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Full text of "Libéraux et démagogues au moyen âge: La monarchie parlementaire de 1357, la commune de Paris de ..."

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libMaux et demagogues 



AU MOYEN AGE 



Typographie Firmiii Didot. — Mesnil (Eurp). 



LIBfiRAUX ET DEMAGOGUES 

AU MOYEN AGE 



LA MONARCHIE PARLEMENTAIRE 

DE 1357 

LA COMMUNE DE PARIS 

DE i413 

ESSAI SUR LES TENDANCES D^MOCRATIQUES 
DES POPULATIONS URBAINES 

Pendant la seconde moitie du XIV^ et les premieres annees da XV® siecle 

PAR 

GABRIEL DEBACQ 

DOCTEUR EN DROIT, AVOCAT A LA COUR DE PARIS 



« • 
* • 






PARIS 



FIRMIN DIDOT 



LIBRAIRES-ED1TEURS 
56, RUB JACOB 



COTILLON ET FILS 

LIBRAIRES DC CONSEIL D^fiTAT 
24, RUE SOUFFLOT 



1872 



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V. 



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INTRODUCTION. 



Le mot democrat ie est devenu I'lin des 
mots le plus frequemment employes de la 
langue francaise. Tout le moiide , en France, 
se dit democrate. Mais telle est Tinfinie 
\ariete des individus qui s'appliquent ou 
auxquels on- applique cette qualiflcation , 
qu'il est a peu pres impossible d'en preciser, 
d*une facon quelque peu serieuse, la signifi- 
cation veritable. 

On dit bien que la democralie consiste 
a diriger les affaires du pays conforniement 
a la volonte et aux interels du peuple; mais , 
quand il s'agit de savoir ce qu'il faut en- 






— 2 — 

lendre par peuple , par volonle ou inlerels 
du peuple, de determiner de quelle facoii 
ces inlerels doivent elre sauvegardes et ces 
volonles exprimees , les conlroverses com- 
. niencent, et.cliaque democrate a son opi- 
nion parliculiere. 

Pour quelques-uns , la democralie se re- 
sume a faire prevaloir le nombre sur Tintel- 
ligence, la majorite , quelle qu'elle soit, 
sur la minorile , de quelques elemenls que 
celle-ci se compose ; pour beaucoup , a as- 
surer la preponderance de certaines classes 
de la sociele sur certaines aulres , celle des 
classes ouvrieres par exemple , sur la portion 
decitoyens qu'on est convenu d'appeler les 
bourgeois. Pour d'autres, faire le bonheur 
du peuple sans le cpnsulter, procurer le 
sriomphe de certaines idees preconcues sans 
t'inquieter de savoir si ces principes sont ou • 
nbn d'accord avec les desirs ou les senti- 
ments des populations, c*est agir confornie-^ 
ment au principe democratique; pour les 



— 3 — 

plus pratiques, les acclauiations plus ou 
moins sponlanees de quelques individus plus 
ou moins dignes de consideralion , ex- 
prirnent suffisamment la volonle du peuple. 
Les dissidents, fussent-ils cent fois plus nom- 
breux, font acte d'opposition a la souve- 
rainete populaire : on les ecrase. La mino- 
rite fait loi a la majorite. C'est encore de 
la democratic. Si bien qu'apres mures re- 
flexions, on pourrait dire qu'un democrale 
est simplement un ambitieux qui, pourfaire 
triompher ses opinions ou ses volontes, pre- 
tend les faire passer pour les opinions ou 
les volontes de tous. 

Sur un point seulement les democrates 
s'accordent \olontiers, c'est pour se dire, 
avant tout, les hommes de Tavenir et pro- 
fesser, au regard du passe, un mepris pro- 
fond. Pour la plupart d'entre eux, riiistoire 
de France commence en 1793. Quelques- 
uns remontent jusqu'a 1789, mais ils sont 
en petit nombre, et peu s'en faut qu'ils 



— k — 

ne passent pour de verilables reaclion- 
n a ires. 

II y aurait cependant, pour les apoires 
de la democratie , bien des enseignements a 
recueillir dans I'etude de cerlaines periodes 
de nos vieilles annales. 

S'il n'est pas absolument vrai, comme 
madaine de Stael le pretendait, qu'en 
France le despolisrae soil nouveau et la li- 
berie ancienne, il serait faux aussi de con- 
siderer la revolulion francaise comme le 
premier effort de la nation pour conslituer 
a la place de la royaute absolue, un gou- 
vernement libre , base sur le concours des 
citoyens au maniement et a la direction des 
affaires publiques. Ce n'est pas de nos jours 
seulement que des reformes politiques har- 
diment entreprises par quelques esprits d'e- 
lite ont echoue sous les coups de la dema- 
gogic. Sans parlerdelaLigueetde la Fronde, 
dontonmeconnaitsingulierementlecaractere 
lorsqu'on y veut voir seulement la iutte 



— 5 — 

d'lin Guise centre iin Valois, ou d'un Conde 
conlre un Mazarin , il y eut en France vers 
le milieu du xiv* siecle une grande revolu- 
tion , tentee par les bourgeois des villes , un 
instant couronnee de succes, compromise 
et ruinee par les exces de la populace pari- 
sienne, et qui, pour n'avoir pas reussi a as- 
surer definilivement au pays le benefice de 
la liberie politique, n'en merite pas moins 
d'etre etudiee avec la plus serieuse at- 
tention. 

Aux bourgeois de i356 et de i4i3 re- 
vient rhonneur d'avoir formule pour la pre- 
miere fois la plupart des idees que devait 
reproduire la declaration des droits de 
rhomme, etcontraint, un moment au moins, 
la royaute a les sanclionner; d'avoir, en pre- 
parant I'union des bourgeois des villes, jus- 
qu'alors isoles les uns des autres, constilue 
la nation francaise , et rendu possible le 
succes de I'oeuvre enlreprise qualre siecles 
plus tard. 



— — 

Pendant la periode de cinquanle-sept an- 
nees qui s'elend de la bataille de Poitiers a 
la grande ordonnance Cabocbienne ont ete 
snccessivement agiles les problemes politi- 
ques et sociaux qui aujourd'bui encore di- 
visent les esprits. 

Le gouvernement des affaires publiques a 
ete arraclie a la royaute ou a ses represen- 
tants directs pour passer d'abord aux elals 
generaux du royaume ou a leurs delegues. 
II a ete exerce parlesmagistrats parisiens^ est 
tombe ensuite aux mains des pelites gens, 
de la populace, pour revenir en celles de la 
royaute, qui, seniant, non sansbabilele,la di- 
vision entre les elements divers dont se com- 
posaient les populations urbaines, faisant 
appel aux plus mauvaises passions , excitant 
les pauvres contre les ricbes, les proletaires 
contre les bourgeois, aidee lout a la fois 
par les lerreurs et la faiblesse de ceux-ci el 
les exces de ceux-la , parvint a ressaisir defi- 
nitivement le souverain pouvoir. 



— 7 — 

Telle est en resume Thisloire de celle re- 
volution des XIV® et xv* siecles si in teres- 
sante et pendant si longtemps meconnue. 



CHAPITRE PREMIE U. 



TENDANCES DEMOCRATIQUES ET EGALITAIRES DES PO- 
PULATIONS URBAINES. — DEVELOPPEMENT DE CES 
TENDANCES. — CAUSES DE LA REVOLUTION DE 1356. 



Lorsque, il y a cinq siecles passes, les 
bourgeois du centre et du nord de Tancienne 
France enlreprirent de donner a la nation la 
direction de ses propres affaires, les circons- 
tances elaient critiques. La royaute et la no- 
blesse \enaient de perdre la bataille de Poi- 
tiers, une moitie de la France etait conquise 
et Fautre menacee par TAnglais. Mais les 
bourgeois etaient prepares a la tache difficile 
qu'ils abordaient. Le desastre de Poitiers 



— lo- 
ne fit qu'accelerer un mouvernent donl Tori- 
gine remonlaila un temps deja eloigne, el 
donner aux populations urbaines Foccasion 
de prendre immediatement) dans TEtat, une 
place a laquelle elles aspiraient depuis long- 
temps. 



— 11 — 



§r. 



Solidement consliluees des la periode 
gallo-romaine, les cites de quelque impor- 
tance avaient , irialgre Tinvasion, conserve 
leur antique organisation. Quelqqes-unes 
d'entre elles avaient meme, a la faveur du 
desordre general, reussi a s'assnrer une inde- 
pendance plus large que celle dont dies 
jouissaient originairement. Les affaires miini- 
cipales avaient continue a etre administrees 
par des magistrals constilues en un corps 
analogue a la curie romaine , se recrutant ha- 
biluellement dans les grandes families locales. 
En beaucoiip de villes, toutefois, lecaractere 
arislocratique et heredilaire de Tancienne 
curie avait subi des modifications profondes. 
Dans les cites episcopales , Teveque etait de- 
venu le principal magistral. II etait elu par 
les habitants de la ville episcopale, unis au 



— 12 — 

clerge dii diocese et auxeveques des sieges les 
plus voisins. Si Teleclion etait due quelque- 
fois, pour employer Texpression des ecri- 
vains ecclesiasliques , a Tinspiralion du 
Saint-Esprit , il arrivait souvent aussi qu'elle 
etait Toccasion et Fobjet de luttes Ires-vives 
oil les inlerels temporels tenaient une fori 
grande place. On discutait publiquetnent 
les diverses candidatures, la personne, le 
caraclere des concurrents et Tinfluence que 
pourrait avoir Teleclion de lei ou tel sur Ta- 
venir de la ville , les embarras ou les avan- 
lages que tel cboix pourrait entrainer, les 
ennemis qu'un candidal ecarte pourrait siis- 
citer h la ville , les allies ou les protecteurs 
que Telu lui pourrait assurer. Le vote venait 
ensuite. Sans doute il n'elait pas individuel, 
Telection avail lieu le plus souvent par ac- 
clamation. Mais, pour ne point s'exercer di- 
rectement, le droit reconnu a cliaque babi- 
tant de la ville episcopale de cooperer au 
cboix de Teveque, c'est-a-dire du principal 



— fa- 
de ses magistrals, n'ea etail pas moins ef- 
feclif. 

C'elail une tradition, chez les citoyens 
des vieilles cites, de se reunir sur les places 
publiques , de s'y entretenir de leurs interels 
prives et des interets plus generaux de leurs 
communautes. Ces asseniblees avaient ele 
quelquefois interdites. L'liabitude avail ele 
plus forte que la proliibition et avail per- 
sisle. Dans ces reunions etaienl affirmees des 
tendances, emises des idees,' prises des reso- 
lutions qui, sans etre obligaloires pour les 
magistrals locaux , pesaient cependant d'un 
grand poids sur la direction que ces ma- 
gistrals donnaient aux affaires publiques , et 
assuraient a la masse des citoyens une action 
des plus serieuse sur la politique de leurs 
chefs. Conservees surtoul dans les villes du 
midi de la France, ces traditions survecu- 
rent en beaucoup d'endroils, au nord meme 
de la Loire, a retablissemenl feodal. Si 
Teveque devint, de magistral populaire Telu 



— 14 — 

du cliapilre ou dii roi et le suzerain de ses 
diocesains, si les attributions du corps muni- 
cipal s'amoindrirentsingulierementel furent 
confiees a des magistrats n'emananl pas de 
Telection , du moins est-il certain que nulle 
part la vie municipale ne disparut a ce point 
que les habitants des vieilles cites gallo-ro- 
maines eussent perdu le souvenir de leurs li- 
bertes anciennes et Tespoir de les reconque- 
rir. Les villes populeuses, Paris notamment , 
durenl au nombre et a Tenergie de leurs ha- 
bitants , a leur richesse meme, que rois et 
hauts barons aimerent mieux exploiter que 
larir d'un coup , de conserver leur organisa- 
tion ancienne et leur ihdependance relative. 
Epargnees d'abord par calcul, elles furent plus 
tard menagees par habitude et par necessile. 

Ce fut au courant du xi* siecle que les . 
libertes municipales eurent a subir, de la 
part de la feodalite, Fattaque la plus dange- 
reuse. Mais a ce moment les villes avaient 
acquis une importance et une force nou- 



— - 15 ^ 

velles. Si rude, si grossiere que fut la socieTe 
feodale, si resireinls que fussent les besoids 
deis l^arons dans leurs clialeaux ou des serfs 
dans leurs hulles, il elait bien des objets ne- 
cesisaires a la \'ie que le chateau ou la liulle 
ne pouvaient produire et qu'il fallait deman- 
derau dehors. Le pays ne pouvait se passer 
absolument de commerce et d'industrie, il 
lui fallait des marches, des fabriques. Dans 
les villes seulement, le commerce et Tin- 
dustrie pouvaient trouver la securite ne- 
cessaire a leur developpement. Marchands 
et maitres ouvriers s'y presserent en grand 
nombre et unirent leurs efforts pour se li- 
vrer utilement a leurs affaires et a leurs tra- 
vaux. lis s'accoutumerent a discuter ensemble 
les mesures a prendre dans Tinteret de tous. 
Dans bien des cas Taction collective elait 
difficile ; ils prirent peu a peu Thabitude de 
charger les plus capables d'entre eux d'exe- 
cuter les resolutions arretees en commun. 
Entoures d'employes, d'ouvriers, d'apprentis 



— 16 — 

plies a Tobeissance, ils disposerent bientot 
d'une force considerable et lorsque, dans la 
deuxieme moilie du xi* siecle , la feodalile 
tenia un dernier effort pour arraclier aux 
villes ce qui leur restait de liberies munici- 
pales, les populations urbaines surent, npn- 
seulement defendre ces liberies, mais purenl, 
en beaucoup de lieux, en elargir le cercle. 
Quelques-unes d'enlre elles a force d'ener- 
gie arriverent meme a conquerir une auto- 
nomic a peu pres complete. D'autres furent 
assez riches pour acheler leur affranchisse- 
ment a leurs seigneurs ou assez lieureiises 
pour Toblenir sans luttes , de la generosile ou 
plus souvent des calculs interesses de leurs 
anciens maitres. 

Ce fut la revolution communale. 

La revolution communale amena Teta- 
blissement en France de quanlite de pelites 
republiques auxquelles les chartes de com- 
munes servaient de constitutions. Ces chartes, 



— 17 — 

speciales a chaque ville , obtenues ou conct- 
dees a des epoques et dans des circonstan- 
ces qui difleraient pour chaque cite , n'e- 
taient point libellees d'une facon uniforme. 
Les droits concedes a une commune par la 
charte d'erection etaient expressement refuses 
a une autre par son titre constitutif. Mais, si 
divers que fussent Torganisalion des com- 
munes, la date de leur constitution et les droits 
respectifs de leurs habitants , il etait certains 
points sur lesquels toutes les chartes concor- 
daient ou peu s'en faut. On pent les resumer 
ainsi : dans les rapports de la ville avec le 
seigneur dans la mouvance duquel elle se 
trouvait, substitution au bon plaisir de celui- 
ci de conventions precises determinant les 
droits et les obligations respectives de cha- 
cun ; suppression de toutes exactions et de 
toute taxe arbitraire; fixation des circons- 
tances dans lesquelles un impot serait dii 
par la commune et de la quolite de cet impot ; 
administration et gouvernement de la com- 



— 18 — 

mune par elle-meme et sans inlervehlion 
d'aucune aulorite exlerienre. 

Nombreuses fiirent les communes , surloiit 
au nord de la Loire. 

Larovaule, en favorisa Telablissement 
dans les domaines des grands feudalaires con- 
Ire lesquels elle luttait. Elle n'en voulut point 
chez elle, el, sans essayer de relirer aux bour- 
geois Fadminislration de leurs inlerels pu- 
rement locaiix depburvus de caraclere poli- 
tique, reprima avec energie tons les eflTorls 
fails par les villes de son obeissance direcle 
pour se consliluer en commune. Maisilar- 
riva qu'agrandissanl son domaine, elle Irouva 
dans les provinces (Ju'elle s'annexait des 
communes deja elablies. Ellenepouvail, sans 
s'exposer a de lerribles lulles el a de grands 
dangers, violer les diaries communales, de- 
puis bien des annees en \igueur et anx- 
quelles les populations elaient profondemenl 
altacliees. Elle diit respecter les immunites de 
ses nouvelles sujelles, et se resigner, eri ses 



— 19 — 

jours de besoin, a demander a celles-ci, an 
lieu de leur imposersa Yolonle souveraine, 
un concoiirs quelquefois refuse. 

II lui fallut aussiy daas les villes qui n'a- 
vaietit pu se consliliier en communes, don- 
ner, dansunecertaine mesure au moins, satis- 
faction aux aspirations mal contenues des po- 
pulations. Le nombre et Timportance des cor- 
porations d'ouvriers el de marchands elaient 
devenus chaque jour plus considerables. Tels 
elaient les avantages assures par ces corpo- 
rations a leurs membres, qu'en beaucoup 
d'endroits, les habitants qui n'exercaient au- 
cune industrie ou agcun commerce, avaient 
pris riiabitude de se faire afTiIier a quel- 
ques-unes d'entre elles. Les individus appar- 
tenant a la meme corporation habitaient or- 
dipairement les uns a cote des autres. Peu 
a peu les chefs des corporations devinrent, 
pap la force des choses, les principaux de 
leurs quartiers. Reunis, ils representerent la 
\ille tout entiere , du moins Felement Ye- 



— 20 — 

ritablemenl vivace et energique de celle-ci , 
et consliliiereat a cole des officiers rovaiix , 
line sorte de magistrature respectee par les 
populations et aveuglement obeie. Ainsi or- 
ganisees, les villes royales disposaient d'une 
force avec laquelle il fallait compter. 

Pour eviter des soulevements dont Tissue 
pouvait elre douleuse, laroyaule, sans accor- 
der aux bourgeois de son doniaine Tinde- 
pendance communale et les droits politiques 
qui en etaient le corollaire , consentit a fixer, 
une fois pour toutes , les circonstances dans 
lesquelles elle pourrait reclamer a ses bonnes 
villes le paiement d'un impot , Timportance 
de cet impot, et laissa aux bourgeois le soin 
d'en reparlir enlre eux le montant. Des 
chartes conslalerent cet accord : il y fut 
expressement> 6xpHque que les repartiteurs 
de Timpot a payer au roi seraient elus par 
les habitants, au regard desquels ils demeure- 
raient responsables du bon accomplissement 
de* leur mission, et auxquels ils devraient 



— 21 — 

rendre compter Ainsi, dans les cites inemes 
oil une commune n'avait pu s'elablir, la vie 
publique avait peneire moins large, sans 
doule J mais non moins energique ou moins 
vivace. Peut-elre y avail-il dans les villes 
royales moins dc libertes que dans les villes 
de commune, mais il y avait autant, sinon 
plus, d'egalile. La royaute avait reconnu a 
tons ses sujels des villes , aux plus pelils 
comme aux plus grands, le droit de s'occu- 
per, non sans doule de loules les affaires 
qui pouvaient les inleresser, du moins de 
celle qui d'habitude louche de plus pres les 
populations : Timpol. 

Bienlot se produisit dans les communes, 
au profit des individus , une revolution ana - 

v. 

logue a celle qui , quelque cent ans plus lot , 
s'elait produite dans TElat au profit des com- 
' munes. Revolution singulierement grave, et 
dont le pays devait, pendant trois siecles, 
subir le conlre-coup. 



^ 22 — 

Beaucoup de communes avaient, lors de 
lenr conslitulion, adopte on conserve sans 
grandes modifications la vieille organisation 
des municipaliles romaines. C'est-a-dire 
dans la plupart des cas une sorte de corps 
ou conseil municipal compose de bourgeois 
appartenant aux principales families du 
pays, et n'emanant pas de Feleclion popu- 
laire. Les membres de ce conseil se recru- 
taient eux-memes en certaines villes, se suc- 
cedaient de pere en fds en certaines autres« 
Quelquefois ilsetaient charges d'elirele maire 
et les echevins et de recevoir leurs comptes. 
Ailleurs ils avaient mission de controler Tad- 
ministration des magistrals elus par lepeuple, 
et, le cas eclieant, d'arreter Texecution des 
ordres donnes par ceux-ci. Les membres de 
ces conseils constituaient ainsi, par rapport 
aux autres communiers, une sorte de classe 
privilegiee jouissant de droits plus etendus 
que la masse de leurs concitoyens. 

En d'autres cites, le droit electoral avait ete 



— 23 — 

eonfje a tous les membres de la commune 
au jour de la conslitution de celle-ci, et n'a- 
\ait point ele etenduaux personnes qui, pos- 
lerieurement a celte epoque, elaient \enues 
s'y etablir. Une categoric parliculiere de 
bourgeois y disposait done des fonctions mu- 
nicipales, et les aflfaires de tous y etaient ad- 
ininistrees par les elus de quelques-uns. 

Dans nombre d'aulres villes oii de droit 
loutes les magistratures etaient electives , Te- 
leclion n'elait pas serieuse et quelques famil- 
ies puissantes s'etaient assure le monopole 
des charges publiques. 

Tout d'abord cette organisation des com- 
munes n'avait donne lieu a aucune critique, 
Les bourgeois qui composaient les corps mu- 
nicipaux avaient touspris part a la revolution 
communale , s'y etaient fait remarquer par 
leur capacite ou leur energie. S'ils etaient 
les premiers de la cite , ils avaient prouve 
qu'ils meritaient de Telre. Les fonctions qu'ils 
iremplissaient etaient la recompense de ser- 



— 24 — 

vices rendus a leurs conciloyens. Le peuple a 
la tele duquel ils etaient places ne murmiirait 
point conlre une elevation dont il connais- 
sait et appreciait les causes. 

Les communes avaient ete presque toutes 
a Torigine mediocrement peuplees. Tous les 
communiers se rattachaient aux grandes fa- 
milies dont les chefs exercaient lesprincipaes 
magistratures, par les liens de la parenle ou 
de Talliance , fort etroits en ces temps-la. 
Fiers d'avoirTun des leurs aux premiers rangs 
dans la cite, ils avaient accepte, sans trop 
de mecontentement , un regime qui, a defaut 
d'imporlance personnelle donnait satisfaction 
a leur amour-propre de race. 

Les premiers municipaux se montrerent 
d'ailleurs dignes de leurs fonctions, et admi- 
nislrerent les inlerets communs avec intelli- 
gence etdesinteressement. Mais avec le temps 
vint Tabus. Les charges, se perpetuant dans 
les memes families, avaient passe des mains 
d'hommes probes et capables en des mains 



— 25 — 

moins habiles et moins pures. La commune 
etait devenue comme un palrimoine que 
quelques privilegies se Iransmellaient les 
uns aux aulres. Dans cliaque\ille s'elait cons- 
liluee une sorle d'oligarchie, dont les mem- 
bres consideraient les affaires communales 
comme leurs propres affaires , pretendaient 
les administrer a leur guise , sans rendre 
compte au reste de leurs concitoyens et sans 
s'inquieler des sentiments ni des opinions de 
ceux-ci. 

Ces abus alteignirent leur plus grand de- 
veloppement au moment meme oii s'efTacait 
dans Tesprit des populations le souvenir des 
services rendus aux communes par les chefs 
des grandes families^ et oil les villes , depuis 
quelque temps deja en possession de leurs 
franchises , croyaient n'avoir plus a redou- 
ter qu'aucun pouvoir les leur arrachat. lis 
donnerent lieu a des protestations (jui devin- 
rent plus vives a mesure que grandit la popu- 
lation des communes^ qu'a cote du petit noyau 



— 26 — 

des anciens conmiuniers vinrent se grouper 
de nouveaux habitants , et qu'augmenta par 
consequent le nombre des ciloyens qui ne pou- 
vaient parvenir aux fonclions municipales ou 
prendre part a Teleclion des magislrals. Ces 
gens se fatiguerent bient6t de supporter toutes 
les charges d'une association dont d'aulres 
pretendaient se reserver tous les benefices. lis 
refuserent d'acquitter les taxes municipales 
sans elre assures que le produit de ces taxes 
serjfit aflfecte aux services qui interessaient 
tous les contribuables. lis demanderent que 
les magislrats fussent elus par tous les habi- 
tants de la commune , et rendissent comple 
de leur gestion au peuple ou a des delegues 
du peuple, au lieu de le rendre a quelques 
parents ou a quelques amis dont le conlr61e 
ne pouvait etre serieux. lis pretendirent que 
tous les citoyens de la meme ville , soumis 
aux memes obligations devaient etre aussi 
investis des memes droits. 

Les privilegies defendirent les abus dont ils 



— 27 — 

profilaient avec autant d'energie que leurs 
adversaires les altaquerent. Us \oulurent 
conserver le inonopole des magislralures. 
Les communes se diviserent en deux parlis 
luttant avec acharnement Tun con Ire Tautre, 
et se disputant le gouvernement des aflaires 
locales. 

Bien peu de villes ecliapperent a ces de- 
sordre^, qui prirent rapidement un caractere 
violent, et degenererent en veritables guerres 
civiles. Tel fut I'aveuglement que jeterent 
ces luttes dans Tesprit des populations, que 
les bourgeois privilegies , pour en finir avec 
les pretentions des petites gens , les petites 
gens pour v^incre la resistance des bourgeois, 
recoururent a la royaute. 

Celle-ci profita liabilenient de ces querelles. 
Pendant de longues annees sa politique con- 
sista a attiser les haines du peuple contre la 
bourgeoisie , a preter son appui aux uns et 
aux autres des adversaires , faisant de temps 
a autre pendre quelques mallieureux pris 



— 28 — 

successiveinent dans les divers partis^ el a 
chaque intervenlion , arrachant aux villes 
quelques-unes de leurs primilives franchises. 
EUe se montra cependanl plus favorable an 
parli populaire qu'aiix \ieilles families com- 
munales dont elle redoutait Fesprit indepen- 
dant. Elle sentait qu'il y avail, enlre la 
ntionarcbie absolue et la demagogie, des liens 
et line affinile puissanle. 

Avec Taide de la royaule, les pelites gens 
reussirenla faire triompber leurs pretentions. 
Dans beaucoup d'anciennes communes les 
anciens corps rounicipaux, qui avaient si fort 
excite les antipathies du peuple, furent sup- 
primes et remplaces par des magistrals nom- 
mes par le roi. Mais aussi droit fut confere a 
tons les habitants de choisir eux-memes 
un 9ertain nombre de citoyens auxquels 
mission etait donnee de repartir rimp6t entre 
les contribuables, de le percevoir et de Taf- 
fecter aux depenses d'interet commun. Ces 
elus devaient rendre compte deleur mandat 



— 29 — 

au peuple. En d'aulres lieux, sans supprimer 
les \ieilles municipaliles , la royaule , crea 
un certain nombre de magistrals nouveaux , 
charges plus specialement de la direction 
des finances de la ville, et designes direcle- 
ment par Tassemblee generale des bour- 
geois*. Ailleurs elle se borna a soumettre le 



* Ainsi a Laon , ancienne ville de commune, tous les magis- 
trats etaient electifs, mais quelques families bourgeoises 
avaient reussi a accaparer les fonctions municipales. Une lutte 
tres-vive s'etait engagee entre ces families et le peuple. La 
royaute etait intervenue et avail substitue aux antiques eche- 
vins electifs des magistrats nommes par elle ; mais elle avait 
attribue a six citoyens elus par Tuniversalite des habitants 
le soin de lever et d'employer, sous le controle populaire, les 
sommes dont la ville de Laon « pouvait avoir besoin pour 
la conservation de ses droits » . 

A Reims , a la suite d'emeutes sanglantes , a cote des pri- 
mitifs magistrats de la ville, accuses par la populace de trahir 
les interets publics, la royaute etablit six conseillers elus par 
le peuple en assemblee generale et charges de controler les 
actes de I'ancien corps municipal. 

A Rouen, la charte communale, octroyee vers I'an iioo, 
restreignait singulierement le droit electoral des simples 
bourgeois. Ceux-ci choisissaient seulement leurs quartenicrs. 
Le maire, les echevins etaient elus par les pair?. Ces pairs, 

2. 



— 30 — 

jnaire et les echevins, responsables orjgi- 
nairement de leurs agissenients au re- 
gard du corps municipal seul, au conlrole 

au n&mbre de cent, n'etaient point nomm^s par la commune, 
lis se recrutaient eux-memes, designant, en cas de vacance^ 
le bourgeois qui la devait combler, et jouissaient, parait-il, 
d'assez grands privileges, Le menu peuple avail reproche 
au corps municipal d'abandonner les franchises de la ville , 
de dissiper les sommcs que, sous pretexte d'impot, il for^ait 
les pauvres. gens a acquitter. Appele tout a la fois par la 
haute bourgeoisie qui s'eiTrayait des pretentions du bas peuple, 
et parle bas peuple qui, avanl toutes choses et a tout 
prix, pretendait arracher aux bourgeois leurs privileges , la 
couronne s'attribua provisoiremcnt le choix du maire et dcs 
echevins. 

£n i3i4 la commune fut retablie; mais bientot de nou- 
veaux troubles s'eleverent. La royaute, pour y mettre fin, 
intervint une seconde fois. I^a vieille charte de commune fut 
reformee aux applaudissementd de la multitude. Les pairs 
durenl etre a I'avenir, comme les quarteniers, ^liis par 
le suffrage de la commune, le mairc, etre choisi par les quar- 
tenicrs auxquels fu rent adjoin ts des notables. Enfin, la charte 
de reforme reconnut au peuple le droit d'examiner « Petat 
au vrai de la Tille » de son administration et de ses fi* 
nances. Les magistrats devaient remplir leurs fonctions sous 
le controle incessant de la population entiere. 

Les choses se passerent dans la plupart des villes de com- 
mune comme a Tiaon, a Rouen ou a Reims. 



— 31 — 

comme a releclion de leurs conciloyens. 
Apres deux siecles de lulle, les grandeis fa- 
milies bourgeoises dont les a'ieux avaient 
accompli la revolution communale avaient 
perdu leur ancienne preponderance. Une 
sorle d'egalile s'etait etablie entre tous les 
habitants d'une meme cile. 

Les communiers avaient paye cette reforme 
de la perte d'une grande partie de leur inde- 
pendanceety avaient trouve peu d'a vantages 
directs. Si le menu peuple pouvait dorena- 
vant elire des magistrats dont le choix ne lui 
avait pas appartenu jusque-la^ on remarqua 
que les votes des assemblees generales d'ha- 
bitants se portaient presque toujours sur les 
creatures du roi ou de ses agents dans lepays, 
et que les elus etaient bien plutot les liommes 
du souverain que ceux de leurs concitoyens. 
L'election au suffrage universel de quelques 
ofllciers sans pou voir avait donne aux aspira- 
tions populaires une apparente satisfaction ; 
elle avait fourni a la royaute , en assurant le 



— 32 — 

Iriomphe de ses candidats, le inoyen de din- 
ger a son gre les aflaires municipales. 

Le premier resultat de la liitte des pelites 
gens con Ire les bourgeois avait done ele de 
rnetlre les anciennes communes dans la meme 
position politique que les \illes royales. Au 
commencement du xiv* siecle les droits des 
unes et des autres etaient a peu presegaux. 

Si defavorable a la cause de la liberte que 
paraisse ce resultat au premier abordy la re- 
forme communale devait cependant porter 
d'excellents fruits. Elle avait, en associant plus 
intimement la masse entiere des populations 
urbaines au maniement de quelques unes de 
leurs aflaires, complete la revolution commu- 
nale et developpe, au prix, il est vrai, de quel- 
ques libertes precieuses, le principe meme 
qui avait servi de base a cetle revolution. 

Le cercle de Tactivite municipale avait 
ete restreint ; mais dans ces limites plus 
etroites, le nombre des citoyens appeles a y 
prendre part eflective avait notablement 



— 33 — 

grandi. II etail universellement admis^ dans, 
les ville's, et par la royaule elle-meme, que 
lesaffaires municipales etaient les affaires du 
plus humble artisan com me celles des plus 
riches bourgeois ; que tous avaient a s'en oc- 
cuper un litre egal ; que nul ne pouvait etre 
oblige a payer un impotqu'il n'avait pascon- 
senti lui-meme ou par mandataire ; que Tim- 
pot devait etre employe aux frais pour les- 
quels il avait ete \ote et qu'il appartenait 
aux contribuables meme de surveiller Tem- 
ploi des sommes qu'ils avaient payees ; c'est- 

a-dire qu'etaient attribues a chaque citoyen, 
dans la cite, les principaux d'entre les droits 
que la revolution communale avait accordes 
aux villes elles-memes, dans TEtat. 

Les rois avaient, de loutesleurs forces et 
pour miner les grandes families dont ils re- 
doutaient la puissance, contribue a repandre 
ces idees dans les communes. Ils ne tarderent 
pas a ressenlir les consequences d'une pa- 
reille politique. 



— 34. — 



Un jour vinlou les ressources dela royaule 
ne suffirent plus a couvrir ses depenses; elle 
eut besoirl d'argent. Elle voulut, pour s'en 
procurer, imposer aux \illes de nouvelles 
taxes. Les villes se souleverent , cliasserent 
les agents charges de la perceplion, brule- 
rent les roles etrefuserent absolument d'ac- 
quitter des impols qui n'avaient point ele 
consenlis par Tasseitiblee des contribuables. 
La royaule essaya imililement de vaincrepar 
la force la resislance des bourgeois, elle dut se 
resigner a demander a ceux-ci , en conside- 
ration des besoins de I'Elat une contribution 
volontaire, et, pour oblenir cette contribu- 
tion, dire a quelles necessites pressantes elle 
entendait aflTecler les sommes reclaniees, 
quel usage elle avait fait de ses prece- 
dentes ressources. Nul ne pouvail encore, sans 



— 35 — 

doute, conlr61errexactiludedes affirmalions 
royales ni lenir la main a I'execulion des en- 
gagements pris parle souverain. Mais deja le 
roi devait compter avec ses sujels des \illes 
et les inilier a ux affaires deTElat; les popu- 
lations urbaines s'elevant au-dessus de la 
sphere des interetslocaux, commencaient a 
s'occuper de la politique generale du pays. 

Pour eviter de traiter a\ec chaque cite en 
j3arliculier, peut-etre aussi pour entrainer 
par Texemple que donneraient les \illes bien 
pensantes , les villes moins bien disposees, 
pour soumetlrele devouement de ses sujets 
a une sorte d'emulation , la royaute prit 
le parti d'appeler, en meme temps, aupres 
d'elle les delegues des diflferents pays et de 
s'adresser a eux coUectivement. Les deputes 
des populations urbaines vinrent ainsi sieger 
aux etats generaux a cote des barons et des 
prelats du royaume. Tres-flattes d'etre con- 
suites sur les affaires publiques ils se mon- 
Irerent tout d'abord fort dociles aux volontes 



— 36 — 

I 

royales. Mais les\illes se fatiguerent de payer 
loujours; bientot elles ne considerereni plus 
les elals generaux que comme Toccasion et 
le pretexte de taxes nouvelles, et se montre- 
rent peu disposees a y envoyer leurs depu- 
les : aux convocations fort peu repondirent , 
et inoins encore consentirent a se sou- 
mettre aux impots votes. La nation n'existail 
pas encore. Les villes etaient independantes, 
et, le plus souvent, rivales les unes des autres: 
elles entendaient defendre leurs immuni- 
tes aussi bien contre les empietements des 
autres cites que contre ceux de la royaute. 
Elles avaient refuse d'acquitter les taxes ini- 
posees par celle-ci. Ce n'etait point pour se 
soumettre aux impots consenlis par les bour- 
geois de quelques provinces a la discretion du 
roi. Ces bourgeois pouvaient engager leurs 
communes^ si celles-ci le trouvaient bon et 
autoriser chez eux la levee d'une aide. Mais 
ils etaient sans qualite pour disposer d^autres 
bourses que celles de leurs mandants directs. 



— 37 — 

Leurs voles quels qu'ils fussent ne pouvaient 
a regard des aulres \illes produire aucun 
effet. 

H fut des ciles qui refuserent memo de 
payer les aides consenlies par leurs propres 
delegues. EUes prelendirent que les deputes 
aux etats n'etaient que des simples inlerme- 
diaires entre la royaule et les bourgeois; 
qu'ils n'etaient investis d'aucuh droit ou 
pouvoir propre, leur constituant une indivi- 
dualite distincte de leurs coirimettants; qu'ils 
ne pouvaient qu'une chose , exprimer les de- 
sirs ou les volonles de ceux-ci. lis perdaient 
leur caractere, et leurs actes etaient frap- 
pes d'invalidite des lors qu'ils agissaient con- 
trairement a ces volontes ou a ces desirs. Les 
pouvoirs des deputes n'etaient point gene- 
raux. lis n'avaient qualite pour engager 
leurs cominettants que dans le cas oil ils 

avaientrecu mandat expres de le faire. 

Dans le cas ou les deputes outrepassaient 
ce mandat, les commettants desavouaient 

3 



— 38 — 

leurs represerilanls et ne se consideraieni 
pas comme lies par les voles, Aussi arriva- 
t-il souvent que les deputes declarerent n'ap- 
prouver una mesure ou accorder une aide 
que sous reserve de ratification iilterieure 
par leurs mandants. L'aide votee par les 
etals devenait ainsi Tobjet d'une discussion 
nouvelle dans Tasserablee gen^rale des bour- 
geois. Ou bien Encore les deputes deman^ 
daient du temps pour en referer a leurs conci- 
toyens : transmises a ceux-ci, les propositions 
et les demandes royales etaient examinees 
par le « commun » qui envoyait ses instruc- 
tions a ses deputes. Dans de pareilles con- 
ditions il fut fort difficile a la royaute d'ar- 
raclier aux etats, ainsi qu'elle Tavait espere 
d'abord, des votes de complaisance ou de 
surprise, ou de tirer parli de ces votes dans 
les cas ou elle les obtint. Les etats generaux 
devinrantainsicliaque jour dansles mains de 
la royaule un instrument moinsdod^. Bien- 
lot les villes s acCoutumerent a ne plus choisir 



— 39 — 

pour representanls que des gens voues a Te- 
lude du droit, etdes marcliands rotupus aux 
affaires de finances , sacliant compter el ayant 
pourla pliipart, avant d arriver aux etals ge- 
nera uxrempli dans leur pays les principales 
cliarges niunicipales. Ces homnies se Irouve- 
rent tout naturellement disposes a appliquer 
aux afTaires publiques les idees d'ordre, de 
conlrole, d'egalile qui, dans leurs \illes, 
avaient Iriomphe avec Taide meme de la 
royaute. En ecliange de Targe n t qu'on leur 
demanda, ilsreclamerent des reformes, et s^ 
permirentde formuler surla politique gene- 
rale du pays des avis qui, pour revetir la 
forme d'liumbles prieres et de respectueuses 
suppliques, ne laissaient pas quelquefois de 
donner a la royaule de serieux ennuis. 

Reunis en grand nombre aux elats gene- 
raux, ils comprirent de quel interet il se- 
rait pour les yilles d'adopter, dans certaines 
occurrences, une politique d'ensemble, d'unir 
leurs forces, pour lulter conlre les enlre- 



— 40 — 

prises de la royaule, Quelqne leraps a\ant la 
mort de Philippe le Bel les conimunes du 
Forez, de la Bourgogne, de la Champagne^ 
de la Picardie et de TArtois se liguerent enlre 
elles poiir empecher la perception de loiites 
impositions indument ordonnees. Cetle pre- 
miere « alliance » n'eut qu'une duree ephe- 
mere ^ mais elle laissa dans le souvenir des 
populations une trace profonde. Les plus 
intelligents des bourgeois se prirent a com- 
prendre qu'aulre chose etait Tisolement , au- 
tre chose Tindependance. Au moment oil la 
branche de Valois arrivait au trone ces idees 
coramencaient a se repandre dans le pays. 

Les malheurs qui fondirent sur la France 
en accelererent le developpement. 



41 — 



§ [II. 



Philippe de Valois elait, parait-il, un bon 
chevalier, mais c'etait le plus mauvais chef 
d'Etat qui. se put rencontrer. II avail en 
peu d'annees reussi a miner complelement 
fa France , s'etait fait battre a Crecy par les 
archers des communes anglaises, avail laisse 
prendre Calais, et conquerir par Fennemi 
bonne parlie du terriloire national. 

II avail royalemenl gaspille Targenl de 
ses sujets. Au lieu de consacrer a la defense 
du pays Timpol arrache aux pauvres gens de 
son royaume , il Tavait employe a donner de 
belles fetes, organiser de beaux tournois, 
faire de beaux cadeaux aux belles dames. II 
s'etait console par de galants triomphes de 
ses defaites guerrieres, sa morl avail ete 
digne de sa vie. Pendanl que son malheu- 
reux peuple mourail, decime par la guerre, 



— 42 — 

la famine^ la peste^lui s'eteignait ensa coiiche 
royale, ext^nue par les plaisirs , laissant la 
France amoindrie, epuisee, enlre les mains 
d'un fils digne de lui succeder. 

Le roi Jean que riiistoire a appele Jean le 
Bon , comme elle a appele Louis XV le Bien- 
aime, suivit Texemple de son pere. Aussi fut-il 
bientot a bout de ressources. II recourut, 
pour s'en procurer, aux moyens depuis Phi- 
lippe le Bel employes par la royaule dans ses 
besoin$ extremes. II falsiOa les monnaies. 
Ces falsifications ne produisant pas somme 
§U(lfisante poUr faire face aux folles depenses 
de la cpur, il songea aux etats generaux, 11 les 
<5pnvoqua le 17 octobrie i35o. Comme il ne 
fallait pas, 0il indiquanttqut d'abord le motif 
d^ la convocation , ef frayer les populations ; les 
letlres royaux porlerent que le roi appelait 
les Etats, ^( pour consulter plus facilement 
les prelfiits, les dues, comtes et barons, les 
bourgeois et autres personnes sages de son 
royaume^ur todteSiChoses interessanl TEtat, » 



— w — 

Les dispositions des villes etaient fort mau- 
vaises. Les edits monetaires avaient jete dans 
le commerce une perturbation considerable. 
II n'etait pas de marcband qui n*eut, en con- 
sequence de ces edits, subi des perles impor- 
tantes* Nul n'osait pkis s'engager dans une 
operation commerciale a long terme, dont 
i'arbit raire royal, pouvait, a son gre, modifier 
les conditions. On avail calcule dans certaines 
places, que cette incertitude avait diminue 
de plus d'un tiers le cbifFre des affaires. En 
beaucoup d'endroits a la suite de cbaque 
modification dans le tilre des monnaies, les 
commercants avaient forme entre eux des 
reunions ou les agisscments du roi avaient 
ete Tobjel de plaintes et de critiques tres- 
viyes. Tons les efforts des agents royaux pour 
arreter ces conciliabules avaient ete infruc- 
tueux. En vain des mesures violentes avaient- 
elles ete prises contre les jjujets sedilieux 
qui se permettaient de protester contre les 
ordres du roi > les lK)urgeois avaient continue 



— 44 — 

a sereuhir. Accoutumes dansleursmaisons et 
dans leurs \illes a reconoiriie la plus stride 
ils s'etaient demande a quel usage la royaule 
employait Targenl pave chaque annee au fisc 
par les pauvres gens. Dans quel gouffre Fen- 
gloutissail-elle ? Que faisait-elle aussi des 
sommes que lui procuraient ces mutations 
de monnaies, sans cesse renouvelees? Et que 
deviendraient les subsides qu*il faudrait lui 
donner encore ? Les cboses, disait-on, ne se 
passaient pas ainsi en Angleterre et ce pays 
s'en trouvait bien. 

La guerre est un atroce fleau; niais il 
n'est pas en ce monde de mal absolu et d'oii 
nepuisse,encerlaines occasions, sorlirquelque 
bien. Au moyen age, alors que les peuples 
divers etaient separes les uns dies autres par 
des barrieres presque infrancbissables , qu'il 
n'y avail ni routes, ni chemins, ni navigation, 
et presque point de commerce international, 
la guerre rapprochait les peuples plus encore 
qu'elle ne les divisait. Lecbamp debataille, 



— ^1.5 — 

si horrible qu'il fut, etait comnie un Irait 
d'union entre les nations qui s'y rencon- 
traient, 

[/invasion anglaise a vait repandu en France 
des idees, qui n'eussent jamais, sans elle, fran- 
cbi !e detroit. Apres les desastres qui avaient 
pendant le regne de Philippe de Valois fondu 
sur lepays, nombre de gens avaient mis en 
regard, la prosperite de TAngleterre et la 
niisere de la France et en avaient recherche 
les causes. lis avaient , autant que cela se 
pouvait alors, compare Fetat politique et so- 
cial des deux pays, avaient vu la nation an- 
glaise reunie en parlement, peser deja d'un 
grand poids sur la direction des affaires du 
pays ; remarque Tordre relalif qui regnait 
dans les finances anglaises, les precautions 
prises pour que les sommes donnees par les 
communes fussent affeclees aux depenses 
publiques, lis auraient voulu doter la France 
d'une organisation et d'un ordre semblables. 
lis avaient resolu de ne consentir de nou- 

3 



— 46 — 

veaux sacrifices qu'a bon escienl, lorsque 
Je roiaurait fait connaitre a Tetat au vrai du 
royaume »• Aussi, lorsque vint la convoca- 
tion des elats gen^raux on grand nombre 
de villes prirent-elles a la lellre les lermes 
de celle convocation et ne donneren-telles 
a leurs depules d'autre mission que de 
fournir au roi leur avis sur toutes clioses, 
de reclamer des reformes, de protester 
contre le tort que les mutations de monnaies 
causaient au peuple , et leur inlerdirent- 
elles absolument de voter aucune aide. A 
peine queiques deputes appartenantaux villes 
des bords de la Loire , plus direct ement son- 
mises a Tinfluence royale, recurent-ils de 
leurs commettants qualilepour consentir des 
taxes nouvelles. 

L'esprit de resistance granditencore lorsque 
les etats furent reunis. 

I^es bourgeois les plus devoues au roi n'o- 
3erent, en presence des dispositions malvei'l- 
lantes de leurs collegues, prendre sur eux 



— 47 ^ 

d'accorder les aides redamees ; presque totls 
mirentd'ailleurs a un vole favorable des con- 
ditions de controle que la rovaule ne se crut 
poinl encore reduile a accepter. Les etals se 
separerent sans avoir rien vote. Cetait pour le 
pouvoir royal un serieux ecliec, non pas seu- 
lement parce que le roi n'avait pas Targent 
dont il avail besoin , mais aussi a cause des 
tendances que ce refus des aides accusait 
chez les deputes des villes. 

La royaute trouvait en face d'elle les prin- 
cipes memes, dont elle avait, dans les vieilles 
cites communales, contribue a assurer le 
Iriomphe. Les gens des villes qui pour obli- 
ger leurs magistrats municipaux a rendre 
compte de Temploi des fonds dont ils avaient 
le manieinent avaient soutenu de si longues 
et de si terribles luttes , entendaient inainte- 
nant soumettre le roi lui-meme a un con- 
trole du meme genre. lis consideraient Tim- 
pot verse a ux mains du souverain, comme 
une sorte de fideicomniis dont la royaute 



48 — 

etait responsable au regard des contribuables 
et qu'elle devait employer aux fins niemes 
delerniinees par ceux-ci. 

On pensa a la coiir, que les deputes n'a- 
vaient resiste aux demandes royales que 
parce que, reunis en grand nonibre, iis s'en- 
courageaient les uns les autres a ne point 
ceder; que les villes seraient moins recalci- 
trantes si au lieu de s*adresser a elles toules 
a la fois le roi s'adressait separetnent a cba- 
cune d'elles. II n'en fut rien; car en de- 
cembre i355, les etals generaux etaient con- 
Yoques de nouveau. Presque loules les villes 
repondirent a Tappel. Parmi les deputes 
de Paris se trouvait le prevot des marcbands, 
Etienne Marcel, destine a une si grande ce- 
lebrite. 

Des les premiers jours de la reunion fut ar- 
retee par les etals une resolution qui donna it 
la mesure de Fimportance que les populations 
urbaines a\aient prises dans TElat. U fut de- 
cide que les differenls ordres discuteraient en 



- 49 — 

cominun les propositions royales. La mesure 
etait grave. Ce n'etait point seulement parce 
que en appelant les bourgeois a deliberer sur 
les clioses publiques avec les membres du 
clerge et de la noblesse, elle semblait recon- 
naitre entre les deputes des trois ordres une 
sorte d'egalile sociale ,* qu'elle faisait pour 
un instant 9 de quelque marchand ou de 
quelque obscur legiste le « compere » des 
plus hauls barons ou des plus reveres prelats 
du royaume,mais parce que, deliberant avec 
les bourgeois , le clerge et la noblesse ne 
pouvaient refuser de payer leur part des im- 
pots dont ils auraient demontre aux deputes 
des villes Turgence ou Tutilite. 

On ne sait qui prit Tiniliative de cette re- 
solution; tout porte a croire qu*elle vint de 
la royaute elle- meme. La confusion des trois 
ordres, la reunion des gens du tiers a ceux 
de la noblesse et du clerge, dont les disposi- 
tions favorables etaient connues, avait ete 
probablement inspiree aux conseillers royaux 



— 50 — 

par I'espoirde rendre moinsviveropposition 
des bourgeois aux desirs du roi,et de paraly- 
ser leurs mauvaises intentions. On avail pense 
que les deputes des ordres privilegies plus 
nombreux que ceux des villes reussiraient a 
ira poser leurs \olonles a ceux-ci. 

Si tel avail ele effectiveraent le but de celte 
mesure , il ne fut point atteint. Les boOrgeois 
craignanl que la reunion des trois ordres, 
si contraire aux usages suivis jusque la, ne 
cachal quelque piege , el redoutanl que les 
ordres privilegies nes'enlendissenl trop facile- 
menl avec la royaule aux depens des rotu- 
riers, deraanderent qu'ilful bien enlendu, 
que les deliberations des etats ne seraient 
executoires que quand elles auraient ete 
adoptees par les trois ordres , et qu'on ne 
pourrait en aucun cas opposer a Tun le vote 
des deux autres. Le clerge et la noblesse ne 
pouvaient refuser de prendre en consideration 
une proposition qui, enapparence au moins, 
sauvegardail leur independance comuie 



— 51 — 

celle des bourgeois. La demande de ceiix- 
ci flit accueillie. Les elals volerent une 
aide de cinq millions de livres a realiser au 
moyen d'uri impot de liiiit deniers par livre 
sur le prix de toules marcliandises , el 
d'une elevalion des droits de gabelle. Mais 
les deputes des villes subordonnerent es- 
senliellement leur vole a la condition que 
cet ioipot frapperait lous les liabilants du 
royaume , sans exceplion aucune , que roi , 
reine, princes, barons, prelals, tous y se- 
raient egalement soumis. 

Pour eviler que les somines voices ne fus- 
sent gaspillees en depenses inuliles au lieu 

de servir a rentrelien des hommes d'ar- 

» 

mes necessaires a la defense du pays, ils 
demanderent que les receveurs et Iresoriers 
entre les mains desquels seraient verses les 
deniers provenant de I'aide, fussent nommes 
par les elats , et qu'une commission de neuf 
membres, trois de cliaque ordre, fiit elue 
pour surveiller ces receveurs et Iresoriers. 



— 52 — 

Les coinniissaires ne pouvant remplir con- 
venabtement leur mission qu'a la condition 
d'etre absolument independants de Tauto- 
rite royale etaient invites a desobeir aux 
, ordres du roi , toutes les fois que ees ordres 
seraienl en opposition avec les resolutions 
des elals , et autorises a se fa ire, en cas de 
besoin, preter main-forte par tous les sujets 
du royaume. 

Les bourgeois reclamerent aussi la faculle 
pour tous les Francais de s'armer selon leur 
etat; Fabolilion du droit de prise * ; autori- 
sation pour les sujets de resister a main ar- 
mee a ceux qui voudraient Texercer a I'ave- 
nir^Ia fixation definitive du titre et de la valeur 
des monnaies avec engagement par la royaute 
de ne plus les modifier. Enfin ils formulerent 

^ On appelait ainsi le droit que s'arrogeaient les ofBciers 
royaux de prendre sans payer, partout ou passaient le roi| 
la reine ou les princes de la famille royale , les divers objets 
n^cessaires a ceux-ci ou aux personnes qui les accompa- 
gnaient. Peu.d'exactions etaient plus onereuses aux popula- 
tions et avaient donne lieu a plus d'abus. 



— sa- 
line requele d'une importance singuliere. 

lis demanderent au roi la permission de se 
reunir au mois de mars et an mois de no- 
vembre suivanls : au mois de mars pour ou'ir 
les comptes des receveurs et tresoriers des 
aides nommes par les elats et responsables 
de leur mission au regard de ceux-ci : au 
mois de novembre pour voter de nouveaux 
subsides , si cela elait necessaire , ce qui ne 
devait pas manquer d'arriver, les etats ayant 
pris le soin de n'accorder Taide que pour 
un an. 

Les representants du pays acqueraient 
ainsi le moven d'exercer un conlrole inces- 
sant sur la politique royale. 

La royaule avait besoin d'argent elle ac- 
ceda aux conditions que les bourgeois met- 
taient a leur concours. Une ordonnance fut 
publiee qui consacrait legislativement les re- 
formes reclamees par eux, 

C'elait une veritable revolution realisee sans 
violences, sans sedition, et qui pouvait etre 



— 54 — 

le prelude de relabiissement en France d'un 
gouvernement analogue a celui dont la grande 
charte avail fonde les bases en Angleterre. 
Quelque lourd que fut rimpot accorde a la 
royaule, les villes n'aclielaient point trop cher 
les droits nouveaux qu'elles oblenaient. Elles 
ne ralifierent point cependant le vole de 
leurs commeltants. 

Le sens politique avail fait dan$ les popu- 
lations urbiiines d'immenses progres; mais 
rimportance des reformes consacrees par 
Tordonnance, appreciee a sa juste valeur par 
quelques esprits distingues, ecliappait a la 
grande masse des artisans. Ce que ceiix-^ci 
retinrent des travaux des etals ce fut la Con- 
sequence direcle el immediate : une aide nou- 
velle a acquitter, el surlout la maniere dont 
elle devait elre levee. L'assiette de Taide 
Iciir parut favoriser les classes elevees au de- 
triment des petiles gens; les riches aux de- 
pens des pauvres el violer des lors, qucMque 
soumettanl les nobles el le clerge comme les 



55 



simples rqluriers au paiemenl de rimpot, le 
principe de Tegalile, telle du moins que la 
populace, a rinsligation royale, la comprenait 
maintenant. L'impot aux yeux du peuple, 
pour elre egal, ne devait pas peser plus lourde- 
nient sur certaines classes d'habitants que sur 
oerlaines auires. Or une taxe frappant loules 
les venlesde marcbandises, non pas seulement 
les objels de luxe, mais les objels de premiere 
necessite, etait plus onereuse pour le pauvre 
que pour le riche. L'arlisan qui gagnait pe- 
ri iblement sa vie a force de travail, payant, 
lorsqu'il acbetait la farine ou le sel necessaires 
a son, aUmentation. le meme droit exacle- 
ment que le bourgeois opulent, souffrait evi- 
demmeht plus que celui-ci. Insensible a 
run,le droit e la it ecrasant pour Taulre. Un 
3eul impot paraissait aux peliles gens des 
villes remplir les conditions d'egalile voulues. 
C'elait uh impot proporlionnel aux ressources 
reelles ou supposees de cbacun. Sans s'in- 
c|uieler, des difficultes que pourrait presenter 



— so- 
la perception cl'iine pareille laxe, ni se de- 
mander si elle ne laissait pas, plus qu'aucune 
autre, place a des perceptions arbitraires, les 
populations urbaines refuserent absolument 
de se sournettre a tout iinpot qui ne serait 
point elabli sur ces bases. En Picardie et en 
Normandie surlout elies se montrerent intrai- 
tables. Peu s'en fallut a Rouen que ie peuple 
ne se porlat aux plus alroces violences contre 
les deputes. A Arras une sedition terrible 
eclala au moment ou les receveurs voulu- 
rent percevoir Timpot. Quelques habitants 
essay erent de faire remarquer au peuple que, 
pour faire la guerre aux Anglais et recon- 
querir les provinces occupees par eux, il fel- 
lait de Targent ; que la taxe etait necessaire 
et qu'il la fallait payer. On les accusa de 
s'etre vendus au roi et aux ennemis du peuple. 
Dix-sept d'enlre eux furent mis a mort, d au- 
tres cliasses de la ville, et leurs maisons de- 
truiles. Ailleurs des charivaris furent dohnes 
aux deputes qui avaient vote Taide; on les 



— 57 — 

blama devant les asseinblees des metiers. 
Get impot) que le pelit peuple des vilies 
condamnait parce qu'il n*e(ait pas assez 
egatilaire, elait nial vu des privilegies, parce 
qu'ii Tetait Irop. Le clerge et la noblesse at- 
tisaient les desordres. S'ils avaient aux der- 
niers etals consenli a la reunion des Irois or- 
dres, ca avail ele dans Tespoir d'imposer leurs 
volonles aux bourgeois et non pour subir les 
volonles de ceux-ci. lis avaient joui jusqu'a- 
lors du privilege de payer, la noblesse de son 
epee, le clerge de ses prieres et ils enlendaient 
le maintenir. lis etaient resolus a ne point 
accepter Tobligalion d'acquitler, comme de 
simples manants, une taxe telle que la gabelle 
ou le denier par livre* Le clerge surtout de- 
ployait une violence extreme. II repandait 
dans les rangs du bas peuple des vilies les 
plus odieuses calomnies. II s'eflbrcait de de- 
miontrer que les deputes aux elats avaient, en 
meme temps que porte la main aux privileges 
du clerge, sacrifie lionleusement les interels 



— 58 — 

tie leurs conciloyens moins favorises de la 
fortune. L'opposilion a Timpdl s affirma avec 
line telle energie que lorsque les etats diir^nt 
s'assembler de nouveau le i" mars suivant, 
l>eaucoup de villesrefuserent d'y envoyer des 
deputes ou leur donnerent mandat expres de 
poursuivre Tabrogation de la taxe des verites 
et de la gabelle. jPour obeir aux instructions 
de leurs commettants, les deputes du tiers, a 
peine reunis, proposerent, tout en maintenant 
Faide et en continuant d'y soumettre tous les 
habitants du royaume sans exception, d'en 
assurer le paiement par d'autres moyens. Aux 
taxes indirectes voices a la session precedente 
fut subsliluee, sous la pression de Topinion (i) 
publique, un impot qui donnait, en apparency 

(i) La satisfaction donnee a I'opinioD ^tait en effet plus ap- 
parente que reelle, car, apres avoir consacreleprincipe meme 
tie rimpot sur le revenu, les etats commirent une lourde 
I'aute de logiquc. Us deciderent que ceux d«s contribuables 
qui avaient moins de loo livres de revenu paieraient 5 ®/o de 
ce revenu. Ceux qui avaient loo livres de rente, 4%* ^^^ux 
qui avaient plus de loo livres , 4'>/o pour les premiers cent 



— 59 — 

du moins, salisfaclion aux aspiralions demo* 
craliques des populations urbaines, un impot 
sur le revenu. 

Ainsi, des les premiers jours de Tan i356, 
la volonle populaire avail pris en France une 

livres, et 2 ®/o pour rexc^dant. Pareil tarif etaU inexpli- 
cable. II n'y a, dans un tel impot, egalite reelle entre les 
riches et les pauvres qu'a la conditloh que la proportion entre 
I'unit^ et la fraction iqui represente la taxe soit toujours la 
m^me, quel que soit le chifTre de la fortune des contribuables^ 
De telle sorte que celui qui a 300 paye exactement deux 
fois plus que celui qui a 100, celui-ci, le double de celui 
r|ui a 5o , et ainsi de suite. Des lors qu'a partir d'un certain 
[^hiffre la proportion cessed^^tre la meme, Tegalite disparait, 
le pauvre se trouve favorise aux depens du riche ou le riche 
au detriment du pauvre. Si exception pent etre portee a 
cette egalite proportionnelle , c'est pour donner a I'impot 
le caractere progressif , c'est-a-dire pour soumettre tout le 
revenu excedant un chiffre determine a des droits superieurs 
1 ceux qui frappent les revenus moins importants. Les etats 
faisaient exactement le contraire. Etabli sur les bases que 
nous venons de dire , I'impot pesait d'autant moins lourde- 
nent sur le contribuable que les revenus de celui-ci etaient 
slus Aleves , c'est-a-dire qu'il avait , ou peu s'en faut , les 
neonvenients meme de la taxe quMl rempla^ait et contre la- 
luelle les villes avaient si violemment reagi. U nespuleva ce- 
icndant aucune protestation. 



— GO — 

force presque irresistible; elie elait devenue 
en quelque sorle souveraine maitresse. Des 
impels etaient abolis « parce qu'il elait ap- 
paru (le preambule de I'ordonnance rendue 
a la suile de la session de i356 le porle en 
loules letlres ) que lesdites impositions et ga- 
belles n'etaient pas agreables a tons, » La 
royauie avail du , devant les elats , aban- 
donner quelques-unes de ses plus cheres pre- 
rogatives, et, dans les elats, les deputes des 
villes avaient pris la place principale : leur 
importance elait devenue telle que noblesse 
et clerge, bien loin de rougir de deliberer a 
cote des bourgeois, avaient cherche, pour 
enchainer Taction de ceux-ci, a les faire sieger 
au milieu d'eux. De leur cote, les deputes du 
tiers etaient demeures soumis eux-memes au 
controle incessant de leurs commettants, 
obliges de suivre et de respecter les idees, 
les caprices menies de ceux-ci. Si bien qu'en 
fait, sinon en tlieorie, la politique royale 
elait subordonnee aux volontes des villes. 



— 01 — 

Le inouvement qui ayait donne aux bour- 
geois une telle importance dans TElat avail 
ete lent, mais rien n'avait pu Tarreter. Les 
evenenients qui allaient suivre devaient Tac- 
celerer, malheureusement ils devaient aussi , 
enTaccelerant, en compromettre le succes 
defmitif. L'elan revolulionnaire , substitue 
Irop tot a revolution et au developpement 
regulier de Tinfluence bourgeoise, usa en 
quelques jours les forces de la nation au 
profit de la royaute. Mattresses du pouvoir 
avant Theure, les populations urbaines le 
laisserent echapper de leurs mains. 



CHAPITRE II. 



LA REVOLUTION POLITIQUE. 



§ p. 

Revolution de 1856. — Le povioir ««x Malsft des 
bourufeois. — Em monarchie parleaievtolre. 

Les Anglais avaient envalii le Linriousin et 
le Berry et ravage ces deux provinces (i). Us se 

Le roi Jean avail marie sa fille, Jeanne de France, a 
Charles, roi de Navarre, de la maison d^^vreux, petit-fils, 
par sa mere, de Louis le Hutin. Le roi avail promis a sa 
iiUe upe dol.qu'il n'a vail jamais inlegralemenl payee. Enlre 
le geudre el le beau-pere n'avail pas larde a s'ekver une 
mesinlelligence du caraclere le plus grave ; le roi de Navarre 
avail fail assassiner Tun des favoris de son beao-pere, le roi 
Jean fail pendre les servileors les plus devoues de son gendre 
qo'il avail, en avril i356, jele en prison. En France, beau- 
coup de gens , parroi les bourgeois snrloul, lenaienl pour le 
Navarrais. La guerre avail fiiilli eclaler enlre les partisans de 



— 6k — 

(lirigeaient de la vers la Normandie , quand 
ils avaient rencontre Tarmee francaise a Mau- 
perluis pres Poitiers (i). Le roi Jean, malgre 
I'immense superiorite numerique des troupes 
dont il disposait, avail, a force d'imperilie et 
de presomption reussi a fournir a Tennemi 
['occasion d'un triomphe inespere. 

A part quelques barons qui s'etaient fait 
tuer en soutenant valeureusement ['antique 
prouesse de leur race, la noblesse avail fait 
preuve d'autant de lachete que d'incapacite 
militaire. 

Le$ princes du sang avaient deserte le 
champ de bataille, et pour sauver leurs pre- 
cieuses existences , arrache au combat quel- 
ques milliers de braves gens, qui auraient fait 
leur devoir et change peut-etre la fortune 
delajournee. 

Le roi s'etait bien battu ; il y courait peu 

celui-ci etceuxdu roi de France. Les Anglais avaient profit^ 
de ces discussiuns pour reprendre ia carnpagne, 
(i) 19 septembre i356. 



— 65 — 

de risques. Mais enfin il avail combattu. 11 
avail ele pris les armes a la maia. Son epee, 
lorsqu'il larendil, etail laclieede sangennemi. 
La France avail eu le malheur d'etre bien 
des annees soumise a de mechanls princes, 
elle n'avail point encore eu la honte d avoir 
pour chef un lache. En i356 le pays n'elait 
pas encore tombe si bas. 

Mais Jean etait homme a ceder la moititi 
de son royaume pour pouvoir a son gre tailter 
el lyranniser Taulre. 

Francaisel Anglais le savaient. 
Ce fut par loiile la France un long fremis- 
semenl de douleur el d'indignation lorsqu'on 
apprit que 8,000 cornmuniers et barons An- 
glais avaienl, en quelques heures de combat, 
mis en pleine deroute 70,000 hommes d'ar- 
mes, chevaliers et princes francais. 

Tels etaient Tetendue et le caraclere menie 

de la catastrophe qui frappail le pays que les 

populations ne purent Tattribuer a la fortune 

ordinaire des batailles. On murmura tout 

4. 



— m — 

has le mot de Irahison. Onraconia que les 
princes et barons, si arroganls et si fiers au 
regard dii pamre peuple, avaienl fui Ou s'e- 
taient rendus sans meme combaltre. On se 
dit que les bourgeois et les artisans des 
villes auraient fait devant Tennemi plus fiere 
contenance, qu'ils n'auraient point ainsi me- 
nage leur\ie, et qu'avec eux, au lieu de subir 
iHie defaile bonleuse, la France aurait rem- 
porte une victoire. 

Le prestige qui avait jusqu'alors entoure la 
noblesse aux yeux des masses populaires dis- 
parut lout d'un coup; on Tavait crue brave 
et on Tavait crainle ; elle etait lache, on la 
meprisa. 

II est des hommes et dessystemes politiques 
qui sont condamnes a n'eprouver jamais 
d'echec parce que le succes est leiir seule 
raison d'etre. D'autres, a etre touj ours forts, 
parce que le seul lilre qu'ils aient a Tobeis- 
sance publique, c'est la force. Au lendemain 
de Poiliers, noblesse et royauley auxquelles 



— 07 -^ 

avaient jusqu'alors appartenu le premier rang 
clans TEtat, semblerent s'evanouir lout d'un 
coup pour lajsser aux bourgeois le soin de 
defendre et de sauver le payis qu'elies avaient 
compromis. Les bourgeois ne faillirent point 
a leur tache ; ilsse^ saisirent resoUiment du 
gouvernement. 



Ce fut de Paris que parlit riniliative du 
grand mouvement qui, pour un montient au 
moins , remit^ aux mains de la nation la di- 
rection de ses affaires. 

La \illede Paris n'avait jamais obtenu de 
charte de commune. Elle avail loujours 
joui neanmoins d'une large independance. 
D'abord administree par un corps muni- 
cipal d'origine gallorromaine , ou Tele- 
ment arislocratique occupail la plus grande 
place ^ elle avail , a une epoque fort eloU 
gnee, sans secousse, sans luttes, modifie 

u ;, y 

son ancienne organisation^ pour se cons- 



— 68 — 

liluer en une sorle de republique cdninier- 
ciale. 

Avantageusement placee sur la Seine, au 
confluent de la Marne, elle etait devenue Fen- 
Irepot du nord et du centre de la France. 
L'industrie des transports par eau s'y etait 
particulierement developpee. Les marchands 
ayant bateaux sur la Seine s'etaient asso- 
cies y constitues en corporations j et avaieot 
obtenu, moyennant paiement d'une grosse 
redevance et Tobligation de partager avec le 
roi les benefices que rapportait leur associa- 
tion , le privilege exclusif de la navigation 
de la Seine en amont jusqu'a Melun, en 
aval jusqu'a Mantes. Ce privilege avail fait 
d'eux la plus puissante corporation qui fut 
en France. Peu a peu leurs chefs principaux 
avaient pris la place de la vieille muni- 
cipalite gallo-romaine qui depuis des siecles 
administrait la cite; leur prevot etait de- 
venu le personnage le plus important de 
la ville. A cote d'eux, d'autres corporations 



— 69 — 

avaienl gr^ndi, dont les cliefs^ unis au 
prevot des niarcbands de Teaii, avaienl cons- 
ilium line sorle de conseil auquel etait passee 
bienlol, par la force meme des choses, Tad- 
niinislration des interels de Paris entier, 

Alors que les villes du centre et di| nord de 
la France bouleversaient, avec le concours de 
dela royaule, leurs conslilulionsmunicipales, 
pour y donner place plus large a relemeht 
democralique, Paris avail conserve inlacle 
Torganisation particuliere que les circons- 
lances memes lui avaienl donnee. Nulle 
plainte ne s'elait elevee conlre Tadminislra* 
lion du prevot et de ses assesseurs les eclie- 
vins. La masse populaire, aiileurs si agilee el 
si inipaliente, etait demeuree invariablement 
attachee a ses magistrals. Paris avail tra- 
verse sans irop grands desordres la periode 
tourmenlee qui s'etend de la fin du xii* siecle 
a la seconde moitie du xiv«, Ce calme rela- 
lif avail eu deux causes principales rdrga?- 
nisalion particuliere de la municipalile pa- 



— 70 — 

rfeienne el la rare intelligence des magistrals 
qqi Tavaient dirigeeA 

L'organisalion miinicipale de Paris avail 
pour base, d'abord les corporations et les 
confreries, ensuite les assemblees de quarlier. 

Aux corporations proprement dites etaient 
affilies tons ceux qui, a Paris, s'occupaient 
d'operations commierciales et industrielles : 
et, c'eta^it le plus grand nonibre. Beaucoup 
d'individus parmi ceux qui n'exercaient ni 
commerce pi industrie y etaient egalemeni 
agreges, 

. Les aulres faisaient partie de ce qu'on aip- 
pelait les confreries. Ces confreries, fort anr 
ciennes pour la plupart, admettaient dans 
leurs rarigs les plus humbles des habilatits 
comme les plus ricjies. Leurs membtes etaient 
unis sans distinction de condition sociale par 
les liens les plus etroits. Les dignitaires de 
ces confreries etaient eleclifs comme la. plu- 
part des chefs des corporations. 
- La ville etait trpp grande po^r qu'U y ejCU 



— 71 -^ 

souvent a Paris , ainsi que cela se praliquait 
ailleurs, des assemblees generates de tous 
les habitants. Les Parisiens se reunissaieiit 
liabituellement par quarliers pour discuter 
leursinterelscommuns. Chacun avait le droit 
de prendre la parole, d'exprimerses opinions 
avec line liberie enliere, sans autre limite a 
cette liberie que les convenances des audi- 
leurs. Tous ceux qui assislaient a ces reunions 
etaient voisins , se connaissaient bien les uns 
les autres , s'appreciaient a leur juste valeur. 
Aussi les reunions elaient-elles habiluelle- 
ment calmes. Les gens intelligents et hono- 
rables y exercaient une salutaire influence. 
Pour president les habitants du quartier 
choisissaientTun desleurs, homme important 
d'ordinaire, distingue par ses talents et par 
ses vertus, et quicommandait en menie temps 
les milices bourgeoises, 

Parmi les plus anciens de ces chefs de 
quartier, ceux des corporations et des con- 
freries, etaient pris les 24 prud'hommes qui^ 



ayec If^ clerc de la marcliandise , les echevins 
et le prevot des tnarcliands, composaienl la 
muiiicipalite parisienne. 

C'elaient eux qui arrelaienl et presentaienl 
la lisle de trois Candida Is sur laqiielle le 
corps de \ille devait choisir le prev6t. 

Celui-ci n'elait done pas Telu de la po- 
pulation entiere^ mais il n'elait pas non plus 
Telu d'une pelile oligarchie de privilegies. 
Chacun des personnages qui concourail a 
Teleclion du premier magislrat de la \ille, 
etait lui-meme le representant elu de Tune 
des categories de ciloyens dont la reunion 
constituait Tagglonieralion parisienne. Le 
prevot, etait ainsi le produit d'une sorle 
d'eleclion a deux degres. 

De la etait venue sa force. . . 

L'application du principe democralique dc 
Teleclion direcle aux magistralnres d'un 
ordre eleve n'est point sans presenler de 
graves inconvenients. Si le vote populaire 
ecarte quelquefois des grandes fohctions les 



— 73 — 

incapacites que Theredite ou le privilege 
pourraient y amener, elle ecarle aussi , le 
plus souvent, les gens de haute \aleur. La 
faveur populaire ne va pas toujours a qui en 
est le plus digne, mais a qui sait mieux 
tirer parti des passions abjectes qui agitent 
d'ordinaire les bas-fonds des villes. La demo- 
era tie , c'est a la fois son defaut et la prin- 
cipale de ses qualites, est tracassiere et ja- 
louse. Elle se defie de quiconque depasse le 
niveau commun^ elle est, avant tout, le re- 
gime des mediocrites. Leprev6t, issu d'une 
election a deux degres, etait un magistratassez 
populaire pour n'avoir point, comme les 
chefs des petites oligarchies municipales, a 
lulter contre le mauvais vouloir des ci* 
toyens ecarles du vote. Mais, en meme 
temps , il etait assez independant du petit 
peuple pour ne pas s'inquieter, avant 
: tout, de lui plaire et n'elre point oblige 
de subordonner ses agissements a I'appro- 
bation immediate de gens qui ne pou- 

5 



— Ik — 

vaient pas toujours en apprecier la porlee. 

A cetle organisation Paris dut d'avoir, 
pendant de longues annees, des magis- 
trats d'une superiorite incontestable sur 
leurs coUegues des provinces. Alors que, 
dans les autres bonnes villes, Telection 
directe par le peuple, ou le choix royal, 
ecartait des hautes fonctions municipales 
les esprils distingues , les afTaires parisiennes 
furent, presque sans interruption, diri- 
gees par des hommes fort capables. Ce fut 
rhonneur de quelques grandes families bour- 
geoises de fournir a la ville la plupart de ses 
prevots et de ses echevins. Dans ces families 
se conservaient intactes les vieilles tra- 
ditions municipales* Les jeunes gens y re- 
cevaient une education qui les mettait en 
mesure de remplir avec aisance et dignite 
les charges eminentes auxquelles ils pouvaient 
prelendre. 

A la difference de la plupaft des oligar^ 
chies communales^ Taristocratie parisienne 



— 75 — 

sut gouverner le peiiple de Paris sans blesser 
aucune des susceplibililes de ses conciloyens 
plus humLles. Elle n'avait jamais impose ses 
volonles au petit peiiple; elle avail, au con- 
Iraire, subordonne, et a\ec le plus grand soin, 
sa conduite aux aspirations de Fopinion pu- 
blique et reussi, de cette facon, a s'assurer les 
sympathies de tous. La tranquillite, qui avait 
regne a Paris , avait retire a la royaule tout 
pretexle d'intervention. Paris avait conserve 
loutes ses franchises. C'elait, a la fin du 
moyen age, la cite de France la moins demo- 
cratique , mais aussi la plus libre , la mieux 
ordonnee, la plus puissante. Ses magistrats 
jouissaient , dans toute le royaume , d'un 
grand renom d'inlelligence et d'integrile ; ils 
disposaient a la fois d'une force materielle et 
d'une influence morale considerables. Quel- 
que independantes que les villes fussent ou 
pretendissent etre les unes des autres , Texem- 
ple de la capitale devait peser d'un grand 
poids sur la conduite de ses soeurs de province* 



— 76 — 

Paris ne failiit pas a son role. 

Le prevot des marchands, alors en fonc- 
lions J etait iin bomrne du plus haut merite , 
6lienne Marcel. Elienne Marcel appartenait 
a line vieille famille bourgeoise; ses ancetres 
avaient rempli les plus bautes magistratures 
municipales. Quant a lui, mele depuis longues 
annees a la politique , il passait pour Tun des 
administrateurs les plus babiles qui eus- 
sent jamais rempli les difficiles fonctions de 
prevot des marcbands: Depute de Paris aux 
elats generaux de 1 355, il s'y elait fait remar- 
quer entre tous. Les deputes des bonnes villes 
Tavaient cboisi pour orateur. Il avaitete Tun 
des principaux proraoteurs des reformes re- 
clamees par les etats dans leur derniere 
session. Quelques-uns des ^cbevins avaient 
egalement siege aux etats generaux; ils 
etaient en pleine communion d*idees avec 
leur cbef. 

A la premiere nouvelle du desastre de 
Poitiers , Marcel fit meltre Paris en etat de 



— 77 — 

defense , les faubourgs furenl rases , une nou- 
\elle enceinte conslruile, le peuple appele 
aux armes. Les milices bourgeoises se consli- 
luerent avec une grande rapidite et elurent 
leurs officiers. 

Bienl6t plus de 20,000 hommes furent 
armes et organises ; des taxes nouvelles vo- 
tees par le corps municipal , pour faire face 
aux depenses, et acceptees sans difticultes 
par la population parisienne. 

Lorsque le due de Normandie, fils aine du 
roi, et Tun des fugitifs de Poitiers , arriva a 
Paris , il trouva la ville prele a faire face a 
Tennemi. Le dauphin etait a la merci des 
magistrats parisiens, oblige de se soumettre 
a leurs conseils et a leur direction. Marcel 
et ses coUegues ne s'imaginerent point qu'il 
leur flit permis de profiler de la faiblesse 
du representant de Tautorite royale, pour 
entreprendre eux-memes , en son nom , les 
reformes politiquesqu'ils projetaient. lis ne 
pensaient point encore que les elus de la po- 



— 78 — 

pulation parisienne eussent le droit d^iinposer 
leur volonte aux bourgeois des autres villes. 
lis faisaient a ceux-ci riionneur de croire que 
pareille usurpation serait energiquement com- 
battue. lis se contenterent de demander 
au due de Norrnandie la convocation imme- 
diate des etats generaux. 



Ces elats se reunirent le i3 octobre. Uy 
\int peu de nobles, et, parmi eux, aucun qui 
eut quelque importance politique 

Petit fut le nombre des deputes du clerge, 
considerable, au contraire, celui des deputes 
des villes. Les populations urbaines avaient 
compris qu'apres le desastre qui venait de 
frapper la France, il fallait qu'elles s*enten- 
dissent enlre elles, qu'elles combinassent 
leurs efforts pour assurer la defense com- 
mune. Elles avaient compris qu*au-dessus 
des interets locaux qui avaient ete jusqu'alors 
leur preoccupation principale, il y avait 



les interets du pays tout entier. Le desastre 
de Poitiers , de tous les elements epars qui 
j usque-la avaient forme le royaume de France, 
venait de faire la nation. 

Parmi les deputes des villes, et pour la 
premiere fois peut-etre depuis que les bour- 
geois siegeaient aux etats generaux,beaucoup 
exercaient dans leur pays des etats assez 
humbles. II y avait des cabaretiers^ des tisse- 
rands, bon nombre de petits marchands. li 
semblait que les populations urbaines se de- 
fiassent deja non-seulement de la royaute et 
de la noblesse, mais aussi de ceux des siens 
que la richesse ou Timportance personnelle 
semblaient rdpprocher des classes privilegiees. 
Toutefois la majorite des deputes se compo- 
sait encore de gros bourgeois. Si les vieilles 
families municipales n'ayaient plus seules 
riionneur de sieger aux etats , du moins la po- 
pulace n'avait-elle pas encore de represen- 
tants. On comptait aux etats des legistes et des 
membres du corps enseignant, des profes- 



— 80 — 

seurs de theologie ou de droit. Quelques-uns 
avaient deja fait partie des etats pendant les 
dernieres sessions. Le role qu'avait joue 
Marcel dans Tassemblee de Tannee prece- 
dente, la situation qu'il occupait a Paris, la 
faveur dont il jouissait dans le peuple , Te- 
nergique impulsion qu'il avait donnee aux 
mesures de defense nationale faisaient du 
prevot des uiarchands riiomme le plus im- 
portant du moment et lui assuraient dans les 
etats une influence preponderante. Sur son 
initiatives, une commission de quatre-vingts 
membres fut chargee par les etats de 
preparer le travail de Tassemblee. Cette 
commission fut composee avec le plus grand 
soin. Le tiers y envoy a Teiile de ses deputes, 
Marcel , deux echevins de Paris , Robert de 
Corbie , d'Amiens. Les bourgeois trouverent 
dans la plupart des commissaires du clerge 
un concours precieux. Ces commissaires, 
a part quelques hauts dignitaires, etaient 
lous d'extraction roturiere; c'etaient des doc- 



— 81 — 

leurs de Sorbonrie, des membres de TUni- 
versile. Le plus eminent des representanls 
du clerge, Teveque de Laon, Robert Lecoq, 
sortait lui-meme d'une famille bourgeoise. 
Cetait Tami de Marcel ; il partageait la plu- 
partdes opinions de celui-ci, et dans les com- 
plications qui suivirenty ne lui marchanda 
point son alliance. Les commissaires de la 
noblesse, mandatairesd'unordre quesa con- 
duite a Poitiers avait deshonore aux yeux de 
la nation, incapables d*ailleurs de s'occuper 
desafTairespubliques, ne penserent meme pas 
a lutter contre Tascendant pris par les depu- 
tes de la bourgeoisie. Ceux-ci inspirerent 
seuls le travail de la commission. Ce travail, 
soumis aux etats, fut ratifle par eux sans 
difficulte. 

Les etats accordaient au dauphin aide suf- 
fisante pour soudoyer 3o,ooo liommes d'ar- 
raes. L'imp6t necessaire a Tentretien de ces 
hommes d'armes devait etre supporte par 
lous les sujets du roi sans exception. II frap- 

5. 



— 82 — 

pait egalement les villes, le clerge et la no- 
blesse et afTectait la forme d'un imp6t sur le 
revenii , sanf dans le plat pays oil chaque cen- 
taine de feiix devait entretenir un homme 
d armes. Mais cette aide n'etaitaccordeequ a 
certaines conditions. Les etats reclamaient la 
mise en liberie dn roide Navarre, qncore em- 
prisonne, et Texpulsion immediate des offi- 
ciers qui entouraient et conseillaient le due 
de Normandie. N'osant on ne voulant s'en 
prendre a la royaute elle-meme de la mau- 
vaise direction donnee auxafTaires du pays, 
les deputes des villes faisaientremonter a ces 
officiers la responsabilite des malheurs qui 
avaient frappe le royaumeet de la mauvaise 
administration sous Tetreinte de laquelle il 
gemissait. 

Ces deux reclamations etaient graves; elles 
impliquaient de la part des deputes aux etats 
la volonte bien arretee d'intervenir en des 
matieres oil, jusqu'alors, la prerogative royale 
s'etait exercee Sans controle. 



— 83 — 

Les pretentions des elats allerent plus loin 
encore. Non contents d'obliger le dauphin a 
se separer des anciens conseillers de son pere, 
ils demanderent que dorenayant le conseil 
du roi fut compose de delegues nommes par 
les etals. 

Cetait iin principe de droit public en 
France, si Ton pent appeler droit public Ten- 
semble des habitudes administratives de la 
royaute, que le roi devait en certains cas 
prendre ra\is de son conseil. Cette obligation 
constitution nelle ne presentait en pratique 
aucun interet, d'abord parce que jamais le roi 
n'etait oblige d'avoir egard a Topinion de ses 
conseillers et ensuite parce que n*lavaient siege 
au conseil que des gens qu'il avail convenu 
au souverain d'y appeler. Si de temps a autre 
on avail compte parmi les conseillers royaux 
quelques hommes de merite, appartenant au 
clerge ou aux cours souveraines, le conseil s'e- 
tail compose le plus souvent degensn'ayant 
pour remplir une aussi haute dignite d'autre 



— 84 — 

litre que la faveur royale. Le roi n'avait a 
rendre comple a personne de ses choix ; il ap- 
pelait ou congediait ses conseillers sans avoir 
d autres regies a suivre que son bon plaisir. 
Les etats entendaient faire de ce rouage, 
jusqu'alors inutile y de radininistration publi- 
qiie , une institution politique serieuse, con- 
traindre le roi a ne prendre aucune mesure 
de quelque gravite sans Fa vis prealable de son 
conseil, et assurer en meme temps Find^pen- 
dance de celui-ci, en retirant a la royaute le 
choix des membres qui devaient le composer. 
Les conseillers devaient etre au nombre 
de 28 (i), et ne dependre que des ^tats^ les- 
quels ayant seuls le droit de les nommer, 
avaient seuls qualite pour les revoquer. Cette 
reorganisation du conseil presentait pour le 
pays de grands avantages. Non-seulementelle 
rendait effectif le contr6le du conseil sur les 

(i) Ce nombre fut plus tardport^a 34 et mdme a 36. On ne 
sail exactement a quel ifioment et pour quel motif Porgsini- 
sation primitive fut moditiee. 



— 85 — 

acles de laroyaute^ mais elle faisait de la reu- 
nion frequente, sinon periodique, des etats 
generaux une etroite necessite pour le souve- 
rain^et remettait,en realite, la haule direc- 
tion de la politique et de Tadministration du 
royaume aux mains de Fassemblee. 

A ces conditions les etats accordaient an 
due de Normandie Taide qu'il avait deman- 
dee. Encore reservaient-ils expressement la 
liberie d'action de leurs commettants. lis de- 
claraient rormellement que le vote des etats 
ne recevrait execution qu'autant que Taide 
votee plairait aux gens des trois etats^ par les- 
quels les deputes avaient ete envoyes. 

Cette reserve avait pour but de prevenir 
les protestations dont le vote d'imp6ts con- 
traires aux franchises locales avait ete Tocca- 
sion dans d'autres circonstances, de mettre la 
nation tout entiere ou du moins tout ce qui 
comptait dans la nation , a meme de se pro- 
noncer sur le uierile des reformes pro- 
posees par les deputes^ et de donner ainsi 



— 86 — 

plus de poids aux requetes de Tassemblee. 

Plut6tque de cedera ces prelentioris, le diic 
deNormandie prorogea les etats au 3 noVenQ'- 
bre suivanty bien resolu si a cette date il n a- 
vait pas reussi a modifier les dispositions des 
deputes, aajourner indefiniment la reunion. 

Les efforts qu'il tenia dans cebut etant res- 
lesinfructueux, il negligea'en effetde convo- 
quer les etats a Tepoque fixee lors de la pro- 
rogation, se bornant, le 2 novembre, a appeler 
aupres de lui j^tienne Marcel et les ^chevins 
de Paris sous pretexte de les consulter offir 
cieusement sur la necessite d'une prorogation 
nouvelle, mais en realile pour leur intiraer 
ses resolutions tout en les faisant passer aux 
yeux des bonnes villes de province pour des 
complices. Cetait un veritable coup d'Etat. 
Les deputes parisiens, d'accord avec quelques 
autres membresdes etats presents a Paris, re- 
pondirent par un autre coup d'Etat. Ilssereu- 
nirent sans convocation, et, sur la motion de 
I'evequede Laon, qui prononca im discours 



— 87 — 

brt \if, et oii la snperiorite des eta Is siir la 
*oyaiiteelle-m^meetait formulee ayecaudace, 
leciderent : que lecture publique serait don- 
lee des projets de reformes arretes par les 
katsa la derniere session, que communica- 
ion officielle de ces resolutions serait faile 
par les deputes a leurs commettants. Ceux-ci 
ie trouvaient ainsi charges de juger en der- 
nier ressort le different souleve entre leurs 
mandataires et la royaute. 

La mesure etait hardie. 

Les agents du due de Normandie se repan- 
dirent dans les provinces, accusant les depu- 
tes da tiers d'avoir trahi le mandat qui leur 
avait ete donne par leurs conci to yens, de n'a- 
voir rien Fait pour le menu peuple, poursuivi 
qu'un but, assurer aux principaux d'entre 
eux sous couleur de reformes de grandes 
positions dans TEtat. Le due expedia aux 
bonnes villes des leltres royaux, oii il repro- 
duisait ces accusations. 

A Soissons, autrefois ville de commune, 



— 88 — 

mais qui s'etait '< abandonnee au roi » 
et avail volontairement resigne entre les 
mains de celui-ci ses anciennes franchises 
communaleSyles gens du bas peuple mallrai- 
terent les deputes qui avaient ose mal parler 
du prince et desobeir a ses ordres. Mais la 
grande majorite des bonnes villes approuva 
les resolutions prises par ses deputes. Cette 
adhesion aura it dd ouvrir les yeux du due de 
Normandie sur les veritables sentiments du 
pays. II n'en fut rien. Le due s'imagina qu'il 
aurait meilieur marche des villes en s'adres- 
sant a elles directement et separement. II en- 
voya dansles provinces des commissairesavec 
mission de demander, au nom des besoins du 
royaume, Toctroi d'une aide nouvelle. Ces 
commissaires echouerent presque partout. 
Dans les provinces qui se montrerent le 
mieux disposees, Taide ne fut accordee qu'a 
des conditions qui la rendaient a peu pres 
illusoire. En Auvergne^ les etats stipulerent 
que le produit des taxes serait employe a la 



— 89 — 

defense dela province meme; enLanguedoc, 
I'aide votee par les etats fut refusee par les 
habitants. 

A bout de ressources^ le due de Normandie 
tenta dese procurer de Targent en modifiant 
le titre des monnaies. Un arrete du prev6t 
interdit aux marchands de Paris , de faire 
usage dans leur commerce^ de la monnaie 
nouvelle. Le ducordonna a Marcel de rap- 
porter cet arrete, et sur le refusdu prev6t, 
menaca de le faire inettre en prison. Marcel 
fit appel a la population parisienne ; les mar- 
chands fermerent leurs boutiques , les mat- 
tres ouvriers leurs ateliers, les chefs des con- 
freries, les syndics des corporations reunirent 
leurs hommes. Paris entier prit les armes (i). 
Le dauphin ne disposait pas de forces suffi- 
santes pour engager la lutte : il capitula , ap- 
pela aupres de lui le pre vot des marchands, les 
echevins et les principaux des corporations 

(i) Janvier iSSy. 



— 90 — 

el leur annonca qu'il rapportalt Tedit mone- 
laire, qu'il allait reunir ks etats generaux, et 
congedier les officiers dont les etats avaient 
a la session derniere demande le renvoi. 

La victoire du peuple dc Paris etait com- 
plete. II lui avait i»t^ de s'armer pour que 
la royaute cediit devant lui. II avait en un 
jour, sans lutte, par le seul ascendant de la 
force dont il disposait, arrache a la royaute 
des concessions que les efforts des etats ge- 
neraux, pendant plusieurs sessions, n'avaient 
pu obtenir d'elle. Reduits a eux-memes, les 
bourgeois avaient ete impuissants, Tappui du 
menu peuple avait suffi pour assurer leur 
succes. II etait done acquis que, si les bour- 
geois avaient Tintelligence , le peuple seul 
avait la force. II y avait la un enseignement 
dont le due de Normandie devait faire son 
profit. 

Les etats furent convoques pour le 5 fe- 
vrier. Les deputes des bonnes villes etaient 
pen nombreux. Une lutte paraissait pro- 



— 91 — 

a|3le entre les representarils de la royaule 
t .les etats. Beaucoup de deputes prets a 
rofiter du succes , s'il couronnait les efibrls 
le leurs coUegues, etaient pen disposes a 
lartBger avec ceux-ci les ennuis et les dan- 
ers d'une guerre ouverte conlre le dauphin, 
'outefois, aucun de ceux qui s'etaient fait, 
. la derniere assemblee , reinarquer par leur 
alent ou .leur energie , ne manquait a son 
loste. Les etats commencerent par decider 
[ue les resolutions arretees Tannee prece- 
lente serviraient de point de depart a leurs 
louveaux travaux. Ces resolutions, soumises 
L {'approbation des bonnes villes et acceptees 
)ar elles, ne subirent, au cours de la session , 
|ue de legeres modifications. Sur un seul 
)oint, les deputes se departirent de leurs an- 
nennes exigences. lis n*insisterent point sur 
a mise en liberte du roi de Navarre. Mais ils 
naintinrent energiquement toutes les autres 
reclamations qu'ils avaient primilivement 
brmulees. 



— 92 — 

Les resolutions des etats fiirent oflRcielle- 
ment, le 3 mars^ communiquees au due 
de Normandie par I'eveque de Rouen au 
nom du clerge, un chevalier au nom de ia 
noblesse 9 un bourgeois au nom du tiers. 
Apres ces Irois oraleurs , le prev6t des naar- 
chands , Marcel , porta la parole au nom de 
Pariji. 

Les services rendus par la population pa- 
risienne a la cause nationale autorisaient sans 
doute les parisiens a parler en leur nom pro- 
pre , et a donner separement leur avis sur les 
affaires de TEtat. Mais beaucoup de deputes 
des bonnes villes trouverenl que les deputes 
de Paris faisant, comme ceux des autres cites, 
parti du tiers etat, n'auraient point du se se- 
parer, en pareilles circonstances, de leurs 
collegues des provinces, et qu'ils eussent 
mieux fait de charger Torateur du tiers etat 
de parler pour eux comme il avait fait pour 
tons les autres. 

Le discours de Marcel etait le manifeste 



— 93 — 

d*un pouvoir nouveau , qui allait disputer a 
la royaiile et aux elats le gouvernement des 
affaires nationales. 

Sans argent et presse d'en obtenir, le due 
de Norrnandie acquiesca a toutes les de- 
mandes. Le 3 mars iSSy, elait prontulguee 
Line ordonnance en soixante articles a la- 
quelle les contemporains ont donne le noni 
de grande ordonnance, et qui, complelee par 
d'autres ordonnances enjoignant des pour- 
suites conlre les officiers royaux denonces 
paries etals, et constituant aupres du roi un 
conseil a la nomination des trois ordres, 
fondait reellement le gouvernement du pays 
par le pays. 

Les principales dispositions de ces ordon- 
nances reproduisaient les resolutions prises 
par les etats, les annees precedenles. 

Le roi nepouvait, dans toutes lescircons- 
tances d'importance agir sans prendre Favis 
du conseil. Les etals generaux demeuraient 
charges de decider seuls les questions de paix 



— 9i — 

oil de guerre, pouvaient seuls autoriser Tappel 
de rarriere-ban. lis votaient rimp6t, le le- 
vaienl eux-memesou par delegues , en contro- 
laient i'emploi et veillaientace qu'il fut afTecte 
aux fins pour lesquelles il avail ete vote. Des 
commissaires, nommes par eux , surveiliaient 
la fabrication des monnaies, lesquelles de- 
vaient etre confornies a un etalon depose 
entre les mains du prev6t, et ne pouvaient 
elre arbitrairement modifiees. L'inviola* 
bilite des deputes etait assuree, autant 
que Tepoque le permettait, par une dis- 
position qui les autorisait a se faire es* 
corter d'hommes armes pour leur defense. 
Nul ne pouvait contraindre les sujets du 
roi a acquit ter d'autres contributions que 
celles consenlies par eux ou leurs delegues. 
f.e roi devait, ainsi que tons les princes, 
payer ses dettes« Le droit de prise etait sup- 
prime. Tous les Francais devaient contribuer 
a la defense nationale , scanner toiis sans dis- 
tinction de classes * II etait interdit aux nobles 



— 95 — 

il aux gens d'armes de quitter le royaume 
3endant la guerre. 

Suivaient d'autres dispositions eminem- 
nent utiles , s'appliquant a des sujets divers^ 
I Tadministration de la justice notamment, 
retirant ku roi le droit qu'il s'etait arroge 
jusque-la^ d'arreter, quand il le jugeait a 
proposy les poursuites criminelles. Mais ces 
iispositions 9 quelque interessantes qu'elles 
fussenty n'avaienttenudans Tesprit desredac- 
teurs de Tordonnance qu'une place secon- 
daire. Les reformateurs, les Marcel, les Tous- 
sac , avaient compris que toute tentative de 
reforine, pour ^tre eflicace^ devait commencer 
par en haut; qu'il serait facile, lorsque tout 
pouvoir effectif dans le royaume serait aux 
noains des delegues des ^tats generaux, de^ 
parer aUx abus de detail, que Timportant 
etait, pour le momentj d'assurer la prepon- 
derance du conseil. Dans ce conseil, les 
<x>mmissaires de la noblesse et du clerge ne 
sauraient lutter longtemps contre Tinfluence 



— 96 — 

des bourgeois plus rompus qu*eux aux af- 
faires et dans les mains desquels, par la force 
menie des choses, se concentrerait bient6t le 
gouvernement du pays. Vers ce but avaient 
tendu leurs efforts. 



§11. 



Rivalii^ entre Paris et Ics vlllcs de province* — 
ProJets]aiitiiiynastiqu€»i. — Intervention de la po- 
palace dans la politique. 



Marcel et ses amis avaient^ en agissant 
ainsi y fait preiive de sens polilique. Mallieu- 

reusement, leur oeuvre ne fut pas appreciee 
par leiirs contemporains a sa jusle valeur. 
Les petiles gens des \illes elaient incapables 
encore de saisir la porlee des reformes pre- 
parees par les elals et les accueillirent a\ec 
indifference, sinon avec niecontenlement. 
En reclamant pour eux-memes le soin de 
lever Timpot au lieu de se borner a en con- 
troler la perception et Temploi, les eta Is 
avaient commis une faule lourde. Les peu- 



— 98 — 

pies ne raisonnent pas, ils sentent et font 
retomber d'ordinaire lout Todieux d'une 
mesure qui lese leurs interels, non sur celui 
ou ceux qui ont rendu cette mesure necessaire, 
mais sur celui qui Tapplique. En matiere 
d'impot specialement , la mauvaise humeur 
du conlribuable s'attache a celui percoil 
plutot qu'a celui qui est cause de la perception . 
Toute assemblee qui accorde un subside au 
pouvoir execulif doit done laisser a celui-ci 
la peine de lever ce subside, et se bien garder 
d'intervenirelle-nieme dansle recouvrement 
a peine de se depopulariser. Cest ce que ne 
previrent pas les elats. Dans le desir d'eviter 
des malversations, que la conduite habituelle 
des agents royaux pouvait faire redouter, ils 
se chargerent eux-memes de la perception , 
de Taide au lieu d'imposer ce soin au due de 
Normandie, qui en aurait ainsi recueilli tout 
TodieuXi Les consequences de cetle faule ne 
tarderent point a se faire sentir. Dans la plu- 
part des villes j Targent reclame par les de- 



-r- 99 — 

legues des elats passa pour eire leve dans 
Tinteret exclusif de ceux-ci on du moins de 
ceux des deputes qui avaient joue dans las- 
sembleeun role plus important, et etaient 
ainsi parvenus a la notoriete. Les petites gens 
soupconneux et jaloux , comme il convenait 
a des democrates , incapables d'attribuer aux 
actions de leurs chefs d^autres mobiles que 
ceux qui dirigeaient leurs propres actions, es- 
timerent que Teveque de I^on , le prevot des 
marchands, les echevins de Paris, qui avaient 
inspire les resolutions des etats, n'avaient pu 
etre guides que par des considerations d'in- 
teret personnel. Beaucoup de personnes, en 
voyant lever Timpot par les delegues des 
etats, se dirent que le produit de cet impot 
ne devait point, plus que les precedents , etre 
employe en vue du bien public, que seule- 
ment il profiterait a d'autres qu'au roi. Ces 
idees, malgre tous les efforts des bourgeois 
intelligents, s'etaient repandues parmi les 
artisans et petits marchands. L'aide ne put 



— 100 — 

eire percue qu'avec une peine extreme. 
Les delegues furent conlrainls de recourir a 
des mesures de coercilion qui augmenterent 
encore les niauvaises dispositions des popula- 
tions. 



A ces causes de mecontentement \enaient 
d*ailleurs se joindre^ dans la plupart des 
villes, d'autres raisons d'hostilite. Le due de 
Normandie en promulguant Tordonnance, 
avait , des alors^ convoque les deputes pour 
une nouvelle session , qui devait commencer 
le lundi de la Quasimodo suivant. 11 avait 
demande aux deputes presents d'etre exacts 
a la reunion fixee, et pour stimuler leur exac- 
titude il avait declare que les mesures prises 
par Tassemblee prochaine seraient obligatoires 
pour les villes non representees conime pour 
celles qui auraient envoye des deputes. Des 
lettres royaux concues en ce sens avaient 
ete expediees aux bonnes \illes. 






— 101 — 

Le principe que la,volonle de la majorite 
peut engager les dissidents a\ait ele toujours 
conteste par les populations urbaines. Pre- 
tendre souniettre celles-ci a un impot vote 
• par une assemblee ou n'auraient pas siege 
leurs deputes y parutaux bourgeois des pro- 
vinces une insupportable tyrannie , et la vio- 
lation de leurs plus cheres franchises. Aussi la 
declaration et les lettres souleverent-elles une 
vive emotion. Les villes commencerent a se 
defier des reformes qui des I'abord se tradui- 
saient pour elles en une menace , et une en- 
treprise contre leur independance ancienne. 

On savait que c'etait sous la pression de la 
ville de Paris, que le due de Normandie avait 
de nouveau convoque les etats et cede aux 
demandes que ceux-ci avaient faites. On se 
souvenait qu'aux etats la ville de Paris avait 
cherche a se faire une place a part. On re- 
marquait que les principaux magistrats pa- 
risiens, avaient ete designes pour faire partie 
de la commission qui remplacait I'ancien con- 

6. 



— 102 — 

sell du roi. On pensait^ que la declaration dii 
dauphin avail ete inspiree par Marcel et ses 
amis. Les bourgeois des provinces se persuade- 
rent que tous ces progres pretendus n'etaient 
qu'un moyen detourne de meltre aux mains 
des prevot, echevins et peuple de Paris le 
souverain pouvoir en tout le royaume, et de 
reduire les autres cites en servitude. 

D'autre part, les membresde la noblesse et 
beaucoup de hauls dignitaires du clerge, 
voyaient avecun profond mecontentement, 
des bourgeois, trois ou quatre avocats, un ou 
deux professeurs de droit ou de divinite , des 
marchands et quelques magistrals de la \ille 
de Paris, enlreprendre de diriger toutes cho- 
ses en TElat, et marcher de pair avec les plus 
hauts barons , et les plus reveres prelals du 
royaume. lis parlaient avec aigreur de ces 
usurpateurs de bas etage, et se monlraient fort 
raal disposes a leur egard. 

Les anciens conseillers royaux congedies 
sur la demande des etats, profilerent avec 



— 103 — 

habilete de cet elat de Topinion; sur leur 
avis une treve fut conclue avec les Anglais. 
Aiissit6t que cette treve fut signee, le roi Jean, 
ecrivit d'Angleterre qu'il renoncait aux sub- 
sides demandes par le due de Normandie , 
et qu'en consequence, les bonnes villes 
n'avaient point a tenir comptQ des voles des 
etats. 

C'etait une manoeuvre habile, et dont 
Marcel et ses collegues au conseil compri- 
rentla portee;la plupart des gentilshommes 
originairement cTioisis par les etats pour'faire 
partie de la commission qui devait assister le 
dauphin, avaient cesse de se rendre aux sean- 
ces ; les commissaires du tiers etat et surtout 
les deputes de Paris avaient seuls continue 
d'y vehir. 

Appuyes sur la population parisienne qui, 
a la difference des bonnes villes de province, 
ne croyait pas en payant Timpot, acheter Irop 
cher les reformes dont Tordonnance dolait le 
pays, etquiavait d'ailleurspleineconfiance en 



— 104. — ' 

ses niagistratSy les membres de la commission 
des 36 conlraignirent le due de Normandie a 
ordonner, nonobstant les volonles du roi, 
que le subside vole par les etats continueraita 
elre leve , que les ordonnances seraient exe- 
culees selon leur forme et teneur, et a de- 
clarer que la reunion des etais restait fixee au 
lundi de la Quasimodo. Le coup cependant 
avail porle^ et la leilre du roi Jean produil 
TefTel prevu parceux quiFavaient conseillee. 
Les calomnies repandues depuis quelque 
lemps contre le prevot des marchands etses 
coUegues de la commission allaient prendre 
loules les apparences de la verile. Pourquoi 
donCy allait-on se demandef dans les villes, 
ces hommes continuaient-ils a percevoir un 
impot dont le roi ne voulait plus? Quel usage 
voulaienl-ils done faire de cet argent qu'ils 
arrachaient au pauvre peuple, et dont le roi 
declarail n'avoir aucun besoin? Tout cela ne 
prouvait-il evidemment que la conduite des 
soi-disants reformaleurs n'avait ele inspiree 



— 105 — 

que par des visees d'interct ou d ambition 
personnelle? 

La plupart des \illes ne cacherent plus les 
sentiments d'hoslilile tres-vive qu'elles nour- 
i rissaient centre les nouveaux conseillers du 
dauphin , et refuserent de payer Timpot. Si 
grande fut la confusion produile dans le pays 
par les ordres contradictoires du due de Nor- 
mandie et du roi, que les etats convoques 
pour le lundi de la Quasimodo ne se reunirent 
qu'a la fin d'avril, et se separerent sans rien 
arreler. 

Bient6t, le due de INormandie se crut assez 
fort pour se debarrasser d'une tutelle qui lui 
semblait pesante et fit savoir a Etienne Mar- 
cel et aux autres membres de la commission ^ 
qu'il se passerait dorenavant de leur assis- 
lance, et pourvoierait lui-meme au gouverne- 
ment du royaume (i). 

Les commissaires se soumirent sans resis- 



(i) Aoul 1357. 



— 106 — 

tance. lis auraient pu faire appel au peuple 
de Paris qui ne leur aurait pas marchande 
son concours, mais ils savaient que Topinion 
generale dans les bonnes \illes leur etait con- 
traire, que toule demarche par eux faite 
pour conserver le pouvoir que les etats leur 
avaient confie , serait mal inlerpretee par la 
masse de la population. Ils prefererent done 
attendre , pour ressaisir ce pouvoir, un revi- 
rement de Topinion, qui ne pouvait tarder 
longtemps a se produire. 

Les evenemenls justifierent leur prudence. 
Le due, apres avoir congedie la commission, 
s'etait hate de quitter Paris et avait parcouru 
rUe-de-France, la Normandie, une partie de 
rOrleanais. II esperait que les provinces lui 
fourniraient Targent dont il avait besoin. Son 
attente fut trompee. II essaya, en remettant en 
vente, contrairement aux dispositions de Tor- 
donnance, le tabellionage et les prev6tes, de 
se procurer quelques ressources. 11 n'y reussit 
pas, mais il indisposa profondement les 



— 107 — 

populations qui, directement lesees par les 
agissements du jeuiie prince , ei effrayees de 
ses demandes d'argenl , se prirent a regretter 
d'avoir abandonne les reformaleurs. Des reu- 
nions publiques furent tenues en beaucoup 
d'endroits ou les nouveaux edits du due de 
Norniandie furent I'objet de violentes criti- 
ques. A Amiens notamment , I'animation des 
'bourgeois fut tres-vive, et peu ne s'en fallut 
qu'elle ne tournat a Temeute. Le due de Nor- 
mandie dut revenir a Paris sans avoir rien 
obtenu. II se \it contraint de recourir aux 
bons offices du prev6t des marchands que 
quelques sernaines plus tot^ il avait si brutale- 
ment congedie, et de reupir, sur la demande 
de celui-ci , les deputes des bonnes \illes les 
moins eloignees de Paris, pour leur demander 
Targent dont il avait un pressant besoin. Ces 
deputes declarerent qu'ils ne se croyaient 
point autorises a voter des subsides, que pareil 
pouvoir ne pouvait apparlenir qu*aux elats , 
dont ils demandaient la reunion immediate^ 



— 108 — 

Le dauphin ceda , les etals furent convo- 
ques pour le 7 novembre. 

L'habile politique d*£tienne Marcel et de 
ses coUegues avail ele couronnee de succes, 
le prevot avail reussi, sans secousse, sans vio- 
lence a mettre le dauphin dans Tobligalion 
d'appeler de nouveaux elals , qui sans doute 
pourraienl completer Toeuvre enlreprise 
apres Poitiers. 

Mais la conduite lenue par le due de Nor- 
niandie avail inspire aux reformaleurs , la 
plus profonde defiance : cette defiance avait 
pris a la suite des derniers evenemenls une 
nouvelle force. 



Nul ne pensail alors qu'un grand pays 
corame la France put se passer d'un roi. 
Les plus hardis des deputes du tiers avaienl 
demande pour les etats du royaunie et leurs 
delegues une association effective au gouver- 
nenienl du pays. Mais ils s'etaienl arreles 



— 109 — 

la. S'ilsdesiraient paralyser enlre les mains du 
souverain des prerogalWes dont Texercice, 
abandonne a celui-ci sans controle, pouvait 
prejudicier aux interets bien entendus du 
pays, I'idee ne leur etait jamais venue qu'il 
fut possible de supprimer la royaute. La con- 
duite des deux premiers Valois, celle du due 
de Normandie lui-meme, n'avaient pu ame- 
ner les plus eclaires des bourgeois a conce- 
voir de pareils projels. Peut-etre les hommes 
de 1 356 etaient-ils dans le vrai. II est possi- 
ble a un peuple de restreindre les pouvoirs 
d'un roi, au point de les rendre sans peril 
pour la liberte publique , et la royaute he- 
reditaire a ce grand avantage d'empecher la 
naissance et le developpement d'ambitions 
malsaines qui sont pour le pays des causes 
de trouble et de bouleversement* Elle avait 
de plus au xiv* siecle le merite, conside- 
rable avant tous autres a pareille epoque , 
de representer Tunite nalionale. Elle elait 
le seul lien qui empechat les diverses pro- 



— 110 — 

vinceset villes de France, de se desagreger. 
Cependant, lout royalist es qu'ils fussent, les 
reformateurs ne pouvaient, sans apprehen- 
sions profondes, penser que Tavenir du pays 
dependrait de riiomme qui, a Poitiers, avail 
lachement fui devant Tennemi, et qui, depuis 
qu'il exercait les fonctions de lieutenant du 
roi son pere , s'elait tour a tour montre dis- 
pose a engager sa parole quand il se \oyait 
faible, et a la violer des qu'il se croyait fori. 
II est probable que les principaux d'enlre 
eux penserent qu'il serait bon , tout en res- 
peclant la forme monarchique, de remettre 
un jour lesdestinees du pays en d'autres mains 
quecellesdu ducdeNormandie; delesconfier 
a un autre prince, qui, devant le tronemoios 
a sa naissance qu'a la volonte m^me de ses 
sujets, serait sans doute plus dispose a res- 
pecter les droils de ceux-ci, et a accepter 
les restrictions qu'il conviendrait aux etals 
de meltre a ses pouvoirs. Celte idee avait 
deja ete indiquee par Lecoq dans le dis* 



— Ill — 

cours qu'il avail prononce a ia suite de l\ 
premiere prorogation des etats. Si Marcel et 
ses collegues n'arreterent point immediale- 
ment iin pareil projet, ils considererent cer- 
tainement Favenement au trone d'un noii- 
veau roi, choisi paries elats, comme une 
eventualite eminemment realisable; et sans 
fixer des Fabord leur choix sur un candidal 
definitif , ils songerent du moins a opposer au 
due de Norrnandie, un autre prince, descen- 
dant par sa mere des anciens rois de France, 
et qui avait en diverses circonslances mani- 
feste ses sympathies pour la cause populaire. 
On ne pent expliquer par d'autres motifs la 
resolution qu'ils prirent de liiire demander 
par les etats, des le lendemain de leur 
reunion, la mise en liberie du roi de Na- 
varre, encore retenuen prison (i). 

(i) Liberie reclaniee deja a une precedeiite s?ssioii, 
mais paraissatit alors aux etats d'un si mince inteiH^t 
qu'ils avaieut sans difliculte conscnti a ne pas insister sur cc 



:».«. 



— 112 — 

Le due de Norma ndie acceda sans dis- 
cuter a la demande des elals, remit a leurs 
delegues I'ordre de mise en liberie du roi 
de Navarre, mais enjoignit, paratt-il, au gou- 
verneiir de la forteresse oil celui-ci etait 
detenu de ne point se dessaisir du prince 
confie a sa garde. Duplicite inutile et qui 
n'empecha point la delivrance du prisonnier/ 



A peine libre de ses actions, Charles de 
Navarre se rendit a Amiens, ville doht les 
magistrals lui etaient devoues et ou il ful 
bien accueilli. 

C'etait iin liomme liabile que le roi de 
Navarre et qui comprenait qu'on ne devient 
vraiment le maitre des gensqu'en ayant Fair 
de les servir. Devant le peuple assemble, 
il prit la parole, raconta sa querelle avec lo 
roi Jean, les violences de celui-ci, et ler- 
mina son discours en declarant qu'il etait 
pret a lous les sacrifices pour assurer le 



— 113 — 

bien et la paix du royaume. Puis, aux accla- 
mations des Amienois , il requit le maire de 
Tinscrire, lui, roi de Navarre et prince du sang 
royal de France , sur les registres de la mu- 
nicipalite an noaibre des bourgeois. Bientot 
il quilta Anniens et, muni d'un sauf-conduit 
que les magistrats parisiens avaient arraclie 
au dauphin , se rendit a Paris ou il fut recu 
avec enlhousiasme (i). Le bruit de son dis- 
cours d'Amiens Tavait precede. Les Parisiens 
etaient favorablement disposes pour un 
prince qui faisait si bon marclie de sa di- 
gnite royale. 

Lelendemain,a Tabbaye de Saint-Germain- 
des-Pres, devant une assemblee composee de 
plus de dix mille personnes, mais ou les 
gros bourgeois et les membres de Tuniversite 
etaient en plus grand nombre que les petites 
gens, le roi reprit son discours d*Amiens, 
protestant contre les injustes persecutions 

(i) 29 novcmhre 1357. 



— in — 

donl il avail ^le viclime, affirmant son de- 
vouemenl a la chose publique, et an peiiple 
de Paris auquel la France elait redevable 
de si grandes clioses. L'alloculion dii roi de 
Navarre produisit un grand effet et eut un 
grand retentissement. Les Parisiens se aion- 
trerent extremement flattes de ce qu'un 
si grand prince fut venu , comme Taurait 
pu faire un simple quartenier, expliquer 
pnbliquement sa conduite au peuple, et 
le faire juge de sa querelle avec le roi Jean 
et le due de Normandie. lis comparerent 
la deference dont le roi de Navarre faisait 
preuve en vers les bourgeois au dedain pro- 
fond que le due de Normandie semblait 
afficher pour les deputes aux etats. lis di- 
rent que le roi de Navarre , qui tout roi 
qu'il etait et pair de France s'etait fait bour- 
geois d'Amiens, etait des leurs, qu'ils le 
feraient bien voir et qu'il faudrait que le 
due de Normandie rendit justice a monsei- 
gneur son beau-frere. [/opinion publique se 



— 115 — 

prononca avec tant d'energieque le dauphin 
fut oblige de declarer publiqtiement qii'il le- 
nait le roi de Navarre en haute eslime et af- 
fection; qu'il n'avait conlre lui aucun grief, 
qu'en eut-il il les oubliait volontiers , et qu'il 
dul signer avec lui un traite de paix. 

Auxtermes de ce traite, amnistiepleine et 
entiere etait accordee a Charles le Mauvais et 
a ses partisans, le due de Normandie s*enga- 
geait a resliluer au roi toutes ses forteresses, 
places, chateaux, etc. Toujours fidele a son 
systeme de flatteries au regard du peuple, le 
roi de Navarre avait stipule dans un article 
special de sa convention avec le dauphin 
« qu'a sa demande tons les prisonniers re- 
tenus dans les prisons royales seraient mis 
en liberte , quelle que fut la cause de leur 
detention. » 

Les etats venaient de se separer sans avoir, 
en dehors de leur intervention en faveur du 
Navarrais, rien fait qui meritat d'atlirer 
Fatten tion. Us semblaient sentir que la di- 



— 116 — 

rection des interets nationaux allait leur 
echapper pour passer en d'autres mains. 



Le roi de Navarre s'etait retire a Nantes 
qui faisait partie de ses domaines, puis de 
la a Rouen , ou, a Toccasion de services fu- 
nebres qu'il fit celebrer en memoire de 
ses serviteurs mis a mort quelques annees 
auparavant par les ordres de Jean , il avail 
encore harangue le peuple, I'avait pris a 
temoin de ses bonnes intentions , avail fait 
asseoir a sa table royale le maire de Rouen , 
qui n'etait cependant qu'un petit marchand 
de vinSy et s'etait assure ainsi la confiance et 
le devouement des Rouennais (i). 

Le prevot des marchands, de son c6te, ne 
negligeait aucune occasion de battre en bre- 
che le pouvoir et la popularite du due de Nor- 
mandie. 11 s'occupait avec ardeur de Torga- 

(i) io*ii Janvier i358. 



— 117 — 

nisation des milices bourgeoises, formait a 
Paris des associations dont lous les mernbres 

juraient « alliance de \ivre et de niourir 
contre toutes personnes avec le prevot, » 
phrase significative et qui trahissait les se- 
crets desseins de Marcel, donnait a ses parti- 
sans pour signe de ralliement un chaperon 
aux couleurs de Paris mi-partie bleu et rouge 
sur les agrafes duquel se trouvait inscrite la 
meme devise etfaisait crier dans les rues que 
tout bon citoyen eut a porter ce chaperon. 
II se mettait en relations avec les bonnes 
villes dont plusieurs adoptaient les couleurs 
parisiennes. 



Le due de Normandie, sans denneler 
les veritables projets de ses adversaires , 
ne laissait pas de prendre grande inquie- 
tude des progres que le roi de Navarre 
paraissait faire dans la faveur populaire et 
du pouvoir que le prevot des nnarchands 

7. 



— 118 - 

prenait dans Paris, 11 resoliU, pour en ^rreler 
le developpement, d'employer la vieille po- 
lilique de sa race, celle qui avail dompte les 
communes, d'exciter la haine et la jalousie 
des pelites gens contre les citoyens impor- 
lants qui etaient aux affaires, de separer 
ainsi le peuple de la bourgeoisie et de res- 
saisir Taulorile a la faveur de cette division. 
Les succes obtenus (Tar le roi de Navarre 
faisaient esperer au dauphin qu*en s'adressant 
directement a la population parisienne, en 
attaquant devant elle les agissements de ses 
magistrals , en flattant les passions envieuses 
que nourrissent toujours a un degre plus ou 
moins considerable les gens appartenant a la 
basse classe de la societe contre ceux qui se 
sont eleves au-dessus de leurs concitoyens, il 
reussirait facilement a rompre la redoutable 
alliance des reformateurs et de la populace. 
Le 1 1 Janvier, le jour meme ou le roi de Na- 
varre haranguait le peuple de Rouen, le due 
fit annoncer qu'il se rendrait le lendemain 



— 119 — 

aiix halles pour expliquer lui-meme ses re- 
solutions a ses sujets de Paris. 

Le lenderaain, la foule etait nombreuse aux 
lialles. La plupart des ouvriers avaient quilte 
leurs ateliers pour ne pas manquer au ren- 
dez-vous indique par le dauphin. Celui-ciar- 
riva au carreau,de bonne heure, au nnoment 
ou les petits marchands sont en plus grand 
nombre, et les chalands plus empresses. Les 
gros bourgeois, les membres du corps de \ille 

de Tuniversile nepurent,tantraffluence etait 
grande, et bien prises les mesures du due de 
Normandie et de ses devoues,arriver jusqu'au 
lieu ou s'etait plac^ Torateur. 

Le prince parla avec beaucoup d'habilele, 
parait-il, et beaucoup d'amertume. II declara 
qu'il venait repondre ayx calomnies repan- 
dues sur son cooipte par certaines personnes 
enneraies de la paix du royaume. II n'avait 
jamais dissipe les deniers publics. S'il y avait, 
ce qui n'etait pas contestable , deficit dans les 
caisses de TEtat, ce deficit ne pouvait elre im- 



— 120 — 

pute qu*a ceux-la meme qui se montraient 
en public les zeles defenseurs du peuple , et 
qui, en secret, travaillaient uniquement a as- 
surer leur propre grandeur. Ces personnages 
seuls etaient cause que FAnglais n'etait point 
encore chasse de France. Le dauphin , si on 
Tavait laisse libre d'agir suivant ses propres 
impulsions, aurait depuis longtemps debar- 
rasse le royaume des bandes ennemies. U 
etait decide aujourd'huia faire bonne justice, 
et il* etait convaincu que le peuple de Paris 
ne lui marchanderait pas son concours. 

Ce discours plut a la multitude. Les masses 
populaires sont, avant toutes choses, accessi- 
bles a la flatterie, et la demarche du due, abs- 
traction faite du discours lui-meme, etait bien 
faite pour flatter le petit peuple. Celui-ci se 
sentait tout fier d'etre choisi par le fils aine 
du roi , pour arbitre entre la royaute et les 
bourgeois. 

Cependant le succes obtenu par le dauphin 
etait un succes dangereux. Deja, sans doute, 



— 121 — 

le roi de Navarre avail harangue les Parisiens 
et les bourgeois d'Amiens , les avail fail juges 
de sa querelle avec le roi Jean, son beau-pere. 
Mais, en France, le roi de Navarre n'elail qu'un 
haul baron, un genlilhomme de haule exlrac- 
lion , avec de fori belles alliances el de bien 
grandes pretentions. Ce n'elail rien de plus. 
Le due de Normandie, au contraire, etail a la 
fois Fheritier presomptif du trone de France, 
et par suite de la captivile de son pere , le 
detenleur effectif , le representant unique de 
Tautorite royale. I^ demarche qu'il venait de 
faire avail done un tout autre caractere que 
celles de monseigneur de Navarre. Le due de 
Normandie soumeltail ou paraissail soumet- 
tre (et cela revenail au meme), a Tarbitrage 
de la population parisienne les plus importan- 
tes affaires de FElal. De parti pris, il ecartait 
de son conseil les deputes aux etats,les magis- 
trals parisiens , refusail d'ecouter les avisdu 
petit nombre d'hommes capables de lui en 
donner, pour s'adresser a la masse entiere 



— 122 — 

des habitanls de Paris, parfaitement hors d'e- 
lat (quoique en ce moraent superieure en 
intelligence et en sens politique aux popula- 
tions des aulres villes) de rien coraprendre 
aux graves sujets dont le due venait I'entre- 
tenir. 

S'il est en effet un certain nombre d'idees 
simples que toutes les intelligences, si bornees 
et si incultes qu'elles soient^sont capables de 
saisir, le cercle meme de ces idees est infini- 
ment restreint. A. mesure que grandissent les 
questions a juger, diminue le nombre des es- 
prlts capables de les aborder sans peril. 11 est 
des problemes qui, par leur hature meme , a 
cause des principes qu'ils engagent, des resul- 
tatsqu'ilsentrainent,nepeuventetreraisonna- 
blement soumis qu*a ceux qui, par des etudes 
ou des connaissances speciales, sont prepares 
a les resoudre. Les questions politiques sont 
de ce nombre. La plus simple d'entre elles se 
compose d'elements complexes qu'il est im- 
possible d'apprecier sainement sans les con- 



— 123 — 

nailrp dans Ions leurs delails , sans eh savoir 
tons les precedents, et sans en mesiirer les 
consequences. Elles ne peuvent etre livrees 
a la decision de la mullilude que par des 
gens inintelligents, ou par des gens pervers 
qui, sous couleur de sauvegarder les droits 
du peuple, ne songent qu'a Tasservir, et 
ne font mine de le consulter que pour nnieux 
dissimuler leurs entreprises contre le bien 
public, et leurs attentats contre la liberte. 
L'intervention directe des foules dans les af- 
faires generales d'un pays, n'a jamais eu qu'un 
resultat, Fetablissement du despotisme. Le due 
de Normandie Tavait bien compris lorsqu'il 
etait venu exposer ses projets et adresser 
ses doleances aux Parisiens reunis aux hal- 
les; mais il avait dechaine une force dont il 
lui devait plus tard lui elre bien difficile 
d'arreter le mouvement, et avec laquelle 
il faudrait compter desormais. 

Le prevot des marchands et le corps mu- 
nicipal ne se firent pas d'illusions sur la gra- 



— 124. — 

vile de la demarche du dauphin et les resul- 
lats qu'elle pouvait avoir. Pour en detruire 
Teflet, ils convoquerent a leur lour le 
peuple de Paris a Saint- Jacques de THopital, 
pres la rue Mauconseil . 

Le due de Normandie avail fort habile- 
men t, dans son discours, neglige d'aborder 
certains points delicats. Le prev6t des mar- 
chands entendait tirer parti de ce silence, et 
demasquer Thypocrisie du prince. Au jour et 
al'heure indiques pour Tassemblee ( i ) , ledau- 
phin se presenla et reclama le droit de parler 
le premier, ce qui lui fut accorde. II ne prit 
point la parole, mais il chargea son chan- 
celier de reproduire les explications qu'il 
avait, la veille, personnellement donnees aux 
halles. Au moment ou Tun des echevins 
se levaitpour repondre au chancelier, leduc 
partit. C'etait une faute lourde. Apres avoir 
clioisi le peuple pour juge de sa querelle , il 

(i) i3 Janvier i358. 



— 125 — 

fallait assister au d^bat tout entier. Le depart 
du prince qui paraissait determine par le me- 
pris que lui inspiraient les gens qu'il avait 
pris la peine d'attaquer ravant-veille^ lui fai- 
sait perdre aupres de la population parisienne 
tousles avantages que ses flatteries lui avaient 
d'abord concilies. Le prevot des marchands 
et ses coUegues s'expliquerent avec nettete 
sur les reproches de prevarication qui leur 
avaient ete adresses. Un des collecteurs d'im- 
pots declara qu'apres de semblables attaques, 
il fallait que le peuple sut bien quelles etaient 
les veritables sangsues qui Tepuisaient, et il 
designa par leurs noms ceux des officiers 
royaux qui avaient cominis les malversations 
gratuitement imputees par le dauphin au 
prevot des marchands. De frenetiques ap- 
plaudissements accueillirent cette declara- 
tion . 

Les amis de Marcel profiterent avec habi- 
lete de Temotion qui agitait Tassemblee. L'un 
d'eux s'ecria qu'apres ce qui venait de se 



— 126 — 

passer, le prevot ne serait plus en siirete a 
Paris, qu'Il lui faudrait, si la population 
parisienne ne le soutenait energiquement , se 
soustraire par la fuite aux persecutions de 
ses ennemis. 

Par d'unanimes acclamations, les assis- 
tants s'engagerent a\ivre et amourira cole 
de leur prevot. 

Cetait pour le due de Normandie un 
ecliec, pour le prevot un succes, mais aussi 
pour Tavenir, un grand enibarras. 

Jusqu*alors le peuple de Paris avait ete, 
entre les mains de ses magistrats , un instru- 
ment docile et sans initiative propre. Les 
clioses etaientchangeesaujourd'hui : attaques 
publiquement par le due de Normandie, 
Marcel et ses amis avaient ete obliges de re- 
futer ces attaques , d'expliquer leur conduite , 
• d'invoquer Tappui de la foule a laquelle ils 
avaient coutume de donner des ordres tou- 
jours obeis. Le peuple de Paris ne leur avait 
pas marchande son concours. Ce concours 



— 127 — 

cependant n'elait plus comme auparavanl 
de la soumission, c'etaitune alliance devouee 
sans doule , mais comme toutes les alliances su- 
jette a serompre et pouvant devenir deTlios- 
lilite le lendemain. Les magistrals devraient, 
desormais, siir tous les sujets de quelque im- 
portance , consulter la population entiere 
de la capitale et soumettre leurs projets a 
Tapprobalion du dernier des Parisiens. Les 
grandes questions d'interet general cessaient 
d'etre reservees comme elles Tavaient ete jus- 
qu'alors aux etats ou aux bourgeois capables 
d'en apprecier la portee. Le peuple de Paris 
entrait pour son propre compte sur la scene 
politique. Par haine des bourgeois liberaux, 
la royaute avait decbaine la demagogic. 

La demarcbe du due, sans produire tous 
les fruits que celui-ci en attendait, n'en portait 
done pas moins un coup funeste a ses ad- 
versaires politiques. Ceux-ci comprirent le 
danger et ils resolurent de se tenir en 
garde. Avises des mauvais desseins que le 



— 128 — 

due de Norinandie nourrissait conire eux, 
ils se crurent aulorises, pour assurer leur 
securite personnelle . et Tavenir des refor- 
mes qu'ils avaient preparees, a employer, 
s'il le fallait, la violence. 



Le dauphin de son cole se preparait a la 
lulle. 11 avail, auxhalles, declare qu'il enlen- 
dait se debarrasser desormais des enlraves 
qui l^empechaient de faire lout le bien qu'il 
voulail. Mais lels elaient les progres qu'a- 
vaient fails en France depuisquelques annees 
les idees democraliques , que le due de Nor- 
ma ndie n'osa, de son propre chef et de sa 
seule aulorile, ressaisir le pouvoir absolu. 
II prelendit donner a son usurpation Tap- 
parence d'une concession faile a la volonle 
nalionale. 

II appela aupres de lui quelques bourgeois 
de Paris , qu'il savait devoues a sa personne. 
Ces individus, auxquels le due donna pom- 



— 129 — 

peusenient le noni de notables, Tinvilerent a 
reprendre le gouverneinent egare depuis 
Irop longtemps dans des mains indignes de 
le conserver (i). 

Le due voiilut bien acceder a ces prieres. 

Bienlot parurent des ordonnances pres- 
erivant la fabrication d'une monnaie d'un 
litre plus faible que celui qui avait ete fixe 
a la suite des grandes ordonnances de 
Tannee precedente (2). Ces ordonnances fu- 
rent-ellespubliees par le dauphin de son au- 
torile propre ou avec Tassentiment des etats 
generaux reunis le 1 3 Janvier, c'est ce qu'il 
est difficile d'affirnier avec quelque certitude. 
11 est certain , en tons cas qu'elle^ causerent 
a Paris la plus vive emotion. 

(i) i3 Janvier i358. 

(2) 2a-a3 Janvier el 31 fcvrier i358. 



§111. 



I.e |>ouvolr aux nialnii den boaripeols jparlsieBSi 



Lc due (Ic Normandie avail leve des sol- 
dais, niais an lieu de les employer contre 
rAn^lais, il les avail eanlonnes dans Paris 
cl dans les environs. Le bruil se repandil 
en ville que ces soldals etaienl destines par 
le lieulenanl du roi a meltre les Parisiens a 
la raison. Une collision devenail imniinenle. 

Un accident, forluil d'apres les uns, pre- 
pare par le due de Normandie, disenl les 
aulres, par le ])rev6l Marcel, selon une 
Iroisienie \ersion, vinl encore aggraver la 
silualion. IJn bourgeois de Paris avail 



— 131 — 

vendu descbevaux au Iresorier du dauphin ; 
il en reclama le prix; le Iresorier refusa 
de le payer. Une querelle s'eleva entre ces 
deux liommes, a la suite de laquelle le 
Iresorier fut tue d'un coup de couteau. 
Refugie dans Teglise de Saint-Merry qui jouis- 
sait du droit d'asile, le meurtrier en futarra- 
che par lemarechal de Norniandie, et pendu. 
Celle execution froissa \ivenient les bour- 
geois. On disait en \ille que le droit de prhe 
avalt ele aboli par les ordonnances. Celles-ci 
avaient aulorise tons les sujets du roi a se 
defendre a main armee contre ceux qui, au 
mepris des prohibitions legates, voudraient 
Texercer encore. Perrin Marc n'avait point 
fait autre chose. II avait legalement frappe 
le Iresorier du due, ce n etait done point un 
meurtrier. En le faisant mourir, les officiers 
royaux avaient audacieusement transgresse 
les lois. 

Le clerge lui-meme se mela au mouvement 
provoque par la mort de Perrin Marc. 



— 132 — 

L'eveque de Paris excomiiiunia le marecbal 
de Normandie qui avail \iole Tasile de Saint- 
Merry. On fit au supplicie de magnifi- 
ques funerailles. Tout le corps de ville et les 
principaux bourgeois y assisterent, temoi- 
gnant ainsi quHls faisaient leur, la cause de 
leur concitoyen execute par les ordres des 
agents du dauphin. Des reunions publiques 
furent tenues dans tous les quartiers^ et la 
conduile des marechaux attaquee avec la 

plus extreme violence, des deputations 

•i 

envoyees au prince pour lui demander 
de faire dorenavant respecter les ordon- 
nances et d'executer ses promesses, notam- 
ment ce qui concernait le roi de Navarre, 
qui n'avait pu oblenir encore la restitution de 
ses forteresses. L'universite joignit ses recla- 
mations a celles du peuple de Paris (i). Au- 

(i) Le Iang<ige tenu par la deputation de Ttiuiverait^ fat 
parlicuiicrement ^nerglqtle. L'universite cependant etait es- 
sentieUementroyaltste^eUe Tavaitprouve en defendant a ses 
flUppots de porter le chaperon atlx coilleufs de la ville qa'eHe 



.— 133 — 

lanl en firent les depules des bonnes \illes 
assembles pour les elals (i). 

avail considere comme une livree de sedition; mais la con- 
duite tcnue par le dauphin avail inspire aiix universilaires, 
comme a lous les gens eclaires, une defiance singu- 
liere. L'oraleur de la depulalion de I'universile ful le ge- 
neral des Jacobins. II s^exprima avec heaucoup de vigueur, 
rappelant le Iraile signe entre le roi de Navarre el le 
dauphin, il declara que le corps municipal, le clerge parisien 
el Tuniversile avaienl resohi que le dauphin executerait ce 
Iraile. D^autres membres de la depulalion, accenluanl encore 
les paroles de leur oraleur, declarerent formellemenl au 
prince que, dans le cas ou il n'cxeculerail pas les conven- 
tions arrelees entre lui el son beau-frere, I'universile se de- 
clarerait conlre lui. 

(i) Cctle session des elals ful de peu d'inler^l. Deux me* 
surcs prises par eux atlirerenl seules I'allention : ce furenl • 
I** une modification a Tassielle del'aide : 2° Tinvitationadrcs* 
sec au due de Normandie de prendre le lilre de regent el 
d*^xercer dorenavanl le pouvoir afferenl a ce lilre. Devenu 
regenl le dauphin elail absolumenl independanl de son pere, 
qui pendanl sa caplivite se Irouvail ainsi dans une position 
scmblable acelle que les regies consliluttonnellps du royaume 
de France faisaienl au roi mineur. Les etats gen^raux 
esperaienl, de celle facon eviler des embarras comme ceUx 
qu'avail fail nailre Fanneeprecedente la defense signifiee par 
le roi Jean a ses sujets d'obeir aux ordres des elats. — Le 
dauphin pril cffectivemenl le lilre de regent en mars i358. 

8 



— 13i — 

Tonles les deuiarclies furent vaincs. Le 
dauphin ne donna aucune satisfaction aux 
reclamations des bourgeois. Continuant la 
politique inauguree aux halles , ses agents 
repandaient dans les rangs du meme peuple 
des caiomnies chaque jour plus violenles 
contre les reformateurs, les accusant de 
Iraliir la cause des pauvres gens dont le due 
avait si grand souci. Les deux marechaux 
de Champagne et de Normandie se mon- 
Iraient les plus animes et ne cessaient de se 
repandre en invectives conlre le prevot des 
marchands et ses amis. Us avaient promis 
au due, disait-on, de debarrasser le pays de 
ces mauvaises gens, qui voulaient le tenir en 
servilude. lis passaient pour etre hommes a 
lenir leur promesse et a ne reculer devanl 
aucun moyeri pour la metlre a execution. 



Ces provocalians exaspererent les chefs 
cle la bourgeoisie parisienne et les decide- 



— 135 — 

rent a prendre les devanls. Reunis le 20 fe- 
\rler an soir dans la vieille eglise de Sainl- 
Eloi sous la garde de delachements em- 
priintes aux milices parisiennes et composes 
presque enlierement de gros marchands 
ils arreterent line resolulion terrible. Le 
22 fevrier le tocsin de Nolre-Dame re- 
lenlit tout a coup. A ce signal, les bour- 
geois, qui avaient assiste a Tassemblee de 
Saint-Eloi, se rendent sur la place de Greve 
accompagnes de gens a leur discretion. Le 
prevot des niarcliands se trpuve bientot a 
la tele de plusieurs niilliers d'lioinmes de- 
voues, gens notables pour la plupart. II 
se porte au palais du regent, y penetre de 
force, y trouve les deux marecbaux et les 
fait egorger sous les yeux du prince. D*autres 
officiers royaux subissent le mehie sort. Le 
due effraye supplie buniblement Marcel de 
Tepargner. Le prevot lui declare qu*il n'a 
rien a craindre, et, en signe de protection, 
met sur la tete du prince son propre cba- 



— 136 — 

peau aux couleurs de Paris. Cbarles de 
Valois venait d'avoir son 20 juin. 

Le pelit peuple n'avait pris aucune part 
au moiiveinent. A peine avait-il fourni h 
Marcel le contingent de desoeuvres qu'on 
trouve toujours dansune grande \ille partout 
oil se passe quelqu'evenement extraordinaire. 
Du nioins les quelques hommes du peuple 
qui avaient prete a ce mouvement leur coo- 
peration materielle ,n'avaient-ilsagi que sous 
les ordres du prevot, des echevins et des 
plus gros marchands de Paris. L'attaque du 
palais, Tassassinat des marechaux etaient 
le fait exclusif de la bourgeoisie. La journee 
du 22 fevrier n'avait point ete^coinme il 
arrive d'ordinaire, Texplosion de la co- 
lere populaire, sinon Texecution raisonnee 
d'un projet murement delibere, arrete et 
prepare par les principaux bourgeois. Bien 
loin d'etre I'oeuvre du peuple, elle avait ete 
faite contre lui. Le but que les bourgeois 
s'etaient proposes d'alteindre etait en ef- 



— 137 — 

fet, le principal d*entre eux Fa declare, 
a d'empeclier la grande commotion que les 
menus encourages par le dauphin et ses 
acolytes devaient faire en la ville de Paris, 
pour detruire le prevot et ceux qui pensaient 
comme lui. » C'etait pour assurer leursecurite 
et les reformes qu'ils avaient realisees qu'ils 
avaientpris les armes. lis pensaient sans doute 
agir dans I'interet du bien public. L'avenir a 
prouve que leurs craintes etaient fondees. 
Mais ilseurent letort, pour assurer le triomphe 
d'une cause qu'ils croyaient juste de ne point 
reculer devant un crime, et pour fonder en 
France un gouvernement regulier, de faire 
appela la violence. 

' 11 ne faudrait point cependantjuger Irop 
severement la conduite d'Etienne Marcel. En 
frappant les cohseillers du regent, le prevot 
s'etait abstenu de toute violence directe en- 
vers celui-ci. Le meurtre des marechaux n'a- 
vait ele que la mise en pratique, d'une facon 
fort rude certainement, du principe que 

8. 



— 138 — 

les conseillers d*un roi doivent elre res- 
ponsables des avis qu'ils donnent. Les ordon- 
nances reconnaissaient expre^sement aux ci- 
loyens le droit de se defendre les armes a la 
main eonlre ceux qui enfreignaient la loi. I^ 
conduite des bourgeois avail done ete , a un 
certain point de vue, legale, si le meurlre 
pouvait jamais etre legal. 

En sortant du palais, le prevot des mar- 
cliands se rendit a la Maison aux Piliers. Le 
locsin y avait attire une grande foule. Marcel 
la liarangua. U expliqua ce qu'il venait de 
faire, affirmer qu'il avait agi dans Tinteret de 
tous, en faisant justice demauvais traitres, et 
demanda aux Parisiens de le soutenir. II fut 
acclame, comme le due de Normandie Tavait 
ete quelques semaines plus lot, comme 
devait Tetre, bien peu de temps apres, Jean 
Maillard. Puis, accompagne par la plupart 
des gens qui se trouvaient sur la greve, il 
retourna aupres du dauphin, lui dit avec 
quels applaudissemenls le peuple de Paris 



— 139 — 

avail accueilli la nouvelle de la mort des ma- 
rechaux , et finit en le priant de declarer 
« qu'il Irouvait bon ce qui avail ele fait ». 
Le prince fit loules les declarations qu'on 
vonlut, proniit d'avoir pour agreable tout 
ce qu'^ntreprendraient les bourgeois de sa 
bonne cite de Paris, et ordonna que dorena- 
vant ses gens de service portassent le cha- 
peron aux couleurs de la ville. Marcel envoya 
lui-nieme au prince, au noni dela munici- 
palite, les pieces d'etoffe necessaires pour 
confectionner ces chaperons. 



Paris avait ratifie les actes de ses magis- 
trals, mais ceux-ci ne pretendaient pas avoir 
fait Taffaire de Paris seul, sinon celle du pays 
entier. lis voulurent se faire avouer par les 
representanls des bonnes villes. Des le len- 
demain ils convoquerent les deputes presents 
a Paris. Robert de Corbie , depute d'Amiens, 
rendit compte des evenements de la veille", 



— 140 — 

exposa les motifs qui avaient engage le pre- 
Yot des marehands et ses collegues a agir 
ainsi qu'ils Tavaient fait, et coneluten deman- 
dant aux deputes des bonnes villes de resler 
fermes dans leur alliance avec Paris. Nul 
n'osa contredire. Marcel pour le moment ne 
demandait rien de plus. 

L'approbation des e tats obtenue, le pre- 
v6t des marehands pria le due de Normandie 
de se rendre au parlement, et la, en presence 
des magistrats de la cour, du cdnseil munici- 
pal et d'un grand nombre de bourgeois, il le 
requit de tenir dorenavant la main a I'exe- 
cution des ordonnances, et d'ecarter de son 
conseil tous les gens suspects d'hostilite pour 

la cause populaire. La commission des 34 
fut retablie; le prevot des marehands, les 

echevins de Paris, et un depute d'Amiens, 

Robert de Corbie, appeles a prendre seance 

au conseil. 

Malheureusement ce n'etait point devant 

la nation entiere, et devant la volonte regu- 



— 141 — 

lierement exprimee de celle-ci mais devant 
Paris el la sedition, que le prince avail capi- 
lule. 

Quelque com-plel quepul parailre le succes 
oblenu , le prev6l n'elail pas sans inquielude 
sur Teffel que produirail en province la 
journeedu 22 fevrier. L'approbalion donnee 
par les depules des villes aux enlreprises de 
Marcel el de ses amis n'impliquail en aucune 
facon Tadhesiondes populations elles-memes. 
Celles-ci avaienl desavoue leurs mandataires 
dans Irop de circonslances pour qu'il n'y eul 
pasacraindre qu'ellesne se separassenl d'eux 
dans les conjonclures presenles. 

Sans doule, il n'y avail poinl a redouler, de 
la pari des villes, de proleslalions bien vives. 
La vicloire elail restee a la sedition, el les 
coups de force qui reussissenl Irouvenl en 
general plus d'admiraleurs que d'opposants. 
Mais il fallail lenir comple des senlimenls de 
jalousie que les provinces avaienl, en diverses 
occurrences deja , lemoigne au regard de la 



— U2 — 

ville de Paris. II importait de les menager. 
Dans ce but, il fut arrete, par les chefs du 
luoiivement, que les \illes seraient avisees 
officiellement des evenemenls qui venaient 
de se produire, non par le prevot , mais par le 
roi de Navarre, sur la popularite duquel on 
comptait. 

Rouen, Laon, Sens, Meaux assurerent le 
corps municipal de Paris de leur adhesion. 
Les choses se passerent de iiienie dans les 
villes plus directement soumises a I'influence 
du roi de Navarre, Amiens par exemple. 
Mais dans nombre d'autres cites, en Cham- 
j>agne , sur les bords de la Loire , dans le 
Soissonnais, la conduite des magistrals pa- 
risiens fut Tobjet de blames severes. 



§ IV. 

E*rcniicre reaction contre Ics r^forniateurs dans ics 
provinces ct a Paris niemc. Divisions cntr<^ ics 
bourifcois et la popnlacc. 



A Paris meme rapprobalion etailloin d'etre 
unanime. Pour arreler les progres d'une 
opposilion dont il redoulait les eflels, le pre- 
v6l, enlraine rapidenient sur la penle des 
Niolences, fit nieltre a iiiort, sous pretexle de 
conspiration, plusieurs bourgeois soupconnes 
d'altacliement aux marecliaux et de devoue- 
inent a la personne du prince. Le roi de 
Navarre, bien que fort peu scrupuleux de sa 
nature, n'osa s'allier encore etroitement avec 
le prevol. 11 ne reprocbait pas a celui-ci d'a- 
voir, |)our assurer le Iriouipbe de ses projels, 



— 144 — 

en recours a Tassassinat , mais il ne pouvait 
oiiblier que les victimes etaient des genlils- 
liommes. Arrive a Paris quelquesjoiirs apres, 
le 24 fevrier, il ne tarda pas a quiller la \ille. 
Quant au due de Normandie , il se sentait, 
malgre le titre de regent qu'il venait de 
prendre, a la discretion des bourgeois , tant 
qu'il resterait a Paris. Tous ses efforls ten- 
dirent des lors a sortir de la \ille. 11 y reus- 
sit; on ne sait sice fut de Fassenliment des 
magistrats parisiens qui redoutaient Tin- 
fluence du prince sur les peliles gens ou cen- 
tre leur volonte ; en tous cas, le depart du 
regent allait avoir de facheux resultats. Hors 
Paris le prince recouvrait une liberie d'ac- 
lion qui devait elre prejudiciable a la cause 
populaire ; il pouvait reunirautour de lui tous 
les elements de resistance a la domination 
parisienne que contenait encore le pays^ ex- 
ploiter la jalousie des bonnes villes conlre Pa- 
ris, rassembler les gentilsbommes que la niort 
des uiarechaux avait exasperes et avec leur 



— 145 — 

aide lenir tete au prevot , sinon le.mellre a 
la raison. A peine en liberie, il reunit les 
elats des provinces oii il complait le plus 
de partisans. 11 convoqua a Senlis ceux 
de Picardie et de Beauvoisis (i) , a Pro- 
\ins ceux de Champagne (2). Les elals de 
Picardie se monlrerent peu disposes a lui 
preter un concours bien aclif : il en fut 
aulreinent des elats de Champagne. Les 
deputes des \illes y etaient en minorile, 
les gentilshommes nombreux. Parmi eux 
se trouvaient beaucoup de parents et d'amis 
du sire de Conflans, Fun des marechaux 
mis a mort par les bourgeois de Paris. Le 
regent se montra a leur egard plein d'at- 
tentions et de flatteries. Il mit de cote, pour 
s'assurer leur bon vouloir, Tetiquelte ordi- 
naire, leur offrit im banquet et les fit, sans 
distinction d'ordre, asseoir a sa table. Les 
envoyes dela ville de Paris ne purent, malgre 



— 146 — 

tons leurs efforts, conlrebalancer I'effet des 
manoeuvres royales , ni apaiser la colere 
qu'eprouvaient les nobles de Champagne 
centre les meurlriers de Tun des leurs. Les 
genlilsliommes requirent le regent de punir 
exemplairement les assassins du marechal de 
Conflans, declarerent qu'ils ne rentreraient 
point a Paris tant que justice ne serait pas 
faile, et offrirent au prince , pour arriver a ce 
resultat, le concours le plus devoue. Us lui 
demanderent, vu Tabsence de quelques-uns 
des leurs, de vouloir bien indiquer une nou- 
velle reunion des etats a une date qui per- 
mit a tons d'y assister. Le regent fixa le 29 
du meme mois, a Verlus. Puis il fit occuper 
par surprise la citadelle de Meaux, situ^e sur 
la Marne, position importante d'oii Ton pou- 
vait arreter les convois de grains destines au 
ravitaillement de Paris et d'ou les gens 
d'armes du regent pouvaient, sans danger, 
battre la campagne parisienne. 



— 147 — 

Apres Toccupalion de Meaux et les decla- 
rations de Provins , aucun doute ne pouvait 
resler a personne sur les intentions du dau- 
phin et de la noblesse. Le prevot mit imme- 
diatement Paris en etat de defense. II trouva 
dans la plupart des habitants de la ville iin 
energique appui. La milice bourgeoise, bien 
organisee et bien commandee par des chefs 
qu'elle avait elle-meme elns, foiirnit pres de 
3o,ooo combattants a la garde des remparts. 
Les maisons des faubourgs en dehors des 
murs d'enceinte furent rasees.* Parmi elles, 
se trouvaienl, sur la rive gauche de la Seine, 
un certain nombre de convents appartenant 
aux ordres des Jacobins, Cordeliers et Char- 

Ireux. Ces religieux, issus presque tons du 
peuple, en contact quotidien par la predica- 
tion avec la population parisienne, parta- 
geaient les passions de celle-ci. lis preterent 
au prevot unevigoureuse assistance. Non con- 
tents de deniolir eux-memes celles de leurs 
maisons qui pouvaient enlraver la defense 



— 148 — 

de la place, ilsoflrirent au corps municipal 
de Iravailler aux forlificalions et d'abandon- 
ner a la ville , pour faire face aux frais de 
la lutte, une notable portion de leurs biens. 
IVlais les magistrats parisiens ne trouve- 
rent point partout la meme abnegation. S'ils 
pouvaient compter sur les citoyens intel- 
ligents qui ne se faisaient point d'iiiusions 
sur les projels du regent, ils avaient a hit- 
ter contre le mauvais vouloir d'un nombre 
relativement assez considerable de bour- 
geois. Les mesures de defense prises par le 
corps municipal portaient un prejudice no- 
table aux riches marchands, presque tous 
proprietaires de maisons dans les environs 
inmiediats de la ville. Beaucoup de ces 
gens trouverent que la guerre qu'on allait 
soutenir contre M^"" le regent etait une en- 
Ireprise bien hasardeuse , et qu'en tous cas 
elle commencait a elre tres-onereuse. Quel- 
ques-uns pensaient, sans oser le dire encore, 
en public au moins, que les abus reproches a 



— 149 — 

la royaute, ne coutaient pas plus cher a la 
bourgeoisie que les agissements de M. le pre- 
vot et du corps municipal ; que ceux-ci avaient 
porte a la fortune publique et privee des at- 
teintes plus graves que les anciens edits mo- 
netaires, et la taille a volonte; enfin , que de- 
puis le moment ou Marcel avait pretendu 
diriger les affaires du pays, celui-ci n'avait cesse 
d'etre profondement trouble. Cetaitun grave 
symptome que Tapparition de ces senti- 
ments nouveaux chez bon nombre de pari- 
siens opulents. A Tappui devoueetapeu pres 
unanime de la bourgeoisie les re forma teurs 
avaient du de pouvoir jusqu'alors, et sans 
trop de desavantages, lutter contre les entre- 
prises du regent. Get accord menacait de se 
rompre. Marcel et ses coUegues etaient ar- 
rives a ce moment singulierement critique 
pour tous les gouvernements qui commen- 
cenl , ou ils sont , apres s'etre etablis en prc- 
mettant de satisfaire les interets en souf- 
france , contraints par la force des clioses a 



— 150 — 

porter atleinle a ces interels. Epreuve terri- 
ble et a laquelle bien peu peuvent resister. 

Cependaiit la cause soutenue par le pre- 
vot inspirait encore confiance a beaucoupde 
gens. Alors que le regent etait reduit aux 
expedients, Marcel Irouvait moyen de nego- 
cier, au nom de la*\ille, un emprunt con- 
siderable. II se procurait, en saisissant , par 
un henreux coup de main , I'artillerie dii 
Louvre , les canons et le materiel de guerre 
dont il avail besoin pour la defense de 
Paris. Avant d'engager definitivement une 
lutte dont Tissue pouvait etre fatale a sa cause, 
il voulut tenter une derniere demarche. Il 
adressa au regent une lettre par laquelle il 
mettait le prince en demeure de remplir 
les promesses par lui faites aux etats et a la 
municipalite parisienne , et volontairement 
confirmees aux lialles. 

Copie de cetle lettre fut , par les soins du 
prev6t des marchands, transmise aux bonnes 
villes de France et aux communes flamandes. 



— 151 — 

La demarche de Marcel resla infruc- 
tueuse. Le regent considera la letlre du pre- 
\6t comme une nouvelle insiilte. 

Les communes de Flandre ne pouvaient 
donner aux Parisiens un concours effeclif. 
Quant aux villes de France, elles ne crurent 
pas de leur interet de se meler a la lulte 
que Paris soutenait contre le regent. Elles 
etaienl d'ailleurs, pour la plupart, epuisees 
par la guerre et exposees aux incursions des 
Anglais. Presque toutes , en dehors des aides 
qu'elles payaient a la royaute , pour mettre 
celle-ci en elat de pourvoir a Ja defense na- 
lionale, etaient contraintes, pdur se proteger 
contre Tennenu , de soudoyer elles-memes 
des hommes d'armes. Les plus devouees an 
prevot, Meaux, Troyes, Senlis, etaient oc- 
cupees par les compagnies du dauphin. Rouen 
avait eu avec Paris des demeles au sujet 
de la navigation de la Seine. Les mar- 
chands rouennais esperaient , en abandon- 
nant la capitale , se concilier la faveur du 



— 164 — 

sujels du royaiuiie devaienl egaleinent subir 
la charge deTimpot, recevait , de ceux metnes 
qui Tavaient le plus longtemps comballu, 
une consecration nouvelle. line assemblee 
provinciale , composee de gens devoues au 
regent, dominee des les premiers jours par 
les prelats et par les gentilshoinmes qui en 
faisaient partie, soumettait a Timpot clercs 
et nobles , comme bourgeois et \ilains , et 
retirait aux representants de Tautorite royale 
le maniement des fonds a provenir de cet 
impot. 



II en fut de meme a Compiegne ou le 
regent reunit, le 4 maisuivant, les etats ge- 
neraux du royaume convoques originaire- 
ment pour le 2 mai a Paris. Le lieu de la 
reunion avait ele change dans le butde sous- 
Iraire les elals a Tinfluence des bourgeois pa- 
risiens, et assurer ainsi, disaient les fideles, 
leur independance. Le regent pour rendre, 



— 153 — 

Les elals de Champagne venaient de 
se reunir a Vertus (i) ainsi qifil avait ete 
convenu le mois precedent : ils avaient 
\ole les subsides qui leur avaient ete deman- 
des. Les gens d'Egiise durent acquilter un 
iinpot de lo Yo sur leurs revenus, les nobles 
5 7o de la rente de leurs domaines , les villes 
fournir un lionune d'armes par 70 feux ; 
les habitants du plat pays et les serfs, les 
premiers , un homme par 100, les autres , un 
homme par 200 feux. Les etats avaient decide 
que Timpot vote serait reparti et leve par des 
delegues nommes par eux, lesquels non-seu- 
lement controleraient I'emploi des fonds, 
mais les emploieralent eux-memes aux fins 
fixees par les etats. Un dixieme seulement du 
produit de Taide avait ete accorde au regent 
pour ses depenses personnelles. 

Ainsi, le grand principe defendu avec tant 
d'energie par les bourgeois , que tons les 

(1) 29 avril i358. 



— 164 — 

siijels du royaume devaient egalement subir 
la charge de l'imp6t, recevait , de ceux metnes 
qui Tavaient le plus longtemps combaltu , 
une consecration nouvelle. line assentiblee 
provinciale , composee de gens devoues aii 
regent, dominee des les premiers jours par 
les prelats et par les gentilshoinmes qui en 
faisaient parlie, souoiettait a Timpot clercs 
et nobles, comme bourgeois et \ilains, et 
relirait aux represenlants de Tautorite royale 
le nrianiement des fonds a provenir de cet 
impot. 



II en fut de meme a Compiegne ou le 
regent reunit, le 4 maisuivant, les etals ge« 
neraux du royaume convoques originaire- 
ment pour le 2 mai a Paris. Le lieu de la 
reunion avait ele change dans le but de sous- 
Iraire les elals a Tinfluence des bourgeois pa- 
risiens, et assurer ainsi, disaient les fideles, 
leur independance. Le regent pour rendre, 



— 155 — 

sans doule, celte independance plus com« 
plete, fit deliberer les elals sous la pique des 
gens d'armes. Paris et les princi pales villes 
s'elaient abstenues d'envoyer aucun depute; 
les nobles seuls et les representants du clerge 
elaient en nombre, Leur premier soin fut de 
demander au regent de chasser de son con- 
seil Teveque de Laon , Lecoq , qu'on savait 
devoue au prevot Marcel et aux idees nou« 
velles. Lecoq, contraint de quitter Com- 
piegne, se refugia a Paris. Les deliberations 
des etats ne furent que de longues recri- 
minations conlre les miserables vilains qui^ 
depuis deux ans, sous couleur de reformes^ 
n'avaient cesse de troubler le rovaume , et 
contre les habitants de Paris qui s'etaient 
fait leurs complices. Toutefois on fut oblige 
de reconnaitre que ces vilains, qu'on injuriait 
si fort , n'etaient point « sans avoir fiiit au- 
cunes bonnes clioses et raisonnables.., mises 
la , » ajoutait-on , « afin de colorer leurs 
autresentreprises; » maisqui, enfin, etaient si 



— 156 — 

raisonnables que les gens reunis a Conipiegne 
ne trouverent rien de mieux a faire que de les 
imiter. L'aide, ainsi qu'il avail ete fait aux 
etats reunis a Paris ne fut octroyee au regent, 
que pour un an. Elle affecta la forme demo- 
cratique d'une taxe sur le revenu, et frappa 
a la fois nobles , clercs , \ilains ou serfs , n'ex- 
ceptant absolument que les mendiants. Des 
commissaires furent appointes par les etats 
a Teffet de poursuivre les officiers royaux 
coupables ou suspects de malversation. II fut 
edicte (ordonnance du i4 mai) que les af- 
faires du royaume seraient deliberees par le 
regent en conseil; que ces deliberations ne 
seraient valables qu'autant qu'un nombre 
determine de conseillersy auraient pris part ; 
que les conseillers devraient signer les pro- 
ces-verbaux des seances oil ils siegeraient , et 
la minute des delibera lions prises en leur 
presence , le chancelier, refuser de contresi- 
gner tout ordre ou toute lettre expediee sans 
Taccomplissement de toutes ces formalites. 



— 157 — 

A ces ordres , les sujets ne seraient pas tenus 
de se soumettre (i). 

Cetaient, ou peu s'en faut, a part le choix 
des membres du conseil que les etats n'a- 
Yaient point revendique pour eux, les garan- 
ties memes reclamees par les etats de Paris, 
et contre lesquelles le due de Normandie 
n'avait jusqu'alors cesse de protester. 
• Les resolutions prises par les etats de Com- 
piegne ne devaient pas d'ailleurs recevoir se- 
rieuse execution; le regent le savait. Le 
nombre des deputes du tiers avait ete si 
peu considerable qu'il etait a peu pres cer- 
tain que les bonnes villes refuseraient de se 
soumettre aux mesures ordonnees par les 
etats. Pour parer aux difficultes qu'il pre- 
voyait, le prince prit le parti de requerir les 
villes qui n'avaient point ete representees a 
Tassemblee de lui envoyer des deputes spe- 
ciaux, avec mission de s'enlendre directement 
avec lui sur les differents sujets qui avaient 

(i) i4 mai i358. 



-^ 158 — 

ele soumis aux elals, el notamment sur I'aide 
a fournir par leurs conciloyens. 

Celte convocation fut assez mal accueillie 
par ceux auxquels elle s'adressait. A Amiens, 
au recu des lellres du regent, les bourgeois 
se reunirent en assemblee generale et decide- 
rent qu'il ne serait point obtempere aux or- 
dres royaux, qu'on n'enverrait pas de deputes 
et qu'on ne paierait point de taxes. En reponse 
a la communication qui lui avait ete faite, le 
corps municipal fit ^avoir au prince que s1l 
voulait venir a Amiens, il y serait le bien venu, 
mais a condition des'vrendre sans escortede 
gens d'armes, la presence de ceux-ci pouvant 
devenir Toccasion de rixes dangereuses. Au 
recu de cet avis, qu'il considera comme un ou- 
trage, le regent prit avec des troupes le chemin 
d'Amiens. Aussitot que le bruit de son ap- 
procbe en pareille compagnie se repandit 
dans la ville, le commun peuple s'assembla 
et conlraignit le corps municipal a faire appel 
aux milices communales, et a les faire mar- 



— 159 — 

clier conlre le dauphin. Les peliles villes dii 
Beauvaisis armerent leurs contingents. Le 
regent dut arreter sa marclie. 

La ville de Laon, a ['instigation de son 
eveque, Lecoq, refusa egalement de payer 
Taide votee a Gompiegne. La plupart des 
villes du Nord en firent autant. 



On ne pouvait penser que les Parisiens con- 
sentiraiSnt a acquilter un impot vote a ia 
demande de leurs ennemis, et dont le produit 
devait elre employe a leur faire la guerre. 
Cependant le regent ecrivit au pre v6t des mar- 
chandspourTengager a faireelire parlesbdur- 
geoisles delegues charges de presider a la per- 
ception de Taide. Ordre elait donne a Marcel, 
dans le cas oil les bourgeois refuseraient de 
se reunir a ces fins, ou tarderaient a le faire, 
de choisir lui-menie les commissaires ala per- 
ception et de commencer immediatement le 
recouvrement de I'impot vote a Gompiegne . 



— 160 — 

La depeche du prince fut communiquee 
au peuple de Paris dans les assemblees de 
quarlier el devint Tobjet de discussions ex- 
tremement vives. Les partisans de la paix 
etaient nombreux. Le prevot comprit qu'il 
ne fallait pas, des I'abord, et par une precipi- 
tation intempeslive faire d'adversaires deja 
incommodes , des ennemis declares. II sa- 
vait d'ailleurs combien une lutte ouverte 
contre le dauphin pouvait etre chanceuse, et 
combien la desertion des villes des pi*bvinces 
en rendait pour Paris Tissue perilleuse. II 
determina le corps municipal a faire parvenir 
au regent des propositions pacifiques. L'uni- 
versile servit d'intermediaire. La ville se de- 
clarait prele a faire amende honorable et de- 
mandait seulement \ie sauve pour ceux qui 
avaient oflTense le regent. Celui-ci, comme 
condition prealablea tout arrangement,exigea 
qu'on lui livrat les principaux coupables pour 
en faire a sa volonte. La negociation fut 
rompue. On reprocha plus tard amerement 



— 161 — 

an prevot Tinsucces de ces pourparlers. On dit 
que, dans un interet purement personnel, les 
coupables avaient compromis la ville enliere 
et mis en peril la vie et la fortune de leurs 
concitoyens innocents. 

Au lieu de nommer des collecteurs pour 
Timpot, les Parisiens reprirent leurs prepa- 
ralifs de defense. 



§v. 



Le people des eampag^nes. — La JIaeqaerie. 



La perception des taxes voteesa Compiegne 
elait done devenue, dans beaucoup de villes, 
surlout dans les plus grandes et les plus riches, 
a peu pres impossible. Restaient les campa- 
gnes (ce qu'on appelait le plat pays), qui de- 
vaient, ainsi qu'il avait ete vote a Compiegne 
enlrelenir, i liomme pour loo feux en 
certains pays , un par 200 feux en certains 
aulres. Get impot ful percu avec d'autant 
plus de rigueur que la resistance des villes 
avait cause , dans les caisses du regent , un 
deficit qu'il importait de ne point augmenter. 

Mais a peine les elats s'etaient-ils separes 



— 163 — 

et le recouvrement de Taide avail-il com- 
mence dans les campagnes, qu'eclala un ter- 
rible soulevement. Les paysans du Beauvoisis, 
de la Picardie, du Soissonnais, de I'lsle de 
France coururent sus aux collecleurs d'im- 
pols, aux nobles, en massacrerent un grand 
nombr^ et pendant quelques semaines, mi- 
rent a feu et a sang le pays silue enlre la 
Somme et TYonne ([). 

On a impute aux excitations du prevot 
cetle revolte connue dans Thistoire sous le 
nom de Jacquerie. La royaute a pretendu 
faire retomber sur la bourgeoisie parisienne 
la responsabilile des exces et des crimes 
commis par les paysans. Marcel, dans une 
leltre adressee aux bonnes villes, a energi- 
quement repousse celte imputation. Tout 
porle a croire qu'il elait sincere. La revolte 
locale de la Jacquerie ne fut qUe TefTort de- 
sordonne de quelques miserables pour se- 

(i) 21 mai — 1 5 juin i358. 



— 164 — 

couer le joug de fer qui les eireignait. Elle 
fut inspiree par un seul senliment, la misere, 
et n'eut qu'iin seul but, la vengeance. 

La conquele romaine a vait peuple les campa- 
gnes d'esclaves : Tinvasion avail refoule dans 
les villes le peu d'bommes libres que la cen- 
tralisalion imperiale y avail laisses. La feoda- 
lile s'etail etablie solidement dans le plat pays 
el avail ecrase les populations rgrales. Quel- 
ques soulevemenls , lenles a diverses epoques 
par les serfs exasperes, n'avaient servi qu'a 
rendre la condilion de ceux-ci plus deplo- 
rable encore. Au xiv® siecle le paysan avail 
a peu pres la \aleur des besliaux qui culti- 
vaient avec lui la glebe du seigneur ; c'etail 
une chose, ce n'etait point un homme. 11 
ne comptait pour rien dans le pays. Le demi- 
siecle qui venail de s'ecouler avail porle la 
misere des serfs a son comble. Ecrasees de 
prestations, de redevances, d^cimees par la 
p^ste, ranconnees par T Anglais, pressurees par 
les barons, dont il avail fallu , apres Courtray, 



— 165 — 

apres Crecy, apres Poiliers, acquiller les ran- 
cons et payer les folies, epuisees aussi par 
rimpot royal, les populations des campagnes 
elaient tombees au dernier degre de Tabjec- 
lion et dii desespoir. Elles etaientabsolument 
hors d'etat de supporter de nouvelles charges. 
Aussi, lorsqu'on \int leur reclamer Taide 
\otee a Compiegne, refuserent-elles de Tac- 
quitter. On voulut les y contraindre par la 
force, elles re^isterent, et leur resistance prit 
un caraclere atroce. Une fois sortis de cette 
apathie sous laquelle ils cacliaient d'ordi- 
naire leurs souffrances, les paysans essaye- 
rent de se venger de tous leurs oppres - 
seurs, et surtout des gentilshommes dont la 
tyrannic odieuse pesait depuis si longlemps 

'sur eux. 

La Jacquerie eclata au moment meme oil 
le recouvrement de Taide etait poursuivi 
dans le plat pays, et demeura circonscrite aux 
provinces oil Timpot fut leve ; elle cut pour 
adversaire principal Tallie du prevot Marcel, 



— 166 — 

I 

le roi de Navarre. En faul-il da vantage pour 
etablir qu'elle n'a point ele fomentee par les 
bourgeois, qu'elle a eu pour cause determi- 
nante laperception des taxes de Compiegne. 
S'il etait absolument necessaire d'imputer a 
quelqu'un la responsabilite de ce souleve- 
ment , cette responsabilite incomberait au 
regent qui avait rendu la revolle inevitable 
en voulant arracher de Targent a des mal- 
lieureux qui n'en avaient pas. 

Sans doule, des Tabord, les bourgeois vi- 
rent, sans depiaisir, eclater une sedition qui 
devait donner a leurs adversaires le plus 
serieux des embarras. Us eprouverent peu 
de regrets de la mort des gentilshommes du 
Beauvoisis ou,du Soissonnais qui avaient si 
bien affiche , a Compiegne leur baine contre 
les bourgeois et la cause soutenue par 
ceux-ci. Depuis les etats de Provins et ceux 
de Verlus la population parisienne consi- 
derait les nobles comme des enneinis publics; 
a peine faisail-elle exception en faveur du 



— 167 — 

roi de Navarre. Elle se defiait de tous ceux 

qui , par leur naissance , appartenaient aux 

classes privilegiees , et nfe pardonnait qu'a 

ceux « qui reniaient genlilFesse et noblesse. » 

Les Jacques , en frappant les barons , fai- 

saient done Taffaire des reformaleurs ; mais 

ceux-ci repousserent loujours avec liorreur 

loute- solidarile dans les agissements des 

paysans souleves. U fallut, dans cerlaines 

localites, que les revolles employassent la 

violence pour decider les personnages im- 

portants de leur pays , appartenant a la 

classe bourgeoise, a marcher avec eux (i). 

Bien loin d'exciter la violence des Jacques, 

tous les efforts des bourgeois tendirent a en 

attenuer la portee. 

lis essayerent toulefois, c'est une verite qu'il 
n'est pas permis de con tester, de tirer parli, 
dans Tinteret de leur cause , de la diversion 

( I ) Le regent le reconnut lui-meme dans les lettres de remis- 
siciD accordees plus tard a quelques-uns de ceux qui avaient 
pris part a la rebellion. 



— 168 — 

puissante que le liasard leur ofTrait. Etienne 
Marcel se mit en rapport avec les* chefs princi- 
paux des revoltes , et il tenia de les amener 
a combiner avec lesParisiens une action com- 
mune. C'etait entreprendre une tache singu- 
lierement difficile. Les Jacques s'etaient sou- 
leves , avaient tue les gentilshommes , brule 
les chateaux, devasteles domaines, chacun 
de son cote , sans plan arrete. Peu leur im- 
porlaient les projets poursuivis par les gros 
bourgeois de Paris , d' Amiens ou de Rouen, 
lis ne les comprenaient pas et n'essayaient 
pas de les comprendre. lis n'y portaient et 
ne pouvaient y porter aucune espece d'in- 
teret. Pouvoir royal controle , administration 
reguliere des finances de TEtat , emploi judi- 
cieux des impots votes, stabilite dans les mon- 
naies, justice plus prompte et plus rapide, 
c'etaient la des choses inintelligibles pour 
des serfs, taillables a volonte. lis n'avaient 
que faire de tout cela. lis avaient pendant de 
longues annees courbe la tete et souffert en 



— 169 — 

silence. Us avaient la force aujourd'hui; ils 
voulaient a leur lour faire souffrir leurs ty- 
rans. Cetait la toute leur politique. Ils n'e- 
prouvaient pour les bourgeois des \illes 
qu'une mediocre sympathie. Ils etaient bien 
pres de les confondre avec les genlils- 
bommes qui avaient tant mallraite les pauvres 
babitants du plat pays. Le citadin qui de- 
baltait avec le roi le cbiffre des taxes qu'il 
devait payer, qui pouvait entrer au con- 
seil royal, fetremplir les plus bautes cbarges 
de TEtat, n'etait pas, aux yeux des malbeu- 
reux paysans, de la meme race que le serf, 
corveable a merci, oblige de Iravailler sans 
relacbe a une terre dont les produils appar- 
lenaient a un autre que lui. 

II etait done difficile aux magistrals pari- 
siens de trouver dans de tels hommes des auxi- 
liaires utiles. En vain voulurent-ils donner 
aux mouvements desordonnes des Jacques en 
delire une direction raisonnable; leurs efforts 
ecbouerent completement. lis profiterent seu- 

10 



— 170 — 

lement du trouble profond ou la revolle 
des paysans avail plonge le regent et la no- 
blesse pour completer la mise en elat de de- 
fense de la ville de Paris. Des colonnes mo- 
biles de Parisiens armes furent formees par 
le prevot pour operer dans les environs 
de la ville. Ces colonnes se porterent sur les 
chateaux appartenant aux conseillers les plus 
devoues du regent et les detruisirent. Au 
reste la diversion produite par la Jacquerie 
dura peu de temps. L'insurrection cessa 
rapidement de s'etendre; Tepoque de la 
moisson approchait. Les serfs des districts 
non encore souleves ne songerent qu'a re- 
cueillir leurs recoltes ; ceux qui avaient deja 
pris les amies penserent a retourner chez 
eux. lis se debanderent. 

Cependanl les nobles, remis de leur pre- 
mier etonnement, s'appretaient a reprimer 
energiquement la revoke. Tons les genlils- 
hommes de France avaient compris qu*il fal- 
lait etouffer dans son berceau le souleve- 



— 171 — 

menldes paysans. lis offrirentleur concours 
a leurs freres du Beauvoisis et de Tlsle de 
France. Plusieurs meiribres de raristocralie 
anglaise , oubliant la guerre qui divisait les 
deux pays, pour nesonger qu'aux interets de 
leur caste , offrirent leur epee a la noblesse 
francaise. Leroi de Navarre lui-meme laissant 
de cote pour un moment sa haine contre 
le regent et ses pretentions politiques, se 
souvint qu'il etait gentilhomme. II courut 
sus aux Jacques a la tete de ses gens d'armes^ 
s'empara de Tun de leurs principaux chefs , 
le fit mettre a mort au milieu des plus 
atroces tourments, massacra plusieurs mil- 
liers de ces malheureux. De toutes parts 
les nobles en force reprirent I'offensive et 
taillerent en pieces les serfs souleves. 

Les Parisiens tenlerent, avant que la des- 
truction complete des Jacques eut rendu 
aux chevaliers du regent leur liberte d'ac- 
tion, un dernier etvigoureux effort. D'accord 
avec les bourgeois de Meaux , ils essay erent 



— 172 — 

de s'emparer de la citadelle de cetle ville qui 
barrait la Marne et empechait Tapprovision- 
nement de Paris (i). Ilsechouerent, malgre le 
courage deploye par leurs archers. La gar- 
nison , soutenue en temps utile par des gens 
d'armes venus de Chalons , en inassacra un 
grand nombre. La ville de Meaux fut mise a 
sac, ses magistrats municipaux , soupconnes 
d'appartenir a la faction parisienne et d'avoir 
prele leur concours aux entreprises d'Etienne 
Marcel, egorges, la plupart des habitants 
jetes a la Marne , les autres expulses de leurs 
maisons. La rpyaute et la noblesse preten- 
dirent rendre la bourgeoisie responsable des 
violences commises par les paysans. On frappa 
indistinctement tous ceux qui n'appartenaient 
pas a I'ordre de la noblesse. Les populations 
des villes furent decimees comine celles des 
canipagnes. 

Le prevot des marchands y au nom de la 

(i] 10 juin i358. 



— 173 — 

\ille de Paris, denonca ces exces aiix bonnes 
villes de France et de Flandre. II esperait 
que les violences commises par les nobles ou- 
vriraientles yeux des provinciaux, que ceux-ci 
comprendraient enfin qu'en luttant conlre 
le regent et conlre la noblesse , en defendant 
energiquement les conquetes politiques de 
1 357, la ville de Paris ne soutenait pas seu- 
lement sa propre cause , mais celle de toules 
les aulres villes. Get appel comme les prece- 
dents fut infructueux ; il ne fut entendu du 
moins que par les bourgeois des pays oii la 
reaction feodale sevissait avec le plus de ri- 
gueur. Les villes du Laonnais, du Soisson- 

• 

nais, de la Picardie armerent fleurs milices 
et repousserent vigoureusement toutes les 
attaques dirigees contre elles. Les bour- 
geois de Senlis infligerent a la noblesse du 
Beauvoisis un sanglant echec; mais ce furent 
la des efforts isoles. Absorbees par le soin de 
leur propre defense, les villes du Nord ne pou- 
vaienl donner aux Parisiens aucun secours. 



— 174 — 

Les cites de la Normandie , de TOrleanais 
et des bords de la Loire, peu soucieuses, pour 
eviter des miseres dont elles ne soufTraient 
point encore et auxqiielles elles esperaient 
echapper, de s'exposer aiix dangers que ne 
manqueraitpasd'attirer sur elles une alliance 
avec Paris , reslerent absolument inactives. 



§VI. 



Insiiec^s deflnitif de la R^volatlon. — Causes 

de ce( iDsocces. 



Paris livre a lui-meme eut peut-elre lulle 
avec succes centre le regent si les divisions 
qui, des les premiers jours de la guerre, 
avaient commence a se manifester, n'etaien t 
devenues plus profondes. Leses dans leurs in- 
terets par la continuation des hostilites , les 
riches marchands de Paris se montraient de 
plus en plus mal disposes envers le prevot. 
Terrifies des exces commis par les Jacques , 
craignant que la populace de Paris ne se por- 
tal conlre les bourgeois aises , aux memes vio- 
lences que' les paysans contre les genlilshom- 



— 176 — 

mes, desireux avatit tout de ne pas s'exposer 
au ressentiment du dauphin et d'echapper 
aux chatiments terribles qui frappaient les 
fauteurs de sedition, ils n'eurent bientot 
qu'une pensee , faire a tout prix la paix avec 
le prince. Le prevot des marchands prit 
contre ces gens des mesures energiques. 
Deux bourgeois , accuses d'avoir servi d'a- 
genls au regent et trahi la cause de leurs 
concitoyens , furent arreles et pendus. Cette 
execution sur laquelle Marcel comptait 
pour terrifier ses ennemis tourna a son desa- 
\antage. Le bourreau ayant ete pris d'une 
attaque d'epilepsie , le bruit se repandit 
dans le peuple que Dieu reprouvait de 
semblables executions, qu'il avait, en met- 
tant sur Techafaud meme le bourreau hors 
d'etat de remplir son office , temoigne son 
deplaisir. Le clerge des paroisses de Paris, 
aussi peu favorable a la cause soutenue par 
Marcel que les ordres mendiahts s'y mon- 
traient devoues, exploita fort babilement la 



— 177 — 

superstition des classes las moins eclairees de 
la population. U insinua que ceux qui com- 
battaient contre leurs princes legitimes, re- 
presentants du Seigneur sur la terre, s'expo- 
saient aux plus grands malheurs et reussit a 
persuader a nombre de gens religieux et cre- 
dules, qu'il fallait, a peine de damnation, 
rentrer en Tobeissance de monseigneur le 
regent. 

Les chefs du gouvernement parisien n'i- 
gnoraient pas les dispositions hostiles d'une 
portion des habitants. lis penserent que le 
moment etait \enu de mettre a execution le 
projet qu'ils avaient concu et de s'assurer de- 
finitivement le concours, sinon la complicite 
du roi de Navarre, lis oflfrirent a celui-ci le 
titre de capitaine de Paris avec le comman- 
dement de la ville et des milices bourgeoises, 
c'est-a-dire une dictature a peine deguisee. 

Cetait une faute tres-grave, et que ne 
pouvait excuser le besoin ou se trouvaient 



— 178 — 

le prevot des marchands et ses collegues 
dii corps municipal de se faire des allies. 
Ce n'etait plus en effet I'alliance des bour- 
geois de Paris et des bonnes villes de France 
que les magistrals parisiens offraient au roi 
de Navarre , c'etait le secours de celui-ci 
qu'ils venaient humblement solliciter. Le roi 
de Navarre savait fort bien qu'il n'avait 
point a accepter de conditions, que ses nou- 
veaux allies seraient trop heureux de se sou- 
mettre a celles qu'il voudrait bien formuler 
lui-meme. C'etait done en realite un maitre 
que le prevot appelait a Paris. 

Le roi de Navarre accepta sans hesiter 
Toffre qui lui etait faite et se dirigea im- 
mediatement sur Paris avec una nom- 
breuse troupe d'hommes d'armes. Par une 
circonstance malheureuse et que les ennemis 
du prevot des marchands devaient plus tard 
cruellement reprocher a celui-ci, se trou- 
vaient dans les bandes navarraises un cert^ia 
nombre d'Anglais. 



— 179 — 



Les magistrals parisiens n etaient pas sans 
redouter les suites de la grave mesure qu'ils 
\enaient de prendre. Les negociations quils 
avaient suivies avec le roi de Navarre avaient 
ete tenues secretes. La' population n'en avait 
point ete et n'avait pu en elre avisee. Elle 
a\ait,a une autre epoque , temoigne d'un 
ardent entliousiasme pour le roi ; mais la con- 
duite de celui-ci pendant la Jacquerie avait 
ete fortement improuvee par le petit peuple ; 
on pouvait craindre que la populace accueil- 
lit mal le capitaine qu'il avait plu a Etienne 
Marcel et a ses amis de lui donner, et qu'elle 
trouvat mauvais qu'on eiit dispose de Paris 
sans la consulter. Pour eviler des complica- 
tions qui pouvaient devenir serieuses , il fut 
entendu entre le roi de Navarre et le prevot 
que le roi entrerait en ville sans prendre 
son titre de capitaine , et qu'on essaierait de 
donner, a Texecution du traite arrete enlre 
lui et la municipalite , le caractere d'une 
grande manifestation populaire. Le roi de 



— 180 — 

Navarre joua liabilement son role. Des le 
jour de son arrivee, il fit annoncer qu'il se 
rendrait a la Maison aux Piliers et qu'il y fe- 
rait publiquement connaitre son opinion sur 
la situation du pays. Une foule considerable 
se porta a la Greve pour Tentendre. Le pre- 
v6t et les echevins avaient eu soin d'y reunir 
leurs partisans les plus devoues. Le prince 
liarangua les bourgeois avec beaucoup d'ha- 
bilete. II se declara attache jusqu*a la mort 
a la population parisienne a laquelle il devait 
la liberte. Ce discours produisit, parait-il, 
bon effet ; de vifs applaudi3sements se firent 
entendre. 

Aussitot Tun des echevins, Toussac, 
homme fort eloquent et qui passait pour avoir 
sur le peuple une grande influence, prit la 
parole. Il fit Teloge du roi de Navarre, rap- 
pela les tilres qu'avait celui-ci a la confiance 
publique et les gages qu'il avait deja donnes 
(le son devouement a la cause soutenue par les 
Parisiens. 11 annonca que le corps municipal 



— 181 — 

avail demande au roi d accepter le tilre de 
capitaine de la ville. Le pre vol et les 
prudhommes n'avaient, disait Toussac, pris 
celle delerminalion que parce qu'ils etaient 
convaincus que Talliance du roi de Na- 
varre et de la population parisienne assu- 
rerait le triomphe des reformes entreprises. 
lis etaient certains du complet accord du 
peuple de Paris et de ses magistrals. Ceux-ci 
demandaient a leurs conciloyens de ratifier le 
cboix qu'ils avaient fail dansTinleret de tous. 
Le discours de Toussac fut accueilli par 
les cris de Navarre ! Navarre ! Le prevol des 
marchands el le roi feignirent de voir dans 
ces acclamations de quelques habitants I'ex- 
pression de la volonle de la population lout 
enliere. Des bourgeois voulurent protester : 
leurs protestations furent etoufTees. Le roi 
de Navarre prela serment et ful inslalle dans 
ses nouvelles fonctions (i). 

(i) 25 juin 1358. 

11 



— 182 — 

Marcel , fidele au sysleme qu'il avail suivi 
jusqu'alors , sinon de n'agir qu'apres avoir 
pris I'avis des provinces, du moins de leur 
nolifier lej fails accomplis , rendit , par lellre 
circulaire , comple aux bonnes villes des 
evenemenls qui venaienl de s'accomplir. 
Quelques-unes seulemenl, devouees au roi 
de Navarre, repondirenl a la leltre de Marcel 
par une adhesion pure el simple. Le plus 
grand nombre ne dissimulerent poinl leur 
in) probation. 

D'aulre part, beaucoup de gens d'armes 
navarrais refuserenl de combatlre a c6le des 
Parisiens contre les chevaliers du regent, et 
abandonnerenl leur chef plutot que de s'as- 
socier aux bourgeois. Conlrainl par ses nou- 
veaux allies d'aller, malgre la defection deses 
chevaliers, au devant des troupes royales, 
Charles le Mauvais tint quelques jours cam- 
pagne, mais rentra sans s'etre engage contre 
Tennemi. Cen fut assez pour que beaucoup 
de gens pretendissent que le roi de Navarre, 



— 183 — 

le bourreau des malheureux pay sans du Sois- 
sonnais, n'avait pas voulu combattre ses 
freres les gentilshommes , qu'il s'entendait 
avec eux et qu'il ne s'etait fait revetir de la 
haute dignite de capitaine de la ville que pour 
trahir le peuple de Paris et le livrer aux 
barons Champenois. 

Les accusations ne s'arreterent pas au roi. 
Elles attei^nirent aussi Marcel. 

II est rare qu'un grand liomme sorti des 
rangs du peuple jouisse entierement de la 
confiancede celui-ci. Le peuple, qui se prete 
a lui-meme , pris en masse, toutes les vertus, 
reconnait rarement a Tun des siens, pris indi- 
viduellement, des qualites eniinentes, et sur- 
lout du desinteressement. L'envie est une 
qualite eminemment democratique. EUe a de 
bons cotes. C'est de tons les controles le 
plus clairvoyant et le plus efficace. Mais elle . 
a le grand inconvenient d'entraver Tessor 
des grands esprits et des grandes intelligen- 
ces. Dans un pays democratise, lous les ci- 



- 184 — 

toyens pen vent aspirer aux plus liautes fonc- 
lions de TEtat, ce qui estun grand bien; mais, 
en meme lemps, nul ne veut admettre que 
I'un des ciloyens , soil ou devienne en rien 
superieur aux autres , ce qui est un mal. 

L'importance prise par le prevot , les ser- 
vices memes qu'il avait rendus aux Parisiens 
le designaient a la calomnie. On disait en 
ville que Marcel n'avait eu, en appelant le 
roi de Navarre qu'un seul but , faire entrer 
dans Paris des troupes etrangeres, pour, avec 
Taide de celles-ci, se debarrasser de ses ad- 
versaires poliliques et assurer sa domination 
personnelle. II y eut meme des gens qui in- 
sinuerent que, depuis longues annees, Marcel 
avait concu le projet de se substituer au dau- 
phin et de se proclamer roi de France. D'autres 
faisaientremarquer que le prevot avait a sa 
solder des A^nglais », c'est-a-dire les fleaux 
du pays. On allait jusqu'apretendreque Mar- 
cel avait ete « engendre par une personne 
elrange et ennemie du royaume. « Peu s'en 



— 185 — 

fallait que certaines gens ne voiiliissent lui 
imputer la responsabilile du desastre de 
Poitiers. 

Chaque jour grandissaient le nombre de ses 
adversaires, et les difficultes de sa situation. 
Le regent s'etait rapproche de Paris , mais il 
evitait d'engager avec les milices parisiennes 
unelutte dc vive force, il se bornait adevas- 
ter la banlieue et a faire detruire par ses gens 
d'armes les habitations qu*a\aient epargnees 
les Parisiens : il pensait que les gros mai*- 
chands et les riches bourgeois se degoute- 
raient rapidement d'une guerre a laquelle ils 
ne pouvaieat rien gagner, et qui, chaque jour, 
au contraire, leur infligeait des pertes con- 
siderables. Ses calculs etaient fondes. 

Devant la niauvaise volonte toujourscrois- 
sante d'une notable partie de la population 
parisienne le corps municipal fit faire au re- 
gent de nouvelles ouvertures de paix. Les 
negociations suivaient leur cours quand inter- 
\^intleroide Navarre, qui, sans s'inquieter de 



— i86 — 

ce que pensaient les bourgeois, ses allies, el 
prenant sur lui de trailer en leur nom, pro- 
mil, en ecliange d'a vantages qu'il slipulail 
pour lui personnellement, que les Parisiens 
renlreraienl en I'obeissance du roi, et paie- 
raient 100,000 ecus d'or si le regent consen- 
lail a les exempler de loute peine corporelle. 
Lorsque les Parisiens connurent le Iraile 
qu'avait signe leur capitaine, leur colere fut 
extreme, et quand le roi de Navarre voulul, 
apres avoir quitte son beau-frere, renlrer a 
Paris pour mettrea execution les conventions 
qu'il venait d'arreter, il fut accueilli par des 
liuees et des menaces ; on luireprocha sa tra- 
bison, on lui demanda quel prix il avail 
vendu ses allies, et il n'ecbappa qu'avec peine 
aux violences de la populace. Telles furent 
les proportions prises par I'emotion populaire 
que le roi de Navarre declara qu'il n*elait 
point lie d'une facon definitive par le Iraite 
qu'il avail discule et consenti avec raonsei- 
gneur le regent, qu'il etait pret a s'en de- 



— 187 — 

gager, et a faire, deslelendemain,une sorlie 
conlre les troupes royales. La sortie eut lieu 
en effet et fut suivie de plusieurs autres. Mais 
leroide Navarre ne put, en rompant le traite^ 
retrouver la popularite qu'il avait perdue en 
le signant. La facilile meme avec laquelle i} 
avait viole ses engagements au regard du re- 
gent, riiabilete qu'il avait deployee pour don- 
ner a son manque de foi Fapparence de re- 
presailles autorisees par les agissenients du 
due, inspiraient a beaucoup de gens de se- 
cretes terreurs. On se demandait, a Paris, quel 
fonds on pouvait faire sur la parole d'un 
pareil homme. U semble qu'a ce moment 
les magistrats parisiens eux-memes songerent 
a renoncer a son concours. Le prevot Marcef 
tenta,aupres desbonnes villes, une demarche 
supreme et leur adressa, le 1 1 juillet, une let- 
tre par laquelle il leur demandait, dans leur 
interet propre, de se joindre a la lutte que 
Paris soulenait conlre les gentilsliommes qui 
voulaient reduire de nouveau le peuple a 



— 188 — 

la plus profonde misere et a la servitude. 

Comme les precedentes cette demarche 
resla sans effet. Cependant les gens du re- 
gent continuaient a saccager la banlieue pa- 
risienne. De nouvelles negociations n'avaient 
pu aboutir. Le due avait demande que les 
Parisiens se rendissent a merci; mais il avait 
consenti a ce que leur sort, au lieu d'etre 
regie par lui seul, fiit fixe par un conseildont 
les membres etaient designes d'avance au 
traile , et dont les dispositions bienveillantes 
etaient bien connues. Communiquees a k 
population, ces propositions avaient souleve 
une opposition tres-vive; les negociations 
avaient ete abandonnees. 

En I'Etat, Talliance du roi de Navarre, 
si perilleuse qu'elle fiit , parut a Marcel et 
a ses amis Tunique espoir de la cause qu'ils 
avaient soulenue et tous leurs efforts tendi- 
rent des lors vers un seul but, eviter une 
rupture avec Charles le Mauvais. 

C'etait une tache difficile; le peuplede Pa- 



— 189 — 

ris elait de plus en plus aniine conlre le roi. 
II trouvait que les soldals de celui-ci ne ren- 
daient point a la ville les services qu'on at- 
lendait d'eux, qu'ils coulaient beaucoup 
d'argenl et faisaient peu de besogne. II les 
considerait, depuis le traite signe par leur 
chef avec le regent, bien plulot comme des 
ennemis que comme des allies. Des querelles 
s'elevaient incessamment enlre ces soldats 
et la population, querelles qui degeneraient 
en combats verilables. Un jour, notamment, 
le peuple lua vingt-cinq Navarrais. 11 en au- 
rait massacre un plus grand nombre si le 
prevot n'avait reussi a souslraire les gens 
d armes menaces a la fureur populaire en les 
faisant arreler et conduire en prison. Les Na- 
varrais avaient voulu vengerla mort de leurs 
camarades. Campes a Saint-Denis et a Saint- 
Cloud, ils avaient ravage les faubourgs de Pa- 
ris. Ces devastations avaient exaspere les Pari- 
siens. En vain leroi de Navarre etait-il venu a 

riiotel de ville , avait-il harangue le peuple , 

11. 



— 190 — 

essayede donner des explications. En vain le 
corps municipal avait-il fait les plus grands 
efforts pour calmer la population , la populace 
s'etait montree rebelle a tous conseils. Elle 
avait demande a grands cris la mort des « An- 
glais » elexige quele roi de Navarreet leprevot 
Marcel se missent immediatement ala lete des 
milices bourgeoises pour aller les combattre. 
A peine leroiet Marcel purent-ils obtenir un 
delai de quelques beures, ils durent sorlir le 
soirmemea\ec plusieurs millers d'hommes. Ils 
furentassez beureux pour eviler une collision 
entre les troupes qu'ils conduisaient et les 
bandes navarraises; mais une autre colonne , 
quioperait en debors de leur commandement 
direct et s'etait dirigee vers Saint-Cloud, f ut 
taillee en pieces au bois de Boulogne par 
les soldals navarrais, et perdit plus de 5oo 
bommes. Sorlis le lendemain, pour relever 
leurs morts, les Parisiens furent attaques 
encore par leurs anciens allies et 120 des 
leurs furent tues. 



— 191 — 

Ce desasire mit le comble a la fureiir dtr^ 
peuple, qui se persuada que le roi de Na- 
varre avail donne a ses anciens soldats avis 
de la marche des gens de Paris, et que les 
milices bourgeoises avaient ete victimes d'une 
Iraliison . 

Marcel n'avait point assiste a ce regrettable- 
combat. II fut, en rentrant en ville, accueilli 
par desliuees et des menaces. Le prevot ayant 
fait mellre en liberie un certain nombre de 
Navarrais restes en prison a la suite /des- 
premieres rixes intervenues entre eux et 
les bourgeois , la complicite de Marcel avec 
les assassins de Boulogne parut evidente a la- 
multitude. 

Les agents du regent profiterent habile - 
ment de ces dispositions deTesprit public; ils 
repandirentle bruit que le prevot voulait, au 
profit du roi de Navarre, abolir Tancienne 
constitution municipale de Paris. 

Ce bruit contribua a augmenter encore 
Tirritation populaire. 



— 192 — 

Jadis les Parisiens avaient professe pour 
la majeste royale un respect sans bornes. 
Mais peu a pen ce respect avait disparu. 
L'esprit satirique du xiv® siecle s'etait exerce 
aux depens de la royaute comme a ceux de 
tputes les aiitres institutions De nom- 
breux fabliaux avaient paru, ou rois et 
princes etaient fort mallraites , ou Ton raillait 
leurs ridicules et mettait a nu leurs fai- 
blesses; ou Ton apprenait au peuple a les 
mepriser. La royaute, d'autre part, avait 
pris a tache de se discrediler elle-meme. Elle 
etait venue aux halles, avait harangue la 
populace, avait, en attaquant les magistrats 
municipaux, porte atteinte aux principes 
d'autorite qui faisaient sa force : elle avait 
engage avec quelques-uns de ses su}ets des 
polemiques publiques au cours desquelles 
ses adversaires ne Tavaient pas menagee. Le 
roi de Navarre avait fait les Parisiens juges 
de sa querelle avec le regent. Le regent, 
a son tour, avait fait repandre dans Paris, 



— 193 — 

beaucoup de medisances et de calomnies 
sur le compte du roi de Navarre. La conse- 
quence de tout ceci avait ete que la royaute, 
aux yeux du peuple, avait perdu toute es- 
pece de prestige, que les Parisiens se de- 
fiaient egalement jde tons ceux qui portaient 
ou etaient appeles a porter une couronne; 
que s'ils n'aimaient guere le regent ils 
n'avaient plus pour le roi de Navarre 
qu'une affection mediocre. Peut-etre meme, 
apres les derniers evenements, eprouvaient- 
ils pour le regent moins d'antipatliie que 
pour M^*" de Navarre. Aussi le bruit que 
le prevot voulait livrer Paris a Charles le 
Mauvais exaspera-t-il la population. Les pe- 
tites gens surtout se montrerent extreme- 
ment irrites. La populace commencait a 
accuser contre les bourgeois un sentiment 
analogue a celui que les bourgeois, depuis 
Poitiers, nourrissaient contre les gentils- 
hommes. Les calomnies du regent portaient 
leurs fruits. Le menu peuple se plaignait 



— 194 — 

qu'a lollies les reformes les bourgeois seuk 
eussent gagne quelque chose et qu'ils eussent 
neglige les interels des « pelits ». II prelen- 
dait mainlenant imposer ses volonles « aux 
maitres » qui jusqu'alors avaient gbuverne 
seuls les clioses communes, et n'entendait 
pas, en lous cas, accepter d'eux un nou- 
veau roi. Les 'aspira lions populaires etonne- 
rent et effrayerent les partisans de Marcel. 
Les desirs exprimes par la populace etaient 
cependant la consequence necessaire de la 
revolution tenlee et realisee par les bourgeois, 
et decoulaient tout natnrellement des theories 
et des agissements de ceux-ci. En essayant 
d'arracher a la rovaute et a la noblesse 
leurs principales prerogatives , les bourgeois 
avaient ouvert, dans Tedifice ancien de la 
hierarchie sociale, une br^che par laquelle 
ils ne pouvaient empecher le menu peuple 
de penelrer a leur suite. Ils manquaient de 
logique, en pretendant s'elever eux-memes 
au niveau des anciennes classes privile- 



— 195 — 

giees, partager avec elles le gouvernement 
de TEtat, et en refiisant aux pauvres gens le 
droit de reclamer part egale aleur tour, et de 
formuler, au regard des bourgeois, des pre- 
tentions analogues acellesqueceux-ciavaient 
elevees par rapport au clerge et aux gentils- 
liommes. lis ne p^uvaient, en meme temps, 
exiger la suppression des privileges qui les 
blessaient et le respect de ceux dont ils pro- 
fitaient, reclamer T^galite pour eux et ne 
point permettre qu'on Tinvoquat contre eux. ' 

A.insi, les magislrats parisiens, abandonnes 
par les gros bourgeois dont la lutte , en se 
prolongeant, lesait les interets, et dont la va- 
nile trouvait que dans le gouvernement 
les petiles gens avaient place Irop grande, 
etaient abandonnes aussi par le pelit peuple 
qui se disait Irahi au profit de quelques pri- 
vilegies. La volonte populaire s'accentua 
avec une telle force que le corps municipal 
dut relirer au roi de Navarre le tilre et les 
fonctions de capitaine de Paris. 



— 196 — 

Au meme moment les bourgeois enlamaient 
secretement des negocia lions avec le regent. 
Mis par ses fideles au courant des mouve- 
ments de Topinion a Paris, le prince, aux ou- 
vertures qui lui furent failes, repondit qu'il 
etait pret a tout oublier, a pardonner aux 
pauvres gens trompes par leurs chefs, mais 
qu'il ne pouvait trailer a\ec les Parisiens 
tant que ceux-ci n'auraient pas fait justice 
des meurlriers des marechaux. Celait une 
reponse habile et qui devait avoir pour re- 
sullat de rendre Marcel odieux a la plupart 
de ses concitoyens. Apres la declaration du 
dauphin , la guerre prenait un caractere nou- 
veau. Aux yeux de la plupart des Parisiens 
elle devenait en quelque sorle une affaire 
personnelle au prevot. 

Etienne Marcel fut avise des negocia- 
lions et de la condition que le regent met- 
tait a la paix. II connaissait assez le peuple 
de Paris pour savoir les pernicieux efTets 
que deux annees de revolulion a\aient pro- 



— 197 — 

duits sur Tesprit public^ et ne point se dissi- 
muler que le souvenir de services rendus 
n'empecherait pas les Parisiens d'abandon- 
ner leurs magistrals, s'ils Irouvaient quelque 
avantage a le faire. II tint conseil avee ses 
principaux partisans. II fut convenu avec eux 
que, pour echapper au regent, on se mettrait 
aux mains du roi de Navarre; qu*on rappel- 
lerait celui-ci a Paris, malgre la destitution 
qui Tavait frappe, malgre la volonte populaire. 
Le prevot des marchands esperait que, cette 
fois encore , le peuple s'inclinerait devant le 
fait accompli et qu'il accorderait- aux agis- 
sements de ses chefs une approbation, 
dont ceux-ci etaient, au surplus, decides, s'il 
le fallait, a se passer. II fut entendu qu'on se 
justifierait en invoquant la necessite ; on ra- 
conterait aux Parisiens que le rappel du roi 
deNavare etait indispensable pour empeclier 
les partisans du regent de metlre la ville a sac. 
On feraitarreterquelques partisans du prince. 
On les abandonnerait a la fureur de la popu- 



— 198 — 

lace. L'enlreprise cependant elait chanceuse. 
Les conjures prirent , pour en assurer le suc- 
ces, d'energiques mesures. lis furent accuses 
plus lard d'avoir prepare le massacre des 
bourgeois de la ville , des plus consideres et 
des plus imporlants , Fincendie d'une grande 
parlie de Paris , et d'avoir voulu livrer aux 
Anglais la capitale du royaume. C'etait la 
evidemment, desexageralionscomme enconi- 
mellent lous les parlis poliliques les uns a 
regard des aulres, lesquels, pour juslifier 
les crimes qu'ils ontcommis, ne nianquent 
jamais d*en impuler de plus grands a leurs 
adversaires. II est probable que si le prevot 
avait triompbe, les memes desseins eussent 
ete preles a ses ennemis, et qu'il eiit passe 
pour le sauveur de Paris. 

Le roi de Navarre accepta le role que 
les magistrals parisiens lui offraienl. Mais 
le coup d'Elat qu'allaient tenter Marcel 
et ses amis, avait ele prevu par leurs 
ennemis. L'un des ecbevins, Jean Maillard, 



— 199 — 

parent du prevot, niais jaloux de lui et par- 
tant devoue a la cause du regent, avait avise 
celui-ci du projet de Marcel. Lesadversai- 
res de ce dernier se mirent en mesure de 
le dejouer. 

U avait ele arrele enlre les chefs parisiens 
et le roi de Navarre, que celui-ci entrerait a 
Paris, dans la nuit du 3i juillet au i" aout, 
par la porte Saint-Denis, dont le gardien etait 
justement Jean Maillard. Dans la soiree du 
3 1 juillet, Marcel se rendit a la porle ac- 
compagne de quelques-uns de ses partisans 
les plus devoues, et reclama a Maillard les 
clefs qu'il delenait. Celui-ci refusa de les 
remettre. line querelle s'eleva entre-eux et 
Marcel toniba, frappe par Maillard, disent 
les uns, et d*apres d'autres versions, par des 
hommes apostes, qui se precipilerent sur 
le prevot et ses amis. 

Marcel venait de succoinber, avec les 
principaux des siens, sous les coups de 
quelques-uns de ces bourgeois dont il avait 



— 200 — 

voulu faire les premiers de F^tat et qui 
I'accusaient d'avoir livre la France aux ca- 
prices des petites gens. II avail ete aban- 
donne par la populace qui lui reprochait 
d'avoir sacrifie les interels du peuple a ceux 
des bourgeois. 

Le prevot mis a mort, les gens de Mail- 
lard se repandirent dans la \'ille, occuperent 
le carreau des halles, la Maison aux Piliers 
et les portes principales , egorgerent ceux 
des partisans de Marcel qui tentaient de 
resister, prirent les precautions defensives 
necessaires pour frapper d'impuissance tous 
les efforts que pourrait faire le roi de Na- 
varre afm de penetrer dans Paris, el avi- 
serent le regent de la besogne qu'ils avaient 
accomplie. 

Le matin , lorsque les Parisiens s'eveil- 
lerent, le succes de Maillard etait com- 
plet, et toute lutte impossible. Personne 
d'ailleurs n'essaya de protester. Le petit 
peuple, comme Marcel Tavait prevu , accepta 



— 201 — 

sans mot dire le fait accompli : il se laissa 
persuader facilement que le prevot et les 
siens elaient des trailres. La plupart de ceux 
qui avaient jure « alliance de vivre et de 
mourir avec le prevot y> se halerent de le 

desavouer, et lorsque Ma ilia rd sadressant 
aux Parisiens assembles aux halles, leur 
rendit comple des evenements qui venaient 
de s'accornplir, son discours fut accueilli 
par des applaudissements. 



La mort de Marcel et de ses adherents ne 
suffit point au regent ; une commission fut 
nommee par lui a Teffet de rechercher et de 
juger les complices de Tancien prevot. Lorsque 
les commissaires eurent accompli leur mis- 
sion*, que la plupart des citoyensqui avaient 
essaye de donner a la France la direction de 
ses propres affaires, eurent ete envoyes a la 
Greve et a Montfaucon, le dauphin rentra a 
Paris. Tous les corps constitues vinrent au de- 



— 202 — 

vant de liii , un seul exceple , le corps mu- 
nicipal. Les bourgeois qui en avaient fait 
partie avaient eu Thonneur d'etre presque 
tous, avant Tenlree du dauphin, frappes par 
la liache du bourreau. 

La multitude applaudissait sur le passage 
du prince; mais le regent put se convaincre 
lui-meme que le vieux ferment revoluiion- 
naire n'etait pas encore completement eteint 
et qu'avec Marcel n'etaient point mortes les 
idees pour le triomphe desquelles le grand 
prevot avait donne sa \ie. Au moment oil 
le regent entrait en \ille un liomme s'ecria 
du milieu de la foule : « Pardieu , beau sire, 
sij'en eusse ele cru, vous ne fussiez ci enlre, 
mais apres toutci fera-t-on peu pour vous. » 
Les chevaliers qui accompagnaient le prince 
voulurent chalier Finsolent. Le regent les 
pria de n'en rien faire. 11 avait peu^ encore 
des Parisiens. 

Les bourgeois eclaires temoignerent, par 
leur silence^ de leur sympathie pour la cause 



— 203 — 

\aincue. Le lendemain de son arrivee, le 
regent se rendit a la Maison aux Fillers et y 
harangua le peuple. L'assemblee, qui com- 
prenait en majorite des gens apparlenant a 
la classe elevee , resla mueile. Si fragile parut 
au prince le succes qu il venait d'oblenir, 
qu'au lieu de s'inslaller comme autrefois a 
riiotel Saint-Pol , il se rendit au chateau for- 
tifie du Louvre. Lorsqu'il eut pris les me- 
sures necessaires pour prevenir et reprimer 
toute entreprise contre son autorile , il fit 
arreler tons ceux des anciens partisans de 
Marcel qui avaient echappe aux massacres. 
Leur proces fut vite fait. On les envoya au 
supplice et Ton confisqua, leur patriraoine. 
C'etait un nioyen aise de remplir les caisses 
du dauphin. Pour augmenter le produit de 
ces confiscations , on impliqua dans la cons- 
piration cc ourdie contre le roi » la plupart des 
riches bourgeois de Paris. Supplices et con- 
fiscations durerent plusieurs mois. Puis, 
quandon eut frappetous ceux qu'on disaitcou- 



— 204. — 

pables, et beaucoup qu'on savait innocents, 
on accorda aux autres des letlres de remis- 
sion , en prenant bien soin de faire payer ces 
letlres fort cher. C'est ainsi qu'un bourgeois 
obtint, inoyennant 700 florins, des lettres de 
remission, lesquelles constataient qu'il n'avait 
rien fait que pour esquivi^r le peril de sa vie. 
Le regent, dans sa bonte, consentit meme a 
restituer aux families des \ictimes quelques 
bribes des biens confisques. II se trouva nom- 
bre de gens pour savoir gre an prince d'avoir 
rendu une portion de ce qu'il n'avait jamais 
eu le droit de prendre. 



Beaucoup de marcliands de Paris avaient 
travaille a la ruine de Marcel dans Tespoir 
que, lui tombe, le calme et la tranquillite re- 
nailraient, et que lecommerce, enlravepar les 
troubles civils, reprendrait son essor. C'elait 
une esperance vaine. Les marchands ap- 
prirent a leurs depens ce qu'il en coute de 



— '205 — 

s'abandonner au bon plaisir d'un mailre sans 
conlrole. Le premier usage que fit le regent 
de son autorile recouvree fut d'ordonner la 
fabrication de monnaies nouvelles et d'en 
modifier 17 fois, au courant d'une seule 
annee, le taux et le titre. Un edit, celui du 
:25mars i56o, donna a Torune valeur 10 fois 
superieure a celle que les reglements sur 
la monnaie lui attribuaient la \eille. La per- 
turbation que ces modifications porlerent au 
commerce fut terrible. Le regent ne s'en 
tint pas la, il relira a la prevote des mar- 
chands pour les confier a un fonclionnaire 
a la nomination royale un grand nombre des 
anciennes attributions de la \ieille magis- 
traliu*e populaire. Au courant du moisde mai 
1 559, il retablit officiellement dans leurs 
charges les officiers qu'il avait du, deux ans 
auparavant, congedier sous la pression des 
etats. 

Une surveillance des plus active fut exercee 
sur les bourgeois qu'on soupconnait d'atta* 



— 206 — 

cliement aux idees de reforme. Le regent 
fit arreter quelques semaines apres son re- 
tour, 19 Parisiens qui « parlaient ensemble de 
choses dont ils ne devaient point s'occuper ». 
Ces liomine eussent ete infailliblement mis a 
mort sans Tenergique intervention d'un bour- 
geois qui remplissait alors les fonctions de 
clerc de la \ille de Paris. A Tinstigation de 
celui-ci, quelques citoyens determines se ren- 
dirent diez le prevot des marchandset Tobli- 
gerent a aller reclamer les prisonniers au re- 
gent , ou a mettre le prince en demeure de 
faire connailre d'une facon precise la cause de 
ieur detention. Le dauphin n'osa repousser 
la reclamation du prevot. 11 se rendit sur la 
place de Greve , declara au peuple assemble 
que les bourgeois qu'il avait fait prendre tra- 
bissaient la cause nationale au profit des An- 
glais. 11 recueillit quelques applaudissements. 
Devant une assemblee publique oil Ton a le 
soin d'envoyer d'avance quelques partisans 
devoues, des affirmations ehontees valent 



— 207 — 

des preuves. Une commission fut nommee 
pour faire le proces des gens arretes , 
mais il fut impossible de relever conlre eux 
aucune charge serieuse. U fallut les metlre 
en liberie. 

D'autres furent moinslieureux. Deux mois 
plus lard, 27 bourgeois furent executes. Vers 
la fin de mai i SSq, un aulre bourgeois, appar- 
tenanta une des grandes families municipales 
de Paris, Pisdoe, fut , sous pr^lexte de com- 
plot, envoye a Techafaud. Le jour de Texe- 
culion, une grande foule se reunit aux 
halles ; il parait qu'au moment oil tomba la 
tele du malheureux conspiraleur des vivats 
se firent enlendre. Les calomnies du regent 
avaient porle leurs fruils. Le menu peuple, 
qui, deux ans plus lot, avail fourni a Marcel 
un si energique concours, accueillait par 
des applaudissements la mort d'un ciloyen 
accuse d'avoir voulu delivrer son pays de 
la tyrannic royale. Les agents du prince 
avaient reussi a persuader aux pelites gens 



— 208 — 

que le regent faisait leur affaire en ecrasant 
la bourgeoisie. 

La royaule triomphait; elle elail arrivee 
depuis longlemps deja , dans la plupart des 
villes, a diviser la population en bourgeois et 
gens du peuple, toujours en luUe. Elle ob- 
lenait enfin a Paris ce meme resultat. Elle 
faisait de I'liomme aise Tennemi du prole- 
taire , de celui-ci Tadversaire energique de 
tons ceux que le travail, le talent ou le hasard 
avaient eleves quelque peu au-dessus du ni- 
veau comniun. Elle frappaitainsid'une egale 
impuissance les projets de reformes des bour- 
geois qui ne pouvaient etre realises par 
ceux-ci sans Tappui materiel des classes infe- 
rieures , et les efforts de ces dernieres , qui , 
pour etre efficaces , avaient besoin de Tappui 
moral, desconnaissances acquises, des aptitu- 
des politiques et de Targent des bourgeois. En 
separant les Parisiens en factions rivales, la 
royaute se mettait liors de page. 

La plupart des villes de provinces avaient 



— 209 — 

deja, par faiblesse ou par jalousie contre Pa- 
ris, abandonne la cause soutenue par Marcel 
et ses amis. Celles, en petit nombre, qui n'a 
vaient, jusqu'au dernier moment, cesse de la 
soulenir, restaient, Paris tombe, impuissantes. 
11 leur fallait rentrer en Tobeissance du regent 
ou se livrer aux Anglais. Elles estimerent que, 
<f mangees pour mangees, il valait mieux Tetre 
« par le dauphin, qui etait deja saoul, que par 
« d'aulres qui avaient faim. » 



La premiere tentative des bourgeois pour 
fonder en France la liberte politique venait 
d'echouer. 

EUe laissait toutefois , dans les moeurs poli- 

tiques de la France, une impression profonde. 

La royaute qui Tavait vaincue, ne put, elle- 

meme , se sotistraire a Finfluence des idees 

dont le mouvement de i356 avait ete I'ecla- 

tante manifestation. 

Ce fut dans les rangs de la classe bourgeoise 

:i2. 



— 210 — 

que le regent , pendant la captivite de son 
pere , et plus tard y quand sous le nom de 
Charles Vil gouverna pour son propre compte, 
alia chercher ses conseillers. L'ordonnance 
qui regla la regence , coinposa le conseil qui 
devait assisler le regent de prelats, de ba- 
rons , de magistrals des cours souveraines el 
de six bourgeois de Paris. D'autres ordon- 
nances abolirent le droit de prise, defendirent 
Falienation des biens de FEtat, le demembre- 
ment du doniaine royal, la mise en ferme des 
prevoles, soumirent les nobles, les clercset 
tolls aulres privilegies au paiement de la 
taille et des impols reels et personnels pour 
leurs biens non noi3les : et realiserent ainsi 
quelques-unes des reformes reclamees par 
les bourgeois en i357. 

Mais, en meme temps, la royaules'efforca 
d'affaiblir en France la vie politique. Lorsque 
le roi Jean, pour recouvrer sa liberie person- 
nelle, dont le pays n'avait que faire, signa le 
Iraite de Londres qui abandonnait a I'An- 



- 211 — 

glais un tiers de la France , le regent avait 
convoque les etats : les etats avaient refuse 
de ratifier le traite. lis avaient ete appeles 
encore , en mai iSGq, au moment ou le roi, 
apres avoir confisque la Guyenne anglaise , 
allait, par la force, mettre a execution Tarret 
de confiscation, lis avaient accorde les 
subsides necessaires pour pousser vigou- 
reusement la guerre nationale. Mais, a dater 
de ce jour, ils n'avaient plus ete reunis 
par Charles V. Le roi s'etait meme abs- 
tenu de convoquer les etats provinciaux , si 
devoues pourtant et si complaisants pour 
le dauphin en d'autres temps. 11 avait 
continue a lever, de son autorite privee, les 
impols voles en iSGg au dela de Tepoque 
fixee par les etats, et ne s'etait pas fait scru- 
pule de les augmenter. Les aides elaient de- 
venues permanentes; la gabelle avait ete im- 
posee a tons les- habitants du royaume d'a- 
pres leurs besoins presumes. 

Telle etait la terreur qu'inspiraient au roi 



— 212 — 

les assemblees populaires que , non content 
de lever les impots sans convoquer les de- 
putes de la nation , il avait edicte que les re- 
parlileurs et coUecteurs de ces impots , au- 
trefois eluspar Fassemblee des conlribuables, 
seraient a Tavenir nommes par la couronne , 
et rendraient leurs comptes aux agents 
royaux el a la Chambre des comptes , au lieu 
de les rendre comme autrefois a leurs conci- 
toyens. 

Aucune protestation ne se fit entendre , 
et jusqu'aux derniers jours de la vie de 
Charles V, les villes cesserent de jouer aucun 
role dans TEtat. 



CHAPITRE HI. 



LA REVOLUTION SOCIALE. 



§ I". 

Malssance ei devcloppcmeni dcs idees coniniaiiisies. 

— Haines soclales. — Decadence dela bourgfeolsle. 

— Preponderance des classes Inferleures dans les 
vllll*s , a Paris sartoui. — Airenenient de la d^- 
niagpogple. 

L'ordre , la tranquillile materielle , re- 
gnaient en France. L'autorile royale etait 
obeie sans contesle : mais ce calme n'etait 
qu 'apparent. 

Si les grandes idees de reforme politique 
energiqueinent soutenues par les bourgeois 
de 1 356 avaienl, peu a peu, perdu la plupar 
de leurs adherents , si le pays consentait 
sans difficulte a ce que le roi gouvernat a sa 



— 214 — 

guise et sans consulter ses sujets, des doc- 
trines d'lin caractere bien autrement grave 
que celles qu'avaient professees Marcel et ses 
amis s'etaient repandues dans le peuple. 

Des liommes s'etaient rencontres, qui 
avaient puise dans la lecture des livres saints 
des theories qui parurent etranges aux no- 
bles, aux prelats et aux bourgeois, mais que 
les pelites gens accueillirent avec entliou- 
siasme. Sous pretexte de condamner les abus 
de TEglise et de ramener celle-ci a sa sim- 
plicite primitive, ces hommes avaient aborde,. 
avec une hardiesse inouie , les plus conside- 
rables des problemes sociaux qui agitent en- 
core les socieles modernes. 

Quelques-uns d'entre eux, Wickleff par 
exemple , en Angleterre, avait reclame le par- 
tage des biens ecclesiastiques. Wickleff ne 
s'etait pas explique sur les autres biens; mais 
ses doctrines devaient fatalement conduire 
sesadeptes a contester le principe meme de 
toute propriete. Sans resumer en eflfet ses 



— 215 — 

raisonnements en formules bien precises , il 
laissait facilement entendre que nul ne devait 
rien posseder en propre au dela de ce qui elait 
necessaire a son existence personnelle ou aux 
besoins exlrinseques qu'il elail oblige de satis- 
faire, these qui pouvait etre appliquee avec 
autant de raison aux biens des bourgeois et 
desgenlilshommes, qu'a ceux du clerge, et 
faisait de ceux-la comme de ceux-ci « les biens 
des pauvres. » 

L'undes disciples de Wickleff, J. Ball, plus 
hardi que son maitre, avait franchement re- 
clame la communaute des biens. U avait preche 
r^galile absolue enlre tons les hommes. Plus 
de vilains, disait-il, et plus de gentilshommes. 
Tons elaient crees a Timage de Dieu. Issus 
d'une origine commune, tous les hommes 
devaient jouir des memes droits. Comme le 
disait I'un des eleves de Ball en paraphrasant 
Tun des versels d'une vieille chanson saxonne : 

cc Quand Adam bechait et qu'Eve fi- 

lait, ou done etait le gentilhomme? » L'usur- 



— 216 — 

pation commise par quelques-uns sur les 
droits de tous ne pouvait , quelle qu'en eut 
ete la duree , formep litre pour les des- 
cendants des usurpateurs. Aussi Tecole de 
WicklefT combattait-elle le principe d'here- 
dite, et contestait-elle aux enfants tout droit 
exclusif aux biens de leurs parents. 

EUeappliquait a I'^tat les memes doctrines 
qu'a Tindividu, professait qu'iin souverain 
ne pouvait transmettre a son fils le pouvoir 
qui lui avait appartenu y n'aduiettait aucune 
autorite en dehors de celle du peuple , re- 
connaissait formellement a celui-ci le droit 
de chalier les grands, nobles, princes ou rois, 
dans le cas oil ils ne servaient point avec de- 
vouement les interets du public. 

Ces idees avaient eu leur berceau en An- 
gieterre. D'Angleterre elies avaient passe eo 
Flandre , ou elles avaient rencontre beau- 
coup d'adherenls. De la elles avaient penetre 
en France. Le bas clerge, jaloux de ses supe- 
rieurs ecclesiastiques, et fort malmene, du 



— 217 — 

reste , par eux , s'y etait rallie avec energie. 
Elles avaient ete accueillies avec une extreme 
faveur par le petit peuple , et s'etaient de- 
veloppees dans les bonnes villes du Nord et 
du Centre avec d'autant plus de facilite que 
les elements memes dont se composaient, du 
temps du roi Jean , les populations urbaines , 
avaient, depuis lors, subi une transformation 
presque complete. 

A la suite de la Jacquerie , nombre d'habi- 
tants du plat pays , voire meme d'habitants 
des petites villes, s'etaient, pour ecliapper 
a la reaction feodale qui frappait indistinc- 
tement innocents ou coupables, refugies dans 
les places fortes. D'autres y etaient venus 
chercher asile contre les invasions anglaises. 
Le systeme de guerre adopte par Charles V 
avait contribue a rendre Temigration des 
paysans dans les villes de quelque impor- 
tance de plus en plus considerable. C'avaitete 
la politique du roi de laisser TAnglais piller 

13 



— 218 — r 

et ranconner les campagnes, bruler villages 
et hameaux. La misere des pauvres gens ne 
Tavait point louche, convaincij qu'il eteit 
que Tennemi « ne le tirerait pas de son 
royaume avec toutes ces fumieres. » 

Les populations venues de la campagoe 
avaient apporte dans les \illes leur esprit par- 
ticulier, c'est-a-dire une jalousie tres-vive 
contre ceux quin'avaientpointsoufTert comme 
elles, un sentiment de revolte contra I'ordre 
social dont elles avaient ete victimes^ Fin- 
telligence seulement des interets materiels^ 
beaucoup d aveuglement et d'ignorance, le 
souci du present , Timprevoyance de Favenir. 
Elles s'interessaient fort peu a des r^formes 
dont la portee leur ecliappait; la politique 
pour elles se resumait en un point unique ; 
payer peu ou point d'impots. Toute autre 
consideration les laissait indifTerentes. De 
semblables idees les disposaient egalement 
a Finsurrection violente ou a Fob^issance 
passive. 



-r^ 219 — 



NuUe part Taffluence des populations ru- 
rales n'avait ete plus grande qu'a Paris. As- 
siegee plusieurs fois, obligee de faire le vide 
autour de ses murs, cette ville avait accueilli 
les miserables que les necessites de la guerre 
forcaient d'abandonner leurs champs. Elle 
n'en a\ait repousse aucun, et avait ouvert 
ses portes avec plus de generosite que de 
prevoyance. Les habitants du plat pays etaient 
venus avecd'autant plus d'empressement que 
la ville de Paris jouissait, meme apres sa de- 
faite, de privileges considerables, que Tim- 
pot y etait relativement moins eleve qu ail- 
leurs, que cerlaines taxes indirectes, notara- 
menft, y etaient inferieures de pres de moitie 
an chiffre qu'elles atleignaient en d'autres 
villes. 



Un autre element, Telement exclusivement 



— 220 — 

ouvrier, avail pris dans Paris une importance 
enorme. Le roi Charles V aimait a la passion 
les beaux balimenls et s'inquietait tout au- 
tant d'ajouter une tourelle a Tun de ses ho- 
tels que d'enipechcr routiers ou Anglais de 
depouiller ses sujets. Pour satisfaire ses 
gouts d'architecture , il avait fait venir a Pa- 
ris quantite d'ouvriers de toute sorte. Les 
travaux executes a Texemple et a Timitation 
du roi par la municipalite parisienne^ le 
prevot Hugues Aubryot et les riches parli- 
culiers, en avaient attire beaucoup d'autres, 
parmi lesquels des elrangers independants 
des corporations etablies. 

Les paysans et les ouvriers mtroduits 
dans Paris en avaient bouleverse reconomie 
primitive. 

Autrefois avait existe, entre les principaux 
bourgeois et leurs concitoyens plus hum- 
bles, une sorte de lien de patronage et de 
clientele confraternelle. Des relations quo- 
tidiennes, de bons offices habituellement 



— 221 — 

eclianges avaient donne aux premiers sur 
les seconds, une sorte d'influence, desavouee 
toujours, mais effective cependant, et qui 
contribuait efficaceinent a enipecher le deve- 
loppement des discordes sociales. Cetle in- 
fluence de la classe elevee elait nulle sur les 
nouveaux habitants de la ville. Entre ceux-ci 
et les membres des vieilles families munici- 
pals il n'y avait plus qu'un sentiment , 
qu'une passion commune, une haine reci- 
proque et vivace. 

Les bourgeois parisiens meprisaient pro- 
fondement cette coliue de gens grossiers et 
miserables, ces pauvres heres qui appor- 
taient dans une ville, que ses habitants con- 
sideraient deja comme le centre de la civili- 
sation et de Turbanite, le spectacle deplaisant 
de leurs miseres, leurs habitudes « inciviles » 
et toutes empreintes d'une insupportable 
rusticite . 

Ceux-ci de leur cote jetaient un regard 
d'en\ie et de colere sur ces marchands si 



— 222 -^ 

riches , ces officiers si « bien repus » qu'on 
les appelait et qu'ils semblaient etre « de pe- 
lits royelaux de grandeur ». lis haissaient 
de loule la force de leurs soufTrances et de 
leurs privations de cliaque jour ces bour- 
geois qui , en renlrant dans leurs hotels , y 
troiivaient reunis toules les commodites et 
tous les agremenls de Texistence, tous les 
soins et toutes les delicatesses d'un foyer con- 
fortable; etaient « deschaux a bon feu, laves 
des pieds, avaient chausses et souliers frais, 
etaient bien abreuves, bien servis, bien cou- 
ches en blancs draps et couvre-chefs blancs, 
bien couverts de bonne fourrure et assou- 
visde toutes aulres joies et esbatements..... 
et le lendemain robes , linges et vetements 
nouveaux... w dont le coin du feu avaittant 
de charmes, qu'un ecrivain du temps faisait 
tout un volume , le Mesnagier pour les ra- 
conter. 

Cette inegale repartition des biens de x^e 
monde, qui donnait aux uns toutes les jouis- 



— 223 — 

sances tandis qu'elle laissait aux aiitres toutes 
les miseres, excitait chez les nouveaux habi- 
tants de Paris de vives convoilises, qu'il leur 
fallait bien , sous peine de la hart, soigneu- 
senaent dissimuler, mais qui grandissaient 
chaque jour. 



Au meme moment Tantique organisation 
des corporations subissait une modification 

profonde. 

Patrons et ouvriers avaient autrefois vecu, 
dans la corporation , sur un pied d'egalite 
presque complete. L'apprenti, quand il en- 
trait dans un atelier, pouvait nourrir Tespoir 
de s'elever un jour jusqu'a la maitrise. Celle- 
ci etait, en principe, abordable pour tous. 
Mais peu a peu, sous Tinfluence de cet esprit 
exclusif du moyen age^ toujours porte a me- 
tamorphoser le droit en privilege, Tegalite 
primitive avaitdisparu. Les ouvriers, devenus 
patrons, avaient essaye de transformer en leurs 



— 22i — 

mains la mailrise en monopole, dont eux el 
les leurs jouiraient a Fexclusion de tous au- 
tres. Us avaient reussi a subordonner Fob- 
tention de cette mailrise a des conditions 
qu'il etait fort difficile, sinon impossible a 
Touvrier de remplir, a des depenses speciale- 
ment qui excedaient les ressources ordinaires 
du travailleur, et dont on dispensait les fils 
de maitres; ils avaient ainsi constitue dans 
les corporations une sorle d'oligarchie here- 
ditaire de patrons. 

Les consequences de ces agissements n'a- 
vaient pas tarde a se faire sentir. Cantonnes 
dans une position subalterne , sans espoir 
d'en sortir, les ouvriers s'etaient separes des 
patrons, s'etaient organises a coted'eux. En 
face de la corporation s'etait constitue le 
compagnonnage. 

Les ouvriers eur en t leurs chefs particuliers^ 
leurs statuts, leurs reunions independantes 
de celles des maitres. Ceux-ci voulurent s'op- 
poser a ce mouvement, dont la gravite ne 



— 225 — . 

I leur ecliappait point, lis soUiciterent Finter- 

I venlion de la royaute, des eveques. Les as- 

f sociations d'oiivriers furent interdites, mais 

l iniitilement. La royaute finit par les recon- 

I naitre. Les ouvriers des differentes villes s'en- 

i tendirent entre eux, se pret-erent un mutuel 

concours : ils se Iransmirent le uns les 

autres les renseignements qui pouvaient les 

interesser tous. A Tappel des ouvriers d'une 

ville, les ouvriers des autres places se hataient 

d'accourir, aidant" leurs freres de leurs bras 

et de leur argent. L'influence du patron sur 

ses auxiliaires de chaque jour disparut bientot 

presque completement : la direction morale 

de Tatelier passa de ses mains en celles des 

chefs que les ouvriers se donnerent eux- 

memes. Aux yeux du travailleur, le patron 

ne fut plus, comme autrefois, un camarade 

plus habile ou plus heureux , ce fut « un 

maitre, » et, partant un ennemi. L'ouvrier 

qui voyageait de ville en ville selon les besoins 

du travail, ne jouissant nuUe part des droits 

13. 



— 226 — 

appartenant aux domicilies, ne s'attacha plus 
guere qu'a ses amis d'atelier : de la son nom 
de compagnon. Le maitre, sedentaire, eUibli 
dans une \ille, fut appele le bourgeois. Le 
compagnon professait pour le bourgeois une 
haine sourde que la moindre occasion devail 
faire eclater. 

Le calme apparent des dernieres annees de 
Charles V cachait done des perils- dont I'ex- 
plosion menacait d'etre d'autant plus terrible 
qu'elle avail ele plus longlemps contenue. 
Le roi semblait les avoir prevus. Au milieu de 
la Iranquillile generate, il avait des appre- 
hensions pour I'avenir, et le pressentiment 
que loutes les difficulle's poliliques qu'il 
avait reussi avec tant de peines a sur- 
monler ne larderaient pas a renallre, plus 
graves peut-etre. L'impot qu'il percevait, 
sans I'autorisation des etats, pesait lourde- 
ment sur le peuple. Get imp6t ne serait-il 
pas un jour la cause ou le pretexte de quelque 
soulevement? La France ne se fatigilerait-elle 



— 227 — 

pas a un moment donne de sa longue com- 
plaisance? EUe subissait, sans tropse plaindre, 
de lourdes charges parce qu'en echange de 
ces charges, la royaute lui donnait Fordre et 
la prosperitemalerielle. Qu'arriverait-il le jour 
on cet ordre et celte prosperite disparai- 
Iraient? Ces pensees attristerent les derniers 
jours de la \ie de Charles V. Le roi pres- 
^rivit a ceux qui I'entouraietit et qui de- 
vaient elre, il le croyait du moins, les con- 
seillers de son fils d'alleger le plus lot possible 
les aides qui grevaient et travaillaient les 
pau\res gens du royaume. » II signa meme, 
dit-on, au moment de mourir I'abolition des 
impots etablis sans le concours des elats. 



Charles V laissait pour heritier du trone 
un fils en bas age encore, pour qui la vie ne 
devait elre qu'une longue enfance, et trois 
freres egalement disposes a exploiter le 
royaume sous le nom de leur neveu. L'aine 



— 228 — 

d'entre eux, le due d'Anjou, ful charge de la 
regence, et son premier soin fut de s'attribuer 
le Iresor que Charles V avail economise pen- 
dant Jes dernieres annees de sa vie. 

Ce vol exposait le pays aux plus graves 
dangers. 

Le roi Charles V avail organist des com- 
pagnies dlionimes d'armes, il les avail pen- 
danl sa vie regulieremenl payees ; par suite , 
elles n'avaient pas ranconne^ comme cela 
s'elait fait jusqu'alors, les pays ou elles etaient 
cantonnees. C'avait ete, des progres realises 
par Charles V, celui dent le peuple lui avail 
su le meilleur gre. A la niorl du roi, les sol- 
dats, cessant d'etre payes, se livrerent aux 
plus horribles exces. Les bonnes villes, sac- 
cagees, envoyerent des delegues an due pour 
le prier de mettre fin aux pillages dont elles 
etaient victinies. Le due repondit en deman- 
dant des subsides et en excitant les gens 
d'armes contre les bourgeois qui refusaient, 
disail-il, de fournir au roi Targent necessaire 



— 229 — 

a I'enlrelien des troupes. C'elait inetlre le 
comble aux coleres populaires. 

Depuis quelque temps deja le bruit courait 
dans le peuple que le roi Charles V avait 
laisse dans les caisses de I'Etat de grosses 
sommes qui devaient suffire aux depenses 
publiques; qu'il avait, avant de mourir, re- 
voque les aides. Au lieu de fournir au due 
d'Anjou Targent que celui-ci reclamait, le 
pays sesouleva, et, bien loin de payer de nou- 
veauximpots, refusa d'acquitter les anciens. 

Le mouvement commenca dans le Soisson- 
nais, dans les vieilles villes de communes, ou 
les caisses des receveurs furent pillees. 



A Paris une agitation des plus \ive se 
inanifesta. Les assemblees populaires, sisoi- 
2;neusement empechees depuis lant d'annees , 
>e reunirent de nouveau des les premiers 
loursqui suivirent la mort du roi. 

On vit alors combien etait change le carac- 



— 230 — 

tere de la population parisienne et quelle 
faute Charles V et le prev6t Aubryot avaient 
commise en amenant a Paris tant d'ou- 
vriers etrangers, et en y recevant tant de 
gens du plat pays. Ces nouveaux venus pre- 
naient une importance considerable, contre 
laquelle il etait difficile de reagir. Aux an- 
ciennes reunions de quartier, oiiles Parisiens 
discutaient avec tant de calme les interels 
de leur ville , mais que le roi defunt , par 
crainte de la vieille bourgeoisie, s' etait etu- 
die a desorganiser , etaient substituees de 
grandes assemblees au caractere menacant 
tenues sur les places publiques, a la porte 
des eglises, devantThotelde ville, oiise pres- 
saient nombre de gens sans aveu n'ayant rien 
a redouter et rien a perdre. Ces individus 
prenaient , aux applaudissements des nou- 
veaux Parisiens, Tinitiative des propositions 
les plus violentes. lis pretendaient parler au 
nomdu peuple, et iniposaienta la population 
tout entiere leurs opinions et leurs volonles. 



— 231 — 

Dans ces reunions, la populace ou plulot 
les meneurs resolurent que Ton cesserait de 
payer les aides. Des delegues furent envoyes 
aupres du prevot des marcliands , Culdoe , 
pour le prier d'en reclamer Tabolilion au 
nom du peuple de Paris. Les prudhommes 
et marchands de la \ille remarquerent que 
parmi les gens charges de faire celte de- 
marche, il n'en etait aucun qui ne fut de 
tres petit etat : nul des delegues n'etait 
connu en ville. Cela parut elrange aux gens 
qui se souvenaient du temps d'Etienne Marcel 
et des consequences qu'avait cues Tintrusioil 
de la multitude dans la politique, et leur ins- 
pira peu de confiance. 'Les delegues, pour 
s'assurer que le prevot remplirait sa mission 
convenablement, Taccompagnerentau palais, 
y entrerent avec lui , et insisterent energi- 
quement eux-memes aupres des oncles du 
roi pour obtenir la suppression des impots. 

Le due d'Anjou repondit d'une facon eva- 
sive. Leroi, dit-il, etait absent. Il fallait at- 



— 232 — 

lendre son retour. Le due esperait que la 
mauvaise humeur du peuple s'eteindrait ra- 
pidement , et qu'en gagnant du temps , on 
pourrait eluder de nouvelles reelamations. II 
se Irompait. Les delegues accorderent le sur- 
sis demande par le regent , mais la poipulace 
ne desarma point : les reunions devinrent de 
plus en plus frequentes. Bientot il n'y ful 
plus question seulement d'impols : on y parla 
« de Glioses nouvelles et effrayantes, » de 
reformes sociales. On discuta laroyaute elle- 
metne. On dit qu'elle etait a vetue de la subs- 
tance , des larmes et des gemissenients du 
peuple. » On reclama une repartition plus 
equitable de la fortune publique; on attaqua 
passionnement les riches^ qui avaient tous les 
avantages de ce monde sans en avoir les 
charges. C/etaient les idees de Wickleff qui 
prenaient pied en France. Des asserablees 
se tenaient de nuit oii venaient des gens de 
tous les coins de la ville et qui ressemblaient , 
disait-on , aux anciennes assemblees des 



— 233 — 

Jacques. Tout le monde y parlait a la fois ; et 
il s'y faisait un tel bruit qu'on croyait entendre 
a untroupeaude pores grognantdeconcprt. » 
Le due d'Anjou essaya en vain d'empecher 
ces reunions, il n'aboutit qu'a unresultat : les 
rendre secretes et partant'plus dangereuses. 
Les bourgeois opulents deja trop disposes a 
s'eloigner des affaires publiques et a se con- 
centrer dans les paisibles jouissances de leur 
confortable foyer, les gens senses, ou pas- 
sant pour tels, ne voulurent pas s'exposer 
a encourir la colere du due et s'abstinrent 
de s'y rendre : la population parisienne fut 
ainsi livree sans reserve aux excitations d'a- 
venluriers qui devinrent bientot les chefs 
obeiset redoutes de la populace. Chaque jour 
grandissait le nombre de leurs adherents , et 
avec le nombre croissait leur audace. lis in- 
culquaient dans la masse des idees de revolle 
et de sedition. Les esprits s'echaufferent el 
plus d'un qui jusqu'alors avait passe pour 
I'ouvrier le plus pacifique de.son quartier ne 



— 23> — 

sortait plus sans un poignard , « lequel lui 
ardait en sa gaine. » • 

Le roi revint a Paris : son relour avail ele 
I'occasion de belles ceremonies qui detour- 
nerent un instant Tallention du peuple, mais 
dont la splendeur fit paraitre plus dur encore 
a la multitude le poids de ses souffrances. 

Cependant le due d'Anjou ne donnait au- 
cune satisfaction aux reclamations populaires. 
Des individus se disant delegues du peuple 
se rendirent de nouveau aupres du prevot , 
et le contraignirent a provoquer a Thotel 
de ville une reunion des principaux de la 
population parisienne a Feffet d'arreter les 
mesures a prendre pour faire sortir M^ le 
regent de son inaction. Selon d'aulres ver- 
sions, le prevot aurait au contraire , de con- 
cert avec quelques bourgeois, pris lui-meme 
['initiative de cette convocation pour aviser 
aux moyen$ d'empecher a Tavenir les assem- 
blees seditieuses. 



— 235 — 

II est difficile de savoir laquelle des deux 
versions est le uiieux fondee. Un point est 
certain, en lous cas, c'est que Tassemblee qui 
se lint a Thotel de ville ne fut pas composee 
seulement des membres habiluels du corps 
municipal ou de bourgeois influents; mais 
aussi de gens de fort petit elat qui avaient 
recu de leurs concitoyens ou plutots'elaient 
donne a eux-memes le droit d'assisler a la 
reunion. Le prevot, les echevins, les prud- 
hommes etaient d'avis d'attendre encore, lis 
etaient cependant plus que personne desireux 
d'obtenir la suppression d*imp6ts dont ils 
payaient la plus grosse part ; niais ils n'osaient 
s'associer immediatement aux reclamations 
populaires , et encourir le ressentiment des 
princes. C'est Thabitude des classes bour- 
geoises de ne point prendre de mesures fran- 
chement revolutionnaires. EUes ont Irop a 
risquer dans une emeute pour s'y engager 
bien avant EUes laissent volonliers ce role 
aux petites gens, qui, ayant moins a perdre , 



— 236 — 

et garanlies par leur obscurite conlre les 
vengeances royales, sont plus disposees a 
aborder la lutle. Elles §e liennent egalenient 
preles a profiler du succes, ou a desavouer 
Tentreprise en cas d'ecliec, 

L'avis des bourgeois allait elre adople 
quand un savelier se leva et parla. Le discours 
qu'il prononca elailalui seulunerevolulion, 
il permettait d'apprecier les resultats de la 
politique de compression suiviepar Charles V. 
Ce n'etaient pas des reformes dans le gou- 
vernement du pays que reclamail I'arlisan 
qui prenait la parole , c'elait la guerre so- 
ciale qu'il venait preclier. II opposa au luxe 
de la cour, la niisere du peuple. Les exaclions 
se multipliaient chaque jour. Tous les ans 
les charges des pauvres gens augmentaient 
en meme temps que la rapacite des princes 
et des gentilshommes ; non contents de ruiner 
les proletaires, tous ces personnages affi- 
cliaient pour eux un profond mepris, L'ora- 
teur se demandait pourquoi cette inegalite 



— 237 — 

enire ceux qui payaient Timpot et ceiix qui 
!e depensaient. La position faite par les pri- 
\ilegies au pelit peuple elait intolerable , il 
etait temps qu'elle cessat. II fallait que les 
pauvres prissent les armes pour conquerir 
leur aflranchissement. 

Jamais jusqu'alors pareilles paroles n'a- 
vaient ete prononcees a la Maison aux Piliers. 
Quelque ameres qu'eussent ete les attaques 
dirigees par Etienne Marcel ou par Lecoq 
contre le roi Jean ou le due de Normandie, 
ces attaques n'avaient pas atteint le degre 
de violence de celles qui \enaient d'etre 
formulees contre les classes elevees en ge- 
neral. Ce savetier avail exprime les idees 
de la grande majorite de la population pari- 
sienne. La foule, reunie aux abords de la 
salle du conseil , applaudit. 

Un legiste, Jean Desmares, fort bien en 
cour et specialement devoue au due d'Anjou 
se trouvait a Fassemblee. Jean Desmares jouis- 
sait a la ville d'une grande consideration : 



— 238 — 

on lui accordait au palais beaucoup d'es- 
prit et de savoir. II etait apprecie du regent 
el Ires, en faveur aupres du peiiple parisien. 
C'etait im homme comme on en rencontre 
quelquefois/ qui savent s'assurer en meine 
temps les avantages de Topposition et les 
benefices du devouement au pouvoir, et 
qui plutot que de se faire partout des en- 
nemis, en atlaquant, comme les esprits 
cbagrins , le mal partout oil ils le rencon- 
trent , s'efforcent , pour se faire des amis , 
d'oublier toujours les faiblesses de ceux aux- 
quels ils s'adressent pour ne leur parlerque 
de leurs qualiles; qui, flattant la royaute 
sanss'altaquer au peuple , le peuple sans s'en 
prendre a la royaute, se concilient la faveur 
de tons jusqu'au jour, ou accuses de trahison 
par lous leurs allies dela veille, ilssuccombeht 
sous les coups des uns sans eveiller les regrets 
desautres. Jean Desmares prit la parole pour 
repondre a cet arlisan qui, comme disent les 
cbroniques, tournait tout en mal. II n'entre- 



^ 239 — 

« 

prit pas de nier les depenses enormes failes 
par les oncles du roi, mais il essaya de les jus- 
lifier. II prelendit demoritrer que ces de- 
penses etaient fort loin de prejudicier an 
pen pie; il fit remarquerque cet argent qu'on 
disait gaspille en pure perle rentrait en de- 
finitive dans la poche du pauvre. Les prodi- 
galites de la cour faisaient, disait Desmares^ 
aller le commerce : theorie economique sans 
cesse reproduite par ceux qui veulent legiti- 
mer les depenses improductives ; faclieux so- 
pliisme dont le xix* siecle n'a pu encore se 
debarrasser. L'argumentation deDesmaresfut 
favorablement accueillie par quelques bour- 
geois, pelits marcbands qui profitaient effec- 
tivement du gaspillage et des desordres de 
la cour. II en fut aulrement des ouvriers. 
Ceux-la meme qui etaient employes aux in- 
dustries de luxe et dont par consequent le 
faste des princes alimentait le travail, se 
montrerent le plus opposes aux arguments 
invoques par Jean Desmares. La misere qu'ils 



— 240 — 

souffraient leur paraissait d'autant plus pe- 
nible que , manquant souvent du necessaire , 
ils savaient que leurs efforts etaient destines a 
fournir a d'autres le superflu. Le luxe auquel 
ils contribuaient elaita leurs yeux, bien plus 
qu'a ceux des aulres travailleurs, detestable et 
funeste, parce qu'ils pouvaient mieux appre- 
cier ce que la satisfaction des caprices des 
riches coutait a Farlisan de douleurs et de 
peines, parce que leur travail de chaque jour 
leur permettait de mesurer avec plus de pre- 
cision I'injustice de la fortune; enfin, parce 
que , intelligents pour la plupart , ils ressen- 
taient leur abjection avec d'autant plus d'a- 
mertume qu'ils se croyaient dignes d'un 
nieilleur sort. 

Le discours de Desmares ne put attenuer 
Teffet produit par la harangue a laquelle il 
avait essay e de repondre. Un grand nombre 
des assistants etaient venus armes a Tas- 
sembiee. Quelques centaines d'entre eux, 
Tepee a la main , contraignirent le prevot a 



se rendre immediatement avec eux au palais 
pour arracher aux oncles du roi une ordon- 
nance qui supprimat les impots. Quanlile de 
gens se joignirent a eux, et lorsqu'ilsarriverent 
a rhotel royal, bien rapproche cependant de 
la Maison aux Piliers, ilsetaientaccompagnes 
d'une foule considerable. 

En presence decette manifeslalion, lescon- 
seillers du roi furent atleres ; il y avait, leur 
disait-on, dans cette multitude, des gens qui 
avaient de terribles projets; on entendait^ 
dans les groupes, dire que les rois n'avaient 
de pouvoir que s'ils remplissaient bien leurs 
devoirs au regard du peuple; qu'a celui-ci ap- 
[ partenait de faire justice des exacteurs, car 
il etaiten toulescliosesle souverain seigneur : 
a Toujours ne seront les niailres ni toujours 
n'auront de si belles robes » , ajoutaient quel- 
le ques-uns en signalant a leurs camarades les 
gentilshommes et bourgeois qui assistaient, 
non sans terreur, a cette marche du peuple 
sur le palais du roi. Le souvenir des ma- 

14 



— 242 — 

rechaux de Champagne et de Normandie 
obsedait le due d'Anjou et ses acolytes. 
La cour se decida a ceder. Le due se montra 
au peuple, qui le demandait imperieuse- 
ment : le chancelier promit aux Parisiens 
qu'il serait tenu comple de leurs reclama- 
tions. Telle etait la puissance de Topinion 
et les traces profondes laissees dans les esprits 
par la revolution de i356 que ie chancelier, 
dans les explications qu'il adressa a la foule 
reconnut forniellement que « les rois ne re- 
gnaient que par le suffrage des peuples ». II 
termina sa harangue en priant les s^ditieux 
de vouloir bien attendre jusqu'au lende* 
main les satisfactions qu'ilsreclamaient, et, 
pourobtenir cedelai, il expliqua que si leroi 
n'accordait pas immediatement a ses sujets 
ceque ceux-ci demandaient, c'etait parce que 
les rois ne pouvaient rien faire sans conseil. 
Ainsi , pour resister, ne fut-ce qu'un mo- 
ment, aux volonles des emeutiers, le chance- 
lier invoquait les principes memes que les 



— 243 — 

bourgeois de i356 avaient voulu imposer 
a la royaute et pour assurer le triomphe 
'^desquels quelques-uns d'entre eux avaient 
sacrifie leurs biens et leur vie. II reconnais- 
sait que le principe constitutionnel qui oblige 
le souverain a n'agir que de Tavis de ses 
niinistres est le meilleur des preservalifs con- 
tre les exces du despotisme, — que ce des^ 
polisine vienne d'en haut ou d'en bas, du 
prince ou de la multitude. ^ 

Le peuple accorda le delai sollicite. La 
cour esperait que vingt-qualre beures suf- 
firaientpour calmer la sedition. EUe se trom- 
pait. Le lendemain la foule se presenta de 
nouveau devant le palais, plus nombreuse et 
plus menacante. 

Les gros bourgeois, voyant que force res- 
tait a Temeule, que le pouvoir royal avait 
faibli, commencaient a se meler au mouve- 
ment. II devenait impossible au regent de 
ne point donner satisfaction aux reclama- 
tions populaires. Le cbancelier annonca aux 



— 244 — 

gens assembles aulour de Fhotel St- Pol que le 
roi cedail a leurs prieres. Devant la Maison 
aux Piiiers , Jean Desmares communiqua la 
bonne nouvelle aux bourgeois. II dit que le 
nouveau regne serait pour le pays une ere de 
reformes et de prosperiles nouvelles,'que le 
roi ne ferait rien sans Tappui du peuple , etc. 
Le bruit courait partout dans la foule que 
Desmares avail conseille aux oncles du roi 
d'obtemperer aux desirs dela population pa- 
risienne : les paroles qu'il prononca furent 
accueillies par de frenetiques applaudisse- 
menls et firent oublier le discours que le 
meme orateur avait prononce dans la grande 
reunion de Thotel de ville en faveur de la 
cour. 

La \ictoire du peuple etait complete, elle 
n'avait pas encore coiite une goutte de sang. 

C'est, en democratic, un axiome que le 
peuple est toujours genereux,mais c*est aussi^ 
en histoire,une verite indiscutable que la po- 
pulace a des instincts d'avidite , de violence et 



— 2i5 — 

de cruaute qu'elle cherche a salisfaire cliaque 
fois qu'elle en trou\e Toccasion. Les flatteurs 
de la foule , elle en a toujours parmi ceux qui 
profitent de ses exces, s'everluent a demon* 
trer que quand elle lue ou pille, elle cede non 
a ses propres inspirations, maisaux conseilset 
aux exemples de quelques meneurs apparte- 
Tiant aux classes superieures et interesses a 
la Ironiper. Que la populace fasse le mal 
spontanenienl , ou qu'elle s'y laisse entrainer, 
peu importe , ce qu'il faut constater seule- 
ment , c'est que perverse ou perverlie, il n'est 
point de violences qu'elle ne commette, de 
folic a laquelle elle ne se laisse aller, quand 
elle a la force en mains. 

Les Parisiens avaient obtenu du pouvoir 
loutes les satisfactions qu'ils avaient recla- 
mees. La perception des taxes etait arretee. 

Mais qu'importaient a cetle masse de mise- 
rables que Timpot ne pouvait frapper parce 
iqu'ils n'avaient rien , qui s'etaient meles au 
mouvement, non pour oblenir des reformes 

14. 



^ 246 --. 

j)olitiques dont ils n'avaienl que faire, mais par 
amour seulement du desordre et avec I'es- 
poir de satisfaire les passions furieuses qui 
bouillonnaient en eux, qu'imporlaient le$ con- 
cessions accordees par le due d'Anjou. Illeur 
fallait autre chose, — du sang ou de Fargent. 
II elait aussi a la cour de liobles hommes 
<jui avaient des creanciers. Ces gentils- 
hommes persuaderent a la niullilude qui 
ne demandait pas mieux d'ailleurs que de se 
laisser ^convaincre, qu'elle n'aurait atteint 
completement lebut qu'elle poursuivait que 
lorsqu'apres s'etre debarrassee des taxes elle 
se serait aussi debarrassee des usuriers, « la 
lepre des pauvres gens. » Le peuple se porta 
au quartier des Juifs , massacra la plupart de 
ces malheureux, incendia leurs maisons, et se 
souilla des plus ignobles exces. 



Une ordonnance realisant les promesses 
faites par le chancelier abolit tons les aide^ 



^ 247 — 

et fouages etablis en France depuis Philippe 
le Bel. 

Pour faire face aux depenses de T^tat, il 
reslait a la royaute les prodiiits de son do- 
maine, engages deja. II elait evident pour qui- 
conque reflechissait qu'il faudrait bientot 
rapporter Tordonnance et recourir de nou- 
veau dans un delai fort bref a la ressource 
de I'impot. Les princes le savaient bien et 
n'avaient cede aux demandes populaires que 
pour gagner du temps. lis etaient fermement 
resolus , lorsqu'ils auraient assure le pouvoir 
enlre leurs mains a remettre les choses au 
meme et semblable elat que du temps du roi 
Charles V. Mais en ne luttant pas des Tabord 
contre les exigences des Parisiens, ils se pre- 
paraient pour Tavenir des difficultes du carac- 
tere le plus grave. C'est un point incontes- 
table en politique qu'une concession ne se re- 
tire point , que tout acte par lequel un gou- 
vernement etabli se dessaisit d'une portion 
quelconque du pouvoir qu'il detient , est un 



— 248 — 

acle definilif , qu'il en coule a ce gouverne- 
ment plus de peine et de perils pour re- 
prendre les droits qu'il a alienes, qu'il ne lui 
^n aurait fallu depenser pour les conserver 
intacts enlre ses mains. 

Apres avoir consenli la suppression des im- 
pots, les princes se trouvaient dans la position 
la plus embarrassante; ils essayerent tout d'a- 

bord d'oblenir a Tamiable , le retablissement 
des taxes ou d'une partie du nioins de 
celles-ci. N'osant reunir les etats generaux, 
ils convoquerent une assemblee de no- 
tables qu'ils choisirent eux-memes parmi les 
bourgeois bien pensants des \illes les plus 
rapprochees de Paris. Ils donnerent a cetle 
assemblee le nom d'etats generaux. lis pen- 
saient en imposer ainsi aux populations 
et obtenir leur soumission. II n'en fut rien. 
Les notables voterent le retablissement de 
la taxe , du denier par livre sur toutes ven- 
tesde marchandises ; mais les villes refuserent 
unanimement de se soumettre a ce vote. 



— 2k9 — 

Le due d'Anjou fit alors appel aux etals 
provinciaux. L'Artois, le Pontliieu allouerenl 
quelques subsides, les autres provinces re- 
fuserent de rien accorder. On essaya de 
trailer direclement avec les villes. A Pa- 
ris, le regent manda aupres de lui les prin- 
cipaux bourgeois. Les bourgeois d'eclarerent 
qu'ils ne pouvaient rien , qu'ils n'avaierit pas 
qualite pour s'engager au nom de la ville. 
Le due d'Anjou s'adressa au peuple lui- 
meme. A sa demande, quelques personnages 
qui passaient pour jouir de la faveur publi- 
que , essayerent de faire comprendre aux Pa- 
risiens que les impols etaient une des neces- 
sites de toute societe politique, que, sans Tim- 
pot , le roi ne pouvait defendre le pays con- 
tre les entreprises de TAnglais, lis ne reussi^ 
rent qu'a compromettre leur popularite , et a 
augmenter la defiance que la parlie la moins 
eclairee de la population nourrissait contre 
les bourgeois aises. Tous ceux qui pro- 
posaient au peuple de payei^ Timpot, c'e- 



— 250 — 

talent^ dil-on dans les assemblees, des riches 
auxquels cet impot enlevait a peine une por- 
tion insignifianle de leur superflu , c'etaient 
des gens qui desiraient plaire aiix princes 
aux depens de leurs concitoyens, qui ne pen- 
saient qu'a une chose, jouir tranquillement 
de leur fortune sans s'inquieter de la misere 
publique. II ne fallait pas se fier a eux; « ils 
ne regardaient les liberies publiques que 
jusqu'a Texposition de leurs biens. » 

Les membres du corps municipal surtout 
€laient Tobjet d'altaques violentes. On leur 
reprochait de n'etre point les \eritables elus 
du peuple, de n'etre que les representants 
des gros bourgeois ou marchands. La vieille 
constitution de la municipalite parisienne, 
si respectee jusqu'alors et consideree comme 
le palladium des libertes publiques, etait vive** 
ment critiquee. Les meneurs pretendaient lui 
faire subir une modification radicale afin que 
le peuple, le vrai peuple, put mettre ala t^te 
<le la ville des hommes bien disposes a defen- 



— 251 — 

dre leurs droits. Les Parisiens refuserent done 
de consenlir aucun impot. lis prirent dans 
les reunions des resolutions aux lermes des- 
quelles ils declaraient ennemi public quicon- 
que tenterait de retablir les taxes. Sous pre- 
texte d'empecher une trahison de la part des 
notables bourgeois qui composaient le corps 
municipal, quelques mauvais sujets se disant 
delegues du peuple se chargerent de garder 
les portes de la ville : les anciennes milices 
se reconsliluerent sous les ordres , non plus 
comme autrefois des principaux du quartier, 
mais des energumenes des reunions publiques, 
prirent les armes, et se preparerent a la lutte. 
DevantTattitude des Parisiens le due d'An- 
jou liesita. Mais il avait un pressant besoin 
d argent, il ne pouvait s'en procurer que par 
la voie de Timpot; il ordonna la mise en 
perception des taxes votees par les notables , 
dans les villes de provinces, ou il ne croyait 
point avoir a rencontrer une aussi vive re- 
sistance qu'a Paris. 



— 252 — 



A Rouen d'abord, ful publiee Tordonnance 
qui retablissait les anciens impols. 

Peu de cites avaient ete plus que Rouen 
troublees par des querelles intestines. Origi- 
nairement gouvernee par une oligarchic 
bourgeoise , la commune avail ete reformee, 
par laroyaute, dans le sens le plus democrati- 
que. Depuis la reforme, les grandes families 
avaient cesse de diriger les afTaires de la 
ville qui avaient passe aux mains des gens de 
pelit etat. II etait de tradition a Rouen , que 
les Rouen nais ne devaient subir aucune exac- 
tion. Le menu peuple qui avait, pendant des 
annees,lutte au nom de ce principe contre 
les bourgeois, n'etait pas plus dispose a ac- 
cepter les taxes royales que les impots de 
Tancienne municipalite. La population ou- 
vriere avait accepte I'aide du roi dans la 
lutte qu'elle avait soutenue contre les pairs , 
mais , la victoire obtenue , elle ne s'etait pas 



— 253 — 

nontree reconnaissante a son augusle allie. 
V.vec la populace on pent tout detruire, 
il est impossible de rien fonder. Les clas- 
ses inferieures , Texperience des revolu- 
tions Ta prouve, sont disposees a penser 
qu'un gouvernement quel qu'il soit s'eta- 
blit a leurs depens , et en violation de leurs 
droits. Des lors , toute concession qui leur est 
finite, leur parait une restitution , une dette 
qu'on leur paye , et le creancier ne doit pas 
de reconnaissance au debiteur qui s'est ac- 
quitte. Elles sont moins satisfaites de ce qu'on 
leur accorde que courroucees de ce qu'elles 
estiment ^u'on leur refuse. C'est done de la 
part d'un gouvernement une erreur grossiere 
que de penser qu'il pent compter sur Tap- 
pui des classes inferieures, parce qu'ila, en 
diverses circonstances , donne satisfaction a 
quelques-unes des aspirations de celles-ci. 
Quelque larges qu'aient ete ces satisfactions, 
elles reslent necessairement en deck de ce 
c(u'il convient a certains personnages d'ap- 

15 



— 254 — 

peler les droits imprescriptibles du peuple. 
Elles ne servent qu'a donner a ceux qui les ont 
obtenues , les moyens et le desir d'en recla- 
mer d'autres. C'est ce qui elait arrive a 
Rouen. Laroyaute, en supprimant, au pro- 
fit de la'plebe, les prerogatives de quelques 

■ 

families bourgeoises , avait indispose les pri- 
vilegies sans se concilier le devouement de la 
multitude. La constitution de la ville de 
Rouen etait devenue plus democratique , 
mais les Rouennais n'etaient pas , pour cela, 
des sujets moins turbulents. 

D'autre part, Rouen bien que fort attache 
a la nationalite francaise, avait de frequentes 
relations avec TAngleterre. Les idees, qui de- 
puis quelques annees s'etaient repandues de 
Tautre cote de la Manche , avaient penetre 
en Normandie ; les theories de Wickleffcomp- 
taient a Rouen beaucoup d'adeptes. Elles 
avaient ravive le ressenliment que la popu- 
lation nourrissait conlre le clerge (et que jus- 
tifiaient, au moins dans une certaine mesure^ 



— 255 — 

les enlreprises de Feveque et du chapilre 
conlre I'ancienne commune), et le \ieux fer- 
ment de haine , dernier reste des luttes d*au- 
trefois, que le peuple avait toujours con- 
serve contre les plus riches habitants de la 
^ille. 

Dans les derniers temps, Rouen avait 
applaudi aux emeutes parisiennes , et entre- 
tenu des intelligences avec les Flamands re- 
voltes. 

Lorsque fut publiee Tordonnance royale 
retablissant lesanciens impots, les Rouennais 
se souleverent. La sedition fut terrible. Non 
content de refuser le paiement des taxes, le 
bas peuple ajoula ^ Tinsulte a la desobeis- 
sance. La majeste royale, jusqu'alors respec- 
lee alors meme qu'on essayait de se soustraire 
auxordresdu souverain,futbafoueeet tournee 
en ridicule. Les gens de Rouen, par derision, 
proclamerent roi un marchand de drap qui 
n'avait a cet honneur d'aulre tilre que son 
enorme corpulence et son grand appelit , et 



— 256 — 

obligerent leur monarque improvise a ren- 
dre une ordonnance d'expulsion contre les 
gens du fisc. L'arret fiit immediatement 
execute; quelques-uns des percepteurs de 
Timpot furent mis a mort, les biens des autres 
confisques et partages entre le peuple, les 
gens d'eglise pilles, et mis a contribution, 
sous pretexte qu'ils devaient comme tous les 
autres, supporter leur part des charges pu- 
bliques. 

Telle etait la terreur inspiree aux conseil- 
lers du roi par la population rouennaise, ou 
leur secret desir de laisser le bas peuple 
ecraser les riches bourgeois de la \ille , que 
des mois s'ecoulerent sans que la royaute 
prit aucune mesure pour mettre les seditieux 
a la raison. Profitant decette inaction, les me- 
neurs se mirent en rapport avec les Gantois et 
envoyerent aux bonnes villes des deputes 
pourempecher le paiement de Timpot. Le 
corps municipal avait ete tellement affaibli par 
la reforme communale, qu'il resta sans force 



— 257 — 

pour empeclier la populace de prendre 
le gouvernement de la ville et de com- 
mettre de nouveaux exces. Bientot les 
bourgeois s'effrayerefit ; et lorsque les forces 
royales , a la lete desquelles se Irouvait le 
roi lui-meme , arriverent devant Rouen, elles 
furent considerees par beaucoup de gens 
comme des liberatrices. Les artisans vou- 
laient se defendre, lesmarchands les en dissua- 
derent, et les engagerent a se fier aux bons 

sentiments de leurjeune souverain. lis firent 

> 

tant , que le peuple se laissa persuader d'ou- 
vrir les portes de la \ille. 

Les bourgeois avaient ete mal' conseilles 
parleurterreur : Tentree du roifutsuivie d'e- 
pouvan tables ma'ssacres qui frapperentin- 
distinctement innocents et coupables. Les 
princes avaient besoin d'argent. La confis- 
cation etait un moyen facile des'en procurer. 
A ces fins, on considera conime complices 
des emeutiers les plus riches Rouennais, qu'ils 
eussent ou qu'ils n'eussent pas pris part a la 



— 258 — 

sedition. On saisit leurs biens. Les liberies 
municipales furent supprimees et les ci- 
toyens desarmes. 



All moment meme ou Tarmee royale en- 
Irait a Rouen, un mouvement du caractere 
le plus grave eclalait a Paris. Le due d'Anjou 
avail, en partant pour la Normandie, laisse 
I'ordre de publier le retablissement des aides 
€t d'en commencerla perceplion. Le jour ou 
Tordonnance fut publiee aux halles, les Pari- 
siens se souleverent : les crieurs n'echappe- 
rent qu'avec peine aux mains de la populace, 
€t ne durent leursalut qu'a une fuite rapide. 
Des reunions exlraordinaires furent tenues 
dans cliaque quarlier, il y fut resolu que Ton 
refuserait I'impot. Le lendemain a Tins- 
tant ou les receveurs se presentaient aux 
halles pour reclamer les droits , la foule se 
jeta sur eux et les massacra , puis se porta a 
rhotel de ville, dont elle enfonca les porles, 



— 259 — 

€t Oil elle se saisit ides armes prises aux bour- 
geois en i36o. De la elle se repandit dans la 
ville, ouvrit les prisons, proferant d'horri- 
bles menaces contre les princes et leurs 
agents, tuant lous ceux qu'elle considerait 
commelels, et pillant leurs maisons. Elle n'e- 
pargna pas davantage les riches bourgeois; 
les hotels de beaucoup d'entre eux furent 
saccages et incendies et les proprietaires 
fort mallraites. 

Tels furent les exces de la multitude, que 
les marchands, bien que fort disposes a refuser 
Timpot arbitrairement retabli par le due 
d'Anjou, se separerent du peuple. Us prirent 
les armes, non contre la royaute, mais pour 
defendre leurs proprietes, et essayerent, sans 
trop de succes, de mettre un terme aux vi-;*- 
iences populaires. Tous les magislratss'enfui- 
rent. Seul Jean Desmares resta a son poste, 
parcourant la ville et s'efforcapt de calmer 
la sedition. 

A la nouvelle du soulevement de Paris le 



— 260 — 

due d'Anjou s'elait hale d'y envoyer des 
troupes. La grande majorite de la popuia* 
lion parisienne se prepara a'une ^nergique 
defense. Elle etaitbien armee et ne craignait 
pas la lutte. Elle se croyait de force a com- 
battre sans Taide de personne « les plus grands 
seigneurs du monde. » Mais il y avail a Paris, 
comme il y avail eu a Rouen, des gens que 
Tidee d'une resistance conlre les iroupes 
royales effrayait singulieremenl , qui crai- 
gnaient le pillage, si la victoire reslait au 
peuple J la confiscation si la royaute, comme 
cela etail probable, I'emporlail. 

L'universite servil d'intermediaire entre 
eux el le roi. 

L'universite representait alors auplus haul 
degre, Tespril, les tendances de la classe 
moyenne. C'etait, depuis que les gf an des fa- 
milies municipales avaienl ete decimees, que 
les magistrals de la ville s'etaienl recrule ex- 
clusivemenl parmi les creatures du 'roi, le 
seul corps qui eut conserve quelques tradi- 



— 261 — 

tions d'independance. EUe etait composee 
d'hommes qui avaient passe les premieres an- 
nees de leur existence au milieu du peuple, 
sortant pour la plupart de fort petit etat , 
mais arrives a force de travail a conquerir 
line situation qui leur assurait dans la societe 
d'alors une place elevee. Lesprincipaux digni- 
taires de I'universite n'etaient pas seulement 
des savants, consideres en Europe coiiime 
les liommes les plus docles du temps , c'e- 
taient des gens fort importants , souvent en 
rapport avec les plus liauts seigneurs et les 
plus grands prelats du royaume, et dont Ta- 
vis etait demande par tout le monde dans les 
circonstances graves. L'universite disposait, 
de plus, d'un grand nombre de suppots, 
docteurs, gradues ou ecoliers , chez lesquels 
la science n'excluait pas Tenergie, et qui cons- 
tituaient une force considerable, avec la- 
quelleles partis politiquessavaientqu'il fallait 
compter. 

L'universile supplia le roi d'oublier les en- 

15. 



— 264. — 

Les princes se trouvaient encore sans ar- 
gent. 

Heureusement pour eux le roi n'etait pas 
encore rentre a Paris depuis la derniere sedi- 
tion , ii n'avait pris au regard de la popu- 
lation parisienne aucun engagement ab- 
solu, ni renonce expressement a sevir contre 
elle. Les negotiations furent reprises entre 
le conseil royal et la \ille. Le roi se fit payer 
le pardon qu'on lui demandait. II promit, 
moyennant une somme de 100,000 li- 
vres, d'oublier le passe. II ordonna en meme 
temps le desarmepfient de tous les individus 
qui habitaient Paris sans y etre nes, ni y avoir 
un etablissement , et qui dans les derniers 
troubles avaient joue un si grand role. Les 
Parisiens de naissance , ayant , comme disent 
les chroniques, clioses a perdre furent 
seuls autorises a sortir en armes. La ville 
accepta ces conditions. La cour n'insista 
que sur la premiere; la seconde etait a 
peu presimpraticable, les gens qu'il s'agissait 



— 263 — 



m tement pendant la nuit. Justice ou du moins 
P ce qu'on appelait alors de * ce nom elait 
i faile. 



Dans Tespoir de meltre fin aux emeutes 
qui depuis la mort de Charles V agitaient 
le royaume, et d*obtenir des subsides, les 
princes se deciderent a recourir aux etais 
generaux , que le roi alia tenir a Compiegne 
en Beauvoisis. 

L'espoir des princes fut trompe. Les bonnes 
villes des provinces ne donnerent a leurs re- 
presentants d'autres pouvoirs que d'offrir au 
roi leurs conseils et de lui transmettre les bum- 
bles prieres de ses sujets des \illes. Aux de- 
mandes de subsides qui leur furent adres- 
sees, lesi deputes repondirent qu'ils en refere- 
raient a leurs commeltants. II fut impossible 
d'oblenir d'eux rien de plus. Seuls les deputes 
de Sens voterent Taide demandee , et leurs 
commettants les desavouerent. 



— 264 — 

Les princes se irouvaient encore sans a^ 
gent. 

Heureusement pour eux le roi n'etait pas 
encore rentre a Paris depuis la derniere sedi- 
tion , ii n'avait pris au regard de la popu- 
lation parisienne aucun engagement ab- 
solu, ni renonce expressement a sevir conlre 
elle. Les negotiations furent reprises entre 
le conseil royal et la \ille. Le roi se fit payer 
le pardon qu'on lui demandait. II promit, 
rnoyennant line somme de loo^ooo li- 
vres, d'oublier le passe. II ordonna en meme 
temps le desarmement de tous les individus 
qui habitaient Paris sans y etre nes, ni y avoir 
un etablissement , et qui dans les derniers 
troubles avaient joue un si grand r61e. Les 

* 

Parisiens de naissance , ayant , comme disent 
les ciironiques, clioses a perdre furent 
seuls autorises a sortir en armes. La vilie 
accepta ces conditions. La cour n'insista 
que sur la premiere; la seconde etait a 
peu presimpraticable, les gens qu'il s'agissait 



— 265 — 

de desarmer elant homines a se defendre 
vigoureusement : les princes d'ailleurstenaient 
moins a empecher de nouveaux troubles 
qu'a se procurer des ressources financieres. 
Le recouvrement des 100,000 fr. a payer 
au roi presenta quelques diflficultes. Le corps 
municipal entreprit d'obliger le clerge et 
les ordres religieux a en acquilter leur part. Le 
clerge refusa . Ce refus donna lieu a de verila- 
bles emeutes. Les presbyleres et les convents 
furent menaces. On ne sait au jusle si les 
ordres religieux s'executerent ; mais il ne s'e- 
leva aucune voix pour soutenir les privileges 
qu'ils invoquaient. Le principede I'egalite de 
tons devant Timpot prenait chaque jour 
plus de force. 



Ijolte entre I'el^ment artstocratlqne et I'^l^itteal 
deniagrogriqae. — D^faite momenlan^e die eelnl-cl. 
— Mis t^ re da pays. 



La tranquillite cependant n'etait pas coin- 

pletement retablie dans Paris : les gens de 

petit etat continuaienl, malgre tons les efforts 

des officiers royaux , a tenir des assemblees. 

lis paraissaient si redoutables que le roi, de 

i'avis de son conseil , institua a Paris iin nou- 

veau magislrat, qu'on appela le capitaine de 

la ville, et qui fut specialement charge 

d Vmpecher les emotions populaires, de main- 

tenir et de retablir Tordre dans la cite. 
L'animation des classes inferieures contre 

la bourgeoisie avait grandi avec les derniers 



— 267 — 

evenements. La dislinclion fiute par le con- 
seil, lors des negociations avec Funiversite, 
€htre les Parisiens de naissance , pour la 
plupart etablis et dans I'aisance , lesquels 
etaienl aulorises a sortir armes, et les aulres 
habitants de la \ille, appartenant en grande 
majorite au petit peiiple, et qui devaientelre 
desarmes, avait rendu plus profonde encore 
I'a version de ceux-ci pour ceux-la. D'un 
autre cote les exces comnyis par la foule lors 
de la derniere insurrection avai^nt frappe de 
terreur les bourgeois, marcbands et maitres 
ouvriers. Cetait une opinion generalement 
repandue en France et menie a Tetranger 
que le pays se trouvait a la veille de revolu- 
tions borribles dont les seditions passees ne 
pouvaient meme donner Tidee et « ou compte 
ne serait tenu de vies d'bommes plus que 
d'arondeaux ou d'alouettes qu'on prend en 
la saison pour les manger. » 

Un meme souffle re volutionnaire paraissait 
passer sur toute TEurope occidentale. Les 



— 268 — 

proletaires de lous les pays se soulevaient 
en meme temps : TAnglelerre avait eu la re- 
volte de Wal-Tyler; la France, les emeutesae 
Rouen et de Paris : Iltalie etait soulevee, la 
Flandre enliere en arnies, les Gantois en 
guerre ouverle avec leur due. Si en ce mo- 
ment, lemenu peuple des differentes nations 
d'Europe avait reussi, sous I'energique im- 
pulsion de quelques liommes de genie, a 
combiner une action commune, nuUe puis- 
sance conslituee n'aurait pu lui resister. « Si 
ensemble se fussent mis, ils eussent ete plus 
puissants que les princes et les nobles » , dit Ju- 
venal des Ursins. Cette alliance des democra- 
ties europeennes avait ete le reve d'Etienne 
Marcel qui avait succombe avant d'avoir pu le 
realiser. Mais les populations urbaines apres 
avoir un instant, au lendemain de Poitiers, 
et sous Tetreinte d'un danger pressant, oublie 
leurs querelles intestines, confondu leurs ef- 
forts et leurs interets, etaient peu a peu re- 
venues a leurs anciennes jalousies, a leur 



— 269 — 

ancien isolement : elles avaient agichacune 
pour leur propre compte sans s'inquieter de 
leurs voisines, sans reclamer (Jes autres villes 
un aide ou un concours qu'elles n'eussent 
point ete elles-memes d'humeur a accor- 
der (i). Elles avaient, en dissensions intes- 
tines, depense leurs forces etieurenergie.Iso- 
lees, diviseesen factions hostiles, elles avaient 
pu faire des emeutes, elles avaient ele incapa- 
bles de faire une revolution, ou seuleinent4e 
reprendre Toeuvre des hommes de i356. 

La rovaute et la noblesse entendaient 
mieux la solidarite. On avait vu, lors de la 

Jacquerie, le roi de Navarre et le due de Nor- 
mandie, ennemis la veille et ennemis le len- 
demain, s'associer pour ecraser les paysans 

revokes. Les chevaliers anglais avaient mis 

» 

leur epee au service des gentilshommes fran- 
cais. Ceux-ci avaient applaudi au triompbe 

(i) Rouen cependant avait a la suite de Femeute de i38i 
essay 6 de sc mettre en relation avec les autres bonnes villes. 



— 270 — 

de Taristocralie feodale d'Angleterre sur les 
bandes de Wal-Tyler. En presence des mou- 
vements populaires qui eclataient de toutes 
parts, nobles el rois senlirenl qu'il fallait res- 
serrer leur alliance, que les dangers des uns 
etaient les dangers des autres, la defaite de 
Tun la defaite de lous, qu'ecraser quelque 
part une revolte populaire c'etait prevenir 
ailleurs Texplosion de semblables mouve- 
menls. lis agirent avec vigueur, sans qu'au- 
€une consideration d'humanite ou du bien 
public leur fit perdre de vue un instant leurs 
interetsde caste. 



Les hommes de Gand etaient en lutte oii- 
verte avec le due de Flandre qui avait voulu 
dissoudre quelques-unes de leurs principales 
corporations. Plus intelligenls que leurs freres 
des communes de France, les Gantois avaient 
€onipris qu'il n'y avait pas de triompbe pos- 
sible sans discipline ; ils avaient compris que 



— 271 — 

ce n'etail point faire acte de servilite que 
d'obeir a des chefs librement choisis. lis 
avaient mis a leur tete le fils du grand Arle- 
velt. La democralie a ses dynasties comme la 
royaute. Arte\elt proposa au roi de France 
I'alliance deGand. Mais le ducde Bourgogne, 
oncle du roi, etait le gendre du ducde Flan- 
dre. Si le bien de la France cotnmandait aux 
princes francais d'accueillir favorablement les 
propositions des Gantois, Tinteret du due de 
Bourgogne etde la noblesse francaise etait au 
€ontraire de preter au due de Flandre un 
concours energique pour ecraser les vilains 
emeules. Le depute de Gand fut mis en 
prison, et aux offres d'Artevelt, le roi et les 
princes repondirent en marchant avec une 
grosse armee au secours du due. lis ne dissi- 
mulaient point qu'apres avoir triomplie des 
Flamands ils viendraientregler leurs comptes 
avec les seditieuxde France. 

Paris et les grandes villes attendaient avec 
anxiete le resultat de la lulte engagee. 



— 272 — 

La populace, plus clairvoyante celte fois 
que les bourgeois , voulait prendre occasion 
de Tabsence du roi et des princes pour cons- 
tiluer les communesde France aTexempie de 
celles de Flandre , et se venger des officiers 
royaux entre les mains de qui allait tout le 
bien des pauvres. Les principaux bourgeois 
prefererent conserver une attitude expec- 
tante. lis esperaientque lesFlamands feraient 

9 

la meme besogne qu'a Courlray et qu'il serait 
alors facile aux Parisiens d'imposer leurs vo- 
lontes a la royaute vaincue. Parmi ceux qui 
recommandaient le calme , etaient quelques 
anciensamisd'Etienne Marcel. Ces vieux Pari- 
siens n'avaient pu oublier les grands embar- 
ras que le menu peuple avait causes au prevot 
et a la cause des liberies publiques. Tandis 
que les Parisiens deliberaient , I'armee royale 
entrait en Flandre et ecrasait les Gantois a 
Rosebecque (i). 

(i) ay novembre i38a. 



— 273 — 

^ Paris fut allere. Le desespoir dii peuple 

^ egala la joie des princes. Les projelsde ceux- 

j, ci ne furent pas longtemps douteux. lis 

g promellaient a leurs hommes le pillage de 

Paris. Pour juslifier d'avance les violences 

^ qu'ils voulaient commellre , ils firent (ce 

moyen est toujours employe en pareille cir- 

constance) coiirir le bruit que le peuple 

. elait en relation d'amilie avec celui de 

Gand , c'est-a-dire avec Tennemi , qu'on 

avail irouve dans le camp d'Arlevelt une let- 

tre envoyee aux Gantois par les bourgeois 

de la cile, lesquels avaient ainsi Irabi la 

France. Celle lettre ne fut jamais produile , 

il est probable qu'elle n'exista point. Les Pa- 

risiens avaient pu former des voeux pour le 

succes des Ganlois, mais ils s'en elaient tenus 

la ; et pouvait-on leur reprocber, dans une 

guerre entreprise conlrairement aux interels 

de la France, deredouler une victoire dontla 

consequence directe devait elre Tasservisse- 

ment du pays? 



— 274 — 

Les princes n'etaient pas toutefois sans 
quelqne inquietude. La villeelait assez forleet 
ses milices assez nombreuses pour tenir long- 
temps si elles prenaient franchement la re- 
solution de se defetidre. Mais Paris etait de- 
courage, la grande majorile des bourgeois re- 
pugnaient a la lulte. Le corps muiiicipal fit 
savoirauroi , que les Parisiensn'opposeraient 
aucune resistance aTenlree de Tarmee royale. 
Malheureusement la population tout en con- 
sentant a Tentree du roi , \oulut que ce- 
lui-ci comprit que ce consentement etait lout 
benevole et que Paris eut ete de force a le re- 
fuser. Les milices prirent les armes et vinrent 
au nombre de pres de 4o,ooo hommes, en 
bel ordre, au devant du roi. C'etait une 
faute grave. En politique on ne menace 
point , on a git. Une menace a tous les incon- 
\enients de Facte qu'elle annonce, elle n'en 
a point les benefices. C'esl I'arme de qui ne 
pent ou n'ose frapper. Menacer est dans tous 
les cas une preuve de faiblesse. Les Parisiens 



— 275 — 

■fpayerent clier leur bravade. Le roi refusa de 

nrentrer en \iUe par Tune desportes. II fit de- 

■t molir un pan de murailles et entra en sa ca- 

s pitale comme dans une place conquise. A 

li peine a Paris les princes prirent les mesures 

J les plus energiques. La ville ful occupee mi- 

I litairement, les chaines des quarliers lendues^ 

-les citoyens desarmes, plus de 3oo bourgeois 

: arretes , beaucoup executes. Tpus les homraies 

^ importanls qui avaient survecu aux massacres 

de i36o furent conduits a Tecliafaud, et 

avec eux Jean Desmares. Son crime etait 

d'avoir essaye de se concilier la faveur du 

peuple et de ne s'etre point donne tout en- 

lier a la royaute (i). 

Si, dans la repression, la royaute fit preuve 
de cruaute , elle fit aussi preuve d'intel- 
Hgence. Jusqii'alors, apres chaque sedition , 



(i) On attribua aussi la mort de Jean Desmares a Tani- 
mosite personnelle de MM. de Bourgogne el de Berry qui 
ne pouvaient lui pardonner de s'^tre montre devoue au due 
d'Anjou leur frere el leur rival. 



— 276 — 

les supplices avaient frappe seulement les 
chefs du mouvement vaincu. Les petites gens 
avaient ele epargnes, on les avail consideres 
non comme des coupables, mais comme des 
egares. Cette fois les executions porlerentsur 
toutes les classes de la societe, sur les petits 
comme sur les grands. NuUe mesure ne pou- 
vait produire plus d'eflfet. 

Le supplice d'un chef peut quelquefois ar- 
reler une sedition deja nee, elle est sans 
effet sur les seditions a venir. II se rencontre 
toujours des hommes qui, dans le jeu ter- 
rible des revolutions, n'hesitent pas a exposer 
leur vie dans Tespoir, au jour du succes , de 
recueillir grandeur et gloire. Aussi les fac- 
tions politiques trouvent-elles toujours des 

• 

chefs. Elles recrutent moins facilement des 
soldats. Si elles reussissent a en reunir, c'est 
le plus souvent parce que, se sentant cou- 
verls par leur obscurite meme, ceux-ci consi- 
derent le danger auquelilss'exposent, comme 
moins grand que les avantages qu'ils es- 



— 277 - 

perent. Le jour ou, Tinsurreclion vaincue , la 
repression au lieu de s'arreter aux chefs vient 
tjhercher a son rang le dernier des complices , 
die ne frappe pas seulement les sedilieux du 
jour, elle effraie et paralyse aussiles seditieux 
k \enir. Les pelites gens hesitent a engager 
leur vie dans des entreprises hasardeuses 
doht ils subissent tons les risques alors que 
d'autresen recueillent le benefice. La sedition 
n*a plus de soldats : la repression atteint 
ainsi le but qu'elle doit se proposer avant 
tout, prevenir le retour de crimes semblables 
k ceux qu'elle frappe. 

Aux executions succederent les confis- 
cattbns. Lorsque un grand nombre de Pari- , 
siens furent tombes sous la hache du bour- 
peau, que les princes se furent debarrasses de 
tous ceux qui les genaient, ils penserent que 
le moment etait venu de faire preuve de cle- 
mence. En grande ceremonie , ils demande- 
rent au roi grace pour ses pauvres sujets. Le 

poi daigna acceder a leur priere, et consenlit a 

ic 



— 278 — 

commuer « les peines criminelles en peines 
civiles >j , ce qui voulait dire qu'a Tavenir les 
agents royaiix s'en prendraient non a la per- 
sonne , mais a la forlune des Pari§iens. 

A dater de ce jour on cessa, disent les 
chroniques, « de s'occiiper des luoyens, des 
pelils, pour s'adresser exclusivement aux 
grands mailres, ouil y avail asseza prendre ». 
II n'y eut plus de bourgeois possedant quelque 
chose , qui ne flit soupconne et convaincu 
d'avoir trempe dans la rebellion. Les Irois 
quar Is des families bourgeoises furent comple- 
lement ruinees. Quelques annees plus l6t, a 
la mort de Charles V, Paris passait pour 
Tune des plus riches villes d'Europe. EUe 
etaitjlorsque les confiscations cesserent^faute 
d'alimenls , appauvrie de moitie. 

Des ordonnances supprimerent les \ieilles 
magislratures parisiennes^ la prev6te des 
marchands , Techevinage. L'administration 
des affaires municipales fut confiee au prev6t 
de Paris. 11 fut inlerdit aux bourgeois de pro- 



-^ 279 — 

^<le^ a Tavenir, a Teleclion des dizeniers et 
as quarteniers. On defendil rigoureusement 
^\ites reunions publiques ou aulres <« as- 
aimblees de con freries, reunions d'artisans, 
oire meme les simples reunions pour fes- 
oyer, v les factieux ayantpu profiler de ces 
Reunions pour troubler Tordre et .porter at- 
teinte au bien public/ Enfin les aides, 
iJouzieme denier, gabelles et autres imposi- 
tions furent retablies et mises en perception 
;ans lutte nouvelle. 

La reaction s'etendit hors Paris. 

Quelques villes de provinces, sans pro- 
Lester contre les impots avec la meme energie 
:jue Paris et Rouen s'elaient montrees fort 
rebelles aux volontes royales. A Chalons , a 
Reims , les habitants n'avaient point acquitte 
les taxes. Dans cette derniere \ille des trou- 
bles assez graves avaient eclate. Les ouvriers 
ivaient deserte les ateliers, avaient forme des 
issemblees , et tenu contre le roi des propos 
jeditieux. Larepression fut terrible. Les hour- 



— 280 — 

geois qui s'etaient meles au mouvement 
furenl mis a mort. Beaucoup disparurent sans 
que leurs parents les plus proches pussent ob- 
lenir des agents royaux le moindre rensei- 
gnement sur leur sort^ sans meme qu'on 
voulut indiquer aux femmes ou aux enfants 
le lieu oil reposait leur epoux ou leur pere el 
leur permeltre d'y venir prier. A Amiens j le 
corps municipal fut dissous, les corporations 
et confreries dont les chefs reunis formaient 
la municipalile y furent demembrees, et la 
vieille commune, alliee de Paris, a jamais de- 
truile. La royaute ecrasa toutes les resis- 
tances. 



A compter des premiers mois de i383, et 
pour de longues annees, les villes cesserent 
d'occuper dans I'Etat plus de place que les 
campagnes. 

A cote d'elles, les princes pendant la 
jeunesse , et plus tard pendant la folie du 



— 281 — 

roi, disposerent du pays sans conlrole , s'ar- 
raclierent le poiivoir les uns aux aulres, 
ne s'occupant du pauvre peuple que pour 
lui extorquer Targent necessaire a leurs be- 
soins incessants. 

A part quelques insurrections locales^, 
occasionnees par des miseres Irop fortes ou 
des exactions trop cruelles, les villes accep- 
terent sans mot dire , la loi de leurs maltres 
successifs. 

L'impot augmenta constamment. Le roi 
se mariait : c'etait Toccasion de nouvelles 
taxes. Le due d'Orleans desirait-il donner 
des fetes ou doter ses maitresses, les \illes 
payaient encore. Sous couleur d'envahir 
TAnglelerre, les princes etablissaient un 
camp sur le bord du Pas de Calais et y 
donnaient des tournois ; c'etait le pretexte d'un 
surcroit d'impots. II n'y avait plus d'energie 
nuUe part. Le decouragement et la misere 
etaient partout. Beaucoup de gens emi- 

graient en Flandre; mais il fallait encore 

If). 



— 282 — 

-disposer de quelque bien pour aller ainsi 
•s'elablir a Telranger. Les plus pauvres 
•etaient obliges de resler en France, et les 
charges publiques pesaient sur eux d'autant 
plus lourdement que Temigration avail 
diminue davanlage le nombre des conlri- 
buables. Le peuple acceptait lout sans mot 

<lire. 

Les bourgeois avaient tenle le grand mou- 

vement de i356, ils avaient ete ecrases par 
la royaute. Les gens des villes s'elaient sou- 
leves a Paris et a Rouen ; ils avaient ete vain- 
<jus. La defaite etait encore Irop recente pour 
que la nation recommencat la lulle. Un 
peuple ne lente pas deux fois de suite la 
fortune des revolutions. U faut avant qu'il 
releve la tele, qu'il ail repris haleine, 
que quelques annees de prosperite male- 
rielle lui aient rendu ses forces, qu'une ge- 
neration nouvelle ait remplace la generation 
vaincue. La revanche n'est possible qu'au 
moment ou le souvenir des malheurs eprou- 



— 283 — . 

ves subsistant encore dans la meraoire 
du peuple , ceiix qui ont personnellement 
souflert ont cesse de composer la majo- 
rite de la nation. Alors seulement le senti- 
ment de la vengeance Temporle sur celiii 
de Timpuissance. 

Vingt annees se passerent sans que la 
royaute eut a lutter de nouveau contre les 
seditions populaires. Un certain nombre 
d'ordonnances royales avaient donne satis- 
faction aux tendances egalitaires du menu 
peuple. L'impot frappait tons les sujets du 
roi : TEglise, Tuniversite, les officiers royaux 
devaient I'acquitter comme le dernier ha- 
bitant de la plus humble ville. La masse de 
la population ne croyait pas acheler trop 
cher cette egalite au prix d'enormes taxes 
et d'une soumission aveugle. Elle ne se de- 
mandait point si la realite des fails etait 
en rapport absolu avec les prescriptions 
legales, si les officiers royaux payaient effec- 
tivement les impots mis a leur charge par 



— 284 — 

une ordonnance et dont une autre les ex- 
onerait. II leur suffisait qu'il fut interdit au 
chancelier de sceller aucune letlre portant 
exemption de taxes ^ defendu aux maitres 
des eaiix et forets de composer avec les de- 
linquants puissants, qu'une ordonnance bien- 
tot rapportee eut donne a tous les sujets du 
royaume le droit de prendre les armes, pour 
qu'elle crut avoir reellement conquis Tega- 
lite, son objectif avant tous autres, fut-eile 
Tegalite dans la misere et Tabjection. 



§111. 



JLa iillle e( le pr^vot de Paris. — Renaissance des 
Mees s^dltleoses. — Demoralisation de la soclete 
fran^slM ^ la fin da Xl¥' sleele. 



A Paris seulement avaient subsiste quel- 
ques Testes de vie politique. La suppression 
de la prevote des marcliands, de Techevi- 
nage, de toutes les vieilles magistratures muni- 
cipales avait d'abord profondement ulcere le 
coeur des Parisiens. Les agents royaux avaient 
essaye de demontrer aux petites gens que 
les charges de prevot des marchands et d'e- 
chevins avaient toujours ete jusqu'alors oc- 
cupees par de gros bourgeois; que jamais 
personne de petit etat n'avait ete appele a 
les remplir; que la suppression de Tan- 



— 286 — 

cienne municipalile ne frappait done pas 
la populalion parisienne proprement dile, 
mais seulement quelques privilegies. lis 
avaient fait remarqiier que si le roi avail 
retire aiix Parisiens Telection de leurs ma- 
gistrals , c'avait ete pour confier Tadminis- 
tralion de la \ille a des bommes impartiaux 
el desinteresses qui, dependant du souve- 
rain seulement, pouvaient aisement se de- 
sinleresser des influences parliculieres pour 
ne s'occuper que du bien general, et ri'etaient 
pas, comme autrefois les prevols elus, dis- 
poses a discuter avec les uns, avec les au- 
Ires, au lieu d'agir, a debatlre les inter^ts 
•de Paris au lieu de les salisfaire, et a favo- 
Tiser leurs amis au delriment de leurs ad- 
\ersaires poliliques ou prives. 

lis n'avaient dans les premiers temps con- 
vaincu personne. 

Mais peu a peu un certain nombre de bour- 
geois, les pelils marchands nolamment, s*e- 
taientlaisse persuader que jamais la situation 



— 287 — 

dela ville n'avait ele plus brillanle que depuis 
le jour ou le prevot de Paris avail ete charge 
de la direction des affaires municipales ; que 
le commerce prosperait, que la paix, la tran- 
quillite dont on jouissait n'avaient pas ete 
payees trop cher par la suppression de 
magislratures qui avaient fait leur temps. 
On se disait avec orgueil, dans les arriere- 
boutiques des pelits comnaercants, que Paris 
etait redevenu ce qu'il elait avant les de- 
plorables troubles des premiers temps du 
regne, c'est-a-dire la « perle des villes. » 
Comme preuve de sa splendeur nouvelle, 
on affirmait qu'on y buvait par jour « -700 
tonneaux de vin dont le roi avait son quart, 
sans le vin des ecoliers, qlii n'en payait 
point; » qu'on y comptait4,ooo tavernes. On 
faisait remarquer qu'il y avait mainlenant 
en ville « 3,ooo belles filles », sans compter 
celles des faubourgs et 80,000 mendiants. 
On insistait sur ces deux derniers chiffres, 
qui, aux yeux de cerlaines gens et d'a- 



— 288 — 

pres les idees economiques d'alors, im-' 
pliquaient une prosperite inouie. Quelk' 
ville en France ou meme a Tetranger poo- 
vait, a ces divers points de vue, lutter avec 
Paris? Aussi les petits bourgeois disaient-ib 
dt^a, en aflectant pour leurs concitoyens dcs 
provinces une pilie quelque pen meprisanle, 
f|ue : Vivre a Paris c'elait exister dans le 
sens absolu du mot, vivre ailleurs c'elait 
exisler accidentellement. A Paris on vivait; 
ailleurs on vegetait. 

Les admirateurs du regime noiiveau com- 
mencaient a devenir assez nonibreux quand, 
tout d'un coup, en i388, le prevot de Paris 
re([uit humblement le roi de vouloir bien lui 
pcrnietlre de resigner ses nouvelles attribu* 
lions. Le prevot se declarait incapable de se 
charger plus longtemps des interets muni- 
cipaux de la ville de Paris. II etait hors d etal 
(le fairc face aux necessiles et aux embarras 
d'une pareille lacbe ; c'elait, disait-il, besogne 
Irop lourde pour lui. L'oeuvre de la royaute 



— 289 — 

§,tait condamnee par ses propres agents. Les 
princes n'oserent pas cependant retablir en- 
core les anciennes magistralures^ dont le nom 
seul les effrayait. Un magistral nouveau fut 
nomme auquel on donna le litre de garde de 
la prevole de Paris el auquel furent dele- 
guees les fonctions autrefois remplies par le 
prevot des marchands. 

Le premier soin du garde de la prevole 
fut de se rendre comple de I'elal de I'admi- 
nistralion donl on le chargeait. U conslata 
que depuis la suppression des magislratures 
municipales, les recelles de la ville avaienl 
diminue de pres d'un liers, alors qu'au 
contraire les depenses avaienl grossi. 

Les services d'inlerel public avaienl ele 
insufHsammenl doles. Pour quelques Ira- 
vaux d*embellissement, le prevol royal avail 
neglige les travaux uliles , preoccupation 
conslante autrefois des magistrals elus. La 
voirie elail en mauvais etal ; les chemins qui 
conduisaient a Paris , les rivieres , mal entre 

17 



_ 290 — 

nus. L'augmentalion du prix desdenrees^ que 
beaucoup consideraient comme la conse- 
quence du developpement du bien-etre ge- 
neral n'elait que le resultat*de la difficulle 
des approvisionnements. Les caisses de la 
\ille etaient \ides, et ses revenus engages 
d'avance. Telle elait la situation lorsque le 
nouveau garde de la prevote enlra en fonc- 
tions. U duty pour reparerlesdesastresame- 
nes par Tadministration de son predecesseur, 
aire appel au concours de bons bourgeois, 
bien au courant des affaires parisiennes. 

Grace a Tinlervention de ceux-ci, il put 
parer, au moins partiellement , aux conse- 
quences de la deplorable gestion de M' le 
prevot de Paris et retablir I'ordre dans les 
finances municipales. 



Les regrets inspires par la suppression 
des anciennes magislratures avaient trouve 
dans les evenemenls qui venaient de se pro- 



— 291 — 

duire un aliment nouveau. Les Parisiens com- 
•parerent Telat de la \ille au moment oil elle 
s'administrait librement par des chefs qu'elle 
choisissait elle-meme , et la situation finan- 
ciere qu'avaient creee les representants de la 
royaule. Les \ieilles idees d'independance, 
un instant elouffees par le decouragement 
d'une defaite recente, reprirent blen \ite 
des forces. Par un revirement d'opinion 
qui d'ailleurs se produit souvent a la suite 
des revolutions, les gens qui avaient, lors des 
derniers troubles , attaque a\ec le plus de 
violence Tancienne constitution municipale 
de la ville de Paris, qui en avaient reclame la 
modification , en etaient devenus les parti- 
sans les plus acharnes. Les bourgeois mernes 
qui avaient applaudi a la suppression des 
assemblies publiques commencaient a re- 
connailre que des magistrats, soumis au 
controle etroit de leurs concitoyens, respon- 

sables de leurs actes au regard de ceux- 
ci, presentaient plus de garanties qu'un 



— 292 — 

prevot nomme par le roi, et s*occupant 
des lors bien plus d'etre agreable a la* 
cour que de veiller aux interets de \ilains 
qu'il meprisait. Quelques efforts que fit 
le garde de la pre vote pour calmer le 
mecontentement general, quelque deference 
qu'il manifestat pour les principaux Pari- 
siens, dont il demandait incessamment les 
bons conseils, ces sentiments se develop- 
paient de jour en jour. 

Mais en meme temps avait grandi la de- 
moralisation des classes inferieures. J^ con- 
tagion etait venue d'en haut. I^ famille 
royale avait donne au peuple le spectacle de 
tous les vices et de tous les crimes. Le due 
d'Anjou avait commence par le vol, le due 
de Bourgogne finissait par Tassassinat. Et 
comme si ce n'etait point assez de fournir de 
mauvais exemples, les princes s'etaient ever- 
lues a repandre dans le peuple les doctrines 
les plus corruptrices. 

Apres avoir fait metlre a mort son neveu 



— 293 — 

d'Orleans, le due de Bourgogne avail auda- 
cieusement avouelesmeurtriers. Bravant les 
ordres du roi, il etait renlre dans Paris oil la 
populace, qu'il avaitmainte foisflattee,ravait 
recu avec enthousiasme. Bien loin de temoi- 
gner le moindre regret de son crime, il avail 
enlrepris de demonlrera tous el a chacun 
qu'il avail bien fail de frapper sa viclime. 
Dans une grande reunion oil se trouvaient 
les princes du sang, les plus hauls barons de 
France, TUniversile el quantite de bourgeois 
de Paris, specialemenl convoques, le due de 
Bourgogne avail fail soutenir par un docteur 
en iheologie que Tassassinal politique n'elail 
poinlun crime, qu'il constiluail auconlraire, 
en certains cas, Faccomplissement d'un devoir 
etroit. Le discours prononce a Thotel Saint- 
Pol par le docteur J. Petit n'elail autre chose 
que la theorie du tyrannicide. Petit eta- 
blissait, avec force citations, qu'il etait de 
droit el d'equite d'occire un tyran. 11 expli- 
quait qu'un tyran etait celui qui machinait 



— . 294 — 

contre la cliose publique ; la chose publique 
c'etait le bien de tous, en general , et celui 
du bon peuple en particulier. Pourjuslifier 
sa these, il citait de nonib^euses autorites 
et invoquait Topinion des plus doctes horn- 
mes. 

Les clercs et les bourgeois estimerent qu'il 
etait fort grave de soulenir ouvertement de 
pareilles propositions. Sansdoule il pouvait 
etre vrai qu'en cerlains cas Tinteret gene- 
ral put legitinier ou excuser bien des cho- 
ses, peut-etre meme Temploi de moyenssem- 
blables a ceux dont avait use Monseigneur 
de Bourgogne. C'etait I'avis des plus excel- 
lents ecrivains de ranliquite,etaussi celui des 
Peres de T^glise , notamment de saint Thomas 
d'Aquin. M. Jean Gerson lui-m^me (il devait 
heureusement se contredire plus tard ) avait 
dit : « que nuile victime n'etait plus agrea- 
ble a Dieu qu'un tyran. » Mais etait- il ri^- 
cessaire de precher au peuple de pareilles 
doctrines? Cela paraissait bien douteux. 



— 295 — 

Le menu peuple cependanl approuvail; 
il ne pouvait douter de ['excellence de 
theories pareilles. Elles flattaient ses instincts 
de violence , legitimaient ses exces passes et 
futurs : elles avaient de plus Thonneur d'etre 
professees par un docteur en theologie, en 
presence de TUniversite et des plus graves 
personnages de la ville , lesquels n'y contre- 
disaient point. La populace pourrait done a 
Tavenir, quand elle mettrait a mort ceux 
qu'elle considerait comme ses ennemis, s'a- 
briter derriere les plus hauts exemples et 
les plus eminentes autorites. 

Non contents de Tallocution prononceepar 
Jacques Petit, lesaffides du due de Bourgogne 
avaient fait reraarquer aux Parisiens, que le 
due d'Orleans avail dissipe , en depenses fol- 
ks, la fortune publique, qu'il avail deploye 
un faste inou'i, qui etail comme une insulte a 
la misere generale; que frapper de morl un 
pareilhomme n'etait que justice; en debarras- 
sant le royaume d'un semblable monstre le 



— 296 — 

due de Bourgogne avait mis fin a des scan- 
dales qui deshonoraient le pays entier, et 
venge le pauvre peuple. 

Ces discours avaient atlis^ la haine que 
depuis le commencement du regne de Char- 
les VI la basse classe nourrissait contre les 
riches ou centre ceux qui lui semblaient 
tels. 



Le vieux levain d'ou etait sorti la revoke 
des maillotins fermentait de nouveau. Les me- 
sures coercitives prises contre Paris per- 
daient chaque jour, par la force n^eme des 
choses, quelque peu de leur rigueur. La ville 
commencait a se lasser d'etre Tenjeu des 
parties que les princes jouaient autour d'elle 
sans qu'elle s'y melat. En vain une ordon- 
nance royale defendit-elle aux Parisiens de 
prendre part, fut-ce en paroles, aux dissen- 
sions des princes. Les prescriptions de cette 
ordonnance furent violees d'abord par ceux 



— 297 — 

qui Tavaient fait porter. Paris, sans avoir re- 
trouve sa puissance d'autrefois, avail repris 
assez de force pour devenir une alliee ou 
une ennemie redoutable. Les princes la me- 
nageaient et n'osaient lui imposer d'aussi 
lourdes charges qu'aux aulres bonnes villes. 
lis se disputaient ses bonnes graces, et cher- 
chaient par des prevenances de toutes sortes 
a se concilier son concours. JLa reine elle- 
meme en plusieurs circonslances, ne dedai- 
gna pas de donner a ses sujets de Paris des 
explications sur sa conduite personnelle. 

Peu a pen les corporations ou confreries 
supprimees se reconstituerent. 

En mars 1409, et sur Tinitiative du due 
de Bourgogne , une ordon nance royale res- 
titua a la ville le droit d'elire son prevot des 
inarchands, et celui d'organiser les habitants 
en gardes bourgeoises commandees par des 
chefs elus. (i) Tousles quarteniers, cinquan- 

( I ) L'echevinage electif n'etait pas retabli : il ne le fut 

que troisans plus tard en i4i2. 

17. 



— 298 — 

teniers, dizeniers fureni choisis parmi les 
partisans du diic de Bourgogrie j le prev6t 
des marchands fut une de ses creatures. Peu 
importait a la population parisienne que le 
due Jean fut, dans ses duches et en Flandre, 
I'ennemi le plus acharne de la liberte com- 
munale, qu'il fut en lutte constante avec 
Gand, avec Bruges, avec Liege , avec toutes 
les vieilles villes flamandes, qu'il eut reprime 
dans ses domaines, avec une cruaute inouie, 
les moindres velleites d'independance. Paris 
oubliait tout pour ne se souvenir que d'une 
chose, la restitution de quelques-unes de ses 
anciennes franchises. Le has peuple surtout 

s'etait donne corps et ame au due de Bour- 

It 

gogne. L'homme qui avait fait assassiner son 
cousin d'Orleans etait bien digne d'etre le 
compere de ceuxqui, en i38i, avaientpille 
et incendie les maisons des Juifs, en i383 
assomme les percepleurs d'impots, mis a sac 
les maisons des plus riches bourgeois. 
Monseigneur de Bourgogne donnait d'ail- 



— 299 — 

I leurs a la mullitude des salisfaclions de loutes 
i sortes, et qu'elle appreciait singuUerernent. 
r II avail besoin d'argent ; au lieu de recourir a 
la voie de rimp6t qui lui aurait aliene ses 
nouveaux allies, il fit arreter les principaux 
banquiers et changeurs de Paris, et leur 
fit faire leur proces. On les accusa d'avoir 
profite des troubles qui, depuis tant d'annees^ 
avaient desole le pays pour faire leur fortune 
auxdepensdecelledeTEtat. II se trouvaitcer- 
lainement dans le nombre de ceux qui furent 
mis en prison des financiers peu scrupuleux 
et qui avaient oulrageusement dilapide les 
finances publiques. Mais ces gens, si coupa- 
bles qu'ils fussent, n'avaient fait quesuivre 
Texemple des princes , de celui surtout qui 
les poursuivait. Seulement ils avaient contre 
eux d'elre de basse extraction. II etait per- 
misaux princes etauxgentilshommes de met- 
tre a sac le tresor royal : cela ne pouvait etre 
tolere de la part de miserablesroturiers. Beau- 
coup de ces malheureux n'avaient coinmis 



— 300 — 

d'autre crime que d'avoir su , au milieu des 
desastres publics, sauver leur patrimoine , on 
ne pouvait leur reprocher que d'etre riches 
et de n'etre point du parli de Bourgogne. 
L'affaire futvile inslruite : on mit les prison- 
niersa la torture, on leur fit avouerles crimes 
reels ou pretendus qu'on leur imputait : on 
en envoya quelques-uns au gibet : on confis- 
qua les blensdes aulres, le toutaux applaudis- 
sements de la population parisienne a laquelle 
les \ictimes etaient d'autant plus odieuses 
qu'elles sortaient des rangs du peuple. Aux sen- 
timents d'envie que la plebe nourrissait 
contre tous ceux que la fortune avait favori- 
ses s'ajoutait, en ce qui concernait les parve- 
nus proprement dits, une sorte de jalousie 
particuliere a laquelle les mesures prises par 
le due de Bourgogne donnaient satisfaction. 



La lutte entre le parti d'Orleans et celui d e 
Bourgogne continuaittoujoursavec des chan- 



— 301 — 

^ces diverses. Le jeune due d'Orleans avail 
^ epouse la fiUe du grand comte d'Armagnac, 
g autour duquel s'etait groupee la noblesse du 
^ Midiet du Centre. Pourresisteracesehnemis, 
^ le due de Bourgogne avail besoin de nouvelles 
^ ressources; il fitappel aux bonnes villes, reu- 
nit a Paris les delegues des principales d'entre 
elles et leur demanda des subsides. Les de- 
putes ne voulurenl rien voler. Paris refusa 
d'armer ses hommes el d'accepter, pour 
commander ses milices, un capitaine bour- 
guignon. 

Au moment meme oii le due de Bourgogne 
appelait aupres de lui les deputes des villes, 
les princes adressaient aux bourgeois un ma- 
nifeste dans lequel ils denoncaient Tanibilion 
du due Jean, qui usurpait Tautorite royale. 
L'occasion se presenlait pour les populations 
urbaines de reprendre dans TEtat leur ancien 
role, etde reconquerir a la faveur des discor- 
des dela noblesse, les liberies perdues en i SSg. 
Elles ne surent point en profiler. Elles reste- 



— 302 — 

rent isolees et partant impuissantes. : Le peu- 
ple de Paris qui allendait du due de Bourgo- 
gne la suppression de tous les tiDp6ts )S*in- 
quietait fort peu de reformes ou de projgres ; 
et les bourgeois des provinces n'osaient se 
meler a une guerre dont ils craignaient de 
payer les frais. 

L'Universite de Paris fit seule , en cetie 
circonstance, preuve de sens politique. Elle 
intervint enlre les belligerants et leur proposa 
un arrangement sur les bases suivantes. Les 
chefs des deux factions se retireraient dans 
leurs domaines ; le roi serait assiste dans les 
soins du gouvernement par un conseil dont 
les membres seraient choisis dans les trois 
elats du royaume. 

Comme Charles VI eta jt atteint de demence 
et qu'il lui etait le plus souvent impossible 
d'exercer lui-meme les prerogatives royales, 
la designation des membres du conseil devait, 
si la solution proposee par I'Universite etait 
serieusement mise en pratique, appartenir 



— 303 — 

^x elats qui reprenaienl alors , par la force 
L eme des choses, une influence preponde- 
i.nte. Celait un retour incomplel sans doule, 
kais un retour cependant aux idees d'E- 
ienne Marcel. 

Le due de Bourgogne adliera a la propo- 
.tionderUniversile,iI exprima Topiuion que 
t tache de diriger un si grand Elat que la 
'ranee exeedait les forces d'un seul homoie, 
5S siennes specialement, et que rien n'elait 
ilus neeessaire en ce moment que d'entourer 
e roi de gens capables et independants. Sin- 
ere ou non, cette declaration etait d'une 
;rande importance, elle obligeait les chefs du 
>arti d'Armagnac a accepter egalement le 
>rojet universitaire. Un traite fut signe a Bi- 
etre le 2 novembre j4io. II stipulait que 
es princes se relireraient dans leurs seigneu- 
les et y resteraient en paix ; qu'ils n'assem- 
)leraient point de gens de guerre et ne s'ar- 
neraient pas sans le conge du roi. Les 
)opulations du royaume etaient invitees j 



— 304. — 

courir sus a quiconque Iransgressierait cette 
prohibition. Les princes ne pourraieni sortir 
de leurs apanages et se rendre a la cour 
que sur ordre expres du roi : il ^tait con- 
venu que celui-ci n'appellerait pas Tun sans 
appeler les autres et que Tordre derappel, 
pour etre\alable, serait confirme par le con- 
seil. Ce conseil serait compose de personnes, 
non pensionnaires d'aucun des princes. 
La paix devait etre de bien courle duree. 



§ IV. 

Le poa¥olr anx mains des d^magpogpaes parlslens. — 
La comniane de Paris en 1413. — Les reunions 
publlques el leurs oratears. — Id^es de eeax. 
el sur le g^avernement et la eonslllndon da pays. 
— L'ordonnanee eaboehlenne. • 



Les universilaires ne pouvaient seuls sup- 
pleer a la defaillance generale. Apres non 
plus qu'avant le Iraite de Bicelre, il n^y eut, 
en France , dans les rangs de la bourgeoisie , 
d'inlelligence assez large et de coeur assez 
ferme pour reprendre Toeuvre d'Etienne 
Marcel et saisir le pouvoir apres la relraite 
des princes. Le but que s'etait propose TU- 
niversite ne put etre atteint : les princes se 
retirerent, mais ils composerent le conseil 
de leurs creatures. Et Tun des partis, celui 



— 306 — 

d'Armagnac^^ croyant ses partisans en mino- 
rite, Tcpiit bienl6t les armes. 

Pour soutenirla lutte, le ducde Bourgo- 
gne avail besom d*argent. II ne pouvait son- 
ger a etablir d'autorite quelque aide nou- 
velle ; c'eut ele s'exposer a perdre Falliance 
de la \ille de Paris. Le due prit le parli de 
oonvoquer une assemblee de notables, et 
de leur demander des subsides. Les nota- 
bles se reunirent a Paris a deux reprises 
differentes : parmi eux, on comptait peu 
de nobles , peu de prelats appartenapt atix 
provinces; le clerge etait presque exclusi- 
vement represente par les cures des paroisses 
et les dignitaires des couvents parisiens. La 
grande majorite de Tasseniblee se composait 
d'universitaires et de bourgeois. II ne semble 
pas que ces notables eussent et^ reguliere- 
ment elus par leurs concitoyens , ni eussent 
recu d'eux pouvoir de consentir aucune 
taxe. lis reconnurent que le due de Bourgo- 
gne avait besoind'argent pourfairela guerre; 



_ 307 — 

nais quand il s'agit de sayoir comment les 
vibsides seraient leves, les representanls du 
derge declarerent qu'ils nepayeraient rien, 
|ue c'etait le privilege de leur ordre de ne 
3oint acquiller de taxes , que si ce privilege 
ivaitete violea diverses reprises, il ne devait 
Doint Telre dans la presenle occurrence. Mah 
^re les efforts du due les clercs resterent in- 
Elexibles, et ne se deparlirent point de leur 
refus : les notables bourgeois declarerent de 
leur cole qu'ils ne voleraient d'impot que 
si noblesse et clerge en acquittaient leur 
part commeles autres habitants du royaume. 

Le due de Bourgogne ne put obtenir Taide 
dont il avait besoin. 

C'etail un echec grave et qui pouvait en 
faire redouler de plus grands encore. L'en- 
ihousiasrne des Parisiens pour Bourgogne 
commencait a se refroidir, au point que le 
due se prit a craindre que Paris ne Taban- 
donnat si les Armagnacs promeltaient a la 



— 808 — 

ville, en echange de son alliance , quelque 
immunite nouvelle. U resolut de compro- 
mettre a jamais la population parisienne 
a\ec les princes. L'armee de ceux-ci etait 
fort rapprochee de Paris : le due de Bour- 
gogne fit repandre tout a coup, par ses fide- 
les, le bruit que les portes allaient etre ou- 
vertes a Tennemi par les bourgeois riches, 
qui etaient tons, plus ou moins, du parti 
d'Orleans. Ainsi que le prince Tavait pense, 
la terreur fut generale. Le corps municipal 
de Paris, compose de partisans de Bourgo- 
gne , demanda au conseil du roi de retirer 
au due de Berry, suspect d'attachement a la 
faction ^ orleanaise , les fonctions de capi- 
taine de Paris , et de les conferer au comte 
de Saint-Pol, Tun des chevaliers du due 
Jean. Le conseil acceda a la demande. Le 

comte de Saint-Pol remplaca monseigneur 

■ 

de Berry. 

Le nouveau capitaine declara solennel- 



— 309 — 

i^*ment , au moment de son installation , 
^u'il n'userait des pouvoirs qui venaient 
^ ^ lui etre conferes que dans Tinteret de 
ji population parisienne tout entiere, au 
paibncours de laquelle il faisait appel : mais, 
i^tttt meme temps, ecartant systematiquement 
i^us les bourgeois honnetes , il alia chercher 
Mes lieutenants dans les bas-fonds du peuple, 
'entoura de bouchers et d'ecorcheurs , tous 
ens audacieux et \iolents, disposant de ban- 
gles de valets , d'assommeurs de betes , plus 
grossiers qu'eux encore. Ces gens, avec I'as- 
sentiment de M*^ de Saint-Pol, devinrent les 
maitres de Paris, qui trembla devant eux. 
Leurs acolytes et leurs valets se fatigue- 
rent vite de travailler pour autrui ; les bou- 
chers furent forces d'accepter pour coUe- 
gues et bientot pour chefs. Tun de leurs 
ecorcheurs, Caboche, qui donna son nom au 
parti, et le bourreau Capeluche. Sous pre- 
texte de defendre Paris contre les Arma- 
gnacs, les ecorcheurs sequestrerent , rancon- 



— 310 — 

nerent ou assassinerent tous les gens ai 
el se partagerent leurs biens. 

U serail injuste de mettre a la diarge 
peiiple de Paris lous les crimes qui se 
liiirent alors. Bouchers et ecorcfaeurs ajil 
saient sous rinspiration des agents du (ht 
de Bourgogne et les instructions de M'^it 
Saint-Pol , qui dirigeait les massacres eldei 
griait les victimes. Cest Thonneur de lap<^ 
pulalion parisienne que pour trouver (1b 
complices a leur infamie, le due de Boiff- 
gogne et ses agents durent aller les chercha 
dans les rangs les plus has de la plus vile 
populace. 

Les chefs de bandes se declarerenl e 
verilables representants des habitants de 
Paris , elablirent a cote du corps municipal 
rcgulier une sorle de comite compose de 
gens sans autre titre aux fonctions qu*ils 
s'allribuaient que leur \olonte personnelle el 
<|ui, parlant au nom du peuple, decidanl 
au nom du peuple, etprelendant avoir seuls 



— 311 — 

qualite pour exprimer les voeux ou les vo- 
lontes du petiple, n'admettaient personne 
a discuter leurs actes et vouaient a la mort 
quiconque avail Taudace de leur faire 
opposition. lis pretendirent assisler quand 
il leur plaisait aux seances du conseil royal j 
le contraignirent a rendre un arret de pros- 
cription contre tous les Armagnacs, et lui 
arracherent une declaration contre les oncles 
du roi. Us obligerent egalement le clerge de 
Paris a fulminer T excommunication contre 
les partisans des princes d'A^magnac. Leurs 
menaces et leurs violences furent bient6t 
telles qu'il devint impossible a tous les 
hommes que leur fortune, leur talent , ou 
leurs vertus memes avaient designes a Fat- 
tention publique de rester en ville sans 
s'exposer aux plus graves dangers. Les 
principaux membres du conseil , le prevot 
des marchands, et les bourgeois les plus 
importants prirent le parti de quitter 
Paris. Ce qu'ils firent non sans dlfKicuIets. 



— 312 — 

Q)mpletement incapables, d'ailleurs, d'au- 
cunes visees poliliques , les chefs de bandes 
ne se souciaient d'auire chose que de con- 
server le pouvoir qu'ils avaient usurpe. Et 
pourvu que le due de Bourgogne serrat 
amicalement la main a quelques-uns d'en- 
tre eux en se disant leur compere, qu'il 
leur temoignat tous les egards qu'il eut le- 
moigne a quelque grand comte^qu'il assis* 
tat avec sa noblesse aux funerailles de Tun 
deux et assouvit leurs appetits sanguinai- 
res en leur livrant les prisonniers du parti 
d'Orleans, ils se declaraient amplement sa- 
tisfaits. 



Heureusement , a cole de ces miserables 
instruments du due de Bourgogne surgirent 
quelques hommes qui eslimerent que le 
peuple de Paris ne pouvait avoir pour seuls 
objectifs le pillage, Tincendie ou le meurtre. 
C'etaient de tres-pelits bourgeois, ayant jus- 



— 313 — 

qu'alors occupe dans la \ille une place des 
plus humbles 9 mais instruits et capables. 
Quelques uns se rattachaient a rUniversile. 
Les derniers troubles leur avaient fourni 
roccasion de se faire remarquer dans les 
assemblees populaires, moins pent etre par 
leur bon sens et leur eloquence que par leur 
habilete a toujours flatter les passions de 
leurs auditeurs. Pendant que les ecorcheurs 
tuaient ou pillaient, ces individus rappe- 
laient au peuple ses anciennes libertes, ce 
qu'ils appelaient ses droits , Texcitaient a 
les reconquerir. Les Parisiens importants 
faisaient peu de cas de ces petites gens, 
(c qui se melaient de choses au dela de leur 
portee. » Us les accusaient de travailler sur 
tout dans Tinteret de leur bpurse, ce qui 
pouvait bien etre la verite; car un derna- 
gogue desinteresse elait encore a trouver. 
Mais la foule ecoutait de . Troyes , Pavilly 
et leurs amis avec d'autant plus de faveur 
qu'ils etaient des siens, que s'ils s'ele- 

18 



— 314 — 

valent par leur talent au-dessus du commun 
peuple, ils se rattachaient a lui par Torigine 
€t les sentiments. 

L' importance de ces hommes fut bientot 
anssi grande en \ille quecelle des grosbou- 
chers. De Troyes devint aussi puissant que 
Legois ou Saint- Yon. 

Si grossiers qu'ils fussent et disposes a 
considerer la force brutale comme le prin- 
cipal et le plus efficace des moyens de gou- 
vernement, les chefs de bandes etaient assez 
clairvoyants encore pour comprendre que 
<c la meilleure maniere de tromper et de se- 
<c duire la sotte populace etait de se servir 
<c de gens bien disants , n'y ayant rien 
« de quoi Ton ne put venir a bout par ce 
<( stratageme. » lis se rendirent compte de 
I'ufilite qu'aurait pour eux Talliance de ces 
orateurs ecoutes par la population avec 
tant de faveur, et pour s'assurer cetle al- 
liance s'elTorcerent de leur complaire/ 

En Janvier i4i29arinsligation dede Troyes 



— 315 — 

I et de Pavilly, fut rendue une ordonnance 

r qui completait celle de mars 1409 et resli- 

tuait a la \ille de Paris tous les droits et pri- 

i vileges dont elle avait joui avant i383. Les 

: resultats de cetle mesure ne tarderent pas a 

se faire senlir. Si les chefs de bandes avaient 

reussi avec la complicite du due de Bour- 

gegne a s'assurer dans Paris un pouvoir 

presque inconteste, cela tenait surlout a ce 

que les verilables Parisiens etaient encore^ 

malgre les ordonnances de mars 1409, re- 

duits a une quasi impuissance. 

Toutes restrictions a la liberte sont fata- 
les a la cause de Tordre. Elles enlravent 
les gens honnetes, et partant timides, qui 
n'osent \ioler la loi : elles sont sans effi- 
cacile au regard de ceux en vue desquels 
elles ont ete edictees : elles n'empechent * 
point les ambitieux ou ceux qui veulent 
entreprendre contre la paix publique, de 
s'entendre, de combiner leurs efforts, d'a- 
gir. L'ordonnance de Janvier i4i2, enren- 



— Jfl6 — 

dant a Paris son echevinage, son ancienne 
organisation par quartiers^ ses corporations, 
ses confreries, ses reunions, allait permettre 
aux liommes d'ordre de se compter, de se 
reconnattre et de lutter , quand le moment 
serait venu, contre la tyrannic demagogique 
a laquelle ils etaient soumis depuis plu- 
sieurs mois. 



Le premier usage que firent les Parisiens 
de leurs franchises recouvrees fut de choisir 
les hommes auxquels ils en devaient la resti- 
tution pour diriger les affaires de la \ille. lis 
porterent au corps municipal et a T echevi- 
nage les principaux orateurs populaires.Tous 
les candidats appartenant a la haute bour- 
geoisie, au gros commerce furent ecartes. 

Ce fut, aux yeux des vieilles families muni- 
cipales , un scandale que de voir des gens de 
si petit etat remplir de si hautes fonctions. 
Beaucoup de bourgeois considererent comme 



— 317 — 

u plus humiliant d'avoir pour echevin un mau- 
- vais chirurgien comme de Troyes, que d'etre 
soumis a un prevot nomme par leroi, mais 
noble ou vivant noblement. lis trouverent que 
Paris payait bien cher la restitution de ses an- 
ciennes libertes au prix d'une telle honte, et 
ne dissimulerent point leur mecontentement. 
Quel hasard, disaient-ils, auraitenseigne aun 
homme de metier qui toute sa vie a gagne son 
pain en travaillant de bras ou de mains, sans 
sortir de Tatelier, « n'a frequente les legistes, 
ni les gens coutumiers aux choses de droit 

et de justice n'a vu honneur, ni con- 

nait que est sens... les savoirs et choses qui 
afferent a gens propres a etablir es gouver- 
nements «. Comment admettre qu'un tel 
. homme, « un tel fol, qui saita peine ses pat^- 
notres, ni soy-meme gouverner fors par les 
tavernes', pretende gouverner autrui »?... II 
n'y a rien de tel « qu'un malotru » qui tout 
*d'un coup veut devenir maitre. Si detelsgens 
ont d'habitude peu de raison, ils'ontnatu- 

18 



— 318 — 

rellement aussi beaucoup d'orgueil^ de telle 
sorte que nul^gouvernement n'^tpire cpie 
leleur 

Ces apprehensions des gros bourgeois de 
Paris, que Christine de Pisan devait, quelques 
anneesplus tard, resumer avec tant de finesse^ 
n'etaient point absolument depourvues de 
fondement, les evenements qui suivirentne 
le demontrerent que trop, mais elles etaient 
aussi enapreintes de quelque exageration. 

Si parmi les nouveaux elus de la population 
parisienne on en*comptait qui desiraient sur- 
tout ren>plir leur bourse, salisfaire leurs pas- 
sions envieuses et abreuverd'humiliat ions les 
grandes families municipales, il en etait aussi 
qui s'occuperent serieusement des interets 
generaux de la \ille, qui firent preuve d*hon- 
nelete , d'un sincere desir de travailler au 
bien public, et dont Tinexperiencfe politi- 
que, les violences meme ne peuvent faire 
oublier les bonnes intentions. Si, tout en* 
deplorant les exces des bouchers, ces hommes 



— 319 — 

^ s'en separerent point violemment, c'est 
^'aux yeux de ces pelits bourgeois les ban-r 

es avaient le grand merile d'avoir reconquis 
^ir la monarchie absolue les anciennes 
^•anchises parisiennes. 
j| L^ temps etait bien loin ou les Francais res* 
i^ectaient la royaute avant toutes choses. On 
^^ait enlendu le cliancelier de Notre-Dame, en 
j^ance de TUniversite, conclure a la deposi- 
ion du roi, si celui-ci persistait a refuser d'af- 
ranchir les universitaires d'une taxe nou- 
^elle. Lorsque les privilegies tenaient un pa- 
peil langage, on juge ce que devaient elre 
les opinions des meneurs de la populace. 

De Troyes et la plupart de ses amis polili- 
ques eslimaient que la royaute n'avait de rai- 
son d'etre qu'a la condition de servir la cause 
du peuple. lis pensaient que celui-ci devait 
etre maitre de ses destinees, administrer ses 
interets par des magistrats par lui elus et 
devant lui responsables ; ils youlaient ad- 
mettre au partage de la puissance publique 



— 320 — 

les plus humbles comme les plus elev^s des 
Francais. La volonte populaire devait pre- 
dominer, d'apres eux, dans tout FEtat. Nul 
pouvoir au monde n'etait legitime qui pre- 
tendait etre autre chose que Texecuteur 
des decrets de la nation et, specialement/ de 
la population parisienne. 

Malheureusement pour la France, ces hom- 
mes arrivaient au pouvoir supreme sans 
avoir encore ete meles au mouvement des 
affaires publiques, sans avoir jamais eteasso- 
cies a la haute administration du pays ; ils 
avaient fait leur apprentissage d*hommes 
d'l^tat sur les places, dans les rues , dans les 
reunions d'emeutiers. 

Alorsqu'en iSSyfitienne Marcel et Lecoq, 
sans s'arreter aux utopies, ne s'occupaient 
que de reformes realisables, prenaient unsoin 
extreme de menager, autant que faire se pou- 
vait, les interets materiels des diverses classes 
de la nation, interessaient les masses a Tocu- 
vre qu'ils entreprenaient , en faisant ressor- 



— 321 — 

■Ir les a vantages qui en resulteraient pour 
iouSy s'efTorcaient, au moins dans les premiers 
lemps, d*atlenuer les jalousies de caste et 
il'associer toutes les forces vives du pajs 
idans une action commune , Jean de Troyes 
iBt ses acolytes agissaient tout au contraire. 
JIs ne savaient point qtie la politique est 
]a science des menagements et des transac- 
tions ; que toute violence amene necessaire- 
ment une reaction ; que, si u n principe juste 
doit toujours finir par tripmpher, c'est a la 

condition de n'etre point tout d'abord im- 
pose par la force. 

C'est la faiblesse des gens qui ne se sont 
point encore trouves face a. face avec les 
embarras du gouvernement et la pratique 
serieuse des affaires, de se croire infailli- 
bles; partant, de se montrer opposes a tou- 
tes les transactions et de s'attaquer sans re- 
flexion a ce qu'ils croient etre le mal. lis ne 
i^eulent point admettre que ce mal soit sou- 
iTent chose necessaire; qu'il faille en bien des 



— 322 — 

cas \ivre avec lui, a peine, en le supprimant 
brusquement j d'en faire naitre un plus grand 
encore. Comme tous les theoriciens^ ik ne 
peuvent toiijours mesurer avec exactitude les 
consequences des doctrines qu'ils professent. 
II leur est impossible, quelle que soit leur 
perspicacite , de reunir toutes les donnees, 
tous les elements du probleme a resoudre^ 
et il suffit que Tune de ces donnees leur 
echappe pour que la solution qu'ils proposent 
soit immediatement faussee, pour que aulieu 
du bien qu'ils poursuivent, ils entrainent le 
pays a queVque catastrophe. Tout gouveme- 
ment qui veut s'assurer quelques chances de 
duree doit soigneusement eviter de porter , 
pour quelque cause que ce soit, une atteinte 
trop considerable aux interets materielsy se 
garder surtout de sacrifier ceux-ci a une abs- 
traction quelconque. Les illusions politiques 
ne durent jamais longtemps. L*entratnement 
peut contribuer aTetablissement d'un pouvoir 
nouveau , il ne suffit point pour le fonder d'une 



— 323 — 

facon definitive. Le jour vient vile ou Yen- 
tliousiasme se dissipe pour faire place au rai- 
sonnementy et si, cejour, lasomme du bien 
effectif a porter au compte du gouvemement 
est inferieure a celle des malheurs qu'il a 
causes ou n'a pu empecher, sa chute est im- 
minente. Ceux-la meme pour lesquels il a 
travaillerabandonnent, et ilsuccombe avecla 
douleur d'avoircompromis dans Tavenir, les 
principes qu^ilvbulait faire pre valoir, pour 
en avoir vouhi trop tot procurer le Iriompbe, 
C'est ce que ne comprirent point Jean 
de Troyes et ses amis politiques. Dans leur 
desir de faire le l)ien , ils le firent sans me- 
sure, et, pour Tassurer, n'iiesiterent point a 
recourir a la violence ; iis dechainerent des 
passions dont il ne fut bientot plus en leur 
pouvoir d'arreter le developpement. Leurs 
idees les plus nobles et les plus elevees de^ 
vinrent, pour n'avoir point ete exprirnees 
par eux avec moderation , Toccasion de 
deplorables desordres. lis avaient energi- 



— 324 — 

quement stigmatise rimmoralit^ des gen- 
tilshommes , fletri les debauches de la cour, 
le luxe deplace de la plupart des bour- 
geois, lis avaient; dans les assemblees popu- 
laires, exprime la pensee que la demoralisa- 
tion profonde qui s'etait emparee des classes 
elevees etait Tun des plus grands obsta- 
cles au salut public^ le plus dangereux en- 
nemi du pays. lis avaient surtout con- 
damne les gens qui, arrives a la fortune 
sans etre dignes de la posseder, sans autre 
objectif que Targent, ayant emprunte a la 
noblesse tous ses vices et toutes ses faibles- 
sesj sans avoir pris en meme temps quel- 
ques-unes de ses grandes qualites, corrom- 
paient le peuple par leurs exemples. lis 
avaient preclie le patriolisme, deHonce a 
la nation les grands seigneurs qui , oubliant 
leur patrie, se mettaient a la solde de TAn- 
glais, lui pretaient foi et hbmmage pour 
obtenir de lui quelques secours d'hommes 
ou d'argent. lis avaient recommande le de- 



I 



I 



— 325 — 



vouement , Tabnegation , soutenant qu'on 
devait oublier « toule pilie de parents , amis 
ou toutes autres, pour celle du pays, qui les 
contenait toutes »•* 



C'etaient la d'excellenles doctrines : elles 
faisaient honneur a ceux qui les osaient pro- 
fesser a la face des princes , des barons et 
des bourgeois opulents : mais elles produisi- 
rent les plus funestes resullats. Sous pretexle 
de faire preuve de palriolisme, et de punir 
les traitres a la patrie les Parisiens massacre- 
rent les prisonniersArmagnacs. Les theories 
des orateurs populaires sur le mepris de la 
mort se repandirent si bien qu'on « ne faisait 
pas plus de cas de la\ie d'un homme que de 
celle d'une alouelle » , et que les attentats 
contre les personnes , meurtres, blessures ne 
se comptaient plus. 

A force d'entendre condamner les de- 
penses excessives de la cour et dela ville, fle- 

19 



— 326 

rir les vices qui desfaonoraient gentiW 
mes etjjourgeok, le peuple : arriva a 
conviction que ses adversaires les r 
avaient lemonopole de toutes les honle 
par contre, se persuada que les basses cl 
possedaient loules les vertus. 

Jisimais cependant la plebe parisienne 
vait.ete plusprofondement corrompuej 
celle epoque, jamais/dans la grander vil 
niveau de la moralile n'etait tombe plcB 
Le$ petits commercants ga^pillaient en 
tins regaU et. par lies de plaisir bienau 
desrevenus de leur humble commerce ( 
donnaient femme et enfants pour vivre 
lesinauvais lieux, et, pour subvenir a 
foUes depenses, recouraient, dans leiir mi 
a toutes les tromperies. Ouvriers et ouvri 
de leur cote, detournajent habituellemei 
marcks^ndises que les patrons leur confia 
I^es ateliers etaient des repaires de debav 
Lesfemfnesappartenant a la classe bbori 
vJvaieiit dansle plushonteux devergonda 



— 327 — ^ 

se prosliluaient a tout venant , « pour elre 
vielues comme des dames ». Autant en fai^ - 
saientles fiUes de maitres^qui se compromet- - 
taierit avecles apprentis. Le desordre avak" 
alteint de telles proportions, iqii'il avail fallii 
qu(0 les corporations prissent des Teglemehts 
severer, parfaitement inexeeutes d'ailleurs,^ 
pour en arreler le developpement. 

Lessen yriers parisiens s'etaienl deshabitues 
dii travail. Bien que le prix de la main d'ocu- 
vre eut considerablement augraente, ilsde-j 
sertaient en masse I'atelier pour s'engager^ 
daris les bandes, oii I'on mangeait et buvait 
bien,aiix frais du <c commun» ; ou, souspre- 
texte :de fa ire la police de la ville, de reclier* 
cher les criminels, de defendre Paris centre : 
les gens du parti d*Orleans,.on detroussait les 
pas^ntsy on pillait h6tels et palais , on allait 
aux portesouaux remparts passer tout lejour 
dans une oisivele absolue/dont on nesdrlait> 
que pour se livrer « a des esbats » plus peril- 
leux encore pour la morale et I'ordre public 



— 328 — 

que I'oisivete elle-meme. Les a travailleurs d 
s*etaient bien vite accoulumes a cette exis- 
tence facile. lis pensaient avec terreur qu'eile 
ne pourrait durer toujours, et tous leurs ef- 
forts tendaient a eloigner le moment ou il 
leur faudrait revenir a la besogne. Beaucoup, 
completement pervertis par la paresse, com- 
mencaienta mendier a main armee. Autrefois 
honnetes et laborieux y les ouvriers parisiens 
etaienty grace a la guerre etrangere, aux dis- 
cordes civiles ^ aux incitations des meneurs , 
devenus des pillards ou des assassins. 

Mais la populace, si perspicace quand il s'a- 
gissait des vices des grands j se montrait sin- 
gulierement aveugle quand il s'agissait des 
siens ; elle etait pour elle-m^me, fort indul- 
genie. Elle se crul, ou se dit, appelee a rege- 
nerer la sociele , et pretendit reagir contre 
la corruption de la cour et de la ville. Le luxe 
devinl un crime, le plaisir un delit contre 
la chose publique, que le peuple entreprit de 
prevenir et de reprimer. 



— 329 — 

A la facon do.nt il s'y prit, il fiit facile de 
voir que le sentiment qui animait les bas- 
ses classes centre les desordres des grands 
n'etait pas la conscience du danger que ces 
desordres pouvaientfaire courir a la societe, 
mais la jalousie ^ le desespoir qu'eprouvaieht 
les pauvres de ne pouvoir s'y adonner egale- 
ment. La populace haissait les vices des 
riches, parce qu'elle ne pouvait satisfaire les 
siens. 

Pour precher la vertu, elle se livra aux plus 
regrettables exces. Les gens soupconnes de 
« fasten furentarretes, emprisonnes, quelque- 
fois mis a mort. On ne fit pas d'exception en 
faveur de la famille royale. Un jour, le bruit 
couruta Paris qu'a Thotel du ducdeGuyenne, 
a Toccasion du manage de Tun des parents 
du prince, se faisaient les preparatifs d'une 
grande fete. Desbandes se rendirent a Thdtel 
Saint-Pol, enforcerentlesportes, le pillerent 
et arreterent quinze dames de la cour dont 
la toilette indecente avail scandalise la pu- 



— 330 — 

deur du peuple. Des arreslations de meme 
genre se succedaient ehaque jour, et jetaient 
Teffroi parmiles bourgeois. - 

D'aulre part, les assemblages populaires de- 
venaient de plus en plus nouibreuses^^t; beux 
qui les frequenlaient plus exalles. II faut lire 
les descriptions qu'ont lais$ees de ees pssem- 
blees les ecrivains du temps. Les theories 
qu'on y soutenait devenaient grotesques a 
force d'etre \iolentes. 11 y avail longtemps 
qu'on avait cesse d'y riea dire de raisonna- 
ble... a Le plus fol y park it premier. j> Les 
orateurs y semblaient « un droit jeu de per- 
« sonnage fait par mocquerie ». En lesjenten- 
dant on se croyait « devant des treteatix de 
a baladins ». * . .' 

Malheureusement ces assembleesne pre- 
taientpas seulement a rire. L'odieiix venail 
s'yjoindreau ridicule. « La n'avait mestier 
« droit : les conclusions y etaient faites sa^ns 
« avis, dont tres-mauyais effets s*$nsui- 



;:ff vaieht; » Au sorlur des reunions, lespeti- 

- tes gens qui en formaientle personnel s'en 
; allaient en grand noinbre,« I'un suivant 
: Taulre comme trebis, naais pres: et ^appa- 
f reilles a tous maiix faire ». II suffisait d'une 
-parole, de la plus futile rencontre pour 'que 

ces esprits grossiers, echauftes et pervertis 
par les diatribes' ihsensees qu'ils veilliieiit 
denteadre, se po'rlassent a tons les exc^>.. 

- <c Que Fun commence, oncques fureur fti 
« cruauLe de sanglier he s*y accompara...;.. 

' a sans savoir ce qu ils demandent , qiiand 
« ils js'acharhent sur aucunes gens, Ik ri^a 
« Iresve, ni lenue, lii honneiir gard^ a 
cc pfince ni a princesse, a seigneur rii ^a 
a maltre, a voisiji rii a voisine. --- N6- 
(c bles^e y est en grande \ilete, bien y est 
cc menace ;.^... tout: sera mis a mort,.... Plus 
a n'en soufTriront* . . Adpnc sorit si alsfes 
CK quand ils tuent ou niassacrent gens, torn- 
cc pent tout, ^ffoncenl i^in a tous ces riches 

- cc gens. . . Ha ! Coinme c'est besoigne ! . • . » 



— 332 — 

Des scenes semblables se reproduisaient 
a chaque instant. A qui osait forinuler quel- 
qiie timide critique, on repondait que les 
choses se passaient ainsi du temps des 
communes : que c'etait la commune qii^on 
allait fonder a Paris. Pourle plus grand nom- 
bre ce mot de commune signifiait droit de 
tuer les riches et de piller leurs biens. Aussi 
les Parisiens s'en servaient-ils souvent^ et 
applaudissaient-ils frenetiquementles dema- 
gogues qui le repetaient sans cesse. 

De Troyes et les siens etaienthors d'etat de 
prevenir et de reprimer ces desordres. Sortis 
de Temeute , et portes par elle aux plus hau- 
tes fonctionsde TEtat, ils ne pouvaient, sans 
mentir a leur origine , sevir conlre des 
hommes auxquels ils devaient d'etre ce qu'ils 
etaient, ni condamner trop aisement des ac- 
tes qui n'etaient, en somme, que la raise en 
pratique brutale de leurs dbcours d'autrefois. 
Us avaient essay e de pallier aux yeux des 
provinces Todieuse conduite du peuple pa- 



— 333 — 

risien et de dissimuler sous de belles phrases 

rhorreur des crimes commis par leurs amis. 

lis avaient ecrit aux bonnes villes une letlre 

apologelique dans laquelle ils avaient esskye 

d'expliquer d'une facon satisfaisante les eve- 

nemenls qui s'etaient passes a Paris, et de 

demonlrer que rien n'y avait ele fait qu'en 
vue du bien public. Celle lettre, remarquable- 

mentecrite, exprimant des sentiments eleves, 
n'avait pas produit plus d'effet que, quelque 
soixante ans plus tot, dans des circonstances 
semblables, n'^vaient fait celles de Marcel. 
Les principales villes du royaume, Rouen , 
Reims, Orleans , Troyes se souvenaient des 
supplices et des confiscations qui avaient 
frappe leurs principaux habitants, pour avoir 
un instant, lors de la revoke des maillotins 
ou delabatailledeRosebecque, marque quel- 
que sympathie pour la cause parisienne. 

Malgre cet insucces, le corps municipal ne 
s'etait point rebute. Lorsqu'en mars i4i^ 
avait ete signe, entre le roi d' Angleterre et les 

19. 



. ^ 334. — 

princes d'Armagnac, lin traUe aux lermes 
duqiiel, en echsinge d'un secours de qiiel- 
ques milliers d'liommes, les princes recon- 
naissaient tenir en fief de la courorine d'An- 
glelerre leurs possessions d'Aquitaine^ il avail 
reussi a reveiller dans celle population pari- 
sienne, si profondement corrompiie, Un mbu- 
vement d'enlhousiasine palrioUque, le der- 
nier qu'elle eprouva. La correspondance des 
-Armagnacs avee T Anglais , inlerceptee en Nor- 
mandie, avail ele lue en conseilM'hotel Saint- 
Pol, toiites porles ouverles, eo presence d'une 
foule considerable qui avait accueilli la lec- 
ture de ceshonteux engagements par des cris 
de guerre. Cent niille honimes avaient ete 
leves : les milices parisiennes iavaient pris 
les armes, jalouses peut-etre de venger la 
pa trie, mais heureuses surtout de Irouver 
Toccasion de courir sus aux gentilshommes 
du parli d'Orleans, de faire la guerre aux 
noi3les sous le masque du patriotisms 

Quand les Armagnacs, accul^sdans BourgeS 



_ r^ 335 — 

Quiltet i4u)? avaiettt demande £a paix, les" 
, magistrats parisiens aVaient reclame et obleiliu 
. que les delegues desr: yiJies . fusserit reunis> a 

A uxerre, pour jurer ^vec les deputes de la 

noblesse, du clerge et de runiversite, la paix 
. arretee entre les priqcJes. Enfm Us avaient^ 

conlraint le roi a relinii* Jes etats generaiix. 



Bien des annees s'etaient eeouleeS depuis 
la derniere reunion de ces etals. Lai tradi- 
tion en etait pour ainsi dire perdue dans lies 
\illesde province; le pouvoir municipal elait 
definitivement tombe des mains des grandies 
families bourgeoises encelles dela populace. 
Aussi Tesprit politique avait-il partout disparu. 
Des hommes de i356 il ne reslait plus rien, 
pas meme le souvenir. Les deputes des 
bonnes \illes bornerent leur role a refuser 
les subsides qu'on leur dematidait, et en'ga- 
gerent le roi a faire, pour se procurer I'argent 
dontilavait besoin, rendi^e gorge atix gens 



— 336 — 

qui, a la faveur des troubles, avaient d^tourne 
les deniers de F^tat. lis ne reclamerent au- 
cune reforme et ne surent pas meme s^ap- 
proprier le programme trace par FUniversite 
dans le traite de Bicetre. On les congedia, 
quelques jours apres leur reunion, avec de 
vagues promesses. Us s'en contenterent. 

La France venait d'abdiquer. 

L'Universite entreprit de parer a la defail- 
lance des deputes des provinces, elle proposa 
au parlement de s'associer a elle pour recla- 
mer des reformes. Sur le refus du parlement, 
elle s'adressa au corps municipal et se ren- 
dit avec lui a I'hotel Saint-Pol ou le grand 
conseil deliberait, en presence du due de 
Guyenne, fils du roi (i). 

Le bruit de cette demarche s'etait repandu 
dans Paris. Une foule considerable, ou 3e 
trouvaient nombre de deputes aux etats, se 
pressait autour de Thotel Saint-Pol, et avait 

(i) i4 f<&vrier i4i3. 



— 337 — 

penetre jusque dans la salle ou siegeait le 
conseil. 

Eustache de Pavilly, carme et docteur en 
theologie, porta la parole. II reclama une 
r^forme complete de Fetal financier du 
royaume, signala Tenormite des depenses, 
la mauvaise administration, le gaspillage des 
ressources publiques. Aucun des services d'in- 
teret general n'etait suffisamment dote : par 
contre, les prodigalites de la cour augmen- 
taient chaque jour ; les conseillers des princes 
(I'orateurles nommait) s'attribuaient des som- 
mesenormes. Pendant que Targent du pauvre 
peuple allait aux mains des favoris, soit sous 
forme de pensions , soit par voie de malver- 
sations , TEtat etait oblige de recourir aux 
usuriers ; le royaume allait a laTuine. U fallait 
porter remede a tous ces abus, faire justice 
des fonctionnaires prevaricateurs, les desti- 
tuer, mettre leurs biens sous sequestre, 
jusqu'a ce qu'il eiit ete statue sur leur sort; 
annuler toutes les pensions; puis, comme il 



. ^ 338 ~ 

' n*y avait pas ^ 4e refolpmes Sef iiedses .si elles 
ne comraencaient par en haut^ il fallait faire 

"etilreT au cdtlseil de « boiis prudlioniihes » 

' choisis par « vraieet bonne election » qui sie- 
geraient a cote de ceux du sangroynL 

L'assemblee applaudit 'au, discours de 
Pavilly. Sous la pres^ion des assistants, a cha- 

' que instant plus nombreux, et apl*ies dtie ap- 
plii^ence de deliberation, le conseil « avoua 
les requet*ants de ce qu'Us avaient demande ». 
11 fut decide qu'une coulmissioii serait cliar- 
geede rechercher quelles reformes pourraient 

' elre ulilement appprtees a 1 administration 
generaledeTEtat. Cette commission prendrait 

* pour base de^oft travail les ordonnances des 
ariciens rois, specialement celles du roi Qiar- 
les V , et la grande ordonnance de'. iSS^* 

Les fonctibnnaires designes pa1^ PaLvilJy 
furent ecartes et parmi eux le prev6t de 

1 Paris,, des Essarts. . • /. 

" Les princes n'avaient cede qu'k contre- 
coeur. Le due. de Guyenhe, fds afne du roi et 



— 339 — 

. gendre du due de Bourgogne, 6e monlrait 
forlirrite desprelenliOns que quelques robins 
avaient eu Timpudence de formulerdevant liii. 
Ilavailenhorreur les pelitesgehs qui se tne- 
laient de critiquersaconduite et pretendaient 
tout diriger dans le royaume. Deux mois a 

^ peine s'etaient ecoules depuis le jour oil la 
deputalion de rilriiversite s^etait presentee 
devant le conseil , que le due, se livrant .tout 
a coup a la faction Arnjagriac frerfiissante 

. encore de sa recente defaite, introduisait 
dans la Bastille I'ancien prev ot deslitue avec 
bon nombre de gens d'armes. 

A la nouvelle de ce coup de main, Pa- 
ris se souleva : les meneurs du parti bour- 
guignon se reridirent aupres du prev6t des 
marcbands, et lui enjoignirent d'avoir a 
convoquer immediatement les milices bour- 
geoises; le prevot effraye, ceda, il signa 
I'ordre qu'on lui demandait. Mais le clerc de 
la ville trouva nioyen de retarder, sous pre- 
texte de quelques formalites a remplir, f expe- 



— 340 — 

diiion de cet ordre jusqu*au lendemain. 
Dans la soiree , les chefs de la milice se 
r^unirent. lis etaient pour la plupart desireux 
de ne point se compromettre, peu dispo- 
ses surlout a faire le jeu des Caboche et 
des Capeluche. Ne point s'armer, c*etait don- 
ner aussi aux Armagnacs le temps de se for- 
tifier a la Bastille, c'etait fournir aii due de 
Guyenne le moyen de se jouer des promesses 
qu'il avait failes, ajourner indefiniment les 
reformes arracheesau conseil par Tuniversite. 
Cetait aussi porter un coup terrible a la do- 
mination des chefs de bandes devant les- 
quels Paris tremblait depuis deux ans. Cette 
derniere consideration determina les chefs 
des milices. lis emirent Tavis qu'il n'y avait 
pas lieu d'appeler les bourgeois aux armes. 

Le corps municipal avait ete, de son c6te, 
convoque en toute hate par le prev6t. II se 
composait en grande majorile de gens de 
fort petit elat, porles au conseil de la ville 
par la volonte populaire, au grand nieconten- 



— 3Vl -^ 

tement des vieilles families parisiennes : mais 
ceshomraes avaient peu a peu subi Tinfluence 
des fonctions qu'ils remplissaient : parvenus 
aux plus hautes digniles municipales, ils ne 
se souciaient point de sacrifier leur position ac- 
quise pour s'associer a toutes les entreprises 
des nouveaux raeneurs de la populace. Ils pas- 
saient aux yeux de ces derniers pour etre des 
moderes. A cote des magistrals reguliers s'etait 
constitue une sorte de comite compose d'indi- 
vidus qui s'etaient charges, au nom du peuple, 
de surveiller le corps de ville. Celui-ci, malgre 
les efforts de Jean de Troyes, se rangea a la 
meme opinion que les officiers des milicesr 

Si les bourgeois pouvaient ne pas se me- 
ler au mouvement populaire, il ne leur etait 
pas donne d'en empecher le developpement. 
A la voix des chefs de bandes la populace 
prit les armes, se rua du cote de la Bas- 
tille qu'elleinvestit, marcha sur Thotel duduc 
de Guyenne, y penetra sans respect pour la 
banniere royale qui en couvrait I'entree, et 



a CQte de laquelle fut planle Tetendard de Ja 
\ille, massacra ou arrela les con3eill€rs ha- 
bituels da duc^ et panni eux un geiitilbomine 
allie a la familleroyale. Le lendemain, la Bas- 
tille se rendit. Le prevot des Essarts Tiity a\?ec 
ses hoinmes^ conddit en prison*. 

Les demagogues iriouiphaient, D'atroces 
massacres suivirent : les cabochiens mirehta 
mbrt tous les individus soupconties de tenir 
de pres ou de loin a la faction Armagnac, jet 
dans cette faction ils eurent sbin de comprien- 
dre tous les riches habitants de Paris. La 
lutte^ n'etait plus maintenant entre. :>deux 
partis politiques; elle etait enlre les gens 
qui n'avaient rich, et ceux qui poss^daient 
quelque chose. Des deputes de la ville. de 
Gand etalent albrs a Paris aiipres du due 
de Bourgogne , les ecorcheurs - leiir fiirent 
grand accueil, et pourleur faire hbnneur 
adopterent comnie signe de ralliement ' Je 
chaperon blanc des confreries Ganloises. 
Puis ils se rendirent au palafe: et bblige 



^ 343 — 

■r rent le roi et le due de Boiirgogne hii-mefiie 

• a porter ce chaperon* 

fci . Le desbrdre dura. plusleiirs semaines sans 

jf,<iue rien \int en arreter le cours. La popu- 

I ^lalion parisienne eourba la tete sous le joug; 

,in:ul ne. fut assez hardi pour protester con- 

tre la sanglante tyrannie des chefe de bandes. 

Les honnetes gens se taisaient, affoles de ter- 

reur. « Gens a dedans mauvais^ » disait quel- 

ques annees plus tard Christina de Pisan, en 

parlant de Paris : « bons y a maints, je nVn 

fois doute, mais parler n'osent. » 

Lprsqu'ils eurent bien tue,.bien piUe, les 
cbefs de bandes se presenterent devant le 
conseil du roi et le requirent d'avouer tout 
ce qu'ils avaient fait jusqualors. Le conseil 
acceda a la demande. Caboche et les siens 
ne demandaient rien deplus. Maisce n'etait 
. pas, le compte de Pavilly. Le ^4 niai i4i3 , 
11 convoquait autour de lui ses anciens au- 
diteurs des reunions publiques, envaliissait 
aveceux Thotel Saint-Pol, et reclamait la pu- 



— 34* — 

blicaiion de rordonnance promise quelques 
semaines plus tot, a la grande seance, du i4 
fevrier, Le conseil dut s'execuler. Le aS. mai 
Tordonnance de re forme etait lue en seance 
royalei le roi et le due de Guyenne portant, 
en temoignage de la defaite de la royaute, 
le chaperon blanc des Gantois. 



Promulguee a la suite d'emeutesetdeluttes 
violentes, Tordonnance devait se ressentir 
des circonstances dans lesquelles elle avait 
ete preparee, et des passions qui, depub 
quelques annees, bouleversaient la France. 11 
semble cependant, a premiere lecture, qu'il 
n'en soit rien. L'ordonnance de i4i3 paratt 
etre avant tout une ordonnance administra- 
tive, elle n'a pas le grand souffle des ordon- 
nances de iSSy. Elle est longue, difluse, 
indigeste , bourree de redites , de minuties , 
d'inutilites. Elle essaie de porter remede a 
quantite de menus abus qui faisaient sans 



— 345 — 

^doutebiensoufTrir le pauvre peuple, mais elle 
^n'a pas de vue d'ensemble; malgr^ les refor- 
^^ mes eminemment utiles qu'elle edicte, on di- 
ftsi rait plul6t I'oeuvre de fonctionnaires inlel- 
■^ ligentSy desireux de reinedier aux iticonve- 
m nients qu'ils ont pu relever dans la pratique 
quotidienne des affaires, qued'hommespoli- 
tiquesa viseeslargesethautes. C'est une sorte 
de grand code, reglant en toules ses parties 
[ Tadrainistration du royaume, qui resume, 
complete ou reproduit la plupart des dispo- 
sitions contenues aux ordonnances anterieu- 
rement promulguees. 

Telle estTinfinie variete desobjelsauxquels 

elle s'applique, qu'il est a peu pres impos- 

• sible de Tanalyser d'une fa9on satisfaisante. 

Elle s'occupe successivement et dans les plus 

petits details (x), des attributions et du fonc- 

tionnement du conseildu roi, de la chancelle- 

(i) L'ordonnaDce prescrivant la suppression d'ofHces iou- 
tiles, s'occupe specialement du service de la lingerie du roi. 



— 5*6 — 

rie, radminislralion de la justice, rbrgani- 
sation , la composition et le recrutetifiefil ;;dl!^i 
parlements eides juridiclioilsinferieures/-i^ 
les mdnnaies ( i ) , — les impots, — ^perception, 
— contr61e, — chaihbre des comptei5,.-T^ pen*^ 
sions(2), — '■ domaine royal (3), -r- liste tir 
\ile, — eaux et forets, — chasse, — gens 
d'armes (4), — tresorier des guerres (5), etc. 

(i) N^aura cours dans le royaume qu^une seule moonaie, 
celle du roi. 

(2) Les ofBciers royaux ne pourront a raventr. recevoir 
de dons du roi ; aucune pension accordee ayant PordoDDaoce 
ne sera acquittee pendant un delai de trois ans. Le produit 
des CQnfiscations sera attribue au Tresor. 

(3) Le domaine qc pourra efre ajien^, ni les diamants de 
la couronne etre engages. ' . . • 

(4) Les gens.d'armes be pourront se r^unir sans Foixlre 

du roi. Le pillage leur est interditsousla responsabilite per- 

sonnelle des capitaines. Le roi ne pourra accorder aux gens 

d'armes de lettres pour viyre. sur le pays; s'il eo . accpnie^ 

les sujcts pourront y desobeir et repousser les gens d^armes 

par la force. 

(5)Le tresorier des guerres soldera directement les gens 

d'armes, sans intervention des ciipitaincs; il ne pourra sous 



Parmi ces disposillons npmbreuses, beau^ 
tip tenioignent dii sincere idesir qu'avaieut 
T^Sacteurs de rordonnance tie realiser 
tfleserieux progres. L'un de leurs soins pria-^ 
s^ipaux a ete evidemment d'assurer, autant 
.{iqiie le permettait alors la consiitution du 
-; pays, Tegalite ehlre ies sujets du rbi : Tega- 
{if Ike devant rimpot d'abord. :: tousles habitants 
du royalume voire meme les.officiers royaiix 
^ doivent y etre soumis ; I'egalite devant la jus- 
tice ensuite : rordonnance dispose que tous 
* Ies plaideurs, sans exception', acquitteroht 
Ies droits de justice, oblige Ies ihagistrats a: 
rehdre bon jugefnent a tout le monde , « a 
toutes personnes grahd^s on petites ».} inter- 
dit « Ies tours de faveur o) ; ordonnequeles af- 
faires inleressant Ies pau\res gens seront sui- 
vies aussi \ite que Ies autres ; edicte que le' 
roi ne pourra interrbmpi^e le cours de la jus*-: 

sa respoDsabilite payer avdt ses fonds d'au^i^ dep^Dses qiie 
chiles de gueiTfi - ' 



— 348 — 

lice, que nul ne pourra etre distrait de ses 
juges legitimes et pour eviter les prevarica- 
tions des magistrats, que les textes de la loi 
devront etre afliches dans les pretoires des 
diverses juridictions. 

Elle accorde aussi le droit de chasse a tous 
les Francais, a Texception seulement des gens 
de tres-petit etat, autorise les paysans a de- 
truire les betes sauvages, qui gatent leurs 
recoltes, et a vendre au marche le gibier 
qu'ils prennent hors garennes. 

La commission de reforme s'etait egale- 
ment eflForcee de mettre , autant que faire 
se pouvait, les citoyens a Fabri des abus de 
pouvoir. Dans ce but, Tordonnance declare 
que les sujets du royaume ne doivent obeis- 
sance qu'a la loi. lis ont le droit et meme 
le devoir de desobeir a tout ordre contraire 
aux ordonnances et reglemerits, de quel-i 
que part et de quelque personne que cet 
ordre puisse venir. • 

Les fonctionnaires sont personnellement 



— 849 — 

responsables des aeles illegaiix qu'ils commet- 
tent. lis ne peuvent, pour echapper a celte 
responsabilile invoquer les instructions d'un 
superieur hierarchique , voire meme la vo- 
lonte royale, leur devoir etant, lorsqu'iis sont 
invites a commettre quelque illegalite, de re- 
fuser obeissance (i). Dispositions eminem- 
ment utiles, mais qu'il etaitmalheureusement 
plus facile d'edicter que de mettre en prati- 
que. 

Enfin , les magistrals appartenant aux di- 
verses cours de justice cessent d'etre a la 
nomination du roi, les corps judiciaires doi- 
vent a Tavenir se recruter eux-memes par 
voie d'election ; reforme importante et qui, 
dans une certaine mesure, pouvait assurer 
Tindependance des juges. 

L'ordonnance determine les attributions du 
conseil du roi , le role qu'il doit jouer dans le 

(i) Sp^cialement, defense est faite aux ofBciers des finan- 
ces d'acquitter, mSme sur les ordres du roi, aucune charge 
extraordinaire sous peine de responsabilite personnelle. 

20 



— 350 — - 

gouvernement du pays. Le conseil nerdoit 
pas elre seulement un corps consul taliCaurs 
quel le souverain s*adresse quand illai platt^ 
et dont il.n'^st pas tenu de suivreJe&avis;. 
Cest un corps deliberant dont les pouYoirs. 
sent distincts de ceux du roi^ charge de cba^ 
lr61er les actes meme de-celuUci, et pouvant^. 
dans certains cas, en arreter les, eflets^.Au: 
consejl appartient le clioix des priocipaux 
officiers de FEtat; c'est lui qui- nomme les 
mai(res des requetes. Les secretaires sent 
choisi:> par le cbancelier en conseiL lis ne 
doivent contresigner aucun ordre royal \Gt^ 
que cet ordre, par la nature -de rofa|etaa<» 
quel il s'appliqqe, ne pent ^ire donneqa'en 
<:K)nseil et que cette formalite - n'a pAs ii& 
remplie. Deson cote, le cbancelier doit refuser 
de sceller les letlres royales, qui lui paraSs- 
sent illegales, injusteaou oppressives. 'Maisf 
apres avoir ainsi attribue au eonseil royal les 
pouvoirs les plus large., Tordotinance omet 
de dire comment et de quelle inanierctlseira 



— 3S1 ~ 

•compose. Elle dispose quelque part qiie e* 
persbnnes qui ne feront pas regulierement 
parlie dil conseil ne jpourront y pretendre 
entrer, et c'est lout.. . ' > 

Lors de la revolution dei 359 les Aais 
avaient etabli a cote du souverain, uhe com- 
mission de trente-six membres pris dansJeurr 
sein et nomraes par eux^. Ces comraissaires^ 
\eritables mandataires de la nation, absolu- 
ment independant? de raUtorite d(i toi, 
pouvaient serieusement C(5ntr61er Texei^cice 
dela prerogative royale, hqaelle restait sur 
eux sans action. Enfin la composition meme 
de la commissioh faisait de la convocation 
frequente, siiion absolument periodique, des 
etat$, la condition essentielte du fonctionne- 
ment regulier du gouvcfrnement. L'ordoh- 
nance de i4i3 n'organisait rieh desembia- 
ble; ellelaissait par consequent a u souverain 
le choix des sujets qu'il voulait faire entrer 
au conseil, sans restriction, sans reserve; 
les elats n'avaient point a intervenir dans ce 



— 352 — 

choix ; le roi n'avait pas a les consuUer, et n*e- 
tait point par consequent oblige de les reunir. 
Quelles que fussent d'ailleurs les dispositions 
de Tordonnance, tout etait done abandonn^ 
a Farbitraire royal. 

Aussi Toeuvre des legislateurs de i4i3 pas- 
se-t-elle generalement pour etre infinimient 
plus moderee que celle de iSSy. Justifiee 
en apparence par la plupart des dispositions 
de I'ordonnance, cette appreciation n'en cons- 
titue pas moins une grave erreur. II ne faut 
point attribuer aun sentiment de moderation 
ou de faiblesse chez les reforuiateurs le si- 
lence de Fordonnance sur un point aussi 
important que le choix des membres du con- 
seil royal. La nomination de ceux-ci n'a 
point ete attribuee aux etats, parce que ces 
etats, reunis quelques semaines auparavant, 
avaient donne la mesure de leur insuffisance 
etde leur incapacite politique, et que, d'autre 
part, le roi et son conseil n avaient cesse de- 
puis deux ans d'etre a la discretion absolue 



— 353 — 

des meneurs de la population'parisienne, aux 
volontes de laquelle ils n'avaient jamais es- 
saye meme de resister. Les conseillers n^e- 
taient plus les hommes du roi; ils etaient ceux 
de la faction victorieuse. lis dependaient d'elle 
et rien que d'elle. Les redacteurs de lor- 
donnance avaient laisse le choix des conseil- 
lers au roi rion par respect pour celui-ci, 
mais parce que la volonte royale etait a ce 
moment la leur meme, et qu'ils comptaient 
prendre leurs mesures pour empecher le 
pojuvoir de leur echapper. Conformement 
aux habitudes de la demagogic triompliante, 
ils s'empressaient de limiter les droits d'au- 
trui, mais ils se gardaient bien de donner 

au pays des garanties contre leurpropre ar- 
bitraire. 

L'intention des membres de la commission 
de reforme ne saurait faire aucun doute. 
L' esprit dans lequel a\ait ete concu leur 
travail, Tidee mere qui Favait inspire tout en- 
tier , eclate de la facon la plus evidente 

20. 



— 35* — 

dans le i58* et deiiiier article de Fordon- 
nance, a G)nibien, porte cet article, que nos 
dits conseillers et commissaires, ordoniiez a 
poursuivre au bien public de notre dit 
royaume^ ayant advise et mis en deliberation 
pour le bien de nous et de notre royaume , 
plusieurs autres points, ordonnances et ar- 
ticles non exprimes en ces presentes, nean- 
moins ils n'ont encore conclud en ni sur iceux, 
obstant certaines grandes charges et occu- 
pations qui leur sont survenues pour nos af- 
faires et besogne si comme entendu avons,.>. 
nous avons ordonne et ordonnons que tout 
ce qu'ils auraient advise et adviseronty deUk 
bereront et concluront au bien de nous et de 
la chose publique, outre et par dessus les ar* 
tides en dessus portes, sorlisse son plein etfet 
en tous points selon sa forme et teneur. » 

Cetait une veritable abdication. 

Le roi accordait d'avance sa sanction aux 
mesures que prendraient les commissaires 
charges de reformer le royaume. Ceux-ci 



— 355 — 

devaient aviser, deliberer et conclure de leur 
chef, en un mot legiferer. lis agiraient en 
pleine liberie, le roi s'elait dessaisi enlre leurs 
mains de tous ses pouvoirs , du droit meme 
de veto. Jamais disposition pareille n'avait 
pris place dans aucuneordonnance) ellefaisait 
'a elle seule, du travail en apparence mo- 
dere de la commission de reforme, Toeuvre la 
plus revolutionnaire que Tpn put imaginer. 
Tandis que Marcel etses amis n'avaient pour- 
suivr qu'uri but, donner aux classes bour- 
geoises part au gouvernemenf du pays, le's 
hommes de i4i3 annulaient la royaute elle- 
meme, I'obligeaient a se demeltre entre leurs 
mains de tous ses pouvoirs, se subslituaietit 
a elle en un mot. L'ordonnance de iSSy as- 
sociait le peuple a la royaute, celle de i4i3 
subordonnait la royaute au peuple, a ceuX 
du moins qui le representaient ou preten- 
daient le representer; ' ' 



Ruction. — Union de 1a bsarg^eoisle ei die la vojAvt^ 

. eontre lea Mnkm^^ogneM. — Insnec^ flnal d« ■ton- 

venient r^^olvtionnalre de 1418* — Trlompiie 

de la monarclile absolne. — D^eadenee de l^esprit 

public en France* 

Niil ne sail quel usage Jean de Troyes et 
les siens auraient fait du blanc-seing royal. Le 
temps leur manqua pour rien ajouter a leur 
oeuvre primitive. Quelque sage que fAt I'or- 
donnance en la plupart de ses dispositions, elle 
ne contenta personne. La cour la considerait 
comme une concession momentaneey arrachee 
a la royaute par des sujets revoltes et qu'on 
retirerait des qu'on aurait la force. Tel etait 
aussi Tavis de Monseigneur de Bourgogne, 
qui ne desirait pas plus que les autres princes 
voir I'ordre rentrer dans Fadministration du 



— 357 — 

pays. Tout allie qu'il fut du peuple de Paris, 
il n'entendait paslaisserle gouvernement de 
r^lat passer des mains « des sires des fleiirs 
de lis » en celles de qiielques robins ou mar- 
cliands. II elait raoins que personne dispose 
a accepter un pareil regime : il en connais- 
sait les inconvenients; il savait a quel degre 
d*insolence pOuvaient en venir des \ilains 
qui pretendaient avoir la loi pour eux. II se 
souvenait que pendant la campagne de i4i2 
ses sujets des communes flamandes avaient, 
au moment decisif, refuse de combatlre, sous 
pretexte qu'ilsne devaientque4ojoursde ser- 
vice et que ce delai etait expire. II les avait, 
tete nue, supplies de rester avec lui : les Fla- 
mands n'en avaient rien voulu faire. Le due 
n'entendaitpas contribuer a etablir en France 
un regime qui en Flandre le genait si fort. 
Toute la noblesse pensait comme lui. 

Le petit peuple n'etait point content de 
Tordonnance; il restait indifferent aux pro- 
gres qu'elle avait tente de realiser. Que lui 



— «58 — 

impartait iin conlrole plus ou moins serieus 
de la complabilite publique, un amenage- 
ment plus intelligent dii domaine ? c'etaient 
Ja choses dont il n'appreciait pas ririteret 
et qui d^ailleurs ne se traduisaieat pour 
lui par aucun avantage immediat. Apres 
comma avant la promulgation de Torddn- 
nance ses charges etaient les memes. II liii 
fallait d'autres satisfactions. 

Les bourgeois , a part quelques exceptions 
peu nombreusesy etaient en pleine defiance. 
Derriere Tordonnance et les' prescriptions 
utiles qu'elle contendt, ils Voyaient ceux 
qui Tavaient imposee au roi, non-seulemeht 
de Troyes et Pavilly, mais Capeluche; ik 
n'osaient accepter sans reserve un present 
venu de telles mains. lis se souvenaient des 
terribles scenes de desordre dont ils avaient 
ete les temoins et les victimes. lis etaient 
effrayes de voir le pouvoir aux mains des 
representants de la populace. lis trouvaient 
que le menu peuple avail trop d'autorite y 



I 
( 



— 359 — 

'qu'il y avail la pour TEtat un grave danger- 
Les pauvres, disait-on en ville, portent et 
porleront toujours envie aux riches; aussi 

clioisissent-ils toujour^ de mechantes gens 
pourremplir les principales charges. lis ne 
revent que « seigneuries nouvelles et muta- 
tions ». ]Nul gouvernement si bon qu'il soil 
ne pent les salisfaire; oa Tavait bien vu 
dans ces derniers temps : ne possedant rien 
que ce qu'ils gagnent au jour le jour, et se. 
sentant les plus nombreux, ils n'on! qu'uabut,^ 
laguerre civile, qui leur permet de courir sus 
aux personnesaisees. Donner autoritea de pa-, 
reillesgens, ce n'etait, pensaitla majoriledes 
bourgeois parisiens, « que donner licence aux 
Ifirrons et meurtriers, qui, de peur de four- 
chesse soulent tapir aux bois, que ils fassent, 
hardiment leurs meurlres et larrecins » . La. 
bourgeoisie tremblait done en songeant a 
I'avenir : elle elait toute disposee a echanger 
le benefice de Tordonnance contre un peu 
d^ calme et de Iranquillite. 



— 360 — 

Ces apprehensionSydont Giristine de Pisan 
nous a si bien transmis le souvenir, n'etaient 
que Irop fondees. 

La promulgation de Tordonnance n'arreta 
point ledesordre. En vain de Troyes, en vain 
Paviily essay erent-ils de mettre fin aux vio- 
lences. Les chefs de bandes n'entendaientpas, 
sous pretexte de reformes politiques dont ib 
se souciaient peu , renoncer au pouvoir dont 
ils profitaient si bien et retourner a leurs 
etaux ou a leurs ateliers. 

Les inalheureux arretes a la suite des der- 
niers evenements de la Bastille et de Thdtel 
de Guyenne furent livres a une commission 
speciale chargee de decider sur leur soft. 
On composa ces commissions d'un certain 
nombre de chevaliers (on en trouva pour 
cette besogne), de membres du parlementet 
d'avocats, rebuts du palais : on fit des simula- 
cres deprocedures. Aucun des inculpesne 
trouva grace, tons furent envoyesala mort. 
La tache du bourreau etait quelquefoisk moi- 



— 361 — 

lie faite quand la viclime arrivait a I'echa- 
faud. Lecapitaine de Paris, M. de Jacqueville, 
honnete et brave genlilhorame du parli de 
Bourgogne, bien digae de s'associer aux ex- 
ploits des ecorcheiirs, faisait a quelques-uns 
des proscrils Thonneur de les daguer dans 
ieur cachot. 

La royaute absolue n'avait jamais fait pire. 
Le peuple avait proteste les armes a -la main 
contre les impots arbitrairement leves au 
nom du roi ; les chefs de bandes pretendirent 
tailler a volonte la population parisienne. 
Sous pretexte de soudoyer des armees contre 
les Armagnacs , ils nommerent des commis- 
saires charges de taxer les bourgeois en pro- 
portion des facultes supposees de chacun. 
Ces commissaires appelerent devant eux les 
gens soupconnes d'avoir de I'argent, et Ieur 
imposerent des contributions enormes, qu'on 
voulut bien deguiser sous le nom d'em- 
prunts. Ceux qui ne versaient point immedia- 
tementla sommequ'on leurreclamait etaient 



— 362 — 

envoyes en prison el leiirs maisons pillees.' 
Ceux ({uise permettaient de discuter etaient 
maltraites et in^me dagues. U n'y avail d'ex- 
ception pour personne. Maitre Jean Gerson, 
lout grand clercqu'ilfiit,vit, pour avoir inVo- 
que son privilege de clericalure, son b6tel 
mis a sac. Messire Jean Juvenal des Ursins, 
avocat general, fut mis au cachot malgre qu'il 
en eut appeleauparlemenl. 



Les bourgeois avaienl laisse, sans troppro- 
tesler, passer les executions. Ces executions 
avaient frappe, pensaienl-ils , les gens qui 
avaient eu le tort de se meler de politique au 
lieu de s'occuper de leurs affaires particulie- 
res. Les victimes pouvaient etre a plaindre, 
mais en somme elles avaient eted'elles-memes 
au-devanl du mal qui les frappait. D'ailleurs, 
en aflicliant bien baut son devouement pour 
Bourgogne et son admiration pout Capelu- 
cbe, en denoncant les Armagnacs, en s'asso- 



— 363 — 

ciant aux violences dirigeesconireceux-ci, on 
avail grande chance d'echapper a la mort et 
ail pillage. Mais des taxes qui frappaient tous 
ceux qui possedaient quelques biens , quelles 
que fussent les opinions politiques qu'ils affi- 
chassenlou leslacheles qu'ilscomihissen t , exas- 
percfrentla bourgeoisie. Calme quand rhuma- 
nile, la justice, la loi avaient ele violees, elle 
pril feu quand on voulut toucher a son argent- 
Si terrible qu^ fiit la veng^nce qil'on en- 
courait en attaquant les actes des chefs de 
bandes , les marchands de Paris, des que les 
cabochiens s'en prirent a leur caisse, com- 
mencerent conlre leurs adversaires une 
guerre acharnee. 

lis se dirent que les bandes n'elaient pas 
si puissantes qu'elles paraissaient Telre, que 
leur force, c'elait la souoiission desParisiens, 
que si les personnes honneles le voulaient 
ftrmement, « les mediants n'aiiraient pas 
toujoiirs domination, qu'en bref on les 
verrait delruits. » Us mirent habilement a 



— 364. — 

profit les elements de resistance que la 
royaute leur avait retires en i385 et dont 
ils devaient la restitution a ceux-la me- 
mes qu'ils allaient combattre aujourd'hui. 
lis s'assemblerent le soir dans les quarliers 
pour se preparer a la' lutle et discuter les 
mesures arretees a Fhotiel de ville par les 
meneurs de la populace. lis comprirent bien 
tot que reduite a ses propres forces la bour- 
goisie etaitimpuissante, quele peuplene pou* 
vait etre vaincu que par lui-meme. Tous leurs 
eflbrls tendirent done a diviser les masses 
populaires. Dans ce but ils deploy erent beau- 
coup d'adresse. Les marchands renvoyerent 
leurs employes, les patrons leurs ouvriers, 
les bourgeois leurs serviteurs. II n'etait plus 
possible, disaient-ils a leurs hommes en les 
congediant, de dbnner du travail a personne, 
et de cela les cabochiens etaient cause. 
11 n'y aurait plus de commerce ni d'industrie 
lant que de pareilles gens continueraient k 
bouleverser la ville et TEtat. Li fortune publi- 



— 365 — 

que , les fortunes privees ne se retabliraient 
qu'alors qu'on seserait debarrassede ces mi- 
serablesy qui depuis taut de mois troublaient 
la cite^ et cependant n'avaient rien fait pour 
le pauvre peuple, pas meme parlage avec 
iui Targent qu'ils avaient derobe, les biens 
de toute sorle qu'ils avaient pilles. Tous les 
phraseurs quiparlaient pour les boucbers ne 
faisaient rien que dans Tin teretdeleu^jpocbe, 
et s'inquietaient peu d'autrui. 

Les bourgeois lirerent egaleinent un parti 
fort habile des jalousies qui avaient de tout 
temps divise les differents metiers, ^*etait-il 
pas honteux, insinuaient-ils , de voir un corps 
d'etat disposer a luiseul dela ville entiere? Les 
aulres ne comptaient-ils plus? Faudrait-il que 
tous les ouvriers de Paris souffrlssentyComme 
ils faisaientydu ch6mage pour consolider en- 
tre les mains des ecorcheurs un pouvoir dont 
ceux-ci usaienta leur seul profit. La tranquil- 
lite, I'ordre, la paix etaient dans le vocu de tout 
le monde : seuls les cabochiens y faisaient 



— 366 — 

obstacle pour regenter plus longtenips a leur 
volonte la population parisienncf. 

Ces manoeuvres' ne resterent poinJL ihfruc- 
tueuses ; habilement repandues a mots cou- 
verls, theme habituel des jc6n\ersalions des 
patrons avec leurs subordonnes; developpees 
avec adresse dans les assemblees de quarlier, 
elles produisirent bientot un effet serieiix 
SUV ncyiibre d'individus appartehant a Ma 
classe ouvriere, et rfont la situation^ aii lieu 
de s'ameliorer, etait au contraire devehue 
plus mauvaise depuis les troubles'. 

tnstruits des menees de leurs ad versaires, 
les chefs de bandes reunissaient leUrs parti- 
sans a rhotel de ville, se faisaient acclaiiier 
par eux et redoublaient de violence. Les 
moyens qu'ils eftiployerent pour enrayer le 
molivement d'opifiron dont ils Vedoutaient 
les consequences tie firent que le pr^cipiter. 
Quelques-uns de leurs anciens alli^s^ iquileur 
avaient rendu autrefois tant de services ien 
leur assurant le bon vouloir du peuple, Pa villy 



— 367 — 

par exemple, s'ecarlaient d'eux avec hor- 
reur. Jeaiit de Troyes se pril a craindre que 
les exces des bonchers ne coinpromisseht la 
cause des liberies publiques , . et se separa 

^ d'eux. tJne sortede decouragement s'empa- 
rait des demagogues meme les plus acbarnes. 
Paris commencait k se fatiguer de la revo- 
lution. 

Les universitaires menaces dans leurs pri- 

• vileges, mis a contribution, devinrentou verle- 
ment hostiles auJccliefs de bande. Le clerge 
desparoisses, ecrase par les taxes, usadonlre 
les cabochiens de son influence sur la po- 
pulace, et mehaca de la colere celeste ceux 
de ses paroissiens qui pactiseraient avec les 
factieux. 

Lorsque les esprits parurent suffisamment 
prepares, les meneurs de la bourgeoisie s'en- 
ICRdirent secretement avec les princes du 
parti d*Arm$gnac. Ceux-ci, depuis Virivestis- 
sement de la Bastille par le peuple avaient 

' recommence a lenirla campagne etselrou- 



— 368 — 

vaient alors fort rapproches de Paris. Ik 
manderent au roi qu'ils n'avaient d'aulres 
prelenlions et d'autres desirs que d'exe- 
culer la paix de Bourges , qu'ils avaient pris 
lesarmes uniquement pour n'elre point vicli- 
mes des violences des mechantes gens de Paris 
et defendre le pays contre les entreprises des 
bandes. Us protestaient conlre les exce$detou- 
tes sor tes commis par les cabochiens ; assassi- 
nats, pillagesj insultes aux femmes, ils n'en- 
tendaient poursuivre qu'un but , metlre fin 
aux miseresque subissait le pauvre people 
et procurer le retablissement de la tran- 
quillite generale. Pareil langage leur seyait 
mal apres les atrocites comhiises par leurs 
hommes d'armes dans la banlieue. II etait 
au moins singulier de voir les chefs du parti 
d'Armagnac se faire les apotres de Tordre 
et de la moderation; mais leur demaccbe 
repondait aux aspirations les plus vives de 

Tesprit public a Paris. EUe fut accueillie avec 
enthousiasme par la grande majorite de la pp- 



— 369 — 

pulaiion. Seuls, quelques vieiix demagogues 
comme Jean de Troyes se defierent de rem- 
pressement pacifique des princes. lis se dirent 
que MM. de Berry, d'Armagnac, d'Orleans 
h'etaient pas gens a desirer lapaix pour elle- 
meme. Avec leur instinct politique ils pense- 
rentque si les genlilsbommesse monlraient 
disposes a une pacification , cette pacifica- 
tion ne pouvait qu'etre funeste a la cause 
de la liberte : et, dominant, Fhorreur que leur 
avaient inspiree les exces des cabochiens, ils 
serapprocherent de ceux-ci. 

Les chefs de bandes comprirentle coup qui 
allaitles frapper. La paix se ferait a leurs de- 
pens : ils le savaient, aussifirent-iis tous leurs 
efforts pour Tempecher. C'est ce qu'atlen- 
daient leurs adversaires qui purenl des lors 
a vec tputes les apparences de la verite, les accu- 
ser de sacrifier a leur ambition personnelle 
les interets de tous. Ce fut, dans la ville, 
une^immense explosion de colere quand on 
apprit que des propositions pacifiques avaient 

21. 



— 370 «^ 

faites par les princes et que le parti des 
boucliers pretendait les faire ecafter. Pour 
calmer remolion publique^ les cabochiens 
niirent en liberie les dames et les nobles 
hommes qu'ils avaient^ quelque temps au- 
paravant^ arretes k Thdtel meme du due 
de Guyenne. C'etait une faute grave. Quand 
un parli est arrive au pouvoir par la violence, 
il ne doit jamais s'en deparlir. Le jour ou il 
faiblit il est perdii. C'est ce qui arriva. Lors- 
que les bourgeois de Paris , gros marchands, 
procureurs, \irent les prisonniers sortir des 
cachots et echapper sans mechef aux mains 
des boucliers, la terreur que jusqu'alors inspi- 
raient les bandes disparut tout a coup : la 
haine seule resta. On s'appr^ta dans les quar- 
tiers a engager la lulte et Ton commen9a a 
parler liardiment. 

Les princes envoyerent de nouveau des 
deputes pour offrir officiellement la paix. 
Ces deputes furent recus par le conseil, en 



— 371 — 

presence du roi et du dauphin. Depuis 

< un an le conseil etait a la disposition des 

cabochiens: il avait cesse de s'assembler a 

i rhotel Saint-Pol et se tenaiti Thotel de ville, 

' c'est-al-dire dans la main des factieux. 

• Malgre la disposition de Tordonnance qui 

interdisait absolument aux gens quine fai- 

. saient pas partie du cbnseil d'y pretendre 

entree, les chefs de bandes assistaient aux 

seances quand il leur convenait. Mais les 

membres du conseil etaient, comme la plu- 

part de ceux du coi»ps municipal, excedes 

de la lyrannie cabochienne et aspiraient 

.ardemment au retour de la Iranquillite. lis 

se montrerent favorablesaux propositions des 

princes. II fut convenii que le roi consenti- 

rait a la paix soUicitee par ceux-ci. On com- 

menca a en libeller immedialement les condi- 

lions. C'etaient, a peu de chose pres, celles 

idu traite de Bdurges. Le roi declarait oublier 

le passe, el specialement les scenes de despr- 

dre qui avaient eu lieu a Paris. 



— 372 — 

Nul ne pouvait avoir d'iliusions surla 
maniere dont cette clause serait executee, 
les chefs de bandes moins que persohne : ils 
savaient quel fonds on pouvait faire' sup la 
parole royale; ils se souvenaient des siip- 
plices qui avaient suivi la re voile des maillo- 
tins et la bataiile de Rosebecque. Avises de la 
resolution prise parle conseil,Caboche et Jean 
de Troyes peneirerent, accompagnes de quel- 
ques-uns des leurs, dans la salle des delibera- 
tions. Usdeclarerentqueleconseil n'avaitpas 
qualite pour arreter une mesure aussi grave 
quelapaix. Les principaux interesses dans la 
pacification demandee par lesprinces,c'etaient 
les Parisiens, c'elait la commune. C*etait la 
commune que les princes voulaient delruire; 
c'etait pofir la miner plus facilement qu'ils 
s'etaient adresses au roi sous pretexte de 
demander la paix. C'etait done a la com- 
mune seule qu'il appartenait de deliberer 
sur les propositions faites. Ils terminerent 
en proferant des menaces terribles contre 



— 373 — 

r ceux qui, au mepris ties droits du peuple, 
I voudraient trailer avec les Armagnacs. Mais 
I aux membres du conseil royal et du corps 
: municipal, qui avaient favorablement ac- 
cueilli la demande des princes il n*etait plus 
permis de reculer. lis comprenaient, qu'a- 
pres avoir ainsi affirme leurs preferences, ils 
ne pouvaient sauver leurs biens et leur vie 
qu'en renversant les cabochiens. lis linrent 
ferine, et reunirent les chefs de quartiers 
sous pretexte de les consulter sur les desirs de 
la population, iliais en realite pour savoir 
si Ton pouvait compter sur eux. Les quarte- 
niers se montrerent, a Texception de ceux des 
Halles et de la Cite, favorables a la pacifica- 
tion. La plupart repondirenl de leurs quar- 
tiers respectifs. Les chefs des corporations 
ouvrieres, jaloux de la preponderance des 
bouchers promirent egalement le concours 
de leurs homines. Assures ainsi de la con- 
nivence d'une bonne partie des Parisiens, 
les meneurs de la reaction arreterent ha- 



— 37fc — 

. bilement leur plan de conduite. Lorsque 
les cbefs cabochiens vinrent reclamer, au 
nom du peuple, communication des articles 
de la paix arretes en conseil, et s'op poser 
a ce qu'elle fut conclue, on leur repondit 
qiie le roi, avantde prendre aucune deter- 
mination , consulterait la \ille de Paris, et 
■ qu'il ne ferait rien que d'accord avec elle. 

La reponse etait adroite. Les cbefs de bande 
ne pouvaient, a peine d'avouer que pour eux 
la volonte du peuple n'etait qu'un mot dpnt ils 
se servaient pour dissimul^r ou excuser leurs 
violences, rien reclamer de plus. Le point 
delicat etait de savoir de quelle facon la po- 
pulation parisienne exprimerait ses preferen- 
ces. Les cabocbiens pouvaient craindre que 
les assemblees de quartiers, ordinairement 
dirigees par lesprincipaux bourgeois, ne leur 
fussent point favorables, mais ils ^taient 
convaincus qu'une assemblee generale a 
la Greve, oii ils auraient le soin de faire 
venir leurs partisans en grand nombi^e se 



375 — 

^ -l9isserait diriger par eux, comme cela avail eu 

^;;lieu jusquaiors. Tbu&leurs efforts tendireiit 

-done a empecher que. la question de paix 

-ou de guerre, fut soumise aux assemblees 

ideqiiartiers. 

he 1®' aout une assemblee generale.etait 

•fentie a Tholel de 'ville, Jl est fort, difficile 

.de savoir d'une falcon precise qui lavait 

convpquee et comment elle/etait coiiipojsee. 

Une seule chose est cert^infe, c'est qu'iih grand 

^nombre de Parisiens, plus de mille, dit-on, 

se pressaient a la maison commune, un plus 

grand nombfe encore sur la place. Parmi les 

assistant^ beaucpup appartenaient aux classes 

les plus bumbles de la cil^. Les tabochiens 

avaient appele a eux les plus bardis de leurs 

bommes; les partisans de la paix etaient 

venus aussi , quelques-uns fort bien armes, 

et ne cacbaient pas leur resolution de ne point 

selaisser intimider. 

> ■ . .1 

A peine rassemblee etail-elle reunie qu'un 
.avocat prit la parole j et declara que tout ce 



— 376 — 

qu'il y avail d'lionneles gens a Paris vou- 
laient la paix. Un des echevins opina dans 

le meme sens. Les cabochiens n'oserent net- 
tement s'opposer a la paix, mais ils essaye- 
rent de la rendre impossible en y faisant 
inserer des conditions inacceptables pour les 
princes. Us voulaient que le traite fut libelle 
de lelie facon que les Armagnacs compris- 
sent bien que leur accorder la paix c'etait 
leur faire une grace. De Troyes fit en ce 
sens, une proposition formelle : il demanda 
que Fassemblee la discutat a Tinstant meme, 
et Tacceplat ou la rejelat seance tenante. 
11 comptait ainsi enlever le \ote; mais de 
nombreuses voix s'eleverent contre cette 
pretention et demanderent le renvoi de la 
proposition aux quartiers. Un charpentier, 
s'ecrie que les bandes ne poursuivent qu'un 
but, imposer leur volonte a leurs conci- 
toyens; qu'il n'est qu'un moyen de bien 
connaitre I'opinionpublique, c'est des'adres- 
ser aux quarliers, oil cliacun pourra s'expri- 



— 377 — 

mer librement. En presence de Topposition 
que manifeste Tassemblee, Tun des princi- 
paux bouchers, se laisse entralner a proferer 

' conlre ses adversaires de \iolentes menaces. 

. Jusqu'alors ce precede avail reussi aux de- 
magogues. Le temps en etait passe. Le char- 
penlier ne se laissa point intimider : il re- 
pondit qu'il y avait a Paris autant de frap- 
peurs de cognee que d'ecorcheurs deboeufs, 
et menaca a son tour. Quand on vit cet 
homme tenir, sans faibiir, tete a ces bouchers 
devant iesquels on avait jusqu'alors tremble, 

. le courage vint aux plus timides. La ma- 
jorite refusa de voter la proposition de de 
Troyes, qui fut renvoyee aux quartiers. 

Les assemblees de quartiers furent convo- 
•quees pour le lendemain meme. La premiere 
quise reunitfut celle de la Cite. Jean de Troyes 
la presidait. Le vieux chirurgien passait pour 
avoir une assez grande influence sur ses voi- 
sins. Les reactionnaires etaient fort inquietsdes 
resolutions que prendraient les gens de la Cite. 



378 — 

Ilsne doutaientpas qu'ellesne pesassent d*un 
grand poids sur les autres quartiers. lis prirent 
' leurs precautions en consequence . Les gens 
.du palais, attached aii parleraent et dans la 
-dependance plus ou moins directe des magis- 
trals babitaient en grand nombre de ce c6te. 
-lis sont tous amenes a Tassemblee. Jean de 
Troyes ouvre la seance en proposant une re- 
solution terrible contre les nobles quiveulent 
a^servir le peupie. L'avocat general Juvenal 
des Ursins , present a la reunion , se leve et 
'declare que la proposition est seditieuse^ et 
roeuvre d'un ennemi de la paix. La voix de 
Jean de Troyes est couverte par le tumultede 
Tassemblee. On liii arrache des mains la ce- 
dule oil etait ecrite sa resolution contre les no- 
bles. Le bruit de ce qui se passaiten la Citese 
repand par toute la \ille. L'echec de de Troyes 
determine les\otes des autres quartiers : tous 
<)u presque tous se prononcent pour la paix. 
Le parti des bouchers 45ssaya tin dernier 
effort. U reunit i,5oo hommes a rh6tel de 



— 379 — 

\ille. Ce futinulilement; les bourgeois etaient 

en armes et le peuple les appiiya. La foule 

entoura les cabochietis qui se debanderent. 

Les principaux d'enlre eux furent I'objet 

• de voies de fait itidignes. Des cris s'eleve- 

rent dans la fbule pour demander qu'on en 

"finlt de suite avec ces miserables qui depuis 

si longlemps avaienl fait le malheur dii pays. 

La \ie de Jean de Troyes fut menacee. Ceux 

qui avaierit approuve le plus lacheihenttous 

les aclesde la faction cabochiennetahtqu'elle 

avail ^te puissantesem6nlraient,maintenant 

qu*elle elait vainCite^ les plus ardenls a crier 

vengeaiice. On disait dans la foule qu'on 

avait trouve a I'hotel de ville des listes de 

proscription dressees par les bouchers et 

ou Etaient portes les noms des principaux 

bourgeois divises en categories, selon qu'ils 

devaient etre dagues, pendus ou bannis. La 

populace ne laissa aller les prisonniers que 

parce qu'on lui proinit que le lendemain on 

leur couperaitla tete. 



— 380 — 



Les reactionnaires ne se montrerent guere 
plus moderes que les cabochiens eux-memes. 
La plupartdes chefs de bandes furent envoyes 
a I'echafaud. Jean de Troyes, destitue de ses 
fonclions d'echevin, fut execute sans juge- 
ment. On prelendit qu'avant de mourir il 
avait avoue beaucoup de mauvais crimes. On 
frappa tous ceux qu'on soupconna d*avqh* 
pactise avec les \aincus. Tous les membres 
du corps municipal furent chasses, et lesoflfi- 
ciers de la couronne qui ne s'etaient point, 
durant ia rebellion, demis de leurs offices, 
conffedies. 

Le peuple trouvait insuffisantes les mesu- 
res prises conlre ses favoris de la veille, qu'il 
appelait maintenant des factieux. Les Pari- 
siens venaient chaque jour assister joyeuse- 
mentaux derniers moments de quelques mal- 
heureux. lis reclamaient a grands cris des 
supplices ; pen leur importait que les cabo- 



— 381 — 

chiens remplacassent les Armagnacs au gibet 
ou a rechafaud, ce qu'il fallait a la popu- 
lace, c'etaientdes executions publiques. Elle 
applaudissait qui lui en donnait le spectacle 
sans sedemander quelles etaient les viclimes. 
Cependant beaucoup de gens trouverent, 
parait-il, fort mauvais que Ton n'executat 
point M. de Bourgogne que quelques jours 
plus tot les memes individus acclamaient 
avec frenesie. 

La demagogic etait battue, mais les 
bourgeois n'eurent point a se louer du role 
qu'ils avaient joue. lis s'apercurent bieh- 
tot qu'iis n'avaient brise le despotisme des 
barides que pour retomber sous un joug 
plus dur encore. Apres avoir frappe tous 
ceux qui avaient pris part a la sedition ca- 
bochienne les princes s'attaquerent a leur 
oeuvre. Les ordonnances furent rapportees, 
a Paris et dans les provinces. Le capitaine de 
la ville, officier royal, futspecialement charge 
de faire exemple de tous ceux qui voudraient 



— 382 — 

a Tavenir user deS Tieilles liberies comtnu- 
nales. -: . ; •: 

La municipaKte parisienne fut reconsti^ 
luee avec des kommes choisis par les prin-^ 
ces. Les nouveauxsuccesseursde Marcel, de 
Toussac, de Jean deTroyes^de ces bourgeois 
qui avaient fait trembler les rois, ecrivirent 
au nom de Paris, aux bonnes villes de France, 
une lellre dans laquelle ils declaraierit des- 
avouer tout ce qui s'elait passe dans leur 
cite depuis deu^ ans. lis faisaient savoir a 
tous et a chacun les bienfails de I'ordre re- 
tabli : et conmie preuve de Talliance inlime 
qui existait enlre les princes et les Pari-i 
siens, et de la consideration dont jouissaient 
main tenant les honnetes gens, ils ra con talent 
a leurs collegues des provinces qu'ils avaient 
ete pries d'assister a une fete donn^e par le 
due de Guyenne ou ils avaient fait grande 
clierei Cela leur faisait esperer que la pros-^ 
perile ne larderait pas a renaitire et .que le 
peuple franicais jouirait dans un avenirpro- 



— 383 — 

' chain de tous les bonheurs, et de toutes 
les gloires. ^ 

La bonne chere que Fon faisait cliez 
M^' de Guyenne, lesbrillanleschevauchees de 
M*** de Berry, bien autrement belles que 
celles de ces miserables cabochiens, faisaient 
oublier aux auleurs de cet elrange fac- 
tum les ordonnances rapporlees, et la li- 
berte perdue pour des siecles. Cerles il ne 
faut pas se montrer trop severe pour ces 
hommes. Depuis longues annees, ils avaient 
soufferl; ils n'avaient connu de la liberie 
que les exces et les perils. Mais leur servi- 
lile fait oublier les violences des chefs de 
bandes. Les gens qui investissaient le palais 
du ducde Guyenne, qui venaient brutalement 
inlerrompre des orgies qui, en somme, desho- 
noraient la nation, \alaient mieux encore 
peut-elre que ceux. qu'une invitalion prio^ 
ciere et une plaice au coin d'un salon royal 
consolaienl si ais^ment de leur asserviss^- 
ment. 



— 384 — 

La punition de tant de bassesses ne se fit 
pas attendre. 

Jusqu'alors, apres chaque defaite du parti 
populaire, il s'etait, parmi les principaux de 
la classe bourgeoise, trouve des homines qui 
restaient dignes dans le malheur, fideles aux 
idees vaincues. Domines par la force, ils suc- 
combaient du moins avec honneur, et ne ce- 
daient point sans protestations. Ils laissaient 
aux pelites gens le soin d'applaudir au triom* 
phe dupouvoir absolu. On juge les causes par 
ceuxqui lessouliennent. Defaits, ils en impo- 
saient encore au parti vainqueur, qui siibis- 
sait malgre lui I'influence de principes noble- 
ment soutenus et jamais Irahis. Lorsqu'apres 
le succes de Thotel de ville les princes s'a- 
percurent qu'il n'y avait plus dans les rangs 
de ces bourgeois autrefois si fiers que des 
Irembleurs et des laches , qu'ils virent les re- 
presentants des grandes families municipales 
applaudir aux supplices qui decimaient les 
anciens amis de Jean de Troyes, meler leurs 



— 385 — 

I voix aux acclamalions de la populace, rivali- 
ser avecelle de vilenie et d'abjeclion; qu'ils 
entendirenl Tun des plus brillants represen- 
tants de la bourgeoisie intelligente et letlree 
declarer sans rougir dehontie, en comparant 
I'Elata une haute statue, « que Tetatde bour- 
geoisie , les marchands, les laboureurs etaient 
figures par les jambes, qui etaient partie de 
fer, partie de terre , pour leur labeur et liu- 
niilite a servir et a obeir, fer signifie labeur et 
terre humilite », ajouter que « tout le mal 
etait venu de ce que le roi avait ele tenu en 
servitude par I'outrageante entreprise des 
gens de petit etat, » ils crurent inutile de 
garder le moindre menagement. 

Quelque temps apres les evenements de 
i4i3, des negociations etaient entamees en- 
tre les dues de Bourgogne et de Berry. Des 
deputes de Paris demanderent a quelles con- 
ditions la paix etait faite entre les princes. 
On leur repondit que cela ne touchait en rien 
les Parisiens ; qu'ils n'avaient point a s'eri 

22 



— 386 ^ 

tremeltre dans les affaires du roi ni dans 
ceiles des princes, que ceux-ci se courrou- 
9aient les uns contre tes autres "quand 
il leurplaisaity et quand illeur phisait fai-^ 
saient entre^eux la pair, sans avoir de 
comples a rendre a personne. Les deputes 
durent se taire et suhir sans protester les vo- 
lonles des princes. Paris fut desarme, toutes 
reunions de quelque nature que ce fut inter- 
diles hors la presence des sergents du^ pre- 
\6t (i). 



(i) En aout i4<8, les bourgeois pir^taieot serment au due 

de Bourgogne d'etre boos, vtais etloyaux siyets aa 

due..: que s'il venait a leur coDDaissance, par oui-dire 
ou autrement, chose qui put ^tre aucunement au d^hou- 
neurou dommage.... du due de-Bourgogne ou d'aucuos des 
geus ou serviteurs dudit, les en advertiraient et avecques oe y 
resisteraient et obsteraieut de toute leur puissance-: den^^tre 
point consentantSy ne souflfrir faire aucune assembl^e de gens 
en la viUe de Paris, sans le cong^ et licence du rpy, du due 
de Bourgogne et du pr^v^t, et sMl venait a leur connaissance 
que aucuns de quelque etat qu'ils fussent, fissent oil vott- 
lussent faire aucune asseml)!^ de gens sans le cdng6 et b| 



■^ 387 ^ 



G'en ela it fait pour des siecles. 
• En i4i8 la populace, un instant soulevee, 
•dev^it encore se souiller de nouveaux crimes. 
Mais il serait impossible daris ce dernier 
4nouvement de discernei? uneidee pblilique. 
pes i4i3 k grande tenliilive.des bourgeois 
du moyen age ; pour fonder eti France Ip 
^ouvernement du pays par le pays avait 
echoue definitivementv 

^ Le r^gne du bon plaisir et^it fonde. 11 al- 
;lait a Crecy, a Poitiers, ajouter Azincourt , et 
livrer a TAnglais la France, que les bonnes 
'\illes avaient , soixante ans plus tot, sauvee 
pai? leur energie, que le peuple des cam- 
pagnes, incarne dans Jeanne d'Arc, devait 
delivrer quinze ans plus lard. 

licence de& dessus dits, ils le diraient et r^veleraicnt ia- 
continent a M^*^ de Bburgogne, leur.capitaine et au [>rev6t 
des ma rcbands, ct r^sisteraient de tout leur poQ voir contre 
ceux qui pareitte as3emblee voudraiedt (aire. 



— 388 — 

Lorsque le sol national presque enlier fut 
aux mains de Tennemi, que Paris fut occupe 
par TAnglais, tout ce qu'il y avait en France 
dliomines d'intelligence et de coeur n'eiit 
plus qu'une pensee, expulser Tetranger. La 
royaute , malgre ses fautes , devint pour le 
peuple la personnification du pays et de son 
independance. On se serra autour d'elle, 
et nul ne liu marchanda le devouement. 
Quand grace aux efforts de la nation soule- 
vee dans un palriotique elan le succes reviht 
a la France, la royaute conserva aux yeux 
des masses le caraclere que les evenements 
lui avaient donne. Par une sorte d'aveugle- 
ment ou d'abnegation dont les exemples ne 
sont point dans I'histoire aussi rares qu'on 
pourrait le croire , le pays mit au comple de 
la royaute le salut qu'il devait a son energie 
propre. II reporla tout le merite de la deli- 
vrance au roi qui n'y etait pour rien. La na- 
tion avait ele a la peine, la royaute recueillit 
tout rhonneur. Orleans, Palay, Castillon lui 



— 389 — 

rendirent le prestige qu'elle avait perdu a 
Crecy et a Poitiers. La France, a laquelle on 
donnait des victoires, ne demanda rien de 
plus. Le peuple combattant sur les chanips 
de bataille a c6te de la noblesse , avail em- 
prunte a celle-ci son esprit militaire. Lorsque 
la lutte contre I'envahisseur s'arreta , il n'v 
avait plus en France d'admiration que pour 
les beaux coups d'epee : on nes'occupaitplus 
que de prouesses guerrieres. II n'etait bruit 
que de Dunois , de la Hire, de Xaintrailles. 
Cetaient vraiinent de bien autres liomnies 
que Marcel , Lecoq ou Jean de Troyes. On 
parlait tant de gloire qu'on ne pensait plus 
a la liberie. 

La royaute d'ailleurs se montra habile; 
soixante annees de revolutions lui avaient 
donne Tinteliigence des passions populaires. 
Apres avoir, en frappant a coups redoubles 
les grand es families feodales , flatte les as- 
pirations egalitaires du peuple, elle donna 
a la vanite nationale la conquete de Tltalie. 

22. 



— 390 — 

Pendant bien des annees la France r^va d6 
Milan, de Naples et de Palerme. Lorsque 
•vint le joup du reveil, que la gloirie mili- 
itaire se fut evanouie, il etait ^rop.tard. La 
nation s' etait accoutumee au despotisme. 
Elle avait perdu jusqu'au souvenir des glo- 
rieuses luttes soutenues par elle quelque 
•cent ans plus t6t pour conquerir la direction 
<le ses affaires; elle courba I9 tete sous le 
joug, pour ne tenter, qu'en 1789, bien des 
siecles plus tard , une revolution nouvelle, 
•dont I'avenir seul pourra nous dire le resultat. 



ii 

If 

i 



CONCLUSION. 



: Ii est bien difficile d^appfecier avec une 
complete exaclitude des evenements remon- 
tant a une epoque aussi ^loignee que ceux 
que nous venons de rappeler, et de formuler, 
a pareille distance , sur les hommes et sur les 
choses, un jugement absolument equitable. 
Lessiecles, en s^ecbulant, permettent au juge 
d'etre impartial, autant du moins qu'il pent 
etre donne a un homme de Telre. Mais cette 
impartialite ne s'acquiert qu'au detriment de 
la pleine connaissance des faits. Si quelque- 
foisThistorien, en rapprochant les unes des 
autres les chroniques , les relations du temps. 



— 392 — 

les documents ecrits qui ontresiste a I'aclion 
deslruclive des siecles, reussit a retablir 
d'une facon a peu pres salisfaisanle la chatne 
des evenements , il lui est impossible le plus 
souvent de se rendre compte des sentiments, 
des opinions, des passions qui animaient les 
liommes d'alors , de decouvrir le mobile ou 
la cause de leurs actions. C'est done avec une 
moderation extreme qu'il doit se liasarder, 
apres avoir raconte.les faits, a tirer une con- 
clusion ou a formuler un jugement. 

II est des cas toutefois, ou cette conclusion 
s'impose d'elle-meme. Ainsi, les causes qui 
amenerent Finsucces de la grande revolution 
democratique des xiv® et xv® siecles appa- 
raissent avec une telle evidence, qu'il est 
facile de les indiquer 



Un premier point frappe d'abord I'atlen- 
tion : c'est la faiblesse de la royaule aux 
moments memes ou elle reussissait a res^aisir 



— 393 — 

le pouvoir ; en 1 358, lorsque le regent ren trait 
a Paris apres la mort d'Elienne Marcel; en 
i4i3, lorsque Charles VI brisait la grande 
ordonnance cabochienne. A ces deux epo- 
ques, en i4i3 surtout^ c'est-a-dire alors 
que le mouvement democratique commence 
soixante ans plus tot echouait definitive- 
ment , I'autorite royale etait reduite a la 
plus complete impuissance. 

II est egalement constant que la noblesse 
etait, elle aussi incapable, d'entrer en lutte 
ouverte conlre les bourgeois des villes. Elle 
ne s'etait point encore remise, en i36o, 
des coups terribles que la bataille de Poi- 
tiers d'une part, la Jacquerie de Tautr^ , 
lui avaient tout recemment portes. Elle etait, 
en i4i3, divisee en factions ennemies tenant 
moitie pour Armagnac et moitie pour Bour- 
gogne. Les gentilshommes haissaient les 
bourgeois d'une haine profonde ; ils I'avaient 
montre a Meaux , et plus tard a Rosebecque ; 
mais leur epuisement egalait leur haine, Au 



— 394 ^ 

tnoment ou succombait la revolution , les 
principaux d'enlre eux portaient encore 
comme livree de leurs defaites , le chaperofi 
blanc des Gantois que les Parisiens leur 
avaient impost. lis pe prirent part active , iii 
au mouvement qui amena la chute de Mar- 
cel, ni a celui qui eiit pour consequence 
le retrait de Tordonnance cabochieniie. 

De son cote , le clerge , en tant qu'ordre^ 
ne joua dans la revolution de i356-i4i3 
qu'un role efface. Ce n'est done ni aux ag^ 
semen ts de la royaute, hi a ceux des classes 
privilegiees que doit elre attribuee Tis^e 
tnalheureuse de cette revolution. - ^^ 

' La cause en est ailleurs, JEUe est auxfaotes 
commises par les populations urbaines , qui 
resignerent elles-meraes aux maips de la 
royaute les libertes qu'elles avaient conqiiises* 
Ces fautes ont ele determin^es par. I'exa- 
g^ralion meme des principes deoiocrati- 
•ques que professaient alors vies habitants d^ 
villes* Ellespeuventseresumeren deuxprin- 



— 395 



K'dipales : d'abordla desuniondescitefrdiversfes^ 
ensuile les lulles du petit peliple centre 
.. Jes boiirgeok. 



'* • Enervees par la politique suivie depuis 

\ longjbies annees a leup egard par la royaute, 

' amenees peu a peu par celle-ci a ne plus 

3*interesser qu'a une seule question, rimp6ty 

les villes accueillirent avec une mediocre 

. ardeur des reformes qui venaient a elites ac- 

. cojnpagnees de nouvelles taxes a acquitter. 

Bien que fort eclairees par rapport au peuple 

desi. campagnes , elles manquerent d'intel- 

ligence politique, Elles ne comprirent pointy 

oil du moins cesserent rapidement de cpm- 

prendre que Talliance intime de tous les 

bourgeois et vilains du royaume pouvait 

seule leur donner la force de resister a la 

royaute et aux privilegi^s. Elles s'unirent un 

Instant apres Poitiers j mais, des que le peril 

fut ou parut eloigne, chaque ville voulutres- 



— 396 — 

saisir son autonomie complete. EUes se lais- 
serent doniiner par un etroit esprit d'in- 
dependance locale, aussi prejudiciable alors 
aux interets de la liberie qu'il avail pu leur 
elre favorable quelques cenl ans plus lol, 
lors de la revolution communale. Elles crai- 
gnirenl , en se soumellanl aux decrels d'une 
assemblee composee cependant de leurs 
propres deputes, ou en suivanl Tenergique 
impulsion des magistrals parisiens, d'aliener 
au profit d'une cite rivale et sans inleret 
pour elles-memes leurs franchises antiques. 
Elles pretendirenl faire isolemenl leurs pro- 
pres affaires, regler a leur fa9on leurs rap- 
ports avec la royaule, el r^agirenl- bient6t 
de loutes leurs forces conlrela preponde- 
rance que voulaient, croyaienl-elles, s*allri- 
buer sur leurs conciloyens de province les 
bourgeois parisiens. Celles qui avaienl d'a- 
bord paru le plus devouees a la ville de 
Paris s'ecarterenl de celle-ci -au mo* 
menl oil leur concours eut ele le plus 



— 397 — 

necessaire. Pour ne point s'exposer a subir 
rinfluence plus ou moins efleclive de la 
capilale, elles deserlerent la cause des li- 
beries publiques. Abandonnes a eux-me- 
mes, la plupart des Parisiens renoncerent a 
une lutle qu'ils avaient courageusement enga- 
gee, mais qu'ils desespererent de soulenir 
avec quelque succes. L'isolement de Paris 
assura le Iriompbe de laroyaute. 

11 serait injusle d'impuler aux villes seules 
la responsabilite de cetle scission. La po- 
pulation parisienne avait donne aux jalou- 
sies provincialesdenombreux aliments. Sises 
chefs avaient d'abord menage avec soin les 
susceptibilites de leurs compatriotes des pro- 
vinces, ils s'etaient bientot deparlis de leur 
premiere reserve. Dans une circonslance 
memorable les deputes de Paris s'etaient 
separes de leurs coliegues du tiers etat. 
Au lieu de laisser a Torateur clioisi par ceux- 
ci le soin de parler au nom de tous, le 

23 



— 398 — 

prev6t des marcliands avail pris la parole au 
nom de Paris seul , afTectant ainsi de faire 
de la capitale comme un qualrieme etat dans 
le royaume : demarche malheureuse , car les 
chefs de parlis politiques nepeuvent maintenir 
leur influence sur ceux qu'ils pretendent di- 
nger qu*a la condition de paraitre les suivre. 
Plus tard ils avaient comniis une faule plus 
considerable peut-elre que la premiere. 
Comme il arrive d'ordinaire aux gens con- 
vaincus de Texcellence de leurs intentions 
et de la grandeur du but qu'ils veulent at- 
teindre, ils avaient poursuivi I'execution 
de leurs desseins sans s'inquieter des opi- 
nions ou des sentiments des bonnes villas; ils 
avaient impose au roi leur volonte person- 
nelle , lui avaient dicte edits et ordonnan- 
ces, avaient fait executer celles-ci et n'a- 
vaient plus soumis a la ratification de 
leurs concitoyens (quand ils avaient juge a 
propos d'y recourir) que des faits accom- 



— 399 — 

plis. lis avaient ainsi fourni aux populations 
provinciales le prelexte de divisions fatales 
a la cause commune. 



Plus prejudiciable et plus funeste en- 
core au progres avail ele la lulte des pe- 
lites gens conire ceux qu'on appela des 
lors les bourgeois. 

L'antagonisme enlre cesdeux fractions du 
peuple des villes n'elait pas nouveau ; il avail 
amene la chute de la plupart des com- 
munes, leur avail coute la perte des princi- 
pales deleurs liberies : mais jamais il n'avail 
pris un tel caractere d'acharnement et pro- 
duit de si funesles eflets qu'aux xiv® et xv* 
sieclcs. 

On peul discuter le point de savoir s'il 
convient de donner a tous les habitants d'un 
pays, sans distinction d'aptitude ou de po- 
sition sociale ^ le droit de concourir a Tad- 
ministration des affaires publiques, s'il con- 



- 400 — 

\ient de faire de la volonle populaire ex- 
primee plus ou moins clairement la mai- 
tresse souveraine des destiiiees nalionales. 
C'est la line question qui divise les meilleurs 
esprits. Les hommes poliliques les plus dislin- 
gues ont coutunie de soutenir eloquemment 
raffirmalive dans leurs discours , et d'appli- 
quer energiquement la negative quand ils 
sont arrives au pouvoir. 11 est fort difficile de 
s'arreter sur ce point a une solution ab- 
solue, sans courir le risque de sacrifier ou- 
les interets de Tordre , qui sont la base de 
toute societe , ou les principes de complete 
egalile entre tous les sujets d'un nieme Etat, 
qui prevalent aujourd'bui. Mais si Ton peut 
llieoriquement disculer ce problenie, ilest 
un fait qui resle au-dessus de toute contro* 
verse. Jusqu'a ce jour en France les classes 
populaires se sont niontrees incapables de 
faire bon usage du pouvoir que le hasard des 
revolutions a fait, a diverses reprises, tooiber 
en leurs mains. I^ur action directe sur le 



— iOl — 

* 

gouvernemenl interieur du pays a toujours 
ete fatale a la cause de la liberie. Elles ont, 
par leur indilTerence quelquefois , par leurs 
exces souvent , compromis le&conquetes libe- 
rales dues a Tinilialive des classes moyennes. 
Avides avant tout d'egalite , elles ont acclame 
un regime politique soumettant a une egale 
impuissance, aune egale abjection tous lesci- 
toyens du pays, plutot que d'accepter une 
constitution assurant a la nation les benefices 
d'un gouvernement libre, mais ou il sem- 
blait a la populace que quelques-uns des ci- 
toyens jouissaient de prerogatives refusees a 
la multitude. Apres avoir reclame la liberte 
pour elles, elles Tont toujours energiquement 
refusee aux autres. Pour elles la liberte a 
ete, non le moyen pour chacun de jouir sans 
entrave de ses droits particuliers, mais de 
violer ceux d'autrui. Les demagogues se 
sont montres, une fois arrives au pouvoir, 
les plus ehontes de tous les tyrans. En uii 
mot,toutes les tentatives failes en France 



— 402 — 

pour elablir dans Tfelat la preponderance 
des masses populaires ont eu pour resullat 
defmilif Tanarcbie, et par suite le despo- 
lisme. Nul ne sail ce que sera Tavenir, mais 
lei a ele le passe. 

Aux XIV® elxv*siecles notamment, rinler- 
> ention direcle du pelit peuple des \illes dans 
la revolution si beureusement commencee par 
les classes nioyennes a ele, avant toutes 
cboses, funesle a la lil^erte et au progres. 
Couronne de succes tant que les bourgeois 
inlelligents en conserverent la direction, le 
grand mouvement liberal de i356 ecboua mi- 
serablement des que la multitude pretendit, 
sur les incitations memes de laroyaute, se saisir 
du gouvernement. La jalousie, la haine contre 
tous ceux que le basard, le travail ou le la- 
lent avaient eleves au-dessus de la masse de 
leurs concitoyens, tels furent les seuls senti- 
ments qui inspirerent la politique des « petites 
gens ». Aussi prompte a se laisser seduire 
par les flatteries interessees de la rovaule 



— 403 — 

L ^ qu'a preler Toreille a toutes les calomnies 
^ qui s'adressaient aux bourgeois, la plebe con- 
' sidera ceux-ci conirae les plus acbarnes et 
les plus dangereux de ses enneniis : elle ou- 
blia que ces bourgeois qui faisaient Irembler 
lesrois devant eux elaient du peuple, qu'ils 
ne forinaient point une classe a part, mais 
elaient seulement Jes premiers de la classe 
populaire ; que le pouvoir dont ils dispo- 
saient, ils ne Tavaient point acquis aux 
depens de leurs conciloyens plus bumbles, 
mais aux depens de la royaute et des clas- 
ses privilegiees. Au lieu de s'associer aux 
efforts de la bourgeoisie , elle lui fit une 
guerre acbarnee. Elle se proposa bientot 
comme but , moins de s'elever jusqu'a ceux 
des siens qui avaient conquis dans FElat 
une place plus liaute, que de les abaisser 
jusqu'aelle, moins de parlager avec eux le 
pouvoir que de Tarracber de leurs mains. 
De crainte de devenir les sujets des bour- 
geois , les peliles gens des villes trahirent la 



404. — 

cause soutenue par ceiix-oi, applaudirent 
a la mort de Marcel , aux supplices et aiix 
confiscations qui suivirent. 

Souleve quelques annees plus lard conlre 
le pouvoir meme dont il avail prepare le 
retour, le pcuple ne songea point a profiler 
des succes momentanes qu'il obtint, pour 
fonder en France la liberie politique , mais 
seulement pour satisfaire ses coleres conlre 
les favorises de la fortune. Le meurtre, le 
pillage, Tincendie, tels furent ses moyens 
de gouvernement : les violences qu'il com- 
mit firent oublier celles de la royaute. 
II reussit, a force de crimes a deshonorer 
la cause du progres, ecarta les honneles gens 
des affaires publiques, les decouragea, leur 
fit detester des reformes qu'il fallait ache- 
ter auprixdetels desordres et de lelles hon- 
les, et regretter le regime du bon plaisir; il 
amena ainsi Tinsucces definitif de la revo- 
lution entreprise par les liommes de i356. 



— 405 — 



Les bourgeois, de leur cote, avaient com- 
mis des faules qu'il n'est permis ni d'oublier 
ni de taire. Us doivent porter leur part de 
responsabilite 'dans les excescommis par la 
plebe, et la lutte qui divisa les populations 
urbaines en factions ennemies. 

Les chefs de la bourgeoisie, dans leur guerre 
contre la royaute, avaient, les premiers, 
decbaine les passions populaires. Us avaient 
donne aux peliles gens Texemple corrupteur 
de la violence et du raeurtre employes contre 
les adversaires politiques. lis avaient, en at- 
taquant les classes privilegiees , sinon fail 
naitre, du moins altise les idees egalilaires 
que les classes inferieures devaient, a leur 
tour, et non sans quelque raison, invoquer 
contre les bourgeois. Us n'avaient pas com- 
pris qu'ils ne pourraient point profiler pour 
eux-memes des avantages de la liberie, et les 
refuser a leursconcitoyens. Apres avoir battu 



23. 



— 406 — 

en breche les immunites de la noblesse et 
du clerge, ils prelendirent se reserver lous les 
benefices du succes oblenu, sans admettre'le 
peuple au parlage : ils voulurentse mettreeux- 
nieniesborsde page ; ils donnerentainsi motif 
a une jalousie quedevait exploiter laroyaute. 

D'aulres s'associerent aux exces de la mul- 
titude, dans I'espoird'en profiler, ou les lais- 
serent du nioins passer sans protester; ils 
contribuerent par leur exemple ou par leur 
silence au developpement des desordres qui 
compromirent et deshonorerent la revolu- 
tion. Fautes regrettables et que peuvent a 
peine faire pardonner les intentions evidem- 
ment patriotiques de ceux qui les commirent, 
leur desir sincere de faire le bien du pays, 
ni les services eminents qu'ils ont rendus a 
la France. 

Mais a c6te de ces hommes dans les rangs 
de la bourgeoisie , il en fut dans Finteret 
desquels il aurait ete impossible d'invoquer 
de pareilles excuses. 



— 407 — 

C'elaient les gens au caraclere faible, dis- 
poses a s'alarmer de tout, a sacrifier au re- 
pos present tous progres dans I'avenir, en- 
nemis de (juiconque venait troubler leur 
quietude, prets, pour la conserver ou la re- 
couvrer, a toutes les faiblesses , et qui , pre- 
ferant ce qu'ils appelaient le calme avec le 
despotisme, a ce qu'ils appelaient le desor- 
dre avec la liberie, se firent les auxiliaires 
devoues de la royaute et les adversaires in- 
traitables des reformateurs. 

C'elaient les bourgeois riches, arrives a 
la forlune sans elre dignes de la posseder, 
habitues a mesurer la valeur des hommes 
au nombre de leurs ecus. Ces individus, a 
force d'a Richer leur meprispour lespauvres 
gens a peine en etat, en travaillant tout le jour, 
de gagner leur pain du lendemain, a force 
de dedains, de fasle ehonte, de provoca- 
tions incessanles, avaient fait geriner dans le 
caujr des miserables une haine profonde 
conlre tous ceux qui possedaient, et deler- 



— 408 — 

mine la scission fatale qui rendit impossible 
en France la constitution d'un gouveme- 
ment libre. Toute la politique de ces gens 
se resuma en une seule idee : conserver 
et augmenter les biens qu*ils devaient a la 
naissance ou aux hasards de la vie. Ser- 

s 

viteurs devoues de tout pouvoir qui leur 
assurait la paisible jouissance de leurs ri- 
chesses bien ou mal acquises, disposes, ce 
resultat obtenu, a faire bon marche du reste, 
ils trouverent que la liberie politique coutait 
bien cber et que le. benefice des reformes 
poursuivies par quelquesruns de leurs con- 
citoyens n'etait point en rapport avec la per- 
turbation que ces reformes pouvaient porter 
a leurs interets prives. lis appelerent de tons 
leurs voeux et jwreparerent de toutes leurs 
forces la ruine de ces reformf^s. 

S'il fallait absolument niettre a la charge 
de quelques-uns Tissue malheureuse. de la 
grande revolution democralique des xiv** et 
xv° siecles, determinee par les fautes de tous 



— 409 — 

ceux qui y prirent part, il faudrait en im* 
puler la responsabilite a ces hommes, et 
aussi a cenx qui, parlant de liberie pour ar- 
river au premier rang dans TEtat, la violant 
impudemment le jour ou ils furent les mai- 
Ires , refusant au pays une paix qui seule 
pouvait lui permeltre de panser ses plaies 
saignantes, pretendant lui imposer a tou- 
jours une guerre a la faveur de laquelle ils 
esperaient assurer Tirnpunile de leurs crimes , 
ne se servirent du pouvoir qu'en un jour 
d'aveuglement la nation leur avail laisse 
prendre, que pour salisfaire leurs passions et 
leurs appelils abjecls. 

On pent pardonner aux \illes de province 
de n'avoir point prete aux Parisiens un con- 
cours devoue ; elles obeissaient a un senti- 
ment respectable , I'amour de I'indepen- 
dance locale. 

On pent pardonner au petit peuple ses 
exces et ses violences : il etait miserable et 
ignorant, et ceux-la qui eussent du lui donner 



— fclO — 

I'exeiiiple du bien ne lui enseignaient que le 
nial. 

On peut excuser les bourgeois qui, pour 
assurer le Iriompbe de leurs idees, ont eu 
recours a la violence, ils croyaient agir dans 
Tinleret de leur pays. 

Mais on ne saurait absoudre les hommes 
qui, pour sauver quelques deniers, ont 
\endu a la royaut^ les franchises nationales, 
ni les demagogues qui reussirent a rendre 
]a liberie odieuse en la faisant solidaire de 
leurs crimes , car les seuls mobiles de ces 
deux categories d'individus c'a ele I'e- 
goisme et la lacliete. 



Je \iens de parler d'evenemenls qui re- 
montent a tantot cinq siecles, et il me sem- 
ble que j'ai raconte Tbistoire d'aujourd'hui. 
En m'occupant de la grande revolution qui 
suivit en France la bataille de Poitiers, je ne 
puis oublier que j'ecris au bruit des defaites 



— 411 — 

de la France et de rinvasion elrangere : qu'a 
la faveur de ces malheurs, quelques bandes 
• de miserables prelendent imposer au pays 
leurs volonles lyranniques et leurs irrealisa- 
bles iitopies. 

Puisse la nation preter roreille aux ensei- 
gnements du passe, se souvenir des fautes 
qu'elle a commises autrefois pour eviter de 
les commettre encore! et de ces desaslres 
sans nom qui TaflQigent , des miseres qui 
I'accablent, et des ruines qui la couvrent 
pourra sorlir pour la palrie une ere nou- 
velle de grandeur et de liberie. 



£rrata. 



page: 


Ugne : 


an lieu de : 


lisez : 


12 


15 


ville 


pays 


13 


22 


I'elu 


rhomme 


21 


3-4 


sans doute 


certaineinent 


29 


2 


vieilles 


antiques 


33 


9 


frais 


fins 


33 


11 


m^me 


monies 


37 


7 


des 


de 


38 


2 


votes 


votes de ceux-ci 


72 


9 


^lu 


celui 


73 


19.20 


avanttout 


seulement 


98 


12-20 


tout Todieux 


touterimpopularite 


109 


4-5 


du pays 


de la nation 


110 


12 


pens^rent 


estim^rent 


134 


5 


m^me 


menu 


136 


12 


chapeau 


chaperon 


138 


13 


af firmer 


affirma 


162 


8 


pays 


lieux 


172 


14 


pr^tendirent rendre 


rendirent 


29.5 


10 


]es ouvriers 


ceux 


225 


11 


aidant 


aidaient 


228 


9 


payees 


sold^es 


235 


9 


le droit 


la mission 


238 


4 


un homme 


un de ces hommcs 


252 


15 


accepter 


lolerer 


270 


11 


du 


de 


275 


3 


en 


dans 



^ i 



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