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libMaux et demagogues
AU MOYEN AGE
Typographie Firmiii Didot. — Mesnil (Eurp).
LIBfiRAUX ET DEMAGOGUES
AU MOYEN AGE
LA MONARCHIE PARLEMENTAIRE
DE 1357
LA COMMUNE DE PARIS
DE i413
ESSAI SUR LES TENDANCES D^MOCRATIQUES
DES POPULATIONS URBAINES
Pendant la seconde moitie du XIV^ et les premieres annees da XV® siecle
PAR
GABRIEL DEBACQ
DOCTEUR EN DROIT, AVOCAT A LA COUR DE PARIS
« •
* •
PARIS
FIRMIN DIDOT
LIBRAIRES-ED1TEURS
56, RUB JACOB
COTILLON ET FILS
LIBRAIRES DC CONSEIL D^fiTAT
24, RUE SOUFFLOT
1872
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V.
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INTRODUCTION.
Le mot democrat ie est devenu I'lin des
mots le plus frequemment employes de la
langue francaise. Tout le moiide , en France,
se dit democrate. Mais telle est Tinfinie
\ariete des individus qui s'appliquent ou
auxquels on- applique cette qualiflcation ,
qu'il est a peu pres impossible d'en preciser,
d*une facon quelque peu serieuse, la signifi-
cation veritable.
On dit bien que la democralie consiste
a diriger les affaires du pays conforniement
a la volonte et aux interels du peuple; mais ,
quand il s'agit de savoir ce qu'il faut en-
— 2 —
lendre par peuple , par volonle ou inlerels
du peuple, de determiner de quelle facoii
ces inlerels doivent elre sauvegardes et ces
volonles exprimees , les conlroverses com-
. niencent, et.cliaque democrate a son opi-
nion parliculiere.
Pour quelques-uns , la democralie se re-
sume a faire prevaloir le nombre sur Tintel-
ligence, la majorite , quelle qu'elle soit,
sur la minorile , de quelques elemenls que
celle-ci se compose ; pour beaucoup , a as-
surer la preponderance de certaines classes
de la sociele sur certaines aulres , celle des
classes ouvrieres par exemple , sur la portion
decitoyens qu'on est convenu d'appeler les
bourgeois. Pour d'autres, faire le bonheur
du peuple sans le cpnsulter, procurer le
sriomphe de certaines idees preconcues sans
t'inquieter de savoir si ces principes sont ou •
nbn d'accord avec les desirs ou les senti-
ments des populations, c*est agir confornie-^
ment au principe democratique; pour les
— 3 —
plus pratiques, les acclauiations plus ou
moins sponlanees de quelques individus plus
ou moins dignes de consideralion , ex-
prirnent suffisamment la volonle du peuple.
Les dissidents, fussent-ils cent fois plus nom-
breux, font acte d'opposition a la souve-
rainete populaire : on les ecrase. La mino-
rite fait loi a la majorite. C'est encore de
la democratic. Si bien qu'apres mures re-
flexions, on pourrait dire qu'un democrale
est simplement un ambitieux qui, pourfaire
triompher ses opinions ou ses volontes, pre-
tend les faire passer pour les opinions ou
les volontes de tous.
Sur un point seulement les democrates
s'accordent \olontiers, c'est pour se dire,
avant tout, les hommes de Tavenir et pro-
fesser, au regard du passe, un mepris pro-
fond. Pour la plupart d'entre eux, riiistoire
de France commence en 1793. Quelques-
uns remontent jusqu'a 1789, mais ils sont
en petit nombre, et peu s'en faut qu'ils
— k —
ne passent pour de verilables reaclion-
n a ires.
II y aurait cependant, pour les apoires
de la democratie , bien des enseignements a
recueillir dans I'etude de cerlaines periodes
de nos vieilles annales.
S'il n'est pas absolument vrai, comme
madaine de Stael le pretendait, qu'en
France le despolisrae soil nouveau et la li-
berie ancienne, il serait faux aussi de con-
siderer la revolulion francaise comme le
premier effort de la nation pour conslituer
a la place de la royaute absolue, un gou-
vernement libre , base sur le concours des
citoyens au maniement et a la direction des
affaires publiques. Ce n'est pas de nos jours
seulement que des reformes politiques har-
diment entreprises par quelques esprits d'e-
lite ont echoue sous les coups de la dema-
gogic. Sans parlerdelaLigueetde la Fronde,
dontonmeconnaitsingulierementlecaractere
lorsqu'on y veut voir seulement la iutte
— 5 —
d'lin Guise centre iin Valois, ou d'un Conde
conlre un Mazarin , il y eut en France vers
le milieu du xiv* siecle une grande revolu-
tion , tentee par les bourgeois des villes , un
instant couronnee de succes, compromise
et ruinee par les exces de la populace pari-
sienne, et qui, pour n'avoir pas reussi a as-
surer definilivement au pays le benefice de
la liberie politique, n'en merite pas moins
d'etre etudiee avec la plus serieuse at-
tention.
Aux bourgeois de i356 et de i4i3 re-
vient rhonneur d'avoir formule pour la pre-
miere fois la plupart des idees que devait
reproduire la declaration des droits de
rhomme, etcontraint, un moment au moins,
la royaute a les sanclionner; d'avoir, en pre-
parant I'union des bourgeois des villes, jus-
qu'alors isoles les uns des autres, constilue
la nation francaise , et rendu possible le
succes de I'oeuvre enlreprise qualre siecles
plus tard.
— —
Pendant la periode de cinquanle-sept an-
nees qui s'elend de la bataille de Poitiers a
la grande ordonnance Cabocbienne ont ete
snccessivement agiles les problemes politi-
ques et sociaux qui aujourd'bui encore di-
visent les esprits.
Le gouvernement des affaires publiques a
ete arraclie a la royaute ou a ses represen-
tants directs pour passer d'abord aux elals
generaux du royaume ou a leurs delegues.
II a ete exerce parlesmagistrats parisiens^ est
tombe ensuite aux mains des pelites gens,
de la populace, pour revenir en celles de la
royaute, qui, seniant, non sansbabilele,la di-
vision entre les elements divers dont se com-
posaient les populations urbaines, faisant
appel aux plus mauvaises passions , excitant
les pauvres contre les ricbes, les proletaires
contre les bourgeois, aidee lout a la fois
par les lerreurs et la faiblesse de ceux-ci el
les exces de ceux-la , parvint a ressaisir defi-
nitivement le souverain pouvoir.
— 7 —
Telle est en resume Thisloire de celle re-
volution des XIV® et xv* siecles si in teres-
sante et pendant si longtemps meconnue.
CHAPITRE PREMIE U.
TENDANCES DEMOCRATIQUES ET EGALITAIRES DES PO-
PULATIONS URBAINES. — DEVELOPPEMENT DE CES
TENDANCES. — CAUSES DE LA REVOLUTION DE 1356.
Lorsque, il y a cinq siecles passes, les
bourgeois du centre et du nord de Tancienne
France enlreprirent de donner a la nation la
direction de ses propres affaires, les circons-
tances elaient critiques. La royaute et la no-
blesse \enaient de perdre la bataille de Poi-
tiers, une moitie de la France etait conquise
et Fautre menacee par TAnglais. Mais les
bourgeois etaient prepares a la tache difficile
qu'ils abordaient. Le desastre de Poitiers
— lo-
ne fit qu'accelerer un mouvernent donl Tori-
gine remonlaila un temps deja eloigne, el
donner aux populations urbaines Foccasion
de prendre immediatement) dans TEtat, une
place a laquelle elles aspiraient depuis long-
temps.
— 11 —
§r.
Solidement consliluees des la periode
gallo-romaine, les cites de quelque impor-
tance avaient , irialgre Tinvasion, conserve
leur antique organisation. Quelqqes-unes
d'entre elles avaient meme, a la faveur du
desordre general, reussi a s'assnrer une inde-
pendance plus large que celle dont dies
jouissaient originairement. Les affaires miini-
cipales avaient continue a etre administrees
par des magistrals constilues en un corps
analogue a la curie romaine , se recrutant ha-
biluellement dans les grandes families locales.
En beaucoiip de villes, toutefois, lecaractere
arislocratique et heredilaire de Tancienne
curie avait subi des modifications profondes.
Dans les cites episcopales , Teveque etait de-
venu le principal magistral. II etait elu par
les habitants de la ville episcopale, unis au
— 12 —
clerge dii diocese et auxeveques des sieges les
plus voisins. Si Teleclion etait due quelque-
fois, pour employer Texpression des ecri-
vains ecclesiasliques , a Tinspiralion du
Saint-Esprit , il arrivait souvent aussi qu'elle
etait Toccasion et Fobjet de luttes Ires-vives
oil les inlerels temporels tenaient une fori
grande place. On discutait publiquetnent
les diverses candidatures, la personne, le
caraclere des concurrents et Tinfluence que
pourrait avoir Teleclion de lei ou tel sur Ta-
venir de la ville , les embarras ou les avan-
lages que tel cboix pourrait entrainer, les
ennemis qu'un candidal ecarte pourrait siis-
citer h la ville , les allies ou les protecteurs
que Telu lui pourrait assurer. Le vote venait
ensuite. Sans doute il n'elait pas individuel,
Telection avail lieu le plus souvent par ac-
clamation. Mais, pour ne point s'exercer di-
rectement, le droit reconnu a cliaque babi-
tant de la ville episcopale de cooperer au
cboix de Teveque, c'est-a-dire du principal
— fa-
de ses magistrals, n'ea etail pas moins ef-
feclif.
C'elail une tradition, chez les citoyens
des vieilles cites, de se reunir sur les places
publiques , de s'y entretenir de leurs interels
prives et des interets plus generaux de leurs
communautes. Ces asseniblees avaient ele
quelquefois interdites. L'liabitude avail ele
plus forte que la proliibition et avail per-
sisle. Dans ces reunions etaienl affirmees des
tendances, emises des idees,' prises des reso-
lutions qui, sans etre obligaloires pour les
magistrals locaux , pesaient cependant d'un
grand poids sur la direction que ces ma-
gistrals donnaient aux affaires publiques , et
assuraient a la masse des citoyens une action
des plus serieuse sur la politique de leurs
chefs. Conservees surtoul dans les villes du
midi de la France, ces traditions survecu-
rent en beaucoup d'endroils, au nord meme
de la Loire, a retablissemenl feodal. Si
Teveque devint, de magistral populaire Telu
— 14 —
du cliapilre ou dii roi et le suzerain de ses
diocesains, si les attributions du corps muni-
cipal s'amoindrirentsingulierementel furent
confiees a des magistrats n'emananl pas de
Telection , du moins est-il certain que nulle
part la vie municipale ne disparut a ce point
que les habitants des vieilles cites gallo-ro-
maines eussent perdu le souvenir de leurs li-
bertes anciennes et Tespoir de les reconque-
rir. Les villes populeuses, Paris notamment ,
durenl au nombre et a Tenergie de leurs ha-
bitants , a leur richesse meme, que rois et
hauts barons aimerent mieux exploiter que
larir d'un coup , de conserver leur organisa-
tion ancienne et leur ihdependance relative.
Epargnees d'abord par calcul, elles furent plus
tard menagees par habitude et par necessile.
Ce fut au courant du xi* siecle que les .
libertes municipales eurent a subir, de la
part de la feodalite, Fattaque la plus dange-
reuse. Mais a ce moment les villes avaient
acquis une importance et une force nou-
— - 15 ^
velles. Si rude, si grossiere que fut la socieTe
feodale, si resireinls que fussent les besoids
deis l^arons dans leurs clialeaux ou des serfs
dans leurs hulles, il elait bien des objets ne-
cesisaires a la \'ie que le chateau ou la liulle
ne pouvaient produire et qu'il fallait deman-
derau dehors. Le pays ne pouvait se passer
absolument de commerce et d'industrie, il
lui fallait des marches, des fabriques. Dans
les villes seulement, le commerce et Tin-
dustrie pouvaient trouver la securite ne-
cessaire a leur developpement. Marchands
et maitres ouvriers s'y presserent en grand
nombre et unirent leurs efforts pour se li-
vrer utilement a leurs affaires et a leurs tra-
vaux. lis s'accoutumerent a discuter ensemble
les mesures a prendre dans Tinteret de tous.
Dans bien des cas Taction collective elait
difficile ; ils prirent peu a peu Thabitude de
charger les plus capables d'entre eux d'exe-
cuter les resolutions arretees en commun.
Entoures d'employes, d'ouvriers, d'apprentis
— 16 —
plies a Tobeissance, ils disposerent bientot
d'une force considerable et lorsque, dans la
deuxieme moilie du xi* siecle , la feodalile
tenia un dernier effort pour arraclier aux
villes ce qui leur restait de liberies munici-
pales, les populations urbaines surent, npn-
seulement defendre ces liberies, mais purenl,
en beaucoup de lieux, en elargir le cercle.
Quelques-unes d'enlre elles a force d'ener-
gie arriverent meme a conquerir une auto-
nomic a peu pres complete. D'autres furent
assez riches pour acheler leur affranchisse-
ment a leurs seigneurs ou assez lieureiises
pour Toblenir sans luttes , de la generosile ou
plus souvent des calculs interesses de leurs
anciens maitres.
Ce fut la revolution communale.
La revolution communale amena Teta-
blissement en France de quanlite de pelites
republiques auxquelles les chartes de com-
munes servaient de constitutions. Ces chartes,
— 17 —
speciales a chaque ville , obtenues ou conct-
dees a des epoques et dans des circonstan-
ces qui difleraient pour chaque cite , n'e-
taient point libellees d'une facon uniforme.
Les droits concedes a une commune par la
charte d'erection etaient expressement refuses
a une autre par son titre constitutif. Mais, si
divers que fussent Torganisalion des com-
munes, la date de leur constitution et les droits
respectifs de leurs habitants , il etait certains
points sur lesquels toutes les chartes concor-
daient ou peu s'en faut. On pent les resumer
ainsi : dans les rapports de la ville avec le
seigneur dans la mouvance duquel elle se
trouvait, substitution au bon plaisir de celui-
ci de conventions precises determinant les
droits et les obligations respectives de cha-
cun ; suppression de toutes exactions et de
toute taxe arbitraire; fixation des circons-
tances dans lesquelles un impot serait dii
par la commune et de la quolite de cet impot ;
administration et gouvernement de la com-
— 18 —
mune par elle-meme et sans inlervehlion
d'aucune aulorite exlerienre.
Nombreuses fiirent les communes , surloiit
au nord de la Loire.
Larovaule, en favorisa Telablissement
dans les domaines des grands feudalaires con-
Ire lesquels elle luttait. Elle n'en voulut point
chez elle, el, sans essayer de relirer aux bour-
geois Fadminislration de leurs inlerels pu-
rement locaiix depburvus de caraclere poli-
tique, reprima avec energie tons les eflTorls
fails par les villes de son obeissance direcle
pour se consliluer en commune. Maisilar-
riva qu'agrandissanl son domaine, elle Irouva
dans les provinces (Ju'elle s'annexait des
communes deja elablies. Ellenepouvail, sans
s'exposer a de lerribles lulles el a de grands
dangers, violer les diaries communales, de-
puis bien des annees en \igueur et anx-
quelles les populations elaient profondemenl
altacliees. Elle diit respecter les immunites de
ses nouvelles sujelles, et se resigner, eri ses
— 19 —
jours de besoin, a demander a celles-ci, an
lieu de leur imposersa Yolonle souveraine,
un concoiirs quelquefois refuse.
II lui fallut aussiy daas les villes qui n'a-
vaietit pu se consliliier en communes, don-
ner, dansunecertaine mesure au moins, satis-
faction aux aspirations mal contenues des po-
pulations. Le nombre et Timportance des cor-
porations d'ouvriers el de marchands elaient
devenus chaque jour plus considerables. Tels
elaient les avantages assures par ces corpo-
rations a leurs membres, qu'en beaucoup
d'endroits, les habitants qui n'exercaient au-
cune industrie ou agcun commerce, avaient
pris riiabitude de se faire afTiIier a quel-
ques-unes d'entre elles. Les individus appar-
tenant a la meme corporation habitaient or-
dipairement les uns a cote des autres. Peu
a peu les chefs des corporations devinrent,
pap la force des choses, les principaux de
leurs quartiers. Reunis, ils representerent la
\ille tout entiere , du moins Felement Ye-
— 20 —
ritablemenl vivace et energique de celle-ci ,
et consliliiereat a cole des officiers rovaiix ,
line sorte de magistrature respectee par les
populations et aveuglement obeie. Ainsi or-
ganisees, les villes royales disposaient d'une
force avec laquelle il fallait compter.
Pour eviter des soulevements dont Tissue
pouvait elre douleuse, laroyaule, sans accor-
der aux bourgeois de son doniaine Tinde-
pendance communale et les droits politiques
qui en etaient le corollaire , consentit a fixer,
une fois pour toutes , les circonstances dans
lesquelles elle pourrait reclamer a ses bonnes
villes le paiement d'un impot , Timportance
de cet impot, et laissa aux bourgeois le soin
d'en reparlir enlre eux le montant. Des
chartes conslalerent cet accord : il y fut
expressement> 6xpHque que les repartiteurs
de Timpot a payer au roi seraient elus par
les habitants, au regard desquels ils demeure-
raient responsables du bon accomplissement
de* leur mission, et auxquels ils devraient
— 21 —
rendre compter Ainsi, dans les cites inemes
oil une commune n'avait pu s'elablir, la vie
publique avait peneire moins large, sans
doule J mais non moins energique ou moins
vivace. Peut-elre y avail-il dans les villes
royales moins dc libertes que dans les villes
de commune, mais il y avait autant, sinon
plus, d'egalile. La royaute avait reconnu a
tons ses sujels des villes , aux plus pelils
comme aux plus grands, le droit de s'occu-
per, non sans doule de loules les affaires
qui pouvaient les inleresser, du moins de
celle qui d'habitude louche de plus pres les
populations : Timpol.
Bienlot se produisit dans les communes,
au profit des individus , une revolution ana -
v.
logue a celle qui , quelque cent ans plus lot ,
s'elait produite dans TElat au profit des com-
' munes. Revolution singulierement grave, et
dont le pays devait, pendant trois siecles,
subir le conlre-coup.
^ 22 —
Beaucoup de communes avaient, lors de
lenr conslitulion, adopte on conserve sans
grandes modifications la vieille organisation
des municipaliles romaines. C'est-a-dire
dans la plupart des cas une sorte de corps
ou conseil municipal compose de bourgeois
appartenant aux principales families du
pays, et n'emanant pas de Feleclion popu-
laire. Les membres de ce conseil se recru-
taient eux-memes en certaines villes, se suc-
cedaient de pere en fds en certaines autres«
Quelquefois ilsetaient charges d'elirele maire
et les echevins et de recevoir leurs comptes.
Ailleurs ils avaient mission de controler Tad-
ministration des magistrals elus par lepeuple,
et, le cas eclieant, d'arreter Texecution des
ordres donnes par ceux-ci. Les membres de
ces conseils constituaient ainsi, par rapport
aux autres communiers, une sorte de classe
privilegiee jouissant de droits plus etendus
que la masse de leurs concitoyens.
En d'autres cites, le droit electoral avait ete
— 23 —
eonfje a tous les membres de la commune
au jour de la conslitution de celle-ci, et n'a-
\ait point ele etenduaux personnes qui, pos-
lerieurement a celte epoque, elaient \enues
s'y etablir. Une categoric parliculiere de
bourgeois y disposait done des fonctions mu-
nicipales, et les aflfaires de tous y etaient ad-
ininistrees par les elus de quelques-uns.
Dans nombre d'aulres villes oii de droit
loutes les magistratures etaient electives , Te-
leclion n'elait pas serieuse et quelques famil-
ies puissantes s'etaient assure le monopole
des charges publiques.
Tout d'abord cette organisation des com-
munes n'avait donne lieu a aucune critique,
Les bourgeois qui composaient les corps mu-
nicipaux avaient touspris part a la revolution
communale , s'y etaient fait remarquer par
leur capacite ou leur energie. S'ils etaient
les premiers de la cite , ils avaient prouve
qu'ils meritaient de Telre. Les fonctions qu'ils
iremplissaient etaient la recompense de ser-
— 24 —
vices rendus a leurs conciloyens. Le peuple a
la tele duquel ils etaient places ne murmiirait
point conlre une elevation dont il connais-
sait et appreciait les causes.
Les communes avaient ete presque toutes
a Torigine mediocrement peuplees. Tous les
communiers se rattachaient aux grandes fa-
milies dont les chefs exercaient lesprincipaes
magistratures, par les liens de la parenle ou
de Talliance , fort etroits en ces temps-la.
Fiers d'avoirTun des leurs aux premiers rangs
dans la cite, ils avaient accepte, sans trop
de mecontentement , un regime qui, a defaut
d'imporlance personnelle donnait satisfaction
a leur amour-propre de race.
Les premiers municipaux se montrerent
d'ailleurs dignes de leurs fonctions, et admi-
nislrerent les inlerets communs avec intelli-
gence etdesinteressement. Mais avec le temps
vint Tabus. Les charges, se perpetuant dans
les memes families, avaient passe des mains
d'hommes probes et capables en des mains
— 25 —
moins habiles et moins pures. La commune
etait devenue comme un palrimoine que
quelques privilegies se Iransmellaient les
uns aux aulres. Dans cliaque\ille s'elait cons-
liluee une sorle d'oligarchie, dont les mem-
bres consideraient les affaires communales
comme leurs propres affaires , pretendaient
les administrer a leur guise , sans rendre
compte au reste de leurs concitoyens et sans
s'inquieler des sentiments ni des opinions de
ceux-ci.
Ces abus alteignirent leur plus grand de-
veloppement au moment meme oii s'efTacait
dans Tesprit des populations le souvenir des
services rendus aux communes par les chefs
des grandes families^ et oil les villes , depuis
quelque temps deja en possession de leurs
franchises , croyaient n'avoir plus a redou-
ter qu'aucun pouvoir les leur arrachat. lis
donnerent lieu a des protestations (jui devin-
rent plus vives a mesure que grandit la popu-
lation des communes^ qu'a cote du petit noyau
— 26 —
des anciens conmiuniers vinrent se grouper
de nouveaux habitants , et qu'augmenta par
consequent le nombre des ciloyens qui ne pou-
vaient parvenir aux fonclions municipales ou
prendre part a Teleclion des magislrals. Ces
gens se fatiguerent bient6t de supporter toutes
les charges d'une association dont d'aulres
pretendaient se reserver tous les benefices. lis
refuserent d'acquitter les taxes municipales
sans elre assures que le produit de ces taxes
serjfit aflfecte aux services qui interessaient
tous les contribuables. lis demanderent que
les magislrats fussent elus par tous les habi-
tants de la commune , et rendissent comple
de leur gestion au peuple ou a des delegues
du peuple, au lieu de le rendre a quelques
parents ou a quelques amis dont le conlr61e
ne pouvait etre serieux. lis pretendirent que
tous les citoyens de la meme ville , soumis
aux memes obligations devaient etre aussi
investis des memes droits.
Les privilegies defendirent les abus dont ils
— 27 —
profilaient avec autant d'energie que leurs
adversaires les altaquerent. Us \oulurent
conserver le inonopole des magislralures.
Les communes se diviserent en deux parlis
luttant avec acharnement Tun con Ire Tautre,
et se disputant le gouvernement des aflaires
locales.
Bien peu de villes ecliapperent a ces de-
sordre^, qui prirent rapidement un caractere
violent, et degenererent en veritables guerres
civiles. Tel fut I'aveuglement que jeterent
ces luttes dans Tesprit des populations, que
les bourgeois privilegies , pour en finir avec
les pretentions des petites gens , les petites
gens pour v^incre la resistance des bourgeois,
recoururent a la royaute.
Celle-ci profita liabilenient de ces querelles.
Pendant de longues annees sa politique con-
sista a attiser les haines du peuple contre la
bourgeoisie , a preter son appui aux uns et
aux autres des adversaires , faisant de temps
a autre pendre quelques mallieureux pris
— 28 —
successiveinent dans les divers partis^ el a
chaque intervenlion , arrachant aux villes
quelques-unes de leurs primilives franchises.
EUe se montra cependanl plus favorable an
parli populaire qu'aiix \ieilles families com-
munales dont elle redoutait Fesprit indepen-
dant. Elle sentait qu'il y avail, enlre la
ntionarcbie absolue et la demagogie, des liens
et line affinile puissanle.
Avec Taide de la royaule, les pelites gens
reussirenla faire triompber leurs pretentions.
Dans beaucoup d'anciennes communes les
anciens corps rounicipaux, qui avaient si fort
excite les antipathies du peuple, furent sup-
primes et remplaces par des magistrals nom-
mes par le roi. Mais aussi droit fut confere a
tons les habitants de choisir eux-memes
un 9ertain nombre de citoyens auxquels
mission etait donnee de repartir rimp6t entre
les contribuables, de le percevoir et de Taf-
fecter aux depenses d'interet commun. Ces
elus devaient rendre compte deleur mandat
— 29 —
au peuple. En d'aulres lieux, sans supprimer
les \ieilles municipaliles , la royaule , crea
un certain nombre de magistrals nouveaux ,
charges plus specialement de la direction
des finances de la ville, et designes direcle-
ment par Tassemblee generale des bour-
geois*. Ailleurs elle se borna a soumettre le
* Ainsi a Laon , ancienne ville de commune, tous les magis-
trats etaient electifs, mais quelques families bourgeoises
avaient reussi a accaparer les fonctions municipales. Une lutte
tres-vive s'etait engagee entre ces families et le peuple. La
royaute etait intervenue et avail substitue aux antiques eche-
vins electifs des magistrats nommes par elle ; mais elle avait
attribue a six citoyens elus par Tuniversalite des habitants
le soin de lever et d'employer, sous le controle populaire, les
sommes dont la ville de Laon « pouvait avoir besoin pour
la conservation de ses droits » .
A Reims , a la suite d'emeutes sanglantes , a cote des pri-
mitifs magistrats de la ville, accuses par la populace de trahir
les interets publics, la royaute etablit six conseillers elus par
le peuple en assemblee generale et charges de controler les
actes de I'ancien corps municipal.
A Rouen, la charte communale, octroyee vers I'an iioo,
restreignait singulierement le droit electoral des simples
bourgeois. Ceux-ci choisissaient seulement leurs quartenicrs.
Le maire, les echevins etaient elus par les pair?. Ces pairs,
2.
— 30 —
jnaire et les echevins, responsables orjgi-
nairement de leurs agissenients au re-
gard du corps municipal seul, au conlrole
au n&mbre de cent, n'etaient point nomm^s par la commune,
lis se recrutaient eux-memes, designant, en cas de vacance^
le bourgeois qui la devait combler, et jouissaient, parait-il,
d'assez grands privileges, Le menu peuple avail reproche
au corps municipal d'abandonner les franchises de la ville ,
de dissiper les sommcs que, sous pretexte d'impot, il for^ait
les pauvres. gens a acquitter. Appele tout a la fois par la
haute bourgeoisie qui s'eiTrayait des pretentions du bas peuple,
et parle bas peuple qui, avanl toutes choses et a tout
prix, pretendait arracher aux bourgeois leurs privileges , la
couronne s'attribua provisoiremcnt le choix du maire et dcs
echevins.
£n i3i4 la commune fut retablie; mais bientot de nou-
veaux troubles s'eleverent. La royaute, pour y mettre fin,
intervint une seconde fois. I^a vieille charte de commune fut
reformee aux applaudissementd de la multitude. Les pairs
durenl etre a I'avenir, comme les quarteniers, ^liis par
le suffrage de la commune, le mairc, etre choisi par les quar-
tenicrs auxquels fu rent adjoin ts des notables. Enfin, la charte
de reforme reconnut au peuple le droit d'examiner « Petat
au vrai de la Tille » de son administration et de ses fi*
nances. Les magistrats devaient remplir leurs fonctions sous
le controle incessant de la population entiere.
Les choses se passerent dans la plupart des villes de com-
mune comme a Tiaon, a Rouen ou a Reims.
— 31 —
comme a releclion de leurs conciloyens.
Apres deux siecles de lulle, les grandeis fa-
milies bourgeoises dont les a'ieux avaient
accompli la revolution communale avaient
perdu leur ancienne preponderance. Une
sorle d'egalile s'etait etablie entre tous les
habitants d'une meme cile.
Les communiers avaient paye cette reforme
de la perte d'une grande partie de leur inde-
pendanceety avaient trouve peu d'a vantages
directs. Si le menu peuple pouvait dorena-
vant elire des magistrats dont le choix ne lui
avait pas appartenu jusque-la^ on remarqua
que les votes des assemblees generales d'ha-
bitants se portaient presque toujours sur les
creatures du roi ou de ses agents dans lepays,
et que les elus etaient bien plutot les liommes
du souverain que ceux de leurs concitoyens.
L'election au suffrage universel de quelques
ofllciers sans pou voir avait donne aux aspira-
tions populaires une apparente satisfaction ;
elle avait fourni a la royaute , en assurant le
— 32 —
Iriomphe de ses candidats, le inoyen de din-
ger a son gre les aflaires municipales.
Le premier resultat de la liitte des pelites
gens con Ire les bourgeois avait done ele de
rnetlre les anciennes communes dans la meme
position politique que les \illes royales. Au
commencement du xiv* siecle les droits des
unes et des autres etaient a peu presegaux.
Si defavorable a la cause de la liberte que
paraisse ce resultat au premier abordy la re-
forme communale devait cependant porter
d'excellents fruits. Elle avait, en associant plus
intimement la masse entiere des populations
urbaines au maniement de quelques unes de
leurs aflaires, complete la revolution commu-
nale et developpe, au prix, il est vrai, de quel-
ques libertes precieuses, le principe meme
qui avait servi de base a cetle revolution.
Le cercle de Tactivite municipale avait
ete restreint ; mais dans ces limites plus
etroites, le nombre des citoyens appeles a y
prendre part eflective avait notablement
— 33 —
grandi. II etail universellement admis^ dans,
les ville's, et par la royaule elle-meme, que
lesaffaires municipales etaient les affaires du
plus humble artisan com me celles des plus
riches bourgeois ; que tous avaient a s'en oc-
cuper un litre egal ; que nul ne pouvait etre
oblige a payer un impotqu'il n'avait pascon-
senti lui-meme ou par mandataire ; que Tim-
pot devait etre employe aux frais pour les-
quels il avait ete \ote et qu'il appartenait
aux contribuables meme de surveiller Tem-
ploi des sommes qu'ils avaient payees ; c'est-
a-dire qu'etaient attribues a chaque citoyen,
dans la cite, les principaux d'entre les droits
que la revolution communale avait accordes
aux villes elles-memes, dans TEtat.
Les rois avaient, de loutesleurs forces et
pour miner les grandes families dont ils re-
doutaient la puissance, contribue a repandre
ces idees dans les communes. Ils ne tarderent
pas a ressenlir les consequences d'une pa-
reille politique.
— 34. —
Un jour vinlou les ressources dela royaule
ne suffirent plus a couvrir ses depenses; elle
eut besoirl d'argent. Elle voulut, pour s'en
procurer, imposer aux \illes de nouvelles
taxes. Les villes se souleverent , cliasserent
les agents charges de la perceplion, brule-
rent les roles etrefuserent absolument d'ac-
quitter des impols qui n'avaient point ele
consenlis par Tasseitiblee des contribuables.
La royaule essaya imililement de vaincrepar
la force la resislance des bourgeois, elle dut se
resigner a demander a ceux-ci , en conside-
ration des besoins de I'Elat une contribution
volontaire, et, pour oblenir cette contribu-
tion, dire a quelles necessites pressantes elle
entendait aflTecler les sommes reclaniees,
quel usage elle avait fait de ses prece-
dentes ressources. Nul ne pouvail encore, sans
— 35 —
doute, conlr61errexactiludedes affirmalions
royales ni lenir la main a I'execulion des en-
gagements pris parle souverain. Mais deja le
roi devait compter avec ses sujels des \illes
et les inilier a ux affaires deTElat; les popu-
lations urbaines s'elevant au-dessus de la
sphere des interetslocaux, commencaient a
s'occuper de la politique generale du pays.
Pour eviter de traiter a\ec chaque cite en
j3arliculier, peut-etre aussi pour entrainer
par Texemple que donneraient les \illes bien
pensantes , les villes moins bien disposees,
pour soumetlrele devouement de ses sujets
a une sorte d'emulation , la royaute prit
le parti d'appeler, en meme temps, aupres
d'elle les delegues des diflferents pays et de
s'adresser a eux coUectivement. Les deputes
des populations urbaines vinrent ainsi sieger
aux etats generaux a cote des barons et des
prelats du royaume. Tres-flattes d'etre con-
suites sur les affaires publiques ils se mon-
Irerent tout d'abord fort dociles aux volontes
— 36 —
I
royales. Mais les\illes se fatiguerent de payer
loujours; bientot elles ne considerereni plus
les elals generaux que comme Toccasion et
le pretexte de taxes nouvelles, et se montre-
rent peu disposees a y envoyer leurs depu-
les : aux convocations fort peu repondirent ,
et inoins encore consentirent a se sou-
mettre aux impots votes. La nation n'existail
pas encore. Les villes etaient independantes,
et, le plus souvent, rivales les unes des autres:
elles entendaient defendre leurs immuni-
tes aussi bien contre les empietements des
autres cites que contre ceux de la royaute.
Elles avaient refuse d'acquitter les taxes ini-
posees par celle-ci. Ce n'etait point pour se
soumettre aux impots consenlis par les bour-
geois de quelques provinces a la discretion du
roi. Ces bourgeois pouvaient engager leurs
communes^ si celles-ci le trouvaient bon et
autoriser chez eux la levee d'une aide. Mais
ils etaient sans qualite pour disposer d^autres
bourses que celles de leurs mandants directs.
— 37 —
Leurs voles quels qu'ils fussent ne pouvaient
a regard des aulres \illes produire aucun
effet.
H fut des ciles qui refuserent memo de
payer les aides consenlies par leurs propres
delegues. EUes prelendirent que les deputes
aux etats n'etaient que des simples inlerme-
diaires entre la royaule et les bourgeois;
qu'ils n'etaient investis d'aucuh droit ou
pouvoir propre, leur constituant une indivi-
dualite distincte de leurs coirimettants; qu'ils
ne pouvaient qu'une chose , exprimer les de-
sirs ou les volonles de ceux-ci. lis perdaient
leur caractere, et leurs actes etaient frap-
pes d'invalidite des lors qu'ils agissaient con-
trairement a ces volontes ou a ces desirs. Les
pouvoirs des deputes n'etaient point gene-
raux. lis n'avaient qualite pour engager
leurs cominettants que dans le cas oil ils
avaientrecu mandat expres de le faire.
Dans le cas ou les deputes outrepassaient
ce mandat, les commettants desavouaient
3
— 38 —
leurs represerilanls et ne se consideraieni
pas comme lies par les voles, Aussi arriva-
t-il souvent que les deputes declarerent n'ap-
prouver una mesure ou accorder une aide
que sous reserve de ratification iilterieure
par leurs mandants. L'aide votee par les
etals devenait ainsi Tobjet d'une discussion
nouvelle dans Tasserablee gen^rale des bour-
geois. Ou bien Encore les deputes deman^
daient du temps pour en referer a leurs conci-
toyens : transmises a ceux-ci, les propositions
et les demandes royales etaient examinees
par le « commun » qui envoyait ses instruc-
tions a ses deputes. Dans de pareilles con-
ditions il fut fort difficile a la royaute d'ar-
raclier aux etats, ainsi qu'elle Tavait espere
d'abord, des votes de complaisance ou de
surprise, ou de tirer parli de ces votes dans
les cas ou elle les obtint. Les etats generaux
devinrantainsicliaque jour dansles mains de
la royaule un instrument moinsdod^. Bien-
lot les villes s acCoutumerent a ne plus choisir
— 39 —
pour representanls que des gens voues a Te-
lude du droit, etdes marcliands rotupus aux
affaires de finances , sacliant compter el ayant
pourla pliipart, avant d arriver aux etals ge-
nera uxrempli dans leur pays les principales
cliarges niunicipales. Ces homnies se Irouve-
rent tout naturellement disposes a appliquer
aux afTaires publiques les idees d'ordre, de
conlrole, d'egalile qui, dans leurs \illes,
avaient Iriomphe avec Taide meme de la
royaute. En ecliange de Targe n t qu'on leur
demanda, ilsreclamerent des reformes, et s^
permirentde formuler surla politique gene-
rale du pays des avis qui, pour revetir la
forme d'liumbles prieres et de respectueuses
suppliques, ne laissaient pas quelquefois de
donner a la royaule de serieux ennuis.
Reunis en grand nombre aux elats gene-
raux, ils comprirent de quel interet il se-
rait pour les yilles d'adopter, dans certaines
occurrences, une politique d'ensemble, d'unir
leurs forces, pour lulter conlre les enlre-
— 40 —
prises de la royaule, Quelqne leraps a\ant la
mort de Philippe le Bel les conimunes du
Forez, de la Bourgogne, de la Champagne^
de la Picardie et de TArtois se liguerent enlre
elles poiir empecher la perception de loiites
impositions indument ordonnees. Cetle pre-
miere « alliance » n'eut qu'une duree ephe-
mere ^ mais elle laissa dans le souvenir des
populations une trace profonde. Les plus
intelligents des bourgeois se prirent a com-
prendre qu'aulre chose etait Tisolement , au-
tre chose Tindependance. Au moment oil la
branche de Valois arrivait au trone ces idees
coramencaient a se repandre dans le pays.
Les malheurs qui fondirent sur la France
en accelererent le developpement.
41 —
§ [II.
Philippe de Valois elait, parait-il, un bon
chevalier, mais c'etait le plus mauvais chef
d'Etat qui. se put rencontrer. II avail en
peu d'annees reussi a miner complelement
fa France , s'etait fait battre a Crecy par les
archers des communes anglaises, avail laisse
prendre Calais, et conquerir par Fennemi
bonne parlie du terriloire national.
II avail royalemenl gaspille Targenl de
ses sujets. Au lieu de consacrer a la defense
du pays Timpol arrache aux pauvres gens de
son royaume , il Tavait employe a donner de
belles fetes, organiser de beaux tournois,
faire de beaux cadeaux aux belles dames. II
s'etait console par de galants triomphes de
ses defaites guerrieres, sa morl avail ete
digne de sa vie. Pendanl que son malheu-
reux peuple mourail, decime par la guerre,
— 42 —
la famine^ la peste^lui s'eteignait ensa coiiche
royale, ext^nue par les plaisirs , laissant la
France amoindrie, epuisee, enlre les mains
d'un fils digne de lui succeder.
Le roi Jean que riiistoire a appele Jean le
Bon , comme elle a appele Louis XV le Bien-
aime, suivit Texemple de son pere. Aussi fut-il
bientot a bout de ressources. II recourut,
pour s'en procurer, aux moyens depuis Phi-
lippe le Bel employes par la royaule dans ses
besoin$ extremes. II falsiOa les monnaies.
Ces falsifications ne produisant pas somme
§U(lfisante poUr faire face aux folles depenses
de la cpur, il songea aux etats generaux, 11 les
<5pnvoqua le 17 octobrie i35o. Comme il ne
fallait pas, 0il indiquanttqut d'abord le motif
d^ la convocation , ef frayer les populations ; les
letlres royaux porlerent que le roi appelait
les Etats, ^( pour consulter plus facilement
les prelfiits, les dues, comtes et barons, les
bourgeois et autres personnes sages de son
royaume^ur todteSiChoses interessanl TEtat, »
— w —
Les dispositions des villes etaient fort mau-
vaises. Les edits monetaires avaient jete dans
le commerce une perturbation considerable.
II n'etait pas de marcband qui n*eut, en con-
sequence de ces edits, subi des perles impor-
tantes* Nul n'osait pkis s'engager dans une
operation commerciale a long terme, dont
i'arbit raire royal, pouvait, a son gre, modifier
les conditions. On avail calcule dans certaines
places, que cette incertitude avait diminue
de plus d'un tiers le cbifFre des affaires. En
beaucoup d'endroits a la suite de cbaque
modification dans le tilre des monnaies, les
commercants avaient forme entre eux des
reunions ou les agisscments du roi avaient
ete Tobjel de plaintes et de critiques tres-
viyes. Tons les efforts des agents royaux pour
arreter ces conciliabules avaient ete infruc-
tueux. En vain des mesures violentes avaient-
elles ete prises contre les jjujets sedilieux
qui se permettaient de protester contre les
ordres du roi > les lK)urgeois avaient continue
— 44 —
a sereuhir. Accoutumes dansleursmaisons et
dans leurs \illes a reconoiriie la plus stride
ils s'etaient demande a quel usage la royaule
employait Targenl pave chaque annee au fisc
par les pauvres gens. Dans quel gouffre Fen-
gloutissail-elle ? Que faisait-elle aussi des
sommes que lui procuraient ces mutations
de monnaies, sans cesse renouvelees? Et que
deviendraient les subsides qu*il faudrait lui
donner encore ? Les cboses, disait-on, ne se
passaient pas ainsi en Angleterre et ce pays
s'en trouvait bien.
La guerre est un atroce fleau; niais il
n'est pas en ce monde de mal absolu et d'oii
nepuisse,encerlaines occasions, sorlirquelque
bien. Au moyen age, alors que les peuples
divers etaient separes les uns dies autres par
des barrieres presque infrancbissables , qu'il
n'y avail ni routes, ni chemins, ni navigation,
et presque point de commerce international,
la guerre rapprochait les peuples plus encore
qu'elle ne les divisait. Lecbamp debataille,
— ^1.5 —
si horrible qu'il fut, etait comnie un Irait
d'union entre les nations qui s'y rencon-
traient,
[/invasion anglaise a vait repandu en France
des idees, qui n'eussent jamais, sans elle, fran-
cbi !e detroit. Apres les desastres qui avaient
pendant le regne de Philippe de Valois fondu
sur lepays, nombre de gens avaient mis en
regard, la prosperite de TAngleterre et la
niisere de la France et en avaient recherche
les causes. lis avaient , autant que cela se
pouvait alors, compare Fetat politique et so-
cial des deux pays, avaient vu la nation an-
glaise reunie en parlement, peser deja d'un
grand poids sur la direction des affaires du
pays ; remarque Tordre relalif qui regnait
dans les finances anglaises, les precautions
prises pour que les sommes donnees par les
communes fussent affeclees aux depenses
publiques, lis auraient voulu doter la France
d'une organisation et d'un ordre semblables.
lis avaient resolu de ne consentir de nou-
3
— 46 —
veaux sacrifices qu'a bon escienl, lorsque
Je roiaurait fait connaitre a Tetat au vrai du
royaume »• Aussi, lorsque vint la convoca-
tion des elats gen^raux on grand nombre
de villes prirent-elles a la lellre les lermes
de celle convocation et ne donneren-telles
a leurs depules d'autre mission que de
fournir au roi leur avis sur toutes clioses,
de reclamer des reformes, de protester
contre le tort que les mutations de monnaies
causaient au peuple , et leur inlerdirent-
elles absolument de voter aucune aide. A
peine queiques deputes appartenantaux villes
des bords de la Loire , plus direct ement son-
mises a Tinfluence royale, recurent-ils de
leurs commettants qualilepour consentir des
taxes nouvelles.
L'esprit de resistance granditencore lorsque
les etats furent reunis.
I^es bourgeois les plus devoues au roi n'o-
3erent, en presence des dispositions malvei'l-
lantes de leurs collegues, prendre sur eux
— 47 ^
d'accorder les aides redamees ; presque totls
mirentd'ailleurs a un vole favorable des con-
ditions de controle que la rovaule ne se crut
poinl encore reduile a accepter. Les etals se
separerent sans avoir rien vote. Cetait pour le
pouvoir royal un serieux ecliec, non pas seu-
lement parce que le roi n'avait pas Targent
dont il avail besoin , mais aussi a cause des
tendances que ce refus des aides accusait
chez les deputes des villes.
La royaute trouvait en face d'elle les prin-
cipes memes, dont elle avait, dans les vieilles
cites communales, contribue a assurer le
Iriomphe. Les gens des villes qui pour obli-
ger leurs magistrats municipaux a rendre
compte de Temploi des fonds dont ils avaient
le manieinent avaient soutenu de si longues
et de si terribles luttes , entendaient inainte-
nant soumettre le roi lui-meme a un con-
trole du meme genre. lis consideraient Tim-
pot verse a ux mains du souverain, comme
une sorte de fideicomniis dont la royaute
48 —
etait responsable au regard des contribuables
et qu'elle devait employer aux fins niemes
delerniinees par ceux-ci.
On pensa a la coiir, que les deputes n'a-
vaient resiste aux demandes royales que
parce que, reunis en grand nonibre, iis s'en-
courageaient les uns les autres a ne point
ceder; que les villes seraient moins recalci-
trantes si au lieu de s*adresser a elles toules
a la fois le roi s'adressait separetnent a cba-
cune d'elles. II n'en fut rien; car en de-
cembre i355, les etals generaux etaient con-
Yoques de nouveau. Presque loules les villes
repondirent a Tappel. Parmi les deputes
de Paris se trouvait le prevot des marcbands,
Etienne Marcel, destine a une si grande ce-
lebrite.
Des les premiers jours de la reunion fut ar-
retee par les etals une resolution qui donna it
la mesure de Fimportance que les populations
urbaines a\aient prises dans TElat. U fut de-
cide que les differenls ordres discuteraient en
- 49 —
cominun les propositions royales. La mesure
etait grave. Ce n'etait point seulement parce
que en appelant les bourgeois a deliberer sur
les clioses publiques avec les membres du
clerge et de la noblesse, elle semblait recon-
naitre entre les deputes des trois ordres une
sorte d'egalile sociale ,* qu'elle faisait pour
un instant 9 de quelque marchand ou de
quelque obscur legiste le « compere » des
plus hauls barons ou des plus reveres prelats
du royaume,mais parce que, deliberant avec
les bourgeois , le clerge et la noblesse ne
pouvaient refuser de payer leur part des im-
pots dont ils auraient demontre aux deputes
des villes Turgence ou Tutilite.
On ne sait qui prit Tiniliative de cette re-
solution; tout porte a croire qu*elle vint de
la royaute elle- meme. La confusion des trois
ordres, la reunion des gens du tiers a ceux
de la noblesse et du clerge, dont les disposi-
tions favorables etaient connues, avait ete
probablement inspiree aux conseillers royaux
— 50 —
par I'espoirde rendre moinsviveropposition
des bourgeois aux desirs du roi,et de paraly-
ser leurs mauvaises intentions. On avail pense
que les deputes des ordres privilegies plus
nombreux que ceux des villes reussiraient a
ira poser leurs \olonles a ceux-ci.
Si tel avail ele effectiveraent le but de celte
mesure , il ne fut point atteint. Les boOrgeois
craignanl que la reunion des trois ordres,
si contraire aux usages suivis jusque la, ne
cachal quelque piege , el redoutanl que les
ordres privilegies nes'enlendissenl trop facile-
menl avec la royaule aux depens des rotu-
riers, deraanderent qu'ilful bien enlendu,
que les deliberations des etats ne seraient
executoires que quand elles auraient ete
adoptees par les trois ordres , et qu'on ne
pourrait en aucun cas opposer a Tun le vote
des deux autres. Le clerge et la noblesse ne
pouvaient refuser de prendre en consideration
une proposition qui, enapparence au moins,
sauvegardail leur independance comuie
— 51 —
celle des bourgeois. La demande de ceiix-
ci flit accueillie. Les elals volerent une
aide de cinq millions de livres a realiser au
moyen d'uri impot de liiiit deniers par livre
sur le prix de toules marcliandises , el
d'une elevalion des droits de gabelle. Mais
les deputes des villes subordonnerent es-
senliellement leur vole a la condition que
cet ioipot frapperait lous les liabilants du
royaume , sans exceplion aucune , que roi ,
reine, princes, barons, prelals, tous y se-
raient egalement soumis.
Pour eviler que les somines voices ne fus-
sent gaspillees en depenses inuliles au lieu
de servir a rentrelien des hommes d'ar-
»
mes necessaires a la defense du pays, ils
demanderent que les receveurs et Iresoriers
entre les mains desquels seraient verses les
deniers provenant de I'aide, fussent nommes
par les elats , et qu'une commission de neuf
membres, trois de cliaque ordre, fiit elue
pour surveiller ces receveurs et Iresoriers.
— 52 —
Les coinniissaires ne pouvant remplir con-
venabtement leur mission qu'a la condition
d'etre absolument independants de Tauto-
rite royale etaient invites a desobeir aux
, ordres du roi , toutes les fois que ees ordres
seraienl en opposition avec les resolutions
des elals , et autorises a se fa ire, en cas de
besoin, preter main-forte par tous les sujets
du royaume.
Les bourgeois reclamerent aussi la faculle
pour tous les Francais de s'armer selon leur
etat; Fabolilion du droit de prise * ; autori-
sation pour les sujets de resister a main ar-
mee a ceux qui voudraient Texercer a I'ave-
nir^Ia fixation definitive du titre et de la valeur
des monnaies avec engagement par la royaute
de ne plus les modifier. Enfin ils formulerent
^ On appelait ainsi le droit que s'arrogeaient les ofBciers
royaux de prendre sans payer, partout ou passaient le roi|
la reine ou les princes de la famille royale , les divers objets
n^cessaires a ceux-ci ou aux personnes qui les accompa-
gnaient. Peu.d'exactions etaient plus onereuses aux popula-
tions et avaient donne lieu a plus d'abus.
— sa-
line requele d'une importance singuliere.
lis demanderent au roi la permission de se
reunir au mois de mars et an mois de no-
vembre suivanls : au mois de mars pour ou'ir
les comptes des receveurs et tresoriers des
aides nommes par les elats et responsables
de leur mission au regard de ceux-ci : au
mois de novembre pour voter de nouveaux
subsides , si cela elait necessaire , ce qui ne
devait pas manquer d'arriver, les etats ayant
pris le soin de n'accorder Taide que pour
un an.
Les representants du pays acqueraient
ainsi le moven d'exercer un conlrole inces-
sant sur la politique royale.
La royaule avait besoin d'argent elle ac-
ceda aux conditions que les bourgeois met-
taient a leur concours. Une ordonnance fut
publiee qui consacrait legislativement les re-
formes reclamees par eux,
C'elait une veritable revolution realisee sans
violences, sans sedition, et qui pouvait etre
— 54 —
le prelude de relabiissement en France d'un
gouvernement analogue a celui dont la grande
charte avail fonde les bases en Angleterre.
Quelque lourd que fut rimpot accorde a la
royaule, les villes n'aclielaient point trop cher
les droits nouveaux qu'elles oblenaient. Elles
ne ralifierent point cependant le vole de
leurs commeltants.
Le sens politique avail fait dan$ les popu-
lations urbiiines d'immenses progres; mais
rimportance des reformes consacrees par
Tordonnance, appreciee a sa juste valeur par
quelques esprits distingues, ecliappait a la
grande masse des artisans. Ce que ceiix-^ci
retinrent des travaux des etals ce fut la Con-
sequence direcle el immediate : une aide nou-
velle a acquitter, el surlout la maniere dont
elle devait elre levee. L'assiette de Taide
Iciir parut favoriser les classes elevees au de-
triment des petiles gens; les riches aux de-
pens des pauvres el violer des lors, qucMque
soumettanl les nobles el le clerge comme les
55
simples rqluriers au paiemenl de rimpot, le
principe de Tegalile, telle du moins que la
populace, a rinsligation royale, la comprenait
maintenant. L'impot aux yeux du peuple,
pour elre egal, ne devait pas peser plus lourde-
nient sur certaines classes d'habitants que sur
oerlaines auires. Or une taxe frappant loules
les venlesde marcbandises, non pas seulement
les objels de luxe, mais les objels de premiere
necessite, etait plus onereuse pour le pauvre
que pour le riche. L'arlisan qui gagnait pe-
ri iblement sa vie a force de travail, payant,
lorsqu'il acbetait la farine ou le sel necessaires
a son, aUmentation. le meme droit exacle-
ment que le bourgeois opulent, souffrait evi-
demmeht plus que celui-ci. Insensible a
run,le droit e la it ecrasant pour Taulre. Un
3eul impot paraissait aux peliles gens des
villes remplir les conditions d'egalile voulues.
C'elait uh impot proporlionnel aux ressources
reelles ou supposees de cbacun. Sans s'in-
c|uieler, des difficultes que pourrait presenter
— so-
la perception cl'iine pareille laxe, ni se de-
mander si elle ne laissait pas, plus qu'aucune
autre, place a des perceptions arbitraires, les
populations urbaines refuserent absolument
de se sournettre a tout iinpot qui ne serait
point elabli sur ces bases. En Picardie et en
Normandie surlout elies se montrerent intrai-
tables. Peu s'en fallut a Rouen que ie peuple
ne se porlat aux plus alroces violences contre
les deputes. A Arras une sedition terrible
eclala au moment ou les receveurs voulu-
rent percevoir Timpot. Quelques habitants
essay erent de faire remarquer au peuple que,
pour faire la guerre aux Anglais et recon-
querir les provinces occupees par eux, il fel-
lait de Targent ; que la taxe etait necessaire
et qu'il la fallait payer. On les accusa de
s'etre vendus au roi et aux ennemis du peuple.
Dix-sept d'enlre eux furent mis a mort, d au-
tres cliasses de la ville, et leurs maisons de-
truiles. Ailleurs des charivaris furent dohnes
aux deputes qui avaient vote Taide; on les
— 57 —
blama devant les asseinblees des metiers.
Get impot) que le pelit peuple des vilies
condamnait parce qu'il n*e(ait pas assez
egatilaire, elait nial vu des privilegies, parce
qu'ii Tetait Irop. Le clerge et la noblesse at-
tisaient les desordres. S'ils avaient aux der-
niers etals consenli a la reunion des Irois or-
dres, ca avail ele dans Tespoir d'imposer leurs
volonles aux bourgeois et non pour subir les
volonles de ceux-ci. lis avaient joui jusqu'a-
lors du privilege de payer, la noblesse de son
epee, le clerge de ses prieres et ils enlendaient
le maintenir. lis etaient resolus a ne point
accepter Tobligalion d'acquitler, comme de
simples manants, une taxe telle que la gabelle
ou le denier par livre* Le clerge surtout de-
ployait une violence extreme. II repandait
dans les rangs du bas peuple des vilies les
plus odieuses calomnies. II s'eflbrcait de de-
miontrer que les deputes aux elats avaient, en
meme temps que porte la main aux privileges
du clerge, sacrifie lionleusement les interels
— 58 —
tie leurs conciloyens moins favorises de la
fortune. L'opposilion a Timpdl s affirma avec
line telle energie que lorsque les etats diir^nt
s'assembler de nouveau le i" mars suivant,
l>eaucoup de villesrefuserent d'y envoyer des
deputes ou leur donnerent mandat expres de
poursuivre Tabrogation de la taxe des verites
et de la gabelle. jPour obeir aux instructions
de leurs commettants, les deputes du tiers, a
peine reunis, proposerent, tout en maintenant
Faide et en continuant d'y soumettre tous les
habitants du royaume sans exception, d'en
assurer le paiement par d'autres moyens. Aux
taxes indirectes voices a la session precedente
fut subsliluee, sous la pression de Topinion (i)
publique, un impot qui donnait, en apparency
(i) La satisfaction donnee a I'opinioD ^tait en effet plus ap-
parente que reelle, car, apres avoir consacreleprincipe meme
tie rimpot sur le revenu, les etats commirent une lourde
I'aute de logiquc. Us deciderent que ceux d«s contribuables
qui avaient moins de loo livres de revenu paieraient 5 ®/o de
ce revenu. Ceux qui avaient loo livres de rente, 4%* ^^^ux
qui avaient plus de loo livres , 4'>/o pour les premiers cent
— 59 —
du moins, salisfaclion aux aspiralions demo*
craliques des populations urbaines, un impot
sur le revenu.
Ainsi, des les premiers jours de Tan i356,
la volonle populaire avail pris en France une
livres, et 2 ®/o pour rexc^dant. Pareil tarif etaU inexpli-
cable. II n'y a, dans un tel impot, egalite reelle entre les
riches et les pauvres qu'a la conditloh que la proportion entre
I'unit^ et la fraction iqui represente la taxe soit toujours la
m^me, quel que soit le chifTre de la fortune des contribuables^
De telle sorte que celui qui a 300 paye exactement deux
fois plus que celui qui a 100, celui-ci, le double de celui
r|ui a 5o , et ainsi de suite. Des lors qu'a partir d'un certain
[^hiffre la proportion cessed^^tre la meme, Tegalite disparait,
le pauvre se trouve favorise aux depens du riche ou le riche
au detriment du pauvre. Si exception pent etre portee a
cette egalite proportionnelle , c'est pour donner a I'impot
le caractere progressif , c'est-a-dire pour soumettre tout le
revenu excedant un chiffre determine a des droits superieurs
1 ceux qui frappent les revenus moins importants. Les etats
faisaient exactement le contraire. Etabli sur les bases que
nous venons de dire , I'impot pesait d'autant moins lourde-
nent sur le contribuable que les revenus de celui-ci etaient
slus Aleves , c'est-a-dire qu'il avait , ou peu s'en faut , les
neonvenients meme de la taxe quMl rempla^ait et contre la-
luelle les villes avaient si violemment reagi. U nespuleva ce-
icndant aucune protestation.
— GO —
force presque irresistible; elie elait devenue
en quelque sorle souveraine maitresse. Des
impels etaient abolis « parce qu'il elait ap-
paru (le preambule de I'ordonnance rendue
a la suile de la session de i356 le porle en
loules letlres ) que lesdites impositions et ga-
belles n'etaient pas agreables a tons, » La
royauie avail du , devant les elats , aban-
donner quelques-unes de ses plus cheres pre-
rogatives, et, dans les elats, les deputes des
villes avaient pris la place principale : leur
importance elait devenue telle que noblesse
et clerge, bien loin de rougir de deliberer a
cote des bourgeois, avaient cherche, pour
enchainer Taction de ceux-ci, a les faire sieger
au milieu d'eux. De leur cote, les deputes du
tiers etaient demeures soumis eux-memes au
controle incessant de leurs commettants,
obliges de suivre et de respecter les idees,
les caprices menies de ceux-ci. Si bien qu'en
fait, sinon en tlieorie, la politique royale
elait subordonnee aux volontes des villes.
— 01 —
Le inouvement qui ayait donne aux bour-
geois une telle importance dans TElat avail
ete lent, mais rien n'avait pu Tarreter. Les
evenenients qui allaient suivre devaient Tac-
celerer, malheureusement ils devaient aussi ,
enTaccelerant, en compromettre le succes
defmitif. L'elan revolulionnaire , substitue
Irop tot a revolution et au developpement
regulier de Tinfluence bourgeoise, usa en
quelques jours les forces de la nation au
profit de la royaute. Mattresses du pouvoir
avant Theure, les populations urbaines le
laisserent echapper de leurs mains.
CHAPITRE II.
LA REVOLUTION POLITIQUE.
§ p.
Revolution de 1856. — Le povioir ««x Malsft des
bourufeois. — Em monarchie parleaievtolre.
Les Anglais avaient envalii le Linriousin et
le Berry et ravage ces deux provinces (i). Us se
Le roi Jean avail marie sa fille, Jeanne de France, a
Charles, roi de Navarre, de la maison d^^vreux, petit-fils,
par sa mere, de Louis le Hutin. Le roi avail promis a sa
iiUe upe dol.qu'il n'a vail jamais inlegralemenl payee. Enlre
le geudre el le beau-pere n'avail pas larde a s'ekver une
mesinlelligence du caraclere le plus grave ; le roi de Navarre
avail fail assassiner Tun des favoris de son beao-pere, le roi
Jean fail pendre les servileors les plus devoues de son gendre
qo'il avail, en avril i356, jele en prison. En France, beau-
coup de gens , parroi les bourgeois snrloul, lenaienl pour le
Navarrais. La guerre avail fiiilli eclaler enlre les partisans de
— 6k —
(lirigeaient de la vers la Normandie , quand
ils avaient rencontre Tarmee francaise a Mau-
perluis pres Poitiers (i). Le roi Jean, malgre
I'immense superiorite numerique des troupes
dont il disposait, avail, a force d'imperilie et
de presomption reussi a fournir a Tennemi
['occasion d'un triomphe inespere.
A part quelques barons qui s'etaient fait
tuer en soutenant valeureusement ['antique
prouesse de leur race, la noblesse avail fait
preuve d'autant de lachete que d'incapacite
militaire.
Le$ princes du sang avaient deserte le
champ de bataille, et pour sauver leurs pre-
cieuses existences , arrache au combat quel-
ques milliers de braves gens, qui auraient fait
leur devoir et change peut-etre la fortune
delajournee.
Le roi s'etait bien battu ; il y courait peu
celui-ci etceuxdu roi de France. Les Anglais avaient profit^
de ces discussiuns pour reprendre ia carnpagne,
(i) 19 septembre i356.
— 65 —
de risques. Mais enfin il avail combattu. 11
avail ele pris les armes a la maia. Son epee,
lorsqu'il larendil, etail laclieede sangennemi.
La France avail eu le malheur d'etre bien
des annees soumise a de mechanls princes,
elle n'avail point encore eu la honte d avoir
pour chef un lache. En i356 le pays n'elait
pas encore tombe si bas.
Mais Jean etait homme a ceder la moititi
de son royaume pour pouvoir a son gre tailter
el lyranniser Taulre.
Francaisel Anglais le savaient.
Ce fut par loiile la France un long fremis-
semenl de douleur el d'indignation lorsqu'on
apprit que 8,000 cornmuniers et barons An-
glais avaienl, en quelques heures de combat,
mis en pleine deroute 70,000 hommes d'ar-
mes, chevaliers et princes francais.
Tels etaient Tetendue et le caraclere menie
de la catastrophe qui frappail le pays que les
populations ne purent Tattribuer a la fortune
ordinaire des batailles. On murmura tout
4.
— m —
has le mot de Irahison. Onraconia que les
princes et barons, si arroganls et si fiers au
regard dii pamre peuple, avaienl fui Ou s'e-
taient rendus sans meme combaltre. On se
dit que les bourgeois et les artisans des
villes auraient fait devant Tennemi plus fiere
contenance, qu'ils n'auraient point ainsi me-
nage leur\ie, et qu'avec eux, au lieu de subir
iHie defaile bonleuse, la France aurait rem-
porte une victoire.
Le prestige qui avait jusqu'alors entoure la
noblesse aux yeux des masses populaires dis-
parut lout d'un coup; on Tavait crue brave
et on Tavait crainle ; elle etait lache, on la
meprisa.
II est des hommes et dessystemes politiques
qui sont condamnes a n'eprouver jamais
d'echec parce que le succes est leiir seule
raison d'etre. D'autres, a etre touj ours forts,
parce que le seul lilre qu'ils aient a Tobeis-
sance publique, c'est la force. Au lendemain
de Poiliers, noblesse et royauley auxquelles
— 07 -^
avaient jusqu'alors appartenu le premier rang
clans TEtat, semblerent s'evanouir lout d'un
coup pour lajsser aux bourgeois le soin de
defendre et de sauver le payis qu'elies avaient
compromis. Les bourgeois ne faillirent point
a leur tache ; ilsse^ saisirent resoUiment du
gouvernement.
Ce fut de Paris que parlit riniliative du
grand mouvement qui, pour un montient au
moins , remit^ aux mains de la nation la di-
rection de ses affaires.
La \illede Paris n'avait jamais obtenu de
charte de commune. Elle avail loujours
joui neanmoins d'une large independance.
D'abord administree par un corps muni-
cipal d'origine gallorromaine , ou Tele-
ment arislocratique occupail la plus grande
place ^ elle avail , a une epoque fort eloU
gnee, sans secousse, sans luttes, modifie
u ;, y
son ancienne organisation^ pour se cons-
— 68 —
liluer en une sorle de republique cdninier-
ciale.
Avantageusement placee sur la Seine, au
confluent de la Marne, elle etait devenue Fen-
Irepot du nord et du centre de la France.
L'industrie des transports par eau s'y etait
particulierement developpee. Les marchands
ayant bateaux sur la Seine s'etaient asso-
cies y constitues en corporations j et avaieot
obtenu, moyennant paiement d'une grosse
redevance et Tobligation de partager avec le
roi les benefices que rapportait leur associa-
tion , le privilege exclusif de la navigation
de la Seine en amont jusqu'a Melun, en
aval jusqu'a Mantes. Ce privilege avail fait
d'eux la plus puissante corporation qui fut
en France. Peu a peu leurs chefs principaux
avaient pris la place de la vieille muni-
cipalite gallo-romaine qui depuis des siecles
administrait la cite; leur prevot etait de-
venu le personnage le plus important de
la ville. A cote d'eux, d'autres corporations
— 69 —
avaienl gr^ndi, dont les cliefs^ unis au
prevot des niarcbands de Teaii, avaienl cons-
ilium line sorle de conseil auquel etait passee
bienlol, par la force meme des choses, Tad-
niinislration des interels de Paris entier,
Alors que les villes du centre et di| nord de
la France bouleversaient, avec le concours de
dela royaule, leurs conslilulionsmunicipales,
pour y donner place plus large a relemeht
democralique, Paris avail conserve inlacle
Torganisation particuliere que les circons-
lances memes lui avaienl donnee. Nulle
plainte ne s'elait elevee conlre Tadminislra*
lion du prevot et de ses assesseurs les eclie-
vins. La masse populaire, aiileurs si agilee el
si inipaliente, etait demeuree invariablement
attachee a ses magistrals. Paris avail tra-
verse sans irop grands desordres la periode
tourmenlee qui s'etend de la fin du xii* siecle
a la seconde moitie du xiv«, Ce calme rela-
lif avail eu deux causes principales rdrga?-
nisalion particuliere de la municipalile pa-
— 70 —
rfeienne el la rare intelligence des magistrals
qqi Tavaient dirigeeA
L'organisalion miinicipale de Paris avail
pour base, d'abord les corporations et les
confreries, ensuite les assemblees de quarlier.
Aux corporations proprement dites etaient
affilies tons ceux qui, a Paris, s'occupaient
d'operations commierciales et industrielles :
et, c'eta^it le plus grand nonibre. Beaucoup
d'individus parmi ceux qui n'exercaient ni
commerce pi industrie y etaient egalemeni
agreges,
. Les aulres faisaient partie de ce qu'on aip-
pelait les confreries. Ces confreries, fort anr
ciennes pour la plupart, admettaient dans
leurs rarigs les plus humbles des habilatits
comme les plus ricjies. Leurs membtes etaient
unis sans distinction de condition sociale par
les liens les plus etroits. Les dignitaires de
ces confreries etaient eleclifs comme la. plu-
part des chefs des corporations.
- La ville etait trpp grande po^r qu'U y ejCU
— 71 -^
souvent a Paris , ainsi que cela se praliquait
ailleurs, des assemblees generates de tous
les habitants. Les Parisiens se reunissaieiit
liabituellement par quarliers pour discuter
leursinterelscommuns. Chacun avait le droit
de prendre la parole, d'exprimerses opinions
avec line liberie enliere, sans autre limite a
cette liberie que les convenances des audi-
leurs. Tous ceux qui assislaient a ces reunions
etaient voisins , se connaissaient bien les uns
les autres , s'appreciaient a leur juste valeur.
Aussi les reunions elaient-elles habiluelle-
ment calmes. Les gens intelligents et hono-
rables y exercaient une salutaire influence.
Pour president les habitants du quartier
choisissaientTun desleurs, homme important
d'ordinaire, distingue par ses talents et par
ses vertus, et quicommandait en menie temps
les milices bourgeoises,
Parmi les plus anciens de ces chefs de
quartier, ceux des corporations et des con-
freries, etaient pris les 24 prud'hommes qui^
ayec If^ clerc de la marcliandise , les echevins
et le prevot des tnarcliands, composaienl la
muiiicipalite parisienne.
C'elaient eux qui arrelaienl et presentaienl
la lisle de trois Candida Is sur laqiielle le
corps de \ille devait choisir le prev6t.
Celui-ci n'elait done pas Telu de la po-
pulation entiere^ mais il n'elait pas non plus
Telu d'une pelile oligarchie de privilegies.
Chacun des personnages qui concourail a
Teleclion du premier magislrat de la \ille,
etait lui-meme le representant elu de Tune
des categories de ciloyens dont la reunion
constituait Tagglonieralion parisienne. Le
prevot, etait ainsi le produit d'une sorle
d'eleclion a deux degres.
De la etait venue sa force. . .
L'application du principe democralique dc
Teleclion direcle aux magistralnres d'un
ordre eleve n'est point sans presenler de
graves inconvenients. Si le vote populaire
ecarte quelquefois des grandes fohctions les
— 73 —
incapacites que Theredite ou le privilege
pourraient y amener, elle ecarle aussi , le
plus souvent, les gens de haute \aleur. La
faveur populaire ne va pas toujours a qui en
est le plus digne, mais a qui sait mieux
tirer parti des passions abjectes qui agitent
d'ordinaire les bas-fonds des villes. La demo-
era tie , c'est a la fois son defaut et la prin-
cipale de ses qualites, est tracassiere et ja-
louse. Elle se defie de quiconque depasse le
niveau commun^ elle est, avant tout, le re-
gime des mediocrites. Leprev6t, issu d'une
election a deux degres, etait un magistratassez
populaire pour n'avoir point, comme les
chefs des petites oligarchies municipales, a
lulter contre le mauvais vouloir des ci*
toyens ecarles du vote. Mais, en meme
temps , il etait assez independant du petit
peuple pour ne pas s'inquieter, avant
: tout, de lui plaire et n'elre point oblige
de subordonner ses agissements a I'appro-
bation immediate de gens qui ne pou-
5
— Ik —
vaient pas toujours en apprecier la porlee.
A cetle organisation Paris dut d'avoir,
pendant de longues annees, des magis-
trats d'une superiorite incontestable sur
leurs coUegues des provinces. Alors que,
dans les autres bonnes villes, Telection
directe par le peuple, ou le choix royal,
ecartait des hautes fonctions municipales
les esprils distingues , les afTaires parisiennes
furent, presque sans interruption, diri-
gees par des hommes fort capables. Ce fut
rhonneur de quelques grandes families bour-
geoises de fournir a la ville la plupart de ses
prevots et de ses echevins. Dans ces families
se conservaient intactes les vieilles tra-
ditions municipales* Les jeunes gens y re-
cevaient une education qui les mettait en
mesure de remplir avec aisance et dignite
les charges eminentes auxquelles ils pouvaient
prelendre.
A la difference de la plupaft des oligar^
chies communales^ Taristocratie parisienne
— 75 —
sut gouverner le peiiple de Paris sans blesser
aucune des susceplibililes de ses conciloyens
plus humLles. Elle n'avait jamais impose ses
volonles au petit peiiple; elle avail, au con-
Iraire, subordonne, et a\ec le plus grand soin,
sa conduite aux aspirations de Fopinion pu-
blique et reussi, de cette facon, a s'assurer les
sympathies de tous. La tranquillite, qui avait
regne a Paris , avait retire a la royaule tout
pretexle d'intervention. Paris avait conserve
loutes ses franchises. C'elait, a la fin du
moyen age, la cite de France la moins demo-
cratique , mais aussi la plus libre , la mieux
ordonnee, la plus puissante. Ses magistrats
jouissaient , dans toute le royaume , d'un
grand renom d'inlelligence et d'integrile ; ils
disposaient a la fois d'une force materielle et
d'une influence morale considerables. Quel-
que independantes que les villes fussent ou
pretendissent etre les unes des autres , Texem-
ple de la capitale devait peser d'un grand
poids sur la conduite de ses soeurs de province*
— 76 —
Paris ne failiit pas a son role.
Le prevot des marchands, alors en fonc-
lions J etait iin bomrne du plus haut merite ,
6lienne Marcel. Elienne Marcel appartenait
a line vieille famille bourgeoise; ses ancetres
avaient rempli les plus bautes magistratures
municipales. Quant a lui, mele depuis longues
annees a la politique , il passait pour Tun des
administrateurs les plus babiles qui eus-
sent jamais rempli les difficiles fonctions de
prevot des marcbands: Depute de Paris aux
elats generaux de 1 355, il s'y elait fait remar-
quer entre tous. Les deputes des bonnes villes
Tavaient cboisi pour orateur. Il avaitete Tun
des principaux proraoteurs des reformes re-
clamees par les etats dans leur derniere
session. Quelques-uns des ^cbevins avaient
egalement siege aux etats generaux; ils
etaient en pleine communion d*idees avec
leur cbef.
A la premiere nouvelle du desastre de
Poitiers , Marcel fit meltre Paris en etat de
— 77 —
defense , les faubourgs furenl rases , une nou-
\elle enceinte conslruile, le peuple appele
aux armes. Les milices bourgeoises se consli-
luerent avec une grande rapidite et elurent
leurs officiers.
Bienl6t plus de 20,000 hommes furent
armes et organises ; des taxes nouvelles vo-
tees par le corps municipal , pour faire face
aux depenses, et acceptees sans difticultes
par la population parisienne.
Lorsque le due de Normandie, fils aine du
roi, et Tun des fugitifs de Poitiers , arriva a
Paris , il trouva la ville prele a faire face a
Tennemi. Le dauphin etait a la merci des
magistrats parisiens, oblige de se soumettre
a leurs conseils et a leur direction. Marcel
et ses coUegues ne s'imaginerent point qu'il
leur flit permis de profiler de la faiblesse
du representant de Tautorite royale, pour
entreprendre eux-memes , en son nom , les
reformes politiquesqu'ils projetaient. lis ne
pensaient point encore que les elus de la po-
— 78 —
pulation parisienne eussent le droit d^iinposer
leur volonte aux bourgeois des autres villes.
lis faisaient a ceux-ci riionneur de croire que
pareille usurpation serait energiquement com-
battue. lis se contenterent de demander
au due de Norrnandie la convocation imme-
diate des etats generaux.
Ces elats se reunirent le i3 octobre. Uy
\int peu de nobles, et, parmi eux, aucun qui
eut quelque importance politique
Petit fut le nombre des deputes du clerge,
considerable, au contraire, celui des deputes
des villes. Les populations urbaines avaient
compris qu'apres le desastre qui venait de
frapper la France, il fallait qu'elles s*enten-
dissent enlre elles, qu'elles combinassent
leurs efforts pour assurer la defense com-
mune. Elles avaient compris qu*au-dessus
des interets locaux qui avaient ete jusqu'alors
leur preoccupation principale, il y avait
les interets du pays tout entier. Le desastre
de Poitiers , de tous les elements epars qui
j usque-la avaient forme le royaume de France,
venait de faire la nation.
Parmi les deputes des villes, et pour la
premiere fois peut-etre depuis que les bour-
geois siegeaient aux etats generaux,beaucoup
exercaient dans leur pays des etats assez
humbles. II y avait des cabaretiers^ des tisse-
rands, bon nombre de petits marchands. li
semblait que les populations urbaines se de-
fiassent deja non-seulement de la royaute et
de la noblesse, mais aussi de ceux des siens
que la richesse ou Timportance personnelle
semblaient rdpprocher des classes privilegiees.
Toutefois la majorite des deputes se compo-
sait encore de gros bourgeois. Si les vieilles
families municipales n'ayaient plus seules
riionneur de sieger aux etats , du moins la po-
pulace n'avait-elle pas encore de represen-
tants. On comptait aux etats des legistes et des
membres du corps enseignant, des profes-
— 80 —
seurs de theologie ou de droit. Quelques-uns
avaient deja fait partie des etats pendant les
dernieres sessions. Le role qu'avait joue
Marcel dans Tassemblee de Tannee prece-
dente, la situation qu'il occupait a Paris, la
faveur dont il jouissait dans le peuple , Te-
nergique impulsion qu'il avait donnee aux
mesures de defense nationale faisaient du
prevot des uiarchands riiomme le plus im-
portant du moment et lui assuraient dans les
etats une influence preponderante. Sur son
initiatives, une commission de quatre-vingts
membres fut chargee par les etats de
preparer le travail de Tassemblee. Cette
commission fut composee avec le plus grand
soin. Le tiers y envoy a Teiile de ses deputes,
Marcel , deux echevins de Paris , Robert de
Corbie , d'Amiens. Les bourgeois trouverent
dans la plupart des commissaires du clerge
un concours precieux. Ces commissaires,
a part quelques hauts dignitaires, etaient
lous d'extraction roturiere; c'etaient des doc-
— 81 —
leurs de Sorbonrie, des membres de TUni-
versile. Le plus eminent des representanls
du clerge, Teveque de Laon, Robert Lecoq,
sortait lui-meme d'une famille bourgeoise.
Cetait Tami de Marcel ; il partageait la plu-
partdes opinions de celui-ci, et dans les com-
plications qui suivirenty ne lui marchanda
point son alliance. Les commissaires de la
noblesse, mandatairesd'unordre quesa con-
duite a Poitiers avait deshonore aux yeux de
la nation, incapables d*ailleurs de s'occuper
desafTairespubliques, ne penserent meme pas
a lutter contre Tascendant pris par les depu-
tes de la bourgeoisie. Ceux-ci inspirerent
seuls le travail de la commission. Ce travail,
soumis aux etats, fut ratifle par eux sans
difficulte.
Les etats accordaient au dauphin aide suf-
fisante pour soudoyer 3o,ooo liommes d'ar-
raes. L'imp6t necessaire a Tentretien de ces
hommes d'armes devait etre supporte par
lous les sujets du roi sans exception. II frap-
5.
— 82 —
pait egalement les villes, le clerge et la no-
blesse et afTectait la forme d'un imp6t sur le
revenii , sanf dans le plat pays oil chaque cen-
taine de feiix devait entretenir un homme
d armes. Mais cette aide n'etaitaccordeequ a
certaines conditions. Les etats reclamaient la
mise en liberie dn roide Navarre, qncore em-
prisonne, et Texpulsion immediate des offi-
ciers qui entouraient et conseillaient le due
de Normandie. N'osant on ne voulant s'en
prendre a la royaute elle-meme de la mau-
vaise direction donnee auxafTaires du pays,
les deputes des villes faisaientremonter a ces
officiers la responsabilite des malheurs qui
avaient frappe le royaumeet de la mauvaise
administration sous Tetreinte de laquelle il
gemissait.
Ces deux reclamations etaient graves; elles
impliquaient de la part des deputes aux etats
la volonte bien arretee d'intervenir en des
matieres oil, jusqu'alors, la prerogative royale
s'etait exercee Sans controle.
— 83 —
Les pretentions des elats allerent plus loin
encore. Non contents d'obliger le dauphin a
se separer des anciens conseillers de son pere,
ils demanderent que dorenayant le conseil
du roi fut compose de delegues nommes par
les etals.
Cetait iin principe de droit public en
France, si Ton pent appeler droit public Ten-
semble des habitudes administratives de la
royaute, que le roi devait en certains cas
prendre ra\is de son conseil. Cette obligation
constitution nelle ne presentait en pratique
aucun interet, d'abord parce que jamais le roi
n'etait oblige d'avoir egard a Topinion de ses
conseillers et ensuite parce que n*lavaient siege
au conseil que des gens qu'il avail convenu
au souverain d'y appeler. Si de temps a autre
on avail compte parmi les conseillers royaux
quelques hommes de merite, appartenant au
clerge ou aux cours souveraines, le conseil s'e-
tail compose le plus souvent degensn'ayant
pour remplir une aussi haute dignite d'autre
— 84 —
litre que la faveur royale. Le roi n'avait a
rendre comple a personne de ses choix ; il ap-
pelait ou congediait ses conseillers sans avoir
d autres regies a suivre que son bon plaisir.
Les etats entendaient faire de ce rouage,
jusqu'alors inutile y de radininistration publi-
qiie , une institution politique serieuse, con-
traindre le roi a ne prendre aucune mesure
de quelque gravite sans Fa vis prealable de son
conseil, et assurer en meme temps Find^pen-
dance de celui-ci, en retirant a la royaute le
choix des membres qui devaient le composer.
Les conseillers devaient etre au nombre
de 28 (i), et ne dependre que des ^tats^ les-
quels ayant seuls le droit de les nommer,
avaient seuls qualite pour les revoquer. Cette
reorganisation du conseil presentait pour le
pays de grands avantages. Non-seulementelle
rendait effectif le contr6le du conseil sur les
(i) Ce nombre fut plus tardport^a 34 et mdme a 36. On ne
sail exactement a quel ifioment et pour quel motif Porgsini-
sation primitive fut moditiee.
— 85 —
acles de laroyaute^ mais elle faisait de la reu-
nion frequente, sinon periodique, des etats
generaux une etroite necessite pour le souve-
rain^et remettait,en realite, la haule direc-
tion de la politique et de Tadministration du
royaume aux mains de Fassemblee.
A ces conditions les etats accordaient an
due de Normandie Taide qu'il avait deman-
dee. Encore reservaient-ils expressement la
liberie d'action de leurs commettants. lis de-
claraient rormellement que le vote des etats
ne recevrait execution qu'autant que Taide
votee plairait aux gens des trois etats^ par les-
quels les deputes avaient ete envoyes.
Cette reserve avait pour but de prevenir
les protestations dont le vote d'imp6ts con-
traires aux franchises locales avait ete Tocca-
sion dans d'autres circonstances, de mettre la
nation tout entiere ou du moins tout ce qui
comptait dans la nation , a meme de se pro-
noncer sur le uierile des reformes pro-
posees par les deputes^ et de donner ainsi
— 86 —
plus de poids aux requetes de Tassemblee.
Plut6tque de cedera ces prelentioris, le diic
deNormandie prorogea les etats au 3 noVenQ'-
bre suivanty bien resolu si a cette date il n a-
vait pas reussi a modifier les dispositions des
deputes, aajourner indefiniment la reunion.
Les efforts qu'il tenia dans cebut etant res-
lesinfructueux, il negligea'en effetde convo-
quer les etats a Tepoque fixee lors de la pro-
rogation, se bornant, le 2 novembre, a appeler
aupres de lui j^tienne Marcel et les ^chevins
de Paris sous pretexte de les consulter offir
cieusement sur la necessite d'une prorogation
nouvelle, mais en realile pour leur intiraer
ses resolutions tout en les faisant passer aux
yeux des bonnes villes de province pour des
complices. Cetait un veritable coup d'Etat.
Les deputes parisiens, d'accord avec quelques
autres membresdes etats presents a Paris, re-
pondirent par un autre coup d'Etat. Ilssereu-
nirent sans convocation, et, sur la motion de
I'evequede Laon, qui prononca im discours
— 87 —
brt \if, et oii la snperiorite des eta Is siir la
*oyaiiteelle-m^meetait formulee ayecaudace,
leciderent : que lecture publique serait don-
lee des projets de reformes arretes par les
katsa la derniere session, que communica-
ion officielle de ces resolutions serait faile
par les deputes a leurs commettants. Ceux-ci
ie trouvaient ainsi charges de juger en der-
nier ressort le different souleve entre leurs
mandataires et la royaute.
La mesure etait hardie.
Les agents du due de Normandie se repan-
dirent dans les provinces, accusant les depu-
tes da tiers d'avoir trahi le mandat qui leur
avait ete donne par leurs conci to yens, de n'a-
voir rien Fait pour le menu peuple, poursuivi
qu'un but, assurer aux principaux d'entre
eux sous couleur de reformes de grandes
positions dans TEtat. Le due expedia aux
bonnes villes des leltres royaux, oii il repro-
duisait ces accusations.
A Soissons, autrefois ville de commune,
— 88 —
mais qui s'etait '< abandonnee au roi »
et avail volontairement resigne entre les
mains de celui-ci ses anciennes franchises
communaleSyles gens du bas peuple mallrai-
terent les deputes qui avaient ose mal parler
du prince et desobeir a ses ordres. Mais la
grande majorite des bonnes villes approuva
les resolutions prises par ses deputes. Cette
adhesion aura it dd ouvrir les yeux du due de
Normandie sur les veritables sentiments du
pays. II n'en fut rien. Le due s'imagina qu'il
aurait meilieur marche des villes en s'adres-
sant a elles directement et separement. II en-
voya dansles provinces des commissairesavec
mission de demander, au nom des besoins du
royaume, Toctroi d'une aide nouvelle. Ces
commissaires echouerent presque partout.
Dans les provinces qui se montrerent le
mieux disposees, Taide ne fut accordee qu'a
des conditions qui la rendaient a peu pres
illusoire. En Auvergne^ les etats stipulerent
que le produit des taxes serait employe a la
— 89 —
defense dela province meme; enLanguedoc,
I'aide votee par les etats fut refusee par les
habitants.
A bout de ressources^ le due de Normandie
tenta dese procurer de Targent en modifiant
le titre des monnaies. Un arrete du prev6t
interdit aux marchands de Paris , de faire
usage dans leur commerce^ de la monnaie
nouvelle. Le ducordonna a Marcel de rap-
porter cet arrete, et sur le refusdu prev6t,
menaca de le faire inettre en prison. Marcel
fit appel a la population parisienne ; les mar-
chands fermerent leurs boutiques , les mat-
tres ouvriers leurs ateliers, les chefs des con-
freries, les syndics des corporations reunirent
leurs hommes. Paris entier prit les armes (i).
Le dauphin ne disposait pas de forces suffi-
santes pour engager la lutte : il capitula , ap-
pela aupres de lui le pre vot des marchands, les
echevins et les principaux des corporations
(i) Janvier iSSy.
— 90 —
el leur annonca qu'il rapportalt Tedit mone-
laire, qu'il allait reunir ks etats generaux, et
congedier les officiers dont les etats avaient
a la session derniere demande le renvoi.
La victoire du peuple dc Paris etait com-
plete. II lui avait i»t^ de s'armer pour que
la royaute cediit devant lui. II avait en un
jour, sans lutte, par le seul ascendant de la
force dont il disposait, arrache a la royaute
des concessions que les efforts des etats ge-
neraux, pendant plusieurs sessions, n'avaient
pu obtenir d'elle. Reduits a eux-memes, les
bourgeois avaient ete impuissants, Tappui du
menu peuple avait suffi pour assurer leur
succes. II etait done acquis que, si les bour-
geois avaient Tintelligence , le peuple seul
avait la force. II y avait la un enseignement
dont le due de Normandie devait faire son
profit.
Les etats furent convoques pour le 5 fe-
vrier. Les deputes des bonnes villes etaient
pen nombreux. Une lutte paraissait pro-
— 91 —
a|3le entre les representarils de la royaule
t .les etats. Beaucoup de deputes prets a
rofiter du succes , s'il couronnait les efibrls
le leurs coUegues, etaient pen disposes a
lartBger avec ceux-ci les ennuis et les dan-
ers d'une guerre ouverte conlre le dauphin,
'outefois, aucun de ceux qui s'etaient fait,
. la derniere assemblee , reinarquer par leur
alent ou .leur energie , ne manquait a son
loste. Les etats commencerent par decider
[ue les resolutions arretees Tannee prece-
lente serviraient de point de depart a leurs
louveaux travaux. Ces resolutions, soumises
L {'approbation des bonnes villes et acceptees
)ar elles, ne subirent, au cours de la session ,
|ue de legeres modifications. Sur un seul
)oint, les deputes se departirent de leurs an-
nennes exigences. lis n*insisterent point sur
a mise en liberte du roi de Navarre. Mais ils
naintinrent energiquement toutes les autres
reclamations qu'ils avaient primilivement
brmulees.
— 92 —
Les resolutions des etats fiirent oflRcielle-
ment, le 3 mars^ communiquees au due
de Normandie par I'eveque de Rouen au
nom du clerge, un chevalier au nom de ia
noblesse 9 un bourgeois au nom du tiers.
Apres ces Irois oraleurs , le prev6t des naar-
chands , Marcel , porta la parole au nom de
Pariji.
Les services rendus par la population pa-
risienne a la cause nationale autorisaient sans
doute les parisiens a parler en leur nom pro-
pre , et a donner separement leur avis sur les
affaires de TEtat. Mais beaucoup de deputes
des bonnes villes trouverenl que les deputes
de Paris faisant, comme ceux des autres cites,
parti du tiers etat, n'auraient point du se se-
parer, en pareilles circonstances, de leurs
collegues des provinces, et qu'ils eussent
mieux fait de charger Torateur du tiers etat
de parler pour eux comme il avait fait pour
tons les autres.
Le discours de Marcel etait le manifeste
— 93 —
d*un pouvoir nouveau , qui allait disputer a
la royaiile et aux elats le gouvernement des
affaires nationales.
Sans argent et presse d'en obtenir, le due
de Norrnandie acquiesca a toutes les de-
mandes. Le 3 mars iSSy, elait prontulguee
Line ordonnance en soixante articles a la-
quelle les contemporains ont donne le noni
de grande ordonnance, et qui, complelee par
d'autres ordonnances enjoignant des pour-
suites conlre les officiers royaux denonces
paries etals, et constituant aupres du roi un
conseil a la nomination des trois ordres,
fondait reellement le gouvernement du pays
par le pays.
Les principales dispositions de ces ordon-
nances reproduisaient les resolutions prises
par les etats, les annees precedenles.
Le roi nepouvait, dans toutes lescircons-
tances d'importance agir sans prendre Favis
du conseil. Les etals generaux demeuraient
charges de decider seuls les questions de paix
— 9i —
oil de guerre, pouvaient seuls autoriser Tappel
de rarriere-ban. lis votaient rimp6t, le le-
vaienl eux-memesou par delegues , en contro-
laient i'emploi et veillaientace qu'il fut afTecte
aux fins pour lesquelles il avail ete vote. Des
commissaires, nommes par eux , surveiliaient
la fabrication des monnaies, lesquelles de-
vaient etre confornies a un etalon depose
entre les mains du prev6t, et ne pouvaient
elre arbitrairement modifiees. L'inviola*
bilite des deputes etait assuree, autant
que Tepoque le permettait, par une dis-
position qui les autorisait a se faire es*
corter d'hommes armes pour leur defense.
Nul ne pouvait contraindre les sujets du
roi a acquit ter d'autres contributions que
celles consenlies par eux ou leurs delegues.
f.e roi devait, ainsi que tons les princes,
payer ses dettes« Le droit de prise etait sup-
prime. Tous les Francais devaient contribuer
a la defense nationale , scanner toiis sans dis-
tinction de classes * II etait interdit aux nobles
— 95 —
il aux gens d'armes de quitter le royaume
3endant la guerre.
Suivaient d'autres dispositions eminem-
nent utiles , s'appliquant a des sujets divers^
I Tadministration de la justice notamment,
retirant ku roi le droit qu'il s'etait arroge
jusque-la^ d'arreter, quand il le jugeait a
proposy les poursuites criminelles. Mais ces
iispositions 9 quelque interessantes qu'elles
fussenty n'avaienttenudans Tesprit desredac-
teurs de Tordonnance qu'une place secon-
daire. Les reformateurs, les Marcel, les Tous-
sac , avaient compris que toute tentative de
reforine, pour ^tre eflicace^ devait commencer
par en haut; qu'il serait facile, lorsque tout
pouvoir effectif dans le royaume serait aux
noains des delegues des ^tats generaux, de^
parer aUx abus de detail, que Timportant
etait, pour le momentj d'assurer la prepon-
derance du conseil. Dans ce conseil, les
<x>mmissaires de la noblesse et du clerge ne
sauraient lutter longtemps contre Tinfluence
— 96 —
des bourgeois plus rompus qu*eux aux af-
faires et dans les mains desquels, par la force
menie des choses, se concentrerait bient6t le
gouvernement du pays. Vers ce but avaient
tendu leurs efforts.
§11.
Rivalii^ entre Paris et Ics vlllcs de province* —
ProJets]aiitiiiynastiqu€»i. — Intervention de la po-
palace dans la politique.
Marcel et ses amis avaient^ en agissant
ainsi y fait preiive de sens polilique. Mallieu-
reusement, leur oeuvre ne fut pas appreciee
par leiirs contemporains a sa jusle valeur.
Les petiles gens des \illes elaient incapables
encore de saisir la porlee des reformes pre-
parees par les elals et les accueillirent a\ec
indifference, sinon avec niecontenlement.
En reclamant pour eux-memes le soin de
lever Timpot au lieu de se borner a en con-
troler la perception et Temploi, les eta Is
avaient commis une faule lourde. Les peu-
— 98 —
pies ne raisonnent pas, ils sentent et font
retomber d'ordinaire lout Todieux d'une
mesure qui lese leurs interels, non sur celui
ou ceux qui ont rendu cette mesure necessaire,
mais sur celui qui Tapplique. En matiere
d'impot specialement , la mauvaise humeur
du conlribuable s'attache a celui percoil
plutot qu'a celui qui est cause de la perception .
Toute assemblee qui accorde un subside au
pouvoir execulif doit done laisser a celui-ci
la peine de lever ce subside, et se bien garder
d'intervenirelle-nieme dansle recouvrement
a peine de se depopulariser. Cest ce que ne
previrent pas les elats. Dans le desir d'eviter
des malversations, que la conduite habituelle
des agents royaux pouvait faire redouter, ils
se chargerent eux-memes de la perception ,
de Taide au lieu d'imposer ce soin au due de
Normandie, qui en aurait ainsi recueilli tout
TodieuXi Les consequences de cetle faule ne
tarderent point a se faire sentir. Dans la plu-
part des villes j Targent reclame par les de-
-r- 99 —
legues des elats passa pour eire leve dans
Tinteret exclusif de ceux-ci on du moins de
ceux des deputes qui avaient joue dans las-
sembleeun role plus important, et etaient
ainsi parvenus a la notoriete. Les petites gens
soupconneux et jaloux , comme il convenait
a des democrates , incapables d'attribuer aux
actions de leurs chefs d^autres mobiles que
ceux qui dirigeaient leurs propres actions, es-
timerent que Teveque de I^on , le prevot des
marchands, les echevins de Paris, qui avaient
inspire les resolutions des etats, n'avaient pu
etre guides que par des considerations d'in-
teret personnel. Beaucoup de personnes, en
voyant lever Timpot par les delegues des
etats, se dirent que le produit de cet impot
ne devait point, plus que les precedents , etre
employe en vue du bien public, que seule-
ment il profiterait a d'autres qu'au roi. Ces
idees, malgre tous les efforts des bourgeois
intelligents, s'etaient repandues parmi les
artisans et petits marchands. L'aide ne put
— 100 —
eire percue qu'avec une peine extreme.
Les delegues furent conlrainls de recourir a
des mesures de coercilion qui augmenterent
encore les niauvaises dispositions des popula-
tions.
A ces causes de mecontentement \enaient
d*ailleurs se joindre^ dans la plupart des
villes, d'autres raisons d'hostilite. Le due de
Normandie en promulguant Tordonnance,
avait , des alors^ convoque les deputes pour
une nouvelle session , qui devait commencer
le lundi de la Quasimodo suivant. 11 avait
demande aux deputes presents d'etre exacts
a la reunion fixee, et pour stimuler leur exac-
titude il avait declare que les mesures prises
par Tassemblee prochaine seraient obligatoires
pour les villes non representees conime pour
celles qui auraient envoye des deputes. Des
lettres royaux concues en ce sens avaient
ete expediees aux bonnes \illes.
— 101 —
Le principe que la,volonle de la majorite
peut engager les dissidents a\ait ele toujours
conteste par les populations urbaines. Pre-
tendre souniettre celles-ci a un impot vote
• par une assemblee ou n'auraient pas siege
leurs deputes y parutaux bourgeois des pro-
vinces une insupportable tyrannie , et la vio-
lation de leurs plus cheres franchises. Aussi la
declaration et les lettres souleverent-elles une
vive emotion. Les villes commencerent a se
defier des reformes qui des I'abord se tradui-
saient pour elles en une menace , et une en-
treprise contre leur independance ancienne.
On savait que c'etait sous la pression de la
ville de Paris, que le due de Normandie avait
de nouveau convoque les etats et cede aux
demandes que ceux-ci avaient faites. On se
souvenait qu'aux etats la ville de Paris avait
cherche a se faire une place a part. On re-
marquait que les principaux magistrats pa-
risiens, avaient ete designes pour faire partie
de la commission qui remplacait I'ancien con-
6.
— 102 —
sell du roi. On pensait^ que la declaration dii
dauphin avail ete inspiree par Marcel et ses
amis. Les bourgeois des provinces se persuade-
rent que tous ces progres pretendus n'etaient
qu'un moyen detourne de meltre aux mains
des prevot, echevins et peuple de Paris le
souverain pouvoir en tout le royaume, et de
reduire les autres cites en servitude.
D'autre part, les membresde la noblesse et
beaucoup de hauls dignitaires du clerge,
voyaient avecun profond mecontentement,
des bourgeois, trois ou quatre avocats, un ou
deux professeurs de droit ou de divinite , des
marchands et quelques magistrals de la \ille
de Paris, enlreprendre de diriger toutes cho-
ses en TElat, et marcher de pair avec les plus
hauts barons , et les plus reveres prelals du
royaume. lis parlaient avec aigreur de ces
usurpateurs de bas etage, et se monlraient fort
raal disposes a leur egard.
Les anciens conseillers royaux congedies
sur la demande des etats, profilerent avec
— 103 —
habilete de cet elat de Topinion; sur leur
avis une treve fut conclue avec les Anglais.
Aiissit6t que cette treve fut signee, le roi Jean,
ecrivit d'Angleterre qu'il renoncait aux sub-
sides demandes par le due de Normandie ,
et qu'en consequence, les bonnes villes
n'avaient point a tenir comptQ des voles des
etats.
C'etait une manoeuvre habile, et dont
Marcel et ses collegues au conseil compri-
rentla portee;la plupart des gentilshommes
originairement cTioisis par les etats pour'faire
partie de la commission qui devait assister le
dauphin, avaient cesse de se rendre aux sean-
ces ; les commissaires du tiers etat et surtout
les deputes de Paris avaient seuls continue
d'y vehir.
Appuyes sur la population parisienne qui,
a la difference des bonnes villes de province,
ne croyait pas en payant Timpot, acheter Irop
cher les reformes dont Tordonnance dolait le
pays, etquiavait d'ailleurspleineconfiance en
— 104. — '
ses niagistratSy les membres de la commission
des 36 conlraignirent le due de Normandie a
ordonner, nonobstant les volonles du roi,
que le subside vole par les etats continueraita
elre leve , que les ordonnances seraient exe-
culees selon leur forme et teneur, et a de-
clarer que la reunion des etais restait fixee au
lundi de la Quasimodo. Le coup cependant
avail porle^ et la leilre du roi Jean produil
TefTel prevu parceux quiFavaient conseillee.
Les calomnies repandues depuis quelque
lemps contre le prevot des marchands etses
coUegues de la commission allaient prendre
loules les apparences de la verile. Pourquoi
donCy allait-on se demandef dans les villes,
ces hommes continuaient-ils a percevoir un
impot dont le roi ne voulait plus? Quel usage
voulaienl-ils done faire de cet argent qu'ils
arrachaient au pauvre peuple, et dont le roi
declarail n'avoir aucun besoin? Tout cela ne
prouvait-il evidemment que la conduite des
soi-disants reformaleurs n'avait ele inspiree
— 105 —
que par des visees d'interct ou d ambition
personnelle?
La plupart des \illes ne cacherent plus les
sentiments d'hoslilile tres-vive qu'elles nour-
i rissaient centre les nouveaux conseillers du
dauphin , et refuserent de payer Timpot. Si
grande fut la confusion produile dans le pays
par les ordres contradictoires du due de Nor-
mandie et du roi, que les etats convoques
pour le lundi de la Quasimodo ne se reunirent
qu'a la fin d'avril, et se separerent sans rien
arreler.
Bient6t, le due de INormandie se crut assez
fort pour se debarrasser d'une tutelle qui lui
semblait pesante et fit savoir a Etienne Mar-
cel et aux autres membres de la commission ^
qu'il se passerait dorenavant de leur assis-
lance, et pourvoierait lui-meme au gouverne-
ment du royaume (i).
Les commissaires se soumirent sans resis-
(i) Aoul 1357.
— 106 —
tance. lis auraient pu faire appel au peuple
de Paris qui ne leur aurait pas marchande
son concours, mais ils savaient que Topinion
generale dans les bonnes \illes leur etait con-
traire, que toule demarche par eux faite
pour conserver le pouvoir que les etats leur
avaient confie , serait mal inlerpretee par la
masse de la population. Ils prefererent done
attendre , pour ressaisir ce pouvoir, un revi-
rement de Topinion, qui ne pouvait tarder
longtemps a se produire.
Les evenemenls justifierent leur prudence.
Le due, apres avoir congedie la commission,
s'etait hate de quitter Paris et avait parcouru
rUe-de-France, la Normandie, une partie de
rOrleanais. II esperait que les provinces lui
fourniraient Targent dont il avait besoin. Son
attente fut trompee. II essaya, en remettant en
vente, contrairement aux dispositions de Tor-
donnance, le tabellionage et les prev6tes, de
se procurer quelques ressources. 11 n'y reussit
pas, mais il indisposa profondement les
— 107 —
populations qui, directement lesees par les
agissements du jeuiie prince , ei effrayees de
ses demandes d'argenl , se prirent a regretter
d'avoir abandonne les reformaleurs. Des reu-
nions publiques furent tenues en beaucoup
d'endroits ou les nouveaux edits du due de
Norniandie furent I'objet de violentes criti-
ques. A Amiens notamment , I'animation des
'bourgeois fut tres-vive, et peu ne s'en fallut
qu'elle ne tournat a Temeute. Le due de Nor-
mandie dut revenir a Paris sans avoir rien
obtenu. II se \it contraint de recourir aux
bons offices du prev6t des marchands que
quelques sernaines plus tot^ il avait si brutale-
ment congedie, et de reupir, sur la demande
de celui-ci , les deputes des bonnes \illes les
moins eloignees de Paris, pour leur demander
Targent dont il avait un pressant besoin. Ces
deputes declarerent qu'ils ne se croyaient
point autorises a voter des subsides, que pareil
pouvoir ne pouvait apparlenir qu*aux elats ,
dont ils demandaient la reunion immediate^
— 108 —
Le dauphin ceda , les etals furent convo-
ques pour le 7 novembre.
L'habile politique d*£tienne Marcel et de
ses coUegues avail ele couronnee de succes,
le prevot avail reussi, sans secousse, sans vio-
lence a mettre le dauphin dans Tobligalion
d'appeler de nouveaux elals , qui sans doute
pourraienl completer Toeuvre enlreprise
apres Poitiers.
Mais la conduite lenue par le due de Nor-
niandie avail inspire aux reformaleurs , la
plus profonde defiance : cette defiance avait
pris a la suite des derniers evenemenls une
nouvelle force.
Nul ne pensail alors qu'un grand pays
corame la France put se passer d'un roi.
Les plus hardis des deputes du tiers avaienl
demande pour les etats du royaunie et leurs
delegues une association effective au gouver-
nenienl du pays. Mais ils s'etaienl arreles
— 109 —
la. S'ilsdesiraient paralyser enlre les mains du
souverain des prerogalWes dont Texercice,
abandonne a celui-ci sans controle, pouvait
prejudicier aux interets bien entendus du
pays, I'idee ne leur etait jamais venue qu'il
fut possible de supprimer la royaute. La con-
duite des deux premiers Valois, celle du due
de Normandie lui-meme, n'avaient pu ame-
ner les plus eclaires des bourgeois a conce-
voir de pareils projels. Peut-etre les hommes
de 1 356 etaient-ils dans le vrai. II est possi-
ble a un peuple de restreindre les pouvoirs
d'un roi, au point de les rendre sans peril
pour la liberte publique , et la royaute he-
reditaire a ce grand avantage d'empecher la
naissance et le developpement d'ambitions
malsaines qui sont pour le pays des causes
de trouble et de bouleversement* Elle avait
de plus au xiv* siecle le merite, conside-
rable avant tous autres a pareille epoque ,
de representer Tunite nalionale. Elle elait
le seul lien qui empechat les diverses pro-
— 110 —
vinceset villes de France, de se desagreger.
Cependant, lout royalist es qu'ils fussent, les
reformateurs ne pouvaient, sans apprehen-
sions profondes, penser que Tavenir du pays
dependrait de riiomme qui, a Poitiers, avail
lachement fui devant Tennemi, et qui, depuis
qu'il exercait les fonctions de lieutenant du
roi son pere , s'elait tour a tour montre dis-
pose a engager sa parole quand il se \oyait
faible, et a la violer des qu'il se croyait fori.
II est probable que les principaux d'enlre
eux penserent qu'il serait bon , tout en res-
peclant la forme monarchique, de remettre
un jour lesdestinees du pays en d'autres mains
quecellesdu ducdeNormandie; delesconfier
a un autre prince, qui, devant le tronemoios
a sa naissance qu'a la volonte m^me de ses
sujets, serait sans doute plus dispose a res-
pecter les droils de ceux-ci, et a accepter
les restrictions qu'il conviendrait aux etals
de meltre a ses pouvoirs. Celte idee avait
deja ete indiquee par Lecoq dans le dis*
— Ill —
cours qu'il avail prononce a ia suite de l\
premiere prorogation des etats. Si Marcel et
ses collegues n'arreterent point immediale-
ment iin pareil projet, ils considererent cer-
tainement Favenement au trone d'un noii-
veau roi, choisi paries elats, comme une
eventualite eminemment realisable; et sans
fixer des Fabord leur choix sur un candidal
definitif , ils songerent du moins a opposer au
due de Norrnandie, un autre prince, descen-
dant par sa mere des anciens rois de France,
et qui avait en diverses circonslances mani-
feste ses sympathies pour la cause populaire.
On ne pent expliquer par d'autres motifs la
resolution qu'ils prirent de liiire demander
par les etats, des le lendemain de leur
reunion, la mise en liberie du roi de Na-
varre, encore retenuen prison (i).
(i) Liberie reclaniee deja a une precedeiite s?ssioii,
mais paraissatit alors aux etats d'un si mince inteiH^t
qu'ils avaieut sans difliculte conscnti a ne pas insister sur cc
:».«.
— 112 —
Le due de Norma ndie acceda sans dis-
cuter a la demande des elals, remit a leurs
delegues I'ordre de mise en liberie du roi
de Navarre, mais enjoignit, paratt-il, au gou-
verneiir de la forteresse oil celui-ci etait
detenu de ne point se dessaisir du prince
confie a sa garde. Duplicite inutile et qui
n'empecha point la delivrance du prisonnier/
A peine libre de ses actions, Charles de
Navarre se rendit a Amiens, ville doht les
magistrals lui etaient devoues et ou il ful
bien accueilli.
C'etait iin liomme liabile que le roi de
Navarre et qui comprenait qu'on ne devient
vraiment le maitre des gensqu'en ayant Fair
de les servir. Devant le peuple assemble,
il prit la parole, raconta sa querelle avec lo
roi Jean, les violences de celui-ci, et ler-
mina son discours en declarant qu'il etait
pret a lous les sacrifices pour assurer le
— 113 —
bien et la paix du royaume. Puis, aux accla-
mations des Amienois , il requit le maire de
Tinscrire, lui, roi de Navarre et prince du sang
royal de France , sur les registres de la mu-
nicipalite an noaibre des bourgeois. Bientot
il quilta Anniens et, muni d'un sauf-conduit
que les magistrats parisiens avaient arraclie
au dauphin , se rendit a Paris ou il fut recu
avec enlhousiasme (i). Le bruit de son dis-
cours d'Amiens Tavait precede. Les Parisiens
etaient favorablement disposes pour un
prince qui faisait si bon marclie de sa di-
gnite royale.
Lelendemain,a Tabbaye de Saint-Germain-
des-Pres, devant une assemblee composee de
plus de dix mille personnes, mais ou les
gros bourgeois et les membres de Tuniversite
etaient en plus grand nombre que les petites
gens, le roi reprit son discours d*Amiens,
protestant contre les injustes persecutions
(i) 29 novcmhre 1357.
— in —
donl il avail ^le viclime, affirmant son de-
vouemenl a la chose publique, et an peiiple
de Paris auquel la France elait redevable
de si grandes clioses. L'alloculion dii roi de
Navarre produisit un grand effet et eut un
grand retentissement. Les Parisiens se aion-
trerent extremement flattes de ce qu'un
si grand prince fut venu , comme Taurait
pu faire un simple quartenier, expliquer
pnbliquement sa conduite au peuple, et
le faire juge de sa querelle avec le roi Jean
et le due de Normandie. lis comparerent
la deference dont le roi de Navarre faisait
preuve en vers les bourgeois au dedain pro-
fond que le due de Normandie semblait
afficher pour les deputes aux etats. lis di-
rent que le roi de Navarre , qui tout roi
qu'il etait et pair de France s'etait fait bour-
geois d'Amiens, etait des leurs, qu'ils le
feraient bien voir et qu'il faudrait que le
due de Normandie rendit justice a monsei-
gneur son beau-frere. [/opinion publique se
— 115 —
prononca avec tant d'energieque le dauphin
fut oblige de declarer publiqtiement qii'il le-
nait le roi de Navarre en haute eslime et af-
fection; qu'il n'avait conlre lui aucun grief,
qu'en eut-il il les oubliait volontiers , et qu'il
dul signer avec lui un traite de paix.
Auxtermes de ce traite, amnistiepleine et
entiere etait accordee a Charles le Mauvais et
a ses partisans, le due de Normandie s*enga-
geait a resliluer au roi toutes ses forteresses,
places, chateaux, etc. Toujours fidele a son
systeme de flatteries au regard du peuple, le
roi de Navarre avait stipule dans un article
special de sa convention avec le dauphin
« qu'a sa demande tons les prisonniers re-
tenus dans les prisons royales seraient mis
en liberte , quelle que fut la cause de leur
detention. »
Les etats venaient de se separer sans avoir,
en dehors de leur intervention en faveur du
Navarrais, rien fait qui meritat d'atlirer
Fatten tion. Us semblaient sentir que la di-
— 116 —
rection des interets nationaux allait leur
echapper pour passer en d'autres mains.
Le roi de Navarre s'etait retire a Nantes
qui faisait partie de ses domaines, puis de
la a Rouen , ou, a Toccasion de services fu-
nebres qu'il fit celebrer en memoire de
ses serviteurs mis a mort quelques annees
auparavant par les ordres de Jean , il avail
encore harangue le peuple, I'avait pris a
temoin de ses bonnes intentions , avail fait
asseoir a sa table royale le maire de Rouen ,
qui n'etait cependant qu'un petit marchand
de vinSy et s'etait assure ainsi la confiance et
le devouement des Rouennais (i).
Le prevot des marchands, de son c6te, ne
negligeait aucune occasion de battre en bre-
che le pouvoir et la popularite du due de Nor-
mandie. 11 s'occupait avec ardeur de Torga-
(i) io*ii Janvier i358.
— 117 —
nisation des milices bourgeoises, formait a
Paris des associations dont lous les mernbres
juraient « alliance de \ivre et de niourir
contre toutes personnes avec le prevot, »
phrase significative et qui trahissait les se-
crets desseins de Marcel, donnait a ses parti-
sans pour signe de ralliement un chaperon
aux couleurs de Paris mi-partie bleu et rouge
sur les agrafes duquel se trouvait inscrite la
meme devise etfaisait crier dans les rues que
tout bon citoyen eut a porter ce chaperon.
II se mettait en relations avec les bonnes
villes dont plusieurs adoptaient les couleurs
parisiennes.
Le due de Normandie, sans denneler
les veritables projets de ses adversaires ,
ne laissait pas de prendre grande inquie-
tude des progres que le roi de Navarre
paraissait faire dans la faveur populaire et
du pouvoir que le prevot des nnarchands
7.
— 118 -
prenait dans Paris, 11 resoliU, pour en ^rreler
le developpement, d'employer la vieille po-
lilique de sa race, celle qui avail dompte les
communes, d'exciter la haine et la jalousie
des pelites gens contre les citoyens impor-
lants qui etaient aux affaires, de separer
ainsi le peuple de la bourgeoisie et de res-
saisir Taulorile a la faveur de cette division.
Les succes obtenus (Tar le roi de Navarre
faisaient esperer au dauphin qu*en s'adressant
directement a la population parisienne, en
attaquant devant elle les agissements de ses
magistrals , en flattant les passions envieuses
que nourrissent toujours a un degre plus ou
moins considerable les gens appartenant a la
basse classe de la societe contre ceux qui se
sont eleves au-dessus de leurs concitoyens, il
reussirait facilement a rompre la redoutable
alliance des reformateurs et de la populace.
Le 1 1 Janvier, le jour meme ou le roi de Na-
varre haranguait le peuple de Rouen, le due
fit annoncer qu'il se rendrait le lendemain
— 119 —
aiix halles pour expliquer lui-meme ses re-
solutions a ses sujets de Paris.
Le lenderaain, la foule etait nombreuse aux
lialles. La plupart des ouvriers avaient quilte
leurs ateliers pour ne pas manquer au ren-
dez-vous indique par le dauphin. Celui-ciar-
riva au carreau,de bonne heure, au nnoment
ou les petits marchands sont en plus grand
nombre, et les chalands plus empresses. Les
gros bourgeois, les membres du corps de \ille
de Tuniversile nepurent,tantraffluence etait
grande, et bien prises les mesures du due de
Normandie et de ses devoues,arriver jusqu'au
lieu ou s'etait plac^ Torateur.
Le prince parla avec beaucoup d'habilele,
parait-il, et beaucoup d'amertume. II declara
qu'il venait repondre ayx calomnies repan-
dues sur son cooipte par certaines personnes
enneraies de la paix du royaume. II n'avait
jamais dissipe les deniers publics. S'il y avait,
ce qui n'etait pas contestable , deficit dans les
caisses de TEtat, ce deficit ne pouvait elre im-
— 120 —
pute qu*a ceux-la meme qui se montraient
en public les zeles defenseurs du peuple , et
qui, en secret, travaillaient uniquement a as-
surer leur propre grandeur. Ces personnages
seuls etaient cause que FAnglais n'etait point
encore chasse de France. Le dauphin , si on
Tavait laisse libre d'agir suivant ses propres
impulsions, aurait depuis longtemps debar-
rasse le royaume des bandes ennemies. U
etait decide aujourd'huia faire bonne justice,
et il* etait convaincu que le peuple de Paris
ne lui marchanderait pas son concours.
Ce discours plut a la multitude. Les masses
populaires sont, avant toutes choses, accessi-
bles a la flatterie, et la demarche du due, abs-
traction faite du discours lui-meme, etait bien
faite pour flatter le petit peuple. Celui-ci se
sentait tout fier d'etre choisi par le fils aine
du roi , pour arbitre entre la royaute et les
bourgeois.
Cependant le succes obtenu par le dauphin
etait un succes dangereux. Deja, sans doute,
— 121 —
le roi de Navarre avail harangue les Parisiens
et les bourgeois d'Amiens , les avail fail juges
de sa querelle avec le roi Jean, son beau-pere.
Mais, en France, le roi de Navarre n'elail qu'un
haul baron, un genlilhomme de haule exlrac-
lion , avec de fori belles alliances el de bien
grandes pretentions. Ce n'elail rien de plus.
Le due de Normandie, au contraire, etail a la
fois Fheritier presomptif du trone de France,
et par suite de la captivile de son pere , le
detenleur effectif , le representant unique de
Tautorite royale. I^ demarche qu'il venait de
faire avail done un tout autre caractere que
celles de monseigneur de Navarre. Le due de
Normandie soumeltail ou paraissail soumet-
tre (et cela revenail au meme), a Tarbitrage
de la population parisienne les plus importan-
tes affaires de FElal. De parti pris, il ecartait
de son conseil les deputes aux etats,les magis-
trals parisiens , refusail d'ecouter les avisdu
petit nombre d'hommes capables de lui en
donner, pour s'adresser a la masse entiere
— 122 —
des habitanls de Paris, parfaitement hors d'e-
lat (quoique en ce moraent superieure en
intelligence et en sens politique aux popula-
tions des aulres villes) de rien coraprendre
aux graves sujets dont le due venait I'entre-
tenir.
S'il est en effet un certain nombre d'idees
simples que toutes les intelligences, si bornees
et si incultes qu'elles soient^sont capables de
saisir, le cercle meme de ces idees est infini-
ment restreint. A. mesure que grandissent les
questions a juger, diminue le nombre des es-
prlts capables de les aborder sans peril. 11 est
des problemes qui, par leur hature meme , a
cause des principes qu'ils engagent, des resul-
tatsqu'ilsentrainent,nepeuventetreraisonna-
blement soumis qu*a ceux qui, par des etudes
ou des connaissances speciales, sont prepares
a les resoudre. Les questions politiques sont
de ce nombre. La plus simple d'entre elles se
compose d'elements complexes qu'il est im-
possible d'apprecier sainement sans les con-
— 123 —
nailrp dans Ions leurs delails , sans eh savoir
tons les precedents, et sans en mesiirer les
consequences. Elles ne peuvent etre livrees
a la decision de la mullilude que par des
gens inintelligents, ou par des gens pervers
qui, sous couleur de sauvegarder les droits
du peuple, ne songent qu'a Tasservir, et
ne font mine de le consulter que pour nnieux
dissimuler leurs entreprises contre le bien
public, et leurs attentats contre la liberte.
L'intervention directe des foules dans les af-
faires generales d'un pays, n'a jamais eu qu'un
resultat, Fetablissement du despotisme. Le due
de Normandie Tavait bien compris lorsqu'il
etait venu exposer ses projets et adresser
ses doleances aux Parisiens reunis aux hal-
les; mais il avait dechaine une force dont il
lui devait plus tard lui elre bien difficile
d'arreter le mouvement, et avec laquelle
il faudrait compter desormais.
Le prevot des marchands et le corps mu-
nicipal ne se firent pas d'illusions sur la gra-
— 124. —
vile de la demarche du dauphin et les resul-
lats qu'elle pouvait avoir. Pour en detruire
Teflet, ils convoquerent a leur lour le
peuple de Paris a Saint- Jacques de THopital,
pres la rue Mauconseil .
Le due de Normandie avail fort habile-
men t, dans son discours, neglige d'aborder
certains points delicats. Le prev6t des mar-
chands entendait tirer parti de ce silence, et
demasquer Thypocrisie du prince. Au jour et
al'heure indiques pour Tassemblee ( i ) , ledau-
phin se presenla et reclama le droit de parler
le premier, ce qui lui fut accorde. II ne prit
point la parole, mais il chargea son chan-
celier de reproduire les explications qu'il
avait, la veille, personnellement donnees aux
halles. Au moment ou Tun des echevins
se levaitpour repondre au chancelier, leduc
partit. C'etait une faute lourde. Apres avoir
clioisi le peuple pour juge de sa querelle , il
(i) i3 Janvier i358.
— 125 —
fallait assister au d^bat tout entier. Le depart
du prince qui paraissait determine par le me-
pris que lui inspiraient les gens qu'il avait
pris la peine d'attaquer ravant-veille^ lui fai-
sait perdre aupres de la population parisienne
tousles avantages que ses flatteries lui avaient
d'abord concilies. Le prevot des marchands
et ses coUegues s'expliquerent avec nettete
sur les reproches de prevarication qui leur
avaient ete adresses. Un des collecteurs d'im-
pots declara qu'apres de semblables attaques,
il fallait que le peuple sut bien quelles etaient
les veritables sangsues qui Tepuisaient, et il
designa par leurs noms ceux des officiers
royaux qui avaient cominis les malversations
gratuitement imputees par le dauphin au
prevot des marchands. De frenetiques ap-
plaudissements accueillirent cette declara-
tion .
Les amis de Marcel profiterent avec habi-
lete de Temotion qui agitait Tassemblee. L'un
d'eux s'ecria qu'apres ce qui venait de se
— 126 —
passer, le prevot ne serait plus en siirete a
Paris, qu'Il lui faudrait, si la population
parisienne ne le soutenait energiquement , se
soustraire par la fuite aux persecutions de
ses ennemis.
Par d'unanimes acclamations, les assis-
tants s'engagerent a\ivre et amourira cole
de leur prevot.
Cetait pour le due de Normandie un
ecliec, pour le prevot un succes, mais aussi
pour Tavenir, un grand enibarras.
Jusqu*alors le peuple de Paris avait ete,
entre les mains de ses magistrats , un instru-
ment docile et sans initiative propre. Les
clioses etaientchangeesaujourd'hui : attaques
publiquement par le due de Normandie,
Marcel et ses amis avaient ete obliges de re-
futer ces attaques , d'expliquer leur conduite ,
• d'invoquer Tappui de la foule a laquelle ils
avaient coutume de donner des ordres tou-
jours obeis. Le peuple de Paris ne leur avait
pas marchande son concours. Ce concours
— 127 —
cependant n'elait plus comme auparavanl
de la soumission, c'etaitune alliance devouee
sans doule , mais comme toutes les alliances su-
jette a serompre et pouvant devenir deTlios-
lilite le lendemain. Les magistrals devraient,
desormais, siir tous les sujets de quelque im-
portance , consulter la population entiere
de la capitale et soumettre leurs projets a
Tapprobalion du dernier des Parisiens. Les
grandes questions d'interet general cessaient
d'etre reservees comme elles Tavaient ete jus-
qu'alors aux etats ou aux bourgeois capables
d'en apprecier la portee. Le peuple de Paris
entrait pour son propre compte sur la scene
politique. Par haine des bourgeois liberaux,
la royaute avait decbaine la demagogic.
La demarcbe du due, sans produire tous
les fruits que celui-ci en attendait, n'en portait
done pas moins un coup funeste a ses ad-
versaires politiques. Ceux-ci comprirent le
danger et ils resolurent de se tenir en
garde. Avises des mauvais desseins que le
— 128 —
due de Norinandie nourrissait conire eux,
ils se crurent aulorises, pour assurer leur
securite personnelle . et Tavenir des refor-
mes qu'ils avaient preparees, a employer,
s'il le fallait, la violence.
Le dauphin de son cole se preparait a la
lulle. 11 avail, auxhalles, declare qu'il enlen-
dait se debarrasser desormais des enlraves
qui l^empechaient de faire lout le bien qu'il
voulail. Mais lels elaient les progres qu'a-
vaient fails en France depuisquelques annees
les idees democraliques , que le due de Nor-
ma ndie n'osa, de son propre chef et de sa
seule aulorile, ressaisir le pouvoir absolu.
II prelendit donner a son usurpation Tap-
parence d'une concession faile a la volonle
nalionale.
II appela aupres de lui quelques bourgeois
de Paris , qu'il savait devoues a sa personne.
Ces individus, auxquels le due donna pom-
— 129 —
peusenient le noni de notables, Tinvilerent a
reprendre le gouverneinent egare depuis
Irop longtemps dans des mains indignes de
le conserver (i).
Le due voiilut bien acceder a ces prieres.
Bienlot parurent des ordonnances pres-
erivant la fabrication d'une monnaie d'un
litre plus faible que celui qui avait ete fixe
a la suite des grandes ordonnances de
Tannee precedente (2). Ces ordonnances fu-
rent-ellespubliees par le dauphin de son au-
torile propre ou avec Tassentiment des etats
generaux reunis le 1 3 Janvier, c'est ce qu'il
est difficile d'affirnier avec quelque certitude.
11 est certain , en tons cas qu'elle^ causerent
a Paris la plus vive emotion.
(i) i3 Janvier i358.
(2) 2a-a3 Janvier el 31 fcvrier i358.
§111.
I.e |>ouvolr aux nialnii den boaripeols jparlsieBSi
Lc due (Ic Normandie avail leve des sol-
dais, niais an lieu de les employer contre
rAn^lais, il les avail eanlonnes dans Paris
cl dans les environs. Le bruil se repandil
en ville que ces soldals etaienl destines par
le lieulenanl du roi a meltre les Parisiens a
la raison. Une collision devenail imniinenle.
Un accident, forluil d'apres les uns, pre-
pare par le due de Normandie, disenl les
aulres, par le ])rev6l Marcel, selon une
Iroisienie \ersion, vinl encore aggraver la
silualion. IJn bourgeois de Paris avail
— 131 —
vendu descbevaux au Iresorier du dauphin ;
il en reclama le prix; le Iresorier refusa
de le payer. Une querelle s'eleva entre ces
deux liommes, a la suite de laquelle le
Iresorier fut tue d'un coup de couteau.
Refugie dans Teglise de Saint-Merry qui jouis-
sait du droit d'asile, le meurtrier en futarra-
che par lemarechal de Norniandie, et pendu.
Celle execution froissa \ivenient les bour-
geois. On disait en \ille que le droit de prhe
avalt ele aboli par les ordonnances. Celles-ci
avaient aulorise tons les sujets du roi a se
defendre a main armee contre ceux qui, au
mepris des prohibitions legates, voudraient
Texercer encore. Perrin Marc n'avait point
fait autre chose. II avait legalement frappe
le Iresorier du due, ce n etait done point un
meurtrier. En le faisant mourir, les officiers
royaux avaient audacieusement transgresse
les lois.
Le clerge lui-meme se mela au mouvement
provoque par la mort de Perrin Marc.
— 132 —
L'eveque de Paris excomiiiunia le marecbal
de Normandie qui avail \iole Tasile de Saint-
Merry. On fit au supplicie de magnifi-
ques funerailles. Tout le corps de ville et les
principaux bourgeois y assisterent, temoi-
gnant ainsi quHls faisaient leur, la cause de
leur concitoyen execute par les ordres des
agents du dauphin. Des reunions publiques
furent tenues dans tous les quartiers^ et la
conduile des marechaux attaquee avec la
plus extreme violence, des deputations
•i
envoyees au prince pour lui demander
de faire dorenavant respecter les ordon-
nances et d'executer ses promesses, notam-
ment ce qui concernait le roi de Navarre,
qui n'avait pu oblenir encore la restitution de
ses forteresses. L'universite joignit ses recla-
mations a celles du peuple de Paris (i). Au-
(i) Le Iang<ige tenu par la deputation de Ttiuiverait^ fat
parlicuiicrement ^nerglqtle. L'universite cependant etait es-
sentieUementroyaltste^eUe Tavaitprouve en defendant a ses
flUppots de porter le chaperon atlx coilleufs de la ville qa'eHe
.— 133 —
lanl en firent les depules des bonnes \illes
assembles pour les elals (i).
avail considere comme une livree de sedition; mais la con-
duite tcnue par le dauphin avail inspire aiix universilaires,
comme a lous les gens eclaires, une defiance singu-
liere. L'oraleur de la depulalion de I'universile ful le ge-
neral des Jacobins. II s^exprima avec heaucoup de vigueur,
rappelant le Iraile signe entre le roi de Navarre el le
dauphin, il declara que le corps municipal, le clerge parisien
el Tuniversile avaienl resohi que le dauphin executerait ce
Iraile. D^autres membres de la depulalion, accenluanl encore
les paroles de leur oraleur, declarerent formellemenl au
prince que, dans le cas ou il n'cxeculerail pas les conven-
tions arrelees entre lui el son beau-frere, I'universile se de-
clarerait conlre lui.
(i) Cctle session des elals ful de peu d'inler^l. Deux me*
surcs prises par eux atlirerenl seules I'allention : ce furenl •
I** une modification a Tassielle del'aide : 2° Tinvitationadrcs*
sec au due de Normandie de prendre le lilre de regent el
d*^xercer dorenavanl le pouvoir afferenl a ce lilre. Devenu
regenl le dauphin elail absolumenl independanl de son pere,
qui pendanl sa caplivite se Irouvail ainsi dans une position
scmblable acelle que les regies consliluttonnellps du royaume
de France faisaienl au roi mineur. Les etats gen^raux
esperaienl, de celle facon eviler des embarras comme ceUx
qu'avail fail nailre Fanneeprecedente la defense signifiee par
le roi Jean a ses sujets d'obeir aux ordres des elats. — Le
dauphin pril cffectivemenl le lilre de regent en mars i358.
8
— 13i —
Tonles les deuiarclies furent vaincs. Le
dauphin ne donna aucune satisfaction aux
reclamations des bourgeois. Continuant la
politique inauguree aux halles , ses agents
repandaient dans les rangs du meme peuple
des caiomnies chaque jour plus violenles
contre les reformateurs, les accusant de
Iraliir la cause des pauvres gens dont le due
avait si grand souci. Les deux marechaux
de Champagne et de Normandie se mon-
Iraient les plus animes et ne cessaient de se
repandre en invectives conlre le prevot des
marchands et ses amis. Us avaient promis
au due, disait-on, de debarrasser le pays de
ces mauvaises gens, qui voulaient le tenir en
servilude. lis passaient pour etre hommes a
lenir leur promesse et a ne reculer devanl
aucun moyeri pour la metlre a execution.
Ces provocalians exaspererent les chefs
cle la bourgeoisie parisienne et les decide-
— 135 —
rent a prendre les devanls. Reunis le 20 fe-
\rler an soir dans la vieille eglise de Sainl-
Eloi sous la garde de delachements em-
priintes aux milices parisiennes et composes
presque enlierement de gros marchands
ils arreterent line resolulion terrible. Le
22 fevrier le tocsin de Nolre-Dame re-
lenlit tout a coup. A ce signal, les bour-
geois, qui avaient assiste a Tassemblee de
Saint-Eloi, se rendent sur la place de Greve
accompagnes de gens a leur discretion. Le
prevot des niarcliands se trpuve bientot a
la tele de plusieurs niilliers d'lioinmes de-
voues, gens notables pour la plupart. II
se porte au palais du regent, y penetre de
force, y trouve les deux marecbaux et les
fait egorger sous les yeux du prince. D*autres
officiers royaux subissent le mehie sort. Le
due effraye supplie buniblement Marcel de
Tepargner. Le prevot lui declare qu*il n'a
rien a craindre, et, en signe de protection,
met sur la tete du prince son propre cba-
— 136 —
peau aux couleurs de Paris. Cbarles de
Valois venait d'avoir son 20 juin.
Le pelit peuple n'avait pris aucune part
au moiiveinent. A peine avait-il fourni h
Marcel le contingent de desoeuvres qu'on
trouve toujours dansune grande \ille partout
oil se passe quelqu'evenement extraordinaire.
Du nioins les quelques hommes du peuple
qui avaient prete a ce mouvement leur coo-
peration materielle ,n'avaient-ilsagi que sous
les ordres du prevot, des echevins et des
plus gros marchands de Paris. L'attaque du
palais, Tassassinat des marechaux etaient
le fait exclusif de la bourgeoisie. La journee
du 22 fevrier n'avait point ete^coinme il
arrive d'ordinaire, Texplosion de la co-
lere populaire, sinon Texecution raisonnee
d'un projet murement delibere, arrete et
prepare par les principaux bourgeois. Bien
loin d'etre I'oeuvre du peuple, elle avait ete
faite contre lui. Le but que les bourgeois
s'etaient proposes d'alteindre etait en ef-
— 137 —
fet, le principal d*entre eux Fa declare,
a d'empeclier la grande commotion que les
menus encourages par le dauphin et ses
acolytes devaient faire en la ville de Paris,
pour detruire le prevot et ceux qui pensaient
comme lui. » C'etait pour assurer leursecurite
et les reformes qu'ils avaient realisees qu'ils
avaientpris les armes. lis pensaient sans doute
agir dans I'interet du bien public. L'avenir a
prouve que leurs craintes etaient fondees.
Mais ilseurent letort, pour assurer le triomphe
d'une cause qu'ils croyaient juste de ne point
reculer devant un crime, et pour fonder en
France un gouvernement regulier, de faire
appela la violence.
' 11 ne faudrait point cependantjuger Irop
severement la conduite d'Etienne Marcel. En
frappant les cohseillers du regent, le prevot
s'etait abstenu de toute violence directe en-
vers celui-ci. Le meurtre des marechaux n'a-
vait ele que la mise en pratique, d'une facon
fort rude certainement, du principe que
8.
— 138 —
les conseillers d*un roi doivent elre res-
ponsables des avis qu'ils donnent. Les ordon-
nances reconnaissaient expre^sement aux ci-
loyens le droit de se defendre les armes a la
main eonlre ceux qui enfreignaient la loi. I^
conduite des bourgeois avail done ete , a un
certain point de vue, legale, si le meurlre
pouvait jamais etre legal.
En sortant du palais, le prevot des mar-
cliands se rendit a la Maison aux Piliers. Le
locsin y avait attire une grande foule. Marcel
la liarangua. U expliqua ce qu'il venait de
faire, affirmer qu'il avait agi dans Tinteret de
tous, en faisant justice demauvais traitres, et
demanda aux Parisiens de le soutenir. II fut
acclame, comme le due de Normandie Tavait
ete quelques semaines plus lot, comme
devait Tetre, bien peu de temps apres, Jean
Maillard. Puis, accompagne par la plupart
des gens qui se trouvaient sur la greve, il
retourna aupres du dauphin, lui dit avec
quels applaudissemenls le peuple de Paris
— 139 —
avail accueilli la nouvelle de la mort des ma-
rechaux , et finit en le priant de declarer
« qu'il Irouvait bon ce qui avail ele fait ».
Le prince fit loules les declarations qu'on
vonlut, proniit d'avoir pour agreable tout
ce qu'^ntreprendraient les bourgeois de sa
bonne cite de Paris, et ordonna que dorena-
vant ses gens de service portassent le cha-
peron aux couleurs de la ville. Marcel envoya
lui-nieme au prince, au noni dela munici-
palite, les pieces d'etoffe necessaires pour
confectionner ces chaperons.
Paris avait ratifie les actes de ses magis-
trals, mais ceux-ci ne pretendaient pas avoir
fait Taffaire de Paris seul, sinon celle du pays
entier. lis voulurent se faire avouer par les
representanls des bonnes villes. Des le len-
demain ils convoquerent les deputes presents
a Paris. Robert de Corbie , depute d'Amiens,
rendit compte des evenements de la veille",
— 140 —
exposa les motifs qui avaient engage le pre-
Yot des marehands et ses collegues a agir
ainsi qu'ils Tavaient fait, et coneluten deman-
dant aux deputes des bonnes villes de resler
fermes dans leur alliance avec Paris. Nul
n'osa contredire. Marcel pour le moment ne
demandait rien de plus.
L'approbation des e tats obtenue, le pre-
v6t des marehands pria le due de Normandie
de se rendre au parlement, et la, en presence
des magistrats de la cour, du cdnseil munici-
pal et d'un grand nombre de bourgeois, il le
requit de tenir dorenavant la main a I'exe-
cution des ordonnances, et d'ecarter de son
conseil tous les gens suspects d'hostilite pour
la cause populaire. La commission des 34
fut retablie; le prevot des marehands, les
echevins de Paris, et un depute d'Amiens,
Robert de Corbie, appeles a prendre seance
au conseil.
Malheureusement ce n'etait point devant
la nation entiere, et devant la volonte regu-
— 141 —
lierement exprimee de celle-ci mais devant
Paris el la sedition, que le prince avail capi-
lule.
Quelque com-plel quepul parailre le succes
oblenu , le prev6l n'elail pas sans inquielude
sur Teffel que produirail en province la
journeedu 22 fevrier. L'approbalion donnee
par les depules des villes aux enlreprises de
Marcel el de ses amis n'impliquail en aucune
facon Tadhesiondes populations elles-memes.
Celles-ci avaienl desavoue leurs mandataires
dans Irop de circonslances pour qu'il n'y eul
pasacraindre qu'ellesne se separassenl d'eux
dans les conjonclures presenles.
Sans doule, il n'y avail poinl a redouler, de
la pari des villes, de proleslalions bien vives.
La vicloire elail restee a la sedition, el les
coups de force qui reussissenl Irouvenl en
general plus d'admiraleurs que d'opposants.
Mais il fallail lenir comple des senlimenls de
jalousie que les provinces avaienl, en diverses
occurrences deja , lemoigne au regard de la
— U2 —
ville de Paris. II importait de les menager.
Dans ce but, il fut arrete, par les chefs du
luoiivement, que les \illes seraient avisees
officiellement des evenemenls qui venaient
de se produire, non par le prevot , mais par le
roi de Navarre, sur la popularite duquel on
comptait.
Rouen, Laon, Sens, Meaux assurerent le
corps municipal de Paris de leur adhesion.
Les choses se passerent de iiienie dans les
villes plus directement soumises a I'influence
du roi de Navarre, Amiens par exemple.
Mais dans nombre d'autres cites, en Cham-
j>agne , sur les bords de la Loire , dans le
Soissonnais, la conduite des magistrals pa-
risiens fut Tobjet de blames severes.
§ IV.
E*rcniicre reaction contre Ics r^forniateurs dans ics
provinces ct a Paris niemc. Divisions cntr<^ ics
bourifcois et la popnlacc.
A Paris meme rapprobalion etailloin d'etre
unanime. Pour arreler les progres d'une
opposilion dont il redoulait les eflels, le pre-
v6l, enlraine rapidenient sur la penle des
Niolences, fit nieltre a iiiort, sous pretexle de
conspiration, plusieurs bourgeois soupconnes
d'altacliement aux marecliaux et de devoue-
inent a la personne du prince. Le roi de
Navarre, bien que fort peu scrupuleux de sa
nature, n'osa s'allier encore etroitement avec
le prevol. 11 ne reprocbait pas a celui-ci d'a-
voir, |)our assurer le Iriouipbe de ses projels,
— 144 —
en recours a Tassassinat , mais il ne pouvait
oiiblier que les victimes etaient des genlils-
liommes. Arrive a Paris quelquesjoiirs apres,
le 24 fevrier, il ne tarda pas a quiller la \ille.
Quant au due de Normandie , il se sentait,
malgre le titre de regent qu'il venait de
prendre, a la discretion des bourgeois , tant
qu'il resterait a Paris. Tous ses efforls ten-
dirent des lors a sortir de la \ille. 11 y reus-
sit; on ne sait sice fut de Fassenliment des
magistrats parisiens qui redoutaient Tin-
fluence du prince sur les peliles gens ou cen-
tre leur volonte ; en tous cas, le depart du
regent allait avoir de facheux resultats. Hors
Paris le prince recouvrait une liberie d'ac-
lion qui devait elre prejudiciable a la cause
populaire ; il pouvait reunirautour de lui tous
les elements de resistance a la domination
parisienne que contenait encore le pays^ ex-
ploiter la jalousie des bonnes villes conlre Pa-
ris, rassembler les gentilsbommes que la niort
des uiarechaux avait exasperes et avec leur
— 145 —
aide lenir tete au prevot , sinon le.mellre a
la raison. A peine en liberie, il reunit les
elats des provinces oii il complait le plus
de partisans. 11 convoqua a Senlis ceux
de Picardie et de Beauvoisis (i) , a Pro-
\ins ceux de Champagne (2). Les elals de
Picardie se monlrerent peu disposes a lui
preter un concours bien aclif : il en fut
aulreinent des elats de Champagne. Les
deputes des \illes y etaient en minorile,
les gentilshommes nombreux. Parmi eux
se trouvaient beaucoup de parents et d'amis
du sire de Conflans, Fun des marechaux
mis a mort par les bourgeois de Paris. Le
regent se montra a leur egard plein d'at-
tentions et de flatteries. Il mit de cote, pour
s'assurer leur bon vouloir, Tetiquelte ordi-
naire, leur offrit im banquet et les fit, sans
distinction d'ordre, asseoir a sa table. Les
envoyes dela ville de Paris ne purent, malgre
— 146 —
tons leurs efforts, conlrebalancer I'effet des
manoeuvres royales , ni apaiser la colere
qu'eprouvaient les nobles de Champagne
centre les meurlriers de Tun des leurs. Les
genlilsliommes requirent le regent de punir
exemplairement les assassins du marechal de
Conflans, declarerent qu'ils ne rentreraient
point a Paris tant que justice ne serait pas
faile, et offrirent au prince , pour arriver a ce
resultat, le concours le plus devoue. Us lui
demanderent, vu Tabsence de quelques-uns
des leurs, de vouloir bien indiquer une nou-
velle reunion des etats a une date qui per-
mit a tons d'y assister. Le regent fixa le 29
du meme mois, a Verlus. Puis il fit occuper
par surprise la citadelle de Meaux, situ^e sur
la Marne, position importante d'oii Ton pou-
vait arreter les convois de grains destines au
ravitaillement de Paris et d'ou les gens
d'armes du regent pouvaient, sans danger,
battre la campagne parisienne.
— 147 —
Apres Toccupalion de Meaux et les decla-
rations de Provins , aucun doute ne pouvait
resler a personne sur les intentions du dau-
phin et de la noblesse. Le prevot mit imme-
diatement Paris en etat de defense. II trouva
dans la plupart des habitants de la ville iin
energique appui. La milice bourgeoise, bien
organisee et bien commandee par des chefs
qu'elle avait elle-meme elns, foiirnit pres de
3o,ooo combattants a la garde des remparts.
Les maisons des faubourgs en dehors des
murs d'enceinte furent rasees.* Parmi elles,
se trouvaienl, sur la rive gauche de la Seine,
un certain nombre de convents appartenant
aux ordres des Jacobins, Cordeliers et Char-
Ireux. Ces religieux, issus presque tons du
peuple, en contact quotidien par la predica-
tion avec la population parisienne, parta-
geaient les passions de celle-ci. lis preterent
au prevot unevigoureuse assistance. Non con-
tents de deniolir eux-memes celles de leurs
maisons qui pouvaient enlraver la defense
— 148 —
de la place, ilsoflrirent au corps municipal
de Iravailler aux forlificalions et d'abandon-
ner a la ville , pour faire face aux frais de
la lutte, une notable portion de leurs biens.
IVlais les magistrats parisiens ne trouve-
rent point partout la meme abnegation. S'ils
pouvaient compter sur les citoyens intel-
ligents qui ne se faisaient point d'iiiusions
sur les projels du regent, ils avaient a hit-
ter contre le mauvais vouloir d'un nombre
relativement assez considerable de bour-
geois. Les mesures de defense prises par le
corps municipal portaient un prejudice no-
table aux riches marchands, presque tous
proprietaires de maisons dans les environs
inmiediats de la ville. Beaucoup de ces
gens trouverent que la guerre qu'on allait
soutenir contre M^"" le regent etait une en-
Ireprise bien hasardeuse , et qu'en tous cas
elle commencait a elre tres-onereuse. Quel-
ques-uns pensaient, sans oser le dire encore,
en public au moins, que les abus reproches a
— 149 —
la royaute, ne coutaient pas plus cher a la
bourgeoisie que les agissements de M. le pre-
vot et du corps municipal ; que ceux-ci avaient
porte a la fortune publique et privee des at-
teintes plus graves que les anciens edits mo-
netaires, et la taille a volonte; enfin , que de-
puis le moment ou Marcel avait pretendu
diriger les affaires du pays, celui-ci n'avait cesse
d'etre profondement trouble. Cetaitun grave
symptome que Tapparition de ces senti-
ments nouveaux chez bon nombre de pari-
siens opulents. A Tappui devoueetapeu pres
unanime de la bourgeoisie les re forma teurs
avaient du de pouvoir jusqu'alors, et sans
trop de desavantages, lutter contre les entre-
prises du regent. Get accord menacait de se
rompre. Marcel et ses coUegues etaient ar-
rives a ce moment singulierement critique
pour tous les gouvernements qui commen-
cenl , ou ils sont , apres s'etre etablis en prc-
mettant de satisfaire les interets en souf-
france , contraints par la force des clioses a
— 150 —
porter atleinle a ces interels. Epreuve terri-
ble et a laquelle bien peu peuvent resister.
Cependaiit la cause soutenue par le pre-
vot inspirait encore confiance a beaucoupde
gens. Alors que le regent etait reduit aux
expedients, Marcel Irouvait moyen de nego-
cier, au nom de la*\ille, un emprunt con-
siderable. II se procurait, en saisissant , par
un henreux coup de main , I'artillerie dii
Louvre , les canons et le materiel de guerre
dont il avail besoin pour la defense de
Paris. Avant d'engager definitivement une
lutte dont Tissue pouvait etre fatale a sa cause,
il voulut tenter une derniere demarche. Il
adressa au regent une lettre par laquelle il
mettait le prince en demeure de remplir
les promesses par lui faites aux etats et a la
municipalite parisienne , et volontairement
confirmees aux lialles.
Copie de cetle lettre fut , par les soins du
prev6t des marchands, transmise aux bonnes
villes de France et aux communes flamandes.
— 151 —
La demarche de Marcel resla infruc-
tueuse. Le regent considera la letlre du pre-
\6t comme une nouvelle insiilte.
Les communes de Flandre ne pouvaient
donner aux Parisiens un concours effeclif.
Quant aux villes de France, elles ne crurent
pas de leur interet de se meler a la lulte
que Paris soutenait contre le regent. Elles
etaienl d'ailleurs, pour la plupart, epuisees
par la guerre et exposees aux incursions des
Anglais. Presque toutes , en dehors des aides
qu'elles payaient a la royaute , pour mettre
celle-ci en elat de pourvoir a Ja defense na-
lionale, etaient contraintes, pdur se proteger
contre Tennenu , de soudoyer elles-memes
des hommes d'armes. Les plus devouees an
prevot, Meaux, Troyes, Senlis, etaient oc-
cupees par les compagnies du dauphin. Rouen
avait eu avec Paris des demeles au sujet
de la navigation de la Seine. Les mar-
chands rouennais esperaient , en abandon-
nant la capitale , se concilier la faveur du
— 164 —
sujels du royaiuiie devaienl egaleinent subir
la charge deTimpot, recevait , de ceux metnes
qui Tavaient le plus longtemps comballu,
une consecration nouvelle. line assemblee
provinciale , composee de gens devoues au
regent, dominee des les premiers jours par
les prelats et par les gentilshoinmes qui en
faisaient partie, soumettait a Timpot clercs
et nobles , comme bourgeois et \ilains , et
retirait aux representants de Tautorite royale
le maniement des fonds a provenir de cet
impot.
II en fut de meme a Compiegne ou le
regent reunit, le 4 maisuivant, les etats ge-
neraux du royaume convoques originaire-
ment pour le 2 mai a Paris. Le lieu de la
reunion avait ele change dans le butde sous-
Iraire les elals a Tinfluence des bourgeois pa-
risiens, et assurer ainsi, disaient les fideles,
leur independance. Le regent pour rendre,
— 153 —
Les elals de Champagne venaient de
se reunir a Vertus (i) ainsi qifil avait ete
convenu le mois precedent : ils avaient
\ole les subsides qui leur avaient ete deman-
des. Les gens d'Egiise durent acquilter un
iinpot de lo Yo sur leurs revenus, les nobles
5 7o de la rente de leurs domaines , les villes
fournir un lionune d'armes par 70 feux ;
les habitants du plat pays et les serfs, les
premiers , un homme par 100, les autres , un
homme par 200 feux. Les etats avaient decide
que Timpot vote serait reparti et leve par des
delegues nommes par eux, lesquels non-seu-
lement controleraient I'emploi des fonds,
mais les emploieralent eux-memes aux fins
fixees par les etats. Un dixieme seulement du
produit de Taide avait ete accorde au regent
pour ses depenses personnelles.
Ainsi, le grand principe defendu avec tant
d'energie par les bourgeois , que tons les
(1) 29 avril i358.
— 164 —
siijels du royaume devaient egalement subir
la charge de l'imp6t, recevait , de ceux metnes
qui Tavaient le plus longtemps combaltu ,
une consecration nouvelle. line assentiblee
provinciale , composee de gens devoues aii
regent, dominee des les premiers jours par
les prelats et par les gentilshoinmes qui en
faisaient parlie, souoiettait a Timpot clercs
et nobles, comme bourgeois et \ilains, et
relirait aux represenlants de Tautorite royale
le nrianiement des fonds a provenir de cet
impot.
II en fut de meme a Compiegne ou le
regent reunit, le 4 maisuivant, les etals ge«
neraux du royaume convoques originaire-
ment pour le 2 mai a Paris. Le lieu de la
reunion avait ele change dans le but de sous-
Iraire les elals a Tinfluence des bourgeois pa-
risiens, et assurer ainsi, disaient les fideles,
leur independance. Le regent pour rendre,
— 155 —
sans doule, celte independance plus com«
plete, fit deliberer les elals sous la pique des
gens d'armes. Paris et les princi pales villes
s'elaient abstenues d'envoyer aucun depute;
les nobles seuls et les representants du clerge
elaient en nombre, Leur premier soin fut de
demander au regent de chasser de son con-
seil Teveque de Laon , Lecoq , qu'on savait
devoue au prevot Marcel et aux idees nou«
velles. Lecoq, contraint de quitter Com-
piegne, se refugia a Paris. Les deliberations
des etats ne furent que de longues recri-
minations conlre les miserables vilains qui^
depuis deux ans, sous couleur de reformes^
n'avaient cesse de troubler le rovaume , et
contre les habitants de Paris qui s'etaient
fait leurs complices. Toutefois on fut oblige
de reconnaitre que ces vilains, qu'on injuriait
si fort , n'etaient point « sans avoir fiiit au-
cunes bonnes clioses et raisonnables.., mises
la , » ajoutait-on , « afin de colorer leurs
autresentreprises; » maisqui, enfin, etaient si
— 156 —
raisonnables que les gens reunis a Conipiegne
ne trouverent rien de mieux a faire que de les
imiter. L'aide, ainsi qu'il avail ete fait aux
etats reunis a Paris ne fut octroyee au regent,
que pour un an. Elle affecta la forme demo-
cratique d'une taxe sur le revenu, et frappa
a la fois nobles , clercs , \ilains ou serfs , n'ex-
ceptant absolument que les mendiants. Des
commissaires furent appointes par les etats
a Teffet de poursuivre les officiers royaux
coupables ou suspects de malversation. II fut
edicte (ordonnance du i4 mai) que les af-
faires du royaume seraient deliberees par le
regent en conseil; que ces deliberations ne
seraient valables qu'autant qu'un nombre
determine de conseillersy auraient pris part ;
que les conseillers devraient signer les pro-
ces-verbaux des seances oil ils siegeraient , et
la minute des delibera lions prises en leur
presence , le chancelier, refuser de contresi-
gner tout ordre ou toute lettre expediee sans
Taccomplissement de toutes ces formalites.
— 157 —
A ces ordres , les sujets ne seraient pas tenus
de se soumettre (i).
Cetaient, ou peu s'en faut, a part le choix
des membres du conseil que les etats n'a-
Yaient point revendique pour eux, les garan-
ties memes reclamees par les etats de Paris,
et contre lesquelles le due de Normandie
n'avait jusqu'alors cesse de protester.
• Les resolutions prises par les etats de Com-
piegne ne devaient pas d'ailleurs recevoir se-
rieuse execution; le regent le savait. Le
nombre des deputes du tiers avait ete si
peu considerable qu'il etait a peu pres cer-
tain que les bonnes villes refuseraient de se
soumettre aux mesures ordonnees par les
etats. Pour parer aux difficultes qu'il pre-
voyait, le prince prit le parti de requerir les
villes qui n'avaient point ete representees a
Tassemblee de lui envoyer des deputes spe-
ciaux, avec mission de s'enlendre directement
avec lui sur les differents sujets qui avaient
(i) i4 mai i358.
-^ 158 —
ele soumis aux elals, el notamment sur I'aide
a fournir par leurs conciloyens.
Celte convocation fut assez mal accueillie
par ceux auxquels elle s'adressait. A Amiens,
au recu des lellres du regent, les bourgeois
se reunirent en assemblee generale et decide-
rent qu'il ne serait point obtempere aux or-
dres royaux, qu'on n'enverrait pas de deputes
et qu'on ne paierait point de taxes. En reponse
a la communication qui lui avait ete faite, le
corps municipal fit ^avoir au prince que s1l
voulait venir a Amiens, il y serait le bien venu,
mais a condition des'vrendre sans escortede
gens d'armes, la presence de ceux-ci pouvant
devenir Toccasion de rixes dangereuses. Au
recu de cet avis, qu'il considera comme un ou-
trage, le regent prit avec des troupes le chemin
d'Amiens. Aussitot que le bruit de son ap-
procbe en pareille compagnie se repandit
dans la ville, le commun peuple s'assembla
et conlraignit le corps municipal a faire appel
aux milices communales, et a les faire mar-
— 159 —
clier conlre le dauphin. Les peliles villes dii
Beauvaisis armerent leurs contingents. Le
regent dut arreter sa marclie.
La ville de Laon, a ['instigation de son
eveque, Lecoq, refusa egalement de payer
Taide votee a Gompiegne. La plupart des
villes du Nord en firent autant.
On ne pouvait penser que les Parisiens con-
sentiraiSnt a acquilter un impot vote a ia
demande de leurs ennemis, et dont le produit
devait elre employe a leur faire la guerre.
Cependant le regent ecrivit au pre v6t des mar-
chandspourTengager a faireelire parlesbdur-
geoisles delegues charges de presider a la per-
ception de Taide. Ordre elait donne a Marcel,
dans le cas oil les bourgeois refuseraient de
se reunir a ces fins, ou tarderaient a le faire,
de choisir lui-menie les commissaires ala per-
ception et de commencer immediatement le
recouvrement de I'impot vote a Gompiegne .
— 160 —
La depeche du prince fut communiquee
au peuple de Paris dans les assemblees de
quarlier el devint Tobjet de discussions ex-
tremement vives. Les partisans de la paix
etaient nombreux. Le prevot comprit qu'il
ne fallait pas, des I'abord, et par une precipi-
tation intempeslive faire d'adversaires deja
incommodes , des ennemis declares. II sa-
vait d'ailleurs combien une lutte ouverte
contre le dauphin pouvait etre chanceuse, et
combien la desertion des villes des pi*bvinces
en rendait pour Paris Tissue perilleuse. II
determina le corps municipal a faire parvenir
au regent des propositions pacifiques. L'uni-
versile servit d'intermediaire. La ville se de-
clarait prele a faire amende honorable et de-
mandait seulement \ie sauve pour ceux qui
avaient oflTense le regent. Celui-ci, comme
condition prealablea tout arrangement,exigea
qu'on lui livrat les principaux coupables pour
en faire a sa volonte. La negociation fut
rompue. On reprocha plus tard amerement
— 161 —
an prevot Tinsucces de ces pourparlers. On dit
que, dans un interet purement personnel, les
coupables avaient compromis la ville enliere
et mis en peril la vie et la fortune de leurs
concitoyens innocents.
Au lieu de nommer des collecteurs pour
Timpot, les Parisiens reprirent leurs prepa-
ralifs de defense.
§v.
Le people des eampag^nes. — La JIaeqaerie.
La perception des taxes voteesa Compiegne
elait done devenue, dans beaucoup de villes,
surlout dans les plus grandes et les plus riches,
a peu pres impossible. Restaient les campa-
gnes (ce qu'on appelait le plat pays), qui de-
vaient, ainsi qu'il avait ete vote a Compiegne
enlrelenir, i liomme pour loo feux en
certains pays , un par 200 feux en certains
aulres. Get impot ful percu avec d'autant
plus de rigueur que la resistance des villes
avait cause , dans les caisses du regent , un
deficit qu'il importait de ne point augmenter.
Mais a peine les elats s'etaient-ils separes
— 163 —
et le recouvrement de Taide avail-il com-
mence dans les campagnes, qu'eclala un ter-
rible soulevement. Les paysans du Beauvoisis,
de la Picardie, du Soissonnais, de I'lsle de
France coururent sus aux collecleurs d'im-
pols, aux nobles, en massacrerent un grand
nombr^ et pendant quelques semaines, mi-
rent a feu et a sang le pays silue enlre la
Somme et TYonne ([).
On a impute aux excitations du prevot
cetle revolte connue dans Thistoire sous le
nom de Jacquerie. La royaute a pretendu
faire retomber sur la bourgeoisie parisienne
la responsabilile des exces et des crimes
commis par les paysans. Marcel, dans une
leltre adressee aux bonnes villes, a energi-
quement repousse celte imputation. Tout
porle a croire qu'il elait sincere. La revolte
locale de la Jacquerie ne fut qUe TefTort de-
sordonne de quelques miserables pour se-
(i) 21 mai — 1 5 juin i358.
— 164 —
couer le joug de fer qui les eireignait. Elle
fut inspiree par un seul senliment, la misere,
et n'eut qu'iin seul but, la vengeance.
La conquele romaine a vait peuple les campa-
gnes d'esclaves : Tinvasion avail refoule dans
les villes le peu d'bommes libres que la cen-
tralisalion imperiale y avail laisses. La feoda-
lile s'etail etablie solidement dans le plat pays
el avail ecrase les populations rgrales. Quel-
ques soulevemenls , lenles a diverses epoques
par les serfs exasperes, n'avaient servi qu'a
rendre la condilion de ceux-ci plus deplo-
rable encore. Au xiv® siecle le paysan avail
a peu pres la \aleur des besliaux qui culti-
vaient avec lui la glebe du seigneur ; c'etail
une chose, ce n'etait point un homme. 11
ne comptait pour rien dans le pays. Le demi-
siecle qui venail de s'ecouler avail porle la
misere des serfs a son comble. Ecrasees de
prestations, de redevances, d^cimees par la
p^ste, ranconnees par T Anglais, pressurees par
les barons, dont il avail fallu , apres Courtray,
— 165 —
apres Crecy, apres Poiliers, acquiller les ran-
cons et payer les folies, epuisees aussi par
rimpot royal, les populations des campagnes
elaient tombees au dernier degre de Tabjec-
lion et dii desespoir. Elles etaientabsolument
hors d'etat de supporter de nouvelles charges.
Aussi, lorsqu'on \int leur reclamer Taide
\otee a Compiegne, refuserent-elles de Tac-
quitter. On voulut les y contraindre par la
force, elles re^isterent, et leur resistance prit
un caraclere atroce. Une fois sortis de cette
apathie sous laquelle ils cacliaient d'ordi-
naire leurs souffrances, les paysans essaye-
rent de se venger de tous leurs oppres -
seurs, et surtout des gentilshommes dont la
tyrannic odieuse pesait depuis si longlemps
'sur eux.
La Jacquerie eclata au moment meme oil
le recouvrement de Taide etait poursuivi
dans le plat pays, et demeura circonscrite aux
provinces oil Timpot fut leve ; elle cut pour
adversaire principal Tallie du prevot Marcel,
— 166 —
I
le roi de Navarre. En faul-il da vantage pour
etablir qu'elle n'a point ele fomentee par les
bourgeois, qu'elle a eu pour cause determi-
nante laperception des taxes de Compiegne.
S'il etait absolument necessaire d'imputer a
quelqu'un la responsabilite de ce souleve-
ment , cette responsabilite incomberait au
regent qui avait rendu la revolle inevitable
en voulant arracher de Targent a des mal-
lieureux qui n'en avaient pas.
Sans doule, des Tabord, les bourgeois vi-
rent, sans depiaisir, eclater une sedition qui
devait donner a leurs adversaires le plus
serieux des embarras. Us eprouverent peu
de regrets de la mort des gentilshommes du
Beauvoisis ou,du Soissonnais qui avaient si
bien affiche , a Compiegne leur baine contre
les bourgeois et la cause soutenue par
ceux-ci. Depuis les etats de Provins et ceux
de Verlus la population parisienne consi-
derait les nobles comme des enneinis publics;
a peine faisail-elle exception en faveur du
— 167 —
roi de Navarre. Elle se defiait de tous ceux
qui , par leur naissance , appartenaient aux
classes privilegiees , et nfe pardonnait qu'a
ceux « qui reniaient genlilFesse et noblesse. »
Les Jacques , en frappant les barons , fai-
saient done Taffaire des reformaleurs ; mais
ceux-ci repousserent loujours avec liorreur
loute- solidarile dans les agissements des
paysans souleves. U fallut, dans cerlaines
localites, que les revolles employassent la
violence pour decider les personnages im-
portants de leur pays , appartenant a la
classe bourgeoise, a marcher avec eux (i).
Bien loin d'exciter la violence des Jacques,
tous les efforts des bourgeois tendirent a en
attenuer la portee.
lis essayerent toulefois, c'est une verite qu'il
n'est pas permis de con tester, de tirer parli,
dans Tinteret de leur cause , de la diversion
( I ) Le regent le reconnut lui-meme dans les lettres de remis-
siciD accordees plus tard a quelques-uns de ceux qui avaient
pris part a la rebellion.
— 168 —
puissante que le liasard leur ofTrait. Etienne
Marcel se mit en rapport avec les* chefs princi-
paux des revoltes , et il tenia de les amener
a combiner avec lesParisiens une action com-
mune. C'etait entreprendre une tache singu-
lierement difficile. Les Jacques s'etaient sou-
leves , avaient tue les gentilshommes , brule
les chateaux, devasteles domaines, chacun
de son cote , sans plan arrete. Peu leur im-
porlaient les projets poursuivis par les gros
bourgeois de Paris , d' Amiens ou de Rouen,
lis ne les comprenaient pas et n'essayaient
pas de les comprendre. lis n'y portaient et
ne pouvaient y porter aucune espece d'in-
teret. Pouvoir royal controle , administration
reguliere des finances de TEtat , emploi judi-
cieux des impots votes, stabilite dans les mon-
naies, justice plus prompte et plus rapide,
c'etaient la des choses inintelligibles pour
des serfs, taillables a volonte. lis n'avaient
que faire de tout cela. lis avaient pendant de
longues annees courbe la tete et souffert en
— 169 —
silence. Us avaient la force aujourd'hui; ils
voulaient a leur lour faire souffrir leurs ty-
rans. Cetait la toute leur politique. Ils n'e-
prouvaient pour les bourgeois des \illes
qu'une mediocre sympathie. Ils etaient bien
pres de les confondre avec les genlils-
bommes qui avaient tant mallraite les pauvres
babitants du plat pays. Le citadin qui de-
baltait avec le roi le cbiffre des taxes qu'il
devait payer, qui pouvait entrer au con-
seil royal, fetremplir les plus bautes cbarges
de TEtat, n'etait pas, aux yeux des malbeu-
reux paysans, de la meme race que le serf,
corveable a merci, oblige de Iravailler sans
relacbe a une terre dont les produils appar-
lenaient a un autre que lui.
II etait done difficile aux magistrals pari-
siens de trouver dans de tels hommes des auxi-
liaires utiles. En vain voulurent-ils donner
aux mouvements desordonnes des Jacques en
delire une direction raisonnable; leurs efforts
ecbouerent completement. lis profiterent seu-
10
— 170 —
lement du trouble profond ou la revolle
des paysans avail plonge le regent et la no-
blesse pour completer la mise en elat de de-
fense de la ville de Paris. Des colonnes mo-
biles de Parisiens armes furent formees par
le prevot pour operer dans les environs
de la ville. Ces colonnes se porterent sur les
chateaux appartenant aux conseillers les plus
devoues du regent et les detruisirent. Au
reste la diversion produite par la Jacquerie
dura peu de temps. L'insurrection cessa
rapidement de s'etendre; Tepoque de la
moisson approchait. Les serfs des districts
non encore souleves ne songerent qu'a re-
cueillir leurs recoltes ; ceux qui avaient deja
pris les amies penserent a retourner chez
eux. lis se debanderent.
Cependanl les nobles, remis de leur pre-
mier etonnement, s'appretaient a reprimer
energiquement la revoke. Tons les genlils-
hommes de France avaient compris qu*il fal-
lait etouffer dans son berceau le souleve-
— 171 —
menldes paysans. lis offrirentleur concours
a leurs freres du Beauvoisis et de Tlsle de
France. Plusieurs meiribres de raristocralie
anglaise , oubliant la guerre qui divisait les
deux pays, pour nesonger qu'aux interets de
leur caste , offrirent leur epee a la noblesse
francaise. Leroi de Navarre lui-meme laissant
de cote pour un moment sa haine contre
le regent et ses pretentions politiques, se
souvint qu'il etait gentilhomme. II courut
sus aux Jacques a la tete de ses gens d'armes^
s'empara de Tun de leurs principaux chefs ,
le fit mettre a mort au milieu des plus
atroces tourments, massacra plusieurs mil-
liers de ces malheureux. De toutes parts
les nobles en force reprirent I'offensive et
taillerent en pieces les serfs souleves.
Les Parisiens tenlerent, avant que la des-
truction complete des Jacques eut rendu
aux chevaliers du regent leur liberte d'ac-
tion, un dernier etvigoureux effort. D'accord
avec les bourgeois de Meaux , ils essay erent
— 172 —
de s'emparer de la citadelle de cetle ville qui
barrait la Marne et empechait Tapprovision-
nement de Paris (i). Ilsechouerent, malgre le
courage deploye par leurs archers. La gar-
nison , soutenue en temps utile par des gens
d'armes venus de Chalons , en inassacra un
grand nombre. La ville de Meaux fut mise a
sac, ses magistrats municipaux , soupconnes
d'appartenir a la faction parisienne et d'avoir
prele leur concours aux entreprises d'Etienne
Marcel, egorges, la plupart des habitants
jetes a la Marne , les autres expulses de leurs
maisons. La rpyaute et la noblesse preten-
dirent rendre la bourgeoisie responsable des
violences commises par les paysans. On frappa
indistinctement tous ceux qui n'appartenaient
pas a I'ordre de la noblesse. Les populations
des villes furent decimees comine celles des
canipagnes.
Le prevot des marchands y au nom de la
(i] 10 juin i358.
— 173 —
\ille de Paris, denonca ces exces aiix bonnes
villes de France et de Flandre. II esperait
que les violences commises par les nobles ou-
vriraientles yeux des provinciaux, que ceux-ci
comprendraient enfin qu'en luttant conlre
le regent et conlre la noblesse , en defendant
energiquement les conquetes politiques de
1 357, la ville de Paris ne soutenait pas seu-
lement sa propre cause , mais celle de toules
les aulres villes. Get appel comme les prece-
dents fut infructueux ; il ne fut entendu du
moins que par les bourgeois des pays oii la
reaction feodale sevissait avec le plus de ri-
gueur. Les villes du Laonnais, du Soisson-
•
nais, de la Picardie armerent fleurs milices
et repousserent vigoureusement toutes les
attaques dirigees contre elles. Les bour-
geois de Senlis infligerent a la noblesse du
Beauvoisis un sanglant echec; mais ce furent
la des efforts isoles. Absorbees par le soin de
leur propre defense, les villes du Nord ne pou-
vaienl donner aux Parisiens aucun secours.
— 174 —
Les cites de la Normandie , de TOrleanais
et des bords de la Loire, peu soucieuses, pour
eviter des miseres dont elles ne soufTraient
point encore et auxqiielles elles esperaient
echapper, de s'exposer aiix dangers que ne
manqueraitpasd'attirer sur elles une alliance
avec Paris , reslerent absolument inactives.
§VI.
Insiiec^s deflnitif de la R^volatlon. — Causes
de ce( iDsocces.
Paris livre a lui-meme eut peut-elre lulle
avec succes centre le regent si les divisions
qui, des les premiers jours de la guerre,
avaient commence a se manifester, n'etaien t
devenues plus profondes. Leses dans leurs in-
terets par la continuation des hostilites , les
riches marchands de Paris se montraient de
plus en plus mal disposes envers le prevot.
Terrifies des exces commis par les Jacques ,
craignant que la populace de Paris ne se por-
tal conlre les bourgeois aises , aux memes vio-
lences que' les paysans contre les genlilshom-
— 176 —
mes, desireux avatit tout de ne pas s'exposer
au ressentiment du dauphin et d'echapper
aux chatiments terribles qui frappaient les
fauteurs de sedition, ils n'eurent bientot
qu'une pensee , faire a tout prix la paix avec
le prince. Le prevot des marchands prit
contre ces gens des mesures energiques.
Deux bourgeois , accuses d'avoir servi d'a-
genls au regent et trahi la cause de leurs
concitoyens , furent arreles et pendus. Cette
execution sur laquelle Marcel comptait
pour terrifier ses ennemis tourna a son desa-
\antage. Le bourreau ayant ete pris d'une
attaque d'epilepsie , le bruit se repandit
dans le peuple que Dieu reprouvait de
semblables executions, qu'il avait, en met-
tant sur Techafaud meme le bourreau hors
d'etat de remplir son office , temoigne son
deplaisir. Le clerge des paroisses de Paris,
aussi peu favorable a la cause soutenue par
Marcel que les ordres mendiahts s'y mon-
traient devoues, exploita fort babilement la
— 177 —
superstition des classes las moins eclairees de
la population. U insinua que ceux qui com-
battaient contre leurs princes legitimes, re-
presentants du Seigneur sur la terre, s'expo-
saient aux plus grands malheurs et reussit a
persuader a nombre de gens religieux et cre-
dules, qu'il fallait, a peine de damnation,
rentrer en Tobeissance de monseigneur le
regent.
Les chefs du gouvernement parisien n'i-
gnoraient pas les dispositions hostiles d'une
portion des habitants. lis penserent que le
moment etait \enu de mettre a execution le
projet qu'ils avaient concu et de s'assurer de-
finitivement le concours, sinon la complicite
du roi de Navarre, lis oflfrirent a celui-ci le
titre de capitaine de Paris avec le comman-
dement de la ville et des milices bourgeoises,
c'est-a-dire une dictature a peine deguisee.
Cetait une faute tres-grave, et que ne
pouvait excuser le besoin ou se trouvaient
— 178 —
le prevot des marchands et ses collegues
dii corps municipal de se faire des allies.
Ce n'etait plus en effet I'alliance des bour-
geois de Paris et des bonnes villes de France
que les magistrals parisiens offraient au roi
de Navarre , c'etait le secours de celui-ci
qu'ils venaient humblement solliciter. Le roi
de Navarre savait fort bien qu'il n'avait
point a accepter de conditions, que ses nou-
veaux allies seraient trop heureux de se sou-
mettre a celles qu'il voudrait bien formuler
lui-meme. C'etait done en realite un maitre
que le prevot appelait a Paris.
Le roi de Navarre accepta sans hesiter
Toffre qui lui etait faite et se dirigea im-
mediatement sur Paris avec una nom-
breuse troupe d'hommes d'armes. Par une
circonstance malheureuse et que les ennemis
du prevot des marchands devaient plus tard
cruellement reprocher a celui-ci, se trou-
vaient dans les bandes navarraises un cert^ia
nombre d'Anglais.
— 179 —
Les magistrals parisiens n etaient pas sans
redouter les suites de la grave mesure qu'ils
\enaient de prendre. Les negociations quils
avaient suivies avec le roi de Navarre avaient
ete tenues secretes. La' population n'en avait
point ete et n'avait pu en elre avisee. Elle
a\ait,a une autre epoque , temoigne d'un
ardent entliousiasme pour le roi ; mais la con-
duite de celui-ci pendant la Jacquerie avait
ete fortement improuvee par le petit peuple ;
on pouvait craindre que la populace accueil-
lit mal le capitaine qu'il avait plu a Etienne
Marcel et a ses amis de lui donner, et qu'elle
trouvat mauvais qu'on eiit dispose de Paris
sans la consulter. Pour eviler des complica-
tions qui pouvaient devenir serieuses , il fut
entendu entre le roi de Navarre et le prevot
que le roi entrerait en ville sans prendre
son titre de capitaine , et qu'on essaierait de
donner, a Texecution du traite arrete enlre
lui et la municipalite , le caractere d'une
grande manifestation populaire. Le roi de
— 180 —
Navarre joua liabilement son role. Des le
jour de son arrivee, il fit annoncer qu'il se
rendrait a la Maison aux Piliers et qu'il y fe-
rait publiquement connaitre son opinion sur
la situation du pays. Une foule considerable
se porta a la Greve pour Tentendre. Le pre-
v6t et les echevins avaient eu soin d'y reunir
leurs partisans les plus devoues. Le prince
liarangua les bourgeois avec beaucoup d'ha-
bilete. II se declara attache jusqu*a la mort
a la population parisienne a laquelle il devait
la liberte. Ce discours produisit, parait-il,
bon effet ; de vifs applaudi3sements se firent
entendre.
Aussitot Tun des echevins, Toussac,
homme fort eloquent et qui passait pour avoir
sur le peuple une grande influence, prit la
parole. Il fit Teloge du roi de Navarre, rap-
pela les tilres qu'avait celui-ci a la confiance
publique et les gages qu'il avait deja donnes
(le son devouement a la cause soutenue par les
Parisiens. 11 annonca que le corps municipal
— 181 —
avail demande au roi d accepter le tilre de
capitaine de la ville. Le pre vol et les
prudhommes n'avaient, disait Toussac, pris
celle delerminalion que parce qu'ils etaient
convaincus que Talliance du roi de Na-
varre et de la population parisienne assu-
rerait le triomphe des reformes entreprises.
lis etaient certains du complet accord du
peuple de Paris et de ses magistrals. Ceux-ci
demandaient a leurs conciloyens de ratifier le
cboix qu'ils avaient fail dansTinleret de tous.
Le discours de Toussac fut accueilli par
les cris de Navarre ! Navarre ! Le prevol des
marchands el le roi feignirent de voir dans
ces acclamations de quelques habitants I'ex-
pression de la volonle de la population lout
enliere. Des bourgeois voulurent protester :
leurs protestations furent etoufTees. Le roi
de Navarre prela serment et ful inslalle dans
ses nouvelles fonctions (i).
(i) 25 juin 1358.
11
— 182 —
Marcel , fidele au sysleme qu'il avail suivi
jusqu'alors , sinon de n'agir qu'apres avoir
pris I'avis des provinces, du moins de leur
nolifier lej fails accomplis , rendit , par lellre
circulaire , comple aux bonnes villes des
evenemenls qui venaienl de s'accomplir.
Quelques-unes seulemenl, devouees au roi
de Navarre, repondirenl a la leltre de Marcel
par une adhesion pure el simple. Le plus
grand nombre ne dissimulerent poinl leur
in) probation.
D'aulre part, beaucoup de gens d'armes
navarrais refuserenl de combatlre a c6le des
Parisiens contre les chevaliers du regent, et
abandonnerenl leur chef plutot que de s'as-
socier aux bourgeois. Conlrainl par ses nou-
veaux allies d'aller, malgre la defection deses
chevaliers, au devant des troupes royales,
Charles le Mauvais tint quelques jours cam-
pagne, mais rentra sans s'etre engage contre
Tennemi. Cen fut assez pour que beaucoup
de gens pretendissent que le roi de Navarre,
— 183 —
le bourreau des malheureux pay sans du Sois-
sonnais, n'avait pas voulu combattre ses
freres les gentilshommes , qu'il s'entendait
avec eux et qu'il ne s'etait fait revetir de la
haute dignite de capitaine de la ville que pour
trahir le peuple de Paris et le livrer aux
barons Champenois.
Les accusations ne s'arreterent pas au roi.
Elles attei^nirent aussi Marcel.
II est rare qu'un grand liomme sorti des
rangs du peuple jouisse entierement de la
confiancede celui-ci. Le peuple, qui se prete
a lui-meme , pris en masse, toutes les vertus,
reconnait rarement a Tun des siens, pris indi-
viduellement, des qualites eniinentes, et sur-
lout du desinteressement. L'envie est une
qualite eminemment democratique. EUe a de
bons cotes. C'est de tons les controles le
plus clairvoyant et le plus efficace. Mais elle .
a le grand inconvenient d'entraver Tessor
des grands esprits et des grandes intelligen-
ces. Dans un pays democratise, lous les ci-
- 184 —
toyens pen vent aspirer aux plus liautes fonc-
lions de TEtat, ce qui estun grand bien; mais,
en meme lemps, nul ne veut admettre que
I'un des ciloyens , soil ou devienne en rien
superieur aux autres , ce qui est un mal.
L'importance prise par le prevot , les ser-
vices memes qu'il avait rendus aux Parisiens
le designaient a la calomnie. On disait en
ville que Marcel n'avait eu, en appelant le
roi de Navarre qu'un seul but , faire entrer
dans Paris des troupes etrangeres, pour, avec
Taide de celles-ci, se debarrasser de ses ad-
versaires poliliques et assurer sa domination
personnelle. II y eut meme des gens qui in-
sinuerent que, depuis longues annees, Marcel
avait concu le projet de se substituer au dau-
phin et de se proclamer roi de France. D'autres
faisaientremarquer que le prevot avait a sa
solder des A^nglais », c'est-a-dire les fleaux
du pays. On allait jusqu'apretendreque Mar-
cel avait ete « engendre par une personne
elrange et ennemie du royaume. « Peu s'en
— 185 —
fallait que certaines gens ne voiiliissent lui
imputer la responsabilile du desastre de
Poitiers.
Chaque jour grandissaient le nombre de ses
adversaires, et les difficultes de sa situation.
Le regent s'etait rapproche de Paris , mais il
evitait d'engager avec les milices parisiennes
unelutte dc vive force, il se bornait adevas-
ter la banlieue et a faire detruire par ses gens
d'armes les habitations qu*a\aient epargnees
les Parisiens : il pensait que les gros mai*-
chands et les riches bourgeois se degoute-
raient rapidement d'une guerre a laquelle ils
ne pouvaieat rien gagner, et qui, chaque jour,
au contraire, leur infligeait des pertes con-
siderables. Ses calculs etaient fondes.
Devant la niauvaise volonte toujourscrois-
sante d'une notable partie de la population
parisienne le corps municipal fit faire au re-
gent de nouvelles ouvertures de paix. Les
negociations suivaient leur cours quand inter-
\^intleroide Navarre, qui, sans s'inquieter de
— i86 —
ce que pensaient les bourgeois, ses allies, el
prenant sur lui de trailer en leur nom, pro-
mil, en ecliange d'a vantages qu'il slipulail
pour lui personnellement, que les Parisiens
renlreraienl en I'obeissance du roi, et paie-
raient 100,000 ecus d'or si le regent consen-
lail a les exempler de loute peine corporelle.
Lorsque les Parisiens connurent le Iraile
qu'avait signe leur capitaine, leur colere fut
extreme, et quand le roi de Navarre voulul,
apres avoir quitte son beau-frere, renlrer a
Paris pour mettrea execution les conventions
qu'il venait d'arreter, il fut accueilli par des
liuees et des menaces ; on luireprocha sa tra-
bison, on lui demanda quel prix il avail
vendu ses allies, et il n'ecbappa qu'avec peine
aux violences de la populace. Telles furent
les proportions prises par I'emotion populaire
que le roi de Navarre declara qu'il n*elait
point lie d'une facon definitive par le Iraite
qu'il avail discule et consenti avec raonsei-
gneur le regent, qu'il etait pret a s'en de-
— 187 —
gager, et a faire, deslelendemain,une sorlie
conlre les troupes royales. La sortie eut lieu
en effet et fut suivie de plusieurs autres. Mais
leroide Navarre ne put, en rompant le traite^
retrouver la popularite qu'il avait perdue en
le signant. La facilile meme avec laquelle i}
avait viole ses engagements au regard du re-
gent, riiabilete qu'il avait deployee pour don-
ner a son manque de foi Fapparence de re-
presailles autorisees par les agissenients du
due, inspiraient a beaucoup de gens de se-
cretes terreurs. On se demandait, a Paris, quel
fonds on pouvait faire sur la parole d'un
pareil homme. U semble qu'a ce moment
les magistrats parisiens eux-memes songerent
a renoncer a son concours. Le prevot Marcef
tenta,aupres desbonnes villes, une demarche
supreme et leur adressa, le 1 1 juillet, une let-
tre par laquelle il leur demandait, dans leur
interet propre, de se joindre a la lutte que
Paris soulenait conlre les gentilsliommes qui
voulaient reduire de nouveau le peuple a
— 188 —
la plus profonde misere et a la servitude.
Comme les precedentes cette demarche
resla sans effet. Cependant les gens du re-
gent continuaient a saccager la banlieue pa-
risienne. De nouvelles negociations n'avaient
pu aboutir. Le due avait demande que les
Parisiens se rendissent a merci; mais il avait
consenti a ce que leur sort, au lieu d'etre
regie par lui seul, fiit fixe par un conseildont
les membres etaient designes d'avance au
traile , et dont les dispositions bienveillantes
etaient bien connues. Communiquees a k
population, ces propositions avaient souleve
une opposition tres-vive; les negociations
avaient ete abandonnees.
En I'Etat, Talliance du roi de Navarre,
si perilleuse qu'elle fiit , parut a Marcel et
a ses amis Tunique espoir de la cause qu'ils
avaient soulenue et tous leurs efforts tendi-
rent des lors vers un seul but, eviter une
rupture avec Charles le Mauvais.
C'etait une tache difficile; le peuplede Pa-
— 189 —
ris elait de plus en plus aniine conlre le roi.
II trouvait que les soldals de celui-ci ne ren-
daient point a la ville les services qu'on at-
lendait d'eux, qu'ils coulaient beaucoup
d'argenl et faisaient peu de besogne. II les
considerait, depuis le traite signe par leur
chef avec le regent, bien plulot comme des
ennemis que comme des allies. Des querelles
s'elevaient incessamment enlre ces soldats
et la population, querelles qui degeneraient
en combats verilables. Un jour, notamment,
le peuple lua vingt-cinq Navarrais. 11 en au-
rait massacre un plus grand nombre si le
prevot n'avait reussi a souslraire les gens
d armes menaces a la fureur populaire en les
faisant arreler et conduire en prison. Les Na-
varrais avaient voulu vengerla mort de leurs
camarades. Campes a Saint-Denis et a Saint-
Cloud, ils avaient ravage les faubourgs de Pa-
ris. Ces devastations avaient exaspere les Pari-
siens. En vain leroi de Navarre etait-il venu a
riiotel de ville , avait-il harangue le peuple ,
11.
— 190 —
essayede donner des explications. En vain le
corps municipal avait-il fait les plus grands
efforts pour calmer la population , la populace
s'etait montree rebelle a tous conseils. Elle
avait demande a grands cris la mort des « An-
glais » elexige quele roi de Navarreet leprevot
Marcel se missent immediatement ala lete des
milices bourgeoises pour aller les combattre.
A peine leroiet Marcel purent-ils obtenir un
delai de quelques beures, ils durent sorlir le
soirmemea\ec plusieurs millers d'hommes. Ils
furentassez beureux pour eviler une collision
entre les troupes qu'ils conduisaient et les
bandes navarraises; mais une autre colonne ,
quioperait en debors de leur commandement
direct et s'etait dirigee vers Saint-Cloud, f ut
taillee en pieces au bois de Boulogne par
les soldals navarrais, et perdit plus de 5oo
bommes. Sorlis le lendemain, pour relever
leurs morts, les Parisiens furent attaques
encore par leurs anciens allies et 120 des
leurs furent tues.
— 191 —
Ce desasire mit le comble a la fureiir dtr^
peuple, qui se persuada que le roi de Na-
varre avail donne a ses anciens soldats avis
de la marche des gens de Paris, et que les
milices bourgeoises avaient ete victimes d'une
Iraliison .
Marcel n'avait point assiste a ce regrettable-
combat. II fut, en rentrant en ville, accueilli
par desliuees et des menaces. Le prevot ayant
fait mellre en liberie un certain nombre de
Navarrais restes en prison a la suite /des-
premieres rixes intervenues entre eux et
les bourgeois , la complicite de Marcel avec
les assassins de Boulogne parut evidente a la-
multitude.
Les agents du regent profiterent habile -
ment de ces dispositions deTesprit public; ils
repandirentle bruit que le prevot voulait, au
profit du roi de Navarre, abolir Tancienne
constitution municipale de Paris.
Ce bruit contribua a augmenter encore
Tirritation populaire.
— 192 —
Jadis les Parisiens avaient professe pour
la majeste royale un respect sans bornes.
Mais peu a pen ce respect avait disparu.
L'esprit satirique du xiv® siecle s'etait exerce
aux depens de la royaute comme a ceux de
tputes les aiitres institutions De nom-
breux fabliaux avaient paru, ou rois et
princes etaient fort mallraites , ou Ton raillait
leurs ridicules et mettait a nu leurs fai-
blesses; ou Ton apprenait au peuple a les
mepriser. La royaute, d'autre part, avait
pris a tache de se discrediler elle-meme. Elle
etait venue aux halles, avait harangue la
populace, avait, en attaquant les magistrats
municipaux, porte atteinte aux principes
d'autorite qui faisaient sa force : elle avait
engage avec quelques-uns de ses su}ets des
polemiques publiques au cours desquelles
ses adversaires ne Tavaient pas menagee. Le
roi de Navarre avait fait les Parisiens juges
de sa querelle avec le regent. Le regent,
a son tour, avait fait repandre dans Paris,
— 193 —
beaucoup de medisances et de calomnies
sur le compte du roi de Navarre. La conse-
quence de tout ceci avait ete que la royaute,
aux yeux du peuple, avait perdu toute es-
pece de prestige, que les Parisiens se de-
fiaient egalement jde tons ceux qui portaient
ou etaient appeles a porter une couronne;
que s'ils n'aimaient guere le regent ils
n'avaient plus pour le roi de Navarre
qu'une affection mediocre. Peut-etre meme,
apres les derniers evenements, eprouvaient-
ils pour le regent moins d'antipatliie que
pour M^*" de Navarre. Aussi le bruit que
le prevot voulait livrer Paris a Charles le
Mauvais exaspera-t-il la population. Les pe-
tites gens surtout se montrerent extreme-
ment irrites. La populace commencait a
accuser contre les bourgeois un sentiment
analogue a celui que les bourgeois, depuis
Poitiers, nourrissaient contre les gentils-
hommes. Les calomnies du regent portaient
leurs fruits. Le menu peuple se plaignait
— 194 —
qu'a lollies les reformes les bourgeois seuk
eussent gagne quelque chose et qu'ils eussent
neglige les interels des « pelits ». II prelen-
dait mainlenant imposer ses volonles « aux
maitres » qui jusqu'alors avaient gbuverne
seuls les clioses communes, et n'entendait
pas, en lous cas, accepter d'eux un nou-
veau roi. Les 'aspira lions populaires etonne-
rent et effrayerent les partisans de Marcel.
Les desirs exprimes par la populace etaient
cependant la consequence necessaire de la
revolution tenlee et realisee par les bourgeois,
et decoulaient tout natnrellement des theories
et des agissements de ceux-ci. En essayant
d'arracher a la rovaute et a la noblesse
leurs principales prerogatives , les bourgeois
avaient ouvert, dans Tedifice ancien de la
hierarchie sociale, une br^che par laquelle
ils ne pouvaient empecher le menu peuple
de penelrer a leur suite. Ils manquaient de
logique, en pretendant s'elever eux-memes
au niveau des anciennes classes privile-
— 195 —
giees, partager avec elles le gouvernement
de TEtat, et en refiisant aux pauvres gens le
droit de reclamer part egale aleur tour, et de
formuler, au regard des bourgeois, des pre-
tentions analogues acellesqueceux-ciavaient
elevees par rapport au clerge et aux gentils-
liommes. lis ne p^uvaient, en meme temps,
exiger la suppression des privileges qui les
blessaient et le respect de ceux dont ils pro-
fitaient, reclamer T^galite pour eux et ne
point permettre qu'on Tinvoquat contre eux. '
A.insi, les magislrats parisiens, abandonnes
par les gros bourgeois dont la lutte , en se
prolongeant, lesait les interets, et dont la va-
nile trouvait que dans le gouvernement
les petiles gens avaient place Irop grande,
etaient abandonnes aussi par le pelit peuple
qui se disait Irahi au profit de quelques pri-
vilegies. La volonte populaire s'accentua
avec une telle force que le corps municipal
dut relirer au roi de Navarre le tilre et les
fonctions de capitaine de Paris.
— 196 —
Au meme moment les bourgeois enlamaient
secretement des negocia lions avec le regent.
Mis par ses fideles au courant des mouve-
ments de Topinion a Paris, le prince, aux ou-
vertures qui lui furent failes, repondit qu'il
etait pret a tout oublier, a pardonner aux
pauvres gens trompes par leurs chefs, mais
qu'il ne pouvait trailer a\ec les Parisiens
tant que ceux-ci n'auraient pas fait justice
des meurlriers des marechaux. Celait une
reponse habile et qui devait avoir pour re-
sullat de rendre Marcel odieux a la plupart
de ses concitoyens. Apres la declaration du
dauphin , la guerre prenait un caractere nou-
veau. Aux yeux de la plupart des Parisiens
elle devenait en quelque sorle une affaire
personnelle au prevot.
Etienne Marcel fut avise des negocia-
lions et de la condition que le regent met-
tait a la paix. II connaissait assez le peuple
de Paris pour savoir les pernicieux efTets
que deux annees de revolulion a\aient pro-
— 197 —
duits sur Tesprit public^ et ne point se dissi-
muler que le souvenir de services rendus
n'empecherait pas les Parisiens d'abandon-
ner leurs magistrals, s'ils Irouvaient quelque
avantage a le faire. II tint conseil avee ses
principaux partisans. II fut convenu avec eux
que, pour echapper au regent, on se mettrait
aux mains du roi de Navarre; qu*on rappel-
lerait celui-ci a Paris, malgre la destitution
qui Tavait frappe, malgre la volonte populaire.
Le prevot des marchands esperait que, cette
fois encore , le peuple s'inclinerait devant le
fait accompli et qu'il accorderait- aux agis-
sements de ses chefs une approbation,
dont ceux-ci etaient, au surplus, decides, s'il
le fallait, a se passer. II fut entendu qu'on se
justifierait en invoquant la necessite ; on ra-
conterait aux Parisiens que le rappel du roi
deNavare etait indispensable pour empeclier
les partisans du regent de metlre la ville a sac.
On feraitarreterquelques partisans du prince.
On les abandonnerait a la fureur de la popu-
— 198 —
lace. L'enlreprise cependant elait chanceuse.
Les conjures prirent , pour en assurer le suc-
ces, d'energiques mesures. lis furent accuses
plus lard d'avoir prepare le massacre des
bourgeois de la ville , des plus consideres et
des plus imporlants , Fincendie d'une grande
parlie de Paris , et d'avoir voulu livrer aux
Anglais la capitale du royaume. C'etait la
evidemment, desexageralionscomme enconi-
mellent lous les parlis poliliques les uns a
regard des aulres, lesquels, pour juslifier
les crimes qu'ils ontcommis, ne nianquent
jamais d*en impuler de plus grands a leurs
adversaires. II est probable que si le prevot
avait triompbe, les memes desseins eussent
ete preles a ses ennemis, et qu'il eiit passe
pour le sauveur de Paris.
Le roi de Navarre accepta le role que
les magistrals parisiens lui offraienl. Mais
le coup d'Elat qu'allaient tenter Marcel
et ses amis, avait ele prevu par leurs
ennemis. L'un des ecbevins, Jean Maillard,
— 199 —
parent du prevot, niais jaloux de lui et par-
tant devoue a la cause du regent, avait avise
celui-ci du projet de Marcel. Lesadversai-
res de ce dernier se mirent en mesure de
le dejouer.
U avait ele arrele enlre les chefs parisiens
et le roi de Navarre, que celui-ci entrerait a
Paris, dans la nuit du 3i juillet au i" aout,
par la porte Saint-Denis, dont le gardien etait
justement Jean Maillard. Dans la soiree du
3 1 juillet, Marcel se rendit a la porle ac-
compagne de quelques-uns de ses partisans
les plus devoues, et reclama a Maillard les
clefs qu'il delenait. Celui-ci refusa de les
remettre. line querelle s'eleva entre-eux et
Marcel toniba, frappe par Maillard, disent
les uns, et d*apres d'autres versions, par des
hommes apostes, qui se precipilerent sur
le prevot et ses amis.
Marcel venait de succoinber, avec les
principaux des siens, sous les coups de
quelques-uns de ces bourgeois dont il avait
— 200 —
voulu faire les premiers de F^tat et qui
I'accusaient d'avoir livre la France aux ca-
prices des petites gens. II avail ete aban-
donne par la populace qui lui reprochait
d'avoir sacrifie les interels du peuple a ceux
des bourgeois.
Le prevot mis a mort, les gens de Mail-
lard se repandirent dans la \'ille, occuperent
le carreau des halles, la Maison aux Piliers
et les portes principales , egorgerent ceux
des partisans de Marcel qui tentaient de
resister, prirent les precautions defensives
necessaires pour frapper d'impuissance tous
les efforts que pourrait faire le roi de Na-
varre afm de penetrer dans Paris, el avi-
serent le regent de la besogne qu'ils avaient
accomplie.
Le matin , lorsque les Parisiens s'eveil-
lerent, le succes de Maillard etait com-
plet, et toute lutte impossible. Personne
d'ailleurs n'essaya de protester. Le petit
peuple, comme Marcel Tavait prevu , accepta
— 201 —
sans mot dire le fait accompli : il se laissa
persuader facilement que le prevot et les
siens elaient des trailres. La plupart de ceux
qui avaient jure « alliance de vivre et de
mourir avec le prevot y> se halerent de le
desavouer, et lorsque Ma ilia rd sadressant
aux Parisiens assembles aux halles, leur
rendit comple des evenements qui venaient
de s'accornplir, son discours fut accueilli
par des applaudissements.
La mort de Marcel et de ses adherents ne
suffit point au regent ; une commission fut
nommee par lui a Teffet de rechercher et de
juger les complices de Tancien prevot. Lorsque
les commissaires eurent accompli leur mis-
sion*, que la plupart des citoyensqui avaient
essaye de donner a la France la direction de
ses propres affaires, eurent ete envoyes a la
Greve et a Montfaucon, le dauphin rentra a
Paris. Tous les corps constitues vinrent au de-
— 202 —
vant de liii , un seul exceple , le corps mu-
nicipal. Les bourgeois qui en avaient fait
partie avaient eu Thonneur d'etre presque
tous, avant Tenlree du dauphin, frappes par
la liache du bourreau.
La multitude applaudissait sur le passage
du prince; mais le regent put se convaincre
lui-meme que le vieux ferment revoluiion-
naire n'etait pas encore completement eteint
et qu'avec Marcel n'etaient point mortes les
idees pour le triomphe desquelles le grand
prevot avait donne sa \ie. Au moment oil
le regent entrait en \ille un liomme s'ecria
du milieu de la foule : « Pardieu , beau sire,
sij'en eusse ele cru, vous ne fussiez ci enlre,
mais apres toutci fera-t-on peu pour vous. »
Les chevaliers qui accompagnaient le prince
voulurent chalier Finsolent. Le regent les
pria de n'en rien faire. 11 avait peu^ encore
des Parisiens.
Les bourgeois eclaires temoignerent, par
leur silence^ de leur sympathie pour la cause
— 203 —
\aincue. Le lendemain de son arrivee, le
regent se rendit a la Maison aux Fillers et y
harangua le peuple. L'assemblee, qui com-
prenait en majorite des gens apparlenant a
la classe elevee , resla mueile. Si fragile parut
au prince le succes qu il venait d'oblenir,
qu'au lieu de s'inslaller comme autrefois a
riiotel Saint-Pol , il se rendit au chateau for-
tifie du Louvre. Lorsqu'il eut pris les me-
sures necessaires pour prevenir et reprimer
toute entreprise contre son autorile , il fit
arreler tons ceux des anciens partisans de
Marcel qui avaient echappe aux massacres.
Leur proces fut vite fait. On les envoya au
supplice et Ton confisqua, leur patriraoine.
C'etait un nioyen aise de remplir les caisses
du dauphin. Pour augmenter le produit de
ces confiscations , on impliqua dans la cons-
piration cc ourdie contre le roi » la plupart des
riches bourgeois de Paris. Supplices et con-
fiscations durerent plusieurs mois. Puis,
quandon eut frappetous ceux qu'on disaitcou-
— 204. —
pables, et beaucoup qu'on savait innocents,
on accorda aux autres des letlres de remis-
sion , en prenant bien soin de faire payer ces
letlres fort cher. C'est ainsi qu'un bourgeois
obtint, inoyennant 700 florins, des lettres de
remission, lesquelles constataient qu'il n'avait
rien fait que pour esquivi^r le peril de sa vie.
Le regent, dans sa bonte, consentit meme a
restituer aux families des \ictimes quelques
bribes des biens confisques. II se trouva nom-
bre de gens pour savoir gre an prince d'avoir
rendu une portion de ce qu'il n'avait jamais
eu le droit de prendre.
Beaucoup de marcliands de Paris avaient
travaille a la ruine de Marcel dans Tespoir
que, lui tombe, le calme et la tranquillite re-
nailraient, et que lecommerce, enlravepar les
troubles civils, reprendrait son essor. C'elait
une esperance vaine. Les marchands ap-
prirent a leurs depens ce qu'il en coute de
— '205 —
s'abandonner au bon plaisir d'un mailre sans
conlrole. Le premier usage que fit le regent
de son autorile recouvree fut d'ordonner la
fabrication de monnaies nouvelles et d'en
modifier 17 fois, au courant d'une seule
annee, le taux et le titre. Un edit, celui du
:25mars i56o, donna a Torune valeur 10 fois
superieure a celle que les reglements sur
la monnaie lui attribuaient la \eille. La per-
turbation que ces modifications porlerent au
commerce fut terrible. Le regent ne s'en
tint pas la, il relira a la prevote des mar-
chands pour les confier a un fonclionnaire
a la nomination royale un grand nombre des
anciennes attributions de la \ieille magis-
traliu*e populaire. Au courant du moisde mai
1 559, il retablit officiellement dans leurs
charges les officiers qu'il avait du, deux ans
auparavant, congedier sous la pression des
etats.
Une surveillance des plus active fut exercee
sur les bourgeois qu'on soupconnait d'atta*
— 206 —
cliement aux idees de reforme. Le regent
fit arreter quelques semaines apres son re-
tour, 19 Parisiens qui « parlaient ensemble de
choses dont ils ne devaient point s'occuper ».
Ces liomine eussent ete infailliblement mis a
mort sans Tenergique intervention d'un bour-
geois qui remplissait alors les fonctions de
clerc de la \ille de Paris. A Tinstigation de
celui-ci, quelques citoyens determines se ren-
dirent diez le prevot des marchandset Tobli-
gerent a aller reclamer les prisonniers au re-
gent , ou a mettre le prince en demeure de
faire connailre d'une facon precise la cause de
ieur detention. Le dauphin n'osa repousser
la reclamation du prevot. 11 se rendit sur la
place de Greve , declara au peuple assemble
que les bourgeois qu'il avait fait prendre tra-
bissaient la cause nationale au profit des An-
glais. 11 recueillit quelques applaudissements.
Devant une assemblee publique oil Ton a le
soin d'envoyer d'avance quelques partisans
devoues, des affirmations ehontees valent
— 207 —
des preuves. Une commission fut nommee
pour faire le proces des gens arretes ,
mais il fut impossible de relever conlre eux
aucune charge serieuse. U fallut les metlre
en liberie.
D'autres furent moinslieureux. Deux mois
plus lard, 27 bourgeois furent executes. Vers
la fin de mai i SSq, un aulre bourgeois, appar-
tenanta une des grandes families municipales
de Paris, Pisdoe, fut , sous pr^lexte de com-
plot, envoye a Techafaud. Le jour de Texe-
culion, une grande foule se reunit aux
halles ; il parait qu'au moment oil tomba la
tele du malheureux conspiraleur des vivats
se firent enlendre. Les calomnies du regent
avaient porle leurs fruils. Le menu peuple,
qui, deux ans plus lot, avail fourni a Marcel
un si energique concours, accueillait par
des applaudissements la mort d'un ciloyen
accuse d'avoir voulu delivrer son pays de
la tyrannic royale. Les agents du prince
avaient reussi a persuader aux pelites gens
— 208 —
que le regent faisait leur affaire en ecrasant
la bourgeoisie.
La royaule triomphait; elle elail arrivee
depuis longlemps deja , dans la plupart des
villes, a diviser la population en bourgeois et
gens du peuple, toujours en luUe. Elle ob-
lenait enfin a Paris ce meme resultat. Elle
faisait de I'liomme aise Tennemi du prole-
taire , de celui-ci Tadversaire energique de
tons ceux que le travail, le talent ou le hasard
avaient eleves quelque peu au-dessus du ni-
veau comniun. Elle frappaitainsid'une egale
impuissance les projets de reformes des bour-
geois qui ne pouvaient etre realises par
ceux-ci sans Tappui materiel des classes infe-
rieures , et les efforts de ces dernieres , qui ,
pour etre efficaces , avaient besoin de Tappui
moral, desconnaissances acquises, des aptitu-
des politiques et de Targent des bourgeois. En
separant les Parisiens en factions rivales, la
royaute se mettait liors de page.
La plupart des villes de provinces avaient
— 209 —
deja, par faiblesse ou par jalousie contre Pa-
ris, abandonne la cause soutenue par Marcel
et ses amis. Celles, en petit nombre, qui n'a
vaient, jusqu'au dernier moment, cesse de la
soulenir, restaient, Paris tombe, impuissantes.
11 leur fallait rentrer en Tobeissance du regent
ou se livrer aux Anglais. Elles estimerent que,
<f mangees pour mangees, il valait mieux Tetre
« par le dauphin, qui etait deja saoul, que par
« d'aulres qui avaient faim. »
La premiere tentative des bourgeois pour
fonder en France la liberte politique venait
d'echouer.
EUe laissait toutefois , dans les moeurs poli-
tiques de la France, une impression profonde.
La royaute qui Tavait vaincue, ne put, elle-
meme , se sotistraire a Finfluence des idees
dont le mouvement de i356 avait ete I'ecla-
tante manifestation.
Ce fut dans les rangs de la classe bourgeoise
:i2.
— 210 —
que le regent , pendant la captivite de son
pere , et plus tard y quand sous le nom de
Charles Vil gouverna pour son propre compte,
alia chercher ses conseillers. L'ordonnance
qui regla la regence , coinposa le conseil qui
devait assisler le regent de prelats, de ba-
rons , de magistrals des cours souveraines el
de six bourgeois de Paris. D'autres ordon-
nances abolirent le droit de prise, defendirent
Falienation des biens de FEtat, le demembre-
ment du doniaine royal, la mise en ferme des
prevoles, soumirent les nobles, les clercset
tolls aulres privilegies au paiement de la
taille et des impols reels et personnels pour
leurs biens non noi3les : et realiserent ainsi
quelques-unes des reformes reclamees par
les bourgeois en i357.
Mais, en meme temps, la royaules'efforca
d'affaiblir en France la vie politique. Lorsque
le roi Jean, pour recouvrer sa liberie person-
nelle, dont le pays n'avait que faire, signa le
Iraite de Londres qui abandonnait a I'An-
- 211 —
glais un tiers de la France , le regent avait
convoque les etats : les etats avaient refuse
de ratifier le traite. lis avaient ete appeles
encore , en mai iSGq, au moment ou le roi,
apres avoir confisque la Guyenne anglaise ,
allait, par la force, mettre a execution Tarret
de confiscation, lis avaient accorde les
subsides necessaires pour pousser vigou-
reusement la guerre nationale. Mais, a dater
de ce jour, ils n'avaient plus ete reunis
par Charles V. Le roi s'etait meme abs-
tenu de convoquer les etats provinciaux , si
devoues pourtant et si complaisants pour
le dauphin en d'autres temps. 11 avait
continue a lever, de son autorite privee, les
impols voles en iSGg au dela de Tepoque
fixee par les etats, et ne s'etait pas fait scru-
pule de les augmenter. Les aides elaient de-
venues permanentes; la gabelle avait ete im-
posee a tons les- habitants du royaume d'a-
pres leurs besoins presumes.
Telle etait la terreur qu'inspiraient au roi
— 212 —
les assemblees populaires que , non content
de lever les impots sans convoquer les de-
putes de la nation , il avait edicte que les re-
parlileurs et coUecteurs de ces impots , au-
trefois eluspar Fassemblee des conlribuables,
seraient a Tavenir nommes par la couronne ,
et rendraient leurs comptes aux agents
royaux el a la Chambre des comptes , au lieu
de les rendre comme autrefois a leurs conci-
toyens.
Aucune protestation ne se fit entendre ,
et jusqu'aux derniers jours de la vie de
Charles V, les villes cesserent de jouer aucun
role dans TEtat.
CHAPITRE HI.
LA REVOLUTION SOCIALE.
§ I".
Malssance ei devcloppcmeni dcs idees coniniaiiisies.
— Haines soclales. — Decadence dela bourgfeolsle.
— Preponderance des classes Inferleures dans les
vllll*s , a Paris sartoui. — Airenenient de la d^-
niagpogple.
L'ordre , la tranquillile materielle , re-
gnaient en France. L'autorile royale etait
obeie sans contesle : mais ce calme n'etait
qu 'apparent.
Si les grandes idees de reforme politique
energiqueinent soutenues par les bourgeois
de 1 356 avaienl, peu a peu, perdu la plupar
de leurs adherents , si le pays consentait
sans difficulte a ce que le roi gouvernat a sa
— 214 —
guise et sans consulter ses sujets, des doc-
trines d'lin caractere bien autrement grave
que celles qu'avaient professees Marcel et ses
amis s'etaient repandues dans le peuple.
Des liommes s'etaient rencontres, qui
avaient puise dans la lecture des livres saints
des theories qui parurent etranges aux no-
bles, aux prelats et aux bourgeois, mais que
les pelites gens accueillirent avec entliou-
siasme. Sous pretexte de condamner les abus
de TEglise et de ramener celle-ci a sa sim-
plicite primitive, ces hommes avaient aborde,.
avec une hardiesse inouie , les plus conside-
rables des problemes sociaux qui agitent en-
core les socieles modernes.
Quelques-uns d'entre eux, Wickleff par
exemple , en Angleterre, avait reclame le par-
tage des biens ecclesiastiques. Wickleff ne
s'etait pas explique sur les autres biens; mais
ses doctrines devaient fatalement conduire
sesadeptes a contester le principe meme de
toute propriete. Sans resumer en eflfet ses
— 215 —
raisonnements en formules bien precises , il
laissait facilement entendre que nul ne devait
rien posseder en propre au dela de ce qui elait
necessaire a son existence personnelle ou aux
besoins exlrinseques qu'il elail oblige de satis-
faire, these qui pouvait etre appliquee avec
autant de raison aux biens des bourgeois et
desgenlilshommes, qu'a ceux du clerge, et
faisait de ceux-la comme de ceux-ci « les biens
des pauvres. »
L'undes disciples de Wickleff, J. Ball, plus
hardi que son maitre, avait franchement re-
clame la communaute des biens. U avait preche
r^galile absolue enlre tons les hommes. Plus
de vilains, disait-il, et plus de gentilshommes.
Tons elaient crees a Timage de Dieu. Issus
d'une origine commune, tous les hommes
devaient jouir des memes droits. Comme le
disait I'un des eleves de Ball en paraphrasant
Tun des versels d'une vieille chanson saxonne :
cc Quand Adam bechait et qu'Eve fi-
lait, ou done etait le gentilhomme? » L'usur-
— 216 —
pation commise par quelques-uns sur les
droits de tous ne pouvait , quelle qu'en eut
ete la duree , formep litre pour les des-
cendants des usurpateurs. Aussi Tecole de
WicklefT combattait-elle le principe d'here-
dite, et contestait-elle aux enfants tout droit
exclusif aux biens de leurs parents.
EUeappliquait a I'^tat les memes doctrines
qu'a Tindividu, professait qu'iin souverain
ne pouvait transmettre a son fils le pouvoir
qui lui avait appartenu y n'aduiettait aucune
autorite en dehors de celle du peuple , re-
connaissait formellement a celui-ci le droit
de chalier les grands, nobles, princes ou rois,
dans le cas oil ils ne servaient point avec de-
vouement les interets du public.
Ces idees avaient eu leur berceau en An-
gieterre. D'Angleterre elies avaient passe eo
Flandre , ou elles avaient rencontre beau-
coup d'adherenls. De la elles avaient penetre
en France. Le bas clerge, jaloux de ses supe-
rieurs ecclesiastiques, et fort malmene, du
— 217 —
reste , par eux , s'y etait rallie avec energie.
Elles avaient ete accueillies avec une extreme
faveur par le petit peuple , et s'etaient de-
veloppees dans les bonnes villes du Nord et
du Centre avec d'autant plus de facilite que
les elements memes dont se composaient, du
temps du roi Jean , les populations urbaines ,
avaient, depuis lors, subi une transformation
presque complete.
A la suite de la Jacquerie , nombre d'habi-
tants du plat pays , voire meme d'habitants
des petites villes, s'etaient, pour ecliapper
a la reaction feodale qui frappait indistinc-
tement innocents ou coupables, refugies dans
les places fortes. D'autres y etaient venus
chercher asile contre les invasions anglaises.
Le systeme de guerre adopte par Charles V
avait contribue a rendre Temigration des
paysans dans les villes de quelque impor-
tance de plus en plus considerable. C'avaitete
la politique du roi de laisser TAnglais piller
13
— 218 — r
et ranconner les campagnes, bruler villages
et hameaux. La misere des pauvres gens ne
Tavait point louche, convaincij qu'il eteit
que Tennemi « ne le tirerait pas de son
royaume avec toutes ces fumieres. »
Les populations venues de la campagoe
avaient apporte dans les \illes leur esprit par-
ticulier, c'est-a-dire une jalousie tres-vive
contre ceux quin'avaientpointsoufTert comme
elles, un sentiment de revolte contra I'ordre
social dont elles avaient ete victimes^ Fin-
telligence seulement des interets materiels^
beaucoup d aveuglement et d'ignorance, le
souci du present , Timprevoyance de Favenir.
Elles s'interessaient fort peu a des r^formes
dont la portee leur ecliappait; la politique
pour elles se resumait en un point unique ;
payer peu ou point d'impots. Toute autre
consideration les laissait indifTerentes. De
semblables idees les disposaient egalement
a Finsurrection violente ou a Fob^issance
passive.
-r^ 219 —
NuUe part Taffluence des populations ru-
rales n'avait ete plus grande qu'a Paris. As-
siegee plusieurs fois, obligee de faire le vide
autour de ses murs, cette ville avait accueilli
les miserables que les necessites de la guerre
forcaient d'abandonner leurs champs. Elle
n'en a\ait repousse aucun, et avait ouvert
ses portes avec plus de generosite que de
prevoyance. Les habitants du plat pays etaient
venus avecd'autant plus d'empressement que
la ville de Paris jouissait, meme apres sa de-
faite, de privileges considerables, que Tim-
pot y etait relativement moins eleve qu ail-
leurs, que cerlaines taxes indirectes, notara-
menft, y etaient inferieures de pres de moitie
an chiffre qu'elles atleignaient en d'autres
villes.
Un autre element, Telement exclusivement
— 220 —
ouvrier, avail pris dans Paris une importance
enorme. Le roi Charles V aimait a la passion
les beaux balimenls et s'inquietait tout au-
tant d'ajouter une tourelle a Tun de ses ho-
tels que d'enipechcr routiers ou Anglais de
depouiller ses sujets. Pour satisfaire ses
gouts d'architecture , il avait fait venir a Pa-
ris quantite d'ouvriers de toute sorte. Les
travaux executes a Texemple et a Timitation
du roi par la municipalite parisienne^ le
prevot Hugues Aubryot et les riches parli-
culiers, en avaient attire beaucoup d'autres,
parmi lesquels des elrangers independants
des corporations etablies.
Les paysans et les ouvriers mtroduits
dans Paris en avaient bouleverse reconomie
primitive.
Autrefois avait existe, entre les principaux
bourgeois et leurs concitoyens plus hum-
bles, une sorte de lien de patronage et de
clientele confraternelle. Des relations quo-
tidiennes, de bons offices habituellement
— 221 —
eclianges avaient donne aux premiers sur
les seconds, une sorte d'influence, desavouee
toujours, mais effective cependant, et qui
contribuait efficaceinent a enipecher le deve-
loppement des discordes sociales. Cetle in-
fluence de la classe elevee elait nulle sur les
nouveaux habitants de la ville. Entre ceux-ci
et les membres des vieilles families munici-
pals il n'y avait plus qu'un sentiment ,
qu'une passion commune, une haine reci-
proque et vivace.
Les bourgeois parisiens meprisaient pro-
fondement cette coliue de gens grossiers et
miserables, ces pauvres heres qui appor-
taient dans une ville, que ses habitants con-
sideraient deja comme le centre de la civili-
sation et de Turbanite, le spectacle deplaisant
de leurs miseres, leurs habitudes « inciviles »
et toutes empreintes d'une insupportable
rusticite .
Ceux-ci de leur cote jetaient un regard
d'en\ie et de colere sur ces marchands si
— 222 -^
riches , ces officiers si « bien repus » qu'on
les appelait et qu'ils semblaient etre « de pe-
lits royelaux de grandeur ». lis haissaient
de loule la force de leurs soufTrances et de
leurs privations de cliaque jour ces bour-
geois qui , en renlrant dans leurs hotels , y
troiivaient reunis toules les commodites et
tous les agremenls de Texistence, tous les
soins et toutes les delicatesses d'un foyer con-
fortable; etaient « deschaux a bon feu, laves
des pieds, avaient chausses et souliers frais,
etaient bien abreuves, bien servis, bien cou-
ches en blancs draps et couvre-chefs blancs,
bien couverts de bonne fourrure et assou-
visde toutes aulres joies et esbatements.....
et le lendemain robes , linges et vetements
nouveaux... w dont le coin du feu avaittant
de charmes, qu'un ecrivain du temps faisait
tout un volume , le Mesnagier pour les ra-
conter.
Cette inegale repartition des biens de x^e
monde, qui donnait aux uns toutes les jouis-
— 223 —
sances tandis qu'elle laissait aux aiitres toutes
les miseres, excitait chez les nouveaux habi-
tants de Paris de vives convoilises, qu'il leur
fallait bien , sous peine de la hart, soigneu-
senaent dissimuler, mais qui grandissaient
chaque jour.
Au meme moment Tantique organisation
des corporations subissait une modification
profonde.
Patrons et ouvriers avaient autrefois vecu,
dans la corporation , sur un pied d'egalite
presque complete. L'apprenti, quand il en-
trait dans un atelier, pouvait nourrir Tespoir
de s'elever un jour jusqu'a la maitrise. Celle-
ci etait, en principe, abordable pour tous.
Mais peu a peu, sous Tinfluence de cet esprit
exclusif du moyen age^ toujours porte a me-
tamorphoser le droit en privilege, Tegalite
primitive avaitdisparu. Les ouvriers, devenus
patrons, avaient essaye de transformer en leurs
— 22i —
mains la mailrise en monopole, dont eux el
les leurs jouiraient a Fexclusion de tous au-
tres. Us avaient reussi a subordonner Fob-
tention de cette mailrise a des conditions
qu'il etait fort difficile, sinon impossible a
Touvrier de remplir, a des depenses speciale-
ment qui excedaient les ressources ordinaires
du travailleur, et dont on dispensait les fils
de maitres; ils avaient ainsi constitue dans
les corporations une sorle d'oligarchie here-
ditaire de patrons.
Les consequences de ces agissements n'a-
vaient pas tarde a se faire sentir. Cantonnes
dans une position subalterne , sans espoir
d'en sortir, les ouvriers s'etaient separes des
patrons, s'etaient organises a coted'eux. En
face de la corporation s'etait constitue le
compagnonnage.
Les ouvriers eur en t leurs chefs particuliers^
leurs statuts, leurs reunions independantes
de celles des maitres. Ceux-ci voulurent s'op-
poser a ce mouvement, dont la gravite ne
— 225 — .
I leur ecliappait point, lis soUiciterent Finter-
I venlion de la royaute, des eveques. Les as-
f sociations d'oiivriers furent interdites, mais
l iniitilement. La royaute finit par les recon-
I naitre. Les ouvriers des differentes villes s'en-
i tendirent entre eux, se pret-erent un mutuel
concours : ils se Iransmirent le uns les
autres les renseignements qui pouvaient les
interesser tous. A Tappel des ouvriers d'une
ville, les ouvriers des autres places se hataient
d'accourir, aidant" leurs freres de leurs bras
et de leur argent. L'influence du patron sur
ses auxiliaires de chaque jour disparut bientot
presque completement : la direction morale
de Tatelier passa de ses mains en celles des
chefs que les ouvriers se donnerent eux-
memes. Aux yeux du travailleur, le patron
ne fut plus, comme autrefois, un camarade
plus habile ou plus heureux , ce fut « un
maitre, » et, partant un ennemi. L'ouvrier
qui voyageait de ville en ville selon les besoins
du travail, ne jouissant nuUe part des droits
13.
— 226 —
appartenant aux domicilies, ne s'attacha plus
guere qu'a ses amis d'atelier : de la son nom
de compagnon. Le maitre, sedentaire, eUibli
dans une \ille, fut appele le bourgeois. Le
compagnon professait pour le bourgeois une
haine sourde que la moindre occasion devail
faire eclater.
Le calme apparent des dernieres annees de
Charles V cachait done des perils- dont I'ex-
plosion menacait d'etre d'autant plus terrible
qu'elle avail ele plus longlemps contenue.
Le roi semblait les avoir prevus. Au milieu de
la Iranquillile generate, il avait des appre-
hensions pour I'avenir, et le pressentiment
que loutes les difficulle's poliliques qu'il
avait reussi avec tant de peines a sur-
monler ne larderaient pas a renallre, plus
graves peut-etre. L'impot qu'il percevait,
sans I'autorisation des etats, pesait lourde-
ment sur le peuple. Get imp6t ne serait-il
pas un jour la cause ou le pretexte de quelque
soulevement? La France ne se fatigilerait-elle
— 227 —
pas a un moment donne de sa longue com-
plaisance? EUe subissait, sans tropse plaindre,
de lourdes charges parce qu'en echange de
ces charges, la royaute lui donnait Fordre et
la prosperitemalerielle. Qu'arriverait-il le jour
on cet ordre et celte prosperite disparai-
Iraient? Ces pensees attristerent les derniers
jours de la \ie de Charles V. Le roi pres-
^rivit a ceux qui I'entouraietit et qui de-
vaient elre, il le croyait du moins, les con-
seillers de son fils d'alleger le plus lot possible
les aides qui grevaient et travaillaient les
pau\res gens du royaume. » II signa meme,
dit-on, au moment de mourir I'abolition des
impots etablis sans le concours des elats.
Charles V laissait pour heritier du trone
un fils en bas age encore, pour qui la vie ne
devait elre qu'une longue enfance, et trois
freres egalement disposes a exploiter le
royaume sous le nom de leur neveu. L'aine
— 228 —
d'entre eux, le due d'Anjou, ful charge de la
regence, et son premier soin fut de s'attribuer
le Iresor que Charles V avail economise pen-
dant Jes dernieres annees de sa vie.
Ce vol exposait le pays aux plus graves
dangers.
Le roi Charles V avail organist des com-
pagnies dlionimes d'armes, il les avail pen-
danl sa vie regulieremenl payees ; par suite ,
elles n'avaient pas ranconne^ comme cela
s'elait fait jusqu'alors, les pays ou elles etaient
cantonnees. C'avait ete, des progres realises
par Charles V, celui dent le peuple lui avail
su le meilleur gre. A la niorl du roi, les sol-
dats, cessant d'etre payes, se livrerent aux
plus horribles exces. Les bonnes villes, sac-
cagees, envoyerent des delegues an due pour
le prier de mettre fin aux pillages dont elles
etaient victinies. Le due repondit en deman-
dant des subsides et en excitant les gens
d'armes contre les bourgeois qui refusaient,
disail-il, de fournir au roi Targent necessaire
— 229 —
a I'enlrelien des troupes. C'elait inetlre le
comble aux coleres populaires.
Depuis quelque temps deja le bruit courait
dans le peuple que le roi Charles V avait
laisse dans les caisses de I'Etat de grosses
sommes qui devaient suffire aux depenses
publiques; qu'il avait, avant de mourir, re-
voque les aides. Au lieu de fournir au due
d'Anjou Targent que celui-ci reclamait, le
pays sesouleva, et, bien loin de payer de nou-
veauximpots, refusa d'acquitter les anciens.
Le mouvement commenca dans le Soisson-
nais, dans les vieilles villes de communes, ou
les caisses des receveurs furent pillees.
A Paris une agitation des plus \ive se
inanifesta. Les assemblees populaires, sisoi-
2;neusement empechees depuis lant d'annees ,
>e reunirent de nouveau des les premiers
loursqui suivirent la mort du roi.
On vit alors combien etait change le carac-
— 230 —
tere de la population parisienne et quelle
faute Charles V et le prev6t Aubryot avaient
commise en amenant a Paris tant d'ou-
vriers etrangers, et en y recevant tant de
gens du plat pays. Ces nouveaux venus pre-
naient une importance considerable, contre
laquelle il etait difficile de reagir. Aux an-
ciennes reunions de quartier, oiiles Parisiens
discutaient avec tant de calme les interels
de leur ville , mais que le roi defunt , par
crainte de la vieille bourgeoisie, s' etait etu-
die a desorganiser , etaient substituees de
grandes assemblees au caractere menacant
tenues sur les places publiques, a la porte
des eglises, devantThotelde ville, oiise pres-
saient nombre de gens sans aveu n'ayant rien
a redouter et rien a perdre. Ces individus
prenaient , aux applaudissements des nou-
veaux Parisiens, Tinitiative des propositions
les plus violentes. lis pretendaient parler au
nomdu peuple, et iniposaienta la population
tout entiere leurs opinions et leurs volonles.
— 231 —
Dans ces reunions, la populace ou plulot
les meneurs resolurent que Ton cesserait de
payer les aides. Des delegues furent envoyes
aupres du prevot des marcliands , Culdoe ,
pour le prier d'en reclamer Tabolilion au
nom du peuple de Paris. Les prudhommes
et marchands de la \ille remarquerent que
parmi les gens charges de faire celte de-
marche, il n'en etait aucun qui ne fut de
tres petit etat : nul des delegues n'etait
connu en ville. Cela parut elrange aux gens
qui se souvenaient du temps d'Etienne Marcel
et des consequences qu'avait cues Tintrusioil
de la multitude dans la politique, et leur ins-
pira peu de confiance. 'Les delegues, pour
s'assurer que le prevot remplirait sa mission
convenablement, Taccompagnerentau palais,
y entrerent avec lui , et insisterent energi-
quement eux-memes aupres des oncles du
roi pour obtenir la suppression des impots.
Le due d'Anjou repondit d'une facon eva-
sive. Leroi, dit-il, etait absent. Il fallait at-
— 232 —
lendre son retour. Le due esperait que la
mauvaise humeur du peuple s'eteindrait ra-
pidement , et qu'en gagnant du temps , on
pourrait eluder de nouvelles reelamations. II
se Irompait. Les delegues accorderent le sur-
sis demande par le regent , mais la poipulace
ne desarma point : les reunions devinrent de
plus en plus frequentes. Bientot il n'y ful
plus question seulement d'impols : on y parla
« de Glioses nouvelles et effrayantes, » de
reformes sociales. On discuta laroyaute elle-
metne. On dit qu'elle etait a vetue de la subs-
tance , des larmes et des gemissenients du
peuple. » On reclama une repartition plus
equitable de la fortune publique; on attaqua
passionnement les riches^ qui avaient tous les
avantages de ce monde sans en avoir les
charges. C/etaient les idees de Wickleff qui
prenaient pied en France. Des asserablees
se tenaient de nuit oii venaient des gens de
tous les coins de la ville et qui ressemblaient ,
disait-on , aux anciennes assemblees des
— 233 —
Jacques. Tout le monde y parlait a la fois ; et
il s'y faisait un tel bruit qu'on croyait entendre
a untroupeaude pores grognantdeconcprt. »
Le due d'Anjou essaya en vain d'empecher
ces reunions, il n'aboutit qu'a unresultat : les
rendre secretes et partant'plus dangereuses.
Les bourgeois opulents deja trop disposes a
s'eloigner des affaires publiques et a se con-
centrer dans les paisibles jouissances de leur
confortable foyer, les gens senses, ou pas-
sant pour tels, ne voulurent pas s'exposer
a encourir la colere du due et s'abstinrent
de s'y rendre : la population parisienne fut
ainsi livree sans reserve aux excitations d'a-
venluriers qui devinrent bientot les chefs
obeiset redoutes de la populace. Chaque jour
grandissait le nombre de leurs adherents , et
avec le nombre croissait leur audace. lis in-
culquaient dans la masse des idees de revolle
et de sedition. Les esprits s'echaufferent el
plus d'un qui jusqu'alors avait passe pour
I'ouvrier le plus pacifique de.son quartier ne
— 23> —
sortait plus sans un poignard , « lequel lui
ardait en sa gaine. » •
Le roi revint a Paris : son relour avail ele
I'occasion de belles ceremonies qui detour-
nerent un instant Tallention du peuple, mais
dont la splendeur fit paraitre plus dur encore
a la multitude le poids de ses souffrances.
Cependant le due d'Anjou ne donnait au-
cune satisfaction aux reclamations populaires.
Des individus se disant delegues du peuple
se rendirent de nouveau aupres du prevot ,
et le contraignirent a provoquer a Thotel
de ville une reunion des principaux de la
population parisienne a Feffet d'arreter les
mesures a prendre pour faire sortir M^ le
regent de son inaction. Selon d'aulres ver-
sions, le prevot aurait au contraire , de con-
cert avec quelques bourgeois, pris lui-meme
['initiative de cette convocation pour aviser
aux moyen$ d'empecher a Tavenir les assem-
blees seditieuses.
— 235 —
II est difficile de savoir laquelle des deux
versions est le uiieux fondee. Un point est
certain, en lous cas, c'est que Tassemblee qui
se lint a Thotel de ville ne fut pas composee
seulement des membres habiluels du corps
municipal ou de bourgeois influents; mais
aussi de gens de fort petit elat qui avaient
recu de leurs concitoyens ou plutots'elaient
donne a eux-memes le droit d'assisler a la
reunion. Le prevot, les echevins, les prud-
hommes etaient d'avis d'attendre encore, lis
etaient cependant plus que personne desireux
d'obtenir la suppression d*imp6ts dont ils
payaient la plus grosse part ; niais ils n'osaient
s'associer immediatement aux reclamations
populaires , et encourir le ressentiment des
princes. C'est Thabitude des classes bour-
geoises de ne point prendre de mesures fran-
chement revolutionnaires. EUes ont Irop a
risquer dans une emeute pour s'y engager
bien avant EUes laissent volonliers ce role
aux petites gens, qui, ayant moins a perdre ,
— 236 —
et garanlies par leur obscurite conlre les
vengeances royales, sont plus disposees a
aborder la lutle. Elles §e liennent egalenient
preles a profiler du succes, ou a desavouer
Tentreprise en cas d'ecliec,
L'avis des bourgeois allait elre adople
quand un savelier se leva et parla. Le discours
qu'il prononca elailalui seulunerevolulion,
il permettait d'apprecier les resultats de la
politique de compression suiviepar Charles V.
Ce n'etaient pas des reformes dans le gou-
vernement du pays que reclamail I'arlisan
qui prenait la parole , c'elait la guerre so-
ciale qu'il venait preclier. II opposa au luxe
de la cour, la niisere du peuple. Les exaclions
se multipliaient chaque jour. Tous les ans
les charges des pauvres gens augmentaient
en meme temps que la rapacite des princes
et des gentilshommes ; non contents de ruiner
les proletaires, tous ces personnages affi-
cliaient pour eux un profond mepris, L'ora-
teur se demandait pourquoi cette inegalite
— 237 —
enire ceux qui payaient Timpot et ceiix qui
!e depensaient. La position faite par les pri-
\ilegies au pelit peuple elait intolerable , il
etait temps qu'elle cessat. II fallait que les
pauvres prissent les armes pour conquerir
leur aflranchissement.
Jamais jusqu'alors pareilles paroles n'a-
vaient ete prononcees a la Maison aux Piliers.
Quelque ameres qu'eussent ete les attaques
dirigees par Etienne Marcel ou par Lecoq
contre le roi Jean ou le due de Normandie,
ces attaques n'avaient pas atteint le degre
de violence de celles qui \enaient d'etre
formulees contre les classes elevees en ge-
neral. Ce savetier avail exprime les idees
de la grande majorite de la population pari-
sienne. La foule, reunie aux abords de la
salle du conseil , applaudit.
Un legiste, Jean Desmares, fort bien en
cour et specialement devoue au due d'Anjou
se trouvait a Fassemblee. Jean Desmares jouis-
sait a la ville d'une grande consideration :
— 238 —
on lui accordait au palais beaucoup d'es-
prit et de savoir. II etait apprecie du regent
el Ires, en faveur aupres du peiiple parisien.
C'etait im homme comme on en rencontre
quelquefois/ qui savent s'assurer en meine
temps les avantages de Topposition et les
benefices du devouement au pouvoir, et
qui plutot que de se faire partout des en-
nemis, en atlaquant, comme les esprits
cbagrins , le mal partout oil ils le rencon-
trent , s'efforcent , pour se faire des amis ,
d'oublier toujours les faiblesses de ceux aux-
quels ils s'adressent pour ne leur parlerque
de leurs qualiles; qui, flattant la royaute
sanss'altaquer au peuple , le peuple sans s'en
prendre a la royaute, se concilient la faveur
de tons jusqu'au jour, ou accuses de trahison
par lous leurs allies dela veille, ilssuccombeht
sous les coups des uns sans eveiller les regrets
desautres. Jean Desmares prit la parole pour
repondre a cet arlisan qui, comme disent les
cbroniques, tournait tout en mal. II n'entre-
^ 239 —
«
prit pas de nier les depenses enormes failes
par les oncles du roi, mais il essaya de les jus-
lifier. II prelendit demoritrer que ces de-
penses etaient fort loin de prejudicier an
pen pie; il fit remarquerque cet argent qu'on
disait gaspille en pure perle rentrait en de-
finitive dans la poche du pauvre. Les prodi-
galites de la cour faisaient, disait Desmares^
aller le commerce : theorie economique sans
cesse reproduite par ceux qui veulent legiti-
mer les depenses improductives ; faclieux so-
pliisme dont le xix* siecle n'a pu encore se
debarrasser. L'argumentation deDesmaresfut
favorablement accueillie par quelques bour-
geois, pelits marcbands qui profitaient effec-
tivement du gaspillage et des desordres de
la cour. II en fut aulrement des ouvriers.
Ceux-la meme qui etaient employes aux in-
dustries de luxe et dont par consequent le
faste des princes alimentait le travail, se
montrerent le plus opposes aux arguments
invoques par Jean Desmares. La misere qu'ils
— 240 —
souffraient leur paraissait d'autant plus pe-
nible que , manquant souvent du necessaire ,
ils savaient que leurs efforts etaient destines a
fournir a d'autres le superflu. Le luxe auquel
ils contribuaient elaita leurs yeux, bien plus
qu'a ceux des aulres travailleurs, detestable et
funeste, parce qu'ils pouvaient mieux appre-
cier ce que la satisfaction des caprices des
riches coutait a Farlisan de douleurs et de
peines, parce que leur travail de chaque jour
leur permettait de mesurer avec plus de pre-
cision I'injustice de la fortune; enfin, parce
que , intelligents pour la plupart , ils ressen-
taient leur abjection avec d'autant plus d'a-
mertume qu'ils se croyaient dignes d'un
nieilleur sort.
Le discours de Desmares ne put attenuer
Teffet produit par la harangue a laquelle il
avait essay e de repondre. Un grand nombre
des assistants etaient venus armes a Tas-
sembiee. Quelques centaines d'entre eux,
Tepee a la main , contraignirent le prevot a
se rendre immediatement avec eux au palais
pour arracher aux oncles du roi une ordon-
nance qui supprimat les impots. Quanlile de
gens se joignirent a eux, et lorsqu'ilsarriverent
a rhotel royal, bien rapproche cependant de
la Maison aux Piliers, ilsetaientaccompagnes
d'une foule considerable.
En presence decette manifeslalion, lescon-
seillers du roi furent atleres ; il y avait, leur
disait-on, dans cette multitude, des gens qui
avaient de terribles projets; on entendait^
dans les groupes, dire que les rois n'avaient
de pouvoir que s'ils remplissaient bien leurs
devoirs au regard du peuple; qu'a celui-ci ap-
[ partenait de faire justice des exacteurs, car
il etaiten toulescliosesle souverain seigneur :
a Toujours ne seront les niailres ni toujours
n'auront de si belles robes » , ajoutaient quel-
le ques-uns en signalant a leurs camarades les
gentilshommes et bourgeois qui assistaient,
non sans terreur, a cette marche du peuple
sur le palais du roi. Le souvenir des ma-
14
— 242 —
rechaux de Champagne et de Normandie
obsedait le due d'Anjou et ses acolytes.
La cour se decida a ceder. Le due se montra
au peuple, qui le demandait imperieuse-
ment : le chancelier promit aux Parisiens
qu'il serait tenu comple de leurs reclama-
tions. Telle etait la puissance de Topinion
et les traces profondes laissees dans les esprits
par la revolution de i356 que ie chancelier,
dans les explications qu'il adressa a la foule
reconnut forniellement que « les rois ne re-
gnaient que par le suffrage des peuples ». II
termina sa harangue en priant les s^ditieux
de vouloir bien attendre jusqu'au lende*
main les satisfactions qu'ilsreclamaient, et,
pourobtenir cedelai, il expliqua que si leroi
n'accordait pas immediatement a ses sujets
ceque ceux-ci demandaient, c'etait parce que
les rois ne pouvaient rien faire sans conseil.
Ainsi , pour resister, ne fut-ce qu'un mo-
ment, aux volonles des emeutiers, le chance-
lier invoquait les principes memes que les
— 243 —
bourgeois de i356 avaient voulu imposer
a la royaute et pour assurer le triomphe
'^desquels quelques-uns d'entre eux avaient
sacrifie leurs biens et leur vie. II reconnais-
sait que le principe constitutionnel qui oblige
le souverain a n'agir que de Tavis de ses
niinistres est le meilleur des preservalifs con-
tre les exces du despotisme, — que ce des^
polisine vienne d'en haut ou d'en bas, du
prince ou de la multitude. ^
Le peuple accorda le delai sollicite. La
cour esperait que vingt-qualre beures suf-
firaientpour calmer la sedition. EUe se trom-
pait. Le lendemain la foule se presenta de
nouveau devant le palais, plus nombreuse et
plus menacante.
Les gros bourgeois, voyant que force res-
tait a Temeule, que le pouvoir royal avait
faibli, commencaient a se meler au mouve-
ment. II devenait impossible au regent de
ne point donner satisfaction aux reclama-
tions populaires. Le cbancelier annonca aux
— 244 —
gens assembles aulour de Fhotel St- Pol que le
roi cedail a leurs prieres. Devant la Maison
aux Piiiers , Jean Desmares communiqua la
bonne nouvelle aux bourgeois. II dit que le
nouveau regne serait pour le pays une ere de
reformes et de prosperiles nouvelles,'que le
roi ne ferait rien sans Tappui du peuple , etc.
Le bruit courait partout dans la foule que
Desmares avail conseille aux oncles du roi
d'obtemperer aux desirs dela population pa-
risienne : les paroles qu'il prononca furent
accueillies par de frenetiques applaudisse-
menls et firent oublier le discours que le
meme orateur avait prononce dans la grande
reunion de Thotel de ville en faveur de la
cour.
La \ictoire du peuple etait complete, elle
n'avait pas encore coiite une goutte de sang.
C'est, en democratic, un axiome que le
peuple est toujours genereux,mais c*est aussi^
en histoire,une verite indiscutable que la po-
pulace a des instincts d'avidite , de violence et
— 2i5 —
de cruaute qu'elle cherche a salisfaire cliaque
fois qu'elle en trou\e Toccasion. Les flatteurs
de la foule , elle en a toujours parmi ceux qui
profitent de ses exces, s'everluent a demon*
trer que quand elle lue ou pille, elle cede non
a ses propres inspirations, maisaux conseilset
aux exemples de quelques meneurs apparte-
Tiant aux classes superieures et interesses a
la Ironiper. Que la populace fasse le mal
spontanenienl , ou qu'elle s'y laisse entrainer,
peu importe , ce qu'il faut constater seule-
ment , c'est que perverse ou perverlie, il n'est
point de violences qu'elle ne commette, de
folic a laquelle elle ne se laisse aller, quand
elle a la force en mains.
Les Parisiens avaient obtenu du pouvoir
loutes les satisfactions qu'ils avaient recla-
mees. La perception des taxes etait arretee.
Mais qu'importaient a cetle masse de mise-
rables que Timpot ne pouvait frapper parce
iqu'ils n'avaient rien , qui s'etaient meles au
mouvement, non pour oblenir des reformes
14.
^ 246 --.
j)olitiques dont ils n'avaienl que faire, mais par
amour seulement du desordre et avec I'es-
poir de satisfaire les passions furieuses qui
bouillonnaient en eux, qu'imporlaient le$ con-
cessions accordees par le due d'Anjou. Illeur
fallait autre chose, — du sang ou de Fargent.
II elait aussi a la cour de liobles hommes
<jui avaient des creanciers. Ces gentils-
hommes persuaderent a la niullilude qui
ne demandait pas mieux d'ailleurs que de se
laisser ^convaincre, qu'elle n'aurait atteint
completement lebut qu'elle poursuivait que
lorsqu'apres s'etre debarrassee des taxes elle
se serait aussi debarrassee des usuriers, « la
lepre des pauvres gens. » Le peuple se porta
au quartier des Juifs , massacra la plupart de
ces malheureux, incendia leurs maisons, et se
souilla des plus ignobles exces.
Une ordonnance realisant les promesses
faites par le chancelier abolit tons les aide^
^ 247 —
et fouages etablis en France depuis Philippe
le Bel.
Pour faire face aux depenses de T^tat, il
reslait a la royaute les prodiiits de son do-
maine, engages deja. II elait evident pour qui-
conque reflechissait qu'il faudrait bientot
rapporter Tordonnance et recourir de nou-
veau dans un delai fort bref a la ressource
de I'impot. Les princes le savaient bien et
n'avaient cede aux demandes populaires que
pour gagner du temps. lis etaient fermement
resolus , lorsqu'ils auraient assure le pouvoir
enlre leurs mains a remettre les choses au
meme et semblable elat que du temps du roi
Charles V. Mais en ne luttant pas des Tabord
contre les exigences des Parisiens, ils se pre-
paraient pour Tavenir des difficultes du carac-
tere le plus grave. C'est un point incontes-
table en politique qu'une concession ne se re-
tire point , que tout acte par lequel un gou-
vernement etabli se dessaisit d'une portion
quelconque du pouvoir qu'il detient , est un
— 248 —
acle definilif , qu'il en coule a ce gouverne-
ment plus de peine et de perils pour re-
prendre les droits qu'il a alienes, qu'il ne lui
^n aurait fallu depenser pour les conserver
intacts enlre ses mains.
Apres avoir consenli la suppression des im-
pots, les princes se trouvaient dans la position
la plus embarrassante; ils essayerent tout d'a-
bord d'oblenir a Tamiable , le retablissement
des taxes ou d'une partie du nioins de
celles-ci. N'osant reunir les etats generaux,
ils convoquerent une assemblee de no-
tables qu'ils choisirent eux-memes parmi les
bourgeois bien pensants des \illes les plus
rapprochees de Paris. Ils donnerent a cetle
assemblee le nom d'etats generaux. lis pen-
saient en imposer ainsi aux populations
et obtenir leur soumission. II n'en fut rien.
Les notables voterent le retablissement de
la taxe , du denier par livre sur toutes ven-
tesde marchandises ; mais les villes refuserent
unanimement de se soumettre a ce vote.
— 2k9 —
Le due d'Anjou fit alors appel aux etals
provinciaux. L'Artois, le Pontliieu allouerenl
quelques subsides, les autres provinces re-
fuserent de rien accorder. On essaya de
trailer direclement avec les villes. A Pa-
ris, le regent manda aupres de lui les prin-
cipaux bourgeois. Les bourgeois d'eclarerent
qu'ils ne pouvaient rien , qu'ils n'avaierit pas
qualite pour s'engager au nom de la ville.
Le due d'Anjou s'adressa au peuple lui-
meme. A sa demande, quelques personnages
qui passaient pour jouir de la faveur publi-
que , essayerent de faire comprendre aux Pa-
risiens que les impols etaient une des neces-
sites de toute societe politique, que, sans Tim-
pot , le roi ne pouvait defendre le pays con-
tre les entreprises de TAnglais, lis ne reussi^
rent qu'a compromettre leur popularite , et a
augmenter la defiance que la parlie la moins
eclairee de la population nourrissait contre
les bourgeois aises. Tous ceux qui pro-
posaient au peuple de payei^ Timpot, c'e-
— 250 —
talent^ dil-on dans les assemblees, des riches
auxquels cet impot enlevait a peine une por-
tion insignifianle de leur superflu , c'etaient
des gens qui desiraient plaire aiix princes
aux depens de leurs concitoyens, qui ne pen-
saient qu'a une chose, jouir tranquillement
de leur fortune sans s'inquieter de la misere
publique. II ne fallait pas se fier a eux; « ils
ne regardaient les liberies publiques que
jusqu'a Texposition de leurs biens. »
Les membres du corps municipal surtout
€laient Tobjet d'altaques violentes. On leur
reprochait de n'etre point les \eritables elus
du peuple, de n'etre que les representants
des gros bourgeois ou marchands. La vieille
constitution de la municipalite parisienne,
si respectee jusqu'alors et consideree comme
le palladium des libertes publiques, etait vive**
ment critiquee. Les meneurs pretendaient lui
faire subir une modification radicale afin que
le peuple, le vrai peuple, put mettre ala t^te
<le la ville des hommes bien disposes a defen-
— 251 —
dre leurs droits. Les Parisiens refuserent done
de consenlir aucun impot. lis prirent dans
les reunions des resolutions aux lermes des-
quelles ils declaraient ennemi public quicon-
que tenterait de retablir les taxes. Sous pre-
texte d'empecher une trahison de la part des
notables bourgeois qui composaient le corps
municipal, quelques mauvais sujets se disant
delegues du peuple se chargerent de garder
les portes de la ville : les anciennes milices
se reconsliluerent sous les ordres , non plus
comme autrefois des principaux du quartier,
mais des energumenes des reunions publiques,
prirent les armes, et se preparerent a la lutte.
DevantTattitude des Parisiens le due d'An-
jou liesita. Mais il avait un pressant besoin
d argent, il ne pouvait s'en procurer que par
la voie de Timpot; il ordonna la mise en
perception des taxes votees par les notables ,
dans les villes de provinces, ou il ne croyait
point avoir a rencontrer une aussi vive re-
sistance qu'a Paris.
— 252 —
A Rouen d'abord, ful publiee Tordonnance
qui retablissait les anciens impols.
Peu de cites avaient ete plus que Rouen
troublees par des querelles intestines. Origi-
nairement gouvernee par une oligarchic
bourgeoise , la commune avail ete reformee,
par laroyaute, dans le sens le plus democrati-
que. Depuis la reforme, les grandes families
avaient cesse de diriger les afTaires de la
ville qui avaient passe aux mains des gens de
pelit etat. II etait de tradition a Rouen , que
les Rouen nais ne devaient subir aucune exac-
tion. Le menu peuple qui avait, pendant des
annees,lutte au nom de ce principe contre
les bourgeois, n'etait pas plus dispose a ac-
cepter les taxes royales que les impots de
Tancienne municipalite. La population ou-
vriere avait accepte I'aide du roi dans la
lutte qu'elle avait soutenue contre les pairs ,
mais , la victoire obtenue , elle ne s'etait pas
— 253 —
nontree reconnaissante a son augusle allie.
V.vec la populace on pent tout detruire,
il est impossible de rien fonder. Les clas-
ses inferieures , Texperience des revolu-
tions Ta prouve, sont disposees a penser
qu'un gouvernement quel qu'il soit s'eta-
blit a leurs depens , et en violation de leurs
droits. Des lors , toute concession qui leur est
finite, leur parait une restitution , une dette
qu'on leur paye , et le creancier ne doit pas
de reconnaissance au debiteur qui s'est ac-
quitte. Elles sont moins satisfaites de ce qu'on
leur accorde que courroucees de ce qu'elles
estiment ^u'on leur refuse. C'est done de la
part d'un gouvernement une erreur grossiere
que de penser qu'il pent compter sur Tap-
pui des classes inferieures, parce qu'ila, en
diverses circonstances , donne satisfaction a
quelques-unes des aspirations de celles-ci.
Quelque larges qu'aient ete ces satisfactions,
elles reslent necessairement en deck de ce
c(u'il convient a certains personnages d'ap-
15
— 254 —
peler les droits imprescriptibles du peuple.
Elles ne servent qu'a donner a ceux qui les ont
obtenues , les moyens et le desir d'en recla-
mer d'autres. C'est ce qui elait arrive a
Rouen. Laroyaute, en supprimant, au pro-
fit de la'plebe, les prerogatives de quelques
■
families bourgeoises , avait indispose les pri-
vilegies sans se concilier le devouement de la
multitude. La constitution de la ville de
Rouen etait devenue plus democratique ,
mais les Rouennais n'etaient pas , pour cela,
des sujets moins turbulents.
D'autre part, Rouen bien que fort attache
a la nationalite francaise, avait de frequentes
relations avec TAngleterre. Les idees, qui de-
puis quelques annees s'etaient repandues de
Tautre cote de la Manche , avaient penetre
en Normandie ; les theories de Wickleffcomp-
taient a Rouen beaucoup d'adeptes. Elles
avaient ravive le ressenliment que la popu-
lation nourrissait conlre le clerge (et que jus-
tifiaient, au moins dans une certaine mesure^
— 255 —
les enlreprises de Feveque et du chapilre
conlre I'ancienne commune), et le \ieux fer-
ment de haine , dernier reste des luttes d*au-
trefois, que le peuple avait toujours con-
serve contre les plus riches habitants de la
^ille.
Dans les derniers temps, Rouen avait
applaudi aux emeutes parisiennes , et entre-
tenu des intelligences avec les Flamands re-
voltes.
Lorsque fut publiee Tordonnance royale
retablissant lesanciens impots, les Rouennais
se souleverent. La sedition fut terrible. Non
content de refuser le paiement des taxes, le
bas peuple ajoula ^ Tinsulte a la desobeis-
sance. La majeste royale, jusqu'alors respec-
lee alors meme qu'on essayait de se soustraire
auxordresdu souverain,futbafoueeet tournee
en ridicule. Les gens de Rouen, par derision,
proclamerent roi un marchand de drap qui
n'avait a cet honneur d'aulre tilre que son
enorme corpulence et son grand appelit , et
— 256 —
obligerent leur monarque improvise a ren-
dre une ordonnance d'expulsion contre les
gens du fisc. L'arret fiit immediatement
execute; quelques-uns des percepteurs de
Timpot furent mis a mort, les biens des autres
confisques et partages entre le peuple, les
gens d'eglise pilles, et mis a contribution,
sous pretexte qu'ils devaient comme tous les
autres, supporter leur part des charges pu-
bliques.
Telle etait la terreur inspiree aux conseil-
lers du roi par la population rouennaise, ou
leur secret desir de laisser le bas peuple
ecraser les riches bourgeois de la \ille , que
des mois s'ecoulerent sans que la royaute
prit aucune mesure pour mettre les seditieux
a la raison. Profitant decette inaction, les me-
neurs se mirent en rapport avec les Gantois et
envoyerent aux bonnes villes des deputes
pourempecher le paiement de Timpot. Le
corps municipal avait ete tellement affaibli par
la reforme communale, qu'il resta sans force
— 257 —
pour empeclier la populace de prendre
le gouvernement de la ville et de com-
mettre de nouveaux exces. Bientot les
bourgeois s'effrayerefit ; et lorsque les forces
royales , a la lete desquelles se Irouvait le
roi lui-meme , arriverent devant Rouen, elles
furent considerees par beaucoup de gens
comme des liberatrices. Les artisans vou-
laient se defendre, lesmarchands les en dissua-
derent, et les engagerent a se fier aux bons
sentiments de leurjeune souverain. lis firent
>
tant , que le peuple se laissa persuader d'ou-
vrir les portes de la \ille.
Les bourgeois avaient ete mal' conseilles
parleurterreur : Tentree du roifutsuivie d'e-
pouvan tables ma'ssacres qui frapperentin-
distinctement innocents et coupables. Les
princes avaient besoin d'argent. La confis-
cation etait un moyen facile des'en procurer.
A ces fins, on considera conime complices
des emeutiers les plus riches Rouennais, qu'ils
eussent ou qu'ils n'eussent pas pris part a la
— 258 —
sedition. On saisit leurs biens. Les liberies
municipales furent supprimees et les ci-
toyens desarmes.
All moment meme ou Tarmee royale en-
Irait a Rouen, un mouvement du caractere
le plus grave eclalait a Paris. Le due d'Anjou
avail, en partant pour la Normandie, laisse
I'ordre de publier le retablissement des aides
€t d'en commencerla perceplion. Le jour ou
Tordonnance fut publiee aux halles, les Pari-
siens se souleverent : les crieurs n'echappe-
rent qu'avec peine aux mains de la populace,
€t ne durent leursalut qu'a une fuite rapide.
Des reunions exlraordinaires furent tenues
dans cliaque quarlier, il y fut resolu que Ton
refuserait I'impot. Le lendemain a Tins-
tant ou les receveurs se presentaient aux
halles pour reclamer les droits , la foule se
jeta sur eux et les massacra , puis se porta a
rhotel de ville, dont elle enfonca les porles,
— 259 —
€t Oil elle se saisit ides armes prises aux bour-
geois en i36o. De la elle se repandit dans la
ville, ouvrit les prisons, proferant d'horri-
bles menaces contre les princes et leurs
agents, tuant lous ceux qu'elle considerait
commelels, et pillant leurs maisons. Elle n'e-
pargna pas davantage les riches bourgeois;
les hotels de beaucoup d'entre eux furent
saccages et incendies et les proprietaires
fort mallraites.
Tels furent les exces de la multitude, que
les marchands, bien que fort disposes a refuser
Timpot arbitrairement retabli par le due
d'Anjou, se separerent du peuple. Us prirent
les armes, non contre la royaute, mais pour
defendre leurs proprietes, et essayerent, sans
trop de succes, de mettre un terme aux vi-;*-
iences populaires. Tous les magislratss'enfui-
rent. Seul Jean Desmares resta a son poste,
parcourant la ville et s'efforcapt de calmer
la sedition.
A la nouvelle du soulevement de Paris le
— 260 —
due d'Anjou s'elait hale d'y envoyer des
troupes. La grande majorite de la popuia*
lion parisienne se prepara a'une ^nergique
defense. Elle etaitbien armee et ne craignait
pas la lutte. Elle se croyait de force a com-
battre sans Taide de personne « les plus grands
seigneurs du monde. » Mais il y avail a Paris,
comme il y avail eu a Rouen, des gens que
Tidee d'une resistance conlre les iroupes
royales effrayait singulieremenl , qui crai-
gnaient le pillage, si la victoire reslait au
peuple J la confiscation si la royaute, comme
cela etail probable, I'emporlail.
L'universite servil d'intermediaire entre
eux el le roi.
L'universite representait alors auplus haul
degre, Tespril, les tendances de la classe
moyenne. C'etait, depuis que les gf an des fa-
milies municipales avaienl ete decimees, que
les magistrals de la ville s'etaienl recrule ex-
clusivemenl parmi les creatures du 'roi, le
seul corps qui eut conserve quelques tradi-
— 261 —
tions d'independance. EUe etait composee
d'hommes qui avaient passe les premieres an-
nees de leur existence au milieu du peuple,
sortant pour la plupart de fort petit etat ,
mais arrives a force de travail a conquerir
line situation qui leur assurait dans la societe
d'alors une place elevee. Lesprincipaux digni-
taires de I'universite n'etaient pas seulement
des savants, consideres en Europe coiiime
les liommes les plus docles du temps , c'e-
taient des gens fort importants , souvent en
rapport avec les plus liauts seigneurs et les
plus grands prelats du royaume, et dont Ta-
vis etait demande par tout le monde dans les
circonstances graves. L'universite disposait,
de plus, d'un grand nombre de suppots,
docteurs, gradues ou ecoliers , chez lesquels
la science n'excluait pas Tenergie, et qui cons-
tituaient une force considerable, avec la-
quelleles partis politiquessavaientqu'il fallait
compter.
L'universile supplia le roi d'oublier les en-
15.
— 264. —
Les princes se trouvaient encore sans ar-
gent.
Heureusement pour eux le roi n'etait pas
encore rentre a Paris depuis la derniere sedi-
tion , ii n'avait pris au regard de la popu-
lation parisienne aucun engagement ab-
solu, ni renonce expressement a sevir contre
elle. Les negotiations furent reprises entre
le conseil royal et la \ille. Le roi se fit payer
le pardon qu'on lui demandait. II promit,
moyennant une somme de 100,000 li-
vres, d'oublier le passe. II ordonna en meme
temps le desarmepfient de tous les individus
qui habitaient Paris sans y etre nes, ni y avoir
un etablissement , et qui dans les derniers
troubles avaient joue un si grand role. Les
Parisiens de naissance , ayant , comme disent
les chroniques, clioses a perdre furent
seuls autorises a sortir en armes. La ville
accepta ces conditions. La cour n'insista
que sur la premiere; la seconde etait a
peu presimpraticable, les gens qu'il s'agissait
— 263 —
m tement pendant la nuit. Justice ou du moins
P ce qu'on appelait alors de * ce nom elait
i faile.
Dans Tespoir de meltre fin aux emeutes
qui depuis la mort de Charles V agitaient
le royaume, et d*obtenir des subsides, les
princes se deciderent a recourir aux etais
generaux , que le roi alia tenir a Compiegne
en Beauvoisis.
L'espoir des princes fut trompe. Les bonnes
villes des provinces ne donnerent a leurs re-
presentants d'autres pouvoirs que d'offrir au
roi leurs conseils et de lui transmettre les bum-
bles prieres de ses sujets des \illes. Aux de-
mandes de subsides qui leur furent adres-
sees, lesi deputes repondirent qu'ils en refere-
raient a leurs commeltants. II fut impossible
d'oblenir d'eux rien de plus. Seuls les deputes
de Sens voterent Taide demandee , et leurs
commettants les desavouerent.
— 264 —
Les princes se irouvaient encore sans a^
gent.
Heureusement pour eux le roi n'etait pas
encore rentre a Paris depuis la derniere sedi-
tion , ii n'avait pris au regard de la popu-
lation parisienne aucun engagement ab-
solu, ni renonce expressement a sevir conlre
elle. Les negotiations furent reprises entre
le conseil royal et la \ille. Le roi se fit payer
le pardon qu'on lui demandait. II promit,
rnoyennant line somme de loo^ooo li-
vres, d'oublier le passe. II ordonna en meme
temps le desarmement de tous les individus
qui habitaient Paris sans y etre nes, ni y avoir
un etablissement , et qui dans les derniers
troubles avaient joue un si grand r61e. Les
*
Parisiens de naissance , ayant , comme disent
les ciironiques, clioses a perdre furent
seuls autorises a sortir en armes. La vilie
accepta ces conditions. La cour n'insista
que sur la premiere; la seconde etait a
peu presimpraticable, les gens qu'il s'agissait
— 265 —
de desarmer elant homines a se defendre
vigoureusement : les princes d'ailleurstenaient
moins a empecher de nouveaux troubles
qu'a se procurer des ressources financieres.
Le recouvrement des 100,000 fr. a payer
au roi presenta quelques diflficultes. Le corps
municipal entreprit d'obliger le clerge et
les ordres religieux a en acquilter leur part. Le
clerge refusa . Ce refus donna lieu a de verila-
bles emeutes. Les presbyleres et les convents
furent menaces. On ne sait au jusle si les
ordres religieux s'executerent ; mais il ne s'e-
leva aucune voix pour soutenir les privileges
qu'ils invoquaient. Le principede I'egalite de
tons devant Timpot prenait chaque jour
plus de force.
Ijolte entre I'el^ment artstocratlqne et I'^l^itteal
deniagrogriqae. — D^faite momenlan^e die eelnl-cl.
— Mis t^ re da pays.
La tranquillite cependant n'etait pas coin-
pletement retablie dans Paris : les gens de
petit etat continuaienl, malgre tons les efforts
des officiers royaux , a tenir des assemblees.
lis paraissaient si redoutables que le roi, de
i'avis de son conseil , institua a Paris iin nou-
veau magislrat, qu'on appela le capitaine de
la ville, et qui fut specialement charge
d Vmpecher les emotions populaires, de main-
tenir et de retablir Tordre dans la cite.
L'animation des classes inferieures contre
la bourgeoisie avait grandi avec les derniers
— 267 —
evenements. La dislinclion fiute par le con-
seil, lors des negociations avec Funiversite,
€htre les Parisiens de naissance , pour la
plupart etablis et dans I'aisance , lesquels
etaienl aulorises a sortir armes, et les aulres
habitants de la \ille, appartenant en grande
majorite au petit peiiple, et qui devaientelre
desarmes, avait rendu plus profonde encore
I'a version de ceux-ci pour ceux-la. D'un
autre cote les exces comnyis par la foule lors
de la derniere insurrection avai^nt frappe de
terreur les bourgeois, marcbands et maitres
ouvriers. Cetait une opinion generalement
repandue en France et menie a Tetranger
que le pays se trouvait a la veille de revolu-
tions borribles dont les seditions passees ne
pouvaient meme donner Tidee et « ou compte
ne serait tenu de vies d'bommes plus que
d'arondeaux ou d'alouettes qu'on prend en
la saison pour les manger. »
Un meme souffle re volutionnaire paraissait
passer sur toute TEurope occidentale. Les
— 268 —
proletaires de lous les pays se soulevaient
en meme temps : TAnglelerre avait eu la re-
volte de Wal-Tyler; la France, les emeutesae
Rouen et de Paris : Iltalie etait soulevee, la
Flandre enliere en arnies, les Gantois en
guerre ouverle avec leur due. Si en ce mo-
ment, lemenu peuple des differentes nations
d'Europe avait reussi, sous I'energique im-
pulsion de quelques liommes de genie, a
combiner une action commune, nuUe puis-
sance conslituee n'aurait pu lui resister. « Si
ensemble se fussent mis, ils eussent ete plus
puissants que les princes et les nobles » , dit Ju-
venal des Ursins. Cette alliance des democra-
ties europeennes avait ete le reve d'Etienne
Marcel qui avait succombe avant d'avoir pu le
realiser. Mais les populations urbaines apres
avoir un instant, au lendemain de Poitiers,
et sous Tetreinte d'un danger pressant, oublie
leurs querelles intestines, confondu leurs ef-
forts et leurs interets, etaient peu a peu re-
venues a leurs anciennes jalousies, a leur
— 269 —
ancien isolement : elles avaient agichacune
pour leur propre compte sans s'inquieter de
leurs voisines, sans reclamer (Jes autres villes
un aide ou un concours qu'elles n'eussent
point ete elles-memes d'humeur a accor-
der (i). Elles avaient, en dissensions intes-
tines, depense leurs forces etieurenergie.Iso-
lees, diviseesen factions hostiles, elles avaient
pu faire des emeutes, elles avaient ele incapa-
bles de faire une revolution, ou seuleinent4e
reprendre Toeuvre des hommes de i356.
La rovaute et la noblesse entendaient
mieux la solidarite. On avait vu, lors de la
Jacquerie, le roi de Navarre et le due de Nor-
mandie, ennemis la veille et ennemis le len-
demain, s'associer pour ecraser les paysans
revokes. Les chevaliers anglais avaient mis
»
leur epee au service des gentilshommes fran-
cais. Ceux-ci avaient applaudi au triompbe
(i) Rouen cependant avait a la suite de Femeute de i38i
essay 6 de sc mettre en relation avec les autres bonnes villes.
— 270 —
de Taristocralie feodale d'Angleterre sur les
bandes de Wal-Tyler. En presence des mou-
vements populaires qui eclataient de toutes
parts, nobles el rois senlirenl qu'il fallait res-
serrer leur alliance, que les dangers des uns
etaient les dangers des autres, la defaite de
Tun la defaite de lous, qu'ecraser quelque
part une revolte populaire c'etait prevenir
ailleurs Texplosion de semblables mouve-
menls. lis agirent avec vigueur, sans qu'au-
€une consideration d'humanite ou du bien
public leur fit perdre de vue un instant leurs
interetsde caste.
Les hommes de Gand etaient en lutte oii-
verte avec le due de Flandre qui avait voulu
dissoudre quelques-unes de leurs principales
corporations. Plus intelligenls que leurs freres
des communes de France, les Gantois avaient
€onipris qu'il n'y avait pas de triompbe pos-
sible sans discipline ; ils avaient compris que
— 271 —
ce n'etail point faire acte de servilite que
d'obeir a des chefs librement choisis. lis
avaient mis a leur tete le fils du grand Arle-
velt. La democralie a ses dynasties comme la
royaute. Arte\elt proposa au roi de France
I'alliance deGand. Mais le ducde Bourgogne,
oncle du roi, etait le gendre du ducde Flan-
dre. Si le bien de la France cotnmandait aux
princes francais d'accueillir favorablement les
propositions des Gantois, Tinteret du due de
Bourgogne etde la noblesse francaise etait au
€ontraire de preter au due de Flandre un
concours energique pour ecraser les vilains
emeules. Le depute de Gand fut mis en
prison, et aux offres d'Artevelt, le roi et les
princes repondirent en marchant avec une
grosse armee au secours du due. lis ne dissi-
mulaient point qu'apres avoir triomplie des
Flamands ils viendraientregler leurs comptes
avec les seditieuxde France.
Paris et les grandes villes attendaient avec
anxiete le resultat de la lulte engagee.
— 272 —
La populace, plus clairvoyante celte fois
que les bourgeois , voulait prendre occasion
de Tabsence du roi et des princes pour cons-
tiluer les communesde France aTexempie de
celles de Flandre , et se venger des officiers
royaux entre les mains de qui allait tout le
bien des pauvres. Les principaux bourgeois
prefererent conserver une attitude expec-
tante. lis esperaientque lesFlamands feraient
9
la meme besogne qu'a Courlray et qu'il serait
alors facile aux Parisiens d'imposer leurs vo-
lontes a la royaute vaincue. Parmi ceux qui
recommandaient le calme , etaient quelques
anciensamisd'Etienne Marcel. Ces vieux Pari-
siens n'avaient pu oublier les grands embar-
ras que le menu peuple avait causes au prevot
et a la cause des liberies publiques. Tandis
que les Parisiens deliberaient , I'armee royale
entrait en Flandre et ecrasait les Gantois a
Rosebecque (i).
(i) ay novembre i38a.
— 273 —
^ Paris fut allere. Le desespoir dii peuple
^ egala la joie des princes. Les projelsde ceux-
j, ci ne furent pas longtemps douteux. lis
g promellaient a leurs hommes le pillage de
Paris. Pour juslifier d'avance les violences
^ qu'ils voulaient commellre , ils firent (ce
moyen est toujours employe en pareille cir-
constance) coiirir le bruit que le peuple
. elait en relation d'amilie avec celui de
Gand , c'est-a-dire avec Tennemi , qu'on
avail irouve dans le camp d'Arlevelt une let-
tre envoyee aux Gantois par les bourgeois
de la cile, lesquels avaient ainsi Irabi la
France. Celle lettre ne fut jamais produile ,
il est probable qu'elle n'exista point. Les Pa-
risiens avaient pu former des voeux pour le
succes des Ganlois, mais ils s'en elaient tenus
la ; et pouvait-on leur reprocber, dans une
guerre entreprise conlrairement aux interels
de la France, deredouler une victoire dontla
consequence directe devait elre Tasservisse-
ment du pays?
— 274 —
Les princes n'etaient pas toutefois sans
quelqne inquietude. La villeelait assez forleet
ses milices assez nombreuses pour tenir long-
temps si elles prenaient franchement la re-
solution de se defetidre. Mais Paris etait de-
courage, la grande majorile des bourgeois re-
pugnaient a la lulte. Le corps muiiicipal fit
savoirauroi , que les Parisiensn'opposeraient
aucune resistance aTenlree de Tarmee royale.
Malheureusement la population tout en con-
sentant a Tentree du roi , \oulut que ce-
lui-ci comprit que ce consentement etait lout
benevole et que Paris eut ete de force a le re-
fuser. Les milices prirent les armes et vinrent
au nombre de pres de 4o,ooo hommes, en
bel ordre, au devant du roi. C'etait une
faute grave. En politique on ne menace
point , on a git. Une menace a tous les incon-
\enients de Facte qu'elle annonce, elle n'en
a point les benefices. C'esl I'arme de qui ne
pent ou n'ose frapper. Menacer est dans tous
les cas une preuve de faiblesse. Les Parisiens
— 275 —
■fpayerent clier leur bravade. Le roi refusa de
nrentrer en \iUe par Tune desportes. II fit de-
■t molir un pan de murailles et entra en sa ca-
s pitale comme dans une place conquise. A
li peine a Paris les princes prirent les mesures
J les plus energiques. La ville ful occupee mi-
I litairement, les chaines des quarliers lendues^
-les citoyens desarmes, plus de 3oo bourgeois
: arretes , beaucoup executes. Tpus les homraies
^ importanls qui avaient survecu aux massacres
de i36o furent conduits a Tecliafaud, et
avec eux Jean Desmares. Son crime etait
d'avoir essaye de se concilier la faveur du
peuple et de ne s'etre point donne tout en-
lier a la royaute (i).
Si, dans la repression, la royaute fit preuve
de cruaute , elle fit aussi preuve d'intel-
Hgence. Jusqii'alors, apres chaque sedition ,
(i) On attribua aussi la mort de Jean Desmares a Tani-
mosite personnelle de MM. de Bourgogne el de Berry qui
ne pouvaient lui pardonner de s'^tre montre devoue au due
d'Anjou leur frere el leur rival.
— 276 —
les supplices avaient frappe seulement les
chefs du mouvement vaincu. Les petites gens
avaient ele epargnes, on les avail consideres
non comme des coupables, mais comme des
egares. Cette fois les executions porlerentsur
toutes les classes de la societe, sur les petits
comme sur les grands. NuUe mesure ne pou-
vait produire plus d'eflfet.
Le supplice d'un chef peut quelquefois ar-
reler une sedition deja nee, elle est sans
effet sur les seditions a venir. II se rencontre
toujours des hommes qui, dans le jeu ter-
rible des revolutions, n'hesitent pas a exposer
leur vie dans Tespoir, au jour du succes , de
recueillir grandeur et gloire. Aussi les fac-
tions politiques trouvent-elles toujours des
•
chefs. Elles recrutent moins facilement des
soldats. Si elles reussissent a en reunir, c'est
le plus souvent parce que, se sentant cou-
verls par leur obscurite meme, ceux-ci consi-
derent le danger auquelilss'exposent, comme
moins grand que les avantages qu'ils es-
— 277 -
perent. Le jour ou, Tinsurreclion vaincue , la
repression au lieu de s'arreter aux chefs vient
tjhercher a son rang le dernier des complices ,
die ne frappe pas seulement les sedilieux du
jour, elle effraie et paralyse aussiles seditieux
k \enir. Les pelites gens hesitent a engager
leur vie dans des entreprises hasardeuses
doht ils subissent tons les risques alors que
d'autresen recueillent le benefice. La sedition
n*a plus de soldats : la repression atteint
ainsi le but qu'elle doit se proposer avant
tout, prevenir le retour de crimes semblables
k ceux qu'elle frappe.
Aux executions succederent les confis-
cattbns. Lorsque un grand nombre de Pari- ,
siens furent tombes sous la hache du bour-
peau, que les princes se furent debarrasses de
tous ceux qui les genaient, ils penserent que
le moment etait venu de faire preuve de cle-
mence. En grande ceremonie , ils demande-
rent au roi grace pour ses pauvres sujets. Le
poi daigna acceder a leur priere, et consenlit a
ic
— 278 —
commuer « les peines criminelles en peines
civiles >j , ce qui voulait dire qu'a Tavenir les
agents royaiix s'en prendraient non a la per-
sonne , mais a la forlune des Pari§iens.
A dater de ce jour on cessa, disent les
chroniques, « de s'occiiper des luoyens, des
pelils, pour s'adresser exclusivement aux
grands mailres, ouil y avail asseza prendre ».
II n'y eut plus de bourgeois possedant quelque
chose , qui ne flit soupconne et convaincu
d'avoir trempe dans la rebellion. Les Irois
quar Is des families bourgeoises furent comple-
lement ruinees. Quelques annees plus l6t, a
la mort de Charles V, Paris passait pour
Tune des plus riches villes d'Europe. EUe
etaitjlorsque les confiscations cesserent^faute
d'alimenls , appauvrie de moitie.
Des ordonnances supprimerent les \ieilles
magislratures parisiennes^ la prev6te des
marchands , Techevinage. L'administration
des affaires municipales fut confiee au prev6t
de Paris. 11 fut inlerdit aux bourgeois de pro-
-^ 279 —
^<le^ a Tavenir, a Teleclion des dizeniers et
as quarteniers. On defendil rigoureusement
^\ites reunions publiques ou aulres <« as-
aimblees de con freries, reunions d'artisans,
oire meme les simples reunions pour fes-
oyer, v les factieux ayantpu profiler de ces
Reunions pour troubler Tordre et .porter at-
teinte au bien public/ Enfin les aides,
iJouzieme denier, gabelles et autres imposi-
tions furent retablies et mises en perception
;ans lutte nouvelle.
La reaction s'etendit hors Paris.
Quelques villes de provinces, sans pro-
Lester contre les impots avec la meme energie
:jue Paris et Rouen s'elaient montrees fort
rebelles aux volontes royales. A Chalons , a
Reims , les habitants n'avaient point acquitte
les taxes. Dans cette derniere \ille des trou-
bles assez graves avaient eclate. Les ouvriers
ivaient deserte les ateliers, avaient forme des
issemblees , et tenu contre le roi des propos
jeditieux. Larepression fut terrible. Les hour-
— 280 —
geois qui s'etaient meles au mouvement
furenl mis a mort. Beaucoup disparurent sans
que leurs parents les plus proches pussent ob-
lenir des agents royaux le moindre rensei-
gnement sur leur sort^ sans meme qu'on
voulut indiquer aux femmes ou aux enfants
le lieu oil reposait leur epoux ou leur pere el
leur permeltre d'y venir prier. A Amiens j le
corps municipal fut dissous, les corporations
et confreries dont les chefs reunis formaient
la municipalile y furent demembrees, et la
vieille commune, alliee de Paris, a jamais de-
truile. La royaute ecrasa toutes les resis-
tances.
A compter des premiers mois de i383, et
pour de longues annees, les villes cesserent
d'occuper dans I'Etat plus de place que les
campagnes.
A cote d'elles, les princes pendant la
jeunesse , et plus tard pendant la folie du
— 281 —
roi, disposerent du pays sans conlrole , s'ar-
raclierent le poiivoir les uns aux aulres,
ne s'occupant du pauvre peuple que pour
lui extorquer Targent necessaire a leurs be-
soins incessants.
A part quelques insurrections locales^,
occasionnees par des miseres Irop fortes ou
des exactions trop cruelles, les villes accep-
terent sans mot dire , la loi de leurs maltres
successifs.
L'impot augmenta constamment. Le roi
se mariait : c'etait Toccasion de nouvelles
taxes. Le due d'Orleans desirait-il donner
des fetes ou doter ses maitresses, les \illes
payaient encore. Sous couleur d'envahir
TAnglelerre, les princes etablissaient un
camp sur le bord du Pas de Calais et y
donnaient des tournois ; c'etait le pretexte d'un
surcroit d'impots. II n'y avait plus d'energie
nuUe part. Le decouragement et la misere
etaient partout. Beaucoup de gens emi-
graient en Flandre; mais il fallait encore
If).
— 282 —
-disposer de quelque bien pour aller ainsi
•s'elablir a Telranger. Les plus pauvres
•etaient obliges de resler en France, et les
charges publiques pesaient sur eux d'autant
plus lourdement que Temigration avail
diminue davanlage le nombre des conlri-
buables. Le peuple acceptait lout sans mot
<lire.
Les bourgeois avaient tenle le grand mou-
vement de i356, ils avaient ete ecrases par
la royaute. Les gens des villes s'elaient sou-
leves a Paris et a Rouen ; ils avaient ete vain-
<jus. La defaite etait encore Irop recente pour
que la nation recommencat la lulle. Un
peuple ne lente pas deux fois de suite la
fortune des revolutions. U faut avant qu'il
releve la tele, qu'il ail repris haleine,
que quelques annees de prosperite male-
rielle lui aient rendu ses forces, qu'une ge-
neration nouvelle ait remplace la generation
vaincue. La revanche n'est possible qu'au
moment ou le souvenir des malheurs eprou-
— 283 — .
ves subsistant encore dans la meraoire
du peuple , ceiix qui ont personnellement
souflert ont cesse de composer la majo-
rite de la nation. Alors seulement le senti-
ment de la vengeance Temporle sur celiii
de Timpuissance.
Vingt annees se passerent sans que la
royaute eut a lutter de nouveau contre les
seditions populaires. Un certain nombre
d'ordonnances royales avaient donne satis-
faction aux tendances egalitaires du menu
peuple. L'impot frappait tons les sujets du
roi : TEglise, Tuniversite, les officiers royaux
devaient I'acquitter comme le dernier ha-
bitant de la plus humble ville. La masse de
la population ne croyait pas acheler trop
cher cette egalite au prix d'enormes taxes
et d'une soumission aveugle. Elle ne se de-
mandait point si la realite des fails etait
en rapport absolu avec les prescriptions
legales, si les officiers royaux payaient effec-
tivement les impots mis a leur charge par
— 284 —
une ordonnance et dont une autre les ex-
onerait. II leur suffisait qu'il fut interdit au
chancelier de sceller aucune letlre portant
exemption de taxes ^ defendu aux maitres
des eaiix et forets de composer avec les de-
linquants puissants, qu'une ordonnance bien-
tot rapportee eut donne a tous les sujets du
royaume le droit de prendre les armes, pour
qu'elle crut avoir reellement conquis Tega-
lite, son objectif avant tous autres, fut-eile
Tegalite dans la misere et Tabjection.
§111.
JLa iillle e( le pr^vot de Paris. — Renaissance des
Mees s^dltleoses. — Demoralisation de la soclete
fran^slM ^ la fin da Xl¥' sleele.
A Paris seulement avaient subsiste quel-
ques Testes de vie politique. La suppression
de la prevote des marcliands, de Techevi-
nage, de toutes les vieilles magistratures muni-
cipales avait d'abord profondement ulcere le
coeur des Parisiens. Les agents royaux avaient
essaye de demontrer aux petites gens que
les charges de prevot des marchands et d'e-
chevins avaient toujours ete jusqu'alors oc-
cupees par de gros bourgeois; que jamais
personne de petit etat n'avait ete appele a
les remplir; que la suppression de Tan-
— 286 —
cienne municipalile ne frappait done pas
la populalion parisienne proprement dile,
mais seulement quelques privilegies. lis
avaient fait remarqiier que si le roi avail
retire aiix Parisiens Telection de leurs ma-
gistrals , c'avait ete pour confier Tadminis-
tralion de la \ille a des bommes impartiaux
el desinteresses qui, dependant du souve-
rain seulement, pouvaient aisement se de-
sinleresser des influences parliculieres pour
ne s'occuper que du bien general, et ri'etaient
pas, comme autrefois les prevols elus, dis-
poses a discuter avec les uns, avec les au-
Ires, au lieu d'agir, a debatlre les inter^ts
•de Paris au lieu de les salisfaire, et a favo-
Tiser leurs amis au delriment de leurs ad-
\ersaires poliliques ou prives.
lis n'avaient dans les premiers temps con-
vaincu personne.
Mais peu a peu un certain nombre de bour-
geois, les pelils marchands nolamment, s*e-
taientlaisse persuader que jamais la situation
— 287 —
dela ville n'avait ele plus brillanle que depuis
le jour ou le prevot de Paris avail ete charge
de la direction des affaires municipales ; que
le commerce prosperait, que la paix, la tran-
quillite dont on jouissait n'avaient pas ete
payees trop cher par la suppression de
magislratures qui avaient fait leur temps.
On se disait avec orgueil, dans les arriere-
boutiques des pelits comnaercants, que Paris
etait redevenu ce qu'il elait avant les de-
plorables troubles des premiers temps du
regne, c'est-a-dire la « perle des villes. »
Comme preuve de sa splendeur nouvelle,
on affirmait qu'on y buvait par jour « -700
tonneaux de vin dont le roi avait son quart,
sans le vin des ecoliers, qlii n'en payait
point; » qu'on y comptait4,ooo tavernes. On
faisait remarquer qu'il y avait mainlenant
en ville « 3,ooo belles filles », sans compter
celles des faubourgs et 80,000 mendiants.
On insistait sur ces deux derniers chiffres,
qui, aux yeux de cerlaines gens et d'a-
— 288 —
pres les idees economiques d'alors, im-'
pliquaient une prosperite inouie. Quelk'
ville en France ou meme a Tetranger poo-
vait, a ces divers points de vue, lutter avec
Paris? Aussi les petits bourgeois disaient-ib
dt^a, en aflectant pour leurs concitoyens dcs
provinces une pilie quelque pen meprisanle,
f|ue : Vivre a Paris c'elait exister dans le
sens absolu du mot, vivre ailleurs c'elait
exisler accidentellement. A Paris on vivait;
ailleurs on vegetait.
Les admirateurs du regime noiiveau com-
mencaient a devenir assez nonibreux quand,
tout d'un coup, en i388, le prevot de Paris
re([uit humblement le roi de vouloir bien lui
pcrnietlre de resigner ses nouvelles attribu*
lions. Le prevot se declarait incapable de se
charger plus longtemps des interets muni-
cipaux de la ville de Paris. II etait hors d etal
(le fairc face aux necessiles et aux embarras
d'une pareille lacbe ; c'elait, disait-il, besogne
Irop lourde pour lui. L'oeuvre de la royaute
— 289 —
§,tait condamnee par ses propres agents. Les
princes n'oserent pas cependant retablir en-
core les anciennes magistralures^ dont le nom
seul les effrayait. Un magistral nouveau fut
nomme auquel on donna le litre de garde de
la prevole de Paris el auquel furent dele-
guees les fonctions autrefois remplies par le
prevot des marchands.
Le premier soin du garde de la prevole
fut de se rendre comple de I'elal de I'admi-
nistralion donl on le chargeait. U conslata
que depuis la suppression des magislratures
municipales, les recelles de la ville avaienl
diminue de pres d'un liers, alors qu'au
contraire les depenses avaienl grossi.
Les services d'inlerel public avaienl ele
insufHsammenl doles. Pour quelques Ira-
vaux d*embellissement, le prevol royal avail
neglige les travaux uliles , preoccupation
conslante autrefois des magistrals elus. La
voirie elail en mauvais etal ; les chemins qui
conduisaient a Paris , les rivieres , mal entre
17
_ 290 —
nus. L'augmentalion du prix desdenrees^ que
beaucoup consideraient comme la conse-
quence du developpement du bien-etre ge-
neral n'elait que le resultat*de la difficulle
des approvisionnements. Les caisses de la
\ille etaient \ides, et ses revenus engages
d'avance. Telle elait la situation lorsque le
nouveau garde de la prevote enlra en fonc-
tions. U duty pour reparerlesdesastresame-
nes par Tadministration de son predecesseur,
aire appel au concours de bons bourgeois,
bien au courant des affaires parisiennes.
Grace a Tinlervention de ceux-ci, il put
parer, au moins partiellement , aux conse-
quences de la deplorable gestion de M' le
prevot de Paris et retablir I'ordre dans les
finances municipales.
Les regrets inspires par la suppression
des anciennes magislratures avaient trouve
dans les evenemenls qui venaient de se pro-
— 291 —
duire un aliment nouveau. Les Parisiens com-
•parerent Telat de la \ille au moment oil elle
s'administrait librement par des chefs qu'elle
choisissait elle-meme , et la situation finan-
ciere qu'avaient creee les representants de la
royaule. Les \ieilles idees d'independance,
un instant elouffees par le decouragement
d'une defaite recente, reprirent blen \ite
des forces. Par un revirement d'opinion
qui d'ailleurs se produit souvent a la suite
des revolutions, les gens qui avaient, lors des
derniers troubles , attaque a\ec le plus de
violence Tancienne constitution municipale
de la ville de Paris, qui en avaient reclame la
modification , en etaient devenus les parti-
sans les plus acharnes. Les bourgeois mernes
qui avaient applaudi a la suppression des
assemblies publiques commencaient a re-
connailre que des magistrats, soumis au
controle etroit de leurs concitoyens, respon-
sables de leurs actes au regard de ceux-
ci, presentaient plus de garanties qu'un
— 292 —
prevot nomme par le roi, et s*occupant
des lors bien plus d'etre agreable a la*
cour que de veiller aux interets de \ilains
qu'il meprisait. Quelques efforts que fit
le garde de la pre vote pour calmer le
mecontentement general, quelque deference
qu'il manifestat pour les principaux Pari-
siens, dont il demandait incessamment les
bons conseils, ces sentiments se develop-
paient de jour en jour.
Mais en meme temps avait grandi la de-
moralisation des classes inferieures. J^ con-
tagion etait venue d'en haut. I^ famille
royale avait donne au peuple le spectacle de
tous les vices et de tous les crimes. Le due
d'Anjou avait commence par le vol, le due
de Bourgogne finissait par Tassassinat. Et
comme si ce n'etait point assez de fournir de
mauvais exemples, les princes s'etaient ever-
lues a repandre dans le peuple les doctrines
les plus corruptrices.
Apres avoir fait metlre a mort son neveu
— 293 —
d'Orleans, le due de Bourgogne avail auda-
cieusement avouelesmeurtriers. Bravant les
ordres du roi, il etait renlre dans Paris oil la
populace, qu'il avaitmainte foisflattee,ravait
recu avec enthousiasme. Bien loin de temoi-
gner le moindre regret de son crime, il avail
enlrepris de demonlrera tous el a chacun
qu'il avail bien fail de frapper sa viclime.
Dans une grande reunion oil se trouvaient
les princes du sang, les plus hauls barons de
France, TUniversile el quantite de bourgeois
de Paris, specialemenl convoques, le due de
Bourgogne avail fail soutenir par un docteur
en iheologie que Tassassinal politique n'elail
poinlun crime, qu'il constiluail auconlraire,
en certains cas, Faccomplissement d'un devoir
etroit. Le discours prononce a Thotel Saint-
Pol par le docteur J. Petit n'elail autre chose
que la theorie du tyrannicide. Petit eta-
blissait, avec force citations, qu'il etait de
droit el d'equite d'occire un tyran. 11 expli-
quait qu'un tyran etait celui qui machinait
— . 294 —
contre la cliose publique ; la chose publique
c'etait le bien de tous, en general , et celui
du bon peuple en particulier. Pourjuslifier
sa these, il citait de nonib^euses autorites
et invoquait Topinion des plus doctes horn-
mes.
Les clercs et les bourgeois estimerent qu'il
etait fort grave de soulenir ouvertement de
pareilles propositions. Sansdoule il pouvait
etre vrai qu'en cerlains cas Tinteret gene-
ral put legitinier ou excuser bien des cho-
ses, peut-etre meme Temploi de moyenssem-
blables a ceux dont avait use Monseigneur
de Bourgogne. C'etait I'avis des plus excel-
lents ecrivains de ranliquite,etaussi celui des
Peres de T^glise , notamment de saint Thomas
d'Aquin. M. Jean Gerson lui-m^me (il devait
heureusement se contredire plus tard ) avait
dit : « que nuile victime n'etait plus agrea-
ble a Dieu qu'un tyran. » Mais etait- il ri^-
cessaire de precher au peuple de pareilles
doctrines? Cela paraissait bien douteux.
— 295 —
Le menu peuple cependanl approuvail;
il ne pouvait douter de ['excellence de
theories pareilles. Elles flattaient ses instincts
de violence , legitimaient ses exces passes et
futurs : elles avaient de plus Thonneur d'etre
professees par un docteur en theologie, en
presence de TUniversite et des plus graves
personnages de la ville , lesquels n'y contre-
disaient point. La populace pourrait done a
Tavenir, quand elle mettrait a mort ceux
qu'elle considerait comme ses ennemis, s'a-
briter derriere les plus hauts exemples et
les plus eminentes autorites.
Non contents de Tallocution prononceepar
Jacques Petit, lesaffides du due de Bourgogne
avaient fait reraarquer aux Parisiens, que le
due d'Orleans avail dissipe , en depenses fol-
ks, la fortune publique, qu'il avail deploye
un faste inou'i, qui etail comme une insulte a
la misere generale; que frapper de morl un
pareilhomme n'etait que justice; en debarras-
sant le royaume d'un semblable monstre le
— 296 —
due de Bourgogne avait mis fin a des scan-
dales qui deshonoraient le pays entier, et
venge le pauvre peuple.
Ces discours avaient atlis^ la haine que
depuis le commencement du regne de Char-
les VI la basse classe nourrissait contre les
riches ou centre ceux qui lui semblaient
tels.
Le vieux levain d'ou etait sorti la revoke
des maillotins fermentait de nouveau. Les me-
sures coercitives prises contre Paris per-
daient chaque jour, par la force n^eme des
choses, quelque peu de leur rigueur. La ville
commencait a se lasser d'etre Tenjeu des
parties que les princes jouaient autour d'elle
sans qu'elle s'y melat. En vain une ordon-
nance royale defendit-elle aux Parisiens de
prendre part, fut-ce en paroles, aux dissen-
sions des princes. Les prescriptions de cette
ordonnance furent violees d'abord par ceux
— 297 —
qui Tavaient fait porter. Paris, sans avoir re-
trouve sa puissance d'autrefois, avail repris
assez de force pour devenir une alliee ou
une ennemie redoutable. Les princes la me-
nageaient et n'osaient lui imposer d'aussi
lourdes charges qu'aux aulres bonnes villes.
lis se disputaient ses bonnes graces, et cher-
chaient par des prevenances de toutes sortes
a se concilier son concours. JLa reine elle-
meme en plusieurs circonslances, ne dedai-
gna pas de donner a ses sujets de Paris des
explications sur sa conduite personnelle.
Peu a pen les corporations ou confreries
supprimees se reconstituerent.
En mars 1409, et sur Tinitiative du due
de Bourgogne , une ordon nance royale res-
titua a la ville le droit d'elire son prevot des
inarchands, et celui d'organiser les habitants
en gardes bourgeoises commandees par des
chefs elus. (i) Tousles quarteniers, cinquan-
( I ) L'echevinage electif n'etait pas retabli : il ne le fut
que troisans plus tard en i4i2.
17.
— 298 —
teniers, dizeniers fureni choisis parmi les
partisans du diic de Bourgogrie j le prev6t
des marchands fut une de ses creatures. Peu
importait a la population parisienne que le
due Jean fut, dans ses duches et en Flandre,
I'ennemi le plus acharne de la liberte com-
munale, qu'il fut en lutte constante avec
Gand, avec Bruges, avec Liege , avec toutes
les vieilles villes flamandes, qu'il eut reprime
dans ses domaines, avec une cruaute inouie,
les moindres velleites d'independance. Paris
oubliait tout pour ne se souvenir que d'une
chose, la restitution de quelques-unes de ses
anciennes franchises. Le has peuple surtout
s'etait donne corps et ame au due de Bour-
It
gogne. L'homme qui avait fait assassiner son
cousin d'Orleans etait bien digne d'etre le
compere de ceuxqui, en i38i, avaientpille
et incendie les maisons des Juifs, en i383
assomme les percepleurs d'impots, mis a sac
les maisons des plus riches bourgeois.
Monseigneur de Bourgogne donnait d'ail-
— 299 —
I leurs a la mullitude des salisfaclions de loutes
i sortes, et qu'elle appreciait singuUerernent.
r II avail besoin d'argent ; au lieu de recourir a
la voie de rimp6t qui lui aurait aliene ses
nouveaux allies, il fit arreter les principaux
banquiers et changeurs de Paris, et leur
fit faire leur proces. On les accusa d'avoir
profite des troubles qui, depuis tant d'annees^
avaient desole le pays pour faire leur fortune
auxdepensdecelledeTEtat. II se trouvaitcer-
lainement dans le nombre de ceux qui furent
mis en prison des financiers peu scrupuleux
et qui avaient oulrageusement dilapide les
finances publiques. Mais ces gens, si coupa-
bles qu'ils fussent, n'avaient fait quesuivre
Texemple des princes , de celui surtout qui
les poursuivait. Seulement ils avaient contre
eux d'elre de basse extraction. II etait per-
misaux princes etauxgentilshommes de met-
tre a sac le tresor royal : cela ne pouvait etre
tolere de la part de miserablesroturiers. Beau-
coup de ces malheureux n'avaient coinmis
— 300 —
d'autre crime que d'avoir su , au milieu des
desastres publics, sauver leur patrimoine , on
ne pouvait leur reprocher que d'etre riches
et de n'etre point du parli de Bourgogne.
L'affaire futvile inslruite : on mit les prison-
niersa la torture, on leur fit avouerles crimes
reels ou pretendus qu'on leur imputait : on
en envoya quelques-uns au gibet : on confis-
qua les blensdes aulres, le toutaux applaudis-
sements de la population parisienne a laquelle
les \ictimes etaient d'autant plus odieuses
qu'elles sortaient des rangs du peuple. Aux sen-
timents d'envie que la plebe nourrissait
contre tous ceux que la fortune avait favori-
ses s'ajoutait, en ce qui concernait les parve-
nus proprement dits, une sorte de jalousie
particuliere a laquelle les mesures prises par
le due de Bourgogne donnaient satisfaction.
La lutte entre le parti d'Orleans et celui d e
Bourgogne continuaittoujoursavec des chan-
— 301 —
^ces diverses. Le jeune due d'Orleans avail
^ epouse la fiUe du grand comte d'Armagnac,
g autour duquel s'etait groupee la noblesse du
^ Midiet du Centre. Pourresisteracesehnemis,
^ le due de Bourgogne avail besoin de nouvelles
^ ressources; il fitappel aux bonnes villes, reu-
nit a Paris les delegues des principales d'entre
elles et leur demanda des subsides. Les de-
putes ne voulurenl rien voler. Paris refusa
d'armer ses hommes el d'accepter, pour
commander ses milices, un capitaine bour-
guignon.
Au moment meme oii le due de Bourgogne
appelait aupres de lui les deputes des villes,
les princes adressaient aux bourgeois un ma-
nifeste dans lequel ils denoncaient Tanibilion
du due Jean, qui usurpait Tautorite royale.
L'occasion se presenlait pour les populations
urbaines de reprendre dans TEtat leur ancien
role, etde reconquerir a la faveur des discor-
des dela noblesse, les liberies perdues en i SSg.
Elles ne surent point en profiler. Elles reste-
— 302 —
rent isolees et partant impuissantes. : Le peu-
ple de Paris qui allendait du due de Bourgo-
gne la suppression de tous les tiDp6ts )S*in-
quietait fort peu de reformes ou de projgres ;
et les bourgeois des provinces n'osaient se
meler a une guerre dont ils craignaient de
payer les frais.
L'Universite de Paris fit seule , en cetie
circonstance, preuve de sens politique. Elle
intervint enlre les belligerants et leur proposa
un arrangement sur les bases suivantes. Les
chefs des deux factions se retireraient dans
leurs domaines ; le roi serait assiste dans les
soins du gouvernement par un conseil dont
les membres seraient choisis dans les trois
elats du royaume.
Comme Charles VI eta jt atteint de demence
et qu'il lui etait le plus souvent impossible
d'exercer lui-meme les prerogatives royales,
la designation des membres du conseil devait,
si la solution proposee par I'Universite etait
serieusement mise en pratique, appartenir
— 303 —
^x elats qui reprenaienl alors , par la force
L eme des choses, une influence preponde-
i.nte. Celait un retour incomplel sans doule,
kais un retour cependant aux idees d'E-
ienne Marcel.
Le due de Bourgogne adliera a la propo-
.tionderUniversile,iI exprima Topiuion que
t tache de diriger un si grand Elat que la
'ranee exeedait les forces d'un seul homoie,
5S siennes specialement, et que rien n'elait
ilus neeessaire en ce moment que d'entourer
e roi de gens capables et independants. Sin-
ere ou non, cette declaration etait d'une
;rande importance, elle obligeait les chefs du
>arti d'Armagnac a accepter egalement le
>rojet universitaire. Un traite fut signe a Bi-
etre le 2 novembre j4io. II stipulait que
es princes se relireraient dans leurs seigneu-
les et y resteraient en paix ; qu'ils n'assem-
)leraient point de gens de guerre et ne s'ar-
neraient pas sans le conge du roi. Les
)opulations du royaume etaient invitees j
— 304. —
courir sus a quiconque Iransgressierait cette
prohibition. Les princes ne pourraieni sortir
de leurs apanages et se rendre a la cour
que sur ordre expres du roi : il ^tait con-
venu que celui-ci n'appellerait pas Tun sans
appeler les autres et que Tordre derappel,
pour etre\alable, serait confirme par le con-
seil. Ce conseil serait compose de personnes,
non pensionnaires d'aucun des princes.
La paix devait etre de bien courle duree.
§ IV.
Le poa¥olr anx mains des d^magpogpaes parlslens. —
La comniane de Paris en 1413. — Les reunions
publlques el leurs oratears. — Id^es de eeax.
el sur le g^avernement et la eonslllndon da pays.
— L'ordonnanee eaboehlenne. •
Les universilaires ne pouvaient seuls sup-
pleer a la defaillance generale. Apres non
plus qu'avant le Iraite de Bicelre, il n^y eut,
en France , dans les rangs de la bourgeoisie ,
d'inlelligence assez large et de coeur assez
ferme pour reprendre Toeuvre d'Etienne
Marcel et saisir le pouvoir apres la relraite
des princes. Le but que s'etait propose TU-
niversite ne put etre atteint : les princes se
retirerent, mais ils composerent le conseil
de leurs creatures. Et Tun des partis, celui
— 306 —
d'Armagnac^^ croyant ses partisans en mino-
rite, Tcpiit bienl6t les armes.
Pour soutenirla lutte, le ducde Bourgo-
gne avail besom d*argent. II ne pouvait son-
ger a etablir d'autorite quelque aide nou-
velle ; c'eut ele s'exposer a perdre Falliance
de la \ille de Paris. Le due prit le parli de
oonvoquer une assemblee de notables, et
de leur demander des subsides. Les nota-
bles se reunirent a Paris a deux reprises
differentes : parmi eux, on comptait peu
de nobles , peu de prelats appartenapt atix
provinces; le clerge etait presque exclusi-
vement represente par les cures des paroisses
et les dignitaires des couvents parisiens. La
grande majorite de Tasseniblee se composait
d'universitaires et de bourgeois. II ne semble
pas que ces notables eussent et^ reguliere-
ment elus par leurs concitoyens , ni eussent
recu d'eux pouvoir de consentir aucune
taxe. lis reconnurent que le due de Bourgo-
gne avait besoind'argent pourfairela guerre;
_ 307 —
nais quand il s'agit de sayoir comment les
vibsides seraient leves, les representanls du
derge declarerent qu'ils nepayeraient rien,
|ue c'etait le privilege de leur ordre de ne
3oint acquiller de taxes , que si ce privilege
ivaitete violea diverses reprises, il ne devait
Doint Telre dans la presenle occurrence. Mah
^re les efforts du due les clercs resterent in-
Elexibles, et ne se deparlirent point de leur
refus : les notables bourgeois declarerent de
leur cole qu'ils ne voleraient d'impot que
si noblesse et clerge en acquittaient leur
part commeles autres habitants du royaume.
Le due de Bourgogne ne put obtenir Taide
dont il avait besoin.
C'etail un echec grave et qui pouvait en
faire redouler de plus grands encore. L'en-
ihousiasrne des Parisiens pour Bourgogne
commencait a se refroidir, au point que le
due se prit a craindre que Paris ne Taban-
donnat si les Armagnacs promeltaient a la
— 808 —
ville, en echange de son alliance , quelque
immunite nouvelle. U resolut de compro-
mettre a jamais la population parisienne
a\ec les princes. L'armee de ceux-ci etait
fort rapprochee de Paris : le due de Bour-
gogne fit repandre tout a coup, par ses fide-
les, le bruit que les portes allaient etre ou-
vertes a Tennemi par les bourgeois riches,
qui etaient tons, plus ou moins, du parti
d'Orleans. Ainsi que le prince Tavait pense,
la terreur fut generale. Le corps municipal
de Paris, compose de partisans de Bourgo-
gne , demanda au conseil du roi de retirer
au due de Berry, suspect d'attachement a la
faction ^ orleanaise , les fonctions de capi-
taine de Paris , et de les conferer au comte
de Saint-Pol, Tun des chevaliers du due
Jean. Le conseil acceda a la demande. Le
comte de Saint-Pol remplaca monseigneur
■
de Berry.
Le nouveau capitaine declara solennel-
— 309 —
i^*ment , au moment de son installation ,
^u'il n'userait des pouvoirs qui venaient
^ ^ lui etre conferes que dans Tinteret de
ji population parisienne tout entiere, au
paibncours de laquelle il faisait appel : mais,
i^tttt meme temps, ecartant systematiquement
i^us les bourgeois honnetes , il alia chercher
Mes lieutenants dans les bas-fonds du peuple,
'entoura de bouchers et d'ecorcheurs , tous
ens audacieux et \iolents, disposant de ban-
gles de valets , d'assommeurs de betes , plus
grossiers qu'eux encore. Ces gens, avec I'as-
sentiment de M*^ de Saint-Pol, devinrent les
maitres de Paris, qui trembla devant eux.
Leurs acolytes et leurs valets se fatigue-
rent vite de travailler pour autrui ; les bou-
chers furent forces d'accepter pour coUe-
gues et bientot pour chefs. Tun de leurs
ecorcheurs, Caboche, qui donna son nom au
parti, et le bourreau Capeluche. Sous pre-
texte de defendre Paris contre les Arma-
gnacs, les ecorcheurs sequestrerent , rancon-
— 310 —
nerent ou assassinerent tous les gens ai
el se partagerent leurs biens.
U serail injuste de mettre a la diarge
peiiple de Paris lous les crimes qui se
liiirent alors. Bouchers et ecorcfaeurs ajil
saient sous rinspiration des agents du (ht
de Bourgogne et les instructions de M'^it
Saint-Pol , qui dirigeait les massacres eldei
griait les victimes. Cest Thonneur de lap<^
pulalion parisienne que pour trouver (1b
complices a leur infamie, le due de Boiff-
gogne et ses agents durent aller les chercha
dans les rangs les plus has de la plus vile
populace.
Les chefs de bandes se declarerenl e
verilables representants des habitants de
Paris , elablirent a cote du corps municipal
rcgulier une sorle de comite compose de
gens sans autre titre aux fonctions qu*ils
s'allribuaient que leur \olonte personnelle el
<|ui, parlant au nom du peuple, decidanl
au nom du peuple, etprelendant avoir seuls
— 311 —
qualite pour exprimer les voeux ou les vo-
lontes du petiple, n'admettaient personne
a discuter leurs actes et vouaient a la mort
quiconque avail Taudace de leur faire
opposition. lis pretendirent assisler quand
il leur plaisait aux seances du conseil royal j
le contraignirent a rendre un arret de pros-
cription contre tous les Armagnacs, et lui
arracherent une declaration contre les oncles
du roi. Us obligerent egalement le clerge de
Paris a fulminer T excommunication contre
les partisans des princes d'A^magnac. Leurs
menaces et leurs violences furent bient6t
telles qu'il devint impossible a tous les
hommes que leur fortune, leur talent , ou
leurs vertus memes avaient designes a Fat-
tention publique de rester en ville sans
s'exposer aux plus graves dangers. Les
principaux membres du conseil , le prevot
des marchands, et les bourgeois les plus
importants prirent le parti de quitter
Paris. Ce qu'ils firent non sans dlfKicuIets.
— 312 —
Q)mpletement incapables, d'ailleurs, d'au-
cunes visees poliliques , les chefs de bandes
ne se souciaient d'auire chose que de con-
server le pouvoir qu'ils avaient usurpe. Et
pourvu que le due de Bourgogne serrat
amicalement la main a quelques-uns d'en-
tre eux en se disant leur compere, qu'il
leur temoignat tous les egards qu'il eut le-
moigne a quelque grand comte^qu'il assis*
tat avec sa noblesse aux funerailles de Tun
deux et assouvit leurs appetits sanguinai-
res en leur livrant les prisonniers du parti
d'Orleans, ils se declaraient amplement sa-
tisfaits.
Heureusement , a cole de ces miserables
instruments du due de Bourgogne surgirent
quelques hommes qui eslimerent que le
peuple de Paris ne pouvait avoir pour seuls
objectifs le pillage, Tincendie ou le meurtre.
C'etaient de tres-pelits bourgeois, ayant jus-
— 313 —
qu'alors occupe dans la \ille une place des
plus humbles 9 mais instruits et capables.
Quelques uns se rattachaient a rUniversile.
Les derniers troubles leur avaient fourni
roccasion de se faire remarquer dans les
assemblees populaires, moins pent etre par
leur bon sens et leur eloquence que par leur
habilete a toujours flatter les passions de
leurs auditeurs. Pendant que les ecorcheurs
tuaient ou pillaient, ces individus rappe-
laient au peuple ses anciennes libertes, ce
qu'ils appelaient ses droits , Texcitaient a
les reconquerir. Les Parisiens importants
faisaient peu de cas de ces petites gens,
(c qui se melaient de choses au dela de leur
portee. » Us les accusaient de travailler sur
tout dans Tinteret de leur bpurse, ce qui
pouvait bien etre la verite; car un derna-
gogue desinteresse elait encore a trouver.
Mais la foule ecoutait de . Troyes , Pavilly
et leurs amis avec d'autant plus de faveur
qu'ils etaient des siens, que s'ils s'ele-
18
— 314 —
valent par leur talent au-dessus du commun
peuple, ils se rattachaient a lui par Torigine
€t les sentiments.
L' importance de ces hommes fut bientot
anssi grande en \ille quecelle des grosbou-
chers. De Troyes devint aussi puissant que
Legois ou Saint- Yon.
Si grossiers qu'ils fussent et disposes a
considerer la force brutale comme le prin-
cipal et le plus efficace des moyens de gou-
vernement, les chefs de bandes etaient assez
clairvoyants encore pour comprendre que
<c la meilleure maniere de tromper et de se-
<c duire la sotte populace etait de se servir
<c de gens bien disants , n'y ayant rien
« de quoi Ton ne put venir a bout par ce
<( stratageme. » lis se rendirent compte de
I'ufilite qu'aurait pour eux Talliance de ces
orateurs ecoutes par la population avec
tant de faveur, et pour s'assurer cetle al-
liance s'elTorcerent de leur complaire/
En Janvier i4i29arinsligation dede Troyes
— 315 —
I et de Pavilly, fut rendue une ordonnance
r qui completait celle de mars 1409 et resli-
tuait a la \ille de Paris tous les droits et pri-
i vileges dont elle avait joui avant i383. Les
: resultats de cetle mesure ne tarderent pas a
se faire senlir. Si les chefs de bandes avaient
reussi avec la complicite du due de Bour-
gegne a s'assurer dans Paris un pouvoir
presque inconteste, cela tenait surlout a ce
que les verilables Parisiens etaient encore^
malgre les ordonnances de mars 1409, re-
duits a une quasi impuissance.
Toutes restrictions a la liberte sont fata-
les a la cause de Tordre. Elles enlravent
les gens honnetes, et partant timides, qui
n'osent \ioler la loi : elles sont sans effi-
cacile au regard de ceux en vue desquels
elles ont ete edictees : elles n'empechent *
point les ambitieux ou ceux qui veulent
entreprendre contre la paix publique, de
s'entendre, de combiner leurs efforts, d'a-
gir. L'ordonnance de Janvier i4i2, enren-
— Jfl6 —
dant a Paris son echevinage, son ancienne
organisation par quartiers^ ses corporations,
ses confreries, ses reunions, allait permettre
aux liommes d'ordre de se compter, de se
reconnattre et de lutter , quand le moment
serait venu, contre la tyrannic demagogique
a laquelle ils etaient soumis depuis plu-
sieurs mois.
Le premier usage que firent les Parisiens
de leurs franchises recouvrees fut de choisir
les hommes auxquels ils en devaient la resti-
tution pour diriger les affaires de la \ille. lis
porterent au corps municipal et a T echevi-
nage les principaux orateurs populaires.Tous
les candidats appartenant a la haute bour-
geoisie, au gros commerce furent ecartes.
Ce fut, aux yeux des vieilles families muni-
cipales , un scandale que de voir des gens de
si petit etat remplir de si hautes fonctions.
Beaucoup de bourgeois considererent comme
— 317 —
u plus humiliant d'avoir pour echevin un mau-
- vais chirurgien comme de Troyes, que d'etre
soumis a un prevot nomme par leroi, mais
noble ou vivant noblement. lis trouverent que
Paris payait bien cher la restitution de ses an-
ciennes libertes au prix d'une telle honte, et
ne dissimulerent point leur mecontentement.
Quel hasard, disaient-ils, auraitenseigne aun
homme de metier qui toute sa vie a gagne son
pain en travaillant de bras ou de mains, sans
sortir de Tatelier, « n'a frequente les legistes,
ni les gens coutumiers aux choses de droit
et de justice n'a vu honneur, ni con-
nait que est sens... les savoirs et choses qui
afferent a gens propres a etablir es gouver-
nements «. Comment admettre qu'un tel
. homme, « un tel fol, qui saita peine ses pat^-
notres, ni soy-meme gouverner fors par les
tavernes', pretende gouverner autrui »?... II
n'y a rien de tel « qu'un malotru » qui tout
*d'un coup veut devenir maitre. Si detelsgens
ont d'habitude peu de raison, ils'ontnatu-
18
— 318 —
rellement aussi beaucoup d'orgueil^ de telle
sorte que nul^gouvernement n'^tpire cpie
leleur
Ces apprehensions des gros bourgeois de
Paris, que Christine de Pisan devait, quelques
anneesplus tard, resumer avec tant de finesse^
n'etaient point absolument depourvues de
fondement, les evenements qui suivirentne
le demontrerent que trop, mais elles etaient
aussi enapreintes de quelque exageration.
Si parmi les nouveaux elus de la population
parisienne on en*comptait qui desiraient sur-
tout ren>plir leur bourse, salisfaire leurs pas-
sions envieuses et abreuverd'humiliat ions les
grandes families municipales, il en etait aussi
qui s'occuperent serieusement des interets
generaux de la \ille, qui firent preuve d*hon-
nelete , d'un sincere desir de travailler au
bien public, et dont Tinexperiencfe politi-
que, les violences meme ne peuvent faire
oublier les bonnes intentions. Si, tout en*
deplorant les exces des bouchers, ces hommes
— 319 —
^ s'en separerent point violemment, c'est
^'aux yeux de ces pelits bourgeois les ban-r
es avaient le grand merile d'avoir reconquis
^ir la monarchie absolue les anciennes
^•anchises parisiennes.
j| L^ temps etait bien loin ou les Francais res*
i^ectaient la royaute avant toutes choses. On
^^ait enlendu le cliancelier de Notre-Dame, en
j^ance de TUniversite, conclure a la deposi-
ion du roi, si celui-ci persistait a refuser d'af-
ranchir les universitaires d'une taxe nou-
^elle. Lorsque les privilegies tenaient un pa-
peil langage, on juge ce que devaient elre
les opinions des meneurs de la populace.
De Troyes et la plupart de ses amis polili-
ques eslimaient que la royaute n'avait de rai-
son d'etre qu'a la condition de servir la cause
du peuple. lis pensaient que celui-ci devait
etre maitre de ses destinees, administrer ses
interets par des magistrats par lui elus et
devant lui responsables ; ils youlaient ad-
mettre au partage de la puissance publique
— 320 —
les plus humbles comme les plus elev^s des
Francais. La volonte populaire devait pre-
dominer, d'apres eux, dans tout FEtat. Nul
pouvoir au monde n'etait legitime qui pre-
tendait etre autre chose que Texecuteur
des decrets de la nation et, specialement/ de
la population parisienne.
Malheureusement pour la France, ces hom-
mes arrivaient au pouvoir supreme sans
avoir encore ete meles au mouvement des
affaires publiques, sans avoir jamais eteasso-
cies a la haute administration du pays ; ils
avaient fait leur apprentissage d*hommes
d'l^tat sur les places, dans les rues , dans les
reunions d'emeutiers.
Alorsqu'en iSSyfitienne Marcel et Lecoq,
sans s'arreter aux utopies, ne s'occupaient
que de reformes realisables, prenaient unsoin
extreme de menager, autant que faire se pou-
vait, les interets materiels des diverses classes
de la nation, interessaient les masses a Tocu-
vre qu'ils entreprenaient , en faisant ressor-
— 321 —
■Ir les a vantages qui en resulteraient pour
iouSy s'efTorcaient, au moins dans les premiers
lemps, d*atlenuer les jalousies de caste et
il'associer toutes les forces vives du pajs
idans une action commune , Jean de Troyes
iBt ses acolytes agissaient tout au contraire.
JIs ne savaient point qtie la politique est
]a science des menagements et des transac-
tions ; que toute violence amene necessaire-
ment une reaction ; que, si u n principe juste
doit toujours finir par tripmpher, c'est a la
condition de n'etre point tout d'abord im-
pose par la force.
C'est la faiblesse des gens qui ne se sont
point encore trouves face a. face avec les
embarras du gouvernement et la pratique
serieuse des affaires, de se croire infailli-
bles; partant, de se montrer opposes a tou-
tes les transactions et de s'attaquer sans re-
flexion a ce qu'ils croient etre le mal. lis ne
i^eulent point admettre que ce mal soit sou-
iTent chose necessaire; qu'il faille en bien des
— 322 —
cas \ivre avec lui, a peine, en le supprimant
brusquement j d'en faire naitre un plus grand
encore. Comme tous les theoriciens^ ik ne
peuvent toiijours mesurer avec exactitude les
consequences des doctrines qu'ils professent.
II leur est impossible, quelle que soit leur
perspicacite , de reunir toutes les donnees,
tous les elements du probleme a resoudre^
et il suffit que Tune de ces donnees leur
echappe pour que la solution qu'ils proposent
soit immediatement faussee, pour que aulieu
du bien qu'ils poursuivent, ils entrainent le
pays a queVque catastrophe. Tout gouveme-
ment qui veut s'assurer quelques chances de
duree doit soigneusement eviter de porter ,
pour quelque cause que ce soit, une atteinte
trop considerable aux interets materielsy se
garder surtout de sacrifier ceux-ci a une abs-
traction quelconque. Les illusions politiques
ne durent jamais longtemps. L*entratnement
peut contribuer aTetablissement d'un pouvoir
nouveau , il ne suffit point pour le fonder d'une
— 323 —
facon definitive. Le jour vient vile ou Yen-
tliousiasme se dissipe pour faire place au rai-
sonnementy et si, cejour, lasomme du bien
effectif a porter au compte du gouvemement
est inferieure a celle des malheurs qu'il a
causes ou n'a pu empecher, sa chute est im-
minente. Ceux-la meme pour lesquels il a
travaillerabandonnent, et ilsuccombe avecla
douleur d'avoircompromis dans Tavenir, les
principes qu^ilvbulait faire pre valoir, pour
en avoir vouhi trop tot procurer le Iriompbe,
C'est ce que ne comprirent point Jean
de Troyes et ses amis politiques. Dans leur
desir de faire le l)ien , ils le firent sans me-
sure, et, pour Tassurer, n'iiesiterent point a
recourir a la violence ; iis dechainerent des
passions dont il ne fut bientot plus en leur
pouvoir d'arreter le developpement. Leurs
idees les plus nobles et les plus elevees de^
vinrent, pour n'avoir point ete exprirnees
par eux avec moderation , Toccasion de
deplorables desordres. lis avaient energi-
— 324 —
quement stigmatise rimmoralit^ des gen-
tilshommes , fletri les debauches de la cour,
le luxe deplace de la plupart des bour-
geois, lis avaient; dans les assemblees popu-
laires, exprime la pensee que la demoralisa-
tion profonde qui s'etait emparee des classes
elevees etait Tun des plus grands obsta-
cles au salut public^ le plus dangereux en-
nemi du pays. lis avaient surtout con-
damne les gens qui, arrives a la fortune
sans etre dignes de la posseder, sans autre
objectif que Targent, ayant emprunte a la
noblesse tous ses vices et toutes ses faibles-
sesj sans avoir pris en meme temps quel-
ques-unes de ses grandes qualites, corrom-
paient le peuple par leurs exemples. lis
avaient preclie le patriolisme, deHonce a
la nation les grands seigneurs qui , oubliant
leur patrie, se mettaient a la solde de TAn-
glais, lui pretaient foi et hbmmage pour
obtenir de lui quelques secours d'hommes
ou d'argent. lis avaient recommande le de-
I
I
— 325 —
vouement , Tabnegation , soutenant qu'on
devait oublier « toule pilie de parents , amis
ou toutes autres, pour celle du pays, qui les
contenait toutes »•*
C'etaient la d'excellenles doctrines : elles
faisaient honneur a ceux qui les osaient pro-
fesser a la face des princes , des barons et
des bourgeois opulents : mais elles produisi-
rent les plus funestes resullats. Sous pretexle
de faire preuve de palriolisme, et de punir
les traitres a la patrie les Parisiens massacre-
rent les prisonniersArmagnacs. Les theories
des orateurs populaires sur le mepris de la
mort se repandirent si bien qu'on « ne faisait
pas plus de cas de la\ie d'un homme que de
celle d'une alouelle » , et que les attentats
contre les personnes , meurtres, blessures ne
se comptaient plus.
A force d'entendre condamner les de-
penses excessives de la cour et dela ville, fle-
19
— 326
rir les vices qui desfaonoraient gentiW
mes etjjourgeok, le peuple : arriva a
conviction que ses adversaires les r
avaient lemonopole de toutes les honle
par contre, se persuada que les basses cl
possedaient loules les vertus.
Jisimais cependant la plebe parisienne
vait.ete plusprofondement corrompuej
celle epoque, jamais/dans la grander vil
niveau de la moralile n'etait tombe plcB
Le$ petits commercants ga^pillaient en
tins regaU et. par lies de plaisir bienau
desrevenus de leur humble commerce (
donnaient femme et enfants pour vivre
lesinauvais lieux, et, pour subvenir a
foUes depenses, recouraient, dans leiir mi
a toutes les tromperies. Ouvriers et ouvri
de leur cote, detournajent habituellemei
marcks^ndises que les patrons leur confia
I^es ateliers etaient des repaires de debav
Lesfemfnesappartenant a la classe bbori
vJvaieiit dansle plushonteux devergonda
— 327 — ^
se prosliluaient a tout venant , « pour elre
vielues comme des dames ». Autant en fai^ -
saientles fiUes de maitres^qui se compromet- -
taierit avecles apprentis. Le desordre avak"
alteint de telles proportions, iqii'il avail fallii
qu(0 les corporations prissent des Teglemehts
severer, parfaitement inexeeutes d'ailleurs,^
pour en arreler le developpement.
Lessen yriers parisiens s'etaienl deshabitues
dii travail. Bien que le prix de la main d'ocu-
vre eut considerablement augraente, ilsde-j
sertaient en masse I'atelier pour s'engager^
daris les bandes, oii I'on mangeait et buvait
bien,aiix frais du <c commun» ; ou, souspre-
texte :de fa ire la police de la ville, de reclier*
cher les criminels, de defendre Paris centre :
les gens du parti d*Orleans,.on detroussait les
pas^ntsy on pillait h6tels et palais , on allait
aux portesouaux remparts passer tout lejour
dans une oisivele absolue/dont on nesdrlait>
que pour se livrer « a des esbats » plus peril-
leux encore pour la morale et I'ordre public
— 328 —
que I'oisivete elle-meme. Les a travailleurs d
s*etaient bien vite accoulumes a cette exis-
tence facile. lis pensaient avec terreur qu'eile
ne pourrait durer toujours, et tous leurs ef-
forts tendaient a eloigner le moment ou il
leur faudrait revenir a la besogne. Beaucoup,
completement pervertis par la paresse, com-
mencaienta mendier a main armee. Autrefois
honnetes et laborieux y les ouvriers parisiens
etaienty grace a la guerre etrangere, aux dis-
cordes civiles ^ aux incitations des meneurs ,
devenus des pillards ou des assassins.
Mais la populace, si perspicace quand il s'a-
gissait des vices des grands j se montrait sin-
gulierement aveugle quand il s'agissait des
siens ; elle etait pour elle-m^me, fort indul-
genie. Elle se crul, ou se dit, appelee a rege-
nerer la sociele , et pretendit reagir contre
la corruption de la cour et de la ville. Le luxe
devinl un crime, le plaisir un delit contre
la chose publique, que le peuple entreprit de
prevenir et de reprimer.
— 329 —
A la facon do.nt il s'y prit, il fiit facile de
voir que le sentiment qui animait les bas-
ses classes centre les desordres des grands
n'etait pas la conscience du danger que ces
desordres pouvaientfaire courir a la societe,
mais la jalousie ^ le desespoir qu'eprouvaieht
les pauvres de ne pouvoir s'y adonner egale-
ment. La populace haissait les vices des
riches, parce qu'elle ne pouvait satisfaire les
siens.
Pour precher la vertu, elle se livra aux plus
regrettables exces. Les gens soupconnes de
« fasten furentarretes, emprisonnes, quelque-
fois mis a mort. On ne fit pas d'exception en
faveur de la famille royale. Un jour, le bruit
couruta Paris qu'a Thotel du ducdeGuyenne,
a Toccasion du manage de Tun des parents
du prince, se faisaient les preparatifs d'une
grande fete. Desbandes se rendirent a Thdtel
Saint-Pol, enforcerentlesportes, le pillerent
et arreterent quinze dames de la cour dont
la toilette indecente avail scandalise la pu-
— 330 —
deur du peuple. Des arreslations de meme
genre se succedaient ehaque jour, et jetaient
Teffroi parmiles bourgeois. -
D'aulre part, les assemblages populaires de-
venaient de plus en plus nouibreuses^^t; beux
qui les frequenlaient plus exalles. II faut lire
les descriptions qu'ont lais$ees de ees pssem-
blees les ecrivains du temps. Les theories
qu'on y soutenait devenaient grotesques a
force d'etre \iolentes. 11 y avail longtemps
qu'on avait cesse d'y riea dire de raisonna-
ble... a Le plus fol y park it premier. j> Les
orateurs y semblaient « un droit jeu de per-
« sonnage fait par mocquerie ». En lesjenten-
dant on se croyait « devant des treteatix de
a baladins ». * . .'
Malheureusement ces assembleesne pre-
taientpas seulement a rire. L'odieiix venail
s'yjoindreau ridicule. « La n'avait mestier
« droit : les conclusions y etaient faites sa^ns
« avis, dont tres-mauyais effets s*$nsui-
;:ff vaieht; » Au sorlur des reunions, lespeti-
- tes gens qui en formaientle personnel s'en
; allaient en grand noinbre,« I'un suivant
: Taulre comme trebis, naais pres: et ^appa-
f reilles a tous maiix faire ». II suffisait d'une
-parole, de la plus futile rencontre pour 'que
ces esprits grossiers, echauftes et pervertis
par les diatribes' ihsensees qu'ils veilliieiit
denteadre, se po'rlassent a tons les exc^>..
- <c Que Fun commence, oncques fureur fti
« cruauLe de sanglier he s*y accompara...;..
' a sans savoir ce qu ils demandent , qiiand
« ils js'acharhent sur aucunes gens, Ik ri^a
« Iresve, ni lenue, lii honneiir gard^ a
cc pfince ni a princesse, a seigneur rii ^a
a maltre, a voisiji rii a voisine. --- N6-
(c bles^e y est en grande \ilete, bien y est
cc menace ;.^... tout: sera mis a mort,.... Plus
a n'en soufTriront* . . Adpnc sorit si alsfes
CK quand ils tuent ou niassacrent gens, torn-
cc pent tout, ^ffoncenl i^in a tous ces riches
- cc gens. . . Ha ! Coinme c'est besoigne ! . • . »
— 332 —
Des scenes semblables se reproduisaient
a chaque instant. A qui osait forinuler quel-
qiie timide critique, on repondait que les
choses se passaient ainsi du temps des
communes : que c'etait la commune qii^on
allait fonder a Paris. Pourle plus grand nom-
bre ce mot de commune signifiait droit de
tuer les riches et de piller leurs biens. Aussi
les Parisiens s'en servaient-ils souvent^ et
applaudissaient-ils frenetiquementles dema-
gogues qui le repetaient sans cesse.
De Troyes et les siens etaienthors d'etat de
prevenir et de reprimer ces desordres. Sortis
de Temeute , et portes par elle aux plus hau-
tes fonctionsde TEtat, ils ne pouvaient, sans
mentir a leur origine , sevir conlre des
hommes auxquels ils devaient d'etre ce qu'ils
etaient, ni condamner trop aisement des ac-
tes qui n'etaient, en somme, que la raise en
pratique brutale de leurs dbcours d'autrefois.
Us avaient essay e de pallier aux yeux des
provinces Todieuse conduite du peuple pa-
— 333 —
risien et de dissimuler sous de belles phrases
rhorreur des crimes commis par leurs amis.
lis avaient ecrit aux bonnes villes une letlre
apologelique dans laquelle ils avaient esskye
d'expliquer d'une facon satisfaisante les eve-
nemenls qui s'etaient passes a Paris, et de
demonlrer que rien n'y avait ele fait qu'en
vue du bien public. Celle lettre, remarquable-
mentecrite, exprimant des sentiments eleves,
n'avait pas produit plus d'effet que, quelque
soixante ans plus tot, dans des circonstances
semblables, n'^vaient fait celles de Marcel.
Les principales villes du royaume, Rouen ,
Reims, Orleans , Troyes se souvenaient des
supplices et des confiscations qui avaient
frappe leurs principaux habitants, pour avoir
un instant, lors de la revoke des maillotins
ou delabatailledeRosebecque, marque quel-
que sympathie pour la cause parisienne.
Malgre cet insucces, le corps municipal ne
s'etait point rebute. Lorsqu'en mars i4i^
avait ete signe, entre le roi d' Angleterre et les
19.
. ^ 334. —
princes d'Armagnac, lin traUe aux lermes
duqiiel, en echsinge d'un secours de qiiel-
ques milliers d'liommes, les princes recon-
naissaient tenir en fief de la courorine d'An-
glelerre leurs possessions d'Aquitaine^ il avail
reussi a reveiller dans celle population pari-
sienne, si profondement corrompiie, Un mbu-
vement d'enlhousiasine palrioUque, le der-
nier qu'elle eprouva. La correspondance des
-Armagnacs avee T Anglais , inlerceptee en Nor-
mandie, avail ele lue en conseilM'hotel Saint-
Pol, toiites porles ouverles, eo presence d'une
foule considerable qui avait accueilli la lec-
ture de ceshonteux engagements par des cris
de guerre. Cent niille honimes avaient ete
leves : les milices parisiennes iavaient pris
les armes, jalouses peut-etre de venger la
pa trie, mais heureuses surtout de Irouver
Toccasion de courir sus aux gentilshommes
du parli d'Orleans, de faire la guerre aux
noi3les sous le masque du patriotisms
Quand les Armagnacs, accul^sdans BourgeS
_ r^ 335 —
Quiltet i4u)? avaiettt demande £a paix, les"
, magistrats parisiens aVaient reclame et obleiliu
. que les delegues desr: yiJies . fusserit reunis> a
A uxerre, pour jurer ^vec les deputes de la
noblesse, du clerge et de runiversite, la paix
. arretee entre les priqcJes. Enfm Us avaient^
conlraint le roi a relinii* Jes etats generaiix.
Bien des annees s'etaient eeouleeS depuis
la derniere reunion de ces etals. Lai tradi-
tion en etait pour ainsi dire perdue dans lies
\illesde province; le pouvoir municipal elait
definitivement tombe des mains des grandies
families bourgeoises encelles dela populace.
Aussi Tesprit politique avait-il partout disparu.
Des hommes de i356 il ne reslait plus rien,
pas meme le souvenir. Les deputes des
bonnes \illes bornerent leur role a refuser
les subsides qu'on leur dematidait, et en'ga-
gerent le roi a faire, pour se procurer I'argent
dontilavait besoin, rendi^e gorge atix gens
— 336 —
qui, a la faveur des troubles, avaient d^tourne
les deniers de F^tat. lis ne reclamerent au-
cune reforme et ne surent pas meme s^ap-
proprier le programme trace par FUniversite
dans le traite de Bicetre. On les congedia,
quelques jours apres leur reunion, avec de
vagues promesses. Us s'en contenterent.
La France venait d'abdiquer.
L'Universite entreprit de parer a la defail-
lance des deputes des provinces, elle proposa
au parlement de s'associer a elle pour recla-
mer des reformes. Sur le refus du parlement,
elle s'adressa au corps municipal et se ren-
dit avec lui a I'hotel Saint-Pol ou le grand
conseil deliberait, en presence du due de
Guyenne, fils du roi (i).
Le bruit de cette demarche s'etait repandu
dans Paris. Une foule considerable, ou 3e
trouvaient nombre de deputes aux etats, se
pressait autour de Thotel Saint-Pol, et avait
(i) i4 f<&vrier i4i3.
— 337 —
penetre jusque dans la salle ou siegeait le
conseil.
Eustache de Pavilly, carme et docteur en
theologie, porta la parole. II reclama une
r^forme complete de Fetal financier du
royaume, signala Tenormite des depenses,
la mauvaise administration, le gaspillage des
ressources publiques. Aucun des services d'in-
teret general n'etait suffisamment dote : par
contre, les prodigalites de la cour augmen-
taient chaque jour ; les conseillers des princes
(I'orateurles nommait) s'attribuaient des som-
mesenormes. Pendant que Targent du pauvre
peuple allait aux mains des favoris, soit sous
forme de pensions , soit par voie de malver-
sations , TEtat etait oblige de recourir aux
usuriers ; le royaume allait a laTuine. U fallait
porter remede a tous ces abus, faire justice
des fonctionnaires prevaricateurs, les desti-
tuer, mettre leurs biens sous sequestre,
jusqu'a ce qu'il eiit ete statue sur leur sort;
annuler toutes les pensions; puis, comme il
. ^ 338 ~
' n*y avait pas ^ 4e refolpmes Sef iiedses .si elles
ne comraencaient par en haut^ il fallait faire
"etilreT au cdtlseil de « boiis prudlioniihes »
' choisis par « vraieet bonne election » qui sie-
geraient a cote de ceux du sangroynL
L'assemblee applaudit 'au, discours de
Pavilly. Sous la pres^ion des assistants, a cha-
' que instant plus nombreux, et apl*ies dtie ap-
plii^ence de deliberation, le conseil « avoua
les requet*ants de ce qu'Us avaient demande ».
11 fut decide qu'une coulmissioii serait cliar-
geede rechercher quelles reformes pourraient
' elre ulilement appprtees a 1 administration
generaledeTEtat. Cette commission prendrait
* pour base de^oft travail les ordonnances des
ariciens rois, specialement celles du roi Qiar-
les V , et la grande ordonnance de'. iSS^*
Les fonctibnnaires designes pa1^ PaLvilJy
furent ecartes et parmi eux le prev6t de
1 Paris,, des Essarts. . • /.
" Les princes n'avaient cede qu'k contre-
coeur. Le due. de Guyenhe, fds afne du roi et
— 339 —
. gendre du due de Bourgogne, 6e monlrait
forlirrite desprelenliOns que quelques robins
avaient eu Timpudence de formulerdevant liii.
Ilavailenhorreur les pelitesgehs qui se tne-
laient de critiquersaconduite et pretendaient
tout diriger dans le royaume. Deux mois a
^ peine s'etaient ecoules depuis le jour oil la
deputalion de rilriiversite s^etait presentee
devant le conseil , que le due, se livrant .tout
a coup a la faction Arnjagriac frerfiissante
. encore de sa recente defaite, introduisait
dans la Bastille I'ancien prev ot deslitue avec
bon nombre de gens d'armes.
A la nouvelle de ce coup de main, Pa-
ris se souleva : les meneurs du parti bour-
guignon se reridirent aupres du prev6t des
marcbands, et lui enjoignirent d'avoir a
convoquer immediatement les milices bour-
geoises; le prevot effraye, ceda, il signa
I'ordre qu'on lui demandait. Mais le clerc de
la ville trouva nioyen de retarder, sous pre-
texte de quelques formalites a remplir, f expe-
— 340 —
diiion de cet ordre jusqu*au lendemain.
Dans la soiree , les chefs de la milice se
r^unirent. lis etaient pour la plupart desireux
de ne point se compromettre, peu dispo-
ses surlout a faire le jeu des Caboche et
des Capeluche. Ne point s'armer, c*etait don-
ner aussi aux Armagnacs le temps de se for-
tifier a la Bastille, c'etait fournir aii due de
Guyenne le moyen de se jouer des promesses
qu'il avait failes, ajourner indefiniment les
reformes arracheesau conseil par Tuniversite.
Cetait aussi porter un coup terrible a la do-
mination des chefs de bandes devant les-
quels Paris tremblait depuis deux ans. Cette
derniere consideration determina les chefs
des milices. lis emirent Tavis qu'il n'y avait
pas lieu d'appeler les bourgeois aux armes.
Le corps municipal avait ete, de son c6te,
convoque en toute hate par le prev6t. II se
composait en grande majorile de gens de
fort petit elat, porles au conseil de la ville
par la volonte populaire, au grand nieconten-
— 3Vl -^
tement des vieilles families parisiennes : mais
ceshomraes avaient peu a peu subi Tinfluence
des fonctions qu'ils remplissaient : parvenus
aux plus hautes digniles municipales, ils ne
se souciaient point de sacrifier leur position ac-
quise pour s'associer a toutes les entreprises
des nouveaux raeneurs de la populace. Ils pas-
saient aux yeux de ces derniers pour etre des
moderes. A cote des magistrals reguliers s'etait
constitue une sorte de comite compose d'indi-
vidus qui s'etaient charges, au nom du peuple,
de surveiller le corps de ville. Celui-ci, malgre
les efforts de Jean de Troyes, se rangea a la
meme opinion que les officiers des milicesr
Si les bourgeois pouvaient ne pas se me-
ler au mouvement populaire, il ne leur etait
pas donne d'en empecher le developpement.
A la voix des chefs de bandes la populace
prit les armes, se rua du cote de la Bas-
tille qu'elleinvestit, marcha sur Thotel duduc
de Guyenne, y penetra sans respect pour la
banniere royale qui en couvrait I'entree, et
a CQte de laquelle fut planle Tetendard de Ja
\ille, massacra ou arrela les con3eill€rs ha-
bituels da duc^ et panni eux un geiitilbomine
allie a la familleroyale. Le lendemain, la Bas-
tille se rendit. Le prevot des Essarts Tiity a\?ec
ses hoinmes^ conddit en prison*.
Les demagogues iriouiphaient, D'atroces
massacres suivirent : les cabochiens mirehta
mbrt tous les individus soupconties de tenir
de pres ou de loin a la faction Armagnac, jet
dans cette faction ils eurent sbin de comprien-
dre tous les riches habitants de Paris. La
lutte^ n'etait plus maintenant entre. :>deux
partis politiques; elle etait enlre les gens
qui n'avaient rich, et ceux qui poss^daient
quelque chose. Des deputes de la ville. de
Gand etalent albrs a Paris aiipres du due
de Bourgogne , les ecorcheurs - leiir fiirent
grand accueil, et pourleur faire hbnneur
adopterent comnie signe de ralliement ' Je
chaperon blanc des confreries Ganloises.
Puis ils se rendirent au palafe: et bblige
^ 343 —
■r rent le roi et le due de Boiirgogne hii-mefiie
• a porter ce chaperon*
fci . Le desbrdre dura. plusleiirs semaines sans
jf,<iue rien \int en arreter le cours. La popu-
I ^lalion parisienne eourba la tete sous le joug;
,in:ul ne. fut assez hardi pour protester con-
tre la sanglante tyrannie des chefe de bandes.
Les honnetes gens se taisaient, affoles de ter-
reur. « Gens a dedans mauvais^ » disait quel-
ques annees plus tard Christina de Pisan, en
parlant de Paris : « bons y a maints, je nVn
fois doute, mais parler n'osent. »
Lprsqu'ils eurent bien tue,.bien piUe, les
cbefs de bandes se presenterent devant le
conseil du roi et le requirent d'avouer tout
ce qu'ils avaient fait jusqualors. Le conseil
acceda a la demande. Caboche et les siens
ne demandaient rien deplus. Maisce n'etait
. pas, le compte de Pavilly. Le ^4 niai i4i3 ,
11 convoquait autour de lui ses anciens au-
diteurs des reunions publiques, envaliissait
aveceux Thotel Saint-Pol, et reclamait la pu-
— 34* —
blicaiion de rordonnance promise quelques
semaines plus tot, a la grande seance, du i4
fevrier, Le conseil dut s'execuler. Le aS. mai
Tordonnance de re forme etait lue en seance
royalei le roi et le due de Guyenne portant,
en temoignage de la defaite de la royaute,
le chaperon blanc des Gantois.
Promulguee a la suite d'emeutesetdeluttes
violentes, Tordonnance devait se ressentir
des circonstances dans lesquelles elle avait
ete preparee, et des passions qui, depub
quelques annees, bouleversaient la France. 11
semble cependant, a premiere lecture, qu'il
n'en soit rien. L'ordonnance de i4i3 paratt
etre avant tout une ordonnance administra-
tive, elle n'a pas le grand souffle des ordon-
nances de iSSy. Elle est longue, difluse,
indigeste , bourree de redites , de minuties ,
d'inutilites. Elle essaie de porter remede a
quantite de menus abus qui faisaient sans
— 345 —
^doutebiensoufTrir le pauvre peuple, mais elle
^n'a pas de vue d'ensemble; malgr^ les refor-
^^ mes eminemment utiles qu'elle edicte, on di-
ftsi rait plul6t I'oeuvre de fonctionnaires inlel-
■^ ligentSy desireux de reinedier aux iticonve-
m nients qu'ils ont pu relever dans la pratique
quotidienne des affaires, qued'hommespoli-
tiquesa viseeslargesethautes. C'est une sorte
de grand code, reglant en toules ses parties
[ Tadrainistration du royaume, qui resume,
complete ou reproduit la plupart des dispo-
sitions contenues aux ordonnances anterieu-
rement promulguees.
Telle estTinfinie variete desobjelsauxquels
elle s'applique, qu'il est a peu pres impos-
• sible de Tanalyser d'une fa9on satisfaisante.
Elle s'occupe successivement et dans les plus
petits details (x), des attributions et du fonc-
tionnement du conseildu roi, de la chancelle-
(i) L'ordonnaDce prescrivant la suppression d'ofHces iou-
tiles, s'occupe specialement du service de la lingerie du roi.
— 5*6 —
rie, radminislralion de la justice, rbrgani-
sation , la composition et le recrutetifiefil ;;dl!^i
parlements eides juridiclioilsinferieures/-i^
les mdnnaies ( i ) , — les impots, — ^perception,
— contr61e, — chaihbre des comptei5,.-T^ pen*^
sions(2), — '■ domaine royal (3), -r- liste tir
\ile, — eaux et forets, — chasse, — gens
d'armes (4), — tresorier des guerres (5), etc.
(i) N^aura cours dans le royaume qu^une seule moonaie,
celle du roi.
(2) Les ofBciers royaux ne pourront a raventr. recevoir
de dons du roi ; aucune pension accordee ayant PordoDDaoce
ne sera acquittee pendant un delai de trois ans. Le produit
des CQnfiscations sera attribue au Tresor.
(3) Le domaine qc pourra efre ajien^, ni les diamants de
la couronne etre engages. ' . . •
(4) Les gens.d'armes be pourront se r^unir sans Foixlre
du roi. Le pillage leur est interditsousla responsabilite per-
sonnelle des capitaines. Le roi ne pourra accorder aux gens
d'armes de lettres pour viyre. sur le pays; s'il eo . accpnie^
les sujcts pourront y desobeir et repousser les gens d^armes
par la force.
(5)Le tresorier des guerres soldera directement les gens
d'armes, sans intervention des ciipitaincs; il ne pourra sous
Parmi ces disposillons npmbreuses, beau^
tip tenioignent dii sincere idesir qu'avaieut
T^Sacteurs de rordonnance tie realiser
tfleserieux progres. L'un de leurs soins pria-^
s^ipaux a ete evidemment d'assurer, autant
.{iqiie le permettait alors la consiitution du
-; pays, Tegalite ehlre ies sujets du rbi : Tega-
{if Ike devant rimpot d'abord. :: tousles habitants
du royalume voire meme les.officiers royaiix
^ doivent y etre soumis ; I'egalite devant la jus-
tice ensuite : rordonnance dispose que tous
* Ies plaideurs, sans exception', acquitteroht
Ies droits de justice, oblige Ies ihagistrats a:
rehdre bon jugefnent a tout le monde , « a
toutes personnes grahd^s on petites ».} inter-
dit « Ies tours de faveur o) ; ordonnequeles af-
faires inleressant Ies pau\res gens seront sui-
vies aussi \ite que Ies autres ; edicte que le'
roi ne pourra interrbmpi^e le cours de la jus*-:
sa respoDsabilite payer avdt ses fonds d'au^i^ dep^Dses qiie
chiles de gueiTfi - '
— 348 —
lice, que nul ne pourra etre distrait de ses
juges legitimes et pour eviter les prevarica-
tions des magistrats, que les textes de la loi
devront etre afliches dans les pretoires des
diverses juridictions.
Elle accorde aussi le droit de chasse a tous
les Francais, a Texception seulement des gens
de tres-petit etat, autorise les paysans a de-
truire les betes sauvages, qui gatent leurs
recoltes, et a vendre au marche le gibier
qu'ils prennent hors garennes.
La commission de reforme s'etait egale-
ment eflForcee de mettre , autant que faire
se pouvait, les citoyens a Fabri des abus de
pouvoir. Dans ce but, Tordonnance declare
que les sujets du royaume ne doivent obeis-
sance qu'a la loi. lis ont le droit et meme
le devoir de desobeir a tout ordre contraire
aux ordonnances et reglemerits, de quel-i
que part et de quelque personne que cet
ordre puisse venir. •
Les fonctionnaires sont personnellement
— 849 —
responsables des aeles illegaiix qu'ils commet-
tent. lis ne peuvent, pour echapper a celte
responsabilile invoquer les instructions d'un
superieur hierarchique , voire meme la vo-
lonte royale, leur devoir etant, lorsqu'iis sont
invites a commettre quelque illegalite, de re-
fuser obeissance (i). Dispositions eminem-
ment utiles, mais qu'il etaitmalheureusement
plus facile d'edicter que de mettre en prati-
que.
Enfin , les magistrals appartenant aux di-
verses cours de justice cessent d'etre a la
nomination du roi, les corps judiciaires doi-
vent a Tavenir se recruter eux-memes par
voie d'election ; reforme importante et qui,
dans une certaine mesure, pouvait assurer
Tindependance des juges.
L'ordonnance determine les attributions du
conseil du roi , le role qu'il doit jouer dans le
(i) Sp^cialement, defense est faite aux ofBciers des finan-
ces d'acquitter, mSme sur les ordres du roi, aucune charge
extraordinaire sous peine de responsabilite personnelle.
20
— 350 — -
gouvernement du pays. Le conseil nerdoit
pas elre seulement un corps consul taliCaurs
quel le souverain s*adresse quand illai platt^
et dont il.n'^st pas tenu de suivreJe&avis;.
Cest un corps deliberant dont les pouYoirs.
sent distincts de ceux du roi^ charge de cba^
lr61er les actes meme de-celuUci, et pouvant^.
dans certains cas, en arreter les, eflets^.Au:
consejl appartient le clioix des priocipaux
officiers de FEtat; c'est lui qui- nomme les
mai(res des requetes. Les secretaires sent
choisi:> par le cbancelier en conseiL lis ne
doivent contresigner aucun ordre royal \Gt^
que cet ordre, par la nature -de rofa|etaa<»
quel il s'appliqqe, ne pent ^ire donneqa'en
<:K)nseil et que cette formalite - n'a pAs ii&
remplie. Deson cote, le cbancelier doit refuser
de sceller les letlres royales, qui lui paraSs-
sent illegales, injusteaou oppressives. 'Maisf
apres avoir ainsi attribue au eonseil royal les
pouvoirs les plus large., Tordotinance omet
de dire comment et de quelle inanierctlseira
— 3S1 ~
•compose. Elle dispose quelque part qiie e*
persbnnes qui ne feront pas regulierement
parlie dil conseil ne jpourront y pretendre
entrer, et c'est lout.. . ' >
Lors de la revolution dei 359 les Aais
avaient etabli a cote du souverain, uhe com-
mission de trente-six membres pris dansJeurr
sein et nomraes par eux^. Ces comraissaires^
\eritables mandataires de la nation, absolu-
ment independant? de raUtorite d(i toi,
pouvaient serieusement C(5ntr61er Texei^cice
dela prerogative royale, hqaelle restait sur
eux sans action. Enfin la composition meme
de la commissioh faisait de la convocation
frequente, siiion absolument periodique, des
etat$, la condition essentielte du fonctionne-
ment regulier du gouvcfrnement. L'ordoh-
nance de i4i3 n'organisait rieh desembia-
ble; ellelaissait par consequent a u souverain
le choix des sujets qu'il voulait faire entrer
au conseil, sans restriction, sans reserve;
les elats n'avaient point a intervenir dans ce
— 352 —
choix ; le roi n'avait pas a les consuUer, et n*e-
tait point par consequent oblige de les reunir.
Quelles que fussent d'ailleurs les dispositions
de Tordonnance, tout etait done abandonn^
a Farbitraire royal.
Aussi Toeuvre des legislateurs de i4i3 pas-
se-t-elle generalement pour etre infinimient
plus moderee que celle de iSSy. Justifiee
en apparence par la plupart des dispositions
de I'ordonnance, cette appreciation n'en cons-
titue pas moins une grave erreur. II ne faut
point attribuer aun sentiment de moderation
ou de faiblesse chez les reforuiateurs le si-
lence de Fordonnance sur un point aussi
important que le choix des membres du con-
seil royal. La nomination de ceux-ci n'a
point ete attribuee aux etats, parce que ces
etats, reunis quelques semaines auparavant,
avaient donne la mesure de leur insuffisance
etde leur incapacite politique, et que, d'autre
part, le roi et son conseil n avaient cesse de-
puis deux ans d'etre a la discretion absolue
— 353 —
des meneurs de la population'parisienne, aux
volontes de laquelle ils n'avaient jamais es-
saye meme de resister. Les conseillers n^e-
taient plus les hommes du roi; ils etaient ceux
de la faction victorieuse. lis dependaient d'elle
et rien que d'elle. Les redacteurs de lor-
donnance avaient laisse le choix des conseil-
lers au roi rion par respect pour celui-ci,
mais parce que la volonte royale etait a ce
moment la leur meme, et qu'ils comptaient
prendre leurs mesures pour empecher le
pojuvoir de leur echapper. Conformement
aux habitudes de la demagogic triompliante,
ils s'empressaient de limiter les droits d'au-
trui, mais ils se gardaient bien de donner
au pays des garanties contre leurpropre ar-
bitraire.
L'intention des membres de la commission
de reforme ne saurait faire aucun doute.
L' esprit dans lequel a\ait ete concu leur
travail, Tidee mere qui Favait inspire tout en-
tier , eclate de la facon la plus evidente
20.
— 35* —
dans le i58* et deiiiier article de Fordon-
nance, a G)nibien, porte cet article, que nos
dits conseillers et commissaires, ordoniiez a
poursuivre au bien public de notre dit
royaume^ ayant advise et mis en deliberation
pour le bien de nous et de notre royaume ,
plusieurs autres points, ordonnances et ar-
ticles non exprimes en ces presentes, nean-
moins ils n'ont encore conclud en ni sur iceux,
obstant certaines grandes charges et occu-
pations qui leur sont survenues pour nos af-
faires et besogne si comme entendu avons,.>.
nous avons ordonne et ordonnons que tout
ce qu'ils auraient advise et adviseronty deUk
bereront et concluront au bien de nous et de
la chose publique, outre et par dessus les ar*
tides en dessus portes, sorlisse son plein etfet
en tous points selon sa forme et teneur. »
Cetait une veritable abdication.
Le roi accordait d'avance sa sanction aux
mesures que prendraient les commissaires
charges de reformer le royaume. Ceux-ci
— 355 —
devaient aviser, deliberer et conclure de leur
chef, en un mot legiferer. lis agiraient en
pleine liberie, le roi s'elait dessaisi enlre leurs
mains de tous ses pouvoirs , du droit meme
de veto. Jamais disposition pareille n'avait
pris place dans aucuneordonnance) ellefaisait
'a elle seule, du travail en apparence mo-
dere de la commission de reforme, Toeuvre la
plus revolutionnaire que Tpn put imaginer.
Tandis que Marcel etses amis n'avaient pour-
suivr qu'uri but, donner aux classes bour-
geoises part au gouvernemenf du pays, le's
hommes de i4i3 annulaient la royaute elle-
meme, I'obligeaient a se demeltre entre leurs
mains de tous ses pouvoirs, se subslituaietit
a elle en un mot. L'ordonnance de iSSy as-
sociait le peuple a la royaute, celle de i4i3
subordonnait la royaute au peuple, a ceuX
du moins qui le representaient ou preten-
daient le representer; ' '
Ruction. — Union de 1a bsarg^eoisle ei die la vojAvt^
. eontre lea Mnkm^^ogneM. — Insnec^ flnal d« ■ton-
venient r^^olvtionnalre de 1418* — Trlompiie
de la monarclile absolne. — D^eadenee de l^esprit
public en France*
Niil ne sail quel usage Jean de Troyes et
les siens auraient fait du blanc-seing royal. Le
temps leur manqua pour rien ajouter a leur
oeuvre primitive. Quelque sage que fAt I'or-
donnance en la plupart de ses dispositions, elle
ne contenta personne. La cour la considerait
comme une concession momentaneey arrachee
a la royaute par des sujets revoltes et qu'on
retirerait des qu'on aurait la force. Tel etait
aussi Tavis de Monseigneur de Bourgogne,
qui ne desirait pas plus que les autres princes
voir I'ordre rentrer dans Fadministration du
— 357 —
pays. Tout allie qu'il fut du peuple de Paris,
il n'entendait paslaisserle gouvernement de
r^lat passer des mains « des sires des fleiirs
de lis » en celles de qiielques robins ou mar-
cliands. II elait raoins que personne dispose
a accepter un pareil regime : il en connais-
sait les inconvenients; il savait a quel degre
d*insolence pOuvaient en venir des \ilains
qui pretendaient avoir la loi pour eux. II se
souvenait que pendant la campagne de i4i2
ses sujets des communes flamandes avaient,
au moment decisif, refuse de combatlre, sous
pretexte qu'ilsne devaientque4ojoursde ser-
vice et que ce delai etait expire. II les avait,
tete nue, supplies de rester avec lui : les Fla-
mands n'en avaient rien voulu faire. Le due
n'entendaitpas contribuer a etablir en France
un regime qui en Flandre le genait si fort.
Toute la noblesse pensait comme lui.
Le petit peuple n'etait point content de
Tordonnance; il restait indifferent aux pro-
gres qu'elle avait tente de realiser. Que lui
— «58 —
impartait iin conlrole plus ou moins serieus
de la complabilite publique, un amenage-
ment plus intelligent dii domaine ? c'etaient
Ja choses dont il n'appreciait pas ririteret
et qui d^ailleurs ne se traduisaieat pour
lui par aucun avantage immediat. Apres
comma avant la promulgation de Torddn-
nance ses charges etaient les memes. II liii
fallait d'autres satisfactions.
Les bourgeois , a part quelques exceptions
peu nombreusesy etaient en pleine defiance.
Derriere Tordonnance et les' prescriptions
utiles qu'elle contendt, ils Voyaient ceux
qui Tavaient imposee au roi, non-seulemeht
de Troyes et Pavilly, mais Capeluche; ik
n'osaient accepter sans reserve un present
venu de telles mains. lis se souvenaient des
terribles scenes de desordre dont ils avaient
ete les temoins et les victimes. lis etaient
effrayes de voir le pouvoir aux mains des
representants de la populace. lis trouvaient
que le menu peuple avail trop d'autorite y
I
(
— 359 —
'qu'il y avail la pour TEtat un grave danger-
Les pauvres, disait-on en ville, portent et
porleront toujours envie aux riches; aussi
clioisissent-ils toujour^ de mechantes gens
pourremplir les principales charges. lis ne
revent que « seigneuries nouvelles et muta-
tions ». ]Nul gouvernement si bon qu'il soil
ne pent les salisfaire; oa Tavait bien vu
dans ces derniers temps : ne possedant rien
que ce qu'ils gagnent au jour le jour, et se.
sentant les plus nombreux, ils n'on! qu'uabut,^
laguerre civile, qui leur permet de courir sus
aux personnesaisees. Donner autoritea de pa-,
reillesgens, ce n'etait, pensaitla majoriledes
bourgeois parisiens, « que donner licence aux
Ifirrons et meurtriers, qui, de peur de four-
chesse soulent tapir aux bois, que ils fassent,
hardiment leurs meurlres et larrecins » . La.
bourgeoisie tremblait done en songeant a
I'avenir : elle elait toute disposee a echanger
le benefice de Tordonnance contre un peu
d^ calme et de Iranquillite.
— 360 —
Ces apprehensionSydont Giristine de Pisan
nous a si bien transmis le souvenir, n'etaient
que Irop fondees.
La promulgation de Tordonnance n'arreta
point ledesordre. En vain de Troyes, en vain
Paviily essay erent-ils de mettre fin aux vio-
lences. Les chefs de bandes n'entendaientpas,
sous pretexte de reformes politiques dont ib
se souciaient peu , renoncer au pouvoir dont
ils profitaient si bien et retourner a leurs
etaux ou a leurs ateliers.
Les inalheureux arretes a la suite des der-
niers evenements de la Bastille et de Thdtel
de Guyenne furent livres a une commission
speciale chargee de decider sur leur soft.
On composa ces commissions d'un certain
nombre de chevaliers (on en trouva pour
cette besogne), de membres du parlementet
d'avocats, rebuts du palais : on fit des simula-
cres deprocedures. Aucun des inculpesne
trouva grace, tons furent envoyesala mort.
La tache du bourreau etait quelquefoisk moi-
— 361 —
lie faite quand la viclime arrivait a I'echa-
faud. Lecapitaine de Paris, M. de Jacqueville,
honnete et brave genlilhorame du parli de
Bourgogne, bien digae de s'associer aux ex-
ploits des ecorcheiirs, faisait a quelques-uns
des proscrils Thonneur de les daguer dans
ieur cachot.
La royaute absolue n'avait jamais fait pire.
Le peuple avait proteste les armes a -la main
contre les impots arbitrairement leves au
nom du roi ; les chefs de bandes pretendirent
tailler a volonte la population parisienne.
Sous pretexte de soudoyer des armees contre
les Armagnacs , ils nommerent des commis-
saires charges de taxer les bourgeois en pro-
portion des facultes supposees de chacun.
Ces commissaires appelerent devant eux les
gens soupconnes d'avoir de I'argent, et Ieur
imposerent des contributions enormes, qu'on
voulut bien deguiser sous le nom d'em-
prunts. Ceux qui ne versaient point immedia-
tementla sommequ'on leurreclamait etaient
— 362 —
envoyes en prison el leiirs maisons pillees.'
Ceux ({uise permettaient de discuter etaient
maltraites et in^me dagues. U n'y avail d'ex-
ception pour personne. Maitre Jean Gerson,
lout grand clercqu'ilfiit,vit, pour avoir inVo-
que son privilege de clericalure, son b6tel
mis a sac. Messire Jean Juvenal des Ursins,
avocat general, fut mis au cachot malgre qu'il
en eut appeleauparlemenl.
Les bourgeois avaienl laisse, sans troppro-
tesler, passer les executions. Ces executions
avaient frappe, pensaienl-ils , les gens qui
avaient eu le tort de se meler de politique au
lieu de s'occuper de leurs affaires particulie-
res. Les victimes pouvaient etre a plaindre,
mais en somme elles avaient eted'elles-memes
au-devanl du mal qui les frappait. D'ailleurs,
en aflicliant bien baut son devouement pour
Bourgogne et son admiration pout Capelu-
cbe, en denoncant les Armagnacs, en s'asso-
— 363 —
ciant aux violences dirigeesconireceux-ci, on
avail grande chance d'echapper a la mort et
ail pillage. Mais des taxes qui frappaient tous
ceux qui possedaient quelques biens , quelles
que fussent les opinions politiques qu'ils affi-
chassenlou leslacheles qu'ilscomihissen t , exas-
percfrentla bourgeoisie. Calme quand rhuma-
nile, la justice, la loi avaient ele violees, elle
pril feu quand on voulut toucher a son argent-
Si terrible qu^ fiit la veng^nce qil'on en-
courait en attaquant les actes des chefs de
bandes , les marchands de Paris, des que les
cabochiens s'en prirent a leur caisse, com-
mencerent conlre leurs adversaires une
guerre acharnee.
lis se dirent que les bandes n'elaient pas
si puissantes qu'elles paraissaient Telre, que
leur force, c'elait la souoiission desParisiens,
que si les personnes honneles le voulaient
ftrmement, « les mediants n'aiiraient pas
toujoiirs domination, qu'en bref on les
verrait delruits. » Us mirent habilement a
— 364. —
profit les elements de resistance que la
royaute leur avait retires en i385 et dont
ils devaient la restitution a ceux-la me-
mes qu'ils allaient combattre aujourd'hui.
lis s'assemblerent le soir dans les quarliers
pour se preparer a la' lutle et discuter les
mesures arretees a Fhotiel de ville par les
meneurs de la populace. lis comprirent bien
tot que reduite a ses propres forces la bour-
goisie etaitimpuissante, quele peuplene pou*
vait etre vaincu que par lui-meme. Tous leurs
eflbrls tendirent done a diviser les masses
populaires. Dans ce but ils deploy erent beau-
coup d'adresse. Les marchands renvoyerent
leurs employes, les patrons leurs ouvriers,
les bourgeois leurs serviteurs. II n'etait plus
possible, disaient-ils a leurs hommes en les
congediant, de dbnner du travail a personne,
et de cela les cabochiens etaient cause.
11 n'y aurait plus de commerce ni d'industrie
lant que de pareilles gens continueraient k
bouleverser la ville et TEtat. Li fortune publi-
— 365 —
que , les fortunes privees ne se retabliraient
qu'alors qu'on seserait debarrassede ces mi-
serablesy qui depuis taut de mois troublaient
la cite^ et cependant n'avaient rien fait pour
le pauvre peuple, pas meme parlage avec
iui Targent qu'ils avaient derobe, les biens
de toute sorle qu'ils avaient pilles. Tous les
phraseurs quiparlaient pour les boucbers ne
faisaient rien que dans Tin teretdeleu^jpocbe,
et s'inquietaient peu d'autrui.
Les bourgeois lirerent egaleinent un parti
fort habile des jalousies qui avaient de tout
temps divise les differents metiers, ^*etait-il
pas honteux, insinuaient-ils , de voir un corps
d'etat disposer a luiseul dela ville entiere? Les
aulres ne comptaient-ils plus? Faudrait-il que
tous les ouvriers de Paris souffrlssentyComme
ils faisaientydu ch6mage pour consolider en-
tre les mains des ecorcheurs un pouvoir dont
ceux-ci usaienta leur seul profit. La tranquil-
lite, I'ordre, la paix etaient dans le vocu de tout
le monde : seuls les cabochiens y faisaient
— 366 —
obstacle pour regenter plus longtenips a leur
volonte la population parisienncf.
Ces manoeuvres' ne resterent poinJL ihfruc-
tueuses ; habilement repandues a mots cou-
verls, theme habituel des jc6n\ersalions des
patrons avec leurs subordonnes; developpees
avec adresse dans les assemblees de quarlier,
elles produisirent bientot un effet serieiix
SUV ncyiibre d'individus appartehant a Ma
classe ouvriere, et rfont la situation^ aii lieu
de s'ameliorer, etait au contraire devehue
plus mauvaise depuis les troubles'.
tnstruits des menees de leurs ad versaires,
les chefs de bandes reunissaient leUrs parti-
sans a rhotel de ville, se faisaient acclaiiier
par eux et redoublaient de violence. Les
moyens qu'ils eftiployerent pour enrayer le
molivement d'opifiron dont ils Vedoutaient
les consequences tie firent que le pr^cipiter.
Quelques-uns de leurs anciens alli^s^ iquileur
avaient rendu autrefois tant de services ien
leur assurant le bon vouloir du peuple, Pa villy
— 367 —
par exemple, s'ecarlaient d'eux avec hor-
reur. Jeaiit de Troyes se pril a craindre que
les exces des bonchers ne coinpromisseht la
cause des liberies publiques , . et se separa
^ d'eux. tJne sortede decouragement s'empa-
rait des demagogues meme les plus acbarnes.
Paris commencait k se fatiguer de la revo-
lution.
Les universitaires menaces dans leurs pri-
• vileges, mis a contribution, devinrentou verle-
ment hostiles auJccliefs de bande. Le clerge
desparoisses, ecrase par les taxes, usadonlre
les cabochiens de son influence sur la po-
pulace, et mehaca de la colere celeste ceux
de ses paroissiens qui pactiseraient avec les
factieux.
Lorsque les esprits parurent suffisamment
prepares, les meneurs de la bourgeoisie s'en-
ICRdirent secretement avec les princes du
parti d*Arm$gnac. Ceux-ci, depuis Virivestis-
sement de la Bastille par le peuple avaient
' recommence a lenirla campagne etselrou-
— 368 —
vaient alors fort rapproches de Paris. Ik
manderent au roi qu'ils n'avaient d'aulres
prelenlions et d'autres desirs que d'exe-
culer la paix de Bourges , qu'ils avaient pris
lesarmes uniquement pour n'elre point vicli-
mes des violences des mechantes gens de Paris
et defendre le pays contre les entreprises des
bandes. Us protestaient conlre les exce$detou-
tes sor tes commis par les cabochiens ; assassi-
nats, pillagesj insultes aux femmes, ils n'en-
tendaient poursuivre qu'un but , metlre fin
aux miseresque subissait le pauvre people
et procurer le retablissement de la tran-
quillite generale. Pareil langage leur seyait
mal apres les atrocites comhiises par leurs
hommes d'armes dans la banlieue. II etait
au moins singulier de voir les chefs du parti
d'Armagnac se faire les apotres de Tordre
et de la moderation; mais leur demaccbe
repondait aux aspirations les plus vives de
Tesprit public a Paris. EUe fut accueillie avec
enthousiasme par la grande majorite de la pp-
— 369 —
pulaiion. Seuls, quelques vieiix demagogues
comme Jean de Troyes se defierent de rem-
pressement pacifique des princes. lis se dirent
que MM. de Berry, d'Armagnac, d'Orleans
h'etaient pas gens a desirer lapaix pour elle-
meme. Avec leur instinct politique ils pense-
rentque si les genlilsbommesse monlraient
disposes a une pacification , cette pacifica-
tion ne pouvait qu'etre funeste a la cause
de la liberte : et, dominant, Fhorreur que leur
avaient inspiree les exces des cabochiens, ils
serapprocherent de ceux-ci.
Les chefs de bandes comprirentle coup qui
allaitles frapper. La paix se ferait a leurs de-
pens : ils le savaient, aussifirent-iis tous leurs
efforts pour Tempecher. C'est ce qu'atlen-
daient leurs adversaires qui purenl des lors
a vec tputes les apparences de la verite, les accu-
ser de sacrifier a leur ambition personnelle
les interets de tous. Ce fut, dans la ville,
une^immense explosion de colere quand on
apprit que des propositions pacifiques avaient
21.
— 370 «^
faites par les princes et que le parti des
boucliers pretendait les faire ecafter. Pour
calmer remolion publique^ les cabochiens
niirent en liberie les dames et les nobles
hommes qu'ils avaient^ quelque temps au-
paravant^ arretes k Thdtel meme du due
de Guyenne. C'etait une faute grave. Quand
un parli est arrive au pouvoir par la violence,
il ne doit jamais s'en deparlir. Le jour ou il
faiblit il est perdii. C'est ce qui arriva. Lors-
que les bourgeois de Paris , gros marchands,
procureurs, \irent les prisonniers sortir des
cachots et echapper sans mechef aux mains
des boucliers, la terreur que jusqu'alors inspi-
raient les bandes disparut tout a coup : la
haine seule resta. On s'appr^ta dans les quar-
tiers a engager la lulte et Ton commen9a a
parler liardiment.
Les princes envoyerent de nouveau des
deputes pour offrir officiellement la paix.
Ces deputes furent recus par le conseil, en
— 371 —
presence du roi et du dauphin. Depuis
< un an le conseil etait a la disposition des
cabochiens: il avait cesse de s'assembler a
i rhotel Saint-Pol et se tenaiti Thotel de ville,
' c'est-al-dire dans la main des factieux.
• Malgre la disposition de Tordonnance qui
interdisait absolument aux gens quine fai-
. saient pas partie du cbnseil d'y pretendre
entree, les chefs de bandes assistaient aux
seances quand il leur convenait. Mais les
membres du conseil etaient, comme la plu-
part de ceux du coi»ps municipal, excedes
de la lyrannie cabochienne et aspiraient
.ardemment au retour de la Iranquillite. lis
se montrerent favorablesaux propositions des
princes. II fut convenii que le roi consenti-
rait a la paix soUicitee par ceux-ci. On com-
menca a en libeller immedialement les condi-
lions. C'etaient, a peu de chose pres, celles
idu traite de Bdurges. Le roi declarait oublier
le passe, el specialement les scenes de despr-
dre qui avaient eu lieu a Paris.
— 372 —
Nul ne pouvait avoir d'iliusions surla
maniere dont cette clause serait executee,
les chefs de bandes moins que persohne : ils
savaient quel fonds on pouvait faire' sup la
parole royale; ils se souvenaient des siip-
plices qui avaient suivi la re voile des maillo-
tins et la bataiile de Rosebecque. Avises de la
resolution prise parle conseil,Caboche et Jean
de Troyes peneirerent, accompagnes de quel-
ques-uns des leurs, dans la salle des delibera-
tions. Usdeclarerentqueleconseil n'avaitpas
qualite pour arreter une mesure aussi grave
quelapaix. Les principaux interesses dans la
pacification demandee par lesprinces,c'etaient
les Parisiens, c'elait la commune. C*etait la
commune que les princes voulaient delruire;
c'etait pofir la miner plus facilement qu'ils
s'etaient adresses au roi sous pretexte de
demander la paix. C'etait done a la com-
mune seule qu'il appartenait de deliberer
sur les propositions faites. Ils terminerent
en proferant des menaces terribles contre
— 373 —
r ceux qui, au mepris ties droits du peuple,
I voudraient trailer avec les Armagnacs. Mais
I aux membres du conseil royal et du corps
: municipal, qui avaient favorablement ac-
cueilli la demande des princes il n*etait plus
permis de reculer. lis comprenaient, qu'a-
pres avoir ainsi affirme leurs preferences, ils
ne pouvaient sauver leurs biens et leur vie
qu'en renversant les cabochiens. lis linrent
ferine, et reunirent les chefs de quartiers
sous pretexte de les consulter sur les desirs de
la population, iliais en realite pour savoir
si Ton pouvait compter sur eux. Les quarte-
niers se montrerent, a Texception de ceux des
Halles et de la Cite, favorables a la pacifica-
tion. La plupart repondirenl de leurs quar-
tiers respectifs. Les chefs des corporations
ouvrieres, jaloux de la preponderance des
bouchers promirent egalement le concours
de leurs homines. Assures ainsi de la con-
nivence d'une bonne partie des Parisiens,
les meneurs de la reaction arreterent ha-
— 37fc —
. bilement leur plan de conduite. Lorsque
les cbefs cabochiens vinrent reclamer, au
nom du peuple, communication des articles
de la paix arretes en conseil, et s'op poser
a ce qu'elle fut conclue, on leur repondit
qiie le roi, avantde prendre aucune deter-
mination , consulterait la \ille de Paris, et
■ qu'il ne ferait rien que d'accord avec elle.
La reponse etait adroite. Les cbefs de bande
ne pouvaient, a peine d'avouer que pour eux
la volonte du peuple n'etait qu'un mot dpnt ils
se servaient pour dissimul^r ou excuser leurs
violences, rien reclamer de plus. Le point
delicat etait de savoir de quelle facon la po-
pulation parisienne exprimerait ses preferen-
ces. Les cabocbiens pouvaient craindre que
les assemblees de quartiers, ordinairement
dirigees par lesprincipaux bourgeois, ne leur
fussent point favorables, mais ils ^taient
convaincus qu'une assemblee generale a
la Greve, oii ils auraient le soin de faire
venir leurs partisans en grand nombi^e se
375 —
^ -l9isserait diriger par eux, comme cela avail eu
^;;lieu jusquaiors. Tbu&leurs efforts tendireiit
-done a empecher que. la question de paix
-ou de guerre, fut soumise aux assemblees
ideqiiartiers.
he 1®' aout une assemblee generale.etait
•fentie a Tholel de 'ville, Jl est fort, difficile
.de savoir d'une falcon precise qui lavait
convpquee et comment elle/etait coiiipojsee.
Une seule chose est cert^infe, c'est qu'iih grand
^nombre de Parisiens, plus de mille, dit-on,
se pressaient a la maison commune, un plus
grand nombfe encore sur la place. Parmi les
assistant^ beaucpup appartenaient aux classes
les plus bumbles de la cil^. Les tabochiens
avaient appele a eux les plus bardis de leurs
bommes; les partisans de la paix etaient
venus aussi , quelques-uns fort bien armes,
et ne cacbaient pas leur resolution de ne point
selaisser intimider.
> ■ . .1
A peine rassemblee etail-elle reunie qu'un
.avocat prit la parole j et declara que tout ce
— 376 —
qu'il y avail d'lionneles gens a Paris vou-
laient la paix. Un des echevins opina dans
le meme sens. Les cabochiens n'oserent net-
tement s'opposer a la paix, mais ils essaye-
rent de la rendre impossible en y faisant
inserer des conditions inacceptables pour les
princes. Us voulaient que le traite fut libelle
de lelie facon que les Armagnacs compris-
sent bien que leur accorder la paix c'etait
leur faire une grace. De Troyes fit en ce
sens, une proposition formelle : il demanda
que Fassemblee la discutat a Tinstant meme,
et Tacceplat ou la rejelat seance tenante.
11 comptait ainsi enlever le \ote; mais de
nombreuses voix s'eleverent contre cette
pretention et demanderent le renvoi de la
proposition aux quartiers. Un charpentier,
s'ecrie que les bandes ne poursuivent qu'un
but, imposer leur volonte a leurs conci-
toyens; qu'il n'est qu'un moyen de bien
connaitre I'opinionpublique, c'est des'adres-
ser aux quarliers, oil cliacun pourra s'expri-
— 377 —
mer librement. En presence de Topposition
que manifeste Tassemblee, Tun des princi-
paux bouchers, se laisse entralner a proferer
' conlre ses adversaires de \iolentes menaces.
. Jusqu'alors ce precede avail reussi aux de-
magogues. Le temps en etait passe. Le char-
penlier ne se laissa point intimider : il re-
pondit qu'il y avait a Paris autant de frap-
peurs de cognee que d'ecorcheurs deboeufs,
et menaca a son tour. Quand on vit cet
homme tenir, sans faibiir, tete a ces bouchers
devant iesquels on avait jusqu'alors tremble,
. le courage vint aux plus timides. La ma-
jorite refusa de voter la proposition de de
Troyes, qui fut renvoyee aux quartiers.
Les assemblees de quartiers furent convo-
•quees pour le lendemain meme. La premiere
quise reunitfut celle de la Cite. Jean de Troyes
la presidait. Le vieux chirurgien passait pour
avoir une assez grande influence sur ses voi-
sins. Les reactionnaires etaient fort inquietsdes
resolutions que prendraient les gens de la Cite.
378 —
Ilsne doutaientpas qu'ellesne pesassent d*un
grand poids sur les autres quartiers. lis prirent
' leurs precautions en consequence . Les gens
.du palais, attached aii parleraent et dans la
-dependance plus ou moins directe des magis-
trals babitaient en grand nombre de ce c6te.
-lis sont tous amenes a Tassemblee. Jean de
Troyes ouvre la seance en proposant une re-
solution terrible contre les nobles quiveulent
a^servir le peupie. L'avocat general Juvenal
des Ursins , present a la reunion , se leve et
'declare que la proposition est seditieuse^ et
roeuvre d'un ennemi de la paix. La voix de
Jean de Troyes est couverte par le tumultede
Tassemblee. On liii arrache des mains la ce-
dule oil etait ecrite sa resolution contre les no-
bles. Le bruit de ce qui se passaiten la Citese
repand par toute la \ille. L'echec de de Troyes
determine les\otes des autres quartiers : tous
<)u presque tous se prononcent pour la paix.
Le parti des bouchers 45ssaya tin dernier
effort. U reunit i,5oo hommes a rh6tel de
— 379 —
\ille. Ce futinulilement; les bourgeois etaient
en armes et le peuple les appiiya. La foule
entoura les cabochietis qui se debanderent.
Les principaux d'enlre eux furent I'objet
• de voies de fait itidignes. Des cris s'eleve-
rent dans la fbule pour demander qu'on en
"finlt de suite avec ces miserables qui depuis
si longlemps avaienl fait le malheur dii pays.
La \ie de Jean de Troyes fut menacee. Ceux
qui avaierit approuve le plus lacheihenttous
les aclesde la faction cabochiennetahtqu'elle
avail ^te puissantesem6nlraient,maintenant
qu*elle elait vainCite^ les plus ardenls a crier
vengeaiice. On disait dans la foule qu'on
avait trouve a I'hotel de ville des listes de
proscription dressees par les bouchers et
ou Etaient portes les noms des principaux
bourgeois divises en categories, selon qu'ils
devaient etre dagues, pendus ou bannis. La
populace ne laissa aller les prisonniers que
parce qu'on lui proinit que le lendemain on
leur couperaitla tete.
— 380 —
Les reactionnaires ne se montrerent guere
plus moderes que les cabochiens eux-memes.
La plupartdes chefs de bandes furent envoyes
a I'echafaud. Jean de Troyes, destitue de ses
fonclions d'echevin, fut execute sans juge-
ment. On prelendit qu'avant de mourir il
avait avoue beaucoup de mauvais crimes. On
frappa tous ceux qu'on soupconna d*avqh*
pactise avec les \aincus. Tous les membres
du corps municipal furent chasses, et lesoflfi-
ciers de la couronne qui ne s'etaient point,
durant ia rebellion, demis de leurs offices,
conffedies.
Le peuple trouvait insuffisantes les mesu-
res prises conlre ses favoris de la veille, qu'il
appelait maintenant des factieux. Les Pari-
siens venaient chaque jour assister joyeuse-
mentaux derniers moments de quelques mal-
heureux. lis reclamaient a grands cris des
supplices ; pen leur importait que les cabo-
— 381 —
chiens remplacassent les Armagnacs au gibet
ou a rechafaud, ce qu'il fallait a la popu-
lace, c'etaientdes executions publiques. Elle
applaudissait qui lui en donnait le spectacle
sans sedemander quelles etaient les viclimes.
Cependant beaucoup de gens trouverent,
parait-il, fort mauvais que Ton n'executat
point M. de Bourgogne que quelques jours
plus tot les memes individus acclamaient
avec frenesie.
La demagogic etait battue, mais les
bourgeois n'eurent point a se louer du role
qu'ils avaient joue. lis s'apercurent bieh-
tot qu'iis n'avaient brise le despotisme des
barides que pour retomber sous un joug
plus dur encore. Apres avoir frappe tous
ceux qui avaient pris part a la sedition ca-
bochienne les princes s'attaquerent a leur
oeuvre. Les ordonnances furent rapportees,
a Paris et dans les provinces. Le capitaine de
la ville, officier royal, futspecialement charge
de faire exemple de tous ceux qui voudraient
— 382 —
a Tavenir user deS Tieilles liberies comtnu-
nales. -: . ; •:
La municipaKte parisienne fut reconsti^
luee avec des kommes choisis par les prin-^
ces. Les nouveauxsuccesseursde Marcel, de
Toussac, de Jean deTroyes^de ces bourgeois
qui avaient fait trembler les rois, ecrivirent
au nom de Paris, aux bonnes villes de France,
une lellre dans laquelle ils declaraierit des-
avouer tout ce qui s'elait passe dans leur
cite depuis deu^ ans. lis faisaient savoir a
tous et a chacun les bienfails de I'ordre re-
tabli : et conmie preuve de Talliance inlime
qui existait enlre les princes et les Pari-i
siens, et de la consideration dont jouissaient
main tenant les honnetes gens, ils ra con talent
a leurs collegues des provinces qu'ils avaient
ete pries d'assister a une fete donn^e par le
due de Guyenne ou ils avaient fait grande
clierei Cela leur faisait esperer que la pros-^
perile ne larderait pas a renaitire et .que le
peuple franicais jouirait dans un avenirpro-
— 383 —
' chain de tous les bonheurs, et de toutes
les gloires. ^
La bonne chere que Fon faisait cliez
M^' de Guyenne, lesbrillanleschevauchees de
M*** de Berry, bien autrement belles que
celles de ces miserables cabochiens, faisaient
oublier aux auleurs de cet elrange fac-
tum les ordonnances rapporlees, et la li-
berte perdue pour des siecles. Cerles il ne
faut pas se montrer trop severe pour ces
hommes. Depuis longues annees, ils avaient
soufferl; ils n'avaient connu de la liberie
que les exces et les perils. Mais leur servi-
lile fait oublier les violences des chefs de
bandes. Les gens qui investissaient le palais
du ducde Guyenne, qui venaient brutalement
inlerrompre des orgies qui, en somme, desho-
noraient la nation, \alaient mieux encore
peut-elre que ceux. qu'une invitalion prio^
ciere et une plaice au coin d'un salon royal
consolaienl si ais^ment de leur asserviss^-
ment.
— 384 —
La punition de tant de bassesses ne se fit
pas attendre.
Jusqu'alors, apres chaque defaite du parti
populaire, il s'etait, parmi les principaux de
la classe bourgeoise, trouve des homines qui
restaient dignes dans le malheur, fideles aux
idees vaincues. Domines par la force, ils suc-
combaient du moins avec honneur, et ne ce-
daient point sans protestations. Ils laissaient
aux pelites gens le soin d'applaudir au triom*
phe dupouvoir absolu. On juge les causes par
ceuxqui lessouliennent. Defaits, ils en impo-
saient encore au parti vainqueur, qui siibis-
sait malgre lui I'influence de principes noble-
ment soutenus et jamais Irahis. Lorsqu'apres
le succes de Thotel de ville les princes s'a-
percurent qu'il n'y avait plus dans les rangs
de ces bourgeois autrefois si fiers que des
Irembleurs et des laches , qu'ils virent les re-
presentants des grandes families municipales
applaudir aux supplices qui decimaient les
anciens amis de Jean de Troyes, meler leurs
— 385 —
I voix aux acclamalions de la populace, rivali-
ser avecelle de vilenie et d'abjeclion; qu'ils
entendirenl Tun des plus brillants represen-
tants de la bourgeoisie intelligente et letlree
declarer sans rougir dehontie, en comparant
I'Elata une haute statue, « que Tetatde bour-
geoisie , les marchands, les laboureurs etaient
figures par les jambes, qui etaient partie de
fer, partie de terre , pour leur labeur et liu-
niilite a servir et a obeir, fer signifie labeur et
terre humilite », ajouter que « tout le mal
etait venu de ce que le roi avait ele tenu en
servitude par I'outrageante entreprise des
gens de petit etat, » ils crurent inutile de
garder le moindre menagement.
Quelque temps apres les evenements de
i4i3, des negociations etaient entamees en-
tre les dues de Bourgogne et de Berry. Des
deputes de Paris demanderent a quelles con-
ditions la paix etait faite entre les princes.
On leur repondit que cela ne touchait en rien
les Parisiens ; qu'ils n'avaient point a s'eri
22
— 386 ^
tremeltre dans les affaires du roi ni dans
ceiles des princes, que ceux-ci se courrou-
9aient les uns contre tes autres "quand
il leurplaisaity et quand illeur phisait fai-^
saient entre^eux la pair, sans avoir de
comples a rendre a personne. Les deputes
durent se taire et suhir sans protester les vo-
lonles des princes. Paris fut desarme, toutes
reunions de quelque nature que ce fut inter-
diles hors la presence des sergents du^ pre-
\6t (i).
(i) En aout i4<8, les bourgeois pir^taieot serment au due
de Bourgogne d'etre boos, vtais etloyaux siyets aa
due..: que s'il venait a leur coDDaissance, par oui-dire
ou autrement, chose qui put ^tre aucunement au d^hou-
neurou dommage.... du due de-Bourgogne ou d'aucuos des
geus ou serviteurs dudit, les en advertiraient et avecques oe y
resisteraient et obsteraieut de toute leur puissance-: den^^tre
point consentantSy ne souflfrir faire aucune assembl^e de gens
en la viUe de Paris, sans le cong^ et licence du rpy, du due
de Bourgogne et du pr^v^t, et sMl venait a leur connaissance
que aucuns de quelque etat qu'ils fussent, fissent oil vott-
lussent faire aucune asseml)!^ de gens sans le cdng6 et b|
■^ 387 ^
G'en ela it fait pour des siecles.
• En i4i8 la populace, un instant soulevee,
•dev^it encore se souiller de nouveaux crimes.
Mais il serait impossible daris ce dernier
4nouvement de discernei? uneidee pblilique.
pes i4i3 k grande tenliilive.des bourgeois
du moyen age ; pour fonder eti France Ip
^ouvernement du pays par le pays avait
echoue definitivementv
^ Le r^gne du bon plaisir et^it fonde. 11 al-
;lait a Crecy, a Poitiers, ajouter Azincourt , et
livrer a TAnglais la France, que les bonnes
'\illes avaient , soixante ans plus tot, sauvee
pai? leur energie, que le peuple des cam-
pagnes, incarne dans Jeanne d'Arc, devait
delivrer quinze ans plus lard.
licence de& dessus dits, ils le diraient et r^veleraicnt ia-
continent a M^*^ de Bburgogne, leur.capitaine et au [>rev6t
des ma rcbands, ct r^sisteraient de tout leur poQ voir contre
ceux qui pareitte as3emblee voudraiedt (aire.
— 388 —
Lorsque le sol national presque enlier fut
aux mains de Tennemi, que Paris fut occupe
par TAnglais, tout ce qu'il y avait en France
dliomines d'intelligence et de coeur n'eiit
plus qu'une pensee, expulser Tetranger. La
royaute , malgre ses fautes , devint pour le
peuple la personnification du pays et de son
independance. On se serra autour d'elle,
et nul ne liu marchanda le devouement.
Quand grace aux efforts de la nation soule-
vee dans un palriotique elan le succes reviht
a la France, la royaute conserva aux yeux
des masses le caraclere que les evenements
lui avaient donne. Par une sorte d'aveugle-
ment ou d'abnegation dont les exemples ne
sont point dans I'histoire aussi rares qu'on
pourrait le croire , le pays mit au comple de
la royaute le salut qu'il devait a son energie
propre. II reporla tout le merite de la deli-
vrance au roi qui n'y etait pour rien. La na-
tion avait ele a la peine, la royaute recueillit
tout rhonneur. Orleans, Palay, Castillon lui
— 389 —
rendirent le prestige qu'elle avait perdu a
Crecy et a Poitiers. La France, a laquelle on
donnait des victoires, ne demanda rien de
plus. Le peuple combattant sur les chanips
de bataille a c6te de la noblesse , avail em-
prunte a celle-ci son esprit militaire. Lorsque
la lutte contre I'envahisseur s'arreta , il n'v
avait plus en France d'admiration que pour
les beaux coups d'epee : on nes'occupaitplus
que de prouesses guerrieres. II n'etait bruit
que de Dunois , de la Hire, de Xaintrailles.
Cetaient vraiinent de bien autres liomnies
que Marcel , Lecoq ou Jean de Troyes. On
parlait tant de gloire qu'on ne pensait plus
a la liberie.
La royaute d'ailleurs se montra habile;
soixante annees de revolutions lui avaient
donne Tinteliigence des passions populaires.
Apres avoir, en frappant a coups redoubles
les grand es families feodales , flatte les as-
pirations egalitaires du peuple, elle donna
a la vanite nationale la conquete de Tltalie.
22.
— 390 —
Pendant bien des annees la France r^va d6
Milan, de Naples et de Palerme. Lorsque
•vint le joup du reveil, que la gloirie mili-
itaire se fut evanouie, il etait ^rop.tard. La
nation s' etait accoutumee au despotisme.
Elle avait perdu jusqu'au souvenir des glo-
rieuses luttes soutenues par elle quelque
•cent ans plus t6t pour conquerir la direction
<le ses affaires; elle courba I9 tete sous le
joug, pour ne tenter, qu'en 1789, bien des
siecles plus tard , une revolution nouvelle,
•dont I'avenir seul pourra nous dire le resultat.
ii
If
i
CONCLUSION.
: Ii est bien difficile d^appfecier avec une
complete exaclitude des evenements remon-
tant a une epoque aussi ^loignee que ceux
que nous venons de rappeler, et de formuler,
a pareille distance , sur les hommes et sur les
choses, un jugement absolument equitable.
Lessiecles, en s^ecbulant, permettent au juge
d'etre impartial, autant du moins qu'il pent
etre donne a un homme de Telre. Mais cette
impartialite ne s'acquiert qu'au detriment de
la pleine connaissance des faits. Si quelque-
foisThistorien, en rapprochant les unes des
autres les chroniques , les relations du temps.
— 392 —
les documents ecrits qui ontresiste a I'aclion
deslruclive des siecles, reussit a retablir
d'une facon a peu pres salisfaisanle la chatne
des evenements , il lui est impossible le plus
souvent de se rendre compte des sentiments,
des opinions, des passions qui animaient les
liommes d'alors , de decouvrir le mobile ou
la cause de leurs actions. C'est done avec une
moderation extreme qu'il doit se liasarder,
apres avoir raconte.les faits, a tirer une con-
clusion ou a formuler un jugement.
II est des cas toutefois, ou cette conclusion
s'impose d'elle-meme. Ainsi, les causes qui
amenerent Finsucces de la grande revolution
democratique des xiv® et xv® siecles appa-
raissent avec une telle evidence, qu'il est
facile de les indiquer
Un premier point frappe d'abord I'atlen-
tion : c'est la faiblesse de la royaule aux
moments memes ou elle reussissait a res^aisir
— 393 —
le pouvoir ; en 1 358, lorsque le regent ren trait
a Paris apres la mort d'Elienne Marcel; en
i4i3, lorsque Charles VI brisait la grande
ordonnance cabochienne. A ces deux epo-
ques, en i4i3 surtout^ c'est-a-dire alors
que le mouvement democratique commence
soixante ans plus tot echouait definitive-
ment , I'autorite royale etait reduite a la
plus complete impuissance.
II est egalement constant que la noblesse
etait, elle aussi incapable, d'entrer en lutte
ouverte conlre les bourgeois des villes. Elle
ne s'etait point encore remise, en i36o,
des coups terribles que la bataille de Poi-
tiers d'une part, la Jacquerie de Tautr^ ,
lui avaient tout recemment portes. Elle etait,
en i4i3, divisee en factions ennemies tenant
moitie pour Armagnac et moitie pour Bour-
gogne. Les gentilshommes haissaient les
bourgeois d'une haine profonde ; ils I'avaient
montre a Meaux , et plus tard a Rosebecque ;
mais leur epuisement egalait leur haine, Au
— 394 ^
tnoment ou succombait la revolution , les
principaux d'enlre eux portaient encore
comme livree de leurs defaites , le chaperofi
blanc des Gantois que les Parisiens leur
avaient impost. lis pe prirent part active , iii
au mouvement qui amena la chute de Mar-
cel, ni a celui qui eiit pour consequence
le retrait de Tordonnance cabochieniie.
De son cote , le clerge , en tant qu'ordre^
ne joua dans la revolution de i356-i4i3
qu'un role efface. Ce n'est done ni aux ag^
semen ts de la royaute, hi a ceux des classes
privilegiees que doit elre attribuee Tis^e
tnalheureuse de cette revolution. - ^^
' La cause en est ailleurs, JEUe est auxfaotes
commises par les populations urbaines , qui
resignerent elles-meraes aux maips de la
royaute les libertes qu'elles avaient conqiiises*
Ces fautes ont ele determin^es par. I'exa-
g^ralion meme des principes deoiocrati-
•ques que professaient alors vies habitants d^
villes* Ellespeuventseresumeren deuxprin-
— 395
K'dipales : d'abordla desuniondescitefrdiversfes^
ensuile les lulles du petit peliple centre
.. Jes boiirgeok.
'* • Enervees par la politique suivie depuis
\ longjbies annees a leup egard par la royaute,
' amenees peu a peu par celle-ci a ne plus
3*interesser qu'a une seule question, rimp6ty
les villes accueillirent avec une mediocre
. ardeur des reformes qui venaient a elites ac-
. cojnpagnees de nouvelles taxes a acquitter.
Bien que fort eclairees par rapport au peuple
desi. campagnes , elles manquerent d'intel-
ligence politique, Elles ne comprirent pointy
oil du moins cesserent rapidement de cpm-
prendre que Talliance intime de tous les
bourgeois et vilains du royaume pouvait
seule leur donner la force de resister a la
royaute et aux privilegi^s. Elles s'unirent un
Instant apres Poitiers j mais, des que le peril
fut ou parut eloigne, chaque ville voulutres-
— 396 —
saisir son autonomie complete. EUes se lais-
serent doniiner par un etroit esprit d'in-
dependance locale, aussi prejudiciable alors
aux interets de la liberie qu'il avail pu leur
elre favorable quelques cenl ans plus lol,
lors de la revolution communale. Elles crai-
gnirenl , en se soumellanl aux decrels d'une
assemblee composee cependant de leurs
propres deputes, ou en suivanl Tenergique
impulsion des magistrals parisiens, d'aliener
au profit d'une cite rivale et sans inleret
pour elles-memes leurs franchises antiques.
Elles pretendirenl faire isolemenl leurs pro-
pres affaires, regler a leur fa9on leurs rap-
ports avec la royaule, el r^agirenl- bient6t
de loutes leurs forces conlrela preponde-
rance que voulaient, croyaienl-elles, s*allri-
buer sur leurs conciloyens de province les
bourgeois parisiens. Celles qui avaienl d'a-
bord paru le plus devouees a la ville de
Paris s'ecarterenl de celle-ci -au mo*
menl oil leur concours eut ele le plus
— 397 —
necessaire. Pour ne point s'exposer a subir
rinfluence plus ou moins efleclive de la
capilale, elles deserlerent la cause des li-
beries publiques. Abandonnes a eux-me-
mes, la plupart des Parisiens renoncerent a
une lutle qu'ils avaient courageusement enga-
gee, mais qu'ils desespererent de soulenir
avec quelque succes. L'isolement de Paris
assura le Iriompbe de laroyaute.
11 serait injusle d'impuler aux villes seules
la responsabilite de cetle scission. La po-
pulation parisienne avait donne aux jalou-
sies provincialesdenombreux aliments. Sises
chefs avaient d'abord menage avec soin les
susceptibilites de leurs compatriotes des pro-
vinces, ils s'etaient bientot deparlis de leur
premiere reserve. Dans une circonslance
memorable les deputes de Paris s'etaient
separes de leurs coliegues du tiers etat.
Au lieu de laisser a Torateur clioisi par ceux-
ci le soin de parler au nom de tous, le
23
— 398 —
prev6t des marcliands avail pris la parole au
nom de Paris seul , afTectant ainsi de faire
de la capitale comme un qualrieme etat dans
le royaume : demarche malheureuse , car les
chefs de parlis politiques nepeuvent maintenir
leur influence sur ceux qu'ils pretendent di-
nger qu*a la condition de paraitre les suivre.
Plus tard ils avaient comniis une faule plus
considerable peut-elre que la premiere.
Comme il arrive d'ordinaire aux gens con-
vaincus de Texcellence de leurs intentions
et de la grandeur du but qu'ils veulent at-
teindre, ils avaient poursuivi I'execution
de leurs desseins sans s'inquieter des opi-
nions ou des sentiments des bonnes villas; ils
avaient impose au roi leur volonte person-
nelle , lui avaient dicte edits et ordonnan-
ces, avaient fait executer celles-ci et n'a-
vaient plus soumis a la ratification de
leurs concitoyens (quand ils avaient juge a
propos d'y recourir) que des faits accom-
— 399 —
plis. lis avaient ainsi fourni aux populations
provinciales le prelexte de divisions fatales
a la cause commune.
Plus prejudiciable et plus funeste en-
core au progres avail ele la lulte des pe-
lites gens conire ceux qu'on appela des
lors les bourgeois.
L'antagonisme enlre cesdeux fractions du
peuple des villes n'elait pas nouveau ; il avail
amene la chute de la plupart des com-
munes, leur avail coute la perte des princi-
pales deleurs liberies : mais jamais il n'avail
pris un tel caractere d'acharnement et pro-
duit de si funesles eflets qu'aux xiv® et xv*
sieclcs.
On peul discuter le point de savoir s'il
convient de donner a tous les habitants d'un
pays, sans distinction d'aptitude ou de po-
sition sociale ^ le droit de concourir a Tad-
ministration des affaires publiques, s'il con-
- 400 —
\ient de faire de la volonle populaire ex-
primee plus ou moins clairement la mai-
tresse souveraine des destiiiees nalionales.
C'est la line question qui divise les meilleurs
esprits. Les hommes poliliques les plus dislin-
gues ont coutunie de soutenir eloquemment
raffirmalive dans leurs discours , et d'appli-
quer energiquement la negative quand ils
sont arrives au pouvoir. 11 est fort difficile de
s'arreter sur ce point a une solution ab-
solue, sans courir le risque de sacrifier ou-
les interets de Tordre , qui sont la base de
toute societe , ou les principes de complete
egalile entre tous les sujets d'un nieme Etat,
qui prevalent aujourd'bui. Mais si Ton peut
llieoriquement disculer ce problenie, ilest
un fait qui resle au-dessus de toute contro*
verse. Jusqu'a ce jour en France les classes
populaires se sont niontrees incapables de
faire bon usage du pouvoir que le hasard des
revolutions a fait, a diverses reprises, tooiber
en leurs mains. I^ur action directe sur le
— iOl —
*
gouvernemenl interieur du pays a toujours
ete fatale a la cause de la liberie. Elles ont,
par leur indilTerence quelquefois , par leurs
exces souvent , compromis le&conquetes libe-
rales dues a Tinilialive des classes moyennes.
Avides avant tout d'egalite , elles ont acclame
un regime politique soumettant a une egale
impuissance, aune egale abjection tous lesci-
toyens du pays, plutot que d'accepter une
constitution assurant a la nation les benefices
d'un gouvernement libre, mais ou il sem-
blait a la populace que quelques-uns des ci-
toyens jouissaient de prerogatives refusees a
la multitude. Apres avoir reclame la liberte
pour elles, elles Tont toujours energiquement
refusee aux autres. Pour elles la liberte a
ete, non le moyen pour chacun de jouir sans
entrave de ses droits particuliers, mais de
violer ceux d'autrui. Les demagogues se
sont montres, une fois arrives au pouvoir,
les plus ehontes de tous les tyrans. En uii
mot,toutes les tentatives failes en France
— 402 —
pour elablir dans Tfelat la preponderance
des masses populaires ont eu pour resullat
defmilif Tanarcbie, et par suite le despo-
lisme. Nul ne sail ce que sera Tavenir, mais
lei a ele le passe.
Aux XIV® elxv*siecles notamment, rinler-
> ention direcle du pelit peuple des \illes dans
la revolution si beureusement commencee par
les classes nioyennes a ele, avant toutes
cboses, funesle a la lil^erte et au progres.
Couronne de succes tant que les bourgeois
inlelligents en conserverent la direction, le
grand mouvement liberal de i356 ecboua mi-
serablement des que la multitude pretendit,
sur les incitations memes de laroyaute, se saisir
du gouvernement. La jalousie, la haine contre
tous ceux que le basard, le travail ou le la-
lent avaient eleves au-dessus de la masse de
leurs concitoyens, tels furent les seuls senti-
ments qui inspirerent la politique des « petites
gens ». Aussi prompte a se laisser seduire
par les flatteries interessees de la rovaule
— 403 —
L ^ qu'a preler Toreille a toutes les calomnies
^ qui s'adressaient aux bourgeois, la plebe con-
' sidera ceux-ci conirae les plus acbarnes et
les plus dangereux de ses enneniis : elle ou-
blia que ces bourgeois qui faisaient Irembler
lesrois devant eux elaient du peuple, qu'ils
ne forinaient point une classe a part, mais
elaient seulement Jes premiers de la classe
populaire ; que le pouvoir dont ils dispo-
saient, ils ne Tavaient point acquis aux
depens de leurs conciloyens plus bumbles,
mais aux depens de la royaute et des clas-
ses privilegiees. Au lieu de s'associer aux
efforts de la bourgeoisie , elle lui fit une
guerre acbarnee. Elle se proposa bientot
comme but , moins de s'elever jusqu'a ceux
des siens qui avaient conquis dans FElat
une place plus liaute, que de les abaisser
jusqu'aelle, moins de parlager avec eux le
pouvoir que de Tarracber de leurs mains.
De crainte de devenir les sujets des bour-
geois , les peliles gens des villes trahirent la
404. —
cause soutenue par ceiix-oi, applaudirent
a la mort de Marcel , aux supplices et aiix
confiscations qui suivirent.
Souleve quelques annees plus lard conlre
le pouvoir meme dont il avail prepare le
retour, le pcuple ne songea point a profiler
des succes momentanes qu'il obtint, pour
fonder en France la liberie politique , mais
seulement pour satisfaire ses coleres conlre
les favorises de la fortune. Le meurtre, le
pillage, Tincendie, tels furent ses moyens
de gouvernement : les violences qu'il com-
mit firent oublier celles de la royaute.
II reussit, a force de crimes a deshonorer
la cause du progres, ecarta les honneles gens
des affaires publiques, les decouragea, leur
fit detester des reformes qu'il fallait ache-
ter auprixdetels desordres et de lelles hon-
les, et regretter le regime du bon plaisir; il
amena ainsi Tinsucces definitif de la revo-
lution entreprise par les liommes de i356.
— 405 —
Les bourgeois, de leur cote, avaient com-
mis des faules qu'il n'est permis ni d'oublier
ni de taire. Us doivent porter leur part de
responsabilite 'dans les excescommis par la
plebe, et la lutte qui divisa les populations
urbaines en factions ennemies.
Les chefs de la bourgeoisie, dans leur guerre
contre la royaute, avaient, les premiers,
decbaine les passions populaires. Us avaient
donne aux peliles gens Texemple corrupteur
de la violence et du raeurtre employes contre
les adversaires politiques. lis avaient, en at-
taquant les classes privilegiees , sinon fail
naitre, du moins altise les idees egalilaires
que les classes inferieures devaient, a leur
tour, et non sans quelque raison, invoquer
contre les bourgeois. Us n'avaient pas com-
pris qu'ils ne pourraient point profiler pour
eux-memes des avantages de la liberie, et les
refuser a leursconcitoyens. Apres avoir battu
23.
— 406 —
en breche les immunites de la noblesse et
du clerge, ils prelendirent se reserver lous les
benefices du succes oblenu, sans admettre'le
peuple au parlage : ils voulurentse mettreeux-
nieniesborsde page ; ils donnerentainsi motif
a une jalousie quedevait exploiter laroyaute.
D'aulres s'associerent aux exces de la mul-
titude, dans I'espoird'en profiler, ou les lais-
serent du nioins passer sans protester; ils
contribuerent par leur exemple ou par leur
silence au developpement des desordres qui
compromirent et deshonorerent la revolu-
tion. Fautes regrettables et que peuvent a
peine faire pardonner les intentions evidem-
ment patriotiques de ceux qui les commirent,
leur desir sincere de faire le bien du pays,
ni les services eminents qu'ils ont rendus a
la France.
Mais a c6te de ces hommes dans les rangs
de la bourgeoisie , il en fut dans Finteret
desquels il aurait ete impossible d'invoquer
de pareilles excuses.
— 407 —
C'elaient les gens au caraclere faible, dis-
poses a s'alarmer de tout, a sacrifier au re-
pos present tous progres dans I'avenir, en-
nemis de (juiconque venait troubler leur
quietude, prets, pour la conserver ou la re-
couvrer, a toutes les faiblesses , et qui , pre-
ferant ce qu'ils appelaient le calme avec le
despotisme, a ce qu'ils appelaient le desor-
dre avec la liberie, se firent les auxiliaires
devoues de la royaute et les adversaires in-
traitables des reformateurs.
C'elaient les bourgeois riches, arrives a
la forlune sans elre dignes de la posseder,
habitues a mesurer la valeur des hommes
au nombre de leurs ecus. Ces individus, a
force d'a Richer leur meprispour lespauvres
gens a peine en etat, en travaillant tout le jour,
de gagner leur pain du lendemain, a force
de dedains, de fasle ehonte, de provoca-
tions incessanles, avaient fait geriner dans le
caujr des miserables une haine profonde
conlre tous ceux qui possedaient, et deler-
— 408 —
mine la scission fatale qui rendit impossible
en France la constitution d'un gouveme-
ment libre. Toute la politique de ces gens
se resuma en une seule idee : conserver
et augmenter les biens qu*ils devaient a la
naissance ou aux hasards de la vie. Ser-
s
viteurs devoues de tout pouvoir qui leur
assurait la paisible jouissance de leurs ri-
chesses bien ou mal acquises, disposes, ce
resultat obtenu, a faire bon marche du reste,
ils trouverent que la liberie politique coutait
bien cber et que le. benefice des reformes
poursuivies par quelquesruns de leurs con-
citoyens n'etait point en rapport avec la per-
turbation que ces reformes pouvaient porter
a leurs interets prives. lis appelerent de tons
leurs voeux et jwreparerent de toutes leurs
forces la ruine de ces reformf^s.
S'il fallait absolument niettre a la charge
de quelques-uns Tissue malheureuse. de la
grande revolution democralique des xiv** et
xv° siecles, determinee par les fautes de tous
— 409 —
ceux qui y prirent part, il faudrait en im*
puler la responsabilite a ces hommes, et
aussi a cenx qui, parlant de liberie pour ar-
river au premier rang dans TEtat, la violant
impudemment le jour ou ils furent les mai-
Ires , refusant au pays une paix qui seule
pouvait lui permeltre de panser ses plaies
saignantes, pretendant lui imposer a tou-
jours une guerre a la faveur de laquelle ils
esperaient assurer Tirnpunile de leurs crimes ,
ne se servirent du pouvoir qu'en un jour
d'aveuglement la nation leur avail laisse
prendre, que pour salisfaire leurs passions et
leurs appelils abjecls.
On pent pardonner aux \illes de province
de n'avoir point prete aux Parisiens un con-
cours devoue ; elles obeissaient a un senti-
ment respectable , I'amour de I'indepen-
dance locale.
On pent pardonner au petit peuple ses
exces et ses violences : il etait miserable et
ignorant, et ceux-la qui eussent du lui donner
— fclO —
I'exeiiiple du bien ne lui enseignaient que le
nial.
On peut excuser les bourgeois qui, pour
assurer le Iriompbe de leurs idees, ont eu
recours a la violence, ils croyaient agir dans
Tinleret de leur pays.
Mais on ne saurait absoudre les hommes
qui, pour sauver quelques deniers, ont
\endu a la royaut^ les franchises nationales,
ni les demagogues qui reussirent a rendre
]a liberie odieuse en la faisant solidaire de
leurs crimes , car les seuls mobiles de ces
deux categories d'individus c'a ele I'e-
goisme et la lacliete.
Je \iens de parler d'evenemenls qui re-
montent a tantot cinq siecles, et il me sem-
ble que j'ai raconte Tbistoire d'aujourd'hui.
En m'occupant de la grande revolution qui
suivit en France la bataille de Poitiers, je ne
puis oublier que j'ecris au bruit des defaites
— 411 —
de la France et de rinvasion elrangere : qu'a
la faveur de ces malheurs, quelques bandes
• de miserables prelendent imposer au pays
leurs volonles lyranniques et leurs irrealisa-
bles iitopies.
Puisse la nation preter roreille aux ensei-
gnements du passe, se souvenir des fautes
qu'elle a commises autrefois pour eviter de
les commettre encore! et de ces desaslres
sans nom qui TaflQigent , des miseres qui
I'accablent, et des ruines qui la couvrent
pourra sorlir pour la palrie une ere nou-
velle de grandeur et de liberie.
£rrata.
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