l'Eglise?  Et,  sans  regarder 
si  haut,  contemplez  seulement  les  choses  qui  vous 
entourent  et  que  vous  coudoyez  tous  les  jours.  Vous 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  i 93 

avez,  à  l'heure  où  je  vous  parle,  en  France,  sous  des 
noms  et  des  costumes  divers,  cent  cinquante  mille 
religieuses,  toutes  dévouées  au  service  des  pauvres, 
des  enfants,  des  malades.  Vous  qui  vous  occupez 
d'analyser  les  choses  morales,  analysez,  expliquez 
celle-là,  si  vous  le  pouvez.  Allez  dans  un  hospice. 
Vous  trouvez  là  une  jeune  Sœur.  Elle  est  là  avec  son 
innocence,  son  dévouement,  sa  pureté  et  ses  vingt 
ans.  On  lui  donne  les  noms  les  plus  tendres  :  on 
l'appelle  ma  Mère,  on  l'appelle  ma  Sœur.  Elle  n'a 
qu'un  voile,  sa  modestie.  Et  il  y  a  là  pour  elle  un 
respect,  et  une  tendresse  cachée  dans  le  respect 
que  rien  n'a  jamais  surpassé  dans  le  cœur  de 
l'homme.  Essayez  donc  sans  l'Eglise  de  faire  quelque 
chose  d'approchant!  Oui,  regardez  ces  innombrables 
religieuses  qui  se  dépensent  nuit  et  jour  dans  les 
asiles  sacrés  de  la  souffrance,  qui  usent  leur  vie 
dans  nos  écoles,  qui  bercent  dans  leurs  bras  et 
pressent  sur  leur  cœur  les  orphelins,  qui  recueillent 
la  vieillesse  abandonnée,  qui  touchent  d'une  main 
caressante  tous  les  maux,  toutes  les  blessures, 
toutes  les  plaies,  qui  versent  des  torrents  de  bien- 
faits dans  les  abîmes  de  la  douleur  et  de  la  mi- 
sère... Qui  conserve  à  la  patrie  ces  humbles  ser- 
vantes de  l'humanité  souffrante?  Qui  est  là  pour 
les  éclairer,  les  diriger  et  les  soutenir?  pour  entre- 
tenir en  elles  la  flamme  toujours  vive,  toujours 
féconde  du  dévouement?  Qui,  sinon  l'Eglise?  Il 
leur  faut  la  parole  du  prêtre,  la  messe  que  le  prêtre 

LES    BIENFAITS    DE   L'ÉGLISE.    —    1-13 


194  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

célèbre,  la  communion  que  le  prêtre  leur  distribue, 
les  conseils  et  les  consolations  que  le  prêtre  leur 
prodigue  chaque  semaine  au  tribunal  de  la  péni- 
tence. Il  leur  faut  l'action  incessante  de  l'Eglise 
catholique,  et,  le  jour  où  la  France  cesserait  d'avoir 
des  prêtres  catholiques,  elle  n'aurait  plus  de  Sœurs 
de  charité.  Comme  un  fleuve  vient  de  sa  source, 
les  vertus  héroïques  viennent  de  l'Eglise. 

Et  les  vertus  communes  des  simples  chrétiens, 
les  exemples  innombrables  de  fidélité  conjugale, 
d'amitié  fraternelle,  de  tendre  dévouement,  de  res- 
pectueuse obéissance,  de  charité  universelle  qui  se 
renouvellent  depuis  dix-neuf  siècles,  d'âge  en  âge 
et  de  peuple  en  peuple,  ne  sont-ce  pas  là  encore 
les  fruits  de  la  sève  catholique?  Sans  doute,  il  y  a 
beaucoup  à  dire  sur  le  relâchement  des  mœurs 
d'une  société  telle  que  la  nôtre,  chrétienne  de  nom 
et  païenne  de  fait.  Et  cependant,  parce  que  nous 
vivons  encore  de  l'Evangile,  tout  en  le  combattant, 
nous  sommes  des  sages,  des  anges,  des  saints,  si 
Ton  nous  compare  aux  païens  antiques.  Réunissez 
dans  le  même  tableau,  les  crimes,  les  hontes,  les 
décadences  de  toutes  les  histoires  chrétiennes,  ci- 
tez les  intrigues  de  la  cour  de  Byzance,  les  meurtres 
de  celle  de  Clovis,  les  scandales  donnés  sur  le  trône 
par  Charles  IX  et  Henri  III  ;  dépouillez  même  le 
Béarnais  de  ses  qualités  pour  ne  voir  en  lui  que 
ses  vices,  ôtez  à  Louis  XIV  la  majesté  de  son  règne 
pour  n'en  signaler  que  les  désordres,  stigmatisez  la 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  195 

corruption  de  Louis  XV  avec  la  dépravation  des 
lettres  et  des  arts,  avec  la  démoralisation  des  classes 
supérieures  et  d'une  portion  même  du  clergé... 
qu'avez-vous  prouvé,  sinon  que  dans  l'Eglise  catho- 
lique le  vieil  homme,  quoique  converti,  sent  en- 
core rugir  au  fond  de  son  âme  les  instincts  de  la 
bête,  et  que,  jusque  sous  le  joug  du  baptême,  il 
lui  reste  des  cris  de  rage,  des  goûts  dépravés,  une 
arrière-pensée  de  révolte,  des  heures  de  licence  et 
d'oubli?  Mais  il  n'en  reste  pas  moins  l'homme  régé- 
néré, l'enfant  de  Dieu  et  le  frère  de  Jésus-Christ, 
mille  fois  supérieur  en  moralité  à  l'homme  du  pa- 
ganisme, à  l'homme  qui  adorait  Vénus,  Mercure, 
Jupiter,  c'est-à-dire  toutes  les  passions  divinisées. 

r 

L'Eglise  est  venue,  et,  si  elle  n'a  pas  totalement 
changé  la  face  du  monde  ni  supprimé  le  mal,  elle 
a  du  moins  élevé  le  niveau  de  la  conscience  pu- 
blique. Depuis  dix-neuf  siècles  la  notion  chrétienne 
de  la  morale  a  été  fréquemment  et  violemment 
contestée,  et  plus  d'une  fois  on  a  essayé  de  lui  op- 
poser la  divinisation  des  instincts  naturels.  Mais 
l'Eglise  était  là,  flétrissant  les  mauvaises  mœurs, 
les  mauvaises  lois,  les  mauvaises  doctrines,  et  em- 
pêchant la  conscience  publique  de  fléchir.  Un  cri- 
tique qui  n'est  pas  renommé  par  l'étroitesse  de  ses 
préjugés,  Jules  Lemaître,  analysait  dernièrement 
les  Dialogues  exhumés  de  je  ne  sais  quel  drama- 
turge grec.  En  face  de  tant  de  cynisme  et  d'incons- 
cience dans  l'immoralité,  il  concluait  :  «  Cela  est 


496  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

décidément  de  l'autre  côté  de  la  croix.  »  Parole 
significative  qui  nous  dit  que,  si  grand  quo  soit  le 
mal  de  ce  côté-ci  de  la  croix,  il  n'est  pas  à  compa- 
rer avec  le  mal  qui  s'épanouissait  librement  et  en 
plein  soleil  de  l'autre  côté  de  la  croix.  Certes,  Paris, 
Vienne,  Londres  et  Berlin  ne  sont  pas  des  villes 
d'une  austérité  puritaine.  Cependant,  les  scandales 
qui  déshonorent  ces  grandes  cités  sont  de  beau- 
coup inférieurs  aux  obscénités  publiques  que  nous 
ont  révélées  les  fouilles  de  Pompéi.  Aucun  théâtre 
d'Europe  ou  d'Amérique  ne  tolérerait  aujourd'hui 
les  crudités  révoltantes  qui  étaient  applaudies  par 
les  Grecs  et  les  Romains.  Même  quand  les  mœurs 
sont  dépravées,  la  conscience  publique  reste  exi- 
geante; elle  a  été  élevée  par  l'Eglise  à  un  diapason 
moral  que  les  païens  ne  connaissaient  pas.  Et 
d'ailleurs,  pourquoi  les  grandes  villes  modernes 
que  je  viens  de  citer  sont-elles  démoralisées?  Parce 
qu'elles  échappent  à  la  tutelle  de  la  sainte  Eglise. 
La  mesure  de  leur  infidélité  à  l'Eglise  catholique 
est  précisément  la  mesure  de  leur  démoralisation. 
Dès  que  l'Eglise  n'est  plus  là,  aussitôt  les  idées  et 
les  mœurs  glissent  vers  la  dépravation. 


II,  Quand  V Église  s'en  va,  le  niveau  de  la  mora- 
lité baisse. 

Messieurs,  si  jamais,  ce  qu'à    Dieu    ne    plaise, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  197 

notre  patrie  vient  à  périr,  savez-vous  quelle  en 
sera  la  cause  ?  Ce  ne  sera  pas  notre  défaut  de  cul- 
ture scientifique...  que  de  savants  illustres  honorent 
notre  pays  !  Ce  ne  sera  pas  notre  défaut  de  cul- 
ture dans  les  arts  ou  dans  les  lettres...  que  de  lit- 
térateurs et  d'artistes  parmi  nous!  Ce  ne  sera  pas 
le  défaut  des  lois  et  des  constitutions...  que  de  lé- 
gislations et  de  constitutions  depuis  cent  ans!  Ce 
ne  sera  pas  notre  défaut  de  perfectionnement  in- 
dustriel et  matériel...  tous  les  échos  retentissent 
du  bruit  de  nos  machines  et  du  bruit  de  nos  inven- 
tions. Qu'est-ce  donc  qui  amènera  la  perte  de 
notre  patrie,  si  jamais  elle  périt?  N'en  doutez  pas, 
une  seule  chose  :  notre  manque  d'abnégation  et 
notre  peu  de  vertu.  Or,  Messieurs,  la  vertu  périra 
chez  nous,  si  l'Église  catholique  n'est  pas  là  pour 
la  maintenir. Vous  ne  le  croyez  pas?  Ecoutez-moi. 
Vos  fils  charmants  se  laissent  aujourd'hui  bercer 
sur  vos  genoux  et  s'y  endorment  du  sommeil  des 
anges.  Vous  écoutez  leur  calme  respiration,  vous 
contemplez  leurs  traits  reposés.  Que  seront-ils  un 
jour?  Beaux,  tendres,  fidèles,  jaloux  de  l'honneur 
de  votre  nom  et  toujours  prêts  à  soutenir  vos  pas 
chancelants  qui  descendent  au  tombeau?  Malheu- 
reux père,  vous  vous  êtes  trompé  !  Dix-huit  ans  se 
passent,  et  vos  fils  déshonorés  oublient  votre  triste 
vieillesse.  Leurs  passions  et  leurs  vices  font  à 
vos  cœurs  de  mortelles  blessures,  et  tout  votre 
amour  n'est  plus  occupé  qu'à  ne  pas  les  maudire. 


198  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Comment,  en  un  plomb  vil,  l'or  pur  s'est-il  changé? 
Ah  !  ils  ont  déserté  les  autels  de  la  religion,  ils  ont 
tourné  le  dos  aux  ministres  de  l'Eglise  catholique, 
ils  ont  jeté  par-dessus  bord  les  croyances  et  les 
pratiques  religieuses  qui  revêtaient  leurs  premières 
années  d'innocence,  de  charme  et  d'éclat...  et  leur 
vertu  finit  parce  que  Dieu  seul  ne  finit  pas.  Quand 
l'Église  s'en  va  de  l'enfance  et  de  la  jeunesse, 
quand  l'Église  s'en  va  du  foyer  domestique,  aussi- 
tôt le  niveau  de  la  moralité  baisse. 

Vous  ne  le  croyez  pas?  Voici  des  chiffres.  Les 
tableaux  dressés  périodiquement  par  le  ministère 
de  la  Justice  attestent  une  effrayante  augmentation 
du  nombre  des  crimes,  et  de  la  part  de  beaucoup 
de  criminels  un  prodigieux  raffinement  de  perver- 
sité et  de  cruauté.  Pendant  une  seule  de  ces  der- 
nières années  on  a  compté  jusqu'à  vingt-trois  mille 
enfants  ou  mineurs  traduits  devant  les  tribunaux. 
D'année  en  année  la  progression  de  la  criminalité 
dans  la  jeunesse  augmente  effroyablement.  L'édu- 
cation soustraite  à  toute  influence  religieuse  porte 
ses  fruits.  Le  nombre  des  crimes  dans  l'enfance  et 
dans  la  jeunesse  a  quadruplé.  Voilà  le  paiement 
sanglant  du  mépris  de  Dieu,  et  ce  n'est  là  que  la 
première  échéance.  Nous  aurons  bientôt  et  nous 
avons  déjà  les  méfaits  de  ces  enfants  devenus  des 
hommes.  Nous  avons  des  bacheliers  dynamiteurs 
à  qui  on  a  dit  :  «  N'écoutez  plus  la  religion,  elle  n'a 
rien  à  vous  offrir  que  des  fables;  écoutez  la  science, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  109 

la  science  est  tout  ;  elle  vous  apprend  que  l'homme 
est  une  brute  perfectionnée,  Dieu  une  hypothèse 
inutile,  la  morale  un  préjugé.  Vive  la  science  et 
périsse  la  religion  !  »  Messieurs,  les  criminels  qui  ont 
chassé  la  religion  de  l'éducation  ont  fait  une  œuvre 
manifestement  immorale  et  antisociale,  et  l'arbre 
qu'ils  ont  planté  porte  des  fruits  de  mort  qui  sont 
la  condamnation  sinistre  et  éclatante  de  leurs  entre- 
prises insensées  et  coupables.  Quand  l'Eglise  s'en 
va  d'une  génération  élevée  sans  Dieu  et  sans  Christ, 
le  niveau  de  la  moralité  baisse. 

Vous  ne  le  croyez  pas  encore?  Mais  vous  nagez 
dans  cette  vérité,  elle  vous  enveloppe,  elle  vous 
étreint,  elle  vous  possède.  Touchez-la  donc  du  doigt. 
Nous  avons  une  religion  dont  le  premier  symbole 
est  une  Vierge,  une  vierge  idéalement  pure,  sur  le 
cœur  de  laquelle  les  jeunes  filles  viennent  reposer 
leur  cœur  et  y  puiser  une  modestie,  une  grâce 
aimable  qui  les  embellit,  qui  embellit  nos  foyers, 
qui  embellit  jusqu'à  nos  rues;  une  religion  dont  le 
second  symbole  est  une  Croix,  un  gibet  tout  sanglant 
où  l'homme  arrivé  à  la  maturité  vient  poser  ses 
fortes  lèvres  pour  apprendre  non  pas  à  dominer, 
mais  à  servir,  mais  à  se  dévouer,  à  s'immoler,  à  se 
contenir,  et  d'où  il  rapporte  une  élévation  de  pensée, 
une  délicatesse  de  sentiments,  une  pudeur  virile, 
une  majesté  douce  qui  fait  le  charme,  la  sécurité 
et  l'honneur  du  foyer  domestique  ;  une  religion 
dont  le  dernier  mot  est  l'amour,  l'amour  désinté- 


200  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ressé  et  généreux  descendu  sur  la  terre  pour  nous 
apprendre  à  aimer  Dieu  et  nos  frères,  pour  faire 
couler  dans  les  veines  de  l'humanité  un  fleuve  de 
charité  ;  une  religion  enfin  dont  toutes  les  croyances 
et  toutes  les  pratiques  sont  une  excitation  puissante 
et  un  secours  permanent  à  la  vertu,  un  frein 
redoutable  à  la  violence  des  passions.  Or,  si  vous 
ne  voulez  plus  de  tout  cela,  si  vous  niez  la  Vierge, 
Jésus-Christ,  la  croix,  l'Évangile,  le  ciel,  la  prière, 
la  confession,  l'eucharistie,  la  religion  catholique 
en  un  mot,  est-ce  que  vous  garderez  les  biens  qui 
en  découlent  ?  Est-ce  que  vous  garderez  la  pudeur 
chrétienne  ?  Est-ce  que  vous  garderez  le  jeune 
homme  chaste  ?  Est-ce  que  vous  garderez  les 
mariages  unis,  heureux,  féconds,  sans  tache,  avec 
cet  amour  croissant,  et  cette  délicatesse,  et  ce 
dévouement,  et  ce  respect  que  le  christianisme  y  a 
mis  ?  Est-ce  que  vous  garderez  la  virginité  de  la 
jeune  fille,  la  dignité  de  la  femme,  la  sainteté  du 
lien  conjugal?  Est-ce  que  vous  garderez  les  rayons 
après  avoir  éteint  le  foyer  ?  Est-ce  que  vous  garderez 
le  fleuve  et  ses  eaux  fécondantes  après  avoir  sup- 
primé la  source?  Non.  Vous  perdrez  tout  cela.  Et 
comme  ce  sont  les  grandes  mœurs  qui  font  les 
grands  peuples,  l'éclipsé  de  la  religion  sera  le 
prélude  de  la  décadence  de  la  race.  Quand  l'Eglise 
catholique  s'en  va  d'une  race  et  d'un  peuple,  le 
niveau  de  la  moralité  baisse. 

Vous  avez  cru  peut-être,  Messieurs,  que  lesgloires 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  201 

ou  les  abaissements  de  la  cause  religieuse  vous 
importaient  peu,  et  qu'après  tout  les  affaires  de 
Dieu,  de  Jésus-Christ  et  de  l'Eglise  n'étaient  pas 
vos  affaires.  Il  faut  revenir  de  cette  erreur.  Quand 
on  attaque  la  religion,  c'est  vous-mêmes  qu'on 
attaque.  On  commence  dans  les  hauteurs  les  plus 
sublimes  une  ruine  qui,  en  tombant  de  si  haut,  doit 
en  entraîner  et  en  entraîne  beaucoup  d'autres.  Dans 
ces  dernières  années,  le  clocher  nouvellement  cons- 
truit d'une  petite  ville  de  Normandie  s'effondrait 
pendant  la  nuit.  Les  maisons  voisines  du  clocher 
étaient  éventrées,  et  sept  ou  huit  créatures  humaines 
surprises  au  milieu  de  leur  sommeil  étaient  ense- 
velies sous  les  ruines.  Parce  que  le  clocher  est  au 
milieu  du  village,  s'il  vient  à  tomber,  il  écrase  les 
maisons  d'alentour.  Et  parce  que  la  religion  est  le 
sommet,  et  le  nœud,  et  la  clef  de  voûte  sublime  de 
toutes  les  choses  humaines,  si  elle  vient  à  crouler, 
elle  entraîne  tout  dans  sa  chute.  Elle  entraîne  la 
morale,  elle,  entraîne  la  paix  et  l'honneur  des 
familles,  elle  entraîne  la  prospérité  et  la  sécurité 
des  Etats. 

N'allez  donc  pas,  ô  hommes  mal  avisés,  d'une 
main  battre  en  brèche  l'Église  catholique  et  de 
l'autre  soutenir  l'édifice  de  la  morale.  Vous  voulez 
jouir  des  fruits  de  l'arbre?  N'en  coupez  pas  les 
racines.  Vous  voulez  l'effet?  Ne  supprimez  pas  la 
cause   Non.  Unissez  ensemble  ces  deux  choses  qui 


202  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

se  tiennent  et  qui  n'en  font  qu'une  :  la  religion  qui 
est  la  semence,  et  la  vertu  qui  est  la  moisson;  la 
morale  qui  embaumela  terre,  et  l'Eglise  catholique 

qui  sauve  la  morale  l 

Amen! 


SIXIÈME  CONFÉRENCE 

3°    l'église    TRANSFORME    LA    VIE 
(suite) 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
Elle  éclaire  la  conscience,  elle  fortifie  la  volonté, 
elle  transforme  la  vie.  Ici  on  nous  arrête,  et  beau- 
coup de  gens  qui  détestent  la  religion  ou  qui  n'ont 
pas  le  courage  de  la  pratiquer  nous  disent  :  L'Eglise 
transforme  la  vie  !  ce  n'est  pas  vrai.  Les  chrétiens 
ne  valent  pas  mieux  que  les  autres.  Messieurs,  que 
cette  objection  soit  sincère  ou  déloyale,  peu  m'im- 
porte. Mais,  puisque  cent  fois  je  l'ai  rencontrée  sur 
mon  chemin,  il  faut  que  j'y  réponde.  On  dit  que  les 
chrétiens  ne  valent  pas  mieux  que  les  autres.  Expli- 
quons-nous une  bonne  fois  là-dessus,  et  tout  de 
suite  établissons  une  distinction  capitale  entre  les 
vrais  et  les  faux  chrétiens.  Cette  distinction  va  tout 
éclaircir  et  tout  arranger.  Je  me  flatte,  Messieurs, 
d'être  toujours  sincère  devant  vous,  et  j'ai  la  cer- 
titude que  ma  sincérité  ne  vous  déplaît  pas.  Au- 
jourd'hui, j'ai  besoin  d'être  encore  plus  net  et  plus 


204  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

limpide  qu'à  l'ordinaire,  et  je  vous  demande  de  ne 
pas  m'en  vouloir. 


I.  Les  faux  chrétiens  ne  valent  pas  mieux  que  les 
autres.  Je  raccorde  volontiers. 

Expliquons-nous  bien.  Il  y  a  trois  choses  dans  la 
religion,  trois  choses  qu'on  ne  doit  pas  séparer, 
sous  peine  de  détruire  la  religion  elle-même,  comme 
il  y  a  trois  côtés  dans  un  triangle,  et,  si  vous  enle- 
vez un  seul  de  ces  côtés,  vous  n'avez  plus  de  triangle. 
Dans  la  religion  catholique  il  y  a  la  foi,  la  pratique 
et  les  œuvres.  Un  vrai  catholique  est  celui  qui 
ayant  la  foi  la  professe  extérieurement,  et  s'efforce 
w  d'en  réaliser  les  principes  dans  sa  vie  quotidienne. 
Un  faux  catholique  est  celui  qui  des  trois  conditions 
de  la  religion  n'en  remplit  qu'une  ou  deux.  Hypo- 
crite, il  n'a  que  les  pratiques  religieuses  sans  la 
foi  et  sans  les  œuvres;  superficiel,  il  a  la  foi  et  la 
pratique,  mais  il  n'a  pas  les  œuvres.  Je  ne  sais  pas 
s'il  existe  quelque  part  de  tels  chrétiens;  mais,  s'il 
en  existe,  je  les  renie,  je  les  déclare  faux  et  de 
mauvais  aloi,  je  les  réprouve,  je  vous  les  aban- 
donne, et  volontiers  je  vous  accorde  qu'ils  ne 
valent  pas  mieux  que  les  autres  hommes,  et  qu'ils 
peuvent  même  valoir  beaucoup  moins. 

Les  chrétiens  hypocrites  seraient  ceux  qui  n'au- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  205 

raient  que  les  dehors  de  la  religion  et  qui  cache- 
raient sous  les  démonstrations  de  la  piété  l'indif- 
férence et  l'incroyance.  L'hypocrisie  en  matière 
religieuse,  c'est  le  mensonge  dans  ce  qu'il  a  de 
plus  vil,  car  Dieu  même,  l'inviolable  vérité,  est 
pris  pour  complice  de  la  déloyauté. 

Jadis,  quand  la  religion  avait  une  situation  offi- 
cielle, puissante  et  prépondérante,  quand  elle  avait 
de  l'argent,  des  titres,  des  places  à  distribuer,  il  a 
dû  y  avoir  et  il  y  a  eu  certainement  des  chrétiens 
hypocrites,  des  Tartufes  qui  se  sont  affublés  du 
manteau  de  la  piété  pour  conquérir  des  faveurs 
humainement  désirables.  Aujourd'hui,  je  ne  vois 
pas  trop  les  avantages  temporels  que  la  religion 
peut  procurer  à  ceux  qui  la  pratiquent.  Aujourd'hui, 
les  impies  qui  s'affichent  ont  plus  de  chance  d'arri- 
ver que  les  chrétiens  qui  s'agenouillent.  A  porter  un 
cierge  derrière  le  Saint-Sacrement,  on  risque  son 
prestige  et  son  intérêt,  tandis  qu'on  a  fout  à  ga- 
gner en  exhibant  son  diplôme  de  franc-maçon  et 
son  certificat  de  libre  penseur.  La  religion  à  l'heure 
actuelle  n'a  donc  pas  à  redouter  dans  son  sein  la 
plaie  hideuse  de  l'hypocrisie.  Si  cependant,  par 
impossible,  il  y  avait  encore  dans  notre  monde  con- 
temporain quelques  Tartufes  exploitant  la  religion, 
s'en  faisant  un  moyen  de  vivre,  de  se  poser  et  de 
parvenir,  volontiers  je  les  abandonnerais  à  votre 
mépris  et  à  vos  réprobations,  et  avec  vous  je 
dirais  :   Arrière  les  hypocrites  !   Ce  sont   de  faux 


206  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

chrétiens,  et  la  religion  n'est  pas  plus  responsable 
de  leurs  méfaits  que  la  médecine  n'est  responsable 

r 

de  la  duplicité  des  charlatans.  L'Evangile  les  a 
flétris  d'un  mot,  en  les  appelant  des  sépulcres 
blanchis,  qui  cachent  la  pourriture  et  la  honte  sous 
de  belles  apparences.  Ils  sont  jugés.  Ils  ne  valent 
pas  mieux,  ils  valent  même  moins  que  les  autres 
hommes. 

Je  passe,  et  j'arrive  aussitôt  à  un  autre  type  non 
moins  répugnant,  et  non  moins  dangereux  de  faux 
chrétiens.  Ce  sont  les  chrétiens  superficiels  qui  ont 
la  foi  et  la  pratique,  mais  qui  n'ont  pas  les  œuvres. 
Inintelligents  ou  lâches,  ils  s'imaginent  que  la 
religion  extérieure  suffit,  qu'avec  des  pratiques  où 
l'âme  ne  met  rien,  ou  presque  rien  d'elle-même, 
ils  sont  en  règle  avec  Dieu  et  avec  leurs  semblables. 
Ils  prient,  ils  vont  à  la  messe,  ils  se  confessent,  ils 
communient.  Mais  tout  cela  est  machinal  et  sans 
vie.  Sous  cette  surface  correcte  et  dévote  vous 
chercheriez  vainement  l'amour  de  Dieu  et  du  pro- 
chain, les  vertus  naturelles,  la  véracité,  la  délica- 
tesse, la  justice,  la  charité,  l'inviolable  pudeur. 
Que  faut-il  penser  de  ces  chrétiens  superficiels? 
«  De  tels  chrétiens,  s'ils  existent,  dit  Mgr  d'Hulst, 
sont  la  honte  du  christianisme,  ils  sont  sa  fai- 
blesse, la  cause  de  son  décri  devant  les  indifférents 
qui  regardent  et  qui  disent  :  «  Est-ce  là  le  fruit  de 
la  Rédemption  d'un  Dieu?  »  Ces  inutiles,  ces  pusil- 
lanimes prétendent  s'abreuver  à  des  sources  divines 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  207 

de  courage,  de  pureté  et  d'amour,  et  voilà  ce  qu'ils 
donnent  !  C'est  donc  que  leur  foi  est  vaine  !  »  Arrière 
les  chrétiens  superficiels  !  La  religion  les  réprouve. 
Oui,  s'il  y  a  des  hommes  qui  abritent  l'absence  de 
la  vertu  et  des  œuvres  sous  des  oripeaux  de  pra- 
tiques religieuses,  je  vous  les  abandonne,  et  j'ose 
dire  que  nous   en  sommes  plus   fâchés  que  vous, 
Messieurs,  parce  que,  chargés  des  intérêts  de  la  reli- 
gion, nous  les  voyons  avec  douleur  compromis  par 
de  pareils  abus,  qui  deviennent  dans  beaucoup  de 
mains  une  arme  facile  et  déloyale  contre  le  chris- 
tianisme. De  grâce,  ne  rendez  pas  la  religion  res- 
ponsable de  la  conduite  de  ceux  qui  n'ont  de  chré- 
tien que  le  nom  et  les  apparences.  Suffit-il,  pour 
appartenir  à  l'armée  française,  d'en  prendre  un  beau 
matin  l'uniforme   et  de  se  promener  dans  la  rue 
sous  le  costume  d'officier,  et  rendrez- vous  l'armée 
solidaire  et  responsable  de  cette  fantaisie  que  punit 
la  loi?  Non  certes.   Eh  bien,   la   religion  ne  peut 
que  rendre  meilleur.  Que  s'il  y  a  des  hommes  qui 
ne  la  pratiquent  pas  sérieusement,  qui  en  prennent 
le  costume  et  non  la  réalité,   tant  pis  pour  eux  î 
La  religion  ne  les  reconnaît  pas  pour   siens,  elle 
les  repousse,  et  elle  reste  sainte,  immaculée,  puis- 
sante et  efficace  pour  le  bien  ;  elle  reste  la  grande 
force  des   hommes  de  bonne  volonté    qui    savent 
s'en    servir  sincèrement  et   loyalement.   La  chose 
est  bien  comprise.  Je  vous  accorde  volontiers  que 
les  faux  chrétiens  ne   valent  pas  mieux  que  les 


208  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

autres.  Mais  de  votre  côté,  Messieurs,  soyez  sincères 
et  acceptez  ma  seconde  proposition. 


IL  Les  vrais  chrétiens  valent  mieux  que  les 
autres.  Je  l'affirme  hautement. 

Le  vrai  chrétien  est  un  homme  qui,  ayant  la  foi, 
la  professe  extérieurement  et  s'efforce  de  conformer 
sa  vie  à  sa  foi,  et,  grâce  à  Dieu,  de  tels  chrétiens 
ne  nous  manquent  pas.  Sans  doute,  nous  en  avons 
trop  peu,  mais  nous  en  avons  cependant  assez  pour 
opposer  victorieusement  leurs  nobles  exemples  à 
toutes  les  clabauderies  plus  ou  moins  déloyales  de 
l'impiété.  Le  sujet  est  délicat.  Comprenez-moi  bien. 

1°  Je  ne  dis  pas  que  tel  homme  qui  est  chrétien 
vaut  mieux  que  tel  autre  qui  ne  Lest  pas.  Ce  n'est 
pas  ainsi  qu'il  faut  poser  la  question.  Vous  me 
citez  tel  ou  tel  homme  qui  se  tient  en  dehors  des 
croyances  et  des  pratiques  religieuses  et  qui  est  un 
modèle  de  pureté,  de  justice  et  de  dévouement.  Je 
ne  le  conteste  pas.  Mais  à  cela  je  réponds  deux 
choses  :  1°  cet  homme,  s'il  existe,  n'est  pas  totale- 
ment honnête  puisqu'il  manque  à  un  devoir  capi- 
tal, au  devoir  envers  Dieu;  et  2°  cet  homme  qui 
oublie  Dieu  et  qui  reste  correct  vis-à-vis  de  lui- 
même  et  de  ses  semblables  n'est  qu'une  exception. 
C'est  un  prodige,  et  je  ne  parle  pas  ici  pour  les 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  209 

prodiges,  mais  pour  lés  simples  et  faibles  mortels, 
tels  que  nous  sommes  tous.  Laissons  donc  de  côté 
les  individualités  plus  ou  moins  exceptionnelles. 
Prenons  la  grande  masse  de  l'humanité,  étudions 
son  niveau  moral,  et  ne  craignons  pas  d'affirmer 
que  les  vrais  chrétiens  valent  mieux  que  les 
autres. 

Qu'est-ce  à  dire?  Gela  veut-il  dire  que  les  vrais 
chrétiens  sont  impeccables?  Non.  Ils  peuvent  avoir, 
et  ils  ont  souvent  des  travers,  des  défauts  de  carac- 
tère, des  faiblesses,  des  chutes  et  des  rechutes,  des 
défaillances  morales  plus  ou  moins  profondes.  La 
religion  vient  au  secours  de  la  nature,  mais  ne  la 
supprime  pas.  Elle  ne  fait  pas  disparaître  nos  défauts  ; 
elle  nous  aide  seulement  aies  corriger.  Gela  est  de, 
toute  évidence.  La  religion  vient  au  secours  de  la 
liberté  humaine,  mais  ne  la  supprime  pas.  Elle  ne 
nous  enlève  pas  le  trésor  de  notre  libre  arbitre  ;  elle 

r 

nous  aide  simplement  à  en  bien  user.  Ecoutez  là- 
dessus  une  belle  parole  de  Montesquieu  :  «  Dire 
que  la  religion  n'est  pas  un  motif  réprimant  parce 
qu'elle  ne  réprime  pas  toujours,  c'est  dire  que 
les  lois  civiles  ne  sont  pas  un  motif  réprimant  non 
plus.  »  La  religion  qui  s'adresse  à  des  êtres  libres 
ne  peut  pas  les  réprimer  toujours.  Elle  ne  les  rend 
point  impeccables.  Qu'est-ce  donc  que  je  veux  dire 
quand  j'affirme  que  les  vrais  chrétiens  sont 
meilleurs  que  les  autres? 

LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE.    —   1-14 


210  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

2°  Je  dis  d'abord  que  la  religion  offre  aux  hommes 
les  moyens  de  devenir  meilleurs.  Pour  réaliser  ses 
bons  désirs,  pour  vaincre  le  mal,  pour  connaître 
son  devoir  et  le  pratiquer,  le  vrai  chrétien  n'est 
pas  seul.  11  a  la  lumièrequi  lui  vient  de  l'Evangile 
et  de  l'Eglise;  il  a  la  force  qui  lui  vient  de  la  grâce, 
de  la  prière  et  des  sacrements.  Eclairé,  gardé,  vi- 
vifié parla  religion,  il  lutte,  il  résiste,  il  triomphe. 
Il  tombe  sans  doute  parce  qu'il  est  homme,  mais  il 
se  relève  parce  que  Dieu  le  relève.  Il  a  regret  de 
son  péché,  et  il  vaut  mieux  dans  sa  faute  que  le 
pharisien  superbe  dans  sa  vertu.  Il  possède  toutes 
les  ressources  naturelles  de  moralité  qui  sont  à  la 
disposition  de  l'homme  simplement  honnête,  et  il 
possède  ce  qui  manque  à  ce  dernier,  des  ressources 
surnaturelles.  Il  voit  plus  clairement  son  devoir  et 
il  le  veut  plus  énergiquement.  Même  après  ses 
défaites  passagères,  il  se  remet  à  la  lutte,  et  il  n'est 
jamais  vaincu  définitivement.  Il  pèche,  mais  il  se 
repent.  Il  faiblit  quelquefois,  mais  il  ne  capitule 
jamais.  Je  ne  dis  pas  que  la  religion  le  rend  im- 
peccable, mais  je  dis  qu'elle  décuple  sa  puissance 
et  son  courage. 

Je  dis  que,  en  fait,  la  religion,  bien  comprise  et 
bien  pratiquée,  élève  le  niveau  moral.  C'est  en  vain 
qu'on  nous  objecterait  qu'il  nesuffitpas,  pour  rester 
honnête,  d'avoir  des  principes  religieux  et  qu'on 
voit  des  scandales  éclater  çà  et  là  parmi  les  chré- 
tiens, parfois  même  jusque  dans  le  sanctuaire.  L'ob- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  211 

jection  se  retourne  de  toute  sa  force  contre  ceux  qui 
nous  l'envoient.  Car,  si  la  religion  avec  son  frein 
puissant  est  incapable  à  certaines  heures  de  tenir  en 
bride  les  passions  indisciplinées  du  cœur  humain, 
que  sera-ce  de  ce  cœur  abandonné  à  lui-même  et 
n'ayant  plus,  pour  le  retenir,  labarrière  des  croyances 
et  des  pratiques  religieuses?  On  reprochait  à  un 
vieux  général  très  chrétien  et  très  pieux  ses  défauts 
et  ses  saillies  de  caractère;  on  lui  disait  :  «  Gomment 
se  fait-il  que,  vous  confessant  et  communiant 
souvent,  vous  ayez  de  tels  défauts  ?  »  Et  le  géné- 
ral de  répondre  :  «  Ah  !  que  serait-ce  donc  si  je  ne 
me  confessais  pas  et  si  je  ne  communiais  pas?  Je 
serais  cent  fois  pire!  »  Faites  attention  à  ceci, 
Messieurs.  Les  mêmes  hommes  dont  vous  persiflez 
les  défaillances  parce  qu'ils  pratiquent,  tombe- 
raient dans  des  crimes  s'ils  ne  pratiquaient  pas. 
S'ils  ont  des  défauts  tout  en  étant  chrétiens,  ils  au- 
raient ces  mêmes  défauts,  et  plus  forts  encore, 
s'il  ne  l'étaient  pas. 

Et  puis  remarquez  que  la  vertu  consiste  beaucoup 
moins  dans  les  résultats  visibles  que  dans  le  dé- 
ploiement intime  de  la  force  morale.  Je  m'explique. 
Voilà  tel  homme  qui  n'est  pas  chrétien  et  qui  élève 
cependant  sa  vie  à  un  certain  niveau  de  moralité. 
Mais  ilaune  nature  heureuse,  calme,  portée  au  bien  et 
il  vit  dansun  milieu  où  la  vertu  s'impose.  Son  mérite 
est  mince.  A  vaincre  sans  péril  on  triomphe  sans 
gloire.  En  voici  un  autre  qui  est  chrétien  et  qui  ne 


212  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

vaut  guère  mieux  ou  même  qui  vaut  moins  en  ap- 
parence que  son  voisin  sans  religion.  Mais  il  est 
entouré  de  tentations  etde  séductions,  et  les  passions 
comme  des  chiens  sauvages  le  tourmentent  sans 
cesse.  En  réalité  et  devant  Dieu,  môme  avec  sa 
demi-vertu,  il  a  un  grand  mérite,  parce  qu'il  déploie 
une  grande  force  morale.  De  temps  en  temps  il  est 
blessé  dans  la  lutte.  Tant  mieux.  Il  n'en  est  que 
plus  beau.  J'aime  à  voir  sur  le  front  des  triompha- 
teurs la  trace  des  coups  qu'ils  ont  reçus;  c'est  un 
témoignage  de  la  résistance  des  ennemis  vaincus 
et  du  courage  qu'il  a  fallu  dépenser  pour  les  assu- 
jettir. En  résumé,  la  religion  ne  peut  que  rendre 
meilleurs,  et  de  fait  elle  rend  toujours  meilleurs  les 
vrais  chrétiens  qui  savent  la  comprendre  et  la  pra- 
tiquer. La  religion  élève  le  niveau  moral,  et  tout 
compte  fait,  à  passions  égales,  les  vrais  chrétiens 
valent  mieux  que  les  autres. 

Je  sais  bien  que  le  monde  dit  le  contraire. 
Qu'importe?  Le  monde  est  injuste.  Il  affecte  de 
donner  la  palme  de  la  moralité  à  ceux  qui  ne  font 
pas  le  signe  de  la  croix;  il  éprouve  un  plaisir  mal- 
sain à  mettre  les  vrais  chrétiens  en  suspicion.  11 
pardonne  tout  à  ses  partisans,  et  il  est  impitoyable 
pour  les  disciples  de  Jésus-Christ.  Le  monde  qui  n'a 
pas  le  courage  de  pratiquer  l'Evangile  contemple 
avec  remords  ceux  qui  y  conforment  leur  vie,  et  il 
nie  la  vertu  des  chrétiens  pour  se  dispenser  de  les 
imiter  et  pour  s'excuser   de    leur  être   inférieur. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  213 

Dédaignez,  Messieurs,  les  récriminations  injustes  du 
monde,  et  fidèles  à  Dieu,  à  Jésus-Christ  et  à  l'Eglise, 
fidèles  à  la  religion  et  à  la  morale,  prenez  la  devise 
qui  fait  les  grands  caractères  et  les  grandes  vertus: 
Bien  faire  et  laisser  dire! 

Amen! 


SEPTIÈME  CONFÉRENCE 

II.   —  V ÉGLISE  EST  LA    SEULE  PUISSANCE 
MORALISATRICE    SUFFISANTE 

1°    LES     INFLUENCES    MORALISATRICES     EN     DEHORS 
DE     L'ÉGLISE 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
Elle  éclaire  la  conscience,  elle  fortifie  la  volonté, 
elle  transforme  la  vie.  Je  vais  plus  loin,  et  j'af- 
firme que  l'Eglise  est  la  seule  puissance  moralisa- 
trice suffisante.  L'affirmation  est  grave,  car  nom- 
breux sont  les  hommes  qui  prétendent  qu'en  dehors 
de  l'Eglise  il  est  parfaitement  possible  de  pratiquer 
la  morale.  Voyons  un  peu  ce  qu'il  en  est,  en  répon- 
dant à  ces  deux  questions  : 

1°  Ya-t-il  des  influences  moralisatrices  en  dehors 
de  l'Église  ? 

2°  Ces  influences  moralisatrices  sont-elles  suf- 
fisantes? 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  215 

I.  Y  a-t-ïl  en  dehors  de  l'Église  des  influences 
moralisatrices  ?  Oui. 

Chez  les  païens,  môme  aux  heures  les  plus  lu- 
gubres de  l'humanité  dégénérée,  vous  rencontrez 
par-ci  par-là  des  vertus  naturelles  qui  méritent  le 
respect.  Et  depuis  l'apparition  du  christianisme, 
depuis  que  le  sel  de  l'Evangile  a  pénétré  les  na- 
tions et  leur  a  infusé  une  vie  nouvelle,  vous  trou- 
vez des  vertus  véritables  dans  bon  nombre 
d'hommes  qui  font  profession  de  vivre  en  dehors 
de  l'Eglise  catholique,  et  même  en  dehors  de  toute 
croyance  religieuse.  Le  fait  existe,  et  nous  n'avons 
pas  le  droit  de  le  nier,  ni  de  le  rabaisser,  même 
dans  l'intérêt  de  ce  qui  à  nos  yeux  est  la  vérité. 
N'avons-nous  pas  tous  rencontré,  peut-être  près  de 
nous,  à  notre  foyer,  des  hommes  dont  la  vie  était 
conforme  à  la  loi  de  pureté,  de  justice  et  de  cha- 
rité, auxquels  nous  n'avons  jamais  pu  refuser  notre 
respect,  et  qui  s'acheminaient  vers  la  mort  sans 
qu'un  rayon  d'espérance  et  de  foi  religieuse  en 
éclairât  pour  eux  les  ténèbres?  Ils  étaient  incroyants 
et  vertueux  tout  ensemble.  Que  d'autres  expliquent 
leur  incrédulité  par  une  corruption  secrète,  qu'ils 
disent  que  c'est  pour  obéir  aux  instincts  de  leur 
cœur  qu'ils  n'admettent  pas  les  vérités  religieuses; 
pour  moi  je  ne  le  ferai  pas.  Je  laisse  à  Dieu  le 
jugement  des  cœurs,  et  je  ne  croirai  jamais  m'ins- 


216  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

pirer  de  l'esprit  de  Jésus-Christ,  en  niant  le  bien 
où  je  le  trouve,  fût-ce  même  au  sein  de  Terreur  la 
plus  profonde  et  la  plus  lamentable.  Voilà  donc 
un  fait  qui  n'est  pas  niable  :  on  trouve  en  dehors 
de  l'Eglise  des  vertus  réelles,  un  certain  niveau 
de  moralité.  Comment  expliquer  ce  fait? 

Il  y  a  donc  en  dehors  de  l'Eglise  des  influences 
moralisatrices?  oui.  D'abord  autour  de  nous,  dans 
l'air  que  nous  respirons,  sans  que  nous  nous  en 
doutions  et  même  quand  nous  ne  le  voulons  pas, 
il  y  a  l'influence  indirecte,  mais  très  réelle  et  très 
puissante  de  l'Évangile  et  de  l'Eglise.  Vous  entrez 
dans  un  appartement  chauffé  par  un  bon-feu.  Vous 
éteignez  le  feu,  et  pendant  de  longues  heures  vous 
vivez  encore  de  la  chaleur  qui  survit  au  foyer 
éteint.  Telle  est  la  situation  de  beaucoup  d'hommes 
à  l'égard  de  la  religion  chrétienne.  Elle  est  éteinte, 
et  ils  en  vivent,  et  la  chaleur  morale  qui  circule 
dans  leur  âme  et  dans  leurs  actes  est  une  émana- 
tion certaine,  quoique  inconsciente,  du  Christia- 
nisme. 0  hommes  détachés  en  apparence  de  Jésus- 
Christ  et  de  son  Eglise,  cette  justice  si  exacte  et  si 
rigoureuse,  c'est  sur  les  bancs  du  catéchisme 
que  vous  en  avez  eu  la  notion  première  !  Cette  inté- 
grité des  mœurs,  c'est  au  sein  d'une  famille  chré- 
tienne que  vous  en  avez  contracté  l'habitude  !  Les 
louables  vertus  que  vous  pratiquez  sont  le  résultat 
des  impressions  encore  vives  et  ineffaçables  d'une 
enfance  formée  à  l'école  de  la  religion  !  Vous  ne 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  217 

prononcez  plus  le  nom  de  Jésus-Christ,  vous  ne 
venez  plus  à  ses  fêtes,  vous  vous  tenez  à  distance 
de  ses  sacrements,  mais  vous  vivez  de  son  influence, 
vous  respirez  l'air  qu'il  a  répandu,  vous  jouissez  de 
ses  bienfaits,  vous  êtes  façonnés  par  l'action  d'un 
milieu  tout  pénétré  encore  de  la  sève  évangélique 
et  catholique!  A  l'influence  directe  que  l'Église 
exerce  sur  ses  fidèles,  il  faut  ajouter  l'influence 
indirecte  qu'elle  exerce  jusque  sur  ceux  qui  n'ont 
pas  le  bonheur  de  croire  et  de  pratiquer  et  qui  se 
prétendent  affranchis  de  toute  tutelle  religieuse. 

Mais,  en  dehors  de  cette  double  action  de  l'Église 
catholique,  reste-t-il  en  nous  d'autres  influences 
moralisatrices  ?  oui.  S'il  y  a  dans  l'homme  des 
pentes  effroyables  vers  le  mal,  contre  lesquelles  il 
doit  lutter  sanscesse,  il  y  a  aussi  en  lui  des  énergies 
naturelles  pour  le  bien,  qu'il  ne  saurait  jamais  déra- 
ciner complètement.  Il  y  a  la  conscience,  le  senti- 
ment de  la  dignité  personnelle  et  de  l'honneur,  et, 
venant  au  secours  de  ces  nobles  instincts,  il  y  a 
l'opinion  publique,  la  loi,  la  philosophie,  la  science. . . 
et  je  confesse  sincèrement  que  toutes  ces  influences 
agissant  ensemble  ne  sont  point  à  dédaigner, 
qu'elles  produisent  dans  l'humanité  une  somme 
appréciable  de  moralité.  Y  a-t-il  en  dehors  de  l'ac- 
tion directe  de  l'Église  des  influences  moralisa- 
trices? oui. 


218  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

II.  Ces  influences  moralisatrices  sont-elles  suffi- 
santes ?  Non. 

Pour  accréditer  le  règne  de  la  morale,  Yinclina- 
tion  naturelle  vers  le  bien  est-elle  suffisante?  Certes 
cette  inclination  vers  le  bien  n'est  point  une  chi- 
mère, et  je  respecte  trop  la  nature  humaine  pour 
vouloir  contester  et  supprimer  ses  réelles  gran- 
deurs. Oui,  Messieurs,  il  y  a  de  l'or  dans  notre 
argile,  et  le  dernier  des  criminels  sent  palpiter  au 
fond  de  son  âme  des  aptitudes  et  des  aspirations 
vers  le  bien.  Mais  soyons  sincères.  Nos  inclinations 
heureuses  sont  contrebalancées  par  beaucoup  de 
penchants  mauvais.  D'ordinaire  nous  sommes  plus 
attirés  en  bas  qu'en  haut,  et,  si  nous  n'avons  pas 
d'autre  loi  que  l'instinct  naturel,  que  le  poids  de  la 
nature  laissée  à  elle-même,  nous  voilà  sinon  fata- 
lement, du  moins  inévitablement  entraînés  vers  le 
mal.  Abandonnez  un  enfant,  un  jeune  homme  à 
son  inclination,  et  vous  verrez  s'il  ne  devient  pas 
la  proie  du  vice.  Que  dis-je,  vous  verrez?  Mais 
vous  voyez  cela  tous  les  jours.  Vous  voyez  des 
jeunes  gens  qui  suivent  l'inclination  du  sens  dé- 
pravé et  qui  perdent  avec  la  virginité  de  l'âme  la 
beauté  et  l'énergie  du  corps.  Oh  î  ne  me  dites  pas 
que  l'inclination  est  la  source  de  la  force  morale, 
car  je  pourrais  vous  opposer  des  millions  de  gens 
qui  sont  voleurs  par  inclination,   impudiques  par 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  210 

inclination,  cruels  par  inclination,  perdus  de  vices 
par  inclination.  Un  instant,  me  dites-vous,  arrêtez. 
La  conscience  est  là  pour  diriger  l'instinct  et  pour 
le  réformer  au  besoin.  Voyons  cela. 

Pour  accréditer  le  règne  de  la  morale,  la  cons- 
cience est-elle  suffisante?  Dieu  me  garde  d'en  nier 
la  puissance  et  la  majesté!  Législateur,  elle  pro- 
mulgue la  loi;  accusateur,  elle  poursuit  le  cou- 
pable; témoin,  elle  a  tout  vu  et  elle  n'oublie  rien; 
juge,  elle  discute  tous  nos  actes  et  aucun  n'échappe 
à  ses  arrêts;  bourreau,  elle  punit  l'infraction  à  la 
loi.  Elle  sanctionne  ses  sentences  en  produisant 
dans  l'àme  du  juste  une  ineffable  joie  et  dans  l'àme 
du  méchant  une  tristesse  poignante  qui  s'appelle 
le  remords.  Tout  cela  est  vrai.  Mais  il  est  également 
vrai  que. la  conscience  laissée  à  elle-même  est  facile 
à  corrompre  et  facile  à  braver.  La  voilà  placée  entre 
la  passion  qui  nous  flatte  et  la  loi  qui  nous  gêne, 
entre  la  passion  qui  nous  dit  :  Jouis  !  et  la  loi  mo- 
rale qui  nous  dit  :  Non,  je  te  le  défends!  Que  va- 
t-elle  faire  cette  pauvre  conscience,  qui  n'a  aucun 
point  d'appui  en  dehors  d'elle-même?  D'abord  elle 
hésité,  elle  discute,  elle  recule  et  elle  avance,  elle 
va  de  la  convoitise  au  devoir  et  du  devoir  à  la  con- 
voitise, elle  se  dédouble  pour  se  porter  en  deux 
directions  opposées.  Mais  bientôt  cette  duplicité  lui 
fait  horreur,  ce  tiraillement  lui  est  à  charge.  Il  faut 
choisir,  et  elle  tombe  du  côté  de  la  passion.  Elle 
capitule,  et  en  capitulant  une  fois,  dix  fois,  cent 


220  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

fois,  elle  se  relâche,  elle  se  déforme,  elle  se  fausse, 
elle  se  brise  comme  un  ressort  qui  porte  un  poids 
trop  lourd.  A  mesure  que  nous  péchons,  la  cons- 
cience proteste  de  moins  en  moins  et  finit  par 
prendre  le  niveau  de  notre  conduite.  Montrez-moi 
dans  la  conscience  humaine  la  crainte  assez  vive 
pour  arrêter  l'homme  sur  la  pente  du  mal,  l'espé- 
rance assez  entraînante  pour  le  pousser  sur  le  sen- 
tier du  bien.  Le  remords,  la  honte  naturelle  d'avoir 
mal  fait?  mais  on  s'y  accoutume  à  la  longue,  on 
finit  par  la  braver  sans  rougir.  La  satisfaction  inté- 
rieure d'avoir  bien  fait?  mais  l'habitude  rémousse, 
l'opinion  la  combat,  l'injustice  la  déconcerte,  et 
les  plus  honnêtes  gens  finissent  par  se  demander 
s'ils  ne  s'abusent  pas  en  se  consolant  dans  leur 
conscience. 

Pour  accréditer  le  règne  de  la  morale,  le  senti- 
ment de  l'honneur  et  de  la  dignité  personnelle  est-il 
suffisant?  Je  vous  accorde  volontiers  que  le  senti- 
ment de  l'honneur  est  un  admirable  sentiment, 
quand  il  s'appuie  sur  l'idée  de  Dieu,  quand  il 
s'abreuve  au  pied  de  la  croix,  quand  il  se  nourrit 
des  clartés  et  des  énergies  de  la  religion;  mais  j'ose 
affirmer  qu'il  est  un  sentiment  à  peu  près  insuffi- 
sant et  stérile,  quand  il  n'a  d'autre  support  que 
vous  et  vos  impressions  mobiles.  Allez  donc  dire  à 
cet  enfant,  à  ce  jeune  homme  que  la  passion  solli- 
cite, ardente,  déchaînée,  allez  donc  lui  dire  qu'il 
songe  à  sa  dignité  personnelle  !  Il  y  pensera  plus 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  221 

tard,  quand  il  ne  sera  plus  temps,  quand  la  pas- 
sion sera  satisfaite.  Non,  Messieurs,  il  n'y  a  pas 
dans  ma  nature,  telle  que  je  la  connais,  telle 
que  je  l'expérimente  en  moi-même  et  dans  les 
autres,  il  n'y  a  pas  là  dans  le  vase  fragile  de 
mon  cœur  une  source  de  force  morale  équiva- 
lente à  mes  besoins.  Sortons  de  nous-mêmes  et 
cherchons. 

Pour  accréditer  le  règne  de  la  morale,  f  opi- 
nion est-elle  suffisante?  L'opinion  peut  empêcher 
quelques  actes  vils  et  honteux  et  imposer  à  quelques 
hommes  une  certaine  correction  morale.  Mais  je 
lui  vois  trois  grandes  lacunes:  1°  Elle  est  sans 
aucune  influence  sur  la  grande  masse  de  l'huma- 
nité. Je  vous  demande  un  peu  ce  que  peut  faire  à 
l'immense  majorité  des  hommes  l'opinion  de  leurs 
semblables  au  milieu  desquels  ils  passent  inaper- 
çus? L'opinion  n'atteint  qu'une  très  minime  portion 
de  l'humanité;  2°  Elle  n'atteint  qu'une  très  minime 
portion  de  la  vie  de  chaque  homme.  Sur  vingt 
actions  qui  coulent  de  ma  volonté,  il  y  en  a  au 
moins  quinze  qui  échappent  à  l'opinion.  Elle 
ignore  les  crimes  secrets  de  la  pensée,  les  désirs 
coupables  du  cœur,  les  actions  de  la  vie  privée  qui 
flétrissent  l'âme  à  ses  propres  yeux  ;  3°  Et  parmi  les 
actes  qui  tombent  sous  son  contrôle,  elle  en  accepte 
un  grand  nombre  qui  sont  manifestement  mau- 
vais. Que  de  fois  l'opinion  ratifie  et  approuve  le 
mal  !  Par  exemple,  elle  repousse  impitoyablement 


222  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

le  criminel  public,  mais  elle  absout  volontiers  le 
vice,  quand  il  est  élégant,  et  l'injustice,  pourvu 
qu'elle  soit  habile  et  couronnée  de  succès.  Vouloir 
faire  de  l'opinion  la  base  de  la  moralité,  c'est  une 
pure  plaisanterie  !  Nous  avons  plus  et  mieux,  dit- 
on,  nous  avons  la  Loi. 

Pour  accréditer  le  règne  de  la  morale,  la  loi  est- 
elle  suffisante?  La  loi  n'est  point  à  dédaigner.  La 
loi,  servie  par  la  force,  punit  les  forfaits  extérieurs, 
et  elle  prévient  beaucoup  de  désordres  par  la  ter- 
reur salutaire  qu'elle  inspire  aux  méchants.  Mais, 
hélas  !  qui  ne  sait  que  les  lois,  même  les  meilleures, 
sont  souvent  impuissantes?  Qui  ne  sait  que  les 
lois,  même  les  plus  sévères,  s'arrêtent  devant  la 
conscience  et  devant  le  for  intérieur?  Qui  ne  sait 
que  les  lois  sont  quelquefois  mauvaises,  souvent 
imparfaites,  toujours  changeantes?  Non,  la  loi  et  la 
force  ne  sont  pas  capables  de  moraliser  un  ^juple. 
Cherchons  autre  chose. 

Pour  accréditer  le  règne  de  la  morale,  la  philo- 
sophie et  la  science  sont-elles  suffisantes?  Qu'en 
pensez-vous?  Moi,  je  pense  d'abord  que  la  philoso- 
phie n'a  pas  de  symbole,  qu'elle  pose  plus  de  pro- 
blèmes qu'elle  ne  donne  de  solutions,  qu'elle  n'est 
pas  capable  de  faire  marcher  le  plus  petit  village 
sous  sa  direction,  et  que,  si  elle  peut  suffire  à  peu 
près  à  quelques  esprits  cultivés,  à  quelques  indivi- 
dus exceptionnels,  elle  est  radicalement  insuffi- 
sante à  la  grande  masse  de  l'humanité.  Je  pense 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  223 

qu'un  jour  Robespierre,  effrayé  de  l'immoralité 
délirante  qui  couvrait  toute  la  nation  et  voulant  y 
mettre  un  terme,  tant  l'aspect  du  monde  lui  parais- 
sait horrible,  s'imagina  d'écrire  au  seuil  de  nos 
temples  ce  dogme  élémentaire  de  la  philosophie  : 
Le  peuple  français  reconnaît  l'existence  de  Dieu  et 
l'immortalité  de  l'âme.  Il  croyait  ainsi  mettre  un 
frein  à  l'orgie  révolutionnaire.  Mais  le  sang  et  la 
boue  continuèrent  de  couler  comme  auparavant... 
tant  il  est  vrai  qu'en  présence  des  passions  à  répri- 
mer et  de  la  morale  à  fonder  la  philosophie  res- 
semble à  un  fétu  de  paille  qui  voudrait  arrêter  un 
fleuve  débordé,  à  un  caillou  qui  voudrait  servir  de 
base  à  un  monument  grandiose  !  Mais  la  science, 
nous  dit-on,  la  science,  voilà  la  garantie  de  la 
morale.  Oui,  parlons-en.  La  science  est  utile.  Est- 
elle une  garantie  suffisante  de  moralité?  Non,  mille 
fois  non.  La  science  est  la  meilleure  ou  la  pire  des 
choses  selon  l'usage  qu'on  en  fait;  elle  peut  servir 
au  mal  aussi  bien  qu'à  la  vertu.  Non,  ce  n'est  pas 
avec  un  peu  de  lecture,  d'écriture,  de  calcul,  de 
musique,  avec  un  peu  d'histoire  et  de  géographie, 
avec  la  physique  et  la  chimie,  avec  le  grec  et  le 
latin  qu'on  accrédite  le  règne  de  la  morale.  On  peut 
être  très  instruit  et  n'en  être  pas  plus  probe,  plus 
honnête  :  témoins  tant  de  gens  qui  peuplent  les 
bagnes  pour  avoir  trop  lu,  trop  écrit, 'trop  compté. 
Et  on  peut  vivre  vertueux,  capable  de  dévouement 
sans  même  avoir  appris  à  lire  :  témoins  tant  d'actes 


224  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

de  désintéressement,   de    sacrifice    et   d'héroïsme 
accomplis  par  des  âmes  ignorantes. 


Concluons.  Puisque  les  influences  moralisatrices, 
que  nous  portons  en  nous-mêmes  ou  qui  nous 
viennent  du  milieu  social  où  nous  vivons,  sont 
manifestement  insuffisantes,  où  aller?  ad  qtiem 
ibimas?  à  l'Évangile  et  à  l'Eglise.  Le  monde  était 
perdu,  désorganisé,  démoralisé.  Jésus-Christ  est 
venu.  Il  a  promulgué  son  Evangile,  et  tout  est  là, 
dans  l'Évangile.  Mais  encore  l'Evangile  n'est  qu'un 
livre  muet  et  inanimé,  et  voilà  les  lettrés,  les  phi- 
losophes, les  savants,  les  pasteurs,  les  dissidents 
d'un  esprit  élevé  et  d'une  érudition  incontestable 
qui  s'acharnent  sur  ce  Livre  auguste,  qui  en  tirent 
des  sens  impossibles  et  des  conséquences  invrai- 
semblables. C'est  la  dispute,  la  confusion,  le  chaos. 
La  morale  de  l'Evangile  est  une  lettre  morte, 
quand  l'Église  ne  l'explique  pas.  La  morale  de 
l'Évangile  se  contredit,  quand  l'Eglise  n'en  fixe  pas 
le  sens.  La  morale  de  l'Evangile  change  au  gré  du 
temps  et  des  passions,  quand  ce  n'est  plus  l'Eglise 
qui  la  garde,  mais  l'hérésie  qui  s'en  empare  et  la 
licence  qui  la  corrompt.  Oui,  certes,  il  y  a  en 
dehors  de  l'Eglise  des  influences  moralisatrices. 
Mais  ces  influences  moralisatrices  sont  insuffisantes. 
L'Église  est  la  seule  puissance  moralisatrice  suffi- 
sante. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  225 

0  Eglise  catholique,  au  milieu  du  monde  qui  se 
décompose  et  qui  meurt,  tu  es  l'asile  delà  morale! 
Je  te  salue,  ô  Eglise  catholique,  toujours  debout, 
toujours  ferme,  toujours  incorruptible  ! 

Amen  ! 


LES  BIENFAITS   DE   L  ÉGLISE.  —  1-15 


HUITIÈME  CONFERENCE 

2°    L'ÉGLISE     SEULE    ATTEINT     LES     AMES 


Messieurs, 

L'Eglise  est  une  grande  puissance  moralisatrice. 
Elle  est  la  seule  puissance  moralisatrice  suffisante. 
En  dehors  de  l'Eglise  une  certaine  morale  est  pos- 
sible, parce  que  Dieu  a  déposé  dans  la  nature  hu- 
maine et  dans  la  société  humaine  des  influences 
dont  il  serait  puéril  de  contester  la  valeur  et  l'effi- 
cacité relative.  Mais,  si  vous  voulez  conquérir  pour 
vous-mêmes  et  accréditer  autour  de  vous  la  morale 
vraie  et  totale,  vous  ne  pouvez  pas  vous  passer  de 
l'Eglise  catholique.  Pourquoi?  parce  que  la  morale 
vraie  et  totale  a  son  siège  dans  l'àme,  et  que  l'Eglise 
seul^  atteint  les  âmes.  Voyons  cela. 


I.  L'Église  atteint  les  âmes. 

On  parle  beaucoup  aujourd'hui  et  l'on  se  préoc- 
cupe à  juste  titre  de  la  question  sociale...  question 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  227 

terrible  et  passionnante.  Or,  sachez-le,  la  question 
sociale  est  surtout  une  question  morale,  qui  ne 
trouvera  sa  solution  que  dans  la  nature  même  de 
l'homme,  dans  son  être  tout  entier,  en  un  mot  dans 
son  âme;  et,  si  vous  n'atteignez  pas  cette  âme,  l'âme  . 
de  l'homme,  vous  ne  résoudrez  jamais  rien.  Nous 
sommes  des  civilisés.  Mais  le  progrès,  l'avancement 
dans  les  sciences  et  dans  les  arts,  la  culture  intel- 
lectuelle, la  civilisation,  tout  cela  n'est  rien  ;  il  n'y 
a  qu'une  chose  qui  importe,  c'est  l'âme.  C'est  elle 
qu'il  faut  atteindre,  si  vous  ne  voulez  pas  échouer 
misérablement  dans  toutes  vos  œuvres  de  civili- 
sation. Ce  n'est  pas  parce  que  nous  avons  fait  des 
découvertes  et  que  nous  sommes  arrivés  à  arracher 
à  la  nature  ses  secrets  les  plus  intimes,  que  nous 
serons  plus  avancés  ;  bien  au  contraire,  la  situation 
deviendra  plus  terrible  et  le  progrès  nous  écrasera, 
si  les  âmes  ne  sont  pas  atteintes,  modifiées,  amélio- 
rées. Nous  sommes  des  chercheurs,  des  organisa- 
teurs, des  savants,  des  économistes.  Nous  dépen- 
sons journellement  des  flots  d'encre  et  des  flots  de 
salive  pour  trouver  une  meilleure  organisation  du 
travail,  une  meilleure  organisation  de  la  propriété, 
une  meilleure  organisation  de  la  famille, une  meil- 
leure organisation  du  patronage,  une  meilleure  or- 
ganisation des  pouvoirs  publics.  Nous  faisons  cela, 
et  nous  n'avons  pas  tort.  Mais  tout  cela  est  secon- 
daire. Pour  résoudre  la  question  sociale,  il  faut  aller 
plus  loin  et  descendre  plus  bas.   Il  faut    prendre 


228  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'homme  dans  tout  ce  qu'il  est  :  dans  son  être  su- 
périeur et  dans  son  être  inférieur;  il  faut  prendre 
l'homme  d'abord  et  surtout  dans  son  être  d'en  haut, 
c'est-à-dire  dans  son  intelligence,  dans  sa  volonté, 
dans  sa  conscience,  dans  son  cœur,  dans  son  âme. 
Il  faut  atteindre  les  âmes. 

Qui  fera  cela?  Quelle  puissance  au  monde  mettra 
la  main  sur  l'intelligence  de  l'homme,  sur  la  vo- 
lonté de  l'homme,  sur  la  conscience  de  l'homme, 
sur  le  cœur  de  l'homme?  Cherchez.  Il  n'y  a  que 
l'Eglise  qui  soit  capable  d'atteindre  les  âmes.  Elle 
en  a  la  prétention,  elle  en  a  le  pouvoir,  et  ce  pou- 
voir unique  et  merveilleux,  elle  l'exerce  tous  les 
jours.  Tous  les  jours  elle  agit  sur  l'âme  de  l'enfant, 
sur  l'âme  du  jeune  homme  et  de  la  jeune  fille,  sur 
l'âme  du  riche  et  du  pauvre,  sur  l'âme  du  père  et 
de  la  mère,  sur  l'âme  du  souffrant  et  du  pécheur, 
sur  l'âme  du  malade  et  du  mourant.  Elle  agit  sur 
l'esprit,  sur  la  volonté,  sur  le  cœur,  sur  le  fond 
même  de  l'âme  :  terre  vierge,  sol  sacré  où  germe  la 
loi  morale,  et  où  seulement  se  décident  les  grandes 
résolutions  et  les  généreux  desseins.  Vous  connais- 
sez sans  doute  la  parole  arrachée  à  Napoléon  Ier 
par  un  orgueil  jaloux  des  grandeurs  du  sacerdoce 
et  de  la  puissance  de  Pie  VII.  Il  disait  :  «  Moi,  je 
règne  sur  les  corps,  mais  lui,  il  règne  sur  les  âmes.  » 
Tel  est  en  effet  le  privilège  de  l'Eglise.  Elle  règne 
sur  les  âmes.  Elle  entre  dans  les  âmes  pour  y  exer- 
cer son   action  moralisatrice.  Elle  leur  apporte  la 


V 

LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  229 

lumière,  la  force,  la  consolation.  Elle  s'adresse  à 
la  liberté  humaine,  et  personne,  par  conséquent, 
n'est  forcé  de  subir  son  action.  Mais,  parce  qu'elle 
se  présente  et  qu'elle  parle  au  nom  du  ciel,  elle  a 
un  prestige,  une  autorité  qui  en  impose  à  la  cons- 
cience et  en  obtient  les  plus  sanglants  sacrifices. 
Oh!  partisans  de  la  morale  indépendante,  vous  me 
faites  sourire  quand  vous  vous  attaquez  à  la  volonté 
de  l'homme,  cette  cavale  indomptée  dont  parle 
quelque  part  Bossuet,  quand  vous  me  dites  que 
vous  allez  la  discipliner,  la  soumettre  au  joug  avec 
vos  préceptes  sans  base  et  sans  sanction!  La  cavale 
a  les  reins  trop  forts  et  les  jarrets  trop  vigoureux; 
elle  brise  vos  faibles  lacets,  et  elle  bondit  fière, 
hérissée,  sauvage.  Qui  donc  pourra  la  dompter? 
L'Eglise.  En  dehors  de  l'Eglise  je  vous  défie  de  me 
signaler  une  autre  puissance  au  monde  capable  de 
prendre  ma  volonté.  Elle  atteint  les  âmes. 


IL  L'Église  atteint  toutes  les  âmes» 

Est-ce  qu'il  y  a  des  nations  qui  lui  échappent,  qui 
ne  la  comprennent  pas  ou  qu'elle  désespère  de  pé- 
nétrer, d'instruire  et  de  moraliser?  Nullement.  La 
synagogue  n'était  faite  que  pour  le  peuple  juif, 
et  le  bruit  de  sa  voix  ne  dépassait  pas  le  Jourdain 
et  le  lac  de  Tibériade.  L'Église,  elle,  sort  de  la 
Judée,  et  voilà  qu'elle  s'adresse  aussitôt  aux  Grecs,, 


230  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

aux  Romains,  aux  Asiatiques,  aux  Gaulois,  aux 
Germains,'  aux  Anglo-Saxons.  Elle  emprunte  à 
chaque  peuple  sa  langue;  elle  les  traverse,  les  con- 
vertit, les  civilise,  les  moralise,  et,  sans  toucher  à 
leur  gouvernement  ni  à  leur  drapeau,  elle  s'établit 
chez  eux  et  au-dessus  d'eux  dans  une  sphère  calme 
et  sereine,  abordant  toutes  les  âmes  semées  sur  le 
globe,  prêchant  la  paix  parmi  les  divisions,  la  jus- 
tice parmi  les  injures,  l'amour  parmi  les  haines, 
la  charité  sur  toutes  les  plages,  le  ciel  sous  tous 
les  climats,  l'éternité  dans  tous  les  temps. 

Est-ce  qu'il  y  a  des  siècles  qui  lui  échappent,  qui 
ne  la  comprennent  pas,  ou  qu'elle  désespère  de  pé- 
nétrer, d'instruire  et  de  moraliser?  Nullement.  De 
siècle  en  siècle,  elle  court,  elle  vole,  elle  passe,  elle 
va  et  vient,  rangeant  sous  la  même  loi  morale  les 
Romains  du  siècle  d'Auguste,  les  Goths  d'Alaric, 
les  Francs  de  Clovis,  les  Lombards  d'Alboin,  les 
Hongrois  de  saint  Etienne,  les  Normands  de  Rollon 
et  de  Robert  Guiscard,  les  Incas  du  xvie  siècle  et 
les  Chinois,  les  Africains  du  xixe.  Elle  s'harmonise 
avec  chaque  peuple  sans  en  revêtir  le  caractère, 
avec  chaque  gouvernement  sans  en  épouser  les 
excès,  avec  chaque  siècle  sans  en  prendre  la 
couleur. 

Et  dans  chaque  nation  et  dans  chaque  siècle  est-ce 
qu'il  y  a  des  conditions  d'âge,  de  sexe  et  de  rang 
qui  lui  échappent,  qui  ne  la  comprennent  pas,  ou 
quelle  désespère  de  pénétrer,  d'instruire  et  de  mo- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  231 

•raliser?  Nullement.  Elle  a  desparoles  qui  éclairent, 
des  sacrements  qui  vivifient,  des  pardons  qui  re- 
lèvent, des  efficacite's  qui  transfigurent,  pour  les 
enfants  dont  la  raison  s'éveille  et  pour  les  vieil- 
lards dont  la  course  va  finir,  pour  la  jeune  fille  qui 
veut  rester  pure  et  pour  le  jeune  homme  blessé  par 
la  tentation ,  pour  l'épouse  dans  ses  responsabilités 
et  pour  la  mère  dans  ses  angoisses.  Elle  apprend 
au  roi  à  bien  user  de  son  pouvoir,  et  au  sujet  à 
rendre  à  César  ce  qui  est  à  César;  au  pauvre  à 
supporter  et  à  bénir  la  faim,  et  au  riche  à  prendre 
pitié  de  la  foule  et  à  multiplier  pour  elle  le  pain 
de  la  bonté.  Elle  apprend  au  savant  à  être  humble 
et  modeste  dans  sa  science  et  à  mettre  d'accord  sa 
vie  avec  ses  connaissances  en  enseignant  ce  qu'il 
fait  et  en  faisant  ce  qu'il  enseigne,  à  l'ignorant  à  se 
résigner  au  mépris  du  monde  et  à  faire  de  sa  peti- 
tesse le  marchepied  de  sa  grandeur  morale.  En  un 
mot,  elle  a  des  leçons  et  des  secours  pour  tous  les 
âges  de  la  vie  et  pour  toutes  les  conditions  sociales. 
Elle  atteint  toutes  les  âmes.  Elle  fait  encore  plus 
et  mieux. 


III.  L'Église  atteint  chaque  âme  en  particulier. 

C'est  là  une  puissance  qui  n'appartient  qu'à  elle, 
qu'on  ne  lui  pardonne  pas,  et  sur  laquelle  je  veux 
appeler  votre  attention. 


232  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Certes,  quand  une  parole  éloquente,  quand  une 
invitation  vibrante  à  la  vertu,  descend  de  la  chaire 
de  vérité  sur  un  auditoire  attentif,  nous  n'y  sommes 
point  insensibles,  et  parfois  nous  emportons  du 
saint  lieu  une  salutaire  blessure  au  cœur  qui  nous 
tourmente  et  qui  nous  sauve.  Mais  cela  n'est  pas 
suffisant.  L'Eglise  dans  la  chaire  parle  à  tout  le 
monde,  et  nous  avons  besoin  qu'on  nous  parle  à 
chacun  en  particulier.  L'Eglise  a  pourvu  à  ce 
besoin.  Elle  envoie  son  prêtre.  Le  voici. 

77  vient,  et  tenant  dans  ses  mains  le  code  de  la 
loi  morale,  il  en  fait  à  chacun  une  application  spé- 
ciale. Il  l'oppose  à  la  conscience  orgueilleuse  des 
grands  de  la  terre  pour  les  éclairer  et  les  confondre. 
Il  la  montre  à  l'enfant,  et  il  lui  apprend  à  former 
sur  cette  loi  sainte  les  scrupules  légitimes  d'une 
âme  encore  pure.  Il  réforme,  en  l'expliquant,  les 
fausses  idées  qu'un  jeune  homme  commençait  à 
concevoir  sur  l'honneur  et  sur  la  vertu.  Il  l'élève 
comme  une  barrière  infranchissable  entre  la  jeune 
fille  qui  va  glisser  sur  le  bord  de  l'abîme  et  le 
tentateur  qui  cherche  à  la  perdre.  Il  la  repasse 
article  par  article  au  lit  des  mourants,  et  par  cette 
revue  générale  de  toute  une  vie  il  appelle  l'aveu 
et  le  repentir  sur  toutes  les  fautes  oubliées.  Voici 
le  prêtre.  Il  vient  frapper  à  la  porte  de  chaque 
conscience. 

Il  entre.  Au  nom  du  scrutateur  suprême,  il  fait 
invasion  dans  mon  âme  et  dans  les  plus  intimes 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  233 

replis  de  mon  âme.  Que  de  choses,  Messieurs,  là, 
dans  notre  intérieur,  que  de  choses  cachées  et  qu'il 
est  nécessaire  pourtant  de  toucher  et  d'atteindre  ! 
0  penchants  dépravés,  inclinations  perverses* 
idoles  qu'on  ne  saurait  jamais  entièrement  dé- 
truire, comme  vous  vous  ressemblez  dans  tous  les 
cœurs  et  qu'il  importe  d'arrêter  vos  fureurs  !  Mais 
comment  vous  atteindre?  Vous  avez  pris  pour  asile 
le  fond  de  l'âme  humaine,  dieux  d'un  paganisme 
immortel;  vous  êtes  là  comme  dans  un  antre 
ténébreux,  au  seuil  duquel  viennent  expirer  toutes 
les  puissances  du  monde!  Je  sais  un  homme,  Mes- 
sieurs, mais  je  n'en  connais  qu'un,  qui  a  reçu 
grâce  et  mission  pour  ouvrir  la  porte  des  con- 
sciences et  pour  y  entrer  au  nom  du  Juge  éternel. 
Cet  homme,  c'est  le  prêtre  catholique,  et  il  est  seul 
de  son  espèce.  Il  fait  ce  que  personne  ne  veut  et 
ne.  peut  faire.  Il  vient,  il  entre, 

77  constate.  Les  anatomistes,  les  physiologistes, 
les  biologistes  dissèquent  le  corps  humain,  décrivent 
ses  organes,  analysent  ses  fonctions  et  se  glori- 
fient de  connaître  les  lois  en  vertu  desquelles  se 
produisent  les  phénomènes  de  la  vie  matérielle. 
Mais,  j'ose  le  dire,  le  prêtre  pénètre  plus  profondé- 
ment qu'eux  dans  le  mystère  de  notre  grande 
nature.  Il  va  jusqu'à  l'âme.  Il  constate  la  corrup- 
tion originelle  de  la  nature  et  ses  aggravations  par 
le  péché,  les  tendances  au  mal  et  les  aspirations.au' 
bien,  la  somme  de  mr.lice,  de  faiblesse  et  de  négli- 


/ 

234  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

gence  dont  on  doit  se  défier,  et  la  somme  de  bonne 
volonté  et  d'efforts  sur  laquelle  on  peut  compter. 
En  analysant  la  structure  et  les  actes  de  cette  âme 
humaine  si  petite  et  si  grande  en  même  temps,  il 
voit  d'où  viennent  les  maladies  morales,  quelles 
causes  les  engendrent  plus  ou  moins  prochaine- 
ment, à  quel  régime  spirituel  il  faut  soumettre  la 
conscience  malade  pour  la  fortifier  et  prévenir 
efficacement  le  retour  du  mal,  par  quels  conseils 
on  la  doit  soutenir,  par  quelles  oeuvres  de  retran- 
chement, de  combat  et  de  générosité  on  la  peut 
réparer.  Et,  après  avoir  ainsi  disséqué  l'organisme 
immatériel,  il  agit.  Il  vient,  il  entre,  il  constate. 

Et  enfin  il  gouverne  cette  âme  qui  lui  est  ouverte, 
stimulant  ses  lenteurs,  tempérant  ses  ardeurs 
indiscrètes,  la  relevant  dans  ses  découragements, 
entretenant  le  feu  sacré  de  ses  désirs  et  lui  mon- 
trant d'une  main  sûre  la  voie  qu'elle  doit  suivre  et 
le  but  qu'elle  doit  atteindre.  Il  calme  les  remords. 
Il  donne  le  pardon  divin.  Et  en  môme  temps  il 
indique  la  passion  naissante,  le  vice  caché,  la  fai- 
blesse inattentive,  il  attaque  le  mal  dans  ses  racines, 
il  en  signale  les  causes  et  les  remèdes.  En  un  mot, 
il  applique  la  loi  morale  là  où  elle  doit  être  appli- 
quée pour  porter  des  fruits,  c'est-à-dire  au  fond 
même  de  chaque  âme  humaine. 

—  Saint-Marc  Girardin  disait  un  jour  en  pleine 
Sorbonne  :    «    Supprimez    les    confessionnaux,    il 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  235 

vous  faudra  augmenter  le  nombre  des  prisons  et 
des  gendarmes.  »  C'est  vrai.  L'Eglise  est  la  seule 
puissance  moralisatrice  suffisante,  parce  que  seule 
elle  atteint  les  âmes,  toutes  les  âmes,  et  chaque 
âme  en  particulier!  Ah!  nos  ennemis  le  savent 
bien.  Ils  savent  que  notre  point  d'appui  est  dans 
les  âmes,  et  voilà  pourquoi  par  tous  les  moyens, 
par  les  lois,  par  la  presse,  par  la  ruse  et  par  la 
violence,  ils  voudraient  nous  ravir  les  âmes,  l'âme 
de  l'enfant,  l'âme  du  jeune  homme  et  de  la  jeune 
fille,  l'âme  de  l'épouse  et  de  la  mère,  l'âme  du  riche 
et  de  l'ouvrier,  l'âme  du  moribond.  Ils  n'y  arrive- 
ront pas.  Nous  leur  dirons  :  «  Prenez-nous  tout  ce 
que  vous  voudrez  et  tout  ce  que  vous  pourrez,  nos 
temples,  nos  vases  sacrés,  le  toit  qui  nous  abrite 
et  le  morceau  de  pain  qui  nous  nourrit.  Mais  les 
âmes  sont  à  nous,  et  nous  sommes  à  elles.  Pour 
elles  nous  vivons,  pour  elles  nous  sommes  prêts  à 
mourir!  » 

Ameji  ! 


NEUVIEME  CONFERENCE 


>o    ,  ' 


3°    L  ÉGLISE    SEULE    CONSOLE    LA    SOUFFRANCE 


Messieurs, 

r 

L'Eglise  est  la  seule  puissance  moralisatrice  suf- 
fisante parce  que  seule  elle  atteint  les  âmes,  toutes 
les  âmes,  chaque  âme  en  particulier,  et  j'ajoute, 
parce  que  seule  elle  console  la  souffrance.  Il  y  a 
dans  le  monde  un  agent  mystérieux  et  inévitable, 
c'est  la  souffrance,  et  si  la  souffrance  est  mal  com- 
prise et  mal  acceptée,  elle  est  essentiellement  dé- 
moralisatrice. Qui  donc  nous  expliquera  la  souf- 
france? Qui  nous  la  rendra  tolérable?  Qui  ira 
même  jusqu'à  la  rendre  sainte  et  féconde?  Qui? 
L'Église  catholique. 


I.  Constatons  le  fait  de  la  souffrance. 

L'homme  souffre  dans  son  corps  et  dans  son  âme. 
Son  pauvre  corps  est  en  proie  à  la  douleur 
physique,  à  la  langueur,  aux  maladies,  à  des  maux 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  237 

incurables;  tantôt  il  succombe  sous  le  poids  des 
forces  adverses  qui  le  pressent  de  toutes  parts,  et 
tantôt  il  est  sourdement  dévoré  par  la  force  invi- 
sible dont  il  est  l'instrument,  par  l'âme  sa  com- 
pagne. La  lame  use  le  fourreau.  Et  en  même  temps 
qu'elle  entre  en  communauté  de  maux  avec  la  ma- 
tière qu'elle  anime,  la  pauvre  âme  humaine  reçoit 
des  coups  qu'elle  seule  peut  porter  :  l'incertitude 
de  l'avenir,  l'honneur  changé  en  opprobre  par  les 
caprices  de  la  fortune  ou  la  malice  des  hommes, 
les  espérances  qui  s'écroulent  comme  un  édifice 
ruiné,  les  affections  que  brisent  l'ingratitude  ou  la 
mort,  le  délaissement,  la  solitude...  autant  de 
maux  qu'accroît  en  nous  la  faculté  que  nous  avons 
de  nous  souvenir  du  passé  et  de  prévoir  l'avenir, 
et  la  faculté  non  moins  terrible  de  nous  créer  des 
maux  imaginaires,  quand  nous  manquons  de  maux 
réels. 

Nous  souffrons  tous.  Il  n'y  a  pas  d'exception. 
Que  de  fois,  hélas  !  j'ai  entendu  au  fond  de  mon 
âme  des  cris  lamentables.  Et  si  dans  ce  moment  je 
m'arrêtais  pour  écouter  la  voix  secrète  de  vos 
cœurs,  chacun  de  vous  me  dirait  :  C'est  vrai,  j'ai 
souffert,  je  souffre,  j'attends  la  souffrance  !  Je  vous 
devine.  Vous  me  dites  :  Mais  le  riche,  lui,  n'est 
pas  malheureux!  Pardon.  Il  y  a  des  douleurs  en 
haut,  en  bas,  et  en  haut  plus  quelquefois  qu'en 
bas.  Il  y  en  a  dans  l'atelier  du  pauvre  et  dans  le 
salon  du  riche.  Il  y  en  a  sous  la  pourpre,  et  il  y  en 


238  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

a  sous  la  bure.  On  peut  murmurer  contre  le  fait 
de  la  souffrance,  on  ne  peut  pas  le  supprimer,  on 
peut  maudire  le  joug,  on  ne  peut  pas  l'arracher  de 
ses  épaules. 

Ajoutez  à  cela  que  la  presque  totalité  des  hommes 
gémit  et  succombe  sous  l'écrasant  fardeau  du  tra- 
vail et  des  privations.  Voyez  tout  ce  peuple  qui 
gagne  son  pain  à  la  sueur  de  ses  membres,  et  qui 
creuse  un  pénible  sillon  en  l'arrosant  de  ses  larmes. 
Il  rabote,  il  cloue,  il  laboure  la  terre,  il  forge  le  fer. 
Il  étouffe  dans  les  vastes  usines,  il  s'épuise  sous  la 
pluie  ou  le  soleil  des  vastes  campagnes.  Et  dans  ce 
grand  corps  du  monde  qui  travaille  manuellement, 
il  y  a  des  membres  qui  souffrent  davantage  :  les 
enfants,  les  malades,  les  délais^'.s,  les  pauvres. 

Enfin  aux  épreuves  multiples  de  la  vie  il  faut 
joindre  les  séparations  nécessaires  de  la  ?nort. Uen- 
fant  à  son  entrée  dans  l'existence  s'imagine  qu'il 
va  marcher  jusqu'au  sommet  de  l'âge  en  nom- 
breuse compagnie.  Mais,  à  mesure  qu'il  avance,  il 
s'aperçoit  que  la  solitude  augmente  autour  de  lui. 
Il  marche  sur  le  sentier  tortueux  et,  arrivé  à  mi- 
côte,  il  se  trouve  seul  ou  presque  seul.  Ma  mère,  où 
etes-vous?  Mon  père,  qu'ôtes-vous  devenu?  Frères 
bien-aimés,  je  vous  cherche.  Tendres  sœurs,  je  ne 
vous  vois  plus.  Amis  d'enfance,  vous  m'avez  donc 
quitté?  Oui,  la  mort  a  moissonné  tout  cela.  La  mort 
nous  prend  nos  amis,  nos  parents,  et,  meurtris  par 
des  séparations  nécessaires,  nous  allons  pleurer  sur 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  239 

dos  sépulcres,  où  dort  la  cendre  à  tout  jamais 
éteinte  de  nos  meilleures  affections.  L'humanité 
souffre.  Elle  a  besoin  de  consolation.  Voilà  le  fait. 


II.  Qu'avez-vous  a  dire  et  à  donner  pour  conso- 
ler la  souffrance  ? 

Qu'allez-vous  dire  à  cet  homme  qui  est  brisé  et 
qui  souffre? 

Vous  lui  dites  :  Voilà  les  biens  du  monde,  plai- 
sirs, honneurs,  richesses  :  prends  et  jouis!  C'est 
facile  à  dire,  mais  ce  n'est  pas  sérieux,  car  des 
plaisirs,  des  honneurs  et  des  richesses  il  n'y  en  a 
pas  pour  tout  le  monde;  l'immense  majorité  des 
hommes  sont  condamnés  à  végéter  dans  les  priva- 
tions et  à  descendre  inaperçus  dans  la  tombe.  Et 
puis  qu'est-ce  que  le  plaisir,  la  fortune  et  la 
gloire  peuvent  apporter  de  consolation  au  cœur 
d'une  mère  qui  a  vu  la  pâle  mort  enlever  sous  ses 
yeux  ses  enfants  chéris?  Si  vous  vous  placez  en 
dehors  de  l'idée  religieuse,  qu'allez-vous  donc  dire 
à  ces  hommes  qui  souffrent? 

Vous  leur  dites  :  Instruisez-vous!  voyez  dans 
quel  siècle  vous  vivez,  siècle  de  progrès,  d'amélio- 
ration matérielle,  de  magnifiques  découvertes!  — 
Messieurs,  tout  cela  est  admirable,  mais  veuillez 
remarquer  qu'en  disant  à  quelqu'un  qui  souffre 
qu'il  vit  dans  un  siècle  de  progrès,  vous  ne  séchez 


2iO  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

pas  une  seule  de  ses  larmes,  vous  ne  cicatrisez  pas 
la  moindre  blessure  de  son  cœur  meurtri.  Enten- 
dez-le vous  répondre  :  Il  y  a  plus  d'heureux  qu'au- 
trefois, c'est  possible.  Mais  qu'est-ce  que  cela  me 
fait  puisque  je  ne  suis  pas  du  nombre?  Il  y  a  là  sur 
le  chemin  de  la  vie  tout  un  peuple,  que.dis-je?  un 
genre  humain  tout  entier  qui  souffre  et  qui  réclame 
la  consolation.  Qu'avez-vous  à  lui  dire? 

Vous  lui  dites  :  Patience!  Résignez-vous!  Com- 
ment? voilà  tout  ce  que  vous  avez  à  lui  dire?  Il 
faut  qu'il  se  résigne?  Mais  de  quel  droit  voulez- 
vous  qu'il  se  résigne?  Oh!  si  au  moins  vous  lui 
disiez  qu'après  s'être  résigné  toute  sa  vie  il  aura 
une  belle  récompense;  si,  pour  comprimer  la  ré- 
volte de  son  cœur,  vous  lui  disiez  qu'il  y  aura  un 
châtiment  pour  celui  qui  n'aura  pas  su  souffrir  ; 
si,  pour  adoucir  sa  peine,  vous  lui  disiez  qu'il  y  a 
tout  près  de  lui  un  Dieu  très  puissant  et  infini- 
ment bon,  un  Dieu  assez  bon  pour  l'entendre  et 
assez  puissant  pour  le  secourir,  et  que  ce  Dieu  il 
peut  le  prier,  lui  parler,  l'importuner  du  récit  de 
ses  misères,  lui  demander  des  faveurs,  lui  dire 
avec  la  certitude  d'être  entendu  et  l'espérance 
d'être  exaucé  :  mon  Dieu,  je  vous  en  prie,  proté- 
gez-moi !  Ah  !  si  du  moins  vous  lui  disiez  qu'entre 
Dieu  et  lui,  entre  Dieu  si  grand  et  lui  si  petit,  il  y 
a  des  intermédiaires  accommodés  à  sa  faiblesse  et 
à'ses  misères  :  Jésus,  Marie,  Joseph,  les  anges,  les 
saints,  et  puis  le  prêtre,  c'est-à-dire  un  homme  à 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  2 il 

qui  il  puisse  dire  ses  souffrances,  raconter  sa  vie 
et  confier  son  âme,  son  âme  travaillée  par  mille 
inquiétudes,  assaillie  de  mille  scrupules;  ah!  si 
vous  lui  disiez  tout  cela,  si  vous  lui  parliez  de 
Dieu,  du  ciel,  de  la  prière,  du  prêtre...  cela  le  sou- 
lagerait peut-être.  Mais  non,  vous  lui  dites  :  Pa- 
tience! Résignez-vous!  Parole  sèche,  triste, cruelle, 
sans  entrailles  !  —  Il  y  a  ici-bas  toute  une  huma- 
nité qui  gémit  et  qui  souffre,  et,  quand  on  a  ravagé 
dans  l'âme  de  cette  humanité  les  croyances,  et  dans 
sa  vie  les  habitudes  religieuses,  on  vient  lui  dire  : 
Prends  patience!  résigne-toi!  Non,  cela  n'est  pas 
sérieux.  C'est  une  dérision,  et  une  dérision  si- 
nistre. ' 

Messieurs,  l'humanité  souffre,  et,  si  vous  ne  la 
consolez  pas,  elle  marche  fatalement  au  désespoir, 
au  blasphème,  à  la  démoralisation.  Qu'avez-vous  à 
lui  donner  pour  la  consoler,  pour  la  soulager,  pour 
apaiser  les  tempêtes  de  son  esprit  et  soigner  les 
plaies  vives  de  son  cœur? En  dehors  de  l'idée  reli- 
gieuse, je  vous  défie  de  trouver  un  remède  sérieux 
à  la  douleur.  C'est  ici  qu'apparaît  la  mission  splen- 
dide,  la  puissance  merveilleuse  de  l'Eglise  catho- 
lique. 


III.  L'Église  seule  console  la  souffrance. 

Elle  ne  supprime  pas  la  souffrance,  mais  d'abord 

LES   BIENFAITS    DE   L'ÉGLISE.    —   1-16 


242  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

elle  l'explique.  Elle  va  vers  l'humanité  gémissante 
non  pour  la  flatter,  mais  pour  l'instruire,  non  pour 
la  repaître  de  chimères  et  d'utopies,  mais  pour 
lui  donner  des  réalités,  pour  lui  dire  :  «  0  homme 
souffrant  et  meurtri,  écoute.  Il  y  a  un  Dieu  per- 
sonnel et  agissant,  qui  s'occupe  de  tout,  qui  gou- 
verne tout,  qui  s'intéresse  à  tout,  même  aux  plus 
humbles  détails  de  ta  vie,  puisqu'il  ne  tombe  pas 
un  cheveu  de  ta  tête  sans  sa  permission.  Ce  Dieu  t'a 
créé  pour  le  connaître,  l'aimer,  le  servir  et  par  ce 
moyen  obtenir  la  vie  éternelle.  »  Et  alors  cet 
homme  relevant  sa  tête  fatiguée  dit  :  «  Je  souffre  ! 
Je  souffre  dans  mon  corps,  dans  mon  âme,  dans 
ma  famille  !  »  Et  la  religion  lui  répond  :  «  Cette 
souffrance  t'a  été  donnée  comme  épreuve  ;  il  faut 
lutter.  Elle  a  sans  doute  sa  raison  d'être  dans  les 
fautes  du  passé  ;  il  faut  t'humilier.  Elle  aura  sa 
compensation  dans  l'avenir  ;  il  faut  espérer.  Il  faut 
souffrir  avec  patience,  humilité,  espérance,  en 
regardant  Dieu  qui  vous  voit,  vous  attend  et  vous 
récompensera.  » 

Et,  si  cette  doctrine  paraît  austère,  et  elle  l'est 
en  effet,  l'Eglise  pour  la  faire  accepter  tient  en  ré- 
serve de  puissants  moyens.  Avec  la  lumière  qui 
explique  la  douleur,  elle  offre  à  ceux  qui  souffrent 
des  exemples  qui  la  rendent  supportable.  Sous  les 
yeux  de  l'humanité  gémissante,  elle  étale  la  chaîne 
indéfinie  des  saints,  nos  frères,  nos  modèles  et  nos 
intercesseurs  :  Marie,  la  mère  des  douleurs,  Joseph, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  243 

l'artisan  de  Nazareth,  les  apôtres,  les  martyrs  et 
les  vierges...  immense  armée  de  créatures  hu- 
maines qui  nous  ont  devancés  dans  l'épreuve  et 
qui  nous  attendent  dans  la  gloire,  qui  sont  à  l'hon- 
neur après  avoir  été  à  la  peine.  L'Eglise  fait  mieux 
encore.  Sous  les  yeux  de  l'humanité  gémissante 
elle  étale  la  sanglante  image  du  divin  Crucifié. 
Elle  vient  au  devant  de  la  souffrance,  non  pas  avec 
de  belles  phrases,  mais  avec  une  croix  nue  et  sur 
cette  croix  il  y  a  un  Dieu  !  Elle  ne  dit  qu'un  mot  : 
Regarde.  Et  c'est  fait.  Avec  des  infortunes  elle  fait 
des  bienheureux.  Elle  embaume  la  souffrance,  elle 
la  rend  supportable,  quelquefois  délicieuse,  en  la 
plaçant  sous  le  doux  rayonnement  de  la  Croix.  Ah  ! 
Messieurs,  vous  entendez  parler  à  chaque  instant 
de  la  question  sociale.  Qu'est-ce  donc  que  la  ques- 
tion sociale?  C'est  tout  simplement  le  problème  de 
la  douleur  qui  n'est  pas  résolu.  Il  y  a  dans  le  monde 
des  masses  de  gens  qui  souffrent  et  qui  ne  sont  pas 
consolés,  et  qui,  n'étant  pas  consolés,  poussent  des 
cris  de  haine  et  rugissent  sous  le  fouet  de  la  dou- 
leur... Voilà  toute  la  question  sociale.  Pour  la  ré- 
soudre>  bon  gré  malgré,  il  faut  aller  à  l'Eglise,  qui 
seule  au  monde  est  capable  de  nous  donner  la 
parole  de  vérité  qui  explique  la  souffrance,  les 
exemples  qui  la  rendent  supportable. 

Et  les  services  qui  la  diminuent.  Il  y  a  ici  tant  à 
dire  que  je  ne  dirai  qu'un  mot.  L'Eglise  offre  à  la 
douleur  des  services  dévoués  et  incessants.  Cela 


24'*  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

est  si  vrai  que,  quand  il  y  a  une  douleur  quelque 
part,  c'est  presque  toujours  auprès  de  la  religion 
de  Jésus-Christ  qu'elle  va  d'abord  et  d'instinct  se 
réfugier.  Que  ne  fait-on  pas  en  ce  siècle  pour  en- 
lever au  peuple  l'amour  du  prêtre?  Eh  bien!  malgré 
ces  efforts  sataniques,  le  peuple  reste  attaché  à  son 
clergé.  Dans  ses  tristesses  et  dans  ses  larmes  il 
prend  le  chemin  qui  mène  à  nos  demeures  ;  il 
vient  verser  son  âme  dans  la  nôtre  ;  et  dans  chaque 
paroisse  le  presbytère  est  encore  la  maison  la  plus 
hospitalière,  la  plus  aimée,  la  plus  fréquentée. 
L'homme  qui  souffre  sait  parfaitement  où  sont 
ses  vrais  amis,  et  il  va  les  chercher  dans  le  sein 
de  TEglise  catholique. 

L'Eglise  seule  console  l'humanité  au  milieu  des 
épreuves  de  la  vie,  et  en  présence  de  la  mort  c'es* 
elle  encore,  et  elle  seule  qui  vient  à  notre  secours, 
soit  que  nous  perdions  ceux  que  nous  aimons,  soit 
que  nous-mêmes  soyons  saisis  par  le  trépas.  L'in- 
crédulité n'a  à  nous  offrir  que  des  paroles  de 
néant  et  de  désespoir,  et  la  philosophie  hésitante  et 
troublée  s'avoue  impuissante  à  nous  dire  le  secret 
de  la  mort.  L'Eglise,  elle,  parlant  au  nom  du  ciel, 
vient  calmer  nos  anxiétés.  Elle  nous  annonce  que 
nos  trépassés  sont  vivants,  que  nous  pouvons  les 
soulager,  que  nous  les  retrouverons  un  jour.  Mes- 
sieurs, il  y  a  des  gens  qui  ne  veulent  croire  ni  à 
Dieu,  ni  à  Jésus-Christ,  ni  à  aucun  de  nos  mystères. 
Mais  ils  sont  bien  forcés  de  croire  à  la  mort  de  leur 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  245 

père,  de  leur  mère,  de  leurs  enfants.  Alors  la  religion 
chrétienne  vient  murmurer  à  leurs  oreilles  ses  pa- 
roles de  vie  et  d'immortalité.  Pendant  que  le  vide  se 
fait  autour  d'eux  et  que  le  monde  n'a  plus  rien  à 
leur  dire,  la  religion  chrétienne  leur  montre  le  ciel, 
et  tout  bas  ils  avouent  qu'elle  est  vraiment  divine, 
puisque  seule  elle  a  le  secret  de  la  consolation. 

Et  non  seulement  l'Église  nous  console  de  la 
mort  de  nos  proches,  mais  elle  embaume  encore 
et  elle  transfigure  notre  propre  mort.  Lorsque,  en 
1815,'  le  maréchal  Ney  fut  condamné  à  mort,  un 
soldat  lai  dit  :  «  Maréchal,  est-ce  que  vous  ne  de- 
mandez pas  un  prêtre?  »  —  «  Non,  dit  le  maréchal 
Ney,  je  ne  connais  pas  ces  gens-là.  »  —  «  Vous 
avez  tort,  maréchal,  reprit  le  soldat;  il  me  semble 
qu'au  point  où  vous  en  êtes  vous  devriez  mettre 
ordre  à  votre  conscience,  car  vous  allez  bientôt  pa- 
raître devant  Dieu.  Voulez-vous  que  les  deux  jeunes 
orphelins  que  vous  laissez  disent  de  leur  glo- 
rieux père  qu'il  meurt  en  païen?»  Cette  parole 
loyale  et  chrétienne  toucha  le  maréchal.  Il  se  re- 
dressa et  répondit  les  yeux  en  larmes  :  «  Vous  avez 
raison,  mon  ami.. Il  ne  suffit  pas  d'avoir  promené  à 
travers  le  monde  les  vaillantes  armées  de  la  France, 
mais  il  faut  encore  mourir  en  honnête  homme  !  » 
Un  prêtre  vint  de  Saint-Sulpice.  Le  maréchal  s'en- 
tretint une  heure  avec  lui,  et  quand  le  moment 
fatal  fut  venu  et  qu'il  fallut  monter  en  voiture  : 
«  Merci,  monsieur  l'abbé,  dit  Ney,  au  prêtre,  vous 


246  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ni  avez  consolé  !  Montez  le  premier,  je  serai  avant 
vous  là-haut!  »  Quelques  instants  plus  tard,  une 
voix  sonore  retentissait  dans  le  parc  du  Luxem- 
bourg :  «  Soldats,  frappez  au  cœur  !  »  Et  l'immortel 
héros  de  la  Moscowa  et  du  Mont-Saint-Jean  tom- 
bait percé  de  douze  balles.  Il  était  mort  consolé  et 
chrétien. 

—  L'Eglise  seule  console  la  souffrance.  «  Aussi, 
puis-je  conclure  avec  Thiers,  tandis  que  le  paga- 
nisme n'a  pu  supporter  un  moment  l'examen  de 
la  raison  humaine,  le  christianisme  dure  après 
que  Descartes  a  posé  le  fondement  de  la  certitude, 
après  que  Galilée  a  découvert  le  mouvement  de  la 
terre,  après  que  Newton  a  découvert  l'attraction, 
après  que  Voltaire  et  Rousseau  ont  renversé  les 
trônes.  Et  tous  les  politiques  sages  souhaitent  qu'il 
dure...  »  Et  une  autre  fois  à  la  tribune  française 
le  même  homme  s'écriait  :  «  Si  j'avais  dans  mes 
mains  les  trésors  de  la  foi,  je  les  ouvrirais  sur  mon 
pays  !  »  Prêtre  de  Jésus-Christ,  je  vous  présente  ce 
trésor  de  la  foi  et  je  l'offre  à  vos  âmes  fatiguées  et 
à  vos  cœurs  meurtris.  Qui  que  vous  soyez,  vous 
avez  souffert,  vous  souffrez,  ou  vous  souffrirez  de- 
main :  l'Eglise  seule  est  capable  de  vous  consoler. 
Venez  à  elle  1 

Amm! 


DIXIEME  CONFÉRENCE 

L'Église    et    le    progrès    moral 


Messieurs, 

J'achève  aujourd'hui  le  second  chapitre  de  notre 
étude  sur  les  bienfaits  de  l'Eglise.  L'Eglise  est  une 
grande  puissance  intellectuelle,  et  nous  avons  cons- 
taté son  influence  dans  l'ordre  des  lettres,  des 
sciences,  des  arts  et  de  l'enseignement.  L'Église  est 
une  grande  puissance  moralisatrice  et  la  seule  puis- 
sance moralisatrice  suffisante.  Je  n'ai  plus  qu'un 
mot  à  dire  sur  ce  sujet.  Dans  le  passé,  dans  le  pré- 
sent et  dans  l'avenir,  l'Eglise  a  été,  est  et  sera  la 
mère  et  la  gardienne  du  progrès  moral. 


I.  Dans  le  passé,  l'Église  a  été  la  mère  et  la  gar- 
dienne du  progrès  moral. 

Pouvait-il  en  être  autrement?  Elle  possède  et  elle 
garde  inviolablement  le  code  complet  et  détaillé  de 
la  loi  morale.  Cette  loi  éternelle  que  Dieu  a  gravée 


2*8  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

dans  la  conscience,  avant  de  la  graver  dans  les 
livres,  à  qui  a-t-elle  été  confiée  sinon  à  l'Église 
catholique?  Mais  parce  que  la  loi  morale  est  dure 
à  la  nature  et  difficile  à  observer,  l'Eglise  présente 
à  la  faible  humanité  les  motifs  déterminants  et 
impérieux  qui  poussent  à  la  fuite  du  mal  et  à  la 
pratique  du  bien.  Elle  nous  dit  que  la  morale  est 
l'expression  de  la  volonté  de  Dieu,  que  c'est  Dieu 
qui  nous  commande  d'être  purs,  d'être  justes,  d'être 
probes,  d'aimer  nos  frères  ;  elle  nous  montre  la 
récompense  et  les  châtiments  de  la  vie  future,  non 
pour  donner  à  l'accomplissement  de  la  loi  morale 
un  caractère  intéressé  ,qui  lui  ferait  perdre  son 
principal  mérite,  mais  pour  soutenir  la  volonté 
contre  ses  propres  défaillances,  en  alliant  à  l'idée 
de  la  perfection  celle  du  bonheur.  Et  puis  à  ces 
puissants  motifs  qui  poussent,  l'Eglise  ajoute  des 
exemples  qui  entraînent.  Elle  suspend  devant  nos 
yeux  l'image  du  divin  Crucifié,  en  qui  la  loi  morale 
a  trouvé  sa  personnification  la  plus  auguste,  et, 
au  lieu  de  préceptes  abstraits  et  de  sentences  em- 
phatiques, elle  nous  offre  le  précepte  simple,,  vivant, 
palpable  en  quelque  sorte  dans  les  exemples  de  cet 
Homme-Dieu  qui,  après  avoir  été  le  type  le  plus 
achevé  de  la  vertu  sur  la  terre,  en  a  été  le  martyr. 
Et  si  tout  cela  ne  suffit  pas,  l'Eglise  a  encore  autre 
chose  à  nous  donner  :  elle  nous  apporte  le  secours 
d'en  haut,  la  force  divine,  la  grâce  qu'on  obtient  par  la 
prière  et  qui  se  puise  dans  les  sacrements.  Elle  nous 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  249 

conduit  au  pied  du  prêtre  et  devant  les  autels  ;  elle 
nous  arrache  l'aveu  de  nos  fautes  et  les  larmes  expia- 
trices  qui  les  rachètent;  elle  nous  nourrit  de  la 
chair  et  nous  abreuve  du  sang  du  Christ  ;  elle  nous 
rend  une  conscience  régénérée  et  une  volonté  raf- 
fermie pour  affronter  de  nouveau  les  luttes  qu'il 
faut  sans  cesse  recommencer  ici-bas.  Avec  de  tels 
moyens,  comment  l'Eglise  eût-elle  été  stérile  et  im- 
puissante pour  la  conquête  de  la  perfection  morale? 
Elle  ne  l'a  pas  été. 

Depuis  dix-neuf  siècles  l'Eglise  moralise  l'huma- 
nité. Le  fait  est  impossible  à  nier.  Les  ennemis  de 
l'Eglise  eux-mêmes  sont  obligés  de  le  reconnaître 
et  de  le  constater.  Ecoutez  là-dessus  Taine,  qui 
fut  un  incrédule,  mais  qui  ne  fut  pas  un  imposteur: 
«  Aujourd'hui,  dit-il,  après  dix-neuf  siècles,  le  chris- 
tianisme est  encore  l'agent  spirituel  le  plus  puis- 
sant, la  grande  paire  d'ailes  indispensables  pour 
soulever  l'homme  au-dessus  de  la  vie  rampante  et 
de  ses  horizons  bornés,  pour  le  conduire  à  travers 
la  patience,  la  résignation  et  l'espérance,  jusqu'à 
la  sérénité,  pour  l'emporter  par  delà  la  tempérance, 
la  pureté,  la  bonté,  jusqu'au  dévouement  et  au 
sacrifice.  Toujours  et  partout  depuis  dix-neuf  cents 
ans,  sitôt  que  ces  ailes  défaillent  ou  qu'on  les 
casse,  les  mœurs  publiques  et  privées  se  dégradent. 
En  Italie,  pendant  la  Renaissance,  en  Angleterre 
sous  la  Restauration,  en  France  sous  la  Convention 
et  le  Directoire,  on   a  vu  l'homme  se  faire  païen 


250  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

comme  au  ier  siècle;  du  même  coup,  il  se  retrou- 
vait tel  qu'au  temps  d'Auguste  et  de  Tibère,  c'est- 
à-dire  voluptueux  et  dur;  il  abusait  des  autres  et 
de  lui-même;  l'égoïsme  brutal  et  calculateur  avait 
repris  l'ascendant,  la  cruauté  et  la  sensualité  s'éta- 
laient, la  société  devenait  un  coupe-gorge  et  un 
mauvais  lieu.  Quand  on  s'est  donné  ce  spectacle,  et 
de  près,  on  peut  évaluer  l'apport  du  Christianisme 
dans  nos  sociétés  modernes,  ce  qu'il  y  a  introduit 
de  pudeur,  de  douceur  et  d'humanité,  ce  qu'il  y 
maintient  d'honnêteté,  de  foi  et  de  justice.  Ni  la 
raison  philosophique,  ni  la  culture  artistique  et 
littéraire,  ni  même  l'honneur  féodal,  militaire  et 
chevaleresque,  ou  un  code,  ou  une  administration, 
ou  un  gouvernement  ne  suffit  à  le  suppléer  dans  ce 
service.  Il  n'y  a  que  lui  pour  nous  retenir  sur  notre 
pente  fatale,  pour  enrayer  le  glissement  insensible 
par  lequel  incessamment  et  de  tout  son  poids  ori- 
ginel notre  race  rétrograde  vers  ses  bas-fonds,  et 
le  vieil  Evangile  est  encore  aujourd'hui  le  meilleur 
auxiliaire  de  l'intérêt  social.  »  Il  est  difficile,  Mes- 
sieurs, d'avouer  plus  franchement  et  plus  éloquem- 
ment  l'influence  moralisatrice  de  l'Église  depuis 
dix-neuf  siècles.  Car  ce  vieil  Evangile,  dont  on 
reconnaît  la  puissance  et  la  fécondité,  qui  le  garde, 
qui  l'explique,  qui  en  a  fait  le  code  des  nations  civili- 
sées, qui  l'a  infusé  dans  l'âme  et  dans  le  sang  de  la 
chrétienté?  Qui,  sinon  l'Eglise  catholique?  Et  ce  que 
l'Église  a  fait  jadis  elle  le  fait  encore  aujourd'hui. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  2oi 

II.  Dans  le  présent  l'Église  est  la  mère  et  lo. 
gardienne  du  progrès  moral. 

C'est  facile  à  voir.  Contemplez  un  peu  les  peuples 
qui  abandonnent  les  salutaires  prescriptions  de 
l'Église.  Ils  retombent  dans  la  barbarie.  Voyez  ce 
qui  se  passe  aujourd'hui  dans  la  Grèce,  en  Turquie, 
au  nord  de  l'Afrique.  Autrefois  ces  pays  étaient  le 
théâtre  d'une  civilisation  intellectuelle  et  morale 
très  avancée.  Aujourd'hui  ces  peuples  sont  en 
pleine  décadence.  L'Eglise  n'est  plus  là,  et  ils 
meurent  de  son  absence.  Il  est  vrai  que,  même  sous 
le  régime  de  l'Eglise  catholique,  nous  voyons  cer- 
tains peuples  méridionaux  se  mettre  à  l'aise  avec 
la  morale  et  se  laisser  aller  à  des  désordres,  à  des 
licences  qui  nous  étonnent  et  nous  scandalisent. 
Réfléchissons  un  peu.  Que  serait-ce  donc  si  ces 
mêmes  peuples  méridionaux,  déjà  imparfaits  mal- 
gré l'influence  de  l'Eglise,  en  étaient  subitement 
privés?  Ils  seraient  cent  fois  pires,  ils  tomberaient 
au  niveau  des  sensuels  et  féroces  Musulmans. 

D'ailleurs  à  quoi  bon  aller  chercher  loin  la  dé- 
monstration contemporaine  de  l'action  moralisatrice 
de  l'Eglise  !  Voyez  tout  près  de  vous  ces  villes,  ces 
villages  où  l'on  fait  profession  d'impiété,  où  l'on 
rencontre  des  hommes  qui  se  moquent  superbement 
de  ceux  qui  vont  à  la  messe,  de  ceux  qui  rem- 
plissent leurs  devoirs    de  catholiques.  Est-ce  que 


2o2  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

dans  ces  villes  et  dans  ces  villages  qui  se  vantent 
d'être  en  progrès,  la  moralité  est  bien  grande  ?Res- 
pecte-t-on  beaucoup  le  bien  et  la  réputation  du 
prochain?  Respecte-t-on  la  morale  naturelle?  Non. 
La  corruption  la  plus  effrénée  s'y  étale  publique- 
ment. Ces  hommes  impies,  ces  femmes  dévergon- 
dées qui  nous  accusent,  nous  catholiques,  d'être  en 
retard,  oh!  ils  ont  bien  progressé,  eux,  et  ils  sont 
vraiment  très  avancés,  non  pas  du  côté  de  la 
vertu,  mais  du  côté  du  vice.  Ils  dédaignent  les 
sept  sacrements,  mais  en  revanche  ils  cultivent 
soigneusement  les  sept  péchés  capitaux.  Voilà  leur 
progrès.  Qu'en  pensez-vous?  Le  progrès  des  impies 
m'inquiète,  et  j'ai  résolu  de  donner  ma  préférence 
au  progrès  par  l'Eglise  et  avec  l'Eglisn.  Ecoutez 
ici  une  parole  de  Michelet,  elle  est  significative  : 
«  Nous  pouvons  nous  enorgueillir  à  bon  droit,  dit- 
il,  de  tant  de  progrès  accomplis,  et  cependant  le 
cœur  se  serre,  quand  on  voit  que  dans  ce  progrès 
de  toutes  choses  la  force  morale  n'est  point  aug- 
mentée. »  La  force  morale  n'est  point  augmentée. 
Pourquoi?  parce  que  nous  sommes  devenus  moins 
chrétiens  et  moins  catholiques  que  ne  l'étaient 
nos  pères,  parce  que  l'Eglise  n'est  point  respectée 
et  obéie.  La  diminution  de  l'influence  de  l'Eglise 
dans  notre  siècle  est  la  mesure  exacte,  mathéma- 
tique de  la  diminution  de  la  force  morale.  Les 
hommes  de  ce  temps  peuvent  mépriser  l'Eglise,  la 
persécuter,  l'exiler,  essayer  de  l'anéantir,   ils  ne 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  253 

peuvent  pas  s'en  passer.  La  démoralisation  est  le 
châtiment  de  leur  impiété.  Dès  qu'ils  échappent 
aux  étreintes  du  catholicisme,  ils  tombent  dans  la 
poussière  et  dans  la  fange.  Aujourd'hui  comme 
hier,  l'Eglise  est  la  mère  et  la  gardienne  du  progrès 
moral.  Et  n'en  doutez  pas,  ce  sera  demain  comme 
aujourd'hui  et  comme  hier. 


III.  Dans   Y  avenir,  YÈglise  sera  la  mère  et  la 

gardienne  du  progrès  moral. 

Vous  annoncez  pour  l'avenir  d'immenses  progrès 
matériels.  Or,  plus  nos  progrès  matériels  seront 
intenses,  et  plus  nous  aurons  besoin  de  l'Eglise 
catholique.  Pourquoi?  parce  que  l'Eglise  catholique 
nous  fait  vivre  de  la  pensée.  Elle  est  la  religion 
spirituelle  par  excellence,  et  par  conséquent  elle  est 
le  refuge  contre  le  mal  et  le  contrepoids  nécessaire 
au  développement  de  nos  futurs  progrès  matériels. 
Vous  étalez,  et  demain  vous  étalerez  davantage 
encore  devant  moi  les  splendeurs  du  luxe,  1  appât 
des  plaisirs,  les  séductions  de  l'or  et  de  l'argent, 
les  enivrements  de  la  beauté,  toutes  les  formes  les 
plus  inédites  et  les  plus  captivantes  de  la  jouissance 
Je  risque  d'être  ébloui  par  tant  d'attraits,  fasciné 
par  tant  de  promesses,  pris  de  vertige,- vaincu. 
Non.  Soulevé  par  l'Eglise,  instruit,  averti,  menacé 
et  stimulé  par  elle,  je  prends  mon  vol,  je  monte 


254  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

dans  la  lumière,  je  plane  au-dessus  de  la  matière. 
J'allais  être  envahi  par  la  vie  matérielle.  L'Église 
m'emporte  plus  haut,  dans  l'azur  de  la  vie  morale. 
Telle  sera  l'histoire  de  demain.  Sinon,  attendons- 
nous  à  toutes  les  décadences  et  aux  derniers  abais- 
sements. Le  progrès  matériel  nous  perdra,  si 
l'Eglise  n'est  pas  là  pour  maintenir  et  pour  exalter 
le  progrès  moral. 

Et  puis,  en  même  temps  qu'il  marche  à  un  pro- 
grès illimité  dans  l'ordre  matériel,  le  monde  se  pré- 
cipite vers  des  nouveautés  inouïes  dans  l'ordre 
politique.  Il  y  a  cent  ans,  Chateaubriand,  traçant  la 
dernière  page  du  Génie  du  Christianisme,  écrivait  : 
«  Une  religion  dont  les  préceptes  sont  un  code  de 
morale  et  de  vertu  est  une  institution  qui  peut 
suppléer  à  tout  et  devenir,  entre  les  mains  des 
saints  et  des  sages,  un  moyen  universel  de  félicité. 
Peut-être  un  jour  les  diverses  formes  de  gouver- 
nement paraîtront-elles  indifférentes,  et  l'on  s'en 
tiendra  aux  simples  lois  morales  et  religieuses,  qui 
sont  le  fonds  permanent  des  sociétés  et  le  véritable 
gouvernement  des  hommes.  »  Or,  Messieurs,  ces 
lois  morales  et  religieuses,  qui  peuvent  suppléera 
tout  et  que  rien  ne  peut  remplacer,  où  le  monde 
de  demain  ira-t-il  les  chercher,  sinon  dans  les 
mains  immaculées  de  la  sainte  Eglise  catholique, 
sinon  dans  le  cœur  et  sur  les  lèvres  du  sacerdoce 
catholique  ?  Si  vous  supprimez  par  la  pensée  les 
trente  mille  édifices  religieux  où  la  morale  chré- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  255 

tienne  est  chaque  dimanche  enseignée,  cherchez 
quels  sont  ailleurs  les  milieux  où  la  voix  du  devoir 
se  fasse  entendre.  Vous  ne  trouverez  que  les  écoles 
et  les  académies.  Hélas  !  les  écoles  et  les  académies, 
quand  elles  ne  s'appuient  pas  sur  l'autorité  de  la 
religion,  n'enseignent  qu'une  morale  boiteuse^  in- 
complète et  impuissante.  Et  puis  les  écoles  et  les 
académies  ne  s'adressent  qu'à  une  faible  minorité; 
c'est  dans  les  temples  que  l'immense  majorité  de 
la  nation  reçoit  l'enseignement  du  devoir  ;  c'est 
l'Église  catholique  qui  est  seule  capable  d'instruire 
et  de  moraliser  la  multitude  et  de  sauver  la  démo- 
cratie en  la  modérant  et  en  la  purifiant. 

Demain  comme  aujourd'hui  et  hier,  dans  l'avenir 
non  moins  que  dans  le  présent  et  dans  le  passé, 
l'Église  sera  la  mère  et  la  gardienne  du  progrès 
moral.  Son  intervention  apparaîtra  plus  nécessaire 
que  jamais  par  suite  des  abus  et  des  dangers  du 
progrès  matériel,  par  suite  des  excès  et  des  décep- 
tions du  progrès  politique.  Ne  dites  pas  que  le 
règne  de  l'Église  est  fini  ;  il  entre  dans  une  nou- 
velle période.  11  y  a  encore  de  longs  et  de  beaux 
jours  pour  l'Église.  Plus  le  monde  avancera  en  âge, 
et  plus  il  aura  besoin  d'elle  ! 

Amen  ! 


III 


DANS  L'ORDRE  MATÉRIEL 


LES    BIENFAITS    DE    l'ÉGLISE.    —    i  i"T 


PREMIÈRE    CONFÉRENCE 

L'Église  n'est  pas  l'ennemie  du  progrès 
matériel 


Messieurs, 

Nous  avons  étudié  les  bienfaits  de  l'Eglise  dans 
Tordre  intellectuel  et  dans  l'ordre  moral,  et  nous 
abordons  aujourd'hui  un  troisième  chapitre  qui  a 
pour  titre  :  les  bienfaits  de  l'Eglise  dans  l'ordre  ma- 
tériel. Mais  ici  d'abord  on  nous  arrête  et  l'on  nous 
dit  sur  tous  les  tons  :  «  L'Eglise  est  l'ennemie  du 
progrès  matériel.  »  Avant  tout,  il  est  indispensable 
de  répondre  à  cette  objection  préliminaire  qui  se 
pose  comme  un  obstacle  infranchissable  à  l'entrée 
de  notre  route.  L'objection,  Messieurs,  est  plus  so- 
nore que  sérieuse;  il  nous  sera  facile  de  la  repous- 
ser du  pied  et  de  la  pulvériser  en  nous  demandant  : 
1°  d'où  elle  vient;  2°  ce  qu'elle  vaut. 


I.  L'Église  est   l'ennemie  du  progrès  matériel. 
D'où  vient  cette  objection  ? 

Elle  vient  de  l'exagération  de  quelques-uns,  de 


260  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  mauvaise  foi  de  beaucoup  et  de  l'ignorance  du 
plus  grand  nombre. 

Disons  d'abord,  Messieurs,  que  certains  catho- 
liques de  notre  temps,  émus  outre  mesure  des  con- 
quêtes et  des  excès  du  progrès  matériel,  voyant 
trop  l'abus  qu'on  en  fait  et  pas  assez  ce  qu'il  est  en 
lui-même,  ont  pris  à  son  endroit  une  attitude  de 
défiance  et  presque  d'hostilité.  Parce  que  le  progrès 
matériel,  comme  un  fleuve  débordé,  menaçait  de 
tout  emporter  :  les  croyances  et  les  mœurs,  ils  ont 
eu  l'air  moins  préoccupés  de  la  manière  de  le  régler 
que  de  la  pensée  de  le  supprimer,  et,  selon  la 
parole  d'un  grand  prélat  américain,  Mgr  Ireland, 
ils  ont  semblé  vouloir  faire  remonter  dans  l'Erié 
les  eaux  du  Niagara.  Ces  imprudences  et  ces  exagé- 
rations de  certains  catholiques  ont  coûté  cher  à 
l'Église. 

L'impiété  s'en  est  emparée,  et  avec  une  mau- 
vaise foi  insigne  l'impiété  contemporaine  répète  à 
qui  veut  et  ne  veut  pas  l'entendre  que  l'Eglise  est 
l'ennemie  du  progrès  matériel,  qu'elle  en  a  peur, 
qu'elle  le  condamne,  qu'elle  le  proscrit.  Que  de  fois, 
Messieurs,  cette  accusation  a  retenti  dans  les  parle- 
ments, dans  les  académies,  dans  la  presse,  dans  la 
rue,  sur  les  tréteaux  des  politiciens  et  sur  le  papier 
des  journalistes  et  des  romanciers  !  Les  meneurs  de 
l'impiété  contemporaine,  quand  ils  accusent  l'Eglise 
d'en  vouloir  au  progrès  matériel,  savent  bien  qu'ils 
mentent.  Mais  qu'importe?  Pour  conquérir  lesfoules, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  261 

il  faut  d'abord  les  aveugler,  et,  pour  en  faire  un 
instrument  de  règne,  il  est  nécessaire  de  les  tenir 
à  distance  de  la  religion.  C'est  ce  qui  est  arrivé. 

A  force  d'entendre  dire  que  l'Eglise  était  l'enne- 
mie du  progrès  matériel,  la  foule  a  fini  par  le 
croire.  Elle  a  répété  docilement  l'objection  qu'on 
lui  enfonçait  dans  la  cervelle,  et  il  faudra  encore 
beaucoup  de  temps  et  de  patience,  beaucoup  de 
salive  et  beaucoup  d'encre,  pour  persuader  à  une 
masse  innombrable  de  braves  gens  que  le  pape,  les 
évêques  et  les  curés  ne  sont  point  les  ennemis  des 
télégraphes,  des  chemins  de  fer,  des  grandes  entre- 
prises, des  expositions  universelles,  du  progrès,  en 
un  mot,  de  la  civilisation  moderne.  L'Eglise  est 
l'ennemie  du  progrès  matériel!  Vous  voyez  d'où 
vient  cette  objection.  Elle  vient  de  l'exagération  de 
quelques-uns,  de  la  mauvaise  foi  de  beaucoup  et  de 
l'ignorance  du  plus  grand  nombre. 


II.  L'Eglise  est  l'ennemie  du  progrès  matériel. 
Que  vaut  cette  objection  ? 

Elle  ne  vaut  rien.  Elle  est  nulle,  et  de  nulle  va- 
leur. Non,  l'Eglise  n'est  pas  l'ennemie  du  progrès 
matériel.  J'en  appelle  à  sa  doctrine  et  à  ses  actes. 

1°  Entendez-la  •parler.  Elle  déclare  que  le  progrès 
matériel  est  utile  à  l'homme  et  glorieux  à  Dieu. 


262  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Messieurs,  donnez  au  peuple  des  blés  abon- 
dants et  semez  des  prairies  pour  les  animaux  qui 
le  servent,  car  le  labourage  et  le  pâturage  sont, 
selon  l'expression  de  Sully,  les  deux  mamelles  de 
l'État.  Après  l'agriculture,  favorisez  l'industrie  et 
les  arts,  et  préférez  les  arts  d'utilité  aux  arts  d'agré- 
ment. Que  le  commerce,  cette  troisième  source  de 
la  vie  sociale,  soit  aussi  l'objet  de  votre  sollicitude. 
Étendez-en  les  bienfaits  au  dedans  et  au  dehors 
de  la  cité,  ouvrez  des  routes,  creusez  des  canaux, 
attelez  la  flamme  à  vos  chars  de  fer,  et  faites-leur 
franchir  en  trois  bonds  les  bornes  du  monde.  Tous 
ces  progrès  sont  nobles,  légitimes,  dignes  de 
louange,  parce  qu'ils  tournent  au  bien  public  et 
qu'ils  rendent  la  vie  facile  et  les  peuples  heureux. 
Plus  l'oisiveté  sera  odieuse  et  le  travail  honoré, 
moins  l'État  aura  de  criminels,  de  mendiants,  de 
citoyens  dangereux  ou  inutiles.  Voilà  l'enseigne- 
ment de  FÉglise.  Elle  prêche  la  grande  loi  du  tra- 
vail, qui  est  la  source  du  progrès  matériel  et  du 
bien-être  général,  et  elle  a  des  foudres  et  des  malé- 
dictions pour  les  fainéants  qui  promènent  leur 
paresse  et  leur  impuissance  au  milieu  d'une 
société  laborieuse  et  affairée,  qui  leur  donne  tout 
et  à  qui  ils  ne  donnent  rien,  sinon  le  spectacle 
d'une  vie  gaspillée  et  perdue. 

Sans  doute,  Messieurs,  l'Église  prêche  la  vie 
future  et  la  subordination  de  la  vie  présente  à  la 
vie   future.  Mais,   remarquez-le  bien,  l'Eglise  ne 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  263 

nous  dit  pas  que  l'on  gagne  la  vie  future  en  gas- 
pillant la  vie  présente.  Elle  nous  dit,  au  contraire, 
que  la  manière  dont  nous  agissons  ici-bas  .est  la 
condition  de  ce  que  nous  méritons  là-haut.  Elle 
nous  dit  que  le  ciel,  comme  le  pain,  se  gagne  à  la 
sueur  du  front...  de  sorte  que  le  point  de  vue  du 
bonheur  éternel  à  conquérir,  bien  loin  de  stérili- 
ser l'effort  et  d'arrêter  le  progrès,  appelle  et  pro- 
voque une  plus  grande  perfection  intellectuelle,  une 
plus  grande  perfection  morale,  une  plus  grande 
amélioration  physique  et  matérielle. 

Sans  doute  encore,  Messieurs,  l'Eglise  prêche  la 
patience  et  la  résignation  en  vue  des  compensa- 
tions promises  dans  un  monde  supérieur,  et  par  là 
elle  se  montre  seule  capable  de  donner  aux  trois 
quarts  des  hommes  le  courage,  l'espérance  et  la 
paix.  Mais,  de  grâce,  ne  lui  faites  pas  dire  ce  qu'elle 
ne  dit  pas  et  prenez  sa  doctrine  tout  entière.  Elle 
ne  dit  pas  que  la  misère  est  un  bien  et  qu'il  faut 
accepter  sans  murmure  toutes  les  iniquités  sociales. 
Elle  dit  au  contraire  que,  sous  bien  des  rapports,  la 
misère  est  une  cause  puissante  de  dégradation  mo- 
rale, et  qu'il  faut,  par  conséquent,  la  diminuer  le 
plus  possible.  Elle  dit  que,  pour  guérir  les  maux 
qui  pèsent  sur  l'humanité,  la  charité  toute  seule 
ne  suffit  pas  et  qu'il  faut  y  joindre  la  justice,  la  jus- 
tice qui  protège  le  faible  contre  le  fort,  la  justice 
qui  établit  parmi  les  hommes  une  distribution 
mieux  entendue  de  la  peine  et  du  bien-être,  des 


264  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

charges  et  des  jouissances.  Disséquez,  Messieurs,  la 
.doctrine  de  FÉglise,  et  je  vous  défie  d'y  trouver  un 
seul  mot  qui  soit  défavorable  au  progrès  matériel. 
Elle  l'approuve,  elle  le  bénit,  elle  l'encourage,  elle 
le  préconise  comme  utile  à  l'homme. 

Et  elle  l'exalte  comme  glorieux  à  Dieu.  Oui,  tout 
vrai  progrès  est  une  glorification  de  Dieu.  Voyons. 
Est-ce  vous,  habiles  ingénieurs,  qui  avez  mis  dans 
la  goutte  d'eau  cette  puissance  de  dilatation,  qui 
en  fait  un  levier  capable  de  faire  sauter  une  mon- 
tagne? Est-ce  vous  qui  avez  caché  dans  la  terre  ces 
minerais, qui  deviennent  vos  colossales  machines  aux 
pieds  d'airain,  à  la  poitrine  de  fer,  et  qui  dévorent 
l'espace  ?  Est-ce  vous  qui  avez  amoncelé  ces  appro- 
visionnements souterrains  de  combustible  que  nous 
pouvons  appeler  les  greniers  d'abondance  et  le 
pain  quotidien  de  notre  industrie?  Est-ce  vous  qui 
vous  êtes  donné  cet  esprit,  ce  génie  qui  a  su  devi- 
ner ces  merveilles  et  les  employer  à  notre  profit? 
Et  l'Eglise  serait  l'ennemie  de  ces  progrès  maté- 
riels qui  sont  un  hymne  retentissant  du  couchant  à 
l'aurore  en  l'honneur  de  Dieu,  qui  en  a  fourni  la 
matière  et  qui  a  donné  à  l'homme  l'intelligence,  la 
volonté  et  la  persévérance  pour  les  exécuter?  Mais 
non.  Continuez,  habiles  inventeurs,  riches  des  dons 
de  la  Providence,  continuez  de  chercher  et  de 
trouver.  Vous  êtes  apologistes  à  votre  manière. 
Vous  glorifiez  le  Dieu  créateur.  L'Eglise  vous  bénit. 
Elle  a  dans  ses  rituels  des  bénédictions  pour  toutes 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  265 

les  créations  et  pour  toutes  les  inventions,  et,  dans  la 
crainte  d'être  prise  au  dépourvu  par  quelque 
découverte  nouvelle,  elle  en  a  une  pro  quacnm- 
que  re,  pour  toute  espèce  de  progrès.  L'Eglise 
n'est  pas  l'ennemie  du  progrès  matériel. 

2°  Voyez-là  agir.  Comment  se  comporte-t-elle  à 
l'égard  des  inventions  qui  améliorent  la  condition 
matérielle  de  l'homme  sur  la  terre?  D'abord,  elle 
approuve;  nous  venons  de  le  voir.  Que  les  chemins 
de  fer  abrègent  les  distances;  que  l'étincelle  élec- 
trique fasse-  communiquer  instantanément  l'ancien 
et  le  nouveau  monde  ;  qu'on  trouve  des  remèdes 
contre  le  choléra,  contre  la  rage  et  contre  toutes 
les  épidémies  ;  qu'on  fabrique  mieux  et  plus  vite 
tous  les  objets  utiles  ou  nécessaires  à  la  vie  ;  en  un 
mot,  qu'on  épargne  à  l'homme  le  plus  de  peine  pos- 
sible, qu'on  lui  rende  moins  difficile  son  triste  pèle- 
rinage  sur  la  terre,  l'Eglise  applaudit,  elle  favorise 
tous  les  efforts  que  l'on  fait  dans  ce  sens  ;  car  sa 
sollicitude  s'étend  aux  corps  aussi  bien  qu'aux  âmes, 
et  elle  veut  le  progrès  matériel  comme  le  progrès 
intellectuel  et  moral.  Mais  il  y  a  plus. 

Non  contente  d'approuver  le  progrès  matériel  en 
parole,  elle  s'en  sert  journellement  et  elle  y  tra- 
vaille elle-même  de  siècle  en  siècle.  Elle  se  sert  du 
progrès  matériel.  Voyons:  de  bonne  foi,  nourrissons- 
nous  je  ne  sais  quelles  rancunes  insignifiantes  et 
ridicules  à  l'égard  des  découvertes  de  la  science  et 


266  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

des  progrès  matériels  qui  en  découlent  ?  Mais  nous 
sommes  les  premiers  à  en  bénéficier.  Nous  leur  de- 
vons la  vapeur  qui  nous  conduit,  le  télégraphe 
qui  porte  nos  dépêches,  le  drap  qui  nous  couvre,  la 
page  que  nous  lisons,  les  temples  qui  nous  abritent 
et  le  vase  sacré  dans  lequel  nous  buvons  le  sang 
du  Christ. 

L'Eglise  condamne  si  peu  le  progrès  matériel 
qu'elle  s'en  sert  à  chaque  instant  et  qu'elle  y  tra- 
vaille elle-même  très  ardemment.  Nous  verrons  cela 
à  propos  du  commerce,  de  l'industrie  et  de  l'agri- 
culture. Nous  verrons  ce  qu'a  fait  l'Eglise  pour  ces 
trois  grandes  branches  de  l'activité  humaine.  Pour 
aujourd'hui,  qu'il  me  suffise  de  vous  faire  remar- 
quer : 

1°  Que  nous  sommes  si  peu  les  ennemis  du  pro- 
grès, que  c'est  nous  qui  avons  fait  ce  progrès  uni- 
versel qui  portera  éternellement  notre  nom  et  qui 
s'appelle  dans  la  langue  de  l'histoire  et  dans  les 
conversations  courantes  :  la  civilisation  chrétienne. 

2°  Que  l'Eglise  dans  le  passé  a  réhabilité  le  tra- 
vail et  formé  des  travailleurs,  et  que  jamais  les  na- 
tions n'ont  développé  une  si  grande  puissance  d'ac- 
tion que  lorsqu'elles  ont  agi  sous  l'inspiration 
chrétienne.  Certes,  ce  n'est  pas  aux  xne,  xme  et 
xive  siècles  que  l'on  peut  adresser  le  reproche  de 
fainéantise,  siècles  cyclopéens  qui  ont  couvert  le  sol 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  267 

de  l'Europe  d'innombrables  monuments,  dont  la 
beauté,  la  solidité,  la  grandeur  étonnent  et  con- 
fondent notre  faiblesse.  Ce  n'est  pas  davantage  au 
xve  siècle,  qui  fut  selon  la  parole  de  Guizot,  «  celui 
de  la  plus  grande  activité  extérieure  des  hommes, 
un  siècle  de  voyages,  d'entreprises,  de  découvertes, 
d'inventions  de  tous  genres  ».  Et  Chateaubriand  ne 
craint  pas  d'affirmer  que  notre  temps  ne  laissera  pas 
de  témoins  aussi  multipliés  de  son  passage  que  le 
temps  de  nos  pères.  Au  moyen  âge,  sur  le  sol  de  la 
France,  on  comptait  deux  millions  de  monuments, 
parmi  lesquels  dix-sept  cent  mille  clochers. 

3°  L'Eglise  a  travaillé  dans  le  passé  au  progrès 
matériel,  et  elle  y  travaille  encore  aujourd'hui,  au 
Canada,  en  Algérie,  au  centre  de  l'Afrique  et  chez 
toutes  les  peuplades  où  elle  répand  par  la  main  de 
ses  missionnaires  les  semences  de  la  civilisation  et 
les  premières  formes  de  la  prospérité  matérielle. 
Et  chez  nous,  est-ce  que  l'Eglise  est  inactive  ?  Est-ce 
que  ses  bras  se  croisent  dans  la  paresse  ?  Est-ce  que 
sa  sève  est  tarie?  Tenez,  comptez  si  vous  le  pouvez, 
rien  qu'à  Orléans,  les  millions  que  l'Eglise  a  dé- 
pensés depuis  cinquante  ans,  les  temples  et  les 
maisons  religieuses  qu'elle  a  fait  construire,  les 
pauvres  qu'elle  a  secourus,  les  ouvriers  à  qui  elle 
a  donné  un  travail  rémunérateur,  en  un  mot  les 
bienfaits  de  l'ordre  matériel  qu'elle  a  répandus  sur 
cette  noble  cité,  et,  en  présence  de  ce  spectacle  ré- 


268  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

tréci  et  local  qui  n'est  qu'un  coin  d'un  immense 
tableau,  vous  redirez  la  parole  cent  fois  citée  du  pu- 
bliciste  Montesquieu  :  «  Chose  étonnante,  la  religion 
chrétienne,  qui  semble  n'avoir  d'autre  but  que  notre 
bonheur  dans  l'autre  vie,  assure  encore  notre  féli- 
cité sur  cette  terre.  » 

Donc,  Messieurs,  quand  on  dit  que  l'Église  est 
l'ennemie  du  progrès  matériel,  on  nous  fait  une 
objection  nulle,  sotte  et  malhonnête.  Cette  objection 
ne  viendra  jamais  se  placer  sur  vos  lèvres,  et,  si 
vous  l'entendez  parfois  retentir  à  vos.  oreilles,  pro- 
mettez à  Dieu  que  vous  aurez  le  courage  de  la  mé- 
priser d'un  regard  et  de  la  pulvériser  d'un  mot. 

Amen  ! 


DEUXIÈME  CONFERENCE 

L'Église  est  la  gardienne  du  progrès  matériel 


Messieurs, 

Après  avoir  étudié  les  bienfaits  de  l'Église  dans 
l'ordre  intellectuel  et  dans  l'ordre  moral,  nous  avons 
commencé  l'étude  de  ses  bienfaits  dans  l'ordre 
matériel.  Et  d'abord,  écartant  une  objection  qui 
voulait  nous  barrer  la  route,  nous  avons  constaté 
que  l'Eglise  nest  point  l'ennemie  du  progrès  maté- 
riel. Aujourd'hui  je  vais  plus  loin,  et  j'affirme  que 
l'Église  est  la  gardienne  du  progrès  matériel.  Elle 
le  sauve  en  le  subordonnant. 


I.  L'Église  préserve  le  progrès  matériel 

Le  progrès  matériel  a  donc  des  dangers  à  éviter? 
Oui,  deux  périls  le  menacent:  l'orgueil  et  la  cor- 
ruption. 

Le  premier  danger  du  progrès  matériel,  c'est 
l'orgueil.  Je  suis  le  maître  du  monde,  s'est  écrié 


270  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'homme  de  ce  siècle.  Monté  sur  une  nef  aérienne, 
je  me  suis  promené  parmi  les  astres  du  firmament. 
J'ai  attaché  des  ailes  âmes  proues  aventureuses,  et 
j'ai  sillonné  l'océan  avec  la  vitesse  des  oiseaux  ma- 
rins. J'ai  attelé  le  feu  à  mes  chars,  et  ma  course  de 
l'orient  à  l'occident  n'a  laissé  que  la  trace  d'un 
éclair.  Dieu  créa  les  vagues  furieuses,  et  je  les 
dompte.  Dieu  créa  la  tempête,  et  je  lui  commande. 
Dieu  créa  les  distances,  et  je  les  efface.  Je  tiens  les 
éléments  captifs  et  frémissants  dans  mes  creusets. 
On  s'est  écrié  un  jour  dans  les  hauteurs  du  ciel  : 
Qui  est  semblable  à  Dieu?  Je  me  présente,  preuves 
en  mains,  pour  soutenir  cette  concurrence,  car  celui- 
là  est  le  maître  du  monde  qui  en  fait  mouvoir  à 
son  gré  tous  les  ressorts.  Ainsi  parle,  ou  du  moins 
ainsi  pense  l'homme  de  ce  siècle,  et,  «  si  on  ana- 
lysait l'atmosphère  intellectuelle  de  notre  temps, 
dit  Mgr  Bougaud,  on  y  trouverait  au  moins  quatre 
cinquièmes  d'orgueil.  » 

Gomme  il  est  utile,  Messieurs,  comme  il  est  né- 
cessaire  que  l'Eglise  vienne  corriger  ces  excès,  et 
que,  nous  prosternant  au  pied  de  ses  autels,  elle  nous 
rappelle  que  le  nom  qui  est  au-dessus  de  tous  les 
noms,  c'est  Dieu;  que  nous  ne  sommes  rien  et  qu'il 
est  tout;  et  qu'à  Lui  doivent  remonter  la  raison, 
souffle  de  sa  bouche,  la  nature,  œuvre  de  ses  mains, 
l'industrie,  miroir  de  ses  perfections,  la  science, 
rayon  de  sa  lumière,  le  progrès  enfin  dont  il  est  la 
source  unique,  le  régulateur  suprême,    et  la  fin 


LES  BIENFAITS  DE  I/ÉGLISE  271 

éternelle'.  Si  la  religion  ne  se  lève  pas  au  milieu 
de  la  société  pour  populariser  ces  grandes  et  néces- 
saires leçons,  savez-vous  où  ira  le  progrès  matériel? 
Il  ira  à  l'orgueil  le  plus  insensé, 

Il  ira  à  la  corruption  la  plus  effrénée.  Voilà  le 
second  danger  qui  menace  le  progrès  matériel,  le 
danger  de  la  jouissance  indéfinie  et  illimitée.  Maître 
de  la  nature,  l'homme  la  travaille,  l'exploite,  en 
utilise  pour  lui-même  et  pour  ses  semblables  toutes 
les  énergies  et  tous  les  produits.  C'est  bien.  Mais 
cependant  prenez  garde.  Si  vous  appelez  la  jouis- 
sance et  si  vous  chassez  Dieu,  qui  seul  pourrait  la 
modérer  et  la  contenir;  si  vous  éveillez  tous  les 
appétits  et  si  vous  ôtez  tous  les  freins  ;  si  vous 
saturez  un  peuple  de  tout  ce  qui  incline  l'âme  vers 
la  terre,  et  si  vous  ie  sevrez  de  tout  ce  qui  relève 
l'esprit  vers  le  ciel,  êtes-vous  bien  sûrs  que  vous 
ne  conduirez  pas  ce  peuple  à  la  décadence?  Moi,  je 
suis  sûr  du  contraire.  La  jouissance  sans  frein  c'est 
l'égoïsme  qui  n'a  qu'une  devise  :  Tout  pour  moi  et 
rien  pour  les  autres.  «  L'égoïste,  dit  Bacon,  mettrait 
le  feu  à  la  maison  de  son  voisin  pour  faire  cuire  un 
œuf.  »  Avec  cela,  essayez  de  faire  une  société  je  ne 
dis  pas  glorieuse,  mais  simplement  habitable,  je 
vous  en  défie  bien.  Dieu  chassé  du  sein  d'un  peuple, 
il  ne  reste  plus  que  la  matière,  et  tout  ce  qui  n'est 
pas  elle  n'est  rien,  tout  ce  qui  n'est  pas  palpable 
ne  vaut  rien.  Dieu  chassé  du  sein  d'un  peuple, 
il  ne  reste  plus  qu'un  arrivisme  féroce,  le  mépris 


272  .CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

du  droit,  l'absence  de  scrupules,  l'amour  de  l'ar- 
gent et  de  la  jouissance  immédiate  et  maximale, 
en  un  mot,  le  culte  exclusif  du  bien-être.  C'est  un 
danger  épouvantable. 

Comme  il  est  utile,  Messieurs,  comme  il  est  né- 
cessaire  que  l'Eglise  vienne  corriger  ces  excès,  et 
que,  nous  élevant  au-dessus  de  la  matière,  elle  nous 
fasse  entrevoir  un  idéal  supérieur  à  ce  qui  se  voit, 
à  ce  qui  se  touche,  à  ce  qui  se  pèse,  à  ce  qui  se 
mange  !  Séparé  de  la  religion,  le  progrès  matériel 
n'est  plus  qu'une  grande  et  admirable  machine  qui 
tout  à  l'heure  saisira  par  sa  robe  soyeuse  la  société 
magnifiquement  parée  et  plantureusement  repue, 
pour  en  broyer  sous  ses  rouages  les  membres  déli- 
cats. Ce  n'est  pas  là  une  vaine  comparaison,  mais 
une  poignante  réalité.  L'or,  la  matière,  les  plus 
ingénieuses  machines  ne  suffisent  pas  à  faire  un 
peuple.  La  pierre  angulaire  de  toute  société  et  de 
tout  siècle,  c'est  l'autel.  L'Eglise  seule  est  capable 
de  sauver  le  progrès  matériel  de  l'orgueil  qui  le 
pervertit  et  de  la  corruption  qui  le  déshonore.  Elle 
le  sauve  en  le  mettant  à  sa  place,  en  le  subordon- 
nant. 


II.  L'Église  subordonne  le  progrès  matériel. 

Elle  le  subordonne  au  progrès  moral  et  religieux. 
Elle  place  Dieu  au-dessus  de  l'homme,  l'âme  au- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  273 

dessus  du  corps,  la  vertu  au-dessus  de  la  richesse 
et  du  bien-être. 

Ce  ri  est  que  justice.  Au  nom  de  la  simple  raison 
cela  doit  être.  Car,  si  l'homme  est  roi  devant  la 
matière,  n'est-il  pas  vassal  devant  Dieu,  et  dès  lors 
n'est-il  pas  convenable  et  nécessaire  que,  en  com- 
mandant à  la  terre,  il  obéisse  à  Dieu,  gardant  ainsi 
à  la  fois  son  servage  et  sa  royauté?  Et  puis,  dans 
l'homme,  l'esprit  n'est-il  pas  supérieur  au  corps,  le 
corps  n'est-il  pas  l'esclave  et  l'âme  la  reine,  et  dès 
lors  n'est-il  pas  souverainement  inconvenant  et 
déraisonnable  que  la  matière,  outrepassant  ses 
droits  et  exagérant  sa  puissance,  se  fasse  un  empire 
usurpé  qui  détrône  dans  l'humanité  la  royauté  de 
l'esprit? 

Ah  !  je  sais  bien  ce  que  pensent  tout  bas  et  ce 
que  disent  tout  haut  les  adorateurs  du  bien-être  et 
de  l'utile  dans  sa  plus  triviale  acception  !  Unique- 
ment préoccupés  des  besoins  inférieurs  de  l'homme, 
uniquement  appliqués  à  dépenser  leur  activité  en 
des  œuvres  vulgaires,  ils  reprochent  à  l'Eglise  de 
diriger  nos  désirs  vers  des  biens  lointains  et  invi- 
sibles, et  de  déconsidérer  les  biens  visibles  qui 
nous  touchent  de  plus  près.  Ils  accusent  l'Église  de 
stériliser  la  terre  en  nous  lançant  à  la  poursuite 
d'un  bonheur  qui  n'est  pas  de  ce  monde.  Messieurs, 

r 

l'Eglise  ne  dépouille  point  la  terre  au  profit  du  ciel 
ni  le  corps  au  profit  de  l'âme.  Elle  met  seulement 
toute  chose  à  sa  place,  et  elle  est  en  cela  éminem- 

LES    BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.    —   1-18 


274  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ment  raisonnable.  Elle  déclare  que  tous  les  biens 
matériels,  si  vastes  qu'on  les  suppose,  ne  sauraient 
remplir  la  vaste  capacité  de  l'âme  humaine;  elle 
déclare  que  la  terre,  si  belle  qu'elle  soit,  n'est  point 
le  terme  où  il  faut  s'arrêter,  mais  le  chemin  qu'on 
arrose  de  ses  sueurs  pour  arriver  au  ciel  ;  elle  dé- 
clare que  la  vertu  est  le  principal  et  que  le  bien- 
être  n'est  que  l'accessoire  ;  elle  déclare  que  les 
progrès  de  la  vie  matérielle,  si  importants  qu'ils 
soient  quand  on  les  considère,  ne  sont  que  secon- 
daires quand  on  les  compare  à  l'importance  de 
notre  vie  morale.  Voilà  ce  que  dit  l'Eglise,  et  je 
défie  tout  esprit  sensé  de  ne  pas  trouver  qu'elle  a 
raison.  Elle  subordonne  le  progrès  matériel  au 
progrès  moral  et  religieux.  Ce  n'est  que  justice. 
Et  j'ajoute  au  nom  de  l'histoire  :  Tant  mieux! 

r 

Tant  mieux  pour  l'humanité.  Car  l'Eglise,  tout  en 
se  proposant  pour  but  suprême  et  dernier  de  nous 
assurer  la  possession  des  biens  éternels,  a  travaillé 
et  travaille  efficacement  à  la  splendeur  et  à  la  féli- 
cité temporelle  des  peuples.  Sa  divine  loi  morale 
qui  nous  pousse  sans  cesse  vers  les  hauteurs  ne 
nous  fait  point  oublier  qu'il  y  a  sur  la  terre  des 
devoirs  à  remplir.  Elle  nous  commande  d'aller  à 
Dieu  à  travers  nos  frères.  Vous  demandez  des 
hommes  utiles  à  leurs  semblables.  Or,  n'étaient-ils 
pas  utiles  ces  millions  de  martyrs  qui  ont  affranchi 
la  conscience  humaine  de  l'oppression  des  tyrans  et 
qui  ont  arrosé  de  leur  sang  la  liberté  des  âmes? 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  275 

N'étaient-ils  pas  utiles  ces  sublimes  pénitents  qui,  par 
l'austérité  de  leur  vie,  ont  détruit  la  corruption  in- 
fâmedontsemouraitlemondepaïen?N'étaient-ilspas 
utiles  ces  papes,  ces  évêques,  ces  prêtres  qui  allaient 
au-devant  des  barbares  et  les  civilisaient?  N'étaient- 
ils  pas  utiles  ces  pontifes  et  ces  conciles  qui  récla- 
maient l'affranchissement  des  esclaves  et  qui  créaient 
de  la  sorte  la  société  des  hommes  libres?  —  N'étaient- 
ils  pas  utiles,  ces  infatigables  moines  qui  perçaient 
les  forêts,  fécondaient  la  terre  et  ressuscitaient 
l'Europe,  qui  recueillaient  et  copiaient  les  manus- 
crits de  l'antiquité,  et  sauvaient  ainsi  du  naufrage 
les  sciences  et  les  lettres? — N'étaient-ils  pas  utiles 
ces  vaillants  chevaliers  qui  arrêtaient  la  barbarie 
musulmane  toute  prête  à  envahir  l'occident?  — 
N'étaient-ils  pas  utiles  tous  ces  hommes  d'Eglise 
qui  encourageaient  les  arts,  fondaient  des  Univer- 
sités pour  instruire  la  jeunesse  de  tous  les  pays  et 
d'humbles  écoles  pour  instruire  les  enfants  du 
peuple?  —  N'étaient-ils  pas  utiles  tous  ces  saints 
qui  créaient  d'innombrables  institutions  de  charité 
et  qui,  comme  Vincent  de  Paul,  sauvaient  quelque- 
fois des  peuples  entiers?  —  Et  aujourd'hui  encore 
ne  sont-ils  pas  utiles  ces  vaillants  missionnaires 
qui  vont  porter  sur  tous  les  rivages,  avec  la  civili- 
sation et  l'Evangile,  le  prestige  ei  l'honneur  des 
peuples  européens.  —  Et  ces  légions  généreuses 
d'hommes  et  de  femmes  qui,  fidèles  au  glorieux 
passé  de  l'Eglise,  se  dévouent  sans  trêve  ni  merci 


276  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

au  soulagement  de  tous  les  besoins  de  la  pauvre 
humanité?  Au  nom  du  passé  et  du  présent,  au  nom 
de  l'histoire  et  de  l'actualité,  je  déclare  que  l'Eglise 
s'entend  aussi  bien  et  mieux  que  n'importe  qui  à 
former  des  hommes  utiles.  En  subordonnant  le 
progrès  matériel  au  progrès  moral  et  religieux, 
bien  loin  de  stériliser  la  vie  présente,  elle  la  rem- 
plit  d'immenses  bienfaits.  Etrange  contradiction  ! 
On  accuse  l'Église  de  trop  se  désintéresser  de 
l'utile,  et  en  même  temps  on  se  plaint  à  grands 
cris  de  ses  envahissements;  on  lui  reproche  de 
trop  rester  dans  la  sphère  des  intérêts  moraux  et 
religieux,  et,  quand  on  la  voit  projeter  son  action 
dans  la  sphère  des  intérêts  matériels,  on  déploie 
une  satanique  énergie  pour  entraver  sa  marche  et 
comprimer  son  influence.  Laissons  l'impiété  se 
contredire  et  se  mentir  à  elle-même,  et  bénissons 
l'Église  qui  sauve  le  progrès  matériel  en  le  subor- 
donnant au  progrès  moral  et  religieux. 

Le  progrès  matériel  est  chose  bonne  ;  l'Eglise 
n'en  est  point  l'ennemie.  Le  progrès  matériel  offre 
des  dangers;  l'Église  en  est  la  gardienne.  Le  pro- 
grès matériel,  pour  ne  pas  dévier,  doit  avoir  pour 
contrepoids  et  pour  lest  une  vertu  et  une  croyance  ; 
cette  vertu  et  cette  croyance,  vous  les  chercheriez 
vainement  en  dehors  de  l'Église  catholique.  De 
sorte  que,  aujourd'hui  encore,  nous  sommes  rame- 
nés à  la  parole  de  Montesquieu,  qui  a  conclu  notre 
dernière  conférence  :  «  Chose  merveilleuse  !  la  reli- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  277 

gion  chrétienne,  qui  semble  n'avoir  d'autre  objet 
que  notre  bonheur  là-haut,  fait  encore  notre  félicité 
ici-bas.  » 

Vous  connaissez  sans  doute  le  mot  pittoresque 
d'un  ministre  d'Autriche  en  1848.  Le  prince  de 
Schwarzenberg  a  dit  :  «  On  peut  tout  faire  avec 
des  baïonnettes,  excepté  s'asseoir  dessus.  »  Gela 
veut  dire  que  la  force  par  elle-même  est  impuis- 
sante à  fonder  un  peuple  et  à  le  mettre  dans  l'ordre 
et  dans  la  paix.  La  force  est  un  expédient,  elle  n'est 
point  un  régime.  Or  je  dirai  de  même  :  «  On  peut 
tout  faire  avec  le  progrès  matériel,  excepté  s'asseoir 
dessus.  »  Le  progrès  matériel  dans  un  peuple  est 
comme  la  santé  dans  un  homme.  Avoir  du  sang  et 
des  muscles,  c'est  quelque  chose,  mais  ce  n'est  pas 
tout.  Pour  faire  un  homme,  il  faut  autre  chose  :  il 
faut  un  idéal,  il  faut  du  caractère,  il  faut  de  la 
conscience,  il  faut  l'élévation  des  pensées  et  la 
dignité  de  la  vie.  Pour  faire  un  peuple,  le  progrès 
matériel  ne  suffit  pas.  Il  est  nécessaire  de  compléter 
et  de  sauvegarder  le  progrès  matériel  par  le  progrès 
moral  et  religieux.  Il  faut  une  vertu  et  une  croyance  ; 
cette  vertu  et  cette  croyance  ne  peuvent  germer  et 
fleurir  que  sous  le  souffle  fécond  de  la  sainte  Eglise 
catholique. 

Amen! 


TROISIEME  CONFERENCE 

I.  —  L'Église  et  l'Agriculture 

/.  —  CE  QUE  L'ÉGLISE 
A  FAIT  POUR  L'AGRICULTURE 


Messieurs, 

Est-ce  que  l'Église  s'occupe  des  intérêts  matériels 
de  Thumanité?  Oui.  Elle  s'adresse  directement  aux 
âmes  qu'elle  a  mission  de  conduire  au  bonheur 
éternel.  Mais  les  âmes  ne  vont  pas  sans  les  corps, 
et  comment  s'occuper  des  unes  sans  se  préoccuper 
des  autres?  Pour  aller  au  ciel,  il  faut  passer  par  la 
terre,  et  comment  monter  là-haut  sans  tenir  compte 
des  nécessités  d'ici-bas?  L'Eglise,  qui  va  àléternité, 
se  mêle  donc  aux  affaires  du  temps.  Elle  n'est  point 
l'ennemie  du  progrès  matériel,  elle  en  est  la  gar- 
dienne. Je  l'ai  prouvé  d'une  manière  générale.  11 
faut  maintenant  entrer  dans  les  détails.  J'ai  l'in- 
tention de  vous  montrer  d'abord  son  intervention 
et  son  influence  dans  une  sphère  où  vous  ne  vous 
attendez  guère  à  la  rencontrer,  dans  la  sphère  de 
l'agriculture. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  279 

I.  Quand  parut  l'Église,  où  en  était  l'agriculture? 

Si  belle  que  soit  la  terre,  il  y  faut  la  main  de 
l'homme;  autrement  elle  n'a  qu'une  végétation 
ingrate  et  dénaturée,  elle  se  couvre  de  forêts  im- 
menses où  le  soleil  ne  pénètre  plus,  de  plantes  luxu- 
riantes et  éparses  qui  encombrent  le  sol  et  gênent 
le  cours  des  eaux  ;  ou  bien  tout  à  coup  la  vie  expire, 
et  le  désert  roule  sur  les  plus  belles  terres  l'op- 
probre de  ses  sables  stériles.  Quand  l'homme  s'ap- 
proche de  la  terre  avec  ses  outils  meurtriers  et 
féconds,  c'est  la  vie  qui  apparaît,  c'est  le  froment 
et  la  vigne,  c'est  la  nourriture  et  le  breuvage.  Et 
quand  l'homme,  au  contraire,  s'éloigne  de  quelques 
pas,  quand  sa  main  s'affaiblit,  quand  il  laisse  trop 
longtemps  se  rouiller  la  charrue  comme  l'épée  se 
rouille  dans  le  fourreau,  la  nature  toute  puissante, 
mais  désordonnée  et  aveugle,  reprend  aussitôt 
possession  du  sol  ;  l'épine  triomphante  élève  au- 
dessus  des  blés  desséchés  sa  couronne  de  feuilles 
et  de  fleurs  ;  la  forêt  renaît  dans  toute  sa  magni- 
ficence; les  bêtes  sauvages  s'installent  dans  la 
cabane  désolée  du  laboureur  ;  les  oiseaux  recons- 
truisant leurs  nids  chantent  la  défaite  de  l'homme  ; 
la  nature  entière  se  réjouit  comme  un  peuple  qui  a 
chassé  son  tyran  et  qui  a  reconquis  sa  liberté. 

Telle  était,  Messieurs,  vers  le  ive  et  le  ve  siècle 
de  notre  ère,  la  situation  agricole  dans  l'Empire 


CONFÉRËN  EH   I     I  HOMMES 

romain  démoralisé.  Tool  le  monde  voulait  jouir, 
ne     rie'    voulait    travailler;    les    campagnes 
ent  <L  -i  mauT-  jue 

les  mœui  ent  le  mal  au  lieu  de  le  dimi- 

nuer et  de  le  guérir.  Avec  cela,  les  ]  ins 

leurs  incursions  furieui  -riaient  de  dévaster  les 

et  le  sol  eu: 
:  plus  qu'une  image  de  désolation  et 
3    tbrèts   druidiques  couv  m- 

;  les  bêtes  sauvage  :  rôder 

en    plein  jour  dans   l  -       -romain 

traînards  «les  diverses  -  germaniques  s'étaient 

9  bois  et  en  avaient  t'ait  des  repa- 

ait    nulle   part. 
-    is  la  double  action  des  vieux  Rom  rrom- 

pus    et    des  jeunes  races    barbares  indiscipline 

îlture  était   partout  d  ut  perdue. 

Ou  ter  et  la  réhabiliter?  Oui  va 

remettre  la  main  à  la  et  à  la  charrue?  Qui 

va  renouveler  !  le  1     urope?  Qui?  Ll  - 

Elle  va  mène ivres  col* 

la  culturr  .ture  du  sol.  Ici,  II 

sieurs,  ir .  -  et  constatons  dans  le 

i  intlu  -  les   institutions  monas- 

tiques.  Il  y  a  quelqu  à   la  réeep' 

rs  du  i  ligne,  régiment  de  nouvelle 

dont    il    prenait  le  commandement,   le 
..né  leur  souhaitait  la  bienvenue  en 
termes  :     Messieurs,  notre  régiment  n'a  par 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE 

toire:  nous  tâcherons  de  lui  en  faire  une.  »  Et 
ces  paroles  si  simples  et  si  nobles  faisaient  cou- 
rir un  frisson  patriotique  parmi  les  auditeurs. 
Ainsi  dirent  les  moines  il  y  a  quinze  siècles  :  L'agri- 
culture n'a  plus  d'histoire:  nous  tâcherons  de  lui 
en  faire  une.  Et  ils  se  mirent  à  l'œuvre.  Voyons-les 
se  livrer  au  travail  et  donner  l'exemple. 


II.  Le  travail  des  moines. 

Ils  ont  à  lutter  contre  une  nature  indomptée  et 

sauvage.  Ils  ont  devant  eux  des  forêts  aux  futaies 
gigantesques,  sombres  et  impénétrables  :  des  hal- 
liers  de  ronces  et  d'épines  :  des  marais  et  des 
tourbières  encombrés  de  racines  et  de  troncs  ren- 
versés: une  atmosphère  humide  et  insalubre,  tout 
imprégnée  de  miasmes  pestilentiels. Ils  ont  devant 
eux  des  solitudes  improductives,  et.  avant  de  les 
fertiliser  par  le  travail,  il  faut  lutter  longtemps 
contre  la  faim  et  l'intempérie  des  saisons.  Pour 
conquérir  les  forêts  et  les  déserts  de  l'Amérique,  le 
colon  moderne  s'avance  armé  de  toutes  les  inven- 
tions de  l'industrie  et  de  la  mécanique,  soutenu 
par  la  certitude  du  succès.  Le  moine  n'avait  que 
ses  bras,  et  il  se  plongeait  dans  l'inconnu. 

Les  instruments  aratoires,  le  fer,  les  graines 
même  pour  ensemencer,  tout  lui  manquait,  tout 
jusqu'aux  animaux  domestiques  qui  décuplent  les 


282  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

forces  de  l'homme.  Un  des  faits  les  plus  importants 
dans  l'histoire  de  l'agriculture,  c'est  la  domestica- 
tion des  espèces  animales,  hœuf,  cheval,  chien, 
revenus  à  l'état  sauvage  après  la  disparition  gra- 
duelle de  la  civilisation  romaine.  Dépourvus  de 
tout  secours  humain,  les  moines  viennent  à  bout 
de  tout  :  du  sol  qui  est  en  friche,  des  animaux  qui 
sont  à  l'abandon  et  en  pleine  indépendance,  et 
enfin  des  hommes  bien  autrement  difficiles  à  disci- 
pliner que  le  sol  le  plus  ingrat,  que  les  animaux 
les  plus  sauvages. 

Les  brigands  qui  peuplent  les  forêts  s'approchent 
avec  des  intentions  homicides  d'un  moine  qui  les 
subjugue  par  sa  douceur  et  sa  bonté.  Ils  s'apaisent, 
se  convertissent,  et  plus  d'une  fois  un  repaire  d'assas- 
sins devient  le  berceau  d'un  monastère  et  un  re- 
fuge tranquille  où  le  travail  des  champs  remplace  la 
rapine. 

Les  seigneurs  francs  et  germains  se  distraient 
des  émotions  de  la  guerre  par  l'exercice  de  la  chasse, 
et  tout  doit  céder  à  leurs  exploits  cynégétiques. 
Mais  là,  au  milieu  des  forêts,  l'Église  les  attend. 
Elle  dompte  leur  férocité.  Elle  convertit  les  chas- 
seurs en  laboureurs.  Elle  protège  la  terre  cultivée 
contre  les  dévastations  de  la  chasse  et  du  gibier 
féodal,  et  plus  d'une  fois  elle  transforme  l'épée  du 
seigneur  en  une  pacifique  charrue.  Témoin  cet 
illustre  seigneur  aquitain  nommé  Théodulphe,  au 
vi°  siècle,   qui  se  fit  moine  à   Saint-Thierry  près 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  283 

Reims,  et  pendant  vingt-deux  ans  conduisit  la 
charrue...  C'était  un  laboureur  infatigable,  un 
religieux  toujours  le  premier  aux  offices  et  aux 
psalmodies  de  nuit,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de 
connaître  Horace  et  de  le  citer  par  cœur;  après 
vingt-deux  ans  de  labourage,  il  fut  élu  abbé  ;  alors 
les  habitants  du  village  voisin  s'emparèrent  de  sa 
charrue  et  la  suspendirent  à  la  voûte  de  leur  église. 
Noble  trophée,  pourquoi  as-tu  disparu?  Nous  y 
aurions  été  en  pèlerinage.  Et  il  me  semble,  pour 
employer  l'expression  de  Montalembert,  que  «  nous 
aurions  baisé  cette  relique  avec  autant  de  respect 
que  l'épée  de  Charlemagne  ou  la  plume  de  Bos- 
suet  ».  Ainsi  agissent  les  moines  à  travers  le 
moyen  âge,  du  ve  au  xvie  siècle,  pendant  plus  de 
mille  ans. 

Vainement  les  guerres  se  succèdent  ;  vainement 
les  Barbares  arrivent,  ravageant  tout  sur  leur  pas- 
sage, les  Sarrasins,  les  Normands,  les  Hongrois,  les 
Danois  et  tant  d'autres.  Un  moine  tombe  victime 
de  la  guerre,  du  travail  ou  du  climat,  un  autre  le 
remplace.  Ils  reviennent  sans  cesse  à  la  charge, 
eux  ou  leur  postérité  spirituelle,  avec  cette  infati- 
gable constance  qui  naît  d'une  association  se  sur- 
vivant toujours  à  elle-même. 

Ils  sont  partout.  Prenez  la  carte  de  l'Europe, 
parcourez  tous  les  climats  et  tous  les  peuples, 
interrogez  l'histoire  de  leurs  origines  agricoles,  et 
dites  quel  est  le  pays  où  la  bêche  du  moine  n'a  pas 


284  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

passé  la  première.  En  Flandre  et  en  Hollande,  les 
religieux  dessèchent  les  marais,  endiguent  la  mer, 
contiennent  les  alluvions  et  fertilisent  les  sables. 
En  Angleterre,  les  disciples  du  moine  Augustin 
font  de  ce  pays,  dès  le  xie  siècle,  le  pays  le  mieux 
labouré,  le  mieux  cultivé  et  le  plus  riche.  En  Alle- 
magne, saint  Boniface  et  ses  disciples,  les  Béné- 
dictins de  Fulda,  défrichent  à  eux  seuls  un  terrain 
de  seize  lieues  de  circonférence,  comptent  jusqu'à 
dix-huit  mille  métairies,  et  plantent  le  Johannis- 
berg,  le  Tokay  et  les  meilleurs  vignobles  du  Rhin. 
Les  moines  du  mont  Cassin  fertilisent  le  Midi,  et 
les  Cisterciens  le  nord  de  l'Italie.  En  Espagne,  les 
moines  plantent  les  premières  vignes  et  les  premiers 
orangers,  et  les  bergeries  des  couvents  donnent 
naissance  à»  l'industrie  des  laines.  En  Suède,  en 
Pologne,  dans  les  contrées  forestières  et  maréca- 
geuses du  Nord,  les  moines  transforment  le  sol.  Et 
en  France  ?  Qui  a  percé  les  forêts  ?  Qui  a  desséché  les 
marais?  Qui  a  dirigé  les  cours  d'eau?  Qui  a  ferti- 
lisé les  plaines,  les  coteaux,  le  sommet  des  mon- 
tagnes? Qui  a  fait  de  la  France  un  jardin  où 
poussent  à  F  envi  le  blé  et  la  vigne,  ces  deux  subs- 
tances qui  sont  l'aliment  royal  des  peuples  civili- 
sés ?  0ui  a  fait  de  la  France  une  corbeille  de  fleurs 
et  de  fruits?  L'Eglise,  les  moines.  Ils  ont  mis  en 
culture  le  tiers  de  notre  territoire,  ils  ont  fondé  les 
trois  huitièmes  de  nos  villes  et  de  nos  villages 
Parcourez  toute  l'Europe,  et  indiquez-nous  la  con- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  285 

trée  où  la  charrue  des  moines  n'a  pas  précédé  la 
charrue  des  laïques.  «  Assurément,  dit  Monialem- 
hert,  nous  attendrons  longtemps  la  réponse.  »  Par 
leurs  immenses  travaux,  les  moines  ont  ressuscité 
l'agriculture.  Ils  ont  fait  mieux  :  ils  l'ont  réhabi- 
litée et  ennoblie  par  leurs  exemples. 


III.  L'exemple  des  moines. 

La  vie  des  champs,  l'agriculture  et  les  arts  méca- 
niques qui  forment  son  cortège,  exclusivement 
abandonnés  aux  esclaves  par  la  civilisation  païenne 
et  souverainement  méprisés  par  les  Barbares,  durent 
aux  religieux  non  seulement  leur  résurrection,  mais 
leur  ennoblissement.  «  Le  spectacle  de  plusieurs 
milliers  de  religieux  cultivant  la  terre,  dit  Chateau- 
briand, mina  peu  à  peu  les  préjugés  barbares  qui 
attachaient  le  mépris  à  l'art  qui  nourri  t  les  hommes.  » 
Ce  sont  les  exemples  plus  que  les  doctrines  qui 
mènent  l'humanité.  Vainement  eût-on  prêché  le 
Dieu-homme  employant  les  neuf  dixièmes  de  sa  vie 
à  fabriquer  des  jougs  et  des  charrues.  Pour  que 
cette  croyance  s'implantât  dans  les  mœurs,  il  fal- 
lait que  l'évêque,  l'abbé,  le  prêtre,  issus  plusieurs 
du  sang  royal,  laissassent  fréquemment  la  crosse 
et  la  plume  pour  saisir  la  bêche,  la  charrue  et  le 
marteau. 

L'Eglise  prit  donc  ses  moines  par  la  main  et  les 


286  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

conduisit  dans  le  sillon.  Elle  les  fit  passer  du  psau- 
tier à  la  bêche  et  de  la  bêche  au  psautier;  elle  en 
fit  à  la  fois  des  hommes  de  peine  et  des  anges  de 
prière,  des  religieux  et  des  agriculteurs.  Et  cet  état 
avili,  le  plus  méprisé  de  tous  fut  relevé  et  réhabi- 
lité. L'Eglise  monte  au  manoir;  elle  y  choisit  des 
fils  de  comtes  et  de  barons,  de  ducs  et  de  princes; 
elle  les  mène  à  Cîteaux,  à  Cluny  ou  ailleurs,  et  là, 
après  les  avoir  dépouillés  de  leurs  livrées  mon- 
daines, elle  leur  dit  :  Allez  dans  ces  marais  fan- 
geux ;  forgez  des  socs  avec  les  épées  de  vos  pères; 
défrichez,  assainissez,  travaillez!  Et  ces  fils  de 
grands  seigneurs,  ces  nobles  devenus  moines,  sai- 
sissent la  charrue,  la  bêche  ou  la  houe  qui  déchirent 
leurs  mains  délicates;  ils  coupent  le  blé,  fanent 
les  foins,  et  apportent  eux-mêmes  les  gerbes  sur 
leurs  épaules.  On  les  voit  en  file  de  quinze  ou  vingt 
descendre  le  coteau,  courbés  sous  le  poids  de  leur 
faix,  accablés  de  chaleur  sous  leur  froc  de  grosse 
laine,  le  front  tout  ruisselant  de  sueurs.  Ni  l'étude, 
ni  l'enseignement  des  lettres,  ni  la  crosse  abbatiale 
ne  dispensent  des  travaux  manuels.  Le  chef  du  mo- 
nastère est  le  premier  aux  champs  comme  le  pre- 
mier au  chœur.  J'entends  le  grand  saint  Bernard 
qui  s'applaudit  devant  ses  religieux  d'être  enfin 
devenu  un  bon  moissonneur.  Et  un  jour  que  l'envoyé 
du  Pape  était  venu  dans  le  couvent  du  saint  abbé 
Equatius  et  le  cherchait  parmi  les  copistes  pour 
l'emmener  à  Rome,  les  calligraphes  interrogés  lui 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  287 

répondirent  :  «  Il  est  là-bas,  dans  la  vallée,  à  cou- 
per du  foin.  » 

C'est  de  la  sorte  qu'a  été  changée  la  face  de  la 
terre  et  réhabilitée  l'agriculture.  Gomment  les 
peuples  n'auraient-ils  pas  cru  à  la  dignité  du  tra- 
vail des  "champs,  quand  ils  voyaient  un  Carloman, 
oncle  de  Gharlemagne;  un  Guillaume,  duc  d'Aqui- 
taine; un  Adalbert,  duc  de  Bohême;  Hugues,  duc 
de  Bourgogne;  Guy,  comte  d'Abbon;  Herman, 
margrave  de  Bade  ;  saint  Benoit,  comte  de  Mague- 
lonne;  Anselme,  duc  de  Frioul,  et  mille  autres 
encore,  c'est-à-dire  la  noblesse,  la  science,  le  talent, 
la  sainteté,  toutes  les  grandeurs  et  toutes  les  gloires 
relever,  réhabiliter,  ennoblir  la  charrue  et  placer 
le  hoyau  du  laboureur  au-dessus  de  l'épée  des  con- 
quérants, francs  ou  romains?  Des  exemples  venus 
de  si  haut  impressionnèrent  les  foules  et  leur  ins- 
pirèrent l'amour,  l'estime  et  la  pratique  du  travail 
agricole. 

—  Telle  est,  Messieurs,  l'œuvre  de  l'Eglise  et  des 
moines.  Par  leur  travail  personnel  et  par  leur 
exemple  communicatif,  les  moines  ont  réhabilité 
l'agriculture,  ils  ont  transformé  les  hommes  et  la 
terre.  Ils  ont  civilisé  en  même  temps  les  âmes  et 
le  sol.  Et  cependant  ouvrez  certains  dictionnaires 
aw  mot  Agriculture,  vous  verrez  qu'on  y  parle  de 
tout,  excepté  des  moines.  Demandez  à  des  masses 
de  braves  gens  ce  qu'ils  pensent  des  moines,  et  ils 


288  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

vous  diront  naïvement  que  les  moines  étaient  des 
ignorants  et  des  oisifs.  Le  nom  de  ces  travailleurs 
intelligents  et  infatigables  est  passé  sous  silence  ou 
conspué.  Leurs  travaux  de  dix  siècles  sont  oubliés 
ou  calomniés.  0  ingratitude!  ignorance  plus  pro- 
fonde encore  que  l'ingratitude  !  Sachons,  Messieurs, 
que  sans  les  moines  nous  n'aurions  ni  propriété, 
ni  liberté,  ni  patrie,  ni  même  un  morceau  de  pain; 
c'est  à  eux  que  nous  devons*  tout.  «  Nos  pères,  dit 
Chateaubriand,  étaient  des  Barbares  à  qui  l'Eglise 
fut  obligée  d'enseigner  jusqu'à  l'art  de  se  nourrir.  » 
Restons  sur  ce  dernier  mot. 

Amen! 


QUATRIÈME  CONFERENCE 

/.  —  CE  QUE  V ÉGLISE 
A  FAIT  POUR  L'AGRICULTURE 

(suite) 


Messieurs, 

L'Eglise  est  la  grande  bienfaitrice  de  l'humanité 
dans  l'ordre  intellectuel,  dans  l'ordre  moral,  et 
aussi  dans  Tordre  matériel.  Dans  l'ordre  matériel, 
l'histoire  nous  la  montre  venant  au  secours  de 
l'agriculture  tombée  et  discréditée,  et  la  ressusci- 
tant, la  réhabilitant  par  le  travail  et  par  l'exemple 
des  moines.  Ce  sujet  n'est  point  épuisé.  Permettez- 
moi  d'y  revenir.  L'agriculture  est  une  science, 
l'agriculture  est  la  source  de  la  richesse.  Or,  les 
moines  ont  été  de  savants  agriculteurs,  et,  en  tra- 
vaillant la  terre,  ils  sont  devenus  riches.  Je  me 
propose  aujourd'hui  de  justifier  la  richesse  des 
moines  et  d'exalter  leur  science  agricole. 


1.  La  science  agricole  des  moines. 

Cette  science  agricole  des  moines  n'est  pas  con- 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.    —   1-19 


290  CONFERENCES  AUX  HOMMES 

testable.  Ils  connaissent  le  sol,  ils  savent  s'il  est 
apte  à  produire  des  céréales  ou  à  recevoir  des 
arbres,  et,  avant  de  garder  ou  d'abattre  une  forêt, 
ils  étudient  la  nature  du  terrain,  comptent  ses 
couches  et  calculent  ses  chances  d'exploitation.  Et 
que  de  fois  n'a-t-on  pas  regretté  d'avoir  déboisé 
telle  région  qu'ils  avaient  plantée  ? 

Ils  connaissent  les  phénomènes  de  l'atmosphère. 
Ils  savent  quels  sont  les  vents  les  plus  nuisibles 
aux  cultures  et  comment  il  faut  abriter  une  terre 
ensemencée  par  de  hautes  futaies  de  hêtres  et  de 
chênes.  Ils  savent  à  quelle  exposition  il  est  utile  de 
laisser  les  vignobles  pour  que  le  soleil  verse  sur 
eux  tous  ses  feux.  Ils  savent  maintenir  l'équilibre 
de  l'air,  en  alternant  la  végétation  forestière  et  la 
végétation  alimentaire.  C'est  ainsi  qu'ils  prévinrent 
de  grands  bouleversements  atmosphériques  et  que 
le  fléau  de  la  grêle  leur  fut  à  peu  près  inconnu. 
C'est  ainsi  qu'ils  alimentèrent  les  sources,  retenant 
les  eaux  pluviales  dans  les  feuillages,  les  hautes 
herbes  et  les  broussailles,  et  les  empêchant  de  des- 
cendre rapidement  et  par  torrents  dans  les  vallées 
dévastées.  Ils  sont  nos  maîtres.  Et  c'est  pour  n'avoir 
pas  laissé  au  front  de  nos  montagnes  ces  couronnes 
de  forêts,  conservées  par  les  moines,  que  nous 
avons  vu  se  dessécher  un  grand  nombre  de  cours 
d'eau  qui  fertilisaient  autrefois  les  prairies,  et  que 
les  inondations  sont  devenues  beaucoup  plus  fré- 
quentes et  plus  terribles. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  291 

Ils  connaissent  la  science  hydraulique,  et  ils  se 
comportent  au  xii6  siècle  comme  s'ils,  avaient  été 
de  l'Académie  des  Sciences  en  l'année  1900.  Voyez - 
les  à  l'œuvre.  Ils  recueillent  les  eaux  provenant  des 
pluies  torrentielles  ou  de  la  fonte  des  neiges  et  les 
emmagasinent  dans  de  vastes  étangs.  Ils  calculent 
la  pente  nécessaire,  l'imperméabilité  des  couches 
inférieures,  le  volume  d'eau,  le  groupement  des 
bassins,  afin  de  maintenir  ces  réservoirs  artificiels 
dans  un. état  permanent  de  plénitude  et  de  stabilité, 
afin  de  leur  assurer  une  abondance  suffisante  et  un 
débit  régulier.  Et  de  ces  bassins  multiples  et  super- 
posés s'échappent  des  eaux  puissantes  et  modérées, 
des  ruisseaux  jamais  taris  qui  arrosent  les  prairies 
et  servent  de  force  motrice  à  une  foule  de  moulins 
et  d'usines  élevés  sur  les  bords. 

Voulez-vous  d'autres  témoignages  encore  de  la 
science  agricole  des  moines?  Il  m'est  facile  de  vous 
satisfaire.  Ils  ont  conservé  les  traités  des  anciens 
sur  l'agriculture,  les  livres  de  Varron,  de  Caton,  de 
Columelle,  et  ils  ont  ajouté  aux  méthodes  tradi- 
tionnelles de  l'antiquité  des  procédés  sagement 
novateurs. 

C'est  à  eux  qu'il  faut  faire  honneur  de  l'inven- 
tion du  drainage. 

Les  moines  agriculteurs  ont  rendu  aux  peuples 
de  l'Europe  le  froment,  cette  précieuse  céréale  qui 
est  devenue  la  base  de  notre  régime  alimentaire  et 
que  ne  connaissaient  plus  nos  ancêtres  nomades, 


292  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

quand  ils  vivaient  à  l'aventure  de  racines,  de  fruits 
et  de  coquillages. 

Les  moines  viticulteurs  ont  implanté  et  créé  les 
meilleurs  vignobles  de  France,  d'Italie,  d'Allemagne 
et  d'Espagne.  C'est  ainsi  qu'au  monastère  de  Micy, 
là,  à  deux  pas  d'Orléans,  deux  moines,  attirés,  l'un 
du  Bordelais,  l'autre  de  l'Auvergne,  par  la  haute 
réputation  de  saint  Mesmin,  inaugurèrent  un 
double  cépage  qui  a  conservé  jusqu'à  ce  jour  le 
nom  altéré  des  deux  provinces  originelles  :  le  Gas- 
con et  l'Auvernat. 

Et  n'est-ce  pas  au  mérite  et  au  travail  des  moines 
que  nous  sommes  redevables  de  nos  plus  belles 
prairies,  autrefois  des  vallées  dénudées  et  des  ma- 
rais fangeux?  N'est-ce  pas  à  leur  régime  entière- 
ment végétal  que  nous  devons  nos  plus  beaux  jar- 
dins potagers  et  les  progrès  de  notre  horticulture? 
N'est-ce  pas  à  eux  que  l'on  doit  la  première  culture 
du  mûrier,  du  chanvre  et  du  lin,  si  bien  qu'au 
xue  siècle  la  Lombardie  possédait  de  nombreuses 
fabriques  de  toiles,  de  draps  et  de  soieries,  dont 
une  seule  nourrissait  jusqu'à  quarante  mille  âmes? 
Les  moines  ont  été  d'éminents  apiculteurs  et  arbo- 
riculteurs. Ils  ont  introduit  le  pommier  en  Armo- 
rique,  le  noyer  en  Auvergne,  et  jusqu'à  la  Révolu- 
tion la  Chartreuse  de  Paris  est  restée  une  pépinière 
célèbre,  fournissant  des  arbres  fruitiers  à  la  France 
entière.  La  chose  n'est  pas  niable.  Les  moines  ont 
possédé  à  un  haut  degré  la  science  agricole.' 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  293 

Ils  ont  fait  mieux.  Ils  l'ont  répandue  et  popula- 
risée. Aujourd'hui  nous  créons  des  fermes-écoles 
et  des  instituts  agronomiques.  Ce  n'est  pas  mal. 
C'est  même  très  bien.  Remarquons  seulement  que 
les  moines  ont  fait  cela  avant  nous  et  mieux  que 
nous.  Cîteaux,  Gluny,  Luxeuil  et  tontes  les  abbayes 
de  V Europe  n'étaient  pas  seulement,  il  y  a  six  cents 
ans,  des  centres  de  piété  et  d'érudition  ;  c'étaient 
encore  des  centres  de  culture,  de  vrais  instituts 
agronomiques,  semblables  à  ceux  que  nous  es- 
sayons d'établir,  avec  cette  différence  que  les 
moines,  au  lieu  de  demander  vingt  millions  par  an 
pour  faire  leurs  expériences,  ne  demandaient  que 
des  broussailles  et  des  marais.  Autour  de  chaque 
abbaye  venaient  se  grouper  de  nombreuses  métai- 
ries qui  sont  devenues  depuis  des  villages,  des 
bourgs  ou  des  villes.  Toutes  ces  métairies  monas- 
tiques se  rattachaient  à  l'abbaye,  qu'on  aurait  pu 
appeler  la  ferme-école  régionale.  Et  les  abbayes  à 
leur  tour  étaient  reliées  entre  elles  par  des  colonies 
qui  allaient  porter  sous  d'autres  climats  le  trop-plein 
de  la  ruche  monastique  et  la  pratique  de  la  science 
agricole.  Toutes  ces  colonies,  parties  du  même 
centre  et  fixées  dans  les  pays  les  plus  divers,  se 
communiquaient  leurs  méthodes,  leurs  découvertes, 
leurs  produits.  Et  ainsi  se  formaient  par  les  moines, 
comme  par  autant  de  courtiers  agricoles,  de  vastes 
sociétés  internationales  pour  la  propagation  et  le 
perfectionnement   de    l'agriculture.    Saluez,    Mes- 


204  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

r 

sieurs,  saluez  l'Eglise  qui  par  ses  moines  a  travaillé 
si  puissamment  à  la  création  et  à  la  diffusion  de  la 
science  agricole!  Oui,  mais  les  moines  sont  devenus 
riches!  Un  mot  pour  répondre  à  cette  objection. 


II.  La  richesse  des  moines. 

Les  moines  ont  été  riches,  très  riches.  La  célèbre 
abbaye  de  Fulda  possédait,  dès  l'époque  de  Char- 
lemagne,  trois  mille  métairies  en  Thuringe,  trois 
mille  dans  la  Hesse,  trois  mille  en  Franconie,  trois 
mille  en  Bavière  et  trois  mille  en  Saxe.  On  a  éva- 
lué à  plus  de  soixante  mille  livres  de  rentes  les 
revenus  de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés  à 
Paris  dès  le  ixe  siècle.  En  général,  toutes  les  grandes 
cultures  monastiques  présentent  un  état  de  pros- 
périté surprenante.  Que  faut-il  penser  de  ^cette 
grande  richesse  des  moines?  Trois  choses. 

1°  La  richesse  des  moines  a  été  lente  dans  sa 
formation.  Aujourd'hui,  on  s'enrichit  vite.  On  mo- 
nopolise, on  accapare  le  blé,  le  café,  le  cuivre;  on 
fait  la  pluie  et  le  beau  temps  sur  tous  les  marchés  ; 
on  écrase  les  concurrents,  on  exploite  les  consom- 
mateurs, et  c'est  fait,  le  tour  est  joué,  on  réalise 
en  quelques  jours  des  millions  et  des  millions.  Ou 
bien,  en  un  seul  coup  de  bourse,  on  ramasse  ins- 
tantanément, on  draine  la  fortune  des  particuliers 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  295 

ou  des  Etats;  par  exemple,  la  fortune  actuelle  delà 
famille  Rothschild  est  évaluée  à  cinq  milliards,  et 
elle  double  en  moins  de  quinze  ans.  En  1800,  ils 
n'avaient  pas  le  sou,  et  dans  cent  ans  ils  posséde- 
ront trois  cent  vingt  milliards,  plus  que  la  France 
entière  ne  possède  aujourd'hui.  En  présence  de  ces 
énormités.  aurez-vous  le  courage  de  crier  contre  la 
fortune  des  moines?  Eux,  du  moins,  ne  se  sont  pas 
enrichis  par  des  coups  de  bourse.  Ils  sont  devenus 
riches  comme  de  bons  pères  de  famille  qui  agran- 
dissent au  prix  de  leurs  sueurs  le  petit  domaine 
qu'ils  ont  reçu  de  leurs  ancêtres,  et  qui  le  trans- 
mettent à  leurs  enfants  pour  que  ceux-ci  y  ajoutent 
leur  apport  personnel.  Ils  sont  devenus  riches  len- 
tement et  laborieusement.  Ils  y  ont  mis  des  siècles. 

2°  La  richesse  des  moines  a  été  légitime  dans  ses 
sources.  Un  jour,  après  de  longs  siècles  écoulés,  les 
moines  se  sont  trouvés  détenteurs  d'un  tiers  de 
notre  sol  ;  mais  d'abord  c'a  été  sans  faire  d'injustice 
à  personne,  c'a  été  aux  seuls  dépens  des  forêts  dé- 
frichées, des  déserts  fertilisés,  des  marais  dessé- 
chés. Ensuite,  ces  terres  fécondes,  ces  riches  prai- 
ries, ces  vergers  productifs  ont  été  créés  par  qui? 
Par  eux,  par  leur  travail  opiniâtre  et  intelligent. 
L'intelligence  et  l'effort  sont  les.  deux  grands  fac- 
teurs de  la  richesse.  Les  moines  furent  des  agri- 
culteurs intelligents  et  actifs.  Naturellement,  ils 
furent  riches.   Qu'avez-vous  à  dire  à  cela?  Tâchez 


296  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

d'en  faire  autant.  La  richesse  des  moines  a  été  on 
ne  peut  plus  légitime  dans  ses  sources,  et  plaise  à. 
Dieu  qu'on  puisse  en  dire  autant  de  toutes  les  ri- 
chesses qui  s'étalent  au  soleil.  Et  enfin! 

3°  La  richesse  des  moines  a  été  bienfaisante  dans 
son  emploi.  La  richesse  pour  ceux  qui  la  possèdent 
n'est  pas  seulement  un  droit  personnel,  elle  est 
encore  une  fonction  sociale.  Les  riches  sont,  de  par 
la  volonté  de  Dieu,  les  propriétaires  de  leurs  biens 
et  les  distributeurs  de  leur  superflu.  Cette  notion 
simple  et  sublime  de  la  richesse  a  été  la  règle  des 
moines. 

Avec  leurs  richesses,  ils  ont  couvert  de  bienfaits 
les  classes  indigentes.  Jadis,  l'Eglise  riche  se  char- 
geait des  pauvres.  Elle  mettait  dans  son  lot  tous 
ceux  qui  n'avaient  rien,  elle  s'obligeait  à  les  nour- 
rir. L'abbaye  de  Saint-Germain,  à  elle  seule,  dès  le 
ixe  siècle,  entretenait  à  ses  frais  plus  de  deux  mille 
ménages  comprenant  plus  de  dix  mille  âmes.  Cluny 
entretenait  annuellement  plus  de  dix-sept  mille 
pauvres.  Tout  ouvrier  venant  frapper  à  la  porte 
du  monastère  y  trouvait  toujours  du  travail,  des 
ressources  et  un  juste  salaire. 

Les  moines  nourrissaient  les  classes  indigentes 
et  soutenaient  les  classes  agricoles.  Ils  offraient  à 
leurs  tenanciers  de  larges  bénéfices.  Plusieurs  ab- 
bayes ne  demandaient  à  leurs  métayers  que  le 
septième  des  grains.  Les  paysans  rétribués  deve- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  297 

naient  facilement  propriétaires.  Quand  Turgot 
prit  le  ministère,  à  la  fin  du  xvine  siècle,  le  quart 
du  sol  appartenait  aux  laboureurs.  Les  meilleurs 
érudits  établissent  par  des  preuves  rigoureuses  et 
impartiales,  qu'en  France,  en  Allemagne  et  en 
Italie,  la  condition  du  plus  grand  nombre  était 
meilleure  au  xme  siècle  qu'elle  ne  l'est  aujour- 
d'hui, soit  à  cause  du  bon  marché  des  denrées  ali- 
mentaires, soit  à  cause  des  progrès  agricoles.  Et, 
au  point  de  vue  intellectuel  et  moral,  où  en  était  le 
paysan  du  xme  siècle?  Il  avait  l'école  gratuite,  sé- 
rieusement" gratuite.  La  diffusion  de  l'enseigne- 
ment primaire  était  presque  aussi  grande  qu'à 
l'heure  actuelle,  et  les  mœurs  valaient  mieux  que 
nos  mœurs  d'aujourd'hui.  Cessons  donc  de  suspec- 
ter et  de  calomnier  la  richesse  des  moines.  Elle  a 
été  lente  dans  sa  formation,  légitime  dans  ses 
sources,  et  bienfaisante  dans  son  emploi. 


Conclusion. 

Les  bienfaits  de  l'Eglise  envers  l'agriculture  sont 
patents  : 

1°  En  établissant  la  trêve  de  Dieu  au  milieu  des 
guerres  du  moyen  âge,  l'Église  a  protégé  Fagricul- 
ture  contre  les  dévastations  incessantes  des  barons 
guerroyeurs  ; 


298  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

2°  En  affranchissant  les  communes,  en  fondant  la 
liberté  des  classes  populaires,  en  créant  à  côté  des 
grandes  propriétés  seigneuriales  ou  monastiques, 
le  juste  équilibre  des  propriétés  moyennes  et  pe- 
tites, l'Église  a  imprimé  le  plus  grand  essor  au 
progrès  des  cultures  ; 

3°  Par  les  Croisades,  l'Eglise  a  transporté  sur 
d'autres  champs  de  bataille  l'humeur  belliqueuse 
de  nos  pères  au  grand  avantage  de  nos  champs  et 
de  nos  moissons.  Que  serait  devenu  le  travail  agri- 
cole en  Europe,  si,  sans  les  Croisades,  les  Turcs 
étaient  restés  les  maîtres  de  notre  sol?  Nous  serions 
les  victimes  de  l'inertie  musulmane  ; 

4°  Enfin,  comme  je  l'ai  dit  et  prouvé,  en  envoyant 
partout  des  légions  de  moines  agriculteurs,  l'Eglise 
a  transformé  le  sol  de  l'Europe,  elle  a  donné 
l'exemple  du  travail  des  champs,  elle  a  répandu  la 
science  agricole,  elle  a  couvert  le  monde  de  bien- 
faits. 

Disons  tout  d'un  mot  :  Depuis  dix-neuf  siècles, 
l'Église,  bienfaitrice  du  genre  humain,  n'a  qu'une 
devise,  celle  d'un  grand  catholique  de  notre  temps, 
M.  de  Falloux  :  Non  sibi,  sed  populo  :  rien  pour 
elle,  tout  pour  le  peuple  ! 

Allez,  fils  de  l'Église,  faites  de  même,  et  le 
monde  vous  appartiendra  ! 

Amen! 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE 

//.  —  CE  QUE  DEVIENT  L AGRICULTURE 
EN  DEHORS  DE  L'ÉGLISE 


1°  l'agriculture  et  le  protestantisme 


Messieurs, 

Dans  l'ordre  matériel  comme  dans  l'ordre  intel- 
lectuel et  moral,  l'Eglise  est  la  grande  bienfaitrice 
de  l'humanité.  Que  n'a-t-elle  pas  fait  pour  l'agri- 
culture? Pendant  plus  de  dix  siècles,  depuis  l'inva- 
sion des  Barbares  jusqu'au,  protestantisme,  elle  a 
fondé,  réhabilité,  fait  progresser  l'agriculture.  Nous 
avons  vu  cela  en  étudiant  de  près  le  travail,  l'exemple, 
la  science  et  la  richesse  des  moines.  Au  xvi6  siècle, 
un  grand  événement  se  produit.  L'Église  perd  la 
moitié  de  l'Europe.  Le  protestantisme  entre  en 
scène. 

D'abord,  il  faut  vous  rappeler  qu'une  des  causes 
principales  de  la  Réforme  fut  la  convoitise  pour  les 
biens  des  couvents,  le  désir  de  faire  main  basse 
sur  les  richesses  des  moines.  En  Angleterre,  en 
Allemagne,  dans  les  royaumes  du  Nord,  les  rois  et 


300  '        CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

les  plus  puissants  seigneurs  se  font  protestants, 
surtout  parce  qu'ils  sont  cupides  et  voleurs.  Or,  que 
devint  l'agriculture  au  milieu  de  ce  grand  boule- 
versement européen,  au  milieu  de  ce  brigandage 
universel?  Jetons  un  regard  seulement  sur  l'An- 
gleterre et  sur  la  France  au  lendemain  du  protes- 
tantisme. 


I.  L'agriculture  en  Angleterre  à  la  suite  du  pro- 
testantisme. 

J'entends  si  souvent  parler  de  la  supériorité  de 
la  race  anglo-saxonne  et  de  sa  prééminence  dans 
le  monde,  que  je  ne  suis  point  fâché  de  vous  en 
dire  un  petit  peu  de  mal  et  de  remettre  les  choses 
au  point.  Au  moment  de  la  Réforme,  un  grand  vol 
s'est  commis  en  Angleterre.  Les  couvents  ont  été 
spoliés,  et  leurs  biens  sont  allés  enrichir  des  grands 
seigneurs  cupides  et  corrompus. 

C'a  été  r abolition  de  la  petite  culture  par  la  con- 
centration excessive  des  biens  agricoles  dans  un 
petit  nombre  de  mains.  Est-ce  un  bien,  cela?  Je 
ne  le  crois  pas. 

D'abord  la  petite  culture  renferme  de  précieux 
avantages  quand  elle  s'unit  dans  de  justes  propor- 
tions avec  la  propriété  grande  et  moyenne,  et  qu'elle 
n'est  pas  poussée  jusqu'à  la  pulvérisation  du  sol.  La 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  301 

petite  et  la  moyenne  culture,  en  attachant  à  la  terre 
l'homme  qui  la  cultive,  lui  inspire  l'esprit  familial 
et  les  vertus  d'ordre,  d'économie,  de  prévoyance, 
d'activité.  Elle  décuple  l'intensité  du  travail.  Or, 
aujourd'hui  encore,  en  Angleterre,  il  n'y  a  pas  de 
petite  culture.  Deux  mille  propriétaires  possèdent  à 
eux  seuls  un  tiers  dçs  terres. 

Quand  môme  cette  situation  serait  favorable  aux 
progrès  de  l'agriculture,  qu'importe?  Est-elle  favo- 
rable à  la  dignité  de  la  population  et  à  l'honneur  de 
la  race?  Non,  certainement.  Voyons.  Lequel  vaut  le 
mieux,  d'un  pays  couvert  de  petites  maisons,  habi- 
tées par  un  peuple  intelligent,  moral,  ami  de  l'ordre, 
passionné  poar  son  indépendance,  et  d'un  pays  où 
l'œil  n'aperçoit  qu'un  château  le  plus  souvent  inha- 
bité, une  maison  ou  deux  de  fermiers  dans  l'aisance, 
des  masures  habitées  par  de  misérables  journaliers 
et  une  manufacture  peuplée  d'automates  humains 
qui  se  consument  autour  d'automates  artificiels? 
Le  premier  de  ces  deux  pays,  l'Espagne,  pourra 
défier  et  user  pendant  six  ans  la  puissance  du  con- 
quérant qui  parcourt  au  galop  les  capitales  de 
l'Europe;  l'autre,  s'il  échappe,  par  ses  conditions 
géographiques,  à  l'ennemi  du  dehors,  n'offrira  ja- 
mais au  regard  de  l'observateur  qu'un  spectacle  peu 
honorable,  le  spectacle  de  quelques  milliers  de 
riches  sans  entrailles  se  noyant  dans  les  recherches 
du  luxe  au  milieu  d'un  peuple  de  faméliques.  Et 
tel  est  le  spectacle  que  nous  donne  cette  belle  An- 


302  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

gleterre,  dont  on  vante  avec  tant  d'ardeur  et  la 
richesse,  et  la  puissance,  et  les  progrès  matériels. 
En  concentrant  dans  quelques  mains  les  biens  vo- 
lés aux  couvents,  l'Angleterre  protestante  a  aboli 
la  petite  culture. 

Elle  a  produit  un  second  phénomène  qui  n'est 
guère  à  envier  :  l'assimilation  de  la  vie  agricole  à 
la  vie  manufacturière.  Les  fermes,  en  Angleterre, 
sont  devenues  de  vastes  exploitations  dirigées  de  loin 
par  de  grands  seigneurs  capitalistes.  On  a  dit  que 
les  grandes  manufactures  de  l'Angleterre  sont  des 
inventions  qui  ont  pour  but  de  créer  deux  sortes 
de  produits  :  du  coton  et  des  pauvres.  Or,  on  peut 
dire  à  peu  près  la  même  chose  des  exploitations 
agricoles  anglaises,  qui  produisent  du  blé  et  des 
pauvres.  Le  paupérisme  des  campagnes  va  de  pair 
avec  celui  des  villes.  Le  paysan  anglais  n'est  ni  un 
fermier,  ni  un  métayer,  mais  un  simple  journalier 
qui  émigré  sans  cesse  de  comté  en  comté,  en  quête 
de  travail,  exposé  par  ces  habitudes  errantes  à  l'ins- 
tabilité des  salaires  et  à  tous  les  périls  de  l'immo- 
ralité. 

On  dit  :  l'agriculture  anglaise  est  prospère.  C'est 
possible.  Mais  le  sera-t-elle  toujours?  On  peut  en 
douter,  quand  on  songe  aux  sourdes  colères  qui 
s'amassent  dans  l'âme  du  paysan  anglais  contre 
les  quatre  millions  de  lords  qui  exploitent  son  tra- 
vail et  sa  misère.  Certes,  elle  n'est  point  à  envier 
cette   prospérité  d'un  peuple  qui  compte   dix-huit 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  30Î 

millions  de  misérables  sur  trente  millions  d'habi- 
tants! D'ailleurs,  écoutez  ceci.  En  1878,  la  Confé- 
rence d'histoire  de  l'Université  de  Cambridge  fut 
appelée  à  délibérer  sur  cette  question  :  la  suppres- 
sion des  monastères  en  Angleterre  a-t-elle  été  un 
mal  ou  un  bien  pour  le  pays?  Après  trois  jours  de 
discussion,  la  Conférence,  exclusivement  composée 
d'anglicans  et  de  gradués  de  l'Université,  prit,  à  la 
majorité  de  88  voix  contre  60,  un  arrêté  conçu  en 
ces  termes  :  «  La  suppression  des  monastères  par 
Henri  VIII  a  été  un  cruel  malheur  pour  le  pays,  et 
les  circonstances  actuelles  exigent  impérieusement 
le  rétablissement  d'institutions  analogues  parmi 
nous.  »  On  ne  pouvait  pas  exprimer  d'une  manière 
plus  éloquente  et  plus  impartiale  le  tort  causé  par 
la  Réforme  aux  classes  agricoles  en  Angleterre. 
Mais  laissons  l'Angleterre.  Restons  chez  nous. 


II.  L'agriculture  en  France  à  la  suite  du  protes- 
tantisme. 

La  Réforme,  sans  doute,  n'a  pas  arraché  la  France 
au  giron  de  l'Église.  Mais  elle  s'est  quand  même 
introduite  chez  nous  par  infiltration,  et  elle  a  at- 
teint notre  agriculture  de  deux  manières  :  par  la 
commende  et  parla  désertion  des  campagnes. 

1°   Par  la   commende   d'abord.  Je  m'explique- 


304  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Pour  empêcher  la  France  d'aller  à  la  Réforme,  la 
Papauté  fit  une  triste,  mais  prudente  et  nécessaire 
concession  à  la  Royauté.  Le  Concordat  conclu 
entre  François  Ier  et  Léon  X  abandonna  au  roi  la 
nomination  des  commendataires.  Par  cet  acte,  les 
rois  de  France  furent  soustraits  à  la  tentation  d'em- 
brasser la  prétendue  Réforme  de  Luther  et  de  Calvin. 
Ils  n'avaient  plus  d'intérêt  à  se  faire  protestants. 
Par  la  commende,  en  effet,  ils  disposaient  à  leur  gré 
des  bénéfices  des  couvents  ;  ils  avaient  la  faculté  de 
s'en  approprier  les  revenus,  de  les  donner  ou  de 
les  vendre.  C'était  la  ruine  presque  inévitable  de 
la  vie  monastique,  et  par  suite  c'était  une  atteinte 
profonde  portée  à  F  agriculture. 

La  vie  monastique  se  trouve  gravement  compro- 
mise. Les  rois,  maîtres  des  bénéfices,  les  distribuent 
aux  cadets  de  noblesse  qui  deviennent  abbés, 
quoique  laïques,  ou  entrent  dans  le  clergé  sans 
vocation,  se  contentant  parfois  d'en  prendre  par  la 
tonsure  l'insignifiante  livrée.  Les  abbayes  sont 
transformées  en  châteaux  forts.  Les  pages  et  les 
hommes  d'armes  y  installent  les  jeux  guerriers. 
Les  soigneurs  s'y  établissent  avec  leurs  femmes, 
leurs  chiens  de  chasse  et  leurs  chevaux,  conservant 
les  moines  comme  des  travailleurs  utiles,  et  pre- 
nant pour  eux-mêmes  le  produit  de  leur  travail. 
Quelques-uns  d'entre  eux  laissent  à  peine  aux  reli- 
gieux de  quoi  subsister  et  les  réduisent  à  la  portion 
congrue.  Les  monastères   sont  gouvernés  par  des 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  305 

ministres  ambitieux,  des  courtisans  effrontés,  des 
lettrés  sans  honneur,  des  hommes  d'armes  aussi  dis- 
solus dans  la  paix  que  dans  la  guerre,  et  enfin  par 
des  abbés  sans  vocation.  La  décadence  monastique 
était  fatale.  Vainement  les  chapitres  généraux  de 
Gluny,  de  Cîteaux  et  autres  protestent  contre  le 
despotisme  de  la  commende,  contre  l'invasion  du 
laïcisme,  contre  les  angoisses  et  les  tortures  de  ce 
joug  étranger.  Les  moines  se  plaignent,  et  on  ne 
veut  pas  les  entendre.  Ils  sont  vaincus  par  un  fléau 
qui  ne  vient  pas  d'eux  et  qui  est  plus  fort  qu'eux. 
La  vie  monastique,  après  six  et  sept  siècles  de 
gloire  et  de  bienfaits,  est  sur  le  penchant  de  la 
ruine. 

Et  l'agriculture  succombe  avec  la  vie  monastique. 
Les  monastères  voient  leurs  toits  s'effondrer  et  leurs 
murs  crouler.  Les  moines  sont  obligés  de  recourir 
aux  arrêtés  des  Parlements  pour  obtenir  les  répa- 
rations les  plus  urgentes.  A  la  veille  de  la  Révolu- 
tion, la  commende  leur  a  pris  les  deux  tiers  de  leurs 
immeubles  ;  le  dernier  tiers  seulement  a  pu  échap- 
per à  grand'peine  au  chancre  rongeur.  Et  ce  der- 
nier tiers  de  leur  patrimoine,  ils  le  défendent  pied 
à  pied,  ils  l'administrent  soigneusement,  ils  le  font 
prospérer  de  leur  mieux.  Le  marquis  de  Pompignan, 
voulant  sauver  cette  épave  du  patrimoine  monas- 
tique,  s'écrie  :  «  Je  ne  plaide  point  ici  la  cause  des 
moines;  je  plaide  celle  de  toutes  les  cultures,  de 
tous  les  propriétaires,  des  pauvres,  du  travail  et  de 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.    —  1-20 


306  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  population.  »  Ainsi,  au  milieu  d'une  société  qui 
se  décomposait  et  qui  allait  périr,  les  moines,  au- 
tant qu'ils  le  pouvaient,  arrêtaient  la  décadence  ma- 
térielle et  sauvaient  les  derniers  vestiges  de  la  pros- 
périté agricole.  «  Les  plus  belles  cultures,  dit 
Chateaubriand,  les  paysans  les  plus  riches,  les 
mieux  nourris  et  les  moins  vexés,  les  équipages 
champêtres  les  plus  parfaits,  les  troupeaux  les  plus 
gras,  les  fermes  les  mieux  entretenues  se  trouvaient 
dans  les  abbayes.  »  Hélas  !  les  moines  avaient  beau 
faire.  Le  protestantisme  avait  mis  la  société  sur 
une  pente  fatale.  Le  libre  examen  amenait  la  cor- 
ruption des  idées  et  des  mœurs. 

2°  Le  mal  qui  avait  commencé  par  la  commende- 
s'achevait  parla  désertion  des  campagnes.  La  déser- 
tion des  campagnes,  ce  fléau  dont  nous  avons  tant 
raison  de  nous  plaindre  aujourd'hui,  n'est  pas  nou- 
veau. Il  date  du  commencement  du  xvne  siècle. 
Henri  IV  se  plaint  déjà  que  les  nobles  abandonnent 
la  campagne.  Au  milieu  du  xvin6  siècle,  cette  dé- 
sertion est  devenue  presque  générale.  Tous  les  do- 
cuments du  temps  la  signalent  et  la  déplorent.  On 
en  trouve  la  preuve  authentique  dans  les  registres 
de  la  capitation,  qui  se  percevait  au  lieu  du  domi- 
cile réel  ;  or,  cet  impôt  de  toute  la  grande  noblesse 
et  d'une  partie  de  la  moyenne  est  levé  à  Paris.  Et 
en  même  temps  que  les  campagnes  sont  désertées 
par  les  grands  propriétaires,  le  travail  agricole  dé- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  307 

cline.  Le  rendement  de  la  terre  diminue  de  moitié. 
C'était  fatal.  Les  campagnes  se  dépeuplant  au  profit 
des  villes,  la  consommation  sur  les  lieux  mêmes 
diminuait,  et  par  là  même,  la  production.  Les 
paysans  dénués  de  conseils,  d'avances  et  de  secours, 
laissaient  insensiblement  décroître  leur  puissance 
de  travail.  L'absentéisme  de  la  noblesse  nuisait  h  la 
culture  d'un  tiers  du  sol  qui  lui  appartenait,  et  à  la 
culture  du  second  tiers  qui  appartenait  aux  petits 
propriétaires  ;  la  commende  ruinait  le  reste,  pro- 
priété des  couvents. 

Tout  le  monde  sentait  cela  à  la  fin  du  xvme  siècle, 
à  la  veille  de  nos  grandes  catastrophes.  Le  goût  de 
la  nature,  de  la  campagne  saisissait  tout  à  coup  les 
hautes  classes.  La  voix  de  la  conscience,  de  l'agri- 
culture et  de  la  patrie  leur  criait  :  Sortez  de  la 
corruption  des  villes  ;  retournez  aux  champs,  aux 
montagnes,  à  la  pureté  du  cœur  et  à  la  virilité  de 
l'esprit!  Hélas!  ce  goût  de  la  campagne,  si  beau  et 
si  vrai  en  lui-même,  n'était  chez  nos  frivoles  an- 
cêtres qu'un  goût  superficiel  et  faux,  qui  tourna 
misérablement  à  la  pastorale  et  à  la  complainte.  On 
chantait  la  vie  agricole  ;  on  ne  voulait  plus  la  pra- 
tiquer. On  fuyait  bêtement  le  soc  de  la  charrue,  et 
on  allait  non  moins  bêtement  au  couperet  de  la 
guillotine  ! 

Amen  ! 


SIXIÈME  CONFÉRENCE 

II  —  CE  QUE  DEVIENT  L'AGRICULTURE 
EN  DEHORS  DE  VÊOLISE 

2°  l'agriculture  et  l'irréligion 


Messieurs, 

Pendant  dix  siècles  l'Eglise  a  été  la  grande  bien- 
faitrice de  l'agriculture.  Au  xvie  siècle,  le  protes- 
tantisme a  interrompu  et  gâté  la  belle  œuvre  de 
l'Eglise.  Et  aujourd'hui  où  en  sommes-nous?  où  en 
est  l'agriculture?  Aujourd'hui  l'irréligion,  fille  légi- 
time de  la  Réforme,  continue  la  funeste  décadence 
inaugurée  au  xvie  siècle.  L'irréligion,  en  effet,  est 
l'ennemie  la  plus  terrible  de  l'agriculture.  L'affir- 
mation semble  d'abord  étrange  ;  mais,  après  que 
vous  m'aurez  entendu,  je  suis  à  peu  près  sûr  que 
vous  serez  tous  de  mon  avis.  Tenez!  sur  quoi  repose 
l'agriculture?  Sur  la  bénédiction  de  Dieu,  sur  le 
principe  de  la  propriété,  sur  la  loi  du  sacrifice.  Or, 
l'irréligion  éloigne  la  bénédiction  de  Dieu,  ébranle 
le  principe  de  la  propriété  et  tue  la  loi  du  sacrifice. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  309 

I.  L'agriculture  repose  sur  la,  bénédiction  de  Dieu. 

Est-ce  que  ce  n'est  pas  clair  comme  le  jour? 
Quand  l'homme  s'est  épuisé  sur  le  sillon,  quand  il 
a  versé  ses  sueurs,  ses  larmes  et  le  sang  de  ses 
membres,  il  faut  qu'il  se  résigne  et  qu'il  attende... 
qu'il  attende  quoi  ?  La  pluie,  la  rosée,  le  vent,  la 
chaleur,  le  soleil,  c'est-à-dire  Dieu,  car  tous  ces 
éléments  ne  sont  que  des  causes  secondes  qui  dé- 
pendent uniquement  de  la  cause  première  qui  est 
Dieu.  Vous  tenez  un  des  manches  de  la  charrue, 
c'est  Dieu  qui  tient  l'autre.  Bon  gré  mal  gré  vous 
labourez  ensemble.  Chose  remarquable,  les  plantes 
les  plus  sublimes  et  les  plus  nécessaires  sont  juste- 
ment les  plus  exposées.  Dieu  a  fait  la  fleur  du  blé 
d'une  délicatesse  si  exquise  que  le  moindre  coup 
de  froid  la  fait  pencher  languissante  sur  sa  tige. 
Et  quand  la  vigne  a  donné  sa  fleur  et  que  ses 
grappes  vermeilles  semblent  impatientes  du  pres- 
soir, que  faut-il  pour  tout  détruire?  Un  coup  de 
grêle.  La  gelée,  la  sécheresse,  la  grêle  sont  là  sus- 
pendues sur  le  blé  et  la  vigne,  comme  l'épée  de 
Damoclès  toujours  prête  à  tomber  et  à  tout  perdre. 
Chassez  Dieu  de  partout,  si  vous  le  pouvez,  mais  je 
vous  défends  bien  de  le  chasser  de  la  vie  agricole. 

C'est  pourtant  ce  qu'essaie  de  faire  l'irréligion,  et, 
en  se  livrant  à  cette  entreprise  insensée  et  coupable, 
qui  consiste  à  éliminer  Dieu  et  à  le  supprimer, 


310  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

autant  que  faire  se  peut,  elle  provoque  sa  ven- 
geance et  elle  éloigne  ses  bénédictions.  Ici,  Mes- 
sieurs, je  ne  fais  point  de  mysticisme;  j'ai  la  pré- 
tention de  vous  tenir  le  langage  du  bon  sens  le 
plus  élémentaire,  et  ce  que  je  viens  d'avancer  je  le 
prouve  par  un  seul  exemple.  Parmi  les  lois  de  Dieu, 
il  y  en  a  une  qui  semble  plus  sacrée  que  les  autres 
et  dont  il  punit  plus  rigoureusement  dès  ce  monde 
la  violation,  c'est  la  loi  du  dimanche.  Eh  bien, 
pensez-vous  que  la  violation  publique  et  universelle 
de  cette  loi  divine  dans  nos  campagnes  passera 
inaperçue  et  impunie?  Non.  Dieu  oublié,  désobéi 
et  méprisé  n'aura  pas  de  peine  à  prendre  sa  revanche 
et  il  la  prendra.  Il  stérilisera  le  sol  et  les  sueurs 
de  l'homme,  il  appellera  de  l'étranger  des  produits 
surabondants  qu'essaieront  vainement  d'arrêter  à 
la  frontière  des  droits  compensateurs  ;  ou  bien 
encore,  tirant  du  carquois  de  sa  justice  les  fléaux 
dévastateurs,  il  les  chargera  d'aller  punir  l'agricul- 
ture prévaricatrice.  L'irréligion  éloigne  de  l'agri- 
culture le  premier  élément  de  sa  prospérité,  la 
bénédiction  de  Dieu.  Et  je  ne  crains  pas  de  l'affirmer, 
moins  nos  campagnes  seront  chrétiennes  et  plus  elles 
seront  malheureuses.  Elles  en  font  l'expérience 
depuis  vingt  ans.  La  misère  s'y  est  accrue  en  pro- 
portion de  l'irréligion.  Le  retour  à  l'Eglise  catho- 
lique sera  pour  elles  la  promesse  et  la  garantie  de 
la  bénédiction  de  Dieu.  —  Et  puis  sur  quoi  encore 
repose  l'agriculture? 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  311 

II.  L'agriculture  repose  sur  le  principe  de  la,  pro- 
priété. 

Qui  de  vous,  Messieurs,  contestera  la  nécessité 
du  droit  de  propriété  pour  le  progrès  des  cultures? 
Si  la  propriété  est  déclarée  commune  à  tous,  si  la 
vendange  et  la  moisson  n'appartiennent  point  au 
vigneron  et  au  laboureur  qui  les  ont  arrosées  de 
leurs  sueurs,  mais  à  la  collectivité  qui  s'en  empare 
comme  d'une  proie,  si  le  bien  légitimement  acquis 
ne  peut  être  transmis  à  une  postérité  aimée  qui 
agrandira  encore  le  champ  paternel,  personne  ne 
voudra  plus  travailler.  A  quoi  bon  creuser  des 
puits,  faire  des  drainages,  planter  des  arbres,  greffer 
des  vignes,  à  quoi  bon  défricher,  labourer,  amé- 
liorer le  sol,  à  quoi  bon  suer  et  amasser,  si  les 
produits  de  mon  travail  ne  sont  ni  pour  moi  ni  pour 
mes  enfants?  Le  droit  à  la  propriété  individuelle 
est  la  condition  essentielle  du  travail  agricole.  C'est 
l'évidence  même. 

Or,  ce  droit  de  propriété,  nécessaire  au  progrès 
agricole,  l'irréligion  l'attaque,  l'ébranlé,  le  renverse, 
ou  le  défend  mal.  Les  mêmes  hommes  qui  font 
profession  d'impiété  se  déclarent  les  ennemis  de  la 
propriété  privée.  J.-J.  Rousseau,  Proudhon  et  nos 
socialistes  d'aujourd'hui  mènent  de  front  la  guerre 
à  la  religion  et  la  guerre  aux  propriétaires.  Proudhon 
qui  a  dit  :  u  Dieu,  c'est  le  mal!  »  n'a  pas  tardé  à 


312  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ajouter  :  «  La  propriété,  c'est  le  vol!  »  Et  les  révo- 
lutionnaires les  plus  avancés  et  les  plus  sincères 
ont  une  formule  qui  en  dit  long  dans  sa  brièveté  et 
dont  les  deux  termes  sont  solidaires  :  «  Ni  Dieu  ni 
maître!  »  C'est  logique.  Si  Dieu  n'existe  pas  ou  s'il 
n'a  pas  de  droits,  pourquoi  un  homme,  mon  égal 
par  nature,  aurait-il  sur  moi  des  droits  quelconques? 
S'il  n'y  a  pas  d'autorité  dans  le  ciel,  comment  y 
aurait-il  des  autorités  sur  la  terre?  Dieu  détrôné, 
toutes  les  supériorités  sociales  n'ont  plus  de  raison 
d'être.  Elles  sont  un  contre-sens,  une  usurpation, 
un  scandale,  et  la  propriété,  piédestal  insolent  qui 
élève  l'homme  au-dessus  de  ses  semblables,  doit 
être  abolie  au  nom  de  la  sainte  et  universelle  éga- 
lité. Messieurs,  essayez  tant  que  vous  voudrez  de 
vous  passer  de  la  religion  pour  défendre  votre 
bourse,  votre  champ,  votre  maison,  vous  n'y  arri- 
verez jamais.  La  base  du  droit  de  propriété,  ce  n'est 
ni  le  travail  tout  seul,  ni  l'hérédité  toute  seule,  ni 
l'État  tout  seul;  c'est  la  volonté  de  Dieu  imposant 
à  l'homme  le  respect  de  ses  semblables  et  proté- 
geant le  bien  d'autrui.  L'irréligion  qui  supprime 
Dieu,  supprime  par  là  même  le  droit  de  propriété, 
et  enlève  ainsi  à  l'agriculture  le  second  élément  de 
sa  prospérité.  0  hommes  qui  cultivez  la  terre,  vous 
voulez  pouvoir  dire  du  champ  arrosé  de  vos  sueurs  : 
Ce  champ  est  à  moi  !  et  vous  avez  raison.  Mais,  si 
vous  pensez  que  votre  droit  est  garanti  par  le  seul 
fait  de  votre  travail  et  sans  aucune  intervention  de 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  313 

Dieu,  vous  avez  tort  et  vous  vous  trompez  !  Revenez 
à  l'Eglise  catholique  qui,  en  sauvant  les  droits  de 
Dieu,  sauve  en  même  temps  les  droits  de  la  pro- 
priété privée.  Encore  un  mot. 


III.  L'agriculture  repose  sur  la  loi  du  sacrifice. 

La  loi  du  sacrifice  est  la  loi  de  la  société  tout 
entière.  Regardez  la  société.  Elle  a  le  sacrifice  à  sa 
base,  à  son  milieu  et  à  son  sommet.  Tous  ses 
rouages  gémissent  et  rendent  le  son  du  sacrifice. 
Sacrifice  du  mineur  qui  descend  dans  les  entrailles 
de  la  terre  pour  lui  arracher  ses  trésors.  Sacrifice 
de  l'employé  des  postes,  des  télégraphes,  des  che- 
mins de  fer,  du  voiturier,  de  l'homme  de  peine 
qui  veille,  voyage  et  s'exténue  à  notre  profit.  Sacri- 
fice du  magistrat,  de  l'avocat,  de  l'homme  d'affaires 
qui  étudie  nos  conflits  et  nos  différends,  les  dé- 
brouille et  les  arrange.  Sacrifice  du  savant  qui 
enfante  dans  la  douleur  ou  une  découverte  scienti- 
fique, ou  une  œuvre  d'art,  ou  une  page  sublime. 
Sacrifice  du  soldat  qui  souffre  et  qui  meurt  pour 
nous.  Sacrifice  du  prêtre  et  du  médecin  qui  sont 
les  hommes  de  tout  le  monde  et  qui  viennent  au 
secours  des  corps  pour  les  guérir,  des  âmes  pour 
les  éclairer,  les  consoler,  les  sanctifier,  les  porter 
vers  le  vrai  et  vers  le  bien,  vers  Dieu  et  vers  le 
ciel.  Contemplez  la  société  dans  sa  beauté  auguste 


314  •        CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  touchante,  et  reconnaissez  avec  moi  que  la  sève 
qui  circule  à  travers  cet  arbre  immense,  c'est  la 
sève  de  la  souffrance,  que  le  sang  qui  fait  battre  ce 
noble  cœur,  c'est  le  sang  de  l'immolation,  et  que  la 
loi  qui  régit  ce  mécanisme  si  compliqué  c'est  la  loi 
du  sacrifice  ! 

Mais,  je  ne  crains  pas  de  l'affirmer,  si  la  loi  du 
sacrifice  préside  à  toutes  les  fonctions  sociales,  elle 
préside  surtout  à  la  vie  agricole.  Voyez  le  labou- 
reur qui  part  dès  le  matin  avant  le  lever  du  soleil 
et  qui  va  engraisser  la  terre  de  ses  sueurs.  Quel 
sacrifice  plus  capable  de  nous  émouvoir  et  de  nous 
attendrir?  L'agriculture  ne  vit  que  de  dévouement. 
Elle  est  une  immolation  quotidienne.  Avant  de 
récolter,  il  faut  semer,  et,  avant  de  semer,  il  faut 
cultiver,  et,  pour  semer,  il  faut  prendre  dans  la 
récolte  précédente,  et,  en  quelques  années  mauvaises, 
sur  le  nécessaire.  Et  quand  on  a  jeté  ce  grain  dans 
le  sillon,  quand  on  a  planté  cette  vigne,  il  faut 
attendre  et  travailler  encore.  Et  plus  les  plantes 
sont  précieuses  et  nécessaires  à  la  vie,  plus  il  faut 
dépenser  pour  elles  de  soins,  de  veilles,  de  sollici- 
tudes. Les  chênes  viennent  tout  seuls  ;  les  prairies 
verdoient  presque  sans  nous.  Mais  le  blé,  mais  la 
vigne!  Ah!  quand  nous  nous  mettons  à  table,  si 
nous  nous  demandions  ce  qu'a  coûté  ce  morceau  de 
pain,  ce  qu'il  a  demandé  de  sueurs  et  de  sang 
quelquefois,  nous  en  serions  épouvantés!  «  Voilà 
pourquoi,  dit   Mgr    Bougaud,    quand    Dieu   voulut 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  315 

demeurer  sur  la  terre  et  voiler  sa  présence  sous  un 
signe  qui  nous  inspirât  le  respect,  il  se  cacha  dans 
le  pain  et  le  vin,  parce  que  c'était  se  cacher  dans 
les  sueurs,  dans  les  fatigues,  dans  les  souffrances 
et  dans  le  sang  de  l'humanité.  »  La  chose  est  plus 
qu'évidente.  L'agriculture  repose  sur  la  loi  du 
sacrifice. 

Or,  écoutez  ceci.  Il  y  a  sur  la  terre  une  religion 
qui  étale  sous  les  yeux  des  peuples  le  drapeau  du 
sacrifice.  Il  y  a  une  religion  qui  adore  un  Dieu 
mort  sur  la  croix,  et  qui,  montrant  à  ses  fidèles  ce 
Dieu  immolé,  leur  dit  :  «  Voilà  votre  Maître,  ado- 
rez-le. Voilà  votre  modèle,  imitez-le  !»  Il  y  a  une 
religion  qui  prend  l'homme  par  la  main  et  qui  le 
conduit  au  bonheur  éternel  par  le  sentier  du  sacri- 
fice, en  lui  enseignant  que  toutes  les  gouttes  de 
sueur  qui  ruissellent  de  ses  membres  et  toutes  les 
larmes  qui  tombent  de  ses  yeux  seront  là-haut  les 
perles  de  son  diadème,  si  elles  sont  ici-bas  sainte- 
ment répandues  et  offertes  à  Dieu.  Il  y  a  une  religion 
qui  est  sur  la  terre  le  réservoir  providentiel  et 
unique  de  la  vertu,  de  la  résignation,  de  l'oubli  de 
soi,  de  la  justice,  de  la  charité,  en  un  mot,  du 
sacrifice.  Eh  bien,  hommes  intelligents  et  honnêtes 
qui  m'entendez,  quand  la  société  et  l'agriculture 
en  particulier  ont  tant  besoin  de  sacrifice  et  ne 
vivent  que  par  le  sacrifice,  pensez-vous  qu'il  soit 
opportun  d'en  tarir  les  sources  et  de  soutirer  au 
peuple  de  nos  villes  et  de  nos  campagnes  la  der- 


316  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

nière  sève  religieuse  qui  l'anime  encore?  Pensez- 
vous  qu'il  soit  opportun  de  déchristianiser  toutes 
les  molécules  sociales  et  de  déchaîner  sur  nos  plaines 
et  sur  nos  villages  le  souffle  desséchant  de  l'irréli- 
gion? Non,  cela  n'est  pas  opportun,  et  tant  que 
j'aurai  un  cœur  pour  aimer  mes  semblables  et  une 
voix  pour  leur  parler,  je  leur  dirai  :  «  0  hommes, 
revenez  à  Dieu,  à  Jésus-Christ  et  à  l'Eglise.  Hommes 
de  la  ville,  soyez  chrétiens.  Et  vous  surtout,  hommes 
du  travail  des  champs,  aimez  la  religion  et  prati- 
quez-la. Car  l'agriculture  repose  sur  la  bénédiction 
de  Dieu,  sur  le  principe  de  la  propriété,  sur  la  loi 
du  sacrifice,  et  l'irréligion  n'est  bonne  qu'à  éloigner 
la  bénédiction  de  Dieu,  à  ébranler  le  principe  de  la 
propriété,  à  tuer  la  loi  du  sacrifice.  L'agriculture 
ne  peut  se  passer  de  l'Eglise  catholique.  » 

—  Messieurs,  quand  Jeanne  d'Arc,  notre  immor- 
telle libératrice,  fut  arrivée  à  l'heure  de  l'épreuve; 
quand,  après  avoir  aimé,  servi,  délivré  sa  patrie, 
elle  eut  pour  récompense  sublime  l'honneur  d'être 
trahie,  vendue,  calomniée,  traînée  sur  le  bûcher 
par  ceux  qu'elle  avait  sauvés,  vous  savez  ce  qu'elle 
fit,  la  tendre  vierge,  l'intrépide  guerrière,  la  sainte 
martyre?  Elle  avisa  un  pauvre  moine  qui  pleurait 
à  côté  d'elle,  et  elle  le  pria  d'aller  chercher  le 
grand  Crucifix  de  l'Eglise  et  de  l'élever  devant 
elle,  à  mesure  que  les  flammes  monteraient,  sûre 
d  y  trouver  jusqu'à  la  fin  la  force  du  dévouement 
et  du  sacrifice.  Jeanne  d'Arc  était  partie  de  la 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  317 

charrue  et  avait  tenu  l'épée,  et  la  croix  qui  avait 
ombragé  son  berceau  et  sanctifié  sa  mission  venait 
planer  encore  sur  son  dernier  soupir.  Crace,  ense 
et  aratro.  La  charrue  à  la  base,  l'épée  au  milieu  et 
la  croix  au  faîte  :  voilà  Jeanne  d'Arc  tout  entière. 
Que  ce  soit  aussi  la  France  !  Devant  les  yeux  de 
toute  la  nation,  élevons  la  croix  qui  seule  peut  nous 
sauver.  Élevons-la  au-dessus  des  champs  de  bataille 
et  au-dessus  des  champs  où  dorment  nos  moissons, 
et  donnons-lui  à  garder  l'épée  du  soldat  et  la  char- 
rue du  laboureur  1 


Amen! 


SEPTIÈME  CONFÉRENCE 

IL  —  CE   QUE  DEVIENT  L'AGRICULTURE 
EN  DEHORS  DE  L 'ÉGLISE 

2°  l'agriculture  et  l'irréligion 
(suite) 


Messieurs, 

r 

L'Eglise  dans  le  passé  a  été  la  grande  bienfaitrice 
de  l'agriculture.  Dans  le  présent,  l'agriculture  au- 
rait grandement  tort  de  vouloir  s'émanciper  de  la 
tutelle  de  la  religion.  Je  voudrais  revenir  encore 
aujourd'hui  sur  ce  sujet.  Laissez-moi  vous  signaler 
les  trois  plaies  principales  qui  ravagent  nos  cam- 
pagnes et  vous  en  indiquer  la  cause  et  le  remède. 


I.  La  dépopulation  des  campagnes. 

Telle  est  la  première  plaie  qu'il  importe  de  cons- 
tater courageusement,  d'approfondir  et  de  guérir 
au  plus  vite 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  310 

Le  phénomène  n'est  pas  contestable.  La  France, 
autrefois  la  première  nation  du  monde,  n'occupe 
plus  que  le  sixième  rang  avec  sa  population, 
amoindrie  d'année  en  année.  L'Allemagne,  avec  un 
territoire  à  peu  près  égal  au  nôtre  en  étendue  et 
moins  fertile  que  le  nôtre,  verra  doubler,  en  cin- 
quante ans,  le  nombre  de  ses  quarante-six  millions 
d'habitants,  tandis  que  la  France  mettra  deux  cent 
soixante  et  onze  ans  pour  voir  doubler  le  nombre 
de  ses  trente-six  millions  d'âmes,  et  c'est  à  peine 
si  elle  peut  envoyer  dans  les  colonies,  comme  de 
pâles  ombres,  quelques  rares  représentants  de  la 
mère-patrie.  Il  y  a  là  d'abord  un  danger  national. 
évident.  Un  édit  d'Henri  IV  dit  :  «  La  force  et  la 
richesse  des  États  ne  consistent  pas  dans  l'étendue 
des  terres,  mais  dans  le  nombre  et  dans  l'aisance 
des  sujets.  »  Avec  une  population  stationnaire  ou 
décroissante,  nous  offrons  une  conquête  de  plus  en 
plus  facile  à  des  peuples  plus  jeunes  qui  croissent 
cinq  fois  plus  que  nous  en  chiffre  et  en  puissance... 
Et  si  le  danger  est  effrayant  au  point  de  vue  patrio- 
tique, est-il  moindre  pour  chaque  famille  en  par- 
ticulier? Il  suffit  d'ouvrir  les  yeux  pour  voir  un  peu 
partout  des  fils  uniques  devenant  généralement 
des  enfants  gâtés,  impropres  au  travail  et  à  toutes 
les  vertus.  Vivent  les  familles  nombreuses,  dans 
lesquelles  les  enfants  sont  élevés  dans  l'habitude 
du  travail  et  dans  la  pensée  qu'ils  auront  à  se  faire 
une  position  !  Et  malheur  à  ces  foyers  mornes  dans 


320  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

lesquels  un  ou  deux  enfants  bêtement  adulés  et 
choyés  aujourd'hui  seront  demain  la  proie  facile 
de  la  mort  ou  du  vice!  Et,  en  même  temps  que  la 
dépopulation  crée  un  danger  national  et  compromet 
l'avenir  et  l'honneur  des  familles,  elle  amène  la 
décadence  agricole.  Avec  une  population  qui  baisse, 
avec  la  pénurie  d'hommes,  l'activité  s'énerve  et 
languit,  les  bras  manquent  pour  le  travail  des 
champs,  la  main-d'œuvre  étant  plus  rare  devient 
plus  chère,  les  produits  étant  moins  nombreux  de- 
viennent plus  coûteux,  et,  en  dernière  analyse,  la 
stérilité  des  familles  est  une  atteinte  profonde  por- 
tée à  l'agriculture.  Voilà  une  plaie  actuelle,  une 
plaie  vive,  une  plaie  funeste. 

D'où  vient-elle?  Elle  vient  principalement  de 
l'irréligion.  On  veut  jouir  pour  soi;  on  veut  trans- 
mettre la  jouissance  avec  la  vie;  on  aime  mieux 
tarir  la  vie  que  restreindre  sa  propre  jouissance  ou 
celle  de  ces  êtres,  de  cet  être  trop  souvent  unique 
qu'on  aime  d'une  tendresse  aveugle  et  basse.  Le 
mal  existe  un  peu  partout.  Il  existe  dans  nos  cam- 
pagnes, et  surtout  dans  les  pays  riches,  dans  les 
pays  où  le  cultivateur  est  aisé.  Et  il  existe  surtout 
dans  les  pays  les  moins  chrétiens.  Tenez,  voyez  un 
peu  ces  races  vigoureuses  qui  demeurent  le  réser- 
voir de  nos  forces  nationales.  Parcourez  le  massif 
montagneux  du  centre  de  la  France,  l'Auvergne, 
le  Rouergue,  le  Gévaudan,  le  Velay,  le  Forez;  gra- 
vissez les  pentes  des  Alpes  dans  cette  Savoie  deve- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  321 

nue  française  ;  fouillez  certaines  vallées  des  Pyré- 
nées ;  explorez  les  landes  de  la  généreuse  Bretagne; 
là  vous  trouverez  des  familles  rurales  où  la  pau- 
vreté est  extrême  et  les  enfants  nombreux.  C'est 
que,  dans  ces  contrées  privilégiées,  la  loi  de  Dieu 
passe  avant  tout.  On  ne  s'y  défie  pas  de  la  Provi- 
dence, et  la  Providence  ne  trahit  pas  la  confiance 
de  ses  serviteurs.  On  vit  de  peu,  mais  on  vit,  on 
travaille,  on  fournit  à  la  terre  des  bras,  à  la  patrie 
des  défenseurs. 


IL  La  désertion  des  campagnes. 

Telle  est  la  seconde  plaie  qu'il  importe  de  cons- 
tater courageusement,  d'approfondir  et  de  guérir 
au  plus  vite. 

On  déserte  les  campagnes  pour  fuir  dans  les 
villes.  Ce  fléau  n'est  pas  nouveau.  Il  date  du  com- 
mencement du  xvne  siècle.  Henri  IV  se  plaint  déjà 
que  les  nobles  abandonnent  la  campagne.  Au 
xvme  siècle,  cette  désertion  est  devenue  presque 
générale.  Aujourd'hui  la  désertion  des  campagnes 
est  un  phénomène  qui  frappe  tous  les  yeux  et  qui 
épouvante  tous  les  observateurs.  En  dix  ans,  la  po- 
pulation rurale  a  perdu  quatre  millions  d'âmes, 
tandis  que  le  nombre  des  habitants  de  Paris  a 
presque  triplé  depuis  un  demi-siècle  ;  et,  d'année  en 
année,  l'accroissement  de  Paris  et  des  grandes  villes 

LES   BIENFAITS    DE  L'ÉGLISE.    —   1-21 


322  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

continue  et  s'accentue  régulièrement.  Cette  énorme 
pompe  aspirante  attire  sans  cesse  à  elle  le  sang  et 
la  fortune  de  la  France,  au  risque  d'éclater.  La 
tendance  à  fuir  le  travail  des  champs  s'universalise 
de  plus  en  plus.  Le  paysan  n'entend  pas  que  son 
fils  travaille  la  terre  comme  lui;  il  le  pousse  pour 
le  déclasser  et  le  faire  monter.  Le  fils,  d'ailleurs, 
n'a  pas  besoin  d'être  poussé.  Il  a  le  dégoût  du  vil- 
lage et  le  goût  de  la  ville.  Partout  c'est  une  fureur 
insensée  d'obtenir  une  petite  place  de  commis, 
d'employé  du  Gouvernement,  de  buraliste,  etc.,  où 
l'on  sera  rivé  à  sa  chaine  du  matin  au  soir,  réduit 
à  ne  subsister  qu'à  peine,  parfois  même  à  sentir  la 
misère  en  habit  noir,  la  plus  cruelle  de  toutes,  le 
plus  souvent  condamné  à  ne  jamais  créer  de  fa- 
mille et  à  vieillir  dans  le  plus  triste  isolement, 
quand  on  pouvait  aisément  garder  son  indépen- 
dance, vivre  au  grand  air,  et  s'assurer  un  avenir 
honorable,  à  la  condition  facile  de  mettre  vaillam- 
ment, comme  ses  pères,  la  main  à  la  charrue. 

D'où  vient  ce  mal  profond,  Messieurs,  sinon  de 
l'irréligion,  sinon  de  l'affaiblissement  graduel  de 
l'esprit  chrétien  et  du  déchaînement  d'ambition,  de 
vanité  et  de  sensualisme  qui  en  est  la  suite?  En 
redevenant  païens,  nous  reprenons  les  mœurs  du 
paganisme,  c'est-à-dire  l'horreur  du  travail  manuel 
et  la  recherche  du  plaisir  sensible.  Le  fils  du  paysan 
ne  veut  plus  habiter  les  lieux  qu'habitait  son  père. 
Pourquoi?  Parce  que,  comme  un  cheval  débridé,, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  323 

en  secouant  le  joug  de  la  religion,  il  retrouve  son 
indépendance  et  la  facilité  de  jouir.  Et,  quand  je 
dis  qu'il  retrouve  son  indépendance,  je  n'entends 
pas  parler  de  cette  noble  indépendance  de  l'homme 
qui,  debout  sur  sa  motte  de  terre,  échappe  aux 
servitudes  honteuses,  j'entends  parler  de  cette  folle 
indépendance  qui  commence  par  le  mépris  de  la 
loi  divine  et  qui  finit  par  l'abdication  de  la  dignité 
personnelle.  Le  fils  du  paysan  court  aux  villes,  où 
les  salaires  sont  plus  élevés,  où  la  voix  des  ouvriers 
est  mieux  entendue  des  pouvoirs  publics,  où  la  vie 
est  plus  facile  et  plus  abritée  qu'à  la  campagne,  où 
la  licence  est  moins  contrôlée.  Il  déserte  son  vil- 
lage parce  qu'il  n'y  est  plus  retenu  par  les  tradi- 
tions de  labeur,  de  sobriété  et  de  sacrifice,  par  les 
vieilles  traditions  religieuses  devenues  insuppor- 
tables à  son  orgueil  et  à  ses  convoitises.  Ajoutez  à 
cela  que  l'encouragement  démesuré  donné  à  l'ins- 
truction tend  de  plus  en  plus  à  faire  dédaigner  la 
culture.  La  multiplicité  des  déclassés  s'accroît  avec 
le  nombre  toujours  grandissant  des  diplômés.  Si 
l'on  veut  rétablir  le  règne  du  bon  sens  et  entraver 
la*  désertion  de  nos  campagnes,  qu'y  a-t-il  à  faire? 
Il  faut  réagir  contre  l'irréligion  qui  ruine  la  vie 
agricole  en  vidant  les  campagnes  au  profit  des 
villes,  il  faut  ramener  la  société  à  l'école  de  l'Évan- 
gile, aux  exemples  et  aux  leçons  du  royal  ouvrier 
Joseph,  de  la  royale  ouvrière  Marie  et  du  divin 
ouvrier  Jésus.  Il  faut  revenir  à  l'Église  catholique. 


324  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

III.  La  démoralisation  des  campagnes. 

Telle  est  la  troisième  plaie  qu'il  importe  de  cons- 
tater courageusement,  d'approfondir  et  de  guérir 
au  plus  vite. 

L'irréligion  démoralise  le  paysan  ;  la  religion  le 
transfigure.  Contemplez  l'homme  de  la  campagne 
éclairé,  fortifié,  consolé,  transfiguré  par  la  foi.  Son 
foyer  est  pur,  sain,  beau,  riant.  Là,  l'enfant  ne 
quitte  pas  sa  mère;  il  est  élevé,  soigné,  façonné  par 
elle,  et,  dès  qu'il  peut  marcher,  le  premier  appren- 
tissage qu'il  fait  de  la  vie,  du  travail,  c'est  en 
voyant  la  sueur  au  front  de  son  père  et  en  sautant 
derrière  lui,  à  travers  les  sillons.  Là,  l'homme  ne 
quitte  pas  sa  compagne,  ou,  s'il  la  quitte,  c'est  pour 
la  retrouver  à  midi  et  le  soir  quand  il  revient  à  pas 
lents,  épuisé,  saluant  avec  joie  le  toit  qui  fume  et 
les  sourires,  les  tendresses  de  sa  femme  et  de  ses 
enfants.  Là,  le  père,  la  mère  et  les  enfants  ne  font 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme  sous  le  regard  de  Dieu 
qu'ils  adorent  ensemble  et  qu'ils  prient  d'une- com- 
mune voix.  Trouvant  Dieu  dans  sa  maison  qui  est 
comme  un  sanctuaire,  le  paysan  chrétien  le  re- 
trouve encore  dans  la  campagne  qui  lui  apparaît 
comme  un  temple.  A  tous  les  angles  des  routes,  il 
aperçoit  en  effet  la  croix  du  Rédempteur  qui  est 
mort  pour  nous  ;  le  matin,  à  midi  et  le  soir,  les 
doux  tintements  de  F  Angélus  lui  rappellent  la  pen- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  325 

sée  de  Dieu  ;  au  milieu  de  son  village,  il  entre  voit 
sans  cesse  la  flèche  de  sa  vieille  église  qui  se  dresse 
comme  un  doigt  levé  vers  le  ciel  ;  et,  le  dimanche, 
les  animaux  se  reposant  à  l'étable,  le  laboureur 
chrétien  prend  ses  vêtements  de  fête,  et,  sa  femme 
au  bras,  ses  petits  enfants  dans  ses  jambes,  ses  ser- 
viteurs autour  de  lui,  il  monte,  joyeux  et  grave  au 
temple  du  Dieu  qui  l'attend  pour  le  réconforter  et 
le  bénir.  Voilà,  Messieurs,  ce  que  fait  la  religion, 
et  voilà  ce  dont  la  France  vit,  et  voilà  ce  dont  nous 
ne  pouvons  pas  nous  passer. 

Or,  l'irréligion  est  en  train  de  gâter  tout  cela. 
L'irréligion,  comme  un  vent  brûlant,  décompose  et 
démoralise  nos  campagnes.  Livré  à  lui-même,  et 
vidé  de  toute  idée  religieuse,  le  paysan  s'abaisse, 
se  matérialise  et  se  crétinise.  Ses  vertus  mêmes  se 
tournent  en  vices  ;  sa  simplicité  devient  grossièreté  ; 
la  prévoyance  et  l'économie  dégénèrent  en  un  atta- 
chement désordonné  aux  biens  de  la  terre,  et 
même  en  une  sordide  avarice.  Jaloux  de  ses  voi- 
sins, il  les  tient  à  distance  et  se  réjouit  de  leurs 
revers,  au  lieu  de  les  aimer  comme  des  frères  et  de 
se  solidariser  avec  eux  contre  les  calamités  qui  me- 
nacent la  vie  agricole.  Il  élève  des  enfants  qui  ont 
tous  les  défauts  des  enfants  des  villes,  sans  même 
en  avoir  les  qualités.  Il  n'a  pas  la  politesse  de  l'ou- 
vrier citadin,  et  il  en  prend  toutes  les  corruptions. 
Il  oublie  le  chemin  qui  mène  à  sa  vieille  église  où 
le  vieil  Evangile  est  enseigné  par  son  vieux  curé, 


326  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  où  va-t-il  passer  la  soirée  de  son  dimanche?  au 
cabaret,  au  cabaret  qui  isole  l'homme  de  sa  com- 
pagne et  qui,  dès  l'adolescence,  arrache  l'enfant  à 
son  père,  au  cabaret  où  il  trouve  deux  liqueurs 
malsaines  :  un  mauvais  vin  qui  tue  son  corps  et 
un  mauvais  journal  qui  empoisonne  son  âme.  La 
chose  n'est  pas  plus  claire,  mais  elle  est  aussi  claire 
que  le  jour.  L'irréligion  n'est  bonne  qu'à  démora- 
liser, à  vider,  à  dépeupler  nos  campagnes. 

—  Que  pouvez-vous  faire  pour  arrêter  la  dépo- 
pulation, la  désertion,  la  démoralisation  des  cam- 
pagnes? Vous  ferez  des  lois.  Hélas  !  les  lois  sans 
mœurs  ne  sont  que  lettre  morte,  et  c'est  la  religion 
qui  restaure  les  mœurs.  Toutes  les  réformes,  toutes 
les  lois  supposent  la  réforme  des  mœurs,  et  la  ré- 
forme des  mœurs  n'est  possible  que  par  le  concours 
et  sous  l'influence  de  l'Eglise  catholique.  C'est 
l'Église  qui  ennoblit  et  fait  aimer  le  travail  ma- 
nuel, le  travail  des  champs.  C'est  l'Eglise  qui  est 
seule  capable  de  réprimer  la  cupidité,  la  vanité,  la 
pression  du  luxe  et  du  plaisir,  et  d'inspirer  aux 
populations  rurales,  avec  la  vertu,  le  goût  de  la  vie 
calme  et  modeste  dont  doit  se  contenter  l'homme 
deschamps.  C'est  l'Église  qui  rapprocherais  grands 
propriétaires  et  leurs  fermiers  et  tenanciers  par  une 
communauté   d'idées,  de  langage,  d'assistance  et 

r 

d'affection.  C'est  l'Eglise  libre  et  respectée  qui  sau- 
vera l'agriculture  en  arrêtant  la  dépopulation,  la 
désertion  et  la  démoralisation  des  campagnes. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  327 

N'allez  pas  croire,  Messieurs,  que  notre  agricul- 
ture est  en  progrès  par  cela  seul  que  çà  et  là  on 
établit  des  fermes-écoles,  des  comices  agricoles,  des 
syndicats,  des  cours  et  des  sociétés  d'agriculture. 
€es  moyens  sont  bons  sans  doute,  et  il  ne  faut  pas 
les  négliger.  Mais  croire  qu'ils  sont  tout  serait 
une  grave  erreur.  Pour  les  progrès  de  l'agriculture, 
il  est  une  chose  indispensable,  c'est  l'amour  du  tra- 
vail, c'est  la  vertu,  et,  pour  avoir  de  la  vertu,  il 
faut  des  croyances  et  des  habitudes  religieuses. 
Vous  ne  sortirez  pas  de  là.  La  décadence  d'un 
peuple  date  de  ses  vices,  et  ses  vices  datent  de  son 
irréligion  et  de  son  scepticisme.  Ainsi  se  prépare  et 
s'explique  la  mort  de  tous  les  peuples.  Si  donc  la 
France  et  son  agriculture  veulent  ressusciter  et 
vivre,  qu'elles  reviennent  à  Dieu,  à  Jésus-Christ  et 

r 

à  l'Eglise! 

Amenl 


HUITIÈME    CONFÉRENCE 

II.  —  L'Eglise  et  l'Industrie 

/.  —  LES  INVENTIONS  DE  L'INDUSTRIE 

Messieurs, 

L'agriculture  est  le  premier  facteur  de  la  richesse 
d'un  peuple  ;  l'industrie  est  le  second.  L'agricul- 
ture travaille  le  sol  et  produit  la  plupart  des  ma- 
tières premières  ;  l'industrie  s'empare  de  ces  pro- 
duits bruts  et  se  charge  de  les  élaborer,  de  les 
approprier  à  nos  divers  besoins.  Trois  éléments 
entrent  dans  l'industrie  et  concourent  à  sa  prospé- 
rité :  le  savant  qui  invente,  le  chef  qui  dirige  et 
l'ouvrier  qui  exécute.  Parlons  aujourd'hui  des  in- 
ventions de  l'industrie  et  voyons  comment  l'Eglise 
les  accueille  et  les  encourage.  Ce  sera  une  excel- 
lente occasion  de  dissiper  beaucoup  de  préjugés  et 
de  faire  la  lumière  dans  beaucoup  d'esprits. 

I.  L'Eglise  approuve  les  inventions  de  l'Industrie. 
L'industrie,  aidée  par  la  science,  produit  des  mer- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  329 

veilles  dont  le  tableau  s'étale  sous  nos  yeux.  La 
matière  est  étudiée  dans  ses  lois  les  plus  profondes 
et  dans  ses  propriétés  les  plus  diverses,  et  les  forces 
productives  sont  centuplées  par  un  outillage  de 
plus  en  plus  perfectionné.  Voyez,  la  cité  tout  en- 
tière est  illuminée  au  gaz  ou  à  l'électricité.  Au 
milieu  de  cette  cité  resplendissante,  la  nuit  comme 
le  jour,  s'étalent,  dans  des  galeries  immenses,  des 
draperies,  des  dentelles,  des  tapis,  des  tissus  aux 
mille  couleurs,  des  soieries  d'une  merveilleuse 
beauté.  Et,  dans  les  rues  et  sur  les  boulevards  de 
la  grande  cité,  se  déploie  sur  les  épaules  du  riche  et 
jusque  sur  les  épaules  de  la  petite  ouvrière,  une 
pompe  de  vêtements  qui  eût  étonné  Rome,  Athènes, 
et  Babylone.  Entrons  dans  cette  Exposition  uni- 
verselle de  Paris,  de  Londres  ou  de  Chicago.  Voyez 
toutes  les  inventions  du  génie  qui  ont  dompté  la 
nature,  multiplié  les  forces  humaines  et  centuplé 
les  produits.  Voyez  ces  mécanismes  de  filature  et 
de  tissage  avec  leurs  milliers  de  doigts  plus  ingé- 
nieux, plus  rapides,  plus  délicats  que  les  doigts  les 
plus  exercés,  se  prêter  à  tous  les  caprices  de  la 
mode  et  de  la  fantaisie.  Voyez  ailleurs  cet  autre 
mécanisme  qui  transmet  au  premier  le  mouvement 
et  la  vie,  cette  puissance  motrice  de  la  vapeur,  qui 
permet  à  un  ouvrier  de  faire  le  travail  de  trois  cents, 
et  d'habiller,  en  un  mois,  et  à  peu  de  frais,  tout  un 
peuple,  comme  un  peuple  de  rois.  Voyez  partout 
ce  merveilleux  outillage  mis  par  la  science  au  ser- 


330  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

vice  de  l'industrie.  Certes,  l'homme  peut  abuser  de 
tout  cela,  et,  nous  le  verrons,  il  n'en  abuse  que 
trop  souvent.  L'industrie  mal  comprise  et  mal 
dirigée  mène  à  l'orgueil,  à  la  corruption,  au  paupé- 
risme, aux  excès  les  plus  lamentables.  Est-elle 
mauvaise  et  pernicieuse  en  elle-même  ?  Non,  mille 
fois  non. 

Les  inventions  de  l'industrie  méritent  notre  admi- 
ration et  notre  reconnaissance .  Elles  attestent  la  puis- 
sance et  la  bonté  de  Dieu  qui  a  caché  dans  la  nature 
des  énergies  inépuisables  et  bienfaisantes. 

Elles  viennent  de  l'intelligence  et  du  travail 
humain,  et,  notre  intelligence  nous  ayant  été  donnée 
oomme  un  talent  à  faire  fructifier,  n'avons-nous 
pas  le  droit  et  le  devoir  de  nous  en  servir  pour 
exploiter  la  nature?  Et,  le  travail  étant  un  besoin, 
une  obligation  naturelle  et  religieuse,  et,  par  consé- 
quent, un  bien,  l'industrie  qui  est  le  perfectionne- 
ment du  travail  pourrait-elle  être  un  mal  ? 

Les  inventions  de  l'industrie  améliorent  les  con- 
ditions'matérielles  de  notre  existence.  Une  fabri- 
cation plus  savante  donne  aux  produits  une  forme 
plus  adaptée  à  nos  besoins,  et  une  fabrication  plus 
économique  met  ces  mêmes  produits  à  la  portée 
d'un  plus  grand  nombre. 

Enfin  le  perfectionnement  des  méthodes  produit 
une  épargne  de  temps,  de  fatigues,  de  dépenses. 
Or  n'est-il  pas  bon  que,  moins  absorbé  par  les  soins 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  331 

du  corps,  l'homme  ait  le  loisir  de  lever  son  front 
vers  le  ciel  et  de  s'occuper  un  peu  de  la  culture  de 
son  âme?  L'excès  de  la  jouissance  est  un  danger; 
mais  l'excès  de  la  peine  et  de  la  gêne  est  un  danger 
égal;  et  il  faut  souhaiter  que  l'industrie  soit  suf- 
fisamment prospère  pour  procurer  à  la  masse  de 
la  pauvre  humanité  une  certaine  somme  de  bien- 
être  qui  lui  permette  de  se  rappeler  qu'elle  a  une 
âme.  Je  plains  le  peuple  qui  est  tellement  absorbé 
par  le  souci  du  pain  quotidien  et  tellement  écrasé 
sous  le  fardeau  du  travail  journalier  qu'il  n'a  plus 
à  donner  ni  une  minute  ni  une  pensée  à  la  vie 
morale  et  supra-sensible.  Et,  par  conséquent,  je 
bénis  l'industrie  qui,  en  améliorant  notre  existence 
matérielle,  améliore  par  là  même  notre  existence 
spirituelle.  Parmi  les  conquêtes  qui  s'offrent  à 
l'ambition  de  l'homme  je  n'en  connais  pas  de  plus 
innocentes,  de  plus  honorables,  de  plus  utiles  en 
elles-mêmes  que  celles  de  l'industrie,  et  je  n'hésite 
pas  à  placer  au-dessus  de  tous  les  Alexandre  passés 
et  futurs  l'homme  de  génie  qui,  au  lieu  de  fonder 
sa  propre  grandeur  sur  le  ravage  des  royaumes,  le 
massacre  et  l'humiliation  de  ses  semblables,  leur 
apprend  l'art  de  mieux  régner  sur  la  nature  et  d'en 
extraire  avec  plus  d'abondance  et  moins  de  sueurs 
des  moyens  d'existence. 

L'Eglise  approuve  et  bénit  les  inventions  de  l'in- 
dustrie. L'a-t-on  jamais  entendue  condamner  les 


332  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

bateaux  à  vapeur,  le  télégraphe,  le  gaz,  l'impri- 
merie, la  photographie,  la  métallurgie,  le  téléphone, 
et  toutes  les  merveilleuses  applications  de  ces  admi- 
rables choses?  L'a-t-on  jamais  entendue  condamner 
les  expositions  universelles,  les  grandes  spécula- 
tions de  l'industrie,  les  gigantesques  machines  et 
les  gigantesques  produits  qui  sortent  de  ces  ma- 
chines?  Non.  L'Eglise  ne  blâme  pas  les  conquêtes 
de  la  science  appliquée  à  l'industrie,  elle  ne  blâme 
que  l'immoral  emploi  que  l'homme  serait  tenté  de 
faire  de  ces  conquêtes.  Messieurs  les  savants,  Mes- 
sieurs les  industriels,  soyez  les  rois  de  la  création, 
mais  n'oubliez  pas  que  vous  êtes  les  sujets  du  Créa- 
teur, et  au-dessus  de  vos  arts  et  métiers,  au-dessus 
de  vos  sciences  et  de  vos  inventions,  mettez  le  res- 
pect de  Dieu,  l'élévation  des  sentiments  et  la  pu- 
reté de  la  vie!  Voilà  ce  qu'enseigne  l'Église.  C'est 
le  bon  sens  même.  Elle  approuve  et  bénit  les  inven- 
tions de  l'industrie.  Ce  n'est  pas  assez  dire  : 

II.  L'Eglise  stimule  les  inventions  de  l'industrie. 

Par  sa  doctrine,  par  son  exemple,  par  sa  coopé- 
ration l'Eglise  a  travaillé  efficacement  au  progrès 
de  Tindustrie. 

1°  Par  sa  doctrine,  l'Eglise  a  fondé  le  travail 
libre.  Les  païens  méprisaient  le  travail  de  l'atelier. 
Les  philosophes  grecs  et  romains  ne  s'en  cachent 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  333 

pas.  Le  grave  Aristote  recommande  aux  hommes 
libres  «  de  ne  pas  courber  leur  droite  stature  à  ces 
rudes  labeurs  pour  lesquels  la  nature  a  fait  le  corps 
des  animaux  et  des  esclaves  ».  Un  Romain  aurait 
rougi  de  se  faire  artisan.  Cicéron  écrit  à  son  fils 
Quintus,  que  tous  ceux  qui  vivent  d'un  travail  mer- 
cenaire font  un  métier  dégradant,  et  que  jamais 
un  sentiment  noble  ne  peut  naître  dans  une  bou- 
tique. Sénèque  s'indigne  avec  son  disciple  Lucilius 
qu'on  ait  osé  attribuer  aux  philosophes  l'invention 
des  arts.  «  Cette  invention,  s'écrie-t-il,  appartient 
aux  plus  vils  esclaves.  La  sagesse  habite  des  lieux 
plus  élevés  ;  elle  ne  forme  pas  les  mains  au  tra- 
vail ;  elle  ne  fabrique  pas  des  ustensiles  pour  les 
usages  de  la  vie.  Pourquoi  lui  assigner  un  rôle  si 
humble?  »  Ainsi  pensait  la  sagesse  antique.  A  ses 
yeux,  les  métiers  avaient  leurs  origines  dans  l'es- 
clavage et  revêtaient  un  caractère  avilissant.  Une 
telle  doctrine  n'était  guère  favorable  au  développe- 
ment de  l'industrie. 

L'Église  est  venue,  et  qu'a-t-elle  fait?  Elle  a  balayé 
de  son  souffle  la  sagesse  antique,  elle  a  montré  son 
divin  fondateur  travaillant  pendant  trente  ans  dans 
un  atelier,  elle  a  proclamé  la  dignité  du  travail  et, 
en  affranchissant  les  esclaves,  elle  a  fondé  le  travail 
libre,  le  travail  libre,  c'est-à-dire  le  principe  du  pro- 
grès industriel.  «  Cette  grande  innovation  du  tra- 
vail libre  et  volontaire,  dit  Michelet,  sera  la  base 
de  l'industrie  moderne.  »  «  L'industrie,  dit  Guizot, 


334  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sortit  de  la  domesticité  et,  au  lieu  d'artisans  esclaves 
il  se  forma  des  artisans  libres  qui  travaillèrent  non 
pour  un  maître,  mais  pour  le  public  et  à  leur  pro- 
fit. Ce  fut  un  immense  changement  dans  la  société 
et  surtout  dans  son  avenir.  »  Or,  Messieurs,  qui 
a  fait  ce  changement,  qui,  sinon  l'Église?  N'est-ce 
pas  elle  qui  a  apporté  aux  hommes  la  liberté,  qui  l'a 
implantée  dans  les  mœurs,  qui  l'a  fait  prévaloir  dans 
les  lois  et  dans  les  institutions  sociales,  posant  ainsi 
au  milieu  du  monde  régénéré  la  cause  première  du 
progrès  industriel?  Elle  a  fait  plus  encore. 

2°  Par  son  exemple,  l'Eglise  a  créé  l'union  de  la 
science  et  du  travail.  Le  travail  ne  peut  rien  sans 
la  science.  Pour  que  le  progrès  se  fasse  en  matière 
d'industrie,  il  faut  que  la  science  et  le  travail  soient 
en  contact  l'un  avec  l'autre.  Si  le  savant,  l'homme 
instruit,  l'homme  qui  a  lu  ou  voyagé  est  en  même 
temps  un  délicat  de  l'ancienne  Rome,  un  beau 
rhéteur  à  la  chevelure  parfumée,  à  la  toge  symé- 
triquement arrangée  sur  ses  épaules,  soyez  sûrs 
que,  tout  occupé  de  ses  petits  succès  personnels 
et  de  la  vie  de  festin,  il  ne  se  demandera  pas  s'il  y 
aurait  dans  la  science  le  secret  de  tel  procédé  propre 
à  faciliter  la  besogne  de  cet  esclave  qui  travaille 
loin  de  lui,  dans  son  ergastule,  les  pieds  dans  les 
entraves  et  le  front  marqué  d'un  stigmate.  Et  l'es- 
clave, de  son  côté,  qui  travaille  pour  son  maître  et 
nullement  pour  lui-même,  qui  n'est   point  maître 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  33!> 

et  n'a  nul  espoir  de  le  devenir,  ne  s'inquiète  pas 
beaucoup  de  savoir  si,  grâce  à  tel  ou  tel  procédé 
nouveau,  la  denrée  fabriquée  par  lui  tournera  à 
son  profit  personnel  et  à  l'avantage  de  son  maître. 
Quand  l'atelier  de  l'ouvrier  et  le  cabinet  du  savant 
ne  se  connaissent  pas,  c'est  l'arrêt,  le  recul,  la 
mort  de  l'industrie.  Je  vous  indique,  dans  ces 
quelques  mots,  la  cause  profonde  de  l'incapacité 
industrielle  du  monde  païen.  Voyez  :  cet  empire 
romain  qui  avait  derrière  lui  toute  la  science  de  la 
Grèce  et  de  l'Orient,  qui  unissait  tant  de  peuples 
divers  par  des  relations  fréquentes  et  pacifiques, 
n'a  pourtant  pas,  pendant  les  longs  siècles  de  sa 
durée,  fait  faire  un  seul  pas  un  peu  marqué  à  l'in- 
dustrie. Payant  un  énorme  tribut,  dont  il  se  plaint, 
aux  populations  de  llnde  qui  lui  vendaient  la  soier 
il  n'a  pas  eu  l'idée  de  leur  emprunter  le  ver  à  soie 
et  de  le  naturaliser  sur  son  propre  sol  ;  cette  idée 
n'est  venue  qu'aux  temps  chrétiens,  au  vie  siècle.  Il 
n'a  pas  su  se  faire  donner  le  café  par  l'Arabie,  sa 
sujette,  ni  emprunter  à  l'Inde,  sa  voisine,  le  sucre 
dont  Pline  nous  donne  cependant  la  description.  Il 
n'a  pas  su  emprunter  la  boussole  aux  Chinois,  avec 
lesquels  il  était  en  communications  au  moins 
indirectes.  Il  n'aurait  eu  guère  qu'une  denrée  un 
peu  importante  à  exploiter,  c'était  le  vin,  et  il  fai- 
sait arracher  les  vignes  de  la  Gaule.  En  somme,  les 
progrès  industriels  sont  nuls  dans  le  paganisme. 
Et  cela  venait  de  l'état   social  qui   était  faux,  qui 


336  •    CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

était  mauvais,  qui  était  injuste,  qui  mettait  un 
abîme  entre  la  science  et  le  travail,  entre  les  patri- 
ciens et  les  esclaves. 

L'Église  est  venue,  et  qu'a-t-elle  fait?  Par  son 
exemple,  elle  a  changé  cet  état  social  :  non  contente 
de  proclamer  la  fraternité  des  hommes,  elle  les  a 
rapprochés  dans  les  mêmes  travaux,  dans  les 
mômes  entreprises,  dans  les  mêmes  initiatives.  Elle 
a  attelé  à  la  même  œuvre  les  grands  et  les  petits, 
les  savants  et  les  ignorants.  Dans  ses  monastères 
d'abord,  puis  au  grand  jour  de  la  vie  sociale,  elle  a 
associé  les  fils  des  grands  seigneurs  et  les  enfants 
du  peuple.  Elle  a  créé  l'union  de  la  science  et  du 
travail,  et  le  progrès  industriel  a  pris  son  essor. 
Voyez-la  à  l'œuvre. 

3°  Par  sa  coopération,  l'Eglise  a  favorisé  le  pro- 
grès de  l'industrie.  Les  monastères  n'ont  pas  été 
seulement  des  maisons  de  prières  et  d'étude,  ils 
ont  été  encore  presque  toujours  et  presque  partout 
des  fermes  modèles  et  des  ateliers  modèles.  «  Ce 
refuge  des  livres  et  du  savoir,  dit  A.  Thierry,  abri- 
tait des  ateliers  de  tout  genre.  »  «  Il  y  avait  parmi 
les  religieux,  dit  Montalembert,  des  familles  entières 
de  tisserands,  de  charpentiers,  de  corroyeurs, 
de  tailleurs,  de  foulons.  »  Les  religieux  faisaient 
des  souliers,  foulaient  des  draps,  tressaient  des 
paniers,  en  même  temps  qu'ils  copiaient  des  livres 
et  qu'ils  cultivaient  la  terre.  Les  Barbares,  qui  ne 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  337 

méprisaient  pas  moins  que  les  anciens  le  travail 
manuel,  apprirent  de  l'Église,  à  leur  arrivée  en 
Gaule,  en  Italie,  en  Espagne,  combien  les  arts  et 
métiers  étaient  chose  noble  et  respectable.  Etn'est-ce 
pas  sous  le  souffle  et  pour  ainsi  dire  sur  le  cœur  de 
l'Eglise  que  sont  nées,  au  moyen  âge,  ces  admirables 
corporations  qui  ont  été  comme  le  premier  épanouis- 
sement de  la  vie  industrielle  dans  le  monde  nou- 
veau reconstitué  par  Jésus-Christ? 

Enfin,  Messieurs,  si  nous  voulions  parcourir  toutes 
les  inventions  de  l'industrie  moderne,  il  nous  serait 
facile  de  constater  que  les  premiers  pas  dans  le 
champ  des  grandes  découvertes  scientifiques  indus- 
trielles ont  été  faits  au  xvne  et  au  xvme  siècle,  c'est- 
à-dire  à  une  époque  où  l'Eglise  tenait  la  première 
place  dans  l'enseignement;  que  beaucoup  d'inven- 
teurs renommés  de  notre  temps  et  des  temps  passés 
ont  été  les  disciples   fidèles  et  les  fils  dévoués    de 

r 

l'Eglise  catholique,  et  que  jamais  leur  foi  de  chré- 
tiens n'a  été  un  obstacle  à  l'essor  de  leur  génie...  Et 
à  l'heure  qu'il  est,  en  France  et  partout,  ne  pourrions- 
nous  pas  citer  un  nombre  incalculable  d'hommes, 
connus  et  respectés  de  tous,  qui  sont  en  même  temps 
des  chrétiens  et  des  savants,  des  catholiques  parfaits 
et  des  industriels  éminents  ?  L'Eglise  approuve,  bénit, 
encourage  et  favorise  l'industrie. 

Amen! 


LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.   —   1-22 


NEUVIEME  CONFÉRENCE 

II.  —  LES  CHEFS  DE  L'INDUSTRIE 

Messieurs, 

L'Eglise  approuve  et  stimule  les  inventions  de 
l'industrie.  Aujourd'hui,  considérons  dans  l'indus- 
trie les  chefs  qui  la  dirigent  et  voyons  comment 
l'intervention  de  l'Eglise  leur  est  utile  et  néces- 
saire. Les  chefs  de  l'industrie  sont  en  présence  de 
deux  objectifs  bien  distincts  :  une  maison  à  faire 
prospérer,  des  ouvriers  à  employer  et  à  conduire  ; 
et  voici  les  deux  grandes  leçons  que  la  religion 
leur  inculque  :  1°  dans  la  direction  de  vos  affaires, 
soyez  actifs  et  modérés;  2°  à  l'égard  de  vos  ouvriers 
soyez  justes  et  charitables.  Nous  entrons  en  plein 
dans  la  question  sociale.  Nous  allons  voir  que 
l'Eglise  seule  peut  en  donner  la  solution. 


I.  L'activité  et  la,  modération  dans    la  direction 
de  leurs  affaires. 

Telle  est  la  première  chose  que  l'Eglise  demande 
aux  chefs  de  l'industrie. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  339 

L'Eglise  est  raisonnable  et  intelligente,  et  le 
premier  mot  qu'elle  adresse  aux  chefs  d'indus- 
trie est  celui-ci:  Travaillez!  Oui,  l'industriel  doit 
travailler  :  1°  c'est  son  devoir.  Car  la  loi  du  travail 
est  universelle,  elle  atteint  le  riche  aussi  bien  que 
le  pauvre,  et  la  vraie  piété  consiste  moins  dans  la 
longueur  des  oraisons,  que  dans  une  application 
constante  aux  obligations  de  son  état.  L'industriel 
doit  travailler  :  2°  c'est  son  droit.  Car  il  a  une 
intelligence  et  une  volonté,  il  a  une  fortune  et  une 
situation  acquise  qui  sont  à  lui  et  dont  il  a,  par 
conséquent,  la  libre  disposition.  Laissez  donc  la 
source  jaillir  et  le  fleuve  couler  pour  le  plus  grand 
bien  des  vallées  et  des  plaines  qui  vont  être  arrosées 
et  fécondées.  L'industriel  doit  travailler  :  3°  c'est 
l'intérêt  de  tous.  Je  souhaite  aux  riches  des  sillons 
plus  vastes  encore,  le  blé  sera  plus  abondant  pour 
le  pauvre  ;  des  prairies  plus  fertiles,  il  multipliera 
pour  le  pauvre  les  animaux  qui  le  servent,  et  la 
chair  qui  le  nourrit.  Je  souhaite  aux  industriels  des 
tissages  et  des  filatures  encore  plus  perfectionnés 
qui  abaisseront  le  prix  des  vêtements  et  mettront  à 
la  portée  de  tout  le  monde  le  drap  et  le  mérinos. 
Je  souhaite  à  tous  les  métiers  une  prospérité  gran- 
dissante, de  sorte  que  le  travail  abonde  pour  tous 
les  ouvriers,  de  sorte  que,  en  produisant  plus  vite 
et  à  meilleur  marché,  nous  puissions,  du  même 
coup,  enrichir  la  nation  et  éclipser  les  peuples 
rivaux.  L'industrie,  loin  de  nuire  à  l'homme  et  à 


340  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  société,  en  est  la  gloire,  la  parure  et  la  richesse. 
Qu'importe  que  la  vanité  et  la  corruption  en 
abusent?  Allons-nous  maudire  l'arbre  et  le  con- 
damner au  feu,  parce  qu'on  y  cueille  des  fruits  de 
mort  aussi  bien  que  des  fruits  de  vie?  On  abuse  de 
tout.  On  abuse  des  lettres,  des  sciences  et  des  arts. 
On  abuse  de  la  santé,  on  abuse  du  vin,  qui  est  le 
royal  breuvage  de  l'homme,  et,  pour  quelques-uns, 
le  moyen  de  se  dégrader  et  de  s'abrutir.  On  abuse 
de  l'industrie.  Est-ce  une  raison  de  la  proscrire? 
Non.  C'est  simplement  un  motif  de  la  conduire 
avec  prudence  et  discrétion.  Aussi  l'Eglise,  inspi- 
rée de  Dieu  et  guidée  parla  foi,  après  avoir  dit  aux 
chefs  d'industrie  :  Travaillez  !  leur  adresse  une 
seconde  parole. 

Elle  leur  dit  :  modération!  Subordonnez  votre  travail 
au  salut  de  votre  âme,  à  la  loi  de  Dieu  et  aux  be- 
soins de  vos  ouvriers.  Tels  sont  les  grands  principes 
qui  doivent  éclairer  et  diriger  l'industriel  chrétien. 

Au  milieu  des  vastes  machines  qu'il  met  en 
mouvement  et  des  spéculations  nouvelles  qu'il  pro- 
jette de  jour  en  jour,  il  se  possède,  il  se  contient, 
il  se  modère,  et  il  n'oublie  point  le  salut  de  son 
âme.  Pourquoi  sommes-nous  sur  la  terre  ?  Ana- 
xagore  répondait  :  «  Pour  contempler  le  soleil.  » 
Socrate  répondait  :  «  Pour  apprendre  à  mourir.  » 
Épicure  répondait  :  «  Pour  goûter  des  plaisirs.  » 
Zenon  répondait  :  «  Pour  braver  des  douleurs.  »  Et 
beaucoup  d'hommes  qui  ne  sont  pas  des  philosophes 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  34f 

et  encore  moins  des  chrétiens  répondent  :  «  Pour 
gagner  de  l'argent.  »  Eh  bien,  non,  ce  n'est  pas 
cela.  Nous  sommes  sur  la  terre  pour  faire  notre 
salut,  pour  sauver  notre  âme.  «Que  sert  à  l'homme 
de  gagner  l'univers,  s'il  vient  à  perdre  son  âme?» 
A  quoi  bon  monopoliser  une  fortune  dont  le  prin- 
cipal eiîet,  après  votre  mort,  sera  de  vous  faire  ou- 
blier? A  quoi  bon  brasser  des  affaires,  et  leur  sacri- 
fier l'affaire  unique  et  essentielle  qui  est  l'éternité? 
Ce  serait  jeter  l'or  et  ramasser  des  cailloux. 
L'industriel  chrétien,  au  sein  de  sa  vie  laborieuse, 
se  rappelle  qu'il  a  une  âme  à  sauver,  encore  plus 
qu'une  fortune  à  gagner. 

Et  alors  il  accommode  sa  vie,  ses  entreprises,  ses 
labeurs  aux  exigences  de  la  loi  de  Dieu.  Tout  en 
s'efforçant  de  préparer  à  ses  vieux  jours  une  large 
aisance  et  à  ses  enfants  une  situation  équivalente 
et  même  supérieure  à  la  sienne,  tout  en  travaillant 
à  perfectionner  son  outillage  et  ses  produits,  à 
suivre  et  même  à  dépasser  ses  rivaux  dans  la 
même  industrie,  il  a  bien  soin  de  respecter  les 
règles  de  la  probité  la  plus  sévère  ;  il  observe  le 
repos  du  dimanche;  il  évite  le  luxe  exagéré  qui 
n'aurait  d'autre  but  que  de  satisfaire  ses  passions 
et  de  les  aiguiser  sans  cesse  ;  il  se  tient  à  distance 
de  l'orgueil  et  de  la  volupté,  qui  sont  les  deux 
grandes  tentations  de  la  richesse  ;  entouré  de  toutes 
les  faveurs  du  bien-être,  il  les  subit  plus  qu'il  n'y 
attache  son  cœur 


342  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

r 

Admirez,  Messieurs,  l'influence  de  l'Eglise.  Elle 
protège  nos  manufactures  en  les  couvrant  du  signe 
de  la  croix.  Elle  sauve  l'industrie  en  la  christiani- 
sant. Elle  ne  détruit  rien,  elle  règle  et  sanctifie 
tout.  Elle  a  civilisé  la  'barbarie  féodale  sans  faire 
verser  une  goutte  de  sang,  sans  incendier  un  seul 
château  ;  elle  peut  seule  corriger  sans  violence  les 
écarts  de  l'industrialisme,  le  sauver  de  ses  excès  en 
lui  imprimant  une  direction  conforme  à  la  loi 
divine  et  au  vœu  de  l'humanité.  Elle  agit  sur  les 
chefs  d'industrie,  et,  après  leur  avoir  demandé 
l'activité  et  la  modération  dans  le  maniement  de 
leurs  affaires,  elle  leur  inspire  et  leur  demande 


II.  La  justice  et  la  charité  à  l'égard  de  leurs 
ouvriers. 

La  matière  est  délicate  et,  pour  éviter  tout  écart 
de  langage,  je  vais  me  dérober  derrière  une  autorité 
qui  me  dépasse  et  qui  s'impose  à  tous.  Ecoutez  le 
grand  Pape  Léon  XIII  dans  son  encyclique  sur 
la  Condition  des  ouvriers. 

Léon  XIII  trace  d'une  main  magistrale  Yidéal  de 
^industriel  chrétien.  «  Quant  aux  riches  et  aux 
patrons,  dit-il,  ils  ne  doivent  point  traiter  l'ouvrier 
en  esclave  ;  il  est  juste  qu'ils  respectent  en  lui  la 
dignité  de  l'homme  relevée  encore  par  celle  du 
chrétien.  Le  travail  du  corps,  au  témoignage  com- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  3*3 

mun  de  la  raison  et  de  la  philosophie  chrétienne, 
loin  d'être  un  sujet  de  honte,  fait  honneur  à 
l'homme,  parce  qu'il  lui  fournit  un  noble  moyen 
de  sustenter  sa  vie.  Ce  qui  est  honteux  et  inhumain, 
c'est  d'user  de  l'homme  comme  d'un  vil  instrument 
de  lucre,  de  ne  l'estimer  qu'en  proportion  de  la 
vigueur  de  ses  bras.  Le  christianisme,  en  outre, 
prescrit  qu'il  soit  tenu  compte  des  intérêts  spirituels 
de  l'ouvrier  et  du  bien  de  son  âme.  Aux  maîtres  il 
revient  de  veiller  qu'il  y  soit  donné  pleine  satisfac- 
tion; que  l'ouvrier  ne  soit  point  livré  à  la  séduction 
et  aux  sollicitations  corruptrices;  que  rien  ne  vienne 
affaiblir  en  lui  l'esprit  de  famille,  ni  les  habitudes 
d'économie.  Défense  encore  aux  maîtres  d'imposer 
à  leurs  subordonnés  un  travail  au-dessus  de  leurs 
forces  ou  en  désaccord  avec  leur  âge  ou  leur  sexe. 
Mais,  parmi  les  principaux  devoirs  du  patron,  il 
faut  mettre  au  premier  rang  celui  de  donner  à 
chacun  le  salaire  qui  convient.  Assurément,  pour 
faire  la  juste  mesure  du  salaire,  il  y  a  de  nombreux 
points  de  vue  à  considérer,  mais  d'une  manière 
générale  que  le  riche  et  le  patron  se  souviennent 
qu'exploiter  la  pauvreté  et  la  misère  et  spéculer  sur 
l'indigence  sont  choses  que  réprouvent  également 
les  lois  divines  et  humaines.  »  Et  le  pape  continue 
en  proscrivant  sans  pitié  les  manœuvres  usuraires 
qui  dévorent  l'épargne  du  pauvre,  le  travail  du 
dimanche  qui  tue  en  même  temps  le  corps  et  l'âme 
de  l'ouvrier  ;  et  dans  des  pages  qui  sont  admirables 


344  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

dès  aujourd'hui,  et  qui  seront  la  vivante  lumière  de 
demain,  il  esquisse  un  à  un  tous  les  traits  de  l'in 
dustriel  chrétien,  lequel  s' inspirant  de  la  justice  et 
de  la  charité  évangélique,  respecte  religieusement 
la  vie  matérielle,  morale  et  religieuse  des  classes 
populaires.  L'Église  catholique,  Messieurs,  est 
splendide  dans  ses  enseignements. 

Elle  nous  dit  que  la  Providence,  ayant  destiné 
tous  les  hommes  à  vivre  en  société,  a  fait  du  genre 
humain  une  immense  famille,  où  ceux  qui  ont  la 
supériorité  de  l'intelligence,  de  la  richesse  et  des 
emplois  doivent  tendre  la  main  aux  ignorants,  aux 
pauvres  et  aux  petits. 

Elle  nous  dit  que  les  conditions  sociales  sont  et 
resteront  nécessairement  inégales,  mais  qu'elles 
doivent  cependant  se  concilier  et  s'harmoniser  par 
la  pratique  de  la  justice  mutuelle  et  de  la  frater- 
nité chrétienne,  et  que,  dans  cette  œuvre  de  soli- 
darité, il  appartient  à  ceux  qui  sont  en  haut  de 
venir  simplement  vers  ceux  qui  sont  en  bas. 

Elle  nous  dit  que  l'industriel  n'est  pas  quitte 
envers  ses  ouvriers,  quand  ses  machines  marchent 
bien  et  quand  il  a  payé  loyalement  le  salaire  con- 
venu, mais  qu'il  a  envers  eux  d'autres  devoirs  à 
remplir,  qu'il  a  charge,  dans  une  certaine  mesure, 
de  leur  corps  et  de  leur  âme. 

Elle  nous  dit  que»  l'industriel  est  un  véritable 
père  qui  doit  traiter  ses  ouvriers  comme  une 
seconde  famille.  Donc    il  se  préoccupera  de  leurs 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  345- 

intérêts  matériels.  Dans  la  fixation  des  salaires,  il 
tiendra  compte  à  la  fois  de  la  tâche  accomplie  et 
des  besoins  de  chacun.  Il  réglera  la  durée  du  tra- 
vail sur  la  moyenne  des  forces  humaines.  Il  n'ad- 
mettra les  enfants  à  l'apprentissage  qu'à  un  âge 
raisonnable.  Il  établira  ou  il  favorisera  des  caisses 
d'épargne,  des  caisses  de  retraite,  des  sociétés  de 
secours  , mutuels,  ou  autres  institutions  écono- 
miques pour  les  temps  de  maladie,  d'infirmités, 
de  vieillesse  ou  de  chômage  forcé.  En  un  mot,  il 
veillera  à  l'amélioration  du  bien-être  des  ouvriers 
et,  se  rappelant  surtout  qu'ils  ont  une  âme 
créée  à  l'image  de  Dieu  et  que  cette  âme  a  des 
besoins  nobles  et  impérieux,  il  exercera  sur  eux 
paternellement  et  amicalement  une  action  reli- 
gieuse et  moralisatrice. 

Il  fera  en  sorte  que  l'ouvrier  et  ses  enfants  soient 
instruits  et  chrétiennement  élevés.  Il  favorisera  la 
diffusion  des  sciences  utiles  et  le  redressement  des 
erreurs  populaires.  L'immoralité  est  la  source 
principale  de  la  misère.  Donc  l'industriel  défendra 
ses  ouvriers  contre  ce  péril  toujours  menaçant.  II 
évitera  le  plus  possible,  au  sein  de  l'atelier,  ce 
mélange  hideux  des  âges  et  des  sexes,  qui  semble 
une  provocation  directe  au  libertinage  ;  il  n'admet- 
tra dans  son  personnel  aucun  membre  nouveau 
qui  serait  capable  de  corrompre  tout  l'atelier  ;  il 
renverra  impitoyablement  les  incorrigibles,  les 
scandaleux  ou  les  tyrans  qui  font  peser  sur  leurs 


346  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

compagnons  l'oppression  de  l'impiété,  de  la  dé- 
bauche ou  du  mauvais  esprit;  par  d'affectueuses 
remontrances  et  par  d'habiles  précautions  il  sauve- 
gardera la  décence  des  conversations,  des  lectures, 
des  compagnies  et  des  divertissements.  Enfin,  par 
ses  exemples  de  simplicité,  son  horreur  du  luxe  et 
toute  une  conduite  de  vertu,  il  accréditera  dans  sa 
maison  le  règne  de  la  moralité;  par  une  douceur 
affectueuse  et  une  familiarité  toujours  digne,  il 
apportera  le  remède  le  plus  efficace  au  sentiment 
de  l'envie,  ce  mal  cuisant  qui  irrite  sans  cesse  les 
petits  contre  les  grands;  aimant  ses  ouvriers 
comme  ses  enfants,  il  aura,  pour  travailler  à  leur 
amélioration  matérielle  et  morale,  cette  perspica- 
cité et  ces  mille  inspirations  du  cœur  que  les  règle- 
ments et  les  livres  n'indiquent  jamais. 

Et  alors,  o  merveille  !  unis  à  leur  maître  comme 
à  un  père,  les  ouvriers  seront  unis  entre  eux  comme 
des  frères.  Les  ouvriers  et  les  maîtres  ne  formeront 
plus  deux  classes  séparées,  jalouses  et  hostiles;  ils 
ne  formeront  qu'un  seul  corps  dont  le  maître  sera 
la  tête  et  les  ouvriers  les  membres  ;  ou  plutôt  ils 
ne  formeront  qu'une  seule  et  même  famille  dont  le 
maître  sera  le  patriarche  ou  le  père,  et  dont  les 
ouvriers  seront  les  enfants.  Voilà  l'idéal  que  nous 
présente  la  Keligion.  Il  est  splendide  ! 

Cet  idéal  est-il  réalisable?  Pourquoi  pas?  Il  suf- 
firait pour  celad'obéirà  l'Eglise.  Hommes,  vous  vous 
plaignez  sans  cesse  que  tout  va  mal,  qup  la  société 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  347 

se  désorganise  et  que  la  lutte  entre  les  classes  est 
un  feu  ardent  qui  crépite  et  qui  va  tout  embraser. 
Revenez  donc  à  l'Eglise.  Elle  seule  peut  tout 
remettre  en  place.  Cet  idéal  que  je  viens  de  vous 
tracer  et  qui  vous  semble  irréalisable  avec  les 
mille  passions  humaines,  cet  idéal  que  vous  rélé- 
guez dans  le  pays  des  chimères  et  des  utopies,  on 
l'a  vu  se  réaliser  autrefois,  au  moins  partiellement, 
sous  l'influence  de  l'Eglise  ;  on  a  vu  cette  union  des 
ouvriers  et  des  maîtres  formant  ensemble  un  seul 
corps  et  une  seule  âme  :  c'était  la  corporation.  On 
a  vu  des  ouvriers  formant  avec  leur  chef  une 
famille,  dont  le  chef  était  le  père  ou  le  patron,  et 
dont  les  ouvriers  étaient  les  enfants  et  les  frères  : 
c'était  la  confrérie.  Nous  reviendrons  plus  tard  sur 
cet  important  sujet.  Mais  dès  aujourd'hui  j'ai  le 
droit  de  vous  dire  :  «  Pourquoi  ne  ferions-nous 
pas  ce  qu'ont  fait  nos  pères?  Il  n'est  point  néces- 
saire, et  il  ne  serait  pas  possible  de  ressusciter  les 
anciennes  corporations.  Mais  il  est  nécessaire  et  il 
est  facile  de  ressusciter  l'esprit  de  justice  sociale 
et  de  charité  chrétienne  qui  animait  les  anciennes 
corporations.  Revenez  à  l'Église,  et  la  question 
sociale  sera  résolue!  » 

Amenl 


DIXIEME  CONFERENCE 

///.  --  LES  OUVRIERS  DE  VINDUSIRIE 


Messieurs, 

Après  avoir  considéré  les  inventions  qui  font 
vivre  et  progresser  l'industrie,  et  les  chefs  qui  la 
dirigent  et  l'exploitent,  il  nous  reste  à  étudier  un 
troisième  et  essentiel  élément  :  l'ouvrier  qui  exécute 
les  travaux  de  l'entrepreneur  ou  du  chef  d'indus- 
trie. Ici  il  y  a  trop  à  dire.  Je  n'aurai  pas  le  temps 
de  tout  dire.  Cependant  je  veux  en  dire  assez  pour 
vous  faire  réfléchir  et  pour  former  dans  vos  esprits 
cette  conviction  que  l'influence  de  l'Eglise  est  ab- 
solument nécessaire  aux  ouvriers  de  l'industrie. 
Entrons  en  matière. 


I.  L'Eglise  ennoblit  le  travail  de  l'ouvrier. 

Le  travail,  Messieurs,  est  une  loi  et  une  loi  de 
sacrifice.  Le  travail  de  la  tête  est  rude  :  l'intelli- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  349 

gence  est  une  Eve  qui  enfante  dans  la  douleur.  Le 
travail  du  corps  n'est  pas  moins  rude,  et,  en  appa- 
rence du  moins,  il  déprime  l'homme  en  le  tenant 
courbé  vers  la  terre  ou  cloué  à  un  métier.  Que  fait 
l'Église?  Elle  fait  ce  que  personne  ne  peut  faire  à 
sa  place.  Elle  réhabilite  le  travail  manuel.  C'est 
sublime  ! 

L'Eglise  paille.  Elle  dit  à  l'ouvrier  qu'il  n'est 
point  un  vil  instrument  de  production  comme  le 
fer  ou  le  bois,  ou  une  bête  de  somme,  mais  qu'il 
a,  comme  son  maître,  une  âme  raisonnable  et  im- 
mortelle, plus  grande  que  le  temps  et  l'espace; 
qu'il  vient  de  Dieu  et  qu'il  va  à  Dieu  ;  qu'il  est  le 
frère  du  riche  et  qu'il  peut  être  son  supérieur  par 
la  vertu;  que  la  vertu  seule  est  la  mesure  de  la 
véritable  grandeur;  que  le  travail  manuel,  par  les 
difficultés  mêmes  dont  il  est  inséparable,  est  mer- 
veilleusement propre  à  faire  pratiquer  la  vertu  et 
peut,  par  conséquent,  élever  l'homme  à  la  plus 
haute  grandeur  morale. 

r 

Et,  non  contente  de  parler,  l'Eglise  donne  V exemple. 
Elle  réhabilite  le  travail  manuel  en  le  montrant 
dans  les  moines  uni  parfois  au  plus  vaste  savoir 
et  à  la  plus  illustre  naissance.  On  voit  saint  Ber- 
nard bêcher  la  terre,  couper  du  bois,'  le  porter  sur 
ses  épaules...  Quelle  leçon  que  l'exemple  de  ce 
descendant  illustre  d'une  illustre  famille,  de  ce 
grand  docteur,  cette  lumière  du  monde,  ce  pacifica- 
teur tout-puissant  de  l'Eglise  et  des  empires,  qui 


3r»0  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

trouve  un  charme  infini  dans  les  abaissements  vo- 
lontaires du  travail  manuel  ! 

Et,  en  même  temps  que  l'Eglise  réhabilite  le  tra- 
vail manuel  par  sa  doctrine  et  par  ses  exemples, 
elle  le  canonise  et  le  déifie.  Elle  place  sur  ses  au- 
tels les  cendres  des  saints  ouvriers  comme  celles 
de  saint  Grépin  et  saint  Grépinien,  et  elle  demande 
aux  rois  et  aux  reines  de  se  mettre  à  genoux  devant 
ces  restes  vénérés.  Elle  grave  l'image  des  saints 
ouvriers  sur  des  bannières  triomphantes  qui  se 
déploient  dans  de  royales  processions  au  jour  de 
grandes  solennités,  et  derrière  ces  images  sacrées 
on  voit  tout  un  peuple  qui  chante  et  qui  prie,  qui 
acclame  le  travail  manuel  couronné  dans  le  ciel 
des  splendeurs  éternelles  et  glorifié  sur  la  terre 
par  les  communs  hommages  des  petits  et  des 
grands.  Comment  en  eût-il  été  autrement  ?  Avant 
de  resplendir  dans  les  saints,  le  travail  manuel 
avait  été  déifié  dans  la  personne  du  Christ.  ^  Que 
ceux  qui  travaillent  de  leurs  mains  se  réjouissent, 
dit  Bossuet,  Jésus-Christ  est  de  leur  corps.  »  Mes- 
sieurs, toutes  les  tirades  les  plus  pompeuses,  toutes 
les  médailles  et  récompenses  ne  vaudront  jamais 
pour  la  classe  ouvrière  l'honneur  qui  rejaillit  sur 
elle  des  souvenirs  de  l'Incarnation  et  de  l'ennoblis- 
sement du  travail  manuel  par  le  Fils  de  Dieu  lui- 
même.  Dans  l'ouvrier  penché  sur  son  enclume  ou 
courbé  sur  son  sillon,  relevant  vers  le  ciel  son 
front  ruisselant  et  sa  poitrine  haletante,  je  vois  et 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  351 

j'adore  le  Christ,  le  divin  charpentier,  et  je  me 
demande  s'il  était  possible  d'élever  le  travail  de 
Tatelier  à  un  honneur  plus  sublime,  et  à  une  plus 
grande  hauteur.  Non,  cela  n'était  pas  possible.  Il  n'y 
a  que  l'Eglise  pour  ennoblir  ainsi  le  travail  ma- 
nuel. C'est  déjà  beaucoup.  Voici  encore  davantage. 

II.  L'Église  favorise  l'épargne  de  l'ouvrier. 

L'ouvrier  doit  économiser .  Il  accepte  d'abord  la 
loi  du  travail;  puis  il  vit,  lui  et  sa  famille,  des 
fruits  de  son  travail  ;  et  enfin,  pour  soutenir  sa 
vieillesse,  pour  subvenir  à  ses  besoins  imprévus, 
pour  établir  ses  enfants,  il  doit  économiser.  N'exa- 
gérons rien.  Il  ne  le  peut  pas  toujours.  La  maladie, 
le  chômage,  les  charges  d'une  nombreuse  famille  à 
élever  lui  permettent  à  peine  de  suffire  aux  néces- 
sités quotidiennes.  Mais  il  le  peut  souvent.  La  pré- 
voyance et  l'épargne  sont  des  vertus  qui  honorent 
beaucoup  plus  que  l'assistance  précaire  qui  lui  vient 
de  la  charité.  Ah  !  si  j'étais  ouvrier,  je  sais  bien 
ce  que  je  ferais.  Je  ferais  comme  j'en  connais  beau- 
coup qui  mangent  noblement  le  pain  qu'ils  ont  no- 
blement gagné,  qui  conquirent  à  la  pointe  de  leur 
outil  la  nourriture,  le  vêtement  et  l'habitation  de 
leur  famille,  et  qui,  par  des  efforts  sublimes  et 
bénis  de  Dieu,  finissent  par  se  procurer  une  hon- 
nête aisance.  L'ouvrier  ne  peut  pas  toujours  écono- 


352  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

miser;  mais  il  le  peut  souvent,  et,  quand  il  le  peut, 
il  le  doit  ;  c'est  son  devoir,  et  c'est  sa  gloire. 

Pour  économiser,  l'ouvrier  doit  être  moral  et  re- 
ligieux. —  La  mesure  de  l'épargne  parmi  les  ou- 
vriers est  la  mesure  même  de  leur  esprit  moral  et 
religieux.  C'est  l'abnégation  qui  produit  l'épargne, 
et  c'est  la  religion  qui  produit  l'abnégation.  J'ai  dit 
la  vérité  aux  chefs  de  l'industrie.  Je  dois  la  dire 
également  aux  ouvriers  de  l'industrie,  et  je  vais 
vous  apporter  non  pas  des  phrases  qui  ne  seraient 
bonnes  qu'à  vous  éblouir,  mais  des  faits  et  ,des 
chiffres  qui  seront  capables  de  vous  instruire  et  de 
vous  faire  trembler. 

Savez-vous  combien  la  population  française  ab- 
sorbe d'alcool?  Plus  d'un  million  et  demi  d'hecto- 
litres. Cette  énorme  consommation  représente  une 
dépense  d'un  milliard  six  cents  millions  de  francs 
au  minimum,  qui  est  supportée  presque  exclusive- 
ment par  la  classe  ouvrière.  Nombre  d'ouvriers 
dans  la  Seine-Inférieure  et  dans  le  Pas-de-Calais 
emploient  en  alcool  deux  francs  par  jour  sur  un 
salaire  de  quatre  francs.  Et  la  moitié  de  cette  ef- 
frayante consommation  de  l'alcool  se  fait  au  cabaret. 

Savez-vous  combien  nous  avons  en  France  de 
cabarets?  Quatre  cent  cinquante  mille.  Gela  fait,  en 
moyenne,  un  débit  de  boissons  pour  quatre-vingt-six 
habitants  :  hommes,  femmes  ou  enfants.  Dans  la 
Somme,  il  y  en  a  un  pour  soixante  habitants,  et 
dans  le  Nord,  un  pour  quarante-six.  Dans  les  pays 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  353 

industriels  et  miniers  du  Nord,  vous  trouvez  un 
cabaret  sur  trois  maisons.  A  Carmaux,  il  y  a  cent 
trente  et  un  cabarets  pour  9.000  âmes.  Allez  dans 
les  quartiers  ouvriers  de  Paris  ;  les  boutiques  de 
marchands  de  vin  se  touchent.  Et  c'est  peut-être 
par  cent  litres  qu'on  peut  chiffrer  dans  ces  régions 
spéciales  la  consommation  individuelle  et  annuelle 
<de  l'alcool.  Nous  cherchons  des  noms  ambitieux 
pour  notre  siècle.  Appelons-le  donc  tout  bonne- 
ment le  siècle  de  l'alcool.  Cette  épithète  explique 
à  elle  seule  bien  des  choses. 

Avez-vous  réfléchi  aux  conséquences  qui  découlent 
du  phénomène  hideux  que  je  viens  de  vous  signa- 
ler? Au  point  de  vue  moral  et  au  point  de  vue 
matériel,  l'alcool  dégrade  et  abrutit  l'homme.  Il 
pervertit  les  idées,  il  ruine  la  santé,  il  rend 
l'épargne  impossible;  on  en  consomme,  en  France, 
pour  un  milliard  six  cent  millions  de  francs  ; 
mais  il  faut  doubler  cette  somme  et  la  porter  à 
trois  milliards  pour  évaluer  la  perte  totale  qu'en- 
traîne l'alcoolisme  sous  forme  d'incapacité  de  tra- 
vail, maladies,  démences,  crimes  et  suicides,  morts 
lentes  ou  accidentelles.  Si  la  dynamite  faisait  sau- 
ter la  moitié  de  Paris  et  si  un  peuple  donnait  le 
signal  d'une  guerre  universelle,  ni  la  dynamite  ni 
ce  peuple  n'arriveraient  à  causer  à  notre  race 
autant  de  désastres  réels  que  lui  en  inflige  le 
liquide  frelaté  qui  tombe  par  torrents  sur  notre 
génération.  Et  je  comprends  la  parole  qu'écrivait 

LES    BIENFAITS    DE    l/ÉGLISE.    —   1-23 


354       •  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

dernièrement  un  publiciste  :  «  Quand  je  traverse 
vers  l'heure  du  dîner  les  boulevards  bordés  de 
verres  d'absinthe,  j'ai  envie  d'y  planter  le  bout  de 
ma  canne,  dans  ces  verres,  pour  en  dégoûter  les 
pauvres  gens  qui  se  détériorent  consciencieusement 
le  cerveau  et  la  moelle  épinière.  »  Est-ce  clair? 
L'ouvrier,  quand  c'est  possible,  doit  économiser; 
et,  pour  économiser,  l'ouvrier  doit  être  moral  et 
religieux.  Vous  avez  la  prétention  de  vous  passer 
de  la  religion?  Répondez-moi: 

Quels  moyens  avez-vous,  en  dehors  de  la  religion, 
pour  favoriser  l'épargne?  Vous  n'avez  que  des 
moyens  absolument  insuffisants. 

Vous  augmenterez  les  salaires?  Si  c'est  possible,: 
je  ne  demande  pas  mieux.  Mais  veuillez  faire  atten- 
tion à  ceci.  Ce  n'est  pas  toujours  l'augmentation 
du  salaire  qui  amène  l'épargne.  Si  l'ouvrier  n'est 
ni  moral  ni  religieux,  vous  aurez  beau  augmenter 
son  salaire,  vous  n'augmenterez  pas  ses  économies. 
Il  y  a,  à  Paris,  des  ouvriers  qui  gagnent  douze  ou 
quinze  francs  par  jour,  et  qui  n'en  sont  pas  plus 
riches  pour  cela,  et  qui  sont  criblés  de  dettes,  tan- 
dis que  je  vous  citerai  de  bons  ouvriers  de  ma 
paroisse  qui,  avec  quatre  ou  cinq  francs  de  salaire 
quotidien,  élèvent  glorieusement  leurs  enfants  et 
font  de  petites  économies.  Je  lisais  dernièrement 
qu'une  famille  de  verriers,  des  environs  de  Car- 
maux,  dont  le  père  et  les  deux  fils  gagnaient  mille 


LES  BIENFAITS  DB  L'ÉGLISE  355 

francs  par  mois  à  eux  trois,  n'était  jamais  parvenue 
à  se  meubler.  Comment  voulez-vous  que  l'ouvrier, 
même  largement  rétribué,  fasse  des  économies,  s'il 
n'est  ni  moral  ni  religieux,  s'il  gaspille  dans  la 
débauche  le  plus  clair  de  ses  gains? 

Quel  autre  moyen  avez-vous  donc,  en  dehors  de 
la  religion  pour  produire  et  favoriser  l'épargne  ? 
Vous  ouvrirez  des  écoles,  dites-vous.  Soyons  sérieux. 
Si  l'école  n'est  pas  religieuse,  si  elle  n'est  pas  toute 
pénétrée  de  christianisme,  elle  est  impuissante  à 
moraliser  l'enfant  du  peuple;  la  lecture,  l'écriture 
et  le  calcul  ne  possèdent  par  eux-mêmes  aucune 
vertu  secrète  pour  former  le  moral  de  l'homme;  et 
les  statistiques  de  la  justice  criminelle  nous  disent 
que  la  progression- dans  le  nombre  des  jeunes  pré- 
venus a  suivi  l'accroissement  du  nombre  des  écoles. 
Et  puis  l'instruction  développée  démesurément, 
outre  qu'elle  ne  prévient  pas  la  misère,  ne  sert  au 
contraire  qu'à  l'augmenter  en  créant  des  besoins 
nouveaux,  en  inspirant  le  mépris  des  professions 
mécaniques  et  en  multipliant  le  nombre  des  déclas- 
sés. Non,  Messieurs,  l'école  toute  seule  n'est  pas 
capable  de  produire  et  de  favoriser  l'épargne  de 
l'ouvrier.  Que  ferez-vous  donc  ? 

Vous  organisez  des  associations,  des  caisses  de 
secours  et  autres  institutions  de  prévoyance  ?  C'est 
bien.  Mais  l'expérience  nous  dit  que  la  participation 
des  ouvriers  à  ces  caisses  forme  une  rare  exception. 
Elles   favorisent  les  ouvriers  qui  ont  déjà  de  la 


356  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

vertu,  mais  sont  impuissantes  à  la  donner.  Sans 
doute  l'association  est  bonne;  Dieu  qui  a  créé 
l'homme  pour  la  société  a  fait  de  la  solidarité,  de 
l'assistance  mutuelle  et  de  l'action  commune  la  loi 
naturelle  de  la  vie  humaine,  et  généralement,  quand 
les  hommes  s'associent,  ils  se  sentent  plus  forts 
contre  le  mal  et  contre  eux-mêmes  ;  l'émulation  les 
stimule,  l'honneur  les  élève  et  les  soutient;  ils  ont 
chance  de  s'améliorer  en  s'appuyanf  les  uns  sur  les 
autres.  Mais  croire  que  l'association  peut  tout,  par 
cela  seul  qu'elle  est  une  association,  c'est  une  erreur. 
L'association  ne  vaut  que  ce  que  valent  les  hommes 
qui  la  composent.  Elle  est  bonne,  si  ses  membres 
sont  bons,  et  mauvaise  si  ses  membres  sont  mau- 
vais. Et  dès  lors  je  vous  pose  impérieusement  ma 
question  :  Quel  moyen  avez-vous,  en  dehors  de  la 
religion,  pour  moraliser  les  hommes,  pour  produire 
et  favoriser  l'épargne  de  l'ouvrier?  Quel  moyen 
avez-vous  pour  inspirer  à  l'oufrier  les  vertus  pri- 
vées qui  sont  la  source,  la  vraie  source  de  l'épargne? 
Vous  n'en  avez  aucun.  Une  conclusion  s'impose. 
L'épargne  naît  de  la  vertu  la  vertu  naît  de  la  reli- 
gion; si  donc  vous  voulez  favoriser  l'épargne  de 
l'ouvrier,  d'abord  et  avant  tout  christianisez-le. 

Il  y  a  des  hommes,  et  il  y  en  a  beaucoup,  qui 
veulent  résoudre  la  question  sociale  en  dehors  de 
l'Église.  Ils  se  trompent,  et  ils  se  trompent  gros- 
sièrement. C'est  l'Eglise  qui  ennoblit  le  travail  de 


LES  BIENFAITS  DE  L'EGLISE  357 

r 

l'ouvrier;  c'est  l'Eglise  qui  favorise  l'épargne  de 
l'ouvrier.  Vous  avez  besoin  d'elle.  En  ouvrant  ses 
temples,  ses  asiles,  ses  écoles,  en  parlant  et  en  agis- 
sant, l'Église,  non  seulement  exerce  des  libertés 
légitimes,  mais  rend  un  service  social.  Elle  répand 
l'Évangile,  et  une  société  qui  n'est  pas  bâtie  sur 
l'Évangile  du  Christ  ressemble  à  une  baraque  bran- 
plante  que  la  première  tempête  jettera  par  terre,  en 
écrasant  ceux  qui  y  demeurent.  Donc,  si  vous  vou- 
lez sauver  la  société,  si  vous  voulez  sauver  l'in- 
dustrie,  revenez  à  l'Eglise.  Nous  catholiques,  Mes- 
sieurs, nous  n'avons  pas  assez  conscience  de  la  place 
que  nous  tenons  dans  la  nation  et  du  rôle  néces- 
saire que  nous  avons  à  y  jouer.  Le  monde  du  travail 
ne  peut  pas  se  passer  de  nous,  de  nos  doctrines,  de 
nos  espérances,  de  la  vertu  moralisatrice,  pacifiante 
et  unitive  qui  repose  dans  notre  Credo,  dans  notre 
Décalogue  et  dans  nos  saints  mystères.  Et,  si  ce 
siècle  ne  veut  pas  revenir  à  l'Église,  pour  nous 
venger  de  ses  résistances  et  de  sa  stupidité,  nous 
n'avons  qu'un  mot  à  lui  dire  :  «  Siècle  imbécile  et 
coupable,  tu  ne  veux  pas  vivre  avec  l'Eglise?  Tu 
mourras  sans  elle  !  »  Mais  non,  il  n'en  sera  pas  ainsi. 
Vous  irez,  Messieurs,  au-devant  de  votre  siècle, 
vous  aurez  pitié  de  ses  indécisions  et  de  ses  aveu- 
glements inconscients,  vous  le  prendrez  par  la  main, 
et  vous  le  ramènerez,  joyeux  et  repentant,  dans  les 


bras  et  sur  le  cœur  de  l'Eglise! 


Amen! 


ONZIÈME  CONFÉRENCE 

III.  —  LES  OUVRIERS  DE  L'INDUSTRIE 

(suite) 


Messieurs, 

L'Église  est  la  bienfaitrice  de  l'industrie.  Elle 
approuve  et  elle  stimule  les  inventions  de  l'indus- 
trie. Elle  inspire  et  elle  dirige  les  chefs  de  d'indus- 
trie. Enfin  elle  agit  puissamment  sur  les  ouvriers 
de  l'industrie,  dont  elle  ennoblit  le  travail  et  dont 
elle  favorise  l'épargne.  Continuons  cet  important 
sujet.  Il  est  actuel,  il  est  inépuisable.  Ce  que  j'ai  à 
vous  dire  aujourd'hui  est  particulièrement  inté- 
ressant et  réclame  toute  votre  attention.  Nous 
sommes  dans  les  entrailles  mêmes  de  la  question 
sociale.  Constatons  ensemble  :  1°  que  l'ouvrier  a 
des  besoins  matériels  et  moraux;  2°  que  l'Eglise  est 
seule  capable  de  satisfaire  ces  besoins  de  la  classe 
ouvrière. 


I.  L'ouvrier  a  des  besoins  matériels  et  moraux. 
L'ouvrier  a  des  besoins  matériels.  C'est  évident.       » 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  359 

Il  a  un  corps  qui  travaille,  des  membres  qui 
s'usent,  une  santé  qui  est  exposée  à  la  maladie.  Il 
a  une  femme  et  des  enfants  à  loger,  à  vêtir,  à  nour- 
rir. Il  a  une  postérité  à  élever  et  à  établir  convena- 
blement. Et  puis  il  rencontre  sur  son  chemin  les 
infirmités,  les  accidents,  le  chômage,  la  vieillesse. 
Il  a  des  besoins  matériels.  lia  des  besoins  moraux. 
€'est  non  moins  évident.  Il  a  une  âme  qui  ré- 
clame la  lumière,  la  force,  la  consolation.  Il  est 
fortement  tenté,  tantôt  par  la  sensualité  d'autant 
plus  ardente  qu'elle  est  moins  satisfaite,  tantôt  par 
l'envie,  ce  mal  cuisant  qui  irrite  sans  cesse  les 
petits  contre  les  forts,  tantôt  par  le  découragement 
ou  le  désespoir  qui  est  le  grand  danger  de  ceux  qui 
souffrent,  de  ceux  qui  se  trouvent  placés  plus  bas  et 
sont  plus  facilement  oubliés  et  écrasés.  L'ouvrier  a 
des  besoins,  d'immenses  besoins  matériels  et  mo- 
raux. Ce  n'est  pas  niable. 

Il  faut  s'occuper  simultanément  des  besoins  ma- 
tériels et  moraux  de  l'ouvrier.  Ici  apparaissent 
deux  erreurs,  deux  illusions  qui  sont  également 
dangereuses  et  qui  appellent  des  explications  et 
des  éclaircissements  nécessaires. 

Première  erreur.  Certains  hommes  positifs  et 
utilitaires  avant  tout  s'imaginent  qu'il  suffit  de  sub- 
venir aux  besoins  matériels  de  l'ouvrier  et  que,  avec 
des  salaires  mieux  répartis  et  plus  abondants,  avec 
des  habitations  plus  salubres,  avec  des  caisses  de 


3G0  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

retraite  et  des  assurances  contre  les  accidents,  les* 
maladies  et  la  vieillesse,  on  résoudrait  facilement 
la  question  sociale.  Ils  se  trompent.  Vous  voulez 
relever  le  peuple,  et  pour  cela  vous  lui  rendez  plus 
faciles  ses  conditions  d'existence,  vous  lui  ouvrez 
des  ateliers  et  des  logements  hygiéniques,  vous  lui 
préparez  des  secours  pour  les  heures  difficiles,  vous 
lui  bâtissez  des  écoles,  etc.  ;  tout  cela,  c'est  quelque 
chose,  c'est  beaucoup,  mais  c'est  insuffisant.  Vous 
n'aurez  rien  fait  pour  le  peuple  si  la  volonté  morale 
des  individus,  si  l'âme  n'a  pas  pris  une  direction 
supérieure.  C'est  sur  l'âme  qu'il  faut  agir,  parce 
qu'en  définitive  l'âme  mène  le  corps  et  que  les 
peuples  ne  sont  pas  des  troupeaux  qu'on  améliore 
en  changeant  leur  pacage.  L'ouvrier  n'est  point 
une  machine,  un  chiffre  dans  l'immense  addition, 
un  rouage  dans  l'immense  engrenage.  L'ouvrier  a 
une  âme,  et  vous  aurez  beau  travailler  à  améliorer 
sa  vie  matérielle,  vous  n'en  ferez  rien  qui  vaille, 
rien  qui  dure,  si  vous  ne  travaillez  en  même  temps 
à  son  relèvement  spirituel.  Aujourd'hui  comme  il  y 
a  douze  siècles,  Messieurs,  c'est  dans  la  vie  de  l'âme 
que  sera  le  salut  des  peuples;  c'est  en  agissant  sur 
l'âme  que  Jésus-Christ  a  changé  le  monde  et  trans- 
formé les  sociétés  et  les  empires;  c'est  en  relevant 
comme  Lui  les  âmes  que  nous  obtiendrons  les 
mêmes  résultats.  L'heure  du  christianisme  finit 
toujours  par  sonner,  et  la  croix  qu'on  affecte  de  dé- 
daigner comme  inutile  sauve  ceux-là  mêmes  qui 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  361 

l'ont  dédaignée.  «  Cherchez  premièrement  le  règne 
de  Dieu  et  sa  justice,  tout  le  reste  vous  sera  donné 
par  dessus.  »  L'ouvrier  a  des  besoins  moraux,  il  a 
une  âme,  et  croire  qu'il  suffit  de  subvenir  à  ses 
besoins  matériels,  c'est  une  erreur  et  une  grossière 
erreur. 

Seconde  erreur,  non  moins  pernicieuse  que  la 
première.  Certains  hommes  idéalistes  et  théoriciens 
avant  tout  s'imaginent  qu'il  suffit  de  subvenir 
aux  besoins  moraux  de  l'ouvrier  et  que,  avec  des 
déclarations  de  principe  et  des  professions  de  foi, 
avec  une  puissante  évangélisation  des  classes  popu- 
laires, on  résoudra  facilement  la  question  sociale. 
Ils  se  trompent.  Vous  voulez  relever  le  peuple,  et, 
pour  le  relever,  le  christianiser.  C'est  bien.  Mais,  en 
vous  adressant  à  son  âme,  n'oubliez  pas  qu'il  a  un- 
corps.  En  même  temps  que  vous  lui  prêchez  des  ver- 
tus, rendez-lui  des  services.  Que  votre  parole  soit  ac- 
compagnée et  précédée  par  des  bienfaits  et  des  bien- 
faits désintéressés.  C'est  la  méthode  apostolique,  la 
méthodedivine.  Le  fondateur  de  notre  religion,  Jésus- 
Christ ,  a  suivi  cette  méthode .  Il  semait  les  miracles  de 
sa  bonté  avant  de  semer  les  merveilles  de  sa  doctrine. 
Les  missionnaires  chez  les  nations  infidèles  se  font 
aimer  pour  se  faire  écouter.  Manning,  Ireland, 
Ketteler,  les  grands  évêques  des  pays  germains  et 
saxons  n'ont  pas  trouvé  autre  chose  pour  aborder 
les  classes  populaires  et  les  christianiser.  Ecoutez 


362  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ici  une  belle  parole  de  saint  Augustin.  Analysant 
les  sentiments  qu'il  éprouvait  à  l'égard  de  saint 
Ambroise  avant  sa  conversion,  il  dit  :  «  Eum  amare 
cœpi  non  tanquam  doctorem  veri,  sed  tanquam  beni- 
{jniim  in  me  ;  Je  me  pris  à  l'aimer  non  parce  qu'il 
enseignait  la  vérité,  mais  parce  qu'il  était  bon  pour 
moi.  »  Voilà  l'histoire  du  peuple,  cet  Augustin 
plein  de  cœur  et  de  passion,  d'enthousiasme  et  de 
misère  qu'il  faut  aimer  d'abord,  que  Ton  convertit 
après.  En  résumé,  l'ouvrier  a  un  corps  et  une  âme, 
et  il  faut  s'occuper  simultanément  de  ses  besoins 
matériels  et  de  ses  besoins  moraux. 

Qui  s'en  occupera?  Qui?  d'abord  l'ouvrier  lui-même. 
Son  sort  est  ici  en  jeu,  et  il  importe  souveraine- 
ment qu'il  travaille  de  ses  propres  mains  et  de  sa 
volonté  propre  à  son  amélioration  matérielle  et  mo- 
rale. Tous  les  progrès,  toutes  les  réformes,  tous  les 
changements  ne  feront  que  peu  de  chose  sans  la 
coopération  personnelle  de  l'individu.  L'ouvrier  a 
une  dignité,  et  vous  amoindrirez  cette  dignité 
si  vous  le  dispensez  de  l'effort  personnel.  L'ou- 
vrier a  une  responsabilité,  et  il  en  perdra  le  sen- 
timent, si  vous  vous  substituez  à  lui  dans  ses 
droits,  ses  devoirs  et  ses  charges.  Laissez-le  donc 
d'abord  voler  de  ses  ailes,  et  créer  pour  ainsi  dire 
sa  propre  grandeur.  Laissez-le  élever  librement  ses 
beaux  et  nombreux  enfants,  gagner  leur  pain  et 
préparer  leur  avenir  à  la  pointe  de  son  glorieux 
outil.  Laissez-le  monter  dans  l'aisance,  dans  Tins- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  363 

truction,  dans  la  moralité,  dans  la  belle  indépen- 
dance d'une  vie  de  moins  en  moins  besoigneuse  et 
de  plus  en  plus  maîtresse  d'elle-même. 

L'ouvrier  a  des  besoins  matériels  et  moraux. 
C'est  à  lui  d'abord  d'y  subvenir.  Et  puis,  parce  qu'il 
est  faible,  les  gouvernants,  les  maîtres  et  les  riches 
doivent  l'aider.  Est-ce  tout?  L'action  commune 
des  ouvriers  et  des  dirigeants  peut-elle  suffire  ici? 
«  Ce  que  nous  affirmons  sans  hésitation,  dit 
Léon  XIII,  c'est  l'inanité  de  cette  action  en  dehors 
de  celle  de  l'Église.  C'est  l'Église  en  effet  qui 
puise  dans  l'Évangile  des  doctrines  capables  soit 
de  mettre  fin  au  conflit,  soit  de  l'adoucir,  en  lui 
enlevant  tout  ce  qu'il  a  d'âpreté  et  d'aigreur; 
l'Église,  qui  ne  se  contente  pas  d'éclairer  l'esprit  de 
ses  enseignements,  mais  s'efforce  encore  de  régler 
en  conséquence  la  vie  et  les  mœurs  de  chacun  ; 
l'Église,  qui  par  une  foule  d'institutions  éminem- 
ment bienfaisantes  tend  à  améliorer  le  sort  des 
classes  laborieuses  ;  l'Église,  qui  veut  et  désire  ar- 
demment que  toutes  les  classes  mettent  en  commun 
leurs  lumières  et  leurs  forces  pour  donner  à  la  ques- 
tion ouvrière  la  meilleure  solution  possible;  l'Église 
enfin  qui  estime  que  les  lois  et  l'autorité  publique 
doivent,  avec  mesure  sans  doute  et  avec  sagesse, 
apporter  à  cette  solution  leur  part  de  concours.  » 
Il  me  reste  à  vous  commenter  ces  belles  et  grandes 
paroles  de  Léon  XIII. 


364  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

II.  L'Église  vient  au  secours  de  la  situation  ma- 
térielle et  morale  de  l'ouvrier. 

Messieurs,  dans  ce  siècle  qui  aura  vu  tant  de 
choses  étonnantes,  une  chose  m'étonne  et  m'at- 
triste plus  que  toutes  les  autres,  c'est  la  défiance  et 
1  aversion  qui  s'est  allumée  dans  l'âme  du  peuple 
contre  l'Eglise.  Dans  le  passé  et  dans  le  présent, 
l'Église  m' apparaît  constamment  occupée  des  inté- 
rêts matériels  et  moraux  de  l'ouvrier,  et  voilà 
l'ouvrier  qui  semble  lui  dire  :  «  Va-t-en!  Je  ne  veux 
pas  de  toi  !  »  Comment  expliquer  un  pareil  phéno- 
mène ?  L'ouvrier  est-il  ingrat  et  mauvais  de  parti 
pris?  Non.  Il  est  trompé  par  de  sinistres  farceurs 
qui  lui  présentent  sa  mère,  la  sainte  Eglise,  sous 
les  traits  d'une  marâtre.  Le  grand  malheur  et  le 
grand  crime  de  ce  siècle,  ça  été  d'éloigner  le  peuple 
de  l'Eglise  pour  le  jeter  mécontent  et  désespéré 
dans  les  ardeurs  de  l'impiété  et  dans  les  glaces  de 
l'indifférence.  Ce  phénomène,  qui  nous  dévore  et 
nous  consume  depuis  quatre-vingts  ans,  va-t-il  durer 
longtemps  encore  ?  Ce  n'est  pas  possible.  La  lumière 
se  lève  enfin,  et,  à  mesure  qu'elle  se  fera  plus  abon- 
dante, le  peuple  verra  qu'on  s'est  indignement  mo- 
qué de  lui,  qu'on  l'a  trompé  abominablement,  et 
que,  en  définitive,  c'est  l'Eglise  qui  est  sa  meilleure 
amie  et  sa  plus  généreuse  bienfaitrice.  N'est-ce  pas 
la  clarté  même? 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  365 

Depuis  dix-neuf  siècles, et  aujourd'hui  comme  hier, 
rÉglisç  donne  à  l'ouvrier  des  doctrines  qui  l'éclai- 
rent,  le  relèvent,  le  moralisent  et  le  consolent.  Elle 
apprend  aux  hommes  à  supporter  les  inégalités 
inévitables,  le  travail  nécessaire.  Elle  rapproche  les 
classes  en  imposant  à  tous  la  pratique  de  la  jus- 
tice. Elle  enseigne  aux  riches  à  se  servir  chrétien- 
nement de  leurs  richesses,  et  aux  pauvres  à  estimer 
leur  travail.  Elle  promet  à  l'ouvrier  dans  une  vie 
meilleure,  la  revanche  que  lui  réserve  la  magnifi- 
cence divine.  Et,  en  relevant  ainsi  le  peuple  au  point 
de  vue  moral,  en  lui  infusant  la  dignité,  l'espé- 
rance, la  vertu,  est-ce  que  du  même  coup  elle  ne 
travaille  pas  à  sa  félicité  temporelle?  Est-ce  que 
l'amélioration  matérielle  n'est  pas  une  conséquence 
qui  suit  d'ordinaire  la  restauration  des  mœurs? 
L'Eglise  est  la  mère  de  la  vertu  et  la  grand' mère 
de  l'épargne.  L'Eglise  donne  à  l'ouvrier  un  ensei- 
gnement qui  l'éclairé,  le  relève,  le  fortifie  et  le 
console.  Et,  en  dehors  de  cet  enseignement,  que 
reste-t-il  à  l'ouvrier,  sinon  le  doute,  l'indifférence 
et  la  libre  pensée,  c'est-à-dire  la  désorientation  et 
la  désorganisation  complète  de  son  intelligence,  de 
sa  volonté,  de  son  cœur  et  de  sa  vie? 

Elle  fait  plus  encore.  Elle  donne  à  l'ouvrier  des 
serviteurs  qui  l'aiment,  le  protègent,  l'assistent. 
Comptez,  si  vous  le  pouvez,  les  grands,  les  riches, 
les  savants  enrôlés  depuis  dix-neuf  siècles  dans  la 
grande  armée  de  la  charité  catholique.  Comptez,  si 


366  •         CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

vous  le  pouvez,  à  l'heure  actuelle,  les  milliers  et 
les  milliers  de  religieux  et  de  religieuses  qui  ouvrent 
l'oreille  à  tout  gémissement  rendant  un  son  nou- 
veau, qui  tendent  la  main  à  toutes  les  souffrances, 
qui  apportent  du  pain  pour  ceux  qui  ont  faim,  des 
consolations  pour  ceux  qui  pleurent,  un  chevet 
pour  ceux  qui  vont  mourir,  qui,  du  matin  au  soir, 
ne  sont  occupés  qu'à  assister  l'ouvrier  dans  ses- 
besoins  matériels  et  moraux,  dans  ses  orphelinsr 
dans  ses  infirmes,  dans  ses  vieillards.  Et  le  pape, 
les  évêques  et  les  prêtres,  à  quoi  travaillent-ils, 
sinon  à  améliorer  le  sort  de  la  classe  ouvrière?  Ils 
cherchent  des  réformes,  ils  prêchent  la  justice  et  la 
charité,  ils  donnent  de  l'ouvrage,  ils  distribuent 
des  aumônes,  et  ils  sont  tellement  les  serviteurs  de 
l'ouvrier,  que  je  m'étonne  d'être  obligé  de  rappeler 
à  mon  siècle  cette  vérité  d'une  évidence  resplendis- 
sante et  quotidienne. 

L'Eglise  enfin  donne  à  l'ouvrier  des  institutions 
qui  sont  de  nature  à  améliorer  sensiblement  sa  si- 
tuation matérielle  et  morale.  Les  institutions  ca- 
tholiques en  faveur  des  classes  populaires  rem- 
plissent le  passé  et  le  présent.  Pour  aujourd'hui,  je 
ne  veux  vous  en  signaler  qu'une  seule,  laquelle, 
si  elle  était  comprise  et  acceptée,  suffirait  à  trans- 
former la  situation  de  l'ouvrier.  Je  veux  parler 
du  dimanche.  Le  dimanche  est  nécessaire  à 
l'ouvrier.  L'Angleterre  et  les  Etats-Unis  observent 
rigoureusement  la  loi  du  repos  du  dimanche  ;  or, 


LES  BIENFAITS  DE  L'EGLISE  36T 

c'est  en  ces  deux  pays  que  la  prospérité  matérielle 
est  la  plus  grande.  «Ceux  qui  ne  voient  pas  le  com- 
mandement divin  dans  la  Bible  ne  pourront  man- 
quer de  le  trouver  écrit  dans  l'homme  lui-même  »r 
a  dit  M.  Harrisson,  président  des  Etats-Unis.  Et  le 
général  Grant  a  dit  :  a  C'est  le  dimanche  que  Dieu 
arrose  la  plante  du  travail  pour  lui  faire  porter  ses 
fruits.  »  Or,  qu'est  devenu  chez  nous  le  dimanche 
de  l'ouvrier?  Ecoutez  là-dessus  le  philosophe  Pierre 
Leroux  :  «  Je  propose  de  graver  sur  le  Panthéon, 
au-dessus  de  l'inscription  :  «  Aux  grands  hommes,  la 
«  Patrie  reconnaissante  !  »  ces  lignes  :  «  La  Révolution 
«  française  est  venue,  et  l'ouvrier  a  été  obligé  de 
«  travailler  un  jour  de  plus  par  semaine  pour  vivre.  » 
Est-ce  là  du  progrès,  Messieurs?  Les  animaux  ont 
besoin  de  se  reposer.  Le  cheval  qui  se  repose  rend 
plus  de  services  que  celui  qui  ne  se  repose  pas.  La 
Compagnie  des  Omnibus  de  Paris  donne  à  ses  che- 
vaux un  jour  de  repos  tous  les  cinq  jours.  Et  nous 
avons,  en  France,  des  milliers  d'ouvriers  qui  ne  se 
reposent  jamais  et  qui,  ne  se  reposant  jamais,  se 
tuent  le  corps  et  l'âme.  0  hommes,  vous  ne  voulez 
pas  revenir  à  l'Eglise  ?  Vous  retournez  à  l'escla- 
vage... 

Amen  1 


DOUZIEME  CONFERENCE 

III.  —  LES  OUVRIERS  DE  L'INDUSTRIE 

(suite) 


Messieurs, 

J'achève  aujourd'hui  l'étude  des  rapports  de 
l'Eglise  avec  l'industrie.  Nous  avons  déjà  constaté 
la  salutaire  influence  de  l'Eglise  sur  les  ouvriers  de 
l'industrie.  Il  me  reste  à  vous  en  offrir  une  dernière 
preuve.  Je  voudrais  vous  faire  l'histoire  et  vous 
tracer  la  physionomie  de  l'ouvrier  avant  Jésus- 
Christ,  au  moyen  âge  et  aujourd'hui. 


I.  V ouvrier  avant  Jésus-Christ 

Messieurs,  il  me  répugne  de  remuer  les  turpi- 
tudes de  l'humanité.  Cependant  il  est  indispensable 
de  mettre  en  évidence  cette  conclusion  de  l'histoire 
ancienne  que  l'ignorance  seule  ou  la  mauvaise  foi 
peuvent  révoquer  en  doute,  à  savoir  que  dans  l'an- 
tiquité, dans  le  paganisme,  le  genre  humain  était 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  369 

une  proie  abandonnée  à  quelques  tigres  :  hmna- 
num  paucis  vivit  genns,  selon  l'expression  de  Lu- 
cain.  Avant  Jésus-Christ,  l'ouvrier  était  dans  un 
état  lamentable  tant  au  point  de  vue  matériel  qu'au 
point  de  vue  moral. 

Vous  croyez  peut-être  à  la  civilisation  par  les 
seules  forces  de  la  nature?  Eh  bien,  regardez  un 
peu  ce  que  la  nature  a  produit  dans  ses  meilleurs 
jours  chez  les  nations  les  plus  brillantes.  Athènes, 
reine  de  la  civilisation  antique,  sur  cent  individus 
humains,  en  élevait  un  à  la  dignité  d'homme  et 
réduisait  les  quatre-vingt-dix-neuf  autres  à  la  con- 
dition de  bétail.  Athènes  avait  vingt  mille  citoyens 
et  quatre  cent  mille  esclaves.  Ses  philosophes  met- 
taient en  doute  si  l'esclave  avait  une  âme.  Ne  par- 
lons pas  de  Sparte  où  la  proportion  des  hommes 
libres  était  beaucoup  moindre,  où  le  nombre  des 
ilotes  les  rendait  assez  vils  pour  qu'on  en  fît  du 
gibier  destiné  au  plaisir  de  la  chasse.  Voilà  ce 
qu'était  l'ouvrier  sous  ce  beau  ciel  de  la  Grèce  qui 
éclaira  tant  d'artistes,  tant  de  philosophes,  tant 
d'orateurs,  tant  de  grands  capitaines  et  de  savants 
législateurs  ! 

A  Rome,  il  était  d'une  fortune  bien  médiocre  le 
citoyen  qui  n'avait  pas  quatre  à  cinq  cents  esclaves. 
Certains  seigneurs,  s'étant  mis  en  tête  que  leurs 
murènes  en  seraient  plus  délicates  si  on  les  nour- 
rissait de  chair  humaine,  occupaient  des  esclaves  à 
dépecer  d'autres  esclaves  à  l'usage  de  leurs  viviers. 

LES   BIENFAITS   DE  L'ÉGLISE.    —    1-24 


370  '  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Le  massacre  des  esclaves  était  un  divertissement 
public,  un  agréable  tue-temps,  le  meilleur  antidote 
contre  le  spleen  antique.  Tacite  raconte  comme  un 
fort  beau  spectacle  la  mort  en  un  seul  jour  de  dix- 
neuf  mille  hommes  s'égorgeaht  sur  le  lac  Fucin, 
pour  le  bon  plaisir  de  l'empereur  Claude  et  du 
peuple  romain.  Le  divin  Titus,  modèle  d'humanité^ 
ne  croyait  pas  pouvoir  célébrer  dignement  la  fête 
de  son  père  Vespasien  sans  faire  dévorer  aux  bêtes 
trois  mille  prisonniers  juifs.  Ces  boucheries  étaient 
aussi  le  complément  ordinaire  des  festins  que  se 
donnaient  les  grands  de  Rome.  La  digestion  eût  été 
trop  laborieuse  si,  aux  vins  les  plus  exquis,  on 
n'eût  fait  succéder  le  sang.  Les  matrones  s'étouf- 
faient à  ces  spectacles,  donnaient  le  signal  de  mort 
en  tournant  le  pouce  et  couvraient  d'applaudisse- 
ments le  gladiateur  expirant  avec  grâce. 

Voilà  le  monde  ancien.  Il  semblait  civilisé,  mais 
il  ne  l'était  pas.  Des  arts,  il  y  en  avait  avant  le 
Christ,  et  nos  musées  nous  offrent  les  admirables 
chefs-d'œuvre  des  artistes  d'autrefois.  Des  sciences, 
il  y  en  avait  avant  le  Christ,  et  nous  travaillons 
aujourd'hui  sur  l'héritage  des  anciens.  De  la  phi- 
losophie, il  y  en  avait  avant  le  Christ,  et  les  philo- 
sophes d'aujourd'hui  sont  des  pygmées  auprès  des 
géants  qui  se  nommaient  Aristote  et  Platon.  Et 
cependant  le  monde  antique  s'est  effondré.  On 
croyait  avoir  la  civilisation,  ce  n'était  qu'une  appa- 
rence. On  avait  cru  construire  un  superbe  édifice, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  371 

on  n'avait  bâti  qu'une  façade,  et,  quand  la  façade 
est  tombée,  on  a  vu  que  derrière  il  n'y  avait  rien, 
rien  sinon  la  pourriture  et  la  mort.  Que  lui  man- 
quait-il donc  à  ce  monde  antique  ?  Il  lui  manquait 

r  F 

Jésus,  il  lui  manquait  l'Eglise.  L'Eglise  est  venue, 
et,  recueillant  la  parole  et  la  grâce  de  Jésus,  elle  les 
a  jetées  comme  une  semence,  comme  un  ferment 
divin  dans  les  sillons  de  la  pauvre  humanité.  Et 
alors  on  a  vu  germer  et  s'épanouir  un  peuple  nou- 
veau. Contemplons  ce  peuple  nouveau. 


II.  L'ouvrier  au  moyen  âge. 

Ceux  qui  connaissent  l'histoire,  non  pas  l'histoire 
des  manuels  idiots  qui  font  tout  remonter  à  1789, 
mais  la  grande  histoire,  celle  qui  s'appuie  sur  des 
documents  et  des  faits,  savent  le  bien  qu'a  produit 
l'Église  dans  le  passé.  Cherchez  dans  le  moyen  âge, 
au  xme  siècle,  époque  sombre  et  rude  à  bien  des 
égards,  sans  doute,  et  que  je  ne  donne  point  comme 
l'idéal  consommé,  mais  époque  chrétienne  cepen- 
dant, cherchez  si  vous  trouverez  une  classe  d'êtres 
comparables  à  nos  millions  de  prolétaires  vivant 
dans  l'insécurité  absolue  du  lendemain,  écrasés  par 
des  impôts  énormes,  ayant  toujours  à  redouter 
l'apparition  imprévue  du  chômage  et  ne  pouvant 
laisser  à  la  femme  et  aux  enfants,  dans  l'hypothèse 
d'une  disparition  subite,  que  la  misère  et  que  la 


372  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

faim.  Non,  vous  ne  trouverez  pas  cela.  Non,  l'ou- 
vrier au  moyen  âge,  sous  l'empire  du  droit  chré- 
tien, sous  la  protection  de  l'Eglise,  n'a  pas  connu 
les  misères  matérielles  et  morales  de  l'ouvrier 
moderne  décatholicisé. 

L'ouvrier  au  moyen  âge  est  honoré  et  protégé 

r  f 

par  l'Eglise.  L'Eglise  n'hésite  pas  à  prendre  au  sein 
de  l'humiliation  des  fils  d'ouvriers  pour  les  ordon- 
ner prêtres  et  les  élever  par  là  au-dessus  des  sei- 
gneurs. Et  quand  ils  avaient  des  vertus  et  du  génie, 
ils  pouvaient,  ces  fils  d'ouvriers,  parvenir  au  pre- 
mier trône  du  monde,  témoins  :  Adrien  IV,  le  seul 
pape  anglais,  qui  était  d'origine  serve,  et  Gré- 
goire VII,  fils  d'un  charpentier.  Et,  non  contente 
d'honorer  les  ouvriers,  l'Église  les  protège.  En  bé- 
nissant l'épée  du  chevalier,  le  prêtre  disait  :  «  Dieu 
saint,  bénissez  cette  épée  à  deux  tranchants.  Qu'avec 
l'un  il  frappe  l'infidèle  qui  attaque  l'Eglise,  et 
qu'avec  l'autre  il  punisse  le  riche  qui  opprime  le 
pauvre!  »  L'Eglise  met  sur  là  même  ligne  et  protège 
du  même  bouclier  Dieu  et  le  peuple,  Jésus-Christ 
«t  le  pauvre,  la  religion  et  l'ouvrier. 

L'ouvrier,  au  moyen  âge,  a  ses  jours  de  repos  et 
de  sanctification.  Ce  n'est  point  cette  machine  vi- 
vante qui  Inarche  sans  cesse  et  qui  s'use  vite.  Non, 
il  se  repose.  Il  a  des  chômages  réguliers.  Il  y  avait, 
en  France,  avant  le  Concordat,  quatre-vingt-sept 
jours  chômés,  dont  cinquante-deux  dimanches  et 
trente-cinq  fêtes  d'obligation.  Et  dans  ces  jours  de 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  373 

fête  religieuse  voyez-le,  l'ouvrier  d'autrefois,  venant 
à  son  Église.  En  ce  temps-là  ce  n'étaient  pas  les 
nations  hérétiques  qui  passaient  pour  observer  le 
mieux  le  grand  précepte  dominical  ;  en  ce  temps-là, 
les  villes  catholiques  présentaient  un  beau  spectacle 
le  dimanche;  les  boutiques  étaient  fermées,  même 
les  boutiques  des  pâtissiers  et  des  barbiers  ;  les 
églises  étaient  pleines;  la  joie  brillait  dans  tous  les 
yeux.  L'ouvrier,  vêtu  de  ses  habits  de  fête  et  le 
cœur  plein  d'allégresse,  escorté  de  sa  femme  et  de 
ses  enfants,  entrait  dans  ces  belles  cathédrales,  où 
il  trouvait  l'orgue  pour  le  saluer,  le  prêtre  pour  le 
bénir,  les  vitraux,  la  peinture,  la  statuaire  pour 
l'instruire,  et  les  cérémonies  saintes  pour  l'enchan- 
ter et  le  transfigurer.  Là,  il  s'asseyait  à  côté  du 
riche,  enfant  de  Dieu  et  frère  de  Jésus-Christ 
comme  lui,  nourri  à  la  même  table  d'un  aliment 
divin.  Là,  il  chantait  le  matin,  avec  le  vieux  Credo 
de  ses  pères,  l'hymne  de  sa  liberté,  et  le  soir,  à 
l'office  des  vêpres,  il  répétait  les  paroles  attendris- 
santes du  prophète  royal  :  «  Louons  le  Seigneur, 
car  il  a  regardé  le  pauvre  dans  sa  poussière,  et  il 
l'a  placé  parmi  les  princes  de  son  peuple,  de  ster- 
eore  erigens  pauperem.  »  Et  le  lendemain,  retour- 
nant à  son  travail,  il  se  sentait  le  corps  reposé, 
l'esprit  illuminé  de  clartés  souveraines,  l'âme  em- 
baumée des  parfums  et  ravie  des  harmonies  du" 
ciel.  Je  ne  fais  pas  de  la  poésie,  je  raconte  une 
vieille  histoire,  l'histoire  de  l'ouvrier  honoré,  pro- 


374  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

tégé,  transfiguré  par  l'Eglise.  Et  je  n'ai  pas  tout 
dit.  * 

L'ouvrier,  au  moyen  âge,  a  une situationmatér ielle 
satisfaisante.  Des  inventaires  mobiliers  d'ouvriers  et 
de  cultivateurs,  au  xine  et  au  xive  siècle,  établissent 
la  preuve  d'une  aisance  relative  qui  serait  enviée 
aujourd'hui  par  beaucoup  de  pays  de  l'Europe.  Le 
salaire  d'alors,  comparé  au  prix  des  denrées,  assu- 
rait aux  ouvriers  une  vie  matérielle  plus  large  que 
celle  de  nos  ouvriers  à  l'heure  actuelle.  Ils  n'étaient 
pas  mal  logés,  car  la  cherté  et  l'insalubrité  des 
locaux  destinés  aux  classes  laborieuses  des  grandes 
villes  sont  un  mal  de  notre  époque.  L'ameuble- 
ment était,  il  est  vrai,  plus  grossier,  mais  il  était 
conforme  au  goût  du  temps  et  contentait  les 
besoins  des  hommes  d'alors,  ce  que  ne  font  pas 
les  mobiliers  plus  raffinés  d'aujourd'hui.  Les  com- 
pagnons du  moyen  âge  n'étaient  point  mal  vêtus, 
car,  pour  trouver  à  s'embaucher,  ils  devaient  prou- 
ver qu'ils  avaient  cinq  ou  six  costumes.  Enfin  les 
chômages  périodiques,  cette  plaie  de  notre  indus- 
trie moderne,  étaient  inconnus  ;  en  dehors  des 
grandes  crises  qui  arrêtent  la  vie  ordinaire,  l'ou- 
vrier incorporé  était  sûr  d'avoir  du  travail.  Ajoutez 
à  cela  qu'au  point  de  vue  intellectuel  le  xme  siècle 
n'était  point  inférieur  au  nôtre.  Les  documents 
les  plus  authentiques  établissent  pour  cette  époque 
une  proportion  de  lettrés  qui  ne  serait  pas  dépassée 
à  l'époque  moderne.  Et  maintenant  cet  ouvrier  que 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  375 

l'Église  a  aimé,  quelle  a  honoré  et  protégé,  qu'elle 
a  fait  monter  successivement  de  l'esclavage  au  ser- 
vage et  du  servage  à  la  dignité  de  citoyen  libre, 
«qu'est-il  devenu?  où  en  est-il? 


III.  L'ouvrier  aujourd'hui. 

Hélas!  le  plus  souvent  il  est  affranchi  des 
croyances  et  des  pratiques  religieuses.  On  lui  a  dit  : 
«  Laisse  là  le  temple  catholique  avec  ses  vitraux, ses 
chasubles  d'or  et  ses  fêtes  ;  tout  cela  était  bon 
pour  les  peuples  enfants.  Il  te  faut  autre  chose, 
plus  et  mieux.  »  Il  a  obéi. 

Et  d'abord  le  voilà  sans  dimanche.  Sous  prétexte 
de  liberté,  le  voilà  réduit  au  sort  de  l'esclave  an- 
tique ou  du  galérien,  condamné  à  traîner  à  perpé- 
tuité le  boulet  des  travaux  forcés.  Sous  peine  de 
renvoi,  sous  peine  de  mourir  de  faim,  il  faut  qu'il 
travaille  six  jours  et  encore  le  septième  jour,  et 
cela  d'un  bout  de  Tannée  à  l'autre.  Autrefois  il  avait 
son  dimanche  et  ses  fêtes  religieuses  ;  il  a  perdu 
tout  cela.  C'est  déjà  un  immense  malheur.  Ce  n'est 
pas  tout. 

Autrefois,  il  avait  sa  confrérie  et  sa  corporation. 
Aujourd'hui,  il  est  isolé.  Jadis,  pour  se  défendre 
«contre  la  toute-puissance  de  l'Etat,  contre  les  in- 
justices de  ses  maîlres,  il  avait  les  statuts  et  règle- 
ments de    sa   corporation.   Regardez-le  à   l'heure 


3*6  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

actuelle.  Après  cent  ans  d'individualisme,  c'est  à 
peine  si  on  vient  de  lui  rendre  une  petite  parcelle 
du  droit  d'association.  11  a  presque  perdu  l'habitude 
d'user  de  ce  droit  et  d'en  user  pour  son  bien,  et 
les  syndicats  ouvriers  qui  viennent  de  naître  ont 
encore  du  chemin  à  faire  avant  de  procurer  aux  tra- 
vailleurs les  avantages,  les  secours  des  anciennes 
corporations.  Tant  que  ces  syndicats  ne  seront  pas 
pénétrés  de  l'esprit  chrétien,  ils  seront  incapables 
de  réhabiliter  la  classe  ouvrière. 

Séparé  de  l'Eglise,  l'ouvrier  d'aujourd'hui  est 
exposé  à  la  dégradation.  Les  incrédules  disent  :  La 
religion  abrutit  les  hommes.  Et  moi  je  dis  :  C'est 
l'incrédulité  qui  nous  abrutit,  puisqu'elle  fait  de 
nous  des  brutes  à  l'origine,  des  brutes  pendant  la 
vie,  des  brutes  à  la  mort.  Qu'est-ce  que  l'homme? 
L'incrédule  répond  :  Un  singe  perfectionné.  Com- 
ment l'homme  doit-il  vivre?  L'incrédule  répond: 
Il  doit  chercher  les  jouissances  et  les  satisfactions 
des  sens.  Or  c'est  là  précisément  la  vie  de  la  brute. 
Quelle  est  la  destinée  de  l'homme?  L'incrédule 
répond  :  Il  doit,  comme  les  animaux,  retourner  au 
néant.  L'incrédulité  fait  de  nous  des  brutes.  Jetez 
de  telles  doctrines  dans  un  peuple,  et  vous  recueil- 
lerez chez  ce  peuple  la  déraison,  les  utopies  révolu- 
tionnaires, l'ignorance  de  la  justice  et  des  vérités 
essentielles  de  la  morale,  en  un  mot  la  dégrada- 
tion et  l'abrutissement  progressif.  A  mesure  qu'il 
se  sépare  de  l'Église,  l'ouvrier  compromet  son  corps, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  377 

son  âme,  sa  famille,  son  pays;  il  voit  décroître  et 
empirer  sa  situation  matérielle,  morale, domestique 
et  sociale. 

—  Messieurs,  l'on  se  demande  à  qui  appartiendra 
l'avenir.  Je  dis  que  l'avenir  appartiendra  à  l'Eglise, 
Elle  est  —  en  effet  —  la  grande  bienfaitrice  du  peuple. 
Le  peuple  finira  par  le  comprendre.  Il  reviendra 
repentant,  converti,  joyeux  à  sa  divine  amie,  et  la 
démocratie  reconnaissante  donnera  à  l'Eglise  une 
splendeur  que  ne  lui  ont  pas  donnée  les  rois.  Quand 
le  monde  du  travail  verra  enfin  que  l'Eglise  n'est 
pas  seulement  la  reine  du  monde  surnaturel  et  la. 
reine  de  la  morale,  mais  qu'elle  possède  aussi  avec 
le  dévouement  et  le  sacrifice,  la  clef  de  toutes  les 
questions  économiques,  des  améliorations  sociales 
et  des  progrès  de  l'industrie,  le  monde  du  travail 
reviendra  à  l'Eglise  et  lui  rendra  une  popularité 
plus  belle  et  plus  éclatante  que  celle  des  jours 
antiques.  Voilà  l'avenir.  Mais  cet  avenir  ne  se  fera 
pas  tout  seul.  C'est  à  nous  qu'il  appartient  de 
l'ébaucher  et  de  le  préparer,  et  c'est  à  Dieu  qu'il 
appartient  de  le  faire  éclore  sous  la  double  rosée 
de  notre  prière  et  de  nos  sueurs.  Donc,  mettons- 
nous  à  genoux  et  prions;  levons-nous  et  agissons  l 

Amen  I 


TREIZIÈME  CONFERENCE 
III.  —  L'Église  et  le  Commerce 


Messieurs, 

L'Eglise  est  la  bienfaitrice  de  l'agriculture  et  de 
l'industrie.  Disons  un  mot  de  son  influence  sur  le 
commerce. 

L'agriculture  produit  la  plupart  des  matières  pre- 
mières; l'industrie  les  transforme  et  les  adapte  à 
nos  besoins  ;  le  commerce  les  échange  et  les  fait 
circuler  d'homme  à  homme  et  de  peuple  à  peuple. 
Rien  de  plus  légitime  que  le  commerce  et  rien  de 
plus  nécessaire.  Chacun  est  incapable  de  pourvoir 
à  tous  ses  besoins  personnels  ;  par  le  commerce,  nous 
recevons  des  autres  ce  qui  nous  manque,  en  leur 
donnant  ce  que  nous  avons  en  trop.  Le  commerce 
est  une  nécessité  providentielle.  Il  oblige  le  Nord 
et  le  Midi  à  se  visiter,  à  se  connaître  et  à  s'aimer, 
et  les  diverses  nations  à  se  rapprocher,  à  s'entr'aider, 
à  vivre  dans  l'union  d'une  fraternité  universelle. 
En  enserrant  les  hommes  de  toutes  les  professions 
et  de  tous  les  climats  dans  la  communauté  des  in- 
térêts matériels,  le  commerce  leur  rappelle   leur 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  379 

communauté  d'origine  et  de  destinée,  et  il  prépare 
ainsi  l'union  des  intelligences  et  des  cœurs.  Le 
commerce  est  légitime,  nécessaire  et  voulu  de  Dieu. 
Bien  loin  qu'elle  le  condamne,  l'Église  l'approuve, 
le  favorise  et  le  soutient.  Gomment  cela?  C'est  ce 
que  nous  allons  voir. 


I.  La  probité  commerciale  est  Y  âme  du  com- 
merce. 

Que  voulez- vous  que  devienne  le  commerce,  si  la 
plus  stricte  probité  ne  préside  pas  à  toutes  les 
transactions,  si  offrant  une  qualité  rare  on  livre 
une  qualité  médiocre,  si  la  balance  trompe  par  le 
faux  poids  et  le  mètre  par  un  mesurage  précipité, 
si  les  meules  retiennent  le  grain  au  lieu  de  le 
broyer,  si  des  mélanges  intéressés  et  perfides  déna- 
turent la  fabrication  d'un  produit,  altèrent  les  subs- 
tances les  plus  nécessaires  à  la  vie  et  ajoutent  à  la 
matière  du  vol  tous  les  dangers  de  l'empoisonne- 
ment? Que  voulez-vous  que  devienne  le  commerce, 
si  pour  obtenir  une  préférence,  exercer  un  monopole 
et  accaparer  certaines  sources  de  la  vie  et  de  la 
fortune  publique,  on  achète  les  consciences,  on 
corrompt  la  presse,  on  s'assure  des  protecteurs 
puissants  par  des  présents  magnifiques?  Que  vou- 
lez-vous que  devienne  le  commerce,   si  la  Bourse 


380  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

où  se  manie  l'argent,  et  les  marchés  où  s'échangent 
les  marchandises  sont  des  antres  ténébreux  livrés 
à  la  duplicité,  à  la  fraude  età  l'injustice?  Messieurs, 
si  nous  ne  voulons  pas  que  la  société  soit  une  forêt 
de  Bondy  et  un  mauvais  lieu,  proclamons  bien  haut 
que  la  probité  est  l'âme  du  commerce. 

Or  quel  moyen  avez-vous  d'établir  la  probité 
commerciale?  Vous  avez  la  loi.  Oui,  certes  la  loi 
est  une  barrière  contre  la  cupidité  humaine.  Elle 
recherche,  poursuit  et  condamne  le  vol  avec  un 
zèle  qu'on  ne  saurait  trop  louer.  Mais,  hélas!  com- 
bien elle  est  impuissante  à  prévenir  l'injustice  et 
souvent  même  à  la  punir  !  Elle  ne  prévient  presque 
rien,  et  elle  ne  punit  pas  tout.  Et  que  de  fois  ne  la 
voit-on  pas  frapper  sans  pitié  un  malheureux  qui 
aura  volé  une  carotte  dans  le  champ  de  son  voisin, 
et  s'arrêter  devant  les  grands  coupables,  frémis- 
sante, inappliquée  et  vaincue?  Messieurs,  pour 
sauvegarder  et  maintenir  la  probité,  il  faut  une 
puissance  autre  que  la  loi.  Il  faut  la  religion. 

C'est  la  religion,  dont  l'Eglise  catholique  est  la 
plus  haute  expression,  qui  juge  les  lois  et  les  jus- 
tices de  la  terre.  C'est  l'Église  qui  seule  pénètre 
dans  les  consciences  pour  les  éclairer,  les  régler, 
les  redresser  et  les  purifier.  C'est  l'Eglise  qui,  par 
ses  tribunaux  spirituels,  ses  sacrements  et  ses  doc- 
trines appelle  l'improbité  un  vol  et  la  restitution 
un  devoir.  C'est  l'Eglise  qui,  tout  en  permettant 
l'intérêt  légal  et  modéré,  n'a  jamais  cessé  de  pros- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  381 

crire  l'usure  et  l'agiotage.  Messieurs,  en  présence 
de  tant  de  fortunes  solides,  gigantesques,  scanda- 
leuses, réalisées  par  des  spéculateurs  et  des  manieurs 
d'argent  qui  dépouillent  en  un  coup  de  Bourse  des 
milliers  de  pauvres  gens,  comment  voulez-vous  que 
le  peuple  ne  soit  pas  aigri  et  irrité?  Gomment 
voulez-vous  que  le  capital  ne  soit  pas  menacé  et 
avec  lui  toutes  les  entreprises  industrielles  et  com- 
merciales? Si  vous  voulez  rétablir  le  règne  de  la 
probité  en  haut,  en  bas,  partout,  revenez  à  la  reli- 
gion,  revenez  à  l'Eglise.  Plus  un  siècle  est  religieux, 
plus  il  est  honnête.  Plus  un  peuple  est  chrétien, 
plus  il  est  probe. 


II.  Les  voies  commerciales  sont  la  condition  du 
commerce. 

Les  voies  de  communication  par  terre  et  par  eau 
sont  nécessaires  au  commerce.  Pour  échanger  leurs 
produits  sur  toute  la  surface  du  globe,  les  peuples 
ont  besoin  de  routes,  de  ponts,  de  canaux,  de  che- 
mins  de  fer.  L'Eglise  ne  peut  pas  condamner  les 
voies  commerciales  dont  l'humanité  ne  peut  pas  se 
passer.  Elle  les  condamne  d'autant  moins  que  ces 
voies  de  communication  nécessaires  au  point  de 
vue  matériel  sont  très  utiles  au  point  de  vue  reli- 
gieux. Ce  réseau  magique,  ce  chemin  de  fer  qui 
enserre  la  planète  dans  ses  anneaux,  devient  à  son 


382  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

:nsu  le  propagateur  de  la  foi.  L'apôtre  de  Jésus- 
Christ,  le  missionnaire,  auquel  il  fallait  des  mois 
et  des  années  pour  aborder  aux  rivages  infidèles, 
s'élance  sur  le  cheval  de  fer  que  la  science  lui 
amène,  et,  fendant  en  quelque  sorte  les  airs,  il  va 
porter  au  bout  du  monde  les  idées  civilisatrices  de 
la  vérité  et  de  la  vertu  évangéliques.  Plus  les  voies 
de  communication  sont  nombreuses  et  rapides,  plus 
l'Église  se  réjouit.  Elle  se  réjouit  pour  l'humanité 
et  pour  elle-même;,  elles  en  profitent  toutes  les 
deux.  «• 

11  faut  d'ailleurs  que  vous  sachiez  bien  qu'ici, 
comme  en  tout  le  reste,  l'Église  s'est  montrée  de 
tout  temps  une  puissante  initiatrice.  En  instituant 
les  pèlerinages  dans  l'intérêt  moral  des  peuples, 
elle  a  travaillé  grandement  à  la  prospérité  du  com- 
merce. C'est  facile  à  comprendre.  Les  pèlerinages 
auraient  été  à  peu  près  impossibles  sans  des  che- 
mins et  des  routes,  sans  des  bacs  et  des  ponts. 
Ouvrière  infatigable,  l'Eglise  s'est  mise  à  l'œuvre. 
Elle  institue  des  Ordres  religieux  qui  prennent  le 
nom  de  Frères  Pontistes  et  s'engagent  par  vœu  à 
construire  ou  à  réparer  des  routes  et  des  ponts. 
C'est  à  l*urs  soins  qu'on  doit  le  célèbre  pont  d'Avi- 
gnon, construit  au  xne  siècle,  travail  gigantesque 
devant  lequel  avait  reculé  le  génie  des  Romains  et 
de  Charlemagne,  travail  colossal  dont  les  débris 
attestent  à  nos  populations  l'action  bienfaisante  de 
l'Église.  Au  temps  des  Croisades,  les  Papes  atta- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  38£ 

chèrent  à  la  construction  des  routes  et  des  ponts 
les  mêmes  indulgences  qu'aux  pèlerinages  de  Jéru- 
salem, et  Ton  vit  alors  tous  ceux  qui  ne  pouvaient 
pas  prendre  part  à  la  guerre  sainte  s'enrôler  dans 
des  confréries  d'ouvriers,  s'unir  aux  moines  tra- 
vailleurs et  offrir  d'eux-mêmes  des  prestations 
gratuites,  afin  de  participer  à  leur  manière  aux 
faveurs  spirituelles  des  croisés  et  à  leurs  héroïques 
entreprises.  L'Eglise  donnait  l'exemple  et,  en  ou- 
vrant des  routes,  elle  engageait  à  faire  de  même  les 
rois,  les  seigneurs  féodaux  et  les  bourgeois  des 
communes.  Le  commerce  en  Europe  est  redevable 
à  l'Église  d'une  des  premières  conditions  de  sa 
prospérité  :  l'ouverture  des  voies  de  communica- 
tion par  terre  et  par  eau. 

Et  en  même  temps  qu'elle  créait  des  voies  com- 
merciales, l'Eglise  en  assurait  la  sécurité  au  moyen 
de  la  trêve  de  Dieu  et  de  la  chevalerie  :  deux  ins- 
titutions dont  je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  parler 
aujourd'hui  et  sur  lesquelles  je  reviendrai  plus 
tard. 

Et  à  qui  faut-il  attribuer  l'établissement  des 
postes  et  des  messageries,  si  favorables,  pour  ne 
pas  dire  si  nécessaires  au  commerce,  sinon  en 
France  à  Louis  XI,  fils  soumis  et  dévoué  de  l'Eglise, 
en  Espagne  à  Ferdinand  et  à  Isabelle  la  Catholique, 
en  Italie  aux  Papes,  les  promoteurs  infatigables  du 
progrès  matériel  et  moral? 

Enfin,  quand  l'Eglise  embrigadait  l'Europe  chré- 


384  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

tienne  dans  le  grand  mouvement  des  Croisades, 
n'est-il  pas  évident  qu'elle  travaillait  puissamment 
au  développement  des  échanges  et  à  l'extension  du 
commerce?  La  piété, qui  est  utile  à  tout,  eut  pour 
nos  pères  des  conséquences  commerciales  qu'ils  ne 
soupçonnaient  pas,  mais  que  Dieu  voyait  et  voulait. 
Les  croisades  mirent  en  rapport  des  peuples  qui 
ne  se  connaissaient  pas,  firent  faire  à  l'art  de  la 
navigation  des  progrès  immenses  et  donnèrent  à 
l'Europe  chrétienne  la  facilité  des  missions  étran- 
gères et  le  goût  des  voyages  lointains.  En  servant 
l'idée  chrétienne,  les  croisades  du  même  coup  con- 
coururent à  la  prospérité  commerciale  de  l'Europe, 
et  ce  fut  cette  même  idée  chrétienne  et  ce  même 
zèle  des  croisades  qui  reculèrent  les  bornes  du 
monde  connu,  et,  après  avoir  créé  le  commerce 
international,  créèrent  aussi  le  commerce  colonial 
d;e  F  Europe.  C'est  ainsi  que  l'Eglise  a  pris  sa  part, 
sa  large  part  dans  l'ouverture  des  voies  de  com- 
munication qui  sont  la  condition  de  la  prospérité 
commerciale.  Ce  n'est  pas  tout. 


III.  Les  débouchés  commerciaux  sont  le  stimu- 
lant du  commerce. 

L'fcglise  a-t-elle  ici  encore  une  influence   quel- 
conque? Oui,  certes. 

D'abord  on  le  dit,  et  la  chose  est  évidente,  la  re- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  385 

ligion  est  elle-même  un  débouché  commercial.  Il  y 
a  pas  mal  de  gens  utilitaires  et  matérialistes  qui 
lui  pardonnent  d'exister,  parce  que,  disent-ils,  elle 
est  une  bonne  branche  de  commerce.  Ces  hommes 
à  l'œil  rétréci  ne  voient  qu'un  tout  petit  côté  de  la 
religion.  Mais,  enfin,  ce  petit  côté  d'une  très  grande 
chose  existe,  et  il  est  facile  de  constater  que  les  be- 
soins religieux  alimentent  une  foule  d'industries  : 
construction  et  entretien  des  monuments  religieux, 
ouvrages  d'art  en  architecture,  en  peinture,  en  sta- 
tuaire, en  musique  ;  impression  des  livres  litur- 
giques ;  vases  sacrés  et  étoffes  précieuses  brochées 
d'or  et  de  soie;  délicates  ciselures,  élégantes  bro- 
deries, tissus  de  fin  lin  ;  riches  tapis  ;  vastes  ten- 
tures ;  sonneries  ;  fourniture  de  luminaire  et  d'en- 
cens... C'est  par  centaines  que  l'on  peut  compter 
les  affaires  commerciales  dont  la  religion  est  l'oc- 
casion et  le  stimulant.  Allons  plus  avant. 

L'Église  a  ouvert  des  débouchés  commerciaux,  en 
créant  au  sein  de  l'Europe  féodale  nos  premiers 
marchés,  dont  le  nom  même  de  foires,  feria,  est  une 
révélation.  Sans  nous  en  douter,  nous  sommes  tout 
imbibés  de  catholicisme  dans  nos  lois,  dans  nos 
habitudes  et  jusque  dans  notre  langage  quotidien. 
Ce  nom  de  foires  donné  à  nos  marchés  vient  du 
mot  chrétien  feria,  qui  signifie  fête  ou  solennité 
religieuse.  Et  tous  les  historiens  s'accordent  à  re- 
connaître que  nos  premières  foires  sont  dues  aux 
fêtes  des  Saints  qui,  en  attirant  un  grand  concours 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.   —   1-25 


386  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

de  fidèles,  offraient  ainsi  une  occasion  naturelle  et 
facile  à  l'écoulement  des  produits  et  aux  diverses 
transactions  commerciales.  Et  encore  aujourd'hui, 
nos  foires  principales  se  rattachent  à  des  souvenirs 
religieux  ;  c'est  la  foire  de  la  Toussaint, de  la  Saint- 
Jean,  de  la  Madeleine,  etc.. 

Et  non  contente  de  faciliter  les  relations  com- 
merciales en  assemblant  les  hommes  d'une  même 
région  dans  de  vastes  marchés  placés  sous  la  pro- 
tection  des  saints,  l'Eglise  a  étendu  plus  loin  son 
action  et  a  concouru  grandement  à  créer  les  colo- 
nies européennes.  Comment  cela? 

1.  En  inventant  la  boussole,  elle  a  permis  aux 
navigateurs  de  voguer  sans  crainte  vers  des  régions 
inconnues  et  inexplorées. 

2.  En  inspirant  le  zèle  de  Christophe  Colomb, 
elle  a  révélé  à  l'Europe  tout  un  monde  nouveau. 
L'immense  agrandissement  de  nos  relations  com- 
merciales, à  la  suite  des  découvertes  de  Vasco  de 
Gama  et  de  Christophe  Colomb,  n'est  un  secret  pour 
personne;  mais  ce  qui  est  plus  ignoré,  c'est  l'idée 
religieuse  et  chrétienne  qui  nous  a  valu  ce  grand 
événement  dont  nous  vivons  encore.  Colomb  était 
un  catholique  fervent;  il  cherchait  non  pas  de  l'or 
et  de  la  gloire,  mais  des  âmes  à  donner  à  Jésus- 
Christ  et  à  sauver.  Et  il  rêvait,  après  avoir  converti 
les  peuples  de  l'Inde,  d'employer  les  bénéfices  de 
son  expédition  à  la  délivrance  du  saint  Sépulcre. 

3.  Et,  après  avoir  ouvert  à  l'Europe  le  chemin  des 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  387 

colonies,  l'Eglise  lui  apprit  encore  à  les  fonder,  à 
les  conserver  et  à  les  faire  fleurir.  C'est  ce  qu'elle 
fit  par  ses  missionnaires.  Et  ici,  il  faudrait  vous 
raconter  la  civilisation  coloniale  par  les  ordres  re- 
ligieux. Un  jour,  Messieurs,  nous  avons  été  la  pre- 
mière nation  du  monde  par  notre  marine  et  nos 
colonies.  C'était  au  xvne  siècle,  alors  que  nous  étions 
la  nation  catholique  par  excellence.  Puisse  la  France 
reprendre  bientôt  sa  place  et  sa  mission  dans  le 
monde  !  Puisse-t-elle  bientôt  retrouver,  avec  la 
splendeur  de  la  foi,  tout  son  prestige  au  dehors  et 
toute  sa  grandeur  coloniale. 

Puisque  je  vous  parle  de  l'Eglise  dans  ses  rap- 
ports avec  le  commerce,  laissez-moi  finir  par  un  fait 
bien  significatif  qui  remonte  au  commencement  du 
xixe  siècle.  C'était  en  1806.  Napoléon  avait  vaincu 
l'Europe  ;  il  voulut  frapper  à  son  tour  l'Angleterre 
et  il  décréta  le  Blocus  continental.  C'était  la  ruine 
du  commerce  pour  la  satisfaction  d'un  homme,  et 
c'était  une  injustice  colossale.  L'Europe  entière 
courba  le  front.  Un  seul  homme  protesta  en  faveur 
du  droit  et  ouvrit  ses  ports  aux  Anglais.  Cet  homme, 
c'était  le  pape,  c'était  Pie  VII,  et  je  ne  sais  pas  au 
monde  de  spectacle  plus  beau  que  cette  affirmation 
de  la  conscience  et  du  droit  s'élevant  au-dessus  de 
tout  esprit  de  parti  en  face  de  la  force  et  de  tous 
les  dangers.  Dans  ce  duel  du  faible  contre  le  fort, 
de  Pie  VII  contre  Napoléon,  le  pape  fut  vaincu. 


388  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Napoléon  réunit  Rome  à  ses  Etats  ;  il  fit  enlever 
le  pape  et  le  fit  transporter  à  Fontainebleau,  où  il 
resta  prisonnier  jusqu'en  1814.  Mais  la  crainte  ne 
pouvait  empêcher  l'Eglise  de  proclamer  le  droit  et 

r 

la  vérité.  L'Eglise,  Messieurs,  a  toujours  été  et  res- 
tera toujours  la  grande  école  du  mépris  de  la  force, 
la  grande  école  de  la  liberté,  la  grande  école  du 
vrai  et  du  bien  ;  aimez-la  donc  et  chantez-la. 

Amen! 


IV 


DANS  L'ORDRE  DOMESTIQUE 


PREMIÈRE  CONFERENCE 
Les  lois  du  mariage 


Messieurs, 

Nous  avons  étudié  les  bienfaits  de  l'Eglise  dans 
l'ordre  intellectuel,  dans  l'ordre  moral  et  dans 
l'ordre  matériel,  et  en  présence  de  ce  triple  spec- 
tacle vous  avez  senti  naître  et  grandir  en  vous  le 
sentiment  de  l'admiration  et  de  la  reconnaissance. 
Est-ce  tout?  Non.  Nous  sommes  à  peine  à  la  moi- 
tié de  notre  course.  De  nouveaux  horizons  pleins 
*de  lumière  sollicitent  notre  attention  et  vont  char- 
mer notre  pieuse  curiosité.  Qu'ils  viennent  donc 
ceux  qui  ont  quelque  souci  de  la  vérité,  ceux  qui 
se  plaignent  de  n'avoir  pas  la  foi  et  qui  ont  un 
vague  désir  de  la  retrouver  !  Nous  avons  la  sainte 
audace  de  leur  promettre  la  possession  du  vrai  dans 
un  déluge  de  lumière. 

r 

Nous  allons  parler  des  bienfaits  de  l'Eglise  dans 
l'ordre  domestique,  de  l'influence  de  l'Eglise  sur  la 
famille.  La  famille...  c'est  tout,  c'est  la  molécule 
essentielle  du  corps  social.  Si,-  dans  une  nation,  la 
grande  majorité  des  familles  a  des  idées  perverses 


392  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  un  sang  appauvri,  l'État  aura  beau  perfection- 
ner ses  lois  et  ses  institutions,  il  aura  beau  faire 
des  prodiges  de  génie  dans  la  science  et  l'industrie, 
la  société  sera  misérable  et  dégradée  ;  elle  n'offrira 
que  des  esprits  abaissés,  des  criminels  et  des  mal- 
faiteurs, et  enfin  des  bras  prêts  à  porter  toutes  les 
chaînes,  parce  qu'ils  sont  impuissants  à  porter  une 
épée.  Au  contraire,  supposez  dans  la  majorité  des 
familles,  des  tempéraments  de  fer  et  des  caractères 
inébranlables,  au  service  de  convictions  saines  et 
droites,  et  vous  aurez  trouvé  un  levier  capable  de 
soulever  le  monde.  Ce  que  les  sources  sont  aux 
fleuves,  la  vie  domestique  l'est  à  la  vie  sociale,  la 
famille  à  la  patrie. 

Mais  la  famille  elle-même,  où  prend-elle  sa 
source?  Dans  l'union  conjugale,  et  il  faut  que  je 
vous  montre  d'abord  comment  l'Eglise  a  réhabilité 
l'union  conjugale.  La  nature  même  du  sujet  exigera 
de  moi  quelquefois  que  je  touche  à  des  points  déli- 
cats. Ne  craignez  rien.  Je  n'ai  pas  l'habitude  de 
vous  cacher  la  vérité,  et  je  vous  la  dirai  tout  entière 
en  restant  bien  entendu  dans  les  limites  consacrées 
par  la  langue  chrétienne  et  commandées  par  le 
respect  que  je  vous  dois.  J'ai  l'intention  aujourd'hui 
de  vous  dire  deux  choses  :  1°  ce  que  l'Eglise  pense 

r 

du  mariage  ;  2°  ce  que  l'Eglise  a  fait  pour  sauve- 
garder les  lois  du  mariage. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  39S 

» 

I.  Ce  que  l'Église  pense  du  mariage. 

L'Église  pense  que  le  mariage  doit  être  libre. 
Nulle  part,  en  dehors  des  nations  chrétiennes,  la 
liberté  des  époux  n'a  été  reconnue  et  respectée.  Ici 
la  femme  est  achetée  ou  enlevée,  comme  à  Rome; 
là,  les  mariages  sont  arrangés  entre  parents  sans 
que  les  époux  se  soient  vus,  comme  en  Chine  ;  par- 
tout l'esprit  de  caste  se  dresse  comme  une  barrière 
infranchissable  devant  la  liberté  des  conjoints. 
L'Église  fait  tomber  ces  barrières,  sources  des  plus 
grands  maux,  et  elle  place  à  l'origine  de  l'union 
matrimoniale  cette  liberté  que  notre  siècle  recherche- 
si  passionnément  et  qu'il  aime  tant  à  voir  à  la 
racine  de  toutes  les  institutions.  Au  jour  où  l'époux 
se  présente  devant  les  autels  pour  faire  bénir  son 
union,  l'Église  lui  dit  :  «  Sache,  jeune  homme,  que 
tu  dois  respecter  tes  parents  et  recourir  à  leurs 
conseils  dans  un  acte  aussi  solennel;  mais  sache 
cependant  que  devant  Dieu  tu  portes  seul  la  respon- 
sabilité de  tes  actes,  et  que  plus  qu'aucun  autre  tu 
auras  à  souffrir  ou  à  te  féliciter  pour  la  vie  d'un 
bon  ou  d'un  malheureux  choix.  Choisis  mainte- 
nant. Veux-tu  accepter  cette  vierge  pour  épouse?  » 
Puis,  se  tournant  vers  la  jeune  fille,  le  prêtre  lui 
dit  :  «Veux-tu,  à  ton  tour,  accepter  ce  jeune  homme 
pour  époux?  »  Et  quand  un  «  Oui  !  »  libre  et  solennel 
a  été  prononcé  de  part  et  d'autre,  alors,  mais  alors. 


394  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

seulement,  le  prêtre  donne  aux  époux  l'anneau  d'or, 
symbole  de  l'union  qui  promet  au  nouveau  foyer 
le  bonheur  avec  le  maintien  d'une  des  libertés  les 
plus  légitimes,  les  plus  saintes  et  les  plus  néces- 
saires.  L'Eglise  pense  que  le  mariage  doit  être  libre. 
Est-ce  tout?  Non. 

r 

L'Eglise  pense  que  le  mariage  doit  être  un  et 
indissoluble.  Avec  Adam  au  Paradis  terrestre,  elle 
dit  des  époux  :  «  Ils  seront  deux  dans  une  seule 

r 

chair.  »  Et,  avec  Jésus-Christ  dans  l'Evangile,  elle 
ajoute  :  «  Ils  ne  seront  plus  deux,  mais  un;  Jam 
non  sunl  duo,  sed  una  caro.  »  Et  cette  unité  du 
mariage,  c'est  la  beauté  et  la  concorde  de  la  famille, 
<î'est  la  force  et  l'honneur  de  la  civilisation.  Et,  non 
contente  de  proscrire  la  polygamie  avec  ses  cor- 
ruptions, ses  faiblesses,  ses  hontes  et  ses  servitudes, 
l'Eglise  proscrit  encore  le  divorce.  Elle  réclame  pour 
le  mariage  la  stabilité  et  la  perpétuité  des  nœuds 
qui  le  forment,  et  elle  a  raison.  Elle  a  raison  : 
1°  d'abord  parce  que  Jésus-Christ  qui  est  la  vérité 
même  a  déclaré  le  mariage  indissoluble  ;  et  2°  parce 
que,  à  la  lumière  du  simple  bon  sens,  le  divorce 
toléré  ou  autorisé  est  une  imprévoyance  à  l'égard 
des  époux,  dont  il  déchaîne  les  passions,  au  lieu  de 
les  contenir  ;  une  injustice  à  l'égard  de  la  femme 
qui  est  impitoyablement  chassée  delà  famille  qu'elle 
a  formée;  une  cruauté  à  l'égard  des  enfants,  qui 
n'ont  plus  qu'un  foyer  incertain,  une  vie  déchirée, 
un  nom  flétri   pour   tout   un   siècle.    Le    divorce 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  395 

enlève  à  la  mère,  comme  un  bétail  qui  se  divise, 
une  part  des  enfants  qu'elle  a  portés  dans  son  sein, 
qu'elle  a  nourris  de  ses  larmes  et  de  son  amour 
Mais  la  louve  au  fond  des  forêts,  quand  on  lui 
arrache  ses  petits,  on  lui  fait  une  injure  qu'elle 
ressent;  et  vous,  dans  un  pays  chrétien,  vous  arra- 
chez l'enfant  à  sa  mère  ;  vous  ne  craignez  pas  de 
lui  faire  une  injure  que  le  tigre  ne  pardonnerait 
pas  dans  l'antre  de  ses  déserts!  Bénissez  l'Eglise, 
Messieurs.  D'accord  avec  Jésus-Christ  et  avec  la  rai- 
son, elle  proclame  la  liberté,  l'unité  et  l'indissolu- 
bilité du  mariage.  Et  ce  n'est  point  là  de  sa  part 
une  parole  platonique;  c'est  une  doctrine  pour 
laquelle  elle  a  souffert  et  qui  est  entrée  dans,  les 
faits  au  prix  de  ses  héroïques  labeurs.  Ouvrons  les 
annales  du  passé. 


II.  Ce  que  l'Église  a  fait  pour  sauvegarder  les 
lois  du  mariage. 

A  l'Eglise  ont  été  confiés  les  nœuds  sacrés  du 
mariage.  Elle  les  a  tenus  d'une  main  haute,  ferme, 
invincible.  Elle  y  a  mis  la  tête  de  ses  Papes  et  le 
sang  de  ses  martyrs,  corrigeant  les  mœurs,  amélio- 
rant les  lois,  bravant  tantôt  la  colère  des  peuples, 
tantôt  les  menaces  des  princes.  Sans  elle  le  mariage 
restauré  et  réhabilité  par  Jésus-Christ  n'aurait  pas 
subsisté  vingt  ans,  et  voilà  dix-neuf  siècles  qu'il 


396  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

est  debout  au  milieu  d'une  humanité  acharnée 
brutalement  à  le  renverser.  Voyez  cela.  C'est  admi- 
rable ! 

L'Église  entre  dans  le  monde;  elle  y  rencontre 
d'abord  les  païens  :  la  frivole  Athènes,  l'impure  Co- 
rinthe,  cette  Rome  dégénérée  où  le  divorce  est 
devenu  une  loi  authentique  et  tellement  suivie  que 
certaines  femmes  comptent  plus  de  mariages  que 
d'années,  et  ces  Corinthiens  voluptueux,  ces  Grecs 
sceptiques,  ces  Romains  décadents  acceptent  les 
lois  inviolables  du  mariage  chrétien  dans  un  temps 
où  l'union  conjugale  était  discréditée  et  profanée, 
où  le  théâtre  en  avait  fait  son  jouet,  les  Césars  leur 
proie,  les  philosophes  et  les  poètes  leur  dérision. 

L'Église  continue  sa  marche,  et  elle  rencontre  les 
Barbares,  ces  lions  du  désert,  en  qui  la  puissance 
égalait  la  convoitise.  Ils  traînent  après  eux  une 
foule  de  femmes  captives,  tour  à  tour  les  élevant 
sur  le  trône  par  caprice,  les  délaissant  par  liberti- 
nage, et  les  tuant  par  vengeance.  L'Eglise  vient  à 
eux,  la  croix  d'une  main  et  l'Evangile  de  l'autre. 
Et  les  Alaric,  les  Sigismond,  les  Clovis  acceptent 
la  foi  nouvelle,  et  les  Glotilde  devenues  des  saintes 
font  régner  sur  leur  mari  et  sur  leur  peuple  les 
lois  inviolables  du  mariage  chrétien. 

L'Église  avance  encore,  elle  rencontre  le  maho- 
métisme,  ce  déluge  mêlé  de  chair  et  de  sang  qui 
a  inondé  presque  toute  l'Europe,  cette  doctrine 
infâme  qui  mettait  le  cimeterre  au   service  de  la 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  397 

volupté.  Que  fait  l'Eglise?  Pour  sauver  l'arche  sainte 
de  la  morale  chrétienne,  elle  arme  Charles-Martel, 
saint  Louis,  Godefroi  de  Bouillon.  Elle  va  racheter 
ses  filles  captives  chez  les  infidèles,  plutôt  que  de 
les  laisser  en  proie  au  sensualisme  oriental.  Elle 
refoule  de  croisade  en  croisade,  loin  de  la  France, 
loin  de  la  Sicile,  loin  de  l'Espagne,  loin  des  côtes 
de  la  Méditerranée  le  spectacle  de  la  polygamie 
musulmane  et  des  ignominies  de  la  chair  triom- 
phante. Que  seriez- vous  sans  elle?  Vous  seriez 
pires  que  des  païens,  pires  que  des  harbares  :  vous 
seriez  des  Turcs! 

Voici  le  moyen  âge.  Les  princes  se  croient  tout 
permis  parce  que  tout  leur  est  possible.  Mais 
l'Église  déploie  un  héroïque  courage  et  une  divine 
opiniâtreté  pour  arrêter  les  passions  frémissantes. 
Armée  de  l'excommunication,  elle  foudroie  les  cor- 
ruptions royales.  Le  grand  pape  Innocent  III  chasse 
du  trône  de  France  Agnès  de  Méranie  et  rétablit 
Ingelburge  de  Danemarck  dans  ses  droits  d'épouse 
et  de  reine.  Vainement  Philippe-Auguste,  pour 
fléchir  l'indomptable  Pontife,  promet  aumônes, 
soldats,  croisade.  Avec  une  grandeur  sans  égale, 
Innocent  III  lui  répond  : 

Que,  dans  Jérusalem,  la  croix  s'élève  ou  tombe, 
L'esprit  vivant  du  Christ  est  plus  saint  que  sa  tombe  ! 

Des  historiens  de  mauvaise  foi  n'ont  pas  voulu 
comprendre  cette  conduite  de  l'Église.  Ils  ont  versé 


398  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

des  larmes  de  théâtre  sur  les  victimes  royales  de 
l'excommunication  chassées  de  leur  lit  adultère  ou 
incestueux  par  la  parole  des  Papes.  Pour  nous, 
Messieurs,  rendons  grâce  à  l'Eglise  qui  a  mieux  aimé 
tout  souffrir  et  tout  perdre  que  trahir  la  cause  du 
foyer.  Henri  IV,  Louis  XIV  et  Louis  XV  ne  furent 
pas  plus  épargnés  que  leurs  ancêtres.  Bossuet  met  au 
service  de  la  morale  évangélique  l'autorité  de  son 
génie,  Bourdaloue  frappe  comme  un  sourd,  et, 
quand  les  fils  de  l'adultère,  légitimés  en  dépit  de 
la  loi,  de  la  raison,  de  l'honneur  touchaient  presque 
à  la  couronne,  quand  Louis  XIV  s'oubliait  jusqu'à 
leur  donner  des  droits  au  trône  de  saint  Louis,  et 
que  la  France  se  taisait  devant  une  telle  audace, 
ce  fut,  pour  ces  grands  hommes  d'Eglise,  une  gloire 
plus  grande  encore  que  leur  génie  d'avoir  vengé 
le  foyer  domestique  de  ces  abominations  et  de  ces 
scandales  et  d'avoir  proclamé,  devant  les  peuples  et 
devant  les  rois,  les  lois  inviolables  du  mariage 
chrétien. 

L'attitude  de  l'Eglise  resta  la  même  en  face  de 
la  Réforme  et  de  la  Révolution.  Henri  VIII  veut  à 
tout  prix  répudier  Catherine  d'Aragon  et  donner 
sa  couronne  à  Anne  de  Boleyn  ;  Philippe  de  Hesse 
songe  à  posséder  deux  femmes  à  la  fois;  Albert  de 
Brandebourg  brise  les  liens  qui  l'attachent  à  l'autel 
et  forme  des  nœuds  adultères  autant  que  sacrilèges. 
Et  Luther  conseille,  approuve,  ratifie  tous  ces  scan- 
dales, et  le  scandale  de  son  exemple  ajoute  à  celui 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  399» 

de  sa  doctrine.  C'en  est  fait  du  mariage,  le  torrent 

r 

entraîne  tout.  Non.  L'Eglise  veille  sur  le  lit  nup- 
tial et  en  sauve  l'honneur.  Il  en  coûte  leur  tête  à 
l'évêque  Jean  Fischer  et  au  chancelier  Thomas  Morus 
pour  avoir  résisté  aux  caprices  tyranniques 
d'Henri  VIII;  mais  la  tête  d'un  évoque  n'en  est  que 
plus  belle  quand  elle  tombe  pour  la  vérité  ;  mais  le 
chancelier  qui  meurt  pour  la  justice  n'en  est  que 
plus  grand.  «  L'adultère  ou  l'hérésie  »,  disait  Lu- 
ther. Léon  X  a  préféré  l'hérésie.  «  Le  schisme  ou 
le  divorce  »,  disait  Henri  VIII.  Clément  VII  a  pré- 
féré le  schisme.  Plutôt  le  schisme  et  l'hérésie  que 
l'adultère  et  le  divorce  !  Les  hérésies  se  décomposent 
d'elles-mêmes,  les  schismes  passent,  mais  ce  qui 
doit  demeurer,  c'est  la  cause  des  mères,  des  épouses, 
des  filles,  c'est  la  cause  du  genre  humain,  c'est 
l'honneur  du  foyer  avec  les  lois  inviolables  du  ma- 
riage chrétien! 

Aujourd'hui  encore,  malgré  la  défaillance  des  lois 
et  des  mœurs,  que  fait  l'Eglise?  Elle  maintient  sa 
doctrine  ;  elle  venge  les  droits  du  foyer  et  la  sain- 
teté du  lit  nuptial;  elle  refuse  aux  époux  divor- 
cés le  bénéfice  et  l'honneur  d'un  nouveau  mariage  ; 
elle  en  déclare  les  fruits  illégitimes;  et,  gardienne 
de  l'Evangile,  de  ce  code  supérieur  et  antérieur  à 
tous  les  codes,  elle  répète  à  ceux  qui  veulent  et  à 
ceux  qui  ne  veulent  pas  l'entendre  :  «  Que  l'homme 
ne  sépare  pas  ce  que  Dieu  a  uni.  »  Elle  sauve  les 
lois  inviolables  du  mariage  chrétien. 


400  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

r 

Telle  est  l'œuvre  de  l'Eglise  depuis  dix-neuf 
siècles.  Elle  a  protégé  le  mariage.  Elle  a  lutté 
héroïquement  pour  la  liberté,  l'unité  et  l'indissolu- 
bilité de  l'union  conjugale.  Elle  a  fait  de  cette  cause 
la  cause  totale  de  la  civilisation.  Pour  arrêter  la 
brutalité  de  la  chair  et  du  sang,  elle  a  parlé,  elle  a 
combattu,  elle  a  souffert.  Où  en  seriez-vous  sans 
ces  combats  plus  qu'héroïques?  «  Votre  sang  flétri 
depuis  des  siècles,  dit  Lacordaire,  vous  serait  arrivé 
par  les  veines  dune  femme  esclave  au  lieu  de  vous 
arriver  du  cœur  d'une  femme  ingénue.  Tout  ce  que 
vous  avez  eu  de  joies  saintes  par  vos  mères,  vos 
épouses  et  vos  filles,  eût  été  transformé  aux  joies 
infâmes  de  la  servitude  trempée  dans  la  volupté. 
Vous  seriez  des  Turcs  et  non  des  Francs.  »  Rendons 
grâce  à  Dieu,  Messieurs,  qui  nous  a  sauvés  par  le 
courage  de  nos  pères  et  l'intrépidité  de  la  sainte 
Eglise  catholique. 

Amenl 


DEUXIÈME  CONFERENCE 

Le   Bonheur   dans  le  mariage 


Messieurs, 

L'Eglise  est  la  grande  bienfaitrice  du  genre  hu- 
main dans  l'ordre  intellectuel,  dans  l'ordre  moral 
et  dans  l'ordre  matériel.  Mais  son  influence  n'at- 
teint pas  seulement  les  individus,  elle  rayonne 
dans  la  famille.  Et  déjà  nous  avons  constaté  que 
depuis  dix-neuf  siècles  l'Eglise  est  la  gardienne 
incorruptible  de  l'union  conjugale,  dont  elle  main- 
tient la  liberté,  l'unité  et  l'indissolubilité.  Ce  n'est 
pas  tout.  En  même  temps  qu'elle  sauvegarde  les 
lois  du  mariage,  elle  en  assure  le  bonheur  en  le 
réglant  et  en  le  divinisant. 


I.  L'Église  règle  le  contrat  matrimonial. 

Vous  avez  entendu  dire  beaucoup  de  mal  des 
empêchements  de  mariage,  et  peut-être  avez-vous 
été  tentés  vous-mêmes  de  murmurer  contre,  la  lé- 

LES    BIENFAITS    DE   L'ÉGLISE.    —   1-26 


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404  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  que  le  mélange  des  familles  est  un  des  princi- 
paux remèdes  pour  combattre  les  transmissions 
morbides  de  l'hérédité,  pour  assurer  la  conserva- 
tion et  le  renouvellement  d'un  sang  riche  et  vigou- 
reux dans  les  races  :  médecins  et  législateurs  sont 
ici  d'accord  avec  les  théologiens.  Par  exemple,  les 
sourds-muets  de  naissance  procèdent  très  ordinai- 
rement d'une  infraction  grave  aux  règles  posées 
par  l'Eglise,  d'une  dispense  témérairement  ou 
frauduleusement  demandée,  d'une  concession  for- 
cément ou  même  invalidement  obtenue.  Oui,  les 
familles  qui  promettaient  de  porter  dans  un  loin- 
tain avenir,  avec  une  nombreuse  postérité,  le  sou- 
venir et  la  gloire  de  leurs  ancêtres,  se  sont  éteintes 
presque  à  leur  berceau  pour  avoir  méconnu  les 
lois  de  l'Eglise,  lois  fondées  sur  la  connaissance  la 
plus  haute  des  exigences  de  la  nature,  aussi  bien 
que  sur  les  règles  de  la  morale  la  plus  saine.  N'ac- 

r 

cusez  pas  l'Eglise,  Messieurs,  d'avoir  usurpé  les 
droits  de  l'autorité  civile  sur  le  contrat  matrimonial. 
Remerciez-la,  au  contraire,  d'avoir  soustrait  aux 
caprices  des  passions  et  à  la  mobilité  des  codes, 
pour  la  soumettre  à  sa  législation  bienfaisante, 
une  institution  aussi  vénérable  et  aussi  délicate  que 
celle  de  la  famille.  Que  seriez-vous  à  cette  heure  si 
l'Église,  si  les  Pontifes  romains  n'avaient  pas  veillé 
sur  la  moralité  des  peuples  et  légiféré  sur  la  ma- 
tière matrimoniale  ?  Entre  les  vieillards  du  Vatican 
et  Henri  VIII  couvert  de  la  honte  de  quatre  di- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  40!> 

vorces  et  du  sang  de  quatre  assassinats,  choisissez  ! 
Ne  vaut-il  pas  mieux  confier  la  garde  des  foyers 
aux  Papes  de  Rome,  qui  vous  offrent  la  plus  haute 
des  garanties  imaginables,  plutôt  qu'à  des  législa- 
teurs de  circonstance  qui  vous  imposeront  au 
hasard  des  lois  complaisantes  autorisant  tous  les 
désordres  ?  Vous  voulez  placer  devant  les  foyers 
une  véritable  garde  d'honneur...  laissez  l'Eglise 
veiller,  parler,  légiférer.  Elle  a  fait  ses  preuves 
depuis  dix-neuf  siècles,  et  elle  n'est  point  à  la  veille 
de  quitter  son  poste  et  de  faillir  à  sa  mission.  Elle 
règle  le  contrat  matrimonial.  Elle  fait  plus  encore. 


II.  L'Église  divinise  le  contrat  matrimonial. 

L'Etat,  le  pouvoir  civil  peut-il  intervenir  dans  le 
contrat  matrimonial?  Oui.  Il  est  tout  simple  et  très 
légitime  que  l'Etat  connaisse  un  contrat  aussi  im- 
portant, et  que  ses  magistrats  en  dressent  l'acte, 
puisqu'ils  sont  obligés  d'en  surveiller  les  consé- 
quences. Donc  réglez  par  la  loi  les  effets  civils  du 
mariage,  enregistrez  le  nom  des  époux  contractants, 
inscrivez  sur  vos  tables  le  jour  et  le  lieu  où  com- 
mence cette  nouvelle  famille.  Rien  de  mieux. 

Mais  l'intervention  de  l'Etat  est-elle  capable  de 
constituer  le  contrat  matrimonial  et  d'en  assurer  la 
félicité  ?  Evidemment  non.  Qu'est-ce  que  le  ma- 
riage ?  Est-ce  un  simple  contrat  civil  comme  les 


406  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

contrats  de  louage  ou  de  vente  résiliables  par  la 
volonté  des  parties  ?  Est-ce  un  contrat  vulgaire 
comme  ces  contrats  mercantiles  dont  l'objet  est  un 
champ  ou  un  troupeau,  tout  ce  qui  se  paie  ou 
s'achète,  tout  ce  qui  est  matériel,  grossier  et  au- 
dessous  de  l'homme  ?  Est-ce  une  question  de  dot, 
d'héritage,  de  testament,  de  naissance  et  de  mort, 
de  transactions  temporaires?  Non.  Le  mariage  est 
la  rencontre  de  deux  volontés,  de  deux  cœurs,  de 
deux  consciences,  de  deux  âmes  libres  en  un  mot, 
qui  se  donnent  l'une  à  l'autre  et  pour  toujours.  Que 
voulez-vous  que  fasse  la  loi  civile  en  pareille  ma- 
tière? Allez- vous  lui  demander  de  saisir  les  volontés, 
d'unir  les  cœurs,  de  souder  les  consciences,  de  lier 
les  âmes  ?  Allez- vous  demander  à  la  puissance  pu- 
blique  d'entrer  dans  un  domaine  si  intime  et  si 
délicat?  Elle  ne  le  peut  pas,  et,  ne  le  pouvant  pas, 
elle  ne  doit  pas  même  l'essayer.  Le  monde  des  âmes 
lui  est  fermé,  et  de  toute  nécessité  il  faut  faire  inter- 
venir ici  la  puissance  religieuse,  il  faut  faire  inter- 
venir ici  Dieu  qui  est  le  roi  des  âmes,  le  roi  des 
consciences,  le  roi  des  cœurs,  le  roi  des  volontés, 
et  qui  seul  par  conséquent  peut  accepter,  ratifier 
et  valider  le  contrat  matrimonial. 

Quelles  sont  les  obligations  du  mariage?  Elles 
sont  nombreuses  et  effrayantes  pour  la  nature  hu- 
maine. C'est  d'abord  l'affection  et  le  dévouement 
réciproque.  A  partir  de  l'heure  où  l'homme  et  la 
femme  ont  contracté  mariage,  mille  chaînes  leur 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  407 

rappellent  qu'ils  ne  s'appartiennent  plus,  qu'ils  se 
sont  donnés  ;  mille  circonstances  extérieures  les 
meurtrissent  ensemble,  et  quelquefois  l'un  par 
l'autre.  Et  le  mariage  qui  avait  commencé  sous  les 
ombrages  parfumés  de  l'Eden  s'achève  souvent  sur 
une  croix.  Et  puis  au  devoir  ininterrompu  du  sup- 
port mutuel  vient  s'ajouter  le  devoir  plus  lourd 
encore  de  l'éducation  des  enfants.  Sur  le  trône  uni 
du  père  et  de  la  mère  une  fleur,  disons  plutôt  une 
épine,  vient  à  paraître,  c'est  l'enfant...  l'enfant, 
c'est-à-dire  l'objet  du  plus  noble  orgueil,  et  en 
même  temps  la  plus  douloureuse  des  anxiétés.  Car 
ces  enfants  que  Dieu  donne,  il  faut  les  nourrir,  les 
élever,  les  préserver,  leur  préparer  une  belle  âme 
et  une  vie  honorable  ;  et,  s'ils  viennent  à  faillir,  si 
le  vent  des  orages  si  violents  en  nos  tristes  jours 
les  déprime  jusqu'à  terre,  il  faut  leur  parler,  les 
avertir,  les  reprendre,  les  relever  ;  il  faut  les  puri- 
fier quelquefois  dans  un  torrent  de  larmes.  Quels 
redoutables  offices!  —  Que  voulez-vous  que  fasse 
la  loi  civile  en  pareille  matière?  Irez-vous,  époux, 
demander  aux  magistrats  civils  qu'ils  vous  donnent 
la  force  de  porter  votre  chaîne,  et  de  vous  immoler 
longtemps,  de  vous  immoler  toujours?  Irez-vous 
demander  à  la  puissance  publique,  à  la  magistra- 
ture de  votre  pays,  qu'elle  protège  votre  cœur 
contre  ses  inconstances  et  contre  ses  défaillances? 
Irez-vous  lui  demander  qu'elle  garde  votre  amour 
conjugal  chaste  et  pur,  et  qu'elle  le  rende  ainsi 


408  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

plus  durable,  plus  profond  et  plus  délicieux?  Irez- 
vous  lui  demander  qu'elle  veille  sur  vos  enfants, 
sur  leur  vertu,  sur  leur  âme  immortelle?  Elle  ne 
le  peut  pas.  Ce  n'est  pas  son  affaire,  et  de  toute 
nécessité  il  faut  faire  intervenir  ici  la  puissance 
religieuse,  il  faut  faire  intervenir  Dieu  qui  est  le 
dispensateur  de  la  lumière,  de  la  force,  de  la  con- 
solation et  du  dévouement,  et  qui  seul,  par  consé- 
quent, peut  assurer  l'honneur  et  la  félicité  du 
contrat  matrimonial!  Les  païens  eux-mêmes  ap- 
puyaient leur  foyer  à  l'autel,  et  c'est  auprès  de  la 
Divinité,  au  pied  des  autels  qu'ils  allaient  se  réfu- 
gier quand  ils  voulaient  fonder  une  famille.  C'est 
évident.  Il  faut  mettre  Dieu  dans  le  mariage.  Qui 

r  r 

fera  cela?  L'Eglise  et  l'Eglise  seule. 

V Église  divinise  le  mariage.  Voyez-vous  ces  deux 
jeunes  chrétiens  s'avancer  parmi  les  fleurs  et  l'en- 
cens, aux  harmonies  douces  et  profondes  des 
orgues?  Ce  sont  deux  prêtres.  Le  prêtre  catholique 
est  là,  mais,  ô  spectacle  étrange  !  il  est  comme  dé- 
pouillé de  la  toute-puissance  de  son  sacerdoce.  Il 

r 

est  là,  député  par  l'Eglise,  comme  un  intercesseur  et 
un  témoin  nécessaire  ;  comme  un  intercesseur  pour 
prier  et  bénir,  comme  un  témoin  pour  voir  et 
écouter  ;  mais  par  une  exception  inouïe  dans  l'éco- 
nomie des  choses  divines,  lui,  le  dispensateur  de 
tous  les  sacrements,  depuis  le  baptême  jusqu'à 
l'extrême-onction,  il  n'est  point  le  ministre  de  ce 
sacrement  étonnant.  Les  ministres,  ce  sont  les  deux 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  409- 

époux.  Le  cœur  s'émeut  au  souffle  de  la  nature  et 
de  la  grâce  à  la  fois,  et,  tandis  que  leurs  mains 
s'unissent  dans  une  chaste  étreinte  et  leur  voix  en 
une  seule  harmonie,  ils  créent  du  même  coup  sous 
les  yeux  du  prêtre,  des  anges  et  de  Dieu,,  le  contrat 
de  leur  amour  naturel  et  le  sacrement  de  leur 
union  surnaturelle.  Dieu  intervient,  et  les  deux 
âmes  sont  liées,  liées  pour  toujours,  liées  de  telle 
façon  que  rien  ni  personne  ne  pourra  jamais  les 
séparer.  Quod  Deus  conjunxit,  homo  non  separet.  — 
Ils  peuvent  s'en  aller  maintenant  ces  deux  jeunes 
époux  dans  les  âpres  sentiers  de  la  vie  ;  ils  y  trou- 
veront des  épines,  des  douleurs,  jamais  au-dessus 
de  leur  courage.  Dieu  est  avec  eux.  Ils  porteront 
sans  faiblir  la  continuité  de  la  vie  conjugale  et  les 
lourdes  responsabilités  de  la  paternité.  Une  inta- 
rissable force  ne  cessera  de  les  soutenir  à  la  hau- 
teur de  tous  leurs  devoirs.  L'ordre,  la  paix,  l'accord, 
l'amour,  l'honneur  régneront  toujours  sous  leur 
toit,  parce  que,  si  la  croix  est  là,  l'onction  de  Dieu 
y  est  aussi.  Ils  auront  une  couche  honorée,  des 
berceaux  heureux,  un  sanctuaire  conjugal  visité 
par  les  anges  tutélaires  du  foyer,  des  mœurs  graves 
dans  une  vie  laborieuse  et  bénie  de  Dieu.  Enfants 
de  l'Eglise  qui  règle  et  qui  divinise  le  contrat 
matrimonial,  ils  trouveront  en  elle  le  secret  du 
devoir,  la  source  de  la  force  et  la  garantie  du 
bonheur. 


410  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

L'Église,  Messieurs,  a  réhabilité  l'union  conju- 
gale. Ne  défaisons  pas  ce  qu'elle  a  fait.  Laissons  le 
foyer  adossé  à  l'autel  et  la  religion  à  la  base  de  la 
famille.  «  Pro  aris  et  focis;  Pour  les  foyers  et  pour 
les  autels...  »  C'est  la  devise  de  tous  les  peuples. 
Que  ce  soit  aussi  la  nôtre.  Chassons  loin  de  nous 
les  doctrines  perverses  qui,  outrageant  également 
l'Évangile  et  le  bon  sens,  justifient  le  divorce, 
l'adultère,  la  polygamie  et  contestent  même  la 
légitimité  du  lien  conjugal! 

Amen! 


TROISIÈME  CONFÉRENCE 

L'Époux 


Messieurs, 

Nous  avons  commencé  l'étude  des  bienfaits  de 
l'Église  dans  Tordre  domestique.  Et,  d'abord,  elle  a 
restauré  la  famille  en  réhabilitant  l'union  conju- 
gale qui  en  est  le  principe.  Entrons  maintenant 
dans  le  détail.  La  famille  se  compose  de  trois  élé- 
ments :  l'homme,  la  femme  et  l'enfant.  Et  l'homme, 
le  chef  de  la  famille,  se  présente  à  nous  sous  un 
double  aspect  :  il  est  époux  et  il  est  père.  L'homme, 
en  tant  qu'époux,  accepte  l'influence  de  l'Eglise  ou 
lui  échappe,  et  de  ces  deux  hypothèses  profondé- 
ment dissemblables  naissent  deux  situations  que 
uous  allons  regarder  de  près  et  analyser  aussi  exac- 
tement que  possible.  Le  chef  du  foyer  échappe  à 
l'influence  de  l'Eglise  ;  il  vit  dans  l'indifférence  ou 
dans  l'impiété.  Les  conséquences  sont  redoutables. 


I.  Le  chef  du  foyer  est  impie,  et  il   entreprend 
franchement   de  conquérir  sa  femme  à  l'impiété 


412  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  de  l'identifier  au  néant  religieux  de  ses  propres 
convictions. 

D'abord  cest  un  crime.  Il  n'a  pas  le  droit  de  tuer 
dans  l'âme  de  sa  compagne  la  vie  religieuse.  Il  n'a 
pas  mis  cela  dans  son  contrat  de  mariage.  Il  a 
caché  ce  poignard  sous  les  fleurs  de  l'hyménée.  Si 
on  avait  su  au  juste  qui  il  était  quand  il  venait 
solliciter  une  alliance  honorable,  la  mère  de  la 
jeune  fille  aurait  tremblé  peut-être  avant  de  la 
livrer.  Son  père  aurait  senti  monter  à  ses  lèvres 
un  refus  énergique.  Si  l'époux  incrédule  avait  an- 
noncé son  projet,  si,  au  moment  du  départ,  il  avait 
dit  à  sa  fiancée  :  «  Savez-vous  où  je  veux  vous 
conduire?  Jte  veux  vous  conduire  dans  des  chemins 
que  votre  jeunesse  n'a  jamais  fréquentés,  dans  les 
sentiers  détournés  de  l'incrédulité  et  de  l'irréli- 
gion »  ;  s'il  avait  eu  cette  franchise,  probablement 
il  eût  été  délaissé,  et  la  jeune  fille  eût  retiré  sa 
main  en  lui  disant  :  «  Va-t-en!  »  Mais  non.  Il  n'a 
rien  dit.  Il  a  dit  peut-être  le  contraire  de  ce  qu'il 
pensait,  et  sur  son  impiété  méditative  et  secrète, 
il  a  mis  le  masque  d'une  certaine  religiosité  de 
commande  et  de  circonstance.  Et  maintenant  que 
les  nœuds  du  mariage  sont  formés  et  infrangibles, 
maintenant  qu'il  tient  sa  proie,  il  la  jette  en  pâture 
aux  doctrines  de  l'irréligion  et  du  néant.  C'est  une 
trahison  criminelle. 

Et,  de  plus,  c'est  une  lâcheté.  Car  entre  lui  et  sa 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  413 

compagne  les  chances  ne  sont  pas  égales.  Lui  est 
une  force,  sa  compagne  est  une  faiblesse.  Lui  est 
armé  pour  la  lutte  intellectuellement,  sa  compagne 
a  vécu  de  la  religion,  et,  quoique  ses  convictions 
religieuses  soient  très  raisonnables,  généralement, 
elle  ne  les  a  guère  raisonnées.  Et,  dans  tous  les 
cas,  Thomme  a  devant  sa  compagne  le  prestige  de 
l'autorité,  et  la  femme  a  devant  son  mari  le  rôle 
de  l'obéissance.  L'homme  est  un  gantelet  de  fer  ; 
la  femme  est  une  fleur.  Les  chances  ne  sont  pas 
égales,  et  c'est  dans  ces  conditions  que  la  lutte  va 
s'engager.  Le  chef  du  foyer  entreprend  de  conqué- 
rir sa  femme  à  l'impiété.  De  deux  choses  l'une, 
ou  il  réussit,   ou  il  échoue  dans  son  entreprise. 

S'il  ne  réussit  pas  )  c'est  la  guerre  dans  son  foyer, 
c'est  la  lutte  permanente  entre  une  impiété  qui 
veut  s'imposer  et  une  religion  qui  refuse  d'abdiquer. 
Devant  ce  barbare  qui  vient  heurter  du  pied  l'au- 
tel où  elle  adore  le  Seigneur,  qui  veut  entrer  de 
force  au  fond  de  son  âme  et  en  bannir  la  pureté, 
la  foi,  l'espérance,  l'amour  de  Dieu  et  tous  les 
sentiments  qui  la  relèvent  et  la  consolent,  la 
femme  se  redresse,  prend  un  front  sévère  et  s'écrie  : 
«  Je  veux  bien  tout  sacrifier,  tout,  excepté  ma 
conscience  et  mon  Dieu.  »  Situation  cruelle  pour 
le  mari  autant  que  pour  la  femme,  et,  afin  d'y 
remédier,  voici  ce  que  quelques-uns  ont  inventé 
dans  leur  sagesse.  Ils  disent  que,  puisque  les 
hommes  n'ont  pas  de  religion,  si  les  femmes  n'en 


414  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

avaient  pas  davantage,  ce  serait  un  moyen  de  re- 
trouver l'union  des  âmes  et  la  paix  du  foyer.  Mes- 
sieurs, le  remède  est  pire  que  le  mal.  Parce  que 
certains  hommes  n'ont  pas  de  religion,  ce  n'est 
pas  un  motif,  et  ce  serait  un  malheur  de  loger  les 
femmes  à  la  même  enseigne  et  de  les  condamner 
à  la  même  condition.  Pour  mettre  la  paix  et  l'éga- 
lité dans  le  ménage,  vous  dites  :  «Appauvrissons 
les  femmes  et  privons-les  de  la  religion  qu'elles 
ont.  »  Et  moi,  je  dis  :  «  Enrichissons  les  hommesr 
et  donnons-leur  la  religion  qu'ils  n'ont  plus.  »  Est- 
ce  que  ce  n'est  pas  raisonnable?  D'ailleurs  façon- 
ner pour  le  foyer  domestique  des  femmes  incré- 
dules, est-ce  que  c'est  facile?  Est-ce  même  possible? 
Et,  dans  tous  les  cas,  est-ce  qu'il  n'y  a  pas  là  un 
danger  épouvantable  ?  Le  chef  du  foyer  est  impie, 
et  il  s'efforce  d'associer  sa  compagne  à  son  impiété; 
s'il  ne  réussit  pas,  c'est  la  guerre. 

Et  s'il  réussit,  quel  malheur  encore  pire  !  Voyez. 
En  quelques  années,  la  conscience  de  l'épouse 
ébranlée  tombe  comme  par  morceaux  sous  les 
coups  répétés  des  paroles  qu'elle  entend,  des  lec- 
tures qu'on  lui  fait  faire  et  des  exemples  qu'elle 
voit  à  son  foyer  conjugal.  Et  bientôt  voilà  l'homme 
et  la  femme  semblables  l'un  à  l'autre,  sans  pra- 
tiques religieuses,  sans  croyances,  sans  espoir,  re- 
gardant s'éteindre  au  dedans  d'eux-mêmes  les  der- 
nières lueurs  de  leur  foi  mutilée  et  de  leur  raison 
égarée,    et  se  précipitant,   tête  baissée,  avec  des 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  4 i 5> 

malédictions  réciproques,  dans  l'abîme  que  nous 
appelons  l'enfer  et  qu'ils  appellent  le  néant.  Les 
voilà  élevant  une  postérité  qui  leur  ressemble.  La 
communauté  demeure;  mais  c'est  la  communauté 
de  l'athéisme.  L'unité  se  réalise  encore  ;  mais  c'est 
la  possession  indivise  du  mal  sans  remède  et  du 
malheur  sans  fin.  L'union  règne,  mais  c'est  l'union 
sur  des  ruines.  Vous  n'êtes  pas  difficiles.  Moi,  je 
trouve  que  c'est  atroce,  et  je  me  réserve  de  vous 
montrer  bientôt  qu'une  femme  impie,  assise  auprès 
d'un  mari  impie  au  foyer  domestique,  c'est  l'abo- 
mination de  la  désolation  ! 

Heureusement,  Messieurs,  ce  phénomène  est  rare. 
Ce  qui  l'est  beaucoup  moins,  c'est  l'indifférence  du 
mari  contrastant  avec  la  religion  de  la  femme.  Etu- 
dions ce  second  tableau. 


II.  Le  chef  du  foyer  est  indifférent. 

Il  est,  je  le  suppose,  plein  de  respect  pour  la  reli- 
gion. Il  s'abstient  simplement  de  la  pratiquer.  Cette 
attitude  est-elle  inoffensive?  Je  vais  répondre  en 
évitant  soigneusement  toute  exagération. 

L'indifférence  du  mari  n'amène  pas  nécessaire- 
ment Vin  différence  de  la  femme.  On  voit  assez  sou- 
vent une  femme  rester  chrétienne  et  pieuse  auprès 
d'un  mari  sans  religion.  On  voit  même  quelquefois 
la  femme  fidèle  convertir  le  mari  infidèle.  On  voit 


416  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

des  hommes  indifférents  subjugués  à  leur  insu  et 
ramenés  à  la  foi  par  la  douce  et  pénétrante  in- 
fluence d'une  épouse.  Et  si  ce  miracle  de  conversion 
ne  s'opère  pas  pendant  la  vie,  il  n'est  pas  rare  de 
le  voir  aboutir  à  la  dernière  heure.  Un  homme 
irréligieux  tombait  malade.  On  va  chercher  un 
prêtre.  Il  vient  en  se  demandant  comment  il  va 
faire  pour  aborder  cette  pauvre  âme.  A  peine  est- 
il  entré  que  le  malade  lui  dit  :  «  Soyez  le  bienvenu, 
je  vous  attendais,  je  veux  me  confesser.  »  —  «  Dieu 
soit  béni,  dit  le  prêtre,  mais  qui  donc  vous  a  ainsi 
changé  ?»  —  «  G'  est  un  ange  de  Dieu  qui  m'a  changé  !  » 
Et,  en  disant  cela,  il  montrait  de  la  main  la  porte 
par  où  son  épouse  venait  de  sortir.  «  Je  vous  com- 
prends, dit  le  prêtre,  béni  soyez-vous  d'avoir  écouté 
ses  exhortations  !»  —  «  Ses  exhortations?  Elle  ne 
m'a  pas  dit  une  parole,  je  le  lui  avais  défendu.  Mais 
sa  vie,  oh  !  sa  vie!  Durant  trente  ans  j'ai  été  son 
bourreau,  et  durant  trente  ans  je  n'ai  trouvé  en  elle 
qu'un  agneau  qui  ne  s'est  pas  plaint  une  seule  fois. 
Souvent,  j'ai  essayé  de  la  lasser,  je  ne  l'ai  pas  pu. 
Monsieur,  la  religion  qui  inspire  de  pareils  senti- 
ments ne  peut  qu'être  divine.  Je  suis  un  malheu- 
reux, mais  du  moins  je  veux  mourir  dans  les  bras 
du  Dieu  de  mon  épouse  !  »  Voilà,  Messieurs,  ce  que 
peut  obtenir  l'héroïsme  de  la  femme  chrétienne. 
Mais  ce  ne  sont  là  que  des  consolations  de  la  der- 
nière heure.  Et  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que, 
le  chef  du  foyer  étant  indifférent,   il  y  a  tout  à 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  417 

craindre  pour  la  religion  de  la  femme  et  pour  la 
paix  du  ménage. 

L'indifférence  du  mari  est  généralement  un 
danger  sérieux  pour  la  femme.  Placée  en  présence 
dun  mari  indifférent,  elle  se  pose  nécessairement 
des  questions.  Elle  se  demande  si  ce  mari  qu'elle 
aime  n'a  pas  de  bonnes  raisons  pour  se  conduire 
comme  il  le  fait  et  pour  se  tenir  à  distance  de  toute 
pratique  religieuse.  Elle  se  dit  qu'après  tout  son 
mari  pourrait  bien  ne  pas  avoir  tort.  Et  puis  un 
homme  a  beau  être  raisonnable,  avoir  pris  le  parti 
sérieux  de  ne  rien  dire  qui  puisse  froisser  ou  inquié- 
ter cette  jeune  fille  livrée  sans  défiance  à  l'honnê- 
teté de  sa  promesse,  il  est  bien  difficile  qu'en  telle 
ou  telle  occasion  il  se  refuse  à  un  mot,  à  un  trait, 
à  une  observation,  à  une  critique.  La  femme 
recueille  cette  parole  échappée  à  son  mari,  la  mé- 
dite, la  commente,  lui  donne  une  portée,  en  tire 
une  argumentation.  Voilà  déjà  sa  foi  ébranlée.  Elle 
commence  à  douter.  Sans  faire  aucune  concession, 
sans  rien  céder  en  paroles  ni  de  ses  croyances,  ni 
de  ses  principes,  elle  s'abandonne  avec  une  cer- 
taine complaisance  interne  à  quelque  détachement 
de  ses  habitudes  et  de  ses  pratiques  de  dévotion. 
Elle  laisse  d'abord  tout  ce  qui  n'est  que  de  simple 
conseil;  puis,  peu  à  peu,  elle  entame  les  principes 
positifs.  Elle  ne  prie  plus  que  par  intermittence. 
Elle  manque  la  messe  de  temps  en  temps.  Ella 
n'est  pas  impie,  mais  elle  n'est   déjà   plus  chré-» 

LES   BIENFAITS    DE    L'ÉGLISE.    —   1-27 


418  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

tienne  comme  elle  l'était  aux  beaux  jours  de  son 
adolescence.  Sans  cesser  tout  à  fait  de  participer 
aux  cérémonies  extérieures  du  culte,  d'assister  à 
quelques  offices,  elle  n'accomplit  tous  ces  devoirs 
que  très  irrégulièrement.  Bientôt  les  sacrements 
sont  délaissés.  C'est  la  ruine  et  la  disparition  de  la 
vie  chrétienne.  Le  mari  constate  le  fait  avec  inquié- 
tude. Mais  comment  remédier  à  cet  état  de  choses, 
lorsque  sa  femme  ne  fait  après  tout  que  prendre 
modèle  sur  lui  ?  Il  aurait  mauvaise  grâce  à  prêcher 
dans  son  ménage  la  dévotion  et  la  ferveur,  lorsqu'il 
juge  à  propos  de  se  tenir  lui-même  en  dehors  de 
tout  ce  qui  peut  y  ressembler.  Voilà  donc  l'indif- 
férence de  l'homme  qui  a  fini  par  dissoudre  la  piété 
de  sa  compagne.  L'homme  et  la  femme  sont  au 
même  niveau,  et  les  jeunes  enfants  n'ont  plus  per- 
sonne qui  les  façonne  aux  habitudes  religieuses. 
Le  soir,  chacun  se  retire  les  lèvres  closes,  le  cœur 
froid.  Il  n'y  a  plus  de  prières.  Je  me  trompe.  Il  y  a 
peut-être  encore  la  prière  furtive  du  petit  enfant 
qui  a  appris  au  catéchisme  qu'il  ne  fallait  jamais 
se  livrer  au  sommeil  sans  s'être  auparavant  recom- 
mandé à  Dieu.  Pauvre  enfant  caché  dans  son  petit 
lit,  il  dérobe  son  signe  de  croix;  il  prie  d'une 
manière  secrète  et  furtive,  il  prie  pour  son  père 
et  sa  mère  qui  ne  prient  plus  !  —  Mais  je  veux 
bien  le  supposer,  le  mal  ne  va  pas  jusque-là. 
L'indifférence  de  l'homme  n'entame  pas  la  piété 
de  la  femme.  La  femme  reste  religieuse;  l'homme 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  419 

ne  Test  pas.  Est-ce  là  un  idéal  bien  enviable? 
Ce  dualisme  est  un  danger  et  un  malheur  pour 
le  ménage,  à  qui  il  manque  le  trait  d'union  si  né- 
cessaire et  si  doux  de  la  religion  commune.  On  les 
a  vus  jadis,  ces  deux  époux,  agenouillés  ensemble 
au  pied  des  mêmes  autels,  et  on  pouvait  croire 
alors  que  Dieu  resterait  toujours  avec  eux  dans  le 
long  et  difficile  voyage  de  la  vie.  Hélas!  à  quelques 
mois  de  distance,  quoiqu'ils  fussent  deux  sous 
le  même  toit,  quand  venait  l'heure  de  la  prière, 
les  anges  n'entendaient  qu'une  voix.  On  n'en 
voyait  jamais  qu'un  dans  ce  temple  où  ils  avaient 
été  bénis  ensemble,  jamais  qu'un  à  cette  Table 
où  leurs  existences  s'étaient  confondues.  Lorsque 
plus  tard  les  petits  enfants  bégayèrent  les  noms 
de  Jésus  et  de  Marie,  il  y  avait  auprès  un  homme 
distrait  qui  avait  l'air  de  ne  pas  comprendre. 
Au  moment  où  les  autres  se  mettaient  à  genoux, 
lui  se  retirait  à  l'écart,  et  quand  sa  compagne 
voulait  reprendre  sa  main  pour  le  ramener  à  ce 
prêtre  qui  leur  avait  dit  jadis  :  «  Aimez-vous  !  »  il 
la  lui  refusait.  La  mère  croit;  le  père  ne  croit  pas. 
La  mère  prie  et  adore  ;  le  père  ni  ne  prie  ni 
n'adore.  Jamais  de  leurs  âmes  les  parties  sublimes 
ne  se  touchent;  et  l'enfant  qui  sort  de  cette 
fausse  union,  qui  grandit  entre  ces  deux  élec- 
tricités contraires,  que  peut-il  être  sinon  rachi- 
tique  d'âme,  incomplètement  engendré?  Dans  cette 
juxtaposition  d'une  femme  chrétienne  et  d'un  mari 


420  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

qui  ne  l'est  pas,  je  trouve  quelque  chose    d'anor- 
mal, de  violent,  d'antinaturel. 

Et  au  nom  de  votre  bonheur,  Messieurs,  et  du 
bonheur  de  votre  maison  et  de  votre  postérité,  je 
vous  souhaite  à  tous  une  foi  vive  et  une  religion 
sincère  et  complète.  Chefs  de  famille,  l'impiété 
et  l'indifférence  ne  peuvent  que  vous  être  dange- 
reuses et  dommageables.  Laissez  l'Église  catho- 
lique vous  éclairer  et  vous  diriger.  Elle  a  les  pro* 
messes  de  la  vie  éternelle  et  le  secret  du  bonheur 
dans  la  vie  présente  I 

Amen  ! 


QUATRIÈME  CONFÉRENCE 

L'époux 

(suite) 


-  Messieurs, 

Dans  la  famille  il  y  a  trois  éléments  :  l'homme, 
la  femme  et  l'enfant;  et  l'homme,  le  chef  de  la 
famille,  se  présente  à  nous  sous  un  double  aspect  : 
il  est  époux  et  il  est  père.  Je  vous  ai  montré  que 
la  famille  a  tout  à  perdre  à  l'impiété  et  à  l'indiffé- 
rence de  son  chef.  Aujourd'hui,  laissez-moi  vous 
tracer  le  portrait  des  époux  chrétiens.  Ce  portrait 
va  vous  ravir.  Plaise  à  Dieu  qu'en  le  voyant  passer 
sous  vos  yeux  vous  puissiez  tous  y  reconnaître 
votre  véridique  et  quotidienne  histoire! 


I.  Sous  la  douce  influence  de  l'Église,  les  époux 
pratiquent  saintement  les  devoirs  de  la  vie  domes- 
tique. 

Ce  n'est  ni  l'opinion,  ni  la  loi,  ni  l'honneur,  ni 


422  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  morale  naturelle,  ni  l'amour  simplement  humain 
qui  montent  la  garde  autour  de  leur  foyer.  L'amour 
humain  est  changeant  et  capricieux,  et  il  s'éteint 
vite  avec  les  agréments  extérieurs  qui  Font  fait 
naître.  —  La  morale  naturelle  est  une  barrière  que 
la  passion  déplace  facilement.  —  L'honneur  s'ac- 
commode aux  préjugés  dominants  et  il  peut  masquer 
sous  des  apparences  chevaleresques  et  brillantes  jus- 
qu'au vice  et  à  la  corruption. — La  loi  punit  quelques 
délits  extérieurs,  mais  elle  ne  saurait  garantir  la 
paix  et  la  vertu  du  foyer.  —  L'opinion  enfin  est 
souvent  pervertie,  et  il  n'est  pas  rare  qu'elle  chante 
en  vers  et  en  prose  les  vices  les  plus  abjects  et 
qu'elle  autorise  ouvertement  les  plus  profonds 
désordres.  Les  époux  chrétiens  ont  un  gardien 
plus  sûr,  c'est  Dieu,  Dieu  qui  voit  tout,  Dieu  qui 
entend  tout,  Dieu  qui  juge  tout,  Dieu  qui  scrute 
les  consciences,  et  qui  laisse,  après  le  devoir,  la 
joie,  après  le  crime,  le  remords,  Dieu  qui  règle  non 
seulement  les  actions  mais  les  désirs,  non  seu- 
lement les  désirs  mais  les  pensées,  Dieu  qui  arrête 
les  passions  impétueuses  et  qui,  adoré,  servi,  in- 
voqué par  les  époux  chrétiens  leur  apprend  le  secret 
de  trouver  le  bonheur  dans  la  vertu.  Sous  sa  garde 
invisible,  ils  pratiquent  saintement  leurs  devoirs. 
Entrez  dans  cette  maison  que  la  religion  protège, 
inspire  et  dirige.  Ce  n'est  pas  là  qu'on  voit  les 
vœux  de  la  nature  méconnus,  les  droits  du  mariage 
violés,   les  joies  de  la  paternité  limitées  par  des 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  423 

calculs  coupables  et  sacrifiées  à  de  basses  considé- 
rations. Ce  n'est  pas  là  qu'on  écoute  les  conseils 
d'une  science  économique  criminelle  qui,  comptant 
pour  rien  la  loi  de  Dieu,  prépare  du  même  coup  le 
malheur  des  époux,  le  malheur  des  enfants  et  le 
malheur  de  la  patrie.  Non.  Là  on  admire  une 
couche  chaste  et  pudique,  des  noces  fécondes,  une 
table  joyeuse  entourée  de  jeunes  et  brillants  reje- 
tons. Là  on  trouve  des  âmes  vaillantes  qui  acceptent 
les  douleurs  de  la  paternité,  de  l'éducation  et  du 
travail,  et  des  âmes  croyantes  qui  mettent  au- 
dessus  de  tout  la  confiance  en  Dieu  et  l'observa- 
tion de  sa  loi.  Regardez,  Messieurs,  autour  de  vous. 
L'humanité  s'étonne,  la  patrie  se  plaint,  la  famille 
décroît.  Que  faire?  Il  faut  revenir  aux  enseigne- 
ments de  la  religion.  Sous  la  douce  influence  de 
l'Eglise,  les  époux  pratiquent  saintement  les  devoirs 
de  la  vie  domestique.  Voyez-les  de  plus  près. 


r 

IL  Sous  la  douce  influence  de  l'Eglise,  les  époux 
goûtent  paisiblement  les  joies  de  la  vie  domes- 
tique. 

Là,  le  père,  la  mère  et  les  enfants  sont  unis 
comme  les  membres  d'un  même  corps,  sont  heu- 
reux de  se  trouver  ensemble  et  jouissent  le  plus 
possible  les  uns  des  autres.  Le  père  sait  et  sent 
qu'il  se  doit  tout  entier  et  à  toute  heure  aux  siens. 


424  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

La  mère  sait  et  sent  que  son  premier  devoir  est  de 
faire  aimer  l'intérieur  de  sa  maison.  Les  enfants 
savent  et  sentent  que  rien  n'est  plus  précieux  que 
la  conversation  d'un  père,  rien  de  plus  parfaite- 
ment doux  que  le  cœur  d'une  mère.  On  ne  connaît, 
on  ne  cherche  rien  au-delà.  On  prend  ses  plaisirs 
en  famille.  On  rougirait  de  se  livrer  à  des  diver- 
tissements prolongés  en  dehors  du  foyer.  Pendant 
la  semaine  on  travaille  ;  le  dimanche,  on  se  repose, 
et  on  partage  en  commun  les  joies  du  travail  et  les 
joies  du  repos.  Dès  le  matin  du  saint  jour,  on  se 
dit  :  «  Aujourd'hui,  je  sens  que  je  ne  suis  pas 
esclave,  mais  enfant  de  Dieu;  et,  en  signe  de  ma 
délivrance,  je  vais  purifier  mon  corps  et  le  couvrir 
d'habits  de  fête.  »  On  va  dans  la  maison  de  la  prière 
parler  à  Dieu,  écouter  sa  parole,  chanter  ses 
louanges,  respirer  l'atmosphère  sanctifiante  et 
embaumée  des  divins  offices.  On  en  revient  en- 
semble pour  partager  les  repas,  les  entretiens  et 
les  loisirs  de  la  famille.  Et,  le  soir,  quand  les  chants 
liturgiques  et  les  prières  communes  ont  cessé,  que 
les  dernières  bénédictions  ont  été  répandues  sur 
les  fidèles  et  que  la  lampe  allumée  reste  seule 
devant  les  adorables  tabernacles,  alors,  après  avoir 
prié  devant  le  même  autel,  on  se  retrouve  plus 
intimement  ensemble  au  même  foyer  pour  prendre 
en  famille  ou  avec  de  rares  amis  des  délassements 
variés,  mais  toujours  simples,  procurant  de  mo- 
destes récréations  sans   jamais  être   une  charge. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  425- 

remplissant  l'âme  d'une  satisfaction  complète  sans 
l'enivrer  ou  la  fatiguer  jamais.  Ainsi  vont  les  jours, 
les  semaines  et  les  années  dans  le  foyer  chrétien. 
C'est  un  séjour  délicieux  que  Ton  ne  quitte  qu'avec 
peine,  où  l'on  revient  avec  plaisir  et  qu'au  fond 
l'on  préfère  à  tout.  Et,  mettant  en  commun  leurs 
jouissances,  les  époux  y  mettent  aussi  leurs  peines- 
et  leurs  revers. 


III.  Sous  la  douce  influence  de  l'Église,  les  époux 
portent  courageusement  les  charges  de  la  vie 
domestique. 

L'homme  et  la  femme  ont  chacun  leur  tâche 
respective  :  à  l'un,  Tordre  de  travailler  la  terre;  à 
l'autre,  la  mission  de  mettre  au  monde  les  nations 
qui  doivent  la  peupler.  Le  poids  de  l'enfantement 
pèse  sur  les  entrailles  de  la  femme;  le  poids  du 
jour  et  de  la  chaleur  écrase  la  tête  de  l'homme. 
Pour  tous  deux,  c'est  le  travail.  Mais  comme  ce  tra- 
vail est  allégé,  consolé,  réjoui  par  les  prévenances 
réciproques  !  Quand  le  mari  rentre  le  soir  dans  son 
foyer,  accablé  de  fatigues,  épuisé  de  besoin,  la  sueur 
au  front,  les  mains  durcies  par  la  glèbe  qu'il  a 
remuée,  le  dos  courbé  sous  le  fardeau  de  la  jour- 
née, il  trouve  au  logis  une  ménagère  attentive  qui 
le  délasse  par  ses  soins,  son  affection  et  son  sourire. 
Et  quand  la  femme  succombe  sous  le  poids  des 


426  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sollicitudes  que  la  maternité  lui  impose,  elle  trouve 
dans  son  mari  un  regard  qui  la  récompense  et  un 
courage  qui  la  ranime.  Le  mari  et  la  femme,  char- 
més des  grâces  naïves  de  leurs  enfants,  oublient 
le  travail  et  ils  se  sentent  heureux,  même  sous 
le  fardeau,  puisqu'ils  le  portent  d'un  commun 
accord. 

L'homme  et  la  femme  rencontrent  sur  leur 
chemin  des  chagrins  et  des  disgrâces.  C'est  inévi- 
table. Vous  comptiez  pour  votre  mari  sur  une  posi- 
tion sociale  honorable  et  lucrative  ;  son  talent  la 
lui  méritait;  mais  l'intrigue  le  devance  et  la  lui 
enlève  ;  s'il  l'obtient,  il  ne  faut  qu'un  souffle  pour 
l'en  faire  descendre  et  le  précipiter  dans  la  décep- 
tion.  Vous  fondiez  sur  la  dot  de  votre  femme 
d'Heureuses  spéculations;  l'entreprise  échoue,  la 
dot  est  dissipée;  quelques-uns  vous  plaignent, 
beaucoup  vous  accusent;  tout  le  monde  vous  oublie. 
Messieurs,  dans  notre  monde  contemporain  rien 
n'est  stable,  et  ni  la  fortune,  ni  le  talent,  ni  la 
vertu  ne  peuvent  nous  garantir  le  succès  et  le 
repos.  Ajoutez  à  cela  qu'il  peut  arriver  et  qu'il 
arrive  souvent  que  la  mort,  visitant  votre  foyer, 
vous  enlève  prématurément  un  fils  ou  une  fille 
bien-aimée.  Heureux  les  époux  qui  savent  se 
rendre  l'un  à  l'autre  la  justice  que  le  monde  leur 
refuse  et  qui  sont  l'un  pour  l'autre  une  consolation 
et  un  appui  !  Ils  peuvent  avoir  et  ils  ont  des  larmes 
à  verser;   mais  ils  les  versent  ensemble  sous  le 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  427 

regard  de  Dieu  qui  en  tempère  l'amertume  et  en 
assure  le  mérite.  En  résumé,  associés  dans  les 
mêmes  devoirs,  dans  les  mêmes  joies  et  dans  les 
mêmes  charges,  ils  trouvent  dans  leur  commune 
religion  le  secret  de  la  force  et  du  bonheur,  le  secret 
de  suffire  à  leur  commune  tâche. 


IV.  Sous  la  douce  influence  de  l'Eglise,  les  époux 
élèvent  noblement  les  rejetons  de  la  vie  domes- 
tique. 

Représentez-vous  des  enfants  élevés  entre  un 
père  qui  trace  par  sa  parole  et  par  ses  actes  les 
saintes  lois  de  l'honneur,  du  devoir  et  du  sacri- 
fice, et  une  mère,  qui  tempère,  par  la  douceur  de 
ses  leçons,  la  rudesse  parfois  pénible  des  leçons 
paternelles.  Représentez-vous  les  répressions  pru- 
dentes, les  douces  réprimandes,  les  corrections 
mitigées  que  la  conscience  inspire,  que  l'autorité 
commande,  que  l'affection  fait  accepter;  et  vous 
conviendrez  facilement  que  les  enfants  ainsi  élevés, 
portés  de  la  sorte  sur  les  grandes  ailes  de  la  sagesse 
et  de  l'amour,  n'ont  qu'à  monter  vers  le  bien,  sans 
effort  pour  ainsi  dire.  Ils  deviennent  bons  par  imi- 
tation et  presque  à  leur  insu.  La  religion,  présente 
au  foyer,  le  transfigure  sous  la  splendeur  d'un  triple 
respect  :  le  respect  de  Dieu,  le  respect  mutuel  des 
époux,  le  respect  filial.  Un  p^re  et  une  mère  au 


428  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sanctuaire  domestique,  avec  leurs  mains  consacrées 
étendues  sur  les  berceaux,  avec  des  prières  sur  les 
lèvres  et  des  convictions  dans  le  cœur,  ce  sont 
comme  les  deux  anges  préposés  à  la  garde  de  l'arche 
d'alliance  et  chargés  de  couvrir  le  Saint  des  saints. 
C'est  un  spectacle  à  ravir  le  ciel  et  la  terre  ! 

Cet  enfant  aux  blonds  cheveux  dont  le  front  pur 
est  humide  encore  à  dix  ans  de  l'eau  du  baptême, 
et  dont  l'œil  limpide  et  clair  reflète  avec  l'azur  du 
ciel  le  sourire  de  Dieu  ; 

Ces  jeunes  gens  à  la  fois  modestes  dans  leur  force 
et  forts  dans  leur  modestie,  à  qui  la  chasteté  a  fait 
goûter  ses  plus  chères  délices,  et  qui  combattent 
les  grands  combats  du  Seigneur,  le  nom  de  Jésus- 
Christ  sur  les  lèvres  et  le  chapelet  à  la  main; 

Ces  époux  agenouillés  comme  Tobie  et  Sara  devant 
le  lit  nuptial,  et  voyant  croître  comme  David  au- 
tour de  leur  table  agrandie  les  rejetons  de  leur  race 
plus  serrés  et  plus  beaux  que  des  oliviers  couronnés, 
de  fruits  ; 

Ces  vieillards  qui  achèvent  leur  carrière  en  repo- 
sant leurs  yeux  satisfaits  sur  une  postérité  toute 
rayonnante  de  grâce  et  de  santé; 

Et,  au  milieu  de  ce  tableau,  quelque  vierge  qui 
s'est  interdit  même  l'espérance  des  noces  de  la 
terre,  pour  épouser  dès  ce  monde  Jésus  le  bien- 
aimé  de  son  âme  et  obtenir  ainsi  de  suivre  un  jour 
dans  le  ciel  les  noces  de  l'agneau; 

Quelle  variété  de  vertus,  de  mérites,  de  charmes 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  429 

et  de  délices  !  quelle  paix,  quelle  douceur,  quelle 
union,  quelle  félicité,  même  terrestre,  dans  cet 
assemblage  qui  ramasse  sous  le  même  toit  l'inno- 
cence du  premier  âge,  les  triomphes  de  la  jeunesse, 
la  sécurité  commune  des  époux  et  les  plus  chers 
souvenirs  d'une  vieillesse  tranquille  et  bénie! 
Voilà,  Messieurs,  ce  que  fait  l'Eglise  quand  on  la 
laisse  s'introduire  au  foyer  domestique  :  elle  le 
transfigure  ! 

—  Aborderai-je  maintenant  une  perfide  objec- 
tion de  l'impiété?  Pourquoi  pas?  L'impiété  dit  : 
«  Le  prêtre  est  l'ennemi  du  foyer  conjugal,  parce  que 
ce  foyer  se  compose  de  quatre  personnes  :  le  père, 
la  mère,  l'enfant,  et  derrière...  quelqu'un  qui  reste 
caché,  un  personnage  mystérieux  et  sombre  qui 
exerce  une  influence  occulte  pour  séparer  les  époux 
et  mettre  la  discussion  dans  le  ménage.  »  Mes- 
sieurs, malgré  moninfîrmité  et  mes  misères  d'homme 
faillible  et  pécheur,  je  proteste  au  nom  de  tout  le 
sacerdoce  contre  cette  insinuation  perfide,  et  j'affirme 
sans  crainte  d'être  démenti  par  les  consciences  chré- 
tiennes que  le  s'icerdoce  ne  travaille  qu'à  une  seule 
chose  dans  la  famille,  à  préserver  et  à  conserver 
l'immortelle  union  des  époux.  Nous  apaisons  les 
divisions,  nous  calmons  les  ressentiments,  nous 
éloignons  les  discordes,  nous  pallions  les  torts  de 
chacun,  nous  dissimulons  les  fautes,  nous  rappe- 
lons les  devoirs,  nous  condamnons  les  abus...  Et, 


,0A  CONFÉRENCES  AUX  HOMME» 

430 

nA  h  parole  du  prêtre  n'est  plus  entendue,  ce 

Et,  quand  la  religion  baisse  au  foyer,  ce  n       P 
bonheur  qui  monte  1... 

Amen! 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE 

Le  père 

Messieurs, 

L'homme  est  la  tête  de  la  femme,  selon  l'expres- 
sion de  l'apôtre  saint  Paul.  Il  est  époux  et,  à  ce  titre, 
il  a  besoin  de  la  religion.  Mais  voici  un  nouveau 
rayon  qui  resplendit  à  son  front.  L'homme  est  père. 
La  paternité  !  Chose  sublime,  chose  divine.  Gréée 
par  Dieu  lui-même,  la  paternité  crée  à  son  tour  la 
famille,  la  patrie,  le  genre  humain.  Mettons  en  face 
l'un  de  l'autre  ces  deux  grands  mots  qui  expriment 
deux  si  grandes  choses,  et  voyons  comment  la  pa- 
ternité et  la  religion  peuvent  et  doivent  s'allier, 
s'harmoniser  et  se  prêter  un  mutuel  concours. 

Pères  de  famille,  vous  avez  besoin  de  la  religion. 
D'abord  vous  êtes  des  hommes  et,  à  ce  seul  titre, 
vous  avez  des  ennemis  cachés  contre  lesquels  vous 
ne  pouvez  vous  défendre  sans  la  force  religieuse. 
Rappelez-vous  notre  malheureuse  armée  poursuivie 
par  les  Cosaques  en  1812.  Nos  bataillons  couverts 
de  neige,  mutilés  par  le  froid  plus  que  par  le  fer, 
étaient  impitoyablement  harcelés.  Le  soir,  couchés 


432  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sous  la  tente,  ils  espéraient  goûter  un  instant  de 
repos.  Vain  espoir!  A  peine  endormis,  des  hourrahs 
épouvantables  les  réveillaient  et  les  forçaient  de 
courir  aux  armes.  Ainsi  les  passions  poussent 
devant  elles  l'humanité  et  lui  portent  des  coups 
affreux.  Eh  bien,  qui  est-ce  qui  pourra  vous  fortifier, 
vous  protéger,  vous  aguerrir  et  panser  les  bles- 
sures que  vous  recevez  dans  cette  grande  retraite 
de  1812  qu'on  appelle  la  vie?  Qui?  Quoi?  La  santé, 
la  fortune,  la  science  ne  peuvent  rien  ici.  Dans  les 
grands  combats  du  bien  contre  le  mal  il  n'y  a  que 
la  religion  pour  nous  sauver.  Elle  vous  tient  et  elle 
s'impose  à  vous  par  là,  par  les  faiblesses  de  votre 
nature  humaine,  et  vous  paierez  par  des  chutes 
inévitables  l'orgueil  de  vouloir  vous  passer  d'elle. 
Vous  êtes  des  hommes.  Mais  il  y  a  plus.  Vous  êtes 
pères,  et  comme  tels  vous  avez  besoin  de  la  reli- 
gion. 


I.  Vous  avez  besoin  de  la  religion  pour  porter  le 
fardeau  des  devoirs  et  des  responsabilités  qui  pèsent 
sur  vous  et  qui  sont  immenses. 

Dans  l'ordre  matériel,  quelle  mission  que  celle 
du  père  de  famille  !  Il  doit  accepter  les  enfants  que 
Dieu  lui  donne...  et,  même  dans  les  meilleures  con- 
ditions légales  et  économiques,  la  charge  d'une 
nombreuse   postérité   est    lourde.   Travail   assidu, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  433 

•veilles  prolongées,  sueurs  du  jour,  heures  dérobées 
au  sommeil  des  nuits,  voilà  son  programme.  Il  faut 
chaque  jour  qu'il  revienne  de  l'atelier  ou  du  bureau 
avec  son  salaire  noblement  acquis,  qu'il  l'apporte 
tout  entier  à  sa  femme  et  à  ses  enfants  qui  l'at- 
tendent et  qui  lui  disent  merci.  Il  faut  chaque  soir, 
en  se  mettant  à  table,  qu'il  puisse  dire  :  «  Ce  pain, 
c'est  moi  qui  l'ai  gagné.  Ce  vin,  c'est  le  prix  de 
mes  sueurs  !  »  Il  faut  qu'il  trouve  sa  meilleure  joie 
•et  sa  plus  douce  récompense,  non  pas  dans  les 
ivresses  troublantes  des  réunions  étrangères  et  pro- 
fanes, mais  dans  le  spectacle  simple  de  sa  famille 
attablée  autour  de  lui,  comme  Henri  IV...  Vous 
savez?  Henri  IV  jouait  avec  ses  enfants  quand 
l'ambassadeur  d'Espagne  entra  au  Louvre.  L'ambas- 
sadeur, voyant  Henri  IV  marcher  sur  les  mains  et 
porter  ses  enfants  sur  son  dos,  parut  surpris  de 
voir  le  roi  de  France  en  semblable  abaissement. 
Henri  IV  s'en  aperçut  et  dit  :  «  Monsieur  l'ambas- 
sadeur, êtes-vous  père?  »  —  «  Oui,  Sire.  »  —  «  Alors, 
reprit  Henri  IV,  je  continue.  »  Vous  feriez  la  même 
chose,  Messieurs.  Parce  que  vous  êtes  pères,  vous 
comprenez  que  le  travail  est  votre  lot,  et  que  ce 
travail  incessant  n'admet  d'autre  répit  que  celui 
des  joies  calmes  et  naïves  de  la  vie  de  famille. 
Pères,  vous  êtes  la  providence  visible  du  foyer  do- 
mestique; tout  porte  sur  vous.  Et  vous  croyez 
qu'avec  une  telle  mission  vous  pouvez  impunément 
vous  passer  de  Dieu,  que  votre  esprit  tourmenté, 

LES   BIENFAITS   DE  L'ÉGLISE.   — -  1-28 


434  CONFÉRENCES  AUX  HOMxMES 

votre  volonté  défaillante  et  votre  cœur  meurtri 
n'ont  pas  besoin  des  lumières,  des  énergies  et  des 
consolations  de  la  foi?  Moi,  je  crois  le  contraire  et 
je  pense  être  dans  la  vérité.  Et  encore  jusqu'ici  je 
ne  vous  ai  parlé  que  du  côté  matériel  de  votre 
mission. 

Au  point  de  vue  moral,  vos  devoirs  et  vos  respon- 
sabilités ont  un  caractère  bien  autrement  tragique. 
Donner  aux  enfants  la  vie  matérielle,  les  vêtir,  les 
nourrir,  les  établir,  c'est  quelque  chose.  Mais  les 
élever,  quelle  tâche  !  Cet  enfant  a  une  âme.  Il  faut 
l'instruire,  il  faut  lui  inspirer  le  respect  de  soi-même 
dans  l'amour  de  Dieu  et  des  hommes.  Et  s'il  venait 
à  tomber,  il  faudrait  le  relever,  le  sauver  du  nau- 
frage et  de  la  ruine.  Vous  ferez  cela  sans  Dieu?  Je 
vous  en  défie  bien.  «  Vous  ne  fonderez  pas  de  famille, 
dit  Mgr  Bougaud,  ou,  si  vous  en  fondez  une,  ce  sera 
pour  votre  punition.  Et  cette  famille,  signalée  du 
doigt  par  les  vieillards,  apprendra  aux  générations 
futures  ce  qu'elles  doivent  éviter  pour  leur  bonheur, 
comme  ces  débris  ramassés  au  milieu  des  écueils 
et  qu'on  place  au  bord  des  mers  pour  indiquer,  aux 
vaisseaux  qui  passent,  les  lieux  féconds  en  nau- 
frages. »  Messieurs,  l'âme  d'un  père  de  famille  est 
nécessairement  élevée  et  religieuse.  Quand  un 
homme  sent  peser  sur  sa  tête  les  responsabilités 
que  je  viens  d'indiquer,  comment  ne  sentirait-il 
pas,  d'une  part,  les  difficultés,  et,  de  l'autre,  sa 
propre  faiblesse?  Que  fait-il  alors?  Il  appelle  Dieu 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  435 

à  son  aide.  Pères,  vous  avez  besoin  de  la  religion 
pour  porter  le  fardeau  de  vos  devoirs  et  de  vos  res- 
ponsabilités. 


II.  Vous  avez  besoin  de  la  religion  pour  sauver 
votre  prestige  et  votre  autorité. 

Messieurs,  il  vous  faut  du  prestige.  Le  père  le 
plus  vulgaire  doit  resplendir  devant  ses  enfants. 
Et  comment  resplendira-t-il,  si  la  religion  ne  le 
consacre,  si  la  majesté  de  Dieu  ne  vient  pas  irra- 
dier sur  son  front?  Les  enfants  ne  vénéreront 
jamais  mieux  leur  père,  que  quand  ils  l'auront  vu 
découvrir  chaque  soir  son  front  vénéré  et  l'incliner 
devant  Dieu.  Oh!  que  le  père  est  plus  auguste  et 
plus  royalement  père  à  genoux  que  debout  ! 

Messieurs,  il  vous  faut  de  l'autorité,  et  il  n'y  a 
que  la  religion  pour  vous  la  donner.  Qu'est-ce  que 
j'entends  dire  partout?  Que  l'esprit  d'indépendance 
souffle  dans  les  familles.  Est-ce  que  vos  plaintes 
les  plus  légitimes  et  les  plus  fréquentes  n'ont  pas 
précisément  pour  objet  cette  apparition  redoutable 
et  cette  invasion  progressive  de  l'esprit  d'indépen- 
dance dans  la  génération  actuelle?  J'entends  une 
mère  qui  me  dit  :  «  Mon  fils  a  quinze  ans,  et  on  ne 
peut  plus  rien  lui  commander!  »  J'entends  un  père 
qui  me  fait  à  peu  près  le  même  aveu  et  qui  ajoute 
tristement  :  «  Ah  !  autrefois,  comme  on  obéissait 


436  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

mieux!  Mais  les  mœurs  sont  bien  changées.  »  — 
Oui,  Messieurs,  les  mœurs  sont  changées.  La  base 
du  respect  filial  a  été  déplacée  et  renversée.  Tous 
les  respects  se  tiennent,  toutes  les  autorités  s'en- 
chaînent. N'espérez  pas  toucher  à  celle-ci  sans 
ébranler  celle-là.  Le  coup  de  marteau  que  vous 
donnez  au  rez-de-chaussée  casse  les  pendules  au 
premier  étage,  car  les  planchers  sont  fragiles  et  les 
cloisons  sont  minces,  et  la  logique  gouverne  le 
jeune  homme  malgré  lui  et  à  son  insu.  Quand  il 
s'aperçoit  que  dans  la  famille  l'autorité  de  Dieu 
n'est  plus  qu'un  vain  mot,  comment  voulez-vous 
qu'il  respecte  encore  l'autorité  d'un  père  et  d'une 
mère?  Le  renversement  de  l'autorité  divine  amène 
le*  renversement  de  l'autorité  paternelle.  C'est 
logique,  c'est  fatal,  et  c'est  de  l'histoire  contempo- 
raine. Quand  la  religion  s'en  va  d'une  famille, 
n'allez  pas  croire  que  c'est  un  petit  malheur.  C'est 
une  ruine  qui  en  amène  cent  autres.  Parce  que  le 
clocher  est  placé  au  milieu  du  village,  les  pierres 
qui  tombent  du  clocher  écrasent  les  maisons  d'alen- 
tour; et  parce  que  la  religion  est  la  colonne  cen- 
trale qui  porte  tout,  elle  entraîne  avec  elle  dans  sa 
chute  toutes  les  délicatesses  du  respect  filial. 

Pères,  vous  avez  besoin  d'autorité,  et  vous  n'aurez 
d'autorité  qu'en  vous  adressante  la  religion.  Il  peut 
commander  sans  crainte  à  ses  subordonnés  ce  chef 
de  maison  qui  obéit  lui-même  à  son  divin  supé- 
rieur... Sinon,  j'ai  grand'peur  de  voir  ses  ordres 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  437 

transgressés  et  son  sceptre  brisé.  Il  voudrait  avoir 
un  trône  dans  la  famille,  et  il  commence  par  détrô- 
ner Dieu  le  premier  maître...  Est-ce  logique?  Il 
exige  que  ses  enfants  s'abaissent  devant  lui,  et  il 
oublie,  lui,  de  s'abaisser,  de  s'agenouiller  devant 
Dieu  le  matin,  le  soir,  le  dimanche...  Est-ce  lo- 
gique? Il  s'irrite  des  résistances  qu'il  rencontre  et 
il  gémit  sur  l'émancipation  du  jeune  âge...  Et  lui- 
môme  depuis  longtemps  s'est  affranchi  de  la  loi  de 
Dieu  et  des  observances  nécessaires  de  la  religion... 
Encore  une  fois,  est-ce  logique?  Non,  Messieurs,  ce 
n'est  pas  avec  de  telles  mœurs  que  nous  pouvons 
asseoir,  fonder,  perpétuer  des  familles  solides  et 
durables.  Avec  de  telles  mœurs  depuis  quarante  et 
soixante  ans  nous  bâtissons  sur  le  sable,  nous  éle- 
vons des  édifices  qui  s'écroulent,  nous  ne  faisons 
que  des  ruines.  Pères  de  famille,  mettez  Dieu  avec 
vous,  et  Dieu  mettra  dans  vos  paroles,  dans  vos 
actes,  et  jusque  dans  votre  regard  et  sur  votre  front 
la  splendeur,  le  prestige  et  l'autorité  qui  élèveront 
votre  paternité  à  la  hauteur  d'un  sacerdoce.  Vous 
avez  besoin  de  la  religion  pour  porter  le  fardeau 
de  vos  devoirs  et  pour  consacrer  votre  autorité. 


III.  Vous  avez  besoin  de  la  religion  pour  assurer 
l'empire  de  la  vertu  dans  l'àme  de  vos  enfants. 

Vous  voulez  des  enfants  vertueux.  Au-dessus  de 


438  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

leur  santé,  au-dessus  de  leur  instruction,  au-dessus 
de  leur  héritage  et  de  leur  situation  sociale,  vous 
placez  leur  vertu,  et  vous  avez  raison.  Qu'importe 
que  vos  enfants  soient  resplendissants  de  santé,  si 
un  noble  cœur  ne  bat  pas  dans  leur  poitrine? 
Qu'importe  qu'ils  soient  savants,  s'ils  ne  sont  pas 
honnêtes?  Qu'importe  qu'ils  soient  riches  matériel- 
lement, s'ils  sont  d'une  pauvreté  morale  évidente? 
On  peut  être  très  mauvais  père  et  léguer  des  mil- 
lions à  sa  postérité.  Le  meilleur  père  est  celui 
qui  donne  à  la  société  les  plus  vertueux  enfants. 

Or  vos  enfants  ne  seront  pas  vertueux  s'ils  ne 
sont  pas  chrétiens.  La  religion  est  le  bouclier  de 
la  vertu.  Même  sous  ce  bouclier  ils  ne  seront  point 
invulnérables.  Que  serait-ce  donc  si  vous  les  jetiez 
dans  les  grandes  batailles  de  la  vie  découverts,  acces- 
sibles à  tous  les  traits,  désarmés,  impuissants,  affran- 
chis du  frein  religieux,  sans  foi  ni  loi?  «  Peu  ou 
point  de  religion,  disait  un  père  à  un  principal  de 
collège  en  lui  présentant  son  fils.  »  Peu  ou  point  de 
vertu,  ont  répondu  par  des  faits  des  milliers  de  fils 
à  de  semblables  pères. 

Et  maintenant  écoutez-moi  encore.  Vos  enfants 
ne  seront  pas  chrétiens  si  vous  ne  l'êtes  pas  vous- 
mêmes.  J'invoque  la  loi  de  la  solidarité.  En  vertu 
de  cette  loi,  tout  homme  exerce  autour  de  lui  une 
influence  funeste  ou  heureuse,  et  cette  influence 
est  proportionnelle  à  la  situation  qu'on  occupe.  Par 
exemple,  quand  un  chef  d'Etat  subit  une   défaite 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  439 

militaire,  la  nation  tout  entière  est  vaincue  avec 
lui.  Quand  un  peuple  est  gouverné  par  un  saint 
comme  Louis  IX  ou  par  un  débauché  comme 
Louis  XV,  les  citoyens  participent  aux  avantages  ou 
aux  inconvénients  qui  résultent  de  lafolie  ou  de  la  sa- 
gesse de  leur  maître.  Cette  loi  de  solidarité  se  fait  sen- 
tir dans  la  famille.  Le  père  porte,  en  lui-même,  les 
destinées  de  tous  les  siens,  et  généralement  il  ne 
donne  que  ce  qu'il  possède.  Vide  de  convictions  reli- 
gieuses, il  engendre  des  êtres  qui  lui  ressemblent. 
J'invoque  la  loi  de  l'exemple.  L'enfant  ne  saura 
jamais  prier  s'il  ne  l'a  appris  tout  petit  sur  les 
genoux  de  sa  mère,  un  peu  plus  grand  aux  côtés  de 
son  père.  Il  ne  suffit  pas  qu'un  père  dise  :  «  Ma 
fille,  va  prier.  »  Il  faut  qu'il  dise  aussi  :  «  Mon  fils, 
viens  prier!  »  ou  mieux  :  «  Prions  ensemble.  »  Si 
le  père  n'est  pas  chrétien,  à  sept  ans  l'enfant  s'en 
aperçoit  ;  à  dix  ans  il  s'en  étonne  ;  à  quinze  ans  il 
s'en  scandalise;  et  au  premier  cri  des  passions  il 
s'en  fait  une  arme.  La  religion  est  un  joug,  Mes- 
sieurs, et  un  âge  arrive,  l'âge  des  tempêtes,  où  le 
jeune  homme  sent  que  la  religion  le  gêne.  A  ce 
moment-là,  il  aurait  besoin  d'un  grand  exemple  tom- 
bant de  la  vie  de  son  père  sur  la  sienne  pour  le 
fortifier  contre  les  courants  et  pour  sauver  sa  vertu 
en  même  temps  que  sa  foi.  Hélas!  si,  en  ouvrant 
les  yeux  et  en  scrutant  la  vie  paternelle,  il  peut  se 
dire  :  «  Mon  père  n'est  pas  chrétien,  pourquoi  le 
serais-je  moi-même?  »  son  apostasie  est  à  peu  près 


440  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

certaine  et,  du  fond  de  l'abîme,  il  peut  s'écrier  d'une 
voix  accusatrice  :  «  0  mon  père,  il  n'est  point  vrai 
que  vous  soyez  innocent  de  ma  catastrophe.  Car  il  y 
avait  de  saintes  observances  destinées  à  attiédir 
mes  passions  de  vingt  ans,  et  votre  exemple  m'a 
enseigné  à  les  abandonner.  Il  y  avait  des  prêtres, 
c'est-à-dire  des  hommes  aux  pieds  desquels  on  étu- 
die l'art  de  gouverner  sa  jeunesse,  et  votre  exemple 
m'a  appris  à  les  fuir.  Enfin,  il  y  a  un  Dieu  dont  ma 
vertu  chancelante  avait  besoin,  et  nous  ne  l'avons 
jamais  prié  ensemble  ni  à  la  maison  ni  dans  le 
temple.  »  Messieurs,  vous  avez  besoin  de  la  reli- 
gion pour  assurer  l'empire  de  la  religion  dans 
l'âme  de  vos  enfants;  car  vos  enfants  ne  seront 
vertueux  qu'autant  qu'ils  seront  chrétiens,  et  ils  ne 
seront  chrétiens  généralement  qu'autant  que  vous 
le  serez  vous-mêmes. 

César  allait  rejoindre  sa  flotte,  et  la  petite 
barque  qui  le  portait  fut  assaillie  par  une  violenta 
tempête.  Le  nautonier  tremblait.  «  Que  crains-tu? 
lui  dit  le  dictateur,  tu  portes  César!  »  Chefs  de  fa- 
mille, combien  elle  est  agitée  et  menacée  la  barque 
domestique  dont  vous  tenez  le  gouvernail!  Mettez 
Jésus-Christ  dans  la  barque.  11  vous  sauvera,  vous 
et  les  vôtres! 

Amen! 


SIXIÈME  CONFÉRENCE 

Le  Père 

(suite) 


Messieurs, 

Vous  avez  besoin  de  la  religion.  Je  vous  apporte 
aujourd'hui  une  seconde  affirmation.  Pères  de  fa- 
mille, la  religion  a  besoin  de  vous.  En  somme,  la 
grande  et  unique  question  du  jour  est  celle-ci  :  il 
faut  christianiser  la  société.  Qui  peut  faire  cela? 
Qui  est  de  force  à  faire  rentrer  le  christianisme 
dans  le  monde  d'aujourd'hui,  et  dans  les  généra- 
tions nouvelles  qui  sont  le  monde  de  demain? 
Qui?  Vous,  pères  de  famille.  La  religion  est  perdue 
en  France,  et  la  France  est  perdue  avec  elle,  si 
les  pères  de  famille  ne  se  lèvent  pas  comme  un 
seul  homme  pour  infuser  l'Evangile  dans  l'âme  et 
dans  le  sang  de  leur  postérité.  Toutes  les  forces 
sociales,  à  l'heure  qu'il  est,  sont  ou  hostiles,  ou 
indifférentes,  ou  impuissantes  au  point  de  vue  reli- 
gieux. Pères,  vous  restez  seuls  sur  la  brèche. 


442  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

I.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles?  Le  pouvoir  civil? 

Il  ne  faut  guère  y  compter.  On  a  vu  cela  jadis. 
On  a  vu  Charlemagne  et  saint  Louis  adopter  les 
principes  chrétiens,  les  inscrire  dans  le  Code  de  la 
nation,  leur  donner  force  de  loi  et  les  couvrir  de 
leur  protection  royale.  On  a  vu  le  Pape  et  l'Em- 
pereur se  donner  la  main  et  conduire  ensemble 
l'humanité,  comme  deux  pilotes  amis  dirigent  un 
même  navire  en  fixant  du  regard  la  même  étoile 
polaire.  Nos  pères  ont  fait  cela,  et  ils  étaient  dans  leur 
droit.  Peuples  et  princes  se  sont  entendus  pour  intro- 
duire l'Evangile  dans  leur  constitution  politique  et 
leurlégislation  civile.  Nous  pouvons  ne  pas  les  imiter, 
mais  nous  ne  pouvons  pas  les  blâmer.  Au  moyen  âge 
le  suffrage  universel  des  princes  et  des  peuples  était 
manifestement  dévoué  au  catholicisme,  et,  puisque 
nous  réglons  notre  vie  politique  et  sociale  avec  le 
suffrage  universel,  ayons  la  pudeur  et  le  bon  sens 
de  ne  pas  reprocher  à  nos  ancêtres  ce  que  nous 
faisons  nous-mêmes.  Jadis  le  pouvoir  civil  était  le 
défenseur  et  le  propagateur  du  christianisme. 

Tel  il  n'est  plus  aujourd'hui.  Je  ne  discute  pas 
le  fait,  je  le  constate.  Le  pouvoir  civil  se  désinté- 
resse du  christianisme;  il  dit  :  «  La  religion,  ce 
n'est  pas  mon  affaire.  J'administre,  je  déclare  la 
guerre,  j'entretins  les  armées,  je  protège  l'agri- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  443 

culture,  le  commerce,  l'industrie,  les  lettres,  les 
sciences  et  les  arts  ;  mais  la  religion  ne  me  regarde 
pas.  »  Tout  ce  qu'on  peut  demander  de  mieux  au 
pouvoir  public  à  l'heure  actuelle  c'est  qu'il  donne 
au  christianisme  la  liberté  commune.  Il  serait 
puéril  d'attendre  de  lui  un  apostolat  quelconque 
en  faveur  de  l'Evangile. 


II.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles  ?  La  presse,  le  journalisme  ? 

Sans  doute  il  y  a  une  bonne  presse...  mais  com- 
bien elle  est  impuissante  !  La  mauvaise  presse  au 
contraire  est  un  marteau  qui  démolit  chaque  jour 
quelque  partie  du  symbole  et  du  Décalogue.  Elle 
va  tour  à  tour  des  audaces  du  blasphème  aux 
opprobres  de  la  pornographie,  et  parce  qu'elle  flatte 
tous  les  mauvais  instincts  du  cœur,  elle  n'a  même 
pas  besoin  de  talent  pour  réussir.  La  religion  étant 
un  frein  puissant  pour  les  passions,  que  fait  la  mau- 
vaise presse  ?  Elle  attaque  journellement  la  religion. 
Elle  souffle  sur  le  monde,  avec  une  égale  ardeur  et 
un  succès  égal,  l'esprit  de  licence  et  l'esprit  d'im- 
piété. Vous  le  savez  autant  et  mieux  que  moi 
Messieurs,  bien  loin  que  la  presse  soit  une  auxiliaire 
de  la  vertu  et  de  la  foi,  elle  n'est  trop  souvent  que 
la  complice  de  l'incrédulité  et  de  la  corruption. 
Si  donc  vous  voulez  mettre  le  christianisme  dans 


444  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'âme  des   générations   nouvelles,   cherchez   autre 
chose. 


III.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles  ?  L'exemple  descendant  des 
hauteurs  sociales  ? 

Messieurs,  ce  n'est  pas  toujours  le  bon  exemple 
qui  descend  des  hauteurs  sociales.  Il  n'est  pas  rare 
de  constater  dans  les  classes  dirigeantes  l'efface- 
ment des  croyances  et  l'abandon  du  devoir. 

Et  quand  l'exemple  venu  de  haut  est  irrépro- 
chable, quelle  influence  exerce-t-il  ?  Une  médiocre 
influence.  L'émancipation  des  esprits  est  à  son 
comble.  Chacun  a  ses  théories  personnelles  et  dis- 
cute ses  propres  croyances.  Autrefois,  on  vivait  de 
traditions  ;  aujourd'hui,  ce  qui  est  ancien  a  moins 
de  prestige  que  ce  qui  est  nouveau,  et  le  plus  mo- 
deste artisan  se  fait  une  religion,  comme  il  se  fait 
une  politique.  Vous,  Messieurs  de  la  bourgeoisie, 
vous  avez  renié  les  mauvais  exemples  de  1830  et 
du  xvnie  siècle;  je  le  reconnais  et  je  vous  en  loue. 
Mais  voyez  un  peu  ce  qui  se  passe.  On  vous  a 
suivis  quand  vous  descendiez,  on  ne  vous  écoute 
plus  quand  vous  essayez  de  remonter.  Vos  conseils 
sont  frappés  de  suspicion,  et  vos  efforts,  vos  exem- 
ples semblent  stériles.  Est-ce  à  dire  que  vous  allez 
vous  décourager?  Non.  Le  peuple  ne  vous  suit  pas 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  •    445 

à  l'église  ;  mais  c'est  après  vous  qu'il  y  reviendra, 
comme  c'est  après  vous  qu'il  l'a  quittée.  Il  y  re- 
viendra peu  à  peu,  au  fur  et  à  mesure  que  se  re- 
fera son  éducation  religieuse.  En  attendant,  il  s'abs- 
tient, et  l'exemple  qui  descend  des  hauteurs  sociales 
ne  suffit  pas  à  l'entraîner. 


IV.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles?  L'École? 

Hélas  !  l'école  est  trop  souvent  l'obstacle  à  la  dif- 
fusionduchristianisme.L'évêque  d'Angers,  MgrFrep- 
pel,  était  à  la  gare  de  Tours.  Il  voit  venir  à  lui  un 
homme  qui  paraissait  très  ému  :  «  Vous  êtes  bien 
Monseigneur  d'Angers?  Je  savais  que  vous  étiez 
ici,  et  je  suis  accouru  pour  vous  voir.  Vous  allez  faire 
une  grande  chose  en  fondant  une  Université  catho- 
lique. J'ai  voulu  vous  en  féliciter.  Vous  élèverez  des 
jeunes  gens  qui  auront  la  foi.  Ceux  qui  ont  élevé 
mon  fils  lui  ont  pris  la  foi  et  les  moeurs.  Je  ne  suis 
pas  riche,  Monseigneur,  mais  voici  vingt  francs  que 
je  vous  prie  d'accepter  pour  l'œuvre  que  vous  allez 
entreprendre.  »  L'école  publique,  Messieurs,  n'a  pas 
le  droit  d'enseigner  l'Evangile;  elle  n'a  pas  le  droit 
de  nommer  Jésus-Christ  et  de  placer  son  image  sous 
les  yeux  des  écoliers  ;  elle  n'a  pas  le  droit  de  lever 
les  âmes  et  les  fronts  vers  Dieu.  Elle  n'est  pas  faite 
pour  christianiser,  mais  plutôt  pour  déchristianiser. 


446  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Vous  me  dites  à  cela  qu'il  y  a  des  écoles  libres, 
des  écoles  chrétiennes.  Mais  il  n'y  en  a  pas  dans 
les  campagnes.  On  a  de  la  peine  à  en  fonder  quel- 
ques-unes à  la  ville.  Et  d'ailleurs  l'école,  même  la 
meilleure,  ne  remplace  pas  la  famille  et  n'a  sur 
l'enfant  qu'une  influence  restreinte  et  insuffisante. 
Et  ma  question  revient,  de  plus  en  plus  impérieuse 
et  de  moins  en  moins  résolue  : 


V.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles?  Le  prêtre  ? 

Oui,  Messieurs,  nous  voulons  faire  du  bien  à  vos 
enfants;  nous  le  voulons  passionnément,  si  bien 
qu'on  nous  reproche  parfois,  à  nous  prêtres  catho- 
liques, d'aimer  la  jeunesse,  de  chercher  à  conquérir 
noblement  son  estime  et  son  affection.  J'accepte  ce 
reproche  et  je  m'en  glorifie.  Quel  serait  donc  l'objet 
de  notre  ambition  et  des  saintes  tendresses  de  notre 
âme,  sinon  cette  jeunesse  ardente  et  fière,  qui 
croit  au  bien,  à  la  vérité,  à  l'honneur,  mais  qui  est 
si  vivement  sollicitée  par  l'erreur  et  par  le  mal? 
Nous  aimons  vos  enfants,  et  nous  sommes  disposés 
à  faire  le  possible  et  l'impossible  pour  protéger  leur 
foi  et  leur  vertu. 

Mais  que  pouvons-nous?  Lorsqu'aux  champs 
tristement  célèbres  de  Reischoffen  nos  intrépides 
cuirassiers  voulurent  sauver  l'honneur  du  drapeau 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  447 

français,  ils  firent  contre  les  bataillons  allemands 
trois  charges  qui  resteront  fameuses.  Vainement 
essayèrent-ils  de  pénétrer,  l'épée  à  la  main,  dans 
les  rangs  ennemis;  ils  ne  purent  que  s'ensevelir, 
non  pas  dans  leur  triomphe  cette  fois,  mais  dans 
leur  magnanime  défaite.  Nous  aussi,  prêtres,  nous 
essayons  de  charger  l'incrédulité  et  le  vice  qui 
étreignent  les  générations  naissantes.  Sommes-nous 
plus  heureux  que  nos  cuirassiers  héroïques  ?  Pas 
toujours.  Sans  vous,  Messieurs,  nous  ne  pouvons 
pas  grand'chose,  parce  que  vos  enfants  ne  sont 
entre  nos  mains  que  transitoirement  et  que,  si  nous 
avons  votre  autorité,  nous  n'avons  pas  vos  sanc- 
tions. Nous  ne  sommes  puissants  qu'adossés  à  la 
famille  et  secondés  par  elle.  Et  encore  ici  expli- 
quons-nous bien  à  qui  revient,  dans  la  famille,  la 
mission  de  christianiser  les  enfants  et  la  chance 
d'aboutir,  de  réussir  en  une  œuvre  si  nécessaire  et 
si  difficile. 


VI.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles?  La  mère? 

Oui,  certes,  la  puissance  d'une  mère  de  famille 
est  grande.  C'est  elle  qui  communique  à  l'enfant 
ses  premières  impressions,  ses  premiers  goûts  et, 
par  suite,  ses  habitudes  souvent  définitives.  L'en- 
fant qui  a  eu  une  mère  vertueuse  et  tendre  ne  sera 


448  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

jamais  tout  à  fait  mauvais.  Et  combien  de  fois,  dans 
les  plus  fougueux  égarements,  la  pensée  d'une 
bonne  mère  et  la  crainte  de  l'affliger  arrêtèrent  l'en- 
fant prodigue  sur  le  bord  du  précipice  !  Et  combien 
de  fois,  dans  l'heureux  travail  du  repentir,  le  souve- 
nir d'une  de  ses  paroles  ou  même  d'un  de  ses  regards 
détermina  pour  lui  le  retour  complet  au  bien  ! 

Cependant,  la  mère  toute  seule  ne  peut  pas  tout. 
Ses  exemples  et  ses  paroles  n'ont  pas  le  prestige  et 
l'autorité  des  paroles  et  des  exemples  paternels.  Et 
généralement,  quand  le  père  est  indifférent  ou 
hostile,  les  destinées  de  la  religion  sont  compro- 
mises au  foyer  domestique.  L'influence  de  la  mère 
est  d'ordinaire  insuffisante  sans  l'intervention  du 
père  de  famille. 


VII.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles  ?  Le  père. 

Pères  de  famille,  la  religion  a  besoin  de  vous. 
Elle  a  besoin  de  votre  autorité.  Vos  enfants  ont  le 
droit  d'être  chrétiens.  Ils  ont  le  droit  de  connaître 
Dieu,  de  l'aimer,  et  de  le  servir,  d'apprendre  leur 
religion,  de  conserver  leur  baptême,  d  être  préparés 
aux  sacrements  qui  entretiennent  la  vie  chrétienne. 
Toute  éducation  qui  contrarie  ces  droits,  ou  n'en 
tient  pas  compte,  est  une  éducation  fausse,  crimi- 
nelle,   meurtrière,   une  éducation  qui   renouvelle 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  449 

dans  un  ordre  supérieur  l'abominable  barbarie  des 
mœurs  païennes.  Vos  enfants  ont  le  droit  d'être 
chrétiens  et  de  vivre  en  chrétiens.  Un  jour,  maîtres 
d'eux-mêmes  et  aveuglés  par  leurs  passions,  ils 
renonceront  peut-être  à  ce  droit,  et  vous  n'aurez 
plus  qu'à  gémir  et  à  pleurer  sur  leur  apostasie. 
Mais,  en  attendant,  pères  de  famille,  vous  devez  user 
de  votre  autorité  pour  les  protéger  contre  l'éduca- 
tion neutre  et  athée  qui  voudrait  les  déchristianiser 
malgré  eux  et  malgré  vous  ;  vous  devez  faire  tout 
ce  qui  est  possible  pour  conserver  et  développer  en 
eux  la  vie  de  la  grâce,  cent  fois  plus  précieuse  que 
la  vie  de  la  nature  ;  vous  devez  mettre  votre  pater- 
nité au  service  de  la  religion.  La  religion  a  besoin 
de  vous.  Elle  a  besoin  de  vos  exemples.  Point  de 
dualisme  dans  la  famille!  Il  faut  mettre  un  terme 
à  ce  partage  odieux  d'un  foyer,  où  l'on  voit,  d'un 
côté,  un  père  indifférent  et  un  fils  frondeur,  de 
l'autre,  une  mère  et  une  fille  appliquées  à  leur 
devoir  religieux.  Non,  les  générations  nouvelles  ne 
sauraient  plus  longtemps  être  tiraillées  et  déchirées 
en  sens  contraires  par  des  influences  et  des 
exemples  domestiques  qui  se  combattent  et  s'en- 
trechoquent sous  leurs  yeux.  Pères,  revenez  à  votre 
mission  !  Formez-nous  une  race  neuve  avec  la  pu- 
reté du  sang,  la  noblesse  du  cœur,  la  force  du 
caractère,  une  race  qui  possède  des  convictions, 
qui  s'accoutume  aux  privations,  qui  se  prépare  au 
sacrifice,  qui  passe  sans   étonnement  du  foyer  à 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.   —   1-29 


450  '  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'école,  de  l'école  à  la  caserne,  trouvant  partout  les 
mêmes  exemples  de  foi,  de  tempérance,  d'honneur 
et  de  courage.  C'est  ainsi  que  sera  sauvée  la  so- 
ciété par  l'infusion  du  christianisme  dans  l'âme  des 
générations  nouvelles. 

Pères  de  famille,  la  société  a  besoin  de  vous.  Tout 
le  monde  à  cette  heure  interroge  avec  anxiété 
l'avenir.  Qu'est-ce  qui  constituera  l'Europe  nou- 
velle, la  France  nouvelle?  C'est  la  famille.  Sans 
doute  nous  avons  l'armée.  Mais  l'armée  elle-même 
n'est,  après  tout,  que  le  reflet  de  la  famille.  D'où 
sort  l'armée  sinon  des  entrailles  de  la  nation,? 
Quelle  est  sa  première  école?  Le  foyer.  Quel  est  le 
premier  sergent  instructeur  du  jeune  soldat?  Son 
père.  Quelle  est  sa  première  caserne?  La  maison 
paternelle.  L'avenir  définitif  du  monde  appartient 
aux  peuples  qui  ont  le  plus  de  familles  nombreuses, 
laborieuses  et  chrétiennes  ;  et  c'est  le  père  surtout 
qui  fait  les  familles  nombreuses,  laborieuses  et 
chrétiennes.  Les  civilisateurs  de  la  race  humaine, 
ne  dites  plus  que  ce  sont  les  princes  et  les  magis- 
trats, les  penseurs  et  les  orateurs.  Tous  ces  hommes, 
sans  doute,  sont  des  envoyés  de  Dieu  et  des  bienfai- 
teurs de  l'humanité-;  mais  leur  part  est  nécessaire- 
ment secondaire.  Les  vrais  civilisateurs,  les  créa- 
teurs de  la  France  et  de  l'Europe,  les  législateurs 
des  sociétés  modernes,  ce  sont  les  pères  de  famille  I 

Amen! 


SEPTIÈME  CONFÉRENCE 
L'épouse 


Messieurs, 

L'Église  est  la  grande  bienfaitrice  de  l'huma- 
nité dans  l'ordre  domestique.  Elle  a  réhabilité 
l'union  conjugale.  Elle  a  réhabilité  le  chef  de  la 
famille.  Elle  a  réhabilité  la  femme.  La  femme  au 
foyer  est  épouse  et  mère.  Considérons-la  aujour- 
d'hui comme  épouse  et  étudions-la  dans  les  trois 
attitudes  différentes  qu'elle  peut  prendre  vis-à-vis 
de  la  religion.  Elle  peut  être  ou  étrangère  à  l'Eglise, 
ou  amie  de  l'Eglise,  ou  hostile  à  l'Eglise.  Regardez 
et  choisissez. 


I.  L'épouse  étrangère  à  l'Église. 

L'épouse,  dans  le  paganisme,  inspire  compassion. 
Elle  est  la  servante  et  l'esclave  de  l'homme,  le  jouet 
de  ses  caprices,  la  victime  de  sa  tyrannie,  l'instru- 
ment de  ses  plaisirs.  Elle  se  prête,  se  cède,  s'échange 


452  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

comme  un  meuble  ou  un  vil  bétail.  Elle  est  dé- 
gradée par  l'inceste,  la  répudiation,  la  prostitution 
religieuse  ou  légale,  la  vente  et  le  commerce  qu'on 
en  fait.  Et,  entre  toutes  les  plaies  qui  la  rongent  et 
la  déshonorent,  il  faut  signaler  surtout  la  poly- 
gamie et  le  divorce.  Oh  !  qu'ils  sont  imprudents  ou 
criminels  ceux  qui  veulent  chasser  Jésus-Christ 
et  nous  ramener  au  paganisme  !  Qu'était  le  paga- 
nisme sinon  de  la  boue  et  du  sang,  sinon  le  règne 
triomphant  de  la  pourriture  et  de  l'iniquité?  La 
lecture  des  diverses  législations  païennes  est  une 
révélation  perpétuelle  de  la  situation  ignominieuse 
faite  à  la  femme.  On  la  maltraite,  on  la  déclare  in- 
capable de  succéder  à  son  père  et  à  sa  mère,  inca- 
pable de  tester,  incapable  d'exercer  la  tutelle  sur  ses 
propres  enfants.  On  la  répudie.  «  Elle  était  venue 
jeune  et  belle,  dit  Lacordaire,  on  la  renvoie  flétrie 
par  l'âge  ou  l'infirmité,  comme  un  meuble  dont  on 
se  défait  quand  il  est  fêlé  par  l'usage  ou  qu'on 
s'ennuie  de  le  voir  chez  soi...  »  «  Bien  plus  encore, 
ajoute-t-il...,  la  simultanéité  dans  le  mariage,  des 
troupeaux  de  ces  êtres  si  dignes  devant  Dieu  et 
devant  notre  cœur,  des  troupeaux  de  femmes  en- 
fermées comme  un  bétail  entre  des  murailles,  et 
devenues,  dans  l'ennui  de  leurs  jours  et  de  leurs 
nuits,  la  proie  je  ne  dirai  pas  d'une  affection,  mais 
la  proie  d'un  moment  au  milieu  de  siècles  d'oubli!  » 
Telle  était  l'épouse  dans  le  paganisme. 
Et  depuis,  en  dehors  de  l'Évangile,  a-t-elle  un 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  453 

meilleur  sort?  Le  musulman,  venu  six  siècles  après 
l'Evangile,  a-t-il  rendu  à  la  femme  sa  dignité  ? 
Pas  du  tout.  Bestial  et  tyran  comme  le  païen,  le 
musulman  a  claquemuré  la  femme  dans  les  mu- 
railles de  la  captivité  et  du  mépris;  il  a  entassé 
là  dans  ses  sérails  les  objets  de  sa  lâche  convoitise. 
«  Le  spectacle  des  mœurs  musulmanes  chez  des 
peuples  qui  ne  manquent  pas  de  grandeur  native 
est  un  avertissement  de  la  Providence  à  la  femme 
chrétienne  tentée  d'apostasie  par  la  sévérité  de 
l'Évangile;  elle  y  apprend  ce  que  coûte  l'amour 
qui  n'est  pas  sous  la  protection  de  Dieu,  et  ce  que 
devient  l'adoration  de  l'homme  le  lendemain  du 
jour  où  il  n'adore  plus  Jésus-Christ.  Elle  y  apprend 
le  degré  de  bassesse  où  elle  descend  dès  que  Jésus- 
Christ  n'a  plus  la  main  sur  l'homme  pour  le  contenir, 
le  purifier,  pour  contenir  et  purifier  sa  compagne  et 
les  rendre  tous  deux  un  sanctuaire  d'amour  fidèle  et 
respectueux.  »  Voilà  la  femme  étrangère  à  l'Église. 
Dès  que  l'Evangile  est  absent,  vous  n'avez  plus  que 
la  bête  humaine  qui  hurle  après  la  liberté  brutale,  et 
l'épouse  désarmée,  découronnée,  dépouillée  de  son 
divin  prestige,  n'est  plus  qu'une  proie  que  se  dis- 
putent tour  à  tour  la  servitude  et  l'infamie.  Repo- 
sons nos  regards  sur  un  meilleur  spectacle. 

II.  L'épouse  amie  de  l'Église. 

r 

L'Eglise  qui  protège  toutes  les  faiblesses  a  étendu 


454  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

sa  protection  sur  la  femme,  et  elle  a  répété  sous 
tous  les  cieux  cette  devise  célèbre  qui  est  comme  la 
grande  charte  de  l'affranchissement  et  de  la  réha- 
bilitation de  l'épouse  :  Un  seul  avec  une  seule  et 
pour  toujours  !  0  femme,  qui  donc  en  dehors  de 
l'Eglise  a  pris  ta  défense?  Qui  a  souffert  et  com- 
battu pour  toi?  Est-ce  le  paganisme  romain?  Est-ce 
la  religion  sensuelle  de  Mahomet?  Est-ce  le  schisme 
anglican,  lui  qui  doit  son  origine  à  un  divorce  in- 
voqué par  la  convoitise  d'un  roi  corrompu?  Est-ce 
l'hérésie  protestante,  elle  qui  est  entrée  dans  le 
monde  par  la  porte  d'un  moine  apostat,  coupable 
d'avoir  profané  dans  sa  personne  la  sainteté  du  carac- 
tère sacerdotal  par  une  union  doublement  sacrilège  ? 
Et  aujourd'hui  encore,  ô  femme,  qui  donc  souffre 
et  combat  pour  toi?  Est-ce  la  libre  pensée  qui,  dans 
la  prose  et  dans  la  poésie,  dans  le  drame  et  dans  le 
roman,  dans  les  journaux  et  dans  les  livres  de  tout 
format  et  de  toute  nuance  vilipende  le  mariage 
et  préconise  le  libertinage  sans  borne  ?  O  femmes, 
qui  donc  a  eu  le  courage  et  la  force  de  protéger 
votre  faiblesse  et  votre  honneur,  et  de  passer  un 
frein  d'acier  aux  naseaux  de  la  bête  humaine  pour 
la  tenir  çn  bride?  Seule  l'Eglise  a  fait  cela.  Elle  a 
fait  cela  malgré  les  menaces  des  peuples  et  la  co- 
lère des  rois.  Elle  a  fait  cela  contre  les  sophismes 
des  sages,  l'éloquence  des  orateurs,  la  puissance  du 
glaive,  toutes  les  passions  frémissantes.  Et  par  la 
bouche  d'un  vieillard  qui  parfois  gardait  à  peine  un 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  455 

souffle  de  vie,  elle  n'a  cessé  de  dire  à  tous  les  pays 
et  à  tous  les  siècles  :  «  Une  seule  avec  un  seul  et  pour 
toujours  :  voilà  mon  dogme.  Et,  pour  signer  ce 
dogme,  je  trouverai,  s'il  le  faut,  le  sang  d'un  mil- 
lion de  martyrs  !  »  Et,  si  le  foyer  domestique  est 
resté  pur,  si  la  désunion  n'est  pas  entrée  dans  les 
familles,  si  on  n'a  pas  donné  à  une  seconde  épouse  le 
droit  d'en  chasser  la  première  et  d'y  régner  à  sa 
place,  si  la  femme  a  reconquis  et  gardé  la  place  qui 
lui  revient  au  sanctuaire  conjugal,  c'est  l'Église 
qui  est  responsable  de  ce  glorieux  résultat,  c'est 
l'Eglise  qu'il  faut  remercier  et  bénir.  Oh!  que  la 
femme  a  donc  raison  de  s'attacher  à  l'Eglise,  qui 
est  réellement  sa  rédemptrice  et  sa  meilleure 
amie  ! 

Et  comme  je  m'explique  maintenant  la  puissance 
que  possède  la  femme  et  l'apostolat  qu'elle  exerce 
pour  amener  les  âmes  à  la  religion  !  Voyez-la  au- 
près de  son  mari.  «  C'est  elle,  dit  Lacordaire,  qui 
colore  les  événements  heureux,  qui  embaume  les 
revers,  qui  reçoit  au  seuil  domestique  ce  fugitif 
des  honneurs,  tout  meurtri  de  sa  chute,  ce  proscrit 
de  la  pensée  qui  n'a  remporté  de  la  science  que  le 
martyre  du  doute.  L'épouse  chrétienne  infiltre  dans 
ces  âmes  brisées  le  détachement  et  la  certitude. 
Elle  ressuscite  dans  ces  âmes  le  Dieu  qui  réjouissait 
leur  jeunesse  et  ravive  leur  vie  mourante  aux 
sources  de  l'éternité.  »  —  Et  en  même  temps 
qu'elle  christianise  son  mari,  la  femme  chrétienne 


456  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

christianise  ses  enfants.  De  sorte  que,  ayant 
reçu  immensément  de  la  religion,  la  femme  lui 
rend  immensément.  0  beauté  du  plan  de  Dieu  ! 
combien  d'hommes  qui  se  seraient  laissé  absorber 
par  les  intérêts  de  la  terre  et  auraient  tout  oublié, 
Dieu,  leur  âme,  leur  avenir  éternel,  s'il  n'y  avait  eu 
près  d'eux  une  épouse  pieuse,  pure  et  dévouée  ! 
Combien  qui,  à  l'heure  dernière,  quand  toutes  les 
ombres  seront  dissipées,  diront  devant  leur  juge, 
avec  un  cœur  plein  de  gratitude  :  «  Il  m'est  bon  de 
n'avoir  pas  été  seul  !  »  Voilà  le  rôle  délicat,  auguste, 
heureux  et  fécond  de  la  femme.  Et  dès  lors  ne 
voyez-vous  pas  quel  trouble  l'irréligion  apporterait 
à  un  plan  si  beau,  quels  ravages  elle  ferait  dans 
F  âme  de  la  femme  ?  Messieurs,  l'impiété  de  l'homme 
est  triste  ;  elle  est  féconde  en  conséquences  dan- 
gereuses. Mais  l'impiété  de  la  femme  est  horrible. 
La  religion  fait  de  la  femme  un  ange  ;  l'impiété 
en  fait  un  monstre.  Si  répugnant  que  soit  ce  ta- 
bleau, il  faut  que  je  le  mette  sous  vos  yeux.  Le 
phénomène  est  heureusement  rare;  cependant  il 
existe,  et  il  est  bon  de  le  flageller  publiquement» 


III.  L'épouse  hostile  à  l'Église. 

D'abord  la  femme  devenue  impie  va  loin  dans 
l'impiété.  Elle  ne  tarde  pas  à  dépasser  l'homme. 
C'est  un  fait  d'expérience.  Elle  ne  se  contente  pris 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  457 

généralement  de  renier  les  vérités  qu'elle  avait 
professées  et  de  se  donner  corps  et  âme  à  l'erreur. 
Elle  ressent  comme  une  haine  et  une  fureur  contre 
cette  vérité  et,  pour  cette  doctrine  fausse  dont  on 
Ta  nouvellement  imbue,  un  amour  qui  va  jusqu'à 
la  passion.  «  Le  temple  l'importune,  et  son  impiété 
voudrait  anéantir  le  Dieu  qu'elle  a  quitté.  »  Elle 
suit  jusqu'au  bout  les  principes  de  l'irréligion.  Pen- 
dant que  l'homme  se  contente  d'un  assentiment  gé- 
néral et  d'une  adhésion  platonique,  elle  frémit  d'in- 
dignation, elle  trépigne  d'impatience;  elle  se  livre  à 
tous  les  excès  de  paroles  et  emportements  de  dis- 
cours ;  elle  ne  sait  pas  garder  cette  attitude  cor- 
recte, ce  faux-semblant  d'impartialité,  cette  bien- 
veillance extérieure  au  moyen  desquels  les  impies 
les  plus  tenaces  se  déguisent  si  facilement  devant 
les  bonnes  âmes.  Ah  !  le  libre  penseur  doit  y  re- 
garder de  près,  doit  y  regarder  à  deux  fois  avant 
de  s'unira  une  femme  qui  lui  ressemble,  avant  de 
déchaîner  dans  l'âme  de  sa  pieuse  compagne  la  tem- 
pête de  l'impiété.  Qu'il  le  sache  bien...  La  femme 
a  besoin  de  croire  et  d'aimer,  elle  a  besoin  de 
Dieu,  de  la  prière,  des  espérances  immortelles  de 
la  religion  ;  elle  en  a  besoin  pour  son  esprit,  pour 
son  cœur,  pour  sa  volonté,  pour  son  imagination; 
le  jour  où  cette  vie  de  son  âme  lui  est  retirée,  elle 
la  remplace  par  la  passion  du  doute  et  les  fureurs 
de  la  haine...  et  c'est  affreux  ! 

La  femme  devenue  impie  perd  ses  dons  les  plus 


458  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

■exquis,  qui  se  corrompent  et  deviennent  un  im- 
mense danger.  Sa  beauté  est  un  piège  dont  on  peut 
tout  craindre  ;  son  esprit  est  un  fléau  dont  la  puis- 
sance de  contagion  empoisonne  le  foyer  et  ses  alen- 
tours ;  son  cœur  est  une  proie  promise  à  la  frivo- 
lité et  au  plaisir.  0  choses  exquises,  quand  vous 
vous  corrompez,  vous  devenez  les  pires  :  corruptio 
oplimi  pessima! 

Et  enfin  quels  enfants  va-t-elle  élever  cette  femme 
qui  s'est  livrée  à  l'impiété  et  qui  déjà  y  a  perdu 
ses  qualités  natives?  Ah!  c'est  ici  que  nous  entrons 
dans  l'abomination  de  la  désolation.  Elle  éloigne 
de  ses  enfants  les  pensées  et  les  sentiments  chré- 
tiens qui  développent  et  fortifient  si  puissamment 
dans  les  jeunes  cœurs  les  instincts  vertueux.  Elle 
ne  leur  dit  plus  :  «  Mon  fils,  ma  fille,  agenouille-toi 
et  prie  avec  ta  mère  !  »  Et  la  pure  et  naïve  prière  de 
l'enfance  disparaît  du  foyer;  cette  prière,  dont  le 
poète  a  si  bien  parlé,  se  tait  désormais  sur  les  lèvres 
glacées  de  la  famille  ;  on  ne  voit  plus 


Tous  les  petits  enfants,  les  yeux  levés  au  ciel, 
Disant  à  la  même  heure  une  même  prière, 
Demander  pour  nous  grâce  au  Père  universel. 


«  Oh!  s'écrie  ici  Mgp  Dupanloup,  vous  qui  avez  le 
malheur  de  ne  plus  prier,»  laissez  donc  au  moins 
les  enfants  prier  avec  leurs  mères  !  Ayez  pitié  de 
vous-mêmes,  et  ne  profanez  pas  ce  que  vous  avez 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  459 

de  meilleur  au  monde.  Dussiez- vous- me  répondre  : 
«  Vous  me  parlez  une  langue  qui  n'est  pas  la  nôtre  », 
je  m'obstinerai  à  vous  la  parler;  car,  vous  vous 
trompez,  c'est  aussi  la  vôtre  ;  c'est  la  langue  du 
cœur  et  de  la  nature  ;  vous  êtes  pères  et  tout  ce 
que  Dieu  a  mis  dans  un  cœur  paternel  de  délicate 
et  profonde  tendresse  n'est  pas  éteint  en  vous. 
Vous  avez  beau  être  incrédules,  qu'avez-vous  trouvé 
sur  la  terre,  je  vous  le  demande,  de  plus  charmant 
et  de  plus  digne  de  tout  respect  qu'une  jeune  enfant 
chrétienne  ressemblant  de  loin  à  cette  fille  de 
Judée  qui  se  nomme  la  Vierge?  Avez-vous  rêvé, 
avez- vous  rencontré  ici-bas  une  créature  plus 
aimable,  et  pouvez-vous  d'un  cœur  sec  la  voir 
agenouillée,  les  mains  jointes,  le  regard  au  ciel, 
et  priant  pour  vous  ?  »  Or,  Messieurs,  avec  une 
épouse  impie,  le  foyer  ne  voit  plus  ce  spectacle. 
L'épouse  hostile  à  l'Eglise  est  la  souveraine  ca- 
lamité du  mari  et  des  enfants. 

Amen  ! 


HUITIEME  CONFERENCE 

La  Mère 


Messieurs, 

L'Eglise  a  réhabilité  l'épouse.  Elle  a  réhabilité  la 
mère.  Tous,  qui  que  nous  soyons,  quand  nous 
remontons  le  fleuve  de  nos  souvenirs,  nous  ren- 
controns à  la  source  de  notre  vie,  penchée  sur 
notre  berceau,  épiant  nos  premiers  sourires  et  nos 
premiers  bégaiements,  façonnant  notre  enfance 
dans  ses  sueurs  et  dans  ses  larmes,  une  créature 
bénie,  une  femme  exquise,  une  mère,  auprès  de 
laquelle  languissaient  notre  reconnaissance  et  notre 
amour.  Et  nous  nous  écrions  avec  saint  Augustin 
converti  :  «  C'est  à  ma  mère  que  je  dois  d'être  ce  que 
je  suis!  »  L'honneur,  la  richesse  et  la  joie  des  foyers 
domestiques,  c'est  la  mère  chrétienne,  la  mère 
selon  le  cœur  de  Dieu.  Il  ne  saurait  vous  déplaire, 
Messieurs,  d'entendre  chanter  les  gloires  de  la 
mère  de  famille  et  de  voir  de  près  :  1°  ce  que  la 
mère  de  famille  doit  à  l'Église  ;  2°  ce  que  l'Église 
doit  à  la  mère  de  famille. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  461 

I.  Ce  que  la,  mère  de  famille  doit  à  l'Église. 

Elle  lui  doit  un  trône  et  une  auréole  :  un  trône 
qui  la  relève  et  une  auréole  qui  la  transfigure. 
La  femme   païenne  était  une  esclave  ;  la  femme 

r 

chrétienne  est  une  reine.  L'Eglise  a  ouvert  sous 
les  yeux  du  monde  régénéré  la  Bible,  depuis  la 
Genèse  jusqu'aux  Épîtres  de  saint  Paul,  et  elle  a 
fait  lire  aux  enfants  les  textes  qui  leur  recom- 
mandent le  respect  de  leur  mère.  La  Genèse  en 
effet  ne  met  pas  de  différence  entre  le  respect  dû 
au  père  et  le  respect  dû  à  la  mère;  à  ce  double 
respect,  elle  promet  la  même  récompense;  aux 
enfants  qui  seraient  assez  dénaturés  pour  frapper 
ou  maudire  les  auteurs  de  leurs  jours,  elle  décerne 
le  même  châtiment,  c'est-à-dire  la  peine  de  mort. 
Le  livre  des  Proverbes  dit  :  «  Quand  ta  mère  aura 
vieilli,  quand  le  sceptre  du  commandement  sera 
devenu  plus  faible  en  ses  mains,  que  ce  ne  soit 
pas  pour  toi  une  raison  de  la  mépriser,  mais  un 
double  motif  de  respect  ;  Ne  contemnas  cum  senue- 
rit  mater  tua.  »  Et  l'Ecriture  ajoute  encore  :  «  N'ou- 
blie pas  les  larmes  de  ta  mère,  Gemitus  matris  tuse 
ne  obliviscaris.  L'œil  qui  aura  regardé  sa  mère 
avec  mépris,  qu'il  soit  privé  de  lumière,  qu'il  soit 
arraché  par  les  corbeaux  du  torrent,  et  que  les 
oiseaux  de  proie  le  dévorent.  »  Et  ailleurs  :  «  Ma- 
ledictio  matins  eradicat  fundamenta  ;  La  malédiction 


462  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

d'une  mère  est  la  perdition  des  enfants.  »  L'Eglise 
commente,  appuie  et  développe  tous  ces  enseigne- 
ments si  précis  et  si  beaux,  et  elle  ne  cesse  de  re- 
vendiquer pour  la  mère  de  famille  la  place  réservée 
et  le  siège  d'honneur  qui  lui  revient  au  foyer 
domestique. 

Elle  met  sous  ses  pieds  un  trône  qui  la  relève  et 
sur  sa  tête  une  auréole  qui  la  transfigure.  Comment 
cela?  Vous  allez  voir.  A  qui  devons-nous  le  Christ, 
notre  Sauveur,  notre  Seigneur  et  notre  Dieu?  à 
qui  ?  à  une  mère,  et  à  la  plus  pure,  à  la  plus 
sainte,  à  la  plus  tendre  des  mères.  Nous  le  devons 
au  Fiat  delà  Vierge  Marie.  Quelle  merveille  !  Quand 
le  Seigneur  voulut  venir  ici-bas,  il  se  créa  une  mère, 
et,  pour  se  la  créer,  il  recueillit  dans  la  nature  tout 
ce  qu'elle  possédait  de  sourire  et  de  grâce  ;  il  re- 
cueillit dans  les  anges  tout  ce  qu'ils  avaient  de 
pureté  et  d'amour;  et,  pour  conférer  à  cette  créature 
exquise  ce  je  ne  sais  quoi  d'achevé  que  la  douleur 
donne  toujours  aux  plus  sublimes  figures,  il  mit 
des  larmes  dans  ses  yeux,  et,  nous  la  montrant  au 
pied  d'une  croix,  il  dit  :  Ecce  mater;  Voici  la  femme, 
voici  la  mère  par  excellence  î  A  partir  de  ce  jour-là, 
Messieurs,  la  mère  de  famille  a  été  transfigurée  et 
comme  déifiée.  Le  culte  de  Marie  s'étendit  peu  à 
peu  à  tout  son  sexe.  Habitué  à  se  mettre  à  genoux 
devant  l'image  et  l'autel  de  la  mère  de  Dieu, 
l'homme  ne  fut  plus  étonné  de  voir  une  auréole 
au  front  de  sa  mère,  et  il  n'eut  plus  de  répugnance 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  46$ 

à  la  vénérer  comme  une  créature  supérieure.  Nous 
sommes  au  moyen  âge.  C'est  l'époque  où  le  culte 
de  Marie  est  à  son  apogée  ;  c'est  aussi  l'époque  où 
le  culte  maternel  fleurit  au  plus  haut  point;  c'est 
l'époque  où  saint  Louis  associe  dans  son  cœur  et 
sur  ses  lèvres  les  trois  noms  de  «  Dieu,  la  France  et 
Marguerite  ».  C'est  l'époque  où  plusieurs  fonda- 
teurs d'Ordres  se  soumettent,  eux  et  leurs  reli- 
gieux, à  l'autorité  d'une  abbesse,  en  l'honneur  de 
Marie.  C'est  l'époque  où  le  bienheureux  Henri  de 
Suzo,  rencontrant  une  femme,  dans  la  rue  la  plus 
malpropre  de  la  ville,  se  met  aussitôt  dans  la  boue 
pour  la  laisser  passer  sur  le  seul  endroit  sec  qu'il 
y  avait.  «  Mon  Père,  que  faites-vous?  lui  dit 
l'humble  passante,  vous  êtes  prêtre  et  religieux; 
pourquoi  me  céder  le  pas  à  moi  qui  ne  suis  qu'une 
pauvre  femme?  —  Ma  sœur,  répondit  le  frère  Henri, 
j'ai  l'habitude  d'honorer  et  de  vénérer  toutes  les 
femmes,  parce  qu'elles  rappellent  à  mon  cœur  la 
puissante  Reine  du  ciel,  la  Mère  de  mon  Dieu, 
envers  qui  j'ai  tant  d'obligations!  » 
Les  femmes   et  les  mères  chrétiennes    doivent 

r  r 

beaucoup  à  l'Eglise.  Grâce  à  l'Eglise,  elles  occupent 
dans  le  monde  une  place  respectée  et  importante. 
Elles  régnent  par  l'ascendant  de  l'exemple,  par  la 
douceur  des  insinuations,  par  l'apostolat  du  sacri- 
fice et  des  bienfaits.  Qu'il  s'agisse  de  l'univers, 
d'un  empire  ou  d'une  âme,  leur  influence  est  réelle, 
puissante,  incontestable.  Elles  ont  beaucoup  reçu 


464  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

de  la  sainte  Eglise  ;  et  elles  lui  ont  aussi  beaucoup 
donné. 


II.  Ce  que  l'Église  doit  à  la  mère  de  famille. 

Parcourons  brièvement  Y  histoire  de  dix-neuf 
siècles.  Elle  est  toute  remplie  des  influences  mater- 
nelles. 

A  qui  l'Eglise  est-elle  redevable  de  son  plus 
grand  génie  et  de  son  plus  grand  docteur,  du  grand 
évêque  d'Hippone,  l'immortel  auteur  de  la  Cité  de 
Dieu,  le  docteur  de  la  grâce,  le  fléau  des  hérésies 
et  l'oracle  des  conciles?  A  qui  l'Église  est-elle  re- 
devable de  ce  grand  homme  et  de  ce  grand  saint, 
dont  il  suffit  de  dire,  pour  faire  son  éloge,  qu'il 
surpassa  saint  Ambroise,  son  maître,  et  qu'il  fut 
maître  à  son  tour  de  saint  Thomas  et  de  Bossuet? 
C'est  à  une  mère  chrétienne,  c'est  à  sainte  Monique, 
que  l'Eglise  est  redevable  de  saint  Augustin. 

A  qui  la  France  doit-elle  le  plus  grand  et  le 
plus  saint  de  ses  rois,  le  glorieux  vainqueur  de 
Taillebourg  et  de  Damiette,  et  le  vaincu  plus 
glorieux  encore  de  la  Massoure,  qui  jusque  dans  les 
fers  dominait  ses  vainqueurs?  A  qui  la  France 
doit-elle  ce  Louis  IX  qu'on  ne  sait  où  le  plus 
admirer,  ou  bien  à  l'hospice  des  Quinze-Vingts 
lavant  lui-même  les  pieds  des  aveugles  et  des 
infirmes,  ou   bien  à  la  Sainte-Chapelle,  nouveau 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  465 

Godefroi  de  Bouillon,  déposant  sa  couronne  d'or 
devant  la  couronne  d'épines  du  souverain  Roi  du 
Ciel,  ou  bien  sous  le  chêne  de  Vincennes,  assis  sur 
un  humble  tertre  et  entouré  de  pauvres,  de  veuves 
€t  d'orphelins  pour  leur  rendre  la  justice?  A  qui  la 
France  doit-elle  le  plus  grand  et  le  plus  saint  de 
ses  rois  ?  C'est  à  une  mère  chrétienne,  c'est  à 
Blanche  de  Castille,  que  nous  devons  saint  Louis. 

Allez  où  vous  voudrez,  en  Angleterre  et  en 
France,  dans  les  terres  du  Nouveau  Monde  comme 
dans  les  terres  de  l'Ancien  Continent,  partout  où 
vous  trouverez  une  œuvre  grande  et  sublime 
comme  le  christianisme,  ne  demandez  pas  qui  a 
planté  et  qui  a  fait  germer  cette  nation  chrétienne  : 
vous  trouverez  toujours  qu'elle  a  pris  naissance 
dans  le  cœur  d'une  mère.  C'est  à  la  reine  Berthe 
que  l'Angleterre  doit  d'être  devenue  l'île  des  saints, 
et  c'est  à  sainte  Clotilde  que  nous  devons  d'être 
aujourd'hui  des  chrétiens  en  même  temps  que  des 
Français. 

Il  est  raconté  que  le  philosophe  païen  Libanius, 
en  voyant  la  jeune  mère  de  saint  Jean  Chrysos- 
tome  restée  veuve  à  vingt  ans  et  si  dévouée  à  son 
fils,  s'écriait  :  «  0  Dieu,  quelles  femmes,  quelles 
mères  parmi  ces  chrétiens  !  »  Oui,  l'histoire  est 
toute  pleine  et  toute  resplendissante  de  la  beauté 
grave  et  douce  des  mères  chrétiennes.  Et  cette 
exquise  beauté  morale  n'est  point  éteinte  ni  à 
jamais  ensevelie  dans  l'histoire.  Pour  la  retrouver, 

LES   BIENFAITS   DE    L'ÉGLISE.    —  1-30 


466  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

pas  n'est  besoin  de  remonter  jusqu'au  xme  ou 
au  xive  siècle  de  noire  ère.  De  ces  mères  que  la 
religion  du  Christ  idéalise  et  transfigure  et  qui  à 
leur  tour  sont  les  servantes  et  les  apôtres  de  la  re- 
ligion du  Christ,  il  y  en  a  parmi  nous,  dans  l'ombre, 
une  foule  inconnue,  immense...  et  c'est  là  ce  qui 
nous  sauve! 

Il  y  en  a  dans  l'opulence  et  il  y  en  a  sous  le 
chaume,  et  comment  raconter  tout  ce  que  le  foyer 
domestique  leur  doit  d'innocence,  de  préservation, 
de  vertu  conservée  ou  reconquise?  Les  influences 
maternelles  ravissent  le  ciel,  embaument  la  terre, 
sanctifient  nos  demeures  humaines. 

A  qui  l'homme  naissant  serait-il  confié  ?  Quelle 
est  la  main  assez  délicate,  assez  ingénieuse,  assez 
tendre  pour  assouplir  cette  bête  fauve  qui  vient 
de  naître  entre  le  bien  et  le  mal,  qui  pourra  être 
un  scélérat  ou  un  saint?  Ne  cherchons  pas  si  loin. 
C'est  la  mère  qui  reçoit  l'enfant,  qui  le  façonne, 
qui  le  moralise,  qui  le  christianise.  Quel  est  le 
premier  regard  que  rencontre  cet  enfant?  Le  re- 
gard pur  et  pieux  d'une  chrétienne.  Quelle  est  la 
première  parole  qu'il  entend?  La  parole  ardente 
de  sa  mère.  Comment  l'Evangile  arrive-t-il  à  son 
âme?  Parle  canal  de  l'amour  maternel.  Le  prêtre 
ne  viendra  que  plus  tard.  La  mère  précède  le 
prêtre. 

L'enfance  disparaît  bien  vite,  et  la  jeunesse 
s'annonce  avec  ses  instincts  de  liberté.  Toute  auto- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  467 

rite  pèse  au  jeune  homme  comme  un  joug.  Une 
seule  autorité  demeure,  sinon  intacte,  du  moins 
respectée.  «  Nous  entendons  encore  la  vérité,  dit 
Lacordaire,  de  la  bouche  d'une  mère  aimée  de 
Dieu  ;  son  regard  n'a  pas  perdu  toute  autorité  ;  son 
reproche  n'est  pas  sans  aiguillon  pour  causer  le 
remords,  et,  quand  elle  est  tout  à  fait  désarmée, 
ses  larmes  lui  restent  comme  un  dernier  comman- 
dement auquel  nous  ne  résistons  pas.  Elle  se  fraye 
à  notre  insu  des  passages  qui  conduisent  aux  en- 
droits les  plus  secrets  de  notre  cœur,  et  nous 
sommes  étonnés  de  l'y  trouver  au  moment  où 
nous  nous  croyons  seuls.  »  Telle  est,  Messieurs,  la 
puissance  singulière  d'une  mère  chrétienne.  Jusque 
dans  les  bagnes,  les  hommes  perdus  de  crimes  et 
d'honneur,  les  hommes  les  plus  durs,  aux  instincts 
les  plus  farouches,  retrouvent  un  battement  dans 
leur  cœur  et  une  larme  dans  leurs  yeux  au  souve- 
nir de  leur  mère.  Ce  souvenir  survit  à  tout;  c'est 
la  dernière  ruine  du  cœur. 

Oh!  l'amour  d'une  mère!  amour  que  nul  n'oublie  1 
Pain  merveilleux  qu'un  Dieu  partage  et  multiplie! 
Table  toujours  servie  au  paternel  foyer! 
Chacun  en  a  sa  part,  et  tous  l'ont  tout  entier! 

Telle  est  l'influence  de  la  mère  formée  à  l'école 
de  la  religion.  Ayant  beaucoup  reçu  de  la  sainte 
Eglise  catholique,  elle  lui  rend  beaucoup,  Elle  met 
le  christianisme  à  son  foyer.  Ce  n'est  pas  assez  dire  ! 


468  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Elle  met  le  christianisme  dans  la  société  tout  en- 
tière. C'est  à  elle,  à  la  mère  chrétienne,  semée 
comme  le  sel  sur  la  surface  du  monde,  que  l'Eu- 
rope doit  ses  enfants  plus  nobles,  plus  beaux,  plus 
purs,  plus  délicats,  plus  fiers,  plus  grands  que  ne 
les  vit  jamais  l'antiquité.  C'est  à  elle,  à  la  mère 
chrétienne,  que  l'Eglise  catholique  doit  pour  une 
large  part  son  expansion  et  sa  popularité  ! 

Amen! 


NEUVIÈME   CONFÉRENCE 

L'enfant  dans  le  paganisme  et  dans  l'Évangile 


Messieurs, 

L'Eglise  est  la  grande  bienfaitrice  de  l'humanité 
dans  l'ordre  domestique.  Elle  a  réhabilité  l'union 
conjugale,  le  chef  de  la  famille,  la  femme.  Elle  a 
réhabilité  l'enfant.  Pour  aujourd'hui,  nous  allons 
considérer  l'enfant  dans  le  paganisme  et  dans 
l'Évangile.  C'est  une  étude  préliminaire  indispen- 
sable. 


I.  L'enfant  dans  le  paganisme* 

Il  y  a  quelques  semaines,  me  trouvant  auprès 
d'un  homme  intelligent  et  instruit,  je  l'entendais 
me  soutenir  cette  thèse  étrange  que  la  religion 
chrétienne  n'était  que  la  suite  naturelle,  la  conclu- 
sion légitime  et  l'évolution  définitive  du  paga- 
nisme. Cet  homme  parlait  sérieusement.  Et,  pour- 
tant, la  vérité  m'oblige  à  dire  qu'il  énonçait  en 


470  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

beau  langage  une  futile  plaisanterie.  Entre  le  pa- 
ganisme et  le  christianisme,  il  y  a  un  abîme,  il  y 
a  la  distance  de  la  nuit  au  jour,  de  la  boue  au  rayon 
de  soleil.  Car  non  seulement  le  paganisme  n'a  pas 
produit  le  christianisme,  mais  le  paganisme  a  fait 
tout  ce  qu'il  a  pu  pour  tuer  le  christianisme  :  té- 
moins les  millions  de  martyrs  qui  sont  tombés 
sous  la  faulx  sanglante  et  impitoyable  de  la  persé- 
cution païenne,  D'ailleurs,  si  vous  entendez  quel- 
quefois émettre  devant  vous  cette  affirmation  ba- 
roque qui  fait  du  christianisme  la  continuation 
normale  et  l'épanouissement  logique  du  paganisme, 
servez-vous  du  moyen  facile  de  réfutation  que  je 
vais  vous  offrir  et  qui  consiste  simplement  à  racon- 
ter l'état  de  l'enfance  dans  l'antiquité.  Pendant 
quarante  siècles,  les  enfants  ont  été  l'objet  du  mé- 
pris des  sages  et  de  l'insouciance  des  législateurs, 
les  victimes  des  mœurs  les  plus  viles  et  des  plus 
impitoyables  lois.  C'a  été  de  toutes  parts  un  hor- 
rible empressement  pour  les  vendre,  les  exposer, 
les  prostituer,  les  tuer. 

Les  Perses  se  servaient  de  leurs  enfants  comme 
esclaves.  Vous  n'ignorez  pas  ce  que  les  Egyptiens 
firent  aux  enfants  mâles  des  Hébreux,  comment  ils 
les  noyaient  dans  les  eaux  du  Nil.  Et  en  Phénicie  ? 
On  plaçait  un  certain  nombre  d'enfants  dans  une 
statue  de  fonte  du  dieu  Moloch  ;  on  amoncelait  des 
fagots  de  bois'autour  de  cette  statue  et  on  y  mettait 
le  feu.  Les  Perses,  les  Égyptiens  et  les  Phéniciens, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  471 

dites-vous,  n'étaient  pas  civilisés.  Hélas  !  les  Grecs 
et  les  Romains  ne  valaient  pas  mieux. 

Ecoutez  les  apologistes  chrétiens.  Ils  nous  disent 
ce  qu'ils  ont  vu  de  leurs  yeux  et  touché  de  leurs 
mains.  Tertullien,  s'adressant  aux  premiers  magis- 
trats de  l'Empire,  leur  disait  :  «  Parmi  tous  ces 
hommes  qui  m'entourent  et  qui  ont  soif  du  sang 
des  chrétiens,  parmi  ces  juges  si  rigoureux  envers 
nous,  y  en  a-t-ii  qui  n'aient  pas  donné  la  mort  à 
leurs  enfants,  qui  ne  les  aient  pas  noyés,  fait  périr 
de  faim,  de  froid,  de  misère,  jetés  en  pâture  aux 
chiens  et  aux  vautours?  »  Et  sous  cette  parole  ac- 
cusatrice, sous  ce  fer  chaud  qui  leur  brûlait  le  vi- 
sage, que  faisaient  les  païens?  Ils  protestaient  sans 
doute,  ils  criaient  au  mensonge,  à  l'exagération? 
Non.  Ils  se  taisaient.  —  «  Faire  mourir  vos  enfants, 
disait  Lactance  après  Tertullien,  c'est  votre  crime  le 
plus  fréquent,  mais  c'est  aussi  de  tous  le  plus  impie  ; 
car,  enfin,  si  Dieu  leur  a  donné  une  âme,  c'est  pour 
vivre,  ce  n'est  pas  pour  mourir.  »  —  Saint  Justin, 
parlant  de  ces  malheureux  petits  enfants  et  de 
l'affreuse  prostitution  pour  laquelle  on  les  réservait, 
nous  apprend  «  qu'on  les  nourrissait  par  troupeaux 
comme  des  boucs,  des  chèvres,  des  brebis,  dans 
des  étables  humaines.  »  Et  le  célèbre  avocat  ro- 
main, Minutius  Félix,  flétrit  «  ceux  qui  exposent 
leurs  enfants  aux  bêtes  féroces  ou  aux  oiseaux  de 
proie,  ou  qui  ont  eux-mêmes  la  barbarie  de  les 
étouffer  et  de  les  écraser.  »  Or,  les  païens,  accusés 


472  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

publiquement  de  pareilles  horreurs,  n'ont  pas  con- 
testé la  réalité  des  faits  incriminés,  et,  de  plus,  ces 
faits  incriminés  se  trouvent  consignés  dans  la  lé- 
gislation et  les  philosophes  de  l'antiquité. 

Les  législateurs  les  plus  vantés  et  les  plus  sages 
de  Sparte,  d'Athènes,  de  Rome,  se  rencontrent 
ici  dans  les  mêmes  atrocités.  A  Sparte,  lorsqu'un 
enfant  vient  de  naître,  on  délibère  d'abord  de  sa 
vie  ou  de  sa  mort  ;  s'il  est  d'une  complexion  vigou- 
reuse, il  vivra  ;  s'il  est  faible  ou  difforme,  on  le 
jettera  dans  le  gouffre  du  mont  Taygète.  Et  Plu- 
tarque,  qui  nous  raconte  ceci,  ne  s'en  émeut  pas. 
Il  ajoute  seulement  que,  «  quant  à  ces  enfants  qui 
n'ont  ni  santé  ni  force,  il  n'est  bon  ni  pour  eux,  ni 
pour  l'Etat  qu'on  les  laisse  vivre  ».  —  Dans  l'élé- 
gante Athènes,  les  lois  de  Solon  autorisent  formel- 
lement le  meurtre  des  enfants.  Le  nouveau-né  est 
jeté  du  sein  de  sa  mère  aux  pieds  de  son  père.  Si 
le  père  le  relève  dans  ses  bras,  il  sera  préservé  de 
la  mort;  si  le  père  détourne  les  yeux,  on  l'ex- 
pose ou  on  le  tue.  —  A  Rome,  le  meurtre  était 
quelquefois  différé  jusqu'à  l'âge  de  trois  ans.  Mais, 
les  trois  ans  accomplis,  le  père  tuait  l'enfant  en  in- 
voquant les  dieux  du  foyer.  Les  lois  des  Douze 
Tables  disent  formellement  :  «  Si  l'enfant  est  contre- 
fait, que  le  père  sans  délai,  sans  formalités,  lui- 
même,  de  sa  main,  tue  l'enfant,  —  puerum,  pater, 
cito  necato,  —  et,  s'il  est  faible,  qu'il  l'expose.  »  Et 
ces  enfants  exposés,  que  devenaient-ils  ?  La  plupart 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  47$ 

du  temps,  ils  périssaient  de  froid  ou  de  faim.  Ceux 
qui  survivaient  étaient  exploités  par  quatre  espèces 
d'industriels  :  parles  pourvoyeurs  des  lieux  infâmes, 
par  les  lanistes  qui  les  élevaient  pour  les  jeux  san- 
glants du  cirque,  parles  magiciens  qui  se  servaient 
du  sang  de  ces  innocentes  créatures  pour  d'horribles 
breuvages,  et  enfin  par  les  mendiants  qui  les  es- 
tropiaient afin  de  spéculer  sur  la  pitié  des  pas- 
sants. Il  me  répugne,  Messieurs,  de  vous  dire  ces 
affreux  détails,  comme  à  vous  de  les  entendre.  Et 
cependant,  puisqu'après  dix-neuf  siècles  de  chris- 
tianisme vous  rencontrez  des  hommes  qui  vous 
font  l'apologie  du  paganisme,  il  faut  bien  que  vous 
puissiez  leur  répondre,  et  les  convaincre  d'impos- 
ture ou  d'illusion.  Il  faut  bien  que  vous  sachiez  que 
les  mœurs  infâmes  dont  je  viens  de  vous  dire  un 
mot  étaient  non  seulement  reconnues  et  autorisées 
par  les  lois, 

Mais  justifiées  et  préconisées  par  la  philosophie. 
«  On  punit  de  mort  les  scélérats,  dit  Sénèque,  du 
même  droit  qu'on  assomme  les  chiens  enragés, 
qu'on  tue  les  bœufs  farouches,  qu'on  étouffe  les 
monstres  et  qu'on  noie  ses  enfants  quand  ils  naissent 
faibles  et  mal  conformés.  C'est  du  bon  sens.  »  Voilà 
le  paganisme.  Les  scélérats,  les  chiens  enragés, 
les  bœufs  farouches,  les  monstres  et  les  pauvres 
enfants,  tout  cela  est  mis  sur  le  même  rang  et  con- 
damné au  même  sort.  Il  faut  les  tuer,  et  c'est  la 
raison,  c'est  le  droit,  le  même  droit  qui  les  tue.  Et 


474  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

ce  droit  infâme,  c'est  le  fond  de  l'ordre  moral  et 
social,  c'est  la  législation  qui  le  consacre,  c'est  la 
philosophie  qui  le  célèbre...  Après  cela,  s'il  y  a  des 
hommes  qui  trouvent  que  le  paganisme  était  beau, 
qu'il  était  une  fleur  dont  le  christianisme  n'est  que 
le  fruit,  convenez  avec  moi  que  ces  hommes  ne 
sont  pas  difficiles,  et  qu'ils  ont,  pour  raisonner,  un 
cerveau  étrangement  déformé.  0  mon  Dieu,  à  quels 
abîmes  de  démence  ne  va-t-on  pas,  quand  on  a  peur 
de  la  vérité  ?  Oui,  des  hommes  quelquefois  instruits 
et  intelligents  aimeront  mieux  dévorer  les  plus 
fortes  absurdités  plutôt  que  d'adhérer  à  la  religion 
chrétienne.  Ils  flairent  dans  le  christianisme  des 
mystères  qui  révoltent  leur  orgueil  et  une  morale 
qui  condamne  leurs  passions,  et,  sans  même  avoir 
le  courage  et  la  sincérité  d'examiner  le  christia- 
nisme, ils  lui  disent  :  «  Va-t-en  !  va-t-en  !  »  Pour- 
quoi donc?  Ils  devraient  ajouter  :  «  Parce  que  j'ai 
peur  de  toi  !  »  «  Les  absurdités  où  ils  tombent  en 
niant  leur  religion,  dit  Bossuet,  deviennent  plus 
insoutenables  que  les  vérités  dont  la  hauteur  les 
étonne  ;  et,  pour  ne  pas  vouloir  croire  des  mystères 
incompréhensibles,  ils  suivent  l'une  après  l'autre 
d'incompréhensibles  erreurs.  » 

Vous  savez  maintenant,  Messieurs,  ce  que  le  pa- 
ganisme pensait  et  faisait  des  enfants.  Aux  yeux  de 
ses  parents  et  des  sages,  l'enfant  n'était  qu'un  ins- 
trument dont  la  valeur  se  mesurait  aux  services 
qu'on  en  attendait,  et  rsn  so^t  était  décidé  en  vue 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  475 

du  seul  intérêt  de  la  famille  et  de  l'Etat.  Je  sais 
bien  qu'un  poète  païen,  Juvénal,  a  écrit  cette  belle 
parole  :  «  Maxima  puero  debetur  reverentia  ;  On  doit 
aux  enfants  les  plus  grands  égards.  »  Mais  ce  vers 
qui  fait  honneur  à  la  nature  humaine  ne  détruit 
pas  les  horreurs  que  je  vous  ai  racontées,  et  d'ail- 
leurs, quand  il  est  tombé  de  la  plume  de  Juvénal, 
le  christianisme  commençait  à  pénétrer  le  monde 
ancien  de  ses  maximes,  et  les  poètes  comme  les 
philosophes  trouvaient  bon  de  se  les  approprier.  Il 
reste  prouvé  que  le  paganisme  livré  à  lui-même  a  été 
abominable  à  l'égard  des  enfants.  Tout  va  changer. 
Voici  Jésus-Christ  qui  va  réhabiliter  l'enfant. 


IL  L'enfant  dans  l'Evangile. 

1°  Jésus-Christ  réhabili  te  l'enfant  d«7?ss«  personne. 
Le  voyez-vous,  notre  divin  Christ,  dans  un  coin  de  la 
Judée,  à  Bethléem,  sur  la  paille  d'une  étable,  entre 
sa  mère  Marie  et  son  père  nourricier  Joseph?  Le 
voyez-vous  ?  Il  aurait  pu  entrer  dans  le  monde  par 
l'arc  de  triomphe  des  grandeurs  humaines  ;  il  y 
entre  par  la  porte  basse  de  l'humilité.  Pourquoi? 
Que  fait-il  là  ?  Lui  qui  est  Dieu,  pourquoi  est-il 
ainsi  rapetissé  ?  Ah  !  comprenez  et  adorez  ce  mys- 
tère. Le  Christ  dans  sa  naissance  réhabilite  l'en- 
fance. Il  couvre  l'enfant  de  sa  divinité  comme  d'un 
manteau  de  gloire.  Il  imprime  au  front  de  l'enfant 


476  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'onction  même  de  Dieu  et,  couché  sur  la  paille,  sur 
ce  trône  nouveau  où  viennent  pourtant  le  recon- 
naître les  rois,  il  crie  à  l'humanité  :  «  0  hommes, 
regardez-moi  bien  ;  je  ne  suis  qu'un  enfant,  mais 
je  suis  Dieu  ;  apprenez  à  respecter  en  moi  l'enfance 
réhabilitée  et  divinisée  !  »  Du  jour  où  cette  pa- 
role de  transfiguration  et  d'apothéose  s'est  envolée 
de  l'étable  de  Bethléem  à  travers  le  monde,  l'en- 
fant a  été  aimé,  l'enfant  a  été  respecté,  l'enfant  a 
été  sauvé  ;  et  de  nouvelles  destinées  ont  com- 
mencé pour  lui.  Qu'importe  que  l'enfant  soit 
pauvre?  Le  Christ  est  né  pauvre.  Qu'importe  que 
l'enfant  soit  faible  ?  Le  Christ  est  né  faible.  Le 
Christ  a  réhabilité  l'enfant  dans  sa  personne. 

2°  Il  l'a  réhabilité  par  sa  parole.  Vous  avez  en- 
tendu les  philosophes  et  les  législateurs  de  l'anti- 
quité.  Ecoutez  maintenant  Jésus-Christ,  et  cons- 
tatez que  de  Lui  au  paganisme  il  y  a  la  distance 
du  jour  à  la  nuit.  Un  jour,  ses  disciples  lui  deman- 
dent :  «  Qui  donc  est  le  plus  grand  dans  le  royaume 
des  ci  eux?  »  Et  Jésus,  prenant  un  petit  enfant,  le 
plaçant  au  milieu  de  ses  disciples,  leur  dit  :  «  En 
vérité,  si  vous  ne  devenez  comme  de  petits  enfants, 
vous  n'entrerez  pas  dans  le  royaume  des  cieux. 
Quiconque  se  fait  petit  comme  cet  enfant  est  le 
plus  grand  dans  le  royaume  du  ciel;  et  celui  qui 
reçoit  un  de  ces  enfants  en  mon  nom  me  reçoit.  Et 
pour  quiconque  scandalise  un  de  ces  petits  il  vaudrait 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  477 

mieux  qu'on  lui  liât  une  meule  au  cou  et  qu'on  le 
jetât  dans  la  mer.  »  Quel  langage  nouveau,  étrange, 
sublime  !  0  païens,  ces  enfants,  vous  les  tuez,  vous 
les  exposez,  vous  les  prostituez...  et  Jésus-Christ  se 
tournant  vers  vous  s'écrie  :  «  Insensés,  vous  n'y  en- 
tendez rien  !  Ces  enfants,  il  faut  leur  ressembler,  il 
faut  les  respecter  !  «  Laissez-les  venir  à  moi  ;  Sinite 
aparvulos  ventre  ad  me!  »  Ne  repoussez  plus  dans 
la  mort  ces  êtres  charmants,  ces  âmes  immortelles 
que  j'ai  faites  à  mon  image  et  à  ma  ressemblance! 
Je  suis  leur  Père  et  leur  Dieu  !  Je  vous  défends  de 
les  toucher.  Si  vous  les  blessez,  c'est  moi-même  que 
vous  blessez.  Si  vous  les  scandalisez,  vous  êtes  des 
misérables,  et  moi  qui  suis  la  bonté  infinie  et  l'infi- 
nie douceur  je  déclare  que  vous  méritez  d'être  noyés 
dans  la  profondeur  des  océans!  »  Voilà,  Messieurs, 
les  paroles  du  Christ,  et  c'est  par  ces  paroles  tendres, 
puissantes,  sublimes  que  le  sens  humain  a  été  re- 
fait, assaini,  illuminé,  que  les  entrailles  et  le  cœur 
de  l'homme  ont  été  régénérés,  que  le  paganisme  a- 
été  vaincu,  et  qu'on  a  vu  un  jour  meilleur  se  lever 
sur  l'humanité  et  sur  la  tête  des  enfants. 

3°  Le  Christ  a  réhabilité  l'enfant  dans  sa  personne, 
par  sa  parole,  et  encore  par  ses  actes.  Ce  qui  est 
beau,  ce  qui  est  ravissant  dans  l'Evangile,  c'est  de 
voir  comment  notre  divin  et  aimable  Sauveur  ne 
fait  pas  un  pas  sur  la  terre  sans  être  entouré  des 
enfants  et  de  leurs  mères.  Le  voilà  dans  un  coin  de 


478  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

la  Judée.  Qu'il  est  beau  quand  il  commande  à  la 
tempête,  quand  il  multiplie  les  pains  au  désert, 
quand  il  guérit  les  malades,  quand  il  ressuscite  les 
morts!  Qu'il  est  beau  quand  il  pardonne  aux  pé- 
cheurs, quand  il  foudroie  les  orgueilleux  et  les 
hypocrites,  quand  il  laisse  tomber  les  oracles  de 
ses  lèvres  et  les  miracles  de  ses  mains  !  Mais  com- 
bien il  m'apparaît  plus  beau  quand  je  vois  les 
mères  lui  amener  leurs  petits  enfants  et  le  supplier 
de  vouloir  bien  les  toucher,  les  bénir, leur  imposer 
les  mains  et  prier  pour  eux  !  Il  se  laisse  environner 
par  tous  ces  petits  enfants  ;  s'approchant  d'eux,  Lui- 
même  il  les  regarde  avec  un  ineffable  amour,  «  il 
leur  fait  de  douces  caresses,  il  met  sa  main  sur  ces 
têtes  innocentes,  il  prie  pour  eux  :  et  complexam 
eos,  orabat  super  illos.  »  Et,  attirés  soit  par  le  doux 
regard  de  ses  yeux,  soit  par  le  sourire  de  ses  lèvres, 
soit  par  les  affectueuses  paroles  qui  sortent  de  sa 
bouche  et  de  son  cœur,  les  enfants  viennent  à  lui 
dans  les  villes,  les  bourgades  et  les  sentiers  de  la 
Judée.  Ils  le  suivent  partout.  Ils  percent  la  foule 
pour  le  voir  et  l'entendre  de  plus  près.  Les  dis- 
ciples en  sont  ennuyés.  Ils  s'en  irritent.  Ils  accueil- 
lent durement  ces  petits  enfants  et  leurs  mères, 
et  vont  jusqu'à  les  chasser  avec  menace  ;  incre- 
pabant,  comminabantur.  Et  Jésus-Christ,  toujours 
si  bon  et  si  indulgent,  semble  oublier  ici  sa  dou- 
ceur et  s'indigne  contre  ses  disciples  :  indigne  tulit. 
Sinite  parvulos  ventre...  Nous  sommes  loin,  bien 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  479" 

loin  des  horreurs  philosophiques  et  légales  du  pa- 
ganisme à  l'égard  de  l'enfance.  Le  Christ  se  levant 
au  milieu  des  siècles  et  prononçant  sur  les  enfants 
qu'il  bénit  cette  grande  parole  :  «  Laissez  venir  à  moi 
les  petits  enfants  !  »  c'est  un  monde  qui  finit  et  c'est 
un  monde  qui  commence. 

4°  Jésus-Christ  réhabilite  l'enfance  dans  sa  per- 
sonne, par  sa  parole  et  par  ses  actes  et,  enfin,  par 
ses  institutions.  Qu'a-t-il  institué  en  faveur  de 
l'enfance  ?  Il  a  institué  le  baptême,  le  baptême  qui 
régénère  l'enfant,  qui  le  purifie,  qui  en  fait  le  fils 
de  Dieu,  le  frère  de  Jésus-Christ,  le  temple  du 
Saint-Esprit.  Et  ce  sacrement  à  lui  tout  seul  bou- 
leverse les  idées  et  les  coutumes  de  l'ancien  monde. 
Tout  à  coup,  sous  les  reflets  du  baptême,  l'enfant 
devient  un  être  vénérable.  Qu'importe  qu'il  soit 
d'humble  naissance  ou  d'une  complexion  faible?  Ce 
cher  petit  membre  du  Christ  est  d'autant  plus 
honoré  et  aimé  qu'il  ressemble  mieux  à  Celui  dont 
les  souffrances  ont  racheté  le  genre  humain.  Son 
âme  est  pure  ;  son  âme  est  grande;  c'est  un  Dieu 
en  fleur  ;  Deum  in  flore.  Anges  du  ciel,  inclinez-vous  ! 
Parents,  soyez  dans  l'allégresse  !  Et  en  effet,  pères  et 
mères,  quand  vous  considérez  la  charmante  créa- 
ture que  le  baptême  a  transfigurée,  n'est-il  pas 
vrai  que  le  mystère  de  sa  vie  intime,  que  les  splen- 
deurs de  son  âme  régénérée  se  reflètent  en  son 
limpide  regard,  et  que  votre  foi  respectueuse,  non 


480  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

moins  que  l'instinct  de  votre  nature  s'écrie  :  Mon 
ange  ?  C'est  par  le  baptême  que  le  christianisme 
commence  ;  c'est  le  sceau  du  baptême  qui  sacre  le 
front  du  nouveau-né  ;  c'est  après  le  baptême  qu'il 
se  fait  autour  de  l'enfant  comme  un  cercle  d'hon- 
neurs, de  respects  et  de  saintes  émotions.  J'en 
appelle  à  l'histoire.  C'est  le  baptême  qui  a  sauvé 
et   réhabilité    l'enfance,  qui  l'a    rendue   sacrée  à 

w 

la  famille,  à  la  cité,  à  l'Etat.  Ah!  Platon,  vous  ne 
l'aviez  pas  deviné  cet  enfant  régénéré  par  le  Christ, 
quand,  descendant  des  hauteurs  de  votre  sublime 
génie,  vous  traitiez  l'espèce  humaine  comme  un 
troupeau  de  brutes,  quand  vous  déclariez  qu'il  ne 
fallait  nourrir  et  élever  que  les  enfants  nés  d'un 
couple  robuste  et  bien  fait,  seul  moyen,  disiez- vous, 
de  former  un  excellent  troupeau.  Vous  ne  soup- 
çonniez ni  l'origine  ni  la  grandeur  de  l'enfant, 
ô  Aristote,  quand  vous  établissiez  en  principe  qu'on 
ne  doit  nourrir  aucun  enfant  faible  ou  mal  con- 
formé, quand,  après  avoir  supputé  le  nombre  des 
naissances,  vous  indiquiez  un  moyen  infâme  de 
débarrasser  la  société  de  son  excédent  !  —  Si  vous 
doutiez  encore  de  la  réhabilitation  de  l'enfance  par 
Jésus-Christ,  Messieurs,  je  vous  dirais  de  regarder 
les  peuples  infidèles  à  l'heure  actuelle.  Allez  en 
Chine,  en  Arabie,  dans  l'Afrique  centrale,  et  jusque 
parmi  les  tribus  de  l'Afrique  française  où  la  croix 
n'a  pas  encore  élevé  la  tête  au-dessus  de  nos  armes. 
Pourquoi  ces  cadavres  que  roulent  dans  leurs  eaux 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  481 

tous  les  fleuves  du  Céleste  Empire?  Pourquoi  ces 
jeunes  victimes  qui  meurent  par  milliers  du  Tell 
au  Sahara  et  au  Soudan?  Ah  !  c'est  qu'en  Asie 
comme  en  Afrique  le  père  manque  de  cœur  et  la 
mère  d'entrailles  ;  c'est  que  la  famille  n'y  a  point 
encore  été  restaurée  par  le  baptême  ;  c'est  que  par- 
tout où  l'eau  du  baptême  tarde  à  couler,  l'enfant 
n'est  pas  une  âme,  mais  un  peu  de  chair  et  de  sang, 
auquel  on  n'accorde  ni  justice  ni  pitié! 

Le  paganisme  avait  tout  déprimé.  L'Évangile  a 
tout  relevé.  Le  prolétaire,  le  pauvre  c'est  une  âme! 
La  femme  si  longtemps  méprisée,  c'est  une  âme! 
Le  difforme  et  le  disgracié,  c'est  une  âme  !  L'en- 
fant qui  vient  de  naître,  c'est  une  âme  !  L'enfant 
qui  n'est  pas  encore  né,  c'est  une  âme  déjà.  «  Gardez- 
vous  de  mépriser  un  seul  de  ces  petits  »,  dit  le 
Christ,  parce  que  c'est  une  âme  égale  par  son  ori- 
gine et  sa  nature  à  la  vôtre,  une  âme  immortelle 
créée  par  Dieu,  rachetée  du  sang  d'un  Dieu,  et 
appelée  à  posséder  Dieu  dans  les  splendeurs  de 
l'Eternité  1 

Amen! 


LES   BIENFAITS  DE   L'ÉGLISE..    —   1-31 


DIXIEME  CONFERENCE 

L'enfant   dans  le   catholicisme 


Messieurs, 

Nous  avons  vu  l'enfant  dans  le  paganisme  et 
l'enfant  dans  l'Evangile.  C'est  le  jour  succédant  à 
la  nuit.  Etudions  maintenant  l'enfant  dans  le  ca- 
tholicisme. Gardienne  de  la  doctrine  du  Christ  et 
chargée  de  continuer  son  œuvre,  l'Eglise,  depuis 
dix-neuf  siècles,  entoure  l'enfant  d'amour,  de  soins 
et  de  respect.  L'enfant  arrive  au  monde  avec  une 
triple  faiblesse  :  faiblesse  d'un  corps  qui  peut  à 
peine  se  soutenir  sur  des  pieds  chancelants,  fai- 
blesse de  l'esprit  dont  l'ignorance  absolue  n'a 
d'égale  que  sa  curiosité,  faiblesse  du  cœur  enclin  à 
tous  les  mauvais  penchants,  à  tous  les  désirs  dé- 
réglés. Cette  triple  faiblesse  appelle  un  triple  bien- 
fait :  bienfait  d'une  vie  à  conserver,  bienfait  d'une 
intelligence  à  développer,  bienfait  d'un  cœur  à 
former.  A  ce  triple  point  de  vue,  l'action  de  l'Eglise 
sur  l'enfance  est  admirable. 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  483 

I.  Il  y  a,  dans  l'enfant,  une  vie  matérielle  à  con- 
server. 

Que  ne  fait  pas  l'Eglise  à  ce  seul  point  de  vue? 

Dans  les  siècles  où  TÉtat  était  sans  entrailles  et 
où  la  famille  faisait,  par  un  partage  odieux,  la  part 
de  la  vie  et  celle  de  la  mort  parmi  les  enfants  nés 

r  r 

dans  son  sein,  l'Eglise  a  dit  à  l'Etat  :  Cet  enfant 
trop  difforme  pour  être  un  bon  soldat  sera  peut- 
être  assez  intelligent  pour  être  un  citoyen  utile. 
D'ailleurs  c'est  un  corps  façonné  de  la  main  de 
Dieu  et  animé  de  son  esprit,  c'est  un  chrétien,  je 
l'ai  baptisé,  je  le  consacre,  je  prends  sous  ma  pro- 
tection ses  jours  menacés  et,  au  besoin,  je  mendie- 
rai  pour  lui  le  pain  de  l'aumône  !  L'Eglise  a  dit  à 
la  famille  :  Tu  n'as  pas  droit  de  vie  et  de  mort  sur 
l'enfant.  Ce  sont  les  plus  disgraciés  qui  ont  le  plus 
besoin  de  sollicitude,  de  tendresse  et  d'amour. 
Garde  ce  corps  chétif,  couvre-le  de  baisers,  déve- 
loppe-le au  souffle  de  ce  nouvel  esprit  dont  le 
christianisme  a  rempli  la  société.  Sois  père  sans 
honte,  sois  mère  sans  embarras,  écoute  la  nature  ; 
et  laisse  croître  et  grandir  sous  le  regard  de  Dieu 
les  chers  petits  êtres  qu'il  lui  plaît  de  te  donner  ! 
Dès  les  premiers  siècles,  les  conciles  de  Nicée  et 
de  Constantinople  portent  la  peine  de  l'excommu- 
nication contre  ceux  qui  exposent  les  enfants,  leur 
ôtent  la  vie  ou  les  empêchent  de  naître. 


484  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Et,  joignant  l'exemple  au  précepte,  l'Eglise  s'est 
mise  à  la  recherche  des  enfants  abandonnés;  elle 
leur  a  ouvert  des  asiles,  des  retraites,  des  hôpi- 
taux. Nous  voyons  l'empereur  Constantin  édicter 
des  lois  qui  viennent  aider  l'Eglise  dans  son  action 
humanitaire  à  l'égard  de  l'enfance.  Sous  l'influence 
de  l'Église,  nous  voyons  des  filles  des  Césars,  de 
nobles  patriciennes  presser  sur  leur  cœur  les 
pauvres  enfants  que  leurs  ancêtres  auraient  foulés 
sous  leur  char.  Et,  à  toutes  les  pages  de  l'histoire, 
nous  voyons  l'Eglise  adopter  les  orphelins,  les  re- 
cueillir, les  nourrir,  les  entretenir,  les  doter  avec 
une  telle  munificence  que  le  patrimoine  du  pauvre 
a  un  jour  excité  les  convoitises  de  l'envie.  Un  jour 
des  voleurs  ont  mis  la  main  sur  les  biens  de 
l'Église...  Qu'est-il  arrivé?  Qu'avons-nous  vu  au 
commencement  du  xixe  siècle?  L'Eglise,  nue  et  dé- 
pouillée, a  su  quand  même  retrouver  une  dotation 
nouvelle  à  l'enfance  abandonnée,  et  on  ne  compte 
plus,  à  l'heure  qu'il  est,  les  orphelinats  ouverts  par 
elle  et  entretenus  par  son  argent.  Le  prêtre  ven- 
drait plutôt  les  vases  de  l'autel  que  de  laisser  sans 
pain  l'enfant  dont  il  est  le  tuteur  naturel.  Va,  sainte 
Église,  va!  Poursuis  ta  carrière  à  travers  les 
siècles,  mendie,  recueille,  bâtis,  adopte,  et  apprends 
au  monde  que,  si  tu  as  tant  fait  pour  le  corps, 
c'est  pour  gagner  l'âme  ;  apprends  au  monde  que 
cette  vie  matérielle  dont  tu  as  ranimé  la  flamme 
expirante   n'est    vraiment   chère   qu'à   ceux    qui 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  485 

veulent  ranimer  et  sauver  par  là  la  vie  mille  fois 
plus  précieuse  de  l'esprit  et  du  cœur.  Dans  le  paga- 
nisme la  vie  matérielle  de  l'enfant  était  un  jeu  ; 
dans  le  catholicisme,  elle  est  sacrée,  parce  qu'elle 
sert  d'enveloppe  à  une  intelligence  qu'il  faut  déve- 
lopper et  à  une  âme  qu'il  faut  former. 


II.  Il  y  a,  dans  l'enfant,  une  intelligence  à  déve- 
lopper. 

Que  n'a  pas  fait  l'Eglise  à  ce  second  point  de 
vue! 

Que  de  fois  vous  avez  lu  ou  entendu  dire  que 
jadis  l'instruction  était  réservée  à  quelques  privi- 
légiés de  la  fortune  ou  de  la  naissance...  que 
l'Eglise,  quand  elle  était  au  pouvoir,  au  sommet 
des  affaires,  a  négligé  l'instruction  populaire, 
comme  si  elle  avait  craint  pour  ses  dogmes  une 
lumière  trop  vive,  comme  si  elle  avait  eu  besoin 
d'envelopper  ses  mystères  d'une  couche  épaisse 
d'ignorance  et  de  ténèbres!  Cent  fois  déjà  j'ai 
réfuté  cette  assertion  menteuse.  De  nouveau,  je  la 
repousse,  je  la  flagelle,  je  la  déclare  contraire  à  tous 
les  documents  historiques  les  plus  incontestables. 

Guizot,  un  protestant,  nous  dit  qu'au  vie  siècle 
les  Bénédictins  fondent  dans  les  Gaules  de  nom- 
breux monastères,  et  que  chacun  de  ces  monas- 
tères comporte  une  école  pour  les  classes  populaires. 


486  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Au  vine  siècle,  Théodulphe,  évêque  d'Orléans, 
établit  des  écoles  gratuites  dans  tous  les  bourgs  et 
villages  de  son  diocèse. 

Pendant  tout  le  moyen  âge  les  contrats  d'appren- 
tissage et  de  tutelle  stipulent  que  le  pupille  ou 
l'apprenti  sera  mis  aux  écoles  et  instruit  suivant 
sa  condition,  et  cette  clause  est  signifiée  expressé- 
ment pour  de  simples  domestiques  et  valets  de 
ferme. 

Au  xvie  siècle,  le  protestantisme  pille  et  incendie 
les  écoles,  et  l'instruction  populaire  subit  une 
éclipse.  Mais  bientôt,  avec  le  Concile  de  Trente  et 
le  réveil  catholique  qui  en  fut  la  suite,  l'enseigne- 
ment du  peuple  reprend  un  nouvel  essor,  et  de 
nombreuses  congrégations  religieuses  viennent  au- 
devant  du  jeune  âge  et  lui  prodiguent  le  bienfait 
de  la  science. 

Si  bien  qu'au  xvme  siècle,  à  la  veille  de  la  Révo- 
lution, au  diocèse  de  Saint-Dié,  baillis,  syndics, 
notables  se  plaignent  que  les  écoles  enlèvent  trop 
de  bras  à  l'agriculture  et  aux  ateliers.  «  Nos  bourgs 
et  nos  hameaux,  disent-ils,  fourmillent  d'une  mul- 
titude d'écoles;  il  n'est  pas  de  hameau  qui  n'ait 
son  grammairien.  » 

Devant  de  tels  témoignages,  Messieurs,  est-il 
possible  d'entendre  et  de  laisser  dire  que  l'ensei- 
gnement primaire  est  une  invention  moderne,  qu'il 
a  été  créé  et  mis  au  monde  par  la  Libre  Pensée? 
Je  vous    demande,  au  nom   de    l'histoire   et   de 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  487 

l'équité,  de  protester  contre  cette  sotte,  vilaine  et 
perfide  assertion. 

Et,  si  l'Eglise  dans  le  passé  s'est  préoccupée 
grandement  de  l'instruction,  que  fait-elle  encore 
aujourd'hui?  Elle  ouvre  des  milliers  d'écoles,  et  il 
faudrait  une  fameuse  audace  pour  l'accuser  de  con- 

r 

juration  contre  la  lumière.  L'Eglise  a  sauvé  la  vie 
matérielle  de  l'enfant.  Elle  a  développé  sa  vie  in- 
tellectuelle. Est-ce  tout?  Non.  Dans  l'enfant  il  y  a 
plus  et  mieux  qu'un  corps  à  faire  vivre  et  une 
intelligence  à  instruire. 


III.  Il  y  a,  dans  l'enfant,  un  cœur  à  former. 

» 

Et  ici  encore,  ici  surtout,  l'action  de  l'Église  nous 
apparaît  puissante  et  admirable.  Rien  ni  personne 
ne  peut  la  remplacer.  Essayez.  Cette  divine  reli- 
gion chrétienne,  si  vous  la  chassez  des  berceaux,  si 
vous  la  mettez  à  la  porte  du  foyer  domestique,  et 
à  la  porte  de  l'école,  qui  ne  doit  être  que  le  pro- 
longement du  foyer  domestique,  si  vous  écartez  ses 
magiques  influences  de  la  tête  et  du  cœur  de  vos 
enfants...,  que  mettrez-vousàlaplace?  Car,  enfin,  je 
vous  admire  quand  vous  dites  :  «  Je  veux  que  mon 
enfant  soit  bien  élevé.  »  Mais  je  vous  prie  de  re- 
marquer que  qui  veut  la  fin  veut  les  moyens.  Or, 
en  dehors  de  l'élément  religieux,  quel  moyen  vous 
reste-t-il  pour  assurer  la  bonne  éducation  de  votre 


488  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

enfant?  La  science,  me  répondez- vous,  l'instruction. 
La  science...  voilà  l'idole  que  vous  mettez  à  la 
place  du  vrai  Dieu,  et  à  laquelle  vous  voulez  confier 
les  destinées  de  l'enfance.  De  grâce,  Messieurs,  ne 
me  faites  pas  dire  ce  que  je  ne  dis  pas.  Je  ne  dis 
pas  que  la  science  est  mauvaise.  Je  dis  qu'elle  est 
utile,  qu'elle  est  bonne,  et  qu'il  faut  la  donner  à 
l'enfant  dans  une  large  mesure.  Mais  j'ajoute  qu'elle 
n'est  pas  suffisante  pour  former  le  cœur  de  l'enfant. 
Elle  est  bonne,  mais  il  faut  autre  chose.  L'enfant 
n'est  pas  seulement  une  intelligence  et  une  mémoire 
à  meubler  et  à  bourrer  de  mots,  de  dates,  déchiffres, 
de  formules.  L'enfant  est  une  âme  qu'il  faut  éclairer 
sur  sa  destinée  et  sur  ses  devoirs,  un  cœur  qu'il 
faut  cultiver  et  passionner  pour  le  bien,  une  volonté 
qu'il  faut  assouplir  et  conduire  à  la  lutte,  une 
conscience  qu'il  faut  assainir  et  façonner.  La  science 
ne  fera  pas  cela.  Elle  ne  peut  pas  le  faire.  C'est  au- 
dessus  de  ses  forces  et  en  dehors  de  sa  compétence. 
Non,  ce  n'est  pas  avec  un  peu  d'histoire  et  de  géo- 
graphie, avec  un  peu  de  physique  et  de  chimie, 
avec  un  peu  de  grec  et  de  latin,  que  vous  établirez 
le  règne  de  la  vertu,  de  la  force  morale  dans  l'âme 
et  dans  la  vie  de  vos  enfants.  On  a  prétendu  que 
les  générations  nouvelles  pourraient  aisément  se 
dispenser  de  l'idée  et  de  la  sève  religieuse,  de  l'idée 
et  de  la  sève  évangélique;  on  vous  l'a  dit,  on  l'a 
chanté  à  vos  oreilles  sur  tous  les  tons...  Et  moi,  au 
nom  de  l'autorité  de  l'Eglise  et  de  l'évidence  des- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  489» 

faits,  je  vous  déclare  que  c'est  un  infâme  mensonge 
ou  une  grossière  illusion.  Croyez-en  Diderot,  un 
des  ennemis  les  plus  acharnés  du  christianisme. 
Un  jour,  l'académicien  Bauzée,  entrant  brusque- 
ment chez  lui,  le  trouve  expliquant  le  catéchisme 
à  sa  fille  ;  et,  comme  il  paraissait  stupéfait  :  «  Eh  ! 
mon  cher,  lui  dit  Diderot,  quels  meilleurs  fonde- 
ments puis-je  donner  à  l'éducation  de  ma  fille  pour 
la  rendre  fille  respectueuse,  digne  épouse  et  bonne 
mère?  Au  fond,  nous  sommes  bien  forcés  d'en  con- 
venir. Est-il  une  morale  qui  vaille  celle  de  la  reli- 
gion et  qui  porte  sur  de  plus  puissants  motifs?  » 
Hélas  !  combien  y  a-t-il  de  Diderot  dans  notre 
siècle,  qui  préconisent  l'impiété  devant  la  galerie, 
et  qui, rentrés  à  la  maison,  revendiquent  pour  leurs 
enfants  l'éducation  chrétienne  qu'ils  ont  chassée 
des  lois  et  qu'ils  ont  flétrie  de  la  parole  et  de  la 
plume  ! 

Messieurs,  pour  élever  l'enfant,  il  faut  agir  sur  sa 
conscience.  Or,  la  conscience,  qui  la  forme  ?  C'est 
la  religion.  Donc,  la  religion  est  nécessaire  à  l'édu- 
cation. Elle  ne  dispense  pas  de  recourir  aux  moyens 
humains,  tels  que  la  surveillance,  la  correction, 
l'attrait  des  récompenses,  l'appel  à  la  raison,  au 
sentiment, à  l'honneur,  à  l'intérêt;  mais  ces  moyens 
ne  sauraient  la  suppléer. 

La  surveillance?  Elle  n'atteint  ni  les  pensées,  ni 
les  désirs,  ni  toutes  les  démarches,  ni  toutes  les 
conversations. 


490  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

La  correction?  Avec  le  bâton  seul,  on  forme  des 
esclaves  et  des  abrutis,  et  non  des  hommes. 

Le  sentiment?  rien  ne  sèche  plus  vite  que  le 
sentiment  et  les  larmes. 

La  raison?  Hélas!  il  ne  suffit  pas  de  connaître  son 
devoir  pour  l'accomplir. 

L'honneur  ?  Quelques  intelligences  d'élite  vous 
comprendront  peut-être,  mais  la  masse  ne  vous 
suivra  pas. 

L'intérêt?  La  morale  qui  repose  sur  l'intérêt  n'est 
guère  solide. 

Cherchez  en  dehors  de  Dieu,  de  Jésus-Christ  et 
de  l'Église  un  système  d'éducation,  je  vous  défie  de 
le  trouver. 

Depuis  dix-neuf  siècles,  et  aujourd'hui  comme 
dans  le  passé,  l'Eglise  protège  la  vie  matérielle,  la 
vie  intellectuelle  et  la  vie  morale  de  l'enfant.  Bé- 
nissez-la et  aimez-la.  Faites-la  bénir  et  aimer 
.autour  de  vous! 

Amen! 


ONZIÈME  CONFÉRENCE 

L'enfant  dans  le  catholicisme 
(suiîi) 


Messieurs, 

Je  vous  ai  montré  l'enfant  avili  par  le  paganisme 
et  réhabilité  par  l'Evangile.  Je  vous  ai  montré  la 
réhabilitation  de  l'enfant  réalisée  dans  le  catholi- 
cisme. Restons  encore  un  peu  en  présence  de  ce 
capital  sujet.  L'enfant  c'est  l'homme  de  demain, 
c'est  la  France  de  l'avenir.  Dans  ses  mains  débiles, 
l'enfant  tient  les  destinées  de  la  famille,  de  la  so- 
ciété et  de  la  religion.  Fussiez-vous  arrivés  au  som- 
met des  choses,  comptés  parmi  ceux  qui  modifient 
le  sort  des  nations,  parmi  ceux  qu'on  appelle  le 
plus  justement  les  grands  hommes,  vous  ne  pour- 
riez pas  oublier  la  parole  de  Bossuet  :  «  Les  grands 
hommes  se  forment  sur  les  genoux  de  leurs  mères.  » 
L'enfant  est  un  homme  en  réduction  ;  l'homme  est 
tout  entier  dans  l'enfant,  et  l'âge  mûr  se  cou- 
ronne des  fruits  bons  ou  mauvais  que  la  jeunesse  a 
élaborés.  Par  conséquent,  si  vous  voulez  savoir  ce 


492  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

que  seront  les  hommes  de  demain,  voyez  ce  que 
sont  les  enfants  d'aujourd'hui;  si  vous  voulez  pré- 
parer à  la  patrie  et  à  l'Eglise  des  jours  heureux  et 
des  destinées  glorieuses,  infusez  dans  l'âme  et  dans 
le  sang  des  générations  nouvelles  une  sève  puis- 
sante de  christianisme.  Pour  vous  faire  accepter 
cette  conclusion  je  me  contenterai  de  faire  passer 
sous  vos  yeux  le  tableau  de  l'enfant  chrétien  et  de 
vous  dire  :  admirez,  prévoyez  et  comparez. 


I.  Admirez  l'enfant  chrétiennement  élevé. 

Qu'ils  sont  beaux  vos  enfants,  Messieurs,  quand 
la  religion  les  touche  de  son  sceptre  divin  et  les 
recouvre  d'un  reflet  surnaturel;  quand  ils  vous 
sont  rapportés  des  fonts  du  baptême  avec  la  grâce 
sanctifiante  qui  ne  demande  qu'à  se  développer,  à 
arriver  à  son  terme,  à  gagner  ses  cimes,  à  briller, 
à  resplendir  ;  quand,  arrivés  à  leur  douzième  an- 
née et  comprenant  déjà  le  prix  de  leur  âme,  la 
bonté  de  Dieu  et  les  grandes  vérités  chrétiennes, 
ils  s'approchent  de  la  Table  des  anges,  et  quand  ils 
vous  reviennent  le  soir  de  ce  grand  jour  transfigu- 
rés dans  la  lumière  de  la  première  communion  et 
tout  pénétrés  des  essences  de  la  foi  et  de  la  vertu  ! 
Qu'ils  sont  beaux  quand  ils  s'avancent  dans  la  vie, 
le  front  plein  de  sérénité  et  le  cœur  plein  d'inno- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  493 

cence  !  Une  goutte  de  rosée  peut  refléter  tout  le 
firmament  ;  ainsi  une  âme  d'enfant  reflète  le  ciel. 
Il  est  beau,  l'enfant  transfiguré  et  divinisé  par  la 
religion.  Il  a  des  amabilités  qui  attirent,  des  sail- 
lies qui  charment,  des  élans  qui  captivent,  des 
jeux  môme  qui  ne  nous  laissent  point  froids  et  in- 
différents. Chateaubriand  se  promenait  un  jour  tout 
pensif  au  Luxembourg,  et  il  était  absorbé  à  consi- 
dérer des  enfants  qui,  assis  à  terre,  jouaient  et  fai- 
saient des  figures  sur  le  sable.  Il  avait  été  mi- 
nistre, ambassadeur,  décoré  du  Saint-Esprit,  de  la 
Toison  d'Or,  du  grand-cordon  de  Saint-André...  et 
une  chose  l'arrête  et  le  captive,  c'est  de  voir  des 
enfants  jouer  sur  le  sable.  Il  avait  fait  René,  le 
Génie  du  Christianisme,  il  avait  tenu  tête  à  Napo- 
léon, il  avait  ouvert  l'ère  poétique  du  siècle,  et  il 
ne  sait  plus  qu'une  chose  qui  le  captive,  voir  jouer 
des  enfants  sur  le  sable.  Il  avait  vu  l'Amérique, 
Rome,  la  Grèce,  Jérusalem,  et  il  est  en  extase  de- 
vant des  enfants  qui  jouent  et  font  des  ronds  sur 
le  sable.  Oh  !  que  voilà  bien  la  puissance  de  l'en- 
fant !  Pères  de  famille,  que  voilà  bien  votre  his- 
toire! Vous  vous  arrêtez  interdits,  respectueux, 
charmés,  hypnotisés  devant  vos  enfants,  et  vous 
avez  raison.  Je  ne  sais  plus  quel  professeur  alle- 
mand au  xvie  siècle  avait  coutume  de  donner  ses 
leçons  la  tête  découverte  pour  honorer,  disait-il, 
les  consuls,  les  chanceliers,  les  docteurs  et  les 
maîtres  qui  sortiraient  un  jour  de  son  école.  Votre 


494  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

enfant,  Messieurs,  c'est  plus  qu'un  docteur,  plus 
qu'un  consul.  Si  la  religion  habite  dans  son  âme  et 
la  parfume  de  ses  arômes  divins,  c'est  un  élu  en 
germe,  c'est  une  fleur  divine,  c'est  un  Dieu  en 
fleur,  c'est  un  beau  lys  dans  lequel  viennent  se 
mirer  les  anges,  c'est  une  belle  rose,  dit  le  curé 
d'Ars,  et  les  trois  divines  Personnes  descendent  du 
ciel  pour  en  respirer  le  parfum. 

Si  j'étais  artiste,  si  j'avais  dans  ma  tête  le  génie 
d'Apelles  et  dans  ma  main  son  pinceau,  savez- 
vous  comment  je  m'y  prendrais  pour  peindre  la 
vraie  beauté,  pour  lui  donner  sur  la  toile  une 
figure  digne  d'elle  ?  Voici  ce  que  je  ferais.  Je  la 
représenterais  sous  la  forme  joyeuse  d'un  enfant 
innocent  et  pieux,  et  je  dirais  sans  crainte  au  ciel 
et  à  la  terre  :  «  Regardez,  admirez,  inclinez- vous, 
car  voici  l'image  de  la  Beauté!  C'est  un  enfant  de 
douze  ans.  Son  visage  respire  la  douceur.  Son  front 
calme  et  pur  s'épanouit  dans  une  sérénité  qui  fait 
penser  à  un  ciel  sans  nuages.  Ses  lèvres  donnent 
un  sourire  qui  rappelle  les  premières  brises  du 
printemps.  Ses  yeux  lancent  une  flamme  qui  jaillit 
comme  la  splendeur  matinale  de  l'aurore.  Tous  ses 
traits  sont  vifs,  animés,  limpides,  et  forment 
comme  une  sorte  de  magie  vivante,  reflet  superbe 
de  la  beauté  idéale  d'Adam  et  d'Eve  au  lendemain 
de  leur  création.  »  Ce  portrait,  Messieurs,  que  je 
serais  impuissant  à  produire  sur  la  toile,  il  y  a  un 
artiste  merveilleux  qui,  chaque  jour,  le  réalise,  et, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  495- 

chaque  jour,  le  présente  à  l'admiration  de  Dieu  et 
des  hommes...  Cet  artiste,  c'est  un  ange!  Et  vou- 
lez-vous  le  connaître,  cet  ange  invisible  qui  jette 
sur  la  figure  de  l'enfant  le  sourire  de  la  paix, 
l'épanouissement  de  la  vertu  et  le  rayon  de  la 
vraie  Beauté?  On  l'appelle  l'ange  de  la  religion. 
Quand  la  religion  s'empare  de  l'enfant,  quand  elle 
le  couvre  de  ses  caresses,  de  ses  sollicitudes,  et  de 
ses  bénédictions,  quand  elle  l'enrichit  de  ses  lu- 
mières et  de  ses  énergies  surnaturelles,  ô  mer- 
veille! elle  le  transforme,  elle  le  spiritualise,  elle 
en  fait  une  créature  supérieure.  Et  puis  que  va-t-il 
advenir  de  cet  enfant? 


II.  Prévoyez  l'avenir  de  l'enfant  chrétiennement 
élevé. 

Notre  maturité  est  en  germe  dans  notre  jeune 
âge,  comme  le  fruit  dans  sa  fleur,  et  la  religion  qui 
façonne  l'enfant  lui  prépare  du  même  coup  un 
avenir  glorieux  et  fécond.  Sans  doute  toute  fleur 
ne  donne  pas  son  fruit;  elle  peut  sécher  et  se  flé- 
trir, elle  peut  tomber  sous  une  pluie  d'orage. 
Mais  incontestablement  si  on  n'a  pas  de  fleurs,  on 
n'aura  pas  de  fruits,  et  les  années  les  plus  riches 
sont  toujours  celles  qui  ont  le  plus  beau  printemps; 
les  vies  les  plus  fécondes  sont  celles  qui  com- 
mencent par  une  enfance  pieuse  et  pure. 


496  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

J'en  appelle  à  vos  souvenirs,  Messieurs.  Tout  ce 
que  l'homme  possède  de  force,  tout  ce  qu'il  goûte 
de  joie,  tout  ce  qu'il  exerce  d'influence  lui  vient 
plus  ou  moins  de  cette  heure  où  le  sourire  de  la 
mère  a  provoqué  le  premier  sourire  de  l'enfant,  de 
cette  heure  où  la  langue  de  la  mère  a  délié  la 
langue  de  l'enfant,  de  cette  heure  où  la  religion 
maternelle  s'est  imprimée  dans  l'âme  de  l'enfant. 
Dans  la  longue  suite  de  nos  années  écoulées,  notre 
berceau  reste  la  place  la  plus  rayonnante,  la  plus 
vénérée,  la  plus  aimée,  parce  que  c'est  la  plus 
féconde,  où  nos  pieds  se  soient  jamais  arrêtés.  Et 
à  mesure  que  nous  avançons  dans  la  vie,  nous 
aimons  davantage  à  nous  rappeler  les  tendres  et 
saintes  délicatesses  qui  ont  affermi  nos  premiers 
pas  et  nous  ont  procuré  nos  premières  joies;  plus 
le  fleuve  nous  emporte,  plus  nous  sommes  heureux 
de  remonter  à  sa  source,  pour  y  retrouver  les 
secours  providentiels  qui  nous  ont  faits  ce  que 
nous  sommes. 

Oui,  les  enfances  pieuses  et  pures  préparent  les 
maturités  fécondes.  Ce  jeune  enfant  élevé  dans 
une  atmosphère  de  religion  et  d'innocence  pourra 
un  jour  tout  oublier.  Qu'importe?  Ce  qu'il  a  senti 
d'émotions  saines  et  généreuses  sur  les  genoux 
d'une  mère  chrétienne,  dans  les  bras  d\m  père 
fidèle  à  Dieu,  sur  ie  pavé  de  nos  temples,  il  le  sen- 
tira toujours,  à  son  insu,  dans  un  repli  de  sa  cons- 
cience, comme  ces  parfums  qui   s'obstinent  à  la 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  497 

doublure  d'un  vêtement.  Il  pourra  tomber  dans  les 
derniers  excès;  mais,  quoi  qu'il  fasse,  toutes  les 
pages  de  sa  vie  charrieront  des  parcelles  du  dia- 
mant brisé,  des  fragments  confus  de  la  mélodie 
divine  qui  a  retenti  sur  son  berceau.  Il  sera  au 
moins  accessible  au  repentir.  Il  n'abjurera  jamais 
définitivement  l'honneur  et  la  vertu.  Il  aura  après 
une  jeunesse  ardente  une  maturité  précoce.  Il  se 
remettra  de  lui-même  sous  le  joug  de  la  loi,  et  la 
religion  fortement  enracinée  dans  son  enfance  re- 
deviendra maîtresse  de  sa  vie  et  sauvera  son  âme 
pour  le  temps  et  pour  l'Eternité  !  Tel  est  l'enfant, 
quand  la  religion  le  couvre  de  sa  majesté  trois  fois 
sainte.  Il  est  beau  à  voir,  et  sa  beauté  présente  est 
le  prélude  d'une  vie  qui  s'annonce  sans  peur  et 
sans  reproche. 

III.  Comparez  à  l'enfant  chrétiennement  élevé 
l'enfant  qui  est  élevé  en  dehors  de  toute  instruc- 
tion et  de  toute  émotion  religieuse. 

Tous  les  noms  retentissant  à  l'oreille  de  cet  en- 
fant, excepté  le  vôtre,  ô  mon  Dieu,  et  celui  de 
votre  divin  Fils  et  de  sa  divine  mère  ;  tous  les 
spectacles  venant  se  montrer  aux  regards  de  cet 
enfant,  excepté  ceux  de  votre  maison  et  de  vos 
fêtes,  ô  mon  Dieu  !  tous  les  plaisirs  et  toutes  les 
joies  de  la  terre  venant  de  jour  en  jour  et  d'heure 

LES   BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE.    —   1-32 


498  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

en  heure  remuer  de  leur  souffle  cette  vie  tendre  et 
délicate,  toutes,  excepté  ces  saintes  voluptés  du 
Temple  et  ces  joies  sacrées  des  cérémonies  pieuses 
qui  devaient  donner  à  cette  âme  à  peine  épanouie 
comme  une  révélation  et  un  pressentiment  du 
Paradis  !  Ajoutez  à  cela  dans  certains  milieux  le 
nom  adorable  de  Dieu  mêlé  à  d'horribles  formules 
d'imprécations  et  de  blasphèmes;  des  paroles  im- 
pies et  licencieuses,  des  calomnies  populaires  sur 
la  religion  et  ses  ministres,  qui  mettent  dans 
l'âme  de  ce  pauvre  enfant  un  fond  de  défiance 
irréfléchie,  mais  tenace,  contre  notre  ministère  et 
contre  nos  personnes,  contre  nos  enseignements 
les  plus  simples  et  notre  dévouement  le  plus  pur. 
Ajoutez  à  cela  encore  des  exemples  en  opposition 
directe  avec  la  loi  de  Dieu  et  les  passions  de  la 
jeunesse  se  développant  précisément  alors  d'accord 
avec  ces  influences  domestiques...  ! 

Que  pensez-vous  que  va  devenir  cet  enfant?  Cet 
enfant  ne  sera  pas  élevé.  Rien  ne  saura  dompter 
en  lui  ces  instincts  farouches  dont  la  libre  expan- 
sion fait  l'homme  barbare.  Un  jour  il  se  révélera 
comme  la  personnification  de  l'égoïsme  et  de  l'in- 
gratitude, et  aussi  impie  envers  ses  parents  qu'en- 
vers son  Dieu,  il  leur  apprendra  par  .leurs  douleurs 
et  peut-être  par  ses  crimes  ce  que  c'est  que  de 
vouloir  se  passer  de  Dieu  ! 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  499" 

Le  cœur  d'un  homme  vierge  est  un  vase  profond. 
Lorsque  la  première  eau  qu'on  y  verse  est  impure, 
La  mer  y  passerait  sans  laver  la  souillure  ; 
Car  l'abîme  est  immense  et  la  tache  est  au  fond! 

Malheur  à  l'enfant  élevé  sans  religion  !  Pendant 
toute  sa  vie  il  portera  dans  son  âme  et  sur  son 
front  la  trace  indélébile  des  sentiments  pervers  qui 
ont  abreuvé  ses  premières  années. 

Pensez-y,  Messieurs.  Pensez-y  pour  vos  enfants. 
Pensez-y  pour  ces  centaines  et  ces  milliers  d'en- 
fants  du  peuple   que   l'on  voudrait  arracher  aux 

r 

bras  de  la  sainte  Eglise.  Ne  le  permettez  pas.  Sau- 
vez l'enfance  en  la  donnant  à  Jésus-Christ  et  à  son 

Eglise  ! 

Amen! 


DOUZIÈME  CONFÉRENCE 
Le  jeune  homme 


Messieurs, 

L'Église  sauve  l'enfant.  Mais  voici  bien  une  autre 
affaire.  Votre  enfant  a  grandi  :  il  a  quinze  ou  dix- 
sept  ans.  Ecoutez-moi  bien.  C'est  grave,  ce  que  j'ai 
à  vous  dire.  Mes  lèvres  en  sont  émues,  et  je  me  de- 
mande si  elles  vont  avoir  le  courage  d'aller  jusqu'au 
bout  de  ce  tragique  sujet.  Pourquoi  pas?  Commen- 
çons par  le  plus  facile,  et  contemplons  aujourd'hui 
l'enfant  devenu  grand  en  conservant  la  piété  de 
ses  premières  années.  Contemplons  le  jeune  homme 
sous  l'égide  de  la  sainte  Eglise  qui  le  préserve  et 
qui,  au  besoinrle  ressuscite. 


I.  L'Église  préserve  le  jeune  homme. 

Le  jeune  homme  est  beau  quand  il  s'avance  dans 
la  vie,  ayant  la  religion  pour  armure  et  portant  sur 
son  visage  je  ne  sais  quel  mélange  d'enthousiasme 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  501 

et  de  gravité,  d'ardeur  et  de  réflexion  qui  annonce 
les  grandes  destinées  pour  lesquelles  Dieu  le  garde. 
Il  y  a  deux  merveilles  que  j'admire  ici-bas  :  c'est 
une  île  au  milieu  de  l'océan...,  les  flots  vont  et 
viennent,  montent,  descendent,  mugissent,  s'ar- 
rêtent toujours  à  temps,  ne  la  couvrent  jamais... 
Et  puis,  c'est  un  jeune  homme  au  milieu  du  monde, 
un  jeune  homme  enraciné  dans  la  foi;  les  passions 
mauvaises  l'enveloppent  :  flots  agités,  flots  boueux, 
ils  vont,  ils  montent,  ils  écument,  puis  se  calment 
et  s'en  vont...  pourquoi?  parce  que  Dieu  est  là, 
habitant  au  cœur  de  ce  jeune  homme,  veillant  sur 
la  candeur  de  son  front,  sur  la  sérénité  de  son  re- 
gard,, sur  l'honneur  et  la  dignité  de  son  âme.  Qui 
oserait  contester  la  beauté  d'un  pareil  spectacle? 
Voilà  un  adolescent  en  qui  la  famille  revivra  tout 
entière.  L'enfant  était  faible,  naïf,  confiant  ;  l'ado- 
lescent est  grand,  fort,  plein  d'ardeur  et  d'inquié- 
tude. L'enfant  reflétait  en  son  âme  les  tendresses 
de  sa  mère  et  les  pensées  de  son  père  ;  l'adolescent 
pense  par  lui-même,  cherche  sa  voix  et  cache  sous 
des  traits  devenus  virils,  des  émotions  et  des  désirs 
inconnus.  Ah!  si  vous  pouviez  faire  reculer  le  temps 
et  ramener  cet  adolescent  à  sa  douzième  année  ! 
Mais  non.  Cette  joie,  ou  plutôt  cette  tentation  ne 
vous  est  pas  permise.  Aucune  famille  n'est  destinée 
à  s'endormir  dans  les  douceurs  qui  ont  charmé  ses 
commencements.  Votre  fils  vous  échappe,  il  échappe 
aux  obscurités  et  aux   tranquillités  de  la   vie  in- 


502  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

consciente,  et  il  entre  à  pleines  voiles  dans  les 
orages.  Quelle  tutelle  allez-vous  étendre  sur  cette 
innocence  si  chère  et  si  menacée  ?  Messieurs,  il  n'y 
en  a  pas  d'autre  vraiment  efficace  que  les  salutaires 
freins  de  la  conscience  chrétienne.  Mithridate  jetait 
de  For  sur  ses  pas  pour  arrêter  les  poursuites  des 
Romains;  le  Christ  sème  mieux  que  de  l'or  dans 
nos  familles,  en  y  semant  les  vertus  qui  en  font 
la  paix  et  l'honneur.  «Les  passions,  dit  Lacordaire, 
les  passions  comme  des  chiens  sauvages  sont  aux 
portes  de  l'adolescence.  »  Qui  donc  pourra  les 
dompter?  Jésus-Christ.  C'est  Jésus-Christ,  et  Lui 
seul  qui  apprend  à  l'adolescent  à  gouverner  sa  jeu- 
nesse, à  vaincre  ses  penchants,  à  résister  aux  en- 
traînements dangereux  du  dehors,  à  sauver  sa 
chasteté  et  à  doubler  sans  naufrage  le  cap  de  la  pu- 
berté, qui  est  pour  tous  le  cap  des  Tempêtes.  Jésus- 
Christ  député  auprès  du  jeune  homme  son  Eglise 
qui  lui  offre  la  possibilité  de  vaincre  le  mal  et 
d'échapper  au  naufrage  de  sa  vertu. 

Hélas!  vous  le  savez  beaucoup  mieux  que  moi, 
Messieurs,  puisque  vous  portez  dans  votre  cœur 
les  angoisses  de  la  paternité.  Il  est  bien  rare,  n'est- 
ce  pas,  que  le  jeune  homme,  même  le  meilleur, 
préserve  sa  barque  de  toutes  les  avaries  au  milieu 
d'une  traversée  si  pleine  d'orages.  Les  temps  sont 
si  difficiles,  les  séductions  si  nombreuses,  les  occa- 
sions de  déchoir  si  puissantes  et  si  entraînantes! 
Mais  n'ayez  pas  peur.  Ce  que  Dieu  garde  est  bien 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  503 

gardé,  et   l'Église    ne   préserve  pas  seulement  le 
jeune  homme,  elle  le  ressuscite  quand  besoin  en 

est. 


il.  L'Église  ressuscite  le  jeune  homme. 

Le  jeune  homme  qui  a  en  lui  le  ressort  de  la  foi 
et  l'appui  des  pratiques  religieuses  n'est  pas  à 
l'abri  de  toutes  les  misères  ;  il  peut  tomber  quel- 
quefois, mais  il  se  relève  toujours;  il  tombe  parce 
qu'il  est  faible  et  que  les  vents  sont  violents,  mais 
il  se  relève  parce  que  Dieu  est  avec  lui,  et  que  la 
grâce  est  toute-puissante.  Que  le  jeune  homme  dé- 
cliu  et  attristé  de  sa  défaite  regarde  de  notre  côté, 
du  côté  de  Jésus-Christ  et  de  ses  ministres.  D'autres 
disserteront  sur  ses  ruines  ;  avec  les  sacrements, 
nous  les  ferons  palpiter.  D'autres  lui  expliqueront 
le  mouvement;  avec  les  sacrements,  nous  nous 
chargeons  de  le  lui  donner.  Nous  ne  prétendons 
pas,  avec  la  religion,  pouvoir  prévenir  toutes 
les  chutes  ;  mais  nous  en  prévenons  beaucoup  ; 
et  celles  qui  se  consomment  malgré  nous,  nous 
prétendons  qu'elles  sont  irréparables  sans  nous. 
Un  coupable  sans  foi  ni  religion  peut  connaître 
la  lassitude,  la  déception,  le  découragement;  il 
ne  connaîtra  point  le  repentir,  ni  l'amendement 
dans  le  sens  régénérateur  attaché  à  ces  mots,  et, 
après  avoir  perdu  la  première  innocence,  il  ne  re- 


504  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

montera  point  à  la  seconde.  Nous  ne  remontons 
jamais  seuls  les  abîmes  descendus  ;  mais  le  jeune 
homme  qui  a  la  foi  et  qui,  du  fond  de  sa  misèrer 
crie  vers  Dieu,  n'est  jamais  perdu  sans  retour. 
Etiamsi  mortuus  fuerit,  vivet.  Même  mort,  il  peut 
revivre.  Jésus-Christ  lui  tend  la  main,  et  sa  défaite, 
si  profonde  qu'elle  soit,  s'achève  dans  une  victoire. 
Sa  mort,  si  longtemps  qu'elle  ait  duré,  est  suivie 
d'une  résurrection  :  témoin  saint  Augustin,  se- 
couant  la  chaîne  de  vingt  ans  de  sensualisme  et 
s'élançant  du  plus  honteux  esclavage  jusqu'à  une 
sorte  de  transfiguration  angélique  ;  témoins  tant  de 
jeunes  gens  qui,  jetés  au  milieu  d'un  monde  cor- 
rompu et  corrupteur,  se  conservent  purs  en  se  con- 
servant pieux,  et  qui,  interrogés,  vous  diront  que 
c'est  la  religion  qui  les  a  sauvés  du  naufrage. 

Messieurs,  je  mets  les  choses  au  pire  et  je  sup- 
pose l'âme  du  jeune  homme  chrétien  complètement 
dévastée.  Il  a  perdu  dans  des  désordres  graves  et 
prolongés  l'honneur  de  sa  vertu  et  la  sève  de  ses 
vingt  ans.  Sa  ruine  est-elle  irrémédiable,  et  n'y 
a-t-il  plus  rien  à  espérer  de  cet  ange  dé,chu,  de  ce 
soleil  éteint?  Détrompez-vous.  On  objectait  à  un 
grand  éducateur  d'un  collège  catholique  l'impuis- 
sance et  l'inutilité  de  son  ministère.  On  lui  mon- 
trait les  nombreux  disciples  sortis  de  son  école  et 
moissonnés  par  les  passions,  et  on  lui  disait:  «L'an- 
née a  perdu  son  printemps.  A  quoi  bon  tous  vos 
efforts?   Quels    sont  vos    résultats?  Qu'avez- vous 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  505 

fait?  »  —  «  Ce  que  nous  faisons?  répondit-il.  Nous 
créons  des  remords!  »  Oui,  Messieurs,  dans  l'âme 
un  moment  égarée  par  la  passion,  la  religion  sur- 
vivante et  tenace  implante  le  remords,  et  le  re- 
mords est  le  germe  de  la  vie,  l'étincelle  d'un  foyer 
qui  va  renaître,  la  racine  de  la  vertu  future,  la  pro- 
phétie d'une  résurrection  prochaine.,  Souvent,  en 
errant  dans  nos  villes  modernes,  le  voyageur  aper- 
çoit un  monument  dévasté.  Les  âges  ou  la  main 
des  hommes,  le  temps  ou  les  révolutions  ont  en- 
trouvert les  voûtes,  fait  pencher  les  flèches,  brisé 
les  vitraux,  abattu  à  demi  les  croix;  et  la  lumière 
des  nuits,  passant  à  travers  les  pierres  disjointes, 
n'éclaire  plus  que  des  ruines.  Le  voyageur  s'arrête, 
et  une  larme  monte  à  sa  paupière.  Il  n'y  a  plus 
guère  d'intactes  que  les  cryptes  profondes.  Il  des- 
cend. 11  aperçoit  ces  forts  piliers  sur  lesquels  les 
dévastateurs  n'ont  presque  rien  pu.  Il  les  touche 
d'une  main  attendrie;  et  il  s'en  va  plein  d'espé- 
rance, ayant  entrevu  le  jour  où  sur  ces  bases  raf- 
fermies l'édifice  se  relèvera  dans  sa  majestueuse 
beauté  et  retrouvera  son  antique  gloire.  De  même, 
Messieurs,  donnez-moi  un  jeune  homme  sans  mœurs 
mais  non  sans  principes,  un  jeune  homme  dont  la 
vie  a  été  dévastée  par  les  orages  du  péché,  mais 
dont  l'âme  garde  ces  fondations  nécessaires  qui  sont 
des  croyances  autorisées  et  fermes.  Je  lui  rappel- 
lerai le  Dieu  de  sa  mère  et  les  joies  pures  de  sa 
religion  d'autrefois  ;  j'éveillerai  au  fond  de  sa  cons- 


506  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

cience  de  salutaires  remords;  je  pleurerai  sur  lui, 
je  prierai  pour  lui,  je  le  convertirai,  et  sur  les 
ruines  d'une  jeunesse  ardente  et  enfin  domptée, 
viendra  s'asseoir  une  maturité  honnête  et  bénie  de 
Dieu.  Mais  un  jeune  homme  sans  principes,  ja- 
mais, ou  à  peu  près  jamais,  vous  ne  parviendrez  à 
le  ramener  au  bien.  Au-dessous  des  ruines  entassées, 
vous  cherchez  vainement  le  roc  solide,  le  sol  sur 
lequel  on  puisse  bâtir...,  vous  "ne  le  trouvez  pas. 
Dieu,  la  conscience,  les  sanctions  éternelles,  le 
frein  moral  et  religieux,  tout  cela  n'est  rien  pour 
cette  âme,  et  cette  âme  pèche  sans  remords,  parce 
qu'elle  vit  sans  principes.  Je  conclus  : 

1°  C'est  un  devoir  de  donner  à  la  jeunesse  des 
principes  religieux. 

C'est  un  devoir  parce  que  la  jeunesse  en  a  besoin 
et  qu'il  vaudrait  mieux,  en  quelque  sorte,  lui  enle- 
ver le  pain  de  la  bouche  que  les  principes  religieux 
de  la  conscience.  Le  corps  humain  a  besoin  du 
pain  pour  vivre  ;  l'âme  humaine  a  besoin  de  la  reli- 
gion pour  vivre.  Si  vous  laissiez  vos  enfants  mourir 
de  faim,  vous  manqueriez  à  un  devoir  élémentaire 
et  essentiel,  et  vous  seriez  responsables  devant  la 
justice  des  hommes  ;  et,  si  vous  refusez  à  vos  en- 
fants l'élément  religieux,  vous  manquez  à  un  de- 
voir élémentaire  et  essentiel,  et  vous  êtes  respon- 
sables devant  la  justice  de  Dieu. 

C'est  un  devoir  de  donner  à  la  jeunesse  des  prin- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  507 

cipes  religieux,  parce  que  ces  principes  religieux  on 
vous  les  a  donnés  à  vous-mêmes  pour  que  vous 
les  transmettiez  à  votre  tour.  Ce  patrimoine  de  foi 
et  de  religion  que  vous  avez  reçu  n'est  point  à 
vous;  c'est  un  dépôt  à  conserver,  c'est  une  richesse 
à  augmenter,  c'est  une  dot  à  transmettre.  Ce  qui 
fait  l'humanité,  la  race,  la  famille,  ce  n'est  pas  seu- 
lement le  sang  qui  coule  d'une  génération  à  une 
autre,  c'est  encore,  et  surtout,  l'âme,  l'honneur,  la 
vertu,  la  religion,  les  principes  qui  vont  de  l'aïeul 
aux  arrière-petits-fils,  comme  la  sève  qui  passe  du 
tronc  à  la  cime  de  l'arbre.  Si  la  sève  ne  va  pas  dans 
les  branches,  c'est  la  mort,  et  si  les  principes  reli- 
gieux sont  supprimés  et  taris,  j'ose  vous  prophétiser 
que  la  vie  ne  durera  pas  longtemps.  Jugez  d'après 
cela,  Messieurs,  combien  il  importe  de  maintenir 
la  jeunesse  sous  la  discipline  salutaire  de  l'Église 
catholique. 

2°  Jugez  combien  nous  sommes  vos  amis  et  vos 
bienfaiteurs,  nous  qui  travaillons  de  mille  manières 
à  élever  chrétiennement  la  jeunesse.  Chose  étrange! 
quand  nous  prêchons  la  vérité  religieuse,  le  monde 
a  toujours  l'air  de  croire  que  nous  défendons  notre 
propre  cause  et  notre  intérêt  personnel.  Rien  n'est 
plus  faux  que  ce  préjugé,  qui  réduit  souvent  à 
l'impuissance  nos  enseignements  et  nos  meilleurs 
efforts  de  zèle.  Non,  la  religion  n'est  point  notre 
affaire  personnelle.  Sans  doute,  K  vérit4  religieuse 


508  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

vibre  sur  nos  lèvres,  mais  pour  qui  vibre-t-elle,  si- 
non pour  vous  ?  Elle  vous  vise,  vous  intéresse  et 
vous  atteint  au  moins  autant  que  nous.  Et,  dans 
certains  sujets,  comme  celui  que  je  viens  de  traiter 
devant  vous,  la  vérité  religieuse  est  beaucoup  plus 
applicable  à  ceux  qui  l'entendent  qu'à  celui  qui  la 
prêche.  Car  enfin,  si  profond  que  soit  mon  désir  de 
voir  vos  enfants  chrétiennement  élevés,  j'y  suis 
moins  intéressé  que  vous.  Quand  je  demande  que 
le  jeune  homme  aille  chercher  dans  la  religion  le 
secret  de  la  vertu,  pour  qui  est-ce  que  je  travaille? 
Pour  moi  ?  Non.  Je  travaille  pour  vos  fils,  pour 
vous,  pour  la  sécurité  de  vos  familles  et  pour  le 
bien  commun.  Travaillez  avec  moi,  Messieurs,  et 
ensemble  coopérons  au  relèvement  de  la  patrie,  au 
relèvement  des  foyers,  au  relèvement  des  âmes  ! 

Amen  / 


TREIZIÈME  CONFERENCE 

Le  jeune  homme 
(suite) 


Messieurs, 

L'Eglise  a  réhabilité  l'enfant.  Elle  protège  ses 
premières  années,  et  quand  il  grandit,  quand  il 
entre  dans  l'adolescence  et  dans  la  jeunesse,  elle 
veille  sur  lui  avec  un  amour  encore  plus  attentif  et 
plus  tendre.  Je  vous  ai  présenté  le  ravissant  spectacle 
du  jeune  homme  abrité  sous  les  ailes  maternelles 
de  l'Église.  Il  faut  que  j'aille  jusqu'au  bout  de  mon 
sujet  et  que  je  vous  en  montre  aujourd'hui  le  côté 
attristant  et  douloureux.  Je  vous  dois  la  vérité,  et, 
dussé-je  vous  la  présenter  à  genoux,  je  ne  puis 
pas  vous  la  refuser.  Jetons  donc  ensemble  un  regard 
plein  de  larmes  sur  le  jeune  homme  déchristia- 
nisé et  constatons  en  lui,  avec  la  ruine  de  la  foi,  la 
ruine  du  respect  filial  et  de  toute  vertu. 


I.  La  ruine  de  la  foi  dans  le  jeune  homme  dé- 
christianisé. 

Le  jeune  homme  déchristianisé,  le  jeune  homme 


510  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

qui  a  perdu  la  foi,  on  le  rencontre  partout  à  l'heure 
présente  dans  notre  monde  en  décomposition. 

On  le  rencontre  dans  les  classes  populaires.  En- 
fant, il  a  fait  une  première  communion  telle  quelle. 
Puis  il  est  retombé  dans  une  famille  indifférente 
ou  antichrétienne,  dans  un  atelier  où  la  foi  et  la 
morale  sont  également  outragées,  dans  des  compa- 
gnies suspectes  ou  mauvaises.  Tout  de  suite,  ou  à, 
peu  près  tout  de  suite,  il  s'affranchit  des  engage- 
ments contractés  au  pied  des  autels  comme  d'un 
fardeau  qu'on  lui  dit  ne  plus  convenir  à  son  âge. 
Il  perd  vite  le  sens  religieux.  Il  ne  prie  plus.  Il  ne 
va  plus  à  l'Eglise.  Il  oublie  les  vérités  chrétiennes 
les  plus  élémentaires.  Regardez-le  passer  dans  les 
rues  de  la  cité,  aller  à  son  atelier  ou  à  son  ma- 
gasin et  en  revenir,  donner  son  dimanche  au  tra- 
vail abrutissant  ou  aux  divertissements  frivoles  ;  il 
est  vide  de  toute  religion;  il  est  déchristianisé. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  dans  les  classes  po- 
pulaires que  vous  rencontrez  le  jeune  homme  dé- 
christianisé. Vous  le  rencontrez  aussi  dans  les 
classes  plus  ou  moins  cultivées.  Et  là,  son  attitude 
a  quelque  chose  de  plus  répugnant.  Je  suis  plein 
de  compassion  pour  le  jeune  ouvrier  qui  délaisse  la 
religion.  Il  la  connaît  si  peu  et  il  est  en  proie  à  tant 
de  séductions  !  Mais  voyez  ce  jeune  homme  qui 
sort  de  l'adolescence  avec  un  petit  bagage  scienti- 
fique, et  qui  se  sert  du  peu  qu'il  sait  pour  blas- 
phémer ce   qu'il  ignore.  Ce  que  Bossuet,  Pascal, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  514 

Fénelon,  Descartes,  Newton,  Leibnitz,  Euler  ont  cru 
après  les  plus  profondes  méditations,  il  le  méprise. 
Pour  lui  ces  six  mille  ans  de  foi  religieuse,  ces  dix- 
neuf  siècles  de  christianisme  et  les  œuvres  merveil- 
leuses qui  sont  sorties  de  cette  foi,  tout  cela  est 
mensonge,  superstition,  ténèbres,  sottise.  Il  regarde 
le  christianisme  ;  ou  plutôt  il  ne  daigne  pas  même 
le  regarder;  mais  il  le  juge  et  il  le  rejette.  Et,  en 
le  rejetant,  il  rejette  toute  foi,  toute  religion,  et 
souvent  même  la  croyance  en  Dieu.  Pour  le  mo- 
ment je  ne  cherche  pas  à  expliquer  ce  phénomène 
de  déchristianisation,  je  le  constate  seulement,  et 
je  dis  qu'il  est  lamentable.  Je  dis  que  la  ruine  de 
la  religion  va  engendrer  ^dans  l'âme  et  dans  la  vie 
de  ce  jeune  homme  des  ruines  qui  sont  horribles  à 
voir  et  malheureusement  trop  certaines.  Je  dis  que, 
le  frein  religieux  une  fois  brisé,  toutes  les  digues 
se  rompent,  toutes  les  ancres  se  cassent,  et  le  vais- 
seau, si  beau  qu'il  paraisse,  est  une  proie  promise  à 
l'abîme. 


II.  La  ruine  du  respect  filial  dans  le  jeune  homme 
déchristianisé. 

Avec  la  ruine  de  la  foi  dans  la  jeunesse  je  vois 
apparaître  la  ruine  du  respect  filial.  Quand  la  reli- 
gion s'en  va,  c'est  l'esprit  d'indépendancequi  arrive. 
Messieurs,  lorsque  je  vous  parle  de  l'esprit  d'indé- 


"512  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

pendance,  je  ne  vous  dis  rien  d'étrange,  rien  qui 
doive  vous  surprendre.  Il  me  suffirait,  si  vous 
éleviez  quelque  protestation,  de  vous  rappeler  ce 
que  j'entends  dire  partout  et  ce  que  vous  voyez 
vous-mêmes  tous  les  jours.  Vos  plaintes  les  plus 
fréquentes  et  les  plus  légitimes  ont  précisément 
pour  objet  cette  apparition  redoutable  et  cette  in- 
vasion menaçante  de  l'esprit  d'indépendance  dans 
la  génération  actuelle.  L'autorité  n'est  plus  suffisam- 
ment respectée  dans  la  famille.  Où  sont-ils  ces 
sanctuaires  domestiques  où  rayonne  sans  intermit- 
tence la  majesté  paternelle?  Le  jeune  homme  parle 
de  ses  droits  quand  il  devrait  d'abord  apprendre 
«es  devoirs  et  les  observer.  Il  se  croit  admis  à  faire 
entendre  des  réclamations,  il  discute  le  plus  sou- 
vent l'ordre  donné,  et  chacun  de  ses  arguments 
c'est  un  lambeau  de  l'autorité  qui  tombe  et  dispa- 
raît, c'est  une  pierre  du  foyer  qui  se  disjoint  et 
s'écroule.  Pourquoi?  Pourquoi? 

Parce  que  l'autorité  de  Dieu  ne  compte  plus, 
l'autorité  paternelle  compte  encore  moins.  La  lo- 
gique gouverne  le  jeune  homme  malgré  lui  et  à 
son  insu,  et,  du  moment  qu'il  a  détrôné  dans  son 
âme  l'autorité  de  Dieu,  comment  voulez-vous  qu'il 
respecte  encore  l'autorité  d'un  père  et  d'une  mère? 
Messieurs,  je  vous  ai  déjà  dit  cela,  mais  il  est  né- 
cessaire que  je  vous  le  redise.  Quand  la  foi  s'en  va 
d'une  jeune  âme,  n'allez  pas  croire  que  c'est  un 
petit  malheur.  C'est  une  ruine  qui   en   entraîne 


LES  BIENFAITS  DE  L'ËGLISB  513 

beaucoup  d'autres.  Parce  que  le  clocher  est  au  mi- 
lieu du  village,  les  pierres  qui  tombent  du  clocher 
écrasent  les  maisons  d'alentour,  et  parce  que  la 
religion  est  la  colonne  centrale  qui  porte  tout, 
quand  elle  croule,  elle  entraîne  avec  elle  dans  sa 
chute  toutes  les  délicatesses  du  respect  filial  et,  je 
dois  l'ajouter  parce  que  c'est  vrai,  toutes  les  délica- 
tesses de  la  vertu. 


III.  La  ruine  de  la  vertu  dans  le  jeune  homme 
déchristianisé. 

Avec  la  ruine  de  la  foi  dans  la  jeunesse  je  vois 
apparaître  la  ruine  de  la  vertu.  Avec  la  défaillance 
de  la  vie  chrétienne,  arrive  la  flétrissure  du  cœur. 
Quoi,  Messieurs?  Même  abrité  sous  le  bouclier  de 
la  religion,  le  jeune  homme  ne  peut  pas  échapper 
à  tous  les  traits  ;  même  chrétien,  il  a  besoin  de  la 
vigilance,  du  travail  et  de  la  sobriété  pour  se  con- 
server pur.  Et  des  jeunes  gens  qui  ont  rejeté 
toute  religion,  toute  prière  et  qui  ne  croient  plus 
h  rien,  conserveraient  la  pureté  du  cœur  et  la 
pureté  de  la  vie?  Non.  Ce  serait  un  miracle,  et 
Dieu  ne  permet  pas  un  tel  miracle,  qui  démentirait 
sa  parole  et  rendrait  sa  grâce  inutile  et  méprisable. 
Non,  Dieu  ne  veut  pas  que  l'on  puisse  impunément 
se  passer  de  lui,  et,  quand  on  le  chasse,  ce  sont  les 
passions  qui  viennent  prendre  sa  place  et  venger 

LES  BIENFAITS   DE   L'ÉGLISB.    —  1-33 


514  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

son  absence.  Quand  l'irréligion  vient  s'asseoir  dans 
une  jeune  âme,  toutes  les  vertus  s'envolent  d'une 
aile  rapide,  comme  les  oiseaux  s'enfuient  de  la  feuille 
qui  les  abrite,  dès  qu'ils  sentent  l'approche  ou  en- 
tendent le  bruit  de  l'épervier.  Quand  la  foi  baisse, 
ce  n'est  jamais  la  vertu  qui  monte.  Quand  l'ado- 
lescent échappe  au  joug  de  la  religion,  il  tombe 
fatalement  sous  le  joug  de  ses  sens  indisciplinés  et 
de  ses  passions  victorieuses.  Triste  spectacle  que 
celui  du  jeune  homme  qui  ne  vit  plus  dans  la  di- 
gnité de  l'heure  présente,  depuis  qu'il  a  effacé  en 
lui  la  pensée  de  Dieu,  le  souci  des  grandes  desti- 
nées et  les  traces  du  christianisme  ! 

Ah  !  vous  pensiez  peut-être  que  la  rupture  du 
frein  religieux  dans  la  jeunesse  était  un  accident 
de  médiocre  importance  et  qu'il  n'y  avait  pas  là 
de  quoi  jeter  les  hauts  cris.  Et  moi,  armé  des 
clartés  de  l'évidence,  usant  de  cette  liberté  aposto- 
lique que  me  permettent  mon  ministère  et  vos 
sympathies,  évoquant  les  faits  douloureux  que  j'ai 
pu  constater  dans  les  longues  années  de  ma  vie 
sacerdotale  mêlée  à  tant  d'âmes  et  à  tant  de  familles, 
me  rappelant  les  larmes  brûlantes  que  tant  de  fois 
j'ai  vu  tomber  des  yeux  des  pères  et  des  mères,  je 
vous  déclare  que  la  rupture  du  frein  religieux  dans 
la  jeunesse  est  un  malheur,  et  un  immense 
malheur  !  Je  vous  dis  que  le  jeune  homme  est  placé 
entre  deux  attractions,  l'attraction  du  bien  et 
l'attraction  du  mal,  et  que,  s'il  ne  monte  pas  vers 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  515 

le  bien  sur  les  ailes  de  la  religion,  il  sera  entraîné 
vers  le  mal  par  le  poids  de  la  passion. 

Et  même  j'ose  ajouter  que,  s'il  se  laisse  prendre 
une  fois  par  la  passion  sans  que  la  religion  vienne 
l'y  soustraire,  il  ressemble  à  l'ouvrier  dont  la 
blouse  est  saisie  par  l'engrenage  d'une  machine  en 
mouvement;  quels  que  soient  ses  efforts  et  son 
énergie,  rien  ne  le  sauvera.  Une  expression  popu- 
laire dit  nettement  le  fait  :  il  y  passera  tout  entier. 
Il  y  passera  tout  entier!  Messieurs,  que  j'aurais  ici 
de  choses  à  vous  dire!  Ah!  si  je  vous  disais  tout, 
si,  après  vous  avoir  montré,  avec  la  religion  dis- 
parue, le  respect  filial  anéanti  et  la  pureté  flétrie, 
si  je  vous  montrais  les  derniers  excès  du  mal...  Si 
je  vous  montrais  le  vice  allant  jusqu'à  la  moelle 
des  os  et  passant  comme  un  héritage  imprévu  et 
maudit  à  une  postérité  tout  entière...  Si  je  vous 
montrais,  des  familles  éplorées  perdant  l'honneur 
et  la  richesse  dans  des  abîmes  d'intempérance 
creusés  par  des  mains  filiales...  Si  je  vous  mon- 
trais l'abaissement  du  niveau  moral  et  intellectuel, 
la  santé  publique  compromise  de  la  façon  la  plus 
grave,  la  race  qui  s'étiole,  qui  décroît,  qui  hérite 
des  débilités  transmises  et  qui  semble  avoir  été 
empoisonnée  dans  les  sources  mêmes  de  la  vie... 
Si  je  vous  montrais  tout  cela  et  encore  bien  d'autres 
choses,  vous  pourriez  me  taxer  de  témérité,  mais 
non  d'exagération,  car,  après  tout,  je  ne  ferais  que 
vous  offrir  la  photographie  exacte  des  phénomènes 


516  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

que  vous  côtoyez  tous  les  jours...  Mais  non,  je 
m'arrête;  le  respect  de  cette  chaire  m'impose  la 
réserve  et  la  réticence,  et  tout  ce  que  je  pourrais 
dire,  tout  ce  que  vous  savez,  je  ne  veux  pas  qu'on 
m'accuse  de  l'avoir  amené  jusqu'ici,  fût-ce  pour 
une  flagellation  sanglante,  mais  qui  aurait  encore 
le  malheur  d'être  publique.  Qu'il  me  suffise  de 
vous  dire  que,  si  la  première  fois  qu'on  vit  des 
laves  brûlantes  au  sommet  du  Vésuve  on  s'était 
plus  alarmé,  ni  Herculanum  ni  Pompéi  n'auraient 
disparu  dans  une  mer  de  feu,  et  le  voyageur  qui 
visite  avec  une  étrange  émotion  les  restes  de  ces 
étranges  catastrophes  ne  lirait  pas  sur  les  ruines 
ces  trop  tardives  paroles  :  Cavete,  posteri!  vestra 
res  agitur.  Oui,  Messieurs,  il  s'agit  de  vous,  puis- 
qu'il s'agit  de  vos  fils,  et  puisque  vous  tenez  avec 
raison  à  votre  bonheur  et  à  leur  vertu,  à  la  paix  de 
votre  famille  et  à  l'honneur  de  votre  nom,  donnez- 
leur  donc  la  religion  pour  frein  ;  car  le  jeune  homme 
sans  religion  est  semblable  à  une  locomotive  qui, 
dans  une  descente  rapide,  n'a  plus  de  frein,  ardente 
et  encore  belle  à  voir,  mais  dont  la  beauté  fait  fré- 
mir, puisque  c'est  cette  beauté  même  qui  la  con- 
duit aux  abîmes. 

Messieurs,  par  vos  paroles,  par  vos  exemples, 
par  vos  soins  vigilants,  formez-nous  des  fils  purs, 
forts,  aptes  au  travail,  à  la  peine  et  au  sacrifice,  et 
non  point  de  ces  êtres  efféminés  et  à  demi-païens 
chez  qui,  à  peine  au  sortir  de  l'enfance,  le  libertin  et 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  517 

l'enfant  gâté  se  mêlent  avec  une  facilité  qui  devrait 
faire  trembler  la  faiblesse  des  pères  et  des  mères. 
Elevez-nous  donc  des  jeunes  gens  qui  ont  une  foi 
et  une  loi,  et  non  point  de  ces  êtres  mécréants  et 
corrompus,  hardis  contre  Dieu  et  contre  la  morale, 
contempteurs  de  la  vertu  et  de  la  vérité,  qui  ne 
peuvent  que  désoler  également  la  famille,  la  patrie 
et  la  religion.  Préparez-nous  une  génération  chré- 
tienne, laborieuse,  chaste,  ardente  au  vrai  et  au 
bien,  afin  que,  si  le  présent  est  sombre,  l'avenir, 
au  moins,  s'annonce  tout  empourpré  d'espérances 
et  de  clartés! 

Amen! 


QUATORZIÈME  CONFÉRENCE 
La  famille  chrétienne 


Messieurs, 

L'Eglise  est  la  grande  bienfaitrice  de  l'humanité 
dans  Tordre  intellectuel,  dans  l'ordre  moral,  dans 
l'ordre  matériel,  dans  l'ordre  domestique.  Dans 
l'ordre  domestique,  elle  a  réhabilité  l'union  conju- 
gale, rhomme,  l'enfant,  la  femme,  le  jeune  homme. 
J'achève  et  je  résume  cet  inépuisable  sujet,  en  vous 
présentant  le  tableau  de  la  famille  chrétienne  et 
de  la  famille  décatholicisée.  Contemplons  aujour- 
d'hui la  famille  chrétienne.  La  famille  va  nous  ap- 
paraître créée  par  Dieu,   défigurée   par   l'homme, 

r 

restaurée  par  Jésus-Christ,  réalisée  par  l'Eglise  ca- 
tholique. 


I.  La  famille  créée  par  Dieu. 

La  famille  est  née  du  souffle  de  Dieu  même  dans 
les  berceaux  de  l'Eden.  Vous  savez  tous  cette  suave 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  519 

et  véridique  histoire  tout  embaumée  des  parfums 
du  monde  naissant.  C'est  Dieu  qui  a  créé  l'homme, 
qui  lui  a  donné  une  compagne  semblable  à  lui,  et 
qui,  complétant  l'un  par  l'autre  les  deux  époux,  les 
deux  moitiés  de  la  même  âme,  a  fait  de  l'époux 
un  père  avec  le  don  de  la  force,  de  l'épouse  une 
mère  avec  le  don  de  la  tendresse,  et  de  l'enfant  le 
fruit  de  la  tendresse  et  de  la  force,  multiplié  par  la 
bénédiction  divine. 

0  sublime  constitution  de  la  famille  !  Dieu  en  est 
l'auteur.  Après  Dieu  et  en  son  nom,  le  père  et  la 
mère  créent,  car  ils  donnent  l'être  qu'ils  ont  reçu 
et  continuent  ainsi  de  génération  en  génération 
cette  vie  dont  la  source  est  en  Dieu  seul.  Après 
Dieu  et  en  son  nom,  le  père  et  la  mère  gouvernent 
en  formant  le  cœur,  en  éclairant  l'esprit,  en  guidant 
l'enfance,  la  jeunesse  et  l'âge  mûr  lui-même  vers  le 
vrai,  le  bien  et  le  beau,  terme  suprême  de  toute 
existence. 

Et,  pour  exercer  cette  auguste  charge,  le  père 
et  la  mère  ont  tous  deux  la  même  autorité  avec 
des  dons  divers.  Les  soins  de  la  première  enfance 
regardent  surtout  la  bonté  de  la  mère,  comme  ceux 
de  la  jeunesse  et  de  l'âge  mûr  intéressent  surtout 
la  sagesse  du  père. 

C'est  au  père  qu'il  appartient  particulièrement 
d'élever  le  fils;  c'est  à  la  mère  qu'est  confiée  plutôt 
l'éducation  de  la  fille.  Le  père  commande;  la  mère 
aide  à  l'obéissance  ;  l'un  est  plus  ferme,  l'autre  plus 


520  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

persuasive.  L'homme  est  la  tête  de  la  femme,  la 
femme  est  le  cœur  de  l'homme,  et  de  cette  mu- 
tuelle harmonie,  résulte,  avec  leur  propre  bonheur, 
le  bonheur  de  la  postérité. 

Voilà  la  famille  telle  qu'elle  est  sortie  des  mains 
du  Créateur.  Est-elle  restée  dans  cette  beauté  pri- 
mitive ?  Hélas  !  vous  savez  bien  que  non.  Il  faut 
raconter  ici  l'histoire  de  sa  déchéance. 


II.  La  famille  défigurée  par  l'homme. 

Née  du  souffle  de  Dieu  même  dans  les  berceaux 
de  l'Eden,  la  famille  a  été  défigurée  par  la  passion 
de  l'homme.  Pendant  quarante  siècles,  nous  assis- 
tons au  spectacle  de  sa  décomposition.  Entrez  dans 
la  maison  des  païens,  à  Rome,  à  Sparte,  à  Athènes; 
partout.  Vous  y  trouvez  l'infanticide,  le  divorce,  la 
polygamie.  Vous  y  trouvez  Mercure  qui  protège  le 
vol,  Saturne  qui  dévore  ses  propres  enfants,  Jupi- 
ter qui  sanctionne  et  divinise  l'adultère,  Vénus  qui 
autorise  les  plaisirs  de  la  chair,  et  les  petits  dieux 
du  foyer  qui  sourient  à  toutes  les  voluptés  de  la 
table  en  regardant  avec  indulgence  les  péchés  de 
luxure...  Et,  vous  adressant  à  ces  familles  païennes,. 
vous  leur  direz  avec  Corneille  : 

Des  crimes  les  plus  noirs  vous  souillez  tous  vos  dieux, 
Vous  n'en  punissez  point  qui  n'ait  son  maître  aux  cieux. 

Elles  devaient  donc  tomber  en  poudre  ces  idoles 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  52* 

0 

qui  avaient  usurpé  les  hommages  du  monde  ;  ils 
devaient  s'éteindre  ces  foyers  domestiques,  où  la 
religion  était  peut-être  pire  que  l'incrédulité 

Et,  chose  remarquable,  la  seule  religion  vraie 
de  l'antiquité,  la  religion  juive  elle-même,  n'a  pas 
pu  protéger  suffisamment  la  belle  organisation  de 
la  famille  primitive.  Elle  a  dû  faire  des  concessions 
aux  passions  de  l'homme  et  aux  inconstances  du 
cœur,  en  introduisant  la  répudiation  dans  la  légis- 
lation matrimoniale.  Comme  si  Dieu,  afin  de  mon- 
trer combien  c'est  un  problème  redoutable  que  la 
création  d'une  famille,  avait  voulu  réserver  à  la 
vraie  religion,  et  encore  à  la  religion  arrivée  à  son 
plus  haut  degré  de  pureté  et  de  puissance,  l'hon- 
neur d'assainir,  de  restaurer  et  de  transfigurer  les 
foyers.  Jésus-Christ  est  venu,  et  il  a  rendu  à  la 
famille  une  beauté  que  ne  lui  avaient  pas  laissée 
les  jours  antiques,  une  splendeur  inconnue  même 
des  premiers  jours  du  monde.  Voyons  cela. 

III.  La  famille  restaurée  par  Jésus- Christ. 

L'infanticide,  jadis  si  excusable  devant  les  philo- 
sophies  et  les  législations  païennes,  devint  odieux 
et  exécrable  aux  yeux  de  Celui  qui  promet  le 
royaume  des  cieux  aux  enfants  et  à  ceux  qui  leur 
ressemblent.  Le  divorce  disparaît  des  lois  et  des 
mœurs  au  souffle  de  cette  autre  parole  :  «  Que 
l'homme  ne  sépare  pas  ce  que  Dieu  a  uni.» 


^22  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

L'époux  a  un  modèle  dans  la  sainte  Famille, 
c'est  Joseph,  c'est-à-dire  la  fidélité,  le  travail,  l'hon- 
neur conjugal,  la  confiance  en  Dieu. 

L'épouse  remonte  sur  le  trône  qu'elle  avait  perdu, 
c'est  Marie  qui  le  lui  conquiert  par  ses  vertus,  et 
qui  le  lui  assure  par  ses  exemples. 

L'enfant  ne  peut  refuser  ni  le  respect,  ni  l'obéis- 
sance, ni  l'assistance  filiale.  C'est  Jésus  qui  les  lui 
impose  par  sa  vie  obscure  et  cachée,  dont  l'obéis- 
sance fut  toute  l'histoire,  et  erat  subditus  illis. 

Fondée  sur  de  telles  paroles  et  de  tels  exemples, 
sanctifiée  à  son  origine  parle  sacrement  qui  donne 
la  grâce,  totalement  transformée  et  réhabilitée  par 
le  Sauveur,  la  famille  chrétienne  est  belle  et  res- 
plendissante. 

Le  père  apparaît  dans  toute  la  majesté  de  son 
rôle  ;  il  est  roi,  il  porte  au  front  un  rayon  de  l'au- 
torité divine. 

La  mère  échange  sa  faiblesse  naturelle  contre  la 
dignité  souveraine  qui  lui  vient  du  cœur  même  de 
Dieu. 

Les  deux  époux  trouvent  dans  leur  fidélité  réci- 
proque leur  sécurité  commune  et  l'honneur  com- 
mun de  leurs  noms  réunis. 

L'enfant  garde  son  âme  pure  et  sa  conscience 
délicate  et  se  prépare  par  l'innocence  aux  grands 
combats  de  la  vertu. 

Le  jeune  homme  grandit  dans  les  veilles  du  tra- 
vail et  dans  les  luttes  généreuses  de  lacharité  chré- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  523 

tienne,  et  il  conserve  avec  l'honneur  de  l'âme  le 
dépôt  du  sang,  mille  fois  plus  sacré  que  le  dépôt 
de  l'or. 

Les  parents  administrent  à  leurs  enfants  l'éduca- 
tion, la  correction  et  le  bon  exemple,  et  les  enfants 
prodiguent  à  leurs  parents  le  respect,  la  docilité  et 
l'assistance. 

Sont-ce  là,  Messieurs,  de  vaines  paroles  ?  Non, 
si  c'est  de  la  poésie,  c'est  de  la  poésie  puisée  dans 
les  faits.  Jésus-Christ  a  fait  ce  qu'il  a  voulu  faire, 
et,  depuis  dix-neuf  siècles,  la  famille  restaurée  est 
vivante  sous  nos  yeux.  Regardons-la. 


IV.  La  famille  réalisée  par  l'Eglise. 

Quoi  de  plus  beau,  Messieurs,  que  la  famille  chré- 
tienne dont  l'Église  catholique  est  la  mère,  la  maî- 
tresse et  la  gardienne,  une  famille  chrétienne  qui 
est  un  sanctuaire  dans  lequel  Dieu  est  connu,  aimé, 
prié,  servi,  adoré  en  commun  !  Je  vois,  le  soir,  autour 
d'une  table  éclairée  d'un  modeste  flambeau,  l'ou- 
vrier souriant  à  ses  enfants,  et  la  main  posée  sur 
l'épaule  de  l'un  d'eux,  enseignant  à  sa  jeune  et  gra- 
cieuse postérité  l'art  de  se  bien  conduire  parmi  les 
hommes.  D'une  voix  douce  et  mâle  il  leur  explique  : 
«  Tes  père  et  mère  honoreras...  »,  et,  pour  appuyer 
sa  doctrine,  il  remonte  à  Dieu,  ouvrier  éternel,  ar- 
tiste souverain  qui  a  tissé  les  ailes  du  moucheron, 


524  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

et  dessiné  le  tronc  superbe  du  palmier.  Les  enfants 
ravis  écoutent.  Ils  ont  aperçu  au  front  de  leur  père 
un  rayon  de  la  divine  Majesté  ;  ils  ont  aperçu  dans 
les  hauteurs  une  tendresse  qui  dépasse  la  tendresse 
de  leur  mère,  et  ils  montent  sans  effort  vers  le  bien, 
portés  sur  les  deux  grandes  ailes  de  la  religion  et 
de  la  famille.  Ah  !  comme  la  vertu  s'épanouit  à 
l'aise  dans  des  foyers  ainsi  vivifiés  par  la  foi  !  La 
vertu...  l'enfant  la  boit  avec  le  lait  sur  le  sein  ma- 
ternel; il  la  lit  dans  le  regard  de  son  père,  il  la  res- 
pire avec  l'air  qui  entre  dans  sa  poitrine.  Et,  après 
dix  ans  d'éducation  sévère,  de  mâles  exemples,  de 
rudes  leçons  mêlées  d'un  sincère  amour,  il  sort  du 
foyer  domestique  armé  pour  la  lutte,  cuirassé 
contre  les  tentations,  apte  à  porter  sur  ses  épaules 
le  poids  des  grands  devoirs  et  des  lourdes  responsa- 
bilités. 

Prêtre,  il  honore  le  sacerdoce;  il  trace  au  milieu 
de  ses  frères  un  sillon  lumineux  de  doctrine,  de 
charité,  de  zèle,  d'apostolat,  d'amour  de  Dieu  et 
des  hommes;  il  embaume  une  paroisse;  il  relève 
les  murs  de  Sion  ;  et,  dans  le  vase  fragile  de  son 
cœur  consacré,  il  porte  à  travers  le  monde  les  né- 
cessaires trésors  de  la  vérité,  de  la  grâce  et  du  salut. 
C'est  des  bonnes  familles  que  sort  le  prêtre  saint, 
le  prêtre  zélé,  le  prêtre  apôtre  et  convertisseur. 

Magistrat,  il  honore  sa  toge  ;  il  tient  d'une  main 
inflexible  la  balance  de  la  justice  ;  il  rassure  les  bons 
et  fait  trembler  les  méchants,  et  par  la  dignité  de 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  525 

son  caractère,  il  impose  autour  de  lui  le  respect  de 
la  loi  dans  le  respect  de  sa  personne.  C'est  des 
bonnes  familles  que  sort  le  magistrat  correct,  irré- 
prochable, incorruptible. 

Soldat,  il  honore  et  défend  la  patrie.  D'où  sort 
l'armée,  sinon  des  entrailles  mêmes  de  la  na- 
tion, sinon  de  la  famille  sainement  et  religieuse- 
ment constituée?  La  première  école  du  soldat,  c'est 
le  foyer  ;  son  premier  sergent  instructeur,  c'est  son 
père;  sa  première  caserne,  c'est  le  giron  maternel. 
C'est  des  bonnes  familles  que  sort  le  soldat  docile, 
discipliné,  dur  à  la  fatigue,  sans  peur  et  sans  re- 
proche. 

Agriculteur,  commerçant,  industriel,  il  honore 
sa  profession.  Il  met  la  conscience  au-dessus  de  la 
fortune,  les  intérêts  éternels  au-dessus  des  intérêts 
terrestres  et  passagers;  il  voit  au-dessus  des  ma- 
chines les  hommes  qui  les  font  mouvoir,  au-dessus 
du  corps  l'âme,  au-dessus  de  l'âme  Dieu  qui  juge 
tous  les  mortels  avec  d'égales  lois  et,  du  haut  de 
son  trône,  interroge  les  rois.  C'est  des  bonnes  fa- 
milles que  sort  le  patron  humain,  l'homme  d'af- 
faires consciencieux,  le  commerçant  honnête,  le 
citoyen  fidèle  à  son  devoir. 

Artisan,  domestique,  valet  de  ferme,  il  accepte  sa 
condition  ;  il  sanctifie  son  travail,  il  transfigure  ses 
souffrances,  il  surnaturalise  ses  épreuves,  et,  les 
yeux  fixés  sur  le  Fils  de  Dieu  fait  homme,  ouvrier 
et  fils  d'ouvrier,  il  tombe  au  bout  de   son   sillon 


526  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

entre  les  bras  de  la  mort  et  entre  les  bras  de  Dieu, 
aussi  noblement  que  ces  humbles  et  vaillants  sol- 
dats que  vous  ensevelissiez  naguère,  il  y  a  trente- 
cinq  ans,  au  soir  de  sanglantes  batailles.  C'est  des 
bonnes  familles  que  sort  l'ouvrier  laborieux,  rési- 
gné, content  de  son  sort,  digne  de  l'admiration  des 
hommes  et  de  la  bénédiction  de  Dieu. 

Oh  !  qu'elle  est  belle  et  féconde  la  famille,  ainsi 
embaumée  des  senteurs  delà  religion  et  de  la  vertu  ! 
N'en  doutez  pas,  c'est  de  la  sorte,  par  l'action  de 
la  famille  chrétienne  que  l'avenir  se  prépare,  que 
l'honneur   se  sauve;  c'est  par  là  que  la   France 
Se  redressera  au  milieu  des  nations,  plus  forte  et 
plus  glorieuse  que  jamais  ;  c'est  par  là  que  le  monde 
moderne  ressuscitera  à  une  vie  nouvelle!   Vous 
cherchez  le  salut.  Vous  le  cherchez  dans  la  richesse? 
Il  n'est  pas  là.  Vous  le  cherchez  dans  le  plaisir?  Il 
n'est  pas  là.  Vous  le  cherchez  dans  l'ambition?  Il 
n'est  pas  là.  Vous  le  cherchez  dans  l'agriculture,  le 
commerce  et  l'industrie  ?  Il  n'est  pas  là.  Vous  le 
cherchez  dans  les  lettres,  les  sciences  et  les  arts  ? 
Il  n'est  pas  là.  Vous  le  cherchez  dans  les  constitu- 
tions politiques  ?  Il  n'est  pas  là.  Vous  le  cherchez 
dans  les  armées  puissantes  et  dans  les  grandes  al- 
liances  internationales  ?  Il  n'est  pas    là.  Où  est-il 
donc  ?  Il  est  dans   la  famille  chrétienne,  restaurée 
par  Jésus-Christ  et  réalisée  par  l'Eglise  catholique. 

Amen  I 


QUINZIÈME  CONFÉRENCE 

La  famille  décatholicisée 


Messieurs, 

Reportons-nous  par  la  pensée  à  la  scène  antique 
du  déluge  et  de  l'arche.  En  ce  temps-là,  le  ciel  était 
obscur  ;  de  grands  nuages  livides  assombrissaient 
la  terre.  Et  Dieu  dit  à  Noé,  le  second  père  du  genre 
humain  :  «  Voici  que  la  terre  est  toute  remplie 
d'iniquités.  Entre  dans  l'arche  et  prends  avec  toi 
tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  conserver  et  renou- 
veler l'humanité.  »  Et,  à  mesure  que  les  vents  deve- 
naient plus  violents,  les  flots  plus  hardis,  l'arche 
montait.  Sous  l'effort  de  la  tempête  elle  s'élevait  à 
des  hauteurs  sublimes  ;  Elevaverunt  arcam  in  su- 
blime !  Les  eaux  écumaient  sous  ses  flancs,  les  vents 
soufflaient  sur  ses  cimes.  Elle  montait  toujours, 
calme,  sereine,  portant  l'humanité,  les  semences 
de  l'avenir.  Et,  en  effet,  le  déluge  cessa,  et  le  salut 
qui  était  enfermé  dans  l'arche  en  sortit,  et  le 
monde  reprit  une  vie  nouvelle.  Voilà,  Messieurs,, 


528  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

l'image  sous  laquelle  je  me  représente  la  famille 
chrétienne.  Elle  est  ballottée  par  les  tempêtes  de 
l'heure  présente.  Qu'importe?  Elle  renferme  le 
salut  du  monde,  parce  qu'elle  garde  inviolablement 
les  principes  et  les  vertus  de  l'Evangile.  Protégée 
et  vivifiée  par  l'Église,  la  famille  chrétienne  est  la 
consolation  du  présent  et  l'espoir  de  l'avenir.  Mais, 
hélas!  à  côté  de  la  famille  chrétienne  nous  sommes 
obligés  de  considérer  la  famille  décatholicisée,  dans 
laquelle  il  n'y  a  que  des  ruines  :  ruine  de  l'amour 
conjugal,  ruine  du  respect  filial,  ruine  du  bonheur 
familial.  Arrêtons-nous  un  instant  devant  ce  triste 
spectacle.  Nous  comprendrons  mieux  l'action  bien- 

r 

faisante  de  l'Eglise,  quand  nous  aurons  constaté  les 
résultats  de  son  absence. 


I.  Dans  la  famille  décatholicisée,  je  constate 
la  ruine  de  l'amour  conjugal. 

L'amour  conjugal  a  son  siège  dans  le  cœur  des 
deux  époux.  Mais  le  pauvre  cœur  humain  a  deux 
grandes  imperfections  :  il  est  changeant  et  il  est 
égoïste.  Si  donc  vous  voulez  perpétuer  et  entretenir 
l'amour  conjugal,  fixez  le  cœur  humain  et  dilatez- 
le  par  le  sacrifice.  Qui  fera  cela?  Les  deux  époux? 
Non,  ils  ne  le  peuvent  pas.  Pour  que  l'amour  vive, 
il  faut  qu'il  plonge  ses  racines  non  seulement  dans 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  529 

le  cœur  humain,  mais  jusque  dans  le  cœur  de  Dieu 
qui  ne  change  pas  et  qui  est  la  source  unique  du 
dévouement  intarissable.  «Deux  jeunes  époux,  dit 
Lacordaire,  s'avancent  vers  l'autel  à  cette  belle 
cérémonie  des  noces  ;  ils  portent  avec  eux  toute  la 
joie  et  toute  la  sincérité  de  leur  jeunesse;  ils  se 
jurent  un  amour  éternel.  Mais  bientôt  la  joie  dimi- 
nue, la  fidélité  chancelle,  l'éternité  de  leurs  ser- 
ments s'en  va  par  morceaux.  Que  s'est-il  passé? 
Rien.  L'heure  a  suivi  l'heure  ;  ils  sont  ce  qu'ils 
■étaient,  sauf  une  heure  de  plus.  Mais  une  heure 
c'est  beaucoup  hors  de  Dieu.  Dieu  n'était  point 
entré  dans  leurs  serments,  il  n'a  pas  été  le  com- 
plice de  leur  amour,  et  leur  amour  finit  parce  que 
Dieu  seul  ne  finit  pas.  »  Ici,  Messieurs,  que  de 
choses  il  y  aurait  à  dire!  que  de  larmes  à  enregis- 
trer, que  de  drames  à  raconter,  que  de  misères 
cachées  à  produire  au  grand  jour!  Si  on  entrou- 
vrait seulement  la  porte  des  foyers  sans  Dieu,  on 
y  verrait  les  scènes  les  plus  tristes  et  les  plus  dé- 
sespérées, on  y  entendrait  les  cris  violents  de  la 
discorde  et  de  la  haine,  on  y  assisterait  à  des 
guerres  intestines  qui  font  pitié.  Tirons  un  voile 
sur  ces  intimités  douloureuses,  et  disons  seulement 
ce  qui  peut  et  doit  être  dit,  |i  savoir  que  loin  de 
Dieu  l'amour  conjugal  est  une  fleur  qui  manque  de 
sève  et  ne  tarde  guère  à  se  flétrir. 


LES  BIENFAITS  DE   L'ÉGLISE.    —   1-34 


S30  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

IL  Dans  la  famille  décatholicisée,  je  constate  la 
ruine  du  respect  filial. 

Parents,  prenez  garde  !  Vous  êtes  les  représen- 
tants de  Dieu,  et,  si  Dieu  n'est  plus  respecté  dans 
votre  maison,  comment  serez-vous  respectés  vous- 
mêmes?  Voyez-le  croître  à  votre  table  et  sur  vos 
genoux  ce  jeune  enfant  de  trois  ans  que  vous  ado- 
rez et  à  qui  vous  n'apprenez  pas  à  adorer  Dieu. 
Déjà  il  se  révolte  sous  votre  sceptre  discuté  et 
ébranlé,  car  déjà  il  devine  qu'il  n'y  a  rien  de  divin 
en  vous,  et  que,  par  conséquent,  vous  n'avez  ni  la 
force  ni  le  droit  de  lui  adresser  la  moindre  répri- 
mande. A  mesure  qu'il  avance  en  âge,  il  constate 
le  malaise  et  la  répugnance  réciproques,  les  récri- 
minations et  les  discordes,  les  tiraillements  et  les 
guerres  intestines  qui  habitent  les  foyers  où  Dieu 
n'est  pas;  il  boit  à  longs  traits,  sans  même  s'en 
douter,  le  poison  de  ces  sentiments  pervers  ;  il 
devient  instinctivement  ingrat  et  méchant;  il 
grandit  dans  des  habitudes  de  haine  et  de  mépris. 
Avez- vous  jamais  lu  sans  frémir  ce  trait  d'un 
enfant  qui  ose  frapper  son  père  et  le  traîner  sans 
pitié  pour  son  âge,  sans  respect  pour  ses  cheveux 
blancs,  le  long  de  cet  escalier  fameux,  où  le  vieil- 
lard l'arrêta  tout  court  polir  lui  dire  :  «  Grâce,  mon 
fils,  grâce,  car,  moi  aussi,  j'ai  maltraité  et  battu 
mon  père,  mais  je  ne  l'ai  pas  traîné  plus  loin!» 
Vous  frémissez...  et  vous  vous  rassurez  en   son- 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  531 

géant  que  nos  mœurs  n'ont  rien  de  cruel  et  que 
jamais,  non  jamais,  cela  ne  vous  arrivera.  Pour 
moi,  je  ne  veux  répondre  de  rien.  Dans  la  famille 
décatholicisée  la  scène  que  je  viens  de  rappeler  se 
renouvelle  de  temps  en  temps  sous  une  forme  plus 
ou  moins  hideuse,  et,  dans  tous  les  cas,  je  déclare 
que,  Dieu  une  fois  détrôné  au  foyer  domestique,  il 
est  naturel  et  logique  que  les  parents,  eux  aussi, 
soient  détrônés  et  qu'ils  descendent,  sous  la  poussée 
de  l'ingratitude  filiale,  l'escalier  sanglant  de  la 
dérision  et  du  mépris. 

Tenez,  parlons  un  peu  ici  du  traitement  qu'on 
inflige  parfois  aux  vieillards  dans  certaines  familles 
dépourvues  de  tout  sens  religieux.  Oserai-je  le  dire? 
pourquoi  pas?  Certains  parents,  qui  ont  pénétré 
l'âme  de  leurs  enfants  de  l'indifférence  la  plus 
complète  et  la  plus  coupable  envers  Dieu,  sont  ter- 
riblement châtiés  par  l'indifférence  de  ces  mêmes 
enfants  à  leur  égard.  Il  faut  entendre  ces  enfants 
insouciants,  cupides  et  dénaturés  parler  de  la  vieil- 
lesse de  leur  père  et  de  leur  mère,  et  leur  repro- 
cher, dans  un  langage  souvent  peu  déguisé,  leur 
trop  longue  existence.  Il  faut  les  voir  ces  enfants 
barbares  exercer  sur  les  auteurs  de  leurs  jours  une 
tutelle  hautaine,  une  sévérité  implacable,  une  par- 
cimonie qui  va  presque  jusqu'à  l'homicide.  Il  faut 
assister  à  ces  déplorables  scènes  entre  un  fils  qui 
souhaite  avec  imprécation  la  mort  à  son  père,  et  un 
père  terrifié  qui  murmure  tout  bas  des  malédictions 


532  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

contre  son  fils.  0  parents,  qui  avez  chassé  la  charité 
divine  de  votre  foyerv  comment  pouvez-vous  espé- 
rer, dans  vos  derniers  jours,  d'en  recueillir  les 
fruits?  0  maisons,  d'où  la  religion  s'est  envolée, 
vous  n'êtes  plus  que  des  maisons  en  ruines  !  Encore 
un  mot  sur  ce  terrible  aspect  de  nos  mœurs  con- 
temporaines. 


III.  Dans  la  famille  décatholicisée,  je  constate 
la  ruine  du  bonheur  familial. 

Autrefois,  il  y  avait,  même  dans  les  plus  étroites 
demeures,  une  place  pour  Jésus-Christ;  il  y  avait 
là  l'image  du  Dieu  rédempteur;  le  foyer  était  un 
sanctuaire,  et  ce  sanctuaire  avait  des  charmes 
inexprimables.  Tout  le  monde  y  était  heureux. 
Comment  faisaient  nos  pères  pour  élever  douze 
enfants  autour  d'eux?  Ils  croyaient  en  Dieu,  ils  se 
confiaient  à  sa  Providence,  ils  l'invoquaient  tous 
les  jours,  ils  méritaient  les  grâces  de  leur  état 
parce  qu'ils  en  accomplissaient  les  devoirs.  Les 
enfants  s'élevaient  sous  la  garde  des  anges,  et  les 
parents,  contents  et  résignés,  travaillaient  sous  la 
garde  de  Dieu.  Que  sont  devenues  ces  antiques 
mœurs? 

J'ai  visité  l'humble  logis  de  l'ouvrier.  Dieu  n'y 
est  plus.  Ce  logis  est  froid  et  triste.  Il  coûte  plus 
cher  qu'autrefois,  mais  le  Dieu  qui  bénit  le  travail 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  533 

en  a  été  exilé.  Il  y  a  encore  là  des  portraits  et  des 
images,  mais  ce  n'est  plus  l'image  de  Jésus-Christ, 
c'est  le  portrait  de  quelque  fameux  socialiste.  Au 
lieu  des  scènes  de  la  Bible,  des  nudités  souvent 
révoltantes  pour  les  yeux  les  plus  hardis.  Le 
bonheur  du  moins  habite-t-il  dans  ces  foyers  dé- 
catholicisés?  Hélas!  non.  C'est  à  qui  y  rentrera 
plus  tard  et  en  sortira  plus  vite.  Des  époux,  des 
pères  s'ennuient  à  la  maison  et  se  trouvent  mieux 
partout  ailleurs  qu'au  lieu  où  leurs  serments  et 
leurs  vrais  intérêts  devraient  les  retenir.  Livrés  à 
de  faux  amis,  ils  vont  dissiper  leur  ennui  dans  des 
satisfactions  inutiles,  souvent  même  dans  des  dé- 
bauches dégradantes.  Des  femmes  sans  aucun 
souci  pour  l'intérieur  de  leur  maison,  sans  aucun 
esprit  d'ordre,  d'économie  et  de  prévoyance,  ne 
font  rien  de  ce  qu'il  faudrait  pour  faire  aimer  au 
père  et  aux  enfants  leur  chez  soi  et  les  détourner 
ainsi  des  compagnies  étrangères.  Et,  par  suite  de 
cette  conduite  des  pères  et  des  mères,  les  enfants 
eux-mêmes  regardent  et  traitent  la  maison  pater- 
nelle comme  une  prison,  à  laquelle  ils  échappent 
tout  à  fait,  dès  qu'ils  le  peuvent.  0  foyer  de  l'ou- 
vrier, foyer  trop  souvent  sans  Dieu  et  sans  autel, 
malheur  à  toi  !  Tu  n'es  plus  qu'un  foyer  éteint,  un 
foyer  sans  joie,  sans  attrait  et  sans  avenir! 

J'ai  visité  la  maison  du  riche.  Dieu  n'y  est  plus. 
On  en  a  renouvelé  les  meubles  et  la  parure,  mais 
on  a  oublié  d'y  remettre  le  crucifix  cher  aux  an- 


534  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

cêtres.  Trop  souvent  la  lecture  se  fait  dans  une 
mauvaise  revue  ou  dans  le  journal  léger;  la  con- 
versation roule  sur  les  profits  et  les  pertes,  sur  les 
affaires,  sur  les  nouvelles  du  dehors  et  les  chiffons 
de  la  toilette.  L'épouse  cherche  à  régner,  non  pas 
avec  l'autorité  immortelle  de  la  grâce  décente  et 
de  la  douce  vertu,  mais  avec  le  sceptre  passager 
de  la  beauté  et  de  la  mode.  Le  père  s'ennuie  et 
ne  comprend  rien  à  la  majesté  de  son  rôle  et  à 
la  grandeur  de  ses  responsabilités.  Les  enfants 
s'élèvent  comme  ils  peuvent  dans  un  intérieur  que 
rien  ne  leur  fait  aimer.  Encore  un  foyer  éteint,  un 
foyer  sans  joie,  sans  attrait  et  sans  avenir  parce 
que  ce  foyer  est  sans  Dieu  et  sans  autel. 

Ah!  ne  me  demandez  pas  pourquoi  le  bonheur 
familial  est  aujourd'hui  si  rare,  pourquoi  il  y  a 
tant  d'intérieurs  tristes,  désenchantés,  malheureux. 
Parce  que  Dieu  n'est  pas  là,  la  joie  n'y  est  pas. 
Parce  que  Dieu  n'y  trouve  plus  sa  gloire,  l'homme 
n'y  trouve  plus  son  bonheur.  Il  faut  renoncer  à 
bâtir,  ou  bien  il  faut  avoir  le  courage  de  descendre 
jusqu'au  solide,  jusqu'au  roc  vif,  jusqu'à  Jésus- 
Christ  qui  porte  tout  et  sans  lequel  rien  ne  tient. 
Vous  ne  voulez  plus  de  Jésus-Christ,  de  son  Evan- 
gile, de  sa  religion,  de  son  Eglise  ?  Tant  pis.  Vous 
serez  punis  de  votre  néant  religieux  par  vos  infé- 
licités domestiques  ;  et  la  famille  détruite,  le  sanc- 
tuaire conjugal  violé,  le  lit  nuptial  déshonoré  par  les 
plus  tristes  mœurs,  le  cœur  de  la  femme  meurtri, 


LES  BIENFAITS  DE  L'ÉGLISE  K35 

les  enfants  absents  ou  mal  élevés,  les  berceaux 
vides  ou  profanés  vous  prouveront  que  l'irréligion 
n'est  bonne  qu'à  une  chose...  à  dépeupler  le  ciel 
et  à  désenchanter  la  terre  ! 

Conclusion.  —  Le  mal  actuel  est  surtout  dans  la 
famille.  Tous  les  hommes  vraiment  observateurs  et 
sincères  sont  obligés  d'en  convenir.  Que  faire?  11 
faut  porter  le  remède  là  où  est  le  mal.  Il  faut 
reconstituer  la  famille  selon  la  loi  de  Dieu,  de 
Jésus-Christ  et  de  l'Église.  Pleurez  et  lamentez- 
vous,  dites  et  répétez  avec  amertume  que  dans  la 
société  tout  se  relâche,  tout  se  contredit,  tout  est 
faible,  tout  est  méprisé.  Je  le  crois  bien.  Il  n'en 
saurait  être  autrement.  Est-ce  avec  de  mauvaises 
pierres  qu'on  bâtit  un  monument  solide?  Est-ce 
avec  des  familles  sans  religion  qu'on  refera  une 
société  chrétienne?  Allons,  Messieurs,  pas  tant 
d'inquiétude  sur  les  affaires  du  dehors  et  un  peu 
plus  de  sollicitude  sur  celles  du  dedans!  Corrigez 
vos  maisons.  Faites-y  entrer  Dieu,  la  Croix, 
l'Evangile,  les  lois  de  la  sainte  Eglise.  C'est  le 
meilleur  vœu  que  je  puisse  exprimer  pour  la  patrie 
et  la  meilleure  grâce  que  je  puisse  souhaiter  à  vos 
familles  I 

Amen! 


I 


TABLE    ALPHABÉTIQUE 


DES  NOMS  PROPRES 


Alexandre  III,  133. 
Anaxagore,  340. 
Aristide,  182. 
Aristote,  333,  480. 
Ars  (curé  d),  189. 
Augustin  (saint),  362,  460. 

B 

Bacon,  69,  82,  271. 

Boileau,  45. 

Bossuet,  17,  474,  491. 

Bougaud  (M«r),  80,  270,  314,  434. 


Canova,  86. 
César,  440. 
Chateaubriand,  36,  51,  62,  76,  254, 

285,  288,  306. 
Chénier  (M.-J.),  105. 
Cicéron,  336. 
Corneille,  520. 
Cousin,  26,  32,  51. 

D 

Diderot,  489. 
Dominé,  280. 
Dupanloup  (M*'),  458. 


Épicure,  340. 


Falloux,  298. 


E 


F 


G 


Girardin  (Saint-Marc),  234* 
Gounod,  36. 
Grant  (général),  367. 
Guizot,  333. 


Harisson,  367. 
Henri  IV,  319,  433. 
Henri  VIII,  399. 
Hulst  (M«<  d'),  206. 


Innocent  III,  397. 
Ireland,  260 


Jérôme  (saint),  95,  101. 
Jouffroy,  19. 
Justin  (saint),  471. 
Juvénal,  475. 


538 


CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 


Lacordaire,  21,   28,  35,  41,  400, 

452,  455,  467,  502,  529. 
Lactance,  471. 
La  Fontaine,  47. 
Lamartine,  52. 
Lamoricière,  144. 
Lemaitre  (Jules),  195. 
Léon  XIII,  65,  342,  363. 
•Leroux  (Pierbe),  367. 
Libanius,  465. 
Louis  (saint),  463. 
Luther,  399. 

M 

Michelet,  252,  333. 
Minutius  (Félix),  471. 
Montalembert,  283,  285,  336. 
Montesquieu,  4, 209,  267,  276. 


N 


Napoléon  1er,  35,  228. 
Ney  (maréchal),  245. 


Paul  (saint),  161. 

Pie  IX,  106,  109. 

Platon,  480. 

Plutarqub,  472. 

pompignan  (marquis  de),  305. 

PROUDHON,   311,  312. 


Q 

Quélen  (M«r  de),  37. 


R 


Racine,  165. 
Renan,  18. 


Sainte-Beuve,  87. 
Salvien,  62. 
schwarzenberg,  277. 
Sénèque,  333,  473. 
Simon  (Jules),  186. 
Socrate,  340. 
Suze  (Henri  de),  463. 


Taine,  137,  249. 
ïertullien,  471. 
Théodulphe,  132. 
Thierry  (A.),  336. 
Thiers,  26,  246. 


VlLLEMAIN,   128. 

Voltaire,  19,  110. 


Zenon,  340. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


BIENFAITS   DE   L'ÉGLISE 

I 
DANS  L'ORDRE  INTELLECTUEL 

Pages. 
PREMIÈRE  CONFÉRENCE 
Les  Bienfaits  de  l'Eglise 

I.  L'Eglise  à  cause  de  ses  bienfaits,  mérite  d'être  aimée  de 
tous 3 

II.  Pourquoi  l'Eglise,  malgré  ses  bienfaits,  est-elle  détestée 

de  beaucoup 8 

DEUXIÈME  CONFÉRENCE 

Les  Bienfaits  de  l'Eglise  dans  l'ordre  intellectuel 

I.  —  L'Église  et  les  Lettres 

1°    l'église    et    la    théologie 

I.  L'Eglise  a  créé  la  théologie 14 

IL  L'Eglise  a  popularisé  la  théologie i& 

TROISIÈME  CONFÉRENCE 
2°    l'église    et    la    philosophie 

I.  L'Eglise  a  protégé  la  philosophie 22 

II.  L'Eglise  a  vulgarisé  la  philosophie 27 

QUATRIÈME    CONFÉRENCE 
3*  l'église  et  l'éloquence 

I.  L'Eglise  a  créé  une  éloquence  nouvelle 33 

II.  L'Eglise  a  créé  une  éloquence  grandiose 31 

III.  L'Eglise  a  créé  une  éloquence  populaire 40 


540  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Page»- 
CINQUIÈME  CONFERENCE 

4°  l'église  et  la  poésie 

I.  Les  sources  de  la  poésie  catholique 44 

II.  Les  chefs-d'œuvre  de  la  poésie  catholique 49 

SIXIÈME  CONFÉRENCE 
5*    l'église    et    l'histoire 

I.  L'Église  impose  à  l'histoire  l'exactitude ïî'4- 

IL  L'Eglise  dégage  de  l'histoire  la  leçon  morale 59 

SEPTIÈME  CONFÉRENCE 
II.   —    L'Eglise    et    les    Sciences 

1°  l'église  est  l'amie  des  sciences 

I.  L'Eglise  ne  craint  pas  les  sciences 85 

IL  L'Eglise  favorise  les  sciences 79 

HUITIÈME  CONFÉRENCE 

2°   LES    SCIENCES    ONT   BESOIN   DE   L'ÉGLISE 

I.  Les  sciences  sont  insuffisantes 74 

IL  Les  sciences  sont  périlleuses 79 

NEUVIÈME    CONFÉRENCE 
III.  —  L'Eglise  et  les  Arts 

I.  L'Eglise  inspiratrice  des  arts 83 

II.  L'Eglise  bienfaitrice  des  arts 88 

DIXIÈME  CONFÉRENCE 
IV.  —  VEglise  et  V Enseignement 

1°  L'ÉGLISE   ET  LES  LIVRES  DE  L'ANTIQUITÉ   PAÏENNE 

I.  Quand  l'Eglise  entra  dans  le  monde,  déchira-t-elle  les  livres 
des  auteurs  païens?  Non , . . .      92 

IL  Au  moyen  âge,  l'Eglise  conserve  avec  un  soin  jaloux  les 
écrits  de  l'antiquité 95 

III.  Avec  la  Renaissance,  voici  la  découverte  de  l'Imprimerie. 
L'Eglise  propage  les  livres  de  l'antiquité  païenne 99 


TABLE  DES  MATIÈRES  541 

Plfffli 

ONZIÈME  CONFÉRENCE 
1*  l'église  et  les  livres  de  l'antiquité  païenne 

(Suite) 

I.  Ce  que  l'Eglise  pense  des  classiques  païens 102 

IL  Ce  que  l'Eglise  désire  par  rapport  à   l'enseignement  des 
classiques  païens 105 

DOUZIÈME  CONFÉRENCE 
2°  l'église  et  l'enseignement  supérieur 

1.  Les  papes  et  iesévêques  fondent  l'enseignement  supérieur.    113 
IL  Les  moines  instituent  dans  leurs  monastères  des  écoles 
conventuelles 114 

III.  Les  rois  catholiques  coopèrent  à  la  création  et  à  la  diffu- 
sion de  l'enseignement  supérieur 116 

IV.  Les   hommes  d'Eglise    propagateurs  de  l'enseignement 
supérieur  se  sont  fait  un  nom  immortel 118 

TREIZIÈME  CONFÉRENCE 
2°  l'église  et  l'enseignement  supérieur  (suite) 

L  Les  écoles  que  l'Eglise  a  ouvertes  du  ve  au  xme  siècle. ..  121 

IL  L'Université  de  Paris  fondée  au  xine  siècle 122 

III.  Les    Universités  d'Europe   fondées   sur  le   modèle  de 
l'Université  de  Paris 124 

IV.  Les  Universités  de  France  qui  rayonnaient  autour  de 
l'Université  de  Paris 127 

QUATORZIÈME  CONFÉRENCE 
3°  l'église  et  l'enseignement  populaire 

I.  Un  fait  :  L'Eglise  dans  le  passé  a  distribué  largement 

l'enseignement  populaire 130 

IL  Une  objection  :  L'instruction  n'existait  pas  avant  1789..      136 

QUINZIÈME  CONFÉRENCE 
l'église  et  le  progrès  intellectuel 
I.  Dans  le  passé,  l'Eglise   mère  et  gardienne   du  progrès 

intellectuel 141 

IL  Dans  le  présent,  l'Eglise  mère  et  gardienne  du  progrès 

intellectuel 145 

III.  Dans  l'avenir,  l'Eglise  mère  et  gardienne  du  progrès 
intellectuel 148 


542  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Pages. 
II 

DANS    L'ORDRE    MORAL 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 
Importance  et  difficulté  de  la  loi  morale 

I.  Importance  de  la  loi  morale 154 

II.  Difficulté  de  la  loi  morale 458 

DEUXIÈME  CONFÉRENCE" 
I.  —  L'Eglise  est  une  grande  puissance  moralisatrice 

1°  l'église  éclaire  la  conscience 

I.  L'Église  présente  à  la  conscience  humaine  des  idées  mo- 
rales précises 164 

II.  L'Eglise  présente  à  la  conscience  humaine  des  idées 
morales  immuables 167 

III.  L'Eglise  présente  à  la  conscience  humaine  des  idées 
morales  impérieuses 170 

TROISIÈME  CONFÉRENCE 

1°  l'église  éclaire  la  conscience  (suite) 

I.  C'est  son  tourment : 174 

II.  C'est  sa  gloire 478 

QUATRIÈME  CONFÉRENCE 
2°    l'église  fortifie     la    volonté 

1.  La  volonté  humaine  est  faible 18$ 

IL  L'Eglise  fortifie  la  volonté  humaine 186 

CINQUIÈME  CONFÉRENCE 
3°  l'église    transforme    la    vie 

I.  Quand  l'Eglise  vient,  la  moralité  monte '. 192 

IL  Quand  l'Eglise  s'en  va,  la  moralité  baisse 196 

SIXIÈME  CONFÉRENCE 
3°  l'église  transforme  la  vie  (suite) 

I.  Les  faux  chrétiens  ne  valent  pas  mieux  que  les  autres.  Je 
l'accorde  volontiers 204 

IL  Les  vrais  chrétiens  valent  mieux  que  les  autres.  Je  l'af- 
firme hautement 208 


TABLE  DES  MATIÈRES  543- 

.  Pages. 

SEPTIEME  CONFERENCE 

II.  —  L'Eglise  est  la  seule  puissance  moralisatrice 

suffisante  , 

1°   LES   INFLUENCES   MORALISATRICES  EN   DEHORS  DE   L'ÉGLISE 

I.  Y  a-t-il  en  dehors  de  l'Eglise  des  influences  moralisa- 
trices? Oui 215 

II.  Ces  influences  moralisatrices  sont-elles  suffisantes?  Non.      218 

HUITIÈME  CONFÉRENCE 

2°   L'ÉGLISE    SEULE   ATTEINT   LES   AMES 

I.  L'Eglise  atteint  les  âmes 226 

II.  L'Eglise  atteint  toutes  les  âmes 229 

III.  L'Eglise  atteint  chaque  âme  en  particulier 231 

NEUVIÈME  CONFÉRENCE 

3°    L'ÉGLISE   SEULE    CONSOLE   LA    SOUFFRANCE 

I.  Constatons  le  fait  de  la  souffrance 23&- 

II.  Qu'avez-vous  à  dire  et  à  donner  pour  consoler  la  souf- 
france  , 239- 

III.  L'Eglise  seule  console  la  souffrance 241 

DIXIÈME  CONFÉRENCE 
L'Eglise  et  le  progrès  moral 

I.  Dans  le  passé,   l'Eglise  a  été  la  mère  et  la  gardienne  du 
progrès  moral 24T 

II.  Dans  le  présent,  l'Eglise  est  la  mère  et  la  gardienne  du 
progrès  moral 251 

III.  Dans  l'avenir,  l'Eglise  sera  la  mère  et  la  gardienne  du 
progrès  moral 253 


III 
DANS  L'ORDRE  MATÉRIEL 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 
L'Eglise  n'est  pas  l'ennemie  du  progrès  matériel 

I.  L'Eglise  est  l'ennemie  du  progrès  matériel.  D'où  vient  cette 
objection? 259 

II.  L'Eglise  est  l'ennemie  du  progrès  matériel.  Que  vaut  cette 
objection? 261 


344  *      CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

DEUXIÈME  CONFÉRENCE 
L'Eglise  est  la  gardienne  du  progrès  matériel 

I.  L'Eglise  préserve  le  progrès  matériel 269 

II.  L'Eglise  subordonne  le  progrès  matériel 272 

TROISIÈME  CONFÉRENCE 
I.  —  L'Eglise  et  l'agriculture 

!•  CB  QUE   L'ÉGLISE  A  FAIT  POUR    L'AGRICULTURE 

I.  Quand  parut  l'Eglise,  où  en  était  l'agriculture  ? 279 

II.  Le  travail  des  moines 281 

III.  L'exemple  des  moines 285 

QUATRIÈME  CONFÉRENCE 
!•  ce  que  l'église  a  fait  pour  l'agriculture  (suite) 

I.  La  science  agricole  des  moines 289 

II.  La  richesse  des  moines 294 

Conclusion 297 

CINQUIÈME  CONFÉRENCE 

2°   CE   QUE   DEVIENT   l' AGRICULTURE   EN  DEHORS   DE   L'ÉGLISE 

I.  —  L'agriculture  et  le  protestantisme 

I.  L'agriculture  en  Angleterre  à  la  suite  du  protestantisme. . .     300 

II.  L'agriculture  en  France  à  la  suite  du  protestantisme 303 

SIXIÈME  CONFÉRENCE 

2°   CE   QUE   DEVIENT  L'AGRICULTURE  EN    DEHORS  DE   L'ÉGLISE   (SUltë) 

IL  —  L'agriculture  et  Virréligion 

I.  L'agriculture  repose  sur  la  bénédiction  de  Dieu 309 

II.  L'agriculture  repose  sur  le  principe  de  la  propriété 311 

III.  L'agriculture  repose  sur  la  loi  du  sacrifice 313 

SEPTIÈME  CONFÉRENCE 

2*   CE   QUE   DEVIENT   L'AGRICULTURE   EN  DEHORS   DE    L'ÉGLISE   (suite) 

H.  —  L'agriculture  et  Virréligion  (suite) 

I.  La  dépopulation  des  campagnes 318 

II.  La  désertion  des  campagnes 321 

III.  La  démoralisation  des  campagnes 324 


TABLE  DES  MATIÈRES  545 

Pages. 
HUITIÈME  CONFÉRENCE 

II.    —   L'Eglise  et  l'industrie 

1°  LES    INVENTIONS    DE    L'INDUSTRIE 

I.  L'Eglise  approuve  les  inventions  de  l'industrie 328 

II.  L'Eglise  stimule  les  inventions  de  l'industrie 332 

,    NEUVIÈME  CONFÉRENCE 

2°     LES     CHEFS      DE     L'INDUSTRIE 

L'Eglise  prêche  aux  chefs  de  l'industrie  : 

I.  L'activité   et  la  modération    dans   la   direction  de   leurs 
affaires 338 

II.  La  justice  et  la  charité  à  l'égard  de  leurs  ouvriers 342 

DIXIÈME  CONFÉRENCE 

3°  LES    OUVRIERS   DE  L'INDUSTRIE 

I.  L'Eglise  ennoblit  le  travail  de  l'ouvrier 348 

II.  L'Eglise  favorise  l'épargne  de  l'ouvrier 351 

ONZIÈME   CONFÉRENCE 

3°    LES   OUVRIERS    DE   L'INDUSTRIE  [suite) 

I.  L'ouvrier  a  des  besoins  matériels  et  moraux 358 

IL  L'Eglise  vient    au  secours  de   la   situation  matérielle  et 
morale  de  l'ouvrier 364 

DOUZIÈME  CONFÉRENCE 

3°   LES    OUVRIERS    DE   L'INDUSTRIE    {suite) 

I.  L'ouvrier  avant  Jésus-Christ 268 

II.  L'ouvrier  au  moyen  âge 371 

III.  L'ouvrier  aujourd'hui 375 

TREIZIÈME  CONFÉRENCE 
III.  —  L'Eglise  et  le  commerce 

I.  La  probité  commerciale  est  l'âme  du  commerce 379 

II.  Les  voies  commerciales  sont  la  condition  du  commerce.       381 

III.  Les    débouchés   commerciaux   sont   le    stimulant    du 
commerce 384 


LES    BIBNFAITS    DE    L'ÉGLISE.    —   1-35 


S46  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

IV 
DANS  L'ORDRE  DOMESTIQUE 


Pages. 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 
Les  lois  du  mariage 

I.  Ce  que  l'Eglise  pense  du  mariage 393 

II.  Ce    que   l'Eglise  a  fait  pour  sauvegarder   les   lois    du 
mariage 395 

DEUXIÈME  CONFÉRENCE 
Le  bonheur  dans  le  mariage 

I.  L'Eglise  règle  le  contrat  matrimonial 401 

II.  L'Eglise  divinise  le  contrat  matrimonial. . . 405 

TROISIÈME  CONFÉRENCE 
L'époux 

I.  Le  chef  du  foyer  est  impie 411 

II.  Le  chef  du  foyer  est  indifférent 415 

QUATRIÈME  CONFÉRENCE 
L'époux   (suite) 

I.  Sous  la  douce  influence  de  l'Eglise,  les  époux  pratiquent 
saintement  les  devoirs  de  la  vie  domestique 421 

II.  Sous  la  douce  influence  de  l'Eglise,  les  époux  goûtent 
paisiblement  les  joies  de  la  vie  domestique 423 

III.  Sous  la  douce  influence  de  l'Eglise,  les  époux  portent 
courageusement  les  charges  de  la  vie  domestique 425 

IV.  Sous  la  douce  influence  de  l'Eglise,  les  époux  élèvent 
noblement  les  rejetons  de  la  vie  domestique 427 

CINQUIÈME  CONFÉRENCE 
Le  père 

I.  Besoin  de  la  religion  pour  porter  le  fardeau  des  devoirs 

et  des  responsabilités 432 

II.  Besoin  de  la  religion  pour  sauver  le  prestige  et  l'autorité 
paternelle 435 

1X1.  Besoin  de  la  religion  pour  assurer  l'empire  de  la  vertu 
dans  l'âme  des  enfants 437 


TABLE  DES  MATIÈRES 


r»  i  7 


Pages. 
SIXIÈME  CONFÉRENCE 
Le  père  [suite) 

I.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles  ?  Le  pouvoir  civil? 442 

II.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles  ?  La  presse,  le  journalisme  ? 443 

III.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles?  L'exemple  descendant  des  hauteurs  sociales?..      444 

IV.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles?  L'école? 445 

V.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles  ?  Le  prêtre  ? 446 

VI.  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles?  La  mère  ? * 447 

VIL  Qui  mettra  le  christianisme  dans  l'âme  des  générations 
nouvelles?  Le  père 448 

SEPTIÈME  CONFÉRENCE 
L'épouse 

l    L'épouse  étrangère  à  l'Eglise 451 

IL  L'épouse  amie  de  l'Eglise 453 

III.  L'épouse  hostile  à  l'Eglise 456 

HUITIÈME  CONFÉRENCE 
La  mère 

I.  Ce  que  la  mère  de  famille  doit  à  l'Eglise 461 

H.  Ce  que  l'Eglise  doit  à  la  mère  de  famille 464 

NEUVIÈME  CONFÉRENCE 
L'enfant  dans  le  paganisme  et  dans  l'Evangile 

I.  L'enfant  dans  le  paganisme 469 

II.  L'enfant  dans  l'Evangile 475 

DIXIÈME  CONFÉRENCE 
L'enfant  dans  le  catholicisme 

I.  H  y  a  dans  l'enfant  une  vie  matérielle  à  conserver 483 

II.  Il  y  a  dans  l'enfant  une  intelligence  à  développer 485 

III.  Il  y  a  dans  l'enfant  un  cœur  à  former. 487 


548  CONFÉRENCES  AUX  HOMMES 

Pages. 
ONZIÈME  CONFÉRENCE. 

L'enfant  dans  le  catholicisme  {suite) 

I.  Admirez  l'enfant  chrétiennement  élevé 492 

II.  Prévoyez  l'avenir  de  l'enfant  chrétiennement  élevé 495 

III.  Comparez  à  l'enfant  chrétiennement  élevé  l'enfant  élevé 

en  dehors  de  toute  instruction  religieuse 491 

DOUZIÈME  CONFÉRENCE 

Le  jeune  homme 

t.  L'Eglise  préserve  le  jeune  homme 500 

II.  L'Eglise  ressuscite  le  jeune  homme 503 

TREIZIÈME  CONFÉRENCE 
Le  jeune  homme  (suite) 

I.  La  ruine  de  la  foi  dans  le  jeune  homme  déchristianisé. . .      507 

II.  La  ruine  du  respect  filial  dans  le  jeune  homme  déchris- 
tianisé        511 

III.  La  ruine  de  la  vertu  dans  le  jeune  homme    déchris- 
tianisé       513 

QUATORZIÈME  CONFÉRENCE 
La  famille  chrétienne 

I.. La  famille  créée  par  Dieu . ....      518 

II.  La  famille  défigurée  par  l'homme 520 

III.  La  famille  restaurée  par  Jésus-Christ. 521 

IV.  La  famille  réalisée  par  l'Eglise 523 

QUINZIÈME  CONFÉRENCE 
La  famille   décatholicisée 

î.  Dans  la  famille  décatholicisée,  ruine  de  l'amour  conjugal.      528 

II.  Dans  la  famille  décatholicisée,  ruine  du  respect  filial...      530 

III.  Dans  la  famille  décatholicisée,  ruine  du  bonheur  familial.      532 


TOURS,    IMPRIMERIE    DESLIS  FRÈRES,  HUE   GAMBETTA,  6. 


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