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PROFESSOR J. S.WILL
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L'HOMME
GOUR.
Derimprimeriede CHARLES, rue de Thionville.
jLOUIS XiV
L' H O M M E
DE
GOUR
DE BALTHASAR GRACIANj
TRADUIT -^T COMMENTE
PAR AMELOT DE LA HOUSSAIE,
Ci-devant Secre'taire de TAmbassade de France a Vcnisc.
d6d it a LOUIS XIV,
^ ETORNJEDE SON PORTRAIT.
mmmM u m bossslli
A PARIS,^
J CHEZ Leopold COLLIN , Librairft.
1 808.
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AU ROL
SIRE,
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A. plupart des ^crivains de ce temps ont iiiti*o«
duit la coutume, de dedier leur premier livre k
VOTRE MAJEST6 t Ics uos , par ambition ou par va-.
Iiit6 ; les autres , par interet, et quelques-uns pai?
amour ou par reconnaissance. Pour moi , sire , je
n'ai pas cru devoir me regler tout* a- fait -sur cet
exemple , bien que je m j sentisse convi6 par tons
les plus tendres et les plus purs sentimens qu'un
bon et fidele sujet puisse avoir pour' son prince.
Je commencai , il y a neuf ans , par un de vos
principaux ministres , et, depuis , j'ai continue par
trois princes souverains , tons trois anciens amis et
allies de la France , pour monter, comme*par de-
gres, jusqiies a votre majeste , a qui , il me sem-
blait que je ne devais pas m*adresser , que je n'eusso
fait mes premiers coups d'essai ailleurs : do sorie
ij E FIT RE. ■ - /
que c'est de ce livre , qu'il est vrai de dire , que la
fin couronne I'oeuvre.
Mais tout cela n'empeclie pas que je ne tremble
encore , et que je ne m'accuse moi-meme de teme-
rite , quand je pense a ce que vous etes et a ce que
je suis ; k ce que vous faites tous les jours et a ce
que je fais aujourd'hui : Et si je n'eusse troBve uu
aussi habile homme de cour qu'est Balthasar Gra-
cian pour in*introduire aupres de votre majestic ;
i'avoue, SIRE , que j'eusse passe le reste d.e mes
jours, sans avoir jamais Thonneur de paraitre -de-
vant elle. Outre que j'aicru qu'elle prendrait quelque
sorte de plaisir a entendre parler a un si celebre
Espagnol une langue , que ses conquetes font main-
tenant parler a tant de villes et de provinces (jui
ont change Ae maitre. Tellement que si Gractan
eut vecu encore une vingtaine d'annees , il t;ut sans
doute cesse d'appeler sa langue naturelle, la langufe
universelle et la clef du monde («)»
Si j'etais homme de guerre, je me melerais peut-
etre de parler de ses conquetes ; mais Dieu m*ayant
fait naitre d'une profession ioute contraire, je crois
que mon silence sera plus agreable a votre majestk
que tout ce que je pourrais dire de tant de glorieux
exploits , que ceux meme qui ont eu Fhonneur d'eu
etre les temoins occulaires , savent mieux admirer
que raconler. Et d'ailleurs , sire , comme Vous etes
I'Achille de I'Europe , vous avez toute I'Europe pour
(a) Chap, deraier de son Discret.
E PIT RE. lij
Homere ; et vous etes, apropreraent parler , riiomme
<le la renommee, el de la Fama.
Quand vous allez a la guerre , nous avons autant
de joie que lorsque vous en revenez , parce que nous
sommes assures que vous allez au triomphe. Vous
nous avez si fort accoulumes a vous voir faire de
grandes choses , que nous eussions cesse de vous
admirer a cause que cela vous est ordinaire , si vous
n'eussiez trouv6 le secret d'en faire tous les jours
de nouvelles et de renaitr6 a nos applaudissemens :
ce que Gracian dit elre une des plus certaines mar-
ques d'un vrai h^ros , et une propriety merveilleuse
de I'aigle et du phenix (*). ' - " '
En quarante-deux ans de regne -. vous en avezf
fait»aulant que quarante Rois ; et ce sera de vous que
*vos successeurs auront sujet de dire c^ que dit un,
jour Philippe II, de Ferdinand-le-Calholique , en
vojant un de ses portraits : C'est a ce roi que nous
demons tout {c),'
Mais je ne sais , sire , si ces successeurs , tout
redevables qu'ils vous seront de la puissance decette
monarchie , pourront jamais aimer voire niemoire ;
car Timpossibilite de vous imiler ferapeut-etre qu'ils
vous porteront plus d'envie que de reconnaissance ,
parce que leurs sujets exigeront qu'ils soient tels
qu'ils saurout qu'aura ete Louis - le -Grand. lis
(b) Chap. 16. de son H^ros , et vers la fin de son
Berdinand.
(c) Gracian , dans son Ferdinand.
IV EPITKF.
feront 5 comme c'est la coutuiiie du peiiple (c?),
des comparaisons odieuses entre Vous etces Princes;
et la difterence qu'ils trouveront enlre leurs actions
et les votres , poiirra bien etre cause que radmira-
tions qu'ils auront pour Vous , diminuera Testime
et Tamour qu'ils auraient eue pour eux. Mais ce qui
consolera ces Rois , est qu'ils, ne manqueront pas, de
Ilatteurs qui leur donneront quelquefois le plaisir
de les egaler a votre majeste,
C'est a Vous , sire , que convient parfaitement
le bel eloge de Roi-Roi (e) , que Gracian donne k
sou Ferdinands Gar s'il y eut jamais un Roi-Roi ,
c'est-a-dire , un Maitre-Roi ; un Roi done de toutes
les qualites royales ; un Roi , de qui les talens et
les attributs partages en cent hommes ^ pourraient
faire de cliacun un grand personnage et meme un
grand Roi (/), toute I'Europe avoue que c'est Vous.
{d) Qui neminem sine Simula cenit, Tac. Annal i/j..
(t?) Clement Marot se sert de cette eifpression dans une
e'pitre qu'il adresse au roi Frangois I, a la fin de laquelle
il lui parle ainsi :
Roi plus que Mars d'honneur environne' ,
Roi le plus Roi, qui fut one couronne^ ,
Exemple qui sei-vira de re'ponse a quelques gens levis
armaturce , qui ont censure' cet endroit de mon epitre ;
et surtout a deux poetes , a qui ce Sjprait un grand hon-
iiear de j^ouvoir etre compares a Marot, et dont tons
ies vers ne vaudront jamais cet he'mistiche d'Homere,
[f) Dans son Ferdinand et dans la Critique 5 de la
Iroisieme partie de son Critic&n.
EPITRE
Et tout grand Roi que vous etes , vous etes encore
un plus grand homme ; qualite que vous envierait
Auguste , qui s'en glorifiait plus que de celle d'Em-
pereur de I'univers (g). Naitre Prince , dit Tacite ,
c'est un pur don de la fortune (/i) ; mais elre n®-
Roi, et le savoir etre comme vous, c est de R-oi
par fortune se faire Roi par soi-nieme ; c'est de Roi
a faire devenir Roi fait : c'est se distinguer aufant
des autres Rois , qu'ils se distinguent de leurs su-
jets ; c'est etre le non plus outre de la rojaute.
Vous voyez , sire , que je me sers beaucoup des
expressions de Gracian ; mais je ne le fais pas tant ,
pour suppleer a la foiblesse et a la pauvrete d^S'
miennes , que pour montrer a votre majej^te ce
qu'il eut dit d'ElIe, s'il eut jamais eu riionneur de
la connaitre , ou ^u moins le temps d'apprendre ce
qu'elle a fait depuis vingt - cinq ans qu'elle gou-
verne sans ministre. S'il a bien ete assez equitable
pour faire justice a la memoire ^Henti-le-Grand ^
votre aieul , qu'il appelle dans son Heros {i) ^ le
Thesee de la France ^ et de qui il fait trois sublimes
^loges dans son Ferdinand , qui est une critique
rojale et un chef-d'oeuvre de politique ; il est k
croire, que galant homme comme il etait , il n'eilt
pas epargne a votre majesty les louanges qui sont
dues a ses heroiques et immortelles actions. Et pen-
(§•) Maxime 292.
{h) Generarl et nasci a prlncipibus , fortuitum.
Hist. I.
(/) Chap. i5. .
yi EPITRE.
dant que je travaillais a la traduction que j*ai I'hon-
iieur de lui presenter aujourd'liui , il m'est arrive
mille fois de regretter cet Espagnol , persuade que
je suis, qu'ayant un si bel esprit, une si fine plume
et tant de passion d'eterniser la gloire des heros , il
eut eu I'ambition de s'immortaliser lui-meme par
quelque beau panegyrique de votre majeste, dont
la traduction eut servi de digne 6pitre a mon livre;
car il n'j a que des esprits transcendans comme lui
qui soient capables de faire I'eloge d'un prince
comme vous. Et si Alexandre croyait, qu'il etait
de son honneur de ne laisser tirer son effigie qu'au
famevLX Appeles et au celebre Ljsippe , il serait a
souliaiter , sire , que I'image de yotre majesty ,
je ne dis pas celle du visage , quoiqu'au dire de
Gracian ^ ce soit le trone de la bienseance (^);
iH^is celle de I'esprit , qui dans les Rois est le sanc-
luaire de la majeste ; ne ful tiree que par des
Xenopbon , de.s Tacite , des Pline, des Coeffe-
teau , des Pellisson et des Gracian. La delica-
tesse d'Alexandre e'st bonne pour les Princes qui ne
sont recommandables que par les avantages du
corps ; mais celle d'Agesilaiis , qui ne faisait etat
aue des portraits de Tesprit , sied mieux a votre
MAJESTY qu'a pas un B.oi du monde , parce qu'elle
y a plus d'interet que tons les aulres souverains.
Beaucoup de princes ont ete au dessous des louanges
qu'on leur a donnees ; mais votre majesty est au
dessus de toutes celles qu'on lui donne ; et , par
(k) Chap. 2. de son Discret.
EPITRE. Vi)
consequent , il vaudrait mieux s'alDStenir de parler
cle ses glori^uses actions que d'en, parler , ain^si qua
font quelques gens qui ont plus de zele que d'esprit,.
en des termes qui n'en laissent que de basses id^es.
Joint que , selon I'axiorae de Tacite , il ne faut pas
donner des noms, ni des surnorns communs et vul-*
gaires k des Princes qui ne font rien de commun (/).
Et c'est cette raison , sire , qui m*a oblige d*em-
prunter de Gracian des litres aussi extraordinaires
que vos actions. *
A son s'entiment, il n'j a rien qui rende un fa^ros-
si plausible (tw) que d'etre belliqueux ; il n'y a que
les guerriers qui remplissent le catalogue de la re-
noinmee ; c'est a eux seulement .^que l€ sur«om d«
^ran^/ appartient en propre (/z). C'est done a juste
titre que ceux de plausible et de .grand vous sont
dus , puisque jusqu'ici tout voire regne a ete nii-
litaire et victorieux. Plusieurs princes ont ete grands
parce qu'ils etaient heureux ; mais vous , sire ^
vous etes heureux parce qiie vous etes Grand. Votre
prudence est la m^re de votre bonheur ; et quand
nous d^isons que vous etes heureux , ce n'est pas de
{I) Nova in remp. merita non usitatis vocabulis
honoranda. Ann. 1 1 .
(m) Par le mot de plausible , les Espagnols enten-
dent un homme d'un merite si distingue' , qu'il rem-
porte une estime nniver^elle ^ et par uh me'riie plau-
sible, un me'rfte dont les envieuX meme de la personne
ne sauraient disconvenir.
{n) Chap. 8. de son He'ros,
Vllj EPITRE.
votre fortune que nous parlous , c'est de votre belle
ame (o) ,' qui vous rend digne de I'etre ; le bon-
iieur , au dire de Thucidide , etant le patrimoine et
I'apanage' de la prudence.
Quand toute I'Europe s'est bandee contre vous,
pour arreter le torrent de vos conquetes , vous ne
vous etes pas amuse a denouer le n(Tud gordien que
vos ennemis avaient entrelace de mille tours et re-
tours ; Vous I'avez coupe par la moitie coinme fit
Alexandre : de sorte que ce qui l^ur avait coute tant
de temps a brasser contre la France , ne vous a coute;;
qu'un coup de tete et un coup d'epee a defaire.
Vous leur avez tres-souveiit montre , que vous
aviez non seulement le coeur d'Alexandre et de
Cesar , mais encore leur diligence. Quelquefois ,
vous leur avez emporte des provinces et meme au
fort del'hiver , presqu'avant qu'ils sussent que vous
eliez en campagne ; temoin la Franche-Comte que
vous prites la preijiiere fois {p ) , en plein oarnaval ,
comme pour entre-nieler les divertissemcns de votre
cour avec ceux de vos braves soldats , et pour com-'
battre le -froid a force d'altumer par tout des feux
de jcie,
Mi^is ce qi!i'il y a de plus rare en vous, sire,
c/est que vous accordez ensemble deux choses que
Von croyait^fere inconipatibleS' , savoir ^ Id' dili^encQ
(o) O te falice^if! Quod cum clicimus , non opes
tu€is 3 sed animum r}urajnu7\ Est enim denmmvera
jMicitas i f did fate di^numvideri, PUn. in Panegs
{;?) An 1666. : -
EPITRE. ix
et X intelligence , qui , au dire de Gracian , font un
prodige lorsqu'elles S9 rencontrent toutes deux dans
un homme qui gouverne (^). C'est aussi par ces
ddUK qualites que Ton peut vous definir tout entier.
Dire el diligente y inteligente , c'est dire tout ce que
vous etes \ c'est vous designer autant que si Ton
vous appelait par votre propre nora. Tout votre
regne Verifie ce qu'il dit (r) , que rintelligence et
la diligence viennent a bout de tout.
Vous avez humilie , on plutot aneanti les hugue-
nots , non pas par des saignees violentes , comme
fit autrefois Charles IX , mais par une longue diete,
qui leur a ote non seulement tout leur embonpoint ,
mais encore toutes leurs forces ; c'est-a-dire , en
les excluant de toutes les charges et de tons les hon-
neurs qu'ils partageaient auparavant avec les catho*
liques ; par on vous vous etes montre ^galement
bon et juste.
Vous avez banni le duel qui avait commence de
s'introduire en France, sous le regne d.' Henri il ^
et J avait fait un si grand progres par I'espace de
six vingts ans , que si vous n'eussiez pris la massue
d'Hercule pour assommer cette hidre a mille tetes ,
elle nous allait faire autant de mal que la plus fu-
rieuse guerre civile. Et c'est une obligation immqr-
Jelle que, vous a toute la nobh
i'j6pee etait devenue funeste par
d'honneur. Vous vousy etes si bien pris que chaque
une obligation immqr-
)lesse francaise , a quij ,
)ar un detestable pointj
(cf) lyans son Discret J chau. Diligente j- InteWgente,
(r) Au meme cliapitre.
X EPITRE
gentilhomme « enfin reconnu de'bonne foi , que ce
n'est pas mourir en brave que de mourir en fou et
d'en avoir un autre pour temoin. Autrefois , les
peres et les meres avaient regret aux enfans qu'ils
perdai^nt a la guerre j mais aujourd'liui , ceux qui
meurent a votre service, quelque chers qu'ils soient ,
Be sont presque plus regrettes , parce que les families
illustres croient qu'il est de leur reconnaissance de
vous donner de bonne grace une vie , de la conser-
vation de laquelle chacune se tient redevable a vos
sages ordonnances : outre que vos successeurs vous
seront obliges d'avoir retabli I'autorite souveraine ,
dont les particuliers usurpaient le plus beau droit,
en se faisant justice eux-memes.
Apres avoir si heureusement gueri une perte de
sang qui avait ete incurable sous six rois , vous
avez arrete le cours d'une autre maladie qui minait
vos sujets 5 en supprimant , soit dans les finances
ou dans la judicature , une multitude de menus
officiers qui s'y ^taient repandus comme une ver-
Hiine, et qui, en efFet , n'avaient point d'autre
exercice que de ronger le peuple jusqu'aux os. 11
n'a pas tenu a vous , sire , que vous n'ajez deja
execute le vaste dessein de Louis XI, de remedier
efficacement a la longueur des proces , et d'etablir
one seule coulume (5) dans toute I'elendue de votro
empire. Vous avez deja reforme tant d'abus par
votre code, que nous esperons voir, sous votre
regne , la consommation de cette difficile et glo-
(s) Commines , cbap. 6. du liv. 6. de ses Me'maires.
EPITRE. X]
n'euse entreprise, des que vous aurez ferme le temple
<Je Janus. Et c'est encore une des raisons qui nous
obligent de redaubler nos voeux pour la longue vie
de VOTRE MAJESTE , n'j ajaut qu'elle seule de qui
nous puissions jamais attendre un si grand bien.
S'il fallait faire ici le denombrement de tous l«s
aulres efFets de cette prodigieuse intelligence, qui
vous rend si admirable a vos sujets et si redoutable
a vos ennemis , je ferais un volume an lieu d'une
^pitre. Mais comme ce detail est proprement de la
jurisdiction de I'histoire , je le laisse a ceux qui au-
ront le bonheur de composer la voire ; ( si iant est,
qu'on puisse appeler bonheur , de travailler sur un©
matiere qui surpassera toujours infiniment Tou-
vrage. ) Gar s'il est si difficile de I'aire votre eloge
par parties , comment fera-t-on votre histoire oii il
faudra d6peiudre/un Prince de todas prendas , c'est-
a-dire , un Prince universel ; un Prince incompre"
hensihle ^ et par son secret, qui est impenetrable;
et par son fonds qui est sans fond \ enfin , un Prince
qui , pour user encore des termes de Gracian j dont
je ne suis ici que le truchement , est un grand
tout (^) , et non seulement renferme dans une rare
singularite la catcgorie de toules les perfections , j
mais encore danschacune Texcellence du premier (u),/f
C'est bien de vous qu'il est vrai de dire , que vous
etes arrive au dernier terrae de la politique , puis-
que vous avez su trouver un certain art de gou*
{t) He'ros , cliap. 5.
{u) Qui est omnibus optimis in sua cujusque laude
pr(estantioi\ Vlinms in VdLne^,\ J. .
/
Xlj E PIT RE.
verner , qui nous a fait connaitre que la monarcliie
avait besoin de vous, et non vous d'elle (a;). Et
saris doule, que si elle venait jamais a decliner sous
quelqu'un de vos successeurs , Vous seriez I'unique
qu'elle regretterait et qu'elle demanderait , parce
. qu'elle n'en aurait point d'autre capable d'etre son
jestaurateur.
L'histoire nous vante beaucoup de princes , ma is
a peine nous en marque- t-elle un qui ait ete grand
en tout , et tou jours grand. Les plus fameux regnes
ont ele meles de bien et de mal. Les coramence-
mens de Salomon furent beaux , mais la fin n'y re-
pondit pas ; Auguste commenca mal et finit bien ;
Tibere commenca bien et finit mal \ Neron com-
menca en phenix et finit en basilic (y) ; Severe
commenca et finit comme Auguste. Tant d'autres,
soil anciens ou modernes , qui avaient signale leurs
premieres annees , ont donne les dernieres a la vo-
lupte. Mais dans votre regne , sire , il \\y a rien
que de beau ef de majestueux ; rien ne s'y dement ,
louty est de meme force , tout y est plein; et vous
pouvez dire, aussibien que le magnaniine Alphonse,
roi de Naples et d'Aragon , que depuis que vous
gouvernez , vous ne savez point de jour que vous
vous puissiez reprocher d'avoir mal employe (z).
Voire intelligence et votre diligence ont ete en con-
tinuelle action ; elles ont toujours agi de concert ,
Tune a delibere , I'autre a execute ; Tune a eu pouB
{x) Gracian dans son Ferdinand, vers la fin.
[j) Ce sont les paroles de Gracian au cliap. i6. de
son He'ros.
(z) Discours 5o. de son Agudeza,
E PIT RE. Xllj
d^partement le cabinet et I'autre la campagne : quand
la diligence acheve une enlreprise , I'intelligence en
commence une autre. ►Vous etes comme Vespasien ,
toujours debout et toujours attentif a tout ce qui
se passe. Commines , pour donner une vive idee
de I'activite et de I'habilete de Louis XI j dit quil
etait maitre at^ec lequel il fallait charier droit C^).
Vous possedez cette rojale qualite au plus eminent
degre. La violence , I'oppression, la licence ont cesse
d'etre en regne des que vous avez commence de manier
ie timon de I'Etat. Vous y avez ramene les beaux
jours par les grands jours. Vous avez extirpe tous
ces petits tjrans qui insultaient la patience du peuple
dans les provinces eloignees. Vos ministres , vosl
gouverneurs de provinces, vos principaux officiers
et enfin tous ceux a qui vous donnez quelque part
a radministration civile , montrent un echautilloii
de la sagesse et de la bont6 du maitre. II semble k
les voir, que vous avez portage votre esprit en-
tr'eux , comme Mojse partagea Ie sien entre les
soixante-dix .Sages , qu'il choisit pour I'aider a gou-
verner le peuple d'lsrael (^^). La douceur ,, la mo-
destie et la piete ^ont devenues les vertus familieres
de tous les oflficiers de votre maison, tant on est
persuade que Ton ne saurait vous plaire sans etre
, Iiomme de bien.
Regis ad exemplum totus coniponitur orbis.
C'est aussi pour cela , sire , que Dieu a versd
(a) Memoires , liv. 6. cliap. 7.
, (b) Numer orum 11. 0^ >' i-
/
XIV EPITRE
lant de benedictions vsur votre majeSt^ et sur toute
son auguste famille. II vous a fait heureux en tout;
heureux en sujets qui vous adorent; heureux en fils
qui vous imite ; heureux en petits-fils qui tacheront
de vous imiter a mesure qu'ils avanceront en age ;
heureux en frere qui vous respecte et vous admire ;
heureux en princes du sang, qui font eonsister toute
leur f^licite a vous obeir encore plus par amour que
par devoir; heureux en ministres, qui , comme au-
tant d'aigles de bonne race , regardent fixement le
soleil et ne bronchent jamais ; heureux en princes con-
temporains^ dont ancun ne vous egale, ni en puissance,
ni en ce caractere d'ame que Gracian appelle un
^1 prodige de cceur ; enfin , heureux en ennemis , car
I vous leur devez ( mais a leur grand regret ) une tres-
grande partie de votre gloire. II est vrai , sire , que
J toutes. ces prosperites furent entremelees I'annee
I passee d'une afflictiori domestique , qui vous fut
^ d'autant plus sensible , que vous remplissez tous les
\ devoirs de la nature et du naturel avec une ten-
dresse qui se voit rarement dans les princes. Mais
cette affliction a servi h faire honneur a votre cons-.
t tance, sur qui I'amour conjugal voulait k toufe
\ force I'emporter. Si nos voeux sont exauces, ( I3
\ coeur nous dit qu'ils le seront ) Dieu , en recompense
' de votre parfaite soumission k ses ordres , ajoutera^
a la duree de votre regne le nombre des annees ,
/ qui , eu egard k nos souhaits et au cours ordinaire
de la vie , semblent avoir et6 de manque a celle de
cette auguste et vertueuse princesse, et vous rendra
pour la qualite d'epoux que vous avez perdue , celle
E PIT RE. XV
de bisaieul el de trlsaieul , que pas un roi n*a encqre
eue de son vivant.
Je m'aperrois que ce discours est plus long que
ne le doit etre celui d'un homme de cour ^ qui ne
saurait avoir un plus insupportable defaut que d'etre
iraportun. Je finis done , sire , en suppliant tres-
humblement VOTRE majest6 , de vouloir agreer.ce
livre , qui est un recueil des^meilleures et des plus
d^licates maximes de la vie civile et de la vie de
cour. II y en a meme quelques - unes ou elle se
verra representee au vif. JjG Despejo (c), auquel
la langue francaise n'a pu encore trouver de nom.
assez expressif 5 tout enigme qu'il est , n'en sera
point une pour vous , qui y reconnaitrez d'abord
que Gracian a fait votre definition en voulant faire
celle d'un homme parfait. '
Au reste , malgr6 toutes les traverses de ma vie,
je ne laisserai pas de mourir content , quand je sau-
rai que ce dernier ouvrage aura eu le bonheur de ne
vous pas deplaire et de me servir aupres de vous
d'un temoignageauthentique du tres-profond respect
avec lequel je fais gloire d'etre ,
SIRE,
DE VOTRE MAJESTE,
L«?tres-humble, tres-obeissant,
et tr^s-fidele serviteur et sujet ,
AMELOT DE LA HOUSSAIE.
(c) Maxime 127. et chap. i5. du Heros,
\) '^*).
37i: .^
^z^^U^B AJ i^cn
L' H O M M E
DE
GOUR.
MA XI ME F^
Tout est maintenant ciu point cte sa perfection ,
et I habile honmie au plus haut.
Jl faut aujOurcVhui plus de conditions pour faire
un sage , qu'il n en fallut anciennenient pour
en faire sept (i) : ct il faut en ce temps-ci plus
d'habilcie, pour traiter avec un seul homme,
qu'il n'en fall air autrefois pour traiter avec tout
un peuple.
M A X I M E I I.
L' Esprit et le Genie.
C E sont les deux points (2) , oit consiste la
reputation de I'liomme. Avoir Tun sans I'autre ^
(1) Autrefois il n'y en avait que sept : aujourd'liui tout
Ic monde se pique de I'etre.
(2) Gracian dit ; les deux essieux y ou les deux axes ;
I
•?
3^ J. ilOMM^
ce n'est eife hcureux qu a demi. Ce nVst pas
assez que d'avoir bon entendement, il faut en-
core du genie (i). C'est le nialhcur ordinaire
des mal-habiles gens de se tromper dans le
choix de leur profession , de leurs amis , et de
leur demeure.
MAXIME III.
Ne se point ouvrir ni declarer,
L'admiration que Ton a pour la nouveaute ,
est ce qui fait es timer les succes. II n'y a point
d'utilite , ni de plaisir a jouer a jeu decou-
vert. Ne se pas declarer incontinent , c'est le
moyen de tenir les esprij;s en suspens , surtout
dans les choses importantcs qui fbntrbbjetde
Tattente universclle ; cela fait croire qu il y a
du mystere en tout , et le secret excite la ve-
mais cette metaphore est trop forte pour notre langue.
L'auteur des Entretiens d'Ariste et d*Eugene chant les
paroles espagnoles les a rendues en celles-ci : Le genie et
V esprit sont les deux causes principales de Vetle'yation
et de la gloire d'un grand homme,
(i) Un seul sens, qui nous manque, dit-il dans le
chap. I'^'' de son Discrety nous prive d*une grande por-
tion de la vie, et fait que notre ame est comme estro-
ple'e. Que sera-ce done de ceux , a qui il manque un degr<
dans la conception , ouk facility dansU vdtiionii^mtvX 7
DTE COUR.' 5
neradon. Dans la maniere de s'expliquer, on
doit eviter de parler trop clairement j el dans
la conversation , il ne faut pas toujours parler
a coeur onvcrt. Le silence est Ic sanctuaire de
la prudence (j). Une resolution declaree ne fut
jamais cstimcc. Celui qui se declare s'expose a
la censure; et, s'il ne reussit pas , il est double-
nicnt malheureux. II faut done imiter le pro
cede de Dieu , qui tient tous les honimcs en
suspens (2).
(1) Le plus simple des animaux en pourra tromper
le plus fin, dit-il dans le chap. I" de son Disci^t , pourvu
qu'il se taise , en se contentant de conserver la 23eau de
son apparence. Car on a toujours except^ les taciturnes
^n n^jiyihrfl des^Sjats. Le silence ne ddguise pas senlement
ce qui est defectueux , mais il le tourne meme en mjs-
te'rieux.
(2) L'Auteur des Entretiens d'Ariste et d'Eugene appli-<
que cette maxime aux princes. Les rois et les princes ,
dit-il dans son troisieme Entretien , pour etre estime's de
leurs sujets, et pour soutenirlenr caractere, doivent etre
tout a faitmaitresdeleurlangue. Etc'estpourcekifu'Au-
guste avaitfait graver sur son cachet un sphinx, que les
Egyptiens reconnaissaient pour le Dieu du secret et des
enigmes. Etquelques lignes apres : Comme le prince est
la plus vive image de Dieu sur la terre , il doit etre sem-
Llable a Dieu , qui -gouverne le monde par des voies
inconnues aux hommes , et qui nous fait tous les jours
Jentir les effets de sa bont^ et de sa justice , sans nous
decoiivrir les deaseins de sa sagesse.
l/ II O M M E
MA XI ME IV.
he sai^oir et la valeur font reciproquement
les grands hommes .
Ces deux qualites rendent les hommes im-
mortels , parce qu'clles Ic sont. Uhomme n'est
grand qu autant qu'il sait (i) , et quand il salt,
il peut tout. L'bomme qui ne sait ricn , c'est
le monde en tenebres (2). La prudence et la
force sont ses yeux et ses mains. La science est
sterile si la valeur ne Faccompagne.
'■'.'•<>■ :.. .1-
(j) Le moindre jour de la vie d'un savant, dit Sene^
que , vaut mieux que toute la vie d'un ignorant , quelque
longue qu'elle soit. IJnus dies Jiominum erudltorum
plus patet , quant imperiti longissima cetas. Ep. 78.
Nulneviten homme, dit Gracian dans son Discret ,
sinon celui qui sait, chap. Hombre de plausibles nori-
cias. Un des Sages de la Grece disait que la sante' faisait
la fe'licite' du corps; et le savoir celle de I'esprit. Les
lettres, disait le pape Jules II , sont de I'argent dans le*
roturiers^ de Tor dans les nobles; et des dianians dans
les princes. Gracian disc. 3o , de son AgUdeza.
(2) Otiwn sine litteris mors est , et vivi hominis sepul-
tura.Ep. 85. C'est-a-dire , le loisir d'un ignorant est une
niort, et la se'pulture d'un homme vivant. Aristote disait,
gue le savoir difFe'rait autant de I'ignorance, que la yie
differe de la mort.
DE COUR.. y
MAXIME V.
Se rendre toujours necessaire,
Ce ' n'cst pas le doreur qui fait un Dieu ,
c'iest Tadorateur. L'homme d'esprit aime mieux
trouver des gens dependans , que dcs gens re-
connaissans.Jenir les ^ens^n csperance , c'est
courtoisie ; s^ fier a leur reconnaissance , c'est
^implicite. Caril est aussi ordinaire ^ la recon-
naissance d'oublier (i)^ qua Fesperance de se
souvenir. Vous tirez toujours plus de celle-ci ,
que de Tautre. Pes que Ton a bu , Ion tourn<
le dos a la fonlame ; des qu on apresse I'orang^
^Qp][^;j^ttp^^ ladependance cesse^
_la^orrepondance cesse aussi , et rcstinie avcc
ellc, C'est done une lecon del'experience , qu il
faut faire en sorte qu on soit toujours neces-
saire , et meme a son prince^ sans donner pour-
tant dans I'exces de setaire pour faire manquer
les autres -, ni rendre le mal d'autrui incurable
pour son propre interer.
(i) Parce qu'au dire deTacite.Ie souvenir des bien-
faits est a charge. Quia gratia oneri. Hish
O LIIOWTME
MAXIME VL
Uhonime €Lu comble de sa per/action (i).
11 ne nait pas tout fait , il se perfectionne de
jour en jour clans ses mgeurs et dans son eniploi ,
(i) Dans son Discret il y a un dialogue sur cie^te ma-
tiere, intituM* El Jiombre en sa -punto. Apres avoir dit
que le temps est un grand me'decin , tant pour ^re vieux,
que pour etre expe'rimente' : j'ai observe' , dit-il , qu'il va
d'un pas fort ine'gal , en ce qui est de rendre les hom-
ines faits. C'est, lui re'pond un doctcur , qu'il vole pour
les uns , et qu'il boite pour les autres ^ c'est, qu'il se sert
lantot de ses ailes , tantot de ses be'quilks. II y a des
gens , qui deviennent bientot parfaits en quoi que ce
puisse etre ; et d'autres , qui tardent fort a se faire , et
quelquefois au dommage public , parce qu'ils ne remr
plissentpasleur obligation. Car les liommes n'ontpas seu-
lement a se faire, quant a la periection commune de
la prudence ^ mais encore a se pourvoir des perfections
propres de cbaque e'tat , et de chaque e'tat , et de cbaque
emploi. tin roi se fait done aussi? dit Gracian. Oui, re'-
pond le doGteur J car il ne nait pas tout fait. C'est la que
la prudence et I'expe'rience ont bien a travailler ; un roi
ajant besoin de mille perfections , pour arriver a un si
grand accomplissement. Un ge'ndral d'arme'e se fait aux
de'prnsde son sang, et de celui d'autrui; un orateur, a
force d'etude et d'exercice. II n'j a pas jusqu'au me'de-
cin , qui, avant que de tirer un homm^ dulit, enjette
DE COUR. 7
jusqu'a ce qu'il arrive enfin au point de la con-
sommation. Or,rhomme consomme sc recon-
nait a ces marques : au ^out fin , au discexner
jment , a la solidite du jugement ,aladocilite de
la volonte , a la circonspcction des paroles et
des actions. Quelques-uns n'arrivent jamais a
ce point, il leur manque toujours je ne sais
quoi , et d'autres njr arrivent que tard.
MAXIME VII.
Se bien garder de tzaincre son maitre,
TouTE superiorite est odieuse ; mais celle d'un
sujet sur son prince est toujours folle ou fatale.
L'homme adroit cache des avantages vul^aires ,
ainsi qu une fenime modeste deguise sa beaute
gous un faabit neg^li^e. II se trouvera bien, qui
voudra ceder en bonne fortune et en belle hu-
meurj mais personnc, qui veuille ceder en
cent au cercueil. Enfin , tons les hommes ^ont occupcs
a se fair« , jusqu'a ce qu'ils arrivent au point de leur,
perfection. Mais ce point est-il fixe? demande Gracian.
Non , dit le docteur ^ et c'est la le malheur de notre in-
constance. II n'y a point d'e'tat permanent , tout est su-
jet a un changement continue!. Ou Ton croit, ou Ton
de'cline j et a force de changer, on va toujours en defaillant.
l' HOMME
esprit (i), encore moins un souveraiii. L'es-
pritest Ic roi des atlributs; et, par consequent,
chaquc offense qii'on lui fait est un crime de
lese-majeste. Les souverains le vculent etre en
tout ce qui est le plus eminent. Les princes
veiilent bien etre aides , mais non surpasses (2).
Ceuxqui les conseillent doivent parlcr comme
des gens qui les font souvenir de ce qu'ils ou-
bliaient, et non point comme leur enseignant
ce qu'ils ne savaient pas (5)._C',est unelecon que
(i) Au chap. 9 du Heros, i\ dit, qu'iln'y a rien de plus
difficile , que de se de'sabuser de I'opinion , que Toni a
de sa capacite , et qu'iln'y a personne qui se croie indi-
gne du plus grand emploi. Plut a Dfeu , continue-t-il,
qu'iT y eut des miroirs pour rentendement , comme il y
en a pour le visage ! L'entendement se trompe aiscment ,
parce qu'il faut qu'il soit lui-meme son miroir. Tout
juge de soi-meme trouve incontinent des excuses et des
e'chappatoires , et se laisse suborner a sa passion. Vojez
la note 1 de la Maxim.e 54-
(2) Un seigneur espagnol , ajant joue' tres-long-temps
aux e'cliecs avec Philippe IF, et gagne' toutes les parties,
s'apergutau sortir du jeu, que le roi avait unprofond cha-
grin. C'estpourquoi, des qu'il fut de retour a la maison :
IMes enfans , dit-il , nous navons plus que faire a la
cour, il njfera jamais hon pour nous , car le roi est
offense' de ne m avoir pu gagner aux e'checs. (jeu , ou
tout depend de Fesprit des joueurs , et non du hasard. )
(3) Cest par cette adr^sse , que Ic cardinal de Gran-
DE COUR 9^
nous font Ics astres qui , jjien qu lis soient les
enfans du soleil , _et tout brillans , ne parais«
sent jamais en sa com^agnic.
MAXIME VIII. '
. Vhomme qui ne se pa ssionne jamais,
: Cest la marque de la plus grande suLlimite
d'esprit, puisquc c'est par-la que I'homme se
metau-dessus de toutes les impressions . vul-
gaires. II n'j a point de plus grande seigneurie
que cclle de soi-meme, et de ses passions.
C'est-la quest le triomphe du Franc-Arbitre. Si
jamais la passion s'empare de I'esprit , que ce
soit sans faire tort a I'emploi , surtout si e'en
est un considerable. C'est le moyen dc s'epar-
gner bien des chagrins, et de se mettre en haute
reputation.
velle gagna les bonnes graces de Philippe II , qui, an
rapport de Strada , amahat modestiam indicantis , non
coactus {id quod principi est grave) commendare sa-^
pientiam docentis. Ajoutez a cela , le conseil qu'un se-
nateur romain donnait a un de ses colle'gues, de ne se
point meJer de faire des lecons a un prince d'age et d'ex-
perience, corame Vespasien. Suadere prisco , ne supra
prlncipem scanderet , ne J^espasianum senem trium"
phalein prceceptis coerceret. Tacit. Hist. 4»
^
ip l'homme
MAXIME IX.
Dementir les defauts de sa nation.
Ueau prend les bonnes ou mauvaises qua-
lites des mines par oii elle passe , et Fhommc
cclles du climat oii il nait. Les uns doivent plus
que les autres a leur patrie , pour y avoir ran-
contre une plus favorable etoile. II nj a point
de nation si polie quelle soit, qui n ait quelque
defaut origincl, que densurent ses voisins,soit
par precaution ou par emulation (i). Cest une
victoire d'habile homme , de corriger , ou du
moins de faire mentir la censure de ses defauts.
L'on acquiert par la le rcnom glorieux d'etre
unique ; et cettc exemption du defaut commun
est d'autant plus estimee , que personne nc sy
attend. H y a aussi des defauts de famille (2) \
(i) L'etoulatlon est ordinaire entre les peuples , qui
confinent ensemble, comme le dit Tacite en divers en-
droits. XJno amne discretis cemulatio et invidia. En par-
lant des Lyonnais et des Viennois. Hist. i. Solito inter
accolas odio infensi Judceis Arahes. Hist, 5. Vicinis
coloniis invidia et cemulatio. Hist. 1.
(p) J^etere atque insita Claudice familice superbi^i^
Ann* I.
DE COFR. I I
de profession (i), d'eniploi ct d'lige (2), qui Te-
nant a se trouvcr tons dans uti meme sujet , en
font un monstre insupportable , si Ton ne les
previent de bonne heure.
MA XI ME X.
Fortune et Renommee.
L' u N E a aulanl d'inconstance que I'aulrc a
iie fcrmete. La premiere sert durant la vie , et
(1) La venalite des avocats et des me'decins. Nee quid-
quam publicw mercis tarn vencd^fuit y quamadvoca-
tonimperfidiafditT&cit€y Ann. 11^ et quelques lignes
apres ; Ut quomodo vis morhorum. prcetia medentibus ,
sic fosi tahSfS pecuniean ady&catis fe'rat Le jeune Pline
ajoute,' que ceux qui passent leur vie dans le barreau,
^evienn-ent fourt>es , iftalgi^ qu'il^ en aient. Nos , qui in
foro litihusque terimuS4^t^uem, multummaiiticB, quCLn^-
vis noliTnus y addiscimus. Epist. 5. lib. 2. Les menteries
et les equivoques des astro logues. Genus hominum. pot^n-
iihus injidum , sperantihus fallax. Hist, i . Qucedccm
^ecus quatn dicta sint cadere , fallaciis ignara dicerh'
Hum. Ann. 6. Breve cotifinium artis et falsi. Ann. 4.
(2) L'imprudence et 1' evaporation de la jeunesse , qui
donne toujours dans la bagatelle. Juventam improvidam,
et facilem inanibus. Ann. 1. Mobiles adolescentium
Qnimos. Ann. 4. Imprudentia cetatis. Ann, 16,
I^ L HOMME
la secondc apres(i). Lune resiste a Femie,
Fautre a I'oubli. La fortune se desire , et sc fait
quelquefois avec I'aide des amis -, la renommee
se gagne a force d'industrie. Le desir de la
reputation nait de la vertu (2). La renommee
a ele et est la soeur des geans : elle va toujours
par les extremites de Fapplaudisscment , ou do
Texeciition (5).
MA XI ME XL
Trailer ai^ec ceuoc de qui Ton pent apprendre.
La conversation familiere doit servif d'ecole
d erudition et de politesse. De ses amis, il en
ii) Famam in posteros. Ann. 11. AEternitatem
famce. Ibid.
(2) Tacite dit , que du me'pris de la reputation nait le
mepris de la vertu. Contemptu famce contemni.virtu-y
tes. Ann. 4, et que c'est le propre des gens de bien d'as-
pirer aux plus grandeschoses. Optumos mortalium altis-
sima cupere. Ibid. Gracian dans le dernier chap, de
son Hero s ,■ dit que la vertu et la grandeur courent sur
des lignes paralleles. Tout cela revient a ce que disgit
Caton le censeur , que personne ne serait vertueux , si
une fois on se'parait la gloire de la vertu.
(2) C'est en ce sens, que Tacite dit, qu'Othon s'est signale'
par deux grandes actions , dont I'une me'rite un repro-
DE COUR. 13
fautfaire ses maitres, assaisonnant Ic plaisir de
converscr , de Tutilile d'apprendre. Entre les
gens d'esprit la jouissance est reciproque. Ceux
qui parlent sont pajes de Fapplaudissement
qu'on donnea ce qu'ils disent , et ceux quiecou-
tent , du profit qu'ils en recoivent. Notre in-
teret propre nous porte a converser. L'homme
d'entendemcnt frequente les bons courtisans ,
dont les niaisons sont plutot les theatres de I'he-
roisme , que les palais de la vanite. H y a des
hommes qui , outre qu ils sont eilx-niemes des
oracles , qui instruisent autrui par leur exem-
ple , ont encore ce bonheur , que leur cortege
est une academic de prudence et de politesse.
M AXIME XII.
La nature et tart , la matiere et Vou^^rier,
II ny a point de beaute sans aide , ni de per-
fection qui ne donne dans le barbarisme , si
Fart n J met la main. Uart corrige ce qui est
mauvais , et perfectionne ce qui est bon. D'or-
die etemel , et I'autre une loiiange eternelle. Duobus
facinoribus , altera Jlagitiosissimo , altera egregio ,
tantumdem apud posteros meruit bonce fama^ , quan->
turn malce. Hist. 2.
l4 l'homme
dinaire la nature nous epargne ie mcilleur, afiit
que nous ayons recours a I'art. Sans I'arl , le
meilleur nature! est en friche ; et quelques
grands que soient les talens d'un homme , ce ne
sont que des dcmi-lalens , s'ils ne sont pas cul-
tives. Sans Tart , Fhomme nt sait rien comme il
faul , et jCsI grossicr en tout ce qu*il fait (i).
MAXIME XIII.
Proceder quelquefois Jinement , quelquefois
rondement.
La vie humainc est un combat conlre la
malice de Thomme meme. L'homme adroit
J cmploie pour amies Ics stratagemes de
rintention. 11 ne fait jamais ce qu'il montrc
avoir envie de faire ; ii mire un but , mais
e'est pour tromper les yeux qui le rcgardent.
11 jette une parole en Fair, et puis il fait une
chose a quoi personne ne pensait. S'il dit uu
mot , c'est pOur amuser Inattention de ^^s ri-
(i) Cest pour cela , que Mucien , premier ministre Je
Vespasien , s'e'tudiait a donner de la gr^ce a tout ce qu'il
disait et ce qu'il faisait. Omnium quce diceret , atqu&
ageret, arte quadam ostentator. Tacit. Hist. 2.
I)E COUR. ii
vaux ; et des qu'elle est occupee a ce qu'ils pen-
sent , il execnte aussitot ce qu'ils ne pensaicnt
pas.Celui done qui veutse garderd'elretrompe,
previent la ruse de son compagnon par de
bonnes reflexions. 11 cntend toujours le con-
iraire de ce qu'on veut qu'il eutende , et par la
il decouvre incontinent la feinte. II laisse passer
le premier coup , pour attendre de pied ferme
le second ou le troisieme. Et puis , quand son
artifice est connu, il rafiine sa dissimulation, en
se servant de la verite meme pour tromper. 11
change de jeu et de batterie, pour changer de
ruse. Son artifice est de n'en avoir plus , et toute
sa finesse est de passer de la dissimulation pre-
c6dente k la candeur. Celui qui I'observe et qui
a de la penetration , connaissant Tadresse de
son rival , se tient sur ses gardes , et decouvre
les tenebres revetues de la lumiere. 11 dechifFra
un procede d'autant plus cache , que tout y est
sincere (*). Et c est ainsiquela finesse de Python
combat centre la candeur d'Apollon.
♦ Ou , d'^utant plxis iudevinable, qu'il iCy « rien k
d«yiner.
l6 1 HOMME
MAX I ME XIV.
La chose et la rnaniere,
Ce n'est pas assez que la substance , il y faut
iiussi la circonstancc. Une mauvaise manieie
gate tout , elle defigure meme la justice ct la
i*aisoii (i). Au contraire, une belie manierc
supplee a tout; elle dore le refus , elle adouclt
ce qu il j a d'aigre dans la verite ; elle ote les
rides a la vieillesse. Le comment fait beaucoup
en toutes choses. Une maniere degagee enchant e
les esprits, et fait tout Tornement de la vie.
Cette maxiine est tire'e du chapitre de son Discret,.
del rnodo y agrado. Et comme ce chapitre est tres-ins-
tnictifj je croiSj que chacun sera bien-aise d'en voir ici
Vextrait.
Par ce grand precepto , dit-il , Cleobule a
merile d'etre le premier des Sages ) aussi est-ce
le premier des preceptes. Mais s'il a suffi de-
I'enscigner pour avoir le nom de Sage , et en-
(i) Ce sentiment revient a celui deTacite , quidity que
les meilleures actions ont des suites pernicieuses , si elles
ne sont faites avec jugement, et avec discre'tion. Sc^pe
honestas rerum caussas , ni judicium adhibeas , pemi"
ciosi exitus consequuntur. Hist, i .
DE COUR. 17
core de premier Sage ^ que restera-t-U pource-
lui qui r.observcra ? Car de savoir Ics choses et
de neies pas faire, ce n'cst pas etre philosophe •,
mais grammairicn.
^ En toutcs choses , la circonstancc est aussi
n^cessaire que la substance , et meme davan^
tage. La premiere chose que nous rcncontronsj
ce n est pas Fessence , c'cst Fapparencc. C'est
par Texterieur que Ton vient a connaitre Finte-
rieur. Par Fecorce de la maniere , nout discer-
nons le fruit de la substance : jusquc~la meme ,
que des personnes , que nous ne connaissons
as , nousen jugeons par le port.
La maniere est la partie du merite qui frappc
davanlage les yeux de Faltcntion. Commc on la
peut acquerir , Fon est inexcusable quand on
ne Fa pas.
La verite a de la force , la raison de Fauto-
rite , et la justice du pouvoir ; mais elles sont
sans lustre , si la belle maniere y manque ; au
lieu qu'avec elle tout en vaut davantage. Elle\ ^>^rt
supplee a tout , et meme au defaut de la raison ; |
elle dore les meprises , elle farde les laideurs ,
elle cache les imperfections j enfin eUe deguise
tout.
Ce n'est pas assez que le grand zele dans un
ministre , que la valeur dans un capitaine, que
la science dans un homme de lettres , que la
m
l8 ' l' HOMME
puissance dans un prince , si tout cela n'est ac-
compagne de cette importante formalite. Mais
il n J a point d'emploi oii die soit plus neces-
saire que dans Ic souverain commandement.
Dans les superieurs , c'est un grand moy en d'en- ^
gager , que d'etre plus humains que despotiqu^:
Voir qu'un prince fait ceder la superiorite a
Thumanite , c'est une double obligation de Tai^
nier (i). II faut regner premierement sur les
volonte#, et puis sur le reste. Concilie-toi la
bienveillance et meme Tapplaudissement uni-
versel) sinon par inclination, du moins pa^'
art^ car ceux qui admirent ,ne regardcnt pa$_ si
ta maniere est naturelle ou empruntee.
II y a des choses qui valent peu p6ur cc
qu'elles sont , et neanmoins s'estiment a cause
de la maniere. Par son aide , le passe recjevienl
nouveau et rcvient en mode. Si les circons-
tances sont a Fusage commun , elles pallient
tout le desag|;eable du vieux temps. Le gout
avance toujours et ne recule jamais ; il nc touche
point a ce qui est passe , ne trouvant rien d&
bon que ce qui est nouYeau. Mais cependant ii
(i) Le prince qui se fait aimer, dit Juan Ru/b , fait de
de ses sujets des enfans , au lieu que s'en faisantfiair , il
n'en fait que des m^chans esclaves. Apophtegme yoS. Et
dans le ^uivant il dit , que la crainte des sujets , sans Ta-
mour , est comme de kchaux sans eau pour bittir.
DK COtJR. 19
peut etre trompe par un petit cliangement.
Les circonstanccs font rajeunirleschosesj elles
leur otent I'odeur du moisi et Ic fade du trop
souvENT, qui est toujours insupportable, et
particulieremcnt dans les imitations qui ne sau-
raient jaijiais monter ni a la sublimile , ni a la
nouveaute de premier.
Cela se voit encore davantage dans les fonc-
tions de I'csprit. Car bien que les choses soient
ires-connues , elles ne laissent pas encore de
mcitre en appetit , si I'orateur et Fhistorien
trouvent une nouvellc maniere de les dire et
dc les ecrircr
_Quand les choses sont exquises , elles ne las--
^nt pas repetees ^memc jusqua scptfois. Mais
quoiqu elles n cnnuient pas , elles ne sont pas
admire es . Ainsi , il est besoin de les assaisonner
autrcm^nt , afin qu elles cxcitent Tattention*
La nouveaute est caressaute , ellc charmc le
gout j et les objcts sd renouvellent par le seul
changement de ragout, qui est le veritable
art dc plairc. r^
Tel dira toutes les memes choses qu un autre ,
ex neanmoins flattera par oil I'autre offensait.
Tant ilimporte de sairoir rencontrerlecoMMENxI
Xant sert une belle maniere et nuit une mau-
vaise!Or,si j.e manque dc q^aniere est si remar
quablc, que serc^-cq 4!ui}e. posilivement mau-
vaise ct choquantc, a dessein , et surtout en de5'
gens qui tiennent un poste universel? Ce n'est
qu un petit defaut que ton air rude . disait un"
sage ; ct pourtant il suffit pour degouter un cha-
cunde toi. Au contraire , I'agrement exterieur
promet celui de I'esprit, et la beaute cautionne
la belle humeur.
jLa belle maniere se plait a dorer si bien le
JNON , qu il soit plus estime qu un qui mal assai-
sonne. EUc sucre si habilcment les vcrites ,
qu elles passent pour des caresses ; et quelque-
fois qu'il semble qu^cUe flatte , clle desabuse
en disant aux gens , non ce qu j^ sont , mail
cc qu ils doivent etre.
JTqjrez la Maximo 267. •
MAXIME XV.
Se servir d'esprits auxillaires.
C^EST oil consiste le bonheur des grands que
d'avoir ^pres d'cux des gens d'esprit qui les
tirent de Fembarras de Fignorance , en leur
debrouillant les affaires. Ue nourrir des sages
c'est line grandeur qui surpasse le faste baf-
bare de ce Tigranef!5 qui affectait de se faire ser-
vir par les rois qu il avait vaincus. C'est un
B E COUR, 21
nouvcau genre de dominalion que de faire par
adresse nos serviteurs de ceux que la nature a
fait nos maitres. L'homme a beaucoup a savOir
et peu a vivre , et il ne vit pas s'il ne sait rien.
Ccstdonc une singuliere adresse d'etudier sans
qu'il en coute , et d'apprendrc beaucoup en ap-
prenant de tous. Apres cela vous voyez uu
liomme parler dans une asscmblee par I'esprit
de plusieurs , ou plutot ce sont autant de sages
qui parlent par sa bouche , qu'il j en a qui Font
instruit auparavant. Ainsi , le travail d'autrui le
fait passer pour un oracle, attcndu que ces sages
lui dressent sa lecon , et lui distillent leur sia-
voir en quintessence. Aiurcste , que celui qui
ne pourra avoir la sagesse pour servante , tuclie
du moins dc Favoir pour compagne.
MAXIME XVL
Lie savoir et la clroite intention,
L UN et I'autre ensemble sont la source des
bons succes. Un bon entendement avec une
niauvaise volonte , c'est un mariage monstrueux.
La mauvaise intention est le poison de la vie
bumaine, etquand elle est sccondee du savoir,
22 l'hOMME
€lle en fait plus de mal. C'est une malheurcuse
habilite que celle qui s'emploie a faire mal.
La science depourvue du bon sens est une
double folie (i).
MAXIME XVII.
Ne pas tenir toujours un mSine procede.
II est bon de varier pour frustrer la curiosite ,
surtout celle de vos envieux ; car s'ils viennent
a rcmarquer Tuniformite de vos actions , ils prc-
viendront , et par coftsequcnt ils feroiat avorter
vos entrcprises. II est aise de tuer Foiscau qui^
I vole droit ,^niais non pas celui qui n'a point de
^ol regie. II ne fautpas aussi toujours ruser,car
au second coup , la ruse serait decouverte. La
malice est aux aguets ^ il faut beaucoup d'adresse
pour se defaire d'elle. Le fin joueur ne joue ja-
mais la carte qu attend son adversaire, encore
moins celle qu'il desire.
(i) Le proverbe espagnol dit : Ciencia es locura , si
buen sesQ no la cura.
DE COUJR. 23
■f ■
MAXIME XV HI.
L* Application et le Genie,
Personns ne saurait etre eminent , s'il n'a
Tun et Tantre. Lorsque ces deux parties con-
courent ensemble,%lles font un grand hommei
Un esprit mediocre qui s'applique, va plus loin
quun esprit sublime qui ne s'applique pas. La
reputation s'acquiert a force dc travail. Ce qui
coutc peu ne vaut guere. Uapplication a man-
que a quclqucs-uns , ct meme dans les plus
hauts emplois , tant il est rare de forcer son ge-
nie. Aimer mieux ^tre mediocre dans un em-
ploi sublime , qu' excellent dans un mediocre ,
c est un desir que la generosite rend excusable .
Mais celui-la ne Test point qui se contente d'etre i
mediocre dans un petit emploi , lorsqu'il pour-
rait excellcr dans un grand. II faut done avoir ,
I'art et le genie , ct puis I'application y met la
derniere main.
Aristote dit , que pour devenir habile homme en
quelque profession que ce soit , il faut que trois choses
yconcourent, la nature , Te'tude et Texercice.
^4 l'homme'
MAXIME XIX. *
N'^tre point trop prone par les hikiits de la
renommee.
- C'est le malheur ordinaire de tout ce qui a
ete bien vanie , de n'arrivei^amais au point de
perfection que Ton s'etait imagine. La realite
n'a jamais pu egaler I'imagination , d'autant qu'il
est aussi difficile d'avoir toutes les perfections ,
quil est aise d'en avoir ridee(i). Comme I'in^a-
ginatiou a le desir pour epoux , elle concoit
toujours beaucoup au-dela de ce que les choses
sont en cffct (2). Quelques grandes que soient
(i) Au chapitre i6.de son Hero s , il dit la meme chose
en ces termes : Ilfaut un g.rand merite , pour repondre
a line grande attente. Celui qui re garde , forme une
haute ide'e^pai'ce quil lui coiite moins de s^imaginerde
grandes choses , qua celui qui est regarde de lesfaire.
(2) Cet aphorisme revient h. celui de Tacite , qui dit que
que Ton a toujours meilleure opinion des absens. Majora
credide ahsentibus. Hist. 2. Et que la Majeste' est plus
respecte'e de loin que de pres. Majestate salva , cui major
e longinquo reverentia. Ann. i. Tacite dit encore, que
c'est la coutume d'estimer beaucoup ce qui est incQnnu.
Paratu magno , majore fama , uti mos est de ignotis.
Jn Agricola. Et deux pages apres : Omne ignotum pro
magnijico est, Et c'est en ce sens qu*il dit, que ceux qtii
DE COtJR. 25
Ics perfections , elles ne contentent jamais Tidee.
Et comma chacun se trouve fruslre dc son at-
tente , Ton se desabusc au lieu d'admirer.
Uesperance falsifie toujours la verite : c'est pour-
quoi la prudence doit la corriger , en faisant
en sorte que la jouissance surpasse Icdesir. Cer-
tains commencemens de credit servent a re-
veiller la curiosile , mais sans engager I'objet.
Quand TefFet surpasse I'idee et Tattente, cela
fait plus d'honneur. Cette regie est fausse pour
le mal , a qui la meme exageration sert a de-
meniir la mcd^gance ou la calomnie , avcc plus
d'applaudissement, en faisant paraitre tolerable
ce qu'on croyait etre rextremite meme du mal.
MAXIME XX.
Uhomme dans son siecle,
Les* gens d'eminent merite dependent des
temps. II, ne Icur est pas venua louscelui qu'ils
Vojraient Agricola , cherchaient en lui ce qui pouvait lui
avoir acquis tant de reputation : J^iso aspctoque uigricola
qucererent famam. Ibidem. Le desir de Thomme, dit
Juan Rufo apophtegme 5i , est toujours un mensonge ,
car bien qu'il trouve de quoi se satisfaire, il ne trouve
jamais tout ce qu'il avait pense.
26 t^HOMME,
meritajent; et dc ceux qui Tont eu, plusleurs-
n ont pas eu le bonheur d'en profiler ; d'autre§
ont ete dignes d'un meillcur siecle : temoignagc
que tout ce qui est bon nc triomphe pas tou-
jours. Lc choses du monde ontleurs saisons (i),
et ce quil y a de plus eminent est sujet a la bi-
arrcrie de I'usage (3). .MaisJ^sage_a_toujoi^^
ette consolation, qui! est etemelf5)s car si
fepn siecle lui est ingrat , Ies_siecles 3uivansjui:
iustice (A), :■'.
(i) Rebus cimctis inest quidam velut orbis, ut quem"
admodum temporum vices , ita morum vertantur, dit
Tacite Ann. 3.
(2) Car , au dire du meme Tacite , il faut s'accommoder
au temps , et par consequent a Tusage. Morum accom-
modariprout conducat. An. 12. Prcesentiasequi. Hist, 4.
Et ce se'nateur la avait raison , qui disait , que quelque
admiration qu'il eut pour les anciennes cbutumes , il se
souvenait toujours de la condition du temps, dans lequel
il se rencontrait. Sememinisse temporum, quibus natus
sit. Ibid.
(5) Cesten ce sens que Tacite dit de son beau-pere, que
tout ce qu'il a admire' en lui , dur^ encore , et durera dan§
la memoire de tons les siecles. Quicquid ex Agricola
amavimus , quicquid m.irati sumus , manet , mensumque
est in animis hominum, in ceternitate temporum ,fama
rerum. In vita.
(4) Suum cuique decus posteritas rependit. La pos-
terite' fera justice a chacun, dit Tacite. Ann. \.
DE COUR 27
MAXIME XXI.^
Hart d'etre heureuac. I
II j a des regies deibonheur , et le bonheur
n'est pas toujours^orluit a Fegard du sage;
son industrie J peut aider. Quelques-uns se con-
lentent de se tenir a la porte de la fortune , en
bonne posture etattendent quelle Icurouvrc;
d'autres fontmieux, ils passentplus avant a la
faveur de leur hardiesse et de leiir hierite , et
tot ou tard ils gagnent la fortune a force de la
cajoler. Mais a bie» philosopher , il nV a point!
j/autre arbitre que celui de la vertu ct de rap-
plication : car, comrn e Timprudence est la source
de toutes les disgraces de la vie , la prudence,
en fait tout le bonheur.
MAXIME XXII. *
Eire homme de mise.
L'erudition galante est 'la provision des
honn^tes gens. La connaissai^e de toutes les
ailaires du temps , les bons mots dits a pro-
pos, les facons defairc agrcables , font I'homme
!i8 I^VOMME
a la mode : et plus il a de toutcela , moins il
tient du vuigaire. Quelquefois un signe , on
un geste , fait plus d'impression que toutcs
les lecons d'un maitrc severe. L'art de con-
verser a plus servi , a quelques-uns , que les
sept arts liberaux enseftble (i).
(i) Hercule (dit-il dans son Discret, chap. Hombrc
deplausibles Jioticias) a remporte plus d^triomphes par
sa discretion , que par sa valeur. Les brillans chainons
sort^ans de sa bouche lui ont attire' plus d'applaudissemens
que les coups de massue de sa redoutable main. Avec sa
massue, il exterminait les monstres^ avec ses cbaines, il
, enchainait les beaux esprits , les tenant agreablement
suspendus par la, force de son e'loquence. II jr a des hom-
ines doue's d*une certaine science de cour , et de je ne
sais quelle e'rudition savoureuse et familiere, qui fait
, qi^ils sont bien regus partout , et meme recberches avec
, cmpressement. Cette science est toute partieuliere , car
elle ne s'apprend ni dans les.livres, ni dans les e'coles,
luais bien dans les theatres du bon gout , et surtout en ce
eingulier amphitheatre de la discre'tion. La premiere etla
plus de'licieuse partie de cette e'rudition plausible est la
connaissance universelle de tout ce qui se passe dans le
monde ; une routine de tout ce qui est en usage , une
observation des plu^ belles actions des princes , des e've'-
nemens rares , des merveilles de la nature et des extra-
vagances de la fortune. Elle tient registre de ce qu^if y a
de bien pense' dan^ les livres; de curieux dans les nou-
velles| de judicieux dans les raisonnemens; et de piquant
au vif dans les satires. Le plus gjand ornemeut de I'homrae
DE COUR. sg
f ' ' ■
MAXIME XXIIL
N'as^oir point de tache.
A toute perfeclion ily aun si, ou un mais*
11 y a tres-peu de gens , qui soienl sans de-
♦
plausible consiste dans une parfaite intelligence des ma-*
tieres^ dans une connaissance a fond des principaux per-
sonnages de cette actuelle tragi-comedie de Tunivers. Il
marque sur ses tablettes ce qui se trouve d'he'te'roclite dans
iin prince , de singulier dans un grand, d'afFecte dans un
tel , et de vulgaire dans un autre ^ et par le moyen de
cette anatomie morale, iipeut jugersainement deschoses,
et inesurer la reputation sur le pied de la ve'rite'. Mais
surtout il fait un curieux recueil de tous les bons mots et
de toutes les galanteries , soit heroiques'ou plaisantes ;
des axiomes des sages; des traits malinsdesT critiques; des
droleriesdes boufFons. Agre'able munition pour conque'rir
le gout de tout le monde. Les dits et les faits d'autrui ,
dit-il danSMtifcro^ , sent dans un esprit fe'cond des se-
mences de strotilite , lesquelles rendent ensuite une abon-
dante re'colte de bons mots , chap. 5. Et apres avoir dit,
que rhomme plausible enregistre en caracteres pre'cieux
les sentences de Philippe II, et les apophtegmes de Char-
les-Quint : les plus nouveaux , continue-t-il , ont le plus
de sel, et donnent touj ours plus d'appe'tit. Les faits et
les dits modernes , ajoutant la grace de la nouveaute' k
rexcellence , se font ce'der I'applaudissement par les au-
So L^HOMME
faut, soit dans les mceurs , ou dans les corps.
Mais il y en a beaucoup , qui font vanite de
tres. II en est du re'cit des bons mots , dit Juan Rufo
ajiophtegme 5io, comme de la ventede la vieille vaisselle
d'argent , ou Ton perd la facon ; car Foccasion , a laquelle
ils ont e'te' dits la premiere fois, est toujours de manque
dans la reputation j et, par conse'quent, on ne les admire
plus. Outre que ces bons mots , hors de leur premiere
place , sont comme des diamans hors de leur enchassure ^
ou comme , a la paume , des bales prises au second bond.
Car des sentences moisies , et des exploits suranne's , ne
sent plus de mise , que parmi les [pe'dans et les gram-
jnairiens.
Cette science a la mode , ajoute Gracian , a e'te quel-
quefois plus utile que tons les arts libe'raux ensemble 5 et
quelquefois Ton a plus gagne' a savoir faire une lettre , et
a dire un mot bien a propos , qu'avec toute la science des
BartolesetdesBaldes. Et demi-page apres .-Ne soit pas de
ceux, qui se frustrent du plaisir de savoir, pour oteraux
autres la gloire d'enseigner; ni de ceux, dont se moque
Horace, qui ont honte d'apprendre , et n'ont pas honte
d'etre ignorant. Curnescire, pudens prave , quam dis-
cere malo 7 In arte poetica. Et quelqueM/tk^es apres i
Quelques-uns ne se servent de la vie qulrmanger, ils
n'emploient jamais les faculte's supe'rieures ; leur raison-
nement est oisif ^ leur entendement meurt sans avoir
prolite' de rien. C'est pour cela, que beaucoup de grands
ne sui-passent les autres gens , qu'en la commodite de
contenter leurs sens , qui est la plus vile fonction de la
vie; et qu'ils sont aussi pauvres d'entendement; que
riches de pauvres biens.
CCS defauts , qu'il leur serait aise de corri-
ger. Quand oii voit le moindra defaut dans
un homme accompli, Fon dit, que c'est dom-
mage , parce qu il ne faut qu un nuage pour
eclipser tout le soleil. Ces defauts sont des ta-
ches , oil Tenvie s'attache d'abord pour con-
troler. Ce serait un grand coup d'habilete de
les changer en perfections, comme fit Jules-
Cesar, qui , etant chauve, couvrit ce defaut de
Tombre deSes lauriers.
MAXIME XJLlV.
Moderer son imagination a\
Le vrai moyen de vivre heureux, et d'etre
toujours estime sage , est , ou de la corriger,
ou de la menager. Autrement , elle prend un
empire tyrannique sur nous , et sortant des
bornes de la speculation , elle se rend si fort la
maitresse , que la vie est heureuse ou malheu-
reuse , selon les differentes idees qu elle nous
imprime. Car ily en a , a qui elle ne represente
que des peines ^ et dont la folie la fait devenir
leur bourrcau domestique : et d'autres , a qui elle
ne propose que des plaisirs et des grandeurs ,
5^ l'homme
se plaisant ales divertir en songe. Voila lout ce
que peut rimagination , quand la raison ne la
tient pas en bride.
m
MAXIME XVIII.
Etre bon entendeur.
Savoii^ discourir , c'etait autrefois la science
des sciences : aujourd'hui eel a ne suffit pas ,
il faut deviner, ct surtout en matiere de sc
desabuser. Qui n'est pas bon entendeur , ne
peut pas etre Wen eniendu. II y a des espions
du coeur et des intentions. Les verites , qui
nous importent davantage, ne sont jamais dites
qu'a demi (i). Que Thomme d'esprit en prenne
tout Ic sens , serrant la bride a la credulite
dans ce qui parait avantageux , et la lachant
a la creance de ce qui est odieux.
(i) La v^rit^, ajoute-t-il dans son Discret , chap. Buen
entendedor, est une demoiselle aussi honteuse que belle ,
ct pour ce sujet elle va toujour* masque'e. JTojrcz h noia
de la Maximc aiq..
■ MAXIME XXVI. .
Trouper le fciihle de chacun. .
; C'est Tart de manier les volontes , et dq
faire vcnlr les hommes a son but. II y va plusj
d'adrcsse , que de resolution, a savoir par ou
il faut entrer dans Tesprit de chacun. II u]
a point de volonte. qui n'-^it ga pr^^gir>n f\Q-^
minante ^ et ces passions sont differ e^ni^s scion
la diversite des esprits. Tous les hommes sont
idolatres , les uns de I'honneur , les autres de
Finteret , pt In ^]npar^ rip. Ip^r plaisii\ L'ha-
biletc est done de bicn connaitre ces idolesi
pour entrer dans le faiblc de ccux qui les
adorent : c'cst comme t'enir la clef de la volonte
d'autrui. II faut aller au premier mobile :
Or, cc n'est pas loujours ]^ partie superieure,
le plus souvcnt c'est Tinferieurc^ car , en ce
monde ^ le nombre de ccux qui sont deregles,
est bien plus ^rand que celui des autres. II
faut premierement connaitre le vrai caractere
de la personne , et puis lui later le pouls , et
I'attaqucr par sa plus foflc passion : et Ton est
assure par la de gagner la parlie.
/
m
54 , l' II O M M E
M A X I M E XXVII.
Preferer r intention a t extension.
La perfection ne consiste pas dans la qiian-
tite , mais dans la qualite.Detout ce qui esxiies-
bon , il y en a toujours tres-peu 5 ce dont il y
a beaucoup , est peu estimd. Et parmi Ics
hommes ^nemes les geans y passent d^ordi-
naire pour les vrais nains (i). Quelques - uns
estiment les livrcs par la grosseur, comme s'ils
etaient fails, pour charger les bras, plutot que
pour exercer les esprits. L' extension toule
seule n'a j^^^^^tg^PJjlPggser les fcornes de la
inediocritej et c'es_tlc malheur des gens uni-
f/yers els^ jle n exceller eii rien , pour ayoir voulu
Ijexcejier en tout. L'inlention donne un rang
eminent, et fait un licros , si la matierc est
sublime.
MAXIME XXVI li
N' avoir rien de vulgaire,
jQh^ que celui-la avait bon gout , qui se de-
)laisaitdc plaire a plusleurs !. Les sages ne so
(i) Cela est dit dans un sens figure', et rejatif au pro-
verbe , Homo longus rarb sapiens. I El grande de
cuerpo , no es mujr hombre , dit-il dans la critique 7 ,
de la premiere partie de sou Criticon.
n E c o u R. 35
repaissent jamais des applaudissemens du vul-
gaire. H y a des cameleons de goul si popu-
laire , qu ils prennent plus de plaisir a humer
un air grbssier , qu'a senlir Ics doux zephlrs
d'Apollon. JXe tc laisse point eblouir a la. vue
des miracles du vulgaire. Les ignorans sontf
toujours dans relonncnient (i). C'cst par oil I
la folie commune admire , que le disccrnementi
du sage se desabuse. ^ i
MAXIME XXIX.
Et re homme droit.
Il faut toujours etre du cote de la raison , #
ct si constammcnt , que ni la passion vulgaire ,
ni aucune violence tyrannique, ne fasse jamais
abandonner son parti. Mais oil trouvera-t-on
ce phenix ? Certes , Fequite n'a guerc de par-*
tisans , beaucoup do gens la louent, mais sans
•
(i) All chap. 5, de son Heros , il di't , qne c'est le
propre d'un gout fin j de me'soffrir quand il est question
de payev d'estime ) que d'etre avare de son applaudisse-
ment, cela sent sa noblesse • et que de le prodiguer , c'est
se rendre me'prisable • que radni 'ration est I'etic
dinaire de Tignorance , et qu'elle ne nait pas
perfection des objets , que de rimperfection
dgment.
iiguer , c'est
etiquette or-|
ts tant de Ia\
de reiiteu-i
56 1.' H O M M E
lui donner entree chez eux (i). 11 y en a d'autres
qui la suiv^cnt jusqu au danger, mais quandilsy
sont , les uiis , comme faux amis , la renicnt ;
ct les autres , comme poliliques , font semblant
de ne la pas connaitre. EUe , au contrairc , ne
se soucie point de rompre avec les amis ,
avec les puissances , ni meme avec son pro-
pre interet : et c'est - la qu est le danger de
la mJIbnnaitrc. Les gens ruses se tiennent
neutres , et , par une metaphjsique plausible ,
lachent d'accorder la raison d'etat avec Icur
conscience. Mais rhomme de bien prendre
menagement pour june cspece de traliison .. se_.
piquant_plus_d'etre constant , g^gjjjgtreha--
bile. II est toujo^rs oii est la verite ; GLsjj.
laisse quelquefois les ^^ens, ce^n est pas qujl
soit changeant , mais parce qu'ils ont ete les
premiers a abandonncr la raison.
MAX*ME XXX.
N'ctffscter point d'emplois eoctraordinaires y
ni chimeriques.
Cette affectation ne sert qu a s'aliirer du
niepris. Le dapricc a forme plusieurs secies,
(i) Virtus laudatur et alget , dit Juvenal.
BE COR R. 57
rhomme sage n'en doit epouser aucune. II y\
a des gouts etrangers . quin aiment ricn de tout
ce qu'aimcnt les autres. Tout ce qui est singulicr
leilr plait. II est vrai que cela les fait connaitre .
mais c'est plutotpouretrcmoques que pour etj;^e
cstimes,. Ceux meme qui font profession d'etre
sages , doivcnt Lien se garder de Faffecter; a
plus forte raison, ceux qui sont d'une profession
qui rend scs partisans ridicules. On nc nomme
point ici ces emplois , d'autant que le mcpris ,
que chacun en fait, les fait assez connaitre.
/
MAXIME XXXI.
Connaitre les gens heureuocy pour sen servlr;.
et les nialheureuoc pour s'en e carter.
D'oRDiNAiRE , ie malheur est un effet de la
folic ; et il ny a point de contagion plus dan-
gereuse , que ccUe des malheureux. II ne faut
jamais ouvrir la porte au moindre mal , car\
il en vient toujours d'autres apres , et meme
de plus grands , qui sont en embuscade. La
vraie science au jeu est de savoir ecarter. La
plus basse de la couleur qui tourne , vaut
mieux que la plus haute de la partie prece-T^
dentc. Dans le doute , il n j a rien de meilleur-
que de s'adresser aux sages ; tot ou tard on
s'en trouvera bien.
58\ t' H O M M E
MAXIME XXXII.
Avoir le renom de cont enter chacun.
-ii
Cela met en reputation ccux qui gouver-
nent ; c'est par oii les souverains gagnent la
Lienvcillance publique. Le seul avantagc ,
qu ils ont , est de pouvoir faire plus de bien
qife tout Ic reste des hommes. Les vrais amis
soiit ceux qu'on sc fait a force d'amities. Mais
i 1 J a des gens qui sont sur le pied de ne
contenter personne , non pas tant a cause que
cela leur serait a charge , que parce que leur
naturel repugnc a faire plaisir (i). Contraires
en tout a la bonte divine, qui se communique
inccssamment.
MA XI ME XXXIli
Sas^oir se soustraire.
Si c'est une grande science , que de savoir
refuser des grac^es , e'en est une plus grande
de sc savoir refuser a soi-nieme , aux affaires ,
(i) Cest un defaut dont Tacite sen^ble accuser Tibere ,
quand il dit , qti'il laissait la plupart <ies gouverneurs et
3es magistfats dans leiirs provinces, et dans leur char-
ges , tant qu'ils vivaient pour frustrer les pre'tendans. //z-
vidia , ne plures fruerentiir. Ann. i.
D E C O U R. ' Sg
et aux visiles ( i ), II y a des occupations
importunes , qui rongent le temps le plus
jprecicux. Il_vaut micux ne rien, faire , que do
s'occuper nial-a-propos. 11 ne suffit pas , pour
etre homme prudent , de ne faire point d'intri-
gues j mais il faut encore eviter dy etre mele. II
ne faut pas* etre si fort a chacun , que Ton ne
soit plus a soi-meme. On ne doit point abuser! ^
^de ses aAiis, ni rien exi^er d'eux au-dela de\
ce quils accordent volontiers. Tout ce qui est 1
excessif est vicieux , surtout dans la conver-
sation^ et Ton ne saurait se conserver I'estimo
et la bicnveillance des gens-, sans ce tempe-
rament, d'oii depend la bienseance. II faut
mettrc toute sa liberte a si bien clioisir , que
i'on ne peche jamais contre le bon gout.
MAXIME XXXIV.
Connaitre son fort,
XHette connaisance sert a cultiver ce que
Ton a d' excellent, et a perfectionncr ce que
Ton a de commun. Bien des gens fussent de-
(i) C'est ce que fit Sen e que , au rapport de Tacile.
Instituta prions potendce commutat , prohibet ccetus
salutantium , vital comitantes : rams per urbem , eic,
Ann. 14.
venusde grands personriages , s'il eusscnt coii-
riu leur vrai talent. Conhaissez-donc le votre;
et joignezj Fapplication. Dans les uns, le ju-.
gement I'emporte , et dans les autres , le cou-
rage. La plupart font violence a leur genie;
d'oii il arrive qu'ils n excellent jamais en
fien (i). Uon qtiittc fort tard ce que la pas-
sion a fait epouserde bonne heure (2).
(i) Quand la raison suit la nature, et que re'lection se
joint a rinclination, Ton fait merveilles en quoi que ce
soit : et c'est jDroprement avoir vent et mare'e , quand on
navigue. Mais aussi , de s'appliquer a quelque chose avec
tin instinct contraire , et une inclination qui re'siste, c'est
vouloir travailler beaucoup, pour avancer peu; c'est aller'
seulement a force de bras contre le fil d'une riviere rapide.
Dans la preface sur le livre de VInteret des Princes , de
M. de Rohan.
(2) La passion , dit-il dans le chap, i de son Discret ,
trompe tresrsouvent , et quelquefois aussi Fobligation , en
mettant pele-mele les ge'nies et les emplois. Tel est mal-
heureux, pour avoir endosse' le harnois, qui eiit e'te heu-
reux , et eut passe' pour jorudent , s'il eut pris la robe :
infaillibleaphorisme de Chilon, qu'il faut se connaitre et
s'appliquer. Que rhomme discret coinmence de savoir
par se savoir lui-meme. Qu'il sonde sa Minerve , tant
celle de I'inclination que celle deJa raison^ ets'il latrouve
propre et commode , qu'il la tienne toujours en action.
£t dans le chap. 9 du Hems : Le»coeur, dit-il , regne
dans les uns , et la tete dans les autres. Celui-la serait
D E C 0 U R. 4l
MAXIME XXXV.
Peser les choses selon leur juste valeur.
Les fous ne perissent que faute de ne pcnser
a rien : comme ils ne concoivent pas les choses*,
lis ne voient ni le dommage ni le profit , et par
consequent , ils ne s'en mettent point en peine.
Quclques-uns font grand cas dc ce qui importe
peu , et n'en font guere de ee qui importe beau- ^
coup , parcequ ils prennent tout a rebours. Plu-
sieurs , faute de sentiment , ne sententpas leur
mal. 11 J a des choses oii Ton jie saurait trop
penser. Le sage fait reflexion a tout, mais non
pas egalement , car il creuse ou il y a du fond ,
un grand fou, qui voudrait employer sa valeur a etudier,
ou son bel esprit a combattre. Que le paon se contente de
montrer sa roue , que Taigle se glorifie de son vol , et si
Fautruche ne pent pas prendre le meme essor sans s'ex-
poser a une chute certaine, qu'elle se console d'avoir un
si beau plumage.... Celui-la, quoique poete , a bien en-
seigne' la •ve'rite' , qui a dit , n'entreprens rien malgre
Minerve. Mais il n'cst rien de plus difficile , que de se
de'sabuser de la bonne opinion de soi-meme Que
riiomme prudent tache done d'apprivoiser doucement son
inclination, et de Taccoutunier , Sans prendre un empire
despotiquesur elle^ ase mesureravec ses forces. Et quand
une fois il aura reconnu son talent capital , qu'il le fasse
V&k)ir autant qu'il pourra. Vojgz la Maxime 89.
4^ l' H O M M E
et quelquefois il pense qu'il j. en a encore plus
qu il ne pense j si bien que sa reflexion va jus-
qu'oii est allcc son apprehension,
MAXIME XXXVI.
Sonder sa fortune et ses forces , avant que
de s*embarquer dans aucune entreprise. '
Cette experience est bien plus necessaire
que la connaissance de notre temperament. Si
c'est etre fou que de commencer a quarante ans
a consultcr Hippocratesursa sante, celui-la Test
encore plus , qui commence a cet age d'aller a
Fecole de Seneque, pour apprendre a vivrc.
Cest un grand point que de savoir gouverner
la fortune , soit en attendant sa belle humeur
( car elle prcnd plaisir a etre attendue ) , ou en
la prenant telle qu elle vient , car die a un flux
et un reflux , et il est impossible de la fixer ,
beteroclitc et changeante comme elle est. Que
celui qui I'a souvent eprouvee favorable , ne
ccssc point de la prcsser,.d'autant quelle a cou-
tume de se declarer pour les gens hardis , et que,
comme gal ante , elle aime les jeunes gens. Que
cclui qui est malheureux se retire , pour nc pas
D E C O tJ tl. 45
recevolr rafFront d'etre maltraite deux fois (i)
devant un concurrent heureux.
MAXIME XXXVII.
Ves^iner oil portent de petits mots qdon nous
jette en passant^ et savoir en tirer du profit,
Cest la le plus delicat endroit du commerce
du monde , c'est la plus fine sonde des replis
du coeur humain. 11 y a des pointcs malicieuses ,
outrees, et trempecs dans le fiel de la passion.
Ce sonl des coups de foudre imperceptibles ,
qui font quitter prise a ceux qu ils frappent.
Un petit mot a souvent precipite du faite de la
faveur, des gens qui n'avaient pas seulement
ete ebranles des murmures de tout un peuple
(i) C'est pour cela qu'Othon , apres avoir perdu la bar
teille de Bt'driac , ne voulut jamais en risquer une secon-
de, disant aux cohortes pre'toriennes , qui Ten conju-
raient , qu'il avait assez e'prouve' ses forces contre la for-
tune , et qu'il n'estimait pas assez sa vie, pour vouloir
hasarder une seconde fois (ielle de tantde braves gens qui
faisaient rornenient de I'Empire. JIunc animum , hanc
inrtutem vestram ultra perieulis pbjicere , nimis grande
vitK mecepretimn puto. Experti invicem sumus , ego
acfortuna. An ego tot egregios exercitus stetni rursiiS,
St Reip. eripi patiar"? TiXQit. HisL n.
m
44 l' H O M M E
bande contre eux (i). II y a d'autres mots , ou^
i^enconlres, qui font un effcl tout contraire, c'est-
a-dire , qui soutiennent et augmentent la repu-
tation de ceux dont il est parle. Mais comme
ils sont jetes avec adresse , il faut aussi les re-
cevoir avec precaution -, car la surete consiste a
connaitre Fintention ; et le coup prevu est tou-
jours pare (2).
MAXIME XXXVIII.
Savoir se moderer dans la bonne fortune.
Cest un coup de bon joueur en fait de repu-
tation (3). Une belle retraite vaut bien uue belle
entreprise.Quandonafait de grands exploits , il
en faut mettre la gloire a decouvert en se retirant
du jeu. Une prosperite continue a toujours ete
suspecte; celle qui est entremelee est plus sure :
(i) Le cardinal Spinosa, premier ministre d'Espagne ,
mourut de frajeur, d'avoir entendu ce mot de Phi-
lippe II , Cardenal , jo soj el presidente. Le meme roi
donna le coup de mort a un autre ministre , qui lui
mentait , par ce seul mot : Quoi , vous me mentez ?
Dans sa vie intitule'e , Don Filipe el prudente.
(2) Prcevisus ante mollior ictus venit.
(5) II ne manque plus rien a ma fortune , disait Se'ne-
que , sinon de la borner. Nihil felicitati mece deest ^
nisi mo deratio ejus. TslC^ Jnn. 14.
D E C O U R. 45
tinpeud'aigre-doux la fait trouvermcilleure(i).
Plus Ics prosperites s'entassent les uncs sur les
autres , et plus elles sont glissantes et sujettes
au revers (2). La brievete de la ioiiissance est
quelquefois recomipensce ]^^r \i^,\iyjyj|Vili^i^"p^'^^-
sir. La fortune sc lasse de porter toiijours un
meme hommc sur son dos (5). ' ' j
MAXIME XXXIX.
Connaitre l' essence et la saison des choses
et savoir s*en servir,
Les oeuvres de la nature arrivent loujours
au point ordinaire de leur perfection j elles vont
(i) Les bons morceaux de la prosperite se mangentavec
tplaisir , quand ils sont assaisonnes de I'aigre-doux de
quelque traverse. Chap. 11, dixjiHeros. \
(2) Cuncta mortalium incerta, disait Tibere , cfiiantb-*
^ue plus adeptus foret , tantb se ma^is in luhrico. Tac.
Ann. I. Nee unquam satis fida potentia y ubinimia est.
Hist. 1. line prospe'rite' soudaine a toujours e'te' suspecte,
surtout lorsque tout vient a sauhait et tout a la fois ; car
la fortune a coutume de rogner et reg^gner sur le temps
de la jouissance ce quelle prodigue en faveur.... C'estun
corsaire qui attend que le vaisseau soit bien charge' pour
Tenlever. Hatez-vous done de prendre port. Chaj). ii»
du He'ros.
(5) Fato potentice mrb sempiternce. Ann. 5. Antoine
Perez dit fort agre'ablement que les. favoris des rois sont
sujets a mourir de mort subite. ♦
46 l' H O M M E
toujours "en augmcnlant , jusqu'a ce qu'elles y
parvienncnt^ et puis toujours en diminuant ,
des qu elles y spnt parvenues (i). Au contraire,
celles dc I'art ne sont presque jamais si parfaitcs
qu elles ne puxssent I'etre encore davantage.
C'cst une niarq:ue de ^out iin , dc disccrner ce
au'ily ad' excellent danschaquc chose ; mais pcu
de gens en sont capables,etceuxquilepeuvcnt.
ne le font pas toujours. U j a un point de ma:
turite jusque dans les fruits de I'entendcment ,
et il importe de connaitre cc point , pour en
faire son profit.
#
MAXIME XL.
Se faire aimer de tons.
C'est beaucoup d'etre admire ,mais c'cst en-
core plus d'etre aime. La bonne etoile y contri-
bue pour quelque chose, mais I'industrie pouf
tout le reste^ cellc-ci achevc ce que I'autrene fait
que commencePiUii en^incnt merite pcsuffitpas ;
bien que verilablement il soit aise de gagner
Faffection des qu'on a gagne I'es lime. Pour eyre
(i) Naturaliter , auod proce4ere non potest , recedit ,
dit Patercule , Hist. a. C'est-a-dire , ce g[ui ne pent plus
avancer, recule.
D E COUR. 47
aime TO il faut aimer, il faut etre bienfaisant^
jl faut donner de b^ncs paroles et eiico£e_d&-
mcilleurs effets. Courtoisie est la ma^ie poli-
tique des grands personnages (2). 11 faut pre-
niierementinettre la main aux grandes affaires,
el puis I'etendre liberalement aux bonnes plu-
mes , employer alternativemcat I'epee et le pa-
pier (3) ; car il faut rechcrcher la faveur des
(i) Neque enirriy dit le jeune Pline dans son panegyri-
que , ullus ajfectus est , qui magis vices exigat. . . Amari
princeps, nisi ipse am.et,non potest. Cest-a-dire, rien
n'exigeplus, qu'on lui rende la pareille, que Tamo *ir.
Le prince ne saurait se faire aimer de ses sujets , s'il ne
les aime.
(2) Le plus puissant charme pour etre aime', dit Gra-
cian dans le He'ros , c'est d'aimer. Le premier mobile ,
qui entraine le peuple , c'est la courtoisie et la ge'nerosite'.
Cest par ou Titus me'rita d'etre appele' les de'lices du genre
humain. Une parole agre'able d'un silpe'rieur e'gale ert
valeur le service rendu par un egal , et la civilite' d'uu
prince vaut mieux que le don d'un particulier. Alphonse
Je Magnanime , roi de Naples , en descendant de clieval,!
pour aller secourir un pajsan , forca les murailles de la
ville de Gaiete , oil le canon n'avait pu faire ouverture
en plusieurs jours. En quittant pour quelques momens
sa majeste , il entra premierement dans les coeurs , et
bientot apres dans la ville. Chap. 12.
. (5) Dans la seconde partie de son Criticon , critique 4 9
il dit agreablement qu'un prince guerrier ajant demands
a la njmplie Histoire^ la plume la mieux taillee quelle
4S l' a o m m e ''^
ecrivains qui immortalisent Ics grands ex-
ploits (i).
eut , elle lui en donna uhe qui ne I'etait point du tout,
lui disant : C'est a vous de la tailler avec uotre propre
epe'e } si elle coupe Men , votre plume en e'c^ira mieux.
Sire , disait le brave d'Aubigne a Henri lY , commence z
defaire et je commencerai d'ecrire. (Dans la preface
de son Histoire ) pour lui donner a entendre que , s'il se
servait glorieusement de son e'pe'e , sa plume ne manque-
rait pas de bien e'crire, n'e'tant pas Te'criture qui rend les
hommes inimortels , mais bien leurs belles actions , ra-
contees par I'hi'stoire. Ce qui est fonde' sur ces belles
p' ,oles de Tacite. Tout ce que nousayons aime ou ad-^
mire dans Agricola, dit-il , reste encore, et restera
etemellement dans la -me'moire des siecles , par le
mojen de Vhistoire qui racontera a la posterite' ioutes
les grandes choses quHl afaites. Bans la vie d'Agricola.
(i) II J a aussi , dit-il , la faveur des liistoriens , qui est
d'autant plus a de'sirer ,.que leurs plumes sont celles de la
renomme'e et de I'immortalite' ; car elles ne font pas les
portraits du corps , mais ceux de I'esprit. Ce phe'nix de la
Hongrie , Matias Corvain , avait coutume de dire , ( et il
le montrait'encore mieux par ses actions) que la gran-
deur d'un he'ros consistait en deux choses , a faire de
grands exploits , et a employer de bons e'crivains , d'au-
tant que les caracteres d'or e'ternisent la memoire. Chap.
12 du He'ros , et Discours 3o de son Agudeza.
BE cot R. 49
MAXIME XLI.
N'eacagerer jamais*
Cest faire en homme sage de ne parler ja-
mais en superlatifs , car cclte mam(4re Je 2:)arler
blesse toujours , ou la verite , ou la prudence.
^Les exaggerations sont autant de prostitutions
de la reputation , en ce qu'ellcs decouvrent la
petitcsse de Fentcndement , et le mauyais gout
,de celui qui parle. Les louanges excessives re-
veillent la curiosite et aiguiilonnent Fenvie; de
sorte que si Ic merite ne correspond pas au prix
quon lui a donnc,comme il arrive d'ordinaire,
I'opinion commune se revoke contrc la trom-
pcrie , et tourne le flatteur et le flatte en ridi-
cules. Cest pourquoi I'homme prudent va bride
en main , et aime ntieux peclier par le trop peu,
que par le trop. Uexccllence est rare , et par
consequent , il faut mesurcr son estime (i),
(i) Les perfections , dit-il au cliap. 5 du He'ros y qui
sont au plu^ haut degre , sont uniques; il faut done esti-
mer rarement. Et une page apr^s : Quelques-uns croieitt
que de ne pas louer excessivement , c'est blamer : maig
pour moi, je dirai que I'exces de louange marque uli
de'faut de capacite' , et que celui, qui loue trop, se moque
©ude soi-meme oq, des autres. Age'silaiVs, lespartiate, ne.
tenait pas 'pour ban cordonnier celui qui chaussait \&
Soulier d'Encelade a un pygme'e. En fait de lOuanges ,
t'est etre habile que de prendre la mesure juste, ,
4
5o l'h o m m e
L'exagcration est une sorte de mensongc; a
exagerer , on se fait passer pour homme de
mauvais gout , e't qui pis est , pour homme d'en-
tendemeiit (i ).
MAXIME LXL
De r Ascendant,
C'est une certaine force secrete de sup^rio-
rite qui vicnt du naturel et non de I'artifice, ni
de I'affection. Cliacun sy soumet sans savoir
comment , sinon que Ton cede a une vcrtu in-
sinuante de I'autoritc naturelle d'un autre. Ces
genies dominans sont rois par merite , et lions
par un privilege qui est ne avec eux. lis s'em-
parent du coeur et de la langue des autres , par
ini je ne sais quoi qui les fail respecter. Quand
de tels hommes ont les autres qualites requises,
ils sont nes pour etre les premiers mobiles du
(i) Sans une grande connaissance, aidee d'unelongue
pratique , dit-il a la fin du mcme chapitre , il n j a pas
jnojen de savoir le juste prix des fperfections. Si done
I'homme discret ne pent pas juger exactement , qu'il
s'abstienne de parler , de peur qu'il ne de'couvre plutot
son peu de fonds , que le beaucoup qu'il y a dans les
autres. Juan Rufo compare ceux qui,exagerent et parlent
en superlatifs, aux annees steriles qui enqherisseut le»
denr6es. Jlpophtegme ^23^,
DE COUR. Ot
gouverncment politique , d'autant qu'ils en font
plus d'un signe , que ne feraient les autres avec
tous leurs efforts ct tons Icurs raisonnemens.
Get empire , dit-il dans le chapitre dc son
Di'scret y Del sennorio en el dezit y etc. , est
cbauche par la nature et acheve par I'art. Tous
ceux qui ont cetavantage , trouvent X^t^ choses
toutes faites. Leur ascendant lour facilite toul;^
rien ne Jes cm bar r ass e , ct iis sortent de tout
avec eclat : leurs dits et leurs faits paraisscnt
au double. La medioerite meme a souvent passe
pour une excellence , pour avoir ete secondee
de cet empire. Ceux , qui n'ont pas c^Ue supe-
rioi^itc , entrent avec meflancc dans les occa-
sions j ce qui leur ote beaucoup d'agrement , et
surtout si Ppn s'cn" apercoit. De la defiance nait
incontinent la crainie , qui bannit liontcusc-
ment I'assuranice , et par consequent l-aclion et
Ja raison perdenj tout J^ur lustre. Cettc crainte
s'empare si absolument de I'esprit, qu elle le
prive de toute sa liberty *^ si bien qu^ le raison-
nement cesse, le parler se gele , et I'activite
rcste interdite.
L'ascendant de celui qui parle lui attire d'a-
bord le respect de celui qui I'ecoute. 11' sc fait
preler attention par le plus critique , et emporte
dc haute lutte le conscntement de toute une
compagnie. II fournit des expressions et mema
4*
52 j/ il O M M E
des senlences a la personne qui parle , au lieu
que la crainte engloutit les paroles. La timidite
suffit pour tarir le raisonncmeiit ; et quolquc ce
soit un torrent d'eloquence , le grand froid de
la crainte Tarrete tout court (i).
Celui qui entre avec empire dans la conver-
sation , sV saisit*par ayance idu respect : mais
celui qui yvient avec crainte , s'accus e' lui-meme
je se sentir faible . et se confesse vaincu. Et
cctte defiance de son esprit fait qu il est meprise,
ou du moins peu cstime des autres. A la verite ,
I'homme sage doit se contenir , et particuliere-
ment, lorsqu'il ne cojinait pas les gens. 11 sonde
premleremcnt le gue , mais surtout s'il pres-
sent qu'il est profond..
Bien qu il soit et de la bienseance ct du de-»
voir de reformer cctte hardiessc imperieuse ,
%» ^ lorsqu'on parle aux princes et aux grands ; si ,
est-ce qu il faul se garder de tombcr dans Tex-
(i) Un ce'lebre jirodicateur, qu'il y avait cinq ans qui
prcchait *devant Philippe II, roi d'Espagne, perdit la
parole des qu'il fut entre eri cliaire, a cause que le roi se
mit a le regarder fixement. Un nonce du pape se de'con-
certa pareillement a une audience ) et le je'suite Possevin
demeura court au second point d'un discours bieh etudie' j
de sorte que , pour le tirer d'embarras , Philippe lui dit :
Si vous avez un ecrit , je le verrai , et je ferai expe'dier
rolre affsiire. Diehosj- hechos etc Don FiU'pe IL Cap, 2.
m
DE COUR. 55
tremite de se demonter. Cest la qu'il importe
de tenir un milieu entre la hardicsse.et Fair in-
terdit, pourn'etreni desagreable,iii ridicule (i).
Que ta crainie ne soil pas si grande , que tu en
perdes Fassurance ; ni la hardiesse \ que tu en
perdcs le respect. *
*I^oj-ez la Maxime 182. *\
Cette superiorite brille en toutes sortes de
gens ,mais bien davantage dans les grands. Pour
un orateur , c'cst plus qu'une circonstance , pour
un avocat ,*clle est essenticllc , dans un ambas-
sadeur , c'estune qualltc cclatante; dans un ca-
(1) Juan Riifo , Tun des plus beaux esprits de TEspa-
gne , et que Gracian appelle I'inge'nieux et le subtil par
excellence, eut la presairiptioft de croire qu'il nesetrou-
blerait point en la presence de Philippe II , disant que les
rois e'taient des hotumes comme les autres, et qu'il fallait
manquer d'esprit et de jugement pour avoir penr de pa-
raitre devant un roi , qui donnait audience avec tant de
modekie et de douceur^ et de la pre'sence de qui Ton ne
savait point que jamais personne se fut retire' mecontent.
Mais quand ce fut a parler a ce roi , il perdit la tramon-
tane comme les autres^ si bien qu*au sortir de Taudience,-
il avoua qu'il lui etait arrive' comme a ceux qui regardent
I'horizon , a qui il semble que le ciel et la terre se ton- /
chent , et meme s'embrassent , et qui , ar^'ivant a ce meme
point J s'en trouvent aussi e'loignes qu'auparavant* Jiian
Rufo dans son apophtegme 607 , lequel est rapporte mot
a n^ot dans le ch» 2 des Dits et des Faits de Philippe //•
54 l' H O M M E
pitaine , e'en csl-utie victorieuse : mais dans un
prinee, e'est le eomble de la perfeetion Elle
reliausse le prix dc toutcs les actions humainesj
elle s'etcnd jusqu'au visage, qui est le trone dc
la bienseance , et meme jusqu'aU marcher j c'ar
les pas d'un homnie sont I'empreinte du carac-
tere de son coeur : et c'est-lJ que les personncs
judicieuses crayonnent ordinairement le leur
par une noble nianiere d'agir et de parler ; car
la sublimite des actions double le prix , quand
la majeste les accompagne. ^
Quelques-uns naissent avec un pouvoir uni-
versel en lout ce qu'ils discnt et en tout ce qu'ils
font. Vous diricz que la nature les a fails les
aines de tout le genre humain. lis sontnes pour
etre les superieurs partout^ sinon en dignite ,
du moins en me rite ; il se repand en eux un es-
prh dominant, jusque dans le*urs plus com-
munes actions^ lout leur obeit, parce qu'ils ex-
cellent en tout j ils se rendent d'abord les ma^tres
des autres , en leur derobant le cceur ;• car tout
pent tenir dans leur vasle capacile. Eh bien !
qu'il s'en trouve quelquefois d' autres qui ont
plus de science, de noblesse et meme de vertu,
ils ne laissent pas de Femporter par un ascen-
#lanr qui leur donno la superiorite, de sorte que
que s'ils nc sout pas en droit , ils sont du moins
en possession.
BE CO.UR. 65
MAXIM E XLin. —
Pctrler comme le vulgaite , mais penser comme If
les sages.
♦ VouLOiR aller centre le courant, c^est.iiri>e. ♦
chose oil il est aussi impossible deT4ussir, qu5L;
est aise de s'exposcr au danger ^ il n j a qu'un
Socraie qui le put entreprendre.La contradiction^
msse^our une offense , jparce que c'est con-
damner le jugement d'autrui. Les mecontens sel
multiplient , tanlot a cause de la chose que Ton
censure , tantot a cause des partisans qu elle
avait. La verite est c'onnue de tres-pcu de gens ,
les fausses opinions sont recues de tout Je reste
du monde. II ne faut pas juger d^un sage par
les choses qu'il dit , altendu qu'alors il ne parle
que par emprunt , c'est-a-dire par la voix com-
mune , quoique son sentiment demente cette-
voix (i). Le sage evite autant d'etre contredi^tj
que de contredire C^X Plus son jugement lei
(i) L'homme judicieux, dit-il dans son Discret , ob-
serve inviolablement cette grandelecon, (d'Aristote) de
parler comme le commun , mais de penser et de croire
areboiirsdu commun. Chap. Homhrejuiziosojnotante,
(2) C'jst une louange que Tacite donne a Agricola.
Procul ah cemulatione adversiis collegas , procul a cort'^
tentione adversus procuratores : et vincere inglorLum ,
et atterl sordidum arbitrahatur. C'est-a-dire : II vivait en
56 l'ii o i\i m e
[porte a la censure, plus 11 sc garde de ^fipubli^r.
/opinion est llbre . ellc i^fi pent nl ne dolt etre
golente^. Le sage se retire dans le sanctuair^
le son silence ; ct s'il se commifaiique quelque-
fois , ce n'est qu a peu de ^cns , at touiours a
[d'autres sa^es.
M A X I M E X L I V.
Sympathiser tivec les grands homnies^ (i) .
C'est une qualite de heros que d' aimer les
heros ; c'est un Instinct secret que la nature
bonne intelligence avec ses collegues , fuyant d'entrer ea
contestatfon et en compe'tence avec eux 5 aussi peu d'hu-
meur a prendre avantage sur eux , qu'a souffrir qu'ils en
prissent sur lui.
(i) La sjmpathie, dit-il au chap. i5 du Heros , con-
siste dans une parente de coeurs , et I'antipatliie dans un
1 divorce de volonte'. La plus liaute perfection est expose'e
au mepris de Tantipathie , et I'liumeur la plus insuppor-
table a des cbarmes pour la sjmpatbie. II n'j a rien dont
la-sympathie ne vi^^«e a. bout 5 .elle persuade sans e'lo-
quence , et pour obtenir tout ce qu'elle de'sire , elle n'a
qu'a pre'senter le placet de sa ressemblanc©-. Une sym-
pathie releve'e est Te'toile du Nord qui guide a I'he'ro'isme*. .
11 est aise' d'avoir un penchant pour les grands hommes ,
maistres-difficile de leur ressembler. Quelquefois le coeur
fait des souhaits , mais sans e'couter Te'cho de 4a corres-
jpon dance. La sympatTiie est I'A , B , C , de I'amour. C'est
Ifoiie de pre'tendre a la coaquete des coeurs, sins etre
Imuni de sjmpathie.
DE COUR. 57
donne a ceux»qu elle veut conduirearheroisme,
II y a une parente de coeurs et de genies , et
ses effcts sont ceux que le vulgaire ignorant at-
tribue aux enchantemens. Celte sjmpathie n'en
. demcure pas a I'estime , elle va jusqu'a la bien-
veillance , d'oii elle arrive enfin aFattacliement:
U elle persuade sans parler^ elle obtient sans re-
icommandation. II y en a une active et une pas-
sive , et plus elles sont sublimes , plus elles sont
^eureuses.L'adresse est de les connaitre, de les
distinguer, et d'ensavoir faire Tusag^ quil faut.
Sans celte inclination tout le reste ne ser t de rien.
MA XI ME XL.V.
User de refleocion sans en abuser.
La reflexion ne doit etre ni affectec ni con-
nue. Tout artifice doit se cachcr , d'autant qu'il
est suspect j encore plus toute precaution , parce
qu'elle est odieuse. Si la tromperie est en regne ,
rcdoublez votre ^igllance , mais sans le fairo
connaitre, de peur de niettre les gens en de-
fian(!e( I ). Le soupcon provoque la vengeance (2),
(i) Tacite dit que lorsque Tibere parlait ambigument
dans le senat, tous les se'nateurs avaient une memepeur,
qui e'tait de paraitre pe'ne'trer sa pense'e. Quibus unus
metus , si intelligere viderentur. Ann. i.
(2) Agrippine ne trouvait point d'autre mojen de se
mettre a courert des embuclies de Ne'ron , son fils ; que
58 l' h o mm b
ct fait penser a dcs mojens'de nuu-c , auxquels
de montrer qu'elle n'ayait aucun soupgon de lui. Solum
insidiarum remedium esse, si non intelligerentur. An. 14.
*Et quand elle vit entrer dans sa chambre les officiers ,
qu'elle savait bien qui yenaient pour la tuer , elle ne laissa
pas de dire encore qu'elle ne croyait point son fils capable
d'avoir commande un parricide. Nihil sedejilio credere y
fion imperqfum parricidium. Ibidem. Un jour qu'Othon
donnait a souper aux principales dames de Rome , et aui?
principaux senateurs, quelques compagnies de soldats
etant venues forcer les portes du palais pour parler ^
I'Empereur , * les convies , qui ne savaient si c'e'tait une
trahison d'Olhon , ou un accident impre'vus ; ni lequel
/ valait mieuS: de s'enfuir ou de rester , cacherent autant
qu'ils purent la crainte et la de'fiance qu'ils avaient pour
ne pas ofFenser -rEmpereur. Qui trepidi, fortuitusnc
militurn furor , an dolus Imperatoris , nianere ac de*
prehendi , an fugere et dispergi , periculosius foret ,
mpdb constantiam simulare , etc. Hist. 1. Commines
blame fort le conne'table de St.-Pol dWoir te'moigne' son
soupcon au roi Louis XI , son maitre , en paraissant en
armes devant lui , avec une barriere entre deux , quoi-
qu'il dit I'avoir fa4t pour crainte du comte de Dam martin,
grand-maitre de France , son enn^i capital. Liv. 5 de
ses Me'nioires J chap, ii et 12, ou il ajoute, que le
Conne'table ayant fait ouvrir la barriei'e, et ayanf passe
du cote' du roi pour I'accompagner jusqu'a Noyon , il
flit ce jour-la en grand, danger.... Pour aver tir ceux ,
' conclut^il, qui sont au service des grands princes
Car je ne nis jamais homme ajant grande autorite'
avec son seigneur , parle mojen de Ic tenir en crainte,
a qui il rHen niechut.
DE COUR. 59
on ne pensalt pas auparavant. La rMlexion qui*
se fait sur I'etat des choses , est un grand se-
cours pour aglr. 11 ny a pQ^^tde meillcure
preuve _du bon sens , que d'etre rcflexif. Laplus
grande perfection des actions depend dc la
pleine connaissance avec laqiielle elles sont cxe-
_€utees (i).
/.
MAXIME XLVL
V Corh'ger son antipathie.
Nous avons coutumc dc hair gratuitement,
c'est-a-dirc , avant meme que de savoir quel
est celui que nous haissons ; et quelquefois cette
aversion vulgaire ose bien attaquer de grands
personnages. La prudence la doit surmonter .1
car rienne decredite davantage^quc dc hair ceuxf
^guijncritcntle plus d'etre aimes, Comme il est*
glorieux dc sympathiser avec les hcros , il est
honteux d' avoir de F antipathie pour eux.
(i) Cest ainsi que Tacite dit , que tous ceux qui s'em-
Larquent en de grandes entreprises doivfent Lien exami-
ner , si Texe'cutioh en sera aise'e ou d,iflicile , et s'il leuf
en reviendra de I'iiorineur et du profit a la palrie. Omngs ,
^ui inagnarwn rerum consilia suscipiunt , cestimare
debent, an quodinclioatuj^, reip. utile, ipsis glorlosum, y
autpromptum effectu^aut eerie hon arduum sit. Hist, 2,
60 LHOMMK
*• ■ \ ■
*MAXIME XLVII.
; Eyiter les engagemens.
^■^ Cest une des prlncipales maximes cle la
; prudence. Dans les grand es places il y a lou-
jours une grande distance d'un bout a I'autre :
il en est dememe des grandes affaires. Uy ablen
du chemin a faire avant que d'en voir la fin ;
c'est pourquoi les sages ne s'y engagent ipas
volontiers. lis en viennent le plus tard qu ils
peuvent k la rupture , attendu qu'il est plus fa-
cile de se soustraire a Toccasion , que d'en sor-
tir a son honneur. Ily a des tentations du juge-
mentj il est plus sur de les fuir que de les
vaincre. Un engagement en tire apres soi un
Cutre plus grand , et d'ordinaire le precipice
^^st a cote. II y a des gens qui , de leur naturcl ,
^et quelquefois aussi par un vice de nation , sc
melent de tout , et s'engagent inconsiderement.
Mais celui qui a la raison pour guide , va tou-
jours bride en main. II trouve plus d'avantage
a ne se point engager qua vaincre j ct quoiqu'il
y ait quelqu etourdi tout pret de commencer ,
il sc garde bien de faire le dcuxieme.
DE COtjft. §1
MAXIME XLVIII.
LIhomme de grand fonds.
Plus on a de fonds et plus on est homme.
Xe dedans doit toujours valoir une fois plus y
qu^^^^ ce qui parait dehors^. Jl y a des'gejis qui
n'ont que la fa<;adc , ainsi que les maisons que
Fon n'a pas achevees de batir fautq|j^e fonds. .
L' entree sent le palais , et jmiogemcnt la^caHJ/^
jbanne. Ces gens-la Vont rien oil Ton se puisse
fixer , ou plutot lout y est fixe j car apres la
premiere salutation , la conversation finit. Ds
font leur compliment d' entree comme les che- *
vaux de Sicile font leurs caracols , et puis lis
se metamorphosent tout-a-coup en tacitumes;
car les paroles s'epuisent aisement , quand Fen-
tendement est sterile. II leur est facile d'en trom-
per d'autres qui n'ont aussi , comme eux , que
I'apparence , niais ils sonl la fable des gens de
discernement , qui ne tardent guere a decouvrir
qu ils sont vides au-dedans.
MAXIME XLIX.
Uhomme judicieucc et penetrant.
*'![
II maitris€ les objets et jamais n'cn est mai- .
Uise. La sonde va incontinent Jusqu'au fond|j
6^ l'homme
f de la plus haute profondeur ; il entend parfai-
tement a faire ranatomie de la capacite des
gens ; il n'a <|u'a voir un hommc pour le con-
jiaitre a fond et dans loute son essence ; il
dechiffre tous les secrets du coeur Ic plus cacliej
il est subtil a conccvoir , severe a censurer ,
judicieux a tirer ses consequences ; il decouvre
tout ^ il remarque tout , il comprend tout.
€ene JmKtime , et J^a precedente out leur Comment
taire dans le Discret , chap, Hombre juizioso y potante, .
ok ilparle ainsii
Momus raisonnait bien grossierement quand
il demandait qu'il y eut unc petite fenetre au
coeur de Fhomme Elle ser,ait tres-inuiile a
certaines gens qui regardent avec des lunette;?
d'approche. Un bon jugement est la niaitresso
clef du coeur d'autrui Uignbrance a beau se
retirer dans le sanctuaire du silence , et Thypo-
crisie dans un sepulcre blanchi , Thonniie judi-
cieux decouvre tout , devine tout et penetre
tout. II discerne d'abord Tapparence d'avec la
realite j il regarde au-dedans , sans s'arretcr a
la superficie vulgaire ; il decliifTrc les inten-
tions et les fins , car il porte avec soi le contre-
chiffre de la critique. La tromperie , encore
I moins rignorxince, s'est rarenient vantec dc
I'avoir yaincu. Cctte pvemninence a rendu T^-
t)E COUR. 65
cite si cclebre dans Ic singulicr, et Seneque sij
"eslime dans le commun. 11 ny a point de qua-
lite plus opposee que celle-ci a I'ignorance du
vulgaii^e : elle suffit toute seule a mettre rhomme
en reputation de discret. Quoique le vulgaire
ait tpujours'ete malicieux , il n'a jamais ete ju
dicieux j et bien qu'il die tout , il n'entend pas
tout. II discerne rarement la verite d'avec la
vraisemblance. Comme il ne mord jamais que
I'ecorce , il avale tout , sans que le mensonge
lui fasse mal au coeur. Et^presque deux pages
apres : Un oui de ces connaisseurs de merile
ct de capacite , vaut mieux que toutes les accla
mations d'unpeuple.Etce h'etait pas sans cause
que Platon appelait Aristote , toute son ecolc ;
et Antigonus , le philosophe Z^non , tout le ca-
pital de sa ren'ommee, Maisal faut remarquer
qu il y a une grande difference entre la censure
ct la medisance ; car Tune a Tindiflerence pour
fondement, etl'autre la malice. Pfotre aphorisme
n enjoint pas au discret d'etre satirique , mais
d'etre intelligent : il ne present pas de tout
condamner, qui scrait un dereglement d^c^prit
insupportable; mais encore moins de tout ap-
prouver , qui est une pure pedanterie.
64 L H O M M £
MAXIME L.
Ne se perdre jamais le respect a soi-meme*
II faut etre lei que Ton n'ait pas de quoi
rOLigir devaiit soi-meme. Ilfte faut point d'aulre
regie de ses actions que sa propre conscience^
L'homme de bicn est plus redevable a sa pro-
pre SGverite qu a tons les prcccptes. U s'abslient
de faire ce qui est indecent , par la crainte qu'il
a de blesser sa propre modestie , plutot que
pour la rigueur de I'autorite des superieurs (i).
Quand on se craint soi-mcme,ron n'a que faire
du pedagogue imagjnaire de Senequc (2).
(i) Tel e'tait M. Caton qui , au dire de Patercule, fai-.
saittoujours bien , non pas pour paraitre Iiomme de bieii ,
mais parce qu'il n'eut jamais pu faire autremeiit. Qui
jiunquam recte fecit , ut facere videretur , sed quia
aliterfacere nonpoterat. Hist. 2. num. 55. II disait que
Ton n'avait point de plus terrible temoin que sa conscience.
(2) Chacun se dit innocent , dit Se'neque , non pas qu'on
sente sa conscience innocente , maisparqe qu'on sait qu'il
n'y a point de temoins. Innocentein quisque se dicit ,
respiciens testem. , non conscientiam. Ep. 4^. Et le
^eune Pline dit que la plupart des hommes craignent le
mauvais renom *, mais que tres-peu leur conscience.
Multifamam, conscientiam pauciverentuf\ Ep. 2.0 ^ 1.5.
Aristipe disait que le sage vivrait bien qriand meme il
n'j aurait point de lois : et un autre pliilosophe , qu'il
n'obeissait point aux lois , mais a la raison ^ pour dir« ,
DE C OUR. 65
MA XI ME LI.
Uhomme de bon choioc.
Le bon choix suppose le bon gout et le bou
sens. L'esprit ct I'etude ne suffisent pas pour
qu'il faisait volontairement ce que les autres faisaient par
contrainte.
C'est, dit Gracian, un conseil que la seVeritd de Caton
aenfante qu'il fa ut, se respecter, etse craindresoi-meme,
Celui qui se perd le respect j donne aux autres la per-
mission et meme la hardiesse de le lui perdre. Chap. 14,
du He'ros.
Un homrae constitue en dignite', peut-il etre me'prise ,
dit le jeune Pline, s'il ne s'est me'prise' lui-meme, en fai-
sant des bassesses ? An contemnitur ,qui imperium , qui
fasces habet , nisi qui humilis., et sordidus , et qui se
primus ipse contemnit? Ep. ult. I. 8.
Cesar , dit Gracian , ibid, ajant e'te' pris par des pira-
tes , le vaincu commandait, et les vainqueurs obe'issaient :
comme s'il eut e'te' leur prisonnier par ce're'monie, maisi
leur maitre en efFet. Ces j^aroles de Gracian e'tant tirees
de I'histoire de Patercule , je trouve a propos d'en mettre
ici le passage et la traduction. Admodum juvenis y cuht,
a piratis captus esset , ita se , per omnespatium , quo
ab iis retentus est , apud eos gessit , ui pariter iis ter-
rori venerationique esset : neque unqua^ aut nocte ,
aut die y fcur enim quod vel maximum est , si narrari
verbis speciosis nan potest, oniittatur?J aut excalcea-
retur, aut discingeretur. C'est-a-dire , Ce'sar ayant e'te
5
■ ■#
G6 l' H O M M E
passer heureusement la vie. U n'y a point de
perfection oii il ny a rien a choisir. Pouvoir
choisir , et choisir Je meilleur , ce sont deux*
avantages qu'a le bon gout. Plusieurs ont un
esprit fertile et subtil , un jugenient fort y et
beaucoup deconnaissances acquises par 1 etude,
qui se perdent quand il est question de faire un
choix. Il Icur est fatal de s'attacher au pire , et
Ton dirait qu*ils affectent de se tromper. C'est
done un des plus grands dons du ciel d'etre ne
homme de bon choix (i).
pris tout jeune par des corsaires , il se gouverna si bien
tout le temps quil fut entre leurs mains , jgfi'ils le crai-
gnirent et radmirerent e'galement : n'ajant jamais voulu
ni le jour ni la nuit (car dois-je passer sous silence une
chose si extraordinaire , a cause qu'on ne la saurait dire
en des termes magnifiques ? ) quitter sa robe ni ses
souliers. ^
(i) La passion, dit-il dans son Discret , chap. Honibre
de buena eleccion , est I'ennemie jure'e de la prudence ,
et par conse'quent de 1' election. Et une page apres : 11
Xiy a point de perfection ou il n j a point de choix.
Pouvoir choisir et choisir bien , c'estun double avantage.
Ne pas choisir , c'est prendre a aveugletes ce qui est ofFert
par le hasard ou par la ne'cessite'. Que celui done a qu"^
manquera I'art Je choisir , le cherche dans le conseil ou
dans Fexemple ; car , pour proce'der surement , il faut
ou savoir ou ouir ceux qui savent.
DE COUR. 67
MAXIME LII.
Ne s'emporter jamais.
Cest un grand point que d'etre toujours
maitre de soi-meme. C'^sl etre homme par ex-
cellence, c'est avoir un coeur de roi, atlendu
quil est tres-difficile d'ebranler une grande
ame ( i ) . Les passions sont les humeurs elemcn-
taires de Tesprit : des que ces humeurs excel
J'
(1) Juan Rufo en donne un bel exemple dans ses apo-
plitegmes. Don Lopez de Acuna , dit-il , s'armant a la
hate , pour aller a une melee , dit a deux valets qui luf
aidaient a s'habiller , de lui mfettre mieux sa bourgui-
gnote qui lui faisait douleur a uue oreille : mais ceux-ci
lui ayant soutenu plusieurs fois qu'elle e'lait mise comme
il fallait , et d'ailleurs etant presse' de partir , il s'en alia
au lieu destine, ou le combat fut sanglant. A son retour ,
otant son casque et son oreille avec , il leur dit avec
douceur : Ne vous disais-je pas bien que vous me Taviez
mal mis ? Apopht. 555. Et dans I'apophtegme suivant ,
apres avoir rapporte' que Don Juan de Gusman ayant dit
en presence deDon Juan d'Autriche, que s'il eute'te' Dom
Lopez , il eut fait un hachis des oreilles de ces deux co-
quins y c'eut e'te , re'plique-t-il , vendre la sienne a vil
prix , au lieu d'acheter , comme fit Don Lopez , toutes
les Ungues de la renomme'e qui cele'breront a jamais sa '
douceur et sa mode'ration.
5*
6S l' H O M M E
dent , Fcsprlt devient malade (i) ; ct si le nial
va jusqu a la boucEe^ la reputation est fort en
d^ns[er (2). II faut done se maitriser si bien.
^ue 1 on ne puisse etre accuse d^emportemgnt
ni an fort de la prosperite 5jQi_au_foTt jiejjdr;
versitej quau contraire on se fasse_admirer
cpmme invincible (5).
ii
MAXIME LIII.
Diligent et intelligent.
La diligence execute promptement ce que
Tintelligence pense a loisir. La precipitation
est la passion des fous (4) qui ,faute de pouvoir
. {\) AEger etjlagrans libidinibus animus, dit Tacite
Ann. 5.
(2) Et c'etait pour conserver la sienne que Tibere se
tenait sine miseratione , sine ira , ohstinatum clausum-*
que, ne quo adfectu perrumperetur, Ann. 5.
(5) Comme ce fils adoptif de Galba , qui nullum tur-
bati aut exultantis animi motum prodidit : nihil invultic
habituque m.utatum. , quasi imperare posset magis ,
qutim^ vellet. Hist, i . Et comme Vespasien qui , se vojant
saluer Empereur , ne laissa rien voir de nouveau dans
I'acceptation de sa nouvelle dignite. In ipso nihil tumi^
dum , arrogans , aut in rebus novis novum fuit. Hist. 2.
(4) Barbaris , dit Tacite , cunctatio seiyilis , statim
exequi regium videtun Ann, 6. Ps^rmi les Barbaras, c'est
DE COUR 69
decouvrir le danger , aglssent a la boulvue. Au
conlraire, les sages pechent en lenteur , effet
ordinaire de la reflexion. Quelqnefois le delai
fail echouer une entrcprise bien concertee (i).
La prompte execution est la mere de la bonne
fortune (2). Celui-la a bcaucoup fait qui n'arien
laisse a faire pour le lendemain *. Ce [mot est
digne d'Auguste : Hdtez-vous lentenient.
lachete de temporiser , et ge'nerosite d'exe'cuter inconti-
nent. Les fous et les Barbares peuvent bien etre mis en
meme rang , les uns et les autres agissant plus par impe'-
tuosite' que par raison. Velocitas y juxta formidinem 5
cunctatio propior constanlice est. In Germania. La pre-
cipitation approche fort de la peur , et la lenteur de la
Constance.
(i) Prolatatio inimica victoriee , dit Tacite, Hist. 5.
Tout retardement empeche de vaincre. Temporiser , c'est
laisser e'chapper la victoire. Debellatum eo dieforet, si
Romana classis sequi maturasset. Hist. 5. Si la flotte se
fut hatee de suivre , ce jour -la eut mis fin a la guerre.
Antonius festinato prcelio victoriam prcEcepit. Hist. 5.
(2) Te'moin Ce'rialis qui, au dire de Tacite, donnait
tres-peu de temps jDOur exe'cuter ses ordres. Ce qui lui
re'ussissait toujours, la fortune supple'ant souvent au de'-
faut de sa conduite. Cerialis pat-um temporis ad exe~
quenda imperia dahat , subitus consiliis , sed eveiitu
clarus. Aderat fortuna , etiam ubi artes defuissent.
Hist. 5.
"^ Mot d^ Alexandre.
l' H O M M E
MAXIME LIV.
Avoir du sang auoc ongles.
QuAND le lion est mort , les lievres ne crai-
gnent pas de I'msulter. Les braves gens n'en-
tendent point railleric (i). Quand on ne resiste
pas la premiere fois , on resiste encore moins
la seconde , et c est toujours de pis en pis (2).
Car la inemc difficulte , qui se pouvait surmon-
ter au commencement , est plus grande a la fin.
La vigueur de I'esprit surpasse celle du corps ,
il la faut toujours tenir prete, ainsi que Tepee ,
pour s'en servir dans I'occasion : c'est par oiz
Ton se fait respecter. Plusieurs ont eu d'emi-
nentes qualites , qui , faute d' avoir eu du coeur ,
ont passe pour morts , ajant toujours vecu
cnsevelis dans I'obscurite de leur abandonne-
ment. Ce n'est pas sans raison que la nature a
joint dans les abcillcs le miel ct I'aiguillon , ct
pareillcment les nerfs et les os dans le corps
humain, II faut done que I'esprit ail aussi quel-
que melange de douceur et de fermeie (5).
(i) Non tulit ludibriwn insolens contumelice animus,
(militum) Hist. 2.
(2) C'est pourquoi les Ephores de Sparte condamnerent
a ramende un citojen qui avail soufFert plusieurs injures
sans s'en etre ressenti.
(5) II faut etre a peu pres corame c^ R^gulus , qui e'tait
D E C O U R ,71
MAX I ME LV.
Uhomme qui salt attendre,
Ne s'empresser ni nc se passionner jamais »
c'est la marque d'un coeur qui est toujours au
large. Celui qui sera le maitre de soi-meme, le
sera bientot des autres.Il faut traverser la vaste
carrier e du temps , pour ar river au centre de
Toccasion. Un temporisement raisonnable mu-
rit les secrets et les resolutions. La bequille du
temps fait plus de besogne que la massue de fer
d'Hercule. DIeu meme , quand il nous punit ,
ne se sert pas du baton , mais de la saison. Cc
d'un naturel doux et facile , mais furieux et vindicatif ,
quand on Toffensait. Nisi lace ss ere tur , modestice reti-
nens , non modb retudit collegam , $ed ut noxium corv-
jurationis ad disquisitionem trahebat.Ann.^. Gracian ,
dans le discours 47 de son Agudeza , rapporte une action
de Pierre, comte de Savoie, qui me'rite d'etre donne'e
ici pour exemple. Ce comte , dit-il , qui avait le me'rite
d'un roi , se pre'sentant devant Tempereur Othon , pour
en recevoir I'investiture , e'tait tout convert de broderie
et depierreries au cote' droit, et d'armes luisantes au cote
gauche. L'empereur surpris de le voir si bizarrement
vetu , lui en demanda la raison. Je suis , dit-il , ainsi mi-
parti , pour montrer a V. M . que d'un cote' je suispret de
lui faire ma cour , et de I'autre , en e'tat de me de'fendre
contre ceux qui me voudront oter ce que j'ai acquis par
les armes.
n2 L HOMME
mot est beau : Le temps et moi nous en valons
deuce autres (i). La fortune nieme recompense
avcc usure ceux qui ont la patience de Fat-
tendre.
Au chapitre 5 de son Dlscret , apres avoir
fait une description allegoi;ique du char triom-
phant de FAttente , tire par des remorcs, et
de son tro.ne fait d'ecailles de tortue , et avoir
dit que ce char fut un jour attaque par un esca-
dron de monstres , qui etaientla Passion aveugle,
I'Engagement indiscret, la Hate imprudente, la
Facilitc a hasarder, Tlnconsideralion , la Preci-
pitation etla Confusion : L'Attente , dit-il ,
connaissant la grandeur du danger, commanda
a la Retenue de faire alte, et ala Dissimulation
d'amuser les enncmis , pendant quelle consul-
terait cc qu'elle avait a faire.
Le Sage Bias, grand serviteur de cette grande
maitressc de soi-meme , lui conseilla d'imiter
Jupiter , qui n'aurait deja plus de foudres ,
s'il n'eut pas pris patience. Louis XI , roi de
France , fut d'avis qu'elle dissimulat commc lui ,
(i) C'est un mot que Philippe II, roi d'Espagne, disait
souvent , e'tant persuade' que rien ne se pouvait faire a
profit sans le temps ^ et que pour faire reussir les entre-
prises , il fallait absolument y penser a Joisir. Chapitre
penultieme de I'histoire intitulee , Don Filipe el pru- ^
dente.
DE COUR. 75
qui n'avait jamais enseigne d' autre grammaire
ni d'autre politique a son fils. Don Jean II , roi
d'Aragon , luircmontraque jusqu a cette hcure ,
le lemporisem/ent espagnol avait plus opere
que remportement francais. Le grand Au-
guste, pour toute conclusion , recommanda son
Hdtez'vous lentement. Le roi catholique Don
Ferdinand , comme prince de la politique ( oii
TAttente est bienversee),parla plus aulong.
II faut , dit-il , etre mailre de soi-meme, et puis
onleserabientot des autres. Le temporisement
assaisonne les resolutions, et murit les secrets;
au lieu que la precipitation engendre toujours
des avortons , qui n'arrivcnt jamais a la vie dc
rimmortalite. II faut pcnser a loisir, et executer
promptement. Toute diligence , qui n'est pas
dirigee par la lenteur , risque beaucoup. Les
choses lui echappent des mains avec la meme
facilite qu'ellcs y sont venues ; et quelquefois le
reientissement de la chute a cte le premier
signal de la prise. L'attente est le fruit des
grands cc)eurs(i). Elle est feconde enbon suc-
(1) Tacite dit que la precipitation tient beaucoup de la
peur , et que le temporisement approclic davantage de la
Constance du courage. Velocitas , juxta Jormidinem ,.
cunctatio propior constandce est. In Germania. Mais
les Barbares , dit-il ailleurs , croient que c'est le propre
d'une ame sei^yile que de temporiser. Barbaris cunctatio
74 l'homme
ces. Dans les hommes de petit courage , ni le
temps ni le secret , n j sauraient tenir. Puis il
conclut par cet oracle Catalan : Dieu ne se sert
point de baton , mats de la saison.
MAXIME LVL
Troiis^er de bons eocpediens.
C'est I'efFet d'unc vivacite heureuse qui ne
s^'cmbarrasse de rien , non plus que s'il n^arri-
vait jamais rien de fortuit. Quclques-uns pen-
sent long-temps , et apres cela , ne laissent pas
de se tromper en tout ; et d'autre trouvent des
expediens a tout , sans j penser auparavant. Il
y a des caracteres d'antiperistase , qui ne reus-
sissent jamais mieux que dans Tembarras; ce
sont des prodiges , qui font bien tout ce qu ils
font sur le champ , et font mal tout ce qu'ils
ont premedite , tout ce qui ne leur vient pas
servlUs videtur. Ann. 6. Parce qu'ils ne savent pas rai-
sonner, ni preVoir lesinconveniens. Tacite blame encore
Othon de n'avoir pas eu la patience d'attendre, ni le
courage d'espe'rer. AEger mora, et spei imp aliens.
Hist. 2. Et dit que Titien , frere d'Othon , etProculus,
son capitaine des gardes , se pressaient de donner la ba-
taille , faute d'entendre leur me'tier. Titianus et Pmcutus
imperitid properantes. Ibidem. , •
DE COUR. 75
d'abord , ne leur vient jamais. Ces gens-la ont
toujours beaucoup de reputation , parce que la
subtilite de leurs pensees et la reussite de leurs
entrep rises , font juger qu'ils ont une capacite
prodigieuse.
La promptitude , dit-il , dans son Discret ,
chap. Tener buenos repentes y est la mere du
bonheur. Les traits de FImpromptu partent tou-
jours d'un esprit qui prend essor. Et quelques
lignes apres : Si Testime est une chose due a
tout ce qui se fait ou qui se dita-propos, un
bon expedient pris sur I'heure est digne d'ap-
plaudissement. Le prompt et I'lieureux font va-
loir les choses au double. Quelques-uns pensent
beaucoup , et manquent toujours apres 5 et d'au-
tres reussissent a tout , sans y penser aupara-
vant. La vivacite d'esprit supplee atl defaut du
profond jugement. Ce qui s'offre d'abord pre-
vient la consultation. 11 n j a rien de fortuit
pour ces gens-la , d'autant que la presence d' es-
prit leur sert de prevojance. Les impromptus
sont les gentillesses du bon gout, et Fattrait de
Tadmiration. Des actions mediocres non medi-
tees paraissent bien plus que les hauts desscins ,
qui ont ete concertes. Et une page apres : Un
seul impromptu suffit a Salomon , pour avoir
le renom d'etre leplus sage de tous leshomffles :
par un mot il se rendit plus redoutable que par
i
76 l'homme
toute sa puissance. Alexandre et Cesar meri-
terent d'etre lesfils aines de la renommee ; run
en s'avisant de couper le noeud-gordien (i) , et
Fautre par un mot qu'il dit en tombant (2).
Deux impromptus leur valurent a tous deux
la conquete de deux parties du monde. Ce fut
a cet exam en qu'il fut juge quils etaient capa-
bles de dominer Funivers. ' ^ is^
Si la prompte repartie a toujours (iio; plausi-
ble , la prompte resolution merite bien d'etre
applaudie. L'heureuse promptitude dans les
fails montre qu'ily a une cminente activitedans
la cause. La promptitude a concevoir marque
la .subtilite et la promptitude a trouver de bons
expediens est la preuve d'une sagesse d'autant
plus estimable qu'ily a bien de la distance de la
vivacite a la prudence, etde Fespritau jugement.
Dans les generaux d'armee et dans les braves,
(1) Les Gordiens lui ayant dit, que celui qui pourrait
detacher le char qu'il vojait , devait etre le maitre de
rUnivers , il lira son epee , et en coupa par la moitie' le
noeud qui liait ce char.
(i ) C'est bon signe , dit-il , que VAfrique est sous moi ,
Oir, comme I'explique Gracian dans le discours 7 de son
Agudeza : Ce nest pas , dit-il , une chute , ntais une
prise de possession. Une autre fois il arreta d'une parole
ses ^Idats mutines , eu les appelant bourgeois. Divus
Julius seditionem exercitus verbo una compescuit ,
()mx\X^%vocando. Tolc. jInn. 1. ^
DE <:ouR. 77
c est unc perfection aussi necessaire que su-
blime , d'autant que leurs actions ct leur execu-
tion sont presque loutes subites et passageres ,
\u divers cas fortuits, quin'ontpu etreprevus ni
consultes , et qu'ainsi il faut se servir de I'occa-
sion , oil consiste Ic triomphe de leur presence
d'esprit , et par consequent , toute i'assurance.
de leurs victoires.
Mais pour les rois , il leur. sied mieux de
penser , a cause que toutes leurs actions sont
eternelles. lis ont a penser pour plusieurs , et
par consequent, besoin de beaucoup de pru-
dence auxiliaire pour assurer le repos univer-
sel. lis ontle temps ct le lit oil ils laissentmurir
leurs resolutions. Ils passent les nuits entieres
a penser, pour passer les jours en surete. En-
fin ils travaillent plus de la tete que des mains.
JEt dans le chap. 5 du Heros , il parle en ces termes :
Les dits d' Alexandre sont les flambeaux dc
ses faits. Cesar fut egalement prompt a penser
et a faire. Les promptitudes de Tesprit sent
aussi heureuses que celles de la volonte sont
pcrilleusesj ce sont des ailcs pour voler au faita
de la grandeur. Avec ces ailes, plusieurs se sont
eleves du centre de Fobscurite a celui du soleil
Si la subtilile ne regno pas , du moins elle
merite d'etre la compagnc de ceux qui regnent.
*j8 l' HOMME
Lcs dits ordinaires d'un roi sont des pointes
d'esprit couronnees. Les tresors des princes
viennent souvent a manquei^ , mais leurs beaux
mots se conservent eternellemeiit dans la garde-
robe de la renommee. Dc braves gens ont quel-
quefois plus avance par un bon mot que par la
foree de leurs armcs , la yicloire etant le prix
ordinaire d'un trait d' esprit. Lc roi des sages
et le plus sage des rois , acquit ce JJenom par
le prompt expedient qu'il trouva au plus grand
de tous les differens , qui etait de plaider pour
un enfant. Cequi montre que I'csprit sert aussi
amettre la justice en credit.
m>
MAXIME LVII.
Les gens de refLeocion sont plus stirs.
Ce qui est bieii est toujours a temps. Ce qui
est fait incontinent, sc defait aussitot. Cequi
fdoit durer une eternite , doit etre une eterniie
a faire. L'on ne regardc qu a la perfection , et
rien ne dure que ce qui est parfait. D'un en-
tend^ment profond tout en demeure a perpe-
luite. Ce qui vaut beaucoup , eoute beaucoup.
Le plus precieux des metaux est le plus tardif
et le plus lourd.
DE COUR. 79
Assez tot, si assez bien ^ dit un sage (i).
Nous n examinons jamais combien Ton a etc a
faire un ouvrage, mais bien s'ii est parfait j res-
time ne va que la. Le Tot et le Tard som des]
accidens _qui s'ignorent ou qui s'oublient , au]
lieu que le Bien est permanent. Ce qui s'est^
fait incontinent, se defaira tout a coup. II flnit
bient6t , parce qu'on I'a acheve bientot. Plus les
enfans de Salurne sont avant terme, plus illes
(i) Auguste disait qu'une chose etait assez tot faite
quand elle etait bien faite.
Apelles dit a un peintre, qui se vantait de n'etre guere
a faire ses tableaux : L'on nd, pas de peine a le croire ,
, car on levoit, Le fameux Michel -Ange, qui etait tres-
long-temps apres ses ouvrages , disait que dans Tes arts la
hate ne valait rien ', et que comme la nature est long- i
temps a former les animaux qui doivent durer long-tems: \ . y *
de meme Fart (mi se pique d'imiter la nature , doit ope'-
rer a Loisir , e'tant impossible a I'homme de rien faire de
fort excellent a la hate. « Les ouvrages qui sont le plu-
» tot acheve's , dit le pere Bouhours , dans son second
» Entretien , ne sont pas les plus parfaits. La nature est
» des siecles entiers a former Tor et les pierres precieu- *
» ses... Les choses, qu acquierent bientot leur perfec-
» tion , tombent bientot en de'cadence : ainsi , les fruits '
» avances ne sont pas de garde. Au contraire , ce qui se
» fait avec beaucoup de temps , dure aussi beaucoup de
» temps » . Quoiqu'il en soit , on doute que son Art
de bien penser, qui est un travail de quinze ans , puisse ,
sjvec toute sa jeunesse , aller jusqu'a la fin de ce siecle.
80 l'homme
devore aisement. Ce qui doit durer une eternite,
doit etrc une elcrnite a venir. Gracian , dans
5on Discret 3 chap. Tener buenos repentes.
MAXIME LVIII.
Se mesurer selon les gens.
Il ne faut pas se piquer egalement d'habilete
avec lous , ni employer plus de forces que
Toccasion n'en demande. Point de profusion
de science, ni de puissance. Le bon fauconnier
ne jette de manger au gibier, que ce qui est
necessaire pour le prendre. Gardez-vous bien
de faire ostentation de tout , car vous man-
queriez bientot d'admirateurs. 11 faut loujours
garder quelque chose dc nouveau, pour pa-
raitre le lendemain. Chaque jour, chaque echan-
tillon 'y c est le mojen d'entretenir toujours
son credit , et d'etre d'autant plus admire ,
qu on ne laisse jamais voir !es bornes de* sa
^capacite.
MAXIME LIX.
. Se faire desirer et regretter.
Si Ton entre par la porte du plaisir , dans
la maison de la fortune, Ton en sort d'ordi-
DE GOUR. 8l
iiaire par la porlc du Chagrin : alnsi du con-
traire. L'habiiete est plus a en sorlir heurcuse-
ment , qua j cntrer avec I'appiaudissenient po-
pulaire. C'est le sort commun des gens fortu-
nes d' avoir Ics commcncemens tres-favorabies ,
et puis une fin tragiquc. La felicite nc con-
siste pas a avoir I'applaudissement du peuplc
a son entree , car c'est un avanlage qu'ont
tons ceux qui entrent , la difficulte est d'avoir
le meme applaudissement a la sortie. Vous en
yojez tres-peu qui soient regrettes. II arrive
rarement, que ceux , qui sortent , soient ac-
compagnes de la bonne fortune, car son plai-
sir est de se montrer aussi reveche a ceux qui
s'en vont, quelle est civile et caressante envers
ceux qui viennent.
Le meme applaudissement , dit-il dans son
Dlscret y chap. Hombre de buen deaoo ^ que
Ton a eu au commencement , fait que le mur-
mure en est plus grand a la fin. Toutes les
facades des charges sont magnifiques , mais ja-
mais les epaules. Les entrees aux dignites sont
couronnees comme des victoires , mais les sor-
ties sont accompagnees de maledictions (i). Que
(i) Quand les grands hommes , qui ont eu le manie-
ment des affaires publiques , viennent a tomber , c'est
I'ordinaire que Ton forge contre eux les plus horribles
6
^
82 LHOMMfi
d'applaudissemcns a unc aulorite qui com-
mence , soit a cause du plalsir que le pcu-
ple trouve a changer ; ou de I'esperance que
chacun a de recevoir des grsices en son par-
licullcr ! Mais quand ellc finil , ah ! quel si-
lence ! Encore le silence lui tiendrait-il lieu
d'une acclamation favorable.
La prudence met toute son application a
bien achever. Ellc est bien pJus attentive aux
mojcns de la sortie, quaux applaudissemens
de I'entrce. Le vigilant Palinure ne gouverne
pas son vaisseau par la prouc , mais par la
poupej c'est-la qu'il se tient pour le conduire
dans le voyage de la vie. Toute la disgrace
( et comme il dit au commencement de ce
chap, toute la race du malheur ) reste pour la
fin , ainsi que toute Famertume est au fond de
la medecine. Excellent precepte, pour com-
menccr, et pour achever, que celui de ce Re-
main , qui disait , qu'il avait obtenu toutes les
calomnies^ au lieu que durant leur prosj^e'rit^, ils n'en-
tendaient que des flatteries. Apologie du comte due
dOlivares. Tacite dit que la haine que le peuple portait
a Se'jan, faisait croire de lui toutes les choses les plus
incroyables et les plus impossibles. Quia Sej anus facino^
rum ornnium repertor habebatur , ex nimia caritate in
eum Ccesaris , et ca^teronun in utrumque odio , quatn-*
vis fabulosa et immania , credebantur, Ann, 4.
t)E COtJR. 85
dignites avaiit que de les desirer ; et qu'il les
avait toutes laissees , avant qu'cUes fussent de-
sirees des auties (i). Le maiheur est quelque-
fois la punllion de rintempe ranee. La conso-
lation des sages est de s'etre retires avant que
la fortune se retir4t. Le del meme a employe
ce remede en faveur de quelques heros : Moyse
disparut , et Elie fut enleve , afin qu ils linis-
sent par un triomphe.
• MA XI ME LX.
Le bon Sens (2).
QuELQtES-uNS naissent prudens^ ils entrent ,
par un penchant naturel , dans Ic cliemin de
( 1 ) Dans le discours 28 , de son Agudeza , il attribuft
€6 mot a Porape'e. Patercule , au contraire , dit qu'il
briguait les magistratures avec une ardeur extreme : mais
qu'apres les avoir obtenues, ils les exer^ait avec beaucoup
de modestie , etpiiis en sortait aussi volontiers qu'il y
e'tait entre' r jusque-la qu'il rendait , quand on voulait ,
ce qu'il avait pris quand on ne voulait j^as. In appetendis
Tionoribus immodicus , in gerendis verecundissimus ,
ut qui eos , ut libentissime iniret , ita Jiniret cequo
animo : et ^ quod cupisset arbitrio suo sumere , alieno
deponeret. Hist. 2.
(2) Commines dit que le bon sens naturel precede
toutes autres sciences quon saurait apprendre en ce
monde. Me'm. liv. a. chap. 6.
6*
§4 l'homme
, la sagesse , et d'abord ils sont presque a mi-
chemin. La raisOn leur murit avec I'age et Tex-
pcrience , et ils arriveiit enfin au plus haut de-
gre de jugement. lis ont horreur du caprice
comme d'une lentatioii de leur prudence ,
mais surtout dans les matieres d'etat , qui , a
a cause de leur extreme importance , exigent ,
qu'on prenne toutes ses suretes.De tgls liommes
meritent d'etre au timon de I'etat, ou du moins
d'etre du conseil de ceux qui le tiennent.
MAXIME LXI.
Eocceller dans Vecjccellent (i).
C'est une grande singularile parmi la plu-
ralite des perfections. II ny pent avoir de
(i) II n'appartient qu'au premier etre, dit-il dans le
^liap. 6 du Heros , d'avoir I'assemblage de toutes les per-
fections 'y car comme il ne tient son etre que de lui-meme ,
il ne souffre point de limitation. II y a des perfections que
le ciel donne , et d'autres , qu'il abandonne a noire indus-
trie. Une ni deux ne suffisent pas pour rendre mi sujet
excellent. Si le ciel a refuse' les talens naturels , rapplir-
cation y doit supple'er par des taleqs acquis. Ceux-la sont
Jes enfans de la faveur , et ceux-ci de I'industrie ^ et d'or-
dinairc ce ne sont pas les moindres. II faut peu de cliose
pour faire un individuj mais beaucoup pour faire un
homme universel. II y a si peu dc ceux-ci , que leur etre
#.
DE COUR 85
heros qu'il n j ait en lui quelque extremite
sublime. La mediocrite n'est pas un objet assez
grand pour rapplaudissement. L'eminence dans
n'est qu'en idee. Celui-la n'est pas compte pour un qui en
vaul beaucoup d'autres. Excellente est la singularite' qui
est e'quivalente a toute une cathe'gorie. Toute profession
n'est pas digne d'estime , tout emploi n'est pas en cre'dft.
On n'est pas blame' de savoir tout , mais ce serait risquer
sa reputation que de mettre tout en pratique. ( Omnia
scire, dit Tacite , non omnia exsequi. In Agricola,)
Etre eminent dans une vile profession , c'est etre grand
dans le peu , c'est etre quelque chose dans le rien. A
rester dans la me'diocrite' , Ton est au gout commun ;
a vouloir monter a I'e'minence , Ton y perd son cre'dit....
Un grand homme ne doit jamais se borner a une ni a
deux perfections , mais avoir Tambition d'etre universel
et meme infini. De devenir e'minent en tout , ce n'est pas
la moindre des impossibilile's , non pas faute d'ambition ,
mais faute d'application et de vie. L'exercice est le moyen
de se perfectionner en i'art que Ton professe, et d'ordi-
naire le temps manque au meilleur ouvrier^ et le plus
souvent , la patience requise pour un si long travail.
L'eminence dans un emploi releve est une portion de la
Souverainete , puisqu'elle exige un tribut de ve'ne'ration...
Que I'homme de me'rite -coure done a I'e'minence , bien
assure' que la peine, qui lui en couteia, sera recom-
pense'e en reputation. Et ce fut en cette vue que les
Payens consacrerent le boeuf a Hercule , pour signifier
que le louable travail est une semence qui promet une
recolte de renomme'e, d'applaudissement et d'immor-
talite.
66 jj H 0 M M E
un haut emploi distingue du vulgaire, er elevc
a la calhegorie d'homme rare. Etre eminent
dans une profession basse, c'est etre grand
dans le petit, et quelque chose dans le rieii.
Cc qui ticnt davantage au delectable, en tient
moins du sublime. L'eminence en des choses
h^utes est comme un caractere de souverai-
nete , qui excite ^radmiration , et concilie la
bicnveillance,
:sK. V di
MAXIME LXII.
. . ., ' Se sewir de hons instrument.
QuELQUES-tNS font cousislcr la delicatesse
de leuF esprit a en employer de mauvais : point
d'honneur dangereux , et digne d'une nialheu-
euse issue. L'excellencc du ministre n'a jamais
diminue la gloire dumaitre, au contraire, tout
riionneur du succes retourne apres a la cause
principale, et pareillement tout le blame. La
rcnommee celebre toujours Ics premiers au-
tcurs. EUe ne dit jamais : Get honime a eu de
bons ou de mauvais ministres : mais , il a ete
ban , ou mauvais ouvrier. II faut done tacher
de bien choisir ses ministres , puisque c'est
d'eux que depend Timmortalite de la repu-
tation.
DE coum. ^7
. MAXIME LXIIL
V excellence de la primaute.
Si la primaute est secondee de Feminence,
elle est doublement excellente. C'csl un grand
avantage au jeu, d'etre Ic premier en main,
car on gagne a cartes egales. Plusieurs eus-
scnt ete Ics phenix de leur profession , si
d'autres ne les eussent pas precedes. Les pre-
miers ont le droit d'ainesse dans le partage
de la reputation, et il ne rcste qu une maigre
portion aux seconds ; encore leur est-elle con-
teslee. Ceux-ci ont beau se tourmenter, ils ne
sauraient detruirc Fopinion , que le monde
a , qu'ils n'ont fait qu'imiter. Les grands ge-
nies ont toujours affccte de prendre une nou-
velle route, pour arriver a Fexcellence (i),
( I ) C'est une dexterite non commune , dit-il , au
chap. 7 du Heros, d'inventer un nouveau chemin pour
aller a Fexcellence. II y a Lien des chemins qui con-
duisent a la singularite', mais ils ne sont pas tons fraye's.
Les plus nouveaux , quoique toujours difficiles, sont
d'ordinaire ceux par ou Ton arrive plutot a la grandeur.
Salomon aima mieux etre pacifique que guerrier comm^
son pere , et par cette route il arriva plus facilement a la
gloire des he'ros. Tibere affecta de faire autant par la
ruse, qu'Auguste avail fait j)ar les armes. Philippe II,
gouverna tout le monde sans sortir de son cabinet 5 »
mais de telle some que la prudence leur a
toujours servi de guide. Par la nouveaulc des
entreprises , Ics sages se sont fait ccrirc au
catalogue des hcros. Quelques - uns aiment
niieux etre Ics premiers de la scconde classc ,
que les seconds de la premiere (i).
bien qu'il fut un prodige de prudence , au lieu que son
invincible pere avait e'te' un prodige de courage.
C'est , dit-il, dans son Ferdinand ^ le caprice ordi-
naire des princes, de faire tout le contraire du passe
soit par amour de la nouveaute' ou par jalouisie. Et cette
passion ne regne pas seulement dans les successeurs
ctrangers, mais dans les propres enfans. La nature a bien
pu unir un sang avec un autre, mais non pas les esprits.
Ouelquefois les enfans heritent du geste, mais jamais
du gout. lis croient que I'imitation est un manque
d'esprit, etc.
( I ) Temoin le fameux Titien a qui Don Francisco de
Vargas , ambassadeur de Charles-Quint , a Venise ,
demandant pourquoi il avait donne' dans cette maniere
de peindre a gros traits en guise de peinture poche'e , au
lieu de suivre la me'tbode des excellens maitres de son
temps: c'est, re'pondit-il , gue j'ai de'sespere' de pouvoir
jamais arriver a Textreme de'licatesse du pinceau de
Michel- An ge , de Raphael d'Urbin , du Correge et du
Parme'san, et que quand meme je les aurais e'gale's, je
serais toujours au-dessous d'eux, d'autant que je ne pas-
serais que pour leur imitateur^ de sorte que, I'ambition ,
qui n'est pas moins naturelle a mon art qu aux autres
arts libcraux , m'a fait prendre un clicniui tout nouvcau
DE COUR. 89
MAXIME LXIV.
S avoir s'epagner du chagrin.
C'lEST unc science tres-utile; c'est comme la
sage-femme de tout le bonlieur de la vie. Mau-
vaises nouvelles ne valent rien, ni a donncr,
ni a recevbir (i) ; il ne faut ouvrir la porte qua
celles du remede. U y a des gens , qui n'em-
ploient leurs oreilles qu'a ou'ir des flatteries;
d'autres , qui se plaisent a ecouter de faux
rapports -, et quelques-uns , qui ne sauraient
par oil je pusse me rendre celebre en qiielque cliosc ,
comme le sont devenus ces grands peintres par la route
qu'ils ont suivie; Antoine Perez, dans la 61^ de ses
secondes lettres.
( I ) II ne faut jamais porter une mauvaise nouvelle
aux princes. Tacite dit que I'on se hata fort de demauder
a Domitien , qu'AgricoIa, qu'il iia'issait a cause de sa
reputation, etait aux derniers abois, et que cet empres-
sement fit croire que I'Empereur ne serait pas fa die'
d'apprendre cette nouvelle. Momenta deficienlis per
dispositos cursores nuntiata , nullo credente sic acce-
lerarl, quce tristis audiret. In jlgrlcola. Ne dis jamais
de mauvaises nouvelles, dit Juan Rufo a son fils, el si
tu veux etre en repos ne donne jamais d'ctrennes ^au
courier qui t'en apportora de telles. Dans niie iem-e ^
vers.
90 L HOMME
vivre un seul jour sans quelque ennui, non
plus que Mitridate sans poison. G'est encore
un grand abus, de vouloir bien se cliagriner
toute sa vie , pour donner une fois du plaisir
a un autre, quelque etroite liaison qu'on ait
avec lui. U ne faut jamais pechcr contrc soi-
nieme , pour compjaire a celui qui conseiilc ,
et se tient a I'ecart. C*est done une lecon d'u-
sage et de justice , que toutes les fois que tu
auras a choisir de faire plaisir a autrui, ou de-
plaisir a toi-m^me , tu feras niieux de laisser
autrui mecontent, que de le devenir toi-meme^
€t sans remede. c , ^ ,. ^^ ,
MAXIME LXV.
Le god t Jin.
Le gout se cultive aussi bien que I'esprit.
L'excellence de I'entendement raflne le desir,
ct puis le plaisir de la jouissance. E'on juge
de I'etendue de la capacite par la dclicatcsse du
gout. Une grande capacite a besoin d'un grand
objet pour se contenter. Comme un grand
cstomac demande une grande nourriture , il
faut des matieres dlevces a des genies sublimes.
Les plus nobles objels craignent un gout de-
licat , les perfections universellement estimees
DEC OUR. gt
ii'osent cspcrer clc lui plaire (i). Comme il y
en a tres-peu , oii il ne manque rien , il faut
(i) Toute grande capacite, dit-il, dans le chap. 5 du
He'ros , a e'te difficile a contenter. Le gout a sa culture
aussi bien que I'esprit. Ce sont deux freres jumeaux, en-
fans de la capacite', qui ontpartagee'galementl'excellence.
Un esprit sublime n'a jamais eu*un gout bourgeois. II y
a des perfections qui sont des soleils, et d'autres qui ne
sont que des lueurs. L'aigle regarde fixement le soleil ,
et le pauvre papillon s'e'blouit a la lueur d'une cliandelle.
La grandeur de la capacite se mesure sur la bonte' du
gout. C'est quelque chose que de I'avoir bon; mais c'est
beaucoup que de I'avoir fin. Les gouts se contractent
par la communication. C'est done un grand bonheur
de rencontrer des gens qui ont le gout excellent. Un goiit
critique et difficile a satisfaire est un rare talent. Les
objets les plus admire's , et les perfections les plus im-
pe'ne'trables a la censure , craignent la sonde d'un tel
gout. Celui qui avait un gout de roi e'tait Philippe-le-
Prudent; car, il ne se contentait jamais que de ce qui
e'tait une merveille en son espece , tant il avait I'esprit
fait aux choses extraordinaires. Un marchand portugais
lui montrant un diamant qui semblait etre une e'toile
sur la terre, toute sa Cour s'attendait a des admirations,
mais elle ne vit que des de'dains et des rebuts , non pas
que ce grand roi se piquat autant d'etre fier que d'etre
grave I mais , parce qu'un gout fait aux miracles de la
nature et de I'art ne se laissepas aller a des attraitsvul-
gaires. Eh bien , dit Philippe , de»quel prix serait ce dia-
mant pour un cavalier qui aurait cette fantaisie? Sire,
re'pondit le Portugais, les soixante - dix mille ducats
Q2 l'homme
etre tres-avare de son eslime. Les gouts se
forment dans la conversation , et Ton herile
du gout d'autrui a force de le frequenter. C'est
done un grand bonheur d'avoir commerce
avec dcs gens d'excellent gout. II ne faut pas
neanmoins faire profession de ne rien eslimer^
car c'est une des extremites de la folic , et une
affectation encore plus odicuse que le gout
deprave. Quelques - uns voudraient que Dieu
fit un autre monde , et d'autres beautes , pour
contenter leur extravagante fantaisie.
MAXIME LXVI.
Prendre bien ses mesures , avant que d'entre-
prendre.
QuELQUES-UNS rcgardcnt de plus pres a la
direction qua Tevenement ; et neanmoins la
direction n'est pas une assez bonne caution ,
que j'ai mis a ce digne rejeton du soleil ne sont pas a
plaindre. A quoi pensiez-vous reprit le roi , quand
vous donnates tant? Qu'il y avait un Philippe II au
monde, re'partit le marcliand, a qui le roi plus charme
de la beaute' du mot que de celle du diamant , fit payer
incontinent la somme, montrant son gout fin soit dans
le paiement ou dans la recompense. Vojez le reste de
ce chapitre dans les Notes des Maximes 28 et l\i^
DE COUR 95
pour garantir du deshonrieur , qui suil un succes
malheureux. Lc vainqucur n'a point de compte
a 1 cndre ( i ). II y a peu de gens eapablcs
d'examiner les raisons ct les ciiconsiances ,
mais chacun jug^ par revenement. C'est pour-
quoi , Ton hc perd jamais sa reputation , quand
on reussit (2). Une heureuse fin couronne tout,
quoiqu'on se soit servi de faux mojens pour
y arriver ; car c est un art que d'aller contre
Fart , quand on ne peut pas autrement parve-
nir a ce qu'on pretend.
MAXIME LXVII.
Preferer les emplois plausibles.
La plupart des choses dependent de la sa-
tisfaction d'autrui. L'cstime est aux perfections
ce que les zephirs sont aux fleurs ; c'est-a-
dire, nourriture ct vie. U j a des emplois uni-
(i) Victorice rationem non reddi, dlt Tacite, Hist. 4
ceux qui gagnent ont toujours I'honueur, ditCommines,
livre ^ de ses Memoires , chap. ^.
(2) Temoin ce Ce'rialis , qui , tout temeraire qu'il ^tait
passait pour un grand homme , parce que son bonheur
supple'ait a son manque de conduite. Aderat fortuna ,
etiam ubi artes defuissent. Hist. 5. Cerialis , intecto
coipore, promptus inter t^la , Jelici temeritate. His-
toria 4.
$4 L*HOMMlC
versellement applaudis , ct d'autres ^ qui , bien
qu'ils soient releves , ne sent point recherches*
Les premiers gagnent la bienveillance com-
mune , parce qu on les exerce a la vue de tout
le monde. Les autrcs tiennent davantage du
majestucux, et , commc tcls, attircnt plus de
veneration : mais , parce qu'ils sont impcrcep-
tibles , ils en sont moins applaudis. Entre les
princes , les victorieux sont les plus ccU ebres ( i )
et c'est, pour cela , que les rois d'A.ragon (2)
ont ete si fameux, par leurs litres de guerriers,
de conqucrans, de magnanimes. Que I'liomme
de merite choisisse done les emplois , oii cha-
cun se connait , ct oii chacun a part , s'ii vcut
s'immortaliser a toutes voix.
Quelqucs - uns , dit-il dans le chap. 8 du
Hews , preferent les emplois difficiles a d'au-
(i) J^irorum annorumque , dit Tacite^ faciendum
certamen : de alienis certare regiam laudem. esse.
Ann. i5, c'est-a-dire, que les princes doivent eprouver
leurs forces a combaltre , et que leur vertu consiste a
conque'rir. Cabrera dit que la vertu militaire semble
etre une espece de divinite' dans les he'ros, chap. 26 du
livre 9 de son Pliillppe II.
(i) Insignes C as tella Duces , Aragonia Reges , c'est-
a-dire, ia Castille donne de grands capitaines et I'Ara-
gon de grands rois. (Disc. 28 de YAgudeza, et chap. 6
du Heros. ) En efFet les vingt-neuf rois d'Aragon avaient
tous e'te' plus vaillans que ceux de Castille.
DE COUR. 95
tres plus plausible^ , radmiration de peu de
gens d'elile ay ant plus de charmes pour eux ,
que Fapplaudisscment de beaucoup d'autres,
qui sont d'entre le vulgaire. lis appellent les
entreprises plausihles les miracles des igno-
rans. Veritablement, pcude gens connaissent
la difficulte et I'excellence dune haute entre-
prise j mais comme ce sont des esprits sublimes,
ils nc laissent pas , si peu qu'ils sont , de met-
tre les autres en credit. Le plausible est fa-
cile a connaitre, il se familiarise avec les sens;
mais aussi I'applaudissement qu'il a , est d'au-
tant plus vulgaire qu'il est universel. La de-
licatesse du petit nombre Tcmporte sur la mul-
titude du vulgaire. Cependant , c'est un carac-
tere d'esprit fin , de suborner I'attention com-
mune par I'agrement din plausible y attendu que
Feminence venant a frapper les yeux de tout le
monde , la reputation s'etablit a toutes voix.
II faut estimer ceque la plupart estiment. Dans
les actions p/ai/^/^/e^ Texcellence est palpable,
au lieu que celles qui sont au - dessus de la
portee ordinaire, ne sont jamais si evidentes ,
quelles nc tiennent toujours beaucoup du
metaphjsique , n'etant celebrcs que par les
idees qu'on s'en forme. J'appelle plausible ,
ce qui s'execuie a la vue et au gre de tout le
monde , ct a toujours la reputation pour fon-
gG l' 11 0 M M E
dement. Par oil j'exclus certains emplois , qui
sont aussi vides de credit qu'iis sont pleins
d'ostentation. Un comedicn est richc en ap-
plaudissemens , mais pauvre en estime. Dans
les fonctions dc fesprit , Ic plausible a toujours
triomphe. Un discours poli et coulant cha-
louille les oreilles et cliarme I'entendement :
au contrairc la sechcresse d'une expression
nietaplijsique choqiie on lasse les auditeurs. (i)
Et dans son Discret ; chap, flombre de buena
(i) Tacite dit qu*Auguste avail une grande facilite de
|)arler etTen loue comme d'une qualite' bienseante a un
prince. Augustoprornptaacprqfluens, qucedeceretprin-'
cipefn,eloquentiafuit.Ann.i'5. Par ouil sembl#que Ta-
cite tient pour le plausible. Otlion faisait composer ses
harangues parrorateurTracalus,parcequ'ilavaitun style
magnifique et nombreux comme il le faut pouy rem-
plir les oreilles du peuple. Trachali ingenio ad credeha
tur, cujus genus orandi , ad implendas populi aures ,
latum et so nans .Hist. i.
Tacite dit aussi que Scneque accommodait son dis-
cours et son esprit au gout de son siecle , et que Cor-
bulon meme, qui avait toutesles parties d'un grand capi-
taine, afFectait dans ses paroles et dans ses actions un je
ne sais quoi par ou il donnait de I'admiration au peuple
et aux soldats. Fuit illi viro ingeniuin arncenum , et
temporis illius auribus accommodatum fde Seneca. J
Ann. 1 5. Corbulo corpore ingens , verbis magnijicus ,
et super experientiam sapientiamque , etiam specie
itmnium ualidus. Ibid.
%
DE COURv 97
eleCcioTi ; 11 y a , Bit-il , des emplois doiit le
principal exercice consiste a choisir, et oii la
dependance est plus grande que la direction;
comme sont lous ceux qui ont pour but d'en-
seigner et de plaire. Que Torateur prefero
done les argumens les plus plausibles ; que
rhistorien entremelc Futile et Fagreable ; et le
philosophe le specieux et le sentencieux. Qu ils
s etudient tous a rencontrer le gout universel
d'autrui, qui est la vraic metliodc dc choisir*.
Car il en est comme d un festin , dii les viandc5
no s'appretent pas au gout des cuisiniers , mai$
a celui des convies. Quimporte que les chosea
soient fort au gout de Forateur, si elles ne
sont pas a celui des auditeurs , pour qui ellet
sont appretees.
— Nam ccence fercula nostrce , dit Martial ,
Malim convivis , quarfi placuisse cocis*
MAXIME LXVIII.
Faire comprendre est hien tneilleut' que f aire
Souvenir.
QuELQUEFOis il faut rcmeniorer , quelque-
fois aviser. Quelques-uns manqueht de faire
des choses qui seraient exeellentes , parce
qu'ils nj pensent pas. C'est alors qu un bon
98
avis est de saison , pour teur faire concevoii.-
cc qui importe. Un des plus grands talens de
rhonime , est d' avoir la presence d'esprit pOur
penser a ce qu'il faut, faute de quoi plusieurs
affaires viennent a nianquer. C'est done a celui
«qui comprend de porter la lumiere^ et a celui
qui a besoin d'etre eclaire , de rechercher
lautre. Le premier doit se menager, et le
second s'empresser. II suffit au premier , de
frajer le chemin- au second. Cette maxime est
tres-importante , et tourne au profit de celui
qui instruit; el en caS que sa premiere lecon
ne suffise, il doit , avec plaisir, passer un peu
plus avant. Apres etre vemi a bout du non,
il faut altraper adroitement un oui ; car il ar-
rive souvent de ne rien obtenir , parcc que i'on
nc tente rien.
MAXIME LXIX.
Ne point donner dans thitmeur du vulgaire.
C'est un grand homme que celui qui ne
donne point d' entree aux impressions popu-
laires. C'est une lecon de prudence , de refle-
chir sur soi-meme , de connaitre son propre
penchant, etdele prevcnir, et d'aller meme a
I'aulre cxtremite pour trouver lequiiibre de
k raison entre la nature et Fart. La connais-
D E C O U R. 99
Bance de sol-mem e est le commencement de
ramcndement. H y a des monstres d'imperti-
ficnce , qui son* tantot d*une humeur , tanlot
d'une autre , et qui changent de sentimqns
comme d'humeur. lis s'engagent a des chpses
toutcs contraires, se laissent toujours entrain
ner a Timpetuosite de ce debordement civil ,
qui ne corronipt pas seulement la volonte ,
mais encore la connaissance et le jugcment.
Une grande capacite (dit-il dans le chapitre
de son Dlscret : Norendirse al humor ) ne S4J
laisse jamais aller au flux et reflux ni des hu-
meurs , ni des passions. Elle se tient toujours
au-dessus de cette grossicre intemperance....:
Plusieurs se laissent tjranniser honleuscment
a I'humeur qui regne. lis soutiennent aujour-
d'hui ce qu'ils contredisaient hier. Quclquefois
ils appuientla raison, et puis ils la foulent aux
pieds. II ny a point d'arr^t a leurs jugemcns,
qui est la plus haute extravagance. Vous ne
Ics sauriez prendre en bon sens , parce qu'ils
n'cn ont point. Outre que d'aujourd'hui a de-
main ils s'engagent contradictoirement : et
puis, apres qu'ils se sont contredits eux-memes
les premiers , ils contredisent tous les autres.
Quand on connait leur gout deprave , il vaut
micux les laisser dans leur confus^lon j car plus
ils font , plus ils defont.
7*
100 L II O M M It
C'est la marque d'un riclie fonds , de sa-^
Toir. prevenir et corriger son humeur, d'au-
tant que c'est une maladie d'csprit , oii le
5age doit se gouverner, comme dans ccUe du
corps,
II y a des imperii ncns si oulres , qu'il sont
toujours de quelquc humeur ; toujours estro^
pics de quelque passion, insupporlahles a ceux
qui ont affaire a euxj ennemis perpctu'els de
Ja conversation et de rhonnetct4j qui ne pren-
jient nul gout aux meilleures choses > plus in-
curables que les vrais fous , car on apprivoisd
ceux-ci avec vm peu de complaisance , et ceux*
la en devicnncnt pires. On nc gagne rien sur
eux par la raison , parce que n en ajant point,
ils n'cn recoivent aucune,
Mais s'il arrive qu'un homme s'emporte
quelquefois , neanmoins rarement , et encore
pour quelque grand sujet, ce n'en sera pas
un de Taccuser d'humeur vulgaire ; car de ne
se facher jamais , c'est vouloir etre toujours
bete. Mais une mauvaise humeur continuelle ,
et contre tout le monde , c'est une rusticitq
insupportable. La facherie , que cause I'esclave ^
ne doit pas oter I'assaisonnement a la condi-
tion libre : mais celui qui n'est pas capable
de se connaitre , le sera encore moins de se
corriger.
i> E c au Ri ,^ ;^; lor
MAX I ME LXX*
S avoir refuser*
Tout ne se doit pas accorder , ni a tous.
Savoir re/user est d'aussi grande importance ,
que savoir octrojer , et c'cst un point ires-ne-
cessaire a ceux qui commandent. U y va de la
maniere. Un non de quelques-uns est mieux
regu qu un otji de quelques-autrcs , parce qu unf
NON assaisonne de civilite conlente plus qu'un
oui de mauvaise grace. U y a des gens^ qui ont
toujours un non a la bouche , le non est tou-
jours leur premiere reponse, et quoiqu'il leur
arrive apres de tout accorder, on ne leur en
sait point de gre, a cause du non mal-assai-
Sonne qui a precede. II ne faut pas refuser]
tout^a-plat, mais faire gouter son refus, a pc-
jites gorgees , pour ainsi dire. II ne faut pas
non plus tout refuser , de pcur de desesperer
les gens , mais au contraire laisscr toujours
un reste d'esperance , pour adpucir Tamer-
tunic du refus. Que la courtoisie remplisse le
*vide de la faveur , et que les bonnes paroles
suppleent au defaut des bons etfets. Oui et non"
sont bien courts a dire j mais , avant que de les
dire , il faut pcnser long - temps. Vojez la
Maocime 1^:1. a
^Mii^ jU^ U^ ^^jji ^ ^'^
tOlC L H O IWt M E
MAXIME LXXL
N'etre point inegat et irreguUer dans sortl
procede.
L'homme prudent ne tombe jamais dans cc
dcfaut, ni par humeur , ni par affectation. II est
.toil jours le meme a I'egard de ce qui est parfait,
qui est la marque du bon jugement. S'd chango
quelquelbis , c'est parce que les occasions et le»
affaires changent de face. Toute inegalite me-
sied a la prudence. II j a des gens qui , chaque
jour , sont diffcrcns d'eux - memes , ils out
meme Fentendement journalier , encore plus
la volonte et la conduite. Ce qui etait hier leur
agreable oui , est aujourd'hui leur desagreable
WON* II dement toujours leur procede et I'opi-
nion qu'on a d'eux, parce qu'ils ne sont jamais
ipux-memes.
MA XI ME LXXII.
Jjhomme de resolution,
L'iRRESOLUTiON est pirc que la mauvaise exe-
cution (i). Les eaux ne se corrompent pas
(i) Tacite, dit qu'ily a des affaires qui ne soufFrent
point de remise, et ou la te'me'rite' meme vaut mieux que
tons les conseils. Opportiinos magnis conatibus tvan-'
tant qiiand elles courent , que lorsqu elles
coupissent. U y a des honimes si irresolus,
quils ne font jamais rien sans etrc pousses
par aulrui : et quclquefois cela ne vient pas tant
de la perplexite de leur jugement , qui sou-
vent est vif et subtil , que d'une lentcur na-
turelle (i). C'est une marque de grand esprit
que de se former des diflicukes , mais encore
plus de savoir se determiner. II se trouve aussi
des gens qui ne s'embarrassent de rifen , et
ceux-la sont nes pour les hauts cmplois , d'au^
tant que la \ ivacite de leur conception , et la
fermeie de leur jugement, leur facilitcnt I'in-
telligcnce et I'expedilion des affaires. Tout ce
qui tombe en Icurs mains est chose faite. Un
de cetletrempc , apres avoir donne la loi a tout
un monde, eut du temps de reste pour pen-
situs rerwn : nee cunctatione opus , ubi pemiciosior sit
quies , quam temeritas. Hist. i. Et dans un autre en-
drolt du meme livre : Nihil in discordiis ci\^ilibus festi-
natione tutius , ubi facto magis quam consulto opus
esset. Et encore dans un autre : Nullus cunctationi locus
est in eo consilio , quod non potest laudari , nisi pe-
ractum. Cosafatta capo ha, dit le proverbe Florentin.
Chose faite vaut mieux que chose a faire. Machiavel dit
un joli mot. Niuna cosa nuoce tantgi al tempo , quanta
it tempo. Rien ne nuit tant au temps que le temps.
(i) Te'moin Tihere, cujus , ditTacite, ut callidum in^
genium, ita anxiwn judicium. Ann. i.
H4-
scr a uii autre. De tcls homines entreprennent
tout a coup sur , sous la caution dc bonne for-
tune, -
MAXIME LXXIII.
^i:.-- !^4^-y Troiwer ses defaites.
C'est une adrcsse des gens d'esprit. 4-vec
un mot de galanterie, ils sortent du plus dif-
ficile labyriulhe (i). Un souris de bonne grace
(i) C'est ainsi que le comte de Cantagnede, de la
. maison de Menesez , en Portugal , re'para par un bon mot
/ une'liberte excessive , qu'il prit un jour avec le roi Dom
Jean IV. Ce roi , qui le tenait sur le pied de favori , lui
donnant un coup sur la fesse, il lui pe'ta dans la main :
et le roi e'tant confus et pique' de ce manque de respect,
Sire y lui dit le Comte , J^otre Majeste peut-elle jamais
Jrapper a une porte , qu'on ne lui ouvre incontinent ?
Mot qui plut autant au roi, que Taction lui avait de'plu.
Ainsi , Gracian^ a bien raison de dire que la pr(;sence
d'esprit sert de refuge aux fautes , et les re'pare meme si
bien , qu'il est avantageux de les avoir faites, Agudeza ,
Discurso 45. Jean de Meun (celui qui , pour avoir com-
mence de polir notre langue , fut surnomme le Pere de
r^'loquence fran^aise) ajant offense toutes les femmes
dans un certain endroit de son Roman de la Rose, les
dames de la cour qui en furent les plus irrite'es, rcso-
Jurent de s'en venger en lui donnant le fouet. Pour cet
elfet, elles le prirjent un jour et le dcpouillh'eat tout nud|
r>'E cour". io5
leiir fait esquiver la querelle la plus dange-
reusc. Lc plus grand de tous les capitaines
fondait sa reputation la-dessus. Une parole k
deux ententes pallie agreablement une nega-
tive (i). II nj a rien de meilleur, que de ne
se faire jamais irop entendre. ;
MA XI ME LXXIV.
N'Stre point inaccessible.
Les vraies betes sauvagcs sont oil il y a le
plus de monde. Le difficile abord est le vice
mais il se lira d'affaire par un imj^romptu qui les desarma
toutes, en demandant par grace, que la plus /7Wfe d'en-
tr'elles (c'est le nom dont-il les avait appelees) com-
•mengat Texe'cution; ce que pas une ne voulut faire.
Brantome , dans le discours jDremier de ses Femmes ga-
lantes , ou il ajoute qu'il a vu cette histoire repre'sentee
dans une vieille tapisserie du Louvre.
(i) Je ne dois pas omettre ici la plus belle repartie
qu'un ambassadeur d'Espagne fit a Henri IV , qui lui
disait peu de temps avant sa mort , qu'il avait desseiu
d'aller avec son arme'e en Italie , de'jeuner a Milan ,
ouir la messe a Ronje, et diner a Naples. Jt J^. M.^ dit-
il , va si vite , elle pourra Men etre avepres en Sidle .
(Gracian discours 49 de son uig'udeza). Ce'tait uue me-
. nace payee d'une autre menace.
106 L H O M -H EJ,
des gens , dont les honneurs out change Ics
moeurs; Cc n'est pas le mojen. de se mettre
en credit , que de commencer par rcbuter au-
trui. Qu'il fait beau voir un de ces monstres
intraitablcs prendre son air impertinent de
fierte ! Ceux qui ont le malheur d' avoir atlaire
a eux , vont a leur audience , comme s'ils al-
laient combattre contre des ligres , c'est-a-dire ,
amies d'autant de crainte que de precaution.
Pour nionter a ce poste , ils faisaicnt la cour a
tout le nionde ; mais depuis qu'ils le tiennent,
il semble qu'ils veulent prendre leur revanche
a force de braver les autres. Leur emploi
demanderait qu'ils fussent a tout le niondc ;
mais leur superbe ct leur mauvaise humeur,
font qu'ils ne sont a pcrsonne. Ainsi , le vrai
mojcn de se venger d'cux , c'est de les laisser
avcc eux-memes , afin que, tout commerce
leur manquant , ils ne puissent jamais devcnir
5ages.
MAXIME LXXV.
Se proposer quelque heros , non pas tant a
irniter qu'a surpasser,
Il y a des modelcs de grandeur, et des livres
vivans de reputation. Que chacun se propose
ceux qui ont excello dans sa profession, non
DE COUR. '1^*
pas tantpour les suivre que pour le^ clevanfflfe*
Alexandre pleura ,non pas de voir Achille dans
le tombeau , mais de se voir Ini-meme si peu
connu dans le monde, en coniparaison d'A-
cliille. Rien n inspire plus d'ambilion que le
bruit de la renommee d'autrui. Ce qui etouffe
Tcnvie fait respirer Ic courage. ^ ->
MAXIME LXXVI.
N'etre pas toujours sur le plaisant.
Outre que la prudence parait dans le se-
rieux, le serieux est plus estime que le plaisant.
Celui quiplaisante toujours , n'est jamais horame
tout-a-bon. Nous traitons ces gcns-la comme
les menteurs , en ne crojant jamais ni les uns
ni les autres , la gausserie n'etant pas moins
suspecte que le mensonge. L'on ne sait jamais
quand ils parlent par jugement , qui est autant
que s'ils n'en avaient point. II nj a rien de plus
deplaisant qu'une continuellc plaisanterie (i).
(i) Un Laced emonien dit a un orateur qui faisait
toujours le plaisant, qu'il de'^ndrait bientot ridicule a.
force de le contrefaire. Le nom meme de sales , dit
Gracian dans son Discret , chap. No estar siempre de
burlas, enseigne comme il en faut user^ (c'est-a-dire,
ainsi <juq du sel dans le manger. )
Vo8 l'homme
flBljbulant s'acquerir la reputalion de galant ,
on perd la reputation d'etre cru sage. II faut
donner quelques moniens a renjouemenl , et
lout le reste aU'Serieux (i).
MAXIME LXXVII.
X S'accommoder a toutes sortes de gens.
Sage est IcProtec qui est saint avec les saints y
docte avec les doctes , serieux avec les serieux ,
ct jovial avec les enjoues. C'est la le niojcn de
gagner tous les coeurs ^ la ressemblancc etant
le lien de la bienveillance (2). Discerner les
esprits , ct par une transformation politique ,
entrer dans Fhumeur et dans le caracterc de
chacun , c'est un secret absolument neccssairc
(t) Caton , disait que c'etait un de'faut e'gal d'etre tou-
jours serieux ou toujours bouffon. Le poete de Cour , dit
qu'il est de la galanterie de meler un petit grain de folie
parmi le se'rieux.
Misce stultitiam consiliis hrevem :
Dulce est desipere in loco.
Horace, ode 12, liv. 4* ^
Juan Rufo entendant un bouiFon ennuyeux, dit que
x'e'tait une sonnette de plomb. Apophtegme 556.
(2) Ad connectendas amicitias tenacissimum vin"
culum morum si/nilitifdo, Plin. Ep, i5, lib. /{.
D E C O U R. lOgif
aceux qui dependent d'autrui -jriais jlfautpour
cela im grand fonds. L'homme universel en
connaissance et en experience a moins de peine
a s'j faire.
MAXIME LXXVIII.
Uart d'entreprendre ci-propos.
La folie entre toujours de voice, cartons^
les fous sont hardis. La meme ignorance qui
les empeche premieremeni de prendre garde h
ce qui est necessaire , leur ote ensuite la coii-l'
naissance des fautes qu'ils font. Mais la sagessc
entre avec beaucoup de precaution j^s coureurs
sont la reflexion et le discernement , qui font
- le guet pour elle , afin qu'elle avance sans rien
risquer.La discretion condamne toutes sortes de
lenierites au precipice, quoique le bonheur les
justifie quclquefois. II faut aller a pas comptcs
oil Ton se doute qu'il j a de la profondeur.
Cest au jugement a I'essayer , et a la prudence
a poursuivre. II j a aujourd'hui de grands
eCueiis dans le commerce du moiide. II faut
done prendre garde a bien jeter son plomb.
jio x'homme
L'himieur joi^iale.
C'est une perfection plutot qu'un dcfaut ^
quand il n j apointd'exces. Un grain de plaisan-
lerie assaisonne tout. Les plus grands honimes
jouent d'enjouementcommeles autres ,pourse
concilier la bieuveillance universelie, mais avec
icette^ifFerence qu'ils gardent toujours la preic-
rence a la sagessc, et le respect a la Lienseance.
D'autres se tirent d' affaire par un trait de belle
humeur ^ car il y a des choses qu'il faut prendre
en riant, et quelquefois celles meme qu un autre
prend tout de bon. Une telle humeur est I'ai-
xiaant des cceurs.
MAXIME LXXX.
Etre soigneux de s'lnjormer.
La vie se passe presque toute a s'infornier.
Ce que nous vojons est le moins essenticl (i).
Nous vivons sur la foi d'autrui. L'omc est la se-
conde porte de la vcrite et la premiere du men-
(i) Speclamus guce coram habentur , dit Tacite»
Ann, 6,
t)E couR. ^m
-songe. D^ordinaire la verite se voit , mais c'cst
un extraordinaire dc I'entendre. Elle arrive ra-
rcment toute pure a nos orcilks , surlout lors-
quelle vient de loin (i); car alors elle prend
quelquc tciniure des passions qu' elle rencontre
sur sa route. Elle plait ou deplait , selon le*
couleurs que lui prete la passion ou I'inter^t ,
qui tend toujours aprevcnir. Prends bien gard<5
a cclui qui loue , encore plus a celui qui blame.
C^est la qu^on a besoin de toute sa penetration ,
pour decouvrir I'intention de celui qui tierce ,
et de cQiinaitre avant coup a quel but il veut
frapper. Sers-toi de ta reflexion a discerner les
pieces fausses ou legeres d'avec les bonnes.
MAXIME LXXXI.
JHenouveler sa reputation de temps en temps,
C'est un privilege de phenix. L'excellence est
sujette a s'envieillir et pareillement la renom-
mce avcc elle. La coutunie diminue Tadmira-
tion (2). Une nouveaute mediocre I'emporte
(1) Cuncta, ut ex longinquo aucta, in deterius ad->
ferebantur.Ann. 2. Quce ex longinquo, in majus audte-^
hantur, Ann. 4«
(2) C'est comme Tacite Fen tend , quand il dit que tout
ce qui est inconnu est fort estina^ : Omne ignotum pr^
11^ l'ii o m m e
xi'ordinaire sur la plus haute excclkncc qui
commence a vieillir. II est done besoin de re-
naitre en valcur , en esprit, en fortune , en
toutcs choses , et de montrer toujours de nou-
velles beautes , commc fait le solcil,qui chan^^e
si souvent d'horizon et de theatre , afin que hd
privation le fasse desirer quand il se couche,
et que la nouveaute le fasse admirer quand il
se leve.
MAXIME LXXXIT.
JVe pas Crop approfondir le bien ni le maL
Un sage a compris toute la sagesse en oe
precepte : rien de trop. Unc justice trop exacie
degenere en injustice. L'orangc qui est trop
pressuree, donne un jus amer. Dans la jouis-
sance meme, il ne faut jamais aller apas une des
tnagnifico est. In AgriCola. Et que la majeste' a a
prince est plus respecte' de loin : Majestati major e lon-
ginquo reverentiui Ann.j . A force de voir les objets , dit
I'auteur des Entretiens d'Arlste et d' Eugene , on cesse
de les admirer, on sj accoutume, on s'y apprivoise
pourparler ainsi. On ne regarde presque plus le soleil
que quand il s'e'clipse, parce qu'on le voit tous les jours
et qu'apres I'avoir une fois vu on n'j de'couvrc plus
rien de nouveau. Vojez la Maxime 169.
* DE GOUR. I l^
extreniite. L'esprit meme s'epuise a force de
se rafliner. A vouloir lirer trop de lait , on fait
venir le sang. ^
MAXIME LXXXIII.
Faire de petite s fautes a dessein.
Une petite negligence sert quelquefois de
lustre aux bonnes qualites. L'envie a son oslra-
cisme , ct cet ostracisme est d'autant plus a la
mode qu il est injuste. EUe accuse ce qui est
parfait du defaut d'etre sans defaut y ct plus la
chose est parfaite , plus elle en condamne tout.
C'est un Argus a decouvrir des fautes dans ce
qu'il J a de plus excellent , et peut-etre en depit
de ne I'etre pas. 11 en est de la censure, comme
du foudrc qui d'ordinaire lombe sur les plus
hautesmontagnes (i). II est done a-propos dc
(i ) Feriuntqiie summos fulmina montes , dit Horace,
Carrn. lib, 2. Ode 10.
Dans le chap. 19 de son Heros , il commente ce pre-
cepte-ci. C'est, dit-il, un trait d'habile liomme de faillir
le'gerement en de certaines choses pour exercer l'envie
en lui donnant quelque chose a ronger. 11 j a des hu-
meurs petri«s de fiel, qui savent transformer les meilloures
choses , de'figurer les beaute's , interpreter sinistrement
les plus raisounables actions. II est done de la finepoli-
4
s'endormir quelqiiefois, comme le bon homnie
Homere, ct d'affecter certains manquemens , soit
dans I'esprit ou dans le courage (mais sansbles-
ser jamais la raison ) , pour appaiser la malveii-
Jance, et empecher que Tapostume de la mau-
valse humeur ne creve.C'est la jeter sa cape aux
yeux de I'envie , pour sauver sa repulaiion k
jamais.
MA XI ME L XX XIV.
S avoir tirer profit de ses ennemis.
TouTies les choses se doivent prendre non
par le tranchant , ce qui blesserait , mais par
que d'affecter quelqiie petit de'faut , qui , donnant a
mordre a Tenvie^ attire a soi tout son veniii et par cette
distraction rempeclie de gagner jusqu'au coeur. Quel-
quefois un trait irre'gulier donne plus d'e'clat ^ la beaute
d'un visage. Oil est le diamant sans paille et la rose sans
epines ?
LejeunePline disaitd'un habile orateurde son temps ^
Nihil peccat y nisi quod nihil peccat. Ep. 26, lib. 9. II
ne manque en rien, sinon en ce qu'il ne manque jamais.
Et Quiritilien a dit qu'il y avait des gens dont les d^fauts
meme plaisaient a tout Je monde. In quibusdam. vitia
ipsa delectant, Et ce que dit Ovide au 5*. Iivre.de son
Art di Aimer y qu'il y a certain de'faut de la langue qui
donne de la grice au langage, par exemple, le parler
D E C O U R. Il5
la poignee , qui est le niojen dc se defendre ;
a plus forte raison renvie. Le sage tire plus de
profit de ses enneniis , que le fou ri'eii tire de
ses amls(i). Lcs cnvieux servent d'aiguillon
au saofe a surmonter mille dillicultes , au lieu
que les flatteurs en detournent souvent (2)!
Plusieurs sont rfedevables de lour fortune a leurs
envieux. La flatteric est plus cruelle que la
haine , d^autant quelle pallie des defauts oii
celle-ci fait remedier. Le sage se fait de la
haine de ses envieux un niircfir , oil il se voit
bien mieux que dans celui de la bienveillance.
Cc miroir iui sert a corriger ses defauts , et
par consequent a prevenir la medisance ;* car
on se tient fort sur ses gardes, quand on a des
rivaux ou des enneniis pour voisins.
gras , fin vitio decor est qucedam male reddere verba)
est vrai de mille autres choses, oii la ne'gligence et I'irre'"^
gularite' font un agre'ment. ^ :^
(i) Pjtliagore disait que ceux qui nous repyennent
nous sont plus utiles que ceux qui nous flattent. Et un
autre pliilosophe, que pour devenir liomme de bien, il
faut avoir ou de fldeles amis ou de rudes enneniis.
(2) Lorsque la fortune, dit Machiavel, veut agrandir
tin prince, elle Iui suscite des ennemis et des ligues pour
exercer son courage etson industrie, et par cette e'chelle,
le faire monter a un plus haut degre' de puissance.
Chap, 20 de son Prince.
8
iiG
L HO MIME
'ii-?\f-
MAXIME LXXXV.
Ne se point prodiguer.
C'est le malhcur de tout cc qui est excellent,
de degenerer en abus quand on en fait un fre-
quent usage. Cc que tout le niQnde reclierchail
|pec passion , yient cnfin deplaire a lout le
monde. Grand malheur de n^etre bon a rien ,
comme aussi de vouloir etre bon a tout! Ces gens*
ia perdcnt toujo^rs pour avoir voulu trop ga-
gner , a la fin ils sont aussi Ka'is qu'ils ont ele
cheris auparavant. Toutcs les perfections sont
sujeltes a ce sort , des qu'clles pcrdent le re-
nom d'etre rares , elles ont cclui d'etre vulgaires.
Tout ce qui est excellent , dit-il dans son
Dlscret ^ au chap. No ser malilla^di cc malheur;5
qua force d'etre en usage , il se converiit en
abus. Conime tout le monde le reclierciie avec
empressement , d'exftelleni ii devient bienlot
commun , et puis en cessant de passer pour
fare , il vient a etre meprisc comme le vulgaire.
Chose etrange! sapropre excellence est la cause
de sa mine j cet applaudissement univcrsel so
change en un degout universe!. C'est la, ' pour
parler ainsi , le ver qui j onge ks chosesles plus
plans ibles en toulc sorte d'emincnce. Ce ver
iiaissant de leur vogue meme, ct se nourrissant
DE COUR. 117
de roslentation qui s'en fait , les jette enfin par
terre , quclqiAC haul elevees qu'ellcs soient. Le
trop d'eclat est cause que les prodiges meme
passent bientot pour des choses ordinaires
C'est la rente des plus cxcellentes peintures et
des plus riches tapisseries d'etre niises en vuc
a toutes les grandes fetes. Mais a force d' avoir
des spectateurs y elle rencontrent beaucoup de
juges qui remarquent les defauts , d'oii il arrive
bientot qu'elles passent pour des pieces com-
munes Le plus delicieux manger n'est plus
ai savoureux des la seconde fois , et Ton s'en
degouie a la iroisieme. S'il en est ainsi de la
nourriture materielle , que sera-ce de celle de
Fame , des dclices de I'entendement ? Le gout
de I'esprit est delicat ; plus Tesprit est grand et
plus ce gout est difficile a contenter.
rien qui vaille unc excellente rarete.
a toujours etc eslime.
A mesure qu'un homme excellent en savoir ,
en prudence ou en probite , se retire , il se fait
desirer, parce que sa retraite augmente I'envie
et le plaisir de le voir. Tout menagement est
salutaire et donnc plus d'apparence; d'oii de-
pend la duree de la reputatioh. Cela est meme
d'usage a I'egard de la beaute , dont I'ostenla-
tion est incontinent punie d'une diminution
d'estime et puis d'un yrai mcpris. Ah! que ce
ter. II rij al
e. Le difficile I
1*1 8 l' HOMME
nial \nilgairc fut Lien connu , bien prevu par
celte fameu^e maitressede JXeron, Sabina Pop:
pea 5 qui sut niieux que personne du monde ,
faire valoir une rare beaute ! car il en res fait
toujours beaucoup plus a voir qu'elle n'en mon-
trait. II ne \u\ sullisait pas d'en epargner la vue
aux autres , eile se repargnait encore a soi-
nieme. Un jour eile faisail entrevoir ses jeux
€t son front , une autre fois sa bouche et ses
joues J sans laisser jamais echapper le reste a
son voile (i) : par oii eile se concilia force ado-
rateurs. C'esl une grande lecon que de savoir
se faire estimer , et de savoir si bien exposer
en vente un grand talent , que le desir univer-
(i) Cela est tire de Tacite qui parled'e'lle en ces termes :
Modestiam- prceferre, et lascivid utl; rarus inpublicum
egi^essus , idque velata parte oris , ne satiaret aspec-
tiun;vel quia sic decehat.%dnn. i5. Et quelques lignes
apres il ajoute que des qu'elle vit Ne'ron epris d'elle , au
lieu de le caresser comrae eile faisait auparavant, elle
commenca de faire la difficile et I'impe'rieuse et de ne
pas vouloir rester plus d'une nuit ou deux avec lui , sous
( ouleur de I'amour extreme qu'elle feignait avoir pour
Otlion son mari. Primiun per hlandimenta et artes
val^scere , se fonna Neronis captain simulans ; mox
acri jam principis amore ad superbiamvertens , si ul-
tra unam, alteramque nocteni attineretur, nuptain esse
se dictitans , nee posse inatrimonimn ainittere , de-
vinctam Oihoni pergejius intcv , quod nemo adcequaret.
DE COUR. 119
sel y mette Fendiere. Cette adresse est agrea-
blement enselgnee par Texemple qui suit. Uu
Indien qui avait quantite de riches emeraudes ,
en montra une a un habile joaillier pour en
f aire le prix j celui-ci la paja en admiration.
Ulndien en ajant tire une seconde , qui etail»^
encore plus belle , le joaillier I'estima la moilie
moins , comme aussi la troisieme et la quatrieme
a proportion. De sorte que Tlndien fort surpris
de voir qu'a mesure qu'il montrait quelque
chose de plus beau , I'autre y mettait un plus
bas prix , en apprit la cause qui nous servira
d'enseiguement. C'est , dit le joaillier , que Ta-
bondance meme du precieux se decredite soi-
nieme, aitendu que des que la rarete cesse ,
Fes lime s'en va.
El dans le chap. 7 de son Hews. La plura-
lite se decrite soi-meme ji;isque dans les choses
du plus haut prix ; au contraire , la rarete met
Fenchere a une perfection mediocre C'est
done une adresse non commune d'inventer une
nouvelle route pour se rendre excellent , et
pour devenir celebre. II j a bien des chemins
qui menent a la singularite , mais ils ne sont
pas tons frajes. Les plus nouveaux, bien quils
soient les plus difliciles , sont pourtant les plus
courts pour arriver a la grandeur.
L'uniquc remede de tout ce qui excclle, est
J20 L HOMME
/de garder un milieu dans son eclat. L'exces
dolt etre dans la perfection , et Ic temperament
dans la maniere de la montrer(i). Plus une
torche eclaire et moins elle dure. Ce qu'on re-
tranche a I'apparence ct a I'ostentation est re-
compense avec usure en estime(2).
(i) Tacite loue son Beau-pere d'avoir ete sage avec
mesure et de n'avoir jam;) is rien fait ni rien dit par
ostentation. Retinuit, quod est difficillimum , ex SU".
pientia modum. Nihil appetere jactatione , nee un-
ijuam in suam fcnnam gestis exultavit. In Agricola.
(2) Te'moin Agricola, qui, ajant remportc une grande
victoire sur les Anglais, bien loin de tirer vanite' de la
prospe'rite' de ses armes , ne voulut pas seulement mettre
une feuiile de laurier dans la relation qu'il envoja a
rEmpereur commec'c'tait la coutume, ni meme appeler
ce succes du nom de victoire : sur quoi Tacite >dit, qu'il
augmenta sa gioire en la su23primant, n j ayant pe^sonue
qui ne dit qu'un homnic* qui ne faisait pas valoir de si
grandes choses, en roulait sans doute d'extraordinaires
dans son esprit. Nee Agficola prosperitate rejourn in
7)anitatem usus , expeditionem aut inctoriam vocabat;
ne laureatis quidejn gesta prosecutus est : sed ipsa
dissimulatione famce famam auxit , cestimantibu%
quanta futuri spe tarn magna tacuisset : Et plusieurs
pages apres. Hunc rerum cursuni Jiulld verhoruin jac~
tantid epistolis Agricolx auctum. Jn Vita. Ainsi Tacite
a bien raison de dire, que sa modestie le mettait a
convert de I'envie mais sans lui de'rober sa gloire. Ve-'
recundid in pra^dicando , extra invidiam , nee extra
DE COUR. 121
MAXIME LXX:^VI.
Se munir contre la medisance.
Le vulgaire a foeaucoup de tetes ct de langues ,
et par consequent , encore plus d jcux. Qu'il
coure un niauvais bruit parmi ces langues , il
ne faut que ccla pour tcrnir la plus haute re-
putation ; ct si ce bruit yient a se tourner eu
sobriquet , e'en est fait pour jamais de tout ce
*qu'un hommc avait acquis d'estime. Ces rail-
leries tombent d'ordinaire sur de certains de-
fauts qui sautent aux jeux , et qui pour etre
singuliers , donnent ample maliere aux lardons.
Et comme ily a des imperfections que I'envie
particuliere etale aux yeux de la malice com-
mune -y il y a aussi des langues affile es qui de-
gloriam erat Ibid. Au contraire , Tacite tourne en^
ridicule ce Ce'sennius Petus qui ravalait la gloire de
Corbulon, pour relever la sienne^ et qui, pour avoir
pris quelques chateaux, e'crivit des lettres fastueuses a
Neroii , comme s'il eiit e'te' le maitre de toute I'Arme'nie ,
et qu'il eut mis fin a cette guerre, ou peu de jours apres
il fut pe'ri s'il n'eut dte' secouru a propos par Corbulon.
Despiciebat gesta , usurpatas nomine teniis urbium
expughationes dictitans... Composuitque ad Cesarem
literas, quasi confecto bello verbis magnijicis , rerum
vacuas.jinn, i5.
122 I, HOMME
tiniisent plus promptement une grandc repu- .
tation avec im mot jete en 1' air, que nc font
d'autres avec toute leur impudence. 11 est tres-
facile d' avoir mauvais renom, parce que le mal so
croit aisement, et que les sinistres impressions
sont tres-difficiles a efFacer. C'est done au sage
a se tcnir sur ses gardes , car il est plus aise de
prevenir la medisance que dy remedier.j
MAXIME LXXXVII. ^
Cultiver et emhelUr.
L'hOxMMe nait barbare , il ne se rachete de
la condition des betes que par la culture j plus
il est cultive, plus il devient homme(i). C'est
a I'cgard de I'education que la Grecc a eu droit
d'appeler barbare tout le reste du monde. II
n J a rien de si grossier que Ti^norance , ni
rien qui rende si poli que le savoir. Mais la
science meme est grossiere , si elle est sans art.
Ce n est pas assez que Tentendemenl soit eclaire,
il faut aussi que la volonte soit rcglee , et en-
core plus la maniere de converser. II j a des
hommes naturellement polis, soit poui^ la con-
(i) C'est en ce sens que Socrate disait que le savoir et
rignorance e'taient les principes du Lien et du mal.
D E C O U R. 125
ception ou pour le pai ler j pour les avantages
du corps qui sout comme I'ecorce , ou pour
ceux de I'esprit , qui sont comme les fruits. II
y en a d'autres au contraire si grossicrs , que
routes leurs actions , et quelquefois memc dc
riches talcns qu'ils ont , sont defigures par la
rusticite de leur humeur.
MAXIME LXXXVIII.
S'etudler a avoir les manieres sublimes.
Un grand homme ne doit jamais etrc vetu-
leux en son procede. II ne faut j amais uopcpin-
chcr les choses , surtout cclles qui ne sont guere
agreables j car bien qu'il soit utile de tout re-
marquer en passant , il n'en est pas de meme
de vouloirexpresseftient tout approfondir. Pour
I'ordinaire il faut proceder avec un degage-
ment cavalier -, ce qui fait partie de la galante-
ric. Dissimuler est le principal mojen de gou-
verner. 11 est bon de laisser passer quanlite de
choses qui survicnnent dans le commerce de
la vie , niais particulicrement parmi ses enne-
mis (i). Le trop est toujours ennujeux , et dans
(j) Salomon dit que le fou montre tout d'abord son
ressentiment , au lieu que celui qui est prudent le dis-i
Thumeur il est insupportable. C'est une cspece
de fureur que d'aller chercher le chagxin , et
d'ordinaire la nianiere d'agir est telle qu'est
I'humeur dans laquelle on agit. Nos actions
prennent le caractere de Fhumeur oil nous
sommes , quand nous les faisons.
MAXIME LXXXIX.
Connaitre parfaitement spn genie y son esprit ,
son coeur et ses passions (*).
UoN ne saurait etre maitre de soi-nieme ,
que Ton ne se connaisse a fond. H j a des mi-
roirs pour le visage, mais il n'y en a point pour
I'esprit (i). II y faut done suppleer par une se-
aimiile. Fatuus statim indicat iram suam; qui autem
dissimulat injuriam , callidus est. Prov. 12, v. 16.
Philippe II, roi d'Espagne feignait de ne pas savoir
plusieurs offenses qu'on lui fesait, disant qu'il j a des
temps qu'il faut faire semblant d'ignorer. DicJios j he-
chos de Don Filipe II. cap. 7. Vojez la Maxime 98
et son commentaire.
"^ Vojez la Maxime 54.
(i) A raison de quoi Lucien a dit par la bouche de
son bouffon, qu'il manquait aThomme une 2)etite fenetre
a I'estomac , jiour de'couvrir ce qu'il a dans le coeiir.
Disc. 25. de son Agudeza.
DE COUR. 125
rieuse reflexion sur soi-meme. Quand Fimage
exterieure s'echappera , que Finterieure la re-
tienne et la corrige. Mesure tes forces et toa
adresse avant que de rien enlreprendre -, con-
nais ton activite pour I'engagcr ; sonde ton
fonds et sache oil peut allcr ta capacild pour
toutes choses.
M A X I M E X G.
Jl^ Le mojen de vwre long-temps,
C'est de vivre bien (i). II j a deux choses
qui abregent la vie , la folic et la mcchancete j les
uns I'ont perdue pour n' avoir pas su la conser-
ver , Ics autres pour ne Tavoir pas voulu. Comme
la vertu est elle-meme sa recompense , le vice
est lui-meme son bourreau. Quiconque vit a la
hate dans le vice, mcurt bientot et en deux ma-
nic res I au lieu que ceux qui vivent a la hate 1
dans la vertu, nc meurent jamais (2). L'inlegrite
(1) Un pliilosoplie disait qu'il etait arrive a la vieil-
iesse en vivant sagement; car, la sante', dit Juan Rufo,
jse donne par dragmes et la maladie par livres. -^/70-
phtegme 466.
(2) Antistene disait que le chemin de riwimortalit^
e'tait de bieu vivre.
X26 l' HOMME
de Fesprk se communique au corps , etlabomie
vie est toujours longue, non seulemcnt dans
V intention^ mais meme dans I'extension (i).
MA XI ME XCI.
A sir sans crainte de man
^b
cjuer.
La crainte dene pas reussir decouvrelefaible
decelui qui execute , a son rival. Sidansladialeur
meme de la passion, Fesprit est en suspens,
des que ce premier feu sera passe , il se repro-
chera son imprudence. Toutes \q?> actions qui
se font avec doute , sont dangereuses , il vau-
drait mieux s'en abstenir. La prudence ne se
contente point de probabilites , elle marche
, toujours en plein jour. Comment reussirait une
entreprise que la crainte condamne , des que
I'esprif Fa concue? Et si la resolution, qui a
passe a toutes voix dans le conseil de la raison,
a souvent une mauvaise issue, qu'attendre de
(i) Cela est dit dans le sens que Tacite dit qu'Agricola
avait v^cu tres-long-temps, quoiqu'il iie fiit age que de
cinqtiante-six ans , puisqu'il avait joui de tous les ve'rf-
tables biens qui consistent en lavcrtu. Quanquam medio
in spatio integrce cetatis ereptus , quantum ad gloriam
tongissimum tevum peregit. Quippe vera bona ^ qua;
in vii'tutibus sita sunt, impleverat. In Vita.
DE COUR. 127
cle des le commence
dans la raison et dans le pressentiment ?
celle qui a chanccle des le commencement ,1
MAXIME XGII.
JJ esprit trans cendant en toutes choses,
Cest la principalc regie , soit pour agir ou
pour parler. Plus Ics emplois sont sublimes ,
et plus cet esprit est neccssaire. Un grain de
prudence vaut mieux qu'un magasin de subti-
lite. C'est un chemin qui mene a rinfaillible ,
quoiqu'il n'aille pas lant 2lu plausible, QuoiquG
le renom de sagesse soit le triomplie de la re-,
nommee , il suflira de contenter les sages, done
Tapprobation scrt de pierre de touche aux en-
treprises.
MAXIME XCIII.
Uhomme universel.
Uhomme qui possede toutes sortes de per-
fections , en vaut lui seul beaucoup d'autres ^ il
rend la vie heureuse en se communiquant a ses
amis. La variete jointe a la perfection , est le
passe-temps de la vie. C'est une grande adresse
que de savoir se fournir de lout ce qui est bon;
128 11^ H O M M E
el puisque la nature a fait en rhommc , comme
en son plus excellent ouvrage, un abregc de tout
Tunivers , Tart doit faire aussi de I'esprit de
Fhomme un univers de connaissance et de vcrtu.
MAXIME XC IV.
■ Ccipacite inepuisahle.
Que Phabile homme se garde bicn de laisser
sender le fond de son savoir et de son adrcsse ,
s'il veut etre revere de chacun j qu'il se laisse
connaitre , mais non comprendre j que per-
sonnc n'ait sur lui I'avantage de trouver les
bornes de sa capacite , de peur qu on ne yicnne
a se dctromper ) qu'il se menage si bicn que
personne ne le voic tout entier. L'opinion ct
le doute attirent plus' de veneration a celui de
qui Ton ne connait pas Tctendue de I'esprit ,
que ne fait la connaissance entiere dc ce qiiil
est , si grand et si habile quil puisse etre.
L'auteur commente excellemment cet aphorisme dans
le chap, jiremier de son Heros.
Comme , dit-il , personne n'osc passer une
riviere a pied , jusqu'a ce qu'il ait trouve son
gue , de meme un homme est revere tant que
Ton ne voit'point le fond de sa capacite, d'au-
tant que la' profondeur inconnue , et par con- ,
I
D E C O U R. 129
Sequent presumee grande , se fait respecter par
la crainte. Si celui qui decouvre devient Ic
maitre de celui qui est decouvert, ainsi que dit
le proverbe , celui qui sc tient sur ses gardes
n'est jamais surpris. Que I'adresse de rhomme
d'esprit contrepoiute la curiosite de celui qui
s'applique a la connaitre ; car c'est dans les
commencemens d'une tentative , que la cu-
riosite met toutes ses ruses en oeuvre.... Si
Ton ne pent pas etrc infini , il faut du moins
tacher de le paraitre. Le Sage de Mitjlene (*)
avait raison de dire , que la moitie est plus
que le tout , attendu qu'une moitie en montre,
et I'autre en reserve , vaut mieux qu'un tout
declare... Toi done , qui aspires a la grandeur,
ct qiii es un des candidats de la rcnommee ,
garde bien ce precepte : Que tout le moude
te connaisse , mais que personne ne te con-
naisse a fond. Par cetle Industrie, ton peu
paraitra beaucoup davantage , et ton davan-
tage infini.
* Pittacus,
1 3o l' h o m m e
MAXIME XGV.
S avoir entretcnir Vattente cVautrui (i),
L£ moyeii de I'entrclenir est de \m four-
nir tou jours de nouvelle nourriture ( 2 ). Le
beaiji<X)Tjqj dokpromettre davantage , uiie g^rande
■^ctiati doit servir d'aiguiHon a d'autres emcore
plus graudes (5). 11 iie faut pas tout montrer
(i) L'habile liomme, dit~il, au chap, premier die son
He'ros , qui veut venir a bout d'une chose difficile , ne
s'en tient pas au premier coup d'essai 5 du premier il
passe au second, et toujours il avance.
te jeune Pline, dit que Trajan e'tait tons les jours et
meilleur et plus admirable. Tu quotidie admirahilior
etmelior. Dans son Pane'gryique.
(2) Macliiavel dit que Ferdinand , roi d'Aragon ,
ourdissait toujours de nouveaux desseins qui tenaient \es
esprits dans I'attente de I'eVenement , et leur otaient
I'envie de raisonner d'autre chose. Chap. 21 de son
Prince.
(5) Ce pre'cepte s'adresse particulierement aux princes.
Un roi, dit-il, daqs son Ferdinand y ne doit jamais etre
oisif , parce qu'il a une grande charge a faire. Quand
il a acheve' une chose il en doit commencer une autre.
Cesar, le plus grand homme qui fut jamais, pratiqua
bien cette maxime. Quand il n'eut plus de provinces a
conque'rir , il entreprit d'applanir les montagnes. Apres
avoir fait la loi aux hommes, il voulut la faire aux
mers et aux rivieres. Sur quoi le judicieux Patercule a
BE COUR. 151
des la premiere fois. C'est un coup d'adresse
de savoir mesurer ses forces au besoin, et au
temps , et de s'acquitter de jour en jour de ce
que Ton doit a Tattente publique.
MAXIME XCV iv
La sjn(Mrese,
C'est Ic trdiie de la raisoii , et la base de la
prudence. Quand on laconsulte, il est aise de
ne point faillir. C'est un doii du ciel , et qui ,
de' I'importance qu'il est , ne saurait etre trop
desire. C'est la premiere piece du hamois de
i'homme • et ellelui est si neccssaire, quelle lui
suffirait , quand meme tout le reste lui man-
querait. Toutes les actions de la vie depen-
dent de son influence , et sont estimees , bonnes
ou mauvaises, selon quelle enjuge, attendu
bonne grace de dire <j»e 4« -Hftor-t qui lui avait pardonn^
tant de fois dans les batailles , le j^rit des les premiers
niois qu'il commencait a se i^poser. Neque itli tanto
viro plus quiiique mensium principalis qiiies contigit.
Hist, 2 num. 56. Le jeune Pline loue Trajan de ce
qu'apres avoir expe'die' les affaires qui pressaient, toute
sa r.e'cre'ation e'tait de changer de travail. Quod si quando
cwn injluentibus negotiis pari a fecisti , ins tar refec-
tionis eodstifnas mutatiorvem lab oris.
l52 J.' HOMME
que tout doit etre fait par raison. Elle consiste
dans une inclination naturclle , qui porle a
I'equite , ct prend toujours le parti le plus
sur.
MAXIME XCVIT.
Acquerir et conserver la reputation.
C'est I'usufruit de la renommee. La reputa-
tion coute beaucoup a acquerir, j^arce qu'il
fiiut pour cela des qualites eminentes , qui sont
aussi rares , que Ics mediocres sont communes ;
une fois acquise, il est aise de la conserver j elle
engage beaucoup , et fait encore davantage,
C'est une espece de majeste , lorsqu'elle s'em-
pare de la veneration, en vertu de la sublimite
de sa cause et de sa sphere. Mais la reputation
substantielle est celle qui a toujours etc biea
soutenue.
MAXIME XCVIIL
Dissimulev,
Les passions sont les breches de Fesprit. La
science du plus grand usage est Fart de dissi-
muler. Celui qui niontre son jeu , risque de
BE COUR. lS3
pcrdre. Que la circonspection combatte contre
la curiosite. A ces gens , qui eplucherit dc si
pres les paroles , couvr6 ton coeur d'une haic
de defiance et de reserve. Qu'ils ne connais-
sent jamais ion gout , de peur qu'ils ne te pre-
viennent , ou par la contradiction , ou par la ,
flalterie.
Celui qui se rend a ses passions , dit-il au
chap. 2 de son Hews y descend de la condi-
tion de riiomme a celle de la bete; au lieu que/
Qelui qui les dcguise conserve son credit , du
'moins en apparence. Nos passiong^snnt \os^
eyanguissemcns de notre reputation. Qui de sa
volonle en sait faire un mystere/est souv.m:am
dc soi-meme. Penctrer la volonte d'autrui ^
^£^est. 1.7 marque dun esprit sublime : s avoir
cacher^lasienne J c^estprendre la superiorite.
™~— -— ■ ■ n— r-j-T- J . l^^lin ill I. ' ' '" '
.S!iI-^lHHiy ' .^B^SSESf^^ ^^ P^^^^^ * ^^^^ ouvri^-
'fa poruTcLe^Ja forteresse^e son esprit. Cest
par cet endroit que les ennemis polltiques
donncnt I'assaut, et tres-souvent avec succes.
Les passions une fois connues , on connait
toules les entrees et toutes les sorties de la
volonte , et y par consequent, on lui pent com-
mander a toutes heures. II faut done , quui
Jiabile homme sjjpplique premierement ^
i^^Qj^ptc^ difisimu-
j£.i}_jjrvTj^ tant d\?.drcsse ^ que Bid rspion ng
■'^'m
i34 l'ho3ime
£uisseja£iaisdichiflre sa pcDsee^(i). Cetie
maxmie cnscigne a devenir habile, quand on
ne Test pas , et a cacher si finement lous ses
defauts , que tons ccs ijnxs et ces espioiis de
la route d'aulrui , s'egarent a force de clier-
cher. Cette amazone cathoiique d'Espagne ^//
parle dc la reine Isabelle , ferame de Ferdi-
nand , aiei{le de Charles-Quint ) peut servir
de modele en cette science. Pour accoucher,
elle s'enferniait dans le lieu le plus obscur et
le plus secret du palais , pour couvrir d'un
\:oile de lenebres les grimaces et les contor-
sions qu' elle pouvait faire dans le fort du mal ,
et soustraire aux oreilles les cris, ou les plalnles
qui lui pouvaient echapper (2). Si elle gardait
lant dc mesures de bienseance et dc naajeste.^,
(i) Alexandre de Me'dicisj premier due de Florence, --•
se vantait d'etre le concierge de son sdbret et dejie I'avoir :,
jamais laisse' passer de son coeur a sa bouclie. La reine— ^
Catlierine e'lait done bien sa soeur.
(2) Isabelle de Portugal , mere de Philippe II e'tant en
travail de lui, fit eteindre toutes les lumieres, afin que
si la violence du mal la faisait changer de visage, per-
son np ne piit s'en apercevoir. Et comme la sagc-femme
lui disait : Madame jetez un grand cri , cela vous fera
mieiix accoucher; elle repondit en son Ian gage portu-
j^ais : Ne me donnez point de tels conseils , car lai- ^,
nierais mieux mourlr que de crier. Dichos j' hechgs ^
de Don Filipe II ^ chap. 1 . ^^^
DE COUR. l3S
en des occasions , oii lout est excusable , com-
bien sc fut-elle menagee dans celles oil il eut
fallu soutenir &a reputation ?
MAXIME XCIX.
ha realite et I'apparence,
Les choscs ne passent point pour ce qu'elles^
sont , mais pour ce dont eHes ont Fapparencc.
II ny a guere de gens qw voient jusqu'au de-
dans , presquc tout le nionde se contente des^
apparences (i). H ne suffit pas d' avoir bonne
intention , si Taction a mauvaise apparence.
m-
' MAXIME C
U Homme des abuse, he Chretien sage, he
Courtisan philosophe,
Il faut Tetre , mais ne le pas paraitre , en-Y
core moins afFecter de passer pour tel. Quoi-
(i)Laplupart des hommcs, dit Machiavel au chap. i8
de son Prince, jugent plus par les yeux que par les
mains , chacun ayant la lil?erte' de voir , mais tres-peu
ajant celle de toucher. Chacun voit ce que tu parais
etre, mais presque personne ne connait ce que tu es...
Le vulgaire ne s'arrete qu'aux apparences, et il n'y a
presque dans le monde que le vulgaire.
i^S l'hommk
que le plus digne exercice des sages soit dc
philosopher , il n'est plus atijourd'hui en crcr
dit. La science des habiles gens est mepnsee.
Apres que Seneque reut introduite a Rome,
elle fut quelque temps en estime a la cour ,
et maintenant elle y passe pour folie : mais la
prudence et le bon esprit ne se repaissent pas
de prevention.
MAXIME CI.
ZIne partie du monde se moque de Vautre y et
Vune et Vautre rient de leur jolie commune.
Tout est bon ou mauvais , selon le caprice
des gens j ce qui plait a I'un deplait a Fautre.
C'est un insupportable fou que celui qui veut
que lout aille a sa fantaisie. Les perfections ne
dependent pas d'une seule approbation. II y
kn autant de gouts que de visages, et autant de ^
difference entre les uns qu'enire les autres.
Wul defaut n'est sans partisan ," et "il rie faiir
point te decourager , si ce que tu fais ne plait
pas a quelques-uns , attendu qu'il y en aura
toujours d'aiitres qui en feront cas. Mais ne
t'\2norgueillis point de Tapprobation de ceux-
ci/ d' autant que les autres nelaisseront pas
dc te censurer. La regie pour connaitrc ce qui
D E C OUR. V 157
est dlgnc d'estinie , c'est Fapprobation des gens
de merite, et des personnes reconnues capa- ^
hies d'etre bons juges de la cliose. La vie ci-^
vile ne roule pas sur un seul avis , ni &ur uii
seul usage.
MAXIME CII.
Estomac hon a reces>oir Ics grosses bouclwes
de la fortune.
Un grand estomac n'est pas la moindre
partie du corps de la prudence, line grande
capacite a besoin de grandes parties. Lcs pros-
perites n'embarrassent point celui qui en nie-
i^ite de plus grandes. Ce qui est indigestion
dans les uns , est appetit dans les autres. II
J en a beaucoup a qui toute nourriture suc-
culente fait mal , a cause qu'ils sont de faible
complexion , et qu'ils ne sont pas nes , ni ele-
ves pour de si hauts emplois (i). Le commerce
(i) Philippe II , roi'd'Espagne, disait que tous les es-
tomacs n'e'taient pas c^pables de dige'rer de grandes
fortunes , et qu'une mauvaise viande ne se tournait pas
sitot en mauvaise nourriture , ni ne faisait pas tant de
corruption dans le corps, qu'en faisaient les honneurs
excessifs dans un esprit mal-fait. Dans le Don Filipe
el prudentC; chap, penultieme.
l58 l' HOMME
du monde est amer a leur gout, et les fumees
dc la vaine gloire , qui leur montent au cer-
^veau , leur causent des etourdissemcns dan-
gcreux; les lieux hauts leur sont contraires, iis
ne tiennent pas en eux-memes , parce que leur
fortune ny pent tenir. Que I'liommc de tete
montre done qu'il lui reste encore du lieu ,
pour loger une plus grande fortune ; et melte
toute son industrie a eviter tout ce qui pent
donner quelque indice d'un petit courage.
M A X I M E cm.
Conserve f^ la majeste propre a son etat.
Que toutes tes actions sbient , sinon d'un roi,
du nioins dignes d'un roi , a proportion de
ton elat : c'est-a-dire , procede rojalement ,
autant que la fortune te le pent pcrmcttre. De
la grandeur a tes actions , de Televation a tes
pensees, afin que si tu n es pas roi en effet,
tu le sois en merile ; car la vraie royaute con-
siste en la vertu. Celui-la n aura pas lieu d'en-
vier la grandeur, qui pourra en etre le mo-
dele. Mais il importe principalement a ceux
qui sont sur le trone , ou qui en approchent ,
de faire quelque provision dc la vraie supe-
rlorite , c'cst - a - dire , des perfections de la
DE COIJR. 1 59
Majeste , pi u lot que de se repaitre des cere-
monies que la vaiiiie et le luxe ont intro-
duites. Us doivent preferer le solide de la subs-,
lance au vide de rostentation (i).
{i) Apud quos vis (ou jus) imperii valet, inania
transmittuntur , dit Tacite. Ann. i5. C'est-a-dire, queles
jDrinces qui ont le pouvoir en main, ne sesoucient guere
de faire une vaine parade de leur grandeur^ qu'il leur
suffit de commander, et d'etre obe'is, tout le reste n'e'tant
que des devoirs qui leur font plus d'incommodite que
d'honneur. Et c'est ce que voulait direPison qui, vojant
apporter des couronnes d'or a Germanicus et a sa femme
au milieu d'un festin , dit {Ann. 2.) que Germanicus
n'e'tait pas le fils d'un roi desParthes, mais d'un empereur
Romain : pour donner a entendre que cette cere'monie
e'tait bonne pour les rois barbares , qui faisaient con-
sister leur grandeur dans le faste et dans une vaine
affectation d'lionneurs superftus • mais non pour un
prince romain, a qui il n'e'tait pas bienseant de s'ac-
comraoder aux coutumes e'trangeres. Tacite parlant de
Vonone's, roi d'Arme'nie, dit que ce prince s'e'tant re- \
tire' en Sjrie, le gouverneur de la province lui donnaity
le titre de roi et lefaisait servir en roi : mais que Vonone's *
prenait ce traitement et ces ccre'monies pour une de'ri-
sion, pendant qu'il e'tait regarde comme un prisonnier.
Rector Sjrice Silanus custodia circmndat , manente
liixu , et regio nomine ; quod ludibrium ejfugere
cigitavit Vonones. Ann. 1. Ce qui montre que la
rojaute consiste en des clioses plus esscntielles que le
titre et les ce're'monies. Et Machiavel dit que ce n'est
pas meme assez pour ctre prince, que d'avoir un e'tat^
1^0 l'homme
M AXIME CIV,
4 Tetter le pouls auoc affaires.
CiiAQUE emploi a sa nianiere, il faut etre
passe maitre pour en faire la difference. A quel-
ques emplois il faul de la valeur j a d'autres , dc
la subtilite(i) \ quelques-uns requierent seule-
nient dc la probite , ct quelqucs - autrcs de
Fartifice. Les premiers sont plus faciles a exer-
cer, et les autres plus difficilcs. Pour s'acquil^
et qu'Hieron de Syracuse etait plus estime' dans sa fortune
privee , que le roi Perse'e , parce que celui-ci n'avait
rich de roi que son royaume 5 et que I'autre qui n'en
avait point alors en meritait un . Dans VEpitre de'di-
catoire de ses discours sur Tite-Live.
(i) Les gens de guerre n'ont pas besoin de tant
d'esprit, parce qu'au dire de Tacite ils se servent plus
\f de leurs mains que de leur tete. Quia castrensis juris-
ydictio plura manu agens. In Agricola. Joint que I'au-
Atorite' leur tient lieu d' eloquence. Multa auctorltate ,
quae, viro militari pro facundia erat. Ann. i5. Au con-
traire il faut beaucoup de subtilite' aux gens de robe , a
cause des supercheries et des de'tours qui regnent dans le
barreau; ob cqlliditatem fori. In {Agricola) et de I'hu-
xneur inte'resse'e des avocats qui font durer les proces
comme les medecins les maladies ; Ut quomodo vis mor^
horum. pretia medentihus , sic fori tabes pecuniam
Advocatisf erat, Ann. II.
M
DE COUB^ X4^
ter des premiers , un bon naturel suffit , au
lieu que pour Ics autrcs, toute rapplicatioii ,•
toutc la vigilance, ne suffit pas. C'est une occu-i
palion bien penible , d' avoir a gouverner les
hommes , niais encore plus a conduire des fous
ct des betes 5 il faut un double sens pour re-
gler ceux qui n'en ont point. C'est un emploi
insupportable que celui qui demande unhomme
tout entier, et qui ait ses heurcs comptces (i),
et toujours a travailler a memc chose. Bien
meilleurs sont ceux , oit la varicte est jointe
a rimportance, d'autant que Talternative rc-
cree I'esprit , mais ceux qui valent le mieux de
tons , sontjceux qui sont les moins dependans ,
ou dont la depcndancc est plus eloignee ; etcelui-
la est le pire , qui , lorsqu on en sort , oblige de
rendre compte a des juges rigoureux , surtout
quand c'est a Dieu.
MAXIME CV.
' ' N'etre point lassant.
m
L'homme , qui n'a qu'une affaire , ou celui
qui a toujours la meme chose a dire, est d'or-
(i) Comme les princes et leurs ministres. Quamar^ ^
duum, quamsubjectumfortunce^ regendi cimcta onus!
Ann, I.
■ i*4i l'homm e
Idinaire fatigaiit. La brievete est plus propre
I a n€god€r , elle gagne par son agremciit ce
i quelle pei'd par son epargne. Ce qui est bon ,
est deux fois bon , s'il est court , et pareilie-
ment ce qui est mauvais , Test moins , si Ic
peu^y est. Les qiifntessences opercnt mleux
que les breuvages composes C^«st une veriie
reconnue , qiae le grand parleiar est rarcment
habile (i). II y a des bommes, qui font plus
d'embarras, que d'honneur arunivcrs ; ce sonti
des hailloris jetes dans la rue , qaa cliacun pousse
hors du passage. Llionime discreet doit bien s«
garder d'etre importun , surtout aux gens qui
ont de grandes occupations j car il vaudrait
niieux etre incommod'e ato^it le rcste du nionde,
que de I'etre a un seul de ceux-Ia. Ce qui est*
•^bien dit , se dit en pmi.; ^^^* - ■ i.^.
MAXrrME C VI.
Ne point faire parade cte sa fortune.
L'osTENTATTON dc la digiiite choque plus
que I'ostentation de la personne.Tranchcr du
grand , c'est se rendre odi<iux -, il sullit bleu
(i) In midtiloqido non deerit peccatum : qui autem
moderatur labia sua, prudeiitissimus est. Proverb. lo.
V. 20.
V-'"
d'etre envie. Plus on chercbe la repntation , et
moins on la tronve (i). Comme ellc depend du
jugcnient d'autrui , personne ne se la saurait
donner j et par consequent, il fantla meriter(2),
etl'attendre. Les grands eniploisdemandd^tunc
autorite proportionnee a leur cxercice, et, sans
ccla, Ton ne peul pas les exercer dignement. 11
>faut conserver toute cclle qui est necessaire
^xy&t reniplir ressontiel de ses obligations^ ne
la point faire ircyp va^oir , mais la secon-
der (5). Tous ceux qui font les accables d'af-
faires se nionlrent indigncs de leur cmploi ,
(i) Tacite dit qn'Agricola augir^entait la sienne en la
dissimulant. Ipsa dissimulationefamce famam mtxit^
(2) A qnw «ervent les statues et les temples, disait
iTibere , si Ton n'a pas 1' approbation de la poste'rite'? Quee
saak) struuntur, si Judicium jyostero ram in odium '4/er*
'^i^j pro sepulcris spemuntur. Ann. 4.
(5) Lorsqu'Agricola e'tait dans son tribunal, il n'y
montrait que de la gravite' , de la s^v-e'rit^ €t de I'appli-
cation a tout entendre; mais quand il en sortait il de-
poisait et sa gravite et sa seVe'rite' comme s'il eut cesse
d'etre rev^tu de I'autorite' publique. II ne chercbait point a
acque'rir de la reputation ni par unevaine ostentation de
sa grandeur, a quoi les plus gens de bien sont sujets ; ni
par aucun autie artifice. Point de dispute ni de querelle
fevec ses collegues, sur qui il e'tait aussi e'loigne' d'enitre-
prendre que de soufFrir qu'ils lui fissentla loi, tenant Tun
ipour injuste eft I'autre pour honteux. Ubi conventus ac
1 44 L^IOMMK
comme charges d'un faix qu'ils ne sauraient
porter. Si Ton a a se l^ire honneur, que ce soit
plutot d'un grand merite personnel , que d'une
chose d'emprunt. Un roi meme doit s'attirer
plus^e veneration par sa propre pcrsonne que
par sa souverainete , qui n'est qn'une chose
exterieure (i):
judicia poscerent ^ gravis , intentus, severus : uhi officio
s ads f actum , nulla ultra potestatis persona , tristitiam
et arrogantiam exuebat. Nefam.am quidem , cui etiam
scepe boni indulgent , ostentanda virtute , aut per artem
qucesivit ; procul ab cemulatione adversus collegas ,
procul a contentions adversiis procuratores : et vincere
inglorium, et atterl sordidum arbitrabatur, Tacite^ dans
sa Vie. Le jeune Pline, dit qu'e'taut tribun du peuple il
s'atstfnt de plaider tout le temps qu'il le fut, lui parais-
sant iiidigne de son rang, de se tenir debout pendant
que les autres seraient assis , au lieu que chacun devait
non seulernent se lever pour saluer le tribun, mais
meme lui ce'der. Outre qu'il trouvait e'trange que celui
qui avait droit de faire taire les autres, dut se taire lui-
m.eme des que I'heure serait passe'e et que celui qu'il e'tait
sacrilege d'interrompre quand il parlait, s'exposat a en-
tendre les injures de sa partie adverse ^ en danger de
paraitre laclie s'il le soufFrait ou violent s'il s'en vengeait.
^/7.25. , lib. I. Ce quimontre combienun magistrat doit
etre jaloux de I'honneur et de I'autorite de sa charge ,
qui , sans cela , est uue pure ombre et un nom sans hon-
neur, dit lememe Pline. Inanem umbram et sine lionore
nomen. Ibid.
(i) Galba disait que les sujets parlaient bien plus a la
DE COUR« l^S
M A X I M E C V I L
Ne point morUrer qu^on soil content de ^oi-
jnenie.
D'etre mecontent de soi-meme, cest
faiblessc; d'en etre content , c'est folio (\\ Dans
la plupart des hommes , cc contentement vient
d'ignorance , et aboulit a une felicile aveiigle ,
qui veritablement entrelient le plaisir , mais ne
conserve pas la reputation. Commc il est rare
de bien connaitrc Ics perfections cminentes des
kutres , Ton s'applaudit de celles que I'on a ,
quelque mediocres ct vulgaires qu'ellcs soicnt.
La defiance a toujours et^ utile aux plus sages ,
soil pour prendre de si bonnes mesures , que
les affaires pussent reussir j ou pour se conso-
ler , quand elles ne reussissaienl pas ; car celui
qui a prevu Ic mal , en est moins afflige quand
il arrive. Quelqucfois Homcrememe s'endort,
fortune du prince qu'a sa personne : Ceteri lihentiiis cmm^
forluna nostra, quamnobiscum. {T2lq. Hist, i.) Parc<^( ^
qu'il y a quelquefois des princes qui n'ont rien de re-A *'
«ommandables que leur fortune.
(i) Salomon dit que le fou est rempli de ses voies ,
c'est-a-dire , qu il est content de tout ce qu'il fait, ^iis
suis replebitur stultus. Pr«verb. 14. v. 4, ^ia StulH
recta in oculisejus, Proyerb. /a^ V- 1.5.
i46
L H O M Nl E
'P'
ct Alexandre descend du troue^e sa majeste,
et reconnait sa»faiblesse. Les atfalres depen-.
dent dc beaucoup de circonstances , et telle
chose , qui a reussi dans une occasion , est mal-
heureuse dans une autre. Mais FincorrigibHile
,des fous est en ce qu'ils con.vcrlis«.e*it^in
fleurs leurs plus vaines pensees , et que ^leii*
graine pousse toujours (t).
p^oj^z la Maxime 141.
MAXIME CVIIL
Le plu& court chemin , pour de^^enir grand
personnage , est de scu^oir choisir son
nionde.
La conversation est d^un grand poids. Les
nioeurs , les humeurs , les gouts , ct I'esprit
mcme, se communiquentinsensiblemcnt. Ainsi^
rhomme prompt en doit frequenter un paisi-
ble , et chacun son contraire j par ou Ton ar-
rivera sans peine au temperament requis. C'est
'beaucoup^ que de savoir sc modercr. La di-
(4) Leur fe'licite, dit le jeune Pline , ne leiir sert qu*a
les rendre ridicules. Hue filicitate perveniunt , ut rir-
deantur, Ep. 29. lib. 7.
D E C O tJ R. 147
yerslle alternalive des saisons fait la beaule
ct la diiree dc Tumvers. Si rharmonie dcs
choses naturclles vicnl de leur propre •contra-
riete , I'harmomc de la societe civile devient
plus belle par la ditrerence des moeurs. La pru-
dence doit user de cetie politique dans le choix
des amis et des domesliques; et de cette coni-
niunicalion dcs contraires , il en naitra ua
temperament tres-agreable. (i) •
MAXIME CIX.
N'etre point reprehensif.
Ilj adeshommes rudes, qui font des crimes
de tout , non pas par passion , mais par na-
lurel. lis condamnent tout : dans les uns, ca
qu'ils ont fait j dans les autres , ce qu'ils veu-
lent faire : ils exagerent tout si fort que des
(i) C'est la coutume des imprimeurs , dit Juan Rufo ,
<le mouiller leur papier pour le rendre propre a recevoir
la forme des caractereS. Et ce qui est a remarquer, c'est
qu'en trempant le papier par demi-mains et a diverses
Ibis, I'eau s'imbibe de feuille en feuille, de sorte que
par une admirable correspondance, les feuilles mouille'es
humectcntles feuilles seches et celies-ci seclient les autres
en prenant I'eau qu'elles ont de trop. Ce papier montre
aux hommes comment ils doivent se seryir les uns aux
autres. Apophtegme 597.
Ia8 l'h O M M E
atonies ils en font des pout res a crevcr les
yeux. Leur humcur , pire que cruelle , scralt
capable' de convertir les Champs-Elysiens en
galere. Mais si la passion s'en mele , c'est alors
qu'ils jugent a toute rigueur. Au contraire ,
ringcnuite interprete lout favor abl em ent, si-
non I'intention, du moins I'inadvertance (r).
c
MA XI ME ex.
N'attendre pas qu'on soit Solell couchant.
C'est une niaxinic de prudence qu'il faut
laisser les choses , avant qu'elles nous laissent.
1 est d'un homme sage de savoir se faire un
Jtriomphe de sa propre defaite, a I'iniitation
du Soleil , qui , pendailt qu'il est encore tout
lumineux , a coutume de se retirer dans une
nuee , pour n etre point vu baisser , el , par
ce moyen , laisser en doute , s'il est couche , ou
npn. C'est a lui de se soustraire aux accidens ,
pour ne pas crever de facherie. Qu'il n'attendc
pas que la fortune lui tourne le dos , de peur
quelle ne I'ensevelisse tout en vie , a I'egard
de I'aflliction qu'il en resscnlirait j el mort ,
(t) Quid enim JiQuestius culpd benignitatis? dit le
je\ine Pline. Ep, 28. lib. 7. Qu'y a-t-il de plus honnete
que de faire des fautes de bonle'?
DE COUR. 149
a regard de sa reputation. Le bon cavalier U-
che queiquefois la bride a son cheval , pour
ne le pas cabrer , et ne pas servir de risee ,
s'il venait a lomber au milieu dc la carriere.
Une beaute doit adroitement prevenir son
miroir , en le rompant , avant qu'il lui ait
montre que ses atlraits s'eu vont. (i).
Vojez la Maxime, 38.
MAXIME CXI.
Faire des amis.
' \. ■
Avoir des amis , c'est un second etre ; tout
ami est bon a son ami j entre amis tout est
agreable. Un homme ne pent valoir que ce
qu il plait aux autres ci(3^e laire valoir. Pour
leur en doriner done la volonte, il faut s' em -
parer de leur bouche par leur coeur. II ny a
point de meilleur enchantement que le bon
(i) Car, au dire de Juan Rufo, il y a deux sortes
de personnes inconsolables , les riches qui se voient
mourir et les dames quand leur beaute' se passe. Apo~
phtegme 699.
Brantome, dansle discours 5. de ses Dames galanteSy
parle d'une, qui^, se vojant fort change'e de visage^ fut
en si grande colere contre son miroir, quelle ne s'y
voulut -plus jamais rtiirer, disant quil en e'tait indigne.
i5o
service j Ic meillcur nioyen d' avoir des amis
est d'en faire 3 tout ce que nous avons de bon
dans ia vie , depend d'aulrui. L'on a a vivre avec
ses amis ou avec ses ennemis; chaque jour il
en faut gagncr un , et, si Ton n'en fait pas
son confident , se le rendre du moins bien af-
* fcctionne 3 car quelques-uns de ceux-la devien-
dront intimes , a force de les bien connaitre.
MAXIME CXII.
Gagner le coeur.
La premiere et souveraine cause ne dedaigne
pas de le prevenir , et de le disposer , lorsqu'elle
veut operer les plus grandes choses. C'est par
i'alfection que Ton entre dans Fcstime. Quel-
ques-uns se flent j^t sur leur merite , qu iJs
ne prennent auCun soin de se faire aimer. Mais
le Sage sait bien que le merite a un grand
tour a faire , quand il n'est pas aide de la
faveur (i). La bienveillance facilite tout , sup-
(i) Un jour qiielques gens de Cour traltant celte
question , d'ou venait que la plupart des charges tom-
,m.-' . baient a des personnes de tres-peu de merite : c'est, dit
Juan Rufo , que les habiles gens ne veulent point em-
ployer un mauvais droit pour appujer leurs pre'tentions,
au lieu que ceux qui ont peu de me'rite, sont d'ordinaire
ceux qui soUicitent davantagc. Apophtegme 559»
DE COUR. l5l
plee a tout ; elle ne suppose pas tou jours qu il
y ait dc la sagcsse , tie la discretion , de la
bonte et de la capacite -, mais elle en donne (i) :
elle ne \ oit jamais les defauts , parce quelle
fuit de les voir (2). D'ordinaire elle nait de la
■ '^- •:; ./
(i) Sinon dignos invenit , facit,
(2) Tacite dit que Vespasien s^lvait mienx dissimuler
les vices de ses amis que leurs vertus. T^itia niagis ami"
corinn quam virtutes dissimulanS, Hist. 2. Tous les
devoirs de I'amitie' sont corapris la dedans. II dit aussi ,
que Galba voulait ig'norer tous les de'fauts et toutes les
fautes de ses amis. Si maliforenty usque ad culpam
ignarus. Hist, i . Excellente qualite' pour un particulier,
mais tres-m^auvaise pour un prince qui doit s'e'tudier a
connaitre le vrai caractere de ceux qui Tapproclient , et
surtout de ceux qu'il emploie. II est neces.saire que les
particuliers connaissent les de'fauts de leurs amis, Mores
amici noveris , dit le jjroverbe, non oderis : mais pour
les tolerer plutot que pour les censurer. Le jeune Pline,
dit que c'est une heureuse erreur , que de croire ses amis
plus parfaits qu'ils ne sont. Quid invident mihi felicis-
simuin errorem? TJtenim, non sint tales , quales a m&
proidicantur, ego tamen beatus , quod mihi videntur.
Epist. 28. lib. 7. En parlant d'un Arthemidore, il dit
que bien que ce soit un liomme tres-prudent, il lui
arrive quelquefois d'etre dans Terreur agre'ableethonnete
d'estimer ses amis plus qu'ils ne valent. In hoc uno in--
terdum.^ vir alio qui prudentissimus , honesto quidem ,
sed tamen errore Dersatur, quod pluris amicos sues >
quam sunt ^ arhitrabalur. E]i. 11. lib. 5.
r5a L^HOMMK
correspondance materielle , comme d'etre de
ineme nation , de meme palrie, de meme pro-
fession , de pi^me famiJle. II j a une autre sorte
d'affection formelJe , qui est plus relevee • car
elle est fondee sur les obligations , sur la repu-
tation , sur le merite. Toute la difficulte est a
la gagner , car il est aise de la conservcr. On
peut Facquerir par ses soJns , et puis eu faire
un bon usage.
MAXIME CXIII. .
Dans la honnc fortune se preparer a lamauvaise
En ete Ton a le temps de faire sa provision
pour I'hiver , et plus commodement. Dans la
prosperite , Ton a quantite d'amis (i) , et tout a
bon marche. II est bon de gardcr quelque chose
pour le mauvais temps , car il y a disctte de
tout dans Fadversite (2). Tu feras bien dc ne
pas negliger tes amis ; un jour viendra que tu
te tiendras heureux d'en avoir quelques-uns , de
{i) Donee eris felix, multos numerabis amicos , dit
Ovide.
(2) Tempora sifuerint nubila, solus eris. Le meme.
Infelicium nulli sunt affines , dit le proverbe. Uliomme
pauvre, dit Juan Rufo , est ton jours en pays etranger,
Apophtegme 64 1»
D E C O U R. I 53
qui lu ne te soucles pas niainlcnant. Les gens
rusdqucs n ont jamais d'amis , ni dans Ja pros-
peritc , parce q-u'ils ne connaissent personne ,
ni dans Tadversite , parce que personne ne Ici
eonnait alors. ^
MAXIME CXIV.
Ne competer jamais ^
TouT^ pretention qui est contcstee ruine le cre-
dit. La competence ne manque jamais de noircir
pour obscurcir (i) j il est rare de faire bonne
guerre. L'emulation decouvre les defauts que la
courtoisiecachait auparavant. Plusieurs ont vecu
^res-cslimes , tant quils n'ont point eu de con-
currens. La chaleur de la contradiction animc
ou ressuscite des infamies qui etaient niortcs ;
clle deterrc des ordures que le temps avait
prcsque consumees. La competence commence
par uri manifeste d'invectives , s'aidant de tout
ce qu elle peut , et ne doit pas (2). Et hicn
(f) Ce n'estplus un exemple imftable que celui de la
modestie de ce Lace'demonien , qui , n'ajant pas e'te
compris dans I'e'lection des trois cents braves que sa
patrie envojait au dctroit deS Thermopiles, s'en retourna
en sa maison, tout jojeux de ce qu'il y avait a Sparte
trois cents citoyens qui valaient mieux que lui.
(i) Tacite dit que Petus, collegue et concurrent dr
l54 r' HOMME
que quelqucfois , et meme leplus souvent, les in-
jures ne soient pas des armes de grand secours ,
si est-ce qu'elle s'en scrt , ponzr se donner le
plaisir d'une Tile vengeance ; ct elle y va avec
tant d'itnpetuosite, qu'elle fait voler la pous-
siere de I'oubli qui couvrait les imperfections.
La bienveillance a toujours ele pacifique, et la
reputation toujours indulgente.
MAXIME CX V.
Se faire aiioc hunieurs de ceuoc a^ec qui Ton
a a vivre,
L'oN s'accoutume bien a voir de laids visages,
on pent done s'accoutumer aussi a de mecliantes
hunieurs. H y a des esprits reveches , avec qui
ni sans qui Ton ne saurait vivrc. C'est doiic
prudence de s j accoutumer , commc Ton fait
a la laideur , pour n'en etre pas surpris ni
Corbulon , qui ne le voulait point avoir pour com-
pag-non , meprisait ses exploits disant que c'etaient des
conquetes imaginaires , au lieu que, pour lui, il allait
imposer des lois et des tributs aux vaincus. Neque Cor-
bulo ceniuli p at lens , et Poetus , qui satis ad glo riant
erat , si proximus haheretur , despiciebat gestas no-
mine teniis urbium expugnationes dictitans : se tributa
ac leges , et Romaiuim jus victis ifnposituriun. Ann. i5;
DT. COUR. 1 55
cpouvante dans roccasion. La premiere fois ,
ils font peur , mais Ton s'y fait pen a peu , la
reflexion prevenaut ce qu'il j a cie rude en eux,
ou du moins aidant a le tolerer.
MAX I ME CXVI.
Traiter toujours m^ec des gens soigneuoc dc
leiir devoir.
On pent s'engager avec eux, etles engager;
leur devoir est leur meilleure caution , lors
meme qu'on est en different avec eux : car ils
agissenl toujours selon ce qu'ils sont. Et d'ail-
leurs il vaut mieux combattre contre des gens
de bien , que de triompher de mal-honnetes
gens. II ny a point de surete a traiter avec les
mechans, parce quils ne se trouvent jamais
obliges a ce qui est juste et raisonnable j c'est
pourquoi il n y a jamais de vraie amitie entre
eux : et quelque grandc que semble etre leur
affection , elle est toujours de bas-aloi , parce
qu'elle n'a aucun principe d'honneur. Fuis tou-
jours riiommc qui n'en a point, car I'honneur
est le trone de la bonne foi.Quiconque n'estime
point I'honneur, n'estime point la vertu (i).
(i) Contemptufamcc} contemni virtutes , ditTacite.
Ann. 4'
l56 l' H O M M E
MAXIME CXVII.
Ne parler jamais de soi-meme,
Se louer , c'est vanitc • se bl^mer , c'est bas-
sesse(i). Et ce qui est un delaut de sagesse
dans celui qui parle , est une peine pour ceux
qui Fccoutent. ^i cela est a eviter dans Ics en-
tretiens familiers on domesliques , cela est en-
core moins a fairo lorsqu'on parle en public ,
et que Ton occupe quelque grand poste^ car
(i) C'est une maxime d'Aristote qui a dit qu'il ne
se fallait louer ni bl4mer , parce que c'est etre fou ou
pre'somptueux. La vanite ouverte est insuportable , et
I'excessive liumilite' est toujours suspecte d'une vanite
cache'e. .
Nee te laudaris , nee te culpaveris ipse , disait Caton.
Si alianos quoque laudes , dit le jeune Pline^ Ep. 8.
lib. i.parum oequis auribus accipi solenty quam diffi-
cile est obtinere ^ ne molesta videatur oratio de se,
out de suis disserentis I Cest-a-dire :, Si -d'ordinaire Ton
ne se plait guere a entendre les louanges d'autrui, il est
comme impossible qu'un homme qui parle de soi-meme ,
ne choque pas les oreilles de ceux qui Te'coutent. Puis il
ajoute : Quod magnijicum referente alio Juisset , ipso ,
qui gesserat , recensente vanescit : Ce qui eut e'te' re^u
avec applaudissement vcnant de la bouche d'un autre ,
devient ridicule j^ar le recit qu'cn fait celui meme qui a
fait la cliose. Celui qui se loae, dit Juan Rufo, me'dit
du meilleur ami qu'il ait. ^pophtegme 524-
D E C O U R. l57
alors la moindre apparence de folie passe pour
une faiblcsse toute pure. C'cst faire la meme
fauie conlre la prudence , que de parler de
ceux qui sorit presens j car il j a danger que
Ton neiombe dansl'undeces deux ecueils, dans
Ja flattcrie ou dans la censure.
MAXIME CXVIIl.
Affecter le reiwrn d'etre civil.
Il ne faut que cela pour etre/?/aw^/Z>/e. La
courtoisie est la partie principale du savoir
vivre j c'est une espece de charme , par ou Ton
se fait aimer de tout le nionde (i) j au lieu que
(i) Le jeune Plinfe dit que c'e'tait par la civilite, et par
la familiarite' que Trajan se conciliait Tamour de tous ses
sujets : Vt excipis oinnesl ut expectas! ut^magnam
partem dierum, inter tot imperii curas , quasi per
otium transigis! Et dans un autre endroit du meme
pane'gjrique. Superior f actus descendis in om.niafami-
liaritatis officia , et in amicum, ex Imperatore submit-
teris : im,mo tunc maxime Imperator , quum, am,icum
ex imperatore agis.,. Jucundissimum, est am.aH , sed
non m.inus amare : quorum utroqueita frmeris , utquum.
ipse ardentissimh diligas, adhuc tamen ardentiiis di-
ligaris. C'est-a-dire : Comme tu regois tous ceux qui
t'abordenti comme tu les attends I comme tu i^asses une
bonne partie du jour a leur donner audifence aussi par
tierament que si tu avais un grand loisir ! Tout grand
1 58 l'ii o m M E
rpn s'en fait hair et meprlser par la ruslicite.
Car si rincivilitc vicnt de supcrbe , elle est di-
gne de hainej si c'est de betise, elle est mepri-
sable. Le trop sied mieux a la courtoisie , qvic
le trop pen : mais elle ne doit pas etre egale
envers tous (i) , car elle degenercrait en injus-
tice. Elle est meme d'obilgalionetd'usage entre
les ennemis , ce qui montre son pouvoir. Elle
coute peu , et vaut beaucoup. Quiconque ho-
norc est honore (2). La galanterie et la civilitc
que tu es, tu t'assuje'tis a tous les devoirs de ramitie; tu
t'abaisses du plus haul degre de la majeste' a la condition
d'ami 'j tu crois meme ne faire jamais mieux le person-
nage d'Empereur, que lorsque tu fais celui d'ami. C'est
un tres-grand plaisir que d'etre aime' , mais celui d'aimer
n'est pas moindre. Tu jouis si heureusement de I'un et
del'autre, que tout ardent que tu es a aimer, tu es encore
plus ardeihment aime'. Bel exemple pour les grands.
S'il sied bien a un Empereur d'etre civil , il leur sie'rait
encore bien mieux de I'etre, puisqu'au dire de Tacite, le
renom de modestie n'est jamais a mepriser , de quelque
rang qu'on soit. Modestioe fama , quce neqiie swnmis
mortalium spernenda est. Ann, i5.
(i) Trailer tout le mondedememe, dit Juan Hxifo y
c'est boire«et ftianger dans un meme pot, et couper du
pain et de I'oignou avec le meme couteau. Apoph-
tegme 122.
(2) Le vrai style de la vie civile est, que celui qui veut
^tre respecte' doit respecter les autres , sans s'imaginer
qu'ih soient d'humeur a avoir de la de'fe'rence pour lui ,
DE COUR. l59
om cet avantagc , que iq^te la gloire en rest©
a Icurs auteurs (i). ,,
MAXIME LXXVIII.
Ne pas f aire le reveche,
II ne faut jamais prOvoquer Taversion; elle
vient assez sans qu'on la cherche. 11 j a beau-
coup de gens qui haissent gratuitemenl ^ sans
savoir ni comment , ni pourquoi. La haine est
plus prompte que la bienveillance j Fhumeur
est plus portee a nuire qu'a servir. Quelques-
tms alTectent d'etre inal avec tout le mondc ,
soit par esprit de contradiction ou par degout;
des que la haine s'empare de leur coeur,il est
aussi diliicile de Ten oter y que de les desabu-
jser. Les gens d'csprit sont craints ; ics medi-
sans sont hais j les presomptueuxsontmcprises;
ics rail] eurs sont en horreur , ct les singuliers
sont abandoniics de tout le monde. II faut done
eslimer pour etre eslime. Celui qui v cut fair c
sa fortune ,. fail cas de lout. ..^ ; . . - -
«'il n'en a pas pour eux. C'est le precepte d'un habile
cardinal du siecle passe. fJean-Baptiste Cicala, J
(i) C'est pour cela qu'un philosophe re'pondit a un de
ses amis , qui lui disait ; Quoi ^ tu salues un hormne qui
ne te le rend pas? Ce rHest pas un deshonneur a moi
detre plus civil quun autre.
j6q l' H O M M IE
MAXIME GXX.
S'accommoder au temps.
Le savoir meme doit etre a la mode , et c'cst
^tre blen habile que de faire I'ignorant oii il
ny a point de savoir. Le gout ct le laiigage
changent de temps en temps. II ne faut point
parler a la vieille mode, le gout doit se faire a
la nouvelie. Le gout des bonnes letes ^q.v\. de
regie aux autres dans chaque profession , et
par consequent , il faut sy conformcr , et ta-
cher de seperfcctionner. Que rhoninie prudent
s'accommode au present , soit pour le corps ou
pour I'esprit, quand meme le pass6 lui semble-
rait meillcur (i). 11 ny a que ppux,|^ moeur*
(i) Ce precepte est doiind par Tacite. Hist. 4 ou il fait
dire a un senateur qu'il admire le passe', mais qu'il s'ac-
commode au pre'sent. Se ulterlora mi rati ^ presentia
sequi. Un autre senateur disait que Ton avait cliangd
tres-a-propos plusieurs. coutumes anciennes qui e'taieni
trop rigoureuses ; que les lois Oppiennes avaient paru
bonnes autrefois parce qu'elles etaient proportionne'es
au besoih des affaires ; et que les affaires -d^yant change' ,
il avait fallu changer aussi dans ces lois ce qui n'e'tait
plus de saison. MuUa duricicn Deterum m-^liiis et Iceliiis
mutata... Placuisse quondam Oppias leges, sic tern--
paribus Reip. postulaiitibus i remissurn aliquid postea
BE C 0 U R. l6l
que ccUe regie n'est pas a^ garder, altcndu que
la vertu doll se pratlquer en tout temps. On ne
et mitigatum , quia expedient. Ann. 5. Et TIbere
louait Auguste d'aYoir su lempe'rer la rigueur des ari-
ciennes lois selon Texigence de son siecle. Medendum
Senatus decreto , sicut Augustus quondam ex Jiorrida
ilia antiquitate ad proisentem usum Jlexisset. Ann. 4*
Au reste, il ne faut pas croire, dit Tacite^ que les an-
ciens nous aient surpassc en tout , il se fait eii^ore en ce
temps-ci beaucoup de choses qui nie'ritent d'etre loue'es
et imite'es par la poste'rile'. Nee onuiiaapud piiores me-
liora, sed nostra quoque oetas multa laudis et artium
imitanda posterls tulit. Ann. 5 II y a trois causes, dit
Juan Rufo , pourquoi le passe nous parait meilleur : la
premiere est , que ce qui a e'te' est regrette parce qu'il
n'est plus; laseconde, que de trois temps qu'il j a, le
passe' est celui qui nous est le mieux connu, soit jDarce
que ie present est douteux et passe en un moment, ou
parce que le futur est incertain et tout-a-fait inconnu ; la
troisieme est , que bien qu'on ait une meilleure fortune
que Ton n'avaitdix ou vingtans auparavant, onne saurait
€tre content a cause que Ton se voit plus proche de sa
lnort; car J c'est une ve'rite' mfaillible qu'il n'j a ni ri-
chesses ni emplois dans le mohde , que tout homme qui
approche da sa fin ne donnat volontiers, pour prolonger ^
sa vie d'un mois. ApopJitegme So/f. Ajouttz a cela la
reponse que le meme Espagnol fit a un ami qui lui
disait : Vous vous portez bien mieux que votts ne faisiez
il y a un an. Au contraire, dit-il, tout malade que j'etais
je me portais beaucoup mieux , puisque j'avais plus d'uit
an a vivre. Apophtegme 19.
•■ ^ * "
162 L*H O M M E
sail deja plus ce que c'cst.que de dire la verite ,
que de tenir sa parole. Si cjuelqucs-uns le font ,
ils passent pour des gens du vieux temps ; de
sorte que personne ne les imite , bien que cha-
cun les aime. Malheureux siecle , oii la vertu
passe pour etrangere , et la malice pour une
mode courante ! Que le sage vivc done comme il
pourra, s'il ne le peut pas comme il voudrait.
Qu il se tienne content de ce que le sort lui a
donne , comme s'il valait mieux que ce qu'il
lui a refuse.
MAXIME CXXl.
Ne point /aire une affaire de ce qui n'en est
pas une.
Comme il y a des gens qui ne s'embarrasscnt
de rien , d'autres s'embarrassent de tout , ils
parlent toujours enministres d'etat. Ils prennent
tout au pied de la lettre ou au mjsterieux. Des
choses qui donnent du chagrin , il j en a peu
dont il faille faire cas ; autrement on se tour-
' mente bi^n envam. C'est faire a contre sens , que
de prendre a coeur ce qu'il faut jeter derriere
le dos. Beaucoup de choses , qui elaicnt de
quclque consequence , n'ont rien etc , parce
que i'on ne s'en est pas aijU en peine ; et d'autres
D E C O U R. 1 85
qui n'etaicnt rien , sont devenues choses d'im-
portance pour en avoir fait grand cas. Du com-
mencement il est aise de venir a bout de tout ;
apres cela , non. Tres-^ouvent le mal vient du
rcmede meme. Ce n'est done pas la piie regie
de la vie que de laisscr aller Ics choses.
MAXIME CXXII.
L'autorite dcms les paroles et dans les actions.
Cette qualite trouve place partout , lout
d'abord elle s'empare du respect j elle se repand
partout , dans la conversation, dans les haran-
gues , dans le port , dans le regard , dans Ic
vouloir (i). C'est une grandc victoirc que de
(i) Ce caractere est tres-necessaire aux princes et aux
personnes constitue'es dans leshautes dignite's, niais sur-
toiit aux ge'neraux d'arme'e. Tacite dit que Drusus , Ills
de Tibere , n'avait pas I'art de bien dire , mais qu'il ne
laissait pas de parler d'un air qui sentait I'homnie de
grande naissauce. Quanquam rudis discendi\, nobilitate
ingenita, incusatpriora , prohat proesentia , etc. Ann. i.
Cette autorite tient lieu d'eloquence aux grands capi-
taines. Malta auctoritaie , quce viro jnilitari pro facun"
dia erat, Ann. i5. Et c'est pour cela que Galba parlait
tovijours en peu de mots aux soldats , imperatoiia hre-
vitate, dit Tacite, Histor. i, et meme sans donner aucun
tour d'e'loquence a^^sPU^ discours ; Apud Senatuin non
1 64 l' H O M M E
prendre les coeurs. Cela ne vient pas d'une folle
hravoure, ni d'lm parler imperieux , mais d'lm
certain ascendant, qui nait de la grandeur du
genie, et est soulenu d'un grand merite.
MAXiME C XX 1 1 1.
L'honmie sans affectation. ^
Plus il j a de perfection et moins il y a
d'affectation, car c'est d'ordinaire ce qui gate
les plus belles choses. L' affectation est aussi in-
supportable aux autres , quelle est pcnible a
celui qui s'en sert , d'autant qu'il vit dans un
continuel mar tyre de contrainte , pour se mon-
coniptior Galbce, non longior, quam. apud milites
sermo. Ibid. Lc discours des capitaines et meme des
princes , doit avoir plus de force que de politesse : Mill-'
iaris viri sensus incomptos , sedvalidos. Ann, i5. De
rautorite' dans les actions , Tacite en donne Texemple
de Cecinna , qui , dans une fausse alarme , ne pouvant
empeclier la fuite de ses soldats , ni par prieres ni par
menaces , se jeta a travers la porte principale du camp
pourles arreter au moins par la compassion et par la
lionle de passer sur le ventre de leur ge'ndral. Cum neque
auctorltate , neque precibus , ne manu quidem obsiS"
teret , aut retinere militem quiret , projectus in limine
porta? ^ miseratione demum ^ quia per corpus legati
eundum erat clausit viam. Anm,^ *•
D E C O U R. l65
trer ponctucl en tout. Les plus emlnentes qua-
lites perdent leur prix , si Ton y decouvre de
Taflbctation (i) , parce qu'on les attribue plutot
(i) L'afFectation , dit-il, dans lecliap. 17 du He'ros , est
le contre-poids de la grandeur. La perfection doit etre eii
toi, et la loiiange en la bouche d'autrui. Celui qui a rim-
pertinence de se proner lui-meme, me'rite bien d'etre
puni du silence de tous les aulres. L'estime est toute
libre , elle ne complait jamais a I'artilice, encore moins a
la violence. Elle se laisse persuader a I'e'loquence muette
des qualite's personnelles , et non point a une ridicule
ostentation. Un pen de bonne opinion de nous-mcmes
nous^ait perdre toute Festime des autres. Tous les Nar-
cisses sont fous, mais les Narcisses d'esprit sont incu-
rables, parce que le mal est dans le remcde meme. Mais
si I'afFectation des perfections est une folic au huitieme
degre' , quel degre' assignera-t-on a I'afFectation des im-
perfections ? II J a des gens , qui , po ur fuir I'afFectation
y donnent jusquau centre, d'autant qu'ils affectent de
ne point affecter. Tibere afFecta de dissimuler, mais il
ne sut pas dissimuler qu'il dissimulait. Le plus haut point
de Fadresse est de la caclier, et de couvrir un grand
artifice par un autre plus grand. Deux fois grand est
celui qui a toutes les perfections et n'a point de langue
pour en parler. Par une indifference ge'ne'reuse , il re-
veille Fatten tion commune 5 et comme il n'a point d'yeux
pour lui-meme, cliacun en a cent pour le regarder de
tous cote's. Voila ce qu'il faut ajDpeler le miracle de
Fadresse. Et s'il j a d'autres voies qui menent a la gran-
deur, celle-ci ^ quoique toute contraire , conduit de
bonne heure au trone de la renomme'e , a la gloire de
Fimmorlalitc.
1 66 l' H O M M E
a une coulralnte ariificieuse , qu au vrai carac-
tere de la personne .* joint que tout ce qui est
nalurel a toujours ete plus agreableque ce qui
est artificiel. On passe pour etrangcr en tout
ce que Ton affccte; mieux on fait une chose , et
plus il faut cachcr le soin que Ton apporte a la
faire , afin que cliacun croie que lout y est na-
turel.Mais en fujant I'affcctation , prends bien
garde d'y tomber en affectant de ne pas alFec-
ter. L'hommc adroit ne doit jamais montrer
qu'il soit persuade de son mcrite j moins il
paraitra se soucierde lefaire connailre , plus il
excitera la curiosile des autres. Celui-la est deux
fois excellent qui renferme toutes les perfec-
tions en soi , sans en vanter aucune ; il arrive
au tcrme de la plauslbilite par un chemin pcu
frequente.
MAXIME CXXIV.
Se faire regretter.
Peu de gens ont ce bonheur , ct e'en est un
tout extraordinaire de letre dcs gens de bien.
D'ordinaire Ton a de Tindifference pour ceux
qui achevent leur temps. II j a divers moyens
de meriterFhonneur d'etre regrette , I'emincnce
desqualitesreconnues dans rexercic<jderemp!oi
D E C O U R. - 167
tn est un bien sur 5 de contenter tout le monde ,
en est un efficace (i). L'eminence fait naitre la
dependance, des qu'on connait que Temploi
avait besoin de Fhomme qui Texerce , ct non
riiomme de Femploi. Queiques-uns honor ent
leurs charges , et d'autres en sont honores. Ce
n'est pas un avantage que de paraitre bon , a
cause que Ton a un mauvais successeur (2) 3
car ce n'est pas la etre vraiment rcgrette , mais
seulement etre moins hai.
Wlw) Car, comme dit le jeune Pline, si Ton s'est fait
aimer , I'ainour dure eocore apres le depart ^ mais si I'oh
s'est fait craindre , la crainte s'en va avec la personne et
la haine prend la place de la crainte ^ au lieu qufe la
r^ve'rence succede a I'amour : Afale terrore veneratio
acquiritur..., nam timor ahit; si recedas , manet
amor : ac sic, ut ille in odium, hie in reverentiam
vertatur. Ep. ultim,a, lib. 8. A quoi revient cet axiome
de Tacite : Qui dmere desierint , odisse incipient. C'est-
a-dire , ceux qui cesseront de craindre commenceronl a
hair. In Agricola,
(2) C'est en ce sens, que Mucien disait qu'Othon
e'tait regrette', et semblait meme avoir e'te' un grand
prince, seulement a cause des vices et des de'bauches
infames de son successeur : Vitellium,, qui Othonem,
jam de siderabilem , et magnum princip em fecit. Tac.
Hist. 2. - ' .
1 68 l' II O M M E
MAXIME CXXV.
N'etre point Uvre de conipte.
C'est uric marque dc mauvalsc reputation
que de prendre plaislr a fletrir celle d'autrui.
Quelqucs-uns voudraieiit layer , ou du moins
caclier leurs taches , en faisant remarquer celles
des autres (i). lis se consolcnt de leurs defauts
( I ) Le jeune Pline dit ; Qu'il y a des gens , qui e'tant
esclaves de toutes leurs passions , s'emportent contreJBjj^'
vices des autres , conime s'ils lisur portaient envie , et
punissent tres-rigoureusement ceux qu'ils imitent davan-
tage : que pour lui , il tient pour le plus grand homme
de bien celui qui pardonne aux autres , comme s'il
3nanquait tous les jours et qui s'abstient de manqucr ,
comme s'il ne pardonnaita personne. Que nous devons
etre implacables envers nous memes et indulgens jus-
qu'a ceux qui ne le sont jamais qu'envers eux-memes :
Qui omnium lihidinum servi ,. sic aliorum vidis iras-
cuntur , quasi invideant , et gravissime puniunt quos
maximh imitantur. Atque ego optimum, et emenda-
tissifnum. existimo , qui ceteris ita ighoscit , tanquam
ipse quotidie peccet ; ita peccatis ahstinet , tanquam
nemini ignoscat. Proiiide hoc dom,i , hoc foris , hoc
in omni vitce genere teneamus y ut nobis implacabiles
simh's ; exorabiles istis etiam , qui dare veniam , nisi
sibit, nesciunt. Ep. 11 , lib. 8. Philippe II , roi d'Es-
pagne , ne voulait point qu'on parlat ma} de personne
en sa presence, disant, qu'il aj avait point d'homme
DE COUR. 169
sur ce que les autres cri ont aussi , qui est la
consolation des fous. Ces gcns-la oiit toujours
la bouche puante,.leur bouchc etant Tegout
dcs immondices civilcs. Plus on creuse enccs n/a-
lieres et plus on s'embourbe. U ny a guere de
gens qui n'aient un defaut origincl , soil a droite
ou a gauche.^Les fautes ne sont pas connues
en ccux qui sont peu connus (i). Que rhommc
prudent se garde bien d'etre le registre des me-
disances ; cV.st la s'eriger en modeie tres-desa- V
greablc , et etre sans ame , bien que Ton soit $[
i
en vie. . .- ..-v. - ,_ ,^ .
de bien qui ne put etre encore meilleur , ni de me'chant
qui ne put devenir encore pire : que les bons me'ritaient
d'etre re'compense's a cause de leur vertu , et les me'-
chans d'etre excuse's a cause de la fragilite bumaine.
Dans leDon Fillpe el prudente , cbap. pe'nultieine.
( I ) C'est par cette raison que les fautes des princes
sont connues de tout le monde. D'ordinaire , dit-il dans
son Ferdinand y elles naissent dans le lieu le plus secret
de leur palais , et incontinent elles se re'pandent dans
les places publiques. Habet hoc y dit le j^une Pline
.;dans son Pane'gjrique y magna fortuna , quod nihil
tectum , nihil occultum esse patitur, Principum, verb
cubicula ipsa , intimosque secessus recludit , omniaque
arcana noscenda famcG proponit.
MAXIME CXXVI.
Ce nest pas etre/ou que de falre unefoUe ,
mats hien de ne la savoirpas cacher{i).
Si Ton doit cacher ses passions , Ton doit en-
core plus Gacher ses defauls. Tons les hommcs
manquent, mais avec cette difference que les
gens d'esprit pallient les fautes faites , et que les
fous montrent celles qu ils vont faire. La re-
putation consisle dans la maniere de faire , plu-
tot que dansce qui se fait. Si tu n'es pas chaste,
I dit le proverbe , fais semblant de I'etre. Les
fautes des grands hommes sont d'autant plus
remarquables, que ce sont des eclipses de gran-
des lumiercs. Quclque grande que soit I'amitie,
ne lui fais jamais confidence de tes defauts; ca-
ches-les meme a loi-meme , si cela se pcut. Du
moins on pourra se servir de cette autre regie
de vivre , qui est de savoir oublier.
MAXIME CXXVII.
Le Jif NE SAIS QUO I.
C'est la vie des grandes qualites , le souflle
des paroles , Tame des actions , le lustre de toutes
( I ) II attribue ce mot au cardinal Madruce, (Chris-
toplie ) dans le chap. 2 du He'ros.
Les bcautes. Lcs autres perfections sonl I'orne-
mcnt de la nature, le je ne sais quoi est celui
des perfections. II sefait remarquer jusque dans
la maniere dc raisonner;il tient beaucoup plus
du privilege que de I'etude , car il est meme au-
dessus de toutp discipline. II ne s'en tient pas
a la facilite, ii passe jusqu'a la plus fine galan-
terie. 11 suppose un esprit libre et degage , et
a cc degagement il ajoute le dernier trait de la
perfection. Sans lui toute beaute est morte ,
toute grace est sans grace. 11 Temporte sur la
Valeur , sur la discretion , sur la prudence , sur
la majeste meme. C'est une route politique ,
par oil I'on expedie bientot les affaires , et enfin
Tart de se rclirer galamment detout embarras.
// est bon d^apporterici pourconiinentaire la traduc-
tion de tout le chap. i'5 du He'ros, ou il donne une idee
un peu plus distincte de ce que c'est que le despejo.
Le JE NE SAis QUOI ,dit-il ,est Fame de toutes
les qualites , la vie de toutes les perfections ,
la vigueur des actions , la bonne grace du Ian-
gage, et le charme de tout ce qu'ily a de bon
gout. II amuse agrcablement I'idee et I'lmagi-
nallon , mais il est inexplicable. C'est quelque
chose qui rehaussc Teclat de toutes les beautes ,
c'est une beaute formelle jles autres perfections
Hpnient la nature, mais le je ne sais quoi orne
17^ l'hommE"
les ornemens memes. De sortc que c'est la per-
fection de la perfection meme , acconipagnee
d'une bcaute transcendante , et d'une grace iini-
verseile. II consiste dans un certain air du
nionde, dans un agrement qui n'a point de nom,
mais qui se voit dans le parier , dans les facons
de faire, et dans le raisonnement. Son plus beau
lui vient de la nature, et le reste ille lient de la
reflexion; car il ne s'est jamais assujeti a aucmi
preeepte imperieux , mais toujours au meilleur
en chaque espece. On I'a appele charme , a
cause qu'il derobelescoeurs^air fin, parce qu'il
est imperceptible ; air vif , a cause de son acti-
vite; air du monde, pour sa politcsse ; cnjoue-
nient ct belle humeur, pour sa facilite et pour
sa complaisance, car Fenvie et I'impossibilite
de le definir lui ont fait donner tous ces noms.
C'est lui faire tort que de le confondre avec la
facilite , car elle ne le suit que de tres-loin ;
il va jusqu'a la plus fine galanterie. Bien qu'il
suppose un entier degagement , il met encore
la perfection pardessus. Les actions ont leur
sage-femme, et c^estace je ne sais quoi qu'elles
sont redevablesd'accouclier heureusement. Sans
lui elles naissent mortes, sans lui les meilleures
choses sont fades: joint qu'il n est pas tantFac-
cessoire qu'il ne spit aussi quelquefois le prin-
cipal. Il ne scit pas seulcment d'ornement,^
DE COUR. 175
mais aussi d'appui ct de direction dans Ics af-
faires ; car comme il est Tame de la beaute , il
est I'esprit de la prudence , comme il est lo
principe de la -bonne grace, il est la vie de la
valeur. Dans un capitaine , il va du pair avec la
bi^avoure , et dans un roi , avec la prudence.
Dans le choc d'une bataille , Ton n% ie reconnait
pas moins a cet air assure et intrepidc , qua Ta-
clresse de manier les amies, et a la vaillance. II
rend un general maitre de soi-meme, et puis de
toutle reste .11 est aussi impetueux a cheval qu'il
est majestueux sous le dais. C'estlui qui , dans
la chaire , donne la grace aux paroles; c'est avec
son filet d'or , qu'HENRi IV , le Thesee de la
France , sut sortir adroitcment du labyrinthe de
lant d' obstacles et de tant d'affaires (i).
(i) ^ cette description du Despejo , qui est tres-me'ta^
•physique , peut servir do glose , ce que dit le pere
Bouhours dan9 le cinquieme entretien d*Ariste9 et
d'Eugene,
II est bien plus aise de le sentir que de le connaftre ,
dit Ariste. Ce ne serait plus un je ne sais quoi , si Ton
savait ce que c'est ; sa nature est d'etre incomprehen-
sible et inexplicable ; Et une page apres : Ce n'est pre-
cise'inent ni la beaute , ni la bonne mine , ni la bonne
•grice , ni I'enjouement de I'humeur , ni le brillant de
I'esprit , puisque Ton voit tons les jours des personnes
qui ont toutes ces qualite's sans avoir ce qui plait; et
1 74 i-'n O M M E
MAXIME CXXVIII.
Le haul courage.
C'est une desprmclpales conditions requises
a un heros , d'autant qu'un tcl courage Taiguil-
que Ton en volt d'aulres , au contraire , qui plaisent
Leaucoup sans avoir rien d'agre'able que le je ne sais
quoi. Ainsi , ce qu*on en peut dire de plus certain ,
c'est que le plus grand nxe'rite ne peut rien sans lui , et
qu'il n'a besoin que de lui-meme pour faire un fort
grand effet. On a beau etre i)ien fait , spirituel , en-
joue, etc. , si le je ne sais quoi manque , toutes ces
belles qualite's sont comme mortes ; mais aussi , quel-
ques de'fauts qu'on ait au corps et en I'esprit , avec ce
»eul avantage on plait infailliblement. Le je ne sais
quoi racommode tout. II s'ensuit de la , dit Eugene ,
que c'est un agre'ment qui anime la beaute' et les autres
perfections naturelles ; qui corrige la laideur et les
autres defauts naturels; que c'est un charme et un
air qui se mele a toutes les actions et a toutes les
paroles j qui entre dans le marcher , dans le rire , dans
le ton de la voix , et j usque dans le moindre geste de
la Jieirsonne qui plait. Et quatre ou cinq pages apres,
il dit : que les Espagnols ont aussi leur No se que qu'ils
melent a tout , outre leur donajre , leur brio et leur
despejo , que Gracian appelle alma de toda prenda ,
realce de los mismos realces , perfeccion de la misma
perfeccion , et qui est, selon le meme auteur, au-
dessus de nos pense'es et de nos paroles. Lisongea la
inteligencia , j estranna la expliQacion. Ce que je
■^W .. 11.:.
BE COUR. 175
lonne a tout ce qu'il j a de grand , lui raffine le
gout , lui enfle le coeur , releve ses pcnsees et
scs nianieres , et le dispose a la majeste. Partout
ou il se trouve il se fait passage ; et lorsque Tini-
quite du sort s'opiniatre contre lui , il tcnte
tout pour en sortir a son honneur. Plus il est
rcsserre dans les bornes de la possibilite , et
plus il veut se mettre au large. La magnani-
niite , la generosite et toutes les qualites heroi-
ques le reconnaissent pour leur source.
La forte tete , dit Gracian, chap. 4 du Hews ,
est pour les philosophes j la bonne langue pour
les orateurs; lapoitrine pour les athletes j les bras
pour les soldats j les pieds pour les coureurs ;
les epaules pour les porte-faix j le grand coeur
pour les rois. Le coeur d' Alexandre fut un or-
chicoeur , puisque tout le monde y tenait aTaise
dans un coin , et qu il j avait assez de place
pour six autres mondes(i). Celui de Jules-Cesar
fut tres-grand , puisqu il ne trouvait point de
milieu entre tout et rien. Le coeur est I'eslO'-
rapporte ici , pour montrer que le Despejo est un je
Ue sais quoi , qui n'a point de nom 5 et que tous ceux
qu'on lui donne sont de beaux mots , que les savans
ont mvente's pour flatter leur ignorance. Ce sont les
termes du pere Bouhours.
( I ) C'est qu'on lui dit un jour qu'il j avait |)lusieurs
mondes.
176 l/ H O M M K
mac de la fortujie : il digere egalement ^es fa-
veurs et ses disgraces. Un grand estomac n'est
pointcharged'une'grande nourriture. Ungeant
reste affame de ce dont un nain est soul.
Ce prodige de valeur , Charles , dauphin de
France , et depuis roi, VII du nom, apprenant.
que son pere et le roi d'Anglcterre , son con- ^
current , I'avaient fait declarer an parlcment
incapable de succedcr a la couronne , repondit
fierement qu'il en appelait. Et comme on lui
demanda par admiration, a qui? A mon cou-
rage et a la pointe de mon epee , reparlit-il.
L'effet s'en suivit. Charles-Emmanuel, I'Achille
de Savoy e , defit quatre cents cuirassiers ,n'ajant
que quatre hommes a ses cotes ; et vojant que
chacun en etait surpris , il dit , que , dans les
plus grands dangers , il n j avail point de com-
pagnie qui valut celic d'un grand coeur. La su-
rabondance de coeur supplee a tout ce qui man-
que d'ailleurs. Le roi d' Arabic , montrant a ses
courtisans un coutelas de Damas , dont on lui
avait fait present , ils dirent tons , que le seul ^
defaut qu ilsy trouvaicnt , etait d'etre trop court, t
Mais le fils du roi dit qu'il n j avait point d'arme
trop cpurte pour un brave cavalier, d'autant
qu'il na qua avancer un pas pour la rendre
iassez longue (i).
( I ) Cest la re'ponse que fit une dame de Sparte a
DE COUR. 177
MAXIME CXXIX. j
Ne se plaindre jamais.
■ Les plalntes ruinent toujours le credit ^ clles
excltent plutot la passion a nous offender , 3110
Ja^ compassion a nous consoler ; elles ouvrent
^le passage a ccux qui les ecoutent , pour nous
S2l
Itel
^faire la meme chose que ceux dequi nou^^o
plaignons ; et la connaissance de Tinjure faite
par le premier sert d'cxcuse au second. Quel-
ques-uns , en se plai^nant des offenses passees ,
donnent lieu a celles de Tayenir ; et au lieu du
remede et de la consolation guils pretender^];: ^
ils donnent du plaisir aux autrcs , et s'attirent
jtieme leur mepris (i). Cestbien une mejlleurc
politique de publier les obligations que Ton^
^ux gens , afin d'exciter les autres a nous obliger
son fils , qui se plaignait d'avoir une epe'e trop courte.
Ajoutez a cela le beau mot de Cesar a un pilote qui
craignait d'etre assailli de la tempete ; Ne crains point ,
luidit-il, til partes Cesar et sa fortune.
(i ) Quand tu seras me'content, dit Juan Rufo a son
fils , cache-le si tu peux ; car quoiqu'on dise cojnmu-
ne'ment , que de conter son mal aux autres c'est un
mojen de se le rendre plus supportable, il J a plus
d'bonneur a n'en point parler , parce que c'est une
marque de courage et de force d'esprit. Dans sa lettre
eit vers,
12 . ^'
173 l'iiomme. '
kiussi. (1) Parlcr souyeht des graces recues Jes
fl^ersonncs abseiites^c''est rechercher cclles de
^ ceux c^ui sont prescns , c'est^ vendre le credit'
[clcsjHis aux aiitres. Ainsi^rhommc prudent nc
doit jamais publier ni les disgraces , ni les de-
fauts_, mais bicn les favcurs ct leshonficurs ; '
ce_c|[ui sert a conscrver Festime des amig,aJ!f ^^^
ontenir les ennemis dans leur devoir.
F^oj-ez la Maxime 145.
3.^
/^<y., . MAXIME CXXX.
'-'- Falre , et*fciire paraitre.
Ijes choses ne passent point pour ce qu'elles
sont , mais pour ce qu'elles paraissenl etre. Sa-
voir faire et le savoir montrer , c'est double^
savoir. Ce qui ne se voit point , est comme s'il
n'elait point. La raison meme perd sonaulorite
lorsqu'elle ne paraat pas telle. U j a bien plus
( I ) C'est en ce sens que le jeune Pline , recomman-
dant un chevalier romain a un de ses amis , dit qu'fl y
a du plaisir a obliger ce chevalier , qui s'en fait un de
publier et de reconnaitre les bienfaits ; en sorte que
ceux qu'il recoit lui en font toujours m^riter d'autres r
Beneficia mea tuerl nullo modo melius , quam ut ait'
geam , possum , pta^sertim cUm, ipse ilia tarn grate
interpretetur, ut, dum^priora accipitj posteriora merea--
tur, Ep. i5. lib. 2-
DE COUR. 179
de gens trompcs que d'habiles gens. La irom-
perie I'emporte hautemeni , d'autanl que Ics
choses ne sont regardees que par le dehors.
Blen des choses paraissent lout autres qu'elles
ne sont. Le bon exterieur est la meilieure rc-
conuiiandation de la perfection interieure.
M AXIME CXXXL
Le procede de galajit honime.
Les ames ont leur galanterie et leur gentil-
lesse , d'ou se forme le grand coeur. Cette per-
fection ne se rencontre pas en toutes sortes de
personnes , parce qu'elle suppose un fonds de
generosite. Son premier soin est de parler bien
de ses ennemis , et de les servir encore mieux.
Cest dans les occasions, de se venger , qu il pa-
rait avec plus d'eclat. II ne neglige pas ces oc-
casions , mais c'est pour en faire un bon usage,
en preferant la gloire de pardonner au plaisir
d'une vengeance victorieuse. Ce procede est
meme politique, attendu que la plus fine raison
d'etat n'afiecte jamais ces avantages , parcc
quelle n'affecte rien j et quand le bon droif les
^ remporle , la modesiie les dissimule (i).
(i) L'histoire romaine donne un grand exeniple de
cette gcne'rosile , en ce qu'elle rapporte de rempereur
'^.'
iSo l'homme
M AXIME CXXXII.
S'aviser ^ et se las^iser.
En appeler a la revision, c'est la voie la plus
sure , surtout quand I'avaritage est certain ,
soit pour octroyer, ou pour mieux delibererj
il est toujours bon de prendre du temps. 11
vientdenouvelles pensees qui confirment et for-
tifient la resolution. S'il est question de donner,
le don est plus estime a cause du discernement
de celui qui le fait , que pour Ic plaisir de ne
Tavoir pas attcndu (i). Ce qui a ete*^ desire , a
Adrien , qui ajant rencontre un Lomme qui Tavait fort
offense lorsqu'il n'e'tait encore que particulier , lui cria :
Tu nas plus rienp, craindre. Adrien , dit Gracian au
chap. 4. ^^ Heros , enseigna un rare et sureminent
mojen de triompher des ennemis , quand il dit au plus
grand des siens : Tu es e'chappe'. II n'y a point d'e'Iog®
qui vaille ce beau mot de Louis XII , roi de France ;
II ne sied pas au roi de France de vender les que-
relies du due d' Orleans. Ce sont la les miracles que
fait un coeur de heros. Ainsi , c'e'tait a juste titre que
ce roi portait pour devise un roi d'abeilles environne de
son essaim , avec ces paroles : Non utitur aculeo rex ,
cui paremus. L'un des sept Sages disait que le pardou
valait mieux que le repentir.
( I ) Le jeune Pline dit : que moins il entre de saillie
et de passion dans la libe'ralite , plus elle est louable :
Tantb laudahilior munificentia , quod ad illam non
imp etu quo dam J sed consilio trahimur, Ep. 8. lib. i.
DE COUR. l8l
toujours ete plus estime (i). Si c'est une chose
a refuser, le temps en faciJite la maniere, en
laissant niurir le non , jusqua ce que la saison
soit venue : joint que le plus souvent, des que
la premiere chaleur du desir est passee , Ton
rccoit indifferemmentlarigueurdu refus. Ceux
qui demandent a la hate doivent etre ecoutes
a loisir (2) ; c'est le vrai mojen d'eviter la sur-
prise.
Vojez la Maxime 70. r^
MAXIME CXXXIII.
i^Lre plutot fou cii^ec tous que sage tout scul.
Car si tous le sont , il ny a rien a perdrc ,
disent les politiques ; au lieu que si la sagessc
est toute seule , elle passera pour folic. 11
faut done suivre Tusage (3). Quelquefois le
( 1 ) Desiderata diu res , dit Tacite , in majus accipi-
tur. Hist. 5.
(2) Le meme Pline dit : Que le repentir est le com-
pagnon de la liberalite hative : Subitce largidonis co-
initem pccnitentiam. Ibidem. Et Tacite dit, qu'il ne se'
faut jamais hater de donner ce que Ton ne peut plus
oter apres I'avoir donne : Tarde concedetet , quod da^
turn lion adimSretur. Ann. i5.
(5) Frcesentia sequi , dit Tacite , Hist. 4. Et dans la
vi€ d'Agricola , son beau-pere , il 1« loue d'ayoir »u sf
1 82 l'h O M M E
plus grand savoir est de ne rien savoir , ou
duL nioins d'cn faire semblant. L'on a bcsoiu
de vivre avec les autres y et les igiiorans
font le grand nombre. Pour vivre seul, il faut
tenir beaucoup de la nature de Dieu , ou etre
tout a fail decelle des betes. Mais , pour modifier
i'apborisme , je dirais : Plutot sage avec les
autres , que jhu sans compagnon. Quelques-
uus affectent d'etre sin<]juliers en chimeres.
H^ MAXIME CXXXIV.
A^ou' le double des choses necessaires a
la vie, /
C'est vivre doublement. II ne faut pas se
restreindre a une seulc chose, bieii memequ^elle
- ,,» i^oit e^ccellente. Tout doit etre au double, et
^ ^stirlout ce qui est utile et delectable. La. lunc
Corner dans la sagesse : Retinuit , quod est difficillt-
rnum pex sapientiamodum ; et de s'etre abstenu de
faire de grandes choses sous le regne de Neron , sous
qui I'oisivete' tenait lieu d'un grand nie'rite ; Inter Quces-
turam ac Trihunatum. plehis , atque etiam ipsum Tri-
bunatiis annum , quiete et otio transiit , gnarus sub
Nerone temponim , quibus inertia pro sapientia fuit.
All dire du mt/ne Tacite , quelquefois la sagesse est hors
♦\' saison. Intempestivam sapientiam. Hist. 5.
DE COUR. l85
loute changeante qu elle est, Test encore moins
que la volontc humalne , tant cette volonte est
fragile. C'est pourquoi il faut mcttre une Lar-
riere a son inconstance. Tenez done pour regie
principaie de Tart de vivre , d' avoir au double
tout ce qui sert a la commodite. Comme la na-
ture nous a donne le double des mcmbres les
plus necessaires , et les plus exposes au dan-
ger , I'art doit pareillement doubler les choses ,
dont depend le bonheur de la vie.
MAXIME CXXXV.
N'etre point esprit de contradiction.
Car c'est se rendre ridicule , et meme insup-
portable. La sagesse ne nianquera jamais de
conjurer contre cet esprit. C'est etre inge-
nieux que de trouver des difficultes a lout ^
mais c'est donner dans la folic que d'etre
opiniatre (i).Ces gens-la tournent la plus douce
(i) Dans les Apoplitegmes AeJuanRufo , je trouve ua
|)recepte qui merite d'etre mis ici pour commentaire :
Laisse tnujours la dispute , dit-il , avant qu'elle com-
mence de s'e'chau£fer , car la victoire est du cote' de celui
qui fuit de contester. C'est a celui meme qui a raison
de ce'der a I'aulre , en disant comme la vraie mere de
cet enfant demande' par une autre femme a Salomon j
X84 L*HOMME
conversation en petite guerre, et sent par con-
quent plus cnnemis de leurs amis , que de
ccux qui ne les frequentcnt point. Plus une
bouchee de poisson est savoureuse , el plus
on sent Tarete qui enlre dans les dents. La
contradiction fait le meme effet dans les doux
entreliens. Ce sont dcs fous et des fanlasques
qui ne sont pas seulement betes , mais encore
betcs-sauvagcs>
MAXIME CXXX VI.
Prendre hien les affaires ^ et leur later incon-
tinent le pouls,
Plusieurs font un circuit ennujeux de pa-
roles , sans jamais venir au noeud de Faffaire ,
iis font mllle lours et detours qui les lassent ,
ct lassent les autrcs , sans arriver jamais au
centre de I'importance. Et cela vient de la con-
J*aime mieux le donner tout eniier qne de lui laisser
6ter la vie. Apophtegme /^i , et dans la lettre en vers y
Cjiie le meme Rufo adresse a son Jils. Socrate disait
d'un liomme d6 son temps qui se plaisait a contredire :
Qn'il n'e'tait bon que pour la solitude , puisqu'il ne
^ouvait pas s'accorder avec les autres. II y a bien des
gens qui cassent I* tete aux autrqs avec une machoire
4'Ane.
DE COUR. l85
fusion de leur entendement , qui ne saurait
se debrouiller. lis perdent leur temps et leur
patience a ce qu'il fallait laisser, et puis il ne
leur en resie plus a donner a ce qu ils ont
laisse.
MAxfME CXXXVII.
II ne Jaut col Sage que lui-meme.
Un Sage de Grece se tenait lui-meme lieu
de loutes choses , et tout ce qu'il avait etait
loujours avec lui. S'il est vrai qu un ami uni-
versel sufTit , pour rendre aussi content que
si Ton possedait Rome , et tout le reste de Tuni-
vers j deviens ami de toi-meme , et tu pourras
vivre tout seul. Que te pourra-t-il manquer , si
tu n as point de plus bel entretien , ni de plus
grand plaisir qu'avec toi-meme? Tune de-
pendras que de toi seul ; et par la tu ressem-
bleras au Souverain Etre. Celui qui pent bien
vivre tout seul ne tient rien de la bete , mais
beaucoup du Sage , et tout de Dieu.
m':j^.
i86 l'homme
MAXIME CXXXVIII.
Li* art de laisser alter les choses > comme elles
peuvent surtout quand la trier est ora-
geiise.
Il J a dcs tempetes et des ouragans dan;?
la vie humaine ; c'est prudenc^ de se retirer au
port , pour les laisser passer. Tres-souvcnt les
remedcs font enipirer les niaux (i). Quand la
nier des humeurs est agitee; laissez faire a la
nature ; si c'est la mer des moeurs , laissez faire
a la morale (2). II faut autant d'habilete an
medecin , pour ne pas ordonner que pour or-
donner; et quelquefois la finesse de I'art con-
siste davantageane point appliquer de remede,
Ce sera done le mojen de calmer les bouras-
ques populaires que de se tenir en repos , ce-
der alors au temps fera vaincre cnsuite (5).
(i) Felix intempestivis remediisdelicta accendebat ,
ditTacite Ann 12. Felix aigrissait le mal en voulant y
reme'dier hors de saison.
(2) Quemadmodum eniin temporum vices , ita mO'
rum vertuntur. Ann. 5. Car il y a une vicissitude dans
les moeurs aussi bien que dans les saisons.
(5) Tacite en donne I'exemple d'un Spurinna , qui,
se vojant contraint de ce'der a Tinsolence de ses soldats ,
fit semblant de vouloir bien etre le compagnon de leur
DE COUR. 187
Vae fonlainc devient trouble pour peu qu'on
]a remue , et son eau ne redevient claire qu'en
ccssant d'j toucher. 11 ii'y a point de mcilleur
remede a de certains desordres que de les lais-
ser passer , car a la (In ils s'arretent cux-
inemes.
MAXIME CXXXIX.
Connaitre les jours malheureuoc.
Cak il J en a , oii rien nc reussira. Tu auras
beau changer de jeu, tu ne changeras point de
sgrt. C'est au second coup qu'il faudra pren-
dre garde , si Ton a le Mrt favorable , ou con-
traire. L'entendement meme a ses jours \ car
il ne s'est encore vu personne qui fut habile
a toutes heures. II y va de bonheur a raison-
ner juste , comme a bien ecrire une lettre.
Toutes les perfections ont leur saison , et la
beaute n'est pas toujours de quartier. La dis-
cretion se dement quelquefois , tantot en ce-
dant , tantot en excedant. Enfin , pour bien
te'merite, pour avoir ensuite plus de credit sur eulc ,
lorsqu'ils viendraient a reconnaitre leur faute : Fit te^
meritatis aliened comes Spurinna , primb coactus , mox
velle simulans , ^wa plus auctoritaiis inesset consiliis ,
$i seditio mitesceret» Hist. 2.
l88 l' HOMME
reussir, il faut ^tre de Jour (i). Comme tout
reussit mal aux uns , tout reus sit bien aux
autres (2), et meme avec moins de peine et
(i) Les raisons de faire ou de ne pas faire , dit li
jeune Pline, changent selon la diversite' des personnes,
des affaires et des temps : Faciendi aliquid , vel non
Jaciendi, vera ratio , cum hominum ipsorum , tiim
rerum etiam ac temporum conditione mutatur, Ep.
27, 1. 6.
(2) C'est pour cela que jilusieurs ont cru qii'il y avait
une fatalite inevitable , et que cette fatalite' e'tait pre'ci-
se'ment une connexite' des causes naturelles arec leurs
efFets , laquelle , a la ve'rite' , nous laisse la libertd de
choisir un genre de vie: mais aussi nous assujetit a
une suite inevitable d'accl|fens attache's a cet e'tat. Non
e vagis stellis , verinn apud principia et nexus natu-
ralium caussarum ; ac tamen electionem vitce nobis
relinquunt j quam ubi elegeris , certum imminentium
ordinem. Tacite Ann. 6. Mais pour en parler en catho-
lique, dit Gracian, cliap. 10 dux Hero s y la Fortune si
ce'lebre et pourtant si peu connue parmi les hommes ,
n^est autre chose que cette grande mere d'accidens et cette
grande fille de la souveraine Providence , qui concourt
avec toutes les causes secondes , soit en les mouvant ,
soit en permettant qu'elles agis-ent. C'est cette reine si
absolue , si impe'ne'trable , si inexorable , qui rit aux
uns et tourne le dos aux autres ^ tantot mere , tantot^
maratre , non pas par un effet de la passion ; mais par
un secret incomprehensible des jugemens de Dieu. Et
une page apres : C'est un grand point que d'etre heu-
reux y et au sentiment de plusieurs , cet avantage tient
DE COUR. 189
, _ de soln ; et il y a tel qui trouve d'abord tontc
•** son affaire faite. L^esprit a scs jours , le genie
r son €aractere , et touies choses leur eloile*
♦ Quand on estdc jour , il nen faut pas perdre
, +• un moment. Mais I'homme prudent ne doit
^ i^prononcer deflnitivement qu'un jour est heu-
reux , a cause d'un bon succes ; ni qu'il est mal-
^ heureux, a cause d'un mauvais ^ I'un n'etant
peut-etre qu'un effet du hasard, et Tautre du
contre-temps (i).
le premier rang. Quelques-uns estiment plus une once
de bonheur que des quintaux de me'rite et de sagesse.
k D'autres , au contraire , fondent la reputation sur les
disgraces , disant , que les gens de me'rite les ont en
partage , et que le bonheur est celui des fous. De bons
f$i* csprits , dit-il dans le chap, suivant , disent , qu il man-
i que autant de Constance a la Fortune qu'elle a de trop
^ de I'humeur de la femme. Et le marquis de Marignaai
E ajoutait , que non seulement elle etait inconstante
comme la femme , mais encore folle et badine comrn^
la jeunesse. Et moi, je dis , que les changemens qu'on
lui attribue , ne sont point des caprices de femme , mais
une alternative d'e'venemens , que la divine Providence
permet.
( I ) D'ou vient , dit Machiavel , qu'un prince qui
prospere aujourd'hui a demain un revers , quoiqu'il n'ait
point change de conduite ? C'est , a mon avis , parce
^ que le prince qui ne s'appuie que sur la Fortune , tombe
V aussi-tot qu*elle change , au lieu que celui qui se regie
«ur le temps est toujours Ueureux , chap, 2$ du Prince.
^A.4
igO L HOMME
MAXIME CXL.
Donner cVabord dans le bon de chaquG
chosis.
C'est la nieilleure marque dn bon gout. *
L'abeille \a incontinent a Ja douceur ^ pour
avoir de quoi faire du miel; et la yipere a Ta"
mcrtumc pour amasser du venin. II en est^.
ainsi des gouts, les uns s'attachcnt au meilieur,
et les autres au pire. A tout il y a quelquc
chose de bon , surtout dans un livrc (i), qui .^
d'ordinaire se fait avec etude. Quelques-uns ont
I'esprit si mal-tourne , qu'entre mille perfec-
tions ils s'arreteront au seul defaut qu il j aura ,
ct ne parlcront d'autre chose j comme s'ils n'e-
taient que pour servir de receptacle aux im-
niondices- de la volonte ct de Tesprit d'autrui ,
et pour tenir registre de tous les defauts qu'ils
voient : ce qui est plutot la punition de leur
Ce qui fait, dit-il ailleurs , que la fortune abandonne un
homme , c'est que le temjDS change , et que lui'ne change
pas de conduite ^ au lieu que s'il en changeait selon
les temps el les affaires , la fortune ne changerait pas.
(i) Le JQune Pline dit , que son oncle avail coutume
de dire , quil n'y avail point de si mauvais livre ou il
nj eut quelque chose d'instructif : Dicere solebat , Jiul-
liini esse librum tarn malum , ut non aliqu6. parte
prodesset. Ep. 5. lib. 5.
DE COUR* 191
niaiivais discerncmenl , que Tcxe^ice de leur
subtilite. lis passent mal la vie , parce qu'ils
lie se nourrisscnt que de mechantes choses.
Plus heurcux sont ceuxqui, enlre mille defauts,
decouvrent d'abord una perfection , qui. s j
irouvc par hasard.
MAXIME CXLI.
Ne se point ecouter.
Il sert de pcu d'etre content de soi-m^mfe,
si Ton ne contente pas les autres. D'ordinaire
Festime de soi-meme est punie par un me-
pris universel. Cclui qui se paie de lui-meme,
reste dcbiteur de tous Ics autres (*). II sied
mal de vouloir parler pour s'ecoiiter. Si c'est
une folic de se parler a soi-meme ^ e'en est
une double de s'ecouter devant Ics autres. C'est
un defaut des grands de parler d'un ton im~
perieux , et c'est ce qui assomme'ceux qui les
ecoutent. A chaquc mot qu'ils disent , leurs
oreilles mandient ui\ applaudissement , ou une
flatteric jusqu'a I'importunite. Les presomp^
;^ tueux aussi parlent par echo ; et commc la con-
rersation roule sur des patins d'orgueii , cha-
(*) Voyez la Maxime 107*
xg2 l'homme
que parole QSl escortee de cette imperlinente
exclamation : Que cela est bien dit; Ah ! le
beau mot (i).
MAXIME CXLII.
Ne prendre jamais le mauvais parti en depit
de son adi^ersaire ^ qui a pris le meilleur,
Celui qui le fait est a demi-vaincu , et a
la fin il sera contraint de ceder tout-a-fait,
Ton ne se vengera jamais bien par celte voie»
Si ton adversaire a eu Fadresse de prendre le
meilleur , garde-toi bien de faire la folie de le
contrepointer en prenant le pire. L'obstina-
des actions engage d'autant plus que cclle des
paroles , qu il y a bien plus de risque a faire
qu'a dire. G'est la coutume des opiniatres , de
ne regarder , ni a la verite pour contredire ;
ni k Tutilite , pour disputer (2). Le Sage est
(i) Temis denariis ad laudandum trahuntur. Tanti
constat , ut sis dissertissimus. Pline , Ep. 14. Hh. 2.
Cest-a-dire : On les loue a trois deniers remains par tete
pour se faire louer. A ce prix , on passe pour homme
d'esprit. — Cest encore pis aujourd'hui.
(2) Strada rapporte, que lorsque le cardinal de Gran-
velle e'tait d'un avis , le prince d'Orange et le comte
dIEgmont ne manquaient jamais d'etre de I'avis con-
traire.
BE COUR. J95
loujours da cote dc la raison, et ne donne ja-
mais dans Ja passion. Ou il previent , ou il re-
vient; de sortc que si son rival est fou , sa
folie le fait changer de route , et passer a Pautre
extremite; par oil la condition de I'adversaire
empire. G est done I'unique mojen de lui faire
abandonncr le bon parti que de s j ranger ,
' d'^lant que eel a lui servira de motif pour
embrasser le mauvais.
MAXIME CXLIIL
Se garder de donner dans levaradooce , en
voulant s' eloigner da vulgaire.
Les deux extremites decreditent egalement.
Tout projet, qui dementia gravite, est una
espece de folie. Le paradoxe est unc certaine
IronipGr'iQplaiislble, qui surprend d'abord par sa
nouveaule et par sa pointe; mais qui ensuitc
perdsa vogue (i), des quon vient a connaitrc
sa faussete dans la pratique. C'est une espece de
charlatanerie , qui , en fait de politique , est
la ruine des Etats. Ceux qui ne sauraient par^
(i) Que le genie , dit-^l dans le chap, premier de son
Discret , soit singulier , mais nou irre'gulier^ assaisonne',
mais non paradoxe.
i5
ig4 l' HOMME
vcnir a Fheroisme, ou qui n'ont pas le con-
rage dy alicr par le chemin de la vertu, se
jcttent datis le paradoxes ce qui les fait ad-
mirer des sots , mais sert a faire connailre la
prudence des autres. Le paradoxe est une
preuve d'lin esprit pcu tempere , et, par coii-
sequi^iit , tres-oppose a la prudence. Et si quel-
queCoisil ne se fonde pas sur le faux, du molos
est-il fonde sur I'incertain , au grand desavan-
lage des aifaires.
MAXIME CXLIV.
Entrer sous le a)oile de rinteret d'autrui^ pour
rencontrer a pies le sien.
C'est un stratagcme tres-propre a faIre ob-
tcnir ce que "^iyix pretend; les directeurs meme
enseignent celte sainle ruse pour ce qui con-
cerne le salut. C'est une dissimulation tres-
importante , atteudu que I'utilite qu'on se fi-
gure sert d'amorce pourallirer la volonle. 11
scmble a autrui que son inlcret \a le pre-,
mier , et ce nest que pour ouvrir le chemin
a ta pretention. 11 ne fttut jamais entrer a
I'etourdi , mais surtout oil iLy a du danger au
foad. Etlorsqu'on a affaire a ces gens , dont le
DE C OUR. loS
premier mot est tou jours non , il ne leur faut
pas montrer oil Ton vise , de peur qu'ils ne
voicnt Ics raisoiis de ne pas accorder j et priii-
c'ipaiement , quand on presseiit qu'ils y out de
la repugnance. Get avis est pour ceux qui
savent faire de leur esfrit tout ce qu'ils veu-
ient , qui est la quintessence de la subtilite.
^
MAXIME CXLV.
v^Ne point montrer le doi^t malade^\
Car chacun j viendra frapper. Garde -loi
aussi de t'en plaindre , d'autant que la ma-
lice atlaquc loujours par I'endroit le plus fai-
hlc j le ressentiment ne sert qu'a la divertir.
Eile ne cherche qu'a jetcr hors des gonds;
clle coule des mots piquans, et met tout en
fjeuvre^ jusqu'a ce qu'elie*ait trouve le vif.
jThojjiaif /^^l'^^^'^ Tie doit done jaii^ais decouvrirH
son mal.soir personnel, ou hereditaire. attendu
5|ue, la fortune meme se plait quelquefQis__k|
Llesscr a reodrg^t oil clle sait que la doTil^ur
^sera plus aigue. Elle mortiiie loujours au vif;
et , par consequent , il ne faut laisser con-
naitre, ni ce qui morlifie, ni ce qui vivifie ;
pour faire fmir I'un , et faire durer I'autre.
Voyez la Maxime 129.
■196 l'uommk
MAXIME CXLVL
Rcgarder au dedans.
D'oRDiNAiRE , il se trouvc que les clioses
sont bieii autres qn dies nc paraissent t, et
I'igiiorance , qui n'avait regardc qu'a I'ccorce ,
se detrompc , des qu'elje va au-dcdaus (i). Le
mensonge est toujours Ic premier en tout ,
il enlraine les sots par uii Ton dit vulgaire,
qui JiLa de Louche en bouche. Ltg..x4'^ite arrive
toujours la derniere , et fort tard, parce cp'ellc
a pour guide un boiteux , qui est le Temps. Les
Sages lui gardent toujours I'autre moitie do
cette faculte , que la nature a tout expres don-
nee double (2). La tromperie est toute super-
ficielle 5 et ceux qui le sont eux-m ernes , y don-
(i) II y a bien des gens , dit-il dans le premier chap,
de son-Discret f de qui le critique Renard pourrait dire
en s'ecriant : O la belle tete I inais il ny a rien <:/^-
dans. Je trouve en toi le vuide que tant de philo-
sophes ont dit etre impossible. Fine anatomic de re-
rgarder les choses par dedans ! D'ordinaire , une appa-
rente beaute' imjDOse en dorant uue laideur effective.
( 1 ) Comme Alexandre de Mace'doine , qui jDcndant
qu'on plaidait une cause devant lui , se tint toujours
appuye' sur une oreille , disant qu'il la gardait pour la
partie adverse.
BE COUR. 197
nent incontinent. Lc discernement estrelire au
dedans , pour sc fairc estimer davantage par
les Sages.
MAXIME CXLVIl.
N'etre point inaccessible.
QuELQUE parfait cpe Ton soit, on a qnel-
quefois besoin de conseil. Ceiui-la est foa in-
curable qui n'ecoute point. L'homme le plus
intelligent doit, faire place aux bons avis (i).
La souvcralnete meme ne doit pas exclure la
dociiitc (2). 11 y a des hommes incurables , a
(i) Le jeune Pline dit que c'est la marque d'une
grande prudence de croire les autres plus prudens que
soi 'j et d'un esprit solide de vouloir apprendre : Ciijus
Jicec prcecipua prudentia , quod alios prudentiores ar-
hitrahatur ; hcec prcecipua eruditio ^ quod discere vo~
lebat. Ep. 25. lib. 8.
(2) Car les grandes affaires , dit Patercule , ont Lesoin
d'un grand secours: Etenim. magna negotia magnis
adjutoiibus egent. Hist. 2j le prince ne pouvant pas
tout savoir : Neque posse principem sua sententict
cuncta coniplecti. Tacite Ann. 5. Joint que les meil-
leurs instrumens d'un bon gouvernement , au dire du
. naeme Tacite, sont les bons conseillers : Nulhan niajus
honi imperii instrumeniuni , quam bonos amicos.
Hist. 4. Divers historiens ont blame Louis XI de ce
»■
iC)S l'homme
cause qu'ils soiit inaccessibles. lis se precipi-
tent , parcc que pcrsonne n'ose approcher
d'eux , pour les empecher. II faut done lalsset*
uiie port e ouvertc a ramltie ; et ce sera cellc ,
par oil viendra le sccours. Un ami doit avoir
pleinc liberie de parlcr , et meme dc repri-
mander ; Fopinion concue de sa fidelite et
de sa prudence , lui doit donncr cette auto-
rile. Mais aussi il ne faut pas que cette fami-
liarite soit commune a tous. 11 suffit d' avoir
un confident secret dont on estime la correc-
tion , et d% qui Ton se serve, comme d'un
miroir fidele , pour se detromper.
qu'il gouvernait sans conseil , et de ce qu'il avait trop
bonne opinion de sa propre suffisance. Et ce de'faut lui
fut meme reproche' de son vivant par le grand se'neclial
de Normandie, qui lui dit un jour : II faut que votYe
petite haquene'e soit bien forte , puisquelle peut bien
vous porter , vous et tout votre conseil. ( Mathieu
dans sa Yie) Ajouteza cela ce distiquc jj'un ancien poete:
Laudatissinius est , qui per se cuncta videbit ;
Sed laudandus et is , qui paret recta monenti.
C'est-a-dire : Celui-la est tres-digne de louange , qui
connait tout par soi-meme; mais cclui qui dc'fere aux
bons avis qu on lui donne, me'rite aussi d'etre loue'. Car
il y a quelquefois aiitant d'habilete a savoir profiter du
bon conseil d'autrui qu'a se bien conseiller soi-meme.
MAXIME CXLVIII.
As^oir I'art de converser.
C'est par Oil I'liomme montre cequ il vaut (i).
Dans toutes les actions de I'liomme rien ne
demande plus de circonspection , attendu que
c estlc plus ordinaire exercice dela vie. Ily va de
gagner , ou de pcrdre beaucoup de reputation.
S'il faut du jugement pour ecrire une lettre,
qui est une conversation par ecrit el i#editee ;
11 en faut bien davantage dans la conversation
ordinaire , oil il se fait un examen subit du me-
rite des gens (2). Les maitres de Tart latent le
pouls de Fesprit par la langue , conforme-
(i) Le parler , dit-il dans la premiere critique de son
Cridcon y est Tunique sentier par ou Ton arrive a sa-
voir. Quand les sages parlent ils en engendrent d'au-
tres La conversation est la fille du raisonnement,
la mere du savoir , la respirati9n de Tame , le com-
merce des coeurs , le lien de I'amitie' , lanourriture du
contentement et Toccupation des gens d'esprit.
(2) Plusieurs gens, dit Juan Rufo, faute de penser
a ce qu'ils disent, se trouvent arrete's tout court pour un
mot dit a la volee , que quelqu'un de la compagnie
prend comrae dit a dessein pour soi. C'est pourquoi ,
ajoute-t-il, quand vous etes en conversation, imaginez-
vous , que vous jouez aux e'checs j et , par conse'quent ,
conside'rez bien comment le jeu est dispose' ayant que
de remuer aucune piece. Apophtegme 52.
500 l'homme
ment au dire du Sage (i) : Parle ^ si tu veuoc
que je te connaisse. Quclques-uns ticnnent
que le veritable art deconverser est de le faire
sans art; et que la conversation doit elre aisee
conime le vetement , si c'est entre bons amis.
Car lorsque e'en est une dc cerenionie et de
respect, il j doit entrer plus de retenue pour
montrer que Ton a beaucoup de savoir vivre.
Le niojen d'y bien reussir est de s'accommo-
der au q||i'actere d'esprit de ceux qui sont comme
les arbitres de I'entretien. Garde-toi de t'eri-
gcr en censcur des paroles, ce qui te ferait
passer pour un graniniairicn ; ni en controleur
des raisons, car chacun te fuirait. Parler a pro-
pos est plus necessaire que parler eloquem-
ment.
MA XI ME CXLIX.
#
Savoir iHetourner les mauoc sur autrui.
C'est une chose de grand usage parmi ceux
qui gouverncnt que d' avoir des boucliers contre
la haine , c'est-a-dire , des gens stir qui la cen-
(i) C'est Socrate , de qui est aussi ce mot : Je ne
sais si ce prince est heureux , puisque je nai jamais
parle' a lui.
DE COUR. 201
sure ct les plaintes communes aillent fondie :
et ccla ne vient point d'incapacite , comme la
malice se Ic fii^ure : mais d'une industrie su-
pericure a I'intelligence du pcuple.^Tout nc
peut pas reussir, ni lout le mondc etre con-
tent. 11 y doit avoir une tete forte qui serve de
but a tous les coups , et qui porte les reproches
de toutes \qs fautcs , et de tous les maihcurs ,
aux depens de sa propre ambition (i).
MAXIME CL.
Sa^'oir faire valoir ce que Von fait.
Ge n'est pas assez que les choses soient
bonnes en elles - memcs , parce que tout le
(i) Au sentiment de quelques politiques^ ilestde la su-
rete' des princes d'avoir des favoris , attendu que ce sont
comme des digues qu'ils opposent en temps et lieu au
torrent de la fureur du peuple. Ce sont des victimes de
la hainepublique , piaculares publicce solUcitudinis vie-
timce y dit le jeune Pline dans son pane'g. Principibus
^ratum est (dit Strada. Dec. i. lib. 2) domi aliquem
esse y in quern odia dominis deblta exonerentur, C'est-
a-dire : Les princes se plaisent d'ordinaire a avoir aupres
d'eux quelqu'un sur qui puisse tomber la hajne qu'ils
meritent. C'estpar cet endroit quePliilippe II, roi d'Es-
pagne, trouvait le due d'Alve fort a son gout, comme
un liomme qui se souciait aussi peu de faire des ennemis
que cliercbent les autr^s a faire des amis.
^.02 TL HOMME
monde ne voit paS au fond , ni ne sait pas
goiiter. La plupart des hommes vont a cause
qu lis voient aller les autres , et ne s'arretcnt
qu aux lieux oil il y a grand concours. C'est
liii grand point que de sa^oir i^irc estimer
sa drogue , soil en la louant ; (car la louange
est reguillon du dcsir),soit en lui donnant
Tin beau nom , qui est un beau mojen d'exal-
icr : mais il faut que tout cela se fassc sans
affectalion. N'ecrire que pour les habiles gens ,
c'est un hamccon general, parce que cbacun
le croit etre , et pour ceux qui ne le sont pas ,
la privation servira d'eperon au desir. II ne
faut jamais trailer ses projets de communs ,
ni de faciles , car c'est les faire passer pour
triviaux. Tout le monde se plait au singulier,
comme etant plus desirable , et au gout , et a
r esprit.
MAXIME CLI.
Penser aujourd'hui pour dernain y et pour
long-temps.
La plus grande prevoyance est d'avoir des
heures pour elle. 11 n'j a point de cas for-
tuits pour ceux qui prevoient (i); ni cle pas
(i) Un des sept Sages disait que rbomme n'e'tait par-
fait qu'autant qu'il pouvait pre'yoir I'avenir.
DE COUR. 203
dangereux pour ccux qui sy attendcnt. II ne
faiit pas attendrc qu'on se noye pour periser
au danger , il faut aJler au-devant , et prevenir
par une mure considcralion tout ce qui pcut
arriver de pis.L'oreiller est une slbjllc inuctte.
Dormir sur une chose a faire, vaut mieux que
d'etre eveille (i) par une chose faite. Quelqucs-
uns font, et puis pensent^ ce qui est plulot
chercher dcs excuses que des expediens. D'au-
ires ne penscnt , ni devant , ni apres. Toute
]a vie doit etre a penser pour ne sc point ega-
rer. La reflexion et Ja prevoyance donnent la
commodite d'anticiper sur la vie.
MAXIME CLII.
Ne s'associer Jamais a^ec personne y aupres
i*. * de qui Von ait moins de lustre.
Ce qui excede en perfection cxcede en es-
lime (2). Le plus accompli aura toujours le
(i) Les Grecs appellent la nuitsy'tppovj? , c'est-a-dire ,
prudence ; parce que rhomme , dit Servius , a plus de
pre'sence et de pene'tration d*esprlt la nuit que le jour.
(2) C'est pourquoi les princes souverains ne se doivent
jamais entrevoir • car, il ne pent etre, dit Commines, que
les gens et le train de Vun ne soient mieux accoutres
que ceux de V autre : d'oic s'engendrent maqueries ,
I
204 l'hOMME
premfe role (i)'. Si son compagnon a quelqiie
part a la louange, ce ne sera que son resle. La
lune luit , tandis quelle est loute seulc parmiles
etoiles ^ mais des que le soieil commence a se
montrer, ou elle n'eclaire plus , ou elle dis-
parait. Ne t'approche jamais de qui te. peut
eclipser, mais bien dc qui te peul servir de lustre.
C'est ainsi que celte adroite Fahulla de Mar-
qui sont choses qui deplaisent ineiyeilleusement a ceiix
qui sont moques. Des deux princes il advient souvent
que Vun a le personnage plus honnete et plus agre'able
aux gens , que Vauti^e; dont il a gloire et prend plaisir
quon le loue ; et ne se fait point cela sans hldmer
Vautre. Ljv. 2. chap. 8. Tacite dit que Tibere evitait
toutes les choses ou le peuple pouvait avoir lieu de faire
des comparaisons entre lui etAuguste, dont-il vovait
que la me'moire e'tait tres-agre'able. Metu comparatiqnis .
Ann. I.
(i) Le meme dit que les otages Arsacides aimerent
mieux se donner a Corbulon qu.'A Numidius , . son col-
legue, a cause que Corbulon avait plus de re'putation
€t aussi plus d'apparence. A raison de quoi Numidius ,
gouverneur de Sjrie, Tempecha adroitement d'entrer
dans cette province, de peur que sa bonne mine, sa
belle taille et sa maniere de parler sublime et majes-
tueuse, ne lui attirassent les jeux et I'admiration de
tout le monde. Ne si ad accipiendas copias Sjriam.
intravisset Corhulo , omnium ora in se verteret, cor-'
pore ingens , verbis magnificus ^ et specie inanium ra—
lidus. Ann. i5.
tial trouva mojeii de paraitrc belle, par la
lalaideur , ou la vieillessc de ses compagnes (i).
II lie faut jamais risquer d' avoir a son cote
Vies gens de plus de merite que soi, ni faire
lionneurauxautres aux depens de sa reputation.
11 estbon de banter lespersonnes eminenlespour
se faire : mais quand on est fait, il faut s'accos-
tcr de gens mediocres. Pour te faire , choisis
les plus parfaits, et quand tu scras fait, frequent©
les mediocres.
MAXIME CLIII.
Fidr d'etre oblige de rempllr un grand vide.
Si Ton s'j engage, il faut etre bien assure
d'exceder ; car il est besoin de valoir le double
de son predecesseur pour I'egaler. Comme il y a
de la finesse a faire en sorte que celui qui succedc,
(i) Omnes aut vetulas' habes arnicas ,
Aut turpes , vetuUsque foediores.
Has ducis comites , trahisque tecum
Per convlvia , porticus , theatra,
Sicformosa, Fahulla, sic puella es.
Ep. 79. lib. 8. '
Celte methode est de grand usage parmi les dajnes
qui se piquent de beaute.
2o6 l'iiOx^ime
soil tel qu'on soil rcgrette (i); 11 y va pareil-
iement d'adresse a se garder d'etre eclipse
par celui qni acheve. U est bien difficile de
remplir un grand vide (2), attendu que d'or- |
(i) On reprochait a la me'moire d'Auguste d'avofr
clioisi Tibere pour son successeur, parce qu'il avait ^
reconnu sa siiperbe et sa cruaute; et par consequent ,
de ne s'etre propose d'autre oJDJet, ,que la gloire d'etre
regrette', quand on verrait la difference de son regne e% ^
de celui de Tibere ; Ne Tiherium quidein caritate , aut
Rip. curd successorem adscitum , sed quoniam adro^ ^
gantiam soevitiamque ejus introspexerit , compara-
tione deterrima sibl gloriarn qucesivisse. Tacit. Ann, i .
(2) C'est souvent un malheur de succe'der a un liomme
qui s'est acquis beaucoup de reputation , parce qu'au
dire de Tacite, sa gloire efface celle du successeur. C'est
pourquoi il loue Julius Frontinus comme d'une chose
digne d'admiration , de ce qu'ajant succe'de' a Ce'rialis
qui s'e'tait signale' par tant de belles actions en Angle-
terre, il ne laissa pas dj paraitre aussi grand liomme
que son pre'decesSeur : Ciim Cerlalis quideni alterius
successoris famam ohruisset , sustinuit quoque molem
Julius Frontinus , 7)ir magnus , quantiiin licebat* Dans
la vie d'Agricola. Onerasti futuros principes y (dit le
jeune Pline a Trajan) sed et posteros nostros. Nam et •
Id a principihus suis exigent , ut eadem. audire me-
reantur : et illi ^ quod non audiant , indignabuntur.
C'est-a-dire :. Tu laisse aux princes a venir etmeme a nos
descendans, un suj^et eternel de n'etre jamais contens^
car ceux-ci exigeront que leurs princes se reiident dignos
d'entendi'e les niemes acclamations ; et ces princes au-
DE COUR 207
dlnaire le premier parait niciileur , et par con-
sequent, Fegalile ne suffit pas, parce que Ic
premier est en possession (i). 11 est done ne-
ront le de'pit de ne les entendre jamais, fparce quits
nen poiirront jamais devenir dignes.J
(1) C'est en ce sens que le meme Pline dit encore ces
paroles a Trajan : Le nom de treS''hon t'est aiissi propre
que Ion nom de famille : et de t'appeler T'rajan ce n'est
pas le de'signer plus clairement que de dire le tres-bon :
- Et quelques lignes ajyrhs. Tu as acquis un nom qui ne
saurait jamais passer a un autre qu'il ne paraisse e'tranger
dans un bon prince et faux dans un mauvais. Tons les
autres auront beau se I'approprier, on le reconnaitra
toujours pour un nom qui n'appartient qu'a toi. Car
comme le nom d'Auguste nous fait souvenir de celui
qui en a ete' honore' le premier : de meme I'e'pithete de
tres-bon ne tombera jamais en la pense'e des hommes ,
qu'il ne pensent a toi ; et toutes les fois que la poste'rite
sera oblige' d'appeler quelqu'un tres-bon, elle se sou-
viendra du premier qui a me'rite' ce glorieux nom.
Optimi nomen tibi tarn, proprium quam paternum , nee
magis dijjiniie distincteque designate qui Trajanum,
quam qui Optimum appellat. . . Assequutus es nomen ,
qifiod ad alium transire non possit , Jiisi ut appareat in
bono principe alienum , in malo falsum : quod licet
omnes postea usurpent / semper tamen agnoscetnr ut
tuum, Eteriim , ut nomine Kvovsti ttdmonemur ejus ^
cui primiim dicatum est : ita Art^c Optimi" appellatio
nunquam memorioe hominum sine te recurret : quoties-
que posterinostri OpTimvivi aliquem, vocare cogentur j
toties recordabuntur , quis meruerit vocari, Pane'g.
208 L HOMME
cessaire de le smpasser , pour lui oter Favan-
tage qu'il a d'etre le plus cstime.
MAXIME CLIV. ♦
N'etre facile ni a croire , ril a aimer.
La maturite du jugement se coiinait a la
ditliculte de croire. II est ires - ordinaire de
mentir, il doit done etre extraordinaire de
croire. Celui qui est facile a remuer se trouve
souvent decontenancc. Mais il faut Men se
garder de montrer du doute de la bonne foi
d'autrui; car ccla passe de I'incivilite a I'ofilnse ,
altendu que c'est le traiter de trompeur , ou de
trompe : encore n'est-ce pas J a le plus grand
nial. Car , outre cela , ne point croire est un '
indice de mentir, le menteur etant sujet a
deux maux , a ne point croire et a n'elre point
cru. La suspension du jugement est louable
en celui qui ecoute ; mais celui qui parle peut
s'en rapporter a son auteur (i). C'est aussi une
(i) Ne te fais jamais Fauteur de ce que tu ne saiiras
pas certainement , dit Juan Rufo a son fils^ car, qui-
conque affirme une chose incertaine , passera pour
homme de peu de capacite'^ et c'est fort approcher du
xnensonge, que de dire la verite' par hasard. Dans sa
lettre en vers.
DE COUR. 209
espece d^imprudence , d'etre facile k aimer ,
car si Ton meiit en par] ant , Ton ment bien
aussi en faisant ; et ceite tromperie est encore
plus pernicieuse que Tautre.
MAXIME CLV.
L'art de se contenir.
Qu'uNE prudente reflexion previenne, s'il est
possible y Ics saillies ordinaires au vulgaire ^
^ cela ne .sera pas difficile a rhommc prudent.
I Le premier pas de la moderation est de s'a-
1^ percevoir que Ton se passionne (i). C'est par
I la qu'on entre en lice avec plein pouvoir sur
soi , et que Ton sonde jusqu oil il est necessaire
de laisser aller son ressentiment. C'est avec
cette reflexion dominante quil faut entrer en
colere, et puis y mettre fin. Tache de savoir
oil et quand il faut t'arretei* j car le plus diffi-
cile de la course est de s'arreter tout court.
Grande marque de jugement de rester ferme,
et sans trouble , au milieu des saillies de la
passion ! Tout exces de passion degenere du
(1) Quelqu'un disant a Diogene, k qui un insolent
venait de cracher au nez, c'est a ce coup que tu ?? en
colere : non, r^pondit-il, mais je sojige, si je my
dois met ire »
H
a 10
raisonnable* Mais avec cette magistrale precau-
tion , la raison ne se brouillera jamais , ni ne pas-
sera point les bornes du devoir. Pour savoir gour-
niander une passion, il faut toujours aller bride
en main. Celui qui se gouvernera de la sorte,
passera pour le plus sage cavalier , ou pour
le plus ctourdi , s'il fait autrement.
MAXIME CLVI.
Les amis par election,
Les amis doivent etre a Fexamen du dis-
cerncment , et a Tepreuve de la fortune. Co
n'cst pas asscz qu ils aient le suffrage de la
volonte , g'ils n ont aussi celui de Fentendement.
Quoique ce soit la le point le plus important
de la vie , c'est celui oii Ton apporte le moins
de soin. Quelques-uns font leurs amis par Fen-
tremise d'autrui, ct la plupart par hasard. On
juge d'un homme par les amis quil a; un ha-
bile homme ncn a jamais voulu d'ignorans.
Mais bien qu un homme plaise , ce n'est pas
a dire que ce soit un ami intime ; car cela peut
venir plutot de ses Kelles manieres d'agir, que
d'aucune assurance que Fon ait de sa capacite.
II y a des amities legitimes , et des amities ba-
tardes : celles-ci sont pour le plaisir ; mais les
D E CO tr R. ^li
autres pour aglr plus surement. 11 se trouve
peu d'amis dt la personne , mais beaucoup de
la fortune (i). Le bon esprit d'un ami est plus
utile que toute la volonte dcsautres (2). Prends
done tes amis par choice et non par sort. Un
ami prudent epargne bien des chagrins , au
lieu qu'un autre qui nest pas tcl, Ics multi-
plie et les entasse. Si lu ne veux point perdre
d'amis , ne leur souhaite point une grande
fortune (5).
(i) Des amis de table, dit-il, de carrosse, de come'die^
de eolation, de re'jouissance, de promenade") bons pour
un jour de noces, ou durant la faveui* et la prospe'rite' y
vous en trouverez a fofson. A I'heure de manger ce sont
des serviettes ^ a Pheure de servir, ce sont des gens qui ont
les mains gourdes. Crisi 5» del Criticon , Parte segunda*.
(2) Nous sommes trois , dit son Ge'rion Moral ibidem ,
Ct nous n'avons qu'un coeur. Celui qui a de vrais amis
est en possession d'autant d'entendemens. II connait et
faisonne avec I'entendement de tous ses amis^ il voit paf
autant d'yeux , il e'coute par autant d'oreilles^ il tra-
vaille par autant de mains, et il court avec autant de
■"pieds. Mais tous tant que nous sommes, nous n'avons
qu'une volonte'; car I'amiti^ est une ame en plusieurs
corps. Celui qui n'a point d'ami n'a point de pieds ni
de mains. II ne vit qu'a demi , il marche en aveugle et
tout seul , en sorte que s'il vient a tomber, il n'aura per-
Bonne qui lui aide a se relever. ^ ( ,
' (5) Honores eniin mutant WiOres ) car les lionneurs
ehangent les moeurs* Et c'est par cette raison quua
313 l/ II O M M E.
MA XI ME CLVII.
Ne se point tromper en gens,
Ces T la pirect la plus ordinaire des tromperies.
II vaut mieux etre Irompe au prix qu'a la mar-
diandise(i); il ny a rien ou il faille plus regar-
der par dedans. II y a bien de la difference
entre entendre les choses et connaitre les per-
sonncsj et c'est une line philosophic que de dis-
cerner les esprils et les humeurs dcs hommes.
11 est aussi necessaire de les etudier,que d'ctu-
dier les livrcs. ' - ! '^
MAXIME CLVIII.
Savoir user de ses amis,
Il y va de grandc adressc. Les uns sont bons
pour s'en servir de loin , et les autres pour les
avoir aupres de soi. Tel qui'n'a pas ete boa
gentilhomme espagnol reprocha au cardinal Ximenei
qa'il faisait une infide'lite a tous ses amis, en se de'robant
a eux, pour se donner aux affaires d'e'tat.
(i) Mala emptiOy dit le jeune Pline, Ep. 24. lib. i,
semper ingrata est , eb maxime , quod exprobrare
stuldtiam domino videtur. C'est-a-dire , un mauvais
achat est toujours de'sagreable, et surtout, parce <ju'il
semi)le reprocher une action de folic a I'acheteur.
BE C O W R. 2l5
pour la conversation , Test pour la correspon-
dance. L'eloignement efface certains defauls
que la presence rendaitinsupportables.Dansles
amis , il nj faut pas chercher seulement le plai-
sir^ mais encore Tutilite. L^ami doit avoir trois
qualites du Bien , ou, comma disent les autres,
dc I'ethe, I'unite, la bonte, la verite ; d'autant
tjue I'ami tient lieu de toutes choses. 11 j en a
ires-peu qui puissent etre donnes pourbons;
et de ne les savoir pas choisir, le nombre en
dcvient encore plus petit. Les savoir conserver
est plus que de les avoir su faire. Cherche-les
tels qu'ils durent long-temps ', et bien que du
commencement ils soient nouvcaux , c'est assez
pour etre content qu'ils puissent devenir anciens.
A le bien prendre , les meilleurs sont ccux que
I'on n'acquiert qu'apres avoir long-temps man-
ge du sel avec eux. II ny a point de desert si af-
freux que de vivre sans amis (i). L'amitie mul-
tiplie les biens et partage les maux (2). Cest
(i) F'ida sin amigo , dit le proverbe espagnol, muerte
sintestigo. C'est-a-dire^ vivre sans amis, c'est mourir
sans te'moins.
{*i) Je suis celle , dit-elie chez Gracian , sans qui il
n'j a point de bonlieur au monde , et avec qui toutes
les disgraces sont faciles a supporter. Dans, les autres
prospe'rite's de la vie , les avantages du bien ne s j trou-
vent que se'pareraent , au lieu que je les possede toug'
2l4 L'ft O M IVI E ^
I'unique remede contre la niauvaise fortune;
c'est le soupirail par oil Tame se decharge.
MAXIME CLIX.
Sai^oir soiiffiir les sots,
Les sages ont toujours ete mal-endurans. L'im-
palience croit avec la science. Une grande con-
naissance est difficile a contenter. Au sentiment
d^Epictele , la meilleure maxime de la vie c'est
de souFFRiR;ilamislala moitiede]asagesse(i).
S'il faut tolerer toutes les sottises , il faut sans
doute une extreme patience. Quelqucfois nous
souffrons plus de ceux de qui nous dependons
davantage , et cela scrt d'exercice a se vaincre.
C'est de la souffrance que nait cette inestimable
paix , 4^i ^^Jt 1^ felicite de la terrc. Que cclui
<jui ne se trouvera pas en humeur de souffrir ,
ensemble , savoir : I'honneur , le plaisir et le profit. Je
ne fais ma re'sidence que parmi les gensdebien^ car,
au dire de Seneque , je ne suis ni ve'ritable , ni cons-
tante parmi les medians. Je tire mon nom de I'amour,
ct par conse'quent , il ne me faut pas ohercher dans le
ventre , mais dans le coeur qui est le centre de la bien-
veillance. Crit, 2. de la I'^.-partie d'r^Criticon,
(i) II comprenait toute la morale en ccs deux mots ,
SOUTJENIR et s'abstenir.
©B COUR» 2l5
cn appelle a la retraite de soi-m^me , si tant est
qu'il puisse bicn se supporter lui-meme.
MAXIME CLX.
Purler sobrement a ses emules , par precau-
tion y et auoc autres par blenseance.
On est toujours a temps pour lecher la pa-
role , mais noil pas pour la retenir. II faut par-
ler comme Ton fait dans un testament, attendu
qu'a moins de par6les , moins de proces. II s'y
faut accoutumer dans ce qui n'importe point ,
pour n y point manquer quand il importera.
Le silence lient beaucoup de la divinite. Qui-
conque est prompt a parler, est toujours 3ur
le point d'etre vaincu et convaincu.
f^ MAXIME CLXI.
Connaitre les defauts oil Von se plait.
Uhomme le plus parfait en a toujours quel-
ques-uns dont il est, ou le mari , ou le galanl.
lis se trouvent dans I'esprit , et plus Tesprit est
grand, plus ils y sont grands, et plus ils sy re-
marqucntj non pas que celui qui les a ne les
connaisse pas , mais a cause qu'il les aime. Sc
2i6 l'homme
passionner , et se passionner pour des vices , ce
sont deux maux ; ces defauts sont les laches dp
la perfection. lis clioqueut autant ceux qui les
Yoient, qu'iJs comenleut ceux qui les ont. C'est
la qu'il y a belle occasion de se vaincre soi-
jiierae , et de mettre le comble aux autres per-
fections. Cliacun frappe a ce but, et au lieu de
louer tout ce qu'il y a a admirer , on s'arrete a
controler un defaut , que Ton dit , qui dcfigure
tout le restc. t'^*' '''^ - '
MA XI ME CLXII.
S avoir triompher de la jalousie lot d^ tenvie,
BiEN que ce soit prudence de mepriscr Fen-
vie , ce mepris est aujourd'hui peu de chose , la
galanterie fait bien un nieiUeur effet. U n'y sau-
rait avoir assez de louanges pour celui qui dit
du bien de celui qui dit du mal. II n j a point
de t^engeance plus heroique que cellc qui tour-
niente i'envie a force de bien faire (i). Chaque
bon succe5 est un coup d'estrapade a I'envieux,
(i) C'est un mot de Diogene, qui disait que le mojen
de faire crever I'envie , c'e'tait de se comporter si bien
qu'elle ne trouv4t rien a reprendre.
V
DE COUR. 217
^l la gloire de son emule lui est un enfer (i).
Faire de sa felidte un poison a ses envicux, on
lient que c'est la plus rigou reuse peine quilk
puissent endurer. L'envieux mcurt autant de
fois qu'il entend revivre les louanges deTenvie.
lis dispuient tous deux rimniortalite , mais Tun
pour vivre toujours glorieux , et I'autre pour
etre toujours miserable. La trompette de la re-
nommee , qui sonne pour immortaliser I'un ,
annonce lamort a Tautre , enle condamnant au
supplice d'attendre en vain que le sujefe de ses
peines cesse.
MA XI ME CLXIIL
// nefaut jamais perdre les bonnes graces de
celui qui est heureucc , pour prendre pitii
d*un nialheureux. ..
D'oRDiNAiRE ce qui fait It bonheur dcis uns ^
faille malheur des autresjet lei liomnie ne se^
rait pas heureux , si iK^aucoup d'autres n'etaient
pas maiiheureux. C'est le propre des niiserables
(0 ITn roi de Sparte disait , que les envieux e'taieni
Lien mis^rables d'etre aussi afflige's de la prospe'rite' des
autres que de leur propre adverslte. tin autre a dit,
que Ten vie n'a point de jours de rejouissanc^ : Inyidia
festosdks non agO, .^..u^l-^m%
2i8 l'homme
de gagner la bicnveillance dcs gens y car chacun
se plait a recompenser d'uiie faveur inutile ,
ceux qui sont maltraites dc la fortune. 11 est
meme arrive quelquefois qu'nn homme hai do
tout le monde , durant sa prospcrite , a etc plaint
de tout le monde dans son malheur , la chute
ajant change en compassion le dcsir qu'on
avait de se venger(i). Que Thomme d^esprit
premie done garde aux tours de main de la
fortune. H y a des gens qui ne vont jamais qu'a-
vec ^es malheureux. Cclui qu'ils fujaient hier a
cause de son bonheur, les a auiourd'hui pour
compagnie, a cause de son malheur. Cctle con-
duitc est €|uelquefois une marque de bon natu-
rel , mais non pas de bon esprit (2).
(i) C'est ainsi que Tacite dit , que rimpe'ratrice Livia
perse'cutait les enfans d'Auguste lorsque leur fortune
etait florissante , et faisait gloire de les assister dans leur
cxil : Julia viginti annis exilium tolerant , ui4ugusta*
ope sustentata , quce Jlorentes prmgnos ciim per oc~
cultum suhvertisset y misericordiam erga adjlictos pa-
lam ostentahat. Ann. 4* ^t q^^ Lepida , qui n'avait
jamais e'te en bonne intelligence avec Messaline sa fille ,
tandis que la fortune lui riait , se laissa vaincre a la
compassion lorsqu'elle la vit abandonne'e de I'empereur
Claudius , son mari : Assidente matre Lepida , quae
Jlorenti Jilia^ hand concors , supremis ejus necessita-
tibus ad miserationem evicta ei'at. Ann. 11.
(2) Le jeune Pline jlit, qu'il estbon de se faire aimer
DE COUR. ^ 219
MAXIME CLXIV.
Tirer quelques coups en I* air,
C'est le moyen de reconnaitre comment sera
recu ce que Ton pretend faire, surtout quand
ce sont des clioses dont Tisstie et I'approbation
sont douteuses. C'est par la qu'on tire a coup
Siir, et qu'on est toujours maitre de rcculer on
d'avancer. Cest ainsi que Ton sonde les volon-
tes , et que Ton sait ou il fait bon mettre le
pied. Cette prevention est tres-necessaire pour
dcmander a-propos , pour bien placer son ami-
tie et pour bien gouverner (i).
des petits , mais avec telle discre'tion que Ton ne soit
pas hai des grands, attendu que plusieurs se font passer
pour des esprits reveches et dangereux plutot que pour
des gens integres , pendant qu'ils se piquent de resister
aux grands , sous coaleur de craindre le reproche d'etre
trop complaisans : Ita a minoribus amari , ut simul a
principihus diligare. Plerique enim , dum verentur ,
tie gratice potentium nimium impertiri videantur , si'
nisteritatis , atque etiam malignitatis , famam co7ise~
{ptuntu?\ Ep. 5. lib. 2.
(i) Tibere , a son avenement a I'Empire, tint toutle
monde en suspens par ses feintes de ne vouloir point
regner , ou du moins de vouloir prendre des collsgues
pour gouverner conjointement avec eux : Non ad unwn
tfmnia deferrent , plures facilius munia reip, spciatif
hho l' n o M M E
MAXIM E CXLV.
Faire bonne guerre.
On peulbicn obliger un brave homme a faire
la guerre , niais non pas a la faire autrement
quil ne d.oit(i). Chacun doit agir selon ce qu'il
est , et non point selon ce que sont les autres.
laborihus exsecuturos. Tacite Ann. i . Et tout cela n'e-
tait que pour mieux sonder les intentions et les pre'ten-
.tions des grands , ad introspiciendas proceruni volun-*
taies. Ibidem. Elisabeth, reine d'Angleterre , n'entama
la ndgociation du naariage de la reine d'Ecosse avec le
comte de Leicester , que pour I'e'pouser elle-meme avec
plus de bienseance , ou du moins avec nioins de honte ,
apres qu'une autre reine I'aurait bien voulu. Les gens
d'e'tat , dit Gracian , courent tout a rebours des autres ,
et c'est pour tromper leurs espions et pour embrouiller
les raisonnemens. Us ne veulcnt point qu'on suive leurs
traces , ils feignent d'aller d'un cote' et vont de I'autre ',
lis publient une chose et en exe'cutent une autre ^ pour
dire non ils disent our , etc. Crit. 6. de la premiers
paiHie de son Gritlcon.
(i) TiRere re'pondit an prince des Cattes , qui s'ofFrait
d'empoisonner Arminius , le plus redoutable ennenii
des Romain's ; Que les Romains se vengeaient a force
ouverte, et non prr des lachete's , ni par des coups
fourre's : Nonfraude , neque occultis , sed palam et
amtatum populum Rom, liostes sues idcisci, Tacite
]/^Tin, 2.
DE COUR. 221
La galantcrie est plus plausible quand on en
use cnvers un enncmi. II ne faut pas vaincre
seulemcnt par la force , mais encore par la nia-
niere. Vaincre en scelerat, ce n'est pas vaincre ,
*niais bicn se laisser vaincrejla gcnerosilc a lou-
jours eu le dessus. L'homme de bien ne sescrl
jamais d'armes defendues.C'est s'en scrvir quo
d'cmplojer les debris de I'amitie qui finit , a
former la haine qui commence j car il n'est pas
permis de se prcvaloir de la confiance pour se
vcnger (t). Tout ce qui sent la traliison , infccte
le bon renom. Le moindrc atome de bassesse
est incompatible avec la generosite dans les
grands personnages. Un brave homme doit se
piqucr d'etre tel , que si la galanterie , la gene-
rosite et la fidelile se perdaicnt dans le monde,
elles se retrouveraicnt dans son coeur (2).
(i) II faut en user comme cet Espagnol , qui repondit
a la priere que lui faisait un ami absent , de gardei*
iidelement un secret qu'il lui avait confi^ : Je n'ai jamais
fiu votre secret , et si vous m'en avez confie' (pielqu'un ,
je vous I'ai rendu en ne m^en souvenant plus. Juan
Rufo. Apophtegme 55 1.
(2) Francois I, roi de France, disait , que si la
fiddite' se perdait , elle devait se retrouver dans le coeur
\i d'un roi. Et Alphonse , roi d'Aragon , que la parole
d'un roi doit etre aussi sure que le serment d'un pai>
ticulier. Agudeza , Discurso 5o. Charles-Quint repon-
dit a ceux qui lui conseilIaien.t de violer le sauf-conduit
^23 l' H O M M K
MAXIME CLXVt
Discerner Vhomme qui donne des paroles
d'ai^ec celui qui donne des effets,
Cette distinction est absolumenlneccssaire,
ainsi que cellc de I'ami de la pcrsonne , et dc
1 ami de I'emploi; car ce sont des amis bien dif-
ferens (i). Celui-la I'entend mal qui , ne don-
nant point de mauvais effets , ne donne point
donne a Luther pour comparaitre a la diete de Wer-
mes , que si Ton voulait bannir la bonne foi du monde ,
les palais des princes lui devraient servir de retraite.
T^ox hones ta , sed ad hanc formam cetera non erant*
Tacite. Hist. i.
(i) Nos sujets , disait Galba, ne parlent pas £i nous
mais a notre fortune : Ceteri lihentiiis cum fortuna
nostra, quam nobiscum. Tacite. Hist. i. II en est de
ineme des amis , les uns aiment la personne , les au-
tres sa fortune* C'est ainsi qu'Ephestion e'tait Tami
d' Alexandre , et Craterus Tami de sa royaut^. Gracian
fait parler ainsi le courtisan a I'amitie' ; Bien qu€ tu sois
flatteuse , les princes ne te connaissent pas ; car tons
leurs amis le sont tous du rot et pas un ^Alexandre ,
comme il le disait lui-meme. De deux tu n'en fais
qu'un. Or il est impossible de marier I'amour avec la
majeste'. Critique seconde de la seconde partie de
%on Criticon.
Non bene cojweniunt , nee in una sede morafitur
Majesta^ et amor f dit le poetq.
D E C O U R. ^^3
de bonnes paroles j et celui-la encore plus mal
qui , ne donnant point de mauvaises paroles ,
ne donne point de bons effets. Aujourd'hui Ton
ne se repait point de paroles , d'autant que ce
n'est que du vent , nil'on ne vit point de civili-
tes, lout cela n'etant quune civile tromperie.
AUer a la chasse des oiseaux avec de la lumiere,
c'csl le vrai niojen de les eblouir. Les sots et
les presomptueux se paient de vent. Les paroles
doiventetre les gages des actions (i), et par con-
sequent avoir leur prix. Les arbres qui ne por-
tent point de fruit , et qui n'ont point de fcuillcs,
d'ordinaire n'ont point de coeur. II estneces-
saire de les connaitre tous , les uns pour en tirer
du profit, etles autrespour se mettre a Fombrc.
(i) Un homme de quality , dit la comtesse d*Aranda,
dans son Idee des Nobles , ne doit jamais s*engager de
parole , s'il n'est assure de pouvoir faire ce qu'on lui
demande ; et quand il le peut , il le doit faire avant que
de le promettre. II faut qu'il soit aussi retenu a ofFrir
fies semces que circonspect a se fier aux offres des au-
tres. Les complimens afFecte's ou excessifs viennent tou-
jours , ou de gens qui trompent , ou de gens trompesj
parce que d'ordinaire ceux qui ae sont laisse' tromper
en complimens paient les autres en mem« monnaic.
Chap. J de la seQonde partie.
324 l'iiOMME
MAXIME CLXVII.
Se sai^oir aider.
Dans les rencontres facheuscs , il n j a point
de nieilletirc compagnie qu'un grand coeur j ct
s'il vienl a s'afFaiblir , il doit etre sccouru des
parties qui rcnvironnent. Les deplaisirs sont
moindres pour ceux qui savent s'assister (i).
Ne te rends point a la fortune , car elle t'en de-
viendrait plus insupportable. Quelques - uns
s'aident si peu dans leurspeines ,qu'ils les aug-
mentent faute dc les savoir porter avec courage.
Celui qui se connait bien , trouve du secours a
sa faiblesse dans la reflexion. L'honime de ju-
gement sort de tout avec avantage ^ fut-cc du
milieu des etoiles.
MAXIME CLXVIII.
Ne point donner dans le monstr ueuoc.
Tous les evenles , les presomptueux , les opi-
niatreSjles capricieux,les enietes d'eux-memes^
(i) Celui-la n'est pas sage , (lit Ciceron , qui ne sait
pas s'assister lui-meme : Qui ipse sibi sapiens prodesse
nequit , ne cjuidquam sapit, Ep. lib. 7.
les extravagans , les patelins (*) , les bouffons,
les nouvellistes , les auteurs de paradoxes , les
sectaires , et enfin toutes sortes d'hommes de-
regies, tons ces gens-la, dis-je , sont autant de
nionstres d'impertinence. Toute laideur de
Fame est toujours plus monstrueuse que pas
une difformite du corps , d' autant qu'elle desho-
nore davantage la besute de son original. Mais
qui corrigera un si grand et si general exces ?
Oil la raison manque , la direction n'a rien a
fairc , attendu que ce qui devait etre cause d'une
reflexion serieusc sur ce qui donne matiere a la
risee publique , fair, tomber daijs la presomp-
tion de croire que I'on est admire.
* ou les gens de faux semblant.
MAXIME CLXIX
Plus d'attention a ne pas manqu^r un coup ,
qu'ci en hien tirer cent,
QuAND Ic soleil luit, personne ne le rcgardc;
mais lorsqu'il s'eclipse , chacun le considere.
Le vulgaire ne te comptera point les coups qui
porteront , mais seulcment ceux que tu man-
qucras. Les mechans sont plus connus par les
murmures,que ks gens de bien par les applau-
disscmcns ^ et plusicurs n'ont etc connus qu a-
226 l'h O M M E
pres avoir failli. Tous les bons succes joints en-
semble ne suffisent pas pour en etJacer un seul
mauvais. Desabusc-toi done j et tieos pour as-
sure que Fenvie remarquera toules tes fautes , '
mais pas unc de tes belles actions.
MAXIME CLXX.
User de menagement en toutes choses*
'^ Cest le moyen de reussir dans les choses
d'importance. II ne faut pas a chaque fois em-
ployer toute sa capacite, ni montrer toutes ses
forces (i). Jusque dans le savoir, il faut se me-
nager (2) , car ccla sert a doubler de prix. 11
faut toujours avoir a qui en appeler quand il
sera question de se tirer d'un mauvais pas. Le
sccours fait plus d'effet que le combat , parce
qu il est toujours accompagn^ de reputation de
valeur. La prudence va toujours au plus sur.Et
c'est encore en ce sens qu'est vrai cet ingenieux
paradoxe (5) : La moltie est plus que le tout,
( I ) Omnia scire , non omnia exequi, dit Tacite
d'Agricolaj c'est-a-dire , tout savoir , mais ne pas faire
tout ce qu'on sait.
(2) Ex sapientia modum.. Ibidem,
(5) De Pittacus , Tun des sept Sages de la Grece.
MAXIME CLXXI.
Ne pas abuser de la faveur.
Les grands amis sont pour les grandes occa-
sions. 11 ne faut pas employer bcaucoup de fa-
vour en des choscs de pen d'importance , cc
serait la dissiper. L'ancre sacree est toujours
gardee pour la dernlere cxtremile. Si Foa pro-
digue le BE ATI COUP pour le peu , que rest era- t-il
pour le besoin a venir ? Aujourd'hui il n j a rien
de mellleur que les protecleurs (i) , ni rien de
plus prccieux que la faveur (2) j elle fait et
(i) N^que enim cuiquam, dit le jeune Pline , Ep. 25»
hj}. 6. tamclarum stali'/n ingenium est, ut possit emer*
gere , nisi illi matena , oceasio , fantor etiam com-'
mendatorque contingat. C'est-a-dire ; II n'j a per-
sonne qui ait d'abord tant d'esprit et de bonheur ,
qu'il puisse se produire et s'avancer, s'il n'a , outre la
matiere et I'occasian , un prptecteur qui le mette en.
credit. \ n ' \
(2) La premiere marche de cet escalier de la Fortune ,
dit Gracian , etait plus difficile a monter q^u'une mon-
lagne. Et une page apres : Toute la difficulte' de mon-
ter e'tait au premier degre , a cause que la Faveur , le
premier ministre et confident de la Fortune s j tenait
postee. Ce ministre tendait la main a quelques - uns
pour leur aider a monter^ mais jamais a pas un homme
de bien, ni a pas un autre qui le me'rit^t. II cboisis-
l5*
228 l'h O M M E
fail , jusqu a doiiner de I'esprit et a loter. La
fortune a toiijonrs ete aussi maratre aux sages ,
que la nature et la renommee leur ont ete fa-
vorables(i). II vaut mieux savoir conserver ses
amis que ses biens.
( •
sait toujours le pire ^ des qu'il apercevait un ignorant^
il I'appelait et laissait attendre mille sages. Et bien que
tout le monde en murmurat , tout cela ne faisait rien ,
car il e'tait fait a entendre tout ce qu'on pouvait dire.
D'une lieue il voyait un imposteur ^ mais pour les gens
d'importance et les personnes de probite' , sa vue ne s'jr
arretait jamais , parce qu'il lui semblait qu'ils remar-
quaient ses folies , et qu'ils avaient horreur de ses chi-
meres , etc. Critique 6 de la seconde partie de son
Criticon.
(i) Dans lameme Critique , il fait parler la Fortune
a V Argent en ces termes ; Pourquoi es-tu toujours en
querelle avec les gens de bien? Pourquoi ne vas-tu
jamais chez eux? Est-il vrai , comme chacun t'en ac-
cuse , que tu es toujours avec de la canaille , et que tu
n'as pour camarades que les plus grands sce'le'rats du
monde ? Si les gens de bien me voient si peu chez eux ,
repond VAi'gent , c'est leur pure faute , et nullement
la mienne ; c'est parce qu'ils ne savent pas^ne cherclier.
lis ne de'robent point , ils ne trompent point , ils ne
mentent point , ils ne cajolent point , ils ne se laissent
point corrompre , ils ne sucent point le sang d'autrui ,
ils ne flattent point 5 ils ne sont point gens d'intrigues.
Comment done s'enrichiraient-ils ^ puisqu'ils ne me
clierclient jamais ? etc.
D E c auR. 22g
MAXIME CLXXII.
JVe s^ engager point avec quin*a rien aperdre,
C^EST combattrc a forces inegales , car Fautre
cntre cii lice sans embarras. Commc il a perdu
toule honte, il n'a plus rien a pcrdre ni a me-
nager ^ et ainsi il se jette a corps perdu dans
toutes sortes d'extravagances. La reputation,
qui est d'un prix inestimable, ne se doit jamais
exposer a de si grands risques. Apres avoir cou-
te bcaucoup d'annees a acquerir, ellevient a se
perdrc en un moment (i). U ne faut qu'un petit
vent pour geler une abondante sueur. La con-
sideration d'avoir beaucoup a perdre retient un
homme prudent. Des qu'ilpense a sa reputation,
il envisage le danger de la perdre (2). Etmoyen-
(i) Tacite -dit qu'un Voranius , qui avait toujours
ve'cu en homme d'honneur et de coeur , efFa^a toute la
gloire de sa vie par une vanterie qu'il mit a la fin de
son testament : MagJia diim vixit severitatis fama ,
supremis testamenti verbis ambitionis manifestus,
Quippe addidit subjecturum NeroniProvinciamfuisse,
si biennio proximo vixisset. Ann. 14.
(2) C'est pour cette raison que Thrasea ne voulu^
point aller plaider sa cause au senat contre ses accusa-
teurs , de peur de s'exposer aux outrages de plusieura
juges laches , qui eussent cherche' a se concilier par la
les bonnes graces de Ne'ron , son enuemi declare : di-
^30 lhommk;
nant cetle reflexion , il procedc avec tant de re-
tcnue , qu il a le temps de se retirer , et de
mettre tout son credit a convert. L'on n arri-
vera jamais a regagner par una yictoire, ce que
Ton a deja perdu en s'exposant a perdre.
MAXIME CLXXIII.
N'etre point de ^verre dans la conifers at ion ^
encore nioins dans I'amitie,
QuELQUES-UNS sont faciles a rompre , et de-
couvrent par la Icur peu de consistance. lis se
rcmplisscnt eux-memes de mecontentemens, et
les autres de degout. lis se montrent plus teu-
sant , qu'il ne devait plus songer qu'a mourir aussi cons-
tamment que ceux doiit il avait toujours suivi les traces
et les exemples : Z/zmV^rm et contumelias imminere.
Suhtraheret aures conviciis et probris Intemera-
tus y impollutus , quorum iwstigiis et studiis vitain
duxerit y eorum gloriCt peferet finem. Et quatre lignes
apres : Tot per annos continuum vitce ordinem nan
deferendwn. Ann, i6. Ajoutez a cela ce que dit le jeune
Pline , qu'il est plus honteux de perdre sa reputation
que de n'en point acque'rir .* Ciim. sit alioqui multo
deformius amittere , qucim non assequi laudem, Ep.
ultima lib. 8. C'est pourquoi ceux qui se sont acquis
beaucoiip de reputation , ont coutume d'en etre tres-
jaloux et tres-me'nagers.
©E COUB. :25i
dres a blessfer que les yeux , puisqu'on ne leur
saurait toucher ni de |3on ni de mauvais jeu ;
les atonies memo les choqucnt, car ils n'ont pas
Lesoin de fantomes. Ceux qui les frequentent
doivcnt extremcment se contraindre , ct s'etu-
dier a remarquer toutcs leurs delicatesses. On
n ose rcmuer devant eux, car le moindre geste
lesinquiete.D'ordinaire ce sont des gens pleins
d'eux-memes , esclaves de leur volonte , ido-
latres de leur sot point d'honneur, pour lequel
ils bouleverseraient Tunivers. Celui qui aime
veritablcmcnt ,, lient d^ la nature du diamant,
et pour la duree et pour etre difficile a rompre.
' MAXIME CLXXIV.
JVe point vi^re a la hate,
Savoir partager son temps, c'cst savoir jouir
de la vic.Plusieurs ont encore beaucoupavivre,
qui n'ont plus de quoi vivre contcns. Ils perdent
les plaisirs^ car ils n'cn jouissent pas; et quand
ils ont ete bicn avant , ils voudraient pouvoir re-
tourner en arriere. Ce sont des postilions de la
vie, qui ajoutentala course precipitee du temps
rimpetuositc de leur espiit. lis voudraient de-
vorer en un jour ce qu ils pourraient a peine
digerer en toute leur vie. lis vivcnt dans les
232 l'hOMME
plaisirs comme gens qui les veulent tous gouter
par avance. Us mangent les annees a venir , et
comme ils font tout a la h^te , ils ont Lientot
tout fait. Le desir meme de savoir doit etre
modere , pour ne pas savoir imparfaitcment
Jes choses. U y a plus de jours que de prospe-
rites. Hatc-toi de faire , et jouis aloisir. Les
affaires valent mieux faites qua faire, et le con-
tentement qui dure , est meilleur que celui qui
finit. 'irreu i viujl
MAXIME CLXXV,
Uhomme suhstantieh
Celui qui Test ne se contente point de ceux
qui ne le sont pas. Malheur euse est Teminence
qui n'a rieh de subslantiel (i). .Tous ceux qui
paraissent etre dcs hommes , ne le s6nt pas
tous. 11 y en a d'ariificiels , qui con^oivent de
chimere , et accouchcnt de tromperie. II j en
d'autres qui leur ressemblent , lesquels les font
valoir , et se paient plus de Fincertain , que
promet une fausse apparence, a cause que le
BEAUCoup y est , que du certain qu offre la ve-
(i) C'est une lettre qui n'a que la suscription ,
la comtesse d'Aranda , au chapitre premier de
dit
son
Idc'Q des Nobles.
I) E C O U R. 2^3
rite , parce que cela parait peu ; mais a la fin
leurs caprices aboutissent a mal , d'autant quils
n'ont point dc fondement solide. U ny a que
]a verite qui puisse donner une veritable repu-
tation , et que la substance qui tourne a profit.
Une tromperie a besoin de beaucoup d'aulres,
ct par consequent , tout I'edifice n'est que chi-
mere j et comme il est fonde en I'air , il est de
necessite qu'il tombe par terre. Un dessein mal
concunevient jamais amaturitc(i);le beaucoup
qu'il promet suffit pour le rendre suspect ;
ainsi que Fargument qui prouve trop , ne prou-
ve-ri€B.- -*-..->,- c >-..;.-.-.■ ■ .^-.:^'
:c|j;t-M AXIME CLXX VI. (2)
S avoir y ou ecouter\ceuac qui savejit,^^'^^^'^
L'oN ne saurait vivre sans ;entendement , il
en faut avoir , ou par nature ou par emprunt.
(i) Omnia inconsulti impetus ccepta , initiis valida,
spatio languescunt , di|t Tacite, Hist. 5. Initia conatus
secunda , neque diutuma. Ann. 6. ; c'est-a-dire , toutes
les entreprises faites avec plus de chaleur que de raison,
ont des commencemens vigoureux, mais la suite n'y
re'pood pas Les commencemens sont heureux , mais
de peu de dure'e.
(2) Si tu pretes I'oreille , dit VEccle'siastique , tu re-
levras la doctrine , et si tu prends plaisir a e'couter, tu
deviendras sage ; Si incUnaveris aiir^m tiiam , exci^
354- l'h o m m e
II ne laisse pas d j avoir des gens qui ignoreht
qii'ils ne savent ricn j et d'autres qui croient
savoir, quoiqu'iis ne saclient ricn. Los defauls;
qui viennent de manque d' esprit sont incura-.
bles 'y car comme les ignorans ne se connaissent
pas , ils n'ont garde de chercher ce qui leuif
manque. Quelques-uns seraient sages , s'ils nei»
crojaient pas I'etre. De la vicnt que , bicn quo
les oracles de sagesse soicnt si rares , ils n'ont
rien a faire , altendu que personne ne les con-
suite. Cen'est point une diminution d(^ grandeur
ni une marque d'incapacite , que de prendre
conseil^au contraire, Ton se met en passe d'lia-
l)ile homme en se conseillant bien (i). Rends-
tpi a la raison , pour n'etre point battu de I'in-
forlune.^ .,,^.^ ■■-..'., ^^.---yy -\c:l'^\':--
pies doctrinam , et , si dilexeris audi^e , sapiens eris.
Chap. 6. '
( I ) Macliiavel au chap. 25 de son Prince , dit , que
ceux-la se trompent fart , qui croient qu-e de prendre
conseil , c'est ri«quer de n'etre pas estime prudent par
soi-m^me , mais seulement par les bons conseik d'au-
trui , etant une regie ge'ne'rale et infaillihle , que celui
qui n'est pas sage de lui-meme , ne peut jamais etre bieii
eonseille. Puis il conclut, que c'est de la prudence de'
celui qui se eonseille que naissent les bons conseils , et
non des bon^ijonseils que Bait sa prudence.
DE COUR. 255
MAXIME GLXXVII.
E^'iter le trop de famiUarite dans la conver-
sation,
II n'est a propos ni de la pratiquer ni de la
soulfrir (i). Celui qui se familiarise perd aus-
sitot la superiorite que lui 4oiinait son air se-
rieux , et par consequent , son credit. Les astres
se conservent dans leur splendeur, parce qu'ils
ne se commettent point avec nous. En se divi-
nisant , Ton s'atlirc du respect; en s'humani-
sant , du mcpris. Plus les choses humaines sont
communes, moins elles sont estimces (2); car la
communication decouvre des imperfections que
la retraite couvrait (i). 11 ne sefautpopulariser
(i) Si chacun , dit Machlavel a son prince , a la li-
berie de te dire ce qu'il pense , Ton te perdra bientot
le respect , chap. 5. Tibere , qui savait parfaitement
toutes les maximes de regner , haissait la flatterie , mais
ne pouvait souffrir la liberie' : Adulationem oderat , li-
bertatem metuehat. Tacite Ann^ 2.
(2) NiJiil ceque gratum est adeptis , qiiani concupis^
^centibus y dit le jeurte Pline , Ep. i5. lib. 2; c'est-a-
dire , ce qui est de'sire est ioujours plus agr^able que
ce qui est possdde'.
(5) Tacite dit , que les princes sont plus respect^s de
loin : Majestate salya , cui major e longinquo reve-
rentia, Ann. i. , parce qu'on juge plus avanlageuse-.
236 l'homme
avec personne ; point avec sfes supcrieurs , a
cause du danger, ni avec ses inferieurs , a cause
de rindecence , encore moins avec les pctites
gens , que I'ignbrance rend insolens , attendu
que ne s'apercevant pas de I'honneur qu onlcur
fait, ils presument qu'il leur est du. La fragilite
est une branche de has esprit^
MAXIME CLXXVIIL
Croire au cceur y et surtout quand c*est un
coeur de pre s sentiment.
Il ne le faut jamais dedire , car il a coutumc
de pronostiquer ce qui nous importe davan-
tage (i). C'est un oracle domestique. Plusieurs
ment d'eux quand on ne les voit pas : Majora credi de
absentibus. Hist. 2. Arcebantur aspectu, quo plus vene-
rationis inesset. Hist. 4* Joi^^t que Ton ne se soucie
pas de voir ce que Ton est assure de voir a son aise
toutes les fois qu'on voudra : Omnium rerum. cupido
languescit , cum, facilis occasio est ; seu quod dijjeri-
jnus , tanquam scepe visuri quod datur videre, quo-
ties velis cernerer Pline. Ep. 20. lib. 8.
(i) Dans la Critique 9 de la premiere partie de son
Criticon , il dit : que le coeur tire son nom du mot
latin cura , qui veut dire soin et souci. En effet , le
coeur semble avoir le soin de tout ce qui est ne'cessaire
pour conserver Thomme.
DE COUR. ^^J
ont peri , parce qu'ils se defiaient trop d'eux-
niemes. Mais a quoi sert de se defier,si Ton ne
cherche pas le remede? Quelques-uns ont un
coeur qui leur dit tout : marque certaine d'un
richc fonds , car ce coeur les previent toujours ,
et Sonne le tocsin aux approches du mal , pour
les faire courir au remede. II n'est pas d'un
homme sage de sortir pour aller recevoir les
maux, mais bien d' aller au-devant pour les
ecarter.
IMAXIME GLXXIX.
Se retenir de parlevy c'est le sceau de la
capacite.
Un coeur sans secret ,c'est une lettre ouvcrtc.
Oil il J a du fond , les secrets j sont profonds ,
I . car il faut qu'il y ait de grands espaces ct de
* grands creux , la oii pent tenir a I'aise tout ce
qu'on y jette. La retenue vient du grand empire
I que Ton a sur soi-meme, et c'est la ce qui s'ap-
I pelle un vrai triomphe. L'on paie tribut a autant
de gens que Ton se decouvre. La surele de la
prudence consiste dans la moderation inte-
rieure. Les pieges qu'on tend a la discretion ,
sont de contredire pour tirer une explication ^
€t de Jeter des mots piquans pour faire prendre
258 t.' H O M M E
feu. C'est alors que rhomme sage dolt se tenir
plus resserre .Les choses que Ton veul faire ne se
doivent pas dire ; et celles qui sont bonnes a
dire ne sont pas bonnes a faire (i).
Voyez la Maxime 279.
MA XI ME CLXXX.
Ne se regler jamais sur ce que Vennemiavait
dessein de faire,
Un sot ne fera jamais ce que juge un hommc
d'esprit, parce qu'H ne sait pas discerner ce
qui est a propos. Si c'est un homme prudent ,
encore moins , parce qu'il voudra prendre Ic
contre-pied d'un avis penetre , ct meme preve-
nu par son adversaire. Les matieres doivent
etre examinees a deux envers, et preparees a
POUR et a contre; en sorte que Ton soit pret
a oui et a non. Les jugemens sont differens.
L'indifference doit etre toujours attentive , non
pas tant pour ce qui arinvera que pour ce
qui pent arriver.
(i) L'on disait du pape Alexandre VI et du due de
Valentinois , son fils , que le pere ne faisait jamais ce
qu il disait , ni le fils ne disait jamais ce qu'il faisait.
DE COUR. 259
MAXIME CLXXXI.
Ne point mentir y mais ne pas dire toiites
les ve rites,
"RiEN ne demande plus de circonspection que
la verite (i), car c'est so saigner au coeur que
de la dire. II faut autant d'adresse pour la sa-
voir tairc (2) . Par un seul raensonge Ton perd
tout CO que Ton a de bon renom. La trom-
perie passe pour une fausse monnaic ; et le
trompeur pour un faussaire , qui est encore
pis. Toutes les verites ne se peuvent pas dire;
[es unes, parce quelles m'importent a moi-
menie -, et Igs autres , parce qu'elles importent
k autrui.
(i) La Verdad es verde , dit le proverbe e«pagnoI ;
c'est-a-dire , la verite est aigre : pour donrier a en-
tendre , qu il la faut adoucir le plus qu'on peut. Au-
trement elle accouche d'une me'chante fille , qui est la
ihaine. La comtesse d'Aranda dit , qu'il faut dire la
Verite aux princes sans nuls respects , mais avec res-
pect. Dans le chapitre onzieme de la troisieme partie
de son Ide'e des Nobles.
(2) La verite' , dit la meme , n'est point imprudente ,
et par conse'quent , I'liomme'discret doit se taire lors-
qu*il y a du danger a la dire , puisqu'en la disant il
serait te'me'raire. C^qp, 7 de la seconde partie.
a/^6 L* HOMME
MAXIME CLXXXI.
Un grain de hardiesse dent lieu d'une grande
hahilete.
Il est bon de nc sc pas former une si haute
idee des gens que Ton en devicnne timide
devant eux. Que rimagination n'avilisse ja-
mais le coeur. Quelques-uns paraissent gens
d'importance , jusqu'a ce que Ton iraite avec
eux 5 mais on se des abuse bicntot par la com-
munication. Personne ne sort des bornes etroites
de I'homme. Chacun a son si , les uns quant
a I'espritj les autres, quant au genie. La di-
gnite donne une autorite apparente, mais il
est rare que les qualites personnelles y repon-
dent j car la fortune a coutume de ravaler la
superiorite de Femploi par rinferiorite des me-
ritcs. Uimagination va toujours loin, et re-
presente les choscs plus grandes qu'elles ne
sont ; elle ne concoit pas seulement ce quil
y a, mais encore ce qu'il y pourrait avoir.
Cest a la raison de la corriger , apres s'etre
desabusee par lant d' experiences. Enfin , il ife
sied ni a I'ignorance d'etre bardie , ni a la ca-
pacite d'etre timide (i) : ct si Tassurance sert
(i) Le jeune Pline dit que la timidfte afFoiblit les es-
prits : Kecta ingenia debilitat verecundia, Ep. 7 lib. 4 .
DEC 01) V. 24 r
Blen a ceux qui ont peu de fonds , a plus
forte raison doit-elle servir a ceux qui en ont
beaucoup.
Vojez le Commentaire de la Maxime 42.
MAXIME CLXXXITI.
Ne se point enteter.
Tous les sots sontopiniatres , et tousles opi-
niatres sontdes sots. Plus leurs senlimens sont
errones , moins ilsen demordent (i). Dans les
choses ni^me , oil Ton a plus de raison et de
certitude, c'est chose honnete de ceder : car
alors personne n'ignore qui avait la raison (*) j
et Ton voit aussi , qu'outrc la raison , la galan-
terie en est encore. II se perd plus d'estinie par
une|defense opiniatre qu'il ne s'engagne a I'em-
porter de vive force j car ce nest pas la defen-
dre la verite, mais plutot montrer sa rusticite.
11 J a des tetcs-de-fer, tres-difficiles a convain-
cre, et qui vont toujours a quelque extreniite
incurable : el quand une fois le caprice se
(1) lis font gloire de ne se retracter jamais , d'autant
que leur esprit e'tant aveugle , ils. ne decouvrent jamais
rien de meilleur que ce qu'ils se sont une fois mis d;aiis
la tete. lis agissent comme ils penSent, et ils j^ensent
comme ils agissent.
(i) Vojez la note de la Maxime i35.
16
2^i TP HOMME
joint a leur enletement, ils Ibnt une alliance
indissoluble avec Textravagance. L'inflexibilitc
doit etre dans la volonte^ et non pas dans le
jugcment ; bien qu il y ait des cas d' exception,
oil il ne faut pas sc laisser gagner , ni vaincre
doublcment , c'est-a-dire , dans la ralson , et
dans r execution.
MAXIME CLXXXIV.
N'elre point ceremonieuoc.
L'affectation deFetre fut autrefois censuree
commeune singularite vicieuse, et menie dans
un roi. Le pointilleux est fatigant. H J a de§
nations entieres malades decettedelicatesse (i);
(i) Tacite remarque ce de'faut dans les Parthes et se
moque de tons les points d'honneur que se faisait Volo-
ge'se's leur roi, en disant que ce roi accoutume' au faste
et aux formalite's e'trangeres ne connaissait guere les
Ptomains, quand il conserftait que Tiridate, sonfrere,
allataRome, pour j rendne hommage a Ne'ron et re-
cevoir de lui la couronne d'Arme'nie, pourvu que Tiri-
date ne portat aucune marque de servitude, ne quittat
point son e'p^e, fut introdttit a I'audience des gouver-
neurs des provinces des qu'il se pr(fsenterait , et traite'
avec les niemes lionneurs que I'on' rendait aux Consuls
romains; car, dit-il, les Romains accordaient volon-
tiers toutes choses quand on leur ce'dait I'essentiel qui est
la domination. Petieratj ne quam imaginem servUii
DE COUR. 245
La robe de la sottise se coud a petits points.
Ces idolatres de point - d'honneur montrent
bien que leur lionneur est fondc sur pen de
chose , puisque tout leur parait capable de le
blesser. II est bon de se faire respecter , mais
il est ridicule de passer pour un grand maitre
de complimcns : il est bien vrai qu'un homme
sans ceremonie a besoin d' avoir un grand nie-
rite en la place. La courtoisie nc se doit ni
affecter, ni mepriser. Celui-la ne se fait pas
. estinier habile homme , qui s'arrete trop aux
formal! les.
MAXIME CLXXXV.
N'eocposer jamais son credit au risque ^^^^
seule entrei^ue, " ',
Car, si Ton n'en sort pas bien, e'est une
perte irreparable. II arrive souvent de man-
quer une fois , et particuliercment la premiere.
Tiridates perferret ; neuferrum traderet , aiit coin-
plexu provincias obtinentium arceretur , foribusve
eorum as sister et ; tantusque ei Romoe , quantus Con-^
sulibus , honor esset. Scilicet extemce superbice sueto
non erat notitia nostri} apud quos jus imperii valet ,
, inania transmittuniur, Ann. i5. Et c'est peut-elre de ce
Vologe'se's que Gracian veut parler.
16*
244 l' HOMME:
L'on n'est pas toujours a point ; et de la vient
le proverbe , ce n'est pas mon jour II faut
done fairc en sorte que si Ton manque la pre-
miere fois , la seconde repare tout 3 ou que la
premiere serve de garant a la seconde qui ne
reussit pas. L'on doit toujours avoir son re-
cours a mieux, etde beaucoup appeler a da-
vantage. Les affaires dependent de certains
cas fortuits , et meme de piusieurs , et par con-
sequent la reussite est un rare bonheur (i).
MAXIME CLXXXVI.'
Dlscerjier les defauts, quoiqu'lls soient devenus
a la mode.
BiEN que le vice soit pare de drap d'or,
rhomme de bicn ne laisse pas de le reconnaiie.
II a beau etre quelquefois couronne d'or , il
ne saurait jamais se deguiser si bien, que l'on
Uc s'apcr^-oive ^ qu'il est de fcr (2). II veut se
(i) Que Tacite appelle transitus rerum. , (Hist, i),
c'est-a-dire , de certaines rencontres favorables , qui
passent incontinent, et par conse'quent , doivent etre
prises de voMe.
(2) Les vices, dit-il, dans le sixieme discours de son
Discrete out beau se trouver dans -les grands person-
nages , ils n'en ont pas plus de cre'dit. Au contraire ,
une tache sui* une etofFe d'or cheque bien plus la vue
que sur la bure.
DE COUR. 24^
couvrir de la noblesse dc ses partisans , mais
il ne depouille jamais sa bassesse , ni la misere
de son esclavagc. Les vices peuvent bien etre
exalles , mais non pas exalter. Quelques-uns re-
marqucnt que tel heros a eu tel vice, mais
lis ne considerent pas que ce n'est pas ce vice
qui Fa erige en heros. Uexemple des grands
est si bon rethoricien qu'il persuade jusqu aux
choses les plus infames. Quelquefois la flatte-
rie a bien affecte jusqu'a des laideurs corpo-
relles (i) , faute d' observer que , si elles se to-
lerent dans les grands , elles sont insupporta-
bles dans les petits. *
MAXIME CLXXXVII.'^'
Faille soi-meme tout ce qui est agreable , et
par autrui tout ce qui est odieucc.
L'uN concilie la bienvcillance , I'autre ecarte
la haine. II y a plus dc plaisir a faire du bien
qua en recevoir. C'est la que les hommcs ge-
r
(i) Un histprien (je crois que c'est Appian) a e'crit,
que les courtisans d'Alexandre affectaient de coucher la
iete sur une e'paule, pbur plafre a leur maitre, qui
tenait ce defaut de nature.
2^6 l' H O M M E
nereux font consister leur felicile (i). II arrive
rarement dc donner du chagrin a autrui , sans
en prendre soi-meme , soit par compassion ,
ou par repass ion (*). Les causes supericures
n'operent jamais qu'il ne leur en reviennc
ou louange , ou recompense. Quele bienvienne
immediatcmenl de toi , ct le mal par un autre.
Prends quelqu'un sur qui tombent les coups
du mecontentcment , c'est-a-dire , la haine et
les murmures (2). 11 en est du vulgaire comme
des chiens^ iaute de connaitre la cause dc son
nial , il jette sa rage sur I'instrument; en sorte
que Finstrument porte fa peine d'un mal dont
il n'est pas la cause principalc.
(*) Par talion.
(1) Un roi Ptolomee disait qu'il valait mieux enrichir
autrui que soi-menie. Et un Spartiate , que la vraie fe'li-
cite des rois e'tait de n'avoir point d'egaux en matiere de
pouvoir ctre bienfaisans et genereux.
(2) Beaucouj? de princes ne se font des favoris que
pour cela ^ et ce que Ton attribue d'ordinaire a la fai-
blesse est tres-souvent un efFet de leur politique. Mille
gens disent toutes les fois qu'ils font des violences et des
injustices dans I'exercice de leurs charges : C'est le prince
qui le veut ainsi; c est pour obe'ir au prince : par oii ils
veulent se de'charger de la haine publique sur le prince.
II est done bien juste que le prince a qui tant d'officiers
font porter leur malle fasse porter la sienne a quelcfu uu »'
DE COUR. 247
MAXIME CLXXXVIII.
Porter toujours en compagnie quelque chose
a louer,
C'est le mojen de se faire passer pour
liomme de bon gout, et sur le jugement de qui
Ton peut s'assurer de la bonle des choses (i).
Celui qui a bien su connaitre auparavant la
perfection saura bien Tcstimer apres. U fournit
matiere a la conversation et a I'imitation , en
y developpant des connaissances plausibles.
Cest une maniere politique de vendre la cour-
toisie aux personnes presentes qui ont les memes
perfections. D'autres au contraire apportent
toujours de c](uoi blamer , et flattent ceux qui
«ont presens , en meprisant les absens , ce qui
leur reussit aupres de ces gens qui ne regar-
dent qu'-au dehors , attendu que telles gens ne
rcmarquenl pas la finesse de parler mal des
uns, dcvant les atitres. Quelques-uns se font
une politique d'estimer davantage les perfec-
tions mediocres d'aujourd'hui que les merveilles
(i) Scias ipsum, dit le jeunePline, plurimis virtue
tibus ahundare , qui alienas sic amat. Ep. 17. lib. i.,
c'est-a-dire , sachez que celui-Ia a Leaucoup de grandes
qualite's qui fait si bien connaitre et estimer celles des
autres.
m
2^S L^HOMME
d'hier. C'est done a rhomme prudent de pren-
dre garde a tous les artifices, par oil tous
ces gens-la tachent d'arriver a leur but , pour
n'etre point decourage par Texageration des
tins , ni cnorgueilli par la flatterie des autres.
Qu il sache que les uns et les autres procedent
de la meme maniere avcc les deux parties , et
ne font que leur donner Falternative , en ajus-
tant toujours leurs sentimens au lieu ou ils se
trouvent.
MAXIME GLXXXIX.
Se prevaloir du hesoin d'autrui.
Si la privation passe jusqu au desir , c'est
la plus efficace des contraintes. Les philoso-
phes ont dit que la privation n'etait ricn , et
les politiques que c'etait tout ; et sans doute
ceux-ci Tont mieux connue. H J a des gens ,
qui , pour arriver a leur but, se font un chcmin
par le desir des autres. lis se servent de Toc-
casion , provoqucnt le desir par la difficulte
de I'obtention (i). Ils se promcttent davantage
(i)Le jeunePline loueTrajan de ce qu'il neressemblait
point a ces princes qui faisaient valoir leurs bienfaits
par la difficulte', croyant que les honneurs seraient plus
^igr^ables aux pre'tendans , quand ils ne les recevraient
DE COtJR. 24g
de Tardenr de la passion que de la tiedeur
de la possession , d'aulant que le desir s'e-
chauffe a mcsurc que croit la repugnance. Lc
vrai secret d'aniver a ses fins est de tenir tou-
jours les gens dans la dependance.
MAXIME CXC.
Troui^er sa consolation partout.
Ceux meme qui sont inuiiles ont celle d'etre
eternels. II xiy a point d' ennui qui n'ait sa con-
solation : les fous trouvent la leur dans le bon-
lieur. La chance en dlt oTfemnie laide y dit
qu apres avoir essuyd la honte d'etre long-temps refuse's ,
et avoir meme desesp^re' dy pai-venir jamais. Tantiim
inter te et illos principes interest , qui benejiciis suis
commendationem ex dijficultate captabant , gracio-
resque accipientibus honores anhitrabantur , si priiis
illos desperatio , et tcedium , et similis repulsce mora,
in notam quamdam pudoremque vertissent. Paneg.
Au reste , la maxime de Gracian est de tres-grand usage
parmi les habiles princes. Joint qu'elle s'accorde fort
avec celle de Tacite qui dit qu'il faut etre lent a accorder
ce que Ton ne saurait oter apres I'avoir accorde'. Tarde
concederet , quod datum non adimeretur. Ann. i5.
Les bonnes paroles des ministres du prince sont un petit
vent qui rafraichit un peu les pre'tendans , mais qui ne
leur ote pas la soif. Chap. 9. de la troisieme partie de
Vlde'e des Nobles.
sSo l'homme
le provcrbe (i). Pour vivrc long-temps, il n j
a qua valoir peu. Le pot fele ne se casse pres-.
que jamais , il dure tant qu'on se lasse de s'eii
servir. II semble que la fortune porte envie
aux gens d'imjiortance , puisqu'elle joint la
duree avcc I'mcapacite dans les uns , et Ije peu
de vie avec le beaucoup de merite dans les
autres. Tons ceux qu'il importera qui vi vent,
manqueront toujours de bonne heure ,* et ceux
qui ne seront bons a rien seront eterncls ,
soit a cause qu'ils paraissent etre tels, ou parce
qu'ils le sont en effet. II semble que le sort
ct la mort sont dc^ concert a oublier un mal-
Lcurcux.
MAXIME CXCI.
\ Cv.v-^^ s^ point rgpaitre d'une courtoisie
eoccessive.
Car c'est une espece de tromperie. Quel-
ques-uns nont pas besoin des herbes de la
' Thessalie pour cnsorceler , ils enchantent les
sots et les presomptueux , par le seul attrait
(i) T^entura de fea, j dicJia de necio , c'est-a-dire ,
chance de laide et bonheur de fou. Discours 25. de son
Agudeza,
D E C O U R. 25l
d'une reverence Us font marchandisc de rhon«-
neur , et paient du vent de quelques bcHes
paroles. Qui pronict tout ne promet rien, et
Ics promesses sont autant de pas glissans pour
Ics fous. La vraie courtoisie est unc dette^ ccUe
qui est affcctee , et non d'usage , est une trom-
perie. Ce n'est pas une bienseance , mais une
dependance ; ils ne font pas la reverence a la
personne , mais a la fortune; leur flatterie n'est
point une connaissance qu'ils aient du nierite ,
mais une recherche de I'utilite qu'ils esperent.
T^ojez la Maxime ii8.
MA XI ME CXCII.
Uhonime de grande paiac est homme da
longue i^ie.
Pour vivre , laisse vivre. Non seulement les
pacifiques vivent ,mais ils regnent. 11 faut ou'ir
et voir, mais avcc. cela se taire. Le jour passe
sans debat fait passer la nuit en sommeil. Vi-
vre beaucoup , et vivre avec plaisir , c'est vivre
pour deux; et c'est le fruit de la paix inte-
rieure. Celui-Ja a tout , qui ne se soucie point
de tout ce qui ne lui importe point. II n'y a
rien de plus impertinent que de prendre a coeur
ce qui ne nous louche point, ou de n'j pas
laisser entrer ce qui nous importe.
2^2 l'hOMMK
MAXIME CXCIII.
J^eille de pres sur celui qui entre dans ton
interet y pour sortir as^ec le sien.
Il n'y a point de nieilleur prescrvalif contre
la finesse que la precaution. A I'liomme en-
tendu, bon entendeur. Quelques-uns font leurs
affaires , en paraissant faire celles d'autrui ; de
sorte qua moins que d' avoir le contre chitfre
des intentions , Ton se trouve a chaque pas
contraint de se bruler les doigts , pour sauver
du feu le bien d'un autre.
' Vojezla Maxime \l^l^.
MAXIME CXCIV.
Juger modestement de soi-meme et de ses
affaires ^ surtout quand on nefait que coni-
mencer d mvre.
TouTES sortes de gens ont de hauls senti-
niens d'eux-memes , et particulierement ceux
qui valent le moins. Chacun se figure une belle
fortune , et s'imagine etre un prodige. L'espe-
rance s'engagc temerairement , et puis I'expe-
rience ne la seconde en rien. La vaine imagina-
tion a pourbourreau la realite qui la detrompe.
1 ©E COUR. :255
C'est done a la prudence a cbrriger de tels ega-
remens ; et bien qu'il soil pqrmis de desirer le
meilleur, il faut toujours s'attendre au pire,
pour prendre en patience tout ce qui arrivera.
C'est adresse que de viser un peu plus haut ,
pour micux dresser son coup; mais il ne faut
f- pas tirer si haut que Ton viennc a faillir des
le premier coup (i). Cette reformation de son
imagination est necessaire , car la presomp-
tion sans Fexperience ne fait que radoter. 11
,^ nj a point de remede plus universel contre
I toutes les impertinences , que lei bon entende-
J - ment (i). Que chacun connaisse la sphere de
I son activite et de son etat; ce sera le moyen de
reglcr Fopinion de soi-meme sur la realite. ,
MAXIME CXGV.
Sc/i^oir estuner.
Il n'j a personne qui ne puisse etre le
maitre dun autre en quelque chose. Celui quj-^
, . ■■^^*
(i) Machiavel dlt-que lorsque les bons tireurs sont a
tirer a un but fort eloigne', ils visent beaucoup plus haut
que n'est le but, non pas pour envojer la fleclie si hatit,
mais pour raieux adresser leur coup en prenant ainsi^
ieur vise'e. Chap, & de son Prince,, y?j»t» ?*'- ^ti'>uiiIlH'>»
(2) Le jugement, dit-il, au chap. 5 du -^e/'djp, estle
Irone de la prudence... et je m'en tiens volontiers au
254 L^HOMME
. excedc , trouve toujours quelqu'un qui Tex-
cede. Savoir cueillir ce qu'il j a de bon dans
cliaque homme, c'est un utile savoir. Le sage
cstime lout Ic monde , parcc qu il sait ce que
chacun a de bon , et ce que les choses content
a les faire bien. Le fou n'estimte personne ,
d'autant qu'il ignore ce qui est bon, et que
son choix va toujours au pire.
MAXIME CX,Q,;y.|,
. , . , -, ..,<:..'.
V^ Connaitre son etoile.
NuL nest si miserable qu il n ait son etoile^
et s'il est malheureux, c'est a cause qu'il ne la
connait pas. Quelques-uns ont acces chez les
princes et chez les grands , sans savoir ni com-
ment ni pour quoi, si ce n'estqueleur sort leur
J a facilite Tentree j de sorte qu'il ne leur faut
qu'un pen d'industric pour maintenir la faveur.
D'autres se trouvent comme nes a plaire aux
3ages. Tel a ete plus agreable dans un pays que
dans un autre , ^t micux recu dans cette ville-
ci que dans 'dpjle-l^. II arrive aussi d'etre plus
sentiment de cette mere qui disait : mon Jils je pria
Dieu de te doiiner assez ^entendement pour savoir
~t€ gouverner, -,w)uf* ►
^ DEC OUR. 255
Leiircux dans un emploique dans tons les autres,
quoique Ton ne soit ni plus ni moins capable.
he sort fait et defait, comme et quand il lui
plait. Chacun doit done s'etudier a connaitre
son destin eta sonder saMinervej d'oii depend
toute la perte , ou tout le gain. Qu il sache s'ac-
commoder a son sort, et qu'il se garde bien
dc le vouloir changer j car ce serait manquer
la route que lui marque I'eloile du Nord.
M A X I M E C X C V 1 1.
Ne s' embarrass er jamais avec les sots.,
C'en est un que celui qui ne les connait pas ,
et encore davantage celui qui , les connaissant ,
ne s'en defait pas. U est danger eux de les ban-
ter et pernicieux de les appeler a sa confidence^
car bien que leur propre timiditc , et Foeil d'au-
trui , les tiennent quclque temps , leur extra-
vagance s'echappe toujours a la fin , parce qu'ils
n'ont differe de la montrer que pour la rendre^
plus solennelle. 11 est bien difficile, que celui
qui ne sait pas conserver son propre credit,
puisse soutenir celui d'autrui. D'ailleurs , les*
sots sont tres-malheurcuxj car la misere est
atlaclioc a rimpertinence , comme la peau aux
OS. lis n ont qu une scule chose qui n'est pas
25G l'homme
tant mauvaise : c'est que , comme la sagesse
des autres ne leur sert de ricn , ils sont au
contraire tres-utiles aux sages, qui s'instrui-
sent et se precautionneni a leurs dcpens (i).
MA XI ME CXCVill.
Savoir se transplanter.
Il y a des gens qui , pour valoir leur prix ,
sont obliges de changer dc pays , surtout
s'ils veulent occuper de grands postcs. La
patrie est la maralre des perfections emi-
nentes (2) ; I'envie y regne , comme en son
pays natal J Ton sy souvient mieux des imper-
fections quun homme avait au commencement,
(i) Cela se rapporte a Tune des sentences de Caton le
censeur , qui disait que les fous sont plus utiles aux
sages^ que les sages aux fous ^ parce que les sages re-
marquent tres-bien les de're'glemens des fous, au lieu
que les fous ne sont pas capables de discerner , ni par
cbnse'quent d'imiter les bons exemples des sages.
{1) Cest pourquoi les plus grands hommes ont souvent
abandonne' leur patrie de naissance j^our s'en faire une
d'e'lection. Quelqu'un reprochant a Diogene d'avoir ete
banni de la sienne par ses comj)atriotes : et moi re'-
pondit-il , je les condainne a j". rester; pour donner a
entendre qu'il n'y a point de pire se'jour que celui de sa
patrie J quand e'en est une ou le roe'rite est odieux»
DK COtlU ^57
que du merite , par oii ii est parvenu a la gran-
deur (i). Une cpingle a pu passer pour une
chose de prix, en passant d\in monde a Fautre j
et quelqucfois un verre a ete pretere a un dia-
niant pour etre venu de loin. Tout ce qui est
etranger est estime , soit a cause qu'il est venu
de loin , ou parce qu'on le trouve tout fait,
etdans saperfection. Nous avons vudes hommes
qui etaient le rebut d'un^etit canton, et qui
sont aujourd'hui I'honneur du monde ^ el ant
egalement reveres de leurs compatriotcs et
des etrangersj des uns , parce qu'ils en sont
loin ; et des autres , parce qu*ils sont de loin.
Celui-la n'aura jamais beaucoup de veneration
pour une statue, qui Pa vue pied d'arbre dans
un jardin.
MA XI ME CXClX.
/
Sa^oir se mettre sur le pied d'honmie sage >
et non d'honiine. iiitriQ-ant.
Le plus court cliemin , pour arrivcr a la
reputation , est celui des merites. Si Findus-
(i) Car, au dire (le Tacite , c'est un defaut attache a
I'esprit de rhomme , de ne regarder qu'avec envie la
fortune re'cente de ceux a qui on etait e'gal auparavant :
insita morlalibus natura <, , recejitem aliormn felici-*
m
J258 l'homme
trie est foiidee siir le merite , c'est le vrai moyen
do parvciiir. L'integrite seule ne sudlt pas j
le seal enlregent ne fait pas le.mcritc, car
les clioses se trouvent ajors si detectueuses
qu'elles dounent dii degout. U est done je-
quis , eJ: d'avoir du nierile et de savoir s^in-
troduire.
M A X I M E C C.
As^oir toujours quelque chose a deslrer pour
n'etre pas rnalheureuoc dans son bonheur.
Le corps respire et I'esprit aspire. Si Fon
etait en possession de tout, Ton serait degouLe
tatem oegris oculis iiitrospicere. Hist. 2. C'est de celte
envie que naquirent V Ostfacisme a Sparte, et le Pela-^
li sine Si Syracuse 'y car, ni I'un ni I'autre n'e'taient point
line piinition de crime commis centre I'Etat, mais seu*-
lement un rabais et une diminution de I'autorite' et de
la reputation des particuliers. Te'moin ce qui fut re'pondu
a Aristide par un de ses concitojens a qui il demandait
la cause de son aversion : c'est , dit-il , quon fa donne'
le surnom de Juste. Oii il est bon d'expliquer en passant
les mots d'ostracisme et de petalisme. Ostracisme si-
gnifie proprement coquillage , attendu que les voix se
recueillaient par coquilles oii e'tait ecrit le iiom du ci-
tojen que Toji voulait bannir^ au lieu qu'a Syracuse on
I'ecrivait sur dcs feuilles de chenes , appele'es en grec
'x:ir(t?^«t> d'oii est venu le nom de petalisme , qui veut
iiire Jeuillage.
'*
BE COtJR. 559
de lout (i), II est meme iiccessaire a la satis-
faction de reiitendement qu'il lui reste tou-
jours quelque chose a' savolr pour repailre sa
curiosile. L'esperance faitoiivre , et le rassasie-
nicnt de plaisir rend la vie a cliarge. En fait
de i^ecompensc, c'est adresse de ne la donner
jamais toutc entiere (2). Quand on n'a plus
rien a desircr, tout est a craindre ^ c'est une
felicite nialheureuse. La crainte commence par
oil finit le desir.
MA XI ME CCI.
Tons ceuoc' qui paraissent foiis le sbnt ^ et
et encore la moitie de ceuoc qui ne le pa-
raissent -pas, ~ '
La folie s'est emparee du monde^* ct s'il j a
lant soit peu de sagesse , c'est pure folie en
(i) Cest peut-etre pour cette ralson qn' Alexandre
distribua tous ses tresors a ses amis, disant qu'ils se reser-
vait l'esperance. II en est, dit Juan Riifo , du de'sir de
riiomme comme des enfans , qui pleurent pour avoir
tout ce qu'ils voient et puis le jettent ou le rompent dea
qu'ils I'ont entre les mains. Apophtegme 10.
(2) Tacite dit , que le degout prend egalement a
ceux qui ont tout donne' et a ceux qui ont tout regu*
Satietas capit illos , dan omnia tribuerunt ; hos , ciim
jam nihil reliquum est , quod cupiant. Ann, 5. Car
2G0 L*HOMME
comparalson de la sagesse 4'en haul. Mais le
plus grand fou est celui qui ne croit pas I'etre ,
et accuse tous les autres. Pour elre sage , il ne
suffit pas dc le paraitre a soi-meme. Cciui-la
Test qui ne pense pas Fetre j ct celui qui ne
s'apercoit pas que les autres voient , ne voit
pas lui-nieme. Quelque plein que le monde
soit de fous et de sots ^ il n'y a personne qui
le croie etre , ni meme qui s'en soupconne.
MAXIME ecu. (
Les dits et les fails rendent un homme
accompli.
Il faut dire de bonnes clioses , et en faii'e de
belles. L'un montrc une bonne lete , et I'autre
un bon coeur, et Fun et Fautre naissent de la
superiorite de Fesprit. Les paroles sont Fombre
des actions (i). La parole est la femelle , et
*^FAiiVE est le male. 11 faut mieux etre le sujct du
panegjrique que le panegjriste. 11 vaut mieux
rccevoir des louanges que d'cn donner C^). Le
\g<, premiers ont clu cliagrin de n'avoir plus rien at
donner ; et les seconds de n'avoir plus rien a recevoir.
(i) Democrite apellait le discours I'ombre de Faction.
(2) Quelqu'iin demandant un jour a Tlie'mistocle , le-
quel il aimerait mieux etre , Achille ou Homere : C'est
DE COUB. 261
DIRE est aise , le faire est difficile. Les beaux
faits sont la substance de la vie , et les beaux
mots en sont Tornement. L' excellence des faits
est de durec , celle des dits est passagere. Les
actions sont le fruit des reflexions. Les uns
sont sages, les autres sont vaillans.
MAXIME CCIU.
Connaitre les eoccellences de son Steele.
Elles ne sont pas en grand nombre, il n'j
a qu'un phenix dan^ le monde. En tout un
grand capitaine, un parfait oratcur , un sage ;
et il faut plusieurs siecles pour trouver un
excellent roi. Les niediocrites sont ordinaires ,
soit pour le nombre, ou pour I'estimej mais
les excellences sont rare's en tout , parce qu elles
demandent une perfection accomplie; et que
plus la categoric est sublime , plus il est diffi-
cile d'en atteindre le plus haut degre. Plusieurs
ont usurpe le surnom de Grand a Cesar et a
Alexandre, mais en vain ; car, sans les faits,
la voix du peuple n'est qu'un peu d'air. II y a
cu peu de Seneques , et la i-enommee na ce-
lebre qu'un seul Appeles.
me demander , repondit-il , si faimerais mieux etre
le he'raut que le vaincjueur.
(
t-
262 l' HOMME
M A X I I\I E C C I V.
Ce qui est facile se doit entreprendre y comme
yd etait difficile ; et ce qui ^st difficile ,
comme s'u etait facile.
»
L'uN , de peur de se relacher par trop de
coniiance j I'autre , dc peur de perdre courage
a force de trop craindre. Pour nianquer a
faire une chose , il n j a qu a la compter pour
faite j au contraire la diligence surmonte Fim-
possibilite. Quant aux grandes entreprises., il
nj faui pas raisonner, ^ suffit de les enibras-
ser, quand elles se presenterit (i) , de peur que
la consideration de leur difficultc' ne les fasse
abandonner. ^ >; '
MAXIME CV.
> , Savoir jouer de mepris.
Le vrai secret d'obtenir les choscs qu'on de-
sire , est dc les depriser (2). D'ordinaire on ne
(i) Jules-C^sar , dit-il dans le trentieme discours de
son Agudeza , disait , que les grands exploits se doivent
exe'cuter sans delibe'rer , de peur que la consideration
du danger ne re'froidisse la j^reniiere ardeur du courage,
"^ (0 C'est une ruse que les Italiens pratiquent en nia~
tiere d'amour ^ d'oii vient leur proverbe ; Chi,sprezza
ama ; c'est-a-dire , Qui me'prise aime.
, • •■^. * '
■ I
DE COITR sGj
les trouve pas quand on Ics clierclic , au lieu
qu'cllcs se presenteiit d'elles-memes quand on
ne s'cn soucie pas. Conime les choscs de ce
monde sont I'ombre de cellcs du del, dies tien-
nent cette propriete de I'ombre, qu'ellcs fuicnt
celui qui les suit , et poursuivent celui qui les
fuit. Le mepris est aussi la plus politique ven-
geance. C'cst la maxime universellc des Sages
de ne se defendre jamais avec laplmiie ,parcc
qu'elle laisse des traces qui tournent plu5 a la
gloire des ennemis , qu'a leur humiiiation (i) :
outre que cette sortc de defense fait plus d'hon-
neur a I'envie , que de mortification a i'inso-
cence. C'est une finesse des petites gens de tenir
tete a de grands hommes , pour se mettre en
credit par une voie indirecte , faute d j pouvoir
etre a bon droit (2). Bien des gens n'eussent
(i) Le livre des Sacremens qu'Henri VIII , roi d'An-
gleterre , e'crivit contre Lulher , ne servit qu'a mettre
cet he're'siarque en cre'dft. Vn si grand nom , dit Fra^
Paolo , livre i . de son liistoire du concile de Trente ,
serv^ a r^ndre la dispute pliis curieuse et a concilicr la
faveur liniverselle a Luther , comme il arrive d'ordi-
naire dans les tournois et dans les joutes , ou les spec-
tateurs ont toujours de la partialite' pour le plus foible.
(i) Tels qu'e'taient sous Tibere un Hispon , qui faisait
gloire d'attaquer tons les plus grands personnages de
Tempire^: Egens, ignotiis , clarissimo ciiique periculum
facessit. Tacite^ Ann. i.UnTrion, qui prenait plaisir
:>.64 l'iiomme
jamais ele sConnus , si ci'excellens advcrsaires
ii'eussenl pas fait etat d^eux. 11 ny a point de
plus haute Ycngeance que roubii(i); car c'cst
ciisevelir ces gens-la dans la poussiere de leur
neant. Les lemeraii^es s'imaginent de s'cterniser
en nicttant le feu aux mei veilles du monde et
ds'e les.L'artde rcpnmerla'medisance,c'est
de ne s'en point soucier(3 ). Y repondre , c'est
se porter prejudice j s'en offenser, c'est se de-
crediler (5) , et donner a Fenvie de quoi se com-
plaire^ car il ne faut que cette ombre de defaut,
sinon pour oLscurcir entierement une beaule
parfaite,dumoinspour lui oter son plus vif eclat.
a se faire de grands ennemis : Tino facilis capessendis
inlmicidis. Ann. 6. Un certain Othon , qui de maitre
d'e'cole devenu se'nateur , croyait relever la bassesse de
sa naissance par I'insolence et la te'inerite' de ses actions :
Sejani potenlid senator , obscura initia impudentibus
ausis propellebaf. Ann. 5. Et divers autres qui ont
clierche' a se rendre illustres , ou du moins redoutables,
en s'attirant de grandg ennemis ; TJt magnis inimicitiis
clarescerent. Hist. i.
(i) Quelquefois les princes laissent vivre des^ens*tjui
les ont offense's, oblivione magis , quam dementia ,
ditTacite^ Ann. 6. , par oubli plutot que par clemcnce,
(2) Te'moin le mot de cet Atlie'nien , qui sur ce qu'uu
autre lui disait : Pourquoi medis tu de moi ? re'pondit :
Parce que tu t'en soucies.
(5) Namque, dit Tacite. Ann. 4. Spreta exolgscunt ;
si irascare , agniia videntur.
BE COUR. 265
M AXIME CCVI.
11 J" a partout un vulgaire,
A Corinihe meme, et dans la famille la plus
accomplie; et chacun rexperimentc dans sa pro-r
pre maison. II y a non sculement un vulgaire ,
mais encore un double vulgaire , qui est le pire.
Celui-ci a les memes proprietes que le commun
vulgaire , de meme que les pieces d'un miroir
casse ont toules la meme transparence^ mais il
est bicn plus dangereux. Ilparle en fou, et cen-
sure en impertinent (i). C'est le grand disciple
de I'ignorance , le parain de la soitise , et le pro-
che parent de la charlalancric. II ne faut pas
s'arreter a ce qu'il dit , encore moins a ce qu'il
pense. II importc de le connaitre , pour pouvoir
s'cn delivrer si bien , que Ton n'en soil ni le
compagnon , ni I'objet ; car toute sotlise lient
de la nature du vulgaire , et le vulgaire n'est
compose que de sots.
(i) Le vulgaire , dit Macliiavel , au cliap. i8. cle sou
Prince , ne s'arrete qu'aux apparences , et ne jug^que
par les e'venemens ; et il r>'y a presque dans le monde
que le vulgaire. 11 n j a point d'aristocratie si parfaite ,
dit Fra-Paolo , liv. 6 de son Histoire du concile de
Trente , qui nq soit partage'e en gens d' elite et en
populace.
256 L'nOMiME
MAXIME CCVII.
User de retenue.
Il faut prendre garde a son fait, surtout dans
les cas imprevus. Les saillies des passions sont
autant de pas glissans , qui font irebucher la
prudence, c'est la qu'est le danger de se perdre.
Un homme s'engage plus dans un moment de
fureur ou de plaisir, qu'en plusicurs heures d'in-
dlfFerence. Quclquefois une petite cchaufFource
coute un repentir qui dure toute la vie. La ma-
lice d'autrui dresse des embuches a la prudence,
pour decouvrir terre. Elle se sert de celle sorte
dc torture , pour lircr le secret du coeiir le plus
cache. II faut done quelaretenue fasse la contre-
batterie, et particuliercment dans les occasions
chaudes. II est besoin de beaucoup de reflexion,
pour empecher une passion de se decharger.
Celui-la est bien sage qui la mene par la bride.
Quiconque connait le danger , marche a pas
comptes. Une parole parait aussi offensante a
celui qui la recueille ct lapese, qu'elle parait de
pdl.de consequence a celui qui la dit.
:k . , ...
DE COUR. 2^7
MAXIME CCVIII.
Ne point mourir du mal cU foil.
D'oRDiNAiRE les sagcs meurent pauvres de
sagesse -, au contraire , les fous meurent riches
de conseil (i). Mourir en fou , c'est mourir de
trop raisonner. Les uns meurent parce qu ils
sentent^ et les autres vivent parce qu'ils ne sen-
tent pas : en sorte que les uns sont fous , parce
qu'ils ne meurent pas de sentiment^ etles autres*,
parce qu'ils en meurent. Celui-la est fou qui
meurt de trop d'entcndement j si bien' que les
uns meurent d'etre bons entendeurs , et les au-
tres vivent de n'etre pas ejitendus .M.dcis quoique
beaucoup de gens meurent <3n fous , tres-peu
de fous meurent.
MAXIME CCIX.
Ne point donner dans lafolie des autres.
C'est I'effet d'une rare sagesse, ear tout
ce que Texemplc et Tusage introduisent , a
beaucoup de force. Quelques - uns , qui ont
pu se garanlir de I'ignorance particuliere ,n'ont
pas su se soustraire a I'ignorance generale. C'est
un dire commuh , que personne n'est content
(0 Parce qu'ils ne remploient jamais diirant leur vie.
^68 l' H 0 M M E
de sa condition , bien que ce soit la mcilleure ;
ni mecontent de son esprit , quoique ce soit le
pire. Chacun envic le bonheur d'aulrui , faiitc
d'etre content du sien. Ceux d'aujourd'hui
louent les choses d'hier , et ceux d'ici celles de
de la. Tout le passe parait meilleur (i) , et tout
ce qui est eloigne , est plus estime. Aussi fou
est celui qui se rit de tout , que celui qui se clia-
grine de tout.
MAXIME GCX.
Sai^oir jouer de la verite.
Elle est dangereuse , mais pourtant rhommc
de bien ne pent pas laisser de la dire, et c'est la
qu'il est besoin d'artifice. Les habiles medecins
de Fame ont essaye tous les moyens de Fadou-
cir , car lorsqu elle touche au vif , c'est la quin-
(i) T^etera extollimus , ditTacite, recentium incu-
rlosi. Ann. 2. T^itio autem malignitatis humance , dit
Quintilien , Vetera semper in laude , prcesentia in fas-
tidio : c^uoiqyLG nee omnia apudpriores meliora. Tacite
Ann. 5. Toute notre veneration est pour le passe', et
toute notre envie contre le pre'sent , parce qu'il nous
semble que le pre'sent nous est a charge , au lieu que
le passe' nous instruit .* Proesentia invidid , prceterita
veneratione prosequimur ; et his nos obrui , illis ins-
trui credimus , dit Paterculc. Hist. 2.
t)E COUR* 26g
t essence de ramertume. La discretion deve-
loppe la toute son adresse -, avec unc meme vc-
rite , elle flattc Tune et assomme I'autre. II faut
parler a ceux qui sonl prescns , sous le nom des
abs^ns ou des morts. A un bon entendeur , il
ne lui faut qu'un signe^ et quand ccla ne suffira
pas , le meilleur expedient €st de se taire. Les
princes ne se guerissent pas avec des remedes
amers ; il est de la prudence de leur dorcr la
pilule.
Dans la critique IIP de la troisieme partie
de son Criticon , il dit , qu'apres plusieurs con-
sultations faitcs sur les niojens de rappeler la
verite dans le mondo , d'oii les hommes I'avaient
chassee , pour mettre le mensonge en sa place ;
il fut delibere de la detremper avec force sucre,
pour lui oter son aniertunie , et puis de la sau-
poudrer de beaucoup d'ambre, pour tempercr
i'odeur forte et desagreable qu'elie rendait.
Apres quoi on la donnerait a boire aux hommes
dans une tasse d'or , et non pas dans un verre ,
- de peur qu'il ne la vissent au travers , en disant
r* que c'etait un breuvage bien exquis, apporte
de bien loin , et plus precieux que le chocolat,
le cafe et le sorbet : Etpuis il ajoute : Uon com-
nienca par les princes , afin qu a leur exemple
tout le monde en voulut boire ^ mais comme ils
gut Fodoz^at tres-fln , ils sentireut d'une liquc
i^no l'homme
ramertume de cette boisson, ct commence rent
d'avoir mal au coeur , et de s'efForcer a vomir , etc.
Et dans son Discret , au dialogue intitule^ El
huen Entendedor ^ il introduit un docteur, qui
dit : Aujourd'hui, de dire la veriic , cela s'ap-
pelle sotlise et betisc. Et il repond : Aussi per-
sonne ne la veut-il dire a ceux qui n'ont pas
coutume de I'entendre. li ne reste plus rien
d'elle dans le monde, que quelques parcelles ,
et encore ne semontrent-elles qu'avcc mjstere,
ceremonie et precaution. Avec Ics princes (re-
prend le docteur ) on biaise toujours.C'cst done
a eux dy bien aviser (repond Gracian) , d'au-
tant qu'il j va de tout perdre ou de toutgagner.
La verite, ajoutc le docteur, est une demoiselle
qui a autant de pudeur que de beaute , et c*est
pour cela quelle va toujours voilee.Mais ilfaut,
replique Gracian, que Ics princes la decouvrent
galamment (i). Us doivent lenir beaucoup de
la condition des devins et des Ijnxs pour pene-
trer la verite , et discerner la tromperie. Plus
chacun s'etudie a ne leur dire la verite qu'cntre
(i) Antoine Perez dit , que c'cst pour la savoir , que
les princes tiennent des fous aupres d'eux. Ne sois pas
surpris , dit Gracian , si tu vois les rois environne's de
fous , car ce n'est pas sans mystcre. " Ces fous sont a leurs
cot^S , non pas pour les dirertir , mais pour les avertir.
Critique 5. de la troibieme parlie de son Criticon.
DE couR. ' ^'yr
ses dents , et plus il la leur donne machee et fa-
cile a digerer , afiu quelle leur fassc plus do
profit. Maintenant le desahusement est politi-
que j il va d'ordinaire enlre deux lumieres , ou
pour se retirer a,ux tenebres de llatterie , s'il
rencontre un sot , ou pour passer a la lumiere
de la verite , s'il rencontre un homme d'esprit.
MAXIME CCXI.
Au del tout est plaisir y en enfer tout est peine ^
le nionde comme jnitoj^j^^Uent de Fun et
de r autre.
ya^Mei
Nous sommes entre les deux extremiles , et
ainsi nous tenons de toutcs les deux. H j a une
alternative de sort , ni tout ne saurait etre bon-
heur, ni tout etre rnalhcur. Ce monde est un**
zero , tout seul il ne vaut rien , joint avec le ciel.
il vaut beaucoup. G'est sagesse d'etre indifie-
rent a tous ses cliangemens , parce que la nou-
veaute n'est point le fait des sages. Notre Tie se
joue comme une comedie, sur la fin elle.vient^'
a se degager j le point est de la bien finir.
Informes hiemes reducit Jupiter , idem
Summovet : nqn si male nunc , et olim
Sic erit , (lit Horace, Ode lo. Carni. 2.
272 L HOMMK
MAXIME CCXII.
Se reserver toujours le fin de Vart,
Les grands maitres iisent dc cctte adressc,
lors meme qu'ils enscigricnt Jeur metier, llfaut
toujours garder une superiorie , et rcster le
maitre (i). En communiquant son art , il est be-
soin dc le faire avec art. 11 ne faut jamais epui-
ser la source d'enseigner , ni celle de donner^
c'est par la que Ton conserve sa reputation et
son autorite. !i^^Matierc de plaire et d'ensei-
gner , c'est un^lB^d prccepte a garder , que
d'avoir toujours de quoi paitre I'admiration, en
poussant la perfection toujours plus avant. En
toutes professions , et particulierement dans les
emplois les plus sublimes, ca ete une grande regie
de vivre et de vaincre, que de ne se pas pro-
diguer.
(i) Comme il j a des regies de Fart , dit Antoine
Perez , il j en a aussi de I'artisan. Celles de I'art soiit
communes a tons ceux qui le professent • mais les au-
tres sont particulieres a I'artisan , comme les ajant trou-
vees par sa propre industrie et a force d'experiencCr
Ainsi , il communique liberalement les premieres , mais
non pas les secondes. Dans les Aphorismes de ses se^
condes leaves .
DE COUR. 375
MAXIME CCXIII.
Savoir contredire.
C^EST line excellente ruse , quand on le sait
faire , non pas pour s'engagcr , 411 ais pour en-
gager; c'est Tuniquc torture qui puisse faire
•^ saillir les passions. La lenteur a croire est un
vomitif qui fait sortir les secrets; c'est la clef
pour ouvrir le coeur Ic plus renferme. La double
sonde de la volonle et du jugement dcmande
une grande dexterite. Un mepris adroit de
de quclque mot mysterieuxd'un autre donne la
chasse aux plus impenetrables secrets , et , par
iin agreable sucement , les fait venir jusque sur
le bord de la langue , pour les prendre dans les
filets de rartifice. La retenue de celui qui sc
tient sur ses gardes , fait que son espion se
retire a Fecart; et qu ainsi il decouvre la pensee
d'autrui , qui autrement etait impenetrable. Un
doute affecte est une fausse clef de fine trempe,
par oil la curiosite entre en connaissance de
lout ce qu'elle vcut savoir. En maticre d'ap-
prendre , c'est un trait d'adresse au disciple que
de contredire son maitre,d'autant que c'est une
obligation qu'il lui impose de s'eflbrcer a expli-
quer pJus clairement et plus solidement la ve-
rite ; de sorte que \d^ qomradiciion moderee
i8
274 l'homwe
donne occasion a celui qui enselgiie , d'ensei-
gner a fond.
MAXIME CCXIV.
D'une foUe n^ en pas f aire deux,
II est tres-ordinaireapies line souisefaite,d'cn
faire qiiatre autres pour la riiabiJler; Ton excuse
une impertinence par une autre plus grande.
La sottise est de la racfc du mensonge , ou cclui-
ci de la race de la sottise; pour en soutenir une,
11 en faut beaucoup d'autres. La defense d'une
inauyaise cause a toujours etc pire que la cause
mcme (i). C'est un mal plus grand que le mal
nieme , de ne le sa\ oir pas couvrir (2). C'est le
revenu des imperfections, d' en mettrebaaucoup
d'autres a rente. L'hommele plus sage peut bicn
faillir une fois , niais non pas deux ; en passant
et par inadvertance , mais non de sens rassis.
P'oyez la Maxime 261.
(i) Juan Riifo dit agreablement , que c'est emprunter
<3e Fargent a gros inte'ret poiir acquitter une dette qui
ne monte pas si liaut que cet int^ret. Apophtegme 52.
(2) Le cardinal Madruce , <iit - il , dans le second
chap, du Heros , ne traitait pas de sot celui a qui i\
fc'cliappe une sottise } mais bien celui qui I'ayant fait«
ns la sait pas cacher.
D E CO U R. 275
M A X I M E C C V.
Avoir Vodil sur celui qui j one de seconde
intention.
Cest une ruse d'homme de ncgociation , d'a-
niuser la volonte pour I'attaquer , car elle est
vaincue , des qu elle est convaincuc. On dissi-
mule sa pretention pour j parvenir , oh se
met le second en rang , pour elre Iq premier
dans Fexecution; on assure son coup sur Tinad-
vertance de son iidversairc. Ne laisse done pas
dormir ton attention, puisquel'intcntionde ton
rival est si eveillec. Et si Tintention est feconde
en dissimulation , il faut que le discernement
soit premier en connaissance. C'est a la precau-
tion de reconnaitre I'artifice dont la personne
sc sert , et de remarquer les visces qu'elle prend,
pour frapper au but de sa pretention. Comme
elle propose une chose et en prcietj^dtme autre,
ct qu elle se tournc et retourne pour arrivei*
finement a ses fins , il faut bien regarder a ce
qu on lui accorde ; et quelquefois meme il sera
bon de lui donner a entendre que Ton a com-
pris sa pensee.
iS
2'j6 l' H O M M E
MA XI ME CCVL
Parle r net.
Cel A montre, non seulenicnt du degagemcnt,
niais encore de la vivacite d'esprit. Quelqiies-
uns coticoivent bien, et eiifantent mal^ car sans
la clarte , les enfans dc I'ame^ c'est-a-dirc , les
pensecs , les expressions , ne sauraient venir au
jour. U en est de certaincs gens , comme de ces
pots qui tiennent beaucoup, et donnentpcu (i) :
au contraire, d'aulres en disent encore plus qu'ils
n'en savcnt (2). Ce que la resolution est dans
la volonte, rcxpressionl'cst dansrentendemcnt;
ce sont deux grandes perfections. Les esprits
nets soul plans ib le s ; souvent les esprits confiis
ont etc admires, pour n avoir pas ete entendus.
Quelquefois I'obcurite sied bien pour se distin-
guer du vulgairc (5). Mais comment les autres
(1) A les entendre , dit Erasme, dans un de ses dia-
logues , on dirait qu'ils ont appris a confesse tout ce
qu'ils savent , tant ils ont peu de liberte' d'en parler,
(2) Dans le siecle passe' , Ton disait au palais que
Tavocat ge'ne'ral Jean-Baptiste du Mesnil disait plus qu'il
ne savait; mais que le procureur-ge'ne'ral Gilles Bourdin
savait plus qHi'il ne disait.
(5) C'est en partie pour cela que Tibere affectait de
parler ambigument. ConsuUo ambiguus , dit Tacite
Ann. i3. Et c'est, au sentiment des politiques , une
DE COUR. ^J"]'
jugeront-ils de ce qu ils ecoutent, si ceux qui
parlent ne concoivent pas cux-memcs ce qu'ils
disent?
MAXIME CCVII.
Ik
II nefaut ni aimer fit hair pour touj ours.
Vis aujourd'hui avec tes amis, comme avec
ceux qui peuvent etrc demain les pires enne-
mis (i). Puisque cela se voit par Texperience ,
il est bien juste de danner dans la prevention.
Garde-toi de donner des armes aux transfuges
de Tamitie , d'autant qu'ils t'en font la plus
cruelle guerre. Au contraire , a I'egard de les
ennemis , laisse toujours une porte ouverle a li\
I'econciliation (2) , c'est-a-dirc , celle de la ga-
perfection plutot qu'un de'faut dans les princes , a qui
il sied bien de parler comme les oracles , per ambages ,
lit mos oraculis. Ann. 2.
(i) Les uns attribuent ce precepte a Tliales , les autres
a Chilon , et quelques-uns Texpriment en ces tefrnes :
Aime coninie pouvant hair , et liais comme pouvant
aimer. Sfcipion I'Africain disait , qu'il ne poiivait croire
aucun des sept Sages Fauteur d'une maxime qui sappe
le principal fondement de I'amitie ^ c'est - a - dire , la
confiance.
(2) Cest en ce sens que Cnton disait, qn'il fallait quel-
quefpis de'rioiier une ami lie , mais jamais la rorai^re.
278 l' H O M M E
lanterie, qui est la plus sure. Quelquefois la vcn"
geance d'auparavant a ete la cause du regret
d'apres, et le plaisir pris a faire du mal , s'est
loarne en dcplaisir de I'avoir fait (i).
MAXIME GCXVIIL
Ne rleri faire par caprice , mais tout avec
circonspeetion.
Tout caprice est un aposlume; c'est le fils
aine de la passion , qui fait lout a rebours. II y
a;des gens qui tournent tout en petite guerre.
Dans la conversation ce sont des bandouliers;
de tout ce qu'ils font , ils en voudraicnt faire un
trioniphe, ils ne savent ce que c'est d'etre paci-
fiques. En maliere de commander et de gouver-
ner_, ils sont pernicieux , pai*ce que du gouver-
nemcnt ils en font une ligue oflensive , et de
ceux qu'ils deyraicnt tenir en qualite d'cnfans ,
ils en forment un parti d'ennemis. lis veulent
tout mener a leur mode, et tout emporter
comma chose dwe a leur adresse; Mais des que
Ton vient a deeouvrir leur humeur paradoxe ,
(5) C'est pour cela quun des sept Sages disait, qu'il
valait mieux pardonner que de se repentir.
DE COUR. :279
i'on se met en garde contre eux, leurs cbimeres
sont rclancecs j et par consequent, bienloia
d'arriver a leur hut , ils ne remportent qu un
am as de chagrins , chacun aidant a les mortificr.
Ces pauvres gens ont le sens hlesse , et quel-
quefois aussi le coeur gate. Le mojen de sc dc-
faire de tels monstres est de s'enfuir aux anti-
podes , dont la harharie sera plus supportahle
que rhumeur ferpce de ces gens-la.
MAX I ME CCXIX.
Ne point passer pour honime d* artifice.
Veritablement on ne saurait vivre aujour-
d'hui sans en user ; mais il faut plutot choisir
d'etre prudent que d'etre (in (i).'*L'humeur
( I ) La finesse est une bonne qualite lorsqu*elle ne
passe point les bornes de la prudence y mais c'es! un
grand vice quand elle va jusqu'a la tromperie. L'on se
doit servir de la finesse comme d'un remede contre \k
malice des autres, mais non pas comme d'un poison.
JL.e jeune Pline dit , que, vu la malice des honmes et
la condition malheureuse du temps , c*est prudence que
de troraper les medians. Quos declpere , pro moribus
temporuni , prudenda est. Ep. j8. lib. 8. La comtesse
d'Aranda dit , qu'un homme d'honneur doit plutot cboi-
sir d'etre trompe que de tromper. Chap. 7, de lia seconde
partie de son Idee des Nobles. ■■ > -5!
:28o l'hommje
ouyertc est ag re able a tout le nlonde , mais bieft
des gens n'en vculent point chcz eux. La since-
rite ne doit jamais degenereren simplicile, ni
la sagacite en finesse. II vaut mieux etre respecte
comme sage , que craint comme trop penetr mt.
Les gens sinceres sont aimes , mais trompes. Le
plus grand artifice est de bien cacher ce qui
passe pour tromperie. Lacandeur ilorissait dans
iesiecled'or , la malice regnea sou lour dans ce
siecle de fer. Le renom de savoir ce que Ton a
a faire est honDrablc , et attire la confiance -,
mais celui d'etre artificieux est sophistique , el
engendre la defiance.
MA XI ME CCXX.
Se couvrir de la peaii du rencird quand on ne
pent pas se servir de celle du lion (i).
Savoir ceder au temps , c'est exceder (2). Ce-
lui qui vient a bout de son dessein , ne perd ja-
( I ) Maxime de Lisander , qui- disait , qu'il fallait
coitdrala peau du renard ou manquait celle du lion.
(2) Tempori cedere , id est, necessitati parere ,
semper sapientis est habitum , dit Cicero irj c'est-a-
dire : I'oti a tou jours cru que c'etait un trait de sagesse
de ce'der au temps. Et dans un autre endroit , il dit que
le prince obe'ifj au temps comme les sujets obe'issent au
prince : Nds principi servimus , ipse temporibus. Ep.
lib. 9.
DE COUR. 281
mais sa reputation (i),- I'adresse doit suppleer
a la force. Si Ton ne saurait aller par le chemin
rojal de la force ouvcrte, il faut prendre la route
detournee de Tartificej la ruse est bien plus ex-
peditive que la force (2).Les sages ont plus sou-
vent vaincu les braves, que les braves n'ont
-vaincu les sages, Quand une entreprise vient k
manquer, la porte est ouverte au mepris.
MAXIME CCXXI.
N'etre point trop prompt a s'engager nl a
engager aiitrui.
Il J a des gens nes pour broncher, et pour
faire broncher les autres contre la bienseance.
(i) Particulierement les princes. Nihil gloriosum ,
nisi tutum , dit Saluste , et omnia retinendoe domina-
tionis honesta ; c'est-a-dire : il n j a rien de glorieux
que ce qui est bien sur , et tout ce qui sert a conserver
la domination est toujours honnete.
(5) Te'moin tout le regne de Tibere , qui fit autant par
la ruse qu'Auguste par les armes. Se novies a D. Au-
gusta in Germaniam missum plura consilio , quam vi
perfecisse. Tacite. Ann. q.. Loetiore Tiherio , quia pa-
cem sapientid firmaverat , quam si bellum per acies
confecisset. Ibid. Et dans un autre endroit Tacite dit ,
que les princes terrainent plus d'affaires par la ne'gocia-
tion que par les armes. Pleraque in summa fortuna
' auspiciis et consiliis , quam telis, et manibus geri.
Annal. i5.
aSl l' H O M M E
lis som toujours a point pour faire des soitises.
lis ont une grandc facilile a donuer un rude
choc , mais ils se brisent malheureusement. Us
n'en sont pas quittes pour cent querelles par
jour. Conime ils ont Thumeur a contre-poil , ils
contredisent a tout et a tous ; ajant le jugement
<ihausse de travcrs , ils desapprouvent tout. II
n'appartient qu'a ces grands avenluriers de pru-
dence de ne rien faire a-propos , et de censure r
tout. Que de monslres dans le vaste pays de
i'impertinence I
MAXIME CCXXII.
Vhomme retenu a toute Tapparence d'etre
prudent.
La langue est une bete sauvage , qu'il est
tres-difficile de remeltre a la chaine^ quand elle
est une fois echappee. C'est le pouls par ou les
sages connaissent la disposition de Tame; c'est
J,a que les personnes inlelligcntes tdtent le mou-
vement du coeur. Le mal est que celui qui de-
vait etre leplus discret , Test le moins. Le Sage
s'epargne des chagrins et des engagemens , et
montre par la combien il est mailre de soi-meme,
il agit avec circonspection ; c'est un Janus eix
equivalent, et un Argus en discernenicnt. Mo-
DE COUR. 2S5
mus eut eu meilleure raison de dire , qu'il man-
cpaxt des jeux aux mains, que de dire qu'il fal-
lal t une petite fcnetre au cceur.
Vojez la Maxime i{fi* .
MAXIME CCXXIIL
N^^trepas trop singulier ^ ni par affectation ni
4jfft>»,>*3 par inadvertunce,
QuELQUES gens se font remarquer par leur
slngularite , c est-a-dire , par des actions de fo-
lic, qui sont plutot des defauts que des diffe-
rences j et comnie quelques-uns sont connus
de tout le monde , a cause qu ils ont quelque
chose de tres-laid au .visage ; ceux-ci le sont par
je ne sais quel cxces qui parait dans leur contc-
nancc. II ne sert de ricn de se singulariscr , si-
iion a se f aire passer pour uu original imperti-
iicnl: j ce qui provoque alternativement la mo-
querie des uns , ct la mauvaise humeur des
,^atutres. ■ jjl-^;^.;-.^..^..
' Cette Maxime e'tant dree du Chapitre de ^on Dig-
cret , intitule la Figureria , il me sem.ble a propos d'ert
mettre ici Vextrait pour commentait^e.
11 J a, dit-il , beaucoup de gens qui servent
de but aux traits de larisee , et ceux-la vculent
bien en seryir tout exprcs , qui , goi^^ sadistin-
284 l' H O M M E
guer dcs autrcs , affectent imc singularite extra-
vagante, quails gardent en toules leurs actions,
U J a tel qui payerait liberalement de pouvoir
parler du derriere de la tete, pour ne pas parler
par la Louche comme les autrcs. Mais d'autant
que cela n'est pas possible , ils transforment
leur voixjils affectent un petit accent, ils inven-
tenl des idiomes , et bourdonnent mignonne-
nient,pour etrerares en tout; lis martyrisent leur
gout , en le privant de tout ce qu'il aime natu-
rellementr Comme il leur e^t commun avcc le
reste dcs hommes , et niieme avec les animaux ,
ils veulent le changer par des cxces de singula-
rite , qui sont plutot le chatiment de leur affec-
tation , que des elevations de leur grandeur.
Quelquefois ils se plairont a boire de la lie , et
diront que c'cst du nectar ; ils laissent le gene-
reux roi des liqueurs pour des caux qui ne sont
precieuscs que dans leur fantaisie^ elles sentent
la mcdecine, et ils les appellent de I'ambroisiL.
Chaque jour ils inventent des nouveautes ^ pour
raffiner toujours en singularite ; et veritablemcnt
ils J reussissentjd^autant que tous les autres ne
trouvent point daiis leurs ragouts , ni le haut
gout , ni la bonte qu'on leur cxagere , de sortc
qu'ils restent tons seuls dans leur extravagance,
ou , comme Tappel lent d'axitres , dans leur im-
pertinence. Et quelques lignes opres : Dans les
t>E COUR. ^85
actions heroiques, la singularitc sied bien, el il
n J a rien qui attire plus de veneration aux
grands exploits. La grandeur consiste dans la
sublimite d'esprit ct dans les hautes pensees. II
n'est point de noblesse comme celle d^un grand
coeur, car il ne s'abaisse jamais a Tartifice. La
vertu est le caractere de Fheroisnie, la diffe-
rence y sied bien. Les princes doivent vivre
avec tant dc brillant et de splendeur par les
moyens deleurs belles qualites et deleurs vertus,
que si les ctoiles descendaient de leur sphere
celeste , pour venir demeurer avec nous , elles
ne fussent pas plus lumineuses qu eux Il
J en a d'autres qui ne sont pas des hommes j ils
affeclent de se distinguer par les modes , et de
se singulariser par un air extraordinaire. Ils
abhorrent tout ce qui se pratique ^ ils montrent
comme une antipathic pour I'usage^ils affectent
dialler a I'antique, et de renouveler les vieillcs
modes. D'autres , en Espagne , s'habillent a la
francaise , et en France , a I'espagnole. II s'eri
trouve meme qui vont a la campagne avec le
haussecou , et a la cour , avec un rabat, jouant
ainsi des mariohnettes , comme si la moquerie
avait besoin de ragout. II ne faut jamais appre-
ter a rire aux gens d'esprit, non pas meme aux
enfans^ et cependantil y a force gens qu'il sem-
ble qui mett^nt tout leur soin et toute leur
:385 l' II O M M E
etude a se rendre ridicules et a servir de faLle
aux autres. lis croiraient mal employer leur
journee , s'ils ne la signalaient pas par quclque
singularite ridicule. Mais de quoi s'cntrctien-
drait la raillerie des uns , sans I'extravagance
des autres ? Certains vices servent dc matieie
aux autres. C'cst ainsi que lasottise est la nour-
riturc de la medisance. Mais si la singularite
frivole dans I'ecorce , c'est-a-dire , dans I'exle-
rieur, est un sujci de risee,que scra-ce de celle
dc rinterieur , je veux dire de Pesprit? 11 j a
des gensaquivousdiriez que la nature a chausse
Tesprit et le gout a rebours. lis affectent dc pa-
raitre tels , de peur dc se conformer a I'usage ;
inintelligibles dans leurs raisonnemens , depra-
ves dans leur gout , et heteroclites en tout j car
la plus grande singularite est sans doute celle
de rentendement. D'autres re|)aissent leur ca-
price d'un vain orgueil , mele de sottise et de
folie. Avec cela ils affectent en tout et partout
une gravite morgante j il semble qu'ils hono-
rent quand ifs regardent , et qu'ils font grace
quand ils parlent.
DE COUR. 25 f
M AXIME CGXXIV.
J^e prendre jamais les choses a contre-poil >
hien qu'elles j vlennent.
Tout a son di^oit ci son envers. Lameilleurc
chose blesse , si on la prend a contre-sens • au
contraire , la plus incommode accommode , si
die est prise parlemanche. Bien des choses one
fait de la peine , qui eussent donne du plaisir si
Ton en eut connu le bon. II y a a tout du bon ct
dumauvais^ Thabiletc est a savoir trouver le pre-
mier. Une meme chose a difFerentes faces , selon
qu'on la regarde differemment ^ et de la vient
que les uns prennent plaisir a tout , ct les autres
a rien. Le meilleur expedient contre les revers
de la fortune, et pour vivre henreux en tout
temps et en tous emplois , est de rcgarder chaque
chose par son bel cndroit.
MAXIME CCXXV.
Connaitre son defaut dominant.
Gh ACUN en a un qui fait un contre-poids a
sti perfection dominant e ; ct si Finclination le
$cconde , il domine en tyran. Que Ton com-
288 l' H O M M E
meuce done a lui faire la guerre en la lui de-
clarant; et que ce soit par an manifeste. Car,
s'il est connu, il sera vaincu ; ct particuliere-
ment , si celui qui I'a , le jugc aussi grand qu^il
parait auxautres. Pour etre maitre de soi , il est
besoin de reflechir sur soi. (i) Si une fois
cetteracine des imperfections est arrachee , Ton
Viendra bien a bout de toutes les autres.
(i) tin ancien pKilosophe disait que Pon avait grand©
curiosite de savoir comment le monde e'tait fait^ et que
Ton ne se souciait pas de savoir comment on ^tait fait
soi-meme. Gracian dans son Dialogue du Buen Enten-
dedor^ parle en ces termes : II n'y a rien de plus facile,
que de connaitre les autres; ni rien de plus difficile re-
po/id un docteur, que de se connaitre soi-meme. La
premiere d-marche du savoir, continue Gracian , est de
se savoir : et celui-la, reprend V autre y ne peut pas etre
homme entendti, qui n'est pas entendeur. L'aphorisme
de se connaitrS soi-mSme est bientot dit, mais est long-
temps a faire. tin philosophe , dit Gracian , a ete' mis au
nombre des sept Sages pour avoir donne' ce precepte ;
mais , re'plique V autre, personne encore n'y a e'te mis ,
pour Tavoir accompli. Quelques-uns en savent aussi peu
d'eux-memes, qu'ils en savent beaucoup des autres. Le
sot sait bien mieux ce qui se fait dans la maison d'autrui
que dans la sienne. Quelques-uns raisonnent a fond de
ce qui ne leur importe point et jamais de ce dont ils
devraient se soucier davantage. C'est un grand malheur,
dit la comtesse d'Aranda , que de s'ignorer soi-meme :
Et quelques pagGS apres, elle ajoute que le pire de tous
»E COUR. 289
MAXIME CCXXVI. ,'
Attention a engager.
La plupart des hommes ne parlent , ni n*a- ;
gissent point selon ce qu'ils sont, mais selorr|
i'impression des autres. U n'y a personne qui
ne soit plus que suffisant pour persuader le
nial , d'autant que le nial est cru tres-facile-
nient , quelquefois meme qu il est incroyable.
Tout ce que nous avons de mcilleur depend
de la fantaisie d'autrui. Quelques-uns se con-
lentent d' avoir la raison de leur cote , mais
cela ne sufiit pas , et , par consequent , il faut
le secoiirs de la poursuite. Quelquefois le soia
d' engager coute tres-peu et vaut beaucoup.
Arec des paroles on achete debons efFets. Dans
cctte grande hotellerie du monde , il ny a *
point de si petit ustensilc , dont il n'arrive d'a-
voir besoin une fois Tan j et si peu qu'il vaillc,
il sera ires-incomriiode de s'en passer. Chacun
parle de I'objet selon sa passion.
MAXIME CCXXVII.
N'etre point honime de premiere impr^sion,
QuELQUES-UNS 56 marieut si follement ayec
ja premiere mi'ormation . que toutes les autres
les mensonges est de se mentir a soi-meme. Chapitre a.
de la premiere ps^rtie de soa Id^Q des Ngbles^
29^ T^ fl O IM M E
ue leur sont. plus que des concubines. Et com me
lenieiisongc va toujours le premier, la verite
ne trouvc plus de place. L'entendcmcpt et la
volonte ne sc doivcnt jamais rcmplir ni de
la pjemiere proposition , ni du premier objet:
ce qui est la marque d\m pauvre fonds. Qucl-
ques gens ressemblcnt a un pot neuf, qui
prend pour toujours Todeur de la premiere
liqueur , bonne on mauvaise, qu'on y verse.
Quand cette faiblesse vient a etre connue , elle
est pernicieuse , parce qu'elle donnc pied aux
artifices de la malice. Ceux qui oni de niau-
ftvaises intentions se Latent de donner leur itjin-
jiure a la creduiite. Ilfaut done laisser une place
|vide pour la revision. Qu Alexandre ^arde son
[autre oreille pour la partie adverse (i)j qu'il
laisse une porte ouverte a la seconde et a la
troisieme information. G'est une marque d'in-
capacite , de s'en tcnir a la premiere , et meme
un defaut qui approche fort de Fentetement.
M AXIME GCXXVni.
N'avcmnile bruit ^nile renorti d' avoir mechante
langue.
• n"*
Car c'est passer pour un fleau ^universel.
(i) C'est une reponse qu'Alexandre fit uu jour qu'ii
eiitendait plaider une cause.
jN'e sols point ingenieux aiix depens d'autiaii ;
ce qui est encore plus odieux que penlble. Cha-
cun se venge du medisant , en disant mai dc
lui ; et comme il est seul , 11 sera bicn plutot.
vaincu que les'autres, qui sent en grand noni-
J3re , ne seront convaincus. Le mal ne doit
j-amais etrc un sujet de contentement , ni de
commenlaire. Lc medisant est ha'i pour tou-
jours 5 et, si quelqueibis de grands pcrson-
nages conversent aveclm,c'est plutot pour la'
plaisir d'entendre ses lardons que par aucune
estime qu lis fassent de lui. Celuiqui dit dumal,
s'en fait toujours dire encore dayantage (i).
m'
I
' M AXIME CCXXIX.
Sai'oir partager sa vie en honime d' esprit, \:
ISoN pas selon que se prcsqntent les occa^
sions , mais par prevojance et par choix. Unc
vie , qui n'a point de relache , est penlble ,
comme une longuc route oil Ton ne trouve
point d'hotelleries ; une variete bien entendue
la rend beureuse. La premiere poste doit se
passer a parler avec les morts. Nous nalssons
(i) Les hommes de me'chante langue, dit Juan Riifo ,
sont des cbiens enrages, et ceux qui medisent d'eux, sont
les cliarmeurs. Apophtegme 1^2..
^Q2 l'h O M M B
J)Our savoir, et pour nous savoir nous-m ernes ,
el c'est par les livres que nous Fapprcnons
au vrai , et que nous devenons des hommes
fails. La seconde station se doit destiner aux
vivi ns y c'est-a-dire , qu'il faut voir ce qu il y a
de meillcur dans lemonde , et en tenir registre.
Tout ne se trouve pas dans un meme lieu. Le
pere universel a partage scs dons, et quelque-
fois il s'est plu a en faire largesse au pays le
plus miserable. La troisieme pose doit ^tro
toute pour nous. Le supreme bonheur est d»
philosopher.
Cette Maxime est tire'e du dernier chapitre de son
Discret;, dont il est bon de mettre id Vextrait pour
commentaire,
Le Sage, dit-il, mesure sa vie , comme celui
qui a peu et bcaucoup a vivre. La vie , sani
poses , est un long chemin sans hotelleries.
La nature a proportionne la vie de I'homma
sur la course du soleilj et les quatre dges
de la vie sur les quatre saisons de Fannee.
Le printemps de I'homme commence a son
enfancejles fleurs en sont tendres, et les es-
perances fragiles. II est suivi de Fete chaleu-
xeux et excessif de jeunesse : ete dangcreux
en toutes manieres , a cause du sang bouiF
lant et des saillies Irequenies des passions.
L'automne de lagc viril vient ensuite , courou-
DE COUR. 395
ne des fruits murs de rentendement et de la
yolonte : et puis enfin I'hiver de la vieillesse ;
pu tombent les feuilles de la vigueur j oiz se
glacent les ruisseaux des veines , oii la neige
couvre la tete , oii les cheveux et les dents s'en
vont , oil la vie tremble aux approches de la
mort. Et une page aprcs : Qa ete un trait d' es-
prit celebr^ que celui de ce galant person-
nagq , qui divisa la comedie en trois journees
et le voyage de sa vie en trois stations. II
employa la premiere a parler avec les morts ;
la seconde , a converser avec les vivans ; et la
troisieme , a s'entretenir lui - meme. Dechil-
frons Tenigme. Je dis quil donna le premier
terme de sa vie aux livres. 11 les lut, et ce fut
la une jouissance plutot quune occupation;
car si Ton est plus homme a mesure que Ton
sait davantage , le plus noble emploi sera d'ap-
prendre. U devora les livres qui sont la nour-
riture de Fame et les delices de Fesprit : Grand
bonheur de rencontrer les meilleurs sur cha-
que matiere ! II apprit les deux langues uni-
verselles , la latine et Fespagnole , qui sont au-
jourd'hui les clefs du monde ; et les cinq par-
ticuliercs, savoir la grecque, Fitalienne , la fran-
^aise , Panglaise et Pallemandepourpouvoirfaire
son profit de tout cequ'ily adebon,qu'elles eter-
niseut. Apres cela, il se donna h cette grande
:^g4 l' H O M M E
mere de la vie , Tepouse de rentendement , et
Ja fille de I'experience, I'hlsloire plausible y je
veux dire cclle qui delectc et iiistruit davan-
tage. II commenca par les ancieniies et finit par
les mode rues , Lien que d'autres fasscnt le
Contraire^ choisissant ies auteurs,et distlnguant
l^s temips , les eres , les centuries et les siecles ;
recberdiaiit les causes du progres, de la de-
cadence , et de la revolution des monarchies
ct des republiques 5 le nombre, I'ordre et les
Equalities de leurs princes , leurs faits en paix et
en guerre. II se promena par les delicieux jar-
dins de la poesic , non pas tant pour sy exer-
cer que pour en jouir. II. ne fut pas pourtant
si ignorant qu'il ne sut pas fairc un vers, ni
isi mal avise que d'cn faire deux. Entre tous
]cs poetes , il dedia son coeur au sententieux
Horace, etsa main au subtil Martial ; ce qui
eiait lui donner la palme. A la poesie , il joignit
les savoureuses humaaites. Puis il passa a la
pliilosophic, et commencant par la naturelle,
il acquit la connaissance de la composition
de Tunivers , de I'etre merveilleux de Fhomme ,
des proprictes des animaux et des plantes , et
cniin des qualites des pierres precieuses. Mais
il.prit plus de pjaisir a la pbilosophie morale,
-qui est la nourriture dcs'vrais honimes, comme
ciellc qui dpjane lii vie a la prudence ; et il I'etu-
*■#
DE CQUR. ^95
dia dans les livres des Sages et des Philoso-
phes qui nous Tont compilee en sentences ,
en apophtegmes, en eniblemes et en apologues..
II sut Tune et Tautrc cosmographie , la mate-
rielle et la formelle , mesurant les terres et les
mers ; distinguant les hauteurs et les climats , les
quatre parties du monde, et en elles les provinces
et les nations, pour n'etre pas de ces ignorans , ni
de ces demi-betes qui n^ont jamais su surquoi
ils marchaient. De I'astrologie , il en sut ce
que la sagesse permel d'en savoir, etc. Enfin ,
il couronna ses etudes par une longue et se-
rieuse application a lire I'Ecriture-Sainte qui
est la plus utile , la plus universelle et la plus
agreable de toutes les lectures pour les gens
de bon gout De sorte que la philosophie
morale le rendit prudent ; la naturelle , habile 5
I'histoire , avise; la poesie, ingenieuxj la retho-
rique, eloquent^ les humaniles, poli ; la cos-
mographie , intelligent ; et I'etudc des saintes
lettres , pieux et devot.
II eiTiploja la seconde partie de sa vie a
voyager, cpii est le second bonheur d'unhomme
curieux et capable de bien discerner. II cher-
cha et trouva ce qu'il y avait de meilleur au
monde ; car lorsqu'oilj^ne voit pas les choses ,
Ton n'en jouit pas entierement. Ily a bien a dire
de ce qui s'imagine a ce qui se voit. Celui-
^96 l'homme
ia prend plus de plaisir aux objets , qui ne les
voit qu une fois ^ que celui qui les voit souventr
La premiere fois, on se conlentcj toutes les au-
tres 5 on s^ennuie. Le premier jour une belle
tliose fait le plaisir de celui qui en est le maitre;
mais , apres cela , elle ne fait pJus que celui
des etrangers. II vit les cours des plus grands
princes , ct par consequent les prodiges de la
nature ct de Tart en peinture , en sculpture , en
tapisseries , en joy aux , etc. U conversa avec
les plus excellcns hommcs du monde , soit en
science ou en toute autre chose ; par oil il
eut moyen de remarqiier , de censurer , de
confrontcr et de mettre le juste prix a tout.
II passa la troisieme partie d'une si belle vie
a mediter le beaucoup qu il avait lu j et Tencore
PLUS quil avait vu. Tout ce qui entre par la
porte des sens, dans ce havre de Fame, ya
dccharger a la, douane de I'entendement oil
tout s'enregistre..C'est lui qui pese, qui jugc,
qui raisonne , ct qui tire les quintessences des
verites Uage mur est destine pour la con-
templation j car plus le corps perd de force , et
plus Tame en acquiert. La balance de la partie
superieure hausse d'autant que baisse celJe de
Japartie inlerieure^ alorJbn jugebien autremant
des choses. La maturite de lage assaisonnc le
raisonnemeut et tempere les passions... A voir^,
» » c o tru. 397
on devient intelligent ; a contempler , on de-
vient sage C'est la couronne de I'liomme
prudent de savoir philosopher, en tirant de
toutes choses , a Texcmple de la laborieuse
abeille , ou le miel d'un agreable profit , oula
cire qui doit servir de flambeau dans les te-
nebres de Ferrcur. La philosophie n est autre
chose qu'une meditation de la mort , il est be-
soin dy penser plusieurs fois auparavant, pour
y bien reussir la derniere (i).v ^
■-#^
MAXIME CCXXX.
Ouvrir les yeuoc quand il est temps.
Tous ceux qui voient n'onl pas les yeux ou-
Terts , ni tous ceux qui regardent ne voient pas.
De reflechir trop tard , ce n est pas un remede ,
mais un sujet dc chagrin. Quelques-uns com-
mencent a voir, quand il ny a plus rien a yoir,
lis ont defail leurs maisons et dissipe leurs
biens , avani que de se faire cux-memes. II est
difficile dc donner de Fentendement a qui n'a
pas la volonle d*en avoir \ et encore plus de
donner la volonte a qui n*a point d'cntende-
ment. Ceux qui les environnent jouent avec
(i) L'auteur dit, pour s'assurer dc faire bicn une foia
apres.
2gS l'h O M ME
eux , comme avec des aveuglcs , et loute la
compagnie s'en divertit : et d'autant qu'ils sont
sourds pour ouir, ils ii'ouvrent jamais les yeux
pour voir. Cependant , il se trouve des gens
qui fomentent cclleinsensibilite, parce que leur
bien-etre consiste a faire que les autres ne^
soient rien. Malheureux le cheval dontle maitre
n'a point d jeux ! il sera difficile qu'il en-
graisse (i).
m '
MAXIME CGXXXI.
Ne laisser jamais voir les choses qu'elles ne
* soient achevees.
Tous les commencemens sont defectueux ,
ct Fimagination en reste toujours prcvenue. Le
(i) Henri Etienne fait <Ie ce proverbe une lecon aux
jmprimeurs qui ne daignent pas 6ntrer dans leurs impri-
meries et qui ne voient l.es e'preuves que par les yeux
de leurs correcteurs.
Res-ne tjpographica est Cmihi cor excestuat if a J
J^ilis ita , ut cuivis posthaheatur equo ?
Numque oculum domini, Ccunctis res proditd seclis )
Pinguis ut evadat, poscere fertur equus
Lumina sunt nobis aliena vicaria ^ dicunt?
Seque sat armatos h(ic ratione putant.
V • ^ j'-' In Querimonia Tvpographiae.
D E C O U R. 299 ^
souvenir d' avoir vu un ouvragc encore impar-
fait ne laissc pas la liberie de le trouver beau,
quand il est fait, Jouir tout-la- fois d'un grand
objet , c'est un obstacle a bien juger de cha-
quc partie (i)j mais aussi, c'est un plaisir qui
ly^ rcmplit toute I'idee. Ce n'est rien avant que
d'etre tout ; et quand une chose commence
d'etre, elle est encore bien avant dans le rien.
Voir appreter le manger le plus exquis , cela?j
provoque plus le degoul que Fappctit. Quel
tout habile maitre se garde done bien de lais-j!
ser voir ses ouvrages en cmbrion; qu'il ap-
^ prcnne de la nature a ne les point exposer,
qu'ils ne soient en ^lat de pouvoir paraitre. '
MAX! ME CCXXXIL »
* > Sa^oir un pen le commerce de Id vie.
V
Que tout ne soit pas theorie , qu'il j ait aussi
de la pratiqu€. Les plus sages sont faciles a
tromper , car bien qu'ils sachent rcxtraordi-
(i) Les dames, dit Ant, Perez, u'aiment pas quVi^"
les voie a leur toilette; car, c'est la que se de'couvre tout
ce qu'elles oat soin de cacher ; elle ue veulent se montrer
qu'avec tous leurs ajustemens , parce que tout robjet
paraissant a la fois, la censure ne sait a quelle paiiic s'ar-
rcier. Dans ses secondes letires. *• *h.. -r
n
naire , ils ignorent le style ordinaire de vlvre ,
qui est le plus necessaire (i). La contempla-
tion des choses hautes ne les laisse pas penser
a celles qui sont communes ^ et comme ils igno-
rent ce qu ils devaient savoir le premier , c'est-
a-dirc , ce que chacun sait , ils sont regardes
avec etonncment, ou tenus pour des ignorans
par le vulgaire qui ne s'arrete qu au superfi-
ciel. Que le Sage ait done soin d'apprendre
du commerce de la vie ce qu il lui en faut ,
pour n'etre ni la dupe , ni la risee des autres.
Qu'il soit homme de maniment , car bicn que
ce ne soit pas la le plus haut point de la vie ,^
Ic'en est le plus utile. A quoi sert le savoir , s'ii
ne se met pas en pratique? Savoir vivre est au-
jourd'hui le vrai savoir.
MAXIME CCXXXIIL
? Savoir trouver le goiit d'autruL
Car autrement c'est faire un deplaisir , au
lieu d'un plaisir. Quelques-uns chagrinent par
(i) Cest pour cela que le philosophe Zenon disait que
les plus savans ^taient les plus ignorans dans les choses
vulgaires et que les plus sages n^etaieut pas sages ea
tout.
iJE COCA. 5ot
oh. ib pensent obliger, faute de bicn connaitre
les esprils. U y a des actions qui sont une flat-
terie pour les uns, et une offense pour les
autres ; et souvent ce que Ton croyait etre un
service a ^te un desservice. Quclquefois il a
plus coute a faire un deplaisir qu'a faire un plai-
sir. On perd et Ic don et le gre qu'on en espe-
perait , a cause que Ton a perdu le don da
plaire. Comment satisfaire le gout d'autrui , si
Ton ne le sait pas? De la vient que, quelques-
uns ont fait une censure, en pcnsanl faire un
eloge; punition qu'ils merilaient bien. D'autres
croient diver tir par leur eloquence, et ils ag-
somment Tesprit par leur flux de bouche.
MAXIME CCXXXIV.
N* engager jamais sa reputation , sans avoir
des gages de Vhonneur d*autruL
LoRSQu'oN apart au profit, il ne faut dire
mot J mais quand il s'agit de perdre , il ne faut
rien dissimuler (i). En fait d'interets dlionneur,
il faut toujours avoir un compagnon , afin qua
la reputation d'autrui soit obligee de prendre
(i) Ou, mais quand on perd^ il faut faire valoirsn
complaisance.
5o2 l'h o m m e
soin de la voire. 11 ne faut jamais se iler ; et
si on le fait quelquefois, que ce soil avcc tant
de precaution que celui a qui i'on se fie n'en
puisse prendre avantage. Que le risque soit
commun et la cause reciproquc, afin que celui
qui est complice ne puisse pas s'eriger en te-
nioin. .
MA XI ME CCXXXy.
Savoir dcmander,
II n j a rien de plus difficile pour quelques-
uns , ni de plus facile pour quelques-autres. 11
y en a qui ne sauraient refuser, et , par con-
sequent, il ne faut point de crochet pour tirer
d'eux ce qu'on veut. II y en a d'autreS dont le
premier mot a toute heure est, non; il est Le-
soin d'adresse avcc eax. Mais , a quelques gens
qu'on ait a demander , il faut bien prendre son
temps jComme par excmple, au soriir d'un bon
repas , ou de quclque autre recreation qui a
mis en belle Uumeur, en cas que la prudence
de celui qui est prie , ne previcnne pas Tarti-
fice de celijii qui prie. Les jours de rejouissance
sont les jours de faveur, parce que la joie du
dedans rejaillit au dehoi-s. II ne faut pas se
presenter, lorsqu'on en, volt refuser un autre,
DE COUR. 5o5
d'autaat que la crainte de dire non, est sur-M
'montccT Quand la tristesse est au logis , il nyl
a rien a faire. Obliger par avance , c est tiiie
lettre de change , lorsque le correspondaiit n'cst
pas un mal-honnete homme.
MAXIME CCXXXVI.
Faire une grace de ce qui n'eiit ete apres
gu'une recompense.
C'est une adrcsse des plus grands poiiti-
ques. Les faveurs , qui precedent Ics nierites,
sont fa pierre de louche des hommes bieu
nes. Une grace anticipee a deux perfections :
I'une , la promptitude, par oii celui qui re-
^oit reste plus oblige (i) 3 Tautre , qu un meme
dori qui , plus tard , serait une dette , par i'an^ *^*
ticipation est une pure grace : Moyen subtil
de transformer les obligations , puisqu^ celui
qui eut merite d'etre recompense est oblige
d'user de reconnaissance. Je suppose que ce
sont des gens d'honneur; ear, pour les autres,
ce serait Icur mettre une bride plutot qu'un
eperon que de leur avancer la paie de I'tiQnr
neur.
(i) Bis dot} quicUb dat, dit Sesicjue;
5o4 l'homme
I MAXIME GCXXXVIIL
** N'etre jamais en part des secrets de ses
superieurs*
Tu croiras partager des poircs ei tu par-
tageras des pierres. Plusieurs ont peri d'a-
voir ete confidens (i). U en est des confi-
dens comme de la croute du pain dont on
se sert en guise de cuiller, laquelle risqae
d'etre avalee avec la soupe. La confidence du
prince n'est point une faveur , niais un im-
pot (2). Plusieurs cassent leur miroir, a cause
qu'il leur montre leur laideur. Le prince ne
saurait voir celui qui Fa pu voir , ct jamais un
temoin du mal n'est vu de bon oeil (3). 11 ne
•(i) Un secretest un danger, dit nn proverbe espagnol,
un secreto es un peligro. Un jcmr, dit Juan Rufo, Apo--
phte§me 6o5. , que Ton recherchait rorigine d'un
conte que fait le menu peuple que les lutins indiquent
les lieu?: o^ il y a des tr^sors , et que les gens qui savent
se taire sont assures de les trouver , au lieu que les
autres ne trouvent que du charbon : il fut dit qu'il en
^tait ainsi de la faveur des rois, et que celui-la s'y main-
tiendrait, qui se vanterait le inoins d'y etre. Ajoutant
que tout secret confie est un riche tresor pour celui qui
le sait taire comme il doit; au lieu que si on le de'couvre,
on le convertit en charbon et quelquefois en charbon
ardent.
(2) Sur la vie de celui a qui il la fait.
^5) Parce que les temoins ou U$ complices d*unc
D E C O 0 H.
5o5
L fant jamais etre trop oblige a persotinc, encore
i" moiris aux grands. Services rendiis sont plus
surs aupres d'cux que graces recucs (i)^ mais
surtout les confidences d'amitie sont dange-
I reuses. Celui qui a confie son secret a un autre ,
s'cst fait son esclave j et dans les souverains ,
c'est une violence qui ne pent pas etre de du-
ree; car ils aspirent avec impatience a racbeter
la liberie perdue, et pour y rcussir, ils bou-
-. me'chante action, ditTacite, sont regardes comme des
gens qui en font des reproches aiitant de fois qu'ils se
montrent. Quia inalorum facinorum ministri quasi
exprobratites aspiciuntur, Ann. 14.
(i) Louis XI, roi de France, e'tait du sentiment cdn-
traire, disant qu'il est plus sur pour un homme de
Cour de recevoir quelque grande re'compense de son
jxrince pour un service, que de lui en rendre de si grands
qu'il s'en doive tenir oblige , d'autant que le prince
aime naturellement ceux qui le lui sont plus que ceux a
qui il Test. Commines liv. 5. chap. 12. ou il ajoute que
Louis lui en alleguait VAuteur de qui il le tenait. Et k
mon avis , c'etait de Tacite qui dit que la reconnais-
sance est a charge, quia gratia oneti. Hist. 4* et que les
iservices sont agre'ables au prince, tartt qu'il lui est aise
de les bien payer 5 mais que si une fois ils viennent a
etre plus grands que ne saurait etre la recompense, le
pritice passe de la reconnaissanoe a la haine. Beneficia
eb usque loeta sunt ^ dum videntur exsolvi posse ; uhi
\ multiim antevenere , pro gratia odium redditur. Ann. 4-
20
3o6 l'homme
leverseront tout, et meme la raisoii. Maxims
pour les secrets , ni les oum , ni jles dire (i).
MAXIME CCXXXVIII.
ConnaUre la piece qui nous manque.
Plusieurs seraienlde grands personnages, s'il
lie Icur nianquait pas un quelque chose , sans
quoi ils n'arrivent jamais au comble de la pcr-
(i) Car, au dire d'un ancien roi de Syracuse, (Hie'ron)
les princes ne haissefit pas seulement ceux qui disent
leur secret, mais encore ceux qui le savent. Ainsi celui-la
avaitbien raison, qui, presse par un prince de direde
quoi il avait besoin , re'pondit ; de tout , excepte votre
secret. La confidence que le prince fait a son sujet, dit
Bocalin , est un lacet qui lui tient a la gorge pour la
lui serrer, quand il commencera de craindre que les
secrets qui ont passe' des oreilles au coeur , ne passent
du coeur a la langue, comme il arrive souvent , dit un
grand seigneur, que le prince se repent d' avoir conjie'
son secret et craint de V avoir mal place' ; il n'epargne
Hen pour se gue'rir de sa crainte et mettre son
secret en surete. fMemoire de BouillonJ Cest par la
jrieme raison qu ont peri tant de galans , de la main de
ceiies qui n'avaient plus rJen a leurdonner* les dame*
a qui il reste un pen de cceur ne pouvaut soufFrir qu'il
V ait des te'moins de ce qii'elles voudraient pouvoir
ignorer elles-mcmes.
DEC OUR. 507
feclion. 1_1 se remarque cii quclqucs-uns qu'ils
pourraient valoir bcaucoup , s'ils voulaient sup-
pleer a blen peu (i). Aux uns, manque le se-
rieux , faute de quoi de grandcs quaiites n'ont
point d'eclat en eux j aux autres y la douceur
des manieres , delaut que ceux qui les hantent
decouvrent blentot, et surtout dans les per-
sonnes constituees en dignite. En quelques-uns
on voudrait plus d'aclivite , en quelques-autres,
plus de retenue. II serait aise de supplecr a
tous CCS defauts , si Ton y prenait garde , car
la reflexion peut fairc de la coutume une se-
conde nature.
MA XI ME CCXXXIX.
N'^t re pas trap fin,
1l vaiix mieux ^tre reserve. Savoir plus qu il
ne faut, c'est cniousser la poinle de son esprit,
d'autant que d'ordinaire les subtilites sont fa-
ciles a rompre. La verite bien autorisee est
plus sure. 11 est bon d' avoir de Tentendement,
ihais non pas du flux de bouche. Le trop de
(i) Tin philosophe disait que pea de chose donnait
ia perfection , quoic[ue la perfection ne fut p^s peu de
chose.
30*
5o8 L* 11 O M M E
raisonnement approche de la contestation. Ufl
jugement solidc, qui ne raisonne qu'autant qu'il
faut, est bien meilleur.
MA XI ME CCXL.
S avoir f aire I' ignorant,
QuELQtJEF^ois le plus habile homme joue ce
personnage , il j a des occasions oil le meil-
leur savoir consistc a feindre de ne pas savoir.
II ne faut pas ignorer , mals bien en faire sem-
blant. U importe peu d'etre habile avec Ics
sots, et prudent avec les fous. II faut parler
a chacun selon son caractere (i). L'ignorant
nest pas celui qui le fait, mais celui qui s'y
laisse altrapper j c'est celui qui Test , et non
pas celui qui le contrefait. L'unique moyen
de se faire aimer est de revetir la peau du
plus simple des animaux.
MAXIME CCXLI.
Souffrir la raillerie y mais ne point railler,
.L'uN, est une espece de galanlerie^ Tautre ^
- ' ,#-.; .
(i) Responde stulto , dit le Sage de Te'criture, juxta
stultitiam suam» Proverb. 26.
^ BE COUR. 309
une sorte d' engagement (i). Celui qui se de-
nionte, dans une rejouissance , tient beaucoup
de la bete , et en montre encore davantage.
La raillerie excessive est divertissante j qui la
sail soufFrir , se fait passer pour homme dc
grands fonds (2) , au lieu que celui qui s'en
pique provoque les autres a piquer encore;
le meilleur est de la laisser passer sans la re-
lever. Les plus grandcs veriles sont toujours
venues des railleries ; rien ne demande plus
de circonspection , ni d'adresse. Avant que de
commencer, il faut savoir jusqu'oii peut aller
la force d' esprit de celui avec qui Ton veut
plaisanter.
(i) Car, quand on se mele de railler il faut s'atlendre
a etre raille' a son tour, disait un certain roi de Mace-
doine. : ! ; -
La raillerie, dit-il dans soh Discret , chap. No estar
siempre de burlas est encore plus blamable dans les
grands^ car, quand ils ne gardent point de mesures
envers les autres, cela donne sujet de leur perdre reci-»^
proquement le respect.
(2) Socrate disait qu'il n'avait point de peine a souffrir
la raillerie.
Zio l'homme
MA XI ME CCXLIL
Poursuwre sa pointe, ^
QuELQUES-UNS nc soiit bons que pour com-
mencer , et n'achevent jamais rien. lis inven-
teni , niais ils ne continuent pas , tant ils ont
I'esprit inconstant. lis n'acquierent jamais de
reputation , parce qu'ils nc vont jamais jus-
qu'au boiit 3 avec eux tout aboutit a demeurer
court. En d'autres , cela vient^ dc leur impa- \
tience, et c'cst le defaut des Espagnols , comma ^
la patience est la vertu des Flarnands. Ceux-
ci voient la fin des affaires , et les affaires voient
la fin de ceux-la. Ils silent jusqu'a ce qu ils vain-
quent la difficulte , et puis ils se contentent de
I'avoir vaincue ^ ils ne savcnt pas profit erde
ieur victoire, ils montrent qu'ils le peuvent ,
mais qu ils ne le veulent pas : mais enfin , c'cst
toujours un defaut ou d'impossibilite , ou dc
legerete. Si le dessein est bon > pourquoi ne
le pas achevcr? et s'il est mauvais, pourquoi
le commencer? Que Thomme d'csprit tue done
;'.on gibier, et que sa peine nc s'arrete pas a
le faire lever.
» E C O U R. 5H
MAXIME CCXLIII.
N'^tre pas colombe en tout.
Que la finesse du serpent ait ralicrnativc
de la candeur de la colombe. II n^y a ri£n de
plus facile que de tromper un homme de bien.
Celui qui ne nient jamais croit aisement j et
celui qui ne trompe jamais se confie beaucoup.
D'etre trompe, ce n'estpas toujours une mar-
que de betise , car c'est quelquefois la bonte qui
en est caused Deux sortes de gens savent bicn
prevenir le mal: Icsuns, parce quils ont ap-'
pris ce que c'est a leurs depens, et les autres,
parce qu'ils I'ont appris aux depens d'autrui.
L'adresse doit done etre ayssi soigneuse de se
precautionner que la finesse Test de tromper.
Prenez-garde de n'etre pas si homme de bien
que d'autres en prennent occasion d'etre mal-
honneles gens. Sojez mele de colombe et de
serpent (i) j ne soyez pas monstre, mais pro-
(i) C'est le conseil de I'eVangile : Estate prudentes
\ sicut serpentes , et simplices sicut columbce. Mat. lo.
Bj2 l'h O M M E
MAXIME CCXLiy.
iSm^oir ohliger.
QuELQUts - UNS metamorphoseni si bien les
graces qu'il semble qu'ils les font, lors meme
qu'ils les recoiventT II j a ties liorames si
adroits qu'ils honorent en demandant, parce
qu'ils transforment leur intcret en I'lionneur
d'autrui. lis ajustent les choses de telle sorle
que vous diricz que les autres s'acquittent dc
ieur devoir, quand ils leur donnent , lant ils
savent bien tourner sens dessus dessous I'or-
dre des obligations par une politique singu-
Jiere ; du nioins ils font douter lequcl c'est qui
oblige. Us achetent totit le nieilleur a force de
louer^ el quand ils temoignent dc desircr une
chose , Ton se tient honore de la leur donner^
car ils engagent la courtoisie , en faisant une
dette de ce qui devait etre la cause de leur
reconnaissance. C'est ainsi qu'ils changent I'o-
bligalion de passive c.n active ; en cela riieil-
leurs politiques que grammairiens. Verilable-
ment , c'esl la ujae grande adresse, mais e'en
serait encore une plus grande de la penetrer
ct de defaire un si fou marclie , en Iciir ren-
dant leurs civililes , et en reprenant chacun le
sicn (i).
(i) II en faut user avec ces sortes de filous comme fit
DE COUR. 5l5
MAXIME CCLXV.
Haisonner quelquefois a rehours du vulgaire.
Cela montre un esprit eleve. Un grand genie
ne doit point estimer ceux qui ne lui contredi-
sent jamais , car ce n'est point une marque de
leur affection pour lui , mais de leur amour pro-
pre. Qu'il se garde Lien d'etre la dupe de la
ilatterie en la pajant , si ce n'est du mepris
quelle merite (i). Qu'il tienne meme a hon-
neiir d'etre censure de quelques gens, et parti-
culierement de ceux qui medisent de tons les
gens de bien. Qu'il ait du chagrin que scs ac-
tions soient au gout de toutes sortes de gens ,
attendu que c'est signe qu'ellcs ne sont pas telles
qu'il faut^ ce qui est parfait etant remarque de
tres-peu de personnes.
Denis le Tjran avec ce musicien , qui se plaignait a lui
<ie n'avoir point recu de re'comjDense. Ne sommes-nous
pas quittes , re'pondit-il , tu mas donne' du plaisir
en chantant , et je i'en ai donne' en te repaissant
d'esperance. Ces prodiges de louanges prennent les
grands pour des moulins, qui ne donnent de la farine
qu'autant qu'on leur donne de vent.
. (i) Comme les dents se gatent a force de manger
des confitures, de meme les oreilles des grands s'em-
poisonnent a force d'entendre des douceurs et des flat-
teries. Juan Rufo, Apophtegme 5i4'
m
5i4 l'homme
MAXIME CCXLVI.
Ne donner jamais de satisfaction a ceuoc qu
n'endemandent point.
De la donner trop grandc a ceux meme qui
la demandent , c^est une action de coupable.
S'exciiser avant le temps , c'est s'accuser. Se sai-
gner lorsqu'on est en santc , ccst faire signc
au nial et a la malice de venir. Une excuse an-
ticipee reveille unmecontentement qui dormall.
L'homme prudent ne doit pas faire semblant
de s'apercevoir du soupcon d'autrui , parcc que
c'est aller chercher son ressenliment , il faut
seulement tacher de guerir ce soupcon par un
procede honneie et sincere.
MAXIME CCXLVI I.
Sai>oir un peu 'pliis , et vii^re un pea moins.
D'autres, au conlraire,disent quun loisir
honnete vaut mieux que beaucoup d'affaires (i).
(i) Un pKilosoplie a dit , que le loisir etait le plus
pre'cieux bien de la vie , non pas parce que Ton ne fait
rien , mais parce que Ton a moyen de faire ce que Ton
veut 5 temoiu Scipion rAfricain > qui disait , qu'il n'a-
D E C O U R. 5l5
Nous n'avons ricn a nous que le temps , dont
jouisseiitceuxinemequi n'oiit point de dcmeuie.
C'est un nialheur egal d'emplojcr le precieux
temps de la vie en des exercices mecaniques ,
ou dans Tembarias des grandes affaires (i). 11
xie sefout charger ni d'occupation , ni d'envie;
c'est vivre en foule , et s'etoutfcr. Quelques-uns
elendcntmeme ce precepte jusqu'a la science.
Ce n'est pas vivre que de ne pas savoir.
Vojez la Maxime 4.
vait jamais plus d'affaires que lorsqu'il n'avait rien a
faire , (parce qu'il donnait alors tout son loisir a cul-
tiver son esprit. )
(i) Dans la Critique 12. jde la seconde partie de son
Criticon , apres avoir dit , qu'un des plus grands rois
de I'Europe s'e'tant de'robe' aux siens , a la chasse , ses
courtisans le trouverent au bout de trois ou quatre jours
dans un marche' , habille' en porte-faix , et louant ses
e'paules pour une re'ale ^ de quoi ils furent si surpris ,
qu'ils eurent de la peine a croire ce qu'ils voyaient 5
et que lui ayant fait des plaintes de s'etre abaisse' a un
si vil emploi , il leur re'pondit en ces termes : Par ma
Jol , la charge que fai laissee est plus pesante quau-
cune de toutes celles que vous vojez porter ici. La
plus forte ne me parait quune paille en comparaison.
d'un monde que f avals a porter sur moi. J'ai plus
dormi en quatre nuits que je navais fait en toute ma
vie ; Je commence a vivre et a etre le roi de moi-
meme. Retournez vous en ; car ajant goiite de cette
vie-'ci t je serais bienfou de retoumer a celle que Je
5lG l' HOMME
MAXIME CCXLVIII.
Ne se pas laisser oiler au dernier.
Ilj ades homines de derniere impression (i)
(carrimpertinefice va toujours a quelque extre-
mite ) j ils ont mi esprit et une volonte de cire ;
ledcrnier jmet sceau,et efface tous les autres.
C'est gens-la ne sont jamais gagnes , parce qu'on
les perd avec la meme facilite j chacun leur
donne sa teinture , ils ne valent rien pour con^
fidens j ils sont c^fans toute leur vie , et ,
comme tels, ils ne font que flotter parmi le flux
et le reflux de leurs sentimens et de leurs pas-
sions, toujom's boiteux de volonte et de juge-
nient, parce qu'ils se jettent tantot d'un cote ,
tantot de I'autre.
MAXIME CCXLIX.
Ne point conimencer a vii^re par ou ilfaut
achei^er.
QuELQUES-UNS prenncnt le repos au com-
menais auparayant : Et environ une page apres, il dit,
que celui que les Polonais e'lurent en la place de celui-
ci , demanda , lorsqu'on lui mit le sceptre a la main ,
si c'e'tait une rame.
(i) C'est qu'il y a des gens de premiere impression^
de qui il a parM daus la Maxime 227V
DE COUK. 3l7
mencement , et laisscnt le travail pour la fin.
L'essenliel doit aller le premier , et I'accessoire
apres (i), s'il j a lieu pour cela. D'autrcs vcu-
lent triompher avant que de combaltre. Quel-
ques autres commencent a savoir par ce qui
leur importe le moins , difFerant Tetudc des
choses qui leur seraient utiles et honorables , a
un temps que la vie leur doit manquer. A peine
celui-ci a-t-il commence a faire sa fortune, qu'il
s'en va. La methodc est egalement nccessairc,
at pour savoir, et pour vivre.
MAXIME CCL.
Quand faut-il raisonner a rehours ?
' LoRSQu'oN nous parle a.dessein de nous sur-
prendre. Avec certaines gens tout doit aller a
contre-sens. Le oui est le Noif , et le non le oui.
Mesestimer une chose montrc qu on Testime ,
(i) Quelqu'un disant a Diogene que sa vieillesse ne
demandait plus que du repos : II faut , repondit - il ,
attendre a se reposer, qu*on soit au bout de sa car--
Here. Ajoutez a cela pour les princes , qui out a mener
une vie plus active et plus laborieuse que les autres ,
le beau mot de Vespasien : Que le prince ne doit jamais
mourir autrement que d^bout.
5l8 L*riOMME
attcndu que celui qui la vcut pour soi , la fait
inoins valolr aupres les autres. Louer ii'esl paS
loujours dire du bien ; car quelqucs-uiis ,pour
lie pas louer les bons,afiectentde louer Ics me-
chans memes. Quiconque ne trouvera pcrsonne
niechant , ne trouvera personne bon.
MAXIM E CGLI.
Ilfaut se servir des rnojens humains y comma
s'il n'j en my ait point: dc divins ; et dcs
divins , conime s'il nj en avail point d'hu-
m.ains (i).
Jl.F'J
i.i
Cest Ic prcccpte (T'un grand maitrc , il nj
faut point de commentaire.
^(i) Ce precepte semble elre fonde silr le chap. 58 He
Y Ecclesiastique , qui commande de recourir aux me-
decins, et de ne rien ne'gliger de tout ce qu'ils ordon-
uent 'y et puis de mettre toute leur confiance en Dieu ,
qui est le milUre absolu de la gue'rison. Ilonora niedi-^
cum propter necessitatem , etenim ilium, creavit Altis^
simus. . . . Altissimus creavit medicamenta , etinrpru-
dens non abliorrehit ilia Da locum medico , et
non discedat a te , quia opera ejus sunt necessaria,
Voila les mojcus liuniains. Fili , in tua injinnitate f
ne despicias te ipsum , sed ora Dominurn , et ipse
curahit te. Voila les mojens divins. Et celte le^on
sVtend a tous les autres besoins de la vie.
DE couR. 5ig
MAXIME CGLII.
Nl tout a soiy ni tout a autruu -.r
L'uN el Fautre est una tjrannie toutc com-
mune. De vouloir etre tout a soi, il s'cnsuit que
I'on veut tout pour soi. Ces gens-la ne savcnC
1 ien relacher de tout ce qui les accommode ,
non pas meme un iota ; ils obligent peu , ils sc
fient a leur fortune , mais d'ordinaire eel appui
les irompe. Quelquefois il est Lon de nous qul-
ter pour les aulres, afin que les autres se quit-
tent pour nous. Quiconque tienlun eniploi com-
mun, est par devoir I'esclave conimun ; autre-
ment on lui dira ce que dit un jour cette vieille
a I'empereur Adrien : Renonce done a ta charge ,
conime tufais a ton devoir (i). Au contraire,
(i) Pendant que Tibere tenait le Se'nat en suspen*
par ses feintes de ne vouloir point de I'Empire , un se-
nateur perdant patience , cria dans la foule : Aut agat ^
aut desistat : c'est-a-dire , qu'il fasse le prince ou qu'il
cesse de I'etre.
Philippe II , roi d'Espagne , montra bien qu'il savait
ce que c'etait d'etre roi , quand il dit a ses me'decins ,
qui le dissuadaient d'aller en Aragon , ou il avail con-
voque' les Etats : Si je meurs en mon voyage , faurai
la consolation de inourir faisant mon devoir. Don
Lprenzo Vander HaHimea daos son Don Filipe el
prudenle.
Sao x'h o m m e
ily en a qui sont tout aux autres, car la folie
donne toujours dans Texces , et est tres-nialheu-
reuse en ce point, lis n ont ni jour, nl hcure a
eux , et ils sont si peu a eux-memes , qu il y en
cut un qui en fut appele Yllonmie a tons. lis
sont autres qu eux jusque dans I'entendement ,
car ils savent pour tous , et ignorent tout pour
eux. Que Thomnie d'csprit sache que ce n'cst
pas lui qu'on cherchc , mais un interct qui est
en lui ou qui depend de lui.
M A X I M E C C L 1 1 1.
JVe sc pas rendre trop intelligible.
La plupart n'estiment pas ce qu'ils compren^
nent, et admirent ce qu'ils n'entendent pas.ll faut
que les choses coutent pour elre estimees. On
passera pour habile, quand on ne sera pas en-
tendu. II faut toujours se montrer plus prudent
et plus intelligent qu'il n'est besoin avec celui
a qui Ton parlc , mais avec proportion plutot
qu avec exces. Et , bien que Ic bon sens soit de
Juan Rufo dit qu'un jour on adrfessa a un ministre
d'Espagne, qui depuis quelque temps n'expediait point
d'affaires , une requete ou il ny avait que ces quatre
mots : J^. S. coineta , o acometa ; c'est-a-dire , faites
Yotre charge ou faites-la faire. uipophtegme 6']6,
DE COUR. ^21
grand poids parmi les habiles gens , Ic sublime
est nccessaire pour plaire a la pluparl du monde.
II faut leur oter le moyen de censurer , en oc-
cupant tout leur esprit a concevoir. Plusieurs
louent ce dont ils ne sauraient rendre raison ,
quand on la leur demande , parce qu ils respec-
tent comme un mystere, tout ce qui est difficile
a comprendre , et Texaltent a cause qu ils I'en-
tendcnt ex alter.
MAXIME CCLIV.
Ne pas negllger le mcdy parce qu'il est petit.
Car un nial ne vient jamais tout seul. Les
maux, ainsi que les hiens , se tiennent comme
des chainons. Le bonheur et le malheur vont
d'ordinaire a ceux qui ont le plus de Tun ou de
I'autre j jet de la vient que chacun fuit les malheu-
reux , et cherche les heureux. Les colombes
meme , avec toute leur candeur , s'arretent au
plus prochc donjon. Tout vient a manquer a un
malheureux , il se manque a lui-meme , en per-
dant la tramontane (i). II ne faut pas reveiller
Ig malheur quand il doxn. C'est peu de chose
( 1 ) Res adversee consilium (idimunt , dit Tacite ,
Ann. II. L'adversite ote le jugement.
31
522 l'mOMME
qu un pas glissant, et pourlant il est suivi d'uns
chute fatale , sans qu on puisse savoir oil le mal
aboutira ; car comme mil bien n'est parfait , nul
mal aussi n'est au comble (i). Cclui qui vient
du ciel demande de la patience ; et celui qui
vient du monde , de la prudence.
MAXIME CCLV.
Faire peu de bien a iajois y mais soui^enf.
L'engagement ne doit jamais surpasscr le
pouvoir ; quiconque donne beaucoup ne donne
pas , mais il vend. II ne faut pas trop charger
la reconnaissance , car celui qui se verra dans
rimpossibilite de satisfaire , rompra la corres-*
pondance. Pour perdre beaucoup d'amis , il n'y
a qua les obliger a I'exces ; faute de pouvoir
payer , ils se retirent , et d'obliges ils deviennent
(i) Car les chases de la nature , dit nn grand oratenr
de ce siecle , qui nous arrivent ici bas , sont tellement
melees , que nieme les maux que nous ressentons, pour
grands qu'ils soient , ne sont jamais extrenips , mais
portent en eux le sujet de quelque consideration , qui ^
etant recueilli par les sages et se'pare de la douleur ,
sert heureusentent a la gloire des uns et a la conso-
lation des autres. Oraison funebre du due de Mont-
pensier ^ par Fenolliet , e'yeque de Monipellier.
jenncmis (i). La statue voudrait rie vc)ir jamais
son sculpleur , ni I'oblige son bienfaiteur. La
nieilJeure methodc de donner est de faire qu'il
en coute pen , et que ce pcu soit ardemment
desire , afin qu il en sok plus estime.
MA XI ME CCLVI.
Se tenir toujpurs prepare contre les attaques
des rustiques ^ des opinidtres > des presomp^
tueuoc ^ et de tous les autres impertinens.
Il s'cn i*enconlre iieaucoup, et la prudence
consistc a n'en venir jamais auxprises avcccux.
Que Ic sage se mire tous les jours au miroir de
(i) Beneficial dit Tacite, Ann. l^, eo usqiie tceta
sunt , dum videntur exsolvi posse : ubi multinn ante-"
venere , pro gratia odium, redditur. Vojez la troisieme
note de la Maxime 257. Eo perductus est furo^ , dit
Se'neque , e/?. 8i» ut pemiciosa res sit, benejicia in
aliquem magna conferre. Nam quia putat turpe non
teddere , non vult esse cui teddat. Ce que Malherbe
traduit , ou plutot paraphrase ainsi : Nous ne sommes
jamais plus ingrats , dit-il , que quand le plafsir qu'on
nous a fait, passe les niojens que nous avons de nouS
en revancher. Car d'autant que nous avons lionte de ne
rendre point , ne pouvant etre quittes d'autre facon,
noiis le voudrions bien etre par la mort de ceux a qui
^ nous sommes oblige's.
121 *
524 l' HOMME
sa reflexion , ponr voir le besoin qu^il a de sr'ar-
mer de resolution, ct, par ce moyen, il rompra
tous les coups de la folic. S'il y pense serieuse-
ment , il ne s'exposera jamais aux risques ordi-
naires que Ton court a se commettrc avec les
fous (i). L'homme muni de prudence nc sera
jamais vaincu par I'impertinence. La navigation
de la vie civile est dangereuse , parce qu'elle est
(i) Par exeraple , quel honneur aurais-je a vouloir
repondre aux injures et aux impertinences de Fremont
d'Ablancourt. N'entend-il pas son oncle , qui crie :
Exoriare ColterJ nostris ex ossibus ultor.
Ah I mon neveu, vous n'avez rien fait qui vaille ,
cherchez dans notre famille un autre e'crivain plus ca-
pable de me venger. Un illustre gentilhomme allemand,
qui a lu cette apologlie burlesque, m'en e'crit en ces
termes : In quibusdam vix risum y in quibusdam au-
tern vix somnum tenere potui , vix enim in una aut
altera pagina satisfecit -, nee dissentire ceteros hac in
jicademia literatos ab hoc meo judicio video. T^erbo
dicam , multa passuum millia declamavit. C'est-a-
dire ; En certains endroits je n'ai pas presque pu m'em-
peclier de rire ^ et e« d'autres j'ai eu bien enyie de dor-
mir 'y car a peine trouverez-vous dans ce livre une ou
deux pages qui puissent passer. Et je ne vois pas que
les savans de cette universite' soient d'un autre senti-
ment.*,, . . En un mot, on pent dire de lui , ainsi que
de cet ancienorateur ambulant, qu'il a perdu bien
dco pas en de'clamant contre vous. Jtaque , conclut-il ,
Fremontio Medico helleborum.
DE COU R. 525
pleine d*ccueils oii la reputation se brise. Le plus
SUV est de se detourner, en prenant d'Uljssc(i)
dcs lecons de finesse. C'estici qu une defaite ar-
lificieuse est de grand service j mais* surtout ,
sauve-toi par la galanterie , car c'est le plus
court chemin pour sortir d' affaire.
MAXIME CCLVII.
N'en venir Jamais a la rupture.
Car la reputation en sort toujours ebrechee.
Tout homme est suflisant pour etre ennemi ,
niais non pas pour etre ami. Tres-peu sont en
etat de fairedubien, mais presque tons peuvent
faire du mal. L'aigle n'est pas en surele entre
les bras de Jupiter nieme, le jour quil offense
TescarbotXes ennemis converts qui etaient aux
aguels , soufflcnt le feu des qu'ils voient la
guerrQ declaree. D'amis qui se brouillcnt , se
font Ics pires ennemis. lis ch argent des defauts
d'autrui celui de leur propre choix. Parmi Ics
spectateurs de la rupture, chacun en parle
comme il pense , et en pense ce qu'il desire. Us
condamncnt les deux parties , ou d' avoir man-
que de prevojance au commencement , ou de
(i) Qui sut se garantir des encliantemens de Cipce\
3^6 I^HOMMiS
patience a la fin; mais ton jours de prudence (i).
Si la niplure est inevitable, il faut an moins
qu'elie soit excusable. Un refroidissement vau-
dra mieiix qu'une declaration violenlc.Cest ici
(ju'unc belle retraite fait honneur.
MAXIME CCLVIII. *
Chercher quelquun qui aide a porter le faioc
de Vadversite.
Ne sois jamais seul, surtout dans les dangers;
autrement in te chargcrais de toute la haine.
Quelques-uns pensent s'elever en prenant toute
la surintendance, et ilssecbargentde toute Ten-
vie , au lieu qu'avec un compagnon Ton se ga-
^ rant it du mal, ou du moins Ton n^en porte qu'une
partie. ]Ni la fortune ni Ic caprice du peuple ne
se joucnt pas si facilcment a deux. Le medecin
adroit , qui n'a pas reussi a la guerisson de son
maladc , ne manque jamais d'en appeler un
autre qui , sous le nom de consultation , I'aide
(i) Un ancien philosophe a dit ; qu'il fallait conserver
$es amis tels qu'ils etaient , pour n'etre point accuse
d'avoir fait un mauvais choix, si ce n' etaient pas des
gens de bien ^ on de faire une injustice &'il$ passaient
pour tel§. * .
D E COUR. 327
a soulever le cercueil. Partage done la charge
et le chagrin , car il est insupportable d'etre
tout seul a soufFrir.
MAXIME CCLIX.
Prev entries offenses y et en f aire des faveurs,
Ilj a plus d'habilele a les eviter qu ales ven-
ger. C'est une grande adresse de fairc son con-
fident de celui que Ton eut eu pour adversaire j
dc transformer en arc-boutans de sa reputation
ceux qui menacaient de la delruire. II sert beau-
coup de savoir obliger. On coupe le passage a
I'injure en la prcvenant par une courtoisie • et
c'est savoir vivre , que de changer en plaisirs
ce qui ne devait causer que des deplaisirs. Place
done ta confidence chez la malveillanee memc.
MAXIME CCLXJ^
Tu ne seras ni tout entier apersonne , niper--
Sonne tout entier a toi.
Ni le sangni I'amitie , ni la plus etroite obli-
gation , ne suffisent pas pour cela ; car il y va
bicn d'un autre interet, d'abandonner son coeur
pu sa volontc. La plus grande union admet cs;-
52^ l' H O M M E
ception , et menic sans blesser les lois de la
plus tendre aniitie, L'ami se reserve loujours
quelque secret , et le fils meme cache quelque
chose a son pere. II y a des choses dont on fait
nijstere aux uns , et que Ton veut bien commu-
niquer aux autres , et au contraire j de sorte que
Thomme se donne ou se refuse lout entier, sc-
ion quil distingue les gens de sa correspou-
dance.
MAXIME C CLXL
Ne point continuer une sottish.
Qu:elques-uns se font un engagement de
leurs . beviies , lorsqu ils ont commence a faillir ,
ils croient qu'il est de leur honncur de conti-
nuer. Leur coeur accuse leur faute, et leur bou-
che la defend. D'oii il arrive que , s'ils ont ete
•iaxes d'inadvertance , lorsqu'ils ont commence
la sottise , ils se font passer pour fous lors-
qu ils la continucnl. Une proraesse imprudcn-
te (i) ni une resolution mal prise , n'imposent
' (i) tJn roi de Sparte etant requis de tenfrsa parole :
Si la chose nest pas juste , dit-il , je ne Vai pas pro-
wise. Pour dire qu'il n'avait pas pu promettre ce qu
Ti'etait pas juste. Charles-Quint ayant signe' un privile'ge
jnjuste , commanda <ie le lui apporter et le de'chira ,
disant : J'aime mieux rompre ma signature que de
tiesser ma conscience. Saayedra empresa 65.
DE COUR. 529
]poInt d'obligation. C'est ainsi que quelques-uns
continuent leur premiere betise, etfont remar-
quer davantage leur petit esprit , en se piquant
de paraitre de constans imperlinens.
Vojez la Maxime 21 4-
MAXIME CCLXII.
Sai^oir ouhlier. ^
C'est un bonheur plutot qu un art. Les choses
qu'il vaut mieux oublier , sont celles dont on
se souvicnt le mieux. La mcmoire n'a pas seu-
leiiient rincivilite de manquer au besoin , mais
encore I'impertinence de venir souvent a contre-
temps. Dan^ tout ce qui doit faire de la peine,
elle est prodigue (i), et dans tout ce qui pour-
rait donner du plaisir, elle est sterile. Quelque-
fois le remede du mal consiste a I'oublier, et
Ton oubiic le remede. 11 faiit done accoutumer
( I ) C'est pour cela que Themistocle repondit a un
homme , qui promettait de lui apprendre Tdrt de me-
moire , qu'il aimerait mieux apprendre I'art d'oublier.
Tacite dit , qu'il n'est pas au pouvoir de Thomme de
perdre la me'moire. Memoriam quoque ipkam cum
voce perdidissemus , si tarn in nostra potestate esset
ebliviscif qmm tacere. In Agricola.
55o l'homme
la memoire a prendre un autre train , puisqu il
depend d'elle de donner un paradis ou un enfer.
J'excepte ceux qui vivcnt contens , car en I'elat
de leur innocence ils jouissent de la felicite dcs
idiots.
MAXIME CCLXIIL
Beaucoup de chose s qui servent au plaisir ne
se do went pas pos seder en propre.
L'oN jouit davantage de ce qui est a autrui que
de cc qui est a soi. Le premier jour est pour
!e maitrc, et tons les aiitres pour les etrangers.
On jouit doublement de ce qui est aux autres,
c'est-a-dire , non seulement sans craindrc dc
Ic perdre ,mais encore avec le plaisir de lanou-
veaute. La privation fait trouver tout meilleur.
L'cau dc la fontaine d'autrui est aussi delicieuse
que le nectar. Outre que la possession diminue
le plaisir de la jouissance , elle augmente le
chagrin, soit a prater, soil a ne pas preterm elle
nc scrt qu'a conserver les choses pour autrui j
et d'ailleurs le nombre des mecontens est lou-
jours plus grand que celui des gens recon-
naissans.
DE COCR. 33l
MAXIME CCLXIV.
W avoir point de jour neglige,
Le sort se phit a la surprise , il laissera pas-
ser mille occasions pour prendre un jour son
homme au dcpourvu. L'esprit , la prudence et le
courage , doivcnt ^tre a I'epreuve , ct pareille-
ment la bcaule , d'autant que le jour de sa con-
fiance sera cclui de la perte de son credit. La
precaution a tou jours manque au plus grand
besoin. Le n'y pas penser est le croc-en-jambe
qui fait tomber (i). D'ailleurs c'est une ruse or-
dinaire de la malice d^autrui de jouer de sur-
prise contre les perfections , pour en faire un
exanien plus rigoureux. Les jours d'ostentation
S€ savent bien , et la finesse fait semblant de
TLj pas songer \ mais elle choisit le jour auquel
on ne s'attend a rien pour sonder tout ce que
Ton sait faire. ^ . . .
(i) Patercule dit, que le mojen de pe'rir bienlot est
^e ne rien craindre , et que la se'curite est la plus fre-
quente occasion d'un grand de'sastre. Neminem celc"
riiis opprimi, quam qui nihil timeret ; et frequentiS"
sim^m initium esse calamitatis securitatem^ Hist. a.
53^ l' HOMME
MAXIME CCLXV.
Savoir engager ses dependans,
JJn engagement fait a propos a mis bc^au-
coup de gens en credit , ainsi qu un naufrage
fait Ics bons nageurs. C^est par la que plusieurs
ont developpe leur industrie et leur habilite,
qui eut reste ensevelie dans leur retraite, si
Toccasion ne se fut pas presentee (i). Les diffi-
cultes et les dangers sont les causes et les ai-
guillons de la reputation. Un grand courage ,
qui se trouve en des occasions d'honneur , fait
autanl dc besogne que mille autres. La reine
(i) Faute d'occasion , dit Machiavel, au ch. 6 de son
Prince , la valeur de Cjrus , de Romulus , de The'see ,
n'eut e'te d'aucune utilite' , et faute de valeur I'occasioii
fat perdue. II fallait que Romulus fut expose' des sa
naissance pour avoir ~lieu de devenir le fondateur de
Rome. II fallait que Cjrus trouvat les Perses me'con-
tens de la domination des Medes , et ceux-ci abatardis
par une longue paix. The'see ne pouvait pas montrer
son Industrie si les Athe'niens n'eussent ete' disperse's.
Et dans le chap. 20. il dit , -Que la fortune , lorsqu'elle
veut agrandir un prince , lui suscite de puissans en-
nemis pour exercer son courage et son industrie ,' et
par cette e'chelle le faire monter a un plus degre' de
reputation et 4^ puissance.
DE COUR. ' 535
catholique Isabelle sut eminemment cettclecoa
d'engagcr , ainsi que toules les autres j et le
grand capitaine (i) dut toutc sa reputation a
cette politique adrcsse qui fut cause aussi que
beaucoup d'autres devinrent de grands hommcs.
MAXIME CCLXVI.
ISTetre pas mechant d'etre trop bon,
Celui-la nest bon a rien qui ne se fache
jamais. Les inscnsibles tiennent peu du veritable
homme. Ce caracterc ne vient pas toujours
d'indolence , niais souvent d'incapacite. Se rcs-
sentir quand il faut , c'est une action de maitre
homme (2). Les oiseaux se moquent d'abord
des apparences des figures en relief. Meier Pai-
gre et le doux , c'est la marque d'un bon gout.
La douceur toute seule ne sied qu aux enfAiS
et aux idiots (5). C'est un grand mal que de
(1) Gongalo Fernandez , vice-roi de Naples.
(2) Je serais insensible aux louanges , disait un phi**
losophe , si je I'e'tais aux injures.
(5) Mentem non habet , qui iram non Jiabet, dit le
proverbe. Un ancien , entendant louer e'perdument un
homme d'etre doux a tout le monde , demanda , par
irouie , s'il I'e'tait aussi aux me'chans. Et un autre dit ,
534 li'noMMK
donner dans ceite insensibilite a force d'etr<5
trop bon.
Get homme , dit-il* dans la critique 7 , de Ijl
troisieme partie de son Criticon, est un de ceux
que Ton appelle insensiblcs , de ces gens a qui
rien ne fait breche , et que rien ne louche, non
pas meme le plus grand revers de fortune, ni
rimperfection de leur propre nature , ni les
coups fourres de la malignite d'autrui. Tout le
monde a beau conjurer contre eux^ ils n'en bran-
leront pas ; ils n en perdront ni I'appetit ni le
sommeil. Et ils appcllent cela indolence , el
meme grand courage.
MAXIME CCLXVII.
Paroles de soie,
UliES fleches percent le corps, et les mauvalscs
paroles Fame. Une bonne pate fait bonne boi;i-
che. C'est une grande adresse dans la vie , que
de savoir vendre Fair. Presque tout se paie avcc
des paroles, et elles suffiscnt pour degager de
dTun prince trop doux , dont le pre'decesseur avait ete
tres-violent : Qu'il trouvait autant d'inconve'nient a vivre
sous Tempire d'un prince^qui soufFrait tout , qu'a vivre
sous la domination d'un qui ne soufFrait rien.
^impossible. L'on negocie en Fair et avec de
Fair; et une haleine vigoureuse est de longue
dureeJl faut avoir la bouche toujours plcinede
Sucre pour confirc les paroles , car alors Ics en-
ncmls memc j prennent gout. L'unique moyeii
d'etre aimable , c'est d'etre afTabJe.
Voyez la fin du Commehtaire de la Maxime i4«
MAXIME CGLXVIIL
Le sage doit faire au commencement ce qu^
le fou fait a la fin.
L'uN et Taulre font la memcvchose,! a diffe-
rence est que Tun la fait a temps et Tautre a
contre-temps. Celui qui , au commencement ,
s'est chausse Tentendement a rebours , continue
de meme dans tout le reste. U lire avec le pied
ce qu il devait porter sur la tcte , et de sa main
droite il en fait sa main gauche -, de sorte qu'il
est gaucher dans toute sa conduitc. Au bout du
compte , il arrive toujours que ces ff ens-la font
par force ce qu ils eussent pu faire de bon gre j
au lieu que le Sage voit d'abord ce qui se doit
faire de bonne heure ou a loisir , et Texecute
avec plaisir et reputation. *
33^ 1.' HOMME
MAXIME CGLXIX.
Se prevaloir de sa nouveciute.
Tant qu elle durera Ton sera esllme. ElJe
plait universellement a cause de sa variete qui
reveille le gout. On estime plus une chose com-
mune, qui est toute nouvelle , qu une rarele que
Ton voit souvent. Les excellences s'usent tJt
vieillissent bientot. Cette gloire de lanouveaute
durera peu , au bout de quatre jours on lui
perdra le respect. Prevaux-toi done des pre-
mices de Fes lime , en tirant a la hate lout ce que
tu peux attendre d'une complaisance passagere;,
car si une fois la chalcur d'etre tout recent vient
a se passer , la passion se refroidira, et ce qui
plaisait comme nouveau, deplaira comme com-
mun. Chaque chose a eu son temps , et puis ^i
ete negligee ( I ).
MAXIME CCLXX.
Ne point cohdamner tout seul ce qui plait a
piusieurs.
Car il faut qu'il y ait quelque chos« de Bon ,
puisque tant de gens en sont contens ^ et bien
(i) II en est des botes , dit Juan Rufo , Apoplitegme
594* > comme des ceufs qui ne sont. pas agre'ables a
prendre s'ils ne sont frais. Get apophtegrae se ve'rifie
"^ de la plupart des |^ses de la vie.
DE COIJR. oSi
que cela ne s'explique point, on ne laisse pas
d'cu jouir. La singularite est toujotirs odieuse,
et lorsqu elle est mal fondee, elle est ridicule.
Ellc decriera plulot la personne que I'objet , et
par consequent, on restera seul avec son mau-
valf gout. Que celui qui ne sait pas discerncr le
bon, cache son peu d' esprit, et ne se niele pas
de condamner a la volee , car le mauvais gout
nait ordinairement de I'ignorance. Ce que tout
le monde dit est , ou veut etre.
MAXIME CCLXXL
^ue celui qui sait pen dans s a profession^ s*en
tienne touj ours au plus certain.
Car s'll ne passe pas pour subtil , il passera
du moins pour solide. Celui qui sait , pent s'en-
gager et faire a sa fantaisie; mais de savoir peu
ct de,risqUer, c'est un precipice volontaire.
Tiens toujours la main droite j cequi est auto-
rise, ne saurait manquer. A peu de savoir, che-
min royal j et encore la surcte vaut niieux,que
la singularite , tanl pour Ic savant qu^ pour
I'ignorant. ^
,^ 2^
558 l'homme
MAXIME CCLXXIL
Vendre Iqs choses a price de courtoisie,
C'est le mojen d'oLliger davanlage. LS^'de-
inande de Tinteresse iregalera jamais la boline
gr^ce a donner d\m coeur genereux oblige. La
courtoisie ne donne pas , mais elle engage , et
la galantcrie est ce qui rend I'obligation plus
grandc(i). Ricn nc coute plus chcr a un homrae
de bien que ce quqn lui donne galamment^*
c'est le lui vendre deu'x fois , et a deux prix dif-
I'erens , Tun de ce que vaut la chose , et I'auti e
de ce que vaut la bonne grace. Mais il est vrai
que la galanterie n'est pas nne marchandise a
I'usage des coquins , parce quils n'qnlendent
rien au savoir vivre.
(i) Le jour que CIiaries-Emmanuel I , due deSavoie,^
^t son entree a Saragosse , Philippe H, son beau-pere
futur , qui , par un exce» de civilite' , marchait a sa
gauche , lui disant : Monjils , vous avez la un cheval
bien fringant : Cest, sire , re'pondit-ii , qu'it volt bien
4^ue ce nest pas la sa place^ Voiia comme la galan-
terie.se paie par un gaiant homme.
m^:
4' :
BE COUR. S>'JQ
MAXIME CCLXXIII.
Connattre ci fond le camctere de ceujc ai^ec
qui I' on traite.
L'effet est bicntot connu, quand on comiait
2a cause ; on le connait prcniiercnient en elle ct
puis en son motif. Le nielancolique augur(5
toujours des malheurs , etlemedisantdes fautes*
T^out Ic pire s'ofFre toujours a leur imagination;
etcomme ils ne voicnt point le bien present , ils
annoncent le ijialqui pourrait arriver* Lliomme
prevcnu de passion parle toujours un langagc
different de ce que sont les choses, la passion
parle en lui , et non pas la raison , chacun juge
selon son caprice ou soti honneur, et pas un
selon la verite. Apprefids done a dechifjfrer un
faux semblant , et a e'peler les caracteres du
coeur. Etudie-toi a connaitre celui qui rit toujours
sans raison, et celui qui ne rit jamais a faux.
Defie-toi d'un grand questionneur, commed'un
imprudent ou d'un espion. N'attends presque
rieri de bon de ccux qui ont quelque defaut na-
ture! au corps (i)^ car ils ont coutume de se
"■, (i) Dans lia critique lo de la premiere partie de son
Crititon , il dit que la reine Isabelle de Castille disait
que les boiteux , les bossus , les gens de regard e'qui-
j|
540 L^ II O M M E
venger de la nature ,' en lui faisant aussi pen
■d'honneur , qu ellc leur en a fait. D'ordinake la
sottise est a proportion de la beaute (i).
MAilME CCLXXIV.
Ai^oir le don de plaits,
C'est une magic politique de courtoisie , c'cs|
tin crochet galant, duquel on doit se.servir plu-
tot a attirer les coeurs , qua lirer du profit , oii
plutot a toutes choses. Lc merite ne suflit pas ,
s'il n'est scconde de Tagremcnt, dont depend
loute la plausibilite des actions. Get agrement
est le plus efficace instrument de la souverainetc.
II Y va de bonheur (Je mettre les autres en ap-
petit ; mais rartiike y ipniribue. Partout oil il
y auji grand naturcl,raiti(iciel j reussit encore
mieux. C'est de I^ que lire son origine un je ne
sais quoi, qui sert a gagner la faveur universelle.
-./ ''^■/^■. .... .■
voque ou de nez ecrase, ne faisaient jamais rien qu'A
rebours; et que par conse'quent , il s'en fallait toujour*
de'iier.
(j) Temoin cette belle dame qui portait toujours ucre
lunette, quoiqu'elle fut jeune et qu'elle n'eiit point lavue
courte : pour etre mieux vue, (}iiiJuan Rufo, au lieu
que les autres ne se servent de lunettes qute pour mieux
yoir. Jpaphtegme 284. ^
BE COUR. 541
MA XI ME CCLXXV.
Se conformer a Fusage y mais non pus a la
folie commune,
Ne ticns pas loujours ta gravltc , c'cst une
parde de la galanterie de relachcr quclque chose
de la bienseance , pour gagner la bicnvcillance
commune. Quelqucfois on pent passer par oii
passcnt les auires , ct pourtant sans indecence.
Celui qui est tenu pour fpu en public , ne sera
pas tenu pour sage en particulier. L'on perd
plus en un jour de licence , que Ton ne gagno
par un long serieux (i) j mais il ne faut pas eira
toujours d'exception. Etre singulier , c'est con-
damner les autres; c'est encore pis d'affecter des
airs precieux, cela se doit laisser aux femmes ; ,
quelquefois memPles d4vots se rendcnt ridi-
cules ; le meilleur d'un bomme est de le paraitre.
La femme pent avoir bonne grace d afiecter un
airviril, mais rhommc ne saurail honnetement
S)'cn donncr un de femme (2).
(i) L' extreme se'rieux dit-il dans son Discret, chap.
No estar siempre de burlas, est a charge. Caton ne
plaisait guere mais il etait respecte', Peu de gens imitent
ce caractere, mais beaucoup le re'verent; bien que la ^
gravite' lasse les autres, Ton n'en est jamais me'prise'.
{2) C'est pour cela que Ciceron se moquait de soi>
gendre qui marchait en lille. *
543^ ir'nOMmt •
MAXIME CGLXXVL
Savoir renouveller son genie par la nature
et par Vart.
On dit que rhomme change de caractere de
sept en sept ans \ a la bonne heure si c'est pour
se perfectlonner le gout. Dans les premiers
sept ans la raison lui vient. Qu^il fasse en sorte
.^, qua chaque changement il lui vienne quelquc
nouvelle perfection. II doit observer cette revo-
lution naturelle pour la seconder , et pour aller
toujours de mieux en mieux dans la suite. C'est
par la que piusieurs ont change de conduite ,
soit dans leur etat ou dans leur emploi^ et quel-
quefois on he s'en apercoijjpis jusqu'a ce que
f on voie I'exces du changement. A vingt ans
ce sera un* paon , a trentc un lion a quarante
un chameau , a cinquante un serpent, a soixante
un chien , a soixante-dix un singe, a quatre-
vingts rien.
Cette atle^gorie est expUque^e dans te Discours 56^
de son Agudeza, en ces termes :
L'horame se crojant digne d'etre immortel ,
'sltendu rcxccllence de sa nature, demanda h
Jupiter combien il avait a^yivce. Jupiter lui re-
^, pondil que lorsqu'il tivait pvh la resolutiaa de;
BE COUR: 543
cr^r loiis les animaux et puis rhonime ^ il s'e-
tait propose de Icur donner a chacun trenle ans
de vie. L'homme fut surpris d'apprendre qu^un
si admirable ouvrage que lui , cut ete fait pour
durer si peu de temps , et que sa vie dut passer
comme une flcur. II trouvait etrange , qu'etant a
peine sorti du ventre de sa mere , il dut entrer
en celui de la terre , sans jouir de I'agreable
etat oil il venait d'etre cree. Je te supplie done ^
dit-il a Jupiter (si tant est que ma demande ne
soit pas contre tes ordonnances ) , que , puisque
tons CCS animaux (*) , indignes de tcs graces ,
ont refuse vingt ans du terme de vie que tu
Icur avais donne , comme tie connaissant pas
le bien que tu leur faisais , faute d' avoir I'usage?
de la raison , il te plaise de me les accorder '^
afin que je les vivc pour eux , et que tu sois
mieux servi de moi. Jupiter trouvant cette de-
mande raisonnable , lui octroya, qu apres quil
aurait vecu ses trente ans , il commencerait a
vivre premierement les vingt aris que Tane cc-
dait , a la charge qu'il en ferait toules les fonc-
lions , en travaillant , chariant , tirant , et ame-
nant a la maison tout ce qui serait ncccssaire
an menage. Que depuis cinquante jusques a
soixante-dix , il vivrait les vingt ans du chien ,
(i) L'dne, lecliien, et le singe. '
. \
H44 l' H O M M K
al)Ojant et grondant , comme ayant beaucoup
d'incommodites , et ne prcnant plaisir a rien.
Et<ju'eDfin , dcpuis soixante-dix jusquaquatre-
vingt-dix, il acheverait ies annees du singe, en
contretkisant Ics defauts de la nature. Aussi
^ojonsrnous queceuxqui arrivcnl a cet age,ojit
coutume, lout vieux qu'ils sont, de vouloirpa-
raitre jeunes , de s'ajuster, de se redresser , et
de faire des exces de jeunessc , pour sembler
etre ce qu'ils ne sont pas ; comme aussi de
jouer avec Ies enfans , ainsi que font Ies singes.
.; II dit encore presmie la menie chose dans ie
dernier chapitre de son Discret : Trente an-
nees , dit-il y furent donnees a rhomme pour
jouir et pour se rejouir ^ vingt lui furent pretees
sur sa bonne foi ^ pour travailler j^ingt aulre$
du chien , pour aboyer , et Ics vingts dernieres ,
pour badiner avec ies enfans , comme Ies singes.
MAXIME CCLXXVIL
Uhomme d' ostentation.
■:*-\,m'. Z').!
y, Ce talent donne du lustre a tous Ies autrcs.
Chaque cho§e a son temps , et il faut epier ce
temps, car chaque jour n'est pas un jour de
triomphe, U y a de^. gens d'un caraetere parti-
PE COUR. ' 54^
<?nlier , en qui le peu parait bcaucoup , et que
le bcaucoup fait admirer. Lbrsquc rexcellenc-e
est jointe avecretalage, elle passe pour un pro-
tlige. 11 y a des nations ostcntalives , et TEs-
pagnol Test au supreme degre. La montre tient
lieu de bcaucoup , et donne iin second etre a
tout, et particulierement quand la realite la
cautionne. Lc ciel , qui donne la perfection , y
joint aussi rostentation,car sans elle toute per-
fection serait dans tin elat violent. A I'oslenta-
tion il J faut Tart. Les choses les plus excel-
lentes dependent des circonslances , et par con-
sequent , clles ne soht pas toujours de saison.
Toutes les fois que I'ostentation s'est faitc a contre-
temps, elle a mal reussi, rien ne souffre moins
Faffectationj et c'cst toujours par cet endroit
que Tostentation echoue,parce quelle approche
. fort de la vanite, et que celle-ci est tres-sujette
,au mepris. Elle a besoin d'un grand .tefmpera-
ment pour ne pas donner dans le vulgaire ; car
son trop Fa deja decredite parmi les gens d'cs-
prit. Quelquefois elle consiste dans une elo-
quence muette , et dans I'art de montrer la per-
fection commc par maniere d'acquit ; car une
sage dissimulation est une parade plausible »
cette meme privation aiguillonnant plus vive-
mcnt la curiosite. Sa grande adressc est de ne
pas montrer tou.tc sa perfection en une seule
545 l' H O M M IT
fois , mais seulement par pieces , et comme si
Ton etait apres a la peindre, pour en decouvrir
toujours davantage. II faut qu\in bel ccliantil^
ion engage a morilrer quelquc chose qui soit
encore plus beau , et que Fapplaudisscment
donne a la premiere piece fasse desirer impa-
tiemmentde voir toutcs les autres.
Cette Maxime est tire'e de son Apologue du Dis-
cret intitule', Hombre de ostentation , dont Vextrait
servira id de eommentaire.
Ce qui ne sc voit point, dit-il y est comme
s'il n^etait point. Ton savoir n'esl rien , si \^?^
autres ignorent que tu sais , dit un grand au-
teur satirique.
Scire tuum nihil est , nisi te scire hoe sciat alter,
Pekse.
Les choses ne passent pas pour ce qu'elles •
sont, mais bien pour ce quelle paraissent etre. .
II y a beaucoup plus de sots que de gens d'esprrt ,
ceux-la se paient de Tapparence , et , bien que
ceux-ci s'arretent a la substance , la troniperie
I'emporte , et fait que rien ne s'esiimc que par |
le dehors. Et une page apres : Sache , disent
au paon les ambassadeurs des autres oiseaux ,
que toute notre republique se ticnt offensee dc
ton insupportable orgueil,cai' c'est a loi une sin-
gularite bien t:)dicu$C3 dc vouloir toi seul etaler
DE COUR. ' 347
ta vaine roue au solellj ce que nul autre oiseau
n'ose faire , quoiqu il y en ait beaucoup qui le
pourraient faire a meilleur titre que toi. G'est
poui quoi Ton te commande par sentence irre- •
vocable , de t'abstenir dorenavant dc te singula-
riser , etc. A quoi le paon repondit ; Pourquoii^
condamncz-vous en nioi I'ostentaiion ct non pas
la beauie, le ciel , qui m'a donne cclle-ci , m'a
pareillement regale de I'aulre j a quoi me ser-
virait la realite sans I'apparence ? Aujourd'hui
les politiques ne dogniatisent autre chose , si-
non que la plus grandc sagesse con&iste a faire
paraitrc. Savoir et le savoir montrer , c'est dou-
blement s Jloir. Pour tiioi , je dirais de Fosten-
lalion cc que d'autres disentdu bonheur, qu'une
once d'ostentation; vaut mieux que des quintaux
de capaote sans elle. Que sert-il qu'une chose
soit cxcellente , si elle ne le parait pas ? Et deuoc
pages apre^ ; C'e&t une dispute politique de sa-
voir si la realite vaut mieux que rapparence. II
y a des choses grandes en elles-memes, qui ne
le paraissent pas 1, et d'autres qui sont peu , et
paraissent beaucoup ; tant Tostentation ou le
manque d'ostentation fait d'effet H y ^ des
homnies en qui le peu cclate beaucoup, et dont
Je beaucoup est un sujet d'admiration. Ce sont
des gens de parade , car lorsque I'emincnce et
Tapparcnce sont jointes ensemble, dies for-
548 l' HOMME
ment un prodige, Au coiUrairc, nous avons vu
des pcrsonnagcs eminens , qui n'ont pas paru
la moilie de ce qu'ils etaient , fame de savoir le
.monlrcr. II n'j a guere qu'un grand honime ter-
rassail tout Ic monde a la campagne , et qu'ap-
pele au Conseil de guerre , il avait peur de cha-
cun, Celui qui etait si propre pour faire , ne I'e-
tail nullement pour parler L'osientation
donne un vrai lustre aux qualites heroiques , et
comme un second etre a toutes choses , lorsque
la realile la cautionne; car sans le merite cc
n'cst qu'une tromperie vulgaire; elle ne sert
qu'a decouvrir les defauts , et, par consequent ,
i faire mepriser au lieu de faire appladliir. Quel-
ques-uns s'empressent fort de sortir pour se
montrer sur le theatre universel ; et ce qu'ils
font est de publier leur ignorance , que la re-
traite cachait honnetemcnt. Or ce n'cst pas la
faire ostentation de ses talenSj mais declarer
sotlement ses defauts.
MAXIME CCLXXVIII.
Fair en tout d'etre remarquable.
A Fetre trop, les perfections memes seront
des defauts ; cclui-ci vient de la singularitc ,
D E C O TfH. 34$
tt la singularite a loujoiirs ete censuree. Qui-
coiique fait le singulicr, demeure seul. La po-
litesse memc est ridicule, si ellc est excessive ,
elle. offense quand elle donne trop dans la vue;
a plus forte raison les singularites extravagantes
doivcnt-elles choquer. Cependant , quelques-
iins velilent etre connus par les vices nieme ,
jusqu a chcrcher la nouveaute dans la mcchan-
cete, et^ se piquer d' avoir un si mauvais re-
nom (i). En fait menie d'habilete, le trop de*?
gene re en charlatanerie.
MAXIME CCLXXIX.
LiUisser contredire sans dire,
II faut distingiier quand la contradiction
vient de finesse , ou de rusticite; cai* ce nest
-pas toujours une opiniatreie , quelquefois c'esl
un artifice. Prends done garde a ne te pas en-*'
(i) PlusieurS;, dit Machiavel dans la Preface de soa
Jiistoire de Florence , ont affecte de se rendre ce'lebres,
par des faits dignes de blame , faute d'avoir eu occasion
de le pouvoir devenir par des actions dignes de louange,
Et Tacite dit qu'il y a .des gens qui trouvent un rafi-
nement de plaisir dans la grandeur, meme de riufamie*
Ob magriitudinem i nf amice , cujus apud prodi^os no*
visfima voluptas est. Ann. ii.
S5d L* % O M M E
gager dans I'une , ni laisser lomber dans Tantre,
II n'jr a point dc peine micux emplojee que
ccJle d'epier , ni de meilleure contre-batlcrie
contrc ceux qui vculent croclictcr la serrure
du coeur , que de mettrc la clef dc la retenue
en dedans.
F^oj-ez la Maxime I'jg, ' r
MAXIME CCLXrX.
L'homme de hon aloi.
Il ne rcste plus de bonne foi, les obligations
sont mises en oubli , il j a pen de bonnes cor-
respondances. An meilleur service la pire re--
compensc. Aujourd'hui le nioiide est fait aihsi*
11 j a des nations entieres cnclines a mal agir :
des unes , la trahison en est loujours a crain-
4re 5 des autr^^j I'inconstance.^ et de quelqucs-
autres , la trompcric. Sers-loi done de la mau-
vaise correspondance d'autrui , non coninie
d'unexcmple aimiter, niais comme d'un aver*-
tissement d'etre sur tes gardes. L'integrite court
xisque de •biaiser a la vue d'un procede nial-
bonji^tcj iTjai^ rhpinme dc bien n oubiie ja-
j^niais c^ qn'il fjst, h can§^ de ce que sont Ics
autres.
DE COUR.
HI ■ ■
MAXIME CCLXXXL
55]
L' approbation des habile s gens.
Un liedc oui d'un grand homme est plus a csli-
nicrque rapplaudissement dc tout un pcuplc (i).
Quand on a une arete dans le gosier , le renifler
ment ne fait point respirer. Les sages parleni
avec jugement , el par consequent leur approba-
tion cause une satisfaction immortelle. I^ep^if-
dent Antigonus faisait consister toute sa renpii^-
mce dans le seui temoignage deZenon ( 3 ) , ^t
Plalon appelait Aristote toute son ecole. Quel-
ques-uns ne se soucientquede remplirlqurcsto-
mac, sans regarder si c'est une denree com-
mune. Les sourerains meme ont bcsoin des
bons ecrivains , dont les plumes leur sont plu^
(i) Uu jour que le peuple d'Athenes approuvait up
avis de Phocion , celui-ci denlanda a ses amis si c'etait
qu'il eiit dit quelqu'impertinence, tant il avait mauvaise
opinion des jugemens et des suffrages du peuple. Et une
autre fois , qu'une deiibe'ration qui avait passe' contre son
avis avait eu un bon succes , il dit au peuple qu'il s*eii
re'jouissait , mais qu'il ne se repentait nullement d'avolp
COinseille le contraire.
(2) A la mort de qui il disait qu'il avait perdu le t^-
Hipin de ses actions et le thddtre de sa gloire, v*^ ♦^x
•
.552 L* HOMME
a craindre quun portrait naif aux femmes
laides.
MAXIME CCLXXXII.
Se sen^ir de Veocpedient de Vahsence pout se
faire respecter ou estinier*
Si la presence dlminue la reputation , Tab-
sence Taugmente. Celui qui etant absent^ passt3
pour un lion , ne parait quune souris (i) , etant
present. Les perfections pcrdent Jeur lustre , si
on les regarde de trop pres , parce qu'on re-
garde plutot Fecdrce de Texterieur que la subs-
tance et I'interieur de Tesprit. L'imagination
porte bien plus loin que la vue ; ct la trpm-
perie, qui, d'ordiriaire entre par les oreilles,
sort par les yeux. Celui qui se qonserve dans le
centre de la bonne opinion , que Ton a de luf*f "
conserve sa reputation. Le phenix menie se sert
de la retraite ct dudesir, pour se faire csti-
mcr et regretter day^inlage.
^ (i) "L'auteur dit quwi ridicule enfantement des mon-
tagnes, ce qui serait fade et obscur en notre langue ;
au lieu que Tantitliese d'une souris a un lion a de Ta
grace et rend mi^ux le sens du proverbe ; parturient
montes, nascetur ridiculus rnus.
t) E C O t) R. 553
MAXIME CCLXXXllL
Etre homme de bonne invention,
f
L'iNVENTiON marque un exces d'esprit, liiais
oil se trouvera-t-clle sans un grain^ de folie ?
L'invcnlion est le partage des csprits solides.
Lia premiere est plus rare et plus estimce, at-
tendu que beaucoup de gens ont reussi a bien
choisir, et tres-peu a bien invenler, et a avoir
laprimaute de Fexcellence, aussi bien que cclie
du temps. La nouveaute est insinuante , et, si
elle est heureuse , elle reieve doublement ce
qui est bon. Dans les choses , oii il y va de ju-
gement, elle est dangereuse a cause quelle
donne d^ins le paradoxe ; dans celles oii il iie
s'agit que de subtilite, elle est louablef et si la
nouveaute et I'invention rcncontrent bien, elle%
sont plans ibles.
MAX I ME CCLXXXiV. f^^
Ne te niele point des affaires dautrui ^ et tu
ne sera s point nial dans les tiennes.
\
EsTiME-TOi , si tu veux que Ton festime (i).
(i) II en est de restime raisonuable de soi-meme, dit
25
554 L* HOMME
Sois plutot avare que prodigue de toi. Fais-
toi desirer et lu seras bien regu (i). Ne viens
jamais que Ton ne fappellc , ct ne vas jamais
que Ton ne t'envoie. Celui qui s'engage de sou
chef se charge de toute la haine , s il ne rcussit
pas; et, quand il reussit , on ne lui en sait
point de gre. Uhomme, qui est Irop intrigant,
est le but du mepris ; et comme il s'introduit
5ans honte , il est repousse avec confusion.
MAXIME CCLXXXV.
Ne se pas perdre aved autruL
Sache que celui qui est dans Ic bourbier ne
t^appellc que pour se consoler a tes depens ,
quand tu seras embourbe avec lui. Les mal-
lieureux cherchent quelqu'un qui leur aide a
fi^orter leur affliction. Tel qui , durant leur
prosperite , leur tournait le dos , leur tend main-
tenant la main. II faut bien aviser a nc se
pas noyer, en voulant secourir ccux qui se
noient.
Juan Rufo , ApopJitegme 222. comme de la chants biea
ordonn^e qui commence par soi-meme.
(i) Uobjet de la vue, dit le meme, est plus grand de
pres, mais celui du desir est plus grand de loin. Apoph-
tegme 6.
Cette maxime s'adresse particulierement aux princes.
DE C O U R.
555
MAXIME CCLXXXVI.
Ne se pas laisser obliger entiej^ement ^ni par
toutes sortes de gens.
. Car ce serail djevenir Tesclavc conwiiun. Les
uns sont nes plus heurcux que les autrcs : les
premiers , pour faire du bien ; et les seconds ,
Dans un particulier , clit Saavedra , euipresa 47- I*
compassion ne pent jamais etre un exces , mais dans
vn prince elle pent etre tres-nuisible. Qu'un particulier
liasarde sa vie ou sa fortune pour en secourir un autre ,
c'est une bonte digne de louange , mais qui serait digne
de blame dans un prince s'il engageait le salut 4e son
Etatpour sauver celui de son voisin , sans avoirjdes raisons
iSuffisantes. Et la parente' ni I'amitie' particuliere n'en
sont pas d'assez bonnes pour I'engager au secours d'utt
autre, parce qu'il est ne' pour ses sujets plus que pour ses
parens et pour ses amis. Quand la rencontre est telle que
Tassistance doit envelopper celui qui la donner$i, dans
le malheur de celui qui la demande , il n'y a ni obli*
gation ni conapassion qui puissent servir d' excuse a cette
imprudence. Salus populi suprema lex esto , dit Ci*
ceron, 5. de Leg^
Juan Rufo vojant un prnnier oh les branches entee^
portaient^^de meilleures et de plus grosses prunes que
celles des branches naturelles , dit que c'e'tait un exemple
qui donnait a entendre que Ton ^e preyaut quelquefois
de notre propi^e «i§sistanqe contre UQUS-meraes. Apoph-
tegme'^'j, »
556 l'h O M M E
pour en recevoir (i). La liberie est plus pr^-
cieuse que tout don , et c'est la pcrdre que
de recevoir (2). II vaut mieux tenir Ics autrcs
dans la dependance que de dcpendre d'un seul.
La souverainete n'a point d' autre commodite
que de pouvoir faire plus de bien (5). Sur-
tout, garde-toi de tenir aucune obligation pour
faveur ; sois persuade que le plus souvent Ton
ne cherchera a t'obligcr que pour t' engager.
(i) Entre neuf choses ou XEcclesiasttque de I'Ecnture
fait consister la fe'licite de I'liomme , Tune est de ne point
de'pendre de gens qui sont indignes de commander.
Beatus , tjui non servivit indignis se. Cap. 25.
(2) Caligula faisant ofFrir deux cents talens au philo-
sophe De'metrius pour I'attirer ^ son service ; to to , dit
ce pliilosophe , eram illi experiundus Imperio , c'est-
a-dire, si Fempereur me voulait avoir , il ne me devait
pas offrirmoins que tout I'empire. Au dire de Socrate,
I'homme vaut mieux que tout ce qu'on lui pent donner ^
mais pour cela il faut que ce soit un liomme, et les
hommes sont rares. C'est encore ici qu'a lieu le beau
mot de ce philosophe qui , entendant sa femme gronder
de ce qu'il avait refuse' les prfe'sens d'un grand , lui dit :
r'est que fai man ambition, comme cethomme a la
sieiuie. ^
(i) C'est la pensde d'un Lace'de'monien , qui disait
que le plus bel endroit par oii les rois se distinguaient;
du commun des hommes, c'e'tait que personne n^avait
autant de pouvoir qu'eux de* faire du bien aux autres.
DE COUR. '*55^
MAXIME CCLXXXVII.
N'agir jamais durant la passion,
AuTREMENT , On gatcra lout. Que cclui, qui
n'est pas a soi, se garde bien de ricii faire
par soi, car la passion bannit toujours la rai-
son j qu'il substitue pour lors un niediateur
prudent, lequel sera tel, s'il est sans passion.
Ceux qui voient jouer les autres jugcnt niieux
que ceux qui jouent , parce qu'ils ne se pas-
sionnent pas (i). Quand on se sent de I'emo-
tion , la retenue doit battre la retraite , de
peur de s'echauffer davantage la bile ; car alors
tout se ferait violemment , et par quelques nio-
mens de furie , Ton s'appreterait le sujet d'un
long repentir et d'un grand murmurc.
b
MAXIME CCLXXXVTir ^
J^ivre selon V occasion. ,.v<^-.'vv.4v
SoiT Faction, soit lediscours , tout doit ^tre
mesure au temps. II faut vouloir, quand on
(i) A rimitation de ce Spartiate, qui disait a-ttn de
ses esclaves ; ye te battrais bien si je netais pas en,
colore.
558 l'homme
le peat, car ni la saison , ni le temps , n'at-
lendent personne. Ne regie point la vie sur
des maximes generales , si ce n'est eii favcur
de la vertu; ne prescris poii;^l de lois formelles
a ta volonte , car tu seras , des demaln , force
de boire dc la meme eau que tu mepriscs aii-
iourd'hui. L'imperlinence de quclques-uns est
si paradoxe qu elle va jusqu'a pretendrc que
toutes les circonslances d'un projct s'ajuslenL
a leur manie, au lieu de s'accommoder eux-
memes aux circonslances. Mais le sage sail
quele nord de la prudence consiste a seconfor-
nier au temps.
Dans son Ferdinand, il dit, que c'e'tait la maxime
sur laquelle roulait toute la politique de ce prince. Et
quelques lignes apres : Plusieurs rois , dit-il , eussent
etc' les fils de la renomrne'e s'ils I'eussent e'te' de la saison;
car c'est elle qui donneie point de perfection aux actions
ct surtouta celles des rois. Tempori cedere y ditCice'ron,
semper sapientis est habitum. Et le jeune Pline est du
meme sentiment. Faciendi aliquid, dit-il , veTfionfacien-
diyvera ratio ydim-homihum ipsorum, tUm rerum etiam
ac temporum conditione mutatur. Ep. 27. lib. 6. Cest-
a-dire, que les raisons de faire ou de ne pas faire quel-
queqhose, changcnt selon la condition des temps, la
nature des affaires et la qualite' des personnes avec qui
yon;^a traiter.
i>E €Oun. 359
MA XI ME CCLXXXIX.
Ce qui decredite davantage un homme , ^$t
de montrer qu'il est homme,
, On cesse de le tenir pour divin , silot qu'on
s'apergoit qu il tient beaucoup de rhomme. La
legerete est le plus grand contrepoids de la
reputation. Conime I'liomme grave passe pour
plus qu'un homme , de meme Thomme leger
passe pour moins qu un homme. Nul vice ne
decredite tant que la legerete , d'autant qu'elle
s'oppose en face a la gravite. L'homme leger
ne saurait etre substantiel, et surtout s'il est
vieux , rttendu que son dge exige plus de pru-
dence (i). Et quoique ce defaut soit si com-
mun , il ne laisse pas d'etre etrangemenl de-
crie dans chaque parliculier.
MAXIME CGXC.
V
C*est un bonheur de joindre Vestime avec
V affection.
Pour etre respecte , il ne faut pas etre trop
(i) Dans les enfans, dixJuan Rufo , Apophtegme 26.
la legerete*est une gentillesse ; dans les hommes faits c'est
un vice honteux^ mais dans les vieillards c'est wne folie
monstrueuse.
56o l'ii o m m
aimc 'y I'amour est plus hardi que la haine ;
raffection et la veneration ne s'accovdent guere
ensemble : Et quoiqu'il ne faille pas etre irop
craint 5 il n'est pas bon d'etre trop aime. L'a-
niour introduit la familiarite , et a mesure que
celle-ci entre , restime sort. 11 vaut niieux etre
aime avec respect qu'avec tendresse; tel est
Tamour que demandent les grands liommes.
M A X I M E C C X C I.
Sai^oir/aire une tentative.
Que I'adresse de Phomme judicieux contre-
pese la retenue de I'homme fin: 11 faut un
grand jugement pour mesurer celui d'autrui.
II vaut bien mieux connaitre Ic caractere des
esprits que la vertu des herbes et des pierres;
c'est la un des plus grands secrets de la vie.
Ij'on connr^itles metaux auson, el les personnes
au parler, L'intcgrite se reconnait aux paroles ^
mais encore plus aux effets. C'est ici qu'il est
besoin de beaucoup de penetration, de circons-
pecUQft et de precaution.
^
DE COUR. obi
MAXIM E CCXCII.
']^tre ciU'dessus y et non au-dessous de son
emploi.
QuELQUE grand que soit le poste, celuiqui
le tient doit se montrer encore plus grand. Un
homme , qui a de quoi fournir , va tou jours
en croissant, et en se signalant davantage dans
ses emplois , au lieu que celui qui a le coeur
etroit se trouve bientot arrete , et est cnfin re-
duit a ne pouvoir remplir ses obligations , ni
soutenir sa reputation (i). August e se piquait
d'etre plus grand homme que grand prince.
C'est ici qu'il sert beaucoup d' avoir du coeur,
et une confiance raisonnable en soi-meme.
MAXIME CCXCIII.
De la maturlte.
Elle eclate dans Fexterieur , mais encore
pjus dans Ics mceurs. La gravite materielle
( I )'Cest ainsi que Tacite dit que quelques-uns sue-,
combent sous le faix des emplois, et que d'autres s'y
dvertuent; la grandeur et Timportance des affaires leur
ftervant d'aiguillon ; Excitari quosdam adrneliora ma-
gjiitudine rerum J hebescere alios, Xmx,%
56^^ l'homme
rend Tor precieux , et la gravile morale la per-
Sonne. Cctte gravite est Tornement des qua-
lites , par la veneration qu elle leur attire (i).
L'exterieur de Thomme est la facade de Tame.
La maturite n'est pas une sotte contenancc ,
ni une affectation de gestes precieux , comme
le disent les etourdis y mais une autorite mesu-
ree. Elle parle par sentences et agit loujours
a propos. Elle suppose un homme fait , c'esl-
a-dire , qui tient autant dn grand personnage ,
que de rhomme mur. Des que I'homme cesse
d'etre enfant , il commence d'etre grave et de
se faire valoir.
MAXIME CCXCIV.
Se moderer dans ses opinions,
Chacun juge selon son interet, et abonde en
raisons dans tout ce que son apprehension (2) lui
(i) Pourvu que ce ne soit pas une gravite atfecte'e; car,
au dire du jeune Pline, rimitation de la gravite est tou-
jours un sujet de moquerie et de m^pris : temporaria
grantas , vel potius gravitaiis imitatio , ridetur, Ep. i3.
lib. 6.
{1) Cest ainsi que les pliilosoplies appellant la pre*
miere operation de resprit.
BE CO TIB. 563
roprcsenle. La plupart des hommes font ceder
la raison a la passion. De deux personnes qui
sont d'avis contraire, Tune ct I'autre presume
que la raison est de son cote; mais eile, qui
est toujours fidclle , n'a jamais eie a deux vi-
sages. C'est au sage de reflechir sur un point
si delical ; et , par son doute , il corrigera I'en-
letement des autres. Qu il se raettc quelque-
fois du cote de son adversaire, pour exami-
ner sur quoi il se fonde j et cela fera qu'il ne
le condamnera pas , ni qu'il ne se donnera pas
lui-meme si facilement cause gaghcc (i).
MA XI ME CCXCV.
L-^
Faire , sans f aire Vhomme d'affaires^
Ceux qui en ont le moins sont ceux qui
veulent en paraitre accables ; ils font mystere
de tout , et encore avec le plus grand froid du
(i) Si Fremont d'Ablancourt et moi nous plaidions
aux Halles , j'avoue qu'il y gagnerait sa cause ^ mais
chacun sait que la dame a qui il a de'die' XApolo^ie de
son Oncle a eu de I'indignation de voir son nom a la
tete d'un libelle qui n'est qu'un dictionnaire d'injures et
de quolibets d'lrarangeres et de laquais. Quid aliud ex
Camarina?
o64 l' H O M M E
nionde. Ce sont des cameleons d'applaudis-
sement, mais de qui chacun rit a gorge de-
ployce. La vanite a toujours ete insuppor-
table , mais ici elle est bafouee. Ces petits four-
mis d'honneur vom mandiant la gloirc des
grands exploits. Montre Ic moins que tu pour-
ras tes plus eminentes qualiles. Contente-toi
de faire , el laisse aux autres de le dire. Donne
tes belles actions , mais ne les vends point. II
ne faut jamais louer des plumes d'or , pour
les faire ecrire sur de la boue , qui est choquer
tout ce qu'il y a de gens sages. Pique - toi
plutot d'etre un hcros que dc Ic paraitre.
Ceux-la (dit-il dans le chap, de son Discret y
intitule Hazanneria) font le plus les gens
d'affaires qui en ont le moins , parce qu ils vont
a la chasse des occasions, et qu'ils les exage-
rent. Ils mettent I'enchere a des clioses qui va-
lent moins que rien , ils font un mjstere dc
tout , et de la moindre chose ils en font un
prodige. Toutes leurs affaires sont les pre-
mieres du monde , et toutes leurs actions sont
des exploits , toute leur vie est uhe suite de mi-
i*acles que lia rcnommee doit publier a son de
trompe. II n'y a rien de gommun en eux , tout
y est singulier , soit en valeur , en savoir , ou
pxi bonheur. Toute presomption a toujours
. passe pour sottise^ mais la vanteric est insu-
DE C OUR. 565
portable. Les sages se piquent plus d'etre
grands que de paraitre ; mais ceux-ci se con-
tentent dc la seule apparence. Tant s'en faut
que ce soil en eux une marque de suMimite
que de vouloir paraitre , au contraire , cela
niontre leur petit esprit , puisque la moiridre
chose leur parait autant que la plus grande.....
Si I'qrgueil a toujours deplu , c'est principa-
lement ici. lis rencontrenl le mepris ou ils
clierchaient de Testime. Lorsqu'ils s'imaginent
qu'on les admirera , ils se trouvent exposes 4
la risee de tout le nionde. Leur vanite ne vient
nuUement de grandeur d'ame , mais plutot de
bassesse de ca3ur , puisqu'ils n'aspirent pas au
veritable honneur , mais seulement aux appa-
reii:es , non aux vrais emplois , mais a s'en
vanter , sans les avoir faits... 11 y en a d'autres
qui font les ministres a outrages , grands
hommes a grossir les objets (i). II ny a point
de petites affaires pour eux, d'atomes ils en
font une grande poussiere et de peu de chose
un grand bruit, lis se vendent pour des gens
accables d'affaires , et par consequent affames
de repos et de loislr. Ils ne parlcnt que par
mjstere , leur moindre geste donne a deviner.
(i) Effet de I'amour propre , qui , au dire du meme ,
regard^ toujours avec des lunettes a grossir les objets.
Z6G l'homme
Jls font dc grandes exclamations , et puis ils
s'arretent tout court pour surpr6ndre davan-
tage j scmblables aux machines de ce Glanello
della Torre (i) , d'aussi grand bruit et depeu de
profit (2). II y a bien de la difference, et meme
de la contrariete , entre les grands faiseurs
et les grands diseurs ; car plus les premiers
font de belles choses , et moins ils affectent de
les etaler. Ils se contentent de faire , et lais-
sent aux autres a dire ce qu'ils ont fait ; et
quand les autres se taisent , les choses memes
parlent assez Les seconds, vendcnt a I'en-
chere ce que donnentles autres... Ils le publient
a son de trompe j et faute de trouver assez dc
plumes parmi celles dc la renommee, ils prcn-
nent a louage des plumes d*or , c'est-a-dire 3^s
plumes venales pour Icur faire ecrire des ca-
racteres de boue. Et puis il conclut en ces
termes : Les plumes de la renommee ne sont
pas d'or , parcc quell es ne sont ni a vendrc ,
(i) Cetait un Milanais qui servait a divertir Charles-
Quint dans sa retraite de Saint- Juste , avec des horloges
tX des marionettes. Strada dit, que c'e'tait TArchimede
de son temps.
(2) Ajontez a eela ce que Diogene dit un jour a un
jeune fanfaron , qui lui alle'guait la multitude de ses
affaires : Quil avail honn^ gr/ice de cantrefaire l^
feuime*
D E C O U R. 367
111 a louer; mals ellcs ont meilleur son que
le plus pur argent; elles ne sont d'aucun prix,
mais elles le donnent aux merites. >
MAXIME CCXCVI.
L'homme de prioc et de qualites majestueuses,
Les grandes qualites fontles grands hommes :
une seule de celles-la est equivalente a toutes
les mediocres ensemble. Autrefois un homme
se piquait de n'avoir rien que de grand chex
iui, nieme jusquaux plus communs ustensiles.
A plus forte raison un grand personnage doit-
il faire en sorte que toutes les perfections de
son esprit soient grandes. Comme tout est
immense et infini en Dieu, tout doit etre grand
etmajestueuxdans un herosj toutes ses actions,
et m^me toutes ses paroles ,doivent etre reve-
tues dune majeste transcendante.
MAXIME CCXCVII.
Faire tout comme si Ton ay ait des temoins.
Cest un homme digne de consideration que
celui qui considere , qu on leregarde ou qu^on le
rcgardera. II sait que les parois ecoutent, et que
568 L HOMME
les mechantes actions crevcraient plutdt que de
ne pas sortir. Lors meme qu'il est seul , il fait
comnie s'il etait en la presence de tout le mon-
de, parce qu'il sait que tout se saura. 11 regarde
comnie des temoins prcsens ceux qui, par leur
decouverte, le seront apres. Celui-la ne crai-
gnait point que ses voisins tinssent registre de
tout ce qu'il faisait dans sa niaison, qui desirait
que lout le monde le vit (i).
MAXIME CCXCVIII.
U esprit fecond y le jugement profond et le
gout fin.
Ces trois choscs font un prodige , et sont lo^
plus grand don de la liberalite divine. C'cst un
grand avanlage de conccvoir Lien, et encore
(i) Un Livius Drusus , qui dit a un architecte : Tu
me demandes tant , pour empeclier que I'on ne voie
dans ma maison ) et moi je te donnerai le double pour
faire que tout le monde y voie. Cimi cedificaret do"
■mum , dit Patercule , Hist. 2. promitteretque ei archi"
tectus , ita seeam cedificaturwn , ut libera a conspectu,
immunis ah omnibus arbitris esset , neque quisquam
in earn despicere posset : Tu verb , inquit , si quid in
te artis est , ita compone domum, meam , ut quicquid
agam ab omnibus perspici possit.
D E C O U R. 569
uii plus grand de bien raisonner , et suriout
d'avoir un boii entendement. L'esprit ne dolt
pas etre dans I'cpine du dos, ce qui Ic rcndi^ait
plus peniblc qu'aigu.Bien penser, c'est le fruit de
letre raisonnable. A vingt ans la volonte regne;
a trente 5 l'esprit; a quarante, le jugement. II
J a des esprits qui , comme les jeux du Ijnx ,
jettentd'eux-memes la iumiere, et qui sontplus
intelligens quand I'obscurite est plus grande. II
y en a d'autres qui sont d^ impromptu y lesquels
donncnt tou jours dans ce qui est le plus a propos.
II leur vient toujours beaucoup et tout bon ;
fecondite tres-heureuse -, mais un bon gout as-
saisonne toute la vie.
MAXIME CCXCIX.
Laisser ai^ec la /aim,
II faut laisser les gens avec le nectar sur les
levres. Le desir est la mesure de I'estime. J us-
que dans la soif du corps, c'est une finesse dc bon
gout que de la provoquer , et de ne la-_conten- ^
ter jamais entierement. Le bon est doublemen^^>-j-
bon , lorsqu'il y en a peu. Le rabais est grand
ala seconde fois. La jouissance trop pleine est
dangcreusc, car ellc ^st cause que Ton mepvise
2/t
370 L* H O M M E
la plus haute perfection. L'unique regie de plaire
e5t de irouver un appetit que Ton alaisse affame.
S'il le faut provoquer , que cc soil plutot par
rimpalience du dcsir , que par le degout de la
jouissance. Une feJicite qui coute de la peine ,
contente doublement. ,
Vojez la Maxime 220.
MAXIME CCC.
Enjin, etre Saint.
C'est dire tout en un seul mot La verlu est
la chaine de toutes les perfections, et le centre
de toute la felicite. Elle rend Thomme prudent,
altentif , avise , sage , vaillant , retenu , integre,
heureux , plausible , veritable , et heros en tout.
Trois (S) le font heureux : la sante, la sagjcsse ,
ia saintcte (i). La vertu est le soleil du petit
monde (2) , et a la bonne conscience pour emis-
phere. Elle est si belle , qu elle gagne la favcur
du ciel et de la terre. 11 nj a rien d'aimable
qu elle , ni de haissable que le vice. La vertu est
(i) Cest un mot du sage Mile'sien.
(2) C'est-a-dire , de rhomme qui est appele' le mi-
crocosme.
DE COUR. 571
une chose toul abon , tout le reste n'cst qu'une
moqueiie. La capacite ct la grandeur se doivent
niesurer sur la vertu, ct noiipas sur la fortune.
La vertu n'a besoln que d'elle-meme; eile rend
riiomme almable durant sa vie , et memorable
apres sa mort (i).
(i) La vertu, dit-il, dans la sepdeme Critique de
la seconde partie de son Cridcon , est un bien que
rhdpime possede en propre , et que personne ne lui
'■'^'' saurait demander. Tout n'est rien sans elle , et elle seule
'^esttout. Les autres biens sont de faux biens , elle seule
en est un ve'ritable. Elle est I'ame de I'-ame , la viede la
vie , le relief et la couronne de toutes les perfections ,
et la perfection de tous les etres. Et dans la conclusion
de son He'ros : Si I'excellence mortelle est digne de
nos de'sirs , TEternel doit etre I'objet de notre ambi-
tion. C'est peu , ou meme ce n'est rien , que d'etre
-J he'ros en ce monde 5 au lieu que c'est beaucoup de I'etre
en I'autre.
Principibus placuisse viris non ultima laus est,
Non cuivis homini contingit adire Corinthum.
Hor. epist. 17. lib. t. Epist.
24*
M^ °>'-^<^.'r<Wi^'<'i^'i4^W'-^'>^''r'^^-^'<^'r<^'^.r«;<^'i^'i'V '^^>^ ■^^'^''r^f^/'^'r^V^v^^r^i^'lW
TABLE
DES
M A X I M E S.
MAXIMES.
I XouT est malntenant au point de sa perfec-^
lion el I'habile homme au plus haul. pag. i
II L'Esprit et le Genie. Ibid,
III Ne se point ouvrir, ni declarer. a
IV Le Savoir et la Valeur font reciproquement
les grands hommes. 4
V Se rendre toujours necessaire. 5
VI L'homme au comble de sa perfection. 6
VII Se bien garder de vaincre son maitre. 7
VIII Ne se passionner jamais. 9
IX Dementir les defauts de sa nation. 10
X Fortune et Renommee. 1 1
XI Trailer avec ceux de qui Ton peut appren-
dre. J 2
XII La nature el I'art, la matiere et I'ouvrier. i3
XIII Proceder quelquefois finement, quelquefois
rondement. ' 14
XIV La Chose et la Maniere. i^
XV Se servir d'esprits auxiliaires. ao
XVI Le savoir el la droile intention. 21
XYii Ne pas tenir toujours ua zneme precede. 22,
DE.'' MAXIMES.
on J
UAXYMES.
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXYII
XXVIII
XXIX
XXX
XXXI
XXXII
XXXIII
XXXIV
XXXV
XXXVI
XXXVII
xxi;'viii
XXXIX
L' Application et le Genie. pag. 23
N'etre point trop prone par les bruits de la
renommee. 24
L' Homme dans son siecle., 2,5
L'Art d'etre heureux. 27
Etre homme de mise. Ibid,
N'avoir point de tache. 29
Moderer son imagination. 3r
Etre bon entendeur. 32
Trouver le faible de chacun. 33
Preferer I'intension a I'extension. 34
N'avoir rien de vulguaire. Ibid.
Etre homme drbit. 35
N'afFecter point d'emplois extraordinaires
ni chiraeriques, 36
Connaitreles gens heureux pour s'en servir,
et les malheureux pour s'en ecarter. 37
Avoir le renom de contenter chacun. 38
Savoir se soustraire. , Ibid.
Connaitre son fort. 39
Peser les choses selon leur juste valeur. 41
Sonder sa fortune et ses forces avant que
de s*embarquer dans aucune entreprise. 42
Deviner ou portent de petits mots qu'on
nous jette en passant, et savoir en tirec
du profit. 48
Savoir se moderer dans la bonne fortune. 44
Connaitre I'essence et la saison des choses ,
et savoir s'en servir. 45
574
TABLE
XL
XLI
XLII
XLIII
XLIV
XLV
XLVI
XL VI I
XLVIII
XLIX
."L
LI
LII
IJII
LIV
LV
LVI
LVII
LVlll
LIX
LX
LXI
LXIl
Lxni
LXIV
LXV
Se falre aimer de tous, 46
N'exagerer jamais. 49
Savoir prendre un ascendant. 5o
Parler comme le vulgaire, mais penser
55
S6
^7
59
60
61
Ibid
comme les Sages.
Sirapatiser avec les grands homraes.
User de reflexion sans en abuser.
Gorriger sans antipalhie.
Eviter les engagemens.
L'homme de grand fonds.
Etre judicieux at penetrant.
Ne se perdre jamais de respect k soi-meme.
Choisirle meilleur. Cit
Nes'emporter jamais.
Eire diligent et inlelligent.
Avoir du sang aiix ongles.
Savoir at tendre.
Trouver de bons exp^diens.
Les gens de reflexion sont plus surs
Se mesurer selon les gens.
Se faire d^sirer et regretter.
Le bon sens.
Exceller dans Texcellent.
Se servir de bons instrumens.
L'excellerice de la priraaute.
Savoir s'epargner du chagrin.
Avoir le gout fin.
67
68
I
74
.78
79
Ibid,
83
84
86'
87
89
• 1)0
Prenlre bien ses mesuies avant que d' en-
DES MAXIMES.
375
MAXIMES.
LXVII
Lxvni
LXIX
ILXX
LXXI
treprendre. pt^ge 92
Preferer les emplois plausibles. ^3
Faire comprendre est bien meilleur que faire
souvenir. \ / 97
Ne point donner dans I'hudfeur vulgaire. 98
Savoir refuser. 10 1
N'etre points in^gal et irr6gulier dans son
proc^de. ^^' f' loa
LXXI I Etre homme de resolution. Ibid,
Lxxm Trouver ses defaites. 104
Lxxiv ^^6tre point inaccessible. .- . io5
LXXY j^*Se proposer quelq^eireros, non pas tant k
iiiiiter^iifea si^^ser. >: 106
Lxxvi N'etr«^p|fat^oli|BR siMj»plaisant. 107
Lxxvii S'accommoderTl tout^P^rtes de gens. 108
Lxxviii Entreprendre a propos; 109
XXXIX Etre jovial. no
Etre soigneux de s'informer. Ibid,
Renouveler sa reputation de temps en
temps. . . Ill
Ne pas trop appt'ofondir le bien ni le mal.
112
Lxxxiii Faire de petites fautes k dessein. 1 13
Lxxxiv Savoir tirer profit de ses ennemis. 114
Lxxxv Ne se point prodiguer. 116
Lxxxvi Se munir centre la m^disance. 121
Lxxxvii Cultiver et embellir. 122
Lxxxviii S'etudier a avoir les mani^res sublinies^
LXXX
IXXXI
I.XXXII
%
57G
TABLE
LXXXIX
xc
XCI
XCII
XCIII
XCIV
xcv
XGVI
XGVI II
XCIX*^
c
CI
ch
cm
CIV
cv.'-
CVI
evil
cvin
Connaitre parfaitement son genie , son es-
prit , son coeur et ses passions, page 124
Le mojen de vivre long-temps. 126
Aglr sans crainte de manquer. 126
L'Esprit transcendant en toutes choses.
127
L'homme universel. ' Ibid,
Ne point laisser voir toute sa capacite. 128
Savoir entretenir I'attente d'autrui. i3o
La Sinderese. i3i
jrir et conserveria repuattion. i32
jsimul^qpt * Ibid.
'Ea RealiteWl'Apparence. i35
L'Homme desabuse, le Chretien sage, le
Courtisan pliilosophe. Ibid,
Une partie du monde se moque de I'autre ,
et Tune et I'autre rient de leur folie com-,
mune. ' i3^
Estomac bon a recevoir les grosses bou-
cliees de la fortune. i37
Conserveria majestepropre a son 6tat. i38
Tater le pouls aux afi'aires. 140
N'etre point lassant. 141
Ne point faire parade de'sa fortune. , 142
INe point montrer qu'on soit content de
soi-iiieme. 143
Le plus court cliemin , pour devenir grand
personiiage , est de savoir choisir son
monde. 144 .
I
DES MAXIMES.
677
MAXIMES.
N'etre point r^pr^liensif. page 145
N'attendre pas qu'on soit soleil couchant.
Faire des amis. ^^'^^ 149
Gagnerle coeur. i5o
Dans la bonne fortune se preparer a la
mauvalse. i52
Ne competer jamais. i53
Se faire aux humeurs de ceux avec qui Ton
a a vivre. i54
Trailer tou jours avec des gens soigneux de
* leur devoir. , * ' i55
Ne parler jamais de soi-menie, i5^
Affecter le renom d'etre civil. iSy
Ne pas faire le reveche. 169
S'accommoder au temps. 160
Ne point faire une affaire de ce qui n'en
est pas une. 162
L'autorite dans les paroles et dans les ac-
tions, "i^^,* i63
cxxii^v. *£tre sans affectation. 164.
cxxiv Se faire regretter. j66
N'etre point livre de compte. 168
Ce n'est pas etre fou que de faire une folie,
mais bien de ne la savoirpas cacher. 170
Le Je ne SATS Quoi, Ibid,
cxxviii Le liaut courage. 174
cxxix Ne se plaindre jamais. 177
# cxxx Faire, et faire paraitre, 178
cix
ex
CXI
CXII
CXIII
cxiv
cxv
cxvi
CXVII
(tXVIII
ex IX
CXXI
CXXII
iM
578
TABLE
CXXXI
CXXXII
CXXXIII
CXXXIV
cxxxv
CXXXVI
CXXXVII
CXXXVIII
CXXXIX
CXL
CXLI
exLii
6XLIII
cxLiy
CXLT
CXLVI
CXLVII
exLviii
CXLIX
CL
Pfoc^der en galant homme. page 179
S'aviser et se r'aviser. 180
Eire plutotjfou avec tous, que sage tout
seul. 181
Avoir le double des choses necessaires a la
vie. 182
N'^tre point esprit de contradiction. i83
Prendre bien les affaires, et leur tater in-
continent le pouls. 184
II ne faut au Sage que lui-meme. i85
Laisser aller les choses comme elles peuvent,
sur-tout quandla mer est orageuse. 18^
Connaitre les jours malheureux. 187
Donner d'abord dans le bon de chaque
chose. 190
Ne se point ecouter. 191
Ne prendre jamais le mauvais parti en depit
de son adversaire qui a pris le meilleur.
* 192
Se garder de donner dans le paradoxe , en
voulant s'eloigner du vulgaire. 198
Entrer sous le voile de Tinteret d'aulrui ,
pourrenconlrer apr^s le sien. 194
Ne point montrer le doigt malade. 195
Regarder au dedans.
N'elre point inaccessible.
Avoir Tart de converser.
Savoir detourner les maux sur autrui
Savoir faire valoir ce que Ton fait.
196
197
199
200
2.0 J
DES MAXiaiES.
579
AAXIMES.
GLI
CLII
CLIII
CLIV ^^
CLV ^''
pi
feLVII
CLVIH
CLIX
CLX
CLXI 7
CLXIII .
CLXIV
CLXV
CLXVI
CLXVII
CLXVIII
CLXIX
209
Ibid,
214
<«» CI.XX
Penser aujourd'hui pour demain el pour
long-lemps. * page 202
Nes'associer jamais avec personne, aupres
de qui Ton ait moins de luslre. 2o3
Fair d'etre oblige de remplir un grand
vuide. 2o5
N'etre facile ni a croire ni k aimer. 208
Savoir se contenir.
Choisir ses amis.
Ne se point Iromper en gens.
Savoir user de ses amis.
Savoir soufFrir les sots.
Parler sobrement a ses emules par precau-
tion J et aux autres par bienseance. 2r5
Connaiire les defauts oii Ton se plait. Ibid.
Savoir triomplier de la jalousie et de I'en-
vie. 216
II ne faut jamais perdre les bonnes graces
decelui qui est heureux, pour prendre pi-
tie d'un malheureux. 217
Tirer quelques coups en I'air. 219
Fa ire bonne guerre. 2.2.0
Discerner I'liomme qui donne des paroles ,
d'aveccelui qui donne des effets. 222
Se savoir aider. 224
Ne point donner dans le raonstrueux. Ibid,
Plus d'attention a ne pas faillir un coup ^
qu'a en bien tirer cent. 225
liser de menaa;ement en toutes choses, 2.2,C
58o
TABLfi
MAXIMX;S.
CLxxi Ne pas abuser de la faveur. page 227
CLXxii Ne se point engager avec qui n'a rien a
perdre. - 229
CLxxm N'est point de verre dans la conversation ,
encore moins dans I'amitie. 280
cLxxiv JVe point vivre a la hate. 2.3i
CLxxv Etre substanciel. 282
CLxxvi Savoir ou ecouter ceux qui savent. ,^ 233
CLxxvii Eviter le trop de familiarite dans la'^con-
versation. 235
6LXXVI11 Croire au coeur et surtout quand c'est un
coeur de pressentiment. 28^^
CLxxix Se retenir de parler c'est le sceau de la
capacite. 287
CLX±x Ne se regler jamais sur ce que Tennenii
avait dessein de faire. ^38
CLXxxi Ne point mentir, mais ne pas dire toutes
les verites. 289
CLXXxii Un grain de hardiesse tient lieu d'une
grande habilele. 240
CLXXXiii Ne se point enteter. 241
cLxxxiv N'etre point ceremonieux. 24a
cLxxxv N'exposer jamais son credit au risque
d'une seule entrevue. 248
CLXxxvi Discerner les d^fauts , quoiqu'ils soient
devenus a la mode. 244
CLXxxvii Faire soi-meme tout ce qui est agreable
et par aulrui tout ce qui estodieux. 245
CLXxxviii Porter tou jours en compagnie quelque
chose a louer. 1 247
DES MAXIMES'
58:
CLXXXIX
cxc
GXCI
cxcii
CXCIII
CXCIV
cxcv
CXCVI
cxc VII
CXCVIII
CXCIX
cc
CCI
ecu
CCIII
CCIV
Se prevalolr du besoin d'autrui. page 248
Trouver sa consolation partout. 249
Ne se point repaitre d'une courtoisie ex-
cessive. 260
L'homme de grande paix est homme de
longue vie. ^Si
Veille de pr^s sur celui qui entre dans
ton interet, poury trouver le sien. 25a
Juger modestement de soi-meme et de ses
affaires, surtout quand on ne faib que
commencer k vivre. Ibid,
Savoir estimer. 2.53
Connaitre son etoile. 254
Ne s'embarrasser jamais avec les sots. 255
Savoir se transplanter. 2.^6
Savoir se mettre sur le pied d'hommo
sage et non d'homme intrigant. 257
Avoir toujours quelque chose a desirer ,
pour ne pas etre malheureux dans son
bonheur. 258
Tous ceux quiparaissent fous, le sont; et
encore la inoitie de ceux qui ne le pa-
raissent pas. 259
Les dits et les faits rendent un homme
accopipli. ) 260
Connaitre les excellences de son siecle.
261
Ce qui est facile se doit entreprendre
comme s'il etait difficile; et ce qui est
difficile comme s'il 6tait facile. 262
582
MlXIHES.
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CCVIII
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ccxi
CCXII
CCXIII
CCXIV
ccxv
CCXVI
OCXVII
CCXVIII
cexix
ccxx
CCXXI
CGXXII
TABLE
Savoir jouer de mepris. page 2.62
II y a partout un vulgaire. 2.6S
User de retenue. z66
Ne point mourir du mal de fou. 267
Ne point donner dans la folic des autres.
Ibid.
Savoir jouer de la verit6, 2.68
Auciel tout est plaisir ; en enfer tout est
peine : le monde comme mitoyen tient
de I'un et de I'autre. 2^71
Se r^server tou jours le fin de I'art. 2.J2
Savoir contredire. it^v ^73
D'une folie n'en pas faire deux. 2:74
Avoir rceil sur oelui qui joue de seoonde
intention. ^76
Parler net. 276
II ne faut ni aimer ni hair pour tou jours.
277
Ne rien faire "par caprice, mais tout av^c
circonspection. 278
Ne point passer pour homme d'arlifice*
Se couvrir de la peau du renard , quand
on nepeut pas se servir de celle du lion,
::' .^bfmnnsii:^ 280
N'etre point trop prompt a s'engager ni
a engager autrui. 281
L'bomme retenu a toute I'apparence d'etre
prudent. 2,S:i
DES MAXIMES.
585
MAXIMIS.
ccxxiii N'etre pas trop slngulierni par affectation
ni par inadverlance. P^g^ 2*^3
ccxxiv Ne prendre jamais les choses a contre-poil,
bieii qu'elles y viennent. ^87;
ccxxv Coiinailre son defaut dominant. Ibid,
ccxxvi Attention k engager. 289
ccxxvii N'etre point homme de premiere impres-
sion. Ibid,
ccxxviii N' avoir ni le bruit ni le renom d'etre me-
chante langue. £90
ccxxix Savoir partager sa vie en homme d'esprit.
291
4CCXXX Ouvrir lesyeux quand il est temps. 297
ccxxxi Ne laisser jamais voir les choses qu'elles
ne soient acbev^es. 298
ccxxxii Savoir unpen le commerce de la vie.
299
ccxxxiii Savoir trouver le gout d'autrui. 3oo
ccxxxiv N'engager jamais sa reputation sans avoir
des gages de I'honneur d'autrui.' 3oi
ccxxxv Savoir demaiider. 3o2
ccxxxvi Faire une grace de ce qui n*eut 6te apres
qu'une recompense. 3o3
ccxxxvii N'etre jamais en part des secrets de ses
sup^rieurs. 3o4
ccxxxviii Connaitre la pi^ce qui nous manque. 3o6
ccxxxlx N'etre pas trop fin. • 307
CCXL Savoir faire I'ignorant. ^ 3o8
ccxLi Souffrir la raillene, mais ne point railler.
■■ ^ r-:: : \- -A Ibid,
584
IMAXIMES.
CCXLII
CCXLIII
CCXLIV
CCXLV
CCXLVI
CCXLVII
CCXLVIII
CCXLIX
CCL
CCLI
CCLII
CCLIII
CGLIV
CCLV
CCLYI
/
CCLVII
CCLVill
TABLE
Poursulvre sa pointe. 3id
N'etre pas colombe en tout. 3i i
Savoir obliger. 3i2.
Raisonner quelquefois a rebours du vul-
gaire. 3i3
Ne donuer jamais de satisfaction a ceux
qui n'en demandent point. 3i4
Savoir un peu plus et vivre un peu moins,
Jbid,
Ne se pas laisser aller au dernier. 3i6
Ne point commencer a vivre par ou il
faut achever. Jbid,
Quandfaut-il raisonner a rebours? Zi'j
II faut se servir des moyens humains ,
comme s'il n'y en avait point de diviiis;
et des divins comme s'il n j en avait
point d'liumains. . 3i8
Ni tout a soi ni tout a autrui. 3i9
Ne se rendre pas trop intelligible. 32o
Ne pas n6gliger le mal, parce qu'il est
petit. / 321
Faire peu de bien a la fois, mais souveut.
322
Se teuir tou jours, prepare centre les alta-
ques des rustiques, des opiniatres, des
presomptueux et de tous les aulres im-
perlinens. 323
N'en venir jamais a la rupture. 325
Cliercher quelqu'un qui aide a porter le
faix cle I'adversite. 32(^
DES MAXIMES
385
KAXI^MES.
CCLIX
CCLX
CCLXl
CCLX I I
CCLXIII
CCLXIV
CCLXV
CCLXVI
CCLXVII
CCLXVIII
CCLXIX
CCLXX
CCLXXI
CCLXXII
C(iLXXIlI
CCLXXIV
CCLXXV
«CLXXTI
Prevenir les offenses , et en faire des fa-
veurs. page 827
Tu ne seras ni tout entier a persoune ni
personne tout entier a toi. ibid.
Ne point continuer une sottise. 828
Savoir oublier. 329
Beaucoup de choses , qui servent au plai-
sir nese doivent pas poss^der en propre,
33o
N' avoir point de jour neglig^. 33i
Savoir engager ses dependans. 33a
N'etre pas mechant d'etre trop bon. 333
Paroles de soie. 334
Le Sage doit faire au commencement ce
que le fou fait a la fin. 335
Se prevaloir de sa nouveaute. 33^
Ne point condamner tout seul ce qui plait
k plusieurs. . ibid.
Que celui qui sait peu dans sa profession
^ s'en tienne toujours au plus certain.
337
Vendre les choses ^ prix de courtoisie.
338
Connaitre k fond le earact^r^deceux avec ^
qui Ton traite. 339
Avoir le don de plaire. 34©
Se con former a l' usage mais non pas k la
folie commune. .^ 341
Sgvoir renouveler son g^nie par la nature
et par Tart. 34a
a5
>?^''
585
MAXIMES
CCLXXVII
CCLXXVIII
CCLXXIX
CCLXXX
CCLXXXI
CCLXXX II
CCLXXXIH
CCXXXIY
TABLE
L'liomme d'ostentatioii. page ^44
Fuir en lout d'etre remarquable. 3^8
Laisser contr^dire sans dire. 349
L'komnie de bon aloi. 35o
L'approbation des habiles gens. 35 r
Se servir de I'expt^dient de I'absence pour
se faire respecter ou estimer. 35»
Etre liomme de bonne invention. 353
Ne te mele point des afFrires d'autrui et
lu ne seras point mal dans les tiennes.
ibid.
CCLXXX V Ne se pas perdre avec aulrui. 36^
ccLxxxvi Ne se pas laisser obliger entierement ni
par toutes sortes de gens. 355
CCLXXXVII N'aglr jamais durant la passion 357
ccLXXxviii . Vivre selon I'occasion. ibid.
ecLxxxix Ce qui decr6dite daVantage un homme
est de montrer qu'il est homme. 359
ccxc C'est un bonheur de joindrerestimeavec
Taffection. ibid.
ecxcir^^ Savoir faire une tentative. 36o
ccxci^ * Etre au-dessus et non au-dessous de son
ernploi. * 36 i
ccxcin De la maturity. ibid.
ccxciY Se mod^rer dans ses opinions. 362
ccxcv Faire, sans faire rhomme d'affaires. 363
ccxcvi L'homme de prix , et de qualites ma-
jestueuses. 36j
ccxcvii Faire tout copime si I'on avail des t^^
jnoins. ibid.
DES MAXIMES. 587
MiXiMES.
ccxcvin L* esprit fi^cond, le jugement profond et
le gout fin. page 368
ccxcix Laisser avec la faim» 869
ccc Enfin etre saint. 870
FIN DE LA TABLE DES MAXIJIES
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Gracian y Morales, Baltasar
L'homme de cour
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