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Full text of "L'île tibérine dans l'antiquité"

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THE  J.  PAUL  GETTY  MUSEUM  LIBRARY 


BIBLIOTHÈQUE 


.  DES 


ÉCOLES  FRANÇAISES  D'ATHÈNES  ET  DE  ROME 


FASCICULE    QUATRE-VINGT-SEPT 
L'ILE     TIBERINE     DANS     L'ANTIQUITÉ 


Par  Maurice  Besnier 


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TOURS.    —    IMPRIMERIE    DESLIS    FRERES,    6,    RUE   GAMBETTA. 


L'ILE    TIBÉRINE 

DANS  L'ANTIQUITÉ 


:8 


L'ILE  TIBÉRINE 


DANS   L'ANTIQUITÉ 


PAR 


Maurice  BESNIER 


ANCIEN  MEMBRE   DE    L  ÉCOLE   FRANÇAISE   DE    ROME, 

CHARGÉ   d'un   cours   COMPLÉMENTAIRE   A   LA    FACULTÉ    DES   LETTRES 

DE    l'université   DE   CAEN. 


Ouvrage  contenant  trente-deux  gravures  dont  une  hors  texte 
en  phototypie 


PARIS 

ANCIENNE    LIBRAIRIE    THORIN    ET    FILS 
ALBERT  FONTEMOING,  ÉDITEUR 

Libraire  des  Écoles  Françaises  d'Athènes  et  de  Borne,  du  Collège  de  France 

et  de  l'École  Normale  Supérieure 

4,   RUE    LE   GOFF,  4 

4902 


Monsieur    RENÉ    GAGNAT 

MEMBRE   DE   L'iNSTITUT 
PROFESSEUR   W  COLLÈGE   DE   FRANCE 


Hommage  de  reconnaissance  et  de  respectueux  dévouement. 


PREFACE 


La  connaissance  du  sol  et  des  monuments  de  l'ancienne 
Rome  a  fait  de  remarquables  progrès  pendant  les  der- 
nières années  du  xix^  siècle.  Les  travaux  d'édilité  entre- 
pris depuis  1870  pour  transformer  la  cité  des  Papes  en 
capitale  d'un  grand  Etat  ont  servi  les  intérêts  de  l'archéo- 
logie. Les  découvertes  se  sont  multipliées;  la  pioche  des 
démolisseurs  et  des  terrassiers  a  ramené  à  la  lumière  de 
nombreux  vestiges  antiques.  Les  revues  romaines,  Notizie 
degli Scavi^  Bullettino  Co?mmaIe^  Mittlieilungen  de  l'Insti- 
tut allemand,  enregistrent  ces  trouvailles  à  mesure  même 
qu'elles  se  font.  Maints  problèmes  ardus  et  controversés 
ont  donné  matière  à  des  articles  spéciaux,  à  des  discus- 
sions approfondies.  Les  résultats  généraux  de  toutes  ces 
recherches  ont  été  exposés  en  des  ouvrages  dont  l'éloge 
n'est  plus  à  faire  :  descriptions  des  ruines,  comme  celles 
qu'ont  publiées  M.  Middleton  et  M.  R.  Lanciani  —  traités 
dogmatiques  et  critiques,  comme  la  Topographie  de 
H.  Jordan  et  la  Geschichte  und  Topographie  de  M.  0.  Gil- 
bert —  simples  manuels  précisant  l'état  actuel  des  ques- 
tions, comme  ceux  de  M.  0.  Richter  et  de  M.  Borsari  — 
répertoires  de  textes  et  de  faits,  comme  le  Nomenclator 
de  M.  Huelsen  et  le  Lexique  de  M.  Homo.  L'Italie  et  l'Al- 
lemagne, l'Angleterre  et  la  France  ont  collaboré  à  cette 
vaste  enquête.   Jamais   encore   la   topographie  romaine 


11  PRÉFACE 

n'avait  été  étudiée  avec  autant  de  zèle  ni  de  méthode  ; 
jamais  on  n'avait  pu  se  rendre  compte  si  exactement  de 
ce  qu'était  la  ville  de  Rome  dans  l'antiquité,  aux  diverses 
phases  de  son  dévelop|)ement. 

11  nous  a  paru  intéressant  de  profiler  de  toutes  les  res- 
sources que  mettait  à  notre  disposition  cette  renaissance 
des  études  topographiques  pour  consacrer  à  un  quartier 
de  la  cité  romaine  une  étude  particulière.  Nous  nous 
sommes  proposé  d'écrire  une  monographie  de  l'île  tibé- 
rine.  Sans  doute  l'île  tibérine  est  loin  d'avoir  eu  jamais 
la  même  importance  que  telle  autre  région  plus  célèbre 
de  Rome,  comme  le  Palatin  par  exemple,  le  Forum  ^  ou 
le  Capitole.  Ellea  joué  cependant  au  temps  du  paganisme, 
en  raison  de  sa  position  même,  tout  exceptionnelle,  un 
rôle  à  part,  quiméritaitd'être  indiqué.  Il  serait  nécessaire, 
à  vrai  dire,  de  faire  pour  chacun  des  quartiers  de  la  ville 
ancienne  une  pareille  étude,  historique  et  topographique 
tout  ensemble  ;  à  ce  prix  seulement  pourra  paraître  un 
jour  une  nouvelle  et  définitive  Topographie  de  Rome. 

C'est  à  M.  René  Gagnât  que  nous  devons  l'idée  pre- 
mière de  ce  travail  ;  elle  nous  fut  suggérée  par  son  ensei- 
gnement du  Collège  de  France,  qui  a  porté  pendant  plu- 
sieurs années  sur  la  topographie  romaine.  Nous  tenons  à 
lui  dire  ici  toute  notre  gratitude  pour  l'intérêt  qu'il  n'a 
cessé  de  témoigner  à  des  recherches  commencées  et  pour- 
suivies sous  ses  auspices.  —  A  Rome  même,  M^'  Du- 
chesne,  directeur  de  l'École  française,  ne  nous  a  ménagé 
ni  les  encouragements  ni  les  conseils  ;  qu'il  reçoive  éga- 
lement nos  très  vifs  remerciements.  M.  Rodolphe  Lan- 
ciani,  professeur  de  topographie  à  l'Université,  a  bien 
voulu  nous  donner  de  précieuses  indications  ;  nous  lui 

{.  II  convient  de  rappeler  à  ce  propos  le  livre  récent  du  R.  P.  Thédenat,  le 
Forum  romain  et  les  Forums  impériaux,  Paris,  1898. 


PRÉFACE  III 

sommes  très  obligé  de  sa  courtoise  libéralité.  —  Pendant 
que  nous  rassemblions  les  matériaux  de  cet  ouvrage, 
M.  René  Patouillard,  architecte  pensionnaire  de  l'Acadé- 
mie de  France  à  Rome,  préparait  une  Restauration  de  Vile 
tibérine,  qu'il  a  présentée  à  l'Institut  et  qui  sera  exposée 
à  un  prochain  Salon.  L'architecte  et  l'archéologue  n'ont 
pas  hésité  à  associer  leurs  efforts.  L'illustration  de  notre 
volume  en  a  bénéficié.  M.  René  Patouillard  nous  a  auto- 
risé à  nous  servir  d'un  certain  nombre  de  clichés  photo- 
graphiques et  de  calques  qu'il  avait  pris  lui-même.  Nous 
gardons  de  son  amical  concours  un  excellent  et  recon- 
naissant souvenir. 

Il  s'en  est  fallu  de  peu ,  l'année  dernière,  que  l'île  tibérine, 
déjà  fort  enlaidie  et  abîmée  par  les  récents  travaux  d'édi- 
lité,  ne  fût  entièrement  détruite.  Nous  aurions  eu  en  même 
temps  à  raconter  l'histoire  légendaire  de  sa  naissance  et 
à  mentionner  sa  disparition.  A  la  suite  d'une  crue  excep- 
tionnelle du  Tibre,  en  l'été  1901,  le  mur  du  quai  du  Lim- 
gotevere  Angulllara^  qui  borde  et  contient  le  cours  du 
fleuve  à  la  hauteur  de  l'île  sur  la  rive  droite,  s'écroula. 
Une  commission  d'ingénieurs,  aussitôt  instituée,  voulut 
rendre  l'île  tibérine  responsable  du  désastre  :  elle  rétré- 
cit, disait-on,  le  lit  du  Tibre  et  fait  obstacle  à  l'écoulement 
normal  des  eaux  ;  le  bras  gauche  est  ensablé  ;  le  courant 
se  trouve  rejeté  tout  entier  surla  droite  et  ronge  les  quais 
sans  trêve  ;  il  serait  nécessaire  de  supprimer  l'île  pour 
donner  enfin  au  fleuve  un  chenal  suffisant...  Cette  mo- 
tion subversive  rencontra  heureusement  une  vive  oppo- 
sition. Le  ministre  des  Travaux  publics,  M.  Giusso, 
déclara  à  la  Chambre  des  députés,  le  24  juin  1901,  que 
«  des  raisons  historiques  et  de  dignité  nationale  exi- 
geaient le  maintien  de  l'île  tibérine  »;  le  journal  la  Tri- 
buna  proclamait  le  6  juillet  que  sa  démolition  serait  un 


IV  PRÉFACE 

«  outrage  à  la  religion  de  l'art  et  des  souvenirs  patrio- 
tiques ».  L'éloquence  de  ses  défenseurs  a  sauvé  l'île. 
On  dut  recourir  à  d'autres  moyens  pour  réfréner  le  Tibre. 
Souhaitons  que  de  nouveaux  méfaits  du  fleuve  n'obligent 
pas  les  ingénieurs,  les  députés  et  les  journalistes  à  rou- 
vrir ce  débat  ! 


INTRODUCTION 


L'ILE   TIBERINE 

DANS  LES  TEMPS  MODERNES  ET  DANS  L'ANTIQUITÉ 


INTRODUCTION 


L'ILE    TIBÉRINE    DANS    LES    TEMPS   MODERNES 
ET  DANS  L'ANTIQUITÉ 


Scioditur  in  gemmas  partes  circumfluus  amois. 
Insula  nomen  habet.  laterumque  e  parte  duorum 
Porrigit  sequales  média  tellure  lacertos. 

(OviD.,  Mctam.,  XV,  739-741.) 


Les  noms.  —  Le  Tibre  au  milieu  de  Rome,  entre  le  Capitule 
et  le  Janicule,  se  divise  en  deux  bras.  La  petite  île  qu'il  forme, 
orientée  du  nord-ouest  au  sud-est,  est  longue  de  270  mètres 
environ,  sur  une  largeur  maxima  de  70 1.  On  l'appelle  main- 
tenant V isola  San  Bartolomeo.  On  l'appelait  au  moyen  âge 
insula  Lycaonia.  Dans  l'antiquité  sa  position  lui  avait  valu  les 
noms  d'île  tibérine,  insula  tihemia-,  et  d'île  entre  les  deux 
ponts,  inter  duos  pontes^,  ii.iar,  ouoîv  yz(f'jpoiw^.  Les  surnoms 
d'île  d'Esculape^  et  d'île   du  serpent  d'Epidaure*"  lui  étaient 

1.  La  partie  de  plain-pied  mesure  exactement  269  mètres  sur  67. 

2.  ViTRuv.,  III,  2;  —  AcRO,  Schol.  Horat.,  Sat.,  II,  3,  36.  —Tac,  Hist.,  I,  86  : 
Insula  Tiberini  munis;  —  Liv.,  XI,  Epit.  :  Insula  Tiberis. 

3.  ^xHicus,  cité  par  Gronovius  dans  son  édition  de  Pomponius  Mêla,  Leyde, 
1722,  p.  716  :  Fluviorum  rex  pulcher  Tiberis...  per  la'bem  sacrum  geminatur  et 
facit  insulam  regioni  quartœ  decimœ  ubi  duos  pontes  appellantur.  —  Cf. 
Jordan,  Forma  Urbis  Romae,  Berlin,  1874,  p.  44  et  PI.  IX,  fragm.  42  :  sur  un 
fragment  du  plan  de  Rome  dressé  pendant  le  règne  de  Septime  Sévère, 
on  lit  :  inle[r  du]os  po[n]tes.  —  Le  Chronographe  de  l'année  3o4  (Moscm. 
Germ.,  Auct.  antiq.,  t.  IX,  1,  p.  145)  rapporte  que  Tarquin  le  Superbe  fut  tué 
inter  duos  pontes. 

4.  Plut.,  PopL,  8.  —  Cf.  Justin.  Martyr,  Apol.  Pr.,  26  :  une  statue  de 
Simon  le  Magicien  existait  [Xîxalj  twv  Sjo  ysç-jpàiv  ;  —  Plut.,  Ot/io,  4  :  statue 
de  César  située  iv  (jLso-oTto-ajxta  vr^(TM,  dans  l'île  au  milieu  du  fleuve. 

5.  SuETON.,  Claud.,  23  :  Insula  Aisculapii;  —  Dionys.,  V,  13  :  Nf,<7o; 
'A(7xX-ir)ir:o3. 

6.  SiDON.  Apoll.,  Epist.,  I,  7,  12  :  Insula  serpentis  Epidaurii. 


4  LILE   TIBÉRINE   DANS    LES   TEMPS   MODERNES 

aussi  donnés  quelquefois,  en  souvenir  de  l'arrivée  à  Rome  du 
dieu  médecin  d'Epidaure  métamorphosé  en  serpent. 

Aspect  actuel.  —  Son  aspect  actuel  n'a  rien  de  remar- 
quable. Deux  ponts  la  rattachent  à  la  ville;  celui  de  l'est,  ou 
ponte  Quattro  Cnpi,  est  antique;  l'autre,  jwnte  San  Bartolo- 
meo,  fut  reconstruit  de  1885  à  1892  et  ne  ressemble  plus  au 
pont  antique  qu'il  a  remplacé.  Dans  l'ile  même  l'égUse  Saint- 
Barthélémy  est  le  seul  édifice  qui  présente  quelque  intérêt'. 
Elle  date  du  xf  siècle-,  mais  elle  a  été  refaite  presque  entiè- 
rement au  xvii"  ;  du  monument  primitif  il  ne  reste  plus  que 
le  campanile,  les  colonnes  de  la  nef  et  une  margelle  de 
puits  ornée  de  sculptures  devant  le  maître-autel  3.  L'église 
Saint-Jean-Calybite,  située  presque  en  face,  est  petite  et  toute 
moderne;  elle  fut  fondée  en  1584;  elle  occupe  l'emplacement 
d'un  édifice  plus  ancien  mis  sous  l'invocation  de  saint  Jean- 
Baptiste''.  L'église  Sancta  Maria  juxta  flumen,  Santa  Maria 


1.  Sur  les  églises  de  i'ile,  voir  :  Casimiro,  Memorie  istoriche  délie  chiese  e 
dei  convenu  dei  fnili  minori  délia  provincia  ro?/ja/ia,  Rome,  n44,p.2C4et  suiv.  ; 
Uesciir.  d.  St.  Rom,  Stuttgart,  1830-42,  t.  III,  3,  p.  566-572 ;  — Armellini,  Ze 
Chiese  di  Roma,  2'  éd.,  Rome,  1891,  p.  618-622. 

2.  L'empereur  Olton  111  la  filbàtir  vers  l'an  1098,  enl'honneur  de  saint  Adal- 
bert,  évoque  de  Prague.  Il  voulut  ensuite  y  déposer  les  reliques  de  saint  Bar- 
thélémy, conservées  àllénévent;  les  Bénéventins  les  lui  promirent,  mais  lui 
envoyèrent  à  la  place  celles  de  saint  Paulin  de  Noie.  D'après  certains  auteurs, 
l'empereur  aurait  essayé  vainement  de  punir  la  fraude  des  Bénéventins  et  de 
leur  enlever  le  corps  de  l'apôtre;  d'après  d'autres,  il  aurait  réussi  dans  cette  ten- 
tative. Quoi  qu'il  en  soit,  les  Romains  crurent  qu'ils  possédaient  réellement 
les  reliques  de  saint  Barthélémy.  Le  martyr  de  Bohême  fut  oublié  ;  Veccle- 
sia  Sanctorum  Adalberti  et  l'aulini  devint  et  est  restée  Vecclesia  Saticli  Bar- 
Iholomœi.  Cf.  Ghegorovius,  Gesch.  d.  St.  Rom  im  Mitlelalter,  éd.  de  1869-1872, 
Stuttgart,  t.  III,  p.  510. 

3.  Des  colonnes  antiques  ont  été  utilisées  dans  la  construction  de  l'église, 
et  le  puits  qu'Otton  III  a  fait  entourer  d'une  margelle  nouvelle  existait  sans 
doute  dès  l'époque  romaine.  Les  reliques  sont  déposées  sous  le  maître-autel, 
dans  une  cuve  de  porphyre  provenant  d'anciens  thermes.  —  D'après  Maz- 
ZA.NTi  (Bullelt.  Coinun.,  1896,  p.  82),  la  porte  de  l'église  de  Saint-Barthélémy, 
qui  passe  pour  être  l'œuvre  des  Cosmates,  serait  composée  de  fragments 
antiques,  ingénieusement  adaptés  les  uns  aux  autres.  —  Sur  la  mosaïque  de 
la  façade,  voir  de  Rossi,  Musaici  cristiani  di  Roma,  Rome,  1872,  PI.  IX,  n°  2. 

4.  L'église  Saint-Jcan-Baptisle  in  insiila  est  nommée  dans  plusieurs  bulles 
pontificales  et  actes  (le  donation  du  XI*  siècle  (Voiries  textes  réunis  par  Canta- 
RELLi,  Rullell.  Comun.,  1896,  p.  71).  En  1741,  on  a  retrouvé,  murées  dans  les 
piliers  de  Sainl-Jean-Calybite,  des  colonnes  avec  chapiteaux  sculptés  qui  datent 
du  moyen  rtge.  Cf.  Cancelmeri,  Notizie  istoriche  délie  chiese  di  Santa  Maria  in 
(iiulia,  di  Sun  Giovanni  Calibila  nell'isola  Lj/caonia,  etc.,  Bologne,  1823.  —  Saint 
Jean-Calybite  était  un  ermite  de  Constantinople,  qui  vivait  dans  une  cabane, 
lugurium  ou  xaÀ-j6r,  ;  la  légende  confondit  Constantinople,  la  nouvelle  Rome, 


ET    DANS    l'antiquité 


6  l/lI.E   TIHÉRINE   DANS   LES   TEMPS   MODERNES 

pressa  fiiime,  que  mentionnent  les  catalogues  du  moyen  âge, 
était  plus  au  nord»;  elle  fut  détruite  d'assez  bonne  heure.2.  Un 
couvent  do  franciscains  dépend  de  Saint-Barthélémy;  un  hôpital 
Israélite  est  logé  dans  les  bâtiments  compris  entre  cette  église 
et  \q  ponte  Quattro  Capi  ;  Saint-Jean-Calybite  se  trouve  enclavé 
dans  un  grand  hôpital  que  desservent  les  Frères  de  Saint-Jean- 
de-Dieu,  surnommés  les  Fate  hene  fratelli^.  Devant  Saint-Bar- 
thélémy s'étend  une  place  irrégulière,  au  centre  de  laquelle  se 
dresse  un  monument  en  l'honneur  de  saint  Jean  de  Dieu.  Deux 
églises,  deux  hôpitaux,  un  couvent,  de  vieilles  maisons,  une 
petite  place,  quelques  ruelles,  voilà  tout  ce  qu'on  aperçoit  à 
première  vue  ;  il  n'y  a  certes  pas  là  de  quoi  piquer  la  curio- 
sité ni  flatteries  regards. 

L'ile  tibérine  avait  conservé  cependant  jusqu'à  ces  dernières 
années  un  caractère  original  et  pittoresque  que  seuls  les  embellis- 
sements de  la  Rome  contemporaine  lui  ont  fait  perdre.  Sur  les 
gravures  et  les  dessins  d'autrefois  elle  apparaît  tout  entourée 
d'eau,  reliée  seulement  aux  rives  par  ses  deux  ponts  dissem- 
blables, mais  de  môme  style  et  de  même  couleur,  hardiment 
jetés;  à  travers  l'ouverture  des  arches  on  aperçoit  les  roues  à 
palettes  et  les  passerelles  des  moulins  amarrés  dans  les  deux 
bras  du  Tibre,  et  à  l'arrière-plan  les  églises  et  les  maisons  des 
quartiers  voisins  ;  l'intérieur  de  l'île,  que  domine  la  tour  carrée 


et  Rome  même;  on  prétendit  que  ie  saint,  né  à  Rome,  s'était  retiré  dans 
nie  tibérine  et  qu'il  était  mort  à  l'endroit  précisément  où  lui  fut  élevée  plus 
tard  une  église  (Acta  Sanctohom,  janvier,  t.  il,  p.  311;—  Gantarelli,  loc.  cit., 
p.  67). 

1.  Cencius  Camerarius  l'appelle  ecclesia  S.  Maria  /luminum.  Armellini 
{op.  cit.,  p.  619)  en  conclut  qu'elle  devait  s'élever  à  l'endroit  précis  où  les 
eaux  du  Tibre  se  partagent. 

2.  Le»  Bénédictines  avaient  dans  l'ile  au  moyen  âge  un  monastère,  auquel 
l'église  Santa  .Maria,  qui  regardait  le  Transtévère,  servait  de  chapelle.  Lors- 
qu'elles abandonnèrent  l'ile,  elles  vendirent  leurs  biens  aux  Frères  de  Saint- 
Jean-de-Dieu. 

3.  «  Dans  la  Rome  chrétienne  on  prend  soin  des  malades  en  cette  même 
lie  du  Tibre  où,  au  temps  du  paganisme,  on  adorait  le  dieu  de  la  santé  » 
(Beschr.  d.  St.  Rom,  t.  III,  3,  p.  567).  Au  moyen  âge,  d'après  l'auteur  d'un 
poème  sur  la  translation  des  reliques  de  saint  Barthélémy,  composé  pen- 
dant la  seconde  moitié  du  xn*  siècle,  les  saints  honorés  dans  l'île  faisaient, 
comme  jadis  Esculape,  des  guérisons  uiiraculeuses  : 

Sint  ibi  Mnctorum  quod  corpora  duorum 
Moribus  oppressi  relèvent  ibi  deemoDe  fessi, 
Flet  fur,  lepra  fu^il... 

(B.  Sepi>,  Ein  inediertes  cannen  de  translatione  S.  Bartholomaei,  dans  le  Neues 
Arcfiiv,  1897,  t.  XXII,  p.  575), 


ET    DANS    L  ANTIQUITE 


de  Saint-Barthélémy,  est  recouvert  de  vieilles  constructions 
inégales,  sombres  ou  claires,  qui  descendent  jusqu'aux  bords 
sablonneux  du  fleuve  et  où  se  détachent  çà  et  là  des  bouquets 
de  feuillage. 


Les  travaux  destinés  à  systématiser  le  Tibre,  c'est-à-dire  à 
régulariser  son  cours  et  à  endiguer  ses  berges,  ont  tout 
changé.  Le  nouveau  pont  San  Bartolomeo  est  plus  long  que 
ne  l'était  l'ancien;  ses  trois  grandes  arches  et  ses  pierres 
blanches  forment  un  déplaisant  contraste  avec  la  masse  sombre 
du  pont  Quattro  Capi.  On  a   démoli  la    plupart  des    maisons 


8  l'île  tibérine  dans  les  temps  modernes 

hautes  et  sales  qui  se  pressaient  dans  l'île,  éventré  ses  rues 
tortueuses,  bûti  à  l'ouest,  le  long  du  fleuve,  des  murs  continus, 
capables  de  résister  aux  fortes  crues  d'hiver,  terminé  la  pointe 
nord-ouest  par  un  môle  qui  s'abaisse  en  pente  douce  jusqu'à 
l'eau,  et  mis  enfin  à  l'extrémité  sud-est  un  petit  pavillon  peint 
en  rouge,  d'un  triste  effet,  la  Morgue '.  A^'ers  l'est  seulement, 
avec  ses  maisons  anciennes  surplombant  le  Tibre,  l'île  ressemble 
encore  un  peu  à  ce  qu'elle  était  jadis.  Malheureusement,  depuis 
dix  ans,  le  bras  gauche  du  fleuve  s'est  ensablé^;  les  alluvions 
accumulées  et  les  détritus  jetés  des  rives  obstruent  le  passage  : 
l'eau  ne  les  recouvre  plus  qu'exceptionnellement,  quelques  jours 
à  peine  chaque  année,  après  les  grandes  pluies  de  novembre 
ou  de  mars.  L'île  n'est  plus  une  île,  et  l'on  peut  traverser  à 
pied  sec  le  chenal  encombré  de  sables  et  d'ordures  sur  lesquels 
pousse  déjà  l'herbe  ^. 

«  Sera-ce  encore  le  Tibre,  ce  fleuve  que  vos  quais  encaissent 
entre  deux  murs  uniformes,  et  qui  a  perdu  soit  ses  plages  alter- 
nant avec  les  maisons  baignant  dans  ses  eaux,  soit  son  ouver- 
ture en  aval  sur  tant  de  débris  subsistants  de  l'ancienne 
Rome?  C'était  le  double  spectacle  qui  s'offrait  du  pont  Sistc, 
par  exemple,  à  qui  se  rendait  de  la  rive  gauche  vers  le  Jani- 
cule.  A  sa  droite  la  belle  courbe  du  fleuve  rellétait  le  splen- 


!..  Voir  un  résumé  de  ces  travaux,  d'après  les  documents  officiels  italiens, 
dans  UoNXA,  le  Tihve  et  les  travaux  du  Tibre,  publié  par  le  Bull,  de  la  Soc. 
d'encour.  pour  Vind.  nation.,  numéros  de  septembre  et  novembre  1898; 
p.  126  du  tirage  à  part  :  de  1882  à  188i,  endiguement  du  pourtour  de  l'île, 
empierrement  de  la  pointe  nord,  immersion  de  blocs  de  béton  pour  régler  le 
partage  des  eaux  et  régulariser  les  berges;  p.  127-130  :  de  1885  à  1892, 
reconstruction  du  pont  San  Barlolomeo  et  transformation  de  ses  abords. 

2.  RoxxA,  op.  cit.,  p.  126  :  «  Le  maintien,  pour  des  considérations  archéolo- 
giques, de  l'ile  tibérine  avec  ses  deux  bras,  dont  un  seul,  celui  de  droite, 
livrable  à  la  navigation  après  approfondissement,  devait  avoir  pour  consé- 
quence une  modification  dans  le  régime  tluvial...  la  largeur  du  chenal  augmen- 
tant de  100  à  liiO  mètres  à  la  pointe  d'amont  de  l'ile  et  à  160  mètres  à  la  pointe 
d'aval,  avec  un  bras  à  droite  de  7.")  mètres,  et  un  second  à  gauche  de 
65  mètres,  soit  ensemble  140  mètres,  le  bras  gauche  devait  nécessairement 
s'ensabler  sous  l'action  du  courant,  plus  long  d'un  septième.  En  effet,  tandis 
que  dans  le  bras  droit,  en  prolongement  de  la  section  canalisée  du  fleuve,  le 
courant  est  rectiligne,  il  est  courbe  dans  le  bras  gauche.  »  On  a  vainement 
essaj-é  de  conserver  un  courant  dans  le  bras  gauche  en  établissant  en  amont 
un  barrage  de  maçonnerie  ;  les  atterrissements  ont  continué. 

3.  Sur  le  plan  de  Rome  publié  par  0.  Richtek  à  la  fin  de  sa  Topogr.d.  St. 
Rom  (2»  éd.,  Munich,  1901),  l'Ile  paraît  rattachée  définitivement  à  la  rive  gauche 
du  Tibre,  et  baignée  d'un  seul  côté  par  les  eaux  du  fleuve.  Peut-être  cependant 
cette  simplification  du  tracé  est-elle  excessive  ;  elle  donne  de  la  situation  de 
l'ile  encore  à  l'heure  présente  une  idée  inexacte. 


ET    DANS    L  ANTIQUITÉ  9 

dide  bois  de  lauriers  de  la  Farnésine,  que  vous  avez  détruit; 
il  voyait  à  sa  gauche  l'île  tibérine,  avec  sa  proue  sculptée  en 


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souvenir  d'Esculape,  et  les  Quattro  Capi  et  la  tour  de  l'An- 
guillara,  et  le  temple  de  Vesta,  et  rÂventin.  Presque  tout 
cela  a  disparue  » 

1.  Geffroy,    la  Transformation  de   Rome  en    capitale  moderne^  dans   la 
Revue  des  Deux  Mondes,  i"  septembre  1897,  p.  175. 


10  L  ILE   TIBÉRINE    DANS    LES   TEMPS    MODERNES 

Forme  et  étendue  de  l'île  dans  l'antiquité.  —  La  forme  de  l'ile 
ne  rappelle  plus  aujoiinriiiii  que  très  vaguement  sa  forme 
ancienne.  Les  berges  ont  été  rectifiées  récemment  ;  on  a  sup- 
primé sans  pitié  tout  ce  qui  dépassait  l'alignement.  Mais  il  y  a 
longtemps  que  l'œuvre  de  destruction  était  commencée;  la 
nature,  avant  les  hommes,  s'en  était  chargée.  Au  xviii"  siècle 
on  voyait  en  amont  et  en  arrière,  vers  la  rive  gauche,  un 
petit  îlot  qu'on  appelait  Yisoietta;  il  supportait  des  murs 
antiques  de  belle  apparence  et  bien  cimentés  ^  Les  plans 
de  cette  époque  l'indiquent'^.  Il  devait  son  origine  à  une  crue 
violente  du  Tibre  au  moyen  âge,  qui  l'avait  détaché  de  l'île. 
En  1788  une  inondation  acheva  de  le  ruiner^.  Il  est  donc 
certain  que  dans  l'antiquité  l'ile  tibérine  était  plus  grande  que 
maintenant  ;  elle  commençait  à  la  hauteur  de  Visoletla  et  s'al- 
longeait irrégulièrement  au  milieu  du  fleuve,  en  suivant  la  courbe 
même  de  son  tr3cé. 

Histoire  et  topographie.  —  D'après  la  légende  l'île  se  serait 
formée  très  tard  et  artificiellement  ;  les  moissons  des  Tarquins 
jetées  dans  le  Tibre  après  l'expulsion  des  rois  lui  auraient 
donné  naissance.  Deux  siècles  s'écoulent,  et  l'on  fait  débar- 
quer sur  son  territoire  le  serpent  sacré  venu  d'Epidaure, 
symbole  d'Esculape  ;  un  temple  y  est  fondé  en  l'honneur  du  dieu 
grec  de  la  médecine.  Un  siècle  encore,  et  deux  autres  temples, 
consacrés  l'un  à  Jupiter,  sous  le  nom  particulier  de  Jupiter 
Jurarius,  l'autre  à  Faunus,  sont  bâtis  auprès  du  sanctuaire 
d'Esculape;  déjà  le  dieu  du  Tibre,  Tiberinus,  possède  non  loin 
de  là  un  sacellum  où  l'on  célèbre  sa  fête  annuelle.  A  la  fin  de 
l'époque  républicaine  les  ponts  de  bois  qui  existaient  depuis 
longtemps  entre  Tîle  et  les  deux  rives  du  fleuve  sont  rempla- 
cés par  de  solides  ponts  de  pierre.  Au  début  de  l'époque  impé- 
riale la  ligne  du  pomerium,  qui  marque  la  limite  religieuse 
de  la  cité  romaine,  est  reculée  ;  elle  embrasse  désormais  ï  insu  la 

i.  Cf.  notamment  Venuti,  Accurata  e  succinta  descrizione  topografica 
délie  antichilà  di  Roina,  Rome,  éd.  de  1824,  p.  174. 

2.  Sur  le  grand  plan  d«  Rome  dressé  par  Nolli  en  1748,  et  que  la  plupart 
des  plans  postérieurs,  pendant  plus  de  cinquante  ans,  n'ont  fait  que  repro- 
duire en  réduction,  Visolelta  est  représentée  ;  deux  pans  de  murs  antiques  y 
sont  indiqués.  M.  Lanciani  possède  un  ancien  dessin  en  couleurs,  signé  de 
l'architecte  Marim,  qui  donne  une  vue  de  Visoletla  ;  on  aperçoit,  sur  le  bord, 
un  pan  de  mur  antique,  l'un  de  ceux  que  Nolli  a  figurés. 

3.  Gabrimi,  dans  V Antologia  romana,  t.  XV,  p.  321,  cité  par  G.  Brocchi, 
delloStalo  fisico  del  suolo  di  Roma,  Rome,  1820,  p.  66. 


ET    DANS    L  ANTIQUITÉ  11 

tiberina,  restée  jusqu'alors  en  dehors  de  la  ville.  L'ile  appar- 
tient à  la  quatorzième  des  régions  urbaines  créées  par  Auguste. 
De  tous  côtés  s'y  élèvent  des  constructions  nouvelles,  moins 
importantes  cependant  que  les  anciens  édifices  religieux  soi- 
gneusement entretenus  et  réparés  par  les  empereurs.  Textes 
littéraires,  inscriptions,  monuments  figurés  permettent  de  suivre, 
de  siècle  en  siècle,  son  histoire,  celle  des  ponts  qui  l'unissaient 
à  la  vieille  Rome  et  au  Transtévère,  celle  enfin  des  sanc- 
tuaires qu'elle  renfermait.  Ils  permettent  aussi  de  fixer  avec 
une  suffisante  précision  les  traits  essentiels  de  son  antique 
topographie.  On  peut  déterminer  assez  exactement  l'emplace- 
ment occupé  jadis  parles  principaux  monuments  qui  l'ornaient. 
La  physionomie  même,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  de  ce  petit  quar- 
tier de  l'ancienne  Rome  se  laisse  encore  deviner.  Les  décou- 
vertes qu'on  y  a  faites  depuis  trois  siècles  et  les  travaux  archéo- 
logiques dont  il  a  été  l'objet  nous  donnent  le  droit  et  les 
moyens  d'en  essayer  une  reconstitution,  à  la  fois  historique  et 
topographique. 

L'île  tibérine  et  la  religion  romaine,  —  L'île  tibérine  était,  aux 
yeux  des  Anciens,  une  île  sacrée,  vyJgoç  '.epa^  Elle  méritait 
qu'on  lui  décernât  cette  appellation  honorifique.  Son  nom 
évoquait  dans  l'esprit  des  Romains  pieux  maints  souvenirs 
légendaires  :  les  moissons  des  Tarquins  précipitées  dans  le 
Tibre,  le  serpent  divin  d'Esculape  descendant  spontanément 
du  vaisseau  qui  le  ramenait  de  Grèce  et  choisissant  la  place 
de  son  futur  sanctuaire,  la  statue  de  César  se  tournant  d'elle- 
même  vers  l'Orient,  et  toutes  les  guérisons  miraculeuses  et 
dont  les  inscriptions  et  les  ex-voto  conservaient  la  mémoire 
et  le  témoignage  officiel.  Esculape,  Jupiter  Jurarius,  Faunus 
possédaient  dans  l'île  des  temples,  Semo  Sancus  une  statue, 
Tiberinus  une  chapelle.  Trois  fois  par  an  des  cortèges  sacrés 
se  déroulaient  processionnellement  entre  les  deux  ponts  : 
le  1"  janvier  étaient  célébrées  les  deux  fêtes  d'Esculape 
et  de  Jupiter,  et  le  même  jour  on  sacrifiait  à  Vejovis;  le 
13  février  avait  lieu  la  fête  de  Faunus,  et  le  8  décembre 
la  fête  de  Tiberinus.  Le  sanctuaire  d'Esculape  m  insula  était 
le  plus  ancien  et  le  plus  considérable  qu'eût  à  Rome  le  dieu 


1.    Plut.,  Popl.,  8  :  Toïxo  vjv   vY^ffé;  ioriv   Upà  xatà  ttiv  tt^Xiv;   —  DiONYS., 
V,  13  :  Nfjaoî  'AffxXyjTtioy  tepa. 


12      l'île  TIBÉRINE  DANS  LES  TEMPS  MODERNES  ET  DANS  l'aNTIQUITÉ 

groc  de  la  médecine,  et  ceux  de  Jupiter  Jurarius,  de  Faunus, 
de  Tiberinus,  les  seuls  que  les  Romains  eussent  consacrés  à 
ces  divinités;  en  dehors  de  Vinsula  tiherina  on  n'invoquait 
Vejovis  qu'au  Capitole  et  Semo  Sancus  que  sur  le  Quirinal. 
L'importance  religieuse  de  l'ile  dans  l'antiquité  est  indéniable. 
Son  histoire  intéresse  l'histoire  même  de  la  religion  romaine. 
Si  le  surnom  d'ile  sacrée  lui  convenait,  il  faut  ajouter,  avec 
Denys  d'HaUcarnasse,  qu'elle  était  avant  tout  l'île  sacrée  d'Es- 
culape.  Le  culte  d'Asklépios  avait  été  importé  de  Grèce  à 
Rome  trois  cents  ans  avant  l'ère  chrétienne.  Il  fut  aussitôt 
localisé  au  milieu  même  du  Tibre,  où  pendant  des  siècles  on 
vint  consulter  et  adorer  à  la  mode  hellénique  le  dieu  médecin. 
Après  avoir  raconté  les  vicissitudes  et  les  transformations  de 
l'ile  tibérine,  depuis  ses  origines  fabuleuses  jusqu'à  l'aurore 
du  moven  âge,  et  décrit  les  ponts  jetés  entre  ses  bords  et  les 
deux  rives  du  fleuve,  il  sera  nécessaire  de  s'arrêter  plus  lon- 
guement à  étudier  le  sanctuaire  et  le  culte  d'Esculape;  l'examen 
des  divers  documents  qui  concernent  Jupiter  Jurarius  et  Semo 
Sancus,  Faunus  et  Tiberinus  complétera  ces  recherches  et  nous 
mettra  en  mesure,  au  terme  de  notre  enquête,  de  retracer  les 
grandes  lignes  de  la  topographie  de  l'île  à  l'époque  la  plus 
brillante  de  son  lointain  passé. 


LIVRE    I 

HISTOIRE    DE    L'ILE    TIBÉRINE 

DANS   L'ANTIQUITÉ 


CHAPITRE  I 
LA    LÉGENDE  DES   ORIGINES 


Les  textes.  —  «  L'île  Saint-Barthélémy,  à  peu  près  grande 
aujourd'hui  comme  ce  qu'on  appelle  à  Paris  le  quartier  de  l'île 
Notre-Dame,  n'est  pas  d'ancienne  date;  elle  n'est  au  monde  que 
depuis  vingt-deux  ou  vingt-trois  siècles,  ayant,  comme  vous  le 
savez,  commencé  à  se  former  par  l'amas  des  gerbes  pro venues  de 
larécoltedes  terres  appartenant  au  roi  Tarquin  le  Superbe,  que 
le  peuple  jeta  dans  la  rivière  en  cet  endroit,  où  elles  s'arrê- 
tèrent sur  un  bas-fond^.  »  C'est  en  ces  termes  que  le  président 
de  Brosses  racontait,  d'après  les  écrivains  anciens,  la  nais- 
sance de  l'île  tibérine.  La  légende  qu'il  rapporte,  non  sans 
quelque  scepticisme,  semble  avoir  eu  grand  crédit  dans  l'anti- 
quité. Tite-Live,  Denys  d'Halicarnasse,  Plutarque,  qui  nous 
l'ont  fait  connaître,  la  tiennent  pour  véridique.  Il  est  inté- 
ressant de  comparer  leurs  narrations  ;  s'ils  se  font  tous  les 
trois  les  dociles  interprètes  de  l'opinion  populaire,  s'ils  pa- 
raissent croire  également  à  la  formation  artificielle  et  tar- 
dive de  l'île  tibérine,  les  détails  plus  ou  moins  abondants  qu'ils 
ajoutent  au  fonds  commun  de  la  tradition  diffèrent  de  l'un  à 
l'autre  ;  chacun  d'entre  eux,  à  son  insu,  laisse  percer  son 
caractère  même  et  traliit  ses  goûts  et  sa  méthode. 

Tite-Live.  —  Tite-Live  est  le  plus  bref,  et  le  seul  aussi  qui 
prenne  des  précautions  oratoires  pour  faire  accepter  la  légende. 
Après  l'expulsion  de   Tarquin  le  Superbe,  le  Sénat  livra  les 


1.  De  Uhosses,  Lettres  familières  écrites  d'Italie  (l'739-n40),  éd.  H.  Badun, 
Paris,  18:J8,  t.  Il,  p.  131. 


•  vi 


16  l'île    TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ 

biens  du  roi  déchu  au  peuple,  qui  les  pilla.  Le  champ  de  Tar- 
quin,  situé  entre  la  ville  et  le  Tibre,  fut  consacré  à  Mars  :  il 
s'appela  désormais  le  Champ  de  Mars.  On  dit  que  les  récoltes 
étaient  alors  mûres,  prêtes  à  être  moissonnées.  Les  Romains 
se  faisaient  scrupule  d'en  profiter;  ils  coupèrent  les  épis  avec 
la  paille  et  les  mirent  dans  des  corbeilles  qu'ils  jetèrent  au 
Tibre.  C'était  au  moment  des  fortes  chaleurs  ;  le  fleuve  n'avait 
que  très  peu  d'eau;  les  corbeilles  s'arrêtèrent  sur  les  bas- 
fonds  et  se  couvrirent  de  limon  ;  tout  ce  que  le  Tibre  charriait 
s'y  déposa,  retenu  par  cet  obstacle  ;  une  île  se  forma  peu  à 
peu.  Dans  la  suite,  sans  doute,  on  rapporta  à  cet  endroit  des 
terres  et  des  matériaux  ;  la  main  des  hommes  contribua  à  rendre 
le  sol  assez  ferme  et  assez  élevé  pour  qu'il  pût  soutenir  des 
temples  et  des  portiques'. 

On  a  souvent  remarqué  que  Tite-Live,  lorsqu'il  résume 
l'histoire  traditionnelle  des  premiers  temps  de  Rome,  évite  d'en 
prendre  la  responsabilité  et  de  s'en  porter  garant.  Il  rappelle 
avec  respect  toutes  les  fables  chères  à  ses  concitoyens, 
ayant  l'air  lui-même  d'y  ajouter  foi.  Mais  il  passe  vite 
sur  les  événements  suspects  ;  sans  jamais  s'inscrire  formel- 
lement en  faux  contre  leur  réalité,  il  laisse  deviner  cependant 
qu'il  fait  ses  réserves  ;  çà  et  là  quelques  mots  significa- 
tifs mettent  en  garde  le  lecteur  averti  2.  La  page  qu'il  con- 
sacre à  la  formation  de  l'île  tibérine  permet  de  le  constater  une 
fois  de  plus.  Il  nous  prévient  qu'il  est  simplement  l'écho  de  la 
croyance  générale  :  «  on  dit  que  les  moissons  du  champ  des 
Tarquins   étaient   alors  mûres,   dicitur.  »   Il  prend  soin,   en 


1.  Liv.,  II,  5  :  IH^  bonis  regiis,  quss-reddi  ante  censueranl,  res  intégra  refer- 
lur  ad  patres.  li  victi  ira  vetuere  l'eddi,  vetuere  in  publicum  rediyi.  Diripienda 
plebi  sunt  data,  ut,  contacta  rerjia  prœda,  spem  in  pcpetuiim  pacis  cum  eis 
amitleret.  Ager  Tarquiniorum,  qui  in  ter  urbem  ac  Tiberim  fuit,  consecratus 
Marti,  Martius  deinde  campus  fuit.  Forte  ibi  lum  seges  farris  dicitur  fuisse 
matura  messi.  Quem  campi  fructum  quia  religiosum  erot  consumere.  desectam 
cum  stramento  segetem  magna  vis  hominum  simul  immissa  corbibus  fudere  in 
Tiberim,  lenui  fluentem  aqua,  ut  mediis  caloribus  solet.  Ita  in  vadis  hsesi- 
tantes  frumenti  acervos  sedisse  illitos  limo;  insulam  inde  pavlatim,  et  aliis 
quae  fert  temere  flumen  eodem  invectis,  facfam  ;  postea  credo  additas  moles, 
manuque  adjutum  ut  tam  eminens  area  firmaque  templis  quoque  ac  porlicibus 
sustinendis  esse  t. 

2.  Voir  les  observations  de  Beaufoht,  Dissertation  sur  r incertitude  des  cinq 
premiers  siècles  de  Rome,  éd.  Blot,  Paris,  1866,  p.  9;  —  de  Taine,  Essai  sur 
Tite-Live,  Paris,  1836,  p.  43  ;  —  de  Pais,  Storia  di  Roma,  Rome,  1898,  t.  1,  1, 
p.  83-86,  ainsi  que  la  préface  même  de  Tite-Live  et  ses  aveux  aux  livres 
V,  21;  VI,  1;  VII,  6;  VIII,  40,  etc. 


LA    LÉGENDE    DES    ORIGINES 


17 


outre,  d'indiquer  les  raisons  qui  rendent  admissible  à  la  rigueur 
la  version  populaire,  et  comment  on  la  doit  comprendre  :  les 
corbeilles  chargées  d'épis  ont  bien  pu  s'immobiliser  dans  le 
fleuve,  car  le  Tibre,  en  été,  roule  très  peu  d'eau,  tenui  fluen- 
tem  aqiia,  ut  mediis  caloribus  solet  ;  l'île  n'est  pas  née  tout 
d'un  coup,  en  un  jour  de  l'année  245/509,  mais  peu  à  peu, 
quand  d'autres  débris  entraînés  sont  venus  s'ajouter  aux 
bottes  de  paille  et  aux  gerbes  de  blé  des  Tarquins,  insulam  i/ide 
paiilatim  factam;  d'ailleurs  les  hommes  ont  dû  compléter 
l'œuvre  de  la  nature,  postea  credo  additas  moles  manuque 
adjutum^.  Tite-Live  est  trop  bon  citoyen  pour  révoquer  en 
doute  les  épisodes  légendaires  de  l'histoire  nationale,  mais  il 
est  trop  sensé  pour  ne  pas  s'efforcer,  quand  il  les  raconte, 
d'atténuer  leur  étrangeté. 

Denys  d'Halicarnasse.  —  Denys  d'Halicarnasse  raconte  l'aven- 
ture de  l'année  245/509  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes 
que  Tite-Live  2.  Il  explique  autrement  qu'on  ait  cru  devoir 
jeter  dans  le  Tibre  les  moissons  de  Tarquin  :  si  les  Romains 
se  faisaient  scrupule  de  les  utiliser  pour  leur  consommation,  ce 
n'est  pas  seulement  parce  qu'elles  venaient  du  champ  des  rois 
expulsés,  c'est  que  ce  champ  même,  avant  que  les  Tarquins 
l'usurpassent,  avait  été  consacré  à  Mars  ;  il  y  aurait  eu  sacri- 
lège   à  s'approprier    les   récoltes.    Comme  Tite-Live,   Denys 


1.  On  a  retrouvé  en  1854,  entre  l'église  Saint- Jean-Cal ybite  et  le  Tibre,  à 
une  grande  profondeur,  les  traces  d'un  dallage  artiflciel  en  larges  pierres, 
construit  dans  l'antiquité  pour  affermir  le  sol  et  le  sous- sol  de  l'île  tibérine; 
c'est  à  ce  travail  que  fait  allusion  Tive-Live;  les  fouilles  de  1854  ont  permis 
de  vérifier  l'exactitude  de  son  assertion.  Gaxixa,  Sul  tempio  di  Giove  nelV 
isola  tiberina,  dans  le  Bullett.  dell'Inslit.  archeol.,  1854,  p.  xxxix  :  Si 
osserva  che  nelle  sufj'erite  ricevche  praticate  sotto  le  fahbricke  annesse  alla 
chiesa  di  S.  Giovanni  di  Dio  Calihita,  si  scuoprirono  verso  il  fiume  tracce 
d'un  suolo  composta  con  f/rande  piètre  che  si  dovete  successivamente  costruire 
per  consolidare  l'area  formata  dalle  materie  poco  stabile  che  composera  in 
origine  la  stessa  isola,  onde  potervi  con  soUdita  costruire  gli  anzidetti  edifizi. 

2.  DioNYS.,  V,  13  :  "Oxi  6a  y.at  Tcpo-epov  Eîpôv  r^v  to-jôe  to-j  Oeo-j,  Tapx-jvto;  oï 
TiîTspiTâu.svoç  è'aiteipsv  aùrb,  [AÉytaTov  T,Yoy|Aat  Tc/.[Airiptov  elvai  tô  Tzpaybïv  ÛTtô  twv 
•JTiitcov  TÔTc  7t£pl  Toy;  èv  a-jxw  y.apTtovç.  "Airavra  yàp  £T:tTp£'!/avT£;  tm  ÔYJfiw  ta  -wv 
■ï-jpâvvtov  ayetv  te  -/.al  cpÉp£(v,  tov  èv  to'jtw  ^evoij-evov  tw  7i£5;ci)  aÏTOv  [tov  [xàv]  iid 
■zxïç  aXwatv  ïzi  xîtijLEvov,  -bv  t'èttI  Traïç  xa)>x[xat?  xai  tov  v-Sr)  y.aT£tpya(T[i£vov,  o-jy. 
£7:£-rp£']/av  o-jSevI  9£pEiv  ,  àXX'to?  è|âytaTÔv  te  xa't  o-jSaaài?  £TciTr|5Etov  £?;  olxi'a; 
EtTEVE/ÔTivat  tU  '^bv  7roTa;j.bv  y.ataêaXEÏv  à'i'ïiçn'aavTO.  Kat  Èart  vjv  [avïïîjleÏov  èiiçavÈç 
TO-J  TÔTE  Ëpyoy,  vfiTo;  EypLEYÉÔvj;  'Affy.>,rj7H0-j  Upà,  7r£p'//.).uc!T0î  èv.  Tovi  irorajxoy,  r,v 
çaatv  £x  ToO  o-Mpoû  tt,;  xaXà[i.rjç  (jonzôiar^:;,  xat  Tt  y.at  to-j  TiorasioO  TrpouXiTtat'vovTo; 
a-jT/j  îÀ'jv  yEvÉaOai. 


18  L^Li;    TllJÉKlNi:    DANS    F/ANTiyLni-: 

(rHalicarnasso  s'abrite  derriènO'(»]tiiii(»ii  (rautrui,  les  ou-dit  de 
la  foule  anonyme  :  «  il  existe  encore  maintenant  un  monument 
visible  de  ce  qui  s'est  passé  alors;  c'est  une  île  assez  grande, 
consacrée  à  Esculape,  entourée  de  tous  côtés  par  le  lleuve;  on 
dit,  çaffiv,  qu'elle  a  été  formée  par  les  monceaux  de  chaume 
décompose,  et  ensuite  par  ce  que  le  fleuve  y  a  plus  tard 
apporté.  »  Mais  Denys  ne  s'est  point  donné  la  peine,  pour  qu'il 
paraisse  naturel  que  les  épis  et  le  chaume  se  soient  déposés  au 
fond  du  Tibre,  d'indiquer,  comme  Tite-Live,  qu'il  y  avait  en  ce 
moment  peu  d'eau  dans  le  lit  du  fleuve.  Et  s'il  reconnaît  que 
les  alluvions  ont  eu  part,  comme  le  chaume  décomposé,  à  la 
constitution  de  l'ile  tibérine,  il  ne  dit  rien  des  travaux  exécutés 
ensuite  de  main  d'iiomme  pour  exhausser  et  affermir  le  sol. 
Denys  d'Halicarnasse  et  Tite-Live  sont  contemporains;  ils 
puisent  probablement  aux  mêmes  sources  et  s'inspirent  tous 
deux  des  mêmes  récits  légendaires  transmis  par  les  anciens 
annalistes.  Mais  Denys  n'a  pas  l'intelligence  aussi  perspicace 
ni  l'esprit  aussi  avisé  que  Tite-Live  ;  il  est  plus  crédule,  il  prête 
à  ses  devanciers  une  oreille  plus  docile,  et  ne  se  préoccupe 
pas,  comme  lui,  de  donner  à  tout  ce  qu'il  avance  une  couleur 
de  vérité  ou  tout  au  moins  de  vraisemblance  qui  rende  plausible 
les  vieilles  fables. 

Plutarque.  —  Plutarque  s'est  moins  soucié  encore  de  ména- 
ger les  susceptibilités  des  lecteurs.  Sa  narration  est  la  plus 
longue;  elle  est,  pour  mieux  dire,  diffuse  et  prolixe;  elle 
n'ajoute,  en  somme,  à  celles  de  Tite-Live  et  de  Denys  que  des 
développements  oiseux  et  superflus.  Plutarque  s'attarde  à 
décrire  les  premiers  paquets  de  gerbes  s'enfonçant  sous  leur 
propre  poids  et  se  déposant  dans  le  Tibre,  les  suivants  arrêtés 
par  cette  barrière,  le  sable  s'accumulant  dans  les  interstices, 
toute  la  masse  peu  à  peu  se  consolidant  et  profitant  des  apports 
nouveaux  du  fleuve  ^  Il  n'y  a  rien  là  que  Tite-Live  n'ait  indi- 
qué déjà,  plus  discrètement. 

1.  Plut.,  l'opl.,  8  :  'I-lx  to-jtou  rà  [aÈv  yprijAaTa  twv  |5a(TtA£ti)v  ôiapTtiirat  toi; 
'I'aj[x.ato'.;  ëSjoxav,  tt,v  Ô£  olxtav  xaT£(r/.a']/av  xai  ttjv  ËTta'jXiv  '  to"j  6"Ap£i'o-j  Tr£5t'oy 
~o  f,5toTcv  éx£XTr)To  Tapxûvto;,  xal  toûto  Toi  Oeo)  xa6t£pti)(Tav.  "Etu)^£  SèxEÔEptijixévov 
apTt,  xai  x£i[ji£vwv  STt  tmv  SpayjxâTwv  o-jy.  ôiovro  5zXv  àSoâv  o'jSe  y_pf|iT6ai  Stà  Tf,v 
xaÔiépwiTtv,  àX).à  ayvôpa[jiôvT£;  Içopoyv  xà;  à|J.x>,Xaî  Et;  xôv  TTOxafxôv.  'Q;  S'a-jTw; 
xai  Ta  SÉvSpa  xôtttovte;  èv£(5a/,Àov  ,  àpybv  TravriTradt  tô  j^wptov  àviÉvTE;  T(i>  Ôew  xai 
àxapTîov.  'QOoyjJLÉviov  Se  TtoÀAwv  è7t'à).),r,>.ot;  xai  à6p6wv  u7nf,YaY£v  6  poû;  ov*  7to),'jv 

TÔTtOV,   aAX'oTtOV  Ta  TTpWTa    iTVVEVEyOévTa    xai    TTEptTtElÔVTa  TOÏ;  OTEpEOt;   OTTÉTTr,,   Toiv 


LA    LÉGENDE    DES    ORIGINES  19 

Deux  variantes  de  la  tradition.  —  Plutarque  a  le  mérite,  en 
tout  cas,  d'aimer  les  légendes  et  de  se  plaire  à  les  répandre  ;  à 
défaut  du  sens  critique,  qui  permet  de  discerner,  avec  plus  ou 
moins  d'audace  et  de  bonheur,  le  vrai  du  faux,  il  est  doué  d'une 
louable  curiosité  ;  il  s'efforce  d'être  bien  informé  et  de  ne  pas 
laisser  échapper  un  seul  détail  des  faits.  Nous  lui  devons  de 
savoir  qu'on  ne  racontait  pas  toujours,  dans  l'antiquité,  la  for- 
mation de  l'île  tibérine  comme  le  faisaient  Tite-Live  et  Denjs 
d'Halicarnassc  ;  une  autre  version  avait  cours  :  «  quelques-uns 
disent,  ï-noi  lïTopsiicjiv,  que  cela  n'eut  pas  lieu  quand  le  champ 
des  Tarquins  fut  consacré  à  Mars,  mais  plus  tard,  lorsque 
Tarquinia  donna  au  peuple  un  autre  champ,  voisin  du  précé- 
dent ;  cette  Tarquinia  était  une  des  vestales;  elle  acquit  ainsi 
de  grands  honneurs,  entre  autre  le  droit  de  témoigner  en  jus- 
tice, qui  ne  fut  pas  accordé  à  d'autres  femmes,  et  le  droit  de 
se  marier,  dont  elle  ne  profita  pas  ^.   » 

Un  passage  du  Chronographe  de  354  nous  fait  connaître  une 
seconde  variante  de  la  tradition.  D'après  Tite-Live,  Denjs,  Plu- 
tarque, l'île  tibérine  n'aurait  commencé  d'exister  qu'après  la 
chute  des  rois,  à  la  suite  soit  de  la  confiscation  de  leurs  biens, 
soit  du  don  fait  au  peuple  romain  par  Tarquinia.  D'après  le 
Chronographe  de  354 ,  Tarquin  le  Superbe  aurait  été  tué 
intei'  duos  pontes^  et  son  corps  exposé  au  cirque  Maxime 
sous  les  dauphins  ~  ;  l'île  existait  donc  dès  avant  245/509  :  ce 
n'est  pas  pendant  les  quelques  années  qui  séparèrent  la  chute 
de  Tarquin  de  sa  mort  qu'elle  eût  pu  se  former,  s'agrandir,  de- 
venir assez  considérable  pour  qu'on  jugeât  utile  delà  relier  par 
des  ponts  aux  deux  rives  du  fleuve.  Ce  nouveau  témoignage  sur 
l'histoire  primitive  de  V insida  tiberina  diffère  sensiblement  des 

ÈT:iycpojj.£vwv  otÉloSov  o-jxi/^ôvxwv,  à),).'  svKjyotxÉvwv  xal  7Tôpi7r),£xo(jL£va)v,  àXâfAoavev 
Yj  n•J\J.■!:r^%lz  \(7'/y^i  Y.y).  pt'^wirtv  a-j£avo[isvr)v  imo  Toy  pEUfxaro;.  'I)>yv  xe  y*P  èitriyavs 
xôX),r,(jtv,  al'  TE  TC/,r,Yal  (xâXov  o-jy.  âîroiouv,  à).Xà  (xaXaxw;  TttsÇo-jaat  a"jvr,Xauvov  se; 
Ta-JTO  TrâvTa  xal  ff'jvÉTïXaTtov.  'Ttcô  5è  [f.Z'^i^o-jç,  xac  ffrâo-îw;  STspov  aÙTO  [IÉy^Ôo; 
èxTÏTo  xal  jrcipav  àvaôeyotiévvjv  xà  TrAîïaxa  xdiv  ûttô  xo"j  Troxafioy  xaxacpepo!i.£Vfi)v. 
To'Jto  vjv  -^r^isâz  £(Txiv  Σpà  xaxà  x/jV  ttôXiv,  ï'fZi  6È  vaoùç  Ôsoiv  xal  TrEpiTra-ouî, 
xa),£ÏTat  8k  çmv?,  xr;  Aaxîvwv  MÉav;  Syotv  YEçupwv. 

1.  Plut.,  loc.  cit.  :  "Evtot  Se  xo-jxo  o-j[X7t£(T£Ïv  îoropoydtv  où^'oxi  Tapxuvtoy  xaOïe- 
p<i6ï|  xô  tteSiov,  à>,).àxpôvot;ûaT£pov  'i^Xo  yut^iov  ô(iopo"jv  ixEÎvw  Tapx-jvt'a;  àveiffr);. 
'H  6e  Tapxuvta  uapOévoç  r,v  tépeta,  [lia  xoiv  'EortiStov,  ïiyt  8k  xi(iàç  àvxl  xo'jxoy 
(j.EY*"'^'''?»  ^^  ^'^î  V  '^*"'  ^ô  (Aapxupiav  aùrfiÇ  tiytaBcn  \i6yr\z  ■x^^ot.l•/.û)•^  "  xb  6'àÇcïvat 
vajieïdôat  'LY)?KTa[X£va)v  où  7Tpo(T£6£Eaxo.   Kal  xa-jxa  (xkv  o'jxw  revÉffôac  [luÔoXoYOÛfft. 

2.  CiiRoxoGn.  ANN.  354,  publié  par  Mommsen  dans  les  Monum.  Germ.,  éd.  in-4°, 
Auct.  antiq.,  t.  IX,  1.  p.  143  :  (Tarquinius)  inter  duos  pontes  a  populo  romano 
fuste  mactatus  [est\  et  posilus  in  circo  maximo  sub  delfinos. 


20  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

précédents.  Les  paroles  du  Chronographe  de  354,  comme 
les  dernières  lignes  du  chapitre  de  Plutarque,  nous  montrent 
que  la  légende  qui  fait  naître  l'ile  des  moissons  de  Tarquin 
jetées  à  l'eau  n'était  pas  la  seule,  que  les  Romains  eussent 
imaginée. 

Que  signifient  et  que  valent  la  tradition  généralement  admise 
et  les  deux  variantes  moins  répandues  ? 

La  mort  de  Tarquin  le  Superbe.  —  L'une  des  deux  variantes 
doit  être  écartée  de  prime  abord  et  ne  renferme  certainement 
rien  d'exact.  Tarquin  le  Superbe  n'a  pu  périr  inter  duos  pontes. 
Le  Chronographe  de  354  est  seul  à  raconter  ainsi  la  mort 
du  dernier  roi;  on  ne  doit  point  s'arrêter  à  cette  assertion 
isolée,  tardive  et  suspecte  ^  D'après  toutes  les  autres  sources, 
Tarquin  le  Superbe  mourut  hors  de  Rome,  soit  à  Cumes,  soit 
à  Tusculum,  plusieurs  années  après  qu'on  l'eut  chassé^.  Sans 
doute  le  Chronographe  de  354  est  parfois  précieux  à  consul- 
ter; il  a  eu  à  sa  disposition  des  documents  officiels  et  anciens 
maintenant  perdus  ;  il  s'en  est  servi  pour  rédiger  ses  extraits, 
ses  résumés  chronologiques.  Mais  il  est  lui-môme  dépourvu  de 
critique  ;  sa  compilation  paraît  souvent  maladroite  et  inintel- 
ligente, les  erreurs  de  fait  y  abondent-'.  Il  a  dû  commettre  ici 
quelque  confusion.  Tout  ce  qu'il  faut  retenir  de  ce  texte,  c'est 
qu'on  y  trouve  le  nom  d'unlTarquin  associé  à  la  mention  de 
l'île  tibérine. 

La  vestale  Tarquinia.  —  C'est  encore  un  membre  de  la  famille 
des  Tarquins  que  la  seconde  variante  fait  intervenir.  Pline 
l'Ancien  et  Aulu-Gelle  nous  parlent,  comme  Plutarque,  d'une 
vestale  qui  combla  le  peuple  romain  de  bienfaits  après  la  révo- 
lution de  245/509,  et  des  honneurs  extraordinaires  qu'on  lui 
rendit  en  signe  de  reconnaissance  ^  ;  mais  il  y  a  entre  leurs 

1.  MoHMSEN,  op.  cit.,  p.  145,  en  note  :  llsec  de  obilu  Superhi  narrutio  alibi 
non  reperitur. 

2.  D'après  Cic.  {Tuscul.,  III,  12,  27)  et  Liv.  (II,  21)  Tarquin,  à  la  suite  de  la 
défaite  de  ses  partisans  au  lac  Régille  se  serait  retiré  à  Cumes  auprès  du  tyran 
Aristodème,  et  y  aurait  achevé  ses  jours.  Voir  aussi  Dionys.,  VI,  21.  — 
D'après  Eutkop.  (I,  11,  2)  et  Algustin.  {de  Civ.  Dei,  VIII,  15),  il  aurait  vécu 
encore  quatorze  ans  à  Tusculum. 

3.  Cf.  Mo.M.MSEX,  Ueber  den  Chronof/raphen  vom  Jnhre  354,  dans  les  Abfi.  d. 
sâchs.  Ges.  d.  Wiss,  l'hil.-Hist.  Classe,  Leipzig,  t.  1 1,  1850,  p.  517-068  ;  —  de  llossi, 
Inscr.  christ,  urbis  Romw,  Rome,  1861-18S8,  t.  I,  l'rolef/.,  p.  lvi. 

4.  Pli\.,  Jlist.  nal..  XXXIV,  6  (11)  :  Inveniliir  statua  décréta  et  Taraciae 
Gaiœ   sive  Fufetise  virç/ini    Vestali,  ut  ponerelur  ubi  vellet,  quod  adjectum 


LA    LÉGENDE    DES    ORIGINES  21 

récits  et  relui  de  Plutarque  quelques  différences.  La  prêtresse 
est  appelée  par  Plutarque  TapyJvia,  par  Pline  et  par  Aulu-Gelle 
Gaia  Taracia  ou  Fufetia;  du  moins,  ces  noms  divers  ne  s'ap- 
pliquent qu'à  un  seul  et  même  personnage,  apparenté  aux  rois 
Tarquins,  comme  le  prouve  la  racine  Tarq^  Tarac  ou  Tarrat. 
Pline  et  Aulu-Gelle  citent  les  sources  dont  ils  s'inspirent  ; 
quelques-uns  racontent,  Iv-oi  laTcpcytjiv,  disait  simplement  Plu- 
tarque ;  Pline  reproduit  les  termes  du  décret  rendu  en  faveur 
de  Tarquinia,  et  il  le  cite  d'après  les  anciennes  Annales,  ipsis 
ponam  Annalium  verhis ;  c'est  aussi  des  Annales  que  se  ré- 
clame Aulu-Gelle,  nomina  in  antiqiiis  Annalibus  celebria. 
D'après  Plutarque  le  champ  de  Tarquinia  aurait  été  situé  à  côté 
de  celui  des  Tarquins  ou  Champ  de  Mars,  aWo  '/wpicv  ôjjLopouv 
èxcivto  ;  d'après  Pline  il  s'appelait  campus  tiberinus ,  et  ce 
camjms  tiberinus^  auquel  le  fleuve  qui  le  longeait  donnait  son 
nom,  n'était  autre,  au  rapport  d' Aulu-Gelle ,  que  le  Champ 
de  Mars  lui-même,  campiim  tiberinum  sive  Martium.  Pline 
et  Aulu-Gelle  ne  disent  pas,  comme  Plutarque,  qu'on  attribuait 
quelquefois  la  formation  de  l'île  aux  gerbes  de  Tarquinia 
précipitées  dans  le  fleuve  ;  ils  n'avaient  pas  à  le  dire,  si  vrai- 
ment le  champ  de  la  vestale  ne  se  distinguait  point  de  celui 
des  Tarquins  ;  n'était-ce  pas  l'opinion  de  tous  à  Rome,  que 
l'île  devait  sa  naissance  aux  moissons  du  Champ  de  Mars  ? 
Les  mots  d'Aulu-Gelle ,  cmnpum  tiberinum  sive  Martium^ 
nous  donnent  la  clef  du  problème.  Les  terrains  du  bord  du 
Tibre,  qui  devinrent  plus  tard  le  Champ  de  Mars,  apparte- 
naient primitivement  à  la  famille  des  Tarquins.  On  crut  de 
bonne  heure  qu'il  y  avait  un  rapport  de  cause  à  effet  entre 
les  moissons  récoltées  en  cet  endroit  et  la  formation  de  l'île 
tibérine. 


non  minus  honoris  habet  quam  feminae  esse  decretam.  Meritum  ejus  ipsis 
ponam  Annalium  vei^bis  :  quod  camputn  tiberinum  gralijicata  esset  ea  populo. 
—  Gell.,  vit  (VI)  1  :  Accœ  Larenliae  et  Gaise  Taracise,  sive  illa  Fufetia  est, 
nomina  in  antiquis  Annalibus  celehria  sunt.  Earum  allerse  post  mortem,  Tara- 
cise autem  vivse  amplissimi  honores  a  populo  romane  habiti.  Et  Taraciam  qui- 
dem  virginem  festse  fuisse  lex  Horatia  teslis  est,  quae  super  ea  ad  populum 
lata.  Qua  lege  ei-plurimi  honores  fiunt,  inter  quos  jus  quoque  testimonii 
dicendi  Iribuitur;  testabilisque  una  omnium  feminarum  utsit  dalur.  Idverbum 
est  legis  ipsius  Moralise;  conlrarium  est  in  duodecim  labulis  scriptum  : 
«  Improbus  intestabilisque  esto  ».  Prœterea  si  quadraginta  annos  nota  sacer- 
dotio  abire  ac  nubere  voluisset,  jus  ei  potesiasque  exaugurandi  atque  nubendi 
facta  est  munificentise  et  benefîcii  gratia,  quod  campum  tiberinum  sive 
Martium  populo  condonasset. 


22  l/lI.E    TinÉRINE    DANS    l/ANTlQriTÉ 

Mais  pourquoi  les  récoltes  avaient-elles  été  jetées  dans  le 
fleuve  ? 

Deux  légendes  prétendirent  l'expliquer  ;  d'après  les  uns , 
le  peuple  avait  confisqué  les  biens  des  Tarquins;  d'après  les 
autres,  la  vestale  Tarquinia  avait  offert  bénévolement  son 
patrimoine.  M.  Pais,  l'auteur  d'une  récente  et  remarquable 
Histoire  de  Home  encore  inachevée,  conjecture  avec  quelque 
vraisemblance  que  la  légende  du  champ  de  Tarquinia  est  anté- 
rieure à  celle  du  champ  dos  Tarquins  :  le  fait  que  Pline  et 
Aulu-Gelle  citent  les  Annales  lui  parait  caractéristique  ; 
l'omission  du  nom  même  de  Tarquinia  dans  les  ouvrages  de 
Tite-Live  et  de  Denys  d'Halicarnasse  prouverait  simplement 
que  la  version  la  plus  récente  l'emporta  finalement,  comme  il 
est  presque  de  règle  en  pareille  occurrence'.  Les  deux 
légendes,  en  tout  cas,  ne  sont  que  deux  interprétations  diffé- 
rentes d'une  seule  donnée  plus  ancienne.  Il  n'y  a  là  qu'un  de 
ces  phénomènes  de  répétition,  de  redoublement,  si  fréquents 
dans  l'histoire  des  origines  romaines  2. 

Les  moissons  du  Champ  de  Mars.  —  Reste  à  examiner  cette 
donnée  plus  ancienne  elle-même.  Que  faut-il  entendre  par  le 
rapport  de  cause  à  effet  qu'on  a  imaginé  de  bonne  heure  entre 
les  moissons  du  Champ  de  Mars  et  la  création  de  l'île?  Est-il 
possible,  est-il  vrai  que  l'ile  tibérine  soit  née  de  ces  monceaux 
de  chaume  et  d'épis  entassés  au  fond  de  l'eau? 

Objections  d'Ampère.  —  Ampère  a  jugé  qu'il  ne  pouvait  se 
dispenser  de  soumettre  la  fable  à  un  examen  sévère  ;  il  donne 
par  principe  trois  raisons  pour  en  démontrer  la  fausseté  : 
d'abord  l'île  est  trop  grande,  elle  ne  peut  devoir  sa  formation 
au  hasard  et  à  des  gerbes  de  blé  ;  d'autre  part,  la  profondeur 
du  fleuve  et  la  force  du  courant  ne  permettent  pas  de  croire 
que  les  moissons  du  Champ  de  Mars  se  soient  déposées  au 
fond  du  Tibre,  qu'elles  aient  comblé  son  lit  et  brisé  l'effort  des 
eaux  ;  enfin  il  y  avait  dans  l'île  un  temple  consacré  au  dieu 
latin  Faunus,  et  une  statue  dédiée  au  dieu  sabin  Sancus  : 
c'est  la  preuve  que  dès  l'époque  des  Latins  primitifs  et  des 


1.  Pais,  Storia  di  Homa,  t.  I,  1,  p.  412. 

2.  Cf.  Pais,  op.  cit.,  p.  115-H6. 


LA    LÉGENDE    DES    ORIGINES  23 

Sabiiis,  antérieurement  aux  règnes  des  Tarquins,  l'île  était 
occupée  et  habitée  ^ 

De  ces  trois  arguments,  deux  ne  sont  nullement  probants.  On 
sait  quand  a  été  fondé  le  temple  de  Faunus  ;  ce  fut  en  558/196, 
bien  longtemps  après  la  disparition  des  Latins  primitifs  ;  la  statue 
de  Sancus  date  de  l'époque  impériale,  ainsi  que  le  prouve  l'ins- 
cription qui  l'accompagnait  ~.  En  second  lieu,  le  régime  du  Tibre 
est  tout  autre  que  ne  l'imagine  Ampère  :  sans  doute  en  hiver  le 
fleuve  apparaît  impétueux  et  torrentiel  ;  mais  en  été  le  niveau 
baisse  considérablement,  et  le  courant  est  très  faible  :  or  l'île 
aurait  pris  naissance  l'été.  Des  îlots  pourraient  très  bien  se  for- 
mer, en  cette  saison,  au  moment  des  fortes  chaleurs  et  des 
basses  eaux. 

La  seule  des  objections  d'Ampère  qui  soit  fondée  est  la  pre- 
mière, que  suggère  le  simple  bon  sens  :  l'île  tibérine  n'est 
pas  im  îlot  ;  elle  mesure  encore  270  mètres  sur  70  ;  elle  était 
plus  grande  dans  l'antiquité.  Il  y  a  disproportion  évidente  entre 
la  cause  qui  l'aurait  produite  et  l'effet  obtenu.  Les  récits  de 
Tite-Live,  de  Denys  d'Halicarnasse,  de  Plutarque  nous  laissent 
donc  froids,  et  nous  partageons  l'incrédulité  d'Ampère  et  le 
sce})tieisme  du  président  de  Brosses. 

Mais  cette  constatation  toute  négative  ne  saurait  suffire  ;  ce 
n'est  pas  assez  de  déclarer  la  légende  invraisemblable,  il  faut 
montrer  comment  elle  a  pu  cependant  se  développer  et  être 
acceptée  comme  vraie  par  les  Anciens. 

Interprétation  géologique.  —  Plusieurs  archéologues  des  siècles 
derniers  l'avaient  essayé  ;  sans  prétendre  établir  que  la  légende 
fût  une  pure  expression,  à  peine  enjolivée,  de  la  réalité  même, 
Minutoli  ^  et  Nardini  ^  se  sont  efforcés  de  l'interpréter  raison- 
nablement ;  quelques-unes  de  leurs  observations  méritent  d'être 
reprises  et  complétées.  Il  est  certain  que  la  fable  traditionnelle 
n'est  pas  tout  à  fait  dépourvue  de  sens,  qu'elle  tient  compte 
de  certains  faits  exacts  et  renferme  même  des  détails  très 
plausibles.  On  comprend  sans  peine  que  les  Romains  aient  jeté 
dans  le  Tibre  le  blé  récolté  sur  le  champ  des  Tarquins,  ou,  si 

1.  J.-J.  Ampère,  VHisloire  romaine  à  /îome,  Paris,  1863-1872,  t.  II,  p.  264. 

2.  Cf.  ci-dessous,  p.  288  et  p.  292. 

3.  Minutoli,  de  Urbis  Romae  toporj raphia,  Rome,  1689,  seetio  IV,  réédité  dans 
le  \ovus  Thesaiir.  Antiquit.  roman,  de  Sallengre,  t.  I,  p.  66. 

4.  Nakdini,  Roma  vêtus,  Rome,  1666,  VI,  12,  réédité  dans  le  Thesaur.  Anti- 
quit. roman,  de  Gr.«vivs,  t.  IV,  p.  1415. 


24  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

l'on  préfère  l'autre  version,  sur  le  champ  de  Tarquinia  ;  rien 
n'était  plus  conforme  à  leurs  croyances  et  à  leurs  haljitudes  : 
ils  avaient  consacré  à  Mars  le  terrain  enlevé  aux  rois,  ou  donné 
par  la  vestale  ;  on  se   serait  souille  en  portant  la  main  sur  la 
récolte  pour  l'employer  à  quelque  usage  public  ou  privé.  La 
masse  des  chaumes  et  des  blés  jetés  au  lleuve  a  pu  s'arrêter, 
comme  on  le  dit,  à  la  hauteur  de  l'Ile  tibérine.  Le  lit  du  Tibre 
est  très  accidenté  et  son  niveau  très  variable  selon  les  saisons  ; 
il  y  a  encore  maintenant,  de  distance  en  distance,  de  largos 
bandes  de  sable  qui  apparaissent  seulement  dans  l'été;  on  les 
nomme   les    îlots  aveugles,    insuLv  cœcée  ^ .  A  l'origine,  l'ile 
tibérine  n'aurait  été  qu'une  inmila  cœca,  un  peu  plus  considé- 
rable que  les  autres_,  composée  comme  elles  de  dépôts  sablon- 
neux  et  d'alluvions  ;   les    moissons    du  Champ  de  Mars  sont 
venues  s'y  échouer  ;  le  courant  n'eut  plus  la  force  de  surmon- 
ter ou  d'entraîner  l'obstacle  sans  cesse  accru.  De  même  que 
de   nos  jours,  depuis  les  travaux  de   systématisation,   nous 
voyons  à  cet  endroit  le  bras  gauche  du  Tibre  se  combler  peu 
à  peu,  de  même  l'île  aura  pu  progressivement  se   former  et 
s'agrandir.  La  légende  associe  le  nom  des  Tarquins  à  ce  phé- 
nomène, après  tout  assez  naturel  et  normal  ;  la  rencontra  n'est 
pas  fortuite.  On  attribue  aux  Tarquins  d'importants  travaux 
publics  ;  en  avant  du  débouché  de  la  Cloaca  Maxiina  ils  avaient 
fait   bâtir  sur  le  fleuve  et  dans  le  fleuve  des  murs  épais;  ces 
constructions  auront  pu  influer  sur  la  force  et  la  direction  du 
courant,  et  provoquer  en  amont,  à  la  place   précisément  de 
l'île,  le  dépôt  de  toutes  les  matières  charriées  par  le  Tibre  -'. 
La  narration  de  Tite-Live  n'est   pas    aussi  absurde   qu'il   le 
paraîtrait  d'abord.  Les  Romains  disaient  que  Vinsula  tiberina 
tirait  son  origine  des  moissons  des  Tarquins  précipitées  dans  le 
fleuve  ;  cela  signifie,  en  langage  scientifique  :  l'île  tibérine  doit 
son  origine  à  des  alluvions  fluviales  d'époque  récente -^ 

Appréciation.  —  Est-ce  à  dire  cependant  que  cette  interpré- 
tation complaisante  puisse  entièrement  nous  satisfaire  ?  Si  les 
apports  du  Tibre  ont  contribué  certainement  à  accroître  l'île 

1.  MiNCTOLi,  loc.  cil. 

2.  Nakdim,  loc.  cil. 

3.  E.  Bbaun,  die  Rninen  und  Museen  Roms,  Brunswick,  18'ji,  p.  4.'>  :  I  île 
est  une  île  d'alluvions;  c'est  avec  raison  que  les  Anciens  la  prétendaient 
formée  par  les  bottes  de  paille  et  les  sables  qu'entraînait  le  courant  du 
fleuve. 


LA    LÉGENDE    DES    ORIGINES  25 

—  à  vrai  dire,  ils  n'ont  pas  encore  cessé  d'en  modifier  l'aspect  — 
serait-il  sage  cependant  d'expliquer  par  eux  sa  première  for- 
mation même  et  les  traditions  qui  s'y  rattachent?  Des  faits 
d'ordre  géologique  ne  suffisent  pas  à  rendre  compte  des 
légendes.  L'imagination  populaire  est  moins  vivement  frappée 
de  ces  lentes  modifications  physiques  que  des  événements 
politiques  et  sociaux,  et  moins  portée  à  les  transfigurer.  Une 
autre  île  du  Tibre,  l'île  sacrée  d'Ostie,  est  incontestablement 
d'origine  alluviale,  issue  tout  entière  des  atterrissements  du 
fleuve^;  sa  naissance  et  ses  progrès  n'avaient  provoqué  dans 
l'antiquité  l'éclosion  d'aucune  légende. 

D'ailleurs,  il  ne  paraît  pas  qu'au  point  de  vue  géologique 
même  l'île  tibérine  romaine  soit  constituée  exclusivement, 
comme  l'île  d'Ostie,  par  des  dépôts  fluviaux  quaternaires.  Les 
observations  faites  sur  place,  ces  dernières  années,  par  les  in- 
génieurs chargés  de  réparer  le  pont  San  Bartolomeo  et  les 
quais  voisins  ont  confirmé  les  hypothèses  émises  antérieure- 
ment par  les  géologues 2.  Sous  l'épaisse  couche  de  sables  et  de 
limon,  de  tourbe  et  de  graviers,  que  le  travail  séculaire  du 
fleuve  a  entassée  sans  trêve,  apparaissent  des  lambeaux  de  tuf 
volcanique.  Les  étages  inférieurs  de  l'île  appartiennent,  par  la 
nature  de  leurs  roches,  et  sans  doute  aussi  par  la  direction  de 
leurs  lignes  principales,  au  même  système  que  le  Capitole,  le 
Quirinal,  toutes  les   collines  de  la  rive  gauche.  L'île  n'est  en 


1.  Erx.  Des-iardins,  E.isai  sur  la  topographie  du  Latium,  Paris,  1854,  p.  57  : 
«  Le  Tibre  n'avait  primitivement  qu'une  seule  embouchure...  L'île  sacrée,  telle 
qu'elle  existe  aujourd'hui,  et  dont  l'étendue  est  de  près  de  quatre  milles  de 
long  sur  deux  milles  de  large,  serait  l'œuvre  continue  de  vingt-quatre  siècles.  » 

—  Sur  l'île  du  Tibre  à  Ostie,  consulter  :  Nibby,  Analisi  délia  carta  del  dln- 
torni  di  Roma,  Rome,  1837,  t.  II,  p.  656;  —  Preller,  Rom  und  der  Tiber, 
dans  les  Ber.  d.  sûehs.  Ges.  d.  Wiss.,  Leipzig,  1849,  p.  21.  —  Les  premiers  auteurs 
qui  la  mentionnent  sont  /Ethicus  (dans  l'édition  de  Pomponius  Mêla 
par  Gronovius,  p.  716  ;  il  l'appelle  île  de  Vénus  :  Ut  prae  nimielate  sui 
odoris  et  floris  insula  ipsa  J^ihanus  aimas  Veneris  nuncupetur),  et  Phocop. 
(de  Bell.  Got/i.,  I,  26  :  ~t)v  îcpàv  xaXoyixévvjv  vfiTov  èvtaCôa  tcoïci).  Elle  est  beau- 
coup plus  récente  que  l'île  tibérine  romaine.  Elle  ne  devint  sans  doute  une 
île  véritable  que  sous  le  règne  de  Trajan,  quand  fut  ouvert  le  canal  entre 
Porto  et  Ostie  qui  forme  le  Ijras  droit  du  Tibre,  ou  Fiumicino. 

2.  Renseignement  communiqué  par  l'Office  du  génie  civil  à  Rome.  —  Voir 
les  études  déjà  anciennes  de  Brocchi,  dello  Slalo  fisico  del  suolo  di  Roma, 
Rome,  1820  ;  —  Ponzi,  Constituzione  geologica  del  suolo  l'omano,  Rome,  1878; 

—  Betocchi,  del  Fiume  Tevere,  dans  la  Monogr.  délia  cilla  di  Roma,  Rome, 
1878,  p  197.  —  RoNNA,  les  Egouts  de  Rome,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  d'encour. 
pour  Vind.  nation.,  1897,  p.  3  du  tirage  à  part,  résume  à  grands  traits,  d'après 
ces  travaux,  la  géologie  du  sol  romain. 


2r>  l'ilk  tihéiune  dans  l'antiquité 

quelque  sorte  que  leur  prolongement  atténué  à  l'ouest.  On  a  tout 
lieu  de  croire,  par  conséquent,  qu'elle  date  de  l'époque  où  le  lit  du 
lleuve  s'est  régularisé  '.  Quand  le  Tibre  a  tracé  définitivement  son 
cours,  il  s'est  heurté  à  cette  colline  de  tuf  qui  ressemblait  au 
Capitole,  en  plus  petites  proportions,  et  le  continuait;  devant 
la  résistance  qu'elle  lui  offrait,  ses  eaux  se  sont  divisées  en 
deux  canaux  ;  plus  tard  les  sables  et  les  limons  que  roulait  le 
fleuve  sont  venus  se  déposer  sur  les  blocs  de  tuf  qu'il  n'avait 
pu  niveler.  Toute  l'histoire  géologique  de  l'ile  s'explique  par 
l'action  simultanée  de  ces  forces  adverses  :  l'effort  destructeur 
du  courant,  l'effort  constructeur  des  alluvions,  travaillant  l'une 
et  l'autre  sur  le  noyau  primitif  de  tuf  volcanique.  On  ne  peut, 
avec  Minutoli  et  Nardini,  interpréter  la  légende  des  moissons 
du  Champ  de  Mars  à  l'aide  do  la  seule  géologie  ;  à  supposer 
même,  par  improbable,  que  les  premiers  auteurs  de  la  fable 
traditionnelle  y  aient  attaché  un  sens  si  précis  et  pour  ainsi  dire 
si  technique,  elle  traduirait  bien  mal  la  réalité  des  faits  et 
laisserait  échapper  l'élément  le  plus  ancien  et  le  plus  impor- 
tant de  l'histoire  vraie. 

Interprétation  mythologique. —  M.  Pais  a  proposé  récemment 
une  autre  explication  du  récit  légendaire.  A  l'interprétation 
géologique,  incomplète  et  trop  savante,  il  substitue  une  inter- 
prétation mythologique.  Dans  l'étude  critique  des  vieilles  tra- 
ditions on  doit  faire  une  grande  place  aux  croyances  et  aux 
cultes  des^temps  anciens,  que  les  hommes  des  âges  ultérieurs 
ont  pieusement  recueillis  sans  les  bien  comprendre  et  en  les 
transformant  inconsciemment.  Les  différentes  légendes  que 
nous  ont  transmises  Tite-Live  et  Denys  d'Halicarnasse,  Plu- 
tarque  et  le  Chronographe  de  354,  font  toutes  remonter  au 
temps  de  la  chute  des  rois  la  première  apparition  de  l'ile  dans 
l'histoire.  Qu'il  s'agisse  de  la  confiscation  du  Champ  do  Mars, 
ou  du  cadeau  fait  par  la  vestale  Tarquinia  au  peuple  romain,  ou 
de  la  mort  de  Tarquin  le  Superbe  entre  les  deux  ponts,  c'est 
toujours  des  Tarquins  qu'il  est  question.  Que  représentent-ils? 

Niebuhr  et  l'école  allemande  avaient  raison  :  les  sept  rois  de 
Rome  n'ont  jamais  existé.  Mais  si  les  exploits  qu'on  leur 
attribue  et  tous  les  détails  de  leur  gouvernement  sont  l'inven- 


1.  Voiries  remarques  de  Jordan,  Topogr.  d.  St.  i?om,  Berlin.  18~1-1885,  t.  1, 
1,  p.  394  et  p.  403. 


LA    LÉGENDE    DES    ORIGINES  27 

tion  des  annalistes  et  des  historiens  romains  ou  grecs,  une 
parcelle  de  vérité  se  cache  cependant  sous  cette  végétation 
parasite  de  légendes.  M.  Pais  affirme  et  démontre  que  l'his- 
toire traditionnelle  des  rois  n'est  en  quelque  sorte  que  la  trans- 
position et  le  commentaire  des  croyances  les  plus  anciennes 
du  peuple  romain.  Chaque  roi  représente  un  type  divin  de 
l'époque  primitive,  dont  le  culte  était  localisé  à  l'origine  en 
un  point  particulier  du  sol  de  Rome  ou  de  ses  alentours. 
Romulus,  c'est  la  divinité  éponyme  de  Ro?na,\ai  cité  du  Rumon 
ou  du  fleuve,  la  ville  fondée  au  bord  du  Tibre.  Numa,  l'organi- 
sateur du  culte  de  Vesta,  déesse  du  feu,  et  de  toute  la  reli- 
gion, tire  son  nom  du  fleuve  Numicius  ;  c'est  une  divinité  des 
eaux;  l'eau  et  le  feu,  qui  purifient  les  corps,  sont  le  symbole 
de  la  religion,  qui  purifie  les  âmes.  Une  donnée  religieuse  et 
une  donnée  topographique,  le  souvenir  d'un  dieu  attaché  au 
nom  d'un  lieu,  voilà  ce  qu'on  trouve,  en  dernière  analyse,  ou 
fond  de  chacune  de  ces  fables  i. 

Tarquin  est  la  divinité  éponyme  du  Capitole.  Le  Capitole 
s'appelait  d'abord  nions  Tarpeins.  Tarpeius  et  Tarquinius  ne 
sont  que  deux  formes  à  peine  différentes  du  même  mot  ;  nous 
avons  de  nombreux  exemples  de  la  permutation  du  q  en  p  dans 
les  dialectes  itahques  ;  en  ombrien  qiiis  se  disait  j-jzs.  On  adorait 
au  sommet  du  Capitole,  avant  l'introduction  des  trois  grands 
dieux  Jupiter,  Junon,  Minerve,  le  couple  divin  de  Tarpeius  ou 
Tarquinius  et  de  Tarpeia  ou  Tarquinia.  Tarquinius  était  un  dieu 
du  feu,  souterrain  et  malfaisant,  proche  parent  de  Vulcain, 
de  Pluton,  du  Jupiter  infernal;  sous  le  nom  de  Summanus,  son 
culte  se  perpétua  au  Capitole  jusqu'à  la  fin  de  la  République. 
Tarquinia  était  une  déesse  du  feu,  analogue  à  Vesta,  favorable 
aux  hommes  et  bienfaisante.  Au  pied  du  Capitole  s'étendait  la 
grande  plaine  que  bordait  le  Tibre  et  qui  devint  plus  tard  le 
Champ  de  Mars.  L'île  tibérine  est  située  à  l'extrémité  de  cette 
plaine,  en  face  du  Capitole.  On  racontait  que  le  Champ  de 
Mars  avait  appartenu  aux  Tarqiiins,  et  que  l'Ile  était  née  des 
moissons  de  leur  domaine  jetées  à  l'eau.  Cela  voulait  dire  sim- 
plement qu'à  l'origine  la  plaine  et  l'île  étaient  consacrées, elles 
aussi,  au  couple  divin  de  Tarquinius  et  de  Tarquinia.  On  com- 
prend d'ailleurs  sans  peine  cette  subordination  des  lieux  bas  à 
la  colhne  qui  les  domine.  Si  les  Anciens  ont  prétendu  tantôt 

1.  Pais,  op.  cit.,  t.  I,  1,  231-409. 


28  l'iLE   TIRÉRINE    DANS   l'aNTIQUITÉ 

que  le  Champ  de  Mars  avait  été  enlevé  à  Tarquin  le  Superbe, 
et  tantôt  que  la  vestale  Tarquinia  l'avait  offert  au  peuple,  c'est 
que  les  divinités  protectrices  du  Capitole  étaient  au  nombre  do 
deux,  l'une  bonne,  Tarquinia  —  et  son  caractère  de  déesse  du 
feu  la  fit  transformer  plus  tard  en  vestale  ;  l'autre  mauvaise, 
Tarquinius  —  et  son  caractère  odieux  et  méchant  justifie  le 
surnom  de  Snper/niii  qu'on  lui  décerna.  Ainsi  la  môme  idée  fon- 
damentale a  pu  revêtir  ces  deux  formes  légendaires  distinctes, 
mais  voisines  ^ 

Appréciation.  —  L'interprétation  mythologique  dos  failles 
relatives  aux  origines  de  l'île  tibérine  ne  soulève  pas  les 
mêmes  difficultés  que  l'interprétation  géologique  ;  elle  nous 
rapproche  davantage  de  la  solution  véritable.  Il  est  certain  que 
les  légendes  des  Romains,  comme  de  tous  les  peuples,  sont 
nées  des  déformations  spontanées  de  leurs  vieilles  croyances, 
plutôt  que  de  l'observation  des  phénomènes  naturels,  qui 
demande  beaucoup  de  temps,  d'expérience  et  de  sagacité.  Les 
Anciens  attachaient  à  certains  endroits  le  culte  de  certaines 
divinités  ;  chaque  point  de  la  ville  de  Rome,  par  exemple,  évo- 
quait le  souvenir  d'un  personnage  mythologique.  Le  couple  divin 
de  Tarquinius  et  de  Tarquinia  fut  certainement  adoré  au  som- 
met de  la  colline  tarpéienne,  avant  d'être  détrôné  par  la  triade 
capitoline.  Du  haut  du  Capitole  le  culte  de  ces  deux  divinités 
aura  rayonné  sur  la  plaine  et  l'île  situées  à  son  pied.  Si  l'on 
admet  le  système  séduisant  et  les  ingénieuses  déductions  de 
M.  Pais,  on  ne  s'étonne  plus  que  les  Romains  aient  associé 
inséparablement  le  nom  des  Tarquins  au  Champ  de  Mars  et  à 
l'île  tibérine. 

L'interprétation  mythologique  est  loin,  d'ailleurs,  d'exclure 
absolument  l'interprétation  géologique;  elle  se  concilie  avec  ce 
qu'il  y  a  en  celle-ci  de  juste  et  de  sensé.  Les  remarques  de  Mi- 
nutoli  et  de  Nardini  conservent  en  grande  partie  leur  valeur. 
Les  alluvions  du  Tibre  ont  joué  un  rôle  considérable,  non  pas  sans 
doute  dans  la  formation  première  de  l'île,  mais  dans  ses  trans- 
formations et  accroissement  ultérieurs.  Les  Romains  n'auront 
pas  manqué  d'en  faire  de  bonne  heure  la  remarque.  Si  l'id^'o 
que  l'île  devait  sa  naissance  aux  moissons  du  Champ  do  Mars 


1.  Pais,  op.  cit.,  t.  I,  1,  p.  273,  369-374,  412,  466;  1. 1,  2,  p.  745. 


LA    LEGENDE    DES    ORIGINES  29 

fut  suggérée  par  le  culte  de  Tarquinius  et  de  Tarquinia  au  Capi- 
tule et  dans  les  environs,  l'observation  quotidienne  des  chan- 
gements qui  survenaient  incessamment  dans  sa  forme  et  son 
aspect  dut  contribuer  pour  beaucoup  à  faire  admettre  et  à 
perpétuer  la  tradition.  C'est  par  la  mythologie  qu'il  faut 
expliquer,  avec  M.  Pais,  le  rapport  établi  très  anciennement 
entre  les  Tarquins,  le  Champ  de  Mars  et  l'Ile  tibérine.  C'est 
par  la  géologie,  ou  plus  simplement  par  les  réflexions  que 
provoquait  le  spectacle  même  du  fleuve,  qu'il  faut  expliquer, 
sinon  la  forme  particulière  et  très  précise  qu'a  prise  la 
légende,  tout  au  moins  le  crédit  qu'elle  a  rencontré  si  long- 
temps auprès  des  Anciens. 

Signification  historique.  —  Mais  ces  traditions  merveilleuses 
sont  si  complexes  qu'on  ne  saurait  se  flatter  encore  d'avoir 
analysé  celle-ci  en  tous  ses  éléments  ni  d'avoir  énuméré  toutes 
les  circonstances  qui  ont  aidé  à  la  faire  naître  et  à  la  répandre. 
Un  dernier  fait  —  et  peut-être  le  plus  important  —  doit  être  mis  en 
lumière  ;  si  nous  le  négHgions,  le  sens  véritable  de  la  légende 
nous  échapperait.  Des  considérations  mythologiques  et  des 
observations  géologiques  ne  suffisent  pas  à  tout  élucider.  Une- 
remarque  proprement  historique  s'impose.  Les  textes  qui  con- 
cernent les  origines  de  l'ile  tibérine  et  sa  première  apparition 
dans  l'histoire  nomment  tous  à  ce  propos,  on  l'a  vu,  les  Tar- 
quins, et  se  réfèrent  à  des  événements  survenus  depuis  leur 
chute.  Sous  le  règne  d'aucun  des  sept  rois  l'île  n'est  mention- 
née. N'en  pourrait-on  plus  conclure  qu'elle  était  extérieure  à  la 
première  cité  romaine  et  qu'elle  dut  rester  longtemps  sans 
relation  avec  elle^? 

Cette  hypothèse,  que  suscite  l'examen  des  documents  inté- 
ressant l'île  tibérine,  est  confirmée  par  l'étude  de  Rome  même 
et  de  son  développement  progressif.  A  la  fin  de  la  période 
royale  la  ville  s'étendait  jusqu'au  mur  d'enceinte  appelé,  à  tort 
ou  à  raison,  mur  de  Servius.  On  connaît  assez  bien  l'empla- 
cement de  ce  mur  et  son  tracé  ~.  Il  s'arrêtait  au  Tibre  devant 
le  Capitole,  au-dessous  de  l'île  et  en   face  de  sa  pointe  méri- 

1.  0.  RicHTER,  Topogr.  d.  SI.  Rom^  2"  éd.,  p.  282  :  Wie  so  gan:  ansserhalh 
des  Gesic/itski'eises  dev  Stadt  die  Insel  la  g,  spiegelt  sich  in  der  eigentilmlichen 
Sage  ivieder  dass  sie  erst  nach  Verfreibung  der  Taïqtdnier...  enlstanden  sei. 

2.  Les  textes  anciens  et  les  travaux  modernes  relatifs  au  mur  de  Servius 
sont  indiqués  ou  résumés  dans  :  Kiepekt-Huelsen,  Nomencl.  topogr..,  Berlin, 


30  l/ll,l-:    TllîiatliNE    DANS    I.AMiyi  ITÉ 

dionale.  L'ilo  tibériiie  restait  donc  en  dehors  des  fortifications, 
limite  militaire  de  la  cit€\  Elle  était,  à  plus  forte  raison,  en 
dehors  du  pontcriuni,  qui  en  marquait  hi  Ijniite  religieuse.  La 
répartition  des  sanctuaires  des  Argées  nous  renseigne  sur 
rétendue  des  quatre  régions  entre  lesquelles  ce  même  Servius 
TuUius,  d'après  la  tradition,  aurait  divisé  le  territoire  intra- 
pomérial  ;  elles  n'occupaient  pas  tout  l'espace  qu'embrassait  en 
son  pourtour  le  mur  d'enceinte  ;  pour  construire  celui-ci  on 
•avait  utilisé  les  accidents  naturels  du  sol  les  ])lus  favorables 
à  la  défense,  et  l'on  avait  été  amené  par  cela  même  à  le 
reculer  quelquefois  un  peu  loin^  L'île,  comme  le  Champ  de 
Mars  sur  la  rive  gauche  du  Tibre  et  le  Janicule  sur  la  rive 
droite,  était  extérieure  à  la  cité  primitive.  On  comprend  que 
Varron  ait  pu  dire  en  propres  termes  :  le  Tibre  contourne 
le  Champ  de  ]Mars  et  la  ville  ~  ;  Denys  d'Halicarnasse  :  il 
coule  devant  Ronie*^;  et  P'estus  :  il  forme  la  limite  du  terri- 
toire vraiment  romain  '*.  Au-delà  du  Tibre  commençait  le  sol 
étranger;  à  l'origine  l'ile  tibérine,  qui  n'était  comprise  ni  à 
l'intérieur  de  la  ligne  sacrée  du  pomerium,  ni  même  à  l'inté- 
rieur de  la  ligne  plus  étendue  des  fortifications  militaires, 
était  étrangère  à  Rome. 

Elle  ne  fut  associée  enfin  à  la  vie  commune  de  la  cité  et  ne 
rentra  dans  sa  sphère  d'action  et  d'influence  qu'au  moment  où 
l'enceinte  de  Servius,  devenue  insuffisante  et  trop  étroite,  fut 
fut  partout  dépassée.  L'agrandissement  de  leur  ville  obligea 
les  Romains  à  entrer  en  rapports  réguliers  et  constants  avec 
la  rive  opposée  du  Tibre.  L'ile,  située  au  milieu  du  fleuve,  à 
mi-chemin  des  deux  bords,  en  profita.  Son  annexion  morale  à 
Rome  n'eut  lieu  probablement  qu'aux  premiers  temps  de  l'ère 
républicaine,  après  l'expulsion  des  rois.  La  légende  qui  la 
fait  naître  à  cette  époque  et  qui  lui  donne  précisément  pour 
origine  les  moissons  des  Tarquins  répond  donc  à  une  réalité 
historique.  11  n'est  pas  prouvé  qu'elle  n'ait  commencé  d'exister 


1896,  p.  2;  —  II.  Lanciaxi,  Ihe  Rulnsand  excavations  of  ancienl  Rome,  Londres, 

1897,  p.  61-68;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.,  Paris,  1900,  p.  333-363. 

1.  Homo,  lac.  cil.,  p.  3.j4. 

2.  Varko,  de  Linr/.  lat.,  V,  28  :  Amnis  id  /lumen  quod  circuit  aliquid,  nom  ab 
ambitu  amnis...  ilnque  Tiberis  amnis,  quod  ambit  Campum  Martium  et  Urbem. 

3.  DiONYS.,  m,  43  :Ka't  7rap'aJ-rr,v  8k  tv'  '1*oi(itjV  psôvTo;. 

4.  Festi's,  p.    213,   s.    v°   Pecluscum  :  Cum   Etruscorum  agrum  a  rotnano 
Tiberis  disetuderet. 


LA    LÉGENDE    DES    OHIGINES  31 

qu'en  245/5U9,  bien  au  contraire;  mais  il  est  sûr  que  jusqu'à 
cette  époque  elle  était  pour  Rome  comme  si  elle  n'existait  pas. 

Conclusion.  —  Telle  est  la  signitîcation  profonde  du  récit 
légendaire.  A  l'interprétation  géologique,  qui  n'est  pas  entière- 
ment vaine,  si  l'on  sait  bien  l'entendre  et  la  compléter,  à  l'in- 
terprétation mythologique,  déjà  plus  féconde  et  plus  vraie,  il 
convient  d'en  joindre  une  troisième,  proprement  historique, 
qui  s'ajoute  à  elles  sans  les  proscrire,  et  les  justifie  même  en 
les  dépassant.  Bien  des  motifs  ont  concouru  à  faire  imaginer  et 
adopter  les  fables  que  rapportent  Tite-Live  et  Denjs  d'Halicar- 
nasse,  Plutarque  et  le  Chronographe  de  35 i.  Le  plus  fort  assu- 
rément est  ce  motif  de  convenance  historique,  cette  correspon- 
dance à  la  réalité  des  faits  accomplis.  Nous  atteignons  ici  l'âme 
de  vérité  que  renferme  en  soi  toute  légende,  si  étrange  qu'elle 
semble  d'abord.  L'île  n'apparaissant  mêlée  à  la  vie  de  Rome 
qu'après  245/509,  on  supposa  qu'elle  s'était  formée  cette  année 
même.  A  cette  première  hypothèse  les  cerveaux  populaires  ont 
peu  à  peu  ajouté.  On  rattacha  à  l'île  et  au  Champ  de  Mars, 
comme  au  Capitole,  le  souvenir  mythique  du  roi  Tarquinius, 
dont  la  chute  coïncidait  avec  l'extension  de  la  ville  jusqu'à  ces 
territoires  nouveaux.  Enfin  l'invention  des  moissons  jetées  dans 
le  fleuve  et  arrêtées  par  les  bas-fonds,  que  justifiaient  les  chan- 
gements survenus  dans  la  géologie  superficielle  de  l'île,  satis- 
fit les  plus  curieux  et  précisa  les  moindres  détails.  Dès  lors  le 
travail  d'élaboration  était  achevé.  La  légende,  lentement  cons- 
tituée etaccrue,  n'attendait  plus  qu'un  Tite-Live  pour  la  raconter, 
un  Denys  d'Halicarnasse  pour  la  répéter  de  confiance,  un  Plu- 
tarque pour  y  croire  sans  réserves.  Mais  l'aveu  échappé  à  Plu- 
tarque même  et  les  quelques  mots  du  Chronographe  de  354 
nous  aident  à  deviner  par  quelles  vicissitudes  elle  avait  passé 
avant  que  les  historiens  anciens  lui  eussent  donné  sa  forme 
définitive. 


CHAPITRE  II 
LE  VAISSEAU   D'ESGULAPE 


L'arrivée  du  serpent  d'Esculape.  —  L'histoire  primitive  des 
divers  quartiers  de  la  Rome  ancienne  est  obscure  et  incertaine. 
Au  temps  mythique  des  rois  et  aux  débuts  même  de  Tépoquo 
républicaine  chaque  point  du  sol  de  la  cité  aurait  été,  d'après 
la  tradition  fidèlement  recueillie  et  embellie  d'âge  en  âge,  le 
théâtre  d'aventures  merveilleuses  ou  d'interventions  surnatu- 
relles. Il  est  souvent  malaisé  de  dégager  les  faits  réels  do  cette 
parure  tardive  et  factice  qui  les  dissimule.  Le  développement 
monumental  de  la  ville  de  Rome  aux  premiers  siècles  n'est 
pas  moins  difficile  à  suivre  et  à  reconstituer  que  le  développe- 
ment politique  et  social  de  l'Etat  romain. 

L'île  tibérine  a  partagé  la  destinée  commune.  Jusqu'au 
ïi"  siècle  avant  l'ère  chrétienne  il  n'est  question  d'elle  que 
deux  fois  dans  les  récits  des  écrivains  anciens,  à  propos  de  la 
chute  des  rois  en  245/509,  à  propos  de  l'arrivée  d'Esculape  à 
Rome  en  463/291,  et  les  deux  fois  la  légende  se  mêle  à  l'his- 
toire, qu'elle  défigure.  Entre  ces  deux  dates  l'Ile  n'est  même 
pas  nommée  par  les  auteurs.  Peut-être  n'était-elle  pas  encore 
habitée  '.  Le  temple  d'Esculape  fut  du  moins  le  premier  édifice 
important  qu'on  éleva  sur  son  territoire.  En  461/293  une  épi- 
démie de  peste  désolait  Rome  ;  désespérant  de  triompher  du 
lléau  avec  le  seul  secours  de  leurs  dieux  nationaux,  les  Romains 

\.  Voir,  par  exemple,  Beckeii,  Topogr.  cl.  St.  Rom,  Leipzig,  1843,  p.  (>ol:  — 
Rebkr,  die  Ruinen  lloms,  2"  6d  ,  Leipzig,  IbTJ,  p.  2*,)'*;  —  0.  Hichteii,  Topoqr. 
d.  Si.  Rom,  2*  éd.,  Munich,  1901,  p.  282.  —  Dans  le  silence  absolu  des  docu- 
ments, on  ne  peut  ni  prouver  ni  réfuter  cette  assertion,  a  priori  assez  vrai- 
semblable. Bëckek,  loc.  cit.,  et  0.  Gilhkht,  (iesch.  und  Topogr.  d.  St.  Rom., 
Leipzig,  1883-1890,  t.  111,  p.  73,  note  3.  se  demandent  môme  si  dès  le  début 
et  en  souvenir  de  son  origine  légendaire  l'île  n'avait  pas  été  déclarée  sainte 
et  sacrée,  avec  défense  d'y  bâtir  aucun  monument  profane. 


LE    VAISSEAU    D  ESCULAPE  33 

se  décidèrent  à  invoquer  l'assistance  d'une  divinité  étrangère, 
l'Asklépios  grec,  père  et  protecteur  de  l'art  médical.  Une 
ambassade  se  rendit  à  Epidaure,  où  se  trouvait  son  principal 
sanctuaire.  Asklépios  eut  pitié  de  la  détresse  des  suppliants. 
Le  serpent  sacré  en  qui  il  s'incarnait  s'embarqua  sur  leur  vais- 
seau et  gagna  Rome  avec  eux.  Ils  remontèrent  le  Tibre  jusqu'à 
la  hauteur  de  la  ville.  Parvenu  au  terme  du  voyage,  le  serpent 
abandonna  de  lui-même  le  navire  qui  le  portait  et  descendit 
dans  nie  tibérine  :  il  montrait  ainsi  que  le  dieu  de  la  médecine 
avait  l'intention  de  fixer  sa  demeure  à  cette  place  et  qu'il 
désirait  y  voir  construire  un  temple  en  son  honneur.  Le  fléau 
cessa  aussitôt,  et  l'on  édifia  dans  l'ile  le  sanctuaire  d'Esculape  ^ 

La  décoration  de  l'île.  —  Pour  rappeler  à  jamais  la  venue  du 
serpent  divin,  on  donna  artificiellement  à  l'ile  tibérine  tout 
entière  la  forme  d'un  vaisseau.  Elle  reproduisit  en  plus  grandes 
proportions  le  dessin  et  les  contours  de  la  trirème  qui  avait  ra- 
mené d'Epidaure  les  ambassadeurs  romains  et  le  symbole 
d'Esculape.  Il  reste  quelques  vestiges  visibles  de  la  décoration 
qui  lui  fut  alors  imposée.  Jordan  les  a  étudiés  avec  soin,  et 
l'article  qu'il  leur  a  consacré  est  certainement  le  plus  exact  et 
le  plus  complet  qui  ait  paru  sur  la  matière-.  Il  est  singuHerque 
Becker  ait  nié  l'existence  de  ces  ruines,  bien  souvent  signalées 
avant  lui  et  conservées  jusqu'à  nos  jours 3;  mais  Becker,  on  le 
sait,  étudiait  la  topographie  romaine  à  distance,  d'après  les 
sources  littéraires  exclusivement.  Maintenant  encore,  de  la 
rive  gauche  du  Tibre,  quand  le  bras  du  fleuve  qu'obstruent  les 
ensablements  est  à  sec  —  c'est-à-dire  pendant  la  plus  grande 
partie  de  l'année,  à  l'exclusion  seulement  des  rares  moments 
de  fortes  crues  —  on  aperçoit  très  bien,  presque  à  l'extré- 
mité sud-est  de  l'île,  sous  le  petit  escalier  du  pavillon  de  la 
Morgue,  un  fragment  de  construction  antique  comprenant  plu- 
sieurs assises  de  blocs  massifs  superposés.  Avant  que  la  récente 
systématisation  du  Tibre  eût  entièrement  changé  l'aspect  de 
l'ile,  d'autres  débris,  de  moindre  importance,  apparaissaient  çà 
et   là   sur    son  pourtour.  Quelques   pans    de   murs   d'époque 

1.  Les  textes  relatifs  à  cette  légende  seront  étudiés  et  critiqués  plus  loin, 
p.  132. 

2.  Jordan,  Sugli  avanzi  dell'antica  decorazione  delV Isola  iiberina,  dans  les 
Ann.  deirinstit.  archeoL,  1867,  p.  389.  —  Voir  aussi,  du  même  auteur,  Topogr. 
d.  St.  Rom,  t.  I,  I,  p.  423. 

3.  Becker,  op.  cit.,  p.  633. 

3 


Zi 


l'île   TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQL'ITÉ 


romaine,  que  baignaient  les  eaux  du  llouve,  sont  indiqués  par 
les  meilleurs  plans  d'autrefois,  celui  de  Nolli,  par  exemple,  en 
1748  et  celui  de  Delannoy  en  1832;  ils  faisaient  partie,  eux 
aussi,  du  revêtement  en  pierre  de  ce  gigantesque  vaisseau'.  En 


s 


ÏO    n 


O    ^ 


1867,  Jordan  signalait,  a})rès  Piranesi,  la  présence,  à  la  pointe 
méridionale  de  rile,mais  vers  l'ouest,  de  trois  ou  quatre  rangées 


1.  L'isolella,  ce  petit  îlot  que  le  courant  du  fleuve  avait  détaché  de  lile 
même  en  amont,  renfermait  des  murs  antiques  qui  sont  marqués  sur  les 
plans  et  mentionnés  par  les  archéologues  des  derniers  siècles.  Vesuti,  Descriz. 
lopogr.  di  lioma,  éd.  de  1821,  p.  IH  :  In  oggi  si  vede  la  separazione  in  due 
parti  dell'isola  tiberina  cagionala  ne  tempi  bassi  dalVescrescenza  del  Tevere, 


FiG.    5.  —  FRAGMENT    DE  LA  DÉCORATION    SCULPTÉE  DE  l'iLE  TIBÉRINE 

{Annali  deW  Instituto  archeoloijico,  18G7,  pi.  K,  1). 


FiG.    6.  —  FRAGMENT    DE    LA    DÉCORATION    SCULPTÉE  DE  L'ILE   TIBÉRINE 

D'après  une   photographie   prise  par   M.  René    Patouillard   en    1899. 


36  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

do  pierres  dépassant  à  peine  le  niveau  du  Tibre  '.  En  1882, 
M.  Lanciani  distinguait  nettement  à  cet  endroit,  «  sous  la  poupe 
à  droite  »,  c'est-à-dire  sur  le  bras  droit  du  fleuve,  d'abord  quatre 
rangées  de  pierres,  puis,  nn  pou  plus  loin  en  amont  et  séparées 
des  précédentes  par  un  léger  intervalle,  trois  rangées'-.  Tous  ces 
restes  épars  et  abîmés  de  la  décoration  de  l'île  ont  disparu  en  ces 
dernières  années,  soit  qu'on  ait  achevé  de  les  détruire,  soit  que 
les  murs  des  quais  nouveaux  les  cachent  aux  regards.  Mais  la 
place  de  chacun  d'entre  eux  est  bien  connue  ;  il  suffit  de  relier  ces 
différents  points  les  uns  aux  autres  pour  retrouver  la  forme 
même  qu'avait  jadis  l'île  tibérine  et  le  tracé  de  son  revête- 
ment extérieur. 

Le  fragment  conservé.  —  Le  seul  fragment  qui  subsiste  était 
aussi,  parmi  tous  ceux  dont  on  a  gardé  le  souvenir,  le  plus 
intéressant.  Malheureusement  les  sables  qui  s'accumulent  dans 
le  bras  gauche  du  Tibre  empêchent  do  le  voir  tout  entier  ; 
bientôt,  si  l'on  ne  prend  pas  soin  do  maintenir  ses  abords  dé- 
gagés, il  âera  enseveli  sous  les  alluvions.  M.  René  Patouil- 
lard  a  obtenu  l'autorisation,  au  mois  de  mars  1899,  de  faire 
des  fouilles  aux  alentours  ;  il  a  pu  procéder  à  un  déblaiement 
assez  complet.  Pour  se  rendre  compte  de  la  disposition  et  du 
style  de  ce  fragment  de  construction,  il  faut  se  reporter  à  la 
belle  planche  de  Piranesi,  faite,  semble-t-il,  d'après  nature  et 
suffisamment  exacte  '•\  au  dessin  publié  par  Jordan  lui-même  ^, 


e  aWestremilà  delVisoletta  formata  corne  dissi,  si  l'avvisano  gli  avanzi  delV  an- 
liche  sostruzione  delVisola  tiberina...  corne  pure  qli  avanzi  di  un  riparo 
fallu  ne'  lempi  bassi  aile  uUeriori  devastazioni  dell'isola  e  coslruilo  di  maci- 
gni,  Iraverlini  e  lufi  solti  dalVaccennale  coslruzioni.  —  Ces  murs  apparte- 
naient au  revêtement  de  la  pointe  d'amont  de  l'Ile.  C'est  eux  peut-être  qu'on 
aura  souvent  pris  à  tort  pour  les  ruines  du  temple  de  Faunus.  Voir  ci-dessous 
p.  291. 

1.  PniAXEsi,  Campo  Marzio,  Rome,  1162,  pi.  XI;  —  Jordan,  Ann.  delVInslit. 
arc/ieoL,  186T,  p.  39:j. 

2.  Note  manuscrite  communiquée  par  M.  Lanciani  :  Il  giorno  26  feb- 
braio  1882,  ho  veduto  le  acque  le  piu  basse  che  io  ricordi,  chiari  e  Irasparente 
e  verdine  corne  quelle  di  un  lorrenle  montano...  {ho  vislo)  nelV  isola  :  a)  4  ordini 
di  piètre  sollo  la  poppa  a  dexlra;  A)  altro  avqnzo  di  Ire  ordini  di  piètre  ;  c) 
frammenlo  noto prima.  Sur  un  croquis  sommaire  joint  à  cette  note  et  fait  à 
la  même  date  les  trois  emplacements  sont  indiqués. 

3.  PiuANEsi,  Antichità  romane,  Rome,  n.-i6,  t.  IV,  pi.  XV.  C'est  d'après  cette 
planche  qu'a  été  dessinée  la  gravure  publiée  par  Canina,  gli  Edifizi  di  Roma 
antica,  Rome,  1848-18a6,  t.  IV,  pi.  CCXLII. 

4.  Ann.  dell'  Instil.  archeol.,  1867,  pi.  K,  1. 


LE    VAISSEAU    D  ESCULAPE  37 

à  la    photographie  donnée  par  M.  Lanciani*,  et  à  celle,  plus 
nette,  qu'a  prise  M.  René  Patouillard  en  1899. 

Il  comprend  deux  parties  :  en  haut,  des  blocs  de  travertin, 
soigneusement  travaillés  ;  au-dessous,  des  blocs  de  tuf,  plus 
grossiers.  Les  assises  de  tuf,  qui  s'enfoncent  profondément, 
servent  de  soubassement  aux  huit  assises  de  travertin,  com- 
posées de  blocs  de  diverses  grandeurs  et  inégalement  avan- 
çants-.  Ces  dernières  représentent  le  flanc  d'un  navire.  La 
courbure  des  lignes  générales  indique  la  direction  de  la  quille. 
Une  rangée  de  pierres  proéminentes  correspond  à  la  r.âpoooq, 
rebord  extérieur  qui  faisait  tout  le  tour  du  vaisseau  ancien. 
Un  buste  humain  brisé,  que  supportait  un  pilastre,  rappelle  l'en- 
seigne ou  T.upxTl'iiJ.x;  la  figure  a  disparu,  il  ne  reste  plus  que 
les  épaules  et  quelques  cheveux;  la  présence,  à  côté  du  buste, 
d'un  bâton  sur  lequel  s'enroule  un  serpent,  prouve  que  le  per- 
sonnage dont  on  avait  reproduit  ici  les  traits  et  les  emblèmes 
était  Esculape.  Plus  loin  une  tête  de  bœuf,  sans  oreilles  ni 
cornes,  fait  saillie  ;  peut-être  servait-elle  à  amarrer  des  cor- 
dages; Jordan  la  compare  à  ces  grandes  têtes  de  bœuf,  d'une 
facture  analogue,  qu'on  a  retrouvées  au  théâtre  de  Vérone,  où 
elles  semblent  avoir  été  utihsées  pour  soutenir  le  vélum.  Tuf 
et  travertin,  protome  et  bucrane,  voilà  tout  ce  que  le  temps  a 
respecté. 

Etat  des  ruines  au  XVP  siècle.  —  On  a  cru  quelquefois  qu'il 
y  avait  dans  l'île  au  xvi''  siècle  des  ruines  plus  considérables, 
et  qu'elle  possédait  encore  à  cette  époque  son  parement  de 
pierre  presque  complet.  Un  dessin  du  recueil  manuscrit  de  Ful- 
vio  Orsini,  à  la  bibliothèque  Vaticane,  la  montre  émergeant  du 
fleuve  comme  une  trirème  ;  ses  bordages  intacts  sont  ornés  de 
toute  une  série  de  bucranes  et  de  protomes  espacés^.  La  plu- 
part des  vues  qui  illustrent  les  recueils  de  gravures  composés 
à  l'époque  de  la  Renaissance  par  les  archéologues  et  les  archi- 
tectes romains  paraissent  inspirées  de  ce  dessin  et  donnent 
à  l'île  tibérine,  comme  lui,  l'apparence  d'un  véritable  navire, 
plus  ou  moins  bien  conservé  ;  les  plus  connues  sont  celle  de 
Boissard,    très    souvent    reproduite^,    et    celles   de    Gamuc- 

1.  R.Lanciani,  Paçan  and  Christian  Rome,  Londres,  1892,  p.  61.  — Cf.  du  même 
auteur,  tfie  Ruins  and  Excavations  of  ancient  Rome,  Londres,  1897,  p.  19. 

2.  Les  plus  grands  mesurent  1"',20  sur  0"',40. 

3.  Codex  vaticanus  latinus  3439,  f°  42. 

4.  J.-J.  Boissard,  Topograpliia  urbis  Romœ,  Francfort,  1681,  t.  II,  p.  13. 


38  l'ile  tibérine  dans  l'antiquité 

ci'  et  (le  Dosio'*;  sur  ces  dernières  la  partie  méridionale  figure 
seule.  Mais  au  xvi"  siècle  môme  ces  représentations  brillantes 
ne  répondaient  pas  à  la  réalité.  On  aurait  tort  de  se  fier  à  ces 
dessins  et  à  ces  gravures,  qui  sont  œuvres  de  pure  fantaisie. 
Les  architectes  et  les  archéologues  de  ce  temps  ont  donné 
libre  cours  à  leur  imagination;  ils  ont  restauré  l'ile,  et  ne 
l'ont  pas  copiée. 

Vélat  actuel  que  Gamucci  lui-même  a  inséré  dans  son  livre  à 
côté  de  sa  reconstruction  hypothétique  ■',  et  surtout  la  planche 
très  sincère  et  très  soignée  de  du  Pérac'*,  ont  permis  à  Jordan 
d'affirmer  que  de  la  décoration  antique  —  sauf  quelques  murs 
sans  intérêt  —  rien  ne  subsistait  à  la  Renaissance  qu'on  ne  pût 
voir  encore  en  1867.  Le  dessin  du  recueil  Orsini  n'a  pas  plus  de 
valeur  historique  que  ce  navire  de  marbre,  sculpté  par  Ligorio, 
qui  existe  dans  les  jardins  de  la  villa  d'Esté  à  Tivoli,  au  centre 
de  la  Rometta,  où  il  représente  l'ile  tibérine  en  réduction,  parmi 
d'autres  souvenirs  et  imitations  des  monuments  de  Rome''.  Et 
peut-être  même  ce  dessin  a-t-il  pour  auteur,  lui  aussi,  ce 
Pirro  Ligorio  que  ses  restitutions  architecturales  et  ses  falsi- 
fications épigraphiques  ont  rendu  célèbre.  Jordan  a  remarqué 
en  effet  qu'il  ressemble  beaucoup  à  la  gravure  publiée  par  Bois- 
sard,  et  l'on  sait  que  Boissard  s'est  servi  très  souvent  des 
manuscrits  de  Ligorio. 

Caractère  de  la  décoration  antique.  —  La  destruction  des 
revêtements  de  Tile  tibérine  a  commencé  bien  avant  le 
XVI*  siècle.  Il  est  certain  du  moins  que  dans  l'antiquité,  avec 
sa  ceinture  de  travertin  et  ses  ornements  sculptés,  elle  res- 
semblait à  un  immense  vaisseau  de  pierre.  D'après  Jordan, 
l'unique  fragment  conservé  appartiendrait  à  l'avant  du  navire, 
à  la  proue  ;  la  tête  d'Esculape  avec  le  serpent  était  l'enseigne  ou 
Tapasfjf^-a;  on  mettait  d'ordinaire  le  7:7.px<yf,[j.x  à  l'avant  :  c'est 
la  place  qu'il  occupe  sur  plusieurs  bas-reliefs  oii  l'on  voit 
l'image  de  navires  anciens  ;  le  vaisseau  du  dieu  de  la  médecine 
descendait  le  Tibre  et  regardait  vers  la  mer*».  Cette  opinion 

1.  G.VMuccr,  le  Anlichilà  délia  cilla  cli  Roma,  Venise,  éd.  de  1580,  p.  173. 

2.  Dosio,  Urbis  Homse  reliquiae,  Rome,  1569,  pi.  XVllI. 

3.  Gamucci,  op.  cit.,  p.  173. 

4.  Du  Pérac,  Vesliçiii  di  Borna,  Rome,  1573,  feuille  n»  39. 

5.  R.  Laxciaxi,  l/te  Ruins  and  Excavations,  p.  20. 

6.  Jordan,   Ann.  dell'lnstit.   archeol.,  1867,  p.  397;   —  du  même  auteur, 
Topogr.  d.  SI.  liom,  t.  I,  1,  p.  425,  note. 


FiG.  7.  —  l'île  tibérink 
D'après  un  dessin  du  recueil  Orsini  (Bibliothèque  vaticane,  Cod.  lat.  3i39,  f»  42). 


FiG.  8. 


L  ILH  TIBERINE    AU   XVI"   SIËCLE 

D'après  du  Pérac  (lôTôl. 


40  l'île   TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ 

n'est  guère  soutenable.  La  tète  d'Esculape  ne  se  trouve  pas 
exactement  à  la  pointe  méridionale,  mais  sur  le  côté  ;  elle 
n'est  donc  pas,  à  vrai  dire,  l'enseigne  du  navire;  l'emblème 
du  dieu  protecteur  pouvait  très  bien  être  répété  plusieurs  fois 
sur  le  bordage.  Selon  toute  vraisemblance,  l'île,  comme  la 
trirème  qui  avait  amené  Esculape  à  Rome,  devait  remonter  le 
Tibre  et  non  pas  le  descendre.  Le  fragment  de  décoration  con- 
servé faisait  partie  de  la  poupe. 

«  Je  me  représente  cette  île  longue,  écrivait  le  président 
de  Brosses,  comme  quelque  chose  de  magnifique  au  temps  des 
Romains,  lorsque  son  contour  était  en  entier  revêtu  d'un  mur 
bombé  en  pierres  de  taille,  qui  la  figurait  en  forme  de  gros 
vaisseau,  avec  sa  poupe  carrée  et  sa  proue  pointue.  Quelle 
grandeur  n'y  a-t-il  pas  dans  une  pareille  manière  d'ajuster  une 
île  au  milieu  d'une  ville  !  Un  obélisque  en  faisait  le  mât,  et  le 
temple  d'Esculape,  avec  son  dôme,  en  faisait  le  château  de 
poupe'.  »  Il  y  a  dans  ces  lignes  quelques  inexactitudes,  que 
d'ailleurs  on  pardonne  aisément  à  l'érudit  président.  11  exagère 
la  magnificence  du  spectacle  :  les  murs  de  travertin,  ornés 
simplement  de  leur  rebord  saillant,  de  leurs  protomes  et  de 
leurs  bucranes,  étaient  plus  sévères  qu'élégants.  D'autre  part, 
la  poupe  ne  parait  pas  avoir  eu  la  forme  régulière  et  carrée  des 
véritables  poupes  de  navires  ;  l'île  à  son  extrémité  sud  allait  en 
s'effilant  ;  elle  se  terminait  sans  doute  par  une  pointe  arrondie, 
ainsi  que  le  montre  le  dessin  de  Jordan.  Le  temple  d'Esculape 
enfin  n'avait  point  de  dôme  ;  mais  la  dénomination  de  château 
de  poupe  lui  convient  fort  bien  et  répond  à  l'idée  que  suggérait 
aux  Anciens  le  spectacle  de  l'île  tibérine,  immobile  devant 
Rome  et  baignée  par  le  Tibre,  comme  un  navire  à  l'ancre. 

Les  architectes  romains  avaient  régularisé  ses  contours 
pour  lui  donner  la  forme  d'une  trirème.  Faut-il  admettre  qu'ils 
s'étaient  astreints  à  pousser  jusqu'à  ses  dernières  consé- 
quences dans  leur  construction  de  pierre  l'imitation  des  vais- 
seaux de  bois?  La  décoration  sculpturale,  dont  il  subsiste  des 
vestiges  à  l'une  des  pointes  de  l'île,  se  continuait-elle  pareille- 
ment sur  tout  le  long  de  ses  flancs,  la  ceignant  ainsi  qu'une 
carène  ?  Ou  bien,  au  contraire,  les  deux  extrémités  seules 
avaient-elles  été  aménagées  en  guise  de  poupe  et  de  proue, 
réunies  simplement  l'une  à  l'autre  par  un  mur  de  quai  continu,  et 

1.  De  Brosses,  Lettres  familières  écrites  d'Italie  (1739-1740),  éd.    Badon, 
Paris,  1838,  t.  II,  p.  131. 


LE    VAISSEAU    D  ESCLLAPE  41 

sans  ornements?  En  d'autres  termes,  Vinsiila  tiberina  a.YSL[t-el\e 
été  faite  ou  refaite  absolument  en  élévation  comme  en  plan,  à 
l'image  d'un  navire  ^  ?  Les  dimensions  mêmes  du  fragment  con- 
servé du  revêtement  ne  permettent  pas  de  le  supposer.  Les 
vestiges  de  la  poupe  ont,  en  somme,  assez  peu  d'importance  ; 
leur  hauteur  surtout  est  minime  ;  ils  ne  s'élevaient  guère  au-des- 
sus du  niveau  du  Tibre.  Si  l'on  avait  voulu  donner  à  l'île  en  tous 
points  l'apparence  d'une  trirème,  il  eût  fallu  proportionner 
exactement  les  différentes  parties  ;  on  n'a  pas  pris  cette  peine  ; 
un  navire  qui  aurait  pour  arrière  la  poupe  de  l'île  tibérine  serait 
beaucoup  plus  petit  que  n'était  celle-ci  même.  Par  sa  position 
au  milieu  des  eaux  et  sa  forme  allongée,  elle  ressemblait  à  un 
vaisseau  ;  la  comparaison  s'imposait  ;  on  l'a  faite  bien  souvent 
ailleurs  pour  d'autres  îles  intra-urbaines,  comme,  par  exemple, 
celle  de  la  Cité,  à  Paris.  Il  est  naturel  que  les  Romains  aient 
songé  à  tirer  parti  de  cette  disposition  des  lieux  pour  commé- 
morer l'arrivée  par  mer  du  serpent  sacré  d'Esculape.  Mais  ils 
n'ont  pas  essayé  de  bâtir  à  la  place  de  l'île  un  navire  de  pierre, 
entreprise  considérable,  difficile  et  vaine.  Il  leur  a  suffi  de 
souligner  par  quelques  traits  la  configuration  du  sol  et  d'ac- 
centuer une  ressemblance  déjà  frappante,  laissant  à  l'imagi- 
nation de  chacun  le  soin  de  suppléer  à  ce  qui  manquait  et 
d'achever  par  la  pensée  le  travail  ébauché  seulement  sur 
le  terrain. 

Date  de  son  exécution.  —  Aucun  texte  ne  nous  fait  savoir  à 
quelle  époque  on  entreprit  de  transformer  ainsi  l'aspect  de  l'île 
tibérine,  ou  tout  au  moins  de  ses  deux  extrémités,  et  de  lui 
donner,  plus  encore  que  par  le  passé,  l'air  et  l'allure  d'un  vais- 
seau. On  ne  peut  apporter  à  ce  petit  problème  que  d'hypo- 
thétiques solutions.  Preller  était  d'avis  que  la  décoration  de 
l'île  devait  être  très  ancienne  ;  il  l'attribuait  au  commence- 
ment du  m"  siècle  avant  notre  ère  ;  elle  serait  à  peu  près  con- 
temporaine de  la  venue  merveilleuse  d'Esculape,  qu'elle  rap- 
pelait 2.  Le  seul  argument  qu'on  ait  à  faire  valoir  en  faveur  de 
cette  opinion,  c'est  que  les  Anciens  expliquaient,  en  eff'et,  par  le 
souvenir  de  l'arrivée  d'Esculape  la  forme  de  navire  imposée  à 
l'île.    Mais,   d'autre   part,    les   caractères    architecturaux   et 

1.  Cf.  Vexcti,  op.  cit.,  p.  173  ;  Canina,  op.  cit.,  t.  III,  p.  108. 

2.  Preller,  Rom  und  der  Tiber,  Ber.  d.  sàchs.  Ges.  d.  Wiss.,  Leipzig,  1848, 
p.  138. 


42  l'île   TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ 

sculpturaux  du  revêtement,  autant  du  moins  qu'il  est  loisible 
de  les  apprécier  en  Tétat  des  ruines,  ne  permettent  pas  qu'on 
l'attribue  à  une  époque  si  reculée.  Jordan  le  croit  du  début  de 
l'Empire;  on  sait  que  les  premiers  empereurs  ont  beaucoup 
fait  pour  consolider  les  rives  du  Tibre  et  les  mettre  à  l'abri  des 
inondations  ;  la  construction  de  la  proue  et  de  la  poupe  de  l'île 
tibérine,  ainsi  que  du  mur  bas  qui  les  réunissait,  serait  du 
même  temps  que  ces  grands  travaux  de  défense  et  répondrait 
aux  mômes  préoccupations  ' .  Peut-être  cependant,  si  la  date 
proposée  par  Preller  est  trop  lointaine,  celle  que  préfère 
Jordan  est-elle  un  peu  tardive.  Assurément  les  parements 
de  pierre  dont  on  voit  aujourd'hui  les  vestiges  à  la  pointe  sud 
ne  sont  pas  l'œuvre  des  architectes  romains  du  iii°  siècle 
avant  Jésus-Christ  ;  leur  belle  apparence  et  leur  agencement 
exact  supposaient  une  science  de  bâtir  très  avancée  et  sûre 
d'elle-même.  Ils  n'ont  pu  être  faits,  au  plus  tôt,  que  vers  le 
milieu  du  dernier  siècle  de  la  République.  Or  l'établissement 
des  ponts  Fabricius  et  Cestius  et  une  restauration  du  temple 
d'Esculape  remontent  précisément  à  cette  époque  ~.  Ne  pour- 
rait-on pas  supposer,  sans  attendre  jusqu'au  règne  d'Auguste 
ou  de  Tibère,  que  la  décoration  de  l'ile  fut  exécutée  au  moment 
même  où  l'on  procédait  à  cette  restauration  et  où  l'on  édifiait 
ces  ponts?  Cette  hypothèse,  que  nul  document  épigraphique  ou 
littéraire  ne  confirme  ni  n'infirme,  permettrait  de  rattacher  à 
un  même  dessein  général  toutes  les  mesures  particulières  prises 
à  notre  connaissance  pour  embellir  l'île  tibérine.  Les  archi- 
tectes romains  du  dernier  siècle  de  la  République  ont  voulu 
rehausser  l'éclat  du  culte  d'Esculape.  La  proue  et  la  poupe  qui 
évoquaient  le  souvenir  de  la  trirème  revenue  d'Epidaure,  étaient 
faites,  comme  le  temple  restauré,  en  l'honneur  du  dieu  de  la 
médecine,  et  c'est  principalement  pour  faciliter  l'accès  du  sanc- 
tuaire qu'on  substitua  de  solides  ponts  de  pierre  aux  anciens  et 
fragiles  ponts  de  bois. 

L'obélisque.  —  Si  l'ensemble  de  la  décoration  de  l'île  tibé- 
rine parait  dater  de  la  fin  de  la  République  plutôt  que  du  début 
de  l'Empire,  l'obéHsque  qui  se  dressait  au  centre,  comme  le 
mât  au  milieu  d'un  navire,  n'a  été   érigé  certainement  qu'à 


i.  Jordan,  Ann.  delV Institut,  avcheol.,  1867,  p.  396. 
2.  Cf.  ci-dessous,  p.  99,  107  et  184. 


LE    VAISSEAU    D  ESCULAPE 


43 


l'époque  impériale^.  Les  princes  ornèrent  de  monuments  rap- 
portés d'Egypte  les  places  publiques  de  Rome.  L'île  tibérine 
bénéficia  de  cette  mode  nouvelle.  Il  y  avait  dans  la  ville  six 
grands  obélisques,  qu'énumërent  la  Notitia  et  le  Curiosiim 
Urbis  Romœ  regionimi^  et  plusieurs 
autres  de  moindres  dimensions  ~. 
Celui  de  l'ile  était  très  petit.  11  était 
encore  debout  au  xvi"  siècle  sur  la 
place  San  Bartolomeo.  Gamucci  l'a 
vu  et  s'étonne  qu'on  ait  mis  un  si 
petit  mât  sur  un  si  grand  navire  3. 
Depuis,  il  a  été  brisé.  Ses  fragments 
furent  dispersés  '\  Deux  d'entre  eux, 
recueillis  par  le  cardinal  Borgia  et 
déposés  dans  son  musée  deVelletri, 
passèrent  en  1814  au  musée  de 
Naples  ^.  Un  autre  resta  jusqu'à  la 
Révolution  à  la  villa  Albani  ;  «  em- 
porté à  Paris  par  les  Français,  il 
est  maintenant  à  Munich,  dans  la 
collection  du  roi  de  Bavière  •"'  »  ;  Pira- 
nesi  l'avait  reproduit  au  xviif  siècle 
sur  une  planche  de  ses  Antichità 
romane  ^. 

En  1676,  des  fouilles  exécutées 
sur  la  place  San  Bartolomeo^  ame- 
nèrent la  découverte  d'un  large  sou- 
bassement de  tuf  situé  à  18  palmes 
sous  la  surface  du  sol  (4"", 50).  Quel- 
ques érudits  du  xvm'  siècle  préten- 
dirent y  reconnaître  la  base  même  de  l'obélisque^.  Leur  opinion 

1.  Consulter  sur  cet  obélisque  Zoega,  de  Origine  et  usu  obeliscorum,  Rome,. 
1797,  p.  82  et  p.  188. 

2.  Cf.  Jordan,  Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  II,  p.  181. 

3.  Gamucci,  op.  cit.,  p.  173. 

4.  Casimiro,  Memorie  istoriche,  p.  328. 

T>.  NiBBY,  Roma  anlica,  Rome,  1838,  t.  II,  p.  291. 

6.  Beschu.  d.  St.  Rom,  t.  III,  3,  p.  564.  —  D'après  Zoega,  lac.  cit.,  il  y  aurait 
eu  au  musée  de  la  villa  Albani  deux  fragments  de  cet  obélisque,  et  non  un 
seul. 

7.  Piranesi,  Anlicliità  romane,  t.  IV,  pi.  XIV,  n°  15  :  Pezzo  delta  sudetta  gu- 
gtia  di  granito  innanzi  alla  c/iiesa  di  Sati  Rarloloineo. 

8.  Bellori,  Selecti  nummi  duo  Antoniniani,  Rome,  1676,  p.  41,  cité  par  Gasi- 
MiRO,  op.  cit.,  p.  330.  —  Voir  aussi  Venuti,  op.  cit.,  p.  177. 


FiG.  9.  —  FRAGMENT  DE  l'oBÉLISQUE 
DE  l'île   tibérine. 

(Piranesi,  Antichità  romane,  t.  IV, 
pi.  XIV,  n»  15). 


44  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

ne  parait  pas  fondée.  L'emploi  du  tuf,  la  grossièreté  du  travail 
(c'était  une  masse  de  tuf  sans  élégance,  disait  Bellori  :  con- 
g cries  lophonnn),  la  grande  profondeur  à  laquelle  était  enfouie 
la  construction  prouvent  que  ce  soubassement  est  une  œuvre 
do  l'époque  républicaine  ;  des  trois  inscriptions  qu'on  a  trou- 
vées en  môme  temps  que  lui',  deux  ont  été  composées  et 
écrites  sous  la  République.  L'obélisque  ne  fut  mis  en  place 
■que  plus  tard.  Sa  présence  à  cet  endroit  faisait  ressortir 
encore  la  ressemblance  que  présentait  naturellement  l'île  tibé- 
rine  avec  le  vaisseau  d'Esculape  arrêté  au  milieu  du  Tibre. 

1 .  C.  T.  L.,  VI,  17,  821, 10.317.  Ces  textes  seront  étudiés  plus  loin,  p.  47,  U  et  211. 


CHAPITRE  III 

L'ILE  TIBÉRINE  A  L'ÉPOQUE  RÉPUBLICAINE 


Les  temples.  —  L'histoire  de  l'île  tibérine  sous  la  République 
est  assez  mal  connue.  Les  textes  littéraires  ne  la  mentionnent 
que  rarement,  et  l'on  n'a  découvert  sur  son  territoire  qu'un 
très  petit  nombre  d'inscriptions  antérieures  à  l'établissement  du 
régime  impérial. 

Après  l'introduction  du  culte  d'Esculape  à  Rome  et  la  fon 
dation  du  premier  sanctuaire  du  dieu  médecin,  cent  ans  se 
passent  encore  sans  que  les  historiens  prononcent  jamais  le 
nom  de  l'île.  Puis,  au  commencement  du  ii''  siècle  avant 
l'ère  chrétienne,  elle  est  citée  deux  fois  coup  sur  coup.  Deux 
temples  nouveaux  sont  construits  auprès  de  celui  d'Esculape, 
l'un  dédié  à  Faunus,  commencé  en  558/196  et  inauguré  en 
560/194,  l'autre  dédié  à  Jupiter  et  inauguré  aussi  en  560/194^. 

Les  soldats  de  Lépide.  —  Il  faut  attendre  l'année  710/44  pour 
qu'il  soit  de  nouveau  question  de  l'île  tibérine  -.  Appien  raconte 
qu'à  cette  date  elle  était  occupée  par  un  détachement  de  sol- 


1.  Les  textes  relatifs  aux  temples  de  Faunus  et  de  Jupiter  dans  l'île  seront 
étudiés  plus  loin,  p.  262  et  292. 

2.  En  633/121,  Caius  Gracchus,  povirsuivi  par  ses  adversaires  qui  voulaient 
le  massacrer,  s'enfuit  de  l'Aventin,  franchit  le  Tibre  par  le  pont  Sublicius  et 
se  réfugia  sur  la  rive  droite  dans  le  bois  des  Furies  (Plut.,  C.  Gracch.,  il  ; 
Appian.,  de  Bell,  civil.,  I,  26).  D'après  M.  Mommsen,  le  pont  Sublicius  passait 
par  l'île  tibérine  ;  Caius  Gracchus  aurait  donc  traversé  l'île  en  fuyant  (Momm- 
sen, dans  les  Ber.  d.  Ges.  d.  Wiss.,  Leipzig,  1850,  p.  324).  Mais  ni  Appien  ni 
Plutarque  ne  parlent  de  l'île  à  ce  propos,  et  l'on  verra  plus  loin  que  l'hypo- 
thèse de  M.  Mommsen  sur  l'emplacement  du  pont  Sublicius  est  absolument 
■jiacceptable.  Cf.  ci-dessous,  p.  129.. 


46  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

dats  :  aussitôt  après  l'assassinat  de  Jules  César,  Lépide,  son 
maître  de  la  cavalerie,  se  rendit  dans  Tile  où  il  avait  des  troupes 
et  fit  passer  de  là  ses  soldats  au  Champ  de  Mars  pour  qu'il  leur 
fût  plus  facile  ensuite  de  porter  secours  à  Antoine  ^  Par  scru- 
pule religieux  et  par  précaution  politique,  la  loi  sur  Vimperhun 
interdisait  aux  citoyens  en  armes  l'accès  de  la  ville*.  L'Ile 
étant,  comme  le  Champ  de  Mars,  en  dehors  de  la  cité,  que 
limitait  la  ligne  dupoîuerwm,  Lépide  pouvait  y  loger  des  troupes. 
Le  fait  rapporté  par  Appien  nous  montre  qu'au  temps  de  César 
elle  renfermait,  outre  les  temples  et  leurs  dépendances,  des 
édifices  capables  d'abriter  un  détachement  de  soldats  et  de 
lui  servir,  au  moins  provisoirement,  de  casernes,  A  mesure 
qu'augmentait  le  chiff"re  de  la  population  romaine  l'aspect  des 
abords  immédiats  de  la  ville  se  modifiait  et  dans  tous  les  quar- 
tiers suburbains  s'élevaient  des  temples  et  des  chapelles,  des 
maisons  et  des  villas. 

Les  inscriptions.  —  Los  quelques  inscriptions  de  l'époque  répu- 
blicaine trouvées  dans  l'île  tibérine  sont  toutes,  sauf  deux,  des 
inscriptions  religieuses  ;  elles  se  rapportent  au  culte  des  divi- 
nités adorées  particulièrement  sur  son  territoire  ;  ce  sont  des 
dédicaces  à  Esculape  3,  auxquelles  il  faut  joindre  une  dédicace 
à  Jupiter  Jnrarius^.  Les  deux  seules  inscriptions  qui  ne  soient 
pas  religieuses  sont  une  liste  de  magistfi  d'un  collège  et  une 
épitaphe. 

Liste  de  magistri  d'un  collège.  — «Dans  les  fouilles  faites  en 
l'année  1676  devant  l'église  Saint-Barthélémy  on  a  découvert, 
en  mêriie  temps  que  le  grand  soubassement  en  tuf  regardé  à 
tort  par  quelques  archéologues  comme  la  base  de  l'obélisque 
de  l'île,  trois  inscriptions,  gravées   les   deux   premières  sur 


1.  Appian.,  op.  c«7.,  II,  H8:  Kat  AéttiSoî  ô  ËTrapyo;  èv  àyopâ  [xkv  ôv  iipjOtxo -o\) 
YEyovÔTo;  "  è;  oè  tÔv  âv  tw  7tOTa(io)  vr^rxa^i  S(aSpa;ji(î>v,  k'vôa  r|V  a-JTôi  téXoî  (TTpaxiwTMV, 
iç  TÔ  TieStov  àuTo-j;  [j.eT£oiêa;£v  w;  èTot[xoTspo-j;  eÇwv  à;  xà  7tapaYYe),),6[A£va  Cti' 
'AvTwvt'ou.  Il  n'est  pas  douteux  que  l'ile  et  la  plaine  nommées  dans  ces  lignes 
soient  l'île  tibérine  et  le  Champ  de  Mars. 

2.  Lj'Xius  Félix,  ad  Q.  Mucium,  cité  par  Gell.,  XV,  27  :  Cenluriala  aulem 
comitia  inlra  pomeriinn  fieri  nefas  esse,  quia  exercilum  exlra  wbem  imperari 
■oporleal,  inlra  urbem  imperari  jus  non  sit. 

3.  C.  1.  L.,  VI,  7;  Xotiz.  d.  Scavi,  1890,  p.  33  ;  1892,  p.  267  et  p.  410.  Cf.  ci- 
<lessous,  p.  189  et  209. 

4.  C.  I.  L.,  VI,  379.  Cf.  ci-dessous,  p.  256. 


l'île  tibérine  a  l'époque  républicaine  47 

marbre  et  la  troisième  sur  un  bloc  de  tuf  ' .  Cette  dernière  est 
ainsi  conçue  -  : 

L{ucius)  Rutilius  L{iicii)  l[ihertiis)  Artemido{rus)^  \  A{î(h(s) 
Carvilius  L(ucii)  l[if)ertus)  Diodorus,  \  P'.iibluts)  Siilpiciiis 
Q{uinti)  l{ihertus)  Philocomim),  \  mag[istri)  conl[egii)  caprina 
galla  \  ex  d[ono)  d{ato)  [f]ac{iendum)  cœraver[i(nt). 

«  Lucius  Rutilius  Artemidorus,  affranchi  de  Lucius,  Aulus 
Carvilius  Diodorus,  affranchi  de  Lucius,  Publius  Sulpicius  Philo- 
cornus,  affranchi  de  Quintus,  magisti'i  du  collège  caprina 
galla  (?),  en  vertu  d'un  don  offert  ont  pris  soin  que  ce  travail 
fût  fait.  » 

Cette  inscription  remonte  à  l'époque  républicaine  :  l'emploi 
du  tuf  et  les  formes  conl[egii)  et  cœraver[unt)  en  témoignent. 
Elle  fut  sans  doute  rédigée  au  moment  où  l'on  mit  en  place  le 
soubassement  de  tuf  auprès  duquel  on  Ta  retrouvée  ;  inscrip- 
tion et  soubassement  appartenaient  au  même  ensemble.  Nous 
ne  savons  pas  en  quoi  consistait  le  travail  que  les  niagistri 
conlegii  ont  fait  exécuter,  faciendmn  cœraverunt.  C'était 
peut-être  la  construction  ou  la  reconstruction  d'un  petit  édifice, 
l'érection  d'un  autel  ou  d'une  statue,  ou  l'établissement  d'un 
dallage  sur  la  place  centrale  de  Tile.  Il  est  bien  probable,  en 
tout  cas,  qu'il  intéressait  le  culte  rendu  au  dieu  grec  de  la 
médecine  :  l'inscription  a  été  découverte  dans  le  voisinage 
immédiat  du  sanctuaire  d'Esculape;  une  dédicace  à  Esculape, 
plus  récente,  l'accompagnait;  les  noms  des  trois  affranchis 
magistri  conl{egii)  trahissent  une  origine  hellénique. 

Un  très  petit  nombre  de  textes  épigraphiques  relatifs  au 
droit  d'association  sous  la  République  nous  ont  été  conservés  ; 
celui-ci  malheureusement  est  tout  à  fait  énigmatique  ;  les 
efforts  tentés  jusqu'à  présent  pour  l'expliquer  sont  demeurés 
vains. 

M.  Mommsen  avoue  son  embarras  et  n'ose  se  prononcer; 
il  remarque  cependant  que  l'inscription  provient  d'un  quartier" 
de   Rome   situé    en   dehors    du   territoire    des   quatre   tribus 


l.BELLORi,SeZec/inM?n?nî'(/MOy4n/oninza?u",  Rome,  1676,  cité  au  G.I. L.,  VI,  10.317: 
Anno  1676  cœnobium  patribus  ordinis  minorum  observanlium  œdificantibus  in 
insula  tiberina  et  in  platea  ante  aedem  D.  Bartholomœi,  effossa  terra  palmis 
XVIII,  inventa  est  congeries  tophorum  quam  nonnulli  fundamentum  obelisci 
olim  in  insula  erecti  fuisse  opinantur.  Ibidem  ex  ruderibus  inscriptiones  ires 
erutœ  sunt  quarum  duae  marmoreœ,  tertia  topliea, 

2.  G.  I.  L.,  I,  l"  éd.,  806,  et  VI,  10.317. 


48  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

anciennes'.  Il  paraît  donc  disposé  à  croire  qu'elle  concerne 
une  association  cantonale  de  citoyens  romains  comme  celles 
(les pagani  pagorintî  Aventinensis,  Janiculefisis,  Mercurialis, 
Capitoiini^ .  Mais  cette  interprétation  n'est  pas  acceptable  :  les 
magistri  du  collège  ne  sont  pas  des  citoyens  romains  ingenni^ 
ce  sont  des  affranchis  d'origine  grecque^.  Le  collège  lui-même 
devait  être  un  collège  religieux  privé,  placé  sous  la  protection 
d'un  dieu  étranger,  ou,  pour  mieux  dire,  d'un  dieu  grec.  On 
pense  tout  naturellement  à  Esculape  ;  son  nom  cependant  n'est 
pas  prononcé. 

Le  collège  s'appelle  :  conl[egii)  caprina  galla.  Que  signi- 
fient ces  mots?  Cohn  propose  de  lire  :  conl{egiï)  cap7'ina{rio- 
nnn)  Galla{rian)'^.  Les  Gallœ  ou  Galli  étaient  les  prêtres  de 
certaines  divinités  gréco-orientales,  telles  que  la  Mère  des  dieux 
[Magna  Mater)  et  la  déesse  syrienne  ;  il  y  avait  des  Galli  à 
Rome,  organisés  certainement  en  collèges,  comme  toutes  les 
corporations  sacerdotales.  Ceux  de  l'île  tibérine  étaient  préposés 
au  culte  de  Faunus,  le  Pan  des  Latins.  On  les  surnommait 
caprinarii,  chevriers''.  La  chèvre  passait  pour  l'animal  symbo- 
lique et  favori  des  divinités  rurales...  M.  Liobenam  a  raison 
de  déclarer  que  l'existence  de  ce  collège  de  Galli  chevriers, 
serviteurs  de  Pan,  n'est  pas  certaine,  bien  au  contraire''.  Le 
dieu  champêtre  qu'on  adorait  dans  l'île  n'était  nullement  le 
grec  Pan,  mais  le  Faunus  italique.  Les  seuls  Galli  de  Rome 
dont  nous  connaissions  l'existence  sont  les  prêtres  de  la  Magna 
Mater  du  Palatin'.  Le  mot  caprinarius  est  très  rare;  on  n'en 
peut  citer  qu'un  seul  exemple,  écrit  en  abrégé,  caprinar[inm). 


1.  MoMMSEN,  au  C.  I.  L.,  I,  !'•  éd.,  806  :  De  hoc  collegio  quid  statttam  nescio; 
hoc  notandum  lilulum  prodiisse  et  ipsum  in  parle  urbis  extra  quattuor  tribus 
posita. 

2.  Cf.  C.  I.  L.,  I,  1"  éd.,  I,  801-805,  et  le  commentaire  de  M.  Mommsen. 

3.  CoiiN,  Z,um  romiscken  Vereinsrecht,  Berlin,  1873,  p.  79. 

4.  CoHX,  lac.  cit.  —  Waltzing,  Elude  histor.  sur  les  corpor.  profess.  chez  les 
Romains,  Louvain,  1895-1900,  t.  I,  p.  90  :  «  Parmi  les  collèges  religieux  privés, 
il  faut  peut-être  citer  un  conl[egium]  caprina[riorum]  Galla[rum].» 

5.  Le  mot  caprinâr  se  lit  sur  une  inscription  funéraire  du  vi'  siècle  après 
Jésus-Christ,  publiée  par  de  Rossi,  Inscr.  christ,  urbis  Romœ,  Rome,  1861-1888, 
t.  I,  p.  497,  n°  1088  et  au  C.  I.  L.,  VI,  9231  :  Slephanus  caprinâr  se  vivo.  — 
De  Rossi,  loc.  cit.  :  Litlerae  caprinâr  caprinarium  significant,  vocem  hactenus 
opinor  inaudilam  quam  de  caprimulgo  sive  caprarum  pastore  interpretabor. 

6.  LiEBENAM,  Zur  Geschichle  und  Organisation  des  rômischen  Vereinswesens, 
Leipzig,  1890.  p.  6i  :  Vôllig  rat/iselhafl. 

7.  OviD.,  Fast.,  IV,  361  ;  —  Festcs,  p.  93,  etc.  —  Cf.  article  Galli,  par  Lafate, 
dans  le  Dictionn.  des  Antiq.,  de  Daremberg  et  Saolio. 


l'île    ÏIBÉRLNE    A    l'ÉPOQUE    RÉPUBLICAINE  49 

Caprina  n'est  pas  l'abréviation  de  cajwinariorwn^  ni  Galla 
celle  de  Gallarum  :  la  suppression  totale  d'une  ou  deux  syl- 
labes finales  est  inadmissible.  L'hypothèse  de  Cohn  soulève  trop 
d'objections  pour  qu'on  l'adopte.  Il  faut  confesser  que  le  sens 
des  mots  caprina  galla  et,  par  suite,  le  nom  et  la  nature  du 
collège  nous  échappent'. 

Inscription  funéraire.  —  L'unique  insci'iption  funéraire  de 
l'époque  républicaine  qui  provienne  de  Tile  tibérine  est  rédigée 
envers  sénaires  ïambiques.  Le  texte  original  n'existe  plus;  il 
faut  se  contenter  des  copies  prises  au  temps  de  la  Renaissance. 
Plusieurs  mots  doivent  être  suppléés  ou  complétés  2. 

[Heic  est  sep]ul[t)a  Quincti  Ranci  feilia  \  [Quincti  l]iberti 
Protlé]"^  quoi  fatum  grave  \  [criideles]  Parcœ  ac  finem  vitœ 
statuerunt  \  [vix  quom  ess\et  bis  cleccm  anneis  nata  indi- 
gniter ;  \  \jiam  quod  c\oncepit  leiberum  semen  duplex  \  [quom 
recte]  pareret,  patrono  auxsilium  ac  decus  \  [expertam  7nul]ta 
commoda  atque  incommoda  \  [inmitis]  mors  eripuit  sueis 
parentibus;  \  [nuncilli  s\ummo  inluctuacsollicitudine  \  [pne 
deside]rio  gnatse  fletus  in  dies  \  edunt  sibei  esse  ereptam 
talem  filiam;  \  pater  mei  et  genetrix  germana,  oro  atque 
o[bsecro]^  \  desinite  luctu,  questu^  lacrumas  fundere^  \  sei 
in  vita  jucunda  \ac\  voluptateifuei  \  \yobis\  viro  atque  amiceis 
noteisque  omnibus;  \  nunc  quoniatn  fatum  se  ita  tolit^  animo 
vo[lo\  I  œquo  vos  ferre  concordesque  vivere,  |  quas  ob  res  hoc 
monumentum  œdificamt  [pater]  \  suse  gnatse  sibeique,  uxori 
hanc  constituit  [domum]  \  œternam^  ubei  om,nes  pariter 
sevom  degen[t\. 

«  Ici  est  ensevelie  Rancia  Prote,  fille  de  Quinctus  Rancius, 
affranchi  de  Quinctus.  Par  la  volonté  des  Parques  cruelles  elle 
est  morte  prématurément,  à  peine  âgée  de  vingt  ans,  après 
avoir  conçu  et  mis  au  monde  heureusement  deux  jumeaux;  elle 
était  l'aide  et  l'honneur  de    son  patron  ;  elle    avait    éprouvé 


1.  11  est  certain  que  le  mot  caprina  doit  être  rattaché  à  capra  ;  peut-être 
faut-il  rattacher  aussi  galla  à  gallus.  On  sait  que  les  chèvres  et  les  coqs  étaient 
consacrés  à  Esculape.  L'inscription  se  rapporterait  donc  au  culte  du  dieu  de 
la  médecine.  Mais  comment  construire  la  phrase  et  que  veut-elle  dire?  Il 
se  pourrait  que  le  texte  eût  été  inexactement  copié  par  ses  premiers  édi- 
teurs. 

2.  C.  L  L.,  I,  1"  éd.,  1008;  VI,  25.369. 

3.  BuECHELER,  cité  au  c.  I.  L.,  VI,  23.369,  proposait  de  lire  [Heic  est...]  ulia 
Quincti  Ranci  feilia  [Quincti  l]iberti  Prot[i]. 

4 


50  l'île   TIBÉRINE    DANS   l'aNTIQUITÉ 

bien  des  vicissitudes  quand  la  mort  impitoyable  l'enleva  à  ses 
parents.  Ceux-ci  maintenant,  plongés  dans  le  deuil  et  l'inquié- 
tude, regrettant  leur  enfant,  versent  des  larmes  sur  le  jour 
où  leur  fut  enlevée  une  telle  fille.  Mon  père  et  ma  mère,  je 
vous  en  prie  et  supplie,  cessez  votre  deuil,  vos  plaintes  et  vos 
pleurs,  si  j'ai  fait  dans  ma  vie  la  joie  et  le  bonheur  de  mes 
parents,  de  mon  mari,  de  mes  amis,  de  tous  ceux  qui  me  con- 
naissaient. Puisque  désormais  le  destin  s'est  prononcé,  je  veux 
que  vous  supportiez  ce  coup  d'une  âme  égale  et  que  vous  viviez 
en  bonne  harmonie.  C'est  pourquoi  mon  père  a  fait  construire 
ce  monument  ii  sa  fille  et  à  lui-même,  et  il  a  élevé  pour  sa 
femme  cette  demeure  éternelle  que  tous  habitent  également.  » 
Un  certain  QuintusRancius,  fils  deQuintus,  est  cité  parmi  les 
signataires  du  sénatus-consulte  de  Oropiis,  en  l'année  681/73'  ; 
c'est  sans  doute  le  même  personnage  que  le  Quintus  Rancius, 
patron  et  mari  de  Rancia  Prote  '-.  L'épitaphe  métrique  de  Ran- 
cia  parait  dater  en  effet,  d'après  l'orthographe  et  le  style,  du 
dernier  siècle  de  la  République.  Les  érudits  du  xvi'  siècle  qui 
l'ont  sauvée  de  l'oubli  l'ont  vue'  devant  l'église  Saint-Barthé- 
lemy-^  Peut-être  à  l'origine  n'était-elle  pas  placée  dans  l'ile  ; 
beaucoup  de  pierres  tombales  des  environs  de  Rome  ont  été 
transportées  tardivement  à  l'intérieur  de  la  ville  et  utilisées 
comme  matériaux  de  construction  ;  on  a  découvert  mi  grand 
nombre  d'inscriptions  funéraires  anciennes  au  Forum,  où 
jamais  les  Romains  ne  se  sont  fait  enterrer  avant  le  moyen  âge'*. 
Il  n'est  pas  impossible  cependant  que  Rancia  Prote  ait  été 
ensevehe  sur  le  territoire  de  l'île  tibérine  même.  La  religion 
et  la  loi  défendaient  qu'on  enterrât  les  morts  en  deçà  de  la 
ligne  du  poïneruim'" .  Cette  interdiction  no  s'appliquait  pas  à 
l'île,  extérieure  à  la  cité  primitive.  De  même  qu'on  y  pouvait 
élever  des  temples  aux  dieux  étrangers,  comme  Esculape,  et 
caserner  des  soldats  en  armes,  de  même  aussi  on  avait  le  droit 
d'y  creuser  des  tombes. 

1.  MoMMSEx.  dans  V Hermès,  1885,  t.  XX,  p.  284. 

2.  C.  I.  L.,  loc.  cit. 

3.  Sabinus  :  Ante  lemplum  S.  Barlholomaei  in  insula  ;  —  Ma/occiii  :  In  domo 
D.  Marcide  insula;—  Sjjetius  :  In  insula  liherina  (Cités  au  C.  I.  L.). 

4.  Gatti,  Monumenli  epiffrafici  rinvenuti  nel  Foro  romano,  dans  le  Bullell. 
Comun.,  1899,  p.  247. 

'6.  Loi  des  Xil  Tables,  citée  par  Cic,  de  Leg.,  II,  2:i,  iiS  :  Uominem  ntor- 
luum  in  urbe  ne  sepelilo  neve  urito.  —  SKtiviis,  ad  .En.,  XI,  206  :  Quod 
poslea  Duilio  consule  senatus  prohibuit  et  lege  cavit  ne  quis  in  urbe  sepeli- 
relur. 


CHAPITRE  IV 
L'ILE    TIBÉRINE   A    L'ÉPOQUE    IMPÉRIALE 


La  fondation  de  l'Empire  marque  le  point  de  départ  d'une 
ère  nouvelle,  aussi  bien  dans  l'histoire  particulière  du  dévelop- 
pement monumental  de  la  ville  de  Rome  que  dans  l'histoire  géné- 
rale des  progrès  de  la  puissance  romaine.  On  peut  mieux  suivre 
désormais  les  transformations  de  l'île  tibérine  ;  les  textes  lit- 
téraires la  nomment  plus  fréquemment  et  les  inscriptions  se 
multiplient . 

L'extension  du  pomerium.  —  L'île  était  restée  pendant  toute 
l'époque  républicaine  en  dehors  du  pomerium.  Depuis  la  chute 
de  la  royauté  et  la  construction  des  premiers  édifices  élevés 
sur  son  sol  elle  se  trouvait  associée  à  la  vie  de  Rome  ;  elle 
n'était  plus  qu'un  quartier  semblable  à  tous  les  autres.  Cepen- 
dant, si  elle  faisait  partie  de  la  ville,  au  sens  moderne  et  pro- 
fane du  mot,  elle  ne  faisait  pas  encore  partie  de  la  cité,  au  sens 
antique  et  religieux.  Le  pomerium  séparait  le  territoire  consa- 
cré de  la  cité  du  territoire  de  la  campagne  ;  il  marquait  la 
limite  des  auspices  urbains  ^  La  ligne,  tracée  par  Romulus 
autour  de  la  Roma  quadrala  du  Palatin,  avait  été  reportée 
plus  loin  par  Servius  Tullius.  Elle  ne  fut  modifiée  de  nou- 
veau qu'au  dernier  siècle  de  la  République  par  Sylla  et  par 
César,  sans  dépasser  encore  la  rive  gauche  du  Tibre.  On  n'in- 

1.  Messala,  hih.  de  fl«s/).,cité  parGELL.,  XIII,  14  :  Pomerium  est  locus  intra 
agrum  effatum  per  totius  iirbis  circuitum,  pone  muros  regionibus  ceiiis  delev- 
minalis,  qui  facit  finem  auspicii  urhani.  —  Sur  le  pomerium,  consulter  : 
KiEPEUT-HuELSEN,  Nomencl.  topogr.,  p.  50;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.^ 
p.  3!)8;  —  les  articles  de  Mommsen.  Riciiter.  Detleksen.  Huelsen  dans  VHermès, 
t.  X,  p.  40;  t.  XX,  p.  1-28;  t.  XXI.  p.  497;  t.  XXII,  p.  6io;—  0.  Gilbert,  Gesch. 
und  Topogr.  d.  St.  Rom. ,t.l,  p.  114. 


52  l'iLK   TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ 

corpora  officiellement  l'ile  tibérine  k  la  cité  romaine  que  sous 
l'Empire;  jusqu'alors  elle  lui  était  extérieure,  et  c'est  ce  qui 
nous  explique  qu'on  y  ait  bâti  des  temples  à  certains  dieux, 
l'Esculape  des  Grecs,  Jupiter  Jurarius,  l'agreste  Faunus,  aux- 
quels, pour  des  motifs  divers,  l'accès  de  Rome  môme  était 
intordit*. 

Sous  l'Empire  le  pomerium  fut  plusieurs  fois  déplacé.  Pour 
agrandir  l'enceinte  de  la  cité  il  fallait  avoir  reculé  d'abord 
les  frontières  romaines  elles-mêmes-.  Claude,  Néron,  Ves- 
pasien,  Trajan,  Aurélien,  dont  les  règnes  furent  marqués  par 
des  conquêtes,  exercèrent  le  droit  que  leur  reconnaissaient  la 
religion  nationale  et  la  tradition.  On  a  retrouvé  quelques- 
uns  des  cippes  terminaux,  ornés  d'inscriptions,  que  chacun  de 
ces  empereurs  faisait  mettre  de  distance  en  distance  sur  le 
pourtour  de  la  nouvelle  ligne  '^  Il  paraissait  établi  jusqu'à 
ces  dernières  années  que  l'ile  tibérine  et  le  Transtévère 
n'étaient  devenus  intra-pomériaux  qu'au  m'  siècle  de  l'ère 
chrétienne,  quand  Aurélien  annexa  k  la  cité  tout  l'espace 
situé  en  deçk  de  la  muraille  de  fortification  qu'il  faisait  dresser. 
En  effet,  les  cippes  commémoratifs  des  délimitations  de 
Claude,  de  Vespasien  et  de  Trajan  avaient  tous  été  recueillis 
sur  la  rive  gauche  du  Tibre.  Mais  on  a  découvert  en  1899  sur 
la  rive  droite  un  cippe  terminal  de  Vespasien^;  il  avait  été 
utilisé  à  une  basse  époque  dans  la  construction  d'un  mur  situé 
sous  l'église  actuelle  de  Sainte-Cécile  in  Trastevere  ;  il  ne  pouvait 
être  très  éloigné  de  son  emplacement  primitif.  Cette  trouvaille 


1.  Cf.  ci-dessous,  p.  247. 

2.  Tac,  Ann.,  XII,  32  :  lis  qui  prolulere  imperitim  eliam  terminas  urbis 
propagare  datur.  —  Cf.  Senec,  de  Ihevil.  vit.,  XllI  ;  —  Gell.,  loc.  cit.;  — 
Vopiscus,  AureL,  21.  —  La  formule  finale  des  inscriptions  que  portent  les 
cippes  terminaux  du  pomerium  est  tout  à  fait  caractéristi(|ue.  Voir,  par 
exemple,  C.  I.  L.,  VI,  1231  :  Auctis  populi  romani  |  finibus  pomerium  \  a»i- 
pliavil  terminavitq{iie). 

3.  C.  I.  L.,  VI,  1231-1233;  — iVo/is.  d.  Scavi,  1885,  p.  415;  1881,  p.  232;  1900, 
p.  15;  —Bulletl.  Comun.,  1882,  p.  155;  1885,  p.  164;  1899,  p.  210. 

4.  Bullett.  Comun.,  1899,  p.  270;  —  Notiz.  d.  Scavi,  1899,  p.  15.  —  Cf.  Mek- 
LiN,  A  propos  de  l'extension  du  pomerium  par  Vespasien,  dans  les  Mél.  de  l'Ec. 
franc,  de  Home,  1901,  p.  97.  —  Date  de  ce  texte  :  premier  semestre  de  l'an  75 
après  Jésus-Christ.  —  [Imperator  Cse]sar  |  [Vespasijanus  Aug{ustus),  pont{ifex) 
inax[imus),  \  lrib{unicia)pot{eslàte)  VI,  imp{erator)XIV,p{aler)pa{triœ),  \  censor, 
eo{n)s(ul)  VI,  desig{natus)  VII,  |  T{itus)  Cœsar  Auy{usli)  f{ilius)  j  Vespasianus, 
imp[erator)  VI,  |  ponl{ifex),  trib{unicia)  pot{estate)  IV,  censor,  |  co(n)s(ul)  VI, 
desig{natus)  V,  |  auctis  p{opuli)  r{omani)  finibus,  |  [pomerium  ampliaverunt 
lerminaveruntque]. 


l'île    TIBÉRI^E    a    l'époque   T51PÉRIALE  53 

inattendue  atteste,  contrairement  à  l'opinion  commune,  que  la 
partie  centrale  du  Transtévère  et  à  plus  forte  raison  l'ile 
tibérine  étaient  comprises  dès  l'époque  de  Vespasien  dans  le 
pomeriwn;  à  celui-ci  Aurélien  ajouta  seulement  sur  la  rive  droite 
le  territoire  qui  s'étendait  entre  la  ligne  fixée  par  Vespasien  et 
son  propre  mur  de  défense.  Il  resterait  à  savoir  quel  empereur 
(lu  f  siècle  fit  rentrer  l'île  dans  l'enceinte  pomériale.  Ce  ne 
peut  être  Auguste  :  il  est  certain  qu'il  n'a  pas  modifié  le  pome- 
riiouK  La  délimitation  de  Claude  semble  avoir  porté  sur  la 
rive  gauche  ;  elle  rattacha  à  la  cité  l'Aventin  et  une  partie  du 
Champ  de  Mars  2.  Celle  de  Néron  n'est  connue  que  par  un  texte 
de  Vopiscus,  peut-être  sujet  à  caution 3.  Selon  toute  vraisem- 
blance ce  serait  donc  seulement  sous  le  règne  de  Vespasien 
lui-même  que  l'île  tibérine,  en  même  temps  que  le  centre  du 
Transtévère,  cessa  d'être  regardée  comme  extérieure  au  sol 
consacré  de  la  cité. 

La  XIV  région  d'Auguste  et  le  vicus  Censori.  —  Si  Auguste 
ne  toucha  pas  au  poynerium^  il  réorganisa  cependant  les  divi- 
sions territoriales  de  Rome*^.  Depuis  longtemps,  les  quatre 
régions  entre  lesquelles,  d'après  la  légende,  le  roi  Servius 
Tiillius  avait  réparti  le  sol  urbain,  étaient  notoirement  insuf- 
fisantes ;  la  population  trop  nombreuse  débordait  au-delà  des 
limites  qu'on  lui  avait  d'abord  assignées  ;  de  tous  côtés  se  for- 
maient des  faubourgs.  Auguste  voulut  donner  à  la  ville  des 
cadres  administratifs  qui  correspondissent  plus  exactement  à 
son  étendue  réelle  ;    il  fondit  ensemble  les  faubourgs  et    les 

1.  Gardthausex,  Augustus  und  seine  Zeit,  Leipzig,  1891-1896,  t.  I,  2,  p.  945; 
t.  II,  2,  556.  Ni  Suétone  ni  le  monument  d'Ancyre  ne  disent  rien  d'une  exten- 
sion du  pomeriwn  par  Auguste.  La  lex  7'egia  de  imperio,  qui  confère  à  Ves- 
pasien le  droit  de  reculer  les  bornes  pomériales,  n'invoque  qu'un  seul  précé- 
dent :  l'exemple  donné  par  Claude  est  seul  rappelé  (G.  I.  L.,  VI,  930).  —  C'est 
à  tort  que  Tac.  {Ann.,  XH,  24),  Cass.  Dio  (XLIV,  49),  Vopiscus  (Aurel.,  21) 
parlent  d'une  extension  du  pomerium  à  propos  de  l'organisation  des  XIV 
régions  urbaines. 

2.  Jordan,  Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  I,  1,  p.  324-353  :  la  délimitation  de  Claude 
aurait  eu  pour  but  de  restaurer  le  templum  de  la  ville  ;  la  ligne  qu'elle  décri- 
vait formait  sinon  un  carré,  du  moins  un  quadrilatère  irrégulier  dont  un  côté 
était  figuré  par  le  Tibre  ;  les  parties  de  la  ville  situées  au-delà  du  fleuve  res- 
taient en  dehors. 

3.  Vopiscus,  Aurel.,  21. 

4.  KiEPERT-HuELSEN,  Nomcncl.  topogr.,  p.  vu;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom., 
p.  465.  Voir  aussi  :  R.  Lanciani,  Ricerche  suite  XIV regioniurbane,  dans  le  Bullett. 
Comun.,  1890,  p.  115;  —  Gardthausen,  op.  cit.,  t.  I,  2,  p.  943  et  t.  II,  2, 
p.  552. 


54  l'île  tibérine  dans  LA.NTiyLirr; 

quartiers  anciens,  et  partagea  tout  ce  vaste  territoire  en  qua- 
torze régions,  qui  remplacèrent  celles  de  Servius.  Chacune  des 
régions  d'Auguste  comprenait  un  certain  nombre  de  subdivi- 
sions ou  vici.  Les  descriptions  de  Home  rédigées  au  iv""  siècle, 
la  Notifia  et  le  Curiosum  Urbis  Romœ  regiomun^  (jui  énu- 
mèrent  par  ordre  do  régions  les  édifices  les  plus  importants 
do  la  ville,  ne  parlent  pas  de  l'île  tibérine  ni  d'aucun  des  mo- 
numents qu'elle  renfermait  ^  Mais  on  sait  par  le  cosmographe 
^Ethicus  qu'elle  appartenait  k  la  quatorzième  région-,  appe- 
lée dans  les  doscrii)tions  Traiislihenm  et  située  tout  entière, 
sauf  elle,  sur  la  rive  droite  du  fleuve.  Il  était  naturel  qu'on 
la  rattachât  au  Transtévère,  à  la  dernière  des  régions  d'Au- 
guste; le  Tibre  n'avait-il  pas  formé  longtemps  la  frontière  du 
sol  romain?  L'île  n'était-elle  pas  restée  longtemps  étrangère 
à  la  cité? 

Une  inscription  de  l'année  136,  la  Base  capitoline,  contient 
une  liste  des  quartiers  ou  vici  de  Rome,  rangés  par  régions  •'. 
Elle  cite,  parmi  les  vici  de  la  quatorzième  région,  un  vicus 
Tiherinus ;  on  pourrait  croire  qu'il  se  trouvait  dans  l'île,  où  le 
dieu  Tiberinus avait  un  sanctuaire*;  il  est  plus  probable,  cepen- 
dant, qu'il  faut  le  chercher  sur  la  rive  droite  du  Tibre  et  qu'il 
devait  son  nom  à  sa  position  le  long  du  fleuve'.  Un  autre  vicus 
de  la  même  région,  qu'indique  aussi  la  Base  capitoline,  le 
r^icus  Censori  ou  Censorii^  est  mentionné  en  deux  inscriptions 
trouvées  au  xvif  siècle  dans  l'île  tibérine  :  c'était  le  principal 
ou  le  seul  viens  qu'elle  renfermât. 

La  première  inscription  a  été  découverte  en  1676  devant 
l'église  Saint-Barthélémy  ;  elle  n'a  qu'une  ligne''  : 

Vici  Censori  lustratio  erit  idibiis  septe7nbr[ibiis). 

«  Le  jour  des  ides  de  septembre  (treizième  jour  du  mois), 
aura  lieu  la  lustratio  du  vicus  Censori.  » 

La  lustration  était  une  cérémonie  religieuse  de  purification  : 

1.  Le  texte  de  ces  descriptions  est  publié  par  Urlichs,  Cod.  topogr.,  Wùrtzburg, 
1871,  p.  1  et  par  Jokdan,  op.  cil.,  t.  II,  p.  541. 

2.  iÊTHicLs  dans  l'édition  de  Fomponius  Mêla  par  Giionovius,  1722,  p.  716  : 
{Tiberis)  fucit  insulam  ref/ioni  quarlae  decimse. 

3.  C.  l.  L.,  VI,  975. 

4.  Pkellek,  die  Regionen  der  Stadt  Rom,  léna,  1846,  p.  205. 

5.  0.  GiLBEHT,  Gesch.  und  Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  III,  p.  447,  note  1.  — 
Cf.  R.  Lancia.m.  Forma  Urbis  Romœ,  Rome,  1893-1901,  feuille  28. 

6.  C.  I.  L.,  VI,  821.  —  La  provenance  exacte  de  ce  texte  est  connue  par  Bel- 
LOHi,  Selecti  nummi  duo  Anloniniani,  cité  par  Casimiho,  Meinorie  isloriche, 
p.  330,  en  note. 


l'île  tibérine  a  l'époque  lmpériale  58 

elle  consistait  en  une  procession,  une  prière  et  un  sacrifice;  les 
habitants  de  chaque  viens  de  Rome  célébraient  en  commun  le 
culte  des  Lares  eompitales  et  du  Genius  Augustl;  les  magis- 
tri  viconan,  qui  présidaient  à  ce  culte,  étaient  chargés  du  soin 
de  la  purification  annuelle  ^ 

Les  vici  de  l'époque  impériale,  comme  les  rues  et  les  quar- 
tiers de  l'époque  républicaine,  tiraient  leurs  noms  soit  des 
événements  dont  leur  territoire  conservait  le  souvenir  his- 
torique ou  légendaire,  soit  des  industries  ou  des  commerces 
qu'on  y  exerçait  principalement,  soit  des  familles  riches  et  puis- 
santes qui  y  résidaient,  soit  enfin  des  grands  personnages  qui 
les  avaient  ornés  et  embellis.  M.  Otto  Gilbert  range  le  viens 
Censo/i  dans  cette  dernière  catégorie-.  On  ne  sait  rien,  d'ail- 
leurs, du  Censorius  qui  lui  aurait  donné  son  nom  3.  Ce  person- 
nage devait  vivre  aux  derniers  temps  de  la  République  ou  au 
i"  siècle  de  l'Empire.  La  seconde  inscription  relative  au  vieus 
Censori  date  exactement  de  l'année  100  après  Jésus-Christ; 
dès  cette  époque,  par  conséquent,  le  vieus  de  l'île  s'appelait 
ainsi. 

Autel  des  dieux  Lares.  —  Cette  seconde  inscription  est 
dédiée  aux  Lares  d'Auguste  et  aux  Génies  des  Césars.  Il  y  est 
question  à  la  fois  du  viens  Censori  et  de  la  XIV*  région.  Elle 
confirme  et  complète  les  deux  témoignages  de  la  Base  capito- 
line  et  du  cosmographe  ^thicus  :  le  vieus  Censori  faisait  partie 
de  la  XIV  région  et  de  celle-ci  dépendait  l'île  ^  : 

Laribus  Augustis  et  Genis  Cœsarum.  \  Imp[eratori)  Cœsari 
divi  Nervse  filio  Nervœ  Traiano  Aug[usto)  Germ{anieo)  ponti- 
fici  maximo^  trib[unicia)  pot[estate)  II II,  eo[n)s{uli)  III, 
desi[g{nato)  II II],  \  permissu  C[ai)  Cassi Intera?nnani Pisibani 
Prisei  prœtoris,  œdiculam  reg[ionis)  XIII I  vici  Censori  magis- 


1.  Cf.  Marquardt-Mommsen,  Man.  des  Antiq.  rom.,  t.  XIÏ,  le  Culte,  I,  p.  242; 
—  GAnnxHAUSEX,  op.  cit.,  t.  I,  2,  p.  929,  p.  944,  t.  II,  2,  p.  540. 

2.  0.  Gilbert,  op.  cit.,  t.  III,  p.  o4,  note  3. 

3.  Les  seuls  CensoHi  que  citent  pour  le  Haut  Empire  Klebs-Rohdex-Dessau 
dans  la  Prosopograp/iia  impevii  roman?  (Berlin,  1897-1898)et  l&RealEncyclopàdie 
de  Pauly-Wissowa  sont  G.  Censorius  Niger,  procurator  Augusti  en  Norique, 
contemporain  d'Antonin  le  Pieux  (G.  I.  L.,  III,  5174;  —  Fko.nto,  Epist.,  éd. 
Naber,  p.  164-168)  et  M.  Gensorius  Paullus,  legatus  Augusti  pro  prœtore  en  Aqui- 
taine (G.  I.  L.,  XIII,  1129). 

4.  G.  I.  L.,  VI,  451.  Fabretti  écrivait  en  1683  que  cette  inscription  avait  été 
trouvée  récemment  dans  l'île,  nuper  in  insula  tiberina  reperta. 


!56  l/lLE    TinÉRlNK    DANS    l'aNTIQIITK 

//•/  anni  CVl[i\  '  |  vetuslalc  dilapsam  inpensa  sua  restitueriint, 
idem  p?'{xtor)  probavit ;  \  L{ucio)  Roscio  .fJliano  \  Ti{heno) 
Claudio  SaccrdoLv  co{n)s[u/ihits),  L{ucius)  Cercenius.  L[ucii) 
lib[ertus)  Hermès^  M(arcus)  Livius  C{aiœ  lib{eftus)  Donax, 
I  P{ubiius)  Rutilius P{ubiii)  f{iHus)  Priscus,  L[ucius)  Coranius 
L[ucii)  lib[ertus)  Evaristus  dedic[averunt)  III I  k[alendas) 
Jan[uarii). 

«  Aux  Lares  d'Auguste  et  aux  Génies  des  Césars.  A  l'empe- 
reur César  Nerva  Trajan,  fils  du  divin  Nerva,  Auguste,  Ger- 
manique, pontife  souverain,  étant  revêtu  de  la  puissance  tri- 
bunicienne  pour  la  quatrième  fois,  consul  pour  la  troisième  fois, 
désiprné  pour  un  quatrième  consulat.  Avec  la  permission  de 
C.  Cassius  Interamnanus  Pisibanus  Priscus,  préteur,  les  ina- 
gistri  du  vicus  Censori  dans  la  XIV*  région  pour  la  cent 
septième  année  ont  relevé  à  leurs  frais  ce  petit  édifice  qui 
tombait  on  ruines  de  vétusté  ;  le  mémo  préteur  a  approuvé  leur 
travail,  L.  Roscius  yËlianus  et  Ti.  Claudius  Sacerdos  étant 
consuls.  L.  Cercenius  Hermès,  affranchi  de  Lucius,  M.  Lucius 
Donax,  aff'ranchi  de  Caia,  P.  Rutilius  Priscus,  fils  de  Publius, 
L.  Coranius  Evaristus,  affranchi  de  Lucius,  ont  fait  la  dédicace 
le  quatrième  jour  avant  les  kalendes  de  janvier  (18  dé- 
cembre). » 

L'indication  des  titres  de  l'empereur  régnant  permet  de  dater 
exactement  ce  texte.  Trajan  était  revêtu  de  la  puissance  tri- 
bunicienne  pour  la  quatrième  fois  en  l'an  100,  cent  septième 
année  depuis  la  création  des  vici'~.  Des  quatre  7nagistri  du 
vicus  Censori-^,  trois  sont  des  affranchis,  un  seul,  L.  Rutilius 
Priscus,  est  de  naissance  libre  :  parmi  les  magistri  vicorum 
les  ingenui  ont  toujours  été  beaucoup  moins  noml)reux  que  les 
liberti;  sui-  les  275  magistri  que  nomme  la  Base  capitoline, 
il  n'y  a  que  36  ingenui.  A  la  fin  de  l'inscription  on  a  gravé  les 
noms  des  deux  derniers  consuls  suffecti  de  l'an  100''. 

1.  Il  faut  supposer  que  le  dernier  chiffre  a  été  effacé;  d'après  le  nombre  des 
puissances  tribunicicnnes  il  devait  y  avoir  CVII. 

2.  Les  mar/istri  vicorum  entrèrent  en  fonctions  pour  la  première  fois  le 
i"  août  747/7  avant  Jésus-Christ.  Cette  date  servit  de  point  de  départ  à  la 
supputation  chronologique.  Les  magistri  s'appelèrent  désormais  magistri 
anni  secundi,  lerlii,  etc.,  selon  qu'ils  étaient  entrés  en  fonctions  la  seconde 
ou  la  troisième  année  après  l'organisation  des  vici. 

3.  Il  y  avait  quatre  magistri  Tpour  chaque  vicus  :  Base  capitoline,  C.  I.  L.,  VI, 
973;  inscriptions  des  autels  dédiés  aux  dieux  Lares,  C   I.  L.,  VI,  44o  et  suiv. 

4.  GoYAU,  Chronol.  del'emp.  rom.,  Paris,  1891,  p.  177.  Ces  deux  consuls  suffecti 
n'ont  exercé  leur  charge  que  pendant  les  derniers  jours  du  mois  de  décembre. 


l'île  tirérine  a  l'époque  impériale  57 

La  restauration  du  culte  des  dieux  Lares  est  étroitement 
liée  à  l'institution  des  nouvelles  régions  urbaines  par  Auguste  ^ 
De  tout  temps  les  Romains  avaient  adoré  ces  divinités  domes- 
tiques, protectrices  du  foyer  ;  chaque  famille  avait  ses  dieux 
Lares,  qui  n'étaient  autres  que  les  génies  mêmes  des  ancêtres; 
chaque  quartier  de  la  ville,  dès  l'époque  républicaine,  avait  ses 
Lares  compilaient  et  l'on  célébrait  annuellement  dans  les  car- 
refours la  fête  des  Compitalia.  Quand  Auguste  divisa  Rome  en 
quatorze  régions  et  les  régions  en  265  vici^  il  fonda  ou  releva 
265  autels  des  dieux  Lares,  un  par  viens- \  l'autel  était  le 
centre  religieux,  le  fojer  commun  du  quartier.  Ces  Lares  des 
vici  ajoutèrent  à  leur  nom  ancien  le  nom  même  d'Auguste  qui 
avait  remis  leur  culte  en  honneur.  «  Du  jour  où  Auguste  s'identifie 
avec  l'Etat,  les  Lares  de  la  cité  deviennent  les  Lares  impé- 
riaux. Et  de  même  que  dans  les  maisons  particulières  le  Génie 
du  maître  est  associé  aux  Lares  des  foyers,  dans  les  chapelles 
des  carrefours  le  Génie  d'Auguste  prit  place  entre  les  Lares 
d'Auguste-^  »  On  a  retrouvé  plusieurs  autels  des  vici'';  la  plu- 
part étaient  consacrés  en  même  temps,  comme  celui  de  l'île 
tibérine,  aux  Lares  d'Auguste  et  aux  Génies  de  la  famille  impé- 
riale, Lai'ibus  Augustis  et  Geniis  Cœsariim. 

Des  ministri  de  condition  servile  assistaient  les  magistri 
vicorum.  Une  base  de  marbre,  découverte  dans  l'île  en  1676, 
porte  sur  deux  faces  deux  inscriptions,  du  ii"  siècle  de  l'ère 
chrétienne  selon  toute  apparence,  dédiées  aux  Lares  d'Au- 
guste par  quatre  ministri'^  : 

Larib{us)  Aug[ustis)  \  ministri  \  qui  k{aleiidis)  Aug[iistï) 
j)rimi  inierunt,  \  Antigonus  M[arci)  Juni  Erotis,  \  Anteros 
D[ecii)Pohlici  Barnai,  \  Eros  A{uli)  Poblici  Damée,  \  Jiicundus 
M[arci)  Ploti  Anterotis. 

Larib[îis)  Aug[nstis)  \  ministri  \  qui  k[alendis)  Aiig{usti) 
primi  inierunt,  |  Anteros  D[ecii)  Poblici  Barnai,  \  Eros  A{uli) 

1.  Voir,  sur  les  Compitalia  et  le  culte  des  Lares  et  du  Génie  d'Auguste,  Mar- 
QUAKDT-MoMMSEX,  Mcin.  cles  Antiq.  rom.,  trad.  franc.,  t.  XII,  le  Culte,  I,  p.  244. 

2.  Plin.,  Hist.  nat.,  III,  5  (9),  emploie  les  mots  de  Compila  Larunt  comme 
synonymes  de  vici  :  Complexa  montes  septem,  ipsa  dividitur  Roma  in  regiones 
quatluordecim,  compila  Larum  CCLXV. 

3.  GouRBAUD,  le  Bas-relief  romain  à  représentations  historiques,  Paris,  i899, 
p.  99. 

4.  G.  I.  L.,  VI,  445-454  ;  —  Gf.  article  JEdes  Larum  dans  le  Dizion.  epigr.  de 
Dl  RUGGIERO,  t.  I,  p.  182. 

5.  C.  I.  L.,  VI,  446-447.  Reperfœ  anno  1676  in  insula  tiberina  (Fabretti,  cité 
au  C.  I.  L.l. 


î>8  i/iLi:  tiuéuim:  ua.ns  L'A^TlQl;n•^: 

Pohlici  Pa/H.v,  I  Jucumlus  M{arci)  Ploti  Anterotis^  \  AiUiyo- 
nus  M[arci)  Juni  Erotis. 

«  Aux  Lares  d'Auguste  les  minktri  entrés  en  charge  les 
premiers  le  jour  des  kalendes  d'août  (l"  août),  Antigonus, 
esclave  de  M.  Junius  Eros,  Anteros,  esclave  de  D.  Publicius 
Harna,  Eros,  esclave  d'A.  Publicius  Dama,  Jucundus,  esclave  de 
M.  Plotus  Anteros.  » 

Les  maîtres  de  ces  ministri  étaient  eux-mêmes  des  affran- 
chis ou  des  descendants  d'affranchis  d'origine  étrangère  :  leurs 
noms  en  font  foi. 

Statues  de  César  et  de  Marc-Aurèle.  — Plusieurs  statues  déco- 
raient les  rues  et  les  places  de  Tile.  L'une  d'elles  représentait 
Jules  César.  On  racontait  à  son  sujet  une  aventure  merveil- 
leuse. D'après  Suétone,  à  l'issue  des  comices  que  Galba  avait 
réunis  en  l'année  68  pour  se  faire  élire  consul  une  seconde  fois, 
une  statue  de  César  qui  regardait  l'Occident  se  tourna  sponta- 
nément vers  l'Orient'.  Ce  prodige  annonçait  une  prochaine 
révolution  :  un  astre  nouveau  allait  se  lever  à  l'horizon.  Tacite 
et  Plutarque  rapportent  le  même  fait,  en  l'attribuant  au  règne 
d'Othon-';  ils  nous  apprennent  que  cette  statue  de  César  était 
située  dans  l'ile  tibérine  ;  ils  font  observer  que  le  prodige 
advint  sans  qu'il  y  eût  ni  coup  de  vent  ni  tremblement  déterre. 
L'île  n'avait  pas  perdu,  a  l'époque  impériale,  ses  vertus  sur- 
naturelles"^. 

Un  fragment  d'inscription,  recueilli  dans  l'île,  appartenait  à 
la  base  d'une  autre  statue,  élevée  à  Marc-Aurèle^  : 

[Prosaht\teetre[ditu  \  eivï\ctori[a  \  imp[erat07ns)Cœs[aris)] 
M[arci)  Au[re\li   An]tonin[i  \  Atigitisti)  {Ger\manici  \  [Sar- 

mati]ci,  p{atri)  p{atriœ),  \  [(/{ono)]  d{ato)  \    us  M[arci) 

f{ilius)....  vir  cli  |  ...  efcio  \  ...  t  \  ...ta\  ...io...i  Cœs... 

1.  SuET.,  Vesp.,  5  :  Ac  non  multo  post,  comitia  secundi  consulatus  ineunte 
Galba,  slatuam  divi  Julii  ad  orienlem  spotile  conversam. 

2.  Tac,  Hisl-,  I,  86  :  Sinluam  divi  Julii  in  insula  Tiberini  amnis  sereno  et  im- 
mola die  aboccidenle  in  orienlem  conversam.  —  Plut.,  O//10,  4:  Kaltôvèv  [xenoTtova- 
{it'a  vr,Tw  Vxio-j  KacTapo;  àvSpt'avTa  [XT|Te  Te'.T|j.ov  •^s.yo'jrkoz  \i-rt-t  7:v£-j(iaTo;.  àcp' 
é<rjrépa;  iiSTaTTpayÉvTa  npoi  xà;  àvaroÀi;'  0  <fxm  a-j(iof,vat  Ttepi  Ta;  T,|X£pa;èxc!'va; 
âv  aiç  ol  TtEpl  O-jEOTraatavôv  è|jiçav(ô;  y,ôr,  twv  npxy^t.izM'^  àvTeAa!i.oivovTo. 

3.  Au  moment  de  la  mort  de  César,  la  statue  de  la  Magna  Mater  au  Palatin, 
qui  regardait  l'Orient,  s'était  tournée  d'elle-même  vers  l'Occident  (Cass.  Dio, 
XLV'I,  33).  Le  miracle  de  l'ile  tibérine  annonçait  l'avènement  de  Vespasien, 
comme  celui  du  F'alatin  avait  annoncé  la  chute  de  César. 

4.  C.  IL.,  VI,  1015. 


l/lLE    TIBÉRIXE    A    l'ÉPOQUE    IMPÉRIALE  59 

«  Pour  le  salut,  le  retour  et  la  victoire  de  Tempereur  César 
Marc-Aurèle  Antonin  Auguste,  Germanique,  Sarmatique,  père 
de  la  patrie,  en  vertu  d'un  don.  » 

Le  surnom  de  Sarmaticus  fut  décerné  à  Marc-Aurèle  en 
175  ;  l'inscription  rappelle  les  victoires  et  l'heureux  retour  du 
prince  ;  de  178  à  180,  il  avait  fait  la  guerre  contre  les  Marco- 
mans;  la  date  du  texte,  à  quelques  années  près,  est  donc  cer- 
taine. 

La  Forma  Urbis  Romas.  —  Sur  un  document  précieux  du 
m"  siècle,  malheureusement  très  incomplet  et  très  mutilé,  une 
petite  partie  de  File  tibérine  est  représentée  ;  si  peu  que 
nous  apprennent  les  fragments  de  la  Forma  Urbis  Romœ^  il 
est  nécessaire  de  s'y  arrêter  :  eux  seuls  nous  donnent  une 
image  authentique  et  officielle  de  l'aspect  que  présentait  dans 
l'antiquité  l'intérieur  de  l'île. 

Au  début  du  m*  siècle  l'empereur  Seplime  Sévère  fit  graver 
sur  marbre  un  plan  de  Rome  à  l'échelle  du  250%  qu'on  afficha 
sur  le  mur  postérieur  du  Templum  Urbis  Romœ  au  Forum. 
Pendant  le  pontificat  du  pape  Pie  IV  (1559-1565)-  des  fouilles 
exécutées  derrière  l'ancien  Templum  Urbis  Bomx,  maintenant 
l'église  des  Saints-Côme-et-Damien,  amenèrent  la  découverte 
d'un  tiers  environ  du  plan  de  Septime  Sévère.  Les  morceaux 
retrouvés  furent  déposés  au  palais  Farnèse  on  ne  prit  soin  que 
des  plus  importants,  que  l'on  transporta  pendant  le  xviii"  siècle 
au  musée  du  Capitole  ;  les  autres,  qui  n'avaient  même  pas  été 
tous  dessinés,  servirent  comme  matériaux  dans  la  construc- 
tion d'un  mur  à  l'ouest  du  palais  Farnèse.  Depuis  trente  ans 
des  fouilles  faites  à  plusieurs  reprises  aux  abords  de  l'église 
des  Saints-Côme-et-Damien  et  la  démolition  du  mur  à  l'ouest  du 
palais  Farnèse  ont  permis  d'ajouter  de  nombreux  débris  du 
plan  à  ceux  que  l'on  connaissait  déjà.  Il  est  à  souhaiter  qu'ils 
puissent  être  tous  identifiés  et  classés  méthodiquement  et 
qu'une  édition  nouvelle  vienne  remplacer  celle  de  Jordan 
désormais  insuffisante  i. 

C'est  à  Jordan  que  l'on  doit  d'avoir  reconnu  sur  deux  frag- 
ments séparés  une  représentation  de  l'île  tibérine.  Bellori,  le 

1.  Voir  les  observations  de  R.  Lanciani,  7  nMO!;i  frammenti  délia  Forma  Urbis 
Romas,  dans  le  Bullelt.  Comiin.,  1899,  p.  3.  —  La  première  édition  est  celle  de 
Bellori,  Fragmenta  vesligii  veleris  Romae,  Rome,  1673.  Celle  de  Jordan,  Forma 
Urbis  Romse,  a  paru  à  Berlin  en  1874. 


60 


l/lLE    TinÉRINK    DANS    l'aNTIQUITÉ 


premier  éditeur  do  la  Forum  Urbis  Rnmœ  n'avait  pas  lu  exac- 
tement les  lettres  que  portent  ces  deux  fragments  ni  remar- 
qué qu'ils  se  complètent  l'un  l'autre.  Il  suffit  à  Jordan  de  les 
rapproc'lier  \ma\v  voir  quel  quartier  de  Rome  ils  concernent  et 
coque  signifient  les  lettres  mystérieuses.  A  la  partie  inférieure 
du  morceau  unique  ainsi  reconstitué  sont  figurés  deux  édifices; 
une  colonnade  précède  celui  de  droite  ;  celui  de  gauche  s'ouvre 
par  une  porte  assez  large  sur  l'espace  vide  qui  s'étend  en  avant 
des    colonnes.  Au-dessus    on    lit   trois   mots    :    inte[r   du]os 


Fio.  10.  —  FBAdMKNTs  m-:  la  Forma  Urbis  Bonir,  conxrrnant  l'u.e  tib|},rine 
D'après  lédition  de  Jordan,  Berlin,  Weidmaun,  IST'i.  pi.  IX,  42. 


po[n]tesK  L'île  tibérine  était  appelée  assez  souvent  dans  l'anti- 
quité l'île  entre  les  deux  ponts-  ;  la  place  bordée  d'édifices  dont 
la  Forma  Urbis  Romœ  reproduit  un  coin  en  dépendait  par 
conséquent;  Jordan  avait  raison  de  l'affirmer. 

1.  JoKiiAX,  op.  cit.,  p.  44  et  pi.  IX,  42. 

2.  Cf.  les  textes  latins  et  grecs  cités  plus  h<aut,  à  la  page  3,  en  note.  —  Les 
Anciens  appréciaient  particulièrement  parmi  les  poissons  d'eau  douce  ceux 
qui  avaient  été  pris  dans  le  Tibre  «entre  les  deu.x  ponts».  C.  Titius,  contem- 
porain de  Lucilius,  dans  son  discours  pm  Lcf/e  Fannia,  cité  par  Macbob. 
{Salurn.  II,  12),  vantait  le  lupus:  Ëdimus  turdum  pinyuem,  bonumque  piscem, 
lupuin  r/ennanum,  qui  in'er  duos  pontes  captus  fuit.  Un  personnage  mis  en 
scène  par  Lucilius  dans  une  de  ses  satires,  citée  parMACnoB.,  ihid.,  préférait 
le  catillo  : 

Hune  ponlcs  Tiberinos  duo  inter  captas  catillo. 
Cf.  HoHAT.,  .Sa/.,  Il,  2,  31  : 

Unde  daturo  sentis,  lupus  hic  Tiberinus,  nn  nllo 
Ijiptus  hiet  7  pontesne  inter  jaclatus  an  amnis 
Ostia  8ub  ToBci  ? 

Plik.,  Hist.  liai.,  IX,  54  (79)  :  Quando  eadem  aquatilium  gênera  aliuhi  atque 
aliubi  meliora  :  sicul  lupi  pisces  in  Tiberi  amne  inler  duos  pontes.  Il  est  pos- 


l'île  tibérine  a  l'époque  impériale  61 

Inscription  en  l'honneur  d'un  préfet  de  l'annone.  —  Il  faut  des- 
cendre jusqu'à  la  fin  du  iv''  siècle  pour  trouver  un  nouveau 
texte  intéressant  l'île  tibérine  ^ 

En  389,  le  collège  des  mensores  Portuenses  éleva  une  statue 
à  Ragonius  Vincentius  Celsus,  ancien  préfet  de  l'annone.  La 
statue  a  disparu,  la  base  sur  laquelle  était  gravée  l'inscription 
dédicatoire,  conservée  longtemps  dans  l'église  Saint-Barthé- 
lémy, est  déposée  maintenant  au  musée  du  Vatican  2. 

sible  que  les  deux  ponts  mentionnés  dans  ces  textes  soient  les  ponts  de  Tile 
tibérine  et  que  les  poissons  si  goûtés  des  Romains  fussent  précisément  ceux 
que  l'on  capturait  aux  abords  de  Tile.  Le  commentateur  Cruquius,  au  xvi"  siècle, 
a  proposé  cependant  une  autre  explication.  Les  deux  ponts  seraient  le  pont 
Milvius,  le  dernier  qu'on  ait  jeté  sur  le  Tibre  avant  son  entrée  dans  Rome,  et 
le  pont  Sublicius,  le  dernier  qu'il  rencontrât,  à  l'époque  républicaine  et  au 
début  de  l'empire,  dans  sa  traversée  de  la  ville  ;  les  vers  d'Horace  voudraient 
dire  simplement  que  l'on  aimait  mieux  les  poissons  péchés  dans  la  ville  que 
ceux  péchés  en  amont,  non  pas,  comme  le  suppose  Cruquius  d'après  Acro 
{ad  Hor.,  loc.  cit.)  et  Colum.  (VIII,  16)  parce  que  le  courant  y  est  plus  rapide 
qu'à  l'embouchure,  mais  parce  qu'à  cet  endroit  les  égouts  de  Rome  fournis- 
saient au  lupus  et  au  catillo  une  nourriture  plus  abondante  (Juvex.,  V,  104). 
L'hypothèse  de  Cruquius  est  peu  vraisemblable.  Les  mots  inter  duos  pontes 
paraissent  avoir  eu  dans  l'antiquité  un  sens  précis  tout  à  fait  passé  dans 
l'usage;  ils  désignaient  l'île  tibérine  elle-même;  remarquons  que  l'Ile  était 
très  favorablement  placée  pour  la  pêche,  et  tout  auprès  du  débouché  de  la 
Cloaca  Maxima.  —  Pour  0.  Richtek  {Topogr.  d.  St.  Rom,  2°  éd.,  1901,  p.  191), 
les  mots  inter  duos  pontes  s'appliquent  à  l'espace  compris  entre  le  pont  Subli- 
cius et  le  pont  ^milius,  c'est-à-dire  aux  «  abords  de  l'ile  ».  En  réalité,  ces  deux 
ponts  sont  ceux  de  l'ile  même,  le  pont  Fabricius  et  le  pont  Cestius. 

1.  D'après  Pighus,  dans  son  recueil  manuscrit  connu  sous  le  nom  de  S;/l- 
lof/e  Luzaciana,  une  inscription  dédiée  à  Apollon  par  Memmius  Vitrasius 
Orfitus,  via  clarissimus,  préfet  de  Rome  pour  la  seconde  fois  ,356-339),  pro- 
viendrait de  l'ile  tibérine  (C.  I.  L.,  VI,  45).  Mais  cette  indication  de  la  Sijllof/e 
Luzaciana  est  évidemment  fautive.  Tous  les  autres  recueils  d'inscriptions 
rédigés  à  la  Renaissance  et  Pighius  lui-même,  dans  son  livre  imprimé  des 
Annales,  déclarent  que  la  dédicace  à  Apollon  a  été  trouvée  au  Ghetto  près  du 
Tibre  (voir  les  textes  cités  au  C.  I.  L.);  elle  était  déposée  à  l'origine  dans  le 
temple  d'Apollon  au  Champ  de  Mars,  situé  entre  le  cirque  F'iaminius  et  le 
théâtre  de  Marcellus.  L'erreur  commise  par  Pighius  s'explique  peut-être  par 
une  confusion  faite  entre  l'église  San  Bartolomeo  de'Vaccinavi,  près  de  laquelle 
la  découverte  eut  lieu  en  effet,  et  l'église  San  Bartolomeo  in  isola.  —  Un  frag- 
ment très  mutilé  d'une  inscription  relative  à  une  réparation  de  l'aqueduc  de 
VAnio  Novusen  381  est  inséré  dans  le  dallage  de  l'hôpital  des  Frères  de  Saint- 
Jean-de-Dieu,  près  de  la  fontaine.  Il  était  placé  d'abord,  très  certainement,  sur 
la  rive  gauche  du  Tibre,  où  aboutissait  cet  aqueduc  sur  l'Esquilin,  et  il  n'a  été 
transporté  dans  l'île  que  pour  y  être  utilisé  avec  d'autres  matériaux  de  cons- 
truction (C  I.  L.,  VI,  386.5).  —  Rappelons  enfin,  à  ce  propos,  qu'une  autre 
inscription  de  l'époque  impérial'  proviendrait  aussi,  d'après  Ligorio,  de  l'île 
tibérine.  C'est  une  dédicace  à  Hercule  et  à  Silvaiu,  faite  par  L.  Junius  Lyco, 
scriha  librarius  aedilium  curulium.  Elle  a  été  trouvée,  en  réalité,  assez  loin  de 
l'île,  dans  la  via  Giidia.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  tenir  compte  de  l'assertion  inexacte 
de  Ligorio  (C.  I.  L.,  VI,  296). 

2.  G.  I.  L.,  VI,  1159. 


62  L  ILK    TIHKKINE    DANS    L  ANTIOLlTi: 

Ragonio  Vincentio  Ceho  v{iro)  c{l(irissiiii())  \  a  /jrinio  œta- 
tis  introitn  in  actu  \  jinhlico  fideli  evercitationi'  rrrs/tfo,  \ 
ciijus  primff^vitas  of/icio  sedia  itrôaruv  \  advocalio/iis  excercito 
fidem  Jitncxit  inf/enio,  |  prudentiœ  miscuit  liber tatem,  ita 
ut  Jiemo  de  \  ejiis  industria  nisi  ille  contra  queni  stisceprrat  \ 
fonnidaret  ;  ciijiis  accessits  /etatis  amplissimi  |  honoris  et 
qui  solet  seniorib{ns)  provenire  orna\mcnta  j)romeruit,  nam 
rexit  annonariam  potes\tatem  iirbis  œternœ  ea  œg  ni  la  le  ni 
inter  nmtieii  \  qui  ad  euni  nnimo  litigantis  intrassenl  puren- 
tem  se  \  plerumq[ue)  magis  his  quant  judicem  prsebxiisset.  \ 
Hinc  efiani  factum  est  ut  mensores  nos  Portuenses  \  quih{us) 
vêtus  fuit  cum  caudicariis  diuturnumq[ue)  \  luctamen.,  volt 
compotes  abiremus,  ut  utrmnq{iie)  \  corpus  et  beneficio  se  et 
Victoria  graluletur  \  adfectum  ;  nam  ut  hoc  esset  indicio  jam 
posito  I  ?nagistratu,  statuam  patrono  prœstantis  \  sitno  testi- 
monium  gratulationis  e.zsolvimus,  \  cum  res  non  adulatione 
privato,  set  judicio  \  posito  in  otio  et  quiète  reddatur. 

On  lit  sur  le  côté  : 

Dedicata  viii  kaliendas)  \  sept[embres)  Fl{avio)  \  Timasio  et 
Fl[avio)  Profnoto  \  v{iris)  c{larissimis)  cons[idibus) . 

«  A  Ragonius  Vincentius  Celsus,  clarissime.  Dès  sa  jeunesse 
il  s'est  occupé  avec  dévouement  de  fonctions  publiques  ;  avocat 
(le  la  cité,  il  a  joint  la  bonne  foi  au  talent,  Tindépendance  à  la 
prudence  ;  nul  n'avait  à  redouter  son  zèle,  si  ce  n'est  celui 
contre  lequel  il  devait  s'élever.  Avançant  en  âge,  il  a  mérité 
les  insignes  d'une  charge  considérable,  confiée  d'habitudo  à 
des  vieillards  ;  en  effet,  il  a  dirigé  l'annone  de  Rome,  a^  ec 
tant  d'équité  qu'il  se  montrait  un  père  plutôt  qu'un  juge  à  tous 
ceux  qui  venaient  devant  lui  pour  plaider.  C'est  pourquoi  nous, 
mensores  Portuenses,  qui  avions  un  ancien  et  long  procès  avec 
les  caudicarii,  sortis  satisfaits  du  débat,  à  tel  point  que  l'une 
et  l'autre  corporation  se  félicite  d'avoir  obtenu  gain  de  cause, 
pour  en  rendre  témoignage  après  sa  sortie  de  magistrature, 
nous  avons  élevé  à  ce  patron  éminent  une  statue,  en  signe  de 
reconnaissance  ;  notre  acte  n'est  pas  une  flatterie  à  l'adresse 
d'un  homme  privé,  c'est  le  résultat  d'un  jugement  mûri  dans  le 
repos  et  le  loisir.  Cette  statue  a  été  dédiée  le  huitième  jour  avant 
les  kalendes  de  septembre  (25  août),  sous  le  consulat  de  Fla- 
vius Trimasius  et  de  Flavius  Promotus,  clarissimes  (389  après 
J.-C.)  » 

Ce    Ragonius  Vincentius  était  un  i)orsonnage  considérable. 


l'île   TIBÉRIXE    A    l'ÉPOQUE    IMPÉRIALE  63 

Une  autre  inscription  de  Rome,  dont  on  ignore  la  provenance 
exacte,  et  qui  a  été  découverte  peut-être  elle  aussi  dans  l'île, 
énumère  tous  ses  titres  ^  : 

Vi[n\centi.  \  Ragonio  Vincentio  V![iro)  c[larisshno)  \  oratori 
fori  urhani^  'prœ\fect[o)  iir[b[is)\^  qiiaestori^  ^yvî?  |  tori  trium- 
phali^  \coii\Huli^  praî\fecto  annonœ;  qui  in  primis  |  annis  a 
se  petens  omnia  orna  \  menta  virtutum,  nihil  sibi  de  \  gene- 
ris  siii  nobilitate  blan  |  ditus,  quantum  virtiitis  spei  \  pro- 
mittat  procedentis  œlatis  \  excellentiwn  faclorum  uber  \  tate 
perdocuit,  hinc denique  \  factinn  est  ut  ordo  noster  con\sensu 
totius  [civi]  tatis,  nt  me  \  r[u\it^  p[at]ronum  sibi  perpc  \  tuiim 
libenter  optaret. 

«  A  Ragonius  Vincentius,  clarissime,  orateur  du  Forum 
urbain,  préfet  delà  ville,  questeur,  préteur ^W«m^«/i6", consul, 
préfet  de  rannone.  Dans  ses  premières  années  il  réunissait  tous 
les  mérites,  sans  tirer  avantage  de  la  noblesse  de  sa  race;  il 
a  réalisé  par  l'abondance  de  ses  belles  actions  en  avançant  en 
âge  les  espérances  de  vertus  qu'il  donnait.  C'est  pourquoi 
enfin  notre  corporation,  avec  l'assentiment  de  la  cité  entière, 
l'a  souhaité  vivement,  ainsi  qu'il  le  méritait,  pour  patron  à 
perpétuité.  » 

Les  mensores  Portuenses  et  les  caudicarii  nommés  dans  la 
première  inscription  formaient  deux  collèges  que  les  lois  impé- 
riales citent  assez  souvent  et  qu'elles  rapprochent  l'une  de 
l'autre  ~.  La  nature  même  des  occupations  de  leurs  membres 
exigeait  que  ces  deux  collèges  eussent  des  relations  constantes 
et  sans  doute  les  procès  entre  eux  n'étaient  pas  rares.  On 
appelait  mensores  Portuenses  les  mesureurs  des  greniers  de 
l'annone  à  Porto  et  à  Ostie,  et  caudicarii  les  mariniers  char- 
gés de  transporter  les  blés  à  Rome  :  ceux-ci  recevaient  de 
ceux-là  les  marchandises  auxquelles  ils  faisaient  remonter  le 
Tibre^.  Ragonius  Vincentius  Celsus,  étant  préfet  de  l'annone, 
eut  à  juger  un  procès  qui  divisait  depuis  longtemps  ces  corpo- 
rations. Sa  sentence  contenta  à  la  fois   les  deux  parties,  — 


1.  G.  I.  L.,  VI,  1760.  Cette  inscription  est  perdue  et  connue  seulement  par 
une  ancienne  copie. 

2.  CoD.  Th?:odos.,  XIV,  4,  9  (date  :  411)  :  Ad  excludendas  patronorum  caudi- 
cariorum  fraudes  et  Portuensium  furla  mensorum  ;  —  iôtrf.,  XIV,  15, 1  (date  :  364)  : 
mensores  et  caudicarii. 

3.  Sur  ces  collèges,  consulter  Wautzixg,  Elude  histor.  sur  les  corpor.  profess. 
citez  les  Honiains,  notamment  au  t.  I.  p.  194  et  439,  au  t.  II,  p.  63  (en  note, 
bibliographie  des  menf,ores  l'orluenses),  et  p.  69  (bibliographie  des  caudicarii). 


64  l'île   TIBÉRINE   DANS   l'aNTIQUITÉ 

c'est  du  moins   ce  qu'affirme  l'une  d'elles,  peut-être  un  peu 
suspecte. 

La  présence  dans  l'île  tibérine  d'un  document  concernant 
les  niensores  Portttenses  et  les  caudicarii  nous  autorise  à 
supposer  qu'il  y  avait  sur  son  territoire,  au  bord  du  fleuve, 
des  magasins  où  les  mariniers  de  l'annone  venaient  décharger 
leurs  navires,  La  position  qu'elle  occupait  au  milieu  du  Tibre 
et  la  proximité  des  quartiers  les  plus  peuplés  de  Rome  expli- 
queraient aisément  qu'on  eût  songé  à  établir  en  ce  point  un 
entrepôt  de  blés. 

La  domus  Aniciorum,  —  L'ilo  renfermait  certainement  à 
l'époque  impériale  plusieurs  propriétés  particulières.  Nous  ne 
connaissons  le  nom  d'aucune  d'entre  elles  ^  On  a  cru  cepen- 
dant, sur  la  foi  d'un  passage  de  Claudien  mal  compris,  que  les 
Anicii  habitaient  ce  quartier  au  iv"  siècle'-.  La  gens  Anicia  était 
à  cette  époque  l'une  des  principales  de  Rome,  très  souvent 
mentionnée  dans  l'histoire  du  christianisme.  Originaire  de 
Préneste,  elle  avait  donné  dès  l'époque  républicaine  des  ma- 
gistrats à  la  cité  ;  sous  l'Empire,  plusieurs  de  ses  membres 
parvinrent  au  sommet  de  la  hiérarchie  administrative -^  Sextus 
Anicius  Petronius  Probus,  consul  en  371,  eut  trois  fils  :  Ani- 
cius  Hermogenianus  Oly brins,  Anicius  Probinus,  Anicius  Pe- 
tronius Probus.  Le  troisième  fut  consul  en  406  et  cornes  sacra- 
rum  largitionum  de  412  à  414.  Les  deux  autres  reçurent 
ensemble  les  insignes  du  consulat  dès  l'année  395;  cette  haute 
magistrature  leur  avait  été  conférée,  malgré  leur  jeune  âge, 
sur  l'invitation  de  Théodose  et  pour  honorer  leur  père.  Ani- 
cius Probinus  mourut  très  tôt.  Son  frère  iui  proconsul  Africœ 

1.  Peut-être  y  avait-il  dans  l'ile  des  thermes  appartenant  à  la  famille  des 
Juin  Akarii.  Ces  ttiermes  sont  nommés  dans  une  inscription  de  Rome  connue 
seulement  par  l' Itinéraire  d'Einsieileln  (publié  par  Umi.ichs,  Cod.  topoqr.,  p.  62), 
et  dont  la  provenance  exacte  n'est  pas  indiquée.  —  (',.  1.  L..  VI,  29.764  :  BaU- 
neum  \  Juliorum  |  Akariorum.  L'auteur  de  l  Itinéraire  la  cite  immédiatement 
après  l'inscription  de  Valentinien,  Valens  et  Gratien  sur  le  pont  Cestius  et 
avant  une  inscription  de  Sainte-Anastasie,  sur  la  rive  gauche  du  Tibre  ;  il  dit 
qu'elle  se  trouve  prope  ponlem,  sans  ajouter  si  c'est  dans  l'île,  au  Transtévère 
ou  au  Forum  bonrium. 

2.  Voir,  par  exemple:  Nardi.m,  Hotna  vefiis,  VII,  12,  dans  le  Thesaur.  Anli- 
quil.  roman,  de  Gr.kvius,  t.  IV.  p.  1430;  —  Casimiro,  Memorie  isloriche,  p.  328; 
—  Gheoorovics.  Gesch.  d.  St.  Rom  im  Mitlelalter,  éd.  de  1869-1872,  t.  1, 
p.  54,  etc. 

3.  Voir  l'article  Anicii  dans  la  Real  Encyclopùdie  de  Pai'ly-Wissowa,  t.  I, 
p.  2196-2207. 


l'île    TlBÉRlNE    A    l'éPOQUE    LMPÉRIALE  65 

en  397  et  préfet  de  Rome  en  416.  A  l'occasion  du  consulat 
d'Olybrius  et  de  Probiniis,  Claiidien  composa  un  poème  où  il 
célébrait  leurs  louanges.  On  y  lit,  au  vers  226  : 

«  Dans  le  Tibre,  au  milieu  de  Rome,  s'étend  une  île,  à 
l'endroit  où  le  fleuve  coule  entre  deux  villes  que  séparent  ses 
eaux,  et  où  ses  deux  rives  couronnées  de  tours  se  dressent 
également  à  pic  et  menaçantes.  Là  le  dieu  s'arrêta  [il  s'agit 
du  dieu  Tiberinus^  venu  à  Rome  en  descendant  le  Tibre)  ^  et 
soudain  il  vit  du  quai  le  spectacle  qu'il  avait  souhaité  contem- 
pler [allusion  à  la  protection  du  dieu,  qui  avait  permis  aux 
deux  jeunes  Anicii  de  devenir  consuls)  :  les  frères  s'avancent 
étroitement  unis,  entourés  de  sénateurs  ;  les  haches  nues 
brillent,  et  c'est  d'un  même  seuil  que  sortent  les  faisceaux 
jumeaux  '.  » 

Le  mot  agger  désigne  certainement  le  mur  du  quai  qui 
entourait  l'île  ;  le  dieu  Tiberinus  s'arrête  donc  en  celle-ci,  où 
les  païens  lui  avaient  élevé  très  anciennement  un  petit  sanc- 
tuaire, et  voit  s'avancer  devant  lui  les  deux  frères.  Il  ne  résulte 
nullement  du  texte  obscur  de  Claudien  que  la  demeure  familiale 
de  la  gens  Anicia  fût  située  à  l'intérieur  même  de  l'île.  Le 
cortège  consulaire  se  déroule  sous  les  yeux  de  Tiberinus,  mais 
à  quelque  distance,  sur  la  rive  droite  ou  sur  la  rive  gauche  du 
Tibre  ;  il  faut  chercher  la.  domus  Aniciorion  au  Transtévère  ou 
du  côté  du  Champ  de  Mars  et  des  collines  voisines  '. 

La  description  sommaire  que  fait  Claudien  des  bords  du  Tibre 
est  intéressante  :  des  tours  flanquaient  les  deux  rives,  à  pic 
et  escarpées;  l'aspect  de  la  ville  au  iv"  siècle  annonçait  déjà 
le  moyen  âge;  ces  tours  font  penser  à  celles  que  devaient 
élever  plus  tard  les  barons  féodaux  dans  leurs  demeures  for- 
tifiées ^, 

1.  Claudian.,  Paneg.  dict.  Probino  et  Olybrio  coss.,  226  : 

Est  in  romuleo  procumbens  insula  Thybri, 
Qua  médius  geminas  interfluil  alveus  urbes, 
Discretas  subente  freto,  pariter  minantes 
Ardua  turrigerae  surgunt  in  culmina  ripœ. 
Hic  stetit,  et  subitum  prospexit  ab  aggere  volum. 
Unanimes  fratres  junctos,  stipanle  senatu, 
Ire  foras,  striclasque  procul  radiare  secures, 
Atque  uno  bijuges  tolli  de  limine  fasces. 

2.  D'après  Grisar,  Gesch.  Roms  im  Mittelalter,  t.  I,  Fribourg,  1899-1901, 
p.  50,  les  Anicii  auraient  habité  au  Cœlius,  sur  l'emplacement  de  l'église  et  du 
couvent  actuels  de  Saint-Grégoire-le-Grand.  R.  Laxciaxi  {Forma  Urbis  Romœ, 
feuille  28)  place,  au  contraire,  leur  maison  au  Transtévère,  prés  de  l'église 
San  Benedetto. 

3.  Gregorovius,  op.  cit.,  t.  I,  p.  54,  se  demande  si  l'on  ne  pourrait  pas  con- 

5 


66  l'île    TIBÉRINE    DANS  l'aNTIQUITÉ 

L'île  tibérine  et  l'invasion  vandale.  —  Une  inscription  chré- 
tienne inexactement  interprétée  a  fait  supposer  à  tort,  que  File 
tibérine  avait  été  brûlée  par  les  Vandales  en  455.  Dans  un 
récent  mémoire  M.  Cantarelli  a  réfuté  cette  opinion  ^  L'ins- 
cription, maintenant  perdue,  fut  trouvée  au  xvii°  siècle,  dans 
la  cour  de  l'hôpital  des  Frères  de  Saint- Jean-de-Dieu.  On  la 
connaît  par  des  copies  contemporaines  ~. 

-{-  Vandalicarabics  hanc  iisùt  martyris  aulam  \  quamPctrns 
antistes  ciiltu  meliore  novalam... 

«  La  rage  des  Vandales  a  brCdé  cette  église,  placée  sous  Tin- 
vocation  d'un  martyr;  l'évoque  Pierre  l'a  restaurée  et  remise 
en  meilleur  état...  » 

En  455,  Genséric,  roi  des  Vandales,  saccagea  Rome  ;  en  465, 
un  certain  Pierre  était  évoque  de  Porto,  à  l'embouchure  du 
Tibre  ;  il  assista  au  synode  romain  tenu  cette  année  par  le  pape 
saint  Hilaire-^;  l'ile  tibérine  relevait  au  moyen  âge  de  l'évoque 
de  Porto  ;  c'est  donc  à  ce  Pierre  qu'il  faudrait  attribuer  la  res- 
tauration d'une  église  in  insula  après  455,  et  cette  église  ne 
pourrait  être  que  celle  de  Saint-Jean-Baptiste,  à  laquelle  suc- 
céda plus  tard  celle  de  Saint-Jean-Calybite  ^. 

M.  Cantarelli  a  fait  valoir  contre  cette  thèse  des  objections 
décisives.  Il  n'est  pas  prouvé  que  l'île  fût  dès  le  v"  siècle  dans 
la  juridiction  des  évêques  de  Porto  :  le  plus  ancien  document 
qui  témoigne  de  l'autorité  exercée  sur  elle  par  ces  évoques  date 
du  IX"  siècle  ;  c'est  un  sarcophage  du  musée  du  Latran,  prove- 
nant de  l'église  de  Saint-Jean-Calybite  ;  l'inscription  qu'il  porte 
rappelle  que  Formose,  évoque  de  Porto  de  846  à  876,  et  plus 
tard  pape,  a  transporté  dans  l'île  les  reliques  des  martyrs 


dure  des  vers  de  Claudien  que  les  murs  d'Aurélien  se  continuaient  le  long 
de  la  rive  gauche  du  Tibre  jusqu'au  pont  Fabrictus.  Les  études  dont  l'en- 
ceinte d'Aurélien  a  été  l'objet  récemment  ont  montré  que  cette  supposition 
de  Gregorovius  est  tout  à  fait  inexacte  et  inacceptable.  Cf.  IIomo,  op.  cit., 
p.  342-333. 

1.  Cantakelli,  Dit  un  fràmmento  epigrafico  crisUano  delVisola  Portuense, 
dans  le  Bullelt.  Comun.,  1896,  p.  6~. 

2.  Publiée  par  Sl'aiies,  Prenesfes  anliquœ  lihri  duo,  Rome,  1655,  p.  823;  — 
Fabretti,  Inscriptionum  aniiquavum  expUcatio,  Rome,  1699,  p.  737,  n°  477;  — 
Casimuio,  Memorle  isloriclie,  p.  208. 

3.  Decrelum  synodale  llilari  l'apae,  publié  par  TniEL,  Epist.  roman,  pontif., 
Leipzig,  1. 1,  1872,  p.  159. 

4.  0[)inion  émise  par  Suares,  lettre  manuscrite  du  10  octobre  1658  {Codex 
liarberini,  XXXVIII,  34,  p.  89-90),  adoptée  par  de  Rossi,  note  manuscrite  que 
cite  M.  Cantarelli,  et  par  Armellixi,  le  Chiese  di  Roma,  2*  éd.,  Rome,  1891, 
p.  G18. 


l'ile  tibérine  a  l'époque  impériale  67 

d'Ostie,  Hippolyte,  Taurinus,  Herculianus,  avec  celles  de  saint 
Jean-Calybite  i.  Il  n'est  pas  prouvé  non  plus  que  l'église  de 
Saint-Jean-Baptiste  existât  dès  le  v"  siècle  :  les  bulles  ponti- 
ficales et  les  actes  de  donation  qui  la  concernent  sont  toutes 
du  xf  ~.  Enfin,  l'église  relevée  après  l'invasion  vandale  était 
mise  sous  le  patronage  d'un  martyr;  il  ne  peut  être  question 
de  saint  Jean-Baptiste.  Fabretti  assure  que  l'inscription  du 
cloître  de  Saint-Jean-('alybite  se  trouvait  autrefois  dans  l'ile 
qui  est  située  à  l'embouchure  du  Tibre,  à  Porto  "^  Il  y  avait  à 
Porto  une  basilique  de  Saint-Hippolyte  martyr.  M.  Cantarelli 
en  conclut  que  notre  texte  provient  de  cette  église,  ravagée 
en  455  par  les  Vandales  et  relevée  par  l'évêque  Pierre  quelques 
années  plus  tard^.  Au  ix^  siècle,  un  autre  évêque  de  Porto, 
Formose,  chassé  de  sa  ville  épiscopale  par  une  incursion  des 
Sarrasins,  aura  transporté  la  pierre  dans  l'île  tibérine  romaine, 
en  même  temps  que  les  reliques  des  saints  Hippolyte,  Taurinus, 
Herculianus  et  Jean-Calybite.  Ces  déductions  n'ont  rien  que 
de  très  vraisemblable.  L'inscription  de  Saint- Jean-Calybite  ne 
se  rapporte  ni  à  l'île  tibérine  romaine  ni  au  sac  de  Rome  par 
les  Vandales''. 

Le  procès  du  préfet  des  Gaules  Arvandus.  —  Le  dernier  évé- 
nement historique  auquel  l'île  se  trouva  mêlée  dans  l'antiquité 
fut  le  procès  du  préfet  des  Gaules  Arvandus,  sous  le  règne 
d'Anthemius.  Arvandus  avait  comploté  de  s'affranchir  de  Rome 
et  de  s'allier  aux  rois  Wisigoths.  La  conspiration  échoua;  le 
préfet  fut  arrêté,  traduit  en  justice,  convaincu  de  haute  tra- 

1.  Texte  publié  par  Gruter,  Inscripliones  antiqiiae,  Heidelberg,  1603, 
p.  1033,  n"  6. 

2.  Voir  la  liste  de  ces  documents,  dressée  par  Caxtarelli,  op.  cit.,  p.  71. 

3.  Fabretti,  loc.  cil. 

4.  A.  DuFOURCQ  [Elude  sur  les  Gcslamartyrum  romains,  Péris,  1900,  p.  247,  note 
à  la  page  2 16  in  fine)  admet,  comme  M.  Cantarelli,  que  l'inscription  de  Saint-Jean- 
Calybite  provient  d'une  église  située  ad  oslia  Tiherina;  mais  il  ne  pense  pas 
que  cette  église  soit  la  basilique  de  Saint-Hippolyte,  citée  pour  la  première 
fois  au  ix°  siècle  dans  la  Vie  de  Léon  IX  (Libeu  Pontificalis,  éd.  Ducliesne, 
t.  II,  p.  12);  on  sait  par  les  Gesta  marlyrum  qu'il  y  avait  à  Ostie  dès  le 
VI'  siècle  trois  églises,  Saint-Laurent,  Sainte-Aurea,  Saint-Asterius  ;  peut-être 
l'inscription  vient-elle  de  l'une  d'entre  elles,  déjà  fondée  au  y  siècle. 

\y.  Il  est  important  de  le  noter.  Les  chroniqueurs  contemporains  affirment 
que  Genséric  avait  promis  au  pape  Léon  X  de  ne  pas  détruire  ni  incendier 
Rome,  et  qu'il  tint  parole  :  le  sac  de  Rome  dura  quatorze  jours,  mais  aucun 
édifice  ne  fut  brûlé.  Si  l'inscription  se  rapportait  à  l'église  Saint-Jean- 
Calybite,  il  faudrait  avouer  que  cette  assertion  des  chroniqueurs  serait  men- 
songère. 11  n'en  est  rien  (Cantarelli,  op.  cit.,  p.  Tj-lO). 


68  L*ILE    TIBÉRINR    DANS    l'aNTIQCITÉ 

hison  et  condamné  à  mort.  Sidoine  Apollinaire  écrit  à  Vinccn- 
tius,  en  l'année  469,  qu'on  l'a  relégué  «  dans  l'ile  du  serpent 
d'Epidaure  »,  en  attendant  l'exécution  du  jugement  rendu  contre 
lui.  «  Là,  défiguré  au  point  d'exciter  la  compassion  même  de 
ses  ennemis,  il  doit,  suivant  le  sénatus-consulte  de  Tibère,  traî- 
ner un  reste  de  vie  pendant  trente  jours  après  la  sentence,  re- 
doutant à  chaque  instant  les  crampons  de  fer  et  la  corde  du 
bourreau  *  » . 

Sous  la  République,  les  condamnés  à  mort  étaient  exécutés 
aussitôt  après  le  prononcé  du  jugement  ;  on  ne  faisait  d'ex- 
ception à  cette  règle  -que  pour  les  femmes  enceintes  *.  Pendant 
le  règne  de  Tibère,  un  sénatus-consulte  de  l'année  21  prescri- 
vit que  les  décrets  de  condamnation  à  mort  rendus  par  le  Sénat 
ne  seraient  déposés  à  Vxrarium,  et  par  suite  ne  deviendraient 
exécutoires,  qu'après  un  délai  de  dix  jours  •'^.  C'est  à  ce  sénatus- 
consulte  de  Tibère  que  Sidoine  Apollinaire  fait  allusion;  bien 
que  du  i"  au  v*  siècle  le  délai  ait  été  porté  de  dix  jours  à  trente  ^, 
le  nom  de  Tibère  était  resté  attaché  à  cette  importante  et 
heureuse  réforme. 

On  ne  sait  à  quel  endroit  se  trouvait  la  prison  où  fut  enfermé 
Arvandus.  Au  xvii"  siècle,  Suarès  a  émis  l'hypothèse  que  l'église 

1.  SiDON.  Ai'OLL.,  Epist.,  I,  7,  12  (publié  par  Knuscn,  dans  les  Mondm.  Gebm., 
Aiici.  antiq..  t.  VIII,  p.  12)  :  Capite  mulclatus  in  insulam  conjeclus  est  ser- 
pentis  Epidauri,  ubi  usque  ad  inimicorum  dolorem  deveniistalus  et  a  rébus 
humants  veluli  vomitu  fortunœ  nauseantis  exsputus  nunc  ex  velere  senatus 
consulta  liberiano  triginta  dierum  vitam  posl  sententiam  trahit,  tincum  et 
ijemonias  et  laqueum  per  horas  turbulenti  carn/ficis  horrescens.  On  sait  par 
d'autres  textes  que  la  tentative  d'Arvandus  eut  lieu  en  469  (Cassiod.,  Chron., 
anno  469;  Paul.,  Ilist.  jniss.,  XV,  2,  cités  aux  Monim.  Gehm.,  lac.  cit.,  p.  LI). 

2.  MoMMSEN,  Rœmisches  Slrafrerht.  Leipzig,  1899,  p.  191. 

3.  Tac,  Ann.,  III,  51  :  Igitiir  faclum  senatus  consultuin  ne  décréta  patruin 
anle  diem  decimam  ad  serarium  deferentur  ;  —  Suet.,  Tiher.,  Ib  :  Cum 
senatus  consulta  cautum  esset  ut  pœna  damnalorum  in  decimum  semper  diem 
differatur  ;  —  Cass.  Dio,  LVII,  20:  Aôvfxati  7rapaôo8f,vat  èxéXsuTE  pir,T'à7ro6vr,iT-/Etv 
èvToç  SÉxaTiiiepôiv  xbv  xaTa'|/r,çi(T9év:a  CiTr'aÙTtôv,  \t.rf:z  to  Ypâ[X(ia  to  èTr'a-j-w  vevôijlevov 
èîTÔ 5r,(A6iTiov èvTÔ; to-j a-j-roj  ypôyo-j  àTioTÎÔïaôai  ;  et L VI II ,  27  :  "Oti ys oJx è$f|V a-jTO-j; 
irpô  Twv  Séxa  r,[xepwv  àiroôaveïv.  —  Cf.  Sexec,  de  Tranquill.  anim.,  1,  14;  — 
Walteb,  Histoire  du  droit  criminel  chez  les  Romains,  trad.  franc.,  Paris,  s.  d., 
p.  105;  —  MoMMSE.v,  op.  cit.,  p.  912. 

4.  On  lit  déjà  dans  les  déclamations  de  Quintilian.  (313)  et  de  Cai.purnics 
Flaccl's  (25)  que  les  jugements  capitaux  ne  peuvent  être  suivis  d'effet  qu'après 
trente  jours.  Une  ordonnance  de  Gratien,  en  382,  ordonne  ou  rappelle  qu'on 
doit  attendre  ce  délai  pour  exécuter  les  sentences  capitales  prononcées  par 
l'empereur  lui-même  :  Cod.  Theodos.,  IX,  40,  13.  et  Co[).  Justix.,  IX,  47,  20  :  l'er 
dies  XXX  super  statu  eoriDn  sors  et  f'ortuna  suspensa  sit.  Sur  la  date  de  ce 
texte,  attribué  quelquefois  à  tort  à  l'année  390,  voir  Goyau  {op.  cit.,  p.  604)  et 
MOM.M.SEN  {loc.  cit.,  en  note). 


l'île  tibérine  a  l'époque  impériale  69 

Saint-Jean-Baptiste,  plus  tard  Saint- Jean-Calybite,  avait  été 
élevée  sur  remplacement  même  qu'elle  occupait  jadis  ^  De 
nombreux  chrétiens  ont  dû  y  être  incarcérés  au  temps  des 
persécutions  2.  Le  cachot  où  ils  ont  souffert  aura  été  consacré 
plus  tard  au  culte,  comme  celui  de  Saint-Pierre  près  du  Forum, 
devenu  l'église  San  Pietro  in  carcere.  —  Cette  supposition  gra- 
tuite ne  s'appuie  sur  aucun  fait  ni  sur  aucun  texte;  nous  ne 
savons  rien  de  la  prétendue  transformation  de  ce  cachot  en 
église.  Nous  ne  pouvons  affirmer  qu'une  chose  :  c'est  qu'il  y 
avait  dans  l'île  au  v"  siècle,  outre  les  anciens  temples  et  les 
maisons  particulières,  une  prison  où  Ton  gardait  les  condamnés 
à  mort  jusqu'au  moment  de  leur  exécution'^. 

Inscriptions  funéraires.  —  Un  certain  nombre  d'inscriptions 
funéraires  de  l'époque  impériale  ont  été  trouvées,  d'après  leurs 
premiers  éditeurs,  dans  l'île  tibérine.  Ces  vagues  indications  de 
provenance,  qui  échappent  à  tout  contrôle,  sont  souvent  très 
suspectes.  Les  érudits  de  la  Renaissance  nous  disent  bien  où 
ils  ont  vu  les  textes  qu'ils  copient,  mais  rien  ne  prouve  que 
ceux-ci  n'avaient  pas  été  déplacés  depuis  leur  découverte  ;  les 
inscriptions  funéraires  surtout,  moins  volumineuses  en  général 
et  plus  faciles  à  manier  que  les  grandes  dédicaces  honorifiques, 
pouvaient  se  transporter  aisément.  A  supposer  même  que  toutes 
ces  inscriptions  eussent  été  trouvées  authentiquement  entre  les 
deux  ponts  Fabricius  et  Cestius,  il  faudrait  savoir  encore  si  elles 
y  furent  déposées  au  moment  de  leur  rédaction,  ou  si,  au  con- 
traire, elles  n'y  furent  introduites  que  plus  tard,  à  l'occasion, 
par  exemple,  de  la  construction  d'édifices  pour  lesquels  on  les 
aura  utilisées  comme  matériaux'^.  Parmi  celles  dont  l'origine 
paraît  le  plus  sûre,  il  faut  citer  les  huit  textes  qu'a  publiés  Ca- 
simiro  dans  ses  Memorie  istoriche  :  ils  ont  été  recueillis  en 
diverses  circonstances  à  l'intérieur  du  couvent  des  Frères  Mi- 

1.  J.-M.  DE  SuARES,  lettre  inédite  conservée  à  la  Bibliothèque  Barberini  à 
Rome,  XXXVIII,  34,  p.  89-90,  citée  par  Cantarelli,  op.  cit.,  p.  72. 

2.  Suarès  pensait  que  la  prison  mentionnée  dans  les  Actes  des  saints  Maris 
et  Marthe  était  celle  de  l'île  (Voir  ci-dessous,  p.  80).  M.  Cantarelli  [loc.  cit.),  se 
refuse  à  l'admettre,  mais  il  n'est  pas  éloigné  de  croire  que  la  prison  de  l'île 
tibérine  devint  réellement  par  la  suite  l'église  Saint-Jean-Baptiste. 

3.  Casimiro  [op.  cil  ,  p.  267)  suppose  que  la  prison  de  l'île  a  remplacé  le 
carcer  mamerlinus  comme  principale  prison  d'Etat  sous  les  empereurs  chré- 
tiens. C'est  tirer  du  texte  unique  et  vague  de  Sidoine  Apollinaire  des  consé- 
quences excessives. 

4.  Voir  plus  haut,  p.  50. 


70  l'iLI:    TIBKRINE    DANS    l'aNTKJUITÉ 

neurs  dont  dépendait  l'église  Saint-liarthéleniy  et  sous  la  place 
voisine'.  On  peut  y  ajouter  neuf  autres  textes  indiqués  dans 
les  recueils  manuscrits  de  Doni  :  ils  étaient  conservés  au-delà 
du  Tibre,  dans  les  jardins  Sabuntiani  et  provenaient  de  la  poupe 
de  nie  2. 

Tant  que  Vinsuia  tiherina  resta  en  dehors  de  l'enceinte  reli- 
gieuse du  pomerium,  on  put  y  ensevelir  les  morts,  et  la  dé- 
couverte d'inscriptions  funéraires  sur  son  territoire  n'a  rien  de 
surprenant.  Mais  dès  le  i"  siècle  de  l'ère  chrétienne  le  pome- 
rium fut  reculé  jusqu'au  Transtévère  ;  l'ile  et  quelques  quar- 
tiers de  la  rive  droite  firent  partie  désormais  du  sol  urbain  ; 
on  ne  pouvait  plus  y  enterrer-'.  De  toutes  les  inscriptions  funé- 
raires de  l'époque  impériale  que  signalent  les  auteurs  de  com- 
pilations épigraphiques,  les  plus  anciennes  seules  proviennent 
réellement  de  tombeaux  qu'on  avait  élevés  m  iiuula;  les  autres 
auront  été  apportées  du  dehors,  soit  aux  derniers  siècles  de 
l'Empire,  soit  dans  les  temps  modernes. 

Epitaphe  d'une  Volcasia.  —  L'épitaphe  de  Volcasia  Psamatho 
doit  être  citée  la  première.  Elle  est  gravée  sur  une  urne  ciné- 
raire de  marbre  qu'on  a  extraite  à  la  drague  du  bras  droit  du 
Tibre  pendant  les  récents  travaux  de  réfection  du  pont  Ces- 
tius^.  Sur  le  couvercle  plat  de  l'urne  trois  lignes  sont 
écrites  : 

Dis  Man{ihus)  \  Volcasia  Psamathe  \  vix[it)  ann{is)  LXXX. 

Sur  la  face  antérieure,  deux  lignes  : 


1.  Casimiro,  dans  ses  Memorie  istoriche  (p.  330  et  suiv.),  donne  onze  ins- 
criptions de  l'île  tibérine  :  quatre  dédicaces  (C.  I.  L.,  VI,  12,  821,  841,  10.317) 
et  sept  épitaphes  (C.  I.  L.,  VI,  8842,  9418,  10.463,11.882,  16.645,  22.684,  27.750). 
Une  huitième  epitaphe  est  publiée,  d'après  la  Sylloge  de  Polidoko  au  xvi'  siècle, 
dans  les  Giunte  aile  memorie  istoriche,  etc.,  par  Casimiho  (p.  9). 

2.  Doni  cité  au  C.  I.  L.,  VI,  10.133,  12.024,  12.202,  12.650,  13.500,  15.369, 
20.563,  29.080  :  In  korto  Bartli.  et  Jul.  Caesaris  Sat)untianoruin  trans  Tibenm 
e  regione  puppis  insulae  Tiberinœ. 

3.  Les  empereurs  renouvelèrent  à  plusieurs  reprises  l'antique  défense 
(l'enterrer  les  morts  dans  la  ville,  à  l'intérieur  du  pomerium  :  Cass.  Dio, 
XVIII,  43  ;  Vita.  Antonin.,  12;  Vita  M.  Aurel.,  13;  Dicest.,  XLVII,  12,  3,5  (res- 
crit  d'Hadrien)  ;  Cod.  Justi.n.,  III,  44,  12  (rescrit  de  Dioclétien  et  Maximien)  ; 
CoD.  Theodos.  IX,  17,  6  (rescrit  de  Gratien,  Valent inien.  Théodose).  D'après 
Mahucciii,  Noiiz.  d.  Scavi,  1901,  p.  277,  «  l'usage  d'ensevelir  à  l'intérieur  de 
l'enceinte  des  murs  ne  commença  pas  avant  le  vi'  siècle  de  notre  ère  ;  à  cette 
époque  remonte  un  tombeau  chrétien  des  Castra  prœtortà  (de  Rossi,  Bullett. 
d'archeol.  crist.,  1863,  p.  32)  et  un  autre  sur  i'Esquilin  (Bianchini,  dans  VAna- 
stasium,  t.  Ili,  p.  300).» 

4.  C.  I.  L.,  VI,  29.457.  —  Cf.  Notiz.  d.  Scavi,  1889,  p.  216. 


l'île    TIHÉRINE    A    l'ÉPOQUE    IMPÉRIALE  71 

Q[iiintus)  Vo/casiiis  He)wies  \  palronœ  h[ene)  7n[erentï)fecit. 

«  Aux  Mânes  de  Volcasia  Psamathe,  qui  vécut  quatre-vingts 
ans,  Q.  Volcasius  Hermès  a  fait  cette  dédicace  à  sa  patronne 
bien  méritante.  » 

Ce  sont  très  probablement  les  dernières  lignes  de  ce  texte 
qu'avaient  copiées  maladroitement  les  érudits  du  xvi^  siècle  ; 
l'inscription  se  trouvait  alors,  disaient-ils,  dans  le  jardin  de 
Baptiste- Jacques  Matthei  en  l'île  ''  : 

Q{îiintîis)  Volcasius  \  Hermès  \  patronse  \  b[ene)  m[erenti) 
fiecit). 

Le  nomen  de  Volcasius  ou  Volcacius  est  très  rare^.  Une 
inscription  de  l'époque  républicaine  nous  apprend  que  le  pave- 
ment en  mosaïque  du  temple  de  Jupiter  Jurarius  fut  fait  ou 
refait  par  les  soins  d'un  C.  Volcacius^.  Il  n'est  pas  impossible 
que  les  Volcacii  aient  habité  sous  l'Empire  l'île  tibérine,  à 
côté  du  sanctuaire  qu'un  de  leurs  ancêtres  avait  orné.  Jusqu'au 
moment  où  les  empereurs  reportèrent  au-delà  du  Tibre  la 
ligne  du  'pomerium^  ils  auront  pu  garder  leur  tombeau  de  fa- 
mille auprès  de  leur  demeure.  Volcasia  Psamathe  était  sans 
doute  elle-même  une  affranchie  ou  une  fille  d'affranchie  de  la 
gens  Voicacia. 

L'épitaphe  de  G-allonia  Maritima.  —  S'il  est  assez  vraisem- 
blable que  l'épitaphe  de  Volcasia  Psamathe  était  placée  dès 
Torigine  dans  l'île  tibérine,  il  est  à  peu  près  sûr,  au  contraire, 
que  celle  de  GaUonia  Maritima  se  trouvait  primitivement  dans 
un  autre  quartier  de  Rome.  Sur  une  base  octogonale  de  marbre 
conservée  autrefois  dans  l'église  Saint- Jean-Cabybite,  on  lisait, 
d'après  les  auteurs  du  xvi''  siècle^  : 

D[is)  m{anibus)  \  GaUonise  C{aii)  filiœ  Mai'itimse  qiise  et 
Epicharis  \  C[aiiis)  Gallonhis  C[aii)  f[ilii(s)  Ulp[ia)  Mariti- 
mus  et  pater  fecit. 

«  Aux  Mânes  de  GaUonia  Maritima,  fille  de  Caius  GaUonius, 
surnommée  aussi  Epicharis,  son  père  Caius  GalloniusMaritimus, 
fils  de  Caius,  de  la  colonie  Ulpia.  » 

La  pierre  est  maintenant  au  musée  du  Vatican  ;  la  troisième 


1.  c.  I.  L.,  VI,  29.4S4. 

2.  Klebs-Rohden-Dessau,  Prosopog raphia  imperii  romani,  t.  III,  p.  473-474  ; 
—  G.  I.  L.,  VI,  29.450-29.458. 

3.  G.  I.  L.,  VI,  379.  Voir  ci-dessous,  p.  256. 

4.  C.  I.  L.,  VI,  18.878. 


72  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

ligne,  tout  à  fait  effacée,  a  ôié  refaite  et  l'on  a  cru  pouvoir 
l'écrire  : 

C{aius)  Gallonius  ef.  vijj.  Maritinius  et  pater  fecit. 

Cette  rédaction  est  inintelligible  et  ne  saurait  se  défendre. 
Visconti  l'a  corrigée  *  : 

C{aius)  Gallonius  et  Ulp{ius)  Maritimus  et  pater  fecit. 

Le  second  et  aurait  été  introduit  par  erreur;  le  premier 
relierait  simplement  les  deux  gentilices  donnés  au  même  per- 
sonnage. —  M.  Mommsen  propose  une  autre  interprétation  ^  : 

C{aius)  Gallonius  C[aii)  f[ilius)  [colonia)  Ulp{ia)  Maritinms 
{Po)et{ovione)  et  pater  fecit. 

C.  Gallonius  Maritinuis  serait  originaire  de  la  colonie  Ulpia 
Pœtovio  (Pettavo  de  Styrie),  fondée  par  l'empereur  Trajan.  Ce 
texte,  par  conséquent,  serait  au  plus  tôt  du  ii*  siècle  de 
l'Empire,  époque  où  l'on  n'avait  plus  le  droit  d'élever  des  tom- 
beaux dans  l'ile,  intérieure  au  pomeriwn.  L'inscription  funé- 
raire de  Gallonia  Maritima  n'a  pas  été  retrouvée  à  sa  place 
primitive.  On  a  découvert  l'épitaphe  de  deux  autres  membres 
de  cette  gens  Gallonia  à  une  grande  distance  du  Tibre,  dans 
les  matériaux  de  l'une  des  tours  anciennes  de  la  Porta  Flami- 
nia,  démolies  en  1879 •^.  Le  tombeau  des  Gallonii,  dont  nous 
ne  connaissons  pas  l'emplacement  exact,  aura  été  ravagé  à  la 
fin  de  l'Empire,  et  ses  pierres  servirent  ensuite  en  diverses 
constructions  assez  éloignées  les  unes  des  autres. 

L'épitaphe  de  C.  Sentius  Regulianus.  —  Un  petit  cippe  de 
marbre  sur  lequel  est  inscrite  l'épitaplie  de  C.  Sentius  Regu- 
lianus a  été  vu  à  la  Renaissance  dans  l'île  tibérine^.  C.  Sentius 
Regulianus  fut  successivement  membre  et  curateur  du  collège 
des  négociants  en  gros  d'huile  [diffusor  oleariiis)  en  Bétique, 
membre,  curateur  et  patron  du  collège  des  négociants  en  vin 
[negotiator  vinarius)  à  Lugdunum  —  collège  qui  avait  ses 

1.  C.-L.  ViscoxTi,  Bullelt.  Cotnun.,  1880,  p.  176.  —  Cf.  Henzen,  Bullett.  delV 
Inslil.  archeoL,  1881,  p.  142. 

2.  Indiquée  au  C.  1.  L.,  loc.  cit. 

3.  Bullelt.  Comun.,  1880,  p.  116.  Il  s'agit  dans  ce  texte  de  deux  personnages 
portant  le  praenomen  de  Gains,  le  noinen  de  Gallonius,  et  dits  tous  deux  fils  de 
Caius;  la  partie  de  la  pierre  sur  laquelle  étaient  gravés  les  cognomina  manque. 
Visconti  déclarait  (ibid.)  que  la  grande  rareté  du  gentilice  et  l'identité  du 
prénom  propre  et  du  prénom  paternel  l'inclinaient  à  penser  que  l'un  de  ces 
Caii  Gallonii  portait  le  cognomen  de  Maritimus  et  était  le  même  que  le 
C.  Gallonius  Maritimus  mentionné  sur  l'urne  cinéraire. 

4.  C.  I.  L.,  VI,  29.722. 


l'île   TIBÉRINE    A    l'ÉPOQUE    IMPÉKIALE  73 

entrepôts  dans  le  quartier  des  Cariabm — membre  et  patron  du 
collège  des  mariniers  de  la  Saône  [nauta  Arari),  patron  du 
collège  des  seviri  Augustales  à  Lugdunum.  M.  Waltzing 
estime  que  cette  inscription,  à  en  juger  par  les  titres  décernés 
à  Regulianus,  n'est  pas  antérieure  au  if  siècle  de  Tère  chré- 
tienne^. Regulianus  n'a  donc  pas  été  enterré  à  l'endroit  où  son 
épitaphe  a  été  retrouvée,  et  celle-ci  n'y  fut  apportée  que  long- 
temps après  sa  mort. 

Épitàphes  diverses.  —  Les  inscriptions  funéraires  qu'il  nous 
reste  à  examiner  ne  méritent  pas  qu'on  s'y  arrête  longuement. 
Elles  ne  nous  donnent  aucun  renseignement  sur  l'histoire  ni 
sur  la  topographie  de  l'île  tibérine  dans  l'antiquité.  Il  est 
impossible,  en  l'absence  d'indications  chronologiques  précises, 
de  faire  le  départ  entre  celles  qui  viennent  de  tombeaux  élevés 
anciennement  à  cette  place  et  celles  qui  viennent  d'autres 
quartiers  de  Rome  et  des  environs.  On  a  tout  lieu  de  croire, 
cependant,  qu'elles  appartiennent  poiu*  la  plupart  à  la  seconde 
catégorie. 

Quelques  épitàphes  sont  intéressantes  par  les  métiers  et 
professions  qui  s'y  trouvent  nommés  ;  ce  sont  celles  de  Sellia 
Nice,  faite  par  son  mari  C.  Sellius  Onesimus,  fondeur  sur  la  voie 
sacrée, /Ialuar{nis)  de  via  sac{ra)- — de  Cn.  Vergilius  Epaphro- 
dicus,  maître  de  chant  au  sanctuaire  de  Minerva  Medica, 
magister  odariarms  a  Minerva  Medica^,  —  de  M.  Aurelius 
Chryseros,  affranchi  impérial^,  — de  Syntrophus,  esclave  de  la 
maison  impériale,  employé  à  la  garde-robe,  Cœsaris  ve\rna] 
a  veste'',  —  de  Cn.  Cornélius  Capitolinus,  faite  par  son  oncle 
\Sote]nciis,  esclave  de  la  maison  impériale  et  intendant, 
Aug[usti)  n[ostri)  ver{iia)  disp{ensator)^.  Sur  les  autres  on  a 
indiqué  simplement  le  nom  et  l'âge  du  défunt  et  parfois  aussi 
les  noms  de  ses  parents  :  épitàphes  d'Aburia  Genesis  par  les 
soins  de  son  mari  L.  Saufeius  Félix",  d'Antiochus  ^,  d'Antonius 


1.  Waltzing,  op.  cit.,  t.  II,  p.  31. 

2.  C.  I.  L.,  VI,  9.418. 

3.  C.  I.  L.,  VI,  10.133. 

4.  C.  I.  L.,  YI,  13.050. 

5.  C.  I.  L.,  YI,  8.548. 

6.  G.  I.  L.,  YI,  8.842. 

7.  G.  I.  L.,  YI,  10.463. 

8.  G.  1.  L.,  YI,  11.882. 


74  L  ILE    TlUÉhl.NE    DANS    l'aNTIQUITI^ 

Valens  par  sa  mère  Aiitonia  Lucia^  d'Eutychia  et  d'Eutyches 
l)ar  D.  Apuleius  lonicus  leur  frère  et  oncle",  de  L.  Arrmitiiis 
Trophimus-',  d'Atimetus  par  Claudia  larine  sa  femme  ^,  de 
Barenia  Successa  par  son  mari  T.  Baienius  Chresimus'',  de 
Claudia  Bassilla  par  Ti.  Claudius  Glaphjr",  de  P.  Curtius  One- 
simus  et  de  sa  femme  Cœcilia  Festiva'.  de  P.  Fabius  Valen- 
tinus  par  F.  Fabius  Valentinus  son  père^,  d'isidorus  par  ses 
père  et  mère'-*,  de  Julia  Maximina  par  son  père  Julius  Maxi- 
minus i^,  de  M.  Lucceius  Sosianus,  par  sa  mère*', de  C.  Marins 
Eutactus  par  son  ami  T.  Flavius  Chjrsaspis  ^~,  de  Mûnatia 
Vitalis  par  Titia  Tallusa  et  les  affranchis  Primitivus,  Restutus 
(ou  Restitutus)  et  Hernies  *'^,  de  Naevia  Euplia  par  son  fils 
M.  Naevius  Fortunatus  i'%de  T.  Sextius  Hospes,  Sextia  Helena, 
T.  Sextius  Apollonius,  de  T.  Sextius  Sabinus*-',  de  Tullia  Fortu- 
nata  par  son  mari  C.  Octavius  Clvtus  '•',  d'A.  Vitellius  Chrvseros 
ei.  Vitellia  Prima,  sa  co-affranchie  et  sa  femme,  d'A.  Vitellius 
Alexander  affranchi,  M.  Junius  Hegesias,  leur  ami,  Julia  Rufina 
et  Julius  Hclpidis  Pliorus,  tous  ensevelis  ensemble*'.  En  1878, 
un  fragment  d'inscription  funéraire  comprenant  quatre  lettres 
a  été  trouvé  à  la  tête  du  pont  Fabricius  ***. 

Popa  de  insula.  —  Il  convient  enfin  de  citer  un  dernier  texte 
funéraire  qui  concerne  peut-être  l'île  ;  on  l'a  découvert  sur  la 
rive  gauche  du  Tibre,  près  de  la  via  Aiirelia^'K 

Critonia    Q[uinti)  l[iberta)    Philema  \  popa    de    insula  \ 


1.  c.  1.  L.,  VI,  12.024. 

2.  c.  I.L.,  VI,  12.202. 

3.  C.  I.  L.,  VI.  12.434. 

4.  C.  1.  L.,  VI,  12.650. 

5.  C.  I.  L.,  VI,  13.a00. 

6.  C.  I.  L.,  VI,  15.369. 

7.  C.  I.  L.,  VI,  16.645. 

8.  C.  I.  L.,  VI,  n.574. 

9.  C.  I.  L.,  VI,  19.721. 

10.  C.  I.  L.,  VI,  20.563. 
H.  C.  1.  L.,  VI,  21.544. 

12.  C.  I.  L.,  VI,  22.202. 

13.  C.  I.  L.,  VI,  22.684. 

14.  C.  I.  L.,  VI,  22.849. 

15.  C.  I.  L.,  VI,  26.527 

16.  C.  I.  L.,  VI,  27.750. 

17.  C.  I.  L.,  VI,  29.080. 

18.  C.  I.  L.,  VI,  21.438.  Cf.  Notiz.  d.  Scavi,  1878,  p.  236  :  D...  |  C.  Lo. 

19.  C.  I.  L.,  VI,  9.824. 


L  ILE    TIBÉRINE    A    L  ÉPOQUE    IMPÉKIALE  75 

Q[uinti)    Ci'itoni  C{ahe)   l{ibertï  \  Dassi  \  scalptoris  uclari  \ 
sibi  suisque  poster{isque)  \  eor{îan). 

«  Critonia  Philema,  affranchie  de  Quintus,  popa  de  insuia, 
ancienne  esclave  de  Q.  Critonius  Dassus^,  affranchi  de  Caia, 
graveur  en  métaux  et  orfèvre  -,  a  construit  ce  monument  pour 
elle,  pour  les  siens  et  leurs  descendants.  » 

L'affranchie  Critonia  Philema  était  popa  de  insida.  On 
donnait  le  nom  de  popa  à  un  victimaire^.  Nous  n'avons  pas 
d'autre  exemple  de  l'emploi  de  ce  terme  au  féminin.  Quelle 
était  Yinsîda  où  Philema  exerçait  sa  charge  religieuse?  Le 
mot  tnsida  peut  désigner  un  îlot  de  maisons  ou  l'île  tibérine. 
La  seconde  interprétation  est  préférable^.  Critonia  Philema 
devait  être  attachée  à  l'un  des  temples  d'Esculape,  de  Jupiter 
ou  de  Faunus, 


1.  La  forme  génitive  indique  que  Philema  a  été  soit  l'esclave,  soit  la  femme 
de  Q.  Critonius  Dassus.  La  première  hypothèse  est  la  meilleure  :  seules  les 
femmes  de  grands  personnages  faisaient  suivre  leur  nom  du  nom  de  leur 
mari  au  génitif  sans  ajouter  le  mot  conjux. 

2.  Le  mot  uclari  est  embarrassant.  Orelli  croit  qu'il  faut  lire  v[as)clari  ;  le 
vascularius  était  un  fabricant  de  vases  en  métal  ou  un  orfèvre. 

3.  'Voir  les  exemples  cités  par  Fokcellini-de  Vit,  Lexicon,  s.  v°. 

4.  C'est  celle  qu'adopte  R.  Lanciaxi  ;  à  la  feuille  28  de  sa  Forma  Urbis  Romœ 
il  cite  cette  inscription  parmi  celles  qui  intéressent  l'île. 


CHAPITRE  V 

L'INSULA  LYGAONIA 


L'île  tibérine  au  moyen  âge.  —  L'île  tibérine  est  désignée  dans 
les  textes  du  moyen  âge  sous  un  nom  nouveau  :  insula  Lycao- 
nia,  l'ile  Lycaonie.  Il  ne  nous  appartient  pas  de  raconter  son 
histoire  à  cette  époque.  Des  églises  succédèrent  aux  temples  : 
Saiut-Jean-Baptiste,  remplacé  plus  tard  par  Saint-Jean-Calybite, 
Saint-Barthélémy,  Sainte-Marie  in  insula^.  Les  évoques  de 
Porto  avaient  l'ile  dans  leur  juridiction  ;  ils  obtinrent  des  papes, 
au  xi"  siècle,  plusieurs  chartes  confirmant  leurs  droits,  que 
contestaient  les  évoques  de  Selva  Candidat.  En  1087  le  pape 
Victor  III,  luttant  à  Rome  même  contre  l'antipape  Guil)ert, 
se  réfugia  dans  l'ile  tibérine'^.  De  grandes  familles  féodales  y 
possédaient  des  palais  fortifiés  ;  on  peut  citer  au  xii'  siècle 
celle  des  Pierleoni  '•.  L'ile  devint  plus  tard  la  propriété  des 
Gaetani  ''  ;  ils  avaient  élevé  à  l'entrée,  tout  auprès  du  pont 
Fabricius,  une  tour  qui  a  subsisté  jusqu'à  nos  jours  ;  elle  est 
enclavée  maintenant  dans  les  maisons  voisines.  Si  nous  n'avons 
pas  à  suivre  les  destinées  de  l'ile  tibérine  au  moyen  âge,  nous 
devons   cependant  nous  efforcer  d'expliquer  le  nom  qu'on  lui 


i.  Sur  les  églises  de  l'île  tibérine,  voir  plus  haut,  Introduction,  p.  4. 

2.  Ces  chartes  seront  énumérées  et  citées  plus  loin. 

3.  Chron.  Casin.,  dans  les  Momm.  Gehm.  (éd.  in-folio),  Scriptores,  t.  VU, 
p.  7.Î0  :  Morabatur  vero  apvd  insulain  Remis;  —  Chron.  Bernold.,  dans  la 
même  collection,  t.  V,  p.  446  :  Domnus  papa  autem  in  innulain  qux  inter  duos 
pontes  sita  est,  se  recepil.  —  Cf.  Jakk^-Wattenbach,  Hcffesta  ponlif.  roman., 
Leipzig,  1881-1888,  t.  I,  p.  656  (juin  1087). 

4.  Liber  Pontificalis,  éd.  Duchesne,  Paris,  1886-1892,  t.  II,  p.  311  (texte 
cité  plus  loin). 

5.  Dans  le  commentaire  de  la  vie  du  pape  Gélase  H,  qu'a  donné  Costantlno 
Gaetani  en  1638  et  qui  est  reproduit  par  Mi  katori,  Rerum  ilalicarum  scriptores. 
Milan,  1723-1751.  t.  III,  p.  370,  on  lit  :  Civilatis  Caietse  duces...  damas  suas  site 
palatium  Romse  in  insula  Lycaonia  habuisse. 


L  INSULA    LYCAOMA  77 

donne  alors  et  qui  remonte  très   probablement  aux  derniers 
temps  de  l'antiquité. 

L'expression  insula  Lycaonia  dans  les  textes  datés.  —  Il  est 
nécessaire  tout  d'abord  de  passer  en  revue  les  documents  oîi  se 
rencontre  l'expression  insitia  Lycaonia^  en  commençant  par  les 
plus  récents.  Ce  rapide  examen  permettra  de  savoir  à  partir 
de  quelle  époque  l'appellation  nouvelle  fut  employée. 

Dans  les  descriptions  de  Rome  rédigées  entre  le  xii°  et  le 
xv"  siècles  à  l'usage  des  pèlerins  et  dans  les  chroniques  l'île 
tibérine  est  nommée  couramment  île  Lycaonie*.  M.  Sepp  a 
publié,  en  1897,  un  poème  inédit  sur  la  translation  des  reliques 
de  saint  Barthélémy,  composé  dans  la  seconde  moitié  du 
XII*  siècle  ;  on  y  lit  à  deux  reprises  les  mots  insula  Lycaonia  ^. 
On  les  retrouve  en  trois  passages  du  Liber  Pontiflcalis,  de  la 
fin  du  xi"  siècle  et  du  commencement  du  xii''^,  en  cinq  actes 
de  donation  ou  confirmation  de  privilèges,  de  la  première 
moitié  du  xf  siècle,  émanant  des  papes,  adressés  le  premier 

1.  Voir  par  exemple  la  plus  ancienne  fies  descriptions  de  IJome,  Descriptio 
plenavia  totius  Urbis  (xir  siècle)  publiée  par  Uklichs,  Cod.  topofjir.,  p.  U2, 
et  par  Jordan,  Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  II,  p.  643  :  In  insula  Licaonia  tem- 
plum  Jovis  et  templum  AUsculapii  ;  —  Saba  Malaspina,  Historia,  liv.  II, 
chap.  XIV,  publié  par  Muratori,  Rerum  italicarum  scriptores,  t.  VIII,  p.  812 
(à  propos  d'une  tentative  faite  par  Petrus  de  Vico  pour  s'emparer  de  Rome 
par  surprise,  sous  le  pontificat  d'Urbain  IV,  en  1264)  :  Est  enim  Romœ  locus 
quem  alvei  dividentes  Tybevini  late  circumsepiunt  ab  ulroque,  ad  quem 
pripslant  aditum  pontium  monumenta  conformia.  Hic  ab  anliquo  insula 
Lycaonia  nuncupatvs.  —  Un  privilège  accordé  par  Pascal  II  à  Otton,  évêque  de 
Bamberg,  le  13  avril  1111,  est  daté  de  l'ile  Lj-caonie  :  datum  Romae  in  insula 
Lycaonia  (Migne,  Palrol.  lat.,  t.  CLXIII,  p.  287;  —  Cf.  Jaffé-Wattenbach, 
op.  cit.,  t.  I,  p.  743,  n»  6291). 

2.  B.  Sepp,  Ein  inediertes  carmen  de  translatione  S.  Bartholomœi,  dans  le 
Neues  Archiv,  1897,  t.  XXII,  p.  570  et  suiv.  11  est  fait  allusion  dans  ce  texte  à 
la  crue  du  Tibre  et  à  l'inondation  de  1136.  —  Au  vers  44  : 

Insula  pulchra  salis  requies  peramena  beatis 
Christo   dante  datiir,  Lycaonia  quœ  vocitatur. 

Au  vers  55  : 

Insula  congaude,  gaudens  Lycaonia  plaude. 

3.  Liber  Pontificalis,  éd.  Duchesne,  t.  II,  p.  311  (Viede  Ge'lase  II,  1118-1121)  : 
{Urbanus  episcopus  Ostiensis  postea  papa)  a  quondam  famosissimo  vivo  atque 
illustri  Petro  Leonis  Rome  in  insula  Licaonia  inter  duos  egregii  Tyberis  pontes 
vix  ab  inimicoriim  insidiis  sustenlatus.  —  Ibid.,  p.  334  {Annales  romaines, 
1044-1073;  récit  du  pontificat  d'Etienne  IX,  10o7-10o8)  :  [Ildebrandus  archidia- 
conus)  tune  pev  Transtiherim  venit  in  insula  Lycaonia.  —  Ibid.,  p.  343 
[Annales  romaines,  1116-1121,  récit  du  pontificat  de  Pascal  II  vt  de  ses  luttes 
contre  l'antipape  Maginulfus  ou  Silvestre  en  l'année  1103)  :  Mox  pontifex  ut 
audivit,  egressus  de  patriarchio  lateranensi  secessitque  in  insulam  Lycaoniam 
in  ecclesia  beati  Jokannis. 


78  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 

par  Jean  XVIIl  aux  religieux  du  monastère  des  Saints-Côme- 
et-Dainien  à  Rome  en  1005',  le  second  par  Benoit  VIII  à 
révéque  de  Porto  en  lOlS^,  le  troisième  par  Jean  XIX  à 
révoque  de  Porto  en  1025'',  le  quatrième  par  Benoît  IX  à 
l'évoque  de  Selva  Candida  en  1037  's  le  cinquième  par  Léon  IX 
à  révoque  de  Porto  en  1049^,  enfin  dans  une  donation  de 
Benoit,  évoque  de  Porto,  du  14  juin  1029 <5,  et  dans  une  dona- 

i.  PrtviiK-l]  Amrvyc,  Acla  Ponlif.  roman,  inedila  II,  Tubingen,  1881,  p.  57: 
acte  (lu  25  mars  1003  :  concession  d'un  moulin  à  eau  et  de  ses  dépendances, 
posilù  Rome  regione  inter  duos  pontes  in  capite  de  insula  que  vocatur  Licao- 
nia  usqtie  uhi  dividilur  aqiia. 

2.  Mk.nb,  op.  cil.,  t.  GXXXIX,  p.  1620  :  Nec  non  et  confirmamus  vohis  ves- 
trisque  successorihus  in  perpetiium  omnes  res  et  facultates...  in  tota  Porluense 
civitate,  seu  in  Transtit)erim  vel  in  insula  Lycaonia,  sive  uhicumque  vestri 
episcopii  jura  esse  videntur.  —  Ihid.,  p.  1621  :  Totam  insulam  quœ  vocatur 
Lycaonia  in  qua  est  ecclesia  B.  Jo.  Baptistœ  et  ecclesia  S.  Adalberli...  sicuti 
extenditur  ait  uno  capite  usque  in  aliud  caput  ipsiiis  insulw,  uln  flumen  divi- 
dilur (Jafkk-Wattenbach,  op.  rit..,  t.  I,  p.  510,  n»  4024,  l"aoùt  1018;  —  Migne, 
d'après  Ugiielli,  Ilalia  sacra,  t.  I,  p.  116,  donne  à  tort  la  date  de  1017). 

3.  MioNE,  op.  cit.,  t.  GXLI,  p.  1119  et  1120  :  répétition  de  la  donation  faite 
dans  l'acte  précédent,  à  peu  près  dans  les  mômes  termes  (Jaffé- Wattenbacii, 
op.  cit.,  t.  1,  p.  515,  n»  4067,  mai  1025). 

4.  MiONE,  op.  cit.,  t.  CXLi,  p.  1353  :  Ilemqiie  confirmamus  vobis...  ecclesiam 
SS.  Adalberli  et  Paulini  cum  ecclesia  S.  Benedicti  et  omni  sua  inteqritale  et 
perlinentia,  et  sicut  ad  manus  veriras  hodie  tenetis  positam  infra  hanc  civi- 
tatem  Rojnam  in  insula  Lycaonia  ut  sit  vobis  vestrisque  successorihus  cum 
volueritis  episcopale  domicilium,  et  congruum  receplaculum  opportunumque 
hahitaculum  quetnadmodum  hahere  videtur  Portuensis  ecclesia  S.  Joannis 
inler  duos  pontes  (Jaffé-Wattenbach,  op.  cit.,  t.  I,  p.  1)20,  n"  4111,  no- 
vembre 1037). 

5.  MiGXE,  0/).  cit.,  t.  CXLlll,  p.  600  :  in  insula  Lycaonia;  p.  601  :  Eliam 
confirmamus  vobis  vestrisque  successorihus  in  perpetuum  totam  insulam  quœ 
vocalur  Lycaonia  uhi  esse  ecclesia  S.  Joannis  Baplislœ  et  S.  Adalberli,  unde 
quaerimoniam.  posuistis  in  synodo  quam  celehravimus  in  ecclesia  Salvatoris  ; 
quare  contra  Crescentium,  .S.  Sylvse  Candidœ  ecclesise  episcopum,  qui  eamdem 
ecclesiam  suo  episcopatui  vindicahal ,  cum  vero  ambse  partes  ante  praesentiam 
noslram  et  totius  syjiodi  starelis,  placuit  ut  si  scripturam  inde  haberes,  in 
médium  videndam  legendamque  profeires.  Slatim  attulisti  privileyium  quod 
anlecessori  luo  Benedicto  episcopo,  dicto  de  Pontio,  Benedictus  Vlll  ante- 
cessus  noster  fecit  de  inlegritate  totius  episcopatus.  Quod  cum  lectum  esset 
nominalim  Un  inventa  est  ecclesia  illa,  quam,  sicut  in  quœrimonia  tua  dixisti, 
ipse  tuus  antecessor  dicaveral  tempore  Olhonis  III  imperatoris  a  quo  œdificata 
fuit  in  honorem  S.  Adalberli  (Jaffé-Wattenbach,  op.  cit.,  t.  I,  p.  531,  n°4163, 
22  avril  1049).  —  Un  acte  du  2  août  1236,  accordé  par  Grégoire  IX  à  l'évêque 
de  Porto,  rappelle  encore  et  confirme  ces  donations  anciennes  :  In  qtiibus  fus 
propriLs  duximus  exprimenda  vocalmlis...  ecclesiam  S.  .Joannis  in  insula 
Lycaonia  cum  terris  et  vineis  suis,  et  ecclesiam  S.  Adalberli  in  eodem  loco  cum 
terris,  vineis  et  domilms  suis.  (Uoiielli,  op.  cit.,  t.  I.  p.  131;  —  Pottiiast, 
Hegesta  pontif.  mman.,  Berlin,  1875,  p.  868,  n*  10211). 

6.  L.  Habtmax.n,  Ecclesise  S.  Marise  in  via  lala  tahularium,  Vienne,  1895. 
n*  Ll Y,  p.  67-68  :  Benedictus  -episcopus  ecclesise  Portuensis  concedit  in  perpe- 
luam  emp/iyteusim  Krmingardœ  et  Bonizœ  abbatissis  monasterii  S.  S.  Cyriaci 


L  INSULA    LYCAONIA  79 

tionde  Silvestre,  abbé  du  monastère  des  Saints-Côme-et-Damien, 
en  948  ou  949'. 

Les  légendes  hagiographiques.  —  Nous  atteignons  ainsi,  à 
l'aide  des  textes  datés,  le  milieu  du  x°  siècle-.  Mais  le  nom 
à'insiila  Lycaonia  est  certainement  beaucoup  plus  ancien. 
Les  Actes  des  martyrs  romains  en  témoignent.  Dans  les  nom- 
breuses légendes  martyrologiques  qui  prirent  naissance  à 
Rome  aux  premiers  temps  du  christianisme,  l'île  tibérine 
est  plusieurs  fois  mentionnée,  et  l'on  peut  y  relever  quelques 
détails  plus  ou  moins  authentiques  intéressant  son  histoire. 

11  faut  mettre  à  part  la  légende  tardive  et  suspecte  de 
saint  Emigdius,  évoque  d'Asculum.  Ce  personnage  aurait 
combattu  à  Rome  le  culte  d'Esculape  et  jeté  de  ses  mains 
dans  le  Tibre  une  statue  du  dieu  de  la  médecine.  L'auteur  du 
récit  ne  nomme  pas  l'île  tibérine.  Peut-être  cependant  le  temple 
d'Esculape  dont  il  parle  est-il  celui  qui  s'élevait  au  milieu 
du  fleuve,  m  insida'K 

D'après  les  Gesta  martyriim,  sainte  Eugénie  refusa  de 
sacrifier  à  Diane  dans  son  temple  de  Tile  Lycaonie  ;  tandis 
qu'elle  confessait  le  vrai  Dieu,  un  tremblement  de  terre  dé- 
truisit le  temple  et  la  statue  de  Diane  ;  sur  Tordre  du 
préfet  Nicetius,  Eugénie  fut  précipitée  tout  enchaînée  dans  le 
Tibre,  mais  son  corps,  par  un  miracle  insigne,  au  lieu  d'être 
englouti,  flotta  intact  sur  les  eaux''.  Il  n'y  avait  pas  dans  l'an- 

el   Nicolai  aquimolum  in   fluvio    Tiberi  in  insula   Licaonia  juxla  ecclesiam 
S.  Johannis. 

1.  P.  Ff.dele,  Carte  ciel  monastero  dei  SS.  Cosma  e  Bomiano,  dans  YArchiv. 
délia  R.  Soc.  rom.  de  Storia  Patria,  1898,  t.  XXI,  p.  495  :  fragment  mutilé 
concernant  un  moulin  du  Tibre;  la  donation  pontificale  de  1005,  citée  plus 
haut,  permet  de  compléter  le  texte  :  Et  aquimolum  ipsiim  cum  omnibus  ad 
eum  pertinentibus.  Positum  [Rome  regione  inter  duos  pontes  in  capife  de 
insula  que  vocatur  L]ycaonia.  Les  indications  chronologiques  données  dans 
ce  document  le  font  attribuer,  soit  à  l'année  948,  soit  à  l'année  949. 

2.  M""  DucHESXE,  éd.  du  Liber  Pontificaus,  t.  II,  p.  334,  en  note  :  «  Le  nom 
à'insula  Lycaonia  se  trouve  déjà  dans  une  charte  de  1018;»  —  Laxciaxi, 
Forma  brbis  Romœ,  feuille  n°  28  :  «  {insida  Lycaonia)  inde  ab  a.  1081 .  »  En 
réalité,  on  peut  remonter  jusqu'à  une  époque  bien  plus  reculée. 

3.  Cf.  ci-dessous,  p.  2i0. 

4.  Migne,  op.  cit.,  t.  XXI,  p.  1121-1122,  Vita  S.  Eugeniae  :  (Nicetius)  jussit  eam 
ad  templum  duci  Dianse...  Dum  oraret,  fit  terrœmolus  in  eodem  loco  :  et  ita 
templi  ipsius  fundamenta  mersa  sunt  cum  ipso  idolo  ut  nihil  aliud  remanseiHl, 
nisi  sola  ara  quse  fuit  unte  junuam  templi,  ad  qiiam  stabat  beata  Eugenia. 
Haec  in  insula  Lycaonia  gesta  sunt  coram  omnilms  qui  sequebantur  agonem 
Eugeniae...  —  Consulter  sur  cette  légende  A.  Dufol'rcq,  Etude  sur  les  Gesta 
mavtyruin  romains,  p.  35,  191,  299. 


80  l'île  TIBÉRINE   DANS   L^ANTIQUITÉ 

tiqiiiU'',  à  notre  connaissance,  de  Kanctuaire  de  Diane  en  l'Ile 
tibérine.  Le  rédacteur  des  Actes  aura  commis  quelque  mé- 
prise. Un  seul  fait  doit  être  retenu  :  des  martyrs  chrétiens 
ont  été  jetés  dans  le  Tibre,  pendant  les  persécutions,  auprès 
de  nie. 

C'est  ce  que  nous  montre  aussi  la  légende  de  saint  Cal- 
liste;  le  corps  décapité  de  saint  Calepode  subit  le  même  sort 
que  celui  de  sainte  Eugénie,  «  devant  l'île  Lycaonie^  ». 

Les  saints  Hippolyte,  Hadria,  Paulin,  Néon,  Maria,  Eusèbe, 
prêtre,  Marcel,  diacre,  connus  sous  le  nom  commun  de  «  mar- 
tyrs grecs  »  furent  mis  à  mort  près  d'un  pont  appelé  pons 
Antoîiintfs,  et  leurs  corps  furent  laissés  à  cet  endroit,  «  à 
coté  de  l'ile  Lycaonie-  «. 

Les  saints  Maris  et  Marthe  trouvèrent  <(  en  prison,  dans 
le  camp  au-delà  du  Tibre»,  un  homme  d'une  grande  sainteté, 
nommé  Cyrinus  ou  Quirinus,  qui  fut  tué  d'un  coup  dopée  et 
jeté  dans  le  Tibre  ;  «  son  corps  s'arrêta  dans  l'île  Lycaonio''». 
On  s'est  demandé  si  cette  prison  au-delà  du  Tibre  no  serait 
pas  celle  précisément  de  l'île  tibérine,  où  l'on  gardait  trente 
jours  les  condamnés  amorti  Cette  hypothèse  n'est  guère 
probable.  La  prison  que  citent  les  Gesia  était  située  dans  un 
camp;  il  s'agit  sans  doute  de  l'un  de  ceux  du  Transtévère, 
qui  sont  bien  connus,  castra  Ravennatiuîii  ou  castra  lectica- 
riontm. 

Ces  divers  documents  hagiographiques  ne  sont  pas  susceptibles 
d'être  datés  avec  autant  de  précision  que  les  textes  énumérés 


1.  AcTA  Sanctorum,  octobre,  t.  VI,  p.  441  (Voir  aussi  dans  les  Acta  Saxc- 
TOHUM,  mai,  t.  Il,  p.  ."JOO)  :  Tenuit  autem  et  B.  Cnlepodium  quem  fecit  occidi 
gladium  et  corpus  trahi  per  civitutem  siib  die  kalendarxim  Maii  :  cujiis  corpus 
jactari  fecit  in  Tiberim  anle  insulam  Lycaoniam.  —  Consulter  A.  Dufolrcq, 
op.  cit.,  p.  3o,  115,  311. 

2.  Texte  publié  par  de  Hossi,  Roma  sotteranea,  Home,  1864-1877,  t.  III,  p.  207  : 
Et  prœcepit  eos  adduci  ad  ponlem  Antonini  et  plumbatis  caedi  diutissime  risque 
ad  consutnationem  eorum.  Et  dum  diu  caederentur  emisenint  spirituni.  Et  relicta 
sunt  corpora  in  eodem  locojiurta  insulam  Lycaoniam.  —  Consulter  A.  Dufolkçq, 
op.  cit.,  p.  ;{6,  179,  300. 

3.  Acta  Sanctoblm.  janvier,  t.  II,  p.  580  (Voir  aussi  dans  les  Acta  Saxcto- 
BfM,  mars,  t.  IM,  p.  5i4)  :  Venientes  in  Castra  trans  Tiberim  in  carcere  inve- 
nerunt  hominem  venerafnlem  Cyrinum  nomine...  Inveiierunt  tamem  quemdam 
presbyterum  nomine  l'ustorem,  qui  et  illis  narravit  \^nia  quae  facta  fucranl 
et  quo  modo  noctn  interfectus  fueral  yladio  H.  Cyrinus,  et  jactafus  ftterat  in 
Tiberim,  cujits  corpus  remansit  in  insula  Ujcaonia>.  —  Consulter  A.  Dufoukcq, 
op.  cit.,  p.  36,  2iO,  311. 

4.  Voir  ci-dessus,  p.  68. 


L  mSULA    LYCAONIA 


81 


plus  haut.  Tl  résulte  cependant  des  recherches  dont  ils  ont 
été  l'objet  pendant  ces  dernières  années  qu'ils  furent  écrits  au 
plus  tard  pendant  le  vi"  siècle^.  On  peut  tenir  pour  avéré 
que  dès  le  v'  siècle  l'appellation  à'insuia  Lycaonia  était 
populaire  à  Rome  et  le  vieux  nom  plus  simple  à'insula  tiberina 
laissé  de  côté. 

D'où  vient  l'expression  insula  Lycaonia  et  quel  en  est  le 
sens?  A  cette  question  plusieurs  réponses  différentes  ont  été 
faites  ;  aucune  ne  paraît  satisfaisante. 

Jupiter  Lycaonius.  —  Un  certain  nombre  d'érudits  des  derniers 
siècles  font  dériver  le  mot  Lycaonia  des  mots  Lycaon^  Lycao- 
nius. La  légende  de  Lycaon  est  d'origine  arcadienne  et  liée  au 
culte  rendu  à  Jupiter  ou  Zeus  sur  le  mont  Lycée,  Zeùç  Auxafoç. 
Lycaon  était  un  roi  d'Arcadie  que  Jupiter  métamorphosa  en 
loup,  X'j/.sç,  pour  le  punir  d'avoir  voulu  lui  faire  manger  dans 
un  festin  de  la  chair  humaine  ~.  Le  temple  de  Jupiter  dans 
l'ile  tibérine  devait  rappeler  ces  mythes  ;  il  était  dédié  à  Jupi- 
ter Lycaonius,  et  c'est  de  lui  que  V  insu  la  Lycaonia  tirait  son 
nom  3.  —  Mais  on  affirme  gratuitement  que  Jupiter  de  l'île  s'appe- 
lait Lycaonius  ;  nous  ne  possédons  pas  de  texte  où  cette 
épithète  lui  soit  donnée^;  bien  plus,  jamais  à  Rome  elle  n'est 
appliquée  à  ce  dieu  par  les  auteurs  ou  les  inscriptions^, 
de  même  que  jamais  en  Grèce  l'épithète  Au/,aov{oç  n'est 
attribuée  à  Zeus  ;  on  rencontre  en  Grèce,  il  est  vrai,  un 
Zeùç  vYuz.aîoç''',  mais  la  seule  traduction  possible  en  latin  du  mot 
Auxafcç  serait  Lycseus.  Il  faut  donc  renoncer  à  l'étymologie 
proposée. 

Les  Lycaonida,  jeux  du  Tibre.  —  M.  von  Urlichs  rapproche 


1.  Renseignement  communiqué  parMs'Duchesne.  —  Cf.  A.  Dufouiscq,  op.  cil., 
p.  299,  300,  311  ;  d'après  M.  Dufourcq,  ces  documents  datent  tous  des  dernières 
années  du  v  siècle. 

2.  Sur  la  légende  de  Lycaon,  ses  formes  diverses  et  sa  signification,  voir 
Tarticle  de  C.  Pascal,  î7  Mito  di  Licaone,  dans  les  Rendic.  delVAccad.  dei 
Lincei,  1895,  p.  216. 

3.  Voir,  par  exemple  :  Casimiro,  Memorie  istoriche,  p.  265;  —  Ficoroxi,  Ves^ 
tigia  e  rarità  di  Roma  antica,  Rome,  1744,  p.  42;  —  Guattaxi,  Roma  descrilla, 
Rome,  éd.  de  1803,  t.  II,  p.  67;  — Vexuti,  Descriz.  topogr.,  éd.  de  1824,  p.  177. 

4.  Cf.  ci-dessous,  p.  249. 

5.  La  liste  des  surnoms  de  Jupiter  est  dressée  dans  le  Lexicon  de  Roscher, 
t.  II,  1,  p.  751. 

6.  Preller-Robert,  Griech.  Mythol.,  1. 1,  Rerlin,  1887-1894,  p.  959  (Register  der 
Namen). 


82  l'iLE   TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQL'ITÉ 

encore,  par  une  autre  voie,  Vinsida  Lycaoniade  Lycaon*.  Dans 
les  manuscrits  d'Ovide  une  liste  des  fêtes  de  l'année  romaine, 
rédigée  par  un  scholiaste  à  une  basse  époque,  figure  en  tête  du 
poème  des  Fastes.  A  la  date  du  7  juin,  elle  indique  une  céré- 
monie des  Lycaonides,  ou  jeux  du  Tibre^.  Ovide  lui-môme  parle 
de  ces  jeux  et  prononce  à  ce  propos  le  nom  de  Lycaon  :  «  On 
dit  que  le  troisième  jour,  après  les  nones,  Phœbé  chasse  Lycaon 
(c'est-à-dire  Arcas,  petit-fils  de  Lycaon-^),  et  l'Ourse  n'a  plus  rien 
à  craindre  derrière  elle.  Alors,  je  m'en  souviens,  j'ai  vu  des 
jeux  sur  le  gazon  du  champ,  et  j'ai  appris,  Tibre  lubrique,  qu'ils 
t'étaient  consacrés.  C'est  le  jour  de  fête  des  pêcheurs  qui  tendent 
leurs  filets  humides  ou  qui  attachent  de  petits  appâts  à  dos 
pointes  d'airain  recourbées'*.  »  Festus  mentionne  également 
les  jeux  des  pêcheurs  du  Tibre,  piscatorii  ludi  :  ils  avaient  lieu 
chaque  année  au-delà  du  fleuve,  parles  soins  du  préteur  urbain  ''. 
D'après  M.  von  Urlichs,  les  jeux  des  pécheurs  étaient  célébrés 
dans  l'ile,  ou  dans  le  Transtévère  auprès  de  l'île  ;  on  les  appe- 
lait Lycaonida,  de  nom  de  l'astre  qui  présidait  à  ce  jour,  et  le 
nom  de  la  fête  finit  par  être  donné  à  l'ile  tibérine  elle-même. 

Cette  ingénieuse  théorie  s'appuie  principalement  sur  le  texte 
du  calendrier  inséré  au  début  des  Fastes.  Mais  si  l'on  examine 
de  près  le  passage  qu'invoque  M.  von  Urlichs,  on  s'aperçoit  que 
tous  les  mots  qu'il  renferme  ont  été  pris  dans  les  vers  d'Ovide, 
plus  ou  moins  bien  interprétés,  ou  ajoutés  comme  glose.  Le  poète 
prononce  le  nom  de  Lycaon;  il  entend  parler  d'Arcas,  petit- 


1.  L.  V.  Uhliciis,  Archûologische  Analeklen,  Wûrtzburg,  1885,  Vllf,  p.  22: 
Insula  Lycaonia. 

2.  Kalendanum,  à  la  date  du  7  juin  :  (/.  177  d.  Jun.  Tergum  ursae  occidil 
Heliace,  et  régis  Lycaoni.  Lycaonida  fiunl.  Ludi  Tiberis. 

3.  Lycaona  est  mis  pour  Lycaonidem  :  Arcas,  pelit-fils  de  Lycaon  allait 
frapper  d'un  trait  sa  mère,  Hélice  ou  Callisto,  changée  en  ourse;  Jupiter  les 
transporta  tous  les  deux  au  ciel  et  les  métamorphosa  en  astres  ;  ils  étaient  à 
côté  lun  de  l'autre,  l'Ourse  devant,  Arcas  ou  Lycaon  derrière,  tout  auprès 
d'elle,  la  poursuivant.  Cf.  les  articles  Arcas,  Helike,  Kallisto  dans  le  Lexicon 
de  KoscuEK. 

4.  OviD.,  Fast.,  VI,  vers  235  : 

Tcrlia  post  Nonas  removere  Lycaona  Pha-be 

Kertur,  cl  a  tergo  non  habel  nrsa  roelum. 
Tum  ego  me  memini  ludos  in  grramine  campi 

Adspicere,  et  didici,  lubrice  Tbybri,  luos. 
Festa  dies  illis  qui  lina  madentia  ducunt, 

Quiq.ie  leg-unt  parvis  ipra  recurvere  cibis. 

5.  Festos,  p.  238,  s.  V  Piscatorii  :  Piscatorii  ludi  vocantur  qui  quotannis 
mense  Junio  trans  Tiberim  fieri  soient  a  prœlore  urbano  pro  piscatoribus 
liberinis. 


L  INSULA    LYCAONIA  83 

fils  de  ce  roi  d'Arcadie  ;  le  scholiaste  comprend  qu'il  s'agit 
de  celui-ci.  Heliace  est  mis  pour  Hélice^  nom  que  portait  la 
fille  de  Ljcaon,  transportée  au  ciel  et  devenue  la  Grande  Ourse. 
Ainsi  la  phrase  d'Ovide  :  a  tergo  non  habet  ursa  metinn 
a  donné,  par  une  transcription  inintelligente,  cette  phrase  du 
scholiaste  :  tergiim  ursse  occidit  Heliace^  et  régis  Lycaoni.  Ce 
jour-là  ont  lieu  des  jeux  ;  le  mot  Lycaon  est  écrit  au  premier 
vers  ;  le  schohaste  appelle  les  jeux  Lycaonida.  Plus  loin 
Ovide  déclare  que  ce  sont  les  jeux  du  Tibre  ;  le  scho- 
liaste n'hésite  pas  :  Lycaonida  fîunt.  Ludi  Tiheris.  On  voit 
trop  clairement  comment  a  procédé  l'auteur  anonyme  du  calen- 
drier. Son  témoignage  n'a  pas  de  valeur  propre  et  dérive  uni- 
quement des  Fastes;  s'il  en  diffère  sur  quelques  points,  il  faut 
le  récuser.  De  son  autorité  privée,  et  par  une  méprise  évidente, 
le  scholiaste  donne  à  la  cérémonie  du  7  juin  le  nom  de  Lycao- 
nida. Ovide  n'en  dit  pas  tant.  Les  seuls  noms  qu'aient  portés 
ces  jeux  sont  ceux  de  ludi  Tiheris  ou  ludipiscatorii.  D'ailleurs 
ils  n'intéressaient  en  rien  l'ile  tibérine.  P'estus  déclare  qu'ils 
avaient  lieu  trans  Tiberim^  c'est-à-dire  au  Transtévëre  même. 
Ovide  raconte  qu'il  les  a  vus  dans  un  champ,  in  grarnine 
campi.,  —  non  pas  le  Champ  de  Mars  par  conséquent,  comme  le 
croient  la  plupart  des  commentateurs,  mais  dans  l'un  dos 
campi  de  la  rive  droite  du  Tibre  i.  L'expression  insida  Lycao- 
nia  ne  peut  venir  du  nom  d'une  fête  qui  n'était  pas  célébrée  sur 
le  sol  de  l'ile.  Ajoutons  que,  si  elle  avait  réellement  l'origine 
que  lui  prête  M.  von  Urlichs,  elle  aurait  été  usitée  dès  l'anti- 
quité, pendant  qu'existaient  encore  les  vieilles  cérémonies  du 
paganisme.  Or  elle  n'a  pris  naissance  qu'au  v°  siècle,  au 
moment  où  la  religion  romaine  agonisait  ;  aucun  auteur  clas- 
sique ne  l'a  connue.  Quelque  séduisante  que  soit  la  théorie  de 
M.  von  Urlichs,  on  ne  peut  l'accepter. 

L'église  Saint-Nicolas.  —  M.  Dufourcq  suggère,  sans  d'ail- 
leurs y  insister  outre  mesure,  une  autre  explication.  A  l'époque 
byzantine  une  égKse  de  Saint-Nicolas  m  carcere  «  fut  établie 
dans  ou  près  Vinsida  Lycaonia...  Qui  sait  si  Lycaonia  ne 
serait  pas  une  déformation  de  Nicalonia  »  ou  de  Nicolaonia-l 
Sur  plusieurs  manuscrits  de  légendes  hagiographiques  on  lit  : 


i.  Cf.  0.  RiCHTEH,  Topogr.  cl.  St.  Rom.,  2'  éd.,  p.  272. 
2.  A.  Dufourcq,  op.  cit.,  p.  122,  en  note. 


84  L  ILE   TIBÉRINE    DANS   l'aNTIQUITÉ 

xnsulam  Nichaoniam  *.  Deux  objections  décisives  nous 
empêchent  d'accueillir  cette  conjecture,  sans  parler  de  la  dis- 
semblance trop  considérable  des  mots  Lycaonia  et  Nicalonia. 
L'île,  d'après  les  Gesta  tnarti/riun,  s'appelait  ainsi  longtemps 
avant  l'époque  byzantine,  oii  fut  construite  l'église  Saint- Nico- 
las. Celle-ci,  d'autre  part,  n'était  pas  située  dans  l'ile,  mais 
sur  la  rive  gauche  du  Tibre,  au  Forum  holitorium  ^. 

Saint-Barthélémy  et  la  Lycaonie.  —  M*""  Duchesne  estime  que 
ïinsi(/a  Lycaonia  tirait  son  nom  de  la  province  de  Lycaonie  en 
Asie.  L'île  tibérine  renferme  depuis  le  début  du  xi'  siècle  une 
église  placée  sous  l'invocation  de  saint  Barthélémy;  or  cet 
apôtre  passait  pour  avoir  évangélisé,  entre  autres  régions 
d'Asie,  la  Lycaonie  ;  le  souvenir  de  la  prédication  lointaine  de 
saint  Barthélémy  aura  fait  assigner  la  même  appellation  au 
petit  quartier  de  Rome  où  s'élevait  son  éghse  ^. 

Mais  on  ne  voit  pas  pourquoi,  parmi  tant  de  contrées  que 
l'apôtre  avait  visitées,  la  Lycaonie,  qui  n'était  ni  la  plus  grande 
ni  la  plus  connue,  aurait  attiré  particuUèrement  l'attention  des 
Romains.  D'ailleurs  l'île  tibérine  portait  déjà  au  v"  siècle  le 
nom  d'insu/a  Lycaojiia  et  l'église  Saint-Barthélémy  n'y  fut 
fondée  qu'au  xi'.  Peut-être  même  est-ce  en  considération  de 
ce  nom  donné  très  anciennement  à  l'île  qu'on  aura  localisé 
sur  son  territoire  le  culte  romain  de  saint  Barthélémy.  On  a 
bien  la  ressource,  il  est  vrai,  de  supposer  que  le  culte  du  saint 
en  cet  endroit  est  antérieur  à  la  construction  de  l'éghse  ac- 
tuelle. Otton  III  la  fit  bâtir  en  l'honneur  de  saint  Adalbert; 
quelques  années  plus  tard  l'apôtre  d'Asie  supplantait  le  mar- 
tyr de  Prague  ;  mais  ne  reprenait-il  pas  possession  simplement 
d'un  lieu  qui  lui  était  autrefois  réservé  et  d'oii  les  influences 
germaniques  l'avaient  momentanément  écarté?  L'hypothèse 
qu'il  y  avait  jadis  dans  l'île  une  vieille  éghse  ou  une  chapelle 
de  saint  Barthélémy,  n'est  pas  invraisemblable.  Nous  aurions 


\.  A.  DuFOLHCQ,  loc.  cil.,  mentionne  un  manuscrit  viennois  des  Actes  de  saint 
CaUiste  :  le  corps  de  saint  Calepode  fut  jeté  m  Tiberim  ante  insulam  Nichao- 
niam {Codex  Vindobonensis  3.n,  folio  71^-78',  2*  col.,  4'  ligne).  On  peut  citer 
aussi  un  autre  manuscrit  des  mêmes  Actes,  conservé  à  Carlsruhe  [Codex 
Aufjiensis  XXXII,  n«  18)  ;  —  Cf.  K.  Kuxstle,  Hagiographische  Studien  Uber  die 
l'assio  Felicilalis  cum  VII  filiis,  Paderborn,  1894,  p.  lii. 

2.  M"  Duchesne,  éd.  du  Libek  Pontificaus,  t.  1,  p.  515,  note  13;  —  Jordan, 
Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  Il,  p.  295,  notes  12  et  13,  et  p.  532. 

3.  M«'  Duchesne,  op.  cit. y  t.  11,  p.  334,  en  note. 


LINSULA   LYCAONIA  85 

quelques  raisons   de   croire   qu'au   moyen  âge  ce   saint  était 
honoré  spécialement  dans  les   îles,  comme  saint  Michel  sur 
les  hauteurs.  Ses  reliques,  qu'on  transféra  au  xi'  siècle  de  Bé- 
névent  à  Rome,  avaient  été  apportées  d'Asie  en  Europe  pendant 
le  Vf  siècle  et  déposées  aux  îles  Lipari*.  Il  est  remarquable, 
que,  dès  l'époque  mérovingienne,  l'île  de  la  Cité  à  Paris,  qui 
rappelle  par  sa  position  l'île  tibérine  de  Rome,  contenait  une 
petite  église  Saint-Barthélémy  2.  D'autre  part,  saint  Barthé- 
lémy était   considéré  comme  un  saint  guérisseur  «  sauveur  et 
médecin  ^  » .  L'un  des  principaux  épisodes  de  sa  vie  légendaire 
rappelle  trait  pour  trait  l'aventure  de  saint  Emigdius  à  Rome'^. 
Saint  Barthélémy  combat  dans  l'Inde  Astaroth,  qui  prétendait, 
comme  l'Esculape  des  Grecs  et  des  Romains,  guérir  les  ma- 
lades.   Le   temple   du  faux    dieu  était   rempli  de   suppliants 
venus  de  loin,  qui  attendaient  en  vain  qu'un  miracle  leur  ren- 
dît la  santé.  Le  saint   prend  la  parole  pour  leur  dévoiler  les 
fourberies  du  démon;  il  les  convainc,  le  temple  et  les  statues 
du  dieu  sont  renversés;  seuls  les  disciples  du  Christ  tiennent 
du  ciel  le  pouvoir  de  sauver  les  infh-mes,  d'éclairer  les  aveugles, 
de  faire  marcher  les  paralytiques,  de  mettre  en  fuite  les  dé- 
mons, de  purifier  les   lépreux  et  de  ressusciter  les  morts  ^. 
L'emplacement  occupé  jadis  à  Rome  par  le  sanctuaire  d'Escu- 
lape  ne   convenait-il  pas   à  merveille  à  la  construction  d'une 
église  de    Saint-Barthélémy?...   Mais   ces    déductions  et  ces 
rapprochements  sont  trop  aventureux  pour  qu'on  ose  en  tirer 
des   conclusions    fermes.    Nous  ne   savons  rien  du  culte  de 
l'apôtre  dans  l'île  tibérine  avant  le  xi°  siècle;  les  textes  sont 
muets.  En  admettant  même  qu'il  ait  eu  en  ce  lieu  une  église  ou 
une  chapelle  depuis  une  époque  reculée,  on  ne  comprendrait 
pas  encore  pourquoi  la  Lycaonie,  de  préférence  aux  autres  pays 


1.  Voir  les  Acta  Sanctorum,  août,  t.  V,  p.  39. 

2.  Cf.  Géracd,  Pai'is  sous  Philippe  le  Bel  (dans  les  Docum.  inéd.  de  Vhist.  de 
France),  Paris,  1837,  p.  293,  385,  400. 

3.  Acta  Sanctorum,  loc.  cit.,  p.  40  {Ovalio  encomiastica  de  S.  Bartholomaeo 
apostolo)  :  Oportebat  eos  remunerari  tnagislrum  salvatorem  et  medicum. 

4.  Sur  la  légende  de  saint  Emigdius,  voir  ci-dessous,  p.  240. 

5.  Acta  Sanctorum,  loc.  cit.  [Acta  fabulosa  S.  Bartholomaei,  par  le  Pseudo- 
Abdias),  p.  34  :  In  hoc  idolo  dsemon  talis  erat  qui  diceret  se  curare  languentes 
etcœcos...  illuminare  ; — ibid.,  Cumque  jain plénum  esset  languentibus templum 
et  quolidie  sacrificantibus  nullum  duret  secundum  consuetudinem  responsum 
infirmi  exlonginquis  regionibus  adductijacebant ;  — p.  37  (Jésus  nous  a  donné 
le  pouvoir)  ut  infirmas  salvaremus,  caecos  illuminaremus ,  leprosos  mundaremus, 
paralyticos  absolveremus ,  dœmones  fugaremus  et  suscitaremus  mortuos. 


86  l'île   TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQCITÉ 

qu'il  avait  parcourus,  aurait  été  choisie  pour  donner  son  nom  à 
l'ile. 

La  Lycaonie  province  romaine.  —  L'étjmologie  des  noms  de 
lieux  est  souvent  difficile  à  déterminer  exactement.  Ils  sont 
loin  d'avoir  tous  une  origine  officielle.  Un  grand  nombre  d'entre 
eux  ont  été  imaginés,  à  contre-sens  quelquefois,  par  la  foule 
anonyme.  Un  incident  oublié  de  la  vie  d'une  cité,  un  détail  do 
décoration  dans  un  édifice  maintenant  disparu  ou  transformé, 
ont  suffi  à  faire  surgir  des  dénominations  nouvelles  qui  nous 
surprennent  et  dont  l'explication  véritable  nous  échappe. 
On  pourrait  puiser  dans  une  étude  de  la  ville  de  Rome  aux 
premiers  siècles  du  christianisme,  maints  exemples  à  l'appui 
de  cette  observation  générale.  «  Au  moyen  âge  tout  est 
désordre  dans  la  topographie  de  Rome  ;  nous  rencontrons  dans 
la  biographie  des  papes  certains  noms  de  régions  inconnues 
autrefois  et  depuis,  tels  que  VUrsus  pileatus  sur  l'Avenlin,  la 
Gallina  alha  entre  le  Quirinal  et  Subure,  Caput  tmiri  la 
porte  Saint- Laurent  qui  était  ornée  de  têtes  de  taureaux'.  »  Le 
carcer  Mamertimis^  le  lieu  dit  ad  très  P aimas  sur  le  Forum 
romain,  et  bien  d'autres  encore  appartiennent  à  la  même  caté- 
gorie. On  doit  y  faire  rentrer  aussi  Y insula  Lycaonia .  11  paraît 
certain,  d'après  la  forme  du  mot,  que  l'Ile  tibérine  doit  cette 
dénomination  soit  à  Lvcaon,  soit  à  la  Lycaonie;  dans  l'anti- 
quité, quelque  monument  de  l'île,  une  statue  sans  doute,  devait 
rappeler  le  roi  d'Arcadie  Lycaon  ou  la  contrée  de  Lycaonie. 
En  l'absence  de  documents  décisifs,  nous  n'avons  aiicun  moyen 
de  nous  prononcer  avec  certitude  entre  les  deux  étymologies. 
La  première  serait  peut-être  grammaticalement  plus  correcte  : 
Yinsula  Lycaonia  est  plutôt  l'île  de  Lycaon  que  l'île  de  Lycao- 
nie; on  aurait  dû  dire  dans  l'autre  cas  :  insiila  Lycaoniœ. 
Mais  au  temps  du  Bas-Empire  la  populace  romaine  ne  se  préoc- 
cupait guère  de  la  correction  grammaticale  ni  des  règles  de  la 
syntaxe.  Si  l'on  adopte  la  seconde  étymologie,  point  n'est 
besoin,  pour  rendre  compte  de  l'expression,  de  faire  intervenir 
témérairement  la  légende  et  le  culte  de  saint  Barthélémy.  Une 
hypothèse  plus  simple  permettrait  de  résoudre  le  problème. 
La  Lycaonie  ne  fut  érigée  en  province  romaine  indépendante 


1.  8.  BKRr.Kit,   Rome  calhoUque.  dans  YEncyclnp.  des  sciences  rellg.,  t.  XI, 
p.  283. 


L  INSULA    LYCAOMA  87 

qu'aux  environs  de  l'année  373  après  l'ère  chrétienne  ^  L'un 
des  deux  ponts  de  l'île  tibérine,  l'ancien  pont  Cestius,  fut 
reconstruit  à  cette  époque  par  les  soins  des  empereurs  Valens, 
Valentinien  et  Gratien.  L'inscription  qu'il  porte  est  datée  de 
l'année  370~.  Il  était  décoré,  selon  l'usage,  de  statues.  Il  n'est 
pas  impossible  que  l'une  d'entre  elles  fût  l'image  de  la  Lycao- 
nie  personnifiée,  ou  qu'un  petit  monument  du  voisinage  rap- 
pelât l'organisation  de  cette  province  contemporaine  de  la 
réfection  du  pont  Cestius.  Par  une  extension  abusive,  le  nom 
à'insula  Lycaonia  fut  appliqué  ensuite  à  l'île  tout  entière. 

Le  dernier  texte  antique  qui  concerne  l'île  tibérine  est  la 
lettre  écrite  par  Sidoine  Apollinaire  vers  469,  un  siècle  après 
l'inauguration  du  pont  Cestius  restauré  ;  elle  y  est  nommée 
insula  serpentis  Epidaurii;  l'expression  insida  Lycaonia 
n'était  pas  encore  créée,  ou,  du  moins,  les  gens  instruits, 
comme  Sidoine,  restaient  fidèles  aux  vieilles  appellations. 
Bientôt  cependant  le  nom  nouveau  se  répandra  peu  à  peu  ;  un 
siècle  encore,  et  il  sera  seul  usité  ;  l'antiquité  le  léguera  au 
moyen  âge. 

•1.  GoYAu,  Chronol.  de  VEmp.  rom.,  p.  543;  —  Ms'Duchesne,  àsinsles Mélanges 
Graux,  Paris,  1884,  p.  136;  —  Lexain  de  ïillemonï,  Hisl.  des  Emp.,  t.  V,  éd. 
de  nOO,  Paris,  p.  99.  —  Saint  Basile  dans  une  de  ses  lettres  (Basil..  Epist., 
CXXXVIII,  2,  publiée  par  Migne,  Patrol.  grecq.,  t.  XXXll,  p.  5803)  parle  de  la 
Lycaonie,  dont  Iconium  était  la  métropole,  comme  d'une  province  formée 
depuis  peu  par  le  démembrement  des  provinces  voisines  :  'Ixovtov  uôliç  è<r:\  ty^; 
IlKTiSta;  -o  [làv  TraXaiôv  [xs-rà  ttiv  (jL£Yt<TTr,v  i\  Ttpwtr]  vjv  ôà  xal  aùxT)  7rpoy.â6r;-:at 
(xépoyi;  o,  èoc  Staçopwv  Ti[Ar|(j.àTwv  o-jvaxôsv,  èTrap^i'a;  ISt'ai;  olxovo(jitav  èSé^aTO. 

2.  Voir  ci-dessous,  p.  112. 


LIVRE    II 

LES  PONTS  DE   L'ILE  TIBÉRINE 


LIVRE  II 

LES  PONTS  DE  L'ILE  TIBÉRINE 


L'île  tibérine  est  reliée  à  la  rive  gauche  du  fleuve  par  le 
ponte  Quattro  Capi  et  à  la  rive  droite  (Transtévère)  par  le 
ponte  San  Ba?'tolomeo.  La  première  construction  de  ces  deux 
ponts  remonte  à  l'antiquité.  Le  ponte  Quattro  Capi  est  l'ancien 
pons  Fabriciiis,  le  ponte  San  Bartolomeo  est  l'ancien  pons 
Cestius  ou  pons  Gratiani^. 


l.  Sur  les  ponts  de  l'île  tibérine  en  général,  consulter  :  Piale,  Der/li  antichi 
ponli  di  Roma,  dans  les  Dissert.  delVAccad.  pontif.,  t.  IV,  1831,  p.  197  ;  — 
MoMMSEN,  Epigraphische  Analekten,  dans  les  Ber.  d.  St'ichs  Ges.  d.  Wiss., 
Leipzig,  1850,  p.  320  ;  —  Urlichs,  die  Brûcken  des  alten  Roms,  dans  les  Sit- 
zunqsber.  d.  Ak.  d.  Wiss.,  Munich,  1870,  p.  459;  —  Weckleix,  zur  Romischen 
Topographie,  I,  Ueher  die  Brûcken,  dans  VHermès,  t.  VI,  1872,  p.  178  ;  —  Mayer- 
iiOFER,  die  Brûcken  ini  alten  Rom,  Erlangen,  1884,  et:  Geschicht.-topogr.  Stu- 
dien,  1,  Neue  Beitruge  zur  Brûckenfrage,  Munich,  1887;  —  Zippel,  die  Brûcken 
im  alten  Rom,  dans  le  Jahrb.  f.  klass.  Philol.,  1886,  p.  481;  —  Kummer,  de 
Urbis  Romse  pontibus,  Shalke,  1889;  —  Roxxa,  le  Tibre  et  les  travaux  du  Tibre 
dans  le  Bull,  de  la  Soc.  pour  l'encour.  de  Vind.  nation.,  sept.-nov.  1898. 


CHAPITRE  I 

LE   PONT   FABRIGIUS 


Son  importance.  —  Malgré  quelques  modifications  partielles 
qu'on  discerne  aisément  au  premier  coup  d'œil,  il  est  permis 
de  dire  que  le  pont  Fabricius  est  resté,  dans  son  ensemble, 
tel  que  l'ont  laissé  ses  premiers  architectes  ^  On  a  pu,  au 
moyen  âge  et  à  l'époque  moderne,  réparer  les  murs  extérieurs, 
refaire  les  parapets,  transformer  la  chaussée'-,  on  n'a  pas  altéré 
le  caractère  général  ni  la  structure  intime  du  monument.  C'est 
le  mieux  conservé  de  tous  les  ponts  antiques  de  Rome,  le 
seul  même  que  nous  possédions  presque  tout  entier.  C'est  aussi 
l'un  des  premiers  ponts  de  pierre  que  les  Romains  aient  édi- 
fiés :  la  date  de  son  établissement  est  certaine  et  ne  laisse 
aucun  doute  sur  ce  point.  On  comprend  dès  lors  tout  l'intérêt 
qu'il  présente  et  l'importance  qu'y  attachent  les  historiens^  et 
les  architectes  4  attentifs  à  relever  les  vestiges  de  la  Rome 

1.  Les  principaux  textes  relatifs  au  pont  Fabricius  sont  indiqués  par  Kiepert- 
HuELSEX,  Nomencl.  topogr.,  p.  52;  —  et  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.,  p.  409. 

2.  FLAVioBioNDo,jRomarns/«î«'ate,  Venise,  1510,  livre  II,  chapitre  Lxxx,àpropos 
des  deux  ponts  de  l'île  :  quos  nuper  tua,  pontifex  Eugeni,  opéra  instauratos  et 
tiburtine  lapide  stralos  videmus.  —  Au  moyen  âge  des  tours  appartenant  à  des 
familles  nobles  de  Rome,  les  Pierleoni,  les  Gaetani,  etc.,  se  dressaient  aux  extré- 
mités des  ponts;  on  les  voit  représentées  sur  les  plus  anciens  plans  et  dessins. 

3.  Entre  autres  :  Nibuy,  Roma  anlica,  t.  I,  174  ;  —  Rebek,  die  Ruinen  Roms, 
p.  314;  —  Jordan,  Topogr.  d.  St.  Rom,i.  I,  p.  418;  —  0.  Gilbert,  Gesch.  und 
Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  II,  p.  171-180,  t.  III,  p.  257  ;  —  Middleton,  the  Remains 
of  ancient  Rome,  Londres,  1892,  t.  II,  p.  367,  etc. 

4.  PuiANESi,  Antichità  romane,  t.  IV,  pi.  XVI  à  XX  :  plans,  coupes,  élé- 
vations. Les  relevés  d'état  actuel  que  M.  René  Patouillard  a  faits  en  1899  ont 
montré  que  les  indications  données  par  Piranesi  sont  exactes,  en  ce  qui  con- 
cerne du  moins  la  partie  visible  du  pont  ;  ses  hypothèses  sur  les  fondations 
paraissent  plus  sujettes  à  caution  ;  mais  jusqu'à  présent  elles  ont  échappé  au 
contrôle.  Sur  les  fondations  du  pont  Cestius  et  les  hypothèses  fantaisistes 
de  Piranesi,  voir  plus  loin,  p.  U8.  —  Canina,  gli  Edifizi  di  Roma  antica,  t.  IV, 


M  LES    PONTS    DE    l'iLE   TIRÉRINE 

ancienne,  comme  les  ingénieurs'  soucieux  d'étudier  la  science 
de  la  construction  des  ponts  à  ses  débuts. 

Structure.  —  Le  pont  Fabricius  mesure  62  mètres  de  lon- 
gueur totale  et  5", 50  de  largeur.  Il  est  construit  intérieure- 
ment en  blocs  de  tuf  et  de  pépérin  ;  des  blocs  de  travertin 
forment  le  revêtement  ;  les  parties  extérieures  entre  les 
arcades  de  travertin  ont  été  restaurées  en  briques  au  moyen 
âge.  Il  comprend  deux  arches  supportées  par  deux  culées  et 
une  pile  médiane. 

Les  deux  grandes  arches.  —  Les  deux  arches  ont  l'une  24"°, 25, 
l'autre  24'",50  d'ouverture,  soit  au  total  un  débouché  de  48", 75 
donné  au  bras  gauche  du  Tibre.  Les  têtes  de  voûte  ne  forment 
pas  deux  demi-circonférences  complètes  :  «  l'intrados  est  un 
arc  de  cercle  de  25  mètres  de  rayon  ^  et  de  20  mètres  de  flèche''.  » 
Les  ingénieurs  modernes  qui  se  sont  occupés  des  ponts  de 
Rome  ont  noté  soigneusement  cette  intéressante  particularité  ; 
ils  n'ont  pas  eu  de  peine  k  l'expliquer.  Les  Romains  construi- 
saient d'abord  toutes  leurs  voûtes  en  plein  cintre  ;  cette  dispo- 
sition, d'ailleurs  avantageuse,  avait  un  grave  inconvénient: 
elle  obligeait  k  imposer  aux  arches  une  très  grande  hauteur 
par  rapport  k  l'ouverture  ;  il  fallait,  par  suite,  placer  très  bas 
leur  naissance  —  ce  qui  rencontrait  parfois  de  grandes  diffi- 
cultés d'exécution  —  ou  ménager  de  fortes  pentes  pour  relier 
les  rives  k  la  chaussée  du  pont.  «  Il  était  donc  naturel  de 
chercher  k  réduire  la  hauteur  des  voûtes  par  rapport  k  leur 
largeur.  Le  moyen  le  plus  simple  consiste  k  prendre  pour 
courbe  d'intrados  un  arc  de  cercle  moindre  qu'une  demi-cir- 
conférence, et  l'on  en  voit  déjk  une  première  application  k 
Rome  au  pont  Fabricius'*.  »  Les  rampes  qui  donnent  accès  au 
pont  des  deux  côtés  sont  assez  prononcées  ;  l'emploi,  encore 
très  discret,  des  voûtes  surbaissées,  a  permis  cependant  de  les 


pi.  CCXLII  :  plan  et  restauration  en  hauteur;  Canina  suit  de  très  près  Pira- 
nesi. 

1.  Par  exemple  Degrand  et  Rksal.  les  Ponts  en  maçonnerie  (dans  VEncyclo- 
pédie  des  travaux  publics),  Paris,  1888,  t.  Il,  Construction,  p.  32-33. 

2.  Chiffre   approximatif;  exactement,  comme   il  est  dit  plus  haut,  24-,2o 
et  24-,50. 

3.  Deohaxd  et  Résal,  op.  cit.,  p.  33. 

4.  Ibid.,  p.  361. 


LE    PONT    FABRICILS 


95 


rendre  moins  raides  qu'elles  ne  l'eussent  été  sans  cet  arti- 
fice ^ 

La  pile  centrale.  —  La  pile  qui  sépare  les  deux  arches  a  des 
dimensions  considérables.  On  n'en  voit  plus  aujourd'hui  qu'une 
petite  partie  au-dessus  des  ensablements  qui  obstruent  le  bras 
gauche  du  Tibre.  Pour  se  faire  une  idée  exacte  de  ce  qu'elle 


FiG.    11.    —  LE   PONT   FABRIGIUS. 

Vue  prise  avant  les  récents  travaux  du  Tibre  (cliché  d'Alessandri). 

était  autrefois  il  faut  se  reporter  aux  dessins  et  gravures  des 
siècles  derniers,  et  surtout  aux  planches  de  Piranesi.  La  pile, 
terminée  en  forme  de  coin  vers  l'amont  pour  briser  l'effort  des 
eaux,  plus  petite  et  arrondie  vers  l'aval,  mesure  20  mètres  de 
longueur  dans  le  sens  du  courant,  et  12", 50  d'épaisseur  ;  elle 
va  en  s'élargissant  du  sommet  vers  la  base,  par  assises  sail- 

1 .  RoNNA,  le  Tibre  et  les  travaux  du  Tibre,  p.  42  du  tirage  à  part,  remarque  que 
la  chaussée  est  sensiblement  horizontale  dune  clé  de  voûte  à  l'autre  ;  la  ligne 
des  corniches  et  des  parapets  se  trouve  plus  élégamment  brisée  qu'elle  ne 
l'est  ailleurs  par  le  dos  d'àne  que  présentent  la  plupart  des  ponts  romains 
construits  ensuite. 


96  LES   PONTS   DE    L  ILE   TIBÉRINE 

lantes.  La  hauteur  totale  au-dessus  des  sables  atteint  encore 
12  mètres.  Une  petite  arclie  pratiquée  dans  la  maçonnerie  et 
largo  de  6  mètres  surmonte  le  soubassement  massif.  Elle 
dépasse  tout  entière  le  niveau  des  alluvions  ;  jadis  les  eaux  ne 
l'atteignaient  qu'au  moment  des  plus  fortes  crues  ;  elle  servait 
alors  de  décharge  :  en  faciUtant  l'écoulement  du  trop  plein, 
elle  diminuait  d'autant  la  pression  que  le  pont  avait  à  subir. 
Deux  pilastres  d'ordre  dorique,  dont  les  traces  sont  assez 
recomiaissables,  décoraient  ses  côtés. 

Les  fortes  proportions  de  la  pile  centrale  du  pont  Fabricius 
ne  doivent  pas  surprendre.  «  Les  piles  que  construisaient  les 
Romains  étaient  de  vraies  culées,  suffisantes  pour  que  les 
arches  se  maintinssent  isolément  sans  le  concours  de  la  poussée 
des  arches  voisines.  Il  est  àprésumer  que  cette  disposition  était 
due  soit  à  la  préoccupation  constante  des  constructeurs  d'éviter 
la  dépense  de  cintres  multiples  et  compliqués,  soit  à  l'insuffi- 
sance des  procédés  de  fondation  pratiqués  à  cette  époque  ^  » 
Le  comte  de  Tournon,  passant  en  revue  les  anciens  ponts  de 
Rome,  disait  avec  raison  :  «  Le  peu  d'ouverture  des  arches, 
l'épaisseur  excessive  des  piles,  l'empâtement  des  assises  infé- 
rieures prouvent  que  les  Romains  n'avaient  pas  perfectionné 
la  construction  des  ponts  autant  que  d'autres  parties  de  l'art  de 
bâtir.  »  Mais  il  ajoutait  justement  que  le  bel  appareil  des  maté- 
riaux et  la  solidité  de  tout  l'ouvrage,  attestée  par  vingt  siècles 
de  résistance  au  temps,  aux  eaux  et  souvent  aussi  aux  hommes, 
faisait  pardonner  sans  peine  cette  imperfection  relative  et  cette 
inélégance  2. 

Les  petites  arches  latérales.  —  Dans  les  très  larges  et  très 
résistantes  culées  sur  lesquelles  reposent  les  extrémités  du 
pont  sont  pratiquées  deux  ouvertures  semblables  à.  celles  de  la 
culée  centrale,  mais  plus  petites  ;  elles  ont  seulement  3™, 50  de 
largeur.  On  ne  les  aperçoit  plus  ;  elles  sont  enclavées  dans  les 
constructions  élevées  "  aux  débouchés  du  pont.  Elles  figurent 
sur  les  planches  de  Piranesi  et  de  Canina.  Au  cours  des  tra- 
vaux de  systématisation  du  Tibre  et  d'établissement  des  quais 
la  petite  arche,  située  du  côté  du  Capitole,  a  été  pendant  quelque 
temps  mise  à  découvert  et  presque  entièrement  déblayée.  A 
l'origine,    toutes  les   deux    devaient   être    apparentes  ;    elles 

1.  DE0R\5Det  RésAL,  op.  cit.,  p.  .'50. 

2,  Db  Todrnok,  Eludes  statistiques  sur  Rome,  Paris,  1831,  l.  H,  p.  176. 


LE    PONT    FABRICIDS 


97 


jouaient  le  même  rôle  de  dégagement  et  de  sûreté  que  l'ouver- 
ture de  la  culée  centrale  :  au  moment  des  crues  les  eaux  qui 
venaient  battre  le  pont  pouvaient  s'échapper  par  ces  trois  issues 


supplémentaires  (au  total,  13  mètres  de  largeur)  en  même 
temps  que  par  les  deux  grandes  arches  (48", 75).  Les  chances 
d'inondation  ou  de  rupture  étaient  par  cela  même  bien  dimi- 
nuées. 


98  LES   PONTS   DE   l'iLE   TIBÉRINE 

Les  Hermès.  —  Comme  la  cliaussée,  le  parapet  du  pont  est 
moderne  ;  il  a  été  fait,  ainsi  que  le  rappelle  une  inscription 
apposée  à  l'entrée  de  l'île,  en  1679,  sous  le  pontificat  d'Inno- 
cent XI.  On  y  remarque  vers  l'est,  c'est-à-dire  du  côté  de  la 
ville,  deux  pilastres  droits  surmontés  d'Hermès  à  quatre  faces, 
d'un  travail  antique.  Ils  ont  l'un  et  l'autre  1°',47  de  hauteur, 
0°,44  de  larf^eur,  0"',36  d'épaisseur.  C'est  à  leur  présence  que 
le  pont  doit  son  nom  de  ponte  Quattro  Capi.  Casimiro  signale 
l'existence  de  quatre  Hermès  quadrifrontes  :  trois  dans  l'église 
San  Grcgorio  {Madonna  délia  Carita),  toute  proche  de  l'Ile,  et 
un  sur  la  place  San  Dartolomeo,  dans  l'île  même  •.  De  nos  jours 
on  a  déplacé  les  mieux  conservés  pour  les  mettre  sur  le  para- 
pet. Il  est  très  probable,  en  effet,  qu'ils  appartenaient  à  la  déco- 
ration primitive  du  pont.  Une  série  de  pilastres  devait  soute- 
nir une  balustrade  de  bronze  à  claire-voie'^.  Des  rainures 
latérales  sont  creusées  dans  les  bases  des  Hermès  et  les  tra- 
versent do  haut  en  bas  sur  toute  leur  hauteur  ;  on  y  reconnaît 
les  trous  destinés  au  scellement  du  bronze.  Reber  a  remarqué 
que  sur  un  des  bas-reliefs  de  l'arc  de  Constantin  des  Hermès 
sont  utilisés  pareillement  comme  supports  de  balustrade  '^,  et 
Nibby,  pour  expliquer  la  forme  de  Janus  quadrifrontes  donnée 
à  ceux  du  pont  Fabricius,  a  fait  observer  que  le  temple  de  Janus 
Geminus  in  Argileto  était  voisin  de  l'île  tibérine^.  La  conclu- 
sion qu'on  a  tirée  du  rapprochement  de  tous  ces  faits  n'a  rien 
que  de  très  plausible. 

Aspect  du  pont  Fabricius  dans  l'antiquité.  —  L'état  actuel  du 
pont  Fabricius  permet  d'imaginer  aisément  son  antique  aspect 
et  de  le  restaurer  par  la  pensée.  11  suffit  de  se  représenter  les 
parois  extérieures  revêtues  partout  de  travertin,  au  lieu  du 
mélange  moderne  de  briques  et  de  pierres,  la  pile  du  centre 
débarrassée  des  sables  et  baignée  par  l'eau,  les  petites  arches 
des  côtés  complètement  dégagées,  les  pilastres  doriques  réta- 
bHs,  le  parapet  enfin  couronné  d'une  balustrade  de  bronze  et 
décoré  d'Hermès 5. 

1.  CasiMiRO,  Memorie  istoriche,  p.  265. 

2.  MiDDLETON,  op.  cit.,  p.  367-368. 

3.  Reber,  op.  cit.,  p.  317. 

4.  Nibby,  op.  cit.,  p.  177.  Nibby  se  demande  si  les  Hermès  ont  été  apportés 
après  coup  du  temple  de  Janus,  ou  si  on  les  a  fait  expressément  pour  orner 
le  parapet,  en  leur  donnant  la  forme  de  Janus  quadrifontes  à  cause  du  voisi- 
nage du  temple.  Cette  seconde  hypothèse  est  la  plus  vraisemblable. 

5.  C'est  à  peu  près  ainsi  que  Caxi."«a,  loc.  cit.,  s'inspirant  de  Piranesi,  a 


LE    PONT    FABRICIUS 


90 


Les  textes  anciens,  —  On  sait  par  Dion  Cassius  à  quelle 
époque  fut  construit  le  pont  Fabricius.  Après  avoir  raconté  les 
événements  de  l'année  692/62,  Dion  ajoute  :  «  Et  l'on  cons- 


truisit le  pont  de  pierre  conduisant  à  la  petite  île  qui  existe 


compris  sa  restauration,  mais  il  n'a  pas  indiqué  la  balustrade  ni  les  Hermès. 
11  suppose  un  parapet  plein  en  larges  pierres,  avec  au  milieu  sur  la  petite 
arche  centrale,  une  dalle  plus  grande. 


100  LES    PONTS    DE   l'iLE   TIBÉRINE 

dans  lo  Tibre;  on  l'appela  le  pont  Fabricius'.  »  Ces  quelques 
mots  nous  font  connaître  à  la  fois  l'époque  précise  où  fut  élevé 
le  pont  —  un  an  après  le  consulat  de  Cicéron  et  la  conjura- 
tion de  Catilina  —  et  le  nom  qu'on  lui  donnait  dans  l'antiquité. 

Le  pont  Fabricius  est  cité  dans  une  satire  d'Horace  :  un 
jour  le  poète  désespéré  songeait,  dit-il,  à  se  jeter  dans  le  Tibre  ; 
mais  il  rencontra  un  de  ses  amis,  un  philosophe,  qui  lui  con- 
seilla pour  le  détourner  de  son  projet  de  cultiver  la  philosophie 
et  de  s'éloigner  du  pont  Fabricius'-. 

Acron  et  Porphyrion,  en  commentant  ces  vers,  disent  que 
l'on  appelait  pons  Fabricius,  du  nom  de  son  fondateur,  le  pont 
de  pierre  qui  reliait  l'ile  tibérine  à  la  ville ^. 

Polemius  Silvius,  dans  la  liste  qu'il  donne  des  ponts  de  Rome, 
mentionne  le  pont  Fabricius^;  tous  les  auteurs  de  descriptions 
de  Rome  à  l'époque  chrétienne  le  citent  également''.  La  persis- 
tance du  même  nom  est  ainsi  attestée,  depuis  le  i"  siècle 
avant  Jésus-Christ  jusqu'au  moyen  âge*». 

1.  Cass.  Dio,  XXXVII,  4'j  :  Tore  jaîv  raûra  te  àvÉvîTO,  xal  f,  vlçypa  r,  XiOi'vr)  f,  âv 
tÔ  vr,<Tt5tov  tÎ)  âv  Toi  Ttêipiôt  civ  Çc'poy<ra  xaTEaxE'jâdOr,,  <&aopt>n'a  x),r|6ïï(Ta.  Le  pas- 
sage de  Dion  Cassiiis  est  cité  ici  d'après  l'édition  Uindorf  (Teubner).  Les  ma- 
nuscrits portent  :  xal  r,  vé^ypa  rj  XiOîv-rj  à;  to  vr,iT!'8iov  tôts  èv  -roi  TioiptSi  8v 
çÉpoyaa,  €  le  pont  de  pierre  conduisant  à  lile  qui  existait  alors  dans  le 
Tibre  »,  ce  qui  n'a  pas  de  sens,  car  elle  était  encore  une  île.  après  comme  avant 
la  construction  du  pont.  C'est  Leunclavius,  suivi  depuis  par  la  plupart  des 
éditeurs,  qui  a  corrigé  è;  t'o  vrjiiStov  tôts  èv  en  tj  eî;  tô  vr,ai'6tov  tô  èv  ;  la  pré- 
sence des  mots  tôts  au  début  de  la  phrase  (tôte  [iev  raOra  te  èYsvîTo)  aura 
trompé  les  copistes,  qui  le  répétèrent  à  la  ligne  suivante. 

2.  IloRAT.,  Sat.,  11,3,30-36. 

Solalus  jussit  sapientcm  pascere  barbam 
Atque  a  Fabricio  non  Irislem  ponte  reverti. 

3.  AcRO,  Schol.  Horaf.,  ad  loc.  cit.  (éd.  Pauly,  t.  II,  p.  249):  Qui  modo  lapi- 
deus  dicitur,pons  Fabricius  habel  a  condilore  vocahulum,  qui  jungilur  insulae 
liherinœ;  notninatus  a  Fabvicio  consule.  —  Porphyrio,  ibid.  :  Pons  Fabricius 
dicilur  qui  est  insulse  illius  quœ  in  medio  Tiberi  posila  est  ;  ideo  Fabricius  quia 
a  Fabricio  factus.  —  Acron  a  commis  deux  erreurs  :  il  attribue  à  tort  la  qualité 
de  consul  à  Fabricius  et  applique  faussement  au  pont  Fabricius  le  nom  de 
pons  lapideus.  Cf.  ci-dessous,  p.  129. 

4.  Texte  publié  en  dernier  lieu  par  Mommsbx,  dans  les  Moxum.  Germ.,  Aucl. 
anliq.,  t.  IX,  1,  p.  545  :  Pontes  VIII...  Staricius  (pour  Fabricius). 

5.  Cf.  Cuviosum  Urbis,  Notitiaregionum,  G}-aphiaaureae  Urbis  Romse,  publiés 
dans  Urliciis,  Cod.  topof/r.,  p.  1,  et  dans  Jordan,  op.  cit.,  t.  II,  p.  541. 

6.  Au  moyen  âge,  le  nom  qu'on  donne  le  plus  souvent  au  pont  Fabricius  est 
celui  de  pons  Judœorum  ou  pons  Judseus,  parce  qu'il  aboutissait  sur  la  rive 
gauche  du  Tibre  à  la  hauteur  du  Ghetto;  on  lit  dans  la  Graptiia  aureœ  Vrbis 
Romae  :  Fabricii  in  ponte  Judœorum.  Il  était  appelé  aussi  quelquefois  ;îon/e  rfi 
Campo  Marzio  ou  ponte  Tarpeio,  à  cause  de  la  proximité  du  Champ  de  Mars 
et  de  la  roche  Tarpéienne,  mais  aucun  texte  ne  prouve  que  dés  l'antiquité  il 
ait  reçu  le  surnom  de  po7is  Tarpeius;  celui  de  pons  lapideus  ne  lui  est  attri- 


LE    PONT    FABRICIUS 


401 


L'inscription  du  pont.  —  Mais  on  possède  un  document  plus 
précieux  que  le  témoignage  même  des  auteurs.  C'est  l'inscrip- 
tion gravée  sur  le  pont  lors  de  sa  construction '.Elle  est  encore 
en  place.  On  lit  sur  le  revêtement  extérieur  en  travertin,  du 
côté  de  l'amont  : 

Au-dessus  de  l'arche  de  gauche  :  L[ucius)  Fahricius  C{aii) 
f[iHus)  Cîir[at07')  viar[um)  \  faciundimi  cœravit;  puis,  en  plus 
petits  caractères,  à  la  ligne  suivante  :  Q[iiintus)  Lepidus 
M[anii)  f{ilius)  M{arcus)  Lollkis  M[arci)  f[ilius)  co[n)s[ides) 
ex  s{enatus)  c[onsi(lto)  probaverunt ; 

Au-dessus  de  la  petite  arche  centrale,  faisant  suite  à  la  pre- 
mière phrase  :  idemque  \  prohavit  ; 


FiG.    14.   —  RESTAURATION   DU  PONT  FABRICIUS. 

D'après  Canina,  gli  Edifizi  di  lioma  ancica,  t.  IV,  pi.  CCXLII. 


*^ 


Au-dessus  de  l'arche  de  droite  :  L[ucius)  Fabricius  C[aii) 
f[ilius)  cur[ator)  viar[um)  \  faciundum  cœravit. 

Du  côté  de  l'aval,  aux  mêmes  places  : 

L{ucius)  Fabricius  C[aii)  f[iliiis)  curiator)  viar[iim)  \  fa- 
ciundmn  cœravit  eidemqiie  \  jirobaveit; 

L[ucius)  Fabricius  C{aii)  f[iliit s)  ciir[ator)  viar{u}n)  \  faciun- 
dum cœravit.  \  M{arcus)  Lollius  M{arci)  f[iiius)  Q[uintus) 
Lepi\dus  M[anii)  f{ilius)]  co{n)s[ules)  ex  s[enatus)  c{onsulto) 
probaverunt. 

«  L.  Fabricius,  fils  de  Caius,    curator  viarum,  a  pris  soin 


bué  que  par  Acron.  Quant  au  nom  de  pons  Antoninus,  sous  lequel  il  serait 
désigné  dans  plusieurs  vies  de  saints,  il  ne  Ta  jamais  porté  :  le  pons  A?iloninus 
dont  parle  ces  récits  ne  peut  être  que  le  ponte  Sisto  actuel  (Voir  sur  ce  der- 
nier point  L'RLicHS,  (lie  Brûcken  des  alten  Roms,  loc.  cit.,  p.  463). 

1.  G.I.  L.,  I,  1"  éd  ,  600;  VI,  130S.  —  Ritschl,  Priscae  latinilatis  monument  a, 
Berlin,  1862,  pi.  LXXXVII  (fac-similé),  et  p.  76.  —  Du  côté  de  l'aval,  la  dernière 
ligne  de  l'inscription  est  un  peu  abîmée,  la  pierre  s'est  cassée,  quelques 
lettres  manquent. 


102  LES    PONTS    DE    l'iLE    TIBÉRINE 

de  la  construction  ot  l'a  approuvée  ;  Q.  Lepidus,  fils  de  Manius, 
M.  Lollius,  fils  de  Marcus,  consuls,  en  vertu  d'un  scnatus-con- 
sulte,  l'ont  approuvée.  » 

Les  deux  parties  de  l'inscription,  écrites,  la  première  en 
grands  caractères,  la  seconde  en  lettres  plus  petites,  sont 
d'époques  diff'érentes. 

La  première  se  rapporte  à  la  fondation  même  du  pont. 
L.  Fabricius,  fils  de  Caius,  curator  viarwn^,  dont  le  nom  est 
répété  quatre  fois  sur  les  voûtes,  fut  chargé  de  le  faire  cons- 
truire et  le  reçut-.  Le  passage  de  Dion  Cassius,  cité  plus 
haut,  complète  l'inscription  et  permet  de  la  dater.  C'est 
en  692/62,  d'après  Dion,  que  L.  Fabricius  exerçait  sa  magis- 
trature. L'aspect  des  lettres  du  texte  épigraphique,  les  parti- 
cularités de  l'orthographe,  l'emploi  surtout  des  formes  idemque 
probavit  en  même  temps  que  des  formes  eidemque  probaveit 
et  cœravit  confirment  cette  assertion  :  un  pareil  document  ne 
peut  avoir  été  composé  qu'au  dernier  siècle  de  la  Répu- 
blique. 

RitschP  et  M.  Mommsen^,  d'après  des  observations  faites  par 
Brunn  à  distance  et  à  l'aide  d'une  longue-vue,  ont  déclaré 
qu'une  partie  de  l'inscription  d'aval  n'était  pas  antique  ;  toute 
la  partie  gauche,  L.  Fabricius  faciundiim^  aurait  été  refaite  à 
l'époque  moderne;  la  gravure  des  lettres,  le  tracé  de  l'R^ 
surtout,  y  seraient  tout  autres  que  dans  les  mots  voisins.  Ces 
lettres  n'ayant  pu  être  changées  sans  qu'on  ait  remplacé  aussi 
les  pierres  qui  les  portaient,  on  attribuait  au  pontificat  d'Eu- 

1.  On  sait  peu  de  choses  sur  la  cura  viarum  de  l'époque  républicaine  (Mar- 
QUARDT-MoMMSEN,  Mau.  tles  Anliq.  rom..  Droit  public,  t.  IV,  p.  386  de  la  trad. 
franc.).  Elle  n'est  connue  que  par  des  inscriptions  du  dernier  siècle  de  la 
République.  Une  inscription  cite  un  curator  viarum  e  lege  Vitellia  qui  était 
en  même  temps  tribun  du  peuple  (C.  1.  L.,  I,  1"  éd.,  393);  on  a  cru  d'abord 
que  la  cura  viarum  était  liée  au  tribunat  de  la  plèbe;  il  est  prouvé  mainte- 
nant que  cette  rencontre  était  toute  fortuite.  M.  Mommsen  a  donc  tort  au 
C.  I.  L.  {i"  éd.,  600),  d'affirmer  que  L.  Fabricius,  curator  viarum  en  692/62 
devait  être  l'un  des  tribuni  plebis  de  cette  même  année. 

2.  Quand  un  travail  d'utilité  publique  était  achevé,  les  architectes  en  fai- 
saient remise  au  magistrat  compétent;  celui-ci  devait,  avant  d'en  prendre 
réception  et  de  donner  son  approbation,  probare,  vérifier  si  les  conditions  du 
contrat  passé  entre  l'Etat  et  les  architectes  étaient  remplies. 

3.  RiTSCHL,  loc.  cil. 

4.  MoMMSEX,  Epigraphische  Analekten.,  loc.  cit.^  p.  320. 

5.  Ces  lettres  auraient  été  gravées  à  l'aide  d'un  instrument  qui,  au  lieu  d'agir 
comme  un  coin,  aurait  laissé  dans  la  pierre  une  empreinte  carrée  à  angles 
nets  ;  l'R  aurait  une  queue  arrondie  dont  la  forme  ne  se  retrouve  jamais  dans 
les  inscriptions  antiques. 


LE    PONT    FABRICIUS  103 

gène  IV  (1431-47)  et  aux  travaux  signalés  par  Flavio  Biondo 
à  cette  époque,  une  restauration  importante  et  peut-être  môme 
une  reconstruction  complète  du  pont.  Mais  il  n'en  est  rien.  Un 
examen  répété  a  permis  à  M.  Huelsen  d'affirmer  que  Brunn 
s'est  trompé  *  ;  les  anomalies  qu'il  a  cru  observer  n'existent 
pas  ;  le  fac-similé  de  Ritschl  est  inexact  ;  Piranesi  a  reproduit 
le  document  avec  plus  de  fidélité.  On  ne  remarque  aucune  dis- 
cordance dans  la  paléographie  du  texte  ;  il  date  tout  entier 
de  l'an  692/62. 

L'autre  partie  de  l'inscription  nous  apprend  que  Q.  Lepidus 
et  M.  Lollius,  consuls,  ont  reçu  le  pont.  Tandis  que  d'un 
côté  le  nom  de  Q,  Lepidus  est  mis  le  premier,  de  l'autre  le 
nom  de  M.  Lollius  le  précède  :  il  était  de  règle,  en  répétant 
les  noms  des  consuls,  d'en  intervertir  l'ordre,  pour  mieux 
marquer  l'égalité  de  ces  deux  magistrats  2.  C'est  en  733/21 
que  Q.  Lepidus  et  M.  Lollius  furent  consuls  ensemble 3.  On 
s'étonne  de  voir  une  deuxième  réception  ou  approbation  du 
pont  Fabricius  suivre  la  première  à  quarante  ans  d'intervalle. 
Il  ne  peut  s'agir  d'une  construction  commencée  en  692/62, 
achevée  en  733/21  :  une  telle  lenteur  dans  les  travaux  serait 
peu  vraisemblable;  en  outre,  le  mot  probare  se  lit  dans  le 
texte  de  692/62  comme  dans  celui  de  733/21  ;  dès  la  première 
date,  par  conséquent,  le  pont  était  entièrement  achevé.  Nibby 
conclut  de  cet  exemple  unique  d'une  inohaiio  répétée,  qu'à 
Rome  les  auteurs  des  grands  monuments  d'utilité  publique 
étaient  responsables  pendant  quarante  ans  des  ouvrages  exécu- 
tés sous  leur  direction  :  ceux-ci  n'auraient  été  acceptés  défini- 
tivement qu'après  ce  laps  de  temps ^.  La  théorie  de  Nibby, 
qui  ne  s'appuie  sur  aucune  preuve,  est  aventureuse.  Mieux 
vaut  supposer  plus  simplement  qu'aux  environs  de  l'année  733/21 
une  crue  du  Tibre  aura  causé  quelques  dommages  au  pont 
Fabricius  et  nécessité  d'importantes  réparations.  Dion  Cassius 
nous  apprend  précisément  qu'en  731/23,  deux  ans  avant  la 


1.  Huelsen,  Milth.  des  deutsch.  archiiol.  Insiil.,  Rœm.Abth.,  1891,  p.  135.  — 
L'étude  de  l'inscription  est  plus  facile  maintenant  qu'elle  ne  Tétait  autrefois; 
le  long  des  nouveaux  quais  de  la  rive  gauche  du  Tibre,  des  escaliers  de 
pierre  descendent  vers  le  fleuve,  à  droite  et  à  gauche  du  pont,  et  laissent 
voir  de  plus  près  les  arches. 

2.  Cf.,  entre  autres  exemples,  les  cippi  terminales  du  Tibre,  G.  I.  L.,  VI, 
1234  et  suiv. 

3.  Klein,  Fasli  consulares,  Leipzig,  1881,  p.  8. 

4.  Nibby,  op.  cit.,  p.  173. 


i04 


LES    PONTS    DE    L  ILE    TIDÉRINE 


seconde  probatio,  une  crue  emporta  le  pont  Sublicius  et 
détruisit  plusieurs  édifices;  Rome  fut  pendant  trois  jours 
envahie  par  l'eau'.  Piale  s'est  demandé  si  le  pont  Fabricius 
n'avait  pas  été  endommagé  lui  aussi  au  mêmemoment^.  Jordan 
a  repris  à  son  compte  cotte  hypothèse  très  vraisemblable.  Il  a 
remarqué  que  l'inscription  de  Fabricius  court  sur  tout  le 
revêtement  extérieur  du  pont,  au-dessus  des  deux  arches  ; 
celle  des  deux  consuls,  au  contraire,  est  placée  seulement  sur 
l'arche  la  plus  éloignée  de  l'ile,  la  plus  voisine  de  la  rive  du 
fleuve  :  vers  l'amont  elle  est  au-dessous  et  à  gauche  de  l'ins- 
cription de  Fabricius,  vers  l'aval,  au-dessus  et  à  droite.  Le  pre- 
mier texte  s'appliquerait  au  pont  tout  entier  bâti  en  692/62  par 
les  soins  du  curator  vianim  L.  Fabricius,  le  second  à  l'arche 
de  gauche,  enlevée  parle  Tibre  en  731/23  et  refaite  en  733/21, 
sous  la  surveillance  des  consuls,  M.  LoUius  et  Q.  Lepidus^. 
Monnaie  Pabricia.  —  Après  les  textes  littéraires  et  épigra- 

phiques,  il  faut  citer  enfin 
un  document  antique  d'autre 
nature,  oii  l'on  a  voulu  voir 
évoqué  le  souvenir  du  pont 
Fabricius'».  C'est  une  mon- 
naie de  Cyrénaïque.  Elle 
porte  à  l'avers  les  mots 
L.  FABRICI,  qui  sont 
écrits  sur  une  tablette  rec- 
tangulaire fixée  contre  un 
poteau;  au  revers  PATELLIV  et  un  serpent  dressé.  Les  deux 
noms  se  font  suite  ;  il  faut  lire  L[iicius)  Fabri[citis)  Palelliti[s). 
On  ne  connaît  aucune  autre  monnaie  de  la  gens  plébéienne 
Fabricia.  D'après  Cavedoni,  ce  L.  Fabricius  Patellius  serait  le 
premier  proconsul  de  Cyrénaïque,  après  la  répartition  des  pro- 
vinces par  Auguste  en  727/27;  d'après  Borghesi,  ce  serait  le 
fils  du  curator  viarum  de  692/62;  le  serpent  rappellerait  le 
culte  rendu  à  Esculape  dans  l'ile  tibérine,  tout  auprès  du  pont 
construit  par  un  Fabricius.  La  simiHtude  des  noms  et  prénoms 


FiG.    15.   —  MONNAIE  DE  LA  ijens  FABRICIA. 

D'après  l'exemplaireduCabineldesMédailles. 


1.  Cass.  Dio,  lui,  33  :  "O  tj  T;oîpi;  aJ$T)6ii;TT,v  te  ysçupav  tT|V  Ç-J^ivi^|VxaT£(TupE 
xal  TTjv  7r6).tv  tXwrriv  à7:i  èTîl  -pît;  f,(iipa;  è7ro;r,aev. 

2.  PiAi.E,  loc.  cit. 

3.  Jordan,  op.  cil.,  p.  419  en  note. 

4.  Fai.be-Lindbkr«-.VIcllkr,  S'itmismatigue  de  l'ancienne  Afrique,  t.  I,  les 
Monnaies  de  la  Cyrénaïque,  Copenhague,  1810,  p.  165  (avec  bibliographie  de  la 
question). 


LE    PONT    FABRICICS  105 

paraît  rendre  cette  interprétation  assez  vraisemblable.  Il  n'est 
pas  nécessaire  cependant  qu'on  l'admette.  L'animal  sacré  d'Es- 
culape  se  retrouve  sur  d'autres  monnaies  de  Cjrénaïque  :  au 
revers  de  plusieurs  d'entre  elles,  frappées  à  l'époque  romaine 
par  A.  Pupius  Rufus  et  Scato,  figure  aussi  un  serpent  dressé  '  ; 
il  était  représenté  déjà,  comme  symbole  accessoire,  au  revers  de 
monnaies  frappées  à  Cyrène  avant  la  conquête  romaine-.  Nous 
savons  qu'Esculape  avait  des  temples  célèbres  à  Cyrène  ^  et  à 
Balagrai^.  La  monnaie  Fabricia  intéresse  l'Esculape  de  Cyré- 
naïque  et  non  l'Esculape  romain  ;  elle  ne  concerne  pas  le  pont 
Fabricius  de  l'île  tibérine. 


1.  Falbe-Lindberg-Muller,  op.  cit.,  p.  162  et  p.  166. 
z.  Ibid.,  p.  2i  (n»  48),  p.  47  (n°  171-173),  p.  57  (n-  265). 

3.  Tac,  Afin.,  XIV,  18. 

4.  Pal'sax.,11,26,  9. 


CHAPITRE  II 

LE  PONT  GESTIUS 


Les  noms.  —  Le  second  pont  de  l'île  tibérine  est  appelé  par 
le  Curiosinn  Urbis  et  la  Descriptio  Regioniim,  au  iv*  siècle  de 
l'ère  chrétienne,  puns  Cestius  ;  les  descriptions  de  Rome 
d'une  époque  plus  basse,  comme  les  Mirabilia  Romœ  et  la 
Graphia  mireœ  Urbis  (xii^-xiii"  siècles),  le  nomment  j)ons  Gra- 
fiani^;  cette  dernière  désignation,  à  coup  sûr  plus  récente,  a 
prévalu  au  moyen  âge 2.  Il  est  certain,  d'ailleurs,  que  le  pons 
Graliani  n'est  autre  que  *le  pons  Cestius  :  les  textes  qui 
viennent  d'être  énumérés  citent  celui-ci  ou  celui-là  au  même 
rang  parmi  les  ponts  de  Rome,  immédiatement  après  le  pont 
Fabricius;  et  dans  la  liste,  dressée  par  Polemius  Silvius,  qui 
écrivait  en  448,  un  siècle  après  les  auteurs  du  Cimosum  et  de 
la  Notifia,  plusieurs  siècles  avant  ceux  des  Mirabilia  et  de 


1.  Voir  ces  différents  textes  dans  Urlichs,  Cod.  topogr.,  et  dans  Jordan, 
Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  11,  p.  541.  —  On  lit  dans  la  Graphia  :  Felicis  Graliani 
pons. 

2.  Le  pont  s'appelle  maintenant  ponte  San  Bartolomeo,  parce  qu'il  aboutit 
dans  rile,  sur  la  place  et  devant  l'église  Saint-Barthélémy.  On  rencontre  très 
souvent  au  moyen  âge  et  dans  les  temps  modernes  le  nom  de  ponte  ferrato. 
NiBBY  [Rome  anlica,  t.  I,  p.  160)  en  donne  l'explication  :  il  serait  dû  à  la  pré- 
sence dans  le  Tibre,  à  cet  endroit,  de  nombreuses  chaînes  de  moulins.  Pno- 
r.op.  (I,  15),  rapporte  qu'en  537,  Vitigès  ayant  coupé  les  aqueducs  qui  faisaient 
marcher  les  moulins  de  la  ville,  Bélisaire  imagina  d'en  installer  de  nouveaux 
dans  le  fleuve  en  profitant  du  courant.  L'ingénieur  Chiesa,  dans  un  rapport 
rédigé  en  1744  {\avigazione  del  Tevere  dentro  Borna),  et  publié  dans  la.  Sziova 
raccolta  idraulica  (X,  261),  cité  par  Rosxa  [le  Tibre  et  les  travaux  du  Tibre, 
p.  88  du  tirage  à  part),  se  plaignait  que  les  palissades  des  moulins  rendissent 
impossible  toute  navigation;  entre  l'ile  et  le  Transtévère  il  y  avait  cinq  esta- 
cades,  barrant  le  passage,  et  plusieurs  sur  l'autre  bras  (entre  autres,  le  molino 
del  Ghetto,  ainsi  désigné  à  cause  du  voisinage  du  quartier  juif). 


LE    PONT   CESTTUS  107 

la  Graphia^  les  deux  noms,  l'ancien  et  le  nouveau,  Cestius  et 
Gratiaiii,  sont  donnés  à  la  fois  ^ 

Première  construction  :  le  pont  Cestius.  —  Comme  le  pont 
Fabricius,  c'est  sans  doute  à  son  fondateur  que  le  pont  Cestius 
doit  sa  première  appellation  2.  Mais  à  quelle  époque  vivait  le 
Cestius  qui  l'a  bâti,  et  quelle  magistrature  exerçait-il?  Aucun 
auteur,  aucune  inscription  ne  nous  l'apprennent.  La  construc- 
tion du  second  pont  de  l'île  tibérine  fut  sans  doute  à  peu  près 
contemporaine  de  celle  du  premier  ;  en  reliant  l'île  à  l'une  des 
rives  par  un  pont  de  pierre,  on  aura  songé  tout  naturellement 
à  la  relier  aussi  à  l'autre.  Les  relations  avec  la  rive  gauche, 
oii  se  trouvait  toute  la  Rome  ancienne,  étaient  de  beaucoup  les 
plus  importantes  :  le  pont  Fabricius  dut  être  fait  le  premier, 
et  c'est  seulement  après  692/62,  selon  toute  vraisemblance, 
que  l'on  édifia  le  pont  Cestius  ■^.  Mais  celui-ci,  d'autre  part,  n'a 
pas  été  construit  sous  l'Empire  :  Auguste  n'en  parle  pas  dans 
son  testament  (inscription  d'Ancjre),  où  il  énumère  toutes  les 
œuvres  de  son  règne  ;  les  ponts  élevés  par  les  empereurs  sui- 
vants portèrent  toujours  les  noms  des  princes  qui  les  firent 
bâtir,  comme  le  pont  ^lius,  par  exemple,  et  le  pont  Aurelius. 
Ainsi  le  pont  Cestius,  postérieur  à"  l'année  692/62,  est  anté- 
rieur à  l'établissement  du  principat  ;  il  date  des  derniers  temps 
de  la  République. 

On  connaît  plusieurs  Cestii  qui  ont  vécu  précisément  à  cette 
époque^.  Cicéron  parle  d'un  Caius  Cestius,  fermier  des  impôts  en 

1.  Si  Ton  admet,  du  moins,  la  correction  que  propose  Jordan  (op.  cit., 
p.  192).  La  liste  des  ponts  dans  Polemius  Silvius  est  ainsi  conçue  (Mo- 
îiUM.  Gekm.,  Auct.  antiq.,  t.  IX,  1,  p.  545)  :  Pontes  octo,  Ailius,  Aurelius, 
JEmilius,  Milviics,  Staricius  (pour  Fabiùcius),  Ercius,  Gratiani,  Probi  el 
lladriani.  L'intitulé  annonce  huit  ponts,  et  neuf  sont  indiqués,  dont  le  pont 
Ercius  complètement  inconnu.  Il  y  a  donc  erreur,  et  il  faut  lire  Cestius  Gra- 
tiani, au  lieu  de  :  Ercius,  Gratiani  (Dans  cette  liste,  en  outre,  le  pont  Subli- 
cius  est  omis,  et  le  pont  .^lius  deux  fois  cité  :  ^lius,  Hadrianus). 

2.  Voir  les  textes  sur  le  pont  Cestius  dans  Kiepert-Huklsex  {Nomencl. 
topogr.,  p.  51)  et  Homo  [Lex.  de  topogr.  rom.,  p.  408). 

3.  Dion  Gassius,  qui  parle  de  la  construction  du  pont  Fabricius,  ne  dit  rien 
de  celle  du  pont  Cestius;  on  ne  peut  en  conclure,  avec  Venuti,  qu'elle  serait 
antérieure  à  Tannée  682/65,  où  commence  le  récit  de  l'historien;  il  n'y  a  là 
probablement  qu'une  omission  fortuite. 

4.  Sur  la  famille  plébéienne  de  Cestii,  peut-être  originaire  de  Préneste, 
(C.  L  L.,  XIV,  2891,  3091-3095  :  plusieurs  inscriptions  très  anciennes  de  cette 
ville  mentionnent  des  Cestii),  voir  :  Pauly-Wissowa,  Real  Encyclopddie, 
s.  v  Cestius;  —  Klebs-Rohden-Dessau,  Prosopographia  imperii  romani,  t.  I, 
p.  339-341. 


108  LES    PONTS    DE   l'iLE   TIBÉRINE 

Asie  en  692/62';  une  lettre  à  Atticus  signale  la  présence  du 
même  personnage  à  Ephèse  en  703/512.  Un  second  Caius  Ces- 
tius  était  préteur  en  710/443  et  fut  mis  à  mort  pendant  les 
guerres  civiles  en  711/43*.  Un  troisième  Caius  Cestius,  le 
plus  célèbre,  préteur,  tribun  de  la  plèbe,  septemvir  epulotmm, 
se  fit  faire  à  Rome  un  tombeau  en  forme  de  pyramide,  qui  existe 
encore,  enclavé  dans  la  muraille  d'Aurélien,  près  de  la  porta 
Ostiense'\  Un  Lucius  Cestius,  frère  du  précédent,  estnommédans 
une  inscription  trouvée  au  pied  de  la  pyramide^  ;  Marcus  Agrippa, 
mort  en  742/12,  figure  parmi  ses  héritiers;  on  peut  donc  fixer 
approximativement  l'âge  de  ce  texte.  Le  L.  Cestius  qu'une 
inscription  relative  aux  jeux  séculaires  cite  comme  témoin 
d'un  sénatus-consulte  du  23  mars  737/17  avant  Jésus-Christ', 
serait,  d'après  M.  Mommsen,  le  fils  du  précédent^;  mais,  en 
réalité,  rien  n'empêche  que  ce  soit  ce  personnage  lui-même. 
Enfin,  au  revers  d'une  monnaie  d'or  de  l'époque  républicaine 
est  représentée  une  chaise  curule  avec  un  casque  et  deux 
colombes,  les  mots  L.  CESTIVS  en  haut  et  C.  NORBA  à 
l'exergue,  dans  le  champ  les  lettres  PR  adroite  et  SC  à  gauche^. 
On  identifie  en  général  ce  L.  Cestius  avec  le  frère  du  sep- 
lemvir  epuloniun,  et  c'est  à  lui  qu'on  attribue  la  fondation 
du  pont  de  l'Ile  tibérine'^,  Havercamp  prétend  qu'il  en  aurait 
été  chargé  comme  préfet  de  la  ville  en  708/46";  il  explique 
les  lettres  PR  iparprœfecti  Urbis;  il  rappelle  que  César,  partant 
en  708/46  pour  l'Espagne,  où  il  allait  combattre  Pompée, 
confia  l'administration  de  Rome  en  son  absence  à  Lépidus  et  à 
huit  ou  six  préfets  urbains'-.  Lucius  Cestius,  frère  de  Caius, 
serait,  comme  Caius  Norbanus,  l'un  de  ces  préfets  ;  ses  col- 
lègues et  lui  se  seront  partagé  les  tâches  ;  on  lui  aura  attribué 

1.  Cic,  Pro  Flacco,  13,  31. 

2.  Cic,  ad  Allie,  V,  13,  1. 

3.  Cic,  Philipp.,  III,  10,  26. 

4.  Appian.,  de  Bell,  civil.,  IV,  26. 

5.  C.  I.  L.,  VI,  1374. 

6.  C.  I.  L.,  VI,  1375. 

7.  Acla  hidovum  sœcularium,  dans  VEphemeris  Epigraphica,  t.  VIII,  p.  229. 

8.  Mommsen,  Epkemeris  Epir/raphica,  t.  VIII,  p   240. 

9.  Babelo.n,  les  Monnaies  de  la  République  romaine,  Paris,  1885-1886, 1. 1,  p.  340. 

10.  Cf.  NiBBY,  op.  cit.,  p.  169.  —  Caxixa,  gli  edifizi  di  Roma  antica,  t.  111, 
testo,  p.  108-109.  —  Rebeh,  Die  Ruinen  Roins,  p.  320.  —  Mu.nzeb,  dans  la  Real 
Enci/clopiïdie  de  Pally-VVissowa,  s.  v  Ceslius,  etc. 

11.  Cité  par  EcKiiEL,Z>oc//'tnanHffio/'Mmue/erMm,  Vienne.  1792-1798,  t.  V,p.l69. 

12.  Cass.  Dio,  XLIII,  28  et  48.  —  Cf.  Vigneaux,  Essai  sur  la  Praefactura 
Urbis,  Paris,  1896,  p.  50. 


LE    PONT    CESTIUS  10& 

la  surveillance  du  Tibre  et  la  charge  de  faire  procéder  à  réta- 
blissement d'un  nouveau  pont.  L'hypothèse  séduisante  d'Ha- 
vercamp  doit  être  cependant  rejetée.  M.Mommsen  ne  croit  pas 
que  les  préfets  de  la  ville  en  708/4.6-709/45  aient  frappé  des 
monnaies  d'or  ex  sénat  us  consulto;  celles-ci  sont  bien  plutôt 
de  l'année  710/44^.  «Après  la  mort  de  César,  le  Sénat  s'em- 
pressa de  s'arroger  le  droit  d'émettre  des  pièces  d'or,  comme 
l'avaient  fait  les  généraux,  et  de  marquer  cette  reprise  de  la 
prérogative  souveraine  par  les  deux  lettre  SC  [senatus  consulto). 
C'est  la  seule  époque  où  le  Sénat  ait  fait  frapper  de  la  mon- 
naie d'or,  et  cette  circonstance  donne  raison  à  l'opinion  de 
Mommsen  ~.  »  Les  lettres  PR  signifient  prœ tores  et  ne  con- 
cernent en  rien  les  magistrats  extraordinaires  et  très  peu  con- 
nus de  l'année  708/46.  Il  n'est  donc  pas  prouvé  que  ce  soit  à 
Luciiis  Cestiiis  qu'on  doive  le  pont  appelé  Cestius  ;  le  soin  des 
ponts  ne  regardait  pas  les  préteurs,  mais,  comme  le  montre 
l'inscription  même  du  pont  Fabricius,  les  curatores  viarum.  Le 
Cestius  qui  donna  son  nom  au  monument  fut  ciirator  viarum 
entre  692/62  et  121  j 21  '^,  mais  la  dat3  exacte  de  sa  magis- 
trature et  son  prénom  même  nous  échappent. 

Reconstruction  au  IV^  siècle  :  le  pont  de  Gratien.  —  Le  pont,  édi- 
fié au  dernier  siècle  de  la  République,  fut  réparé  ou  reconstruit 
au  IV''  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Ce  nouvel  épisode  de  son 
histoire  est  mieux  connu'*.  Deux  inscriptions  en  conservent  le 
souvenir;  chacune  à  l'origine  était  répétée  deux  fois.  La  pre- 
mière était  apposée  en  double  exemplaire  sur  le  parapet  ;  l'une 
des  deux  plaques  de  marbre  sur  lesquelles  elle  était  écrite  fut 
jetée  dans  le  Tibre,  en  1849,  par  les  Garibaldiens  qui  essayaient 
de  couper  le  pont  pour  défendre  l'accès  de  la  ville  aux  troupes 
françaises  maîtresses  du  Janicule;  l'autre  se  voit  encore,  remise 
en  sa  place,  sur  le  rebord  du  nouveau  pont5«/i  Bartolomeo^  vers- 
l'amont^. 


1.  Mommsen,  Histoire  de  la  monnaie  romaine,  trad.  franc,  Paris,  1863-1873,. 
t.  II,  p.  348. 

2.  B.VBELON,  op.  Cit.,  t.  I,  p.  339. 

3.  C'était  l'opinion  de  Jordan,  op.  cit.,  t.  I,  p.  419. 

4.  Sur  le  pont  de  Gratien,  voir  les  références  données  par  Kiepert-Huelsen, 
op.  cit.,  p.  32  ;  —  et  Homo,  op.  cit.,  p.  410. 

5.  C.  I.  L.,  VI,  1173.  —  Ep/iemeris  EpigrapJiica,  t.  IV,  n°  801.  —  Huelsen,. 
dans  l'article  pons  Cestius  de  la  Real  Encyclopddie  de  Pauly-Wissow.*,  renvoie^ 
en  outre,  au  G.  I.  L.,  VI,  31.230  (non  encore  paru). 


no  LES    POiNTS    DE    l'iLE    TIBÉRINE 

Domini  noslri  imperatores  Ca'sares  \  Fl[aviiis)  Valentinia- 
nus  PUIS  Félix  maximiis^  victor  ac  trwmf{ator) ,  scmpcr 
Aiig{ustn.'}),  pontif{ex)  maximus,  \  Germanic[ns)  max[imus), 
Aiamann{icus)  max{inius),  Franc{icus)  max{imns),  Gothic(v.s) 
max{imm),  tribunicia  pot[estate)  Vll.hnpicrator)  VI,  cons{iil) 
II,  p{roconsul),  p{ater)  p[atriœ),  et  |  Fl{avius)  Valens  Pitis 
Félix  max[imus),  victor  ne  triumf{ator),  semper  Aiig{îistus), 
pontif{ex) maximits  \  Germanic{us)  max{imus) , A  lamann{icus) 
max{imii.s) ,  Franc[icus)  max[imus),  Gothic[m)  inax[imus)^ 
tnb[iinicia)  pot{e State)  VII,  imperator  VI,  cons[ul)  II,  p[ro- 
consul),  p{ater)  p[atria>),  et  Fl{aviiis)  Gratiamis  Pins  Félix 
max{imiis),  victor  ac  triumf[ator),  semper  Atig{i(stns),  pon- 
tif{ex)  inaximiis,  \  Germanic{its)  7nax{imus),  Alamann[icus) 
niax[imiis),Franc[iciis)max{imus),  Gothic{iis)  7nax[imus),  tri- 
b[unicia) pot{estate)  III\i?iip{erator)  II,  cons{i(l) primum,p[ro- 
consid),p[ater)  p[atriœ),  \  pontern  felicis  nominis  Gratianiin 
îtsiim  senatus  ac  populi  rom[anï)  constitui  dedicarique  jusse- 
runt. 

«  Nos  seigneurs  les  empereurs  Césars  Flavius  Valentinien, 
pieux,  heureux,  très  grand,  vainqueur  et  triomphateur, 
toujours  auguste,  pontife  souverain,  Germanique  très  grand, 
Alamannique  très  grand.  Francique  très  grand,  Gothique  très 
grand,  revêtu  de  la  puissance  tribunicienne  pour  la  septième 
fois,  imperator  pour  la  sixième  fois,  consul  pour  la  seconde 
fois,  proconsul,  père  de  la  patrie;  et  Flavius  Valens,  pieux, 
heureux,  très  grand,  vainqueur  et  triomphateur,  toujours 
auguste,  pontife  souverain,  Germanique  très  grand,  Ala- 
mannique très  grand,  Francique  très  grand.  Gothique  très 
grand,  revêtu  de  la  puissance  tribunicienne  pour  la  septième 
fois,  imperator  pour  la  sixième  fois,  consul  pour  la  seconde 
fois,  proconsul,  père  de  la  patrie;  et  Flavius  Gratien, 
pieux,  heureux,  très  grand,  vainqueur  et  triomphateur, 
toujours  auguste,  pontife  souverain.  Germanique  très  grand, 
Alamannique  très  grand,  Francique  très  grand,  Gothique  très 
grand ,  revêtu  de  la  puissance  tribunicienne  pour  la  troisième  fois, 
imperator  pour  la  seconde  fois,  consul  pour  la  première  fois, 
proconsul,  père  de  la  patrie,  ont  ordonné  d'établir  et  de  dédier 


1.  Au  C.  I.  L.,  VI,  1175,  on  lit  par  erreur  :  Irib.  pot.  II.  —  Jordan,  op.  cil., 
t.  F,  1,  p,  420,  note,  a  relevé  cette  faute,  corrigée  dans  YEphemeris  Ep'ujra- 
phica,  loc.  cit. 


LE    PONT    CESTIUS  Hl 

le  pont  (lu  nom  heureux  de  Gratien  pour  l'usage  du  sénat  et 
du  peuple  romain.  » 

La  seconde  inscription  a  disparu  tout  entière  du  côté  de 
l'aval';  il  n'en  reste  de  l'autre  côté  que  des  fragments;  elle 
était  gravée  sous  le  parapet,  vers  l'extérieur,  et  disposée  pro- 
bablement sur  une  seule  ligne,  en  grands  caractères.  Lors  de 
la  dernière  réfection  du  pont  les  débris  subsistants  de  ce  texte  ont 
été  encastrés  dans  la  maçonnerie  nouvelle  au-dessus  de  l'arche 
centrale,  à  la  place  qu'ils  occupaient  autrefois.  L'inscription 
entière  est  connue  par  une  copie  de  Mazocchi,  où  il  ne  manque 
que  quelques  lettres,  au  début  et  à  la  fin;  c'est  d'après  cette 
copie  que  Gruter  l'a  publiée  ensuite-,  en  la  rapportant  par 
erreur  au  ponte  Sisto^. 

[Gt'a]tiam  triionfalis  principis  pontem  œternitati  augiisti 
nominis  consecratum  in  usum  senahis  poptdiqne  romani 
d[omini)  n[ostrï)  Valentinianus  Valens  et  Gratianus  vie- 
tores  maximi  ac  perennes  aiigiisti  incohari  perfici  dediea- 
riq\iie  jtisserunt]. 

<(  Nos  seigneurs  Valentinien,  Valens  et  Gratien,  vainqueurs 
très  grands,  éternellement  augustes,  ont  ordonné  que  le  pont 
du  triomphateur  Gratien  destiné  à  éterniser  ce  nom  auguste  et 
à  servir  au  sénat  et  au  peuple  romains,  fût  commencé,  achevé 
et  dédié.  » 

Par  ces  inscriptions  on  sait  à  la  fois  le  nom  du  pont  res- 
tauré, le  nom  des  empereurs  qui  firent  exécuter  les  travaux 
et  la  date  de  la  dédicace.  Si  Ton  en  croit  la  teneur  même  des 
documents,  il  n'y  eut  pas  simplement  à  cette  époque  une  répa- 
ration, après  quelque  inondation  du  Tibre,  mais  bien  une 
reconstruction  complète.  Le  pont  a  été  livré  par  les  trois  em- 
pereurs Valens,  Valentinien,  frère  de  Valens,  et  Gratien, 
fils  de  Valentinien,  à  l'usage  du  peuple  romain,  in  usiim 
senatKs  ac  populi  romani  constitui,  il  a  été  commencé, 
achevé,  dédié  par  eux,  incohari  perfici  dedicariq[iie 
jiisserunt]  ^.  C'est  un  monument  tout  nouveau  qui  remplace  le 

1.  Dès  l'année  1880,  Dessau  n'en  retrouvait  plus  que  deux  fragments,  l'un 
illisible,  l'autre  portant  les  mots  VMFALIS  PRINCIPIS  PONTEM  AI  [Epheme- 
ris  Epigraphica,  loc.  cit.). 

2.  Gruter,  Inscriptiones  antiquœ,  p.  "70,  n"  6. 

3.  C.  I.  L.,  VI,  1176  et  31.251.  —  Ephem.  Epigr.,  t.  IV,  n<"  802. 

4.  Jordan  (op.  cit.,  p.  420,  note),  s'étonne  que  la  formule  finale  ne  soit  pas 
la  même  sur  l'une  et  l'autre  inscriptions,  qui  rappellent  toutes  deux  le  même 
acte  officiel. 


112  LES    PONTS   DE    LILE   TIBÉRINE 

vieux  pont  do  Cestius  dësormais  oublié  ;  on  Jiii  donne  pour  nom 
le  nom  môme  de  l'empereur  le  plus  jeune  :  ce  sera  le  pont  de 
Gratien,  pontem  felicis  no/ninis  Gratiani;  la  même  ex})ros- 
sion  reparait,  bien  des  siècles  plus  tard,  dans  la  Graphia 
aureœ  Urhis  :  Felicis  Gratiani  pons.  L'indication  des  puissances 
tribuniciennes  nous  donne  un  moyen  sûr  de  calculer,  à  quelques 
mois  près,  la  date  de  l'inauguration  ^  D'après  la  première  ins- 
cription, Gratien,  au  moment  de  la  dédicace,  est  revêtu  de  la 
puissance  tribunicienne  pour  la  troisième  fois  ;  il  a  été  associé  à 
l'empire  le  24  août  307;  l'inauguration  est  donc  antérieure  du 

24  août  370.  Mais  elle  est  postérieure  au  1"  mars  de  la 
même  année  :  Valens  est  revêtu  de  la  puissance  tribunicienne 
pour  la  septième  fois;  or  cette  puissance  lui  a  été  conférée  pour 
la  première  fois  le  1"  mars  36*  par  son  frère  Valentinien, 
empereur  lui-même  depuis  le  25  février  de  la  même  année. 
C'est  entre  le  1"  mars  et  le  24  août  370  que  le  pont  de  Gra- 
tien fut  solennellement  ouvert  à  la  circulation.  Il  resterait  à 
résoudre  une  dernière  difficulté  :  en  370  Valentinien  et  Valens 
étaient  consuls  pour  la  troisième  fois,  et  non  pour  la  seconde, 
comme  le  dit  l'inscription.  L'auteur  du  texte  ou  l'artisan  qui  l'a 
gravé  se  sera  trompé  d'un  chiffre  %  Quand  le  pont  fut  inauguré 
il  devait  être  achevé  depuis  un  an.  L'orateur  Q.  Aurelius  Sym- 
machus    dans    son    Panégyrique    de    Gratien,    prononcé    le 

25  février  369,  parle  de  deux  ponts  que  Gratien  a  élevés, 
l'un  sur  le  Rhin,  l'autre  sur  le  Tibre  ;  ce  dernier  ne  peut  être 
que  celui  de  l'ile  tibérine^. 

La  construction  des  ponts  de  Rome,  sous  l'Empire,  était 
confiée  aux  préfets  de  la  ville,  héritiers  sur  ce  point  des  cura- 
tores  viaritm  de  la  République''.  Quel  est  le  préfet  que  les  Empe- 
reurs chargèrent  de  rebâtir  le  pont  Cestius?  Nibby  et  Reber  ont 


1.  Voir  sur  ces  questions  de  chronologie  :  Goyau,  Chronol.  de  VEmp.  rom., 
p.  506-534;  —  0.  Seeck,  Chronologia  Symmachiana  en  tête  de  l'édition  de 
Sj'mmaque,  dans  les  Monum.  Germ.,  Auct.  antiq.,  t.  VI  ;  —  Vigneaux,  op.  cit., 
p.  329. 

2.  JonoAN,  op.  cit.,  p.  420,  note. 

3.  Symmach.,  Panegyr.  in  Oralian.,  p.  332  de  l'éd.  Seeck,  loc.  cit.  :  Ecce 
jam  Rhenus  non  despicit  imperia  sed  inlersecat  castella  romana  a  noslris  Al- 
pibus  in  nostrum  exit  Oceanum.  Ille  libéra  liucusque  cenice  repagulis  pon- 
tium  captivus  urgelur.  En  noster  bicornis,  cave  apqualem  te  arbitrere  Tiherino, 
quod  amho  principum  monumenta  geslelis;  ille  redimitus  est,  tu  subaclus. 
Non  uno  inento  pons  uterque  censetur  ;  viclus  accepit  necessarium,  Victor 
seternum  ;  preliosior  konori  dalus  est,  vilior  servit uti. 

4.  Cf.  Vigneaux,  op.  cit.,  p.   320. 


LE    PONT    CES  nus  113 

cru  que  c'était  Aurelius  Avianus  Symmachus  Phospliorius,  père 
de  l'orateur,  préfet  en  864-365'.  Ammien  Marcellin  parle  en 
effet  d'un  pont  sur  le  Tibre  construit  ou  réparé  par  Symmaque 
le  père-  ;  mais  il  s'agit  dans  ce  texte,  d'ailleurs  interpolé,  du 
])ons  Valentiniani,  l'ancien  pons  Aurelius  restauré,  maintenant 
\e  po?ile  Sisto,  dont  on  a.  retrouvé  l'inscription  dédicatoire -^ ; 
le  texte  est  de  l'année  365  ;  Gratien  n'y  est  pas  nommé  ^.  Le 
poi.t  de  Gratien,  achevé  en  369,  inauguré  en  370,  fut  l'œuvre 
d'un  successeur  de  Symmaque  le  père,  très  probablement  de 
Vettius  Agorius  Praetextatus,  préfet  en  367  et  368^. 

L'histoire  des  origines  du  pont  de  Gratien  est  aussi  claire 
et  certaine  que  celle  de  la  fondation  du  pont  Cestius  est 
obscure  et  douteuse. 

Travaux  depuis  l'antiquité  :  le  pont  San  Bartolomeo.  —  Depuis 
le  iv"  siècle,  il  a  fallu  souvent  réparer  le  second  pont  de  l'île 
tibérine,  plus  exposé  que  le  premier  aux  assauts  du  fleuve^. 
Une  inscription  du  xif  siècle,  gravée  sur  un  des  piédestaux  du 
parapet,  nous  apprend  qu'un  certain  Benedictus,  sénateur  de 
Rome,  l'a  restauré ''^.  On  sait  par  Flavio  Biondo  que  le  parapet 
et  la  chaussée  furent  refaits  par  Eugène  IV  en  même  temps 
que  ceux  du  pont  Fabricius  ^.  Après  les  inondations  de  1598  et 
de  1679,  il  fallut  encore  consolider  les  piles  et  en  1834 
reconstruire  une  des  petites  arches.  Delannoy  écrivait  en  1832  : 


1.  NiBBY,  op.  cit..,  p.  170;  —  Rebek,  op.  cit.,  p.  320. 

2.  Amm.  Marc,  XXVI I,  3  :  Multo  tempore  ante  quam  hoc  conlingeret,  Sym- 
machus Apronianosuccessit,  inter  praecipua  nominandus  exempta  doctrinarum 
atque  modestise,  quo  instante  Urbs  sacratissima  otio  copiisque  abondantius 
solito  fruébatur  <Cet  ambitioso  ponte  exultât  atque  fwmissimo  quem  con^di- 
dit  ipse  et  magna  civium  lœtitia  dedicavit.  Les  mots  entre  crochets  ne  sont 
pas  dans  les  meilleurs  manuscrits  ;  c'est  une  glose  tardive  intercalée  dans 
le  texte. 

3.  Ephemeris  Epigraphica,  t.  lY,  n°  800. 

4.  R.  L\ya.Kyi  {Bulle t.  Comun.,  1878,  p.  245)  croit  que  le  passage  du  Pané- 
gijrique  de  Gratien  cité  plus  haut  s'applique  à  la  fois  au  pont  de  Valentinien 
et  au  pont  de  Gratien  :  pons  uterque;  mais  la  pensée  de  Symmaque  est  très 
nette;  les  mots  pons  uterque  désignent  d'une  part  un  pont  sur  le  Tibre  (celui 
de  Gratien,  et  non  celui  dé^  Valentinien),  d'autre  part  un  pont  sur  le  Rhin. 

5.  Vigneaux,  op.  cit.,  p.  329. 

6.  Par  suite  du  tracé  sinueux  du  Tibre  dans  Rome,  le  courant  a  toujours 
été  plus  impétueux  dans  le  bras  droit  ;  le  bras  gauche  est  situé  en  retrait  et 
protégé  par  la  convexité  de  la  rive  en  amont. 

7.  'Voici  cette  inscription  :  Benedictus  alm{a)e  \  urbis  summ[usqué)  sénat  |  or 
restauravit  liun  \  c  pontem  fere  diru  \  tum. 

8.  Flavio  Bio.ndo,  Roma  instaurala,  liv.  II.  chap.  lxxx. 


114 


LES    PONTS    DE   l'iLE   TIIJÉKINE 


«  La  balustrade  en  marbre  et  les  deux  inscriptions  qui  sont  sur 
le  pont  ont  dû  être  reculées  pour  lui  donner  plus  de  largeur, 
lors  de  quelque  restauration,  peut-être  celle  qu'indique  l'ins- 
cription de  Benedictus.  C'est  ce  que  me  paraît  prouver  la  saillie 
en  porte  à  faux  du  piédestal  que  l'on  a  dû  tailler  pour  en  faci- 
liter encore  la  reculée*.  » 


FiG.    10.    —  LK  PONT   DE   GRATIliN 

Vue  prise  avant  les  récents  travaux  du  Tibre  (cliché  d'Alessandri). 

Les  travaux  de  sijstématisation  entrepris  il  y  a  quinze  ans  par 
le  Génie  civil  ont  nécessité  une  transformation  plus  radicale.  Le 
bras  droit  du  fleuve  approfondi,  entre  l'Ile  et  le  Transtévëre,  a 
été  considérablement  élargi  et  porté  de  48  mètres  à  76.  Le 
pont  de  Gratien  devenait  insuffisant;  on  l'a  démoli,  de  1888  à 
1892,  pour  en  bâtir  un  nouveau  à  sa  pla^e.  L'histoire  de  cette 
reconstruction  est  l'un  des  épisodes  les  plus  curieux  des 
batailles  que  se  livrent  de  nos  jours  sur  le  sol  romain  les  ingé- 


1.  Delannoy,  Mémoire  expUcalif  inédit  (Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts),  p.  7. 


LE    PONT    CESTIUS 


115 


nicurs  et  les  archéologues  ^  Les  ingénieurs  voulaient  démolir 
entièrement  l'ancien  monument  et  le  remplacer  par  un  pont 
plus  large,  construit  avec  des  matériaux  neufs  et  sur  des  fon- 


■r,  s 


dations   plus   résistantes.   Les  archéologues  protestèrent,  par 
l'organe  de  la    Commission    archéologique     communale  ;    ils 

1.  Elle  a  été  résumée  en  français,  d'après  les  Altl  et  la  Relazione  délia  com- 
missione  di  Vi^ilanza,  par  Roxna,  le  Tibre  et  les  travaux  du  Tibre,  loc.  cit., 
p.  127-129  du  tirage  à  part.  —  Voir  aussi  Battandier,  la  Démolition  du  pont 


H6  LES    PONTS    DE    l'iLE   TIBÉRINE 

demandaient  qu'on  respectât  le  vieux  pont,  auquel  se  ratta- 
cliaieut  tant  de  souvenirs.  Après  de  longs  débats,  on  s'arrêta 
à  une  solution  moyenne  qui  ne  pouvait  satisfaire  personne.  La 
Commission    archéologique  consentit   à   ce    qu'on   démolît  le 
pont  de  Gratien;mais  elle  exigea  que  l'arche  centrale  de  celui 
qui  le   remplacerait  reproduisît    exactement   l'ancienne  :    on 
devait  la  reconstruire  toute  pareille,  de  la  même  forme,  dans 
les  mêmes  proportions  et  mesures,  avec  les  mêmes   pierres 
soigneusement  recueillies,  étiquetées  et  remises  en  place.  On 
s'aperçut  malheureusement,  au  cours  des  travaux,  qu'un  tiers 
à   peine   des  matériaux   antiques  pouvait  encore  servir;    un 
grand  nombre  do  blocs  de  travertin  et  de  pépérin,  rongés  par 
les  eaux  ou  les  intempéries,  furent  brisés  pendant  la  démoli- 
tion, et  sur  les  563  qu'on  détacha  sans  accident  347  seulement 
purent  être  utihsés.  D'autre  part,  les  efforts  de  la  Commission 
archéologique,  (jui  n'ont  pas   sauvé  le  vieux  pont,  ont  nui  à 
l'établissement  du  nouveau  :  «  Pour  avoir  tenu  à  le  rétablir 
en  partie  selon  les  dimensions  anciennes   on  a  fini  par  baisser 
son  niveau  au-dessous  de  celui  du  quai,  ce  qui  oblige  de  la  rive 
droite  à  descendre  sur  la  plate-forme^.  »  Le  pont  San  Barfo- 
lomeo  a  maintenant  une  longueur  de  80"", 40  et  trois  grandes 
arches,  l'une  de  23", 70  d'ouverture,  les  deux  autres  de  21 '",40. 
Il  ne  ressemble   en  rieu  au  pont  de  Gratien,  que  rappellent 
seulement  les    inscriptions,    les    dimensions    de   l'arche    et 
quelques  blocs  de  pierre. 

Description  du  pont  de  Gratien.  —  Pour  connaître  le  pont  de 
Gratien,  il  faut  se  reporter  aux  descriptions  qu'en  donnent  les 
ouvrages  de  topographie  romaine  antérieurs  à  1888  2  et  aux 
planches  de  Piranesi  et  de  Canina-^  Sa  longueur  était  de 
48  mètres,  sa  largeur  de  8°',20.  Il  se  composait  d'une  grande 

Ceslius  à  Rome,  dans  le  Cosmos  du  9  novembre  1889,  p. 'SOo;  —  Honato, 
Annali  délia  Sociela  def/li  imjegneri  e  degli  archilelli  ifaliani,  t.  IV,  1889, 
p.  139-i:j2,pl.VI-Vm.  — Deux  dessins  de  Bonato  ont  été  reproduits  par  Huelsex, 
Mitlh.  des  deutsch.  arcliuol.  Inslit.,  Rœm.  Ablh.,  1889,  p.  283-284. 

1.  Ro.NXA.  loc.  cil.,  p.  129. 

2.  Entre  autres  :  Nibbv,  op.  cil.,  p.  167  ;  —  Reber,  op.  cit.,  p.  319  ;  —  Joiidax, 
op.  cil.,  p.  419.  —  Parmi  les  ouvrages  postérieurs  à  1888  :  Miodletox,  l/ieRe- 
7nains  of  ancienl  Rome,  1. 11,  p.  368;  -  R.  Lanciaxi,  the  Ruins  and  Excavations, 
p.  18. 

3.  PiKANESi,  Anlichilà  romane,  t.  IV,  pi.  XXI  (vue  du  pont),  XXII  (inscription). 
XXIII  (élévation),  XXIV  (coupe).  —  Caxi.na,  rjli  Edifizi  di  Roma  anlica,  t.  IV, 
pi.  CCXLll  (plan,  restauration  en  hauteur). 


LE    PONT    CESTILS  il7 

arche  centrale,  d'une  ouverture  de  23'°,65,  et  de  deux  petites 
arches  complémentaires  sur  les  côtés,  d'une  ouverture  de 
5",80i. 

Comme  pour  le  pont  Fabricius,  les  parties  intérieures  étaient 
en  tuf  et  en  pépérin,  les  revêtements  extérieurs  en  travertin. 
Les  piédestaux  du  parapet  devaient  supporter  des  statues 
à  l'origine,  sans  doute  celles  des  empereurs.  Il  restait  peu  de 
chose  de  la  construction  de  Cestius  dans  le  monument  de 
Gratien.  Les  ingénieurs  et  les  archéologues  qui  ont  étudié 
l'architecture  du  pont  avant  les  récents  travaux  l'ont  déclarée 
grossière  et  de  basse  époque  ;  les  voûtes  étaient  bâties  en 
blocs  irréguliers,  mal  reliés  ectre  eux,  les  revêtements  iné- 
gaux et  faits  sans  soin.  A  la  base  de  l'arche  centrale  on  voyait 
des  pierres  dépasser  la  ligne  de  la  maçonnerie,  avec  des  trous 
pour  placer  des  charpentes,  comme  si  l'édifice  n'avait  pas  été 
achevé,  ou  comme  si  l'on  avait  songé  à  rendre  plus  facile  les 
réparations  ultérieures-.  Nibby  compare  son  style  à  celui  des 
portes  du  temps  d'Honorius  ;  d'après  Delannoy  tout  y  annonçait 
un  âge  de  décadence. 

Détails  révélés  par  les  derniers  travaux.  —  Les  travaux 
exécutés  par  le  Génie  civil,  s'ils  ont  fait  disparaître  presque 
entièrement  le  pont  antique,  ont  permis  du  moins  de  constater, 
au  sujet  de  sa  structure  intime,  quelques  faits  intéressants 3. 
Ils  ont  confirmé  tout  d'abord  ce  qu'on  savait  du  caractère  hâtif 
et  imparfait  de  la  restauration  de  Gratien.  Le  pont  a  été  rebâti 
au  iv°  siècle  avec  des  matériaux  de  toute  espèce  et  de  toute 
provenance  ;  les  constructeurs  ont  pris,  sans  ordre  et  sans 
choix,  toutes  les  pierres  qui  leur  tombaient  sous  la  main.  Dans 
les  rampes  d'accès  et  les  épaulements,  qu'il  a  fallu  abattre  de 
nos  jours,  on  a  retrouvé  pêle-mêle  des  inscriptions,  des  frag- 
ments d'architecture,  des  blocs  de  nature  géologique  très 
diverse.  Quelques-uns  des  cubes  de  travertin  utilisés  dans  les 
rampes  proviennent,  d'après  M.  Lanciani,  du  théâtre  de  Mar- 
cellus,  voisin  de  Tile  tibérine*.  Les  pierres  mêmes  des  voûtes 

1.  RoxxA,  loc.  cit.,  p.  43,  remarque  que  «  Touverture  de  3o"',2o  pour  le  bras 
droit  du  Tibre,  ajoutée  à  celle  de  48"',75  du  pont  Fabricius,  assurait  une  lar- 
geur totale  de  84  mètres,  ce  qui  permit  aux  deux  ouvrages,  moins  attaqués 
par  les  crues,  de  se  conserver  jusque  de  nos  jours  ». 

2.  Delannoy,  loc.  cit. 

3.  Cf.  BosATO,  HuELSEN,  locis  citatis. 

4.  Notiz.  d.  Scavi,  1886,  p.  lo9;  1889,  p.  70.  —  Bullell.  Comiin.,  1886,  p.  171 , 


118 


LES   PONTS   DR   L  ILE   TIBÉRLNE 


étaient  gauchement  jointes  et  en  très  mauvais  état.  Des  cram- 
pons de  fer  les  unissaient  ;  les  trous  où  s'enfonçaient  le  métal 
avaient  favorisé  l'action  destructive  des  agents  atmosphériques 
et  le  poids  des  attaches  nuisait  à  la  solidité  de  Tensemble  *. 
D'autre  part,  en  établissant  les  fondations  du  pont  actuel  on  a 
retrouvé  celles  qui  servaient  au  pont  de  Gratien,  et  peut- 
être  mémo  au  pont  de  Cestius.  Les  renseignements  re- 
cueillis par  les  ingénieurs  modernes  ont  montré,  comme  à 
vrai  dire  on  le  soupçonnait  déjà,  que  la  description  de  Pira- 
nesi  était  iouie  fantaisiste.  D'après  cet  auteur  les  piles  au- 
raient reposé  sur  une  assise  de  blocs  colossaux  en  travertin, 
et  ceux-ci  sur  un  lit  très  profond  de  pilotis.  En  réalité,  les 


FiG.  18.  —  RESTAfRATION  DU  PONT  CESTIUS. 

D'après  Canina,  gli  Edlfizi  di  Roma  antica,  t.  IV,  pi.  CCXLIL 

constructions  de  travertin  étaient  supportées  immédiatement 
par  un  ouvrage  de  métal,  entourés  d'une  double  ligne  de  pieux 
enfonçés^.La  profondeur  du  fleuve  paraît  avoir  peu  changé  en 
ce  point  depuis  l'époque  romaine  :  le  lit  s'est  seulement 
exhaussé  légèrement. 

Aspect  du  pont  Cestius  dans  l'antiquité.  —  On  voit  combien 


et  1892,  p.  172.  —  La  présence  de  fragments  enlevés  au  théâtre  de  Marcellus 
prouve  que  dès  le  iv*  siècle  on  n'hésitait  pas  à  piller  les  édifices  des  âges 
antérieurs  pour  les  employer  dans  des  constructions  nouvelles.  Cf.  R.  Lan- 
cuxi,  the  Uestruclion  of  ancient  Rome,  Londres,  1899,  p.  34.  —  Parmi  les 
textes  épigraphiques  recueillis  au  même  endroit,  on  cite  surtout  un  fragment 
relatif  aux  institutions  alimentaires  de  Trajan,  et  une  inscription  mentionnant 
les  noms  de  plusieurs  curalores  riparum  et  alvei  Tiberis  ainsi  que  les  tra- 
vaux de  réparation  des  rives  du  fleuve  exécutés  par  eux  ex  senalus  consullo. 

1.  IluEt.sBN,  d'après  fioxATo,  loc.  cit.  Ces  deux  auteurs  donnent  un  dessin 
représentant  la  disposition  des  pierres  et  des  crampons. 

2.  Ces  constatations  justifient  les  réserves  qui  ont  été  formulées  plus  haut 
sur  les  conjectures  de  Piranesi  au  sujet  des  fondations  du  pont  Fabricius. 


LE    PONT    CESTIUS  i  19 

il  est  difficile  de  se  représenter  le  pont  Cestius  en  son  état  pri- 
mitif. Son  histoire  contraste  singulièrement  avec  celle  du  pont  ■ 
Fabricius.  Des  deux  bras  du  Tibre  le  gauche  a  toujours  été  le 
moins  important,  le  moins  troublé  par  les  crues  et  les  inonda- 
tions; aussi  le  pont  Fabricius  s'est-il  conservé  à  peu  près  intact. 
Le  bras  droit  au  contraire  n'a  pas  cessé,  depuis  l'antiquité, 
d'être  le  chenal  principal,  par  où  la  masse  des  eaux  se  préci- 
pite avec  le  plus  de  violence,  et  la  systématisation  récente  du 
fleuve,  bien  loin  de  lui  enlever  ce  caractère,  n'a  fait  que 
l'accentuer  encore  :  le  pont  Cestius  a  beaucoup  souffert  du 
temps  et  du  courant  ;  il  a  fallu  très  souvent  le  réparer,  et  deux 
fois  le  reconstruire.  Du  premier  pont  de  pierre  établi  entre  l'île 
tibérine  et  le  Transtévère  il  ne  subsiste  plus  rien,  sauf  peut- 
être  une  partie  des  blocs  de  tuf,  de  pépérin  et  de  travertin 
avec  lesquels  on  a  refait  l'arche  centrale  du  pont  San  Barto- 
lomco.  Depuis  le  iv°  siècle  même  il  n'en  restait  que  les  fonda- 
tions et  quelques  matériaux.  Tout  ce  qu'on  peut  vraisemblable- 
ment supposer,  c'est  que,  contemporain  du  pont  Fabricius,  il 
le  rappelait  et  lui  ressemblait,  par  son  style,  le  bel  appareil  de 
ses  pierres  diverses,  la  sobriété  de  sa  décoration.  On  a  le  droit 
de  croire,  en  outre,  que  sa  forme  générale  devait  être  celle  que 
le  pont  de  Gratien  avait  gardée  :  celui-ci  aura  été  bâti  très  pro- 
bablement, par  économie,  dans  les  mêmes  proportions  que  le  pont 
Cestius,  comme  sur  les  mêmes  fondations  ;  la  disposition  des 
trois  arches  inégales  peut  être  attribuée  au  ciirator  viarum  Ces- 
tius. Il  n'est  pas  permis  d'en  dire  davantage  sur  le  monument 
disparu  de  l'époque  républicaine. 


CHAPITRE  m 

REMARQUES  SUR  LA  TOPOGRAPHIE 
DE  L'ILE  TIBÉRINE  ENTRE  LES  DEUX  PONTS 


Rôle  et  importance  des  deux  ponts.  —  Après  avoir  décrit  le  pont 
Fabricius  et  le  pont  Cestius  et  raconté  leur  histoire,  il  n'est  pas 
inutile  de  rechercher  quelle  influence  les  conditions  nécessaires 
de  leur  établissement,  par  exemple  la  place  et  la  forme  qui 
leur  ont  été  assignées,  ou  la  hauteur  de  leurs  parapets  au-des- 
sus des  eaux,  ont  exercée  dans  l'antiquité  sur  la  topographie 
de  l'ile.  Les  ponts  sont  encore  à  l'heure  présente  et  ont  tou- 
jours été  pour  l'ile  tibérine  un  élément  essentiel  de  vie  et  de 
prospérité;  c'est  d'eux,  c'est  des  facilités  d'accès  ou  de  pas- 
sage qu'ils  procurent  qu'elle  tient  de  nos  jours  comme  autrefois 
toute  son  activité;  le  cosmographe  ^Ethicus  l'appelle  simple- 
ment insiila  iiitei'  duos  pontes^  et  cela  suffit  à  la  caractériser  : 
les  deux  ponts  qui  la  rattachent  aux  rives  du  Tibre  sont  comme 
le  symbole  de  ses  relations  constantes  avec  tout  le  reste  de 
Rome  et  du  rapport  étroit  de  ses  destinées  avec  les  destins  de 
la  ville  même. 

La  construction  des  ponts  et  les  règles  que  se  sont  prescrites 
les  architectes  romains  chargés  de  les  bâtir  ont  eu  d'impor- 
tantes conséquences  :  la  disposition  des  édifices  qu'on  éleva 
par  la  suite  et  l'aspect  que  présenta  dès  lors  toute  la  partie 
centrale  de  l'ile  en  dépendirent. 

La  rue  inter  duos  pontes.  —  Une  première  remarque  s'im- 
pose :  l'ile  tibérine  est  un  lieu  de  passage  ;  elle  est  située  à 
égale  distance  des  vieux  quartiers  de  Rome  et  du  Transtévère; 
ses  ponts  la  relient  pareillement  à  ceux-là  et  à  celui-ci  ;  pour 


REMARQUES    SUR    LA    TOPOGRAPHIE    DE    l'iLE   TIBÉRINE         121 

aller  du  Capitule  ou  du  Forum  à  la  rive  droite  du  fleuve, 
aucune  voie  n'est  plus  directe,  aucun  trajet  plus  rapide.  La 
commodité  des  communications  exigeait  qu'entre  la  tête  du  pont 
Fabricius  et  la  tête  du  pont  Cestius  le  terrain  fût  laissé  libre 
et  dégagé  ;  aucun  monument  ne  devait  s'interposer,  barrant  le 
chemin.  Sur  la  droite  et  sur  la  gauche  s'alignaient  les  temples, 
les  portiques,  les  maisons  particulières,  mais  entre  les  deux 
ponts,  il  n'y  avait,  il  ne  pouvait  y  avoir  qu'une  rue  ou  une 
place  par  oti  l'on  se  rendait  de  l'un  à  l'autre  aisément  et  sans 
détour. 

Les  travaux  de  ces  dernières  années  ont  confirmé  ces  suppo- 
sitions logiques  et  permis  même  de  fixer  le  tracé  de  la  rue 
qui  traversait  l'île  de  part  en  part.  Il  faut  observer  que  le  pont 
Cestius-Sa^  Bartolomeo  et  le  pont  YdJoviciwâ-Qiiattro  Capi  ne 
sont  pas  dans  le  prolongement  l'un  de  l'autre;  un  regard  jeté 
sur  le  plan  de  l'île  montre  que  leurs  directions  se  coupent  obli- 
quement. En  effet,  lorsqu'on  les  a  construits,  on  a  voulu  avant 
tout  les  établir  très  solidement,  les  mettre  en  état  de  résister 
aussi  bien  que  possible  à  la  poussée  des  eaux;  chacun  d'eux, 
dans  le  bras  du  fleuve  qu'il  franchit,  a  été  placé  perpendicu- 
lairement au  courant.  Ils  étaient  reliés  cependant  par  une  voie 
toute  droite.  En  démolissant  la  tête  du  pont  San  Bartolomeo, 
on  a  constaté  qu'elle  débouchait  dans  l'île  par  une  rampe  en 
pente  formant  coude  et  s'abaissant  dans  la  direction  du  pont 
Quattro  CapiK  La  rue  entre  les  deux  ponts  commençait  à  cette 
rampe  oblique  et  gagnait  directement  le  bord  opposé  dé  l'île. 
Ne  serait-ce  pas  à  elle  que  s'appliqueraient  particulièrement 
les  mots  iîiter  duos  j)ontes  du  plan  de  Septime  Sévère  ?  Sur  les 
fragments  de  la  Forma  Urbis  Rojnœ  heureusement  rapprochés 
et  complétés  par  Jordan  ces  trois  mots  sont  inscrits  dans  un 
espace  vide  bordé  de  constructions  ~  :  c'est  ainsi  que  l'auteur 
du  plan  représente  ordinairement  les  rues  et  les  places.  Il  se 
pourrait  que  nous  ayons  là,  sous  les  yeux,  avec  une  partie  de 
la  via  inter  duos  pontes,  l'indication  de  son  nom  officiel,  bien 
justifié  par  sa  situation  et  son  parcours. 

Au  centre  de  l'île  tibérine,  devant  l'église  Saint-Barthélémy, 
existe  maintenant  une  petite  place.  Rien  n'empêche  de  croire 


1.  Renseignement  communiqué  par  M.  Lanciani,  qui  a  vu  cette  rampe  et 
qui  en  a  relevé  les  dimensions  et  la  direction. 

2.  Voir  ci-dessus,  p.  60. 


422  LES    PONTS    DE    LILE    TIBÉRINE 

qu'il  on  était  de  même  dans  Tantiquité  devant  le  temple  d'Es- 
culape.  La  petite  place  centrale  entourée  de  portiques  — c'est 
peut-être  l'un  d'eux  que  l'on  voit  figuré  au  bas  des  fragments 
déjà  cités  de  la  Forma  Urhis  Romœ  —  communiquait  par  la 
via  in  ter  duos  pontes  à  l'est  avec  le  pont  Fabricius,  à  l'ouest 
avec  le  pont  Cestius. 

Différences  de  niveau.  —  La  rue  entre  les  deux  ponts  devait 
être  construite  en  partie  sur  remblais.  Il  y  a  encore  de  nos 
jours  une  différence  de  niveau  assez  considérable,  d'environ 
2  mètres,  entre  les  points  où  se  terminent  les  deux  ponts  et  le 
centre  de  l'île;  elle  était  certainement  plus  forte  dans  l'anti- 
quité :  le  sol  n'a  pu,  comme  on  l'a  constaté  maintes  fois  à  Rome 
en  d'autres  endroits,  que  s'exhausser  à  travers  les  siècles,  à 
mesure  que  les  civilisations  se  succédaient  et  que  s'accumu- 
laient les  décombres.  Les  récents  travaux  ont  permis  de  véri- 
fier qu'en  effet  la  chaussée  de  la  via  inter  duos  pontes  était 
surélevée  aux  abords  des  ponts.  En  démolissant  les  maisons 
du  bord  occidental  de  l'île,  vers  l'amont,  on  a  reconnu  que  la 
voie  qui  se  dirigeait  de  l'extrémité  du  pont  de  Gratien  vers  le 
centre  de  l'île  descendait  en  pente  rapide  sur  une  longueur 
d'environ  20  mètres  ;  elle  était  supportée  par  de  petits  arcs  de 
soutènement  et  des  murs  de  travertin  très  solides';  l'appareil 
de  la  construction  indiquait  une  restauration  du  v*  siècle  de 
notre  ère.  Ainsi,  depuis  la  tête  du  pont  Fabricius  jusqu'aux 
approches  de  la  place  centrale,  la  rue  entre  les  deux  ponts  allait 
en  s'abaissant  et  dominait  les  terrains  voisins. 

Ces  considérations  purement  topographiques,  qui  se  dégagent 
de  l'étude  môme  des  ponts,  ont  leur  intérêt;  elles  permettent 
de  mieux  comprendre  la  répartition  et  l'agencement  des  rues, 
des  places  et  des  édifices  dans  l'île  tibérine. 

1.  Noliz.  d.  Scavi,  1883,  p.  188.  —  Cf.  R.  Lanciani,  Ihe  Ruins  and  Excavations, 
p.  18  (à  propos  du  pont  Fabricius)  :  «  11  faut  se  rappeler  que  les  voies  de  l'an- 
cienne Rome  étaient  de  2  à  5  mètres  au-dessous  des  voies  actuelles,  tandis  que 
les  ponts  sont  demeurés  les  mêmes  ;  les  rampes  qui  donnaient  accès  à  ceux-ci 
étaient  donc  beaucoup  plus  longues  et  escarpées  que  maintenant  et  laissaient 
la  place  de  plusieurs  arcades  qui  ont  été  comblées  peu  à  peu.  Ces  pentes 
s'appelaient  pedes  ponlis  ou  coscise  au  moyen  âge.  » 


CHAPITRE  IV 

LES    PLUS    ANCIENS    PONTS 
DE  L'ILE  TIBÉRINE 


Les  ponts  de  bois.  —  La  fondation  des  ponts  Fabricius  et 
Cestius  remonte  au  f  siècle  avant  Jésus-Christ.  Mais  il  n'est 
guère  à  présumer  que  Tile  tibérine  soit  restée  jusqu'à  cette 
époque  sans  communications  régulières  avec  les  deux  rives  du 
fleuve.  Avant  qu'on  eût  construit  les  deux  ponts  de  pierre,  des- 
ponts  de  bois  devaient  exister  aux  mêmes  places,  unissant 
déjà  l'île  à  la  ville  et  au  Transtévère.  Le  temple  d'Esculape. 
fut  fondé  au  début  du  m*  siècle  avant  l'ère  chrétienne  ;  d'autres 
temples  s'élevèrent  ensuite  dans  son  voisinage  ;  les  fêtes  reli- 
gieuses amenaient  aux  sanctuaires  un  grand  nombre  de  prêtres,, 
de  dévots,  de  malades;  pour  venir  soit  du  Palatin  ou  du 
Champ  de  Mars,  soit  du  Transtévère  même  où  de  nouveaux 
quartiers  se  développaient  au  pied  et  sur  tes  pentes  du  Jani- 
cule,  des  ponts  étaient  nécessaires.  Si  les  Romains  ne  com- 
mencèrent qu'en  575/179  à  bâtir  de  pareils  édifices  en  pierre  — 
le  pont  ^milius  remonte  à  cette  époque  —  ils  savaient  depuis, 
longtemps  les  construire  en  bois.  Le  po?is  Subliciiis  serait^ 
d'après  la  tradition,  une  création  des  rois.  On  a  tout  lieu  de- 
croire  que  d'autres  ponts  de  bois  avaient  été  jetés  de  bonne 
heure  entre  la  rive  gauche  du  Tibre  et  l'ile,  entre  l'île  et  la 
rive  droite  ^ . 

1.  Voici  comment  0.  Richter,  Topoçjv.,  d.  St.  Rom,  2°  éd.,  1901,  p.  51,  résu- 
mant les  théories  actuellement  en  faveur,  expose  la  chronologie  des  ponts  de- 
l'ile  tibérine  :  dès  462/292,  au  moment  de  la  construction  du  temple  d'Escu- 
lape, un  pont  de  bois  est  établi  entre  l'ile  et  la  rive  gauche;  vers  604/150,  on 
met  une  garnison  au  Janicule  :  second  pont  de  bois,  entre  l'ile  et  le  Transté- 
vère (Cf.  0.  RiCHTER,  die  Befestigung  des  Janiculum,  Berlin,  1882);  en  692/62^ 


124  LES    PONTS    DE    l'iLE    TIBÉRINE 

Examen  des  textes.  —  A  vrai  dire,  si  aucun  texte  ne  s'y 
oppose',  aucun  texte  non  plus  ne  le  prouve  explicitement. 
Deux  passages  de  Tite-Live  ont  été  quelquefois  invoqués  en  ce 
sens,  mais  sans  raisons  suffisantes. 

Quand  les  trois  cents  Fabii,  en  275/479,  quittèrent  Rome 
pour  marcher  contre  les  Véiens,  ils  sortirent  par  la  porte  Car- 
mentale,  franchirent  le  Tibre,  et  campèrent  sur  les  bords  du 
Crémère^.  On  s'est  demandé  s'ils  n'avaient  pas  traversé  le 
(louve  cà  la  hauteur  de  rHe  tibérine,  située  tout  auprès  de  la 
porte  Cai*montale,  et  en  se  servant  de  ses  ponts  •'.  Mais  Tite- 
Live  ne  dit  pas  que  les  Fabii  passèrent  sur  la  rive  droite 
aussitôt  après  être  sortis  des  murs  de  Rome  ;  ils  ont  pu 
remonter  quelque  temps  le  long  du  Tibre,  en  suivant  la  rive 
gauche,  avant  d'entrer  en  Etrurie.  D'ailleurs,  à  supposer  que 
les  ponts  de  l'ile  existassent  à  cette  époque,  on  avait  dû  les 
rompre  au  début  des  hostilités  ;  le  caractère  précaire  et  pro- 
visoire des  constructions  de  bois  était  justement  un  de  leurs 
grands  avantages;  en  temps  de  guerre  on  les  coupait  pour 
empêcher  l'ennemi  d'avancer'*;  c'est  ainsi  qu'îîoratius  Codes 
fit  couper  le  pont  Sublicius  derrière  lui,  pour  sauver  la  ville'*. 
Est-il  vraisemblable  enfin  que  dès  l'année  275/479,  deux  cents 
ans  avant  l'introduction  du  culte  d'Esculape,  l'ile  fût  reliée  à  la 
terre  ferme  et  mêlée  à  la  vie  de  Rome?  entre  la  chute  des 
Tarquins  en  245/509  et  la  peste  de  461/293  il  n'est  jamais 
question  d'elle. 

En  562/192  une   crue  du  Tibre  détruisit    deux  ponts  aux 

est  bâti  le  pont  Fabricius,  en  pierre  ;  un  peu  plus  tard,  le.  pont  Cestius,  en 
pierre  également. 

1.  Le  passage  de  Cass.  Dio,  XXXVII,  45,  cité  plus  haut  à  propos  du  pont 
Fabricius,  a  paru  cependant  prêter  à  cette  interprétation.  L'ancienne  leçon 
TÔ  vr,iTt5'.ov  TÔTî  èv  Tfrt  TtôÉptSi  ov  laisserait  entendre  qu'avant  la  construction  du 
pont  Fabricius  l'Ile  tibérine  était  vraiment  une  île  ;  rattachée  à  la  terre,  elle 
ne  méritait  plus  ce  nom  ;  donc  il  n'y  aurait  pas  eu  de  pont  dans  l'ile  avant  le 
pont  Fabricius  (Nibby,  Roma  anlica,  t.  I,  p.  114).  Cette  explication  un  peu 
tourmentée  est  superflue  :  la  correction  de  Leunclavius,  que  nous  adoptons 
à  la  suite  des  éditeurs  modernes,  lève  toutes  les  difficultés. 

2.  Liv.,  H,  49  :  Infelici  via  dexlro  Jano  porlae  Cavmenlali  profecti  ad  Cre- 
meram  fluvium  perveniunt. 

3.  Voir,  entre  autres,  la  Bf.schh.  d.  St.  Rom,  t.  III,  3,  p.  361. 

4.  Pendant  la  seconde  guerre  punique,  après  la  bataille  du  lac  de  Trasi- 
mène,  les  Romains  rompirent  tous  les  ponts  devant  Hannibal  :  ponlesque  res- 
cindèrent fluminum,  Liv.,  XXII,  8.  Cf.  Zonaras,  VIII,  25  :  Ta;  te  Ysç^f^*;  toû 
TiêépiSo;  7iXy)v  (itx;  xaOetXov.  A  cette  époque  les  ponts  étaient  encore  construits 
en  bois. 

5.  Liv.,  II,  10;  —  PoLYB.,  VI,  53. 


LES    PLUS    ANCIENS    PONTS    DE    L  ILE    TIBÉRINE  125 

abords  de  la  porte  Flumentane'.  On  s'est  imaginé  que  c'étaient 
précisément  ceux  de  l'ile-,  parce  que  celle-ci  est  appelée  quel- 
quefois dans  les  documents  anciens  inter  duos  pontes'K  C'est 
beaucoup  s'aventurer.  Tite-Live  raconte  que  deux  ponts,  sans 
les  désigner  plus  clairement,  furent  emportés  par  l'inondation. 
D'une  rencontre  accidentelle  d'expressions  on  ne  peut  tirer 
tant  de  conséquences.  Mais  tout  au  moines  le  fait  que  Rome  en 
562/192  possédait  déjà  plusieurs  ponts  sur  le  Tibre  est  attesté 
par  ce  texte  même. 

Les  ponts  de  bois  de  l'île  tibérine  ne  sont  nulle  part  men- 
tionnés. L'hypothèse  que  l'Ile  était  reliée  anciennement  aux 
deux  rives  du  fleuve  n'a  rien  néanmoins  que  de  très  plausible 
et  de  très  vraisemblable. 

Théorie  de  M.  Mommsen  et  de  Jordan.  —  M.  •  Mommsen  et 
Jordan  sont  allés  plus  loin.  Ils  attribuent  aux  temps  les  plus 
lointains  de  l'époque  légendaire  l'établissement  de  ces  ponts 
primitifs,  dont  ils  refont  à  leur  façon  toute  l'histoire*. 

L'île  aurait  existé  dès  l'origine  de  la  cité  romaine  et  la  fable 
qui  la  fait  naître  accidentellement  des  moissons  du  Champ  de 
Mars  jetées  dans  le  fleuve  après  l'exil  des  Tarquins  ne  repose- 
rait sur  aucun  fondement.  Depuis  le  règne  du  quatrième  des 
rois  de  Rome  un  double  pont  unissait  l'île  aux  deux  bords  du 
Tibre;  il  n'était  autre  que  cette  construction  sur  pilotis,  appe- 
lée pons  Siiblicius^  dont  l'imagination  populaire  attribuait  au 
roi  Ancus  Martius  la  première  fondation''.  A  l'appui  de  son 
opinion  M.  Mommsen  fait  valoir  un  premier  argument,  tiré  de 
la  considération  des  lieux  mêmes  et  des  facilités  exception- 
nelles que  présentait  l'existence  d'une  île  pour  la  création 
d'un  pont  sur  le  Tibre.  En  cet  endroit,  les  eaux  se  divisant, 
le   courant  se  brise,  on  a  moins  d'effort  à  faire  pour  le   sur- 


1.  Liv.,  XXXV,  21  :  Tiheris,  infesHore  quam  priore  impetu  Hiatus  Urbi,  duo 
pontes,  œdiftcia  multa,  maxime  circa  portam  Flumentanam  everlit. 

2.  Jordan,  Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  I,  p.  404;  —  0.  Gilbert,  Gesch.  und 
Topogr.  d.  St.  Ro77i,  t.  III,  p.  257. 

3.  Voir  les  textes  d'JÎTHiccs,  de  la  Forma  Urbis  Romae,  de  Plut.,  Popl.,  de 
Jlstix.  Martyr,  Apol.  Pr.,  du  Chronogr.  Axx.  3o4,  cités  p.  3,  ainsi  que  les 
textes  de  Macrob.  et  d'IIoRAx.,  Sat.,  cités  p.  60. 

4.  Mommsen,  Epigraphische  Analekten,  dans  les  Bev.  d.  sûchs.  Gês.  d.  Wiss., 
Leipzig,  1850,  p.  320;  —  Johdax,  op.  cit.,  t.  I,  p.  399-403. 

5.  Sur  le  pont  Sublicius,  voir  les  textes  cités  par  Kiepert-Huelsen,  Nomencl. 
topogr.,  p.  52,  et  par  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.,  p.  412. 


126  LES   PONTS    DE    l'iLE   TIBÉRINE 

monter,  l'espace  à  francliir  en  deux  reprises  est  à  chaque  fois 
peu  considérable.  L'ile  tibérine  formait  comme  une  pile  de 
pont  gigantesque  que  la  nature  avait  placée  au  milieu  du  fleuve 
pour  servir  d'étai  et  de  support  aux  charpentes'.  Les  auteurs 
du  pont  Sublicius  n'ont  pu  négliger  le  secours  qui  leur  était 
ainsi  offert.  S'ils  avaient  préféré,  comme  on  le  croit  générale- 
ment, mettre  cet  édiÇce  plus  bas  en  aval,  après  que  les  deux 
bras  du  Tibre  se  sont  réunis,  ils  auraient  été  d'eux-mêmes 
et  gratuitement  au-devant  des  obstacles.  Pourquoi  se  seraient- 
ils  imposé  la  tfiche  de  lutter  contre  un  courant  impétueux  et 
de  traverser  d'un  seul  trait  le  fleuve  entier? 

Le  culte  de  Vejovis  fournit  à  Jordan  un  second  argument. 
On  sait  par  le  calendrier  de  Préneste  qu'on  adorait  Vejovis 
dans  l'ile  tibérine  2.  Ce  dieu  très  ancien  et  mal  connu 
avait  à  Rome,  d'après  Jordan,  deux  sanctuaires  l'un  au  Ca- 
pitole,  l'autre  dans  l'ile  ;  celui  du  Capitole  datait  des  premiers 
temps  de  la  cité^;  le  second  devait  être  à  peu  près  con- 
temporain. Vejovis  en  effet  fut  très  vite  négligé  et  oublié,  on 
n'eût  pas  songé  sous  la  République  à  lui  consacrer  un  nou- 
veau temple.  Les  Romains  regardaient  Vejovis  comme  un  dieu 
funeste,  dieu  de  la  mort  et  de  la  guerre.  Son  culte  était  célé- 
bré particulièrement  dans  la  citadelle,  centre  militaire  de 
Rome.  La  présence  d'un  sanctuaire  du  même  dieu  m  imula 
s'explique  par  l'importance  militaire  de  l'ile  elle-même  et  par 
le  rôle  qu'elle  jouait,  dès  l'époque  des  rois,  dans  la  défense 
<le  la  ville  :  elle  était  reliée  par  le  pont  Sublicius  d'une  part 
à  la  Rome  primitive  toute  située  sur  la  rive  gauche,  d'autre 
part  aux  territoires  extérieurs  et  souvent  hostiles  de  la  rive 
droite;  elle  formait  vraiment  un  poste  avancé,  plus  exposé 
qu'aucun  autre  point  aux  attaques  de  l'étranger,  tout  désigné 
pour  être  confié  à  la  protection  du  dieu  guerrier  funeste  aux 
ennemis. 

Après  avoir  identifié  le  pont  Sublicius  au  double  pont  primitif 
de  l'ile  tibérine,  M.  Mommsen  s'est  demandé  quand  et  com- 
ment des  ponts  de  pierre  se  substituèrent  à  ce  fragile  édifice 
de  bois.  Le  premier  pont  de  pierre  de  Rome,  \q  j^ons  lapideus 


i.  MoMMSEîf,  op.  cit.,   p.  323  :  NatUrlich  Hess  man  sich    den  nalûrlichen 
Bi'Uckenpfeilen  den  die  Tiherinsel  darbot  nicht  entgehen. 

2.  Voir  ci-dessous,  p.  251. 

3.  KupERT-HuELSE.N,  Op.  cit.,  p.  88;  —  Homo,  op.  cit.,  p.  623. 


LES    PLUS    ANCIENS    PONTS    DE    l'iLE    TIBÉRINE  d27 

par  excellence,  comme  l'appelle  le  scholiaste  Acron',  serait 
le  pont  Fabriciiis  bâti  en  692/62  par  le  cnrator  viarum  de  ce 
nom,  tout  auprès  du  bras  gauche  du  pont  Sublicius.  On  laissa 
cependant  ce  dernier  subsister,  par  scrupule  religieux,  à  côté 
du  monument  nouveau;  il  y  eut  pendant  quelques  années, 
entre  l'île  et  la  rive  gauche,  deux  ponts,  l'un  en  bois,  l'autre 
en  pierre,  et  un  seul,  en  bois,  entre  l'île  et  la  rive  droite.  En 
731/23  une  inondation  détruisit  les  deux  parties  du  pont  Subli- 
cius et  abîma  le  pont  Fabricius  ~  ;  on  entreprit  à  cette  occasion 
d'importants  travaux,  dont  les  consuls  M.  Lollius  et  Q.  Lepi- 
dus  firent  la  dédicace  deux  ans  plus  tard,  comme  l'apprend 
l'inscription  conservée  du  pont  Fabricius.  Celui-ci  avait  été 
remis  en  état;  mais,  au  lieu  de  relever  le  pont  Subhcius  du 
côté  du  Transtévère,  ou  avait  bâti  un  second  pont  de  pierre  : 
Ce  fut  le  pont  .^îmilius-^  ou  Lepidi'',  ainsi  appelé  du  nom  du 
consul  Q.  yEmilius  Lepidus  ;  il  devint  plus  tard  le  pont  de 
Gratien. 

Critique.  —  Telle  est  la  théorie  ingénieuse  de  M.  Momm- 
sen.  Il  était  nécessaire  de  l'exposer  avec  quelque  détail. 
M.  Mommsen  paraît  y  tenir  tout  spécialement.  A  plusieurs 
reprises,  dans  des  ouvrages  ultérieurs,  il  est  revenu  sur  la 
question  des  ponts  primitifs  de  Tîle  tibérine,  et  il  n'a  rien  re- 
tranché de  ses  hypothèses  hardies^.  Elles  ont  rencontré 
cependant  une  très  vive  opposition''^  et  soulèvent,  à  notre  avis, 
des  objections  insurmontables. 

1.  Texte  cité  plus  haut,  p.  tOO. 

2.  Texte  de  Cass.  Dio,  cité  plus  haut,  p.  lOi. 

3.  On  sait  par  Plut.  {Numa,  9).  que  le  pont  Sublicius  en  bois  fut  remplacé 
longtemps  après  par  un  pont  de  pierre,  œuvre  d'un  magistrat  nommé  ^milius 
(Voir  ci-dessous,  p.  127). 

4.  jÏIthicus,  dans  l'éd.  de  Pomponius  Mêla  par  Gronovius  (1722),  p.  716. 

5.  Cf.  G.  I.  L.,  1, 1"  éd.,  600;  —  Mommsen,  Hisl.  rom.,  trad  franc.,  Paris,  1863- 
1872,  t.  1,  p.  51  et  140  ;  —  G.  I.  L.,  I,  2°  éd.  (1893),  p.  323  :  Pontem  ^milium... 
equidem  adhuc  judico  eum  esse  qui  insulam  tiberinam  urbi  adjungil  {ponte 
qualtro  capi),  adhuc  inscriplum  noynine  Q.  Lepidi  (G.  I.  L.,  VI,  1305), /«x/a 
antiquissimum  Sublicium. 

6.  Voir  surtout  :  Urlichs,  die  Brucken  des  Allen  Roms,  dans  les  Sllznnffsber. 
d.  Ak.  d.  Wiss.,  Munich,  1870,  p.  4.59; —  Wecklei^,  zur Rœ}nischen  Topographie, 
dans  VHennès,  t.  Yl,  1872,  p.  178;  —  Mayerhofer,  die  Brucken  im  Allen  Rom, 
p.  23;  —  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Topogr.  d.  Si.  Rom,  t.  H,  p.  171,  et  le  résumé 
de  KuMMER,  de  hrbis  Romœ pontibiis  antiquis,  p.  26,  où  les  diverses  opinions  sur 
la  position  du  pont  Sublicius  sont  rapportées  et  discutées.  —  Jordax,  op.  cil., 
t.  II,  p.  199,  avait  adopté  l'opinion  de  M.  Mommsen,  mais  avec  cette  différence 
qu'il  donnait  le  nom  de  pons  JEmilius  au  pont  Sublicius  et  non  au  pont 


128  LES    PONTS    DE    l'iLE   TIBÉRINE 

Le  véritable  pont  Jîmilius.  —  Le  pont  entre  File  tibérine  et 
le  Transtévëre  s'est  api)elé  jusqu'à  la  fin  du  iv*  siècle /)on5  Ces- 
tiua^  et  non  pas/)on.s  .l^miliun.  Le  Ciiriosum  Urhis  et  la/>e,s- 
criptio  regionum  citent  ces  deux  noms  comme  s'appliquant  à 
deux  monuments  distincts,  et  le  second  est  indiqué  aussitôt 
après  le  nom  du  premier  pont  de  Tile,  le  pont  Fabricius^  Le 
pons  jEmilius  était  situé  plus  en  aval,  à  la  place  du  ponte  rotto 
actuel;  on  s'accorde  maintenant  à  le  reconnaître*.  Aussi  bien 
ne  voit-on  pas  pourquoi,  dans  le  système  de  M.  Mommsen,  le 
pont  entre  l'île  et  le  Transtévëre  se  serait  appelé  ^milius; 
deux  consuls  ont  présidé  aux  travaux  que  l'inondation  de 
731/23  avait  rendus  nécessaires  ;  comment  expliquer  qu'un  seul 
d'entre  eux  ait  donné  son  nom  à  l'un  des  ponts,  l'autre  con- 
servant son  appellation  antérieure?  Rien  ne  nous  montre  que 
Q.  ^^milius  Lepidus  ait  eu  plus  de  part  aux  travaux  que  son 
collègue;  d'ailleurs  sur  l'inscription  du  pont  Fabricius,  qui  les 
nomme  tous  les  deux,  le  gentilice  ^milius  ne  figure  pas;  on 
lit  seulement  :  Q.  Lepidus.  Il  est  vrai  que  M.  Mommsen  in- 
voque un  texte  de  Plutarque,  qu'il  rapproche  de  cette  inscrip- 
tion même  et  d'après  lequel  il  la  complète.  Mais  il  ne  peut  le 
faire  servir  à  sa  thèse  qu'à  la  condition  de  le  corriger,  et  peu 
heureusement.  Plutarque  raconte  que  le  pont  de  pierre  qu'on 
éleva  longtemps  après  la  construction  du  pons  Suhlicius  était 
l'œuvre  d'un  questeur  nommé  ^milius  '^.  D'après  Tite-Live  c'est 
aux  censeurs  M.  ^milius  Lepidus  et  M.  Fui  vins  Nobilior  qu'on 
devrait  les  premières  fondations  du  pont  achevé  plus  tard  par 
les  censeurs  P.  Scipio  Africanus  et  L.  Mummius^.  Becker, 
s'appuyant    sur  ce  texte,  proposait  de   lire    dans    Plutarque 


Cestius:  dans  le  t.  I,  1,  p.  399  et  suiv.,  paru  plusieurs  années  après  le  t.  II, 
il  examine  de  nouveau  le  système  de  M.  Mommsen  et  insiste  également  sur  les 
faits  qui  semblent,  d'après  lui,  le  confirmer  et  sur  ceux  qui  le  contredisent, 
sans  prendre  nettement  parti  lui-même. 

1.  Voir  ces  textes  dans  Ublichs,  Cod.  topogr.,  p.  22  et  p.  44;  —  et  dans 
JoKhAN,  op.  cit.,  t.  II,  p.  541  et  suiv. 

2.  Voir  Kt'M.MER,  op.  cit.,  p.  17-26;  —  Kiepert-Huelsen,  op.  cit.,  p.  51  ;  — 
Homo.  op.  cit.,  p.  406;  —  P.  Lanciam,  del  Ponte  senatorio  ora  ponte  rotto, 
Rome,  1826. 

3.  Plut.,  Numa,  9   :   OO  fàp  ôéiittov  i\K'  èîriparov  TiYeïffOat  'Pwnatou;  Tr,v 

x«Tdt).y<Ttv  TT,;  $y),{vr);  ye^Opa; r,  It  Xiôc'vr)  TtoXXoî;  •jorspov  âSï'pYidôr,  ypdvot; 

vit'Aî(ii),io'j  TajAte-jovroî. 

4.  Liv.,  XL,  51,  énumérant  les  travaux  exécutés  sous  la  censure  de 
M.  ^milius  Lepidus  et  de  M.  Fulvius  Nobilior  :  Portum  et  pilas  pontis  in 
Tiheri,  quibus  pilis  fornices  posl  aliquot  annos  P.  Scipio  Africanus  et  L.  Mum- 
mius  censores  locaverunt  imponemios. 


LES    PLUS    ANCIENS    PONTS    DE    L  ILE    TIBÉRINE  129 

-tlJ/q-z-jo^Koçy  ceîisoris,  au  lieu  de  -qc^avjo^^xcç,  ÇKâsstoris  ^ . 
M.  Mommsen,  s'écartant  davantage  encore  de  la  leçon  des 
manuscrits,  veut  remplacer  -cocij.ieùov-oç  par  ûraTsJovTsc,  consu- 
lis.  On  ne  peut  adopter  cette  lecture  nouvelle.  Paléographi- 
quement  la  correction  qu'imagine  M.  Mommsen  est  aussi 
invraisemblable  que  celle  de  Becker,  au  contraire,  parait 
naturelle.  M.  ^milius  Lepidus,  censeur  en  575/129,  premier 
fondateur  du  pont  iEmilius,  n'est  pas  le  même  personnage  que 
Q.  Lepidus,  consul  en  733/21,  auteur  de  la  restauration  du 
pont  Fabricius. 

Pons  Lepidi  et  pons  lapideus.  —  Si  le  pont  entre  File  et  le 
Transtévère  ne  se  confond  pas  avec  le  pons  /Etiiilius,  il  faut 
ajouter,  contrairement  à  l'opinion  de  M,  Mommsen,  qu'il  ne 
s'est  jamais  appelé  pons  Lepidi  ni  le  pont  V ixhricius pons  lapi- 
Jeus.  Le  cosmographe  ^thicus  parle  bien  d'un  pons  Lepidi 
surnommé  à  tort  pons  lapideus,  pontem  Lepidi  qui  nunc 
abusive  a  plehe  dicitiir  lapidens.  Mais  il  le  place  au-dessous 
do  l'ile,  à  l'endroit  où  les  deux  bras  du  Tibre  se  réunissent, 
iihi  iinus  effectus.  Ces  indications  concordent  avec  tout  ce  que 
l'on  sait  par  ailleurs  :  ce  jjons  Lepidi,  c'est  le  pont  vEmi- 
lius,  fondé  par  le  censeur  Q.  vEmilius  Lepidus.  Le  surnom  de 
pons  lapideus  qu'on  lui  donnait  en  jouant  sur  les  mots  n'était 
pas  tout  à  fait  dépourvu  de  sens  :  il  avait  été  en  effet  le  pre- 
mier pont  de  pierre  élevé  à  Rome  ;  il  restait  aux  yeux  des  Ro- 
mains le  pont  de  pierre  par  excellence  ;  de  même  que  pour  eux, 
au  témoignage  de  Vitruve,  le  théâtre  de  Pompée,  premier 
théâtre  construit  en  pierre,  restait  entre  tous  le  theatrum  lapi- 
demn~.  On  opposait  ce  pons  lapideus  au  pons  Sublicius,  qui 
était  le  premier  pont  de  bois,  le  pont  de  bois  par  excellence  ; 
Servius  et  Festus  nous  apprennent  que  le  mot  Sublicius,  dérivé 
de  suhlicœ,  poutres,  synonj'me  de  trahes,  signifie  proprement  : 
construit  en  bois'\  Aucun  écrivain  ancien,  sauf  le  scholiaste 
Acron,  n'attribue  au  pont  Fabricius,  au  lieu  du  pont  ^milius, 
l'épithète  de  lapideus.  Mais  Acron  vivait  à  une  époque  relative- 
ment récente,  à  la  fin  du  ii"  siècle  de  notre  ère,  et  ses  scholies 


1.  Becker,  Topogr.  d.  St.  Rom,  p.  695. 

2.  ViTKuv.,    III,   3  :   Quemadmodum    est    Fortunœ  equestris   ad  theatrum 
lapideum. 

3.  Sekvius,  ad  Aî.n..  VIII,  646  :  Per  subUcium  pontem,  hoc  est  liffnettm.  — ■ 
Voir  aussi  un  passage  très  mutilé  de  Festus,  p.  293. 

!» 


430  LE8   PONTS   DE   l'iLE   TIBÉRINE 

ne  sont  connues  môme  que  i)ar  un  remaniement  Un  vu*  siècle. 
Il  est  souvent  mal  informé,  il  mérite  peu  de  créance;  son  unique 
témoignage  ne  saurait  prévaloir  (•onirc  l'accord  des  autres 
sources.  Dans  le  même  passage  où  il  (pialifie  indûment  le  pont 
Fabricius  de  pons  lapideiia  il  commet  une  seconde  erreur  plus 
grossière  encore  et  plus  évidente  :  il  donne  à  Fabricius  le  titre 
de  consul,  alors  que  les  mots  curât  or  viarum  se  lisent  dans 
l'inscription  conservée.  Les  appellations  de  pons  Lepidi  et  de 
pons  lapidens  ne  conviennent  qu'au  seul  pont  ^milius. 

Le  pont  Sublicius  et  l'île  tibérine. —  Ce  qu'il  y  a  de  plus  origi- 
nal assurément  et  de  plus  attrayant  dans  la  théorie  de  M.Momm- 
sen,  c'est  l'hypothèse  que  le  pont  Sublicius  reliait  la  rive  gauche 
du  Tibre  à  la  rive  droite  en  enjambant,  pour  ainsi  dire,  l'île  tibé- 
rine. Mais  c'est  aussi  ce  qu'il  y  a  dans  le  système  de  plus  con- 
testable. Depuis  que  M.  Mommsen  a  exposé  ses  vues  hardies, 
les  érudits  contemporains  qui  s'occupent  de  topographie  romaine 
ont  pesé  les  arguments  qui  militent  en  sa  faveur  et  ne  se  sont 
point  laissé  convaincre.  M.  Mommsen  affirme  que  le  pont 
Sublicius  passait  par  l'Ile,  mais  il  ne  peut  en  donner  aucune 
preuve  directe.  Il  insiste  sur  des  motifs  généraux  de  conve- 
nance, d'opportunité  ;  aucun  point  n'était  aussi  favorable  à 
l'établissement  d'un  premier  pont  ;  le  culte  de  Vejovis  in 
insiila^  ajoute  Jordan ,  doit  remonter  à  l'époque  royale  et 
ne  s'explique  que  par  l'importance  de  l'île  au  point  de  vue 
de  la  défense  militaire  de  la  cité  primitive,  à  laquelle  elle 
servait  de  poste  avancé...  Ce  sont  de  trop  vagues  présomp- 
tions, et  très  contestables.  Les  fondateurs  du  pont  Subli- 
cius auraient-ils  eu  réellement  avantage,  comme  le  suppose 
M.  Mommsen,  à  se  servir  de  l'île  pour  diviser  et  faciliter  leur 
tâche?  ce  pont  était  construit  à  la  hauteur  de  la  ville,  en  face 
d'elle,  r.fz  tî);  Tzzkttà^,  nous  dit  Polybe  ^  ;  il  devait  déboucher, 
par  conséquent,  à  l'intérieur  même  du  mur  d'enceinte;  or  on 
sait  que  le  mur  de  Servius  aboutissait  au  fleuve  sur  la  rive 
gauche,  au-dessous  de  la  pointe  méridionale  de  l'île  tibérine; 
celle-ci,  au  temps  des  rois,  était  située  en  dehors  et  à  quelque 
distance  de  la  cité  :  le  pont  Sublicius  ne  la  traversait  donc 
pas.  Il  est  vrai  que  M.  Mommsen,  pour  sauver  son  système,  pro- 
pose de  déplacer  et  de  reculer  les  limites  de  la  Rome  primitive  ; 

K  Poi.YB.,  VI,  5o. 


LES    PLUS    ANCIENS    PONTS    DE    L  ILE    TIBÉRINE  131 

l'enceinte  de  Servius,  d'après  lui,  aurait  rejoint  le  Tibre  plus 
haut  qu'on  ne  le  croit  d'habitude,  en  araont  de  l'île.  C'est 
une  affirmation  que  rien  n'autorise,  et  que  tous  les  faits  et 
textes  connus  démentent  formellement*.  Mais  si  File  était  à 
l'origine  en  dehors  et  à  quelque  distance  de  la  ville  —  et  le 
fait  est  prouvé,  —  le  second  argument,  allégué  par  Jordan, 
s'écroule  comme  le  premier.  Elle  ne  faisait  point  partie  du 
système  de  défense  de  Rome  ;  il  n'y  avait  donc  pas  lieu  d'y 
établir,  dès  l'époque  royale  et  pour  des  raisons  d'ordre  militaire, 
un  sanctuaire  de  Vejovis;  rien  ne  prouve  d'ailleurs  que  la 
fondation  de  ce  sanctuaire  remontât  à  des  temps  si  reculés,  ni 
même  qu'il  y  ait  eu  à  cet  endroit  un  édifice  dédié  particulière- 
ment à  ce  dieu.  Le  temple  de  Jupiter  in  insula,  oti  l'on  sacri- 
fiait à  Vejovis,  ne  fut  élevé  que  cent  ans  après  celui  du  dieu 
grec  Asklépios,  et  le  culte  qu'on  y  rendait  à  Vejovis  et  à 
Jupiter  n'implique  nullement  que  le  pont  Sublicius  passât  par 
l'île  tibérine. 

En  réalité,  il  faut  s'en  tenir  à  l'opinion  traditionnelle  :  le 
pont  Sublicius  était  situé  en  aval,  à  la  hauteur  du  Fomm  Boa- 
riiim,  non  loin  du  pont  yEmilius-.  Supposer  qu'il  se  confondait 
avec  le  double  pont  de  bois  de  l'île  tibérine,  c'est  rendre  inin- 
telligible et  l'histoire  de  l'île  et  celle  du  pont  Sublicius  lui- 
même.  Peu  importe  que  la  légende  des  moissons  du  Champ  de 
Mars  ait  ou  non  un  fond  de  vérité  ;  il  est  sûr  en  tout  cas 
qu'elle  n'eût  pas  même  pu  trouver  crédit  auprès  des  Anciens 
si  Vinsida  dès  le  temps  des  rois  avait  été  rattachée  à  la  terre 
ferme.  D'autre  part,  d'après  M.  Mommsen,  le  pont  Sublicius 
aurait  été  double  ;  or  les  auteurs  latins  ou  grecs  qui  le  citent 
en  parlent  toujours  comme  d'un  pont  unique.  Enfin,  si  le  pont 
Sublicius  traversait  l'île,  le  dévouement  d'Horatius  Codés  ne 
se  comprend  pas.  Le  héros  défendit  le  pont  Sublicius  contre 
l'ennemi;  on  le  rompit  derrière  lui  tandis  qu'il  tenait  ses 
adversaires  en  respect,  et  il  regagna  la  rive  romaine  à  la 
nage  3.  Si  l'on  admet  avec  M.  Mommsen  que  le  pont  Sublicius 
enjambait  l'île  tibérine,  il  faut  ou  bien  reculer  comme  lui  la 
limite  de  la  cité  de  Servius  —  et  l'on  n'en  a  pas  le  droit,  — 
ou  bien  avouer  que  le  sacrifice  d'Horatius  Coclès  était  superflu  : 

1.  Cf.  ci-dessus,  p.  29,  note  2. 

2.  Cf.  HuELSEN,  il  Foro  Boario  e  le  sue  adlaeenze  nelVantichità,  dans  les 
Dissert.  delVAccad.  Ponlif.,  série  11,  t.  VI,  1896,  p.  229. 

3.  Liv.,  11,  10;  —  PoLYB.,  VI,  55. 


132  LES    PONTS    DE    l'iLE    TIBÉIUNE 

les  Etrusques,  débouchant  par  le  pont  Suhlicins  en  dehors  do 
la  ville ,  eussent  été  arrêtés  k  coup  sûr  par  le  mur  d'enceinte. 
On  comprend  que  sur  un  médaillon  d'Antonin  le  Pieux  repré- 
sentant Horatius  Codes  à  la  nage  devant  le  pont  rompu  l'ile 
ne  soit  pas  figurée^;  elle  n'est  point  mêlée  k  cette  aventure. 

Conclusion.  —  11  nous  est  impossible  de  nous  rallier  k  la 
théorie  de  M.  Mommsen  et  d'admettre  les  hasardeuses  attribu- 
tions de  noms  qu'il  propose.  Ses  conjectures  sont  séduisantes 
sans  doute,  mais  trop  aventureuses  et  contraires  k  la  vraisem- 
blance'^. Le  premier  pont  de  l'île  fut  bâti  du  côté  de  la  rive 
gauche  vers  le  temps  oti  se  fonda  le  temple  d'Esculape,  au 
III'  siècle  avant  l'ère  chrétienne  ;  celui  de  la  rive  droite  fut 
bâti  un  peu  plus  tard.  Les  seuls  noms  qu'aient  portés  les  ponts 
de  pierre  qui  succédèrent  k  ces  ponts  de  bois  furent  ceux  de 
pont  Cestius  et  de  pont  Fabricius,  tirés  du  nom  même  des  ma- 
gistrats chargés  de  les  construire. 


1.  Cohen,  Monnaies  de  VEmplre  romain,  2*  éd.,  Paris,  1880-1886,  t.  II,  p.  283; 
—  Frôiineh,  les  Médaillons  de  l'Empire  romain,  Paris,  1878,  p.  60-61.  — 
Cf.  JoRDAX,  op.  cit.,  t.  I,  1,  p.  406,  en  note. 

2.  Mayeuiiofer,  die  Briicken  im  Allen  Rom,  Erlangen,  1884,  p.  23-47,  a  repris 
à  son  compte  la  théorie  de  M.  Mommsen,  en  la  modifiant;  mais  les  correc- 
tions qu'il  y  introduit  ne  la  rendent  pas  plus  acceptable.  II  essaie  d'établir 
que  le  pont  Sublicius  était  situé  un  peu  plus  en  aval  que  ne  le  crctyait 
M.  Mommsen,  à  l'extrémité  méridionale  de  l'île.  Sur  le  médaillon  d'Antonin 
où  l'on  voit  représentée  l'arrivée  du  serpent  d'Esculape  à  Rome  (Fhoiixek, 
op.  cit.,  p.  51-53;  cf.  ci-dessous,  p.  176),  la  galère  du  dieu  passe  entre  les 
arcades  d'un  pont;  ce  pont  serait  le  pont  Sublicius;  le  pont  ^Emilius  était 
trop  loin  de  l'île  pour  qu'on  l'eût  figuré  si  prés  d'elle,  et  en  161/293,  il 
n'existait  pas  encore.  Mais  on  peut  objecter  que  l'artiste  qui  a  gravé  le 
médaillon  n'était  pas  tenu  à  une  exactitude  rigoureuse  ;  il  a  pu  se  permettre 
de  reproduire  sur  son  œuvre  le  pont  /Emilius  qui  n'était  pas  construit  lors 
de  l'arrivée  du  serpent  sacré,  et  de  le  mettre  plus  près  de  l'île  qu'il  n'était  en 
réalité.  —  A  propos  du  pont  ^Emilius,  et  pour  concilier  l'opinion  la  plus 
répandue  et  les  exigences  des  textes  avec  les  assertions  de  .M.  Mommsen, 
M.  Mayertiofer  {op.  cit.,  p.  47-76),  distingue  un  pont  .lîmilius  proprement  dit 
{ponte  vitlto  actuel)  et  un  pont  Fabricius-if]milius.  (Test  coujpliqiier  inutile- 
ment la  question.  Il  n'y  eut  qu'un  seul  pont  .l^uiilius  et  l'on  a  ^ai^;on  d'en 
chercher  la  place  à  la  place  même  du  ponte  rolto. 


LIVRE     III 

LE   SANCTUAIRE   D'ESGULAPE 


LIVRE  III 

LE  SANCTUAIRE  D'ESCULAPE 


Le  temple  d'Esculape  dans  l'île  tibérine  était  à  la  fois  le 
plus  ancien,  le  plus  important  des  édifices  qu'elle  renfermât, 
et  le  principal  lieu  de  culte  que  possédât  à  Rome  le  dieu  grec 
de  la  médecine.  L'île  doit  son  nom  moderne  à  l'église  Saint- 
Barthélémy,  le  plus  remarquable  de  ses  monuments.  De  même 
dans  l'antiquité  elle  était  appelée  assez  souvent  l'île  d'Esculape 
ou  du  serpent  d'Epidaure*.  Esculape  y  avait  été  installé  cent 
ans  avant  Jupiter  et  Faunus  ;  pendant  un  siècle  elle  apparut 
aux  Romains  comme  sa  propriété  exclusive.  Quand  d'autres 
divinités  eurent  pris  place  auprès  du  dieu  médecin,  celui-ci 
resta  cependant  en  possession  de  la  majeure  partie  du  sol  et 
il  eut  toujours  le  pas  sur  ses  voisins  2.  Son  sanctuaire,  avec 
toutes  ses  dépendances,  occupait  un  plus  vaste  espace  que  leurs 
temples.  Ses  fêtes  attiraient  un  plus  grand  concours  de  fidèles. 
Il  rendait  de  plus  signalés  services  à  la  foule  superstitieuse 
qui  venait  l'invoquer,  et  qui  attendait  de  lui  la  révélation  de 
remèdes  salutaires  et  la  guérison  miraculeuse  de  ses  maux. 
Aussi  n'est-il  pas  surprenant  que  nous  soyons  mieux  rensei- 
gnés sur  le  culte  d'Esculape  que  sur  les  cultes  secondaires  qui 
lui  étaient  associés  en  cet  endroit.  C'est  à  lui  surtout  que  les 
Romains  se  sont  intéressés.  C'est  à  lui  que  se  rapportent  la 


1.  Voir  les  textes  de  Sueton.  {Claud.,  25)  et  de  Sidon.  Apoll.  {Epist.,  1,  7, 
12),  cités  plus  haut,  p.  3. 

2.  DiONYS.,  V,  13  :  Nvicro;  eyiievéôr,;  'AoxXifiTitoy  îepa. 


136  LE    SANCTIJAIRK    1)  ESC.LLAPE 

l)luj)art  des  dociunents  qui  nous  ont  été  conservés,  textes 
littéraires,  inscriptions,  monuments  figurés.  Ils  nous  font  con- 
naître les  circonstances  légomlaires  de  l'arrivée  d'Esculapo, 
l'histoire  de  son  sanctuaire,  les  cérémonies  qu'on  y  célébrait. 
Ils  ne  nous  éclairent  pas  seulement  sur  l'un  des  points  essen- 
tiels de  la  topographie  antique  de  l'ile  ;  les  indications  qu'ils 
nous  donnent  ont  une  portée  plus  générale  et  une  valeur 
unique  ;  elles  nous  permettent  d'étudier  sur  ce  point  du  territoire 
de  Rome,  avec  plus  de  détails  et  de  précision  que  nulle  part 
ailleurs,  la  religion  d'Asklépios  latinisé  et  l'exercice  de  la 
médecine  sacerdotale  chez  les  Romains. 

Le  culte  d'Esculape  était  à  Rome  une  importation  étran- 
gère : 

Hic  tamen  accessit  delubris  advena  nostris'. 

Les  Romains  l'avaient  emprunté  tardivement  et  de  toutes 
pièces  aux  Grecs.  Dans  le  sanctuaire  de  l'Ile  tibérine  tout  rap- 
pelait la  Grèce.  On  l'avait  fondé  pour  abriter  le  serpent  sacré 
ramené  d'Epidaure.  Par  son  aspect,  par  la  disposition  des 
portiques  encadrant  le  temple,  il  ressemblait  trait  pour  trait 
aux  Asklepieia  grecs.  C'est  à  la  mode  grecque  que  l'on  im- 
plorait le  dieu  et  qu'il  rendait  ses  oracles.  Il  semblait  qu'on 
eût  transporté  entre  les  doux  bras  du  Tibre  un  coin  de  terre 
hellénique.  Singulier  et  frappant  exemple  de  la  tolérance  accueil- 
lante du  peuple  romain. 

1.  OviD.,  Melatn.,  XV,  "45. 


CHAPITRE  I 
LES  ORIGINES  DU  CULTE*  D'ESGULAPE 


Esculape  et  Asklépios.  —  Esculape  est  un  dieu  grec,  et  le 
nom  qu'il  porte  en  latin,  JEuciilapiu^^  n'est  que  la  transcrip- 
tion du  nom  grec  ' K<s'/Xr{z\zz.  On  ne  doit  point  s'étonner 
que  les  Romains  aient  adopté  purement  et  simplement  son 
culte  et  son  nom  même.  Il  n'y  avait  dans  leur  religion  primi- 
tive aucune  divinité  qui  lui  correspondît  et  à  laquelle  il  pût 
être  assimilé.  Lorsque  Rome  entra  en  contact  avec  le  monde 
hellénique  et  qu'elle  subit  l'influence  de  sa  civilisation  supé- 
rieure, elle  se  plut  à  mettre  en  parallèle  les  croyances  natio- 
nales des  populations  de  l'Italie  et  la  mythologie  des  Grecs  ; 
on  proclama  que  Jupiter  n'était  que  le  Zeus  des  Latins, 
Junon  leur  Héra,  Minerve  leur  Athéna,  Mercure  leur  Hermès. 
Mais  de  pareils  rapprochements  n'étaient  pas  toujours  pos- 
sibles. Si  les  deux  religions  présentaient  de  nombreux  points 
de  ressemblance,  qui  tenaient  à  la  communauté  d'origine  des 
deux  races,  de  profondes  différences  cependant  les  séparaient. 
Certains  dieux  italiques  n'avaient  pas  d'équivalent  en  Grèce  ; 
inversement  certains  dieux  du  Panthéon  hellénique  n'avaient 
pas  d'équivalent  en  Italie.  Le  prestige  de  la  Grèce  l'empor- 
tant, les  premiers  furent  peu  à  peu  négligés  et  tombèrent 
dans  l'oubli;  les  seconds,  transportés  finalement  chez  les 
Romains,  y  conservèrent  les  caractères  originaux  qu'ils  avaient 
chez  les  Grecs,  et  jusqu'à  leurs  appellations  anciennes.  C'est 
à  cette  dernière  catégorie  qu'appartient  Esculape. 

La  médecine  et  le  culte  d' Asklépios  en  Grèce.  —  Les  Grecs 
adoraient  Asklépios  comme  le  dieu  de  la  médecine,  l'inventeur 
et  le  protecteur  de  l'art  de  guérir'.  La  médecine  paraît  avoir 

\.  Sur  le  culte  d' Asklépios  en  Grèce,  consulter  :  Preller,  Gviecli.  Mythol., 


138  LE   SANCTDAIRE    D  E8CDLAPE 

été  connue  et  pratiquée  avec  succès  en  Grèce  de  très  bonne 
heure.  Quand  vint  Hippocrate,  elle  avait  déjà  des  siècles 
d'existence.  Depuis  longtemps  l'esprit  ingénieux  et  avisé  des 
Grecs  s'était  appliqué  à  l'observation  des  maladies  et  à  la 
recherche  des  remèdes  ^  Le  culte  d'Asklépios  est  né  de 
l'exercice  même  de  la  médecine.  La  religion  grecque  reposait 
sur  l'adoration  des  puissances  de  la  nature  divinisées  et  per- 
sonnifiées. Chaque  dieu  était  un  symbole  :  il  représentait  un 
aspect  ou  un  élément  des  choses.  Chaque  dieu  était  conçu 
à  l'image  des  hommes  :  on  lui  attribuait  une  physionomie 
propre,  des  traits  individuels  fortement  marqués;  on  lui 
prêtait  des  passions  et  des  aventures  ;  de  poétiques  légendes 
racontaient  ses  exploits.  Asklépios  est  la  force  mystérieuse 
qui  entretient  et  renouvelle  la  vie,  qui  combat  et  guérit  les 
maladies.  Il  est  en  même  temps  le  fils  d'Apollon,  dieu  de  la 
lumière,  et  de  la  nymphe  Coronis  ;  il  a  vécu  sur  la  terre  et 
fut  héros  avant  d'être  dieu  ;  initié  à  la  médecine  par  le  cen- 
taure Chiron,  il  a  prodigué  ses  soins  et  ses  bienfaits  aux 
hommes  et  leur  a  communiqué  à  son  tour  le  secret  de  son 
art  salutaire.  La  reconnaissance  et  l'intérêt  ont  poussé  les 
fidèles  à  lui  élever  des  temples,  à  lui  adresser  des  prières. 
Les  malades  passaient  la  nuit  dans  ses  sanctuaires,  auprès  de 
ses  autels.  Le  dieu  leur  apparaissait  en  songe  et  leur  faisait 
connaître  les  remèdes  qui  devait  les  rappeler  à  la  santé.  Le 
récit  des  guérisons  était  déposé  dans  les  archives  des  Asklé- 
pieia,  pieusement  gravé  sur  le  bronze  ou  la  pierre  des  ex-voto. 
Il  est  certain  que  les  prêtres  intervenaient  activement  dans 
les  consultations  d'Asklépios.  Ils  expliquaient  aux  malades  le 
sens  de  leurs  rêves,  qu'ils  contribuaient  peut-être  à  leur  sug- 

4*  éd.  revue  par  Robf.rt,  1. 1,  2,  fierlin,  1894,  p.  514  ;  —  article  Asklépios  dans  le 
Lexicon  de  Roschrr,  par  Thr^:mek,  et  dans  la  Real  Encyclopédie  de  Paui.y- 
WissowA,  par  le  même;  —  article  Msculapius  par  Robiou  dans  le  Dict.  des 
Anliq.  de  Darembeho  et  Sagi-io.  —  La  mono<îraphie  de  Paxofka,  Asklépios  und 
die  Asklepiaden,  dans  les  Abh.  d.  Berlin.  Akad.,  1845,  p.  271,  bien  qu'ancienne, 
rend  encore  des  services.  Celle  de  Miss  Alice  Walton,  Ihe  Cuit  of  Asklépios, 
dans  les  Cornell  Sludies  in  classical  philology  (University  of  Ithaca,  New- 
York,  1894,  80  pages),  contient,  outre  quelques  chapitres  de  considérations 
générales,  de  copieux  tableaux  de  références  ;  les  inexactitudes  y  sont  mal- 
heureusement assez  fréquentes. 

1.  Sur  les  origines  de  la  médecine  en  Grèce,  consulter  :  Spresgel,  Hist.  de 
la  médecine,  trad.  franc.,  Paris,  1815,  t.  1,  p.  85;  —  DAUEMBEHr.,  la  Médecine 
dans  Homère,  Hev.  archéoL,  \H95,  t.  II,  p.  95,  249,  331;  —  Dahembeko,  Hist. 
des  sciences  médicales,  Paris,  1870,  t.  I,  p.  80  ;  —  Hasek,  Geschic/ile  der  Me- 
dicin,  3*  éd.,  léna,  1875,  t.  I,  p.  68. 


LES    ORIGINES    DU   CULTE    D  ESCLLAPE  139 

gérer.  C'est  eux  qui  rédigeaient  les  prescriptions  du  dieu.  Ils 
devaient  avoir  acquis  à  la  longue  certaines  connaissances  mé- 
dicales, qu'ils  se  transmettaient  de  génération  en  génération. 
On  savait  par  les  inscriptions  votives  que  telle  recette  avait  eu 
raison  souvent  de  telle  affection  ;  quand  le  même  cas  se  repré- 
sentait, on  faisait  en  sorte  de  lui  appliquer  le  même  traite- 
ment ' . 

La  médecine  grecque  fut  donc  à  ses  origines  religieuse  et 
sacerdotale  2.  Sans  doute,  une  autre  médecine  ne  tarda  pas  à 
se  développer  à  côté  de  celle  des  temples  ;  le  même  nom 
d'Asklépiades  servit  à  désigner  à  la  fois  les  prêtres  du  dieu 
guérisseur,  interprètes  de  ses  pensées,  ministres  de  ses  cures 
miraculeuses,  et  les  médecins  laïques  qui  s'efforçaient  de  remé- 
dier aux  maladies  humaines  par  des  moyens  naturels,  en  s'ai- 
dant  simplement  de  l'étude  et  du  raisonnement'^;  des  écoles 
scientifiques  se  fondèrent,  une  tradition  s'établit,  dont  Hippo- 
crate  devait  être,  auv"  siècle,  l'héritier  illustre''.  Mais  la  faveur 
et  la  prospérité  du  culte  d'Esculape  n'en  furent  pas  diminués. 
Les  dévots  continuèrent  à  fréquenter  ses  sanctuaires  d'Epi- 
daure,  de  Tricca,  de  Cos,  d'Athènes.  On  recourait  plus  volon- 
tiers aux  révélations  merveilleuses  du  dieu  qu'à  l'expérience  et 
aux  conseils  des  hommes  qui  prétendaient  l'imiter.  La  répu- 
tation d'Asklépios  avait  dépassé  les  limites  de  la  Grèce.  L'appel 
que  les  Romains  lui  adressèrent  en  463/291  montre  de  quel 


1.  D'après  la  tradition,  Hippocrate  lui-même  aurait  commencé  l'étude  de 
la  médecine  dans  le  temple  d'Asklépios  à  Cos  et  il  devrait  beaucoup  aux  ré- 
cits des  guérisons  inscrites  sur  les  ex-voto  :  Strabo,  XIV,  p.  637  :  $a<il 
ô"lTr7:opâTr|V  [jià/'.ffTa  ex  twv  èvraCÔa  àvaxstjiÉvtov  ôspaTVïiwv  YU|j.vâ(Ta(T6at  rà 
TTEpi  ■zoLz  Stat'taç;  —  Plix.,  Hist.  7ial.,  XXIX,  1  (2)  :  Is  cum  fuisset  mos  liberatos 
morbis  scribere  in  templo  ejus  dei  quid  auxiliatum  esset,  ut  postea  siinililvdo 
proficeret,  exscripsisse  ea  tradilur  alqiie  {ut  Varvo  apud  nos  crédit),  templo 
C7'e7nato,  instituisse  medicinam  hanc  quœ  clinice  oocatur. 

2.  AuG.  Gauthier,  Recherches  historiques  sur  l'exercice  de  la  médecine  dans 
les  temples  chez  les  peuples  de  l'antiquité',  Paris,  1844  ;  —  D''  Vercoutre,  la 
Médecine  sacerdotale  dans  l'antiquité  grecque,  Rev.  archéol.,  1885,  t.  II, 
p.  273;  1868,  t.  I,  p.  22  ;  —  D'  Courtois-Suffit,  les  Temples  d'Esculape,  la  méde- 
cine religieuse  dans  la  Grèce  ancienne.  Archives  générales  de  médecine,  1891, 
p.  S76. 

3.  Les  Asklépiades  laïques  formaient  une  corporation  fermée,  une  véri- 
table caste,  et  prétendaient  descendre  des  deux  fils  d'Asklépios,  Machaon  et 
Podalire. 

4.  Boudard,  Histoire  de  la  médecine  grecque  depuis  Esculape  jusqu'à  Hip- 
pocrate exclusivement,  Paris,  1856;  — Daremberg,  de  l'État  de  la  médecine 
entre  Homère  et  Hippocrate,  Rev.  archéol.,  1868,  t.  II,  p.  345;  1869,  t.  I,  p.  63, 
Î19,  239. 


140  LE   SANCTUAIRE    D  E8CULAPE 

crédit  il  jouissait  encore  à  cette  époque  et  quelle  confiance  il 
inspirait. 

La  médecine  à  Rome.  —  L'art  médical  n'avait  })as  eu  à  Rome 
la  même  fortune  qu'en  Grèce  ;  aucun  de  leurs  dieux  ne  rendait 
aux  Romains  les  services  que  prodiguait  Asklépios  à  ses 
fidèles. 

Pline  l'Ancien  prétend  que  ses  concitoyens  vécurent  pendant 
six  siècles  sinon  sans  médecine,  du  moins  sans  médecins*.  Ils 
auraient  reçu  de  la  Grèce  leurs  médecins,  comme  le  culte 
même  d' Asklépios,  et  plus  tard  encore.  Le  premier  qui  se  soit 
établi  dans  leur  ville  serait  le  péloponésien  Archagatos,  fils  de 
Lysanias,  en  535/219,  soixante-douze  ans  après  la  construction 
du  temple  de  l'île  tibérine^.  Il  n'y  eut  d'école  médicale 
scientifique  à  Rome  qu'au  temps  de  Sylla,  avec  Asklépiade  de 
Bithynie-^  Au  siècle  précédent  Caton  interdisait  encore  à  son 
fils  de  se  servir  des  médecins  :  interdixi  de  ?nedicis'*;  il  tenait 
ces  hommes  pour  des  charlatans  dangereux,  et  leur  art  pour 
un  tissu  d'impostures.  Il  ne  semble  pas  cependant  qu'on 
puisse  admettre  avec  Pline  que  pendant  six  cents  ans  les  Ro- 
mains se  soient  passés  de  leurs  services.  Pline  reconnaît  lui- 
mème^  qu'un  certain  art  médical  existait  anciennement  à  Rome. 
C'était  inévitable.  Il  y  a  chez  tous  les  peuples  une  médecine 
populaire,  qui  naît  spontanément,  dès  l'origine,  du  spectacle 
de  la  vie  et  de  l'expérience  quotidienne.  Mais  chez  tous  les 
peuples  aussi,  et  de  toute  antiquité,  le  soin  de  recueillir,  de 
conserver,  de  mettre  en  pratique  ces  notions  primitives  est 
confié  à  quelques  hommes  choisis,   dont    c'est   désormais  la 


1.  Plin.,  Ilist.  naf.,  XXIX,  1  (5)  :  Ceii  vero  non  millia  yentium  sine  medicis 
def/anl,  nec  tatnen  sine  medicina  :  sicut  populus  romanus  ultra  sexcenlesimum 
annum,  nec  ipse  in  accipiendis  arlibus  lenlus,  médecins;  vero  elium  avidits, 
donec  eupertam  damnavil.  —  Sur  les  origines  de  la  médecine  à  Home,  con- 
sulter les  histoires  générales  de  la  médecine  citées  plus  haut  :  celle  de  Si'hex- 
OEL,  t.  I,  p.  176;  —  celle  de  Dakembeku,  t.  I,  p.  114;  —  celle  de  Hâser,  t.  I, 
p.  234. 

2.  Plix.,  op.  cit.,  XXIX,  1(6). 

3.  Cf.  Saalfeld,  der  Hellenismus  in  Lalium,  Wolfenbûttel,  1883,  p.  228.  — 
M.  Albeht,  les  .Médecins  grecs  à  Rome,  Paris,  189'». 

4.  Cato  Maj.,  cité  par  Plix.,  op.  cit.,  XXIX,  1  (7)  :  Quandoque  isia  gens 
(scilicel  Grseci)  suas  litteras  dabit  omnin  conrumpet ,  tum  etiam  magis  si  medicos 
SU08  hoc  millet.  Jurnrunt  inter  se  barharos  necare  omnei,  medicina,  sed  hoc 
ipsum  inerce.de  faciunt,  ut  fides  iis  sit  et  facile  disperdani .  Sos  quoque  dicti- 
lant  barbaros  et  spurcius  nos  quam  alios  '(jTiixtov  appellalione  fœdanl.  Inter- 
dixi tibi  de  medicis. 


LES    ORIGINES    DU    CULTE    D  ESCULAPE  141 

tâche  exclusive.  La  médecine  ne  serait  pas  possible  sans  mé- 
decins. Rome  dut  en  posséder  bien  avant  l'arrivée  d'Archaga- 
tos.  Les  mots  niedeoi%  medicii^,  medicina^  ne  sont  pas  tirés 
du  grec.  Si  l'art  de  guérir  n'était  à  Rome,  comme  le  culte 
d'Asklépios,  qu'une  importation  hellénique,  les  termes  qui  le 
concernent  ne  seraient  eux  aussi  que  des  mots  grecs  latinisés. 
De  même  qu'Asklépios  s'est  appelé  Msculapius^  la  médecine 
se  nommerait  iatrica.  Il  n'en  est  rien,  Les  Romains  ont  en 
cette  matière  un  vocabulaire  qui  leur  est  propre  et  qui  dérive 
de  racines  purement  italiques*  :  preuve  certaine  qu'ils  possé- 
dèrent très  tôt  une  médecine  nationale  et  des  médecins  de 
leur  race.  Mais  ils  n'avaient  guère  de  dispositions  naturelles  pour 
les  études  scientifiques.  Les  recettes  que  Pline  nous  a  trans- 
mises- et  celles  que  nous  cite  Caton  dans  son  de  fie  ritstica^ 
nous  montrent  que  la  vieille  médecine  romaine  était  singuliè- 
rement inférieure  à  celle  des  Grecs.  Pur  assemblage  de  su- 
perstitions grossières,  de  formules  étranges  ou  saugrenues,  elle 
n'était  fondée  ni  sur  l'observation  exacte  et  patiente  des  ma- 
ladies ni  sur  la  recherche  raisonnée  de  remèdes  efficaces.  Elle 
recommandait  le  chou,  par  exemple,  comme  une  panacée  uni- 
verselle^, et  attribuait  à  certains  chiffres,  à  certains  enchan- 
tements une  valeur  magique  \  11  est  impossible  enfin  de  la 
comparer  à  la  science  sérieuse  des  Asklépiades  laïques,  ni 
même  à  l'art  empirique  dont  les  prêtres  d'Asklépios  conser- 
vaient le  dépôt.  On  com])rend  que  son  insuffisance  ait  très  vite 
décidé  les  Romains  à  se  mettre  à  l'école  de  la  Grèce. 

Les  divinités  médicales  des  Romains.  —  Meditrina.  —  Parmi 
les  très  nombreuses  divinités  qu'on  honorait  à  Rome  avant  la 

1.  D'  BiuAu,  Infroduclioii  de  la  médecine  dans  le  Latium  et  à  Borne,  Rev. 
arche'oL,  1883,  t.  I,  p.  38o;  t.  II,  p.  192.  —  M.  Briau  rapproche  le  mot  medicus 
de  la  locution  osque  meddix  tuticus,  qu'il  traduit  par  curator  publicus.  Les 
Romains  auraient  été  initiés  très  anciennement  à  la  médecine,  probablement 
par  les  Etrusques,  qui  jouissaient  d'une  civilisation  plus  avancée.  A  Rome, 
comme  en  Grèce,  les  premiers  médecins  durent  être  des  prêtres  ;  les  harus- 
pices, dont  le  collège  était  lui-même  d'origine  étrusque,  furent  amenés,  par  la 
nature  de  leurs  fonctions,  à  s'occuper  d'anatomie,  de  chirurgie;  on  leur  doit 
les  dénominations  anatomiques  {fémur,  tibia,  duodénum,  renés,  etc.)  et  patho- 
logiques [tussis,  fractura,  fistula,  etc.)  du  vocabulaire  médical  des  Latins; 
tous  ces  mots  ont  été  créés  en  Italie  et  ne  viennent  pas  du  grec. 

2.  Plin.,  op.  cit.,  particulièrement  aux  livres  XXII  à  XXIX. 

3.  Cato  Maj.,  de  Re  rustica,  passim. 

4.  Cato  Maj.,  op.  cit.,  15«  ;  —  Plix.,  op.  cit.,  XX,  9  (33-38). 

5.  Cato  Ma.i.,  op.  cit.,  70  et  160. 


14-2  LE    SANCTUAIRE    D  ESCLLAPE 

péïK'ii-iiLion  (le  rhollénisme,  aucune  no  ressemblait  à  Asklôpios. 
Les  Romains  n'avaient  pas  le  môme  tour  d'esprit  et  d'imagina- 
tion que  les  Grecs.  Leur  religion  reposait,  tout  aussi  bien  que 
le  polythéisme  hellénique,  sur  le  culte  des  forces  de  la  natnr(>  ; 
mais  elle  n'était  nullement  anthropomorphique.  Leurs  ditiix 
n'avaient  ni  personnalité  distincte,  ni  légende;  ils  ne  vivaient 
pas  de  la  vie  des  hommes,  ne  partageaient  pas  leurs  passions, 
ne  se  mêlaient  pas  activement  de  leurs  affaires  et  de  leurs  inté- 
rêts. C'étaient  des  êtres  vagues  et  indéterminés,  des  génies 
occultes;  ils  étaient  innombrables  et  se  ressemblaient  tous, 
créés  tous  par  le  même  procédé  élémentaire  qui  consiste  à 
supposer  derrière  chaque  phénomène  naturel  une  puissance 
mystérieuse  et  redoutable  qui  le  produit,  et  à  donner  à  cette 
puissance  un  nom.  Auprès  de  la  riante  mythologie  des  Grecs 
ces  tristes  fantômes  de  divinités  devaient  paraître  bien  pâles  et 
ternes.  Cependant,  quand  on  voulut  rapprocher  et  fondre 
ensemble  les  deux  religions  grecque  et  romaine,  il  fut  en 
somme  facile  d'assimiler  aux  grands  dieux  de  la  Grèce  les 
dieux  latins  les  plus  importants.  Les  uns  et  les  autres  repré- 
sentaient également,  quoique  sous  des  couleurs  très  différentes, 
les  mêmes  forces  principales  de  la  nature.  Zeus  fut  donc 
accueilh  à  Rome  sous  le  nom  de  Jupiter,  Mais  à  qui  pouvait-on 
comparer  Asklépios?  La  conception  môme  d'un  dieu  médecin  et 
guérisseur,  qui  intervient  directement  dans  le  traitement  des 
maladies  humaines,  était  tout  à  fait  étrangère  à  l'esprit  des 
Romains.  A  la  place  de  ce  dieu  unique  et  actif  ils  avaient 
multiplié  les  divinités  secondaires.  Ils  personnifiaient  la  fièvre, 
Febris.  Ils  rendaient  un  culte  à  Ossipago,  qui  consolide  les  os, 
à  Carna,  qui  fortifie  les  chairs.  Une  foule  de  génies,  ayant 
chacun  un  nom  distinct  et  des  attributions  spéciales,  présidaient 
aux  destinées  de  la  vie  humaine,  au  développement  du  corps, 
au  jeu  des  organes  i.  Les  ladigitamenta,  antiques  recueils 
de  formules  religieuses  et  de  prières,  les  énuméraient^. 

Toutes  les  branches  de  l'activité  humaine  avaient  leurs 
dieux,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  elles  étaient  elles- 
mêmes  divinisées.   Les  Romains   connaissaient  la  médecine  ; 


1.  Voir  la  liste  des  divinités  primitives  du  cycle  roraano-sabin,  d'après  les 
indications  données  par  saint  Augustin,  Tertullien,  Arnobe,  dans  Makquardt- 
MoMMSF.N,  A/fln.  des  Antlq.  rom.,  trad.  franc.,  t.  XFI,  le  Cttlle,  I,  p.  14. 

2.  Sur  les  Indifii lamenta,  consulter  l'article  de  Petkii,  dans  le  Lexicon  de 
RoscuEM,  t.  Il,  1,  p.  129. 


LES    ORIGINES   DU    CULTE   D  ESCDLAPE  143 

elle  eut  donc  à  Rome  une  divinité  spéciale.  Il  semblerait  au 
premier  abord  que  ce  dût  être  la  déesse  Sahis,  honorée  chez 
les  Sabins  et  de  bonne  heure  adoptée  dans  le  Latium.  Sains 
en  effet  fut  identifiée  plus  tard  à  'Y-^kix,  Rygie,  qui  était  en 
Grèce  la  protectrice  de  la  santé,  et  qu'à  ce  titre  on  associait 
à  Asklépios.  Mais  Salus  n'était  d'abord  à  Rome  que  la  protec- 
trice du  salut  de  l'Etat  ;  les  augures  et  les  consuls  lui  adres- 
saient chaque  année  des  prières  pour  la  prospérité  du  peuple 
romain*  ;  elle  n'avait  primitivement  aucun  caractère  médical. 
Les  anciens  calendriers  et  quelques  mots  de  Varron  et  de 
Festus  nous  ont  conservé  le  véritable  nom  de  la  première 
divinité  de  la  médecine  qu'aient  adorée  les  Romains.  Elle 
s'appelait  Meditrina;  ce  vocable  se  rattache  évidemment  à  la 
même  racine  que  les  mots  medeor^  medicus,  medicina-.  La 
fête  des  Meditrinalia  avait  lieu  le  11  octobre^.  Ce  jour-là  on 
faisait  une  libation,  et  l'on  goûtait  le  vin  nouveau  de  la  ven- 
dange qui  s'achevait  et  le  vin  ancien  de  l'année  précédente^. 
Cette  cérémonie  avait  pour  but  d'apprécier  la  valeur  du  breu- 
vage comme  remède,  medicainenti  causa^  nous  dit  Varron. 
On  prononçait,  en  l'accomplissant,  une  formule  consacrée,  un 
carmen  antique  :  vetiis  novwn  viniim  bibo,  veteri  novo 
moi'bo  medeor'^.  Meditrina  était  donc  la  déesse  de  la  guérison; 
c'était  la  guérison  personnifiée,  pure  abstraction  elle  aussi, 
comme  Febris  et  Ossipago  *>.  Quels  rapports  établir  entre  cette 
froide  entité  et  le  bienfaisant  Asklépios  ? 

1.  Preller-Jordan,  Rœm.  Mythol.,  Berlin,  1881-1883,  t.  II,  p.  235  ;  Marqlardt- 
MoMMSEN,  op.  cit.,  t.  XIII,  le  Culte,  II,  p.  77. 

2.  Article  Meditrina  dans  le  Lexicon  de  Roscheh,  par  Peter,  t.  II,  1,  p.  00. 

3.  G.  I.  L.,  t.  I,  2»  éd.,  p.  220,  226,  245,  252  ;  —  Cf.,  ibid,  p.  331. 

4.  Varro,  de  Liiuj.  lat.,  VI,  21  :  Octobri  mense  Meditrinalia  dies  diclus  a  me- 
dendo,  qtiod  Flaccus  flamen  Marlialis  dicebat  fioc  die  solitum  vinum  novum  et 
velus  libari  et  degustari  medicamenli  causa;  qiiod  facere  soient  etiamnunc 
inulti,  cum  divunt  :  novum  velus  vinum  bibo,  novo  veteri  vino  morbo  medeor. 
—  Festl's,  p.  123  :  Meditrinalia  dicta  de  hac  causa  :  mos  erat  Latinis  populis, 
quo  die  quis  primum  guslaret  muslum  dicere  ominis  gratia  :  velus  novum 
vinum  bibo,  veteri  novo  morbo  medeor.  A  quibus  verbis  etiam  Medilrinae  deae 
nomen  conceptum  ejusque  sacra  Meditrinalia  dicta  sunt. 

5.  La  formule  n'est  pas  donnée  tout  à  fait  dans  les  mêmes  termes  par 
Varron  et  par  Festus.  Dans  le  second  membre  de  phrase  Varron  ou  un  copiste 
a  introduit  à  tort  le  mot  vino,  qu'il  faut  effacer  (Peter,  loc.  cit.). 

6.  Preller-Jordax  [Rœm.  M;/tfiol.,  t.  I,  p  197),  et  Fowler  {tfie  Roman  fes- 
tivals, Londres,  1900,  p.  237)  voient  dans  les  Meditrinalia  une  fête  des  vendanges 
et  se  refusent  à  considérer  Meditrina  comme  une  divinité  médicale.  Peter 
{loc.  cit.)  au  contraire  croit  que  le  vin  n'intervient  dans  les  Meditrinalia  qu'en 
raison  de  son  caractère  bienfaisant  et  à  litre  de  remède  ;  Meditrina  serait 
essentiellement  la  déesse  de  la  guérison.  Cette  dernière  interprétation  est  pré- 


144  LE    SANCTUAIRE   D  ESCULAPE 

Attributions  médicales  des  grands  dieux.  —  Les  Romains 
éprouvèrent  le  l)esoin  do  se  créer  d'autres  divinités  médicales, 
plus  accessibles,  plus  efficaces.  Ils  attribuèrent  à  la  plupart  de 
leurs  jjrands  dieux  le  pouvoir  d'écarter  les  maladies.  Ils  hono- 
rèrent en  Jupiter,  en  Junon,  en  Minerve,  en  Mars,  en  Bona 
Dea  les  gardiens  de  la  vie  et  de  la  santé  Immaines  ;  ils  leur  dé- 
cernèrent même  en  cette  qualité  des  épithètes  déterminées  qui 
précisaient  leur  rôle  :  Jimo  lAicina,  Mine?'va  MedicaK  Un 
certain  nombre  de  ces  génies  secondaires  que  la  religion  ro- 
maine primitive  multipliait  à  l'excès  ne  furent  plus  considérés 
désormais  que  comme  des  aspects  particuliers  des  grands 
dieux;  ainsi,  par  exemple,  les  noms  de  ceux  qui  présidaient  à 
la  grossesse  et  à  l'accouchement  devinrent  autant  de  surnoms 
de  Junon  [Postversn,  Prorsa,  Fluonia,  Februa,  Statina,  Lc- 
vana,  etc.)'-'.  Ces  transformations,  qui  paraissent  de  date 
relativement  récente,  sont  dues  très  probablement  à  Tinfluence 
et  à  l'imitation  de  la  Grèce,  où  les  dieux  étaient  à  la  fois  moins 
nombreux,  mieux  définis,  plus  rapprochés  des  hommes. 

Apollon.  —  C'est  de  Grèce  aussi  que  vint  l'usage  de 
s'adresser  en  temps  d'épidémie  à  un  dieu  guérisseur  dont  l'in- 
tercession mettra  fin  au  fléau.  La  religion  grecque  fut  intro- 
duite à  Rome  par  l'intermédiaire  des  Livres  Sibyllins,  ces 
recueils  d'oracles  mystérieux,  d'origine  certainement  hellé- 
nique, apportés  de  Cumes,  d'après  la  légende,  dès  l'époque 
royale"'.  Ils  étaient  confiés  à  la  garde  de  dimniviri  remplacés 
en  387/307  i)ar  le  collège  des  decemviri^  sacrh  faciundis''^ .  Le 
collège  des  Pontifes  avait  la  direction  et  la  surveillance  de  la 


férable.  Il  faut  remarquer  que  plus  tard  encore,  au  témoignage  (I'Arnob. 
(Vil,  32),  Esculape  était  mêlé  aux  fêtes  des  vendanges  :  jEsculapii  geritur 
celebrnlurqiie  vlndemia.  En  Grèce  une  cérémonie  analogue  à  celle  que 
signalent  Varron  et  Fcstns  avait  lieu  le  premier  jour  des  Antesthéries;  c'était 
la  fête  du  jour  Pithu'gia,  ou  de  iouverture  des  tonneaux;  ceux  qui  goûtaient 
le  vin  nouveau  faisaient  <les  prières  et  des  vœux  i)our  que  son  usage  fût 
inoffensif  et  salutaire  (Pi,i;t.,  Sytnpos.  quipsl.,  III,  1). 

1.  Sur  Juno  Lucina,  consulter  l'article  Juno  dans  le  Ltxicon  de  Rosciieh, 
t.  II,  1,  p.  579;  —  sur  Minerva  Medica,  l'article  Minerva  du  même  recueil, 
t.  II,  2,  p.  2989  et  p.  2991. 

2.  Cf.  Pheli.er-Jordax,  Rœm.  Mythol.,  t.  I,  p.  275. 

3.  Gell.,  I,  19. 

4.  Devenus  eux-mêmes  plus  tard  les  quindecemviri  sacris  faciundis.  Cf.  Bou- 
ché-Leclebcq,  Ilisl.  de  la  divinnlinn,  Paris,  1879-1882,  t.  111,  p.  28G-317  ;  — 
Marqoahdt-.Mcmjisex,  op.  cit.,  t.  XIII,  le  Culte,  II,  p.  43. 


LES    ORIGIISES    DU    CULTE    D  ESCCLAPE  145 

vieille  religion  nationale  tout  entière.  Les  cultes  étrangers 
adoptés  par  les  Romains,  sacra  peregrina,  relevaient  des 
decemviri  sacris  facundis^.  L'attachement  traditionnel  des 
Romains  à  leurs  dieux  propres  ne  les  empêchait  pas  de  faire 
bon  accueil  à  ceux  qui  venaient  du  dehors,  pourvu  toutefois 
qu'ils  fussent  reconnus  officiellement  par  l'Etat-.  Les  décem- 
virs  proposaient  au  peuple  d'admettre  de  nouvelles  divinités 
en  s'inspirant  des  indications  prophétiques  que  leur  donnaient 
les  Livres  Sibyllins.  On  consultait  les  Livres  dans  les  circons- 
tances graves  et  menaçantes  ;  on  leur  demandait  de  faire 
savoir  à  quels  dieux  étrangers  il  fallait  recourir  pour  délivrer 
la  cité  des  périls  que  les  dieux  nationaux  étaient  incapables 
de  conjurer-'.  La  religion  hellénique  s'ajoutait  à  la  rehgion 
romaine  comme  un  complément  salutaire.  En  258/496,  pendant 
une  famine,  les  Livres  Sibyllins  conseillèrent  d'élever  un 
temple  à  Cérès,  c'est-à-dire  à  Déméter,  la  déesse  grecque  de 
l'agriculture  et  de  l'abondance^;  le  temple  fut  construit  près 
du  cirque  Maxime,  en  dehors  àxi  j)omerii(m-\  Si  l'on  invoquait 
l'intervention  des  dieux  grecs  pour  mettre  un  terme  aux  fa- 
mines, il  était  naturel  qu'on  l'invoquât  aussi  pour  mettre  un 
terme  aux  épidémies.  Lors  de  la  peste  de  318/436  les  Romains 
firent  une  obsecratio  solennelle  afin  d'obtenir  la  cessation  du 
mal.  Tite-Live,  qui  nous  rapporte  ce  fait,  ne  nous  dit  pas  les 
noms  des  dieux  qu'on  implora;  ils  devaient  être,  en  tout  cas, 
pérégrins  :  la  cérémonie  était  prescrite  et  présidée  par  des 
duumviri  sacris  faciundis^.  En  321/433  la  peste   désola   de 

1.  On  opposait  les  dieux  nouveaux  importés  du  dehors,  dii  noveiisides,  aux 
dieux  indigènes,  dii  indigetes.  —  Cf.  Wissowa,  de  Dis  Romanorum  indigeti- 
bus  et  novensidibus  dispulatio,  Marburg,  1893. 

2.  Cic,  de  Leg.,  II,  8  :  Separatim  nemo  habessit  deos  :  neve  novos  sive 
advenus  nisi  publiée  adscitos  privatim  colunto.  —  Cf.  E.  Ant.  Lewald,  de 
Religionibus peregrinis apud  veteres  Romanos  paulatim  introduclis,  Heidelberg, 
1844. 

3.  DiONYS.,  IV,  62  :  "O-Kep  où  Tcpoç  ôXt'Yov  xatpbv,  àXX'stç  âTravxa  tov  ^t'ov  TvoXXâxt;, 
a-jTYiv  eTWffEv  ex  [AsyâXwv  xaxœv...  5(pà)vxat  ô'a-jTot;,  ôxav  r\  jSouXti  i|'^i?'<riTrat 
(rrataew;  xaTaXaêoùa-^;  tt|V  ttoXiv  ï)  ôyoruj^ta;  zivhz  [AEYàXïjç  (jyfJiTveao-Jffr,;  xarà 
■7roXe[j.ov,  7^  xepaTwv  xal  cpavxaTfjLâtwv  [xsYaXwv  xal  SuueupÉTWv  a-jxotç  çavévxwv,  ot'a 
TToXXâxi;  (TuvÉgy].  —  De  tout  temps  les  Romains  avaient  pensé  que  le  meilleur 
moyen  de  combattre  les  fléaux  était  de  s'en  remettre  aux  dieux  ;  cf.  Liv.,  H, 
31  :  Utiam  opem  œgris  corporibus  relictam  si  pax  veniaque  ab  diis  impetrata 
essel. 

4.  DiONYS.,  VI,  17;  —  Tac,  Ann.,  II,  49. 

J).  KiEPERT-HuELSEN,  Nomeiicl.  lopogr.^  p.  76;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom., 
p.  5S3. 
6.  Liv.,  IV,  21  :  Obsecratio  itaque  a  populo,  duumviris praeeuntibus,  est  fada. 

10 


i46  LE   SANCTUAIRE    d'eSCLLAPE 

nouveau  la  ville.  On  demanda  cette  fois  à  Apollon,  spéciale- 
ment désigné,  et  sous  le  nom  même  qu'il  portait  en  Grèce,  de 
rendre  la  santé  au  peuple.  Un  temple  lui  fut  promis  jyro  va- 
letudine  pojmli  '  ;  deux  ans  plus  tard,  on  le  consacra  au  culte  2; 
il  était  situé  au  Champ  de  Mars,  hors  du  pomeriimP.  Les 
Grecs  regardaient  Apollon  comme  le  dieu  de  la  lumière  et 
du  soleil,  mais  ils  lui  reconnaissaient  aussi  certaines  attribu- 
tions médicales  ^;  ils  l'appelaient  àXsçiV.axsç,  àz5-:ps::a'.c;,  îraiâv, 
aw.Tfp,  celui  qui  détourne  les  maux,  qui  guérit,  qui  sauve;  il 
est  à  la  fois  médecin  et  divin,  îa-rps;  wv  xat  {xâvTiç'',  •.a':pi;j.avTt;^. 
Le  soleil  n'est-il  pas  un  principe  de  vie?  sa  chaleur  purifiante 
ne  détruit-elle  pas  les  miasmes  pernicieux?  La  légende  qui 
faisait  d'Asklépios  lui-même  son  fils  exprimait  s^^mboliquemeut 
l'étroit  rapport  qui  existe  entre  la  chaleur  du  soleil  et  la 
santé  des  hommes.  Les  vertus  médicales  et  guérisseuses 
d'Apollon  furent  donc  le  premier  caractère  que  les  Romains 
apprécièrent  en  lui;  ils  l'accueillirent  d'abord  comme  un  dieu 
médecin'.  Dans  les  cérémonies  sacrées  les  Vestales  l'appel- 
laient  :  Apollo  mediciis^  Apollo  Pœan'^. 

Apollon  et  Asklépios.  —  L'introduction  de  son  culte  à  Rome 
annonçait  et  préparait  l'introduction  du  culte  d'Asklépios^.  Il 
était  inévitable  qu'on  fit  venir  de  Grèce,  après  le  dieu  du 
soleil  et  de  la  lumière,  le  dieu  particulier  des  guérisons  et  de 
la  santé.  Quand  les  Romains  eurent  commencé  à  imiter  les 
Grecs  et  à  leur  emprunter  leurs  divinités,  ils  ne  purent  s'em- 
pêcher ensuite  de  persévérer  dans  cette  voie  et  de  la  suivre 
jusqu'au  bout,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'adoption  de  toute  la  mytho- 
logie hellénique  et  à  la  fusion  complète  des  deux  religions.  Apol- 
lon n'était  pas  exclusivement  un   dieu  médecin.   S'il   proté- 

1.  Liv.,  IV,  25  :  Pestilenlia  eo  anno  aliarum  rerum  olittm  prsebuit  ;  aedes 
ApoUini  pro  valetudine  populi  vota  est  :  multa  duumviri  ex  libris,  placandae 
deum  irse,  avertendœque  a  populo  pestis  causa  fecere. 

2.  Liv.,  IV,  29. 

3.  Kikpeht-IIlf.i.sex,  op.  cit.,  p.  74;  —  Homo,  op.  cit.,  p.  345. 

4.  Cf.  nitLciiMAXx,  (le  Apolline  et  graeca  Minerva  deis  medicis,  Breslau,  1885. 

5.  AiusToi'H.,  l'iutus,  11. 
♦>.  -^!;scHYL.,  Eumen.,  62. 

7.  Bolché-Leclehcq,  op.  cit.,  t.  III,  p.  296.  —  Voir  aussi  les  textes  réunis  par 
Saalfeld,  der  Ilellenismus  in  Lulium,  p.  11. 

8.  Mackob.,  I,  17  :  Eadein  opinio  sospitalis  et  medici  dei  in  nostris  quoque 
sacris  favetur.  Sumque  virgines  Vestales  ita  indigitant  :  Apollo  medice,  Apollo 
Paean. 

9.  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Topogr.  d.  St.  fiowj.,  t.  III,  p.  71. 


LES    ORIGINES    DU    CULTE    D  ESCULAPE  147 

geait  la  vie  humaine  et  détournait  les  épidémies,  ce  n'était 
pas  sa  seule  ni  même  sa  principale  fonction.  Il  avait  à  remplir 
bien  d'autres  tâches;  dieu  du  jour,  des  arts,  de  la  poésie,  de 
la  divination,  les  Grecs  lui  prêtaient  des  attributions  multiples  et 
très  diverses.  Ne  devait-on  pas  penser  qu'il  serait  plus  simple 
et  plus  sûr  de  confier  le  soin  de  la  santé  des  Romains  au  dieu 
médecin  par  excellence,  au  père  et  au  patron  de  l'art  médical? 
Ni  l'abstraite  Meditrina,  ni  les  grandes  divinités  latines,  ni  le 
grec  Apollon  lui-même  ne  rendaient  Asklépios  inutile.  Ils 
le  faisaient  désirer.  Cent  cinquante  ans  après  la  construction 
du  premier  temple  d'Apollon  dans  le  Champ  de  Mars,  Asklépios 
a  son  tour  eut  un  temple  aux  portes  de  Rome,  dans  l'île  tibé- 
rine.  Pendant  ce  siècle  et  demi  la  peste  reparut  plusieurs  fois; 
à  chaque  épidémie  on  offrit  aux  dieux  un  repas  sacré,  un 
lectisternium'^ .  Le  lectisterne  était  une  cérémonie  imitée  des 
Grecs,  un  rite  hellénique-;  les  decemviri sacris  fachindis  l'or- 
ganisaient. Apollon  y  avait  une  place  d'honneur.  Tite-Live  le 
nomme  le  premier  parmi  les  dieux  étrangers  qui  figuraient  en 
355/399  au  premier  lectisterne''.  Cependant,  la  peste  ne  cessait 
point  d'exercer  périodiquement  ses  ravages.  On  jugea  néces- 
saire d'implorer  une  intercession  nouvelle,  qui  serait  peut-être 
plus  puissante.  En  461/293  les  Livres  SibylHns  ordonnèrent 
de  faire  appel  à  Asklépios,  de  même  qu'ils  avaient  ordonné 
jadis  de  faire  appel  à  Apollon.  Les  Romains  le  reçurent  donc 
au  nombre  de  leurs  dieux,  comme  ils  avaient  reçu  son  père. 
Les  événements  des  années  461/293  et  463/291  ne  furent  que 
l'exacte  répétition  de  ceux  de  .321/433.  Les  faits  analogues 
qui  les   ont  précédés  nous  aident  à  les  mieux  comprendre. 

Résumé.  —  L'établissement   du  culte  d'Asklépios  à   Rome 

1.  0.  GiLBEKT,  op.  cit..,  t.  III,  p.  71-72,  note;  d'après  Tite-Live,  la  peste 
éclata  huit  fois  à  Rome  entre  les  années  318/436  et  4G1/293.  En  318/436,  les 
duumviri  sacris  faciundis  firent  une  obsecratio  (Liv.,  IV,  21);  en  321/433,  on 
bâtit  un  temple  à  Apollon  (IV,  25);  en  342/412,  Tite-Live  ne  parle  point,  par 
exception,  de  cérémonies  religieuses  :  ce  doit  être  un  pur  oubli  de  sa  part 
(IV,  32)  ;  en  336/399,  en  388,  366,  en  411/343,  en  426/328,  il  y  eut  des  lectisternes 
(V,  13;  VII,  1  et  2;  VII,  37;  VIII,  22);  en  461/293,  on  fit  appel  à  Esculape 
(X,  47). 

2.  Cf.  article  Lectisternium,  par  Bouché-Leclehcq,  dans  le  Diclionn.  des  An- 
tiq..,  de  Daremberg  et  Saglio. 

3.  Liv.,  V,  13  :  Duumviri  sacris  faciundis  lectisternio  tune  primnm  in  urbe 
romana  facto  per  dies  octo  Apollinem  Latonamque  et  Dianam,  Herculem,  Mer- 
curium  alque  Neptunum  tribus  quam  amplissime  lum  apparari  poterat  stratis 
lectis  placavere. 


148  LE   SANCTUAIRE   D  ESCULAPE 

marque  rachèvemcnt  naturel  d'une  longue  évolution.  L'idée 
que  les  Romains  se  faisaient  des  relations  qu'entretenaient 
les  dieux  avec  les  hommes  s'est  lentement  transformée  sous 
l'influence  de  la  Grèce.  Ils  ne  croyaient  pas  tout  d'abord  à 
leur  intervention  dans  la  vie  humaine;  Meditrina  n'était  qu'une 
vague  personnification  de  la  guérison.  Il  leur  parut  i)lus  tard 
que  leurs  dieux  devaient,  comme  ceux  des  Grecs,  s'intéresser 
et  se  mêler  aux  affaires  terrestres;  ils  donnèrent  aux  princi- 
l)aux  d'entre  eux  certains  surnoms  qui  nous  prouvent  qu'on 
les  regardait  effectivement  comme  les  protecteurs  de  la  santé. 
Le  retour  trop  fréquent  de  graves  et  désastreuses  épidé- 
mies leur  fit  prendre  le  parti  de  demander  l'assistance  même 
des  divinités  guérisseuses  qu'adoraient  les  Grecs  ;  Apollon  fut 
le  premier  qu'ils  invoquèrent.  Mais  un  dieu  spécial  avait  pour 
mission  chez  les  Grecs  de  détourner  et  do  vaincre  les  maladies. 
Il  fallait  s'adresser  à  lui.  Les  Romains  firent  venir  enfin 
Asklépios. 

Le  temple  de  l'île  tibérine  ne  serait  pas  le  premier  temple 
d'Esculape  à  Rome.  —  On  a  cru  quelquefois  que  le  temple  de 
l'île  tibérine  n'était  pas  le  premier  que  les  Romains  eussent 
dédie  à  Esculape.  A  l'appui  de  cette  opinion,  Jordan  et  M.  0. 
Gilbert  allèguent  trois  arguments  d'inégale  valeur. 

Us  invoquent  d'abord  un  texte  de  Pline  l'Ancien  ' .  Les 
Romains,  nous  dit  Pline,  condamnaient  l'art  médical  ;  aussi, 
lorsqu'ils  admirent  Esculape  au  nombre  de  leurs  dieux,  ils 
tinrent  cependant  à  élever  son  temple  hors  de  la  ville  et  ensuite 
dans  l'île-.  Ainsi  donc,  avant  la  construction  du  sanctuaire  de 
l'île  tibérine,  il  y  aurait  eu  ailleiu-s,  tout  auprès  de  Rome,  un 
premier  temple  du  dieu  médecin  des  Grecs.  11  était  situé, 
d'après  Jordan,  au  Champ  de  Mars,  dans  V Apollinar ;  le  quar- 
tier où  fut  bâti  en  321/433  le  temple  d'Apollon 3,  portait  ce 
nom,  s'il  faut  en  croire  Tite-Live,  dès  le  milieu  du  v'   siècle 


1.  Jordan,  de  jEsculapii,  Fauni,  Vejovis  Jovisque  sacris  nrbanis,  dans  les 
Commentaliones  in  honore)».  Motnmseni,  Berlin,  1877,  p.  337;  —  Pkeller-Jor- 
l)AN,  Rœm.  Mylhol.,  t.  11,  p.  241,  n.  1;  —  0.  Gilbert,  op.  cit.,  t.  111,  p.  72,  n.  1. 

2.  Plix.,  Hist.  nat.,  XXIX,  1  (8)  :  Non  rem  anliqui  damnabant,  sed  arlem, 
maxime  vero  quaeslum  esse  munipretio  vilœ  recusabanl.  Ideo  templum  Aiscu- 
lapii,  eliam  cum  reciperetur  is  deus,  extra  urbem  fecisse  iterumque  in  insula 
tradunlur. 

3.  KlEPKHT-UuELSEN,  op.  cit.,  p.  2;  —  Ho.MO,  op.  cil.,  p.  19. 


LES    ORIGINES    DU    CULTE    D  ESCULAPE  149 

avant  l'ère  chrétienne  ^  et  le  devait  sans  doute  à  un  autel 
élevé  très  anciennement  en  cet  endroit.  UApoilinar  fut  le 
premier  asile  ouvert  parles  Romains,  en  dehors  du pomeriuni, 
aux  dieux  helléniques.  Aucun  d'eux  ne  méritait  mieux  qu'As- 
klépios  d'y  être  accueilli  à  côté  d'Apollon  ;  n'étaient-ils  pas 
l'un  et  l'autre  des  dieux  guérisseurs  ?  Asklépios  ne  passait-il 
pas  pour  le  fils  d'Apollon? 

Tite-Live  rapporte,  d'autre  part,  qu'en  l'année  461/293, 
lorsque  les  Livres  Sibyllins  conseillèrent  aux  Romains  d'ap- 
peler à  leur  secours  Asklépios,  les  préoccupations  de  la  guerre 
samnite  empêchèrent  d'envoyer  aussitôt  une  ambassade  en 
Grèce  ;  on  dut  se  contenter  de  faire  une  supplicatio  d'un  jour 
au  dieu  de  la  médecine^.  Lsi  supplicatio  avait  lieu  d'ordinaire 
(levant  l'autel  et  dans  le  temple  de  la  divinité  qu'on  implorait  ; 
les  suppliants  venaient  embrasser  sa  statue.  La  célébration 
d'une  supplicatio  en  l'honneur  d'Esculape  est  une  nouvelle 
preuve  de  l'existence  de  ce  vieux  temple  auquel  Pline  faisait 
allusion"^. 

Il  n'est  pas  surprenant,  d'ailleurs,  que  la  religion  d'Asklé- 
pios  ait  pénétré  très  tôt  à  Rome  ;  elle  paraît  s'être  répandue 
de  bonne  heure  en  Italie,  et  particulièrement  en  Etrurie  ^,  Sur 
un  vase  recueilli  dans  une  tombe  étrusque  des  environs  de 
Chiusi,  on  lit  en  lettres  archaïques  les  mots  :  Aisclapi  pococo- 
lom,  tracés  d'un  pinceau  tremblant^.  Ils  ont  été  écrits  par  un 
artisan  italien  :  le  nom  du  dieu  est  mis  le  premier,  contraire- 
ment à  l'usage  grec.  La  forme  Aisclapi  prouve  l'antiquité  du 
texte   :  sur  les  plus  anciennes  inscriptions  d'Epidaure  le  dieu 


1.  Liv.,  m,  63  (à  la  date  de  305/449)  :  Prata  Flaminia  ubi  nunc  aedes  Apol- 
linis  est,  jam  tum  Apollinare  appellabant. 

2.  Liv.,  X,  47  :  Multis  rébus  lœtus  annus  vix  ad  solatium  unius  mali,  pesli- 
lentiae  urentis  simul  urbem  alque  agros,  suffecit  ;  portentoque  jam  similis 
clades  erat,  et  libri  aditi,  quinayn  finis  aut  quod  remedium  ejus  mali  ab  diis 
daretiir.  Inventum  in  libris,  Msculapium  ab  Epidauro  Roinam  arcessendum ; 
neque  eo  atino,  quia  bello  occupati  consules  erant,  quicquam  de  ea  re  actum, 
pvxterquam  quod  unum  diem  JEsculapio  supplicatio  est  hainta. 

3.  0.  Gilbert,  op.  cit.,  t.  III,  p.  72,  note  1. 

4.  Jordan,  de  Aisculapii,  Fauni,  Vejovis  Jooisque  sacris  urbanis,  loc.  cit., 
p.  358;  —  Preller-Jordax,  Bœm.  Mythol.,  t.  II,  p.  241,  note  1. 

3.  Brunn,  Bullett.  delVlnstit.  archeoL,  1864,  p.  24;  —  Ritschl,  Priscœ  lati- 
nitatis  monumenta,  Supplem.,  Bonn,  1862-1863,  V,  p.  IX,  pi.  V,  A;  —  Ephe- 
meris  Epigraphica,  t.  I,  n"  5  ;  —  Jordan,  il  Vaso  di  Esculapio,  dans  les  Ann. 
delVlnstit.  archeoL,  1884,  p.  357  et  planche  R  (reproduction  du  vase,  qui  est 
maintenant  au  musée  de  Berlin). 


150  LE    SANCTIAIBE    H  ESCLLAPE 

(le  la  médocino  est  appelé  WcvXxr.ib;,  Alary.AaTrisj;  '.  Le  mot 
Aisc/apifis,  .Ksc/apius',  est  devenu  .^sco/apms,  jEscu/apiiis, 
comme  Hcrcles  a  donné  Hercles,  Hercules,  par  l'intercalation 
d'une  voyelle.  Kitsclil  estime  que  l'inscription  du  vase  étrusque 
date  de  la  fin  du  v"  siècle  de  Rome  ou  du  début  du  vi'.  Elle 
serait  donc  postérieure  d'une  cinquantaine  d'années  à  la  fonda- 
tion du  temple  de  l'ile  tibérino  ;  mais  la  présence  d'objets  dédiés 
à  Esculape  on  Etrurie  dès  cette  époque  est  l'indice  d'une  très 
ancienne  expansion  de  son  culte  et  nous  explique  qu'un  monu- 
ment ait  pu  lui  être  consacré  à  Rome  avant  même  qu'on  eût 
fait  venir  d'Epidaure  le  serpent  sacré. 

Critique  de  cette  théorie.  —  La  conclusion  que  Jordan  et 
M.  0.  Gilbert  tirent  de  ces  diverses  considérations  est  cer- 
tainement excessive.  L'inscription  du  vase  de  Chiusi  nous 
montre  qu'au  temps  des  guerres  puniques  Esculape  avait  des 
fidèles  en  Italie,  hors  de  Rome  ;  elle  ne  témoigne  nullement 
qu'avant  la  troisième  guerre  samnite  il  ait  possédé  à  Rome  un 
temple.  L'existence  de  celui-ci  n'était  pas  nécessaire  pour 
qu'on  procédât  en  463/291  à  la  supplicatio.  Il  est  vraisemblable 
en  effet  que  cette  cérémonie  eut  lieu  à  VApollinar,  comme 
toutes  celles  qui  intéressaient  les  dieux  helléniques.  Mais  il 
aura  suffi,  pour  la  célébrer,  d'élever  au  moment  même  un  autel 
à  Asklépios,  auprès  du  temple  et  des  autels  d'Apollon,  et  d'y 
exposer  aux  regards  et  aux  prières  quelque  image  ou  quelque 
emblème  du  dieu  médecin.  En  somme,  l'hypothèse  émise  par 
Jordan  et  reprise  après  lui  par  M.  0.  Gilbert  ne  repose  que  sur 
le  texte  unique  de  Pline  l'Ancien.  Mais  ce  texte  n'est  pas  sûr; 
la  construction  de  la  i)hrase  est  loin  d'être  satisfaisante.  Un 
éditeur  de  Pline  a  proposé  une  correction  qui  paraît  tout  à  fait 
nécessaire.  Elle  change  entièrement  le  sens,  et  enlève  à  Jor- 
dan et  à  M.  0.  Gilbert  leur  meilleur  ou,  pour  mieux  dire,  leur 
seul  argument. 

Il  importe  d'examiner  mot  par  mot  le  passage  de  Pline  : 
lemplum  .^sculapn...  extra  urbem  fecisse  iterumque  in  in- 
sula  tradunlur.  Pline  ne  semble  parler  que  d'un  seul  temple, 

1.  Cavvadias,  les  Fouilles  d'Epidaure,  1,  n""  8,  cité  dans  la  Real  EncyclopUdie 
de  Paii.y-VVissovsa,  article  Asklépios. 

2.  D'après  Piiiscian.,  Inslilul.  grammalic,  I,  51,  Vas  d"yEscu/a/3?MS  représente 
l'a  long  d"'A'Tx>.r|ïtiô;,  transformé  en  ai  par  les  Eoliens  :  ^E  pro  e  lonr/u,  ut 
scsena  pro  ijxr,vT,,  et  pro  a,  ut  Aisculapius  pro  'AiTx),r,7tt(>i;,  in  quo  jEoUs  sequi- 
mur  ;  illi  enim  vj(j.çaiî /3/'o  vCfi^a;  et  çaïdiv  pro  çaatv  dicnnl. 


LES    ORIGINES    DU    CULTE    D  ESCULAPE  151 

temphtm  JEsculapii;  mais,  si  celui-ci  avait  été  construit 
d'abord  en  dehors  de  la  ville  et  ensuite  in  insida,  en  réalité  il 
y  en  aurait  eu  deux,  et  dans  la  première  partie  de  la  phrase 
c'est  le  pluriel  templa  qu'il  faudrait.  L'opposition  qu'établit  la 
seconde  partie  entre  l'extérieur  de  la  ville  et  l'île  n'est  pas 
fondée  ;  l'île  était  elle-même  extra  urbem,  en  dehors  du  mur 
de  Servius,  en  dehors  au  pomerium.  On  ne  désignait  pas  d'or- 
dinaire l'île  tibérine  par  le  simple  mot  insida,  qui  pouvait 
prêter  à  l'équivoque  :  dans  la  nomenclature  topographique  de 
Rome  le  terme  insida  avait  plusieurs  sens  ;  quand  il  s'agit  de 
l'île  tibérine,  elle  est  appelée  dans  les  textes  insida  tiberina, 
insida  inter  duos  pontes.  Enfin  l'emploi  de  l'adverbe  iterum, 
de  nouveau,  avec  le  sens  d'ensuite,  est  insolite,  —  Sillig, 
dans  son  édition  de  Pline  l'Ancien,  a  recours  à  un  heureux 
expédient  qui  supprime  toutes  ces  difficultés  :  il  remplace  le 
mot  iterumque ,  que  donnent  cependant  les  manuscrits,  par 
le  mot  Tiberinaqiie^.  Paléographiquement  la  confusion  qu'ont 
faite  les  scribes  s'explique  sans  peine  ;  les  deux  mots  se  res- 
semblent ;  le  T  mis  à  part  —  on  aura  pu  le  sauter  par  négli- 
gence,—  le  nombre  des  jambages  dans  l'un  et  dans  l'autre  est 
le  même.  Au  point  de  vue  du  sens  il  n'y  a  plus  rien  d'embar- 
rassant :  l'île  reprend  son  nom:  ordinaire,  tiberina  in&ula;  elle 
n'est  plus  opposée,  contre  toute  raison,  à  l'extérieur  de  la  ville; 
le  singulier  templum  est  bien  à  sa  place.  Pline  n'a  voulu  parler 
que  d'un  seul  temple,  le  premier  que  les  Romains  aient  bâti 
en  l'honneur  d'Esculape,  celui  de  l'île  tibérine. 

La  correction  de  Sillig  mérite  qu'on  l'adopte.  Il  faut  rejeter 
l'hypothèse  injustifiée  de  Jordan  et  de  M.  0.  Gilbert.  L'histoire 
du  culte  d'Esculape  à  Rome  ne  commence  qu'avec  l'épidémie 
de  461/293  et  l'arrivée  du  serpent  d'Epidaure. 

1.  Sillig,  éd.  de  Plin.,  Hist.  naL,  Gotha,  1855,  t.  IV,  p.  338-339. 


CHAPITRE  II 
L'ARRIVÉE  DU  SERPENT  D'ÉPIDAURE 


L'introduction  du  culte  d'Asklépios  à  Rome,  —r-  La  fondation 
du  temple  d'Esculape  dans  Tîle  tibérine  est  l'un  des  événe- 
ments les  plus  célèbres  de  l'histoire  religieuse  de  Rome  à 
l'époque  républicaine*.  Avec  elle  se  termine  l'invasion,  depuis 
longtemps  commencée,  de  la  vieille  religion  romaine  par  les 
cultes  helléniques 2,  Les  Dioscures,  Déméter,  Hermès,  Zeus, 
Héra,  Athéna,  Apollon,  Aphrodite,  et  bien  d'autres  encore, 
avaient  été  successivement  accueillis  à  Rome,  la  plupart  sous 
des  noms  latins,  en  se  confondant  avec  d'anciennes  divinités 
nationales  'K  Asklépios  devait  avoir  son  tour.  Bientôt  les  cultes 
orientaux  eux-mêmes  pénétreront  en  Italie  et  s'y  feront 
officiellement  reconnaître  :  l'arrivée  de  la  Mère  des  dieux  de 
Pessinonte,  Magna  Mater  Idœa,  invoquée  dans  les  désastres 
de  la  seconde  guerre  punique,  n'est  que  de  quatre-vingt-sept  ans 
postérieure  à  l'inauguration  du  temple  d'Esculape''. 

Si  le  dieu  de  la  médecine  est  le  dernier  venu  parmi  tous  les 
dieux  grecs  adoptés  par  les  Romains,  il  est  le  seul  aussi  qu'ils 
soient  allés  chercher  jusque  dans  la  Grèce  propre^.  C'est  par 


1.  Cf.  ScHLUETER,  (Ic  Msculapîo  a  Romanis  adscito,  Arnsberg,  1833. 

2.  B<»uciié-Leci.khcq,  Man.  des  Instil.  rom.,  Paris,  188(1,  p.  492;  —  Audol- 
LF.NT,  Bullet.  archéol.  de  la  relig.  rom.  dans  la  liev.  de  Vliisl.  des  relia.,  1891, 
t.  XXIV,  p.  65. 

3.  E.  Ant.  Lewald,  de  Religionibus  peregrinis  apud  ve/eres  Romanos paulatim 
introductis,  Heidelberg,  1844;  —  Môhsbaciieh,  Ueber  Aufnahme  griechisclien 
Goltheilen  in  den  romiscken  Kultus,  Jûlich,  1882;  —  Saalfeld,  der  Hellenismus 
in  Latiwn,  Wolfenbûttel,  1883,  p.  12;  —  Aust,  de  JEdibus  sacris  poptili  ro- 
mani, Marburg,  1889. 

4.  GoEHLER,  de  Matris  Magnse  apud  Romanos  cultu,  Leipzig,  1886. 

5.  MûRSBACUEH,  loc.  cil.,  p.  8. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  153 

l'Etrurie  et  les  villes  grecques  de  l'Italie  méridionale  que  les 
autres  cultes  helléniques  ont  été  introduits  à  Rome.  Celui 
d'Asklépios  au  contraire  fut  apporté  directement  du  Pélopo- 
nèse.  L'assimilation  do  Zeus  au  Jupiter  des  Latins  et  la  dédi- 
cace d'un  temple  à  Apollon  dans  le  Champ  de  Mars  avaient  eu 
lieu  sans  qu'intervinssent  Olympie  ni  Delphes.  Mais  on  ne 
construisit  le  sanctuaire  d'Esculape  dans  l'île  tibérine  qu'au 
retour  de  l'ambassade  envoyée  à  Epidaure  sur  l'ordre  des 
Livres  Sibyllins.  Au  commencement  du  m"  siècle  avant  l'ère 
chrétienne  Rome  n'était  pas  encore  entrée  en  relations  poli- 
tiques avec  les  cités  de  la  Grèce  ;  elle  n'avait  pas  encore  con- 
clu de  traités  d'alliance  avec  elles i.  Déjà  cependant  elle  les 
connaissait  de  réputation  ;  par  l'entremise  des  colonies  grecques 
de  Campanie,  de  Grande  Grèce,  de  Sicile,  leur  civilisation  len- 
tement propagée  agissait  sur  elle  peu  à  peu  et  transformait 
ses  mœurs  et  ses  croyances.  L'envoi  d'une  ambassade  à  Epi- 
daure pour  y  implorer  Asklépios,  qui  n'était  pourtant  qu'une 
divinité  secondaire,  témoigne  des  progrès  qu'avaient  faits  dès 
cette  époque  l'influence  hellénique.  Epidaure  était  alors  le 
principal  centre  du  culte  d'Asklépios  ;  les  temples  de  Tricca  en 
Thessalie  et  de  l'île  de  Cos,  qui  remontaient  à  une  plus  haute 
antiquité  2,  n'avaient  ni  le  même  renom  ni  la  même  force 
d'expansion.  Pausanias  nous  assure  que  les  Asklépieia  les  plus 
florissants  procédaient  tous  de  celui-ci  3;  il  cite  comme 
exemples  les  Asklépieia  d'Athènes,  de  Pergame,  de  Smyrne, 
de  Balagrai  en  Cyrénaïque,  de  Lébéna  en  Crète,  et  l'on  pour- 
rait ajouter  bien  des  noms  à  cette  liste  ^.  Le  sanctuaire  de 
l'île  tibérine  doit  être  considéré  lui  aussi  comme  un  rejeton  de 
l'Asklépieion  d'Epidaure-^. 


1.  Liv.,  XXIX,  11  (à  propos  de  l'envoi  d'une  ambassade  à  Pessinonte  pour 
en  ramener  la  Mère  des  dieux)  :  Nullasdam  in  Asia  civilates  socias  habebat 
populus  romanus;  /.amen  memores  JEsculapiam  quoque  ex  Grsecia  quondam, 
haudduyn  ullo  fœdere  sociata,  valetudinis  populi  causa  arcessitum. 

•2.  D'après  Heroxdas,  II,  97,  le  culte  d'Asklépios  serait  venu  directement  et 
très  anciennement  de  Tricca  à  Cos  : 

XtoffxÀriiTtoç  Kw;  r,X6£v  £v6à8'è-/t  TptV.xrj;. 

3.  Palsax.,  II,  26,  8-9  :  MapTyps?  Ss  (xot  xal  t65£  âv  'EmSa-jpM  tÔv  Osov  y£v£(T8at 
'fà  yàp  'Aa~/.).r|7T['£ta  E-jpiV/.o)  zh.  ÈTttyavéataTa  à?  'ETTiSaûpo-j. 

4.  Voir  Thr.kmer,  dans  la  Real  Encyclopàdie  de  Pauly-Wissowa,  article 
Asklépios,  t.  II,  2,  p.  1650-1651;  il  complète  les  indications  de  Pausanias  à 
l'aide  de  celles  qui  sont  données  surtout  par  Julian.,  Adv.  christ. 

5.  JcLiAx.,  Adv.  christ,  (éd.  Neumann),  p.  198  :  'H)>8cv  Et;  nÉpyaiiov,  el; 
'Iwvc'av,  £Î;  TipavTa,  [lî-rà  ■ïa-jT''j(7T£pov  f,X9£v  Et;  ttjv  'Pwjxriv. 


^S4  LE    SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

Tite-Live.  —  Le  livre  où  Tite-Live  racontait  le  voyage  et  le 
retour  des  ambassadeurs  romains  est  malheureusement  perdu. 
On  sait  par  les  dernières  lignes  du  livre  X  qu'en  461/293,  pen- 
dant une  nouvelle  épidémie  de  peste,  les  oracles  Sibyllins  invi- 
tèrent les  Romains  à  faire  venir  d'Epidaure  le  dieu  grec  Escu- 
lape  pour  qu'il  leur  rendit  la  santé.  On  était  alors  au  plus  fort 
de  la  ti-oisième  guerre  samnite.  On  célébra  simplement  une 
supplicatio  d'un  jour,  et  l'envoi  d'une  mission  en  Grèce  pour 
consulter  le  dieu  dans  son  temple  le  plus  fameux  fut  remis  à 
plus  tard*.  —  Nous  ne  connaissons  le  livre  XI  que  par  un 
bref  Epi  tome  ;  l'ambassade  y  est  très  sommairement  rappelée. 
La  peste  n'ayant  pas  cessé,  des  ambassadeurs  se  rendirent  à 
Epidaure  pour  en  ramener  l'emblème  d'EscuJape,  sig?wm 
jEaciilapii  ;  le  serpent,  dans  lequel  résidait  la  divinité,  monta 
de  lui-même  sur  leur  vaisseau  ;  arrivé  devant  Rome,  il  se  ren- 
dit dans  l'île  tibérine,  où  l'on  éleva  ensmte  un  temple -. 

Valère  Maxime.  —  A'alère  Maxime  entre  dans  plus  de  détails 
que  l'auteur  anonyme  de  XEpitome^.  Il  s'est  inspiré  certaine- 


1.  Liv.,  X,  47,  cité  plus  haut,  p.  149. 

2.  Liv.,  XI,  Epit.  :  Cum  peslilentia  civilas  laboraret,  missi  legati  ut 
Msculapii  signum  Romam  ab  Epidauro  Iransferrenl  anguem,  qui  se  in  navem 
eorutn  conluleral,  in  quo  ipsum  numen  esse  constatât,  deportaverutit;  eoque 
in  insulam  Tiberis  egresso,  eodem  loco  aedes  JEsculapio  constiluta  est. 

3.  Val.  Max.,  I,  8,  2  :  Sed  ut  cetevorum  quoque  deorum  propensum  huic  urbi 
numen  exsequamuv,  triennio  continua  vexata  peslilentia  civilas  nostra,  cum 
finem  tanti  et  tam  diutini  malt  neque  divina  misericordia  neque  humano 
auxilio  imponi  viderai,  cura  sacerdotum  inspeclis  Sibyllinis  libi'is  animadver- 
tit  non  aliter  pristinam  recuperari  salubritatem  passe  quam  si  ab  Epidauro 
jEsculapius  esset  arcessitus.  Itaque  eo  legatis  niissis  unicam  fatalis  remedii 
opem  auctoritate  sua,  quœ  jam  in  terris  erat  amplissima,  impetraturam  se 
credidit.  Seque  eam  apinio  decepit.  Pari  namque  studio  petitum  ac  promis- 
sum  est  prsesidium,  e  vestigioque  Epidauri  Romanarum  legalas  in  templum 
Aisculapii,  quod  ab  earum  urhe  V  passuum  distal,  perduclos  ut  quidquid  inde 
salubre  palriae  laluros  se  existimassenl  pro  sua  jure  sumerenl  benignissime 
invilaverunl.  Quorum  tam  promptam  indulgenliam  numen  ipsius  dei  subsecu- 
tum  verba  morlalium  cxlesli  obsequio  comprobavit  :  si  quidem  is  anguis,  quem 
Epidauri  raro  sed  nunquam  sine  inagno  ipsorum  bono  visum  in  modum  Aiscu- 
lapii  venerati  fuerunt,  per  urbis  celeberrimas  partes  milibus  oculis  et  leni 
traclu  labi  cœpil,  triduoque  interreligiosam  omnium  admiralionem  conspectus 
haud  dubiam  prae  se  adpelitae  clarioris  sedis  alacritatem  ferens,  ad  triremem 
romanam  perrexit,  paventibusque  inusitato  speclaculo  naulis  eo  conscendil,ubi 
Q.  Ogulni  legati  tabernaculum  erat,  inque  mulliplicem  orbem  per  summam 
quietem  est  convolutus.  Tum  legati  perinde  algue  exoplalae  rei  compotes 
expleta  gratiarum  aclione  culluque  anguis  a  perilis  exceplo,  Iseli  inde  solve- 
runl,  ac  prosperam  emensi  navigatiunem  postquam  Antium  appulerunt, 
anguis,  qui  ubique  in  navigio  remanserat,  prolapsus  in  veslibulo  sais  Aiscu- 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaerr  155 

ment  du  livre  perdu  de  Ïite-Live  ou  des  sources  utilisées  par 
celui-ci  pour  le  rédiger.  I^a  peste,  dit-il,  durait  déjà  depuis 
trois  ans  lorsqu'on  eut  recours  aux  Livres  Sibyllins.  Il  ne 
parle  pas  de  Toracle  rendu  par  les  Livres  dès  le  début  de  l'épi- 
démie ni  de  la  supplicatio  adressée  alors  à  Esculape.  Mais 
cette  omission  s'explique  sans  peine  et  ne  permet  nullement 
de  contester  les  assertions  de  Tite-Live.  L'ouvrage  de  Valère 
Maxime  n'est  pas  une  histoire  suivie,  renfermant  un  exposé 
complet  par  ordre  chronologique  ;  c'est  un  recueil  d'anecdotes 
groupées  d'après  leur  nature  sous  certaines  rubriques  géné- 
rales :  de  religione,  de  patientia,  etc.  Yalère  Maxime  s'est 
proposé  ici,  il  le  déclare  lui-même,  de  faire  connaître  à  ses 
lecteurs  les  témoignages  de  particulière  bienveillance  prodi- 
gués par  les  dieux  aux  Romains  ;  la  venue  miraculeuse  du  ser- 
pent d'Esculape  l'intéresse  seule  ;  il  avait  le  droit  de  ne  pas 
tenir  compte  des  dernières  lignes  du  livre  X  de  Tite-Live,  En 
revanche,  il  ajoute  au  sommaire  du  livre  XI  quelques  indica- 
tions précieuses.  Il  insiste  sur  l'accueil  favorable  que  les  habi- 
tants d'Epidaure  firent  aux  envoyés  romains.  Ils  les  condui- 
sirent sans  délai  au  temple  d'Esculape,  situé  à  cinq  milles  de 
leur  ville  ' ,  et  les  invitèrent  à  prendre  dans  le  sanctuaire  tout  ce 
qui  pourrait  servir  au  salut  de  Rome.  Le  dieu  ne  se  montra 
pas  moins  bien  disposé  que  les  hommes.  Le  serpent  sacré,  en 
qui  les  Epidauriens  adoraient  Esculape  lui-même  et  qui  leur 
apparaissait  à  de  rares  intervalles  comme  un  signe  d'heu- 
reux présage,  sortit  du  temple  et  parcourut  la  ville  pendant 
trois  jours.  Le  troisième  jour,  il  s'embarqua  sur  le  vais- 
seau des  ambassadeurs  et  pénétra  jusqu'à  la  chambre  de  l'un 
d'entre  eux,  Q.  Ogulnius,  où  il  se  roula  paisiblement  dans  un 
coin.  Les  Romains  le  reçurent  avec  joie  et  s'informèrent  auprès 
des  prêtres  du  culte  qu'il  fallait  lui  rendre.  Ils  mirent  en- 
suite à  la  voile.  La  traversée  se  poursuivit  sans  incident 
jusqu'à  Antium.  Il  y  avait  dans  cette  ville  un  temple  d'Escu- 
lape; le   serpent  y  descendit  et  resta  trois  jours  à  la   cime 

lapii  murlo  frequentibus  ramis  di/fusse  superimminentem  excelsœ  altitudinis 
palmam  circumdedit,  perque  très  dies,  posilis  quitus  vesci  solebai,  non  sine 
magno  metu  legatorum  ne  inde  in  triremem  reverti  nollet,  Antiensis  templi 
hospitio  usus,  urbi  se  nostrae  advehendum  restiluit,  atque,  in  ripam  Tiberis 
egi'essis  legatis,  in  insulam,  ubi  templum  dicatus  est,  tranavit,  adventuque  suo 
iempestatem,  oui  remedio  quassitus  eral,  dispulit. 

1.  Détail  donné  aussi  par  Pausan.,  II,  27  et  par  Liv.,  XLV,  28.  Les  fouilles 
récentes  d'Epidaure  l'ont  confirmé. 


156  LE  SANCTDAIRE  D  ESCULAPE 

(l'un  palmier,  auprès  d'un  myrte  touffu.  Il  reprit  ensuite  sa 
place  sur  le  navire.  A  peine  les  ambassadeurs  eurent-ils  dé- 
barqué à  Rome  qu'il  traversa  le  Tibre  pour  gagner  l'île.  Son 
airivée  mit  fin  au  fléau. 

Aurelius  Victor,  Orose,  etc.  —  Les  quelques  lignes  qu'Aure- 
lius  Victor  a  consacrées  à  la  fondation  du  temple  d'Esculapo 
nous  apprennent  que  les  ambassadeurs  romains  étaient  au 
nombre  de  dix,  détail  que  Valère  Maxime,  avait  omis  de 
nous  transmettre'.  De  même  que  Valère  Maxime,  Aurelius 
Victor,  nomme  l'un  de  ces  ambassadeurs,  Ogulnius,  qui  serait 
d'après  lui  le  chef  de  la  mission-;  il  rappelle  aussi  le  séjour 
qu'aurait  fait  le  serpent  sacré  dans  le  temple  d'Esculape  à 
Antium. 

D'après  Orose,  les  ambassadeurs  ramenèrent  à  Rome  avec 
le  serpent  une  pierre,  emblème  du  dieu"'.  Il  est  seul  à  parler 
de  ce  lapis  .^sculapi.  On  sait  que  les  Romains  adoraient  au 
Palatin,  dans  le  sanctuaire  de  Cybèle,  la  pierre  noire  de  Pessi- 
nonte.  Nulle  part  il  n'est  question  d'une  pierre  d'Epidaure 
conservée  dans  l'île  tibérine.  Il  n'est  pas  vraisemblable  qu'il 
faille  voir  en  ces  mots  d'Orose  une  allusion  à  Vomphaloa, 
attribut  d'Esculape  aussi  bien  que  d'Apollon'*.  Preller  estime 
que  le  texte  est  corrompu,  .^sculapi  lapide  serait  une 
dittographie  ;  il  faudrait  effacer  lapide;  il  y  aurait  eu  primi- 


1.  AuREL.  VicT.,  de  Vir.  illuslv.,  22  :  Romani  ob  pestilentiam,  responso  mo- 
nente,  ad  Aisculapium  Epidauro  avcessendum  decem  legnfos,  principe  Q.  Ogul- 
nio,  7niserunl.  Qui  cum  eu  veniasent,  et  simulacrum  ingens  mirarenlur,  anguis  e 
sedibus  ejus  elnpmis.  venerabilis  non  horribilis,  per  mediam  urùem  cum  admi- 
rai ione  omnium  ad  navem  romanam  perrejit,  et  se  in  Ogulnii  labevnaculo  cons- 
piraoit.  Legnti  detim  veUenles  Antium  pervecli  sunt.  Ubi  per  malaciam  maris 
anguis  proximum  Aisculapii  fanum  pet  Ht  et  per  paucos  dies  ad  navem  rediil  : 
et  cum  adverso  Tiberi  subre/ierelur  in  proximam  insnlatn  desiluil  :  ubi  lem- 
plum  ei  constilutum  et  pestilentia  mira  celeritate  sedata  est 

2.  SciiLUETEH  {op.  cit.,  p.  6)  sc  demande  pourquoi  les  modernes  considèrent 
Ogulnius  comme  le  chef  de  la  mission.  Ils  y  sont  autorisés' par  le  texte  for- 
mel «lu  de  Viris  illtistribus. 

3.  Ohos  .,  III,  22  :  Sam  tanta  ac  lam  intolerabilis  pestilentia  lune  corripuil 
civilalemul  propter  eam  qiiacumque  ratione  sedandam  libros  Sibgllinos  consu- 
lendos  pularint  horrendumque  illum  colubrum  cum  ipso  Msculapi  lapide 
advexerint  :  quasi  vero  pestilentia  aut  ante  sedata  non  sil  aul  post  orla  non 
fueril. 

4.  L'omphalos  est  figuré  à  côté  d'Esculape  sur  la  statue  du  musée  de 
Naples,  trouvée  dans  l'île  tibérine;  voir  plus  loin,  p.  t93.  Peut-être  est-il 
représenté  aussi  sur  certaines  monnaies  des  génies  Rubria  et  Eppia  ;  voir 
plus  loin,  p.  163. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  157 

tivement  :  coliibrvm  cmn  ij)so  J^sculapio  advexerint*.  Une 
autre  correction,  qui  ne  supprime  aucun  mot,  pourrait  être 
aussi  proposée.  On  lit  dans  VEpitome  du  livre  XI  de  Tite- 
Live  :  angiiem...  in  quo  Ipsum  numen  esse  constabat.  Orose 
n'aurait-il  pas  écrit  :  colubrum  ciim  ipso  /Esculapi  numine? 
La  substitution  de  lapide  à  numine^  s'explique  par  le  voisinage 
des  dernières  syllabes  à\^scuiapi.  En  tout  cas,  le  texte  des 
manuscrits  ne  saurait  être  maintenu;  le  lapis  A^scidapi  n'a 
pas  existé. 

Strabon  nomme  Asklépios  parmi  les  dieux  étrangers  accueillis 
et  adoptés  par  les  Romains  :  ils  ont  été  chercher  à  Pessinonte 
la  Mère  des  dieux,  de  même  qu'ils  avaient  été  chercher  à  Epi- 
daure  Asklépios-.  Pline  l'Ancien  rappelle  d'un  mot  l'arrivée  à 
Rome  du  serpent  épidaurien-^  Glaudien^,  saint  Augustin'*, 
Lactance*^,  Arnobe'^,  font  allusion  à  l'événement.  D'aucun  de 
ces  textes  il  n'y  a  rien  à  tirer  pour  compléter  Valère  Maxime 
et  suppléer  aux  lacunes  de  Tite-Live. 

Ovide.  —  Ovide,  au  contraire,  a  longuement  raconté  la  mé- 
tamorphose d'Esculape  en  serpent  et  sa  venue  par  mer  d'Epi- 


1.  Pkeller,  der  Stein  des  jEsculap,  dans  VArchaolog.  Zeit.  de  1858,  réim- 
primé dans  ses  Ausgewàhlte  Aufsàtze,  Berlin,  1864,  p.  308. 

2.  Strabo,  XII,  p.  567  ;  les  Romains  ont  fait  venir  d'Asie  l'emblème  de  la 
Magna  Mater,  sur  l'ordre  donné  par  les  Livres  Sibyllins,  comme  ils  avaient 
fait  venir  d'Epidaure  l'emblème  d'Esculape  :  'Açi'6py|j,a  evÔEvos  t?,;  Ôeo-j  [j.£Tair£|x- 
4'<i(A£voi  y-a-rà  to-j;  xf,;  Stêû/Xr);  xpr|iT[xo'j;  xaOâuep  xal  toû  'A(TxXr|7:io-j  to-j  sv 
'ETTtôa-jpw. 

3.  Plin.,  liist.  nat.,  XXIX,  4,  (22)  :  Anguis  JEsculapius  Epidauro  Romam 
adveclus  est. 

4.  Claudian.,  in  Stilichon.,  111,  170  : 

Hue  depulsurus  Korbos  Epidaiirius  hospes 
Reptavit  placido  tractu  vectumquu  per  undas 
Insuia  pseonium  lexit  Tiberina  draconem. 

5.  AuGUST.,  de  Civ.  Del,  III,  12  :  JEsculapiiLS  autem  ab  Epidauro  ambivit  ad 
Romam,  ut  perifissimus  medicus  in  urbe  nobilissima  artem  gloriosus  exerceret; 
111,  17  :  Vel  quando  item  alia  intolerabili  pestilentia  JEsculàpium  ab  Epidauro 
quasi  mediciim  deum  Roma  advocare  atque  alque  adfiibere  compulsa  est,  etc.  ; 
X,  16  ;  Epidaurius  serpens  Msculapio  naviganti  Romam  cames  ad/iœsit. 

6.  Lactaxt.,  Divin.  Inslit.,  II,  8  :  Illud  œque  mirum  quod  lue  saevienle  ^scu- 
lapius  Epidauro  accitus  urbem  Romain  diulurna  pestilentia  libérasse  per- 
hibetur. 

7.  Arnob.,  VII,  41-45  :  Longue  argumentation  pour  démontrer  que  le  ser- 
pent d'Esculape  ramené  d'Epidaure  ne  peut  être  divin  :  Msculapius,  inquilis, 
Epidauro  bonis  deus  valeludinibus  prassidens  et  tiberina  in  insuia  constitu- 
tus,  etc. 


158  LE    SANCTUAIRE    D  ESCLLAPK 

daure  à  Rome'.  Il  nous  donne  la  version  poétique  de  Tépisode 
dont  nous  avons  par  Tite-Live  et  Valère  Maxime  l'attestation 
historique.  Il  décrit  d'abord  répidémio  de  peste  et  les  maux 
qu'elle  a  déchainés  sur  Rome.  Il  ne  dit  pas  qu'on  ait  consulté 
les  Livres  Sibyllins.  Une  ambassade  serait  allée  à  Delphes 
même  interroger  Apollon'.  Le  dieu  déclara  que  ce  n'était  pas 
à  lui  mais  k  son  fils  Esculape  de  faire  cesser  le  lléau^.  Dès  que 
cette  réponse  est  apportée  au  sénat,  il  s'enquiert  du  lieu 
qu'habite  le  fils  d'Apollon,  et  de  nouveaux  ambassadeurs  font 
voile  vers  Epidaure.  Les  Romains  aussitôt  débarqués  demandent 
aux  Grecs  qu'on  leur  permette  d'emmener  le  dieu  qui  doit 
sauver  leur  patrie;  quelques  Epidauriens  y  consentent,  d'autres 
s'y  refusent.  Dans  la  nuit  Esculape  apparaît  en  songe  aux 
envoyés,  «  tel  qu'on  le  voit  dans  son  temple,  tenant  de  sa  main 
gauche  un  bâton  noueux  et  de  la  droite  caressant  sa  longue 
barbe''  ».  Il  leur  annonce  qu'il  les  accompagnera  jusqu'à  Rome 
sous  la  forme  d'un  serpent.  Le  lendemain,  en  effet,  le  serpent 
sacré  sort  du  sanctuaire  ;  il  se  dirige  vers  la  côte,  détournant 
la  tète  pour  voir  une  dernière  fois  son  habituelle  demeure  ;  il 
traverse  la  ville  et   monte  sur  le   navire  romain^.  Le  poète 

1.  OviD.,  Melam.,  XV,  622-743. 

2.  OviD.,  loc.  cit.,  630  : 

Auxilium  cœlestc  petunt  mediaraque  tcnenlcs 
Orbis  humum  Oclphos  adeuut,  oracula  Phœbi. 

3.  OviD.,  loc.  cit.,  637  : 

Quod  pctis  hinc,  propiore  loco,  Romane,  pelisses  ; 
Et  pete  nunc  propiore  loco  :  nec  Appoline  vobis, 
Qui  micuat  luctus,  opus  est,  sed  Appolline  nato. 
Ile  bonis  avibuE  prolemque  accersite  noslram. 

Le  sens  des  mots  propiore  loco  a  embarrassé  les  commentateurs  d'Ovide. 
Veulent-ils  dire  qu'il  faut  s'adresser  aux  dieux  en  un  endroit  plus  proche? 
Mais  Epidaure  est  plus  loin  de  Rome  que  Delphes.  Ovide  aurait-il  confondu 
Epidaure  d'Illyrie  avec  Epidaure  du  Péloponèse?  Ou  bien  ce  propior  lociift  ne 
serait-il  pas  Rome  même,  où  sont  déposés  les  oracles  Sibyllins  ?  Withof  pro- 
posait (le  corriger  le  texte  et  de  lire  :  properans  alto  (Ed.  Bach.,  Hanovre, 
1836).  Le  plus  simple  serait  de  traduire  propiore  loco  par  les  mots  :  en  un 
endroit  plus  convenable,  et  non  plus  proche.  Propior  a  quehfuefois  ce  sens  : 
Cic,  ad.  Atlic,  XIV,  19  :  alium  porlum  propiorem  Unie  œlali  videhamics. 

4.  Ovi».,  loc,  cit.,  653. 

Cum  di'us  in  somnis  opifer  consistere  visus 
Anle  luum.  Romane,  torum,  sed  qiialis  in  a;de 
Esse  solel  ;  baculumqiie  lenens  agreste  sinistra 
Ccsariem  ioDgx  dextra  dcducere  barbe. 

ij.  OviD.,  loc.  cit.,  685. 

Tum  gradibus  nilidis  deliibilur,  oraqiio  relro 
Flectil  el  anliquas  abiturus  respicil  aras, 
Assuelasquc  domos  babilalaquc  templa  salutat. 


L  ARRIVÉE    DU    SERPENT    D  ÉPIDAURE  15Ô 

s'attarde  au  récit  de  la  traversée;  il  décrit  tous  les  points  de 
la  côte  italienne  devant  lesquels  passent  l'ambassade  et  le  dieu 
qu'elle  ramène  :  «  Un  vent  léger  enfle  la  voile.  Le  dieu  se 
redresse,  et,  la  tête  posée  sur  la  poupe,  il  contemple  les  flots 
azurés.  Le  vaisseau  traverse  heureusement  la  mer  ionienne  ; 
au  lever  de  la  sixième  aurore  il  découvre  l'Italie.  Il  dépasse 
le  promontoire  où  s'élève  le  temple  de  Junon  Lacinienne,  les 
rivages  de  Scy lacée  et  ceux  d'Apulie.  A  force  de  rames  il 
évite  à  gauche  les  rochers  d'Amphise,  à  droite  les  bords 
escarpés  de  Céraunie.  Il  côtoie  Romethium,  Caulon  et  Narjcie, 
franchit  le  détroit  et  double  le  cap  de  Pélore.  Il  laisse  derrière 
lui  les  îles  d'Eole,  les  mines  de  Témèse,  Leucosie,  Pœstum  au 
doux  climat.  De  là  il  gagne  Caprée,  le  promontoire  de  Mi- 
nerve, les  collines  de  Sorrente  fertiles  en  vin  généreux,  la 
ville  d'Hercule,  Stables,  l'oisive  et  indolente  Parthénope  et  le 
temple  de  la  Sibylle  de  Cumes.  Il  aperçoit  tour  à  tour  Baies 
aux  sources  d'eau  thermale,  Literne  et  ses  champs  couverts 
de  lentisques,  le  Vulturne  et  ses  eaux  chargées  de  sable, 
Sinuessa  où  l'on  voit  tant  de  blanches  colombes,  les  bords 
funestes  de  Minturne,  Careta,  où  Enée  ensevelit  sa  nourrice, 
Formium,  la  ville  d'Antiphate,  le  marais  d'Anxur,  la  terre  de 
Circé,  et  le  solide  rivage  d'Antium^  »  La  mer  devenant  mena- 
çante, les  Romains  s'arrêtent  à  Antium;  le  serpent  descend 
sur  le  rivage;  il  se  réfugie  dans  le  temple  d'Apollon  jusqu'à 
ce  que  les  flots  se  soient  apaisés,  puis  il  se  rembarque  ^  A 
l'embouchure  du  Tibre  les  prêtres  et  les  fidèles  sont  accourus 
en  foule  au-devant  du  dieu  ;  le  navire  remonte  rapidement  le 
fleuve,  u  Enfin  l'on  est  arrivé  à  la  capitale  du  monde;  le  ser- 
pent s'élève  à  la  pointe  du  mât,  il  agite  sa  tête  et  regarde 
autour  de  lui  quel  lieu  il  doit  choisir  pour  sa  résidence.  Le 
Tibre  dans  son  cours  se  partage  en  deux  bras  de  largeur  égale, 
qui  environnent  de  leurs  eaux  une  île  à  laquelle  le  fleuve  a 


1.  OviD.,  loc.  cit.,  697-718. 

2.  OviD.,  loc.  cit.,  719  : 

Hue  ubi  veliferam  nautae  advertere  carinara  — 
Aspcr  enim  jam  ponlus  crat  —  deus  explicat  orbes, 
Perque  sinus  crebros  et  magna  volumina  labens 
Tcmpla  parenlis  iuil  flavum  tangentia  litus 
iEquore  pacato  patrias  Epidaurius  aras 
Linguit,  et,  hospitio  juncti  sibi  numinis  usus, 
Litorcam  tractu  squamae  crt-pilantis  harenam 
Suleat.,. 


160  LE  SANCTUAIRE   D  ESCULAPE 

donné  son  nom.  C'est  là  qu'en  sortant  du  vaisseau   le  serpent 
se  retire*.  »  La  peste  aussitôt  disparaît*. 

Ovide  comparé  aux  textes  historiques.  —  Ce  passage  des 
Métamorphoses^  malgré  ral)ondaiice  des  développements,  a 
moins  d'intérêt  pour  l'historien  que  la  seule  page  de  Valère 
Maxime  ou  les  quelques  lignes  de  Tite-Live.  Les  vers  d'Ovide 
sont  agréables  et  amusants.  Sa  narration  est  toujours  animée, 
vivante,  pittoresque.  Bien  des  détails  arrêtent  l'attention  du 
lecteur  et  lui  plaisent.  Le  dieu  de  la  médecine  apparaît  en 
songe  aux  ambassadeurs  romains  ;  le  poète  nous  fait  son  por- 
trait et  caractérise  en  deux  mots  l'un  des  types  classiques 
d'Esculape  dans  la  sculpture  gréco-romaine  3.  Le  navire  qui 
porte  le  serpent  divin  longe  le  littoral  de  l'Italie  ;  Ovide 
aussitôt  nomme  les  caps,  les  golfes,  les  villes,  les  temples 
qu'il  découvre  tour  à  tour,  dépeint  sommairement  leur  situa- 
tion ou  leur  aspect,  évoque  les  souvenirs  mythologiques  qui 
s'y  rattachent.  Esculape  et  les  arabassadem's  arrivent  à  Rome, 
en  face  de  l'île  tibérine  ;  celle-ci  à  son  tour  nous  est  présentée  ; 
le  serpent  dresse  la  tête,  il  cherche  un  endroit  favorable  où  se 

1.  OviD.,  loc.  cit.,  736  : 

Jamquu  caput  rerum  Komanam  inlravorat  urbcm  : 
Erigitur  serpens,  summoque  cacumine  malo 
Colla  movfl,  eedcsque  sibi  circumspicit  aptas. 
Scinditur  in  g-eminas  partes  circumnuus  amnis, 
Insula  nomcn  habet,  iateruinque  c  parte  duorum 
Porrigit  «equalcs  mc-dia  li-llurc  laocrtos. 
Hue  se  de  Lalia  pinu  Phœbeius  anguis 
i^ontulit  et  fliiem  specie  cirleste  resumpta 
Luctibus  imposuil  venitque  salutifer  Urbis. 

2.  Ovide  a  raconté  ailleurs  (Ovid.,  Fast.,  IV,  24:)-348j  l'arrivée  de  la  Magna 
Mater  à  Uome.  Cet  épisode  des  Fastes  doit  être  rapproché  de  celui  des  Méta- 
morphoses que  l'on  vient  de  citer.  Les  points  de  ressemblance  sont  nombreux. 
La  marche  des  deux  récits  est  la  môme,  et  le  même  esprit  les  inspire.  Comme 
pour  Esculape,  ce  sont  les  Livres  Sibyllins  qui  conseillent  d'aller  chercher  la 
Magna  Mater;  l'oracle  est  obscur;  il  faut  le  faire  expliquer  par  Pœan.  Attale, 
roi  de  Phrygie,  refuse  de  laisser  partir  la  déesse;  elle  manifeste  elle-même  sa 
volonté  ;  elle  doit  aller  à  Rome  : 

Digna  Roma  locus  qtio  deus  omnis  eat. 

Ainsi  Esculape  s'était  embarqué  spontanément  sur  la  trirème  d'Ogulnius. 
Ovide  décrit  les  pays  que  longe  le  navire  ;  il  insiste  sur  les  régions  du  bassin 
oriental  de  la  .Méditerranée  ;  viennent  ensuite  la  Sardaigne,  l'Ausonie,  le  Tibre  : 
le  voyage  de  la  Magna  Mater  fait  pendant  au  voyage  d'Esculape.  Enfin  l'arri- 
vée delà  déesse  à  Rome,  est  marquée,  elle  aussi,  par  un  prodige  :  le  vaisseau 
s'arrête;  on  essaie  en  vain  de  lui  faire  remonter  le  Tibre;  il  faut  une  main 
pure  pour  l'attirer  vers  la  cité  ;  la  vestale  Quinta  Claudia,  que  l'on  soupçonnait 
injustement,  opère  ce  miracle,  qui  fait  éclater  son  innocence. 

3.  Voir  plus  loin,  p.  195. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  161 

fixer,  il  aperçoit  enfin  cet  abri  au  milieu  des  eaux.  On  admire 
la  souplesse  ingénieuse  du  talent  d'Ovide.  Il  se  joue  des 
légendes;  comme  la  plupart  des  esprits  cultivés  de  Rome  au 
temps  d'Auguste,  il  se  plaît  à  les  répéter,  sans  y  croire  lui- 
même;  il  prend  prétexte  des  vieilles  traditions  religieuses  pour 
donner  libre  carrière  à  sa  verve  facile.  Mais  qu'on  n'attende 
pas  de  lui  des  renseignements  très  précis  sur  les  faits  histo- 
riques qu'il  interprète  !  11  ne  se  pique  pas  de  rester  scrupuleu- 
sement fidèle  à  ses  sources.  Il  transforme  les  données  tradition- 
nelles au  gré  de  son  imagination.  Ses  brillantes  amplifications 
n'ajoutent  nullement  à  nos  connaissances. 

C'est  grâce  à  Valère  Maxime  et  à  AureHus  Victor  que  le 
nom  d'un  des  ambassadeurs  nous  est  parvenu.  Ovide  ne  le  cite 
pas.  Valère  Maxime  assure  que  les  habitants  d'Epidaure  firent 
bon  accueil  aux  envoyés  romains  et  s'empressèrent  d'accéder 
à  leurs  demandes  ;  l'attitude  qu'il  leur  prête  est  naturelle  et 
plausible  ;  les  Grecs  ne  devaient-ils  pas  être  flattés  de  voir 
les  étrangers  recourir  à  leurs  divinités  nationales?  Ovide,  au 
contraire,  les  montre  hésitants,  divisés,  n'osant  rejeter  la 
prière  des  ambassadeurs,  se  refusant  néanmoins  à  laisser  partir 
le  dieu  protecteur  de  la  cité  :  pur  artifice  du  poète  afin  d'avi- 
ver l'intérêt  et  de  donner  au  dieu  l'occasion  de  se  prononcer 
lui-même  avec  éclat  pour  les  Romains.  Ovide  et  Valère  Maxime 
rapportent  également  que  le  navire,  au  retour,  s'arrêta  devant 
Antium  et  que  le  serpent  sacré  descendit  quelque  temps  sur  le 
rivage  ;  le  temple  où  il  passa  plusieurs  jours  serait  d'après  le 
premier  celui  d'Apollon,  d'après  le  second  celui  d'Esculape. 
Aurelius  Victor  partage  ce  dernier  avis.  Le  témoignage  de  ce 
tardif  compilateur  n'est  pas  sans  valeur;  il  tient  de  Tite-Live, 
et  non  de  Valère  Maxime,  l'indication  du  nombre  des  ambas- 
sadeurs romains,  que  ne  donne  pas  celui-ci.  L'accord  de  Valère 
Maxime  et  d' Aurelius  Victor  nous  est  une  preuve  que,  d'après 
la  tradition  primitive,  c'est  bien  dans  un  temple  d'Esculape  à 
Antium  qu'aurait  séjourné  le  serpent.  Ovide  a  substitué  le  nom 
d'Apollon  à  celui  d'Esculape.  On  devine  la  raison  de  ce  chan- 
gement. Ovide  est  un  raisonneur;  il  ne  lui  semble  pas  que  le 
culte  d'Esculape  ait  pu  s'établir  à  Antium  avant  d'être  apporté 
à  Rome;  d'ailleurs,  si  le  dieu  de  la  médecine  avait  eu  déjà 
un  temple  à  Antium,  les  Romains  seraient-ils  allés  jusqu'à 
Epidaure  implorer  son  intercession?  Pour  rendre  son  récit 
moins    invraisemblable,    le    poète   n'a   pas    hésité  à   rempla- 

11 


I6â  LE   SANCTUAIRE   D  ESCLLAPK 

cer  Esculape  par  un  dieu  qui  avait  avec  lui  d'étroits  rapports, 
mais  qui  s'était  introduit  plus  anciennement  en  Italie,  Apollon. 
Ce  n'est  pas  seulement  à  ce  propos  qu'Ovide  s'écarte  des 
textes  historiques.  Il  leur  fait  une  autre  infidélité,  et  plus  grave. 
Il  ne  parle  pas  des  Livres  Sibyllins.  Tite-Live,  Valère  Maxime, 
Orose'  soutiennent  que  les  Romains  allèrent  consulter  Asklé- 
pios  à  Epidaure  pour  se  conformer  aux  injonctions  do  cet 
antique  oracle.  Ovide,  sans  rien  dire  des  Livres,  prétend  qu'ils 
envoyèrent  à  Delphes  interroger  Apollon  et  que  le  dieu  leur 
conseilla  lui-même  de  recourir  àAsklépios.  Ce  sont  les  histo- 
riens qu'il  faut  croire  de  préférence.  Il  n'est  pas  admissible 
que  les  Romains,  pendant  cette  épidémie  de  peste,  aient  négligé 
d'ouvrir  les  Livres  Sibyllins  auxquels  ils  ne  manquaient  jamais 
de  s'adresser  en  pareil  cas-,  ni  qu'ils  aient  envoyé  successive- 
ment pour  le  même  objet  deux  ambassades  en  Grèce.  Ovide 
aura  fait  quelque  confusion.  Il  s'est  inspiré  des  annalistes  de 
l'époque  antérieure  et  leur  doit  la  substance  des  faits  qu'il 
expose;  dans  l'ouvrage  dont  il  s'est  servi,  il  était  dit  sans  doute, 
sous  une  forme  concise  et  ambiguë,  que  les  Romains,  obéissant 
aux  ordres  d'Apollon,  se  rendirent  à  Epidaure  pour  implorer 
Asklcpios  ;  l'auteur  entendait  faire  allusion  par  là  aux  Livres 
Sibyllins  ;  les  Sibylles  passaient  pour  les  prêtresses  d'Apollon 
et  leurs  livres  pour  un  présent  du  dieu^.  Ovide  comprit,  au 
contraire,  qu'on  avait  été  chercher  jusqu'à  Delphes  l'avis 
d'Apollon.  Il  convient  d'ajouter  que  le  souvenir  des  événements 
de  550/204  a  pu  contribuer  encore  à  le  tromper  ;  l'ambassade 
qui  fut  envoyée  à  Pessinonte  pour  en  ramener  la  Mère  des  dieux 
fit  halte  d'abord  à  Delphes ^  Mais  la  situation  était  toute  autre 
alors  qu'elle  aurait  été  d'après  Ovide  en  463/291  :  on  avait 
eu  recours  aux  Livres  Sibyllins  ;  on  savait  par  eux  que  la  Grande 
Déesse  de  Pessinonte  apporterait  à  Rome  le  salut  :  les  mêmes 
ambassadeurs  allèrent  de  Rome  à  Delphes  et  de  Delphes  à  Pessi- 


1.  AuKEL.  VicT.  {loc.  cil.)  dit  simplement  qu'on  envoya  des  ambassadeuis  à 
Epidaure,  responso  monenle ;  ces  mots  pourraient  s'appliquer  aussi  bien  à  un 
oracle  delphique  qu'aux  Livres  Sibyllins.  Mais  l'accord  des  autres  témoignages 
historiques  surfit  à  prouver  que  la  seconde  interprétation  est  seule  légitime. 

2.  Cf.  plus  haut,  p.  145. 

3.  Vekoii..,  JEn.,  VI,  33  :  Phœbi  Triviœque  sacerdos ;  —  Sekvius,  ad  JEn.,  III, 
332  :  Sibylla  Apollinis  votes. 

4.  Liv.,  XXIX,  11  :  Legali  Asiam  pelenles  prolinus  Delphos  cum  escendissent 
oraculum.  adieruni,  consiileiiles,  ad  quod  negotium  domo  înissi  e.isenf,  perfi- 
ciendi  ejus,  quam  sihi  spem  populoqne  romano  porlenderel. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidalre  163 

nonte  ;  dès  le  début,  Pessinonte  était  le  but  final  de  leur  voyage 
et  si,  au  passage,  ils  s'arrêtèrent  à  Delphes  ce  fut  simplement 
pour  demander  à  Apollon  quel  accueil  leur  réservait  la  Magna 
Mate)',  et  s'ils  avaient  quelque  chance  de  réussir  dans  leur 
mission  près  d'elle.  Ovide  s'est  donc  mépris.  Les  cent  vingt 
vers  qu'il  a  consacrés  à  la  métamorphose  d'Esculape  en  ser- 
pent ne  nous  apportent  aucun  renseignement  nouveau  et  sûr. 
Quand  le  témoignage  du  poète  s'accorde  avec  celui  des  histo- 
riens, ceux-ci  ont  encore  l'avantage,  par  l'exactitude  plus 
grande  de  leurs  informations;  quand  il  le  contredit,  il  ne 
mérite  plus  aucune  créance. 

Appréciation  de  la  légende.  —  Si  l'on  s'en  tient  aux  faits  que 
relatent  Tite-Live  et  Valère  Maxime,  Aurelius  Victor  et  Orose, 
en  négligeant  les  inventions  et  les  fictions  d'Ovide,  il  faut  recon- 
naître que  le  récit  traditionnel  de  l'arrivée  d'Esculape  à  Rome 
présente  tous  les  caractères  de  l'authenticité.  Seuls  quelques 
détails  d'importance  secondaire  semblent  contestables.  L'événe- 
ment s'est  passé  à  une  époque  récente,  en  pleine  lumière;  la 
plupart  des  circonstances  qui  l'accompagnent  sont  tout  à  fait 
vraisemblables.  Niebuhr  a  raison  de  dire  que  cette  légende, 
malgré  son  apparence  merveilleuse,  ne  doit  pas  être  confondue 
avec  les  fables  des  premiers  siècles  de  l'histoire  romaine  ^ 

La  consultation  des  Livres  Sibyllins.  —  La  consultation  des 
Livres  Sibyllins  pendant  l'épidémie  de  461  /293  ne  nous  sur- 
prend point  :  chaque  fois  que  la  peste  éclatait  à  Rome  les  duumviri 
ou  decemviri  sacris  facmndis.  intervenaient  et  demandaient 
aux  Livres  de  leur  faire  connaître  un  moyen  d'écarter  le  fléau. 
11  n'est  pas  étonnant  que  l'oracle  ait  prescrit  en  461/293  de 
s'adresser  à  Asklépios.  Les  Livres  SibylHns,  grecs  eux-mêmes 
d'origine,  conseillaient  toujours  de  recourir  aux  dieux  grecs. 
En  des  occasions  analogues  ils  avaient  ordonné  de  dédier  un 
temple  à  Apollon  et  d'offrir  des  lectisternes  auxquels  prenaient 
part  les  grandes  divinités  helléniques.  11  ne  restait  plus  qu'une 
ressource  pour  conjurer  la  peste  ;  c'était  de  faire  appel  au  dieu 
de  la  médecine  et  de  la  guérison.  Les  Romains  étaient  prépa- 
rés à  recevoir  son  culte  et  devaient  l'accepter  aisément. 

L'ambassade  à  Epidaure.  —  Faut-il  révoquer  en  doute  l'envoi- 

1.  NiEBuiiH,  Hist.  rom.,  trad.  franc.,  Paris,  1830-1840,  t.  VI,  p.  123. 


164  LE   SANCTUAIRK  D  ESCL'LAPE 

crime  ambassade  au  sanctuaire  d'Epidaure?  M.  Pais,  qui  n'est 
pas  suspect  d'attacher  trop  de  prix  aux  traditions  légendaires,  s'y 
refuse  ^  Il  rappelle  que  dès  le  temps  de  Cyrus,  d'après  Hérodote, 
la  ville  d'Agylla,  Caire  en  Etrurie,  avait  fait  consulter  l'oracle 
de  Delphes'.  Tite-Live  raconte  qu'à  l'époque  royale  les  fils  de 
Tarquin  le  Superbe  interrogèrent  la  Pythie^,  et  qu'aux  débuts 
de  la  République  Camille  fit  déposer  dans  le  temple  d'Apollon 
delphique  la  dime  du  butin  conquis  à  Veies*.  Des  relations 
avaient  dû  s'établir  de  bonne  heure  entre  Rome  et  les  grands 
sanctuaires  de  la  Grèce,  partout  connus  et  vantés.  L'ambas- 
sade envoyée  à  Epidaure  n'était  pas  la  première  légation 
romaine  qui  se  rendit  hors  de  l'Italie  implorer. les  dieux  étran- 
gers. Elle  ne  devait  pas  être  la  dernière.  Après  la  bataille  de 
Cannes  en  538/216,  Fabius  Victor  fut  chargé  de  s'informer 
à  Delphes  des  prières  et  des  sacrifices  qui  pourraient  apaiser 
les  dieux  et  sauver  Rome^.  Après  les  premières  victoires  sur 
Asdrubal  M.  Pomponius  Matho  et  Q.  Catius  portèrent  à  Delphes 
une  partie  des  dépouilles  prises  aux  Carthaginois".  Quand 
s'introduisit  en  Italie  le  culte  de  la  Mère  des  dieux,  M.  Vale- 
rius  Laevinus,  M.  Caecilius  Metellus,  Ser.  Sulpicius  Galba,  Cn. 
Tremellius  Flaccus,  M.  Yalerius  Falto  allèrent  jusqu'en  Asie,  à 
Pessinonte,  chercher  la  pierre  noire  de  Cybèle'. 

Q.  Ogulnius.  —  Cinq  ambassadeurs  firent  en  350/204  le 
voyage  de  Pessinonte.  On  sait  par  Aurelius  Victor  que  la  mis- 
sion qui  ramena  d'Epidaure  le  serpent  sacré  se  composait  de 
dix  membres;  elle  était  dirigée  par  Q.  Ogulnius.  Valère 
Maxime  nomme  aussi  ce  personnage,  sans  dire  qu'il  fût  le  chef 
de  la  légation  ;  ce  fait  parait  ressortir  cependant  de  son  récit 
même.  C'est  dans  la  chambre  d'Ogulnius  que  le  serpent  s'était 
retiré  à  bord  du  navire  romain.  Le  nom  d'Ogulnius  est  peut- 
être  d'origine  étrusque^.  Plusieurs  membres  de  la  gens  plé- 
béienne Ogulnia  sont  mentionnés  dans  les  textes  littéraires  et 

1.  Pais,  Sloria  di  Homa,  t.  I,  2,  p.  29o  :  d'après  M.  Pais,  la  mention  d'une 
ambassade  envoyée  en  Grèce  à  cette  époque  n'a  rien  d'étrange. 

2.  Heuod.,  I,  167  :  Oî  6a  'Ay-jUatot  1;  AeXço-j;  e7:£(i7tov. 

3.  Liv.,  I,  56.  —  Cf.  Cic,  de  Rep.,  II,  24,  44;  —  Plin.,  llist.  nal.,  XV,  30(40). 

4.  Liv.,  V,  15  et  16;  21. 

5.  Liv.,  XXII,  57;  XXIII,  11. 

6.  Liv.,  XXVIII,  4o  ;  XXIX,  10. 

7.  Liv.,  XXIX,  11. 

8.  M.  Pais,  op.  cit.,  p.  294,  note  5,  renvoie  à  Pal'Li,  Corp.  Inscripl.  Elnisc, 
n*  2075,  inscription  de  ausium  (Chiusi)  :  L.  Varius  \  Oglinia  f.  (C.  I.  L.,  XI,  2479). 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  165 

épigraphiques  et  sur  les  monnaies  ^  Un  Q.  Ogulnius  fut  tribun 
de  la  plèbe  on  454/300  et  édile  curule  en  458/296,  les  deux 
fois  avec  son  frère  Cnaeus  pour  collègue  ~.  Pendant  leur  tribu- 
nat  les  Ogulnii  firent  passer  la  loi  célèbre  qui  porte  leur  nom, 
par  laquelle  les  plébéiens  étaient  admis  au  sacerdoce  comme 
les  patriciens  et  pouvaient  être,  comme  eux,  pontifes  et  au- 
gures ;  la  loi  Ogulnia  est  la  dernière  victoire  remportée  par 
la  plèbe  et  consacre  l'égalité  absolue  des  deux  ordres.  Pendant 
leur  édilité  les  deux  frères,  avec  le  produit  des  amendes  impo- 
sées aux  usuriers,  consacrèrent  à  Jupiter,  entre  autres  of- 
frandes, une  statue  et  un  quadrige  au  Capitole,  et  placèrent  au 
Forum,  près  du  figuier  Ruminai,  l'image  en  bronze  de  Romulus 
et  de  Rémus,  allaités  par  la  louve.  Le  chef  de  l'ambassade  en- 
voyée à  Epidaure  était  l'ancien  tribun  de  454/300,  l'ancien 
édile  de  458/296  :  le  caractère  même  de  la  loi  qu'il  avait  pré- 
sentée le  désignait  tout  naturellement  pour  cette  mission  reli- 
gieuse. De  l'année  454/300  à  l'année  464/290,  les  Ogulnii, 
sans  avoir  été  eux-mêmes  pontifes  ni  augures-^,  se  trouvent 
mêlés  à  tous  les  événements  importants  qui  intéressent  à  cette 
époque  la  religion  romaine.  En  481/273  Q.  Ogulnius  fit  partie 
d'une  autre  mission,  toute  politique  cette  fois  :  il  se  rendit 
avec  Q.  Fabius  Gurges  et  Nuraerius  Fabius  Pictor  auprès  de 
Ptolémée  Pliiladeiphe  *. 

Eppius  et  Rubrius.  —  Les  noms  des  neuf  Romains  qui  accom- 
pagnèrent Q.  Ogulnius  à  Epidam*e  ne  sont  cités  par  aucun 
texte  littéraire  ;  peut-être  les  monnaies  nous  permettent-elles 
d'en  retrouver  deux.  Sur  des  as  de  M.  Eppius,  partisan  de 
Pompée,  légat  de  Q.  Metellus  Scipio  en  Afrique  après  Phar- 
sale  et  ensuite  de  Sextus  Pompée  en  Espagne,  on  voit  au 
revers  une  proue  de  navire,  à  l'avers  une  double  tête  de  Janus; 
entre  les  deux  têtes  est  un  autel  conique  autour  duquel  s'en- 


1.  Les  textes  littéraires  sont  indiqués  dans  la  Real  Encyclopudie  de  Pauly, 
l"  éd.,  t.  V,  p.  887,  article  Ogulnius.  Cf.  Pais,  op.  cit.,  t.  I,  2,  p.  593  ;  —  Klebs- 
Rohdex-Dessau,  Prosopographia  imperii  romani,  t.  II,  p.  432.  —  Inscriptions 
de  Rome  :  C.  I.  L.,VI,  12.564;  23.403  ;  23.431.  —  Monnaies  :  Babelox,  les  Monnaies 
de  la  République  romaine,  t.  II,  p.  203. 

2.  Li\.,  X,  6;  X,  23. 

3.  Pais  {op.  cit.,  p.  577,  note  à  la  p.  575)  se  demande  cependant  si  les  deux 
frères  n'ont  pas  exercé  l'un  des  grands  sacerdoces,  bien  qu'aucun  texte  ne  le 
rapporte. 

4.  Val.  Max.,  IV,  3,  9;  —  Dionys.,  XX,  fragm.  14. 


166  I.K    SANCTLAIKE    D  ESCLLAPE 

roiilo  un  sorpont  et  qui  supporte  un  objet  affectant  la  forme 
d'un  ilonii-(jeuf'  ;  le  niênio  type  reparait  au  revers  d'une  mon- 
naie de  Sextus  Pompée,  frappée  par  les  soins  de  son  lieute- 
nant *.  Sur  des  monnaies  plus  anciennes  du  triumvir  monétaire 
L.  Rubrius  Dossenus  (vers  680/70)  une  proue  de  navire  est  re- 
présentée ;  un  temple  à  deux  colonnes  et  à  fronton  triangulaire 
la  dissimule  en  partie;  dans  le  temple  on  distingue  un  autel 
rond  et  un  serpent  enroulé;  de  l'autre  côté  on  a  gravé  une  tête  de 
Neptune  •'.  Il  se  pourrait  que  ces  motifs  monétaires  fissent  allu- 
sion à  l'arrivée  d'Esculape  :  le  serpent  est  le  symbole  du  dieu, 
l'objet  semi-ovoïdal  sur  l'autel  serait  Tomplialos,  le  temple  di- 
style  son  temple  de  l'île  ti])érine,  la  proue  de  navire  l'avant  de 
la  trirème  d'Ogulnius  ;  l'effigie  de  Neptune  rappellerait  le 
voyage  fait  par  mer  d'Epidaure  à  Rome.  Un  Eppius  et  un 
Rubrius  avaient  pris  pai't  à  l'ambassade  d'Ogulnius  '*  ;  leurs  des- 
cendants rappelèrent  sur  leurs  monnaies  cet  événement  qui 
les  honorait^. 

Date  de  l'ambassade.  —  En  quelle  année  l'ambassade  romaine 
alla-t-elle  à  Epidaure?  Valère  Maxime  prétend  qu'au  moment 
de  son  départ  la  peste  sévissait  à  Rome  depuis  trois  ans  ;  l'épi- 
démie avait  commencé,  d'après  le  X*  livre  de  Tite-Live,  en 
461/293;  le  voyage  de  Q.  Ogulnius  et  de  ses  compagnons  au- 
rait donc  eu  lieu  en  463/291^.  Cette  date  a  été  contestée. 
Schlueter  et  M.  Pais,  s'appuj'ant  sur  YEpitome  du  livre  XI 
de  Tite-Live  et  sur  le  texte  d'Orose,  proposent,  le  premier,  la 
date  de  462/192,  le  second,  celle  de  461/293^.  M.  Pais  se 
demande  même  si  les  historiens  n'ont  pas  avancé  indûment 
d'une  vingtaine  d'années  tous  les  événements  dans  lesquels 
interviennent  les  Ogulnii  ;  l'expédition  d'une  ambassade  à  Epi- 
daure serait  plus  vraisemblable,  dit-il,  aux  environs  de  482/272, 
après  la  reddition  de  Tarente  et  la  mort  de   Pyrrhus,  qu'aux 

1.  Babelon,  op.  cit.,  t.  I,  p.  477. 

2.  Babelon,  op.  cit.,  t.  II,  p.  331. 

3.  Babelon,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  407. 

4.  Un  Rubrius  est  nommé  par  Pli.\.,  Ilist.  nal.,  XXIX,  1  (5),  parmi  les  méde- 
cins célèbres  de  Rome  ;  la  yens  Rubria  serait  restée  fidèle  au  culte  d'Esculape 
et  à  la  pratique  de  l'art  médical. 

o.  Cavedoxi,  Uullelt.  dell'Instil.  archeol.,  18o8,  p.  174  ;  —  Babelox,  op.  cit., 
t.  II,  p.  405.  —  Cf.  les  monnaies  de  la  gens  Volteia  rappelant  l'institution  des 
jeux  mégaiésiens  en  l'honneur  de  Cybèle  (Babelon,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  563). 

6.  Fischer,  liœmische  Zeiltafeln,  Altona,  18i6,  p.  65. 

7.  SciiLiETEK,  op.  cit.,  p.  5  ;  —  P.us,  op.  cit.,  t.  I,  2,  p.  594. 


L  ARRIVÉ!-:    DU    SERPENT    D  ÉPIDAURE  167 

environs  de  462/292,  Mais  il  n'est  pas  nécessaire  de  boulever- 
ser à  ce  point  la  chronologie  traditionnelle  :  Rome  n'avait  pas 
attendu  la  guerre  contre  Pyrrhus  pour  entrer  en  relations  avec 
les  Etats  helléniques. 

Le  livre  XI  de  Tite-Live  contenait  le  récit  des  faits  surve- 
nus de  462/292  à  464/290;  l'ambassade  est  mentionnée  au 
milieu  du  sommaire,  après  la  victoire  remportée  sur  le  général 
samnite  C.  Pontius  par  Q.  Fabius  Gurges,  consul  en  462/292, 
et  avant  le  procès  du  consulaire  L.  Postumius  ;  il  est  question 
ensuite  des  victoires  de  M.  Curius  Dentatus,  consul  en  464/290. 
D'autre  part,  Orose  parle  de  l'épidémie  et  de  l'arrivée  du  ser- 
pent à  Rome  à  propos  du  consulat  de  L.  Papirius  Cursor,  en 
461/293.  Le  X"  livre  de  Tite-Live  nous  empêche  de  rapporter 
l'ambassade  à  461/293.  L'historien  dit  bien  que  la  peste 
éclata  cette  année,  mais  il  ajoute  que,  malgré  l'avis  donné  par 
les  Livres  Sibyllins,  on  différa  l'envoi  d'une  ambassade  en 
Grèce  ;  elle  ne  partit  que  plus  tard,  pendant  l'une  des  trois 
années  dont  les  événements  sont  racontés  au  livre  XI.  Orose, 
en  réahté,  n'y  contredit  pas  ;  comme  Tite-Live,  il  s'occupe  de 
la  peste  en  461/293,  pendant  le  consulat  de  L.  Papirius  Cur- 
sor. Mais  sa  brève  et  sèche  compilation  n'a  pas  les  vastes  pro- 
portions de  l'histoire  de  Tite-Live  ;  il  condense  en  une  seule 
phrase,  pour  n'avoir  plus  à  y  revenir,  tout  ce  qu'il  sait  de 
l'épidémie  et  de  ses  conséquences  ultérieures  :  le  fléau  décida 
les  Romains  à  faire  cherchera  Epidaurele  serpent  d'Esculape, 
dont  l'arrivée  leur  rendit  la  santé;  il  ne  s'ensuit  pas  que  ce 
dernier  événement  se  soit  produit  aussitôt  ;  les  termes  dont 
se  sert  Orose  n'autorisent  pas  une  pareille  conclusion;  im 
intervalle  d'un  ou  deux  ans  a  pu  s'écouler  entre  le  début  et  la 
fin  de  l'épidémie.  La  date  de  461/293  est  donc  inadmissible. 
Celle  de  462/292  doit  être  aussi  rejetée.  La  rédaction  de  V Epi- 
tome  n'est  pas  très  claire,  et  si  l'on  n'était  renseigné  que  par 
ce  document,  on  pourrait  attribuer  la  légation  indifféremment 
au  consulat  de  Q.  Fabius  Gurges  ou  à  l'année  suivante.  Dans 
cette  incertitude  il  est  légitime  de  recourir  à  Valère  Maxime, 
qui  nous  tire  d'embarras  et  nous  permet  de  nous  prononcer 
pour  la  seconde  hypothèse  :  la  peste,  assure-t-il,  dura  trois  ans, 
et  les  Romains  ne  s'adressèrent  à  Epidaure  que  la  troisième 
année.  Valère  Maxime  disposait  d'éléments  d'information  qui 
nous  manquent  ;  peut-être  avait-il  entre  les  mains  le  texte 
intégral  du  livre   XI  de  Tite-Live.  Son   témoignage  est  rece- 


168  LE  SANCTDAIRE  D  ESCCLAPE 

vable  et  valable.  Il  faut  s'en  tenir  à  l'opinion  généralement 
admise  :  c'est  en  l'année  463/291  que  le  culte  nouveau  fu' 
apporté  à  Rome. 

Le  serpent  sacré.  —  Dans  tous  les  textes  relatifs  à  la  venue 
d'Esculape  le  serpent  tient  une  grande  place;  on  adore  en  lui 
la  divinité  même,  que  les  ambassadeurs  emmènent  dans  leur 
patrie  sous  cette  forme.  Bien  loin  que  l'importance  attachée  à 
cet  animal  sacré  soit  un  motif  de  suspecter  la  tradition,  elle 
témoigne  au  contraire  en  sa  faveur.  Il  était  l'un  des  attributs 
constants  d'Esculape  et  jouait  un  rôle  dans  les  cérémonies  de  son 
culte  ^  Les  sculpteurs  représentaient  le  plus  souvent  le  dieu 
de  la  médecine  appuyé  sur  un  bâton  auquel  s'enroule  un  ser- 
pent-. Tandis  que  les  peuples  orientaux  étaient  frappés  surtout 
du  caractère  venimeux  et  dangereux  des  reptiles,  en  qui  se 
personnifiaient  pour  eux  les  puissances  hostiles  de  la  nature,  le 
principe  mauvais,  les  Grecs  les  regardaient  comme  inoffensifs 
et  bienfaisants.  Ils  symbolisaient  à  leurs  yeux  la  divination  et 
la  science  médicale.  Rampant  à  la  surface  du  sol,  recherchant 
la  solitude,  vivant  dans  le  creux  des  rochers,  ils  passaient  pour 
connaître  les  secrets  de  la  terre,  les  vertus  mystérieuses  des 
plantes  ^.  Les  Romains  ont  adopté  ensuite  ces  croyances  et  ce 
culte,  que  leur  transmirent  les  prêtres  d'Epidaure^;  ils  furent 
d'autant  plus  facilement  conduits  à  les  accueillir  que  dans  leur 
propre  religion  naticmale  le  serpent  était  déjà  considéré  comme 
un  être  divin,  emblème  du  genius  domestique'. 

Pausanias  et  Elien  nous  apprennent  qu'il  y  avait  à  Epidaure 
une  espèce  particulière  de  BpaxsvTs;  consacrés  à  Asklépios  ; 
leur  morsure  n'était  pas  venimeuse  ;  on  les  avait  apprivoisés  ; 
ils  vivaient  familièrement  avec  les  hommes^.  Le  serpent  qu'on 
embarqua  sur  le  navire  des  ambassadeurs  romains  était  cer- 
tainement l'un  de  ces  reptiles  pacifiques.  Les  Epidauriens,  en 


1.  Article  Draco,  par  Pottikii,  dans  le  Diclionn.  des  Antiq.  de  Darembero  et 
Saolio.  Sur  le  rôle  des  serpents  dans  les  temples  d'Esculape,  voir  ci-dessous, 
p.  227. 

2.  S.  Rei.nach,  Répertoire  de  la  statuaire  antique,  Paris,  1897-1898,  voir  à  V In- 
dex des  t.  I  et  11,  s.  v  Asklépios. 

3.  Voir  notamment  Macrob.,  1,  20. 

4.  Val.  Max.,  loc.  cit.  :  Cultuque  anguis  a  perilis  excepta. 

.5.  Article  Genius,  par  Hii.n,  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.,  de  Darembero  et 
Saolio,  et  par  Biht  dans  le  Lexicon  de  Rosciier. 
6.iPAU8A.v,  II,  28;  —  jElian.,  de  Nat.  animal.,  VIII,  12. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  169 

le  donnant  à  Q.  Ogulnius  et  à  ses  compagnons,  ne  faisaient 
que  se  conformer  à  un  antique  usage.  C'est  de  leur  ville 
que  paraît  s'être  répandue  par  toute  la  Grèce,  avec  le  culte 
du  dieu  médecin,  la  coutume  de  vénérer  le  serpent  comme  sa 
vivante  incarnation.  Souvent  quand  on  fondait  un  temple  on 
tenait  à  y  amener  l'un  des  opa/.cv-:sc  sacrés  ;  le  dieu  venait 
prendre  ainsi  possession  de  son  nouveau  domicile.  On  racon- 
tait qu'il  avait  été  conduit  à  Sicyone  en  grande  pompe,  méta- 
morphosé en  serpenta  Limera  en  Péloponèse,  colonie  d'Epi- 
daure ,  devait  sa  fondation  à  un  spâxo^v  d'Asklépios  qui 
s'échappa  d'un  navire  envoyé  par  les  Epidauriens  à  Cos  et  des- 
cendit sur  le  rivage  de  Laconie;  l'endroit  où  il  s'était  réfugié 
n'avait-il  pas  été  choisi  ainsi  par  le  dieu  pour  devenir  l'empla- 
cement d'une  ville  et  d'un  autel  qui  lui  seraient  dédiés  ~?  L'aven- 
ture de  ce  serpent  de  Limera  ressemble  tout  à  fait  à  l'histoire 
de  celui  que  Q.  Ogulnius  conduisit  à  Rome;  de  part  et  d'autre  le 
reptile  abandonne  spontanément  le  navire  qui  le  porte,  descend 
à  terre,  fixe  lui-même  le  lieu  où  l'on  viendra  désormais  adorer 
Asklépios.  Les  faits  que  rapporte  Valère  Maxime,  s'ils  sur- 
prennent les  modernes,  n'avaient  pour  les  anciens  rien  d'ex- 
traordinaire ni  d'insolite. 

L'épisode  d'Antium.  —  A  deux  reprises  le  serpent  sacré 
aurait  quitté  le  vaisseau  d'Ogulnius.  Avant  de  débarquer  dans 
l'île  tibérine,  il  serait  demeuré  trois  jours  à  Antium  dans  le 
temple  d'Esculape.  Valère  Maxime  et  Aurelius  Victor  l'af- 
firment ;  ils  reproduisent  certainement  la  tradition  primitive,  dont 
s'est  écarté  Ovide,  qui  remplace  à  tort  le  nom  du  dieu  médecin 
par  celui  d'Apollon.  Au  ii"  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  d'après 
Tite-Live,  il  y  avait  à  Antium  un  temple  d'Esculape^.  Aurait-il 
existé  dès  l'année  463/291?  Les  Antiates  étaient  primitive- 
ment de  hardis  navigateurs  ;  de  bonne  heure  leurs  vaisseaux 
avaient  sillonné  la  Méditerranée  avec  ceux  des  Etrusques.  Dans 

1.  Pal-san.,  II,  10,  3. 

2.  Pausan.,  III,  23,  6. 

3.  Liv.,  XLIII,  4  :  le  préteur  Lucretius  en  584/170  orna  sa  ville  d'Antium  avec 
le  butin  qu'il  avait  rapporté  de  Grèce  et  lit  décorer  de  tableaux  le  temple 
d'Esculape. Cf.  ci-dessous, p.  190. —  Une  inscription  funéraire  d'Antium  portant 
les  noms  d'/Emilia  Asclepias  et  de  son  fils  Asclepias  (G.  I.  L.,  X,  6.700)  provien- 
drait, d'après  Vulpius,  Fe/MS  Lalium profanum,  Rome,  1704-1745,  t.  111,  p.  70, 
e  ruderibiis  templi  ASsculapii ;  on  aurait  retrouvé  et  fouillé  près  du  port  les 
cellae  de  cet  édifice;  Nibby  (Analisi  délia  caria dei  dinlorni  di  Roma,  t.  1,  p.  189) 
conteste  cette  identification. 


170  l'E    SANCTLAIUE    I)  ESCL'LAPE 

lo  traité  conclu  on  254/500  ontre  Rome  et  Cartliago  Antiuui 
est  nommée  parmi  les  ports  du  littoral  latin  ' .  Au  temps  de 
Coriolan  les  Antiates  interceptent  les  approvisionnements  de 
blé  qui  sont  expédiés  de  Sicile  à  Rome*.  Au  début  du  m"  siècle 
avant  Jésus-Christ,  Démétrius  Poliorcète  se  plaint  de  leurs 
pirateries-'.  Ils  étaient  donc  en  rapport  avec  la  Grèce;  ils  ont 
dû  subir  son  influence,  adopter  sa  religion.  Peut-être  le  culte 
d'Asklépios,  entre  autres,  fut-il  importé  chez  eux  à  l'époque 
oii  il  s'introduisait  à  Rome,  ou  plus  tôt  même.  Tel  serait  le 
sens  de  cet  épisode,  purement  imaginaire,  des  récits  de 
Yalère  Maxime  et  d'Aurelius  Victor  ^  Qui  sait  s'il  n'a  pas  été 
inventé,  pour  flatter  le  patriotisme  local  de  ses  concitoyens, 
par  un  historien  originaire  d'Antium,  Valerius  Antias?  Tite- 
Live  s'est  beaucoup  servi  de  cet  écrivain  ;  par  son  intermé- 
diaire Valère  Maxime  et  Aurelius  Victor  ont  eu  connaissance 
de  ces  dires  et  les  ont  répétés.  Le  prétendu  séjour  du  serpent 
dans  le  temple  d'Antium  n'est  sans  doute  qu'une  allusion  sym- 
bolique et  flatteuse  à  la  très  ancienne  pénétration  du  culte 
d'Esculape  dans  cette  ville. 

Le  culte  d'Esculape  et  l'île  tibérine.  —  A  Rome,  terme  de 
son  voyage,  le  serpent  se  serait  arrêté  de  lui-même  dans 
l'île  tibérine.  Sur  l'emplacement  qu'il  avait  indiqué  on  bâtit 
un  temple  au  dieu  d'Epidaure.  Les  Romains  ont  voulu  expliquer 
par  le  choix  d'Esculape  la  position  du  sanctuaire  qu'ils  lui 
avaient  élevé.  Ils  n'est  pas  impossible,  d'ailleurs,  que  la  scène 
décrite  par  les  historiens  ait  eu  lieu  réellement  ;  les  ambas- 
sadeurs qui  ramenaient  le  serpent  ont  pu  faire  en  sorte,  par 
quelque  stratagème,  qu'il  parût  se  rendre  spontanément  de  leur 
navire  dans  l'île''.  Mais  pourquoi  ont-ils  voulu  qu'il  se  fixât 
à  cet  endroit  et  que  le  temple  d'Esculape  y  fût  construit  ? 
pourquoi  l'île  tibérine  est-elle  devenue  et  restée  le  centre 
du  culte  rendu  à  Rome  au  dieu  de  la  médecine? 

Opinion  des  Anciens.  —  Plusieurs  auteurs  anciens  se  sont 
posé  cette  question  et  ont  essayé  de  la  résoudre.  Les  réponses 


1.  POLYB.,  III,   22. 

2.  DioNYS.,  VII,  37. 

3.  Strabo,  V,  p.  232. 

4.  Pais,  op.  cit.,  t.  I,  2,  p.  298  (note  à  la  page  296). 

5.  SCULUETER,  op.  cit.,  p.  18. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  171 

qu'ils  donnent  ne  sont  guère  satisfaisantes.  D'après  Pline  les 
Romains  avaient  l'art  médical  en  profonde  aversion  :  c'est 
pour  cela  qu'en  accueillant  Esculape  ils  ont  tenu  du  moins  à  ce 
que  son  temple  fût  situé  hors  de  la  ville,  dans  l'ile  tibérine  K 
Pline  ne  fait  probablement  que  reproduire  ici  une  phrase 
méprisante  de  Caton,  cet  irréconciliable  ennemi  des  médecins 
grecs;  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  à  cette  boutade.  Festus 
est  d'avis  qu'on  a  mis  le  temple  d'Esculape  dans  une  île  parce 
que  l'eau  est  nécessaire  aux  médecins  pour  leurs  cures-;  par  le 
mot  medici  ce  sont  les  prêtres  médecins  qu'il  entend.  Il  est 
certain  qu'en  Grèce  la  plupart  des  temples  d'Asklépios  étaient 
placés  à  dessein  près  des  fleuves  ou  des  sources  ^.  Mais  il  ne 
manquait  pas  à  Rome,  sur  les  bords  du  Tibre  ou  dans  les 
vallons  qui  séparaient  les  sept  collines,  d'endroits  frais  et  bien 
arrosés,  abondamment  pourvus  d'eau;  pourquoi  leur  avoir  pré- 
féré l'ile  tibérine,  en  dehors  de  la  ville?  Plutarque,  dans  une 
de  ses  Questions  romaines^  examine  successivement  plusieurs 
hypothèses,  sans  oser  prendre  parti.  Les  Grecs,  dit-il,  mettaient 
les  temples  d'Asklépios  en  des  endroits  très  sains  ;  or  les  îles 
sont  en  général  salubres.  D'autre  part,  à  Epidaure  le  temple 
n'était  pas  dans  la  ville,  mais  à  quelque  distance;  peut-être 
les  Romains  ont-ils  voulu  suivre  l'exemple  que  leur  donnaient 
les  Epidauriens,  et  éloigner  comme  eux  le  temple  de  la  cité. 
Enfin  le  dieu  a  manifesté  sa  volonté  :  le  serpent  sacré  s'est 
rendu  de  lui-même  dans  l'île  ;  n'est-ce  pas  ce  qui  a  décidé  les 
Romains*?  Mais  cette  prétendue  explication,  à  laquelle  Plu- 
tarque se  rallierait  volontiers,  n'explique  rien  et  laisse  la 
question  entière. 

La  religion  romaine  et  les  cultes  étrangers.  —  Les  véritables 
motifs  n'ont  point  échappé  aux  modernes.  Si  le  temple  est 
relégué  hors  de  la  ville,  dans  l'île  tibérine,  ce  n'est  pas  parce 


1.  Plix.,  Hist.  nat.,  XXIX,  1(8)  :  Non  rem  antîqui  damnabant,  sed  arletn, 
maxime  vero  qusestum  esse  manipretio  vit  se  recusabant.  Ideo  templum  ALscu- 
lapii  etiam  cum  reciperelur  is  deus  extra  urbem  fecisse  iterumque  in  insula 
(lire  :  liberinaque  in  insula)  traduntur.  Cf.  ci-dessus,  p.  148. 

2.  Festus,  p.  110  :  In  insula  yEsculapio  facta  œdes  fuit  quod  eegroti  a  medi- 
cis  aqua  maxime  sustententur. 

3.  Voir  les  exemples  réunis  par  Schlueteh,  loc.  cit.,  p.  18,  d'après  Pausan., 
III,  19  (temple  dédié  à  Asklépios  par  Hercule,  près  de  l'Eurotas);  III,  23  (à 
Limera)  ;  VI,  21  (temple  prés  de  l'Alphée)  :  VII,  27  (à  Pellène),  etc. 

4.  Plut.,  Quaest.  l'om.,  XCIV  :  Aià  xt  xoô   'Aax>.r|7ttov  lo  tepov  ïlm  if^z  itôXecÎ); 


172  LE    SANCTUAIRE    D  ESCLLAPE 

quEscuIapo  est  le  dieu  de  la  médecine,  comme  le  croyait 
Pline,  c'est  parce  qu'il  est  un  dieu  d'origine  hellénique. 

La  religion  romaine  n'était  pas  exclusive.  De  même  qu'un 
étranger  pouvait  recevoir  à  Rome  par  décret  le  droit  de  cité, 
do  même  un  dieu  nouveau  pouvait  être  accueilli  et  adopté  par 
l'Etat  rom.ain  ;  il  prenait  place  à  côté  des  anciens  dieux  na- 
tionaux; on  lui  rendait  désormais,  au  même  titre  qu'à  eux, 
un  culte  officiel  et  public.  Pendant  les  deux  siècles  qui  sui- 
virent l'expulsion  des  rois  un  très  grand  nombre  de  divinités 
venues  du  Latium,  de  l'Etrurie,  de  la  Grande  Grèce,  de  la 
Sicile,  se  sont  ajoutées  à  celles  qu'on  adorait  primitivement  à 
Rome;  on  les  désignait  sous  le  nom  de  dii  novensides  ou  dii 
peregrini,  par  opposition  slux  dii  indigetesK 

Ambrosch,  le  premier,  a  fait  remarquer  que  ces  dieux  péré- 
grins  n'étaient  pas  traités  cependant  tout  à  fait  comme  les 
autres^.  H  crut  ])Ouvoir  poser  en  principe,  que  l'on  construisait 
toujours  leurs  temples  au-delà  de  la  ligne  du  pomerium,  qui 
marquait  la  limite  religieuse  de  la  cité  et  séparait  du  sol 
étranger  l'espace  réservé  aux  divinités  indigènes  3;  les  cultes 
apportés  du  dehors  ne  pénétraient  pas  dans  l'enceinte  consa- 
crée et  privilégiée  de  la  cité;  on  les  maintenait  scrupuleuse- 
ment dans  les  faubourgs  ;  cette  prescription  aurait  été  respectée 
pendant  toute  l'époque  républicaine. 

L'opinion  d' Ambrosch  fut  acceptée  sans  réserves  par  Jor- 
dan, par  Marquardt,  par  M.  0.  Gilbert^  Elle  n'est  pas  entière- 
rement  exacte;  M.  Aust,  M.  Mommsen,  M.  Wissowa  l'ont 
reprise  en  la  modifiante  Sur  deux  points  il  faut  y  apporter 
de  notables  corrections. 

Ce  ne  sont  pas  tous  les  cultes  pérégrins  qui  sont  exclus  du 

i<m;  riÔTEpov  OTt  -rà;  sÇw  Starptoà;  ÛYisivorépa;  iw6^\X,ow  elvat  twv  èv  a<rret;  Kal 
•)ràp  "E),).r,vEî  i't  TÔTTot;  xal  xaOapoî;xal  'J'I/riXot;  iSp-jjxÉvaTà  'AirxXïiiristak'yo-jTtv."!! 
OTt  TÔv  Otôv  i\  'ETctôa-jpoy  (jtETâTreîiTrTov  fiXEtv  voiisi^ouTiv  ;  'KTiiSa'jpt'ot;  8'o-j  xarà 
Tc4).tv,  àXXà  it<ippo)  TÔ  'AiTy).Ti7ti'£t'ov  è<rrtv.'"H  ott  toO  SpixovTOcix  Tf,îTpir,poyî  xarà 
Tr,v  v-fiTOv  àTtoêivTo;  xai  àsavtTÔsvTo;  aJTÔv  wovto  tt,v  tSp-jatv  uçr|Y£Î<T6at  tÔv  6ebv  ; 

1.  Wissowa.  de  Dis  Romanorum  indigetihus  et  novensidibiis,  Marburg,  1893. 

2.  Ambrosch,  Sludien  und  Andeutungen  im  Gebiet  des  altromischen  Bodens 
und  Cultus,  Breslau.  1839,  p.  190. 

3.  Sur  le  pomerium,  v(»ir  ci-dessus,  p.  51. 

4.  Jordan,  das  Templum  dex  S;/Hae  in  Rom.  dans  I7/er»iè.«,  t.VI,1872, 316;— 
Marqcardt-Mommsex,  Man.  des  Antig.  rom.,  trad.  franc.,  t.  XII.  le  Culte,  I, 
p.  44;  —  O.  Gilbert,  Gescfi.  und  Topogr.  d.  St.  Rom,  t.  Hl,  p.  66. 

Tt.  Ai;sT,  de  .-Edibus  sacris  popiili  romani,  Marburg,  1889,  p.  47;  —  Mommsex, 
der  Beligionsfrevel  nacli  rômisc/ien  Recht,  dans  Vllislor.  Zeistch.,  Neue  Folge, 
t.  XXVIII,  1890,  p.  405  ;  —  Wissowa,  op.  cit. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  173 

pomerimn,  mais  seulement  ceux  qui  sont  empruntés  à  des 
pays  de  langue  étrangère,  à  la  Grèce.  Festus  distingue  parmi 
eux  deux  groupes.  Les  uns  ont  été  introduits  à  Rome  en  temps 
de  guerre,  à  la  suite  d'une  evocatio;  les  Romains  avaient 
coutume  de  promettre  des  temples  aux  dieux  protecteurs  des 
cités  qu'ils  combattaient;  ils  les  attiraient  à  eux,  ils  les  fai- 
saient passer  pour  ainsi  dire  dans  leur  propre  camp  ;  Macrobe 
nous  a  conservé  la  formule  par  laquelle  on  les  évoquait'.  Les 
autres  ont  été  introduits  en  temps  de  paix  par  scrupule  reli- 
gieux; Festus  cite  précisément  comme  exemple  Esculape-. 
Cette  distinction  est  fondée,  mais  Festus  n'en  a  pas  découvert 
la  juste  raison.  Elle  ne  repose  pas  sur  la  différence  des  cir- 
constances dans  lesquelles  on  a  fait  appel  à  ces  divinités, 
mais  sur  la  différence  des  pays  d'où  elles  sont  originaires.  Au 
premier  groupe  appartiennent  tous  les  dieux  des  peuplades 
italiques,  de  même  race  que  les  Romains  et  parlant  la  même 
langue  ;  ils  ne  sont  pas  entrés  à  Rome  seulement  par  le  moyen 
de  V evocatio  et  en  temps  de  guerre,  ainsi  que  la  Juno  Regina 
de  Veies,  mais  encore  en  temps  de  paix,  à  la  faveur  des  rela- 
tions commerciales,  ainsi  que  la  Diane  d'Ariccia  ou  la  Fortune 
de  Préneste.  Au  second  groupe  appartiennent  les  dieux  hellé- 
niques, qu'on  a  fait  venir  par  dévotion,  ob  quasdam  religiones, 
sur  le  conseil  des  Livres  Sibyllins;  ils  ressemblent  beaucoup 
moins  que  les  précédents  aux  divinités  romaines  primitives. 
Aussi  les  uns  et  les  autres  n'ont-ils  pas  été  admis  à  Rome  sur 
le  même  pied.  Les  temples  dédiés  aux  divinités  italiques  pou- 
vaient s'élever  indifféremment  à  l'intérieur  du  pomermm, 
comme  celui  de  la  Minerva  Capta  de  Faleries  au  Cœlius,  ou 
à  l'extérieur,  comme  celui  de  la  Juno  Regina  de  Veies  sur 
l'Aventin.  Les  temples  dédiés  aux  dieux  grecs,  Cérès-Déméter, 

1.  Macrob.,  III,  9,  7-8  (à  propos  de  l'évocation  de  la  Juno  carthaginoise  par 
Scipion  Emilien)  :  Si  deus  si  dea  est  cui  populus  civitasgue  Carthaqiniensis  est 
in  tutela,  teque  maxime  ille  qui  urbis  hujus  populique  tutelam  recepisti,precor 
venerovque.,  veniamque  a  vobis  peto  ut  vos  populum  civilalemque  Carthagi- 
niensein  deseratis;  loca,  templa  sacra,  urbemque  eorum  relinquatis  absque  his 
abeatis  eique  populo  civitalique  metum,  fovmidinem,  oblivionem  injiciatis, 
prodilique  Romam  ad  me  meosque  veniatis  nostraque  vobis  loca,  templa  sacra, 
urbs  acceptior  probatiorque  sit,  mihique  populoque  romano  militibusque  meis 
prsepositi  silis  :  ut  sciamus  intelligamusque  si  ita  fecerilis,  voveo  vobis  templa 
ludosque  facturum. 

2.  Festus,  p.  237  :  Peregrina  sacra  appellantur  quœ  aut  evocatis  dis  in 
oppugnantibus  urbibus  Romam  sunt  conata  aut  quœ  ob  quasdam  religiones  per 
pacem  suni  petita,  ut  ex  Phrijgia  Matris  Magnae,  ex  Grœcia  Cereris,  Epidauro 
.'Esculapi. 


ili  LE    SANCTLAIRE    D  ESCCLAPE 

Apollon,  Esciilape,  s'élevèrent  hors  du  pomerivm,  les  premiers 
au  Champ  do  Mars,  le  dernier  dans  l'ile  tibérino.  Cette  règle 
ne  souffre  pas  d'exception  ;  si  le  temple  voué  à  Castor  et  Pol- 
lux,  après  la  bataille  du  lac  Régille,  était  situé  au  cœur  de  la 
ville,  dans  le  Forum,  c'est  que  les  Romains  ne  devaient  pas 
le  culte  de  ces  doux  divinités  à  la  Grèce  même,  mais  à  la 
ville  latine  de  ïusculum,  où  les  Dic)scures  étaient  particulière- 
ment honorés  ;  Castor  et  Pollux  furent  accuoilUs  d'abord  à 
Rome  en  qualité  de  dieux  italiques  ^ 

Ramenée  à  ces  termes,  la  théorie  d'Ambrosch  reste  vraie, 
au  moins  pour  les  premiers  siècles.  La  seconde  restriction 
(pi'on  doive  faire  concerne  la  durée  du  temps  pendant  lequel 
la  règle  de  l'exclusion  du  pomerium  fut  observée.  Les  cultes 
apportés  des  pays  de  langue  étrangère  ne  sont  pas  toujours 
demeurés  jusqu'à  la  fin  do  la  République  hors  do  la  cité.  Dès  la 
seconde  guerre  punique  des  monuments  consacrés  à  des  divi- 
nités grecques  ou  même  orientales  sont  édifiés  à  l'intérieur  du 
pomerium.  En  l'année  537/217  on  voue  sur  le  Capitole  un 
temple  à  la  Vénus  gréco-sicilienne  du  Mont  Erjx'-;  en  503/191 
est  inauguré  sur  le  Palatin  même,  dans  le  quartier  le  plus 
ancien  et  le  plus  vénérable  de  la  ville,  le  sanctuaire  de  l'asia- 
tique Magna  Mater  de  Pessinonte"^.  Les  barrières  opposées  à 
l'envahissement  des  cultes  pérégrins  sont  tombées  bien  plus 
tôt  qu'Ambrosch  et  Jordan  ne  le  pensaient.  La  loi  religieuse 
qui  défendait  jadis  d'admettre  les  dieux  helléniques  ou  orien- 
taux en  deçà  du  pomerium  fut  très  vite  oubliée^.  Le  souvenir 
s'en  était  tout  à  fait  perdu  sous  l'Empire  ;  les  érudits  eux- 
mêmes  l'ignoraient  :  aussi  Pline,  Festus,  Plutarque  n'ont-ils 
pu  s'expliquer  qu'on  ait  mis  le  temple  d'Esculape  dans  l'île 
tibérine. 

Pourquoi  le  temple  d'Esculape  fut  construit  dans  l'île.  —  Le 
culte  du  (heu  do  la  médecine   est  essentiellement   hellénique; 

1.  Cf.  M.  Albebt,  le  Culte  de  Castor  et  de  Pollux  en  Italie,  Paris,  188:5. 

2.  Alst,  op.  cit.,  p.  19,  n"  43  et  44.  et  p.  49  ;  —  Wissowa.  lac.  cit..  p.  XII. 
En  même  temps  que  le  temple  de  Vénus  Erycine  et  auprès  de  lui  fut  élevé 
un  temple  à  la  déesse  Mens,  qui  ne  serait,  d'après  Pbellek-Johdan,  Rœm.  Mylh., 
t.  II,  p.  26.;,  qu'un  aspect  particulier  de  Vénus,  Venus  Mimnernia. 

3.  AusT,  op.  cit.,  p.  22,  n»  li3. 

4.  On  sait  cependant  parCAss.  Dio,  LU,  30,  et  LIV,  6,  qu'Auguste  prit  encore 
des  mesures  pour  maintenir  au  moins  les  temples  des  divinités  égyptiennes 
au-delà  du  pomerium.  Ses  efforts  devaient  être  vains. 


l'arrivée    DC    serpent   D'ÉPIDAURË  l'H 

il  fut  apporté  à  Rome  longtemps  avant  la  seconde  guerre 
punique,  alors  que  les  vieilles  interdictions  étaient  encore  en 
vigueur  :  le  temple  devait  être,  par  conséquent,  en  dehors  du 
pomerium,  L'Ile  tibérine  satisfaisait  à  cette  première  et  né- 
cessaire condition.  Elle  présentait,  en  outre,  de  nombreux 
avantages  qui  la  firent  préférer  à  tout  autre  point  des  abords 
de  Rome.  Peut-être  sa  forme  même  et  sa  vague  ressemblance 
avec  un  navire  à  l'ancre  au  milieu  du  fleuve  n'ont-elles 
pas  laissé  les  Romains  indifférents  :  le  serpent  sacré  était 
venu  d'Epidaure  par  mer;  File  rappelait  le  navire  qui  l'avait 
amené.  En  tout  cas  le  voisinage  du  Champ  de  Mars,  où  était 
localisé  le  culte  des  dieux  grecs  précédemment  reçus  à  Rome, 
contribua  très  certainement  à  les  décider.  Elle  apparaissait 
comme  le  prolongement  et  la  continuation  du  Champ  de  Mars; 
il  semblait  naturel  que  les  dieux  pérégrins  annexassent  ce 
nouveau  domaine,  tout  proche  de  celui  qui  leur  était  d'abord 
assigné,  et  que  le  sanctuaire  d'Esculape  se  dressât  en  face  du 
temple  d'Apollon.  Enfin  il  est  probable  qu'une  préoccupation 
d'hygiène,  ainsi  que  Plutarque  l'a  soupçonné,  s'est  jointe  à 
ces  diverses  considérations.  Les  Asklépieia  servaient  aussi 
d'hôpitaux  ;  les  malades  y  accouraient  de  toutes  parts  ;  on 
devait,  dans  l'intérêt  de  la  santé  publique,  les  éloigner  des 
quartiers  habités;  l'isolement  était  une  sage  précaution •.  A 
Epidaure  une  distance  de  cinq  milles  séparait  le  temple  de  la 
ville.  A  Rome,  entre  l'un  et  l'autre,  s'interposa  le  Tibre.  On 
comprend  que  les  Romains,  obligés  de  construire  le  sanctuaire 
hors  de  la  cité,  aient  fixé  leur  choix  sur  l'île  tibérine,  que  tant 
de  raisons  leur  recommandaient.  Ils  ont  attribué  ensuite  au 
dieu  lui-même  les  intentions  qu'ils  avaient  eues  et  les  calculs 
qu'ils  avaient  faits.  La  légende  qui  représente  le  serpent 
quittant  le  navire  d'Ogulnius  et  descendant  de  son  plein  gré 
sur  la  rive  n'a  pas  d'autre  sens. 

Le  médaillon  d'Antonin  le  Pieux.  —  Cette  légende  était  très 
populaire  dans  l'antiquité.  Non  seulement  des  historiens 
comme  Tite-Live  et  Valère  Maxime  l'avaient  rapportée  et  des 
poètes  comme  Ovide  l'avaient  célébrée,  mais  encore  elle  ins- 
pira des  artistes,  graveurs  et  sculpteurs,  qui  la  représentèrent 
siu"  leurs  œuvres. 

1.  Besciui.  I).  St.  Rom,  t;  III,  3,  p.  377  ;  pendant  la  peste  de  i636,  les  mo-s 


176 


LE   SANCTUAIRE  D  ESCULAPE 


Le  Cabinet  des  Médailles  de  la  Bibliothèque  nationale  possède 
deux  exemplaires  très  bien  conservés  d'un  beau  médaillon 
d'Antonin  le  Pieux  où  l'on  s'accorde  à  voir  figurée  l'arrivée 
même  du  serpent  d'Esculape  à  Rome.  Ces  monuments  ont  été 
souvent  décrits  et  publiés'.  Ils  ne  diffèrent  l'un  de  l'autre  que 
par  d'insignifiants  détails.  A  gauche,  sous  la  première  arcade 
d'une  grande  construction  en  forme  de  portique,  s'avance  une 
trirème;  un  serpent  se  dresse  à  la  proue,  derrière  lui  un  petit 
personnage,  debout,  lève  le  bras.  A  droite,  au  premier  plan,  un 

vieillard  est  a  demi  couché  ;  la  par- 
tie, inférieure  de  son  corps  baigne 
dans  l'eau;  son  dos  s'appuie  à  des 
rochers  ;  il  tient  dans  la  main 
gauche  un  roseau  et  tend  le  bras 
droit  vers  un  serpent  ;  au  second 
plan  on  distingue  très  nettement, 
ramassés  en  un  seul  groupe  et  do- 
minant tout  le  reste,  un  arbre  cou- 
vert de  feuilles,  une  sorte  do  tour, 
et  deux  édifices  :  l'un  à  fronton  trian- 
gulaire, l'autre  terminé  par  un  toit 
plat.  En  exergue  est  écrit  le  mot 
jEsculapius.  Comme  le  fait  juste- 
ment remarquer  M.  Frôhner,  «  le 
tableau  est  pittoresquement  composé,  on  dirait  une  fresque  de 
Pompei^  ». 

La  scène  est  bien  claire  :  le  navire  d'Ogulnius  amène  à  Rome 
le  serpent  sacré,  emblème  d'Esculape.  Le  personnage  debout  à 
l'arrière  est  ou  bien  un  marin  maniant  le  gouvernail,  ou  bien, 
comme  le  croit  M.  von  Duhn,  qui  voit  dans  le  geste  de  son 
bras  levé  une  attitude  habituelle  aux   suppliants  ■*,    un   fidèle 


FiG.  19. 

MÉDAILLON   D'aNTO.MN   LE  PIKUX. 

D'après  un  exemplaire  du  Cabinet 
des  Médailles. 


dernes  ont  tiré  parti  de  la  position  de  l'ile  tibérine,  comme  avaient  fait  les 
Anciens;  les  pestiférés  furent  évacués  sur  lile,  transformée  en  tiôpital. 

1.  Ils  appartiennent  à  l'importante  série  de  médaillons  frappés  par  les  soins 
d'Antonin  le  Pieux,  sur  lesquels  sont  représentées  les  scènes  principales  de 
l'histoire  romaine.  —  Cohe.x,  Monnaies  de  l'Einpire  ro>nain,  2"  éd.,  t.  H, 
p.  271-272  ;  —  Fkôhxeh,  les  Médaillons  de  l'Empire  romain,  p.  53  ;  -  Vox  Duiix, 
dans  les  Millheil.  des  archuol.  Inslil.,  Rœm.  Ablh.,  1886,  p.  170  ; —  Duessel,  der 
Avenlin  auf  einem  Médaillon  des  Pius,  dans  la  Zeihch.  f.  Numism.,  1899,  p.  32, 
PI.  II.  n"  10  et  11. 

2.  FitôiiXER,  loc.  cil. 

3.  Vo.N  DcHN,  Bullell.  delVInslit.  archeol.,  1879,  p.  7  et  8  ;  en  arrivant  au 
terme  d'un  voyage  par  mer,  on  offrait  un  sacrifice  aux  dieux. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidalre  177 

invoquant  le  dieu  médecin.  Il  faut  reconnaître  dans  le  vieillard 
Tiberinus,  la  divinité  protectrice  du  fleuve  qui  traverse  Rome 
et  qui  entoure  l'île  où  s'élèvera  le  temple  d'Esculape.  Il  était  de 
tradition,  dans  l'art  gréco-romain,  qu'on  représentât  les  fleuves 
sous  les  traits  de  vieillards  couchés,  un  roseau  à  la  main.  Sur 
un  autre  médaillon  d'Antonin  le  Pieux,  Tiberinus  est  assis  dans 
la  même  posture,  le  bras  gauche  s'appuyant  à  une  urne  renver- 
sée, la  main  droite  posée  sur  une  barque  à  laquelle  il  s'adosse*. 

Interprétation  ancienne. —  L'identification  de  l'édifice  enferme 
de  portique  à  gauche  et  celle  des  édifices  au  sec£)nd  plan  à 
droite  ont  été  très  discutées.  On  croj'ait  en  général,  jusqu'à 
ces  dernières  années,  que  l'artiste  avait  voulu  mettre  sous  nos 
yeux  à  droite  l'île  tibérine,  à  gauche  l'un  des  ponts  voisins  de 
l'île.  Le  serpent  semble  prendre  son  élan  pour  abandonner  le 
navire  d'Ogulnius  et  aborder  au  rivage  ;  la  terre  vers  la- 
quelle il  se  dirige  est  celle  où  désormais  il  résidera.  L'arbre 
indique  que  l'île  était  boisée,  et  les  constructions  qui  l'entourent 
rappellent  qu'elle  était  habitée  et  occupée  par  divers  temples. 
Ces  constructions  sont  au  nombre  de  trois  ;  Canina  voyait  en 
elles  les  trois  temples  d'Esculape,  de  Jupiter  et  de  Faunus-  ; 
c'était  prêter  gratuitement  à  l'auteur  du  médaillon  un  souci  de 
scrupuleuse  exactitude  que  sans  doute  il  n'a  pas  eu.  Il  est  per- 
mis de  supposer  du  moins  qu'elles  font  allusion  particulière- 
ment au  sanctuaire  d'Esculape,  dont  le  bois  sacré  est  symbolisé, 
selon  l'usage,  par  un  arbre  isolé.  Sur  la  gauche  les  arcades 
juxtaposées  sont  les  arches  d'un  pont  sous  lequel  passe  la 
trirème  revenue  d'Epidaure;  c'est  donc  ou  le  pont  ^milius,  le 
dernier  que  rencontraient  les  navires  remontant  le  Tibre,  avant 
d'arriver  à  l'île,  ou  le  pont  Fabricius,  qui  la  reliait  à  la  rive 
gauche  du  fleuve. 

Interprétation  nouvelle.  —  M.  Mayerhofer  a  proposé  en  1884 
une  exphcation  nouvelle  :  le  pont  serait,  d'après  lui,  l'antique 
pons  Suhlicius  en  bois.  Il  apparaît  sur  le  médaillon  comme  situé 
au  sud  de  l'île  tibérine,  en  aval,  tandis  que  le  pont  Fabricius 
aboutissait  dans  l'île  même,  en  amont  du  sanctuaire  d'Esculape. 
D'autre  part,  dans  le  système  de  M.  Mayerhofer,  le  pont  Subli- 
cius  s'élevait  entre  le  pont  ^mihus  et  Vinstda   tiberina,  tout 

1.  Frôhxer,  op.  cit.,  p.  o2. 

2.  Caxixa,  Bulletl.  delV  Instil.  archeoi.,  1834,  p.  xxxviii. 

1-2 


178  LE  SANCTUAIRE  D  ESCULAPE 

auprès  de  celle-ci;  le  pont  .Emilius  était  trop  éloigné  pour 
(|u'on  efit  pu  le  représenter  de  cette  façon,  touchant  presque 
la  pointe  méridionale  de  l'ile.  Enfin,  quand  l'ambassade  d'Ogul- 
nius  fut  envoyée  à  Epidaure,  les  ponts  Fabricius  et  ^Emilius 
n'existaient  pas  encore;  Rome  ne  possédait  que  des  ponts 
de  bois  ;  le  poiis  Suhlic'ms  était  le  plus  ancien,  le  plus  célcbro, 
le  plus  proche  de  l'ile  tibérine  au  sud'. 

M.  Huelsen  s'est  avancé  davantage  :  il  conteste  que  l'édifice  sous 
lequel  on  aperçoit  la  trirème  soit  un  pont  ;  certaines  particulari- 
tés de  construction  rendraient  cette  hypothèse  invraisemblable. 
Les  soi-disant  arches,  au  lieu  de  s'abaisser  en  dos  d'âne  vers 
les  deux  rivages  qu'elles  devraient  relier,  se  dressent  très 
hautes  et  très  étroites,  coupées  net  des  deux  côtés.  Ce  ne  sont 
pas  les  arches  d'un  pont,  mais  les  arcades  d'un  portique  ;  elles 
appartiennent  aux  Navalia,  aux  hangars  sous  lesquels  s'abri- 
taient les  navires  le  long  des  berges  du  Tibre.  Sur  des  mon- 
naies d'Hadrien  sont  figurés  les  Navalia  ou  vcoWcxsi  du  port 
d'Ostie,  avec  une  entrée  à  arcades  qui  ressemble  à  un  long 
pont.  A  Rome  le  Navale  inferius  était  situé  —  M.  Huelsen 
croit  pouvoir  l'affirmer  —  sur  la  rive  gauche,  en  aval  de  l'ile, 
à  la  hauteur  du  Forum  boainnm;  il  semblerait,  d'après  le  mé- 
daillon d'Antonin,  qu'il  se  trouvât  sur  la  rive  droite  ;  ptire 
licence  qu'a  prise  l'artiste  ;  le  médaillon  nous  donne,  comme 
un  miroir,  une  image  renversée  de  la  réalité  2. 

M.  Dressel  s'étonne  à  bon  droit  des  conclusions  auxquelles 
aboutissent  les  ingénieux  raisonnements  de  M.  Huelsen  ;  on 
aurait  sur  le  côté  droit  du  médaillon  une  représentation  directe 
et  fidèle  de  l'île  tibérine,  sur  le  côté  gauche  une  repnscniation 
fausse  et  renversée  du  Nacale  inferius.  M.  Drcsscl  a  voulu 
remédier  à  cette  inconséquence.  Il  s'est  montré  plus  hardi 
que  ses  devanciers.  Non  seulement  aucun  pont  n'est  ici  figuré, 
mais  encore  les  édifices  du  second  plan  à  droite  ne  sont  pas 
ceux  de  l'île  tibérine.  La  scène  se  passe  tout  entière  sur  la 
rive  gauche  du  Tibre,  vue  de  la  rive  droite.  Comme  M.  Huel- 
sen, M.  Dressel  reconnaît  dans  les  arcades  le  portique  du  Na- 
vale inferius,  mais  il  n'est  pas  besoin  d'imaginer  qu'on  a  ren- 
versé l'image;  elle  est  bien  en  })lace.  La  trirème  d'Ogulnius 
vient  de  s'amarrer  à  la  berge  ;  le   serpent  s'élance  hors  du 

1.  Mayeiuiofrr,  die  Brilcken  im  allen  Rom,  p.  41-46. 

2.  HtELSE.N,  il  Foro  Bofirio  e  le  sue  adiacenze  nelianlichità,  dans  les  Disserl. 
délia  Ponlif.  Accad.  di  archeoL,  série  H,  t.  VF,  1896,  p.  253. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  179 

navire  pour  prendre  possession  de  l'île  au  milieu  du  Tibre. 
Celle-ci  n'est  pas  comprise  dans  le  champ  du  tableau.  Tiberi- 
nus,  au  premier  plan,  s'appuie  à  des  rochers  ;  il  n'y  avait  pas 
de  rochers  dans  l'île.  Derrière  lui  l'arbre,  la  tour  et  les  deux 
édifices  contigus  forment  un  groupe  à  part,  qui  s'élève  assez 
haut  et  domine  les  environs  ;  l'île  était,  au  contraire,  basse  et 
plate.  L'artiste  a  voulu  nous  montrer,  à  côté  du  Navale^  une 
colline  rocheuse  et  escarpée  surplombant  le  Tibre  :  c'est  l'Aven- 
tin,  qui  était  situé  effectivement  en  aval  du  Forum  boarkim^  et 
que  le  spectateur  placé  sur  la  rive  opposée  ^apercevait  à  droite 
du  Navale  inferms.  L'arbre  signifie  que  l'Aventin  était  boisé, 
la  tour,  qu'il  était  fortifié,  les  deux  autres  édifices,  qu'il  était 
habité.  Si  l'on  en  croit  M.  Dressel,  il  ne  reste  donc  rien  de 
l'interprétation  traditionnelle  du  médaillon  d'Antonin^. 

Critique.  —  M.  Petersen  a  entrepris  récemment  de  dé- 
fendre la  tradition  si  vivement  attaquée.  La  tâche  n'était  pas 
aussi  ingrate  qu'on  pouvait  le  croire.  Les  opinions  les  plus 
neuves  ne  sont  pas  toujours  les  mieux  fondées.  M.  Huelsen  et 
M.  Dressel,  en  voulant  trop  bien  expliquer  le  médaillon,  le 
rendent  inintelligible.  M.  Dressel  persiste  à  croire  que  le  gra- 
veur a  voulu  retracer  l'épisode  de  l'arrivée  d'Esculape  :  la 
légende  inscrite  en  exergue  l'y  oblige.  Mais  que  viendrait  faire 
alors  l'Aventin  àl'arrière-plan?  Il  n'a  aucun  rapport  avec  le 
culte  du  dieu  médecin  et  son  introduction  à  Rome  ;  on  ne  voit 
pas  pourquoi  il  serait  représenté  ici,  tandis  que  la  présence  de 
l'île  tibérine  au  fond  du  tableau  est  toute  naturelle  et  même 
nécessaire.  Le  serpent,  prêt  à  quitter  le  navire  d'Ogulnius,  se 
dirige  évidemment  vers  l'arbre  et  les  trois  édifices  groupés  ; 
ceux-ci  ne  peuvent  donc  appartenir  qu'à  l'île,  puisque  c'est  là, 
et  non  au  pied  de  l'Aventin,  que  débarquera  Esculape  et  qu'il 
fixera  sa  résidence.  Comme  l'Aventin,  l'île  tibérine  renfermait 
des  arbres  —  le  bois  sacré  de  l'Asklépieion  —  et  des  édifices, 
temples  et  maisons  particulières.  La  hauteur  de  l'arbre  et  des 
édifices  au-dessus  de  la  trirème  et  des  arcades  du  portique  est 
trop  faible  pour  convenir  à  une  colline.  On  comprend  très  bien, 
enfin,  que  Tibérinus  s'adosse  à  des  rochers,  quoique  l'île  ne  soit 
pas  rocheuse  :  sur  les  monnaies  et  les  bas-reliefs  les  divinités 
fluviales  sont  figurées  le  plus  souvent  assises  dans  une  grotte. 

1.  Dressel,  loc.  cit. 


180  LE    SANCTUAIRE   D  ESCULAPE 

Après  avoir  réfuté  riij'pothèse  de  M.  Dressel,  M.  Petersen 
s'en  prend  à  celle  de  M.  Huelsen.  La  construction  à  arcades 
du  premier  plan  à  gauche  n'est  pas  un  portique  des  Navalia  ; 
c'est  un  pont,  vu  en  raccourci.  M.  Huelsen  suppose  un  ren- 
versement d'images  analogue  à  celui  que  produit  un  miroir  :  le 
Navale  inferiits,  situé  sur  la  rive  gauche  du  Tibre,  apparaîtrait 
comme  placé  sur  la  rive  droite.  Un  pareil  renversement  serait 
admissible  s'il  s'appliquait  au  médaillon  tout  entier;  limité  à 
une  moitié  seulement,  il  est  invraisemblable  et  contraire  aux 
règles  les  plus  élémentaires. 

D'ailleurs,  si  Ton  examine  de  près  le  médaillon,  le  soi-disant 
Navale  n'est  pas  plus  situé  sur  la  rive  droite  que  sur  la  gauche  ; 
bien  loin  qu'il  soit  parallèle  à  l'ilo  et  au  cours  du  Tibre,  il  est 
dirigé  obliquement  et  traverse  le  fleuve.  Cette  disposition  ne 
convient  qu'à  un  pont.  Et  de  même  un  pont  seul  peut  avoir  à 
sa  partie  supérieure  un  parapet,  tel  que  celui  qu'on  distingue 
fort  bien  ici.  Sans  doute,  il  s'arrête  brusquement  et  s'inter- 
rompt à  pic,  sans  s'incliner  en  pente  douce  vers  les  rives  : 
l'espace  était  mesuré  au  graveur,  il  fallait  qu'il  se  contentât 
d'un  tracé  schématique  et  simplifié;  les  singularités  d'aspect 
dont  s'étonne  M.  Huelsen  étaient  imposées  par  l'étroitesse 
môme  du  champ.  La  trirème,  sous  la  première  arche,  tourne  sa 
proue  en  avant  :  c'est  ainsi  que  se  présentent  les  navires 
remontant  un  fleuve;  dans  les  Navalia^  au  contraire,  ils  étaient 
à  l'attache,  la  proue  vers  la  rive.  Le  serpent  n'a-t-il  pas  dû 
sortir  de  la  trirème  dès  qu'elle  fut  arrivée  en  vue  de  File, 
après  avoir  passé  sous  le  dernier  pont,  et  sans  attendre  qu'on 
l'eût  amarrée  à  la  berge  ^? 

M.  Petersen  n'hésite  pas  à  reconnaître  ici,  malgré  les  objec- 
tions de  M.  Mayerhofer,  le  pons  jEmilius.  Ce  ne  peut  être  le 
pont  Fabricius,  qui  se  termine  au  milieu  de  l'île,  alors  que 
celui  du  médaillon  est  en  aval.  Ce  ne  peut  être  non  plus  le 
pont  Subliciiis,  dont  l'emplacement  véritable  doit  être  cherché 
au-dessous  du  pont  ^milius,  et  non  pas,  comme  le  croyait 
M.  Mayerhofer,  entre  ce  dernier  et  l'île.  Sans  doute,  au  moment 
de  l'arrivée  du  serpent  d'Esculape,  le  pons  Mmilim  n'était 

1.  Vai,.  Max.  (I,  8,  2)  dit,  il  est  vrai,  que  le  serpent  quitta  le  navire  quand 
les  ambassadeurs  eurent  débarqué  :  In  rlpam  Tiberis  earessis  legafis. 
M.  Petersen  observe  justement  que  ce  détail,  tout  à  fait  invraisemblable,  a  été 
inventé  sans  doute  par  Valére  Maxime,  pour  faire  mieux  ressortir  les  bonnes 
dispositions  d'Esculape  et  montrer  qu'il  a  agi  spontanément,  sans  obéir  aux 
suggestions  des  ambassadeurs. 


l'arrivée  du  serpent  d'épidaure  181 

pas  encore  construit  :  mais  le  graveur  ne  s'est  point  astreint 
à  respecter  si  rigoureusement  la  vérité  et  la  chronologie  ;  il 
s'est  inspiré  de  ce  qu'il  avait  lui-même  sous  les  yeux  et  l'a 
représenté  fidèlement. 

L'argumentation  de  M.  Petersen  est  convaincante  :  il  faut  s'en 
tenir  ou  en  revenir  à  l'interprétation  ancienne  et  traditionnelle  ^ 

Le  bas-relief  Rondinini.  —  Un  bas-relief  de  Rome,  qui  décore 
depuis  la  fin  du  xviif  siècle  la  cour  intérieure  du  palais  Ron- 
dinini sur  le  Corso,  doit  être  rapproché  du  médaillon  d'Anto- 
nin  :  il  date  de  la  même  époque  et  se  rapporte  comme  lui  à 
l'arrivée  d'Esculape  à  Rome.  Sa  hauteur  est  de  1"',59,  sa  lar- 
geur de  l™,!!.  On  ne  sait  rien  du  lieu  ni  de  l'époque  de  sa 
découverte.  Un  second  bas-relief,  de  dimensions  pareilles,  lui 
fait  pendant.  Ils  appartenaient  l'un  et  l'autre,  dans  l'antiquité, 
à  une  suite  de  panneaux  sculptés  qui  ornaient  les  murailles 
d'un  édifice  important''.  On  a  jugé  nécessaire,  dans  les  temps 
modernes,  à  la  Renaissance  très  probablement,  de  les  restau- 
rer. Les  transformations  qu'on  a  fait  subir  au  second  sont  trop 
considérables  pour  qu'on  puisse  deviner  ce  qu'il  représentait 
primitivement.  On  y  voit  une  femme  couronnée  de  feuillage, 
assise  dans  une  barque  et  ramant  ;  des  roseaux  llottent  sur 
l'eau.  Seule  la  partie  centrale  de  la  pierre  est  antique.  Le 
premier  bas-relief  a  moins  souffert  et  se  laisse  mieux  inter- 
préter. Un  vieillard  barbu,  de  profil  à  gauche,  émerge  des 
eaux.  Il  lève  la  tête  vers  une  urne  renversée,  située  en  face 
et  au-dessus  de  lui.  Il  recueille  dans  une  patère  qu'il  tient  de 
la  main  droite  l'eau  qui  s'écoule  de  l'urne.  Un  serpent  s'avance 
en  rampant  vers  la  patère.  A  l'arrière-plan  se  dressent  diverses 
constructions,  malheureusement  trop  retouchées  par  une  main 
moderne.  M.  von  Duhn  a  fort  ingénieusement  expliqué  la  scène. 
Le  personnage  principal,  au  centre  du  panneau,  est  le  serpent, 
symbole  d'Esculape.  Les  constructions  à  l'arrière-plan  sont 
celles  de  l'île  tibérine,  baignée  par  le  tleuve.  L'urne  renversée 
signifie,  dans  le  langage  conventionnel  de  l'art   antique,  que 

1.  Petersen,  Briicke  oder  Navale,  dans  les  Miltheil.  des  archiiol.  Instit.,  Rœm. 
Abth.,  1900,  p.  352.  —  Voir  aussi  les  objections  de  0.  Righter,  Topogr.  d.  St. 
Ro7n,  2'  éd.,  1901,  p.  203,  note  4. 

2.  Von  Duhn,  Bullett.  delVInstit.  archeol.,  1879,  p.  7  ;  —  Matz-Von  Duhn. 
Antike  Bildwerke  in  Rom,  Leipzig,  1881-1882,  t.  III,  p.  40;  —  Von  Duhn,  Due 
bassovilievi  del  palazzo  Rondinini,  dans  les  Miltheil.  des  archûol.  Instit., 
Rœm.  Abtfi.,  1886,  p.  167 


i82 


LE    SANCTUAIRE    D  E8CDLAPE 


l'ilc  renfermait  une  source.  Le  dieu  du  Tibre,  figuré,  comme 
toujours,  par  un  vieillard  à  demi  couché  dans  le  fleuve  qu'il 
incarne,  offre  à  Esrulapo  l'eau  de  la  source.  Le  bas-relief 
Rondinini  fait  suite,  en  quelque  sorte,  au  médaillon  d'Antonin. 


FiG.  20.   —  BAS-BELIEK  DU   PAI.AIS  BONDINTN'I 

(Mittheil.  des  archàol.  Jnstit.,  liœm.  Abth.,  188G,  pi.  IX). 


Celui-ci  nous  montrait  le  serpent  quittant  le  navire  des  ambas- 
sadeurs romains  i)Our  se  rendre  dans  l'île,  où  l'accueille  Tibe- 
rinus,  et  choisir  remplacement  de  sa  nouvelle  demeure.  Et 
maintenant,  le  serpent,  établi  dans  son  temple,  vient  s'abreuver 
à  la  source  sacrée  dont  Tiberinus  lui  fait  les  honneurs.  M.  von 
Duhn  attribue  les  bas-reliefs  Rondinini  à  l'époque  des  Anto- 
nins,  et  plus  particulièrement  au  règne  même  d'Antonin  le 
Pieux.  Ils  faisaient  partie  d'un  ensemble  de  panneaux  décoratifs 


l'arrivée  du  serpent  d'épidacre 


183 


reproduisant  les  principaux  épisodes  de  riiistoire  d'Esculape 
et  de  son  arrivée  légendaire  à  Rome.  A  quel  édifice  pouvaient- 
ils  mieux  convenir  qu'au  temple  principal  du  dieu  de  la  méde- 
cine? C'est  dans  l'île,  selon  toute  vraisemblance,  qu'Antoninle 


FiG.  21.  —  BAS-RELIEF   DU  PALAIS  RONDIXINI. 

{Mittheil.  des' arehàol.  Instit.,  Rœm.  Abth.,  1886,  pi.  X). 

Pieux  les  aura  fait  placer  pour  lui  rendre  hommage  et  embellir 
son  sanctuaire  ;  c'est  là  qu'on  les  aura  retrouvés  à  la  Renaissance. 
Médaillon  et  bas-relief  illustrent,  pour  ainsi  dire,  les  textes 
de  Valère  Maxime  et  d'Ovide.  Les  œuvres  littéraires  et  les 
monuments  figurés  s'éclairent  mutuellement.  Ils  nous  racontent 
les  uns  et  les  autres,  à  leur  façon,  la  venue  merveilleuse  du 
serpent  d'Epidaure,  que  n'oublièrent  jamais  les  imaginations 
romaines,  et  la  fondation  du  premier  temple  d'Esculape  au 
milieu  du  Tibre. 


CHAPITRE  HT 

LE     TEMPLE     D'ESGULAPE 

ET   SES  DÉPENDANCES 


Fondation  et  fête  annuelle.  —  Le  serpent  sacré  fut  ramené 
d'Epidauro  à  Rome  en  463/291.  La  construction  du  temple 
d'Esculape  dans  l'île  tibérine  dut  être  aussitôt  commencée  ^ 
Nous  ne  savons  pas  en  quelle  année  se  fît  la  dédicace;  ce  fut 
sans  doute  deux  ans  plus  tard,  en  465/289.  Elle  eut  lieu  aux 
kalendes  de  janvier  :  la  fête  anniversaire  de  la  fondation  était 
célébrée  ce  jour-là.  Ovide,  au  premier  livre  des  Fastefi,  assure 
que  les  deux  temples  d'Esculape  et  de  Jupiter  dans  l'ile  ont 
été  consacrés  le  l*""  janvier ^  : 

«  Voici  maintenant  ce  qu'il  m'a  été  permis  de  lire  dans  les 
Fastes  mêmes.  En  ce  jour  nos  pères  consacrèrent  deux 
temples.  L'ile,  que  le  Tibre  entoure  de  ses  deux  bras,  reçut 
Esculape,  né  de  Phœbus  et  de  la  nymphe  Coronis.  Jupiter  lui 
est  associé.  Un  même  lieu  les  réunit  et  le  temple  du  petit-fils 
est  joint  à  celui  de  son  illustre  aïeul.  » 


1.  Les  textes  relatifs  au  temple  d'Esculape  dans  l'île  sont  indiqués  dans 
AusT,  (le  JLdibus  sacris  popuii  romani,  p.  13,  n°  24;  —  Kiei'ekt-Hlelsen,  lYo- 
mencl.  lopogr.,  p.  74;  —  et  dans  Homo,  Lex.  de  lopogr.  rom.,  p.  542.  —  Cf.  Jok- 
DAN,  de  ÂHsculapii,  Fauni,  Vejovis  Jovisque  sacris  urbanis,  dans  les  Commen- 
lationes  in  honurem  Mommseni,  Berlin,  1877,  p.  359. 

2.  OviD.,  FasL,  I,  289  : 

Quod  tamen  ex  ipsis  licuit  mihi  discerc  fastis, 

Sacràvere  patres  hac  duo  templa  die. 
Acceptt  Phœbo  nymphaquc  Curonide  oatum 

Insula,  dividua  qiiam  premit  amnis  aqua; 
Jupiter  in  parte  est.  Cepit  locus  unus  utrumque 

Junctaque  sunt  magna  tempia  nepotis  avo. 


LE    TEMPLE    d'eSCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  185 

Le  témoignage  d'Ovide  est  confirmé  par  le  calendrier  de 
Preneste,  rédigé  au  début  du  f  siècle  de  l'ère  chrétienne.  On 
y  lit,  à  la  date  du  1"''  janvier  : 

[jEscii\lapio  Vedioviin  insida ^ 

fête  d'Esculape  et  de  Vejovis  dans  Tîle  *. 

Un  calendrier  plus  récent,  composé  au  milieu  du  iv"  siècle 
après  Jésus-Christ  et  connu  sous  le  nom  de  Fastes  de  Philo- 
calus,  fait  mention  d'une  seconde  fête  annuelle  d'Esculape  à 
Rome,  le  11  septembre,  ïi{atalis)  Asclepi'-.  11  n'est  pas  probable 
que  cette  seconde  fête  concernât  le  sanctuaire  de  l'île  tibé- 
rine  ;  elle  se  rapportait  plutôt  à  un  autre  édifice  romain  cons- 
truit en  l'honneur  d'Esculape  ;  la  forme  Asclepi,  exactement 
calquée  sur  le  mot  grec  'Aay.A'^-tôç,  indique  une  époque  assez 
basse;  le  dieu  de  la  médecine  possédait  certainement  sous 
l'Empire  plusieurs  temples  à  Rome,  outre  celui  de  l'île;  l'un 
d'entre  eux  était  situé,  semble-t-il,  dans  les  thermes  de  Trajan'^ 

Position  et  vestiges. —  On  admet  en  général  que  l'Asklépieion 
occupait  la  partie  méridionale  de  l'île  tibérine,  où  s'élève 
maintenant  l'église  Saint-Barthélémy'*.  Deux  inscriptions  con- 
cernant le  culte  d'Esculape  ont  été  trouvées  l'une  devant 
l'église^,  l'autre  dans  le  jardin  du  couvent  de  franciscains  qui 
la  borde '^.  L'éghse  elle-même  renferme  de  nombreux  frag- 
ments antiques  :  colonnes  du  portique  et  de  la  nef  principale, 
architrave  gisant  à  terre  sous  le  péristyle,  cuve  de  porphyre 
sous  le  maître-autel,  débris  de  marbre  utilisés  dans  le  campa- 
nile et  dans  les  pavements  en  mosaïque.  Les  quatorze  colonnes 
de  la  nef  principale  ont  belle  apparence;  onze  sont  en  granit, 
les  autres  en  marbre  grec  et  en  marbre  africain.  Elles  n'ont 
pas  toutes  la  même  hauteur;  on   les    a  prises   à  des   édifices' 


1.  C.  I.  L.,  I,  20  6(1.,  p.  231. 

2.  c.  I.  L.,  I,  2"  éd.,  p.  212. 

3.  Une  inscription  en  grec  dédiée  à  Esculape  a  été  trouvée  auprès  des 
thermes  de  Trajan  (C.  1.  Gk.,  5974);  elle  est  antérieure  à  Dioclétien.  Dans  la 
Passion  des  Quatre  saints  couronnés  il  est  question  d'un  temple  romain  d'Es- 
culape au  temps  de  Dioclétien  ;  Benhdorf  croit  que  cet  édifice  était  situé 
auprès  du  Colisée  (Benndorf,  dans  les  Unters.  zur  rôm.  Kaisergesch.  de  BOdin- 
GER,  Leipzig,  1368-1870,  t.  111,  p.  354). 

4.  Voir  notamment  la  Beschk.  d.  St.  Rom,  t.  111,  3,  p.  363  ;  —  Becker, 
Topogr.  d.  St.  Rom,  p.  561,  etc. 

5.  G.  I.  L.,  VI,  7. 

6.  G.  I.  L.,  VI,  12. 


186  LE    SANCTUAIRE   d'eSCULAPE 

différents,  sans  doute  un  temple  d'Esculape  lui-môme  et  aux 
portiques  qui  l'entouraient.  Deux  d'entre  elles,  l'une  à  droite 
dans  la  nef,  l'autre  à  gauche,  sont  supportées  par  des  bases 
assez  bien  conservées,  toutes  pareilles,  d'ordre  corinthien, 
hautes  chacyne  de  0°,28,  que  décorent  des  palmettes,  des 
fleurons,  des  perles  ;  la  base  do  droite  a  gardé  en  partie    son 


Fio.  22.  —  BASE  d'une  colonne  antique  dans  l'égltse  saint-barthélemy. 
D'après  une  photographie  prise  en  1899. 

chapelet  de  perles;  sur  celle  de  gauche  il  a  disparu.  La 
première  repose  sur  un  soubassement  rectangulaire  qui  mesure 
0'",86  de  longueur  sur  0™, 11  de  hauteur;  la  seconde  s'appuie 
directement  sur  le  sol  de  l'église.  Il  paraît  bien  certain  que  la 
plupart  de  ces  fragments  antiques  proviennent  du  temple  et  de 
ses  annexes.  L'église  chrétienne  a  succédé  au  sanctuaire 
païen . 

Discussion  d'une  hypothèse  de  Canina.  —  Malgré  toutes  les 
raisons  qui  militent  on  faveur  de  cette  opinion,  Canina  l'a  con- 
testée. Il  a  émis  l'hypothèse  que  le  temple  d'Esculape  était 
placé  non  pas  à  la  pointe  sud  de  l'Ile,  mais  dans  la  partie  cen- 
trale, entre  l'église  actuelle  de  Saint-Jean-Caljbite  et  le  pont 
Cestius'.  Il  s'appuie  sur  le  texte  d'Ovide  cité  plus  haut  et  sur 

1.  Cani.\a,  Sul  lempio  di  Giove  tipIV  isola  tiberina,  dans  le  Bullett.  deW  Inslit. 
archeoL,  1854,  p.  xxxviii.  —  Sur  l'un  des  deux  plans  restaurés  de  l'île  tibé- 


LE    TEMPLE    D  ESCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  187 

quelques  mots  d'un  érudit  de  la  Renaissance,  Mazocchi.  D'après 
Ovide,  le  temple  d'Esculape  ^t  celui  de  Jupiter  se  trouvaient 
à  côté  l'un  de  l'autre,  ils  étaient  reliés  l'un  à  l'autre,  cepit  locua 

nmts  îitrumqtie juncta   templa.    Or  une   inscription   sur 

mosaïque  dédiée  à  Jupiter  Jurarius,  qu'on  a  découverte  en  1854 
dans  les  fondations  des  dépendances  de  Saint-Jean-Calybite,  un 
peu  à  l'ouest  de  l'église,  nous  renseigne  sur  la  véritable  position 
de  l'un  de  ces  deux  édifices^;  elle  nous  fait  connaître  par  cela 
même  la  position  du  second,  qui,  on  le  sait,  lui  était  contigu. 
C'est  au  centre  de  l'île,  sur  la  même  ligne,  au  nord  de  la  via 
inter  duos  pontes,  qu'Esculape  et  Jupiter  avaient  dans  l'anti- 
quité leurs  demeures  ;  celui-ci  était  plus  rapproché  du  pont 
Fabricius,  celui-là  du  pont  Cestius.  La  plupart  des  compilations 
épigraphiques  des  xv"  et  xvi^  siècles  affirment  qu'une  inscrip- 
tion relative  au  culte  du  dieu  de  la  médecine  a  été  trouvée 
devant  l'église  Saint-Barthélémy.  Mais  Mazocchi,  le  plus  an- 
cien des  auteurs  qui  la  rapportent,  déclare  simplement,  sans 
parler  de  l'église,  qu'il  a  vu  l'inscription  in  domo  D.  Marci  de 
insula-.  Ces  mots  ne  signifient  pas  :  dans  l'église  de  Saint-Marc 
de  insîfla;  il  n'y  a  jamais  eu  d'église  de  ce  nom.  Il  faut  tra- 
duire :  dans  la  maison  d'un  certain  Marc  deWisola.  Mazocchi 
parle  de  ce  texte  en  terminant  sa  description  de  l'île  tibérine, 
immédiatement  avant  de  s'occuper  du  Transtévère.  Marc 
deir isola  habitait  donc  à  l'ouest  de  l'île,  auprès  du  pont  Ces- 
tius, par  lequel  on  passait  sur  la  rive  droite  du  Tibre.  La 
place  de  l'inscription  indique  celle  du  temple  auquel  elle  appar- 
tenait primitivement. 

Aux  deux  arguments  qu'avait  fait  valoir  Canina,  Preller,  qui 
adopte  son  hypothèse,  en  ajoute  un  troisième''.  On  a  recueilli, 
en  1854,  auprès  de  Saint-Jean-Calybite  et  de  la  mosaïque  de 
Jupiter  Jurarius,  des  ex-voto  en  terre  cuite  représentant  diverses 


rine  qu'a  donnés  Canixa,  Architettura  antica,  t.  III,  pi.  CVIII  (Voir  plus 
loin,  p.  323),  le  temple  d'Esculape  occupe  exactement  le  centre  de  l'île,  et  le 
temple  de  Jupiter,  la  pointe  d'aval  :  hypothèses  que  contredisent  tous  les  textes 
littéraires  et  épigraphiques.  Sur  l'autre  plan  restauré,  gli  Edifizi  di  Roma  antica, 
t.  IV,  pi.  CGXLI  (Voir  plus  loin,  p.  325),  Canina  a  tenu  compte  des  découvertes 
de  1834  :  il  place  encore  le  temple  d'Esculape  au  centre  de  l'ile,  mais  ceux, 
plus  petits,  de  Jupiter  et  de  Faunus  lui  sont  contigus,  le  premier  du  côté  de 
la  rive  gauche  du  Tibre,  le  second  du  côté  de  la  rive  droite;  tous  les  trois 
ont  la  même  orientation. 

1.  G.  I.  L.,  I,  1"  éd.,  1105,  et  VI,  379.  —  Cf.  plus  loin,  p.  236. 

2.  Mazocchi,  cité  au  C.  I.  L.,  VI,  7. 

3.  Preller-Jordan,  Rœm.  MythoL,  t.  II,  p.  242,  note. 


i88  LE    SANCTUAIRE    D  ESCDLAPE 

parties  du  corps  humain  ;  les  anciens  avaient  l'habitude  d'offrir 
ces  objets  à  Esculape  en  reconnaissance  des  guérisons  qu'il 
leur  avait  procurées  ;  le  sanctuaire  du  dieu  de  la  médecine  doit 
être  cherché,  par  conséquent,  aux  environs  de  Saint-Jean-Ca- 
lybite. 

"Mais  on  peut  objecter  à  Preller  que  les  favissse  des  temples, 
où  l'on  déposait  les  ex-voto  hors  d'usage,  en  étaient  quelque- 
fois assez  éloignées.  L'édifice  principal  pouvait  fort  bien  se 
trouver  au  sud  de  l'ile  et  un  dépôt  d'ex-voto  au  centre.  Qui 
nous  dit,  d'ailleurs,  que  les  petits  objets  de  Saint-Jean-Caly- 
bite  n'ont  pas  été  consacrés  à  Jupiter  lui-même,  qui  avait  un 
monument  à  cet  endroit'?  Les  raisonnements  de  Canina  ne 
sont  pas  non  plus  convaincants.  On  ne  sait  rien  de  cette  domus 
D.  Marci  que  nomme  Mazocchi,  sinon  qu'elle  était  située  dans 
l'île.  En  admettant  même  qu'elle  fût  voisine  du  pont  Cestius, 
ce  qui  n'est  pas  \  rouvé,  l'inscription  qu'on  y  conservait  a  pu 
être  découverte  à  quelque  distance  et  portée  ensuite  dans  la 
maison.  On  n'a  pas  le  droit  de  construire  toute  une  théorie  sur 
une  base  si  fragile.  D'autre  part,  Canina  interprète  trop  étroite- 
ment les  vers  d'Ovide;  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  les 
temples  d'Esculape  et  de  Jupiter  se  touchaient  ;  les  mots  locus 
unus  ne  désignent  que  l'île  tibérine  elle-même,  dont  le  terri- 
toire renfermait  à  la  fois  les  demeures  de  Jupiter  et  d'Esculape  ; 
les  mots  jiincta  templa  font  allusion,  semble-t-il,  aux  por- 
tiques qui  encadraient  les  sanctuaires  et  les  reliaient  en  effet 
l'un  à  l'autre.  L'hypothèse  aventureuse  de  Canina  n'est  pas 
admissible.  Il  n'y  avait  point  place  entre  les  deux  ponts  pour 
deux  grands  édifices  juxtaposés.  L'opinion  traditionnelle  est 
seule  vraisemblable.  Si  le  temple  de  Jupiter,  comme  l'ont 
montré  les  fouilles  de  1854,  était  au  centre  de  l'île,  près  de 
Saint-Jean-Calybite,  celui  d'Esculape,  ainsi  qu'en  témoignent 
les  inscriptions  trouvées  aux  abords  de  Saint-Barthélomy  et  les 
débris  antiques  conservés  dans  l'église,  s'élevait  plus  au  sud, 
vers  la  pointe  d'aval. 

Orientation.  —  Le  temple  d'Esculape  devait  avoir  dans  l'an- 
tiquité la  même  orientation  que  l'église  moderne  qui  l'a  rem- 
placé. La  façade  était  donc  tournée  vers  le  nord,  comme  l'est 
maintenant  le  portique   de   Saint-Barthélémy.  La    disposition 

1.  Cf.  plus  loin,  p.  261." 


LE    TEMPLE    D  ESCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  189 

générale  du  terrain  ne  permettait  aucune  autre  orientation. 
Il  n'était  pas  possible  que  le  temple  eût  sa  façade  du  côté 
opposé,  c'est-à-dire  au  sud.  Les  fidèles  venus  de  la  ville  par 
le  pont  Fabricius  et  du  Transtévère  par  le  pont  Cestius  n'au- 
raient aperçu  devant  eux,  à  leur  arrivée,  que  le  mur  de  fond 
de  la  cella.  Il  n'était  pas  possible  non  plus  que  le  sanc- 
tuaire fût  orienté  de  Test  à  l'ouest  ou  de  l'ouest  à  l'est. 
L'île  tibérine  n'avait  pas  assez  de  largeur  dans  ce  sens  pour 
que  le  temple  et  toutes  les  constructions  secondaires  qui 
l'entouraient  pussent  s'y  développer.  Les  Romains  la  compa- 
raient à  un  navire  qui  remontait  le  fleuve.  Nulle  place  ne 
convenait  mieux  à  Esculape  que  celle  du  pilote,  à  l'arrière, 
regardant  l'amont  ^ 

Le  temple  sous  la  République.  —  On  connaît  mal  l'histoire  du 
temple  et  de  ses  transformations  successives.  Une  inscription 
mutilée,  découverte  à  la  Renaissance  devant  l'église  Saint- 
Barthélemy,  est  ainsi  conçue-  : 

...A.L...S L[uciï)  f{iliu!i) Flaccus  \  aid{ilei>)  d[e)  stipe .4^scii- 
lapi  I  facmnduni  locavere  \  eidem  pr{œtores)  probavere . 

D'après  l'apparence  des  lettres  et  les  formes  orthographiques 
ce  texte  remonte  aux  derniers  temps  de  la  République.  Il  se 
rapporte,  selon  toute  vraisemblance,  à  une  réfection  partielle 
du  monument.  Les  édiles,  parmi  lesquels  était  un  personnage 
portant  le  cognomen  deFlaccus^,  ont  fait  entreprendre  le  tra- 
vail, que  plus  tard  en  qualité  de  préteurs,  ils  ont  reçu  et 
approuvé.  Il  arrivait  souvent  qu'un  préteur  eût  à  recevoir  un 
travail  dont  il  avait  lui-même,  auparavant,  pendant  son  édilité, 
prescrit  l'exécution.  C'est  ainsi  qu'en  560/194,  Cn.  Domitius 
Ahenobarbus,  préteur,  dédia  dans  l'île  tibérine  un  temple  de 
Faunus,  commencé  en  558/196,  ce  môme  Cn.  Domitius  Aheno- 
barbus étant  édile  ^.  La  réfection  eut  lieu  de  stipe  JEscidapii; 
le  mot  stips  a  dans  le  langage  religieux  un  sens  très  précis  ; 
il  désigne  l'argent  offert  aux  dieux  par  une  collecte  des  fidèles, 


1.  NissEN,  Veher  Tempel-Orientirung ,  dans  le  Rheinisches  Muséum,  t.  XXVIII, 
1873,  p.  o47,  et  t.  XXIX,  1874,  p.  392.  ' 

2.  G.  I.  L.,  VI,  7. 

3.  On  a  proposé  de  restituer  au  début  de  la  première  ligne  le  nomen 
[V]al[eriu]s.  Mais  il  y  a  dans  le  texte,  entre  TA  et  l'L,  un  point  très  visible 
et  un  espace  vide  (G.  1.  L.,  VI,  7J. 

4.  Cf.  ci-dessous,  p.  189. 


190  LE  SANCTUAIRE  D  ESCCLAPE 

le  produit  <lc  leurs  cotisations  volontaires'.  Le  pavement  en 
mosaïque  consacré  à  Jupiter  Jurarius  avait  été  placé,  lui  aussi, 
aux  frais  de  la  caisse   du    sanctuaire  de  cette   divinité,   de 

Des  peintures  décoraient,  dès  l'époque  républicaine,  les 
luurailles  des  temples  romains.  Les  unes  étaient  des  aMiM(  s 
grecques,  enlevées  aux  monuments  des  villes  conquises  cl 
apportées  à  Rome  comme  butin  ;  elles  représentaient  des 
scènes  légendaires  de  la  mythologie  hellénique.  Les  autres 
avaient  pour  auteurs  des  artistes  travaillant  à  Rome  même  et 
pour  les  Romains  ;  on  y  voyait  retracés  des  épisodes  de  l'his- 
toire nationale,  des  batailles,  des  sièges  de  villes*^.  Tite-Live 
raconte  qu'en  584/170  le  préteur  Lucretius  orna  de  tableaux, 
ramenés  de  Grèce,  le  temple  d'Esculape''.  On  a  cru  quelquefois 
qu'il  voulait  parler  de  celui  de  l'île  tibérine''.  Il  n'en  est  rien. 
Le  contexte  prouve  qu'il  est  question  en  ce  passage  du  temple 
d'Esculape  à  Antium,  Nous  avons  tout  lieu  de  supposer  qu'à 
maintes  reprises  des  œuvres  d'art,  prises  aux  cités  vaincues 
de  Grèce  ou  d'Asie,  ont  été  déposées  comme  offrandes  par  les 
généraux  romains  dans  le  sanctuaire  de  lile,  mais  les  documents 
littéraires  et  épigraphiques  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous  n'en 
disent  rien.  Varron  déclare,  en  revanche,  au  VIP  livre  du 
de  Lingiia  latina^  qu'il  y  avait  de  son  vivant,  dans  le  vieux 
temple  d'Esculape,  une  peinture  sur  laquelle  étaient  figurés  des 
ferentarii^K  Cet  œdes  vêtus  .^scidapi  ne  peut  être  que  le 
temple  de  ïinsida  tihcrina.  Les  Romains  appelaient  ferenhirii 
des  cavaliers  armés  de  traits  qu'ils  brandissaient  comme  des 

1.  DiGEST.,  L.  16,  27  :  Stipendium  a  slipe  appellatum  esl,  quod  per  stipes  id  est 
modica  sera  colligatur. 

2.  Cf.  ci-dessous,  p.  2i)6. 

3.  E.  CocHBAUD,  le  lias-relief  romain  à  représentations  historiques,  Paris,  1899, 
p.  195. 

4.  Liv.,  XLllI,  4  :  Crudelius  avariusque  in  Grsecia  bellatum  et  a  consule 
Licinio  et  a  Lucrelio  praetore  erat.  Lucrelium  lril)uni  plebis  altsentem  concio- 
nibus  assiduis  laceralutnt,  cum  reipublicœ  causa  abesse  excusaretur  :  sed  tum 
adeo  vicina  etiain  incrplorata  erant.  tit  is  eo  lempore  in  agro  suu  Antiali  esset, 
aquainque  ex  manubiis  Antium  ex  flumine  Loracinœ  duceret.  ht  opus  cenlum 
triffinla  millibus  œris  locasse  dicitur;  tubulis  quoque  pictis  ex  prœda  funum 
Aisculapii  exornavit. 

5.  Voir,  par  exemple,  Nibiiy,  Ro7na  anlica,  t.  Il,  p.  664. 

6.  Vahuo,  de  Ling.  /o/.,  VII.  '.il  (à  propos  d'un  vers  du  Trinummus  de  Plaute, 
où  se  rencontre  le  mot  ferentorius)  :  Ferentarium  a  ferendo,  id  [qund  non}  est 
inane  ac  sine  frnctu,  aut  quod  ferenlarii  équités  Id  ilicti  qui  ea  modi  habeimnt 
arma  quse  ferrenlur  ut  jaculum.  Ihiiuscemodi  équités  pictos  vidi  in  JEsculapii 
sede  vetere  et  ferenlarios  adscriptos. 


LE    TEMPLE    d'eSCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  191 

javelots.  On  s  étonne  de  rencontrer  cette  image  guerrière  dans 
un  édifice  appartenant  au  dieu  pacifique  de  la  médecine.  Peut- 
être  avait-elle  été  placée  en  ex-voto  sur  le  mur  du  sanctuaire 
par  un  ferenlarina  qui  devait  à  Esculape  la  guérison  de  ses 
blessures.  D'après  Jordan,  une  peinture  sépulcrale,  trouvée  à 
Rome  en  1877,  pourrait  nous  donner  une  idée  de  cette 
fresque  ;  elle  semble  contemporaine  de  la  guerre  sociale  ;  on 
y  distingue  une  citadelle,  des  tours,  des  soldats  combattante 

Varron  a  écrit  le  de  Lingua  latina  avant  l'année  711/43; 
la  peinture  des  ferentarii  est  donc  antérieure  à  cette  date. 
L'inscription  des  édiles  a  été  composée  pareillement  à  la  fin 
de  la  République.  Jordan  rapproche  ces  deux  faits  et  remarque 
que  la  construction  du  pont  Fabricius  fut  entreprise  vers  le 
même  temps,  en  692/62^.  L'établissement  du  premier  pont 
de  pierre  entre  l'île  et  la  ville  aura  coïncidé  avec  une  res- 
tauration du  temple.  On  a  noté  précédemment  que  les  sculp- 
tures du  revêtement  en  pierre  de  l'île  tibérine  paraissent  devoir 
être  attribuées  aussi  à  cette  époque -^ 

Pendant  les  guerres  civiles  du  dernier  siècle  de  la  Répu- 
blique il  n'est  fait  dans  les  textes  qu'une  seule  allusion  au 
temple  d'Esculape.  En  711/43,  après  l'entrée  des  triumvirs 
dans  Rome,  des  prodiges  menaçants  se  manifestèrent  :  les 
enseignes  des  troupes  qui  gardaient  la  ville  se  couvrirent  de 
toiles  d'araignées,  on  vit  des  armes  s'élever  de  la  terre  au  ciel 
et  on  les  entendit  retentir  bruyamment;  pendant  les  fêtes 
appelées  esculapiennes,  des  abeilles  se  réunirent  en  grand 
nombre  au  sommet  du  temple  du  dieu  médecin;  des  troupes 
épaisses  de  vautours  se  posèrent  sur  celui  du  Génie  du  peuple 
et  sur  celui  de  la  Concorde  ^.  Les  principales  fêtes  d'Esculape 
à  Rome  étaient  célébrées  dans  l'île  ;  c'est  donc  en  cet  endroit 
que  se  réunirent  les  abeilles. 

Le  temple  sous  l'Empire.  —   Une  nouvelle  restauration  eut 


1.  Joudax,  de  A^sculapil,  Faunl,  Vejovis  Jovisqiie  sncris  urbanis,  dans  les 
Comment,  in  hon.  Mommseni,  p.  3o9.  —  Cette  peinture  est  reproduite  et  étudiée 
pur  E.  CouuBAUD,  op.  cit.,  p.  204.  —  Cf.  \V.  IIelbio,  Fuhver  durcit  die  Summl. 
klass.  Alt/tert/ium.  im  Rom,  2"  éd.,  Leipzig,  1899,  t.  I,  p.  420. 

2.  JoKOAN,  loc.  cit. 

3.  Cf.  ci-dessus,  p.  42. 

4.  Gass.  Dio.,  XLVI1,2  :  Kal  èv  toïç  'AtrxXriTrtetot;  [/.éXio-o-ai  è;  tyjv  axpav  7io),Xal 
(j-jv£(j-rpâçr|(Tav,  vCtté;  te  èrzi  ■zt  to"j  vew  to-j  revt'ou  toO  6r,[A0"j  x al  £7:1  tov  tt,; 
'0(Aovoiaî  na[X7t)>r,6cï;  tSp-j8r,iTav. 


102  LE    SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

lieu  SOUS  l'Einpiro,  au  temps  des  Antonins.  Il  y  eut  alors  à 
Rome  et  dans  tout  le  monde  romain  une  véritable  renaissance 
du  paganisme.  Les  Antonins  s'efforcèrent  de  ranimer  le  senti- 
ment religieux,  de  remettre  en  honneur  les  anciens  cultes,  de 
réagir  contre  l'indifférence  et  la  désaffection  qui  allaient 
croissant  depuis  des  siècles'.  Leur  tentative  profita  tout  parti- 
culièrement à  Esculape.  Ils  avaient  pour  lui  une  vive  dévotion. 
Us  comblèrent  de  présents  les  villes  de  Grèce  et  d'Asie,  où 
étaient  situés  ses  plus  célèbres  sanctuaires.  Ils  firent  frapper,  à 
Epidaure  et  à  Pergame,  des  monnaies  nouvelles,  sur  lesquelles 
il  était  figuré  avec  ses  attributs  traditionnels  2.  Des  médaillons 
romains  d'Hadrien  et  de  Marc-Aurèle  le  représentent  debout, 
le  bâton  à  la  main,  ou  bien  avec  Hygie,  le  serpent  sacré  à 
leurs  côtés  ^.  Marc-Aurèle  prétendait  avoir  vu  en  songe  le  dieu 
de  la  médecine  et  tenir  de  lui  des  remèdes  merveilleux''. 
L'exemple  donné  par  les  empereurs  fut  partout  suivi.  Jamais 
le  culte  d'Esculape  n'avait  été  aussi  florissant.  Le  rhéteur 
^lius  Aristide  entreprend  de  longs  voyages  pour  obtenir 
d'Esculape  sa  guérison  ;  il  se  rend  en  pèlerinage  à  ses  temples 
réputés,  qu'il  visite  tous  l'un  après  l'autre''.  Le  devin  Alexandre 
d'Abonotichos  proclame  que  le  dieu  de  la  médecine  s'est 
montré  à  lui  sous  la  forme  d'un  dragon  à  tête  humaine,  qu'il 
appelle  Glykon  et  qu'il  propose  à  la  vénération  publique  ^'.  A  la 
même  époque,  un  collège  funéraire  de  Rome  se  place  sous 
l'invocation  d'Esculape  et  d'Hygie'^.  Aucun  empereur  du 
H*  siècle  ne  s'est  intéressé  autant  qu'Antonin  le  Pieux  à  ce 
culte.  Dès  avant  son  avènement  il  avait  fait  élever  à  Epidaure 
des  monuments  nouveaux  et  magnifiques^.  Plus  tard,  il  parait 
s'être  occupé  spécialement  du  sanctuaire  de  l'ile  tibérine.  Les 
inscriptions  les  plus  intéressantes  que  l'on  ait  découvertes  à 
cet  endroit  ont  été  rédigées  peut-être  pendant  son  règne  ^. 

1.  Cf.  BoissiER,  la  Religion  romaine  d'Auguste  aux  Antonins,  Paris,  1814,  t.  H. 
•2.  Article  jEsculapius,  par  Robioc,  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.  de  Dakem- 
BEHO  et  Saolio,  t.  I.  p.  i2a. 

3.  Fkoiinek  les  Médaillons  romains,  p.  33,  p.  86. 

4.  Makc.  Auhel.,  Kt;  éauT(5v,  1,  17. 

5.  11  a  raconté  ses  voyages  dans  ses  Discours  sacrés,  'lepol  loyoî,  et  dans 
son  écrit  intitulé  El;  'A<Tx/,r,7rtov. 

6.  Babklo.n,  le  Faux  Prophète  Alexandre  d'Abonotichos,  dans  la  Revue  numis- 
matique. 1900,  p.  1.  —  Article  D/j/.wv  dans  le  Lexicon  de  Roscher.  —  Voir  le 
petit  traité  de  Luciax.,  intitulé  Alexander  seu  pseudomantis. 

1.  C.  1.  L.,  VI,  10.234  :  Lex  collegii  Aisculapii  et  Hygise. 

8.  Pausan.,  h,  27,  6. 

9.  Cf.  ci-dessous,  p.  214. 


LE    TEMPLE    D  ESCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  193 

C'est  alors  aussi  que  l'on  grava  et  que  l'on  sculpta  les  médail- 
lons et  les  bas-reliefs  commémoratifs  de  l'arrivée  d'Esculapc 
à  ;Rome^  Les  bas-reliefs  du  palais  Rondinini  faisaient  partie 
d'une  suite  de  grands 
panneaux  décoratifs  ; 
l'édifice  dont  ils  or- 
naient primitivement 
les  murs,  d'après  une 
mode  très  répandue 
au  11^  siècle,   n'était 
autre,  sans  doute,  que 
le  temple   même  de 
l'île,   reconstruit    ou 
réparé  par  Antonin-. 

La  statue  d'Escu- 
lape.  —  Une  statue 
en  marbre  grec,  plus 
grande  que  nature, 
a  été  trouvée  à  la 
Renaissance  dans  l'Ile 
tibérine  ;  on  l'a  trans- 
portée dans  les  jar- 
dins Farnèse  au  Pa- 
latin, et  ensuite  au 
musée  de  Naples,  où 
elle  est  encore^.  C'est 
une  médiocre  copie, 
faite  à  l'époque  im- 
périale, d'une  œuvre 
grecque.  Esculapeest 
représenté  debout  , 
barbu,  âgé.   Il    tient 

(le  la  main  droite  le       fig.  23.  —  statue  d'esculape  du  musée  de  naples 
bâton  sacré ,  sur  le-  (ciiché  Aiinari). 

quel  s'enroule  le  ser- 
pent ;  à  sa  gauche,  l'omplialos  de  Delphes  fait  allusion  à  sa 

1.  Cf.  ci-dessus,  p.  173. 

2.  Von  Duhn,  Bullelt.  deU'Instit.  aj'cheoL,  1879,  p.  7  ;  —  Mitlheil.  des  archûol. 
InstiL,  Rœm.  Ablh.,  1886,  p.  167. 

3.  Real  Moseo  Bokbo.mco,  Naples,  1824-1837,  t.  IX,  pi.  XLVII.  —  Ficoroxi  {Ves~ 

13 


194  LE    SANCTUAIRE    D  ESCLLAPE 

parenté  mythique  avec  Apollon  et  aux  oracles  qu'il  rend 
comme  lui.  Le  visage  rappelle  le  type  classique  de  Jupiter, 
dont  il  dérive,  mais  les  cheveux  bouclés,  au  lieu  de  flotter  sur 
les  épaules,  sont  relevés  en  partie  sur  la  tête  et  ceints  d'un  ban- 
deau. La  barbe  est  épaisse,  la  moustache  tombante,  l'expression 
de  la  physionomie  majestueuse  et  froide.  Un  manteau  long,  qui 
forme  de  larges  plis,  laisse  à  nu  la  poitrine  et  le  bras  droit; 
le  bras  gauche  est  caché  sous  la  draperie  ;  les  pieds  sont  chaus- 
sés de  brodequins.  Un  grand  nombre  de  statues  d'Esculapo 
debout  nous  ont  été  conservées;  la  plupart  d'entre  elles  res- 
semblent à  celle  du  musée  de  Naples  et  n'en  diffèrent  que  par 
de  légers  détails'.  Quelquefois  le  bâton  est  à  la  gauche  du 
dieu,  et  non  à  sa  droite  ;  quelquefois,  il  tient  dans  l'autre  main, 
laissée  libre,  et  non  plus  dissimulée  sous  les  plis  du  vêtement, 
une  patère  qu'il  tend  en  avant  ;  l'omphalos  ne  figure  pas  tou- 
jours à  côté  de  lui,  mais  toujours  reparaissent  la  môme  expres- 
sion, les  cheveux  bouclés,  la  barbe  épaisse,  le  bâton,  le  ser- 
pent. Toutes  ces  œuvres  ne  sont  évidemment  que  les  répliques 
plus  ou  moins  modifiées  d'un  même  original.  La  plus  célèbre 
statue  d'Esculape,  assis  et  trônant,  était  celle  qu'avait  faite 
Thrasj^mède,  en  or  et  en  ivoire,  pour  le  temple  d'Epidaure-; 
nous  ne  la  connaissons  que  par  les  monnaies.  Il  semble  que 
les  statues  debout  soient  inspirées  d'une  œuvre  en  marbre,  do 
Phyromakos,  qui  ornait  le  temple  de  Pergame-^  Si  le  modèle 
qu'a  imité  l'auteur  de  la  copie  conservée  au  musée  de  Naples 
est  ancien,  la  reproduction,  à  en  juger  par  son  style  empâté, 
la  lourdeur  des  lignes,  l'aspect  de  la  barbe  et  des  cheveux,  ne 
date  au  plus  tôt  que  du  ii"  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Elle  est 
contemporaine  des  médaillons  et  des  bas-reliefs,  et  témoigne 

tigia  e  rarità  di  Roma,  p.  32)  prétend  que  celte  statue  avait  pour  piédestal  la  base 
qui  porte  Tinscription  du  minisler  d'Esculape  Probus  (C.  I.  L.,  VI,  12)  (cf.  ci- 
dessous,  p.  210);  cette  base,  en  effet,  a  été  trouvée,  elle  aussi,  sous  la  place 
San  Bartolomeo.  L'opinion  de  Ficoroni  a  été  reprise  par  Casimiho,  Memorie 
isloriche,  p.  330,  en  note;  —  par  Ve.nlti,  Descriz.  topogr.  di  Roma,  t.  11, 
p.  m,  etc.  Rien  cependant  ne  nous  autorise  à  l'adopter.  L'inscription  de 
Probus  et  la  statue  n'ont  pas  été  découvertes  en  même  temps.  Le  piédestal 
de  la  statue  devait  être  de  très  grandes  dimensions. 

1.  A.  LoEWE,  de  Jlisculapii  figura,  Strasbourg,  1887;  —  article  Asklepios,  par 
TnB.«MER,  dans  la  Real  Encyclopûdie  de  Pauly-VV'issowa,  t.  H,  2,  p.  1690;  — 
S.  Reinach,  Répertoire  de  la  statuaire  antique,  t.  I  et  11,  Index,  s.  v 
Asklepios. 

2.  Pausan.,  II,  27,  2. 

3.  Pakofka,  Asklepios  und  die  Asklepiaden,  dans  les  Abh.  der  Berlin.  Akad., 
1845,  p.  .■^21. 


LE  TEMPLE  D  ESCULAPE  ET  SES  DÉPENDANCES        195 

comme  eux  de  la  popularité  dont  jouissait  Esculape  auj^rès  des 
hommes  de  cette  époque.  Il  est  très  probable  qu'elle  fut  exé- 
cutée sur  Tordre  d'Antonin  le  Pieux,  pour  orner  la  cella  res- 
taurée par  ses  soins. 

Aspect  et  décoration  du  temple.  —  C'est  donc  au  règne 
d'Antonin  le  Pieux  qu'il  faut  se  reporter  par  la  pensée  pour  se 
représenter  dans  tout  son  éclat  le  sanctuaire  de  File  tibérine. 
Construit  en  souvenir  et  à  l'imitation  des  sanctuaires  grecs 
d'Asklépios,  il  devait  leur  ressembler  ;  il  présentait  le  même 
aspect,  il  avait  reçu  une  décoration  analogue.  Il  était,  comme 
eux,  de  petites  dimensions.  On  a  dit  justement  des  Asklépieia 
que  «  d'impérieuses  nécessités  s'y  imposaient  à  l'architecte  ;  il 
fallait  y  ménager  de  grands  espaces  vides  pour  construire  les 
portiques  destinés  à  loger  les  malades,  des  cours  et  des  déga- 
gements pour  permettre  à  la  foule  des  pèlerins  de  circuler  et 
de  se  mouvoir  à  l'aise.  Aussi  le  temple  y  était-il  peu  de  chose, 
une  simple  chapelle  contenant  la  statue  du  dieu  et  les  offrandes 
de  prix,  ou  celles  dont  les  dimensions  exiguës  ne  permettaient 
pas  de  les  exposer  en  plein  air  dans  le  téménos*  ».  Au  pied  des 
marches  qui  conduisaient  à  la  colonnade  du  vestibule,  s'élevait 
l'autel  oîi  l'on  sacrifiait  solennellement  les  victimes  consacrées. 
Au  fond  de  la  cella  se  dressait  l'image  colossale  que  nous  pou- 
vons voir  maintenant  au  musée  de  Naples.  Les  jours  de  fête, 
par  les  portes  entr'ouvertes,  -on  l'apercevait  (de  loin  dans  la 
pénombre,  présidant  aux  cérémonies  du  culte  ;  vers  elle  mon- 
taient les  hymnes  des  prêtres,  les  prières  des  fidèles,  l'encens 
des  sacrifices. 

Ovide,  racontant  l'arrivée  du  serpent  d'Epidaure  à  Rome, 
nous  dit  qu'Esculape  s'est  montré  en  Grèce  aux  ambassadeurs 
romains  «  tel  qu'on  le  voit  d'ordinaire  dans  son  temple,  tenant 
de  sa  main  gauche  un  bâton  noueux  et  de  la  droite  caressant  sa 
longue  barbe-  ». 

Peut-être  le  poète  fait-il  allusion  à  une  statue  qu'il  a  vue 
dans  le  temple  de  l'île  tibérine,  et  qu'aura  remplacée  au  siècle 
des  Antonins  celle  du  musée  de  Naples.  Les  mots  mêmes  qu'il 


1.  P.  Girard,  V Asklépieion  d'Athènes,  Paris,  1881,  p.  15. 

2.  OviD.,  Metam.,  XV,  6o4  : 

...  Qualis  in  xde 
Esse  solet  ;  baculumque  tenons  agreste  sinislra 
Caesariem  longae  dexlra  deducere  barbœ. 


196  LE    SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

emploie  paraissent  indiquer  que  ce  type  iconograpliiquo  était 
assez  répandu  dans  l'antiquité  :  in  œde  esse  solet.  Il  est  re- 
marquable que,  [tarnii  les  très  nombreuses  statues  ou  statuettes 
d'Esculape  qui  nous  sont  parvenues,  aucune  ne  réponde  à  la  des- 
cription d'Ovide'.  Deux  monuments  figurés  doivent  être  cités 
cependant'.  Le  premier  est  une  peinture  de  Ponipei.  Voici  ce 
qu'en  écrivait  Millin  :  «  Le  centaure  Chiron  vêtu  d'une  chlamjde 
et  appuyé  sur  un  bâton  donne  à  Achille,  en  présence  de  Pelée, 
sa  leçon  de  botanique.  Pelée  est  assis  et  tient  un  bâton, 
Achille  a  des  plantes  médicinales  dans  sa  main  gauche  et 
s'appuie  sur  la  lyre  ''.  »  En  réalité,  le  prétendu  Achille  n'est 
autre  qu'Apollon,  couronné  de  laurier,  vêtu  d'une  chlamyde, 
la  cithare  à  la  main  et  l'omphalos  près  de  lui  ;  le  personnage 
assis  estEsculape,  chaussé  de  sandales,  la  main  droite  au  men- 
ton, le  bâton  dans  la  main  gauche'*.  Cette  fresque  représente 
donc  trois  divinités  médicales  :  le  dieu  de  la  médecine  avait 
pour  père  Apollon,  bienfaisant  et  guérisseur  comme  lui-même, 
et  tenait  du  centaure  Chiron  les  secrets  de  son  art.  Le  second 
monument  est  une  monnaie  de  Pergame,  à  l'efngie  de  Faus- 
tine  la  Jeune  ;  on  reconnaît  au  revers  «  Esculape  assis  sur  un 
siège  à  gauche,  portant  la  main  droite  à  sa  bouche  et  tenant 
de  la  gaucho  son  bâton  autour  duquel  est  un  serpent^».  On 
peut  supposer  qu'il  y  avait  dans  l'Asklépieion  de  Pergame  une 
statue  célèbre  qui  correspondait  exactement  à  la  description 
d'Ovide  ;  plusieurs  copies  de  cette  œuvre  connue  auront  été 
portées  en  Italie  ;  l'une  d'elles  décorait,  au  siècle  d'Auguste, 
le  sanctuaire  de  l'ile  tibérine. 

Suétone  raconte  qu'Auguste,  pour  récompenser  de  ses  soins 
le  médecin  Antonius  Musa  qui  l'avait  guéri  d'une  maladie  dan- 
gereuse, lui  fit  élever  par  souscription  une  statue  auprès  de 
celle  d'Esculape''.  Peut-être  veut-il  dire  que  l'image  du  méde- 
cin d'Auguste  avait  été  placée,  elle  aussi,  in  insula.  Un  marbre 
du  musée  du  Vatican,  trouvé  dans  un  jardin  sur  le  Quirinal, 

1.  Voir  A.  LoEWE,  Thr.kmek,  S.  Rei.xacii.  opp.  citt. 

2.  lis  sont  indiqués  par  Panofka,  op.  cit.,  p.  325;  —  et  par  Loewe,  op.  cit., 
p.  67  et  p.  132. 

3.  MiLLix,  Galerie  Mythologique,  Paris,  1811.  t.  II,  p.  70;  pi.  CLIll. 

4.  \V.  IlBLBtG,  Wandgemulde  der  vom    \esuv  verschiltteten  Stûdle  Campa- 
iiiens,  Leipzig,  1869,  p.  54,  n*  202. 

5.  Miox.net,  Descr.  des  médailles  antiques  grecq.  et  vom.,  Supplém.,  Paris, 
1819-1837,1.  V,  p.  443,  n«  1018. 

6.  Sl'Eto.n.,  Aug.,  59  :  Medico  Antonio  Musas  cujus  opéra  er  ancipiti  morbo 
convaluerat,  slaluam  aère  collato  juxta  signum  JEsculapii  slatuerunl. 


LE    TEMPLE    D  ESCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  197 

passe  pour  le  portrait  d'Antonius  Musa;  il  représente  un 
personnage  debout  auprès  de  l'omphalos,  drapé  dans  un  long 
manteau  et  appuyé  sur  un  bâton  où  s'enroule  un  serpent;  la 
figure  est  jeune  et  imberbe;  l'expression  très  personnelle  du 
visage  paraît  indiquer  qu'il  a  été  sculpté  d'après  naturel  Si 
l'attribution  qu'on  a  faite  de  ce  monument  était  exacte,  le 
texte  de  Suétone  ne  pourrait  intéresser  l'île  tibérino  :  c'est 
sur  le  Quirinal  qu'auraient  été  situées  les  statues  voisines 
d'Esculape  et  d'Antonius  Musa.  Mais  cette  attribution  même 
n'est  qu'une  hypothèse  gratuite  ;  il  n'est  pas  sûr  que  le  marbre 
du  musée  du  Vatican  soit  un  portrait  du  médecin  d'Auguste  ; 
peut-être  n'y  faut-il  A^oir  qu'un  Esculape  jeune;  on  sait  par 
Pausanias  que  Calamis  à  Corinthe  et  Scopas  à  Gortyne  avaient 
donné  au  dieu  de  la  médecine  les  traits  d'un  jeune  homme 
imberbe- ;  quelques  sculpteurs  de  l'époque  gréco-romaine  ne 
seraient-ils  pas  restés  fidèles  à  cette  tradition?  Il  est  bien 
vraisemblable  qu'Auguste,  pour  mieux  témoigner  sa  gratitude 
et  son  estime  à  Antonius  Musa,  aura  tenu  à  placer  son  image 
dans  cette  île  tibérine  consacrée  à  l'art  médical  et  où  s'opé- 
raient tant  de  guérisons  merveilleuses. 

D'autres  statues  décoraient  le  temple.  Auprès  d'Esculape 
devaient  être  figurées,  selon  l'usage,  les  divinités  qu'on  lui 
associait  constamment  :  son  fils  Télesphore,  sa  fille  Hygie, 
rTvisia  des  Grecs,  confondue  avec  l'antique  Salus  des  Sabins 
et  des  Latins -^  Il  faut  citer  aussi  les  statuettes,  en  marbre  ou 
en  terre  cuite,  off'ertes  par  les  fidèles.  En  1891  on  a  trouvé  dans 
les  débris  extraits  du  Tibre  à  la  drague,  près  du  pont  Cestius, 
une  figurine  acéphale  d'Esculape,  en  marbre,  haute  de  0™,17, 
reposant  sur  un  petit  pilastre  ovale  ;  le  dieu  est  debout,  enve- 
loppé de  son  manteau,  la  poitrine  et  le  bras  droit  nus;  il  tient 
de  la  main  droite  une  patère  vers  laquelle  un  serpent  en- 
roulé sur  son  bâton  dresse  la  tête;  à  côté  de  son  pied  gauche 
se  voit  l'omphalos^.  On  a  recueilli  aussi  aux  abords  de  l'île 
tibérine  un  grand  nombre  d'ex-voto  en  terre  cuite  ;  nous 
aurons  plus  loin  à  y  revenir"'.  Dans  l'antiquité   la  cella  devait 

1.  W.  IIelbig,  Fuhrer  durch  die  Samml.  klass.  Allerlh.  im  Rom,  2"  éd., 
t.  I,p.  7. 

2.  Pausan.,  II,  10.  3  ;  VIII,  28,  1. 

3.  Sur  les  divinités  associées  à  Esculape,  voir  Preller-Jordan,  Roem.  Mythol., 
t.  II,  p.  234,  die  Heilsgiitler. 

4.  Baknabei,    Notiz.  d.  Scayi,  1891,  p.  287. 

5.  Cf.  ci-dessous,  p.  232. 


198  LE   SANCTUAIRE   D  ESCULAPE 

être  remplie  de  petits  objets  semblables'.  Peut-être  gardait-on, 
gravé  sur  la  pierre,  le  texte  de  recettes  efficaces  qu'avait 
révélées  le  dieu  :  c'est  ainsi  qu'on  lisait  au  seuil  du  temple 
d'Asklépios  à  Cos  la  formule  d'un  contre-poison  fameux  ''.  Sur 
les  murs  étaient  apposées  des  tablettes  de  bronze  portant  des 
inscriptions  votives,  —  la  copie  de  l'une  d'entre  elles  nous  a 
été  conservée^,  —  des  peintures  comme  l'antique  fresque  dos 
ferentarii.,  des  bas-reliefs  comme  ceux  dont  proviennent  los 
fragments  sculptés  du  palais  Rondinini.  De  quelque  côté  enfin 
qu'on  portât  ses  regards,  on  ne  voyait  partout  que  les  témoi- 
gnages accumulés  de  l'action  bienfaisante  du  dieu  médecin  et 
de  la  piété  reconnaissante  des  Romains. 

Les  dépendances  du  temple.  —  En  Grèce  les  Asklépieia 
occupaient  un  vaste  espace  ;  ils  comprenaient  diverses  parties  : 
«  un  temple  abritait  la  statue  du  dieu  ;  dans  le  voisinage,  des 
portiques,  sortes  de  galeries  couvertes  largement  aérées,  don- 
naient asile  aux  hôtes  passagers  du  sanctuaire  ;  enfin  une 
source  fournissait  l'eau  nécessaire  aux  traitements  élémentaires 
que  le  dieu  prescrivait  à  ses  malades,  aux  purifications  et  aux 
ablutions  des  suppliants^».  Il  faut  ajouter  que  les  Asklépieia 
renfermaient  en  outre,  le  plus  souvent,  un  bois  où  le  dieu 
rendait  ses  oracles  et  faisait  entendre,  la  nuit,  sa  voix  prophé- 
tique. L'Asklépieion  le  plus  célèbre  était  celui  d'Epidaure  ; 
Pausanias  en  a  laissé  une  description  détaillée^,  dont  les  fouilles 
récentes  ont  permis  de  vérifier  l'exactitude  f*.  Tous  les  éléments 


1.  Il  en  était  de  moine  dans  les  temples  d'Asklépios  en  Grèce  :  voir  les 
descriptions  de  Pausanias.  —  Voici  ce  que  Liv.,  XLV,  28,  disait  d'Epidaure,  à 
propos  du  voyage  de  Paul  Emile  en  Grèce  :  Inde  haud  parem  opibus  Ëpidau- 
rumsed  inclyfam  Aisculapii  nobili  teinplo,  quod  quinque  niillihus pasmum  ab 
urbe  disions  nunc  vestif/iis  revulsorum  donorum,  tum  donis  dites  erat,  quœ 
remediorum  salutarium  œffH  mercedem  sacravernnt  deo. 

2.  Plin.,  lïist.  nat.,  XX,  24  (99)  :  Et  discessuri  ab  hortensiis  unam  composi- 
tionein  ex  his  clarissimam  suhteximus,  adversus  venenala  animalia  incisam 
lapide  versibus  Coi  in  aede  jEsculapii...  Hac  theriaca  magnus  Anliochus  rex 
adversum  omnia  venena  usus  tradituv. 

3.  Cf.  ci-dessous,  p.  214. 

4.  P.  GiHAïUi,  V Asklépieion  d'Athènes,  p.  5.  —  Cf.  l'article  Asklépieion  par 
RoBiou,  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.  de  Daremberu  et  Saglio. 

5.  Pausan.,  h,  27. 

6.  Cf.  Frazer,  trad.  anglaise  et  commentaire  de  Pausanias,  Londres,  1898, 
t.  111,  p.  234; —  Cavvadias,  les  Fouilles  d'Epidaure,  Xthènes,  1893;  —  Defrassk 
et  Leciiat,  Epidaure,  restauration  et  description,  Paris,  1895  ;  —  le  résumé 
de  DiBUL,  Excursions  archéologiques  en  Grèce,  Paris,  1890,  chap.  ix,  p.  311-333; 


LE    TEMPLE    D  ESCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES 


199 


qui  viennent  d'être  énumérés,  temple,  portiques,  sources,  bois, 
se  rencontraient  à  Epidaure.  On  les  retrouvait  à  Athènes  ^,  à 
Trikka,  à  Cos,  à  Sicjone,  à  Pergame.  L'Esculape  latin  n'était 


l''n<.    'J'i.    —    ini'kkiki;r    dI';    i.  i.i.i.isk    .sai.n  i-i;  \i;  i  iii-:i.i-:M  v  : 

MARGELLE  DE  PUITS  ENCASTRÉE  DANS  LES  MARCHES 

(D'après  une  photographie). 

qu'une   copie  de  l'Asklépios    grec;    en  passant  d'un   pays  à 
l'autre  le   dieu   avait  gardé  tous  ses   caractères  primitifs  ;  son 


—   Cavvadias,    Tb    tÉpov    Toy    'A<r/.).r,7no-j    èv     'EuiSa-jpw    xal   -î]   6£pa7C£ta  xwv 
ào-Ôevwv,  Athènes,  1900. 
1.  Cf.  P.  Girard,  op.  cil. 


200  LE    SANCTUAinE   D  ESCULAPE 

sanctuaire  non  plus  n'avait  pas  un  aspect  différent  à  Rome  et 
dans  les  cités  helléniques.  L'ile  tibérine  possédait  un  véritable 
Asklépieion  imité  de  la  Grèce,  et  tout  particulièrement  d'Epi- 
daure. 

Peut-être  y  avait-il  dans  l'ile,  a  cùté  du  temple  d'Esculape, 
un  bois  sacré'.  Sur  le  médaillon  déjà  cité  d'Antonin  le  Pieux, 
un  arbre  apparaît  à  l'arrière-plan,  au  milieu  de  plusieurs 
édifices.  Dans  le  style  sj'mbolique  et  convenu  des  graveurs 
anciens,  un  seul  arbre  suffit  à  indiquer  la  présence  d'un  bois-. 

L'existence  des  portiques  sous  lesquels  les  malades  venaient 
passer  la  nuit,  attendant  les  révélations  mystiques^,  est  mieux 
attestée.  Tite-Live  et  Plutarque  les  mentionnent  dans  les 
mêmes  termes  à  peu  près  ''  :  le  sol  de  l'ile,  formé  d'abord  par 
les  moissons  de  Tarquins  jetées  dans  le  Tibre,  devint  par  la 
suite  assez  ferme,  grâce  au  travail  des  hommes,  pour  qu'il 
pût  soutenir  dos  temples  et  dos  portiques.  La  place  que  ces 
derniers  occupaient  dans  l'antiquité  ij'est  pas  douteuse,  la  dis- 
position même  du  terrain  la  fait  connaître  :  ils  s'étendaient  à 
droite  et  à  gauche  et  ils  allaient  en  divergeant  vers  le  nord, 
suivant  la  ligne  des  berges. 

Il  ne  reste  plus  rien  ni  du  bois  sacré  ni  des  portiques.  Il  se 
pourrait,  au  contraire,  que  la  source  antique  fdt' encore  en 
place.  D'après  Vitruve,  il  était  nécessaire  d'élever  les  temples, 
et  tout  spécialement  ceux  des  divinités  guérisseuses  comme 
Esculape  et  Salus,  en  des  lieux  salubres  et  près  des  sources^. 
Les  Asklépieia  répondaient  toujours  à  ces  conditions '*.  Le  bas- 
relief  du  palais  Rondinini  nous  montre  que  le  sanctuaire  de 
l'ile  tibérine  ne  faisait  pas  exception  à  la  règle  et  qu'il  conte- 
nait une  source  :  elle  est  figurée,  d'après  un  procédé  symho- 


i.  0.  Gilbert,  Gesc/i.  tnid  Topoqr.  d.  St.liom,  t.  III,  p.  71. 

2.  Von  Dl'hn,  Dhessel,  opp.  citl.  supra  p.  1"6,  note  1. 

3.  Em.ml's,  Achilles,  vers  119  (éd.  Millier)  : 

Namque  yEsculapii  liberorum  saueii  opplcnt  porticus. 

4.  Liv.,  II,  5  :  Poslea  credo  addilas  moles  manuque  adjutum,  ut  lam  emi- 
nens  area  firmaque  lemplis  quoque  ac porlibus^uslinendis  esset.  —  Plut.,  Popl., 
8  :  ToÔTO  vCv  vf|«TÔ;  èortv  ÎEpà  xatà  Tr,v  TtÔAiv  ïyzi  ôk  vaoù;  ôewv  xal  Tztpiizixo'j^. 

5.  ViTRuv.,  I,  2  :  Naluralis  aulem  décor  sic  erit  si  primum  omnibus  tempUs 
saluberrimœ  ref/iones  aquarumque  fontes  in  his  locis  idonei  eligentur  in  quibus 
fana  constiluantur,  deinde  maxime /Esculapio  Saluli  quorum  et  eoriim  deorum 
plurimi  medicinis  segri  curari  videntur.  Cum  enim  ex  pestilenti  in  salubrem 
locum  corpora  aeqra  translata  fuerint  et  e  fonlibus  salubribus  aquarum  usus 
subministrabuntur,  celerius  convalescent. 

6.  Voir  notamment  Palsan.,  1,  21  et  31  ;  II,  26  ;  V,  11. 


LE    TEMPLE    d'eSCULAPE    ET    SES    DÉPENDANCES  201 

lique  bien  connu,  par  une  urne  renversée,  d'où  l'eau  s'échappe 
■et  où  vient  s'abreuver  le  serpent  d'Esculape.  Or,  dans  l'église 
actuelle  de  Saint-Barthélémy,  devant  le  maitre-autel,  encas- 
trée dans  les  marches  qui  conduisent  de  la  nef  principale  au 
chœur  surélevé,  on  voit  l'ouverture  circulaire  d'un  puits, 
maintenant  tari.  Des  sculptures  et  des  inscriptions  médiévales 
décorent  la  margelle  :  elles  datent  du  xif  siècle,  du  règne 
d'Otton  III,  qui  mit  sous  l'invocation  de  saint  Barthélémy 
l'édifice  d'abord  consacré  à  saint  Adalbert.  Les  sculptures  sont 
réparties  en  quatre  panneaux  et  représentent  quatre  person- 
nages debout  :  sur  le  panneau  qui  regarde  vers  la  nef,  le 
Christ  tenant  dans  la  main  un  livre  ouvert  ;  en  arrière,  saint 
Adalbert,  revêtu  des  ornements  épiscopaux,  saint  Barthélémy, 
ayant  à  la  main  un  couteau,  qui  rappelle  son  martyre,  enfin 
Otton  111,  avec  le  sceptre  impérial'.  Une  inscription  gravée 
au-dessus  des  tètes  des  personnages  fait  tout  le  tour  de  la 
margelle  : 

■\-  Os  putei   s{an)c[t)i  circii[m)dant  orbe  rotanti. 
«  Les  saints  entourent  en  cercle  l'orifice  du  puits,   w 

Sur  le  rebord  plat  de  la  margelle  on  distingue  quelques  lettres 
d'une  autre  inscription  très  effacée,  usée,  semble-t-il,  par  le 
frottement  des  cordes.  M.  von  Duhn  croit  qu'on  y  lisait  primi- 
tivement : 

Qui  sitit  ad  fontem  veniat  potumque  sahibrem  [h]aitriat  ex 

vena~... 

«  Que  celui  qui  a  soif  vienne  à  la  source  puiser  une  boisson 

bienfaisante.  » 

S'autorisant  de  la  présence  d'une  urne  renversée  sur  le  bas- 
relief  du  palais  Rondinini,  M.  von  Duhn  a  émis  l'hypothèse  ingé- 
nieuse et  très  plausible  que  le  puits  de  l'église  chrétienne  est 
l'ancienne  source  sacrée  du  temple  païen^.  Il  est  bien  singulière- 

1.  Un  dessin  de  ces  sculptures  a  été  publié  par  Casimiro,  dans  ses  Memorie 
istoi'iche,  p.  276.  Elles  sont  décrites,  d'après  Casimiro,  dans  la  Beschr.  d. 
St.  Rom,  t.  III,  p.  570. 

2.  11  y  a  à  Rome,  à  Venise,  et  dans  la  plupart  des  villes  d'Italie  des  bouches 
de  puits  du  moyen  âge  ornées  de  reliefs  et  d'inscriptions.  Les  formules  qu'on 
y  gravait  ressemblent  souvent  à  celle-ci;  c'est  quelquefois  ce  verset  d'Isaïe  : 
Omnes  silienles  venite  ad  aquas  ;  quelquefois  ce  texte  de  saint  Jérôme  : 
Quisque  sitit  veniat  cupiens  /laurire  fluenta,  ou  d'autres  phrases  analogues. 

3.  Von  Duhn,  Due  bassorilievi  del  palazzo  Rondinini,  dans  les  Mittheil. 
des  ai-chàol.  Inslit.,  Rœm.  Abt/i.,  1886,  p.  172. 


202  LE   SANCTUAIRE   D  ESCCLAPË 

ment  placé,  an  milieu  môme  des  marches,  et  doit  être  antérieur 
à  la  construction  de  l'église.  11  était  situé  dans  le  temple  d'Es- 
culape  ou  tout  à  côté.  Lorsque  l'on  bâtit  Saint-Barthélemv,  au 
xii'  siècle,  on  respecta  son  emplacement.  Peut-être  de  pieuses 
légendes  à  son  sujet  avaient-elles  pris  naissance  dès  les  pre- 
miers siècles  du  christianisme.  Peut-être  gardait-on  la  mémoire 
de  martyrs  mis  à  mort,  au  temps  des  persécutions,  près  de  la 
source,  ou  de  reliques  qu'on  y  avait  cachées.  Ces  souvenirs 
auront  assuré  sa  conservation.  Elle  fut  regardée,  au  moyen 
ûge,  comme  sacrée  ;  on  vint  y  chercher  de  nouveau  un  breu- 
vage salutaire,  jmtinn  salubrem.  Les  chrétiens  qui  succé- 
daient aux  fidèles  du  dieu  do  la  médecine  avaient  hérité  de 
leur  respect  religieux  pour  le  vieux  puits  de  l'île  tibérine  et 
de  leur  confiance  en  ses  vertus. 


CHAPITRE  IV 

LE  CULTE  D'ESGULAPE  DANS  L'ILE  TIBÉRINE 


Caractères  de  ce  culte.  —  Le  culte  que  l'on  rendait  à  Escu- 
lape  dans  l'île  tibérine  avait  un  double  caractère  :  il  était  grec 
par  ses  formes  aussi  bien  que  par  son  origine  ;  il  était  inté- 
ressé et  servait  à  obtenir  la  guérison  des  malades. 

«  De  tous  les  dieux  grecs,  Asklépios  est  le  seul  qui  ait  eu 
à  Rome  un  oracle  en  activité,  pourvu  de  rites  grecs,  qui 
étaient  comme  un  fragment  de  la  patrie  hellénique  incrusté  au 
centre  du  Latium*.  »  Il  est  naturel  que  parmi  tant  de  divinités 
importées  à  Rome,  Esculape,  introduit  tardivement,  et  qui 
n'avait  pas  d'analogue  dans  la  primitive  religion  italique,  ait 
subi  plus  qu'aucun  autre  les  influences  étrangères.  On  s'est 
demandé  si  les  premiers  prêtres  du  temple  de  l'île  tibérine 
n'étaient  pas  venus  d'outre-mer  avec  le  serpent  sacré  2.  En  tout 
cas,  c'est  à  la  mode  hellénique  que  les  Romains  adorèrent 
Esculape.  Festus  le  range  an  nombre  des  dieux  pérégrins  qu'on 
honorait  à  Rome  selon  les  rites  propres  aux  peuples  de  qui  on 
les  tenait '^  D'après  Valère  Maxime,  les  ambassadeurs  qui 
ramenèrent  d'Epidaure  le  serpent  svmbohque  s'étaient  infor- 
més auprès  des  habitants  de  la  façon  dont  il  fallait  l'invoquer^. 
Le  grec  paraît  avoir  été  officiellement  employé  dans  le  sanc- 


1.  Bouché-Leclercq,  Hist.  de  la  divination,  t.  III,  p.  174. 

2.  AuG.  Gauthier,  Recherches  historiques  sur  l'exercice  de  la  médecine  dans 
les  temples,  p.  116. 

3.  Festus,  p.  237  :  Quœ  ob  quasdam  religiones  per  pacem  siint  petita,  ut 
ex  Phrygia  Matris  Magnœ,  ex  Grsecia  Cereris,  Epidauro  Aî,sculapi;  quse 
coluntur  eorum  more  a  quibus  sunt  excepta.  —  Pour  les  fermes  étrangères  du 
culte  rendu  à  la  Magna  Mater,  voir  Dionts.,  II,  19,  et  Servius,  ad  Georg.,  II, 
394. 

4.  Val.  Max.,  I,  8,  2  :  Legati  cultii  anguis  a  peritis  accepto  lœti  inde  solve- 
runt. 


20*  LE   SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

tuaire  de  File'.  C'est  souvent  en  cette  langue'  que  sont  rédi- 
gées, à  l'époque  impériale,  les  inscriptions  de  Rome  dédiées 
à  Esculape.  Dans  quelques  inscriptions  latines  mômes,  il  est 
désigné  sous  son  nom  grec,  qu'on  ne  prend  pas  la  peine  de 
déguiser^'. 

En  Grèce  le  culte  d'Asklépios  était  inséparablement  lié  à 
l'exercice  de  la  médecine  sacerdotale.  Les  dévots  qui  fréquen- 
taient ses  temples  étaient  des  malades  implorant  son  interces- 
sion. Les  prêtres  s'appliquaient  à  soulager  leurs  maux.  Inter- 
prètes des  volontés  d'Esculape  et  dépositaires  de  sa  science, 
ils  s'efforçaient  de  provoquer  des  cures  heureuses.  Le  dieu 
passait  pour  l'auteur  des  guérisons  ;  son  sanctuaire  en  recueil- 
lait tout  l'honneur  et  le  profit.  Les  Asklépieia  servaient  donc 
d'hôpitaux  en  môme  temps  que  de  temples  :  «  Avec  ses  vastes 
portiques  mis  à  la  disposition  des  malades,  avec  son  prêtre  et 
tout  son  personnel  sacré  chargé  de  recevoir  les  suppliants  et 
de  veiller  à  leur  bien-être,  l'Asklépieion  nous  apparaît  comme 
«n  établissement  de  bienfaisance,  fonctionnant  sous  le  regard 
de  la  divinité  et  avec  le  concours  et  les  encouragements  de 
l'Etat-^.  »  Il  en  fut  de  même  à  Rome.  L'Asklépieion  de  l'ile  tibé- 
rine  était  lui  aussi  une  sorte  d'hôpital  ouvert  aux  malades,  où 
les  prêtres,  au  nom  d'Esculape,  pratiquaient  la  médecine^. 

La  médecine  sacerdotale  à  Rome.  —  Il  faut  avouer  que  la 
médecine  sacerdotale  ne  paraît  pas  avoir  été  très  florissante  à 
Rome.  Elle  n'y  rencontra  pas  la  même  faveur  qu'en  Grèce. 
Elle  avait  à  lutter  contre  la  concurrence  à  la  fois  de  cette 
médecine  empirique  et  grossière  dont  les  Romains  se  conten- 
taient avant  l'arrivée  du  serpent  d'Epidaure  et  de  la  médecine 
laïque  et  scientifique  que  les  praticiens  grecs  apportèrent  en 
Italie  dès  la  fin  du  m*  siècle  avant  l'ère  chrétienne.  Le  temple 
modeste  de  l'île  tibérine  ne  fut  jamais  aussi  célèbre,  aussi  fré- 
quenté que  les  sanctuaires  d'Epidaure  et  de  Pergame.  Le 
silence  des  écrivains  latins,  qui  ne  disent  rien  des  guérisons 
miraculeuses  opérées  dans  l'île,  a  fait  justement  supposer  que 

1.  Bouché-Leclercq,  0/).  cit.,  t.  III,  p.  297. 

2.  C.  I.  L.,  VI,  8  :  Asclepio;  13  :  deo  Sancto  Asclep'Jo);  20  :  Asclepio  et 
Salitli. 

3.  I».  GiHAiiD,  l'Asklépieion  d' Athènes,  p.  126. 

4.  Cf.  C.-A.  B<>:TTifiEK,  dei'  Aisculapiusdienst  auf  dev  Tiberinsel,  dans  Sprexgel, 
Beilruge  zur  Gesch.  der  Medicin,  Halle,  1794,  t.  Il,  p.  177,  —  reproduit 
dans  les  Kleine  Schriften  de  Boettigbr,  Dresde,  1837-1838,  t.  1,  p.  112. 


LE    CULTE   d'eSCULAPE    DANS    l'iLE    TIBÉRINE  20^ 

les  Romains  eurent  peu  de  confiance  tout  d'abord  dans  le  dieu 
grec  de  la  médecine  ^.  L'origine  hellénique  du  culte  d'Esculape 
lui  nuisait  malgré  tout  auprès  de  ce  peuple  traditionnaliste  et 
routinier,  obstinément  attaché  à  ses  vieux  usages.  Au  début, 
sans  doute,  «  l'oracle  fut  surtout  fréquenté  par  les  esclaves  et 
les  étrangers,  car  il  est  plus  facile  de  décréter  l'érection  d'un 
temple  que  de  changer  en  un  instant  les  habitudes  populaires ^  ». 
Plus  tard,  lorsqu'on  se  lassa  enfin  des  recettes  anciennes, 
manifestement  insuffisantes  et  démodées,  les  médecins  grecs 
offrirent  leurs  services-'.  A  cette  époque,  les  hautes  classes  de 
la  société  romaine  n'avaient  plus  une  foi  assez  vive  pour  être 
capables  de  préférer  à  des  méthodes  raisonnées  les  interven- 
tions surnaturelles  d'un  dieu;  les  progrès  croissants  du  scepti- 
cisme et  de  l'incrédulité  les  détournaient  de  s'adresser  à  Escu- 
lape.  Dans  les  premiers  temps  on  se  méfiait  des  médecins 
grecs;  on  les  blâmait  de  gagner  leur  vie  en  traitant  les 
malades  et  de  faire  argent  de  la  santé  d'autrui'*.  Peu  à  peu 
cependant  on  s'habitua  à  leurs  soins  ;  ils  se  rendirent  indis- 
pensables ;  les  gens  riches  et  instruits  n'avaient  recours  qu'à 
leur  art;  les  petites  gens  continuèrent  à  former  seuls  la 
clientèle  d'Esculape. 

L3  Curculio.  —  On  ne  peut  citer  à  l'époque  républicaine 
qu'un  texte  littéraire  oii  il  soit  fait  allusion  au  culte  rendu 
par  les  Romains  à  Esculape  dans  l'ile  tibérine.  C'est  une  comé- 
die de  Plaute,  le  Curculio.  La  pièce  est  imitée  du  grec,  mais 
toute  remplie  de  détails  empruntés  à  la  vie  journalière  des 
Romains.  La  scène  se  passe  à  Epidaure,  devant  le  temple- 
d'Asklépios^,  En  réalité  Plaute  ne  pense  qu'à  Rome;  il  oublie 
sans  cesse  le  cadre  fictif  de  sa  comédie;  ce  sont  les  mœurs 
romaines  qu'il  dépeint,  ce  sont  les  goûts  et  les  défauts  de  ses 
contemporains  qu'il  critique.  Dans  l'une  des  principales  scènes 
il  décrit  le  Forum  romain,  qu'il  appelle  par  son  nom  ;  sans- 
songer  à  l'invraisemblance  de  cette  digression,  il  s'attarde  à 
nous  énumérer  les  divers  groupes  de  marchands,  de  curieux 


1.  Haser,  Gesch.  der  Medicin,  3°  éd.,  t.  I,  p.  256. 

2.  Bouchk-Leclercq,  op.  cit.,  t.  III,  p.  296. 

3.  Cf.  M.  Albekt,  les  Médecins  grecs  à  Rome,  chap.  i. 

4.  Plix.,  Ilist.  liât.,  XXIX,  1,8). 

5.  Plaxjt.,  Curculio,  14  : 

Hoc  ^sculapi  fanum'st.. 


206  LE   SÂN'CTUAIRE   D  ESCDLAPE 

et  d'oisifs  qui  encombrent  les  abords  de  la  place  publique,  et 
caractérise  en  quelques  mots  les  occupations  plus  ou  moins 
licites  de  cette  foule  bigarrée*.  De  même  que  cette  place  pu- 
blique est  le  Forum  romain,  et  non  pas  une  agora  de  la  Grèce, 
de  môme  aussi  le  temple  d*Esculape  dont  il  est  question  dans 
la  pièce  est  un  temple  de  Rome,  et  non  pas  celui  d'Epidaure. 
Or  le  seul  sanctuaire  romain  où  dès  le  temps  de  Plante  on 
invoquât  Esculape  était  situé  dans  l'île  tibérine.  Le  Ctirculio 
nous  permet  d'affirmer  que  ce  culte,  une  centaine  d'années 
environ  après  l'arrivée  du  serpent  sacré,  était  organisé  et  célé- 
bré régulièrement  dans  l'île.  Les  Romains  le  connaissaient  bien. 
Ils  n'auraient  pas  compris  la  comédie  de  Plante  s'ils  n'avaient 
été  au  courant  des  rites  et  des  cérémonies  familiers  aux  prêtres 
médecins,  des  nuits  passées  dans  le  temple  et  sous  les  por- 
tiques, des  remèdes  prescrits  par  le  dieu  en  songe. 

L'un  des  personnages  est  un  leno  qui  souffre  d'une  fièvre 
violente  et  d'un  gonflement  du  bas-ventre  ;  il  se  rend  le  soir 
au  sanctuaire  ;  il  n'en  sortira  que  le  matin,  quand  les  gardiens 
rouvriront  les  portes-.  Le  dieu  se  refuse  à  lui  rendre  la  santé. 
Le  leno  de  gémir  :  «  Il  faut  partir,  puisque  tel  est  l'avis  d'Es- 
culape  ;  il  méprise  mes  prières  et  ne  veut  pas  me  guérir  ;  mes 
forces  diminuent,  mes  douleurs  augmentent.  Quand  je  marche 
je  suis  oppressé  comme  si  j'avais  une  corde  autour  du  corps. 
On  dirait  que  j'ai  deux  jumeaux  dans  le  ventre 3.  »  Le  dieu  lui 
est  apparu  en  rêve^,  mais  sans  vouloir  s'approcher  de  lui, 
sans  même  prendre  garde  à  son  encombrante  personne  ^.  De 

1.  Plaut.,  op.  cit.,  470. 

2.  Plaut.,  op.  cit.,  61  : 

Id  eo  fit,  quia  lono  spgrotus  incubât 
In  ^sculapi  fano. 

3.  Plalt.,  op.  cit.,  216  : 

Migrare  certiimst  nunc  jam  ex  fano  foras 
Quando  j£8culapi  ita  sentio  sententiam, 
Ut  qui  me  nihili  faciat  nec  salvum  vclit. 
Valeludo  deTescit,  adcrcscit  labor. 
Nam  jam  quasi  zona  bene  cinctus  ambulo  : 
Geminos  in  ventre  habere  videor  fibos. 

4.  Plaut.,  op.  cit.,  246  : 

Potin  conjecturam  facero,  si  narrera  tibi 
Hac  nocte  quod  ego  somniavi  dormiens. 

5.  Plaut..  op.  fi7.,260  : 

Hac  nocte  in  somnis  vigus  sum  tuericr 
Procul  sedere  longe  a  me  .Esculapiom 
Nequc  eum  ad  me  adirc  neque  me  roagni  pondère 
Visumst. 


LE    CULTE    D  ESCCLAPE    DANS    L  ILE    TIBÉRINE  207 

ces  différents  passages  du  Curculio  peut-être  a-t-on  le  droit  de 
conclure  d'abord  que  Plante  et  les  Romains  en  général  n'avaient 
pas  grande  confiance  dans  les  cures  d'Esculape,  et  ensuite  que 
le  temple  du  dieu  guérisseur  avait  surtout  pour  habitués  des 
hommes  de  peu,  comme  ce  leno^  de  race  étrangère  et  de  con- 
dition misérable. 

L'exposition  des  esclaves  malades  dans  l'île  tibérine.  —  Il  en 
était  de  même  encore  sous  l'Empire.  On  sait  par  Suétone  que 
beaucoup  de  riches  Romains  exposaient  leurs  esclaves  malades 
dans  l'île  tibérine  ;  ils  les  confiaient  aux  bons  offices  du  dieu  de 
la  médecine  pour  se  dispenser  de  les  soigner  eux-mêmes. 
Claude  décida  que  ces  malheureux  seraient  libres  ;  s'ils  gué- 
rissaient, ils  ne  retomberaient  plus  sous  l'autorité  de  leurs 
anciens  maîtres  ;  si  les  maîtres  aimaient  mieux  les  tuer  que 
les  exposer,  on  leur  intenterait  une  accusation  pour  meurtre'. 
Dion  Cassius  confirme  cette  indication  donnée  par  Suétone. 
Sans  parler  de  l'île  tibérine  ni  du  temple  d'Esculape,  il  dit 
simplement  que  Claude,  en  l'an  800  de  Rome,  46  après  l'ère 
chrétienne,  décréta  que  les  esclaves  malades,  abandonnés  par 
leurs  maîtres,  seraient  libres;  ce  passage  de  Dion  a  l'avantage 
au  moins  de  nous  faire  connaître  la  date  de  l'édit^.  Les  textes 
juridiques  du  Bas-Empire  rappellent  et  confirment  les  prescrip- 
tions de  Claude.  Le  titre  VIII  du  livre  XI  du  Digeste  énumère 
les  diverses  catégories  de  personnes  qui  parviennent  à  la  li- 
berté en  dehors  de  l'aff'ranchissement  ;  il  cite  entre  autres, 
d'après  Modestinus,  qui  s'appuyait  sur  l'édit  claudien,  l'esclave 
exposé  par  son  maître  pour  cause  de  maladie  grave 3.  Le  titre  VI 
du  livre  VII  du  Code  de  Justinien  ne  renferme  qu'une  seule  loi, 
promulguée  par  Justinien  lui-même,  sur  la  perte  de  la  liberté 
latine  et  certains  moyens  de  la  transformer  en  droit  de  cité 


1.  SuETOx.,  Claud.,  23  :  Cum  quidam  œgra  et  affecta  mancipia  in  insulam 
Msculapii  tœdio  medendi  exportèrent,  omnes  qui  exponerentur  liberos  esse 
sanxit  nec  redire  in  ditionem  domini  si  convaluissent  ;  quod  si  quis  necare 
quem  mallet  quam  exponere,  csedis  crimine  teneri. 

2.  Cass.  Dio,  LX,  29  :  'EtteiS-^  te  ttoàXoI  8o-jXoy;  àppworoûvTa;  oCiSefJnâ;  ôspaTteta; 
Tiltouv,  à),Xà  xal  éy.  tmv  olxtôiv  èléêa/Aov,  £vo[xo8£Ty]<T£  Ttàvraç  xoy;  iv.  Toy  xoto'jToy 
7t£piY£vo!i£voy;  £).£-j6£poy;  £lvat. 

3.  DiGEST.,  XI,  8  {Qui  sine  manuinissione  ad  libertatem  perveniunl),  loi 
deuxième  (d'après  Modestinus,  Lib.  VI  Regularum)  :  Set^vo  quem  pro  derelicto 
dorninus  ob  gravem  infirmitalem  habuit,  ex  ediclo  divi  Claudii  compelit 
libertas. 


208  LE    SANCTLAIUE    D  ESCLLAPE 

romaine;  l'édit  daudion  y  est  encore  mentionné'.  Au  titre  IV 
du  même  livre  Justinien  avait  ordonné  une  fois  de  plus  que 
l'esclave  malade,  exposé  par  son  maître,  deviendrait  libre  et  que 
le  maître  coupable  n'exercerait  même  plus  sur  lui  le  droit  de 
patronat  '-- 

Ces  malades  abandonnés  sont  les  seuls  clients  du  sanctuaire 
d'Esculape  dans  l'île  tibérino  que  nous  fassent  connaître  les 
textes  littéraires  de  l'époque  impériale.  L'aristocratie  ignorait 
ou  méprisait  le  temple  romain  du  dieu  de  la  médecine.  Au  siècle 
des  Antonins,  le  rhéteur  ^lius  Aristide,  qui  parcourut  tout  le 
monde  gréco-romain  pour  visiter  les  sanctuaires  célèbres  des 
divinités  guérisseuses,  et  qui  s'arrêta  à  Rome,  ne  le  cite  même 
pas  dans  ses  Discours'K 

Les  inscriptions.  —  Les  inscriptions  suppléent  heureusement 
au  silence  des  écrivains  et  nous  mettent  en  mesure,  à  leur 
défaut,  de  suivre  l'histoire  et  le  développement  du  culte  d'Es- 
culape à  Rome.  On  a  trouvé  dans  l'île  tibérine  ou  dans  le  Tibre 
auprès  d'elle  un  certain  nombre  de  documents  épigraphiques, 
en  latin  et  en  grec,  de  longueur  et  d'importance  variables.  Les 
plus  anciens  appartiennent  au  ii*  siècle  avant  l'ère  chrétienne, 
peut-être  môme  au  iii%  les  plus  récents  au  temps  des  Antonins. 
Bien  qu'ils  ne  nous  aient  transmis  les  noms  d'aucun  personnage 
important,  ils  sont  très  intéressants  et  très  i)récieux. 

Inscriptions  latines  archaïques.  —  Trois  inscriptions  latines 
archaïques  dédiées  à  Esculape  ont  été  découvertes,  ces  der- 
nières années,  dans  les  débris  extraits  du  Tibre,  au  cours  des 
travaux  de  systématisation.  Ce  sont  de  petites  bases  votives, 
qu'il  faut  rapporter,  d'après  l'aspect  de  lettres,  au  m*  ou 
au  II*  siècle  avant  Jésus-Christ.  La  première  est  en  pierre 

\.  CoD.  JusTix.,  VII,  6,  loi  unique  :  De  lalina  liberlate  tollenda  et per  cerlos 
modos  in  civitatem  romnnam  transfusa  ;  parag.  3  :  Sed  scimus  hoc  eliam  esse  in 
antiqua  lalinale  ex  edicto  divi  Clnudii  inlvoductum,  quod  si  quis  servttm  suum 
œgritudine  periclilantem  \a]  sua  dumo  publiée  ejeceril  neque  ipse  eum  procu- 
rans  neque  alii  eum  commendans  cum  erat  ei  libéra  facultas  si  non  ipse  ad 
ejus  curam  sufficeret  in  Xenonem  vel  quo  paierai  modo  eum  adjuvare  liujus- 
modi  servus  in  liberlate  lalina  antea  morabalur  :  et  quem  ille  morienlem  anlea 
dereliquil,  ejus  bona  ilerum  cum  morerelur  accipiebat.  Talis  ilaque  servus, 
liberlate  necessaria  domino  eliam  nolente  re  ipsa  donatus,  fiai  illico  civis 
romanus  nec  addilus  iii  jura  pnlronalus  quondam  domino  reservelur. 

2.  Cou.  Jlstix.,  VI,  4,  4,  paraq.  ;j  :  Servus  ser/rolus,  nisi  ejus  curam  dominus 
gérai,  fil  liber  et  dominus  amillil  in  eo  jus  patronalus. 

3.  Sur  les  voyages  d'Aristide,  cf.  Bouché-Leclercq,  op.  cit.,  t.  III,  p.  299-307 


LE    CULTE   D  ESCULAPE    DANS    L  ILE   TIBÉRINE  209 

calcaire;  elle  mesure  0",13  de  hauteur  sur  0'°,25  de  largeur  et 
O",!^  d'épaisseur;  elle  est  percée  de  trous  encore  remplis  de 
plomb.  On  y  lit*  : 

Aiscolapio  dono[m)  \  L[iiciiis)  Albanius  K[œsonis)  f[iliiis) 
dédit. 

La  seconde  est  en  travertin  ;  sa  hauteur  est  de  0'",26,  sa 
largeur  est  do  O^jl^,  son  épaisseur  de  0°',09~  : 

J^scolapio  I  donom  dat  \  liibens  merito  \  M[arco)PopidiciQ 
M[arcï)  f[ilio). 

La  troisième,  en  travertin  également,  a  une  hauteur  de 
O'^jlô  et  une  largeur  de  0",103  : 

...ius  Vel...  I  donum  dat  \  Aiscolapio  merito  \  liibens. 

Ces  inscriptions  étaient  placées  à  l'origine  dans  le  sanc- 
tuaire de  l'île  tibérine.  En  même  temps  qu'elles  on  a  retrouvé 
dans  les  débris  retirés  du  Tibre  d'autres  inscriptions  archaïques 
consacrées  à  diverses  divinités  dont  les  temples  étaient  voi- 
sins aussi  du  fleuve  ;  la  plus  importante  et  la  plus  ancienne  est 
une  dédicace  à  Hercule''  : 

M.  C.  Pomplio  No.  f.  \  dedron  \  Hercole^ 
pour  : 

M[arcits  et)C[aius)Pomp[i)liiisNo[vii)  f[ilii)  j  ded{e)run{t) 
Hercidi. 

Elle  remonte  au  vi*  ou  au  iif  siècle  avant  l'ère  chrétienne  et 
provient  sans  doute  du  Faniim  Hercidis,  situé  au  Formn  boa- 
rium,  en  face  de  Fîle  tibérine.  Sur  les  bases  offertes  à  Escu- 
lape  reposaient  primitivement  des  statuettes,  que  les  trous 
remplis  de  plomb,  visibles  à  la  partie  supérieure  de  l'une 
d'entre  elles,  servaient  à  sceller  ;  c'étaient  des  ex-voto  donnés 
au  dieu  de  la  médecine  par  des  fidèles  reconnaissants.  Deux 
fois,  le  nom  d'Esculape  est  écrit  Aiscolapio.  On  n'avait  encore 
jamais  rencontré  cette  orthographe.  Elle  atteste,  ainsi  que  la 
forme  des  lettres,  des  L  surtout,  et  certaines  désinences  des 
nominatifs  et  des  accusatifs  l'antiquité  de  ces  petits  monuments. 


1.  Vaglieri,  Notiz.  d.  Scavi,  1890,  p.  33;  —  Bullelt.  Comun.,  1892,  p.  75  ;  — 
—  AuDOLLEXT,  Bullet.  archéol.  de  la  relig.  rom.,  dans  la  Rev.  de  Vhist.  des  relig., 
1891,t.  XXIV,  p.  6a. 

2.  Notiz.  d.  Scavi,  1892,  p.  267  ;  —  Huelsen,  Jahresberieht,  dans  les  Mittheil  des 
archdol.  Instit.,  Rœm.  Abth.,  1893,  p.  319. 

:?.  Notiz  d.  Savi,  1892,  p.  410;  —  Huelsen,  loc.  cit.  —  Audollent,  op.  cit., 
1893,  t.  XXVllI,  p.  148. 

4.  Notiz  d.  Scavi,  1890,  p.  33;  —  Bullett.  Comun.,  1892,  p.  73;  —  Audollent, 
op.  cit.,  1891,  t.  XXIV,  p.  63. 

14 


210  Li:    SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

Inscriptions  latines  postérieures.  —  On  a  cité  plus  haut  uuc 
inscription,  rédigée  à  l'époque  républicaine,  qui  mentionne  une 
restauration  ou  réparation  du  temple  d'Esculape  exécutée  ilr 
stipe  .Esculapi,  avec  l'argent  des  collectes  faites  parmi  les 
croyants*.  C'est  le  seul  document  conservé  qui  intéresse  le 
trésor  du  temple. 

Dans  un  texte  trouvé  pendant  les  fouilles  de  l'année  1670 
sur  la  place  Saint-Barthélemv,  devant  l'église,  un  minuter 
d'Esculape  est  nommé.  Les  miiiistri  appartenaient  à  la  classe 
servile  ;  ils  assistaient  les  prêtres  ;  ils  veillaient  aux  détails 
des  cérémonies  du  culte  et  à  l'entretien  des  temples.  Celui-ci 
s'appelait  Probus  ;  il  était  l'esclave  d'un  certain  M.  Fictorius 
Faustus.  Au  moment  où  il  offrit  à  Esculape  l'ex-voto  qu'ac- 
compagnait l'inscription,  il  était  âgé  de  trente  et  un  ans  et 
exerçait  les  fonctions  de  minister  pour  la  seconde  fois-  : 

Aisciilapio  \  Augusto  sacrum  \  Probus  M{arci)  Fictori 
Fausti  [servus)  minister  iterum  anni  XXXI. 

Deux  inscriptions  funéraires  de  Rome  concernent  des 
prêtres  d'Esculape,  sacerdotes  ^^sculapi  ;  peut-être  le  temple 
qu'ils  desservaient  était-il  celui  de  l'île  tibérine.  On  ignore  la 
provenance  du  premier  de  ces  textes  ;  il  n'est  connu  que  par 
une  copie  de  la  Renaissance  ^  : 

L[ucio)  Plœtorio  L[ucii)  f{ilio)  Claudia  [tribu)  Sahino  | 
saccrd{oti)  .^sculapi  vix{it)  ann[is)  LXXV  |  M(arcus)  Plœto- 
rius  Numisianus  Sabinus  \  f[€cit)  c[îtravit). 

Le  second,  très  mutilé,  a  été  découvert  en  1853,  dans  le 
cimetière  des  Saints-Nérée-et-Achillée,  sur  la  voie  Ardéatine, 
où  il  n'avait  été  transporté,  très  probablement,  qu'à  une  époque 
tardive,  pour  être  utilisé  dans  quelque  construction  '*  : 

D{is)  m[anibus)  \  ...  nus  qui  etmuner...  \  \sacerd\os  Ascu- 
lapi  se  vi[vo  fecit  sibi  et]  |  [libert]is  libertabusq[ue posterisque 
eorum] . 

Il  convient  enfin  de  transcrire  ici  une  inscription  de  l'époque 
impériale  qui  paraît  se  rapporter  au  culte  d'Esculape.  C'est 
encore  la  dédicace  d'un  ex-voto  ;  elle  est  faite  par  un  affran- 
chi, dont  le  nom,  Séleucus,  indique  probablement  une  origine 
gréco-orientale.  La  divinité  à  laquelle   s'adressait  l'offrande 

1.  C.  I.  L.,  VI,  7  ;  —  cf.  ci-dessus,  p.  189. 

2.  C.  I.  L.,  VI,  12. 

3.  C.  I.  L.,  VI,  2230. 

4.  C.  I.  L.,  VI,  2231. 


LE    CULTli    d'eSCLLAPE    DANS    l'iLE    TIBÉRINE  21 1 

n'est  pas  nommée.  Mazocchi  a  copié  ce  document  dans  l'ile 
tibérine  ;  il  était  conservé  de  son  temps  au  monastère  de  Saint- 
Jean-Calybite.  Cette  circonstance,  la  qualité  et  peut-être  aussi 
la  nationalité  du  dédicant  nous  donnent  tout  lieu  de  croire  que 
Séleucus  était  le  client  et  l'obligé  d'Esculape  ^  : 

L[ucius)    Licinius   C{aiœ)  l[ibertus)  |  Séleucus  \  vot[um)  \ 
sol{vit)  l[ibens)  mlerito). 

Le  tome  VI  du  Corpus  Inscriptionum  Latinarum  renferme 
une  vingtaine  d'inscriptions  de  Rome  relatives  au  culte  du  dieu 
de  la  médecine-.  Trois  d'entre  elles  seulement  sont  données 
comme  trouvées  dans  Tile  tibérine 3,  Mais  il  est  très  probable 
que  quelques-unes  de  celles  dont  l'origine  est  inconnue  apparte- 
naient aussi  dans  l'antiquité  au  sanctuaire  de  l'île.  Un  autel  de 
marbre  de  la  galerie  des  Candélabres,  au  musée  du  Vatican, 
sur  lequel  sont  représentés  quatre  serpents  symboliques,  a  été 
consacré  par  T.  Flavius  Antyllus,  pour  obéir  à  un  songe ^  : 

T{itus)  Flavius  Antyllus  \  ex  visa  Ascl  \  epio  aram  \  conse- 
cravit. 

Sur  un  cippe  de  marbre  de  la  galerie  lapidaire  au  Vatican 
il  est  dit  que  P.  ^lius  Pliiletus  s'est  acquitté  d'un  vœu  fait  à 
Esculape  et  à  Hygie^  : 

.^sculapio  I  et  Hygiœ  \  dominis  \  P[ublius)  Mlius  \  Phile- 
tus  I  v[otum)  s[olvit)  laetus)  l[ibens)  m{erito). 

Une  autre  inscription,  très  mutilée,  de  la  même  galerie  a  été 
dédiée  par  un  esclave  de  la  maison  impériale^  : 

[J^sc]ulap[io]  j  ...  astroi...  |  ...  ius  divin...  \  [Au\g  [usti) 
n[ostri)  ver[na)  d[e]  \  [su^o  feci.... 

Ce  sont  toujours  des  esclaves,  comme  celui-ci,  ou  des  af- 
franchis comme  T.  Flavius  Antyllus  et  P.  ^lius  Philetus, 
trahis  par  leurs  noms  mêmes,  qui  invoquent  le  dieu. 

Au  centre  d'une  lamelle  de  bronze  octogonale  du  musée  Kir- 
cher  sont  écrits  les  mots  : 

JEsculap  I  io  I  sac{rum) 
entourés  de   signes  astronomiques,  le  soleil,  le  scorpion,  le 
cancer,  le  poisson'^  ;  cette  lamelle  est  un   ex-voto,  un  dona- 


1. 

C.  I.  L., 

,  VI,  841. 

2. 

C.  I.  L., 

VI,  1-20,  841  (?),  2230,2231. 

•i. 

C.  I.  L., 

VI,  7,  12,  841. 

4. 

C.  I.  L. 

,  VI,  8. 

5. 

C.  I.  L. 

,  VI,  17. 

6. 

C.  I.  L., 

VI,  15 

7. 

C.  I.  L., 

,  VI,  1. 

2i2  LE  SANCTUAIRE  D  ESCULAPE 

rimn;  peut-être  provient-elle,  de  même  que  la  plupart  des 
donaria  romains  d'Esculape,  de  Tlle  tibérine  ou  du  lit  du 
Tibre. 

Inscriptions  grecques.  —  On  n'aurait  de  ce  culte  à  Rome  et 
particulièrement  dans  l'île  tibérine  qu'une  connaissance  incom- 
plète et  très  insuffisante  si  l'on  ne  tenait  pas  compte  des  ins- 
criptions grecquesen  même  temps  que  des  inscriptions  latines.  Les 
textes  les  plus  importants  que  nous  ayons  à  citer,  les  seuls 
qui  nous  renseignent  sur  les  méthodes  et  les  procédés  de  la 
médecine  sacerdotale,  sont  rédigés  en  langue  hellénique.  Ils 
datent  de  l'époque  impériale.  Rome  sous  l'Empire  grécisait. 
Habitée  par  une  population  cosmopolite,  où  les  Romains  de 
vieille  souche  et  les  Italiens  eux-mêmes  n'étaient  plus  qu'une 
infime  minorité,  et  oii  dominaient  les  descendants  des  races 
vaincues  de  la  Grèce  et  de  l'Orient  hellénisé,  la  civilisation, 
les  mœurs,  la  langue  de  ces  étrangers  l'avaient  envahie. 
Esculape  était  originaire  de  Grèce  :  il  paraissait  tout  naturel 
qu'on  eût  recours  à  la  langue  de  ce  pays  pour  implorer  son 
assistance.  Il  avait  un  temple  aux  environs  de  Rome,  à  Tihur  ; 
on  a  retrouvé  plusieurs  inscriptions  grecques  qui  proviennent 
de  cet  édifice.  La  principale  est  due  à  L.  Minucius  Natahs, 
comsul,  proconsul  de  Lybie,  augure,  légat  propréteur  d'Auguste 
en  Mœsie  inférieure,  qui  éleva  au  dieu  de  la  médecine  le 
temple  et  l'autel  Je  Tibur,  en  témoignage  de  reconnaissance'. 
L.  Minucius  Natalis  est  un  personnage  connu;  il  vivait  au 
début  du  If  siècle  de  l'ère  chrétienne;  il  descendait  d'une 
ancienne  famille  de  l'aristocratie  ;  d'autres  textes  épigrajjhiques 
concernant  son  père  ou  lui-même  ont  été  retrouves  en  divers 
points  du  monde  romain 2.  A  Rome,  Esculape  n'eut  jamais  de 
clients  aussi  illustres.  Sur  une  base  découverte  auprès  des 
thermes  de  Trajan  est  gravée  une  longue  inscription  en  vers, 
un  pœan  en  l'honneur  d'Esculape  ;  il  y  est  dit  que  le  médecin 
Nicomède,  natif  de  Smyrne,  a  off'ert  au  dieu  et  placé  dans  le 
temple  qu'il  possédait  à  cet  endroit  une  statue  faite  par  Boé- 
thos^.  Ce  texte  est  du  if  ou  du  m*  siècle  de  l'ère  chrétienne; 

1.  C.  I.  Gr.,  r)977;  —  Kaibbl,  Inscr.  grecœ  Ilallœ,  1125. 

2.  Klebs-Roiiden-Dessal,  Proso/3o.7/Y/;)/urt  imperii  romani,  t.  II,  p.  379., — 
Cf.  BouGHESi,  Œuvres,  t.  YIII,  p.  46  ;  —  Hkn/e.\,  dans  les  Annal,  deirinstit. 
urcheol.  184'J,  p.  22.3;—  IIublse.n,  Iscrizione  di  L.  Minucio  Salale,  dans  les 
Mittheil.  des  archaol.  Inst.,  Rœm.  Abth.,  1888,  p.  84. 

3.  C.  I.  Gk.,  5974;  —  Kaibel,  op.  cit.,  967. 


LE    CULTE    d'eSCLLAPE    DANS    l'iLE    TIBÉRINE  213 

il  témoigne  que  la  médecine  laïque  et  la  médecine  sacerdotale 
vivaient  alors  en  bon  accord  et  que  les  successeurs  des 
Asklépiades  reconnaissaient  toujours  Esculape  comme  leur  pa- 
tron et  leur  protecteur.  Nicomède  était  un  étranger.  M.  Ulpius 
Eriphus,  qui  offrit  au  dieu  un  ex-voto  dont  la  dédicace  est 
parvenue  jusqu'à  nous,  était  un  affranchi  impérial ^  ;  le  nomen 
Ulpius  nous  reporte  à  l'époque  des  Antonins  ;  on  ne  sait  d'où 
vient  cette  inscription  ;  peut-être  avait-elle  été  déposée  primi- 
tivement dans  l'île  tibérine. 

M.  Lanciani  a  donné  au  musée  municipal  du  Cœlius,  en  1896, 
une  petite  base  de  marbre,  de  0™,23  sur  0'°,'I3,  qui  porte  à 
sa  face  antérieure  une  inscription  grecque  ;  quelques  lettres 
sont  effacées,  mais  il  est  aisé  de  les  restituer^  : 

'A](jy,A-/;7:iû    ^^[w]  |  ^.t^(ic-iù    [(7]a)T7î[pi]    |   £j[£Jpy£Ty;    *    ov/.o[v]  | 
(77:)vY)vbç   <7a)0£'ç  I  «7:0   aûv   y^tpwv,  j  ou   -rôoe   3[îY][ji,a    àp  |  [yjûpeov, 
£j)rapi7-[r,  I  p]tcv     0£à)    N[£ox]a[pY;(;   |  2]£6aa-o[î;    à'7:£X£'J   |  0]£pcç 
'IouXtav[ôç]. 

«  A  Asklépios,  dieu  très  grand,  sauveur,  bienfaiteur  ; 
sauvé  par  tes  mains  d'une  tumeur  de  la  rate,  dont  voici  le 
modèle  en  argent,  en  signe  de  remerciement  au  dieu  ;  Néo- 
charès  Julianus,  affranchi  impérial  (sous-entendu  :  àv£6rjy.£,  a 
offert).  » 

La  provenance  de  ce  marbre  est  inconnue,  mais  il  est  très 
vraisemblable  qu'il  a  été  retiré  du  lit  du  Tibre  et  qu'il  était 
placé  primitivement  dans  le  sanctuaire  d'Esculape  m  insula. 
Comme  les  petites  pierres  sur  lesquelles  sont  gravées  les  ins- 
criptions latines  archaïques  rapportées  plus  haut,  c'est  la  base 
d'un  ex-voto;  on  voit  à  la  partie  supérieure  une  cavité  rectan- 
gulaire, dans  laquelle  s'encadrait  sans  doute  un  support  en 
métal.  L'inscription  nous  fait  savoir  que  l'objet  supporté  par 
cette  base  était  une  image  de  l'organe  que  le  dieu  avait  guéri. 
Le  dédicant  est  un  Grec,  un  affranchi  de  la  maison  impériale. 
Le  nom  de  Julianus  et  la  formule  des  lettres  permettent  d'at- 
tribuer ce  texte  aux  premiers  temps  de  l'Empire,  au  règne 
d'Auguste  probablement. 

Dans  aucune  inscription  latine,  ni  de  Rome,  ni  d'ailleurs, 
les  cures  merveilleuses  qu'opérait  Esculape  ne  sont  racontées. 
L'épigraphie  grecque  au  contraire  nous  en  a  conservé  plusieurs 

1.  C.  I.  Gr.,  5978.  —  Il  convient  d'ajouter  que,  d'après  Kaibel,  op.  cit.,  90*, 
cette  inscription  serait  fausse  et  imaginée  par  Ligorio. 

2.  Publiée  avec  commentaire  par  Gigli,  Bullelt.  Comun.,  1896,  p.  174. 


214  LE    SANCTL'AIRE    D  ESCULAPE 

descriptions  minutieuses;  la  plus  anciennement  connue  pro- 
vient précisément  de  Rome,  et  du  sanctuaire  de  Tile  tibérine. 
Une  plaque  de  marbre  de  grandes  dimensions,  découverte  à  la 
Renaissance  et  maintenant  perdue,  contenait  la  relation  très 
détaillée  do  quatre  guérisons  obtenues  par  rintorvention  du 
dieu  médecin.  On  la  connaît  par  des  copies.  Le  texte,  tel  qu'il 
nous  a  été  transmis,  n'est  pus  complet.  La  plaque  était  brisée 
en  haut  et  à  droite;  sur  la  droite  on  lisait,  à  la  hauteur  de  la 
onzième  ligne  les  lettres  ANN,  à  la  hauteur  de  la  treizième,  les 
lettres  EN  :  c'était  le  conimencemont  du  récit  d'autres 
guérisons  analogues.  D'après  Métellus  cette  plaque  de 
marbre  se  trouvait  autrefois  dans  le  temple  d'Esculape  de 
l'ile  tibérine^  11  n'y  a  pas  lieu  de  contester  cette  assertion. 
Nul  endroit  ne  convenait  mieux  dans  l'antiquité  à  l'exposition 
d'un  pareil  document  que  le  plus  célèbre  des  sanctuaires 
romains  du  dieu  médecin.  D'autre  part,  on  sait  que  l'inscrip- 
tion fut  déposée  à  un  moment  donné  dans  le  palais  des  Faruèse  ;  or 
les  princes  de  cette  famille  avaient  fait  exécuter  des  travaux 
importants  dans  l'île,  qui  était  leur  propriété  ;  on  doit  à  leurs 
fouilles  la  grande  statue  d'Esculape  du  musée  de  Naples  ;  il 
est  probable  que  l'inscription  a  la  même  origine.  Les  érudits 
qui  l'ont  vue  assurent  que  les  lettres  étaient  inégales  et  mal 
faites,  la  paléographie  très  médiocre  2.  Un  empereur,  Antonin, 
peut-être  Antonin  le  Pieux,  peut-être  et  plus  probablement 
Caracalla,  ainsi  désigné  le  pins  souvent  dans  les  documents 
officiels,  est  nommé  à  la  sixième  ligne  ^  : 

te  I  pbv  H^p.a  y.ai  zpcr/.'jvficai.  £l[-]a  àrch  tcj  cecisj  èXOeiv  kr.\  -zl 
àpioTspbv  I  xai  ôetvai  toùç  irévre  SaxxuXouç  èi:dcv(i>  Tcy  ^T^i^aTsç  xal 
apai  tt;v  ytl  \  px  xal  èziOsïvai  £::•  tcj;  '.S'Icuç  èç0aA[ji.sjç,  xal  cpObv 
àviêXî'ic  T3J  I  2r,p.s'j  TzapîjTWTC?  xal  Guvyxipo[>.ivo'j,  'z~i  çwaai  àpîTal 
SYévovTs  £t:i  |  toO  SsêaaToO  t;[xwv  'Avc'lwJvsivcu. 

Asuxtw  TzXsupstTtxw  xal  à9Y;AT:tŒp.^v(p  Oxb  xavToç  àvOpw7:cj  kyipT,^- 
{AaTi  I  ff£v  5  Oeoç  èaOeîv  xai  èx  -où  ':pi6w|j.ou  apai  Tcçpav  xal  \).z-' 
cïvcu  àva  I  çupaaai  xal  iziGîîvaiè-iTb  TTÀEupbv,  xal  Èaciôt]  xal  ST^SAcaia 
T/j-/ap((7xr<Œ£v  I  Toi  6£à)  xal  s  sfJixoç  a'j^zyipr,  aÙTw. 

1.  Metellis,    Codex  Valicanus  6039,   f*  295;  6040,  {'  30  (cité  par  Ditten- 
berger). 

2.  Meteluus,  ibid.,  cité  par  Kaibcl  :  Litleris  ineptis  et  inœqualibus  niultoque 
quam  nos  ejpressimus  mconditioribus. 

3.  C.  1.  Gr.,  5980  ;  —  Raibbl,  op.  cit.,  966  ;  —  Dittenbbhger,  Sylloge  inscrip- 
lionum  grsecarum,  2*  éd.,  Leipzig,  1898,  t.  II,  n"  807. 


LE    CULTE    d'eSCULAPE   DANS    l'iLE   TIBÉRINE  215 

AT|JLa  àvaçspcvTi  'louXtavo)  oc<fr,X'r:ia\).iviù  û-b  TzavToç  àvôptoTccu 
£^pY;a[j.â  I  Tiasv  5  Gîbç  èXôîtv  xal  £/,  tcQ  Tpi6w[ji.oy  «pat  y.ixxouç  cTpc- 
60.01)  y.al  |  çaysiv  [ji.£-:à  piÀixoç  à-î  -psîç  Yjjxépx;;,  xal  èA6ô)v  SY][ji.offta 
I  r;j)rap{!jTY;acV  è'fx-poaOâv  tcj  or^iJ-cu. 

OjaAspttp  "ATcpw  axpaTKJTY;  tuçXo)  £;(pY5[J.à-i(7SV  ô  6ebç  eXôîïv  y.al 
Xa6£tv  aTixa  |  kç,  xkev.-pjovoq  À£'jy.0J  {ji.£Tà  [liXixoç  xaî  y.c).À'Jpicv 
cuvTpï'i/ai  y.al  £t:'  |  Tp£i^  ir;[J.£'paç  £7:r/p£taai  èz:  tcÙç  cç8aX{ji.cyç  y.al 
àv£6X£'i£v  y.al  èXr/AuOcV  |  y.al  rjj^apiaTYj^îv  $Y;|j,ojia  tw  Ôîw. 

«  En  ces  jours,  le  dieu  a  rendu  un  oracle  à  un  aveugle 
nommé  Caius  :  qu'il  se  rende  à  l'autel  sacré,  qu'il  se  prosterne 
devant  lui,  qu'il  aille  ensuite  de  droite  à  gauche  et  pose  les 
cinq  doigts  sur  l'autel  ;  puis  qu'il  enlève  sa  main  et  la  mette 
sur  ses  yeux.  Et  il  a  vu,  en  présence  de  la  foule  qui  le  félici- 
tait. Ces  grands  prodiges  ont  eu  lieu  sous  notre  empereur 
Antonin. 

«  Lucius  était  affecté  d'une  douleur  au  côté  ;  tout  le  monde 
en  désespérait;  le  dieu  lui  rendit  un  oracle  :  qu'il  vienne,  qu'il 
prenne  sur  l'autel  de  la  cendre,  qu'il  la  mêle  avec  du  vin  et 
l'applique  sur  son  côté.  Et  il  guérit,  et  il  rendit  publiquement 
grâces  au  dieu,  et  la  foule  le  félicita. 

«  Julianus  perdait  du  sang  ;  tout  le  monde  en  désespérait  ; 
le  dieu  lui  rendit  un  oracle  :  qu'il  vienne,  qu'il  prenne  sur 
l'autel  des  pommes  de  pin,  qu'il  les  mange  pendant  trois  jours, 
mêlées  avec  du  miel.  Et  il  guérit,  et  il  rendit  publiquement 
grâces  au  dieu  devant  la  foule. 

«  Yalerius  Aper,  soldat,  était  aveugle;  le  dieu  lui  rendit 
un  oracle  :  qu'il  vienne,  qu'il  prenne  le  sang  d'un  coq  blanc  et 
le  mêle  à  du  miel  ;  qu'il  en  fasse  un  collyre  et  le  mette  pen- 
dant trois  jours  sur  ses  yeux.  Et  il  a  vu,  et  il  est  venu  rendre 
publiquement  grâces  au  dieu.  » 

Cette  curieuse  inscription  a  été  souvent  étudiée  et  commen- 
tée, depuis  Hundertmark,  dans  son  grand  ouvrage  sur  l'expo- 
sition des  malades  dans  les  temples  antiques ',  jusqu'à 
M.  Deubner,  dans  son  récent  mémoire  sur  l'incubation-. 

Les  quatre  petits  récits  qu'elle  renferme  sont  faits  tous  sur 
le  même  plan  et  d'après  le  même  modèle.  Ils  comprennent 
chacun  trois  parties,  qui  se  succèdent  dans  un  ordre  invariable 
et  où  reparaissent  sans  cesse  les  mêmes  mots.  En  tête  sont 

1.  ]ivst>t:nTîi\KK,deIncremenlisarlismedicœpei'œgrotoriun  apud  veteres  in 
vins  publicas  et  templa  exposilionem,  Leipzig,  1739. 

2.  Deubner,  de  Incubatione,  Leipzig,  1900. 


216  LE  SANCTUAIRE  D  ESCCLAPE 

mentionnés  le  nom  du  suppliant  et  la  nature  de  sa  maladie, 
puis  l'oracle  rendu  par  Esculape  et  les  remèdes  qu'il  a  pres- 
crits, enfin  la  guérison  et  les  remerciements  adressés  au  dieu 
devant  la  foule  des  fidèles.  11  faut  remarquer  l'insistance  que 
mettent  les  auteurs  du  texte  à  rappeler  que  les  miraculés  ont 
manifesté  publiquement,  ir,^o<:ioc,  £[x~psuO=v  tcu  5r,jj.5u,  tsD  cT((;,cj 
zap£(rrà)T5;,  leur  reconnaissance  à  Esculape  :  ces  prodiges  ont 
eu  lieu  devant  témoins  ;  ils  ne  peuvent  être  contestés.  La  réi)é- 
tition  constante  des  mêmes  expressions  dans  le  même  ordre 
nous  montre  que  les  prêtres  avaient  adopté  pour  la  rédaction 
de  ces  documents  une  formule  convenue  et  consacrée  ;  on  était 
obligé  d'en  reproduire  la  teneur  générale,  en  modifiant  seule- 
ment à  chaque  fois  l'indication  des  circonstances  particulières 
de  la  cure. 

Les  quatre  personnages  dont  l'inscription  nous  fait  con- 
naître les  noms,  les  maladies  et  la  guérison  étaient,  comme 
l'affranchi  impérial  Néocharès  Julianus,  des  gens  d'humble 
condition.  Les  deux  premiers,  Caius  et  Lucius,  ne  sont  dési- 
gnés que  par  un  prénom.  Le  nom  du  troisième,  Julianus,  est  un 
cognomen  très  fréquent  parmi  les  esclaves  ou  les  affranchis  de 
la  maison  impériale  ;  il  atteste  que  cet  homme  a  appartenu  à 
un  propriétaire  appelé  Julius,  qui  l'a  ensuite  vendu,  donné  ou 
transmis  par  héritage.  Le  quatrième,  Valerius  Aper,  est  qua- 
lifié de  (jTpaTuoTY;;.  Un  certain  nombre  d'inscriptions  latines  de 
Rome  ont  été  dédiées  à  Esculape  par  des  soldats*.  11  ne  faut 
pas  s'étonner  de  la  popularité  dont  il  jouissait  à  l'armée  2.  On 
est  plus  exposé  dans  ce  métier  que  dans  aucun  autre  k  avoir 
besoin  de  ses  soins.  D'autre  part,  beaucoup  de  soldats,  même 
dans  les  cohortes  prétoriennes  à  partir  du  règne  de  Septime 
Sévère,  venaient  de  pavs  étrangers,  de  Grèce  ou  d'Orient,  où 
la  religion  du  dieu  médecin  était  très  répandue.  Le  texte  le 
plus  caractéristique  à  cet  égard  a  été  découvert  dans  le  quar- 
tier de  Macao,  sur  l'emplacement  des  Castra  prsetoria  ;  c'est 
une  dédicace  offerte  sous  le  règne  de  Gordien,  «  à  la  divinité 
du  saint  dieu  Esculape  Sindrina,  de  la  région  de  Philippopolis, 
par  Aurelius  Mucianus,  son    prêtre,  soldat    de  la    deuxième 


1.  C.  I.  L.,  VI,  2,  9,  13,  14,  16,  19,  20;—  Bullell.  Comun.,  1886,  p.  139. 

2.  Sur  le  culte  d'Esculape  à  l'armée,  cf.  vox  Domaszewski,  die  Religion  des 
rômischen  Heeres,  dans  la  Westdeutsche  Zeilschrift,  t.  XIV,  et  à  part, 
Trêves,  1893. 


LE    CULTE    D  ESCULAPE    DANS    L  ILE   TIBÉRINE  217 

cohorte  prétorienne*».  Le  sanctuaire  de  l'île  tibérine,  où 
Caius,  Lucius,  Julianus  et  Valerius  Aper  étaient  venus  chercher 
la  santé,  n'attirait  donc,  sous  l'Empire  même  et  à  l'époque  de 
sa  plus  grande  prospérité,  que  des  hommes  des  basses  classes 
de  la  société  romaine.  Les  riches  pouvaient  se  payer  le  luxe 
de  faire  appel  aux  lumières  des  médecins  grecs,  que  souvent 
ils  avaient  à  leur  service  dans  leurs  propres  maisons,  comme 
esclaves  ou  comme  affranchis.  Les  pauvres,  au  contraire, 
n'avaient  d'autre  ressource  que  de  recourir  aux  Asklépieia. 
Ils  croyaient  encore  à  la  vertu  magique  des  traitements  qu'on 
y  ordonnait.  La  superstition,  jointe  à  cet  invincible  besoin 
d'espérance  et  de  confiance  qui  abandonne  si  rarement  les 
malades,  assurait  auprès  d'eux  le  succès  du  culte  d'Esculape. 

Les  tablettes  votives  dans  les  Asklépieia.  —  L'usage  de  consi- 
gner par  écrit  le  récit  des  guérisons  obtenues  et  de  faire  hom- 
mage de  ces  documents  au  dieu  dans  son  sanctuaire  parait 
avoir  été  généralement  connu  et  pratiqué  dans  l'antiquité.  La 
légende  des  Quatre  saints  couronnés  rapporte  que  Dioclétien 
fit  élever  à  Rome  un  temple  et  une  statue  d'Esculape  et  qu'il 
ordonna  ensuite  de  graver  sur  des  lamelles  de  bronze  la  rela- 
tion de  toutes  les  cures  qui  s'effectueraient  à  cet  endroit'-.  Ce 
texte  hagiographique  est  très  suspect;  on  ne  sait  rien  de 
l'édifice  dont  il  parle  ;  il  prouve  du  moins  que  les  Romains 
étaient  habitués  à  voir  et  à  lire  de  pareilles  tablettes  votives 
et  que  la  grande  inscription  de  l'île  tibérine,  consacrée  au  dieu 
guérisseur  par  ses  chents  reconnaissants,  n'était  pas  à  Rome 
unique  en  son  genre. 

C'est  aux  Grecs  que  les  Romains  avaient  emprunté  la  cou- 
tume de  rédiger  ces  attestations  détaillées  des  cures  miracu- 
leuses et  de  les  exposer  aux  regards  de  la  foule  fidèle.  On  sait 
par  les  écrivains  anciens  que  de  pareils  récits  étaient  conser- 
vés soigneusement  dans  tous  les  Asklépieia  helléniques.  Les 
prêtres  aimaient  à  les  montrer,  comme  d'authentiques  témoi- 
gnages de  la  puissance  surnaturelle  du  dieu  qu'ils   servaient. 


1.  C.  I.  L.,  VI,  16,  et  Notiz.  d.  Scavi,  1888,  p.  140. 

2.  Passio  quatluor  coronatonim  (rééditée  dans  les  Sitzungsber,  d.  Berlin. 
Akad.,  t.  XLVll,  p.  1292)  :  Quod  cum  factura  f'uisset  prœcepit  omnes  curas  in 
eodem  lemplo  in  prœconius  seneas  cum  caracteribus  infigi.  —  Cf.  Le  Blant, 
les  Acte''  des  Martyrs,  dans  les  Mém.  de  l'Acad.  des  Inscr.,  t.  XXX,  1881, 
p.  261;  —  A.  DuFOLRCQ,  Elude  sur  les  Gesta  inartyrum  romains,  p.  36  et  p.  143. 


218  LE    SANCTUAIRE    D  ESCLLAPE 

Les  malades  les  contemplaient  avec  une  pieuse  admiration  et 
puisaient  dans  ce  spectacle  de  solides  raisons  d'espérer.  Stra- 
bon  nous  parle  des  tablettes  votives  d'Epidaure,  de  Cos,  de 
Trikka*;  Pausanias  insiste  particulièrement  sur  les  premières^; 
Pline  prétend  qu'Hippocrate  s'est  initié  à  l'art  médical  en  les 
lisant,  et  même  en  les  copiant-*.  On  peut  maintenant  les  juger 
à  leur  vraie  valeur.  Parmi  les  inscriptions  découvertes  au 
cours  des  fouilles  exécutées  depuis  vingt  ans  sur  l'emplace- 
ment de  l'antique  sanctuaire  d'Epidaure  se  trouvent  deux 
stèles  qui  portent  gravée  la  relation  d'une  cinquantaine  de 
guérisons  merveilleuses''.  Ces  textes  rappellent,  par  leur  com- 
position et  leur  libellé,  la  grande  inscription  de  l'île  tibérine  ; 
il  est  intéressant  de  les  comparer  avec  elle.  Bien  que  dune 
autre  époque  et  d'un  autre  pays,  ils  rentrent  dans  la  même 
catégorie  de  documents  et  sont  inspirés  par  le  môme  esprit  : 

«  Euphranes,  enfant  d'Epidaure.  Cet  enfant,  qui  avait  la 
pierre,  s'endormit.  Il  lui  sembla  que  le  dieu,  debout  devant 
lui,  lui  disait  :  «  Que  me  donneras-tu  si  je  te  guéris?»  Et  il 
répondit  :  «  Dix  osselets.  »  Et  le  dieu  lui  dit,  en  riant,  qu'il 
mettrait  fin  à  son  mal.  Le  jour  venu,  il  sortit  guéri''. 

«  Alkétasd'Haliké.  Cet  homme,  étant  aveugle,  eut  un  songe. 
Il  lui  semblait  que  le  dieu,  s'approchant  de  lui,  lui  ouvrait  les 
yeux  avec  les  doigts,  et  il  voyait  pour  la  première  fois  les 
arbres  du  Hiéron.  Le  jour  venu,  il  sortit  guéri  ^'. 

«  Cleinatas  de  Thèbes  et  ses  poux.  Cet  homme,  qui  avait 
une  quantité  énorme  de  poux  sur  le  corps,  vint  au  Hiéron;  il 
s'endormit  et  eut  une  vision  ;  il  lui  semblait  que  le  dieu,  l'ayant 
dévêtu  et  mis  tout  nu  et  debout  devant  lui,  prenait  un  balai 

1.  Strabo,  VIII,  p.  374,  à  Epidaure  :  Tb  îepbv  7r),Tip£;  é'xovto;  iû  -.wv  t£ 
xajivôvTwv  xal  twv  àvaxetjjiivwv  Trtvâxwv  èv  ot;  àvaysYpaiAlAÉvat  Tuyj^âvo'jaiv  at 
ÔepaTtefat,  xaÔiTcep  èv  K<ô  te  xal  TptxxYi- 

2.  Pausax.,  II,  27,  3  :  STf,Xat  5k  eiorriXEffav  èvTÔç  toO  TtepiêdXoy,  tô  i«v  àpxotîov 
xal  it/iovE;,  èTt'âjxoC  6è  i$  loiizai.  Taû-rai;  èYY£Ypa[A[jisva  xal  àvSpwv  xal  •(•jwAi/.M^ 
êoTtv  ovéjAata  àxeirÔÉvTwv  Ottô  to-j  'A<Tx),r,7no-j,  TtpoTÉTi  xal  v(5<jr,ji.a  o  xi  exaffTo; 
èvéTTiTE  xal  "oirw;  ci6r,"YéYpa7rTai  8k  çwvf,  Tf,  AwpîSt. 

3.  Plix..  Hist.  nul.,  XXIX,  1  (2),  cité  ci-dessus,  p.  139. 

4.  Elles  ont  été  publiées  par  Cavvadias,  les  Fouilles  d'Epidaure,  p.  24  et  suiv., 
traduites  par  S.  Reixacii,  Rev.  archéoL,  1884,  t.  II,  p.  77;  1885,  t.  I,  p.  262,  et 
par  Defkasse  et  Lechat,  Epidaure,  p.  142  et  suiv.  —  Voir  aussi  :  Cavvadias, 
Tô  lÉpov  ToO  *A<Tx),T,iiio-j  èv  'E7ti5a-jp(i)  xal  r,  ÔEpaTreta  twv  à(r6£và)v  ;  —  Festa,  le 
Guariffioni  miracolose  nel  tempio  di  Asclepio  in  Epidauro,  dans  Atene  eRoma, 
1900,  p.  7. 

5.  Dbfbasse  et  Lechat,  loc.  cit.,  1"  stèle,  guérison  n«  8. 

6.  Obérasse  et  Lechat,  loc.  cil.,  1"  stèle,  guérison  n»  18. 


LE    CULTE    D  ESCDLAPE    DANS    L  ILE    TIBÉRINE  219 

et  lui  nettoA-ait  le  corps  de  ses  poux.   Le  jour  venu,  il  sortit 
guéri  ^  » 

A  Epidaure,  comme  à  Rome,  les  comptes  rendus  des  guéri- 
sons  reproduisent  tous  la  même  disposition.  Les  trois  parties 
que  nous  avons  distinguées  dans  le  récit  des  cures  de  Caius  et 
de  ses  compagnons  —  nom  du  malade  et  de  la  maladie,  pres- 
criptions d'Esculape,  guérison  —  se  rencontrent  également 
ici.  Comme  à  Rome,  le  dieu  soigne  les  maladies  les  plus  diverses, 
et  toujours  avec  un  plein  succès.  Mais  il  faut  signaler  deux 
différences  importantes  entre  l'inscription  de  Vile  tibérine  et 
les  autres  ;  elles  tiennent  à  la  différence  même  des  lieux  et  des 
temps.  Les  Grecs  se  sont  dispensés  d'indiquer  à  la  fin  de 
chaque  récit  que  le  miracle  a  eu  lieu  publiquement,  devant  la 
foule;  les  Romains,  au  contraire,  n'ont  pas  manqué  de  le  pro- 
clamer. C'est  que  les  stèles  d'Epidaure  remontent  au  plus  beau 
moment  du  paganisme  hellénique,  au  iv"  siècle  avant  l'ère 
chrétienne  ;  l'inscription  de  Rome  ne  date  que  du  milieu  du 
II*  siècle  après  Jésus-Christ  ;  les  contemporains  des  Antonins 
étaient  moins  naïvement  croyants  que  les  hommes  des  siècles 
antérieurs;  ils  avaient  besoin  qu'on  leur  attestât  plus  ferme- 
ment la  réalité  des  prodiges  survenus  dans  les  temples  ;  ils  n'y 
ajoutaient  foi  que  s'ils  s'étaient  produits  devant  témoins.  D'autre 
part,  en  Grèce  les  manifestations  surnaturelles  jouent  un  plus 
grand  rôle  dans  les  guérisons  ;  sans  cesse  le  dieu  de  la  méde- 
cine apparaît  aux  malades  ;  il  converse  ou  plaisante  même 
avec  eux  ;  il  raccommode  lui-même  les  membres  démis,  il 
opère  les  organes  malades,  il  enlève  les  abcès.  A  Rome,  sur 
quatre  cures  mentionnées,  une  seule  à  ATai  dire  peut  être  qua- 
lifiée strictement  de  miraculeuse  :  au  contact  de  l'autel, 
l'aveugle  Caius  a  recouvré  la  vue.  Dans  les  autres  cas  le  dieu 
s'est  borné  à  rendre  un  oracle  et  à  prescrire  des  traitements 
médicaux,  externes  ou  internes  :  à  Lucius  un  emplâtre,  à 
Julianus  un  régime  spécial,  à  Valerius  Aper,  dont  la  foi  était 
moins  robuste  que  celle  de  Caius,  ou  la  cécité  plus  rebelle,  un 
collyre.  L'usage  des  remèdes  préparait  et  facilitait  l'interven- 
tion d'Esculape  et  la  réussite  de  la  cure.  Les  Grecs  du  iv'  siècle 
avant  l'ère  chrétienne  étaient  habitués  au  merveilleux  et  l'ac- 
ceptaient sans  peine;  ils  expliquaient  par  l'action  toute-puis- 
sante des  dieux  les  événements  de  la  vie  humaine  comme  les 

1.  Defkasse  et  Leciiat,  loc.  cit.,  2°  stèle,  guérison  n°  28. 


220  LE   SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

phénomènes  delà  nature;  les  apparitions  répétées  d'Asklépios 
ne  les  surprenaient  pas.  Les  Romains  avaient  moins  d'imagina- 
tion; ils  étaient  avant  tout  pratiques  et  positifs;  ils  voulaient 
que  leurs  prières  eussent  un  effet  immédiat  et  palpable  ;  peu 
leur  importait  qu'on  y  aidât  et  qu'un  médicament  administré  à 
propos  secondât  l'influence  secrète  de  la  divinité. 

Les  prescriptions  d'Esculape.  —  De  tout  temps  d'ailleurs  on  avait 
joint  dans  les  Asklépieia  l'exercice  de  l'art  médical  à  la  célébra- 
tion du  culte.  Comme  on  l'a  dit  avec  raison,  «  l'origine  de  la  méde- 
cine chez  les  Grecs  était  religieuse  ;  les  temples  d'Esculape  furent 
les  premiers  hôpitaux  et  ses  prêtres  les  premiers  médecins*  ». 
D'après  le  D"  Vercoutre,  on  observait  dans  les  sanctuaires 
les  règles  d'une  thérapeuthique  rationnelle  qï  scienti/îf/ue  •. 
Il  y  a  là  sans  doute  quelque  exagération;  il  faut  se  garder 
d'employer  ces  mots  trop  modernes  et  trop  précis  pour  qualifier 
Tancienne  médecine  sacerdotale,  où  l'empirisme  devait  tenir 
assurément  plus  de  place  que  la  science.  Mais,  au  fond,  le  D""  Ver- 
coutre n'a  pas  tout  à  fait  tort.  Des  faits  nombreux  et  prouvés 
permettent  d'affirmer  que  les  prêtres  d'Asklépios  n'étaient 
pas,  comme  on  l'a  supposé  trop  souvent  à  la  légère,  de  simples 
charlatans,  tout  occupés  de  prestigieuses  fantasmagories  et  de 
jongleries  sans  valeur.  Ils  avaient  réellement  quelques  con- 
naissances et  leur  rôle  fut,  en  somme,  bienfaisant.  Asklépios 
était  le  médecin  des  pauvres  ;  il  ne  paraît  pas  les  avoir  si  mal 
soignés.  Les  Asklépieia  se  trouvaient  toujours  situés  en  des 
lieux  salubres  et  isolés.  On  y  prenait  toutes  les  précautions 
hygiéniques  nécessaires.  Non  seulement  les  cadavres  ne 
devaient  pas  y  séjourner,  mais  encore  il  était  défendu  d'y 
laisser  mourir  les  malades;  quand  on  voyait  leur  fin  approcher, 
on  les  transportait  au  dehors.  Avant  de  pénétrer  dans  ie  temple 
il  fallait  se  purifier  par  d'abondantes  ablutions.  Une  diète 
sévère  préludait  à  toute  médication.  Les  remèdes  mêmes  ou  les 
traitements  que  le  dieu  ordonnait  n'étaient  pas  en  général 
aussi  ridicules  qu'on  pourrait  croire.  Les  prêtres,  instruits  par 
l'observation  des  clients  d'Asklépios,  savaient  diagnostiquer  la 
nature  des  maladies  et  conseiller  de   bons    moyens  d'en  venir 

1.  AVescheh,  Rapport  sur    des  recherches  epigraphiques  en  Grèce,  dans  les 
Arch.  lies  missions  scienf.,  2*  série,  t.  I.  lS6i,  p.  479. 

2.  D'  Vekcoitre,  la  Médecine  sacerdotale  dans  l'antiquité'  grecque,  dans  la 
Rev.  archéoL,  1885,  t.  II,  p.  213;  1886,  t.  I,  p.  22. 


LE    CULTE    D  ESCULAPE    DANS    L  ILE    TIBÉRINE  221 

à  bout.  Ils  possédaient  de  véritables  formulaires,  des  recueils 
de  recettes  éprouvées,  peu  à  peu  constitués,  sans  cesse  com- 
plétés et  tenus  à  jour.  On  connaissait  dans  les  Asklépieia  les 
propriétés  curatives  des  plantes,  les  qualités  toniques  du  vin, 
l'usage  de  l'huile  comme  reconstituant  et  du  miel  comme 
lénitif,  le  rôle  des  purgatifs  et  des  saignées,  l'art  de  composer 
des  emplâtres  et  des  collyres,  l'opportunité  de  régimes  divers 
appropriés  aux  diverses  affections.  Aux  anémiques  on  recom- 
mandait le  sang  de  taureau,  aux  gastralgiques  une  nourriture 
facile  à  digérer,  aux  obèses  les  jeux  violents,  aux  nerveux 
l'influence  apaisante  de  la  musique,  à  tous  les  malades  les  bains, 
l'exercice,  les  distractions;  à  côté  du  sanctuaire  d'Asklépios  il 
y  avait  toujours  des  thermes,  un  théâtre,  un  gymnase^. 

Tous  les  traits  de  la  peinture  que  le  D""  Vercoutre  a  faite  de 
)a  médecine  sacerdotale  dans  l'antiquité  sont  tirés  des  textes 
littéraires  et  épigraphiques  de  la  Grèce.  Mais  l'Asklépieion  de 
l'iie  tibérine  était  une  imitation  des  Asklépieia  helléniques  : 
ce  que  l'on  sait  de  ceux-ci  doit  être  vrai  aussi  de  celui-là.  La 
grande  inscription  votive  de  Caius  et  de  ses  compagnons  nous 
en  donne  une  preuve  très  certaine.  Les  moyens  par  lesquels 
l'aveugle  Caius  a  obtenu  sa  guérison  miraculeuse  étaient  usités 
dans  tous  les  sanctuaires  d'Asklépios  :  se  prosterner,  se  tourner 
de  droite  à  gauche-,  poser  la  main  sur  l'autel  et  la  mettre 
ensuite  sur  les  yeux  malades  que  cette  seule  imposition  rend  à  la 
lumière,  il  n'y  arien  là  d'insolite  ni  de  surprenant  ;  c'étaient  des 
cérémonies  rituelles  qui  se  répétaient  constamment  dans 
les  temples  antiques.  Les  médicaments  qu'employèrent  Lucius, 
Juhanus  et  Valerius  Aper  sont  tout  à  fait  analogues  à  ceux 
que  prescrivait  Asklépios  en  Grèce.  M.  Deubner  a  examiné 
successivement  les  oracles  rendus  par  le  dieu  à  ces  trois 
malades,  et  rapproché  les  passages  de  l'inscription  qui  les 
concernent  des  textes  nombreux  où  reparaissent  les  mêmes 
ordonnances''.  Lucius,  pour  combattre  une  pleurésie,  applique 
sur  son  côté  un  emplâtre  de  cendre  et  de  vin.  Il  a  pris  de  la 
cendre  sur  l'autel  d'Esculape  ;  son  origine  sacrée  lui  donne  une 


1.  D"'  Vercoutre,  loc.  cil. 

2.  Cf.  Plin.,  Hisl.  nat.,  XXVIII,  2  (5)  :  In  adorendo  dexlram  ad  osculum 
referimus  totumque  corpus  circumaffimus,  quod  in  Isevutn  fecisse  GaUiœ  reli- 
giosius  credunt. 

3.  Dkuhner,  op.  cit.,  p.  44-48. 


è22  l£   SANCTl  AIKE    d'kSCULAPE 

valeur  curative'.  Le  vin  est  aussi  un  puissant  agent  de  guéri- 
son  ;  il  est  mentionné  dans  la  plupart  des  formules  magiques 
que  les  papyrus  nous  ont  transmises.  Julianus,  qui  perd  son 
sang,  se  nourrit  pendant  trois  jours  de  pommes  de  pin  mêlées 
avec  du  miel.  Le  chiffre  trois  a  une  signification  mystique.  Le 
miel,  aussi  bien  que  le  vin,  tient  une  grande  place  dans  les 
consultations  d'Asklépios  et  dans  les  formules  magiques.  Les 
pommes  «le  pin,  comme  la  cendre,  ont  été  prises  sur  rautel; 
elles  sont  un  symbole  de  fécondité,  un  attribut  des  divinités  qui 
produisent  ou  entretiennent  la  vie  dans  la  nature,  Déniéter- 
Cybèle,  Pan-Faunus,  Asklépios.  Le  dieu  de  la  médecine  avait  été 
représenté  à  Sicyone  par  le  sculpteur  Calamis  avec  une  pomme 
de  pin  dans  chaque  main-.  La  cécité  de  Valerius  Aper  ne 
résiste  pas  k  un  collyre  de  sang  et  de  miel  dont  il  fait  usage 
trois  jours  de  suite.  De  pareils  onguents  produisaient  de  mer- 
veilleux effets,  surtout  contre  les  affections  de  la  vue.  Le 
sang  qui  entrait  dans  la  composition  de  celui-ci  était  le  sang 
d'un  coq  blanc;  le  coq  passait  pour  l'un  des  animaux  favoris 
d'Esculape  et  lui  était  spécialement  consacré.  On  se  servait 
de  victimes  blanches  pour  les  sacrifices  expiatoires.  Il  était  dé- 
fendu aux  Pythagoriciens  de  manger  du  coq  blanc''.  Pyrrhus, 
roi  d'Epire,  qui  tenait  des  dieux  le  pouvoir  de  guérir  les  mala- 
dies de  la  rate,  comme  les  rois  de  France  les  écrouelles, 
avait  coutume,  avant  d'opérer  ses  cures,  d'immoler  un  de  ces 
animaux  ^ 

On  s'explique  aisément  qu'Esculapeaitindiqué  ces  médicaments 
aux  fidèles  qui  le  consultaient.  La  cendre,  le  miel,  le  vin,  le 
sang  sont  les  premiers  ingrédients  auxquels  on  a  dû  penser 
pour  composer  des  onguents  et  des  potions.  Nos  médecins, 
aux  siècles  derniers,  les  recommandaient  encore  en  maintes 
circonstances,  ou  ne  leur  préféraient  que  des  remèdes  moins 
naturels  et  moins  inoiïensifs.  Le  succès  de  ces  traitements 
élémentaires  est  seul  étonnant,  et  l'importance  des  résultats 
semble  hors  de  proportion  avec  la  médiocrité  des  procédés. 
Mais  il  faut  faire  leur  part  à  l'imagination  des  malades  et  à  la 
superstition  du  temps.  Les  croyants  venaient  au  sanctuaire  avec 

1.  Cf.  Inscription  de  Lébéna  {Philogus,  188!»,  t.  XLVIU,  p.   402  :  fragment 
d'un  récit  de  guérison)  :  Kî-:a  xovtofv  inh  xf,;  Upà;  (nrôSoC. 

2.  Pausan.,  Il,  10,  3. 

3.  Dioo.  Lakht.,  VIII,  134, 

4.  Plut.,  Pyrrh.,  3. 


LE    CULTE    d'eSCULAPE    DANS    l'iLE    TIBÉRINE  "223 

la  ferme  conviction  qu'ils  en  sortiraient  guéris  ;  n'était-ce  pas 
le  meilleur  moyen  de  guérir  vraiment?  Les  médecins  comptent 
souvent  sur  TefFet  moral  de  leurs  ordonnances  bien  plus  que 
sur  leur  action  matérielle.  Esculape  ressemblait  sur  ce  point  à 
ses  modernes  héritiers. 

L'incubation,  —  C'est  par  des  oracles  que  le  dieu  a  manifesté 
ses  volontés  à  Caius,  à  Lucius,  à  Julianus,  à  Valerius  Aper. 
Les  mêmes  mots  sont  répétés  quatre  fois  dans  l'inscription 
de  l'ile  tibérine  :  5  ôsbç  iyç>r^]jÀ',iQV) .  Nous  savons  comment  les 
choses  se  passaient.  On  avait  recours  à  la  méthode  oniroman- 
tique,  à  l'incubation*.  Servius  nous  dit  en  propres  termes  que 
l'incubation  consistait  k  dormir  dans  les  temples  pour  y  rece- 
voir en  songe  les  avis  du  ciel^.  Les  anciens  distinguaient  cinq 
espèces  de  songes  :  èvû'::vtov,  çâvTajiJ.a,  ovsipoç,  cpatj.a.  yç>rt\}.y.-.i<j^.zz. 
Par  l'incubation  on  se  procurait  des  rêves  de  la  cinquième  caté- 
gorie, les  plus  précieux  ;  un  dieu  apparaissait  au  dormeur  pour 
l'instruire  et  le  conseiller.  Tous  les  dieux  pouvaient  être  ainsi  évo- 
qués, mais  l'incubation  servait  surtout  k  interroger  les  divinités 
guérisseuses.  Esculape  donnait  toujours  aux  fidèles  ses  consul- 
tations médicales  pendant  la  nuit,  au  moyen  des  songes  ou  des 
visions  qu'il  leur  envoyait.  Dans  la  plupart  des  Asklépieia  un 
espace  plus  ou  moins  vaste  et  des  édifices  spéciaux  étaient 
réservés  exclusivement  k  la  pratique  de  l'incubation.  Le  temple 
lui-même  n'avait  pas  en  général  des  dimensions  assez  consi- 
dérables pour  qu'il  pût  abriter  la  foule  des  malades  ;  les 
prêtres  seuls  y  pénétraient.  Mais  près  de  là  s'élevaient  des 
portiques  aménagés  pour  recevoir  les  suppliants  qui  venaient 
y  dormir 3.   Pendant  leur  sommeil,  Esculape  se  manifestait  k 

1.  Sur  lincubation,  consulter  :  Bouché-Leclekcq,  Hist.  de  la  divination, 
t.  III.  p.  271  et  suiv.,  avec  une  bibliographie  de  la  question  à  la  page  271.  — 
Le  principal  travail  ancien  sur  l'incubation  est  celui  de  H.  Meibomius,  de  Incu- 
hulione  in  fayiis  deorum  medicinœ  causa  olim  facta,  Ilelmstadt,  1639.  —  Il  faut 
citer  le  livre  de  vox  Riïtekshain,  der  Medicinische  Wunderglaube  und  die 
Incubation  im  Alterthume,  Berlin,  1879.  —  Parmi  les  études  parues  depuis 
la  publication  de  l'ouvrage  de  M.  Bouché-Leclercq,  citons  :  G'"""  Caetam  Lo- 
VATELLi,  /  sogni  e  l'ipnotismo  nel  mondo  antico,  dans  la  Nuova  Antologia, 
i"  décembre  1889,  réimprime  dans  ses  Miscellanea  archeologica,  Rome,  1891, 
p.  108;  —  Deubxeii,  op.  cit.;  —  Lechat,  article  Incubatio,  dans  le  Dictionn.  des 
Antiq.  de  Dahemberg  et  Saglio. 

2.  Servius,  ad  Ain.,  VII,  87  :  Incubare  dicuntur  proprie  hi  qui  dormiunt  ad 
accipienda  responsa,  unde  est  :  ille  incubât  Jovi,  id  est  dormit  in  Capitolio  ut 
responsa  possit  accipere.  —  Le  mot  incubatio  est  la  traduction  du  mot  grec 
i^yi.oi\i.r^'ri(;. 

3.  Pausan.,  II,  27. 


224  LE    SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

eux  «  comme  un  sauveur  et  un  médecin  »  ;  il  leur  faisait  con- 
naître ses  prescriptions,  souvent  il  soignait  lui-môme  les 
parties  du  corps  dont  ils  souffraient'. 

Deux  contemporains  des  Antonins,  .^lius  Aristide,  «  le 
client  modèle  d'Asklépios  »^,  dans  ses  Discours  sacrés,  et 
Artémidore  d'Ephèse,  dans  les  cinq  livres  de  ses  Oneiro- 
crifica  ou  traité  de  l'interprétation  des  songes,  nous  ont  laissé 
d'intéressants  détails  sur  l'incubation.  L'auteur  qui  nous  la 
fait  connaître  le  mieux  est  Aristophane.  La  comédie  du  Pht- 
Itts,  composée  aux  premières  années  du  iv"  siècle  avant  l'ère 
chrétienne,  renferme  une  amusante  description  des  scènes  qui 
se  passaient  la  nuit  dans  l'Asklépieion  d'Athènes.  L'esclave 
Carion  raconte  k  une  femme  comment,  grûce  à  Asklépios, 
Plutus  a  recouvré  la  vue.  Plutus  se  lave  d'abord  dans  la 
mer,  pour  se  purifier.  Arrivé  au  sanctuaire,  il  dépose  des 
parfums,  comme  offrande,  sur  les  autels,  se  prosterne  on 
signe  d'adoration  et  se  couche  sur  les  tapis  qui  recouvrent  les 
dalles  du  temple.  Le  prêtre  d'Asklépios  fait  éteindre  les  lu- 
mières et  recommande  le  silence.  Bientôt  paraît  le  dieu,  accom- 
pagné de  Jaso  et  de  Panacéa  ses  filles.  Il  visite  les  malades  et 
les  examine  tous  ;  il  prépare  les  remèdes  qui  les  guériront  ;  il 
broie  dans  un  mortier  diverses  herbes  dont  il  fait  un  collyre  et 
l'applique  aussitôt  sur  les  yeux  de  l'aveugle  Néoclidès.  S'ap- 
prochant  de  Plutus,  il  essuie  ses  paupières  avec  un  linge  fin; 
Panacéa  enveloppe  la  tête  de  l'aveugle  dans  un  voile  de 
pourpre  ;  Asklépios  siffle,  deux  serpents  sacrés  accourent,  se 
glissent  sous  le  voile,  lèchent  les  paupières  ;  Plutus  voit  3.  Les 
cures  miraculeuses  que  rappellent  les  stèles  d'Epidaure  ne  dif- 
fèrent en  rien  de  celles  qu'opérait  Asklépios  à  Athènes  et 
qu'Aristophane  a  transportées  au  théâtre.  C'étaient  partout  les 
mêmes  hallucinations  que  le  dieu  de  la  médecine  suggérait  et 
les  mêmes  moyens  qu'il  mettait  en  œuvre. 

Le  Curculio  de  Plaute  nous  montre  que  les  Romains  à 
l'époque  républicaine  connaissaient  parfaitement  l'iacubation. 
On  aie  droit  de  supposer  qu'elle   fut   pratiquée  dès  l'origine 


1.  EusEB.,  Vita  Constanlini,  111,  56  (à  propos  de  la  destruction  d'un  temple 
d'Asklépios  en  Cilicie,  sur  l'ordre  de  Constantin)  :  M-jpcwv  l7rTor,|i£v«ov  èit'  a-jto) 
w;  av  kn\  (Twxfipt  xal  îaTpw,  ttotè  |ièv  è7ttçatvo(A£Vf;)  toÏç  àYxaOe'ûSo'j'Tt,  Ttoie  6k  twv 
Ta  (rcijxaTa  xaiivdvTtov  twjxévo)  Ta;  vécoyç. 

2.  Bouciié-Lecleucq,  op.  cit.,  t.  III,  p.  299. 

3.  Abistoph.,  Plutus,  650-741. 


LE    CULTE    d'eSCLLAPE   DANS    l'iLE    TIBÉHINE  225 

dans  le  sanctuaire  de  l'ile  tibérine,  et  de  la  même  façon  qu'en 
Grèce.  Cicéron  l'attaque  très  vivement  et  s'en  moque,  au  livre 
second  de  son  traité  de  Divinatione  :  «  Comment  admettre 
que  les  malades  aillent  demander  des  remèdes  à  l'interprète 
des  songes  plutôt  qu'au  médecin?  Ainsi  Esculape  et  Sérapis 
pourraient  nous  prescrire  la  guérison  de  nos  maux  par  les 
rêves,  et  Neptune  serait  incapable  de  diriger  les  pilotes  par  le 
même  secours  ?  Minerve  fera  des  cures  sans  qu'interviennent 
les  médecins,  et  les  Muses  ne  communiqueront  pas  à  ceux  qui 
révent  la  connaissance  de  l'écriture,  de  la  lecture  et  des 
autres  sciences?  Cependant,  si  la  guérison  d'une  maladie  s'obte- 
nait par  le  sommeil,  nous  pourrions  acquérir  pareillement  toutes 
les  connaissances  que  je  viens  d'énumérer;  comme  il  n'en  est 
rien,  j'en  conclus  que  la  médecine  ne  nous  est  pas  plus  donnée 
que  le  reste*  ».  Mais  ces  critiques  mêmes  prouvent  simplement 
qu'au  temps  de  Cicéron  l'incubation  devait  avoir  à  Rome  de 
nombreux  partisans.  La  passion  folle  pour  le  surnaturel  qui 
régna  sur  le  monde  romain  pendant  l'Empire  ne  fit  sans  doute 
qu'augmenter  son  succès'-.  La  grande  table  votive  de  l'île,  en 
langue  grecque,  atteste  qu'Esculape  manifestait  ses  volontés 
par  les  songes  appelés  ypr,\).o(.-i<j\j.oi.  Sur  deux  inscriptions 
latines  de  Rome  il  est  question  d'offrandes  faites  au  dieu  de  la 
médecine  sur  son  ordre,  pour  obéir  à  une  vision  :  ex  jiisso 
numinis  dei^,  ex  viso  ^. 

Il  serait  intéressant  de  savoir  comment  se  préparaient  les 
apparitions,  et  dans  quelle  mesure  la  supercherie  des  ministres 
du  culte  secondait  la  naïveté  des  croyants.  Nous  en  sommes 
réduits  malheureusement   aux    conjectures^.  Il    est  probable 

1.  Cic,  de  Divin.,  II,  39,  123  :  Qui  iqitur  convenit  aegros  a  conjecture  som- 
niornm  potiiis  qiiam  ainedico  pelere  juedicinam  ?  An  Aisculapius,  an  Serapis 
potest  7iohis  prsescribere  per  somniinn  curationon  valeludinis,  Nepfuniis 
qubernanlibus  non  potest?  et  si  sine  medico  medicinam  dabit  Minerva,  Musae 
scribendi  legendi  ceterarum  artium  scientiam somniantibus  non  dabunt?  At  si 
curatio  darelur  valetudinis  lisec  quoque  quae  dixi  darenlur ;  quae  qiioniam  non 
dantur,  medicina  nondatur;  quasublala  tollitur  omnis  auctoritas  somniorum. 

2.  Lafaye,  tiullet.  archéol.  de  la  relig.  rom.,  dans  la  Rev.  de  Vhist.  des  Relig., 
t.  XVIII,  1888,  p.  77. 

3.  G.  I.  L.,  VI,  14  (inscription  de  la  villa  Albani). 

4.  G.  I.  L.,  VI,  8  (inscription  du  musée  du  Vatican,  galerie  des  Candélabres). 

5.  L'un  des  textes  les  plus  intéressants  sur  ce  sujet  est  un  passage  de 
Strabo,  XIV,  p.  6i9,  à  propos  du  Plutonium  d'Acharaia,  entre  Tralles  et 
Nysa  :  les  prêtres  indiquent  aux  dévots  qui  viennent  passer  la  nuit  dans 
le  sanctuaire  ce  qu'ils  doivent  faire  ;  ils  interprètent  et  commentent  leurs 
visions  :  au  besoin  même  ils  couchent  dans  le  temple  à  leur  place  et  pour 
leur  compte. 

15 


226  LE   SANCTLAIRE   D  ESCL'LAPE 

qu'au  début  on  se  contentait  d'abandonner  les  malades  à  leur 
propre  imagination  surexcitée.  On  leur  avait  tant  parlé  d'Es- 
culape  et  de  ses  cures  qu'ils  ne  pouvaient  faire  autrement  dans 
le  silence  et  l'obscurité  de  la  nuit,  que  de  s'imaginer,  par  auto- 
suggestion, le  voir  et  l'entendre.  Les  prêtres  se  bornaient  à 
provoquer  les  songes  par  leurs  réflexions  savamment  ména- 
gées, et  à  les  interpréter  :  «  C'est  sur  les  conseils  d'Asklépios 
qu'ils  composent  les  remèdes,  et  disent  quelles  herbes  il  faut 
appliquer  aux  plaies  humides  ou  sèches,  comment  faire  les  po- 
tions qui  guériront  les  hjdropisies,  arrêteront  les  hémorragies, 
mettront  un  terme  aux  phtisies i».  Plus  tard,  il  fallut  trouver 
mieux.  On  a  supposé  que  l'incubation  était  devenue  une  véri- 
table comédie  jouée  par  les  prêtres  :  ils  se  déguisaient  eux- 
mêmes  en  Esculape;  prenant  ses  traits  et  ses  attributs,  ils 
profitaient  de  l'émoi  des  malades  pour  parcourir  les  portiques  à 
la  faveur  de  l'ombre,  palper  et  ausculter  les  suppliants  et  don- 
ner des  avis  qu'on  tenait  pour  divins  et  proférés  par  le  dieu 
lui-même-.  Cette  hypothèse  nous  aiderait  à  comprendre  la  scène 
du  Plulus  et  les  stèles  d'Epidaure  ;  tous  les  clients  d'Asklé- 
pios affirment  qu'ils  l'ont  vu  et  entendu.  Elle  nous  expliquerait 
aussi  la  valeur  médicale  de  quelques-uns  des  traitements  pres- 
crits. Le  déguisement  que  prenaient  les  prêtres  leur  permet- 
tait de  faire  profiter  les  malades  de  leur  expérience  et  de 
leur  savoir.  Il  est  fâcheux  que  les  noms  des  habiles  gens  qui 
opéraient  au  nom  d'Esculape  dans  l'île  tibérine  soient  oubliés  et 
qiie  nous  ne  connaissions  pas  l'organisation  de  leur  collège. 
Tout  rapprochement  avec  Epidaure  serait  vain.  Mieux  vaut 
avouer  notre  ignorance,  faute  de  documents. 

Les  animaux  sacrés.  —  L'Asklépieion  romain  renfermait, 
comme  les  Asklepiéia  de  Grèce,  un  certain  nombre  d'animaux 
consacrés,  qui  servaient  aux  cérémonies  religieuses.  On  peut 
le  conclure  d'un  passage  de  Festus  où  cet  auteur,  après  avoir 
rappelé  la  fondation  du  temple  de  l'île,  recherche  le  sens  de 
quelques  attributs  ordinaires  d'Esculape.  Le  dieu  tient  à  la 
main  un  bâton  noueux,  emblème  des  difficultés  de  l'art  médi- 
cal. Il  porte  une  couronne  de  laurier,  parce  que  de  cet  arbre 
on  tirait  des  remèdes.  On  voyait  dans  son  sanctuaire,  au  rap- 


1.  PHiLOSTn.,  Vila  Apoll.  Tyan.,  111,  44, 1. 

2.  D'  Vercoutre,- op.  cit.,  llev.  archéol.,  1885,  t.  H,  p.  282. 


LE    CULTE    d'eSCULAPE    DANS    l'lLE    TIBÉRINE  227 

port  de  Festus,  des  serpents,  des  chiens,  des  coqs^  Il  faut 
ajouter  à  cette  liste  des  chèvres.  Les  Anciens  disaient 
qu'Asklépios  enfant,  abandonné  par  la  nymphe  Coronis,  sa 
mère,  dans  les  montagnes  du  Péloponèse,  auprès  d'Epidaure, 
avait  été  allaité  par  une  chèvre  et  gardé  par  un  chien  ~. 
D'après  Servius  la  chèvre  lui  aurait  été  vouée  per  co?it?'arieta- 
tem,  comme  à  Cérès  le  porc,  qui  mange  les  récoltes,  et  à  Bac- 
chus  le  bouc,  qui  ravage  les  vignes  :  Esculape  est  le  dieu  de  la 
santé,  et  la  chèvre  passait  pour  avoir  toujours  la  fièvre '^  On 
avait  coutume  à  Rome,  aussi  bien  qu'en  Grèce,  de  sacrifier  des 
coqs  au  dieu  guérisseur'*.  Le  coq  dont  le  chant  matinal  célèbre 
la  fuite  de  la  nuit,  dissipe  les  ténèbres,  conjure  les  influences 
mauvaises  de  l'ombre,  était  l'oiseau  d'Apollon,  dieu  de  la  lu- 
mière; il  devint  aussi,  pour  les  mêmes  raisons,  l'oiseau  d'As- 
klépios,  fils  d'Apollon;  la  médecine  antique  n'avait-elle  pas 
dans  les  temples  le  caractère  d'une  conjuration  superstitieuse 
et  magique''? 

Le  serpent  était  placé  par  les  sculpteurs  à  côté  d'Escu- 
lape,  enroulé  sur  son  bâton  noueux.  On  vantait  son  regard 
perçant'';  Festus  a  tort  de  croire  que  c'est  pour  ce  motif 
qu'il  était  consacré  au  vigilant  gardien  de  la  santé '^.  Pline 
l'Ancien   n'est  pas  mieux   fondé  à  dire    qu'on   l'avait    choisi 

i.  Festus,  p.  MO  :  In  insula  JEsculapio  fada  sedes  fuit,  quocl  segroli  a  medi- 
cis  aqua  maxime  sustentenlur.  Ejiisdem  esse  tutelœ  draconem,  quod  vigilanlis- 
sitniim  sit  animal,  quse  res  ad  tuendam  valetudinem  œgrofi  maxime  apta  est. 
Canes  adhibentur  ejus  templo,  quod  is  iiheribus  canis  sit  nutritus.  Bacillum 
hahet  nodosum,  quod  difficultatetn  sigiiificat  artis.  Laurea  coronatus,  quod  ea 
arbor  plurimorum  fit  remediorum.  Huic  gallinae  immolabantiir.  —  Peut-être 
la  présence  d'animaux  sacrés  dans  les  temples  témoigne-t-elle  de  la  survi- 
vance à  l'époque  historique  de  certaines  conceptions  totémiques  primitives; 
l'animal  que  l'on  offre  comme  victime  était  à  l'origine  le  dieu  lui-même. 

2.  Pausax.,  II,  26,  4. 

3.  Servius,  ad  Geoi'g.,U,  380  :  Viclimae  numinibus  aut  per  similitudinem  aut 
per  confrarietatem  immolantur  :  per  similitudinem,  ut  nigrum  pecus  Plutoni; 
per  conlrarietatem  ut  porca,  quae  obest  frugibus,  Cereri,  ut  caper,  qui  obest 
vitibus,  Libero,  item  caprae  jEsculapio,  qui  est  deus  salutis,  cum  capra  nun- 
quam  sine  febre  sit. 

4.  Sur  le  coq  dans  le  culte  d'Esculape.  cf.  Delbner.  de  Incubatione,  p.  46, 
avec  la  bibliographie.  Voir  notamment  B.kthgex,  de  Vi  ac  signipcutione  galli 
inreligionibus  et  arlibus  Graecorum  et  Romanoruin,  Gœttingen,  1887. 

5.  Heuzey,  C.  h.  de  l'Acad.  des  Inscr.,  1890,  p.  120. 

6.  HoKAT.,  Epist.,  1,3. 

Cur  in   amicorum  vitiis  tam  cernis  acutum 
Quam  aquila  aut  serpcns  Epidaurius? 

7.  Festus,  loc.  cit.,  et  en  outre  :  p.  67,  s.  v  Dracones  :  Dracones  dicti  àirb  toO 
liçty.z<7%on,  quod  est  videre;  clarissimam  enim  dicuntur  hubere  oculorum  aciem... 
ideoquo  jEsculapio  atlribuuntur. 


228  LE   SANCTUAIRE    D  ESCDLAPE 

parce  que  son  venin  servait  parfois  de  remède  ^  On  a  vu  plus 
haut  que  le  culte  véritable  rendu  par  les  Grecs  et  les  Romains 
aux  serpents  s'explique  par  les  allures  mystérieuses  de  ces 
reptiles'-'.  Il  y  en  avait  à  Rome  un  grand  nombre,  qui  vivaient 
familièrement  dans  les  maisons"^  Nulle  part,  sans  doute,  ils 
n'étaient  plus  dociles  ni  mieux  dressés  que  dans  le  sanctuaire 
de  l'île  tibérine.  En  Grèce,  non  seulement  ils  apparaissaient  avec 
Asklépios  aux  fidèles  qui  venaient  se  soumettre  à  l'incubation, 
mais  encore  ils  intervenaient,  eux  aussi,  dans  les  cures  et 
collaboraient  à  la  guérison  des  malades.  On  lit  sur  l'une  des 
stèles  d'Epidaure  qu'un  homme  atteint  d'un  ulcère  au  pied  fut 
guéri  pendant  son  sommeil  par  un  serpent  qui  vint  passer  sa 
langue  sur  la  plaie  ^.  Aristophane  n'est  pas  moins  précis  : 
((  Asklépios  siffla;  à  ce  signal  deux  serpents  d'une  grandeur 
extraordinaire  se  sont  glissés  tout  doucement  sous  le  voile  de 
pourpre;  je  crois  qu'ils  ont  léché  les  yeux  de  Plutus''  ». 
Alexandre  d'Abonotichos  déclarait  qu'Asklépios  avait  pris  la 
forme  d'un  serpent  à  tête  d'homme  pour  lui  rendre  la  santé. 
Les  chiens  servaient  aussi  d'auxiliaires  au  dieu  et  soignaient 
les  plaies  comme  les  serpents''.  Les  stèles  d'Epidaure  en 
témoignent  :  deux  enfants,  l'un  aveugle'^,  l'autre  souffrant  d'un 
ulcère  au  cou^,  furent  guéris  par  la  langue  d'un  chien  sacré.  Le 
sculpteur  Thrasymède  de  Paros  avait  représenté  un  de  ces 
animaux  couché  aux  pieds  de  la  célèbre  statue  chryséléphantine 
d'Asklépios  à  Epidaure'^  :  c'était  peut-être  en  souvenir  de  la 
chienne  qui,  d'après  une  tradition  dont  Festus  et  Lactance  se 
sont  fait  l'écho'",  aurait  nourri  Asklépios  enfant,  au  lieu  de  la 


i.  Plin.,  Hist.  nat.,XXl\,  4  (22)  :  Qtiin  et  inesse  et  remédia  multa  crcdunlur, 
ut  digeremus,  et  ideo  JEsculapio  dicatur. 

2.  Cf.  ci-dessus,  p.  1G8. 

3.  Plin.,  loc.  cit.  :  Anguis  JEsculapius  Epidauro  Romain  adoeclus  est,  vul- 
goque  pascitur  et  indomibus. 

4.  Defhasse  et  Lechat,  Epidaure,  p.  145;  1"  stèle,  guérison  n°  17  :  'lio-aTo 
T»i  yXiôaTa. 

'5.  Akistopii.,  Plutits,  732. 

6.  Sur  les  chiens  d'Esculape,  cf.  Delbner,  op.  cit.,  p.  39,  avec  la  bibliogra- 
phie ;  —  S.  Uei.nach,  les  Chiens  dans  le  culte  d'Esculape,  Rev.  archéoL,  1884,  t.  II, 
p.  129;  —  Gaidoz,  A  propos  des  chiens  d'Epidaure,  Hev.  archéoL,  1884,  t.  Il, 
p.  302  ;  —  Cleumont-Ga.n.neau,  Revue  critique,  1884,  t.  II,  p.  502. 

7.  Defrasse  et  Lechat,  Epidaure,  1"  stèle,  guérison,  n"  20. 

8.  Defhasse  et  Lechat,  Epidaure,  2"  stèle,  guérison,  n°  26. 

9.  Pacsan.,  II,  27,  2. 

10.  Festus,  p.  110.  — Lactant.,  Divin.  Inslit.,  I,  10  :  Tarquitius  ait...  JEscu- 
lapium  expositum  a  venatoribus  canino  lacté  nutrilum. 


LE  CULTE  D  ESCCLAPE  DANS  L  ILE  TIBÉRINE        229 

chèvre  que  rappelle  Pausanias.  Peut-être  aussi  étaient-ils 
associés  au  culte  d'Esculape  à  cause  de  la  sûreté  de  leur  ins- 
tinct; Elien  raconte  qu'ils  ont,  ainsi  que  les  bœufs,  les  porcs, 
les  chèvres  et  les  serpents,  le  pressentiment  des  épidémies i. 
Il  est  bien  probable  que  les  serpents  et  les  chiens  de  Tîle  tibé- 
rine  étaient  utiHsés  par  les  prêtres  comme  ceux  de  la  Grèce  et 
prenaient  part  aux  cures. 

Les  ex-voto.  —  Les  textes  littéraires  et  les  inscriptions  la- 
tines ou  grecques  ne  sont  pas  les  seuls  documents  concernant 
le  sanctuaire  de  l'île  qui  soient  parvenus  jusqu'à  nous.  Il 
nous  reste  à  examiner  un  certain  nombre  de  petits  monuments 
figurés  qui  en  proviennent  et  qui  sont  conservés  maintenant 
dans  les  musées  de  Rome  et  dans  quelques  collections  parti- 
culières :  c'étaient  des  ex-voto  offerts  à  Esculape  en  témoi- 
gnage de  reconnaissance  par  les  malades  qu'il  avait  guéris. 

Usage  et  rôle  des  donaria.  —  L'usage  qu'avaient  adopté  les 
Romains  de  déposer  des  offrandes  dans  les  sanctuaires  d'Escu- 
lape et  des  autres  divinités  guérisseuses  venait  de  la  Grèce  ~.  On 
faisait  aux  dieux  des  promesses  et  des  vœux  pour  obtenir  d'eux 
laguérison^.  Les  fidèles  ne  se  contentaient  pas  de  leur  élever 
des  statues  auprès  de  leurs  autels  ou  de  rédiger  en  leur  hon- 
neur des  inscriptions  louangeuses.  Ils  apportaient  dévotement 
au  temple  des  objets  de  marbre  ou  d'argent  ou  de  terre  cuite, 
qui  représentaient  les  dieux  eux-mêmes  ou  les  malades  ou  seu- 
lement les  parties  du  corps  rappelées  à  la  santé ^.  Ceux  qui 
n'avaient  pas  les  moyens  de  manifester  autrement  leur  grati- 
tude et  qui  ne  pouvaient  faire  les  frais  d'une  inscription  ou 
d'un  présent  en  matière  précieuse  tenaient  à  donner  tout  au 
moins  à  leurs  divins  bienfaiteurs  une  modeste    et  grossière 

1.  iELIAN.,  VI,  19. 

2.  Cf.  article  Donaria,  par  Homolle,  dans  le  Diclionn.  des  Antiq.,  de  D.\rem- 
RERG  et  Saglio. 

3.  Les  formules  volum  solvif,  ex  voto  suscepto  sont  fréquentes  dans  les  ins- 
criptions latines  dédiées  à  Esculape.  Voir  notamment  :  C.  I.  L.,  VI,  6,  841. 

4.  On  sait  par  Tibcll.,  Eleçj.,  I,  3,  38,  que  les  malades  faisaient  aussi  pla- 
cer sur  les  parois  des  temples  des  divinités  médicales  de  petites  tablettes 
peintes,  en  guise  d"e.x-voto.  Le  poète  s'adresse  à  Isis,  invoquée  dans  les  guéri- 
sons  : 

ISunc,  dea,  nunc  succurre  mihi,  nam  posse  mederi 
Picta  docet  templis  multa  tabella  tuis. 
Sur  ces  tableaux  de  piété  devaient  être  figurées  des  scènes  de  guérison,  des 
apparitions  miraculeuses. 


230  LE   SANCTUAIRE  d'eSCULAPE 

imago  de  terre  cuite.  Ces  ^/o/zam  encombraient  les  sanctuaires. 
On  avait  dû  bâtir,  pour  les  recevoir,  des  locaux  spéciaux 
auprès  des  temples.  On  les  fixait  aux  murs  par  des  clous,  on  les 
rangeait  sur  des  tablettes  do  pierre  ou  de  bois,  on  les  amas- 
sait en  tas  dans  les  coins  ^  Quand  enfin  l'espace  manquait  et 
(ju'on  ne  savait  plus  ou  mettre  les  ox-voto  que  la  piété  des 
malades  ne  cessait  d'accumuler,  il  fallait  se  résoudre  à  faire 
disparaître  les  plus  anciens,  qui  cédaient  la  place  aux  nou- 
veaux. On  les  enlevait  des  chambres  qui  leur  étaient  réservées, 
mais  on  n'osait  ni  les  jeter  ni  les  vendre  ;  leur  caractère  reli- 
gieux les  préservait  de  la  destruction.  Ils  étaient  enfouis  dans 
des  fosses-.  Les  Romains  appelaient  f amasse  ces  cachettes 
souterraines"^.  Les  fouilles  des  trente  dernières  années  en 
Grèce  et  en  Italie  ont  amené  la  découverte  de  plusieurs  dépôts 
de  ce  genre,  où  l'on  a  fait  une  ample  moisson  de  donaria  an- 
tiques. En  Grèce,  on  connaît  surtout  les  ex-voto  de  l'Asklé- 
pieion  d'Athènes^.  A  Rome  et  aux  environs  les  trouvailles  ont 
été  nombreuses.  On  a  fouillé  en  187G  les  favissœ  du  temple 
d'Hercule  au  Cmnpo  Verano^  hors  de  la  porte  Saint-Laurent  ; 
en  1885  celles  du  temple  de  Diane  à  Némi  ;  en  1887  celles  du 
temple  de  Minerva  Medica  à  Rome,  dans  le  quartier  des  Sette 
Salle^'  ;  en  1889,  celles  du  temple  de  Junon  à  Voies''.  Les  divi- 
nités auxquelles  appartenaient  ces  sanctuaires  avaient  toutes 
des  attributions  médicales.  On  a  recueilli  dans  les  favissm 
des  figurines  sculptées  qui  attestent  la  reconnaissance  et  la 
piété  des  malades. 

Les  donaria  de  l'île  tibérine.  —  Le  sanctuaire  de  l'île  tibé- 
rine  devait  renfermer  une  grande  quantité  de  donaria.  Les 
trois  inscriptions  latines  archaïques  dédiées  à  Aiscolapkis  ac- 
compagnaient des  petites  statuettes  offertes  au  dieu.  L'aff'ranchi 


1.  Sur  un  vase  peint  de  Grèce  publié  dans  T'EçYiiiEpl;  àpxa'oÀoy"^^!'  l'^^i'O, 
pi.  VII,  p.  131,  reproduit  par  S.  Reinacii,  Répertoire  des  vasespeints,  Paris,  189!)- 
1900,  t.  I,  p.  515,  on  voit  représenté  l'inlérieur  d'un  temple  d'Asklépios;  au  mur 
sont  suspendus  des  ex-voto  :  couronnes,  jambes,  mains. 

2.  Cf.  R.  Lanciani,  Pnf/on  and  chrislian  Rome,  p.  58. 

3.  Festl's.  p.  8S  :  Favisse  locum  sic  appellabant,  in  quo  erat  aqua  inclûsn 
circa  ternpla.  Sunt  autem  qui pulantf avisas  esse  in  Capitolio  cellis  cislernisque 
similes,  rtbi  reponi  erant  solila  ea  qtiœ  in  teniplo  velustale  eranl  fada  inulilia. 

4.  P.  Gn(ARD,  op.  cit.,  p.  97  et  suiv. 

5.  Sur  Minerva  Medica,  en  particulier,  voir  Lafaye,  Bullef.  archéol.  de  la 
relig.  roui.,  dans  la  Rev.  de  l'hisl.  des  relig.,  188S,  t.  XVIII,  p.  75. 

6.  R.  Lanciani,  loc,  cil. 


LE    CULTE    D  ESCULAPE    DANS    L  ILE    TIBÉRINE  231 

Néocharès  avait  joint  à  son  inscription  le  modèle  en  argent 
d'une  rate  humaine  i.  Deux  marbres  du  musée  du  Vatican 
représentent  l'un  la  cage  tlioracique  d'un  adulte,  l'autre  la 
poitrine  ouverte  d'un  enfant  ;  on  y  constate  des  fautes 
grossières  :  le  thorax  de  l'adulte  a  treize  côtes  de  chaque 
côté,  et  les  viscères  de  l'enfant  sont  étrangement  placés  et 
mal  proportionnés '.  Ficoroni  a  publié  deux  curieuses  figurines 
de  terre  cuite  :  la  première  est  une  femme  qui  porte  de  la  main 
droite  un  pigeon  par  les  ailes  et  qui  soutient  du  bras  gauche 
un  enfant  nu  et  grêle  dont  la  main  tendue  en  avant  tient  une 
bourse  pleine  ;  l'enfant  malade  invoque  un  dieu  guérisseur, 
auquel  on  sacrifiera  le  pigeon  et  l'on  donnera  la  bourse  ;  la 
seconde  statuette  est  celle  d'un  homme  nu  et  assis,  qui  appuie 
ses  mains  sur  ses  genoux;  il  a  les  jambes  hautes  et  maigres  et 
toute  l'apparence  d'un  infirme 3.  La  provenance  des  marbres 
du  Vatican  et  des  figurines  de  Ficoroni  est  inconnue.  Il  paraît 
bien  certain  que  les  uns  et  les  autres  ont  été  consacrés  en  ex- 
voto  à  une  divinité  médicale.  S'ils  n'ont  pas  été  découverts  dans 
l'île  tibérine  ils  nous  permettent  en  tout  cas  de  nous  faire 
déjà  quelque  idée  des  donaria  du  sanctuaire  d'Esculape.  Le 
musée  national  des  Thermes  possède  une  main  votive  en  bronze 
trouvée  dans  les  travaux  du  Tibre,  près  de  la  Marmorata.  Elle 
est  figurée  en  relief  et  mesure  O^iSS  ;  la  base  plate  et  rectan- 
gulaire sur  laquelle  elle  repose  a  O^iôO  de  longueur  ;  quatre 
trous  sont  percés  sur  les  côtés  pour  fixer  l'objet  à  un  mur  ou  à 
une  planchette  ;  le  poids  total,  considérable,  est  de  35  kilo- 
grammes. La  main,  ronde  et  fine,  aux  doigts  délicats,  semble 
appartenir  à  une  femme.  Un  serpent  s'enroule  sur  le  poignet 
comme  un  bracelet.  Le  lieu  de  la  trouvaille  et  la  présence 
du  serpent  nous  autorisent  à  supposer  que  ce  donarium  est  un 
ex-voto  au  dieu  médecin  et  qu'il  avait  été  déposé  primitivement 
dans  le  sanctuaire  de  l'île  tibérine  ^. 

1.  Une  des  inscriptions  trouvées  sur  l'emplacement  d'un  temple  de  Minerva 
Medica  à  Cabardiacum,  entre  Veleia  et  Plaisance,  a  été  rédigée  par  un  habi- 
tant de  Brixella,  L.  Gallidius  Primus,  qui  avait  offert  à  la  déesse  deux  oreilles 
en  argent  pour  la  remercier  d'avoir  guéri  les  siennes  (G.  I.  L.,  XI,  1303). 

2.  Musée  du  Vatican,  galerie  des  bustes,  n°'  382  et  384.  Publiés  par  Braun, 
Studi  anatomici  degll  anfichi,  dans  le  BulletL.  delVInstit.  archeol.,  1844,  p.  16. 
—  Cf.  Bullett.  deirinstit.  archeol.,  1885,  p.  147.  —  W.  Helbig,  Fithrev  durch  die 
Samml.  kLass.  Allerlldlm.  im  Rom,  2"  éd.,  t.  I,  p.  141  :  «  Us  ne  donnent  pas  liné" 
idée  favorable  des  connaissances  anatomiques  de  ceu.x  qui  les  ont  fabriqués.» 

3.  FicoROxi,  Vestigia  e  rarità  di  Roina,  t.  I,  p.  144. 

4.  G'°"°  Caetani  Lovatelli,  Di  un  mano  votivo  in  bronzo,  dans  les  Monumenti 


232  LE  SANCTUAIRE  D  ESCULAPE 

Les  statuettes  archaïques  et  la  rate  d'argent  de  Néocliarès 
ont  disparu;  il  n'est  pas  sCir  que  les  marbres  du  A^atican,  les 
figurines  du  Ficoroni  ou  même  la  main  de  bronze  du  musée 
des  Tiiermes,  viennent  du  temple  d'Esculape.  Mais  heureuse- 
ment les  fouilles  de  ces  dernières  années  ont  ramené  à  la 
lumière  un  nombre  considérable  d'ex-voto  dont  l'origine  est 
certaine.  Déjà  en  1854  on  avait  recueilli  dans  les  dépendances 
de  l'église  Saint-Jean  Calybite,  au-dessous  du  pavage  en  mo- 
saïque dédié  à  Jupiter  Jurarius,  plusieurs  objets  de  terre  cuite, 
têtes  et  bustes,  jambes  et  bras,  dispersés  depuis'  :  d'après 
Visconti,  on  était  tombé  sur  l'une  des  favissœ  de  l'Asklépieion, 
située  à  quelque  distance  du  temple.  De  1885  à  1887, 
pendant  la  construction  du  nouveau  quai  du  Tibre  à  l'extré- 
mité du  pont  Fabricius,  on  a  mis  la  main  sur  une  véritable 
mine  d'ex-voto.  Les  Notizie  decjli  Scavi  di  Antichità  pour 
l'année  1885, annoncent  qu'on  a  trouvé  dans  les  fouilles  une 
tête  haute  de  0'",22  et  une  main-.  Bientôt  ces  rencontres  se 
multiplient,  et  l'on  renonce  à  en  tenir  un  compte  exact.  Les 
Notizie  et  le  Bullett'mo  Comimale  signalent  simplement  la 
découverte  de  plusieurs  grands  dépôts  d'objets  votifs, 
auprès  du  pont  Fabricius  3.  Où  ces  dépôts  étaient-ils  situés 
exactement?  comment  les  a-t-on  explorés?  que  renfermaient- 
ils?  Les  publications  officielles  n'en  disent  rien,  ou  presque 
rien.  Le  service  du  Génie  civil,  qui  était  chargé  de  la  systé- 
matisation du  Tibre,  se  souciait  peu  d'archéologie  et  ne  com- 
muniquait que  de  rares  et  brèves  informations.  Cinq  ou  six 
cents  ex-voto  de  terre  cuite  sont  maintenant  relégués  dans 
les  greniers  du  musée  des  Thermes  ;  ils  proviennent,  pour  la 
plupart,  des  trouvailles  faites  aux  abords  de  l'ile  tibérine 
de  1885  à  1887''.  D'après  M.  Lanciani  ce  n'est  qu'une  faible 
partie  des  donaria  découverts''.  Les  petites  dimensions  de  ces 


antichi  dei  Lincei,  1. 1,  1889,  p.  170,  reproduit  dans  ses  Miscellanea  archeolo- 
gica,  Rome,  1891,  p.  137.  —  Cf.  W.  Helbio,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  234.  D'autres  mains 
votives  sont  conservées  au  musée  Kircher,  W.  IIelbig,  op.  cit.,  t.  H,  p.  42o. 

1.  Giornale  di  Roina,  année  1854,  n°  82.  —  Cf.  ci-dessous  p.  253. 

2.  Notiz.  d.  Scavi,  1885,  p.  71. 

3.  Par  exemple  dans  le  Bullell.  Comun.,  1887,  p.  97. 

4.  Les  ex-voto  recueillis  dans  les  fouilles  du  temple  de  Minerva  Medica  sont 
déposés  au  magasin  archéologique  de  X'Ovlo  Bolanico.  Le  musée  de  la  Villa 
du  Pape  Jules  renferme  des  objets  analogues  trouvés  en  Etrurie,  à  Civita  La- 
vinia,  à  Civita  Castellana,  à  Veies. 

5.  Renseignement  communiqué  par  M.  R.  Lanciani. 


LE    CULTE    d'eSCLLAPE    DANS    l'iLE    TIBÉRIN'E  233 

objets  ont  permis  aux  ouvriers  des  travaux  du  Tibre,  que  les 
ingénieurs  surveillaient  mal,  d'en  dérober  un  grand  nombre  ; 
les  magasins  des  antiquaires  romains  en  furent  longtemps 
encombrés.  Plusieurs  collectionneurs  ont  ainsi  acquis  des  lots 
importants  de  terre  cuites  votives  :  on  peut  citer  M.  Charles, 
à  Rome,  M.  Oppeheim  et  le  D'"  Luigi  Sambon,  en  Angleterre  ^ 
Dans  les  séries  que  les  conservateurs  du  musée  des  Thermes 
ont  réunies  et  classées  tous  les  types  intéressants  d'ex-voto 
sont  représentés  ;  elles  nous  donnent  une  image  fidèle  des 
antiques  favissœ  du  sanctuaire  d'Esculape. 

Caractères  généraux.  —  Les  donaria  de  l'île  tibérine  res- 
semblent à  tous  ceux  qu'on  avait  trouvés  auparavant  aux 
environs  de  Rome  et  n'ont  pas  plus  de  valeur  artistique.  Ce 
sont  des  objets  de  fabrication  grossière  et  peu  soignée;  ils 
ne  présentent  d'intérêt  qu'à  titre  de  témoignages  de  la  dévo- 
tion populaire.  Quelques-uns  cependant  méritent  d'attirer  l'at- 
tention des  historiens  de  la  médecine  :  on  en  peut  tirer  d'utiles 
renseignements  sur  l'état  des  connaissances  anatomiques  dans 
l'antiquité.  Ils  ont  été  étudiés  récemment  à  ce  point  de  vue 
par  le  D""  L.  Sambon-  et  par  le  professeur  L.  Stiéda-^. 

Il  est  difficile  de  leur  assigner  une  date  précise.  M.  Stiéda 
les  attribue  en  bloc  aux  derniers  siècles  avant  l'ère  chré- 
tienne ;  le  D""  Sambon  croit,  avec  raison,  qu'ils  s'échelonnent 
entre  la  fondation  du  temple  d'Esculape  et  le  siècle  des  Anto- 
nins.  Les  ex/-voto  qui  ont  la  forme  de  cages  thoraciques  entr 'ou- 
vertes, laissant  apercevoir  les  viscères  à  l'intérieur  du  corps, 
n'ont  pu  être  modelés  qu'à  une  époque  assez  avancée,  où  la 
science  anatomique  était  en  progrès.  On  a  fait  d'abord  les  têtes 
détachées  lourdes  et  pleines;  les  têtes  creuses  et  légères  n'ont 
été  fabriquées  que  plus  tard. 

Il  est  probable  que  primitivement  les  donaria  de  terre  cuite 
étaient  coloriés  '*.  Les  ateliers  où  on  les  sculptait  devaient  être 

1.  Mentionnés  dans  l'article  du  D'  Sambon  indiqué  ci-dessous. 

2.  D'  L.  Sambon,  Donaria  of  médical  interest  in  the  Oppeheimer  collection 
of  etruscan  and  roman  antiquities,  dans  le  Brilish  médical  Journal,  1895,  t.  II, 
p.  146  et  p.  216. 

3.  L.  Stiéda,  Ueber  alt-ilalische  Weigesc/ienke,  dans  les  Mittheil.  des 
archàol.  Instif.,  Roem.  Abfh.,  1899,  p.  230.  M.  Stiéda  ne  paraît  pas  avoir  eu  con- 
naissance de  l'article  du  D'  Sambon.  Il  annonce  la  publication  prochaine  d'un 
travail  plus  développé  et  plus  technique  sur  le  même  sujet,  avec  gravures, 
dans  une  revue  d'anatomie.  Ce  travail  n'a  pas  encore  paru. 

4.  R.  Laxciaxi,  Ancient  Rome,  Londres,  1888,  p.  70  :  parmi  les  ex-voto  de  terre 


234  LE    SANCTUAIKE    d'eSCULAPE 

situés  tous  à  Rome  ou  aux  environs  :  les  objets  retrouvés  dans 
Tile  tibérine  avaient  trop  peu  de  prix  pour  qu'on  les  suppose 
d'importation  étrangère. 

Description.  —  On  peut  classer  les  donaria  d'après  la  matière 
dont  ils  sont  faits  ou  d'après  les  sujets  qu'ils  représentent. 
Tous  ceux  que  l'on  conserve  dans  les  greniers  du  musée  des 
Thermes  sont  en  terre  cuite  ;  mais  dans  l'antiquité  le  sanctuaire 
de  l'île  tibérine  renfermait  certainement  des  ex-voto  en  pierre, 
en  marbre,  comme  les  troncs  humains  du  Vatican,  en  bronze, 
comme  la  main  du  musée  des  Thermes,  en  argent,  comme  la 
rate  de  Néocharès,  en  or  même.  La  richesse  des  offrandes 
variait  avec  la  condition  sociale  des  suppliants.  Esculape  à  Rome 
avait  surtout  des  pauvres  dans  sa  clientèle  :  les  objets  de  terre 
cuite  devaient  être  en  majorité  ;  aussi  en  a-t-on  découvert  un 
grand  nombre. 

La  plupart  de  ces  ex-voto  sont  dos  images  de  membres  ou 
d'organes  du  corps  humain. 

Dans  les  favissœ  de  quelques  sanctuaires,  dans  celles  par 
exemple  du  temple  de  Minerva  Medica,  on  a  rocuoilli  dos  sta- 
tuettes de  divinités  en  terre  cuite  ;  il  ne  semble  pas  qu'on  ait 
trouvé  de  semblables  figurines  aux  abords  de  l'île.  D'autres 
statuettes  reproduisent  avec  plus  ou  moins  d'exactitude  les 
traits  des  personnes  qui  les  ont  dédiées  :  ce  sont  les  portraits 
supposés  des  malades.  Le  musée  des  Thermes  possède  plusieurs 
objets  de  ce  genre.  Une  femme  drapée,  presque  de  grandeur 
naturelle,  est  couchée  sur  un  lit,  la  tête  entourée  de  bande- 
lettes, des  rameaux  à  la  main.  De  petits  personnages  sont  assis 
deux  par  deux,  homme  et  femme  :  c'est  un  ménage  romain  ren- 
dant grâce  au  dieu  qui  lui  a  permis  d'avoir  des  enfants  ;  quelque- 
fois la  femme  présente  des  signes  de  grossesse;  quelquefois  elle 
Ibve  la  main,  en  marque  d'adoration,  ou  fait  éclater  une  grenade, 
emblème  de  fécondité  ;  dans  certains  cas  les  enfants  eux-mêmes 
paraissent  à  côté  de  leurs  parents.  Auprès  de  ces  bonhommes  on 
voit  aussi  des  animaux  :  une  grande  tête  de  veau,  des  bœufs, 
des  moutons  ;  s'ils  ont  été  réellement  trouvés  en  même  temps 
et  aux  mêmes  endroits,  on  pourrait  croire  qu'Esculape  pra- 
tiquait, avec  la  médecine,  l'art  vétérinaire. 

Mais  les  ex-voto  les  plus  nombreux  et  les  plus  curieux  ont 

cuite  trouvés  en  188.")  au  débouché  du  pont  Fabricius  plusieurs  portaient 
encore,  au  moment  de  la  découverte,  des  traces  de  peinture. 


LE    CULTE    d'eSCULAPE    DANS    l'iLE    TIBÉRINE 


235 


l'apparence  de  véritables  pièces  anatomiques  :  ce  sont  les  parties 
du  corps  qui  étaient  malades  et  que  le  dieu  a  guéries.  Parmi  les 
donaria  du  temple  de  Minerva  Medica,  dans  le  magasin  archéo- 
logique de  YOrto  botanico,  on  remarque  une  tête  de  femme 
avec  deux  grosseurs  de  chaque  côté  entre  les  mâchoires  et  le 


Fie.  25.   —    EX-VOTO  DE   TERRE  CUITE 

Provenant  de  l'ile  tibérine  (Musée  national  des  Thermes). 

1.  Demi-tête,  vue  de  profil.  —  2.  Tète,  vue  de  face.  —  3.  Main.  —  4  et  5.  Intestins  enroulés 
et  tronc  entr'ouvert.  —  0.  Pied.  —  7.  Deux  petits  personnages  assis.  —  8  et  9.  Ani- 
maux. 


con,  figurant  des  glandes,  nne  seconde  tête  de  femme  avec 
quelques  mèches  clairsemées  mais  sur  laquelle  des  stries  sil- 
lonnant les  places  dénudées  simulent  des  cheveux  qui  commencent 
à  repousser,  un  autre  objet  où  l'on  reconnaît  distinctement  une 
hernie,  etc.  ^ .  Une  main  gauche,  provenant  de  Voies,  présente  une 


1.  Exemples  cités  par  L.af.we,  loc.  cil. 


236  LE    SANCTUAIRE    D  ESCULAPE 

forte  enflure  de  la  paume  '.  Deux  fragments  de  troncs  d'homme 
en  terre  cuite,  au  musée  de  la  Villa  du  Pape  Jules,  sont  ouverts 
pour  laisser  voir  l'intérieur  du  corps,  comme  l'un  des  marbres 
du  Vatican;  ils  ont  été  recueillis  à  Civita  Lavinia^.  Aucune 
collection  n'est  aussi  riche  en  pareils  donaria  que  celle  du 
sanctuaire  d'Esculape  au  musée  des  Thermes.  Des  mains,  des 
pieds,  des  seins  de  femme  sont  figurés  isolément.  En  général  les 
mains  votives  étaient  faites  pour  reposer  k  plat  sur  une  tablette  ; 
un  seul  côté,  la  partie  supérieure  le  plus  souvent,  est  modelé 
avec  soin  etl'on  en  distingue  nettement  les  articulations  ;  l'artisan 
n'a  fait  qu'indiquer  sommairement  le  contour  et  les  grandes 
lignes  de  l'autre.  Les  pieds  sont  nus;  quelques-uns  s'appuient 
sur  une  sorte  de  sandale  ou  de  semelle;  les  doigts  sont  bien 
détachés,  les  os  saillants.  Les  seins  de  femme  ont  la  forme 
de  demi-sphères  coupées  par  une  surface  plane  ;  ils  mesurent 
de  4  à  8  centimètres  de  haut  sur  6  à  12  d'épaisseur.  Dans  les 
tètes  séparées  la  partie  antérieure  est  modelée  avec  soin,  les 
traits  du  visage  ont  une  expression  assez  personnelle,  mais 
la  partie  postérieure  est  plate  ou  grossièrement  arrondie.  On 
devait  les  fixer  le  long  des  murs  ;  la  plupart  sont  creuses  et 
percées  en  arrière  d'un  trou  par  où  passait  un  anneau  de  sus- 
pension. Outre  les  têtes  entières  il  y  a  des  demi-tètes  :  la 
partie  droite  ou  la  partie  gauche  figure  seule,  terminée  brus- 
quement par  une  surface  plane  ;  les  fidèles  qui  les  ont  offertes 
ne  souffraient  que  d'un  côté.  Il  faut  citer  aussi  des  masques 
creux  —  masques  entiers  ou  demi-masques,  les  premiers 
représentant  toute  la  figure,  les  seconds  le  haut  du  visage 
seulement — des  yeux  détachés,  des  oreilles,  des  bouches  même. 
Les  organes  génitaux  masculins  sont  reproduits  avec  une 
exactitude  réaliste  ;  M.  Stiéda  range  dans  la  même  catégorie 
de  petits  corps  coniques  pyramidaux,  de  6  à  8  centimètres  de 
hauteur,  recueillis  en  assez  grand  nombre.  Des  objets  plats 
et  elliptiques,  de  grosseur  variable,  renflés  au  centreet  terminés 
à  la  partie  supérieure  par  une  série  de  bourrelets  circulaires 
superposés  de  plus  en  plus  petits  ont  été  quaUfiés  d'utérus; 
les  anatomistes  se  refusent  à  admettre  cette  dénomination,  sans 
pouvoir  cependant  en  proposer  une   meilleure  et  plus   sCire>^. 

1.  Exemple  cité  par  L.  Stiéda,  loc.  cil. 

2.  Exemple  cité  par  L.  Stiéda,  loc.  cil.  —  Cf.  Rossbacii,  Oull.  dell  Instil. 
■archeoL,  1885,  p.  144. 

3.  L.  Stiéda,  loc.  c«7.,p.  242. 


LE    CULTE    D  ESCLLAPE    DANS    L  ILE    TIBÉRLNE  237 

Plusieurs  ex-voto  enfin  nous  donnent  une  vue  de  l'intérieur  du 
corps  tel  que  le  connaissaient  et  le  représentaient  les  anciens  ; 
l'un  d'entre  eux  est  un  tronc  analogue  à  ceux  de  la  A^illa  du 
Pape  Jules  et  du  Vatican;  un  autre  représente  des  intestins 
enroulés. 

La  nature  et  l'aspect  de  ces  offrandes  nous  renseignent  sur 
leur  destination.  Les  malades  apportaient  au  dieu  le  modèle 
en  terre  cuite  de  la  partie  du  corps  dont  ils  avaient  soufFert. 
Quelquefois  ils  tenaient  à  ce  que  la  déformation  produite 
dans  leurs  membres  ou  leurs  organes  par  la  maladie  fût 
exactement  figurée.  Le  plus  souvent  ils  se  contentaient  de^ 
consacrer  à  Esculape  un  membre  ou  un  organe  normal  et 
sain. 

Les  favisssB  du  temple  d'Esculape  et  les  boutiques  d'objets  de 
piété.  —  On  aimerait  à  connaître  la  vraie  provenance  des  ex- 
voto  de  l'ile  tibérine.  Les  renseignements  publiés  dans  les 
Notizie  degli  Scavi  et  le  Bullettiao  Commiale  sont  malheureu- 
sement très  insuffisants.  M.  Lanciani  a  pu  obtenir  par  ailleurs 
des  informations  plus  précises.  Pendant  ces  dernières  an- 
nées, de  1885  à  1887,  on  n'a  rien  trouvé  à  l'intérieur  même  d& 
l'île.  Les  offrandes  du  musée  des  Thermes  ont  été  ramassées 
dans  les  débris  retirés  du  fond  du  Tibre  à  la  drague  et  dans 
les  fondations  des  nouveaux  quais  de  la  rive  gauche,  au 
débouché  du  pont  Fabricius'.  La  présence  de  ces  objets  votifs 
au  fond  du  fleuve  s'explique  ;  on  jetait  au  Tibre  tous  ceux  qui 
ne  servaient  plus  et  qu'on  ne  savait  où  mettre  :  c'était  un 
moyen  facile  et  expéditif  de  s'en  débarrasser,  sans  que  les 
prêtres  eussent  à  craindre  de  les  voir  profaner  par  quelque- 
usage  sacrilège  ou  mercantile  ;  les  eaux  servaient  en  quelque 
sorte  de  favissx.  11  est  plus  surprenant  qu'on  ait  rencontré 
sur  la  rive  gauche,  en  amont  et  en  aval  du  pont  Fabricius,  de 
grands  amas  d'ex-voto  disposés  en  rangées  régulières  le  long^ 
de  la  berge.  Les  favissse  du  sanctuaire  ne  pouvaient  avoir  été 
placées  aussi  loin.  M.  Lanciani  suppose,  avec  beaucoup  de- 
vraisemblance,  que  les  rues  qui  conduisaient  du  Champ  de  Mars 
au  temple  d'Esculape  en  passant  par  le  pont  étaient  bordées  de- 
boutiques  où  l'on  vendait  aux  fidèles  des  objets  de  terre  cuite- 


1.  R.  Lanciaxi,  Pagan  and  chrislian  Rome,  p.  62  ;  —  du  même  auteur  Ancient 
Rome,  p.  70. 


238  LE  SANCTUAIRE  D  ESCULAPE 

préparés  à  ravance.  De  tout  temps  on  a  élevé  aux  abords  des 
lieux  de  pèlerinages  des  baraques  pour  les  marchands  d'objets 
de  piété.  Le  malade  qui  venait  invoquer  dans  l'île  tibérine 
l'assistance  du  dieu  médecin  passait  devant  les  échoppes  où 
s'offraient  à  ses  regards  des  représentations  figurées  de  toutes 
les  parties  du  corps  ;  il  n'avait  qu'à  choisir,  d'après  la  nature 
de  son  mal  et  les  ressources  de  sa  bourse  ;  il  se  présentait 
au  sanctuaire  les  mains  pleines. 

L'examen  des  ex-voto  ne  nous  conduit  pas  à  d'autres  con- 
clusions que  l'étude  des  textes  littéraires  et  épigraphiques. 
Les  Romains  rendaient  à  Esculape  les  mêmes  honneurs  que  les 
Grecs  à  Asklépios.  Les  fidèles  allaient  chercher  dans  son  temple 
la  guérison  miraculeuse  de  leurs  maladies.  Ceux  que  nomment 
les  auteurs  ou  les  inscriptions  et  ceux  qui  off'raient  au  dieu 
leurs  humbles  donaria  de  terre  cuite  étaient  des  esclaves,  des 
aff'ranchis,  des  étrangers,  des  gens  d'humble  condition. 


CHAPITRE  V 
LA  FIN  DU  CULTE  D'ESCULAPE  A  ROME 


Les  religions  orientales  et  le  christianisme.  —  Si  le  ii*  siècle  de 
l'ère  chrétienne  marque  Tapogée  du  culte  d'Esculapeà  Rome, 
bientôt  cependant  commença  la  décadence.  Les  efforts  des 
empereurs  pour  réveiller  le  sentiment  religieux  au  sein  du 
paganisme  demeurèrent  vains.  La  foi  aux  anciens  dieux  se 
perdait.  On  se  lassa  de  consulter  le  fils  d'Apollon  et  de  Coro- 
nis.  «  Le  prestige  des  divinités  médicales  s'use  vite,  parce 
qu'elles  sont  de  celles  qu'on  obsède  sans  cesse  et  que  les 
nouvelles  venues  apportent  avec  elles  des  espérances  nou- 
velles*. »  Les  cultes  égyptiens  et  orientaux,  dont  les  rites 
mystérieux  et  les  cérémonies  étranges  frappaient  les  esprits, 
s'étaient  répandus  à  leur  tour  dans  le  monde  occidental  et 
faisaient  tort  à  l'antique  polythéisme  gréco-romain.  Les  ma- 
lades recouraient  volontiers  aux  bons  offices  d'Isis  et  d'Osiris. 
Ils  avaient  confiance  surtout  en  Sérapis^.  Dès  le  temps  de 
Varron  et  de  Cicéron,  Sérapis  intervenait  dans  les  guérisons^. 
Sous  l'Empire  on  l'assimila  à  Esculape,  on  le  confondit  avec 
lui;  ils  étaient  adorés  tous  deux  dans  les  mêmes  formes  et 
invoqués  par  les  mêmes  procédés^.  —  Les  progrès  du  christia- 
nisme portèrent  à  l'antique  dieu  de  la  médecine  les  derniers 

1.  Bolché-Leclercq,  Ilist.  de  la  divinalion,  t.  III,  p.  298. 

2.  Cf.  Prellkh-Jordan,  Rœm.  MythoL,  t.  II,  p.  379. 

3.  Vauuo,  £Mme/t.,  fragm.  128  (cité  par  Nonius  Marcellls,  VIII,  104). 

Ego  medicina  Serapi  utor. 
Cic,  de  Divin.,  III,  59, 123  :  An  JEsculapius,  an  Serapis  posset  nobis  praescri- 
bere  per  somniurn  curationem  valetudinis  ? 

4.  TiiORLACiL's,  dans  son  opuscule  de  Somniis  Serapicis  praecîpue  ex  Arislidis 
orationibus  sacris  delineatis,  Copenhague,  1813,  réédité  dans  ses  Opuscula, 
Copenliague,  1806-1822,  t.  III,  p.  123,  prétend  que  Sérapis  était  confondu  avec 
Esculape  et  que  les  pèlerinages  d'Aristide  s'adressaient  indifféremment  au  dieu 
grec  de  la  médecine  et  au  dieu  guérisseur  des  Egyptiens  dont  on  ne  le  distin- 
guait pas. 


240  LE   SANCTUAIRE   D  ESCULAPE 

coups.  Les  chrétiens  l'avaient  en  horreur  et  le  haïssaient;  ils 
voyaient  en  lui  une  création  monstrueuse  de  la  superstition 
païenne,  une  pure  invention  du  diable.  L'appareil  fantastique 
des  guérisons  miraculeuses,  les  nuits  passées  dans  les  sanc- 
tuaires, les  visions  surnaturelles,  les  cortèges  d'animaux  sacrés 
excitaient  leur  indignation  et  leur  colère.  Esculape  est  l'un 
des  dieux  que  les  Pères  de  l'Eglise  ont  attaqués  avec  le  plus  de 
constance  et  de  véhémence  '. 

La  légende  de  saint  Emigdius.  —  Aucun  document  authen- 
tique ne  nous  apprenti  ii  quelle  époque  et  dans  quelles  circons- 
tances le  temple  de  l'Ile  tibérino  fut  fermé  par  les  chrétiens. 
Si  la  légende  de  saint  Emigdius  fait  allusion  à  sa  destruction-, 
elle  ne  mérite  guère  crédit.  Saint  Emigdius,  premier  évoque 
d'Asculum  dans  le  Picenum  (Ascoli  Piceno),  mourut,  d'après 
la  tradition,  au  début  du  iv"  siècle.  Avant  d'être  évêque,  il  vint 
à  Rome,  pendant  le  règne  de  Dioclétien,  pour  visiter  les 
tombes  des  martyrs.  Il  prêcha  aux  païens  la  doctrine  chré- 
tienne et  fît  devant  eux  des  miracles.  Ils  s'imaginèrent  qu'il 
n'était  autre  que  le  dieu  de  la  médecine,  revenu  sur  la  terre 
pour  leur  salut.  Ils  lui  offrirent  de  l'encens  et  des  victimes, 
et  le  conduisirent  au  sanctuaire  où  les  malades  attendaient 
vainement  une  intervention  surnaturelle.  Emigdius  leur 
adressa  un  discours^.  Il  leur  déclara  qu'il  n'était  pas  Esculape. 
Il  s'efforça  de  les  détourner  du  culte  des  idoles.  Pour  mieux 
les  convaincre,  il  guérit  sous  leurs  yeux,  au  nom  du  Christ, 
de  nombreux  infirmes  que  les  faux  dieux  n'avaient  pu  délivrer 
de  leur  maux  ''.  Les  païens  demandèrent  aussitôt  le  baptême  ; 


1.  Voir  par  exemple,  pour  les  Pères  de  l'Eglise  latine,  les  difTérents  pas- 
sages dArnobe,  de  Lactance,  de  Tertullien,  de  saint  Isidore,  de  saint  Augus- 
tin, de  saint  Cyprien,  auxquels  renvoie  l'Index  delaFa^/o/o.7/e  latine  de  Mig.ne, 
t.  CCXIX,  p.  363,  s.  v°  /Ksculapius.  Quelques  textes  dArnobe,  de  Lactance,  de 
saint  Augustin  ont  été  cités  plus  haut,  p.  lo7. 

2.  (if.  Casimiho,  Memorie  istoricUe,  p.  267. 

3.  AcTA  Sanctorlm,  août,  t.  II,  p.  31  :  Genliles  vero  sanctum  Migdiinn 
opinantes  ipsum  adfore  A.sclepiuin,  detim  medicinse,  aut  aliquem  tnagnoruin 
deorum  siib  humana  effigie  latilare,  et  causa  salutis  romani  populi  de  cœlis 
ad  terras  venisse,  thus  et  victiinas  off'ere  volentes,  certatiin  iUum  in  templuni 
Asclepii  duciint.  At  uln  multitudine  vallatus  populi,  ante  slaluam  Asclepii 
sanctus  Mir/dius  sietit,  etc. 

4.  AcTA  Sa.nctokum,  loc.  cit.  :  Mullitudinem  hanc  infirmorum  diverso  mor- 
borum  génère  oppressant,  quatn  nec  Asclepius  nec  ullus  deorum  vestronini 
sanare  potuit,  vobis  prœsenlibus  procul  omni  ambiguilate  in  nomine  l'alris  el 
Filii  et  Spiritus  Sancti  saluti  pristinse  restaurabo. 


LA    FIN    DU    CULTE    D  ESCULAPE    A    ROME  241 

enflammés  de  zèle,  ils  abattirent  l'autel  d'Esculape,  et  le  saint 
jeta  lui-même  sa  statue  dans  le  Tibre ^  Le  temple,  situé  tout 
auprès  du  fleuve  et  fréquenté  par  les  malades,  dont  parle 
l'auteur  du  récit,  paraît  bien  être  celui  de  l'Ile.  Mais  le  texte 
de  cette  vie  de  saint  est  d'une  époque  trop  basse  et  d'une 
rédaction  trop  grossière  pour  qu'on  y  ajoute  foi-'.  On  ne  peut 
faire  le  départ  entre  les  faits  réels  et  les  enjolivements  posté- 
rieurs qui  les  défigurent.  Il  faut  retenir  seulement  de  cette 
légende  suspecte  une  preuve  nouvelle  de  l'hostilité  qu'éprou- 
vaient les  chrétiens  des  premiers  siècles  à  l'égard  du  culte 
célébré  dans  les  Asklépieia. 

Persistance  du  culte  d'Esculape.  —  Esculape  cependant  résista 
longtemps,  et  non  sans  succès,  à  ces  ennemis  acharnés.  Il  fut 
peut-être  <(  le  plus  vivace  de  tous  les  dieux  païens,  et  le  plus 
tenace  adversaire  du  christianisme ^  ».  Si  Constantin  ordonne 
de  détruire  le  temple  qu'il  possédait  à  JEgSQ  en  Cilicie  ^,  Julien 
l'Apostat  proclame  ses  vertus  curatives  et  sa  toute-puissance 
et  tâche  de  ramener  aux  sanctuaires  la  clientèle  qui  les  dé- 
serte^. Libanius  fait  l'éloge  d'un  discours  que  le  rhéteur  Aca- 
cius  a  prononcé  dans  un  temple  d'Asklépios  pillé  par  les  chré- 
tiens et  rouvert  ensuite  au  culte  ;  Acacius  prouvait  l'efficacité 
des  oracles  par  les  inscriptions  que  les  convalescents  avaient 
rédigées*'.  Saint  Jérôme  nous  assure  que  l'incubation  était 
encore  pratiquée  de  son  temps"^.  «  Le  nom  d'Esculape  resta 
même  associé  dans  l'imagination  populaire  au  nom  de  Rome, 
de  sorte  que,  quelques  siècles  plus  tard,  une  légende  faite  de 
réminiscences  travesties  attribue  la  fondation  de  Rome  à 
une  certaine  Roma,  fille  d'Esculape 8.  » 

1.  AcTA  S\NcroRUM,  loc.  cit.  :  Baptizatis  autem  his  qui  miraculum  viderant 
et  diruta  Asclepii  ara  sanctus  vir  propriis  manibus  ejus  idolum  rapuit  et 
prsecipitavit  illud  in  fluvium  Tiberim. 

2.  Voir  les  réserves  formulées  expressément  par  les  éditeurs  des  Acta  Sa.n'c- 
TouuM,  loc.  cit.,  p.  18-20.  —  Renseignement  confirmé  par  M»'  Duchesne. 

3.  M.  Albert,  les  Médecins  grecs  à  Rome,  p.  30. 

4.  EusEB.,  Vila  Constantini,  III,  56. 

5.  Cyrili..,  In  Julianum,  VII,  23o. 

6.  LiBAMUs,  Epist.,  607. 

7.  HiEROS.,  In  Isaiain,  XVIII,  65,  4  :  Nihil  fuit  sacrilegii  quod  Israël populus 
prœtermitteret,  non  solum  in  hortis  immolans  et  super  lateres  thura  succendens, 
sed  sedens  quoque,  vel  habitans  in  sepulcris  et  in  delubris  idolorum  dortniens, 
ubi  stratis  pellibus  hostiarum  incubare  soliti  erant,  ut  som}iiis  futura  cognos- 
cerent.  Quod  in  fa7ï0jEsculapii  usqiie  liodie  error  célébrât  ethnico'um  multo- 
rumque  aliorum,  quœ  non  sunt  aliud,  nisi  lumuli  mortuorum. 

8.  Bouché-Leclercq,  op.  cit.,  t.  III,  p.  299.  — Cf.  Schol.  Bern.  ad  Verg.  Bucol. 

16 


242  LE  SANCTDAIRE  D  ESCLLAPE 

Rien  ne  prouve  mieux  limportancc  et  la  faveur  de  ce  culte 
chez  les  Anciens  que  les  traces  qu'il  a  laissées  dans  le  christia- 
nisme même.  Quelques-uns  des  rites  usités  par  les  fidèles  qui 
fréquentaient  les  Asklépieia  survécurent  à  la  ruine  du  paga- 
nisme. Les  saints  intercesseurs  ont  succédé  aux  divinités  mé- 
dicales. Il  arrivait  assez  souvent  au  moyen  âge  que  les 
malades  vinssent  passer  la  nuit  dans  les  églises  pour  obtenir 
leur  guérison*,  et  cette  vieille  coutume  s'est  conservée  jusqu'à 
nos  jours  en  quelques  coins  reculés  de  la  Grèce  et  de  l'Italie. 
L'usage  a  persisté  aussi,  en  certaines  régions,  de  déposer 
devant  les  autels  l'image  des  membres  ou  des  organes  du  corps 
humain  auxquels  les  saints  bienfaisants  ont  rendu  la  santé.  Il 
n'est  pas  rare  de  rencontrer  dans  les  sanctuaires  modernes  oîi 
les  pèlerins  accourent  en  foule  des  modèles  de  bras  ou  de 
jambes  qui  ressemblent  tout  à  fait  aux  ex-voto  du  musée  des 
Thermes. 

La  fête  des  saints  Exupérantius  et  Sabinus.  —  L'ile  tibérine 
nous  donne  un  exemple  frappant  de  la  persistance  inconsciente 
des  traditions  païennes.  La  fête  annuelle  du  temple  avait  lieu 
le  1"  janvier.  De  nos  jours,  chaque  année,  la  fête  des  saints 
Exupérantius  et  Sabinus,  martyrs  d'Ombrie  mis  à  mort  sous  Dio- 
clétien,  est  célébrée  le  30  décembre  dans  l'église  Saint-Barthé- 
lémy, oti  l'on  conserve  leurs  reliques  -.  Malgré  tant  de  siècles 
écoulés  et  la  substitution  du  christianisme  au  paganisme,  l'ile 
est  toujours  le  théâtre  d'une  cérémonie  religieuse  solennelle  à 
la  même  époque  qu'autrefois  et  presque  à  la  même  date.  Il 
ne  paraît  pas  vraisemblable  que  cette  rencontre  étrange  soit 
tout  à  fait  fortuite.  L'édifice  actuel  de  Saint-Barthélémy  est 
relativement  récent.  Il  ne  fut  bâti  qu'au  début  du  xi*  siècle. 
Avant  qu'il  ait  été  placé  sous  l'invocation  de  saint  Barthélémy, 
Otton  III,  son  fondateur,  lui  avait  donné  vers  l'an  1000  le 
le  nom  du   martyr   de    Prague,  saint  Adalbert.  M.  von  Duhn 


atque  Geortf.,  éd.  Elapen,  Leipzig,  1867,  p.  1000  [Epimetrum,  Ecloga,\, 20)  :  Roma 
ante  RomuUnn  fuit  et  ab  ea  sibinomen  tlomulus  adqtiisivit,  sed  /lava  et  candida 
Roma  .^scolapi  filia  novum  nomen  Latio  facit  ;  latnen  conditoris  tel  condilricis 
nomine  omnes  Romani  vocanl. 

1.  Cf.  Maiugxa.\,  la  Médecine  dans  l'Eglise  au  vf  siècle,  Paris,  1887  ;  du  même 
auteur.  Etudes  sur  la  civilisation  française,  t.  II,  le  Culte  des  Saints  sous  les 
Mérovingiens,  Paris,  1899,  p.  183. 

2.  DiARio  iiOMANo,  à  la  date  du  30  décembre  :  Sabino  vescovo  ed  S.  Esuperanzio 
diacono  martiri,  in  S.  Bartolomeo  allHsola  riposano  i  corpi. 


LA   FIN   DU   CULTE   d'eSCULAPE   A   ROME  2i3 

s'est  demandé  si  une  église  des  saints  Exuperantius  et  Sabinus 
ne  s'élevait  pas  précédemment  à  cet  endroit  ' .  Les  chrétiens 
l'auraient  construite  au  moment  de  la  disparition  du  paga- 
nisme, sur  l'emplacement  du  temple  antique  d'Esculape  et  avec 
des  matériaux  empruntés  aux  ruines.  On  aurait  fixé  à  dessein 
la  fête  du  monument  au  30  décembre  :  depuis  longtemps  les 
Romains  avaient  l'habitude  de  se  rendre  dans  l'île  tibérine  à  ce 
moment  de  l'année  pour  assister  à  une  cérémonie  religieuse  ; 
on  voulut  que  le  sanctuaire  chrétien  héritât  de  la  popularité  du 
sanctuaire  païen  et  attirât  la  même  affluence.  Plus  tard, 
Otton  III  le  reconstruisit  de  fond  en  comble  ;  saint  Adalbert  en 
devint  le  patron,  puis  saint  Barthélémy;  les  reliques  des  saints 
Exuperantius  et  Sabinus  furent  reléguées  dans  une  chapelle 
latérale  ;  elles  y  sont  encore.  La  fête  du  30  décembre  a  perdu 
sa  primitive  importance,  mais  elle  n'a  pas  cessé  d'être  observée  ; 
si  les  hypothèses  de  M.  von  Duhn  sont  fondées,  c'est  un  legs 
du  paganisme  au  christianisme,  une  survivance  inattendue  et 
déguisée  du  culte  d'Esculape. 

Hôpital  et  hospice  dans  l'île  tibérine.  —  Il  ne  faut  pas  cepen- 
dant abuser  des  rapprochements  et  des  coïncidences.  On  au- 
rait tort  de  croire  que  le  grand  hôpital  qui  occupe  maintenant 
tout  un  quartier  de  'l'île  ait  été  fondé  en  mémoire  du  temple 
d'Esculape.  Sans  doute  les  Asklépieia  méritaient  le  nom  d'hô- 
pitaux ;  les  portiques  sacrés  servaient  de  dortoirs  aux  malades 
qui  attendaient  les  révélations  du  dieu,  et  les  prêtres  étaient 
aussi  des  médecins.  Mais  les  fondateurs  de  l'hôpital  actuel 
n'ont  point  songé  à  perpétuer  une  tradition  païenne.  Les 
Frères  de  Saint-Jean-de-Dieu  ne  s'y  établirent  qu'en  1572,  sous 
le  pontificat  de  saint  Pie  V;  le  couvent  qui  leur  fut  concédé 
et  qu'ils  transformèrent  en  établissement  de  bienfaisance  et 
d'assistance  avait  été  occupé  jusqu'alors  par  des  rehgieuses 
bénédictines  2.  Quand  l'île  tibérine  fut  rendue  à  son  antique 
destination  et  abrita  de  nouveau  des  malades,  le  souvenir  du 
culte  d'Esculape  était  depuis  longtemps  aboli. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  par  sa  position,  elle  semblait  prè- 


le NissEX,  Ueber  Tempel-Orientiriing,  dans  le  Rheinisches  Muséum,  1874, 
t.  XXIX,  p.  392;  —  Von  Dlhn,  dans  le  Bullelt.  delVInslit.  archeol.,  1879,  p.  7  ; 
—  du  même  auteur,  dans  les  Mitlheil.  des  archàol.  Instit.,  Rœm.  Abtheil.,  1886, 
p.  172. 

2.  Gasimiro,  Memorie  istoriche,  p.  269. 


244  LE   SANCTUAIRE    D  ESCL'LAPE 

tlostinéo  à  cet  usage.  Les  mêmes  raisons  ont  doridé  les  an- 
ciens et  les  modernes  à  la  vouer  à  la  médecine.  C'est  un  lieu 
tout  désigné  de  refuge  et  d'isolements  Au  ix"  siècle  les 
évéques  de  Porto,  de  qui  elle  dépendait,  vinrent  y  résider, 
chassés  de  leur  ville  épiscopale  par  les  invasions  sarrasines. 
Peut-être  dès  cette  époque  y  élevèrent-ils  sinon  un  hôpital,  du 
moins  un  hospice  :  un  fragment  d'inscription  métrique  copié 
à  la  Renaissance  dans  le  couvent  de  Saint-Jean-Cahbite  et  com- 
plété par  do  Rossi,  paraît  l'indiquer-.  L'île  tibérino  est  restée 
d'âge  en  ûge  fidèle  à  ses  destinées  antiques. 


1.  On  a  déjà  rappelé  plus  haut,  p.  l"o,  que  pendant  la  peste  de  IG.iS  l'Ile 
entière  fut  transformée  en  hôpital  et  qu'on  y  évacua  tous  les  malades  de 
Rome. 

2.  Texte  édité  par  Fabretti  et  publié  de  nouveau,  avec  les  corrections  et  com- 
pléments de  DE  Rossi,  par  Gaxtakelli,  Di  un  frainniento  epùjiafico  crisllano 
ilell isola  porluense,  dans  le  Bullefl.  Comun.,  18%,  p.  75,  note  : 

Pauperibus  vict['u]m  midis  tcgmina  confort. 

Hune  habuit  patrem  orfanus  cl  vidua. 
Hanc  aulam  propr^^^iis  opijhus  construxit  ab  imo, 

In  qua  sanctoram  [plujrima  membra  mancnt, 
Urbis  Porlensis  senfii  est  qjua-  pressa  ruina. 

11  serait  question  dans  ces  vers,  d'après  M.  Cantarelli,  de  la  construction 
d'un  hospice  et  de  la  reconstruction  d'une  église  entreprises  à  l'endroit  môme 
où  l'inscription  commémorative  était  placée,  c'est-à-dire  dans  lile  tihérine. 
Cette  église  serait  donc,  ou  bien  la  vieille  église  de  Saint-Jean-Baptiste  in 
insula,  qu'a  remplacée  Saint-Jean-Galybite.  ou  bien  l'église  des  Saints-Exupe- 
ranlius-et-Sabinus  que  suppose  M.  von  Duhn. 


LIVRE    IV 

LES    CULTES    SECONDAIRES 


LIVRE  IV 

LES   CULTES   SECONDAIRES 


Esculape  n'était  pas  la  seule  divinité  qu'on  adorât  dans  l'île 
tibérine.  Auprès  de  son  sanctuaire  se  dressaient  deux  temples 
de  Jupiter  et  de  Faunus,  une  statue  de  Semo  Sancus,  une  cha- 
pelle de  Tiberinus,  Les  anciens  calendriers  gravés  sur  la 
pierre  et  le  poème  des  Fastes  d'Ovide  attestent  l'existence  des 
temples  ;  la  fête  du  premier  d'entre  eux  est  appelée  par  Ovide 
fête  de  Jupiter  et  par  un  calendrier  fête  de  Vejovis  ;  une 
inscription  a  fait  connaître  en  1854  le  véritable  nom  que  por- 
tait l'édifice  :  il  était  dédié  à  Jupiter  Jurarius.  On  a  retrouvé 
la  base  même  de  la  statue  de  Semo  Sancus.  Un  calendrier 
nous  apprend  que  chaque  année  un  sacrifice  était  offert  dans 
File  à  Tiberinus,  Aucun  de  ces  cultes  secondaires  célébrés  in 
insula  n'avait  l'importance  ni  l'éclat  de  celui  d'Esculape.  On 
ne  sait  guère  des  monuments  élevés  à  Jupiter  et  à  Faunus  que 
la  date  et  les  circonstances  de  leur  fondation  ;  un  texte  se 
rapporte  au  Vejovis  de  l'île,  deux  à  la  statue  de  Semo  San- 
cus, un  seul  à  Tiberinus.  La  position  de  Y  insula  tiberina  au 
milieu  du  fleuve,  en  dehors  de  l'enceinte  religieuse  de  la  cité 
primitive,  que  marquait  la  ligne  du  pomeriiim^  nous  explique 
que  l'on  ait  honoré  ces  divinités  sur  son  territoire.  Comme 
Esculape,  Jupiter  Jurarius,  le  Zsù;  opxtc;  des  Grecs,  était  d'ori- 
gine hellénique;  à  cause  précisément  de  ce  caractère  pérégrin, 
Esculape  n'avait  pu  être  admis  à  l'intérieur  du  pomerium ;  le 


248  LES   CULTES   SECONDAIRES 

Jupiter  grec  adopté  par  les  Romains  un  siècle  plus  tard  vint  le 
rejoindre;  l'aïeul,  comme  le  dit  Ovide,  prit  place  à  côté  du  petit- 
fils.  Vejovis,  le  dieu  des  expiations,  vengeur  des  manquements 
à  la  parole  jurée,  et  Semo  Sancus  Dius  Fidius,  le  demi-dieu  de 
le  bonne  foi,  le  génie  qui  sanctionnait  les  promesses,  furent 
associés  à  Jupiter  Jurarius,  protecteur  et  garant  des  serments; 
c'est  dans  le  temple  de  celui-ci  que  l'on  sacrifiait  à  Vejovis;  et 
c'est  tout  auprès  qu'était  située  la  statue  de  Semo  Sancus. 
L'unique  sanctuaire  romain  de  Faunus  fut  relégué  inter  duos 
pontes,  hors  du pomerium,  en  raison  de  la  nature  même  de 
ce  dieu,  tout  agreste  et  rural.  Il  était  naturel  enfin  que  Tibe- 
rinus,  le  fleuve  du  Tibre  divinisé,  possédât  une  chapelle,  un 
sacellum,  dans  l'ile  qu'il  entourait  de  ses  eaux  et  à  laquelle  il 
donnait  son  nom.  Des  divinités  très  différentes,  italiques 
comme Faunus  et  Tiberinus,  Vejovis  et  Semo  Sancus,  ou  étran- 
gères comme  Esculape  et  Jupiter  Jurarius,  se  trouvaient  ainsi 
réunies  au  même  endroit,  sans  que  ce  fût  cependant  le  hasard 
qui  les  eût  rapprochées. 


CHAPITRE  1 
JUPITER  JURARIUS   ET  VEJOVIS 


Examen  d'un  passage  de  Vitruve.  —  Il  y  avait  dans  l'ile 
tibérine,  au  siècle  d'Auguste,  un  temple  de  Jupiter'.  Vitruve 
le  mentionne  expressément.  Au  livre  III  du  traité  de  Archi- 
tectura,  le  temple  de  Jupiter  et  de  Faunus  dans  l'île  tibérine 
est  cité  comme  exemple  de  monument  prostyle^.  Ce  texte  est 
embarrassant  et  prête  à  la  discussion.  S'il  n'y  avait  eu  entre 
les  deux  ponts,  outre  le  sanctuaire  d'Esculape,  qu'un  seul 
temple,  consacré  à  la  fois  à  Jupiter  et  à  Faunus,  le  témoignage 
de  Vitruve  serait  très  précieux  ;  on  pourrait  l'accepter  de  con- 
fiance. Mais  il  est  certain,  d'après  les  auteurs  et  les  inscrip- 
tions, qu'il  faut  distinguer  deux  édifices,  dédiés,  l'un  à  Jupiter, 
l'autre  à  Faunus.  Vitruve  est  le  seul  qui  associe  ces  divinités 
si  étroitement  et  ne  leur  attribue  qu'une  demeure  en  commun. 
Se  serait-il  trompé?  n'aurait-il  pas  pris  pour  un  temple  unique 
deux  temples  séparés?  En  général,  cependant,  il  est  exact  et 
bien  informé  ;  il  vivait  à  Rome  ;  il  a  vu  lui-même  tout  ce  qu'il 
décrit;  on  ne  peut  guère  le  supposer  capable  d'une  erreur  si 
grossière. 

Jordan,  prenant  sa  défense,  s'est  demandé  si  en  effet,  malgré 
le  silence  des  autres  sources,  Jupiter  et  Faunus  n'étaient  pas 
adorés  ensemble  et  dans  le  même  temple -^  La  fête  de  Faunus 

1.  AusT,  de  Jidihus  sacvis  populi  romani,  p.  20  n°  47,  {œdes  Vediovis)  — 
KiEFEUT-HcELSEN,  Nomencl.  topog.,  p.  89  [templum  Vejovis);  —  Homo,  Lex. 
de  topogr.  rom.,  p.  623  {templum  Vejovis).  —  Cf.  Jordan,  de  JEscidapii  Faiml 
Vejovis  Jovisque  sacris  urbanis,  dans  les  Commentationes  in  honorem  Momm- 
seni,  p.  339. 

2.  ViTRUv.,  m,  2  :  Prostijlos  omnia  habet  quemadmodum  in  antis,  columnas 
aulem  contra  antas  angulaires  dnas,  supraque  epistylia  quemadmodum  et  in 
antis,  et  dextra  ac  sinistra  in  versuris  singula.  IIujus  exemplar  est  in  insula 
tlberina  in  sede  Jovis  et  Fauni. 

3.  Jordan,  loc.  cit.,  p.  363. 


250  LES   CULTES   SECONDAIRES 

in  insula  avait  lieu  aux  ides  de  février^.  Or  les  ides  de  chaque 
mois,  jour  de  la  pleine  lune,  étaient  vouées  à  Jupiter,  dieu  de 
la  lumière  2.  On  célébrait  donc  simultanément  le  13  février  deux 
cérémonies  :  la  fête  annuelle  de  Faunus,  la  fête  mensuelle  de 
Jupiter.  Il  n'est  pas  surprenant  qu'on  les  ait  rattachées  l'une 
à  l'autre  et  confondues.  Peut-être  même  Auguste,  en  restau- 
rant l'édifice  élevé  à  Faunus  pendant  l'époque  républicaine, 
l'aura-t-il  placé  sous  la  double  invocation  de  Faunus  et  de 
Jupiter.  Le  texte  de  Vitruve  ne  concernerait  donc  pas 
le  temple  de  Jupiter,  mais  celui  de  Faunus,  ou  mieux  de  Fau- 
nus et  de  Jupiter. 

C'est  en  vain  que  Jordan,  à  force  de  déductions  et  de  con- 
jectures, essaie  de  disculper  Vitruve.  Il  faut  avouer  que  ce 
dernier  s'est  mépris,  ou,  tout  au  moins,  qu'il  s'est  mal  exprimé. 
Il  était  très  rare  —  Jordan  le  reconnaît  lui-même  —  qu'un 
seul  sanctuaire  fût  consacré  à  deux  divinités  à  la  fois,  et 
surtout  qu'il  portât  officiellement  un  double  nom.  Si  l'on  adop- 
tait l'hypothèse  de  Jordan,  on  devrait  admettre  l'existence 
dans  l'île  tibérine  d'un  temple  de  Jupiter,  bien  connu  par 
d'autres  documents,  et  d'un  temple  de  Faunus  et  de  Jupiter, 
connu  simplement  par  Vitruve  et  attribué  partout  ailleurs  au 
seul  Faunus  ;  est-il  invraisemblable  que  l'on  ait  dédié  à  Jupiter 
deux  édifices  aussi  voisins? 

En  réalité,  s'il  n'est  question  dans  la  phrase  que  d'un  monu- 
nument,  in  œde  Jovis  et  Fauni,  si  Vitruve  ne  donne  qu'un 
exemple,  hujus  exemplar,  il  savait  très  bien  que  les  sanc- 
tuaires de  Jupiter  et  de  Faunus  étaient  distincts,  et  n'a  pas 
entendu  soutenir  le  contraire.  Il  songeait  à  proposer  un  modèle 
de  construction  prostyle.  Le  temple  de  Jupiter  in  insula  s'est 
présenté  à  sa  pensée.  Mais  l'île  tibérine  renfermait,  en  outre, 
celui  de  Faunus,  bâti  et  inauguré  en  même  temps,  construit 
par  conséquent,  selon  toute  apparence,  dans  le  même  style, 
sinon  par  les  mêmes  architectes.  Au  lieu  de  citer  un  type  d'édifice 
prostyle,  Vitruve  s'est  trouvé  tout  naturellement  amené  à  en 
citer  deux  et  à  ajouter  les  mots  et  Faiini  après  in  œde  Jovis. 
Il  ne  s'est  pas  donné  la  peine  de  mettre  œde  et  exeniplar  au 
pluriel.  Il  n'était  pas  écrivain  de  métier.  L'incorrection   d'une 

1.  Cf.  ci-dessous,  p.  290. 

2.  Macrob.,  I,  15,  4  :  Omnes  idus  Jovis  ferias  ohservandas  sanxil  anliquilas. 
—  Lydls,  de  Mens.,  III,  7  :  (01  ^yatxoi)...  ta;  Eî5o-j;  (Tovrém  xfjv  (Ae<Totxr,vtav) 
Atl  r,YO"jv  'HX{ù>  ivëyepov. 


JUPITER    JURARIUS    ET    VEJOVIS  25i 

forte  ellipse  ne  le  choquait  nullement.  Ni  pour  lui  ni  pour  ses- 
contemporains  l'hésitation  ou  l'équivoque  n'était  possible.  Le 
sens  de  la  phrase  ne  faisait  pas  de  difficulté.  On  doit 
conclure  de  ce  texte,  sans  s'arrêter  à  une  négligence  de  lan- 
gage, que  les  deux  temples  de  Jupiter  et  de  Faunus  étaient 
prostyles. 

La  fête  de  Jupiter  et  de  Vejovis  dans  l'île.  —  C'est  d'Escu- 
lape,  et  non  pas  de  Faunus,  que  les  anciens  calendriers  et  le 
poème  des  Fastes  d'Ovide  rapprochent  le  Jupiter  de  l'île.  Les 
Romains  célébraient  au  même  jour,  le  l*""  janvier,  la  fête 
annuelle  du  sanctuaire  d'Esculape  et  celle  de  Jupiter  in  insula. 
Ovide  raconte  qu'aux  kalendes  de  janvier  deux  temples  ont 
été  consacrés  :  «  Jupiter  participe  aux  honneurs  que  l'on  rend 
à  Esculape.  Un  môme  lieu  les  a  reçus  l'un  et  l'autre,  et  le 
temple  du  petit-fils  est  joint  à  celui  de  son  illustre  aïeuU.  » 
Sur  un  calendrier  découvert  à  Préneste  (Palestrina),  à  la  pre- 
mière ligne  de  la  colonne  réservée  au  mois  de  janvier,  une 
fête  d'Esculape  et  de  Vejovis  dans  l'île  est  indiquée'^  : 

\jEscii\lapio  Vediovi  in  insula. 

La  divinité  associée  à  Esculape  se  trouve  désignée  dans  ces 
deux  textes  sous  des  noms  différents  ;  Ovide  l'appelle  Jupiter 
et  le  calendrier  Vejovis.  D'oii  vient  ce  désaccord  et  comment 
l'expliquer?  Il  est  impossible  qu'il  y  ait  eu  à  cette  place  deux 
temples,  dédiés  l'un  à  Jupiter,  l'autre  à  Vejovis,  et  deux  fêtes 
de  Jupiter  et  de  Vejovis  le  1"  janvier,  en  même  temps  que 
celle  d'Esculape.  Il  est  impossible  aussi  qu'un  seul  temple  et 
une  seule  fête  aient  été  attribués  tantôt  à  Jupiter  et  tantôt  à 
Vejovis;  Jupiter  et  Vejovis  n'étaient  pas  deux  vocables  d'un, 
même  dieu,  mais  deux  dieux  séparés  ;  si  voisins  qu'ils  soient 
l'un  de  l'autre,  ainsi  que  le  montre  l'aspect  des  deux  mots 
dérivés  d'une  commune  racine,  les  Romains  ne  les  confondaient 
pas;  chacun  d'entre  eux  avait  à  Rome  ses  temples  et  ses 
fêtes.  Auquel  appartenait,  en  réalité,  le  sanctuaire  de  l'île? 

Une  inscription   officielle,  telle  que  le  calendrier  de   Pré- 

1.  OviD.,  Fasl.,  I,  293  (Cf.  ci-dessus,  p.  184). 

Jupiter  in  parte  est.  Cepit  locus  unus  utrumque 
Junctaque  sunl  magno  lempla  nepotis  avo. 

2.  C.  î.  L.,  I,  2'  éd.,  p.  231. 


252  LES    CULTES    SECONDAIRES 

neste,  mérite  a  priori  plus  de  confiance  que  le  poème  des 
Fastes  ;  si  elle  ne  fut  écrite  qu'entre  les  années  756/2  après 
l'ère  chrétienne  et  763/9,  à  la  même  époque  par  conséquent 
que  les  Fastes^,  ceux  qui  l'ont  composée  se  sont  servi  certai- 
nement de  documents  plus  anciens;  les  Fastes^  au  contraire, 
ont  une  valeur  très  inégale  et  souvent  contestable^.  On  hésite 
cependant  à  croire  qu'Ovide  ici  se  soit  trompé  ;  il  connaissait 
bien  les  édifices  de  Rome;  il  ne  pouvait  confondre  Vejoviset 
Jupiter.  Jordan  est  d'avis  qu'il  existait  tout  d'abord  dans  l'ile 
tibérine  un  sanctuaire  de  Vejovis;  on  l'aura  transformé  sous 
le  règne  d'Auguste  en  un  temple  de  Jupiter,  tout  en  con- 
tinuant à  fêter  Yejovis  le  1"  janvier  avec  le  dieu  qui  le 
remplaçait  ;  le  calendrier,  qui  s'inspire  des  vieux  formulaires 
donne  encore  à  la  cérémonie  le  nom  qu'elle  portait  primitive- 
ment, tandis  qu'Ovide,  contemporain  d'Auguste,  poète  de  coiu', 
interprète  docile  des  usages  de  son  siècle,  préfère  employer  le 
nom  nouveau"^.  On  peut  objecter  à  Jordan  qu'il  complique  inu- 
tilement l'histoire  du  temple  de  Jupiter  m  insiila;  sa  théorie 
ne  s'appuie  sur  aucun  fait  prouvé.  Nous  ne  savons  rien  de  cette 
prétendue  substitution,  k  un  moment  donné,  de  Jupiter  à  Vejo- 
vis dans  l'ile  tibérine  ;  elle  n'est  guère  probable  ;  Vejovis  pos- 
sédait à  Rome,  sur  le  Capitole,un  autre  sanctuaire^;  il  ne  cessa 
pas  d'y  être  adoré  sous  l'Empire  ;  Jupiter  ne  vint  jamais  l'en 
déloger.  Une  seule  hypothèse  permet  de  résoudre  le  problème 
et  de  concilier  Ovide  et  les  calendriers.  Ceux-ci  nous  ren- 
seignent moins  sur  le  nom  môme  des  édifices  que  sur  la  nature 
des  fêtes.  Le  temple  de  l'ile  avait  dû  être  dédié,  comme  dit  le 
poète,  à  Jupiter  et  inauguré  un  1"  janvier.  Le  calendrier  de  Pré- 
neste  nous  apprend  en  outre  que  le  jour  où  l'on  célébrait  la 
fête  commémorative  de  sa  dédicace  on  y  offrait  un  sacrifice 
à  Vejovis. 

Jupiter  et  Vejovis.  —  Il  n'est  pas  invraisemblable  ni  surpre- 


1.  C.  I.  L.,  I,  2»  éd.,  p.  206. 

2.  Voir  les  observations  que  fait  Fonyleu,  the  Roman  festivals,  Introduc- 
tion, p.  13. 

3.  JoHDAX,  op.  cit.,  p.  366. 

4.  Inter  duos  lucos  :  AiST,  op.  cit.,  p.  33,  n"  110;  Kif.i'ERT-Hlelsejj,  op.  cit., 
p.  88;  Homo,  op.  cit.,  p.  62;i,  —  d'après  le  calendrier  de  Préneste,  C.  1.  L.,  I, 
2*  éd.,  p.  233.  —  AusT  {op.  cit.,  p.  '21,  n"  'j2),  Kiepeht-Hlelsen  et  Homo  {locis 
citatis)  croient  qu'il  existait  sur  le  Gapitole,  in  arce,  un  second  temple  de 
Vejovis,  que  mentionnerait  Tite-Live  (XXXV,  41).  Voir  ci-dessous,  p.  264. 


JUPITER    JURARIUS    ET    VEJOVIS  253 

nant  que  les  Romains  aient  ainsi  rapproché  ces  deux  dieux  et 
sacrifié  à  celui-ci  en  fêtant  celui-là.  Ils  ne  croyaient  point  qu'ils 
fussent  étrangers  l'un  à  l'autre  et  sans  rapports  entre  eux  ;  bien 
au  contraire.  Vejovis  était  considéré  comme  une  manifestation 
particulière  de  Jupiter,  adorée  séparément  ^  Il  n'avait  de  sanc- 
tuaire à  Rome,  en  dehors  de  l'île  tibérine,  que  sur  le  Capitole. 
Les  auteurs  anciens  ne  sont  pas  d'accord  sur  le  sens  et  l'éty- 
mologie  de  son  nom  ;  tous,  néanmoins,  le  rattachent  à  celui  de 
Jupiter. 

D'après  Ovide,  Vejovis  est  un  Jupiter  jeune;  son  nom  vient  de 
Jovis  et  de  la  particule  ve,  qui  a  une  valeur  dimiuutive;  de 
même  que  vegrandis  signifie  petit,  de  même  on  appelle  Vejovis 
un  petit  Jupiter'';  il  était  représenté  par  les  sculpteurs  jeune 
et  imberbe,  sans  foudres  dans  la  main,  à  la  différence  de  Jupi- 
ter adulte^.  —  D'après  Aulu-Gelle,  ve  a  une  valeur  privative; 
Vejovis  est  le  contraire  de  Dijovis  et  de  Jupiter  [Jovis  au  gé- 
nitif) ;  le  verbe  jiœare  nous  fait  comprendre  la  vraie  nature 
de  ces  derniers  ;  ce  sont  des  divinités  secourables  et  bienveil- 
lantes ;  inversement  Vejovis  a  le  pouvoir  non  pas  d'aider,  mais 
de  nuire,  et  on  l'invoque  pour  le  conjurer;  s'il  n'est  pas  armé 
de  la  foudre,  il  brandit  des  flèches  prêtes  à  frapper,  comme 
Apollon^.  —  Un  passage  de  Festus  permet  peut-être  de  ramener 

1.  Sur  le  culte  de  Vejovis  à  Rome,  consulter  :  Preller,  Vejovis  und  Diiovis, 
dans  les  Cer.  d.  siichs.  Ges.  d.  Wiss.,  Leipzig,  1835,  et  dans  ses  AusgewUhlle 
Aufsutze,  Berlin,  1864,  p.  266  ;  —  Preller-Jordax,  Rœin.  Mylhol.,  t.  I,  p.  262  ; 
—  FowLER,  op.  cit.,  p.  121  ;  —  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Topocjr.  d.  St.  Rom,  t.  II, 
p.  99;  t.  III,  p.  83. 

2.  Jupiter  enfant  était  adoré  à  Terracine,  sous  le  nom  de  Jupiter  Anxur  : 
Servius,  ad  JEn.,  VU,  799  :  Circa  hune  tvactum  Campaniœ  colebatur  puer 
Jupiter  qui  Anxurus  dicebatur  quasi  avîu  Eypxç,  i[d  e)st  sine  novacula,  quia 
barbam  nunqicani  rasisset;  et  Juno  virgo,  quae  Feronia  dicebatur;  est  autem 
fons  in  Campania  juxla  Terracinam,  quae  aliquando  Anxur  est  dicta. 

3.  OviD.,  Fast.,  111,437. 

Jupiter  est  juvenis,  juvéniles  adispice  vultus  ; 

Adspice  deinde  manum  ;  fulmiDa  nulla  tenet. 
Fulmina  post  ausos  cœlum  affectare  gigantes 

Sumpta  Jovi  :  primo  tempore  inermis  erat... 
Nunc  vocor  ad  nomen  :  vegrandia  farra  coloni 

Quœ  maie  creverunt  vescaque  parvapulant. 
Vis  ea  si  verbi  est,  cur  non  ego  Vejovis  œdem 

-Edem  non  magni  suspicer  esse  Jovis. 

Cf.  Festus,  p.  378  :  Vediovem  parvum  Jovem  et  vegrandem  fabam  minutam 
dicebant. 

4.  Gell.,  V,  12  :  Est  autem  etiam  œdes  Vejovis  Romse  inter  arcem  et  Capi- 

tolium Jovem  Latini  veteres  a  juvando  appellavere Cum  Jovem  igitur  et 

Dijovem  a  juvando  nominassent,  eum  quoque  contra  deum  qui  non  juvandi 
potestatem,  sed  vim  nocendi  liaberet  {nam  deos  quosdam  ut  prodessent  celé- 


254  LES    CULTES    SECONDAIRES 

l'une  à  l'autre  ces  deux  étymologios  et  de  les  corriger'.  En 
soi  la  particule  ve  n'exprime  pas  l'idée  de  petitesse  ;  elle  est 
péjorative  bien  plutôt  que  diminutive.  Yegrande  veut  dire  pro- 
prement nulle  grande.  Ovide  le  reconnaît  : 

Vegrandia  farra  col  on  i 
Quao  maie  creverunt  vescaque  parva  putant. 

«  Dans  le  langage  des  paysans  les  épis  mal  venus  sont  nom- 
més vegrandia  ferra.  »  Festus  remarque  pareillement  que 
vecors  veut  dire  mali  cordis  et  vesanits  maie  sanus.  On  est 
passé  sans  peine  do  ce  premier  sens  à  celui  qu'Ovide  indique  ; 
des  récoltes  qui  ont  mal  poussé  sont  misérables  et  médiocres, 
une  plante  qui  n'a  pu  se  développer  est  petite.  On  vit  donc  en 
Vejovis  un  petit  Jupiter;  mais  à  l'origine  il  n'était  qu'un  Jupi- 
ter mauvais,  mal  disposé,  défavorable. 

Si  Aulu-Gelle  a  tort  de  faire  intervenir  le  verbe  jtivare^ 
l'interprétation  qu'il  donne  du  nom  de  Vejovis  n'a  rien,  par  ail- 
leurs, que  de  très  plausible.  Les  Romains,  comme  il  le  remarque 
justement,  élevaient  des  autels  à  certains  dieux  pour  se  les  rendre 
propices,  à  certains  autres  pour  empêcher  qu'ils  leur  fissent  du 
mal,  quosdani  ne  obessent  placabant.  Ils  rendirent  un  culte  à 
Yejovis,  comme  à  Pavor  par  exemple  ou  à  Fehris;  ils  avaient 
intérêt  à  prévenir  ses  colères  et  à  détourner  ses  coups.  Les 

hrabant,  quosdam  ne  obessent  placabant)  Vejovem  appellaverunt,  dempta  alque 
delracta  juvandi  facullate.  Ve  enim  particula  quae  in  aliis  atque  aliis  voca- 
èulis  varia,  tum  per  has  duas  lilleras,  tum  a  lilteva  média  immissa  dicitur, 
duplicem  significatum  eumdemque  inler  sese  diversum  capit.  Nam  et  aupendse 
rei  et  minuendae  valet,  sicut  aliae  parliculœ  plurimae  ;  pvopter  quod  accidit 
ut  quaedam  vocabula  quibus  particula  isla  praeponitur,  ambiç/ua  sint  et  utro- 
queversum  dicantur  :  vescum,  vehemens  et  vegrande;  de  quibus  alio  in  loco 
uberiore  traclu  facto  admonuimus ;  vesani  autem  et  vecordes  ex  una  tantuin 
parte,  quse  privativa  est,  quam  Graeci  <rT£pr,Ttxbv  pioptov  dicunt.  Simidacrum 
igilur  dei  Vejovis,  quod  est  in  sede  de  qua  supra  dixi,  sagiltas  tenet  quse  sunt 
videlicet  paratae  ad  nocendum  :  quapropter  eum  deum  plerique  Apollinem  esse 
dixerunt.  —  Sur  une  monnaie  de  \&gens  Gaesia  on  voit  un  personnage  décochant 
un  triple  trait,  et  dans  le  champ  le  monogramme  X,  que  Mosimsen  {liisl.  de  la 
Monnaie  romaine,  trad.  franc.,  t.  11.  p.  370)  traduit  par  Apollon  Vejovis  (Babelon, 
les  Monnaies  de  la  République  romaine,  t.  1,  p.  280).  Surune  monnaiede  la  gens 
Fonteia  au-dessus  de  la  tête  d'Apollon  est  figurée  la  foudre  de  Jupiter  :  Vejovis 
réunissait  les  attributs  de  ces  deux  dieux  (Babelox,  op.  cit.,  t.  I,  p.  304). 

1.  Festcs,  p.  Î<'Î2  :  Vegrande  significare  alii  aiunt  maie  grande,  ut  vecors, 
vesanus,  mali  cordis  maleque  sanus;  alii  parvum,  minutum,  ut  cum  dicimus 
vegrande  frumentum,  et  Plautus  in  Cislellaria  :  qui  7iisi  itures  nimium  is 
vegrandi  gradu.  Vecors  est  turbati  et  mali  cordis.  Pacuvius  in  Iliona  :  Paelici 
-superstitiosœ  cum  vecordi  conjuge.  El  Novius  in  Hercule  coaclore  :  Tristimo- 
niam  ex  animo  deturbat  et  vecordiam. 


JUPITER    JURARIUS    ET    VEJOVIS  255 

calendriers  signalent  trois  sacrifices  annuels  en  l'honneur  de 
Yejovis  à  Rome  :  aux  nones  de  mars,  septième  jour  du  mois, 
sur  le  Capitule,  inter  duos  lucos^  : 

Vediovis  inter  duos  \  hicos; 
le  21  mai,  sans  indication  de  lieu-  : 

A7/  kal.  iun.  N  \  agonia  \  Vejovi; 
enfin   le   l*""  janvier  dans   l'ile    tibérine.   Les  Fastes   d'Ovide 
viennent  heureusement  compléter  cette  dernière  indication  :  le 
sacrifice  des  kalendes  de  janvier  était  fait  dans  le  temple  de 
Jupiter  in  insula. 

L'inscription  dédiée  à  Jupiter  Jurarius.  —  Une  inscription 
qui  provient  de  ce  sanctuaire  a  été  découverte  au  xix"  siècle. 
Elle  confirme  le  témoignage  d'Ovide  :  elle  n'est  pas  dédiée  à 
Vejovis,  mais  à  Jupiter.  Une  épithète  jusqu'alors  inconnue  s'y 
trouve  accolée  au  nom  du  dieu  :  Jupiter  Jurarius  3. 

Au  mois  de  mars  de  l'année  1854  des  ouvriers  qui  travail- 
laient dans  les  sous-sols  de  l'église  Saint-Jean-Calybite  et  des 
édifices  attenant  rencontrèrent,  à  plusieurs  mètres  de  profon- 
deur, un  fragment  de  pavage  en  mosaïque,  de  couleur  rouge 
sombre  ;  des  petits  cubes  blancs  de  i^alomhino  encastrés  dans 
le  ciment  coloré  du  fond,  dessinaient  une  inscription.  Ce  pa- 
vage recouvrait  lui-même  un  puits  profondément  creusé,  qui 
renfermait  un  grand  nombre  de  terres  cuites,  off'ertes  sans 
doute  comme  ex-voto  :  mains,  pieds,  visages  vus  de  profil;  on 
devait  recueillir,  cinquante  ans  plus  tard,  une  quantité  consi- 
dérable d'objets  analogues  aux  abords  de  l'île  et  dans  le  lit  du 
Tibre  ;  c'était  la  première  fois  en  1854  qu'on  faisait  une  pa- 
reille trouvaille  à  Rome  même  ;  les  terres  cuites  furent  dis- 
persées et  l'on  ne  sait  ce  qu'elles  sont  devenues.  Le  Giornale  di 
Roma  signala  aussitôt  la  découverte^.  P.  E.  Yisconti  en  rendit 


1.  Calendrier  de  Préneste  :  C.  I.  L.,  I,  2"  éd.,  p.  233. -Cf.  Ovid.,  Fas/.  111,429. 

2.  Calendrier  de  Venouse  :  G.  I.  L.,  I,  2'  éd.,  p.  221.  —  Aust  {op.  cit.,]).  41), 
s'inspirant  de  Jordan  {loc.  cit.,  p.  361)  rapporte  la  fête  du  21  mai  à  un  second 
temple  de  Vejovis  sur  le  Capitole,m  arce. 

3.  M.  Besxier,  Jupiter  Jurarius,  dans  les  Mélanges  (Vai^chéol.  et  d'hist.  de 
VEcole  de  Rome,  1898,  p.  231  (depuis  la  publication  de  cet  article  il  nous  a  paru 
nécessaire  de  modifier  nos  premières  conclusions). 

4.  Giornale  di  Roma,  année  1854,  n°  80  :  découverte  du  pavage  en  mosaïque; 
n*  82  :  découverte  d'un  puits  contenant  des  ex-voto,  sous  la  mosaïque;  tous 
ces  objets,  sauf  un  seul,  étaient  en  terre  cuite  (le  dernier  sans  doute  en 
pierre).  —  Ces  articles  ne  sont  pas  signes,  mais  ils  ont  été  écrits  ou,  tout  au 
moins,  inspirés  par  Yisconti. 


2S6 


LES    CULTES    SECONDAIRES 


s'  *^ 


5S    I 


5    H 


3    C 


D3    c 


compte  à  l'Académie  pontificale  romaine 
«rarchëologie  ;  son  rapport  manuscrit, 
très  détaillé,  daté  du  30  mars  1854, 
est  maintenant  en  la  possession  de 
M.  Lanciani^.  Canina  publia  Tinscrip- 
iion,  avec  un  commentaire,  dans  l'année 
même  ^  ;  elle  fut  reproduite  par  Ritschl 
d'après  le  fac-similé  lithographie  qu'avait 
soumis  Visconti  à  l'Académie  pontifi- 
cale-^  11  résulte  des  renseignements 
donnés  par  ces  divers  auteurs  que  la 
mosaïque  était  située  à  plus  de  25  palmes 
sous  le  niveau  actuel  de  l'île,  soit  envi- 
ron 5", 60  ;  elle  était  recouverte  presque 
tout  entière  par  la  salle  capitulaii'e  du 
couvent  des  Frères  de  Saint-Jean-de- 
Dieu  qui  touche  à  l'église  Saint-Jean- 
Calybite,  et  en  petite  partie  seulement 
par  l'église  même.  On  ne  peut  plus 
voir  maintenant  l'inscription  ;  le  terrain 
a  été  remblayé,  et  l'on  a  construit  un 
mur  nouveau  au-dessus  du  pavage  an- 
tique. Les  mots  suivants  avaient  été 
déchiffrés  en  mars  1854^  : 

C.  Volcaci  C.  f.  har.  de  stipe  Jovi 
J.  nrario onimentom. 

Un  point  était  marqué  entre  l'I  et  VY 
de  IVRARIO.  Avant  ONIMENTOM 
manquaient  huit  ou  neuf  lettres.  A^'is- 
conti  proposait  de  restituer  au  début  la 
formule  ex  sententia  et  de  lire  ; 

[Ex  sententia]  C[aii)  Volcaci  {Caii) 
f{ili)  har  [iispicis]  de  stipe  Jovi  Jura- 
rio  [factum  m]onimentom. 


\.  M.  Lanciani  a  bien  voulu  nous   en  donner 
communication. 

2.  Canina,  Sul  tempto  di  Giove  nell'isola  tibe- 
rina,  dans  le  Bullett.  delVInslit.  archeol.,  1854, 

p.   XXX VII. 

3.  Ritschl,    Priscae    lalinitatis    monumenta. 
Pi.  LIX,  A,  et  p.  52. 

4.  C.  I,  L.,  1.  l"éd.,  1105;  VI,  379. 


JUPITER   JURARIUS    ET    VEJOVIS  257 

«  Monument  élevé  à  Jupiter  Jurarius,  avec  l'argent  des  coti- 
sations ',  sur  l'avis  de  Caius  Volcacius,  fils  de  Caius,  haruspice.  » 

M.  Mommsen  ne  croit  pas  que  la  formule  ex  sententia 
ait  jamais  figuré  au  début  du  texte  ni  qu'il  soit  nécessaire  de  la 
sous-entendre-.  Les  mots  C.  Volcaci  seraient  simplement  des 
nominatifs.  On  devrait  lire  : 

C{aius)  Volcaci[ns)  C[an)  f[iliiis)  har[iispex),  etc. 

D'autre  part,  à  la  fin  du  texte,  M.  Mommsen  n'admet  pas  le 
complément  [factum  in\onimentom.  La  forme  monimentom 
pour  moaunientum  est  archaïque  ;  la  désinence  oni  ne  se  ren- 
contre plus  après  le  début  du  vf  siècle  de  Rome  (milieu  du ii'' siècle 
avant  l'ère  chrétienne);  or  l'inscription  n'est  certainement 
pas  antérieure  à  la  fin  de  ce  siècle  ;  aucun  signe  n'y  décèle 
l'archaïsme  ;  l'L  du  mot  Volcaci,  avec  ses  deux  barres  se 
coupant  à  angle  droit,  ne  peut  appartenir  qu'aune  époque  rela- 
tivement récente.  Il  faut  rétabhr  plutôt  [ara^n  cmn  nï\onimento 
i)i[erito\,  ou  substituer  même  [p\avwiento  à  [rnlonijuento"^ . 

Sur  la  première  de  ces  deux  questions,  rien  n'empêche  qu'on 
se  rallie  à  l'opinion  de  M.  Mommsen;  il  est  très  possible  que  les 
mots  C.  Volcaci  soient  des  formes  nominatives  abrégées.  Sur 
la  seconde,  au  contraire,  la  restitution  de  Visconti  est  préfé- 
rable ;  la  courbe  de  l'O  et  de  l'N  au  commencement  du  dernier 
mot  est  trop  bien  marquée  pour  qu'on  remplace  [m\onimento  par 
\p]avimento  ;  l'M  final  ne  commence  pas  un  mot  nouveau  :  il 
n'y  a  pas  d'intervalle  entre  lui  et  l'O  qui  le  précède,  tandis 
que  l'espace  qui  le  suit  est  vide.  S'il  est  vrai  que  la  terminai- 
son om  soit  d'une  époque  plus  ancienne  que  l'L  régulière  de 
Volcaci,  cette  anomalie  tient  peut-être  à  l'usage  qu'on  avait  à 
Rome  de  rédiger  les  inscriptions  religieuses  d'après  de  vieilles 
formules  consacrées,  dont  on  respectait  scrupuleusement  les 
moindres  particularités^.  C'est  bien  un  «monument  »  que  l'ha- 
ruspice C.  Volcacius  a  été  chargé  de  faire  construire  ou  réparer. 
—  On  sait  qu'un  autre  texte  épigraphique  de  l'île  tibérine  — 
l'épitaphe  d'une  femme  portant  le  cognomen  de  Psamathe  — 
concerne  la  gens  Volcacia^. 

1.  Sur  l'expression  de  slipe,  avec  le  produit  des  collectes  faites  parmi  les 
fidèles,  voir  plus  haut,  p.  189  (à  propos  d'une  inscription  du  sanctuaire  d'Escu- 
lape  dans  l'ile,  C.  I.  L.,  VI,  7). 

2.  Mommsen,  au  G.  I.  L.,  loc.  cit. 

3.  Mommsen,  loc.  cit. 

4.  RiTSCHL,  loc.  cit. 

3.  Cf.  ci-dessus,  p.  70  (C.  I.  L.,  VI,  29.434  et  29.457). 

17 


2S8  LES   CULTES   SECONDAIRES 

La  découverte  de  l'année  1854  a  fait  connaître  l'emplace- 
ment occupé  par  le  temple  de  Jupiter  et  le  nom  spécial  sous 
lequel  on  y  invoquait  le  dieu. 

Emplacement  du  temple.  —  Ovide  ne  dit  pas  en  quelle  partie 
de  Tile  se  trouvait  le  temple.  11  se  borne  à  déclarer  qu'il  était 
au  même  endroit  que  le  sanctuaire  d'Esculape,  et  relié  à  celui- 
ci.  L'expression  est  vague  et  équivoque.  Aussi  les  érudits, 
avant  les  fouilles  de  1854,  avaient-ils  émis  sur  la  question  des 
avis  discordants.  D'après  Venuti,  par  exemple,  les  murs  en 
grand  appareil  qu'on  voyait  encore  au  xviir  siècle  à  la  pointe 
nord  de  Tile  tibériue  vers  l'amont,  marquaient  la  place  de  l'an- 
cien temple  de  Jupiter*.  Il  aurait  suffi  cependant  de  se  reporter 
à  un  autre  passage  des  Fastes  d'Ovide  —  sur  lequel  nous  re- 
viendrons plus  loin  —  pour  se  convaincre  que  l'édifice  situé 
dans  l'île  «  à  l'endroit  oii  se  partagent  les  eaux  du  Tibre  »  était 
dédié  à  Faunus-.  Canina  a  commis  une  autre  erreur  :  sur  l'un 
des  plans  restaurés  qu'il  a  publiés,  le  temple  de  Jupiter  figure 
à  la  pointe  sud,  vers  l'aval,  tandis  qu'il  réserve  au  sanctuaire 
d'Esculape  et  à  ses  dépendances  toute  la  partie  centrale,  au 
nord  des  deux  ponts  ^.  Mais  nous  avons  démontré  précédem- 
ment, à  l'aide  des  inscriptions  et  de  quelques  vestiges  subsis- 
tants, que  le  sanctuaire  d'Esculape  s'élevait  à  la  pointe  sud;  il 
fallait  chercher  ailleurs  la  demeure  de  Jupiter.  Désormais  le 
doute  n'est  plus  possible  :  on  l'avait  construite  dans  la  partie 
centrale  de  l'île,  au  nord  de  la  rue  qui  reliait  les  deux  ponts 
Fabricius  et  Cestius,  à  peu  près  au  lieu  même  que  Canina  assi- 
gnait d'abord  cà  Esculape.  Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  que 
l'archéologue  Ficoroni  avait  acquis  au  xvui"  siècle  une  tête  de 
Jupiter,  découverte  dans  cette  région  «  sur  le  site  de  l'hôpital 
des  Frères  de  Saint-Jean-de-Dieu  '•  »  ;  elle  appartenait  sans  doute 
à  une  statue  qui  décorait  l'édifice  antique. 

La  majeure  partie  du  pavage  en  mosaïque  se  trouve  sous 
l'une  des  salles  du  couvent  des  Frères;   l'église  Saint-Jean- 

1.  R.  Vesuti,  Descriz.  topogr.,  parte  II,  capit.  IV.  —  Il  donne  au  Jupiter  de 
l'Ile,  comme  Casimiro,  Ficoroni,  Guattani,  etc.,  l'épithète  de  Lycaonius,  que 
rien  ne  justifie  (Cf.  plus  haut,  p.  81). 

•2.  OviD.,  Fast.,  11,  193.  —  Cf.  ci-dessous,  p.  290. 

3.  Canina,  Archittetura  aniica,  t.  111,  PI.  CVlll. 

4.  Casimiko,  Memorie  isloriche,  p.  2ti?j  :  La  cui  testa,  trovala  nel  silo  ov'è  lo 
spetldle  dei  religiosi  di  S.  Giovanni  di  Dio,  fu  comperala  dal  sign.  Franc. 
Ficoroni,  rinomalo  antiquario  di  nostri  tempi. 


JUPITER    JURARIUS    ET    VEJOVIS  2:>9 

Calybite  ne  recouvre  qu'une  de  ses  extrémités  '  ;  la  position 
de  ce  monument  moderne  ne  correspond  donc  pas  exactement 
à  la  position  du  temple  ;  celui-ci  débordait  vers  l'ouest,  dans  la 
direction  du  pont  Cestius;  il  est  certain  toutefois  qu'il  était 
beaucoup  plus  rapproché  du  pont  Fabricius  que  de  l'autre  et 
qu'il  n'occupait  pas  le  milieu  même  de  l'île.  Il  faisait  face  au 
sanctuaire  d'Escalape.  Les  expressions  dont  se  sert  Ovide, 
cepit  lociis  7mî(s  iitntmque,  jimcta  templa^  ne  veulent  pas 
dire  que  les  deux  constructions  étaient  contiguës.  Les  mots 
lociis  imiis  désignent  simplement  Vinsit/a  tiberina,  sur  le  sol 
de  laquelle  ils  étaient  bâtis  l'un  et  l'autre  ;  les  mots  juncta 
templa,  on  l'a  déjà  remarqué,  font  peut-être  allusion  aux  por- 
tiques de  l'Asklépieion,  qui  s'étendaient  entre  la  pointe  sud  et 
le  centre  de  l'île  et  les  reliaient,  en  effet  -.  Il  a  fallu  creuser 
à  une  très  grande  profondeur  pour  parvenir  jusqu'au  pavage 
du  temple  de  Jupiter  Jurarius  :  le  sol  s'est  considérablement 
tassé  et  exhaussé  depuis  l'antiquité.  On  doit  à  cette  heureuse  cir- 
constance la  conservation  d'un  document  authentique  et  capital. 

Jupiter  Jurarius  ou  Lurarius.  —  En  1854,  le  mot  Jurarius 
était  nouveau;  jamais  encore  on  ne  l'avait  rencontré.  Visconti 
et  Canina  le  rattachent  à  la  même  racine  que  les  mots  jus, 
jurare^jiisjiirandum.  J?/rarzMS  viendrait  de  yz<.s,  comme  vulne- 
rariiis  de  vulniis,  iniinerarûis  de  miinus,  tiirarius  de  tus. 
Jupiter  Jurarius,  c'est  Jupiter  invoqué  en  tant  que  protecteur 
des  serments  et  gardien  de  la  foi  jurée.  Il  y  avait  de  même 
chez  les  Grecs  un  Zsùç  ôpy.ioç,  dont  le  nom  dérivait  de  l^y.ozi  ser- 
ment^;  ils  le  prenaient  à  témoin  de  leurs  engagements  ^  ;  Zeus 
passait  pour  avoir  institué  le  serment  parmi  les  dieux  et  parmi 
les  hommes 5;  il  châtiait  les  parjures.  Pausanias  a  vu  à  Olym- 
pie,  dans  la  salle  de  réunion  de  la  ^zuXr,,  une  statue  de  Zzbq 
zpY.ioq  brandissant  de  chaque  main  la  foudre  ''.  Jupiter  Jurarius 
était  chez  les  Latins  l'équivalent  du  Zebq  opxicç  hellénique  '^. 

1.  Giornale  di  Roma,  année  1854,  n°  80  :  Sottosta  essa  in  parte  alla  chiesa 
di  S.  Giovanni  Calihila. 

2.  Cf.  ci-dessus,  p.  188. 

3.  Sur  Zeù;  opxto?,  consulter  Preller-Robert,  Griech.  Mythol.,  t.  I,  p.  toi;  — 
Bhuchman.x,  Epitheta  deorum,  Leipzig,  1893,  p.  136. 

4.  SoPH.,  Phil.,  1324  :  —  Eurip..  Hippol.,  1023. 

.5.  SoPH.,  Œd.  Col.,  1~67  :  'O  Travr  'aîwv  Aiôç  opxo;. 

6.  Pausan,  V,  24,  2  :  'O  ôè  âv  Tfji  ^o-jlvjzripUù  Ttàvrwv  Ô7r(}(7iit  àyà^fiaTa  Atôç 
[xâ/iora  i;  £XTC)>r(Eiv  àSîxwv  àvSowv  7r£7toir|Tai,  ÈTn'xXrjTt;  jxkv  "Opxiôî  èortv  a*jTw, 
ïys.1,  Se  £v  àxaTÉpa  xîpauvôv  X^'P'* 

7.  Dans  la  dissertation  de  Garter,  de   Deorum   romanorum  coqnominihus 


260  LES   CLLTES   SECONU AIRES 

Orioli  a  conteste  la  lecture  Jovi  Jurario^.  Sur  le  fac-similé, 
entre  l'I  et  l'V  de  Jurario  un  petit  trait  vertical  apparaît  net- 
tement. Dans  un  texte  d'une  aussi  belle  graphie,  où  les 
lettres,  très  grandes,  ne  sont  pas  dessinées  ni  gravées,  mais 
construites  minutieusement  point  par  point,  ce  trait  devait 
avoir  un  sens.  La  première  lettre  du  mot  serait  un  L,  gauche- 
ment tracé,  il  est  vrai,  dont  la  ligne  inférieure  ferait  avec 
la  haste  droite  un  angle  très  aigu.  L'inscription  était  dédiée 
Jovi  Lurario^  à  Jupiter  Lurarius,  le  dieu  qui  soignait  les  mala- 
dies de  la  hira,  c'est-à-dire  les  maux  d'estomac.  Il  n'est  pas 
étonnant  que  cette  divinité  guérisseuse  ait  eu  dans  l'Ile  tibérine 
un  temple  auprès  du  sanctuaire  du  dieu  médecin  Esculape.  Les 
fidèles  rappelés  par  elle  à  la  santé  lui  avaient  offert,  selon 
l'usage,  des  ex-voto  en  terre  cuite;  la  présence  de  ces  objets 
sous  le  pavage  en  mosaïque,  inexplicable  dans  l'hypothèse 
qu'adopte  Visconti,  se  trouve  ainsi  parfaitement  justifiée. 

L'argumentation  d'Orioli  ne  saurait  être  acceptée.  Le  mot 
Lurarius  est  aussi  nouveau  et  inconnu  que  le  mot  Jurariiis; 
il  n'a  pas  d'analogue  en  Grèce.  La  première  lettre  qu'Orioli 
prend  pour  un  L  ne  ressemble  en  rien  à  l'L  incontestable  du 
mot  Volcaci  ;  celui-ci  est  régulier,  à  angle  droit,  selon  la 
mode  observée  à  partir  de  la  fin  du  vi"  siècle  de  Rome  ;  l'autre, 
au  contraire,  serait  étroit  et  aigu,  ainsi  que  les  L  des  temps 
plus  anciens.  Le  trait  qu'on  distingue  devant  FV  n'a  même 
pas  l'aspect  des  petits  cubes  qui  entrent  dans  la  composition 
des  lettres  ;  il  est  allongé  et  recourbé  comme  une  virgule  ;  il 
ne  peut  former  la  branche  inférieure  de  l'L;  on  aurait  tort 
d'attacher  tant  d'importance  à  ce  point  mal  fait,  inséré  à  cette 
place  par  négligence.  On  doit  s'en  tenir  à  la  première  lecture  : 
Jurario.  Ce  mot  se  retrouve  écrit  en  abrégé,  sur  une  inscription 
de  Brescia,  publiée  en  1888  ;  il  n'est  plus  permis  de  le  tenir 
pour  un  a^a^  Asysf-^vov  etde  suspecter  sa  latinité  2  : 
J{ovi)    0{ptimo)  M{aximo)  \  Jur[ario)  \  d[c)  c{onscriptorum) 

s{ententia). 
«  A  Jupiter  très  bon,  très  grand,  Jurarius,  sur  l'avis 

des  conscripti  (c'est-à-dire  des  sénateurs  du  municipe).  » 

(fuaestiones  selectee,  Leipzig,   1898,  p.  8  et  62,  l'épilhète  Jurarius  est  rangée 
parmi  les  cognomina  purement  et  simplement  traduits  du  grec  en  latin. 

1.  Orioli,  Lettera  al  prof.  Ilenzen  sull'iscrizio7ie  scoperla  alVisola  tiherina, 
àa.ns  le  Bullett.  delVInslit.  archeuL,  d8.J3,  p.  v. 

2.  Pais,  C.  L  L.  Supplementa  italica,  l.  Additamenta  al  G.  \.  L.  V,  dans  les 
Alti  dei  Lincei,  Memorie,  t.  V,  1888,  n'  1272. 


JUPITER    JURARIUS    ET   VEJOVIS  261 

Les  lettres  IVR  sont  certainement  une  abréviation  de 
Jiirarius.  MM.  Mommsen  et  Pais,  qui  ont  relevé  l'inscription, 
leur  donnent  avec  raison  ce  sens,  en  se  référant  à  la  mosaïque 
de  l'île  tibérine.  Les  deux  documents  s'éclairent  réciproque- 
ment :  sans  la  découverte  de  1854,  on  n'aurait  pu  comprendre 
un  mot  important  du  texte  publié  en  1888,  et  celui-ci,  à  son 
tour,  atteste  que  les  premiers  éditeurs  de  la  mosaïque  l'avaient 
exactement  déchiffrée  ^ . 

La  présence  d'offrandes  médicales  sous  le  pavage  du  temple 
de  Jupiter  s'explique  fort  bien,  quoi  qu'en  pense  Orioli,  sans 
qu'il  soit  nécessaire  d'imaginer  un  dieu  de  la  lura.  Remarquons 
d'ailleurs  que,  parmi  les  objets  recueillis  à  cet  endroit,  se 
trouvaient  des  mains,  des  pieds,  des  tètes,  mais  pas  d'esto- 
macs. Visconti  croyait  que  ces  ex-voto  avaient  été  consacrés  à 
Esculape  ;  le  puits  qui  les  renfermait  était,  d'après  lui,  l'une  des 
favissœ  de  l'Asklépieion  voisin  2.  Il  serait  bien  étrange  cepen- 
dant qu'on  eût  placé  ces  favissas  sous  le  temple  d'un  autre 
dieu.  Mieux  vaut  supposer  que  les  ex-voto  étaient  offerts  à 
Jupiter  même.  Il  était,  disait-on,  l'aïeul  d'Esculape;  cette 
parenté  mythique  et  la  proximité  du  principal  sanctuaire  élevé 
par  les  Romains  à  son  petit-fils  ont  peut-être  influé  sur  le 
culte  qu'on  lui  rendait.  On  l'adorait,  sous  le  nom  spécial  de 
Jurarius,  comme  le  dieu  des  serments  et  de  la  bonne  foi.  Mais 
il  avait  bien  d'autres  attributions,  et  très  diverses  ;  maître 
tout-puissant  de  l'air  et  du  ciel,  principe  de  toute  force,  il 
était  imploré  souvent  à  ce  titre  comme  bienfaisant  et  guéris- 
seur. Les  malades  qui  venaient  chercher  dans  l'île  le  soulage- 
ment de  leurs  souffrances  prirent  l'habitude  de  s'adresser  à 
lui,  aussi  bien  qu'à  Esculape,  et  pour  lui  manifester  leur  gra- 
titude ils  lui  firent  hommage  également  d'ex-voto  de  terre 
cuite  ^.  Qui  sait  même  s'il  n'y  avait  pas  entre  Jupiter  Jurarius 
et  Esculape  une  relation  plus  étroite  encore  et  plus  directe? 
N'était-ce  pas  au  premier  de  surveiller  et  de  garantir  l'exécu- 
tion des  promesses  faites  au  second  ?  Ne  semblait-il  pas  naturel 


1.  AusT,  dans  l'article  Jupiter  du  Lexicon  de  Roscher  (t.  II,  1,  p.  150-754), 
donne  la  liste  des  épithètes  décernées  par  les  Romains  à  Jupiter  ;  au  mot  Jura- 
rius les  seuls  exemples  cités  sont  les  deux  textes  de  l'île  tibérine  et  de  Brescia. 

2.  Giornale  di  Roma,  année  1854,  n°  82.  Ganina  en  tirait  argument  pour  sou- 
tenir que  le  temple  d'Esculape  était  situé  au  centre  de  l'Ile.  Cf.  ci-dessus,  p.  186. 

3.  Camna,  Bullet.  delVInstit.  archeol.,  1854,  p.  xxxviii;  —  Preller-Jordan, 
Rœm.  MythoL,  t.  I,  p.  267. 


2C2  LES   CULTES    SECONDAIRES 

qu'on  témoignât   souvent  sa  dévotion  à  l'un  et  à  l'autre  en 
m6me  temps? 

Date  de  la  construction  du  temple.  —  L'histoire  du  monument 
n'est  pas  connue.  On  suit  seulement  par  Tite-Live  à  quelles 
dates  il  fut  promis  au  dieu,  construit,  inauguré.  Dans  son  récit, 
aussi  bien  dans  le  de  Architectitra  de  Vitruve  que  dans  les 
Fastes  d'Ovide  et  sur  l'inscription  du  pavage  en  mosaïque,  il 
est  appelé  temple  de  Jupiter.  Le  texte  de  l'historien,  à  vrai 
dire,  a  paru  fautif  et  l'on  a  voulu  y  rétablir,  par  voie  de  con- 
jecture, le  nom  de  Vejovis.  Mais  cette  correction  ne  s'impose 
nullement  et  fait  naître  plus  de  difficultés  qu'elle  n'en  résout. 

Tite-Live  rapporte  au  livre  XXXI  que  le  préteur  L.  Furius 
Purpureo,  livrant  bataille,  en  l'année  554/200  avant  l'ère  chré- 
tienne, aux  Gaulois  cisalpins  révoltés,  s'engagea,  s'il  était 
vainqueur,  à  élever  un  temple  au  dieu  Jupiter,  œdemque  deo 
Jovi  vocit  si  eo  die  hostes  /'itdisseiK  II  dit  au  livre  XXXIV 
que  Purpureo  fit  bâtir  lui-même  ce  monument  dans  l'île  tibé- 
rine  pendant  son  consulat,  en  558/196,  et  que  le  duumvir 
C.  Servilius  le  dédia  deux  ans  plus  tard,  tandis  que  le  préteur 
Cn.  Domitius  dédiait  un  temple  à  Faunus  au  même  endroit  : 
et  in  insula  Jovis  aedem  C.  Servilius  duumvir  dedicavit. 
Vota  erat  sex  annis  ante  gallico  bello  a  L.  Furio  Purpureone 
prœtore,  ab  eodem  consule  locata-.  On  voit  au  livre  XXXV 
qu'en  562/192  le  duumvir  Q.  Marcius  Ralla  inaugura  sur  le 
Capitole  deux  temples  de  Jupiter  qu'avait  voués  à  ce  dieu 
L.  Furius  Purpureo,  l'un  pendant  la  guerre  contre  les  Gaulois, 
l'autre  pendant  son  consulat  :  œdes  diiœ  Jnri  en  anno  iii  Capi- 
tolio  dedicatae  sunt.  Voverat  L.  Furius  Purpureo  prxtor 
gallico  bello  unani,  alteram  consul^  dedicavit  Q.  Marcius 
Ralla  duumvir^.  L'expression  deo  Jovi,  qu'aurait  employée 
Tite-Live  au  premier  passage,  est  tout  à  fait  inusitée.  On  s'est 
étonné,  d'autre  part,  que  le  même  personnage  ait  présidé  à  la 
construction  de  trois  édifices  en  l'honneur  de  Jupiter,  deux  au 
Capitole  et  le  troisième  dans  l'île,  et  que  celui-ci  et  l'un  des 
deux  autres  aient  été  offerts  au  même  dieu  en  mémoire  du 
même  événement,  la  victoire  de  Crémone.  Le  texte  ne  serait- 


1.  Liv..  XXXI.  21. 

2.  Liv..  XXXIV.  .i:î. 
:{.  Liv..  XXX V.  tl. 


JUPITER    JURARIIS    ET    VEJOVIS  263 

il  pas  altéré  et  ne  faudrait-il  pas  recourir  à  quelque  correc- 
tion? 

Jordan,  dans  son  article  des  Commentationes  in  honorem 
Mommseni,  s'est  posé  la  question  et  la  résout  par  l'affirma- 
tive^. Il  remplace  partout  le  nom  de  Jupiter  par  celui  de 
Vejovis.  Un  copiste  aura  lu  abusivement ,  au  livre  XXXI, 
AEDEMQVE  DEO  lOVI  au  lieu  de  AEDEMQVE  VEDIOVI  ; 
paléograpliiquement,  la  confusion  se  comprend  sans  peine.  Au 
livre  XXXIV  il  faut  écrire  de  même  Vediovis  sedem^  à  la 
place  de  Joms  œdem~.  Au  livre  XXXV  ne  devrait-on  pas 
lire  œdesquc  diiœ  Vediovi  eo  anno  dedicatœ?  Tite-Live 
a  commis  une  erreur,  ou  plutôt  il  n'a  pas  su  faire  un  choix 
raisonné  parmi  les  documents  qu'il  avait  à  sa  disposition;  il 
a  recueilli  et  transcrit  deux  versions  différentes  d'un  seul 
fait.  D'après  la  première,  L.  Furius  Purpureo  aurait  promis 
à  Vejovis  un  temple,  qu'on  plaça  dans  l'île  tibérine;  d'après 
la  seconde,  deux  temples,  que  l'on  mit  au  Capitole.  La 
seconde  version  parait  préférable  :  Pline  l'Ancien  déclare, 
en  effet,  que  l'on  conservait  sur  le  mont  Capitolin  la  statue 
de  Vejovis 3  ;  c'est  donc  là  que  ce  dieu  avait  son  temple  ou 
ses  temples,  et  les  passages  discutés  de  Tite-Live  n'inté- 
ressent en  rien  l'île  ni  le  sanctuaire  de  Jupiter  in  insida  cité 
par  Ovide. 

Mais  Jordan,  après  mûre  réflexion,  ne  s'en  est  pas  tenu  à 
ce  premier  changement  qu'il  apportait  au  texte  controversé 
du  livre  XXXV  ;  il  y  introduit  une  modification  beaucoup  plus 
grave.  Les  calendriers  attestent  que  Vejovis  était  adoré  à  la 
fois  dans  l'île  tibérine  et  sur  le  Capitole  et  qu'il  possédait  des 
sanctuaires  en  ces  deux  quartiers^.  Nous  n'avons  donc  aucune 
raison  de  révoquer  en  doute  l'assertion  de  Tite-Live  :  le  temple 


1.  JoHDAN,  de  Aisculapii,  Fauni,  Vejovis  Jooisque  sacris  wbanis,  op.  cit., 
p.  361  et  suiv. 

2.  Peut-être,  d'après  Jordan  {op.  cit.,  p.  366),  Tite-Live  avait-il  écrit  Vediovi 
au  livre  XXXI  et  Jovis  au  livre  XXXIV  ;  distinguant  mal  Vejovis  de  Jupiter,  il 
aura  gardé  au  premier  passage  le  nom  ancien  cité  dans  les  Annales,  et  employé 
dans  le  second  le  nom  sous  lequel  de  son  temps  le  temple  de  l'île  était  connu 
(Jordan  croit  en  effet  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  qu'au  siècle  d'Auguste,  Jupi- 
ter avait  pris  dans  l'ile  la  place  de  Vejovis  oublié). 

3.  Plin.,  Hist.  nat.,  XVI,  40  (79)  :  Non  et  simulacrum  Vejovis  in  arce  in 
arce  e  cupresso  durât. 

4.  Voir  les  deux  passages  des  calendriers  cités  ci-dessus,  p.  251  [Vediovi  in 
insida,  à  la  date  du  premier  janvier),  et  p.  253  {Vediovis  inler  duos  lucos,  à  la 
date  du  1  mars). 


264  LES    CDLTES    SECONDAIRES 

de  Vejovis  m  insula  dut  ôtre  voué  et  dédié  dans  les  circons- 
tances qu'il  relate  et  aux  dates  qu'il  indique.  Il  est  nécessaire 
de  substituer  au  livre  XXXV  œdes  Vediovi  à  ^ede^i  du.v  Jori 
ou  diwe  Vediovi  ^^  et  de  remanier  toute  la  phrase.  Peu  im- 
porte que  la  responsabilité  de  la  faute  incombe  à  Tite-Livo 
ou  au  copiste.  Soit  dans  le  manuscrit  original  de  l'historien, 
soit  dans  les  Annales  dont  il  s'inspirait,  il  n'était  question  que 
d'un  seul  monument  de  Vejovis  au  Capitole,  dédié  en  562/192 
par  le  duumvir  Q.  Marcius  Ralla,  sans  qu'il  fût  dit  en 
quelles  années  ni  par  quel  personnage  il  avait  été  promis  et 
construit  :  ceda^  Vediovi  in  Capitolio  dedicata;  dedicavil 
Q.  Marcius  Ralla.  Le  nom  de  Vejovis  fit  songer  à  L.  Furius  Pur- 
pureo  et  à  l'édifice  voué  solennellement  le  jour  do  la  bataille 
de  Crémone  ;  on  oublia  que  celui-ci  était  situé  dans  l'île  et 
mentionné  déjà  deux  fois  antérieurement;  on  crut  qu'il  n'était 
autre  que  le  sanctuaire  même  du  Capitole  :  voverat  L.  Furius 
Pitrpureo  prœtor  gallico  hello;  première  intercalation  illégi- 
time de  mots  nouveaux,  première  méprise.  Puis  les  mots 
AEDES  VEDIOVI  devinrent  AEDES  DVE  lOVI;  seconde  mé- 
prise. Enfin  la  promesse  de  l'un  de  ces  deux  monuments  du 
Capitole  étant  attribuée  à  L.  Furius  Purpureo  pendant  sa 
préture,  quatre  ans  avant  la  dédicace,  on  lui  attribua  éga- 
lement pendant  son  consulat,  deux  ans  plus  tard,  la  promesse 
de  l'autre  :  voverat...  jwœtor...  imam,.,  alteram  co;i.s7//.  Ainsi 
le  texte  primitif  se  trouva  amplifié  et  transformé  entièrement. 

En  somme,  le  premier  et  le  second  passages  de  Tite-Livo 
s'appliquent  à  un  temple  de  Vejovis  dans  l'île  tibérine,  bâti  par 
les  soins  de  L.  Furius  Purpureo,  le  troisième,  débarrassé  de 
toute  addition  parasite  et  mensongère,  à  un  temple  de  Vejovis 
au  Capitole,  dont  nous  connaissons  seulement  la  date  d'inaugu- 
ration, en  562/192. 

On  peut  se  demander  si  Jordan  ne  s'est  pas  donné  beau- 
coup de  mal  inutilement.  M.  Mommsen  avoue  qu'il  emploie, 
pour  améliorer  le  texte,  des  «  remèdes  trop  violents-  »  :  au 
livre  XXXI,  œdes  Vediovi  pour  œdes  deo  Jovi  ;  au  livre 
XXXIV,  Vediovis  œdem  pour  Jovis  œdem;  au  livre  XXXV 
œdes  Vediovi  pour  œdes  duœ  Jovi.,  dedicata  est  pour  dedicatœ 

1.  Jordan  lui-même  proposait  œrfes  Vejovi.  Aust  {de  JEdibus  sacrh  populi 
romani,  p.  42)  croit  avec  raison  que  la  confusion  faite  par  le  copiste  ou  par 
Tite-Live,  s'expliquerait  mieux  s'il  y  avait  eu  dans  le  texte  sedes  Vediovi. 

2.  MoMMSBN,  dans  le  C.  I.  L.,  2*  éd.,  p.  305. 


JUPITER    JURARICS    ET    VEJOVIS  265 

smit,  et  tout  un  membre  de  phrase  supprimé  ;  c'est  abuser 
vraiment  des  conjectures  et  des  hypothèses.  Et  pourquoi  tant 
d'efforts?  la  théorie  ne  pèche-t-elle  pas  par  la  base?  Jordan 
s'ingénie  à  rétablir  partout  le  nom  de  Vejovis.  Mais  c'est  à 
Jupiter  que  le  temple  de  l'île  était  consacré;  le  de  Architec- 
tura  de  Vitruve,  les  Fastes  d'Ovide  et  l'inscription  du  pavage 
en  mosaïque  le  prouvent  ;  le  calendrier  de  Préneste  parle,  il 
est  vrai,  d'un  sacrifice  fait  in  insu  la;  mais  cela  n'implique 
aucunement,  on  l'a  vu,  l'existence  d'un  temple  deYejovis  en 
ce  lieu.  Les  corrections  proposées  ne  sont  pas  fondées.  On 
aurait  le  droit,  à  la  rigueur,  de  maintenir  au  livre  XXXI  la 
leçon  œdemqite  deo  Joui  ';  si  insolite  qu'elle  soit,  elle  n'a  rien, 
après  tout,  d'incorrect  ni  de  barbare.  En  tout  cas,  mieux  vaut 
lire  avec  Sigonius  sedesque  duas  Jovi^  que  sedemque  Vediovi 
avec  Jordan.  On  concilierait  ainsi  les  passages  des  livres  XXXI 
et  XXXIV  avec  celui  du  livre  XXXV  :  L.  P'urius  Purpureo 
promit,  à  la  bataille  de  Crémone,  d'élever  à  Jupiter  deux  temples: 
celui  de  l'île  tibérine,  dédié  en  560/194,  et  l'un  de  ceux  du 
Capitole,  dédié  en  562/192.  Aux  livres  XXXIV  et  XXXV 
il  faut  conserver  âsdes  Jouis,  œdes  duse  Jovi.  Point  n'est 
besoin  de  supprimer  un  seul  mot.  Les  deux  sanctuaires  de 
Jupiter  au  Capitole  furent  voués  par  Purpureo,  l'un  pendant 
sa  préture,  à  la  bataille  de  Crémone,  en  même  temps  que 
celui  de  l'île  tibérine,  l'autre,  pendant  son  consulat.  Tite-Live 
en  effet,  nous  apprend  ailleurs  que  Purpureo,  étant  consul, 
eut  à  combattre  lesBoïens  et  remporta  sur  eux  des  victoires^; 
il  aura  fait  au  cours  de  cette  compagne  son  second  vœu  à  la 
divinité  qui  l'avait  déjà  favorisé^. 

Le  culte  de  Jupiter  Jurarius  dans  l'île.  —  Un  seul  point  reste 
obscur.  Comment  expliquer  que  L.  Furius  Purpureo,  pour 
tenir  l'engagement  pris  à  Crémone,  ait  construit  simultané- 
ment deux  temples  de  Jupiter  et  qu'il  ait  mis  l'un  d'entre  eux 
dans  l'île,  tandis  qu'il  plaçait  l'autre  sur  le  Capitole? 

On  pourrait  essayer  de  résoudre  cette  difficulté  en  rappro- 

1.  M.  MuELLER,  dans  son  édition  de  Tite-Live,  Leipzig,  1897,  écrit  :  sedemque 
Diiovi,  reprenant  une  conjecture  peu  heureuse  de  Valesius,  à  laquelle  Jordan 
n'avait  pas  cru  pouvoir  s'arrêter  (Cf.  Jordan,  loc.  cit.,  p.  266;  —  Preller-Jou- 
nAN,  Rœm.  Myth.,  t.  L  P-  262,  en  note. 

2.  Sigonius,  éd.  de  Tite-Live,  Venise,  15oo,  ad  loc.  cit. 

3.  Liv.,  XXXIII,  ,37. 

4.  Hypothèse  indiquée  par  Mommsen,  loc.  cit. 


^66  LES    CLLTKS    SKCONDAIRKS 

chant  de  rinscription  que  porte  le  pavement  en  mosaïque,  décou- 
vert en  1854,  colle  de  Brescia  —  l'antique  Hrixia  dans  la 
Gaule  Cisalpine  '  —  publiée  en  1888  '-.  En  554/200,  après  la 
deuxième  guerre  punique,  les  Gaulois  Cisalpins,  Insubres,  Céno- 
mans,  Boïens,  se  soulevèrent  en  masse  contre  Rome-';  ils 
prirent  et  saccagèrent  la  colonie  do  Placentia  (Plaisance)  ;  ils 
mirent  le  siège  devant  celle  de  Cremona  (Crémone).  Le  pré- 
teur L.  Furius  Purpureo,  qui  commandait  la  province,  réunit 
une  armée  à  Arretium  (Arezzo)  et  marcha  par  Ariminiwn 
(Rimini)  contre  les  Gaulois.  La  bataille  eut  lieu  sous  les  murs 
de  Crémone.  Le  préteur,  afin  que  Jupiter  intervînt  en  sa  faveur, 
fit  vœu  de  lui  consacrer  un  temple.  Les  Cénomans  étaient  les 
plus  redoutables  de  ses  adversaires;  ils  avaient  pour  capitale 
Brixia,  voisine  de  Crémone.  L'inscription  de  1888  nous  montre 
qu'ils  honoraient  encore,  sous  la  domination  romaine,  Jupiter 
Jurarius.  Mais  ces  deux  mots  obscurs  ne  seraient-ils  pas  la 
traduction  latine  des  noms  d'une  vieille  divinité  gauloise  plus 
ou  moins  analogue  au  Zsù;  'spxicc  des  Grecs?  Au  temps  de 
l'indépendance,  ce  Jupiter  gaulois  passait  pour  le  patron  et  le 
protecteur  des  Cénomans.  Le  préteur  Purpureo,  conformément 
aux  idées  antiques,  s'adressa  à  lui  dans  la  bataille  pour  le 
gagner  à  son  parti  et  le  rendre  propice  aux  armes  romaines.  11 
r  «  évoqua^  ».  Jupiter  Jurarius  était  donc  rangé  par  les  Ro- 
mains au  nombre  des  dieux  étrangers.  La  règle  religieuse  qui 
défendait  d'accueillir  les  dii  peregrini  à  l'intérieur  du  pomc- 
riiim  avait  été  plusieurs  fois  transgressée  pendant  les  guerres 
puniques  ;  la  Vénus  grecque  du  mont  Eryx  et  l'asiatique 
Magiia  Mater  du  mont  Ida  s'étaient  établies  sur  le  Capitole  et 
sur  le  Palatin^''.  Il  n'est  pas  prouvé,  toutefois,  qu'au  début  du 
II"  siècle  avant  l'ère  chrétienne  aucune  divinité  barbare •'  ait  été 
admise  encore  dans  l'enceinte  sacrée  de  la  cité.  On  ne  fit  pas 
fléchir  pour  le  Jupiter  Jurarius  cénoman  l'antique  prohibition  '. 

1.  Sur  Brixia  consulter  C.  I.  L.,  V,  p.  439  ;  —  et  Holdrr,  All-cellischer  Sprach- 
schatz,  Leipzig,  depuis  1891,  t.  I.  p.  613,  s.  V  Brixia. 

2.  Voir  notre  article  dans  les  Mélanges  de  VEcole  de  Rome,  cité  plus  haut. 

3.  Liv.,  XXXI,  chap.  x  et  suivants;  même  livre,  chap.  ixi. 

4.  Voir  ci-dessus,  p.  173. 

5.  Voir  ci-dessus,  p.  114. 

6.  La  Ma<^na  Mater  n'était  pas  considérée  comme  une  divinité  barbare,  mais 
comme  la  mère  commune  et  lointaine  de  toutes  les  divinités  déjà  reconnues 
et  vénérées  par  les  Romains. 

7.  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Topogr.  d.  Si.  Rom,  t.  III,  p.  83,  range  parmi  les 
cultes  pérégrins  celui  du  Jupiter  de  l'ile  (qu'il  appelle  à  tort  Vejovis). 


JDPlTEli    JLRARIUS    ET   VEJOVIS  267 

Son  sanctuaire  fut  placé  au-delà  diijjomerium,  dans  l'île  tibé- 
rine,  qui  abritait  depuis  cent  ans  déjà  un  autre  culte  pérégrin, 
celui  du  dieu  grec  de  la  médecine,  Asklépios  ou  yEscuIapius. 
L.  Furius  Purpureo  n'oubliait  pas  cependant  qu'on  adorait  sur 
le  mont  Capitolin,  à  l'intérieur  àupomerium,  un  Jupiter  national 
défenseur  tutélaire  de  la  cité  romaine.  Le  vœu  qu'il  avait  fait  à 
la  bataille  de  Créuione  l'obligeait  à  lui  témoigner  sa  reconnais- 
sance en  même  temps  qu'au  Jupiter  étranger  ;  tous  deux  avaient 
favorisé  ses  armes  ;  il  ne  pouvait  se  dispenser  d'élever,  outre 
le  sanctuaire  de  File,  un  temple  au  Capitole. 

Nous  ne  croyons  pas  qu'il  soit  permis  de  s'en  tenir  à  ces 
hypothèses  aventureuses  que  le  simple  rapprochement  de  deux 
textes  épigraphiques  très  différents  nous  avait  suggérées. 
L'inscription  sur  mosaïque  date  de  l'époque  républicaine  ;  elle 
présente  des  particularités  de  graphie  tout  à  fait  caractéris- 
tiques. Celle  de  Brescia  est  certainement  très  postérieure;  elle 
est  rédigée  avec  le  consentement  des  sénateurs  du  municipe, 
organisé  à  l'époque  impériale  sur  le  modèle  de  Rome  ;  elle  ne 
remonte  pas  au-delà  des  premiers  siècles  de  l'Empire.  On  n'en 
peut  rien  conclure  au  sujet  des  cultes  professés  par  les  Gaulois 
Cénomans  dès  le  temps  de  l'indépendance.  D'autre  part,  Jupiter 
Jurarius  paraît  bien  plutôt  être  un  dieu  grec  qu'un  dieu  bar- 
bare ;  il  n'y  a  pas  dans  le  confus  Panthéon  gaulois  de  divinité 
dont  ces  deux  mots  traduisent  l'appellation  et  définissent  la 
nature  ;  il  semble  évident,  au  contraire,  qu'ils  sont  calqués  sur 
les  noms  de  Zeù;  opy,io:.  Le  Jupiter  Jurarius  de  l'île  tibérine 
était  bien  un  dieu  pérégrin,  mais  d'origine  hellénique  et  non 
gauloise. 

Cette  origine  et  ce  caractère  nous  permettent  de  donner  les 
raisons  qui  ont  fait  choisir  l'île  pour  y  construire   son  temple. 

Le  monument  élevé  par  L.  Furius  Purpureo  lui  était  certai- 
nement consacré.  11  est  vrai  que  Tite-Live  n'ajoute  aucune 
épithète  au  nom  de  Jupiter,  mais  l'inscription  du  pavement  en 
mosaïque,  sur  laquelle  se  lit  le  mot  Jurarius  et  qui  rappelle 
sans  doute  quelque  réparation  ou  quelque  embellissement 
apporté  à  l'édifice,  n'est  postérieure  que  d'une  trentaine 
d'années  à  la  première  dédicace  ^  ;  dans  un  si  court  espace  de 
temps  le  nom  officiel  du  sanctuaire  n'a  pu  être  modifié. 

1.  Le  temple  fut  dédié  en  560/194.  D'après  Ritschl  {loc.cit.),  l'inscription  de 
la  mosaïque  daterait  de  la  fin  du  vi"  siècle  de  Rome,  c'est-à-dire  environ  de 
150  avant  Jésus-Christ. 


268  LES    CILTES    SECONDAIRES 

Pourquoi  Purpureo,  pendant  la  bataille  de  Crémone,  s'est-il 
adressé  à  Jupiter  Jurarius,  à  Zey;  épy.is;?  A  ce  moment  les 
cultes  grecs  avaient  achevé  de  conquérir  droit  de  cité  dans 
Rome;  depuis  la  seconde  guerre  punique  les  religions  italique 
et  hellénique  s'étaient  définitivement  confondues  et  fusionnées*. 
Les  Romains  adoptaient  sous  des  noms  latins  les  dieux  des 
Grecs.  Le  Zsùç  dpxio;  de  Delphes  ne  leur  était  pas  in- 
connu'; on  comprend  qu'un  général  ait  songé,  dans  un  péril 
pressant,  à  implorer  son  appui.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  faire 
intervenir  les  rites  de  Yevocatio.  Maintes  fois  on  avait  vu  dans 
les  batailles  les  chefs  des  armées  romaines  promettre  des 
temples  aux  principaux  dieux,  et  notamment  au  premier  d'entre 
eux,  à  Jupiter.  Pendant  la  guerre  samnite.  Q.  Fabius  avait  fait 
un  vœu  au  Jupiter  qui  donne  la  victoire,  Jupiter  Victor'^,  et 
M.  Atilius  Regulus  à  celui  qui  arrête  et  réforme  les  troupes 
en  déroute,  Jupiter  Stator'*.  L.  Furius  Purpureo,  pour  se  lier 
par  un  engagement  plus  solennel  et  plus  redoutable,  invoque 
le  Jupiter  protecteur  des  serments  et  vengeur  des  parjures, 
Jupiter  Jurarius,  qui  n'avait  pas  encore  de  monument  de  Rome, 
mais  que  les  Grecs  depuis  longtemps  connaissaient  et  honoraient. 

Le  temple  de  ce  dieu  nouveau  fut  bâti  dans  l'ile  tibérine.  Il 
est  possible  qu'en  raison  de  son  origine  hellénique  on  ait  tenu 
à  l'écarter  du  pomerium  :  la  règle  ancienne  qui  interdisait 
l'entrée  de  la  cité  aux  dieux  étrangers,  n'avait  été  violée 
jusqu'alors  que  très  rarement  et  en  des  circonstances  excep- 
tionnelles. En  tout  cas,  Y insiila  iiherinaéiaMn'àiwveWemewi  dési- 
gnée pour  le  recevoir.  Cent  ans  auparavant,  elle  avait  accueilli 
un  autre  dieu  venu  de  Grèce.  Les  Romains  établirent  à  dessein 
Jupiter  Jurarius  en  face  d'Esculape  ;  à  dessein  ils  inaugurèrent 
cet  édifice  au  jour  de  la  fête  annuelle  du  dieu  médecin.  Au 
II'  siècle  avant  l'ère  chrétienne  les  légendes  et  les  généalogies 
fantaisistes  qu'avaient  imaginées  les  poètes  grecs  sont  adop- 
tées sans  conteste  enltahe;  Esculape-Asklépios  est  désormais 
regardé  à  Rome,  aussi  bien  qu'en  Grèce,   comme  le  petit-fils 

1.  Cf.  JoLLiAN,  la  Religion  romaine  deux  siècles  avant  notre  ère,  dans  les  Mé- 
lanf/es  G.-B.  rfe  Bossé,  publiés  par  l'Ecole  française  de  Rome,  ParisetRome,  1892, 
p.  311. 

2.  En  l'année  554/200  l'attention  des  Romains  était  particulièrement  portée 
vers  la  Grèce.  C'est  alors  qu'éclate  la  guerre  contre  Philippe  V  de  Macédoine  et 
que  va  commencer  la  conquête  des  Etats  grecs. 

3.  En  459-295  ;  —  Liv.  X,  29. 

4.  En  460-294;  —  Liv.,  X,  36. 


JUPITER    JURARIUS    ET    VEJOVIS  269 

de  Jupiter-Zeus.  Le  rapprochement  des  deux  cultes  dans  l'île 
devait  paraître  très  justifié  et  presque  nécessaire;  la  célébra- 
tion des  deux  fêtes  le  même  jour  le  consacra. 

Quant  au  temple  de  Jupiter,  élevé  sur  le  Capitole  par  les 
soins  de  L.  Furius  Purpureo,  il  faut  remarquer  qu'on  l'inaugura 
huit  ans  seulement  après  la  bataille  de  Crémone.  Purpureo  le 
fit  construire  pour  épuiser,  en  quelque  sorte,  les  effets  de  sa 
promesse  exaucée  et  manifester  sa  gratitude  envers  le  Jupiter 
Capitolin  des  Romains  en  même  temps  qu'à  l'égard  du  Jupiter 
Jurarius  au  Z$jç  opxioç  des  Grecs.  Sur  ce  point  particulier 
l'explication  à  laquelle  nous  avions  songé  tout  d'abord  reste 
vraie,  à  condition  seulement  de  restituer  au  dieu  des  serments 
sa  véritable  nationalité  et  de  le  rattacher  non  pas  à  la  Gaule 
mais  à  la  Grèce. 

Le  culte  de  Vejovis  dans  l'île.  —  C'est  donc  à  Jupiter  Jura- 
rius que  le  temple  de  l'île  tibérine  était  dédié.  Il  faudrait 
savoir  cependant  pourquoi  l'on  y  offrait  un  sacrifice  à  Vejovis  le 
l"  janvier,  jour  de  la  fête  de  Jupiter.  D'où  vient  que  ces  deux 
divinités  aient  été  ainsi  honorées  à  la  même  date  et  au  même  lieu? 

Klausen  croyait  que  le  culte  de  Vejovis  était  célébré  dans 
l'île  depuis  une  très  haute  antiquité  et  longtemps  même  avant 
la  fondation  du  sanctuaire  d'Esculape'.  Vejovis  paraît  être 
d'origine  purement  latine.  On  lui  offrait  des  sacrifices  sanglants, 
en  souvenir  des  usages  cruels  de  l'époque  primitive  ;  des 
chèvres  lui  étaient  immolées  ritu  humano-.  Un  petit  autel 
trouvé  à  Bo villa  dans  le  Latium^  porte  à  sa  face  antérieure  les 
mots  : 

Vediovei  patrei  \  gentiles  Jiiliei 
à  la  face  opposée  : 

Leege  A  Ibana  dicata 
sur  le  côté  droit  : 

Vedi...  ara 

«  A  Vejovis  pater,  les  membres  de  la  gens  Julia  ;  dédicace 
faite  en  vertu  de  la  loi  albaine.  » 

1.  Klausen,  Mneasund  die  Pe?ia/e/i,  Hambourg,  1840,  t.  II,  p.  1091-1098.  Klau- 
sen suppose  que  le  temple  de  File  était  dédié  à  Vejovis,  et  non  à  Jupiter;  il 
raconte  à  sa  manière  toute  l'histoire  de  ce  sanctuaire  et  celle  du  temple  de  Fau- 
nus  in  insula.  Ses  déductions  sont  trop  fantaisistes  pour  qu'on  s'attarde  à  les 
réfuter.  Merkel,  dans  les  Prolegom.  de  son  édition  d'Ovide,  Berlin,  1841,  p.  ccxiv, 
les  apprécie  sévèrement  :  Tâlia  non  semper  œquo  animo  legi  possiint. 

2.  Gell.,  V,  12  :  hnmolaturque  illi  ritu  humano  capra. 

3.  G.  I,  L.,  I,  1"  éd.,  807;  XIV,  2387. 


270  LES    CL'LTFS    SI  j  (i\  n  \  1 1;  i:s 

Bovilla  avait  été  coloniséo  par  Albe  la  Longue  ;  ses  habitants 
s'appelaient  Albani  Longani  Boviilensef.  La  gens  Julia  pré- 
tenclait  qu'elle  était  venue  d'Albe  à  Rome  sous  le  règne  de 
Servius  Tullius'  ;  on  éleva  une  statue  à  Auguste  après  sa  mort 
aux  environs  de  Bovilla,  comme  au  berceau  de  sa  race^.  li'ins- 
cription  dédiée  sous  la  République  par  les  gentiles  Jidiei  nous 
montre  que  l'on  invoquait  très  anciennement  Vejovis  dans  le 
Latium.  A  Rome  on  l'adorait  au  Capitole  et  dans  l'île;  l'un 
était  la  citadelle  de  la  ville,  l'autre  un  poste  avancé  faisant 
face  à  la  rive  étrusque  du  Tibre;  ces  deux  points  du  sol 
romain  jouaient  un  grand  rôle  dans  le  système  de  défense  de 
la  cité;  on  y  avait  localisé  le  culte  de  Vejovis  parce  qu'il  était 
lui-même  un  dieu  guerrier  :  n'est-il  pas  le  Jupiter  mauvais  et 
terrible,  celui  par  conséquent  dont  on  veut  attirer  les  coups 
sur  l'ennemi?  Du  jour  où  les  Romains  occupèrent  l'ile  tibérine 
et  songèrent  à  la  fortifier  pour  repousser  les  incursions  dçs 
Etrusques,  c'est-à-dire  dès  le  début  de  l'époque  républicaine 
on  y  fit  des  sacrifices  à  Vejovis... 

Jordan  s'est  rallié  à  cette  théorie  '^.  On  ne  peut  cependant 
l'adopter.  Le  dieu  n'a  jamais  eu  le  caractère  guerrier  que  lui 
attribue  gratuitement  Klausen.  C'est  de  Jupiter,  et  non  de 
Mars,  qu'il  faut  le  rapprocher.  Les  Romains  firent  des  sacri- 
fices dans  l'île  en  son  honneur  et  lui  élevèrent  un  temple  au 
Capitole,  parce  qu'ils  adoraient  en  ces  deux  endroits  Jupiter 
lui-même.  On  comprend  que  Vejovis  prit  place  au  Capitole. 
auprès  de  Jupiter  très  bon  et  très  grand,  optimus  maximus, 
considéré  dans  l'universalité  de  ses  manifestations  et  la  plé- 
nitude de  ses  attributions.  Pour  qu'on  l'ait  associé  aussi  au 
Jupiter  Jurarius  de  l'île  tibérine,  de  préférence  à  tout  autre,  il 
faut  qu'il  ait  eu  avec  lui  particulièrement  quelque  rapport  ou 
quelque  ressemblance. 

On  sait  seulement  de  ce  Jupiter  Jurarius  ce  que  nous 
apprennent  l'étymologie  de  son  nom  et  l'exemple  du  Zsjc  ipy.icç 
des  Grecs;  les  Anciens  voyaient  en  lui  le  dieu  des  serments 
et  des  promesses  ;  on  devait  dire  à  Rome  ce  que  disait  Pau- 
sanias    du    Zsj;    sp/.io;    dOlympie  :  «  il   inspire  l'effroi  aux 


1.  Liv.,  I,  30  ;  —  DioxYS..  III,  29  ;  —  Tac,  Ann..  XI,  21. 

2.  Tac,  Atin.,  II,  41  :  Sacrdrium  r/eiiti  Juliae  effiffiesque  divo  Auqnsto  apud 
Bovillas  dicantur. 

.3.  JoHDAN,  op.  cil.,  p.  ,366;  —  du  même  auteur,  Topoffr.  d.  St.  Rom,  t.  I,  1, 
p.  402. 


JUPITER    JURARIUS    ET   VEJOVIS  271 

hommes  injustes^  ».  Il  appartenait  aussi  à  Vejovis,  le  dieu 
des  expiations-,  de  faire  observer  les  serments  et  les  pro- 
messes; il  était  craint  surtout  des  criminels,  des  parjures,  de 
tous  ceux  qui  provoquaient  la  colère  du  ciel  par  leurs  méfaits 
et  leurs  manques  de  foi.  Les  Romains  attachaient  un  grand 
prix  aux  paroles  jurées;  ils  invoquaient  les  dieux  les  plus 
puissants  et  les  plus  terribles  pour  en  assurer  le  respect  et  en 
châtier  l'oubli.  Cette  tâche  convenait  également  à  Vejovis  et 
à  Jupiter  Jurarius.  L'analogie  de  certaines  de  leurs  fonctions 
nous  explique  leur  étroite  association  dans  l'île  tibérine, 

Il  n'est  guère  vraisemblable  que  le  culte  de  Vejovis  in  insula 
remonte  à  une  époque  reculée.  Les  conjectures  de  Klausen  et 
de  Jordan  ne  paraissent  point  fondées.  Ovide  déclare,  dans  les 
Fastes^  que  Jupiter  participe  aux  honneurs  rendus  à  son  petit- 
fils  :  il  avoue  donc  que  son  introduction  dans  l'île  est  posté- 
rieure, ainsi  qu'en  témoignent  d'ailleurs  d'autres  sources,  à 
celle  d'Esculape.  De  même,  sur  le  calendrier  de  Préneste,  à 
la  date  du  1*"' janvier,  Esculape  est  nommé  avant  Vejovis;  la 
fête  de  ce  jour  n'avait  lieu  tout  d'abord  qu'en  l'honneur  du 
dieu  de  la  médecine.  Vejovis  ne  s'est  établi  dans  l'île  que 
longtemps  après  l'arrivée  du  serpent  d'Epidaure.  Il  y  a  plus  : 
bien  loin  que  Jupiter  soit  substitué  à  lui,  comme  le  supposait 
Jordan,  on  a  le  droit  de  croire  que  les  événements  ont  suivi 
une  marche  toute  contraire.  Un  temple  avait  été  consacré  à 
Jupiter  Jurarios  Zîù;  op/,tsç  en  l'année  560/194.  Les  Romains 
décidèrent,  par  la  suite,  d'invoquer  l'antique  A^ejovis  dans  le 
temple  de  Jupiter  et  au  jour  de  sa  fête.  Cette  transformation 
est  peut-être  l'œuvre  d'Auguste.  Le  seul  document  qui  parle 
de  ce  dieu  à  propos  de  l'île  tibérine,  le  calendrier  de  Pré- 
neste, fut  rédigé  précisément  sous  son  principat.  La  gens  Julia, 
à  laquelle  il  appartenait,  avait  pour  Vejovis  une  dévotion  toute 
spéciale,  qu'atteste  la  dédicace  de  l'autel  de  Bovilla.  La  mesure 
que  nous  lui  prêtons  ne  serait  qu'une  application  de  ses  vues 

1.  Pausan.,  V,  24,  2. 

2.  Pheller  {loc.  cit },  rappelle  que  le  temple  de  Vejovis  sur  le  Capitole  était 
voisin  de  l'asile  fondé  d'après  la  tradition  par  Romulus  et  où  venaient  se 
réfugier  les  coupables  pour  obtenir  leur  pardon.  Sehvius  [ad  Ain.,  H,  761) 
rapporte  que  l'asile  du  Capitole  était  sous  la  protection  du  dieu  Lucaris,  quem 
locum  deus  Lycoris,  sicut  Piso  ait.  curare  dicitur.  Or  il  n'y  avait  pas  de  dieu 
Lucaris,  ni  à  Rome  ni  en  Grèce.  Mais  les  Grecs  adoraient  Apollon  AuxtôpT)?  ou 
Auxwpeyi;,  Apollon  puriûcateur.  C'est  à  lui  sans  doute  que  songeait  Servius,  — 
et  l'on  sait  que  Vejovis  était  confondu  assez  souvent  avec  Apollon  (Cf.  Gell., 
loc.  cit.). 


272  LES   CULTES    SECONDAIRES 

générales  en  matière  religieuse.  Ne  s'était-il  pas  proposé  de 
restaurer  les  cultes  nationaux  trop  délaissés,  de  rappeler  les 
Romains  à  la  foi  des  ancêtres?  N'avait-il  pas  relevé  les 
temples,  fait  revivre  les  collèges  sacerdotaux,  multiplié  les 
sacrifices,  invité  les  poètes,  devenus  ses  auxiliaires  et  ses  col- 
laborateurs, à  chanter  la  religion  italique  '  ?  Jupiter  Jurarius 
était  demeuré  pour  les  Romains  un  étranger  ;  il  n'était  pas 
populaire  parmi  eux  :  son  nom  n'apparait  jamais  dans  les 
auteurs  et  ne  se  rencontre  qu'une  ou  deux  fois  sur  les  inscrip- 
tions. En  instituant  dans  son  temple  la  fête  nouvelle,  Auguste 
se  conformait  aux  traditions  pieuses  de  sa  famille  et  il  confon- 
dait le  culte  peu  répandu  d'une  divinité  exotique  avec  celui 
d'un  dieu  respecté  du  Latium. 

Dans  l'Ile  tibérine,  à  l'époque  impériale,  s'élevait  une  statue 
de  Jules  César*.  Elle  devait  être  située  dans  le  voisinage 
du  temple  de  Jupiter  3.  Auguste  lui-même,  selon  toute  appa- 
rence, avait  érigé  à  cette  place  l'image  du  représentant  le  plus 
illustre  de  la  gens  Julia,  en  même  temps  qu'il  fondait  tout 
auprès  un  sacrifice  annuel  en  l'honneur  du  Vejovis  protecteur 
des  Juin. 


{.  Cf.  BoissiER,  la  Religion  romaine  ir Auguste  aux  Anlonins,  t.  1,  p.  73; 
Gakdthausen,  Augustus  rind  seine  Zeit,  t.  I,  p.  863  ;  t.  II,  p.  507. 

2.  Cf.  ci-dessus,  p.  58. 

3.  Hypothèse  émise  par  Klausen,  op.  cit.,  t.  II,  p.  1097. 


CHAPITRE  II 
LA    STATUE  DE  SEMO  SANGUS 


La  dédicace  de  Sextus  Pompeius  Mussianus.  —  On  a  trouvé 
dans  l'île  tibérine,  en  l'année  1574,  rinscription  suivante,  gra- 
vée sur  une  base  de  marbre  qui  devait  servir  de  piédestal  à 
une  statue  '  : 

Semoni  \  Sanco  \  Deo  Fidio  \  sacfmn  \  Sex[tus)  Pompeius 
Sp{uni)  fiilius)  \  Col[lina  tribu)  Mussianus  \  qiiinquennalis 
j  decuriise)  \  bidentalis  \  donuiii  dédit. 

(i  A  Semo  Sancus  Deus  Fidius,  Sextus  Pompeius  Mussianus, 
tîls  de  Spurius,  de  la  tribu  Collina,  magistrat  quinquennal  de 
la  décurie  bidentale^,  a  offert  et  consacré  ce  don.  » 

La  magistrature  religieuse  qu'exerçait  l'auteur  de  cette 
dédicace  est  rappelée  sur  l'épitaphe  de  son  fils,  découverte  aux 
environs  de  Rome,  à  Gallicano"'  : 

[Sex[to?)  P]ompeio  [Sex{ti)  f{ilio)  \  P]ai{atina  tribu)  Bœ- 
b[iano  \  scrib]œ  qu3s[storio  \  scrib]œ  œdil[cio  \  Sex[tus)P]om- 
j)[eius  Sp[urii)  f[ilius)  |  Col[lina  tribu)]  Mussianus  \  [quin- 
que]nnalis  decuriœ  \  [sacerdo]tium  videntalium  \  [et  Bœbi]a 
[b]lora  mater  \  [filio]  piissitno. 

«  A  leur  fils  très  pieux  Sextus  Pompeius  Bsebianus,  fils  de 
Sextus,  de  la  tribu  Palatina,  scribe  du  questeur,  scribe  de 
l'édile,  Sextus  Pompeius  Mussianus,  fils  de  Spurius,  de  la  tribu 
Collina,  magistrat  quinquennal  de  la  décurie  des  sacer dotes 
videntales'',  et  Baebia  Flora,  sa  mère.» 

L'inscription  de  l'île  tibérine  atteste  que  Semo  Sancus  Dius 

1.  C.  I.  L.,  VI,  r>67  (cette  inscription  est  conservée  au  musée  du  Vatican). 

2.  Remarquer  la  forme  decuriœ  bidentalis  pour  decuriœ  sacerdotum  biden-^ 
tait  uni. 

3.  C.  I.  L.,  XIV,  2839. 

4.  La  forme  videntalium  pour  bidentalium  se  retrouve  sur  les  inscriptions 
que  portent  les  tuyaux  de  plomb  découverts  au  Quirinal  (Cf.  ci-dessous,  p.  281). 

18 


•274  LES    CULTi:S    SECONDAIRES 

Fidins  était  l'objet  à  cet  endroit  d'un  culte  particulier,  confié 
aux  soins  du  collège  des  hiclentales.  Aucun  document  épigra- 
phique  ou  littéraire  ne  fait  mention  d'un  temple  ou  d'une  cha- 
pelle de  ce  dieu  m  insu/aK  II  est  certain,  du  moins,  qu'il  avait 
une  statue  dans  l'ile  à  l'époque  impériale. 

La  légende  de  Simon  le  Magicien.  —  Un  passage  très  discuté 
de  la  Première  Apologie  à  Antonin  le  Pieux  nous  donne  de 
ce  fait  une  confirmation  indirecte.  Saint  Justin,  s'adressant 
aux  Romains,  leur  dit  :  «  Simon  de  Samarie,  né  dans  le  bourg 
de  Gitton,  est  venu,  sous  le  règne  de  l'empereur  Claude,  dans 
votre  ville  royale,  et  par  des  artifices  magiques  et  démo- 
niaques il  s'est  fait  passer  pour  un  dieu  ;  vous  lui  avez  rendu 
des  honneurs  divins  et  dressé  une  statue,  qui  fut  placée  au 
milieu  du  Tibre,  entre  les  deux  ponts;  elle  portait  cette  ins- 
cription en  latin  :  Simoni  Deo  sancto,  à  Simon,  dieu  saint.  Et 
presque  tous  les  Samaritains,  et  quelques  hommes  d'autres 
races,  le  tenant  pour  le  premier  des  dieux,  l'adorèrent^.  » 
Saint  Irénée,  TertuUien,  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  Eusèbe, 
Théodoret,  saint  Augustin  parlent  également  de  cette  statue 
romaine  de  Simon  le  Magicien-'.  Tous  ces  écrivains  sont  posté- 
rieurs à  saint  Justin  et  paraissent  ne  s'être  inspirés  que  de  lui 

1.  Cf.  AusT,  de  Aidibus sacris popicli  romani,  p.  31,  n"  !'4:  —  Kiki'kiit-(Iiei,skx. 
Nomencl.  fopogr.,  p.  87  ;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.,  p.  620.  Tous  ces  auteurs 
parlent  d'un  lemplum  ou  aedes  Semonis  Sanci  ou  DU  Fidii  in  insula.  Dans  les 
textes  auxquels  ils  renvoient,  il  n'est  question  que  d'une  statue,  et  nullement 
d'un  temple. 

2.  Justin.  Martyii,  Apol.  ]'r.,  2fi  :  i^i[j.(ova  [lÉv  Ttva  SajxapÉa,  tov  àirb  xw(xr,; 
XeyoïxÉvifjî  Ft—wv,  o;  èitl  KXayStov  Katirapo;  oià  tt,;  twv  àvspyo-jvTwv  Sai(iôvwv 
xé^vir,;  S'jvaiici;  notr,<Ta;  iiayiy.à;  âv  tt)  TtôXsi  -JtJiôiv  jSacrO.t'Si  'P(î)|i.r,  Ocô;  èvojitfTÔT)  xai 
àvSptâvTt  îTap'  ôiiwv  «ô;  Oeô;  TîTipLTjTat.  o;  àvSptà;  àvevriYEp-at  iv  tm  Tt'êspi  7iOTa|i»i) 
jjieTaÇy  -roiv  8-jo  y^tP^Pw^,  ëywv  è7ttYpayT,v  pw|xa'tV.r,vTa-jTr,v  "  SlMON'l  DEO  S.VNCTO. 
Kal  ajrEÔbv  uiv-sc  [aÈv  Sapiapst;,  oXt'yot  6è  xal  èv  a).Xot;  sôveo-tv,  w;  tôv  TrpoJTov 
6ebv  èstEÏvov  ôiioXoyo-jvTSc»  èxsïvov  xaî  irpoo-xyvoOin.  —  Plus  loin,  saint  Justin  re- 
vient encore,  plus  brièvement,  sur  le  même  fait,  sans  parler  de  l'ile  tibérine, 
Apol.  Pr.,  66  :  Kal  yàp  Ttap'  ûiaïv,  w;  7tpo£çr,[A£v,  iv  tf)  ^aai/.î8i  'Pw(i.r,  im  KXa-jSt'ou 
Kat<rapo;  yevôjjiîvo;  ô  Sl[xwv  xal  ttiV  îîpàv  (T-jYx).r,Tov  xal  xbv  ôf,îx,ov  'PwpLatMv  e!; 
to<jo-jto  xarsTtATjSaTo,  w;  Oeôv  vo|xiaÔf,vat  xal  àvôptivTt,  «o;  toÙ;  ôtXXoy;  irap  '•j\tXv 
•ri(ia)[i£voy;  ÔôO'jî,  TtiiriOfiVai. 

3.  Ikex.,  Coulra  hseres.,  I,  23  :  Quippe  ctnn  essel  sub  Claudio  Cœsare.  a  f/uo 
eliain  statua  honoralus  esse  dicilur  propler  ma(/icam.  — Tertlll.,  Apologel. 
adv.  génies,  13,  s'adressant  aux  Romains  :  Siinonem  magum  statua  et  inscriplione 
sancli  dei  inauguralis.  —  Cykill.  IIiekosol.,  Cnlechenis,  VI,  14  :  Kal  ÈTiXàvriiÉ  ts 
o'JTw  Tr,v  'Pw|Aat'(i>v  TtôXiv,  <ô<tt£  KXaOôtov  àvSpiâvra  a-jto-j  (r:f|<xat,  viTtoypi'J/avTa 
Tïj 'Pcojiaîwv  yXwTTTji-IMûNI  AEO  XAPKTû  -oTtep  £p|xr,v£-j6|jLevov  SrjXoî,  iIi|Afjivi 
ôeû  iyitù.  —  Euseb.,  Ilisl.  eccles.,  11,  14  (sous  Claude)  :  'ETtiêà;  ôe  tt,;  'Pwjjuxîwv 
tî^Xew;  (TUvaipo|jivTi;  ajtw  xà  ixeyiXa  xf,;  èçeSpevoyffr,;  êvxavOa  Suvâ^sco;  èv  ôXiyw 


LA  STATUE  DE  SEMO  SANCUS  27:i 

seul;  ils  répètent  son  récit,  sans  y  rien  ajouter.  Ils  sont,  d'ail- 
leurs, moins  explicites  que  l'auteur  de  V Apologie  à  Antonin; 
ils  ne  donnent  pas  tous  le  texte  de  la  dédicace,  aucun  ne 
nomme  l'île  tibérine  ni  ne  dit  où  était  située,  à  Rome,  l'image 
de  l'imposteur.  On  peut  donc  s'en  tenir,  en  définitive,  au  seul 
témoignage  do  saint  Justin,  dont  dérivent  tous  les  autres. 
Mais  il  suffit  de  se  reporter  au  document  découvert  en  1574 
pour  qu'on  se  demande  aussitôt  si  l'apologiste  n'a  pas  com- 
mis une  grossière  méprise  et  confondu  Simon  le  Magicien 
avec  Semo  Sancus  ;  en  ce  qui  concerne  l'histoire  du  faux  pro- 
phète samai'itain,  son  assertion  n'aurait  pas  de  valeur;  au 
point  de  vue  du  culte  de  Semo  Sancus  in  insida,  elle  serait,  au 
contraire,  très  importante  et  mériterait  qu'on  la  prît  en  consi- 
dération; l'inscription  de  1574  permettrait  de  lui  rendre  son 
véritable  sens  et  nous  garantirait  son  exactitude. 

Quelques  autours  modernes  persistent  à  croire  que  saint  Jus- 
tin ne  s'est  pas  trompé  et  que  les  Romains  érigèrent  réelle- 
ment dans  l'île  une  statue  en  l'honneur  de  Simonie  Magicien  ^ 
Il  est  vrai,  disent-ils  que  l'apologiste  était  un  Grec,  mais  il 
connaissait  parfaitement  la  langue  et  les  usages  des  Romains, 
il  écrivait  pour  les  convertir,  il  avait  lui-même  vécu  à  Rome; 
pourquoi  lui  imputer  une  erre^ir  si  forte,  qui  aurait  frappé  tous 
les  yeux  ?  comment  admettre  que  cette  erreur  ait  été  repro- 
duite ensuite  sans  hésitation  par  tant  d'écrivains,  dont  plusieurs 
comme  Tertullien  par  exemple,  étaient  parfaitement  au  courant 
des  croyances  et  des  superstitions  romaines,  et  en  état  de  con- 
trôler et  de  corriger  tout  ce  qu'avançait  leur  prédécesseur? 

TOTo-jTOv  Ta  TT,;  èirtyîtprjTewç  TiVutto  w;  xai  àvôptavTOC  àvaôÉaît  upô;  twv  zffit  oîa 
ÔEÔv  Tt(xr,6f,va'..  —  Theodoret.,  Hserelicx  fabulse,  I,  1  :  Eîç  tyjv  'Pwixr|V  àçt'xETo, 
KXa-jSiou  Kat'irapo;  pacriXs-jovTo;.  ToitoOtov  5e  'P(>)|J.atou;  -rat?  yoriTStatç  y.aT£7cXr,?£v 
w;  xal  <7Tr,).r,  Tt[j.r|6f|Vai  ya/.xr,.  —  Augustin.,  de  Haeresibiis,  l  :  Jovem  se  credi 
volehat,  Minervam  vero  meretricein  quamdaiti  Selenei»  quam  sibi  sociam  scele- 
ru)7i  feceraf,  hnaginesque  et  suam  et  ejusdem  discipulis  suispraebebat  adorandas. 
—  Un  manuscrit  des  Actes  apocryphes  des  saints  Pierre  et  Paul,  d'origine  ma- 
nichéenne, traduits  du  grec  en  latin,  parle  d'une  statue  élevée  à  Simon  dans 
Rome  par  son  disciple  le  sénateur  Marcellus  et  donne  un  autre  texte  de  la 
dédicace  que  celui  rapporté  par  saint  Justin  :  SIMONI  IVVENI  DEO,  en  grec 
SIIMONI  NEQ  (Lipsas,  Acta  Pétri,  Leipzig,  1891,  p.  57). 

1.  Voir  notamment  :  Baronius,  Annales,  ad  annum  4'»,  Rome,  1588-1607,  t.  I, 
p.  305-308  ;  —  W.  Esser,  des  lleiligeh  Petrus  Arifentlialt,  Episkopat  und  Tod 
zu  Rom,  Breslau,  1889,  p.  69.  —  Entre  la  publication  des  Annales  de  Baronius 
et  celle  du  mémoire  de  Esser,  cette  question  a  été  souvent  examinée  et  dé- 
battue. Les  principaux  ouvrages  d'histoire  ecclésiastique  où  elle  se  trouve 
résolue,  soit  dans  un  sens,  soit  dans  l'autre,  sont  cités  par  Esser,  toc.  cit.,  et 
par  Otto,  dans  son  édition  de  saint  Justin,  léna,  1876,  t.  I,  p.  78. 


2" 6  LES    CULTES    SECONDAIRES 

Saint  Justin  ne  cite  qu'une  seule  image  de  Simon  divinisé  ;  il  a 
pu  voir  dans  Rome  plusieurs  statues  de  Semo  Sancus  ;  nous 
savons  qu'il  en  existait  une  sur  le  Quirinal,  qu'on  a  retrouvée, 
avec  l'inscription  qui  l'accompagnait';  s'il  avait  confondu, 
comme  on  le  suppose,  le  dieu  et  le  Magicien,  il  n'aurait  pas 
manqué  de  rappeler,  au  lieu  de  l'unique  monument  figuré  de 
l'ile  tibérine,  tous  ceux  de  la  ville  qui  intéressaient  Semo  San- 
cus. Pourquoi  s'étonner  enfin  que  Simon  ait  été  regardé  par 
les  Romains  comme  un  dieu?  Une  vieille  et  célèbre  légende 
affirme  qu'il  a  séjourné  à  Rome.  En  Orient,  ses  sectateurs 
l'adoraient  et  lui  dressaient  des  autels,  ainsi  qu'à  sa  maîtresse 
Hélène,  qu'ils  appelaient  la  Raison  première- ;  ils  représen- 
taient Simon  sous  les  traits  de  Jupiter,  et  Hélène  sous  les  traits 
de  Minerve  ^.  Le  culte  de  Magicien  a  dû  se  répandre  également 
eu  Occident  et  se  faire  accepter  à  Rome,  oii  les  nouveautés 
venues  d'Orient  exerçaient  un  singulier  attrait  sur  la  foule 
crédule.  Dion  Cassius  ne  dit-il  pas,  à  propos  précisément  du 
règne  de  Claude,  que  toutes  les  religions  avaient  envahi  la 
ville,  que  tous  les  temples  et  tous  les  édifices  publics  étaient 
remplis  de  statues  et  d'offrandes  aux  dieux  ^? 

Cette  argumentation  spécieuse  est  loin  cependant  d'être 
convaincante.  H  semble  que  tous  les  efforts  tentés  jusqu'ici 
pour  défendre  une  interprétation  strictement  littérale  du  pas- 
sage de  V Apologie  soient  demeurés  vains.  Les  partisans  de 
saint  Justin  confondent  plusieurs  questions  qu'on  doit  distinguer 
avec  soin.  Il  s'agit  de  savoir  simplement  s'il  n'a  pas  mal  lu 
l'inscription  de  l'ile  tibérine,  abusé  par  la  ressemblance  des 


1.  Voir  ci-dessous,  p.  280. 

2.  Jdstin.  Martyk,  Apol.  Pr.,  26  :  Kal  *EA£vr,v  Ttvà,  ttjv  <rj(X7r£pivo<jTr|<jaiTav 
a-jTw  xat'  èxeïvo'j  tov  xaipo-j,  Ttpé-epov  èttI  ni^^o-jc^  (rraôetcrav,  Trjv  iii' a.'j-.Q~j  evvotav 
TîpwTTiV  Yevo[x£v)r)v  XÉyo'jTt. 

3.  Voir,  outre  le  texte  de  saint  Augustin  cité  plus  haut,  Pseido-Ci-emens. 
Recognit.,  II,  9  :  Adorabor  ut  deus,j)uhlicis  divinis  dunabor  honovibus,  itu  ut 
simuLacrum  mihi  statuenles  tanquam  deutn  colent  et  adorent.  —  Iren.,  Contra 
hœres.,  1,23,  in  fine:  Imaginem  qiioqiie  liahent  f'actaui  ad  fie/urani  Jovis  et 
Selenae  {aliter  tielenae)  in  figura  Minervœ,  et  lias  adorant.  Saint  Irénée  dis- 
tingue cette  statue  de  Simon  sous  les  traits  de  Jupiter  de  celle  que  lui  éleva 
Claude  et  qu'il  cite  au  même  paragraphe  quelques  lignes  plus  haut.  —  Epipiian., 
Adv.  liserés.,  21,3:  'AXXà  xal  sï-jcôva  tivà  irapîSéôwxE  toïc  a-jT(î),  w;  5f,6£v  aÙToC 
O'JTav.  Kal  Trpooxyvo-Jdtv  a-jTY)v  èv  eïSsi  Aiô;  'x/.ArjV  6È  wffauToi;  'EXivr,;  Etxôva 
TcapéSwxev  avTot;  £v  )rpr||xaTt  'A6r|Vâ;,  xal  Trpo(TX'jvoC<Ti  Ta'jxa;  oi  Trpb;  aùroO 
■Jinarriiiivot. 

4.  Cass.  Dio,  LX,  23  :  'II  TioÀt;  TtoXXwv  eïxovujv  èT:Xr,po-jTO  (i5f,v  yàp  àvior,v  :oï; 
PoyXojilvot;  èv  YP*?^i  ''•*'  '^''  '/.'"■'■'^'ï^  ^•'^'■"  "^  or,[t.o<ni\)£.adoii}. 


LA  STATUE  DE  SEMO  SANCUS  277 

noms,  et  cru  que  la  statue  de  Semo  Sancus  était  celle  de 
Simon  le  Magicien.  On  peut  admettre  que  l'imposteur  est 
venu  à  Rome,  qu'il  a  réussi  à  s'y  faire  passer  pour  un  dieu, 
que  les  Romains  lui  ont  dédié  des  statues,  sans  cesser  de  sou- 
tenir que  le  fait  particulier  relaté  par  l'auteur  de  V Apologie  à 
Anionin  est  inexacte 

Remarquons  tout  d'abord  qu'aucun  autre  écrivain  n'affirme 
que  l'image  de  Simon  était  située  «  au  milieu  du  Tibre,  entre 
les  deux  ponts  ».  Ceux  qui  parlent  plus  tard  des  honneurs 
divins  rendus  au  Magicien  par  les  Romains  ne  disent  pas  où  se 
trouvait  sa  statue  ;  cette  omission  ne  serait-elle  point  volontaire? 
L'erreur  commise  n'aurait-elle  pas  été  aperçue  et  signalée?  Le 
silence  des  contemporains  est  encore  plus  probant.  Saint  Jus- 
tin a  pu  se  tromper  lui-même  ou  se  laisser  abuser  par  quelque 
chrétien  de  Rome,  d'origine  étrangère.  Les  Romains  de  nais- 
sance qui  ont  écrit  à  la  même  époque  ou  au  siècle  suivant  des 
libelles  apologétiques  ou  de  polémique,  tels  que  saint  Hippo- 
h'te  par  exemple,  ne  mentionnent  même  pas  le  monument 
élevé  à  Rome  au  Magicien. 

La  légende  romaine  de  Simon  comme  on  l'appelle  généra- 
lement, est  plus  récente  que  la  tradition  rapportée  par  saint 
Justin,  et  toute  différente;  elle  la  contredit  même  sur  quelques 
points.  C'est  un  décalque  de  la  légeiide  syrienne  du  même  per- 
sonnage, tardivement  localisée  à  Rome  :  en  présence  de  l'em- 
pereur Néron,  les  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul  s'unissent 
pour  combattre  l'imposteur  samaritain  ;  Simon  veut  s'envoler 
dans  les  airs,  afin  de  montrer  sa  toute-puissance  magique;  les 
prières  de  saint  Pierre  conjurent  ses  sortilèges  ;  il  tombe  sur 
le  pavé  du  Forum  et  se  brise  les  os  2.  D'après  cette  version, 
le  séjour  du  Magicien  à  Rome  aurait  eu  lieu  sous  le  règne  de 

1.  M«'  DuCHKSNE,  les  Oriqines  chrétiennes  (cours  autographié,  Paris,  s.  d.), 
p.  92.  —  Cf.  du  même  auteur,  dans  le  Bullelt.  diarcheol.  crisl.,  1882,  p.  106.  — 
M"''  Duchesne  conteste  l'affirmation  de  saint  Justin  et  veut  montrer  que  Simon 
n'a  pas  eu  de  statue  dans  l'île  tibérine;  Parmi  les  arguments  qu'il  fait  valoir, 
il  en  est  un  qu'on  ne  saurait  adopter  :  les  disciples  de  Simon  n'auraient  pu  lui 
consacrer  une  statue  dans  l'île  où  se  trouvaient  les  sanctuaires  de  plusieurs 
anciennes  divinités  romaines  ;  le  culte  nouveau  d'un  magicien  oriental 
n'aurait  pu  s'établir  si  près  des  cultes  de  Jupiter,  de  Faunus,  d'Esculape.  En 
réalité,  tous  ces  sanctuaires  prétendus  anciens  sont  de  fondation  relativement 
récente  et  l'île  recevait  justement  sur  son  territoire  les  cultes  que.  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  on  ne  voulait  pas  admettre  dans  la  cité  même,  à 
côté  des  vieux  cultes  urbains. 

2.  Le  plus  ancien  texte  qui  fasse  allusion  à  la  légende  romaine  de  Simon  le 
Magicien  est  l'ouvrage  anonyme  des  Philosophirmena,  écrit  vers  l'année  22o  : 


278  LES   CDLTES   SECONDAIRES 

Néron;  saint  Justin  la  place  sous  le  règne  do  Claude,  une  quin- 
zaine d'années  })lus  tôt.  Elle  assure  que  les  Ai)ô<res  emj)êclièrent 
Simon  de  se  faire  reconnaître  comme  un  ilieu  par  les  Romains; 
saint  Justin  laisse  clairement  entendre  que  rapothéose  ne 
souffrit  aucune  difficulté.  La  légende  romaine  n'a  rien  de  com- 
mun avec  notre  récit  et  ne  peut  être  invoquée  pour  le  justifier. 
L'apologiste  déclare  qu'il  y  avait  de  son  temps  dans  l'ile  tibé- 
rine  une  statue  de  Simon  le  Magicien  avec  une  inscriiidon  qui 
lui  était  dédiée  :  Simoni  Deo  Sancto.  Nous  savons  (lu'il  exis- 
tait à  cette  i)lace  une  statue  et  une  inscription  de  Scmo  Saii- 
cus,  Semoni  Sanco  Deo.  Le  seul  rapprochement  de  ces  deux 
textes  fait  ressortir  l'erreur  de  saint  Justin  et  l'explique.  C'est 
bien  rinscri])tion  retrouvée  en  1574  qu'il  a  vue  dans  l'ile  ou 
qu'a  relevée  le  chrétien  qui  l'a  renseigné.  Il  a  rédigé  son  ou- 
vrage aux  environs  de  l'année  140'.  L'inscription,  (f.iprrs  las- 
pect  des  lettres,  leur  ferme  tracé,  leur  belle  gravure,  ne  peut 
être  postérieure  au  if  siècle  de  l'ère  chrétienne^.  Il  est  natu- 
rel que  saint  Justin  ait  cru  qu'elle  remontait  au  règne  de 
Claude,  à  l'époque  môme  oii  vivait  le  Magicien.  Comment 
s'étonner  de  la  faute  de  lecture  qu'il  a  faite  ?  Il  a  pris  les  mots 
Semoni  Sanco  pour  Simoni  Sancto;  l'E  en  latin  était  quel- 
quefois indûment  employé  à  la  place  de  l'I;  Suétone  attribue 
les  premiers  désordres  provoqués  dans  Rome  par  la  présence 
des  disciples  du  Christ  aux  excitations  d'un  certain  Chrestus"^; 
un  étranger,  un  grec  chrétien,  qui  connaissait  l'histoire  de 
Simon  le  Magicien  et  qui  avait  le  droit  assurément  d'ignorer 
le  culte  de  Semo  Sancus,  a  pu  croire  qu'une  inscription  consa- 
crée à  ce  dieu  s'adressait  à  l'imposteur.  Si  bien  informé  que 
soit  en  général  saint  Justin,  on  a  relevé  dans  son  œuvre  des 
négligences  plus  graves  et  moins  excusables  :  il  cite  avec  con- 


Simon  se  fait  enterrer  vivant,  disant  qu'il  ressuscitera  quand  il  le  voudra  ; 
les  prières  de  saint  Pierre  empêchent  qu'il  tienne  sa  gageure,  et  il  meurt. 
C'est  seulement  au  cours  du  m*  siècle  et  au  début  du  i\"  que  la  légende  prend 
sa  forme  définitive.  Elle  est  exposée  dans  les  Actes  apocryphes  des  apôtres 
saint  Pierre  et  saint  Paul,  les  Actes  des  saints  Nérce  et  Achillée,  les  Actes 
des  saints  Processus  et  Martinien.  Cf.  Ms'  Duchesne,  les  Origines  chréfiennes. 
p.  95;  —  et  A.  Dufolrcq,  Etude  sur  les  Gesta  marlyrum  romains,  p.  H'2. 

1.  On  lit  en  eil'et  au  chapitre  46  :  llpb  èT(ôv  éxa-rov  itEVTT|Xovta  ysyEvvfi'TOai 

tôv   XpiOTÔV. 

2.  C.  L.  Viscosii,  Di  un  siinulacro  del  dio  Semo  Sancus,  dans  les  Sltuli  di 
sloria  e  diritto,  1881,  p.  12o. 

3.  SuETON.,  Claud.y  23  (Claudius)  Judaeos,  impulsore  Chreslo  assidue  iumul- 
tuanles,  Roma  expulit. 


LA    STATUE    DT;    SEMO    SANCLS  279 

fiance  les  apocryphes,  il  fait  d'Hérode  un  contemporain  de 
Ptolémée  Philadelphe  ' .  Peu  importe  qu'il  ait  passé  sous  si- 
lence les  autres  statues  de  Semo  Sancus  à  Rome  pour  ne  citer 
que  celle  de  l'île  tibérine.  Peut-être  ne  connaissait-il  que  cette 
dernière  :  un  grand  nombre  de  chrétiens  habitaient  les  quar- 
tiers pauvres  du  Transtévère^;  ils  ne  pouvaient  manquer 
d'apercevoir,  en  traversant  l'ile,  la  statue  de  Semo;  le  Quirinal 
était  plus  éloigné  de  leurs  demeures  habituelles,  et  ils  auraient 
dû,  pour  y  déchiffrer  les  dédicaces  consacrées  au  dieu,  péné- 
trer à  l'intérieur  même  de  son  sanctuaire.  Peut-être  aussi  les 
inscriptions  du  Quirinal  prêtaient-elles  moins  à  l'équivoque; 
deux  d'entre  elles,  qui  nous  ont  été  conservées,  commencent 
par  les  mots  Sanco  Sancto  Seîno?i[i)  et  Semoni  Sanco  Sancto 
Deo  ;  on  comprend  qu'elle  n'aient  pas  aussi  bien  rappelé  aux 
chrétiens  le  souvenir  de  l'imposteur  Simon. 

L'erreur  de  saint  Justin  paraît  bien  évidente  et  indéniable. 
De  ce  passage  de  V Apologie  à  Antonin  il  n'y  a  qu'une  chose 
à  retenir  :  c'est  qu'au  ii"  siècle  de  l'ère  chrétienne  la  sta- 
tue de  Semo  Sancus  dans  l'île,  dont  l'inscription  de  1574  nous 
prouve  d'autre  part  l'existence,  passait  auprès  de  quelques 
chrétiens  de  Rome  d'origine  étrangère.  Grecs  ou  Orientaux, 
pour  l'image  de  Simon  le  Magicien. 

Le  culte  de  Semo  Sancus  à  Eome.  —  Nous  connaissons  par 
d'autres  documents  que  l'inscription  de  1574  et  le  texte  de 
saint  Justin  le  culte  que  les  Romains  rendaient  à  Semo  Sancus  ; 
il  est  nécessaire  d'y  recourir  pour  savoir  ce  qu'était  en  réalité 
ce  dieu  et  pourquoi  un  petit  monwment  en  son  honneur  s'élevait 
auprès  des  temples    d'Esculape,   de   Jupiter  et   de  Faunus  ^. 

D'après  la  tradition,  Semo  Sancus  Deus  Fidius,  ou  mieux 
Semo  Sancus  Dius  Fidius^,  serait  un  roi  sabin  divinisé^.  Son 
culte  aurait  été  introduit  dans  la  cité  romaine  par  les  Sabins 

1.  Me'  DUCHESNE,   op.  cit.,  p.  93. 

2.  Rexax,  Saint  Paul,  Paris,  1883,  p.  101. 

3.  Sur  le  culte  de  Semo  Sancus,  consulter  :  Preller-Jordan,  Rœm.  Mythol., 
t.  II,  p.  274  ;  —  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Topogr.  d.  St.  Rom.  t.  I,  p.  21o  ;  t.  III, 
p.  371  ;  —  E.  Janxetaz,  Etude  sur  Semo  Sancus  Fidius,  Paris,  188a  ;  —  art. 
Dius  Fidius  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.  de  Dabemberg  et  Sagmo,  par  Jlllian, 
et  dans  le  Lexicon  de  Roscher,  par  Wissowa  ;  —  Fowler,  the  Roman  festi- 
vals, ç.  133;  — Ai'ST,  die  Religion  der  Rœmer,  Munster,  1899,  p.  136. 

4.  La  forme  Dius  Fidius  paraît  la  plus  ancienne  et  la  plus  exacte  ;  c'est 
celle  que  donne  le  calendrier  de  Venouse  (C.  1.  L.,  I,  2'  éd.,  p.  221). 

5.  Ovin.,  Fast.,  VI,  213;  —  Propert.,  IY,  9,  74;  —  Sil.  Itau.,  VIII,  422;  — 
AnGDSTiN.,  de  Civ.  Dei,  XVIII,  19  ;  —  Lactant.,  Divin,  instit.,  I,  15,  8. 


2S0  LES   CCLTES    SECONDAIRES 

de  Cures,  venus  avec  leur  roi  Titus  Tatius  s'établir  sur  la  col- 
line appelée  depuis  Quirinal*.  Aussi  est-ce  au  Quirinal  que  se 
trouvait  son  principal  sanctuaire,  non  loin  de  la  porta  Sanr/na- 
lis,  qui  tirait  son  nom  de  ce  voisinage  même'-'.  Il  est  souvent 
question  de  ce  temple  dans  les  auteurs  anciens "^  Il  aurait  été 
bâti  par  Tarquin,  mais  consacré  seulement  en  288/4()B,  par  le 
consul  Spurius  Postumius''.  La  fôte  anniversaire  de  sa  dédi- 
cace était  célébrée  le  5  juin  '.  On  y  gardait  la  statue,  la  que- 
nouille et  le  fuseau  de  Tanaquil  ou  Gaia  Cfecilia,  proposée 
comme  modèle  aux  matrones  romaines".  Nous  savons  dans 
quelle  région  du  Quirinal  il  était  situé  :  le  couvent  de  Saint- 
Silvestre  a  Monte  Cavallo  et  ses  dépendances  recouvrent 
l'emplacement  qu'il  occupait  dans  l'antiquité^.  Une  inscription 
consacrée  à  Semo  Sancus  a  été  trouvée  en  1590  dans  les  jar- 
dins de  ce  monastère*^; 

Sanco  Sancto  Semon{i)  \  Deo  Fidio  sacrum  \  decitria  sa- 
cerdotum  \  bidentalimn  reciperatis  |  vectigalibus. 

«  A  Semo  Sancus  Deus  Fidius,dieu  saint,  offrande  consacrée 
par  la  décurie  des  saceî'dotes  bidentales^  avec  l'argent  des  re- 
venus qu'elle  a  recouvrés^.  » 

Cette  inscription  ressemble  à  celle  qu'on  avait  découverte 
dans  l'île  tibérine  seize  ans  auparavant.  Dans  l'une  et  l'autre 
le  dieu  est  désigné  sous  ses  quatre  noms;  elles  sont  offertes 
toutes  les  deux  par  des  prêtres  bidentales.  Le  mot  vectigalia 
signifie  proprement  :  impôt  de  douanes.  Jordan  en  conclut  que 
le  collège  des  bidentale>>  avait  obtenu  d'un  empereur  du  ii"  ou 
du  III*  siècle  la  concession  du  produit  de  certains  impôts  doua- 
niers pour  subvenir  aux  dépenses  du  culte '*^.  Il  est  plus  pro- 
bable qu'il  ne  convient  pas  d'attribuer  ici  à  ce  mot  un  sens  si 
étroit,  et  qu'il  vaut  mieux  le  regarder  comme  un  simple  syno- 
nyme de  reditus,  revenus. 

1.  Tertull.,  ad  Nationes,  II,  9. 

2.  Festus,  p.  345  :  Sanqiialis  porta  appellaluv  proxima  sedi  Sanci. 

3.  Alst,  de  Mdibus  sacris  populi  romani,  p.  6,  n°7; —  Kiepert-Hurlskx, 
Nomencl.  toponr.,  p.  81  ;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.,  p.  429. 

4.  DioxYS.,  IX,  GO. 

5.  DioxYS.,  loc.  cit.;  —  Ovid.,  Fast.,  VI,  213;  —  C.  I.  L.,  I,  2*  f^d.,  p.  220. 
sur  le  calendrier  de  Venouse,  aux  nones  de  juin,  cinquième  jour  du  mois  : 
Dio  Fidio  in  Colle. 

6.  Plin.,  Hi.-il.  7iat.,  VIH,  48(7i);  —  Pllt.,  Quœst.  rom.,  30;  —  Festus,  p.  2il. 

7.  Cf.  HuELSEX  dans  le  Hheinisches  Musenm,  1894,  p.  409. 

8.  C.  I.  L.,  VI,  .'ÎGS  (maintenant  au  musée  de  Naples). 

9.  Reciperatis  pour  recuperatis. 

10.  Jordan,  Ann.  delVInstit.  archeol.,  1885,  p.  108. 


LA    STATUE    DE    SEMO    SANCUS  281 

On  a  recueilli  eu  1887  sur  le  Quirinal,  aux  abords  du  mo- 
nastère de  Saint-Silvestre  a  Monte  Cavallo  un  certain  nombre 
de  tuyaux  de  plomb  qui  servaient  à  la  conduite  des  eaux;  ils 
portent  inscrits,  comme  c'était  l'habitude  à  Rome,  le  nom  des 
personnages  ou  des  associations  auxquels  appartenaient  les 
terrains  qu'ils  traversaient.  Trois  d'entre  eux  se  rapportent  à 
cette  decuria  uicerdotum  hidentalium  que  les  textes  épigra- 
phiques  nous  montrent  si  étroitement  associée  au  culte  de 
Semo  Sancus*  : 

Dec[uria)  sacerdotinm  videntalium  XXllI 
Dec[uria)  sacerdotium  videntalium  XXIIl 
Dec{uria)   sacerdotium  videntalium,  IIIVXXX 

La  décurie  devait  être  propriétaire,  sur  la  colline,  du  temple 
de  Semo  et  de  ses  environs. 

On  conserve  au  musée  du  Vatican  une  statue  virile  en 
marbre,  un  peu  plus  petite  que  nature,  trouvée  en  1880  sur  le 
Quirinal'.  Elle  représente  un  homme  debout,  nu.  jeune  et 
imberbe,  qui  rappelle  par  son  attitude  et  sa  facture  un  peu 
dure  le  type  bien  connu  de  l'Apollon  archaïque  ;  c'est  la 
copie  d'un  original  de  bronze 3.  La  statue  repose  sur  une  bat-o 
de  marbre,  haute  d'un  mètre,  découverte  en  même  temps 
qu'elle'*.  L'inscription  du  piédestal  est  conçue  à  peu  près  dans 
les  mêmes  termes  que  les  deux  dédicaces  à  Semo  Sancus  pré- 
cédemment citées"^  : 

Semoni  Sanco  |  Sancto  Deo  Fidio  \  sacrum  \  decuria  sa- 
cerdot[iim)  \  hidentalium. 

«  A  Semo  Sancus  Deus  Fidius,  dieu  saint,  offrande  consa- 
crée par  la  décurie  des  sacer dotes  hidentales.  >•> 


i.  Gatti,  Bullelt.  Comiin.,  1881,  p.  8  ;  —  R.  Laxciani,  Fistole  aquarie,  Nuova 
Sylloge,  Rome,  1887,  p.  15. 

2.  C.  L.  ViscoNTi,  communication  à  la  séance  du  20  janvier  1881  de  la  Pontificia 
Accademia  romana  d>.  archeologia,  dans  les  Dissert.  delV  Accad.,  série  II,  t.  II. 
p.  21  ;  —  R.  Lanciani,  Bullelt.  Comun.,  1881,  p.  4;  —  G.  L.  Visc.onti,  Di  un  simit- 
lacro  del  dio  Semo  Sancus  dans  les  Sludi  di  storia  e  diritlo,  1881,  p.  105 
(avec  planche)  ;  —  Jordan,  Statua  vaticana  di  Semone  Sanco,  dans  les  Ann. 
deir  Instit.  archeol.,  1883,  p.  103  (avec  planche). 

3.  Les  avant-bras  manquaient  et  ont  été  restaurés:  l'arc  que  tient  la  main 
droite  et  l'oiseau  symbolique,  avis  sanqualis,  qui  repose  sur  la  main  gauche, 
sont  dus  à  l'imagination  du  restaïu-ateur  moderne. 

4.  On  a  découvert  d'abord  la  statue,  moins  les  mains  et  les  pieds,  puis  les 
pieds  et  la  base.  Les  auteurs  de  la  trouvaille  n'ont  pas  voulu  indiquer  exacte- 
ment l'endroit  où  ils  l'avaient  faite.  On  sait  seulement  que  c'est  «  entre  la 
Pinzza  del  Popolo  et  la  Piazza  Barberini  ». 

5.  Publiée  en  même  temps  que  la  statue,  locis  cilatis. 


282  LES   CULTES    SECONDAIRES 

Ce  mommicnt  tij^uiv  provient  sans  aucun  doute  du  tenii)le 
in  colle.  Il  est  possible  que  la  statue  de  l'ile  tibérine  ressem- 
blât à  celle-ci  et  reproduisît  le  môme  modèle,  qu'on  était 
convenu  de  regarder  comme  l'image  officielle  de  Semo  Sancus. 

Une  petite  tablette  de  bronze,  haute  de  0'°,045,  longue  de 
0",017,  concerne  encore  le  culte  romain  de  ce  dieu.  Elle  a 
été  mise  en  vente  à  Rome,  il  y  a  dix  ans,  par  un  marchand 
d'antiquités,  sans  indication  d'origine  ;  quelques  mots  y  sont 
gravés*  : 

Sanco  Deo  \  Fidio  \  d{oniim)   d(edit). 

Le  texte  est  évidemment  incomplet;  une  autre  tablette, 
maintenant  perdue,  contenait  les  noms  du  dédicant  et  le  pre- 
mier nom  du  dieu,  Semoni,  a  qui  ce  donarium  avait  été 
offert  en  reconnaissance  d'une  faveur  obtenue  par  son  entre- 
mise. M.  Gatti  suppose  qu'on  l'a  ramassé  dans  les  débris 
extraits  du  Tibre  au  cours  des  travaux  de  systématisation;  il 
proviendrait  de  l'île  tibérine,  comme  les  tablettes  votives  et 
les  donaria  d'Esculape.  Mais  il  n'est  pas  prouvé  que  Semo 
Sancus  ait  eu  entre  les  deux  ponts  un  temple,  comme  Escu- 
lape,  ni  même  une  simple  chapelle.  Peut-être  les  fidèles 
venaient-ils  apporter  leurs  ex-voto  au  pied  de  sa  statue. 
Peut-être  aussi  cette  lamelle  de  bronze  a-t-elle  été  découverte, 
non  pas  dans  le  Tibre,  mais  sur  la  colline  Quirinale,  où  ont 
eu  lieu  également,  pendant  ces  dernières  années,  de  grands 
travaux  d'édilité. 

Caractère  et  nature  de  Semo  Sancus.  —  Que  représentait 
Semo  Sancus  Dius  Fidius?  C'est  une  très  vieille  divinité  ita- 
lique, dont  le  culte  n'avait  plus  à  l'époque  historique  qu'une 
importance  secondaire,  mais  qui  paraît  avoir  joué  un  grand 
rôle  dans  la  primitive  religion  nationale,  avant  l'invasion  des 
influences  grecques.  Sur  les  Tables  Eugubines,  le  dieu  Fisiis  ou 
Fisovins  Sancitis  est  invoqué  aussitôt  après  Jupiter  et  l'épi- 
thète  de  Sancius  est  appliquée  à  Jupiter  lui-même  ou  Jovius; 
une  colline  des  environs  d'Iguvium  s'appelait  Ocris  Fisiiis; 
Fisus  est  l'équivalent  ombrien  du  latin  Fidius.,  comme  Claiisus 
de  Claudiiis^.  L'origine  sabine  du  culte  romain  de  Semo  Sancus 


1.  Le  Blant,  C.  R.  de  VAcad.  des  Insci\,  1892,  p.  45  ;  —  Gatti,  Bullell.  Comun., 
1892,  p.  184. 

2.  Cf.  Bréal,  les  Tables  Eugubines,  Paris,  1815,  p.  "71. 


LA    STATUE    DE    SEMO   SANCLS  283 

n'est  sans  doute  qu'une  Table  ;  les  Sabins  regardaient  Sancus 
comme  l'ancêtre  mythique  de  leur  race  ^;  mais,  puisqu'on  le 
rencontre  très  anciennement  en  Ombrie  et  à  Rome  aussi  bien 
qu'en  Sabine,  il  est  probable  que  de  bonne  heure  et  simulta- 
nément toutes  les  populations  de  l'Italie  centrale  l'avaient 
connu  et  honoré  sous  des  vocables  différents-. 

Les  quatre  noms  qu'il  porte  en  latin  se  groupent  invariable- 
ment deux  par  deux  :  Semo  Sancus  et  Dius  Fidius.  Y  avait-il 
tout  d'abord  un  Semo  Sancus  et  un  Dius  Fidius  distincts,  qu'on 
aura  ensuite  rapprochés  et  assimilés  l'im  à  l'autre?  Ou  bien  la 
forme  Dius  Fidius  fut-elle  imaginée  pour  traduire  la  forme 
Semo  Sancus?  Quoi  qu'il  en  soit,  le  Semo  Sancus  Dius  Fidius 
que  les  ^extes  nous  font  connaître  n'est  qu'un  seul  dieu  et  le 
double  nom  qu'on  lui  donnait  n'a  qu'un  seul  sens-'.  Le  mot 
Sancus  appartient  à  la  môme  famille  que  sandre,  d'où 
viennent  aussi  sancfus,  sacer,  etc.,  et  qui  veut  dire  confirmer, 
consacrer,  donner  à  quelque  chose  une  valeur  religieuse  et 
sainte^.  Fidius  a  la  même  racine  que  /ides,  fidus,  fœdus:  à 
tous  ces  termes  est  attachée  l'idée  de  pacte,  de  bonne  foi;  on 
jurait  à  Rome  par  Dius  Fidius  comme  par  Hercule,  on  disait 
médius  fidius  comme  mehercle'\  Sancus  ou  Fidius  était  invo- 
qué comme  témoin  et  garant  de  la  véracité  des  paroles  pro- 
noncées  et   des   promesses   faites  ;   c'était  la   divinité  de  la 


1.  SiL.  Ital.,  VIII,  420  : 

Ibant  et  lœti  pars  Sancum  voce  canebant, 
Auctorem  genlis  ;  pars  laudes  ore  ferebant, 
Sabe,  tuas,  qui  de  proprio  cognomine  primas 
Dixisti  populos  magna  ditione  Sabinos. 

Augustin.,  de  Civ.  Dei,  XVIII,  19  :  Sabini  regem  suum primum.  Sangum  sive 
{ut  aliqui  appellant)  Sanclum  reliderunt  in  deos.  —  Cf.  Lactant.,  Divin,  ins- 
titut., I,  15,  8,  et,  pour  Dius  Fidius,  Dioxys.,  II,  49. 

2.  FowLER,  op.  cit.,  p.  13T. 

3.  OviD.,  Fast.^  VI,  213  :  sous  les  noms  de  Sancus,  Fidius,  Semo,  c'est  tou- 
jours le  même  dieu  qu'on  invoque  : 

Quœrebam  nonas  Sanco  Fidione  referrem, 

An  tibi,  Semo  pater;  tum  mihi  Sancus  ait: 
Cuicumque  ex  istis  dederis,  ego  munus  habebo. 

Nomina  terna  fero.  Sic  voluere  Cures. 

4.  Jordan,  Ann.  delV  Instit.  archeol.,  1885,  p.  113  :  Sancus  vient  de  san- 
dre comme  genius  de  gignere.  —  Servius,  ad  Ain.,  XII,  200  :  Sanclum 
aliquid  id  est  consecratum  f'acere,  fuso  sanguine  fiostise.  —  Propert.,  IV,  9,  73  : 

Nunc  quoniam  raanibus  purgatum  sanxerat  orbem, 
Sic  Sancum  Tatii  composuere  Cures. 

5.  Cic,  ad  Famil.,  V,  21;  —  Plin.,  Epist.,  IV,  15;  —  Festus,  p.  147,  s.  V 
Médius  Fidius,  etc.  —  Dionys.,  IV,  58,  traduit  Dius  Fidius  par  Zevç  irtTTio;. 


28V  LES    CILTES    SECONDAIRES 

fidélité  conjugale! '  et  du  droit  des  gens-.  D'autre  part,  les 
Anciens  croyaient  que  Dius  était  un  doublet  de  dimts^  et 
Senio  une  contraction  de  sfniihomo'\  Un  personnage  appelé 
Dius  ou  Senio  ne  serait  pas  un  dieu,  m;iis  un  demi-dieu,  un 
génie,  intermédiaire  entre  les  dieux  et  les  hommes, 
inférieur  aux  premiers,  supérieur  aux  simples  mortels.  L'exis- 
tence de  plusieurs  Semones  dans  la  vieille  religion  romaine 
est  certaine;  Martianus  Capella  traduit  ce  mot  par  ^[^.{Osci''; 
Fulgence,  (pii  tient  ses  renseignements  de  Varron,  cite  parmi 
eux  Priapus,  Epona,  Verfit/nnus^'.  Les  Latins  adoraient  ou 
Semo  Sancus  le  Setno  par  excellence,  le  Genius  suprême,  le 
premier  des  Semojies,  comme  en  Jupiter  le  j)remier  des  dieux. 
D'étroits  rapports  unissaient  Semo  Sancus  Dius  Fidius  et  Ju- 
piter. Une  poésie  de  Properce  est  adressée  à  Hercule  Sancus  "'. 
D'après  yElius  Stilo,  les  mots  Dius  Fidius  sig;iifieraieiit 
Diovis  films  ou  Dioscure,  fils  de  Jupiter,  et  le  dieu  ou 
génie  de  ce  nom  serait  identique  au  Sancus  de  Sabins  et  à 
THercule  des  Grecs '^.  L'étvmologie  que  propose  /Elius  Stilo 
est  fantaisiste  et  inadmissible,  mais  il  a  raison,  comme 
Properce,  de  rapprocher  Semo  Sancus  et  Hercule.  Seulement, 
c'est  de  l'Hercule  italique  qu'il  aurait  dfi  parler,  bien  plutôt 
que  de   THéraklès  grec.  De  même  que  l'Hercule  italique,  en 


1.  C'est  pour  cela  que  l'on  avait  plaré  dans  le  temple  de  Semo  Sancus  au 
Quirinal  la  (pienouillc  et  la  fuseau  de  Tanaquil  ou  Gaia  CiKcilia,  emblèmes  de 
la  vie  de  famille  et  du  travail  domestique. 

2.  DiONYS.,  1\',  58  :  dans  ce  mi'-me  temple  on  conservait  un  bouclier  de  bois 
recouvert  de  <-uir,  c|ui  portait  écrit  le  texte  du  traité  conclu  entre  Tarquin  et 
les  habitants  de  Gabies. 

3.  Vahkon,  de  IJng.  lat..  V,  TG  :  A  quo  Dei  dicli  qui  inde,  et  [Dius  el  Divum], 
unde  sub  Dio,  Dius  Fidius. 

4.  Semo  serait  mis  pour  semihemo,  et  semi/iemo  pour  semihomo.  Exnius.  cité 
par  PiusciAN.,  VI,  683,  donne  hemouem  à  la  place  de  hominem;  —  Fkstls, 
p.  100,  s.  V"  Hemona  :  Hemona  humcma  et  liemonem  liomineni  diceijanl.  — 
Cette  étymologiî  est  contestée  par  les  modernes,  qui  font  venir  plutôt  semu  de 
serere.  semen,  et  voient  dans  les  Semones  les  fiénies  fécondants,  les  principes 
actifs  des  choses  (Joudax.  Kritisclie  lieilvûge  zur  Gesch.  der  latein.  Sprache., 
Berlin.  187!»,  p.  204,  et  Ann.  dell'Instit.  archeol.,  1885,  p.  116:  —  Bkkal,  Her- 
cule et  Cacus.  Paris.  1863,  p.  57) 

ri.  Mahtiams  Cai'Kli.a,  II,  lof)  ;  Sed  superior  pnrtio  eos  sic  ut  conspicis  claudit 
qtius  -^iiJL'Oco'j;  dicunt  qwisque  latine  Semones  aut  ftemideos  concenit  nominare. 

6.  Fi  ix.KNT,  de  At)str.  serm.,  p.  561  :  Semones  dici  voluerunt  deos  quos  nec 
cœlo  dirinos  udscrifjerent  ob  ineriti  paupertalem,  sicut  Priapus,  Eponn,  Vev- 
tumniis,  nec  terrenos  eos  deputare  vellent  pro  gratiai  venerotione,  sicut  V^arro 
in  Mfislaqoqo  ait. 

1.  I'hopekt.,  IV,  9  :  Hercule-Sancus  châtie  Cacus  au  pied  du  Palatin. 

8.  iEuus  Stii.o,  cité  par  Vabro,  de  Linç/.  lut..  V,  66  :  AUlius  Diiim   Fidium 


LA    STATUE    DE    SEMO    SAiNCLS  285 

effet,  Semo  Sancus  était  un  génie  de  Jupiter,  geidus  Jovis, 
une  émanation  subalterne  du  dieu  souverain '.  Jupiter  est  à  la 
fois  le  dieu  de  Tair  et  du  ciel  et  le  dieu  des  serments  et  de 
la  foi  jurée.  Les  noms  mêmes  de  Sancus  Fidius  nous  montrent 
qu'il  passait  pour  un  génie  protecteur  des  serments.  Certaines 
particularités  de  son  culte  attestent  qu'on  voyait  aussi  en  lui 
un  génie  céleste,  un  numen  de  la  lumière.  Pour  jurer  par  lui, 
comme  pour  jurer  par  Hercule,  il  fallait  être  en  plein  air,  k 
ciel  ouvert'.  Un  oiseau  de  la  famille  des  aigles,  sanqualis 
avis,  lui  était  consacré'^.  Après  la  prise  de  Privernum  en 
425/329  les  Romains  déposèrent  dans  son  temple  du  Quirinal 
des  globes  de  bronze,  sjmboles  du  soleil^.  Enfin  il  avait  pour 
prêtres  les  sacerdotes  bidentales. 

La  décurie  des  sacerdotes  bidentales.  —  Les  trois  grandes  ins- 
criptions de  Rome  qui  concernent  Semo  Sancus  Dius  Fidius  lai 
ont  été  offertes  par  la  décurie  des  sacerdotes  bidentales  ou 
par  le  magistrat  quinquennal  de  ce  collège.  En  dehors  de  ces 
trois  textes,  les  seuls  sur  lesquels  on  rencontre  le  nom  des 
bidentales  sont  les  marques  des  tuyaux  de  plomb  du  Quirinal, 
l'épitaplie  du  fils  du  quinquennalis  Sextus  Pompeius  Mus- 
sianus  à  Gallicano,  l'épitaphe  d'un  sacerdos  bidentalis,  à 
Ostie-^.  On  a  donc  tout  lieu    de  croire  qu'ils  étaient  spécia- 

dicehat  Diovis  filhnii,  ut  Grseci  Atôaxopov  Caslovern,  et  ■putuhat  hune  esse 
Sancum  ab  Sabina  linr/uaet  Hei'culem  a  yrasca.  —  Cf.  Festis,  p.  229  :  Propter 
viam  fil  sacrifictuni,  quod  est  proficiscendi  grutia  Herculi  aut  Sanco,  gui  scili- 
cet  idem  est  deiis. 

1.  Reiffekscheid,  de  Hercule  et  Junone,  dans  les  Ann.  delVInslit. 
archeol.,  1867,  p.  359.  La  théorie  de  Reiflerscheid  a  été  reprise  par  Peter, 
article  Hercules,  et  par  Wissovva,  article  Dius  Fidius,  dans  le  Lexicon  de 
RoscHEu.  Hercule  ou  Dius  Fidius  serait  le  (/enius,  et  Junon  l'équivalent  fémi- 
nin du  genius;  les  hommes  juraient  par  leur  genius,  par  Hercule  ou  par  Dius 
Fidius,  les  femmes  par  Junon.  Peut-être  Gaia  Gtecilia,  dont  le  culte  était  asso- 
cié à  celui  de  Semo  Sancus  dans  son  temple  du  Quirinal,  doit-elle  être  consi- 
dérée comme  une  forme  féminine  de  Semo  lui-même,  correspondant  à  Juno. 

2.  Varko,  loc.cit.:  Quidam  negant  sub  tecto  per  hune  dejeraie  oportere;  — 
Pllt.,  Quiest.  rom.,  XXVlll  :  Atà  -zi  toÙ;  TtaïSaç  otav  ôjxvjwti  tôv  'IlpaxAJa, 
y.wX-jo-jcriv  -jub  oTsyr,  toûto  Trotetv  -/.al  x£),e-jouo-tv  s'iç  •jTtatôpov  upotévat  ; 

3.  Plin.,  Hist.  nat.,  X,  (7)  8  :  Sanqualem  avevi  atque  immusulum  augures 
romani  in  magna  quaestione  habent ;  —  Liv.,  XLI,  13  :  Prodigia  eu  anno  nun- 
tiata  :  in  Crustumino  avem  sanqualem  [quam  vacant)  sacrum  lapidem  roslro 
cecidisse. 

4.  Liv.,  Ylll,  20  :  (Vitruvii)  bona  Semoni  Satico  censuerunt  consecranda  : 
quodque  seris  ex  eis  redactum  est,  ex  eo  aenei  orbes  facti,  positi  in  sacello  Sanci 
versus  aedem  Quirini. 

.5.  G.  I.  L.,  XIV,  188  (inscription  mutilée^  les  différentes  fonctions  remplies 
par  le  personnage  sont  énumérées  intégralement,  k  nom  manque). 


286  LKS    (  I  I.IKS    SKCONDAIRES 

lenient  préposés  an  culic  dr  Sonio  Sancus.  Mais  ils  devaient 
être  chargés  aussi,  comme  Icm-  nom  rindiiiur,  d(^  la  garde 
et  (lu  soin  des  bif/cnfallaK  On  appelait  bidcntal  d'abord  le 
sacrifice  d'une  brebis  de  deux  ans,  qui  se  faisait,  eu  signe 
d'expiation,  à  l'endroit  où  la  foudre  était  tombée,  puis,  par 
extension,  l'édifice  élevé  à  cette  place  pour  perpétuer  le  sou- 
venir de  la  cérémonie  expiatoire-.  Sacrifier  une  brebis,  élever 
un  bidental,  c'était  enterrer  la  foudre,  ////////r  condere.  Le 
lieu  qu'avait  frappé  le  feu  du  ciel  et  où  on  rensevelissait  était 
désormais  sacré  et  inviolable,  lociis  religiosité.  Il  devait  être 
caché  aux  regards,  inaccessible,  soustrait  à  toute  souillure. 
On  donnait  au  bidental  une  forme  ronde,  un  mur  l'entou- 
rait, il  n'avait  pas  de  toit;  les  auteurs  anciens  le  com- 
parent à  un  puits,  puteal;  le  piiteal  Lihonis  sur  le  Forum 
i-omain  n'était  autre  que  l'un  de  ces  antiques  bidentalia. 
Varron  et  Festus  nous  apprennent  que  les  temples  de  Semo 
Sancus  Dius  Fidius  ressemblaient  tout  à  fait  à  ces  monu- 
ments; eux  aussi,  ils  étaient  ronds  et  ouverts  par  le  haut, 
pour  laisser  voir  le  ciel-^  Ce  n'est  pas  le  hasard  qui  a  fait 
des  conservateurs  du  bidental  les  prêtres  de  Semo  Sancus  et 
qui  a  donné  à  ses  sanctuaires  et  aux  bidentalia  la  même 
forme.  Ces  rencontres  ne  s'expliquent  que  si  Semo  était  vrai- 
ment un  génie  du  ciel  et  de  la  foudre,  un  (jrnius  Jovis. 

Le  culte  de  Semo  Sancus  dans  l'île  tibérine.  —  Si  telle  était 
la  nature  de  Semo  Sancus,  il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'on  l'ait 
adoré  particuhèrement  dans  l'île  tibérine,  dont  l'un  des  édifices 
était  dédié  à  Jupiter  ;  u'était-il  pas  naturel  qu'on  y  fit  une  place 
aussi  à  ce  genius  Jovis?  Le  Jupiter  qu'on  invoquait  dans  l'Ile 
recevait  le  surnom  de  Jurariùs,  protecteur  et  gardien  de  parole 
jurée;  le  Semo  Sancus  Dius  Fidius,  génie  des  serments  et  de  la 
bonne  foi,  ne  devait-il  pas  figurer  à  ses  côtés?  Jupiter  Jurariùs 


1.  Sur  les  bidenlules  et  les  hidenlalia,  voir  à  ces  mots  les  articles  du 
Dictionn.  des  Aniiq.  de  Darembehg  et  Saglio,  par  Saglio,  et  de  la  Real  Encyclo- 
pCidie  de  Pally-\Vissowa,  par  Wissowa,  ainsi  que  0.  Gilbert,  Gescli.  und 
Topoyr.  der  St.  Rom,  t.  I.  p.  275. 

2.  Festus,  p.  33  :  Bidental  dicebiutl  qui/ddain  teniplum  quod  in  eo  bidenll/jiis 
hosliis  sacvijicaretur ;  —  Schoi,.  Peks.,  U,  27  :  Bidental  dicilur  locus  sacro 
percussus  fulmine,  qui  bidente  ab  aruspicihus  cnnsecralur,  quem  calcnre  nefas 
est. 

3.  Varro,  de  Lin;/,  lut.,  Y,  66  :  Ilaque  inde  ejus  perforatum  lectum,  ut  ea 
vidcatur  divum,  id  est  cœlum. 


LA  STATUE  DE  SEMO  SANCUS  287 

c'est  le  Zsj?  op"/.'.2;  des  Grecs.  Denys  d'Halicarnaçse  traduit 
par  Zsj;  ziatioç  le  nom  de  Dius  Fidius  ^ .  Le  rapprochement  des 
deux  cultes  s'imposait-. 

L'inscription  qui  accompagnait  la  statue  élevée  dans  l'ile  à 
Semo  Sancus  fut  trouvée  tout  à  côté  de  l'emplacement  qu'oc- 
cupait anciennement  le  temple  de  Jupiter.  Les  témoignages 
contemporains  l'affirment  :  on  l'a  découverte  en  1574,  «  aux 
abords  de  Saint-Barthélémy,  dans  le  voisinage  de  l'hôpital  qui 
est  en  face  de  la  porte  du  couvent,  en  faisant  les  fondations 
de  la  construction  nouvelle,  et  non  loin  de  là  il  y  a  un  frag- 
ment de  pyramide  avec  des  hiéroglyphes  égyptiens  ^.  »  L'hô- 
pital situé  en  face  du  couvent  de  Saint-Barthélémy  est  celui  des 
Frères  de  Saint-Jean-de-Dieu,  qui  vinrent  s'y  établir  en  l'an- 
née 1572;  ils  ajoutèrent  aussitôt  à  l'ancien  couvent  des  Bénédic- 
tines, situé  auparavant  à  cette  place,  les  constructions  nouvelles 
que  mentionnent  notre  texte.  D'autre  part,  le  pavement  en  opus 
signinum  du  sanctuaire  de  Jupiter  Jurarius  a  été  vu  en  1854 
«  sous  les  constructions  attenantes  à  l'église  de  Saint-Jean- 
Calybite  ^  »  c'est-à-dire  sous  l'hôpital  des  Frères  de  Saint-Jean- 
de-Dieu.  C'est  donc  dans  la  même  région  de  l'île  exactement 
que  l'on  honorait  à  la  fois  Jupiter  Jutarius  et  Semo  Sancus. 

Il  est  très  problable  que  l'image  de  Sancus  se  dressait  dans 
le  temple  même  de  Jupiter  ou  tout  auprès.  L'existence  d'un 
édifice  qui  lui  aurait  été  spécialement  consacré  parait  bien 
invraisemblable  ;  aucun  document  antique  n'en  dit  rien.  Saint 
Justin  nous  parle  uniquement  d'une  statue  de  Simon  le  Ma- 
gicien. Les  auteurs  et  les  inscriptions  ne  nomment  qu'un  seul 
sanctuaire  de  Semo  Sancus  à  Rome,  sur  le  Quirinal.  Nulle 
fête  de  ce  dieu  in  insiila  n'est  indiquée  sur  les  vieux  calen- 
driers. Ce  n'est  pas  dans  l'île  qu'était  établie  la  décurie  des 
sacerdotes  bidentales^  mais  au  Quirinal,  à  côté  du  temple 
qu'elle  desservait  et  dont  le  terrain  lui  appartenait.  Enfin  s'il 
convenait  d'associer  Semo  Sancus  Dius  Fidius  à  Jupiter  Jura- 

1.  DiONYS.,  II,  49  :  To-j-ov  Sltbv  Sdti-y.ov  itizô  xtvwv  Iltortov  xaXsïffÔat  Ata. 

2.  Preller-Jordan,  op.  cit..,  t.  II,  p.  274  ;  —  R.  Lancia.m,  Parjan  and  Christian 
Rome,  p.  lOo. 

3.  Codex  Bai-l)erini,  XXX,  92  m,  cité  au  C.  I.  L.,  VI,  567  :  Fu  trovato  l'anno 
passato  a  Sa7i  Bartolnmeo  delV  Isola,  vicino  allaclinicu  ch^è  avant i  alla  porta 
del  convento  nel  far  le  fojidamenta  delta  fabbrica  nuova,  ed  ivi  vicino  vi  è 
un  pezzo  di  piramide  con  cjeroylifici  ec/izi. 

4.  Canixa,  Bullett.  dellinstit.  archeol.,  1854,  p.  xxxvii  :  \ei  sotterranei délia 
fabbrica  annessa  alla  chiesa  di  San  Giovanni  di  Dio  Calibita  nelV  isola  Tibe- 
rina. 


288  LES   CULTES    SECONDAIKES 

rius,  on  n'aurait  pas  cependant  traité  en  égaux  le  dieu  et  le 
génie  ;  ce  dernier  n'avait  pas  la  même  importance  ;  une  statue 
lui  suffisait.  Sou  culto  n'était  ici  (juo  secondaire  et  subordonné, 
simple  dcpoudauco  de  celui   qu'on  rendait  à  Jupiter  Jurarius. 

L'introduction  de  Semo  Sancus  dans  l'île  tibérine,  par  con- 
séquent, no  (lovait  pas  remonter,  comme  on  aurait  pu  le  croire 
au  premier  abord,  aune  époque  très  ancienne.  Elle  est  pos- 
térieure en  tout  cas  à  la  fondation  du  sanctuaire  de  Jupiter. 
Peut-être  même  n'out-elle  lieu  que  sous  l'Empire.  Sans  doute 
Semo  Sancus  Dius  Fidius était  une  vieille  divinité  nationale,  et 
son  temple  du  Quirinal  datait  des  rois  ou  des  premières  années 
de  la  République.  Mais  il  semble  qu'on  l'ait  ensuite  laissé  de 
côté.  L'Héraklès  grec  fit  oublier  l'Hercule  italique.  Son  nom 
est  très  rarement  cité  dans  les  textes  littéraires.  De  toutes 
les  inscriptions  qui  l'intéressent,  aucune  ne  fut  gravée  sous  la 
République  '.  Les  empereurs  paraissent  avoir  fait  effort,  au  con- 
traire, pour  ranimer  l'antique  divinité  méconnue.  C'est  alors  que 
la  décurie  des  sacerdotes  bidentales  manifeste  son  existence, 
multiplie  les  dédicaces,  érige  la  statue  du  Quirinal,  retrouvée 
en  1880,  et  celle  de  l'île  tibérine,  dont  la  base  seule  nous  est 
parvenue.  Semo  Sancus  profita  du  mouvement  de  renaissance 
religieuse  qui  conmiença  pendant  les  règnes  d'Auguste  et  de 
Claude  et  se  continua  pendant  ceux  des  Antonins.  Les  empereurs 
essayèrent  de  faire  refleurir  les  cultes  nationaux.  Les  dieux 
italiques,  trop  longtemps  éclipsés  par  les  dieux  plus  personnels, 
plus  vivants,  plus  séduisants  de  la  Grèce  et  de  l'Orient, 
jouirent  alors  d'un  retour  de  fortune  inespéré.  En  même 
temps,  et  pour  assurer,  autant  que  possible,  là  durée  .de  leur 
œuvre,  les  princes  relevèrent  les  antiques  corporations  sacer- 
dotales, depuis  des  siècles  abolies  ou  négligées.  La  décurie 
des  sacerdotes  bidentales  fut  du  nombre  de  ces  collèges  rap- 
pelés à  la  vie  et  veilla  de  nouveau  sur  le  culte  de  Semo  San- 
cus lui  aussi  ressuscité. 

A  quel  empereur  convient-il  d'attribuer  la  restauration  du 

\.  Les  inscriptions  du  C.  I.  L.,  VI,  567  et  'ies,  la  dédicace  de  la  statue  décou- 
verte» en  1><80,  la  tablette  de  bronze  signalée  en  J8!)2,  sont  de  l'époque  impé- 
riale, comme  le  prouvent  leur  paléographie  et  la  forme  orthographique  l>eo 
Fidio.  Le  plus  ancien  document  épigraphi(iue  se  rapportant  à  Semo  Sancus  est 
le  calendrier  de  Venouse  (G.  I.  L.,  I,  ï°  éd..  p.  2-21)  :  il  a  été  gravé,  d'après 
M.  Mommsen,  entre  les  années  738/16  avant  Jésus-dlirisl  et  7.)7/;i  après  Jésus- 
Christ  :  mais  il  faut  ajouter  (jue  c'est  probablouicnl  la  copie  d'un  texte  plus 
ancien;  on   y  lit  Uiu  Fidio,  et  non  Deo  Fidio. 


LA    SÏATLE    DE    SEMO    SANCUS  289 

culte  de  Semo  Sancus  au  Quirinal  et  son  extension  à  File?  Sur 
ce  point  les  renseignements  font  défaut,  et  l'on  ne  peut 
qu'émettre  des  hypothèses.  Deux  noms  surtout,  parmi  ceux 
des  princes  que  préoccupait  le  souci  de  la  religion  italique,  se 
présentent  à  l'esprit  :  les  noms  de  Claude  et  d'Antonin^.  Claude 
était  sabin  d'origine  ;  à  ce  titre,  l'ancêtre  légendaire  de  la  race 
Sabine,  devait,  tout  spécialement,  attirer  son  attention;  c'est 
pendant  son  règne,  d'après  saint  Justin,  qu'une  statue  aurait 
été  dédiée  entre  les  deux  ponts  à  Simon  le  Magicien,  c'est-à- 
dire  à  Semo  Sancus.  On  sait  aussi  qu'Antonin  le  Pieux,  cent 
ans  plus  tard,  au  temps  même  oii  vivait  l'Apologiste,  prit  à  tâche 
le  rétablissement  de  l'ancienne  religion  2;  il  mérita  qu'on  lui 
consacrât  une  inscription  honorifique  pour  le  récompenser  du 
soin  qu'il  prenait  des  cérémonies  publiques,  oh  insignem  erga 
cerimonias  publicaa  curain  ac  religionem'^]  les  cérémonies  du 
culte  de  Semo  Sancus  Dius  Fidius  furent  peut-être  de  celles 
qui  lui  durent  un  renouveau  d'éclat  et  de  faveur,  et  peut-être 
est-ce  seulement  sous  son  règne  que  fut  offerte  à  ce  dieu  la 
statue  de  l'île  tibérine. 


1.  Sur  la  renaissance  des  vieux  cultes  italiques  au  temps  de  Claude  et  sous 
les  Antonins,  voir  Boissieii,  la  Religion  romaine  d'Auguste  aux  Antonins. 

2.  C.  L.  ViscoNïi,  Studi  di  storiû  e  dirilto,  1881,  p.  124.  Les  monnaies  frappées 
pendant  le  règne  d'Antonin  le  Pieux  montrent  lïmportance  qu'il  attachait  aux 
questions  religieuses  ;  la  plupart  des  sujets  représentés  sur  les  revers  sont 
empruntés  aux  vieilles  légendes  romaines.  Cf.  Frôhnek,  les  Médaillons  de 
V Empire  romain^  p.  46  à  74. 

3.  C.  I.  L.,  VI,  1001. 


iS» 


CHAPITRE  III 

LE  TEMPLE  DE  FAUNUS 


La  fête  de  Faunus  dans  l'île.  —  Sur  un  fragment  mutilé,  mais 
de  restitution  certaine,  d'un  ancien  calendrier  romain  décou- 
vert dans  les  fouilles  de  l'Esquilin  en  1874,  on  lit*  : 

[Deid{iis)  N  feriae]  Fauiio  \  [i]n  insnl[a\ 

«  Au  jour  des  ides,  treizième  jour  du  mois,  fête  de  Faunus 
dans  l'île-.  » 

Ce  fragment  appartenait  à  la  colonne  du  mois  de  février, 
ainsi  que  le  montrent  les  noms  mêmes  des  différentes  cérémo- 
nies qui  s'y  trouvent  énumérées  avant  ou  après  celle-ci,  et  que 
l'on  connaît  par  d'autres  témoignages.  C'est  donc  le  13  février, 
l'avant-veille  des  Lupercales,  que  les  Romains  invoquaient 
Faunus  dans  l'île  tibérine.  Un  passage  des  Fastes  d'Ovide 
l'indique  également  :  «  Aux  ides  de  février,  les  autels  du  dieu 
agreste  Faunus  fument,  à  l'endroit  où  l'île  divise  en  deux  bras 
les  eaux  du  Tibre  3.  » 

Horace  et  Calpurnius  font  allusion  à  cette  fête  printanière, 
mais  sans  en  préciser  la  date  et  sans  dire  à  quel  endroit  de 
Rome  on  la  célébrait^.  Une  autre  solennité  en  l'honneur  de 
Faunus  avait  lieu  pendant  l'hiver,   le   5  décembre  ;  une  ode 

1.  C.  1.  L.,  1,  2'  éd.,  p.  210. 

2.  D  lettre  nondinale,  N  nefastus  dies. 

3.  OviD.,  FusL,  11,  li):i  : 

Idibua  agrestis  fumant  altaria  Fauni, 

Hic  iibi  discretas  insula  nimpit  aquas. 

4.  HoiiAT.,  Cann.,  I,  4,  11  : 

Nunc  et  in  umbrosis  Fauno  docct  immolare  lucis, 
Seu  poscat  agnam,  sive  malit  bxdum. 

Calpukniis,  Eclog.,  V,  24  : 

Sed  non  antu  gregcs  io  pascua  mlttito  clauses 
Quam  fuerit  placata  Pales  ;  tum  cespite  vivo 
Pone  focum,  Oeniumque  loci,   Faunumque  Laremque 
Saiso  farre  voca. 


LE    TEMPLE    DE    FAUNUS  2Ô1 

d'Horace  la  rappelle ^  Ni  les  vers  du  poète,  ni  les  commentaires 
de  ses  scholiastes-  ne  permettent  d'affirmer  qu'elle  concernât 
Rome.  Les  calendriers  officiels  la  passent  sous  silence.  Preller 
et  M.  Wissowa  sont  d'avis  qu'Horace  a  voulu  parler  simple- 
ment d'une  réunion  toute  rurale  et  locale,  particulière  au  can- 
ton des  environs  de  Rome  où  était  située  sa  villa  ^  :  on  sait  par 
Probus  qu'il  y  avait  dans  les  campagnes  de  l'Italie  des  sacri- 
fices à  Faunus  annuels  ou  mensuels^.  M.  0.  Gilbert  paraît 
disposé  à  croire  cependant  que  la  fête  du  5  décembre  était 
célébrée  à  Rome,  soit  sur  l'Aventin,  où  avait  lieu  le  3  du 
même  mois  celle  de  Bona  Dea  ou  Fauna,  la  sœur  ou  l'époase 
légendaire  de  Faunus,  déesse  de  l'agriculture  et  de  la  fécon- 
dité', soit  dans  l'île  tibérine,  où  Faunus  avait  un  temple 
et  où  l'on  sacrifiait  cinq  jours  après  à  la  divinité  protectrice  du 
fleuve,  Tiberinus'"'.  Ces  hypothèses  et  ces  rapprochements  sont 
bien  hasardeux.  M.  0.  Gilbert  abuse  d'une  coïncidence  de 
dates  peut-être  fortuite.  Le  mutisme  des  documents  épigra- 
phiques  est  significatif.  La  seule  fête  de  Faunus  dans  l'île  tibé- 
rine dont  on  ait  le  droit  d'affirmer  l'existence  était  fixée  au 
13  février. 

Position  du  temple.  —  Les  termes  dont  se  sert  Ovide  nous 
apprennent  où  se  trouvait  le  temple  de  Faunus'''.  Il  s'élevait  à 
l'endroit  où  les  eaux  du  fleuve  se  partagent,  c'est-à-dire  à  la 
pointe  qui  regarde  vers  l'amont.  Les  archéologues  romains  du 
xvi'  siècle  assurent  qu'il  y  avait  à  cette  place  plusieurs  murs  an- 
tiques de  belle  apparence;  ils  s'autorisaient  du  texte  d'Ovide 

1.  HoRAT.,  Cann.,  III,  18  {ad  Faunum)^  9  : 

Ludit  herboso  pecus  omne  campo 
Cum  tibi  nonx  redeunt  décembres. 

2.  PoRPHYRio,atZ  i/or.,  loc.  cit.  :  Nonis  decembrihus  Faunalia  sunt,  h{oc)  e(st) 
dles  festus  Fauni,  in  cujus  honorem  pecudes  lasciviunt.  —  Cf.  AcRO,  ad  eumd. 
loc.  :  Nonis  eni/n  decembrihus  Faunalia  i{d)  €{81}  Faunorum  cullus  célébrant ui: 

3.  Preller-Jordan,  Rœm.  Mythol.,  t.  I,  p.  o80,  n.  1  ;  —  Wissowa,  article 
Faunus,  dans  le  Lexicon  de  Roscher.  C'est  aussi  Topinion  de  Fowler,  the 
Roman  festivals,  p.  2oo. 

4.  Probus,  ad  Georg.,  I,  10  :  In  Italia  quidam  annuum  sacrum,  quidam 
menslntum  célébrant. 

5.  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Tffpor/r.  der  St.  Rom,  t.  I,  p.  lîîO. 

6.  0.  Gilbert,  op.  cit.,  t.  III,  p.  82. 

7.  Sur  le  temple  de  Faunus  dans  l'île  tibérine,  voir  :  Kxepert-Huelskx, 
Nomencl.  topogr.,  p.  78;  —  Homo,  Lex.  de  topogr.  rom.,  p.  562;  —  C.  I.  L.,  I, 
2"  éd.;  —  Jordan,  de  .'Esculapii,  Fauni,  Vejovis  Jovisque  sacris  url)anis,  dans 
les  CotiDnenlationes  in  honorem  Mommseni,  p.  3o9. 


292  LES   CULTES  SECONDAIRES 

pour  y  reconnaitre  les  vestiges  du  sanctuaire  de  Faunus'. 
Ficoroni,  qui  a  pu  voir  encore  ces  ruines  au  xviii"  siècle,  est  du 
même  avis 2.  Il  ne  reste  plus  actuellement  aucune  trace  de 
l'édifice. 

Style  de  l'édifice. —  Du  texte  de  Vitruve  examiné  précédem- 
ment il  résulte  que  le  temple  de  Faunus  dans  Tile,  comme 
celui  de  Jupiter,  était  prostyle**. 

Date  de  la  construction.  —  C'est  un  13  février  qu'il  avait  été 
dédié  :  la  fête  annuelle  rappelait  la  cérémonie  de  l'inaugura- 
tion et  se  célébrait  au  même  jour.  Nous  savons  par  Tite-Live 
en  quelle  année  on  le  consacra  au  culte.  Cn.  Domitius  Aheno- 
barbus  et  C.  Scribonius  Curio,  édiles  plébéiens,  citèrent  devant 
le  peuple  en  558/196  plusieurs  fermiers  des  pâturages  deVager 
publiais,  pecKarii,  qu'ils  accusaient  de  concussion  ou  de  retard 
dans  le  paiement  des  fermages.  Trois  de  ces  pectiarii  furent 
condamnés.  Avec  l'argent  des  amendes  les  édiles  firent  bâtir 
un  temple  au  dieu  Faunus  in  insiila'*  Deux  ans  plus  tard,  Cn. 
Domitius  Ahenobarbus,  l'ancien  édile  de  558/196,  devenu 
préteur,  procéda  lui-même  à  la  dédicace  ^. 

Multaticium  argentum.  —  Très  souvent  à  Rome  le  produit 
des  amendes  servait  à  construire  ou  à  décorer  des  sanctuaires  ; 
les  édiles  curules  ou  plébéiens,  qui  étaient  chargés  d'intenter 
les  poursuites  dans  l'intérêt  de  l'Etat  et  de  faire  prononcer 
les  condamnations,  présidaient  à  ces  travaux.  Le  temple  de  la 

i.  Voir  notamment  :  Bahth.  Mahliani,  Urbis  Romae  lopoor.,  2°  éd.,  Rome,  1344, 
V,  16  :  (Teinplum  Fauni)  cujus  vesligia  quaedam  adhuc  cernunlur; —  Lie.  F'auso, 
de  Anliquit.  roman.,  V,  4,  dans  le  Novits  Thesaw.  Antiquit.  roman.,  de  Sal- 
LENGRE,  t.  I,  p.  298  :  In  insulœ  prora  Faunus  hahuit  templum,  cujus  modica 
sunt  vesl'ujia;  id  flumine  corrodente  paulatim  inleriit. 

2.  Ficoroni,  Vesliqia  e  rarità  di  lioma,  t.  1,  p.  42  :  (on  voit  à  la  pointe  nord 
de  l'île)  rovine  di  fabhrica  anlica  composta  di  gran  pezzi  di  pietra  dove  secondo 
Livio  era  il  tempio  di  Giove  Licaonio  e  di  Fauno.  —  11  est  nécessaire  d'ajouter 
que  peut-être  les  murs  signalés  par  les  érudits  du  xvi"  siècle  et  par  Ficoroni 
étaient-ils  simplement  des  débris  du  revêtement  en  pierre  de  l'île  tibérine. 
Voir  plus  haut,  p.  34. 

3.  ViTRuv.,  m,  2.  Cf.  ci-dessus,  p.  249. 

4.  Liv.,  XXXIIl,  42  :  édiles  pleins,  C.  Domitius  Ahenobarbus  el  C.  Scribonius, 
Curio,  7nullos  pecuarios  ad  populi  judicium  adduxerunt.  Très  ex  his  condem- 
nati  sunt;  ex  eorum  inultaticia  pecunia  aedem  in  insala  Fauni  fecerunt. 

5.  Liv.,  XXXIV,  53  :  Aïldes  eo  anno  (560/194)  aliquot  factœsunt  :  una  Junonis... 
altéra  Fauni;  aediles  eam  biennio  anle  ex  multaticio  aryento  faciendani  loca- 
rant,  C.  Scribonius  et  Cn.  Dotnitius,  qui  prsetur  urbanus  eam  dedicavil. 


LE    TEMPLE    DE    FAUNDS  293 

Victoire  sur  le  Palatin,  commencé  par  L.  Postumius  édile 
curule,  inauguré  par  ce  même  personnage  pendant  son  consu- 
lat, en  460/294',  —  celui  de  Jupiter  et  de  Libertas  sur  l'Aven- 
tin,  qu'on  devait  à  Ti.  Sempronius  Gracchus  pendant  son  édilit^, 
avant  l'année  516/238-,  —  celui  de  Flora  auprès  du  cirque 
Maxime,  œuvre  des  édiles  plébéiens  L.  et  M.  Publicius,  en 
510/238  >^,  furent  élevés  eux  aussi  ex  nndtaticia  pecunia^  ex 
sere  multaticio.  Les  procès  intentés  aux  usuriers  permirent 
en  458/296,  aux  édiles  curules  Q.  et  Cn.  Ogulnius  de  faire 
hommage  d'un  quadrige  à  Jupiter  Capitolin  et  de  placer  auprès 
du  figuier  Ruminai  une  statue  de  bronze  de  la  louve  allaitant 
Romulus  et  Rémus'%  — en  562/192  aux  édiles  curules  M.  Tuc- 
cius  et  P.  Junius  Brutus  de  placer  un  quadrige  doré  sur  le 
faîte  de  la  cella  du  temple  de  Jupiter  au  Capitole  et  de  con- 
sacrer au  dieu  douze  boucliers^. 

Ce  n'est  pas  le  hasard  qui  réglait  l'emploi  de  ces  ressources 
et  les  faisait  affecter  au  sanctuaire  de  telle  ou  telle  divinité 
particulière.  Chaque  fois  que  les  textes  sont  assez  explicites, 
chaque  fois  qu'ils  indiquent  la  qualité  et  le  crime  des  cou- 
pables frappés  de  condamnations  pécuniaires,  on  devine  les 
raisons  qui  ont  guidé  les  édiles  dans  leur  choix.  Les  sommes 
versées  par  les  prêteurs  de  mauvaise  foi  servent  à  embellir  la 
demeure  de  Jupiter,  le  protecteur  souverain  des  transactions 
humaines,  le  dieu  de  la  probité,  le  vengeur  de  l'honnêteté 
outragée.  Le  temple  qui  fut  bâti  en  459/295,  auprès  du  cirque 
Maxime,  par  Q.  Fabius  Gurges,  édile  curule,  avec  l'argent 
exigé  des  matrones  convaincues  d'adultère,  était  consacré  à 
Vénus  ^^  Il  est  naturel  que  les  amendes  imposées  aux  fer- 
miers des  pâturages  aient  été  appliquées  à  la  construction  ou 
à  la  décoration  de  sanctuaires  des  divinités  agricoles.  En 
458/296,  pendant  que  les  Ogulnii,  édiles  curules,  poursuivaient 
les  usuriers  et  faisaient  des  offrandes  à  Jupiter,  les  édiles  plé- 
béiens leurs  collègues,  L.  J^lius  Petus  et  C.  Fulvius  Cun^us, 
obtenaient  la  condamnation  de  peciiarii  prévaricateurs,  et 
ornaient  de  coupes  d'or  le  temple  de  Cérès'',  On  adorait  en 

1.  Liv.,  X,  33. 

2.  Liv.,  XXIV,  16. 

3.  Tac,  Ann.,  Il,  49. 

4.  Liv.,  X,  23. 

5.  Liv.,  XXXV,  41. 

6.  Liv.,  X,  31. 
1.  Liv.,  X,  23. 


294  LES   CULTES    SECONDAIRES 

Cérès  la  déesse  de  la  culture  et  de  l'abondance.  Faunus,  lui 
aussi,  était  essentiellement  rustique  et  champêtre  ;  les  fautes 
commises  par  les  fermiers  des  pâturages  l'offensaient  et  pro- 
voquaient sa  colère.  Les  édiles  de  l'année  558/196  ont  cru 
qu'il  leur  appartenait  de  l'apaiser  en  lui  dédiant  un  monument 
expiatoire,  aux  frais  des  pecuarii. 

Le  culte  de  Taunus  et  l'île  tibérine.  —  Si  l'on  comprend  sans 
peine  que  cet  édifice  ait  été  construit,  ainsi  que  le  dit  Tite- 
Live,  avec  les  sommes  versées  par  les  fermiers  des  pâturages, 
on  peut  s'étonner  que  les  Romains  l'aient  placé  dans  l'Ile  tibé- 
rine. Celle-ci  était  située  en  dehors  de  l'enceinte  consacrée  du 
jwmerumi.  Pourquoi  les  édiles  ont-ils  relégué  sur  son  terri- 
toire le  sanctuaire  qu'ils  élevaient  à  Faunus,  comme  s'il  leur 
eût  été  interdit  de  le  bâtir  à  l'intérieur  même  de  la  cité? 
Quelle  était  la  cause  de  cette  exclusion?  Pourquoi  ce  dieu 
a-t-il  partagé  le  sort  d'Esculape  et  de  Jupiter  Jurarius? 

On  serait  tenté  tout  d'abord  de  l'expliquer  par  les  circons- 
tances mêmes  qui  accompagnèrent  la  fondation  du  temple. 
Il  avait  une  origine  impure  ;  il  rappelait  à  la  fois  les  malversa- 
tions des  pecuarii  et  la  punition  qui  leur  était  infligée  ;  pou- 
vait-il figurer  dans  la  cité,  à  côté  des  constructions  vouées 
spontanément  par  la  vertueuse  piété  des  magistrats  et  du 
peuple  romain  1?  —  Cette  explication  n'est  pas  valable.  En 
réalité,  rien  n'empêchait  d'accueillir  à  l'intérieur  du  potnerimn 
les  monuments  édifiés  ex  multaticia  pecunia.  Quelques-uns 
d'entre  eux  ont  été  rappelés  plus  haut  ;  ils  étaient  tantôt  hors 
de  l'enceinte  consacrée,  comme  le  temple  de  Jupiter  et  de 
Libertas  sur  l'Aventin,  et  ceux  de  Flora  et  de  Vénus,  près  du 
cirque  Maxime,  tantôt  dans  l'enceinte,  comme  celui  de  la  Vic- 
toire au  Palatin.  Il  n'y  avait  donc  pas  de  règle  fixe  à  cet 
égard.  L'usage  religieux  qu'on  faisait  de  cet  argent  effaçait  la 
tare  de  son  origine.  D'autres  considérations  ont  poussé  les 
Romains  à  placer  leurs  temples,  selon  les  cas,  à  l'intérieur  ou 
à  l'extérieur  du  po?Jîerium. 

Nous  savons  sur  quel  principe  reposait,  à  l'origine,  la  dis- 
tinction des  cultes  accueillis  dans  la  cité  et  des  cultes  mainte- 
nus en  dehors  de   ses  limites  antiques.   Les  premiers  étaient 

1.  C'est  l'hypothèse  que  nous  avions  cru  pouvoir  avancer  nous-mi^me  : 
M.  Besniek.  Jupiter  Jurarius,  dans  les  Mélanges  cCarchéol.  et  dChist.  de  l'Ecole 
de  Rome,  1898,  p.  288. 


LE    TEMPLE    DE    FAUNLS  29S 

nationaux,  latins  ou  italiques  ;  les  seconds  étaient  étrangers, 
d'origine  lointaine,  et  plus  particulièrement  grecque  ou  orien- 
tale, récemment  introduits  à  Rome^  M.  0.  Gilbert  range 
Faunus  parmi  les  dieux  pérégrins^.  Il  n'a  d'autre  preuve  à 
alléguer  que  l'existence  même  de  son  temple  dans  l'île  tibé- 
rine,  dont  il  faudrait  précisément  rendre  compte.  D'ailleurs, 
à  l'époque  où  il  fut  construit,  la  loi  qui  imposait  un  traitement 
différent  aux  cultes  nationaux  ou  étrangers  n'était  plus  aussi 
strictement  observée  qu'autrefois  :  pendant  la  seconde  guerre 
punique,  on  avait  admis  des  divinités  grecques  et  orientales 
sur  le  Capitole  et  sur  le  Palatin,  au  cœur  de  la  cité-^.  La  prin- 
cipale objection  qu'on  doive  faire  à  M.  0.  Gilbert,  c'est  que 
Faunus,  bien  loin  d'être  d'origine  pérégrine  et  d'importation 
récente,  passait  au  contraire,  et  à  juste  titre,  pour  l'un  des 
dieux  les  plus  anciens  du  Latium.  La  religion  romaine  s'est 
lentement  transformée  et  enrichie  à  travers  les  siècles;  elle  a 
subi  tour  à  tour  des  influences  étrusques,  helléniques,  asiatiques  ; 
il  est  possible  de  discerner  ce  qu'elle  doit  à  chacune  de  ces 
sources  tardives  et  d'isoler  le  fonds  primitif  et  original  que  les 
apports  ultérieurs  sont  venus  ensuite  altérer.  Les  Latins 
étaient  un  peuple  de  pasteurs  et  de  laboureurs.  Ils  adorèrent 
d'abord  les  génies  des  bois  et  des  champs.  Leur  première  reli- 
gion fut  toute  rustique.  Les  fêtes  qu'énumère  le  vieux  calen- 
drier romain  embrassent  le  cycle  annuel  des  occupations  agri- 
coles^. Faunus,  comme  Silvamis  et  Picus,  Ops  et  Liber,  est 
une  de  ces  vieilles  divinités  rurales  que  d'autres  firent  plus 
tard  négliger  et  qui  laissèrent  peu  de  traces  à  l'époque  histo- 
rique dans  le  culte  public,  mais  qui,  au  début,  attiraient  seules 
l'attention  des  populations  de  l'Italie  et  recevaient  seules  leurs 
prières  et  leurs  offrandes. 

Caractère  véritable  du  dieu  Faunus.  —  Le  choix  qu'on  a  fait 
de  l'île  tibérine  pour  abriter  Faunus  ne  peut  s'expliquer  ni  par 
les  circonstances  de  la  fondation  du  temple,  ni  par  l'origine  du 
culte.  C'est  la  nature  même  du  dieu,  c'est  son  caractère  exclu- 


1.  Voir  plus  haut,  p.  171. 

2.  0.  Gilbert,  Gesch.  und  Topogr.  der  St.  Rom,  t.  III,  p.  82. 

3.  Voir  plus  haut,  p.  174. 

4.  Consulter  sur  ce  point,  outre  le  commentaire  des  Fastes,  par  Mommsen, 
dans  le  G.  I.  L.,  I,  2°  éd.,  p.  283,  l'intéressante  Conclusion  du  livre  de  Fowler, 
the  Roman  festivals. 


296  LES   CULTES    SECONDAIRES 

sivement  agreste  qui  ont  empêché  de  l'introduire  dans  la  cité. 
Nous  ne  possédons  sur  lui  que  fort  peu  de  renseignements 
authentiques  et  anciens  ^  On  n'a  retrouvé  à  Rome  ou  aux 
environs  aucune  inscription  qui  lui  soit  dédiée  '.  Les  textes 
littéraires  qui  le  concernent  sont  relativement  récents  et  sou- 
vent suspects.  Quand  les  érudits  et  les  lettrés  grecs  ou  dis- 
ciples des  Grecs  entreprirent  de  mettre  en  harmonie  la  reli- 
gion romaine  et  la  religion  hellénique  et  de  les  confondre  l'une 
avec  l'autre,  ils  assimilèrent  Faunus  à  Pan  ■'  et  les  faunes  aux 
satyres  '»  ;  il  ne  faut  pas  être  dupe  de  ces  rapprochements 
tardifs  ;  ils  ont  toujours  quelque  chose  d'artificiel  et  de  forcé  ; 
le  Faunus  italique  ressemblait  sans  doute  par  certains  côtés  au 
dieu  Pan,  mais  il  devait  aussi  s'en  distinguer  })ar  quelques 
traits,  que,  malheureusement,  les  écrivains  postérieurs  lais- 
sèrent dans  l'ombre.  D'autre  part,  les  annalistes,  qui  interpré- 
taient à  leur  façon  les  vieilles  traditions,  racontèrent  qu'il 
était  un  roi  des  Aborigènes  divinisé'*,  le  troisième  sur  la  liste 
légendaire  des   rois  du    Latium^,    et   qu'il   représentait    une 

1.  Voir  sur  Faunus  :  Preli.er-Jordan,  Rœm.  Mylhol.,  t.  I,  p.  379;  —  Hitn, 
article  Faunus  dans  le  Diclionn.  des  Anliq.  de  Dakembeho  et  Saolio  ;  — 
WissowA,  article  Faunus  dans  le  Lexicon  de  Uosciier  ;  —  Fowler,  op.  cit., 
p.  256  et  p.  312  ;  —  AusT,  die  Religion  der  Rfimer,  p.  138. 

2.  On  a  découvert,  au  contraire,  dans  la  campa<,me  et  dans  Rome  même  un 
très  grand  nombre  d'inscriptions  consacrées  à  une  autre  divinité  rurale  et 
ancienne,  analogue  à  Faunus,  Silvanus.  Le  culte  de  Faunus  semble  avoir  été 
assez  vite  oublié  ;  le  culte  de  Silvanus  a  survécu  en  se  transformant  :  le  dieu 
rustique  des  bois  fut  honoré  comme  le  gardien  des  jardins  et  des  propriétés, 
custos  hortuli,  tutor  finium  (Fowler,  op.  cit.,  p.  2.18). 

3.  Probus,  ad  Georg.,  I,  10  :  Eundem  Pana,  eundem  Inuum,  eundem  Fau- 
num  quidam  interprefanlur. 

i.  Les  Fauni  ressemblaient  au  dieu  Faunus,  dont  ils  étaient  comme 
autant  de  répliques  inférieures  et  atténuées;  ils  possédaient  les  mêmes  attri- 
butions que  lui;  c'étaient  des  génies  lubriques,  errant  dans  les  campagnes; 
ils  apparaissaient  aux  paysans  ;  ils  exerçaient  sur  les  récoltes  et  les  troupeaux 
une  influence  tantôt  salutaire,  tantôt  néfaste.  —  Wissowa  [loc.  cit.)  pense  qu'il 
n'y  avait  à  l'origine  qu'un  seul  Faunus  ;  par  imitation  de  la  mythologie 
grecque  on  imagina  ensuite  des  Fauni  secondaires  correspondant  aux  Satyres, 
comme  Faunus  correspondait  à  Pan.  —  D'ajjrès  Fowlek  (op.  cit.,  p.  260),  la 
croyance  aux  Fauni  serait  antérieure  au  culte  d'un  Faunus  unique;  on  se 
figurait  d'abord  qu'un  nombre  infini  de  divinités  toutes  pareilles  protégeaient 
les  campagnes  et  les  pâturages;  la  conception  d'un  seul  Faunus  est  le  produit 
d'un  travail  ultérieur  d'abstraction  et  de  simplification.  Les  textes  qu'allègue 
M.  Fowler  (Varro,  de  Ling.  lut.,  VII,  36;  Servils,  ad  Georg.,  I.  10)  prouvent 
tout  au  moins  que  les  Fauni  étaient  connus  et  adorés  en  Italie,  comme 
Faunus  lui-même,  avant  toute  pénétration  hellénique  et  en  dehors  de  toute 
assimilation  aux  divinités  de  la  Grèce. 

5.  DiONYS.,  I,  31;  —  SuET.,  Vitell. 

6.  Vbrg.,  JEn.,  VII,  45  :  Salurnus,  Ficus,  Faunus,  Latinus. 


LE    TEMPLE    DE   FAUNUS  297 

phase  du  développement  de  la  race  latine,  une  période  de  son 
histoire.  Mais  une  pareille  conception,  imitée  des  systèmes 
mythologiques  qui  avaient  cours  en  Grèce,  était  étrangère  évi- 
demment à  l'esprit  des  Romains,  Pour  bien  connaître  les  cultes 
primitifs,  il  convient  de  les  examiner  en  eux-mêmes,  abstrac- 
tion faite  de  toute  influence  hellénique  et  de  toute  intrusion  de 
légendes  généalogiques. 

Faunus  était  le  dieu  de  la  campagne  et  des  pâturages  ^  Son 
nom  dérivait,  disait-on,  de  favere  ou  de  fari;  il  signifiait  ou 
bien  celui  qui  favorise  et  qui  protège-,  ou  bien  celui  qui  parle 
et  qui  prédit'^,  —  étymologies  fantaisistes,  mais  qui  nous 
montrent  quelle  idée  se  faisaient  de  lui  les  Romains.  Il  favori- 
sait l'agriculture,  il  protégeait  les  troupeaux^.  11  rendait  ses 
oracles  dans  les  bois;  ceux  qui  venaient  le  consulter  devaient 
se  couronner  de  feuillage  de  hêtre,  lui  sacrifier  des  brebis, 
s'étendre  sur  une  toison  en  attendant  ses  révélations -\  Sous 
l'Empire,  il  n'était  plus,  comme  Pan  lui-même,  qu'une  divinité 
secondaire  et  subalterne;  éliminé  presque  complètement  de  la 
religion  officielle,  il  se  survivait  à  peine  dans  la  piété  supers- 
titieuse des  paysans  et  dans  les  fictions  des  poètes".  Il  avait  eu 
cependant,  à  l'origine,  une  importance  considérable.  Le  dieu 
des  champs  et  des  prés  ne  pouvait  manquer  d'être  honoré 
tout  particulièrement  par  les  Latins,  qui  vivaient  de  la  culture 
de  la  terre  et  de  l'élevage  du  bétail.  Virgile  et  Ovide  en  té- 
moignent. Ils  se  piquaient  d'être  exactement  informés  du  passé 
de  Rome  et  de  ses  vieilles  traditions  religieuses.  Ils  ont  fait 


1.  Servius,  ad  Ain.,  VIII,  343  :  Deus  pastoralis  est. 

2.  Servius,  ad  Georg.,  I,  10  :  Quidam  Faunos  pulant  dictas  ab  eo  quod  fini- 
f/ibtis  faveant.  —  Schwegler,  Rœm.  Gesch.,  T-ubingen,  1861-1872,  t.  I,  p.  351,  en 
conclut  que  le  nom  dEvandre  est  la  traduction  du  mot  Faunus  et  veut  dire 
comme  lui  le  favorable,  le  bienveillant  (Servius,  ad  .€n.,  VIII,  514  :  Quidam 
Faunum  appellatum  volunt  eum  quem  nos  propibium  dicimus)  ;  de  là  viendrait 
la  légende  d'après  laquelle  Faunus  aurait  reçu  au  pied  du  Palatin,  sur  l'empla- 
cement de  la  future  Rome,  l'arcadien  Evandre  et  ses  compagnons. 

3.  Varro,  de  Ling.  lat.,  VII,  36  (sur  les  Faunes)  :  Hos  versibus  quos  vocant 
saturnios  in  silvestribus  locis  traditum  est  solitos  fari,  a  quo  fando  Faunos 
dictos ;  —  Servius,  ad  .-En.,  VII,  81  :  Faunus  àitô  rf,;  çtrivr,;  dictus  quod  voce 
non  signis  ostendit  futura. 

4.  HoRAT.,  Carmin.,  I,  17,  2  : 

Défendit  igneatn  seslatem  capellis 
Usque  meis,  pluviosque  ventes. 

").  Sur  les  oracles  de  Faunus,  voir  les  textes  réunis  par  Deubxer,  de  Incu- 
latione,  p.  8,  note  1,  p.  10,  16,  17,  18,  19,  23,  26,  27,  41, 
6.  Cf.  HiLD,  op.  cit.,  p.  1021-1023, 


298  LES   CULTES    SECONDAIHES 

une  place  dans  leurs  poèmes  à  Fauuus,  qu'ils  représentent 
comme  un  génie  tutélaire  et  prophétique  de  la  race  latine.  Au 
livre  VII  de.VEnéide,  c'est  lui  qui  annonce  au  roi  Latinus  les 
illustres  destinées  futures  de  son  pays^  Au  livre  III  des 
Fastes,  c'est  lui  encore  que  Numa  va  consulter,  en  même 
temps  que  Picus,  sur  le  conseil  d'Egérie  :  ils  sont  l'un  et 
l'autre  les  dieux  du  sol  romain,  romani  numen  uterque  soli-. 

L'Aventin,  les  Lupercales,  le  Septimontium.  —  Faunus  ce- 
pendant, si  important  (ju'ait  été  son  culte,  ne  possédait  aucun 
temple  à  Rome  avant  l'année  560/1 94 -^ 

Proller  a  cru  qu'un  sanctuaire  lui  était  consacré  très  ancien- 
nement sur  l'Aventin,  en  dehors  du po}7ierium '*.  0\ide  raconte 
en  effet  da.ns  les  Fastes  que  Numa  vint  à  cet  endi'oit  s'emparer 
par  surprise  de  Faunus  et  de  Picus  pour  les  obliger  à  lui  révéler 
l'avenir^.  Mais  les  conséquences  que  Preller  tire  de  ce  texte 
sont  à  coup -sûr  excessives;  il  n'implique  nullement  l'existence 
sur  la  colline  aventine  d'un  édifice  totalement  inconnu  par 
ailleurs.  On  sait  qu'au  pied  de  l'Aventin  s'élevait  un  temple 
de  Bona  Dca  ou  Fauna^*;  la  colline  était  située  dans  la  cam- 
pagne, tout  auprès  de  la  Rome  primitive  où  régnait  Numa  ; 
ces  raisons  suffisent  à  nous  faire  comprendre  qu'Ovide  ait 
assigné  ce  lieu  de  rencontre  au  dieu  et  au  roi. 

Si  les  Lupercales  étaient  vraiment,  comme  le  disent  les 
écrivains  de  l'époque  impériale,  une  fête  de  Faunus,  et  la 
grotte  du  Lupercale  au  Palatin  un  de  ses  sanctuaires,  il  fau- 
drait avouer  que  dès  les  temps  les  plus  reculés  de  l'histoire 


1.  Verg.,  yEn.,  VII,  81. 

2.  Oviu.,  Fast.,  m,  291. 

3.  II  faut  ajouter  qu'à  notre  connaissance,  après  la  construction  du  temple 
de  Faunus  dans  l'Ile  tibérine,  les  Romains  ne  lui  en  élevèrent  aucun  autre  :1e 
temple  de  l'île  lui-même  n'est  mentionné  que  par  le  calendrier  de  l'Esquilin, 
Ovide,  Tite-Live  et  Vitruve;  nous  ne  savons  rien  de  son  histoire.  Le  culte  de 
Faunus  ne  fut  donc  jamais  florissant  à  Rome.  Il  ne  bénéficia,  au  début  du 
second  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  que  d'un  retour  de  faveur  tout  momen- 
tané. Peut-être  profitait-il  alors  du  mouvement  de  renaissance  religieuse  pro- 
voqué par  les  désordres  de  la  seconde  guerre  punique,  qui  avaient  ranimé  les 
sentiments  de  piété  des  Romains  et  rappelé  leur  attention  vers  les  vieilles 
divinités  nationales. 

4.  Preller-Jobdan,  Rœm.  Mijlhol.,  t.  I,  p.  391  ;  —  0.  Gilbert  {Gesc/i.  und 
Topor/r.  der  SI.  Rom,  t.  II,  p.  150,  note)  est  du  même  avis. 

o.  OviD.,  fas/.,  III,  291. 

6.  OviD.,  Fast.,  V,  148;  —  Cic,  de  Do»i.,  130;  —  Lydus,  d«  Mens.,  IV,  52; 
—  Macrob.,  Satum.,  1,  12,  18  et  21. 


LE    TEMPLE    DE    FAUNL'S  299 

de  Rome  il  aurait  été  honoré  à  l'intérieur  de  la  cité;  son  culte 
serait  l'un  des  plus  vieux  du  peuple  romain.  Il  n'en  est  rien. 
Les  Lupercales  ont  été  l'objet  récemment  de  plusieurs  études 
qui  tendent  à  prouver  qu'à  l'origine,  en  dépit  de  l'opinion 
généralement  admise]  usqu'ici,  elles  n'intéressaient  pas  Faunus'. 
Le  dieu  qui  y  présidait,  c'était  Lupercus,  invoqué  peut-être 
aussi,  comme  le  croient  M.  Unger  et  M.  Pascal,  d'après  Tite- 
Live-,  sous  le  nom  de  Inuus.  Les  Anciens  assimilaient  sans 
hésitation  Lupercus  à  Faunus-^.  Inuus  n'était  plus,  sous  l'Em- 
pire, qu'un  vocable  particulier  du  dieu  des  champs^.  On  faisait 
venir  Lupercus  de  lupiim  arcere  et  Inuus  de  inenn(Io-\  Celui 
qui  écarte  les  loups  et  celui  qui  féconde  les  troupeaux  se 
confondirent  désormais  avec  la  divinité  protectrice  des  pâtu- 
rages. Mais  nous  connaissons  assez  l'ancienne  religion 
italique,  qui  multipliait  les  êtres  surnaturels,  pour  affirmer 
que  primitivement  des  personnages  différents  répondirent  à 
ces  noms  divers.  L'identification  de  Faunus  et  de  Lupercus, 
de  Faunus  et  d'Inuus,  est  tardive,  et  due  sans  doute  à 
l'inlluence  des  Grecs,  qui  s'eff'orçaient  de  simplifier  le  Panthéon 
des  Romains  et  d'y  mettre  un  peu  d'ordre  et  de  symétrie. 
M.  Unger  la  conteste,  et  prétend  que  l'étymologie  courante 
do  Lupercus  et  d'Inuus  ne  fut  imaginée  qu'après  coup,  pour  la 
justifier;  il  rapproche  le  premier  du  verbe  luere,  purifier;  il 
voit  dans  Inuus  un  dieu  étrusque*^,  plus  ou  moins  analogue  au 
Mars  des  Latins.  Pour  M.  Pascal,  les  cérémonies  expiatoires 
des  Lupercales  et  les  fonctions  religieuses  des  prêtres 
appelés  Luperques  se  rapportent  au  culte  de  la  louve  qui 
allaita  Romulus  et  Rémus,  et  celle-ci  est  elle-même  une  divi- 
nité du  monde  infernal,  la  Terre,  nourrice  des  héros  éponymes 

1.  Mannhardt,  die  Lupercalien,  dans  ses  Mythologische  Forschungen,  Stras- 
bourg, 1884,  p.  72;  —  Pascal,  le  Divinità  infère  ei  Lupercali,  dans  les  R.  C.  dei 
Lincei,  1895,  p.  138;  —  Fonvleh,  op.  cit.,  p.  310. 

2.  Liv.,  I,  0  :  Ibi  Evandruin,  qui  ex  eo  génère  Arcadum  multis  ante  tempes- 
tatibus  tenuerat  loca,  sollenne  adlalum  ex  Arcadia  instituisse  ut  nudi  juve- 
7ies,  Lyceum  Pana  vénérantes,  per  lusum  alque  lasciviam  currerenl  ;  quem 
Romani  deinde  vocarunt  Inuuin. 

3.  Justin.,  XLIII,  1,  7  :  /n  hujus  radicibus  templum  Lycaeo,  quem  Grseci Pana, 
Ro7nani  Lupercum  appellant,  constituit. 

4.  Cf.  Probus,  toc.  cit. 

5.  Festus,  p.  lo  :  Arcere  prohibere  est.  — r  Servius,  ad  Mn.,  VI,  776  :  Di- 
citur  autem  Inuus  ab  eundo  passim  cum  omnibus  animalibus,  unde  et  Incubo 
dicilur. 

6.  Sou  principal  argument  est  l'existence  en  Etrurie  du  nom  de  lieu  Cas- 
trum  Inui,  cité  par  Verg.,  ^n.,  VII,  775. 


300  LES   CULTES    SECONDAIRES 

tle  Rome  ;  Lupcrcus-Iiiuus  est  un  dieu  pastoral  étrusque  appelé 
plus  tard  Faunus  par  les  Latins,  qui  donnaient  à  toutes  les 
divinités  pastorales  ce  nom  générique,  comme  les  Grecs  celui 
de  Pan.  M.  Fowler,  sans  adopter  entièrement  les  conclusions 
de  M.  Unger,  qu'il  estime  trop  aventureuses,  fait  remarquer 
que  le  dieu  des  Lupercales,  quels  que  soient  son  nom  vé- 
ritable et  son  origine,  ressemble  beaucoup  à  Mars  :  c'est  une 
divinité  locale  du  Palatin,  où  Romulus,  fils  de  Mars,  fonda  la 
Roma  Qiiadrata  ;  les  mots  mêmes  de  Lupercales  et  de  Luper- 
cus  rappellent  la  louve,  consacrée  au  dieu  de  la  guerre. 

Ces  travaux  et  ces  hypothèses  n'ont  pas  encore  tout  à  fait 
éclairci  la  question.  Il  semble  bien  établi  du  moins  que  la  fête 
du  15  février  n'était  pas  d'abord  célébrée  en  l'honneur  de  Fau- 
nus. On  peut  môme  se  demander,  avec  M.  Fowler,  si  l'idée 
que  Faunus  était  le  dieu  des  Lupercales  ne  remonte  pas  i)ré- 
cisément  à  l'époque  de  la  construction  de  son  temple  dans  l'ile 
tibérine'.  Le  texte  le  plus  ancien  qui  le  fasse  intervenir  dans 
la  légende  du  Palatin  est  un  fragment  de  l'historien  Cincius 
Alimontus'*,  qui  vivait  au  début  du  ii"  siècle  avant  l'ère  chré- 
tienne. Et  ce  n'est  certes  pas  par  hasard  et  sans  intention 
qu'on  dédia  le  temple  de  l'île  et  qu'on  fêta  ensuite  chaque 
année  Faunus  le  15  février.  La  date  adoptée  pour  la  cérémonie 
ne  prouve  pas  que  Faunus  et  Lupercus  fussent  originairement 
identiques,  mais  bien  qu'à  partir  d'un  certain  moment  on  a 
voulu  de  parti  pris  les  mettre  en  rapport  l'un  avec  l'autre  et 
effacer  entre  eux  toute  différence. 

Sur  le  calendrier  d'Amiternum,  au  jour  fixé  pour  la  fête  du 
Septimontium,  le  11  décembre,  on  lit  •'  :  AG"IN.  D'après 
M.  Mommson  ces  lettres  signifient  :  Ag[onia)  In{ui)'*.  Faunus, 
sous  le  nom  particulier  d'inuus,  serait  le  protecteur  du  Septi- 
montiinn,  de  la  Rome  contemporaine  des  derniers  rois, 
embrassant  les  sept  collines  de  la  rive  gauche  du  Tibre.  Une 
autre  divinité  champêtre,  Paies,  dont  la  fête  —  les  Palilia  — 
avait  lieu  le  21  avril,  anniversaire  de  la  fondation  de  la  cité 
.  par  Romulus,  n'était-elle  pas  la  patronne  de  la  première  Rome, 
de  la  Borna  Quadrala  du  Palatin?  Quand  bien  même  Faunus 

1.  Fowler,  op.  cit.,  p.  2.j7. 

2.  Cité  par  Servius,  ad  Georg.,  I,  10  :  Cincius  et  Caius  aiunt  ah  Evandro 
Faunum  deum  appellatum. 

3.  C.  I.  L.,  I,  2-=  éd.,  p.  245. 

4.  C.  I.  L.,  I,  2*  éd.,  p.  336.  —  Cf.  0.  Gilbert,  Gescli.  und  Topogr.  der  St. 
Rom,  t.  Il,  p.  192:  t.  l,  p.  224,  note. 


LE   TEMPLE   DE    FAUNUS  301 

ne  devrait  pas  être  considéré  comme  le  dieu  des  Lupercales, 
il  serait  encore  mêlé  aux  légendes  des  origines,  et  le  culte 
qu'on  lui  rendait  dans  Rome  remonterait,  sinon  k  la  fondation 
de  la  ville,  du  moins  à  ses  plus  anciens  accroissements.  L'in- 
terprétation de  M.  Mommsen  n'est  pas  acceptable.  M.  Wissowa 
explique  plus  simplement  le  texte  du  calendrier  par  une  faute 
de  graviu-e;  il  propose  de  rétablir  :  AGON,  agon[ia)K  Le 
nom  d'Inuus  ne  se  rencontre  sur  aucun  document  épigraphique 
et  n'est  connu  que  par  Tite-Live.  S'il  était  écrit  réellement 
sur  le  calendrier  d' Amiternum  il  n'occuperait  pas  la  ,place  que 
lui  attribue  M.  Mommsen,  entre  le  nom  de  la  fête,  Ag[onia)^ 
et  la  lettre  NP,  qui  qualifie  ce  jour;  le  nom  du  dieu  est  tou- 
jours indiqué  après  les  lettres  F,  N,  NP,  jamais  avant  elles. 
Rien  ne  nous  autorise  à  considérer  Faunus  comme  le  dieu  du 
Septimontium. 

La  fondation  du  temple  de  l'île  tibérine.  —  On  ne  relève 
donc  aucune  trace  du  culte  de  Faunus  à  Rome  antérieurement 
à  la  construction  du  temple  de  l'île  tibérine.  Le  dieu  de  la 
campagne  et  des  pâturages  n'était  pas  adoré  dans  les  villes. 
Les  paysans  lui  dressaient  des  autels;  les  citadins  le  négli- 
geaient, n'ayant  pas  besoin  de  son  assistance.  Comme  l'ob- 
serve très  justement  M.  Fowler,  les  édiles  qui  lui  élevèrent 
son  premier  temple  transformèrent  un  culte  pureuient  rustique 
en  un  culte  urbain  -.  Et  encore  le  mot  urbain  n'est-il  pas  tout 
à  fait  exact  ;  suburbain  serait  plus  vrai,  puisque  cet  édifice 
se  trouvait  et  devait  être  nécessairement  en  dehors  de  l'en- 
ceinte du  pomerium. 

Pour  favoriser  Faunus,  si  tardivement  introduit  dans  le 
calendrier  officiel  de  la  cité,  on  assigna  à  la  fête  de  son  sanc- 
tuaire un  jour  déjà  férié.  Les  ides  de  chaque  mois  étaient  con- 
sacrées à  Jupiter;  celles  de  février  devinrent  la  fête  com- 
mune de  Jupiter,  ancienne  divinité  urbaine,  et  de  Faunus, 
divinité  rurale  tout  récemment  admise  aux  abords  de  la  ville  ; 
le  partage  servait  les  intérêts  du  dernier  venu  et  contribuait  à 
le  faire  plus  facilement  accepter'^.  Le  temple  de  l'île  fut  dédié 


1.  Wissowa,  de  Ferlis  annl  Rotnanorum  veliistissimi  observationes  selectae, 
Marburg,  1891,  p.  Xll. 

2.  Fowler,  op.  cit..  p.  236. 

3.  Cf.  JiiLLiAN,  article  Feriœ,  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.  de  Darembeug  et 
Saglio,  t.  II,  2,  p.  1054. 


30â  LES  CtLTES   SECONDAIRES 

en  février,  parce  que  c'était  le  mois  des  Lupercales  dont  Fau- 
nus  devait  être  regardé  à  l'avenir  comme  l'inspirateur,  et  le 
jour  des  ides,  parce  que  depuis  longtemps  on  avait  l'habitude 
de  célébrer  à  cette  date  une  cérémonie  religieuse. 

Il  resterait  à  savoir  quels  motifs  ont  pu  inciter  les  édiles  à 
faire  bâtir  le  temple  de  Faunus  dans  l'île  tibérine  plutôt  qu'au 
Champ  de  Mars,  ou  sur  l'Avontin,  ou  en  tout  autre  quartier 
extra-pomérial  de  Rome. 

Peut-être  ont-ils  voulu  le  rapprocher  d'Esculape;  malgré  la 
différence  de  leurs  origines  et  de  leurs  attributions,  le  dieu 
grec  de  la  médecine  et  le  dieu  latin  des  pâturages  se  ressem- 
blaient par  le  caractère  bienfaisant  et  le  pouvoir  prophétique 
qu'on  leur  prétait  également  ;  Esculape  aurait  mérité,  lui  aussi, 
qu'on  le  surnommât  celui  qui  protège,  celui  qui  rend  des  oracles. 

Peut-être  la  construction  projetée  d'un  temple  de  Jupiter 
dans  l'île,  voué  à  la  bataille  de  Crémone  en  554/200,  bien 
qu'achevé  et  dédié  seulement  en  560/194,  la  même  année  que 
celui  de  Faunus,  a-t-elle  contribué  à  décider  les  édiles.  On  a 
d'autres  exemples  d'édifices  contemporains  élevés,  comme 
ceux-ci,  tout  auprès  l'un  de  l'autre  :  les  temples  de  la  déesse 
Mens  et  de  Vénus  Erycine  au  Capitole,  promis  en  537/217  sur 
l'avis  des  Livres  Sibyllins,  le  premier  par  le  préteur  T.  Otaci- 
lius,  le  second  par  le  dictateur  Q.  Fabius  Maximus,  et  inau- 
gurés par  les  mêmes  personnages,  duumvirs  en  539/215*  — 
les  temples  de  Jtino  Regina  et  de  Diane  auprès  du  cirque 
Flaminius,  promis  par  M.  ^inilius  Lepidus,  C(msul.  pendant  la 
guerre  de  Ligurie,  en  567/187,  et  inaugurés  par  lui  pendant 
sa  censure  en  575/179^.  Il  y  avait  certainement  avantage  à 
placer  le  sanctuaire  de  Faunus  dans  le  voisinage  de  celui  qu'on 
allait  consacrer  à  Jupiter  in  insiila;  le  crédit  dont  jouissait 
Jupiter  auprès  du  peuple  romain  rejaillissait  sur  le  dieu 
agreste  qui  réclamait  en  même  temps  que  lui  les  hommages 
des  fidèles.  Faunus  est  doublement  son  obligé  :  non  seulement 
il  lui  a  emprunté  pour  sa  fête  le  jour  des  ides  de  février,  qui 
jusqu'alors  lui  était  réservé,  mais  encore  il  s'est  insinué  à 
Rome  à  sa  suite  et  pour  ainsi  dire  sous  son  patronage. 

On  ne  doit  pas  oublier  enfin  que  l'île  tibérine  paraissait  aux 
Romains  tout    naturellenvent  désignée  pour  recevoir  sur  son 


1,  Liv.,  XXII,  9  et  10;  XXIII,  30,  .11  et  32. 

2.  Liv.,  XXXIX,  2;  XL,  :>2. 


LE   TEMPLE   DE   FAUNUS  303 

territoire  le  dieu  des  champs  cultivés  et  des  pâturages  ;  les 
légendes  qu'on  racontait  sur  sa  formation  la  prédisposaient  à 
ce  rôle.  Elle  était  elle-même,  en  un  sens,  une  œuvre  et  une 
création  de  Faunus  :  elle  était  née  des  moissons  des  rois  jetées 
au  fleuve.  Les  édiles  de  l'année  558/196  s'inspirèrent  cer- 
tainement du  souvenir  toujours  vivant  de  ces  fabuleuses  ori- 
gines. 


CHAPITRE  IV 
LE  SAGELLUM  DE  TIBERINUS 


Le  culte  des  eaux.  —  Les  Romains  adoraient,  sous  le  nom  de 
Tiberinus,  le  fleuve  qui  traversait  leur  ville  ^ 

En  Italie  comme  en  Grèce  le  culte  des  eaux  tenait  une 
grande  place  dans  la  religion  primitive  2,  Les  forces  mysté- 
rieuses qui  font  jaillir  les  sources  et  couler  les  rivières  inspi- 
raient le  respect  et  la  crainte.  L'eau  est  un  élément  à  la  fois 
bienfaisant  et  redoutable.  Elle  féconde  le  sol,  entretient  et 
renouvelle  la  vie.  Elle  provoque  aussi  d'irrémédiables  catas- 
trophes ;  l'homme  est  incapable  de  lutter  contre  elle;  il  assiste, 
impuissant  et  désarmé,  aux  crues,  aux  inondations  qui  désolent 
les  campagnes  et  mettent  en  péril  la  sécurité  même  des  villes. 
Les  Anciens,  qui  divinisaient  la  nature  entière  et  qui  hono- 
raient ses  puissances  secrètes  dans  leurs  manifestations  visibles, 
attribuaient  à  des  esprits  sacrés,  à  des  génies,  cette  action 
salutaire  ou  néfaste.  Chaque  source,  chaque  rivière  avait  son 
génie,  qui  en  était  la  personnification  symbolique  et  le  poé- 
tique symbole.  Le  dieu  habitait  la  source  ou  la  rivière,  portait 
son  nom,  se  confondait  avec  elle.  Pour  s'attirer  ses  bonnes 
grâces  et  détourner  ses  colères,  on  lui  adressait  des  prières 
et  des  sacrifices,  on  lui  élevait  des  autels  et  des  temples.  Les 
cités  et  les  particuliers  étaient  intéressés  à  se  le  rendre 
propice.  Les  auteurs  et  les  inscriptions  nous  ont  conservé  les 
noms  d'un  grand  nombre  de  ces  divinités  protectrices  des  fon- 
taines, comme  la  fons  Juturnœ  sur  le  Forum  romain,   des 

1.  Seryius,  ad  ^n.,  YIII,  31  :  In  sdcris  Tiherinus,  in  cœnolexia  Tibeins,  in 
poemate  Tibris  vocatur  ;  —  ibid.,  '.VM  :  A  pnnlificibus  indigitari  solet. 

2.  Pkellek-Jorkax,  Rœm.  Mythol.,  t.  H,  p.  120;  —  articles  Flumina  et  Fons, 
par  HiLi),  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.  de  Daurmbkro  et  Saglki;  —  articles 
FlîtssgÔtter,  par  Leiineudt,  et  Fons,  par  Sthcdini;,  dans  le  Lexicon  de  Rosciiek. 


LE    SACELLUM    DE    TIBERINLS  305 

petits  ruisseaux,  comme  le  Spino,  l'Almo  et  le  Nodinus,  mi- 
nuscules affluents  du  Tibre,  ou  des  fleuves,  comme  le  Numi- 
cius  dans  le  Latium,  le  Clituranus  en  Ombrie,  le  Yolturnus 
en  Campanie. 

Le  culte  de  Tiberinus  à,  Rome.  —  Aucun  fleuve  d'Italie  ne 
recevait  autant  de  marques  de  vénération  ni  d'hommages  que 
le  Tibre  •.  Aux  raisons  générales  qu'avaient  les  Romains  d'hono- 
rer les  dieux  des  eaux  s'ajoutaient  pour  celui-ci  quelques  motifs 
particuliers  de  reconnaissance.  Il  contribuait  grandement  à  la 
fortune  et  à  la  prospérité  de  Rome.  L'importance  de  la  ville, 
le  rôle  qu'elle  joua  dans  le  Latium  d'abord,  en  Italie  ensuite  et 
dans  tout  le  bassin  de  la  Méditerranée,  étaient  dus  en  partie  à 
son  heureuse  situation  sur  les  bords  du  Tibre,  non  loin  de  la  mer 
avec  laquelle  il  la  mettait  en  relations  constantes  et  faciles.  Les 
Anciens  en  avaient  conscience  :  géographes,  historiens,  ora- 
teurs, poètes,  ont  célébré  à  l'envi  les  avantages  de  cette 
position  privilégiée  et  les  services  que  rendait  le  fleuve  à  la 
cité  ~.  C'est  lui  qui  la  faisait  communiquer  avec  les  régions  voi- 
sines et  les  pajs  lointains.  C'est  lui  qui  permettait  à  Rome  de 
développer  son  commerce  au  dehors,  de  recevoir  régulière- 
ment et  sûrement  les  immenses  approvisionnements  de  blé 
nécessaires  à  sa  subsistance.  Mais,  s'il  était  très  calme  et  très 
utile  en  temps  ordinaire,  il  se  montrait  violent  et  redoutable 
au  moment  des  crues.  Chaque  hiver,  chaque  printemps,  à 
l'époque  des  grands  pluies,  il  roulait  depuis  les  pentes  de  la 
chaîne  Apennine  un  volume  d'eau  énorme  ;  il  se  précipitait 
comme  un  torrent,  débordait  hors  de  son  lit  habituel  et    se 

1.  Preller-Jorda\,  op.  cit.,  t.  II,  p.  130;  —  article  Tiberinus,  dans  la  Real 
Encyclopffdie  de  Pally,  par  Scheiffel. 

2.  Strabo,  V,  p.  234  :  'Ev  Se  -rf,  [Asuoyata  TvpwTYj  (ikv  -jTtep  -rwv  'Qort'wv  âoriv  tj  'Pw jiï) 
xai  [xôvr,  ys  lut  tw  Ttêépst  xeïtat  'Trepi  y]?,  ott  upôç  àvâyxrjV  o-j  Tcpoç  aipSTiv  EXTiorai, 
£'tpr,Tat  ;  —  ibicL,  p.  233  :  IIpoç  TaC-'  ouv  xé  -s  tûv  [X£Tâ)Awv  TzXrfioç  xal  r^  "jXïj  xai  oî 
xataxotixt^ovre;  uoTa[xol  6au[j.ao-rr|V  ■Ko.péy^o-jai  ttjv  itizoyopr^fia.v...  àXX'  ojjlwç  ini'kzi,- 
7i£v  av  f,  ÈTravôpôwm?,  £t  [xf,  -rà  (j.£Ta),),a  xal  t)  -SIt]  xal  to  -rf,ç  7rop6[i£Îa;  z-j\t.s.za.yj.i- 
pt(7Tov  iv-dyt.  —  Liv.,  V,  54  :  Flumen  opportunum,  quo  ex  mediterraneis  locis 
fruges  devehanlur,  quo  mariiimi  commealus  accipiantur.  —  Cic,  de  Rep.,  II,  5  : 
Romulus  uvbem  perennis  amnis  et  œquabilis,  et  in  mare  late  inftuentis  posuit 
in  ripa,  quo  posset  urbs  et  accipere  ex  mari  quo  egeret,  et  reddere  quo  redun- 
daret  ;  eodemque  ut  flumine  res  ad  victum  cultumque  maxime  necessarias  non 
solum  mari  absorberet,  sed  etiam  invectas  acciperet  ex  terra.  —  Verg.,  ^n., 
VIII,  62. 

Ego  sum  pleoo  quem  flumine  cernis 
Stringenlem  ripas,  et  pinguia  culta  secantem, 
Cœruleus  Tiiybris,  cœlo  gratissimug  amnis,  • 

20 


306  LES    CULTES    SECONDAIRES 

répandait  dans  les  bas  (quartiers  do  la  ville,  jusqu'au  Forum 
mémo,  entraînant  parfois  les  ponts  et  baij^nant  le  pied  des 
maisons  et  des  temples'.  Les  Romains  s'effrayaient  des  dan- 
gers que  leur  faisait  courir  Tiberinus.  Ils  lui  rendaient  un 
culte  à  la  fois  pour  le  remercier  de  ses  bons  offices  et  pour 
prévenir  ses  violences. 

Antiquité  de  ce  culte.  —  L'institution  de  ce  culte  remontait 
aux  origines  <le  la  cité.  Une  vieille  tradition,  que  rapporte 
saint  Augustin  d'après  Varron,  prétendait  que  Romulus  avait 
rangé  Tiberinus  au  nombre  des  premiers  dieux  de  Rome,  en 
même  temps  que  Janus,  Jupiter,  Mars,  Picus,  Faunus  et  Her- 
cule 2.  Les  annalistes  grecs,  selon  leur  coutume,  imaginèrent 
des  fables  généalogiques  pour  expliquer  le  nom  du  fleuve. 
Le  Tibre  s'appelait  d'abord  Albiila^  Rumon,  Serra,  Tercnlus^ 
Coluber  :  tous  ces  qualificatifs  étaient  tirés  de  sa  nature  phy- 
sique et  de  son  aspect -^  Il  eut  ensuite  pour  héros  éponyme 
et  génie  protecteur  un  personnage  légendaire  et  mythique, 
Tiberinus  ou  Thybris,  dont  on  fait  tantôt  un  fils  de  Janus  et  de 
de  Camasène,  tantôt  un  chef  étrusque,  ou  encore  un  roi  d'Albe 
englouti  dans  les  flots  de  VAlhula''. 

Le  rôle  que  jouaient  les  pontifes  dans  la  construction  des  ponts 
prouve  l'antiquité  et  l'importance  du  culte  de  Tiberinus-'.  Ils 
formaient  le  premier  en  dignité  de  tous  les  collèges  sacerdo- 
taux de  Rome.  Ils  avaient  la  surveillance  et  la  haute  direc- 
tion   de   la  religion  nationale,   la  présidence  des  cérémonies 


1.  Publlek,  Rom  und  Uer  Tiber,  dans  les  lier.  d.  sScIis.  Ges.  d.  Wiss., 
Leipzif,',  |t.  134. 

2.  Augustin.,  de  Civ.  Dei,  IV,  23  :  Quid  ergo  consIHuit  Romanis  deos  Junii/ti, 
Jovem,  Martem,  Picum,  Faunutn,  Tiberinum,  Hercv/em  etsiquosalios?  —  Ibid., 
VI,  10  :  Cloacinam  Talius  dedicavit  deajn,  Picum  Tiberinumque  Bomuhis. 

3.  Vehg.,  Ain.,  VIII,  332  :  Amisil  verum  velus  Alhula  nomen;  —  Sehvius, 
ad  eumd.  loc.  :  Antiquum  hoc  nomen  a  colore  liabuit.  —  Sehvius,  ad  yEn., 
^■1II,  03  :  Hoc  est  Tiberini  fluminis  proprium  adeo  ut  ab  antiquis  Ihimon  dic- 
tas sit  quasi  ripas  ruminans  et  exedens.  In  sacris  eliam  Serra  dicebatur.  Unde 
ait  nunc  :  et  pinguia  culta  secantem  ;  in  cliqua  etiam  urbis  parte  Tarenlum 
(autre  leçon  :  Terentum)  dicitur  eo  quod  ripas  terat  {serra  veut  dire  la  scie).  — 
Les  livres  des  augures  donnaient  aussi  au  Tibre  le  nom  de  Coluber,  à  cause 
des  sinuosités  de  son  tracé  :  Sehvius,  ad  Ain..  VIll,  95  :  Tibeiim  libri  aur/u- 
i'um  colubrum  loquuntur,  tanquam  flexuosum. 

4.  Ces  différentes  légendes  sont  rapportées  par  Sehvius,  ad  Ain.,  VIII, 
330;  —  OviD.,  Melam.,  XIV,  613,  et  Fast.,  IV,  47;  —  Varho.  de  Limj.  lat.,\,  30; 
—  Oic,  de  Nul.  deor.,  11,  20;  —  Liv.,  I,  3;  —  Uioxvs.,  I,  71. 

'6.  Bouché-Leclercq,  les  Pontifes  de  l'ancienne  Home,  Paris,  1871,  p.  16. 


LE    SACELLUM    DE    TIBERINUS  307 

sacrées.  Pour  jeter  un  pont  par-dessus  le  Tibre  et  relier  arti- 
ficiellement les  doux  rives  que  la  nature  et  les  dieux  avaient  à 
dessein  séparées,  on  jugeait  nécessaire  de  les  faire  intervenir. 
Ceux-là  seuls  qui  avaient  le  privilège  exclusif  de  parlementer 
avec  les  dieux,  de  les  apaiser,  d'attirer  leur  protection  sur  les 
entreprises  des  hommes  pouvaient  empêcher  que  rétablisse- 
ment d'un  pont  fût  un  attentat  sacrilège  et  criminel  contre  la 
divinité  du  fleuve  ^. 

L'antique  sacrifice  des  Argées  paraît  avoir  quelque  rapport 
avec  le  culte  de  Tiberinus.  Tous  les  ans,  le  jour  des  ides  de 
mai,  on  précipitait  du  haut  du  pont  Sublicius,  en  présence  des 
pontifes  et  des  vestales,  vingt-quatre  mannequins  d'osier  de 
forme  humaine-.  Il  faut  voir  dans  cette  étrange  cérémonie 
l'image  et  le  simulacre  d'anciens  sacrifices  humains  abolis  3. 
D'après  Ovide  et  Denys  d'Halicarnasse,  les  Argées  étaient 
offerts  à  Saturne^;  d'après  Festus,  à  Dis  Pater -^  Il  est  bien 
probable  que  Tiberinus  prenait  aussi  sa  part  de  l'expiation  fic- 
tive :  n'était-ce  pas  avec  l'intention  et  dans  l'espoir  de  l'apaiser 
et  de  se  concilier  sa  faveur  qu'on  jetait  dans  les  eaux  des 
victimes  vivantes  ou  des  mannequins  symboliques*^? 

Ses  manifestations.  —  Le  culte  de  Tiberinus,  fondé  dès 
l'époque  royale,  se  perpétua  sous  la  République  et  jusque 
sous  l'Empire.  Les  pontifes  et  les  augures  prononçaient  solen- 
nellement le  nom  du  dieu  dans  les  prières  publiques".  Le  7  juin 
de  chaque  année,  les  pécheurs  célébraient  des  jeux  en  son  hon- 
neur au  Transtévère*^.  On  lui  prodiguait  les  épithètes  louan- 
geuses :  diviis,  sanctus,  pater'^.  Une  inscription  de  Rome,  au 


1.  Sous  le  règne  de  Tibère,  le  Sénat  refusait  encore,  par  scrupule  religieux, 
de  laisser  endiguer  ou  détourner  les  affluents  du  Tibre  :  Tac,  Aiin.,  I,  "9. 

2.  Voir  les  articles  Argei,  par  Saglio,  dans  le  Dictionn.  des  Antiq.  de  Dahe.m- 
BERG  et  Saglio,  par  Steloing,  dans  le  Lexicon  de  Roschek,  par  Wissowa,  dans 
la  Real  Encyclopàdie  de  Pally-Wissowa. 

3.  UiLD,  les  Argées,  dans  le  Bullet.  de  la  Fac.  des  Lettres  de  Poitiers,  1889, 
p.  36  et  p.  113;  —  du  même  auteur,  article  Flumina,  dans  le  Victionn.  des 
Aniiq.  de  Daremberg  et  Saglio,  t.  Il,  2,  p.  1191. 

4.  Ovin.,  Fast.,  V,  627  ;  —  Dionys.,  I,  38. 

5.  Festus,  p.  334  (passage  très  corrompu). 

6.  Bouché-Leclercq,  op.  cit.,  p.  278. 

7.  Serviis,  ad  A\n.,  Vlll,  330  :  A  pontificibus  indigitari  solet;  —  Cic,  de 
Nat.  deor.,  111,  20,  32  :  In  augitrum precatione  Tiberinum,  Spinonem,  Almoneni^ 
fsodinum,  alia  propinquoruyn  fluminum  nomina  videnius. 

8.  OviD.,  Fast.,  VI,  238;  —  Festus,  p.  238.  —  Cf.  ci-dessus,  p.  82. 

9.  Vero.,  Georg.,  IV,  369  :  Pater  Tiberinus. 


308  LES   CULTES    SECONDAIRES 

temps  de  Dioclétien,  l'appelle  le  père  de  toutes  les  eaux, 
Tiber'uio  patri  aquarum  omniiun^.  Les  poètes,  Ennius,  Vir- 
gile, et  Claudieu  encore  au  v'  siècle  so  sont  plu  à  l'invoquer 
ou  à  le  mettre  en  scène  '^.  Des  statues  lui  furent  élevées,  à 
l'imitation  de  celles  du  Nil  k  Alexandrie  •'.  Son  image  se 
retrouve  sur  des  médaillons,  sur  des  monnaies  ^  On  le  repré- 
sentait sous  les  traits  d'un  vieillard  couché,  présidant  majes- 
tueusement au  cours  des  eaux  et  aux  destinées  de  la  ville 
puissante  assise  sur  ses  bords. 

La  fête  de  Tiberinus  dans  l'île.  —  Une  fête  de  Tiberinus 
avait  lieu  annuellement  dans  l'île  tibérine  le  8  décembre.  On 
lit  en  effet  sur  le  calendrier  d'Amiternum,  à  la  huitième  ligne 
de  la  colonne  consacrée  au  mois  de  décembre  ^  : 

F   VI  C  Tiberino  in   insula 
«  Le  sixième  jour  avant  les  ides,  fête  de  Tiberinus  dans  l'île <»  ». 

Il  n'est  pas  surprenant  que  les  anciens  calendriers  fassent 
mention  d'une  cérémonie  solennelle  dédiée  au  dieu  du  Tibre. 
Les  Romains  lui  témoignaient  trop  de  vénération,  et  depuis 
trop  longtemps,  pour  omettre  de  lui  réserver  un  de  leurs  jours 
de  fête.  Oh  pouvait-on  mieux  se  réunir  à  cette  occasion  que 
dans  l'île  même  formée  par  le  fleuve,  entourée  de  ses  eaux? 

Le  sacellum.  —  Selon  toute  vraisemblance,  Tiberinus  avait 
entre  les  deux  ponts,  sinon  un  temple,  dont  le  souvenir  n'aurait 
pu  entièrement  se  perdre,  du  moins  un  petit  sanctuaire,  une 
chapelle,  sacellwn  Tiherini^  où  l'on  venait  sacrifier ''^.  Nous  ne 
savons  pas  quand  ce  sanctuaire  fut  fondé.  L'antiquité  du  culte 
de  Tiberinus   à  Rome  et  le  fait  même  que   la  cérémonie  du 

1.  c.  I.L.,  VI,  173. 

2.  ExNius,  Ann.  {éd.  L.  MûUer),  vers  SI  : 

Teque,  patcr  Tibérine,  tuo  cum  lluiDind  sancto. 

Veiig.,  Mn.,  VIII,  31  :  Tiberinus  apparaît  en  songe  à  Enée  et  lui  prédit 
l'avenir  de  sa  race.  —  ('laidia.n.,  Paneg.  dict.  Probino  et  Objbrio  coss.,  226  : 
Tiberinus  s'arrête  dans  l'île  tibérine  pour  conteuipicr  de  loin  le  cortéf,'e  des 
deux  consuls  (Cf.  ci-dessus,  p.  65). 

3.  Par  e.Kemple  la  statue  couchée  du  musée  du  Vatican. 

4.  Fkoiiseh,  les  Médaillons  de  l'Empire  romain,  p.  î)l-52. 
fi.  C.  I.  L.,  2»  éd.,  p.  243. 

6.  F  lettre  nondinale,  G  dies  comilialis. 

1.  KiKPEKT-HuELSE.v,  Nomencl,  topogr.,  p.  66  ;  —  Homo,  Lex.  de  topoyr.  rom., 
p.  502. 


LE    SACELLUM    DE    TIBERINUS  309 

8  décembre  figure  sur  un  calendrier  officiel  du  temps  de  la 
République  nous  autorisent  à  croire  qu'il  remonte  à  une 
époque  assez  reculée.  Peut-être  avait-il  été  élevé  au  moment 
d'une  inondation,  pour  calmer  le  Tibre  irrité.  L'emplacement 
du  sacelliim  n'est  pas  mieux  connu  que  la  date  de  sa  construc- 
tion. Tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  que,  si  les  Romains  ont 
eu  l'intention,  comme  il  est  vraisemblable,  de  rapprocher 
autant  que  possible  l'autel  du  dieu  et  les  eaux  du  fleuve  qui 
était  son  domaine,  ils  auront  dû  le  placer  sur  la  berge,  à  l'une 
des  extrémités  de  l'île.  Le  temple  de  Faunus  occupait  la 
pointe  nord,  vers  l'amont.  A  la  pointe  sud,  en  aval,  derrière 
le  temple  d'Esculape  et  ses  dépendances,  il  y  avait  place 
pour  un  petit  sanctuaire,  d'où  le  dieu  du  Tibre  contemplait  les 
vieux  quartiers  de  Rome  et  la  courbe  du  fleuve  entraînant 
ses  flots,  par-delà  les  collines  à  l'horizon,  vers  la  mer. 

Tiberinalia  et  Portunalia.  —  M.  Mommsen  n'admet  pas  cette 
hypothèse.  Selon  lui,  c'est  auprès  du  pont  Fabricius,  dans  la 
partie  centrale  de  l'île,  qu'avait  lieu  la  fête  de  Tiberinus  et 
qu'était  située  sa  chapelle  ^.  Le  calendrier  d'Amiternum,  qui 
mentionne  la  solennité  du  mois  de  décembre,  indique  pour 
le  17  août  une  fête  du  dieu  Portunusprès  du  pont  iEmilius-  : 

E  XVI  Portiimo)  NP  fer{ise)  Portiino  \  Portuno  ad  pon- 
tem  ^miliiim. 

«  Le  seizième  jour  avant  les  kalendes  de  septembre,  fête 
de  Portunus  près  du  pont  ^milius'^.  » 

Les  autres  calendriers  conservés  ne  disent  rien  de  la  pre- 
mière cérémonie  et  citent  tous  la  seconde  :  Portunalia,  feriœ 
Portuno,  Portuno  ad  jjontem  Mmilhmi'^.  Mais  sur  l'un 
d'entre  eux,  celui  de  Philocalus,  on  lit  pour  ce  même  jour,  au 
lieu  de  Portunalia,  Tiberinalia'' .  M.  Mommsen  attache  une 
grande  importance  à  ce  dernier  texte.  Il  conclut  de  la  confu- 
sion faite  par  l'auteur  du  calendrier  entre  les  Portunalia  et 
les  Tiberinalia  qu'ils  étaient   identiques.   Portunus  ne    serait 


1.  G.  I.  L.,  I,  2'  éd.,  p.  323. 

2.  G.  I.  L.,  I,  2'=  éd.,  p.  244. 

3.  E  lettre  nondinale;  le  sens  des  lettres  NP  est  obscur  [nefastus,  nefastus 
puvus,  nefastus  feriatus?);  cf.  G.  I.  L.,  I,  2"  éd.,  p.  289. 

4.  G.  I.  L.,  1,  2°  éd.,  p.  217,  p.  225,  p.  240,  p.  248,  p.  232. 

5.  G.  I.  L.,  1,  2'  éd.,  p.  210. 


310  LES    CULTES    SECONDAIRES 

qu'un  nom  ancien  de  Tibcrinus.  On  sait  par  Festiis  que  l'im 
des  doQze  flamines  mineurs  s'appelait  flamen  Portunnlis^  : 
c'est  une  preuve  certaine  que  le  culte  de  Portunus-Tihorinus 
appartenait  à  la  religion  italique  primitive.  Varron  nous 
apprend  que  Portunus  avait  un  temple  dans  le  port  du  Tibre'-; 
le  mot  portus  ne  peut  s'appliquer  qu'à  un  port  de  mer  ;  un 
port  fluvial  s'appelait  nnporium;  le  sanctuaire  de  Portunus 
in  porhi  était  donc  à  l'embouchure  du  Tibre,  à  Ostie.  On  cé- 
lébrait la  fôte  du  17  août  à  Rome  et  à  Ostie  à  la  fois.  Les 
fidèles  se  rendaient  en  procession  d'une  ville  à  l'autre.  Ovide, 
racontant  l'arrivée  à  Rome  du  navire  qui  ramenait  de  Pessi- 
nonte  la  pierre  noire  de  Cybèle,  nous  dit  qu'on  remontant  le 
Tibre  on  rencontrait  à  un  détour  du  fleuve  les  atrin  tiharina-^; 
pour  M.  Mommsen,  ces  atria  étaient  un  petit  édifice  sur  la 
rive,  consacré  à  Tiberinus-Portunus,  et  où  faisait  halte  la  pro- 
cession des  Portimalia.  A  Rome  les  Tiherinalia  du  mois  de 
décembre  avaient  lieu  dans  l'ilo  :  le  calendrier  d'Amiternum 
l'affirme  ;  les  Portiinalia  ou  Tiherinalia  du  mois  d'août  avaient 
lieu  près  du  pont  ^milius  :  tous  les  calendriers  l'assurent. 
Or,  d'après  M.  Mommsen,  le  pont  ^milius  n'est  autre  que 
l'un  des  ponts  de  ïinsu/a  tiberina^  celui  que  l'on  appelle  géné- 
ralement le  pont  Fabricius.  Les  deux  indications  topogra- 
phiques coïncident  par  conséquent.  Le  sanctuaire  unique  de 
Tiberinus-Portunus  se  trouvait  dans  l'île,  au  débouché  du  pont 
^milius-Fabricius . 

La  théorie  de  M.  Mommsen  repose  tout  entière  sur  l'iden- 
tification du. pont  .^milius  et  du  pont  Fabricius.  S'il  est  prouvé 
que  ces  deux  monuments  sont  distincts  elle  est  impossible  à  dé- 
fendre. On  a  examiné  précédemment  le  système  de  M.  Momm- 
sen sur  l'histoire  et  les  noms  des  ponts  ;  on  a  vu  combien  il 
était  aventureux  et  téméraire  ;  il  multiplie  les  invraisem- 
blances et  les  assertions  gratuites  ;  il  substitue  de  pures  hypo- 
thèses à  des  faits  certains'.  En  réalité  le  pont  ^Êmilius  était 

1.  Festus,  p.  217,  s.  v°  Persillum.  —  Ce  flamine  aurait  eu  pour  fonction 
d'oindre  les  armes  de  Quirinus  avec  une  huile  appelée  persillum  :  attribution 
d'autant  plus  singulière  que  Quirinus  avait  lui-môme  un  flamine  spécial. 

2.  Vakko,  de  Linr/.  lai.,  VI,  19  :  l'ovtunalla  dicta  a  Porluno  oui  eo  die  aedes 
in  porlu  Tiberino  fada  et  feriiB  institulœ. 

3.  OviD.,  Fasl.,  IV,  339  : 

Fluminis  ad  flexiim  venianl  —  Tiberina  priores 
Atria  dixenint  —  unde  sinifiler  abit. 

4.  Cf.  plus  haut,  p.  12". 


LE    SACELLUM    DE    TIBERINUS  3 H 

situé  au-dessous  de  l'île,  à  quelque  distance  en  aval,  assez  loin 
du  pont  Fabricius.  Il  faut  chercher  sur  l'une  des  rives  du  fleuve 
remplacement  du  sanctuaire  de  Portunus  oii  l'on  fêtait  les 
Porhmalia  du  mois  d'août.  D'après  M.  Huelsen,  ce  Portu- 
niiim  —  c'est  le  nom  que  lui  donnent  Fronton  '  et  peut-être 
aussi  la  Notitia  rcgionwii'-  —  existerait  encore  :  ce  serait  le 
petit  temple  rond  et  périptère  qui  se  dresse  sur  la  rive  gauche, 
à  l'extrémité  du  Vélabre  et  du  Forum  boarium^  en  face  de 
l'église  (le  Sainte-Marie  in  Cosmedin^ . 

La  cérémonie  du  17  août  n'intéressait  en  rien  Tiberinus. 
M.  Mommsen  exagère  la  valeur  des  Fastes  de  Philocalus  ;  ils 
ont  été  rédigés  beaucoup  plus  tard  que  les  autres  calendriers 
qui  nous  sont  parvenus  ;  ceux-ci  datent  de  la  fin  de  l'époque 
républicaine  ou  du  début  de  l'époque  impériale  ;  la  compilation 
de  Philocalus  est  du  milieu  du  iv''  siècle  après  l'ère  chrétienne. 
L'accord  de  tous  les  anciens  témoignages  suffît  à  prouver  que  le 
véritable  nom  de  la  fête  du  17  août  était  celui  de  Portunalia.  La 
substitution  du  mot  Tiberinalia  au  mot  Portunalia  est  une  erreur 
évidente.  Peut-être  l'auteur  des  Fastes  ou  lelapicidea-t-il  écrit 
par  négligence  un  nom  pour  un  autre.  Peut-être  au  iv*  siècle  le 
culte  de  Portunus  était-il  tombé  en  désuétude,  mal  connu  et 
mal  compris,  abusivement  rapproché  du  culte  de  Tiberinus. 

Portunus  et  Tiberinus  sont  deux  dieux  très  différents  ;  ce 
que  l'on  sait  de  chacun  d'eux  empêche  d'accorder  à  M.  Momm- 
sen qu'ils  ne  faisaient  qu'un  seul  et  même  personnage,  désigné 
successivement  ou  simultanément  sous  ces  deux  vocables. 
L'étymologie  nous  renseigne.  Tiberinus,  c'est  le  génie  protec- 
teur du  fleuve  qui  traverse  Rome.  Portunus,  s'il  faut  on  croire 
Varron,  c'est  le  dieu  des  ports,  /9or^?/.s,  et  des  portes,  yjo/'- 
tas'^,  —  deux  aspects   en  somme   assez  voisins  :  un  port  n'est 


1.  FnoxTO,  Epist.,  I,  7,  p.  19  (éd.  Naber,  Leipzig,  1867)  :  Idein  evenit  flori- 
bus  et  covonis  :  nlia  dignilale  sunt  in  Portunio  ciun  a  coronariis  veniunL,  alla 
cum  a  sacerdotibus  in  templo  porriguntur.  Il  y  avait  donc  auprès  du  Portunium 
un  marché  de  fleurs  et  de  couronnes. 

2.  La  Notitia  mentionne  dans  la  XI"  région,  n"  12,  un  édifice  appelé  Fortu- 
nium.  M  Huelsen  propose  de  corriger  le  texte  et  de  remplacer  ce  terme 
inconnu  et  barbare  parle  nom  de  Portiaiiurn. 

3.  Huelsen,  il  Foro  boario  e  le  sue  adiacenze  neWantichità,  dans  les  Dissert, 
délia  pontif.  Accad.  di  archeol..  série  II,  t.  YI,  1896,  p.  262. 

4.  Schol.  Veron.  ad  JEn.,  V,  241  :  Portunus,  ut  Varro  ait,  deus  portuum 
portarmnque  prœses.  Quare  hujus  dies  festus  Portunalia,  qua  apud  veteres  cla- 
ves  in  focum  add...  mare  institutmn.  La  seconde  phrase,  qui  pourrait  nous  ren- 
seigner sur  les  rites  et  cérémonies  des  Portunalia,  est  malheureusement  trop 


312  LES   CULTES    SECONDAIRES 

autre  chose  qu'une  porte  ouverte  «le  la  côte  sur  la  mer.  Por- 
tuiuis  serait  donc  un  Janus  particulier'.  Los  Romains  l'ado- 
raient comme  le  protecteur  du  commerce  de  la  ville  et  de  la 
navifçation  fluviale.  M.  Mommsen  a  raison  de  soutenir  que  les 
ports  fluviaux  s'appelaient  emporta;  le  nom  de  portas  ne  pouvait 
convenir  strictement  qu'à  ceux  des  bords  de  la  mer  ;  les  Anciens 
l'appliquaient  cependant  par  extension  et  improprement  à 
Vemporitnn  de  Rome'-. 

Il  n'est  pas  impossible  qu'une  procession  en  l'honneur  de 
Portunus  allât,  le  17  août,  comme  le  suppose  M.  Mommsen, 
do  Rome  à  Ostie,  mais  aucun  texte  ne  l'indique.  Quant  aux 
mots  atria  Tiberina  dans  les  Fastes  d'Ovide,  ils  ne  désignent 
nullement  un  sanctuaire  de  Portunus  sur  les  bords  du  Tibre, 
ni  môme  un  sanctuaire  de  Tiberinus.  On  doit  les  traduire  sim- 
plement par  les  mots  «  entrée  du  Tibre  ».  Vatinmn  était  la 
première  pièce  de  la  maison  romaine.  De  même  et  par  analo- 
gie on  appelait  atria  Tiberina  l'endroit  où  le  navigateur, 
remontant  le  courant,  perdait  de  vue  la  mer,  que  lui  cachaient 
les  détours  de  la  vallée,  et  entrait  définitivement  dans  les  eaux 
fluviales.  11  ne  faut  donc  pas  confondre,  ainsi  que  le  faisait 
M.  Mommsen,  le  pont  ^milius  et  le  pont  Fabricius,  les  Tibe- 
rinalia  et  les  Portunalia^  Tiberinus  et  Portunus.  Rien 
n'oblige  à  situer  le  sacellum  Tiberini  au  centre  de  l'île,  près 
du  pont  Fabricius.  A  défaut  de  textes  et  de  monuments,  la 
simple  convenance  des  lieux  invite  à  croire  bien  plutôt  qu'il 
s'élevait  à  la  pointe  méridionale. 

Tiberinalia  et  Volturnalia.  —  Si  les  Portimalia  ne  concer- 
naient ni  Tiberinus,  ni  l'ilo  tibérine,  il  n'en  était  peut-être  pas 
de  même  d'une  autre  solennité  rehgieuse  de  Rome.  Les  calen- 


mutilée.  —  Cf.  Festus,  p.  56  :  (Portunus)  clavhn  manu  tenere  fingebalur  et  deus 
putabntur  esse  portarum.  —  (lonsulter  sur  Portunus  et  son  culte  :  Pkellek- 
JoKDAX,  Bœm.  Mythol.,  t.  I,  p.  323,  et  t.  II,  p.  133;  —  article  Portnmnvs  par 
Pfau  dans  la  Real  Encyclopàdie  de  Pauly. 

1.  Fowi.En,  tfie  Roman  festivals,  p.  202,  serait  disposé  à  croire  que  Por- 
tunus était  primitivement  le  dieu  des  entrepôts,  des  magasins  où  l'on  ramas- 
sait les  blés.  D'après  Festus,  p.  233,  dans  la  loi  des  XII  tables,  le  mot  porlus  se 
trouvait  employé  avec  le  sens  de  dormis,  maison  ;  on  entendait  peut-être  à  l'ori- 
gine par  pnrtus  un  lieu  de  sûreté,  de  quelque  nature  qu'il  fût.  Portunus  devint 
ensuite  et  tout  naturellement  le  dieu  des  portes  et  des  ports. 

2.  Voir  les  observations  de  Jokdan,  zur  Rœmischen  Topograpfiie,  dans  VUer- 
mes,  1870,  t.  IV,  p.  237,  et  les  exemples  qu'il  cite. 


LE    SACELLUM    DE    TIBERINUS  313 

driers  nous  apprennent  qu'il  y  avait,  le  27  août,  sixième  jour 
avant  les  kalendes  de  septembre,  une  fête  des  Voltiirnalia 
ou  un  sacrifice  au  fleuve  Volturnus^  : 

[G  VI]   Volt{îtrno)  NP  Volturno  flximini  sacrificium 

Varron  et  Festus  y  font  allusion,  et  l'on  sait  par  eux  qu'un 
flamine  mineur  portait  le  nom  de  flamen  Voltunialis-.  L'en- 
droit où  se  célébrait  la  cérémonie  est  inconnu. 

Un  fleuve  de  Campanie  s'api)elait  Yolturnus  ;  les  habitants 
de  Capoue  et  des  environs  lui  rendaient  un  culte,  comme  les 
Romains  à  Tiberinus.  Serait-ce  donc  lui  qu'on  adorait  aussi  à 
Rome?  Preller  le  croyait.  Son  culte  n'aurait  été  adopté  par 
les  Romains  qu'après  la  prise  de  Capoue  en  543/211^. 
M.  Mommsen  a  contesté  très  justement  cette  opinion*.  Vol- 
turnus  n'était  pas  un  dieu  étranger,  tardivement  introduit 
dans  le  Latium,  mais  au  contraire  une  ancienne  divinité  natio- 
nale, de  tout  temps  connue  et  fêtée  à  Rome;  l'existence  d'un 
flamen  particulier  attaché  à  son  service  en  témoigne.  D'autre 
part,  il  avait  sa  place  dans  les  vieilles  légendes  mytho- 
logiques et  généalogiques.  Arnobe  raconte  qu'on  faisait  de 
Janus  le  père  de  Fons,  le  gendre  de  Volturnus,  le  mari  de 
Juturna^.  Ce  Volturnus  romain  ne  peut  être  qu'un  autre  nom 
de  Tiberinus.  Le  Tibre  est  le  seul  fleuve  auquel  les  Romains 
aient  eu  besoin  d'adresser  leurs  prières.  Le  mot  Volturnus,  qui 
se  rattache  à  la  même  racine  que  volvere,  rouler,  est  une 
épithète  qu'on  lui  décernait  ou  l'un  de  ses  vocables  primitifs, 
dérivé  de  sa  nature  physique,  aussi  bien  que  ceux  à'Alhnla  ou 
de  Serra.  Les  augures  dans  leurs  invocations  l'appelaient  Co- 
luher,  à  cause  du  tracé  capricieux  de  son  cours,  qui  ressem- 
blait aux  sinuosités  d'un  serpent.  On  le  surnommait  Voltur- 
nus à  cause  de  son  débit  irrégulier  et  des  masses  d'eau  qu'il 

1.  C.  1.  L.,  I,  2'  éd.,  p.  240  [Fasli  Vallenses).  —  Cf.  aussi  p.  214,  p.  217,  p.  225. 

2.  Varho,  de  Ling.  lat.,  VI,  21  :  Vortunalia  a  deo  Vorluno,  cujus  feriae  tiim. 
—  Cf.  du  même  auteur,  op.  cit.,  VII,  45  :  Sunt  in  quitus  flaminum  cogjiomi- 
nibus  latent  origines,  ut  in  his  qui  sunt  versibus  plurique  : 

Volturnalem,  Palatualem,  etc. 
Festus,  p.  379  :  Volturnalia  Volturno  suo  deo  sacra  faciebant,  cujus  sacerdo- 
tem  Volturnalem  vocant. 

3.  Preller-Jordan,  op.  cit.,  t.  II,  p.  143. 

4.  Mommsen,  dans  le  C.  I.  L.,  I,  2°  éd.,  p.  327. 

5.  Arnob.,  Advers.  gentes,  III,  29  :  Janum  quem  feimnt  Cœlo  atque  Hécate 
procreatum  in  Ilalia  régnasse  primum,  Janiculi  oppidi  conditorem  patrem 
Fonti,  Vulturni  generum,  Juturnse  marilum. 


314.  LES   CULTES    SECONDAIRES 

roulait  au  moment  des  crues.  Le  flamen  Volliimnlis  ôtait  \o 
flamine  de  Volturnus-Tiberinus'. 

Jordan,  sans  reprendre  à  son  compte  l'hyjjotlièso  insouto- 
nahle  de  Preller,  a  voulu  expliquer  autrement  que  M.  Momin- 
sen  le  nom  du  dieu  et  la  cérémonie  du  27  août 2.  Volturnus  et 
Tiborinus  seraient,  d'après  lui;  deux  personnaffes  différents. 
Dans  la  légende  de  Tiberinus  celui-ci  est  donné  comme  un  fils 
de  Janus  et  de  Camasène  ;  Volturnus,  au  témoignage  d'Ar- 
nobe,  passait  pour  être  le  beau-père  de  Janus.  Un  vent  d'est 
portait  le  môme  nom  que  le  fleuve  campanien-'.  La  fête  du 
27  aofit  n'aurait-elle  pas  été  célébrée  à  l'origine  en  l'honneur 
d'une  divinité  de  l'air?  Plus  tard,  comme  le  vent  de  tempête 
soulève  les  eaux,  on  joignit  à  sa  fête  un  sacrifice  au  dieu  du 
fleuve,  Tiberinus. 

La  théorie  de  Jordan  est  trop  subtile  ;  sans  doute,  d'après 
l'étymologie,  le  nom  de  Volturnus  convenait  aussi  bien  à  un 
vent  violent  qu'à  une  rivière  débordée  et  furieuse,  et  des 
textes  nombreux  prouvent  qu'on  en  avait  fait  cet  usage.  Mais 
il  n'est  dit  nulle  part  qu'on  ait  publiquement  sacrifié  à  Rome 
au  vent  d'est  divinisé.  Mieux  vaut  donc  s'en  tenir  à  l'hypothèse 
plus  simple  de  M.  Monimsen  :  le  Volturnus  que  citent  les  vieux 
calendriers  était,  comme  ils  le  disent  expressément,  une 
divinité  fluviale,  un  génie  des  eaux.  On  adorait  en  lui  un  as- 
pect particulier  de  Tiberinus.  Il  n'est  pas  impossible  que  sa 
fête  fût  célébrée,  elle  aussi,  le  27  août  dans  l'île,  au  sacellmn 
de  Tiberinus. 


1.  Si  l'on  admet  cette  interprétation,  on  est  d'autant  mieux  fondé  à  rejeter 
l'identification  que  propose  M.  Mommsen  entre  Tiberinus  etPortuniis.  Il  y  avait 
à  Rome  un  flatnen  Vollurnnlis  et  un  flamrn  l'orliauilis.  M.  Mommsen  fait  de 
celui-ci  un  second  flamine  de  Tiberinus.  Mais  deux  flamines  dilférents  ne  pou- 
vaient être  affectés  au  service  d'une  seule  divinité.  Portunus  est  tout  à  fait 
distinct  de  Volturnus-Tiberinus  et  n'a  rien  de  commun  avec  lui. 

2.  Pkelleh-Johuax,  op.  cit.,  t.  II,  p.  143,  note  1. 
•    3.  LiciiET.,  V,  742  : 

Inde  alix  tetnpestalcs  ventique  seqiiuntur, 
.Mtilonans  Volturnus  et  Auster  fulmine  pollens, 

Gei.l.,  Il,  22:  Hi  sunt  igilur  1res  ventes  orientales,  Aquilo.  Volturnus.  Eunis. 
—  Cf.  Liv.,  XXII,  46;  —  Plin.,  Hist.  nat.,  11,  47,  etc. 


CONCLUSION 

TOPOGRAPHIE  DE  L'ILE  TIBÉRINE 

DANS    L'ANTIQUITÉ 


CONCLUSION 

TOPOGRAPHIE  DE  L'ILE  TIBÉRINE 
DANS  L'ANTIQUITÉ 


L'île  tibérine  au  siècle  des  Antonins.  —  L'île  tibérine  avait 
dans  l'antiquité  un  tout  autre  aspect  que  de  nos  jours. 
Plus  grande  qu'elle  n'est  maintenant  et  toute  baignée  par  les 
eaux  du  Tibre,  elle  ressemblait  à  un  navire  voguant  sur  le 
fleuve  ;  des  revêtements  de  pierre,  sculptés  à  l'imitation  d'une 
proue  et  d'une  poupe  de  bois,  décoraient  ses  deux  extrémités; 
un  petit  obélisque  se  dressait  au  milieu  comme  un  mât.  Elle 
était,  aux  yeux  des  Romains  pieux,  le  vaisseau  d'Esculape, 
l'image  agrandie  de  la  trirème  qui  avait  ramené  d'Epidaure 
le  serpent  sacré.  On  y  venait  en  pèlerinage  consulter  ou  re- 
mercier l'oracle  du  dieu  médecin.  On  y  invoquait  aussi  les 
autres  divinités  qui  possédaient  sur  son  territoire  des  temples, 
des  autels  ou  des  statues,  Jupiter  Jurarius,  Vejovis  et  Semo 
Sancus,  Faunus  et  Tiberinus.  Le  siècle  des  Antonins  marque, 
semble-t-il,  le  moment  de  sa  plus  grande  prospérité.  Ces  empe- 
reurs remirent  en  honneur  les  vieux  cultes  dont  elle  était  le 
centre  unique  ou  principal,  et  tout  particulièrement  celui  d'Es- 
culape ;  ils  firent  restaurer  ou  reconstruire  ses  édifices  et  ils 
ajoutèrent  de  nouvelles  œuvres  d'art  à  celles  qui  les  ornaient 
déjà.  Les  fidèles,  imitant  l'exemple  que  donnaient  les  princes, 
se  pressèrent  en  foule  aux  portes  des  sanctuaires  ;  les  ex-voto 
s'accumulèrent  devant  les  autels  et  dans  les  favissœ.  Jamais 
encore  l'île  n'avait  été  si  fréquentée  ni  enrichie  de  si  nom- 
breuses offrandes.  Si  l'on  veut  se  la  représenter  telle  qu'elle 
était  au  moment  le  plus  brillant  de  son  histoire,  c'est  à  cette 
époque  qu'il  faut  se  reporter  en  imagination. 


318  CONÇU  SION 

Les  ruines.  —  Pour  lui  icudii'  son  antique  physioiinniic.  un  ;i 
peu  de  secours  à  attendre  des  rares  vestiges  qui  subsistent  de 
ses  monuments  d'autrefois.  Sans  doute  le  pont  Fabricius  la 
rattaclie  encore  à  la  rive  gauche  du  Tibre,  sous  le  nom  de 
ponte  Quattro  Capi,  qu'il  doit  aux  Hermès  qvmlrifrontes  en- 
castrés dans  son  parapet  ;  il  est  resté  à  peu  près  intact  depuis 
sa  première  fondation.  Mais  le  pont  Cestius,  ou  plutôt  le  pont  de 
Gratien  qui  l'avait  remplacé  au  iv"  siècle,  a  éié  démoli  récem- 
ment. Dans  l'île  môme  les  ruines  sont  peu  nombreuses  et  peu 
remarquables'.  La  forme  extérieure  qu'elle  affectait  jadis,  ses 
dimensions  et  sa  superficie  out  été  modifiées  à  travers  les 
âges  par  l'action  destructive  des  eaux  et  par  la  main  des 
hommes.  Dès  le  xvi"  siècle  tous  les  édifices  antiques,  sauf  les 
ponts,  avaient  disparu;  un  mur  en  grand  appareil,  dernière 
trace  du  temi)le  de  Faunus  à  la  pointe  nord,  vers  l'amont,  ne 
fut  détruit  par  les  crues  du  Tibre  qu'à  la  fin  du  xvin^  siècle, 
mais  depuis  longtemps  le  petit  coin  de  terre  qui  le  supportait 
avait  été  détaché  du  reste  de  l'île  tibérine  et  constituait  un 
îlot  séparé,  Yisoletta.  Les  seuls  objets  antiques  conservés  en 
place  qui  méritent  d'être  cités  sont  le  fragment  du  revête- 
ment en  travertin  de  la  pointe  méridionale,  les  colonnes  et  les 
bases  utilisées  dans  la  construction  de  l'église  actuelle  de 
Saint-Bartliélemv,  le  puits  situé  devant  le  maître-autel  de 
cette  même  église,  qui  était  peut-être  la  source  sacrée  du 
sanctuaire  d'Esculape.  Les  fouilles  qu'on  a  pratiquées  dans 
l'île  ne  paraissent  pas  avoir  été  conduites  avec  beaucouj)  de 
méthode'-.  Elles  furent  entreprises  sans  suite,  le  plus  souvent 
par  des  architectes  et  des  ingénieurs  peu  soucieux  d'archéolo- 
gie, quand  on  a  bâti  ou  réparé  les  églises  et  les  couvents  mo- 
dernes ou  quand  on  a  procédé  à  des  travaux  nécessaires  d'édi- 
lité,  tels  que  la  réfection  du  pont  de  Gratien  et  des  berges. 
Elles  ont  ramené  à  la  lumière  un  certain  nombre  d'inscriptions  ; 
elles  ont  peu  ajouté  à  ce  que  l'on  savait  par  ailleurs  de  la  to- 
pographie de  ce  petit  quartier.  On  a  recueilli  dans  le  lit  du 
Tibre  une  très  grande  quantité  d'ex-voto  en  terre  cuite,  que  le 
zèle  des  fidèles  et  des  malades  avait  consacrés  à  Esculape  ;  on 
ne  s'est  pas  préoccupé  de    retrouver  sur  le  terrain  la  place 


1.  Voir,  en  appendice,  la  Liste  des  ruines  et  objets  anti(jin'.s  citcnrc  en  j>lace 
dans  Vile. 

2.  Voir,  en  appendice,  la  Liste  des  principales  fouilles  e/fediiérs  dmis  Vile. 


TOPOGRAPHIE    DE    l'iLE    TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ  319 

exacte  et  les  fondations  des  diverses  parties  de  l'Asklépieion. 
Une  chance  heureuse  a  fait  découvrir  en  1854  le  pavement  en 
mosaïque  du  temple  de  Jupiter  Jurarius  ;  il  ne  reste  rien  des 
autres  sanctuaires,  sauf  quelques  colonnes,  et  ce  pavement 
lui-même,  à  peine  retrouvé,  a  été  aussitôt  caché  de  nouveau  à 
tous  les  regards. 

Les  textes  et  les  monuments  figurés.  —  Les  textes  littéraires, 
les  documents  épigraphiques,  les  monuments  figurés  nous 
donnent,  d'autre  part,  des  indications  et  des  renseignements 
qui  suppléent  en  partie  à  l'insuffisance  des  ruines.  Les  écrivains 
grecs  et  latins  ont  eu  l'occasion  assez  souvent  de  s'occuper  de 
l'île  tibérine  ;  ils  ont  mentionné  les  épisodes  les  plus  notables 
de  son  histoire  ^ .  Tite-Live  et  Denys  d'Halicarnasse  nous  disent 
comment,  d'après  la  tradition,  elle  aurait  pris  naissance.  Ovide 
et  Valëre  Maxime  racontent  l'arrivée  du  serpent  d'Epidaure. 
Tite-Live  encore  rapporte  à  quelle  date  et  dans  quelles  cir- 
constances furent  construits  les  temples  de  Jupiter  et  de  Fau- 
nus.  On  relève  dans  les  ouvrages  de  Varron  et  de  Vitruve,  de 
PHne  l'Ancien  et  des  lexicographes,  d'intéressants  détails  sur 
les  cultes  célébrés  in  insula.  Les  fêtes  qui  avaient  lieu  chaque 
année  en  ce  lieu  sont  citées  par  Ovide  dans  ses  Fastes  et  par 
les  vieux  calendriers.  Au  tome  VI  du  Corpus  Inscriptiomtm 
Latindrmn,  consacré  à  la  ville  de  Rome,  une  soixantaine  d'ins- 
criptions sont  indiquées  comme  provenant  de  l'île  ;  les  unes, 
apposées  sur  les  ponts,  rappellent  les  noms  des  grands  per- 
sonnages qui  les  ont  bâtis  ;  les  autres  ont  été  écrites  sur  des 
baises  de  marbre  ou  de  pierre  ;  d'autres  encore  sont  des  épitaphes; 
il  faut  y  ajouter  la  grande  inscription  grecque  qui  relate  les 
quatre  cures  miraculeuses  opérées  par  le  dieu  guérisseur,  et  les 
tablettes  votives  retirées  pendant  ces  dernières  années  du  fond 
du  Tibre-.  Une  statue  d'Esculape,  trouvée  dans  l'île,  est  déposée 
au  musée  de  Naples  ;  selon  toute  apparence,  les  bas-reliefs  du 
palais  Rondinini,  sur  le  Corso  de  Rome,  ont  la  même  origine. 
Le  musée  de  Naples  et  le  musée  de  Munich  se  sont  partagé 
les  débris  du  petit  obéhsque.  Un  médaillon  d'Antonin  le  Pieux 
représente  le  serpent  d'Epidaure  débarquant  de  la  trirème 
d'Ogulnius  et  se  dirigeant  vers  l'endroit  où  s'élèvera  son  temple. 


1.  Voir  la  Table  des  principal! r  Ic.rtcs  lil tendres  cités. 

2.  Voir  la  Table  des  inscriptions. 


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TOPOGRAPHIE    DE    l'iLE    TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ  321 

Les  emblèmes  qu'on  voit  au  revers  des  monnaies  de  plusieurs 
gentes  romaines  font   allusion  à  divers  événements  dont  l'île 


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fut  le  théâtre.  Les  ex-voto  de  marbre  du  musée  du  Vatican,  la 
main  de  bronze  et  les  objets  de  terre  cuite  du  musée  national 
des  Thermes  avaient  été  offerts  au  dieu  de  la  médecine  dans 
son  sanctuaire  entre  les    deux  ponts  *.  A  l'aide  de  tous  ces 

1.  Voir,  en  appendice,  la.  Liste  des  montunenls  figurés  provenant  de  Vile  ou 
la  concernant. 

21 


322  CONCLUSION 

éléments  (rinformation,  on  peut  suivre  jusqu'au  début  du  moyen 
âge  les  destinées  de  Tile  tibérine  et  de  ses  édifices,  et  essayer 
sans  trop  d'audace  de  reconstituer  les  traits  essentiels  de  sa 
topographie. 

Plans,  dessins  et  restaurations'.  —  Dès  l'antiquité,  un  grand 
plan  de  Rome  avait  été  dressé  sur  l'ordre  des  empereurs.  En 
rapprochant  l'un  de  l'autre  deux  des  morceaux  retrouvés  de  la 
Forma  Urbis  Ronur,  Jordan  a  pu  y  déchiffrer  les  mots  i?iter 
duos  pontes;  ces  fragments  sont  malheureusement  trop  muti- 
lés pour  que  nous  en  tirions  grand  parti.  Sur  les  plans  de 
Rome  qui  furent  faits  au  moyen  âge,  Vinsuia  tiberina  est  très 
grossièrement  retracée  et  sans  exactitude.  Bufalini  est  le  pre- 
mier qui  se  soit  efforcé,  en  1551,  de  donner  une  image  fidèle 
de  la  ville  de  Rome;  son  plan  a  fait  époque;  tous  les  travaux 
ultérieurs  ont  eu  celui-ci  pour  base.  Depuis  trois  siècles  les 
plans  de  Rome  moderne  se  sont  multipliés  ;  au  point  de  vue 
même  de  la  tppographie  antique  il  est  nécessaire  de  les  con- 
sulter. Pendant  ces  trois  cent  cinquante  ans,  la  configuration 
de  l'ile  et  le  contour  de  ses  rives  ont  beaucoup  changé  ;  le 
courant  du  Tibre  l'a  à  peu  près  rongée;  elle  avait  une  super- 
ficie plus  grande  au  xvf  siècle  qu'au  xix"  ;  elle  était  plus  vaste 
au  temps  des  Antonins  qu'au  xvi"  siècle.  Le  plus  récent  et  le 
plus  important  de  ces  plans  est  celui  de  M.  R.  Lanciani,  à 
l'échelle  de  1/1000,  sur  lequel  sont  indiqués,  outre  les  cons- 
tructions modernes,  les  ruines  antiques  et  l'emplacement  pro- 
bable des  monuments  disparus. 

On  ne  doit  pas  négliger  non  plus  de  passer  en  revue  les 
dessins  manuscrits  et  les  gravures  des  archéologues  de  la 
Renaissance.  Quelques-uns  d'entre  eux  ont  une  valeur  docu- 
mentaire très  réelle  ;  ils  reproduisent  l'ile  tibérine  telle  qu'elle 
existait  à  cette  époque  ;  sur  la  gravure  de  du  Pérac,  le  revête- 
ment en  travertin  de  la  pointe  d'aval  apparaît  nettement, 
mieux  dégagé  que  de  nos  jours.  En  revanche,  le  dessin  du 
recueil  Orsini  à  la  Bibliothèque  Vaticane,  les  gravures  de  Ligo- 
rio,  de  Gamucci,  de  Dosio,  maintes  fois  rééditées  dans  les 
ouvrages  d'archéologie  romaine,  sont  purement  fantaisistes  et 
ne  font  honneur  qu'à  l'imagination  de  leurs  auteurs. 


1.  Pour  les  pleuis,  dessins  et  restaurations   de  l'ile,  voir  V Appendice  II, 
Iconographie. 


TOPOGRAPHIE    DE    L  ILE    TIBERINE   DANS    L  ANTIQUITÉ 


323 


Il  est  inévitable  que  toute  rcfitanratioti  implique  une  part 
assez  grande  d'hypothèse.  Encore  faut-il  qu'elle  s'appuie  sur 
des  faits  constatés  et  des  données  certaines,  qu'elle  ne  con- 


tredise aucun  texte,  qu'elle  ne  propose  d'ajouter  aux  maté- 
riaux sûrs  dont  on  dispose  que  des  compléments  simples  et 
vraisemblables.  Tel  n'était  pas  le  cas  assurément  pour  les 
prétendues    vues    de    l'île    dans   l'antiquité    qu'esquissait    le 


324  CONCLUSION 

crayon  d'un  Ligorio.  Depuis  lors,  des  tentatives  plus  sérieuses 
ont  été  faites.  Piranesi,  dans  la  seconde  moitié  du  xviii'  siècle, 
et  Canina,  au  milieu  du  xix",  ont  donné  des  plans  restaurés  de 
la  Rome  ancienne  tout  entière.  A  deux  reprises,  des  archi- 
tectes pensionnaires  de  l'Académie  de  France  à  Rome,  Delan- 
noy  en  1832,  M.  René  Patouillard  en  1900,  ont  choisi  Tile 
tibérine  comme  sujet  du  travail  de  restauration  auquel  ils 
devaient  consacrer  la  dernière  année  de  leur  séjour  à  la  villa 
Médicis.  Les  grandes  planches  qu'ils  ont  dessinées,  avec  kîs 
Mémoires  explicatifs  qui  les  accompagnent,  sont  encore  iné- 
dites. M.  René  Patouillard  a  profité  des  découvertes  de  ces 
dernières  années;  son  interprétation  des  ruines  et  des  textes 
antiques  est  moins  aventureuse  que  celle  de  son  devancier.  Il 
a  bien  fallu,  malgré  tout,  pour  donner  à  ses  reconstructions 
l'ampleur,  la  précision  et  l'unité  nécessaires  qu'il  ajoutât  à  ce 
que  nous  ont  révélé  les  vestiges  encore  existants,  les  fouilles 
et  les  auteurs.  Les  conclusions  des  archéologues  servent  seu- 
lement de  point  de  départ  aux  conceptions  des  architectes,  qui 
ne  s'en  inspirent  que  pour  les  dépasser. 

Les  édifices  de  l'île  tibérine  dans  l'antiquité.  —  L'étude  que 
nous  avons  entreprise  nous  permet,  du  moins,  de  dégager  ces 
conclusions  mêmes.  Nous  savons  quels  édifices  l'île  renfer- 
mait dans  l'antiquité  et  comment  ils  étaient  répartis  sur  son 
sol.  Deux  ponts,  construits  pendant  les  derniers  temps  de  la 
République,  l'unissaient  aux  deux  rives  du  Tibre;  une  rue, 
via  inter  duos  pontes,  les  reliait  l'un  à  l'autre  ;  elle  descendait 
en  pente  douce  des  deux  côtés,  supportée  par  des  arcades 
basses,  depuis  les  têtes  des  ponts  jusqu'au  milieu  de  l'ile.  La 
pointe  nord  et  la  pointe  sud,  proue  et  poupe  du  navire  d'Escu- 
lape,  étaient  recouvertes  extérieurement,  au-dessus  d'un  sou- 
bassement massif  en  blocs  de  tuf,  d'un  parement  de  blocs  de 
travertin,  sur  lequel  on  avait  sculpté  le  protome  d'Esculape,  le 
bâton  symbolique  du  dieu  médecin  avec  le  serpent,  et  des 
bucranes.  Entre  la  pointe  méridionale  et  la  rue  qui  faisait  com- 
muniquer les  deux  ponts  s'élevait  le  temple  d'Esculape, 
orienté  vers  le  nord;  on  pouvait  voir,  tout  auprès,  la  source  et 
le  bois  sacrés,  les  portiques  où  les  malades  passaient  la  nuit, 
les  salles  où  les  prêtres  déposaient  les  ex-voto.  Derrière  le 
sanctuaire,  sur  la  berge,  était  \e  sacellion  de  Tiberinus.  Du 
côté  opposé,  sur  une  place,  à  moitié  chemin  du  trajet  parcouru 


TOPOGRAPHIE    DE    l'iLE    TIBÉRINE    DANS    l'aNTIQUITÉ  323 

parlsiviainter dî/os pontes,  avait  été  érigé  un  obélisque.  Au  nord 
de  la  rue,  le  temple  prostyle  de  Jupiter  faisait  face  à  la 
demeure    d'Esculape.    Celui  de   Faunus,   également  prostyle, 


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occupait  la  pointe  septentrionale.  Sur  les  terrains  que  ces 
constructions  laissaient  vides,  on  avait  bâti  plus  tard  d'autres 
monuments  et  des  maisons  privées.  Le  service  de  l'annone 
avait  dans  l'île  un  débarcadère  et  un  entrepôt.  Une  prison  y 
existait  au  v^  siècle,  et  sans  doute  depuis  assez  longtemps. 


326 


CONCLUSION 


Des  autels  et  des  statues  ornaient  l'intérieur  et  les  abords  des 
temples,  les  places,  les  rues  :  autel  aux  dieux  lares,  statues  de 
Semo  Sancus,  de  Jules  César,  et  bien  d'autres  encore.  Partout 


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des  inscriptions  votives  ou  honorifiques  célébraient  les  louanges 
des  dieux,  des  empereurs,  des  magistrats. 

Nous   n'avons  point  de  peine  à  nous  représenter  les  senti- 
ments et  les  pensées  que  devait  inspirer  aux  contemporains 


TOPOGRAPHIE    DE    l'iLE   TIBÉRINE   DANS    l'aNTIQUITÉ  327 

des  Antoniiis  la  vue  de  l'île  tibérine.  Les  Romains  contem- 
plaient avec  fierté  ces  monuments  qui  témoignaient  de  leur 
attachement  à  la  religion  officielle  et  aux  institutions  publiques. 
Les  étrangers  s'étonnaient  que  tant  d'édifices,  dédiés  à  des 
divinités  si  différentes,  fussent  rassemblés  sur  un  si  étroit 
espace  ;  ils  voulaient  en  savoir  la  raison  ;  ils  se  faisaient  racon- 
ter l'histoire  des  sanctuaires.  Les  uns  et  les  autres  visitaient 
pieusement  l'Asklépieion  ;  ils  n'hésitaient  pas  à  interroger  Escu- 
lape,  à  lui  exposer  les  maux  dont  ils  souff'raient;  pour  le 
remercier  de  ses  conseils,  ils  lui  offraient  quelque  objet  de 
terre  cuite  ou  de  marbre,  parfois  même  une  inscription.  L'île 
tibérine  était  avant  tout  un  lieu  de  pèlerinage.  Les  dieux  y 
avaient  élu  domicile.  Son  caractère  essentiellement  religieux 
avait  frappé  les  Anciens,  qui  la  surnommaient  l'île  sacrée. 
C'est  ce  caractère  aussi  que  les  modernes  ne  peuvent  man- 
quer de  mettre  en  relief,  et  qui  fait  tout  l'intérêt  des  recherches 
auxquelles  donnent  matière  l'histoire  et  la  topographie  de  ce 
petit  coin  du  sol  romain  dans  l'antiquité. 


APPENDICES 


APPENDICE  I 


BIBLIOGRAPHIE 

I.  —  OUVRAGES  GÉNÉRAUX  DE  TOPOGRAPHIE  ROMAINB 

Si  Ton  veillait  dresser  ici  la  liste  complète  des  livres  dans  lesquels 
l'île  tibérine  est  décrite  ou  mentionnée,  il  serait  nécessaire  d'énumérer 
tous  les  ouvrages  de  topographie  romaine  qui  ont  paru  en  Italie,  en 
France,  en  Allemagne  et  en  Angleterre  depuis  la  Renaissance.  Il  nous 
suffira  de  signaler  ceux  qui  nous  ont  été  particulièrement  utiles  et  que 
nous  avons  eu  l'occasion  de  citer  au  cours  de  cet  ouvrage,  renvoyant 
pour  tout  le  reste  à  VIndicazione  topografica  di  Roma  antica  de  Camxa, 
4^  édition,  Rome,  1850,  p.  4  à  25  —  à  la  Bibliografia  topografica  di  Roma, 
publiée  par  Narducci  dans  la  Monografia  délia  città  dt/ioma,  Rome,  1878, 
p.  81  à  H9  —  au  Katalog  der  Bibliothek  des  deutschen  archàologischen 
Instituts  in  Rom,  par  A.  Mau,  1. 1,  Rome,  1900,  p.  251  à  316. 

1.  Flavio  Biondo,  Roma  instaurata,  Venise,  1510. 

2.  Barth.  Marliani,  Urbis  Romx  topographia,  cité  d'après  l'éd.de  1544, 
Rome. 

3.  Luc.  Fauno,  de  Antiqintatibus  Urbis  Romœ,  Venise,  1549,  cité  d'après 
le  Novus  Thésaurus  Antiquitatum  romanaru7n,  de  Sallengre,  Amsterdam, 
1716-1719,  t.  I. 

4.  B.  CiAMUGCi,  le  Antichità  délia  città  di  Roma,  Venise,  1565,  cité 
d'après  la  2"  éd.,  Venise,  1580. 

5.  J.-B.  Dosio,  Urbis  Romœ  reliquias,  Rome,  1569. 

6.  St.  du  Pérac,  Vestigii  di  Roma,  Rome,  1575. 

7.  F.  Nardini,  Roma  antica,  Rome,  1666,  traduit  en  latin  et  réédité 
sous  le  titre  de  Roma  vêtus,  dans  le  Thésaurus  Antiquitatum  romanarum  de 
Gr-ïvius,  Iltrecht,  1694-1699,  t.  IV. 

8.  J.-J.  BoissARD,  Topographia  urbis  Romœ,  Francfort,  1681. 

9.  G.  MixuTOLi,  de  Uî'bis  Romœ  topographia,  Rome,  1689,  cité  d'après 
le  Novus  Thésaurus  Antiquitatum  romanarum,  de  Sallengre,  t.  I. 

10.  Fr.  de'  FicoRONi,  Memorie  piu  singolari  di  Roma  e  sue  vicinanze, 
Rome,  1730. 

11.  Fr.  de'Ficoroni,  Vestigia  e  rarità  di  Roma  antica,  Rome,  1744. 

12.  G.-B.  PiRANESi,  le  Antichità  romane,  Rome,  1756. 

13.  A.  Venuti,  Accurrata  e  succinta  descrizione  topografica  délie  anti- 
chità di  Roma,  Rome,  1767,  cité  d'après  la  3^  éd.,  Rome,  1824. 

14.  G. -A.  GuATiANi,  Roma  antica,  Bologne,  1795,  cité  d'après  la  2**  éd., 
Rome,  1805. 

15.  E.  Platner  —  G.  Bunsen  —  E.  Gerhard  —  W.  Rôstell  —  L.  Ur- 
LicHs,  Beschreibung  der  Stadt  Rom,  Stuttgart  et  Tùbingen,  1830-1842. 


332  APPENDICES 

16.  L,  Camna,  Architettura  antica,  Rome,  1830-1844;  2«  éd.,  1839-18i6 
(Troisième  partie  :  Architettura  romana). 

17.  A.  NiuBY,  Roma  nelV  anno  1838,  Home,  1838-1841  (Première  partie  : 
Roma  antica). 

18.  W.-A.  IIeckkr,  Topoijraphic  dcr  Stadt  Rom  (l.  I  du  Handbuch  der 
rômischcn  Altcrthiimer  de  MAngiAUDT),  Leipzig,  1842. 

19.  L.  Camna,  y//  Edifizi  di  Roma  antica,  Rome,  1 848-1 8')6. 

20.  C.-L.  LIuliciis,  Coder  Urbis  Romx  topograpfiicus,\\url7.bo\irg,  iHli. 

21.  Fn.  Reber,  die  Ruine n  Roms,  Leipzig,  1863;  2"  éd.,  1879. 

22.  H.  Jordan,  Topographie  dcr  Stadt  Rom  im  Alterthum,  Berlin, 
1871-1883. 

23.  H.  Jordan,  Forma  Urbis  Romw,  Berlin,  1874. 

24.  0.  (îiLBKKT,  Gcschichte  und  Topographie  der  Stadt  Rom  im  Alter- 
thum, Leipzig,  1883-1800. 

25.  R.  Lanciam,  Ancient  Rome  in  the  light  of  récent  discoveries, 
Londres,  1888. 

26.  0.  RiciiïKn,  Topographie  der  Stadt  Rom  (dans  le  Handbuch  der  klan- 
sischen  Alterthumsuissenchaftcn  d'IwAN  Mi  ller,  t.  IH),  Nordlingen,  1889, 
2«=  éd.  à  part,  Munich,  1901. 

27.  J.-H.  MinDLETON,  The  rcmains  of  ancient  Rome,  Londres,  1892. 

28.  R.  LA.NCiA.Nr,  Pag  an  and  chrintian  Rome,  Londies,  1892. 

29.  KiEPERT-HuELSEN,  Formœ  Urbis  Romx  antiqux,  accedit  Nomenclator 
topographicus,  Berlin,  1896. 

30.  L.  BoRSARi,  Topourafia  di  Roma  antica,  Milan,  1897. 

31.  R.  Lanciani,  the  Ruins  and  excavations  of  ancient  Rome, 
Londres,  1897. 

32.  L.  Homo,  Lexique  de  topographie  romaine,  Paris,  1900. 


II. —    LIVRES,  MEMOIRES,  ARTICLES    DE   REVUES   INTEBESSANT  PARTICULIEREMENT 

l'île  TIBÉRINE 

1.  J.-P.  Bellori,  Selecti  nummi  duo  Antoniniatii,  Rome,  1676. 

2.  Casimiro,  Memorie  istoriche  délie  chicse  c  dei  convcnti  dei  frati 
minori  délia  provincia  romana,  Rome,  1744. 

3.  C.-A.  Bœttiger,  der  Msculapiusdienst  auf  der  Tiberinse l,  puhVié  dans 
le  lieitràge  zur  Geschichlc  dcr  Medicin  de  Spre.nt.el,  Halle,  1797,  t.  II, 
p.  77,  et  réédité  dans  les  Klcine  Schriften,  de  Bœttiger,  Leipzig,  1850, 
t.  I,  p.  112. 

4.  Delannoy,  Mémoire  explicatif  manuscrit,  annexé  à  sa  Restauration 
de  Vile  tibcrinc  conservée  à  Paris,  dans  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des 
Beaux-Arts  (inédit),  1832. 

5.  Sciiluetkr,  de  jEsculapio  a  Romanis  adscito,  Arnsberg,  1833. 

6.  Bbal-.n,  Studi  anatomici  degli  antichi,  dans  le  Bullettino  delV  Instituto 
di  Corrispondenza  archcologico,  Rome,  1844,  p.  lt'>. 

7.  L.  Preller,  Rom  und  der  Tiber,  dans  les  Derichte  der  sâchsischen 
Gcscllschaft  (1er  Wissenschaftcn,  Leipzig,  1848,  p.  138. 

8.  Th.  MoMMsEN,  Epigrnphische  Analektcn,  dans  les  lier.  d.  sdchs.  Ges. 
d.  Wiss.,  1850,  p.  320. 


APPENDICES  333 

9.  Giornalc  di  Roma,  Rome,  1854,  n"^  80  et  82. 

10.  L.  Canina,  Sut  tempio  di  Giove  nelV  isola  tibcrina,  dans  le  Bullett. 
dell'  Instit.  archeoL,  1854,  p.  XXX VII. 

11.  Orioli,  Lettera  al  professore  Henzen,  dans  le  Bullett.  delV  Instit. 
archeoL,  1855,  p.  V. 

12.  L.  Preller,  der  Stein  des  Msculap,  dans  V Archiiologische  Zeitung 
de  1858,  réédité  dans  ses  Ausgeivàhlte  Aiifsàtze,  Berlin,  1864,  p.  308. 

13.  Cavedo.m,  dans  le  Bullett.  dell'  Institut.  archeoL,  1858,  p.   174. 

14.  H.  Jordan,  Sugli  avanzi  delV  antica  decorazione  delVisola  tiberina, 
dans  les  Annali  delV  Instit.  archeoL,  Rome,  1867,  p.  389. 

15.  NissEN,  Ueber  Tempel-Orientirung ,  dans  le  Rheinisches  Muséum, 
Francfort,  t.  XXVIII,  1873,  p.  547  et  t.  XXIX,  1874,  p.  392. 

16.  JoRDA.x,  de  uEsculapii,  Fauni,  Vejovis  Jovisque  sacris  urbanis,  dans 
les  Commentationes  in  honorcm  Mommseni,  Berlin,  1877,  p.  359. 

17.  Frôiiner,  les  Médaillons  de  l'Empilée  romain,  Paris,  1878,  p.  53. 

18.  Von  Duhn,  dans  le  Bullett.  dell  Instit.  archeoL,  1879,  p.  7. 

19.  Bouché-Leclercq,  Histoire  de  la  divination  dans  V antiquité,  Viiv'x?,, 
1879-1882,  t.  III. 

20.  C.-L.  VisGONTi,  dans  le  Bullettino  Comunale,  Rome,  1880,  p.  176. 

21.  Uenzes,  dans  le  Bullett.  Comiin.,  Rome,  1881,  p.  142. 

22.  C.-L.  ViscoNTi,  dans  les  Dissertazioni  délia  Pontificia  Accademia  di 
archeologia,  Rome,  2"  série,  t.  II,  1881,  p.  21. 

23.  C.-L.  ViscoNTi,  Di  un  simulacro  di  Semo  Sanco,  dans  les  Studi  di 
storia  e  diritto,  Rome,  1881,  p.  105. 

24.  L.  DucHESNE,  dans  le  Bullettino  di  archeologia  cristiana,  Rome 
1882,  p.  106. 

25.  G.-R.  DE  Rossi,  dans  le  Bullett.  di  archeoL  crist.,  1882,  p.  107. 

26.  Mayerhofer,  die  Briicken  im  alten  Rom,  Erlangen,  1884. 

27.  H.  Jordan,  Statua  vaticana  di  Semo  Sanco,  dans  les  Ann.  deWInstit. 
archeoL,  1885,  p.  105. 

28.  L.  V.  Urlicus,  Archiiologische  Analekten,  Wurtzbourg,  1885,  VIII, 
p.  22:  Insula  Lycaonia. 

29.  Notizie  degli  Scavi,  Rome,  1885,  p.  71  et  p.  188. 

30.  VoN  Duhn,  Due  bassorilievi  del  palazzo  Rondinini,  dans  les  Mit- 
theilungen  des  deutschen  archdologischen  Instituts,  Rœmische  Abtheilung, 
Rome,  1886,  p.  167. 

31.  Gatti,  Bullett.  Comun.,  1886,  p.  171. 

32.  Bullett.  Comun.,  1887,  p.  97  et  1889,  p.  70. 

33.  KuMMER,  de  Urbis  Romœ  pontibus  antiquis,  Shalke,  1889. 

34.  RoNATO,  dans  les  Annali  délia  Société  degli  ingegneri  e  degli  archi- 
tetti  italiani,  Rome,  1889,  p.  139. 

35.  Ch.  Huelsen,  dans  les  Mittheil.  des  archàol.  Instit.,  Rœm.  Abth., 
1889,  p.  283. 

36.  Batïandier,  la  Démolition  du  pont  Cestius  à  Rome,  dans  le  Cosmos, 
Paris,  novembre  1889,  p.  395. 

37.  C'^^»®  Caeïani  Lovatell(,  Di  un  mano  votivo  in  bronzo,  dans  les 
Monumenti  antichi  dei  Lincei,  Rome,  1889,  p.  170. 

38.  Notiz.  d.  Scavi,  1890,  p.  33. 

39.  Huelsen,  dans  les  Mittheil.  des  archdol.  Instit.,  Rœm.  Abth.,  1891, 
p.  135. 


334  APPENDICHS 

40.  Barnabei,  dans  les  Notiz.  d.  Scavi,  1891,  287. 

41.  liullett.  Comun.,  1892,  p.  75  et  184. 

42.  Notiz  d.  Scavi,  1892,  p.  207  et  p.  410. 

43.  Le  IIlant,  dans  les  Comptes  rendus  de  rAcadcmic  des  Inscriptions, 
Paris,  18it2,  p.  45. 

44.  HiELSEN,  dans  les  Mitthcil.  des  archaol.  Inslitxits,  1893,  p.  319. 

45.  D""  L.  Samhon,  Donaria  of  médical  interest,  dans  le  Itvitish  Médical 
Journal,  1895,  t.  11,  p.  14G  et  p.  216. 

46.  L.  Cantareixi,  Di  un  frammento  cpir/rafico  cristiano  dell'isola  por- 
tuense,  dans  le  BuUctt.  Comun.,  1896,  p.  67. 

47.  GiGLi,  Due  iscrizione  votive,  dans  le  Bullett.  Comun.,  1890,  p.  174. 

48.  HuELSEN,  il  Fora  Boario  e  le  sue  adiacenze  neW  antichità,  dans  les 
Dissert,  délia  pontif.  Accad.  di  archeoL,  st'rie  II,  t.  VI,  1896,  p.  229. 

49.  HoNNA,  le  Tibre  et  les  travaux  du  Tibre,  dans  le  Bulletin  de  la  So- 
ciété d'encouragement  pour  l'industrie  nationale,  Paris,  1898,  numéros  de 
septembre  et  de  novembre. 

50.  M.  IlESNiEii,  Jupiter  Jurarius,  dans  les  Mélanges  d'archéologie  et 
d'histoire  publiés  par  l'Ecole  française  de  Rome,  Rome,  1898,  p.  281. 

51.  R.  Patoiillard,  Mémoire  explicatif  manuscrit,  annexé  à  sa  Res- 
tauration de  l'île  tibérine  conservée  à  Paris,  dans  la  Bibliothèque  de 
TEcole  des  Beaux-Arts  (inédit),  1899. 

52.  L.  Stikda,  Ueber  alt-italische  Weigeschenke,  dans  les  Mittheil.  des 
archaol.  Instit.,  Rœm.  Abth.,  1899,  p.  230. 

53.  Dressel,  der  Aventin  auf  einem  Médaillon  des  Plus,  dans  la  Zeit- 
schrift  fiir  Numismatik,  Berlin,  1899,  p.  32. 

54:  Petersen,  Briicke  oder  Navale,  dans  les  Mittheil.  des  archaol.  Instit., 
Hœm.  Abth.,  1900,  p.  352. 


APPENDICE  II 


ICONOGRAPHIE 

I.    —    PLANS 

Sur  les  plans  généraux  de  Rome,  consulter  :  H,  Jordan,  Topogr.  der 
Stadt  Rom,  t.  I,  1,  p.  105-114;  —  A,  Mac,  Katalorj  der  Bibtiothek  des 
archàol.  Inst.,  p.  253-255;  —  0.  Richter,  Topogr.  der  Stadt  Rom,  2«  éd., 
1901,  p.  23-24. 

Il  convient  de  citer  notamment  : 

1.  La  Forma  Urbis  Romœ,  plan  de  Rome  au  m*  siècle,  dressé  sur 
l'ordre  de  Septime  Sévère  (Edition  Jordan,  Berlin,  1874;  les  fragments 
intéressant  l'île  sont  publiés  à  la  feuille  IX,  n°  42). 

2.  La  série  de  plans  et  vues  de  Rome  antérieurs  au  xvi«  siècle, 
publiée  par  G.-B.  de  Rosst,  Plante  iconografiche  e  prospettlche  di  Roma 
anteriori  al  secolo  xvi,  Rome,  1879,  et  complétée  par  Hlelsen,  dans  le 
Bullett.  Comun.,  1892,  p.  32. 

3.  L,  BuKALiNi,  Urbis  icnographia,  Rome,  1551,  rééditée  à  Rome 
en  1879. 

4.  A.  Lafreri,  Urbis  Romœ  descriptio,  Rome,  1555. 

5.  La  série  des  plans  publiés  par  G. -G.  de  Rossi,  à  Rome,  de  1650  à  1756. 

6.  G.-B.  NoLLi,  Nuova  planta  di  Roma,  Rome,  1748  (en  12  feuillets). 

7.  Losi,  Pianta  di  Roma,  Rome,  1774  (en  48  feuillets  ;  dimensions  : 
4'», 30  sur  2™,28). 

8.  L.  Canina,  Pianta  topografica  di  Roma  antica,  1830, 

9.  Pianta  topografica  di  Roma  piibblicata  dalla  Dlrezione  générale  del 
Censo,  3'  éd.,  Rome,  1866  (échelle  :  1/4.000). 

10.  R.  LANcr.vNi,  Forma  Urbis  Romœ,  Milan,  1893-1901,  à  l'échelle  de 
1/1.000,  d'après  le  plan  de  la  ville  (inédit)  levé  en  1878  par  l'Office 
municipal  des  Travaux  publics  (l'île  tibérine  y  figure  à  la  feuille  28). 

11.  Kiepert-Huelsen,  Formx  Urbis  Romae  antiquae,  Berlin,  1896 
(échelle  1/10.000). 

Des  plans  restaurés  de  l'île  tibérine  ont  été  dressés  par  : 

G.-B.  PiRANESi,  le  Antichità  romane,  t.  IV,  pi.  XIV,  Rome,  1756  ; 

Delannoy,  Restauration  de  Vile  tibérine,  à  la  Bibliothèque  de  l'Ecole 
des  Beaux-Arts,  à  Paris,  1832  (inédite)  ; 

L,  Canina,  Architettura  antica,  Rome,  1830-1844  ;  2«  éd..  1839-1844, 
Troisième  partie  :  Architettura  romana,  pi.  CVIII  ; 

L.  Camna,  gli  Edifizi  dl  Roma  antica,  Rome,  1848-1856,  t.  IV, 
pi.  CCXLI  ; 


336  APPENDICES 

H.  P.vTOUiLLARD,  Restauratioti  de  Vile  tibcrine,  à  la  Bibliothèque  de 
l'Ecole  des  Beaux-Arts,  à  Paris,  1899  (inédite). 

Les  restaurations  de  Delannoy  et  de  M.  Hené  Patouillard  sontaccom- 
pagiiées  de  relevés  et  plans  d'élat  actuel. 

P.  Lanciani  a  publié  en  182(>,  à  Home,  à  la  suite  de  sa  brochure  intitu- 
lée (ici  Ponte  scnatorio  ora  ponte  rotto,  un  grand  plan  de  la  pointe 
méridionale  de  l'île  tibérlne,  sur  lequel  sont  indiqués  avec  soin  tous 
les  vestiges  de  murs  antiques  alors  visibles. 


II.    —   DESSINS   ET    (;KAVUKES 

Depuis  l'époque  de  la  Renaissance,  un  très  grand  nombre  de  vues  de 
l'ile  tibérine  ont  été  dessinées  et  reproduites  par  la  giavure.  Klles 
représentent  l'île  telle  qu'elle  était  au  moment  où  vivaient  leurs 
auteurs.  Il  ne  serait  pas  facile  d'en  faire  l'inventaire.  La  plupart  des 
grandes  Bibliothèques  d'Europe  en  possèdent  au  moins  quehjues-unes. 
Les  plus  riches  collections  de  dessins  et  de  gravures  intéressant  la 
ville  de  Rome  sont  celles  que  possèdent  à  Rome  même  la  Bibliothèque 
Victor-Emmanuel,  la  Galerie  nationale  des  Estampes  à  la  Bibliothèque 
Corsini,  et  M.  Rodolphe  Lanciani.  Parmi  les  dessins  de  San  Gallo  que 
renferme  le  volume  XLIX,  33,  de  la  Bibliothèque  Barberini  (commencé 
en  1465)  est  une  vue  remarquable  du  bras  gauche  du  Tibre  et  de  l'île, 
mesurant  0™,30  sur  O^jlS.  A  l'arrière-plan  du  tableau  de  Raphaël  qui 
a  pour  sujet  VEnlèvemcnt  des  Sabincs,  on  aperçoit  le  pont  Fabricius  et 
une  partie  de  l'île.  Un  élégant  pastel  de  Vanvitelli,  de  la  fin  du 
xvni*  siècle,  exposé  à  la  Pinacothèque  du  musée  des  Consenateurs  à 
Rome,  nous  donne  une  image  de  l'île  tibérine  et  de  ses  deux  ponts. 

Une  série  plus  importante,  au  point  de  vue  archéologique  et  topogra- 
phique, est  celle  des  dessins  et  gravures  où  sont  figurés,  avec  plus  ou 
moins  d'exactitude,  soit  les  ruines  en  place  dans  l'île,  soit  son  aspect 
antique  hypothétiquement  restauré.  Citons: 

1.  Le  dessin  manuscrit  du  recueil  Orsini  à  la  Bibliothèque  valicane 
{Cod.  lat.  3439,  f°  42). 

2.  Dosio,  Vrbis  Romœ  reliquis-,  Rome,  1569,  pi.  18. 

3.  Du  PÉRAC,  Vestitjii  di  Roma,  1575,  pi.  39. 

4.  Gamucci,  le  Antichità  délia  città  di  Roma,  Venise,  éd.  de  1580: 
p.  173,  restauration  ;  p.  175,  état  actuel. 

b.  J.-J.  BoissARD,  Topographia  Urbis  Romiv,  Francfort,  1681,  t.  II, 
p.  13:  restauration  qui  ressemble  beaucoup  au  dessin  du  recueil 
Orsini. 

6.  G.  Lauro,  Antiquœ  Urbis  ftplendor,  Rome,  1612,  pi.  31. 

7.  G.  Macgi,  jEdificiorum  et  ruinanim  Romœ  liber,  Rome,  1618,  pi.  25. 

8.  Les  gravures  insérées  dans  le  Thesaur.  Anliquit.  roman,  de 
Gr^:vius,  Utrecht,  1694-1699,  notamment  au  t.  III,  p.  561  et  au  t.  IV, 
pi.  VIII. 

9.  G.-B.  PniANEsi,  le  Antichità  romane,  Rome,  1756,  t.  IV,  pi.  XIV-XXIV, 
et  il  Campo  Marzio,  Rome,  1762,  pi.  XI-XIII. 


APPENDICES  337 

.  10.  L.  Cx^îiA,  Architettura antica,  Rome,  1830-1844;  2«  éd.,  1839-1846, 
Troisième  partie,  Architettura  romana,  pi.  CVIII,  CLXXIX  et  CLXXX;  — 
gli  Edifizi  di  Roma  antica,  Rome,  1848-1856,  t.  IV,  pi.  CCXLI,  CCXLII, 
CCXLIII. 

11.  H.  Jordan,  dans  les  Ann.  delVlnstit.  archeol.,  1867,  pi.  K.  I,  dessin 
représentant  le  fragment  conservé  de  la  décoration  sculptée  de  l'île  tibé- 
rine. 


•2i 


APPENDICE  III 


LISTE  DES  RUINES  ET  OBJETS  ANTIQUES  ENCORE  EN   PLACE 
DANS  L'ILE  TIBÉRINE 

1.  Le  pont  Fabricius  {ponte  Quattro  Capi)  est  presque  entièrement 
antique  ;  on  voit  des  deux  côtés,  en  amont  et  en  aval,  l'inscription  de 
la  dédicace  ;  deux  Hermès  à  quatre  faces  sont  insérés  dans  le  parapet 
moderne. 

2.  Le  pont  Cestius  [ponte  San  Bartolomeo)  a  été  reconstruit  de  fond 
en  comble  de  1886  à  1889  ;  il  ne  renferme  plus  que  quelques  blocs 
antiques  de  travertin;  sur  le  parapet,  à  l'intérieur  du  pont,  existe 
encore  l'une  des  inscriptions  de  la  dédicace  ;  extérieurement  on  dis- 
tingue les  vestiges  d'une  grande  inscription  sur  une  ligne,  qui  ont  été 
remis  en  place  dans  la  construction  nouvelle. 

3.  Fragment  de  la  décoration  de  l'île  en  guise  de  navire  ;  il  est  situé 
à  la  pointe  méridionale,  du  côté  qui  fait  face  à  la  rive  gauche  du  Tibre  ; 
il  comprend  un  soubassement  en  tuf  et  plusieurs  assises  de  travertin 
ornées  de  sculptures  (buste  d'Esculape  mutilé,  serpent  enroulé  sur  le 
bdton  symbolique,  tôte  de  bœuf). 

4.  Eglise  Saint-Bartbélemy  :  porte  de  l'époque  de  la  Renaissance 
faite  de  débris  antiques;  quatre  colonnes  antiques  à  la  façade;  sous 
le  porche,  par  terre,  un  fragment  d'architrave;  à  l'intérieur,  quatoi'ze 
colonnes  de  granit  ou  de  marbre  et  deux  bases  d'ordre  corinthien  ; 
devant  le  maître-autel,  un  puits  probablement  antique,  entouré  d'une 
margelle  du  moyen  âge  ;  sous  le  maître-autel  une  cuve  de  porphyre  ; 
nombreux  fragments  de  marbres  de  couleur  utilisés  dans  les  pave- 
ments en  mosaïque  ;  dans  la  crypte,  sous  l'église,  six  colonnes  basses, 
peut-être  d'origine  antique. 

5.  Dans  le  petit  jardin  qui  borde  l'église  Saint-Barthélémy  du  côté 
de  la  rive  gauche  du  Tibre:  un  chapiteau  retaillé,  un  fragment  de 
colonne. 

6.  Dans  les  fondations  des  constructions  attenant  à  l'église  Saint- 
Jean-Calybite  doit  se  trouver  encore  le  fragment  du  pavage  en  mosaïque 
(avec  inscription  dédiée  à  Jupiter  Jurarius)  qu'on  a  découvert  en  1854 
et  par-dessus  lequel  des  murs  nouveaux  ont  été  élevés. 

7.  A  la  partie  septentrionale  de  l'île  :  colonnes  et  fragments  de 
marbre  utilisés  dans  les  maisons  modernes.  Au  coin  de  la  rue  qui 
débouche  sur  la  place  Saint-Barthélémy,  en  face  de  l'église,  un  chapi- 
teau sert  de  borne.  Sur  la  dernière  esplanade,  vers  la  pointe  d'amoni, 
un  fragment  de  colonne  bouche  un  regard  d'égout. 


APPENDICE  IV 


LISTE  DES  PRINCIPALES  FOUILLES  EFFECTUÉES  DANS  L'ILE 
TIBÉRINE  DEPUIS  L'ÉPOQUE  DE  LA  RENAISSANCE 

i.  En  1574,  sur  la  place  Saint-Barthélemy  :  C.  I.  L.,  VI,  567  (base  de 
la  statue  dédiée  à  Semo  Sancus). 

2.  En  1676,  sur  la  place  Saint-Barthélemy  :  C.  I.  L.,  VI,  12  (dédicace 
à  Esculape),  821  (inscription  du  vicus  Censori),  10.317  (liste  de  mayis- 
trl  d'un  collège),  ainsi  que  446  et  447  (dédicacés  aux  dieux  Lares)  et 
peut-être  aussi  451  (dédicace  aux  dieux  Lares,  «  trouvée  récemment 
dans  l'île  »,    écrivait  Fabretti  en  1683). 

3.  En  1684,  sur  la  place  Saint-Barthélemy  (R.  LA^CIA^'I,  Forma  Urbis 
Romœ,  feuille  28<). 

4.  Avant  1744,  aux  environs  de  l'église  Saint-Jean-Calybite.  Tête  de 
Jupiter  acquise  par  Ficoroni  (Casimiro,  Memorie  istoriche,  p.  265). 

5.  En  1765,  sur  la  place  Saint-Barthélemy.  Fouilles  Jenkins  (R.  Lan- 
ciAN[,  loc.  cit.). 

6.  En  1775,  dans  la  partie  septentrionale  de  l'île.  Fouilles  Oddi 
(R.  Lanciam,  loc.  cit.). 

7.  Au  mois  de  mars  1854,  sous  les  dépendances  de  l'église  Saint-Jean- 
Calybite  :  C.  I.  L.,  VI,  379  (inscription  sur  mosaïque,  dédiée  à  Jupiter 
Jurarius.)  Cf.  Canina,  Bullett.  delCInstit.  archeol.,  1854,  p.  xxxvii. 

8.  De  1885  à  1889,  reconstruction  du  pont  San  Bartolomeo  (ancien 
pont  Ccstius  et  ensuite  pont  de  Gratien);  réfection  des  murs  de  quai 
sur  la  berge  occidentale  de  l'île  tibérine  ;  établissement  d'un  mur  de 
quai  sur  la  rive  gauche  du  Tibre,  nécessitant  le  dégagement  du  pont 
Fabricius;  fouilles  à  la  drague  dans  le  lit  du  fleuve.  Voir  les  Notiz.  d. 
Scavi  et  le  Bidlett.  Comun.  de  ces  années. 

9.  Au  mois  d'avril  1899,  travaux  de  dégagement  exécutés  à  la  pointe 
d'aval  de  l'île  par  les  soins  de  M.  René  Patouillard,  pour  déblayer  les 
abords  du  fragment  conservé   de  la  décoration  antique. 

1.  M.  R.  Lanciani  prépare  une  Stona  degli  Scavi  di  Roma,  en  plusieurs 
volumes  ;  il  a  pu  recueillir  dans  les  archives  publiques  et  privées  d'Italie  des 
renseignements  encore  inédits  sur  les  fouilles  faites  à  Rome  depuis  la  Renais- 
sance. 


APPENDICE  V 


LISTE  DES  MONUMENTS  FIGURÉS 
PROVENANT  DE  L'ILE  TIBÉRINE  OU  LA  CONCERNANT 

1.  Statue  colossale  d'Esculape  au  musée  de  Naples.  Provenance 
certaine.  Publiée  dans  le  Real  Mlseo  Borbomco,  t.  IX,  pi.  XLVII. 

2.  Fragments  du  petit  obélisque  antique  de  la  place  Saint-Barthé- 
lémy :  deux  fragments  au  musée  de  Naples  ;  un  fragment  au  mus(''e  de 
Munich  (publié  par  Piranesi,  Antichità  romane,  t.  IV,  pi.  XIV,  n"  15). 
Provenance  certaine. 

3.  Deux  bas-reliefs  du  palais  Rondinini,  sur  le  Corso  à  Rome.  Pro- 
venance très  probable.  Publiés  par  von  Dlhn,  dans  les  Mittheil.  des 
archâol  Instit.,  Hœm.  Abth.,  1886,  pi.  IX  et  X). 

4.  Deux  médaillons  de  bronze  d'Antonin  le  Pieux  représentant 
l'arrivée  du  serpent  d'Esculape  à  Rome.  Signification  certaine.  Publiés 
en  dernier  lieu  par  Dressel,  dans  la  Zeitsch.  f.  Numism.,  1899,  pi.  II, 
n»*  10  et  H. 

3.  Monnaies  des  gentes  Eppia,  Pompeia,  Rubria,  représentant  le  ser- 
pent d'Esculape  enroulé  autour  d'un  autel.  Signification  probable.  Cf. 
Babelon,  les  Monnaies  dç  la  République  romaine,  t.  I,  p.  477  ;  t.  II,  p.  351 
et  p.  405. 

6.  Monnaie  de  Cyrénaïque  frappée  par  un  membre  de  la  gens  Fabri- 
cia  ;  elle  ferait  allusion  à  la  construction  du  pont  Fabricius  près  du 
temple  d'Esculape.  Signification  très  contestable.  Publiée  en  dernier 
lieu  par  Falbe-Lindberg-Mi  ller,  Numismatique  de  l'ancienne  Afrique, 
t.  I,  les  Monnaies  de  la  Cyrénaïque,  p.  165. 

7.  Deux  torses  humains  entrouverts,  en  marbre,  au  musée  du  Va- 
tican. Ex-voto  à  Esculape.  Provenance  inconnue.  Publiés  par  Bracn 
dans  le  Bullett.  deU'Instit.  archeoL,  1844,  p.  16, 

8.  Deux  statuettes  votives  en  terre  cuite.  Ex-voto  à  Esculape.  Prove- 
nance inconnue.  Publiées  par  Ficoroni,  Vestigia  e  rarità  di  Roma,  t.  I, 
p.  144. 

9.  Une  main  en  bronze,  au  musée  national  des  Thermes.  Ex-voto. 
Provenance  :  le  Tibre.  Publiée  par  la  G'"""  Caetani  Lovatklli  dans  les 
Monumenti  antichi  dei  Lincei,  t.  I,  1889,  p.  170. 

10.  Lamelle  de  bronze  avec  inscription  votive  à  Esculape,  au  musée 
Kirclier.  Provenance  inconnue.  Cf.  C.  I.  L.,  VI,  1. 

11.  Plusieurs  centaines  d'objets  divers  en  terre  cuite,  dans  les  maga- 
sins du  musée  national  des  Thermes.  Ex-voto  à  Esculape.  Provenance  : 
le  Tibre.  Cf.  L.  Sambo.n,  Donaria  of  médical  interest,  dans  le  British 
médical  Journal,  1895,  t.  II,  p.  146  et  p.  516. 

12.  Objets  trouvés  dans  les  décombres  auprès  du  pont  Fabricius  en 


APPENDICES  341 

même  temps  que  l'inscription  C.  I.  L.,  VI,  21.438  {Notiz.  cl.  Scavi,  1878, 
p.  236) : 

1»  Fragment  de  pierre  sépulcrale  avec  moulures; 

2°  Fragment  d'un  bas-relief  en  marbre  représentant  un  combat 
de  cavaliers  ; 

3°  Fragment  de  plafond  avec  méandres. 

13.  Statuette  acéphale  d'Esculape,  extraite  du  Tihre  [Notiz.  d.  Scavi, 
1891,  p.  287). 

14.  Objets  extraits  du  Tibre  auprès  du  pont  Cestius  en  même  temps 
que  l'une  des  inscriptions  votives  archaïques  dédiées  à  Esculape  (Notiz. 
d.  Scavi,  1892,  p.  267)  : 

1°  Fragment  d'une  statue  de  cheval  en  bronze  autrefois  doré; 
2°  Statuette  de  femme  sans  tête  ni  bras. 

N.-B.  —  Un  groupe  célèbre  du  musée  du  Capitole,  qui  représente  un 
homme  et  une  femme  debout,  sous  les  traits  de  Mars  et  de  Vénus, 
aurait  été  trouvé  d'après  Figoroni,  Memorie  piu  singolare  diRoma  e  sue 
vicinanze,  Rome,  1730,  p.  97,  «  dans  l'île  du  Tibi^e  »  en  1749.  Ficoroni 
ne  dit  pas  s'il  entend  par  ces  mots  l'île  tibérine  romaine  ou  l'île  que 
forme  le  Tibre  devant  Ostie . 


APPENDICE  VI 


TABLEAU  CHRONOLOGIQUE  DES  ÉVÉNEMENTS 
INTÉRESSANT  L'HISTOIRE  DE  L'ILE  TIBÉRINE  DANS  L'ANTIQUITÉ 

245/509  avant  l'ère  chrétienne  :  expulsion  des  rois,  formation  arti- 
ficielle de  l'île  libérine  d'après  la  légende  (Liv.,  H,  5  ;  Dio.nys.,  VI,  13; 
Plut.,  Popl.,  8). 

46i/293  :  arrivée  du  serpent  d'Epidaure  et  fondation  du  temple 
d'Esculape  (Liv.,  X,  Epit.;  Val.  Max.,  I,  8,  2;  Aurel.  Vict.,  de  Vir. 
illustr.,  22  ;  Arnob.,  VII,  41  ;  Ovid.,  Metam.,  XV,  622). 

Vers  461/293  :  construction  d'un  premier  pont  de  bois  entre  l'île  et 
la  rive  gauche  du  Tibre;  un  peu  plus  tard,  construction  d'un  second 
pont  de  bois  entre  l'ile  et  la  rive  droite. 

554/200  :  le  préteur  L.  Furius  Purpureo,  livrant  bataille  devant  Cré- 
mone aux  Gaulois  Cisalpins  révoltés,  fait  vœu  d'élever  un  temple  à 
Jupiter  (Liv.,  XXXI,  21). 

558/196:  L.  Furius  Purpureo,  consul,  fait  construire  un  temple  à 
Jupiter  dans  l'île  tibérine  (Liv.,  XXXIV,  53j  ;  les  édiles  plébéiens  Cn. 
Domitius  Ahenobarbus  et  C.  Scribonius  Curio,  avec  l'argent  des 
amendes  imposées  à  trois  pecuarii,  font  construire  un  temple  de  Fau- 
nus  dans  l'île  (Liv.,  XXXIII,  42). 

560/194:  le  duumvir  C.  Servilius  dédie  le  temple  de  Jupiter  et  le 
préteur  Cn.  Domitius  le  temple  de  Faunus  (Liv.,  XXXIV,  53). 

Vers  600/154:  l'haruspice  C.  Volcacius  répare  le  temple  de  Jupiter 
dans  l'île  tibérine  et  fait  mettre  dans  le  pavage  en  mosaïque  une  ins- 
cription commémorative,  dédiée  à  Jupiter  Jurarius  (C.  I.  L.,  VI,  379). 

691/63  :  le  curator  viarum  L.  Fabricius  fait  construire  un  pont  en 
pierre  entre  l'île  et  la  rive  gauche  (C.  I.  L.,  VI,  1305;  Cass.  Dio, 
XXXVII,  45). 

710/44  :  à  la  mort  de  César,  le  magister  equitum  Lepide  occupe  l'île 
tibérine  avec  un  corps  de  troupes  (Appian.,  de  Bell,  civil.,  II,  118). 

Vers  les  derniers  temps  de  la  République  :  restauration  du  temple 
d'Esculape  (C.  I.  L.,  VI,  7).  A  la  même  époque  ou  au  début  de  l'Em- 
pire :  construction  du  revêtement  en  pierre  des  deux  extrémités  de 
l'ile.  La  fondation  du  sacellum  Tiberini  remonte  sans  doute  à  l'époque 
républicaine;  date  inconnue  (C.  I.  L.,  I,  2"  éd.,  p.  245). 

733/21  :  les  consuls  M.  LoUius  et  Q.  Lepidus  réparent  le  pont  Fabri- 
cius (C.  I.  L.,  VI,  1305). 

Vers  740/14  :  construction  du  pont  Cestius  entre  l'île  et  la  rive  droite. 

L'institution  d'un  sacrifice  en  l'honneur  de  Vejovis  (C.  I.  L.,  2*  éd., 
p.  231)  et  l'érectiond'unestatuede  Jules  César  dans  l'île  tibérine  (Si  et., 
Vesp.,  5;  Tac,  Hist.,  I,  86;  Plut.,  Otho,  4)  sont  dues  peut-être  à 
Auguste. 


APPENDICES  343 

747/7  :  organisation  des  régions  urbaines  par  Auguste  ;  l'ile  tibérine 
appartient  à  la  XIV»  région  ;  elle  forme  le  vicus  Censori  (yËTnicus,  dans 
l'édition  de  Pomponius  Mêla  par  Gronovius,  p.  716;  C.  I.  L.,  VI, 
451,821). 

54  après  Jésus-Christ:  loi  de  l'empereur  Claude  décidant  que  les 
esclaves  malades  abandonnés  par  leurs  maîtres  dans  l'île  tibérine  se- 
ront affranchis  (Suet.,  ClaucL,  25  ;  Cass.  Dio,  LX,  29;  Digest.,XL,  8,2; 
CoD.  Justin.,  VII,  6,  loi  unique). 

Pendant  le  règne  de  Claude  (?)  statue  élevée  à  Semo  Sancus  dans 
l'île  (C.  I.  L.,  VI,  567;  Justin.  Martyr,  Apol.  Pr.,  26). 

68  :  la  statue  de  Jules  César  dans  Tîle  se  tourne  spontanément  vers 
l'Orient  (Suet.,   Vesp.,  5  ;  Tac,  Hist.,  I,  86  ;  Plut.,  Otho,  4). 

74  :  extension  du  pomcrium  par  Vespasien  ;  désormais  l'île  est  com- 
prise à  l'intérieur  de  cette  ligne  {Notiz.  d.  Scavi.  1900,  p.  15). 

Sous  le  règne  d'Antonin  le  Pieux  :  restauration  du  temple  d'Esculape 
(Cf.  statue  du  musée  deNaples,  bas-reliefs  du  palais  Rondinini),  frappe 
de  médaillons  rappelant  l'arrivée  du  serpent  d'Epidaure  ;  c'est  de  ce 
règne  ou  de  celui  de  Caracalla,  que  date  la  grande  inscription  votive 
en  langue  grecque  dédiée  à  Esculape  (C.  I.  Gr.  5980). 

Entre  178  et  180  :  statue  élevée  à  Marc-Aurèle  dans  l'île  (C.  I.  L., 
VI,  1015). 

Début  du  III*'  siècle  :  plan  de  Rome  dressé  sur  l'ordre  de  Septime 
Sévère  {Forma  UrbisRomœ);  deux  des  fragments  retrouvés  se  rapportent 
à  l'île. 

367-368  :  le  pont  Cestius  restauré  prend  le  nom  de  pont  de  Gratien 
(C.  I.  L.,  VI,  1175,  1176:  Symmach.,  Panegyr.  in  Gratian.,  p.  332  de  l'éd. 
Seeck  dans  les  Monum.  Germ.,  Auct.  antiq.,  t.  VI). 

389  :  statue  élevée  dans  l'île  à  Ragonius  Vincentius,  ancien  préfet  de 
l'annone  (C.  I.  L.,  VI,  1759). 

469  :  procès  d'Arvandus,  préfet  des  Gaules,  enfermé  trente  jours 
dans  la  prison  de  l'île  tibérine,  entre  sa  condamnation  à  mort  et  son 
exécution  (Sidon.  Apdll.,  Epist.,  1,7,  12). 

Fin  du  v«  siècle  :  rédaction  des  Gesta  martyrum  dans  lesquels  l'île 
tibérine  est  appelée  insula  Lycaonia  (Actes  de  sainte  Eugénie,  de 
saint  Calliste,  des  martyrs  grecs,  des  saints  Maris  et  Marthe). 


TABLES 


TABLE 
DES  PRINCIPAUX  TEXTES  LITTÉRAIRES   CITÉS 


I.  —  Auteurs  grecs 

Pages. 

Appianus,  II,  118 46 

Cassius  Dio,  XXXVII,  45 100 

Id.,  XLVII,  2 191 

Id.,  LX,  29 207 

DiONYSius  Haucarnassensis,  V,  13 17 

Plutarghus,  Otho,  4 58 

Id.,  Poplicola,  8 18 

Id.,  Qusestiones  romanœ,  XCIV 171 


II.  —  Auteurs  latins 

AcRO,  ad  Horat.,  Sat.,  II,  3,  35 100 

^THiGus  (dans  Gronovius,  édition  de  Pomponius  Mêla,  Leyde,  1722, 

p.  716) 3  et  54 

Ammianus  Margelllnus,  XXVII,  3 113 

Aurehus  Victor,  de  Vins  illustribus,  22 156 

Chronographus  anni  354  (dans  les  Monumenta  Germanie,  éd.  in-4'', 

Auctores  antiquissimi,  t.  IX,  1,  p.  145) 19 

Claudianus,  Panegyricus  dictus  Probino  et  Olybrio  consulibus,  226. . .  65 

Id. ,  in  Stilichonem,  III,  170 1 57 

Festus,  p.  ho.... 171  et  227 

Id.,  p.  237 173 

HoRATius,  Satirœ,  11,2,31 60 

Id.,  Satirse,  II,  3,  35 100 

Kalendarium  (en  tête  des  manuscrits  des  Fastes  d'Ovide) 82 

Livius,  II,  5, 16 

Irf. ,  X,  47 149  et  154 

Id.,  XI,  Epitome 1 54 

Id.,  XXXI,  21 262 

Id.,  XXXIII,  42 292 

Id.,  XXXIV,  53 262  et  292 

Id. ,  XXXV,  41 262 

Id.,  XLIII,  4 190 

Macrobius,  Saturnalia,  II,  12 60 

Orosius,  III,  22 156 

OviDiDs,  Fasti,  I,  289 184 

Id.,  Fasti,  I,  291  .... ;.;.;......;.;;.; ;  .  . 251 


348  TABLES 

Id.,  Fasti,  II,  193 290 

Id.,  Metamorphoseis,  XV,  622-745 158  à  160 

Id.,  Metamorphoseis,  XV,  654 195 

Plautus,  CurcuUo,  14 205 

Id.,  CurcuUo,  61,  216,  246,  260 206 

Plimus,  Hùttoria  Naturalis,  IX,  54  (79) 60 

Id.,  Historia  Naturalis,  XXIX,  1  (8) 148  et  171 

PoRPHYRio,  ad  lloral.,  Sat.,  II,  3,  35 100 

SiDOMUS  Ai'OLLi.NAuis,  Efistulx,  I,  7,  12 68 

SUKTO.NIL'S,  Autjusttis,  59 196 

Id.,  Claudius,  25 207 

Syjimaciius,  Paneyyricus  in  Gratianum  (dans  les  Monumenta  Germa- 

iM.ï,  éd.  iii-4°,  Auctores  antiquissimi,  t.  VI,  p.  332) 112 

Tacitl's,  Historia;,  I,  80 58 

Valerius  Maximus,  I,  8,  2 154 

Varro,  de  Lingua  latina.  Vil,  57 190 

ViTRUvius,  III,  2 249  et  292 


III.  —  Auteurs  chrétiens 

AcTA  Sanctorum,  janvier,  t.  II,  p.  580 80 

Id.,  août,  t.  II,  p.  31 240 

Id.,  octobre,  t.  VI,  p.  441 80 

Actes  des  martyrs  (jrecs  publiés  par  de  Rossi,  Roma  sotterranea. 

t.  III,  p.  207 80 

Arnobius,  VII,  41-45 157 

JusTiNus  Martyr,  Apologia  Prima,  26 274  et  276 

Vita  Sanctœ  Eugetiiœ,  dans  la  Patrologie  latine  de  Migne,  t.  XXI, 

p.  1121 79 

Plusieurs  textes  du  moyen  dge  concernant  Vinsula  Lycaonia  sont  cités 
aux  pages  77  et  suivantes. 


TABLE  DES  INSCRIPTIONS  CITÉES 


Pages. 

Corpus  Inscriptionum  Gr^carum,  5974 212 

Id.,  5977 21 2 

M,  5978 213 

Id.,   5980 214 

Corpus  Inscriptionum  Latinarum,  t.  1,  i"  éd.,  p.  210 290 

Jrf.,  p.  221 255 

Id.,   p.  231 185  et  231 

Id.,  p.  233 255 

Id.,   p.  244 309 

Id.,  p.  245 308 

Irf.,  p.  270 309 

Id.,   p.  272 185 

Corpus  Inscriptionum  Latinarum,  t.  VI,  1 211 

Id.,   7 189  et  210 

Id.,   8 211  et  225 

M,  12 210 

Jrf.,  13 204 

Irf.,  14 225 

Irf.,  15 211 

M.,  17 211 

Id.,  20 204 

M,  43 61 

Id.,  296 61 

Irf. ,  379 256 

Id.,  446  et  447 57 

Jrf.,  451 55 

Jrf.,  567 273 

Jrf,.  568 280 

Jrf.,  773 308 

Jrf.,  821 54 

Jrf.,  841 21 1 

Jrf.,  1001 289 

Jrf.,  1015 58 

Jrf.,  1 175 109 

Jrf.,  1176 111 

Jrf.,  1303 101 

Jrf.,  1374  et  1373 108 

Jrf.,  1759 61 

Jrf.,  1760 63 

Jrf.,  2330  et  2331 210 

Jrf.,  3865 61 

Jrf.,  8548 73 

Jrf.,  8842 73 

Jrf.,  9418 73 

Jrf.,  9824 74 


350  TABLES 

Fageii. 

IiL,  10.133 : 73 

M,  10.317 • 47 

Id.,  10.465 73 

Id.,  11.882 73 

irf.,  12.024 74 

Id.,  12.202 74 

Id.,  12.434 74 

Id.,  12.650 74 

Id.,  13.050 73 

Id.,  13.500 74 

/rf. ,  15.369 74 

là.,  16.G45 74 

Id.,  17.574 74 

Id.,  18.878 71 

Id.,  19.721 74 

Jrf.,  20.363 74 

Id.,  21 .438 74 

Id.,  21.544 74 

Id.,  22.202 74 

Id.,  22.684 74 

Id.,  22.849 74 

Id.,  25.369 49 

Id.,  26.527 74 

Id.,  27.750 74 

Id.,  29.080 74 

Id.,  29.454 71 

Jrf.,  29,457 70 

Id.,  29.722 72 

Id.,  29.764 64 

Id.,  31.251 111 

Corpus  i.nscriptio.num  latinarum,  t.  X,  6700 169 

Irf.,  t.  XI,  1305 231 

Id.,  t.  Xf ,  2479 164 

/(/.,  t.  XIV,  2387 269 

Irf.,  t.  XIV,  28.39 273 

Pais,  Supplementa  italica  au  t.  V  du  C.  I.  L.,  1272 260 

Ephemeris  Epic/raphica,  t.  I,  5 149 

Irf.,  t.  IV,  801  ! 109 

Irf.,  t.  IV,  802 m 

Notizie  degli  Scavi,  1890,  p.  33 209 

Irf.,  1892,  p.  267  et  410 209 

Irf.,  1899,  p.  15 52 

liullcttino  Comiinale,  1881,  p.  4 281 

Irf.,  1887,  p.  8 281 

Jrf.,  1892,  p.  184 282 

Irf.,  1896,  p.  68 66 

Id.,  1896,  p.  174 213 

Les  inscriptions  votives  d'Epidaure  sont  citées  p.  218  d'après  la  tra- 
duction de  Defrassk  et  Lechat,  Epidaurc,  p.  142. 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


PLANCHE   HORS   TEXTE 


Vue  de  l'île  tibérine,  d'après  une  photographie  prise  en  1899.    Frontispice 


FIGURES  INSEREES  DANS   LE   TEXTE 

Pages. 

FiG.  1.  —  Plan  de  l'ile  tibérine,  d'après  les  relevés  de  M.  René 
Patouillard  (1899) S 

FiG.  2.  —  Vue  de  l'île  tibérine  au  xviii"  siècle,  d'après  un  pastel 
de  Vanvitelli  (Home,  palais  des  Conservateurs; 7 

FiG,  3.  —  L'île  tibérine  et  Visolctta  au  xviu"  siècle,  d'après  le  plan 
de  Rome  dressé  par  Nolli  (  1 748) 9 

Fk;.  4.  —  L'île  tibérine  au  xviii»  siècle,  d'après  Piranesi  (propriété 
de  la  Reçjia  Calcografia  de  Rome) 34 

FiG.  5.  —  Fragment  de  la  décoration  sculptée  de  l'île  tibérine 
{Annali.  deWînstituto  archeolofjico,  1867,  pi.  K,  1) 35 

FiG.  6.  —  Fragment  de  la  décoration  sculptée  de  Tîle  tibérine, 
d'après  une  photographie  prise  par  M.  René  Patouillard  en  1899.      33 

FiG.  7.  —  L'île  tibérine  d'après  un  dessin  du  recueil  Orsini 
(Bibliothèque  vaticane,  Cod.  lut.  3439,  f°  42) 39 

FiG.  8.  —  L'île  tibérine  au  xvi«  siècle,  d'après  du  Pérac  (Ia75). ...       39 

Fi  G.  9.  —  Fragment  de  l'obélisque  de  l'île  tibérine  (Piranesi,  Anti- 
chità  romane,  t.  IV,  pi,  XIV,  n»  15) 43 

FiG.  10.  —  Fragments  de  la  Forma  Urbis  Romœ  concernant  l'île 
tibérine,  d'après  l'édition  de  Jordan,  Berlin,  Weidmann,  1874, 
pi.  IX,  42 60 

FiG.  11.  —  Le  pont  Fabricius,  v^ue  prise  avant  les  récents  travaux 
du  Tibre  (cliché  d'Alessandri) 95 

FiG.  12.  — Le  pont  Fabricius,  vue  prise  en  1899  (cliché  de  M.  René 
Patouillard) 97 

FiG.  13.  —  Les  Hermès  du  pont  Fabricius,  d'après  une  photogra- 
phie prise  en  1899 99 

FiG.  14.  —  Restauration  du  pont  Fabricius,  d'après  Canina,  gli 
Edifizi  di  Roma  antica,  t.  IV,  pi.  CCXLII 101 

FiG.  15.  —  Monnaie  de  la  gens  Fabricia,  d'après  l'exemplaire  du 
Cabinet  des  Médailles 104 

FiG.  16.  —  Le  pont  de  Gratien,  vue  prise  avant  les  récents  tra- 
vaux du  Tibre  (cliché  d'Alessandri) 114 

FiG.  17.  —  Le  pont  San  Bartolomeo,  vue  prise  en  1899  (cliché  de 
M.  René  Patouillard) 115 


352  TABLES 

Pages. 

Fn;.  18.  —  Restauration  du  pont  Gestius,  d'après  Canina,  gli  Edifizi 
di  lioma  antica,  t.  IV,  pi.  CCXLII 118 

FiG.  19.  —  Médaillon  d'Antonin  le  Pieux,  d'après  un  exemplaire  du 
Cabinet  des  Médailles 176 

Fk;.  20.  —  Bas-relief  du  palais  Rondinini  [Mittheil.  des  archàol. 
Instit.,  Rœm.  Abtlt.,  iSSd,  p].  IX) 182 

Fus.  21.  —  Bas-relief  du  palais  Rondinini  {Mittheil.  des  archàol. 
Instit.,  Rœm.  Abth.,  1886,  pi.  X) 183 

Fio.  22.  —  Base  d'une  colonne  antique  dans  l'église  Saint-Barthé- 
lémy, d'après  une  photographie  prise  en  1899 186 

Fk;.  23.  —  Statue  d'Esculape  du  musée  de  Naples  (cliché  Ali- 
nari) 193 

Fit;.  24.  —  Intérieur  de  l'église  Saint-Barthélémy;  margelle  de 
puits  encastrée  dans  les  marches  (d'après  une  photographie). . .     199 

Fii;.  25.  —  Ex-voto  de  terre  cuite  provenantde  l'iletibérine  (musée 
national  des  Thermes) 235 

FiG.  26.  —  Inscription  sur  mosaïque  dédiée  à  Jupyiter  Jurarius, 
d'après  le  fac-similé  de  Hitschl,  Priscse  latinitatis  monumenta, 
Berlin,  Reimer,  1862,  pi.  LIX,  A 256 

Fk;.  27.  —  Plan  restauré  de  l'île  tibérine,  d'après  Piranesi,  Anti- 
chità  romane,  t.  IV,  pi.  XIV 320 

FiG.  28.  —  Plan  restauré  de  l'iletibérine,  d'après  Delannoy  (Biblio- 
thèque de  l'Ecole  des  Beaux-Arts),  1832 321 

Fk;.  29.  —  Plan  restauré  de  l'île  tibérine,  d'après  Canina,  ylrc/«7ef- 
tura  antica,  t.  III,  pi.  CVIII 323 

FiG.  30.  —  Plan  restauré  de  l'île  tibérine,  d'après  Canina,  g-Zt  Edi- 
fizi di  Roma  antica,  t.  IV,  pl.  CCXLI 325 

Fk;.  31.  —  Vue  restaurée  de  l'île  tibérine,  d'après  Canina,  g^/iErfi- 
fizi  di  Roma  antica,  t.  IV,  pl.  CCXLIII 326 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 

Préface i_iv 

LxTRODUGTioN.  —  L'îlc  tlbérine  dans  les  temps  modernes  et  dans 
l'antiquité 1 

Les  noms,  3.  —  Aspect  actuel,  4.  —  Forme  et  étendue  de  l'île 
dans  l'antiquité,  10.  —  Histoire  et  topographie,  10.  —  L'île 
tibérine  et  la  religion  romaine,  H. 


LIVRE  I 
HISTOIRE  DE  L'ILE  TIBÉRINE  DANS  L'ANTIQUITÉ 

Chapitre  L  —  La  légende  des  origines 15 

Les  textes,  1"».  —  Tite-Live,  15.  —  Denys  d'Halicarnasse,  17.  — 
Plutarque,  18.  — Deux  variantes  de  la  tradition,  19.  —  La  mort 
de  Tarquin  le  Superbe,  20.  —  La  vestale  Tarquinia,  20.  — 
Les  moissons  du  Champ  de  Mars,  22.  —  Objections  d'Ampère, 
22.  —  Interprétation  géologique,  23.  —  Appréciation,  24.  — 
Interprétation  mythologique,  26.  —  Appréciation,  28.  —  Signi- 
fication historique,  29.  —  Conclusion,  31. 

Chapitre  II.  —  Le  vaisseau  d'Esculape 32 

L'arrivée  du  serpent  d'Esculape,  32.  —  La  décoration  de  l'île,  33. 

—  Le  fragment  conservé,  36-.  —  Etat  des  ruines  au  xvi^  siècle, 
37.  —  Caractère  de  la  décoration  antique,  38.  —  Date  de  son 
exécution,  41.  —  L'obélisque,  42. 

Chapitre  III.  —  L'île  tibérine  à  l'époque  républicaine 4o 

Les  temples,  45,  —  Les  soldats  de  Lépide,  45.  —  Les  inscrip- 
tions, 46.  —  Liste  de  magistri  d'un  collège,  46.  —  Inscription 
funéraire,  49. 

Chapitre  IV.  —  L'île  tibérine  à  l'époque  impériale. 51 

L'extension  du.  pomerium,  51.  —  La  xiv^  région  d'Auguste  et 
le  vicus  Cemori,  53.  —  Autel  des  dieux  Lares,  55.  —  Statues 
de  Jules  César  et  de  Marc-Aurèle,  58.  —  La  Forma  Urbis  Romie, 
59.  —  Inscription  en  l'honneur  d'un  préfet  de  l'annone,  61. 

—  La  domus  Aniciorum,  64.  —  L'île  tibérine  et  l'invasion  van- 

23 


354  TABLES 

Pages. 

dale,  66.  —  Le  procès  du  préfet  des  Gaules  Arvandus,  67.  — 
Inscriptions  funéraires,  09.  —  Epitaphe  d'une  Volcasia,  70.  — 
L'épitaphe  de  Galionia  Maritima,  71.  —  L'épitaphe  de  G.  Sen- 
tius  Regulianus,  72.  —  Epitaphes  diverses,  73.  —  Popa  de 
insula,  74. 

Chapitre  V.  —  L'insula  Lycaonia 76 

L'ile  tibérine  au  moyen  âge,  76.  —  L'expressioij  insuta  Lycaonia 
dans  les  textes  datés,  77.  —  Les  légendes  hagiographiques, 
79.  —  Jupiter  Lycaonius,  81.  —  Les  Lycaonida,  jeux  du 
Tibre,  81.  —  L'église  Saint-Nicolas,  83.  —  Saint  Barthélémy 
et  la  Lycaonie,  84.  —  La  Lycaonie  province  romaine,  86. 


LIVRE  II 
LES  PONTS  DE  L'ILE  TIBÉRINE 

Préliminaires 91 

Chapitre  I.  —  Le  pont  Fabricias 93 

Son  importance,  93.  —  Structure,  94.  —  Les  deux  grandes  arches, 
94.  —  La  pile  centrale,  9S.  —  Les  petites  arches  latérales,  96. 

—  Les  Hermès,  98.  —  Aspect  du  pont  Fabricius  dans  l'anti- 
quité, 98.  —  Les  textes  anciens,  99.  —  L'inscription  du  pont, 
101.  —  Monnaie  Fabricia,  104. 

Chapitre  IL  —  Le  pont  Gestius 106 

Les  noms,  106.  —  Première  construction  :  le  pontCestius,  107. 

—  Reconstruction  au  iv"  siècle  :  le  pont  Gratien,  109.  —  Tra- 
vaux depuis  l'antiquité  :  le  pont  San  Bartolomeo,  113.  —  Des- 
cription du  pont  de  Gratien,  116.  —  Détails  révélés  par  les 
derniers  travaux,  117.  —  Aspect  du  pont  Cestius  dans  l'anti- 
quité, 118. 

Chapitre  HI.  —  Remarques  sur  la  topographie  de  l'île  tibérine 
entre  les  deux  ponts 120 

Rôle  et  importance  des  deux  ponts,  120.  —  La  rue  inter  duos 
pontes,  120.  —  Différences  de  niveau,  122. 

Chapitre  IV.  —  Les  plus  anciens  ponts  de  l'île  tibérine 123 

Les  ponts  de  bois,  123.  —  Examen  des  textes,  124.  —  Théorie 
de  M.  Mommsen  et  de  Jordan,  i2'6.  —  Critique,  127.  —  Le 
véritable  pont  /Emilius,  128.  —  Pons  Lepidi el pons  lapidens,  129. 

—  Le  pont  Sublicius  et  l'île  tibérine,  130.  — Conclusion,  132. 


TABLES  355 


LIVRE  III 
LE  SANCTUAIRE  D'ESCULAPE 

Pages. 

Préliminaires 135 

Chapitre  I.  —  Les  origines  du  culte  d'Esculape 137 

Esculape  et  Asklépios,  137.  —  La  médecine  et  le  culte  d'Asklé- 
pios  en  Grèce,  137.  —  La  médecine  à  Rome,  140.  —  Les  divi- 
nités médicales  des  Romains  :  Meditrina,  141.  —  Attributions 
médicales  des  grands  dieux,  144.  —  Apollon,  144.  —  Apollon  et 
Asklépios,  146.  —  Résumé,  147.  —  Le  temple  de  l'île  tibérine 
ne  serait  pas  le  premier  temple  d'Esculape  à  Rome,  148.  — 
Critique  de  cette  théorie,  150. 

Chapitre  II.  —  L'arrivée  du  serpent  d'Epidaure 152 

L'introduction  du  culte  d'Asklépios  à  Rome,  lo2.  —  Tite-Live, 
154.  —  Valère  Maxime,  154.  —  Aurelius  Victor,  Orose,  etc., 
156.  — Ovide,  157.  —  Ovide  comparé  aux  textes  historiques,  160. 

—  Appréciation  de  la  légende,  163.  —  La  consultation  des 
Livres  Sibyllins,  163.  —  L'ambassade  à  Epidaure,  163.  — 
Q.  Ogulnius,  164.  — EppiusetRubrius,165.  — Date  de  l'ambas- 
sade, 166. —  Le  serpent  sacré,  168.  —  L'épisode  d'Antium,  169. 

—  Le  culte  d'Esculape  et  l'île  tibérine,  170.  —  Opinion  des 
Anciens,  170.  —  La  religion  romaine  et  les  cultes  étrangers, 
171.  — Pourquoi  le  temple  d'Esculape  fut  consti^uit  dans  l'île, 
174.  —  Le  médaillon  d'Antonin  le  Pieux,  175.  —  Interpré- 
tation ancienne,  177.  —  Interprétation  nouvelle,  177.  —  Cri- 
tique, 179.  —  Le  bas-relief  Rondinini,  181. 

Chapitre  III.  —  Le  temple  d'Esculape  et  ses  dépendances 184 

Fondation  et  fête  annuelle,  184.  —  Position  et  vestiges,  185.  — 
Discussion  d'une  hypothèse  de  Canina,  186.  —  Orientation,  188. 

—  Le  temple  sous  la  République,  189.  —  Le  temple  sous 
l'Empire,  191.  — La  statue  d'Esculape,  193.  —  Aspect  et  déco- 
ration du  temple,  195.  —  Les  dépendances  du  temple,  198. 

Chapitre  IV.  —  Le  culte  d'Esculape  dans  l'île  tibérine 203 

Caractères  de  ce  culte,  203. —  La  médecine  sacerdotale  à  Rome, 
204.  —  Le  Curculio,  205.  —  L'exposition  des  esclaves  malades 
dans  l'île  tibérine,  207.  —  Les  inscriptions,  208.  —  Inscriptions 
latines  archaïques,  208.  —  Inscriptions  latines  postérieures, 
210.  —  Inscriptions  grecques,  212.  —  Les  tablettes  votives 
dans  les  Asklépieia,  217.  —  Les  prescriptions  d'Esculape,  220. 

—  L'incubation,  223.  —  Les  animaux  sacrés,  226.  —  Les  ex- 


3(S#  TABLAS 

Pages. 

voto,  229.  —  Usage  et  rôle  des  donaria,  229.  —  Les  donaria  de 
l'île  tibéiine,  230.  —  Caractères  généraux,  233.  —  Descrip- 
tion, 234.  — Les  favissx  du  temple  d'Esculape  et  les  boutiques 
d'objets  de  piété,  237. 

Chapitre  V.  —  La  fin  du  culte  d'Esculape  à  Rome 239 

Les  religions  orientales  et  le  christianisme,  239.  —  La  légende 
de  saint  Emigdius,  240.  —  Persistance  du  culte  d'Esculape, 
241.  —  La  fête  des  saints  Exuperantius  et  Sabinus,  242.  — 
Hôpital  et  hospice  dans  l'île  tibérine,  243, 


LIVRE  IV 
LES  CULTES  SECONDAIRES 

Préliminaires 247 

Chapitre  I.  —  Jupiter  Jurarius  et  Vejovis , 249 

Examen  d'un  passage  de  Vilruve,  249.  —  La  fête  de  Jupiter  et 
de  Vejovis  dans  l'île,  251.  —  Jupiter  et  Vejovis,  252.  —  L'ins- 
cription dédiée  à  Jupiter  Jurarius,  255.  —  Emplacement  du 
temple,  258.  —  Jupiter  Jurarius  ou  Lurarius,  259.  —  Date  de 
la  construction  du  temple,  262.  —  Le  culte  de  Jupiter  Jura- 
rius dans  l'île,  265.  —  Le  culte  de  Vejovis  dans  l'île,  269. 

Chapitre  IL  —  La  statue  de  Semo  Sancus 273 

La  dédicace  de  Sextus  Pompeius  Mussianus,  273.  —  La  légende 
de  Simon  le  Magicien,  274,  -—  Le  culte  de  Semo  Sancus  à 
Rome,  279.  —  Caractère  et  nature  de  Semo  Sancus,  282.  — 
La  décurie  des  sacerdotes  bidentales,  28o.  —  Le  culte  de  Semo 
Sancus  dans  l'île  tibérine,  286. 

Chapitre  III.  —  Le  temple  de  Faunus 290 

La  fête  de  Faunus  dans  l'île,  290.  —  Position  du  temple,  291.  — 
Style  de  l'édifice,  292.  —  Date  de  la  construction,  292.  — 
MuUaticiiim  argentiim,  292.  —  Le  culte  de  Faunus  et  l'île 
tibérine,  294.  —  Cai^actère  véritable  du  dieu  Faunus,  295.  — 
L'Aventin,  les  Lupercales,  le  Septimontimn,  298.  —  La  fonda- 
tion du  temple  de  l'île  tibérine,  301. 

Chapitre  IV.  —  Le  sacellum  de  Tiberinus 304 

Le  culte  des  eaux,  304.  —  Le  culte  de  Tiberinus  à  Rome,  305. 
—  Antiquité  de  ce  culte,  300.  —  Ses  manifestations,  307.— 
La  fête  de  Tiberinus  dans  l'île,  308.  —  Le  sacellum,  308.  — 
Tiberinalia  et  Portunalia,  309.  —  Tibcrinalia  et  Volturnalia,  312. 


TABLES  357 

Pages. 

Conclusion.  —  Topographie  de  l'île  tibérine  dans  l'antiquité 317 

L'île  tibérine  au  siècle  des  Antonins,  317.  —  Les  ruines,  318. 
—  Les  textes  et  les  monuments  figurés,  319.  —  Plans,  des- 
sins et  restaurations,  322.  —  Les  édifices  de  l'île  tibérine 
dans  l'antiquité,  324. 

Appendices 329 

I.  Bibliographie,  331.  —  IL  Iconographie,  335.  —  III.  Liste  des 
ruines  et  objets  antiques  encore  en  place  dans  l'île  tibérine, 
338.  —  IV.  Liste  des  principales  fouilles  effectuées  dans  l'île 
tibérine  depuis  l'époque  de  la  Renaissance,  339.  —  V.  Liste 
des  monuments  figurés  provenant  de  l'île  tibérine  ou  la  con- 
cernant, 340.  —  VI.  Tableau  chronologique  des  événements 
intéressant  l'histoire  de  l'île  tibérine  dans  l'antiquité,  342. 

Tables 345 

Table  des  principaux  textes  littéraires  cités,  347.  —  Table  des 
inscriptions  citées,  349.  —  Table  des  illustrations,  351.  — 
Table  des  matières,  353. 


Tours,  imprimerie  Deslis  Fkkhes,  6,  rue  Gambetta. 


ERRATA 


Page  H,  ligne  27,  supprimer  le  second  «  et  ». 

—  17,  note  2,  ligne  1,  lire  :  ^v,  au  lieu  de  :  ?|V  ;  ligne  5,  lire  :  in\  taï?  xaXci[j.at;. 

—  18,  note  1,  ligne  6,  lire  :  tô,  au  lieu  de  :  xô. 

—  46,  note  1,  ligne  2,  lire  :  rjv,  au  lieu  de  :  ^v. 

—  59,  ligne  23,  lire  :  «  palais  Farnèse;  on  ne  prit  soin  etc.  » 

—  63,  ligne  24,  lire  :  «  l'un  »,  au  lieu  de  :  «  l'une  ». 

—  79,  note  2,  ligne  3,  supprimer  les  guillemets. 

—  87,  note  1,  ligne  4,  lire  :  «  p.  580  »,  au  lieu  de  :  «  p.  5803  ». 

—  96,  ligne  36,  supprimer  les  deux  virgules. 

—  100,  note  6,  ligne  4,  lire  :  «  in  ponte  Judœorum». 

—  104,  ligne  24,  lire  :  «  L.  FABRIC  »,  au  lieu  de  :  «  L.  FABRIGI  »;  ligne  28, 

lire  :  «  Fabric{ius)  *,  au  lieu  de  :  «  Fabri{cius)  »  ;  ligne  29,  lire  :  «  gens  », 
au  lieu  de  :  «  gens  ». 

—  108,  note  12,  ligne  1,  lire  :  «  Prœfectura  »,  au  lieu  de  :  «  Prœfaclura  ». 

—  lil,  ligne  13,  lire  :  «  ponte  Sisto  »,  au  lieu  de  :  «  ponte  Sisto  ». 

—  136,  ligne  8,  lire  :  «  en  ce  coin  »,  au  lieu  de  :  «  sur  ce  point  ». 

—  138,  ligne  24,  lire  :  «  devaient  »,  au  lieu  de  :  «  devait  ». 

-     144,  ligne  26,  supprimer  la  virgule  et  lire  :  «decemviri  sacris  faciundis». 

—  145,  ligne  3,  lire  :  «  faciundis  »,  au  lieu  de  :  «  facundis  ». 

—  150,  ligne  3,  supprimer  le  second  «  Hercles  ». 

—  157,  note  5,  ligne  4,  supprimer  le  second  «  atque  ». 

—  158,  note  3,  lignes  3  et  4,  lire  les  deux  fois  :  «  Apolline  »,  au  lieu  de  : 

«  Appoline  ». 

—  176,  ligne  15,  lire  :  «vers  le  serpent;  »,  au  lieu  de  :  «  vers  un  serpent;  ». 

—  190,  ligne  25,  lire  :  «  Cette  œdes  »,  au  lieu  de  «  Cet  aedes  ». 

—  199,  ligne  3,  lire  :  «  Tricca  »,  au  lieu  de  :  «  Trikka  ». 

—  207,  lignes  18  et  19,  lire  :  «  en  l'an  801  de  Rome,  47  après  l'ère  chrétienne  ». 

—  208,  ligne  2,  lire  :  «  du  livre  VI  »,  au  lieu  de  :  «  du  même  livre  ».  —  Il 

convient  d'ajouter  que  le  texte  de  loi  cité  ici  n'émane  pas  de  Justinien 
lui-même  et  n'est  qu'une  restitution  conjecturale  des  commentateurs. 

—  209,  note  3,  ligne  1,  lire  :  «  Scavi  »,  au  lieu  de  :  «  Savi  ». 

—  211,  ligne  23,  lire  :  «  l{œtus)  »,  au  lieu  de  :  «  laetus)». 

—  213,  ligne  29,  lire  :  «  s'encastrait  »,  au  lieu  de  :  «  s'encadrait  ». 

—  218,  ligne  4,  lire  :  «  Tricca  »,  au  lieu  de  :  «  Trikka  ». 

—  225,  note  5,  lire  :  «  Plutonion  d'Acharaca»,  au  lieu  de  :  «  Plutonium  d'Acha- 

raia  ». 

—  233,  ligne  6  et  note  2,  ligne  1,  lire  les  deux  fois  :  «  Oppenheimer  »,  au 

lieu  de  :  «  Oppeheim  »  et  «  Oppeheimer  ». 

—  236,  ligne  5,  lire  :  «  donaria  »,  au  lieu  de  :  «  donaria  ». 

—  256,  ligne  33,  lire  :  «  ff^ilii)  »,  au  lieu  de  :  «  f{ili)  ». 


Page  262,  ligne  6,  lire  :  «  aussi  bien  que  dans  le  de  Archtteclura  de  Vitruve  et 
dans  les  etc.  ». 

—  265,  ligne  27,  lire  :  «  campagne  »,  au  lieu  de  :  «  compagne  ». 

—  266,  ligne  2,  lire  :  «  Drixia  »,  au  lieu  de  :  «  Brixia  ». 

—  26T,  ligne  29,  lire  :  «  deviner  »,  au  lieu  de  :  <■  donner  ». 

—  269,  ligne  26;  p.  270,  lignes  1  et  5;  p.  271,  ligne  32,  lire  partout  :  «  Bo- 

villae  »,  au  lieu  de  :  «  Bovilla  ». 

—  271,  ligne  22,  lire  :  «  que  Jupiter  se  soit  substitué  ». 

—  271,  note  2,  lignes  4  et  6,  lire  les  deux  fois  :  «  Lycoris  »,  au  lieu  de  : 

«  Lucaris  ». 

—  273,  ligne  15,  lire  :  «  aedil[icio  »,  au  lieu  de  :  «  xdil[cio  ». 

—  273,  lignes  20  et  21,  lire  :  «  scribe  des  questeurs,  scribe  des  édiles  ». 

—  278,  ligne  24,  lire  :  «  Grec  »,  au  lieu  de  :  «  grec  ». 

—  284,  note  6,  ligne  1,  lire  «  Fuloent.,  ». 

—  285,  note  3,  ligne  1,  lire  :  «  X,  7  (8)  ». 

—  290,  ligne  4,  lire  :  «  [D  eid{us)  »,  au  lieu  de  :  «  [Deid{us)  ». 

—  292,  notes  4,  lignes  1  et  2,  supprimer  la  virgule  entre  «  Scrlbonius  »  et 

«  Curio  ». 

—  296,  note  5,  lire  :  «  VilelL,  i.  ». 

—  297,  note  5,  lignes  1  et  2,  lire  :  «  Deubner,  de  Incubatione  ». 

—  299,  ajouter  au  début  de  la  note  1  :  «  Ungbk,  die  Lupercalien,  dans  le 

Rheinisches  Muséum,  1881,  p.  oO.  —  ». 

—  343,  ligne  5,  lire  :  «  47  après  Jésus-Christ  »,  au  lieu  de  :  «  54  après  Jésus- 

Christ  ». 


BIBLIOTHÈQUE  DES  ÉCOLES  FRANÇAISES  D'ATHÈNES  ET  DE  ROME 

PUBLIER 

SOUS  LES  AUSPICES  DU  MINISTÈRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE 


FASCICULE  QUATRE-VINGT-SEPT 


LTLE  TIBÉRINE 


DANS   L'ANTIQUITÉ 


Vf-     ■ 


PAR 


Maurice  BESNIER  X/  ^  :'^   V 

'^   ■"■  -t't  J 

ANCIEK  MEMBRE   DE   L  ÉCOLB   FRANÇAISE   DE   ROME, 

CHARGÉ  d'us   cocas   COMPLÉMENTAIRE   A   LA   FACULTÉ   DES   LETTRES 

DE   l'université   DE   CAES. 


Ouvrage  contenant  trente-deux  gravures  dont  une  hors  texte 
en  phototypie 


PARIS 

ANCIENNE    LIBRAIRIE    THORIN    ET    FILS 

ALBERT  FONTEMOING,  ÉDITEUR 

Libraire  des  Écoles  Françaises  d'Athènes  et  de  Rome,  du  Collège  de  France 

et  de  l'École  Normale  Sapérieure 

4,   RUE   LE  GOFF,  4 

1902 


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VOLUME  D'INTRODUCTION  :  MhuontR  si  «  v.nr.  Mission  ai  M., m  Aiihi.-  Suivi  .l'un 
uioiiioirf  sur  un  atnbun  conservé  h  Saloiiii|iic.  lu  repp-sentaliou  dos  Ma^»^s 
en  Orient  et  en  Orciiienf  dnrfliit  1''^  proiniers  siècles,  par  MM.  l'abbé  iJc- 
(.iiESNK.  (le  rinstilii  '  i  i-i»  de  Floine,  et  Ch.  IUykt, 
aiiciiii  nioiiibrf   li  <  et    de  Kruue,   recteur  de 

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2.  Hh^ihekchks  sl'u  les  MANitscnrrs  AiiciiKoi.odiQtK.'*  uK.  Jacquks  Ghimai.di,  par 
M.  E.  jMu.ntz.  3.  Etude  suh  leuvstkkr  i»k  .-«ainte  .\oNks.  par  M.  CLÉhAT.    10  fr. 

II.  Essai  rjir  les  mond.'uents  okecs  et  iujmai.ns  helatifs  au  mvtiib  de  Psyché, 
par  M.  M--^       '■  S-fr.  :iO 

ni.  (l\TAi.' '  i>i;  Misée  dr  i.a Société  akchéoi.ouique  d'Atiiknes, 
par  M.  M  avec  sept  plancbes  gravées) ".....     iO  fr. 

IV.  Le.S    AHÏS  a    I.A  COtJH    â>hS   l'AMKS  PENDANT   Ï.E    XV*   ET    LE   XVI*  SIKOI.R,    pdf  M.    E. 

Mi.NTZ,  membre  rie  l'Instiliit.  i"f  \t\riF..  {Ouv.  couronné  par  rinstitut).    »    > 

^'.  /(.—  C.^  <■  '  "■       :    le  XXVIIli,  conl«MDt  les  i'  et  a«  p«rlios  do  travail 

de  routeur.  L.  iB  francs  pri?  ensemble.  , 

V.  I.NsciuPTioss  i.sEs,  recueillies  par  M.  E.  Fkrmque, 
ancien  nieoil  r  iie  Home 1  fr.  r)0 

VI.  Notice  si;n  i.a  bihliotiikqur  Vaticane.  Richahdle  Poi- 
tevin, par  M.  ; -. ,,avec  une  planche  en  héliogravure).    5  fr. 

VII.  Du  iioi.E  lUsTOiaotE  DE  BKitTHAisD  pï  lionN,  par  M.  Léon  Gi.édat 4  fr. 

VIII.  Heciiehciies  AhCHKOLOdiQUEs  si'K  LES  ILES  loMENMiS.  1 .  CORFOU,  par  M.  Olhon 
RiKMANN  (av.  deux  pi.  hors  texte,  et  trois  bois  intercalés  dans  le  texte).    3  fr. 

IX.  Les  auts  a  la  couk  des  i'apes- pendant  le  xv°  et  le  xvi*  siècle,  par  M.  En- 
j,'éne  MiîNTz.  Hi  ''■■•■   -MtTiE.  1  vol.avecdeuxplanchesenhéliogravure.     !2  fr. 

.V.  /'.  -     (''  vKSd  qu'avec  le.VXVllIc,  coatenanl  la  J*  parité  du  trarail  du  l'auteur  (Voir 

(•L-alfiiicnt  ci-û'  \    OH  1'»  parlie  de  cet  ouvrafe). 

X.  HlAlIFIKIIKS  l-fii  n>  riutH  A  l'hISTOIIIE  DE  LA  l'RINTCliE  ET  DELA  SCULPTL'RE  ClinÉ- 
TIENNES  en  OitlE.NT  AVANT  LA    QUEHELLE  DES  ICONOCI.ASIES,  par  M .  Ch.  BaYET.4  f.  50 

XI.  EiUDE  sur  la  LANGUE  ET  LA    GRAMMAGE  DE  TlTE-LlVE,   pat  M.  0.  RiEMANN.    9    fr. 

XII.  Reciierches  akchéologiques  sur  les  ILES  loNiE.NNE».  M.  CEPHALONIE,  par 
M.  Otbon  RiEMANîi  (avff  une  carf,e).  Voir  fasc.  VIII  et  XVI 11 3  fr, 

XIII.  I)f  ConiHici's  M<^-  Pu  li,  IN  BiBLioTUECA  Alexaudrino- Vaticana  sche- 
das  exciissit  L.  IM  ilicie  in  Urbe  scholîK  olini  socius 1  fr.  50 

XIV.  Notice  sir  les  . .is  des  poésies  de  saint  Paulin  de  Nole,  suivie 

d'observations  sur  le  texte,  par  M.  E,  Châtelain -4  fr. 

XV.  Inscriptions  noLiAniEs  i.atlnes.  Marques  de  briques  relatives  à  «ne  partie 
lie  \;i  gens  Down^ia,  recueillies  et  classées  par  M.  Ch.  DESCEMET(au.  fi</.)  12fr.50 

XVI.  Catalogue  des  figurines  es  terbe  clitk  du  musée  de  la  Société  abciiéolo- 
oiQUE  d'Athènes,  par  M.  J.  Martha  (avec  8  belles  planches  en  héliogravure 
hors  texte,  et  un  l)ois  intercalé  dans  le  texte) 12  fr.  50 

XVn.  Etude  sur  P;Ȏneste,  ville  du  La tium,  par  M.  Emmanuel  Fermque,  avec 
une  grande  carte  et  trois  planches  en  héliofçravHre 1  fr.  ÔO 

XVIII.  Reciierches  archéologiques  sur  les  îles  Ioniennes.  111.  ZANTE.  IV. 
CERIGO.V.  APPENDICE,  par  M.  Otbon  Riemann  (av.  2  cartes  hors  texte).  3  fr.50 

XIX.  Chartes  de  terre  sainte  provenant  de  l'Aubayb  de  N.-D.  de  Josaphat.  par 
ll.-François  Dki.abordf.,  avec  deux  planches  en  hélioeravure 5  fr. 

XX.  La  Trière  athénienne.  Etude  d'archéologie  navale,  par  M,  A.  Cartault 
(avec  99  bois  intercalés  dans  le  texte  et  5  planches  hors  texte) 12  fr. 

Ouvrage  ciuionué  par  l'.Associatiou  ,  Liment  des  éludes  ffrecques  en  France. 

XXI.  Etudks  iiÉi'iuRAiMiiE  .lURiiiK  Iques  inscriptions  rcbUives  à  l'admi- 
nistration fie  Dioclétien.  1  1.  •  >r  per  Ilaiiam.  11.  I.e  Mayisler  sacra- 
)u»i  cognilionum,  pdt  M.  Edouard  (.VQ 5  fr. 

XXn.  Etude  sur  la  chronique  bn  prose  de  Guillaume  le  Breton,  par  H.-François 
Delarohde 2  fr. 

XXIII.  L'AscLÉPiEioN  d'Athènes  d'apkè^s  de  récentes  découvertes, parM.P.GiHAHD 
'avec  ujie  grande  carie  el  3  planches  en  héliof/ravure).. 5  fr.  50 

XXIV.  Le  Manuscrit  dIsocrate  Urbixas  cxi  de  la  Vaticané.  Description  et 
HISTOIRE.  Récession  du  pa.néoyrique,  par  M.  Albert  Martin 1  fr.  50 

XXV.  Nouvelles  recherches  sur  l'Entrée  de  Spagne,  chanson  de  oestk  franco- 
italienne,  par  M.  Antoine  Thomas. 2  fr. 

XXVI.  Les  sacerdoces  athéniens,  par  M.  Jules  Mautha.  .    ., 5  fr. 

XXVn.  Les  Scolies  du  manuscrit  d  Ari.stophane  a  Ravenne.  Exode  et  coli  iTion, 

par  M.  Albert  Martin , 10  fr 

XXVHÏ.  Première  section.  Les  arts  a  i.a  cour  des  papes  pendant  le  w"  et  i.e 
XVI'  siècle,  par  M.  Eugène  Muntz,  uiembre  de  l'Institut.  Troisiène  partie. 
Preiiiiéri         ''  deux  planches^.  Voir  fasc.  IV  et  IX 12  fr. 

(hur  ut. 

XXIX.  Li  -  sAT  romain.  Recherches  .sur  la  formation  et  la  disso- 
lution du  Sénat  patricien,  par  M.  G.  Bi.och  9  fr. 

XXX.  F.TI  de  sur  les  LÉCYTHES  blancs  ATTIQUES  a  REPHKSBNTATIOnS  FUNÉRAIRES. 

7)ar  M.  E.  Pottieb  (avec  quatre  planches  en  couleurs) 6  fr. 

XXXI.  Le  culte  de  CASToii  et  Pol;,ux  zn  Italie,  par  M.  Mau.ice  .\lbert  (avec 
trois  planches'! 5  fr.  50 

A  suivre. 


XXXII.  l.is  AitcmvEs  df.  i.v  lîiBi.ntriiKuCK  i;r  i.e  Tiiksou  dk  i.'OnrutK  ok  Saint-Jean 
OK  JÉiuiS.vLEM  A  Maute,  par  M.  Delà  VILLE  le  Houlx 8  fr. 

XXXIII.  Histoire  nu  cllte  oes  Divinités  r'Alexaniirie,  par  M.  Georges  Lafaye 
(avec  ii  planches) ....-.....,;    .     10  fr. 

XXXIV.  Teuracine.  Essai  d'histoire  locale»  par  M.  R.  de  La  Blancuébe  'avec 
deux  eaux-fortes  et  cinq  planches  dessinées  par  l'nuteurj \ .     10  fr. 

XXXV.  Vhancesco  da  Barherino  et  la  LirTÊRATURB  provençale  en  Italie  au 
MOYEN  AGE,  par  M.  Antoine  Thomas *. 5  fr. 

XXXVI.  Etude  DU  DIALECTE  chypriote  moderne  et  médiéval,  p.  M.  llEAUDOuiîf.  5  fr. 

XXXVII.  Les  transformations  politiques  de  l'Italie  sous  les  empereurs  romains 
(43  av.  J.-C.-330  apr.  J.-C),  par  M.  G.  Jullian ; 4  fr.  iiO 

XXXVIII.  La  vie  municipale  en  Attique,  pap  M.  B.  Hai'Ssoullier 5  fr. 

XXXIX.  Les  figures  criophores  dans  l'art  grec,  l'art  gréco-romain  et  l'art 
chrétien,  par  M.  A.  Vyries 2  fr.  25 

XL.  Les  LIGUES  ÉTOLiENNE  et  achéenne,  f>ar  AI.  Marcel  Dubois  (av.  2  pi.)...     1  fr. 

XLI.  Les  stratèges  athéniens,  par  Am.  IIauvette-Besnault 5  fr. 

XLII.  Etude  sur  l'histoire  des  sarcophages  chrétiens,  p.  M.  R.  Gbousset.  3  fr.  50 

XLIU.  La  librairie  des  papes  d'Avignon.  Sa  formation,  sa  composition,  ses  cata- 
logues (1316-1420),  d'après  les  registres  de  comptes  et  d'inventaires  des 
archives  vaticanes,  par  M.  Maurice  Faucon.  Voir  fasc.  L.  Tome  I..     8  fr.  50 

XLIV-XLV.  I.  La  France  en  Orient  au  quatorzième  siècle.  Expédition  du  maré- 
chal Boucicault,  par  M.  Delaville  le  Roulx.  2  beaux  volumes 25  fr. 

XL VI.  Les  Archives  angevines  de  Naples.  Etudes  sur  les  registres  du  roi 
Charles  I"  (1265-1285),  par  M.  Paul  Dubrieu.  Voir  fasc.  Ll.  Tome  I.    8  fr.  50 

XL VII.  Les  cavaliers  athéniens,  par  M.  Albert  Martin.  1  très  fort  volume.     18  fr. 

XLVIII.  La  bibliothèque  DU  Vatican  au  quinzième  siècle.  Contributions  pour  servir  à 
l'histoire  de  l'humanisme,  par  MM.  Eugène  Muntz  et  Paul  Fabre.     12  fr.  50 

XLIX.  Les  Archives  de  l'intendance  sacrée  a  Délos  (315-166  avant  J.-C.),  par 
M.   T.  IloMOLLE,  membre  de  l'Institut  {avec  un  plan  en  héliof/rav.).     5  fr.  50 

L.  La  Librairie  des  papes  d'Avignon.  Sa  formation,  sa  composition,  ses  cata- 
logues (1316-1420),  par  M.  Maurice  Faucon.  Voir  fasc.  XLIIl.  Tome  H..     1  fr. 

LI.  Les  Archives  angevines  dk  Naples.  Etude  sur  les  registres  du  roi  Charles  I" 
(1263-1286),  par  M.  P.  Durrieu.  T.  II  et  dernier  (au.  5  pi.  en  héliograv.)    14  fr. 

LII.  Le  Sénat  romain,  depuis  Dioclétien,  a  Rome  et  a  ConstÀntinople,  par 
M.  Ch.  Lécrivain 6  fr. 

LUI.  Etudes  SUR  l'ad.ministrat.  byzantine  dans  l'exarchat  de  R.\^venne  (568-751), 
parCh.DiEHL,  anc.  m.  des  Ecoles  de  Rome  et  d'Athènes  (épM?sé).  Net.     15  fr. 

LIV.  Lettres  inédites  de  Michel  Apostolis,  publiées  par  M.  Noiret,  ancien 
membre  de  l'Ecole  de  Rome  {avee  une  gr.  planche  en  héliograv.). ...     1  fr. 

LV.  Etudes  d'archéologie  byzantine.  L'Eglise  et  les  mosaïques  du  couvent  de 
St-Luc,  en  Phocioe,  par  Ch.  Diehl,  anc.  memb.  des  Ecoles  françaises  de  Rome 
et  d'Athènes  [av.  sept  bois  interc.  dans  le  texte  et  une  pi.  hors  texte).    3  fr.  50 

LVI.  Les  Manuscrits  de  Dante  et  de  ses  commentateurs,  traducteurs,  bio- 
graphes, etc.,  conservés  dans  les  bibliothèques  de  France.  Essai  d'un  cata- 
logue raisonné,  par  L.  Auvray  {avec  deux  planches  en  héliogravure). .     &  fr. 

LVn.  L'orateur  Lycurgue.  Etude  historique  et  littéraire,  par  M.  Durrbach, 
ancien  membre  de  l'Ecole  française  d'Athènes 4  fr. 

L'TUI.  Origines  et  sources  du  roman  de  la  Ro^,  par  M.  E.  Langlois,  ancien 
membre  de  l'Ecole  française  de  Rome 5  fr. 

LIX,  Essai  sur  l'administrât,  du  royaume  de  Siciles.  Charles  I"  et  Charles  II 
d'Anjou,  par  L.  Cadier,  anc.  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome..     8  fr. 

LX.  Elatée.  —  La  ville.  Le  temple  d'Athéna  Cranaia,  par  Pierre  Paris,  ancien 
membre  de  'Ecole  franc.  d'Athènes  {avec  nombreuses  figures  dans  le  texte  et 
15  planches  hors  texte) 14  fr. 

LXI.  Documents  inédits  pour  servir  a  l'histoire  de  la  domination  vénitienne  en 
Crète  de  1380  a  1499,  tirés  des  archives  de  Venise,  publiés  et  analysés  par 
H.  Noiret.  ancien  membre  de  l'Ecole  de  Rome  {avec  une  carte  en  couletir 
de  Vile  de  Crète) 15  fr. 

LXII.  Etude  sur  le  Liber  Gensuum  de  l'Eglise  romaine,  par  M.  Paul  Fabre, 
ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome T  fr. 

LXin.  La  Lydie  et  le  monde  grec  au  temps  des  Mermnades  (687-546),  par 
M.  Geoges  RadetI  ancien  membre  de  l'Ecole  française  d'Athènes  {avec  une 
grande  carte  en  couleurs  hors  texte) 12  fr. 

LXIV.  Les  Métèques  athéniens.  Etude  sur  la  condition  légale  et  la  situation 
morale,  le  rôle  social  et  économique  des  étrangers  domiciliés  à  Athènes, 
par  M.  Michel  Clerc,  ancien  membre  de  l'Ecole  française  d'.\thènes.. .     14  fr. 

LaV.  Essai  sur  le  règne  de  l'empereur  Domitien,  par  M.  Stéphane  Gsell,  ancien 
membre  de  l'Ecole  française  de  Rome 12  fr. 

LXVI.  Origines  françaises  de  l'architecture  gothique  en  Italie,  par  M.  C.  En- 
LART,  ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome  {avec  131  figures  dans  le 
texte  et  34  planches  hors  texte). .....'. 20  fr. 

Ourra^  eouronni  par  l'Académie  fraD(*iw  (prix  FOULD). 

LXVn.  Origine  des  cultes  arcadiens,  par  M.  Bérard,  euicien  membre  de  lEcoIe 
française  d'Athènes  (avec  17  figwes) 12  fr.  30 

Ourrsçe  couronné  par  l'Iustitut  (prix  S.\INTOUR). 

A  stUvt'e. 


I.XVIII.     1,1^     l'l\i'-  \l>    icll..     .  :     IN    II  M, 

£T  LFs  M<'Nii.>iKM>  iii.nii>,  j)ar  M.  Aiiiiic  UAimiui.i-AHT,  amifii  iiH'iulirc  de 
l'École  française  de  Kome , 3  fr.  50 

LXIX.  '■ ■■     '■      ",...v-.-    ...    ,^    SociKTÉ  ARCHKni,o(in>rK   it'ATMKHF.8,  par 

M.  ^  (le  rKcole  française  d" Athènes  {avec 
b  pi"  _  'w) ! 8  fr. 

LZX.  Histoire  dk  Uuanche:  oe  Cahtilue,  par  M.  Elle  Bi(RoeR,  ancien  membre  de 
l'Ecole  fruiKviise  de  Home J2  fr. 

Oarrage  cuyruuu«  par  TAcadéuiie  de  la»eripUi>iisot  [!•  "       '  T  ""•""'.   .   1895. 

LXXL  Lct)  Ohioi.nf.s  du  thkatke  lyuiûce  mom  hopb 

ava.it    Liji.i.y  kt   Si:ahlattj,   par   .M.    Hou.,;.;.   J...      . .     i  ■   de 

l'Ecole  française  de  Home  {avec  i'6  planches  ite  musique;  In  fr 

OuTrup»  «wûronn*  pur  l'tBMilnl  ((.ni  K ASTNEH-BOURSAULT). 

LXXn.  '  l>ar  M.  .1.  Toutain,  ancien  incuibre 
de  1  !  carie»  en  couleurs) 12  fr.  50 

T4ftTTT,  L  Etat  pontifical  après  le  ORA>(n  schisme.  Etude  de  géographie  poli- 
tique, par  M.  J.  GuiBAim,  ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Kome  {avec 
trois  caries  en  couleurs) 14  fr, 

LXXIY.  Catalogue  des  bronzes  trocvé»  sur  l'Achopole  d'Athèjibs,  par  M.  A.  de 
HiooER,  ancien  membre  de  l'Ecole  fr.mçaise  d'Athènes,  niaJtre  de  confé- 
rences à  la  Faculté  d'Aix  (nvei-  340  fit/ures  intercalées  dans  le  texte  et  huit 
héliogravures  hors  texte).  Un  beau  volume  sur  papier  de  luxe 25  fr. 

LXXV  (;t  LXXVI.  Louis  XII  kt  Ludovic  Sfobza.  par  M.  L.  Pklissier,  ancien 
membre  de  l'Ecole  française  de  Home,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres  de 
Montpellier.  Deux  beaux  volumes 30  fr. 

Oorrai^  coaronné  par  l'Ioflilnl  (prix  GOBERT,  2*  prix). 

LXXVn.  Les  Mines  ou  Laurion  i>ans  i-'àntiquité,  par  M.  E.  Ahdaiixon,  ancien 
membre  de  l'Ecole  française  d'Athènes,  chargé  du  cours  de  géographie  à 
l'Université  de  Lille  (ouv.  contenant  26  gravures  dans  le  texte,  une  planche 
en  phololypie  hors  texte  et  une  carte  du  Laurion  en  6  couleurs)       12  fr.  50 

LXVIII.  Mantinke  et  l'Arcawe  Orientale,  par  Gustave  Fougères,  ancien 
membre  de  l'Ecole  française  d'Athènes,  chargé  du  cours  d'Archéologie  et 
dilistoire  de  l'art  à  l'Université  de  Lille.  Un  fort  volume  [contenant  qualre- 
viiir/ts  fii/itres  dans  le  texte,  six  héliograoures,  une  photolf/pie  et  un  plan  de 
Manlinée  hors  texte,  plus  deux  grandes  cartes  en  six  couleurs] 20  fr. 

Ourrcg-e  eouroané  par  i'inilitut  (prit  HORUINj. 

LXIX.  Etude  sur  Thkociute,  par  Ph.-E.  Leorand,  ancien  membre  de  l'Ecole 
française  d'Athènes,  maître  de  conférences  à  la  Faculté  des  lettres  de  TUni- 
versité  de  Lyon.  Un  fort  volume  in-S"  cavalier 12  fr.  50 

Ouvrage  eouroané  par  l'Iastitat  (prix  SAINTUUR). 

LXXX.  Les  Archives  i>b  la  Chambre  apostolique  au  xiv»  siècle,  par  Joseph  de 
LoYE,  ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome,  archiviste  du  départe- 
ment des  Basses-PjTénées.  —  1"  partie  :  Inventaire 8  fr. 

LXXXI.  Le  Bas-Relief  Romain  a  représentations  historiques. —  Etude  archéo- 
loi,M(jue,  historique  et  littéraire,  par  M.  Edmond  Courbauo,  ancien  membre 
de  l'Ecole  franc  i  H  .me.  Un  volume  in-8*  {contenant  18  gravures,  dont 
5  hors  texte  e/-  '  Bert/iaiidi.. 12  fr,  50 

Ouvrage  tourou^  i  (prix  UEE.ALANDE-GUÉRINEAU). 

LXXXII.  Essai  sur  Suétone,  par  Alcide  Mack,  ancien  élève  de  l'Ecole  normale 
sui)érieure,  anc.  membre  de  l'Ecole  française  de  Home.  Maître  de  conférences 
à  l'Université  de  Rennes.  Un  vol.  in-8  .'. 12  fr.  50 

Ourran^e  oonroooi  par  l'Iaatitut  (prix  SAINTOUR). 

LXXXni.  Etude  sur  les  Gesta  Martvrum  romains,  par  .\lbert  Dufourcq,  anc. 
élève  de  l'Ecole  nonn.  supérieure  et  de  l'Ecole  française  de  Home,  membre 
de  rinslltut  Thiers,  agrégé  d'histoire  et  de  gcograpfiie.  Un  vol.  iu-8  {conte- 
nant six  gravures  hors  texte  en  phololypie 12  fr.  50 

Ourra^  courosoè  par  l'Académie  des  Inscriplioos  et  Belles-Lellres  (prix  BORUINJ. 

LXXXIV.  Carthaoe  Ro.yiainr(146  av.  J.-G. —  698  après J.-C),  par  Aug.  Audoli.ent, 
ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Home,  maître  de  conférences  à  la 
Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Clermont-Ferrand  {contenant  trois 
caries  en  noir  et  en  couleurs,  dont  deux  hors  texte).  Un  volume...     25  fr. 

LXXXV.  Catalogue  des  Vases  peints  nu  musée  national  d'Athènes,  par  Maxime 
CoLUGNON,  membre  de  l'Institut,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de 
l'Université  de  Paris,  et  Louis  Couve,  ancien  membre  de  l'Ecole  française 
d'Athènes,  maître  de  conférences  ù  la  Faculté  de  l'Université  de  Nancy.  Un 
fort  Viilume 25  fr. 

APPENDICE  L  Carte  archéologique  de  l'île  dï  Uélos  H893-1894),  par  .MM.  E.  Ar- 
DAiLLON,  ancien  membre  de  l'Ecole  française  d'Atnènes,  professeur  de  géo- 
graphie k  l'Université  de  Lille  ;  H .  Conveht,  conducteur  des  Ponts  et  Chaussées, 
an-,ien  chef  des  travaux  techniques  aux  fouilles  de  Delphes.  Notice  et  trois 
feuilles  grand  aigle  (0,80  x  0,95)  à  l'échelle  de  1/2  000*  en  quatre  couleurs. , 
Prix:  25  Tr.  — Collée  sur  toile  et  pliée  au  format  de  la  notice  in-4*  raisin:  38  fr. 
—  Prix  de  la  carte  collée  sur  toue  et  montée  sur  gorges  et  rouleaux  :  40  fr. 

A  stiivre. 


B]BL(OTIIÈQUE  DES  ÉCOLES  FRANÇAISES  D'ATHÈNES  ET  DE  ROME 


DEUXIÈME  SERIE  (format  grand  in-4  raisin,  sar  deux  colonnes),  publiée  ou 
analysée  d'après  les  manuscrits  orig-inaux  du  Vatican  et  de  la  Bibliothèque 
nationale.  —  Le  prix  de  souscription  est  établi  à  raison  de  60  centimes  par 
cliaaue  feuille  de  texte  et  1  fr.  par  planche  de  fac-Flmilé  —  Aucun  fascicule 
n'est  vendu  séparément. 

ÉTAT    DE    LA     l'UUIACATlO.X    AU     1,    FtS'UlEli     \%n 

OUVRAGES  EN  COURS  DE  PUBLICATION 

française  de  Rome.  —  L'Académie  des  Insciipiions  et  Belles-Lettres  a  décerné  ;i  l'auteur, 
pour  cet  ouvrage,  le  Premier  Prix  Gohcrt  (séance  du  1"'  juin  18>S8).  —  N.  B.  Ce  grand 
ouvrage  parait  par  fascicules  de  20  à  ?5  feuillçs.  Il  se  coui|)Oi'era  de  "270  à  800  feuilles 
environ,  formant  4  beaux  volumes.  —  Les  tables,  formant  un  volume  à  part,  sont  en 
cours  de  publication.  Prix  dés  trois  premiers  volume  :  115  fr.  50. 

r  LES  wwmn  m  \mm  xi  (i;m-i;]0O,  ancien  m^mbSTrEcoiè 

française  de  Rome.  —  Cet  ouvrage  formera  un  beau  volume.  11  est  publié  par  fascicules 
de  l,i  à  'JO  feuilles  environ.  —  L  ouvrage  complet  se  composera  de  SO  à  100  feuilles.  — 
Les  quatres  premiers  fascicules  sont  en  vente.  Prix  :  43  fr.  ^0.  Le  cinquième  et  dernier 
fascicule  est  sous  presse. 

r  LES  REGISTRES  DE   ROMFACE  YllI  (122^I30;0,  ^Sn^^SS 

¥\ucos  et  Antoine  Tuo.m.\s,  anciens  élèves  de  l'Ecole  des  Charte.*,  membres  de  l'Ecole 
française  de  Rome.  —  Cet  ouvrage  formera  troii volumes,  et  sera  publié  en  "200  fealllesde 
texte  environ.  —  Les  trois  premiers  fuscicnles,  le  cinqinènie  elle  sixième  sont  en  vente. 
Le  quatrième  est  sous  presse.  Prix  des  cinq  fascicules:  .^4  fr. 

r  LES  REGISTRES  DE  î^ltOLiS  IV  (1288- 1292),  ^'l^Ls'ancÏÏm'emÊre 
de  l'Ecole  française  de  Rome.  —  A'.  B.  Cet  ouvi'age  formera  environ  120  feuilles,  divi- 
sées en  deux  volumes.  —  Les  neuf  premiers  fascicules  sont  en  vente.  Prix  :  H*  fr.  80.  — 
Le  dixième  et  dernier  fascicule,  devant  contenir  l'introduction,  l'errata  et  le  titre,  est 
sous  jn-esse. 

r  LE  LIRER  CENSILM  DE  L'EGLISE  ROMAI\R,  S^lk^S^S^^Sî 

membre  de  l'Ecole  française  de  Rome.  —  ^y.  H.  Cet  ouvrage  formera  environ  îao  à 
150  feuilles,  divisées  en  deux  volumes.  —  Les  deux  premiers  fascicules  ont  pafu.  Prix  : 
33  fr.  10.  -    Le  troisième  fascicule  est  en  préj)ai'ation. 

r  LES  REGISTRE,S  DE  GRÉGOIRE  IX  (1227-I2il),  '%<^:^^, 

ancien  membre  de  1  Ecole  française  de  Rome.  —  Cet  ouvrage  formera  trois  volumes 
et  sera  publié  par  livraisons, de  15  à  20  feuilles  environ.  —  l>'ouvpage  complet,  formera 
environ  150  à  UiO  feuilles.  —  Les  sept  premiers  fascicules,  dont  cinq  forment  le  tome  I 
complet  (58  fr.  00),  sont  en  vente.  Prix  :  70  fr.'50.  —  Le  huitième  fascicule  est  sous 
presse. 

W  LES  REGISTRES  DE  CLÉMENT  ïï  (1265-1268),  r/anl.s.^tdS 

membre  de  1  Ecole  française  de  Rome.  —  Cet  ouvrage  formera  un  volume,  et  sera  pu- 
blié par  fascicules  de  15  à  2U  feuilles  environ.  —  L'ouvrage  complet  formera  70  feuilles 
environ.  —  Les  trois  premiers  fascicules  ont  paru.  Prix  :  25  fr.  80.  —  Le  quatrième  fas- 
cicule est  sons  presse. 

ir  LES  REGISTRES  DE  GRÉGOIRE  X  ET  DE  JEAN  XXI  (1272-1277), 

par  MM.  J.  Glir.xud  et  L.  G.adier,  anciens  membres  de  l'Ecole  française  de  Rome.  — 
Les  Reyisires  de  Grtgoi  e  X  et  de  Jean  XXI  (réunis  en  une  seule  publication)  formeront 
un  beau  volume.  —  Ils  seront  publiés  par  fascicules  de  15  à  2U  feuilles  environ.  — . 
L'ouvrage  entier  se  composera  de  BO  feuilles  environ.  —  Les_  trois  premiers  fascicules 
ont  paru.  Prix  :  2t)  fr.  10.  —  Le  quatrième  fascicule  est  sous  presse. 

ir  LES  REGISTRES  D'LRRAIX  IV  (126l-126i),  !;.^;'L?nb?e"rrÈ^,?ê 

française  de  Rome.  —  Cet  Ouvrage  formera  trois  volumes  dont  un  est  occupé  par  le 
Kegistre  dit  Caméral.  —  L'ouvrage  complet  formera  IfiO  à  180  feuiles  environ.  —  Le 
Reijistre  dit  Caméral  (tome  I  complet')  a  paru.  Prix  :  15  fr  —  Les  quatre  premiers  fas- 
cicules du  Jieif,istre  ordinaire  (tome  II  complet)  et  le  cinquième  fascicule  commençant  le 
tome  III  ont  paru.  Prix  :  4Ç  fr.  80.  Prix  total  :  61.  fr.  80.  —  .Sous  presse  le  sixième  fasci- 
cule du  Registre  ordinaire.  T<jme  111. 

ir  LES  REGISTRES  DE  NICOLAS  111  (1277-1286),  ^'^den  ^Inlî'l; 

1  Ecole  française  de  Rome.  —Cet  ouvrage  formera  un  volume  et  paraîtra  en  quatre  fasci- 
cules. —  Il  formera  environ  GO  feuilles  comprenant,  avec  les  bulle»,  une  introduction, 
un  appendice  et  les  tables.  —  Le  premier  fascicule  a  paru.  Prix  :  8  fr.  40.  —  Le  deuxième 
fascicule  est  sous  presse.  ; 

Ifl"  ICV  nVûli!TUC(!  nMIK'VI\ini)Ii'  IV  par  ALM.  Bovrfl  de  l.*.  Roncière,  de 
ID  LEi>  nl!inliSinrii>  U  .^liKAAlMlIlL  IV,  Loye  et  Coulon.  anciens  membres  de 
l'Ecole  française  de  Home.  —  Les  Registres  d'Alexandre  IV  formeront  deux  volumes.  — 
Ils  seront  publiés  par  fascicules  de  15  à  20  feuilles  environ.  —  L'ouvrage  entier  se  com- 
posera de  20»  feuilles  environ.  —  Les  quatres  premiers  fascicules  ont  paru.  Prix  :  36  fr.  75. 
—  Le  cinquième  fascicule  est  sous  presse. 

16'  LES  REGISTRES  DE  MARTIMV  (128M285),  ^"coSSçXd:;: 

Rome.  —  Les  Registres  de  Martin  7 V  formeront  un  iolume  et  paraîtront  en  quatre  fas- 
cicules. —  L'ouvrage  formera  environ  80  feuilles.  —  Le  premier  fascicule  a  paru.  Prix  : 
8  fr.  40.  —  Le  deuxième  fascicule  est  sous  presse. 


OUVRAGES   TERMINES 

t'>  I  V  llUI'h  D/lYTIfllMI  IV  •pxlf.inlrodiiction  ctionmientairps.parM.  l'abbf 
-)  lifi  UWM  I  «.UlrUiUili>,  L.  DrcuEs.NK,  membre  de  riiistitut.  directeur  de 
IKcule  française  de  Kiiinc.  2  beaux  vol.  in-4^  raisin,  avec  un  plan  de  l'ancienne 
Iki^ilique  de  Hahtl-Pierre  et  xept  planches  en  héliogravure  [Epuisé].. .     200  fr. 

7  LES  REftlSTKKS  D'IIO.NORUS  IV  (!285-l287),  If'rîLtVSe: 

ou  nnalysiTs  d'après  les  uuuuisirils  ori^^çiunux  dos  urciiives  du  Vatican,  par 
.M.  Maurice  Pm»r.  Un  boa)i  volume  grand  in-i"  raisin 45  fr. 

8^11  KIÉ>r*UAnAIV  \\V  UVUIL'I  Fouilles  exécutées  au  nom  de  l'Ecole 
h\  .iblinUrUliC  Uft  IninlllA,  française  d'Athènes,  de  1880  à  1882.  j>ar 
MM.  K.  PoTTiEH,  Salomoii  Hkin.^cii  et  A.  Veyriks.  Texte  et  notices  par  Edfm. 
rmriKK  ef  S.  HKI^^cn.  -  Ce  nia^nilique  ouvrajre  forme  deux  beaux  volumes 
^'rand  in-4",  dont  un  de  texte,  et  un  de  52  planches  en  htHiopravure,  tirées  sur 

papier  de  Chine 120  fr. 

Ourmcd  couronai  par  l'Institut  (PHx  Delalanâe  Quërineau). 

10    FOIILLKS  DA1\S  LA  NÉdROFOLE  DE  VaCI,  E^Ku^'ancienSf- 

bre  de  l'F.cole  française  de  Kome.  Un  beau  volume  grand  in-4*  de  568  pages, 

avec  101  vJLaiftlcs  cl.iiis  le  tc.xtr.  uw  carte  ft  23  planches 40  fr. 

N.  B.  —  '                                                              'igés  cinlessus  énoncés  indiquent 
Vordre  d(ii  inns  la  collecUon. 

3    SERIE  Format  grand  ln-4  raisin    —    XIV  SIËCLE 

LETTRES 

DES  PAPES  D'AVIGNON  SE  RAPPORTANT  A  LA  FRANCE 

Publiées  ou  analysée»  d'après  les  registres  du  Vatican  par  les  anciens  membres 
de  l'Ecole  française  de  Rome. 
TABLEAU  DE  LA  PUBLICATION 
!•  JKAN  XXn  (131G-1334),   M.  Coulon,   ancien  membre  de  l'Ecole  fraoçaise  de  Rome,  archi- 
viste aux  .Archive?  nationales  (rro»«  fascicules  parus) .'. 38  fr.  50 

2°  BENOIT  XII    "■■■'    '\  M.  Paumet.  ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome,  archi- 
viste aux  Al'  ,  na.  [Le  premier  fascicule  est  paru.) 9  fr.  30 

3*  CLÉMENT  Vi  .M.  Deprez,  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome. 

•  i  Al"  prrmier  ;  paru). 10  fr.  80 

'    4*-INNO0ENT  \  Js  M.  Doprez,  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome,  (t'n  prép.) 

5"''UfcB'AIN  V  ■;;  M.  Lecacheux,anc.  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome.     — 

0*  GREGOIRE  XI  (  l:i7u  1:J78),  M.  Mirol,  anc.  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome.  {S.  presse) 
..  f  I  ^1,  .  ■ 

"^^yV^^-i^f  de  paraître  ; 

KVIGE    DES    MONUMENTS    HISTORIQUES    DE    L'ALGÉRIE 

-^EgS^MONUMENTS  ANTIQUES  DE  L'ALGÉRIE 


««. 


Par    Stéphane    QSELL 


^_     (t^*   '    ,     F'rofesse'ur  à  l'Ecole  supérieure  des  Lettres  et  directeur  du  Musée  d'.Mger 

fjTjVHAGE  PUliUÈ  SOUS  LES  AUSPICES  DU  GOUVERNEMENT  DE  L'ALGÉRIE 

'J  forts  volumes  ersind  in.;:§,  contenant  IWi  planches  hors  texte  en  pholotypie  et  de  très 

noinbrpusos  illustrations  dans  le  texte.  Prix '.   40    » 

Chaque  voliirae  e»l  vendu  séparément 20    » 

Sous  presse  ; 

ÉCOLE    DE    ROME 

L'ART    DANS    L'ITALIE    MÉRIDIONALE 

Par    Emile    BERTAUX 
Ancien  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome 
Tome  premier 
De   la  fin  de  l'Empire   Romain   à   la  conquâte   de   Charles  d'AnJoa  (1270) 

î'n  beau  volume  in-4  raisin,  orné  de  30  planches  hors  texte,  dont  une  sur  grand-aifilc 
et  de  très  nombreuses  figures  d'après  les  photographies  et  dessins  de  l'auteur 

Sous  presse  : 

HADRIEN  ET  LÀ  VILLA  IMPÉRIALE  DE  TIBUR 

'texte  et  uxuKTRATioNs  par  Pierre  OUSMAN 
Chargé  d'une  mistion  spéciale  en  Itulie  par  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  Publique 
et  des  Ueaux-Arts 

p&Aface  ob  Gaston  BGISSIEB 

Secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  française,  membre  de  l'Académie  dei  Inscriptions  et  Belles-Lettres 

Un  fort  volume  ln-4  raisin,  orné  de  350  illustrations  dans  le  texte  et  10  gravures 
hors  texte  en  couleurs 

Tours,  imprimerie  Deslis  Frères,  rue  Gambetta,  6. 


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3  3125  00132  4124