Full text of "Lilia"
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PROFESSORJ. S.WILL
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in 2010 witli funding from
University of Ottawa
littp://www.arcliive.org/details/liliatlieOOtlieu
Lilia
Collections Edouard Ouilla
A N 1> K E TH E U K I E T
de l'Académie fraoçaUe
Lilia
UluslralioDs de Marold et Mi
PARIS
^J LIBaAIBIE BOBEL-^H'
GUILLAUME; D I R L C T 1.
21, Quai MaUqua.s, 21
[Sà^n^^^ife
AUG 2 - 1932
0444^
«. A ÉtÉ TIMÉ DE CEI OUVRAfiE
Quelques exemplaires sur papier leinté
Primevère
25 exemplaires numérotés, sur papier du
Japon ; 23 exemplaire? numéiotéa
sur papier de Chine
Double Suite
des
Hors-Texte en Sanguine
"^^
Lilia
n
Un clair matin de juin à
l'époque où les prés ne sont
pas encore fauchés, mais où
les cerises mûrissent déjà. Le
soleil qui vient de s'élancer
au-dessus des massifi de la
Toarnette, crible de rayons la
prairie, les vignes et les ver-
gers qui dévalent du village
d'Angon vers le lac aux eaux
bleues. Une gaie lumière ar-
genté l'herbe onduleuse, glisse
sur les feuilles lustrées des
noyers, donne aux vignobles
une verdure plus phosphores-
cente et aux cerises de plus
vives rougeurs. Bien qu'on
soit en semaine, des groupes
de paysans en habits de tra-
vail flânent au long des ver-
gers qui s'avancent en pointe
vers le lac. Epars sur la rive
ou attroupés à l'ombre des
noyers, tous ont les yeux
fixés du côté du village dont
on voit les toits bruns fumer
parmi les arbres. Leurs regards
observent curieusement une
grande maison savoyarde ,
moitié ferme, moitié château,
qui dresse à gauche du che
min ses grises tourelles carrées
et abrite de sa toiture en au
vent une galerie à balustres
dont les piliers s'enguirlandent
de plantes grimpantes. Les
croisées de ce logis d'honnête
apparence sont fleuries de
géraniums cramoisis et s'ou-
vrent toutes sur le paysage
du lac. Un large escalier de
pierre met la galerie en com-
munication avec les allées du
verger, et sur cet escalier parait
un jeune garçon svelte et
alerte. Il descend lestement les
marches. A sa vue, une rumeur
se produit dans les groupes :
— Le voici !
Le jeune homme, qui a
nom Mauricet et qui est le fils
aine du seigneur, chemine
d'un pied leste à travers les
arbres du clos, tenant d'une
main son arbalète et portant
ses flèches en sautoir. Bientôt
il arrive à proximité des
paysans qui l'accueillent avec
une respectueuse cordialité.
Les hommes ôtent leur cha-
peau, les femmes font la
révérence. Mauricet est un
gars de vingt cinq ans, à la
taille élégante et robuste, à
la mine fiére et avenante, à
l'œil bleu perçant et sûr
comme celui des gerfauts qui
planent dans la montagne.
Ses cheveux châtains bouclent
autour de son cou et de fines
moustaches retombent sur ses
lèvres souriantes et charnues.
Les filles le voient souvent
dans leurs rêves et les garçons
l'admirent pour son courage
intrépide et son adresse
d'archer.
— Eh bien ! Seigneur Mau-
ricet, y a-t-il du nouveau ?
demande un vieux paysan.
— Oui, mes amis, répond-
il de sa voix sonore, j'ai
enfin découvert le voleur qui
chaque année pille nos ceri-
siers en été et vendange nos
vignes en automne. Cette
nuit, nous nous sommes re-
gardés entre quatre-z-)'eux.
— Vous l'avez vu? s'écrient
les gens.
— Comme je vous vois...
Je vais vous conter la chose...
Vous savez que mon père,
chaque année, lorsqu'il se
pourléchait déjà à l'idée de
cueillir ses bigarreaux, trou-
vait comme vous tous, ses
cerisiers dévalisés et ne récol-
tait que des noyaux. L'an
dernier, il chargea mon frère
Bastien de passer la nuit en
sentinelle dans le verger, afin
de guetter le voleur; mais
Bastien, qui est gros dormeur,
s'assoupit vers la mi- nuit, et
quand, au fin matin, il rou-
vrit les yeux, les bigarreaux
avaient encore une fois dis-
paru. Cette année, c'est moi
qui ai voulu en avoir le cœur
net, et, hier soir, j'ai pris la
garde. Il faisait précisément
clair de lune et ma rancune
contre ce m3-stèrieux et subtil
maraudeur me tenait éveillé
comme un écureuil. Je m'étais
perché dans l'un de nos plus
gros cerisiers et j'avais en-
tendu minuit sonner sans rien
apercevoir, lorsque, tout à
coup, dans la direction du
lac, je vis remuer l'herbe
haute et je distinguai un
énorme serpent qui rampait
dans la prée. Il était bien
long de quatre aunes et le.
milieu de son corps avait la
grosseur d'un jeune noyer,
ses yeux jetaient des feux pa-
reils à ceux d'une émeraude.
Je ne bougeai pas, mais au
moment oii il s'enroulait déjà
autour (l'un bigarreauticr, je
lui décocbai une flèche qui
alla tout droit se iicher dans
l'un de ses yeux verts. Le
serpent gémit de douleur,
puis se sauva du côté du lac.
Aux premières blancheurs de
l'aube, j'appelai mon frère
Bastien ; nous constatâmes que
l'herbe était tachée de sang,
et suivant dans le pré les
traces sanglantes, nous attei-
gnîmes la berge du lac. Il est
évident pour moi que la mau-
dite bête a dû plonger dans
l'eau, mais je la rattraperai
morte ou \'ive et, foi de Mau-
ricet, je vous jure que j'en
débarrasserai le pays !
Un des paysans hocha la
tète et objecta :
t ILIA 13
— Le lac est profond ; si
bon nageur que vous soyez,
vous n'y pourrez tenir long-
temps... Comment fercz-vous,
Seigneur?
— J'ai envoyé Bastien
quérir un bon paquet de
cordes... Il m'attachera soli-
dement sous les bras et nie
laissera descendre jusqu'au
fin fond de l'eau.
Les paysans le regardent
avec des jeu.x écarquillcs et
les plus familiers d'entre eux
hasardent quelque objection :
— C'est un gros risque à
courir !
— Il ne faut tenter Dieu ni
le diable!
Tandis qu'ils s'émiettent en
petits groupes et s'ébaubissent
tout bas de la témérité de
leur jeune seigneur, Mauricet
sent une petite main se poser
sur son épaule. Il se retourne
et reconnaît une jolie fille du
voisinage, Denise dont le père
habite un château près de
Talloires, et avec laquelle, le
jeune archer est fiancé depuis
la Koël. Denise a de brûlants
yeux noirs, la mine coquette-
ment éveillée. C'est une brune
au corps souple, aux façons
gentiment enveloppantes. Elle
prend son promis par le bras
et l'entraine à l'écart, sous
les noj-ers.
— Mauricet, murmure -
telle, est-ce que sérieusement
tu vas poursuivre cette affreuse
bête jusqu'au fond de l'eau?
L 1 L 1 A 15
— Oui bien, ma mie, je
Tirai chercher dans son repaire
et je lui donnerai un bon
coup : cela ne traînera pas,
je t'en réponds.
— C'est de la folie et, si tu
m'aimes vraiment, tu ne me
causeras pas un pareil souci.
— îse te tourmente pas,
mignonne, ce sera l'affaire
d'une heure et je serai de
retour pour midi... Tu m'at-
tendras sur le bord avec
Bastien.
— Et si tu ne revenais pas !
— Je reviendrai et je te
rapporterai de là-bas quel-
ques bijoux. Tu sais qu'on
trouve des pierres précieuses
au fond du lac.
— Je me moque de tes
bijoux, c est toi que je veux ! . . .
s'écrie impétueusement De-
nise, dont les yeux noirs de-
viennent humides.
Mais tandis qu'elle se dépite,
Bastien arrive avec son paquet
de cordes. L'opiniâtre Mau-
ricet se fait nouer le câble sur
les reins et sous les épaules,
assure ses flèches dans l'étui,
empoigne son arbalète, em-
brasse la boudeuse Denise,
puis, se tournant vers Bastien :
■ — Toi, dit-il, attends-moi
avec elle sur la berge, et
quand tu verras la corde re-
muer, remonte -moi vive-
ment... Au revoir, à bientôt!
Là-dessus, il se signe, se
laisse choir dans le lac cou-
leur d'azur, puis di?parait.
tandis qu'au-dessus de lui,
l'eau se plisse, bouillonne et
décrit des cercles moirés, qui
vont s'élargissant jusqu'à la
rive opposée.
Mauricet coula au fond de
l'eau avec la vélocité d'une
pierre qui tombe. Bientôt ses
pieds touchèrent un sol de
sable fin. H rouvrit les
yeux, aperçut au-dessus de
lui comme un plafond d'azur
transparent et liquide, à tra-
vers lequel les rais du soleil
se jouaient avec des teintes
d'or verdi. Grâce à cette mou-
vante et molle clarté, il vit
dans la paroi voisine une
halme spacieuse qui se creu-
sait dans la roche et où ve-
naient mourir les remous du
lac. Il s'y abrita lestement.
Sa descente avait été si
rapide que leau n'avait pas
eu le temps de traverser son
justaucorps et sa culotte de
peau de chamois, et que son
corps était à peine mouillé.
Il se débarrassa de sa corde,
la posa contre une grosse
pierre qui marquait l'entrée
de la grotte, puis s'arrêta un
moment pour
réfléchir. La
balme était profonde et se
terminait par un couloir assez
large qui s'enfonçait dans le
rocher. Mauricet supposa que
ce chemin souterrain devait
mener vers le repaire du
serpent aux yeux d'émeraude,
et se décida bravement à le
suivre. Il faisait très chaud
dans le couloir; en quelques
minutes, ses vêtements furent
complètement secs et, se sen-
tant tout gaillard, il se mit en
marche, l'arbalète au poing.
Au bout d'un quart d'heure,
tandis qu'il tâtonnait dans
l'obscurité , il aperçut tout
au loin une lueur verdâtre,
semblable à celle que jette
un ver luisant. Cela redoubla
24 I.ILIA
son courage. Il se dirigea
vers ce point lumineux q^ui
peu à peu grossissait et sou-
dain, l'ouverture s' élargissant
et s'éclairant d'un jour ver-
dâtre, il déboucha au milieu
d'une ville souterraine qu'en-
veloppaient une atmosphère
moite et une terne clarté,
pareille à celle qui tomberait
d'un plafond de verre dépoli.
Chose singulière, cette cité
bâtie sous l'eau avait la
physionomie d'une antique
ville savoyarde. Les maisons
humides et moussues devaient
être construites depuis des
centaines d'années. Elles dres-
saient à droite et à gauche
leurs pignons à auvent, leurs
galeries à piliers fuselés où
M LIA 25
béaient des fenêtres et des
portes rongées de moisis-
sure.
Mauricet longea cette rue
déserte et arriva à une place
carrée, plantée de vieux tilleuls.
Sur l'un des côtés, un palais
élevait sa façade de marbre
cipolin et ses portiques sou-
tenus par des colonnes de
jaspe. Là, dans le silence, il
entendit le ronronnement d'un
rouet. Intrigué, il gravit les
marches du palais et se trouva
face à face avec la fileuse.
C'était une jeune fille de
vingt ans, d'une remarquable
beauté. Assise sur un esca-
beau, elle faisait tourner son
rouet de corail et tenait en
main une quenouille chargée
26 M LIA
de bourre de soie. Elle avait
la peau blanche comme les
pétales d'un l\-s d'eau, une
bouche rose entrouverte sur
des dents éblouissantes. Sa
robe très ajustée permettait
d"admirer la souplesse de sa
taille et les parfaites ron-
deurs de sa poitrine virginale.
Ses cheveux ondes ruisselant
sur ses épaules étaient d'une
nuance rare, très fins et d'un
vert argenté comme les feuilles
de saule, quand le vent les
retrousse. Elle releva lente-
ment vers le nouvel arrivant
ses yeux couleur d'aigue-
marine, de grands yeux cha-
tojants, caressants et si char-
meurs que Mauricet en reçut
une délicieuse secousse et se
sentit le cœur pris, rien qu'en
les regardant :
— Bonjour, belle jeune
fille ! dit-il, très ému.
— Bonjour, beau garçon,
répondit la fileuse , d'où
viens- tu?
— De la terre, là haut...
— Et que fais-tu chez nous?
— Tu le vois, je me pro-
mène... Comment s'appelle
cette ville-ci?
— La ville des Balmettes...
Voilà des centaines et des
centaines d'années qu'elle git,
engloutie au fond du lac ; mon
père en est le roi, par droit
de naissance.
— Ton père, s'écria Mau-
ricet émerveillé, est un heu-
reux monarque, car il a la
plus adorable fille que j'aie
jamais vue... Comment te
nommes-tu, belle princesse?
— Je me nomme Lilia.
Leurs j-eux s'étaient ren-
contrés derechef et Mauricet
sentait son cœur alangui de
désir se fondre comme une
pêche mûre qu'on serre dans
la main.
— Princesse Lilia, mur-
mura-t il oppressé, je ne te
connais que depuis quelques
minutes, et pourtant il me
semble que je t'aime depuis
très longtemps et que je n'ai
jamais aimé que toi.
— Hélas ! mon pauvre
ami, soupira la princesse, tu
n'auras pas le loisir de
beaucoup m';iimer, car je
LILIA 29
vais mourir ce soir... Voilà
dix ans que notre ville est au
pouvoir d'une bête féroce à
laquelle le roi mon père
est lui-même forcé d'obéir...
Chaque année, à cette époque,
on est obligé de livrer au
monstre une fille de vingt ans ;
c'est aujourd'hui mon tour, et
sur cette place que tu aperçois
d'ici, la bête doit me dévorer
avant la nuit.
— Toi, mourir!... protesta
Mauricet, non, je ne le souf-
frirai pas!... Je t'aime et je
te jure que la bête ne te
mangera point ; j'y mettrai
bon ordre !
— Cher fou, comment t'y
prendras-tu?
— C'est mon affaire . . .
Quand la bête se montrera,
je serai sur la place et je lui
ser\-irai un plat de mon mé-
tier...
Mauricet s'agenouilla, saisit
la main de la princesse qui
la lui abandonna tendrement,
puis la baisa avec dévotion.
Ensuite, il se dissimula der-
rière les colonnes de jaspe et
silencieusement aiguisa ses
flèches sur le marbre humide
de Tescalier...
Cependant l'heure était arri-
vée. La place tantôt si déserte
s'emplissait peu à peu d'une
foule angoissée. La fileuse,
qui avait quitté le vestibule
pour rentrer dans l'intérieur
du palais, reparaissait bientôt
toute pâle dans sa robe blanche
et donnant le bras au roi son
père, dont les paupières ridées
se mouillaient de larmes. En
passant, elle remarqua Mau-
ricet caché dans une encoignure
et qui lui envoyait un amou-
reux regard de réconfort.
Une cloche lointaine sonna
un glas , un frémissement
d'horreur courut dans la
foule; au même moment, la
bête dévoratrice sortit de la
nuit d'une voiîte et Mauricet,
palpitant, reconnut le serpent
qu'il avait attaqué la nuit
précédente, dans le verger pa-
ternel. L'un des yeux de la
bête saignait encore de la
récente blessure. Vivement,
le jeune homme tira son arba-
lète dans l'ombre et la flèche
32 LILIA
sifflante atteignit l'énorme
reptile, qui rampait, gueule
béante, vers la princesse. Le
monstre mortellement blessé
retomba en se tortillant sur
les dalles et expira dans une
mare de sang.
Il y eut d'abord un ébahis-
sement général , puis une
joyeuse clameur de la foule
salua le libérateur qui s'avan-
çait vers la princesse.
Le vieux roi ébaubi courut
au-devant de Mauricet, le serra
dans ses bras et lui demanda
ce qu'il désirait pour prix de
l'inespéré service qu'il venait
de rendre à la Ville.
— J'aime la princesse, ré-
pondit le jeune homme,
donne la moi pour épousée.
Avant même que le roi eût
répondu, Lilia s'était jetée
au cou Je son sauveur et
l'embrassait passionnément.
Le père n'eut qu'à ratifier
cette volonté si spontanément
exprimée et, séance tenante,
les épousailles furent célé-
brées dans le palais , car
Mauricet avait expliqué à son
beau-père qu'il habitait au
bord du lac et qu'il lui fallait
rem.onter sur la terre avec sa
jeune femme. En effet, aussitôt
après la célébration, les ]eunes
mariés, escortés par de nom-
breux porteurs de torches, se
hâtèrent vers l'ouverture de
la grotte où Mauricet avait
posé sa corde contre la grosse
pierre ; mais on eut beau
chercher, la corde avait dis-
paru.
— Je n'y comprends rien,
se lamentait Mauricet, déses-
péré, mon frère avait bien
promis de m'attendre...
— Il aura trouvé que tu
tardais trop, observa le roi.
et se sera lassé, car il faut
que tu le saches, nous ne
mesurons pas le temps de la
même façon que les gens de
la terre et une de nos jour-
nées dure autant que trente
des vôtres. Sans que tu t'en
doutes, il y a déjà un mois
terrien que tu es descendu au
fond du lac... A présent, on
ne t'attend plus là-haut, et ce
que tu as de mieux à faire,
c'est de demeurer avec nous.
La vie ici-bas est très douce
et tu connaîtras les merveilles
de notre royaume : nos grottes
toutes reluisantes de pierres
précieuses , nos prairies de
renoncules et nos forêts pétri-
fiées. Tout cela t'appartiendra,
et tu seras mon successeur.
Reste avec nous, laisse-moi la
consolation d'achever de vieil-
lir auprès de ma fille Lilia...
Mais Mauricet continuait
de se désespérer et ne voulait
pas entendre parler de sé-
journer dans la ville souter-
raine. Ce que voyant, Lilia,
qui adorait son nouveau maître
par-dessus tout, supplia son
père d'imaginer un moyen de
les transporter tous deux au
pays de son mari.
— Qiie ta volonté soit faite,
soupira le vieux roi et veuil-
lent les dieux que tu n'aies
pas à t'en repentir...
Alors il commanda à ses
poissons-volants de conduire
les jeunes mariés vers la terre.
Le couple s'installa commo-
dément au fond d'un grand
coquillage auquel s'attelèrent
les porteurs, et après de tou-
chants adieux, on se sépara.
Le vieux roi regagna triste-
ment son palais, tandis que
la coquille traînée par les
poissons s'élevait doucement
à travers l'onde bleuâtre.
III
I
. ^-^1
?'ii^^
I
A travers l'onde transpa-
rente où se mouvait un ronge
reflet de soleil couchant, le
couple des jeunes mariés mon-
tait lentement vers la terre.
Du palais du roi des Bal-
mettes à la berge d'Angon, il
}' avait loin et les poissons-vo-
lants ne connaissaient qu'im-
parfaitement la route, mais
les amoureux ne trouvaient
pas le temps long. L'équipage
lacustre était fée ; l'eau n'j- pou-
vait pénétrer et l'on s'y trouvait
enveloppé d'une couche d'air
respirable. Douillettement cou-
chés au cœur de la coquille
nacrée, Lilia et Mauricet en-
tendaient, sans le voir, le
bruit frais du lac ; cette mu-
sique assourdie les berçait,
tandis qu'ils se prodiguaient
d'infinies caresses et que Mau
ricet, ébloui par la rare beauté
de sa jeune femme, lui jurait
de l'aimer toujours.
— Mon tendre ami, mur-
murait Lilia « toujours » est
un bien gros mot... Je ne
sais rien des choses de la
terre, je ne suis pas de même
race que les gens de ton pays
et j'ai grand peur de déplaire
à ta famille... Xe finiras-tu
pas un jour par te lasser de
moi ?...
Et comme le jeune hoçime
protestait de nouveau de son
inaltérable amour, elle repre-
nait, en l'enveloppant de ses
bras souples et en le man-
geant de baisers :
— Tu as raison, ne trou-
blons pas notre bonheur en
cherchant à lire dans l'avenir...
Jouissons de l'heure présente
et aimons -nous de notre
mieux...
42 L I L I A
Qiiand ils atteignirent enfin
la berge, il faisait nuit, mais
dans le ciel, entre la double
corne d'une montagne, la lune
se levait et jetait une pacifique
clarté sur les champs. Lilia
regardait avec inquiétude ce
spectacle si nouveau pour elle,
puis, frissonnante, se retour-
nait vers l'équipage des pois-
sons-volants. Après les avoir
chargés d'un aBFectueux mes-
sage pour son père, elles les
congédiait avec un soupir. La
coquille et ses conducteurs
plongèrent dans l'eau sombre
et disparurent, tandis que le
couple, étroitement enlacé,
cheminait à travers la prée.
Le village était déjà endormi ;
seule, dans la demeure sei-
LILIA 43
gneuriale, demi ferme et demi
château, bâtie au bord du
chemin, des lumières brillaient
encore. Par-dessus les ramures
du verger, on voyait le toit
en auvent et les tourelles
carrées, blanches au clair de
lune.
— Voici, disait Mauricet,
en les montrant à Lilia, voici
la maison de mon père, et les
fenêtres que tu aperçois entre
les arbres sont celles de la
salle où la famille se réunit
chaque soir... Dans la tourelle,
de gauche, cette vitre, où
tombe un rais de lune, est la
croisée de ma chambre . . .
C'est là, ma mignonne, que
nous habiterons et que nous
nous aimerons...
— Écoute, répondait la
jeune femme, on entend à
travers les fenêtres dos instru-
ments de musique et aussi
des éclats de rire...
En effet, à mesure qu'ils
montaient les degrés, ils per-
cevaient à l'intérieur des
bruits de voix jojeuses, de
violons qu'on accorde et de
verres qu'on trinque. Mauri-
cet ne put s'empêcber de
songer qu'on avait, au logis
paternel, une singulière façon
de regretter son absence...
Au fond, il était vexé de
trouver son monde si vite
consolé ; mais il n'en fit rien
voir. Serrant plus fort contre
lui sa tremblante épousée, il
ouvrit la porte, et tous deux,
se tenant enlacés, pénétrèrent
dans la salle.
Des lampes et des chan-
delles de cire éclairaient pro-
fusément la pièce, dont une
belle table dressée et couverte
de victuailles occupait toute
la longueur. De nombreux
convives endimanchés étaient
assis autour de la nappe
blanche et, au centre, Denise,
en robe de noce, se tenait à
côté de Bastien, qui la man-
geait des yeux. Dans le fond,
un orchestre de flûtes et de
violons récréait les oreilles
des dîneurs. Au moment où
apparurent les nouveaux -
venus, on buvait ferme et on
trinquait en criant : « A la
santé de Denise et de Bastien,
46 LILIA
honneur aux jeunes mariés! »
Si Lilia et Mauricet furent
étonnés en pénétrant dans
cette salle en fête, l'assistance
ne fut pas moins abasourdie,
à l'aspect de ce revenant qui
surgissait, entourant de ses
bras une radieuse et blanche
créature, aux oreilles et au
cou de laquelle des diamants
scintillaient mêlés à des
perles.
— Mauricet! s'exclama le
%-ieux seigneur, en levant les
bras au ciel et en s'élançant
vers son fils aine. D'où sors-
tu, mon pauvre garçon? Il y
a un mois que nous te pleu-
rons et nous n'espérions plus
te revoir!
— Je sors du fond du lac,
1. 1 L I A 47
répondit Mauricet, j'ai tué le
serpent qui dévastait nos ver-
gers et nos vignes ; pour prix
de ma victoire, j'ai obtenu la
main de la fille du roi des
Balmettes et je la ramène
chez nous... Mon père, voici
ma femme, ma chère Lilia
que j'adore et que vous ai-
merez comme votre fille. —
Puis il ajouta d'un ton iro-
nique :
— Je vois que vous me
pleuriez ious d'une façon fort
gaie et que vous ne vous
ennuyiez pas trop en m'atten-
dant. .
— Dame, reprit le vieillard
un peu confus, les semaines
se succédaient et tu ne reve-
nais pas... Nous t'avons cru
48 LILIA
perdu. Bastien, pendant ton
absence a jugé à propos de
consoler Denise et ils se sont
mariés ce matin. C'est la
raison de cette fête au milieu
de laquelle tu nous sur-
prends...
Mauricet se rappela alors
que les jours, au royaume des
Balmettes, avaient la durée
d'un mois, et il s'étonna
moins de ce qui s'était passé,
pendant son voyage. Bastien,
d'un air embarrassé, vint lui
serrer la main, tandis que
Denise , baissant les 5-eux ,
regardait en-dessous la femme
que son ancien fiancé rame-
nait du fond de l'eau. En son
par-dedans, elle en voulait à
cette étrangère de l'avoir si
LILIA 49
vite supplantée, et ne pouvait
retenir un mouvement d'envie
en admirant l'étrange beauté,
en reluquant les diamants et
les perles de l'intruse. Néan-
moins, elle s'approcha de
Lilia et daigna lui donner le
baiser de bienvenue. Elle
surmonta à grand'peine un
frisson de répugnance, en
touchant de ses lèvres les
joues froides comme la neige
de la jeune princesse. Dès ce
moment, Lilia devina qu'elle
avait une ennemie en la per-
sonne de sa belle-sœur.
— Allons, s'écria avec bon-
homie le vieux gentilhomme,
tout est pour le mieux, et ce
soir, au lieu d'une noce,
nous en célébrerons deux!...
50 LILIA
Messieurs les musiciens, jouez-
nous une sérénade en l'hon-
neur de mon fils aine et de
sa charmante épousée.
Il les fit asseoir près de lui
et le festin continua. Néan-
moins, l'apparition inattendue
de ces mariés qui arrivaient
du fond de l'eau avait sus-
pendu la joie des convives.
On eût dit que Lilia- et Mau-
rice! apportaient avec eux
quelque chose de la fraîcheur
du lac et leur présence jetait
un froid. Lilia surtout éton-
nait et gênait les convives.
Ils contemplaient avec une
inquiète curiosité cette prin-
cesse aux joues pâles, aux
yeux pers, aux cheveux ar-
gentés et verdissants comme
1. 1 1. 1 A 51
des feuilles de saule, et chu-
chotaient entre eux d'un air
de méfiance. Lilia, à son tour,
se sentait dépaysée dans la
maison de ces braves bourgeois
et se serrait avec effroi contre
son mari, qui s'efforçait de la
réconforter, mais qui lui-même
éprouvait un vague malaise.
Au diner, succéda un bal,
et Lilia fut obligé de figurer
en face de sa belle-sœur. Elle
n'avait pas l'habitude de la
danse et s'y prenait fort mal.
Denise faisait malignement
observer à ses voisins sa gau-
cherie et affectait d'en rire
sous cape. Elle la surveillait,
soupçonneuse, et notait avec
une jalouse rancime les ten-
dres attentions que Mauricct
52 L 1 L I A
prodiguait à sa femme. Tout
en l'épiant, elle remarquait
que la traîne flottante de
Lilia laissait sur le parquet
des traces humides. A un
certain moment, comme la
jupe de la danseuse novice
s'était enroulée autour des
jambes de son danseur, Denise
se baissa, sous prétexte de la
dégager. Elle soule%'a brus-
quement le bord de la jupe
et constata que l'ourlet en
était mouillé. C'est le signe
auquel on reconnaît les on-
dines, et bien vite, elle s'en
alla murmurer à l'oreille des
convives que son beau-frère
avait épousé une fée du lac.
Mauricet et Lilia eurent un
poids de moins sur la poitrine,
1. 1 L I A S 3
quand le bal prit fin, aux
premières lueurs de l'aube, et
qu'ils purent se retirer dans
leur chambre. Comme l'amour
console de tout, ils s'embras-
sèrent passionnément et ou-
blièrent ainsi les menus désa-
gréments, les petites piqûres
de cette première soirée passée
en famille.
P
IV
Quand les jeunes mariés
furent tous quatre installés
dans le château d'Angon et y
eurent pris leurs habitudes,
Lilia, par affection pour Mau-
ricet, s'efforça de gagner le
58 LILIA
cœur de ses nouveaux parents.
Mais elle eut beau déployer
sa grâce câline, multiplier les
prévenances, accommoder sa
délicatesse princière à la rusti-
cité de ces gentilshommes
campagnards, elle perdit sa
peine. Tout bonhomme qu'il
était, son beau-père très posi-
tif et très âpre au gain, ne
lui pardonnait guère de n'avoir
apporté en dot que sa beauté ;
Bastien, qui avait l'esprit
étroit et superstitieux n'abor-
dait sa belle-sœur qu'avec une
sorte de crainte méfiante;
Denise la détestait et cher-
chait sournoisement à lui
jouer de mauvais tours. A
tous, elle apparaissait comme
une créature bizarre et dan-
M LIA S9
gereuse, dont les maléfices
avaient ensorcelé le pauvre
Mauricet. De fait, ce dernier
continuait à être sous le
charme. La blanche vénusté
du souple corps de Lilia, la
chaude tendresse de son cœur
et plus encore, les délices de
ses baisers, la magie de ses
yeux pers, le tenaient enchaîné
et il ne vivait que pour elle.
Au bout de la première
année, Lilia mit au monde
un fils qui ressemblait à son
père. Les cheveux seuls du
marmot étaient, pareils à ceux
de sa mère, très soyeux, très
abondants et de la couleur des
feuilles de saule.
— Ce ne sont pas des
cheveux de chrétien, s'écriait
f O 1. 1 L I A
Denise, et elle en faisait la
remarque devant Mauricet.
Elle ne manquait pas du
reste de relever avec une
adresse perfide et de signaler
à. son beau-frère les moindres
singularités de sa femme.
Quand on la contrariait, Lilia
s'abandonnait à d'orageuses
colères qui s'épanchaient impé-
tueuses comme une eau bouil-
lonnante, au sortir de l'écluse.
En outre, dans cette maison
savoyarde où tout était régu-
lier et méthodique, où chacun
avait sa tâche, elle passait
oisivement de longues heures
à peigner sa magnifique
chevelure onduleuse ou à
rêvasser par les chemins. Sa
promenade favorite était la
berge du lac. Elle s'asseyait
sur le bord, à l'ombre d'un
noyer, et demeurait, les yeux
fixés sur la nappe liquide aux
teintes changeantes, comme si
elle eût cherché à voir
jusqu'au fin fond de l'eau
bleue. A de certains jours,
principalement le samedi, elle
s'attardait en sa rêverie et ne
rentrait qu'à la nuit close.
Denise, qui l'espionnait, la
suivit un soir, en se dissimu-
lant derrière les cerisiers. Elle
crut entendre la princesse qui
s'entretenait d'une voix très
douce avec quelqu'un. Intri-
guée, elle s'élança vers la
berge, mais à son approche,
le m}'stérieux interlocuteur
sembla plonger dans le lac et,
lorsqu'elle arriva sur le talus,
elle ne distingua que la sur-
face de l'eau encore bouillon-
nante.
— Avec qui causiez-vous
donc? interrogea-t-elle d'une
voix soupçonneuse.
— Avec les poissons, ré-
pondit simplement Lilia, je
leur demandais des nouvelles
de cbez nous...
Il n'en fallut pas davantage
pour aiguiser la méchanceté
de Denise et elle fit courir le
bruit qiie Lilia avait de clan-
destins rendez-vous avec un
visiteur diabolique.
A quelque temps de là, on
s'occupa de baptiser le fils de
Mauricet; il fut décidé qu'il
serait tenu sur les fonts par
LILIA 6y
Denise et Bastien et qu'on le
nommerait Deniset. Ce nom
déplaisait à Lilia; elle eut
désiré qu'on l'appelât Ray-
mondin, comme son grand-
père, le roi des Balmettes.
Cette divergence donna lieu
à d'aigres discussions dans
lesquelles intervint le curé du
village. En sa qualité de future
marraine, Denise eut à ce
propos de secrets colloques
avec le curé et elle en profita
pour lui insinuer, qu'avant
de baptiser l'enfant, il serait
convenable d'administrer le
même sacrement à la mère,
qui était une païenne. Elle
éveilla ainsi cauteleusement
les scrupules du prêtre qui
insista près du mari pour que
6.(. LILIA
la princesse fit une solennelle
abjuration. Mauricet eut la
faiblesse de le promettre,
mais quand il communiqua
cette proposition à Lilia, il se
heurta à un refus très net.
Elle répondit qu'elle avait été
élevée dans la religion de son
père, le roi des Balmettes, et
qu'elle n'en changerait pas. Sur
ces entrefaites, le curé, paré
de ses habits sacerdotaux
entra et voulut la catéchiser.
Alors, prise d'un violent accès
de colère, elle saisit une
écuelle pleine d'eau qui se
trouvait à sa portée et elle
en aspergea brusquement le
prêtre qui faisait mine de
l'exorciser . Incontinent , le
visage de l'ecclésiastique se
I. 1 1. 1 A ft^
couvrit d'écaillés de poisson,
SCS yeux s'arrondirent et sa
bouche resta béante comme
celle d'une carpe. Cette espiè-
glerie fut considérée comme
un sacrilège, un damnable
maléfice; tous les paroissiens
.s'en scandalisèrent et Mauri-
ce! lui-même ne put s'empê-
cher d'en être cruellement
mortifié. Cela commença de
l'indisposer contre sa femme
et, à partir de cet esclandre,
un indéfinissable sentiment
de méfiance refroidit son
affection.
L'intimité devint entre eux
moins étroite et Lilia constata
avec mélancolie que Mauricet
s'absentait plus souvent pour
s'en aller, avec ses anciens
compagnons de jeunesse,
chasser l'ours et le chamois
dans la montagne. Livrée à
elle-même, elle s'attrista et
chercha à se consoler en se
consacrant avec plus de solli-
citude à l'éducation de son
fils, qu'elle s'obstinait à appe-
ler Raymondin. tandis que
dans la famille on affectait de
lui donner le nom de Deniset.
Elle le prenait dans ses bras
et le promenait à travers les
prairies qui dévalent vers le
lac. Souvent, elle s'assevait
sur la berge, tenant le petit
dans son giron et elle le ber-
çait en chantant des paroles
qui sonnaient étrangement
aux oreilles des gens du
pnys :
6?
« Dors, mon Raymondin, dors près du flot clan
J'appelle la truile et d'un tour de queue
La voilà qui plonge au fond de l'eau bleue
Où le Roi du lac a sàn palais vert...
« Le Roi, Ion grand'pire, est un roi très tendre ;
Quand la truite lui dira mon chagrin,
Ses poissons-volants s'en iront grand train ;
Dansleur char de nacre ils viendront nous prendr
„ Dodo, Raymondin, dodo, mon tréso--!
Tu verras le Roi tout vêtu de moire,
En son palais vert il te fera boire
C'n vin enchanté dans des tasses d'or... ■>
Lorsque Lilia rentrait au
château, tenant son fils en-
dormi dans ses bras, la table
était depuis longtemps dressée.
Les gens avaient commencé
de souper. Denise accueillait
sa belle-sœur avec de perfides
sarcasmes et Mauricet, mis en
mauvaise humeur par cet
68 LILIA
inexplicable retard, remarquait
que les jupes de la princesse,
plus mouillées que de cou-
tume, laissaient de suspectes
traînées d'eau sur le parquet
soigneusement ciré.
It
H,
ils'.
A mesure que les mois pas-
saient, la belle flamme qui
avait embrasé le cœur de
Mauricet tombait peu à peu
et son amour pour Lilia
s'attiédissait quant et quant.
Il se détachait d'elle visible-
ment, maintenant qu'il repre-
nait possession de tout son
sang froid et qu'il regardait
plus attentivement les autres
jeunes femmes du pays. Il lui
trouvait décidément des allures
trop étranges et l'exquise
beauté de la princesse n'avait
plus pour lui l'irrésistible
charme d'autrefois. Ses jeu.x
verts l'inquiétaient et ses
pâles joues glacées lui sem-
blaient médiocrement attiran-
tes, quand il les comparait aux
joues roses, aux noires pru-
nelles, à la peau tiède et pul-
peuse de Denise.
Lilia était perspicace ; il ne
lui fallut pas longtemps pour
deviner que le cœur de son
mari se refroidissait et qu'il
regrettait tout bas de n'avoir
pas épousé sa belle-sœur. Elle
en ressentait un cruel chagrin,
une épine de jalousie lui dé-
chirait le cœur et ces muettes
souffrances influaient grande-
ment sur son caractère. Ses
brusques accès de colère deve-
naient plus fréquents, et, plus
que jamais, elle se complaisait
en de solitaires promenades
au bord du lac. En contem-
plant l'eau bleue et profonde,
elle était en proie à une dou-
loureuse nostalgie et se pen-
chait, invinciblement attirée
par cette onde transparente
où se jouaient des rayons de
soleil. Elle voyait les rais
dorés descendre en longues
spirales jusqu'au fond de
l'eau et, les enviant dans leur
voyage, elle était tentée de
les suivre jusqu'au seuil des
grottes rocheuses qui condui-
saient au r03-aume des Bal-
mettes...
Pendant ce temps, l'adroite
Denise mettait à profit l'absence
de la princesse, pour exercer
une maligne influence sur son
beau-frère. Elle se faisait, pour
lui, câlinement compatissante
et sa pitié, mêlée de coquet-
terie, induisait insensiblement
Mauricet en de coupables ten-
tations. Il écoutait plus com-
plaisamment les insinuations
de Denise, au sujet des pré-
tendues accointances de Lilia
avec les esprits ténébreux de
l'enfer, et plus complaisam-
ment aussi, il savourait les
caresses faussement innocentes
que l'astucieuse créature lui
prodiguait sous couleur d'affec-
tion fraternelle. Lorsqu'elle lui
prenait les mains, il sentait
une chaleur lui couler dans
les veines, et lorsqu'elle lui
jetait en dessous de flambantes
œillades, il éprouvait le désir
de la serrer dans ses bras,
comme au temps où elle était
sa promise et où ils se pro-
menaient tous deux, à la
brune, sous les cerisiers du
verger. Ces périlleux sou-
venirs du passé revenaient
souvent dans leurs entre-
tiens, et Mauricet dissimulait
mal le regret de n'avoir pas
7^ LILIA
suivi sa première inclination.
Un soir, Lilia rentrant d'une
de ses longues promenades et
traversant le verger, entendit
des chuchotements étouffés
sous une tonnelle de chèvre-
feuilles qui régnait le long de
la prairie. Un pressentiment
la poussa vers l'épaisse feuillèe
que formaient les brins entre-
lacés et fleuris, et soudain,
elle reconnut les voix de son
mari et de sa belle- sœur qui
alternaient dans l'ombre. A
pas de velours, elle s'approcha
de la tonnelle et prêta l'oreille.
— Ah ! murmurait Mau-
ricet, pourquoi ne peut-on
recommencer sa vie!... Tu
avais raison, Denise, lorsque
tu me suppliais de ne pas
LILIA 77
descendre au fond de l'eau.
Qiie ne t'ai-je écoutée !... Je
ne serais pas allé dans ce
maudit royaume des Bal-
mettes, je n'aurais pas épousé
cette fille du lac qui n'est pas
de notre race, et à laquelle je
suis maintenant lié pour le
restant de mes jours...
— Je te plains sincèrement,
mon pauvre ami, répondait
Denise, mais le mal est fait...
Nous n'y saurions rien changer.
Dis-toi seulement, si cela peut
te consoler, que mon affection
te reste... Tu as en moi une
fidèle amie qui compatit à tes
peines et qui donnerait volon-
tiers tout le sang de son cœur
pour les soulager...
Alors, il sembla à Lilia que
sa perfide belle- sœur serrait
tendrement les mains de Mau-
riceî. Il y eut un silence
coupé seulement par un long
soupir de ce dernier, puis la
jeune femme perçut très nette-
ment le susurrement des bai-
sers échangés, et de nouveau,
Mauricet reprit d'une voix
étranglée :
— Denise, je n"ai jamais
aimé que toi !...
C'en était trop. Lilia reçut
une commotion telle qu'elle
en fut affolée. Une terrible
colère lui monta au cerveau
comme une tempête. Elle
écarta les brins tombants des
chèvrefeuilles :
— Ingrat ! cria-t-elle à Mau-
ricet, je te rends ta liberté.
Adieu, je ne te gênerai plus!...
Elle s'élança impétueuse-
ment vers la berge. Les
paysans qui revenaient des
vignes ouïrent un mystérieux
bouillonnement dans le lac.
En même temps, l'air fut
troublé d'un grondement for-
midable et une pluie dilu-
vienne, une véritable trombe
d'eau, s'abattit sur le pays
d'Angon, noyant les récoltes,
fracassant les arbres et inon-
dant les maisons. Depuis on
ne revit plus Lilia, la prin-
cesse aux jupes mouillées, aux
yeux d'aigue-marine et aux
cheveux couleur de feuille de
saule.
Mauricet, dit-on, se consola
8o LIMA
de son veuvage. On ajoute,
néanmoins, qu'il était souvent
en proie à des humeurs noires.
Des remords !e tourmentaient
et lui causaient de cruelles
insomnies. Le remords est
une des influences subtiles
qu'exercent à distance les
absents pour nous forcer à
penser à eux. Mauricet sentait
parfois un frisson le prendre
au souvenir de la princesse
des Balmettes. Réveillé en
sursaut dans son premier som-
meil, il croyait alors aperce-
voir une forme blanche qui
frôlait les vitres et il enten-
dait avec angoisse , dans
la chambre voisine, une
voix tendre qui murmu-
rait :
a Dodo, P,(ty,w,„(li,>. dw.lo, m<„i trésor!
Tu verras le Hoi loiil vêtu de moire,
En son palais vert tl te fera boire
Un vin enchanté dans des tasses d'or...
C'était Lilia qui, pendant
les nuits de lune, revenait
bercer son fils dans sa berce-
lonnette d'osier.
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PLEASE DO NOl
CARDS OR SLIPS FRO)
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