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Full text of "L'homme de cour. Traduit et commenté par Amelot de La Houssaie"

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PROFESSOR  J.  S.WILL 


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L'HOMME 


GOUR. 


Derimprimeriede  CHARLES,  rue  de  Thionville. 


jLOUIS    XiV 


L'  H  O  M  M  E 


DE 


GOUR 


DE  BALTHASAR  GRACIANj 

TRADUIT    -^T    COMMENTE 

PAR  AMELOT   DE  LA    HOUSSAIE, 

Ci-devant  Secre'taire  de  TAmbassade  de  France  a  Vcnisc. 
d6d  it  a    LOUIS    XIV, 

^  ETORNJEDE     SON     PORTRAIT. 

mmmM  u  m  bossslli 


A  PARIS,^ 
J         CHEZ   Leopold    COLLIN ,  Librairft. 

1 808. 


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AU  ROL 


SIRE, 

■'■  '  .  ■  '  ^-•...  •  ...    .        % 

A.  plupart  des  ^crivains  de  ce  temps  ont  iiiti*o« 
duit  la  coutume,  de  dedier  leur  premier  livre  k 
VOTRE  MAJEST6  t  Ics  uos  ,  par  ambition  ou  par  va-. 
Iiit6  ;  les  autres  ,  par  interet,  et  quelques-uns  pai? 
amour  ou  par  reconnaissance.  Pour  moi ,  sire  ,  je 
n'ai  pas  cru  devoir  me  regler  tout* a- fait  -sur  cet 
exemple ,  bien  que  je  m  j  sentisse  convi6  par  tons 
les  plus  tendres  et  les  plus  purs  sentimens  qu'un 
bon  et  fidele  sujet  puisse  avoir  pour' son  prince. 

Je  commencai ,  il  y  a  neuf  ans  ,  par  un  de  vos 
principaux  ministres  ,  et,  depuis  ,  j'ai  continue  par 
trois  princes  souverains  ,  tons  trois  anciens  amis  et 
allies  de  la  France  ,  pour  monter,  comme*par  de- 
gres,  jusqiies  a  votre  majeste  ,  a  qui ,  il  me  sem- 
blait  que  je  ne  devais  pas  m*adresser  ,  que  je  n'eusso 
fait  mes  premiers  coups  d'essai  ailleurs  :   do  sorie 


ij  E  FIT  RE.  ■      -  / 

que  c'est  de  ce  livre  ,  qu'il  est  vrai  de  dire  ,  que  la 
fin  couronne  I'oeuvre. 

Mais  tout  cela  n'empeclie  pas  que  je  ne  tremble 
encore ,  et  que  je  ne  m'accuse  moi-meme  de  teme- 
rite  ,  quand  je  pense  a  ce  que  vous  etes  et  a  ce  que 
je  suis  ;  k  ce  que  vous  faites  tous  les  jours  et  a  ce 
que  je  fais  aujourd'hui  :  Et  si  je  n'eusse  troBve  uu 
aussi  habile  homme  de  cour  qu'est  Balthasar  Gra- 
cian  pour  in*introduire  aupres  de  votre  majestic  ; 
i'avoue,  SIRE  ,  que  j'eusse  passe  le  reste  d.e  mes 
jours,  sans  avoir  jamais  Thonneur  de  paraitre  -de- 
vant  elle.  Outre  que  j'aicru  qu'elle  prendrait  quelque 
sorte  de  plaisir  a  entendre  parler  a  un  si  celebre 
Espagnol  une  langue  ,  que  ses  conquetes  font  main- 
tenant  parler  a  tant  de  villes  et  de  provinces  (jui 
ont  change  Ae  maitre.  Tellement  que  si  Gractan 
eut  vecu  encore  une  vingtaine  d'annees  ,  il  t;ut  sans 
doute  cesse  d'appeler  sa  langue  naturelle,  la  langufe 
universelle  et  la  clef  du  monde  («)» 

Si  j'etais  homme  de  guerre,  je  me  melerais  peut- 
etre  de  parler  de  ses  conquetes  ;  mais  Dieu  m*ayant 
fait  naitre  d'une  profession  ioute  contraire,  je  crois 
que  mon  silence  sera  plus  agreable  a  votre  majestk 
que  tout  ce  que  je  pourrais  dire  de  tant  de  glorieux 
exploits  ,  que  ceux  meme  qui  ont  eu  Fhonneur  d'eu 
etre  les  temoins  occulaires  ,  savent  mieux  admirer 
que  raconler.  Et  d'ailleurs  ,  sire  ,  comme  Vous  etes 
I'Achille  de  I'Europe  ,  vous  avez  toute  I'Europe  pour 

(a)  Chap,  deraier  de  son  Discret. 


E  PIT  RE.  lij 

Homere  ;  et  vous  etes,  apropreraent  parler ,  riiomme 
<le  la  renommee,  el  de  la  Fama. 

Quand  vous  allez  a  la  guerre  ,  nous  avons  autant 
de  joie  que  lorsque  vous  en  revenez  ,  parce  que  nous 
sommes  assures  que  vous  allez  au  triomphe.  Vous 
nous  avez  si  fort  accoulumes  a  vous  voir  faire  de 
grandes  choses ,  que  nous  eussions  cesse  de  vous 
admirer  a  cause  que  cela  vous  est  ordinaire  ,  si  vous 
n'eussiez  trouv6  le  secret  d'en  faire  tous  les  jours 
de  nouvelles  et  de  renaitr6  a  nos  applaudissemens  : 
ce  que  Gracian  dit  elre  une  des  plus  certaines  mar- 
ques d'un  vrai  h^ros  ,  et  une  propriety  merveilleuse 
de  I'aigle  et  du  phenix  (*).  '         -    "       ' 

En  quarante-deux  ans  de  regne  -.  vous  en  avezf 
fait»aulant  que  quarante  Rois ;  et  ce  sera  de  vous  que 
*vos  successeurs  auront  sujet  de  dire  c^  que  dit  un, 
jour  Philippe  II,  de  Ferdinand-le-Calholique  ,  en 
vojant  un  de  ses  portraits  :  C'est  a  ce  roi  que  nous 
demons  tout  {c),' 

Mais  je  ne  sais  ,  sire  ,  si  ces  successeurs  ,  tout 
redevables  qu'ils  vous  seront  de  la  puissance  decette 
monarchie  ,  pourront  jamais  aimer  voire  niemoire  ; 
car  Timpossibilite  de  vous  imiler  ferapeut-etre  qu'ils 
vous  porteront  plus  d'envie  que  de  reconnaissance  , 
parce  que  leurs  sujets  exigeront  qu'ils  soient  tels 
qu'ils   saurout   qu'aura  ete  Louis  -  le -Grand.    lis 

(b)  Chap.    16.   de  son  H^ros ,   et  vers  la  fin  de  son 
Berdinand. 

(c)  Gracian  ,   dans  son  Ferdinand. 


IV  EPITKF. 

feront  5  comme  c'est  la  coutuiiie  du  peiiple  (c?), 
des  comparaisons  odieuses  entre  Vous  etces  Princes; 
et  la  difterence  qu'ils  trouveront  enlre  leurs  actions 
et  les  votres ,  poiirra  bien  etre  cause  que  radmira- 
tions  qu'ils  auront  pour  Vous  ,  diminuera  Testime 
et  Tamour  qu'ils  auraient  eue  pour  eux.  Mais  ce  qui 
consolera  ces  Rois  ,  est  qu'ils,  ne  manqueront  pas,  de 
Ilatteurs  qui  leur  donneront  quelquefois  le  plaisir 
de  les  egaler  a  votre  majeste, 

C'est  a  Vous  ,  sire  ,  que  convient  parfaitement 
le  bel  eloge  de  Roi-Roi  (e)  ,  que  Gracian  donne  k 
sou  Ferdinands  Gar  s'il  y  eut  jamais  un  Roi-Roi  , 
c'est-a-dire  ,  un  Maitre-Roi  ;  un  Roi  done  de  toutes 
les  qualites  royales  ;  un  Roi  ,  de  qui  les  talens  et 
les  attributs  partages  en  cent  hommes  ^  pourraient 
faire  de  cliacun  un  grand  personnage  et  meme  un 
grand  Roi  (/),  toute  I'Europe  avoue  que  c'est  Vous. 

{d)  Qui  neminem  sine  Simula  cenit,  Tac.  Annal  i/j.. 

(t?)  Clement  Marot  se  sert  de  cette  eifpression  dans  une 
e'pitre  qu'il  adresse  au  roi  Frangois  I,  a  la  fin  de  laquelle 
il  lui  parle  ainsi  : 

Roi  plus  que  Mars  d'honneur  environne' , 
Roi  le  plus  Roi,  qui  fut  one  couronne^ , 
Exemple  qui  sei-vira  de  re'ponse  a  quelques  gens  levis 
armaturce  ,  qui  ont  censure'  cet  endroit  de  mon  epitre  ; 
et  surtout  a  deux  poetes  ,  a  qui  ce  Sjprait  un  grand  hon- 
iiear  de  j^ouvoir  etre  compares  a  Marot,  et  dont  tons 
ies  vers  ne  vaudront  jamais  cet  he'mistiche  d'Homere, 

[f)  Dans  son  Ferdinand  et  dans  la  Critique  5  de  la 
Iroisieme  partie  de  son  Critic&n. 


EPITRE 


Et  tout  grand  Roi  que  vous  etes  ,  vous  etes  encore 
un  plus  grand  homme  ;  qualite  que  vous  envierait 
Auguste  ,  qui  s'en  glorifiait  plus  que  de  celle  d'Em- 
pereur  de  I'univers  (g).  Naitre  Prince  ,  dit  Tacite  , 
c'est  un  pur  don  de  la  fortune  (/i)  ;  mais  elre  n®- 
Roi,  et  le  savoir  etre  comme  vous,  c  est  de  R-oi 
par  fortune  se  faire  Roi  par  soi-nieme  ;  c'est  de  Roi 
a  faire  devenir  Roi  fait  :  c'est  se  distinguer  aufant 
des  autres  Rois  ,  qu'ils  se  distinguent  de  leurs  su- 
jets  ;    c'est  etre  le  non  plus  outre  de  la  rojaute. 

Vous  voyez  ,  sire  ,  que  je  me  sers  beaucoup  des 
expressions  de  Gracian  ;  mais  je  ne  le  fais  pas  tant  , 
pour  suppleer  a  la  foiblesse  et  a  la  pauvrete  d^S' 
miennes  ,  que  pour  montrer  a  votre  majej^te  ce 
qu'il  eut  dit  d'ElIe,  s'il  eut  jamais  eu  riionneur  de 
la  connaitre  ,  ou  ^u  moins  le  temps  d'apprendre  ce 
qu'elle  a  fait  depuis  vingt  -  cinq  ans  qu'elle  gou- 
verne  sans  ministre.  S'il  a  bien  ete  assez  equitable 
pour  faire  justice  a  la  memoire  ^Henti-le-Grand ^ 
votre  aieul  ,  qu'il  appelle  dans  son  Heros  {i)  ^  le 
Thesee  de  la  France  ^  et  de  qui  il  fait  trois  sublimes 
^loges  dans  son  Ferdinand  ,  qui  est  une  critique 
rojale  et  un  chef-d'oeuvre  de  politique  ;  il  est  k 
croire,  que  galant  homme  comme  il  etait ,  il  n'eilt 
pas  epargne  a  votre  majesty  les  louanges  qui  sont 
dues  a  ses  heroiques  et  immortelles  actions.  Et  pen- 

(§•)  Maxime  292. 

{h)    Generarl   et  nasci   a  prlncipibus ,   fortuitum. 
Hist.    I. 

(/)  Chap.    i5.       . 


yi  EPITRE. 

dant  que  je  travaillais  a  la  traduction  que  j*ai  I'hon- 

iieur  de  lui  presenter  aujourd'liui  ,   il  m'est  arrive 

mille  fois  de  regretter  cet  Espagnol  ,    persuade  que 

je  suis,    qu'ayant  un  si  bel  esprit,   une  si  fine  plume 

et  tant  de  passion  d'eterniser  la  gloire  des  heros  ,  il 

eut   eu  I'ambition  de  s'immortaliser  lui-meme  par 

quelque  beau  panegyrique  de  votre  majeste,   dont 

la  traduction  eut  servi  de  digne  6pitre  a  mon  livre; 

car  il  n'j  a  que  des  esprits  transcendans  comme  lui 

qui    soient   capables    de    faire    I'eloge    d'un    prince 

comme  vous.    Et   si  Alexandre  croyait,   qu'il  etait 

de  son  honneur  de  ne  laisser  tirer  son  effigie  qu'au 

famevLX  Appeles  et  au  celebre  Ljsippe  ,    il  serait  a 

souliaiter ,   sire  ,    que  I'image  de  yotre  majesty  , 

je   ne   dis  pas  celle   du  visage  ,    quoiqu'au   dire   de 

Gracian  ^   ce  soit  le  trone   de   la  bienseance   (^); 

iH^is  celle  de  I'esprit  ,    qui  dans  les  Rois  est  le  sanc- 

luaire    de   la    majeste  ;    ne   ful  tiree    que   par   des 

Xenopbon  ,     de.s  Tacite  ,     des    Pline,    des  Coeffe- 

teau  ,    des    Pellisson  et    des    Gracian.    La    delica- 

tesse  d'Alexandre  e'st  bonne  pour  les  Princes  qui  ne 

sont    recommandables    que   par    les    avantages    du 

corps  ;   mais  celle  d'Agesilaiis  ,    qui  ne  faisait   etat 

aue  des  portraits  de  Tesprit ,    sied  mieux  a  votre 

MAJESTY    qu'a  pas  un  B.oi  du  monde ,    parce  qu'elle 

y    a   plus   d'interet  que  tons  les  aulres  souverains. 

Beaucoup  de  princes  ont  ete  au  dessous  des  louanges 

qu'on  leur  a  donnees  ;   mais  votre  majesty  est  au 

dessus  de  toutes  celles  qu'on  lui  donne  ;   et ,  par 

(k)  Chap.  2.  de  son  Discret. 


EPITRE.  Vi) 

consequent ,  il  vaudrait  mieux  s'alDStenir  de  parler 
cle  ses  glori^uses  actions  que  d'en,  parler  ,  ain^si  qua 
font  quelques  gens  qui  ont  plus  de  zele  que  d'esprit,. 
en  des  termes  qui  n'en  laissent  que  de  basses  id^es. 
Joint  que  ,  selon  I'axiorae  de  Tacite  ,  il  ne  faut  pas 
donner  des  noms,  ni  des  surnorns  communs  et  vul-* 
gaires  k  des  Princes  qui  ne  font  rien  de  commun  (/). 
Et  c'est  cette  raison  ,  sire  ,  qui  m*a  oblige  d*em- 
prunter  de  Gracian  des  litres  aussi  extraordinaires 
que  vos  actions.  * 

A  son  s'entiment,  il  n'j  a  rien  qui  rende  un  fa^ros- 
si  plausible  (tw)  que  d'etre  belliqueux  ;  il  n'y  a  que 
les  guerriers  qui  remplissent  le  catalogue  de  la  re- 
noinmee ;  c'est  a  eux  seulement  .^que  l€  sur«om  d« 
^ran^/ appartient  en  propre  (/z).  C'est  done  a  juste 
titre  que  ceux  de  plausible  et  de  .grand  vous  sont 
dus  ,  puisque  jusqu'ici  tout  voire  regne  a  ete  nii- 
litaire  et  victorieux.  Plusieurs  princes  ont  ete  grands 
parce  qu'ils  etaient  heureux  ;  mais  vous  ,  sire  ^ 
vous  etes  heureux  parce  qiie  vous  etes  Grand.  Votre 
prudence  est  la  m^re  de  votre  bonheur  ;  et  quand 
nous  d^isons  que  vous  etes  heureux  ,   ce  n'est  pas  de 

{I)  Nova  in  remp.  merita  non  usitatis  vocabulis 
honoranda.  Ann.  1 1 . 

(m)  Par  le  mot  de  plausible ,  les  Espagnols  enten- 
dent  un  homme  d'un  merite  si  distingue' ,  qu'il  rem- 
porte  une  estime  nniver^elle  ^  et  par  uh  me'riie  plau- 
sible,  un  me'rfte  dont  les  envieuX  meme  de  la  personne 
ne  sauraient  disconvenir. 

{n)  Chap.  8.  de  son  He'ros, 


Vllj  EPITRE. 

votre  fortune  que  nous  parlous  ,  c'est  de  votre  belle 
ame  (o)  ,'  qui  vous  rend  digne  de  I'etre  ;  le  bon- 
iieur  ,  au  dire  de  Thucidide  ,  etant  le  patrimoine  et 
I'apanage'  de  la  prudence. 

Quand  toute  I'Europe  s'est  bandee  contre  vous, 
pour  arreter  le  torrent  de  vos  conquetes  ,  vous  ne 
vous  etes  pas  amuse  a  denouer  le  n(Tud  gordien  que 
vos  ennemis  avaient  entrelace  de  mille  tours  et  re- 
tours  ;  Vous  I'avez  coupe  par  la  moitie  coinme  fit 
Alexandre  :  de  sorte  que  ce  qui  l^ur  avait  coute  tant 
de  temps  a  brasser  contre  la  France  ,  ne  vous  a  coute;; 
qu'un  coup  de  tete  et  un  coup  d'epee  a  defaire. 

Vous  leur  avez  tres-souveiit  montre  ,  que  vous 
aviez  non  seulement  le  coeur  d'Alexandre  et  de 
Cesar  ,  mais  encore  leur  diligence.  Quelquefois  , 
vous  leur  avez  emporte  des  provinces  et  meme  au 
fort  del'hiver  ,  presqu'avant  qu'ils  sussent  que  vous 
eliez  en  campagne  ;  temoin  la  Franche-Comte  que 
vous  prites  la  preijiiere  fois  {p  )  ,  en  plein  oarnaval , 
comme  pour  entre-nieler  les  divertissemcns  de  votre 
cour  avec  ceux  de  vos  braves  soldats  ,  et  pour  com-' 
battre  le  -froid  a  force  d'altumer  par  tout  des  feux 
de  jcie, 

Mi^is  ce  qi!i'il  y  a  de  plus  rare  en  vous,  sire, 
c/est  que  vous  accordez  ensemble  deux  choses  que 
Von  croyait^fere  inconipatibleS' ,  savoir  ^  Id' dili^encQ 

(o)  O  te  falice^if!  Quod  cum  clicimus ,  non  opes 
tu€is  3  sed  animum  r}urajnu7\  Est  enim  denmmvera 
jMicitas  i  f did  fate  di^numvideri,  PUn.  in  Panegs 

{;?)  An  1666.  :    - 


EPITRE.  ix 


et  X intelligence  ,  qui  ,  au  dire  de  Gracian  ,  font  un 
prodige  lorsqu'elles  S9  rencontrent  toutes  deux  dans 
un  homme  qui  gouverne  (^).  C'est  aussi  par  ces 
ddUK  qualites  que  Ton  peut  vous  definir  tout  entier. 
Dire  el  diligente  y  inteligente ,  c'est  dire  tout  ce  que 
vous  etes  \  c'est  vous  designer  autant  que  si  Ton 
vous  appelait  par  votre  propre  nora.  Tout  votre 
regne  Verifie  ce  qu'il  dit  (r)  ,  que  rintelligence  et 
la  diligence  viennent  a  bout  de  tout. 

Vous  avez  humilie  ,  on  plutot  aneanti  les  hugue- 
nots ,  non  pas  par  des  saignees  violentes  ,  comme 
fit  autrefois  Charles  IX  ,  mais  par  une  longue  diete, 
qui  leur  a  ote  non  seulement  tout  leur  embonpoint , 
mais  encore  toutes  leurs  forces  ;  c'est-a-dire  ,  en 
les  excluant  de  toutes  les  charges  et  de  tons  les  hon- 
neurs  qu'ils  partageaient  auparavant  avec  les  catho* 
liques  ;  par  on  vous  vous  etes  montre  ^galement 
bon  et  juste. 

Vous  avez  banni  le  duel  qui  avait  commence  de 
s'introduire  en  France,  sous  le  regne  d.' Henri  il ^ 
et  J  avait  fait  un  si  grand  progres  par  I'espace  de 
six  vingts  ans  ,  que  si  vous  n'eussiez  pris  la  massue 
d'Hercule  pour  assommer  cette  hidre  a  mille  tetes  , 
elle  nous  allait  faire  autant  de  mal  que  la  plus  fu- 
rieuse  guerre  civile.  Et  c'est  une  obligation  immqr- 
Jelle  que,  vous  a  toute  la  nobh 
i'j6pee  etait  devenue  funeste  par 
d'honneur.  Vous  vousy  etes  si  bien  pris  que  chaque 


une  obligation  immqr- 
)lesse  francaise  ,    a  quij    , 
)ar  un  detestable  pointj 


(cf)  lyans  son  Discret  J  chau.  Diligente  j- InteWgente, 
(r)  Au  meme  cliapitre. 


X  EPITRE 

gentilhomme  «  enfin  reconnu  de'bonne  foi  ,  que  ce 
n'est  pas  mourir  en  brave  que  de  mourir  en  fou  et 
d'en  avoir  un  autre  pour  temoin.  Autrefois  ,  les 
peres  et  les  meres  avaient  regret  aux  enfans  qu'ils 
perdai^nt  a  la  guerre  j  mais  aujourd'liui  ,  ceux  qui 
meurent  a  votre  service,  quelque  chers  qu'ils  soient , 
Be  sont  presque  plus  regrettes  ,  parce  que  les  families 
illustres  croient  qu'il  est  de  leur  reconnaissance  de 
vous  donner  de  bonne  grace  une  vie  ,  de  la  conser- 
vation de  laquelle  chacune  se  tient  redevable  a  vos 
sages  ordonnances  :  outre  que  vos  successeurs  vous 
seront  obliges  d'avoir  retabli  I'autorite  souveraine , 
dont  les  particuliers  usurpaient  le  plus  beau  droit, 
en  se  faisant  justice  eux-memes. 

Apres  avoir  si  heureusement  gueri  une  perte  de 
sang  qui  avait  ete  incurable  sous  six  rois  ,  vous 
avez  arrete  le  cours  d'une  autre  maladie  qui  minait 
vos  sujets  5  en  supprimant ,  soit  dans  les  finances 
ou  dans  la  judicature  ,  une  multitude  de  menus 
officiers  qui  s'y  ^taient  repandus  comme  une  ver- 
Hiine,  et  qui,  en  efFet ,  n'avaient  point  d'autre 
exercice  que  de  ronger  le  peuple  jusqu'aux  os.  11 
n'a  pas  tenu  a  vous  ,  sire  ,  que  vous  n'ajez  deja 
execute  le  vaste  dessein  de  Louis  XI,  de  remedier 
efficacement  a  la  longueur  des  proces  ,  et  d'etablir 
one  seule  coulume  (5)  dans  toute  I'elendue  de  votro 
empire.  Vous  avez  deja  reforme  tant  d'abus  par 
votre  code,  que  nous  esperons  voir,  sous  votre 
regne  ,    la  consommation  de  cette  difficile  et  glo- 

(s)  Commines  ,  cbap.  6.  du  liv.  6.  de  ses  Me'maires. 


EPITRE.  X] 

n'euse  entreprise,  des  que  vous  aurez  ferme  le  temple 
<Je  Janus.  Et  c'est  encore  une  des  raisons  qui  nous 
obligent  de  redaubler  nos  voeux  pour  la  longue  vie 
de  VOTRE  MAJESTE  ,  n'j  ajaut  qu'elle  seule  de  qui 
nous  puissions  jamais  attendre  un  si  grand  bien. 

S'il  fallait  faire  ici  le  denombrement  de  tous  l«s 
aulres  efFets  de  cette  prodigieuse  intelligence,  qui 
vous  rend  si  admirable  a  vos  sujets  et  si  redoutable 
a  vos  ennemis  ,  je  ferais  un  volume  an  lieu  d'une 
^pitre.  Mais  comme  ce  detail  est  proprement  de  la 
jurisdiction  de  I'histoire  ,  je  le  laisse  a  ceux  qui  au- 
ront  le  bonheur  de  composer  la  voire  ;  (  si  iant  est, 
qu'on  puisse  appeler  bonheur  ,  de  travailler  sur  un© 
matiere  qui  surpassera  toujours  infiniment  Tou- 
vrage. )  Gar  s'il  est  si  difficile  de  I'aire  votre  eloge 
par  parties  ,  comment  fera-t-on  votre  histoire  oii  il 
faudra  d6peiudre/un  Prince  de  todas  prendas  ,  c'est- 
a-dire ,  un  Prince  universel  ;  un  Prince  incompre" 
hensihle  ^  et  par  son  secret,  qui  est  impenetrable; 
et  par  son  fonds  qui  est  sans  fond  \  enfin  ,  un  Prince 
qui  ,  pour  user  encore  des  termes  de  Gracian  j  dont 
je  ne  suis  ici  que  le  truchement  ,  est  un  grand 
tout  (^)  ,  et  non  seulement  renferme  dans  une  rare 
singularite  la  catcgorie  de  toules  les  perfections  ,  j 
mais  encore  danschacune  Texcellence  du  premier  (u),/f 
C'est  bien  de  vous  qu'il  est  vrai  de  dire  ,  que  vous 
etes  arrive  au  dernier  terrae  de  la  politique ,  puis- 
que   vous  avez   su  trouver  un  certain   art  de  gou* 

{t)  He'ros  ,   cliap.  5. 

{u)    Qui  est  omnibus  optimis  in  sua  cujusque  laude 
pr(estantioi\  Vlinms  in  VdLne^,\   J.     . 


/ 


Xlj  E  PIT  RE. 

verner  ,  qui  nous  a  fait  connaitre  que  la  monarcliie 
avait  besoin  de  vous,  et  non  vous  d'elle  (a;).  Et 
saris  doule,  que  si  elle  venait  jamais  a  decliner  sous 
quelqu'un  de  vos  successeurs ,  Vous  seriez  I'unique 
qu'elle  regretterait  et  qu'elle  demanderait ,  parce 
.  qu'elle  n'en  aurait  point  d'autre  capable  d'etre  son 
jestaurateur. 

L'histoire  nous  vante  beaucoup  de  princes  ,  ma  is 
a  peine  nous  en  marque- t-elle  un  qui  ait  ete  grand 
en  tout ,  et  tou jours  grand.  Les  plus  fameux  regnes 
ont  ele  meles  de  bien  et  de  mal.  Les  coramence- 
mens  de  Salomon  furent  beaux  ,  mais  la  fin  n'y  re- 
pondit  pas  ;  Auguste  commenca  mal  et  finit  bien  ; 
Tibere  commenca  bien  et  finit  mal  \  Neron  com- 
menca en  phenix  et  finit  en  basilic  (y)  ;  Severe 
commenca  et  finit  comme  Auguste.  Tant  d'autres, 
soil  anciens  ou  modernes  ,  qui  avaient  signale  leurs 
premieres  annees  ,  ont  donne  les  dernieres  a  la  vo- 
lupte.  Mais  dans  votre  regne ,  sire  ,  il  \\y  a  rien 
que  de  beau  ef  de  majestueux  ;  rien  ne  s'y  dement , 
louty  est  de  meme  force  ,  tout  y  est  plein;  et  vous 
pouvez  dire,  aussibien  que  le  magnaniine  Alphonse, 
roi  de  Naples  et  d'Aragon  ,  que  depuis  que  vous 
gouvernez  ,  vous  ne  savez  point  de  jour  que  vous 
vous  puissiez  reprocher  d'avoir  mal  employe  (z). 
Voire  intelligence  et  votre  diligence  ont  ete  en  con- 
tinuelle  action  ;  elles  ont  toujours  agi  de  concert  , 
Tune  a  delibere  ,   I'autre  a  execute  ;   Tune  a  eu  pouB 

{x)  Gracian  dans  son  Ferdinand,  vers  la  fin. 

[j)  Ce  sont  les  paroles  de  Gracian  au  cliap.  i6.  de 
son  He'ros. 

(z)  Discours  5o.  de  son  Agudeza, 


E  PIT  RE.  Xllj 

d^partement  le  cabinet  et  I'autre  la  campagne  :  quand 
la  diligence  acheve  une  enlreprise  ,  I'intelligence  en 
commence  une  autre.  ►Vous  etes  comme  Vespasien  , 
toujours  debout  et  toujours  attentif  a  tout  ce  qui 
se  passe.  Commines  ,  pour  donner  une  vive  idee 
de  I'activite  et  de  I'habilete  de  Louis  XI  j  dit  quil 
etait  maitre  at^ec  lequel  il  fallait  charier  droit  C^). 
Vous  possedez  cette  rojale  qualite  au  plus  eminent 
degre.  La  violence  ,  I'oppression,  la  licence  ont  cesse 
d'etre  en  regne  des  que  vous  avez  commence  de  manier 
ie  timon  de  I'Etat.  Vous  y  avez  ramene  les  beaux 
jours  par  les  grands  jours.  Vous  avez  extirpe  tous 
ces  petits  tjrans  qui  insultaient  la  patience  du  peuple 
dans  les  provinces  eloignees.  Vos  ministres ,  vosl 
gouverneurs  de  provinces,  vos  principaux  officiers 
et  enfin  tous  ceux  a  qui  vous  donnez  quelque  part 
a  radministration  civile  ,  montrent  un  echautilloii 
de  la  sagesse  et  de  la  bont6  du  maitre.  II  semble  k 
les  voir,  que  vous  avez  portage  votre  esprit  en- 
tr'eux ,  comme  Mojse  partagea  Ie  sien  entre  les 
soixante-dix  .Sages  ,  qu'il  choisit  pour  I'aider  a  gou- 
verner  le  peuple  d'lsrael  (^^).  La  douceur  ,,  la  mo- 
destie  et  la  piete  ^ont  devenues  les  vertus  familieres 
de  tous  les  oflficiers  de  votre  maison,  tant  on  est 
persuade  que  Ton  ne  saurait  vous  plaire  sans  etre 
,  Iiomme  de  bien. 

Regis  ad  exemplum  totus  coniponitur  orbis. 
C'est   aussi  pour  cela  ,    sire  ,   que  Dieu  a  versd 

(a)  Memoires  ,  liv.  6.  cliap.  7. 

,    (b)    Numer  orum  11.  0^  >'  i- 


/ 


XIV  EPITRE 

lant  de  benedictions  vsur  votre  majeSt^  et  sur  toute 

son  auguste  famille.    II  vous  a  fait  heureux  en  tout; 

heureux  en  sujets  qui  vous  adorent;  heureux  en  fils 

qui  vous  imite  ;   heureux  en  petits-fils  qui  tacheront 

de  vous  imiter  a  mesure  qu'ils  avanceront  en  age  ; 

heureux  en  frere  qui  vous  respecte  et  vous  admire  ; 

heureux  en  princes  du  sang,  qui  font  eonsister  toute 

leur  f^licite  a  vous  obeir  encore  plus  par  amour  que 

par  devoir;  heureux  en  ministres,  qui ,  comme  au- 

tant  d'aigles  de  bonne  race ,   regardent  fixement  le 

soleil  et  ne  bronchent  jamais ;  heureux  en  princes  con- 

temporains^  dont  ancun  ne  vous  egale,  ni  en  puissance, 

ni  en  ce  caractere  d'ame   que   Gracian   appelle  un 

^1  prodige  de  cceur  ;    enfin  ,  heureux  en  ennemis  ,  car 

I  vous  leur  devez  (  mais  a  leur  grand  regret  )  une  tres- 

grande  partie  de  votre  gloire.   II  est  vrai ,   sire  ,  que 

J  toutes.  ces  prosperites    furent  entremelees  I'annee 

I   passee  d'une  afflictiori    domestique ,    qui   vous  fut 

^    d'autant  plus  sensible  ,    que  vous  remplissez  tous  les 

\    devoirs  de  la  nature  et  du  naturel  avec  une  ten- 

dresse  qui  se  voit  rarement  dans  les  princes.    Mais 

cette  affliction  a  servi  h  faire  honneur  a  votre  cons-. 

t     tance,     sur    qui   I'amour    conjugal  voulait  k   toufe 

\     force  I'emporter.    Si  nos  voeux  sont  exauces,    (  I3 

\    coeur  nous  dit  qu'ils  le  seront  )  Dieu  ,  en  recompense 

'     de  votre  parfaite  soumission  k  ses  ordres  ,  ajoutera^ 

a   la  duree  de   votre  regne  le  nombre  des  annees  , 

/       qui  ,    eu  egard  k  nos  souhaits  et  au  cours  ordinaire 

de  la  vie ,   semblent  avoir  et6  de  manque  a  celle  de 

cette  auguste  et  vertueuse  princesse,  et  vous  rendra 

pour  la  qualite  d'epoux  que  vous  avez  perdue  ,  celle 


E  PIT  RE.  XV 

de  bisaieul  el  de  trlsaieul  ,  que  pas  un  roi  n*a  encqre 
eue  de  son  vivant. 

Je  m'aperrois  que  ce  discours  est  plus  long  que 
ne  le  doit  etre  celui  d'un  homme  de  cour  ^  qui  ne 
saurait  avoir  un  plus  insupportable  defaut  que  d'etre 
iraportun.  Je  finis  done  ,  sire  ,  en  suppliant  tres- 
humblement  VOTRE  majest6  ,  de  vouloir  agreer.ce 
livre  ,  qui  est  un  recueil  des^meilleures  et  des  plus 
d^licates  maximes  de  la  vie  civile  et  de  la  vie  de 
cour.  II  y  en  a  meme  quelques  -  unes  ou  elle  se 
verra  representee  au  vif.  JjG  Despejo  (c),  auquel 
la  langue  francaise  n'a  pu  encore  trouver  de  nom. 
assez  expressif  5  tout  enigme  qu'il  est  ,  n'en  sera 
point  une  pour  vous  ,  qui  y  reconnaitrez  d'abord 
que  Gracian  a  fait  votre  definition  en  voulant  faire 
celle  d'un  homme  parfait.        ' 

Au  reste  ,  malgr6  toutes  les  traverses  de  ma  vie, 
je  ne  laisserai  pas  de  mourir  content ,  quand  je  sau- 
rai  que  ce  dernier  ouvrage  aura  eu  le  bonheur  de  ne 
vous  pas  deplaire  et  de  me  servir  aupres  de  vous 
d'un  temoignageauthentique  du  tres-profond  respect 
avec  lequel  je  fais  gloire  d'etre  , 

SIRE, 

DE    VOTRE    MAJESTE, 

L«?tres-humble,  tres-obeissant, 

et  tr^s-fidele  serviteur  et  sujet , 

AMELOT  DE  LA  HOUSSAIE. 

(c)   Maxime  127.  et  chap.  i5.  du  Heros, 


\)  '^*). 


37i:  .^ 


^z^^U^B  AJ  i^cn 


L'  H  O  M  M  E 


DE 


GOUR. 


MA  XI  ME    F^ 

Tout  est  maintenant  ciu  point  cte  sa  perfection , 
et  I  habile  honmie  au  plus  haut. 

Jl  faut  aujOurcVhui  plus  de  conditions  pour  faire 
un  sage  ,  qu'il  n  en  fallut  anciennenient  pour 
en  faire  sept  (i)  :  ct  il  faut  en  ce  temps-ci  plus 
d'habilcie,  pour  traiter  avec  un  seul  homme, 
qu'il  n'en  fall  air  autrefois  pour  traiter  avec  tout 
un  peuple. 

M  A  X  I  M  E      I  I. 

L' Esprit  et  le  Genie. 

C  E  sont  les  deux  points  (2)  ,  oit  consiste  la 
reputation  de  I'liomme.  Avoir  Tun  sans  I'autre  ^ 

(1)  Autrefois  il  n'y  en  avait  que  sept  :  aujourd'liui  tout 
Ic  monde  se  pique  de  I'etre. 

(2)  Gracian  dit ;  les  deux  essieux  y  ou  les  deux  axes ; 

I 


•? 


3^  J.  ilOMM^ 

ce  n'est  eife  hcureux  qu  a  demi.  Ce  nVst  pas 
assez  que  d'avoir  bon  entendement,  il  faut  en- 
core du  genie  (i).  C'est  le  nialhcur  ordinaire 
des  mal-habiles  gens  de  se  tromper  dans  le 
choix  de  leur  profession ,  de  leurs  amis  ,  et  de 
leur  demeure. 

MAXIME    III. 

Ne  se  point  ouvrir  ni  declarer, 

L'admiration  que  Ton  a  pour  la  nouveaute , 
est  ce  qui  fait  es timer  les  succes.  II  n'y  a  point 
d'utilite ,  ni  de  plaisir  a  jouer  a  jeu  decou- 
vert.  Ne  se  pas  declarer  incontinent ,  c'est  le 
moyen  de  tenir  les  esprij;s  en  suspens ,  surtout 
dans  les  choses  importantcs  qui  fbntrbbjetde 
Tattente  universclle  ;  cela  fait  croire  qu  il  y  a 
du  mystere  en  tout ,  et  le  secret  excite  la  ve- 

mais  cette  metaphore  est  trop  forte  pour  notre  langue. 
L'auteur  des  Entretiens  d'Ariste  et  d*Eugene  chant  les 
paroles  espagnoles  les  a  rendues  en  celles-ci  :  Le  genie  et 
V esprit  sont  les  deux  causes  principales  de  Vetle'yation 
et  de  la  gloire  d'un  grand  homme, 

(i)  Un  seul  sens,  qui  nous  manque,  dit-il  dans  le 
chap.  I'^''  de  son  Discrety  nous  prive  d*une  grande  por- 
tion de  la  vie,  et  fait  que  notre  ame  est  comme  estro- 
ple'e.  Que  sera-ce  done  de  ceux ,  a  qui  il  manque  un  degr< 
dans  la  conception ,  ouk  facility  dansU  vdtiionii^mtvX  7 


DTE   COUR.'  5 

neradon.  Dans  la  maniere  de  s'expliquer,  on 
doit  eviter  de  parler  trop  clairement  j  el  dans 
la  conversation ,  il  ne  faut  pas  toujours  parler 
a  coeur  onvcrt.  Le  silence  est  Ic  sanctuaire  de 
la  prudence  (j).  Une  resolution  declaree  ne  fut 
jamais  cstimcc.  Celui  qui  se  declare  s'expose  a 
la  censure;  et,  s'il  ne  reussit  pas ,  il  est  double- 
nicnt  malheureux.  II  faut  done  imiter  le  pro 
cede  de  Dieu ,  qui  tient  tous  les  honimcs  en 
suspens  (2). 

(1)  Le  plus  simple  des  animaux  en  pourra  tromper 
le  plus  fin,  dit-il  dans  le  chap.  I"  de  son  Disci^t ,  pourvu 
qu'il  se  taise ,  en  se  contentant  de  conserver  la  23eau  de 
son  apparence.    Car  on  a  toujours  except^  les  taciturnes 


^n  n^jiyihrfl  des^Sjats.  Le  silence  ne  ddguise  pas  senlement 
ce  qui  est  defectueux  ,  mais  il  le  tourne  meme  en  mjs- 
te'rieux. 

(2)  L'Auteur  des  Entretiens  d'Ariste  et  d'Eugene  appli-< 
que  cette  maxime  aux  princes.  Les  rois  et  les  princes  , 
dit-il  dans  son  troisieme  Entretien  ,  pour  etre  estime's  de 
leurs  sujets,  et  pour  soutenirlenr  caractere,  doivent  etre 
tout  a  faitmaitresdeleurlangue.  Etc'estpourcekifu'Au- 
guste  avaitfait  graver  sur  son  cachet  un  sphinx,  que  les 
Egyptiens  reconnaissaient  pour  le  Dieu  du  secret  et  des 
enigmes.  Etquelques  lignes  apres  :  Comme  le  prince  est 
la  plus  vive  image  de  Dieu  sur  la  terre ,  il  doit  etre  sem- 
Llable  a  Dieu ,  qui  -gouverne  le  monde  par  des  voies 
inconnues  aux  hommes ,  et  qui  nous  fait  tous  les  jours 
Jentir  les  effets  de  sa  bont^  et  de  sa  justice ,  sans  nous 
decoiivrir  les  deaseins  de  sa  sagesse. 


l/  II  O  M  M  E 


MA  XI  ME    IV. 

he  sai^oir  et  la  valeur  font  reciproquement 
les  grands  hommes . 

Ces  deux  qualites  rendent  les  hommes  im- 
mortels  ,  parce  qu'clles  Ic  sont.  Uhomme  n'est 
grand  qu  autant  qu'il  sait  (i)  ,  et  quand  il  salt, 
il  peut  tout.  L'bomme  qui  ne  sait  ricn  ,  c'est 
le  monde  en  tenebres  (2).  La  prudence  et  la 
force  sont  ses  yeux  et  ses  mains.  La  science  est 
sterile  si  la  valeur  ne  Faccompagne. 

'■'.'•<>■   :..  .1- 

(j)  Le  moindre  jour  de  la  vie  d'un  savant,  dit  Sene^ 
que ,  vaut  mieux  que  toute  la  vie  d'un  ignorant ,  quelque 
longue  qu'elle  soit.  IJnus  dies  Jiominum  erudltorum 
plus  patet ,  quant  imperiti  longissima  cetas.  Ep.  78. 
Nulneviten  homme,  dit  Gracian  dans  son  Discret , 
sinon  celui  qui  sait,  chap.  Hombre  de plausibles  nori- 
cias.  Un  des  Sages  de  la  Grece  disait  que  la  sante'  faisait 
la  fe'licite'  du  corps;  et  le  savoir  celle  de  I'esprit.  Les 
lettres,  disait  le  pape  Jules  II ,  sont  de  I'argent  dans  le* 
roturiers^  de  Tor  dans  les  nobles;  et  des  dianians  dans 
les  princes.  Gracian  disc.  3o ,  de  son  AgUdeza. 

(2)  Otiwn  sine  litteris  mors  est ,  et  vivi  hominis  sepul- 
tura.Ep.  85.  C'est-a-dire ,  le  loisir  d'un  ignorant  est  une 
niort,  et  la  se'pulture  d'un  homme  vivant.  Aristote  disait, 
gue  le  savoir  difFe'rait  autant  de  I'ignorance,  que  la  yie 
differe  de  la  mort. 


DE    COUR..  y 

MAXIME    V. 

Se  rendre  toujours  necessaire, 

Ce  '  n'cst  pas  le  doreur  qui  fait  un  Dieu , 
c'iest  Tadorateur.  L'homme  d'esprit  aime  mieux 
trouver  des  gens  dependans  ,  que  dcs  gens  re- 
connaissans.Jenir  les  ^ens^n  csperance  ,  c'est 
courtoisie ;  s^  fier  a  leur  reconnaissance  ,  c'est 
^implicite.  Caril  est  aussi  ordinaire  ^  la  recon- 
naissance d'oublier  (i)^  qua  Fesperance  de  se 
souvenir.  Vous  tirez  toujours  plus  de  celle-ci , 
que  de  Tautre.  Pes  que  Ton  a  bu ,  Ion  tourn< 
le  dos  a  la  fonlame ;  des  qu  on  apresse  I'orang^ 
^Qp][^;j^ttp^^  ladependance  cesse^ 

_la^orrepondance  cesse  aussi ,  et  rcstinie  avcc 
ellc,  C'est  done  une  lecon  del'experience ,  qu  il 
faut  faire  en  sorte  qu  on  soit  toujours  neces- 
saire  ,  et  meme  a  son  prince^  sans  donner  pour- 
tant  dans  I'exces  de  setaire  pour  faire  manquer 
les  autres  -,  ni  rendre  le  mal  d'autrui  incurable 
pour  son  propre  interer. 

(i)  Parce  qu'au  dire  deTacite.Ie  souvenir  des  bien- 
faits  est  a  charge.  Quia  gratia  oneri.  Hish 


O  LIIOWTME 

MAXIME    VL 

Uhonime  €Lu  comble  de  sa per/action  (i). 

11  ne  nait  pas  tout  fait ,  il  se  perfectionne  de 
jour  en  jour  clans  ses  mgeurs  et  dans  son  eniploi , 

(i)  Dans  son  Discret  il  y  a  un  dialogue  sur  cie^te  ma- 
tiere,  intituM*  El  Jiombre  en  sa  -punto.  Apres  avoir  dit 
que  le  temps  est  un  grand  me'decin ,  tant  pour  ^re  vieux, 
que  pour  etre  expe'rimente' :  j'ai  observe' ,  dit-il ,  qu'il  va 
d'un  pas  fort  ine'gal ,  en  ce  qui  est  de  rendre  les  hom- 
ines faits.  C'est,  lui  re'pond  un  doctcur  ,  qu'il  vole  pour 
les  uns ,  et  qu'il  boite  pour  les  autres  ^  c'est,  qu'il  se  sert 
lantot  de  ses  ailes  ,  tantot  de  ses  be'quilks.  II  y  a  des 
gens  ,  qui  deviennent  bientot  parfaits  en  quoi  que  ce 
puisse  etre ;  et  d'autres ,  qui  tardent  fort  a  se  faire ,  et 
quelquefois  au  dommage  public  ,  parce  qu'ils  ne  remr 
plissentpasleur  obligation.  Car  les  liommes  n'ontpas  seu- 
lement  a  se  faire,  quant  a  la  periection  commune  de 
la  prudence  ^  mais  encore  a  se  pourvoir  des  perfections 
propres  de  cbaque  e'tat ,  et  de  chaque  e'tat ,  et  de  cbaque 
emploi.  tin  roi  se  fait  done  aussi?  dit  Gracian.  Oui,  re'- 
pond le  doGteur  J  car  il  ne  nait  pas  tout  fait.  C'est  la  que 
la  prudence  et  I'expe'rience  ont  bien  a  travailler ;  un  roi 
ajant  besoin  de  mille  perfections  ,  pour  arriver  a  un  si 
grand  accomplissement.  Un  ge'ndral  d'arme'e  se  fait  aux 
de'prnsde son  sang,  et  de  celui  d'autrui;  un  orateur,  a 
force  d'etude  et  d'exercice.  II  n'j  a  pas  jusqu'au  me'de- 
cin ,  qui,  avant  que  de  tirer  un  homm^  dulit,  enjette 


DE   COUR.  7 

jusqu'a  ce  qu'il  arrive  enfin  au  point  de  la  con- 
sommation.  Or,rhomme  consomme  sc  recon- 
nait  a  ces  marques  :  au  ^out  fin ,  au  discexner 
jment ,  a  la  solidite  du  jugement  ,aladocilite  de 
la  volonte ,  a  la  circonspcction  des  paroles  et 
des  actions.  Quelques-uns  n'arrivent  jamais  a 
ce  point,  il  leur  manque  toujours  je  ne  sais 
quoi ,  et  d'autres  njr  arrivent  que  tard. 


MAXIME    VII. 

Se  bien  garder  de  tzaincre  son  maitre, 

TouTE  superiorite  est  odieuse ;  mais  celle  d'un 
sujet  sur  son  prince  est  toujours  folle  ou  fatale. 
L'homme  adroit  cache  des  avantages  vul^aires  , 
ainsi  qu  une  fenime  modeste  deguise  sa  beaute 
gous  un  faabit  neg^li^e.  II  se  trouvera  bien,  qui 
voudra  ceder  en  bonne  fortune  et  en  belle  hu- 
meurj  mais  personnc,  qui  veuille  ceder  en 

cent  au  cercueil.  Enfin  ,  tons  les  hommes  ^ont  occupcs 
a  se  fair« ,  jusqu'a  ce  qu'ils  arrivent  au  point  de  leur, 
perfection. Mais  ce  point  est-il  fixe?  demande  Gracian. 
Non ,  dit  le  docteur  ^  et  c'est  la  le  malheur  de  notre  in- 
constance.  II  n'y  a  point  d'e'tat  permanent ,  tout  est  su- 
jet a  un  changement  continue!.  Ou  Ton  croit,  ou  Ton 
de'cline  j  et  a  force  de  changer,  on  va  toujours  en  defaillant. 


l' HOMME 


esprit  (i),  encore  moins  un  souveraiii.  L'es- 
pritest  Ic  roi  des  atlributs;  et,  par  consequent, 
chaquc  offense  qii'on  lui  fait  est  un  crime  de 
lese-majeste.  Les  souverains  le  vculent  etre  en 
tout  ce  qui  est  le  plus  eminent.  Les  princes 
veiilent  bien  etre  aides ,  mais  non  surpasses  (2). 
Ceuxqui  les  conseillent  doivent  parlcr  comme 
des  gens  qui  les  font  souvenir  de  ce  qu'ils  ou- 
bliaient,  et  non  point  comme  leur  enseignant 
ce  qu'ils  ne  savaient  pas  (5)._C',est  unelecon  que 

(i)  Au  chap.  9  du  Heros,  i\  dit,  qu'iln'y  a  rien  de  plus 
difficile  ,  que  de  se  de'sabuser  de  I'opinion  ,  que  Toni  a 
de  sa  capacite  ,  et  qu'iln'y  a  personne  qui  se  croie  indi- 
gne  du  plus  grand  emploi.  Plut  a  Dfeu  ,  continue-t-il, 
qu'iT  y  eut  des  miroirs  pour  rentendement ,  comme  il  y 
en  a  pour  le  visage !  L'entendement  se  trompe  aiscment , 
parce  qu'il  faut  qu'il  soit  lui-meme  son  miroir.  Tout 
juge  de  soi-meme  trouve  incontinent  des  excuses  et  des 
e'chappatoires  ,  et  se  laisse  suborner  a  sa  passion.  Vojez 
la  note  1  de  la  Maxim.e  54- 

(2)  Un  seigneur  espagnol ,  ajant  joue'  tres-long-temps 
aux  e'cliecs  avec  Philippe  IF,  et  gagne'  toutes  les  parties, 
s'apergutau  sortir  du  jeu,  que  le  roi  avait  unprofond  cha- 
grin. C'estpourquoi,  des  qu'il  fut  de  retour  a  la  maison  : 
IMes  enfans  ,  dit-il  ,  nous  navons  plus  que  faire  a  la 
cour,  il  njfera  jamais  hon  pour  nous  ,  car  le  roi  est 
offense' de  ne  m  avoir pu  gagner  aux  e'checs.  (jeu  ,  ou 
tout  depend  de  Fesprit  des  joueurs  ,  et  non  du  hasard. ) 

(3)  Cest  par  cette  adr^sse  ,   que  Ic  cardinal  de  Gran- 


DE    COUR  9^ 

nous  font  Ics  astres  qui ,  jjien  qu  lis  soient  les 


enfans  du  soleil  ,  _et  tout  brillans  ,  ne  parais« 
sent  jamais  en  sa  com^agnic. 


MAXIME    VIII.     ' 

.  Vhomme  qui  ne  se  pa ssionne  jamais, 

:  Cest  la  marque  de  la  plus  grande  suLlimite 
d'esprit,  puisquc  c'est  par-la  que  I'homme  se 
metau-dessus  de  toutes  les  impressions .  vul- 
gaires.  II  n'j  a  point  de  plus  grande  seigneurie 
que  cclle  de  soi-meme,  et  de  ses  passions. 
C'est-la  quest  le  triomphe  du  Franc-Arbitre.  Si 
jamais  la  passion  s'empare  de  I'esprit ,  que  ce 
soit  sans  faire  tort  a  I'emploi ,  surtout  si  e'en 
est  un  considerable.  C'est  le  moyen  dc  s'epar- 
gner  bien  des  chagrins,  et  de  se  mettre  en  haute 
reputation. 

velle  gagna  les  bonnes  graces  de  Philippe  II ,  qui,  an 
rapport  de  Strada  ,  amahat  modestiam  indicantis ,  non 
coactus  {id  quod  principi  est  grave)  commendare  sa-^ 
pientiam  docentis.  Ajoutez  a  cela ,  le  conseil  qu'un  se- 
nateur  romain  donnait  a  un  de  ses  colle'gues,  de  ne  se 
point  meJer  de  faire  des  lecons  a  un  prince  d'age  et  d'ex- 
perience,  corame  Vespasien.  Suadere  prisco ,  ne  supra 
prlncipem  scanderet ,  ne  J^espasianum  senem  trium" 
phalein  prceceptis  coerceret.  Tacit.  Hist.  4» 


^ 


ip  l'homme 

MAXIME    IX. 

Dementir  les  defauts  de  sa  nation. 

Ueau  prend  les  bonnes  ou  mauvaises  qua- 
lites  des  mines  par  oii  elle  passe  ,    et  Fhommc 
cclles  du  climat  oii  il  nait.  Les  uns  doivent  plus 
que  les  autres  a  leur  patrie  ,  pour  y  avoir  ran- 
contre  une  plus  favorable  etoile.  II  nj  a  point 
de  nation  si  polie  quelle  soit,  qui  n  ait  quelque 
defaut  origincl,  que  densurent  ses  voisins,soit 
par  precaution  ou  par  emulation  (i).  Cest  une 
victoire   d'habile  homme  ,  de  corriger  ,  ou  du 
moins  de  faire  mentir  la  censure  de  ses  defauts. 
L'on  acquiert  par  la  le  rcnom  glorieux  d'etre 
unique ;  et  cettc  exemption  du  defaut  commun 
est  d'autant  plus  estimee  ,  que  personne  nc  sy 
attend.  H  y  a  aussi  des  defauts  de  famille  (2)  \ 

(i)  L'etoulatlon  est  ordinaire  entre  les  peuples ,  qui 
confinent  ensemble,  comme  le  dit  Tacite  en  divers  en- 
droits.  XJno  amne  discretis  cemulatio  et  invidia.  En  par- 
lant  des  Lyonnais  et  des  Viennois.  Hist.  i.  Solito  inter 
accolas  odio  infensi  Judceis  Arahes.  Hist,  5.  Vicinis 
coloniis  invidia  et  cemulatio.  Hist.  1. 

(p)  J^etere  atque  insita  Claudice  familice  superbi^i^ 
Ann*   I. 


DE  COFR.  I  I 

de  profession  (i),  d'eniploi  ct  d'lige  (2),  qui  Te- 
nant a  se  trouvcr  tons  dans  uti  meme  sujet ,  en 
font  un  monstre  insupportable  ,  si  Ton  ne  les 
previent  de  bonne  heure. 


MA  XI  ME    X. 

Fortune  et  Renommee. 

L'  u  N  E  a  aulanl  d'inconstance  que  I'aulrc  a 
iie  fcrmete.  La  premiere  sert  durant  la  vie  ,  et 

(1)  La  venalite  des  avocats  et  des  me'decins.  Nee  quid- 
quam  publicw  mercis  tarn  vencd^fuit  y  quamadvoca- 
tonimperfidiafditT&cit€y  Ann.  11^  et  quelques  lignes 
apres  ;  Ut  quomodo  vis  morhorum.  prcetia  medentibus , 
sic  fosi  tahSfS  pecuniean  ady&catis  fe'rat  Le  jeune  Pline 
ajoute,'  que  ceux  qui  passent  leur  vie  dans  le  barreau, 
^evienn-ent  fourt>es ,  iftalgi^  qu'il^  en  aient.  Nos ,  qui  in 
foro  litihusque  terimuS4^t^uem,  multummaiiticB,  quCLn^- 
vis  noliTnus y  addiscimus.  Epist.  5.  lib.  2.  Les  menteries 
et  les  equivoques  des  astro  logues.  Genus  hominum.  pot^n- 
iihus  injidum ,  sperantihus  fallax.  Hist,  i .  Qucedccm 
^ecus  quatn  dicta  sint  cadere ,  fallaciis  ignara  dicerh' 
Hum.  Ann.  6.  Breve  cotifinium  artis  et  falsi.  Ann.  4. 

(2)  L'imprudence  et  1' evaporation  de  la  jeunesse  ,  qui 
donne  toujours  dans  la  bagatelle.  Juventam  improvidam, 
et  facilem  inanibus.  Ann.  1.  Mobiles  adolescentium 
Qnimos.  Ann.  4.  Imprudentia  cetatis.  Ann,  16, 


I^  L   HOMME 

la  secondc  apres(i).  Lune  resiste  a  Femie, 
Fautre  a  I'oubli.  La  fortune  se  desire  ,  et  sc  fait 
quelquefois  avec  I'aide  des  amis  -,  la  renommee 
se  gagne  a  force  d'industrie.  Le  desir  de  la 
reputation  nait  de  la  vertu  (2).  La  renommee 
a  ele  et  est  la  soeur  des  geans  :  elle  va  toujours 
par  les  extremites  de  Fapplaudisscment ,  ou  do 
Texeciition  (5). 


MA  XI ME    XL 

Trailer  ai^ec  ceuoc  de  qui  Ton  pent  apprendre. 

La  conversation  familiere  doit  servif  d'ecole 
d erudition  et  de  politesse.  De  ses  amis,  il  en 

ii)  Famam   in    posteros.    Ann.    11.    AEternitatem 
famce.  Ibid. 

(2)  Tacite  dit ,  que  du  me'pris  de  la  reputation  nait  le 
mepris  de  la  vertu.  Contemptu  famce  contemni.virtu-y 
tes.  Ann.  4,  et  que  c'est  le  propre  des  gens  de  bien  d'as- 
pirer  aux  plus  grandeschoses.  Optumos  mortalium  altis- 
sima  cupere.  Ibid.  Gracian  dans  le  dernier  chap,  de 
son  Hero s ,■  dit  que  la  vertu  et  la  grandeur  courent  sur 
des  lignes  paralleles.  Tout  cela  revient  a  ce  que  disgit 
Caton  le  censeur  ,  que  personne  ne  serait  vertueux ,  si 
une  fois  on  se'parait  la  gloire  de  la  vertu. 

(2)  C'est  en  ce  sens,  que  Tacite  dit,  qu'Othon  s'est  signale' 
par  deux  grandes  actions ,  dont  I'une  me'rite  un  repro- 


DE    COUR.  13 

fautfaire  ses  maitres,  assaisonnant  Ic  plaisir  de 
converscr ,  de  Tutilile  d'apprendre.  Entre  les 
gens  d'esprit  la  jouissance  est  reciproque.  Ceux 
qui  parlent  sont  pajes  de  Fapplaudissement 
qu'on  donnea  ce  qu'ils  disent ,  et  ceux  quiecou- 
tent ,  du  profit  qu'ils  en  recoivent.  Notre  in- 
teret  propre  nous  porte  a  converser.  L'homme 
d'entendemcnt  frequente  les  bons  courtisans  , 
dont  les  niaisons  sont  plutot  les  theatres  de  I'he- 
roisme  ,  que  les  palais  de  la  vanite.  H  y  a  des 
hommes  qui ,  outre  qu  ils  sont  eilx-niemes  des 
oracles  ,  qui  instruisent  autrui  par  leur  exem- 
ple  ,  ont  encore  ce  bonheur ,  que  leur  cortege 
est  une  academic  de  prudence  et  de  politesse. 


M  AXIME    XII. 

La  nature  et  tart ,  la  matiere  et  Vou^^rier, 

II  ny  a  point  de  beaute  sans  aide ,  ni  de  per- 
fection qui  ne  donne  dans  le  barbarisme  ,  si 
Fart  n  J  met  la  main.  Uart  corrige  ce  qui  est 
mauvais  ,  et  perfectionne  ce  qui  est  bon.  D'or- 

die  etemel ,  et  I'autre  une  loiiange  eternelle.  Duobus 
facinoribus  ,  altera  Jlagitiosissimo ,  altera  egregio  , 
tantumdem  apud  posteros  meruit  bonce  fama^ ,  quan-> 
turn  malce.  Hist.  2. 


l4  l'homme 

dinaire  la  nature  nous  epargne  ie  mcilleur,  afiit 
que  nous  ayons  recours  a  I'art.  Sans  I'arl ,  le 
meilleur  nature!  est  en  friche ;  et  quelques 
grands  que  soient  les  talens  d'un  homme  ,  ce  ne 
sont  que  des  dcmi-lalens  ,  s'ils  ne  sont  pas  cul- 
tives.  Sans  Tart ,  Fhomme  nt  sait  rien  comme  il 
faul ,  et  jCsI  grossicr  en  tout  ce  qu*il  fait  (i). 


MAXIME    XIII. 

Proceder  quelquefois  Jinement ,  quelquefois 
rondement. 

La  vie  humainc  est  un  combat  conlre  la 
malice  de  Thomme  meme.  L'homme  adroit 
J  cmploie  pour  amies  Ics  stratagemes  de 
rintention.  11  ne  fait  jamais  ce  qu'il  montrc 
avoir  envie  de  faire ;  ii  mire  un  but ,  mais 
e'est  pour  tromper  les  yeux  qui  le  rcgardent. 
11  jette  une  parole  en  Fair,  et  puis  il  fait  une 
chose  a  quoi  personne  ne  pensait.  S'il  dit  uu 
mot ,  c'est  pOur  amuser  Inattention  de  ^^s  ri- 

(i)  Cest  pour  cela  ,  que  Mucien ,  premier  ministre  Je 
Vespasien  ,  s'e'tudiait  a  donner  de  la  gr^ce  a  tout  ce  qu'il 
disait  et  ce  qu'il  faisait.  Omnium  quce  diceret ,  atqu& 
ageret,  arte  quadam  ostentator.  Tacit.  Hist.  2. 


I)E   COUR.  ii 

vaux ;  et  des  qu'elle  est  occupee  a  ce  qu'ils  pen- 
sent  ,  il  execnte  aussitot  ce  qu'ils  ne  pensaicnt 
pas.Celui  done  qui  veutse  garderd'elretrompe, 
previent  la  ruse  de  son  compagnon  par  de 
bonnes  reflexions.  11  cntend  toujours  le  con- 
iraire  de  ce  qu'on  veut  qu'il  eutende  ,  et  par  la 
il  decouvre  incontinent  la  feinte.  II  laisse  passer 
le  premier  coup ,  pour  attendre  de  pied  ferme 
le  second  ou  le  troisieme.  Et  puis  ,  quand  son 
artifice  est  connu,  il  rafiine  sa  dissimulation,  en 
se  servant  de  la  verite  meme  pour  tromper.  11 
change  de  jeu  et  de  batterie,  pour  changer  de 
ruse.  Son  artifice  est  de  n'en  avoir  plus ,  et  toute 
sa  finesse  est  de  passer  de  la  dissimulation  pre- 
c6dente  k  la  candeur.  Celui  qui  I'observe  et  qui 
a  de  la  penetration ,  connaissant  Tadresse  de 
son  rival ,  se  tient  sur  ses  gardes  ,  et  decouvre 
les  tenebres  revetues  de  la  lumiere.  11  dechifFra 
un  procede  d'autant  plus  cache  ,  que  tout  y  est 
sincere  (*).  Et  c  est  ainsiquela  finesse  de  Python 
combat  centre  la  candeur  d'Apollon. 


♦  Ou ,  d'^utant  plxis  iudevinable,  qu'il  iCy  «  rien  k 
d«yiner. 


l6  1    HOMME 

MAX  I  ME    XIV. 

La  chose  et  la  rnaniere, 

Ce  n'est  pas  assez  que  la  substance ,  il  y  faut 
iiussi  la  circonstancc.  Une  mauvaise  manieie 
gate  tout ,  elle  defigure  meme  la  justice  ct  la 
i*aisoii  (i).  Au  contraire,  une  belie  manierc 
supplee  a  tout;  elle  dore  le  refus  ,  elle  adouclt 
ce  qu  il  j  a  d'aigre  dans  la  verite  ;  elle  ote  les 
rides  a  la  vieillesse.  Le  comment  fait  beaucoup 
en  toutes  choses.  Une  maniere  degagee  enchant e 
les  esprits,  et  fait  tout  Tornement  de  la  vie. 

Cette  maxiine  est  tire'e  du  chapitre  de  son  Discret,. 
del  rnodo  y  agrado.  Et  comme  ce  chapitre  est  tres-ins- 
tnictifj  je  croiSj  que  chacun  sera  bien-aise  d'en  voir  ici 
Vextrait. 

Par  ce  grand  precepto ,  dit-il ,  Cleobule  a 
merile  d'etre  le  premier  des  Sages )  aussi  est-ce 
le  premier  des  preceptes.  Mais  s'il  a  suffi  de- 
I'enscigner  pour  avoir  le  nom  de  Sage ,  et  en- 

(i)  Ce  sentiment  revient  a  celui  deTacite ,  quidity  que 
les  meilleures  actions  ont  des  suites  pernicieuses ,  si  elles 
ne  sont  faites  avec  jugement,  et  avec  discre'tion.  Sc^pe 
honestas  rerum  caussas ,  ni  judicium  adhibeas ,  pemi" 
ciosi  exitus  consequuntur.  Hist,  i . 


DE    COUR.  17 

core  de  premier  Sage  ^  que  restera-t-U  pource- 
lui  qui  r.observcra  ?  Car  de  savoir  Ics  choses  et 
de  neies  pas  faire,  ce  n'cst  pas  etre  philosophe  •, 
mais  grammairicn. 

^  En  toutcs  choses ,  la  circonstancc  est  aussi 
n^cessaire  que  la  substance ,  et  meme  davan^ 
tage.  La  premiere  chose  que  nous  rcncontronsj 
ce  n  est  pas  Fessence ,  c'cst  Fapparencc.  C'est 
par  Texterieur  que  Ton  vient  a  connaitre  Finte- 
rieur.  Par  Fecorce  de  la  maniere  ,  nout  discer- 
nons  le  fruit  de  la  substance  :  jusquc~la  meme  , 
que  des  personnes  ,  que  nous  ne  connaissons 


as  ,  nousen  jugeons  par  le  port. 

La  maniere  est  la  partie  du  merite  qui  frappc 
davanlage  les  yeux  de  Faltcntion.  Commc  on  la 
peut  acquerir ,  Fon  est  inexcusable  quand  on 
ne  Fa  pas. 

La  verite  a  de  la  force  ,  la  raison  de  Fauto- 
rite ,  et  la  justice  du  pouvoir ;  mais  elles  sont 
sans  lustre  ,  si  la  belle  maniere  y  manque ;  au 
lieu  qu'avec  elle  tout  en  vaut  davantage.  Elle\  ^>^rt 
supplee  a  tout ,  et  meme  au  defaut  de  la  raison ;  | 
elle  dore  les  meprises  ,  elle  farde  les  laideurs , 
elle  cache  les  imperfections  j  enfin  eUe  deguise 
tout. 

Ce  n'est  pas  assez  que  le  grand  zele  dans  un 
ministre ,  que  la  valeur  dans  un  capitaine,  que 
la  science  dans  un  homme  de  lettres  ,  que  la 


m 


l8  '  l' HOMME 

puissance  dans  un  prince ,  si  tout  cela  n'est  ac- 
compagne  de  cette  importante  formalite.  Mais 
il  n  J  a  point  d'emploi  oii  die  soit  plus  neces- 
saire  que  dans  Ic  souverain  commandement. 
Dans  les  superieurs ,  c'est un  grand  moy  en  d'en-  ^ 
gager ,  que  d'etre  plus  humains  que  despotiqu^: 
Voir  qu'un  prince  fait  ceder  la  superiorite  a 
Thumanite ,  c'est  une  double  obligation  de  Tai^ 
nier  (i).  II  faut  regner  premierement  sur  les 
volonte#,  et  puis  sur  le  reste.  Concilie-toi  la 
bienveillance  et  meme  Tapplaudissement  uni- 
versel)  sinon  par  inclination,  du  moins  pa^' 
art^  car  ceux  qui  admirent  ,ne  regardcnt  pa$_  si 
ta  maniere  est  naturelle  ou  empruntee. 


II  y  a  des  choses  qui  valent  peu  p6ur  cc 
qu'elles  sont ,  et  neanmoins  s'estiment  a  cause 
de  la  maniere.  Par  son  aide  ,  le  passe  recjevienl 
nouveau  et  rcvient  en  mode.  Si  les  circons- 
tances  sont  a  Fusage  commun  ,  elles  pallient 
tout  le  desag|;eable  du  vieux  temps.  Le  gout 
avance  toujours  et  ne  recule  jamais ;  il  nc  touche 
point  a  ce  qui  est  passe ,  ne  trouvant  rien  d& 
bon  que  ce  qui  est  nouYeau.  Mais  cependant  ii 

(i)  Le  prince  qui  se  fait  aimer,  dit  Juan  Ru/b ,  fait  de 
de  ses  sujets  des  enfans  ,  au  lieu  que  s'en  faisantfiair  ,  il 
n'en  fait  que  des  m^chans  esclaves.  Apophtegme  yoS.  Et 
dans  le  ^uivant  il  dit ,  que  la  crainte  des  sujets  ,  sans  Ta- 
mour  ,  est  comme  de  kchaux  sans  eau  pour  bittir. 


DK   COtJR.  19 

peut  etre  trompe  par  un  petit  cliangement. 
Les  circonstanccs  font  rajeunirleschosesj  elles 
leur  otent  I'odeur  du  moisi  et  Ic  fade  du  trop 
souvENT,  qui  est  toujours  insupportable,  et 
particulieremcnt  dans  les  imitations  qui  ne  sau- 
raient  jaijiais  monter  ni  a  la  sublimile ,  ni  a  la 
nouveaute  de  premier. 

Cela  se  voit  encore  davantage  dans  les  fonc- 
tions  de  I'csprit.  Car  bien  que  les  choses  soient 
ires-connues  ,  elles  ne  laissent  pas  encore  de 
mcitre  en  appetit  ,  si  I'orateur  et  Fhistorien 
trouvent  une  nouvellc  maniere  de  les  dire  et 
dc  les  ecrircr 

_Quand  les  choses  sont  exquises ,  elles  ne  las-- 
^nt  pas  repetees  ^memc  jusqua  scptfois.  Mais 
quoiqu  elles  n  cnnuient  pas  ,  elles  ne  sont  pas 
admire es .  Ainsi ,  il  est  besoin  de  les  assaisonner 
autrcm^nt ,  afin  qu  elles  cxcitent  Tattention* 
La  nouveaute  est  caressaute ,  ellc  charmc  le 
gout  j  et  les  objcts  sd  renouvellent  par  le  seul 
changement  de  ragout,  qui  est  le  veritable 
art  dc  plairc.  r^ 

Tel  dira  toutes  les  memes  choses  qu  un  autre , 
ex  neanmoins  flattera  par  oil  I'autre  offensait. 
Tant  ilimporte  de  sairoir  rencontrerlecoMMENxI 
Xant  sert  une  belle  maniere  et  nuit  une  mau- 
vaise!Or,si  j.e  manque  dc  q^aniere  est  si  remar 
quablc,  que  serc^-cq  4!ui}e.  posilivement  mau- 


vaise  ct  choquantc,  a  dessein ,  et  surtout  en  de5' 
gens  qui  tiennent  un  poste  universel?  Ce  n'est 
qu  un  petit  defaut  que  ton  air  rude .  disait  un" 
sage ;  ct  pourtant  il  suffit  pour  degouter  un  cha- 
cunde  toi.  Au  contraire  ,  I'agrement  exterieur 


promet  celui  de  I'esprit,  et  la  beaute  cautionne 
la  belle  humeur. 

jLa  belle  maniere  se  plait  a  dorer  si  bien  le 
JNON ,  qu  il  soit  plus  estime  qu  un  qui  mal  assai- 


sonne.   EUc  sucre  si  habilcment  les   vcrites  , 


qu  elles  passent  pour  des  caresses  ;  et  quelque- 
fois  qu'il  semble  qu^cUe  flatte ,  clle  desabuse 
en  disant  aux  gens ,  non  ce  qu  j^  sont ,  mail 
cc  qu  ils  doivent  etre. 

JTqjrez  la  Maximo  267.  • 


MAXIME    XV. 

Se  servir  d'esprits  auxillaires. 

C^EST  oil  consiste  le  bonheur  des  grands  que 
d'avoir  ^pres  d'cux  des  gens  d'esprit  qui  les 
tirent  de  Fembarras  de  Fignorance ,  en  leur 
debrouillant  les  affaires.  Ue  nourrir  des  sages 
c'est  line  grandeur  qui  surpasse  le  faste  baf- 
bare  de  ce  Tigranef!5  qui  affectait  de  se  faire  ser- 
vir par  les  rois  qu  il  avait  vaincus.  C'est  un 


B  E    COUR,  21 

nouvcau  genre  de  dominalion  que  de  faire  par 
adresse  nos  serviteurs  de  ceux  que  la  nature  a 
fait  nos  maitres.  L'homme  a  beaucoup  a  savOir 
et  peu  a  vivre  ,  et  il  ne  vit  pas  s'il  ne  sait  rien. 
Ccstdonc  une  singuliere  adresse  d'etudier  sans 
qu'il  en  coute  ,  et  d'apprendrc  beaucoup  en  ap- 
prenant  de  tous.  Apres  cela  vous  voyez  uu 
liomme  parler  dans  une  asscmblee  par  I'esprit 
de  plusieurs  ,  ou  plutot  ce  sont  autant  de  sages 
qui  parlent  par  sa  bouche  ,  qu'il  j  en  a  qui  Font 
instruit  auparavant.  Ainsi ,  le  travail  d'autrui  le 
fait  passer  pour  un  oracle,  attcndu  que  ces  sages 
lui  dressent  sa  lecon  ,  et  lui  distillent  leur  sia- 
voir  en  quintessence.  Aiurcste  ,  que  celui  qui 
ne  pourra  avoir  la  sagesse  pour  servante  ,  tuclie 
du  moins  dc  Favoir  pour  compagne. 


MAXIME    XVL 

Lie  savoir  et  la  clroite  intention, 

L  UN  et  I'autre  ensemble  sont  la  source  des 
bons  succes.  Un  bon  entendement  avec  une 
niauvaise  volonte ,  c'est  un  mariage  monstrueux. 
La  mauvaise  intention  est  le  poison  de  la  vie 
bumaine,  etquand  elle  est  sccondee  du  savoir, 


22  l'hOMME 


€lle  en  fait  plus  de  mal.  C'est  une  malheurcuse 
habilite  que  celle  qui  s'emploie  a  faire  mal. 
La  science  depourvue  du  bon  sens  est  une 
double  folie  (i). 


MAXIME    XVII. 

Ne  pas  tenir  toujours  un  mSine  procede. 

II  est  bon  de  varier  pour  frustrer  la  curiosite , 
surtout  celle  de  vos  envieux  ;  car  s'ils  viennent 
a  rcmarquer  Tuniformite  de  vos  actions ,  ils  prc- 
viendront ,  et  par  coftsequcnt  ils  feroiat  avorter 
vos  entrcprises.  II  est  aise  de  tuer  Foiscau  qui^ 
I  vole  droit  ,^niais  non  pas  celui  qui  n'a  point  de 
^ol  regie.  II  ne  fautpas  aussi  toujours  ruser,car 
au  second  coup ,  la  ruse  serait  decouverte.  La 
malice  est  aux  aguets  ^  il  faut  beaucoup  d'adresse 
pour  se  defaire  d'elle.  Le  fin  joueur  ne  joue  ja- 
mais la  carte  qu  attend  son  adversaire,  encore 
moins  celle  qu'il  desire. 

(i)  Le  proverbe  espagnol  dit :  Ciencia  es  locura  ,  si 
buen  sesQ  no  la  cura. 


DE    COUJR.  23 

■f  ■ 

MAXIME    XV  HI. 

L* Application  et  le  Genie, 

Personns  ne  saurait  etre  eminent ,  s'il  n'a 
Tun  et  Tantre.  Lorsque  ces  deux  parties  con- 
courent  ensemble,%lles  font  un  grand  hommei 
Un  esprit  mediocre  qui  s'applique,  va  plus  loin 
quun  esprit  sublime  qui  ne  s'applique  pas.  La 
reputation  s'acquiert  a  force  dc  travail.  Ce  qui 
coutc  peu  ne  vaut  guere.  Uapplication  a  man- 
que a  quclqucs-uns  ,  ct  meme  dans  les  plus 
hauts  emplois  ,  tant  il  est  rare  de  forcer  son  ge- 
nie. Aimer  mieux  ^tre  mediocre  dans  un  em- 
ploi  sublime ,  qu' excellent  dans  un  mediocre  , 
c  est  un  desir  que  la  generosite  rend  excusable . 
Mais  celui-la ne  Test  point  qui  se  contente  d'etre  i 
mediocre  dans  un  petit  emploi ,  lorsqu'il  pour- 
rait  excellcr  dans  un  grand.  II  faut  done  avoir  , 
I'art  et  le  genie ,  ct  puis  I'application  y  met  la 
derniere  main. 

Aristote  dit ,  que  pour  devenir  habile  homme  en 
quelque  profession  que  ce  soit ,  il  faut  que  trois  choses 
yconcourent,  la  nature  ,  Te'tude  et  Texercice. 


^4  l'homme' 

MAXIME    XIX.        * 


N'^tre  point  trop  prone  par  les  hikiits  de  la 
renommee. 

-  C'est  le  malheur  ordinaire  de  tout  ce  qui  a 
ete  bien  vanie  ,  de  n'arrivei^amais  au  point  de 
perfection  que  Ton  s'etait  imagine.  La  realite 
n'a  jamais  pu  egaler  I'imagination ,  d'autant  qu'il 
est  aussi  difficile  d'avoir  toutes  les  perfections , 
quil  est  aise  d'en  avoir  ridee(i).  Comme  I'in^a- 
ginatiou  a  le  desir  pour  epoux ,  elle  concoit 
toujours  beaucoup  au-dela  de  ce  que  les  choses 
sont  en  cffct  (2).  Quelques  grandes  que  soient 

(i)  Au  chapitre  i6.de  son  Hero s  ,  il  dit  la  meme  chose 
en  ces  termes  :  Ilfaut  un  g.rand  merite  ,  pour  repondre 
a  line  grande  attente.  Celui  qui  re  garde ,  forme  une 
haute  ide'e^pai'ce  quil  lui  coiite  moins  de  s^imaginerde 
grandes  choses  ,  qua  celui  qui  est  regarde  de  lesfaire. 

(2)  Cet  aphorisme  revient  h.  celui  de  Tacite ,  qui  dit  que 
que  Ton  a  toujours  meilleure  opinion  des  absens.  Majora 
credide  ahsentibus.  Hist.  2.  Et  que  la  Majeste'  est  plus 
respecte'e  de  loin  que  de  pres.  Majestate  salva ,  cui  major 
e  longinquo  reverentia.  Ann.  i.  Tacite  dit  encore,  que 
c'est  la  coutume  d'estimer  beaucoup  ce  qui  est  incQnnu. 
Paratu  magno  ,  majore  fama ,  uti  mos  est  de  ignotis. 
Jn  Agricola.  Et  deux  pages  apres  :  Omne  ignotum  pro 
magnijico  est,  Et  c'est  en  ce  sens  qu*il  dit,  que  ceux  qtii 


DE   COtJR.  25 

Ics  perfections ,  elles  ne  contentent  jamais  Tidee. 
Et  comma  chacun  se  trouve  fruslre  dc  son  at- 
tente  ,  Ton  se  desabusc  au  lieu  d'admirer. 
Uesperance  falsifie  toujours  la  verite :  c'est  pour- 
quoi  la  prudence  doit  la  corriger  ,  en  faisant 
en  sorte  que  la  jouissance  surpasse  Icdesir.  Cer- 
tains commencemens  de  credit  servent  a  re- 
veiller  la  curiosile  ,  mais  sans  engager  I'objet. 
Quand  TefFet  surpasse  I'idee  et  Tattente,  cela 
fait  plus  d'honneur.  Cette  regie  est  fausse  pour 
le  mal ,  a  qui  la  meme  exageration  sert  a  de- 
meniir  la  mcd^gance  ou  la  calomnie ,  avcc  plus 
d'applaudissement,  en  faisant  paraitre  tolerable 
ce  qu'on  croyait  etre  rextremite  meme  du  mal. 


MAXIME    XX. 

Uhomme  dans  son  siecle, 

Les*  gens  d'eminent  merite  dependent  des 
temps.  II,  ne  Icur  est  pas  venua  louscelui  qu'ils 

Vojraient  Agricola ,  cherchaient  en  lui  ce  qui  pouvait  lui 
avoir  acquis  tant  de  reputation :  J^iso  aspctoque  uigricola 
qucererent  famam.  Ibidem.  Le  desir  de  Thomme,  dit 
Juan  Rufo  apophtegme  5i  ,  est  toujours  un  mensonge  , 
car  bien  qu'il  trouve  de  quoi  se  satisfaire,  il  ne  trouve 
jamais  tout  ce  qu'il  avait  pense. 


26  t^HOMME, 

meritajent;  et  dc  ceux  qui  Tont  eu,  plusleurs- 
n  ont  pas  eu  le  bonheur  d'en  profiler ;  d'autre§ 
ont  ete  dignes  d'un  meillcur  siecle :  temoignagc 
que  tout  ce  qui  est  bon  nc  triomphe  pas  tou- 
jours.  Lc  choses  du  monde  ontleurs  saisons  (i), 
et  ce  quil  y  a  de  plus  eminent  est  sujet  a  la  bi- 
arrcrie  de  I'usage  (3).  .MaisJ^sage_a_toujoi^^ 
ette  consolation,  qui!  est  etemelf5)s  car  si 
fepn  siecle  lui  est  ingrat ,  Ies_siecles  3uivansjui: 
iustice  (A),      :■'. 

(i)  Rebus  cimctis  inest  quidam  velut  orbis,  ut  quem" 
admodum  temporum  vices ,  ita  morum  vertantur,  dit 
Tacite  Ann.  3. 

(2)  Car ,  au  dire  du  meme  Tacite ,  il  faut  s'accommoder 
au  temps  ,  et  par  consequent  a  Tusage.  Morum  accom- 
modariprout  conducat.  An.  12.  Prcesentiasequi.  Hist,  4. 
Et  ce  se'nateur  la  avait  raison ,  qui  disait ,  que  quelque 
admiration  qu'il  eut  pour  les  anciennes  cbutumes ,  il  se 
souvenait  toujours  de  la  condition  du  temps,  dans  lequel 
il  se  rencontrait.  Sememinisse  temporum,  quibus  natus 
sit.  Ibid. 

(5)  Cesten  ce  sens  que  Tacite  dit  de  son  beau-pere,  que 
tout  ce  qu'il  a  admire'  en  lui ,  dur^  encore ,  et  durera  dan§ 
la  memoire  de  tons  les  siecles.  Quicquid  ex  Agricola 
amavimus ,  quicquid  m.irati  sumus ,  manet ,  mensumque 
est  in  animis  hominum,  in  ceternitate  temporum  ,fama 
rerum.  In  vita. 

(4)  Suum  cuique  decus  posteritas  rependit.  La  pos- 
terite'  fera  justice  a  chacun,  dit  Tacite.  Ann.  \. 


DE    COUR  27 

MAXIME    XXI.^ 

Hart  d'etre  heureuac.  I 

II  j  a  des  regies  deibonheur ,  et  le  bonheur 
n'est  pas  toujours^orluit  a  Fegard  du  sage; 
son  industrie  J  peut  aider.  Quelques-uns  se  con- 
lentent  de  se  tenir  a  la  porte  de  la  fortune ,  en 
bonne  posture  etattendent  quelle  Icurouvrc; 
d'autres  fontmieux,  ils  passentplus  avant  a  la 
faveur  de  leur  hardiesse  et  de  leiir  hierite ,  et 
tot  ou  tard  ils  gagnent  la  fortune  a  force  de  la 
cajoler.  Mais  a  bie»  philosopher ,  il  nV  a  point! 
j/autre  arbitre  que  celui  de  la  vertu  ct  de  rap- 
plication  :  car,  comrn  e  Timprudence  est  la  source 
de  toutes  les  disgraces  de  la  vie  ,  la  prudence, 
en  fait  tout  le  bonheur. 


MAXIME    XXII.    * 

Eire  homme  de  mise. 

L'erudition  galante  est  'la  provision  des 
honn^tes  gens.  La  connaissai^e  de  toutes  les 
ailaires  du  temps  ,  les  bons  mots  dits  a  pro- 
pos,  les  facons  defairc  agrcables ,  font  I'homme 


!i8  I^VOMME 

a  la  mode  :  et  plus  il  a  de  toutcela  ,  moins  il 
tient  du  vuigaire.  Quelquefois  un  signe ,  on 
un  geste ,  fait  plus  d'impression  que  toutcs 
les  lecons  d'un  maitrc  severe.  L'art  de  con- 
verser  a  plus  servi ,  a  quelques-uns ,  que  les 
sept  arts  liberaux  enseftble  (i). 

(i)  Hercule  (dit-il  dans  son  Discret,  chap.  Hombrc 
deplausibles  Jioticias)  a  remporte  plus  d^triomphes  par 
sa  discretion ,  que  par  sa  valeur.   Les  brillans  chainons 
sort^ans  de  sa  bouche  lui  ont  attire' plus  d'applaudissemens 
que  les  coups  de  massue  de  sa  redoutable  main.  Avec  sa 
massue,  il  exterminait  les  monstres^  avec  ses  cbaines,  il 
,  enchainait  les  beaux  esprits  ,   les  tenant  agreablement 
suspendus  par  la,  force  de  son  e'loquence.  II  jr  a  des  hom- 
ines doue's  d*une  certaine  science  de  cour ,   et  de  je  ne 
sais  quelle    e'rudition  savoureuse  et  familiere,  qui  fait 
,  qi^ils  sont  bien  regus  partout ,  et  meme  recberches  avec 
,   cmpressement.    Cette  science  est  toute  partieuliere  ,  car 
elle  ne  s'apprend  ni  dans  les.livres,   ni  dans  les  e'coles, 
luais  bien  dans  les  theatres  du  bon  gout ,  et  surtout  en  ce 
eingulier  amphitheatre  de  la  discre'tion.  La  premiere  etla 
plus  de'licieuse  partie  de  cette  e'rudition  plausible  est  la 
connaissance  universelle  de  tout  ce  qui  se  passe  dans  le 
monde ;  une  routine  de  tout  ce  qui  est  en  usage ,   une 
observation  des  plu^  belles  actions  des  princes ,  des  e've'- 
nemens  rares ,  des  merveilles  de  la  nature  et  des  extra- 
vagances de  la  fortune.  Elle  tient  registre  de  ce  qu^if  y  a 
de  bien  pense'  dan^  les  livres;  de  curieux  dans  les  nou- 
velles|  de  judicieux  dans  les  raisonnemens;  et  de  piquant 
au  vif  dans  les  satires.  Le  plus  gjand  ornemeut  de  I'homrae 


DE   COUR.  sg 

f  '  '     ■ 

MAXIME    XXIIL 

N'as^oir  point  de  tache. 

A  toute  perfeclion  ily  aun  si,  ou  un  mais* 
11  y  a  tres-peu  de  gens  ,  qui  soienl  sans  de- 

♦ 

plausible  consiste  dans  une  parfaite  intelligence  des  ma-* 
tieres^  dans  une  connaissance  a  fond  des  principaux  per- 
sonnages  de  cette  actuelle  tragi-comedie  de  Tunivers.  Il 
marque  sur  ses  tablettes  ce  qui  se  trouve  d'he'te'roclite  dans 
iin  prince ,  de  singulier  dans  un  grand,  d'afFecte  dans  un 
tel ,  et  de  vulgaire  dans  un  autre  ^  et  par  le  moyen  de 
cette  anatomie  morale,  iipeut  jugersainement  deschoses, 
et  inesurer  la  reputation  sur  le  pied  de  la  ve'rite'.  Mais 
surtout  il  fait  un  curieux  recueil  de  tous  les  bons  mots  et 
de  toutes  les  galanteries  ,  soit  heroiques'ou  plaisantes  ; 
des  axiomes  des  sages;  des  traits  malinsdesT critiques;  des 
droleriesdes  boufFons.  Agre'able  munition  pour  conque'rir 
le  gout  de  tout  le  monde.  Les  dits  et  les  faits  d'autrui , 
dit-il  danSMtifcro^ ,  sent  dans  un  esprit  fe'cond  des  se- 
mences  de  strotilite ,  lesquelles  rendent  ensuite  une  abon- 
dante  re'colte  de  bons  mots ,  chap.  5.  Et  apres  avoir  dit, 
que  rhomme  plausible  enregistre  en  caracteres  pre'cieux 
les  sentences  de  Philippe  II,  et  les  apophtegmes  de  Char- 
les-Quint :  les  plus  nouveaux  ,  continue-t-il ,  ont  le  plus 
de  sel,  et  donnent  touj ours  plus  d'appe'tit.  Les  faits  et 
les  dits  modernes  ,  ajoutant  la  grace  de  la  nouveaute'  k 
rexcellence ,  se  font  ce'der  I'applaudissement  par  les  au- 


So  L^HOMME 

faut,  soit  dans  les  mceurs  ,  ou  dans  les  corps. 
Mais  il  y  en  a  beaucoup ,  qui  font  vanite  de 

tres.  II  en  est  du  re'cit  des  bons  mots  ,  dit  Juan  Rufo 
ajiophtegme  5io,  comme  de  la  ventede  la  vieille  vaisselle 
d'argent ,  ou  Ton  perd  la  facon ;  car  Foccasion ,  a  laquelle 
ils  ont  e'te'  dits  la  premiere  fois,  est  toujours  de  manque 
dans  la  reputation  j  et,  par  conse'quent,  on  ne  les  admire 
plus.  Outre  que  ces  bons  mots ,  hors  de  leur  premiere 
place ,  sont  comme  des  diamans  hors  de  leur  enchassure  ^ 
ou  comme ,  a  la  paume ,  des  bales  prises  au  second  bond. 
Car  des  sentences  moisies ,  et  des  exploits  suranne's ,  ne 
sent  plus  de  mise ,  que  parmi  les  [pe'dans  et  les  gram- 
jnairiens. 

Cette  science  a  la  mode ,  ajoute  Gracian  ,  a  e'te  quel- 
quefois  plus  utile  que  tons  les  arts  libe'raux  ensemble  5  et 
quelquefois  Ton  a  plus  gagne'  a  savoir  faire  une  lettre ,  et 
a  dire  un  mot  bien  a  propos ,  qu'avec  toute  la  science  des 
BartolesetdesBaldes.  Et  demi-page  apres  .-Ne  soit  pas  de 
ceux,  qui  se  frustrent  du  plaisir  de  savoir,  pour  oteraux 
autres  la  gloire  d'enseigner;  ni  de  ceux,  dont  se  moque 
Horace,  qui  ont  honte  d'apprendre ,  et  n'ont  pas  honte 
d'etre  ignorant.  Curnescire,  pudens  prave  ,  quam  dis- 
cere  malo  7  In  arte  poetica.  Et  quelqueM/tk^es  apres  i 
Quelques-uns  ne  se  servent  de  la  vie  qulrmanger,  ils 
n'emploient  jamais  les  faculte's  supe'rieures ;  leur  raison- 
nement  est  oisif ^  leur  entendement  meurt  sans  avoir 
prolite'  de  rien.  C'est  pour  cela,  que  beaucoup  de  grands 
ne  sui-passent  les  autres  gens ,  qu'en  la  commodite  de 
contenter  leurs  sens ,  qui  est  la  plus  vile  fonction  de  la 
vie;  et  qu'ils  sont  aussi  pauvres  d'entendement;  que 
riches  de  pauvres  biens. 


CCS  defauts  ,  qu'il  leur  serait  aise  de  corri- 
ger.  Quand  oii  voit  le  moindra  defaut  dans 
un  homme  accompli,  Fon  dit,  que  c'est  dom- 
mage ,  parce  qu  il  ne  faut  qu  un  nuage  pour 
eclipser  tout  le  soleil.  Ces  defauts  sont  des  ta- 
ches  ,  oil  Tenvie  s'attache  d'abord  pour  con- 
troler.  Ce  serait  un  grand  coup  d'habilete  de 
les  changer  en  perfections,  comme  fit  Jules- 
Cesar,  qui ,  etant  chauve,  couvrit  ce  defaut  de 
Tombre  deSes  lauriers. 


MAXIME    XJLlV. 

Moderer  son  imagination a\ 

Le  vrai  moyen  de  vivre  heureux,  et  d'etre 
toujours  estime  sage  ,  est  ,  ou  de  la  corriger, 
ou  de  la  menager.  Autrement ,  elle  prend  un 
empire  tyrannique  sur  nous  ,  et  sortant  des 
bornes  de  la  speculation ,  elle  se  rend  si  fort  la 
maitresse  ,  que  la  vie  est  heureuse  ou  malheu- 
reuse  ,  selon  les  differentes  idees  qu  elle  nous 
imprime.  Car  ily  en  a ,  a  qui  elle  ne  represente 
que  des  peines  ^  et  dont  la  folie  la  fait  devenir 
leur  bourrcau  domestique :  et  d'autres ,  a  qui  elle 
ne  propose  que  des  plaisirs  et  des  grandeurs , 


5^  l'homme 

se  plaisant  ales  divertir  en  songe.  Voila  lout  ce 
que  peut  rimagination ,  quand  la  raison  ne  la 
tient  pas  en  bride. 


m 


MAXIME    XVIII. 

Etre  bon  entendeur. 


Savoii^  discourir ,  c'etait  autrefois  la  science 
des  sciences  :  aujourd'hui  eel  a  ne  suffit  pas  , 
il  faut  deviner,  ct  surtout  en  matiere  de  sc 
desabuser.  Qui  n'est  pas  bon  entendeur ,  ne 
peut  pas  etre  Wen  eniendu.  II  y  a  des  espions 
du  coeur  et  des  intentions.  Les  verites  ,  qui 
nous  importent  davantage,  ne  sont  jamais  dites 
qu'a  demi  (i).  Que  Thomme  d'esprit  en  prenne 
tout  Ic  sens ,  serrant  la  bride  a  la  credulite 
dans  ce  qui  parait  avantageux ,  et  la  lachant 
a  la  creance  de  ce  qui  est  odieux. 

(i)  La  v^rit^,  ajoute-t-il  dans  son  Discret ,  chap.  Buen 
entendedor,  est  une  demoiselle  aussi  honteuse  que  belle , 
ct  pour  ce  sujet  elle  va  toujour*  masque'e.  JTojrcz  h  noia 
de  la  Maximc  aiq.. 


■  MAXIME    XXVI.  . 

Trouper  le  fciihle  de  chacun. . 

;  C'est  Tart  de  manier  les  volontes  ,  et  dq 
faire  vcnlr  les  hommes  a  son  but.  II  y  va  plusj 
d'adrcsse ,  que  de  resolution,  a  savoir  par  ou 
il  faut  entrer  dans  Tesprit  de  chacun.  II  u] 
a  point  de  volonte.  qui  n'-^it  ga  pr^^gir>n  f\Q-^ 
minante  ^  et  ces  passions  sont  differ e^ni^s  scion 
la  diversite  des  esprits.  Tous  les  hommes  sont 


idolatres  ,  les  uns  de  I'honneur  ,  les  autres  de 
Finteret ,  pt  In  ^]npar^  rip.  Ip^r  plaisii\  L'ha- 
biletc  est  done  de  bicn  connaitre  ces  idolesi 
pour  entrer  dans  le  faiblc  de  ccux  qui  les 
adorent :  c'cst  comme  t'enir  la  clef  de  la  volonte 
d'autrui.  II  faut  aller  au  premier  mobile  : 
Or,  cc  n'est  pas  loujours  ]^  partie  superieure, 
le  plus  souvcnt  c'est  Tinferieurc^  car ,  en  ce 
monde  ^  le  nombre  de  ccux  qui  sont  deregles, 
est  bien  plus  ^rand  que  celui  des  autres.  II 
faut  premierement  connaitre  le  vrai  caractere 
de  la  personne  ,  et  puis  lui  later  le  pouls  ,  et 
I'attaqucr  par  sa  plus  foflc  passion  :  et  Ton  est 
assure  par  la  de  gagner  la  parlie. 


/ 


m 


54  ,  l'  II  O  M  M  E 

M  A  X  I  M  E    XXVII. 

Preferer  r intention  a   t extension. 

La  perfection  ne  consiste  pas  dans  la  qiian- 
tite  ,  mais  dans  la  qualite.Detout  ce  qui  esxiies- 
bon  ,  il  y  en  a  toujours  tres-peu  5  ce  dont  il  y 
a  beaucoup  ,  est  peu  estimd.  Et  parmi  Ics 
hommes  ^nemes  les  geans  y  passent  d^ordi- 
naire  pour  les  vrais  nains  (i).  Quelques  -  uns 
estiment  les  livrcs  par  la  grosseur,  comme  s'ils 
etaient  fails,  pour  charger  les  bras,  plutot  que 
pour  exercer  les  esprits.  L' extension  toule 
seule   n'a  j^^^^^tg^PJjlPggser  les  fcornes  de  la 


inediocritej  et  c'es_tlc  malheur  des  gens  uni- 
f/yers els^  jle  n  exceller  eii  rien ,  pour  ayoir  voulu 
Ijexcejier  en  tout.  L'inlention  donne  un  rang 

eminent,  et  fait  un  licros  ,  si  la  matierc  est 

sublime. 

MAXIME    XXVI  li 

N' avoir  rien  de  vulgaire, 

jQh^  que  celui-la  avait  bon  gout ,  qui  se  de- 
)laisaitdc  plaire  a  plusleurs  !.  Les  sages  ne  so 


(i)  Cela  est  dit  dans  un  sens  figure',  et  rejatif  au  pro- 
verbe ,  Homo  longus  rarb  sapiens.  I  El  grande  de 
cuerpo  ,  no  es  mujr  hombre  ,  dit-il  dans  la  critique  7  , 
de  la  premiere  partie  de  sou  Criticon. 


n  E    c  o  u  R.  35 

repaissent  jamais  des  applaudissemens  du  vul- 
gaire.  H  y  a  des  cameleons  de   goul  si  popu- 
laire ,  qu  ils  prennent  plus  de  plaisir  a  humer 
un  air  grbssier  ,  qu'a   senlir  Ics  doux  zephlrs 
d'Apollon.  JXe  tc  laisse  point  eblouir  a  la.  vue 
des   miracles  du  vulgaire.  Les  ignorans  sontf 
toujours  dans  relonncnient  (i).  C'cst  par  oil  I 
la  folie  commune  admire ,  que  le  disccrnementi 
du  sage  se  desabuse.  ^  i 


MAXIME    XXIX. 

Et re  homme  droit. 

Il  faut  toujours  etre  du  cote  de  la  raison ,      # 
ct  si  constammcnt ,  que  ni  la  passion  vulgaire  , 
ni  aucune  violence  tyrannique,  ne  fasse  jamais 
abandonner  son  parti.  Mais  oil  trouvera-t-on 
ce  phenix  ?  Certes  ,  Fequite  n'a  guerc  de  par-* 

tisans ,  beaucoup  do  gens  la  louent,  mais  sans 

• 

(i)  All  chap.  5,  de  son  Heros ,  il  di't ,  qne  c'est  le 
propre  d'un  gout  fin  j  de  me'soffrir  quand  il  est  question 
de  payev  d'estime  )  que  d'etre  avare  de  son  applaudisse- 
ment,  cela  sent  sa  noblesse  •  et  que  de  le  prodiguer  ,  c'est 
se  rendre  me'prisable  •  que  radni 'ration  est  I'etic 
dinaire  de  Tignorance  ,  et  qu'elle  ne  nait  pas 
perfection  des  objets ,  que  de  rimperfection 
dgment. 


iiguer  ,  c'est 
etiquette  or-| 
ts  tant  de  Ia\ 
de  reiiteu-i 


56  1.'  H  O  M  M  E 

lui  donner  entree  chez  eux  (i).  11  y  en  a  d'autres 
qui  la  suiv^cnt  jusqu  au  danger,  mais  quandilsy 
sont ,  les  uiis  ,  comme  faux  amis ,  la  renicnt ; 
ct  les  autres ,  comme  poliliques  ,  font  semblant 
de  ne  la  pas  connaitre.  EUe  ,  au  contrairc  ,  ne 
se  soucie  point  de  rompre  avec  les  amis  , 
avec  les  puissances  ,  ni  meme  avec  son  pro- 
pre  interet :  et  c'est  -  la  qu  est  le  danger  de 
la  mJIbnnaitrc.  Les  gens  ruses  se  tiennent 
neutres ,  et ,  par  une  metaphjsique  plausible , 
lachent  d'accorder  la  raison  d'etat  avec  Icur 
conscience.  Mais  rhomme  de  bien  prendre 
menagement  pour  june  cspece  de  traliison ..  se_. 


piquant_plus_d'etre  constant ,  g^gjjjgtreha-- 
bile.  II  est  toujo^rs  oii  est  la  verite ;  GLsjj. 
laisse  quelquefois  les  ^^ens,  ce^n  est  pas  qujl 
soit  changeant ,  mais  parce  qu'ils  ont  ete  les 


premiers  a  abandonncr  la  raison. 


MAX*ME    XXX. 

N'ctffscter  point  d'emplois  eoctraordinaires  y 
ni  chimeriques. 

Cette  affectation  ne  sert  qu  a  s'aliirer  du 
niepris.  Le  dapricc  a  forme  plusieurs  secies, 


(i)  Virtus  laudatur  et  alget ,  dit  Juvenal. 


BE      COR  R.  57 

rhomme  sage  n'en  doit  epouser  aucune.  II  y\ 
a  des  gouts  etrangers .  quin  aiment  ricn  de  tout 


ce  qu'aimcnt  les  autres.  Tout  ce  qui  est  singulicr 


leilr  plait.  II  est  vrai  que  cela  les  fait  connaitre . 
mais  c'est  plutotpouretrcmoques  que  pour  etj;^e 
cstimes,.  Ceux  meme  qui  font  profession  d'etre 
sages  ,  doivcnt  Lien  se  garder  de  Faffecter;  a 
plus  forte  raison,  ceux  qui  sont  d'une  profession 
qui  rend  scs  partisans  ridicules.  On  nc  nomme 
point  ici  ces  emplois ,  d'autant  que  le  mcpris  , 
que  chacun  en  fait,  les  fait  assez  connaitre. 


/ 


MAXIME    XXXI. 

Connaitre  les  gens  heureuocy  pour  sen  servlr;. 
et  les  nialheureuoc  pour  s'en  e carter. 

D'oRDiNAiRE ,  ie  malheur  est  un  effet  de  la 
folic ;  et  il  ny  a  point  de  contagion  plus  dan- 
gereuse ,  que  ccUe  des  malheureux.  II  ne  faut 
jamais  ouvrir  la  porte  au  moindre  mal ,  car\ 
il  en  vient  toujours  d'autres  apres  ,  et  meme 
de  plus  grands  ,  qui  sont  en  embuscade.  La 
vraie  science  au  jeu  est  de  savoir  ecarter.  La 
plus  basse  de  la  couleur  qui  tourne ,  vaut 
mieux  que  la  plus  haute  de  la  partie  prece-T^ 
dentc.  Dans  le  doute  ,  il  n  j  a  rien  de  meilleur- 
que  de  s'adresser  aux  sages  ;  tot  ou  tard  on 
s'en   trouvera  bien. 


58\  t'  H  O  M  M  E 

MAXIME    XXXII. 

Avoir  le  renom  de  cont enter  chacun. 

-ii 

Cela  met  en  reputation  ccux  qui  gouver- 
nent ;  c'est  par  oii  les  souverains  gagnent  la 
Lienvcillance  publique.  Le  seul  avantagc  , 
qu  ils  ont  ,  est  de  pouvoir  faire  plus  de  bien 
qife  tout  Ic  reste  des  hommes.  Les  vrais  amis 
soiit  ceux  qu'on  sc  fait  a  force  d'amities.  Mais 
i  1  J  a  des  gens  qui  sont  sur  le  pied  de  ne 
contenter  personne  ,  non  pas  tant  a  cause  que 
cela  leur  serait  a  charge ,  que  parce  que  leur 
naturel  repugnc  a  faire  plaisir  (i).  Contraires 
en  tout  a  la  bonte  divine,  qui  se  communique 
inccssamment. 


MA  XI  ME    XXXIli 

Sas^oir  se  soustraire. 

Si  c'est  une  grande  science  ,  que  de  savoir 
refuser  des  grac^es  ,  e'en  est  une  plus  grande 
de  sc  savoir  refuser  a  soi-nieme  ,  aux  affaires , 

(i)  Cest  un  defaut  dont  Tacite  sen^ble  accuser  Tibere , 
quand  il  dit ,  qti'il  laissait  la  plupart  <ies  gouverneurs  et 
3es  magistfats  dans  leiirs  provinces,  et  dans  leur  char- 
ges ,  tant  qu'ils  vivaient  pour  frustrer  les  pre'tendans.  //z- 
vidia  ,  ne  plures  fruerentiir.  Ann.  i. 


D  E   C  O  U  R.        '  Sg 

et  aux  visiles  (  i  ),  II  y  a  des  occupations 
importunes  ,  qui  rongent  le  temps  le  plus 
jprecicux.  Il_vaut  micux  ne  rien,  faire ,  que  do 
s'occuper  nial-a-propos.  11  ne  suffit  pas ,  pour 
etre  homme  prudent ,  de  ne  faire  point  d'intri- 
gues  j  mais  il  faut  encore  eviter  dy  etre  mele.  II 
ne  faut  pas*  etre  si  fort  a  chacun  ,  que  Ton  ne 
soit  plus  a  soi-meme.  On  ne  doit  point  abuser!  ^ 
^de  ses  aAiis,  ni  rien  exi^er  d'eux  au-dela  de\ 
ce  quils  accordent  volontiers.  Tout  ce  qui  est  1 
excessif  est  vicieux  ,  surtout  dans  la  conver- 
sation^ et  Ton  ne  saurait  se  conserver  I'estimo 
et  la  bicnveillance  des  gens-,  sans  ce  tempe- 
rament, d'oii  depend  la  bienseance.  II  faut 
mettrc  toute  sa  liberte  a  si  bien  clioisir ,  que 
i'on  ne  peche  jamais  contre  le  bon  gout. 


MAXIME    XXXIV. 

Connaitre  son  fort, 

XHette  connaisance  sert  a  cultiver  ce  que 
Ton  a  d' excellent,  et  a  perfectionncr  ce  que 
Ton  a  de  commun.  Bien  des  gens  fussent  de- 

(i)  C'est  ce  que  fit  Sen e que ,  au  rapport  de  Tacile. 
Instituta  prions  potendce  commutat ,  prohibet  ccetus 
salutantium ,  vital  comitantes  :  rams  per  urbem ,  eic, 
Ann.  14. 


venusde  grands  personriages ,  s'il  eusscnt  coii- 
riu  leur  vrai  talent.  Conhaissez-donc  le  votre; 
et  joignezj  Fapplication.  Dans  les  uns,  le  ju-. 
gement  I'emporte ,  et  dans  les  autres  ,  le  cou- 
rage. La  plupart  font  violence  a  leur  genie; 
d'oii  il  arrive  qu'ils  n  excellent  jamais  en 
fien  (i).  Uon  qtiittc  fort  tard  ce  que  la  pas- 
sion a  fait  epouserde  bonne  heure  (2). 

(i)  Quand  la  raison  suit  la  nature,  et  que  re'lection  se 
joint  a  rinclination,  Ton  fait  merveilles  en  quoi  que  ce 
soit :  et  c'est  jDroprement  avoir  vent  et  mare'e ,  quand  on 
navigue.  Mais  aussi ,  de  s'appliquer  a  quelque  chose  avec 
tin  instinct  contraire ,  et  une  inclination  qui  re'siste,  c'est 
vouloir  travailler  beaucoup,  pour  avancer  peu;  c'est  aller' 
seulement  a  force  de  bras  contre  le  fil  d'une  riviere  rapide. 
Dans  la  preface  sur  le  livre  de  VInteret  des  Princes ,  de 
M.  de  Rohan. 

(2)  La  passion ,  dit-il  dans  le  chap,  i  de  son  Discret , 
trompe  tresrsouvent ,  et  quelquefois  aussi  Fobligation ,  en 
mettant  pele-mele  les  ge'nies  et  les  emplois.  Tel  est  mal- 
heureux,  pour  avoir  endosse'  le  harnois,  qui  eiit  e'te  heu- 
reux  ,  et  eut  passe'  pour  jorudent ,  s'il  eut  pris  la  robe  : 
infaillibleaphorisme  de  Chilon,  qu'il  faut  se  connaitre  et 
s'appliquer.  Que  rhomme  discret  coinmence  de  savoir 
par  se  savoir  lui-meme.  Qu'il  sonde  sa  Minerve ,  tant 
celle  de  I'inclination  que  celle  deJa  raison^  ets'il  latrouve 
propre  et  commode  ,  qu'il  la  tienne  toujours  en  action. 
£t  dans  le  chap.  9  du  Hems  :  Le»coeur,  dit-il ,  regne 
dans  les  uns  ,  et  la  tete  dans  les  autres.   Celui-la  serait 


D  E     C  0  U  R.  4l 

MAXIME    XXXV. 

Peser  les  choses  selon  leur  juste  valeur. 

Les  fous  ne  perissent  que  faute  de  ne  pcnser 
a  rien  :  comme  ils  ne  concoivent  pas  les  choses*, 
lis  ne  voient  ni  le  dommage  ni  le  profit ,  et  par 
consequent ,  ils  ne  s'en  mettent  point  en  peine. 
Quclques-uns  font  grand  cas  dc  ce  qui  importe 
peu ,  et  n'en  font  guere  de  ee  qui  importe  beau-  ^ 
coup ,  parcequ  ils  prennent  tout  a  rebours.  Plu- 
sieurs  ,  faute  de  sentiment ,  ne  sententpas  leur 
mal.  11  J  a  des  choses  oii  Ton  jie  saurait  trop 
penser.  Le  sage  fait  reflexion  a  tout,  mais  non 
pas  egalement ,  car  il  creuse  ou  il  y  a  du  fond  , 

un  grand  fou,  qui  voudrait  employer  sa  valeur  a  etudier, 
ou  son  bel  esprit  a  combattre.  Que  le  paon  se  contente  de 
montrer  sa  roue ,  que  Taigle  se  glorifie  de  son  vol ,  et  si 
Fautruche  ne  pent  pas  prendre  le  meme  essor  sans  s'ex- 
poser  a  une  chute  certaine,  qu'elle  se  console  d'avoir  un 
si  beau  plumage....  Celui-la,  quoique  poete  ,  a  bien  en- 
seigne'  la  •ve'rite' ,  qui  a  dit ,  n'entreprens  rien  malgre 
Minerve.  Mais  il  n'cst  rien  de  plus  difficile  ,  que  de  se 

de'sabuser  de  la  bonne  opinion  de  soi-meme Que 

riiomme  prudent  tache  done  d'apprivoiser  doucement  son 
inclination,  et  de  Taccoutunier ,  Sans  prendre  un  empire 
despotiquesur  elle^  ase  mesureravec  ses  forces.  Et  quand 
une  fois  il  aura  reconnu  son  talent  capital ,  qu'il  le  fasse 
V&k)ir  autant  qu'il  pourra.  Vojgz  la  Maxime  89. 


4^  l' H  O  M  M  E 

et  quelquefois  il  pense  qu'il  j.  en  a  encore  plus 
qu  il  ne  pense  j  si  bien  que  sa  reflexion  va  jus- 
qu'oii  est  allcc  son  apprehension, 


MAXIME    XXXVI. 

Sonder  sa  fortune  et  ses  forces  ,  avant  que 
de  s*embarquer  dans  aucune  entreprise.    ' 

Cette  experience  est  bien  plus  necessaire 
que  la  connaissance  de  notre  temperament.  Si 
c'est  etre  fou  que  de  commencer  a  quarante  ans 
a  consultcr  Hippocratesursa  sante,  celui-la  Test 
encore  plus  ,  qui  commence  a  cet  age  d'aller  a 
Fecole  de  Seneque,  pour  apprendre  a  vivrc. 
Cest  un  grand  point  que  de  savoir  gouverner 
la  fortune  ,  soit  en  attendant  sa  belle  humeur 
(  car  elle  prcnd  plaisir  a  etre  attendue  )  ,  ou  en 
la  prenant  telle  qu  elle  vient ,  car  die  a  un  flux 
et  un  reflux  ,  et  il  est  impossible  de  la  fixer  , 
beteroclitc  et  changeante  comme  elle  est.  Que 
celui  qui  I'a  souvent  eprouvee  favorable ,  ne 
ccssc  point  de  la  prcsser,.d'autant  quelle  a  cou- 
tume de  se declarer  pour  les gens hardis ,  et  que, 
comme  gal  ante ,  elle  aime  les  jeunes  gens.  Que 
cclui  qui  est  malheureux  se  retire  ,  pour  nc  pas 


D  E    C  O  tJ  tl.  45 

recevolr  rafFront  d'etre  maltraite  deux  fois  (i) 
devant  un  concurrent  heureux. 


MAXIME    XXXVII. 

Ves^iner  oil  portent  de  petits  mots  qdon  nous 
jette  en  passant^  et  savoir  en  tirer  du  profit, 

Cest  la  le  plus  delicat  endroit  du  commerce 
du  monde ,  c'est  la  plus  fine  sonde  des  replis 
du  coeur  humain.  11  y  a  des  pointcs  malicieuses , 
outrees,  et  trempecs  dans  le  fiel  de  la  passion. 
Ce  sonl  des  coups  de  foudre  imperceptibles  , 
qui  font  quitter  prise  a  ceux  qu  ils  frappent. 
Un  petit  mot  a  souvent  precipite  du  faite  de  la 
faveur,  des  gens  qui  n'avaient  pas  seulement 
ete  ebranles  des  murmures  de  tout  un  peuple 

(i)  C'est  pour  cela  qu'Othon ,  apres  avoir  perdu  la  bar 
teille  de  Bt'driac  ,  ne  voulut  jamais  en  risquer  une  secon- 
de,  disant  aux  cohortes  pre'toriennes ,  qui  Ten  conju- 
raient ,  qu'il  avait  assez  e'prouve'  ses  forces  contre  la  for- 
tune ,  et  qu'il  n'estimait  pas  assez  sa  vie,  pour  vouloir 
hasarder  une  seconde  fois  (ielle  de  tantde  braves  gens  qui 
faisaient  rornenient  de  I'Empire.  JIunc  animum ,  hanc 
inrtutem  vestram  ultra  perieulis  pbjicere ,  nimis  grande 
vitK  mecepretimn  puto.  Experti  invicem  sumus ,  ego 
acfortuna.  An  ego  tot  egregios  exercitus  stetni  rursiiS, 
St  Reip.  eripi  patiar"?  TiXQit.  HisL  n. 


m 


44  l'  H  O  M  M  E 

bande  contre  eux  (i).  II  y  a  d'autres  mots  ,  ou^ 
i^enconlres,  qui  font  un  effcl  tout  contraire,  c'est- 
a-dire  ,  qui  soutiennent  et  augmentent  la  repu- 
tation de  ceux  dont  il  est  parle.  Mais  comme 
ils  sont  jetes  avec  adresse ,  il  faut  aussi  les  re- 
cevoir  avec  precaution  -,  car  la  surete  consiste  a 
connaitre  Fintention ;  et  le  coup  prevu  est  tou- 
jours  pare  (2). 


MAXIME    XXXVIII. 

Savoir  se  moderer  dans  la  bonne  fortune. 

Cest  un  coup  de  bon  joueur  en  fait  de  repu- 
tation (3).  Une  belle  retraite  vaut  bien  uue  belle 
entreprise.Quandonafait  de  grands  exploits  ,  il 
en  faut  mettre  la  gloire  a  decouvert  en  se  retirant 
du  jeu.  Une  prosperite  continue  a  toujours  ete 
suspecte;  celle  qui  est  entremelee  est  plus  sure  : 

(i)  Le  cardinal  Spinosa,  premier  ministre  d'Espagne  , 
mourut  de  frajeur,  d'avoir  entendu  ce  mot  de  Phi- 
lippe II ,  Cardenal ,  jo  soj  el  presidente.  Le  meme  roi 
donna  le  coup  de  mort  a  un  autre  ministre  ,  qui  lui 
mentait ,  par  ce  seul  mot :  Quoi ,  vous  me  mentez  ? 
Dans  sa  vie  intitule'e  ,  Don  Filipe  el  prudente. 

(2)  Prcevisus  ante  mollior  ictus  venit. 

(5)  II  ne  manque  plus  rien  a  ma  fortune ,  disait  Se'ne- 
que  ,  sinon  de  la  borner.  Nihil  felicitati  mece  deest  ^ 
nisi  mo deratio  ejus.  TslC^  Jnn.  14. 


D  E    C  O  U  R.  45 

tinpeud'aigre-doux  la  fait  trouvermcilleure(i). 
Plus  Ics  prosperites  s'entassent  les  uncs  sur  les 
autres  ,  et  plus  elles  sont  glissantes  et  sujettes 
au  revers  (2).  La  brievete  de  la  ioiiissance  est 
quelquefois  recomipensce  ]^^r  \i^,\iyjyj|Vili^i^"p^'^^- 
sir.  La  fortune  sc  lasse  de  porter  toiijours  un 
meme  hommc  sur  son  dos  (5).        '  '        j 


MAXIME    XXXIX. 

Connaitre  l' essence  et  la  saison  des  choses 
et  savoir  s*en  servir, 

Les  oeuvres  de  la  nature  arrivent  loujours 
au  point  ordinaire  de  leur  perfection  j  elles  vont 

(i)  Les  bons  morceaux  de  la  prosperite  se  mangentavec 
tplaisir  ,  quand  ils  sont  assaisonnes  de  I'aigre-doux  de 
quelque  traverse.   Chap.  11,  dixjiHeros.  \ 

(2)  Cuncta  mortalium  incerta,  disait  Tibere  ,  cfiiantb-* 
^ue  plus  adeptus  foret ,  tantb  se  ma^is  in  luhrico.  Tac. 
Ann.  I.  Nee  unquam  satis fida  potentia y  ubinimia  est. 
Hist.  1.  line  prospe'rite'  soudaine  a  toujours  e'te'  suspecte, 
surtout  lorsque  tout  vient  a  sauhait  et  tout  a  la  fois  ;  car 
la  fortune  a  coutume  de  rogner  et  reg^gner  sur  le  temps 
de  la  jouissance  ce  quelle  prodigue  en  faveur....  C'estun 
corsaire  qui  attend  que  le  vaisseau  soit  bien  charge'  pour 
Tenlever.  Hatez-vous  done  de  prendre  port.  Chaj).  ii» 
du  He'ros. 

(5)  Fato  potentice  mrb  sempiternce.  Ann.  5.  Antoine 
Perez  dit  fort  agre'ablement  que  les.  favoris  des  rois  sont 
sujets  a  mourir  de  mort  subite.  ♦ 


46  l'  H  O  M  M  E 

toujours  "en  augmcnlant ,  jusqu'a  ce  qu'elles  y 
parvienncnt^  et  puis  toujours  en  diminuant , 
des  qu  elles  y  spnt  parvenues  (i).  Au  contraire, 
celles  dc  I'art  ne  sont  presque  jamais  si  parfaitcs 
qu  elles  ne  puxssent  I'etre  encore  davantage. 
C'cst  une  niarq:ue  de  ^out  iin ,  dc  disccrner  ce 


au'ily  ad' excellent  danschaquc  chose  ;  mais pcu 


de  gens  en  sont  capables,etceuxquilepeuvcnt. 


ne  le  font  pas  toujours.  U  j  a  un  point  de  ma: 


turite  jusque  dans  les  fruits  de  I'entendcment , 
et  il  importe  de  connaitre  cc  point ,  pour  en 

faire  son  profit. 

# 

MAXIME    XL. 

Se  faire  aimer  de  tons. 

C'est  beaucoup  d'etre  admire  ,mais  c'cst  en- 
core plus  d'etre  aime.  La  bonne  etoile  y  contri- 
bue  pour  quelque  chose,  mais  I'industrie  pouf 
tout  le  reste^  cellc-ci  achevc  ce  que  I'autrene  fait 
que  commencePiUii  en^incnt  merite  pcsuffitpas ; 
bien  que  verilablement  il  soit  aise  de  gagner 
Faffection  des  qu'on  a  gagne  I'es  lime.  Pour  eyre 

(i)  Naturaliter ,  auod proce4ere  non  potest ,  recedit , 
dit  Patercule ,  Hist.  a.  C'est-a-dire ,  ce  g[ui  ne  pent  plus 
avancer,  recule. 


D  E     COUR.  47 

aime  TO  il  faut  aimer,  il  faut  etre  bienfaisant^ 
jl  faut  donner  de  b^ncs  paroles  et  eiico£e_d&- 
mcilleurs  effets.  Courtoisie  est  la  ma^ie  poli- 
tique des  grands  personnages  (2).  11  faut  pre- 
niierementinettre  la  main  aux  grandes  affaires, 
el  puis  I'etendre  liberalement  aux  bonnes  plu- 
mes ,  employer  alternativemcat  I'epee  et  le  pa- 
pier (3)  ;  car  il  faut  rechcrcher  la  faveur  des 

(i)  Neque  enirriy  dit  le  jeune  Pline  dans  son  panegyri- 
que ,  ullus  ajfectus  est ,  qui  magis  vices  exigat. . .  Amari 
princeps,  nisi  ipse  am.et,non  potest.  Cest-a-dire,  rien 
n'exigeplus,  qu'on  lui  rende  la  pareille,  que  Tamo *ir. 
Le  prince  ne  saurait  se  faire  aimer  de  ses  sujets ,  s'il  ne 
les  aime. 

(2)  Le  plus  puissant  charme  pour  etre  aime',  dit  Gra- 
cian  dans  le  He'ros  ,  c'est  d'aimer.  Le  premier  mobile  , 
qui  entraine  le  peuple  ,  c'est  la  courtoisie  et  la  ge'nerosite'. 
Cest  par  ou  Titus  me'rita  d'etre  appele'  les  de'lices  du  genre 
humain.  Une  parole  agre'able  d'un  silpe'rieur  e'gale  ert 
valeur  le  service  rendu  par  un  egal ,  et  la  civilite'  d'uu 
prince  vaut  mieux  que  le  don  d'un  particulier.  Alphonse 
Je  Magnanime ,  roi  de  Naples ,  en  descendant  de  clieval,! 
pour  aller  secourir  un  pajsan  ,  forca  les  murailles  de  la 
ville  de  Gaiete ,  oil  le  canon  n'avait  pu  faire  ouverture 
en  plusieurs  jours.  En  quittant  pour  quelques  momens 
sa  majeste  ,  il  entra  premierement  dans  les  coeurs ,  et 
bientot  apres  dans  la  ville.   Chap.  12. 

.  (5)  Dans  la  seconde  partie  de  son  Criticon ,  critique  4  9 
il  dit  agreablement  qu'un  prince  guerrier  ajant  demands 
a  la  njmplie  Histoire^  la  plume  la  mieux  taillee  quelle 


4S  l'  a  o  m  m  e  ''^ 

ecrivains    qui   immortalisent    Ics    grands    ex- 
ploits (i). 

eut ,  elle  lui  en  donna  uhe  qui  ne  I'etait  point  du  tout, 
lui  disant :  C'est  a  vous  de  la  tailler  avec  uotre  propre 
epe'e }  si  elle  coupe  Men  ,  votre  plume  en  e'c^ira  mieux. 
Sire  ,  disait  le  brave  d'Aubigne  a  Henri  lY ,  commence z 
defaire  et  je  commencerai  d'ecrire.  (Dans  la  preface 
de  son  Histoire )  pour  lui  donner  a  entendre  que ,  s'il  se 
servait  glorieusement  de  son  e'pe'e ,  sa  plume  ne  manque- 
rait  pas  de  bien  e'crire,  n'e'tant  pas  Te'criture  qui  rend  les 
hommes  inimortels ,  mais  bien  leurs  belles  actions ,  ra- 
contees  par  I'hi'stoire.  Ce  qui  est  fonde'  sur  ces  belles 
p'  ,oles  de  Tacite.  Tout  ce  que  nousayons  aime  ou  ad-^ 
mire  dans  Agricola,  dit-il ,  reste  encore,  et  restera 
etemellement  dans  la  -me'moire  des  siecles ,  par  le 
mojen  de  Vhistoire  qui  racontera  a  la  posterite'  ioutes 
les  grandes  choses  quHl  afaites.  Bans  la  vie  d'Agricola. 
(i)  II J  a  aussi ,  dit-il ,  la  faveur  des  liistoriens ,  qui  est 
d'autant  plus  a  de'sirer  ,.que  leurs  plumes  sont  celles  de  la 
renomme'e  et  de  I'immortalite' ;  car  elles  ne  font  pas  les 
portraits  du  corps ,  mais  ceux  de  I'esprit.  Ce  phe'nix  de  la 
Hongrie ,  Matias  Corvain  ,  avait  coutume  de  dire ,  ( et  il 
le  montrait'encore  mieux  par  ses  actions)  que  la  gran- 
deur d'un  he'ros  consistait  en  deux  choses ,  a  faire  de 
grands  exploits ,  et  a  employer  de  bons  e'crivains  ,  d'au- 
tant que  les  caracteres  d'or  e'ternisent  la  memoire.  Chap. 
12  du  He'ros ,  et  Discours  3o  de  son  Agudeza. 


BE     cot  R.  49 

MAXIME    XLI. 

N'eacagerer  jamais* 

Cest  faire  en  homme  sage  de  ne  parler  ja- 
mais en  superlatifs  ,  car  cclte  mam(4re  Je  2:)arler 
blesse  toujours ,  ou  la  verite  ,  ou  la  prudence. 
^Les  exaggerations  sont  autant  de  prostitutions 
de  la  reputation ,  en  ce  qu'ellcs  decouvrent  la 
petitcsse  de  Fentcndement ,  et  le  mauyais  gout 
,de  celui  qui  parle.  Les  louanges  excessives  re- 
veillent  la  curiosite  et  aiguiilonnent  Fenvie;  de 
sorte  que  si  Ic  merite  ne  correspond  pas  au  prix 
quon  lui  a  donnc,comme  il  arrive  d'ordinaire, 
I'opinion  commune  se  revoke  contrc  la  trom- 
pcrie ,  et  tourne  le  flatteur  et  le  flatte  en  ridi- 
cules. Cest  pourquoi  I'homme  prudent  va  bride 
en  main ,  et  aime  ntieux  peclier  par  le  trop  peu, 
que  par  le  trop.  Uexccllence  est  rare  ,  et  par 
consequent  ,  il  faut  mesurcr  son  estime  (i), 

(i)  Les  perfections ,  dit-il  au  cliap.  5  du  He'ros  y  qui 
sont  au  plu^  haut  degre  ,  sont  uniques;  il  faut  done  esti- 
mer  rarement.  Et  une  page  apr^s  :  Quelques-uns  croieitt 
que  de  ne  pas  louer  excessivement ,  c'est  blamer  :  maig 
pour  moi,  je  dirai  que  I'exces  de  louange  marque  uli 
de'faut  de  capacite' ,  et  que  celui,  qui  loue  trop,  se  moque 
©ude  soi-meme  oq,  des  autres.  Age'silaiVs,  lespartiate,  ne. 
tenait  pas  'pour  ban  cordonnier  celui  qui  chaussait  \& 
Soulier  d'Encelade  a  un  pygme'e.  En  fait  de  lOuanges , 
t'est  etre  habile  que  de  prendre  la  mesure  juste,  , 

4 


5o  l'h  o  m  m  e 

L'exagcration  est  une  sorte  de  mensongc;  a 
exagerer  ,  on  se  fait  passer  pour  homme  de 
mauvais  gout ,  e't  qui  pis  est , pour  homme  d'en- 
tendemeiit  (i ). 


MAXIME    LXL 

De  r Ascendant, 

C'est  une  certaine  force  secrete  de  sup^rio- 
rite  qui  vicnt  du  naturel  et  non  de  I'artifice,  ni 
de  I'affection.  Cliacun  sy  soumet  sans  savoir 
comment ,  sinon  que  Ton  cede  a  une  vcrtu  in- 
sinuante  de  I'autoritc  naturelle  d'un  autre.  Ces 
genies  dominans  sont  rois  par  merite  ,  et  lions 
par  un  privilege  qui  est  ne  avec  eux.  lis  s'em- 
parent  du  coeur  et  de  la  langue  des  autres  ,  par 
ini  je  ne  sais  quoi  qui  les  fail  respecter.  Quand 
de  tels  hommes  ont  les  autres  qualites  requises, 
ils  sont  nes  pour  etre  les  premiers  mobiles  du 

(i)  Sans  une  grande  connaissance,  aidee  d'unelongue 
pratique ,  dit-il  a  la  fin  du  mcme  chapitre  ,  il  n  j  a  pas 
jnojen  de  savoir  le  juste  prix  des  fperfections.  Si  done 
I'homme  discret  ne  pent  pas  juger  exactement ,  qu'il 
s'abstienne  de  parler ,  de  peur  qu'il  ne  de'couvre  plutot 
son  peu  de  fonds ,  que  le  beaucoup  qu'il  y  a  dans  les 
autres.  Juan  Rufo  compare  ceux  qui,exagerent  et  parlent 
en  superlatifs,  aux  annees  steriles  qui  enqherisseut  le» 
denr6es.  Jlpophtegme  ^23^, 


DE    COUR.  Ot 

gouverncment  politique ,  d'autant  qu'ils  en  font 
plus  d'un  signe ,  que  ne  feraient  les  autres  avec 
tous  leurs  efforts  ct  tons  Icurs  raisonnemens. 

Get  empire ,  dit-il  dans  le  chapitre  dc   son 
Di'scret  y  Del  sennorio  en  el  dezit  y  etc. ,  est 
cbauche  par  la  nature  et  acheve  par  I'art.  Tous 
ceux  qui  ont  cetavantage  ,  trouvent  X^t^  choses 
toutes  faites.  Leur  ascendant  lour  facilite  toul;^ 
rien  ne  Jes  cm  bar  r  ass  e  ,  ct  iis  sortent  de  tout 
avec  eclat :  leurs  dits  et  leurs  faits  paraisscnt 
au  double.  La  medioerite  meme  a  souvent  passe 
pour  une  excellence ,  pour  avoir  ete  secondee 
de  cet  empire.  Ceux  ,  qui  n'ont  pas  c^Ue  supe- 
rioi^itc ,  entrent  avec  meflancc  dans  les  occa- 
sions j  ce  qui  leur  ote  beaucoup  d'agrement ,  et 
surtout  si  Ppn  s'cn"  apercoit.  De  la  defiance  nait 
incontinent  la  crainie  ,   qui  bannit  liontcusc- 
ment  I'assuranice ,  et  par  consequent  l-aclion  et 
Ja  raison  perdenj  tout  J^ur  lustre.  Cettc  crainte 
s'empare  si  absolument  de  I'esprit,  qu  elle  le 
prive  de  toute  sa  liberty *^  si  bien  qu^  le  raison- 
nement  cesse,  le  parler  se  gele ,  et  I'activite 
rcste  interdite. 

L'ascendant  de  celui  qui  parle  lui  attire  d'a- 
bord  le  respect  de  celui  qui  I'ecoute.  11'  sc  fait 
preler  attention  par  le  plus  critique ,  et  emporte 
dc  haute  lutte  le  conscntement  de  toute  une 
compagnie.  II  fournit  des  expressions  et  mema 

4* 


52  j/  il  O  M  M  E 

des  senlences  a  la  personne  qui  parle ,  au  lieu 
que  la  crainte  engloutit  les  paroles.  La  timidite 
suffit  pour  tarir  le  raisonncmeiit ;  et  quolquc  ce 
soit  un  torrent  d'eloquence  ,  le  grand  froid  de 
la  crainte  Tarrete  tout  court  (i). 

Celui  qui  entre  avec  empire  dans  la  conver- 
sation ,  sV  saisit*par  ayance  idu  respect  :  mais 
celui  qui  yvient  avec  crainte ,  s'accus e'  lui-meme 
je  se  sentir  faible .  et  se  confesse  vaincu.  Et 
cctte  defiance  de  son  esprit  fait  qu  il  est  meprise, 
ou  du  moins  peu  cstime  des  autres.  A  la  verite , 
I'homme  sage  doit  se  contenir ,  et  particuliere- 
ment,  lorsqu'il  ne  cojinait  pas  les  gens.  11  sonde 
premleremcnt  le  gue  ,  mais  surtout  s'il  pres- 
sent  qu'il  est  profond.. 

Bien  qu  il  soit  et  de  la  bienseance  ct  du  de-» 

voir  de  reformer  cctte  hardiessc  imperieuse  , 

%»  ^    lorsqu'on  parle  aux  princes  et  aux  grands  ;  si , 

est-ce  qu  il  faul  se  garder  de  tombcr  dans  Tex- 

(i)  Un  ce'lebre  jirodicateur,  qu'il  y  avait  cinq  ans  qui 
prcchait  *devant  Philippe  II,  roi  d'Espagne,  perdit  la 
parole  des  qu'il  fut  entre  eri  cliaire,  a  cause  que  le  roi  se 
mit  a  le  regarder  fixement.  Un  nonce  du  pape  se  de'con- 
certa  pareillement  a  une  audience )  et  le  je'suite  Possevin 
demeura  court  au  second  point  d'un  discours  bieh  etudie' j 
de  sorte  que ,  pour  le  tirer  d'embarras  ,  Philippe  lui  dit : 
Si  vous  avez  un  ecrit ,  je  le  verrai ,  et  je  ferai  expe'dier 
rolre  affsiire.  Diehosj-  hechos  etc  Don  FiU'pe  IL  Cap,  2. 

m 


DE    COUR.  55 

tremite  de  se  demonter.  Cest  la  qu'il  importe 
de  tenir  un  milieu  entre  la  hardicsse.et  Fair  in- 
terdit,  pourn'etreni  desagreable,iii  ridicule  (i). 
Que  ta  crainie  ne  soil  pas  si  grande ,  que  tu  en 
perdes  Fassurance ;  ni  la  hardiesse \  que  tu  en 
perdcs  le  respect.  * 
*I^oj-ez  la  Maxime  182.  *\ 

Cette  superiorite  brille  en  toutes  sortes  de 
gens  ,mais  bien davantage  dans  les  grands.  Pour 
un  orateur ,  c'cst  plus  qu'une  circonstance ,  pour 
un  avocat  ,*clle  est  essenticllc  ,  dans  un  ambas- 
sadeur  ,  c'estune  qualltc  cclatante;  dans  un  ca- 

(1)  Juan  Riifo ,  Tun  des  plus  beaux  esprits  de  TEspa- 
gne  ,  et  que  Gracian  appelle  I'inge'nieux  et  le  subtil  par 
excellence,  eut  la presairiptioft  de  croire  qu'il  nesetrou- 
blerait  point  en  la  presence  de  Philippe  II ,  disant  que  les 
rois  e'taient  des  hotumes  comme  les  autres,  et  qu'il  fallait 
manquer  d'esprit  et  de  jugement  pour  avoir  penr  de  pa- 
raitre  devant  un  roi ,  qui  donnait  audience  avec  tant  de 
modekie  et  de  douceur^  et  de  la  pre'sence  de  qui  Ton  ne 
savait  point  que  jamais  personne  se  fut  retire'  mecontent. 
Mais  quand  ce  fut  a  parler  a  ce  roi ,  il  perdit  la  tramon- 
tane comme  les  autres^  si  bien  qu*au  sortir  de  Taudience,- 
il  avoua  qu'il  lui  etait  arrive'  comme  a  ceux  qui  regardent 
I'horizon  ,  a  qui  il  semble  que  le  ciel  et  la  terre  se  ton-  / 
chent ,  et  meme  s'embrassent ,  et  qui ,  ar^'ivant  a  ce  meme 
point  J  s'en  trouvent  aussi  e'loignes  qu'auparavant*  Jiian 
Rufo  dans  son  apophtegme  607  ,  lequel  est  rapporte  mot 
a  n^ot  dans  le  ch»  2  des  Dits  et  des  Faits  de  Philippe  //• 


54  l'  H  O  M  M  E 

pitaine  ,  e'en  csl-utie  victorieuse  :  mais  dans  un 

prinee,  e'est  le  eomble  de  la  perfeetion Elle 

reliausse  le  prix  dc  toutcs  les  actions  humainesj 
elle  s'etcnd  jusqu'au  visage,  qui  est  le  trone  dc 
la  bienseance  ,  et  meme  jusqu'aU  marcher  j  c'ar 
les  pas  d'un  homnie  sont  I'empreinte  du  carac- 
tere  de  son  coeur  :  et  c'est-lJ  que  les  personncs 
judicieuses  crayonnent  ordinairement  le  leur 
par  une  noble  nianiere  d'agir  et  de  parler  ;  car 
la  sublimite  des  actions  double  le  prix  ,  quand 
la  majeste  les  accompagne.  ^ 

Quelques-uns  naissent  avec  un  pouvoir  uni- 
versel  en  lout  ce  qu'ils  discnt  et  en  tout  ce  qu'ils 
font.  Vous  diricz  que  la  nature  les  a  fails  les 
aines  de  tout  le  genre  humain.  lis  sontnes  pour 
etre  les  superieurs  partout^  sinon  en  dignite  , 
du  moins  en  me  rite  ;  il  se  repand  en  eux  un  es- 
prh  dominant,  jusque  dans  le*urs  plus  com- 
munes actions^  lout  leur  obeit,  parce  qu'ils  ex- 
cellent en  tout  j  ils  se  rendent  d'abord  les  ma^tres 
des  autres  ,  en  leur  derobant  le  cceur  ;•  car  tout 
pent  tenir  dans  leur  vasle  capacile.  Eh  bien ! 
qu'il  s'en  trouve  quelquefois  d' autres  qui  ont 
plus  de  science,  de  noblesse  et  meme  de  vertu, 
ils  ne  laissent  pas  de  Femporter  par  un  ascen- 
#lanr  qui  leur  donno  la  superiorite,  de  sorte  que 
que  s'ils  nc  sout  pas  en  droit ,  ils  sont  du  moins 
en  possession. 


BE  CO.UR.  65 

MAXIM  E    XLin.      — 

Pctrler  comme  le  vulgaite  ,  mais  penser  comme      If 
les  sages. 

♦    VouLOiR  aller  centre  le  courant,  c^est.iiri>e.  ♦ 
chose  oil  il  est  aussi  impossible  deT4ussir,  qu5L; 
est  aise  de  s'exposcr  au  danger  ^  il  n  j  a  qu'un 
Socraie  qui  le  put  entreprendre.La  contradiction^ 
msse^our  une  offense  ,  jparce  que  c'est  con- 
damner  le  jugement  d'autrui.  Les  mecontens  sel 
multiplient ,  tanlot  a  cause  de  la  chose  que  Ton 
censure  ,  tantot  a  cause  des   partisans    qu  elle 
avait.  La  verite  est  c'onnue  de  tres-pcu  de  gens , 
les  fausses  opinions  sont  recues  de  tout  Je  reste 
du  monde.  II  ne  faut  pas  juger  d^un  sage  par 
les  choses  qu'il  dit ,  altendu  qu'alors  il  ne  parle 
que  par  emprunt ,  c'est-a-dire  par  la  voix  com- 
mune ,  quoique  son   sentiment  demente  cette- 
voix  (i).  Le  sage  evite  autant  d'etre  contredi^tj 
que  de  contredire  C^X  Plus  son  jugement  lei 

(i)  L'homme  judicieux,  dit-il  dans  son  Discret ,  ob- 
serve inviolablement  cette  grandelecon,  (d'Aristote)  de 
parler  comme  le  commun  ,  mais  de  penser  et  de  croire 
areboiirsdu  commun.  Chap.  Homhrejuiziosojnotante, 

(2)  C'jst  une  louange  que  Tacite  donne  a  Agricola. 
Procul  ah  cemulatione  adversiis  collegas ,  procul  a  cort'^ 
tentione  adversus  procuratores  :  et  vincere  inglorLum  , 
et  atterl  sordidum  arbitrahatur.  C'est-a-dire  :  II  vivait  en 


56  l'ii  o  i\i  m  e 

[porte  a  la  censure, plus  11  sc  garde  de ^fipubli^r. 

/opinion  est  llbre  .  ellc  i^fi  pent  nl  ne  dolt  etre 

golente^.  Le  sage  se  retire  dans  le  sanctuair^ 

le  son  silence  ;  ct  s'il  se  commifaiique  quelque- 

fois ,  ce  n'est  qu  a  peu  de  ^cns ,  at  touiours  a 

[d'autres  sa^es. 

M  A  X  I  M  E    X  L I  V. 

Sympathiser  tivec  les  grands homnies^  (i)  . 

C'est  une  qualite  de  heros  que  d' aimer  les 
heros  ;  c'est  un  Instinct  secret  que  la  nature 

bonne  intelligence  avec  ses  collegues ,  fuyant  d'entrer  ea 
contestatfon  et  en  compe'tence  avec  eux  5  aussi  peu  d'hu- 
meur  a  prendre  avantage  sur  eux ,  qu'a  souffrir  qu'ils  en 
prissent  sur  lui. 

(i)  La  sjmpathie,  dit-il  au  chap.  i5  du  Heros ,   con- 
siste  dans  une  parente  de  coeurs ,  et  I'antipatliie  dans  un 

1  divorce  de  volonte'.  La  plus  liaute  perfection  est  expose'e 
au  mepris  de  Tantipathie  ,  et  I'liumeur  la  plus  insuppor- 
table a  des  cbarmes  pour  la  sjmpatbie.  II  n'j  a  rien  dont 
la-sympathie  ne  vi^^«e  a. bout 5  .elle  persuade  sans  e'lo- 
quence ,  et  pour  obtenir  tout  ce  qu'elle  de'sire ,  elle  n'a 
qu'a  pre'senter  le  placet  de  sa  ressemblanc©-.  Une  sym- 
pathie  releve'e  est  Te'toile  du  Nord  qui  guide  a  I'he'ro'isme*. . 
11  est  aise'  d'avoir  un  penchant  pour  les  grands  hommes , 
maistres-difficile  de  leur  ressembler.  Quelquefois  le  coeur 
fait  des  souhaits ,  mais  sans  e'couter  Te'cho  de  4a  corres- 
jpon dance.  La  sympatTiie  est  I'A ,  B ,  C ,  de  I'amour.  C'est 
Ifoiie  de  pre'tendre  a  la  coaquete  des  coeurs,  sins  etre 
Imuni  de  sjmpathie. 


DE    COUR.  57 

donne  a  ceux»qu  elle  veut  conduirearheroisme, 
II  y  a  une  parente  de    coeurs  et  de  genies  ,  et 
ses  effcts  sont  ceux  que  le  vulgaire  ignorant  at- 
tribue  aux  enchantemens.  Celte  sjmpathie  n'en 
.  demcure  pas  a  I'estime  ,  elle  va  jusqu'a  la  bien- 
veillance ,  d'oii  elle  arrive  enfin  aFattacliement: 
U         elle  persuade  sans  parler^  elle  obtient  sans  re- 
icommandation.  II  y  en  a  une  active  et  une  pas- 
sive ,  et  plus  elles  sont  sublimes  ,  plus  elles  sont 
^eureuses.L'adresse  est  de  les  connaitre,  de  les 
distinguer,  et  d'ensavoir  faire  Tusag^  quil  faut. 
Sans  celte  inclination  tout  le  reste  ne  ser  t  de  rien. 


MA  XI  ME    XL.V. 

User  de  refleocion  sans  en  abuser. 

La  reflexion  ne  doit  etre  ni  affectec  ni  con- 
nue.  Tout  artifice  doit  se  cachcr  ,  d'autant  qu'il 
est  suspect  j  encore  plus  toute  precaution ,  parce 
qu'elle  est  odieuse.  Si  la  tromperie  est  en  regne , 
rcdoublez  votre  ^igllance ,  mais  sans  le  fairo 
connaitre,  de  peur  de  niettre  les  gens  en  de- 
fian(!e(  I ).  Le  soupcon  provoque  la  vengeance  (2), 

(i)  Tacite  dit  que  lorsque  Tibere  parlait  ambigument 
dans  le  senat,  tous  les  se'nateurs  avaient  une  memepeur, 
qui  e'tait  de  paraitre  pe'ne'trer  sa  pense'e.  Quibus  unus 
metus ,  si  intelligere  viderentur.  Ann.  i. 

(2)  Agrippine  ne  trouvait  point  d'autre  mojen  de  se 
mettre  a  courert  des  embuclies  de  Ne'ron ,  son  fils ;  que 


58  l'  h  o  mm  b 

ct  fait  penser  a  dcs  mojens'de  nuu-c  ,  auxquels 

de  montrer  qu'elle  n'ayait  aucun  soupgon  de  lui.  Solum 
insidiarum  remedium  esse,  si  non  intelligerentur.  An.  14. 

*Et  quand  elle  vit  entrer  dans  sa  chambre  les  officiers , 
qu'elle  savait  bien  qui  yenaient  pour  la  tuer ,  elle  ne  laissa 
pas  de  dire  encore  qu'elle  ne  croyait  point  son  fils  capable 
d'avoir  commande  un  parricide.  Nihil  sedejilio  credere  y 
fion  imperqfum  parricidium.  Ibidem.  Un  jour  qu'Othon 
donnait  a  souper  aux  principales  dames  de  Rome ,  et  aui? 
principaux  senateurs,  quelques  compagnies  de  soldats 
etant  venues  forcer  les  portes  du  palais  pour  parler  ^ 
I'Empereur  ,  *  les  convies ,  qui  ne  savaient  si  c'e'tait  une 
trahison  d'Olhon  ,  ou  un  accident  impre'vus ;  ni  lequel 

/  valait  mieuS:  de  s'enfuir  ou  de  rester  ,  cacherent  autant 
qu'ils  purent  la  crainte  et  la  de'fiance  qu'ils  avaient  pour 
ne  pas  ofFenser -rEmpereur.  Qui  trepidi,  fortuitusnc 
militurn  furor ,  an  dolus  Imperatoris  ,  nianere  ac  de* 
prehendi  ,  an  fugere  et  dispergi ,  periculosius  foret , 
mpdb  constantiam  simulare ,  etc.  Hist.  1.  Commines 
blame  fort  le  conne'table  de  St.-Pol  dWoir  te'moigne'  son 
soupcon  au  roi  Louis  XI ,  son  maitre ,  en  paraissant  en 
armes  devant  lui ,  avec  une  barriere  entre  deux ,  quoi- 
qu'il  dit  I'avoir  fa4t  pour  crainte  du  comte  de  Dam  martin, 
grand-maitre  de  France ,  son  enn^i  capital.  Liv.  5  de 
ses  Me'nioires J  chap,  ii  et  12,  ou  il  ajoute,  que  le 
Conne'table  ayant  fait  ouvrir  la  barriei'e,  et  ayanf  passe 
du  cote'  du  roi  pour  I'accompagner  jusqu'a  Noyon ,  il 
flit  ce  jour-la  en  grand,  danger....  Pour  aver tir  ceux , 

'   conclut^il,  qui  sont  au  service  des  grands  princes 

Car  je  ne  nis  jamais  homme  ajant  grande  autorite' 
avec  son  seigneur ,  parle  mojen  de  Ic  tenir  en  crainte, 
a  qui  il  rHen  niechut. 


DE    COUR.  59 

on  ne  pensalt  pas  auparavant.  La  rMlexion  qui* 
se  fait  sur  I'etat  des  choses  ,  est  un  grand  se- 
cours  pour  aglr.  11  ny  a  pQ^^tde  meillcure 
preuve  _du  bon  sens ,  que  d'etre  rcflexif.  Laplus 
grande  perfection   des  actions  depend  dc  la 


pleine  connaissance  avec  laqiielle  elles  sont  cxe- 

_€utees  (i). 


/. 


MAXIME    XLVL 

V    Corh'ger  son  antipathie. 

Nous  avons  coutumc  dc  hair  gratuitement, 
c'est-a-dirc ,  avant  meme  que  de  savoir  quel 
est  celui  que  nous  haissons  ;  et  quelquefois  cette 
aversion  vulgaire  ose  bien  attaquer  de  grands 
personnages.  La  prudence  la  doit  surmonter  .1 
car  rienne  decredite  davantage^quc  dc  hair  ceuxf 
^guijncritcntle  plus  d'etre  aimes,  Comme  il  est* 
glorieux  dc  sympathiser  avec  les  hcros  ,  il  est 
honteux  d' avoir  de  F antipathie  pour  eux. 

(i)  Cest  ainsi  que  Tacite  dit ,  que  tous  ceux  qui  s'em- 
Larquent  en  de  grandes  entreprises  doivfent  Lien  exami- 
ner ,  si  Texe'cutioh  en  sera  aise'e  ou  d,iflicile ,  et  s'il  leuf 
en  reviendra  de  I'iiorineur  et  du  profit  a  la  palrie.  Omngs , 
^ui  inagnarwn  rerum  consilia  suscipiunt ,  cestimare 
debent,  an  quodinclioatuj^,  reip.  utile,  ipsis  glorlosum,  y 
autpromptum  effectu^aut  eerie  hon  arduum  sit.  Hist,  2, 


60  LHOMMK 

*•  ■  \  ■ 

*MAXIME    XLVII. 

;  Eyiter  les  engagemens. 

^■^  Cest  une  des  prlncipales  maximes  cle  la 
;  prudence.  Dans  les  grand es  places  il  y  a  lou- 
jours  une  grande  distance  d'un  bout  a  I'autre  : 
il  en  est  dememe  des  grandes  affaires.  Uy  ablen 
du  chemin  a  faire  avant  que  d'en  voir  la  fin  ; 
c'est  pourquoi  les  sages  ne  s'y  engagent  ipas 
volontiers.  lis  en  viennent  le  plus  tard  qu  ils 
peuvent  k  la  rupture  ,  attendu  qu'il  est  plus  fa- 
cile de  se  soustraire  a  Toccasion  ,  que  d'en  sor- 
tir  a  son  honneur.  Ily  a  des  tentations  du  juge- 
mentj  il  est  plus  sur  de  les  fuir  que  de  les 
vaincre.  Un  engagement  en  tire  apres  soi  un 

Cutre  plus  grand ,  et  d'ordinaire  le  precipice 
^^st  a  cote.  II  y  a  des  gens  qui ,  de  leur  naturcl , 
^et  quelquefois  aussi  par  un  vice  de  nation  ,  sc 
melent  de  tout ,  et  s'engagent  inconsiderement. 
Mais  celui  qui  a  la  raison  pour  guide  ,  va  tou- 
jours  bride  en  main.  II  trouve  plus  d'avantage 
a  ne  se  point  engager  qua  vaincre  j  ct  quoiqu'il 
y  ait  quelqu  etourdi  tout  pret  de  commencer  , 
il  sc  garde  bien  de  faire  le  dcuxieme. 


DE   COtjft.  §1 

MAXIME    XLVIII. 

LIhomme  de  grand  fonds. 

Plus  on  a  de  fonds  et  plus  on  est  homme. 
Xe  dedans  doit  toujours  valoir  une  fois  plus  y 
qu^^^^  ce  qui  parait  dehors^.  Jl  y  a  des'gejis  qui 
n'ont  que  la  fa<;adc ,  ainsi  que  les  maisons  que 
Fon  n'a  pas  achevees  de  batir  fautq|j^e  fonds.       . 
L' entree  sent  le  palais ,  et  jmiogemcnt  la^caHJ/^ 
jbanne.  Ces  gens-la  Vont  rien  oil  Ton  se  puisse 
fixer ,  ou  plutot  lout  y  est  fixe  j  car  apres  la 
premiere  salutation ,  la  conversation  finit.  Ds 
font  leur  compliment  d' entree  comme  les  che-  * 
vaux  de  Sicile  font  leurs  caracols  ,  et  puis  lis 
se  metamorphosent  tout-a-coup  en  tacitumes; 
car  les  paroles  s'epuisent  aisement ,  quand  Fen- 
tendement  est  sterile.  II  leur  est  facile  d'en  trom- 
per  d'autres  qui  n'ont  aussi ,  comme  eux  ,  que 
I'apparence ,  niais  ils  sonl  la  fable  des  gens  de 
discernement ,  qui  ne  tardent  guere  a  decouvrir 
qu  ils  sont  vides  au-dedans. 


MAXIME    XLIX. 

Uhomme  judicieucc  et  penetrant. 


*'![ 


II  maitris€  les  objets  et  jamais  n'cn  est  mai- . 
Uise.   La  sonde  va  incontinent  Jusqu'au  fond|j 


6^  l'homme 

f  de  la  plus  haute  profondeur ;  il  entend  parfai- 
tement  a  faire  ranatomie  de  la  capacite  des 
gens  ;  il  n'a  <|u'a  voir  un  hommc  pour  le  con- 
jiaitre  a  fond  et  dans  loute  son  essence ;  il 
dechiffre  tous  les  secrets  du  coeur  Ic  plus  cacliej 
il  est  subtil  a  conccvoir ,  severe  a  censurer , 
judicieux  a  tirer  ses  consequences ;  il  decouvre 
tout  ^  il  remarque  tout ,  il  comprend  tout. 

€ene  JmKtime ,   et  J^a  precedente  out  leur  Comment 
taire  dans  le  Discret ,  chap,  Hombre  juizioso  y  potante,  . 
ok  ilparle  ainsii 

Momus  raisonnait  bien  grossierement  quand 
il  demandait  qu'il  y  eut  unc  petite  fenetre  au 

coeur  de  Fhomme Elle  ser,ait  tres-inuiile  a 

certaines  gens  qui  regardent  avec  des  lunette;? 
d'approche.  Un  bon  jugement  est  la  niaitresso 

clef  du  coeur  d'autrui Uignbrance  a  beau  se 

retirer  dans  le  sanctuaire  du  silence ,  et  Thypo- 
crisie  dans  un  sepulcre  blanchi ,  Thonniie  judi- 
cieux decouvre  tout  ,  devine  tout  et  penetre 
tout.  II  discerne  d'abord  Tapparence  d'avec  la 
realite  j  il  regarde  au-dedans  ,  sans  s'arretcr  a 
la  superficie  vulgaire ;  il  decliifTrc  les  inten- 
tions et  les  fins ,  car  il  porte  avec  soi  le  contre- 
chiffre  de  la  critique.  La  tromperie  ,   encore 
I  moins  rignorxince,  s'est  rarenient  vantec  dc 
I'avoir  yaincu.  Cctte  pvemninence  a  rendu  T^- 


t)E    COUR.  65 

cite  si  cclebre  dans  Ic  singulicr,  et  Seneque  sij 
"eslime  dans  le  commun.  11  ny  a  point  de  qua- 
lite  plus  opposee  que  celle-ci  a  I'ignorance  du 
vulgaii^e :  elle  suffit  toute  seule  a  mettre  rhomme 
en  reputation  de  discret.  Quoique  le  vulgaire 
ait  tpujours'ete  malicieux  ,  il  n'a  jamais  ete  ju 
dicieux  j  et  bien  qu'il  die  tout ,  il  n'entend  pas 
tout.  II  discerne  rarement  la  verite  d'avec  la 
vraisemblance.  Comme  il  ne  mord  jamais  que 
I'ecorce  ,  il  avale  tout ,  sans  que  le  mensonge 
lui  fasse  mal  au  coeur.  Et^presque  deux  pages 
apres  :  Un  oui  de  ces  connaisseurs  de  merile 
ct  de  capacite ,  vaut  mieux  que  toutes  les  accla 
mations  d'unpeuple.Etce  h'etait  pas  sans  cause 
que  Platon  appelait  Aristote ,  toute  son  ecolc ; 
et  Antigonus ,  le  philosophe  Z^non ,  tout  le  ca- 
pital de  sa  ren'ommee,  Maisal  faut  remarquer 
qu  il  y  a  une  grande  difference  entre  la  censure 
ct  la  medisance  ;  car  Tune  a  Tindiflerence  pour 
fondement,  etl'autre  la  malice.  Pfotre  aphorisme 
n  enjoint  pas  au  discret  d'etre  satirique  ,   mais 
d'etre  intelligent  :  il  ne  present  pas  de   tout 
condamner,  qui  scrait  un  dereglement  d^c^prit 
insupportable;  mais  encore  moins  de  tout  ap- 
prouver ,  qui  est  une  pure  pedanterie. 


64  L  H  O  M  M  £ 

MAXIME    L. 

Ne  se  perdre  jamais  le  respect  a  soi-meme* 

II  faut  etre  lei  que  Ton  n'ait  pas  de  quoi 
rOLigir  devaiit  soi-meme.  Ilfte  faut  point  d'aulre 
regie  de  ses  actions  que  sa  propre  conscience^ 
L'homme  de  bicn  est  plus  redevable  a  sa  pro- 
pre SGverite  qu  a  tons  les  prcccptes.  U  s'abslient 
de  faire  ce  qui  est  indecent ,  par  la  crainte  qu'il 
a  de  blesser  sa  propre  modestie ,  plutot  que 
pour  la  rigueur  de  I'autorite  des  superieurs  (i). 
Quand  on  se  craint  soi-mcme,ron  n'a  que  faire 
du  pedagogue  imagjnaire  de  Senequc  (2). 

(i)  Tel  e'tait  M.  Caton  qui ,  au  dire  de  Patercule,  fai-. 
saittoujours  bien ,  non  pas  pour  paraitre  Iiomme  de  bieii , 
mais  parce  qu'il  n'eut  jamais  pu  faire  autremeiit.  Qui 
jiunquam  recte  fecit ,  ut  facere  videretur ,  sed  quia 
aliterfacere  nonpoterat.  Hist.  2.  num.  55.  II  disait  que 
Ton  n'avait  point  de  plus  terrible  temoin  que  sa  conscience. 

(2)  Chacun  se  dit  innocent ,  dit  Se'neque ,  non  pas  qu'on 
sente  sa  conscience  innocente  ,  maisparqe  qu'on  sait  qu'il 
n'y  a  point  de  temoins.  Innocentein  quisque  se  dicit , 
respiciens  testem. ,  non  conscientiam.  Ep.  4^.  Et  le 
^eune  Pline  dit  que  la  plupart  des  hommes  craignent  le 
mauvais  renom  *,  mais  que  tres-peu  leur  conscience. 
Multifamam,  conscientiam  pauciverentuf\  Ep.  2.0  ^  1.5. 

Aristipe  disait  que  le  sage  vivrait  bien  qriand  meme  il 
n'j  aurait  point  de  lois  :  et  un  autre  pliilosophe ,  qu'il 
n'obeissait  point  aux  lois ,  mais  a  la  raison  ^  pour  dir« , 


DE    C  OUR.  65 

MA  XI  ME    LI. 

Uhomme  de  bon  choioc. 

Le  bon  choix  suppose  le  bon  gout  et  le  bou 
sens.  L'esprit  ct  I'etude  ne  suffisent  pas  pour 

qu'il  faisait  volontairement  ce  que  les  autres  faisaient  par 
contrainte. 

C'est,  dit  Gracian,  un  conseil  que  la  seVeritd  de  Caton 
aenfante  qu'il  fa  ut,  se  respecter,  etse  craindresoi-meme, 
Celui  qui  se  perd  le  respect  j  donne  aux  autres  la  per- 
mission et  meme  la  hardiesse  de  le  lui  perdre.  Chap.  14, 
du  He'ros. 

Un  homrae  constitue  en  dignite',  peut-il  etre  me'prise  , 
dit  le  jeune  Pline,  s'il  ne  s'est  me'prise'  lui-meme,  en  fai- 
sant  des  bassesses  ?  An  contemnitur  ,qui  imperium  ,  qui 
fasces  habet ,  nisi  qui  humilis.,  et  sordidus ,  et  qui  se 
primus  ipse  contemnit?  Ep.  ult.  I.  8. 

Cesar  ,  dit  Gracian  ,  ibid,  ajant  e'te'  pris  par  des  pira- 
tes ,  le  vaincu  commandait,  et  les  vainqueurs  obe'issaient : 
comme  s'il  eut  e'te'  leur  prisonnier  par  ce're'monie,  maisi 
leur  maitre  en  efFet.  Ces  j^aroles  de  Gracian  e'tant  tirees 
de  I'histoire  de  Patercule ,  je  trouve  a  propos  d'en  mettre 
ici  le  passage  et  la  traduction.  Admodum  juvenis  y  cuht, 
a  piratis  captus  esset ,  ita  se ,  per  omnespatium ,  quo 
ab  iis  retentus  est ,  apud  eos  gessit ,  ui  pariter  iis  ter- 
rori  venerationique  esset  :  neque  unqua^  aut  nocte , 
aut  die  y  fcur  enim  quod  vel  maximum  est ,  si  narrari 
verbis  speciosis  nan  potest,  oniittatur?J  aut  excalcea- 
retur,  aut  discingeretur.  C'est-a-dire  ,    Ce'sar  ayant  e'te 

5 


■  ■# 

G6  l'  H  O  M  M  E 

passer  heureusement  la  vie.  U  n'y  a  point  de 
perfection  oii  il  ny  a  rien  a  choisir.  Pouvoir 
choisir ,  et  choisir  Je  meilleur ,  ce  sont  deux* 
avantages  qu'a  le  bon  gout.  Plusieurs  ont  un 
esprit  fertile  et  subtil ,  un  jugenient  fort  y  et 
beaucoup  deconnaissances  acquises  par  1  etude, 
qui  se  perdent  quand  il  est  question  de  faire  un 
choix.  Il  Icur  est  fatal  de  s'attacher  au  pire ,  et 
Ton  dirait  qu*ils  affectent  de  se  tromper.  C'est 
done  un  des  plus  grands  dons  du  ciel  d'etre  ne 
homme  de  bon  choix  (i). 

pris  tout  jeune  par  des  corsaires ,  il  se  gouverna  si  bien 
tout  le  temps  quil  fut  entre  leurs  mains  ,  jgfi'ils  le  crai- 
gnirent  et  radmirerent  e'galement :  n'ajant  jamais  voulu 
ni  le  jour  ni  la  nuit  (car  dois-je  passer  sous  silence  une 
chose  si  extraordinaire  ,  a  cause  qu'on  ne  la  saurait  dire 
en  des  termes  magnifiques  ? )  quitter  sa  robe  ni  ses 
souliers.  ^ 

(i)  La  passion,  dit-il  dans  son  Discret ,  chap.  Honibre 
de  buena  eleccion ,  est  I'ennemie  jure'e  de  la  prudence , 
et  par  conse'quent  de  1' election.  Et  une  page  apres  :  11 
Xiy  a  point  de  perfection  ou  il  n  j  a  point  de  choix. 
Pouvoir  choisir  et  choisir  bien  ,  c'estun  double  avantage. 
Ne  pas  choisir ,  c'est  prendre  a  aveugletes  ce  qui  est  ofFert 
par  le  hasard  ou  par  la  ne'cessite'.  Que  celui  done  a  qu"^ 
manquera  I'art  Je  choisir ,  le  cherche  dans  le  conseil  ou 
dans  Fexemple ;  car ,  pour  proce'der  surement ,  il  faut 
ou  savoir  ou  ouir  ceux  qui  savent. 


DE    COUR.  67 

MAXIME    LII. 

Ne  s'emporter  jamais. 

Cest  un  grand  point  que  d'etre  toujours 
maitre  de  soi-meme.  C'^sl  etre  homme  par  ex- 
cellence, c'est  avoir  un  coeur  de  roi,  atlendu 
quil  est  tres-difficile  d'ebranler  une  grande 
ame  ( i ) .  Les  passions  sont  les  humeurs  elemcn- 


taires  de  Tesprit :  des  que  ces  humeurs  excel 

J' 
(1)  Juan  Rufo  en  donne  un  bel  exemple  dans  ses  apo- 
plitegmes.  Don  Lopez  de  Acuna  ,  dit-il ,  s'armant  a  la 
hate  ,  pour  aller  a  une  melee  ,  dit  a  deux  valets  qui  luf 
aidaient  a  s'habiller ,  de  lui  mfettre  mieux  sa  bourgui- 
gnote  qui  lui  faisait  douleur  a  uue  oreille  :  mais  ceux-ci 
lui  ayant  soutenu  plusieurs  fois  qu'elle  e'lait  mise  comme 
il  fallait ,  et  d'ailleurs  etant  presse'  de  partir  ,  il  s'en  alia 
au  lieu  destine,  ou  le  combat  fut  sanglant.  A  son  retour , 
otant  son  casque  et  son  oreille  avec  ,  il  leur  dit  avec 
douceur  :  Ne  vous  disais-je  pas  bien  que  vous  me  Taviez 
mal  mis  ?  Apopht.  555.  Et  dans  I'apophtegme  suivant , 
apres  avoir  rapporte'  que  Don  Juan  de  Gusman  ayant  dit 
en  presence  deDon  Juan  d'Autriche,  que  s'il  eute'te'  Dom 
Lopez ,  il  eut  fait  un  hachis  des  oreilles  de  ces  deux  co- 
quins  y  c'eut  e'te ,  re'plique-t-il ,  vendre  la  sienne  a  vil 
prix ,  au  lieu  d'acheter ,  comme  fit  Don  Lopez ,  toutes 
les  Ungues  de  la  renomme'e  qui  cele'breront  a  jamais  sa  ' 
douceur  et  sa  mode'ration. 

5* 


6S  l'  H  O  M  M  E 

dent ,  Fcsprlt  devient  malade  (i) ;  ct  si  le  nial 


va  jusqu  a  la  boucEe^  la  reputation  est  fort  en 
d^ns[er  (2).  II  faut  done  se  maitriser  si  bien. 


^ue  1  on  ne  puisse  etre  accuse  d^emportemgnt 
ni  an  fort  de  la  prosperite  5jQi_au_foTt jiejjdr; 
versitej  quau  contraire  on  se  fasse_admirer 
cpmme  invincible  (5). 


ii 


MAXIME      LIII. 

Diligent  et  intelligent. 

La  diligence  execute  promptement  ce  que 
Tintelligence  pense  a  loisir.  La  precipitation 
est  la  passion  des  fous  (4)  qui  ,faute  de  pouvoir 

.  {\)  AEger  etjlagrans  libidinibus  animus,  dit  Tacite 
Ann.  5. 

(2)  Et  c'etait  pour  conserver  la  sienne  que  Tibere  se 
tenait  sine  miseratione  ,  sine  ira ,  ohstinatum  clausum-* 
que,  ne  quo  adfectu  perrumperetur,  Ann.  5. 

(5)  Comme  ce  fils  adoptif  de  Galba ,  qui  nullum  tur- 
bati  aut  exultantis  animi  motum  prodidit :  nihil  invultic 
habituque  m.utatum.  ,  quasi  imperare  posset  magis , 
qutim^  vellet.  Hist,  i .  Et  comme  Vespasien  qui ,  se  vojant 
saluer  Empereur ,  ne  laissa  rien  voir  de  nouveau  dans 
I'acceptation  de  sa  nouvelle  dignite.  In  ipso  nihil  tumi^ 
dum ,  arrogans ,  aut  in  rebus  novis  novum  fuit.  Hist.  2. 

(4)  Barbaris  ,  dit  Tacite  ,  cunctatio  seiyilis  ,  statim 
exequi  regium  videtun  Ann,  6.  Ps^rmi  les Barbaras,  c'est 


DE   COUR  69 

decouvrir  le  danger  ,  aglssent  a  la  boulvue.  Au 
conlraire,  les  sages  pechent  en  lenteur ,  effet 
ordinaire  de  la  reflexion.  Quelqnefois  le  delai 
fail  echouer  une  entrcprise  bien  concertee  (i). 
La  prompte  execution  est  la  mere  de  la  bonne 
fortune  (2).  Celui-la  a  bcaucoup  fait  qui  n'arien 
laisse  a  faire  pour  le  lendemain  *.  Ce  [mot  est 
digne  d'Auguste  :  Hdtez-vous  lentenient. 

lachete  de  temporiser ,  et  ge'nerosite  d'exe'cuter  inconti- 
nent. Les  fous  et  les  Barbares  peuvent  bien  etre  mis  en 
meme  rang ,  les  uns  et  les  autres  agissant  plus  par  impe'- 
tuosite'  que  par  raison.  Velocitas  y  juxta  formidinem  5 
cunctatio  propior  constanlice  est.  In  Germania.  La  pre- 
cipitation approche  fort  de  la  peur ,  et  la  lenteur  de  la 
Constance. 

(i)  Prolatatio  inimica  victoriee ,  dit  Tacite,  Hist.  5. 
Tout  retardement  empeche  de  vaincre.  Temporiser ,  c'est 
laisser  e'chapper  la  victoire.  Debellatum  eo  dieforet,  si 
Romana  classis  sequi  maturasset.  Hist.  5.  Si  la  flotte  se 
fut  hatee  de  suivre  ,  ce  jour -la  eut  mis  fin  a  la  guerre. 
Antonius  festinato  prcelio  victoriam  prcEcepit.  Hist.  5. 

(2)  Te'moin  Ce'rialis  qui,  au  dire  de  Tacite,  donnait 
tres-peu  de  temps  jDOur  exe'cuter  ses  ordres.  Ce  qui  lui 
re'ussissait  toujours,  la  fortune  supple'ant  souvent  au  de'- 
faut  de  sa  conduite.  Cerialis  pat-um  temporis  ad  exe~ 
quenda  imperia  dahat ,  subitus  consiliis ,  sed  eveiitu 
clarus.  Aderat  fortuna ,  etiam  ubi  artes  defuissent. 
Hist.  5. 

"^  Mot  d^ Alexandre. 


l'  H  O  M  M  E 


MAXIME    LIV. 

Avoir  du  sang  auoc  ongles. 

QuAND  le  lion  est  mort ,  les  lievres  ne  crai- 
gnent  pas  de  I'msulter.  Les  braves  gens  n'en- 
tendent  point  railleric  (i).  Quand  on  ne  resiste 
pas  la  premiere  fois  ,  on  resiste  encore  moins 
la  seconde ,  et  c  est  toujours  de  pis  en  pis  (2). 
Car  la  inemc  difficulte ,  qui  se  pouvait  surmon- 
ter  au  commencement ,  est  plus  grande  a  la  fin. 
La  vigueur  de  I'esprit  surpasse  celle  du  corps  , 
il  la  faut  toujours  tenir  prete,  ainsi  que  Tepee  , 
pour  s'en  servir  dans  I'occasion :  c'est  par  oiz 
Ton  se  fait  respecter.  Plusieurs  ont  eu  d'emi- 
nentes  qualites ,  qui ,  faute  d' avoir  eu  du  coeur , 
ont  passe  pour  morts  ,  ajant  toujours  vecu 
cnsevelis  dans  I'obscurite  de  leur  abandonne- 
ment.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  la  nature  a 
joint  dans  les  abcillcs  le  miel  ct  I'aiguillon ,  ct 
pareillcment  les  nerfs  et  les  os  dans  le  corps 
humain,  II  faut  done  que  I'esprit  ail  aussi  quel- 
que  melange  de  douceur  et  de  fermeie  (5). 

(i)  Non  tulit  ludibriwn  insolens  contumelice  animus, 
(militum)  Hist.  2. 

(2)  C'est  pourquoi  les  Ephores  de  Sparte  condamnerent 
a  ramende  un  citojen  qui  avail  soufFert  plusieurs  injures 
sans  s'en  etre  ressenti. 

(5)  II  faut  etre  a  peu  pres  corame  c^  R^gulus ,  qui  e'tait 


D  E    C  O  U  R  ,71 

MAX  I  ME    LV. 

Uhomme  qui  salt  attendre, 

Ne  s'empresser  ni  nc  se  passionner  jamais  » 
c'est  la  marque  d'un  coeur  qui  est  toujours  au 
large.  Celui  qui  sera  le  maitre  de  soi-meme,  le 
sera  bientot  des  autres.Il  faut  traverser  la  vaste 
carrier e  du  temps ,  pour  ar river  au  centre  de 
Toccasion.  Un  temporisement  raisonnable  mu- 
rit  les  secrets  et  les  resolutions.  La  bequille  du 
temps  fait  plus  de  besogne  que  la  massue  de  fer 
d'Hercule.  DIeu  meme  ,  quand  il  nous  punit , 
ne  se  sert  pas  du  baton  ,  mais  de  la  saison.  Cc 

d'un  naturel  doux  et  facile  ,  mais  furieux  et  vindicatif , 
quand  on  Toffensait.  Nisi  lace ss ere tur ,  modestice  reti- 
nens ,  non  modb  retudit  collegam ,  $ed  ut  noxium  corv- 
jurationis  ad  disquisitionem  trahebat.Ann.^.  Gracian  , 
dans  le  discours  47  de  son  Agudeza ,  rapporte  une  action 
de  Pierre,  comte  de  Savoie,  qui  me'rite  d'etre  donne'e 
ici  pour  exemple.  Ce  comte ,  dit-il ,  qui  avait  le  me'rite 
d'un  roi ,  se  pre'sentant  devant  Tempereur  Othon  ,  pour 
en  recevoir  I'investiture ,  e'tait  tout  convert  de  broderie 
et  depierreries  au  cote'  droit,  et  d'armes  luisantes  au  cote 
gauche.  L'empereur  surpris  de  le  voir  si  bizarrement 
vetu ,  lui  en  demanda  la  raison.  Je  suis ,  dit-il ,  ainsi  mi- 
parti  ,  pour  montrer  a  V.  M .  que  d'un  cote'  je  suispret  de 
lui  faire  ma  cour  ,  et  de  I'autre  ,  en  e'tat  de  me  de'fendre 
contre  ceux  qui  me  voudront  oter  ce  que  j'ai  acquis  par 
les  armes. 


n2  L  HOMME 

mot  est  beau  :  Le  temps  et  moi  nous  en  valons 
deuce  autres  (i).  La  fortune  nieme  recompense 
avcc  usure  ceux  qui  ont  la  patience  de  Fat- 
tendre. 

Au  chapitre  5  de  son  Dlscret ,  apres  avoir 
fait  une  description  allegoi;ique  du  char  triom- 
phant  de  FAttente  ,  tire  par  des  remorcs,  et 
de  son  tro.ne  fait  d'ecailles  de  tortue ,  et  avoir 
dit  que  ce  char  fut  un  jour  attaque  par  un  esca- 
dron  de  monstres ,  qui  etaientla  Passion  aveugle, 
I'Engagement  indiscret,  la  Hate  imprudente,  la 
Facilitc  a  hasarder,  Tlnconsideralion ,  la  Preci- 
pitation etla  Confusion  :  L'Attente  ,  dit-il , 
connaissant  la  grandeur  du  danger,  commanda 
a  la  Retenue  de  faire  alte,  et  ala  Dissimulation 
d'amuser  les  enncmis  ,  pendant  quelle  consul- 
terait  cc  qu'elle  avait  a  faire. 

Le  Sage  Bias,  grand  serviteur  de  cette  grande 
maitressc  de  soi-meme  ,  lui  conseilla  d'imiter 
Jupiter ,  qui  n'aurait  deja  plus  de  foudres  , 
s'il  n'eut  pas  pris  patience.  Louis  XI ,  roi  de 
France  ,  fut  d'avis  qu'elle  dissimulat  commc  lui , 

(i)  C'est  un  mot  que  Philippe  II,  roi  d'Espagne,  disait 
souvent ,  e'tant  persuade'  que  rien  ne  se  pouvait  faire  a 
profit  sans  le  temps  ^  et  que  pour  faire  reussir  les  entre- 
prises ,  il  fallait  absolument  y  penser  a  Joisir.  Chapitre 
penultieme  de  I'histoire  intitulee  ,  Don  Filipe  el  pru-  ^ 
dente. 


DE    COUR.  75 

qui  n'avait  jamais  enseigne  d' autre  grammaire 
ni  d'autre  politique  a  son  fils.  Don  Jean  II ,  roi 
d'Aragon ,  luircmontraque  jusqu  a  cette  hcure  , 
le  lemporisem/ent  espagnol  avait  plus  opere 
que  remportement  francais.  Le  grand  Au- 
guste,  pour  toute  conclusion ,  recommanda  son 
Hdtez'vous  lentement.  Le  roi  catholique  Don 
Ferdinand  ,  comme  prince  de  la  politique  (  oii 
TAttente  est bienversee),parla plus  aulong. 
II  faut ,  dit-il ,  etre  mailre  de  soi-meme,  et  puis 
onleserabientot  des  autres.  Le  temporisement 
assaisonne  les  resolutions,  et  murit  les  secrets; 
au  lieu  que  la  precipitation  engendre  toujours 
des  avortons  ,  qui  n'arrivcnt  jamais  a  la  vie  dc 
rimmortalite.  II  faut  pcnser  a  loisir,  et  executer 
promptement.  Toute  diligence  ,  qui  n'est  pas 
dirigee  par  la  lenteur  ,  risque  beaucoup.  Les 
choses  lui  echappent  des  mains  avec  la  meme 
facilite  qu'ellcs  y  sont  venues  ;  et  quelquefois  le 
reientissement  de  la  chute  a  cte  le  premier 
signal  de  la  prise.  L'attente  est  le  fruit  des 
grands  cc)eurs(i).  Elle  est  feconde  enbon  suc- 

(1)  Tacite  dit  que  la  precipitation  tient  beaucoup  de  la 
peur ,  et  que  le  temporisement  approclic  davantage  de  la 
Constance  du  courage.  Velocitas  ,  juxta  Jormidinem  ,. 
cunctatio  propior  constandce  est.  In  Germania.  Mais 
les  Barbares ,  dit-il  ailleurs ,  croient  que  c'est  le  propre 
d'une  ame  sei^yile  que  de  temporiser.  Barbaris  cunctatio 


74  l'homme 

ces.  Dans  les  hommes  de  petit  courage  ,  ni  le 
temps  ni  le  secret ,  n  j  sauraient  tenir.  Puis  il 
conclut  par  cet  oracle  Catalan  :  Dieu  ne  se  sert 
point  de  baton  ,  mats  de  la  saison. 


MAXIME     LVL 

Troiis^er  de  bons  eocpediens. 

C'est  I'efFet  d'unc  vivacite  heureuse  qui  ne 
s^'cmbarrasse  de  rien  ,  non  plus  que  s'il  n^arri- 
vait  jamais  rien  de  fortuit.  Quclques-uns  pen- 
sent  long-temps  ,  et  apres  cela ,  ne  laissent  pas 
de  se  tromper  en  tout ;  et  d'autre  trouvent  des 
expediens  a  tout ,  sans  j  penser  auparavant.  Il 
y  a  des  caracteres  d'antiperistase  ,  qui  ne  reus- 
sissent  jamais  mieux  que  dans  Tembarras;  ce 
sont  des  prodiges ,  qui  font  bien  tout  ce  qu  ils 
font  sur  le  champ ,  et  font  mal  tout  ce  qu'ils 
ont  premedite ,  tout  ce  qui  ne  leur  vient  pas 

servlUs  videtur.  Ann.  6.  Parce  qu'ils  ne  savent  pas  rai- 
sonner,  ni  preVoir  lesinconveniens.  Tacite  blame  encore 
Othon  de  n'avoir  pas  eu  la  patience  d'attendre,  ni  le 
courage  d'espe'rer.  AEger  mora,  et  spei  imp  aliens. 
Hist.  2.  Et  dit  que  Titien ,  frere  d'Othon ,  etProculus, 
son  capitaine  des  gardes  ,  se  pressaient  de  donner  la  ba- 
taille ,  faute  d'entendre  leur  me'tier.  Titianus  et  Pmcutus 
imperitid  properantes.  Ibidem.  ,    • 


DE    COUR.  75 

d'abord  ,  ne  leur  vient  jamais.  Ces  gens-la  ont 
toujours  beaucoup  de  reputation  ,  parce  que  la 
subtilite  de  leurs  pensees  et  la  reussite  de  leurs 
entrep rises  ,  font  juger  qu'ils  ont  une  capacite 
prodigieuse. 

La  promptitude  ,  dit-il ,  dans  son  Discret  , 
chap.  Tener  buenos  repentes  y  est  la  mere  du 
bonheur.  Les  traits  de  FImpromptu  partent  tou- 
jours d'un  esprit  qui  prend  essor.  Et  quelques 
lignes  apres  :  Si  Testime  est  une  chose  due  a 
tout  ce  qui  se  fait  ou  qui  se  dita-propos,  un 
bon  expedient  pris  sur  I'heure  est  digne  d'ap- 
plaudissement.  Le  prompt  et  I'lieureux  font  va- 
loir  les  choses  au  double.  Quelques-uns  pensent 
beaucoup ,  et  manquent  toujours  apres  5  et  d'au- 
tres  reussissent  a  tout ,  sans  y  penser  aupara- 
vant.  La  vivacite  d'esprit  supplee  atl  defaut  du 
profond  jugement.  Ce  qui  s'offre  d'abord  pre- 
vient  la  consultation.  11  n  j  a  rien  de  fortuit 
pour  ces  gens-la ,  d'autant  que  la  presence  d' es- 
prit leur  sert  de  prevojance.  Les  impromptus 
sont  les  gentillesses  du  bon  gout,  et  Fattrait  de 
Tadmiration.  Des  actions  mediocres  non  medi- 
tees  paraissent  bien  plus  que  les  hauts  desscins  , 
qui  ont  ete  concertes.  Et  une  page  apres  :  Un 
seul  impromptu  suffit  a  Salomon ,  pour  avoir 
le  renom  d'etre  leplus  sage  de  tous  leshomffles : 
par  un  mot  il  se  rendit  plus  redoutable  que  par 


i 


76  l'homme 

toute  sa  puissance.  Alexandre  et  Cesar  meri- 
terent  d'etre  lesfils  aines  de  la  renommee ; run 
en  s'avisant  de  couper  le  noeud-gordien  (i)  ,  et 
Fautre  par  un  mot  qu'il  dit  en  tombant  (2). 
Deux  impromptus  leur  valurent  a  tous  deux 
la  conquete  de  deux  parties  du  monde.  Ce  fut 
a  cet  exam  en  qu'il  fut  juge  quils  etaient  capa- 
bles  de  dominer  Funivers.        '         ^  is^ 

Si  la  prompte  repartie  a  toujours  (iio;  plausi- 
ble ,  la  prompte  resolution  merite  bien  d'etre 
applaudie.  L'heureuse  promptitude  dans  les 
fails  montre  qu'ily  a  une  cminente  activitedans 
la  cause.  La  promptitude  a  concevoir  marque 
la  .subtilite  et  la  promptitude  a  trouver  de  bons 
expediens  est  la  preuve  d'une  sagesse  d'autant 
plus  estimable  qu'ily  a  bien  de  la  distance  de  la 
vivacite  a  la  prudence,  etde  Fespritau  jugement. 

Dans  les  generaux  d'armee  et  dans  les  braves, 

(1)  Les  Gordiens  lui  ayant  dit,  que  celui  qui  pourrait 
detacher  le  char  qu'il  vojait ,  devait  etre  le  maitre  de 
rUnivers ,  il  lira  son  epee ,  et  en  coupa  par  la  moitie'  le 
noeud  qui  liait  ce  char. 

(i )  C'est  bon  signe ,  dit-il ,  que  VAfrique  est  sous  moi , 
Oir,  comme  I'explique  Gracian  dans  le  discours  7  de  son 
Agudeza  :  Ce  nest  pas ,  dit-il ,  une  chute ,  ntais  une 
prise  de  possession.  Une  autre  fois  il  arreta  d'une  parole 
ses  ^Idats  mutines ,  eu  les  appelant  bourgeois.  Divus 
Julius  seditionem  exercitus  verbo  una  compescuit  , 
()mx\X^%vocando.  Tolc.  jInn.  1.  ^ 


DE  <:ouR.  77 

c  est  unc  perfection  aussi  necessaire  que  su- 
blime ,  d'autant  que  leurs  actions  ct  leur  execu- 
tion sont  presque  loutes  subites  et  passageres  , 
\u  divers  cas  fortuits,  quin'ontpu  etreprevus  ni 
consultes ,  et  qu'ainsi  il  faut  se  servir  de  I'occa- 
sion ,  oil  consiste  Ic  triomphe  de  leur  presence 
d'esprit  ,  et  par  consequent ,  toute  i'assurance. 
de  leurs  victoires. 

Mais  pour  les  rois ,  il  leur.  sied  mieux  de 
penser ,  a  cause  que  toutes  leurs  actions  sont 
eternelles.  lis  ont  a  penser  pour  plusieurs ,  et 
par  consequent,  besoin  de  beaucoup  de  pru- 
dence auxiliaire  pour  assurer  le  repos  univer- 
sel.  lis  ontle  temps  ct  le  lit  oil  ils  laissentmurir 
leurs  resolutions.  Ils  passent  les  nuits  entieres 
a  penser,  pour  passer  les  jours  en  surete.  En- 
fin  ils  travaillent  plus  de  la  tete  que  des  mains. 

JEt  dans  le  chap.  5  du  Heros ,  il  parle  en  ces  termes : 

Les  dits  d' Alexandre  sont  les  flambeaux  dc 
ses  faits.  Cesar  fut  egalement  prompt  a  penser 
et  a  faire.  Les  promptitudes  de  Tesprit  sent 
aussi  heureuses  que  celles  de  la  volonte  sont 
pcrilleusesj  ce  sont  des  ailcs  pour  voler  au  faita 
de  la  grandeur.  Avec  ces  ailes,  plusieurs  se  sont 
eleves  du  centre  de  Fobscurite  a  celui  du  soleil 


Si  la  subtilile  ne  regno  pas  ,  du  moins  elle 
merite  d'etre  la  compagnc  de  ceux  qui  regnent. 


*j8  l' HOMME 

Lcs  dits  ordinaires  d'un  roi  sont  des  pointes 
d'esprit  couronnees.  Les  tresors  des  princes 
viennent  souvent  a  manquei^ ,  mais  leurs  beaux 
mots  se  conservent  eternellemeiit  dans  la  garde- 
robe  de  la  renommee.  Dc  braves  gens  ont  quel- 
quefois  plus  avance  par  un  bon  mot  que  par  la 
foree  de  leurs  armcs  ,  la  yicloire  etant  le  prix 
ordinaire  d'un  trait  d' esprit.  Lc  roi  des  sages 
et  le  plus  sage  des  rois ,  acquit  ce  JJenom  par 
le  prompt  expedient  qu'il  trouva  au  plus  grand 
de  tous  les  differens  ,  qui  etait  de  plaider  pour 
un  enfant.  Cequi  montre  que  I'csprit  sert  aussi 
amettre  la  justice  en  credit. 


m> 


MAXIME    LVII. 

Les  gens  de  refLeocion  sont  plus  stirs. 

Ce  qui  est  bieii  est  toujours  a  temps.  Ce  qui 
est  fait  incontinent,  sc  defait  aussitot.  Cequi 
fdoit  durer  une  eternite ,  doit  etre  une  eterniie 
a  faire.  L'on  ne  regardc  qu  a  la  perfection ,  et 
rien  ne  dure  que  ce  qui  est  parfait.  D'un  en- 
tend^ment  profond  tout  en  demeure  a  perpe- 
luite.  Ce  qui  vaut  beaucoup  ,  eoute  beaucoup. 
Le  plus  precieux  des  metaux  est  le  plus  tardif 
et  le  plus  lourd. 


DE   COUR.  79 

Assez  tot,  si  assez  bien  ^  dit  un  sage  (i). 
Nous  n  examinons  jamais  combien  Ton  a  etc  a 
faire  un  ouvrage,  mais  bien  s'ii  est  parfait  j  res- 
time  ne  va  que  la.  Le  Tot  et  le  Tard  som  des] 
accidens  _qui  s'ignorent  ou  qui  s'oublient ,  au] 
lieu  que  le  Bien  est  permanent.  Ce  qui  s'est^ 
fait  incontinent,  se  defaira  tout  a  coup.    II  flnit 
bient6t ,  parce  qu'on  I'a  acheve  bientot.  Plus  les 
enfans  de  Salurne  sont  avant  terme,  plus  illes 

(i)  Auguste  disait  qu'une  chose  etait  assez  tot  faite 
quand  elle  etait  bien  faite. 

Apelles  dit  a  un  peintre,  qui  se  vantait  de  n'etre  guere 
a  faire  ses  tableaux :  L'on  nd,  pas  de  peine  a  le  croire  , 
,  car  on  levoit,  Le  fameux  Michel -Ange,  qui  etait  tres- 
long-temps  apres  ses  ouvrages ,  disait  que  dans  Tes  arts  la 
hate  ne  valait  rien  ',  et  que  comme  la  nature  est  long-  i 
temps  a  former  les  animaux  qui  doivent  durer  long-tems:  \  .    y  * 
de  meme  Fart  (mi  se  pique  d'imiter  la  nature ,   doit  ope'- 
rer  a  Loisir  ,  e'tant  impossible  a  I'homme  de  rien  faire  de 
fort  excellent  a  la  hate.     «  Les  ouvrages  qui  sont  le  plu- 
»  tot  acheve's ,   dit  le  pere  Bouhours ,  dans  son  second 
»  Entretien  ,  ne  sont  pas  les  plus  parfaits.  La  nature  est 
»  des  siecles  entiers  a  former  Tor  et  les  pierres  precieu-  * 
»   ses...  Les  choses,  qu  acquierent  bientot  leur  perfec- 
»  tion ,  tombent  bientot  en  de'cadence  :  ainsi ,  les  fruits      ' 
»   avances  ne  sont  pas  de  garde.  Au  contraire ,  ce  qui  se 
»  fait  avec  beaucoup  de  temps ,   dure  aussi  beaucoup  de 
»    temps  » .    Quoiqu'il  en  soit ,   on  doute  que  son  Art 
de  bien  penser,  qui  est  un  travail  de  quinze  ans  ,  puisse , 
sjvec  toute  sa  jeunesse ,  aller  jusqu'a  la  fin  de  ce  siecle. 


80  l'homme 

devore  aisement.  Ce  qui  doit  durer  une  eternite, 
doit  etrc  une  elcrnite  a  venir.  Gracian ,  dans 
5on  Discret  3  chap.  Tener  buenos  repentes. 


MAXIME    LVIII. 

Se  mesurer  selon  les  gens. 


Il  ne  faut  pas  se  piquer  egalement  d'habilete 
avec  lous ,  ni  employer  plus  de  forces  que 
Toccasion  n'en  demande.  Point  de  profusion 
de  science,  ni  de  puissance.  Le  bon  fauconnier 
ne  jette  de  manger  au  gibier,  que  ce  qui  est 
necessaire  pour  le  prendre.  Gardez-vous  bien 
de  faire  ostentation  de  tout ,  car  vous  man- 
queriez  bientot  d'admirateurs.  11  faut  loujours 
garder  quelque  chose  dc  nouveau,  pour  pa- 
raitre  le  lendemain.  Chaque  jour,  chaque  echan- 
tillon  'y  c  est  le  mojen  d'entretenir  toujours 
son  credit ,  et  d'etre  d'autant  plus  admire  , 
qu  on  ne  laisse  jamais  voir  !es  bornes  de*  sa 
^capacite. 

MAXIME    LIX. 

.   Se  faire  desirer  et  regretter. 

Si  Ton  entre  par  la  porte  du  plaisir ,  dans 
la  maison  de  la  fortune,  Ton  en  sort  d'ordi- 


DE    GOUR.  8l 

iiaire  par  la  porlc  du  Chagrin  :  alnsi  du  con- 
traire.  L'habiiete  est  plus  a  en  sorlir  heurcuse- 
ment ,  qua  j cntrer  avec  I'appiaudissenient  po- 
pulaire.  C'est  le  sort  commun  des  gens  fortu- 
nes d' avoir  Ics  commcncemens  tres-favorabies , 
et  puis  une  fin  tragiquc.  La  felicite  nc  con- 
siste  pas  a  avoir  I'applaudissement  du  peuplc 
a  son  entree  ,  car  c'est  un  avanlage  qu'ont 
tons  ceux  qui  entrent ,  la  difficulte  est  d'avoir 
le  meme  applaudissement  a  la  sortie.  Vous  en 
yojez  tres-peu  qui  soient  regrettes.  II  arrive 
rarement,  que  ceux  ,  qui  sortent ,  soient  ac- 
compagnes  de  la  bonne  fortune,  car  son  plai- 
sir  est  de  se  montrer  aussi  reveche  a  ceux  qui 
s'en vont,  quelle  est  civile  et  caressante  envers 
ceux  qui  viennent. 

Le  meme  applaudissement ,  dit-il  dans  son 
Dlscret  y  chap.  Hombre  de  buen  deaoo  ^  que 
Ton  a  eu  au  commencement ,  fait  que  le  mur- 
mure  en  est  plus  grand  a  la  fin.  Toutes  les 
facades  des  charges  sont  magnifiques  ,  mais  ja- 
mais les  epaules.  Les  entrees  aux  dignites  sont 
couronnees  comme  des  victoires ,  mais  les  sor- 
ties sont  accompagnees  de  maledictions  (i).  Que 


(i)  Quand  les  grands  hommes  ,  qui  ont  eu  le  manie- 
ment  des  affaires  publiques  ,  viennent  a  tomber ,  c'est 
I'ordinaire  que  Ton  forge  contre  eux  les  plus  horribles 

6 


^ 


82  LHOMMfi 

d'applaudissemcns  a  unc  aulorite  qui  com- 
mence ,  soit  a  cause  du  plalsir  que  le  pcu- 
ple  trouve  a  changer ;  ou  de  I'esperance  que 
chacun  a  de  recevoir  des  grsices  en  son  par- 
licullcr !  Mais  quand  ellc  finil ,  ah !  quel  si- 
lence !  Encore  le  silence  lui  tiendrait-il  lieu 
d'une  acclamation  favorable. 

La  prudence  met  toute  son  application  a 
bien  achever.  Ellc  est  bien  pJus  attentive  aux 
mojcns  de  la  sortie,  quaux  applaudissemens 
de  I'entrce.  Le  vigilant  Palinure  ne  gouverne 
pas  son  vaisseau  par  la  prouc  ,  mais  par  la 
poupej  c'est-la  qu'il  se  tient  pour  le  conduire 
dans  le  voyage  de  la  vie.  Toute  la  disgrace 
( et  comme  il  dit  au  commencement  de  ce 
chap,  toute  la  race  du  malheur  )  reste  pour  la 
fin ,  ainsi  que  toute  Famertume  est  au  fond  de 
la  medecine.  Excellent  precepte,  pour  com- 
menccr,  et  pour  achever,  que  celui  de  ce  Re- 
main ,  qui  disait ,  qu'il  avait  obtenu  toutes  les 

calomnies^  au  lieu  que  durant  leur  prosj^e'rit^,  ils  n'en- 
tendaient  que  des  flatteries.  Apologie  du  comte  due 
dOlivares.  Tacite  dit  que  la  haine  que  le  peuple  portait 
a  Se'jan,  faisait  croire  de  lui  toutes  les  choses  les  plus 
incroyables  et  les  plus  impossibles.  Quia  Sej anus  facino^ 
rum  ornnium  repertor  habebatur ,  ex  nimia  caritate  in 
eum  Ccesaris  ,  et  ca^teronun  in  utrumque  odio  ,  quatn-* 
vis  fabulosa  et  immania ,  credebantur,  Ann,  4. 


t)E    COtJR.  85 

dignites  avaiit  que  de  les  desirer ;  et  qu'il  les 
avait  toutes  laissees ,  avant  qu'cUes  fussent  de- 
sirees  des  auties  (i).  Le  maiheur  est  quelque- 
fois  la  punllion  de  rintempe ranee.  La  conso- 
lation des  sages  est  de  s'etre  retires  avant  que 
la  fortune  se  retir4t.  Le  del  meme  a  employe 
ce  remede  en  faveur  de  quelques  heros  :  Moyse 
disparut ,  et  Elie  fut  enleve ,  afin  qu  ils  linis- 
sent  par  un  triomphe. 


•      MA  XI  ME    LX. 

Le  bon  Sens  (2). 

QuELQtES-uNS  naissent  prudens^  ils  entrent , 
par  un  penchant  naturel ,   dans  Ic  cliemin  de 

( 1 )  Dans  le  discours  28 ,  de  son  Agudeza ,  il  attribuft 
€6  mot  a  Porape'e.  Patercule  ,  au  contraire  ,  dit  qu'il 
briguait  les  magistratures  avec  une  ardeur  extreme :  mais 
qu'apres  les  avoir  obtenues,  ils  les  exer^ait  avec  beaucoup 
de  modestie  ,  etpiiis  en  sortait  aussi  volontiers  qu'il  y 
e'tait  entre'  r  jusque-la  qu'il  rendait  ,  quand  on  voulait  , 
ce  qu'il  avait  pris  quand  on  ne  voulait  j^as.  In  appetendis 
Tionoribus  immodicus  ,  in  gerendis  verecundissimus , 
ut  qui  eos  ,  ut  libentissime  iniret ,  ita  Jiniret  cequo 
animo  :  et  ^  quod  cupisset  arbitrio  suo  sumere ,  alieno 
deponeret.  Hist.  2. 

(2)  Commines  dit  que  le  bon  sens  naturel  precede 
toutes  autres  sciences  quon  saurait  apprendre  en  ce 
monde.  Me'm.  liv.  a.  chap.  6. 

6* 


§4  l'homme 

,  la  sagesse  ,  et  d'abord  ils  sont  presque  a  mi- 
chemin.  La  raisOn  leur  murit  avec  I'age  et  Tex- 
pcrience ,  et  ils  arriveiit  enfin  au  plus  haut  de- 
gre  de  jugement.  lis  ont  horreur  du  caprice 
comme  d'une  lentatioii  de  leur  prudence , 
mais  surtout  dans  les  matieres  d'etat ,  qui ,  a 
a  cause  de  leur  extreme  importance ,  exigent , 
qu'on  prenne  toutes  ses  suretes.De  tgls  liommes 
meritent  d'etre  au  timon  de  I'etat,  ou  du  moins 
d'etre  du  conseil  de  ceux  qui  le  tiennent. 


MAXIME    LXI. 

Eocceller  dans  Vecjccellent  (i). 

C'est  une  grande  singularile  parmi  la  plu- 
ralite   des   perfections.  II  ny  pent   avoir    de 

(i)  II  n'appartient  qu'au  premier  etre,  dit-il  dans  le 
^liap.  6  du  Heros ,  d'avoir  I'assemblage  de  toutes  les  per- 
fections 'y  car  comme  il  ne  tient  son  etre  que  de  lui-meme , 
il  ne  souffre  point  de  limitation.  II  y  a  des  perfections  que 
le  ciel  donne ,  et  d'autres ,  qu'il  abandonne  a  noire  indus- 
trie.  Une  ni  deux  ne  suffisent  pas  pour  rendre  mi  sujet 
excellent.  Si  le  ciel  a  refuse'  les  talens  naturels  ,  rapplir- 
cation  y  doit  supple'er  par  des  taleqs  acquis.  Ceux-la  sont 
Jes  enfans  de  la  faveur ,  et  ceux-ci  de  I'industrie  ^  et  d'or- 
dinairc  ce  ne  sont  pas  les  moindres.  II  faut  peu  de  cliose 
pour  faire  un  individuj  mais  beaucoup  pour  faire  un 
homme  universel.  II  y  a  si  peu  dc  ceux-ci ,  que  leur  etre 


#. 


DE  COUR  85 

heros  qu'il  n  j  ait  en  lui  quelque  extremite 
sublime.  La  mediocrite  n'est  pas  un  objet  assez 
grand  pour  rapplaudissement.  L'eminence  dans 

n'est  qu'en  idee.  Celui-la  n'est  pas  compte  pour  un  qui  en 
vaul  beaucoup  d'autres.  Excellente  est  la  singularite'  qui 
est  e'quivalente  a  toute  une  cathe'gorie.  Toute  profession 
n'est  pas  digne  d'estime ,  tout  emploi  n'est  pas  en  cre'dft. 
On  n'est  pas  blame'  de  savoir  tout ,  mais  ce  serait  risquer 
sa  reputation  que  de  mettre  tout  en  pratique.  ( Omnia 
scire,  dit  Tacite ,  non  omnia  exsequi.  In  Agricola,) 
Etre  eminent  dans  une  vile  profession ,  c'est  etre  grand 
dans  le  peu  ,  c'est  etre  quelque  chose  dans  le  rien.  A 
rester  dans  la  me'diocrite' ,  Ton  est  au  gout  commun ; 
a  vouloir  monter  a  I'e'minence ,  Ton  y  perd  son  cre'dit.... 
Un  grand  homme  ne  doit  jamais  se  borner  a  une  ni  a 
deux  perfections ,  mais  avoir  Tambition  d'etre  universel 
et  meme  infini.  De  devenir  e'minent  en  tout ,  ce  n'est  pas 
la  moindre  des  impossibilile's ,  non  pas  faute  d'ambition  , 
mais  faute  d'application  et  de  vie.  L'exercice  est  le  moyen 
de  se  perfectionner  en  i'art  que  Ton  professe,  et  d'ordi- 
naire  le  temps  manque  au  meilleur  ouvrier^  et  le  plus 
souvent ,  la  patience  requise  pour  un  si  long  travail. 
L'eminence  dans  un  emploi  releve  est  une  portion  de  la 
Souverainete ,  puisqu'elle  exige  un  tribut  de  ve'ne'ration... 
Que  I'homme  de  me'rite  -coure  done  a  I'e'minence  ,  bien 
assure'  que  la  peine,  qui  lui  en  couteia,  sera  recom- 
pense'e  en  reputation.  Et  ce  fut  en  cette  vue  que  les 
Payens  consacrerent  le  boeuf  a  Hercule  ,  pour  signifier 
que  le  louable  travail  est  une  semence  qui  promet  une 
recolte  de  renomme'e,  d'applaudissement  et  d'immor- 
talite. 


66  jj  H  0  M  M  E 

un  haut  emploi  distingue  du  vulgaire,  er  elevc 
a  la  calhegorie  d'homme  rare.  Etre  eminent 
dans  une  profession  basse,  c'est  etre  grand 
dans  le  petit,  et  quelque  chose  dans  le  rieii. 
Cc  qui  ticnt  davantage  au  delectable,  en  tient 
moins  du  sublime.  L'eminence  en  des  choses 
h^utes  est  comme  un  caractere  de  souverai- 
nete ,  qui  excite  ^radmiration ,  et  concilie  la 
bicnveillance, 


:sK.  V  di 


MAXIME    LXII. 

. . ., '         Se  sewir  de  hons  instrument. 

QuELQUES-tNS  font  cousislcr  la  delicatesse 
de  leuF  esprit  a  en  employer  de  mauvais  :  point 
d'honneur  dangereux ,  et  digne  d'une  nialheu- 
euse  issue.  L'excellencc  du  ministre  n'a  jamais 
diminue  la  gloire  dumaitre,  au  contraire,  tout 
riionneur  du  succes  retourne  apres  a  la  cause 
principale,  et  pareillement  tout  le  blame.  La 
rcnommee  celebre  toujours  Ics  premiers  au- 
tcurs.  EUe  ne  dit  jamais  :  Get  honime  a  eu  de 
bons  ou  de  mauvais  ministres  :  mais ,  il  a  ete 
ban  ,  ou  mauvais  ouvrier.  II  faut  done  tacher 
de  bien  choisir  ses  ministres  ,  puisque  c'est 
d'eux  que  depend  Timmortalite  de  la  repu- 
tation. 


DE  coum.  ^7 

.     MAXIME    LXIIL 

V excellence  de  la  primaute. 

Si  la  primaute  est  secondee  de  Feminence, 
elle  est  doublement  excellente.  C'csl  un  grand 
avantage  au  jeu,  d'etre  Ic  premier  en  main, 
car  on  gagne  a  cartes  egales.  Plusieurs  eus- 
scnt  ete  Ics  phenix  de  leur  profession  ,  si 
d'autres  ne  les  eussent  pas  precedes.  Les  pre- 
miers ont  le  droit  d'ainesse  dans  le  partage 
de  la  reputation,  et  il  ne  rcste  qu une  maigre 
portion  aux  seconds ;  encore  leur  est-elle  con- 
teslee.  Ceux-ci  ont  beau  se  tourmenter,  ils  ne 
sauraient  detruirc  Fopinion  ,  que  le  monde 
a  ,  qu'ils  n'ont  fait  qu'imiter.  Les  grands  ge- 
nies  ont  toujours  affccte  de  prendre  une  nou- 
velle  route,  pour  arriver  a  Fexcellence   (i), 

( I )  C'est  une  dexterite  non  commune ,  dit-il ,  au 
chap.  7  du  Heros,  d'inventer  un  nouveau  chemin  pour 
aller  a  Fexcellence.  II  y  a  Lien  des  chemins  qui  con- 
duisent  a  la  singularite',  mais  ils  ne  sont  pas  tons  fraye's. 
Les  plus  nouveaux  ,  quoique  toujours  difficiles,  sont 
d'ordinaire  ceux  par  ou  Ton  arrive  plutot  a  la  grandeur. 
Salomon  aima  mieux  etre  pacifique  que  guerrier  comm^ 
son  pere ,  et  par  cette  route  il  arriva  plus  facilement  a  la 
gloire  des  he'ros.  Tibere  affecta  de  faire  autant  par  la 
ruse,  qu'Auguste  avail  fait  j)ar  les  armes.  Philippe  II, 
gouverna  tout  le  monde  sans  sortir  de  son  cabinet  5  » 


mais  de  telle  some  que  la  prudence  leur  a 
toujours  servi  de  guide.  Par  la  nouveaulc  des 
entreprises  ,  Ics  sages  se  sont  fait  ccrirc  au 
catalogue  des  hcros.  Quelques  -  uns  aiment 
niieux  etre  Ics  premiers  de  la  scconde  classc , 
que  les  seconds  de  la  premiere  (i). 

bien  qu'il  fut  un  prodige  de  prudence ,  au  lieu  que  son 
invincible  pere  avait  e'te'  un  prodige  de  courage. 

C'est ,  dit-il,  dans  son  Ferdinand ^  le  caprice  ordi- 
naire des  princes,  de  faire  tout  le  contraire  du  passe 
soit  par  amour  de  la  nouveaute'  ou  par  jalouisie.  Et  cette 
passion  ne  regne  pas  seulement  dans  les  successeurs 
ctrangers,  mais  dans  les  propres  enfans.  La  nature  a  bien 
pu  unir  un  sang  avec  un  autre,  mais  non  pas  les  esprits. 
Ouelquefois  les  enfans  heritent  du  geste,  mais  jamais 
du  gout.  lis  croient  que  I'imitation  est  un  manque 
d'esprit,  etc. 

( I )  Temoin  le  fameux  Titien  a  qui  Don  Francisco  de 
Vargas  ,  ambassadeur  de  Charles-Quint ,  a  Venise  , 
demandant  pourquoi  il  avait  donne'  dans  cette  maniere 
de  peindre  a  gros  traits  en  guise  de  peinture  poche'e ,  au 
lieu  de  suivre  la  me'tbode  des  excellens  maitres  de  son 
temps:  c'est,  re'pondit-il ,  gue  j'ai  de'sespere' de  pouvoir 
jamais  arriver  a  Textreme  de'licatesse  du  pinceau  de 
Michel- An ge  ,  de  Raphael  d'Urbin ,  du  Correge  et  du 
Parme'san,  et  que  quand  meme  je  les  aurais  e'gale's,  je 
serais  toujours  au-dessous  d'eux,  d'autant  que  je  ne  pas- 
serais  que  pour  leur  imitateur^  de  sorte  que,  I'ambition , 
qui  n'est  pas  moins  naturelle  a  mon  art  qu  aux  autres 
arts  libcraux  ,  m'a  fait  prendre  un  clicniui  tout  nouvcau 


DE    COUR.  89 

MAXIME    LXIV. 

S avoir  s'epagner  du  chagrin. 

C'lEST  unc  science  tres-utile;  c'est  comme  la 
sage-femme  de  tout  le  bonlieur  de  la  vie.  Mau- 
vaises  nouvelles  ne  valent  rien,  ni  a  donncr, 
ni  a  recevbir  (i)  ;  il  ne  faut  ouvrir  la  porte  qua 
celles  du  remede.  U  y  a  des  gens ,  qui  n'em- 
ploient  leurs  oreilles  qu'a  ou'ir  des  flatteries; 
d'autres  ,  qui  se  plaisent  a  ecouter  de  faux 
rapports  -,  et  quelques-uns  ,  qui  ne  sauraient 

par  oil  je  pusse  me  rendre  celebre  en  qiielque  cliosc , 
comme  le  sont  devenus  ces  grands  peintres  par  la  route 
qu'ils  ont  suivie;  Antoine  Perez,  dans  la  61^  de  ses 
secondes  lettres. 

( I )  II  ne  faut  jamais  porter  une  mauvaise  nouvelle 
aux  princes.  Tacite  dit  que  I'on  se  hata  fort  de  demauder 
a  Domitien  ,  qu'AgricoIa,  qu'il  iia'issait  a  cause  de  sa 
reputation,  etait  aux  derniers  abois,  et  que  cet  empres- 
sement  fit  croire  que  I'Empereur  ne  serait  pas  fa  die' 
d'apprendre  cette  nouvelle.  Momenta  deficienlis  per 
dispositos  cursores  nuntiata ,  nullo  credente  sic  acce- 
lerarl,  quce  tristis  audiret.  In  jlgrlcola.  Ne  dis  jamais 
de  mauvaises  nouvelles,  dit  Juan  Rufo  a  son  fils,  el  si 
tu  veux  etre  en  repos  ne  donne  jamais  d'ctrennes  ^au 
courier  qui  t'en  apportora  de  telles.  Dans  niie  iem-e  ^ 
vers. 


90  L  HOMME 

vivre  un  seul  jour  sans  quelque  ennui,  non 
plus  que  Mitridate  sans  poison.  G'est  encore 
un  grand  abus,  de  vouloir  bien  se  cliagriner 
toute  sa  vie  ,  pour  donner  une  fois  du  plaisir 
a  un  autre,  quelque  etroite  liaison  qu'on  ait 
avec  lui.  U  ne  faut  jamais  pechcr  contrc  soi- 
nieme ,  pour  compjaire  a  celui  qui  conseiilc , 
et  se  tient  a  I'ecart.  C*est  done  une  lecon  d'u- 
sage  et  de  justice  ,  que  toutes  les  fois  que  tu 
auras  a  choisir  de  faire  plaisir  a  autrui,  ou  de- 
plaisir  a  toi-m^me  ,  tu  feras  niieux  de  laisser 
autrui  mecontent,  que  de  le  devenir  toi-meme^ 
€t  sans  remede.        c  ,  ^   ,.     ^^  , 


MAXIME    LXV. 

Le  god t  Jin. 

Le  gout  se  cultive  aussi  bien  que  I'esprit. 
L'excellence  de  I'entendement  raflne  le  desir, 
ct  puis  le  plaisir  de  la  jouissance.  E'on  juge 
de  I'etendue  de  la  capacite  par  la  dclicatcsse  du 
gout.  Une  grande  capacite  a  besoin  d'un  grand 
objet  pour  se  contenter.  Comme  un  grand 
cstomac  demande  une  grande  nourriture  ,  il 
faut  des  matieres  dlevces  a  des  genies  sublimes. 
Les  plus  nobles  objels  craignent  un  gout  de- 
licat ,  les  perfections  universellement  estimees 


DEC  OUR.  gt 

ii'osent  cspcrer  clc  lui  plaire  (i).  Comme  il  y 
en  a  tres-peu  ,  oii  il  ne  manque  rien ,  il  faut 

(i)  Toute  grande  capacite,  dit-il,  dans  le  chap.  5  du 
He'ros ,  a  e'te  difficile  a  contenter.  Le  gout  a  sa  culture 
aussi  bien  que  I'esprit.  Ce  sont  deux  freres  jumeaux,  en- 
fans  de  la  capacite',  qui  ontpartagee'galementl'excellence. 
Un  esprit  sublime  n'a  jamais  eu*un  gout  bourgeois.  II  y 
a  des  perfections  qui  sont  des  soleils,    et  d'autres  qui  ne 
sont  que  des  lueurs.  L'aigle  regarde  fixement  le  soleil , 
et  le  pauvre  papillon  s'e'blouit  a  la  lueur  d'une  cliandelle. 
La  grandeur  de  la  capacite  se  mesure  sur  la  bonte'  du 
gout.  C'est  quelque  chose  que  de  I'avoir  bon;   mais  c'est 
beaucoup  que  de  I'avoir  fin.  Les  gouts  se  contractent 
par  la  communication.    C'est  done  un  grand  bonheur 
de  rencontrer  des  gens  qui  ont  le  gout  excellent.  Un  goiit 
critique  et  difficile  a  satisfaire  est  un  rare  talent.  Les 
objets  les  plus  admire's ,   et  les  perfections  les  plus  im- 
pe'ne'trables  a  la  censure ,    craignent  la  sonde  d'un  tel 
gout.  Celui  qui  avait  un  gout  de  roi  e'tait  Philippe-le- 
Prudent;  car,   il  ne  se  contentait  jamais  que  de  ce  qui 
e'tait  une  merveille  en  son  espece ,   tant  il  avait  I'esprit 
fait  aux  choses  extraordinaires.  Un  marchand  portugais 
lui  montrant  un  diamant  qui  semblait  etre  une  e'toile 
sur  la  terre,  toute  sa  Cour  s'attendait  a  des  admirations, 
mais  elle  ne  vit  que  des  de'dains  et  des  rebuts ,  non  pas 
que  ce  grand  roi  se  piquat  autant  d'etre  fier  que  d'etre 
grave  I  mais ,   parce  qu'un  gout  fait  aux  miracles  de  la 
nature  et  de  I'art  ne  se  laissepas  aller  a  des  attraitsvul- 
gaires.  Eh  bien  ,  dit  Philippe ,  de»quel  prix  serait  ce  dia- 
mant pour  un  cavalier  qui  aurait  cette  fantaisie?   Sire, 
re'pondit  le  Portugais,  les   soixante  -  dix  mille  ducats 


Q2  l'homme 

etre  tres-avare  de  son  eslime.  Les  gouts  se 
forment  dans  la  conversation ,  et  Ton  herile 
du  gout  d'autrui  a  force  de  le  frequenter.  C'est 
done  un  grand  bonheur  d'avoir  commerce 
avec  dcs  gens  d'excellent  gout.  II  ne  faut  pas 
neanmoins  faire  profession  de  ne  rien  eslimer^ 
car  c'est  une  des  extremites  de  la  folic  ,  et  une 
affectation  encore  plus  odicuse  que  le  gout 
deprave.  Quelques  -  uns  voudraient  que  Dieu 
fit  un  autre  monde ,  et  d'autres  beautes  ,  pour 
contenter  leur  extravagante  fantaisie. 


MAXIME    LXVI. 

Prendre  bien  ses  mesures  ,  avant  que  d'entre- 
prendre. 

QuELQUES-UNS  rcgardcnt  de  plus  pres  a  la 
direction  qua  Tevenement ;  et  neanmoins  la 
direction  n'est  pas  une  assez  bonne  caution , 

que  j'ai  mis  a  ce  digne  rejeton  du  soleil  ne  sont  pas  a 
plaindre.  A  quoi  pensiez-vous  reprit  le  roi  ,  quand 
vous  donnates  tant?  Qu'il  y  avait  un  Philippe  II  au 
monde,  re'partit  le  marcliand,  a  qui  le  roi  plus  charme 
de  la  beaute'  du  mot  que  de  celle  du  diamant ,  fit  payer 
incontinent  la  somme,  montrant  son  gout  fin  soit  dans 
le  paiement  ou  dans  la  recompense.  Vojez  le  reste  de 
ce  chapitre  dans  les  Notes  des  Maximes  28  et  l\i^ 


DE    COUR  95 

pour  garantir  du  deshonrieur ,  qui  suil  un  succes 
malheureux.  Lc  vainqucur  n'a  point  de  compte 
a  1  cndre  (  i  ).  II  y  a  peu  de  gens  eapablcs 
d'examiner  les  raisons  ct  les  ciiconsiances  , 
mais  chacun  jug^  par  revenement.  C'est  pour- 
quoi ,  Ton  hc  perd  jamais  sa  reputation  ,  quand 
on  reussit  (2).  Une  heureuse  fin  couronne  tout, 
quoiqu'on  se  soit  servi  de  faux  mojens  pour 
y  arriver ;  car  c  est  un  art  que  d'aller  contre 
Fart ,  quand  on  ne  peut  pas  autrement  parve- 
nir  a  ce  qu'on  pretend. 

MAXIME    LXVII. 

Preferer  les  emplois  plausibles. 

La  plupart  des  choses  dependent  de  la  sa- 
tisfaction d'autrui.  L'cstime  est  aux  perfections 
ce  que  les  zephirs  sont  aux  fleurs ;  c'est-a- 
dire,  nourriture  ct  vie.  U  j  a  des  emplois  uni- 

(i)  Victorice  rationem  non  reddi,  dlt  Tacite,  Hist.  4 
ceux  qui  gagnent  ont  toujours  I'honueur,  ditCommines, 
livre  ^  de  ses  Memoires ,  chap.  ^. 

(2)  Temoin  ce  Ce'rialis ,  qui ,  tout  temeraire  qu'il  ^tait 
passait  pour  un  grand  homme ,  parce  que  son  bonheur 
supple'ait  a  son  manque  de  conduite.  Aderat  fortuna  , 
etiam  ubi  artes  defuissent.  Hist.  5.  Cerialis ,  intecto 
coipore,  promptus  inter  t^la ,  Jelici  temeritate.  His- 
toria  4. 


$4  L*HOMMlC 

versellement  applaudis ,  ct  d'autres  ^  qui ,  bien 
qu'ils  soient  releves  ,  ne  sent  point  recherches* 
Les  premiers  gagnent  la  bienveillance  com- 
mune ,  parce  qu  on  les  exerce  a  la  vue  de  tout 
le  monde.  Les  autrcs  tiennent  davantage  du 
majestucux,  et ,  commc  tcls,  attircnt  plus  de 
veneration  :  mais ,  parce  qu'ils  sont  impcrcep- 
tibles ,  ils  en  sont  moins  applaudis.  Entre  les 
princes ,  les  victorieux  sont  les  plus  ccU ebres  ( i ) 
et  c'est,  pour  cela  ,  que  les  rois  d'A.ragon  (2) 
ont  ete  si  fameux,  par  leurs  litres  de  guerriers, 
de  conqucrans,  de  magnanimes.  Que  I'liomme 
de  merite  choisisse  done  les  emplois  ,  oii  cha- 
cun  se  connait ,  ct  oii  chacun  a  part ,  s'ii  vcut 
s'immortaliser  a  toutes  voix. 

Quelqucs  -  uns  ,  dit-il  dans  le  chap.  8  du 
Hews ,  preferent  les  emplois  difficiles  a  d'au- 

(i)  J^irorum  annorumque  ,  dit  Tacite^  faciendum 
certamen  :  de  alienis  certare  regiam  laudem.  esse. 
Ann.  i5,  c'est-a-dire,  que  les  princes  doivent  eprouver 
leurs  forces  a  combaltre  ,  et  que  leur  vertu  consiste  a 
conque'rir.  Cabrera  dit  que  la  vertu  militaire  semble 
etre  une  espece  de  divinite'  dans  les  he'ros,  chap.  26  du 
livre  9  de  son  Pliillppe  II. 

(i)  Insignes  C as tella  Duces ,  Aragonia  Reges ,  c'est- 
a-dire,  ia  Castille  donne  de  grands  capitaines  et  I'Ara- 
gon  de  grands  rois.  (Disc.  28  de  YAgudeza,  et  chap.  6 
du  Heros. )  En  efFet  les  vingt-neuf  rois  d'Aragon  avaient 
tous  e'te'  plus  vaillans  que  ceux  de  Castille. 


DE    COUR.  95 

tres  plus  plausible^  ,  radmiration  de  peu  de 
gens  d'elile  ay  ant  plus  de  charmes  pour  eux , 
que  Fapplaudisscment  de  beaucoup  d'autres, 
qui  sont  d'entre  le  vulgaire.  lis  appellent  les 
entreprises  plausihles  les  miracles  des  igno- 
rans.  Veritablement,  pcude  gens  connaissent 
la  difficulte  et  I'excellence  dune  haute  entre- 
prise  j  mais  comme  ce  sont  des  esprits  sublimes, 
ils  nc  laissent  pas  ,  si  peu  qu'ils  sont ,  de  met- 
tre  les  autres  en  credit.  Le  plausible  est  fa- 
cile a  connaitre,  il  se  familiarise  avec  les  sens; 
mais  aussi  I'applaudissement  qu'il  a  ,  est  d'au- 
tant  plus  vulgaire  qu'il  est  universel.  La  de- 
licatesse  du  petit  nombre  Tcmporte  sur  la  mul- 
titude du  vulgaire.  Cependant ,  c'est  un  carac- 
tere  d'esprit  fin  ,  de  suborner  I'attention  com- 
mune par  I'agrement  din  plausible y  attendu  que 
Feminence  venant  a  frapper  les  yeux  de  tout  le 
monde ,  la  reputation  s'etablit  a  toutes  voix. 
II  faut  estimer  ceque  la  plupart  estiment.  Dans 
les  actions p/ai/^/^/e^  Texcellence  est  palpable, 
au  lieu  que  celles  qui  sont  au  -  dessus  de  la 
portee  ordinaire,  ne  sont  jamais  si  evidentes  , 
quelles  nc  tiennent  toujours  beaucoup  du 
metaphjsique  ,  n'etant  celebrcs  que  par  les 
idees  qu'on  s'en  forme.  J'appelle  plausible  , 
ce  qui  s'execuie  a  la  vue  et  au  gre  de  tout  le 
monde  ,  ct  a  toujours  la  reputation  pour  fon- 


gG  l'  11 0  M  M  E 

dement.  Par  oil  j'exclus  certains  emplois  ,  qui 
sont  aussi  vides  de  credit  qu'iis  sont  pleins 
d'ostentation.  Un  comedicn  est  richc  en  ap- 
plaudissemens  ,  mais  pauvre  en  estime.  Dans 
les  fonctions  dc  fesprit ,  Ic  plausible  a  toujours 
triomphe.  Un  discours  poli  et  coulant  cha- 
louille  les  oreilles  et  cliarme  I'entendement : 
au  contrairc  la  sechcresse  d'une  expression 
nietaplijsique  choqiie  on  lasse  les  auditeurs.  (i) 
Et  dans  son  Discret  ;  chap,  flombre  de  buena 

(i)   Tacite  dit  qu*Auguste  avail  une  grande  facilite  de 
|)arler  etTen  loue  comme  d'une  qualite'  bienseante  a  un 
prince.  Augustoprornptaacprqfluens,  qucedeceretprin-' 
cipefn,eloquentiafuit.Ann.i'5.  Par  ouil  sembl#que  Ta- 
cite tient  pour  le  plausible.  Otlion  faisait  composer  ses 
harangues  parrorateurTracalus,parcequ'ilavaitun  style 
magnifique   et  nombreux  comme  il  le  faut  pouy  rem- 
plir  les  oreilles  du  peuple.  Trachali  ingenio  ad  credeha 
tur,  cujus  genus  orandi ,   ad  implendas  populi  aures , 
latum  et  so  nans  .Hist.  i. 

Tacite  dit  aussi  que  Scneque  accommodait  son  dis- 
cours et  son  esprit  au  gout  de  son  siecle  ,  et  que  Cor- 
bulon  meme,  qui  avait  toutesles  parties  d'un  grand  capi- 
taine,  afFectait  dans  ses  paroles  et  dans  ses  actions  un  je 
ne  sais  quoi  par  ou  il  donnait  de  I'admiration  au  peuple 
et  aux  soldats.  Fuit  illi  viro  ingeniuin  arncenum ,  et 
temporis  illius  auribus  accommodatum  fde  Seneca. J 
Ann.  1 5.  Corbulo  corpore  ingens ,  verbis  magnijicus  , 
et  super  experientiam  sapientiamque  ,  etiam  specie 
itmnium  ualidus.  Ibid. 


% 


DE  COURv  97 

eleCcioTi  ;  11  y  a  ,  Bit-il ,  des  emplois  doiit  le 
principal  exercice  consiste  a  choisir,  et  oii  la 
dependance  est  plus  grande  que  la  direction; 
comme  sont  lous  ceux  qui  ont  pour  but  d'en- 
seigner  et  de  plaire.  Que  Torateur  prefero 
done  les  argumens  les  plus  plausibles  ;  que 
rhistorien  entremelc  Futile  et  Fagreable  ;  et  le 
philosophe  le  specieux  et  le  sentencieux.  Qu  ils 
s  etudient  tous  a  rencontrer  le  gout  universel 
d'autrui,  qui  est  la  vraic  metliodc  dc  choisir*. 
Car  il  en  est  comme  d  un  festin ,  dii  les  viandc5 
no  s'appretent  pas  au  gout  des  cuisiniers  ,  mai$ 
a  celui  des  convies.  Quimporte  que  les  chosea 
soient  fort  au  gout  de  Forateur,  si  elles  ne 
sont  pas  a  celui  des  auditeurs ,  pour  qui  ellet 
sont  appretees. 

—  Nam  ccence  fercula  nostrce ,  dit  Martial , 
Malim  convivis  ,  quarfi  placuisse  cocis* 


MAXIME    LXVIII. 

Faire  comprendre  est  hien  tneilleut'  que  f aire 
Souvenir. 

QuELQUEFOis  il  faut  rcmeniorer ,  quelque- 
fois  aviser.  Quelques-uns  manqueht  de  faire 
des  choses  qui  seraient  exeellentes ,  parce 
qu'ils  nj  pensent  pas.  C'est  alors  qu  un  bon 


98 

avis  est  de  saison  ,  pour  teur  faire  concevoii.- 
cc  qui  importe.  Un  des  plus  grands  talens  de 
rhonime ,  est  d' avoir  la  presence  d'esprit  pOur 
penser  a  ce  qu'il  faut,  faute  de  quoi  plusieurs 
affaires  viennent  a  nianquer.  C'est  done  a  celui 
«qui  comprend  de  porter  la  lumiere^  et  a  celui 
qui  a  besoin  d'etre  eclaire ,  de  rechercher 
lautre.  Le  premier  doit  se  menager,  et  le 
second  s'empresser.  II  suffit  au  premier ,  de 
frajer  le  chemin-  au  second.  Cette  maxime  est 
tres-importante ,  et  tourne  au  profit  de  celui 
qui  instruit;  el  en  caS  que  sa  premiere  lecon 
ne  suffise,  il  doit ,  avec  plaisir,  passer  un  peu 
plus  avant.  Apres  etre  vemi  a  bout  du  non, 
il  faut  altraper  adroitement  un  oui ;  car  il  ar- 
rive souvent  de  ne  rien  obtenir ,  parcc  que  i'on 
nc  tente  rien. 


MAXIME    LXIX. 

Ne  point  donner  dans  thitmeur  du  vulgaire. 

C'est  un  grand  homme  que  celui  qui  ne 
donne  point  d' entree  aux  impressions  popu- 
laires.  C'est  une  lecon  de  prudence  ,  de  refle- 
chir  sur  soi-meme ,  de  connaitre  son  propre 
penchant,  etdele  prevcnir,  et  d'aller  meme  a 
I'aulre  cxtremite  pour  trouver  lequiiibre  de 
k  raison  entre  la  nature  et  Fart.  La  connais- 


D  E     C  O  U  R.  99 

Bance  de  sol-mem e  est  le  commencement  de 
ramcndement.  H  y  a  des  monstres  d'imperti- 
ficnce  ,  qui  son*  tantot  d*une  humeur ,  tanlot 
d'une  autre ,  et  qui  changent  de  sentimqns 
comme  d'humeur.  lis  s'engagent  a  des  chpses 
toutcs  contraires,  se  laissent  toujours  entrain 
ner  a  Timpetuosite  de  ce  debordement  civil , 
qui  ne  corronipt  pas  seulement  la  volonte  , 
mais  encore  la  connaissance  et  le  jugcment. 

Une  grande  capacite  (dit-il  dans  le  chapitre 
de  son  Dlscret :  Norendirse  al  humor  )  ne  S4J 
laisse  jamais  aller  au  flux  et  reflux  ni  des  hu- 
meurs ,  ni  des  passions.  Elle  se  tient  toujours 
au-dessus  de  cette  grossicre  intemperance....: 
Plusieurs  se  laissent  tjranniser  honleuscment 
a  I'humeur  qui  regne.  lis  soutiennent  aujour- 
d'hui  ce  qu'ils  contredisaient  hier.  Quclquefois 
ils  appuientla  raison,  et  puis  ils  la  foulent  aux 
pieds.  II  ny  a  point  d'arr^t  a  leurs  jugemcns, 
qui  est  la  plus  haute  extravagance.  Vous  ne 
Ics  sauriez  prendre  en  bon  sens  ,  parce  qu'ils 
n'cn  ont  point.  Outre  que  d'aujourd'hui  a  de- 
main  ils  s'engagent  contradictoirement  :  et 
puis,  apres  qu'ils  se  sont  contredits  eux-memes 
les  premiers  ,  ils  contredisent  tous  les  autres. 
Quand  on  connait  leur  gout  deprave  ,  il  vaut 
micux  les  laisser  dans  leur  confus^lon  j  car  plus 
ils  font ,  plus  ils  defont. 


7* 


100  L  II  O  M  M  It 

C'est  la  marque  d'un  riclie  fonds  ,  de  sa-^ 
Toir.  prevenir  et  corriger  son  humeur,  d'au- 
tant  que  c'est  une  maladie  d'csprit  ,  oii  le 
5age  doit  se  gouverner,  comme  dans  ccUe  du 
corps, 

II  y  a  des  imperii ncns  si  oulres ,  qu'il  sont 
toujours  de  quelquc  humeur ;  toujours  estro^ 
pics  de  quelque  passion,  insupporlahles  a  ceux 
qui  ont  affaire  a  euxj  ennemis  perpctu'els  de 
Ja  conversation  et  de  rhonnetct4j  qui  ne  pren- 
jient  nul  gout  aux  meilleures  choses  >  plus  in- 
curables que  les  vrais  fous  ,  car  on  apprivoisd 
ceux-ci  avec  vm  peu  de  complaisance ,  et  ceux* 
la  en  devicnncnt  pires.  On  nc  gagne  rien  sur 
eux  par  la  raison  ,  parce  que  n  en  ajant  point, 
ils  n'cn  recoivent  aucune, 

Mais  s'il  arrive  qu'un  homme  s'emporte 
quelquefois  ,  neanmoins  rarement  ,  et  encore 
pour  quelque  grand  sujet,  ce  n'en  sera  pas 
un  de  Taccuser  d'humeur  vulgaire ;  car  de  ne 
se  facher  jamais  ,  c'est  vouloir  etre  toujours 
bete.  Mais  une  mauvaise  humeur  continuelle , 
et  contre  tout  le  monde ,  c'est  une  rusticitq 
insupportable.  La  facherie  ,  que  cause  I'esclave  ^ 
ne  doit  pas  oter  I'assaisonnement  a  la  condi- 
tion libre  :  mais  celui  qui  n'est  pas  capable 
de  se  connaitre  ,  le  sera  encore  moins  de  se 
corriger. 


i>  E   c  au  Ri    ,^   ;^;         lor 

MAX  I  ME    LXX* 

S avoir  refuser* 

Tout  ne  se  doit  pas  accorder ,  ni  a  tous. 
Savoir  re/user  est  d'aussi  grande  importance  , 
que  savoir  octrojer  ,  et  c'cst  un  point  ires-ne- 
cessaire  a  ceux  qui  commandent.  U  y  va  de  la 
maniere.  Un  non  de  quelques-uns  est  mieux 
regu  qu  un  otji  de  quelques-autrcs ,  parce  qu  unf 
NON  assaisonne  de  civilite  conlente  plus  qu'un 
oui  de  mauvaise  grace.  U  y  a  des  gens^  qui  ont 
toujours  un  non  a  la  bouche  ,  le  non  est  tou- 
jours  leur  premiere  reponse,  et  quoiqu'il  leur 
arrive  apres  de  tout  accorder,  on  ne  leur  en 
sait  point  de  gre,  a  cause  du  non  mal-assai- 
Sonne  qui    a  precede.    II  ne  faut  pas  refuser] 


tout^a-plat,  mais  faire  gouter  son  refus,  a  pc- 

jites  gorgees ,  pour  ainsi  dire.  II  ne  faut  pas 

non  plus  tout  refuser ,  de  pcur  de  desesperer 

les  gens  ,  mais  au  contraire   laisscr  toujours 

un   reste   d'esperance ,  pour   adpucir   Tamer- 

tunic  du  refus.  Que  la  courtoisie  remplisse  le 

*vide  de  la  faveur  ,  et  que  les  bonnes  paroles 

suppleent  au  defaut  des  bons  etfets.  Oui  et  non" 

sont  bien  courts  a  dire  j  mais ,  avant  que  de  les 

dire  ,   il  faut  pcnser  long  -  temps.  Vojez    la 

Maocime  1^:1.        a 

^Mii^  jU^  U^  ^^jji  ^  ^'^ 


tOlC  L   H  O  IWt  M  E 

MAXIME    LXXL 

N'etre  point  inegat  et  irreguUer  dans  sortl 
procede. 

L'homme  prudent  ne  tombe  jamais  dans  cc 
dcfaut,  ni  par  humeur  ,  ni  par  affectation.  II  est 
.toil jours  le  meme  a  I'egard  de  ce  qui  est  parfait, 
qui  est  la  marque  du  bon  jugement.  S'd  chango 
quelquelbis  ,  c'est  parce  que  les  occasions  et  le» 
affaires  changent  de  face.  Toute  inegalite  me- 
sied  a  la  prudence.  II  j  a  des  gens  qui ,  chaque 
jour ,  sont  diffcrcns  d'eux  -  memes  ,  ils  out 
meme  Fentendement  journalier ,  encore  plus 
la  volonte  et  la  conduite.  Ce  qui  etait  hier  leur 
agreable  oui ,  est  aujourd'hui  leur  desagreable 
WON*  II  dement  toujours  leur  procede  et  I'opi- 
nion  qu'on  a  d'eux,  parce  qu'ils  ne  sont  jamais 
ipux-memes. 


MA  XI  ME    LXXII. 

Jjhomme  de  resolution, 

L'iRRESOLUTiON  est  pirc  que  la  mauvaise  exe- 
cution (i).  Les   eaux  ne  se    corrompent  pas 

(i)  Tacite,  dit  qu'ily  a  des  affaires  qui  ne  soufFrent 
point  de  remise,  et  ou  la  te'me'rite'  meme  vaut  mieux  que 
tons  les  conseils.    Opportiinos  magnis  conatibus  tvan-' 


tant  qiiand  elles  courent ,  que  lorsqu  elles 
coupissent.  U  y  a  des  honimes  si  irresolus, 
quils  ne  font  jamais  rien  sans  etrc  pousses 
par  aulrui :  et  quclquefois  cela  ne  vient  pas  tant 
de  la  perplexite  de  leur  jugement ,  qui  sou- 
vent  est  vif  et  subtil ,  que  d'une  lentcur  na- 
turelle  (i).  C'est  une  marque  de  grand  esprit 
que  de  se  former  des  diflicukes  ,  mais  encore 
plus  de  savoir  se  determiner.  II  se  trouve  aussi 
des  gens  qui  ne  s'embarrassent  de  rifen  ,  et 
ceux-la  sont  nes  pour  les  hauts  cmplois ,  d'au^ 
tant  que  la  \  ivacite  de  leur  conception  ,  et  la 
fermeie  de  leur  jugement,  leur  facilitcnt  I'in- 
telligcnce  et  I'expedilion  des  affaires.  Tout  ce 
qui  tombe  en  Icurs  mains  est  chose  faite.  Un 
de  cetletrempc  ,  apres  avoir  donne  la  loi  a  tout 
un  monde,  eut  du  temps  de  reste  pour  pen- 

situs  rerwn  :  nee  cunctatione  opus ,  ubi pemiciosior  sit 
quies ,  quam  temeritas.  Hist.  i.  Et  dans  un  autre  en- 
drolt  du  meme  livre  :  Nihil  in  discordiis  ci\^ilibus  festi- 
natione  tutius ,  ubi  facto  magis  quam  consulto  opus 
esset.  Et  encore  dans  un  autre  :  Nullus  cunctationi  locus 
est  in  eo  consilio ,  quod  non  potest  laudari ,  nisi  pe- 
ractum.  Cosafatta  capo  ha,  dit  le  proverbe  Florentin. 
Chose  faite  vaut  mieux  que  chose  a  faire.  Machiavel  dit 
un  joli  mot.  Niuna  cosa  nuoce  tantgi  al  tempo ,  quanta 
it  tempo.  Rien  ne  nuit  tant  au  temps  que  le  temps. 

(i)  Te'moin  Tihere,  cujus ,  ditTacite,  ut  callidum  in^ 
genium,  ita  anxiwn  judicium.  Ann.  i. 


H4- 

scr  a  uii  autre.  De  tcls  homines  entreprennent 
tout  a  coup  sur ,  sous  la  caution  dc  bonne  for- 
tune,        - 


MAXIME      LXXIII. 

^i:.--  !^4^-y  Troiwer  ses  defaites. 

C'est  une  adrcsse  des  gens  d'esprit.  4-vec 
un  mot  de  galanterie,  ils  sortent  du  plus  dif- 
ficile labyriulhe  (i).  Un  souris  de  bonne  grace 

(i)  C'est  ainsi  que  le  comte  de  Cantagnede,  de  la 
.  maison  de  Menesez ,  en  Portugal ,  re'para  par  un  bon  mot 
/  une'liberte  excessive  ,  qu'il  prit  un  jour  avec  le  roi  Dom 
Jean  IV.  Ce  roi ,  qui  le  tenait  sur  le  pied  de  favori ,  lui 
donnant  un  coup  sur  la  fesse,  il  lui  pe'ta  dans  la  main  : 
et  le  roi  e'tant  confus  et  pique'  de  ce  manque  de  respect, 
Sire  y  lui  dit  le  Comte  ,  J^otre  Majeste  peut-elle  jamais 
Jrapper  a  une  porte ,  qu'on  ne  lui  ouvre  incontinent  ? 
Mot  qui  plut  autant  au  roi,  que  Taction  lui  avait  de'plu. 
Ainsi ,  Gracian^  a  bien  raison  de  dire  que  la  pr(;sence 
d'esprit  sert  de  refuge  aux  fautes  ,  et  les  re'pare  meme  si 
bien ,  qu'il  est  avantageux  de  les  avoir  faites,  Agudeza  , 
Discurso  45.  Jean  de  Meun  (celui  qui ,  pour  avoir  com- 
mence de  polir  notre  langue ,  fut  surnomme  le  Pere  de 
r^'loquence  fran^aise)  ajant  offense  toutes  les  femmes 
dans  un  certain  endroit  de  son  Roman  de  la  Rose,  les 
dames  de  la  cour  qui  en  furent  les  plus  irrite'es,  rcso- 
Jurent  de  s'en  venger  en  lui  donnant  le  fouet.  Pour  cet 
elfet,  elles  le  prirjent  un  jour  et  le  dcpouillh'eat  tout  nud| 


r>'E  cour".  io5 

leiir  fait  esquiver  la  querelle  la  plus  dange- 
reusc.  Lc  plus  grand  de  tous  les  capitaines 
fondait  sa  reputation  la-dessus.  Une  parole  k 
deux  ententes  pallie  agreablement  une  nega- 
tive (i).  II  nj  a  rien  de  meilleur,  que  de  ne 
se  faire  jamais  irop  entendre.  ; 


MA  XI  ME    LXXIV. 

N'Stre  point  inaccessible. 

Les  vraies  betes  sauvagcs  sont  oil  il  y  a  le 
plus  de  monde.  Le  difficile  abord  est  le  vice 

mais  il  se  lira  d'affaire  par  un  imj^romptu  qui  les  desarma 
toutes,  en  demandant  par  grace,  que  la  plus /7Wfe  d'en- 
tr'elles  (c'est  le  nom  dont-il  les  avait  appelees)  com- 
•mengat  Texe'cution;  ce  que  pas  une  ne  voulut  faire. 
Brantome ,  dans  le  discours  jDremier  de  ses  Femmes  ga- 
lantes ,  ou  il  ajoute  qu'il  a  vu  cette  histoire  repre'sentee 
dans  une  vieille  tapisserie  du  Louvre. 

(i)  Je  ne  dois  pas  omettre  ici  la  plus  belle  repartie 
qu'un  ambassadeur  d'Espagne  fit  a  Henri  IV ,  qui  lui 
disait  peu  de  temps  avant  sa  mort ,  qu'il  avait  desseiu 
d'aller  avec  son  arme'e  en  Italie  ,  de'jeuner  a  Milan  , 
ouir  la  messe  a  Ronje,  et  diner  a  Naples.  Jt  J^.  M.^  dit- 
il ,  va  si  vite  ,  elle  pourra  Men  etre  avepres  en  Sidle . 
(Gracian  discours  49  de  son  uig'udeza).  Ce'tait  uue  me- 
.  nace  payee  d'une  autre  menace. 


106  L  H  O  M  -H  EJ, 

des  gens ,  dont  les  honneurs  out  change  Ics 
moeurs;  Cc  n'est  pas  le  mojen.  de  se  mettre 
en  credit ,  que  de  commencer  par  rcbuter  au- 
trui.  Qu'il  fait  beau  voir  un  de  ces  monstres 
intraitablcs  prendre  son  air  impertinent  de 
fierte  !  Ceux  qui  ont  le  malheur  d' avoir  atlaire 
a  eux ,  vont  a  leur  audience ,  comme  s'ils  al- 
laient  combattre  contre  des  ligres ,  c'est-a-dire , 
amies  d'autant  de  crainte  que  de  precaution. 
Pour  nionter  a  ce  poste  ,  ils  faisaicnt  la  cour  a 
tout  le  nionde ;  mais  depuis  qu'ils  le  tiennent, 
il  semble  qu'ils  veulent  prendre  leur  revanche 
a  force  de  braver  les  autres.  Leur  emploi 
demanderait  qu'ils  fussent  a  tout  le  niondc ; 
mais  leur  superbe  ct  leur  mauvaise  humeur, 
font  qu'ils  ne  sont  a  pcrsonne.  Ainsi ,  le  vrai 
mojcn  de  se  venger  d'cux ,  c'est  de  les  laisser 
avcc  eux-memes  ,  afin  que,  tout  commerce 
leur  manquant ,  ils  ne  puissent  jamais  devcnir 
5ages. 


MAXIME   LXXV. 

Se  proposer  quelque  heros  ,   non  pas  tant  a 
irniter  qu'a  surpasser, 

Il  y  a  des  modelcs  de  grandeur,  et  des  livres 
vivans  de  reputation.  Que  chacun  se  propose 
ceux  qui  ont  excello  dans  sa  profession,  non 


DE    COUR.  '1^* 

pas  tantpour  les  suivre  que  pour  le^  clevanfflfe* 
Alexandre  pleura  ,non  pas  de  voir  Achille  dans 
le  tombeau  ,  mais  de  se  voir  Ini-meme  si  peu 
connu  dans  le  monde,  en  coniparaison  d'A- 
cliille.  Rien  n  inspire  plus  d'ambilion  que  le 
bruit  de  la  renommee  d'autrui.  Ce  qui  etouffe 
Tcnvie  fait  respirer  Ic  courage.  ^  -> 


MAXIME    LXXVI. 

N'etre  pas  toujours  sur  le  plaisant. 

Outre  que  la  prudence  parait  dans  le  se- 
rieux,  le  serieux  est  plus  estime  que  le  plaisant. 
Celui  quiplaisante  toujours ,  n'est  jamais  horame 
tout-a-bon.  Nous  traitons  ces  gcns-la  comme 
les  menteurs  ,  en  ne  crojant  jamais  ni  les  uns 
ni  les  autres  ,  la  gausserie  n'etant  pas  moins 
suspecte  que  le  mensonge.  L'on  ne  sait  jamais 
quand  ils  parlent  par  jugement ,  qui  est  autant 
que  s'ils  n'en  avaient  point.  II  nj  a  rien  de  plus 
deplaisant  qu'une  continuellc  plaisanterie  (i). 

(i)  Un  Laced emonien  dit  a  un  orateur  qui  faisait 
toujours  le  plaisant,  qu'il  de'^ndrait  bientot  ridicule  a. 
force  de  le  contrefaire.  Le  nom  meme  de  sales ,  dit 
Gracian  dans  son  Discret ,  chap.  No  estar  siempre  de 
burlas,  enseigne  comme  il  en  faut  user^  (c'est-a-dire, 
ainsi  <juq  du  sel  dans  le  manger. ) 


Vo8  l'homme 

flBljbulant  s'acquerir  la  reputalion  de  galant , 
on  perd  la  reputation  d'etre  cru  sage.  II  faut 
donner  quelques  moniens  a  renjouemenl ,  et 
lout  le  reste  aU'Serieux  (i). 


MAXIME    LXXVII. 

X  S'accommoder  a  toutes  sortes  de  gens. 

Sage  est  IcProtec  qui  est  saint  avec  les  saints  y 
docte  avec  les  doctes  ,  serieux  avec  les  serieux , 
ct  jovial  avec  les  enjoues.  C'est  la  le  niojcn  de 
gagner  tous  les  coeurs  ^  la  ressemblancc  etant 
le  lien  de  la  bienveillance  (2).  Discerner  les 
esprits ,  ct  par  une  transformation  politique  , 
entrer  dans  Fhumeur  et  dans  le  caracterc  de 
chacun ,  c'est  un  secret  absolument  neccssairc 

(t)  Caton ,  disait  que  c'etait  un  de'faut  e'gal  d'etre  tou- 
jours  serieux  ou  toujours  bouffon.  Le  poete  de  Cour ,  dit 
qu'il  est  de  la  galanterie  de  meler  un  petit  grain  de  folie 
parmi  le  se'rieux. 

Misce  stultitiam  consiliis  hrevem  : 
Dulce  est  desipere  in  loco. 

Horace,  ode  12,  liv.  4*  ^ 
Juan  Rufo  entendant  un  bouiFon  ennuyeux,  dit  que 
x'e'tait  une  sonnette  de  plomb.  Apophtegme  556. 

(2)   Ad   connectendas   amicitias  tenacissimum  vin" 
culum  morum  si/nilitifdo,  Plin.  Ep,  i5,  lib.  /{. 


D  E     C  O  U  R.  lOgif 

aceux  qui  dependent  d'autrui  -jriais  jlfautpour 
cela  im  grand  fonds.  L'homme  universel  en 
connaissance  et  en  experience  a  moins  de  peine 
a  s'j  faire. 


MAXIME    LXXVIII. 

Uart  d'entreprendre  ci-propos. 

La  folie  entre  toujours  de  voice,  cartons^ 
les  fous  sont  hardis.  La  meme  ignorance  qui 
les  empeche  premieremeni  de  prendre  garde  h 
ce  qui  est  necessaire  ,  leur  ote  ensuite  la  coii-l' 
naissance  des  fautes  qu'ils  font.  Mais  la  sagessc 
entre  avec  beaucoup  de  precaution  j^s  coureurs 
sont  la  reflexion  et  le  discernement ,  qui  font 
-  le  guet  pour  elle  ,  afin  qu'elle  avance  sans  rien 
risquer.La  discretion  condamne  toutes  sortes  de 
lenierites  au  precipice,  quoique  le  bonheur  les 
justifie  quclquefois.  II  faut  aller  a  pas  comptcs 
oil  Ton  se  doute  qu'il  j  a  de  la  profondeur. 
Cest  au  jugement  a  I'essayer  ,  et  a  la  prudence 
a  poursuivre.  II  j   a  aujourd'hui    de    grands 
eCueiis  dans  le  commerce  du  moiide.  II  faut 
done  prendre  garde  a  bien  jeter  son  plomb. 


jio  x'homme 


L'himieur  joi^iale. 

C'est  une  perfection  plutot  qu'un  dcfaut  ^ 
quand  il  n  j  apointd'exces.  Un grain  de  plaisan- 
lerie  assaisonne  tout.  Les  plus  grands  honimes 
jouent  d'enjouementcommeles  autres  ,pourse 
concilier  la  bieuveillance  universelie,  mais  avec 
icette^ifFerence  qu'ils  gardent  toujours  la  preic- 
rence  a  la  sagessc,  et  le  respect  a  la  Lienseance. 
D'autres  se  tirent  d' affaire  par  un  trait  de  belle 
humeur  ^  car  il  y  a  des  choses  qu'il  faut  prendre 
en  riant,  et  quelquefois  celles  meme  qu  un  autre 
prend  tout  de  bon.  Une  telle  humeur  est  I'ai- 
xiaant  des  cceurs. 


MAXIME    LXXX. 

Etre  soigneux  de  s'lnjormer. 

La  vie  se  passe  presque  toute  a  s'infornier. 
Ce  que  nous  vojons  est  le  moins  essenticl  (i). 
Nous  vivons  sur  la  foi  d'autrui.  L'omc  est  la  se- 
conde  porte  de  la  vcrite  et  la  premiere  du  men- 

(i)  Speclamus  guce  coram  habentur ,  dit  Tacite» 
Ann,  6, 


t)E  couR.  ^m 

-songe.  D^ordinaire  la  verite  se  voit ,  mais  c'cst 
un  extraordinaire  dc  I'entendre.  Elle  arrive  ra- 
rcment  toute  pure  a  nos  orcilks  ,  surlout  lors- 
quelle  vient  de  loin  (i);  car  alors  elle  prend 
quelquc  tciniure  des  passions  qu' elle  rencontre 
sur  sa  route.  Elle  plait  ou  deplait ,  selon  le* 
couleurs  que  lui  prete  la  passion  ou  I'inter^t , 
qui  tend  toujours  aprevcnir.  Prends  bien  gard<5 
a  cclui  qui  loue  ,  encore  plus  a  celui  qui  blame. 
C^est  la  qu^on  a  besoin  de  toute  sa  penetration , 
pour  decouvrir  I'intention  de  celui  qui  tierce  , 
et  de  cQiinaitre  avant  coup  a  quel  but  il  veut 
frapper.  Sers-toi  de  ta  reflexion  a  discerner  les 
pieces  fausses  ou  legeres  d'avec  les  bonnes. 


MAXIME  LXXXI. 

JHenouveler  sa  reputation  de  temps  en  temps, 

C'est  un  privilege  de  phenix.  L'excellence  est 
sujette  a  s'envieillir  et  pareillement  la  renom- 
mce  avcc  elle.  La  coutunie  diminue  Tadmira- 
tion  (2).   Une  nouveaute  mediocre  I'emporte 

(1)  Cuncta,  ut  ex  longinquo  aucta,  in  deterius  ad-> 
ferebantur.Ann.  2.  Quce  ex  longinquo,  in  majus  audte-^ 

hantur,  Ann.  4« 

(2)  C'est  comme  Tacite  Fen  tend ,  quand  il  dit  que  tout 
ce  qui  est  inconnu  est  fort  estina^  :  Omne  ignotum  pr^ 


11^  l'ii  o  m  m  e 


xi'ordinaire  sur  la  plus  haute  excclkncc  qui 
commence  a  vieillir.  II  est  done  besoin  de  re- 
naitre  en  valcur ,  en  esprit,  en  fortune ,  en 
toutcs  choses  ,  et  de  montrer  toujours  de  nou- 
velles  beautes  ,  commc  fait  le  solcil,qui  chan^^e 
si  souvent  d'horizon  et  de  theatre  ,  afin  que  hd 
privation  le  fasse  desirer  quand  il  se  couche, 
et  que  la  nouveaute  le  fasse  admirer  quand  il 
se  leve. 


MAXIME    LXXXIT. 

JVe  pas  Crop  approfondir  le  bien  ni  le  maL 

Un  sage  a  compris  toute  la  sagesse  en  oe 
precepte :  rien  de  trop.  Unc  justice  trop  exacie 
degenere  en  injustice.  L'orangc  qui  est  trop 
pressuree,  donne  un  jus  amer.  Dans  la  jouis- 
sance  meme,  il  ne  faut  jamais  aller  apas  une  des 

tnagnifico  est.  In  AgriCola.  Et  que  la  majeste'  a  a 
prince  est  plus  respecte'  de  loin  :  Majestati  major  e  lon- 
ginquo  reverentiui  Ann.j .  A  force  de  voir  les  objets  ,  dit 
I'auteur  des  Entretiens  d'Arlste  et  d' Eugene  ,  on  cesse 
de  les  admirer,  on  sj  accoutume,  on  s'y  apprivoise 
pourparler  ainsi.  On  ne  regarde  presque  plus  le  soleil 
que  quand  il  s'e'clipse,  parce  qu'on  le  voit  tous  les  jours 
et  qu'apres  I'avoir  une  fois  vu  on  n'j  de'couvrc  plus 
rien  de  nouveau.  Vojez  la  Maxime  169. 


*  DE    GOUR.  I  l^ 

extreniite.  L'esprit  meme  s'epuise  a  force  de 
se  rafliner.  A  vouloir  lirer  trop  de  lait ,  on  fait 
venir  le  sang.  ^ 


MAXIME    LXXXIII. 

Faire  de  petite s  fautes  a  dessein. 

Une  petite  negligence  sert  quelquefois  de 
lustre  aux  bonnes  qualites.  L'envie  a  son  oslra- 
cisme ,  ct  cet  ostracisme  est  d'autant  plus  a  la 
mode  qu  il  est  injuste.  EUe  accuse  ce  qui  est 
parfait  du  defaut  d'etre  sans  defaut  y  ct  plus  la 
chose  est  parfaite ,  plus  elle  en  condamne  tout. 
C'est  un  Argus  a  decouvrir  des  fautes  dans  ce 
qu'il  J  a  de  plus  excellent ,  et  peut-etre  en  depit 
de  ne  I'etre  pas.  11  en  est  de  la  censure,  comme 
du  foudrc  qui  d'ordinaire  lombe  sur  les  plus 
hautesmontagnes  (i).  II  est  done  a-propos  dc 

(i )  Feriuntqiie  summos  fulmina  montes ,  dit  Horace, 
Carrn.  lib,  2.  Ode  10. 

Dans  le  chap.  19  de  son  Heros  ,  il  commente  ce  pre- 
cepte-ci.  C'est,  dit-il,  un  trait  d'habile  liomme  de  faillir 
le'gerement  en  de  certaines  choses  pour  exercer  l'envie 
en  lui  donnant  quelque  chose  a  ronger.  11  j  a  des  hu- 
meurs  petri«s  de  fiel,  qui  savent  transformer  les  meilloures 
choses  ,  de'figurer  les  beaute's  ,  interpreter  sinistrement 
les  plus  raisounables  actions.  II  est  done  de  la  finepoli- 


4 


s'endormir  quelqiiefois,  comme  le  bon  homnie 
Homere,  ct  d'affecter  certains  manquemens ,  soit 
dans  I'esprit  ou  dans  le  courage  (mais  sansbles- 
ser  jamais  la  raison  )  ,  pour  appaiser  la  malveii- 
Jance,  et  empecher  que  Tapostume  de  la  mau- 
valse  humeur  ne  creve.C'est  la  jeter  sa  cape  aux 
yeux  de  I'envie ,  pour  sauver  sa  repulaiion  k 
jamais. 


MA  XI  ME    L  XX  XIV. 

S avoir  tirer  profit  de  ses  ennemis. 

TouTies  les  choses  se  doivent  prendre  non 
par  le  tranchant ,  ce  qui  blesserait ,  mais  par 

que  d'affecter  quelqiie  petit  de'faut ,  qui ,  donnant  a 
mordre  a  Tenvie^  attire  a  soi  tout  son  veniii  et  par  cette 
distraction  rempeclie  de  gagner  jusqu'au  coeur.  Quel- 
quefois  un  trait  irre'gulier  donne  plus  d'e'clat  ^  la  beaute 
d'un  visage.  Oil  est  le  diamant  sans  paille  et  la  rose  sans 
epines  ? 

LejeunePline  disaitd'un  habile  orateurde  son  temps  ^ 
Nihil  peccat  y  nisi  quod  nihil  peccat.  Ep.  26,  lib.  9.  II 
ne  manque  en  rien,  sinon  en  ce  qu'il  ne  manque  jamais. 
Et  Quiritilien  a  dit  qu'il  y  avait  des  gens  dont  les  d^fauts 
meme  plaisaient  a  tout  Je  monde.  In  quibusdam.  vitia 
ipsa  delectant,  Et  ce  que  dit  Ovide  au  5*.  Iivre.de  son 
Art  di  Aimer y  qu'il  y  a  certain  de'faut  de  la  langue  qui 
donne  de  la  grice  au  langage,  par  exemple,  le  parler 


D  E    C  O  U  R.  Il5 

la  poignee ,  qui  est  le  niojen  dc  se  defendre  ; 
a  plus  forte  raison  renvie.  Le  sage  tire  plus  de 
profit  de  ses  enneniis  ,  que  le  fou  ri'eii  tire  de 
ses  amls(i).  Lcs  cnvieux  servent  d'aiguillon 
au  saofe  a  surmonter  mille  dillicultes  ,  au  lieu 
que  les  flatteurs  en  detournent  souvent  (2)! 
Plusieurs  sont  rfedevables  de  lour  fortune  a  leurs 
envieux.  La  flatteric  est  plus  cruelle  que  la 
haine  ,  d^autant  quelle  pallie  des  defauts  oii 
celle-ci  fait  remedier.  Le  sage  se  fait  de  la 
haine  de  ses  envieux  un  niircfir  ,  oil  il  se  voit 
bien  mieux  que  dans  celui  de  la  bienveillance. 
Cc  miroir  iui  sert  a  corriger  ses  defauts  ,  et 
par  consequent  a  prevenir  la  medisance  ;*  car 
on  se  tient  fort  sur  ses  gardes,  quand  on  a  des 
rivaux  ou  des  enneniis  pour  voisins. 

gras ,  fin  vitio  decor  est  qucedam  male  reddere  verba) 
est  vrai  de  mille  autres  choses,  oii  la  ne'gligence  et  I'irre'"^ 
gularite'  font  un  agre'ment.       ^  :^ 

(i)  Pjtliagore  disait  que  ceux  qui  nous  repyennent 
nous  sont  plus  utiles  que  ceux  qui  nous  flattent.  Et  un 
autre  pliilosophe,  que  pour  devenir  liomme  de  bien,  il 
faut  avoir  ou  de  fldeles  amis  ou  de  rudes  enneniis. 

(2)  Lorsque  la  fortune,  dit  Machiavel,  veut  agrandir 
tin  prince,  elle  Iui  suscite  des  ennemis  et  des  ligues  pour 
exercer  son  courage  etson  industrie,  et  par  cette  e'chelle, 
le  faire  monter  a  un  plus  haut  degre'  de  puissance. 
Chap,  20  de  son  Prince. 


8 


iiG 


L  HO  MIME 


'ii-?\f- 


MAXIME    LXXXV. 

Ne  se  point  prodiguer. 

C'est  le  malhcur  de  tout  cc  qui  est  excellent, 
de  degenerer  en  abus  quand  on  en  fait  un  fre- 
quent usage.  Cc  que  tout  le  niQnde  reclierchail 
|pec  passion  ,  yient  cnfin  deplaire  a  lout  le 
monde.  Grand  malheur  de  n^etre  bon  a  rien  , 
comme  aussi  de  vouloir  etre  bon  a  tout!  Ces  gens* 
ia  perdcnt  toujo^rs  pour  avoir  voulu  trop  ga- 
gner  ,  a  la  fin  ils  sont  aussi  Ka'is  qu'ils  ont  ele 
cheris  auparavant.  Toutcs  les  perfections  sont 
sujeltes  a  ce  sort ,  des  qu'clles  pcrdent  le  re- 
nom  d'etre  rares ,  elles  ont  cclui  d'etre  vulgaires. 

Tout  ce  qui  est  excellent ,  dit-il  dans  son 
Dlscret  ^  au  chap.  No  ser  malilla^di  cc  malheur;5 
qua  force  d'etre  en  usage  ,  il  se  converiit  en 
abus.  Conime  tout  le  monde  le  reclierciie  avec 
empressement ,  d'exftelleni  ii  devient  bienlot 
commun ,  et  puis  en  cessant  de  passer  pour 
fare  ,  il  vient  a  etre  meprisc  comme  le  vulgaire. 
Chose  etrange!  sapropre  excellence  est  la  cause 
de  sa  mine  j  cet  applaudissement  univcrsel  so 
change  en  un  degout  universe!.  C'est  la, '  pour 
parler  ainsi ,  le  ver  qui  j  onge  ks  chosesles  plus 
plans ibles  en  toulc  sorte  d'emincnce.  Ce  ver 
iiaissant  de  leur  vogue  meme,  ct  se  nourrissant 


DE    COUR.  117 

de  roslentation  qui  s'en  fait ,  les  jette  enfin  par 
terre  ,  quclqiAC  haul  elevees  qu'ellcs  soient.  Le 
trop  d'eclat  est  cause  que  les  prodiges  meme 

passent  bientot  pour  des  choses  ordinaires 

C'est  la  rente  des  plus  cxcellentes  peintures  et 
des  plus  riches  tapisseries  d'etre  niises  en  vuc 
a  toutes  les  grandes  fetes.  Mais  a  force  d' avoir 
des  spectateurs  y  elle  rencontrent  beaucoup  de 
juges  qui  remarquent  les  defauts ,  d'oii  il  arrive 
bientot  qu'elles  passent  pour  des  pieces  com- 
munes  Le  plus  delicieux  manger  n'est  plus 

ai  savoureux  des  la  seconde  fois  ,  et  Ton  s'en 
degouie  a  la  iroisieme.  S'il  en  est  ainsi  de  la 
nourriture  materielle  ,  que  sera-ce  de  celle  de 
Fame ,  des  dclices  de  I'entendement  ?  Le  gout 
de  I'esprit  est  delicat ;  plus  Tesprit  est  grand  et 
plus  ce  gout  est  difficile  a  contenter. 
rien  qui  vaille  unc  excellente  rarete. 
a  toujours  etc  eslime. 

A  mesure  qu'un  homme  excellent  en  savoir  , 
en  prudence  ou  en  probite  ,  se  retire  ,  il  se  fait 
desirer,  parce  que  sa  retraite  augmente  I'envie 
et  le  plaisir  de  le  voir.  Tout  menagement  est 
salutaire  et  donnc  plus  d'apparence;  d'oii  de- 
pend la  duree  de  la  reputatioh.  Cela  est  meme 
d'usage  a  I'egard  de  la  beaute  ,  dont  I'ostenla- 
tion  est  incontinent  punie  d'une  diminution 
d'estime  et  puis  d'un  yrai  mcpris.  Ah!  que  ce 


ter.  II  rij  al 
e.  Le  difficile  I 


1*1 8  l'  HOMME 

nial  \nilgairc  fut  Lien  connu  ,  bien  prevu  par 
celte  fameu^e  maitressede  JXeron,  Sabina  Pop: 
pea  5  qui  sut  niieux  que  personne  du  monde  , 
faire  valoir  une  rare  beaute  !  car  il  en  res  fait 
toujours  beaucoup  plus  a  voir  qu'elle  n'en  mon- 
trait.  II  ne  \u\  sullisait  pas  d'en  epargner  la  vue 
aux  autres  ,  eile  se  repargnait  encore  a  soi- 
nieme.  Un  jour  eile  faisail  entrevoir  ses  jeux 
€t  son  front ,  une  autre  fois  sa  bouche  et  ses 
joues  J  sans  laisser  jamais  echapper  le  reste  a 
son  voile  (i)  :  par  oii  eile  se  concilia  force  ado- 
rateurs.  C'esl  une  grande  lecon  que  de  savoir 
se  faire  estimer ,  et  de  savoir  si  bien  exposer 
en  vente  un  grand  talent ,  que  le  desir  univer- 

(i)  Cela  est  tire  de  Tacite  qui  parled'e'lle  en  ces  termes  : 
Modestiam-  prceferre,  et  lascivid  utl;  rarus  inpublicum 
egi^essus ,  idque  velata  parte  oris ,  ne  satiaret  aspec- 
tiun;vel  quia  sic  decehat.%dnn.  i5.  Et  quelques  lignes 
apres  il  ajoute  que  des  qu'elle  vit  Ne'ron  epris  d'elle  ,  au 
lieu  de  le  caresser  comrae  eile  faisait  auparavant,  elle 
commenca  de  faire  la  difficile  et  I'impe'rieuse  et  de  ne 
pas  vouloir  rester  plus  d'une  nuit  ou  deux  avec  lui ,  sous 
( ouleur  de  I'amour  extreme  qu'elle  feignait  avoir  pour 
Otlion  son  mari.  Primiun  per  hlandimenta  et  artes 
val^scere ,  se  fonna  Neronis  captain  simulans  ;  mox 
acri  jam  principis  amore  ad  superbiamvertens ,  si  ul- 
tra unam,  alteramque  nocteni  attineretur,  nuptain  esse 
se  dictitans  ,  nee  posse  inatrimonimn  ainittere ,  de- 
vinctam  Oihoni  pergejius  intcv  ,  quod  nemo  adcequaret. 


DE    COUR.  119 

sel  y  mette  Fendiere.  Cette  adresse  est  agrea- 
blement  enselgnee  par  Texemple  qui  suit.  Uu 
Indien  qui  avait  quantite  de  riches  emeraudes , 
en  montra  une  a  un  habile  joaillier  pour  en 
f aire  le  prix  j  celui-ci  la  paja  en  admiration. 
Ulndien  en  ajant  tire  une  seconde ,  qui  etail»^ 
encore  plus  belle  ,  le  joaillier  I'estima  la  moilie 
moins ,  comme  aussi  la  troisieme  et  la  quatrieme 
a  proportion.  De  sorte  que  Tlndien  fort  surpris 
de  voir  qu'a  mesure  qu'il  montrait  quelque 
chose  de  plus  beau  ,  I'autre  y  mettait  un  plus 
bas  prix ,  en  apprit  la  cause  qui  nous  servira 
d'enseiguement.  C'est ,  dit  le  joaillier ,  que  Ta- 
bondance  meme  du  precieux  se  decredite  soi- 
nieme,  aitendu  que  des  que  la  rarete  cesse  , 
Fes  lime   s'en  va. 

El  dans  le  chap.  7  de  son  Hews.  La  plura- 
lite  se  decrite  soi-meme  ji;isque  dans  les  choses 
du  plus  haut  prix ;  au  contraire  ,  la  rarete  met 

Fenchere  a  une  perfection  mediocre C'est 

done  une  adresse  non  commune  d'inventer  une 
nouvelle  route  pour  se  rendre  excellent  ,  et 
pour  devenir  celebre.  II  j  a  bien  des  chemins 
qui  menent  a  la  singularite ,  mais  ils  ne  sont 
pas  tons  frajes.  Les  plus  nouveaux,  bien  quils 
soient  les  plus  difliciles ,  sont  pourtant  les  plus 
courts  pour  arriver  a  la  grandeur. 

L'uniquc  remede  de  tout  ce  qui  excclle,  est 


J20  L  HOMME 

/de  garder  un  milieu  dans  son  eclat.  L'exces 
dolt  etre  dans  la  perfection  ,  et  Ic  temperament 
dans  la  maniere  de  la  montrer(i).  Plus  une 
torche  eclaire  et  moins  elle  dure.  Ce  qu'on  re- 
tranche  a  I'apparence  ct  a  I'ostentation  est  re- 
compense avec  usure  en  estime(2). 

(i)  Tacite  loue  son  Beau-pere  d'avoir  ete  sage  avec 
mesure  et  de  n'avoir  jam;) is  rien  fait  ni  rien  dit  par 
ostentation.  Retinuit,  quod  est  difficillimum ,  ex  SU". 
pientia  modum.  Nihil  appetere  jactatione ,  nee  un- 
ijuam  in  suam  fcnnam  gestis  exultavit.  In  Agricola. 

(2)  Te'moin  Agricola,  qui,  ajant  remportc  une  grande 
victoire  sur  les  Anglais,  bien  loin  de  tirer  vanite'  de  la 
prospe'rite'  de  ses  armes ,  ne  voulut  pas  seulement  mettre 
une  feuiile  de  laurier  dans  la  relation  qu'il  envoja  a 
rEmpereur  commec'c'tait  la  coutume,  ni  meme  appeler 
ce  succes  du  nom  de  victoire  :  sur  quoi  Tacite  >dit,  qu'il 
augmenta  sa  gioire  en  la  su23primant,  n  j  ayant  pe^sonue 
qui  ne  dit  qu'un  homnic*  qui  ne  faisait  pas  valoir  de  si 
grandes  choses,  en  roulait  sans  doute  d'extraordinaires 
dans  son  esprit.  Nee  Agficola  prosperitate  rejourn  in 
7)anitatem  usus ,  expeditionem  aut  inctoriam  vocabat; 
ne  laureatis  quidejn  gesta  prosecutus  est  :  sed  ipsa 
dissimulatione  famce  famam  auxit  ,  cestimantibu% 
quanta  futuri  spe  tarn  magna  tacuisset  :  Et  plusieurs 
pages  apres.  Hunc  rerum  cursuni  Jiulld  verhoruin  jac~ 
tantid epistolis  Agricolx  auctum.  Jn  Vita.  Ainsi  Tacite 
a  bien  raison  de  dire,  que  sa  modestie  le  mettait  a 
convert  de  I'envie  mais  sans  lui  de'rober  sa  gloire.  Ve-' 
recundid  in  pra^dicando  ,    extra  invidiam ,    nee  extra 


DE    COUR.  121 

MAXIME    LXX:^VI. 

Se  munir  contre  la  medisance. 

Le  vulgaire  a  foeaucoup  de  tetes  ct  de  langues , 
et  par  consequent ,  encore  plus  d  jcux.  Qu'il 
coure  un  niauvais  bruit  parmi  ces  langues ,  il 
ne  faut  que  ccla  pour  tcrnir  la  plus  haute  re- 
putation ;  ct  si  ce  bruit  yient  a  se  tourner  eu 
sobriquet  ,  e'en  est  fait  pour  jamais  de  tout  ce 
*qu'un  hommc  avait  acquis  d'estime.  Ces  rail- 
leries tombent  d'ordinaire  sur  de  certains  de- 
fauts  qui  sautent  aux  jeux  ,  et  qui  pour  etre 
singuliers ,  donnent  ample  maliere  aux  lardons. 
Et  comme  ily  a  des  imperfections  que  I'envie 
particuliere  etale  aux  yeux  de  la  malice  com- 
mune -y  il  y  a  aussi  des  langues  affile es  qui  de- 

gloriam  erat  Ibid.  Au  contraire  ,  Tacite  tourne  en^ 
ridicule  ce  Ce'sennius  Petus  qui  ravalait  la  gloire  de 
Corbulon,  pour  relever  la  sienne^  et  qui,  pour  avoir 
pris  quelques  chateaux,  e'crivit  des  lettres  fastueuses  a 
Neroii ,  comme  s'il  eiit  e'te'  le  maitre  de  toute  I'Arme'nie , 
et  qu'il  eut  mis  fin  a  cette  guerre,  ou  peu  de  jours  apres 
il  fut  pe'ri  s'il  n'eut  dte'  secouru  a  propos  par  Corbulon. 
Despiciebat  gesta  ,  usurpatas  nomine  teniis  urbium 
expughationes  dictitans...  Composuitque  ad  Cesarem 
literas,  quasi  confecto  bello  verbis  magnijicis ,  rerum 
vacuas.jinn,  i5. 


122  I,  HOMME 

tiniisent  plus  promptement  une  grandc  repu- . 
tation  avec  im  mot  jete  en  1' air,  que  nc  font 
d'autres  avec  toute  leur  impudence.  11  est  tres- 
facile  d' avoir  mauvais  renom,  parce  que  le  mal  so 
croit  aisement,  et  que  les  sinistres  impressions 
sont  tres-difficiles  a  efFacer.  C'est  done  au  sage 
a  se  tcnir  sur  ses  gardes ,  car  il  est  plus  aise  de 
prevenir  la  medisance  que  dy  remedier.j 


MAXIME    LXXXVII.  ^ 

Cultiver  et  emhelUr. 

L'hOxMMe  nait  barbare  ,  il  ne  se  rachete  de 
la  condition  des  betes  que  par  la  culture  j  plus 
il  est  cultive,  plus  il  devient  homme(i).  C'est 
a  I'cgard  de  I'education  que  la  Grecc  a  eu  droit 
d'appeler  barbare  tout  le  reste  du  monde.  II 
n  J  a  rien  de  si  grossier  que  Ti^norance  ,  ni 
rien  qui  rende  si  poli  que  le  savoir.  Mais  la 
science  meme  est  grossiere ,  si  elle  est  sans  art. 
Ce  n  est  pas  assez  que  Tentendemenl  soit  eclaire, 
il  faut  aussi  que  la  volonte  soit  rcglee ,  et  en- 
core plus  la  maniere  de  converser.  II  j  a  des 
hommes  naturellement  polis,  soit  poui^  la  con- 

(i)  C'est  en  ce  sens  que  Socrate  disait  que  le  savoir  et 
rignorance  e'taient  les  principes  du  Lien  et  du  mal. 


D  E    C  O  U  R.  125 

ception  ou  pour  le  pai  ler  j  pour  les  avantages 
du  corps  qui  sout  comme  I'ecorce ,  ou  pour 
ceux  de  I'esprit ,  qui  sont  comme  les  fruits.  II 
y  en  a  d'autres  au  contraire  si  grossicrs  ,  que 
routes  leurs  actions ,  et  quelquefois  memc  dc 
riches  talcns  qu'ils  ont ,  sont  defigures  par  la 
rusticite  de  leur  humeur. 


MAXIME    LXXXVIII. 

S'etudler  a  avoir  les  manieres  sublimes. 

Un  grand  homme  ne  doit  jamais  etrc  vetu- 
leux  en  son  procede.  II  ne  faut  j  amais  uopcpin- 
chcr  les  choses ,  surtout  cclles  qui  ne  sont  guere 
agreables  j  car  bien  qu'il  soit  utile  de  tout  re- 
marquer  en  passant ,  il  n'en  est  pas  de  meme 
de  vouloirexpresseftient  tout  approfondir.  Pour 
I'ordinaire  il  faut  proceder  avec  un  degage- 
ment  cavalier  -,  ce  qui  fait  partie  de  la  galante- 
ric.  Dissimuler  est  le  principal  mojen  de  gou- 
verner.  11  est  bon  de  laisser  passer  quanlite  de 
choses  qui  survicnnent  dans  le  commerce  de 
la  vie ,  niais  particulicrement  parmi  ses  enne- 
mis  (i).  Le  trop  est  toujours  ennujeux ,  et  dans 

(j)  Salomon  dit  que  le  fou  montre  tout  d'abord  son 
ressentiment ,  au  lieu  que  celui  qui  est  prudent  le  dis-i 


Thumeur  il  est  insupportable.  C'est  une  cspece 
de  fureur  que  d'aller  chercher  le  chagxin  ,  et 
d'ordinaire  la  nianiere  d'agir  est  telle  qu'est 
I'humeur  dans  laquelle  on  agit.  Nos  actions 
prennent  le  caractere  de  Fhumeur  oil  nous 
sommes  ,  quand  nous  les  faisons. 


MAXIME    LXXXIX. 

Connaitre  parfaitement  spn  genie  y  son  esprit , 
son  coeur  et  ses  passions  (*). 

UoN  ne  saurait  etre  maitre  de  soi-nieme  , 
que  Ton  ne  se  connaisse  a  fond.  H  j  a  des  mi- 
roirs  pour  le  visage,  mais  il  n'y  en  a  point  pour 
I'esprit  (i).  II  y  faut  done  suppleer  par  une  se- 

aimiile.  Fatuus  statim  indicat  iram  suam;  qui  autem 
dissimulat  injuriam ,  callidus  est.  Prov.  12,  v.  16. 
Philippe  II,  roi  d'Espagne  feignait  de  ne  pas  savoir 
plusieurs  offenses  qu'on  lui  fesait,  disant  qu'il  j  a  des 
temps  qu'il  faut  faire  semblant  d'ignorer.  DicJios  j  he- 
chos  de  Don  Filipe  II.  cap.  7.  Vojez  la  Maxime  98 
et  son  commentaire. 

"^  Vojez  la  Maxime  54. 

(i)  A  raison  de  quoi  Lucien  a  dit  par  la  bouche  de 
son  bouffon,  qu'il  manquait  aThomme  une  2)etite  fenetre 
a  I'estomac  ,  jiour  de'couvrir  ce  qu'il  a  dans  le  coeiir. 
Disc.  25.  de  son  Agudeza. 


DE    COUR.  125 

rieuse  reflexion  sur  soi-meme.  Quand  Fimage 
exterieure  s'echappera  ,  que  Finterieure  la  re- 
tienne  et  la  corrige.  Mesure  tes  forces  et  toa 
adresse  avant  que  de  rien  enlreprendre  -,  con- 
nais  ton  activite  pour  I'engagcr ;  sonde  ton 
fonds  et  sache  oil  peut  allcr  ta  capacild  pour 
toutes  choses. 


M  A  X I  M  E    X  G. 

Jl^        Le  mojen  de  vwre  long-temps, 

C'est  de  vivre  bien  (i).  II  j  a  deux  choses 
qui  abregent  la  vie ,  la  folic  et  la  mcchancete  j  les 
uns  I'ont  perdue  pour  n' avoir  pas  su  la  conser- 
ver ,  Ics  autres  pour  ne  Tavoir  pas  voulu.  Comme 
la  vertu  est  elle-meme  sa  recompense  ,  le  vice 
est  lui-meme  son  bourreau.  Quiconque  vit  a  la 
hate  dans  le  vice,  mcurt  bientot  et  en  deux  ma- 
nic res  I  au  lieu  que  ceux  qui  vivent  a  la  hate  1 
dans  la  vertu, nc  meurent  jamais (2).  L'inlegrite 

(1)  Un  pliilosoplie  disait  qu'il  etait  arrive  a  la  vieil- 
iesse  en  vivant  sagement;  car,  la  sante',  dit  Juan  Rufo, 
jse  donne  par  dragmes  et  la  maladie  par  livres. -^/70- 
phtegme  466. 

(2)  Antistene  disait  que  le  chemin  de  riwimortalit^ 
e'tait  de  bieu  vivre. 


X26  l' HOMME 

de  Fesprk  se  communique  au  corps ,  etlabomie 
vie  est  toujours  longue,  non  seulemcnt  dans 
V intention^  mais  meme  dans  I'extension  (i). 


MA  XI  ME    XCI. 


A  sir  sans  crainte  de  man 


^b 


cjuer. 


La  crainte  dene  pas  reussir  decouvrelefaible 
decelui  qui  execute ,  a  son  rival.  Sidansladialeur 
meme  de  la  passion,  Fesprit  est  en  suspens, 
des  que  ce  premier  feu  sera  passe  ,  il  se  repro- 
chera  son  imprudence.  Toutes  \q?>  actions  qui 
se  font  avec  doute  ,  sont  dangereuses  ,  il  vau- 
drait  mieux  s'en  abstenir.  La  prudence  ne  se 
contente  point  de  probabilites  ,  elle  marche 
,  toujours  en  plein  jour.  Comment  reussirait  une 
entreprise  que  la  crainte  condamne ,  des  que 
I'esprif  Fa  concue?  Et  si  la  resolution,  qui  a 
passe  a  toutes  voix  dans  le  conseil  de  la  raison, 
a  souvent  une  mauvaise  issue,  qu'attendre  de 

(i)  Cela  est  dit  dans  le  sens  que  Tacite  dit  qu'Agricola 
avait  v^cu  tres-long-temps,  quoiqu'il  iie  fiit  age  que  de 
cinqtiante-six  ans ,  puisqu'il  avait  joui  de  tous  les  ve'rf- 
tables  biens  qui  consistent  en  lavcrtu.  Quanquam  medio 
in  spatio  integrce  cetatis  ereptus ,  quantum  ad  gloriam 
tongissimum  tevum  peregit.  Quippe  vera  bona  ^  qua; 
in  vii'tutibus  sita  sunt,  impleverat.  In  Vita. 


DE   COUR.  127 

cle   des  le  commence 
dans  la  raison  et  dans  le  pressentiment  ? 


celle  qui  a  chanccle   des  le  commencement  ,1 


MAXIME    XGII. 

JJ esprit  trans cendant  en  toutes  choses, 

Cest  la  principalc  regie  ,  soit  pour  agir  ou 
pour  parler.  Plus  Ics  emplois  sont  sublimes  , 
et  plus  cet  esprit  est  neccssaire.  Un  grain  de 
prudence  vaut  mieux  qu'un  magasin  de  subti- 
lite.  C'est  un  chemin  qui  mene  a  rinfaillible , 
quoiqu'il  n'aille  pas  lant  2lu  plausible,  QuoiquG 
le  renom  de  sagesse  soit  le  triomplie  de  la  re-, 
nommee  ,  il  suflira  de  contenter  les  sages,  done 
Tapprobation  scrt  de  pierre  de  touche  aux  en- 
treprises. 


MAXIME    XCIII. 

Uhomme  universel. 

Uhomme  qui  possede  toutes  sortes  de  per- 
fections ,  en  vaut  lui  seul  beaucoup  d'autres  ^  il 
rend  la  vie  heureuse  en  se  communiquant  a  ses 
amis.  La  variete  jointe  a  la  perfection  ,  est  le 
passe-temps  de  la  vie.  C'est  une  grande  adresse 
que  de  savoir  se  fournir  de  lout  ce  qui  est  bon; 


128  11^  H  O  M  M  E 

el  puisque  la  nature  a  fait  en  rhommc ,  comme 
en  son  plus  excellent  ouvrage,  un  abregc  de  tout 
Tunivers  ,  Tart  doit  faire  aussi  de  I'esprit  de 
Fhomme  un  univers  de  connaissance  et  de  vcrtu. 


MAXIME    XC  IV. 

■  Ccipacite  inepuisahle. 

Que  Phabile  homme  se  garde  bicn  de  laisser 
sender  le  fond  de  son  savoir  et  de  son  adrcsse , 
s'il  veut  etre  revere  de  chacun  j  qu'il  se  laisse 
connaitre  ,  mais  non  comprendre  j  que  per- 
sonnc  n'ait  sur  lui  I'avantage  de  trouver  les 
bornes  de  sa  capacite ,  de  peur  qu  on  ne  yicnne 
a  se  dctromper )  qu'il  se  menage  si  bicn  que 
personne  ne  le  voic  tout  entier.  L'opinion  ct 
le  doute  attirent  plus' de  veneration  a  celui  de 
qui  Ton  ne  connait  pas  Tctendue  de  I'esprit , 
que  ne  fait  la  connaissance  entiere  dc  ce  qiiil 
est ,  si  grand  et  si  habile  quil  puisse  etre. 

L'auteur  commente  excellemment  cet  aphorisme  dans 
le  chap,  jiremier  de  son  Heros. 

Comme ,  dit-il  ,  personne  n'osc  passer  une 
riviere  a  pied ,  jusqu'a  ce  qu'il  ait  trouve  son 
gue ,  de  meme  un  homme  est  revere  tant  que 
Ton  ne  voit'point  le  fond  de  sa  capacite,  d'au- 
tant  que  la'  profondeur  inconnue  ,  et  par  con- , 


I 


D  E      C  O  U  R.  129 

Sequent  presumee  grande ,  se  fait  respecter  par 
la  crainte.  Si  celui  qui  decouvre  devient  Ic 
maitre  de  celui  qui  est  decouvert,  ainsi  que  dit 
le  proverbe ,  celui  qui  sc  tient  sur  ses  gardes 
n'est  jamais  surpris.  Que  I'adresse  de  rhomme 
d'esprit  contrepoiute  la  curiosite  de  celui  qui 
s'applique  a  la  connaitre ;  car  c'est  dans  les 
commencemens  d'une  tentative ,  que  la  cu- 
riosite met  toutes  ses  ruses  en  oeuvre....  Si 
Ton  ne  pent  pas  etrc  infini  ,  il  faut  du  moins 
tacher  de  le  paraitre.  Le  Sage  de  Mitjlene  (*) 
avait  raison  de  dire ,  que  la  moitie  est  plus 
que  le  tout ,  attendu  qu'une  moitie  en  montre, 
et  I'autre  en  reserve  ,  vaut  mieux  qu'un  tout 
declare...  Toi  done  ,  qui  aspires  a  la  grandeur, 
ct  qiii  es  un  des  candidats  de  la  rcnommee  , 
garde  bien  ce  precepte  :  Que  tout  le  moude 
te  connaisse ,  mais  que  personne  ne  te  con- 
naisse  a  fond.  Par  cetle  Industrie,  ton  peu 
paraitra  beaucoup  davantage ,  et  ton  davan- 
tage  infini. 

*  Pittacus, 


1 3o  l'  h  o  m  m  e 

MAXIME    XGV. 

S avoir  entretcnir  Vattente  cVautrui  (i), 

L£  moyeii  de  I'entrclenir  est  de  \m  four- 
nir  tou jours  de  nouvelle  nourriture  ( 2  ).  Le 
beaiji<X)Tjqj  dokpromettre  davantage ,  uiie  g^rande 
■^ctiati  doit  servir  d'aiguiHon  a  d'autres  emcore 
plus  graudes  (5).  11  iie  faut  pas  tout  montrer 

(i)  L'habile  liomme,  dit~il,  au  chap,  premier  die  son 
He'ros ,  qui  veut  venir  a  bout  d'une  chose  difficile ,  ne 
s'en  tient  pas  au  premier  coup  d'essai  5  du  premier  il 
passe  au  second,  et  toujours  il  avance. 

te  jeune  Pline,  dit  que  Trajan  e'tait  tons  les  jours  et 
meilleur  et  plus  admirable.  Tu  quotidie  admirahilior 
etmelior.  Dans  son  Pane'gryique. 

(2)  Macliiavel  dit  que  Ferdinand ,  roi  d'Aragon  , 
ourdissait  toujours  de  nouveaux  desseins  qui  tenaient  \es 
esprits  dans  I'attente  de  I'eVenement  ,  et  leur  otaient 
I'envie  de  raisonner  d'autre  chose.  Chap.  21  de  son 
Prince. 

(5)  Ce  pre'cepte  s'adresse  particulierement  aux  princes. 
Un  roi,  dit-il,  daqs  son  Ferdinand y  ne  doit  jamais  etre 
oisif ,  parce  qu'il  a  une  grande  charge  a  faire.  Quand 
il  a  acheve'  une  chose  il  en  doit  commencer  une  autre. 
Cesar,  le  plus  grand  homme  qui  fut  jamais,  pratiqua 
bien  cette  maxime.  Quand  il  n'eut  plus  de  provinces  a 
conque'rir ,  il  entreprit  d'applanir  les  montagnes.  Apres 
avoir  fait  la  loi  aux  hommes,  il  voulut  la  faire  aux 
mers  et  aux  rivieres.  Sur  quoi  le  judicieux  Patercule  a 


BE    COUR.  151 

des  la  premiere  fois.  C'est  un  coup  d'adresse 
de  savoir  mesurer  ses  forces  au  besoin,  et  au 
temps ,  et  de  s'acquitter  de  jour  en  jour  de  ce 
que  Ton  doit  a  Tattente  publique. 


MAXIME     XCV  iv 

La  sjn(Mrese, 

C'est  Ic  trdiie  de  la  raisoii ,  et  la  base  de  la 
prudence.  Quand  on  laconsulte,  il  est  aise  de 
ne  point  faillir.  C'est  un  doii  du  ciel ,  et  qui , 
de'  I'importance  qu'il  est ,  ne  saurait  etre  trop 
desire.  C'est  la  premiere  piece  du  hamois  de 
i'homme •  et  ellelui  est  si  neccssaire,  quelle  lui 
suffirait ,  quand  meme  tout  le  reste  lui  man- 
querait.  Toutes  les  actions  de  la  vie  depen- 
dent de  son  influence ,  et  sont  estimees ,  bonnes 
ou  mauvaises,  selon  quelle  enjuge,  attendu 

bonne  grace  de  dire  <j»e  4« -Hftor-t  qui  lui  avait  pardonn^ 
tant  de  fois  dans  les  batailles ,  le  j^rit  des  les  premiers 
niois  qu'il  commencait  a  se  i^poser.  Neque  itli  tanto 
viro  plus  quiiique  mensium  principalis  qiiies  contigit. 
Hist,  2  num.  56.  Le  jeune  Pline  loue  Trajan  de  ce 
qu'apres  avoir  expe'die'  les  affaires  qui  pressaient,  toute 
sa  r.e'cre'ation  e'tait  de  changer  de  travail.  Quod  si  quando 
cwn  injluentibus  negotiis  pari  a  fecisti ,  ins  tar  refec- 
tionis  eodstifnas  mutatiorvem  lab  oris. 


l52  J.' HOMME 

que  tout  doit  etre  fait  par  raison.  Elle  consiste 
dans  une  inclination  naturclle  ,  qui  porle  a 
I'equite  ,  ct  prend  toujours  le  parti  le  plus 
sur. 


MAXIME    XCVIT. 

Acquerir  et  conserver  la  reputation. 

C'est  I'usufruit  de  la  renommee.  La  reputa- 
tion coute  beaucoup  a  acquerir,  j^arce  qu'il 
fiiut  pour  cela  des  qualites  eminentes  ,  qui  sont 
aussi  rares ,  que  Ics  mediocres  sont  communes ; 
une  fois  acquise,  il  est  aise  de  la  conserver  j  elle 
engage  beaucoup  ,  et  fait  encore  davantage, 
C'est  une  espece  de  majeste ,  lorsqu'elle  s'em- 
pare  de  la  veneration,  en  vertu  de  la  sublimite 
de  sa  cause  et  de  sa  sphere.  Mais  la  reputation 
substantielle  est  celle  qui  a  toujours  etc  biea 
soutenue. 


MAXIME    XCVIIL 

Dissimulev, 

Les  passions  sont  les  breches  de  Fesprit.  La 
science  du  plus  grand  usage  est  Fart  de  dissi- 
muler.  Celui  qui  niontre  son  jeu ,  risque  de 


BE    COUR.  lS3 

pcrdre.  Que  la  circonspection  combatte  contre 
la  curiosite.  A  ces  gens  ,  qui  eplucherit  dc  si 
pres  les  paroles  ,  couvr6  ton  coeur  d'une  haic 
de  defiance  et  de  reserve.  Qu'ils  ne  connais- 
sent  jamais  ion  gout ,  de  peur  qu'ils  ne  te  pre- 
viennent ,  ou  par  la  contradiction ,  ou  par  la  , 
flalterie. 

Celui  qui  se  rend  a  ses  passions ,   dit-il  au 
chap.  2  de  son  Hews  y  descend  de  la  condi- 
tion de  riiomme  a  celle  de  la  bete;  au  lieu  que/ 
Qelui  qui  les  dcguise  conserve  son  credit ,  du 
'moins   en   apparence.   Nos   passiong^snnt  \os^ 


eyanguissemcns  de  notre  reputation.  Qui  de  sa 


volonle  en  sait  faire  un  mystere/est  souv.m:am 


dc  soi-meme.   Penctrer    la   volonte  d'autrui ^ 


^£^est.    1.7    marque  dun  esprit  sublime  :   s avoir 
cacher^lasienne  J  c^estprendre  la  superiorite. 


™~— -— ■  ■  n— r-j-T-        J . l^^lin  ill    I.  '  '  '"   ' 

.S!iI-^lHHiy ' .^B^SSESf^^  ^^  P^^^^^  *   ^^^^   ouvri^- 
'fa  poruTcLe^Ja  forteresse^e  son  esprit.  Cest 
par  cet    endroit  que   les    ennemis    polltiques 
donncnt  I'assaut,  et  tres-souvent  avec  succes. 
Les   passions  une    fois  connues  ,    on    connait 
toules  les    entrees  et  toutes  les   sorties  de  la 
volonte ,  et  y  par  consequent,  on  lui  pent  com- 
mander a  toutes  heures.  II  faut  done  ,  quui 
Jiabile     homme    sjjpplique    premierement    ^ 
i^^Qj^ptc^  difisimu- 

j£.i}_jjrvTj^   tant   d\?.drcsse  ^     que  Bid   rspion  ng 


■'^'m 


i34  l'ho3ime 

£uisseja£iaisdichiflre  sa  pcDsee^(i).  Cetie 
maxmie  cnscigne  a  devenir  habile,  quand  on 
ne  Test  pas ,  et  a  cacher  si  finement  lous  ses 
defauts ,  que  tons  ccs  ijnxs  et  ces  espioiis  de 
la  route  d'aulrui ,  s'egarent  a  force  de  clier- 
cher.  Cette  amazone  cathoiique  d'Espagne  ^// 
parle  dc  la  reine  Isabelle  ,  ferame  de  Ferdi- 
nand ,  aiei{le  de  Charles-Quint )  peut  servir 
de  modele  en  cette  science.  Pour  accoucher, 
elle  s'enferniait  dans  le  lieu  le  plus  obscur  et 
le  plus  secret  du  palais ,  pour  couvrir  d'un 
\:oile  de  lenebres  les  grimaces  et  les  contor- 
sions  qu' elle  pouvait  faire  dans  le  fort  du  mal , 
et  soustraire  aux  oreilles  les  cris,  ou  les  plalnles 
qui  lui  pouvaient  echapper  (2).  Si  elle  gardait 
lant  dc  mesures  de  bienseance  et  dc  naajeste.^, 

(i)  Alexandre  de  Me'dicisj  premier  due  de  Florence,  --• 
se  vantait  d'etre  le  concierge  de  son  sdbret  et  dejie  I'avoir  :, 
jamais  laisse'  passer  de  son  coeur  a  sa  bouclie.  La  reine— ^ 
Catlierine  e'lait  done  bien  sa  soeur. 

(2)  Isabelle  de  Portugal ,  mere  de  Philippe  II  e'tant  en 
travail  de  lui,  fit  eteindre  toutes  les  lumieres,  afin  que 
si  la  violence  du  mal  la  faisait  changer  de  visage,  per- 
son np  ne  piit  s'en  apercevoir.  Et  comme  la  sagc-femme 
lui  disait  :  Madame  jetez  un  grand  cri ,  cela  vous  fera 
mieiix  accoucher;  elle  repondit  en  son  Ian  gage  portu- 
j^ais  :  Ne  me  donnez  point  de  tels  conseils ,  car  lai-  ^, 
nierais  mieux  mourlr  que  de  crier.  Dichos  j'  hechgs  ^ 
de  Don  Filipe  II ^  chap.  1 .  ^^^ 


DE    COUR.  l3S 

en  des  occasions  ,  oii  lout  est  excusable ,  com- 
bien  sc  fut-elle  menagee  dans  celles  oil  il  eut 
fallu  soutenir  &a  reputation  ? 


MAXIME    XCIX. 

ha  realite  et  I'apparence, 

Les  choscs  ne  passent  point  pour  ce  qu'elles^ 
sont  ,  mais  pour  ce  dont  eHes  ont  Fapparencc. 
II  ny  a  guere  de  gens  qw  voient  jusqu'au  de- 
dans ,  presquc  tout  le  nionde  se  contente  des^ 
apparences  (i).  H  ne  suffit  pas  d' avoir  bonne 
intention  ,  si  Taction  a  mauvaise  apparence. 


m- 


'  MAXIME    C 

U Homme  des  abuse,   he    Chretien  sage,   he 
Courtisan  philosophe, 

Il  faut  Tetre ,  mais  ne  le  pas  paraitre  ,  en-Y 
core  moins  afFecter  de  passer  pour  tel.  Quoi- 

(i)Laplupart  des  hommcs,  dit  Machiavel  au  chap.  i8 
de  son  Prince,  jugent  plus  par  les  yeux  que  par  les 
mains ,  chacun  ayant  la  lil?erte'  de  voir ,  mais  tres-peu 
ajant  celle  de  toucher.  Chacun  voit  ce  que  tu  parais 
etre,  mais  presque  personne  ne  connait  ce  que  tu  es... 
Le  vulgaire  ne  s'arrete  qu'aux  apparences,  et  il  n'y  a 
presque  dans  le  monde  que  le  vulgaire. 


i^S  l'hommk 

que  le  plus  digne  exercice  des  sages  soit  dc 
philosopher ,  il  n'est  plus  atijourd'hui  en  crcr 
dit.  La  science  des  habiles  gens  est  mepnsee. 
Apres  que  Seneque  reut  introduite  a  Rome, 
elle  fut  quelque  temps  en  estime  a  la  cour  , 
et  maintenant  elle  y  passe  pour  folie  :  mais  la 
prudence  et  le  bon  esprit  ne  se  repaissent  pas 
de  prevention. 


MAXIME    CI. 

ZIne  partie  du  monde  se  moque  de  Vautre  y  et 
Vune  et  Vautre  rient  de  leur  jolie  commune. 

Tout  est  bon  ou  mauvais  ,  selon  le  caprice 
des  gens  j  ce  qui  plait  a  I'un  deplait  a  Fautre. 
C'est  un  insupportable  fou  que  celui  qui  veut 
que  lout  aille  a  sa  fantaisie.  Les  perfections  ne 
dependent  pas  d'une  seule  approbation.  II  y 
kn  autant  de  gouts  que  de  visages,  et  autant  de  ^ 
difference  entre  les  uns  qu'enire  les  autres. 
Wul  defaut  n'est  sans  partisan ,"  et  "il  rie  faiir 
point  te  decourager ,  si  ce  que  tu  fais  ne  plait 
pas  a  quelques-uns ,  attendu  qu'il  y  en  aura 
toujours  d'aiitres  qui  en  feront  cas.  Mais  ne 
t'\2norgueillis  point  de  Tapprobation  de  ceux- 
ci/  d' autant  que  les  autres  nelaisseront  pas 
dc  te  censurer.  La  regie  pour  connaitrc  ce  qui 


D  E    C  OUR.  V  157 


est  dlgnc  d'estinie  ,  c'est  Fapprobation  des  gens 
de  merite,  et  des  personnes  reconnues  capa-  ^ 
hies  d'etre  bons  juges  de  la  cliose.  La  vie  ci-^ 
vile  ne  roule  pas  sur  un  seul  avis  ,  ni  &ur  uii 


seul  usage. 


MAXIME    CII. 

Estomac  hon  a  reces>oir  Ics  grosses  bouclwes 
de  la  fortune. 

Un  grand  estomac  n'est  pas  la  moindre 
partie  du  corps  de  la  prudence,  line  grande 
capacite  a  besoin  de  grandes  parties.  Lcs  pros- 
perites  n'embarrassent  point  celui  qui  en  nie- 
i^ite  de  plus  grandes.  Ce  qui  est  indigestion 
dans  les  uns  ,  est  appetit  dans  les  autres.  II 
J  en  a  beaucoup  a  qui  toute  nourriture  suc- 
culente  fait  mal ,  a  cause  qu'ils  sont  de  faible 
complexion  ,  et  qu'ils  ne  sont  pas  nes  ,  ni  ele- 
ves  pour  de  si  hauts  emplois  (i).  Le  commerce 

(i)  Philippe  II ,  roi'd'Espagne,  disait  que  tous  les  es- 
tomacs  n'e'taient  pas  c^pables  de  dige'rer  de  grandes 
fortunes ,  et  qu'une  mauvaise  viande  ne  se  tournait  pas 
sitot  en  mauvaise  nourriture ,  ni  ne  faisait  pas  tant  de 
corruption  dans  le  corps,  qu'en  faisaient  les  honneurs 
excessifs  dans  un  esprit  mal-fait.  Dans  le  Don  Filipe 
el  prudentC;  chap,  penultieme. 


l58  l' HOMME 

du  monde  est  amer  a  leur  gout,  et  les  fumees 
dc  la  vaine  gloire ,  qui  leur  montent  au  cer- 
^veau  ,  leur  causent  des  etourdissemcns  dan- 
gcreux;  les  lieux  hauts  leur  sont  contraires,  iis 
ne  tiennent  pas  en  eux-memes ,  parce  que  leur 
fortune  ny  pent  tenir.  Que  I'liommc  de  tete 
montre  done  qu'il  lui  reste  encore  du  lieu , 
pour  loger  une  plus  grande  fortune  ;  et  melte 
toute  son  industrie  a  eviter  tout  ce  qui  pent 
donner  quelque  indice  d'un  petit  courage. 


M  A  X I  M  E     cm. 

Conserve f^  la  majeste  propre  a  son  etat. 

Que  toutes  tes  actions  sbient ,  sinon  d'un  roi, 
du  nioins  dignes  d'un  roi ,  a  proportion  de 
ton  elat  :  c'est-a-dire  ,  procede  rojalement  , 
autant  que  la  fortune  te  le  pent  pcrmcttre.  De 
la  grandeur  a  tes  actions ,  de  Televation  a  tes 
pensees,  afin  que  si  tu  n  es  pas  roi  en  effet, 
tu  le  sois  en  merile ;  car  la  vraie  royaute  con- 
siste  en  la  vertu.  Celui-la  n  aura  pas  lieu  d'en- 
vier  la  grandeur,  qui  pourra  en  etre  le  mo- 
dele.  Mais  il  importe  principalement  a  ceux 
qui  sont  sur  le  trone ,  ou  qui  en  approchent , 
de  faire  quelque  provision  dc  la  vraie  supe- 
rlorite  ,  c'cst  -  a  -  dire  ,   des  perfections  de  la 


DE    COIJR.  1 59 

Majeste ,  pi u lot  que  de  se  repaitre  des  cere- 
monies   que  la  vaiiiie  et  le  luxe    ont  intro- 
duites.  Us  doivent  preferer  le  solide  de  la  subs-, 
lance  au  vide  de  rostentation  (i). 

{i)  Apud  quos  vis  (ou  jus)  imperii  valet,  inania 
transmittuntur ,  dit  Tacite.  Ann.  i5.  C'est-a-dire,  queles 
jDrinces  qui  ont  le  pouvoir  en  main,  ne  sesoucient  guere 
de  faire  une  vaine  parade  de  leur  grandeur^  qu'il  leur 
suffit  de  commander,  et  d'etre  obe'is,  tout  le  reste  n'e'tant 
que  des  devoirs  qui  leur  font  plus  d'incommodite  que 
d'honneur.  Et  c'est  ce  que  voulait  direPison  qui,  vojant 
apporter  des  couronnes  d'or  a  Germanicus  et  a  sa  femme 
au  milieu  d'un  festin ,  dit  {Ann.  2.)  que  Germanicus 
n'e'tait  pas  le  fils  d'un  roi  desParthes,  mais  d'un  empereur 
Romain  :  pour  donner  a  entendre  que  cette  cere'monie 
e'tait  bonne  pour  les  rois  barbares ,  qui  faisaient  con- 
sister  leur  grandeur  dans  le  faste  et  dans  une  vaine 
affectation  d'lionneurs  superftus  •  mais  non  pour  un 
prince  romain,  a  qui  il  n'e'tait  pas  bienseant  de  s'ac- 
comraoder  aux  coutumes  e'trangeres.  Tacite  parlant  de 
Vonone's,  roi  d'Arme'nie,  dit  que  ce  prince  s'e'tant  re-  \ 
tire'  en  Sjrie,  le  gouverneur  de  la  province  lui  donnaity 
le  titre  de  roi  et  lefaisait  servir  en  roi  :  mais  que  Vonone's  * 
prenait  ce  traitement  et  ces  ccre'monies  pour  une  de'ri- 
sion,  pendant  qu'il  e'tait  regarde  comme  un  prisonnier. 
Rector  Sjrice  Silanus  custodia  circmndat  ,  manente 
liixu ,  et  regio  nomine ;  quod  ludibrium  ejfugere 
cigitavit  Vonones.  Ann.  1.  Ce  qui  montre  que  la 
rojaute  consiste  en  des  clioses  plus  esscntielles  que  le 
titre  et  les  ce're'monies.  Et  Machiavel  dit  que  ce  n'est 
pas  meme  assez  pour  ctre  prince,  que  d'avoir  un  e'tat^ 


1^0  l'homme 

M  AXIME    CIV, 

4  Tetter  le  pouls  auoc  affaires. 

CiiAQUE  emploi  a  sa  nianiere,  il  faut  etre 
passe  maitre  pour  en  faire  la  difference.  A  quel- 
ques  emplois  il  faul  de  la  valeur  j  a  d'autres  ,  dc 
la  subtilite(i)  \  quelques-uns  requierent  seule- 
nient  dc  la  probite  ,  ct  quelqucs  -  autrcs  de 
Fartifice.  Les  premiers  sont  plus  faciles  a  exer- 
cer,  et  les  autres  plus  difficilcs.  Pour  s'acquil^ 

et  qu'Hieron  de  Syracuse  etait  plus  estime'  dans  sa  fortune 
privee  ,  que  le  roi  Perse'e ,  parce  que  celui-ci  n'avait 
rich  de  roi  que  son  royaume  5  et  que  I'autre  qui  n'en 
avait  point  alors  en  meritait  un .  Dans  VEpitre  de'di- 
catoire  de  ses  discours  sur  Tite-Live. 

(i)    Les    gens    de    guerre  n'ont  pas   besoin   de  tant 

d'esprit,   parce  qu'au  dire  de  Tacite  ils  se  servent  plus 

\f  de  leurs  mains  que  de  leur  tete.  Quia  castrensis  juris- 

ydictio  plura  manu  agens.   In  Agricola.  Joint  que  I'au- 

Atorite'  leur  tient  lieu  d' eloquence.   Multa  auctorltate  , 

quae,  viro  militari  pro  facundia  erat.  Ann.  i5.  Au  con- 

traire  il  faut  beaucoup  de  subtilite'  aux  gens  de  robe ,  a 

cause  des  supercheries  et  des  de'tours  qui  regnent  dans  le 

barreau;  ob  cqlliditatem  fori.  In  {Agricola)  et  de  I'hu- 

xneur  inte'resse'e  des  avocats   qui  font  durer  les  proces 

comme  les  medecins  les  maladies  ;  Ut  quomodo  vis  mor^ 

horum.  pretia  medentihus  ,    sic   fori  tabes  pecuniam 

Advocatisf erat,  Ann.  II. 


M 


DE    COUB^  X4^ 

ter  des  premiers ,  un  bon  naturel  suffit ,  au 
lieu  que  pour  Ics  autrcs,  toute  rapplicatioii  ,• 
toutc  la  vigilance,  ne  suffit  pas.  C'est  une  occu-i 
palion  bien  penible ,  d' avoir  a  gouverner  les 
hommes  ,  niais  encore  plus  a  conduire  des  fous 
ct  des  betes  5  il  faut  un  double  sens  pour  re- 
gler  ceux  qui  n'en  ont  point.  C'est  un  emploi 
insupportable  que  celui  qui  demande  unhomme 
tout  entier,  et  qui  ait  ses  heurcs  comptces  (i), 
et  toujours  a  travailler  a  memc  chose.  Bien 
meilleurs  sont  ceux  ,  oit  la  varicte  est  jointe 
a  rimportance,  d'autant  que  Talternative  rc- 
cree  I'esprit ,  mais  ceux  qui  valent  le  mieux  de 
tons  ,  sontjceux  qui  sont  les  moins  dependans  , 
ou  dont  la  depcndancc  est  plus  eloignee ;  etcelui- 
la  est  le  pire  ,  qui ,  lorsqu  on  en  sort ,  oblige  de 
rendre  compte  a  des  juges  rigoureux ,  surtout 
quand  c'est  a  Dieu. 


MAXIME    CV. 

'  '    N'etre  point  lassant. 


m 


L'homme  ,   qui  n'a  qu'une  affaire ,  ou  celui 
qui  a  toujours  la  meme  chose  a  dire,  est  d'or- 

(i)  Comme  les  princes  et  leurs  ministres.  Quamar^     ^ 
duum,  quamsubjectumfortunce^  regendi  cimcta  onus! 
Ann,  I. 


■  i*4i  l'homm  e 

Idinaire  fatigaiit.  La  brievete  est  plus  propre 
I  a  n€god€r ,  elle  gagne  par  son  agremciit  ce 
i  quelle  pei'd  par  son  epargne.  Ce  qui  est  bon  , 
est  deux  fois  bon ,  s'il  est  court ,  et  pareilie- 
ment  ce  qui  est  mauvais  ,  Test  moins  ,  si  Ic 
peu^y  est.  Les  qiifntessences  opercnt  mleux 
que  les  breuvages  composes  C^«st  une  veriie 
reconnue  ,  qiae  le  grand  parleiar  est  rarcment 
habile  (i).  II  y  a  des  bommes,  qui  font  plus 
d'embarras,  que  d'honneur  arunivcrs  ;  ce  sonti 
des  hailloris  jetes  dans  la  rue ,  qaa  cliacun  pousse 
hors  du  passage.  Llionime  discreet  doit  bien  s« 
garder  d'etre  importun ,  surtout  aux  gens  qui 
ont  de  grandes  occupations  j  car  il  vaudrait 
niieux  etre  incommod'e  ato^it  le  rcste  du  nionde, 
que  de  I'etre  a  un  seul  de  ceux-Ia.  Ce  qui  est* 
•^bien  dit ,  se  dit  en  pmi.;  ^^^*  -  ■  i.^. 


MAXrrME    C  VI. 

Ne  point  faire  parade  cte  sa  fortune. 

L'osTENTATTON  dc  la  digiiite  choque  plus 
que  I'ostentation  de  la  personne.Tranchcr  du 
grand ,   c'est   se  rendre  odi<iux  -,  il  sullit  bleu 

(i)  In  midtiloqido  non  deerit  peccatum  :  qui  autem 
moderatur  labia  sua,  prudeiitissimus  est.  Proverb.  lo. 


V.  20. 


V-'" 


d'etre  envie.  Plus  on  chercbe  la  repntation ,  et 
moins  on  la  tronve  (i).  Comme  ellc  depend  du 
jugcnient  d'autrui ,  personne  ne  se  la  saurait 
donner  j  et  par  consequent,  il  fantla  meriter(2), 
etl'attendre.  Les  grands  eniploisdemandd^tunc 
autorite  proportionnee  a  leur  cxercice,  et,  sans 
ccla,  Ton  ne  peul  pas  les  exercer  dignement.  11 
>faut  conserver  toute  cclle  qui  est  necessaire 
^xy&t  reniplir  ressontiel  de  ses  obligations^  ne 
la  point  faire  ircyp  va^oir  ,  mais  la  secon- 
der (5).  Tous  ceux  qui  font  les  accables  d'af- 
faires se  nionlrent  indigncs    de   leur  cmploi , 

(i)  Tacite  dit  qn'Agricola  augir^entait  la  sienne  en  la 
dissimulant.  Ipsa  dissimulationefamce  famam  mtxit^ 

(2)  A  qnw  «ervent  les  statues  et  les  temples,  disait 
iTibere ,  si  Ton  n'a  pas  1' approbation  de  la  poste'rite'?  Quee 
saak)  struuntur,  si  Judicium  jyostero  ram  in  odium  '4/er* 
'^i^j  pro  sepulcris  spemuntur.  Ann.  4. 

(5)  Lorsqu'Agricola  e'tait  dans  son  tribunal,  il  n'y 
montrait  que  de  la  gravite' ,  de  la  s^v-e'rit^  €t  de  I'appli- 
cation  a  tout  entendre;  mais  quand  il  en  sortait  il  de- 
poisait  et  sa  gravite  et  sa  seVe'rite'  comme  s'il  eut  cesse 
d'etre  rev^tu  de  I'autorite'  publique.  II  ne  chercbait  point  a 
acque'rir  de  la  reputation  ni  par  unevaine  ostentation  de 
sa  grandeur,  a  quoi  les  plus  gens  de  bien  sont  sujets  ;  ni 
par  aucun  autie  artifice.  Point  de  dispute  ni  de  querelle 
fevec  ses  collegues,  sur  qui  il  e'tait  aussi  e'loigne' d'enitre- 
prendre  que  de  soufFrir  qu'ils  lui  fissentla  loi,  tenant  Tun 
ipour  injuste  eft  I'autre  pour  honteux.   Ubi  conventus  ac 


1 44  L^IOMMK 

comme  charges  d'un  faix  qu'ils  ne  sauraient 
porter.  Si  Ton  a  a  se  l^ire  honneur,  que  ce  soit 
plutot  d'un  grand  merite  personnel ,  que  d'une 
chose  d'emprunt.  Un  roi  meme  doit  s'attirer 
plus^e  veneration  par  sa  propre  pcrsonne  que 
par  sa  souverainete ,  qui  n'est  qn'une  chose 
exterieure  (i): 

judicia  poscerent  ^  gravis ,  intentus,  severus  :  uhi  officio 
s ads f actum ,  nulla  ultra  potestatis  persona ,  tristitiam 
et  arrogantiam  exuebat.  Nefam.am  quidem ,  cui  etiam 
scepe  boni  indulgent ,  ostentanda  virtute ,  aut  per  artem 
qucesivit ;  procul  ab  cemulatione  adversus  collegas  , 
procul  a  contentions  adversiis  procuratores  :  et  vincere 
inglorium,  et  atterl  sordidum  arbitrabatur,  Tacite^  dans 
sa  Vie.  Le  jeune  Pline,  dit  qu'e'taut  tribun  du  peuple  il 
s'atstfnt  de  plaider  tout  le  temps  qu'il  le  fut,  lui  parais- 
sant  iiidigne  de  son  rang,  de  se  tenir  debout  pendant 
que  les  autres  seraient  assis ,  au  lieu  que  chacun  devait 
non  seulernent  se  lever  pour  saluer  le  tribun,  mais 
meme  lui  ce'der.  Outre  qu'il  trouvait  e'trange  que  celui 
qui  avait  droit  de  faire  taire  les  autres,  dut  se  taire  lui- 
m.eme  des  que  I'heure  serait  passe'e  et  que  celui  qu'il  e'tait 
sacrilege  d'interrompre  quand  il  parlait,  s'exposat  a  en- 
tendre les  injures  de  sa  partie  adverse  ^  en  danger  de 
paraitre  laclie  s'il  le  soufFrait  ou  violent  s'il  s'en  vengeait. 
^/7.25. ,  lib.  I.  Ce  quimontre  combienun  magistrat  doit 
etre  jaloux  de  I'honneur  et  de  I'autorite  de  sa  charge , 
qui ,  sans  cela ,  est  uue  pure  ombre  et  un  nom  sans  hon- 
neur, dit  lememe  Pline.  Inanem  umbram  et  sine  lionore 
nomen.  Ibid. 

(i)  Galba  disait  que  les  sujets  parlaient  bien  plus  a  la 


DE    COUR«  l^S 

M  A  X  I  M  E    C  V  I  L 

Ne  point  morUrer  qu^on  soil  content  de  ^oi- 
jnenie. 

D'etre   mecontent  de    soi-meme,    cest 


faiblessc;  d'en  etre  content , c'est  folio (\\  Dans 
la  plupart  des  hommes ,  cc  contentement  vient 
d'ignorance ,  et  aboulit  a  une  felicile  aveiigle  , 
qui  veritablement  entrelient  le  plaisir  ,  mais  ne 
conserve  pas  la  reputation.  Commc  il  est  rare 
de  bien  connaitrc  Ics  perfections  cminentes  des 
kutres  ,  Ton  s'applaudit  de  celles  que  I'on  a  , 
quelque  mediocres  ct  vulgaires  qu'ellcs  soicnt. 
La  defiance  a  toujours  et^  utile  aux  plus  sages  , 
soil  pour  prendre  de  si  bonnes  mesures ,  que 
les  affaires  pussent  reussir  j  ou  pour  se  conso- 
ler ,  quand  elles  ne  reussissaienl  pas ;  car  celui 
qui  a  prevu  Ic  mal ,  en  est  moins  afflige  quand 
il  arrive.  Quelqucfois  Homcrememe  s'endort, 


fortune  du  prince  qu'a  sa  personne  :  Ceteri  lihentiiis  cmm^ 
forluna  nostra,  quamnobiscum.  {T2lq.  Hist,  i.)    Parc<^(     ^ 
qu'il  y  a  quelquefois  des  princes  qui  n'ont  rien  de  re-A    *' 
«ommandables  que  leur  fortune. 

(i)  Salomon  dit  que  le  fou  est  rempli  de  ses  voies , 
c'est-a-dire  ,  qu  il  est  content  de  tout  ce  qu'il  fait,  ^iis 
suis  replebitur  stultus.  Pr«verb.  14.  v.  4,  ^ia  StulH 
recta  in  oculisejus,  Proyerb.  /a^  V-  1.5. 


i46 


L  H  O  M  Nl  E 


'P' 


ct  Alexandre  descend  du  troue^e  sa  majeste, 
et  reconnait  sa»faiblesse.  Les  atfalres  depen-. 
dent  dc  beaucoup  de  circonstances ,  et  telle 
chose  ,  qui  a  reussi  dans  une  occasion  ,  est  mal- 
heureuse  dans  une  autre.  Mais  FincorrigibHile 
,des  fous  est  en  ce  qu'ils  con.vcrlis«.e*it^in 
fleurs  leurs  plus  vaines  pensees  ,  et  que  ^leii* 
graine  pousse  toujours  (t). 

p^oj^z  la  Maxime  141. 


MAXIME    CVIIL 

Le  plu&  court  chemin  ,  pour  de^^enir  grand 
personnage  ,  est  de  scu^oir  choisir  son 
nionde. 

La  conversation  est  d^un  grand  poids.  Les 
nioeurs ,  les  humeurs  ,  les  gouts  ,  ct  I'esprit 
mcme,  se  communiquentinsensiblemcnt.  Ainsi^ 
rhomme  prompt  en  doit  frequenter  un  paisi- 
ble  ,  et  chacun  son  contraire  j  par  ou  Ton  ar- 
rivera  sans  peine  au  temperament  requis.  C'est 
'beaucoup^  que  de  savoir  sc  modercr.  La  di- 

(4)  Leur  fe'licite,  dit  le  jeune  Pline ,  ne  leiir  sert  qu*a 
les  rendre  ridicules.  Hue  filicitate  perveniunt ,  ut  rir- 
deantur,  Ep.  29.  lib.  7. 


D  E      C  O  tJ  R.  147 

yerslle  alternalive  des  saisons  fait  la  beaule 
ct  la  diiree  dc  Tumvers.  Si  rharmonie  dcs 
choses  naturclles  vicnl  de  leur  propre •contra- 
riete  ,  I'harmomc  de  la  societe  civile  devient 
plus  belle  par  la  ditrerence  des  moeurs.  La  pru- 
dence doit  user  de  cetie  politique  dans  le  choix 
des  amis  et  des  domesliques;  et  de  cette  coni- 
niunicalion  dcs  contraires  ,  il  en  naitra  ua 
temperament  tres-agreable.  (i)  • 


MAXIME    CIX. 

N'etre  point  reprehensif. 

Ilj  adeshommes  rudes,  qui  font  des  crimes 
de  tout ,  non  pas  par  passion  ,  mais  par  na- 
lurel.  lis  condamnent  tout  :  dans  les  uns,  ca 
qu'ils  ont  fait  j  dans  les  autres ,  ce  qu'ils  veu- 
lent  faire  :  ils  exagerent  tout  si  fort  que  des 

(i)  C'est  la  coutume  des  imprimeurs ,  dit  Juan  Rufo  , 
<le  mouiller  leur  papier  pour  le  rendre  propre  a  recevoir 
la  forme  des  caractereS.  Et  ce  qui  est  a  remarquer,  c'est 
qu'en  trempant  le  papier  par  demi-mains  et  a  diverses 
Ibis,  I'eau  s'imbibe  de  feuille  en  feuille,  de  sorte  que 
par  une  admirable  correspondance,  les  feuilles  mouille'es 
humectcntles  feuilles  seches  et  celies-ci  seclient  les  autres 
en  prenant  I'eau  qu'elles  ont  de  trop.  Ce  papier  montre 
aux  hommes  comment  ils  doivent  se  seryir  les  uns  aux 
autres.  Apophtegme  597. 


Ia8  l'h  O  M  M  E 


atonies  ils  en  font  des  pout  res  a  crevcr  les 
yeux.  Leur  humcur ,  pire  que  cruelle  ,  scralt 
capable'  de  convertir  les  Champs-Elysiens  en 
galere.  Mais  si  la  passion  s'en  mele ,  c'est  alors 
qu'ils  jugent  a  toute  rigueur.  Au  contraire  , 
ringcnuite  interprete  lout  favor abl em ent,  si- 
non  I'intention,  du  moins  I'inadvertance  (r). 


c 


MA  XI  ME  ex. 

N'attendre  pas  qu'on  soit  Solell  couchant. 

C'est  une  niaxinic  de  prudence  qu'il  faut 
laisser  les  choses  ,  avant  qu'elles  nous  laissent. 
1  est  d'un  homme  sage  de  savoir  se  faire  un 
Jtriomphe  de  sa  propre  defaite,  a  I'iniitation 
du  Soleil ,  qui ,  pendailt  qu'il  est  encore  tout 
lumineux ,  a  coutume  de  se  retirer  dans  une 
nuee ,  pour  n  etre  point  vu  baisser ,  el ,  par 
ce  moyen ,  laisser  en  doute  ,  s'il  est  couche  ,  ou 
npn.  C'est  a  lui  de  se  soustraire  aux  accidens  , 
pour  ne  pas  crever  de  facherie.  Qu'il  n'attendc 
pas  que  la  fortune  lui  tourne  le  dos  ,  de  peur 
quelle  ne  I'ensevelisse  tout  en  vie ,  a  I'egard 
de  I'aflliction  qu'il   en  resscnlirait  j  el  mort , 

(t)  Quid  enim  JiQuestius  culpd  benignitatis?  dit  le 
je\ine  Pline.  Ep,  28.  lib.  7.  Qu'y  a-t-il  de  plus  honnete 
que  de  faire  des  fautes  de  bonle'? 


DE    COUR.  149 

a  regard  de  sa  reputation.  Le  bon  cavalier  U- 
che  queiquefois  la  bride  a  son  cheval ,  pour 
ne  le  pas  cabrer  ,  et  ne  pas  servir  de  risee , 
s'il  venait  a  lomber  au  milieu  dc  la  carriere. 
Une  beaute  doit  adroitement  prevenir  son 
miroir  ,  en  le  rompant  ,  avant  qu'il  lui  ait 
montre  que  ses  atlraits  s'eu  vont.  (i). 
Vojez  la  Maxime,  38. 


MAXIME    CXI. 

Faire  des  amis. 

'  \.  ■ 

Avoir  des  amis  ,  c'est  un  second  etre  ;  tout 
ami  est  bon  a  son  ami  j  entre  amis  tout  est 
agreable.  Un  homme  ne  pent  valoir  que  ce 


qu  il  plait  aux  autres  ci(3^e  laire  valoir.  Pour 
leur  en  doriner  done  la  volonte,  il  faut  s'  em  - 
parer  de  leur  bouche  par  leur  coeur.  II  ny  a 
point  de  meilleur   enchantement  que  le  bon 

(i)  Car,  au  dire  de  Juan  Rufo,  il  y  a  deux  sortes 
de  personnes  inconsolables  ,  les  riches  qui  se  voient 
mourir  et  les  dames  quand  leur  beaute'  se  passe.  Apo~ 
phtegme  699. 

Brantome,  dansle  discours  5.  de  ses  Dames  galanteSy 
parle  d'une,  qui^,  se  vojant  fort  change'e  de  visage^  fut 
en  si  grande  colere  contre  son  miroir,  quelle  ne  s'y 
voulut  -plus  jamais  rtiirer,  disant  quil  en  e'tait  indigne. 


i5o 

service  j  Ic  meillcur  nioyen  d' avoir  des  amis 
est  d'en  faire  3  tout  ce  que  nous  avons  de  bon 
dans  ia  vie ,  depend  d'aulrui.  L'on  a  a  vivre  avec 
ses  amis  ou  avec  ses  ennemis;  chaque  jour  il 
en  faut  gagncr  un ,  et,  si  Ton  n'en  fait  pas 
son  confident ,  se  le  rendre  du  moins  bien  af- 
*  fcctionne  3  car  quelques-uns  de  ceux-la  devien- 
dront  intimes  ,  a  force  de  les  bien  connaitre. 


MAXIME    CXII. 

Gagner  le  coeur. 

La  premiere  et  souveraine  cause  ne  dedaigne 
pas  de  le  prevenir ,  et  de  le  disposer ,  lorsqu'elle 
veut  operer  les  plus  grandes  choses.  C'est  par 
i'alfection  que  Ton  entre  dans  Fcstime.  Quel- 
ques-uns se  flent  j^t  sur  leur  merite  ,  qu  iJs 
ne  prennent  auCun  soin  de  se  faire  aimer.  Mais 
le  Sage  sait  bien  que  le  merite  a  un  grand 
tour  a  faire  ,  quand  il  n'est  pas  aide  de  la 
faveur  (i).  La  bienveillance  facilite  tout ,  sup- 

(i)  Un  jour  qiielques  gens  de  Cour  traltant  celte 
question ,  d'ou  venait  que  la  plupart  des  charges  tom- 
,m.-'  .  baient  a  des  personnes  de  tres-peu  de  merite  :  c'est,  dit 
Juan  Rufo ,  que  les  habiles  gens  ne  veulent  point  em- 
ployer un  mauvais  droit  pour  appujer  leurs  pre'tentions, 
au  lieu  que  ceux  qui  ont  peu  de  me'rite,  sont  d'ordinaire 
ceux  qui  soUicitent  davantagc.  Apophtegme  559» 


DE    COUR.  l5l 

plee  a  tout ;  elle  ne  suppose  pas  tou jours  qu  il 
y  ait  dc  la  sagcsse ,  tie  la  discretion  ,  de  la 
bonte  et  de  la  capacite  -,  mais  elle  en  donne  (i) : 
elle  ne  \ oit  jamais  les  defauts ,  parce  quelle 
fuit  de  les  voir  (2).  D'ordinaire  elle  nait  de  la 

■  '^-  •:;  ./ 

(i)  Sinon  dignos  invenit ,  facit, 

(2)  Tacite  dit  que  Vespasien  s^lvait  mienx  dissimuler 
les  vices  de  ses  amis  que  leurs  vertus.  T^itia  niagis  ami" 
corinn  quam  virtutes  dissimulanS,  Hist.  2.  Tous  les 
devoirs  de  I'amitie'  sont  corapris  la  dedans.  II  dit  aussi  , 
que  Galba  voulait  ig'norer  tous  les  de'fauts  et  toutes  les 
fautes  de  ses  amis.  Si  maliforenty  usque  ad  culpam 
ignarus.  Hist,  i .  Excellente  qualite'  pour  un  particulier, 
mais  tres-m^auvaise  pour  un  prince  qui  doit  s'e'tudier  a 
connaitre  le  vrai  caractere  de  ceux  qui  Tapproclient ,  et 
surtout  de  ceux  qu'il  emploie.  II  est  neces.saire  que  les 
particuliers  connaissent  les  de'fauts  de  leurs  amis,  Mores 
amici  noveris ,  dit  le  jjroverbe,  non  oderis  :  mais  pour 
les  tolerer  plutot  que  pour  les  censurer.  Le  jeune  Pline, 
dit  que  c'est  une  heureuse  erreur ,  que  de  croire  ses  amis 
plus  parfaits  qu'ils  ne  sont.  Quid  invident  mihi  felicis- 
simuin  errorem?  TJtenim,  non  sint  tales ,  quales  a  m& 
proidicantur,  ego  tamen  beatus ,  quod  mihi  videntur. 
Epist.  28.  lib.  7.  En  parlant  d'un  Arthemidore,  il  dit 
que  bien  que  ce  soit  un  liomme  tres-prudent,  il  lui 
arrive  quelquefois  d'etre  dans  Terreur  agre'ableethonnete 
d'estimer  ses  amis  plus  qu'ils  ne  valent.  In  hoc  uno  in-- 
terdum.^  vir  alio  qui  prudentissimus ,  honesto  quidem  , 
sed  tamen  errore  Dersatur,  quod  pluris  amicos  sues  > 
quam  sunt  ^   arhitrabalur.  E]i.  11.  lib.  5. 


r5a  L^HOMMK 

correspondance  materielle ,  comme  d'etre  de 
ineme  nation  ,  de  meme  palrie,  de  meme  pro- 
fession ,  de  pi^me  famiJle.  II  j  a  une  autre  sorte 
d'affection  formelJe ,  qui  est  plus  relevee  •  car 
elle  est  fondee  sur  les  obligations ,  sur  la  repu- 
tation ,  sur  le  merite.  Toute  la  difficulte  est  a 
la  gagner  ,  car  il  est  aise  de  la  conservcr.  On 
peut  Facquerir  par  ses  soJns  ,  et  puis  eu  faire 
un  bon  usage. 


MAXIME    CXIII.  . 

Dans  la  honnc fortune se preparer  a  lamauvaise 

En  ete  Ton  a  le  temps  de  faire  sa  provision 
pour  I'hiver  ,  et  plus  commodement.  Dans  la 
prosperite ,  Ton  a  quantite  d'amis  (i) ,  et  tout  a 
bon  marche.  II  est  bon  de  gardcr  quelque  chose 
pour  le  mauvais  temps  ,  car  il  y  a  disctte  de 
tout  dans  Fadversite  (2).  Tu  feras  bien  dc  ne 
pas  negliger  tes  amis  ;  un  jour  viendra  que  tu 
te  tiendras  heureux  d'en  avoir  quelques-uns ,  de 

{i)  Donee  eris  felix,  multos  numerabis  amicos ,  dit 
Ovide. 

(2)  Tempora  sifuerint  nubila,  solus  eris.  Le  meme. 
Infelicium  nulli  sunt  affines ,  dit  le  proverbe.  Uliomme 
pauvre,  dit  Juan  Rufo  ,  est  ton  jours  en  pays  etranger, 
Apophtegme  64 1» 


D  E     C  O  U  R.  I  53 

qui  lu  ne  te  soucles  pas  niainlcnant.  Les  gens 
rusdqucs  n  ont  jamais  d'amis  ,  ni  dans  Ja  pros- 
peritc ,  parce  q-u'ils  ne  connaissent  personne  , 
ni  dans  Tadversite ,  parce  que  personne  ne  Ici 
eonnait  alors.  ^ 


MAXIME      CXIV. 

Ne  competer  jamais ^ 

TouT^  pretention  qui  est  contcstee  ruine  le  cre- 
dit. La  competence  ne  manque  jamais  de  noircir 
pour  obscurcir  (i)  j  il  est  rare  de  faire  bonne 
guerre.  L'emulation  decouvre  les  defauts  que  la 
courtoisiecachait  auparavant.  Plusieurs  ont  vecu 
^res-cslimes ,  tant  quils  n'ont  point  eu  de  con- 
currens.  La  chaleur  de  la  contradiction  animc 
ou  ressuscite  des  infamies  qui  etaient  niortcs  ; 
clle  deterrc  des  ordures  que  le  temps  avait 
prcsque  consumees.  La  competence  commence 
par  uri  manifeste  d'invectives ,  s'aidant  de  tout 
ce  qu  elle  peut ,  et  ne  doit  pas   (2).   Et  hicn 

(f)  Ce  n'estplus  un  exemple  imftable  que  celui  de  la 
modestie  de  ce  Lace'demonien  ,  qui ,  n'ajant  pas  e'te 
compris  dans  I'e'lection  des  trois  cents  braves  que  sa 
patrie  envojait  au  dctroit  deS  Thermopiles,  s'en  retourna 
en  sa  maison,  tout  jojeux  de  ce  qu'il  y  avait  a  Sparte 
trois  cents  citoyens  qui  valaient  mieux  que  lui. 

(i)  Tacite  dit  que  Petus,    collegue  et  concurrent  dr 


l54  r' HOMME 

que  quelqucfois  ,  et  meme  leplus  souvent,  les in- 
jures ne  soient  pas  des  armes  de  grand  secours  , 
si  est-ce  qu'elle  s'en  scrt  ,  ponzr  se  donner  le 
plaisir  d'une  Tile  vengeance  ;  ct  elle  y  va  avec 
tant  d'itnpetuosite,  qu'elle  fait  voler  la  pous- 
siere  de  I'oubli  qui  couvrait  les  imperfections. 
La  bienveillance  a  toujours  ele  pacifique,  et  la 
reputation  toujours  indulgente. 


MAXIME    CX  V. 

Se  faire  aiioc  hunieurs  de  ceuoc  a^ec  qui  Ton 
a  a  vivre, 

L'oN  s'accoutume  bien  a  voir  de  laids  visages, 
on  pent  done  s'accoutumer  aussi  a  de  mecliantes 
hunieurs.  H  y  a  des  esprits  reveches  ,  avec  qui 
ni  sans  qui  Ton  ne  saurait  vivrc.  C'est  doiic 
prudence  de  s  j  accoutumer  ,  commc  Ton  fait 
a  la  laideur ,  pour    n'en  etre  pas  surpris  ni 

Corbulon  ,  qui  ne  le  voulait  point  avoir  pour  com- 
pag-non ,  meprisait  ses  exploits  disant  que  c'etaient  des 
conquetes  imaginaires  ,  au  lieu  que,  pour  lui,  il  allait 
imposer  des  lois  et  des  tributs  aux  vaincus.  Neque  Cor- 
bulo  ceniuli  p  at  lens ,  et  Poetus ,  qui  satis  ad  glo  riant 
erat ,  si  proximus  haheretur ,  despiciebat  gestas  no- 
mine teniis  urbium  expugnationes  dictitans  :  se  tributa 
ac  leges ,  et  Romaiuim  jus  victis  ifnposituriun.  Ann.  i5; 


DT.    COUR.  1 55 

cpouvante  dans  roccasion.  La  premiere  fois  , 
ils  font  peur ,  mais  Ton  s'y  fait  pen  a  peu  ,  la 
reflexion  prevenaut  ce  qu'il  j  a  cie  rude  en  eux, 
ou  du  moins  aidant  a  le  tolerer. 


MAX  I  ME    CXVI. 

Traiter  toujours  m^ec  des  gens  soigneuoc  dc 
leiir  devoir. 

On  pent  s'engager  avec  eux,  etles  engager; 
leur  devoir  est  leur  meilleure  caution  ,  lors 
meme  qu'on  est  en  different  avec  eux  :  car  ils 
agissenl  toujours  selon  ce  qu'ils  sont.  Et  d'ail- 
leurs  il  vaut  mieux  combattre  contre  des  gens 
de  bien ,  que  de  triompher  de  mal-honnetes 
gens.  II  ny  a  point  de  surete  a  traiter  avec  les 
mechans,  parce  quils  ne  se  trouvent  jamais 
obliges  a  ce  qui  est  juste  et  raisonnable  j  c'est 
pourquoi  il  n  y  a  jamais  de  vraie  amitie  entre 
eux  :  et  quelque  grandc  que  semble  etre  leur 
affection  ,  elle  est  toujours  de  bas-aloi ,  parce 
qu'elle  n'a  aucun  principe  d'honneur.  Fuis  tou- 
jours riiommc  qui  n'en  a  point,  car  I'honneur 
est  le  trone  de  la  bonne  foi.Quiconque  n'estime 
point  I'honneur,  n'estime  point  la  vertu  (i). 

(i)  Contemptufamcc}  contemni  virtutes ,  ditTacite. 
Ann.  4' 


l56  l'  H  O  M  M  E 


MAXIME    CXVII. 

Ne  parler  jamais  de  soi-meme, 

Se  louer  ,  c'est  vanitc  •  se  bl^mer ,  c'est  bas- 
sesse(i).  Et  ce  qui  est  un  delaut  de  sagesse 
dans  celui  qui  parle  ,  est  une  peine  pour  ceux 
qui  Fccoutent.  ^i  cela  est  a  eviter  dans  Ics  en- 
tretiens  familiers  on  domesliques  ,  cela  est  en- 
core moins  a  fairo  lorsqu'on  parle  en  public  , 
et  que  Ton  occupe  quelque   grand  poste^  car 

(i)  C'est  une  maxime  d'Aristote  qui  a  dit  qu'il  ne 
se  fallait  louer  ni  bl4mer ,  parce  que  c'est  etre  fou  ou 
pre'somptueux.  La  vanite  ouverte  est  insuportable ,  et 
I'excessive  liumilite'  est  toujours  suspecte  d'une  vanite 
cache'e.  . 

Nee  te  laudaris ,  nee  te  culpaveris  ipse ,  disait  Caton. 

Si  alianos  quoque  laudes  ,  dit  le  jeune  Pline^  Ep.  8. 
lib.  i.parum  oequis  auribus  accipi  solenty  quam  diffi- 
cile est  obtinere ^  ne  molesta  videatur  oratio  de  se, 
out  de  suis  disserentis  I  Cest-a-dire  :,  Si  -d'ordinaire  Ton 
ne  se  plait  guere  a  entendre  les  louanges  d'autrui,  il  est 
comme  impossible  qu'un  homme  qui  parle  de  soi-meme , 
ne  choque  pas  les  oreilles  de  ceux  qui  Te'coutent.  Puis  il 
ajoute  :  Quod  magnijicum  referente  alio  Juisset ,  ipso  , 
qui  gesserat ,  recensente  vanescit :  Ce  qui  eut  e'te'  re^u 
avec  applaudissement  vcnant  de  la  bouche  d'un  autre , 
devient  ridicule  j^ar  le  recit  qu'cn  fait  celui  meme  qui  a 
fait  la  cliose.  Celui  qui  se  loae,  dit  Juan  Rufo,  me'dit 
du  meilleur  ami  qu'il  ait.  ^pophtegme  524- 


D  E    C  O  U  R.  l57 

alors  la  moindre  apparence  de  folie  passe  pour 
une  faiblcsse  toute  pure.  C'cst  faire  la  meme 
fauie  conlre  la  prudence  ,  que  de  parler  de 
ceux  qui  sorit  presens  j  car  il  j  a  danger  que 
Ton  neiombe  dansl'undeces  deux ecueils,  dans 
Ja  flattcrie  ou  dans  la  censure. 


MAXIME    CXVIIl. 

Affecter  le  reiwrn  d'etre  civil. 

Il  ne  faut  que  cela  pour  etre/?/aw^/Z>/e.  La 
courtoisie  est  la  partie  principale  du  savoir 
vivre  j  c'est  une  espece  de  charme  ,  par  ou  Ton 
se  fait  aimer  de  tout  le  nionde  (i)  j  au  lieu  que 

(i)  Le  jeune  Plinfe  dit  que  c'e'tait  par  la  civilite,  et  par 
la  familiarite'  que  Trajan  se  conciliait  Tamour  de  tous  ses 
sujets  :  Vt  excipis  oinnesl  ut  expectas!  ut^magnam 
partem  dierum,  inter  tot  imperii  curas  ,  quasi  per 
otium  transigis!  Et  dans  un  autre  endroit  du  meme 
pane'gjrique.  Superior  f actus  descendis  in  om.niafami- 
liaritatis  officia ,  et  in  amicum,  ex  Imperatore  submit- 
teris  :  im,mo  tunc  maxime  Imperator ,  quum,  am,icum 
ex  imperatore  agis.,.  Jucundissimum,  est  am.aH ,  sed 
non  m.inus  amare  :  quorum  utroqueita  frmeris ,  utquum. 
ipse  ardentissimh  diligas,  adhuc  tamen  ardentiiis  di- 
ligaris.  C'est-a-dire  :  Comme  tu  regois  tous  ceux  qui 
t'abordenti  comme  tu  les  attends  I  comme  tu  i^asses  une 
bonne  partie  du  jour  a  leur  donner  audifence  aussi  par 
tierament  que  si  tu  avais  un  grand  loisir !   Tout  grand 


1 58  l'ii  o  m  M  E 

rpn  s'en  fait  hair  et  meprlser  par  la  ruslicite. 
Car  si  rincivilitc  vicnt  de  supcrbe  ,  elle  est  di- 
gne  de  hainej  si  c'est  de  betise,  elle  est  mepri- 
sable.  Le  trop  sied  mieux  a  la  courtoisie  ,  qvic 
le  trop  pen  :  mais  elle  ne  doit  pas  etre  egale 
envers  tous  (i)  ,  car  elle  degenercrait  en  injus- 
tice. Elle  est  meme  d'obilgalionetd'usage  entre 
les  ennemis  ,  ce  qui  montre  son  pouvoir.  Elle 
coute  peu ,  et  vaut  beaucoup.  Quiconque  ho- 
norc  est  honore  (2).  La  galanterie  et  la  civilitc 

que  tu  es,  tu  t'assuje'tis  a  tous  les  devoirs  de  ramitie;  tu 
t'abaisses  du  plus  haul  degre  de  la  majeste'  a  la  condition 
d'ami  'j  tu  crois  meme  ne  faire  jamais  mieux  le  person- 
nage  d'Empereur,  que  lorsque  tu  fais  celui  d'ami.  C'est 
un  tres-grand  plaisir  que  d'etre  aime' ,  mais  celui  d'aimer 
n'est  pas  moindre.  Tu  jouis  si  heureusement  de  I'un  et 
del'autre,  que  tout  ardent  que  tu  es  a  aimer,  tu  es  encore 
plus  ardeihment  aime'.  Bel  exemple  pour  les  grands. 

S'il  sied  bien  a  un  Empereur  d'etre  civil ,  il  leur  sie'rait 
encore  bien  mieux  de  I'etre,  puisqu'au  dire  de  Tacite,  le 
renom  de  modestie  n'est  jamais  a  mepriser  ,  de  quelque 
rang  qu'on  soit.  Modestioe  fama ,  quce  neqiie  swnmis 
mortalium  spernenda  est.  Ann,  i5. 

(i)  Trailer  tout  le  mondedememe,  dit  Juan  Hxifo  y 
c'est  boire«et  ftianger  dans  un  meme  pot,  et  couper  du 
pain  et  de  I'oignou  avec  le  meme  couteau.  Apoph- 
tegme  122. 

(2)  Le  vrai  style  de  la  vie  civile  est,  que  celui  qui  veut 
^tre  respecte'  doit  respecter  les  autres  ,  sans  s'imaginer 
qu'ih  soient  d'humeur  a  avoir  de  la  de'fe'rence  pour  lui , 


DE    COUR.  l59 

om  cet  avantagc  ,  que  iq^te  la  gloire  en  rest© 
a  Icurs  auteurs  (i).  ,, 


MAXIME    LXXVIII. 

Ne  pas  f aire  le  reveche, 

II  ne  faut  jamais  prOvoquer  Taversion;  elle 
vient  assez  sans  qu'on  la  cherche.  11  j  a  beau- 
coup  de  gens  qui  haissent  gratuitemenl  ^  sans 
savoir  ni  comment ,  ni  pourquoi.  La  haine  est 
plus  prompte  que  la  bienveillance  j  Fhumeur 
est  plus   portee  a  nuire  qu'a  servir.  Quelques- 
tms  alTectent  d'etre  inal  avec  tout  le  mondc  , 
soit  par  esprit  de  contradiction  ou  par  degout; 
des  que  la  haine  s'empare  de  leur  coeur,il  est 
aussi  diliicile  de  Ten  oter  y  que  de  les  desabu- 
jser.  Les  gens  d'csprit  sont  craints  ;  ics  medi- 
sans  sont  hais  j  les  presomptueuxsontmcprises; 
ics  rail] eurs  sont  en  horreur  ,  ct  les   singuliers 
sont  abandoniics  de  tout  le  monde.  II  faut  done 
eslimer  pour  etre  eslime.  Celui  qui  v cut  fair c 
sa  fortune  ,.  fail  cas  de  lout.  ..^    ;     .  .  -     - 

«'il  n'en  a  pas  pour  eux.  C'est  le  precepte  d'un  habile 
cardinal  du  siecle  passe.  fJean-Baptiste  Cicala, J 

(i)  C'est  pour  cela  qu'un  philosophe  re'pondit  a  un  de 
ses  amis ,  qui  lui  disait ;  Quoi  ^  tu  salues  un  hormne  qui 
ne  te  le  rend  pas?  Ce  rHest  pas  un  deshonneur  a  moi 
detre  plus  civil  quun  autre. 


j6q  l'  H  O  M  M  IE 

MAXIME    GXX. 

S'accommoder  au  temps. 

Le  savoir  meme  doit  etre  a  la  mode ,  et  c'cst 
^tre  blen  habile  que  de  faire  I'ignorant  oii  il 
ny  a  point  de  savoir.  Le  gout  ct  le  laiigage 
changent  de  temps  en  temps.  II  ne  faut  point 
parler  a  la  vieille  mode,  le  gout  doit  se  faire  a 
la  nouvelie.  Le  gout  des  bonnes  letes  ^q.v\.  de 
regie  aux  autres  dans  chaque  profession  ,  et 
par  consequent  ,  il  faut  sy  conformcr  ,  et  ta- 
cher  de  seperfcctionner.  Que  rhoninie  prudent 
s'accommode  au  present ,  soit  pour  le  corps  ou 
pour  I'esprit,  quand  meme  le  pass6  lui  semble- 
rait  meillcur  (i).  11  ny  a  que  ppux,|^  moeur* 

(i)  Ce  precepte  est  doiind  par  Tacite.  Hist.  4  ou  il  fait 
dire  a  un  senateur  qu'il  admire  le  passe',  mais  qu'il  s'ac- 
commode au  pre'sent.  Se  ulterlora  mi  rati  ^  presentia 
sequi.  Un  autre  senateur  disait  que  Ton  avait  cliangd 
tres-a-propos  plusieurs.  coutumes  anciennes  qui  e'taieni 
trop  rigoureuses ;  que  les  lois  Oppiennes  avaient  paru 
bonnes  autrefois  parce  qu'elles  etaient  proportionne'es 
au  besoih  des  affaires ;  et  que  les  affaires  -d^yant  change' , 
il  avait  fallu  changer  aussi  dans  ces  lois  ce  qui  n'e'tait 
plus  de  saison.  MuUa  duricicn  Deterum  m-^liiis  et  Iceliiis 
mutata...  Placuisse  quondam  Oppias  leges,  sic  tern-- 
paribus  Reip.  postulaiitibus i  remissurn  aliquid  postea 


BE     C  0  U  R.  l6l 

que  ccUe  regie  n'est  pas  a^  garder,  altcndu  que 
la  vertu  doll  se  pratlquer  en  tout  temps.  On  ne 

et  mitigatum  ,  quia  expedient.  Ann.  5.  Et  TIbere 
louait  Auguste  d'aYoir  su  lempe'rer  la  rigueur  des  ari- 
ciennes  lois  selon  Texigence  de  son  siecle.  Medendum 
Senatus  decreto ,  sicut  Augustus  quondam  ex  Jiorrida 
ilia  antiquitate  ad  proisentem  usum  Jlexisset.  Ann.  4* 
Au  reste,  il  ne  faut  pas  croire,  dit  Tacite^  que  les  an- 
ciens  nous  aient  surpassc  en  tout ,  il  se  fait  eii^ore  en  ce 
temps-ci  beaucoup  de  choses  qui  nie'ritent  d'etre  loue'es 
et  imite'es  par  la  poste'rile'.  Nee  onuiiaapud  piiores  me- 
liora,  sed  nostra  quoque  oetas  multa  laudis  et  artium 
imitanda  posterls  tulit.  Ann.  5  II  y  a  trois  causes,  dit 
Juan  Rufo ,  pourquoi  le  passe  nous  parait  meilleur  :  la 
premiere  est ,  que  ce  qui  a  e'te'  est  regrette  parce  qu'il 
n'est  plus;  laseconde,  que  de  trois  temps  qu'il  j  a,  le 
passe'  est  celui  qui  nous  est  le  mieux  connu,  soit  jDarce 
que  ie  present  est  douteux  et  passe  en  un  moment,  ou 
parce  que  le  futur  est  incertain  et  tout-a-fait  inconnu ;  la 
troisieme  est ,  que  bien  qu'on  ait  une  meilleure  fortune 
que  Ton  n'avaitdix  ou  vingtans  auparavant,  onne  saurait 
€tre  content  a  cause  que  Ton  se  voit  plus  proche  de  sa 
lnort;  car  J  c'est  une  ve'rite' mfaillible  qu'il  n'j  a  ni  ri- 
chesses  ni  emplois  dans  le  mohde  ,  que  tout  homme  qui 
approche  da  sa  fin  ne  donnat  volontiers,  pour  prolonger  ^ 
sa  vie  d'un  mois.  ApopJitegme  So/f.  Ajouttz  a  cela  la 
reponse  que  le  meme  Espagnol  fit  a  un  ami  qui  lui 
disait  :  Vous  vous  portez  bien  mieux  que  votts  ne  faisiez 
il  y  a  un  an.  Au  contraire,  dit-il,  tout  malade  que  j'etais 
je  me  portais  beaucoup  mieux ,  puisque  j'avais  plus  d'uit 
an  a  vivre.  Apophtegme  19. 

•■    ^   *    " 


162  L*H  O  M  M  E 

sail  deja  plus  ce  que  c'cst.que  de  dire  la  verite  , 
que  de  tenir  sa  parole.  Si  cjuelqucs-uns  le  font , 
ils  passent  pour  des  gens  du  vieux  temps ;  de 
sorte  que  personne  ne  les  imite  ,  bien  que  cha- 
cun  les  aime.  Malheureux  siecle ,  oii  la  vertu 
passe  pour  etrangere ,  et  la  malice  pour  une 
mode  courante !  Que  le  sage  vivc  done  comme  il 
pourra,  s'il  ne  le  peut  pas  comme  il  voudrait. 
Qu  il  se  tienne  content  de  ce  que  le  sort  lui  a 
donne  ,  comme  s'il  valait  mieux  que  ce  qu'il 
lui  a  refuse. 


MAXIME    CXXl. 

Ne  point /aire  une  affaire  de  ce  qui  n'en  est 
pas  une. 

Comme  il  y  a  des  gens  qui  ne  s'embarrasscnt 
de  rien ,  d'autres  s'embarrassent  de  tout ,  ils 
parlent  toujours  enministres  d'etat.  Ils  prennent 
tout  au  pied  de  la  lettre  ou  au  mjsterieux.  Des 
choses  qui  donnent  du  chagrin  ,  il  j  en  a  peu 
dont  il  faille  faire  cas  ;  autrement  on  se  tour- 
'  mente  bi^n  envam.  C'est  faire  a  contre  sens ,  que 
de  prendre  a  coeur  ce  qu'il  faut  jeter  derriere 
le  dos.  Beaucoup  de  choses  ,  qui  elaicnt  de 
quclque  consequence  ,  n'ont  rien  etc ,  parce 
que  i'on  ne  s'en  est  pas  aijU  en  peine ;  et  d'autres 


D  E     C  O  U  R.  1 85 

qui  n'etaicnt  rien  ,  sont  devenues  choses  d'im- 
portance  pour  en  avoir  fait  grand  cas.  Du  com- 
mencement il  est  aise  de  venir  a  bout  de  tout ; 
apres  cela ,  non.  Tres-^ouvent  le  mal  vient  du 
rcmede  meme.  Ce  n'est  done  pas  la  piie  regie 
de  la  vie  que  de  laisscr  aller  Ics  choses. 


MAXIME    CXXII. 

L'autorite  dcms  les  paroles  et  dans  les  actions. 

Cette  qualite  trouve  place  partout ,  lout 
d'abord  elle  s'empare  du  respect  j  elle  se  repand 
partout ,  dans  la  conversation,  dans  les  haran- 
gues ,  dans  le  port ,  dans  le  regard ,  dans  Ic 
vouloir  (i).  C'est  une  grandc  victoirc  que  de 

(i)  Ce  caractere  est  tres-necessaire  aux  princes  et  aux 
personnes  constitue'es  dans  leshautes  dignite's,  niais  sur- 
toiit  aux  ge'neraux  d'arme'e.  Tacite  dit  que  Drusus  ,  Ills 
de  Tibere ,  n'avait  pas  I'art  de  bien  dire ,  mais  qu'il  ne 
laissait  pas  de  parler  d'un  air  qui  sentait  I'homnie  de 
grande  naissauce.  Quanquam  rudis  discendi\,  nobilitate 
ingenita,  incusatpriora ,  prohat  proesentia ,  etc.  Ann.  i. 
Cette  autorite  tient  lieu  d'eloquence  aux  grands  capi- 
taines.  Malta  auctoritaie ,  quce  viro  jnilitari  pro  facun" 
dia  erat,  Ann.  i5.  Et  c'est  pour  cela  que  Galba  parlait 
tovijours  en  peu  de  mots  aux  soldats  ,  imperatoiia  hre- 
vitate,  dit  Tacite,  Histor.  i,  et  meme  sans  donner  aucun 
tour  d'e'loquence  a^^sPU^  discours  ;  Apud  Senatuin  non 


1 64  l'  H  O  M  M  E 

prendre  les  coeurs.  Cela  ne  vient  pas  d'une  folle 
hravoure,  ni  d'lm  parler  imperieux  ,  mais  d'lm 
certain  ascendant,  qui  nait  de  la  grandeur  du 
genie,  et  est  soulenu  d'un  grand  merite. 


MAXiME    C  XX  1 1 1. 

L'honmie  sans  affectation.  ^ 

Plus  il  j  a  de  perfection  et  moins  il  y  a 
d'affectation,  car  c'est  d'ordinaire  ce  qui  gate 
les  plus  belles  choses.  L' affectation  est  aussi  in- 
supportable aux  autres ,  quelle  est  pcnible  a 
celui  qui  s'en  sert  ,  d'autant  qu'il  vit  dans  un 
continuel  mar  tyre  de  contrainte ,  pour  se  mon- 

coniptior  Galbce,  non  longior,  quam.  apud  milites 
sermo.  Ibid.  Lc  discours  des  capitaines  et  meme  des 
princes ,  doit  avoir  plus  de  force  que  de  politesse  :  Mill-' 
iaris  viri  sensus  incomptos ,  sedvalidos.  Ann,  i5.  De 
rautorite'  dans  les  actions  ,  Tacite  en  donne  Texemple 
de  Cecinna ,  qui ,  dans  une  fausse  alarme  ,  ne  pouvant 
empeclier  la  fuite  de  ses  soldats ,  ni  par  prieres  ni  par 
menaces ,  se  jeta  a  travers  la  porte  principale  du  camp 
pourles  arreter  au  moins  par  la  compassion  et  par  la 
lionle  de  passer  sur  le  ventre  de  leur  ge'ndral.  Cum  neque 
auctorltate ,  neque  precibus ,  ne  manu  quidem  obsiS" 
teret ,  aut  retinere  militem  quiret ,  projectus  in  limine 
porta?  ^  miseratione  demum  ^  quia  per  corpus  legati 
eundum  erat  clausit  viam.  Anm,^  *• 


D  E    C  O  U  R.  l65 

trer  ponctucl  en  tout.  Les  plus  emlnentes  qua- 
lites  perdent  leur  prix ,  si  Ton  y  decouvre  de 
Taflbctation  (i)  ,  parce  qu'on  les  attribue  plutot 
(i)  L'afFectation ,  dit-il,  dans  lecliap.  17  du  He'ros ,  est 
le  contre-poids  de  la  grandeur.  La  perfection  doit  etre  eii 
toi,  et  la  loiiange  en  la  bouche  d'autrui.  Celui  qui  a  rim- 
pertinence  de  se  proner  lui-meme,  me'rite  bien  d'etre 
puni  du  silence  de  tous   les  aulres.  L'estime   est  toute 
libre ,  elle  ne  complait  jamais  a  I'artilice,  encore  moins  a 
la  violence.  Elle  se  laisse  persuader  a  I'e'loquence  muette 
des  qualite's  personnelles ,  et  non  point  a  une  ridicule 
ostentation.  Un  pen  de  bonne  opinion  de  nous-mcmes 
nous^ait  perdre  toute  Festime  des  autres.  Tous  les  Nar- 
cisses  sont  fous,   mais  les  Narcisses  d'esprit   sont  incu- 
rables, parce  que  le  mal  est  dans  le  remcde  meme.  Mais 
si  I'afFectation  des  perfections  est  une  folic  au  huitieme 
degre' ,  quel  degre'  assignera-t-on  a  I'afFectation  des  im- 
perfections ?  II  J  a  des  gens ,    qui ,  po  ur  fuir  I'afFectation 
y  donnent  jusquau  centre,  d'autant  qu'ils  affectent  de 
ne  point  affecter.  Tibere  afFecta  de   dissimuler,   mais  il 
ne  sut  pas  dissimuler  qu'il  dissimulait.  Le  plus  haut  point 
de  Fadresse  est  de  la  caclier,    et  de  couvrir  un  grand 
artifice  par  un  autre  plus  grand.   Deux  fois   grand  est 
celui  qui  a  toutes  les  perfections  et  n'a  point  de  langue 
pour  en  parler.  Par  une  indifference  ge'ne'reuse ,    il  re- 
veille Fatten tion  commune 5  et  comme  il  n'a  point  d'yeux 
pour  lui-meme,   cliacun  en  a   cent  pour  le  regarder  de 
tous  cote's.   Voila   ce    qu'il  faut  ajDpeler  le  miracle   de 
Fadresse.  Et  s'il  j  a  d'autres  voies  qui  menent  a  la  gran- 
deur,   celle-ci  ^    quoique  toute  contraire  ,    conduit  de 
bonne  heure  au  trone  de  la  renomme'e ,  a  la  gloire  de 
Fimmorlalitc. 


1 66  l'  H  O  M  M  E 

a  une  coulralnte  ariificieuse  ,  qu  au  vrai  carac- 
tere  de  la  personne  .*  joint  que  tout  ce  qui  est 
nalurel  a  toujours  ete  plus  agreableque  ce  qui 
est  artificiel.  On  passe  pour  etrangcr  en  tout 
ce  que  Ton  affccte;  mieux  on  fait  une  chose  ,  et 
plus  il  faut  cachcr  le  soin  que  Ton  apporte  a  la 
faire ,  afin  que  cliacun  croie  que  lout  y  est  na- 
turel.Mais  en  fujant  I'affcctation  ,  prends  bien 
garde  d'y  tomber  en  affectant  de  ne  pas  alFec- 
ter.  L'hommc  adroit  ne  doit  jamais  montrer 
qu'il  soit  persuade  de  son  mcrite  j  moins  il 
paraitra  se  soucierde  lefaire  connailre  ,  plus  il 
excitera  la  curiosile  des  autres.  Celui-la  est  deux 
fois  excellent  qui  renferme  toutes  les  perfec- 
tions en  soi  ,  sans  en  vanter  aucune  ;  il  arrive 
au  tcrme  de  la  plauslbilite  par  un  chemin  pcu 
frequente. 


MAXIME    CXXIV. 

Se  faire  regretter. 

Peu  de  gens  ont  ce  bonheur ,  ct  e'en  est  un 
tout  extraordinaire  de  letre  dcs  gens  de  bien. 
D'ordinaire  Ton  a  de  Tindifference  pour  ceux 
qui  achevent  leur  temps.  II  j  a  divers  moyens 
de  meriterFhonneur  d'etre  regrette ,  I'emincnce 
desqualitesreconnues  dans  rexercic<jderemp!oi 


D  E    C  O  U  R.         -  167 

tn  est  un  bien  sur  5  de  contenter  tout  le  monde , 
en  est  un  efficace  (i).  L'eminence  fait  naitre  la 
dependance,  des  qu'on  connait  que  Temploi 
avait  besoin  de  Fhomme  qui  Texerce  ,  ct  non 
riiomme  de  Femploi.  Queiques-uns  honor ent 
leurs  charges ,  et  d'autres  en  sont  honores.  Ce 
n'est  pas  un  avantage  que  de  paraitre  bon  ,  a 
cause  que  Ton  a  un  mauvais  successeur  (2)  3 
car  ce  n'est  pas  la  etre  vraiment  rcgrette  ,  mais 
seulement  etre  moins  hai. 

Wlw)  Car,  comme  dit  le  jeune  Pline,  si  Ton  s'est  fait 
aimer ,  I'ainour  dure  eocore  apres  le  depart  ^  mais  si  I'oh 
s'est  fait  craindre  ,  la  crainte  s'en  va  avec  la  personne  et 
la  haine  prend  la  place  de  la  crainte  ^  au  lieu  qufe  la 
r^ve'rence  succede  a  I'amour  :  Afale  terrore  veneratio 
acquiritur...,  nam  timor  ahit;  si  recedas  ,  manet 
amor :  ac  sic,  ut  ille  in  odium,  hie  in  reverentiam 
vertatur.  Ep.  ultim,a,  lib.  8.  A  quoi  revient  cet  axiome 
de  Tacite  :  Qui  dmere  desierint ,  odisse  incipient.  C'est- 
a-dire ,  ceux  qui  cesseront  de  craindre  commenceronl  a 
hair.  In  Agricola, 

(2)  C'est  en  ce  sens,  que  Mucien  disait  qu'Othon 
e'tait  regrette',  et  semblait  meme  avoir  e'te'  un  grand 
prince,  seulement  a  cause  des  vices  et  des  de'bauches 
infames  de  son  successeur :  Vitellium,,  qui  Othonem, 
jam  de  siderabilem ,  et  magnum  princip  em  fecit.  Tac. 
Hist.  2.  -  '  . 


1  68  l'  II  O  M  M  E 

MAXIME    CXXV. 

N'etre  point  Uvre  de  conipte. 

C'est  uric  marque  dc  mauvalsc  reputation 
que  de  prendre  plaislr  a  fletrir  celle  d'autrui. 
Quelqucs-uns  voudraieiit  layer ,  ou  du  moins 
caclier  leurs  taches ,  en  faisant  remarquer  celles 
des  autres  (i).  lis  se  consolcnt  de  leurs  defauts 

( I )  Le  jeune  Pline  dit  ;  Qu'il  y  a  des  gens  ,  qui  e'tant 
esclaves  de  toutes  leurs  passions  ,  s'emportent  contreJBjj^' 
vices  des  autres  ,  conime  s'ils  lisur  portaient  envie ,  et 
punissent  tres-rigoureusement  ceux  qu'ils  imitent  davan- 
tage  :  que  pour  lui ,  il  tient  pour  le  plus  grand  homme 
de  bien  celui  qui  pardonne  aux  autres ,  comme  s'il 
3nanquait  tous  les  jours  et  qui  s'abstient  de  manqucr  , 
comme  s'il  ne  pardonnaita  personne.  Que  nous  devons 
etre  implacables  envers  nous  memes  et  indulgens  jus- 
qu'a  ceux  qui  ne  le  sont  jamais  qu'envers  eux-memes  : 
Qui  omnium  lihidinum  servi ,.  sic  aliorum  vidis  iras- 
cuntur ,  quasi  invideant ,  et  gravissime  puniunt  quos 
maximh  imitantur.  Atque  ego  optimum,  et  emenda- 
tissifnum.  existimo ,  qui  ceteris  ita  ighoscit ,  tanquam 
ipse  quotidie  peccet  ;  ita  peccatis  ahstinet  ,  tanquam 
nemini  ignoscat.  Proiiide  hoc  dom,i  ,  hoc  foris ,  hoc 
in  omni  vitce  genere  teneamus  y  ut  nobis  implacabiles 
simh's  ;  exorabiles  istis  etiam ,  qui  dare  veniam  ,  nisi 
sibit,  nesciunt.  Ep.  11  ,  lib.  8.  Philippe  II ,  roi  d'Es- 
pagne  ,  ne  voulait  point  qu'on  parlat  ma}  de  personne 
en  sa  presence,   disant,   qu'il  aj  avait  point  d'homme 


DE    COUR.  169 

sur  ce  que  les  autres  cri  ont  aussi ,  qui  est  la 
consolation  des  fous.  Ces  gcns-la  oiit  toujours 
la  bouche  puante,.leur  bouchc  etant  Tegout 
dcs  immondices  civilcs.  Plus  on  creuse  enccs  n/a- 
lieres  et  plus  on  s'embourbe.  U  ny  a  guere  de 
gens  qui  n'aient  un  defaut  origincl ,  soil  a  droite 
ou  a  gauche.^Les  fautes  ne  sont  pas  connues 
en  ccux  qui  sont  peu  connus  (i).  Que  rhommc 
prudent  se  garde  bien  d'etre  le  registre  des  me- 
disances  ;  cV.st  la  s'eriger  en  modeie  tres-desa-  V 
greablc  ,  et  etre  sans  ame  ,  bien  que  Ton  soit  $[ 


i 


en  vie.    .    .-      ..-v.  -  ,_    ,^       . 


de  bien  qui  ne  put  etre  encore  meilleur  ,  ni  de  me'chant 
qui  ne  put  devenir  encore  pire  :  que  les  bons  me'ritaient 
d'etre  re'compense's  a  cause  de  leur  vertu  ,  et  les  me'- 
chans  d'etre  excuse's  a  cause  de  la  fragilite  bumaine. 
Dans  leDon  Fillpe  el  prudente ,  cbap.  pe'nultieine. 

( I )  C'est  par  cette  raison  que  les  fautes  des  princes 
sont  connues  de  tout  le  monde.  D'ordinaire  ,  dit-il  dans 
son  Ferdinand y  elles  naissent  dans  le  lieu  le  plus  secret 
de  leur  palais  ,  et  incontinent  elles  se  re'pandent  dans 
les  places  publiques.  Habet  hoc  y  dit  le  j^une  Pline 
.;dans  son  Pane'gjrique  y  magna  fortuna  ,  quod  nihil 
tectum  ,  nihil  occultum  esse  patitur,  Principum,  verb 
cubicula  ipsa  ,  intimosque  secessus  recludit ,  omniaque 
arcana  noscenda  famcG  proponit. 


MAXIME    CXXVI. 

Ce  nest  pas etre/ou  que  de  falre  unefoUe  , 
mats  hien  de  ne  la  savoirpas  cacher{i). 

Si  Ton  doit  cacher  ses  passions ,  Ton  doit  en- 
core plus  Gacher  ses  defauls.  Tons  les  hommcs 
manquent,  mais  avec  cette  difference  que  les 
gens  d'esprit  pallient  les  fautes  faites ,  et  que  les 
fous  montrent  celles  qu  ils  vont  faire.  La   re- 
putation  consisle  dans  la  maniere  de  faire ,  plu- 
tot  que  dansce  qui  se  fait.  Si  tu  n'es  pas  chaste, 
I  dit  le  proverbe  ,  fais  semblant  de   I'etre.  Les 
fautes  des  grands  hommes  sont  d'autant  plus 
remarquables,  que  ce  sont  des  eclipses  de  gran- 
des  lumiercs.  Quclque  grande  que  soit  I'amitie, 
ne  lui  fais  jamais  confidence  de  tes  defauts;  ca- 
ches-les  meme  a  loi-meme ,  si  cela  se  pcut.  Du 
moins  on  pourra  se  servir  de  cette  autre  regie 
de  vivre  ,  qui  est  de  savoir  oublier. 


MAXIME    CXXVII. 

Le   Jif    NE    SAIS    QUO  I. 

C'est  la  vie  des  grandes  qualites  ,  le  souflle 
des  paroles ,  Tame  des  actions ,  le  lustre  de  toutes 

( I  )  II  attribue  ce  mot  au  cardinal  Madruce,   (Chris- 
toplie  )  dans  le  chap.  2  du  He'ros. 


Les  bcautes.  Lcs  autres  perfections  sonl  I'orne- 
mcnt  de  la  nature,  le  je  ne  sais  quoi  est  celui 
des  perfections.  II  sefait  remarquer  jusque dans 
la  maniere  dc  raisonner;il  tient  beaucoup  plus 
du  privilege  que  de  I'etude ,  car  il  est  meme  au- 
dessus  de  toutp  discipline.  II  ne  s'en  tient  pas 
a  la  facilite,  ii  passe  jusqu'a  la  plus  fine  galan- 
terie.  11  suppose  un  esprit  libre  et  degage  ,  et 
a  cc  degagement  il  ajoute  le  dernier  trait  de  la 
perfection.  Sans  lui  toute  beaute  est  morte  , 
toute  grace  est  sans  grace.  11  Temporte  sur  la 
Valeur ,  sur  la  discretion  ,  sur  la  prudence  ,  sur 
la  majeste  meme.  C'est  une  route  politique  , 
par  oil  I'on  expedie  bientot  les  affaires ,  et  enfin 
Tart  de  se  rclirer  galamment  detout  embarras. 

//  est  bon  d^apporterici  pourconiinentaire  la  traduc- 
tion de  tout  le  chap.  i'5  du  He'ros,  ou  il  donne  une  idee 
un  peu  plus  distincte  de  ce  que  c'est  que  le  despejo. 

Le  JE  NE  SAis  QUOI  ,dit-il  ,est  Fame  de  toutes 
les  qualites  ,  la  vie  de  toutes  les  perfections  , 
la  vigueur  des  actions ,  la  bonne  grace  du  Ian- 
gage,  et  le  charme  de  tout  ce  qu'ily  a  de  bon 
gout.  II  amuse  agrcablement  I'idee  et  I'lmagi- 
nallon ,  mais  il  est  inexplicable.  C'est  quelque 
chose  qui  rehaussc  Teclat  de  toutes  les  beautes  , 
c'est  une  beaute  formelle  jles  autres  perfections 
Hpnient  la  nature,  mais  le  je  ne  sais  quoi  orne 


17^  l'hommE" 

les  ornemens  memes.  De  sortc  que  c'est  la  per- 
fection de  la  perfection  meme  ,  acconipagnee 
d'une  bcaute  transcendante ,  et  d'une  grace  iini- 
verseile.  II  consiste  dans  un  certain  air  du 
nionde,  dans  un  agrement  qui  n'a  point  de  nom, 
mais  qui  se  voit  dans  le  parier ,  dans  les  facons 
de  faire,  et  dans  le  raisonnement.  Son  plus  beau 
lui  vient  de  la  nature,  et  le  reste  ille  lient  de  la 
reflexion;  car  il  ne  s'est  jamais  assujeti  a  aucmi 
preeepte  imperieux ,  mais  toujours  au  meilleur 
en  chaque  espece.  On  I'a  appele  charme  ,  a 
cause  qu'il  derobelescoeurs^air  fin,  parce  qu'il 
est  imperceptible  ;  air  vif ,  a  cause  de  son  acti- 
vite;  air  du  monde,  pour  sa  politcsse ;  cnjoue- 
nient  ct  belle  humeur,  pour  sa  facilite  et  pour 
sa  complaisance,  car  Fenvie  et  I'impossibilite 
de  le  definir  lui  ont  fait  donner  tous  ces  noms. 
C'est  lui  faire  tort  que  de  le  confondre  avec  la 
facilite  ,  car  elle  ne  le  suit  que  de  tres-loin  ; 
il  va  jusqu'a  la  plus  fine  galanterie.  Bien  qu'il 
suppose  un  entier  degagement ,  il  met  encore 
la  perfection  pardessus.  Les  actions  ont  leur 
sage-femme,  et  c^estace  je  ne  sais  quoi  qu'elles 
sont  redevablesd'accouclier  heureusement.  Sans 
lui  elles  naissent  mortes,  sans  lui  les  meilleures 
choses  sont  fades:  joint  qu'il  n  est  pas  tantFac- 
cessoire  qu'il  ne  spit  aussi  quelquefois  le  prin- 
cipal. Il   ne  scit  pas  seulcment  d'ornement,^ 


DE    COUR.  175 

mais  aussi  d'appui  ct  de  direction  dans  Ics  af- 
faires ;  car  comme  il  est  Tame  de  la  beaute  ,  il 
est  I'esprit  de  la  prudence  ,  comme  il  est  lo 
principe  de  la -bonne  grace,  il  est  la  vie  de  la 
valeur.  Dans  un  capitaine ,  il  va  du  pair  avec  la 
bi^avoure ,  et  dans  un  roi ,  avec  la  prudence. 
Dans  le  choc  d'une  bataille ,  Ton  n%  ie  reconnait 
pas moins a cet  air  assure  et  intrepidc ,  qua Ta- 
clresse  de  manier  les  amies,  et  a  la  vaillance.  II 
rend  un  general  maitre  de  soi-meme,  et  puis  de 
toutle  reste  .11  est  aussi  impetueux  a  cheval  qu'il 
est  majestueux  sous  le  dais.  C'estlui  qui ,  dans 
la  chaire  ,  donne  la  grace  aux  paroles;  c'est  avec 
son  filet  d'or ,  qu'HENRi  IV ,  le  Thesee  de  la 
France ,  sut  sortir  adroitcment  du  labyrinthe  de 
lant  d' obstacles  et  de  tant  d'affaires  (i). 

(i)  ^  cette  description  du  Despejo  ,  qui  est  tres-me'ta^ 
•physique ,  peut  servir  do  glose ,  ce  que  dit  le  pere 
Bouhours  dan9  le  cinquieme  entretien  d*Ariste9  et 
d'Eugene, 

II  est  bien  plus  aise  de  le  sentir  que  de  le  connaftre , 
dit  Ariste.  Ce  ne  serait  plus  un  je  ne  sais  quoi  ,  si  Ton 
savait  ce  que  c'est ;  sa  nature  est  d'etre  incomprehen- 
sible et  inexplicable  ;  Et  une  page  apres  :  Ce  n'est  pre- 
cise'inent  ni  la  beaute  ,  ni  la  bonne  mine ,  ni  la  bonne 
•grice  ,  ni  I'enjouement  de  I'humeur  ,  ni  le  brillant  de 
I'esprit ,  puisque  Ton  voit  tons  les  jours  des  personnes 
qui  ont  toutes  ces  qualite's  sans  avoir  ce   qui  plait;  et 


1 74  i-'n  O  M  M  E 

MAXIME  CXXVIII. 

Le  haul  courage. 

C'est  une  desprmclpales  conditions  requises 
a  un  heros  ,  d'autant  qu'un  tcl  courage  Taiguil- 

que  Ton  en  volt  d'aulres ,    au  contraire  ,   qui  plaisent 

Leaucoup  sans  avoir  rien   d'agre'able  que  le  je  ne  sais 

quoi.    Ainsi ,    ce  qu*on  en  peut  dire   de  plus  certain  , 

c'est  que  le  plus  grand  nxe'rite  ne  peut  rien  sans  lui ,  et 

qu'il  n'a  besoin  que   de  lui-meme   pour  faire   un  fort 

grand  effet.    On  a  beau  etre  i)ien  fait ,    spirituel ,   en- 

joue,    etc.  ,    si  le  je  ne  sais  quoi  manque  ,    toutes  ces 

belles  qualite's  sont  comme  mortes ;    mais  aussi ,  quel- 

ques  de'fauts  qu'on  ait  au  corps  et  en  I'esprit ,   avec  ce 

»eul  avantage  on    plait   infailliblement.     Le  je  ne  sais 

quoi  racommode  tout.    II  s'ensuit  de  la  ,   dit  Eugene  , 

que  c'est  un  agre'ment  qui  anime  la  beaute'  et  les  autres 

perfections    naturelles ;    qui   corrige  la    laideur    et  les 

autres   defauts    naturels;    que  c'est   un  charme  et  un 

air   qui   se   mele  a  toutes  les    actions  et    a  toutes    les 

paroles  j  qui  entre  dans  le  marcher  ,  dans  le  rire  ,  dans 

le  ton  de  la  voix ,    et  j usque  dans  le  moindre  geste  de 

la  Jieirsonne  qui  plait.  Et  quatre  ou  cinq  pages  apres, 

il  dit :  que  les  Espagnols  ont  aussi  leur  No  se  que  qu'ils 

melent  a  tout ,   outre  leur  donajre  ,    leur  brio  et  leur 

despejo  ,  que  Gracian  appelle  alma  de  toda  prenda , 

realce  de  los  mismos  realces ,  perfeccion  de  la  misma 

perfeccion ,    et   qui  est,    selon  le  meme   auteur,    au- 

dessus  de  nos  pense'es  et  de  nos  paroles.    Lisongea  la 

inteligencia  ,   j  estranna  la  expliQacion.    Ce  que  je 

■^W       ..       11.:. 


BE    COUR.  175 

lonne  a  tout  ce  qu'il  j  a  de  grand  ,  lui  raffine  le 
gout  ,  lui  enfle  le  coeur  ,  releve  ses  pcnsees  et 
scs  nianieres ,  et  le  dispose  a  la  majeste.  Partout 
ou  il  se  trouve  il  se  fait  passage ;  et  lorsque  Tini- 
quite  du  sort  s'opiniatre  contre  lui ,  il  tcnte 
tout  pour  en  sortir  a  son  honneur.  Plus  il  est 
rcsserre  dans  les  bornes  de  la  possibilite  ,  et 
plus  il  veut  se  mettre  au  large.  La  magnani- 
niite ,  la  generosite  et  toutes  les  qualites  heroi- 
ques  le  reconnaissent  pour  leur  source. 

La  forte  tete ,  dit  Gracian,  chap.  4  du  Hews , 
est  pour  les  philosophes  j  la  bonne  langue  pour 
les  orateurs;  lapoitrine  pour  les  athletes  j  les  bras 
pour  les  soldats  j  les  pieds  pour  les  coureurs  ; 
les  epaules  pour  les  porte-faix  j  le  grand  coeur 
pour  les  rois.  Le  coeur  d' Alexandre  fut  un  or- 
chicoeur ,  puisque  tout  le  monde  y  tenait  aTaise 
dans  un  coin ,  et  qu  il  j  avait  assez  de  place 
pour  six  autres  mondes(i).  Celui  de  Jules-Cesar 
fut  tres-grand ,  puisqu  il  ne  trouvait  point  de 
milieu  entre  tout  et  rien.  Le  coeur  est  I'eslO'- 

rapporte  ici ,  pour  montrer  que  le  Despejo  est  un  je 
Ue  sais  quoi ,  qui  n'a  point  de  nom  5  et  que  tous  ceux 
qu'on  lui  donne  sont  de  beaux  mots  ,  que  les  savans 
ont  mvente's  pour  flatter  leur  ignorance.  Ce  sont  les 
termes  du  pere  Bouhours. 

( I )  C'est  qu'on  lui  dit  un  jour  qu'il  j  avait  |)lusieurs 
mondes. 


176  l/ H  O  M  M  K 

mac  de  la  fortujie  :  il  digere  egalement  ^es  fa- 
veurs  et  ses  disgraces.  Un  grand  estomac  n'est 
pointcharged'une'grande  nourriture.  Ungeant 
reste  affame  de  ce  dont  un  nain  est  soul. 

Ce  prodige  de  valeur  ,  Charles  ,  dauphin  de 
France  ,  et  depuis  roi,  VII  du  nom,  apprenant. 
que  son  pere  et  le  roi  d'Anglcterre ,  son  con-  ^ 
current ,  I'avaient  fait  declarer  an  parlcment 
incapable  de  succedcr  a  la  couronne  ,  repondit 
fierement  qu'il  en  appelait.  Et  comme  on  lui 
demanda  par  admiration,  a  qui?  A  mon  cou- 
rage et  a  la  pointe  de  mon  epee ,  reparlit-il. 
L'effet  s'en  suivit.  Charles-Emmanuel,  I'Achille 
de  Savoy e  ,  defit  quatre  cents  cuirassiers  ,n'ajant 
que  quatre  hommes  a  ses  cotes  ;  et  vojant  que 
chacun  en  etait  surpris  ,  il  dit ,  que ,  dans  les 
plus  grands  dangers  ,  il  n  j  avail  point  de  com- 
pagnie  qui  valut  celic  d'un  grand  coeur.  La  su- 
rabondance  de  coeur  supplee  a  tout  ce  qui  man- 
que d'ailleurs.  Le  roi  d' Arabic  ,  montrant  a  ses 
courtisans  un  coutelas  de  Damas  ,  dont  on  lui 
avait  fait  present ,  ils  dirent  tons ,  que  le  seul  ^ 
defaut  qu  ilsy  trouvaicnt ,  etait  d'etre  trop  court,  t 
Mais  le  fils  du  roi  dit  qu'il  n  j  avait  point  d'arme 
trop  cpurte  pour  un  brave  cavalier,  d'autant 
qu'il  na  qua  avancer  un  pas  pour  la  rendre 
iassez  longue  (i). 

( I )  Cest  la  re'ponse  que  fit  une  dame  de  Sparte  a 


DE    COUR.  177 

MAXIME    CXXIX.  j 

Ne  se  plaindre  jamais. 
■  Les  plalntes  ruinent  toujours  le  credit  ^  clles 


excltent  plutot  la  passion  a  nous  offender  ,  3110 
Ja^  compassion  a  nous  consoler ;  elles  ouvrent 


^le  passage  a  ccux  qui  les  ecoutent ,  pour  nous 


S2l 

Itel 


^faire  la  meme  chose  que  ceux  dequi  nou^^o 
plaignons ;  et  la  connaissance  de  Tinjure  faite 
par  le  premier  sert  d'cxcuse  au  second.  Quel- 
ques-uns  ,  en  se  plai^nant  des  offenses  passees  , 
donnent  lieu  a  celles  de  Tayenir ;  et  au  lieu  du 


remede  et  de  la  consolation  guils  pretender^];:  ^ 
ils  donnent  du  plaisir  aux  autrcs  ,  et  s'attirent 
jtieme  leur  mepris (i).  Cestbien  une  mejlleurc 
politique  de  publier  les  obligations  que  Ton^ 


^ux  gens ,  afin  d'exciter  les  autres  a  nous  obliger 


son  fils  ,  qui  se  plaignait  d'avoir  une  epe'e  trop  courte. 
Ajoutez  a  cela  le  beau  mot  de  Cesar  a  un  pilote  qui 
craignait  d'etre  assailli  de  la  tempete ;  Ne  crains  point , 
luidit-il,  til  partes  Cesar  et  sa  fortune. 

(i  )  Quand  tu  seras  me'content,  dit  Juan  Rufo  a  son 
fils  ,  cache-le  si  tu  peux ;  car  quoiqu'on  dise  cojnmu- 
ne'ment  ,  que  de  conter  son  mal  aux  autres  c'est  un 
mojen  de  se  le  rendre  plus  supportable,  il  J  a  plus 
d'bonneur  a  n'en  point  parler ,  parce  que  c'est  une 
marque  de  courage  et  de  force  d'esprit.  Dans  sa  lettre 
eit  vers, 

12        .   ^' 


173  l'iiomme.  ' 

kiussi.  (1)  Parlcr  souyeht  des  graces  recues  Jes 
fl^ersonncs  abseiites^c''est  rechercher  cclles  de 


^  ceux  c^ui  sont  prescns  ,  c'est^  vendre  le  credit' 
[clcsjHis  aux  aiitres.  Ainsi^rhommc  prudent  nc 
doit  jamais  publier  ni  les  disgraces ,  ni  les  de- 


fauts_,  mais  bicn  les  favcurs  ct  leshonficurs  ;  ' 

ce_c|[ui  sert  a  conscrver  Festime  des  amig,aJ!f  ^^^ 

ontenir  les  ennemis  dans  leur  devoir. 


F^oj-ez  la  Maxime  145. 


3.^ 


/^<y.,  .     MAXIME    CXXX. 

'-'-  Falre  ,  et*fciire  paraitre. 

Ijes  choses  ne  passent  point  pour  ce  qu'elles 
sont ,  mais  pour  ce  qu'elles  paraissenl  etre.  Sa- 
voir  faire  et  le  savoir  montrer  ,  c'est  double^ 
savoir.  Ce  qui  ne  se  voit  point ,  est  comme  s'il 
n'elait  point.  La  raison  meme  perd  sonaulorite 
lorsqu'elle  ne  paraat  pas  telle.  U  j  a  bien  plus 

( I )  C'est  en  ce  sens  que  le  jeune  Pline  ,  recomman- 
dant  un  chevalier  romain  a  un  de  ses  amis ,  dit  qu'fl  y 
a  du  plaisir  a  obliger  ce  chevalier ,  qui  s'en  fait  un  de 
publier  et  de  reconnaitre  les  bienfaits ;  en  sorte  que 
ceux  qu'il  recoit  lui  en  font  toujours  m^riter  d'autres  r 
Beneficia  mea  tuerl  nullo  modo  melius ,  quam  ut  ait' 
geam ,  possum  ,  pta^sertim  cUm,  ipse  ilia  tarn  grate 
interpretetur,  ut,  dum^priora  accipitj  posteriora  merea-- 
tur,  Ep.  i5.  lib.  2- 


DE    COUR.  179 

de  gens  trompcs  que  d'habiles  gens.  La  irom- 
perie  I'emporte  hautemeni  ,  d'autanl  que  Ics 
choses  ne  sont  regardees  que  par  le  dehors. 
Blen  des  choses  paraissent  lout  autres  qu'elles 
ne  sont.  Le  bon  exterieur  est  la  meilieure  rc- 
conuiiandation  de  la  perfection  interieure. 


M  AXIME     CXXXL 

Le  procede  de  galajit  honime. 

Les  ames  ont  leur  galanterie  et  leur  gentil- 
lesse  ,  d'ou  se  forme  le  grand  coeur.  Cette  per- 
fection ne  se  rencontre  pas  en  toutes  sortes  de 
personnes  ,  parce  qu'elle  suppose  un  fonds  de 
generosite.  Son  premier  soin  est  de  parler  bien 
de  ses  ennemis  ,  et  de  les  servir  encore  mieux. 
Cest  dans  les  occasions,  de  se  venger  ,  qu  il  pa- 
rait  avec  plus  d'eclat.  II  ne  neglige  pas  ces  oc- 
casions ,  mais  c'est  pour  en  faire  un  bon  usage, 
en  preferant  la  gloire  de  pardonner  au  plaisir 
d'une  vengeance  victorieuse.  Ce  procede  est 
meme  politique,  attendu  que  la  plus  fine  raison 
d'etat  n'afiecte  jamais  ces  avantages  ,  parcc 
quelle  n'affecte  rien  j  et  quand  le  bon  droif  les 
^  remporle  ,  la  modesiie  les  dissimule  (i). 

(i)   L'histoire  romaine  donne  un   grand  exeniple  de 
cette  gcne'rosile  ,  en  ce  qu'elle  rapporte  de  rempereur 


'^.' 


iSo  l'homme 

M  AXIME    CXXXII. 

S'aviser ^  et  se  las^iser. 

En  appeler  a  la  revision,  c'est  la  voie  la  plus 
sure ,  surtout  quand  I'avaritage  est  certain , 
soit  pour  octroyer,  ou  pour  mieux  delibererj 
il  est  toujours  bon  de  prendre  du  temps.  11 
vientdenouvelles  pensees  qui  confirment  et  for- 
tifient  la  resolution.  S'il  est  question  de  donner, 
le  don  est  plus  estime  a  cause  du  discernement 
de  celui  qui  le  fait ,  que  pour  Ic  plaisir  de  ne 
Tavoir  pas  attcndu  (i).  Ce  qui  a  ete*^  desire  ,  a 

Adrien  ,  qui  ajant  rencontre  un  Lomme  qui  Tavait  fort 
offense  lorsqu'il  n'e'tait  encore  que  particulier  ,  lui  cria : 
Tu  nas  plus  rienp,  craindre.  Adrien  ,  dit  Gracian  au 
chap.  4.  ^^  Heros  ,  enseigna  un  rare  et  sureminent 
mojen  de  triompher  des  ennemis  ,  quand  il  dit  au  plus 
grand  des  siens  :  Tu  es  e'chappe'.  II  n'y  a  point  d'e'Iog® 
qui  vaille  ce  beau  mot  de  Louis  XII ,  roi  de  France  ; 
II  ne  sied  pas  au  roi  de  France  de  vender  les  que- 
relies  du  due  d' Orleans.  Ce  sont  la  les  miracles  que 
fait  un  coeur  de  heros.  Ainsi ,  c'e'tait  a  juste  titre  que 
ce  roi  portait  pour  devise  un  roi  d'abeilles  environne  de 
son  essaim  ,  avec  ces  paroles  :  Non  utitur  aculeo  rex  , 
cui  paremus.  L'un  des  sept  Sages  disait  que  le  pardou 
valait  mieux  que  le  repentir. 

( I )  Le  jeune  Pline  dit :  que  moins  il  entre  de  saillie 
et  de  passion  dans  la  libe'ralite  ,  plus  elle  est  louable : 
Tantb  laudahilior  munificentia  ,  quod  ad  illam  non 
imp  etu  quo  dam  J  sed  consilio  trahimur,  Ep.  8.  lib.   i. 


DE    COUR.  l8l 

toujours  ete  plus  estime  (i).  Si  c'est  une  chose 
a  refuser,  le  temps  en  faciJite  la  maniere,  en 
laissant  niurir  le  non  ,  jusqua  ce  que  la  saison 
soit  venue  :  joint  que  le  plus  souvent,  des  que 
la  premiere  chaleur  du  desir  est  passee  ,  Ton 
rccoit  indifferemmentlarigueurdu  refus.  Ceux 
qui  demandent  a  la  hate  doivent  etre  ecoutes 
a  loisir  (2) ;  c'est  le  vrai  mojen  d'eviter  la  sur- 
prise. 
Vojez  la  Maxime  70.  r^ 


MAXIME    CXXXIII. 

i^Lre  plutot  fou  cii^ec  tous  que  sage  tout  scul. 

Car  si  tous  le  sont ,  il  ny  a  rien  a  perdrc  , 
disent  les  politiques  ;  au  lieu  que  si  la  sagessc 
est  toute  seule  ,  elle  passera  pour  folic.  11 
faut  done  suivre  Tusage  (3).   Quelquefois  le 

( 1 )  Desiderata  diu  res ,  dit  Tacite ,  in  majus  accipi- 
tur.   Hist.  5. 

(2)  Le  meme  Pline  dit :  Que  le  repentir  est  le  com- 
pagnon  de  la  liberalite  hative  :  Subitce  largidonis  co- 
initem  pccnitentiam.  Ibidem.  Et  Tacite  dit,  qu'il  ne  se' 
faut  jamais  hater  de  donner  ce  que  Ton  ne  peut  plus 
oter  apres  I'avoir  donne  :  Tarde  concedetet ,  quod  da^ 
turn  lion  adimSretur.  Ann.  i5. 

(5)  Frcesentia  sequi  ,  dit  Tacite  ,  Hist.  4.  Et  dans  la 
vi€  d'Agricola  ,  son  beau-pere  ,  il  1«  loue  d'ayoir  »u  sf 


1 82  l'h  O  M  M  E 

plus  grand  savoir  est  de  ne  rien  savoir ,  ou 
duL  nioins  d'cn  faire  semblant.  L'on  a  bcsoiu 
de  vivre  avec  les  autres  y  et  les  igiiorans 
font  le  grand  nombre.  Pour  vivre  seul,  il  faut 
tenir  beaucoup  de  la  nature  de  Dieu  ,  ou  etre 
tout  a  fail  decelle  des  betes.  Mais ,  pour  modifier 
i'apborisme  ,  je  dirais  :  Plutot  sage  avec  les 
autres  ,  que  jhu  sans  compagnon.  Quelques- 
uus  affectent  d'etre  sin<]juliers  en  chimeres. 


H^  MAXIME    CXXXIV. 

A^ou'  le  double  des  choses  necessaires  a 
la  vie,  / 

C'est  vivre   doublement.  II  ne  faut  pas  se 

restreindre  a  une  seulc  chose,  bieii  memequ^elle 

-  ,,»   i^oit  e^ccellente.  Tout  doit  etre  au  double,  et 

^       ^stirlout  ce  qui  est  utile  et  delectable.  La.  lunc 

Corner  dans  la  sagesse  :  Retinuit ,  quod  est  difficillt- 
rnum  pex  sapientiamodum  ;  et  de  s'etre  abstenu  de 
faire  de  grandes  choses  sous  le  regne  de  Neron ,  sous 
qui  I'oisivete'  tenait  lieu  d'un  grand  nie'rite  ;  Inter  Quces- 
turam  ac  Trihunatum.  plehis ,  atque  etiam  ipsum  Tri- 
bunatiis  annum  ,  quiete  et  otio  transiit ,  gnarus  sub 
Nerone  temponim ,  quibus  inertia  pro  sapientia  fuit. 
All  dire  du  mt/ne  Tacite  ,  quelquefois  la  sagesse  est  hors 
♦\'  saison.  Intempestivam  sapientiam.  Hist.  5. 


DE    COUR.  l85 

loute  changeante  qu  elle  est,  Test  encore  moins 
que  la  volontc  humalne  ,  tant  cette  volonte  est 
fragile.  C'est  pourquoi  il  faut  mcttre  une  Lar- 
riere  a  son  inconstance.  Tenez  done  pour  regie 
principaie  de  Tart  de  vivre  ,  d' avoir  au  double 
tout  ce  qui  sert  a  la  commodite.  Comme  la  na- 
ture nous  a  donne  le  double  des  mcmbres  les 
plus  necessaires  ,  et  les  plus  exposes  au  dan- 
ger ,  I'art  doit  pareillement  doubler  les  choses  , 
dont  depend  le  bonheur  de  la  vie. 


MAXIME    CXXXV. 

N'etre  point  esprit  de    contradiction. 

Car  c'est  se  rendre  ridicule ,  et  meme  insup- 
portable. La  sagesse  ne  nianquera  jamais  de 
conjurer  contre  cet  esprit.  C'est  etre  inge- 
nieux  que  de  trouver  des  difficultes  a  lout  ^ 
mais  c'est  donner  dans  la  folic  que  d'etre 
opiniatre  (i).Ces  gens-la  tournent  la  plus  douce 

(i)  Dans  les  Apoplitegmes  AeJuanRufo ,  je  trouve  ua 
|)recepte  qui  merite  d'etre  mis  ici  pour  commentaire  : 
Laisse  tnujours  la  dispute  ,  dit-il ,  avant  qu'elle  com- 
mence de  s'e'chau£fer ,  car  la  victoire  est  du  cote'  de  celui 
qui  fuit  de  contester.  C'est  a  celui  meme  qui  a  raison 
de  ce'der  a  I'aulre ,  en  disant  comme  la  vraie  mere  de 
cet  enfant  demande'  par  une  autre  femme  a  Salomon  j 


X84  L*HOMME 

conversation  en  petite  guerre,  et  sent  par  con- 
quent  plus  cnnemis  de  leurs  amis  ,  que  de 
ccux  qui  ne  les  frequentcnt  point.  Plus  une 
bouchee  de  poisson  est  savoureuse  ,  el  plus 
on  sent  Tarete  qui  enlre  dans  les  dents.  La 
contradiction  fait  le  meme  effet  dans  les  doux 
entreliens.  Ce  sont  dcs  fous  et  des  fanlasques 
qui  ne  sont  pas  seulement  betes  ,  mais  encore 
betcs-sauvagcs> 


MAXIME    CXXX  VI. 

Prendre  hien  les  affaires ^  et  leur  later  incon- 
tinent le  pouls, 

Plusieurs  font  un  circuit  ennujeux  de  pa- 
roles ,  sans  jamais  venir  au  noeud  de  Faffaire  , 
iis  font  mllle  lours  et  detours  qui  les  lassent , 
ct  lassent  les  autrcs  ,  sans  arriver  jamais  au 
centre  de  I'importance.  Et  cela  vient  de  la  con- 

J*aime  mieux  le  donner  tout  eniier  qne  de  lui  laisser 
6ter  la  vie.  Apophtegme  /^i  ,  et  dans  la  lettre  en  vers  y 
Cjiie  le  meme  Rufo  adresse  a  son  Jils.  Socrate  disait 
d'un  liomme  d6  son  temps  qui  se  plaisait  a  contredire  : 
Qn'il  n'e'tait  bon  que  pour  la  solitude ,  puisqu'il  ne 
^ouvait  pas  s'accorder  avec  les  autres.  II  y  a  bien  des 
gens  qui  cassent  I*  tete  aux  autrqs  avec  une  machoire 
4'Ane. 


DE    COUR.  l85 

fusion  de  leur  entendement ,  qui  ne  saurait 
se  debrouiller.  lis  perdent  leur  temps  et  leur 
patience  a  ce  qu'il  fallait  laisser,  et  puis  il  ne 
leur  en  resie  plus  a  donner  a  ce  qu  ils  ont 
laisse. 


MAxfME    CXXXVII. 


II  ne  Jaut  col  Sage  que  lui-meme. 

Un  Sage  de  Grece  se  tenait  lui-meme  lieu 
de  loutes  choses ,  et  tout  ce  qu'il  avait  etait 
loujours  avec  lui.  S'il  est  vrai  qu  un  ami  uni- 
versel  sufTit ,  pour  rendre  aussi  content  que 
si  Ton  possedait  Rome ,  et  tout  le  reste  de  Tuni- 
vers  j  deviens  ami  de  toi-meme  ,  et  tu  pourras 
vivre  tout  seul.  Que  te  pourra-t-il  manquer ,  si 
tu  n  as  point  de  plus  bel  entretien  ,  ni  de  plus 
grand  plaisir  qu'avec  toi-meme?  Tune  de- 
pendras  que  de  toi  seul ;  et  par  la  tu  ressem- 
bleras  au  Souverain  Etre.  Celui  qui  pent  bien 
vivre  tout  seul  ne  tient  rien  de  la  bete ,  mais 
beaucoup  du  Sage ,  et  tout  de  Dieu. 


m':j^. 


i86  l'homme 

MAXIME    CXXXVIII. 

Li* art  de  laisser  alter  les  choses  >  comme  elles 
peuvent  surtout  quand  la  trier  est  ora- 
geiise. 

Il  J  a  dcs  tempetes  et  des  ouragans  dan;? 
la  vie  humaine  ;  c'est  prudenc^  de  se  retirer  au 
port ,  pour  les  laisser  passer.  Tres-souvcnt  les 
remedcs  font  enipirer  les  niaux  (i).  Quand  la 
nier  des  humeurs  est  agitee;  laissez  faire  a  la 
nature ;  si  c'est  la  mer  des  moeurs ,  laissez  faire 
a  la  morale  (2).  II  faut  autant  d'habilete  an 
medecin ,  pour  ne  pas  ordonner  que  pour  or- 
donner;  et  quelquefois  la  finesse  de  I'art  con- 
siste  davantageane  point  appliquer  de  remede, 
Ce  sera  done  le  mojen  de  calmer  les  bouras- 
ques  populaires  que  de  se  tenir  en  repos  ,  ce- 
der  alors  au  temps  fera  vaincre   cnsuite   (5). 

(i)  Felix  intempestivis  remediisdelicta  accendebat , 
ditTacite  Ann  12.  Felix  aigrissait  le  mal  en  voulant  y 
reme'dier  hors  de  saison. 

(2)  Quemadmodum  eniin  temporum  vices  ,  ita  mO' 
rum  vertuntur.  Ann.  5.  Car  il  y  a  une  vicissitude  dans 
les  moeurs  aussi  bien  que  dans  les  saisons. 

(5)  Tacite  en  donne  I'exemple  d'un  Spurinna  ,  qui, 
se  vojant  contraint  de  ce'der  a  Tinsolence  de  ses  soldats , 
fit  semblant  de  vouloir  bien  etre  le  compagnon  de  leur 


DE    COUR.  187 

Vae  fonlainc  devient  trouble  pour  peu  qu'on 
]a  remue  ,  et  son  eau  ne  redevient  claire  qu'en 
ccssant  d'j  toucher.  11  ii'y  a  point  de  mcilleur 
remede  a  de  certains  desordres  que  de  les  lais- 
ser  passer  ,  car  a  la  (In  ils  s'arretent  cux- 
inemes. 


MAXIME    CXXXIX. 

Connaitre  les  jours  malheureuoc. 

Cak  il  J  en  a ,  oii  rien  nc  reussira.  Tu  auras 
beau  changer  de  jeu,  tu  ne  changeras  point  de 
sgrt.  C'est  au  second  coup  qu'il  faudra  pren- 
dre garde  ,  si  Ton  a  le  Mrt  favorable  ,  ou  con- 
traire.  L'entendement  meme  a  ses  jours  \  car 
il  ne  s'est  encore  vu  personne  qui  fut  habile 
a  toutes  heures.  II  y  va  de  bonheur  a  raison- 
ner  juste ,  comme  a  bien  ecrire  une  lettre. 
Toutes  les  perfections  ont  leur  saison ,  et  la 
beaute  n'est  pas  toujours  de  quartier.  La  dis- 
cretion se  dement  quelquefois  ,  tantot  en  ce- 
dant ,   tantot   en   excedant.  Enfin ,  pour  bien 

te'merite,  pour  avoir  ensuite  plus  de  credit  sur  eulc  , 
lorsqu'ils  viendraient  a  reconnaitre  leur  faute  :  Fit  te^ 
meritatis  aliened  comes  Spurinna ,  primb  coactus ,  mox 
velle  simulans  ,  ^wa  plus  auctoritaiis  inesset  consiliis , 
$i  seditio  mitesceret»  Hist.  2. 


l88  l' HOMME 

reussir,  il  faut  ^tre  de  Jour  (i).  Comme  tout 
reussit  mal  aux  uns  ,  tout  reus  sit  bien  aux 
autres  (2),  et  meme  avec  moins  de  peine  et 

(i)  Les  raisons  de  faire  ou  de  ne  pas  faire ,  dit  li 
jeune  Pline,  changent  selon  la  diversite'  des  personnes, 
des  affaires  et  des  temps  :  Faciendi  aliquid ,  vel  non 
Jaciendi,  vera  ratio  ,  cum  hominum  ipsorum ,  tiim 
rerum  etiam  ac  temporum  conditione  mutatur,  Ep. 
27,  1.  6. 

(2)  C'est  pour  cela  que  jilusieurs  ont  cru  qii'il  y  avait 

une  fatalite  inevitable  ,    et  que  cette  fatalite'  e'tait  pre'ci- 

se'ment   une  connexite'  des  causes   naturelles  arec  leurs 

efFets  ,    laquelle ,   a   la  ve'rite' ,    nous  laisse  la  libertd  de 

choisir  un   genre    de  vie:    mais  aussi   nous  assujetit  a 

une  suite  inevitable  d'accl|fens  attache's  a  cet  e'tat.   Non 

e  vagis  stellis ,  verinn  apud  principia  et  nexus  natu- 

ralium  caussarum ;  ac  tamen  electionem   vitce  nobis 

relinquunt  j  quam  ubi  elegeris  ,  certum  imminentium 

ordinem.  Tacite  Ann.  6.  Mais  pour  en  parler  en  catho- 

lique,  dit  Gracian,  cliap.   10  dux  Hero s  y  la  Fortune  si 

ce'lebre  et  pourtant  si  peu  connue  parmi  les  hommes  , 

n^est  autre  chose  que  cette  grande  mere  d'accidens  et  cette 

grande  fille  de  la  souveraine  Providence  ,  qui  concourt 

avec  toutes  les  causes  secondes  ,    soit  en  les  mouvant , 

soit  en  permettant  qu'elles  agis-ent.    C'est  cette  reine  si 

absolue  ,  si  impe'ne'trable  ,    si  inexorable  ,    qui  rit  aux 

uns  et  tourne  le  dos  aux  autres  ^   tantot  mere  ,  tantot^ 

maratre  ,   non  pas  par  un  effet  de  la  passion ;  mais  par 

un  secret  incomprehensible  des  jugemens  de  Dieu.  Et 

une  page  apres  :  C'est  un  grand  point  que  d'etre  heu- 

reux  y  et  au  sentiment  de  plusieurs ,  cet  avantage  tient 


DE    COUR.  189 

,  _  de  soln  ;  et  il  y  a  tel  qui  trouve  d'abord  tontc 
•**  son  affaire  faite.  L^esprit  a  scs  jours  ,  le  genie 
r  son  €aractere  ,  et  touies  choses  leur  eloile* 
♦  Quand  on  estdc  jour  ,  il  nen  faut  pas  perdre 
,  +•  un  moment.  Mais  I'homme  prudent  ne  doit 
^    i^prononcer  deflnitivement  qu'un  jour  est  heu- 

reux ,  a  cause  d'un  bon  succes  ;  ni  qu'il  est  mal- 
^    heureux,  a  cause  d'un  mauvais  ^  I'un  n'etant 

peut-etre  qu'un  effet  du  hasard,  et  Tautre  du 

contre-temps  (i). 

le  premier  rang.    Quelques-uns  estiment  plus  une  once 
de  bonheur  que  des  quintaux  de  me'rite  et  de  sagesse. 

k  D'autres ,  au  contraire  ,  fondent  la  reputation  sur  les 
disgraces ,  disant ,  que  les  gens  de  me'rite  les  ont  en 
partage  ,  et  que  le  bonheur  est  celui  des  fous.   De  bons 

f$i*    csprits  ,  dit-il  dans  le  chap,  suivant ,  disent ,  qu  il  man- 

i      que  autant  de  Constance  a  la  Fortune  qu'elle  a  de  trop 

^    de  I'humeur  de  la  femme.   Et  le  marquis  de  Marignaai 

E  ajoutait ,  que  non  seulement  elle  etait  inconstante 
comme  la  femme  ,  mais  encore  folle  et  badine  comrn^ 
la  jeunesse.  Et  moi,  je  dis  ,  que  les  changemens  qu'on 
lui  attribue  ,  ne  sont  point  des  caprices  de  femme  ,  mais 
une  alternative  d'e'venemens  ,  que  la  divine  Providence 
permet. 

( I )  D'ou  vient ,  dit  Machiavel ,  qu'un  prince  qui 
prospere  aujourd'hui  a  demain  un  revers  ,  quoiqu'il  n'ait 
point  change  de  conduite  ?   C'est ,   a  mon  avis  ,    parce 

^       que  le  prince  qui  ne  s'appuie  que  sur  la  Fortune ,  tombe 

V     aussi-tot  qu*elle  change ,   au  lieu  que  celui  qui  se  regie 

«ur  le  temps  est  toujours  Ueureux  ,  chap,  2$  du  Prince. 


^A.4 


igO  L   HOMME 

MAXIME    CXL. 

Donner  cVabord  dans   le    bon  de   chaquG 
chosis. 

C'est  la  nieilleure  marque   dn  bon    gout.  * 
L'abeille  \a  incontinent  a  Ja  douceur  ^  pour 
avoir  de  quoi  faire  du  miel;  et  la  yipere  a  Ta" 
mcrtumc  pour  amasser  du  venin.    II   en   est^. 
ainsi  des  gouts,  les  uns  s'attachcnt  au  meilieur, 
et  les  autres  au  pire.  A  tout  il  y  a  quelquc 
chose  de  bon  ,  surtout  dans  un  livrc  (i),  qui    .^ 
d'ordinaire  se  fait  avec  etude.  Quelques-uns  ont 
I'esprit  si  mal-tourne  ,  qu'entre  mille  perfec- 
tions ils  s'arreteront  au  seul  defaut  qu  il  j  aura , 
ct  ne  parlcront  d'autre  chose  j  comme  s'ils  n'e- 
taient  que  pour  servir  de  receptacle  aux  im- 
niondices-  de  la  volonte  ct  de  Tesprit  d'autrui , 
et  pour  tenir  registre  de  tous  les  defauts  qu'ils 
voient  :  ce  qui  est  plutot  la  punition  de  leur 

Ce  qui  fait,  dit-il  ailleurs  ,  que  la  fortune  abandonne  un 
homme ,  c'est  que  le  temjDS  change ,  et  que  lui'ne  change 
pas  de  conduite  ^  au  lieu  que  s'il  en  changeait  selon 
les  temps  el  les  affaires  ,  la  fortune  ne  changerait  pas. 
(i)  Le  JQune  Pline  dit ,  que  son  oncle  avail  coutume 
de  dire  ,  quil  n'y  avail  point  de  si  mauvais  livre  ou  il 
nj  eut  quelque  chose  d'instructif :  Dicere  solebat ,  Jiul- 
liini  esse  librum  tarn  malum  ,  ut  non  aliqu6.  parte 
prodesset.  Ep.  5.  lib.  5. 


DE    COUR*  191 

niaiivais  discerncmenl ,  que  Tcxe^ice  de  leur 
subtilite.  lis  passent  mal  la  vie  ,  parce  qu'ils 
lie  se  nourrisscnt  que  de  mechantes  choses. 
Plus  heurcux  sont  ceuxqui,  enlre  mille  defauts, 
decouvrent  d'abord  una  perfection  ,  qui.  s  j 
irouvc  par  hasard. 


MAXIME    CXLI. 

Ne  se  point  ecouter. 

Il  sert  de  pcu  d'etre  content  de  soi-m^mfe, 
si  Ton  ne  contente  pas  les  autres.  D'ordinaire 
Festime  de  soi-meme  est  punie  par  un  me- 
pris  universel.  Cclui  qui  se  paie  de  lui-meme, 
reste  dcbiteur  de  tous  Ics  autres  (*).  II  sied 
mal  de  vouloir  parler  pour  s'ecoiiter.  Si  c'est 
une  folic  de  se  parler  a  soi-meme  ^  e'en  est 
une  double  de  s'ecouter  devant  Ics  autres.  C'est 
un  defaut  des  grands  de  parler  d'un  ton  im~ 
perieux  ,  et  c'est  ce  qui  assomme'ceux  qui  les 
ecoutent.  A  chaquc  mot  qu'ils  disent ,  leurs 
oreilles  mandient  ui\  applaudissement ,  ou  une 
flatteric  jusqu'a  I'importunite.  Les  presomp^ 
;^  tueux  aussi  parlent  par  echo  ;  et  commc  la  con- 
rersation  roule  sur  des  patins  d'orgueii ,  cha- 

(*)  Voyez  la  Maxime  107* 


xg2  l'homme 


que  parole  QSl  escortee  de  cette  imperlinente 
exclamation :  Que  cela  est  bien  dit;  Ah !  le 
beau  mot  (i). 


MAXIME     CXLII. 

Ne  prendre  jamais  le  mauvais  parti  en  depit 
de  son  adi^ersaire  ^  qui  a  pris  le  meilleur, 

Celui  qui  le  fait  est  a  demi-vaincu ,  et  a 
la  fin  il  sera  contraint  de  ceder  tout-a-fait, 
Ton  ne  se  vengera  jamais  bien  par  celte  voie» 
Si  ton  adversaire  a  eu  Fadresse  de  prendre  le 
meilleur  ,  garde-toi  bien  de  faire  la  folie  de  le 
contrepointer  en  prenant  le  pire.  L'obstina- 
des  actions  engage  d'autant  plus  que  cclle  des 
paroles  ,  qu  il  y  a  bien  plus  de  risque  a  faire 
qu'a  dire.  G'est  la  coutume  des  opiniatres ,  de 
ne  regarder ,  ni  a  la  verite  pour  contredire ; 
ni  k  Tutilite ,  pour  disputer  (2).  Le  Sage  est 

(i)  Temis  denariis  ad  laudandum  trahuntur.  Tanti 
constat ,  ut  sis  dissertissimus.  Pline  ,  Ep.  14.  Hh.  2. 
Cest-a-dire :  On  les  loue  a  trois  deniers  remains  par  tete 
pour  se  faire  louer.  A  ce  prix ,  on  passe  pour  homme 
d'esprit.  —  Cest  encore  pis  aujourd'hui. 

(2)  Strada  rapporte,  que  lorsque  le  cardinal  de  Gran- 
velle  e'tait  d'un  avis  ,  le  prince  d'Orange  et  le  comte 
dIEgmont  ne  manquaient  jamais  d'etre  de  I'avis  con- 
traire. 


BE    COUR.  J95 

loujours  da  cote  dc  la  raison,  et  ne  donne  ja- 
mais dans  Ja  passion.  Ou  il  previent ,  ou  il  re- 
vient;  de  sortc  que  si  son  rival  est  fou ,  sa 
folie  le  fait  changer  de  route  ,  et  passer  a  Pautre 
extremite;  par  oil  la  condition  de  I'adversaire 
empire.  G  est  done  I'unique  mojen  de  lui  faire 
abandonncr  le  bon  parti  que  de  s  j  ranger  , 
'  d'^lant  que  eel  a  lui  servira  de  motif  pour 
embrasser  le  mauvais. 


MAXIME    CXLIIL 

Se  garder  de  donner  dans  levaradooce  ,   en 
voulant  s' eloigner  da  vulgaire. 

Les  deux  extremites  decreditent  egalement. 
Tout  projet,  qui  dementia  gravite,  est  una 
espece  de  folie.  Le  paradoxe  est  unc  certaine 
IronipGr'iQplaiislble,  qui  surprend  d'abord  par  sa 
nouveaule  et  par  sa  pointe;  mais  qui  ensuitc 
perdsa  vogue  (i),  des  quon  vient  a  connaitrc 
sa  faussete  dans  la  pratique.  C'est  une  espece  de 
charlatanerie  ,  qui ,  en  fait  de  politique ,  est 
la  ruine  des  Etats.  Ceux  qui  ne  sauraient  par^ 

(i)  Que  le  genie  ,  dit-^l  dans  le  chap,  premier  de  son 
Discret ,  soit  singulier  ,  mais  nou  irre'gulier^  assaisonne', 
mais  non  paradoxe. 

i5 


ig4  l' HOMME 

vcnir  a  Fheroisme,  ou  qui  n'ont  pas  le  con- 
rage  dy  alicr  par  le  chemin  de  la  vertu,  se 
jcttent  datis  le  paradoxes  ce  qui  les  fait  ad- 
mirer des  sots  ,  mais  sert  a  faire  connailre  la 
prudence  des  autres.  Le  paradoxe  est  une 
preuve  d'lin  esprit  pcu  tempere  ,  et,  par  coii- 
sequi^iit ,  tres-oppose  a  la  prudence.  Et  si  quel- 
queCoisil  ne  se  fonde  pas  sur  le  faux,  du  molos 
est-il  fonde  sur  I'incertain  ,  au  grand  desavan- 
lage  des  aifaires. 


MAXIME    CXLIV. 

Entrer  sous  le  a)oile  de  rinteret  d'autrui^  pour 
rencontrer  a  pies  le  sien. 

C'est  un  stratagcme  tres-propre  a  faIre  ob- 
tcnir  ce  que  "^iyix  pretend;  les  directeurs  meme 
enseignent  celte  sainle  ruse  pour  ce  qui  con- 
cerne  le  salut.  C'est  une  dissimulation  tres- 
importante  ,  atteudu  que  I'utilite  qu'on  se  fi- 
gure sert  d'amorce  pourallirer  la  volonle.  11 
scmble  a  autrui  que  son  inlcret  \a  le  pre-, 
mier ,  et  ce  nest  que  pour  ouvrir  le  chemin 
a  ta  pretention.  11  ne  fttut  jamais  entrer  a 
I'etourdi ,  mais  surtout  oil  iLy  a  du  danger  au 
foad.  Etlorsqu'on  a  affaire  a  ces  gens  ,  dont  le 


DE    C  OUR.  loS 

premier  mot  est  tou jours  non  ,  il  ne  leur  faut 
pas  montrer  oil  Ton  vise  ,  de  peur  qu'ils  ne 
voicnt  Ics  raisoiis  de  ne  pas  accorder  j  et  priii- 
c'ipaiement ,  quand  on  presseiit  qu'ils  y  out  de 
la  repugnance.  Get  avis  est  pour  ceux  qui 
savent  faire  de  leur  esfrit  tout  ce  qu'ils  veu- 
ient ,  qui  est  la  quintessence  de  la  subtilite. 


^ 


MAXIME     CXLV. 

v^Ne  point  montrer  le  doi^t  malade^\ 


Car  chacun  j  viendra  frapper.  Garde -loi 
aussi  de  t'en  plaindre  ,  d'autant  que  la  ma- 
lice atlaquc  loujours  par  I'endroit  le  plus  fai- 
hlc  j  le  ressentiment  ne  sert  qu'a  la  divertir. 
Eile  ne  cherche  qu'a  jetcr  hors  des  gonds; 
clle  coule  des  mots  piquans,  et  met  tout  en 
fjeuvre^  jusqu'a  ce  qu'elie*ait  trouve  le  vif. 
jThojjiaif  /^^l'^^^'^  Tie  doit  done  jaii^ais  decouvrirH 


son  mal.soir  personnel,  ou  hereditaire.  attendu 


5|ue,  la   fortune  meme    se  plait  quelquefQis__k| 
Llesscr  a  reodrg^t  oil  clle  sait  que  la  doTil^ur 


^sera  plus  aigue.  Elle  mortiiie  loujours  au  vif; 
et ,  par   consequent ,    il  ne   faut    laisser   con- 
naitre,  ni   ce  qui  morlifie,  ni  ce  qui  vivifie  ; 
pour  faire  fmir   I'un  ,  et  faire  durer  I'autre. 
Voyez  la  Maxime  129. 


■196  l'uommk 

MAXIME    CXLVL 

Rcgarder  au  dedans. 

D'oRDiNAiRE  ,  il  se  trouvc  que  les  clioses 
sont  bieii  autres  qn  dies  nc  paraissent  t,  et 
I'igiiorance  ,  qui  n'avait  regardc  qu'a  I'ccorce , 
se  detrompc  ,  des  qu'elje  va  au-dcdaus  (i).  Le 
mensonge  est  toujours  Ic  premier  en  tout , 
il  enlraine  les  sots  par  uii  Ton  dit  vulgaire, 
qui  JiLa  de  Louche  en  bouche.  Ltg..x4'^ite  arrive 
toujours  la  derniere  ,  et  fort  tard,  parce  cp'ellc 
a  pour  guide  un  boiteux ,  qui  est  le  Temps.  Les 
Sages  lui  gardent  toujours  I'autre  moitie  do 
cette  faculte  ,  que  la  nature  a  tout  expres  don- 
nee  double  (2).  La  tromperie  est  toute  super- 
ficielle  5  et  ceux  qui  le  sont  eux-m ernes ,  y  don- 

(i)  II  y  a  bien  des  gens  ,  dit-il  dans  le  premier  chap, 
de  son-Discret  f  de  qui  le  critique  Renard  pourrait  dire 
en  s'ecriant  :  O  la  belle  tete  I  inais  il  ny  a  rien  <:/^- 
dans.  Je  trouve  en  toi  le  vuide  que  tant  de  philo- 
sophes  ont  dit  etre  impossible.  Fine  anatomic  de  re- 
rgarder  les  choses  par  dedans  !  D'ordinaire  ,  une  appa- 
rente  beaute'  imjDOse  en  dorant  uue  laideur  effective. 

( 1 )  Comme  Alexandre  de  Mace'doine ,  qui  jDcndant 
qu'on  plaidait  une  cause  devant  lui  ,  se  tint  toujours 
appuye'  sur  une  oreille  ,  disant  qu'il  la  gardait  pour  la 
partie  adverse. 


BE    COUR.  197 

nent  incontinent.  Lc  discernement  estrelire  au 
dedans  ,  pour  sc  fairc  estimer  davantage  par 


les  Sages. 


MAXIME    CXLVIl. 

N'etre  point  inaccessible. 

QuELQUE  parfait  cpe  Ton  soit,  on  a  qnel- 
quefois  besoin  de  conseil.  Ceiui-la  est  foa  in- 
curable qui  n'ecoute  point.  L'homme  le  plus 
intelligent  doit,  faire  place  aux  bons  avis  (i). 
La  souvcralnete  meme  ne  doit  pas  exclure  la 
dociiitc  (2).  11  y  a  des  hommes  incurables  ,  a 

(i)  Le  jeune  Pline  dit  que  c'est  la  marque  d'une 
grande  prudence  de  croire  les  autres  plus  prudens  que 
soi  'j  et  d'un  esprit  solide  de  vouloir  apprendre  :  Ciijus 
Jicec  prcecipua  prudentia  ,  quod  alios  prudentiores  ar- 
hitrahatur ;  hcec  prcecipua  eruditio  ^  quod  discere  vo~ 
lebat.   Ep.  25.  lib.  8. 

(2)  Car  les  grandes  affaires  ,  dit  Patercule  ,  ont  Lesoin 
d'un  grand  secours:  Etenim.  magna  negotia  magnis 
adjutoiibus  egent.  Hist.  2j  le  prince  ne  pouvant  pas 
tout  savoir  :  Neque  posse  principem  sua  sententict 
cuncta  coniplecti.  Tacite  Ann.  5.  Joint  que  les  meil- 
leurs  instrumens  d'un  bon  gouvernement ,  au  dire  du 
. naeme  Tacite,  sont  les  bons  conseillers  :  Nulhan  niajus 
honi  imperii  instrumeniuni ,  quam  bonos  amicos. 
Hist.   4.  Divers  historiens   ont  blame  Louis  XI  de  ce 


»■ 


iC)S  l'homme 

cause  qu'ils  soiit  inaccessibles.  lis  se  precipi- 
tent  ,  parcc  que  pcrsonne  n'ose  approcher 
d'eux ,  pour  les  empecher.  II  faut  done  lalsset* 
uiie  port  e  ouvertc  a  ramltie ;  et  ce  sera  cellc , 
par  oil  viendra  le  sccours.  Un  ami  doit  avoir 
pleinc  liberie  de  parlcr ,  et  meme  dc  repri- 
mander  ;  Fopinion  concue  de  sa  fidelite  et 
de  sa  prudence ,  lui  doit  donncr  cette  auto- 
rile.  Mais  aussi  il  ne  faut  pas  que  cette  fami- 
liarite  soit  commune  a  tous.  11  suffit  d' avoir 
un  confident  secret  dont  on  estime  la  correc- 
tion ,  et  d%  qui  Ton  se  serve,  comme  d'un 
miroir  fidele  ,  pour  se  detromper. 

qu'il  gouvernait  sans  conseil ,  et  de  ce  qu'il  avait  trop 
bonne  opinion  de  sa  propre  suffisance.  Et  ce  de'faut  lui 
fut  meme  reproche'  de  son  vivant  par  le  grand  se'neclial 
de  Normandie,  qui  lui  dit  un  jour  :  II  faut  que  votYe 
petite  haquene'e  soit  bien  forte ,  puisquelle  peut  bien 
vous  porter ,  vous  et  tout  votre  conseil.  ( Mathieu 
dans  sa  Yie)  Ajouteza  cela  ce  distiquc  jj'un  ancien  poete: 

Laudatissinius  est ,  qui  per  se  cuncta  videbit ; 
Sed  laudandus  et  is  ,  qui  paret  recta  monenti. 

C'est-a-dire  :  Celui-la  est  tres-digne  de  louange  ,  qui 
connait  tout  par  soi-meme;  mais  cclui  qui  dc'fere  aux 
bons  avis  qu  on  lui  donne,  me'rite  aussi  d'etre  loue'.  Car 
il  y  a  quelquefois  aiitant  d'habilete  a  savoir  profiter  du 
bon  conseil  d'autrui  qu'a  se  bien  conseiller  soi-meme. 


MAXIME    CXLVIII. 

As^oir  I'art  de  converser. 

C'est  par  Oil  I'liomme  montre  cequ  il  vaut  (i). 
Dans  toutes  les  actions  de  I'liomme  rien  ne 
demande  plus  de  circonspection ,  attendu  que 
c  estlc  plus  ordinaire  exercice  dela  vie.  Ily  va  de 
gagner ,  ou  de  pcrdre  beaucoup  de  reputation. 
S'il  faut  du  jugement  pour  ecrire  une  lettre, 
qui  est  une  conversation  par  ecrit  el  i#editee ; 
11  en  faut  bien  davantage  dans  la  conversation 
ordinaire ,  oil  il  se  fait  un  examen  subit  du  me- 
rite  des  gens  (2).  Les  maitres  de  Tart  latent  le 
pouls   de   Fesprit  par  la   langue  ,  conforme- 

(i)  Le  parler  ,  dit-il  dans  la  premiere  critique  de  son 
Cridcon  y  est  Tunique  sentier  par  ou  Ton  arrive  a  sa- 
voir.   Quand  les  sages  parlent  ils  en  engendrent  d'au- 

tres La  conversation  est  la  fille  du  raisonnement, 

la  mere  du  savoir  ,  la  respirati9n  de  Tame  ,  le  com- 
merce des  coeurs ,  le  lien  de  I'amitie' ,  lanourriture  du 
contentement  et  Toccupation  des  gens  d'esprit. 

(2)  Plusieurs  gens,  dit  Juan  Rufo,  faute  de  penser 
a  ce  qu'ils  disent,  se  trouvent  arrete's  tout  court  pour  un 
mot  dit  a  la  volee  ,  que  quelqu'un  de  la  compagnie 
prend  comrae  dit  a  dessein  pour  soi.  C'est  pourquoi  , 
ajoute-t-il,  quand  vous  etes  en  conversation,  imaginez- 
vous  ,  que  vous  jouez  aux  e'checs  j  et ,  par  conse'quent , 
conside'rez  bien  comment  le  jeu  est  dispose'  ayant  que 
de  remuer  aucune  piece.  Apophtegme  52. 


500  l'homme 


ment  au  dire  du  Sage  (i)  :  Parle  ^  si  tu  veuoc 
que  je  te  connaisse.  Quclques-uns  ticnnent 
que  le  veritable  art  deconverser  est  de  le  faire 
sans  art;  et  que  la  conversation  doit  elre  aisee 
conime  le  vetement ,  si  c'est  entre  bons  amis. 
Car  lorsque  e'en  est  une  dc  cerenionie  et  de 
respect,  il  j  doit  entrer  plus  de  retenue  pour 
montrer  que  Ton  a  beaucoup  de  savoir  vivre. 
Le  niojen  d'y  bien  reussir  est  de  s'accommo- 
der  au  q||i'actere  d'esprit  de  ceux  qui  sont  comme 
les  arbitres  de  I'entretien.  Garde-toi  de  t'eri- 
gcr  en  censcur  des  paroles,  ce  qui  te  ferait 
passer  pour  un  graniniairicn  ;  ni  en  controleur 
des  raisons,  car  chacun  te  fuirait.  Parler  a  pro- 
pos  est  plus  necessaire  que  parler  eloquem- 
ment. 


MA  XI  ME    CXLIX. 


# 


Savoir  iHetourner  les  mauoc  sur  autrui. 

C'est  une  chose  de  grand  usage  parmi  ceux 
qui  gouverncnt  que  d' avoir  des  boucliers  contre 
la  haine  ,  c'est-a-dire  ,  des  gens  stir  qui  la  cen- 

(i)  C'est  Socrate  ,  de  qui  est  aussi  ce  mot  :  Je  ne 
sais  si  ce  prince  est  heureux  ,  puisque  je  nai  jamais 
parle'  a  lui. 


DE    COUR.  201 

sure  ct  les  plaintes  communes  aillent  fondie  : 
et  ccla  ne  vient  point  d'incapacite  ,  comme  la 
malice  se  Ic  fii^ure  :  mais  d'une  industrie  su- 
pericure  a  I'intelligence  du  pcuple.^Tout  nc 
peut  pas  reussir,  ni  lout  le  mondc  etre  con- 
tent. 11  y  doit  avoir  une  tete  forte  qui  serve  de 
but  a  tous  les  coups  ,  et  qui  porte  les  reproches 
de  toutes  \qs  fautcs  ,  et  de  tous  les  maihcurs  , 
aux  depens  de  sa  propre  ambition  (i). 


MAXIME    CL. 

Sa^'oir  faire  valoir  ce  que  Von  fait. 

Ge  n'est  pas  assez  que  les  choses  soient 
bonnes  en  elles  -  memcs  ,   parce  que   tout  le 

(i)  Au  sentiment  de  quelques  politiques^  ilestde  la  su- 
rete'  des  princes  d'avoir  des  favoris ,  attendu  que  ce  sont 
comme  des  digues  qu'ils  opposent  en  temps  et  lieu  au 
torrent  de  la  fureur  du  peuple.  Ce  sont  des  victimes  de 
la  hainepublique  ,  piaculares publicce  solUcitudinis  vie- 
timce y  dit  le  jeune  Pline  dans  son  pane'g.  Principibus 
^ratum  est  (dit  Strada.  Dec.  i.  lib.  2)  domi  aliquem 
esse  y  in  quern  odia  dominis  deblta  exonerentur,  C'est- 
a-dire :  Les  princes  se  plaisent  d'ordinaire  a  avoir  aupres 
d'eux  quelqu'un  sur  qui  puisse  tomber  la  hajne  qu'ils 
meritent.  C'estpar  cet  endroit  quePliilippe  II,  roi  d'Es- 
pagne,  trouvait  le  due  d'Alve  fort  a  son  gout,  comme 
un  liomme  qui  se  souciait  aussi  peu  de  faire  des  ennemis 
que  cliercbent  les  autr^s  a  faire  des  amis. 


^.02  TL  HOMME 

monde   ne  voit  paS  au  fond  ,  ni   ne  sait  pas 
goiiter.  La  plupart  des  hommes  vont  a  cause 
qu  lis  voient  aller  les  autres  ,  et  ne  s'arretcnt 
qu  aux  lieux  oil  il  y  a  grand  concours.  C'est 
liii  grand   point   que  de  sa^oir  i^irc  estimer 
sa  drogue  ,  soil  en  la  louant ;  (car  la  louange 
est  reguillon  du  dcsir),soit  en  lui  donnant 
Tin  beau  nom ,  qui  est  un  beau  mojen  d'exal- 
icr :  mais  il  faut  que  tout  cela  se  fassc  sans 
affectalion.  N'ecrire  que  pour  les  habiles  gens , 
c'est  un  hamccon  general,  parce  que  cbacun 
le  croit  etre  ,  et  pour  ceux  qui  ne  le  sont  pas  , 
la  privation   servira  d'eperon  au  desir.  II   ne 
faut  jamais  trailer  ses  projets  de  communs  , 
ni  de  faciles  ,  car  c'est  les  faire  passer  pour 
triviaux.  Tout  le  monde  se  plait  au  singulier, 
comme  etant  plus  desirable ,  et  au  gout ,  et  a 
r  esprit. 

MAXIME    CLI. 

Penser  aujourd'hui  pour  dernain  y  et  pour 
long-temps. 

La  plus  grande  prevoyance  est  d'avoir  des 
heures  pour  elle.  11  n'j  a  point  de  cas  for- 
tuits  pour  ceux  qui  prevoient  (i);    ni  cle  pas 

(i)  Un  des  sept  Sages  disait  que  rbomme  n'e'tait  par- 
fait  qu'autant  qu'il  pouvait  pre'yoir  I'avenir. 


DE    COUR.  203 

dangereux  pour  ccux  qui  sy  attendcnt.  II  ne 
faiit  pas  attendrc  qu'on  se  noye  pour  periser 
au  danger  ,  il  faut  aJler  au-devant ,  et  prevenir 
par  une  mure  considcralion  tout  ce  qui  pcut 
arriver  de  pis.L'oreiller  est  une  slbjllc  inuctte. 
Dormir  sur  une  chose  a  faire,  vaut  mieux  que 
d'etre  eveille  (i)  par  une  chose  faite.  Quelqucs- 
uns  font,  et  puis  pensent^  ce  qui  est  plulot 
chercher  dcs  excuses  que  des  expediens.  D'au- 
ires  ne  penscnt ,  ni  devant ,  ni  apres.  Toute 
]a  vie  doit  etre  a  penser  pour  ne  sc  point  ega- 
rer.  La  reflexion  et  Ja  prevoyance  donnent  la 
commodite  d'anticiper  sur  la  vie. 


MAXIME    CLII. 

Ne  s'associer  Jamais  a^ec  personne  y  aupres 
i*.  *  de  qui  Von  ait  moins  de  lustre. 

Ce  qui  excede  en  perfection  cxcede  en  es- 
lime  (2).  Le  plus   accompli  aura  toujours  le 

(i)  Les  Grecs  appellent  la  nuitsy'tppovj?  ,  c'est-a-dire  , 
prudence ;  parce  que  rhomme ,  dit  Servius ,  a  plus  de 
pre'sence  et  de  pene'tration  d*esprlt  la  nuit  que  le  jour. 

(2)  C'est  pourquoi  les  princes  souverains  ne  se  doivent 
jamais  entrevoir  •  car,  il  ne  pent  etre,  dit  Commines,  que 
les  gens  et  le  train  de  Vun  ne  soient  mieux  accoutres 
que  ceux  de  V autre  :  d'oic  s'engendrent  maqueries , 

I 


204  l'hOMME 

premfe  role  (i)'.  Si  son  compagnon  a  quelqiie 
part  a  la  louange,  ce  ne  sera  que  son  resle.  La 
lune  luit ,  tandis  quelle  est  loute  seulc  parmiles 
etoiles  ^  mais  des  que  le  soieil  commence  a  se 
montrer,  ou  elle  n'eclaire  plus ,  ou  elle  dis- 
parait.  Ne  t'approche  jamais  de  qui  te.  peut 
eclipser,  mais  bien  dc  qui  te  peul  servir  de  lustre. 
C'est  ainsi  que  celte  adroite  Fahulla  de  Mar- 

qui  sont  choses  qui  deplaisent  ineiyeilleusement  a  ceiix 
qui  sont  moques.  Des  deux  princes  il  advient  souvent 
que  Vun  a  le  personnage  plus  honnete  et  plus  agre'able 
aux  gens  ,  que  Vauti^e;  dont  il  a  gloire  et  prend  plaisir 
quon  le  loue ;  et  ne  se  fait  point  cela  sans  hldmer 
Vautre.  Ljv.  2.  chap.  8.  Tacite  dit  que  Tibere  evitait 
toutes  les  choses  ou  le  peuple  pouvait  avoir  lieu  de  faire 
des  comparaisons  entre  lui  etAuguste,  dont-il  vovait 
que  la  me'moire  e'tait  tres-agre'able.  Metu  comparatiqnis . 
Ann.  I. 

(i)  Le  meme  dit  que  les  otages  Arsacides  aimerent 
mieux  se  donner  a  Corbulon  qu.'A  Numidius , .  son  col- 
legue,  a  cause  que  Corbulon  avait  plus  de  re'putation 
€t  aussi  plus  d'apparence.  A  raison  de  quoi  Numidius  , 
gouverneur  de  Sjrie,  Tempecha  adroitement  d'entrer 
dans  cette  province,  de  peur  que  sa  bonne  mine,  sa 
belle  taille  et  sa  maniere  de  parler  sublime  et  majes- 
tueuse,  ne  lui  attirassent  les  jeux  et  I'admiration  de 
tout  le  monde.  Ne  si  ad  accipiendas  copias  Sjriam. 
intravisset  Corhulo  ,  omnium  ora  in  se  verteret,  cor-' 
pore  ingens ,  verbis  magnificus  ^  et  specie  inanium  ra— 
lidus.  Ann.  i5. 


tial  trouva  mojeii  de  paraitrc  belle,  par  la 
lalaideur ,  ou  la  vieillessc  de  ses  compagnes  (i). 
II  lie  faut  jamais  risquer  d' avoir  a  son  cote 
Vies  gens  de  plus  de  merite  que  soi,  ni  faire 
lionneurauxautres  aux  depens  de  sa  reputation. 
11  estbon  de  banter  lespersonnes  eminenlespour 
se  faire  :  mais  quand  on  est  fait,  il  faut  s'accos- 
tcr  de  gens  mediocres.  Pour  te  faire  ,  choisis 
les  plus  parfaits,  et  quand  tu  scras  fait,  frequent© 
les  mediocres. 


MAXIME    CLIII. 

Fidr  d'etre  oblige  de  rempllr  un  grand  vide. 

Si  Ton  s'j  engage,  il  faut  etre  bien  assure 
d'exceder  ;  car  il  est  besoin  de  valoir  le  double 
de  son  predecesseur  pour  I'egaler.  Comme  il  y  a 
de  la  finesse  a  faire  en  sorte  que  celui  qui  succedc, 

(i)  Omnes  aut  vetulas' habes  arnicas , 
Aut  turpes ,  vetuUsque  foediores. 
Has  ducis  comites ,   trahisque  tecum 
Per  convlvia ,  porticus ,  theatra, 
Sicformosa,  Fahulla,  sic  puella  es. 

Ep.  79.  lib.  8.       ' 

Celte    methode    est   de  grand  usage  parmi  les  dajnes 
qui  se  piquent  de  beaute. 


2o6  l'iiOx^ime 

soil  tel  qu'on  soil  rcgrette  (i);  11  y  va  pareil- 
iement  d'adresse  a  se  garder  d'etre  eclipse 
par  celui  qni  acheve.  U  est  bien  difficile  de 
remplir  un  grand  vide  (2),  attendu  que  d'or-       | 

(i)   On   reprochait  a   la   me'moire  d'Auguste  d'avofr 
clioisi  Tibere  pour  son    successeur,     parce   qu'il  avait       ^ 
reconnu  sa  siiperbe  et  sa  cruaute;   et  par  consequent , 
de  ne  s'etre  propose  d'autre  oJDJet,  ,que  la  gloire  d'etre 
regrette',  quand  on  verrait  la  difference  de  son  regne  e%  ^ 
de  celui  de  Tibere  ;  Ne  Tiherium  quidein  caritate ,  aut 
Rip.  curd  successorem  adscitum  ,    sed  quoniam  adro^       ^ 
gantiam  soevitiamque    ejus   introspexerit  ,    compara- 
tione  deterrima  sibl  gloriarn  qucesivisse.  Tacit.  Ann,  i . 

(2)  C'est  souvent  un  malheur  de  succe'der  a  un  liomme 
qui  s'est  acquis  beaucoup  de  reputation ,  parce  qu'au 
dire  de  Tacite,  sa  gloire  efface  celle  du  successeur.  C'est 
pourquoi  il  loue  Julius  Frontinus  comme  d'une  chose 
digne  d'admiration ,  de  ce  qu'ajant  succe'de'  a  Ce'rialis 
qui  s'e'tait  signale'  par  tant  de  belles  actions  en  Angle- 
terre,  il  ne  laissa  pas  dj  paraitre  aussi  grand  liomme 
que  son  pre'decesSeur :  Ciim  Cerlalis  quideni  alterius 
successoris  famam  ohruisset ,  sustinuit  quoque  molem 
Julius  Frontinus ,  7)ir  magnus ,  quantiiin  licebat*  Dans 
la  vie  d'Agricola.  Onerasti  futuros  principes  y  (dit  le 
jeune  Pline  a  Trajan)  sed  et  posteros  nostros.  Nam  et  • 
Id  a  principihus  suis  exigent ,  ut  eadem.  audire  me- 
reantur  :  et  illi  ^  quod  non  audiant ,  indignabuntur. 
C'est-a-dire  :.  Tu  laisse  aux  princes  a  venir  etmeme  a  nos 
descendans,  un  suj^et  eternel  de  n'etre  jamais  contens^ 
car  ceux-ci  exigeront  que  leurs  princes  se  reiident  dignos 
d'entendi'e  les  niemes  acclamations  ;  et  ces  princes  au- 


DE    COUR  207 

dlnaire  le  premier  parait  niciileur ,  et  par  con- 
sequent, Fegalile  ne  suffit  pas,  parce  que  Ic 
premier  est  en  possession  (i).  11  est  done  ne- 

ront  le  de'pit  de  ne  les  entendre  jamais,  fparce  quits 
nen  poiirront  jamais  devenir  dignes.J 

(1)  C'est  en  ce  sens  que  le  meme  Pline  dit  encore  ces 
paroles  a  Trajan  :  Le  nom  de  treS''hon  t'est  aiissi  propre 
que  Ion  nom  de  famille  :  et  de  t'appeler  T'rajan  ce  n'est 
pas  le  de'signer  plus  clairement  que  de  dire  le  tres-bon  : 
-  Et  quelques  lignes  ajyrhs.  Tu  as  acquis  un  nom  qui  ne 
saurait  jamais  passer  a  un  autre  qu'il  ne  paraisse  e'tranger 
dans  un  bon  prince  et  faux  dans  un  mauvais.  Tons  les 
autres  auront  beau  se  I'approprier,    on  le  reconnaitra 
toujours  pour  un  nom   qui   n'appartient  qu'a  toi.   Car 
comme  le  nom  d'Auguste  nous  fait  souvenir  de   celui 
qui  en  a  ete'  honore'  le  premier  :  de  meme  I'e'pithete  de 
tres-bon  ne  tombera  jamais  en  la  pense'e  des  hommes  , 
qu'il  ne  pensent  a  toi ;   et  toutes  les  fois  que  la  poste'rite 
sera  oblige'  d'appeler  quelqu'un  tres-bon,    elle  se  sou- 
viendra  du    premier    qui   a  me'rite'  ce  glorieux  nom. 
Optimi  nomen  tibi  tarn,  proprium  quam  paternum ,  nee 
magis  dijjiniie  distincteque  designate  qui  Trajanum, 
quam  qui  Optimum  appellat. . .  Assequutus  es  nomen  , 
qifiod  ad  alium  transire  non  possit ,  Jiisi  ut  appareat  in 
bono  principe  alienum ,   in  malo  falsum  :  quod  licet 
omnes  postea  usurpent  / semper  tamen  agnoscetnr  ut 
tuum,  Eteriim ,   ut  nomine  Kvovsti  ttdmonemur  ejus  ^ 
cui  primiim  dicatum  est  :  ita  Art^c  Optimi"  appellatio 
nunquam  memorioe  hominum  sine  te  recurret  :  quoties- 
que  posterinostri  OpTimvivi  aliquem,  vocare  cogentur  j 
toties  recordabuntur ,  quis  meruerit  vocari,  Pane'g. 


208  L  HOMME 

cessaire  de  le  smpasser ,  pour  lui  oter  Favan- 
tage  qu'il  a  d'etre  le  plus  cstime. 


MAXIME      CLIV.  ♦ 

N'etre  facile  ni  a  croire ,  ril  a  aimer. 

La  maturite  du  jugement  se  coiinait  a  la 
ditliculte  de  croire.  II  est  ires  -  ordinaire  de 
mentir,  il  doit  done  etre  extraordinaire  de 
croire.  Celui  qui  est  facile  a  remuer  se  trouve 
souvent  decontenancc.  Mais  il  faut  Men  se 
garder  de  montrer  du  doute  de  la  bonne  foi 
d'autrui;  car  ccla  passe  de  I'incivilite  a  I'ofilnse , 
altendu  que  c'est  le  traiter  de  trompeur  ,  ou  de 
trompe  :  encore  n'est-ce  pas  J  a  le  plus  grand 
nial.  Car ,  outre  cela  ,  ne  point  croire  est  un  ' 
indice  de  mentir,  le  menteur  etant  sujet  a 
deux  maux ,  a  ne  point  croire  et  a  n'elre  point 
cru.  La  suspension  du  jugement  est  louable 
en  celui  qui  ecoute ;  mais  celui  qui  parle  peut 
s'en  rapporter  a  son  auteur  (i).  C'est  aussi  une 

(i)  Ne  te  fais  jamais  Fauteur  de  ce  que  tu  ne  saiiras 
pas  certainement ,  dit  Juan  Rufo  a  son  fils^  car,  qui- 
conque  affirme  une  chose  incertaine  ,  passera  pour 
homme  de  peu  de  capacite'^  et  c'est  fort  approcher  du 
xnensonge,  que  de  dire  la  verite' par  hasard.  Dans  sa 
lettre  en  vers. 


DE    COUR.  209 

espece  d^imprudence ,  d'etre  facile  k  aimer , 
car  si  Ton  meiit  en  par] ant ,  Ton  ment  bien 
aussi  en  faisant ;  et  ceite  tromperie  est  encore 
plus  pernicieuse  que  Tautre. 


MAXIME    CLV. 

L'art  de  se  contenir. 

Qu'uNE  prudente  reflexion  previenne,  s'il  est 
possible  y   Ics  saillies   ordinaires  au  vulgaire  ^ 
^    cela  ne  .sera  pas  difficile  a  rhommc  prudent. 
I     Le  premier  pas  de  la  moderation  est  de  s'a- 
1^      percevoir  que  Ton  se  passionne  (i).  C'est  par 
I     la  qu'on  entre  en  lice  avec  plein  pouvoir  sur 
soi ,  et  que  Ton  sonde  jusqu  oil  il  est  necessaire 
de  laisser  aller  son  ressentiment.  C'est  avec 
cette  reflexion  dominante  quil  faut  entrer  en 
colere,  et  puis  y  mettre  fin.  Tache  de  savoir 
oil  et  quand  il  faut  t'arretei*  j  car  le  plus  diffi- 
cile de  la  course  est  de  s'arreter  tout  court. 
Grande  marque  de  jugement  de  rester  ferme, 
et  sans  trouble ,   au  milieu  des  saillies  de  la 
passion !  Tout  exces   de  passion  degenere  du 

(1)  Quelqu'un  disant  a  Diogene,  k  qui  un insolent 
venait  de  cracher  au  nez,  c'est  a  ce  coup  que  tu  ??  en 
colere  :  non,  r^pondit-il,  mais  je  sojige,  si  je  my 
dois  met  ire » 

H 


a  10 

raisonnable*  Mais  avec  cette  magistrale  precau- 
tion ,  la raison  ne se  brouillera  jamais , ni  ne pas- 
sera  point  les  bornes  du  devoir.  Pour  savoir  gour- 
niander  une  passion, il  faut  toujours  aller  bride 
en  main.  Celui  qui  se  gouvernera  de  la  sorte, 
passera  pour  le  plus  sage  cavalier ,  ou  pour 
le  plus  ctourdi ,  s'il  fait  autrement. 


MAXIME    CLVI. 

Les  amis  par  election, 

Les  amis  doivent  etre  a  Fexamen  du  dis- 
cerncment ,  et  a  Tepreuve  de  la  fortune.  Co 
n'cst  pas  asscz  qu  ils  aient  le  suffrage  de  la 
volonte ,  g'ils  n  ont  aussi  celui  de  Fentendement. 
Quoique  ce  soit  la  le  point  le  plus  important 
de  la  vie  ,  c'est  celui  oii  Ton  apporte  le  moins 
de  soin.  Quelques-uns  font  leurs  amis  par  Fen- 
tremise  d'autrui,  ct  la  plupart  par  hasard.  On 
juge  d'un  homme  par  les  amis  quil  a;  un  ha- 
bile homme  ncn  a  jamais  voulu  d'ignorans. 
Mais  bien  qu  un  homme  plaise ,  ce  n'est  pas 
a  dire  que  ce  soit  un  ami  intime ;  car  cela  peut 
venir  plutot  de  ses  Kelles  manieres  d'agir,  que 
d'aucune  assurance  que  Fon  ait  de  sa  capacite. 
II  y  a  des  amities  legitimes  ,  et  des  amities  ba- 
tardes  :  celles-ci  sont  pour  le  plaisir ;  mais  les 


D  E     CO  tr  R.  ^li 

autres  pour  aglr  plus  surement.  11  se  trouve 
peu  d'amis  dt  la  personne ,  mais  beaucoup  de 
la  fortune  (i).  Le  bon  esprit  d'un  ami  est  plus 
utile  que  toute  la  volonte  dcsautres  (2).  Prends 
done  tes  amis  par  choice  et  non  par  sort.  Un 
ami  prudent  epargne  bien  des  chagrins ,  au 
lieu  qu'un  autre  qui  nest  pas  tcl,  Ics  multi- 
plie  et  les  entasse.  Si  lu  ne  veux  point  perdre 
d'amis  ,  ne  leur  souhaite  point  une  grande 
fortune  (5). 

(i)  Des  amis  de  table,  dit-il,  de  carrosse,  de  come'die^ 
de  eolation,  de  re'jouissance,  de  promenade")  bons  pour 
un  jour  de  noces,  ou  durant  la  faveui*  et  la  prospe'rite'  y 
vous  en  trouverez  a  fofson.  A  I'heure  de  manger  ce  sont 
des  serviettes  ^  a  Pheure  de  servir,  ce  sont  des  gens  qui  ont 
les  mains  gourdes.  Crisi  5»  del  Criticon  ,  Parte  segunda*. 

(2)  Nous  sommes  trois ,  dit  son  Ge'rion  Moral  ibidem , 
Ct  nous  n'avons  qu'un  coeur.  Celui  qui  a  de  vrais  amis 
est  en  possession  d'autant  d'entendemens.  II  connait  et 
faisonne  avec  I'entendement  de  tous  ses  amis^  il  voit  paf 
autant  d'yeux  ,  il  e'coute  par  autant  d'oreilles^  il  tra- 
vaille  par  autant  de  mains,  et  il  court  avec  autant  de 
■"pieds.  Mais  tous  tant  que  nous  sommes,  nous  n'avons 
qu'une  volonte';  car  I'amiti^  est  une  ame  en  plusieurs 
corps.  Celui  qui  n'a  point  d'ami  n'a  point  de  pieds  ni 
de  mains.  II  ne  vit  qu'a  demi  ,  il  marche  en  aveugle  et 
tout  seul ,  en  sorte  que  s'il  vient  a  tomber,  il  n'aura  per- 
Bonne  qui  lui  aide  a  se  relever.  ^   ( , 

'   (5)  Honores  eniin  mutant  WiOres  )  car  les  lionneurs 
ehangent  les   moeurs*   Et  c'est  par  cette   raison  quua 


313  l/  II  O  M  M  E. 


MA  XI  ME    CLVII. 

Ne  se  point  tromper  en  gens, 

Ces  T  la  pirect  la  plus  ordinaire  des  tromperies. 
II  vaut  mieux  etre  Irompe  au  prix  qu'a  la  mar- 
diandise(i);  il  ny  a  rien  ou  il  faille  plus  regar- 
der  par  dedans.  II  y  a  bien  de  la  difference 
entre  entendre  les  choses  et  connaitre  les  per- 
sonncsj  et  c'est  une  line  philosophic  que  de  dis- 
cerner  les  esprils  et  les  humeurs  dcs  hommes. 
11  est  aussi  necessaire  de  les  etudier,que  d'ctu- 
dier  les  livrcs.        '     -    !     '^ 


MAXIME    CLVIII. 

Savoir  user  de  ses  amis, 

Il  y  va  de  grandc  adressc.  Les  uns  sont  bons 
pour  s'en  servir  de  loin ,  et  les  autres  pour  les 
avoir  aupres  de  soi.  Tel  qui'n'a  pas  ete  boa 

gentilhomme  espagnol  reprocha  au  cardinal  Ximenei 
qa'il  faisait  une  infide'lite  a  tous  ses  amis,  en  se  de'robant 
a  eux,  pour  se  donner  aux  affaires  d'e'tat. 

(i)  Mala  emptiOy   dit  le  jeune  Pline,  Ep.  24.  lib.  i, 
semper  ingrata  est ,    eb  maxime ,    quod  exprobrare 
stuldtiam  domino  videtur.    C'est-a-dire  ,    un  mauvais 
achat  est  toujours  de'sagreable,    et  surtout,   parce  <ju'il 
semi)le  reprocher  une  action  de  folic  a  I'acheteur. 


BE    C  O  W  R.  2l5 

pour  la  conversation ,  Test  pour  la  correspon- 
dance.  L'eloignement  efface  certains  defauls 
que  la  presence  rendaitinsupportables.Dansles 
amis ,  il  nj  faut  pas  chercher  seulement  le  plai- 
sir^  mais  encore  Tutilite.  L^ami  doit  avoir  trois 
qualites  du  Bien  ,  ou,  comma  disent  les  autres, 
dc  I'ethe,  I'unite,  la  bonte,  la  verite  ;  d'autant 
tjue  I'ami  tient  lieu  de  toutes  choses.  11  j  en  a 
ires-peu  qui  puissent  etre  donnes  pourbons; 
et  de  ne  les  savoir  pas  choisir,  le  nombre  en 
dcvient  encore  plus  petit.  Les  savoir  conserver 
est  plus  que  de  les  avoir  su  faire.  Cherche-les 
tels  qu'ils  durent  long-temps ',  et  bien  que  du 
commencement  ils  soient  nouvcaux ,  c'est  assez 
pour  etre  content  qu'ils  puissent  devenir  anciens. 
A  le  bien  prendre  ,  les  meilleurs  sont  ccux  que 
I'on  n'acquiert  qu'apres  avoir  long-temps  man- 
ge du  sel  avec  eux.  II  ny  a  point  de  desert  si  af- 
freux  que  de  vivre  sans  amis  (i).  L'amitie  mul- 
tiplie  les  biens  et  partage  les  maux  (2).  Cest 

(i)  F'ida  sin  amigo ,  dit  le  proverbe  espagnol,  muerte 
sintestigo.  C'est-a-dire^  vivre  sans  amis,  c'est  mourir 
sans  te'moins. 

{*i)  Je  suis  celle  ,  dit-elie  chez  Gracian  ,  sans  qui  il 
n'j  a  point  de  bonlieur  au  monde  ,  et  avec  qui  toutes 
les  disgraces  sont  faciles  a  supporter.  Dans,  les  autres 
prospe'rite's  de  la  vie  ,  les  avantages  du  bien  ne  s  j  trou- 
vent  que  se'pareraent ,  au  lieu  que  je  les  possede  toug' 


2l4  L'ft  O  M  IVI  E  ^ 

I'unique  remede  contre  la  niauvaise  fortune; 
c'est  le  soupirail  par  oil  Tame  se  decharge. 


MAXIME    CLIX. 

Sai^oir  soiiffiir  les  sots, 

Les  sages  ont  toujours  ete  mal-endurans.  L'im- 
palience  croit  avec  la  science.  Une  grande  con- 
naissance  est  difficile  a  contenter.  Au  sentiment 
d^Epictele  ,  la  meilleure  maxime  de  la  vie  c'est 
de  souFFRiR;ilamislala  moitiede]asagesse(i). 
S'il  faut  tolerer  toutes  les  sottises  ,  il  faut  sans 
doute  une  extreme  patience.  Quelqucfois  nous 
souffrons  plus  de  ceux  de  qui  nous  dependons 
davantage  ,  et  cela  scrt  d'exercice  a  se  vaincre. 
C'est  de  la  souffrance  que  nait  cette  inestimable 
paix  ,  4^i  ^^Jt  1^  felicite  de  la  terrc.  Que  cclui 
<jui  ne  se  trouvera  pas  en  humeur  de  souffrir  , 

ensemble  ,  savoir :  I'honneur  ,  le  plaisir  et  le  profit.  Je 
ne  fais  ma  re'sidence  que  parmi  les  gensdebien^  car, 
au  dire  de  Seneque  ,  je  ne  suis  ni  ve'ritable  ,  ni  cons- 
tante  parmi  les  medians.  Je  tire  mon  nom  de  I'amour, 
ct  par  conse'quent  ,  il  ne  me  faut  pas  ohercher  dans  le 
ventre  ,  mais  dans  le  coeur  qui  est  le  centre  de  la  bien- 
veillance.  Crit,  2.  de  la  I'^.-partie  d'r^Criticon, 

(i)  II  comprenait  toute  la  morale  en  ccs  deux  mots  , 
SOUTJENIR  et  s'abstenir. 


©B    COUR»  2l5 

cn  appelle  a  la  retraite  de  soi-m^me ,  si  tant  est 
qu'il  puisse  bicn  se  supporter  lui-meme. 


MAXIME    CLX. 

Purler  sobrement  a  ses  emules  ,  par  precau- 
tion y  et  auoc  autres  par  blenseance. 

On  est  toujours  a  temps  pour  lecher  la  pa- 
role ,  mais  noil  pas  pour  la  retenir.  II  faut  par- 
ler  comme  Ton  fait  dans  un  testament,  attendu 
qu'a  moins  de  par6les  ,  moins  de  proces.  II  s'y 
faut  accoutumer  dans  ce  qui  n'importe  point , 
pour  n y  point  manquer  quand  il  importera. 
Le  silence  lient  beaucoup  de  la  divinite.  Qui- 
conque  est  prompt  a  parler,  est  toujours  3ur 
le  point  d'etre  vaincu  et  convaincu. 


f^  MAXIME    CLXI. 

Connaitre  les  defauts  oil  Von  se  plait. 

Uhomme  le  plus  parfait  en  a  toujours  quel- 
ques-uns  dont  il  est,  ou  le  mari ,  ou  le  galanl. 
lis  se  trouvent  dans  I'esprit ,  et  plus  Tesprit  est 
grand,  plus  ils  y  sont  grands,  et  plus  ils  sy  re- 
marqucntj  non  pas  que  celui  qui  les  a  ne  les 
connaisse  pas  ,  mais  a  cause  qu'il  les  aime.  Sc 


2i6  l'homme 

passionner ,  et  se  passionner  pour  des  vices ,  ce 
sont  deux  maux ;  ces  defauts  sont  les  laches  dp 
la  perfection.  lis  clioqueut  autant  ceux  qui  les 
Yoient,  qu'iJs  comenleut  ceux  qui  les  ont.  C'est 
la  qu'il  y  a  belle  occasion  de  se  vaincre  soi- 
jiierae  ,  et  de  mettre  le  comble  aux  autres  per- 
fections. Cliacun  frappe  a  ce  but,  et  au  lieu  de 
louer  tout  ce  qu'il  y  a  a  admirer ,  on  s'arrete  a 
controler  un  defaut ,  que  Ton  dit ,  qui  dcfigure 
tout  le  restc.  t'^*' '''^  -     ' 


MA  XI  ME    CLXII. 

S avoir  triompher  de  la  jalousie  lot  d^  tenvie, 

BiEN  que  ce  soit  prudence  de  mepriscr  Fen- 
vie  ,  ce  mepris  est  aujourd'hui  peu  de  chose  ,  la 
galanterie  fait  bien  un  nieiUeur  effet.  U  n'y  sau- 
rait  avoir  assez  de  louanges  pour  celui  qui  dit 
du  bien  de  celui  qui  dit  du  mal.  II  n  j  a  point 
de  t^engeance  plus  heroique  que  cellc  qui  tour- 
niente  i'envie  a  force  de  bien  faire  (i).  Chaque 
bon  succe5  est  un  coup  d'estrapade  a  I'envieux, 

(i)  C'est  un  mot  de  Diogene,  qui  disait  que  le  mojen 
de  faire  crever  I'envie  ,  c'e'tait  de  se  comporter  si  bien 
qu'elle  ne  trouv4t  rien  a  reprendre. 


V 

DE    COUR.  217 

^l  la  gloire  de  son  emule  lui  est  un  enfer  (i). 
Faire  de  sa  felidte  un  poison  a  ses  envicux,  on 
lient  que  c'est  la  plus  rigou reuse  peine  quilk 
puissent  endurer.  L'envieux  mcurt  autant  de 
fois  qu'il  entend  revivre  les  louanges  deTenvie. 
lis  dispuient  tous  deux  rimniortalite ,  mais  Tun 
pour  vivre  toujours  glorieux  ,  et  I'autre  pour 
etre  toujours  miserable.  La  trompette  de  la  re- 
nommee ,  qui  sonne  pour  immortaliser  I'un  , 
annonce  lamort  a  Tautre  ,  enle  condamnant  au 
supplice  d'attendre  en  vain  que  le  sujefe  de  ses 
peines  cesse. 

MA  XI  ME    CLXIIL 

//  nefaut  jamais  perdre  les  bonnes  graces  de 
celui  qui  est  heureucc  ,  pour  prendre  pitii 
d*un  nialheureux.  .. 

D'oRDiNAiRE  ce  qui  fait  It  bonheur  dcis  uns  ^ 
faille  malheur  des  autresjet  lei  liomnie  ne  se^ 
rait  pas  heureux ,  si  iK^aucoup  d'autres  n'etaient 
pas  maiiheureux.  C'est  le  propre  des  niiserables 

(0  ITn  roi  de  Sparte  disait ,  que  les  envieux  e'taieni 
Lien  mis^rables  d'etre  aussi  afflige's  de  la  prospe'rite'  des 
autres  que  de  leur  propre  adverslte.  tin  autre  a  dit, 
que  Ten  vie  n'a  point  de  jours  de  rejouissanc^  :  Inyidia 
festosdks  non  agO,  .^..u^l-^m% 


2i8  l'homme 

de  gagner  la  bicnveillance  dcs  gens  y  car  chacun 
se  plait  a  recompenser  d'uiie  faveur  inutile  , 
ceux  qui  sont  maltraites  dc  la  fortune.  11  est 
meme  arrive  quelquefois  qu'nn  homme  hai  do 
tout  le  monde ,  durant  sa  prospcrite ,  a  etc  plaint 
de  tout  le  monde  dans  son  malheur  ,  la  chute 
ajant  change  en  compassion  le  dcsir  qu'on 
avait  de  se  venger(i).  Que  Thomme  d^esprit 
premie  done  garde  aux  tours  de  main  de  la 
fortune.  H  y  a  des  gens  qui  ne  vont  jamais  qu'a- 
vec  ^es  malheureux.  Cclui  qu'ils  fujaient  hier  a 
cause  de  son  bonheur,  les  a  auiourd'hui  pour 
compagnie,  a  cause  de  son  malheur.  Cctle  con- 
duitc  est  €|uelquefois  une  marque  de  bon  natu- 
rel  ,  mais  non  pas  de  bon  esprit  (2). 

(i)  C'est  ainsi  que  Tacite  dit ,  que  rimpe'ratrice  Livia 
perse'cutait  les  enfans  d'Auguste  lorsque  leur  fortune 
etait  florissante  ,  et  faisait  gloire  de  les  assister  dans  leur 
cxil  :  Julia  viginti  annis  exilium  tolerant ,  ui4ugusta* 
ope  sustentata ,  quce  Jlorentes  prmgnos  ciim  per  oc~ 
cultum  suhvertisset y  misericordiam  erga  adjlictos  pa- 
lam  ostentahat.  Ann.  4*  ^t  q^^  Lepida  ,  qui  n'avait 
jamais  e'te  en  bonne  intelligence  avec  Messaline  sa  fille , 
tandis  que  la  fortune  lui  riait ,  se  laissa  vaincre  a  la 
compassion  lorsqu'elle  la  vit  abandonne'e  de  I'empereur 
Claudius  ,  son  mari  :  Assidente  matre  Lepida  ,  quae 
Jlorenti  Jilia^  hand  concors ,  supremis  ejus  necessita- 
tibus  ad  miserationem  evicta  ei'at.  Ann.  11. 

(2)  Le  jeune  Pline  jlit,  qu'il  estbon  de  se  faire  aimer 


DE    COUR.  ^  219 

MAXIME    CLXIV. 

Tirer  quelques  coups  en  I* air, 

C'est  le  moyen  de  reconnaitre  comment  sera 
recu  ce  que  Ton  pretend  faire,  surtout  quand 
ce  sont  des  clioses  dont  Tisstie  et  I'approbation 
sont  douteuses.  C'est  par  la  qu'on  tire  a  coup 
Siir,  et  qu'on  est  toujours  maitre  de  rcculer  on 
d'avancer.  Cest  ainsi  que  Ton  sonde  les  volon- 
tes  ,  et  que  Ton  sait  ou  il  fait  bon  mettre  le 
pied.  Cette  prevention  est  tres-necessaire  pour 
dcmander  a-propos  ,  pour  bien  placer  son  ami- 
tie  et  pour  bien  gouverner  (i). 

des  petits  ,  mais  avec  telle  discre'tion  que  Ton  ne  soit 
pas  hai  des  grands,  attendu  que  plusieurs  se  font  passer 
pour  des  esprits  reveches  et  dangereux  plutot  que  pour 
des  gens  integres ,  pendant  qu'ils  se  piquent  de  resister 
aux  grands  ,  sous  coaleur  de  craindre  le  reproche  d'etre 
trop  complaisans  :  Ita  a  minoribus  amari  ,  ut  simul  a 
principihus  diligare.  Plerique  enim  ,  dum  verentur , 
tie  gratice  potentium  nimium  impertiri  videantur ,  si' 
nisteritatis  ,  atque  etiam  malignitatis  ,  famam  co7ise~ 
{ptuntu?\  Ep.  5.  lib.  2. 

(i)  Tibere  ,  a  son  avenement  a  I'Empire,  tint  toutle 
monde  en  suspens  par  ses  feintes  de  ne  vouloir  point 
regner ,  ou  du  moins  de  vouloir  prendre  des  collsgues 
pour  gouverner  conjointement  avec  eux  :  Non  ad  unwn 
tfmnia  deferrent ,  plures  facilius  munia  reip,  spciatif 


hho  l'  n  o  M  M  E 

MAXIM  E    CXLV. 

Faire  bonne  guerre. 

On  peulbicn  obliger  un  brave  homme  a  faire 
la  guerre  ,  niais  non  pas  a  la  faire  autrement 
quil  ne  d.oit(i).  Chacun  doit  agir  selon  ce  qu'il 
est ,  et  non  point  selon  ce  que  sont  les  autres. 

laborihus  exsecuturos.  Tacite  Ann.  i .  Et  tout  cela  n'e- 
tait  que  pour  mieux  sonder  les  intentions  et  les  pre'ten- 
.tions  des  grands  ,  ad  introspiciendas  proceruni  volun-* 
taies.  Ibidem.  Elisabeth,  reine  d'Angleterre  ,  n'entama 
la  ndgociation  du  naariage  de  la  reine  d'Ecosse  avec  le 
comte  de  Leicester  ,  que  pour  I'e'pouser  elle-meme  avec 
plus  de  bienseance  ,  ou  du  moins  avec  nioins  de  honte , 
apres  qu'une  autre  reine  I'aurait  bien  voulu.  Les  gens 
d'e'tat ,  dit  Gracian  ,  courent  tout  a  rebours  des  autres , 
et  c'est  pour  tromper  leurs  espions  et  pour  embrouiller 
les  raisonnemens.  Us  ne  veulcnt  point  qu'on  suive  leurs 
traces  ,  ils  feignent  d'aller  d'un  cote'  et  vont  de  I'autre  ', 
lis  publient  une  chose  et  en  exe'cutent  une  autre  ^  pour 
dire  non  ils  disent  our ,  etc.  Crit.  6.  de  la  premiers 
paiHie  de  son  Gritlcon. 

(i)  TiRere  re'pondit  an  prince  des  Cattes  ,  qui  s'ofFrait 
d'empoisonner  Arminius  ,  le  plus  redoutable  ennenii 
des  Romain's  ;  Que  les  Romains  se  vengeaient  a  force 
ouverte,  et  non  prr  des  lachete's  ,  ni  par  des  coups 
fourre's  :  Nonfraude  ,  neque  occultis ,  sed  palam  et 
amtatum  populum  Rom,  liostes  sues  idcisci,  Tacite 
]/^Tin,   2. 


DE    COUR.  221 

La  galantcrie  est  plus  plausible  quand  on  en 
use  cnvers  un  enncmi.  II  ne  faut  pas  vaincre 
seulemcnt  par  la  force ,  mais  encore  par  la  nia- 
niere.  Vaincre  en  scelerat,  ce  n'est  pas  vaincre  , 
*niais  bicn  se  laisser  vaincrejla  gcnerosilc  a  lou- 
jours  eu  le  dessus.  L'homme  de  bien  ne  sescrl 
jamais  d'armes  defendues.C'est  s'en  scrvir  quo 
d'cmplojer  les  debris  de  I'amitie  qui  finit ,  a 
former  la  haine  qui  commence  j  car  il  n'est  pas 
permis  de  se  prcvaloir  de  la  confiance  pour  se 
vcnger  (t).  Tout  ce  qui  sent  la  traliison ,  infccte 
le  bon  renom.  Le  moindrc  atome  de  bassesse 
est  incompatible  avec  la  generosite  dans  les 
grands  personnages.  Un  brave  homme  doit  se 
piqucr  d'etre  tel ,  que  si  la  galanterie  ,  la  gene- 
rosite et  la  fidelile  se  perdaicnt  dans  le  monde, 
elles  se  retrouveraicnt  dans  son  coeur  (2). 

(i)  II  faut  en  user  comme  cet  Espagnol ,  qui  repondit 
a  la  priere  que  lui  faisait  un  ami  absent ,  de  gardei* 
iidelement  un  secret  qu'il  lui  avait  confi^  :  Je  n'ai  jamais 
fiu  votre  secret ,  et  si  vous  m'en  avez  confie'  (pielqu'un  , 
je  vous  I'ai  rendu  en  ne  m^en  souvenant  plus.  Juan 
Rufo.  Apophtegme  55 1. 

(2)  Francois  I,  roi  de  France,  disait ,  que  si  la 
fiddite'  se  perdait  ,  elle  devait  se  retrouver  dans  le  coeur 
\i  d'un  roi.  Et  Alphonse  ,  roi  d'Aragon  ,  que  la  parole 
d'un  roi  doit  etre  aussi  sure  que  le  serment  d'un  pai> 
ticulier.  Agudeza ,  Discurso  5o.  Charles-Quint  repon- 
dit a  ceux  qui  lui  conseilIaien.t  de  violer  le  sauf-conduit 


^23  l'  H  O  M  M  K 

MAXIME    CLXVt 

Discerner   Vhomme   qui  donne    des   paroles 
d'ai^ec  celui  qui  donne  des  effets, 

Cette  distinction  est  absolumenlneccssaire, 
ainsi  que  cellc  de  I'ami  de  la  pcrsonne ,  et  dc 
1  ami  de  I'emploi;  car  ce  sont  des  amis  bien  dif- 
ferens  (i).  Celui-la  I'entend  mal  qui ,  ne  don- 
nant  point  de  mauvais  effets  ,  ne  donne  point 

donne  a  Luther  pour  comparaitre  a  la  diete  de  Wer- 
mes  ,  que  si  Ton  voulait  bannir  la  bonne  foi  du  monde , 
les  palais  des  princes  lui  devraient  servir  de  retraite. 
T^ox  hones ta  ,  sed  ad  hanc  formam  cetera  non  erant* 
Tacite.  Hist.  i. 

(i)  Nos  sujets  ,  disait  Galba,  ne  parlent  pas  £i  nous 
mais  a  notre  fortune  :  Ceteri  lihentiiis  cum  fortuna 
nostra,  quam  nobiscum.  Tacite.  Hist.  i.  II  en  est  de 
ineme  des  amis  ,  les  uns  aiment  la  personne  ,  les  au- 
tres  sa  fortune*  C'est  ainsi  qu'Ephestion  e'tait  Tami 
d' Alexandre ,  et  Craterus  Tami  de  sa  royaut^.  Gracian 
fait  parler  ainsi  le  courtisan  a  I'amitie'  ;  Bien  qu€  tu  sois 
flatteuse  ,  les  princes  ne  te  connaissent  pas ;  car  tons 
leurs  amis  le  sont  tous  du  rot  et  pas  un  ^Alexandre  , 
comme  il  le  disait  lui-meme.  De  deux  tu  n'en  fais 
qu'un.  Or  il  est  impossible  de  marier  I'amour  avec  la 
majeste'.  Critique  seconde  de  la  seconde  partie  de 
%on  Criticon. 

Non  bene  cojweniunt ,  nee  in  una  sede  morafitur 

Majesta^  et  amor  f  dit  le  poetq. 


D  E      C  O  U  R.  ^^3 

de  bonnes  paroles  j  et  celui-la  encore  plus  mal 
qui ,  ne  donnant  point  de  mauvaises  paroles  , 
ne  donne  point  de  bons  effets.  Aujourd'hui  Ton 
ne  se  repait  point  de  paroles ,  d'autant  que  ce 
n'est  que  du  vent ,  nil'on  ne  vit  point  de  civili- 
tes,  lout  cela  n'etant  quune  civile  tromperie. 
AUer  a  la  chasse  des  oiseaux  avec  de  la  lumiere, 
c'csl  le  vrai  niojen  de  les  eblouir.  Les  sots  et 
les  presomptueux  se  paient  de  vent.  Les  paroles 
doiventetre  les  gages  des  actions  (i),  et  par  con- 
sequent avoir  leur  prix.  Les  arbres  qui  ne  por- 
tent point  de  fruit ,  et  qui  n'ont  point  de  fcuillcs, 
d'ordinaire  n'ont  point  de  coeur.  II  estneces- 
saire  de  les  connaitre  tous ,  les  uns  pour  en  tirer 
du  profit,  etles  autrespour  se  mettre  a  Fombrc. 

(i)  Un  homme  de  quality  ,  dit  la  comtesse  d*Aranda, 
dans  son  Idee  des  Nobles  ,  ne  doit  jamais  s*engager  de 
parole ,  s'il  n'est  assure  de  pouvoir  faire  ce  qu'on  lui 
demande  ;  et  quand  il  le  peut ,  il  le  doit  faire  avant  que 
de  le  promettre.  II  faut  qu'il  soit  aussi  retenu  a  ofFrir 
fies  semces  que  circonspect  a  se  fier  aux  offres  des  au- 
tres.  Les  complimens  afFecte's  ou  excessifs  viennent  tou- 
jours  ,  ou  de  gens  qui  trompent ,  ou  de  gens  trompesj 
parce  que  d'ordinaire  ceux  qui  ae  sont  laisse'  tromper 
en  complimens  paient  les  autres  en  mem«  monnaic. 
Chap.  J  de  la  seQonde  partie. 


324  l'iiOMME 

MAXIME    CLXVII. 

Se  sai^oir  aider. 

Dans  les  rencontres  facheuscs  ,  il  n  j  a  point 
de  nieilletirc  compagnie  qu'un  grand  coeur  j  ct 
s'il  vienl  a  s'afFaiblir  ,  il  doit  etre  sccouru  des 
parties  qui  rcnvironnent.  Les  deplaisirs  sont 
moindres  pour  ceux  qui  savent  s'assister  (i). 
Ne  te  rends  point  a  la  fortune ,  car  elle  t'en  de- 
viendrait  plus  insupportable.  Quelques  -  uns 
s'aident  si  peu  dans  leurspeines  ,qu'ils  les  aug- 
mentent  faute  dc  les  savoir  porter  avec  courage. 
Celui  qui  se  connait  bien ,  trouve  du  secours  a 
sa  faiblesse  dans  la  reflexion.  L'honime  de  ju- 
gement  sort  de  tout  avec  avantage  ^  fut-cc  du 
milieu  des  etoiles. 


MAXIME    CLXVIII. 

Ne  point  donner  dans  le  monstr  ueuoc. 

Tous  les  evenles ,  les  presomptueux ,  les  opi- 
niatreSjles  capricieux,les  enietes  d'eux-memes^ 

(i)  Celui-la  n'est  pas  sage  ,  (lit  Ciceron  ,  qui  ne  sait 
pas  s'assister  lui-meme  :  Qui  ipse  sibi  sapiens  prodesse 
nequit ,  ne  cjuidquam  sapit,   Ep.  lib.  7. 


les  extravagans  ,  les  patelins  (*) ,  les  bouffons, 
les  nouvellistes ,  les  auteurs  de  paradoxes  ,  les 
sectaires ,  et  enfin  toutes  sortes  d'hommes  de- 
regies,  tons  ces  gens-la,  dis-je  ,  sont  autant  de 
nionstres  d'impertinence.  Toute  laideur  de 
Fame  est  toujours  plus  monstrueuse  que  pas 
une  difformite  du  corps ,  d' autant  qu'elle  desho- 
nore  davantage  la  besute  de  son  original.  Mais 
qui  corrigera  un  si  grand  et  si  general  exces  ? 
Oil  la  raison  manque  ,  la  direction  n'a  rien  a 
fairc ,  attendu  que  ce  qui  devait  etre  cause  d'une 
reflexion  serieusc  sur  ce  qui  donne  matiere  a  la 
risee  publique  ,  fair,  tomber  daijs  la  presomp- 
tion  de  croire  que  I'on  est  admire. 
*  ou  les  gens  de  faux  semblant. 


MAXIME    CLXIX 

Plus  d'attention  a  ne  pas  manqu^r  un  coup  , 
qu'ci  en  hien  tirer  cent, 

QuAND  Ic  soleil  luit,  personne  ne  le  rcgardc; 
mais  lorsqu'il  s'eclipse  ,  chacun  le  considere. 
Le  vulgaire  ne  te  comptera  point  les  coups  qui 
porteront ,  mais  seulcment  ceux  que  tu  man- 
qucras.  Les  mechans  sont  plus  connus  par  les 
murmures,que  ks  gens  de  bien  par  les  applau- 
disscmcns  ^  et  plusicurs  n'ont  etc  connus  qu  a- 


226  l'h  O  M  M  E 

pres  avoir  failli.  Tous  les  bons  succes  joints  en- 
semble ne  suffisent  pas  pour  en  etJacer  un  seul 
mauvais.  Desabusc-toi  done  j  et  tieos  pour  as- 
sure que  Fenvie  remarquera  toules  tes  fautes  ,  ' 
mais  pas  unc  de  tes  belles  actions. 


MAXIME    CLXX. 

User  de  menagement  en  toutes  choses* 

'^  Cest  le  moyen  de  reussir  dans  les  choses 
d'importance.  II  ne  faut  pas  a  chaque  fois  em- 
ployer toute  sa  capacite,  ni  montrer  toutes  ses 
forces  (i).  Jusque  dans  le  savoir,  il  faut  se  me- 
nager  (2) ,  car  ccla  sert  a  doubler  de  prix.  11 
faut  toujours  avoir  a  qui  en  appeler  quand  il 
sera  question  de  se  tirer  d'un  mauvais  pas.  Le 
sccours  fait  plus  d'effet  que  le  combat ,  parce 
qu  il  est  toujours  accompagn^  de  reputation  de 
valeur.  La  prudence  va  toujours  au  plus  sur.Et 
c'est  encore  en  ce  sens  qu'est  vrai  cet  ingenieux 
paradoxe  (5)  :  La  moltie  est  plus  que  le  tout, 

(  I )  Omnia  scire ,  non  omnia  exequi,  dit  Tacite 
d'Agricolaj  c'est-a-dire  ,  tout  savoir  ,  mais  ne  pas  faire 
tout  ce  qu'on  sait. 

(2)  Ex  sapientia  modum..   Ibidem, 

(5)  De  Pittacus  ,  Tun  des  sept  Sages  de  la  Grece. 


MAXIME    CLXXI. 

Ne  pas  abuser  de  la  faveur. 

Les  grands  amis  sont  pour  les  grandes  occa- 
sions. 11  ne  faut  pas  employer  bcaucoup  de  fa- 
vour  en  des  choscs  de  pen  d'importance  ,  cc 
serait  la  dissiper.  L'ancre  sacree  est  toujours 
gardee  pour  la  dernlere  cxtremile.  Si  Foa  pro- 
digue  le  BE  ATI  COUP  pour  le  peu  ,  que  rest  era- t-il 
pour  le  besoin  a  venir  ?  Aujourd'hui  il  n  j  a  rien 
de  mellleur  que  les  protecleurs  (i) ,  ni  rien  de 
plus  prccieux  que  la    faveur  (2)  j   elle  fait  et 

(i)  N^que  enim  cuiquam,  dit  le  jeune  Pline  ,  Ep.  25» 
hj}.  6.  tamclarum  stali'/n  ingenium  est,  ut  possit  emer* 
gere ,  nisi  illi  matena ,  oceasio  ,  fantor  etiam  com-' 
mendatorque  contingat.  C'est-a-dire  ;  II  n'j  a  per- 
sonne  qui  ait  d'abord  tant  d'esprit  et  de  bonheur  , 
qu'il  puisse  se  produire  et  s'avancer,  s'il  n'a  ,  outre  la 
matiere  et  I'occasian  ,  un  prptecteur  qui  le  mette  en. 
credit.  \  n  '    \ 

(2)  La  premiere  marche  de  cet  escalier  de  la  Fortune  , 
dit  Gracian  ,  etait  plus  difficile  a  monter  q^u'une  mon- 
lagne.  Et  une  page  apres  :  Toute  la  difficulte'  de  mon- 
ter e'tait  au  premier  degre  ,  a  cause  que  la  Faveur  ,  le 
premier  ministre  et  confident  de  la  Fortune  s  j  tenait 
postee.  Ce  ministre  tendait  la  main  a  quelques  -  uns 
pour  leur  aider  a  monter^  mais  jamais  a  pas  un  homme 
de  bien,  ni  a  pas  un  autre   qui  le  me'rit^t.  II  cboisis- 

l5* 


228  l'h  O  M  M  E 

fail ,  jusqu a  doiiner  de  I'esprit  et  a  loter.  La 
fortune  a  toiijonrs  ete  aussi  maratre  aux  sages  , 
que  la  nature  et  la  renommee  leur  ont  ete  fa- 
vorables(i).  II  vaut  mieux  savoir  conserver  ses 
amis  que  ses  biens. 
(         • 

sait  toujours  le  pire  ^  des  qu'il  apercevait  un  ignorant^ 
il  I'appelait  et  laissait  attendre  mille  sages.  Et  bien  que 
tout  le  monde  en  murmurat ,  tout  cela  ne  faisait  rien  , 
car  il  e'tait  fait  a  entendre  tout  ce  qu'on  pouvait  dire. 
D'une  lieue  il  voyait  un  imposteur  ^  mais  pour  les  gens 
d'importance  et  les  personnes  de  probite' ,  sa  vue  ne  s'jr 
arretait  jamais  ,  parce  qu'il  lui  semblait  qu'ils  remar- 
quaient  ses  folies  ,  et  qu'ils  avaient  horreur  de  ses  chi- 
meres ,  etc.  Critique  6  de  la  seconde  partie  de  son 
Criticon. 

(i)  Dans  lameme  Critique ,  il  fait  parler  la  Fortune 
a  V Argent  en  ces  termes  ;  Pourquoi  es-tu  toujours  en 
querelle  avec  les  gens  de  bien?  Pourquoi  ne  vas-tu 
jamais  chez  eux?  Est-il  vrai ,  comme  chacun  t'en  ac- 
cuse ,  que  tu  es  toujours  avec  de  la  canaille  ,  et  que  tu 
n'as  pour  camarades  que  les  plus  grands  sce'le'rats  du 
monde  ?  Si  les  gens  de  bien  me  voient  si  peu  chez  eux  , 
repond  VAi'gent ,  c'est  leur  pure  faute ,  et  nullement 
la  mienne  ;  c'est  parce  qu'ils  ne  savent  pas^ne  cherclier. 
lis  ne  de'robent  point ,  ils  ne  trompent  point ,  ils  ne 
mentent  point  ,  ils  ne  cajolent  point ,  ils  ne  se  laissent 
point  corrompre  ,  ils  ne  sucent  point  le  sang  d'autrui , 
ils  ne  flattent  point  5  ils  ne  sont  point  gens  d'intrigues. 
Comment  done  s'enrichiraient-ils  ^  puisqu'ils  ne  me 
clierclient  jamais  ?  etc. 


D  E    c  auR.  22g 

MAXIME    CLXXII. 

JVe  s^ engager  point  avec  quin*a  rien  aperdre, 

C^EST  combattrc  a  forces  inegales ,  car  Fautre 
cntre  cii  lice  sans  embarras.  Commc  il  a  perdu 
toule  honte,  il  n'a  plus  rien  a  pcrdre  ni  a  me- 
nager  ^  et  ainsi  il  se  jette  a  corps  perdu  dans 
toutes  sortes  d'extravagances.  La  reputation, 
qui  est  d'un  prix  inestimable,  ne  se  doit  jamais 
exposer  a  de  si  grands  risques.  Apres  avoir  cou- 
te  bcaucoup  d'annees  a  acquerir,  ellevient  a  se 
perdrc  en  un  moment  (i).  U  ne  faut  qu'un  petit 
vent  pour  geler  une  abondante  sueur.  La  con- 
sideration d'avoir  beaucoup  a  perdre  retient  un 
homme  prudent.  Des  qu'ilpense  a  sa  reputation, 
il  envisage  le  danger  de  la  perdre  (2).  Etmoyen- 

(i)  Tacite  -dit  qu'un  Voranius  ,  qui  avait  toujours 
ve'cu  en  homme  d'honneur  et  de  coeur ,  efFa^a  toute  la 
gloire  de  sa  vie  par  une  vanterie  qu'il  mit  a  la  fin  de 
son  testament  :  MagJia  diim  vixit  severitatis  fama , 
supremis  testamenti  verbis  ambitionis  manifestus, 
Quippe  addidit  subjecturum  NeroniProvinciamfuisse, 
si  biennio  proximo  vixisset.  Ann.   14. 

(2)  C'est  pour  cette  raison  que  Thrasea  ne  voulu^ 
point  aller  plaider  sa  cause  au  senat  contre  ses  accusa- 
teurs ,  de  peur  de  s'exposer  aux  outrages  de  plusieura 
juges  laches  ,  qui  eussent  cherche'  a  se  concilier  par  la 
les  bonnes  graces  de  Ne'ron ,  son  enuemi  declare  :  di- 


^30  lhommk; 

nant  cetle  reflexion ,  il  procedc  avec  tant  de  re- 
tcnue  ,  qu  il  a  le  temps  de  se  retirer  ,  et  de 
mettre  tout  son  credit  a  convert.  L'on  n  arri- 
vera  jamais  a  regagner  par  una  yictoire,  ce  que 
Ton  a  deja  perdu  en  s'exposant  a  perdre. 


MAXIME    CLXXIII. 

N'etre  point  de  ^verre  dans  la  conifers  at  ion  ^ 
encore  nioins  dans  I'amitie, 

QuELQUES-UNS  sont  faciles  a  rompre  ,  et  de- 
couvrent  par  la  Icur  peu  de  consistance.  lis  se 
rcmplisscnt  eux-memes  de  mecontentemens,  et 
les  autres  de  degout.  lis  se  montrent  plus  teu- 

sant ,  qu'il  ne  devait  plus  songer  qu'a  mourir  aussi  cons- 
tamment  que  ceux  doiit  il  avait  toujours  suivi  les  traces 
et  les  exemples  :  Z/zmV^rm  et   contumelias    imminere. 

Suhtraheret  aures  conviciis  et  probris Intemera- 

tus  y  impollutus  ,  quorum  iwstigiis  et  studiis  vitain 
duxerit  y  eorum  gloriCt peferet  finem.  Et  quatre  lignes 
apres  :  Tot  per  annos  continuum  vitce  ordinem  nan 
deferendwn.  Ann,  i6.  Ajoutez  a  cela  ce  que  dit  le  jeune 
Pline  ,  qu'il  est  plus  honteux  de  perdre  sa  reputation 
que  de  n'en  point  acque'rir  .*  Ciim.  sit  alioqui  multo 
deformius  amittere  ,  qucim  non  assequi  laudem,  Ep. 
ultima  lib.  8.  C'est  pourquoi  ceux  qui  se  sont  acquis 
beaucoiip  de  reputation  ,  ont  coutume  d'en  etre  tres- 
jaloux  et  tres-me'nagers. 


©E   COUB.  :25i 

dres  a  blessfer  que  les  yeux  ,  puisqu'on  ne  leur 
saurait  toucher  ni  de  |3on  ni  de  mauvais  jeu  ; 
les  atonies  memo  les  choqucnt,  car  ils  n'ont  pas 
Lesoin  de  fantomes.  Ceux  qui  les  frequentent 
doivcnt  extremcment  se  contraindre  ,  ct  s'etu- 
dier  a  remarquer  toutcs  leurs  delicatesses.  On 
n ose  rcmuer  devant  eux, car  le  moindre  geste 
lesinquiete.D'ordinaire  ce  sont  des  gens  pleins 
d'eux-memes  ,  esclaves  de  leur  volonte ,  ido- 
latres  de  leur  sot  point  d'honneur,  pour  lequel 
ils  bouleverseraient  Tunivers.  Celui  qui  aime 
veritablcmcnt ,,  lient  d^  la  nature  du  diamant, 
et  pour  la  duree  et  pour  etre  difficile  a  rompre. 


'  MAXIME    CLXXIV. 

JVe  point  vi^re  a  la  hate, 

Savoir  partager  son  temps, c'cst  savoir  jouir 
de  la  vic.Plusieurs  ont  encore  beaucoupavivre, 
qui  n'ont  plus  de  quoi  vivre  contcns.  Ils  perdent 
les  plaisirs^  car  ils  n'cn  jouissent  pas;  et  quand 
ils  ont  ete  bicn  avant ,  ils  voudraient  pouvoir  re- 
tourner  en  arriere.  Ce  sont  des  postilions  de  la 
vie,  qui  ajoutentala  course  precipitee  du  temps 
rimpetuositc  de  leur  espiit.  lis  voudraient  de- 
vorer  en  un  jour  ce  qu  ils  pourraient  a  peine 
digerer  en  toute  leur  vie.  lis  vivcnt  dans  les 


232  l'hOMME 

plaisirs  comme  gens  qui  les  veulent  tous  gouter 
par  avance.  Us  mangent  les  annees  a  venir  ,  et 
comme  ils  font  tout  a  la  h^te ,  ils  ont  Lientot 
tout  fait.  Le  desir  meme  de  savoir  doit  etre 
modere  ,  pour  ne  pas  savoir  imparfaitcment 
Jes  choses.  U  y  a  plus  de  jours  que  de  prospe- 
rites.  Hatc-toi  de  faire  ,  et  jouis  aloisir.  Les 
affaires  valent  mieux  faites  qua  faire,  et  le  con- 
tentement  qui  dure ,  est  meilleur  que  celui  qui 
finit.  'irreu  i  viujl 

MAXIME     CLXXV, 

Uhomme  suhstantieh 

Celui  qui  Test  ne  se  contente  point  de  ceux 
qui  ne  le  sont  pas.  Malheur euse  est  Teminence 
qui  n'a  rieh  de  subslantiel  (i).  .Tous  ceux  qui 
paraissent  etre  dcs  hommes ,  ne  le  s6nt  pas 
tous.  11  y  en  a  d'ariificiels  ,  qui  con^oivent  de 
chimere ,  et  accouchcnt  de  tromperie.  II  j  en 
d'autres  qui  leur  ressemblent ,  lesquels  les  font 
valoir ,  et  se  paient  plus  de  Fincertain ,  que 
promet  une  fausse  apparence,  a  cause  que  le 
BEAUCoup  y  est ,  que  du  certain  qu  offre  la  ve- 


(i)  C'est  une  lettre  qui  n'a  que  la  suscription  , 
la  comtesse  d'Aranda ,    au  chapitre  premier  de 


dit 

son 
Idc'Q  des  Nobles. 


I)  E    C  O  U  R.  2^3 

rite  ,  parce  que  cela  parait  peu  ;  mais  a  la  fin 
leurs  caprices  aboutissent  a  mal ,  d'autant  quils 
n'ont  point  dc  fondement  solide.  U  ny  a  que 
]a  verite  qui  puisse  donner  une  veritable  repu- 
tation ,  et  que  la  substance  qui  tourne  a  profit. 
Une  tromperie  a  besoin  de  beaucoup  d'aulres, 
ct  par  consequent ,  tout  I'edifice  n'est  que  chi- 
mere  j  et  comme  il  est  fonde  en  I'air  ,  il  est  de 
necessite  qu'il  tombe  par  terre.  Un  dessein  mal 
concunevient  jamais  amaturitc(i);le  beaucoup 
qu'il  promet  suffit  pour  le  rendre  suspect ; 
ainsi  que  Fargument  qui  prouve  trop ,  ne  prou- 
ve-ri€B.- -*-..->,-  c  >-..;.-.-.■       ■  .^-.:^' 

:c|j;t-M  AXIME    CLXX  VI.  (2) 

S avoir y  ou  ecouter\ceuac  qui  savejit,^^'^^^'^ 

L'oN  ne  saurait  vivre  sans  ;entendement  ,  il 
en  faut  avoir ,  ou  par  nature  ou  par  emprunt. 

(i)  Omnia  inconsulti  impetus  ccepta  ,  initiis  valida, 
spatio  languescunt ,  di|t  Tacite,  Hist.  5.  Initia  conatus 
secunda  ,  neque  diutuma.  Ann.  6.  ;  c'est-a-dire  ,  toutes 
les  entreprises  faites  avec  plus  de  chaleur  que  de  raison, 
ont  des  commencemens   vigoureux,    mais  la  suite  n'y 

re'pood  pas Les  commencemens  sont  heureux  ,  mais 

de  peu  de  dure'e. 

(2)  Si  tu  pretes  I'oreille  ,  dit  VEccle'siastique  ,  tu  re- 
levras  la  doctrine  ,  et  si  tu  prends  plaisir  a  e'couter,  tu 
deviendras  sage  ;  Si  incUnaveris  aiir^m  tiiam ,  exci^ 


354-  l'h  o  m  m  e 

II  ne  laisse  pas  d  j  avoir  des  gens  qui  ignoreht 
qii'ils  ne  savent  ricn  j  et  d'autres  qui  croient 
savoir,  quoiqu'iis  ne  saclient  ricn.  Los  defauls; 
qui  viennent  de  manque  d' esprit  sont  incura-. 
bles  'y  car  comme  les  ignorans  ne  se  connaissent 
pas  ,  ils  n'ont  garde  de  chercher  ce  qui  leuif 
manque.  Quelques-uns  seraient  sages  ,  s'ils  nei» 
crojaient  pas  I'etre.  De  la  vicnt  que  ,  bicn  quo 
les  oracles  de  sagesse  soicnt  si  rares  ,  ils  n'ont 
rien  a  faire ,  altendu  que  personne  ne  les  con- 
suite.  Cen'est  point une  diminution  d(^  grandeur 
ni  une  marque  d'incapacite  ,  que  de  prendre 
conseil^au  contraire,  Ton  se  met  en  passe  d'lia- 
l)ile  homme  en  se  conseillant  bien  (i).  Rends- 
tpi  a  la  raison  ,  pour  n'etre  point  battu  de  I'in- 
forlune.^  .,,^.^  ■■-..'.,  ^^.---yy  -\c:l'^\':-- 

pies  doctrinam  ,  et ,   si  dilexeris  audi^e  ,  sapiens  eris. 
Chap.  6.  ' 

( I )  Macliiavel  au  chap.  25  de  son  Prince  ,  dit ,  que 
ceux-la  se  trompent  fart ,  qui  croient  qu-e  de  prendre 
conseil  ,  c'est  ri«quer  de  n'etre  pas  estime  prudent  par 
soi-m^me  ,  mais  seulement  par  les  bons  conseik  d'au- 
trui ,  etant  une  regie  ge'ne'rale  et  infaillihle  ,  que  celui 
qui  n'est  pas  sage  de  lui-meme ,  ne  peut  jamais  etre  bieii 
eonseille.  Puis  il  conclut,  que  c'est  de  la  prudence  de' 
celui  qui  se  eonseille  que  naissent  les  bons  conseils  ,  et 
non  des  bon^ijonseils  que  Bait  sa  prudence. 


DE    COUR.  255 

MAXIME    GLXXVII. 

E^'iter  le  trop  de  famiUarite  dans  la  conver- 
sation, 

II  n'est  a  propos  ni  de  la  pratiquer  ni  de  la 
soulfrir  (i).  Celui  qui  se  familiarise  perd  aus- 
sitot  la  superiorite  que  lui  4oiinait  son  air  se- 
rieux ,  et  par  consequent ,  son  credit.  Les  astres 
se  conservent  dans  leur  splendeur,  parce  qu'ils 
ne  se  commettent  point  avec  nous.  En  se  divi- 
nisant ,  Ton  s'atlirc  du  respect;  en  s'humani- 
sant ,  du  mcpris.  Plus  les  choses  humaines  sont 
communes,  moins  elles  sont  estimces  (2);  car  la 
communication  decouvre  des  imperfections  que 
la  retraite  couvrait  (i).  11  ne  sefautpopulariser 

(i)  Si  chacun  ,  dit  Machlavel  a  son  prince  ,  a  la  li- 
berie de  te  dire  ce  qu'il  pense ,  Ton  te  perdra  bientot 
le  respect ,  chap.  5.  Tibere ,  qui  savait  parfaitement 
toutes  les  maximes  de  regner  ,  haissait  la  flatterie ,  mais 
ne  pouvait  souffrir  la  liberie' :  Adulationem  oderat ,  li- 
bertatem  metuehat.  Tacite  Ann^  2. 

(2)  NiJiil  ceque  gratum  est  adeptis  ,  qiiani  concupis^ 
^centibus  y  dit  le  jeurte  Pline ,  Ep.  i5.  lib.  2;  c'est-a- 
dire  ,  ce  qui  est  de'sire  est  ioujours  plus  agr^able  que 
ce  qui  est  possdde'. 

(5)  Tacite  dit ,  que  les  princes  sont  plus  respect^s  de 
loin  :  Majestate  salya  ,  cui  major  e  longinquo  reve- 
rentia,   Ann.    i.  ,   parce  qu'on  juge  plus  avanlageuse-. 


236  l'homme 

avec  personne ;  point  avec  sfes  supcrieurs  ,  a 
cause  du  danger,  ni  avec  ses  inferieurs ,  a  cause 
de  rindecence  ,  encore  moins  avec  les  pctites 
gens  ,  que  I'ignbrance  rend  insolens  ,  attendu 
que  ne  s'apercevant  pas  de  I'honneur  qu  onlcur 
fait,  ils  presument  qu'il  leur  est  du.  La  fragilite 
est  une  branche  de  has  esprit^ 


MAXIME    CLXXVIIL 

Croire  au  cceur  y  et  surtout  quand  c*est  un 
coeur  de  pre s sentiment. 

Il  ne  le  faut  jamais  dedire  ,  car  il  a  coutumc 
de  pronostiquer  ce  qui  nous  importe  davan- 
tage  (i).  C'est  un  oracle  domestique.  Plusieurs 

ment  d'eux  quand  on  ne  les  voit  pas :  Majora  credi  de 
absentibus.  Hist.  2.  Arcebantur  aspectu,  quo  plus  vene- 
rationis  inesset.  Hist.  4*  Joi^^t  que  Ton  ne  se  soucie 
pas  de  voir  ce  que  Ton  est  assure  de  voir  a  son  aise 
toutes  les  fois  qu'on  voudra  :  Omnium  rerum.  cupido 
languescit ,  cum,  facilis  occasio  est ;  seu  quod  dijjeri- 
jnus  ,  tanquam  scepe  visuri  quod  datur  videre,  quo- 
ties  velis  cernerer  Pline.  Ep.  20.  lib.  8. 

(i)  Dans  la  Critique  9  de  la  premiere  partie  de  son 
Criticon  ,  il  dit :  que  le  coeur  tire  son  nom  du  mot 
latin  cura  ,  qui  veut  dire  soin  et  souci.  En  effet ,  le 
coeur  semble  avoir  le  soin  de  tout  ce  qui  est  ne'cessaire 
pour  conserver  Thomme. 


DE    COUR.  ^^J 

ont  peri ,  parce  qu'ils  se  defiaient  trop  d'eux- 
niemes.  Mais  a  quoi  sert  de  se  defier,si  Ton  ne 
cherche  pas  le  remede?  Quelques-uns  ont  un 
coeur  qui  leur  dit  tout :  marque  certaine  d'un 
richc  fonds ,  car  ce  coeur  les  previent  toujours , 
et  Sonne  le  tocsin  aux  approches  du  mal ,  pour 
les  faire  courir  au  remede.  II  n'est  pas  d'un 
homme  sage  de  sortir  pour  aller  recevoir  les 
maux,  mais  bien  d' aller  au-devant  pour  les 
ecarter. 


IMAXIME    GLXXIX. 
Se  retenir  de  parlevy  c'est  le  sceau  de  la 
capacite. 

Un  coeur  sans  secret  ,c'est  une  lettre  ouvcrtc. 
Oil  il  J  a  du  fond  ,  les  secrets  j  sont  profonds , 
I  .  car  il  faut  qu'il  y  ait  de  grands  espaces  ct  de 
*  grands  creux  ,  la  oii  pent  tenir  a  I'aise  tout  ce 
qu'on  y  jette.  La  retenue  vient  du  grand  empire 
I  que  Ton  a  sur  soi-meme,  et  c'est  la  ce  qui  s'ap- 
I  pelle  un  vrai  triomphe.  L'on  paie  tribut  a  autant 
de  gens  que  Ton  se  decouvre.  La  surele  de  la 
prudence  consiste  dans  la  moderation  inte- 
rieure.  Les  pieges  qu'on  tend  a  la  discretion  , 
sont  de  contredire  pour  tirer  une  explication  ^ 
€t  de  Jeter  des  mots  piquans  pour  faire  prendre 


258  t.'  H  O  M  M  E 

feu.  C'est  alors  que  rhomme  sage  dolt  se  tenir 
plus  resserre  .Les  choses  que  Ton  veul  faire  ne  se 
doivent  pas  dire ;  et  celles  qui  sont  bonnes  a 
dire  ne  sont  pas  bonnes  a  faire  (i). 
Voyez  la  Maxime  279. 


MA  XI  ME    CLXXX. 

Ne  se  regler  jamais  sur  ce  que  Vennemiavait 
dessein  de  faire, 

Un  sot  ne  fera  jamais  ce  que  juge  un  hommc 
d'esprit,  parce  qu'H  ne  sait  pas  discerner  ce 
qui  est  a  propos.  Si  c'est  un  homme  prudent , 
encore  moins  ,  parce  qu'il  voudra  prendre  Ic 
contre-pied  d'un  avis  penetre ,  ct  meme  preve- 
nu  par  son  adversaire.  Les  matieres  doivent 
etre  examinees  a  deux  envers,  et  preparees  a 
POUR  et  a  contre;  en  sorte  que  Ton  soit  pret 
a  oui  et  a  non.  Les  jugemens  sont  differens. 
L'indifference  doit  etre  toujours  attentive  ,  non 
pas  tant  pour  ce  qui  arinvera  que  pour  ce 
qui  pent  arriver. 

(i)  L'on  disait  du  pape  Alexandre  VI  et  du  due  de 
Valentinois  ,  son  fils  ,  que  le  pere  ne  faisait  jamais  ce 
qu  il  disait ,   ni  le  fils  ne  disait  jamais  ce  qu'il  faisait. 


DE  COUR.  259 

MAXIME    CLXXXI. 

Ne  point   mentir  y    mais  ne  pas  dire  toiites 
les  ve rites, 

"RiEN  ne  demande  plus  de  circonspection  que 
la  verite  (i),  car  c'est  so  saigner  au  coeur  que 
de  la  dire.  II  faut  autant  d'adresse  pour  la  sa- 
voir  tairc  (2) .  Par  un  seul  raensonge  Ton  perd 
tout  CO  que  Ton  a  de  bon  renom.  La  trom- 
perie  passe  pour  une  fausse  monnaic  ;  et  le 
trompeur  pour  un  faussaire ,  qui  est  encore 
pis.  Toutes  les  verites  ne  se  peuvent  pas  dire; 
[es  unes,  parce  quelles  m'importent  a  moi- 
menie  -,  et  Igs  autres  ,  parce  qu'elles  importent 
k  autrui. 

(i)  La  Verdad  es  verde  ,  dit  le  proverbe  e«pagnoI ; 
c'est-a-dire ,  la  verite  est  aigre  :  pour  donrier  a  en- 
tendre ,  qu  il  la  faut  adoucir  le  plus  qu'on  peut.  Au- 
trement  elle  accouche  d'une  me'chante  fille  ,  qui  est  la 
ihaine.  La  comtesse  d'Aranda  dit ,  qu'il  faut  dire  la 
Verite  aux  princes  sans  nuls  respects  ,  mais  avec  res- 
pect. Dans  le  chapitre  onzieme  de  la  troisieme  partie 
de  son  Ide'e  des  Nobles. 

(2)  La  verite' ,  dit  la  meme ,  n'est  point  imprudente  , 
et  par  conse'quent  ,  I'liomme'discret  doit  se  taire  lors- 
qu*il  y  a  du  danger  a  la  dire  ,  puisqu'en  la  disant  il 
serait  te'me'raire.    C^qp,  7  de  la  seconde  partie. 


a/^6  L*  HOMME 

MAXIME    CLXXXI. 

Un  grain  de  hardiesse  dent  lieu  d'une  grande 
hahilete. 

Il  est  bon  de  nc  sc  pas  former  une  si  haute 
idee  des  gens  que  Ton  en  devicnne  timide 
devant  eux.  Que  rimagination  n'avilisse  ja- 
mais le  coeur.  Quelques-uns  paraissent  gens 
d'importance ,  jusqu'a  ce  que  Ton  iraite  avec 
eux  5  mais  on  se  des  abuse  bicntot  par  la  com- 
munication. Personne  ne  sort  des  bornes  etroites 
de  I'homme.  Chacun  a  son  si ,  les  uns  quant 
a  I'espritj  les  autres,  quant  au  genie.  La  di- 
gnite  donne  une  autorite  apparente,  mais  il 
est  rare  que  les  qualites  personnelles  y  repon- 
dent  j  car  la  fortune  a  coutume  de  ravaler  la 
superiorite  de  Femploi  par  rinferiorite  des  me- 
ritcs.  Uimagination  va  toujours  loin,  et  re- 
presente  les  choscs  plus  grandes  qu'elles  ne 
sont ;  elle  ne  concoit  pas  seulement  ce  quil 
y  a,  mais  encore  ce  qu'il  y  pourrait  avoir. 
Cest  a  la  raison  de  la  corriger  ,  apres  s'etre 
desabusee  par  lant  d' experiences.  Enfin ,  il  ife 
sied  ni  a  I'ignorance  d'etre  bardie ,  ni  a  la  ca- 
pacite  d'etre  timide  (i)  :  ct  si  Tassurance  sert 

(i)  Le  jeune  Pline  dit  que  la  timidfte  afFoiblit  les  es- 
prits :  Kecta  ingenia  debilitat  verecundia,  Ep.  7  lib.  4 . 


DEC  01)  V.  24 r 

Blen  a  ceux  qui  ont  peu  de  fonds  ,  a  plus 
forte  raison  doit-elle  servir  a  ceux  qui  en  ont 
beaucoup. 

Vojez  le  Commentaire  de  la  Maxime  42. 


MAXIME    CLXXXITI. 

Ne  se  point  enteter. 

Tous  les  sots  sontopiniatres  ,  et  tousles  opi- 
niatres  sontdes  sots.  Plus  leurs  senlimens  sont 
errones  ,  moins  ilsen  demordent  (i).  Dans  les 
choses  ni^me ,  oil  Ton  a  plus  de  raison  et  de 
certitude,  c'est  chose  honnete  de  ceder  :  car 
alors  personne  n'ignore  qui  avait  la  raison  (*)  j 
et  Ton  voit  aussi ,  qu'outrc  la  raison  ,  la  galan- 
terie  en  est  encore.  II  se  perd  plus  d'estinie  par 
une|defense  opiniatre  qu'il  ne  s'engagne  a  I'em- 
porter  de  vive  force  j  car  ce  nest  pas  la  defen- 
dre  la  verite,  mais  plutot  montrer  sa  rusticite. 
11  J  a  des  tetcs-de-fer,  tres-difficiles  a  convain- 
cre,  et  qui  vont  toujours  a  quelque  extreniite 
incurable  :   el  quand  une  fois   le  caprice    se 

(1)  lis  font  gloire  de  ne  se  retracter  jamais ,  d'autant 
que  leur  esprit  e'tant  aveugle  ,  ils.  ne  decouvrent  jamais 
rien  de  meilleur  que  ce  qu'ils  se  sont  une  fois  mis  d;aiis 
la  tete.  lis  agissent  comme  ils  penSent,  et  ils  j^ensent 
comme  ils  agissent. 

(i)  Vojez  la  note  de  la  Maxime  i35. 

16 


2^i  TP  HOMME 

joint  a  leur  enletement,  ils  Ibnt  une  alliance 
indissoluble  avec  Textravagance.  L'inflexibilitc 
doit  etre  dans  la  volonte^  et  non  pas  dans  le 
jugcment ;  bien  qu il  y  ait  des  cas  d' exception, 
oil  il  ne  faut  pas  sc  laisser  gagner  ,  ni  vaincre 
doublcment ,  c'est-a-dire  ,  dans  la  ralson  ,  et 
dans  r execution. 


MAXIME    CLXXXIV. 

N'elre  point  ceremonieuoc. 

L'affectation  deFetre  fut  autrefois  censuree 
commeune  singularite  vicieuse,  et  menie  dans 
un  roi.  Le  pointilleux  est  fatigant.  H  J  a  de§ 
nations  entieres  malades  decettedelicatesse  (i); 

(i)  Tacite  remarque  ce  de'faut  dans  les  Parthes  et  se 
moque  de  tons  les  points  d'honneur  que  se  faisait  Volo- 
ge'se's  leur  roi,  en  disant  que  ce  roi  accoutume'  au  faste 
et  aux  formalite's  e'trangeres  ne  connaissait  guere  les 
Ptomains,  quand  il  conserftait  que  Tiridate,  sonfrere, 
allataRome,  pour  j  rendne  hommage  a  Ne'ron  et  re- 
cevoir  de  lui  la  couronne  d'Arme'nie,  pourvu  que  Tiri- 
date ne  portat  aucune  marque  de  servitude,  ne  quittat 
point  son  e'p^e,  fut  introdttit  a  I'audience  des  gouver- 
neurs  des  provinces  des  qu'il  se  pr(fsenterait ,  et  traite' 
avec  les  niemes  lionneurs  que  I'on' rendait  aux  Consuls 
romains;  car,  dit-il,  les  Romains  accordaient  volon- 
tiers  toutes  choses  quand  on  leur  ce'dait  I'essentiel  qui  est 
la  domination.   Petieratj  ne  quam  imaginem  servUii 


DE    COUR.  245 

La  robe  de  la  sottise  se  coud  a  petits  points. 
Ces  idolatres  de  point  -  d'honneur  montrent 
bien  que  leur  lionneur  est  fondc  sur  pen  de 
chose ,  puisque  tout  leur  parait  capable  de  le 
blesser.  II  est  bon  de  se  faire  respecter ,  mais 
il  est  ridicule  de  passer  pour  un  grand  maitre 
de  complimcns  :  il  est  bien  vrai  qu'un  homme 
sans  ceremonie  a  besoin  d' avoir  un  grand  nie- 
rite  en  la  place.  La  courtoisie  nc  se  doit  ni 
affecter,  ni  mepriser.  Celui-la  ne  se  fait  pas 
.  estinier  habile  homme  ,  qui  s'arrete  trop  aux 
formal!  les. 


MAXIME    CLXXXV. 

N'eocposer  jamais  son  credit  au  risque  ^^^^ 
seule  entrei^ue,  "      ', 

Car,  si  Ton  n'en  sort  pas  bien,  e'est  une 
perte  irreparable.  II  arrive  souvent  de  man- 
quer  une  fois  ,  et  particuliercment  la  premiere. 

Tiridates  perferret ;  neuferrum  traderet ,  aiit  coin- 
plexu  provincias  obtinentium  arceretur ,  foribusve 
eorum  as  sister  et ;  tantusque  ei  Romoe ,  quantus  Con-^ 
sulibus ,  honor  esset.  Scilicet  extemce  superbice  sueto 
non  erat  notitia  nostri}  apud  quos  jus  imperii  valet , 
,  inania  transmittuniur,  Ann.  i5.  Et  c'est  peut-elre  de  ce 
Vologe'se's  que  Gracian  veut  parler. 

16* 


244  l' HOMME: 

L'on  n'est  pas  toujours  a  point ;  et  de  la  vient 
le  proverbe ,  ce  n'est  pas  mon  jour  II  faut 
done  fairc  en  sorte  que  si  Ton  manque  la  pre- 
miere fois  ,  la  seconde  repare  tout  3  ou  que  la 
premiere  serve  de  garant  a  la  seconde  qui  ne 
reussit  pas.  L'on  doit  toujours  avoir  son  re- 
cours  a  mieux,  etde  beaucoup  appeler  a  da- 
vantage.  Les  affaires  dependent  de  certains 
cas  fortuits ,  et  meme  de  piusieurs  ,  et  par  con- 
sequent la  reussite  est  un  rare  bonheur  (i). 


MAXIME    CLXXXVI.' 

Dlscerjier  les  defauts,  quoiqu'lls  soient  devenus 
a  la  mode. 

BiEN  que  le  vice  soit  pare  de  drap  d'or, 
rhomme  de  bicn  ne  laisse  pas  de  le  reconnaiie. 
II  a  beau  etre  quelquefois  couronne  d'or ,  il 
ne  saurait  jamais  se  deguiser  si  bien,  que  l'on 
Uc  s'apcr^-oive  ^  qu'il  est  de  fcr  (2).  II  veut  se 

(i)  Que  Tacite  appelle  transitus  rerum. ,  (Hist,  i), 
c'est-a-dire  ,  de  certaines  rencontres  favorables  ,  qui 
passent  incontinent,  et  par  conse'quent ,  doivent  etre 
prises  de  voMe. 

(2)  Les  vices,  dit-il,  dans  le  sixieme  discours  de  son 
Discrete  out  beau  se  trouver  dans -les  grands  person- 
nages ,  ils  n'en  ont  pas  plus  de  cre'dit.  Au  contraire  , 
une  tache  sui*  une  etofFe  d'or  cheque  bien  plus  la  vue 
que  sur  la  bure. 


DE    COUR.  24^ 

couvrir  de  la  noblesse  dc  ses  partisans  ,  mais 
il  ne  depouille  jamais  sa  bassesse  ,  ni  la  misere 
de  son  esclavagc.  Les  vices  peuvent  bien  etre 
exalles  ,  mais  non  pas  exalter.  Quelques-uns  re- 
marqucnt  que  tel  heros  a  eu  tel  vice,  mais 
lis  ne  considerent  pas  que  ce  n'est  pas  ce  vice 
qui  Fa  erige  en  heros.  Uexemple  des  grands 
est  si  bon  rethoricien  qu'il  persuade  jusqu  aux 
choses  les  plus  infames.  Quelquefois  la  flatte- 
rie  a  bien  affecte  jusqu'a  des  laideurs  corpo- 
relles  (i)  ,  faute  d' observer  que  ,  si  elles  se  to- 
lerent  dans  les  grands ,  elles  sont  insupporta- 
bles  dans  les  petits.  * 


MAXIME    CLXXXVII.'^' 

Faille  soi-meme  tout  ce  qui  est  agreable ,  et 
par  autrui  tout  ce  qui  est  odieucc. 

L'uN  concilie  la  bienvcillance ,  I'autre  ecarte 
la  haine.  II  y  a  plus  dc  plaisir  a  faire  du  bien 
qua  en  recevoir.  C'est  la  que  les  hommcs  ge- 

r 

(i)  Un  histprien  (je  crois  que  c'est  Appian)  a  e'crit, 
que  les  courtisans  d'Alexandre  affectaient  de  coucher  la 
iete  sur  une  e'paule,  pbur  plafre  a  leur  maitre,  qui 
tenait  ce  defaut  de  nature. 


2^6  l'  H  O  M  M  E 

nereux  font  consister  leur  felicile  (i).  II  arrive 
rarement  dc  donner  du  chagrin  a  autrui  ,  sans 
en  prendre  soi-meme ,  soit  par  compassion  , 
ou  par  repass  ion  (*).  Les  causes  supericures 
n'operent  jamais  qu'il  ne  leur  en  reviennc 
ou  louange  ,  ou  recompense.  Quele  bienvienne 
immediatcmenl  de  toi ,  ct  le  mal  par  un  autre. 
Prends  quelqu'un  sur  qui  tombent  les  coups 
du  mecontentcment ,  c'est-a-dire ,  la  haine  et 
les  murmures  (2).  11  en  est  du  vulgaire  comme 
des  chiens^  iaute  de  connaitre  la  cause  dc  son 
nial ,  il  jette  sa  rage  sur  I'instrument;  en  sorte 
que  Finstrument  porte  fa  peine  d'un  mal  dont 
il  n'est  pas  la  cause  principalc. 

(*)  Par  talion. 

(1)  Un  roi  Ptolomee  disait  qu'il  valait  mieux  enrichir 
autrui  que  soi-menie.  Et  un  Spartiate ,  que  la  vraie  fe'li- 
cite  des  rois  e'tait  de  n'avoir  point  d'egaux  en  matiere  de 
pouvoir  ctre  bienfaisans  et  genereux. 

(2)  Beaucouj?  de  princes  ne  se  font  des  favoris  que 
pour  cela  ^  et  ce  que  Ton  attribue  d'ordinaire  a  la  fai- 
blesse  est  tres-souvent  un  efFet  de  leur  politique.  Mille 
gens  disent  toutes  les  fois  qu'ils  font  des  violences  et  des 
injustices  dans  I'exercice  de  leurs  charges :  C'est  le  prince 
qui  le  veut  ainsi;  c  est  pour  obe'ir  au  prince  :  par  oii  ils 
veulent  se  de'charger  de  la  haine  publique  sur  le  prince. 
II  est  done  bien  juste  que  le  prince  a  qui  tant  d'officiers 
font  porter  leur  malle  fasse  porter  la  sienne  a  quelcfu  uu  »' 


DE    COUR.  247 

MAXIME    CLXXXVIII. 

Porter  toujours  en  compagnie  quelque  chose 
a  louer, 

C'est  le  mojen  de  se  faire  passer  pour 
liomme  de  bon  gout,  et  sur  le  jugement  de  qui 
Ton  peut  s'assurer  de  la  bonle  des  choses  (i). 
Celui  qui  a  bien  su  connaitre  auparavant  la 
perfection  saura  bien  Tcstimer  apres.  U  fournit 
matiere  a  la  conversation  et  a  I'imitation  ,  en 
y  developpant  des  connaissances  plausibles. 
Cest  une  maniere  politique  de  vendre  la  cour- 
toisie  aux  personnes  presentes  qui  ont  les  memes 
perfections.  D'autres  au  contraire  apportent 
toujours  de  c](uoi  blamer ,  et  flattent  ceux  qui 
«ont  presens  ,  en  meprisant  les  absens ,  ce  qui 
leur  reussit  aupres  de  ces  gens  qui  ne  regar- 
dent  qu'-au  dehors ,  attendu  que  telles  gens  ne 
rcmarquenl  pas  la  finesse  de  parler  mal  des 
uns,  dcvant  les  atitres.  Quelques-uns  se  font 
une  politique  d'estimer  davantage  les  perfec- 
tions mediocres  d'aujourd'hui  que  les  merveilles 

(i)  Scias  ipsum,  dit  le  jeunePline,  plurimis  virtue 
tibus  ahundare ,  qui  alienas  sic  amat.  Ep.  17.  lib.  i., 
c'est-a-dire ,  sachez  que  celui-Ia  a  Leaucoup  de  grandes 
qualite's  qui  fait  si  bien  connaitre  et  estimer  celles  des 
autres. 


m 


2^S  L^HOMME 

d'hier.  C'est  done  a  rhomme  prudent  de  pren- 
dre garde  a  tous  les  artifices,  par  oil  tous 
ces  gens-la  tachent  d'arriver  a  leur  but ,  pour 
n'etre  point  decourage  par  Texageration  des 
tins  ,  ni  cnorgueilli  par  la  flatterie  des  autres. 
Qu  il  sache  que  les  uns  et  les  autres  procedent 
de  la  meme  maniere  avcc  les  deux  parties  ,  et 
ne  font  que  leur  donner  Falternative ,  en  ajus- 
tant  toujours  leurs  sentimens  au  lieu  ou  ils  se 
trouvent. 


MAXIME    GLXXXIX. 

Se  prevaloir  du  hesoin  d'autrui. 

Si  la  privation  passe  jusqu  au  desir ,  c'est 
la  plus  efficace  des  contraintes.  Les  philoso- 
phes  ont  dit  que  la  privation  n'etait  ricn  ,  et 
les  politiques  que  c'etait  tout ;  et  sans  doute 
ceux-ci  Tont  mieux  connue.  H  J  a  des  gens  , 
qui ,  pour  arriver  a  leur  but,  se  font  un  chcmin 
par  le  desir  des  autres.  lis  se  servent  de  Toc- 
casion  ,  provoqucnt  le  desir  par  la  difficulte 
de  I'obtention  (i).  Ils  se  promcttent  davantage 

(i)Le  jeunePline  loueTrajan  de  ce  qu'il  neressemblait 
point  a  ces  princes  qui  faisaient  valoir  leurs  bienfaits 
par  la  difficulte',  croyant  que  les  honneurs  seraient  plus 
^igr^ables  aux  pre'tendans ,   quand  ils  ne  les  recevraient 


DE    COtJR.  24g 

de  Tardenr  de  la  passion  que  de  la  tiedeur 
de  la  possession  ,  d'aulant  que  le  desir  s'e- 
chauffe  a  mcsurc  que  croit  la  repugnance.  Lc 
vrai  secret  d'aniver  a  ses  fins  est  de  tenir  tou- 
jours  les  gens  dans  la  dependance. 


MAXIME     CXC. 

Troui^er  sa  consolation  partout. 

Ceux  meme  qui  sont  inuiiles  ont  celle  d'etre 
eternels.  II  xiy  a  point  d' ennui  qui  n'ait  sa  con- 
solation :  les  fous  trouvent  la  leur  dans  le  bon- 
lieur.  La  chance  en  dlt  oTfemnie  laide  y  dit 

qu  apres  avoir  essuyd  la  honte  d'etre  long-temps  refuse's , 
et  avoir  meme  desesp^re'  dy  pai-venir  jamais.  Tantiim 
inter  te  et  illos  principes  interest ,  qui  benejiciis  suis 
commendationem  ex  dijficultate  captabant ,  gracio- 
resque  accipientibus  honores  anhitrabantur ,  si  priiis 
illos  desperatio  ,  et  tcedium  ,  et  similis  repulsce  mora, 
in  notam  quamdam  pudoremque  vertissent.  Paneg. 
Au  reste ,  la  maxime  de  Gracian  est  de  tres-grand  usage 
parmi  les  habiles  princes.  Joint  qu'elle  s'accorde  fort 
avec  celle  de  Tacite  qui  dit  qu'il  faut  etre  lent  a  accorder 
ce  que  Ton  ne  saurait  oter  apres  I'avoir  accorde'.  Tarde 
concederet ,  quod  datum  non  adimeretur.  Ann.  i5. 
Les  bonnes  paroles  des  ministres  du  prince  sont  un  petit 
vent  qui  rafraichit  un  peu  les  pre'tendans ,  mais  qui  ne 
leur  ote  pas  la  soif.  Chap.  9.  de  la  troisieme  partie  de 
Vlde'e  des  Nobles. 


sSo  l'homme 

le  provcrbe  (i).  Pour  vivrc  long-temps,  il  n  j 
a  qua  valoir  peu.  Le  pot  fele  ne  se  casse  pres-. 
que  jamais  ,  il  dure  tant  qu'on  se  lasse  de  s'eii 
servir.  II  semble  que  la  fortune  porte  envie 
aux  gens  d'imjiortance  ,  puisqu'elle  joint  la 
duree  avcc  I'mcapacite  dans  les  uns  ,  et  Ije  peu 
de  vie  avec  le  beaucoup  de  merite  dans  les 
autres.  Tons  ceux  qu'il  importera  qui  vi vent, 
manqueront  toujours  de  bonne  heure  ,*  et  ceux 
qui  ne  seront  bons  a  rien  seront  eterncls  , 
soit  a  cause  qu'ils  paraissent  etre  tels,  ou  parce 
qu'ils  le  sont  en  effet.  II  semble  que  le  sort 
ct  la  mort  sont  dc^  concert  a  oublier  un  mal- 
Lcurcux. 


MAXIME    CXCI. 

\  Cv.v-^^  s^  point  rgpaitre   d'une  courtoisie 
eoccessive. 

Car  c'est  une   espece  de  tromperie.  Quel- 

ques-uns  nont  pas  besoin  des  herbes  de  la 

'  Thessalie  pour  cnsorceler ,  ils  enchantent  les 

sots  et  les  presomptueux ,  par  le  seul  attrait 

(i)  T^entura  de  fea,  j  dicJia  de  necio ,  c'est-a-dire  , 
chance  de  laide  et  bonheur  de  fou.  Discours  25.  de  son 
Agudeza, 


D  E      C  O  U  R.  25l 

d'une  reverence  Us  font  marchandisc  de  rhon«- 
neur ,  et  paient  du  vent  de  quelques  bcHes 
paroles.  Qui  pronict  tout  ne  promet  rien,  et 
Ics  promesses  sont  autant  de  pas  glissans  pour 
Ics  fous.  La  vraie  courtoisie  est  unc  dette^  ccUe 
qui  est  affcctee ,  et  non  d'usage  ,  est  une  trom- 
perie.  Ce  n'est  pas  une  bienseance  ,  mais  une 
dependance ;  ils  ne  font  pas  la  reverence  a  la 
personne ,  mais  a  la  fortune;  leur  flatterie  n'est 
point  une  connaissance  qu'ils  aient  du  nierite , 
mais  une  recherche  de  I'utilite  qu'ils  esperent. 
T^ojez  la  Maxime  ii8. 


MA  XI  ME    CXCII. 

Uhonime  de  grande  paiac  est  homme  da 
longue  i^ie. 

Pour  vivre ,  laisse  vivre.  Non  seulement  les 
pacifiques  vivent  ,mais  ils  regnent.  11  faut  ou'ir 
et  voir,  mais  avcc. cela  se  taire.  Le  jour  passe 
sans  debat  fait  passer  la  nuit  en  sommeil.  Vi- 
vre beaucoup  ,  et  vivre  avec  plaisir  ,  c'est  vivre 
pour  deux;  et  c'est  le  fruit  de  la  paix  inte- 
rieure.  Celui-Ja  a  tout ,  qui  ne  se  soucie  point 
de  tout  ce  qui  ne  lui  importe  point.  II  n'y  a 
rien  de  plus  impertinent  que  de  prendre  a  coeur 
ce  qui  ne  nous  louche  point,  ou  de  n'j  pas 
laisser  entrer  ce  qui  nous  importe. 


2^2  l'hOMMK 

MAXIME    CXCIII. 

J^eille  de  pres  sur  celui  qui  entre  dans  ton 
interet  y  pour  sortir  as^ec  le  sien. 

Il  n'y  a  point  de  nieilleur  prescrvalif  contre 
la  finesse  que  la  precaution.  A  I'liomme  en- 
tendu,  bon  entendeur.  Quelques-uns  font  leurs 
affaires  ,  en  paraissant  faire  celles  d'autrui ;  de 
sorte  qua  moins  que  d' avoir  le  contre  chitfre 
des  intentions  ,  Ton  se  trouve  a  chaque  pas 
contraint  de  se  bruler  les  doigts  ,  pour  sauver 
du  feu  le  bien  d'un  autre. 
'     Vojezla  Maxime  \l^l^. 


MAXIME    CXCIV. 

Juger  modestement  de  soi-meme  et  de  ses 
affaires  ^  surtout  quand  on  nefait  que  coni- 
mencer  d  mvre. 

TouTES  sortes  de  gens  ont  de  hauls  senti- 
niens  d'eux-memes  ,  et  particulierement  ceux 
qui  valent  le  moins.  Chacun  se  figure  une  belle 
fortune ,  et  s'imagine  etre  un  prodige.  L'espe- 
rance  s'engagc  temerairement ,  et  puis  I'expe- 
rience  ne  la  seconde  en  rien.  La  vaine  imagina- 
tion a  pourbourreau  la  realite  qui  la  detrompe. 


1  ©E    COUR.  :255 

C'est  done  a  la  prudence  a  cbrriger  de  tels  ega- 

remens  ;  et  bien  qu'il  soil  pqrmis  de  desirer  le 

meilleur,  il  faut  toujours  s'attendre   au  pire, 

pour  prendre  en  patience  tout  ce  qui  arrivera. 

C'est  adresse  que  de  viser  un  peu  plus  haut , 

pour  micux  dresser  son  coup;  mais  il  ne  faut 

f-    pas  tirer  si  haut  que  Ton  viennc  a  faillir  des 

le  premier  coup  (i).  Cette  reformation  de  son 

imagination  est  necessaire  ,  car  la   presomp- 

tion  sans  Fexperience  ne  fait  que  radoter.  11 

,^     nj  a  point  de  remede  plus  universel   contre 

I      toutes  les  impertinences  ,  que  lei  bon  entende- 

J  -  ment  (i).  Que  chacun  connaisse  la  sphere  de 

I     son  activite  et  de  son  etat;  ce  sera  le  moyen  de 

reglcr  Fopinion  de  soi-meme  sur  la  realite.    , 


MAXIME    CXGV. 

Sc/i^oir  estuner. 

Il  n'j  a  personne    qui    ne   puisse  etre    le 

maitre  dun  autre  en  quelque  chose.  Celui  quj-^ 

,     .  ■■^^* 

(i)  Machiavel  dlt-que  lorsque  les  bons  tireurs  sont  a 
tirer  a  un  but  fort  eloigne',  ils  visent  beaucoup  plus  haut 
que  n'est  le  but,  non  pas  pour  envojer  la  fleclie  si  hatit, 
mais  pour  raieux  adresser  leur  coup  en  prenant  ainsi^ 
ieur  vise'e.  Chap,  &  de  son  Prince,,    y?j»t»  ?*'-    ^ti'>uiiIlH'>» 

(2)  Le  jugement,  dit-il,  au  chap.  5  du -^e/'djp,  estle 
Irone  de  la  prudence...   et  je  m'en  tiens  volontiers  au 


254  L^HOMME 

.  excedc  ,  trouve  toujours  quelqu'un  qui  Tex- 
cede.  Savoir  cueillir  ce  qu'il  j  a  de  bon  dans 
cliaque  homme,  c'est  un  utile  savoir.  Le  sage 
cstime  lout  Ic  monde  ,  parcc  qu  il  sait  ce  que 
chacun  a  de  bon ,  et  ce  que  les  choses  content 
a  les  faire  bien.  Le  fou  n'estimte  personne  , 
d'autant  qu'il  ignore  ce  qui  est  bon,  et  que 
son  choix  va  toujours  au  pire. 


MAXIME    CX,Q,;y.|, 

. ,     .  ,  -,  ..,<:..'. 

V^  Connaitre  son  etoile. 

NuL  nest  si  miserable  qu  il  n  ait  son  etoile^ 
et  s'il  est  malheureux,  c'est  a  cause  qu'il  ne  la 
connait  pas.  Quelques-uns  ont  acces  chez  les 
princes  et  chez  les  grands  ,  sans  savoir  ni  com- 
ment ni  pour  quoi,  si  ce  n'estqueleur  sort  leur 
J  a  facilite  Tentree  j  de  sorte  qu'il  ne  leur  faut 
qu'un  pen  d'industric  pour  maintenir  la  faveur. 
D'autres  se  trouvent  comme  nes  a  plaire  aux 
3ages.  Tel  a  ete  plus  agreable  dans  un  pays  que 
dans  un  autre  ,  ^t  micux  recu  dans  cette  ville- 
ci  que  dans  'dpjle-l^.  II  arrive  aussi  d'etre  plus 

sentiment  de  cette  mere  qui  disait  :  mon  Jils  je  pria 
Dieu  de  te  doiiner  assez  ^entendement  pour  savoir 
~t€  gouverner,  -,w)uf*  ► 


^  DEC  OUR.  255 

Leiircux  dans  un  emploique  dans  tons  les  autres, 
quoique  Ton  ne  soit  ni  plus  ni  moins  capable. 
he  sort  fait  et  defait,  comme  et  quand  il  lui 
plait.  Chacun  doit  done  s'etudier  a  connaitre 
son  destin  eta  sonder  saMinervej  d'oii depend 
toute  la  perte  ,  ou  tout  le  gain.  Qu  il  sache  s'ac- 
commoder  a  son  sort,  et  qu'il  se  garde  bien 
dc  le  vouloir  changer  j  car  ce  serait  manquer 
la  route  que  lui  marque  I'eloile  du  Nord. 


M  A  X  I  M  E    C  X  C  V 1 1. 

Ne  s' embarrass er  jamais  avec  les  sots., 

C'en  est  un  que  celui  qui  ne  les  connait  pas , 
et  encore  davantage  celui  qui ,  les  connaissant , 
ne  s'en  defait  pas.  U  est  danger eux  de  les  ban- 
ter et  pernicieux  de  les  appeler  a  sa  confidence^ 
car  bien  que  leur  propre  timiditc ,  et  Foeil  d'au- 
trui ,  les  tiennent  quclque  temps  ,  leur  extra- 
vagance s'echappe  toujours  a  la  fin ,  parce  qu'ils 
n'ont  differe  de  la  montrer  que  pour  la  rendre^ 
plus  solennelle.  11  est  bien  difficile,  que  celui 
qui  ne  sait  pas  conserver  son  propre  credit, 
puisse  soutenir  celui  d'autrui.  D'ailleurs  ,  les* 
sots  sont  tres-malheurcuxj  car  la  misere  est 
atlaclioc  a  rimpertinence  ,  comme  la  peau  aux 
OS.  lis  n  ont  qu  une  scule  chose  qui  n'est  pas 


25G  l'homme 

tant  mauvaise  :  c'est  que ,  comme  la  sagesse 
des  autres  ne  leur  sert  de  ricn ,  ils  sont  au 
contraire  tres-utiles  aux  sages,  qui  s'instrui- 
sent  et  se  precautionneni  a  leurs  dcpens  (i). 


MA  XI  ME    CXCVill. 

Savoir  se  transplanter. 

Il  y  a  des  gens  qui ,  pour  valoir  leur  prix  , 
sont  obliges  de  changer  dc  pays  ,  surtout 
s'ils  veulent  occuper  de  grands  postcs.  La 
patrie  est  la  maralre  des  perfections  emi- 
nentes  (2) ;  I'envie  y  regne ,  comme  en  son 
pays  natal  J  Ton  sy  souvient  mieux  des  imper- 
fections quun  homme  avait  au  commencement, 

(i)  Cela  se  rapporte  a  Tune  des  sentences  de  Caton  le 
censeur ,  qui  disait  que  les  fous  sont  plus  utiles  aux 
sages^  que  les  sages  aux  fous  ^  parce  que  les  sages  re- 
marquent  tres-bien  les  de're'glemens  des  fous,  au  lieu 
que  les  fous  ne  sont  pas  capables  de  discerner ,  ni  par 
cbnse'quent  d'imiter  les  bons  exemples  des  sages. 

{1)  Cest  pourquoi  les  plus  grands  hommes  ont  souvent 
abandonne'  leur  patrie  de  naissance  j^our  s'en  faire  une 
d'e'lection.  Quelqu'un  reprochant  a  Diogene  d'avoir  ete 
banni  de  la  sienne  par  ses  comj)atriotes  :  et  moi  re'- 
pondit-il ,  je  les  condainne  a  j".  rester;  pour  donner  a 
entendre  qu'il  n'y  a  point  de  pire  se'jour  que  celui  de  sa 
patrie  J  quand  e'en  est  une  ou  le  roe'rite  est  odieux» 


DK   COtlU  ^57 

que  du  merite ,  par  oii  ii  est  parvenu  a  la  gran- 
deur (i).  Une  cpingle  a  pu  passer  pour  une 
chose  de  prix,  en  passant  d\in  monde  a  Fautre  j 
et  quelqucfois  un  verre  a  ete  pretere  a  un  dia- 
niant  pour  etre  venu  de  loin.  Tout  ce  qui  est 
etranger  est  estime  ,  soit  a  cause  qu'il  est  venu 
de  loin  ,  ou  parce  qu'on  le  trouve  tout  fait, 
etdans  saperfection.  Nous  avons  vudes  hommes 
qui  etaient  le  rebut  d'un^etit  canton,  et  qui 
sont  aujourd'hui  I'honneur  du  monde  ^  el  ant 
egalement  reveres  de  leurs  compatriotcs  et 
des  etrangersj  des  uns  ,  parce  qu'ils  en  sont 
loin ;  et  des  autres ,  parce  qu*ils  sont  de  loin. 
Celui-la  n'aura  jamais  beaucoup  de  veneration 
pour  une  statue,  qui  Pa  vue  pied  d'arbre  dans 
un  jardin. 


MA  XI  ME    CXClX. 

/ 

Sa^oir  se  mettre  sur  le  pied  d'honmie  sage  > 
et  non  d'honiine.  iiitriQ-ant. 

Le  plus  court  cliemin  ,  pour  arrivcr  a  la 
reputation ,  est  celui  des  merites.  Si  Findus- 

(i)  Car,  au  dire  (le  Tacite ,  c'est  un  defaut  attache  a 
I'esprit  de  rhomme  ,  de  ne  regarder  qu'avec  envie  la 
fortune  re'cente  de  ceux  a  qui  on  etait  e'gal  auparavant : 
insita  morlalibus   natura  <, ,  recejitem   aliormn  felici-* 

m 


J258  l'homme 

trie  est  foiidee  siir  le  merite ,  c'est  le  vrai  moyen 
do  parvciiir.  L'integrite  seule  ne  sudlt  pas  j 
le  seal  enlregent  ne  fait  pas  le.mcritc,  car 
les  clioses  se  trouvent  ajors  si  detectueuses 
qu'elles  dounent  dii  degout.  U  est  done  je- 
quis ,  eJ:  d'avoir  du  nierile  et  de  savoir  s^in- 
troduire. 


M  A  X  I M  E    C  C. 

As^oir  toujours  quelque  chose  a  deslrer  pour 
n'etre  pas  rnalheureuoc  dans  son  bonheur. 

Le  corps  respire  et  I'esprit  aspire.  Si  Fon 
etait  en  possession  de  tout,  Ton  serait  degouLe 

tatem  oegris  oculis  iiitrospicere.  Hist.  2.  C'est  de  celte 
envie  que  naquirent  V  Ostfacisme  a  Sparte,  et  le  Pela-^ 
li sine  Si  Syracuse 'y  car,  ni  I'un  ni  I'autre  n'e'taient  point 
line  piinition  de  crime  commis  centre  I'Etat,  mais  seu*- 
lement  un  rabais  et  une  diminution  de  I'autorite'  et  de 
la  reputation  des  particuliers.  Te'moin  ce  qui  fut  re'pondu 
a  Aristide  par  un  de  ses  concitojens  a  qui  il  demandait 
la  cause  de  son  aversion  :  c'est ,  dit-il ,  quon  fa  donne' 
le  surnom  de  Juste.  Oii  il  est  bon  d'expliquer  en  passant 
les  mots  d'ostracisme  et  de  petalisme.  Ostracisme  si- 
gnifie  proprement  coquillage  ,  attendu  que  les  voix  se 
recueillaient  par  coquilles  oii  e'tait  ecrit  le  iiom  du  ci- 
tojen  que  Toji  voulait  bannir^  au  lieu  qu'a  Syracuse  on 
I'ecrivait  sur  dcs  feuilles  de  chenes ,  appele'es  en  grec 
'x:ir(t?^«t>  d'oii  est  venu  le  nom  de  petalisme  ,  qui  veut 
iiire  Jeuillage. 


'* 


BE    COtJR.  559 

de  lout  (i),  II  est  meme  iiccessaire  a  la  satis- 
faction de  reiitendement  qu'il  lui  reste  tou- 
jours  quelque  chose  a'  savolr  pour  repailre  sa 
curiosile.  L'esperance  faitoiivre  ,  et  le  rassasie- 
nicnt  de  plaisir  rend  la  vie  a  cliarge.  En  fait 
de  i^ecompensc,  c'est  adresse  de  ne  la  donner 
jamais  toutc  entiere  (2).  Quand  on  n'a  plus 
rien  a  desircr,  tout  est  a  craindre  ^  c'est  une 
felicite  nialheureuse.  La  crainte  commence  par 
oil  finit  le  desir. 


MA  XI  ME    CCI. 

Tons  ceuoc'  qui  paraissent  foiis  le  sbnt  ^  et 
et  encore  la  moitie  de  ceuoc  qui  ne  le  pa- 
raissent -pas,  ~  ' 

La  folie  s'est  emparee  du  monde^*  ct  s'il  j  a 
lant  soit  peu  de  sagesse  ,  c'est  pure  folie  en 

(i)  Cest  peut-etre  pour  cette  ralson  qn' Alexandre 
distribua  tous  ses  tresors  a  ses  amis,  disant  qu'ils  se  reser- 
vait  l'esperance.  II  en  est,  dit  Juan  Riifo ,  du  de'sir  de 
riiomme  comme  des  enfans  ,  qui  pleurent  pour  avoir 
tout  ce  qu'ils  voient  et  puis  le  jettent  ou  le  rompent  dea 
qu'ils  I'ont  entre  les  mains.  Apophtegme  10. 

(2)   Tacite  dit  ,    que  le   degout  prend    egalement    a 

ceux   qui  ont  tout  donne'    et  a  ceux  qui  ont  tout  regu* 

Satietas  capit  illos  ,  dan  omnia  tribuerunt ;  hos ,  ciim 

jam  nihil  reliquum  est ,   quod  cupiant.   Ann,  5.    Car 


2G0  L*HOMME 

comparalson  de  la  sagesse  4'en  haul.  Mais  le 
plus  grand  fou  est  celui  qui  ne  croit  pas  I'etre  , 
et  accuse  tous  les  autres.  Pour  elre  sage ,  il  ne 
suffit  pas  dc  le  paraitre  a  soi-meme.  Cciui-la 
Test  qui  ne  pense  pas  Fetre  j  ct  celui  qui  ne 
s'apercoit  pas  que  les  autres  voient ,  ne  voit 
pas  lui-nieme.  Quelque  plein  que  le  monde 
soit  de  fous  et  de  sots  ^  il  n'y  a  personne  qui 
le  croie  etre  ,  ni  meme  qui  s'en  soupconne. 


MAXIME    ecu.         ( 

Les  dits    et    les  fails  rendent  un  homme 
accompli. 

Il  faut  dire  de  bonnes  clioses ,  et  en  faii'e  de 
belles.  L'un  montrc  une  bonne  lete  ,  et  I'autre 
un  bon  coeur,  et  Fun  et  Fautre  naissent  de  la 
superiorite  de  Fesprit.  Les  paroles  sont  Fombre 
des  actions  (i).  La  parole  est  la  femelle  ,  et 
*^FAiiVE  est  le  male.  11  faut  mieux  etre  le  sujct  du 
panegjrique  que  le  panegjriste.  11  vaut  mieux 
rccevoir  des  louanges  que  d'cn  donner  C^).  Le 

\g<,  premiers  ont  clu  cliagrin  de  n'avoir  plus  rien  at 
donner  ;  et  les  seconds  de  n'avoir  plus  rien  a  recevoir. 

(i)  Democrite  apellait  le  discours  I'ombre  de  Faction. 

(2)  Quelqu'iin  demandant  un  jour  a  Tlie'mistocle ,  le- 
quel  il  aimerait  mieux  etre  ,  Achille  ou  Homere  :   C'est 


DE    COUB.  261 

DIRE  est  aise  ,  le  faire  est  difficile.  Les  beaux 
faits  sont  la  substance  de  la  vie ,  et  les  beaux 
mots  en  sont  Tornement.  L' excellence  des  faits 
est  de  durec  ,  celle  des  dits  est  passagere.  Les 
actions  sont  le  fruit  des  reflexions.  Les  uns 
sont  sages,  les  autres  sont  vaillans. 


MAXIME    CCIU. 

Connaitre  les  eoccellences  de  son  Steele. 

Elles  ne  sont  pas  en  grand  nombre,  il  n'j 
a  qu'un  phenix  dan^  le  monde.  En  tout  un 
grand  capitaine,  un  parfait  oratcur  ,  un  sage  ; 
et  il  faut  plusieurs  siecles  pour  trouver  un 
excellent  roi.  Les  niediocrites  sont  ordinaires , 
soit  pour  le  nombre,  ou  pour  I'estimej  mais 
les  excellences  sont  rare's  en  tout ,  parce  qu  elles 
demandent  une  perfection  accomplie;  et  que 
plus  la  categoric  est  sublime ,  plus  il  est  diffi- 
cile d'en  atteindre  le  plus  haut  degre.  Plusieurs 
ont  usurpe  le  surnom  de  Grand  a  Cesar  et  a 
Alexandre,  mais  en  vain  ;  car,  sans  les  faits, 
la  voix  du  peuple  n'est  qu'un  peu  d'air.  II  y  a 
cu  peu  de  Seneques ,  et  la  i-enommee  na  ce- 
lebre  qu'un  seul  Appeles. 

me  demander ,    repondit-il  ,   si  faimerais  mieux  etre 
le  he'raut  que  le  vaincjueur. 


( 


t- 


262  l' HOMME 

M  A  X  I  I\I  E      C  C  I  V. 

Ce  qui  est  facile  se  doit  entreprendre  y  comme 
yd  etait  difficile ;  et  ce   qui  ^st  difficile  , 

comme  s'u  etait  facile. 

» 

L'uN  ,  de  peur  de  se  relacher  par  trop  de 
coniiance  j  I'autre  ,  dc  peur  de  perdre  courage 
a  force  de  trop  craindre.  Pour  nianquer  a 
faire  une  chose  ,  il  n  j  a  qu  a  la  compter  pour 
faite  j  au  contraire  la  diligence  surmonte  Fim- 
possibilite.  Quant  aux  grandes  entreprises.,  il 
nj  faui  pas  raisonner,  ^  suffit  de  les  enibras- 
ser,  quand  elles  se  presenterit  (i) ,  de  peur  que 
la  consideration  de  leur  difficultc'  ne  les  fasse 
abandonner.  ^      >;  ' 


MAXIME    CV. 

>      ,  Savoir  jouer  de  mepris. 

Le  vrai  secret  d'obtenir  les  choscs  qu'on  de- 
sire ,  est  dc  les  depriser  (2).  D'ordinaire  on  ne 

(i)  Jules-C^sar  ,  dit-il  dans  le  trentieme  discours  de 
son  Agudeza ,  disait ,  que  les  grands  exploits  se  doivent 
exe'cuter  sans  delibe'rer  ,  de  peur  que  la  consideration 
du  danger  ne  re'froidisse  la  j^reniiere  ardeur  du  courage, 
"^  (0  C'est  une  ruse  que  les  Italiens  pratiquent  en  nia~ 
tiere  d'amour  ^  d'oii  vient  leur  proverbe  ;  Chi,sprezza 
ama  ;  c'est-a-dire  ,   Qui  me'prise  aime. 

,  •  •■^.  *  ' 

■    I 


DE  COITR  sGj 

les  trouve  pas  quand  on  Ics  clierclic ,  au  lieu 
qu'cllcs  se  presenteiit  d'elles-memes  quand  on 
ne  s'cn  soucie  pas.  Conime  les  choscs  de  ce 
monde  sont  I'ombre  de  cellcs  du  del,  dies  tien- 
nent  cette  propriete  de  I'ombre,  qu'ellcs  fuicnt 
celui  qui  les  suit ,  et  poursuivent  celui  qui  les 
fuit.  Le  mepris  est  aussi  la  plus  politique  ven- 
geance. C'cst  la  maxime  universellc  des  Sages 
de  ne  se  defendre  jamais  avec  laplmiie  ,parcc 
qu'elle  laisse  des  traces  qui  tournent  plu5  a  la 
gloire  des  ennemis ,  qu'a  leur  humiiiation  (i)  : 
outre  que  cette  sortc  de  defense  fait  plus  d'hon- 
neur  a  I'envie  ,  que  de  mortification  a  i'inso- 
cence.  C'est  une  finesse  des  petites  gens  de  tenir 
tete  a  de  grands  hommes  ,  pour  se  mettre  en 
credit  par  une  voie  indirecte  ,  faute  d  j  pouvoir 
etre  a  bon  droit  (2).  Bien  des  gens  n'eussent 

(i)  Le  livre  des  Sacremens  qu'Henri  VIII  ,  roi  d'An- 
gleterre  ,  e'crivit  contre  Lulher ,  ne  servit  qu'a  mettre 
cet  he're'siarque  en  cre'dft.  Vn  si  grand  nom ,  dit  Fra^ 
Paolo  ,  livre  i .  de  son  liistoire  du  concile  de  Trente  , 
serv^  a  r^ndre  la  dispute  pliis  curieuse  et  a  concilicr  la 
faveur  liniverselle  a  Luther  ,  comme  il  arrive  d'ordi- 
naire  dans  les  tournois  et  dans  les  joutes  ,  ou  les  spec- 
tateurs  ont  toujours  de  la  partialite'  pour  le  plus  foible. 

(i)  Tels  qu'e'taient  sous  Tibere  un  Hispon  ,  qui  faisait 
gloire  d'attaquer  tons  les  plus  grands  personnages  de 
Tempire^:  Egens,  ignotiis ,  clarissimo  ciiique  periculum 
facessit.  Tacite^  Ann.  i.UnTrion,   qui  prenait  plaisir 


:>.64  l'iiomme 

jamais  ele  sConnus  ,  si  ci'excellens  advcrsaires 
ii'eussenl  pas  fait  etat  d^eux.  11  ny  a  point  de 
plus  haute  Ycngeance  que  roubii(i);  car  c'cst 
ciisevelir  ces  gens-la  dans  la  poussiere  de  leur 
neant.  Les  lemeraii^es  s'imaginent  de  s'cterniser 
en  nicttant  le  feu  aux  mei  veilles  du  monde  et 
ds'e  les.L'artde  rcpnmerla'medisance,c'est 
de  ne  s'en  point  soucier(3  ).  Y  repondre  ,  c'est 
se  porter  prejudice  j  s'en  offenser,  c'est  se  de- 
crediler  (5) ,  et  donner  a  Fenvie  de  quoi  se  com- 
plaire^  car  il  ne  faut  que  cette  ombre  de  defaut, 
sinon  pour  oLscurcir  entierement  une  beaule 
parfaite,dumoinspour  lui  oter  son  plus  vif  eclat. 

a  se  faire  de  grands  ennemis  :  Tino  facilis  capessendis 
inlmicidis.  Ann.  6.  Un  certain  Othon  ,  qui  de  maitre 
d'e'cole  devenu  se'nateur  ,  croyait  relever  la  bassesse  de 
sa  naissance  par  I'insolence  et  la  te'inerite'  de  ses  actions  : 
Sejani  potenlid  senator  ,  obscura  initia  impudentibus 
ausis  propellebaf.  Ann.  5.  Et  divers  autres  qui  ont 
clierche'  a  se  rendre  illustres  ,  ou  du  moins  redoutables, 
en  s'attirant  de  grandg  ennemis  ;  TJt  magnis  inimicitiis 
clarescerent.  Hist.  i. 

(i)  Quelquefois  les  princes  laissent  vivre  des^ens*tjui 
les  ont  offense's,  oblivione  magis ,  quam  dementia  , 
ditTacite^  Ann.  6.  ,  par  oubli  plutot  que  par  clemcnce, 

(2)  Te'moin  le  mot  de  cet  Atlie'nien  ,  qui  sur  ce  qu'uu 
autre  lui  disait :  Pourquoi  medis  tu  de  moi  ?  re'pondit : 
Parce  que  tu  t'en  soucies. 

(5)  Namque,  dit  Tacite.  Ann.  4.  Spreta  exolgscunt ; 
si  irascare ,  agniia  videntur. 


BE    COUR.  265 

M  AXIME    CCVI. 

11  J"  a  partout  un  vulgaire, 

A  Corinihe  meme,  et  dans  la  famille  la  plus 
accomplie;  et  chacun  rexperimentc  dans  sa  pro-r 
pre  maison.  II  y  a  non  sculement  un  vulgaire  , 
mais  encore  un  double  vulgaire ,  qui  est  le  pire. 
Celui-ci  a  les  memes  proprietes  que  le  commun 
vulgaire  ,  de  meme  que  les  pieces  d'un  miroir 
casse  ont  toules  la  meme  transparence^  mais  il 
est  bicn  plus  dangereux.  Ilparle  en  fou,  et  cen- 
sure en  impertinent  (i).  C'est  le  grand  disciple 
de  I'ignorance ,  le  parain  de  la  soitise ,  et  le  pro- 
che  parent  de  la  charlalancric.  II  ne  faut  pas 
s'arreter  a  ce  qu'il  dit ,  encore  moins  a  ce  qu'il 
pense.  II  importc  de  le  connaitre ,  pour  pouvoir 
s'cn  delivrer  si  bien  ,  que  Ton  n'en  soil  ni  le 
compagnon  ,  ni  I'objet ;  car  toute  sotlise  lient 
de  la  nature  du  vulgaire ,  et  le  vulgaire  n'est 
compose  que  de  sots. 

(i)  Le  vulgaire  ,  dit  Macliiavel ,  au  cliap.  i8.  cle  sou 
Prince  ,  ne  s'arrete  qu'aux  apparences  ,  et  ne  jug^que 
par  les  e'venemens  ;  et  il  r>'y  a  presque  dans  le  monde 
que  le  vulgaire.  11  n  j  a  point  d'aristocratie  si  parfaite , 
dit  Fra-Paolo  ,  liv.  6  de  son  Histoire  du  concile  de 
Trente ,  qui  nq  soit  partage'e  en  gens  d' elite  et  en 
populace. 


256  L'nOMiME 

MAXIME    CCVII. 

User  de  retenue. 

Il  faut  prendre  garde  a  son  fait,  surtout  dans 
les  cas  imprevus.  Les  saillies  des  passions  sont 
autant  de  pas   glissans  ,  qui  font  irebucher  la 
prudence,  c'est  la  qu'est  le  danger  de  se  perdre. 
Un  homme  s'engage  plus  dans  un  moment  de 
fureur  ou  de  plaisir,  qu'en  plusicurs  heures  d'in- 
dlfFerence.  Quclquefois  une  petite  cchaufFource 
coute  un  repentir  qui  dure  toute  la  vie.  La  ma- 
lice d'autrui  dresse  des  embuches  a  la  prudence, 
pour  decouvrir  terre.  Elle  se  sert  de  celle  sorte 
dc  torture ,  pour  lircr  le  secret  du  coeiir  le  plus 
cache.  II faut  done  quelaretenue  fasse  la  contre- 
batterie,  et  particuliercment  dans  les  occasions 
chaudes.  II  est  besoin  de  beaucoup  de  reflexion, 
pour  empecher   une  passion  de  se  decharger. 
Celui-la  est  bien  sage  qui  la  mene  par  la  bride. 
Quiconque   connait  le  danger ,   marche  a  pas 
comptes.  Une  parole  parait  aussi  offensante  a 
celui  qui  la  recueille  ct  lapese,  qu'elle  parait  de 
pdl.de  consequence  a  celui  qui  la  dit. 

:k   .  ,    ... 


DE    COUR.  2^7 

MAXIME    CCVIII. 

Ne  point  mourir  du  mal  cU  foil. 

D'oRDiNAiRE  les  sagcs  meurent  pauvres  de 
sagesse  -,  au  contraire ,  les  fous  meurent  riches 
de  conseil  (i).  Mourir  en  fou  ,  c'est  mourir  de 
trop  raisonner.  Les  uns  meurent  parce  qu  ils 
sentent^  et  les  autres  vivent  parce  qu'ils  ne  sen- 
tent  pas  :  en  sorte  que  les  uns  sont  fous  ,  parce 
qu'ils  ne  meurent  pas  de  sentiment^  etles  autres*, 
parce  qu'ils  en  meurent.  Celui-la  est  fou  qui 
meurt  de  trop  d'entcndement  j  si  bien'  que  les 
uns  meurent  d'etre  bons  entendeurs ,  et  les  au- 
tres vivent  de  n'etre  pas  ejitendus .M.dcis  quoique 
beaucoup  de  gens  meurent  <3n  fous  ,  tres-peu 
de  fous  meurent. 


MAXIME    CCIX. 

Ne  point  donner  dans  lafolie  des  autres. 

C'est  I'effet  d'une  rare  sagesse,  ear  tout 
ce  que  Texemplc  et  Tusage  introduisent  ,  a 
beaucoup  de  force.  Quelques  -  uns  ,  qui  ont 
pu  se  garanlir  de  I'ignorance  particuliere  ,n'ont 
pas  su  se  soustraire  a  I'ignorance  generale.  C'est 
un  dire  commuh  ,  que  personne  n'est  content 

(0  Parce  qu'ils  ne  remploient  jamais  diirant  leur  vie. 


^68  l'  H  0  M  M  E 

de  sa  condition  ,  bien  que  ce  soit  la  mcilleure  ; 
ni  mecontent  de  son  esprit ,  quoique  ce  soit  le 
pire.  Chacun  envic  le  bonheur  d'aulrui ,  faiitc 
d'etre  content  du  sien.  Ceux  d'aujourd'hui 
louent  les  choses  d'hier  ,  et  ceux  d'ici  celles  de 
de  la.  Tout  le  passe  parait  meilleur  (i) ,  et  tout 
ce  qui  est  eloigne ,  est  plus  estime.  Aussi  fou 
est  celui  qui  se  rit  de  tout ,  que  celui  qui  se  clia- 
grine  de  tout. 


MAXIME    GCX. 

Sai^oir  jouer  de  la  verite. 

Elle  est  dangereuse ,  mais  pourtant  rhommc 
de  bien  ne  pent  pas  laisser  de  la  dire,  et  c'est  la 
qu'il  est  besoin  d'artifice.  Les  habiles  medecins 
de  Fame  ont  essaye  tous  les  moyens  de  Fadou- 
cir ,  car  lorsqu  elle  touche  au  vif ,  c'est  la  quin- 

(i)  T^etera  extollimus  ,  ditTacite,  recentium  incu- 
rlosi.  Ann.  2.  T^itio  autem  malignitatis  humance  ,  dit 
Quintilien  ,  Vetera  semper  in  laude ,  prcesentia  in  fas- 
tidio  :  c^uoiqyLG  nee  omnia  apudpriores  meliora.  Tacite 
Ann.  5.  Toute  notre  veneration  est  pour  le  passe',  et 
toute  notre  envie  contre  le  pre'sent ,  parce  qu'il  nous 
semble  que  le  pre'sent  nous  est  a  charge ,  au  lieu  que 
le  passe'  nous  instruit  .*  Proesentia  invidid ,  prceterita 
veneratione  prosequimur ;  et  his  nos  obrui  ,  illis  ins- 
trui  credimus ,   dit  Paterculc.  Hist.  2. 


t)E   COUR*  26g 

t essence  de  ramertume.  La  discretion  deve- 
loppe  la  toute  son  adresse  -,  avec  unc  meme  vc- 
rite  ,  elle  flattc  Tune  et  assomme  I'autre.  II  faut 
parler  a  ceux  qui  sonl  prescns ,  sous  le  nom  des 
abs^ns  ou  des  morts.  A  un  bon  entendeur ,  il 
ne  lui  faut  qu'un  signe^  et  quand  ccla  ne  suffira 
pas  ,  le  meilleur  expedient  €st  de  se  taire.  Les 
princes  ne  se  guerissent  pas  avec  des  remedes 
amers  ;  il  est  de  la  prudence  de  leur  dorcr  la 
pilule. 

Dans  la  critique  IIP  de  la  troisieme  partie 
de  son  Criticon ,  il  dit ,  qu'apres  plusieurs  con- 
sultations faitcs  sur  les  niojens  de  rappeler  la 
verite  dans  le  mondo ,  d'oii  les  hommes  I'avaient 
chassee ,  pour  mettre  le  mensonge  en  sa  place ; 
il  fut  delibere  de  la  detremper  avec  force  sucre, 
pour  lui  oter  son  aniertunie ,  et  puis  de  la  sau- 
poudrer  de  beaucoup  d'ambre,  pour  tempercr 
i'odeur  forte  et  desagreable  qu'elie  rendait. 
Apres  quoi  on  la  donnerait  a  boire  aux  hommes 
dans  une  tasse  d'or ,  et  non  pas  dans  un  verre  , 
-  de  peur  qu'il  ne  la  vissent  au  travers ,  en  disant 
r*  que  c'etait  un  breuvage  bien  exquis,  apporte 
de  bien  loin  ,  et  plus  precieux  que  le  chocolat, 
le  cafe  et  le  sorbet :  Etpuis  il  ajoute  :  Uon  com- 
nienca  par  les  princes  ,  afin  qu  a  leur  exemple 
tout  le  monde  en  voulut  boire  ^  mais  comme  ils 
gut  Fodoz^at  tres-fln ,  ils  sentireut  d'une  liquc 


i^no  l'homme 

ramertume  de  cette  boisson,  ct  commence  rent 
d'avoir  mal  au  coeur ,  et  de  s'efForcer  a  vomir ,  etc. 
Et  dans  son  Discret ,  au  dialogue  intitule^  El 
huen  Entendedor  ^  il  introduit  un  docteur,  qui 
dit  :  Aujourd'hui,  de  dire  la  veriic  ,  cela  s'ap- 
pelle  sotlise  et  betisc.  Et  il  repond  :  Aussi  per- 
sonne  ne  la  veut-il  dire  a  ceux  qui  n'ont  pas 
coutume  de  I'entendre.  li  ne  reste  plus  rien 
d'elle  dans  le  monde,  que  quelques  parcelles  , 
et  encore  ne  semontrent-elles  qu'avcc  mjstere, 
ceremonie  et  precaution.  Avec  Ics  princes  (re- 
prend  le  docteur  )  on  biaise  toujours.C'cst  done 
a  eux  dy  bien  aviser  (repond  Gracian)  ,  d'au- 
tant  qu'il  j  va  de  tout  perdre  ou  de  toutgagner. 
La  verite,  ajoutc  le  docteur,  est  une  demoiselle 
qui  a  autant  de  pudeur  que  de  beaute ,  et  c*est 
pour  cela  quelle  va  toujours  voilee.Mais  ilfaut, 
replique  Gracian, que  Ics  princes  la  decouvrent 
galamment  (i).  Us  doivent  lenir  beaucoup  de 
la  condition  des  devins  et  des  Ijnxs  pour  pene- 
trer  la  verite  ,  et  discerner  la  tromperie.  Plus 
chacun  s'etudie  a  ne  leur  dire  la  verite  qu'cntre 

(i)  Antoine  Perez  dit ,  que  c'cst  pour  la  savoir  ,  que 
les  princes  tiennent  des  fous  aupres  d'eux.  Ne  sois  pas 
surpris  ,  dit  Gracian  ,  si  tu  vois  les  rois  environne's  de 
fous ,  car  ce  n'est  pas  sans  mystcre. "  Ces  fous  sont  a  leurs 
cot^S  ,  non  pas  pour  les  dirertir ,  mais  pour  les  avertir. 
Critique  5.  de  la  troibieme  parlie  de  son  Criticon. 


DE  couR.  '      ^'yr 

ses  dents  ,  et  plus  il  la  leur  donne  machee  et  fa- 
cile a  digerer  ,  afiu  quelle  leur  fassc  plus  do 
profit.  Maintenant  le  desahusement  est  politi- 
que j  il  va  d'ordinaire  enlre  deux  lumieres ,  ou 
pour  se  retirer  a,ux  tenebres  de  llatterie  ,  s'il 
rencontre  un  sot ,  ou  pour  passer  a  la  lumiere 
de  la  verite  ,  s'il  rencontre  un  homme  d'esprit. 


MAXIME     CCXI. 

Au  del  tout  est  plaisir y  en  enfer  tout  est  peine ^ 
le  nionde  comme  jnitoj^j^^Uent  de  Fun  et 
de  r autre. 


ya^Mei 


Nous  sommes  entre  les  deux  extremiles  ,  et 
ainsi  nous  tenons  de  toutcs  les  deux.  H  j  a  une 
alternative  de  sort ,  ni  tout  ne  saurait  etre  bon- 
heur,  ni  tout  etre  rnalhcur.  Ce  monde  est  un** 
zero ,  tout  seul  il  ne  vaut  rien  ,  joint  avec  le  ciel. 
il  vaut  beaucoup.  G'est  sagesse  d'etre  indifie- 
rent  a  tous  ses  cliangemens ,  parce  que  la  nou- 
veaute  n'est  point  le  fait  des  sages.  Notre  Tie  se 
joue  comme  une  comedie,  sur  la  fin  elle.vient^' 
a  se  degager  j  le  point  est  de  la  bien  finir. 

Informes  hiemes  reducit  Jupiter ,  idem 
Summovet :  nqn  si  male  nunc  ,  et  olim 
Sic  erit  ,  (lit  Horace,   Ode  lo.  Carni.  2. 


272  L  HOMMK 

MAXIME    CCXII. 

Se  reserver  toujours  le  fin  de  Vart, 

Les  grands  maitres  iisent  dc  cctte  adressc, 
lors  meme  qu'ils  enscigricnt  Jeur  metier,  llfaut 
toujours  garder  une  superiorie  ,  et  rcster  le 
maitre  (i).  En  communiquant  son  art ,  il  est  be- 
soin  dc  le  faire  avec  art.  11  ne  faut  jamais  epui- 
ser  la  source  d'enseigner ,  ni  celle  de  donner^ 
c'est  par  la  que  Ton  conserve  sa  reputation  et 
son  autorite.  !i^^Matierc  de  plaire  et  d'ensei- 
gner ,  c'est  un^lB^d  prccepte  a  garder ,  que 
d'avoir  toujours  de  quoi  paitre  I'admiration,  en 
poussant  la  perfection  toujours  plus  avant.  En 
toutes  professions  ,  et  particulierement  dans  les 
emplois  les  plus  sublimes,  ca  ete  une  grande  regie 
de  vivre  et  de  vaincre,  que  de  ne  se  pas  pro- 
diguer. 


(i)  Comme  il  j  a  des  regies  de  Fart ,  dit  Antoine 
Perez  ,  il  j  en  a  aussi  de  I'artisan.  Celles  de  I'art  soiit 
communes  a  tons  ceux  qui  le  professent  •  mais  les  au- 
tres  sont  particulieres  a  I'artisan ,  comme  les  ajant  trou- 
vees  par  sa  propre  industrie  et  a  force  d'experiencCr 
Ainsi ,  il  communique  liberalement  les  premieres ,  mais 
non  pas  les  secondes.  Dans  les  Aphorismes  de  ses  se^ 
condes  leaves . 


DE    COUR.  375 

MAXIME    CCXIII. 

Savoir  contredire. 

C^EST  line  excellente  ruse  ,  quand  on  le  sait 
faire  ,  non  pas  pour  s'engagcr  ,  411  ais  pour  en- 
gager; c'est  Tuniquc  torture  qui  puisse  faire 
•^  saillir  les  passions.  La  lenteur  a  croire  est  un 
vomitif  qui  fait  sortir  les  secrets;  c'est  la  clef 
pour  ouvrir  le  coeur  Ic  plus  renferme.  La  double 
sonde  de  la  volonle  et  du  jugement  dcmande 
une  grande  dexterite.  Un  mepris  adroit  de 
de  quclque  mot  mysterieuxd'un  autre  donne  la 
chasse  aux  plus  impenetrables  secrets  ,  et ,  par 
iin  agreable  sucement ,  les  fait  venir  jusque  sur 
le  bord  de  la  langue ,  pour  les  prendre  dans  les 
filets  de  rartifice.  La  retenue  de  celui  qui  sc 
tient  sur  ses  gardes  ,  fait  que  son  espion  se 
retire  a  Fecart;  et  qu  ainsi  il  decouvre  la  pensee 
d'autrui ,  qui  autrement  etait  impenetrable.  Un 
doute  affecte  est  une  fausse  clef  de  fine  trempe, 
par  oil  la  curiosite  entre  en  connaissance  de 
lout  ce  qu'elle  vcut  savoir.  En  maticre  d'ap- 
prendre  ,  c'est  un  trait  d'adresse  au  disciple  que 
de  contredire  son  maitre,d'autant  que  c'est  une 
obligation  qu'il  lui  impose  de  s'eflbrcer  a  expli- 
quer  pJus  clairement  et  plus  solidement  la  ve- 
rite ;  de  sorte  que  \d^  qomradiciion   moderee 

i8 


274  l'homwe 

donne   occasion  a  celui  qui  enselgiie ,  d'ensei- 

gner  a  fond. 


MAXIME    CCXIV. 

D'une  foUe  n^ en  pas  f aire  deux, 

II  est  tres-ordinaireapies  line  souisefaite,d'cn 

faire  qiiatre  autres  pour  la  riiabiJler;  Ton  excuse 

une  impertinence  par  une  autre  plus  grande. 

La  sottise  est  de  la  racfc  du  mensonge ,  ou  cclui- 

ci  de  la  race  de  la  sottise;  pour  en  soutenir  une, 

11  en  faut  beaucoup  d'autres.  La  defense  d'une 

inauyaise  cause  a  toujours  etc  pire  que  la  cause 

mcme  (i).  C'est  un  mal  plus  grand  que  le  mal 

nieme  ,  de  ne  le  sa\  oir  pas  couvrir  (2).  C'est  le 

revenu  des  imperfections, d' en mettrebaaucoup 

d'autres  a  rente. L'hommele  plus  sage  peut  bicn 

faillir  une  fois  ,  niais  non  pas  deux  ;  en  passant 

et  par  inadvertance  ,  mais  non  de  sens  rassis. 

P'oyez  la  Maxime  261. 

(i)  Juan  Riifo  dit  agreablement ,  que  c'est  emprunter 
<3e  Fargent  a  gros  inte'ret  poiir  acquitter  une  dette  qui 
ne  monte  pas  si  liaut  que  cet  int^ret.  Apophtegme  52. 

(2)  Le  cardinal  Madruce  ,  <iit  -  il ,  dans  le  second 
chap,  du  Heros  ,  ne  traitait  pas  de  sot  celui  a  qui  i\ 
fc'cliappe  une  sottise  }  mais  bien  celui  qui  I'ayant  fait« 
ns  la  sait  pas  cacher. 


D  E    CO  U  R.  275 

M  A  X I  M  E    C  C  V. 

Avoir  Vodil  sur  celui  qui  j one  de   seconde 
intention. 

Cest  une  ruse  d'homme  de  ncgociation ,  d'a- 
niuser  la  volonte  pour  I'attaquer  ,  car  elle  est 
vaincue  ,  des  qu  elle  est  convaincuc.  On  dissi- 
mule  sa  pretention  pour  j  parvenir  ,  oh  se 
met  le  second  en  rang  ,  pour  elre  Iq  premier 
dans  Fexecution;  on  assure  son  coup  sur  Tinad- 
vertance  de  son  iidversairc.  Ne  laisse  done  pas 
dormir  ton  attention, puisquel'intcntionde  ton 
rival  est  si  eveillec.  Et  si  Tintention  est  feconde 
en  dissimulation ,  il  faut  que  le  discernement 
soit  premier  en  connaissance.  C'est  a  la  precau- 
tion de  reconnaitre  I'artifice  dont  la  personne 
sc  sert ,  et  de  remarquer  les  visces  qu'elle  prend, 
pour  frapper  au  but  de  sa  pretention.  Comme 
elle  propose  une  chose  et  en  prcietj^dtme  autre, 
ct  qu  elle  se  tournc  et  retourne  pour  arrivei* 
finement  a  ses  fins  ,  il  faut  bien  regarder  a  ce 
qu  on  lui  accorde  ;  et  quelquefois  meme  il  sera 
bon  de  lui  donner  a  entendre  que  Ton  a  com- 
pris  sa  pensee. 


iS 


2'j6  l'  H  O  M  M  E 

MA  XI  ME    CCVL 

Parle  r  net. 

Cel A  montre, non  seulenicnt  du degagemcnt, 
niais  encore  de  la  vivacite  d'esprit.  Quelqiies- 
uns  coticoivent  bien,  et  eiifantent  mal^  car  sans 
la  clarte ,  les  enfans  dc  I'ame^  c'est-a-dirc  ,  les 
pensecs  ,  les  expressions  ,  ne  sauraient  venir  au 
jour.  U  en  est  de  certaincs  gens  ,  comme  de  ces 
pots  qui  tiennent  beaucoup,  et  donnentpcu  (i)  : 
au  contraire,  d'aulres  en  disent  encore  plus  qu'ils 
n'en  savcnt  (2).  Ce  que  la  resolution  est  dans 
la  volonte,  rcxpressionl'cst  dansrentendemcnt; 
ce  sont  deux  grandes  perfections.  Les  esprits 
nets  soul  plans ib le s  ;  souvent  les  esprits  confiis 
ont  etc  admires,  pour  n  avoir  pas  ete  entendus. 
Quelquefois  I'obcurite  sied  bien  pour  se  distin- 
guer  du  vulgairc  (5).  Mais  comment  les  autres 

(1)  A  les  entendre  ,  dit  Erasme,  dans  un  de  ses  dia- 
logues ,  on  dirait  qu'ils  ont  appris  a  confesse  tout  ce 
qu'ils  savent ,  tant  ils  ont  peu  de  liberte'  d'en  parler, 

(2)  Dans  le  siecle  passe' ,  Ton  disait  au  palais  que 
Tavocat  ge'ne'ral  Jean-Baptiste  du  Mesnil  disait  plus  qu'il 
ne  savait;  mais  que  le  procureur-ge'ne'ral  Gilles  Bourdin 
savait  plus  qHi'il  ne  disait. 

(5)  C'est  en  partie  pour  cela  que  Tibere  affectait  de 
parler  ambigument.  ConsuUo  ambiguus ,  dit  Tacite 
Ann.  i3.    Et  c'est,   au  sentiment  des  politiques  ,   une 


DE    COUR.  ^J"]' 

jugeront-ils  de  ce  qu  ils  ecoutent,  si  ceux  qui 
parlent  ne  concoivent  pas  cux-memcs  ce  qu'ils 
disent? 


MAXIME    CCVII. 

Ik 

II  nefaut  ni  aimer  fit  hair  pour  touj  ours. 

Vis  aujourd'hui  avec  tes  amis,  comme  avec 
ceux  qui  peuvent  etrc  demain  les  pires  enne- 
mis  (i).  Puisque  cela  se  voit  par  Texperience  , 
il  est  bien  juste  de  danner  dans  la  prevention. 
Garde-toi  de  donner  des  armes  aux  transfuges 
de  Tamitie ,  d'autant  qu'ils  t'en  font  la  plus 
cruelle  guerre.  Au  contraire  ,  a  I'egard  de  les 
ennemis  ,  laisse  toujours  une  porte  ouverle  a  li\ 
I'econciliation  (2)  ,  c'est-a-dirc  ,  celle  de  la  ga- 

perfection  plutot  qu'un  de'faut  dans  les  princes ,  a  qui 
il  sied  bien  de  parler  comme  les  oracles ,  per  ambages , 
lit  mos  oraculis.  Ann.  2. 

(i)  Les  uns  attribuent  ce  precepte  a  Tliales ,  les  autres 
a  Chilon  ,  et  quelques-uns  Texpriment  en  ces  tefrnes  : 
Aime  coninie  pouvant  hair ,  et  liais  comme  pouvant 
aimer.  Sfcipion  I'Africain  disait ,  qu'il  ne  poiivait  croire 
aucun  des  sept  Sages  Fauteur  d'une  maxime  qui  sappe 
le  principal  fondement  de  I'amitie  ^  c'est  -  a  -  dire  ,  la 
confiance. 

(2)  Cest  en  ce  sens  que  Cnton  disait,  qn'il  fallait  quel- 
quefpis  de'rioiier  une  ami  lie  ,  mais  jamais  la  rorai^re. 


278  l'  H  O  M  M  E 

lanterie,  qui  est  la  plus  sure.  Quelquefois  la  vcn" 
geance  d'auparavant  a  ete  la  cause  du  regret 
d'apres,  et  le  plaisir  pris  a  faire  du  mal ,  s'est 
loarne  en  dcplaisir  de  I'avoir  fait  (i). 


MAXIME     GCXVIIL 

Ne  rleri  faire  par  caprice  ,  mais  tout  avec 
circonspeetion. 

Tout  caprice  est  un  aposlume;  c'est  le  fils 
aine  de  la  passion  ,  qui  fait  lout  a  rebours.  II  y 
a;des  gens  qui  tournent  tout  en  petite  guerre. 
Dans  la  conversation  ce  sont  des  bandouliers; 
de  tout  ce  qu'ils  font ,  ils  en  voudraicnt  faire  un 
trioniphe,  ils  ne  savent  ce  que  c'est  d'etre  paci- 
fiques.  En  maliere  de  commander  et  de  gouver- 
ner_,  ils  sont  pernicieux  ,  pai*ce  que  du  gouver- 
nemcnt  ils  en  font  une  ligue  oflensive ,  et  de 
ceux  qu'ils  deyraicnt  tenir  en  qualite  d'cnfans , 
ils  en  forment  un  parti  d'ennemis.  lis  veulent 
tout  mener  a  leur  mode,  et  tout  emporter 
comma  chose  dwe  a  leur  adresse;  Mais  des  que 
Ton  vient  a  deeouvrir  leur  humeur  paradoxe  , 

(5)  C'est  pour  cela  quun  des  sept  Sages  disait,  qu'il 
valait  mieux  pardonner  que  de  se  repentir. 


DE   COUR.  :279 

i'on  se  met  en  garde  contre  eux,  leurs  cbimeres 
sont  rclancecs  j  et  par  consequent,  bienloia 
d'arriver  a  leur  hut ,  ils  ne  remportent  qu  un 
am  as  de  chagrins  ,  chacun  aidant  a  les  mortificr. 
Ces  pauvres  gens  ont  le  sens  hlesse ,  et  quel- 
quefois  aussi  le  coeur  gate.  Le  mojen  de  sc  dc- 
faire  de  tels  monstres  est  de  s'enfuir  aux  anti- 
podes ,  dont  la  harharie  sera  plus  supportahle 
que  rhumeur  ferpce  de  ces  gens-la. 


MAX  I  ME    CCXIX. 

Ne  point  passer  pour  honime  d* artifice. 

Veritablement  on  ne  saurait  vivre  aujour- 
d'hui  sans  en  user ;  mais  il  faut  plutot  choisir 
d'etre  prudent   que  d'etre    (in  (i).'*L'humeur 

( I )  La  finesse  est  une  bonne  qualite  lorsqu*elle  ne 
passe  point  les  bornes  de  la  prudence  y  mais  c'es!  un 
grand  vice  quand  elle  va  jusqu'a  la  tromperie.  L'on  se 
doit  servir  de  la  finesse  comme  d'un  remede  contre  \k 
malice  des  autres,  mais  non  pas  comme  d'un  poison. 
JL.e  jeune  Pline  dit ,  que,  vu  la  malice  des  honmes  et 
la  condition  malheureuse  du  temps  ,  c*est  prudence  que 
de  troraper  les  medians.  Quos  declpere ,  pro  moribus 
temporuni ,  prudenda  est.  Ep.  j8.  lib.  8.  La  comtesse 
d'Aranda  dit ,  qu'un  homme  d'honneur  doit  plutot  cboi- 
sir  d'etre  trompe  que  de  tromper.  Chap.  7,  de  lia  seconde 
partie  de  son  Idee  des  Nobles.  ■■  >    -5! 


:28o  l'hommje 

ouyertc  est  ag  re  able  a  tout  le  nlonde ,  mais  bieft 
des  gens  n'en  vculent  point  chcz  eux.  La  since- 
rite  ne  doit  jamais  degenereren  simplicile,  ni 
la  sagacite  en  finesse.  II  vaut  mieux  etre  respecte 
comme  sage ,  que  craint  comme  trop  penetr  mt. 
Les  gens  sinceres  sont  aimes  ,  mais  trompes.  Le 
plus  grand  artifice  est  de  bien  cacher  ce  qui 
passe  pour  tromperie.  Lacandeur  ilorissait  dans 
iesiecled'or  ,  la  malice  regnea  sou  lour  dans  ce 
siecle  de  fer.  Le  renom  de  savoir  ce  que  Ton  a 
a  faire  est  honDrablc ,  et  attire  la  confiance  -, 
mais  celui  d'etre  artificieux  est  sophistique  ,  el 
engendre  la  defiance. 


MA  XI  ME     CCXX. 

Se  couvrir  de  la  peaii  du  rencird  quand  on  ne 
pent  pas  se  servir  de  celle  du  lion  (i). 

Savoir  ceder  au  temps ,  c'est  exceder  (2).  Ce- 
lui qui  vient  a  bout  de  son  dessein ,  ne  perd  ja- 

(  I  )  Maxime  de  Lisander  ,  qui-  disait ,  qu'il  fallait 
coitdrala  peau  du  renard  ou  manquait  celle  du  lion. 

(2)  Tempori  cedere ,  id  est,  necessitati  parere , 
semper  sapientis  est  habitum  ,  dit  Cicero irj  c'est-a- 
dire  :  I'oti  a  tou jours  cru  que  c'etait  un  trait  de  sagesse 
de  ce'der  au  temps.  Et  dans  un  autre  endroit ,  il  dit  que 
le  prince  obe'ifj  au  temps  comme  les  sujets  obe'issent  au 
prince  :  Nds  principi  servimus ,  ipse  temporibus.  Ep. 
lib.  9. 


DE    COUR.  281 

mais  sa  reputation  (i),-  I'adresse  doit  suppleer 
a  la  force.  Si  Ton  ne  saurait  aller  par  le  chemin 
rojal  de  la  force  ouvcrte,  il  faut  prendre  la  route 
detournee  de  Tartificej  la  ruse  est  bien  plus  ex- 
peditive  que  la  force  (2).Les  sages  ont  plus  sou- 
vent  vaincu  les  braves,  que  les  braves  n'ont 
-vaincu  les  sages,  Quand  une  entreprise  vient  k 
manquer,  la  porte  est  ouverte  au  mepris. 


MAXIME    CCXXI. 

N'etre  point  trop  prompt  a  s'engager  nl  a 
engager  aiitrui. 

Il  J  a  des  gens  nes  pour  broncher,  et  pour 
faire  broncher  les  autres  contre  la  bienseance. 

(i)  Particulierement  les  princes.  Nihil  gloriosum  , 
nisi  tutum  ,  dit  Saluste  ,  et  omnia  retinendoe  domina- 
tionis  honesta ;  c'est-a-dire  :  il  n  j  a  rien  de  glorieux 
que  ce  qui  est  bien  sur  ,  et  tout  ce  qui  sert  a  conserver 
la  domination  est  toujours  honnete. 

(5)  Te'moin  tout  le  regne  de  Tibere  ,  qui  fit  autant  par 
la  ruse  qu'Auguste  par  les  armes.  Se  novies  a  D.  Au- 
gusta in  Germaniam  missum  plura  consilio  ,  quam  vi 
perfecisse.  Tacite.  Ann.  q..  Loetiore  Tiherio ,  quia  pa- 
cem  sapientid  firmaverat ,  quam  si  bellum  per  acies 
confecisset.  Ibid.  Et  dans  un  autre  endroit  Tacite  dit , 
que  les  princes  terrainent  plus  d'affaires  par  la  ne'gocia- 
tion  que  par  les  armes.  Pleraque  in  summa  fortuna 
'  auspiciis  et  consiliis ,  quam  telis,  et  manibus  geri. 
Annal.  i5. 


aSl  l'  H  O  M  M  E 

lis  som  toujours  a  point  pour  faire  des  soitises. 
lis  ont  une  grandc  facilile  a  donuer  un  rude 
choc  ,  mais  ils  se  brisent  malheureusement.  Us 
n'en  sont  pas  quittes  pour  cent  querelles  par 
jour.  Conime  ils  ont  Thumeur  a  contre-poil ,  ils 
contredisent  a  tout  et  a  tous ;  ajant  le  jugement 
<ihausse  de  travcrs ,  ils  desapprouvent  tout.  II 
n'appartient  qu'a  ces  grands  avenluriers  de  pru- 
dence de  ne  rien  faire  a-propos ,  et  de  censure  r 
tout.  Que  de  monslres  dans  le  vaste  pays  de 
i'impertinence  I 


MAXIME    CCXXII. 

Vhomme  retenu  a  toute  Tapparence  d'etre 
prudent. 

La  langue  est  une  bete  sauvage ,  qu'il  est 
tres-difficile  de  remeltre  a  la  chaine^  quand  elle 
est  une  fois  echappee.  C'est  le  pouls  par  ou  les 
sages  connaissent  la  disposition  de  Tame;  c'est 
J,a  que  les  personnes  inlelligcntes  tdtent  le  mou- 
vement  du  coeur.  Le  mal  est  que  celui  qui  de- 
vait  etre  leplus  discret ,  Test  le  moins.  Le  Sage 
s'epargne  des  chagrins  et  des  engagemens ,  et 
montre  par  la  combien  il  est  mailre  de  soi-meme, 
il  agit  avec  circonspection ;  c'est  un  Janus  eix 
equivalent,  et  un  Argus  en  discernenicnt.  Mo- 


DE      COUR.  2S5 

mus  eut  eu  meilleure  raison  de  dire ,  qu'il  man- 
cpaxt  des  jeux  aux  mains,  que  de  dire  qu'il  fal- 
lal t  une  petite  fcnetre  au  cceur. 

Vojez  la  Maxime  i{fi*  . 


MAXIME    CCXXIIL 

N^^trepas  trop  singulier  ^  ni par  affectation  ni 

4jfft>»,>*3         par  inadvertunce, 

QuELQUES  gens  se  font  remarquer  par  leur 
slngularite ,  c  est-a-dire ,  par  des  actions  de  fo- 
lic, qui  sont  plutot  des  defauts  que  des  diffe- 
rences j  et  comnie  quelques-uns  sont  connus 
de  tout  le  monde  ,  a  cause  qu  ils  ont  quelque 
chose  de  tres-laid  au  .visage ;  ceux-ci  le  sont  par 
je  ne  sais  quel  cxces  qui  parait  dans  leur  contc- 
nancc.  II  ne  sert  de  ricn  de  se  singulariscr  ,  si- 
iion  a  se  f aire  passer  pour  uu  original  imperti- 
iicnl:  j  ce  qui  provoque  alternativement  la  mo- 
querie  des  uns  ,  ct  la  mauvaise  humeur  des 
,^atutres.  ■   jjl-^;^.;-.^..^.. 

'  Cette  Maxime  e'tant  dree  du  Chapitre  de  ^on  Dig- 
cret ,  intitule  la  Figureria ,  il  me  sem.ble  a  propos  d'ert 
mettre  ici  Vextrait  pour  commentait^e. 

11 J  a,  dit-il ,  beaucoup  de  gens  qui  servent 
de  but  aux  traits  de  larisee  ,  et  ceux-la  vculent 
bien  en  seryir  tout  exprcs  ,  qui ,  goi^^  sadistin- 


284  l'  H  O  M  M  E 

guer  dcs  autrcs ,  affectent  imc  singularite  extra- 
vagante,  quails  gardent  en  toules  leurs  actions, 
U  J  a  tel  qui  payerait  liberalement  de  pouvoir 
parler  du  derriere  de  la  tete,  pour  ne  pas  parler 
par  la  Louche  comme  les  autrcs.  Mais  d'autant 
que  cela  n'est  pas  possible  ,  ils  transforment 
leur  voixjils  affectent  un  petit  accent,  ils  inven- 
tenl  des  idiomes  ,  et  bourdonnent  mignonne- 
nient,pour  etrerares  en  tout;  lis  martyrisent  leur 
gout  ,  en  le  privant  de  tout  ce  qu'il  aime  natu- 
rellementr Comme  il  leur  e^t  commun  avcc  le 
reste  dcs  hommes  ,  et  niieme  avec  les  animaux  , 
ils  veulent  le  changer  par  des  cxces  de  singula- 
rite ,  qui  sont  plutot  le  chatiment  de  leur  affec- 
tation ,  que  des  elevations  de  leur  grandeur. 
Quelquefois  ils  se  plairont  a  boire  de  la  lie  ,  et 
diront  que  c'cst  du  nectar ;  ils  laissent  le  gene- 
reux  roi  des  liqueurs  pour  des  caux  qui  ne  sont 
precieuscs  que  dans  leur  fantaisie^  elles  sentent 
la  mcdecine,  et  ils  les  appellent  de  I'ambroisiL. 
Chaque  jour  ils  inventent  des  nouveautes  ^  pour 
raffiner  toujours  en  singularite ;  et  veritablemcnt 
ils  J  reussissentjd^autant  que  tous  les  autres  ne 
trouvent  point  daiis  leurs  ragouts  ,  ni  le  haut 
gout  ,  ni  la  bonte  qu'on  leur  cxagere ,  de  sortc 
qu'ils  restent  tons  seuls  dans  leur  extravagance, 
ou  ,  comme  Tappel lent  d'axitres ,  dans  leur  im- 
pertinence. Et  quelques  lignes  opres  :  Dans  les 


t>E   COUR.  ^85 

actions  heroiques,  la  singularitc  sied  bien,  el  il 
n  J  a  rien  qui  attire  plus  de  veneration  aux 
grands  exploits.  La  grandeur  consiste  dans  la 
sublimite  d'esprit  ct  dans  les  hautes  pensees.  II 
n'est  point  de  noblesse  comme  celle  d^un  grand 
coeur,  car  il  ne  s'abaisse  jamais  a  Tartifice.  La 
vertu  est  le  caractere  de  Fheroisnie,  la  diffe- 
rence y  sied  bien.  Les  princes  doivent  vivre 
avec  tant  dc  brillant  et  de  splendeur  par  les 
moyens  deleurs  belles  qualites  et  deleurs  vertus, 
que  si  les  ctoiles  descendaient  de  leur  sphere 
celeste  ,  pour  venir  demeurer  avec  nous  ,  elles 

ne  fussent  pas  plus  lumineuses  qu  eux Il 

J  en  a  d'autres  qui  ne  sont  pas  des  hommes  j  ils 
affeclent  de  se  distinguer  par  les  modes  ,  et  de 
se  singulariser  par  un  air  extraordinaire.  Ils 
abhorrent  tout  ce  qui  se  pratique  ^  ils  montrent 
comme  une  antipathic  pour  I'usage^ils  affectent 
dialler  a  I'antique,  et  de  renouveler  les  vieillcs 
modes.  D'autres  ,  en  Espagne  ,  s'habillent  a  la 
francaise  ,  et  en  France  ,  a  I'espagnole.  II  s'eri 
trouve  meme  qui  vont  a  la  campagne  avec  le 
haussecou  ,  et  a  la  cour  ,  avec  un  rabat,  jouant 
ainsi  des  mariohnettes  ,  comme  si  la  moquerie 
avait  besoin  de  ragout.  II  ne  faut  jamais  appre- 
ter  a  rire  aux  gens  d'esprit,  non  pas  meme  aux 
enfans^  et  cependantil  y  a  force  gens  qu'il  sem- 
ble  qui  mett^nt  tout  leur  soin  et  toute  leur 


:385  l'  II  O  M  M  E 

etude  a  se  rendre  ridicules  et  a  servir  de  faLle 
aux  autres.  lis  croiraient  mal  employer  leur 
journee  ,  s'ils  ne  la  signalaient  pas  par  quclque 
singularite  ridicule.  Mais  de  quoi  s'cntrctien- 
drait  la  raillerie  des  uns  ,  sans  I'extravagance 
des  autres  ?  Certains  vices  servent  dc  matieie 
aux  autres.  C'cst  ainsi  que  lasottise  est  la  nour- 
riturc  de  la  medisance.  Mais  si  la  singularite 
frivole  dans  I'ecorce  ,  c'est-a-dire  ,  dans  I'exle- 
rieur,  est  un  sujci  de  risee,que  scra-ce  de  celle 
dc  rinterieur  ,  je  veux  dire  de  Pesprit?  11  j  a 
des  gensaquivousdiriez  que  la  nature  a  chausse 
Tesprit  et  le  gout  a  rebours.  lis  affectent  dc  pa- 
raitre  tels  ,  de  peur  dc  se  conformer  a  I'usage  ; 
inintelligibles  dans  leurs  raisonnemens ,  depra- 
ves dans  leur  gout ,  et  heteroclites  en  tout  j  car 
la  plus  grande  singularite  est  sans  doute  celle 
de  rentendement.  D'autres  re|)aissent  leur  ca- 
price d'un  vain  orgueil ,  mele  de  sottise  et  de 
folie.  Avec  cela  ils  affectent  en  tout  et  partout 
une  gravite  morgante  j  il  semble  qu'ils  hono- 
rent  quand  ifs  regardent ,  et  qu'ils  font  grace 
quand  ils  parlent. 


DE    COUR.  25 f 

M  AXIME    CGXXIV. 

J^e  prendre  jamais  les  choses  a  contre-poil  > 
hien  qu'elles  j  vlennent. 

Tout  a  son  di^oit  ci  son  envers.  Lameilleurc 
chose  blesse ,  si  on  la  prend  a  contre-sens  •  au 
contraire  ,  la  plus  incommode  accommode  ,  si 
die  est  prise  parlemanche.  Bien  des  choses  one 
fait  de  la  peine  ,  qui  eussent  donne  du  plaisir  si 
Ton  en  eut  connu  le  bon.  II  y  a  a  tout  du  bon  ct 
dumauvais^  Thabiletc  est  a  savoir  trouver  le  pre- 
mier. Une  meme  chose  a  difFerentes  faces ,  selon 
qu'on  la  regarde  differemment  ^  et  de  la  vient 
que  les  uns  prennent  plaisir  a  tout ,  ct  les  autres 
a  rien.  Le  meilleur  expedient  contre  les  revers 
de  la  fortune,  et  pour  vivre  henreux  en  tout 
temps  et  en  tous  emplois ,  est  de  rcgarder  chaque 
chose  par  son  bel  cndroit. 


MAXIME    CCXXV. 

Connaitre  son  defaut  dominant. 

Gh ACUN  en  a  un  qui  fait  un  contre-poids  a 
sti  perfection  dominant e  ;  ct  si  Finclination  le 
$cconde ,  il  domine  en  tyran.  Que  Ton  com- 


288  l'  H  O  M  M  E 

meuce  done  a  lui  faire  la  guerre  en  la  lui  de- 
clarant; et  que  ce  soit  par  an  manifeste.  Car, 
s'il  est  connu,  il  sera  vaincu  ;  ct  particuliere- 
ment ,  si  celui  qui  I'a  ,  le  jugc  aussi  grand  qu^il 
parait  auxautres.  Pour  etre  maitre  de  soi  ,  il  est 
besoin  de  reflechir  sur  soi.  (i)  Si  une  fois 
cetteracine  des  imperfections  est  arrachee  ,  Ton 
Viendra  bien  a  bout  de  toutes  les  autres. 

(i)  tin  ancien  pKilosophe  disait  que  Pon  avait  grand© 
curiosite  de  savoir  comment  le  monde  e'tait  fait^  et  que 
Ton  ne  se  souciait  pas  de  savoir  comment  on  ^tait  fait 
soi-meme.  Gracian  dans  son  Dialogue  du  Buen  Enten- 
dedor^  parle  en  ces  termes  :  II  n'y  a  rien  de  plus  facile, 
que  de  connaitre  les  autres;  ni  rien  de  plus  difficile  re- 
po/id  un  docteur,  que  de  se  connaitre  soi-meme.  La 
premiere  d-marche  du  savoir,  continue  Gracian ,  est  de 
se  savoir  :  et  celui-la,  reprend  V autre  y  ne  peut  pas  etre 
homme  entendti,  qui  n'est  pas  entendeur.  L'aphorisme 
de  se  connaitrS  soi-mSme  est  bientot  dit,  mais  est  long- 
temps  a  faire.  tin  philosophe ,  dit  Gracian ,  a  ete'  mis  au 
nombre  des  sept  Sages  pour  avoir  donne'  ce  precepte  ; 
mais ,  re'plique  V autre,  personne  encore  n'y  a  e'te  mis  , 
pour  Tavoir  accompli.  Quelques-uns  en  savent  aussi  peu 
d'eux-memes,  qu'ils  en  savent  beaucoup  des  autres.  Le 
sot  sait  bien  mieux  ce  qui  se  fait  dans  la  maison  d'autrui 
que  dans  la  sienne.  Quelques-uns  raisonnent  a  fond  de 
ce  qui  ne  leur  importe  point  et  jamais  de  ce  dont  ils 
devraient  se  soucier  davantage.  C'est  un  grand  malheur, 
dit  la  comtesse  d'Aranda ,  que  de  s'ignorer  soi-meme  : 
Et  quelques  pagGS  apres,  elle  ajoute  que  le  pire  de  tous 


»E   COUR.  289 

MAXIME    CCXXVI.  ,' 

Attention  a  engager. 

La  plupart  des  hommes  ne  parlent ,  ni  n*a- ; 
gissent  point  selon  ce  qu'ils  sont,  mais  selorr| 
i'impression  des  autres.  U  n'y  a  personne  qui 
ne  soit  plus  que  suffisant  pour  persuader  le 
nial ,  d'autant  que  le  nial  est  cru  tres-facile- 
nient ,  quelquefois  meme  qu  il  est  incroyable. 
Tout  ce  que  nous  avons  de  mcilleur  depend 
de  la  fantaisie  d'autrui.  Quelques-uns  se  con- 
lentent  d' avoir  la  raison  de  leur  cote ,  mais 
cela  ne  sufiit  pas  ,  et ,  par  consequent ,  il  faut 
le  secoiirs  de  la  poursuite.  Quelquefois  le  soia 
d' engager  coute  tres-peu  et  vaut  beaucoup. 
Arec  des  paroles  on  achete  debons  efFets.  Dans 
cctte  grande  hotellerie  du  monde  ,  il  ny  a  * 
point  de  si  petit  ustensilc ,  dont  il  n'arrive  d'a- 
voir  besoin  une  fois  Tan  j  et  si  peu  qu'il  vaillc, 
il  sera  ires-incomriiode  de  s'en  passer.  Chacun 
parle  de  I'objet  selon  sa  passion. 


MAXIME    CCXXVII. 

N'etre  point  honime  de  premiere  impr^sion, 

QuELQUES-UNS  56  marieut  si  follement  ayec 
ja  premiere  mi'ormation .  que  toutes  les  autres 

les  mensonges  est  de  se  mentir  a  soi-meme.  Chapitre  a. 
de  la  premiere  ps^rtie  de  soa  Id^Q  des  Ngbles^ 


29^  T^  fl  O  IM  M  E 

ue  leur  sont.  plus  que  des  concubines.  Et  com  me 
lenieiisongc  va  toujours  le  premier,  la  verite 
ne  trouvc  plus  de  place.  L'entendcmcpt  et  la 
volonte  ne  sc    doivcnt  jamais  rcmplir  ni  de 


la  pjemiere  proposition  ,  ni  du  premier  objet: 


ce  qui  est  la  marque  d\m  pauvre  fonds.  Qucl- 


ques   gens    ressemblcnt  a   un   pot  neuf,  qui 
prend  pour  toujours   Todeur  de  la  premiere 
liqueur  ,  bonne  on  mauvaise,  qu'on  y  verse. 
Quand  cette  faiblesse  vient  a  etre  connue  ,  elle 
est  pernicieuse ,  parce  qu'elle  donnc  pied  aux 
artifices  de  la  malice.  Ceux  qui  oni  de  niau- 
ftvaises  intentions  se  Latent  de  donner  leur  itjin- 
jiure  a  la  creduiite.  Ilfaut  done  laisser  une  place 
|vide  pour  la  revision.  Qu  Alexandre  ^arde  son 
[autre  oreille  pour  la  partie  adverse  (i)j  qu'il 
laisse  une  porte  ouverte  a   la  seconde  et  a  la 
troisieme  information.  G'est  une  marque  d'in- 
capacite ,  de  s'en  tcnir  a  la  premiere ,  et  meme 
un  defaut  qui  approche  fort  de  Fentetement. 

M  AXIME    GCXXVni. 
N'avcmnile  bruit ^nile  renorti  d' avoir mechante 


langue. 


•  n"* 


Car  c'est  passer  pour  un  fleau  ^universel. 

(i)  C'est  une  reponse  qu'Alexandre  fit  uu  jour  qu'ii 
eiitendait  plaider  une  cause. 


jN'e  sols  point  ingenieux  aiix  depens  d'autiaii ; 
ce  qui  est  encore  plus  odieux  que  penlble.  Cha- 
cun  se  venge  du  medisant ,  en  disant  mai  dc 
lui ;  et  comme  il  est  seul ,  11  sera  bicn  plutot. 
vaincu  que  les'autres,  qui  sent  en  grand  noni- 
J3re ,  ne  seront  convaincus.  Le  mal  ne  doit 
j-amais  etrc  un  sujet  de  contentement ,  ni  de 
commenlaire.  Lc  medisant  est  ha'i  pour  tou- 
jours  5  et,  si  quelqueibis  de  grands  pcrson- 
nages  conversent  aveclm,c'est  plutot  pour  la' 
plaisir  d'entendre  ses  lardons  que  par  aucune 
estime  qu  lis  fassent  de  lui.  Celuiqui  dit  dumal, 
s'en  fait  toujours  dire  encore  dayantage  (i). 


m' 


I 


'         M  AXIME    CCXXIX. 
Sai'oir  partager  sa  vie  en  honime  d' esprit,  \: 

ISoN  pas  selon  que  se  prcsqntent  les  occa^ 
sions  ,  mais  par  prevojance  et  par  choix.  Unc 
vie  ,  qui  n'a  point  de  relache ,  est  penlble  , 
comme  une  longuc  route  oil  Ton  ne  trouve 
point  d'hotelleries  ;  une  variete  bien  entendue 
la  rend  beureuse.  La  premiere  poste  doit  se 
passer  a  parler  avec  les  morts.  Nous  nalssons 

(i)  Les  hommes  de  me'chante  langue,  dit  Juan  Riifo  , 
sont  des  cbiens  enrages,  et  ceux  qui  medisent  d'eux,  sont 
les  cliarmeurs.  Apophtegme  1^2.. 


^Q2  l'h  O  M  M  B 

J)Our  savoir,  et  pour  nous  savoir  nous-m ernes  , 
el  c'est  par  les  livres  que  nous  Fapprcnons 
au  vrai ,  et  que  nous  devenons  des  hommes 
fails.  La  seconde  station  se  doit  destiner  aux 
vivi  ns  y  c'est-a-dire ,  qu'il  faut  voir  ce  qu  il  y  a 
de  meillcur  dans  lemonde ,  et  en  tenir  registre. 
Tout  ne  se  trouve  pas  dans  un  meme  lieu.  Le 
pere  universel  a  partage  scs  dons,  et  quelque- 
fois  il  s'est  plu  a  en  faire  largesse  au  pays  le 
plus  miserable.  La  troisieme  pose  doit  ^tro 
toute  pour  nous.  Le  supreme  bonheur  est  d» 
philosopher. 

Cette  Maxime  est  tire'e  du  dernier  chapitre  de  son 
Discret;,  dont  il  est  bon  de  mettre  id  Vextrait  pour 
commentaire, 

Le  Sage,  dit-il,  mesure  sa  vie ,  comme  celui 
qui  a  peu  et  bcaucoup  a  vivre.  La  vie ,  sani 
poses ,  est  un  long  chemin  sans  hotelleries. 
La  nature  a  proportionne  la  vie  de  I'homma 
sur  la  course  du    soleilj  et  les    quatre  dges 
de  la  vie  sur  les   quatre  saisons  de  Fannee. 
Le  printemps  de  I'homme   commence  a  son 
enfancejles  fleurs  en  sont  tendres,  et  les  es- 
perances  fragiles.  II  est  suivi  de  Fete  chaleu- 
xeux  et  excessif  de  jeunesse  :  ete  dangcreux 
en  toutes  manieres ,  a  cause  du  sang  bouiF 
lant  et  des  saillies   Irequenies  des  passions. 
L'automne  de  lagc  viril  vient  ensuite ,  courou- 


DE   COUR.  395 

ne  des  fruits  murs  de  rentendement  et  de  la 
yolonte  :  et  puis  enfin  I'hiver  de  la  vieillesse ; 
pu  tombent  les  feuilles  de  la  vigueur  j  oiz  se 
glacent  les  ruisseaux  des  veines ,  oii  la  neige 
couvre  la  tete ,  oii  les  cheveux  et  les  dents  s'en 
vont ,  oil  la  vie  tremble  aux  approches  de  la 
mort.  Et  une  page  aprcs  :  Qa  ete  un  trait  d' es- 
prit celebr^  que  celui  de  ce  galant  person- 
nagq ,  qui  divisa  la  comedie  en  trois  journees 
et  le  voyage  de  sa  vie  en  trois  stations.  II 
employa  la  premiere  a  parler  avec  les  morts ; 
la  seconde  ,  a  converser  avec  les  vivans ;  et  la 
troisieme  ,  a  s'entretenir  lui  -  meme.  Dechil- 
frons  Tenigme.  Je  dis  quil  donna  le  premier 
terme  de  sa  vie  aux  livres.  11  les  lut,  et  ce  fut 
la  une  jouissance  plutot  quune  occupation; 
car  si  Ton  est  plus  homme  a  mesure  que  Ton 
sait  davantage ,  le  plus  noble  emploi  sera  d'ap- 
prendre.  U  devora  les  livres  qui  sont  la  nour- 
riture  de  Fame  et  les  delices  de  Fesprit :  Grand 
bonheur  de  rencontrer  les  meilleurs  sur  cha- 
que  matiere !  II  apprit  les  deux  langues  uni- 
verselles ,  la  latine  et  Fespagnole  ,  qui  sont  au- 
jourd'hui  les  clefs  du  monde ;  et  les  cinq  par- 
ticuliercs,  savoir  la  grecque,  Fitalienne ,  la  fran- 
^aise ,  Panglaise  et  Pallemandepourpouvoirfaire 
son  profit  de  tout  cequ'ily  adebon,qu'elles  eter- 
niseut.  Apres  cela,  il  se  donna  h  cette  grande 


:^g4  l'  H  O  M  M  E 

mere  de  la  vie ,  Tepouse  de  rentendement ,  et 
Ja  fille  de  I'experience,  I'hlsloire  plausible  y  je 
veux  dire  cclle  qui  delectc  et  iiistruit  davan- 
tage.  II  commenca  par  les  ancieniies  et  finit  par 
les   mode  rues  ,  Lien    que   d'autres   fasscnt  le 
Contraire^  choisissant  ies  auteurs,et  distlnguant 
l^s  temips ,  les  eres  ,  les  centuries  et  les  siecles ; 
recberdiaiit  les  causes  du  progres,  de  la  de- 
cadence ,  et  de  la  revolution  des monarchies 
ct  des  republiques  5  le  nombre,  I'ordre  et  les 
Equalities  de  leurs  princes ,  leurs  faits  en  paix  et 
en  guerre.  II  se  promena  par  les  delicieux  jar- 
dins  de  la  poesic  ,  non  pas  tant  pour  sy  exer- 
cer  que  pour  en  jouir.  II. ne  fut  pas  pourtant 
si  ignorant  qu'il  ne  sut  pas  fairc  un  vers,  ni 
isi  mal  avise   que  d'cn  faire  deux.  Entre  tous 
]cs  poetes  ,  il  dedia  son  coeur  au  sententieux 
Horace,  etsa  main  au  subtil  Martial  ;  ce  qui 
eiait  lui  donner  la  palme.  A  la  poesie ,  il  joignit 
les  savoureuses  humaaites.  Puis  il  passa  a  la 
pliilosophic,  et  commencant  par  la  naturelle, 
il   acquit  la  connaissance   de  la   composition 
de  Tunivers ,  de  I'etre  merveilleux  de  Fhomme , 
des  proprictes  des  animaux  et  des  plantes  ,  et 
cniin  des  qualites  des  pierres  precieuses.  Mais 
il.prit  plus  de  pjaisir  a  la  pbilosophie  morale, 
-qui  est  la  nourriture  dcs'vrais  honimes,  comme 
ciellc  qui  dpjane  lii  vie  a  la  prudence ;  et  il  I'etu- 


*■# 


DE    CQUR.  ^95 

dia  dans  les  livres  des  Sages  et  des  Philoso- 
phes  qui  nous  Tont  compilee  en  sentences  , 
en  apophtegmes,  en  eniblemes  et  en  apologues.. 
II  sut  Tune  et  Tautrc  cosmographie ,  la  mate- 
rielle  et  la  formelle ,  mesurant  les  terres  et  les 
mers  ;  distinguant  les  hauteurs  et  les  climats ,  les 
quatre  parties  du  monde,  et  en  elles  les  provinces 
et  les  nations,  pour  n'etre  pas  de  ces  ignorans ,  ni 
de  ces  demi-betes  qui  n^ont  jamais  su  surquoi 
ils  marchaient.  De  I'astrologie  ,  il  en  sut  ce 
que  la  sagesse  permel  d'en  savoir,  etc.  Enfin  , 
il  couronna  ses  etudes  par  une  longue  et  se- 
rieuse  application  a  lire  I'Ecriture-Sainte  qui 
est  la  plus  utile  ,  la  plus  universelle  et  la  plus 
agreable  de  toutes  les  lectures  pour  les  gens 

de  bon  gout De   sorte  que  la  philosophie 

morale  le  rendit  prudent ;  la  naturelle  ,  habile 5 
I'histoire  ,  avise;  la  poesie,  ingenieuxj  la  retho- 
rique,  eloquent^  les  humaniles,  poli ;  la  cos- 
mographie ,  intelligent ;  et  I'etudc  des  saintes 
lettres  ,  pieux  et  devot. 

II  eiTiploja  la  seconde  partie  de  sa  vie  a 
voyager,  cpii  est  le  second  bonheur  d'unhomme 
curieux  et  capable  de  bien  discerner.  II  cher- 
cha  et  trouva  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur  au 
monde ;  car  lorsqu'oilj^ne  voit  pas  les  choses  , 
Ton  n'en  jouit  pas  entierement.  Ily  a  bien  a  dire 
de  ce  qui  s'imagine  a  ce  qui  se  voit.  Celui- 


^96  l'homme 

ia  prend  plus  de  plaisir  aux  objets  ,  qui  ne  les 
voit  qu  une  fois  ^  que  celui  qui  les  voit  souventr 
La  premiere  fois,  on  se  conlentcj  toutes  les  au- 
tres  5  on  s^ennuie.  Le  premier  jour  une  belle 
tliose  fait  le  plaisir  de  celui  qui  en  est  le  maitre; 
mais ,  apres  cela ,  elle  ne  fait  pJus  que  celui 
des  etrangers.  II  vit  les  cours  des  plus  grands 
princes  ,  ct  par  consequent  les  prodiges  de  la 
nature  ct  de  Tart  en  peinture ,  en  sculpture ,  en 
tapisseries ,  en  joy  aux  ,  etc.  U  conversa  avec 
les  plus  excellcns  hommcs  du  monde ,  soit  en 
science  ou  en  toute  autre  chose  ;  par  oil  il 
eut  moyen  de  remarqiier ,  de  censurer ,  de 
confrontcr  et  de  mettre  le  juste  prix  a  tout. 

II  passa  la  troisieme  partie  d'une  si  belle  vie 
a  mediter  le  beaucoup  qu  il  avait  lu  j  et  Tencore 
PLUS  quil  avait  vu.  Tout  ce  qui  entre  par  la 
porte  des  sens,  dans  ce  havre  de  Fame,  ya 
dccharger  a  la,  douane  de  I'entendement  oil 
tout  s'enregistre..C'est  lui  qui  pese,  qui  jugc, 
qui  raisonne ,  ct  qui  tire  les  quintessences  des 
verites Uage  mur  est  destine  pour  la  con- 
templation j  car  plus  le  corps  perd  de  force ,  et 
plus  Tame  en  acquiert.  La  balance  de  la  partie 
superieure  hausse  d'autant  que  baisse  celJe  de 
Japartie  inlerieure^  alorJbn  jugebien  autremant 
des  choses.  La  maturite  de  lage  assaisonnc  le 
raisonnemeut  et  tempere  les  passions...  A  voir^, 


»  »   c o tru.  397 

on  devient  intelligent ;  a  contempler ,  on  de- 

vient  sage C'est  la  couronne  de  I'liomme 

prudent  de  savoir  philosopher,  en  tirant  de 
toutes  choses  ,  a  Texcmple  de  la  laborieuse 
abeille  ,  ou  le  miel  d'un  agreable  profit ,  oula 
cire  qui  doit  servir  de  flambeau  dans  les  te- 
nebres  de  Ferrcur.  La  philosophie  n  est  autre 
chose  qu'une  meditation  de  la  mort ,  il  est  be- 
soin  dy  penser  plusieurs  fois  auparavant,  pour 
y  bien  reussir  la  derniere  (i).v  ^ 
■-#^     

MAXIME    CCXXX. 

Ouvrir  les  yeuoc  quand  il  est  temps. 

Tous  ceux  qui  voient  n'onl  pas  les  yeux  ou- 
Terts ,  ni  tous  ceux  qui  regardent  ne  voient  pas. 
De  reflechir  trop  tard ,  ce  n  est  pas  un  remede , 
mais  un  sujet  dc  chagrin.  Quelques-uns  com- 
mencent  a  voir,  quand  il  ny  a  plus  rien  a  yoir, 
lis  ont  defail  leurs  maisons  et  dissipe  leurs 
biens  ,  avani  que  de  se  faire  cux-memes.  II  est 
difficile  dc  donner  de  Fentendement  a  qui  n'a 
pas  la  volonle  d*en  avoir  \  et  encore  plus  de 
donner  la  volonte  a  qui  n*a  point  d'cntende- 
ment.  Ceux  qui  les  environnent  jouent  avec 

(i)  L'auteur  dit,  pour  s'assurer  dc  faire  bicn  une  foia 
apres. 


2gS  l'h  O  M  ME 

eux ,  comme  avec  des  aveuglcs  ,  et  loute  la 
compagnie  s'en  divertit :  et  d'autant  qu'ils  sont 
sourds  pour  ouir,  ils  ii'ouvrent  jamais  les  yeux 
pour  voir.  Cependant ,  il  se  trouve  des  gens 
qui  fomentent  cclleinsensibilite,  parce  que  leur 
bien-etre  consiste  a  faire  que  les  autres  ne^ 
soient  rien.  Malheureux  le  cheval  dontle  maitre 
n'a  point  d  jeux  !  il  sera  difficile  qu'il  en- 
graisse  (i). 


m  ' 

MAXIME    CGXXXI. 

Ne  laisser  jamais  voir  les  choses  qu'elles  ne 
*  soient  achevees. 

Tous  les  commencemens  sont  defectueux , 
ct  Fimagination  en  reste  toujours  prcvenue.  Le 

(i)  Henri  Etienne  fait  <Ie  ce  proverbe  une  lecon  aux 
jmprimeurs  qui  ne  daignent  pas  6ntrer  dans  leurs  impri- 
meries  et  qui  ne  voient  l.es  e'preuves  que  par  les  yeux 
de  leurs  correcteurs. 

Res-ne  tjpographica  est  Cmihi  cor  excestuat  if  a  J 

J^ilis  ita ,    ut  cuivis  posthaheatur  equo  ? 
Numque  oculum  domini,  Ccunctis  res  proditd  seclis  ) 

Pinguis  ut  evadat,  poscere  fertur  equus 

Lumina  sunt  nobis  aliena  vicaria ^  dicunt? 
Seque  sat  armatos  h(ic  ratione  putant. 
V        •    ^      j'-'      In  Querimonia  Tvpographiae. 


D  E    C  O  U  R.  299     ^ 

souvenir  d' avoir  vu  un  ouvragc  encore  impar- 
fait  ne  laissc  pas  la  liberie  de  le  trouver  beau, 
quand  il  est  fait,  Jouir  tout-la- fois  d'un  grand 
objet ,  c'est  un  obstacle  a  bien  juger  de  cha- 
quc  partie  (i)j  mais  aussi,  c'est  un  plaisir  qui 
ly^      rcmplit  toute  I'idee.  Ce  n'est  rien  avant  que 
d'etre  tout  ;  et  quand  une  chose  commence 
d'etre,  elle  est  encore  bien  avant  dans  le  rien. 
Voir  appreter  le  manger  le  plus  exquis  ,  cela?j 
provoque  plus   le  degoul  que  Fappctit.    Quel 
tout  habile  maitre  se  garde  done  bien  de  lais-j! 
ser  voir   ses   ouvrages  en  cmbrion;  qu'il  ap- 
^  prcnne  de  la  nature  a  ne  les  point  exposer, 
qu'ils  ne  soient  en  ^lat  de  pouvoir  paraitre.      ' 

MAX!  ME    CCXXXIL  » 

*  >    Sa^oir  un  pen  le  commerce  de  Id  vie. 


V 


Que  tout  ne  soit  pas  theorie ,  qu'il  j  ait  aussi 
de  la  pratiqu€.  Les  plus  sages  sont  faciles  a 
tromper ,  car  bien   qu'ils  sachent  rcxtraordi- 

(i)  Les  dames,  dit  Ant,  Perez,  u'aiment  pas  quVi^" 
les  voie  a  leur toilette;  car,  c'est  la  que  se  de'couvre  tout 
ce  qu'elles  oat  soin  de  cacher  ;  elle  ue  veulent  se  montrer 
qu'avec  tous  leurs  ajustemens ,  parce  que  tout  robjet 
paraissant  a  la  fois,  la  censure  ne  sait  a  quelle  paiiic  s'ar- 
rcier.  Dans  ses  secondes  letires.  *•  *h.. -r 


n 


naire  ,  ils  ignorent  le  style  ordinaire  de  vlvre , 
qui  est  le  plus  necessaire  (i).  La  contempla- 
tion des  choses  hautes  ne  les  laisse  pas  penser 
a  celles  qui  sont  communes  ^  et  comme  ils  igno- 
rent ce  qu  ils  devaient  savoir  le  premier ,  c'est- 
a-dirc ,  ce  que  chacun  sait ,  ils  sont  regardes 
avec  etonncment,  ou  tenus  pour  des  ignorans 
par  le  vulgaire  qui  ne  s'arrete  qu  au  superfi- 
ciel.  Que  le  Sage  ait  done  soin  d'apprendre 
du  commerce  de  la  vie  ce  qu  il  lui  en  faut , 
pour  n'etre  ni  la  dupe ,  ni  la  risee  des  autres. 
Qu'il  soit  homme  de  maniment ,  car  bicn  que 
ce  ne  soit  pas  la  le  plus  haut  point  de  la  vie  ,^ 

Ic'en  est  le  plus  utile.  A  quoi  sert  le  savoir  ,  s'ii 
ne  se  met  pas  en  pratique?  Savoir  vivre  est  au- 
jourd'hui  le  vrai  savoir. 


MAXIME    CCXXXIIL 

?         Savoir  trouver  le  goiit  d'autruL 

Car  autrement  c'est  faire  un  deplaisir ,  au 
lieu  d'un  plaisir.  Quelques-uns  chagrinent  par 

(i)  Cest  pour  cela  que  le  philosophe  Zenon  disait  que 
les  plus  savans  ^taient  les  plus  ignorans  dans  les  choses 
vulgaires  et  que  les  plus  sages  n^etaieut  pas  sages  ea 
tout. 


iJE    COCA.  5ot 

oh.  ib  pensent  obliger,  faute  de  bicn  connaitre 
les  esprils.  U  y  a  des  actions  qui  sont  une  flat- 
terie  pour  les  uns,  et  une  offense  pour  les 
autres ;  et  souvent  ce  que  Ton  croyait  etre  un 
service  a  ^te  un  desservice.  Quclquefois  il  a 
plus  coute  a  faire  un  deplaisir  qu'a  faire  un  plai- 
sir.  On  perd  et  Ic  don  et  le  gre  qu'on  en  espe- 
perait ,  a  cause  que  Ton  a  perdu  le  don  da 
plaire.  Comment  satisfaire  le  gout  d'autrui ,  si 
Ton  ne  le  sait  pas?  De  la  vient  que,  quelques- 
uns  ont  fait  une  censure,  en  pcnsanl  faire  un 
eloge;  punition  qu'ils  merilaient  bien.  D'autres 
croient  diver tir  par  leur  eloquence,  et  ils  ag- 
somment  Tesprit  par  leur  flux  de  bouche. 


MAXIME    CCXXXIV. 

N* engager  jamais  sa  reputation ,  sans  avoir 
des  gages  de  Vhonneur  d*autruL 

LoRSQu'oN  apart  au  profit,  il  ne  faut  dire 
mot  J  mais  quand  il  s'agit  de  perdre ,  il  ne  faut 
rien  dissimuler  (i).  En  fait  d'interets  dlionneur, 
il  faut  toujours  avoir  un  compagnon ,  afin  qua 
la  reputation  d'autrui  soit  obligee  de  prendre 

(i)  Ou,  mais  quand  on  perd^  il  faut  faire  valoirsn 
complaisance. 


5o2  l'h  o  m  m  e 

soin  de  la  voire.  11  ne  faut  jamais  se  iler ;  et 
si  on  le  fait  quelquefois,  que  ce  soil  avcc  tant 
de  precaution  que  celui  a  qui  i'on  se  fie  n'en 
puisse  prendre  avantage.  Que  le  risque  soit 
commun  et  la  cause  reciproquc,  afin  que  celui 
qui  est  complice  ne  puisse  pas  s'eriger  en  te- 
nioin.  . 


MA  XI  ME     CCXXXy. 

Savoir  dcmander, 

II  n  j  a  rien  de  plus  difficile  pour  quelques- 
uns  ,  ni  de  plus  facile  pour  quelques-autres.  11 
y  en  a  qui  ne  sauraient  refuser,  et ,  par  con- 
sequent, il  ne  faut  point  de  crochet  pour  tirer 
d'eux  ce  qu'on  veut.  II  y  en  a  d'autreS  dont  le 
premier  mot  a  toute  heure  est,  non;  il  est  Le- 
soin  d'adresse  avcc  eax.  Mais ,  a  quelques  gens 
qu'on  ait  a  demander ,  il  faut  bien  prendre  son 
temps  jComme  par  excmple,  au  soriir  d'un  bon 
repas ,  ou  de  quclque  autre  recreation  qui  a 
mis  en  belle  Uumeur,  en  cas  que  la  prudence 
de  celui  qui  est  prie ,  ne  previcnne  pas  Tarti- 
fice  de  celijii  qui  prie.  Les  jours  de  rejouissance 
sont  les  jours  de  faveur,  parce  que  la  joie  du 
dedans  rejaillit  au  dehoi-s.  II  ne  faut  pas  se 
presenter,  lorsqu'on  en,  volt  refuser  un  autre, 


DE    COUR.  5o5 

d'autaat  que  la  crainte  de  dire  non,  est  sur-M 
'montccT  Quand  la  tristesse  est  au  logis ,  il  nyl 
a  rien  a  faire.  Obliger  par  avance ,  c  est  tiiie 
lettre  de  change ,  lorsque  le  correspondaiit  n'cst 
pas  un  mal-honnete  homme. 


MAXIME    CCXXXVI. 

Faire  une  grace  de  ce  qui  n'eiit  ete  apres 
gu'une  recompense. 

C'est  une  adrcsse  des  plus  grands  poiiti- 
ques.  Les  faveurs ,  qui  precedent  Ics  nierites, 
sont  fa  pierre  de  louche  des  hommes  bieu 
nes.  Une  grace  anticipee  a  deux  perfections  : 
I'une ,  la  promptitude,  par  oii  celui  qui  re- 
^oit  reste  plus  oblige  (i)  3  Tautre  ,  qu  un  meme 
dori  qui ,  plus  tard ,  serait  une  dette ,  par  i'an^  *^* 
ticipation  est  une  pure  grace  :  Moyen  subtil 
de  transformer  les  obligations  ,  puisqu^  celui 
qui  eut  merite  d'etre  recompense  est  oblige 
d'user  de  reconnaissance.  Je  suppose  que  ce 
sont  des  gens  d'honneur;  ear,  pour  les  autres, 
ce  serait  Icur  mettre  une  bride  plutot  qu'un 
eperon  que  de  leur  avancer  la  paie  de  I'tiQnr 
neur. 

(i)  Bis  dot}  quicUb  dat,  dit  Sesicjue; 


5o4  l'homme 

I         MAXIME    GCXXXVIIL 

**      N'etre  jamais  en  part  des  secrets  de  ses 
superieurs* 

Tu  croiras  partager  des  poircs  ei  tu  par- 
tageras  des  pierres.  Plusieurs  ont  peri  d'a- 
voir  ete  confidens  (i).  U  en  est  des  confi- 
dens  comme  de  la  croute  du  pain  dont  on 
se  sert  en  guise  de  cuiller,  laquelle  risqae 
d'etre  avalee  avec  la  soupe.  La  confidence  du 
prince  n'est  point  une  faveur ,  niais  un  im- 
pot  (2).  Plusieurs  cassent  leur  miroir,  a  cause 
qu'il  leur  montre  leur  laideur.  Le  prince  ne 
saurait  voir  celui  qui  Fa  pu  voir  ,  ct  jamais  un 
temoin  du  mal  n'est  vu  de  bon  oeil  (3).  11  ne 

•(i)  Un secretest  un  danger,  dit  nn  proverbe  espagnol, 
un  secreto  es  un  peligro.  Un  jcmr,  dit  Juan  Rufo,  Apo-- 
phte§me  6o5.  ,  que  Ton  recherchait  rorigine  d'un 
conte  que  fait  le  menu  peuple  que  les  lutins  indiquent 
les  lieu?:  o^  il  y  a  des  tr^sors ,  et  que  les  gens  qui  savent 
se  taire  sont  assures  de  les  trouver  ,  au  lieu  que  les 
autres  ne  trouvent  que  du  charbon  :  il  fut  dit  qu'il  en 
^tait  ainsi  de  la  faveur  des  rois,  et  que  celui-la  s'y  main- 
tiendrait,  qui  se  vanterait  le  inoins  d'y  etre.  Ajoutant 
que  tout  secret  confie  est  un  riche  tresor  pour  celui  qui 
le  sait  taire  comme  il  doit;  au  lieu  que  si  on  le  de'couvre, 
on  le  convertit  en  charbon  et  quelquefois  en  charbon 
ardent. 

(2)  Sur  la  vie  de  celui  a  qui  il  la  fait. 

^5)  Parce  que  les  temoins  ou  U$  complices  d*unc 


D  E    C  O  0  H. 


5o5 


L  fant  jamais  etre  trop  oblige  a  persotinc,  encore 
i"  moiris  aux  grands.  Services  rendiis  sont  plus 
surs  aupres  d'cux  que  graces  recucs  (i)^  mais 
surtout  les  confidences  d'amitie  sont  dange- 
I  reuses.  Celui  qui  a  confie  son  secret  a  un  autre , 
s'cst  fait  son  esclave  j  et  dans  les  souverains  , 
c'est  une  violence  qui  ne  pent  pas  etre  de  du- 
ree;  car  ils  aspirent  avec  impatience  a  racbeter 
la  liberie  perdue,  et  pour  y  rcussir,  ils  bou- 


-.  me'chante  action,  ditTacite,  sont  regardes  comme  des 
gens  qui  en  font  des  reproches  aiitant  de  fois  qu'ils  se 
montrent.  Quia  inalorum  facinorum  ministri  quasi 
exprobratites  aspiciuntur,  Ann.  14. 

(i)  Louis  XI,  roi  de  France,  e'tait  du  sentiment  cdn- 
traire,  disant  qu'il  est  plus  sur  pour  un  homme  de 
Cour  de  recevoir  quelque  grande  re'compense  de  son 
jxrince  pour  un  service,  que  de  lui  en  rendre  de  si  grands 
qu'il  s'en  doive  tenir  oblige  ,  d'autant  que  le  prince 
aime  naturellement  ceux  qui  le  lui  sont  plus  que  ceux  a 
qui  il  Test.  Commines  liv.  5.  chap.  12.  ou  il  ajoute  que 
Louis  lui  en  alleguait  VAuteur  de  qui  il  le  tenait.  Et  k 
mon  avis  ,  c'etait  de  Tacite  qui  dit  que  la  reconnais- 
sance est  a  charge,  quia  gratia  oneti.  Hist.  4*  et  que  les 
iservices  sont  agre'ables  au  prince,  tartt  qu'il  lui  est  aise 
de  les  bien  payer 5  mais  que  si  une  fois  ils  viennent  a 
etre  plus  grands  que  ne  saurait  etre  la  recompense,  le 
pritice  passe  de  la  reconnaissanoe  a  la  haine.  Beneficia 
eb  usque  loeta  sunt  ^  dum  videntur  exsolvi  posse ;  uhi 
\        multiim  antevenere ,  pro  gratia  odium  redditur.  Ann.  4- 

20 


3o6  l'homme 

leverseront  tout,  et  meme  la  raisoii.  Maxims 
pour  les  secrets  ,  ni  les  oum  ,  ni  jles  dire  (i). 


MAXIME    CCXXXVIII. 

ConnaUre  la  piece  qui  nous  manque. 

Plusieurs  seraienlde  grands  personnages,  s'il 
lie  Icur  nianquait  pas  un  quelque  chose  ,  sans 
quoi  ils  n'arrivent  jamais  au  comble  de  la  pcr- 

(i)  Car,  au  dire  d'un  ancien  roi  de  Syracuse,  (Hie'ron) 
les  princes  ne  haissefit  pas  seulement  ceux  qui  disent 
leur  secret,  mais  encore  ceux  qui  le  savent.  Ainsi  celui-la 
avaitbien  raison,  qui,  presse  par  un  prince  de  direde 
quoi  il  avait  besoin ,  re'pondit ;  de  tout ,  excepte  votre 
secret.  La  confidence  que  le  prince  fait  a  son  sujet,  dit 
Bocalin ,  est  un  lacet  qui  lui  tient  a  la  gorge  pour  la 
lui  serrer,  quand  il  commencera  de  craindre  que  les 
secrets  qui  ont  passe'  des  oreilles  au  coeur ,  ne  passent 
du  coeur  a  la  langue,  comme  il  arrive  souvent ,  dit  un 
grand  seigneur,  que  le  prince  se  repent  d' avoir  conjie' 
son  secret  et  craint  de  V avoir  mal  place' ;  il  n'epargne 
Hen  pour  se  gue'rir  de  sa  crainte  et  mettre  son 
secret  en  surete.  fMemoire  de  BouillonJ  Cest  par  la 
jrieme  raison  qu  ont  peri  tant  de  galans ,  de  la  main  de 
ceiies  qui  n'avaient  plus  rJen  a  leurdonner*  les  dame* 
a  qui  il  reste  un  pen  de  cceur  ne  pouvaut  soufFrir  qu'il 
V  ait  des  te'moins  de  ce  qii'elles  voudraient  pouvoir 
ignorer  elles-mcmes. 


DEC  OUR.  507 

feclion.  1_1  se  remarque  cii  quclqucs-uns  qu'ils 
pourraient  valoir  bcaucoup  ,  s'ils  voulaient  sup- 
pleer  a  blen  peu  (i).  Aux  uns,  manque  le  se- 
rieux  ,  faute  de  quoi  de  grandcs  quaiites  n'ont 
point  d'eclat  en  eux  j  aux  autres  y  la  douceur 
des  manieres ,  delaut  que  ceux  qui  les  hantent 
decouvrent  blentot,  et  surtout  dans  les  per- 
sonnes  constituees  en  dignite.  En  quelques-uns 
on  voudrait  plus  d'aclivite ,  en  quelques-autres, 
plus  de  retenue.  II  serait  aise   de  supplecr  a 
tous  CCS  defauts  ,  si  Ton  y  prenait  garde ,  car 
la  reflexion  peut  fairc  de  la  coutume  une  se- 
conde  nature. 


MA  XI  ME    CCXXXIX. 

N'^t re  pas  trap  fin, 

1l  vaiix  mieux  ^tre  reserve.  Savoir  plus  qu  il 
ne  faut,  c'est  cniousser  la  poinle  de  son  esprit, 
d'autant  que  d'ordinaire  les  subtilites  sont  fa- 
ciles  a  rompre.  La  verite  bien  autorisee  est 
plus  sure.  11  est  bon  d' avoir  de  Tentendement, 
ihais  non  pas  du  flux  de  bouche.  Le  trop  de 

(i)  Tin  philosophe  disait  que  pea  de  chose  donnait 
ia  perfection ,  quoic[ue  la  perfection  ne  fut  p^s  peu  de 
chose. 

30* 


5o8  L*  11  O  M  M  E 

raisonnement  approche  de  la  contestation.  Ufl 
jugement  solidc,  qui  ne  raisonne  qu'autant  qu'il 
faut,  est  bien  meilleur. 


MA  XI  ME    CCXL. 

S avoir  f aire  I' ignorant, 

QuELQtJEF^ois  le  plus  habile  homme  joue  ce 
personnage ,  il  j  a  des  occasions  oil  le  meil- 
leur savoir  consistc  a  feindre  de  ne  pas  savoir. 
II  ne  faut  pas  ignorer  ,  mals  bien  en  faire  sem- 
blant.  U  importe  peu  d'etre  habile  avec  Ics 
sots,  et  prudent  avec  les  fous.  II  faut  parler 
a  chacun  selon  son  caractere  (i).  L'ignorant 
nest  pas  celui  qui  le  fait,  mais  celui  qui  s'y 
laisse  altrapper  j  c'est  celui  qui  Test ,  et  non 
pas  celui  qui  le  contrefait.  L'unique  moyen 
de  se  faire  aimer  est  de  revetir  la  peau  du 
plus  simple  des  animaux. 


MAXIME     CCXLI. 

Souffrir  la  raillerie y  mais  ne  point  railler, 

.L'uN,  est  une  espece  de  galanlerie^  Tautre  ^ 

-    '  ,#-.;  . 

(i)  Responde  stulto ,  dit  le  Sage  de  Te'criture,  juxta 
stultitiam  suam»  Proverb.  26. 


^  BE    COUR.  309 

une  sorte  d' engagement  (i).  Celui  qui  se  de- 
nionte,  dans  une  rejouissance ,  tient  beaucoup 
de  la  bete ,  et  en  montre  encore  davantage. 
La  raillerie  excessive  est  divertissante  j  qui  la 
sail  soufFrir ,  se  fait  passer  pour  homme  dc 
grands  fonds  (2)  ,  au  lieu  que  celui  qui  s'en 
pique  provoque  les  autres  a  piquer  encore; 
le  meilleur  est  de  la  laisser  passer  sans  la  re- 
lever.  Les  plus  grandcs  veriles  sont  toujours 
venues  des  railleries ;  rien  ne  demande  plus 
de  circonspection ,  ni  d'adresse.  Avant  que  de 
commencer,  il  faut  savoir  jusqu'oii  peut  aller 
la  force  d' esprit  de  celui  avec  qui  Ton  veut 
plaisanter. 

(i)  Car,  quand  on  se  mele  de  railler  il  faut  s'atlendre 
a  etre  raille'  a  son  tour,  disait  un  certain  roi  de  Mace- 
doine.  :  !   ;  - 

La  raillerie,  dit-il  dans  soh  Discret ,  chap.  No  estar 
siempre  de  burlas  est  encore  plus  blamable  dans  les 
grands^  car,  quand  ils  ne  gardent  point  de  mesures 
envers  les  autres,  cela  donne  sujet  de  leur  perdre  reci-»^ 
proquement  le  respect. 

(2)  Socrate  disait  qu'il  n'avait  point  de  peine  a  souffrir 
la  raillerie. 


Zio  l'homme 

MA  XI  ME    CCXLIL 

Poursuwre  sa  pointe,  ^ 

QuELQUES-UNS  nc  soiit  bons  que  pour  com- 
mencer  ,  et  n'achevent  jamais  rien.  lis  inven- 
teni ,  niais  ils  ne  continuent  pas  ,  tant  ils  ont 
I'esprit  inconstant.  lis  n'acquierent  jamais  de 
reputation ,  parce  qu'ils  nc  vont  jamais  jus- 
qu'au  boiit  3  avec  eux  tout  aboutit  a  demeurer 
court.  En  d'autres  ,  cela  vient^  dc  leur  impa-  \ 
tience,  et  c'cst  le  defaut  des  Espagnols  ,  comma  ^ 
la  patience  est  la  vertu  des  Flarnands.  Ceux- 
ci  voient  la  fin  des  affaires ,  et  les  affaires  voient 
la  fin  de  ceux-la.  Ils  silent  jusqu'a  ce  qu  ils  vain- 
quent  la  difficulte ,  et  puis  ils  se  contentent  de 
I'avoir  vaincue  ^  ils  ne  savcnt  pas  profit erde 
ieur  victoire,  ils  montrent  qu'ils  le  peuvent , 
mais  qu  ils  ne  le  veulent  pas  :  mais  enfin ,  c'cst 
toujours  un  defaut  ou  d'impossibilite ,  ou  dc 
legerete.  Si  le  dessein  est  bon  >  pourquoi  ne 
le  pas  achevcr?  et  s'il  est  mauvais,  pourquoi 
le  commencer?  Que  Thomme  d'csprit  tue  done 
;'.on  gibier,  et  que  sa  peine  nc  s'arrete  pas  a 
le  faire  lever. 


»  E    C  O  U  R.  5H 

MAXIME    CCXLIII. 

N'^tre  pas  colombe  en  tout. 

Que  la  finesse  du  serpent  ait  ralicrnativc 
de  la  candeur  de  la  colombe.  II  n^y  a  ri£n  de 
plus  facile  que  de  tromper  un  homme  de  bien. 
Celui  qui  ne  nient  jamais  croit  aisement  j  et 
celui  qui  ne  trompe  jamais  se  confie  beaucoup. 
D'etre  trompe,  ce  n'estpas  toujours  une  mar- 
que de  betise  ,  car  c'est  quelquefois  la  bonte  qui 
en  est  caused  Deux  sortes  de  gens  savent  bicn 
prevenir  le  mal:  Icsuns,  parce  quils  ont  ap-' 
pris  ce  que  c'est  a  leurs  depens,  et  les  autres, 
parce  qu'ils  I'ont  appris  aux  depens  d'autrui. 
L'adresse  doit  done  etre  ayssi  soigneuse  de  se 
precautionner  que  la  finesse  Test  de  tromper. 
Prenez-garde  de  n'etre  pas  si  homme  de  bien 
que  d'autres  en  prennent  occasion  d'etre  mal- 
honneles  gens.  Sojez  mele  de  colombe  et  de 
serpent  (i)  j  ne  soyez  pas  monstre,  mais  pro- 

(i)   C'est  le  conseil  de  I'eVangile  :  Estate  prudentes 
\       sicut  serpentes ,  et  simplices  sicut  columbce.  Mat.  lo. 


Bj2  l'h  O  M  M  E 

MAXIME    CCXLiy. 

iSm^oir  ohliger. 

QuELQUts  -  UNS  metamorphoseni  si  bien  les 
graces  qu'il  semble  qu'ils  les  font,  lors  meme 
qu'ils  les   recoiventT   II  j    a   ties  liorames  si 
adroits  qu'ils  honorent  en  demandant,  parce 
qu'ils   transforment  leur  intcret  en  I'lionneur 
d'autrui.  lis  ajustent  les  choses  de  telle  sorle 
que  vous  diricz  que  les  autres  s'acquittent  dc 
ieur  devoir,  quand  ils  leur  donnent ,  lant  ils 
savent  bien  tourner  sens  dessus  dessous  I'or- 
dre   des  obligations  par  une  politique  singu- 
Jiere ;  du  nioins  ils  font  douter  lequcl  c'est  qui 
oblige.  Us  achetent  totit  le  nieilleur  a  force  de 
louer^  el  quand  ils  temoignent  dc  desircr  une 
chose ,  Ton  se  tient  honore  de  la  leur  donner^ 
car  ils  engagent  la  courtoisie ,  en  faisant  une 
dette  de  ce  qui  devait  etre  la   cause  de  leur 
reconnaissance.  C'est  ainsi  qu'ils  changent  I'o- 
bligalion  de  passive  c.n   active ;   en  cela  riieil- 
leurs  politiques  que  grammairiens.  Verilable- 
ment ,  c'esl  la  ujae  grande  adresse,  mais  e'en 
serait  encore  une  plus  grande  de  la  penetrer 
ct  de  defaire  un  si  fou  marclie ,  en  Iciir  ren- 
dant  leurs  civililes ,  et  en  reprenant  chacun  le 
sicn  (i). 

(i)  II  en  faut  user  avec  ces  sortes  de  filous  comme  fit 


DE    COUR.  5l5 

MAXIME    CCLXV. 

Haisonner  quelquefois  a  rehours  du  vulgaire. 

Cela  montre  un  esprit  eleve.  Un  grand  genie 
ne  doit  point  estimer  ceux  qui  ne  lui  contredi- 
sent  jamais  ,  car  ce  n'est  point  une  marque  de 
leur  affection  pour  lui ,  mais  de  leur  amour  pro- 
pre.  Qu'il  se  garde  Lien  d'etre  la  dupe  de  la 
ilatterie  en  la  pajant ,  si  ce  n'est  du  mepris 
quelle  merite  (i).  Qu'il  tienne  meme  a  hon- 
neiir  d'etre  censure  de  quelques  gens,  et  parti- 
culierement  de  ceux  qui  medisent  de  tons  les 
gens  de  bien.  Qu'il  ait  du  chagrin  que  scs  ac- 
tions soient  au  gout  de  toutes  sortes  de  gens  , 
attendu  que  c'est  signe  qu'ellcs  ne  sont  pas  telles 
qu'il  faut^  ce  qui  est  parfait  etant  remarque  de 
tres-peu  de  personnes. 

Denis  le  Tjran  avec  ce  musicien  ,  qui  se  plaignait  a  lui 
<ie  n'avoir  point  recu  de  re'comjDense.  Ne  sommes-nous 
pas  quittes ,  re'pondit-il ,  tu  mas  donne'  du  plaisir 
en  chantant ,  et  je  i'en  ai  donne'  en  te  repaissant 
d'esperance.  Ces  prodiges  de  louanges  prennent  les 
grands  pour  des  moulins,  qui  ne  donnent  de  la  farine 
qu'autant  qu'on  leur  donne  de  vent. 
.  (i)  Comme  les  dents  se  gatent  a  force  de  manger 
des  confitures,  de  meme  les  oreilles  des  grands  s'em- 
poisonnent  a  force  d'entendre  des  douceurs  et  des  flat- 
teries.  Juan  Rufo,  Apophtegme  5i4' 


m 


5i4  l'homme 

MAXIME    CCXLVI. 

Ne  donner  jamais  de  satisfaction  a  ceuoc  qu 
n'endemandent  point. 


De  la  donner  trop  grandc  a  ceux  meme  qui 
la  demandent ,  c^est  une  action  de  coupable. 
S'exciiser  avant  le  temps  ,  c'est  s'accuser.  Se  sai- 
gner  lorsqu'on  est  en  santc ,  ccst  faire  signc 
au  nial  et  a  la  malice  de  venir.  Une  excuse  an- 
ticipee  reveille  unmecontentement  qui  dormall. 
L'homme  prudent  ne  doit  pas  faire  semblant 
de  s'apercevoir  du  soupcon  d'autrui ,  parcc  que 
c'est  aller  chercher  son  ressenliment  ,  il  faut 
seulement  tacher  de  guerir  ce  soupcon  par  un 
procede  honneie  et  sincere. 


MAXIME    CCXLVI  I. 

Sai>oir  un  peu  'pliis  ,  et  vii^re  un  pea  moins. 

D'autres,  au  conlraire,disent  quun  loisir 
honnete  vaut  mieux  que beaucoup  d'affaires  (i). 

(i)  Un  pKilosoplie  a  dit ,  que  le  loisir  etait  le  plus 
pre'cieux  bien  de  la  vie ,  non  pas  parce  que  Ton  ne  fait 
rien  ,  mais  parce  que  Ton  a  moyen  de  faire  ce  que  Ton 
veut  5  temoiu  Scipion  rAfricain  >  qui  disait ,  qu'il  n'a- 


D  E    C  O  U  R.  5l5 

Nous  n'avons  ricn  a  nous  que  le  temps  ,  dont 
jouisseiitceuxinemequi  n'oiit  point de  dcmeuie. 
C'est  un  nialheur  egal  d'emplojcr  le  precieux 
temps  de  la  vie  en  des  exercices  mecaniques  , 
ou  dans  Tembarias  des  grandes  affaires  (i).  11 
xie  sefout  charger  ni  d'occupation ,  ni  d'envie; 
c'est  vivre  en  foule  ,  et  s'etoutfcr.  Quelques-uns 
elendcntmeme  ce  precepte  jusqu'a  la  science. 
Ce  n'est  pas  vivre  que  de  ne  pas  savoir. 
Vojez  la  Maxime  4. 

vait  jamais  plus  d'affaires  que  lorsqu'il  n'avait  rien  a 
faire  ,  (parce  qu'il  donnait  alors  tout  son  loisir  a  cul- 
tiver  son  esprit.  ) 

(i)  Dans  la  Critique  12.  jde  la  seconde  partie  de  son 
Criticon  ,  apres  avoir  dit ,  qu'un  des  plus  grands  rois 
de  I'Europe  s'e'tant  de'robe'  aux  siens  ,  a  la  chasse ,  ses 
courtisans  le  trouverent  au  bout  de  trois  ou  quatre  jours 
dans  un  marche' ,  habille'  en  porte-faix  ,  et  louant  ses 
e'paules  pour  une  re'ale  ^  de  quoi  ils  furent  si  surpris  , 
qu'ils  eurent  de  la  peine  a  croire  ce  qu'ils  voyaient  5 
et  que  lui  ayant  fait  des  plaintes  de  s'etre  abaisse'  a  un 
si  vil  emploi ,  il  leur  re'pondit  en  ces  termes  :  Par  ma 
Jol ,  la  charge  que  fai  laissee  est  plus  pesante  quau- 
cune  de  toutes  celles  que  vous  vojez  porter  ici.  La 
plus  forte  ne  me  parait  quune  paille  en  comparaison. 
d'un  monde  que  f  avals  a  porter  sur  moi.  J'ai  plus 
dormi  en  quatre  nuits  que  je  navais  fait  en  toute  ma 
vie  ;  Je  commence  a  vivre  et  a  etre  le  roi  de  moi- 
meme.  Retournez  vous  en  ;  car  ajant  goiite  de  cette 
vie-'ci  t  je  serais  bienfou  de  retoumer  a  celle  que  Je 


5lG  l' HOMME 

MAXIME    CCXLVIII. 

Ne  se  pas  laisser  oiler  au  dernier. 

Ilj ades  homines  de  derniere  impression (i) 
(carrimpertinefice  va  toujours  a  quelque  extre- 
mite  )  j  ils  ont  mi  esprit  et  une  volonte  de  cire  ; 
ledcrnier  jmet  sceau,et  efface  tous  les  autres. 
C'est  gens-la  ne  sont  jamais  gagnes ,  parce  qu'on 
les  perd  avec  la  meme  facilite  j  chacun  leur 
donne  sa  teinture  ,  ils  ne  valent  rien  pour  con^ 
fidens  j  ils  sont  c^fans  toute  leur  vie  ,  et , 
comme  tels,  ils  ne  font  que  flotter  parmi  le  flux 
et  le  reflux  de  leurs  sentimens  et  de  leurs  pas- 
sions,  toujom's  boiteux  de  volonte  et  de  juge- 
nient,  parce  qu'ils  se  jettent  tantot  d'un  cote  , 
tantot  de  I'autre. 


MAXIME    CCXLIX. 

Ne  point  conimencer  a  vii^re  par  ou  ilfaut 
achei^er. 

QuELQUES-UNS  prenncnt  le  repos   au  com- 

menais  auparayant :  Et  environ  une  page  apres,  il  dit, 
que  celui  que  les  Polonais  e'lurent  en  la  place  de  celui- 
ci ,  demanda  ,  lorsqu'on  lui  mit  le  sceptre  a  la  main  , 
si  c'e'tait  une  rame. 

(i)  C'est  qu'il  y  a  des  gens  de  premiere  impression^ 
de  qui  il  a  parM  daus  la  Maxime  227V 


DE    COUK.  3l7 

mencement ,  et  laisscnt  le  travail  pour  la  fin. 
L'essenliel  doit  aller  le  premier  ,  et  I'accessoire 
apres  (i),  s'il  j  a  lieu  pour  cela.  D'autrcs  vcu- 
lent  triompher  avant  que  de  combaltre.  Quel- 
ques  autres  commencent  a  savoir  par  ce  qui 
leur  importe  le  moins  ,  difFerant  Tetudc  des 
choses  qui  leur  seraient  utiles  et  honorables  ,  a 
un  temps  que  la  vie  leur  doit  manquer.  A  peine 
celui-ci  a-t-il  commence  a faire  sa  fortune,  qu'il 
s'en  va.  La  methodc  est  egalement  nccessairc, 
at  pour  savoir,  et  pour  vivre. 


MAXIME    CCL. 

Quand  faut-il  raisonner  a  rehours  ? 

'  LoRSQu'oN  nous  parle  a.dessein  de  nous  sur- 
prendre.  Avec  certaines  gens  tout  doit  aller  a 
contre-sens.  Le  oui  est  le  Noif ,  et  le  non  le  oui. 
Mesestimer  une  chose  montrc  qu  on  Testime  , 

(i)  Quelqu'un  disant  a  Diogene  que  sa  vieillesse  ne 
demandait  plus  que  du  repos  :  II  faut ,  repondit  -  il  , 
attendre  a  se  reposer,  qu*on  soit  au  bout  de  sa  car-- 
Here.  Ajoutez  a  cela  pour  les  princes  ,  qui  out  a  mener 
une  vie  plus  active  et  plus  laborieuse  que  les  autres  , 
le  beau  mot  de  Vespasien  :  Que  le  prince  ne  doit  jamais 
mourir  autrement  que  d^bout. 


5l8  L*riOMME 

attcndu  que  celui  qui  la  vcut  pour  soi  ,  la  fait 
inoins  valolr  aupres  les  autres.  Louer  ii'esl  paS 
loujours  dire  du  bien ;  car  quelqucs-uiis  ,pour 
lie  pas  louer  les  bons,afiectentde  louer  Ics  me- 
chans  memes.  Quiconque  ne  trouvera  pcrsonne 
niechant ,  ne  trouvera  personne  bon. 


MAXIM  E     CGLI. 

Ilfaut  se  servir  des  rnojens  humains y  comma 
s'il  n'j  en  my  ait  point:  dc  divins  ;  et  dcs 
divins  ,  conime  s'il  nj  en  avail  point  d'hu- 
m.ains  (i). 


Jl.F'J 


i.i 


Cest  Ic  prcccpte  (T'un  grand  maitrc ,  il  nj 
faut  point  de  commentaire. 

^(i)  Ce  precepte  semble  elre  fonde  silr  le  chap.  58  He 
Y Ecclesiastique  ,  qui  commande  de  recourir  aux  me- 
decins,  et  de  ne  rien  ne'gliger  de  tout  ce  qu'ils  ordon- 
uent  'y  et  puis  de  mettre  toute  leur  confiance  en  Dieu  , 
qui  est  le  milUre  absolu  de  la  gue'rison.  Ilonora  niedi-^ 
cum  propter  necessitatem  ,  etenim  ilium,  creavit  Altis^ 
simus. . . .  Altissimus  creavit  medicamenta ,  etinrpru- 

dens  non  abliorrehit  ilia Da   locum  medico ,    et 

non  discedat  a  te ,  quia  opera  ejus  sunt  necessaria, 
Voila  les  mojcus  liuniains.  Fili ,  in  tua  injinnitate  f 
ne  despicias  te  ipsum ,  sed  ora  Dominurn ,  et  ipse 
curahit  te.  Voila  les  mojens  divins.  Et  celte  le^on 
sVtend  a  tous  les  autres  besoins  de  la  vie. 


DE  couR.  5ig 

MAXIME    CGLII. 

Nl  tout  a  soiy  ni  tout  a  autruu  -.r 

L'uN  el  Fautre  est  una  tjrannie  toutc  com- 
mune. De  vouloir  etre  tout  a  soi,  il  s'cnsuit  que 
I'on  veut  tout  pour  soi.  Ces  gens-la  ne  savcnC 
1  ien  relacher  de  tout  ce  qui  les  accommode , 
non  pas  meme  un  iota ;  ils  obligent  peu  ,  ils  sc 
fient  a  leur  fortune  ,  mais  d'ordinaire  eel  appui 
les  irompe.  Quelquefois  il  est  Lon  de  nous  qul- 
ter  pour  les  aulres,  afin  que  les  autres  se  quit- 
tent  pour  nous.  Quiconque  tienlun  eniploi  com- 
mun,  est  par  devoir  I'esclave  conimun ;  autre- 
ment  on  lui  dira  ce  que  dit  un  jour  cette  vieille 
a  I'empereur  Adrien :  Renonce  done  a  ta  charge  , 
conime  tufais  a  ton  devoir  (i).  Au  contraire, 

(i)  Pendant  que  Tibere  tenait  le  Se'nat  en  suspen* 
par  ses  feintes  de  ne  vouloir  point  de  I'Empire  ,  un  se- 
nateur  perdant  patience  ,  cria  dans  la  foule  :  Aut  agat  ^ 
aut  desistat :  c'est-a-dire  ,  qu'il  fasse  le  prince  ou  qu'il 
cesse  de  I'etre. 

Philippe  II ,  roi  d'Espagne  ,  montra  bien  qu'il  savait 
ce  que  c'etait  d'etre  roi  ,  quand  il  dit  a  ses  me'decins  , 
qui  le  dissuadaient  d'aller  en  Aragon  ,  ou  il  avail  con- 
voque'  les  Etats  :  Si  je  meurs  en  mon  voyage ,  faurai 
la  consolation  de  inourir  faisant  mon  devoir.  Don 
Lprenzo  Vander  HaHimea  daos  son  Don  Filipe  el 
prudenle. 


Sao  x'h  o  m  m  e 


ily  en  a  qui  sont  tout  aux  autres,  car  la  folie 
donne  toujours  dans  Texces ,  et  est  tres-nialheu- 
reuse  en  ce  point,  lis  n  ont  ni  jour,  nl  hcure  a 
eux  ,  et  ils  sont  si  peu  a  eux-memes ,  qu  il  y  en 
cut  un  qui  en  fut  appele  Yllonmie  a  tons.  lis 
sont  autres  qu  eux  jusque  dans  I'entendement , 
car  ils  savent  pour  tous  ,  et  ignorent  tout  pour 
eux.  Que  Thomnie  d'csprit  sache  que  ce  n'cst 
pas  lui  qu'on  cherchc  ,  mais  un  interct  qui  est 
en  lui  ou  qui  depend  de  lui. 


M  A  X  I M  E    C  C  L 1 1 1. 

JVe  sc  pas  rendre  trop  intelligible. 

La  plupart  n'estiment  pas  ce  qu'ils  compren^ 
nent,  et  admirent  ce  qu'ils  n'entendent  pas.ll  faut 
que  les  choses  coutent  pour  elre  estimees.  On 
passera  pour  habile,  quand  on  ne  sera  pas  en- 
tendu.  II  faut  toujours  se  montrer  plus  prudent 
et  plus  intelligent  qu'il  n'est  besoin  avec  celui 
a  qui  Ton  parlc  ,  mais  avec  proportion  plutot 
qu  avec  exces.  Et ,  bien  que  Ic  bon  sens  soit  de 

Juan  Rufo  dit  qu'un  jour  on  adrfessa  a  un  ministre 
d'Espagne,  qui  depuis  quelque  temps  n'expediait  point 
d'affaires  ,  une  requete  ou  il  ny  avait  que  ces  quatre 
mots  :  J^.  S.  coineta  ,  o  acometa  ;  c'est-a-dire  ,  faites 
Yotre  charge  ou  faites-la  faire.  uipophtegme  6']6, 


DE    COUR.  ^21 

grand  poids  parmi  les  habiles  gens ,  Ic  sublime 
est  nccessaire  pour  plaire  a  la  pluparl  du  monde. 
II  faut  leur  oter  le  moyen  de  censurer  ,  en  oc- 
cupant tout  leur  esprit  a  concevoir.  Plusieurs 
louent  ce  dont  ils  ne  sauraient  rendre  raison  , 
quand  on  la  leur  demande ,  parce  qu  ils  respec- 
tent  comme  un  mystere,  tout  ce  qui  est  difficile 
a  comprendre  ,  et  Texaltent  a  cause  qu  ils  I'en- 
tendcnt  ex  alter. 


MAXIME    CCLIV. 

Ne  pas  negllger  le  mcdy  parce  qu'il  est  petit. 

Car  un  nial  ne  vient  jamais  tout  seul.  Les 
maux,  ainsi  que  les  hiens  ,  se  tiennent  comme 
des  chainons.  Le  bonheur  et  le  malheur  vont 
d'ordinaire  a  ceux  qui  ont  le  plus  de  Tun  ou  de 
I'autre  j  jet  de  la  vient  que  chacun  fuit  les  malheu- 
reux ,  et  cherche  les  heureux.  Les  colombes 
meme ,  avec  toute  leur  candeur ,  s'arretent  au 
plus  prochc  donjon.  Tout  vient  a  manquer  a  un 
malheureux ,  il  se  manque  a  lui-meme ,  en  per- 
dant  la  tramontane  (i).  II  ne  faut  pas  reveiller 
Ig  malheur  quand  il  doxn.  C'est  peu  de  chose 

( 1 )  Res  adversee  consilium  (idimunt  ,  dit  Tacite  , 
Ann.  II.  L'adversite  ote  le  jugement. 

31 


522  l'mOMME 

qu  un  pas  glissant,  et  pourlant  il  est  suivi  d'uns 
chute  fatale ,  sans  qu  on  puisse  savoir  oil  le  mal 
aboutira ;  car  comme  mil  bien  n'est  parfait ,  nul 
mal  aussi  n'est  au  comble  (i).  Cclui  qui  vient 
du  ciel  demande  de  la  patience ;  et  celui  qui 
vient  du  monde ,  de  la  prudence. 


MAXIME    CCLV. 

Faire  peu  de  bien  a  iajois  y  mais  soui^enf. 

L'engagement  ne  doit  jamais  surpasscr  le 
pouvoir ;  quiconque  donne  beaucoup  ne  donne 
pas  ,  mais  il  vend.  II  ne  faut  pas  trop  charger 
la  reconnaissance  ,  car  celui  qui  se  verra  dans 
rimpossibilite  de  satisfaire ,  rompra  la  corres-* 
pondance.  Pour  perdre  beaucoup  d'amis ,  il  n'y 
a  qua  les  obliger  a  I'exces ;  faute  de  pouvoir 
payer ,  ils  se  retirent ,  et  d'obliges  ils  deviennent 

(i)  Car  les  chases  de  la  nature  ,  dit  nn  grand  oratenr 
de  ce  siecle ,  qui  nous  arrivent  ici  bas  ,  sont  tellement 
melees  ,  que  nieme  les  maux  que  nous  ressentons,  pour 
grands  qu'ils  soient ,  ne  sont  jamais  extrenips  ,  mais 
portent  en  eux  le  sujet  de  quelque  consideration  ,  qui  ^ 
etant  recueilli  par  les  sages  et  se'pare  de  la  douleur , 
sert  heureusentent  a  la  gloire  des  uns  et  a  la  conso- 
lation des  autres.  Oraison  funebre  du  due  de  Mont- 
pensier  ^  par  Fenolliet ,  e'yeque  de  Monipellier. 


jenncmis  (i).  La  statue  voudrait  rie  vc)ir  jamais 
son  sculpleur ,  ni  I'oblige  son  bienfaiteur.  La 
nieilJeure  methodc  de  donner  est  de  faire  qu'il 
en  coute  pen  ,  et  que  ce  pcu  soit  ardemment 
desire  ,  afin  qu  il  en  sok  plus  estime. 


MA  XI  ME    CCLVI. 

Se  tenir  toujpurs  prepare  contre  les  attaques 
des  rustiques  ^  des  opinidtres  >  des  presomp^ 
tueuoc ^  et  de  tous  les  autres  impertinens. 

Il  s'cn  i*enconlre  iieaucoup,  et  la  prudence 
consistc  a  n'en  venir  jamais  auxprises  avcccux. 
Que  Ic  sage  se  mire  tous  les  jours  au  miroir  de 

(i)  Beneficial    dit  Tacite,   Ann.  l^,   eo  usqiie  tceta 
sunt ,  dum  videntur  exsolvi  posse  :  ubi  multinn  ante-" 
venere  ,  pro  gratia  odium,  redditur.  Vojez  la  troisieme 
note  de  la  Maxime  257.  Eo  perductus  est  furo^ ,  dit 
Se'neque  ,    e/?.  8i»  ut  pemiciosa  res  sit,    benejicia  in 
aliquem  magna  conferre.  Nam  quia  putat  turpe  non 
teddere ,  non  vult  esse  cui  teddat.    Ce  que  Malherbe 
traduit ,  ou  plutot  paraphrase  ainsi  :    Nous  ne  sommes 
jamais  plus  ingrats ,   dit-il ,    que  quand  le  plafsir  qu'on 
nous  a  fait,  passe  les  niojens  que  nous  avons  de  nouS 
en  revancher.  Car  d'autant  que  nous  avons  lionte  de  ne 
rendre   point ,   ne  pouvant  etre   quittes   d'autre  facon, 
noiis  le  voudrions  bien  etre  par  la  mort  de  ceux  a  qui 
^  nous  sommes  oblige's. 

121  * 


524  l' HOMME 

sa  reflexion ,  ponr  voir  le  besoin  qu^il  a  de  sr'ar- 
mer  de  resolution,  ct,  par  ce  moyen,  il  rompra 
tous  les  coups  de  la  folic.  S'il  y  pense  serieuse- 
ment ,  il  ne  s'exposera  jamais  aux  risques  ordi- 
naires  que  Ton  court  a  se  commettrc  avec  les 
fous  (i).  L'homme  muni  de  prudence  nc  sera 
jamais  vaincu  par  I'impertinence.  La  navigation 
de  la  vie  civile  est  dangereuse ,  parce  qu'elle  est 

(i)  Par  exeraple  ,  quel  honneur  aurais-je  a  vouloir 
repondre  aux  injures  et  aux  impertinences  de  Fremont 
d'Ablancourt.    N'entend-il  pas  son  oncle  ,   qui  crie  : 

Exoriare  ColterJ  nostris  ex  ossibus  ultor. 

Ah  I  mon  neveu,  vous  n'avez  rien  fait  qui  vaille , 
cherchez  dans  notre  famille  un  autre  e'crivain  plus  ca- 
pable de  me  venger.  Un  illustre  gentilhomme  allemand, 
qui  a  lu  cette  apologlie  burlesque,  m'en  e'crit  en  ces 
termes  :  In  quibusdam  vix  risum  y  in  quibusdam  au- 
tern  vix  somnum  tenere  potui ,  vix  enim  in  una  aut 
altera  pagina  satisfecit  -,  nee  dissentire  ceteros  hac  in 
jicademia  literatos  ab  hoc  meo  judicio  video.  T^erbo 
dicam ,  multa  passuum  millia  declamavit.  C'est-a- 
dire  ;  En  certains  endroits  je  n'ai  pas  presque  pu  m'em- 
peclier  de  rire  ^  et  e«  d'autres  j'ai  eu  bien  enyie  de  dor- 
mir  'y  car  a  peine  trouverez-vous  dans  ce  livre  une  ou 
deux  pages  qui  puissent  passer.  Et  je  ne  vois  pas  que 
les  savans  de  cette  universite'  soient  d'un  autre  senti- 
ment.*,,  . .  En  un  mot,  on  pent  dire  de  lui  ,  ainsi  que 
de  cet  ancienorateur  ambulant,  qu'il  a  perdu  bien 
dco  pas  en  de'clamant  contre  vous.  Jtaque ,  conclut-il  , 
Fremontio  Medico  helleborum. 


DE    COU  R.  525 

pleine  d*ccueils  oii  la  reputation  se  brise.  Le  plus 
SUV  est  de  se  detourner,  en  prenant  d'Uljssc(i) 
dcs  lecons  de  finesse.  C'estici  qu  une  defaite  ar- 
lificieuse  est  de  grand  service  j  mais*  surtout , 
sauve-toi  par  la  galanterie  ,  car  c'est  le  plus 
court  chemin  pour  sortir  d' affaire. 


MAXIME    CCLVII. 

N'en  venir  Jamais  a  la  rupture. 

Car  la  reputation  en  sort  toujours  ebrechee. 
Tout  homme  est  suflisant  pour  etre  ennemi , 
niais  non  pas  pour  etre  ami.  Tres-peu  sont  en 
etat  de  fairedubien,  mais  presque  tons  peuvent 
faire  du  mal.  L'aigle  n'est  pas  en  surele  entre 
les  bras  de  Jupiter  nieme,  le  jour  quil  offense 
TescarbotXes  ennemis  converts  qui  etaient  aux 
aguels  ,  soufflcnt  le  feu  des  qu'ils  voient  la 
guerrQ  declaree.  D'amis  qui  se  brouillcnt ,  se 
font  Ics  pires  ennemis.  lis  ch argent  des  defauts 
d'autrui  celui  de  leur  propre  choix.  Parmi  Ics 
spectateurs  de  la  rupture,  chacun  en  parle 
comme  il  pense ,  et  en  pense  ce  qu'il  desire.  Us 
condamncnt  les  deux  parties  ,  ou  d' avoir  man- 
que de  prevojance  au  commencement ,  ou  de 

(i)  Qui  sut  se  garantir  des  encliantemens  de  Cipce\ 


3^6  I^HOMMiS 

patience  a  la  fin;  mais  ton  jours  de  prudence  (i). 
Si  la  niplure  est  inevitable,  il  faut  an  moins 
qu'elie  soit  excusable.  Un  refroidissement  vau- 
dra  mieiix  qu'une  declaration  violenlc.Cest  ici 
(ju'unc  belle  retraite  fait  honneur. 


MAXIME    CCLVIII.  * 

Chercher  quelquun  qui  aide  a  porter  le  faioc 
de  Vadversite. 

Ne  sois  jamais  seul,  surtout  dans  les  dangers; 
autrement  in  te  chargcrais  de  toute  la  haine. 
Quelques-uns  pensent  s'elever  en  prenant  toute 
la  surintendance,  et  ilssecbargentde  toute  Ten- 
vie  ,  au  lieu  qu'avec  un  compagnon  Ton  se  ga- 
^  rant  it  du  mal,  ou  du  moins  Ton  n^en  porte  qu'une 
partie.  ]Ni  la  fortune  ni  Ic  caprice  du  peuple  ne 
se  joucnt  pas  si  facilcment  a  deux.  Le  medecin 
adroit ,  qui  n'a  pas  reussi  a  la  guerisson  de  son 
maladc  ,  ne  manque  jamais  d'en  appeler  un 
autre  qui  ,  sous  le  nom  de  consultation ,  I'aide 

(i)  Un  ancien  philosophe  a  dit ;  qu'il  fallait  conserver 
$es  amis  tels  qu'ils  etaient ,  pour  n'etre  point  accuse 
d'avoir  fait  un  mauvais  choix,  si  ce  n' etaient  pas  des 
gens  de  bien  ^  on  de  faire  une  injustice  &'il$  passaient 
pour  tel§.  *  . 


D  E    COUR.  327 

a  soulever  le  cercueil.  Partage  done  la  charge 
et  le  chagrin ,  car  il  est  insupportable  d'etre 
tout  seul  a  soufFrir. 


MAXIME    CCLIX. 

Prev entries  offenses  y  et  en f aire  des  faveurs, 

Ilj  a  plus  d'habilele  a  les  eviter  qu  ales  ven- 
ger.  C'est  une  grande  adresse  de  fairc  son  con- 
fident de  celui  que  Ton  eut  eu  pour  adversaire  j 
dc  transformer  en  arc-boutans  de  sa  reputation 
ceux  qui  menacaient  de  la  delruire.  II  sert  beau- 
coup  de  savoir  obliger.  On  coupe  le  passage  a 
I'injure  en  la  prcvenant  par  une  courtoisie  •  et 
c'est  savoir  vivre ,  que  de  changer  en  plaisirs 
ce  qui  ne  devait  causer  que  des  deplaisirs. Place 
done  ta  confidence  chez  la  malveillanee  memc. 


MAXIME    CCLXJ^ 


Tu  ne  seras  ni  tout  entier  apersonne ,  niper-- 
Sonne  tout  entier  a  toi. 

Ni  le  sangni  I'amitie  ,  ni  la  plus  etroite  obli- 
gation ,  ne  suffisent  pas  pour  cela ;  car  il  y  va 
bicn  d'un  autre  interet,  d'abandonner  son  coeur 
pu  sa  volontc.  La  plus  grande  union  admet  cs;- 


52^  l'  H  O  M  M  E 

ception ,  et  menic  sans  blesser  les  lois  de  la 
plus  tendre  aniitie,  L'ami  se  reserve  loujours 
quelque  secret ,  et  le  fils  meme  cache  quelque 
chose  a  son  pere.  II  y  a  des  choses  dont  on  fait 
nijstere  aux  uns ,  et  que  Ton  veut  bien  commu- 
niquer  aux  autres ,  et  au  contraire  j  de  sorte  que 
Thomme  se  donne  ou  se  refuse  lout  entier,  sc- 
ion quil  distingue  les  gens  de  sa  correspou- 
dance. 

MAXIME    C  CLXL 

Ne  point  continuer  une  sottish. 

Qu:elques-uns  se  font  un  engagement  de 
leurs .  beviies ,  lorsqu  ils  ont  commence  a  faillir , 
ils  croient  qu'il  est  de  leur  honncur  de  conti- 
nuer. Leur  coeur  accuse  leur  faute,  et  leur  bou- 
che  la  defend.  D'oii  il  arrive  que ,  s'ils  ont  ete 
•iaxes  d'inadvertance  ,  lorsqu'ils  ont  commence 
la  sottise ,  ils  se  font  passer  pour  fous  lors- 
qu ils  la  continucnl.  Une  proraesse  imprudcn- 
te  (i)  ni  une  resolution  mal  prise  ,  n'imposent 

'  (i)  tJn  roi  de  Sparte  etant  requis  de  tenfrsa  parole  : 
Si  la  chose  nest  pas  juste  ,  dit-il  ,  je  ne  Vai  pas  pro- 
wise.  Pour  dire  qu'il  n'avait  pas  pu  promettre  ce  qu 
Ti'etait  pas  juste.  Charles-Quint  ayant  signe'  un  privile'ge 
jnjuste ,  commanda  <ie  le  lui  apporter  et  le  de'chira  , 
disant :  J'aime  mieux  rompre  ma  signature  que  de 
tiesser  ma  conscience.  Saayedra  empresa  65. 


DE    COUR.  529 

]poInt  d'obligation.  C'est  ainsi  que  quelques-uns 
continuent  leur  premiere  betise,  etfont  remar- 
quer  davantage  leur  petit  esprit ,  en  se  piquant 
de  paraitre  de  constans  imperlinens. 
Vojez  la  Maxime  21 4- 


MAXIME    CCLXII. 

Sai^oir  ouhlier.    ^ 

C'est  un  bonheur plutot  qu  un  art.  Les  choses 
qu'il  vaut  mieux  oublier ,  sont  celles  dont  on 
se  souvicnt  le  mieux.  La  mcmoire  n'a  pas  seu- 
leiiient  rincivilite  de  manquer  au  besoin  ,  mais 
encore  I'impertinence  de  venir  souvent  a  contre- 
temps. Dan^  tout  ce  qui  doit  faire  de  la  peine, 
elle  est  prodigue  (i),  et  dans  tout  ce  qui  pour- 
rait  donner  du  plaisir,  elle  est  sterile.  Quelque- 
fois  le  remede  du  mal  consiste  a  I'oublier,  et 
Ton  oubiic  le  remede.  11  faiit  done  accoutumer 

( I )  C'est  pour  cela  que  Themistocle  repondit  a  un 
homme ,  qui  promettait  de  lui  apprendre  Tdrt  de  me- 
moire ,  qu'il  aimerait  mieux  apprendre  I'art  d'oublier. 
Tacite  dit ,  qu'il  n'est  pas  au  pouvoir  de  Thomme  de 
perdre  la  me'moire.  Memoriam  quoque  ipkam  cum 
voce  perdidissemus  ,  si  tarn  in  nostra  potestate  esset 
ebliviscif  qmm  tacere.  In  Agricola. 


55o  l'homme 

la  memoire  a  prendre  un  autre  train ,  puisqu  il 
depend  d'elle  de  donner  un  paradis  ou  un  enfer. 
J'excepte  ceux  qui  vivcnt  contens ,  car  en  I'elat 
de  leur  innocence  ils  jouissent  de  la  felicite  dcs 
idiots. 


MAXIME    CCLXIIL 

Beaucoup  de  chose s  qui  servent  au  plaisir  ne 
se  do  went  pas  pos  seder  en  propre. 

L'oN  jouit  davantage  de  ce  qui  est  a  autrui  que 
de  cc  qui  est  a  soi.   Le  premier  jour  est  pour 
!e  maitrc,  et  tons  les  aiitres  pour  les  etrangers. 
On  jouit  doublement  de  ce  qui  est  aux  autres, 
c'est-a-dire ,   non  seulement  sans  craindrc  dc 
Ic  perdre  ,mais  encore  avec  le  plaisir  de  lanou- 
veaute.  La  privation  fait  trouver  tout  meilleur. 
L'cau  dc  la  fontaine  d'autrui  est  aussi  delicieuse 
que  le  nectar.  Outre  que  la  possession  diminue 
le  plaisir  de  la  jouissance  ,  elle   augmente  le 
chagrin,  soit  a  prater,  soil  a  ne  pas  preterm  elle 
nc  scrt  qu'a  conserver  les  choses  pour  autrui  j 
et  d'ailleurs  le  nombre  des  mecontens  est  lou- 
jours  plus   grand  que  celui  des  gens  recon- 
naissans. 


DE   COCR.  33l 

MAXIME    CCLXIV. 

W avoir  point  de  jour  neglige, 

Le  sort  se  phit  a  la  surprise  ,  il  laissera  pas- 
ser mille  occasions  pour  prendre  un  jour  son 
homme  au  dcpourvu.  L'esprit ,  la  prudence  et  le 
courage ,  doivcnt  ^tre  a  I'epreuve  ,  ct  pareille- 
ment  la  bcaule ,  d'autant  que  le  jour  de  sa  con- 
fiance  sera  cclui  de  la  perte  de  son  credit.  La 
precaution  a  tou jours  manque  au  plus  grand 
besoin.  Le  n'y  pas  penser  est  le  croc-en-jambe 
qui  fait  tomber  (i).  D'ailleurs  c'est  une  ruse  or- 
dinaire de  la  malice  d^autrui  de  jouer  de  sur- 
prise contre  les  perfections  ,  pour  en  faire  un 
exanien  plus  rigoureux.  Les  jours  d'ostentation 
S€  savent  bien  ,  et  la  finesse  fait  semblant  de 
TLj  pas  songer  \  mais  elle  choisit  le  jour  auquel 
on  ne  s'attend  a  rien  pour  sonder  tout  ce  que 
Ton  sait  faire.  ^  .  .      . 

(i)  Patercule  dit,  que  le  mojen  de  pe'rir  bienlot  est 
^e  ne  rien  craindre  ,  et  que  la  se'curite  est  la  plus  fre- 
quente  occasion  d'un  grand  de'sastre.  Neminem  celc" 
riiis  opprimi,  quam  qui  nihil  timeret ;  et  frequentiS" 
sim^m  initium  esse  calamitatis  securitatem^  Hist.  a. 


53^  l' HOMME 

MAXIME    CCLXV. 

Savoir  engager  ses  dependans, 

JJn  engagement  fait  a  propos  a  mis  bc^au- 
coup  de  gens  en  credit ,  ainsi  qu  un  naufrage 
fait  Ics  bons  nageurs.  C^est  par  la  que  plusieurs 
ont  developpe  leur  industrie  et  leur  habilite, 
qui  eut  reste  ensevelie  dans  leur  retraite,  si 
Toccasion  ne  se  fut  pas  presentee  (i).  Les  diffi- 
cultes  et  les  dangers  sont  les  causes  et  les  ai- 
guillons  de  la  reputation.  Un  grand  courage  , 
qui  se  trouve  en  des  occasions  d'honneur ,  fait 
autanl  dc  besogne  que  mille  autres.  La  reine 

(i)  Faute  d'occasion  ,  dit  Machiavel,  au  ch.  6  de  son 
Prince ,  la  valeur  de  Cjrus  ,  de  Romulus  ,  de  The'see  , 
n'eut  e'te  d'aucune  utilite' ,   et  faute  de  valeur  I'occasioii 

fat  perdue.  II  fallait  que  Romulus  fut  expose'  des  sa 
naissance  pour  avoir  ~lieu  de  devenir  le  fondateur  de 
Rome.  II  fallait  que  Cjrus  trouvat  les  Perses  me'con- 
tens  de  la  domination  des  Medes  ,  et  ceux-ci  abatardis 
par  une  longue  paix.  The'see  ne  pouvait  pas  montrer 
son  Industrie  si  les  Athe'niens  n'eussent  ete'  disperse's. 
Et  dans  le  chap.  20.  il  dit ,  -Que  la  fortune  ,  lorsqu'elle 
veut  agrandir  un  prince  ,  lui  suscite  de  puissans  en- 
nemis  pour  exercer  son  courage  et  son  industrie  ,'  et 
par  cette  e'chelle  le  faire  monter  a  un  plus  degre'  de 
reputation  et  4^  puissance. 


DE    COUR.        '  535 

catholique  Isabelle  sut  eminemment  cettclecoa 
d'engagcr  ,  ainsi  que  toules  les  autres  j  et  le 
grand  capitaine  (i)  dut  toutc  sa  reputation  a 
cette  politique  adrcsse  qui  fut  cause  aussi  que 
beaucoup  d'autres  devinrent  de  grands  hommcs. 


MAXIME    CCLXVI. 

ISTetre  pas  mechant  d'etre  trop  bon, 

Celui-la  nest  bon  a  rien  qui  ne  se  fache 
jamais.  Les  inscnsibles  tiennent  peu  du  veritable 
homme.  Ce  caracterc  ne  vient  pas  toujours 
d'indolence ,  niais  souvent  d'incapacite.  Se  rcs- 
sentir  quand  il  faut ,  c'est  une  action  de  maitre 
homme  (2).  Les  oiseaux  se  moquent  d'abord 
des  apparences  des  figures  en  relief.  Meier  Pai- 
gre  et  le  doux ,  c'est  la  marque  d'un  bon  gout. 
La  douceur  toute  seule  ne  sied  qu  aux  enfAiS 
et  aux  idiots  (5).  C'est  un  grand  mal  que  de 

(1)  Gongalo  Fernandez  ,  vice-roi  de  Naples. 

(2)  Je  serais  insensible  aux  louanges  ,  disait  un  phi** 
losophe  ,  si  je  I'e'tais  aux  injures. 

(5)  Mentem  non  habet ,  qui  iram  non  Jiabet,  dit  le 
proverbe.  Un  ancien ,  entendant  louer  e'perdument  un 
homme  d'etre  doux  a  tout  le  monde ,  demanda  ,  par 
irouie  ,  s'il  I'e'tait  aussi  aux  me'chans.  Et  un  autre  dit , 


534  li'noMMK 

donner  dans  ceite  insensibilite  a  force  d'etr<5 

trop  bon. 

Get  homme  ,  dit-il*  dans  la  critique  7 ,  de  Ijl 

troisieme  partie  de  son  Criticon,  est  un  de  ceux 

que  Ton  appelle  insensiblcs ,  de  ces  gens  a  qui 
rien  ne  fait  breche ,  et  que  rien  ne  louche,  non 
pas  meme  le  plus  grand  revers  de  fortune,  ni 
rimperfection  de  leur  propre  nature ,  ni  les 
coups  fourres  de  la  malignite  d'autrui.  Tout  le 
monde  a  beau  conjurer  contre  eux^  ils  n'en  bran- 
leront  pas  ;  ils  n  en  perdront  ni  I'appetit  ni  le 
sommeil.  Et  ils  appcllent  cela  indolence ,  el 
meme  grand  courage. 


MAXIME    CCLXVII. 

Paroles  de  soie, 

UliES  fleches  percent  le  corps,  et  les  mauvalscs 
paroles  Fame.  Une  bonne  pate  fait  bonne  boi;i- 
che.  C'est  une  grande  adresse  dans  la  vie ,  que 
de  savoir  vendre  Fair.  Presque  tout  se  paie  avcc 
des  paroles,  et  elles  suffiscnt  pour  degager  de 

dTun  prince  trop  doux ,  dont  le  pre'decesseur  avait  ete 
tres-violent  :  Qu'il  trouvait  autant  d'inconve'nient  a  vivre 
sous  Tempire  d'un  prince^qui  soufFrait  tout ,  qu'a  vivre 
sous  la  domination  d'un  qui  ne  soufFrait  rien. 


^impossible.  L'on  negocie  en  Fair  et  avec  de 
Fair;  et  une  haleine  vigoureuse  est  de  longue 
dureeJl  faut  avoir  la bouche  toujours  plcinede 
Sucre  pour  confirc  les  paroles  ,  car  alors  Ics  en- 
ncmls  memc  j  prennent  gout.  L'unique  moyeii 
d'etre  aimable ,  c'est  d'etre  afTabJe. 

Voyez  la  fin  du  Commehtaire  de  la  Maxime  i4« 


MAXIME    CGLXVIIL 

Le  sage  doit  faire  au  commencement  ce  qu^ 
le  fou  fait  a  la  fin. 

L'uN  et  Taulre  font  la  memcvchose,!  a  diffe- 
rence est  que  Tun  la  fait  a  temps  et  Tautre  a 
contre-temps.  Celui  qui ,  au  commencement , 
s'est  chausse  Tentendement  a  rebours ,  continue 
de  meme  dans  tout  le  reste.  U  lire  avec  le  pied 
ce  qu  il  devait  porter  sur  la  tcte  ,  et  de  sa  main 
droite  il  en  fait  sa  main  gauche  -,  de  sorte  qu'il 
est  gaucher  dans  toute  sa  conduitc.  Au  bout  du 
compte  ,  il  arrive  toujours  que  ces  ff ens-la  font 
par  force  ce  qu  ils  eussent  pu  faire  de  bon  gre  j 
au  lieu  que  le  Sage  voit  d'abord  ce  qui  se  doit 
faire  de  bonne  heure  ou  a  loisir  ,  et  Texecute 
avec  plaisir  et  reputation.  * 


33^  1.' HOMME 

MAXIME    CGLXIX. 

Se  prevaloir  de  sa  nouveciute. 

Tant  qu  elle  durera  Ton  sera  esllme.  ElJe 
plait  universellement  a  cause  de  sa  variete  qui 
reveille  le  gout.  On  estime  plus  une  chose  com- 
mune, qui  est  toute  nouvelle ,  qu  une  rarele  que 
Ton  voit  souvent.  Les  excellences  s'usent  tJt 
vieillissent  bientot.  Cette  gloire  de  lanouveaute 
durera  peu ,  au  bout  de  quatre  jours  on  lui 
perdra  le  respect.  Prevaux-toi  done  des  pre- 
mices  de  Fes  lime ,  en  tirant  a  la  hate  lout  ce  que 
tu  peux  attendre  d'une  complaisance  passagere;, 
car  si  une  fois  la  chalcur  d'etre  tout  recent  vient 
a  se  passer ,  la  passion  se  refroidira,  et  ce  qui 
plaisait  comme  nouveau,  deplaira  comme  com- 
mun.  Chaque  chose  a  eu  son  temps  ,  et  puis  ^i 
ete  negligee  ( I ). 

MAXIME    CCLXX. 

Ne  point  cohdamner  tout  seul  ce  qui  plait  a 
piusieurs. 

Car  il  faut  qu'il  y  ait  quelque  chos«  de  Bon , 
puisque  tant  de  gens  en  sont  contens  ^  et  bien 

(i)  II  en  est  des  botes  ,  dit  Juan  Rufo  ,  Apoplitegme 
594*  >   comme  des    ceufs   qui   ne  sont.  pas  agre'ables  a 
prendre  s'ils  ne  sont  frais.    Get  apophtegrae  se  ve'rifie 
"^       de  la  plupart  des  |^ses  de  la  vie. 


DE    COIJR.  oSi 

que  cela  ne  s'explique  point,  on  ne  laisse  pas 
d'cu  jouir.  La  singularite  est  toujotirs  odieuse, 
et  lorsqu  elle  est  mal  fondee,  elle  est  ridicule. 
Ellc  decriera  plulot  la  personne  que  I'objet ,  et 
par  consequent,  on  restera  seul  avec  son  mau- 
valf  gout.  Que  celui  qui  ne  sait  pas  discerncr  le 
bon,  cache  son  peu  d' esprit,  et  ne  se  niele  pas 
de  condamner  a  la  volee  ,  car  le  mauvais  gout 
nait  ordinairement  de  I'ignorance.  Ce  que  tout 
le  monde  dit  est ,  ou  veut  etre. 


MAXIME    CCLXXL 

^ue  celui  qui  sait  pen  dans  s  a  profession^  s*en 
tienne  touj ours  au  plus  certain. 

Car  s'll  ne  passe  pas  pour  subtil  ,  il  passera 
du  moins  pour  solide.  Celui  qui  sait ,  pent  s'en- 
gager  et  faire  a  sa  fantaisie;  mais  de  savoir  peu 
ct  de,risqUer,  c'est  un  precipice  volontaire. 
Tiens  toujours  la  main  droite  j  cequi  est  auto- 
rise,  ne  saurait  manquer.  A  peu  de  savoir,  che- 
min  royal  j  et  encore  la  surcte  vaut  niieux,que 
la  singularite ,  tanl  pour  Ic  savant  qu^  pour 
I'ignorant.  ^ 


,^     2^ 


558  l'homme 

MAXIME    CCLXXIL 

Vendre  Iqs  choses  a  price  de  courtoisie, 

C'est  le  mojen  d'oLliger  davanlage.  LS^'de- 
inande  de  Tinteresse  iregalera  jamais  la  boline 
gr^ce  a  donner  d\m  coeur  genereux  oblige.  La 
courtoisie  ne  donne  pas ,  mais  elle  engage ,  et 
la  galantcrie  est  ce  qui  rend  I'obligation  plus 
grandc(i).  Ricn  nc  coute  plus  chcr  a  un  homrae 
de  bien  que  ce  quqn  lui  donne  galamment^* 
c'est  le  lui  vendre  deu'x  fois  ,  et  a  deux  prix  dif- 
I'erens  ,  Tun  de  ce  que  vaut  la  chose  ,  et  I'auti  e 
de  ce  que  vaut  la  bonne  grace.  Mais  il  est  vrai 
que  la  galanterie  n'est  pas  nne  marchandise  a 
I'usage  des  coquins  ,  parce  quils  n'qnlendent 
rien  au  savoir  vivre. 

(i)  Le  jour  que  CIiaries-Emmanuel  I ,  due  deSavoie,^ 
^t  son  entree  a  Saragosse  ,  Philippe  H,  son  beau-pere 
futur  ,  qui ,  par  un  exce»  de  civilite' ,  marchait  a  sa 
gauche  ,  lui  disant  :  Monjils ,  vous  avez  la  un  cheval 
bien  fringant :  Cest,  sire ,  re'pondit-ii ,  qu'it  volt  bien 
4^ue  ce  nest  pas  la  sa  place^  Voiia  comme  la  galan- 
terie.se  paie  par  un  gaiant  homme. 


m^: 


4' : 


BE    COUR.  S>'JQ 

MAXIME     CCLXXIII. 

Connattre  ci  fond  le  camctere  de  ceujc  ai^ec 
qui  I' on  traite. 

L'effet  est  bicntot  connu,  quand  on  comiait 
2a  cause  ;  on  le  connait  prcniiercnient  en  elle  ct 
puis  en  son  motif.  Le  nielancolique  augur(5 
toujours  des  malheurs ,  etlemedisantdes  fautes* 
T^out  Ic pire  s'ofFre  toujours  a  leur  imagination; 
etcomme  ils  ne  voicnt  point  le  bien  present ,  ils 
annoncent  le  ijialqui pourrait arriver*  Lliomme 
prevcnu  de  passion  parle  toujours  un  langagc 
different  de  ce  que  sont  les  choses,  la  passion 
parle  en  lui ,  et  non  pas  la  raison ,  chacun  juge 
selon  son  caprice  ou  soti  honneur,  et  pas  un 
selon  la  verite.  Apprefids  done  a  dechifjfrer  un 
faux  semblant ,  et  a  e'peler  les  caracteres  du 
coeur.  Etudie-toi  a  connaitre  celui  qui  rit  toujours 
sans  raison,  et  celui  qui  ne  rit  jamais  a  faux. 
Defie-toi  d'un  grand  questionneur,  commed'un 
imprudent  ou  d'un  espion.  N'attends  presque 
rieri  de  bon  de  ccux  qui  ont  quelque  defaut  na- 
ture! au  corps  (i)^  car  ils  ont  coutume  de  se 

"■,  (i)  Dans  lia  critique  lo  de  la  premiere  partie  de  son 
Crititon  ,  il  dit  que  la  reine  Isabelle  de  Castille  disait 
que  les  boiteux ,  les  bossus  ,    les  gens  de  regard  e'qui- 


j| 


540  L^  II  O  M  M  E 

venger  de  la  nature  ,'  en  lui  faisant  aussi  pen 
■d'honneur  ,  qu  ellc  leur  en  a  fait.  D'ordinake  la 
sottise  est  a  proportion  de  la  beaute  (i). 


MAilME    CCLXXIV. 

Ai^oir  le  don  de  plaits, 

C'est  une  magic  politique  de  courtoisie ,  c'cs| 
tin  crochet  galant,  duquel  on  doit  se.servir  plu- 
tot  a  attirer  les  coeurs  ,  qua  lirer  du  profit ,  oii 
plutot  a  toutes  choses.  Lc  merite  ne  suflit  pas  , 
s'il  n'est  scconde  de  Tagremcnt,  dont  depend 
loute  la  plausibilite  des  actions.  Get  agrement 
est  le  plus  efficace  instrument  de  la  souverainetc. 
II  Y  va  de  bonheur  (Je  mettre  les  autres  en  ap- 
petit ;  mais  rartiike  y  ipniribue.  Partout  oil  il 
y  auji  grand  naturcl,raiti(iciel  j  reussit  encore 
mieux.  C'est  de  I^  que  lire  son  origine  un  je  ne 
sais  quoi,  qui  sert  a  gagner  la  faveur  universelle. 

-./  ''^■/^■.      ....  .■ 

voque  ou  de  nez  ecrase,  ne  faisaient  jamais  rien  qu'A 
rebours;  et  que  par  conse'quent ,  il  s'en  fallait  toujour* 
de'iier. 

(j)  Temoin  cette  belle  dame  qui  portait  toujours  ucre 
lunette,  quoiqu'elle  fut  jeune  et  qu'elle  n'eiit  point  lavue 
courte  :  pour  etre  mieux  vue,  (}iiiJuan  Rufo,  au  lieu 
que  les  autres  ne  se  servent  de  lunettes  qute  pour  mieux 
yoir.  Jpaphtegme  284.  ^ 


BE    COUR.  541 

MA  XI  ME    CCLXXV. 

Se  conformer  a  Fusage  y  mais  non  pus  a  la 
folie  commune, 

Ne  ticns  pas  loujours  ta  gravltc ,  c'cst  une 
parde  de  la  galanterie  de  relachcr  quclque  chose 
de  la  bienseance  ,  pour  gagner  la  bicnvcillance 
commune.  Quelqucfois  on  pent  passer  par  oii 
passcnt  les  auires  ,  ct  pourtant  sans  indecence. 
Celui  qui  est  tenu  pour  fpu  en  public  ,  ne  sera 
pas  tenu  pour  sage  en  particulier.  L'on  perd 
plus  en  un  jour  de  licence  ,  que  Ton  ne  gagno 
par  un  long  serieux  (i)  j  mais  il  ne  faut  pas  eira 
toujours  d'exception.  Etre  singulier ,  c'est  con- 
damner  les  autres;  c'est  encore  pis  d'affecter  des 
airs  precieux,  cela  se  doit  laisser  aux  femmes  ;  , 
quelquefois  memPles  d4vots  se  rendcnt  ridi- 
cules ;  le  meilleur  d'un  bomme  est  de  le  paraitre. 
La  femme  pent  avoir  bonne  grace  d  afiecter  un 
airviril,  mais  rhommc  ne  saurail  honnetement 
S)'cn  donncr  un  de  femme  (2). 

(i)  L' extreme  se'rieux  dit-il  dans  son  Discret,   chap. 
No  estar  siempre  de  burlas,   est  a   charge.  Caton  ne 
plaisait  guere  mais  il  etait  respecte',    Peu  de  gens  imitent 
ce  caractere,    mais  beaucoup  le  re'verent;   bien  que  la  ^ 
gravite'  lasse  les  autres,  Ton  n'en  est  jamais  me'prise'. 

{2)  C'est  pour  cela  que   Ciceron  se  moquait  de  soi> 
gendre  qui  marchait  en  lille.     * 


543^  ir'nOMmt  • 

MAXIME    CGLXXVL 

Savoir  renouveller  son  genie  par  la  nature 
et  par  Vart. 

On  dit  que  rhomme  change  de  caractere  de 
sept  en  sept  ans  \  a  la  bonne  heure  si  c'est  pour 
se  perfectlonner  le  gout.  Dans  les  premiers 
sept  ans  la  raison  lui  vient.  Qu^il  fasse  en  sorte 
.^,  qua  chaque  changement  il  lui  vienne  quelquc 
nouvelle  perfection.  II  doit  observer  cette  revo- 
lution naturelle  pour  la  seconder ,  et  pour  aller 
toujours  de  mieux  en  mieux  dans  la  suite.  C'est 
par  la  que  piusieurs  ont  change  de  conduite  , 
soit  dans  leur  etat  ou  dans  leur  emploi^  et  quel- 
quefois  on  he  s'en  apercoijjpis  jusqu'a  ce  que 
f  on  voie  I'exces  du  changement.  A  vingt  ans 
ce  sera  un*  paon  ,  a  trentc  un  lion  a  quarante 
un  chameau ,  a cinquante  un  serpent,  a  soixante 
un  chien ,  a  soixante-dix  un  singe,  a  quatre- 
vingts  rien. 

Cette  atle^gorie  est  expUque^e  dans  te  Discours  56^ 
de  son  Agudeza,  en  ces  termes  : 

L'horame  se  crojant  digne  d'etre  immortel  , 

'sltendu  rcxccllence  de  sa  nature,  demanda  h 

Jupiter  combien  il  avait  a^yivce.  Jupiter  lui  re- 

^,    pondil  que  lorsqu'il  tivait  pvh  la  resolutiaa  de; 


BE    COUR:  543 

cr^r  loiis  les  animaux  et  puis  rhonime  ^  il  s'e- 
tait  propose  de  Icur  donner  a  chacun  trenle  ans 
de  vie.  L'homme  fut  surpris  d'apprendre  qu^un 
si  admirable  ouvrage  que  lui ,  cut  ete  fait  pour 
durer  si  peu  de  temps  ,  et  que  sa  vie  dut  passer 
comme  une  flcur.  II  trouvait  etrange ,  qu'etant  a 
peine  sorti  du  ventre  de  sa  mere  ,  il  dut  entrer 
en  celui  de  la  terre ,  sans  jouir  de  I'agreable 
etat  oil  il  venait  d'etre  cree.  Je  te  supplie  done  ^ 
dit-il  a  Jupiter  (si  tant  est  que  ma  demande  ne 
soit  pas  contre  tes  ordonnances  ) ,  que ,  puisque 
tons  CCS  animaux  (*)  ,  indignes  de  tcs  graces , 
ont  refuse  vingt  ans  du  terme  de  vie  que  tu 
Icur  avais  donne  ,  comme  tie  connaissant  pas 
le  bien  que  tu  leur  faisais  ,  faute  d' avoir  I'usage? 
de  la  raison ,  il  te  plaise  de  me  les  accorder '^ 
afin  que  je  les  vivc  pour  eux ,  et  que  tu  sois 
mieux  servi  de  moi.  Jupiter  trouvant  cette  de- 
mande raisonnable  ,  lui  octroya,  qu  apres  quil 
aurait  vecu  ses  trente  ans ,  il  commencerait  a 
vivre  premierement  les  vingt  aris  que  Tane  cc- 
dait ,  a  la  charge  qu'il  en  ferait  toules  les  fonc- 
lions  ,  en  travaillant ,  chariant ,  tirant ,  et  ame- 
nant  a  la  maison  tout  ce  qui  serait  ncccssaire 
an  menage.  Que  depuis  cinquante  jusques  a 
soixante-dix  ,  il  vivrait  les  vingt  ans  du  chien  , 

(i)  L'dne,  lecliien,  et  le  singe.  ' 

.      \ 


H44  l'  H  O  M  M  K 

al)Ojant  et  grondant ,  comme  ayant  beaucoup 
d'incommodites  ,  et  ne  prcnant  plaisir  a  rien. 
Et<ju'eDfin  ,  dcpuis  soixante-dix  jusquaquatre- 
vingt-dix,  il  acheverait  ies  annees  du  singe,  en 
contretkisant  Ics  defauts  de  la  nature.  Aussi 
^ojonsrnous  queceuxqui  arrivcnl  a  cet  age,ojit 
coutume,  lout  vieux  qu'ils  sont,  de  vouloirpa- 
raitre  jeunes  ,  de  s'ajuster,  de  se  redresser  ,  et 
de  faire  des  exces  de  jeunessc  ,  pour  sembler 
etre  ce  qu'ils  ne  sont  pas  ;  comme  aussi  de 
jouer  avec  Ies  enfans  ,  ainsi  que  font  Ies  singes. 
.;  II  dit  encore  presmie  la  menie  chose  dans  ie 
dernier  chapitre  de  son  Discret :  Trente  an- 
nees ,  dit-il  y  furent  donnees  a  rhomme  pour 
jouir  et  pour  se  rejouir  ^  vingt  lui  furent  pretees 
sur  sa  bonne  foi  ^  pour  travailler  j^ingt  aulre$ 
du  chien ,  pour  aboyer ,  et  Ics  vingts  dernieres , 
pour  badiner  avec  ies  enfans ,  comme  Ies  singes. 


MAXIME    CCLXXVIL 

Uhomme  d' ostentation. 


■:*-\,m'.  Z').! 


y,  Ce  talent  donne  du  lustre  a  tous  Ies  autrcs. 
Chaque  cho§e  a  son  temps ,  et  il  faut  epier  ce 
temps,  car  chaque  jour  n'est  pas  un  jour  de 
triomphe,  U  y  a  de^.  gens  d'un  caraetere  parti- 


PE   COUR.  '  54^ 

<?nlier  ,  en  qui  le  peu  parait  bcaucoup  ,  et  que 
le  bcaucoup  fait  admirer.  Lbrsquc  rexcellenc-e 
est  jointe  avecretalage,  elle  passe  pour  un  pro- 
tlige.  11  y  a  des  nations  ostcntalives ,  et  TEs- 
pagnol  Test  au  supreme  degre.  La  montre  tient 
lieu  de  bcaucoup ,  et  donne  iin  second  etre  a 
tout,  et  particulierement  quand  la  realite  la 
cautionne.  Lc  ciel ,  qui  donne  la  perfection ,  y 
joint  aussi  rostentation,car  sans  elle  toute per- 
fection serait  dans  tin  elat  violent.  A  I'oslenta- 
tion  il  J  faut  Tart.  Les  choses  les  plus  excel- 
lentes  dependent  des  circonslances ,  et  par  con- 
sequent ,  clles  ne  soht  pas  toujours  de  saison. 
Toutes  les  fois  que  I'ostentation  s'est  faitc  a  contre- 
temps,  elle  a  mal  reussi,  rien  ne  souffre  moins 
Faffectationj  et  c'cst  toujours  par  cet  endroit 
que  Tostentation  echoue,parce  quelle approche 
.  fort  de  la  vanite,  et  que  celle-ci  est  tres-sujette 
,au  mepris.  Elle  a  besoin  d'un  grand  .tefmpera- 
ment  pour  ne  pas  donner  dans  le  vulgaire ;  car 
son  trop  Fa  deja  decredite  parmi  les  gens  d'cs- 
prit.  Quelquefois  elle  consiste  dans  une  elo- 
quence muette ,  et  dans  I'art  de  montrer  la  per- 
fection commc  par  maniere  d'acquit ;  car  une 
sage  dissimulation  est  une  parade  plausible » 
cette  meme  privation  aiguillonnant  plus  vive- 
mcnt  la  curiosite.  Sa  grande  adressc  est  de  ne 
pas  montrer  tou.tc  sa  perfection  en  une  seule 


545  l'  H  O  M  M  IT 

fois ,  mais  seulement  par  pieces ,  et  comme  si 
Ton  etait  apres  a  la  peindre,  pour  en  decouvrir 
toujours  davantage.  II  faut  qu\in  bel  ccliantil^ 
ion  engage  a  morilrer  quelquc  chose  qui  soit 
encore  plus  beau  ,  et  que  Fapplaudisscment 
donne  a  la  premiere  piece  fasse  desirer  impa- 
tiemmentde  voir  toutcs  les  autres. 

Cette  Maxime  est  tire'e  de  son  Apologue  du  Dis- 
cret  intitule',  Hombre  de  ostentation ,  dont  Vextrait 
servira  id  de  eommentaire. 

Ce  qui  ne  sc  voit  point,  dit-il y  est  comme 
s'il  n^etait  point.  Ton  savoir  n'esl  rien ,  si  \^?^ 
autres  ignorent  que  tu  sais  ,  dit  un  grand  au- 
teur  satirique. 

Scire  tuum  nihil  est ,  nisi  te  scire  hoe  sciat  alter, 

Pekse. 

Les  choses  ne  passent  pas  pour  ce   qu'elles  • 
sont,  mais  bien  pour  ce  quelle  paraissent  etre.  . 
II  y  a  beaucoup  plus  de  sots  que  de  gens  d'esprrt , 
ceux-la  se  paient  de  Tapparence ,  et ,  bien  que 
ceux-ci  s'arretent  a  la  substance  ,  la  troniperie 
I'emporte ,  et  fait  que  rien  ne  s'esiimc  que  par  | 
le  dehors.  Et  une  page  apres  :  Sache ,  disent 
au  paon  les  ambassadeurs  des  autres  oiseaux , 
que  toute  notre  republique  se  ticnt  offensee  dc 
ton  insupportable  orgueil,cai'  c'est  a  loi  une  sin- 
gularite  bien  t:)dicu$C3  dc  vouloir  toi  seul  etaler 


DE    COUR.  '  347 

ta  vaine  roue  au  solellj  ce  que  nul  autre  oiseau 
n'ose  faire  ,  quoiqu  il  y  en  ait  beaucoup  qui  le 
pourraient  faire  a  meilleur  titre  que  toi.  G'est 
poui  quoi  Ton  te  commande  par  sentence  irre-  • 
vocable  ,  de  t'abstenir  dorenavant  dc  te  singula- 
riser  ,  etc.  A  quoi  le  paon  repondit ;  Pourquoii^ 
condamncz-vous  en  nioi  I'ostentaiion  ct  non  pas 
la  beauie,  le  ciel ,  qui  m'a  donne  cclle-ci ,  m'a 
pareillement  regale  de  I'aulre  j  a  quoi  me  ser- 
virait  la  realite  sans  I'apparence  ?  Aujourd'hui 
les  politiques  ne  dogniatisent  autre  chose  ,  si- 
non  que  la  plus  grandc  sagesse  con&iste  a  faire 
paraitrc.  Savoir  et  le  savoir  montrer  ,  c'est  dou- 
blement  s  Jloir.  Pour  tiioi ,  je  dirais  de  Fosten- 
lalion  cc  que  d'autres  disentdu  bonheur,  qu'une 
once  d'ostentation;  vaut  mieux  que  des  quintaux 
de  capaote  sans  elle.  Que  sert-il  qu'une  chose 
soit  cxcellente ,  si  elle  ne  le  parait  pas  ?  Et  deuoc 
pages  apre^  ;  C'e&t  une  dispute  politique  de  sa- 
voir si  la  realite  vaut  mieux  que  rapparence.  II 
y  a  des  choses  grandes  en  elles-memes,  qui  ne 
le  paraissent  pas  1,  et  d'autres  qui  sont  peu  ,  et 
paraissent  beaucoup ;  tant  Tostentation  ou  le 

manque  d'ostentation  fait  d'effet H  y  ^  des 

homnies  en  qui  le  peu  cclate  beaucoup,  et  dont 
Je  beaucoup  est  un  sujet  d'admiration.  Ce  sont 
des  gens  de  parade  ,  car  lorsque  I'emincnce  et 
Tapparcnce  sont  jointes  ensemble,  dies  for- 


548  l' HOMME 

ment  un  prodige,  Au  coiUrairc,  nous  avons  vu 
des  pcrsonnagcs  eminens ,  qui  n'ont  pas  paru 
la  moilie  de  ce  qu'ils  etaient ,  fame  de  savoir  le 
.monlrcr.  II  n'j  a  guere  qu'un  grand  honime  ter- 
rassail  tout  Ic  monde  a  la  campagne  ,  et  qu'ap- 
pele  au  Conseil  de  guerre  ,  il  avait  peur  de  cha- 
cun,  Celui  qui  etait  si  propre  pour  faire ,  ne  I'e- 

tail  nullement  pour  parler L'osientation 

donne  un  vrai  lustre  aux  qualites  heroiques ,  et 
comme  un  second  etre  a  toutes  choses ,  lorsque 
la  realile  la  cautionne;  car  sans  le  merite  cc 
n'cst  qu'une  tromperie  vulgaire;  elle  ne  sert 
qu'a  decouvrir  les  defauts  ,  et,  par  consequent , 
i  faire  mepriser  au  lieu  de  faire  appladliir.  Quel- 
ques-uns  s'empressent  fort  de  sortir  pour  se 
montrer  sur  le  theatre  universel ;  et  ce  qu'ils 
font  est  de  publier  leur  ignorance  ,  que  la  re- 
traite  cachait  honnetemcnt.  Or  ce  n'cst  pas  la 
faire  ostentation  de  ses  talenSj  mais  declarer 
sotlement  ses  defauts. 


MAXIME    CCLXXVIII. 

Fair  en  tout  d'etre  remarquable. 

A  Fetre  trop,  les  perfections  memes  seront 
des  defauts ;  cclui-ci  vient  de  la  singularitc  , 


D  E    C  O  TfH.  34$ 

tt  la  singularite  a  loujoiirs  ete  censuree.  Qui- 
coiique  fait  le  singulicr,  demeure  seul.  La  po- 
litesse  memc  est  ridicule,  si  ellc  est  excessive  , 
elle.  offense  quand  elle  donne  trop  dans  la  vue; 
a  plus  forte  raison  les  singularites  extravagantes 
doivcnt-elles  choquer.  Cependant ,  quelques- 
iins  velilent  etre  connus  par  les  vices  nieme , 
jusqu  a  chcrcher  la  nouveaute  dans  la  mcchan- 
cete,  et^  se  piquer  d' avoir  un  si  mauvais  re- 
nom  (i).  En  fait  menie  d'habilete,  le  trop  de*? 
gene  re  en  charlatanerie. 


MAXIME    CCLXXIX. 

LiUisser  contredire  sans  dire, 

II  faut  distingiier  quand  la  contradiction 
vient  de  finesse ,  ou  de  rusticite;  cai*  ce  nest 
-pas  toujours  une  opiniatreie ,  quelquefois  c'esl 
un  artifice.  Prends  done  garde  a  ne  te  pas  en-*' 

(i)  PlusieurS;,  dit  Machiavel  dans  la  Preface  de  soa 
Jiistoire  de  Florence  ,  ont  affecte  de  se  rendre  ce'lebres, 
par  des  faits  dignes  de  blame  ,  faute  d'avoir  eu  occasion 
de  le  pouvoir  devenir  par  des  actions  dignes  de  louange, 
Et  Tacite  dit  qu'il  y  a  .des  gens  qui  trouvent  un  rafi- 
nement  de  plaisir  dans  la  grandeur,  meme  de  riufamie* 
Ob  magriitudinem  i nf amice ,  cujus  apud  prodi^os  no* 
visfima  voluptas  est.  Ann.  ii. 


S5d  L*  %  O  M  M  E 

gager  dans  I'une ,  ni  laisser  lomber  dans  Tantre, 
II  n'jr  a  point  dc  peine  micux  emplojee  que 
ccJle  d'epier ,  ni  de  meilleure  contre-batlcrie 
contrc  ceux  qui  vculent  croclictcr  la  serrure 
du  coeur ,  que  de  mettrc  la  clef  dc  la  retenue 
en  dedans. 

F^oj-ez  la  Maxime  I'jg,  '  r 


MAXIME    CCLXrX. 

L'homme  de  hon  aloi. 

Il  ne  rcste  plus  de  bonne  foi,  les  obligations 
sont  mises  en  oubli ,  il  j  a  pen  de  bonnes  cor- 
respondances.  An  meilleur  service  la  pire  re-- 
compensc.  Aujourd'hui  le  nioiide  est  fait  aihsi* 
11  j  a  des  nations  entieres  cnclines  a  mal  agir  : 
des  unes ,  la  trahison  en  est  loujours  a  crain- 
4re  5  des  autr^^j  I'inconstance.^  et  de  quelqucs- 
autres  ,  la  trompcric.  Sers-loi  done  de  la  mau- 
vaise  correspondance  d'autrui  ,  non  coninie 
d'unexcmple  aimiter,  niais  comme  d'un  aver*- 
tissement  d'etre  sur  tes  gardes.  L'integrite  court 
xisque  de  •biaiser  a  la  vue  d'un  procede  nial- 
bonji^tcj  iTjai^  rhpinme  dc  bien  n  oubiie  ja- 
j^niais  c^  qn'il  fjst,  h  can§^  de  ce  que  sont  Ics 
autres. 


DE    COUR. 

HI     ■    ■ 

MAXIME    CCLXXXL 


55] 


L' approbation  des  habile s  gens. 

Un  liedc  oui  d'un  grand  homme  est  plus  a  csli- 
nicrque  rapplaudissement  dc  tout  un  pcuplc  (i). 
Quand  on  a  une  arete  dans  le  gosier ,  le  renifler 
ment  ne  fait  point  respirer.  Les  sages  parleni 
avec  jugement ,  el  par  consequent leur  approba- 
tion cause  une  satisfaction  immortelle.  I^ep^if- 
dent  Antigonus  faisait  consister  toute  sa  renpii^- 
mce  dans  le  seui  temoignage  deZenon  (  3  )  ,  ^t 
Plalon  appelait  Aristote  toute  son  ecole.  Quel- 
ques-uns  ne  se  soucientquede  remplirlqurcsto- 
mac,  sans  regarder  si  c'est  une  denree  com- 
mune. Les  sourerains  meme  ont  bcsoin  des 
bons  ecrivains ,  dont  les  plumes  leur  sont  plu^ 

(i)  Uu  jour  que  le  peuple  d'Athenes  approuvait  up 
avis  de  Phocion ,  celui-ci  denlanda  a  ses  amis  si  c'etait 
qu'il  eiit  dit  quelqu'impertinence,  tant  il  avait  mauvaise 
opinion  des  jugemens  et  des  suffrages  du  peuple.  Et  une 
autre  fois ,  qu'une  deiibe'ration  qui  avait  passe'  contre  son 
avis  avait  eu  un  bon  succes  ,  il  dit  au  peuple  qu'il  s*eii 
re'jouissait ,  mais  qu'il  ne  se  repentait  nullement  d'avolp 
COinseille  le  contraire. 

(2)  A  la  mort  de  qui  il  disait  qu'il  avait  perdu  le  t^- 
Hipin  de  ses  actions  et  le  thddtre  de  sa  gloire,        v*^  ♦^x 


• 


.552  L*  HOMME 

a  craindre  quun  portrait   naif   aux  femmes 
laides. 


MAXIME    CCLXXXII. 

Se  sen^ir  de  Veocpedient  de  Vahsence  pout  se 
faire  respecter  ou  estinier* 

Si  la  presence  dlminue  la  reputation  ,  Tab- 
sence  Taugmente.  Celui  qui  etant  absent^  passt3 
pour  un  lion  , ne  parait  quune  souris  (i) ,  etant 
present.  Les  perfections  pcrdent  Jeur  lustre ,  si 
on  les  regarde  de  trop  pres  ,  parce  qu'on  re- 
garde  plutot  Fecdrce  de  Texterieur  que  la  subs- 
tance et  I'interieur  de  Tesprit.  L'imagination 
porte  bien  plus  loin  que  la  vue ;  ct  la  trpm- 
perie,  qui,  d'ordiriaire  entre  par  les  oreilles, 
sort  par  les  yeux.  Celui  qui  se  qonserve  dans  le 
centre  de  la  bonne  opinion  ,  que  Ton  a  de  luf*f " 
conserve  sa  reputation.  Le  phenix  menie  se  sert 
de  la  retraite  ct  dudesir,  pour  se  faire  csti- 
mcr  et  regretter  day^inlage. 

^  (i)  "L'auteur  dit  quwi  ridicule  enfantement  des  mon- 
tagnes,  ce  qui  serait  fade  et  obscur  en  notre  langue  ; 
au  lieu  que  Tantitliese  d'une  souris  a  un  lion  a  de  Ta 
grace  et  rend  mi^ux  le  sens  du  proverbe  ;  parturient 
montes,  nascetur  ridiculus  rnus. 


t)  E      C  O  t)  R.  553 

MAXIME    CCLXXXllL 

Etre  homme  de  bonne  invention, 
f 
L'iNVENTiON  marque  un  exces  d'esprit,  liiais 
oil  se  trouvera-t-clle  sans  un  grain^  de  folie  ? 
L'invcnlion  est  le  partage  des  csprits  solides. 
Lia  premiere  est  plus  rare  et  plus  estimce,  at- 
tendu  que  beaucoup  de  gens  ont  reussi  a  bien 
choisir,  et  tres-peu  a  bien  invenler,  et  a  avoir 
laprimaute  de  Fexcellence,  aussi  bien  que  cclie 
du  temps.  La  nouveaute  est  insinuante ,  et,  si 
elle  est  heureuse ,  elle  reieve  doublement  ce 
qui  est  bon.  Dans  les  choses ,  oii  il  y  va  de  ju- 
gement,   elle    est  dangereuse  a  cause  quelle 
donne  d^ins  le  paradoxe  ;  dans  celles  oii  il  iie 
s'agit  que  de  subtilite,  elle  est  louablef  et  si  la 
nouveaute  et  I'invention  rcncontrent  bien,  elle% 
sont  plans ibles. 

MAX  I  ME    CCLXXXiV.    f^^ 

Ne  te  niele  point  des  affaires  dautrui  ^  et  tu 
ne  sera s  point  nial  dans  les  tiennes. 


\ 


EsTiME-TOi ,  si  tu  veux  que  Ton  festime  (i). 
(i)  II  en  est  de  restime  raisonuable  de  soi-meme,   dit 

25 


554  L*  HOMME 

Sois  plutot  avare  que  prodigue  de  toi.  Fais- 
toi  desirer  et  lu  seras  bien  regu  (i).  Ne  viens 
jamais  que  Ton  ne  fappellc ,  ct  ne  vas  jamais 
que  Ton  ne  t'envoie.  Celui  qui  s'engage  de  sou 
chef  se  charge  de  toute  la  haine ,  s  il  ne  rcussit 
pas;  et,  quand  il  reussit ,  on  ne  lui  en  sait 
point  de  gre.  Uhomme,  qui  est  Irop  intrigant, 
est  le  but  du  mepris ;  et  comme  il  s'introduit 
5ans  honte  ,  il  est  repousse  avec  confusion. 


MAXIME    CCLXXXV. 

Ne  se  pas  perdre  aved  autruL 

Sache  que  celui  qui  est  dans  Ic  bourbier  ne 
t^appellc  que  pour  se  consoler  a  tes  depens  , 
quand  tu  seras  embourbe  avec  lui.  Les  mal- 
lieureux  cherchent  quelqu'un  qui  leur  aide  a 
fi^orter  leur  affliction.  Tel  qui ,  durant  leur 
prosperite ,  leur  tournait  le  dos ,  leur  tend  main- 
tenant  la  main.  II  faut  bien  aviser  a  nc  se 
pas  noyer,  en  voulant  secourir  ccux  qui  se 
noient. 

Juan  Rufo ,  ApopJitegme  222.  comme  de  la  chants  biea 
ordonn^e  qui  commence  par  soi-meme. 

(i)  Uobjet  de  la  vue,  dit  le  meme,  est  plus  grand  de 
pres,  mais  celui  du  desir  est  plus  grand  de  loin.  Apoph- 
tegme  6. 

Cette  maxime  s'adresse  particulierement  aux  princes. 


DE    C  O  U  R. 


555 


MAXIME    CCLXXXVI. 


Ne  se  pas  laisser  obliger  entiej^ement  ^ni par 
toutes  sortes  de  gens. 

.  Car  ce  serail  djevenir  Tesclavc  conwiiun.  Les 
uns  sont  nes  plus  heurcux  que  les  autrcs :  les 
premiers ,  pour  faire  du  bien  ;  et  les  seconds  , 

Dans  un  particulier ,  clit  Saavedra  ,  euipresa  47-  I* 
compassion  ne  pent  jamais  etre  un  exces ,  mais  dans 
vn  prince  elle  pent  etre  tres-nuisible.  Qu'un  particulier 
liasarde  sa  vie  ou  sa  fortune  pour  en  secourir  un  autre , 
c'est  une  bonte  digne  de  louange ,  mais  qui  serait  digne 
de  blame  dans  un  prince  s'il  engageait  le  salut  4e  son 
Etatpour  sauver  celui  de  son  voisin ,  sans  avoirjdes  raisons 
iSuffisantes.  Et  la  parente'  ni  I'amitie'  particuliere  n'en 
sont  pas  d'assez  bonnes  pour  I'engager  au  secours  d'utt 
autre,  parce  qu'il  est  ne'  pour  ses  sujets  plus  que  pour  ses 
parens  et  pour  ses  amis.  Quand  la  rencontre  est  telle  que 
Tassistance  doit  envelopper  celui  qui  la  donner$i,  dans 
le  malheur  de  celui  qui  la  demande  ,  il  n'y  a  ni  obli* 
gation  ni  conapassion  qui  puissent  servir  d' excuse  a  cette 
imprudence.  Salus  populi  suprema  lex  esto ,  dit  Ci* 
ceron,  5.  de  Leg^ 

Juan  Rufo  vojant  un  prnnier  oh  les  branches  entee^ 
portaient^^de  meilleures  et  de  plus  grosses  prunes  que 
celles  des  branches  naturelles  ,  dit  que  c'e'tait  un  exemple 
qui  donnait  a  entendre  que  Ton  ^e  preyaut  quelquefois 
de  notre  propi^e  «i§sistanqe  contre  UQUS-meraes.  Apoph- 
tegme'^'j,  » 


556  l'h  O  M  M  E 

pour  en  recevoir  (i).  La  liberie  est  plus  pr^- 
cieuse  que  tout  don  ,  et  c'est  la  pcrdre  que 
de  recevoir  (2).  II  vaut  mieux  tenir  Ics  autrcs 
dans  la  dependance  que  de  dcpendre  d'un  seul. 
La  souverainete  n'a  point  d' autre  commodite 
que  de  pouvoir  faire  plus  de  bien  (5).  Sur- 
tout,  garde-toi  de  tenir  aucune  obligation  pour 
faveur ;  sois  persuade  que  le  plus  souvent  Ton 
ne  cherchera  a  t'obligcr  que  pour  t' engager. 


(i)  Entre  neuf  choses  ou  XEcclesiasttque  de  I'Ecnture 
fait  consister  la  fe'licite  de  I'liomme ,  Tune  est  de  ne  point 
de'pendre  de  gens  qui  sont  indignes  de  commander. 
Beatus ,   tjui  non  servivit  indignis  se.  Cap.  25. 

(2)  Caligula  faisant  ofFrir  deux  cents  talens  au  philo- 
sophe  De'metrius  pour  I'attirer  ^  son  service  ;  to  to  ,  dit 
ce  pliilosophe  ,  eram  illi  experiundus  Imperio  ,  c'est- 
a-dire,  si  Fempereur  me  voulait  avoir ,  il  ne  me  devait 
pas  offrirmoins  que  tout  I'empire.  Au  dire  de  Socrate, 
I'homme  vaut  mieux  que  tout  ce  qu'on  lui  pent  donner  ^ 
mais  pour  cela  il  faut  que  ce  soit  un  liomme,  et  les 
hommes  sont  rares.  C'est  encore  ici  qu'a  lieu  le  beau 
mot  de  ce  philosophe  qui ,  entendant  sa  femme  gronder 
de  ce  qu'il  avait  refuse'  les  prfe'sens  d'un  grand ,  lui  dit  : 
r'est  que  fai  man  ambition,  comme  cethomme  a  la 
sieiuie.  ^ 

(i)  C'est  la  pensde  d'un  Lace'de'monien ,  qui  disait 
que  le  plus  bel  endroit  par  oii  les  rois  se  distinguaient; 
du  commun  des  hommes,  c'e'tait  que  personne  n^avait 
autant  de  pouvoir  qu'eux  de*  faire  du  bien  aux  autres. 


DE    COUR.  '*55^ 

MAXIME    CCLXXXVII. 

N'agir  jamais  durant  la  passion, 

AuTREMENT  ,  On  gatcra  lout.  Que  cclui,  qui 
n'est  pas   a   soi,  se  garde  bien  de  ricii  faire 
par  soi,  car  la  passion  bannit  toujours  la  rai- 
son  j  qu'il    substitue  pour  lors  un  niediateur 
prudent,  lequel  sera  tel,  s'il  est  sans  passion. 
Ceux  qui  voient  jouer  les  autres  jugcnt  niieux 
que  ceux  qui  jouent ,  parce  qu'ils  ne  se  pas- 
sionnent  pas  (i).  Quand  on  se  sent  de  I'emo- 
tion ,    la  retenue    doit  battre  la  retraite  ,   de 
peur  de  s'echauffer  davantage  la  bile  ;  car  alors 
tout  se  ferait  violemment ,  et  par  quelques  nio- 
mens  de  furie ,  Ton  s'appreterait  le  sujet  d'un 
long  repentir  et  d'un  grand  murmurc. 


b 


MAXIME    CCLXXXVTir  ^ 

J^ivre  selon  V occasion.   ,.v<^-.'vv.4v 

SoiT  Faction,  soit  lediscours  ,  tout  doit ^tre 
mesure  au  temps.  II  faut  vouloir,  quand  on 

(i)  A  rimitation  de  ce  Spartiate,  qui  disait  a-ttn  de 
ses  esclaves  ;  ye  te  battrais  bien  si  je  netais  pas  en, 
colore. 


558  l'homme 

le  peat,  car  ni  la  saison ,  ni  le  temps  ,  n'at- 
lendent  personne.  Ne  regie  point  la  vie  sur 
des  maximes  generales  ,  si  ce  n'est  eii  favcur 
de  la  vertu;  ne  prescris  poii;^l  de  lois  formelles 
a  ta  volonte  ,  car  tu  seras  ,  des  demaln  ,  force 
de  boire  dc  la  meme  eau  que  tu mepriscs  aii- 
iourd'hui.  L'imperlinence  de  quclques-uns  est 
si  paradoxe  qu  elle  va  jusqu'a  pretendrc  que 
toutes  les  circonslances  d'un  projct  s'ajuslenL 
a  leur  manie,  au  lieu  de  s'accommoder  eux- 
memes  aux  circonslances.  Mais  le  sage  sail 
quele  nord  de  la  prudence  consiste  a  seconfor- 
nier  au  temps. 

Dans  son  Ferdinand,  il  dit,  que  c'e'tait  la  maxime 
sur  laquelle  roulait  toute  la  politique  de  ce  prince.  Et 
quelques  lignes  apres  :  Plusieurs  rois ,  dit-il ,  eussent 
etc'  les  fils  de  la  renomrne'e  s'ils  I'eussent  e'te'  de  la  saison; 
car  c'est  elle  qui  donneie  point  de  perfection  aux  actions 
ct  surtouta  celles  des  rois.  Tempori  cedere y  ditCice'ron, 
semper  sapientis  est  habitum.  Et  le  jeune  Pline  est  du 
meme  sentiment.  Faciendi  aliquid,  dit-il ,  veTfionfacien- 
diyvera  ratio ydim-homihum  ipsorum,  tUm  rerum etiam 
ac  temporum  conditione  mutatur.  Ep.  27.  lib.  6.  Cest- 
a-dire,  que  les  raisons  de  faire  ou  de  ne  pas  faire  quel- 
queqhose,  changcnt  selon  la  condition  des  temps,  la 
nature  des  affaires  et  la  qualite'  des  personnes  avec  qui 
yon;^a  traiter. 


i>E  €Oun.  359 

MA  XI  ME    CCLXXXIX. 

Ce  qui  decredite  davantage  un  homme ,  ^$t 
de  montrer  qu'il  est  homme, 

,  On  cesse  de  le  tenir  pour  divin ,  silot  qu'on 
s'apergoit  qu  il  tient  beaucoup  de  rhomme.  La 
legerete  est  le  plus  grand  contrepoids  de  la 
reputation.  Conime  I'liomme  grave  passe  pour 
plus  qu'un  homme  ,  de  meme  Thomme  leger 
passe  pour  moins  qu  un  homme.  Nul  vice  ne 
decredite  tant  que  la  legerete  ,  d'autant  qu'elle 
s'oppose  en  face  a  la  gravite.  L'homme  leger 
ne  saurait  etre  substantiel,  et  surtout  s'il  est 
vieux ,  rttendu  que  son  dge  exige  plus  de  pru- 
dence (i).  Et  quoique  ce  defaut  soit  si  com- 
mun  ,  il  ne  laisse  pas  d'etre  etrangemenl  de- 
crie  dans  chaque  parliculier. 


MAXIME    CGXC. 

V 

C*est  un  bonheur  de  joindre  Vestime  avec 
V  affection. 

Pour  etre  respecte ,  il  ne  faut  pas  etre  trop 

(i)  Dans  les  enfans,  dixJuan  Rufo ,  Apophtegme  26. 
la  legerete*est  une  gentillesse  ;  dans  les  hommes  faits  c'est 
un  vice  honteux^  mais  dans  les  vieillards  c'est  wne  folie 
monstrueuse. 


56o  l'ii  o  m  m 


aimc  'y  I'amour  est  plus  hardi  que  la  haine  ; 
raffection  et  la  veneration  ne  s'accovdent  guere 
ensemble  :  Et  quoiqu'il  ne  faille  pas  etre  irop 
craint  5  il  n'est  pas  bon  d'etre  trop  aime.  L'a- 
niour  introduit  la  familiarite  ,  et  a  mesure  que 
celle-ci  entre ,  restime  sort.  11  vaut  niieux  etre 
aime  avec  respect  qu'avec  tendresse;  tel  est 
Tamour  que  demandent  les  grands  liommes. 


M  A  X I  M  E    C  C  X  C  I. 

Sai^oir/aire  une  tentative. 

Que  I'adresse  de  Phomme  judicieux  contre- 
pese  la  retenue  de  I'homme  fin:  11  faut  un 
grand  jugement  pour  mesurer  celui  d'autrui. 
II  vaut  bien  mieux  connaitre  Ic  caractere  des 
esprits  que  la  vertu  des  herbes  et  des  pierres; 
c'est  la  un  des  plus  grands  secrets  de  la  vie. 
Ij'on connr^itles  metaux  auson,  el  les  personnes 
au  parler,  L'intcgrite  se  reconnait  aux  paroles  ^ 
mais  encore  plus  aux  effets.  C'est  ici  qu'il  est 
besoin  de  beaucoup  de  penetration,  de  circons- 
pecUQft  et  de  precaution. 


^ 


DE    COUR.  obi 

MAXIM  E    CCXCII. 

']^tre  ciU'dessus  y  et  non  au-dessous  de  son 
emploi. 
QuELQUE  grand  que  soit  le  poste,  celuiqui 
le  tient  doit  se  montrer  encore  plus  grand.  Un 
homme ,  qui  a  de  quoi  fournir ,  va  tou jours 
en  croissant,  et  en  se  signalant  davantage dans 
ses  emplois  ,  au  lieu  que  celui  qui  a  le  coeur 
etroit  se  trouve  bientot  arrete ,  et  est  cnfin  re- 
duit  a  ne  pouvoir  remplir  ses  obligations  ,  ni 
soutenir  sa  reputation  (i).  August e  se  piquait 
d'etre  plus  grand  homme  que  grand  prince. 
C'est  ici  qu'il  sert  beaucoup  d' avoir  du  coeur, 
et  une  confiance  raisonnable  en  soi-meme. 


MAXIME    CCXCIII. 

De  la  maturlte. 

Elle  eclate  dans  Fexterieur ,  mais  encore 
pjus  dans  Ics  mceurs.  La  gravite   materielle 

( I  )'Cest  ainsi  que  Tacite  dit  que  quelques-uns  sue-, 
combent  sous  le  faix  des  emplois,  et  que  d'autres  s'y 
dvertuent;  la  grandeur  et  Timportance  des  affaires  leur 
ftervant  d'aiguillon  ;  Excitari  quosdam  adrneliora  ma- 
gjiitudine  rerum J  hebescere  alios,  Xmx,% 


56^^  l'homme 

rend  Tor  precieux ,  et  la  gravile  morale  la  per- 
Sonne.  Cctte  gravite  est  Tornement  des  qua- 
lites  ,  par  la  veneration  qu  elle  leur  attire  (i). 
L'exterieur  de  Thomme  est  la  facade  de  Tame. 
La  maturite  n'est  pas  une  sotte  contenancc , 
ni  une  affectation  de  gestes  precieux ,  comme 
le  disent  les  etourdis  y  mais  une  autorite  mesu- 
ree.  Elle  parle  par  sentences  et  agit  loujours 
a  propos.  Elle  suppose  un  homme  fait ,  c'esl- 
a-dire  ,  qui  tient  autant  dn  grand  personnage , 
que  de  rhomme  mur.  Des  que  I'homme  cesse 
d'etre  enfant ,  il  commence  d'etre  grave  et  de 
se  faire  valoir. 


MAXIME    CCXCIV. 

Se  moderer  dans  ses  opinions, 

Chacun  juge  selon  son  interet,  et  abonde  en 
raisons  dans  tout  ce  que  son  apprehension  (2)  lui 

(i)  Pourvu  que  ce  ne  soit  pas  une  gravite  atfecte'e;  car, 
au  dire  du  jeune  Pline,  rimitation  de  la  gravite  est  tou- 
jours  un  sujet  de  moquerie  et  de  m^pris  :  temporaria 
grantas ,  vel  potius  gravitaiis  imitatio ,  ridetur,  Ep.  i3. 
lib.  6. 

{1)  Cest  ainsi  que  les  pliilosoplies  appellant  la  pre* 
miere  operation  de  resprit. 


BE    CO  TIB.  563 

roprcsenle.  La  plupart  des  hommes  font  ceder 
la  raison  a  la  passion.  De  deux  personnes  qui 
sont  d'avis  contraire,  Tune  ct  I'autre  presume 
que  la  raison  est  de  son  cote;  mais  eile,  qui 
est  toujours  fidclle  ,  n'a  jamais  eie  a  deux  vi- 
sages. C'est  au  sage  de  reflechir  sur  un  point 
si  delical ;  et ,  par  son  doute  ,  il  corrigera  I'en- 
letement  des  autres.  Qu  il  se  raettc  quelque- 
fois  du  cote  de  son  adversaire,  pour  exami- 
ner sur  quoi  il  se  fonde  j  et  cela  fera  qu'il  ne 
le  condamnera  pas  ,  ni  qu'il  ne  se  donnera  pas 
lui-meme  si  facilement  cause  gaghcc  (i). 


MA  XI  ME    CCXCV. 


L-^ 


Faire  ,  sans  f aire  Vhomme  d'affaires^ 

Ceux  qui  en  ont  le  moins  sont  ceux  qui 
veulent  en  paraitre  accables  ;  ils  font  mystere 
de  tout ,  et  encore  avec  le  plus  grand  froid  du 

(i)  Si  Fremont  d'Ablancourt  et  moi  nous  plaidions 
aux  Halles ,  j'avoue  qu'il  y  gagnerait  sa  cause  ^  mais 
chacun  sait  que  la  dame  a  qui  il  a  de'die'  XApolo^ie  de 
son  Oncle  a  eu  de  I'indignation  de  voir  son  nom  a  la 
tete  d'un  libelle  qui  n'est  qu'un  dictionnaire  d'injures  et 
de  quolibets  d'lrarangeres  et  de  laquais.  Quid  aliud  ex 
Camarina? 


o64  l'  H  O  M  M  E 

nionde.  Ce   sont   des   cameleons  d'applaudis- 
sement,  mais  de  qui  chacun  rit  a  gorge   de- 
ployce.    La   vanite  a    toujours    ete   insuppor- 
table ,  mais  ici  elle  est  bafouee.  Ces  petits  four- 
mis  d'honneur  vom  mandiant   la   gloirc  des 
grands  exploits.  Montre  Ic  moins  que  tu  pour- 
ras  tes  plus  eminentes  qualiles.  Contente-toi 
de  faire  ,  el  laisse  aux  autres  de  le  dire.  Donne 
tes  belles  actions ,  mais  ne  les  vends  point.  II 
ne  faut  jamais  louer  des  plumes  d'or ,  pour 
les  faire  ecrire  sur  de  la  boue  ,  qui  est  choquer 
tout   ce   qu'il  y  a  de  gens   sages.  Pique  -  toi 
plutot   d'etre  un  hcros  que  dc  Ic  paraitre. 

Ceux-la  (dit-il  dans  le  chap,  de  son  Discret y 
intitule  Hazanneria)    font  le  plus   les    gens 
d'affaires  qui  en  ont  le  moins  ,  parce  qu  ils  vont 
a  la  chasse  des  occasions,  et  qu'ils  les  exage- 
rent.  Ils  mettent  I'enchere  a  des  clioses  qui  va- 
lent  moins  que  rien  ,  ils  font  un  mjstere   dc 
tout ,  et  de  la  moindre  chose  ils   en  font  un 
prodige.  Toutes    leurs   affaires   sont  les  pre- 
mieres du  monde  ,  et  toutes  leurs  actions  sont 
des  exploits  ,  toute  leur  vie  est  uhe  suite  de  mi- 
i*acles  que  lia  rcnommee  doit  publier  a  son  de 
trompe.  II  n'y  a  rien  de  gommun  en  eux  ,  tout 
y  est  singulier  ,  soit  en  valeur  ,  en  savoir  ,  ou 
pxi  bonheur.    Toute   presomption    a   toujours 
.  passe  pour  sottise^  mais  la  vanteric  est  insu- 


DE    C  OUR.  565 

portable.   Les    sages    se   piquent    plus   d'etre 
grands  que  de  paraitre ;  mais  ceux-ci  se  con- 
tentent  dc  la  seule  apparence.  Tant  s'en  faut 
que  ce  soil  en  eux  une  marque  de  suMimite 
que  de  vouloir  paraitre ,  au   contraire  ,  cela 
niontre  leur  petit  esprit ,  puisque  la  moiridre 
chose  leur  parait  autant  que  la  plus  grande..... 
Si  I'qrgueil  a  toujours  deplu  ,   c'est  principa- 
lement  ici.   lis   rencontrenl  le  mepris  ou  ils 
clierchaient  de  Testime.  Lorsqu'ils  s'imaginent 
qu'on  les  admirera ,  ils  se  trouvent  exposes  4 
la  risee  de  tout  le  nionde.  Leur  vanite  ne  vient 
nuUement  de  grandeur  d'ame ,  mais  plutot  de 
bassesse  de  ca3ur ,  puisqu'ils  n'aspirent  pas  au 
veritable  honneur  ,  mais  seulement  aux  appa- 
reii:es ,  non  aux  vrais  emplois  ,  mais   a  s'en 
vanter  ,  sans  les  avoir  faits...  11  y  en  a  d'autres 
qui    font    les   ministres   a  outrages  ,    grands 
hommes  a  grossir  les  objets  (i).  II  ny  a  point 
de  petites  affaires  pour  eux,  d'atomes  ils  en 
font  une  grande  poussiere  et  de  peu  de  chose 
un  grand  bruit,  lis  se  vendent  pour  des  gens 
accables  d'affaires  ,  et  par  consequent  affames 
de  repos  et  de  loislr.  Ils  ne  parlcnt  que  par 
mjstere  ,  leur  moindre  geste  donne  a  deviner. 

(i)  Effet  de  I'amour  propre  ,   qui  ,  au  dire  du  meme  , 
regard^  toujours  avec  des  lunettes  a  grossir  les  objets. 


Z6G  l'homme 

Jls  font  dc  grandes  exclamations  ,  et  puis  ils 
s'arretent  tout  court  pour  surpr6ndre  davan- 
tage  j  scmblables  aux  machines  de  ce  Glanello 
della  Torre  (i) ,  d'aussi  grand  bruit  et  depeu  de 
profit  (2).  II y  a  bien  de  la  difference,  et  meme 
de  la  contrariete ,  entre  les  grands  faiseurs 
et  les  grands  diseurs  ;  car  plus  les  premiers 
font  de  belles  choses ,  et  moins  ils  affectent  de 
les  etaler.  Ils  se  contentent  de  faire ,  et  lais- 
sent  aux  autres  a  dire  ce  qu'ils  ont  fait ;  et 
quand  les  autres  se  taisent ,  les  choses  memes 

parlent  assez Les  seconds,  vendcnt  a  I'en- 

chere  ce  que  donnentles  autres...  Ils  le  publient 
a  son  de  trompe  j  et  faute  de  trouver  assez  dc 
plumes  parmi  celles  dc  la  renommee,  ils  prcn- 
nent  a  louage  des  plumes  d*or ,  c'est-a-dire  3^s 
plumes  venales  pour  Icur  faire  ecrire  des  ca- 
racteres  de  boue.  Et  puis  il  conclut  en  ces 
termes :  Les  plumes  de  la  renommee  ne  sont 
pas  d'or ,  parcc  quell es  ne  sont  ni  a  vendrc , 

(i)  Cetait  un  Milanais  qui  servait  a  divertir  Charles- 
Quint  dans  sa  retraite  de  Saint- Juste  ,  avec  des  horloges 
tX  des  marionettes.  Strada  dit,  que  c'e'tait  TArchimede 
de  son  temps. 

(2)  Ajontez  a  eela  ce  que  Diogene  dit  un  jour  a  un 
jeune  fanfaron  ,  qui  lui  alle'guait  la  multitude  de  ses 
affaires  :  Quil  avail  honn^  gr/ice  de  cantrefaire  l^ 
feuime* 


D  E    C  O  U  R.  367 

111  a  louer;  mals  ellcs  ont  meilleur  son  que 
le  plus  pur  argent;  elles  ne  sont  d'aucun  prix, 
mais  elles  le  donnent  aux  merites.  > 


MAXIME    CCXCVI. 

L'homme  de  prioc  et  de  qualites  majestueuses, 

Les  grandes  qualites  fontles  grands  hommes : 
une  seule  de  celles-la  est  equivalente  a  toutes 
les  mediocres  ensemble.  Autrefois  un  homme 
se  piquait  de  n'avoir  rien  que  de  grand  chex 
iui,  nieme  jusquaux  plus  communs  ustensiles. 
A  plus  forte  raison  un  grand  personnage  doit- 
il  faire  en  sorte  que  toutes  les  perfections  de 
son  esprit  soient  grandes.  Comme  tout  est 
immense  et  infini  en  Dieu,  tout  doit  etre  grand 
etmajestueuxdans  un  herosj  toutes  ses  actions, 
et  m^me  toutes  ses  paroles  ,doivent  etre  reve- 
tues  dune  majeste  transcendante. 


MAXIME    CCXCVII. 

Faire  tout  comme  si  Ton  ay  ait  des  temoins. 

Cest  un  homme  digne  de  consideration  que 
celui  qui  considere ,  qu  on  leregarde  ou  qu^on  le 
rcgardera.  II  sait  que  les  parois  ecoutent,  et  que 


568  L  HOMME 

les  mechantes  actions  crevcraient  plutdt  que  de 
ne  pas  sortir.  Lors  meme  qu'il  est  seul ,  il  fait 
comnie  s'il  etait  en  la  presence  de  tout  le  mon- 
de,  parce  qu'il  sait  que  tout  se  saura.  11  regarde 
comnie  des  temoins  prcsens  ceux  qui,  par  leur 
decouverte,  le  seront  apres.  Celui-la  ne  crai- 
gnait  point  que  ses  voisins  tinssent  registre  de 
tout  ce  qu'il  faisait  dans  sa  niaison,  qui  desirait 
que  lout  le  monde  le  vit  (i). 


MAXIME    CCXCVIII. 

U esprit  fecond  y  le  jugement  profond  et  le 
gout  fin. 

Ces  trois  choscs  font  un  prodige  ,  et  sont  lo^ 
plus  grand  don  de  la  liberalite  divine.  C'cst  un 
grand  avanlage  de  conccvoir  Lien,  et  encore 

(i)  Un  Livius  Drusus  ,  qui  dit  a  un  architecte  :  Tu 
me  demandes  tant ,  pour  empeclier  que  I'on  ne  voie 
dans  ma  maison )  et  moi  je  te  donnerai  le  double  pour 
faire  que  tout  le  monde  y  voie.  Cimi  cedificaret  do" 
■mum  ,  dit  Patercule ,  Hist.  2.  promitteretque  ei  archi" 
tectus ,  ita  seeam  cedificaturwn  ,  ut  libera  a  conspectu, 
immunis  ah  omnibus  arbitris  esset ,  neque  quisquam 
in  earn  despicere  posset  :  Tu  verb ,  inquit ,  si  quid  in 
te  artis  est ,  ita  compone  domum,  meam  ,  ut  quicquid 
agam  ab  omnibus  perspici  possit. 


D  E    C  O  U  R.  569 

uii  plus  grand  de  bien  raisonner ,  et  suriout 

d'avoir  un  boii  entendement.  L'esprit  ne  dolt 

pas  etre  dans  I'cpine  du  dos,  ce  qui  Ic  rcndi^ait 

plus  peniblc  qu'aigu.Bien  penser,  c'est  le  fruit  de 

letre  raisonnable.  A  vingt  ans  la  volonte  regne; 

a  trente  5  l'esprit;  a  quarante,  le  jugement.  II 

J  a  des  esprits  qui ,  comme  les  jeux  du  Ijnx , 

jettentd'eux-memes  la  iumiere,  et  qui  sontplus 

intelligens  quand  I'obscurite  est  plus  grande.  II 

y  en  a  d'autres  qui  sont  d^ impromptu y  lesquels 

donncnt  tou jours  dans  ce  qui  est  le  plus  a  propos. 

II  leur  vient  toujours  beaucoup  et  tout  bon ; 

fecondite  tres-heureuse  -,  mais  un  bon  gout  as- 

saisonne  toute  la  vie. 


MAXIME    CCXCIX. 

Laisser  ai^ec  la /aim, 

II  faut  laisser  les  gens  avec  le  nectar  sur  les 
levres.  Le  desir  est  la  mesure  de  I'estime.  J  us- 
que dans  la  soif  du  corps, c'est  une  finesse  dc  bon 
gout  que  de  la  provoquer ,  et  de  ne  la-_conten-  ^ 
ter  jamais  entierement.  Le  bon  est  doublemen^^>-j- 
bon  ,  lorsqu'il  y  en  a  peu.  Le  rabais  est  grand 
ala  seconde  fois.  La  jouissance  trop  pleine  est 
dangcreusc,  car  ellc  ^st  cause  que  Ton  mepvise 

2/t 


370  L*  H   O   M  M  E 

la  plus  haute  perfection.  L'unique  regie  de  plaire 
e5t  de  irouver  un  appetit  que  Ton  alaisse  affame. 
S'il  le  faut  provoquer  ,  que  cc  soil  plutot  par 
rimpalience  du  dcsir  ,  que  par  le  degout  de  la 
jouissance.  Une  feJicite  qui  coute  de  la  peine  , 
contente  doublement.  , 

Vojez  la  Maxime  220. 


MAXIME    CCC. 

Enjin,  etre  Saint. 

C'est  dire  tout  en  un  seul  mot  La  verlu  est 
la  chaine  de  toutes  les  perfections,  et  le  centre 
de  toute  la  felicite.  Elle  rend  Thomme  prudent, 
altentif ,  avise  ,  sage  ,  vaillant ,  retenu ,  integre, 
heureux ,  plausible ,  veritable  ,  et  heros  en  tout. 
Trois  (S)  le  font  heureux  :  la  sante,  la  sagjcsse  , 
ia  saintcte  (i).  La  vertu  est  le  soleil  du  petit 
monde  (2) ,  et  a  la  bonne  conscience  pour  emis- 
phere.  Elle  est  si  belle  ,  qu  elle  gagne  la  favcur 
du  ciel  et  de  la  terre.  11  nj  a  rien  d'aimable 
qu  elle ,  ni  de  haissable  que  le  vice.  La  vertu  est 

(i)  Cest  un  mot  du  sage  Mile'sien. 
(2)  C'est-a-dire  ,   de  rhomme  qui  est  appele'  le  mi- 
crocosme. 


DE    COUR.  571 

une  chose  toul  abon  ,  tout  le  reste  n'cst  qu'une 
moqueiie.  La  capacite  ct  la  grandeur  se  doivent 
niesurer  sur  la  vertu,  ct  noiipas  sur  la  fortune. 
La  vertu  n'a  besoln  que  d'elle-meme;  eile  rend 
riiomme  almable  durant  sa  vie ,  et  memorable 
apres  sa  mort  (i). 

(i)  La  vertu,  dit-il,  dans  la  sepdeme  Critique  de 
la  seconde  partie  de  son  Cridcon ,  est  un  bien  que 
rhdpime  possede  en   propre  ,   et  que  personne  ne  lui 

'■'^'' saurait  demander.  Tout  n'est  rien  sans  elle  ,  et  elle  seule 
'^esttout.  Les  autres  biens  sont  de  faux  biens  ,  elle  seule 
en  est  un  ve'ritable.  Elle  est  I'ame  de  I'-ame  ,  la  viede  la 
vie  ,  le  relief  et  la  couronne  de  toutes  les  perfections  , 
et  la  perfection  de  tous  les  etres.  Et  dans  la  conclusion 
de  son  He'ros  :  Si  I'excellence  mortelle  est  digne  de 
nos  de'sirs  ,  TEternel  doit  etre  I'objet  de  notre  ambi- 
tion.   C'est  peu ,    ou   meme  ce   n'est   rien  ,   que  d'etre 

-J  he'ros  en  ce  monde  5  au  lieu  que  c'est  beaucoup  de  I'etre 
en  I'autre. 


Principibus  placuisse  viris  non  ultima  laus  est, 
Non  cuivis  homini  contingit  adire  Corinthum. 

Hor.  epist.  17.  lib.  t.  Epist. 


24* 


M^  °>'-^<^.'r<Wi^'<'i^'i4^W'-^'>^''r'^^-^'<^'r<^'^.r«;<^'i^'i'V  '^^>^  ■^^'^''r^f^/'^'r^V^v^^r^i^'lW 


TABLE 

DES 

M  A  X  I  M  E  S. 


MAXIMES. 

I  XouT  est  malntenant  au  point  de  sa  perfec-^ 

lion  el  I'habile  homme  au  plus  haul.  pag.  i 

II  L'Esprit  et  le  Genie.  Ibid, 

III  Ne  se  point  ouvrir,  ni  declarer.  a 

IV  Le   Savoir  et  la  Valeur  font  reciproquement 

les  grands  hommes.  4 

V  Se  rendre  toujours  necessaire.  5 

VI  L'homme  au  comble  de  sa  perfection.  6 

VII  Se  bien  garder  de  vaincre  son  maitre.  7 

VIII  Ne  se  passionner  jamais.  9 

IX  Dementir  les  defauts  de  sa  nation.  10 

X  Fortune  et  Renommee.  1 1 

XI  Trailer  avec  ceux  de  qui   Ton  peut  appren- 

dre.  J  2 

XII  La  nature  el  I'art,  la  matiere  et  I'ouvrier.       i3 

XIII  Proceder    quelquefois   finement,    quelquefois 

rondement.  '  14 

XIV  La  Chose  et  la  Maniere.  i^ 

XV  Se  servir  d'esprits  auxiliaires.  ao 

XVI  Le  savoir  el  la  droile  intention.  21 
XYii    Ne  pas  tenir  toujours  ua  zneme  precede.  22, 


DE.''    MAXIMES. 


on  J 


UAXYMES. 

XVIII 
XIX 

XX 
XXI 

XXII 

XXIII 

XXIV 

XXV 

XXVI 

XXYII 

XXVIII 

XXIX 

XXX 

XXXI 

XXXII 

XXXIII 

XXXIV 

XXXV 

XXXVI 

XXXVII 


xxi;'viii 

XXXIX 


L' Application  et  le  Genie.  pag.  23 

N'etre  point  trop  prone  par  les  bruits  de  la 
renommee.  24 

L' Homme  dans  son  siecle.,  2,5 

L'Art  d'etre  heureux.  27 

Etre  homme  de  mise.  Ibid, 

N'avoir  point  de  tache.  29 

Moderer  son  imagination.  3r 

Etre  bon  entendeur.  32 

Trouver  le  faible  de  chacun.  33 

Preferer  I'intension  a  I'extension.  34 

N'avoir  rien  de  vulguaire.  Ibid. 

Etre  homme  drbit.  35 

N'afFecter    point    d'emplois  extraordinaires 

ni  chiraeriques,  36 

Connaitreles  gens  heureux  pour  s'en  servir, 

et  les  malheureux  pour  s'en  ecarter.  37 
Avoir  le  renom  de  contenter  chacun.  38 
Savoir  se  soustraire.    ,  Ibid. 

Connaitre  son  fort.  39 

Peser  les  choses  selon  leur  juste  valeur.  41 
Sonder  sa  fortune  et  ses  forces  avant  que 

de  s*embarquer  dans  aucune  entreprise.  42 
Deviner   ou  portent   de  petits  mots  qu'on 

nous  jette  en  passant,  et  savoir  en  tirec 

du  profit.  48 

Savoir  se  moderer  dans  la  bonne  fortune.  44 
Connaitre  I'essence  et  la  saison  des  choses , 

et  savoir  s'en  servir.  45 


574 


TABLE 


XL 
XLI 
XLII 
XLIII 

XLIV 

XLV 

XLVI 

XL  VI I 

XLVIII 

XLIX 

."L 

LI 

LII 

IJII 

LIV 

LV 

LVI 

LVII 

LVlll 

LIX 

LX 

LXI 

LXIl 

Lxni 

LXIV 
LXV 


Se  falre  aimer  de  tous,  46 

N'exagerer  jamais.  49 

Savoir  prendre  un  ascendant.  5o 

Parler    comme   le   vulgaire,  mais     penser 


55 
S6 

^7 
59 
60 
61 
Ibid 


comme  les  Sages. 
Sirapatiser  avec  les  grands  homraes. 
User  de  reflexion  sans  en  abuser. 
Gorriger  sans  antipalhie. 
Eviter  les  engagemens. 
L'homme  de  grand  fonds. 
Etre  judicieux  at  penetrant. 
Ne  se  perdre  jamais  de  respect  k  soi-meme. 

Choisirle  meilleur.  Cit 

Nes'emporter  jamais. 

Eire  diligent  et  inlelligent. 

Avoir  du  sang  aiix  ongles. 

Savoir  at  tendre. 

Trouver  de  bons  exp^diens. 

Les  gens  de  reflexion  sont  plus  surs 

Se  mesurer  selon  les  gens. 

Se  faire  d^sirer  et  regretter. 

Le  bon  sens. 

Exceller  dans  Texcellent. 

Se  servir  de  bons  instrumens. 

L'excellerice  de  la  priraaute. 

Savoir  s'epargner  du  chagrin. 

Avoir  le  gout  fin. 


67 

68 

I 

74 
.78 

79 
Ibid, 

83 

84 
86' 

87 
89 

•  1)0 


Prenlre  bien  ses  mesuies  avant  que  d' en- 


DES    MAXIMES. 


375 


MAXIMES. 
LXVII 

Lxvni 

LXIX 

ILXX 

LXXI 


treprendre.  pt^ge     92 

Preferer  les  emplois  plausibles.  ^3 

Faire  comprendre  est  bien  meilleur  que  faire 
souvenir.  \  /  97 

Ne  point  donner  dans  I'hudfeur  vulgaire.  98 
Savoir  refuser.  10 1 

N'etre  points  in^gal  et  irr6gulier  dans  son 
proc^de.     ^^'  f'  loa 

LXXI  I      Etre  homme  de  resolution.  Ibid, 

Lxxm     Trouver  ses  defaites.  104 

Lxxiv     ^^6tre  point  inaccessible.        .-    .  io5 

LXXY  j^*Se  proposer  quelq^eireros,   non  pas  tant  k 
iiiiiter^iifea  si^^ser.  >:  106 

Lxxvi      N'etr«^p|fat^oli|BR  siMj»plaisant.  107 

Lxxvii     S'accommoderTl  tout^P^rtes  de  gens.     108 
Lxxviii   Entreprendre  a  propos;  109 

XXXIX      Etre  jovial.  no 

Etre  soigneux  de  s'informer.  Ibid, 

Renouveler  sa   reputation    de   temps    en 
temps.  .     .  Ill 

Ne  pas  trop  appt'ofondir  le  bien  ni  le  mal. 

112 
Lxxxiii     Faire  de  petites  fautes  k  dessein.  1 13 

Lxxxiv      Savoir  tirer  profit  de  ses  ennemis.  114 

Lxxxv       Ne  se  point  prodiguer.  116 

Lxxxvi      Se  munir  centre  la  m^disance.  121 

Lxxxvii     Cultiver  et  embellir.  122 

Lxxxviii    S'etudier  a  avoir  les  mani^res  sublinies^ 


LXXX 

IXXXI 


I.XXXII 


% 


57G 


TABLE 


LXXXIX 

xc 

XCI 
XCII 

XCIII 
XCIV 

xcv 

XGVI 

XGVI  II 
XCIX*^ 

c 

CI 

ch 

cm 

CIV 

cv.'- 

CVI 

evil 
cvin 


Connaitre  parfaitement  son  genie  ,  son  es- 
prit ,  son  coeur  et  ses  passions,  page  124 
Le  mojen  de  vivre  long-temps.  126 

Aglr  sans  crainte  de  manquer.  126 

L'Esprit   transcendant  en    toutes    choses. 

127 
L'homme  universel.  '  Ibid, 

Ne  point  laisser  voir  toute  sa  capacite.  128 
Savoir  entretenir  I'attente  d'autrui.  i3o 
La  Sinderese.  i3i 

jrir  et  conserveria  repuattion.         i32 
jsimul^qpt  *  Ibid. 

'Ea  RealiteWl'Apparence.  i35 

L'Homme  desabuse,   le  Chretien  sage,   le 
Courtisan  pliilosophe.  Ibid, 

Une  partie  du  monde  se  moque  de  I'autre , 
et  Tune  et  I'autre  rient  de  leur  folie  com-, 
mune.  '        i3^ 

Estomac  bon  a  recevoir  les  grosses  bou- 
cliees  de  la  fortune.  i37 

Conserveria  majestepropre  a  son  6tat.    i38 
Tater  le  pouls  aux  afi'aires.  140 

N'etre  point  lassant.  141 

Ne  point  faire  parade  de'sa  fortune.  ,     142 
INe  point  montrer  qu'on   soit  content  de 
soi-iiieme.  143 

Le  plus  court  cliemin  ,  pour  devenir  grand 
personiiage ,  est  de  savoir  choisir  son 
monde.  144     . 


I 


DES    MAXIMES. 


677 


MAXIMES. 


N'etre  point  r^pr^liensif.  page     145 

N'attendre  pas  qu'on  soit  soleil  couchant. 

Faire  des  amis.  ^^'^^  149 

Gagnerle  coeur.  i5o 

Dans   la   bonne  fortune   se  preparer  a  la 
mauvalse.  i52 

Ne  competer  jamais.  i53 

Se  faire  aux  humeurs  de  ceux  avec  qui  Ton 
a  a  vivre.  i54 

Trailer  tou jours  avec  des  gens  soigneux  de 
*  leur  devoir.  ,  *  '  i55 

Ne  parler  jamais  de  soi-menie,  i5^ 

Affecter  le  renom  d'etre  civil.  iSy 

Ne  pas  faire  le  reveche.  169 

S'accommoder  au  temps.  160 

Ne  point  faire  une  affaire  de  ce  qui  n'en 
est  pas  une.  162 

L'autorite  dans  les  paroles  et  dans  les  ac- 
tions, "i^^,*  i63 
cxxii^v.   *£tre  sans  affectation.  164. 
cxxiv        Se  faire  regretter.  j66 
N'etre  point  livre  de  compte.  168 
Ce  n'est  pas  etre  fou  que  de  faire  une  folie, 
mais  bien  de  ne  la  savoirpas  cacher.   170 
Le  Je  ne  SATS  Quoi,                                 Ibid, 
cxxviii     Le  liaut  courage.                                         174 
cxxix        Ne  se  plaindre  jamais.                                177 
#  cxxx         Faire,  et  faire  paraitre,                           178 


cix 
ex 

CXI 

CXII 

CXIII 

cxiv 
cxv 

cxvi 

CXVII 
(tXVIII 
ex  IX 

CXXI 

CXXII 


iM 


578 


TABLE 


CXXXI 

CXXXII 

CXXXIII 

CXXXIV 

cxxxv 

CXXXVI 

CXXXVII 
CXXXVIII 

CXXXIX 
CXL 

CXLI 

exLii 


6XLIII 

cxLiy 

CXLT 

CXLVI 

CXLVII 

exLviii 

CXLIX 
CL 


Pfoc^der  en  galant  homme.  page  179 

S'aviser  et  se  r'aviser.  180 

Eire  plutotjfou  avec  tous,    que  sage  tout 
seul.  181 

Avoir  le  double  des  choses  necessaires  a  la 
vie.  182 

N'^tre  point  esprit  de  contradiction.        i83 
Prendre  bien  les  affaires,  et  leur  tater  in- 
continent le  pouls.  184 
II  ne  faut  au  Sage  que  lui-meme.  i85 
Laisser  aller  les  choses  comme  elles  peuvent, 
sur-tout  quandla  mer  est  orageuse.    18^ 
Connaitre  les  jours  malheureux.              187 
Donner   d'abord   dans   le  bon   de  chaque 
chose.  190 
Ne  se  point  ecouter.  191 
Ne  prendre  jamais  le  mauvais  parti  en  depit 
de  son  adversaire  qui  a  pris  le  meilleur. 
*  192 
Se  garder  de  donner  dans  le  paradoxe  ,  en 
voulant  s'eloigner  du  vulgaire.  198 
Entrer  sous  le  voile  de  Tinteret  d'aulrui  , 
pourrenconlrer  apr^s  le  sien.  194 
Ne  point  montrer  le  doigt  malade.          195 
Regarder  au  dedans. 
N'elre  point  inaccessible. 
Avoir  Tart  de  converser. 
Savoir  detourner  les  maux  sur  autrui 
Savoir  faire  valoir  ce  que  Ton  fait. 


196 

197 
199 
200 
2.0  J 


DES    MAXiaiES. 


579 


AAXIMES. 
GLI 

CLII 

CLIII 

CLIV  ^^ 

CLV    ^'' 

pi 

feLVII 
CLVIH 
CLIX 
CLX 

CLXI 7 

CLXIII    . 


CLXIV 

CLXV 

CLXVI 


CLXVII 

CLXVIII 

CLXIX 


209 

Ibid, 
214 


<«»       CI.XX 


Penser  aujourd'hui  pour  demain  el  pour 
long-lemps.   *  page    202 

Nes'associer  jamais  avec  personne,  aupres 
de  qui  Ton  ait  moins  de  luslre.  2o3 

Fair  d'etre  oblige  de  remplir  un  grand 
vuide.  2o5 

N'etre  facile  ni  a  croire  ni  k  aimer.         208 

Savoir  se  contenir. 

Choisir  ses  amis. 

Ne  se  point  Iromper  en  gens. 

Savoir  user  de  ses  amis. 

Savoir  soufFrir  les  sots. 

Parler  sobrement  a  ses  emules  par  precau- 
tion J  et  aux  autres  par  bienseance.  2r5 

Connaiire  les  defauts  oii  Ton  se  plait.  Ibid. 

Savoir  triomplier  de  la  jalousie  et  de  I'en- 
vie.  216 

II  ne  faut  jamais  perdre  les  bonnes  graces 
decelui  qui  est  heureux,  pour  prendre  pi- 
tie  d'un  malheureux.  217 

Tirer  quelques  coups  en  I'air.  219 

Fa  ire  bonne  guerre.  2.2.0 

Discerner  I'liomme  qui  donne  des  paroles  , 
d'aveccelui  qui  donne  des  effets.        222 

Se  savoir  aider.  224 

Ne  point  donner  dans  le  raonstrueux.  Ibid, 

Plus  d'attention  a  ne  pas  faillir  un  coup  ^ 
qu'a  en  bien  tirer  cent.  225 

liser  de  menaa;ement  en  toutes  choses,  2.2,C 


58o 


TABLfi 


MAXIMX;S. 

CLxxi         Ne  pas  abuser  de  la  faveur.  page  227 

CLXxii       Ne  se  point  engager  avec  qui  n'a  rien   a 
perdre.  -  229 

CLxxm      N'est  point  de  verre  dans  la  conversation  , 
encore  moins  dans  I'amitie.  280 

cLxxiv      JVe  point  vivre  a  la  hate.  2.3i 

CLxxv        Etre  substanciel.  282 

CLxxvi      Savoir  ou  ecouter  ceux  qui  savent.   ,^    233 
CLxxvii     Eviter  le  trop  de  familiarite  dans  la'^con- 
versation.  235 

6LXXVI11  Croire  au  coeur  et  surtout  quand  c'est   un 
coeur  de  pressentiment.  28^^ 

CLxxix      Se   retenir  de  parler   c'est  le  sceau  de  la 
capacite.  287 

CLX±x  Ne  se  regler  jamais  sur  ce  que  Tennenii 

avait  dessein  de  faire.  ^38 

CLXxxi        Ne  point  mentir,  mais  ne  pas  dire  toutes 
les  verites.  289 

CLXXxii       Un  grain  de   hardiesse  tient   lieu  d'une 
grande  habilele.  240 

CLXXXiii      Ne  se  point  enteter.  241 

cLxxxiv      N'etre  point  ceremonieux.  24a 

cLxxxv       N'exposer   jamais   son  credit    au   risque 
d'une  seule  entrevue.  248 

CLXxxvi      Discerner  les  d^fauts  ,    quoiqu'ils  soient 
devenus  a  la  mode.  244 

CLXxxvii     Faire   soi-meme  tout  ce  qui  est  agreable 
et  par  aulrui  tout  ce  qui  estodieux.  245 
CLXxxviii  Porter    tou jours  en  compagnie    quelque 
chose  a  louer.  1  247 


DES    MAXIMES' 


58: 


CLXXXIX 

cxc 

GXCI 

cxcii 

CXCIII 
CXCIV 


cxcv 

CXCVI 
cxc  VII 
CXCVIII 
CXCIX 


cc 


CCI 


ecu 


CCIII 


CCIV 


Se  prevalolr  du  besoin  d'autrui.  page  248 
Trouver  sa  consolation  partout.  249 

Ne  se  point  repaitre  d'une  courtoisie  ex- 
cessive. 260 

L'homme  de  grande  paix  est  homme  de 
longue  vie.  ^Si 

Veille  de  pr^s  sur  celui  qui  entre  dans 
ton  interet,  poury  trouver  le  sien.  25a 

Juger  modestement  de  soi-meme  et  de  ses 
affaires,  surtout  quand  on  ne  faib  que 
commencer  k  vivre.  Ibid, 

Savoir  estimer.  2.53 

Connaitre  son  etoile.  254 

Ne  s'embarrasser  jamais  avec  les  sots.  255 

Savoir  se  transplanter.  2.^6 

Savoir  se  mettre  sur  le  pied  d'hommo 
sage  et  non  d'homme  intrigant.         257 

Avoir  toujours  quelque  chose  a  desirer  , 
pour  ne  pas  etre  malheureux  dans  son 
bonheur.  258 

Tous  ceux  quiparaissent  fous,  le  sont;  et 
encore  la  inoitie  de  ceux  qui  ne  le  pa- 
raissent  pas.  259 

Les  dits  et  les  faits  rendent  un  homme 
accopipli.  )  260 

Connaitre  les  excellences  de  son  siecle. 

261 

Ce  qui  est  facile  se  doit  entreprendre 
comme  s'il  etait  difficile;  et  ce  qui  est 
difficile  comme  s'il  6tait  facile.         262 


582 

MlXIHES. 

ccv 

CCTI 

ccyii 

CCVIII 

ccix 

ccx 
ccxi 


CCXII 

CCXIII 

CCXIV 

ccxv 

CCXVI 
OCXVII 

CCXVIII 

cexix 
ccxx 

CCXXI 
CGXXII 


TABLE 

Savoir  jouer  de  mepris.  page  2.62 

II  y  a  partout  un  vulgaire.  2.6S 

User  de  retenue.  z66 

Ne  point  mourir  du  mal  de  fou.  267 

Ne  point  donner  dans  la  folic  des  autres. 

Ibid. 
Savoir  jouer  de  la  verit6,  2.68 

Auciel  tout  est  plaisir ;  en  enfer  tout  est 

peine  :  le  monde  comme  mitoyen  tient 

de  I'un  et  de  I'autre.  2^71 

Se  r^server  tou jours  le  fin  de  I'art.  2.J2 
Savoir  contredire.  it^v  ^73 

D'une  folie  n'en  pas  faire  deux.  2:74 

Avoir  rceil  sur  oelui  qui  joue  de  seoonde 

intention.  ^76 

Parler  net.  276 

II  ne  faut  ni  aimer  ni  hair  pour  tou  jours. 

277 
Ne  rien  faire  "par  caprice,   mais  tout  av^c 

circonspection.  278 

Ne  point  passer  pour  homme  d'arlifice* 

Se  couvrir  de  la  peau  du  renard ,    quand 

on  nepeut  pas  se  servir  de  celle  du  lion, 

::' .^bfmnnsii:^  280 

N'etre  point  trop  prompt  a  s'engager  ni 

a  engager  autrui.  281 

L'bomme  retenu  a  toute  I'apparence  d'etre 

prudent.  2,S:i 


DES    MAXIMES. 


585 


MAXIMIS. 

ccxxiii       N'etre  pas  trop  slngulierni  par  affectation 
ni  par  inadverlance.  P^g^  2*^3 

ccxxiv       Ne  prendre  jamais  les  choses  a  contre-poil, 
bieii  qu'elles  y  viennent.  ^87; 

ccxxv  Coiinailre  son  defaut  dominant.         Ibid, 

ccxxvi        Attention  k  engager.  289 

ccxxvii      N'etre  point  homme  de  premiere  impres- 
sion. Ibid, 
ccxxviii     N' avoir  ni  le  bruit  ni  le  renom  d'etre  me- 
chante  langue.  £90 
ccxxix         Savoir  partager  sa  vie  en  homme  d'esprit. 

291 

4CCXXX  Ouvrir  lesyeux  quand  il  est  temps.     297 

ccxxxi        Ne  laisser  jamais  voir  les  choses  qu'elles 

ne  soient  acbev^es.  298 

ccxxxii       Savoir  unpen   le  commerce   de  la  vie. 

299 

ccxxxiii     Savoir  trouver  le  gout  d'autrui.  3oo 

ccxxxiv      N'engager  jamais  sa  reputation  sans  avoir 

des  gages  de  I'honneur  d'autrui.'       3oi 

ccxxxv        Savoir  demaiider.  3o2 

ccxxxvi      Faire  une  grace  de  ce  qui  n*eut  6te  apres 

qu'une  recompense.  3o3 

ccxxxvii    N'etre  jamais  en  part  des  secrets  de  ses 

sup^rieurs.  3o4 

ccxxxviii  Connaitre  la  pi^ce  qui  nous  manque.   3o6 

ccxxxlx      N'etre  pas  trop  fin.  •  307 

CCXL  Savoir  faire  I'ignorant.  ^  3o8 

ccxLi  Souffrir  la  raillene,  mais  ne  point  railler. 

■■  ^    r-::  :  \-    -A      Ibid, 


584 


IMAXIMES. 

CCXLII 

CCXLIII 

CCXLIV 

CCXLV 

CCXLVI 

CCXLVII 

CCXLVIII 
CCXLIX 

CCL 
CCLI 


CCLII 

CCLIII 

CGLIV 

CCLV 

CCLYI 

/ 


CCLVII 
CCLVill 


TABLE 

Poursulvre  sa  pointe.  3id 

N'etre  pas  colombe  en  tout.  3i i 

Savoir  obliger.  3i2. 

Raisonner  quelquefois  a  rebours  du  vul- 
gaire.  3i3 

Ne  donuer  jamais  de  satisfaction  a  ceux 
qui  n'en  demandent  point.  3i4 

Savoir  un  peu  plus  et  vivre  un  peu  moins, 

Jbid, 
Ne  se  pas  laisser  aller  au  dernier.  3i6 

Ne  point   commencer  a  vivre  par  ou  il 
faut  achever.  Jbid, 

Quandfaut-il  raisonner  a  rebours?       Zi'j 
II  faut   se  servir  des    moyens  humains  , 
comme  s'il  n'y  en  avait  point  de  diviiis; 
et  des  divins  comme  s'il  n  j  en   avait 
point  d'liumains.        .  3i8 

Ni  tout  a  soi  ni  tout  a  autrui.  3i9 

Ne  se  rendre  pas  trop  intelligible.         32o 
Ne  pas  n6gliger  le  mal,    parce   qu'il  est 
petit.  /  321 

Faire  peu  de  bien  a  la  fois,  mais  souveut. 

322 

Se  teuir  tou jours,  prepare  centre  les  alta- 
ques  des  rustiques,  des  opiniatres,  des 
presomptueux  et  de  tous  les  aulres  im- 
perlinens.  323 

N'en  venir  jamais  a  la  rupture.  325 

Cliercher  quelqu'un  qui  aide  a  porter  le 
faix  cle  I'adversite.  32(^ 


DES    MAXIMES 


385 


KAXI^MES. 
CCLIX 

CCLX 

CCLXl 
CCLX I I 
CCLXIII 


CCLXIV 

CCLXV 

CCLXVI 

CCLXVII 

CCLXVIII 

CCLXIX 
CCLXX 

CCLXXI 


CCLXXII 
C(iLXXIlI 

CCLXXIV 
CCLXXV 

«CLXXTI 


Prevenir  les  offenses ,  et  en  faire  des  fa- 

veurs.  page  827 

Tu  ne  seras  ni  tout  entier  a  persoune  ni 

personne  tout  entier  a  toi.  ibid. 

Ne  point  continuer  une  sottise.  828 

Savoir  oublier.  329 

Beaucoup  de  choses  ,  qui  servent  au  plai- 

sir  nese  doivent  pas  poss^der  en  propre, 

33o 

N' avoir  point  de  jour  neglig^.  33i 

Savoir  engager  ses  dependans.  33a 

N'etre  pas  mechant  d'etre  trop  bon.    333 

Paroles  de  soie.  334 

Le  Sage  doit  faire  au  commencement  ce 

que  le  fou  fait  a  la  fin.  335 

Se  prevaloir  de  sa  nouveaute.  33^ 

Ne  point  condamner  tout  seul  ce  qui  plait 

k  plusieurs. .  ibid. 

Que  celui  qui  sait  peu  dans  sa  profession 

^      s'en  tienne  toujours  au   plus   certain. 

337 
Vendre   les  choses  ^  prix  de  courtoisie. 

338 
Connaitre  k  fond  le  earact^r^deceux  avec  ^ 

qui  Ton  traite.  339 

Avoir  le  don  de  plaire.  34© 

Se  con  former  a  l' usage  mais  non  pas  k  la 

folie  commune.  .^  341 

Sgvoir  renouveler  son  g^nie  par  la  nature 

et  par  Tart.  34a 

a5 


>?^'' 


585 

MAXIMES 

CCLXXVII 

CCLXXVIII 

CCLXXIX 

CCLXXX 

CCLXXXI 

CCLXXX  II 

CCLXXXIH 
CCXXXIY 


TABLE 

L'liomme  d'ostentatioii.  page  ^44 

Fuir  en  lout  d'etre  remarquable.         3^8 
Laisser  contr^dire  sans  dire.  349 

L'komnie  de  bon  aloi.  35o 

L'approbation  des  habiles  gens.  35 r 

Se  servir  de  I'expt^dient  de  I'absence  pour 
se  faire  respecter  ou  estimer.  35» 

Etre  liomme  de  bonne  invention.      353 
Ne  te  mele  point  des  afFrires  d'autrui  et 
lu  ne  seras  point  mal  dans  les  tiennes. 

ibid. 

CCLXXX V        Ne  se  pas  perdre  avec  aulrui.  36^ 

ccLxxxvi      Ne  se  pas  laisser  obliger  entierement  ni 

par  toutes  sortes  de  gens.  355 

CCLXXXVII      N'aglr  jamais  durant  la  passion  357 

ccLXXxviii  .  Vivre  selon  I'occasion.  ibid. 

ecLxxxix       Ce  qui  decr6dite  daVantage  un  homme 

est  de  montrer  qu'il  est  homme.  359 

ccxc  C'est  un  bonheur  de  joindrerestimeavec 

Taffection.  ibid. 

ecxcir^^  Savoir  faire  une  tentative.  36o 

ccxci^    *      Etre  au-dessus  et  non  au-dessous  de  son 

ernploi.  *  36  i 

ccxcin  De  la  maturity.  ibid. 

ccxciY  Se  mod^rer  dans  ses  opinions.  362 

ccxcv  Faire,  sans  faire  rhomme  d'affaires.  363 

ccxcvi  L'homme  de  prix ,    et  de  qualites  ma- 

jestueuses.  36j 

ccxcvii  Faire  tout  copime  si  I'on  avail  des  t^^ 

jnoins.  ibid. 


DES   MAXIMES.  587 

MiXiMES. 

ccxcvin       L* esprit  fi^cond,  le  jugement  profond  et 

le  gout  fin.  page  368 

ccxcix  Laisser  avec  la  faim»  869 

ccc  Enfin  etre  saint.  870 


FIN    DE  LA    TABLE    DES   MAXIJIES 


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Gracian  y  Morales,  Baltasar 
L'homme  de  cour 


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