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Full text of "Lilia"

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iCO 


SxJ^ris 

PROFESSORJ.  S.WILL 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witli  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/liliatlieOOtlieu 


Lilia 


Collections    Edouard    Ouilla 


A  N  1>  K  E    TH  E  U  K  I  E  T 
de  l'Académie  fraoçaUe 


Lilia 


UluslralioDs  de  Marold  et  Mi 


PARIS 

^J       LIBaAIBIE       BOBEL-^H' 

GUILLAUME;      D  I  R  L  C  T  1. 
21,    Quai     MaUqua.s,    21 


[Sà^n^^^ife 


AUG  2  - 1932 


0444^ 


«.  A  ÉtÉ  TIMÉ   DE  CEI    OUVRAfiE 

Quelques  exemplaires  sur  papier  leinté 
Primevère 

25  exemplaires  numérotés,  sur  papier  du 
Japon  ;  23  exemplaire?  numéiotéa 
sur  papier  de  Chine 


Double  Suite 

des 

Hors-Texte  en  Sanguine 


"^^ 


Lilia 


n 


Un  clair  matin  de  juin  à 
l'époque  où  les  prés  ne  sont 
pas  encore  fauchés,  mais  où 
les  cerises  mûrissent  déjà.  Le 
soleil  qui  vient  de  s'élancer 
au-dessus  des    massifi    de    la 


Toarnette,  crible  de  rayons  la 
prairie,  les  vignes  et  les  ver- 
gers qui  dévalent  du  village 
d'Angon  vers  le  lac  aux  eaux 
bleues.  Une  gaie  lumière  ar- 
genté l'herbe  onduleuse,  glisse 
sur  les  feuilles  lustrées  des 
noyers,  donne  aux  vignobles 
une  verdure  plus  phosphores- 
cente et  aux  cerises  de  plus 
vives  rougeurs.  Bien  qu'on 
soit  en  semaine,  des  groupes 
de  paysans  en  habits  de  tra- 
vail flânent  au  long  des  ver- 
gers qui  s'avancent  en  pointe 
vers  le  lac.  Epars  sur  la  rive 
ou  attroupés  à  l'ombre  des 
noyers,  tous  ont  les  yeux 
fixés  du  côté  du  village  dont 
on  voit  les  toits  bruns  fumer 
parmi  les  arbres.  Leurs  regards 


observent  curieusement  une 
grande  maison  savoyarde  , 
moitié  ferme,  moitié  château, 
qui  dresse  à  gauche  du  che 
min  ses  grises  tourelles  carrées 
et  abrite  de  sa  toiture  en  au 
vent  une  galerie  à  balustres 
dont  les  piliers  s'enguirlandent 
de  plantes  grimpantes.  Les 
croisées  de  ce  logis  d'honnête 
apparence  sont  fleuries  de 
géraniums  cramoisis  et  s'ou- 
vrent toutes  sur  le  paysage 
du  lac.  Un  large  escalier  de 
pierre  met  la  galerie  en  com- 
munication avec  les  allées  du 
verger,  et  sur  cet  escalier  parait 
un  jeune  garçon  svelte  et 
alerte.  Il  descend  lestement  les 
marches.  A  sa  vue,  une  rumeur 
se  produit    dans  les  groupes  : 


—  Le  voici  ! 

Le  jeune  homme,  qui  a 
nom  Mauricet  et  qui  est  le  fils 
aine  du  seigneur,  chemine 
d'un  pied  leste  à  travers  les 
arbres  du  clos,  tenant  d'une 
main  son  arbalète  et  portant 
ses  flèches  en  sautoir.  Bientôt 
il  arrive  à  proximité  des 
paysans  qui  l'accueillent  avec 
une  respectueuse  cordialité. 
Les  hommes  ôtent  leur  cha- 
peau, les  femmes  font  la 
révérence.  Mauricet  est  un 
gars  de  vingt  cinq  ans,  à  la 
taille  élégante  et  robuste,  à 
la  mine  fiére  et  avenante,  à 
l'œil  bleu  perçant  et  sûr 
comme  celui  des  gerfauts  qui 
planent  dans  la  montagne. 
Ses  cheveux  châtains  bouclent 


autour  de  son  cou  et  de  fines 
moustaches  retombent  sur  ses 
lèvres  souriantes  et  charnues. 
Les  filles  le  voient  souvent 
dans  leurs  rêves  et  les  garçons 
l'admirent  pour  son  courage 
intrépide  et  son  adresse 
d'archer. 

—  Eh  bien  !  Seigneur  Mau- 
ricet,  y  a-t-il  du  nouveau  ? 
demande  un  vieux  paysan. 

—  Oui,  mes  amis,  répond- 
il  de  sa  voix  sonore,  j'ai 
enfin  découvert  le  voleur  qui 
chaque  année  pille  nos  ceri- 
siers en  été  et  vendange  nos 
vignes  en  automne.  Cette 
nuit,  nous  nous  sommes  re- 
gardés entre  quatre-z-)'eux. 

—  Vous  l'avez  vu?  s'écrient 
les  gens. 


—  Comme  je  vous  vois... 
Je  vais  vous  conter  la  chose... 
Vous  savez  que  mon  père, 
chaque  année,  lorsqu'il  se 
pourléchait  déjà  à  l'idée  de 
cueillir  ses  bigarreaux,  trou- 
vait comme  vous  tous,  ses 
cerisiers  dévalisés  et  ne  récol- 
tait que  des  noyaux.  L'an 
dernier,  il  chargea  mon  frère 
Bastien  de  passer  la  nuit  en 
sentinelle  dans  le  verger,  afin 
de  guetter  le  voleur;  mais 
Bastien,  qui  est  gros  dormeur, 
s'assoupit  vers  la  mi- nuit,  et 
quand,  au  fin  matin,  il  rou- 
vrit les  yeux,  les  bigarreaux 
avaient  encore  une  fois  dis- 
paru. Cette  année,  c'est  moi 
qui  ai  voulu  en  avoir  le  cœur 
net,  et,  hier  soir,    j'ai  pris  la 


garde.  Il  faisait  précisément 
clair  de  lune  et  ma  rancune 
contre  ce  m3-stèrieux  et  subtil 
maraudeur  me  tenait  éveillé 
comme  un  écureuil.  Je  m'étais 
perché  dans  l'un  de  nos  plus 
gros  cerisiers  et  j'avais  en- 
tendu minuit  sonner  sans  rien 
apercevoir,  lorsque,  tout  à 
coup,  dans  la  direction  du 
lac,  je  vis  remuer  l'herbe 
haute  et  je  distinguai  un 
énorme  serpent  qui  rampait 
dans  la  prée.  Il  était  bien 
long  de  quatre  aunes  et  le. 
milieu  de  son  corps  avait  la 
grosseur  d'un  jeune  noyer, 
ses  yeux  jetaient  des  feux  pa- 
reils à  ceux  d'une  émeraude. 
Je  ne  bougeai  pas,  mais  au 
moment  oii  il  s'enroulait  déjà 


autour  (l'un  bigarreauticr,  je 
lui  décocbai  une  flèche  qui 
alla  tout  droit  se  iicher  dans 
l'un  de  ses  yeux  verts.  Le 
serpent  gémit  de  douleur, 
puis  se  sauva  du  côté  du  lac. 
Aux  premières  blancheurs  de 
l'aube,  j'appelai  mon  frère 
Bastien  ;  nous  constatâmes  que 
l'herbe  était  tachée  de  sang, 
et  suivant  dans  le  pré  les 
traces  sanglantes,  nous  attei- 
gnîmes la  berge  du  lac.  Il  est 
évident  pour  moi  que  la  mau- 
dite bête  a  dû  plonger  dans 
l'eau,  mais  je  la  rattraperai 
morte  ou  \'ive  et,  foi  de  Mau- 
ricet,  je  vous  jure  que  j'en 
débarrasserai  le  pays  ! 

Un    des    paysans    hocha    la 
tète  et  objecta  : 


t ILIA  13 

—  Le  lac  est  profond  ;  si 
bon  nageur  que  vous  soyez, 
vous  n'y  pourrez  tenir  long- 
temps... Comment  fercz-vous, 
Seigneur? 

—  J'ai  envoyé  Bastien 
quérir  un  bon  paquet  de 
cordes...  Il  m'attachera  soli- 
dement sous  les  bras  et  nie 
laissera  descendre  jusqu'au 
fin  fond  de  l'eau. 

Les  paysans  le  regardent 
avec  des  jeu.x  écarquillcs  et 
les  plus  familiers  d'entre  eux 
hasardent  quelque  objection  : 

—  C'est  un  gros  risque  à 
courir  ! 

—  Il  ne  faut  tenter  Dieu  ni 
le  diable! 

Tandis  qu'ils  s'émiettent  en 
petits  groupes  et  s'ébaubissent 


tout  bas  de  la  témérité  de 
leur  jeune  seigneur,  Mauricet 
sent  une  petite  main  se  poser 
sur  son  épaule.  Il  se  retourne 
et  reconnaît  une  jolie  fille  du 
voisinage,  Denise  dont  le  père 
habite  un  château  près  de 
Talloires,  et  avec  laquelle,  le 
jeune  archer  est  fiancé  depuis 
la  Koël.  Denise  a  de  brûlants 
yeux  noirs,  la  mine  coquette- 
ment éveillée.  C'est  une  brune 
au  corps  souple,  aux  façons 
gentiment  enveloppantes.  Elle 
prend  son  promis  par  le  bras 
et  l'entraine  à  l'écart,  sous 
les  noj-ers. 

—  Mauricet,  murmure - 
telle,  est-ce  que  sérieusement 
tu  vas  poursuivre  cette  affreuse 
bête   jusqu'au  fond   de   l'eau? 


L  1  L  1  A  15 

—  Oui  bien,  ma  mie,  je 
Tirai  chercher  dans  son  repaire 
et  je  lui  donnerai  un  bon 
coup  :  cela  ne  traînera  pas, 
je  t'en  réponds. 

—  C'est  de  la  folie  et,  si  tu 
m'aimes  vraiment,  tu  ne  me 
causeras  pas  un   pareil    souci. 

—  îse  te  tourmente  pas, 
mignonne,  ce  sera  l'affaire 
d'une  heure  et  je  serai  de 
retour  pour  midi...  Tu  m'at- 
tendras sur  le  bord  avec 
Bastien. 

—  Et  si  tu  ne  revenais  pas  ! 

—  Je  reviendrai  et  je  te 
rapporterai  de  là-bas  quel- 
ques bijoux.  Tu  sais  qu'on 
trouve  des  pierres  précieuses 
au  fond  du  lac. 

—  Je    me    moque     de     tes 


bijoux,  c  est  toi  que  je  veux  ! . . . 
s'écrie  impétueusement  De- 
nise, dont  les  yeux  noirs  de- 
viennent humides. 

Mais  tandis  qu'elle  se  dépite, 
Bastien  arrive  avec  son  paquet 
de  cordes.  L'opiniâtre  Mau- 
ricet  se  fait  nouer  le  câble  sur 
les  reins  et  sous  les  épaules, 
assure  ses  flèches  dans  l'étui, 
empoigne  son  arbalète,  em- 
brasse la  boudeuse  Denise, 
puis,  se  tournant  vers  Bastien  : 

■ —  Toi,  dit-il,  attends-moi 
avec  elle  sur  la  berge,  et 
quand  tu  verras  la  corde  re- 
muer, remonte -moi  vive- 
ment... Au  revoir,  à  bientôt! 

Là-dessus,  il  se  signe,  se 
laisse  choir  dans  le  lac  cou- 
leur   d'azur,     puis     di?parait. 


tandis  qu'au-dessus  de  lui, 
l'eau  se  plisse,  bouillonne  et 
décrit  des  cercles  moirés,  qui 
vont  s'élargissant  jusqu'à  la 
rive  opposée. 


Mauricet  coula  au  fond  de 
l'eau  avec  la  vélocité  d'une 
pierre  qui  tombe.  Bientôt  ses 
pieds  touchèrent  un  sol  de 
sable  fin.  H  rouvrit  les 
yeux,     aperçut     au-dessus     de 


lui  comme  un  plafond  d'azur 
transparent  et  liquide,  à  tra- 
vers lequel  les  rais  du  soleil 
se  jouaient  avec  des  teintes 
d'or  verdi.  Grâce  à  cette  mou- 
vante et  molle  clarté,  il  vit 
dans  la  paroi  voisine  une 
halme  spacieuse  qui  se  creu- 
sait dans  la  roche  et  où  ve- 
naient mourir  les  remous  du 
lac.  Il  s'y  abrita  lestement. 
Sa  descente  avait  été  si 
rapide  que  leau  n'avait  pas 
eu  le  temps  de  traverser  son 
justaucorps  et  sa  culotte  de 
peau  de  chamois,  et  que  son 
corps  était  à  peine  mouillé. 
Il  se  débarrassa  de  sa  corde, 
la  posa  contre  une  grosse 
pierre  qui  marquait  l'entrée 
de  la  grotte,  puis  s'arrêta  un 


moment    pour 


réfléchir.     La 


balme  était  profonde  et  se 
terminait  par  un  couloir  assez 
large  qui  s'enfonçait  dans  le 
rocher.  Mauricet  supposa  que 
ce  chemin  souterrain  devait 
mener  vers  le  repaire  du 
serpent  aux  yeux  d'émeraude, 
et  se  décida  bravement  à  le 
suivre.  Il  faisait  très  chaud 
dans  le  couloir;  en  quelques 
minutes,  ses  vêtements  furent 
complètement  secs  et,  se  sen- 
tant tout  gaillard,  il  se  mit  en 
marche,  l'arbalète  au  poing. 
Au  bout  d'un  quart  d'heure, 
tandis  qu'il  tâtonnait  dans 
l'obscurité ,  il  aperçut  tout 
au  loin  une  lueur  verdâtre, 
semblable  à  celle  que  jette 
un  ver  luisant.  Cela  redoubla 


24  I.ILIA 

son  courage.  Il  se  dirigea 
vers  ce  point  lumineux  q^ui 
peu  à  peu  grossissait  et  sou- 
dain, l'ouverture  s' élargissant 
et  s'éclairant  d'un  jour  ver- 
dâtre,  il  déboucha  au  milieu 
d'une  ville  souterraine  qu'en- 
veloppaient une  atmosphère 
moite  et  une  terne  clarté, 
pareille  à  celle  qui  tomberait 
d'un  plafond  de  verre  dépoli. 
Chose  singulière,  cette  cité 
bâtie  sous  l'eau  avait  la 
physionomie  d'une  antique 
ville  savoyarde.  Les  maisons 
humides  et  moussues  devaient 
être  construites  depuis  des 
centaines  d'années.  Elles  dres- 
saient à  droite  et  à  gauche 
leurs  pignons  à  auvent,  leurs 
galeries    à    piliers   fuselés  où 


M  LIA  25 

béaient  des  fenêtres  et  des 
portes  rongées  de  moisis- 
sure. 

Mauricet  longea  cette  rue 
déserte  et  arriva  à  une  place 
carrée,  plantée  de  vieux  tilleuls. 
Sur  l'un  des  côtés,  un  palais 
élevait  sa  façade  de  marbre 
cipolin  et  ses  portiques  sou- 
tenus par  des  colonnes  de 
jaspe.  Là,  dans  le  silence,  il 
entendit  le  ronronnement  d'un 
rouet.  Intrigué,  il  gravit  les 
marches  du  palais  et  se  trouva 
face  à  face  avec  la  fileuse. 
C'était  une  jeune  fille  de 
vingt  ans,  d'une  remarquable 
beauté.  Assise  sur  un  esca- 
beau, elle  faisait  tourner  son 
rouet  de  corail  et  tenait  en 
main  une  quenouille   chargée 


26  M  LIA 

de  bourre  de  soie.  Elle  avait 
la  peau  blanche  comme  les 
pétales  d'un  l\-s  d'eau,  une 
bouche  rose  entrouverte  sur 
des  dents  éblouissantes.  Sa 
robe  très  ajustée  permettait 
d"admirer  la  souplesse  de  sa 
taille  et  les  parfaites  ron- 
deurs de  sa  poitrine  virginale. 
Ses  cheveux  ondes  ruisselant 
sur  ses  épaules  étaient  d'une 
nuance  rare,  très  fins  et  d'un 
vert  argenté  comme  les  feuilles 
de  saule,  quand  le  vent  les 
retrousse.  Elle  releva  lente- 
ment vers  le  nouvel  arrivant 
ses  yeux  couleur  d'aigue- 
marine,  de  grands  yeux  cha- 
tojants,  caressants  et  si  char- 
meurs que  Mauricet  en  reçut 
une  délicieuse  secousse  et  se 


sentit  le  cœur  pris,  rien  qu'en 
les  regardant  : 

—  Bonjour,  belle  jeune 
fille  !  dit-il,  très  ému. 

—  Bonjour,  beau  garçon, 
répondit  la  fileuse ,  d'où 
viens- tu? 

—  De  la  terre,  là  haut... 

—  Et  que  fais-tu  chez  nous? 

—  Tu  le  vois,  je  me  pro- 
mène... Comment  s'appelle 
cette  ville-ci? 

—  La  ville  des  Balmettes... 
Voilà  des  centaines  et  des 
centaines  d'années  qu'elle  git, 
engloutie  au  fond  du  lac  ;  mon 
père  en  est  le  roi,  par  droit 
de  naissance. 

—  Ton  père,  s'écria  Mau- 
ricet  émerveillé,  est  un  heu- 
reux    monarque,    car    il    a    la 


plus  adorable  fille  que  j'aie 
jamais  vue...  Comment  te 
nommes-tu,     belle    princesse? 

—  Je  me  nomme  Lilia. 

Leurs  j-eux  s'étaient  ren- 
contrés derechef  et  Mauricet 
sentait  son  cœur  alangui  de 
désir  se  fondre  comme  une 
pêche  mûre  qu'on  serre  dans 
la  main. 

—  Princesse  Lilia,  mur- 
mura-t  il  oppressé,  je  ne  te 
connais  que  depuis  quelques 
minutes,  et  pourtant  il  me 
semble  que  je  t'aime  depuis 
très  longtemps  et  que  je  n'ai 
jamais  aimé  que  toi. 

—  Hélas  !  mon  pauvre 
ami,  soupira  la  princesse,  tu 
n'auras  pas  le  loisir  de 
beaucoup      m';iimer,     car     je 


LILIA  29 

vais  mourir  ce  soir...  Voilà 
dix  ans  que  notre  ville  est  au 
pouvoir  d'une  bête  féroce  à 
laquelle  le  roi  mon  père 
est  lui-même  forcé  d'obéir... 
Chaque  année,  à  cette  époque, 
on  est  obligé  de  livrer  au 
monstre  une  fille  de  vingt  ans  ; 
c'est  aujourd'hui  mon  tour,  et 
sur  cette  place  que  tu  aperçois 
d'ici,  la  bête  doit  me  dévorer 
avant  la  nuit. 

—  Toi,  mourir!...  protesta 
Mauricet,  non,  je  ne  le  souf- 
frirai pas!...  Je  t'aime  et  je 
te  jure  que  la  bête  ne  te 
mangera  point  ;  j'y  mettrai 
bon  ordre  ! 

—  Cher  fou,  comment  t'y 
prendras-tu? 

—  C'est     mon      affaire  .  .  . 


Quand  la  bête  se  montrera, 
je  serai  sur  la  place  et  je  lui 
ser\-irai  un  plat  de  mon  mé- 
tier... 

Mauricet  s'agenouilla,  saisit 
la  main  de  la  princesse  qui 
la  lui  abandonna  tendrement, 
puis  la  baisa  avec  dévotion. 
Ensuite,  il  se  dissimula  der- 
rière les  colonnes  de  jaspe  et 
silencieusement  aiguisa  ses 
flèches  sur  le  marbre  humide 
de  Tescalier... 

Cependant  l'heure  était  arri- 
vée. La  place  tantôt  si  déserte 
s'emplissait  peu  à  peu  d'une 
foule  angoissée.  La  fileuse, 
qui  avait  quitté  le  vestibule 
pour  rentrer  dans  l'intérieur 
du  palais,  reparaissait  bientôt 
toute  pâle  dans  sa  robe  blanche 


et  donnant  le  bras  au  roi  son 
père,  dont  les  paupières  ridées 
se  mouillaient  de  larmes.  En 
passant,  elle  remarqua  Mau- 
ricet  caché  dans  une  encoignure 
et  qui  lui  envoyait  un  amou- 
reux regard  de  réconfort. 

Une  cloche  lointaine  sonna 
un  glas ,  un  frémissement 
d'horreur  courut  dans  la 
foule;  au  même  moment,  la 
bête  dévoratrice  sortit  de  la 
nuit  d'une  voiîte  et  Mauricet, 
palpitant,  reconnut  le  serpent 
qu'il  avait  attaqué  la  nuit 
précédente,  dans  le  verger  pa- 
ternel. L'un  des  yeux  de  la 
bête  saignait  encore  de  la 
récente  blessure.  Vivement, 
le  jeune  homme  tira  son  arba- 
lète  dans  l'ombre  et  la  flèche 


32  LILIA 

sifflante  atteignit  l'énorme 
reptile,  qui  rampait,  gueule 
béante,  vers  la  princesse.  Le 
monstre  mortellement  blessé 
retomba  en  se  tortillant  sur 
les  dalles  et  expira  dans  une 
mare  de  sang. 

Il  y  eut  d'abord  un  ébahis- 
sement  général ,  puis  une 
joyeuse  clameur  de  la  foule 
salua  le  libérateur  qui  s'avan- 
çait vers  la  princesse. 

Le  vieux  roi  ébaubi  courut 
au-devant  de  Mauricet,  le  serra 
dans  ses  bras  et  lui  demanda 
ce  qu'il  désirait  pour  prix  de 
l'inespéré  service  qu'il  venait 
de  rendre  à  la  Ville. 

—  J'aime  la  princesse,  ré- 
pondit le  jeune  homme, 
donne  la    moi    pour   épousée. 


Avant  même  que  le  roi  eût 
répondu,  Lilia  s'était  jetée 
au  cou  Je  son  sauveur  et 
l'embrassait  passionnément. 
Le  père  n'eut  qu'à  ratifier 
cette  volonté  si  spontanément 
exprimée  et,  séance  tenante, 
les  épousailles  furent  célé- 
brées dans  le  palais ,  car 
Mauricet  avait  expliqué  à  son 
beau-père  qu'il  habitait  au 
bord  du  lac  et  qu'il  lui  fallait 
rem.onter  sur  la  terre  avec  sa 
jeune  femme.  En  effet,  aussitôt 
après  la  célébration,  les  ]eunes 
mariés,  escortés  par  de  nom- 
breux porteurs  de  torches,  se 
hâtèrent  vers  l'ouverture  de 
la  grotte  où  Mauricet  avait 
posé  sa  corde  contre  la  grosse 
pierre  ;     mais     on     eut     beau 


chercher,    la   corde    avait  dis- 
paru. 

—  Je  n'y  comprends  rien, 
se  lamentait  Mauricet,  déses- 
péré, mon  frère  avait  bien 
promis  de  m'attendre... 

—  Il  aura  trouvé  que  tu 
tardais  trop,  observa  le  roi. 
et  se  sera  lassé,  car  il  faut 
que  tu  le  saches,  nous  ne 
mesurons  pas  le  temps  de  la 
même  façon  que  les  gens  de 
la  terre  et  une  de  nos  jour- 
nées dure  autant  que  trente 
des  vôtres.  Sans  que  tu  t'en 
doutes,  il  y  a  déjà  un  mois 
terrien  que  tu  es  descendu  au 
fond  du  lac...  A  présent,  on 
ne  t'attend  plus  là-haut,  et  ce 
que  tu  as  de  mieux  à  faire, 
c'est  de  demeurer  avec  nous. 


La  vie  ici-bas  est  très  douce 
et  tu  connaîtras  les  merveilles 
de  notre  royaume  :  nos  grottes 
toutes  reluisantes  de  pierres 
précieuses ,  nos  prairies  de 
renoncules  et  nos  forêts  pétri- 
fiées. Tout  cela  t'appartiendra, 
et  tu  seras  mon  successeur. 
Reste  avec  nous,  laisse-moi  la 
consolation  d'achever  de  vieil- 
lir auprès  de  ma  fille  Lilia... 
Mais  Mauricet  continuait 
de  se  désespérer  et  ne  voulait 
pas  entendre  parler  de  sé- 
journer dans  la  ville  souter- 
raine. Ce  que  voyant,  Lilia, 
qui  adorait  son  nouveau  maître 
par-dessus  tout,  supplia  son 
père  d'imaginer  un  moyen  de 
les  transporter  tous  deux  au 
pays  de  son  mari. 


—  Qiie  ta  volonté  soit  faite, 
soupira  le  vieux  roi  et  veuil- 
lent les  dieux  que  tu  n'aies 
pas  à  t'en  repentir... 

Alors  il  commanda  à  ses 
poissons-volants  de  conduire 
les  jeunes  mariés  vers  la  terre. 
Le  couple  s'installa  commo- 
dément au  fond  d'un  grand 
coquillage  auquel  s'attelèrent 
les  porteurs,  et  après  de  tou- 
chants adieux,  on  se  sépara. 
Le  vieux  roi  regagna  triste- 
ment son  palais,  tandis  que 
la  coquille  traînée  par  les 
poissons  s'élevait  doucement 
à  travers  l'onde  bleuâtre. 


III 


I 


.  ^-^1 


?'ii^^ 


I 


A  travers  l'onde  transpa- 
rente où  se  mouvait  un  ronge 
reflet  de  soleil  couchant,  le 
couple  des  jeunes  mariés  mon- 
tait lentement  vers  la  terre. 
Du    palais    du     roi    des    Bal- 


mettes  à  la  berge  d'Angon,  il 
}'  avait  loin  et  les  poissons-vo- 
lants ne  connaissaient  qu'im- 
parfaitement la  route,  mais 
les  amoureux  ne  trouvaient 
pas  le  temps  long.  L'équipage 
lacustre  était  fée  ;  l'eau  n'j- pou- 
vait pénétrer  et  l'on  s'y  trouvait 
enveloppé  d'une  couche  d'air 
respirable.  Douillettement  cou- 
chés au  cœur  de  la  coquille 
nacrée,  Lilia  et  Mauricet  en- 
tendaient, sans  le  voir,  le 
bruit  frais  du  lac  ;  cette  mu- 
sique assourdie  les  berçait, 
tandis  qu'ils  se  prodiguaient 
d'infinies  caresses  et  que  Mau 
ricet,  ébloui  par  la  rare  beauté 
de  sa  jeune  femme,  lui  jurait 
de  l'aimer  toujours. 

—   Mon    tendre  ami,  mur- 


murait  Lilia  «  toujours  »  est 
un  bien  gros  mot...  Je  ne 
sais  rien  des  choses  de  la 
terre,  je  ne  suis  pas  de  même 
race  que  les  gens  de  ton  pays 
et  j'ai  grand  peur  de  déplaire 
à  ta  famille...  Xe  finiras-tu 
pas  un  jour  par  te  lasser  de 
moi  ?... 

Et  comme  le  jeune  hoçime 
protestait  de  nouveau  de  son 
inaltérable  amour,  elle  repre- 
nait, en  l'enveloppant  de  ses 
bras  souples  et  en  le  man- 
geant de  baisers  : 

—  Tu  as  raison,  ne  trou- 
blons pas  notre  bonheur  en 
cherchant  à  lire  dans  l'avenir... 
Jouissons  de  l'heure  présente 
et  aimons -nous  de  notre 
mieux... 


42  L I L I  A 

Qiiand  ils  atteignirent  enfin 
la  berge,  il  faisait  nuit,  mais 
dans  le  ciel,  entre  la  double 
corne  d'une  montagne,  la  lune 
se  levait  et  jetait  une  pacifique 
clarté  sur  les  champs.  Lilia 
regardait  avec  inquiétude  ce 
spectacle  si  nouveau  pour  elle, 
puis,  frissonnante,  se  retour- 
nait vers  l'équipage  des  pois- 
sons-volants. Après  les  avoir 
chargés  d'un  aBFectueux  mes- 
sage pour  son  père,  elles  les 
congédiait  avec  un  soupir.  La 
coquille  et  ses  conducteurs 
plongèrent  dans  l'eau  sombre 
et  disparurent,  tandis  que  le 
couple,  étroitement  enlacé, 
cheminait  à  travers  la  prée. 
Le  village  était  déjà  endormi  ; 
seule,    dans    la    demeure    sei- 


LILIA  43 

gneuriale,  demi  ferme  et  demi 
château,  bâtie  au  bord  du 
chemin,  des  lumières  brillaient 
encore.  Par-dessus  les  ramures 
du  verger,  on  voyait  le  toit 
en  auvent  et  les  tourelles 
carrées,  blanches  au  clair  de 
lune. 

—  Voici,  disait  Mauricet, 
en  les  montrant  à  Lilia,  voici 
la  maison  de  mon  père,  et  les 
fenêtres  que  tu  aperçois  entre 
les  arbres  sont  celles  de  la 
salle  où  la  famille  se  réunit 
chaque  soir...  Dans  la  tourelle, 
de  gauche,  cette  vitre,  où 
tombe  un  rais  de  lune,  est  la 
croisée  de  ma  chambre  .  .  . 
C'est  là,  ma  mignonne,  que 
nous  habiterons  et  que  nous 
nous  aimerons... 


—  Écoute,  répondait  la 
jeune  femme,  on  entend  à 
travers  les  fenêtres  dos  instru- 
ments de  musique  et  aussi 
des  éclats  de  rire... 

En  effet,  à  mesure  qu'ils 
montaient  les  degrés,  ils  per- 
cevaient à  l'intérieur  des 
bruits  de  voix  jojeuses,  de 
violons  qu'on  accorde  et  de 
verres  qu'on  trinque.  Mauri- 
cet  ne  put  s'empêcber  de 
songer  qu'on  avait,  au  logis 
paternel,  une  singulière  façon 
de  regretter  son  absence... 
Au  fond,  il  était  vexé  de 
trouver  son  monde  si  vite 
consolé  ;  mais  il  n'en  fit  rien 
voir.  Serrant  plus  fort  contre 
lui  sa  tremblante  épousée,  il 
ouvrit  la  porte,  et  tous  deux, 


se  tenant  enlacés,  pénétrèrent 
dans  la  salle. 

Des  lampes  et  des  chan- 
delles de  cire  éclairaient  pro- 
fusément  la  pièce,  dont  une 
belle  table  dressée  et  couverte 
de  victuailles  occupait  toute 
la  longueur.  De  nombreux 
convives  endimanchés  étaient 
assis  autour  de  la  nappe 
blanche  et,  au  centre,  Denise, 
en  robe  de  noce,  se  tenait  à 
côté  de  Bastien,  qui  la  man- 
geait des  yeux.  Dans  le  fond, 
un  orchestre  de  flûtes  et  de 
violons  récréait  les  oreilles 
des  dîneurs.  Au  moment  où 
apparurent  les  nouveaux - 
venus,  on  buvait  ferme  et  on 
trinquait  en  criant  :  «  A  la 
santé  de  Denise  et  de  Bastien, 


46  LILIA 

honneur  aux  jeunes  mariés!  » 
Si  Lilia  et  Mauricet  furent 
étonnés  en  pénétrant  dans 
cette  salle  en  fête,  l'assistance 
ne  fut  pas  moins  abasourdie, 
à  l'aspect  de  ce  revenant  qui 
surgissait,  entourant  de  ses 
bras  une  radieuse  et  blanche 
créature,  aux  oreilles  et  au 
cou  de  laquelle  des  diamants 
scintillaient  mêlés  à  des 
perles. 

—  Mauricet!  s'exclama  le 
%-ieux  seigneur,  en  levant  les 
bras  au  ciel  et  en  s'élançant 
vers  son  fils  aine.  D'où  sors- 
tu,  mon  pauvre  garçon?  Il  y 
a  un  mois  que  nous  te  pleu- 
rons et  nous  n'espérions  plus 
te  revoir! 

—  Je  sors  du  fond  du   lac, 


1. 1  L  I  A  47 

répondit  Mauricet,  j'ai  tué  le 
serpent  qui  dévastait  nos  ver- 
gers et  nos  vignes  ;  pour  prix 
de  ma  victoire,  j'ai  obtenu  la 
main  de  la  fille  du  roi  des 
Balmettes  et  je  la  ramène 
chez  nous...  Mon  père,  voici 
ma  femme,  ma  chère  Lilia 
que  j'adore  et  que  vous  ai- 
merez comme  votre  fille.  — 
Puis  il  ajouta  d'un  ton  iro- 
nique : 

—  Je  vois  que  vous  me 
pleuriez  ious  d'une  façon  fort 
gaie  et  que  vous  ne  vous 
ennuyiez  pas  trop  en  m'atten- 
dant.  . 

—  Dame,  reprit  le  vieillard 
un  peu  confus,  les  semaines 
se  succédaient  et  tu  ne  reve- 
nais pas...   Nous  t'avons  cru 


48  LILIA 

perdu.  Bastien,  pendant  ton 
absence  a  jugé  à  propos  de 
consoler  Denise  et  ils  se  sont 
mariés  ce  matin.  C'est  la 
raison  de  cette  fête  au  milieu 
de  laquelle  tu  nous  sur- 
prends... 

Mauricet  se  rappela  alors 
que  les  jours,  au  royaume  des 
Balmettes,  avaient  la  durée 
d'un  mois,  et  il  s'étonna 
moins  de  ce  qui  s'était  passé, 
pendant  son  voyage.  Bastien, 
d'un  air  embarrassé,  vint  lui 
serrer  la  main,  tandis  que 
Denise ,  baissant  les  5-eux , 
regardait  en-dessous  la  femme 
que  son  ancien  fiancé  rame- 
nait du  fond  de  l'eau.  En  son 
par-dedans,  elle  en  voulait  à 
cette   étrangère    de    l'avoir   si 


LILIA  49 

vite  supplantée,  et  ne  pouvait 
retenir  un  mouvement  d'envie 
en  admirant  l'étrange  beauté, 
en  reluquant  les  diamants  et 
les  perles  de  l'intruse.  Néan- 
moins, elle  s'approcha  de 
Lilia  et  daigna  lui  donner  le 
baiser  de  bienvenue.  Elle 
surmonta  à  grand'peine  un 
frisson  de  répugnance,  en 
touchant  de  ses  lèvres  les 
joues  froides  comme  la  neige 
de  la  jeune  princesse.  Dès  ce 
moment,  Lilia  devina  qu'elle 
avait  une  ennemie  en  la  per- 
sonne de  sa  belle-sœur. 

—  Allons,  s'écria  avec  bon- 
homie le  vieux  gentilhomme, 
tout  est  pour  le  mieux,  et  ce 
soir,  au  lieu  d'une  noce, 
nous  en   célébrerons   deux!... 


50  LILIA 

Messieurs  les  musiciens,  jouez- 
nous  une  sérénade  en  l'hon- 
neur de  mon  fils  aine  et  de 
sa  charmante  épousée. 

Il  les  fit  asseoir  près  de  lui 
et  le  festin  continua.  Néan- 
moins, l'apparition  inattendue 
de  ces  mariés  qui  arrivaient 
du  fond  de  l'eau  avait  sus- 
pendu la  joie  des  convives. 
On  eût  dit  que  Lilia-  et  Mau- 
rice! apportaient  avec  eux 
quelque  chose  de  la  fraîcheur 
du  lac  et  leur  présence  jetait 
un  froid.  Lilia  surtout  éton- 
nait et  gênait  les  convives. 
Ils  contemplaient  avec  une 
inquiète  curiosité  cette  prin- 
cesse aux  joues  pâles,  aux 
yeux  pers,  aux  cheveux  ar- 
gentés et    verdissants   comme 


1. 1 1. 1  A  51 

des  feuilles  de  saule,  et  chu- 
chotaient entre  eux  d'un  air 
de  méfiance.  Lilia,  à  son  tour, 
se  sentait  dépaysée  dans  la 
maison  de  ces  braves  bourgeois 
et  se  serrait  avec  effroi  contre 
son  mari,  qui  s'efforçait  de  la 
réconforter,  mais  qui  lui-même 
éprouvait  un  vague  malaise. 
Au  diner,  succéda  un  bal, 
et  Lilia  fut  obligé  de  figurer 
en  face  de  sa  belle-sœur.  Elle 
n'avait  pas  l'habitude  de  la 
danse  et  s'y  prenait  fort  mal. 
Denise  faisait  malignement 
observer  à  ses  voisins  sa  gau- 
cherie et  affectait  d'en  rire 
sous  cape.  Elle  la  surveillait, 
soupçonneuse,  et  notait  avec 
une  jalouse  rancime  les  ten- 
dres  attentions   que   Mauricct 


52  L 1 L  I  A 

prodiguait  à  sa  femme.  Tout 
en  l'épiant,  elle  remarquait 
que  la  traîne  flottante  de 
Lilia  laissait  sur  le  parquet 
des  traces  humides.  A  un 
certain  moment,  comme  la 
jupe  de  la  danseuse  novice 
s'était  enroulée  autour  des 
jambes  de  son  danseur,  Denise 
se  baissa,  sous  prétexte  de  la 
dégager.  Elle  soule%'a  brus- 
quement le  bord  de  la  jupe 
et  constata  que  l'ourlet  en 
était  mouillé.  C'est  le  signe 
auquel  on  reconnaît  les  on- 
dines,  et  bien  vite,  elle  s'en 
alla  murmurer  à  l'oreille  des 
convives  que  son  beau-frère 
avait  épousé  une  fée  du  lac. 
Mauricet  et  Lilia  eurent  un 
poids  de  moins  sur  la  poitrine, 


1. 1  L I  A  S  3 

quand  le  bal  prit  fin,  aux 
premières  lueurs  de  l'aube,  et 
qu'ils  purent  se  retirer  dans 
leur  chambre.  Comme  l'amour 
console  de  tout,  ils  s'embras- 
sèrent passionnément  et  ou- 
blièrent ainsi  les  menus  désa- 
gréments, les  petites  piqûres 
de  cette  première  soirée  passée 
en  famille. 


P 


IV 


Quand  les  jeunes  mariés 
furent  tous  quatre  installés 
dans  le  château  d'Angon  et  y 
eurent  pris  leurs  habitudes, 
Lilia,  par  affection  pour  Mau- 
ricet,    s'efforça  de    gagner   le 


58  LILIA 

cœur  de  ses  nouveaux  parents. 
Mais  elle  eut  beau  déployer 
sa  grâce  câline,  multiplier  les 
prévenances,  accommoder  sa 
délicatesse  princière  à  la  rusti- 
cité de  ces  gentilshommes 
campagnards,  elle  perdit  sa 
peine.  Tout  bonhomme  qu'il 
était,  son  beau-père  très  posi- 
tif et  très  âpre  au  gain,  ne 
lui  pardonnait  guère  de  n'avoir 
apporté  en  dot  que  sa  beauté  ; 
Bastien,  qui  avait  l'esprit 
étroit  et  superstitieux  n'abor- 
dait sa  belle-sœur  qu'avec  une 
sorte  de  crainte  méfiante; 
Denise  la  détestait  et  cher- 
chait sournoisement  à  lui 
jouer  de  mauvais  tours.  A 
tous,  elle  apparaissait  comme 
une    créature   bizarre  et   dan- 


M  LIA  S9 

gereuse,  dont  les  maléfices 
avaient  ensorcelé  le  pauvre 
Mauricet.  De  fait,  ce  dernier 
continuait  à  être  sous  le 
charme.  La  blanche  vénusté 
du  souple  corps  de  Lilia,  la 
chaude  tendresse  de  son  cœur 
et  plus  encore,  les  délices  de 
ses  baisers,  la  magie  de  ses 
yeux  pers,  le  tenaient  enchaîné 
et  il  ne  vivait  que  pour  elle. 
Au  bout  de  la  première 
année,  Lilia  mit  au  monde 
un  fils  qui  ressemblait  à  son 
père.  Les  cheveux  seuls  du 
marmot  étaient,  pareils  à  ceux 
de  sa  mère,  très  soyeux,  très 
abondants  et  de  la  couleur  des 
feuilles  de  saule. 

—    Ce     ne     sont    pas    des 
cheveux  de  chrétien,   s'écriait 


f  O  1. 1  L  I  A 

Denise,    et  elle  en  faisait   la 
remarque  devant  Mauricet. 

Elle  ne  manquait  pas  du 
reste  de  relever  avec  une 
adresse  perfide  et  de  signaler 
à. son  beau-frère  les  moindres 
singularités  de  sa  femme. 
Quand  on  la  contrariait,  Lilia 
s'abandonnait  à  d'orageuses 
colères  qui  s'épanchaient  impé- 
tueuses comme  une  eau  bouil- 
lonnante, au  sortir  de  l'écluse. 
En  outre,  dans  cette  maison 
savoyarde  où  tout  était  régu- 
lier et  méthodique,  où  chacun 
avait  sa  tâche,  elle  passait 
oisivement  de  longues  heures 
à  peigner  sa  magnifique 
chevelure  onduleuse  ou  à 
rêvasser  par  les  chemins.  Sa 
promenade    favorite    était    la 


berge  du  lac.  Elle  s'asseyait 
sur  le  bord,  à  l'ombre  d'un 
noyer,  et  demeurait,  les  yeux 
fixés  sur  la  nappe  liquide  aux 
teintes  changeantes,  comme  si 
elle  eût  cherché  à  voir 
jusqu'au  fin  fond  de  l'eau 
bleue.  A  de  certains  jours, 
principalement  le  samedi,  elle 
s'attardait  en  sa  rêverie  et  ne 
rentrait  qu'à  la  nuit  close. 
Denise,  qui  l'espionnait,  la 
suivit  un  soir,  en  se  dissimu- 
lant derrière  les  cerisiers.  Elle 
crut  entendre  la  princesse  qui 
s'entretenait  d'une  voix  très 
douce  avec  quelqu'un.  Intri- 
guée, elle  s'élança  vers  la 
berge,  mais  à  son  approche, 
le  m}'stérieux  interlocuteur 
sembla  plonger  dans  le  lac  et, 


lorsqu'elle  arriva  sur  le  talus, 
elle  ne  distingua  que  la  sur- 
face de  l'eau  encore  bouillon- 
nante. 

—  Avec  qui  causiez-vous 
donc?  interrogea-t-elle  d'une 
voix  soupçonneuse. 

—  Avec  les  poissons,  ré- 
pondit simplement  Lilia,  je 
leur  demandais  des  nouvelles 
de  cbez  nous... 

Il  n'en  fallut  pas  davantage 
pour  aiguiser  la  méchanceté 
de  Denise  et  elle  fit  courir  le 
bruit  qiie  Lilia  avait  de  clan- 
destins rendez-vous  avec  un 
visiteur  diabolique. 

A  quelque  temps  de  là,  on 
s'occupa  de  baptiser  le  fils  de 
Mauricet;  il  fut  décidé  qu'il 
serait  tenu   sur  les   fonts  par 


LILIA  6y 

Denise  et  Bastien  et  qu'on  le 
nommerait  Deniset.  Ce  nom 
déplaisait  à  Lilia;  elle  eut 
désiré  qu'on  l'appelât  Ray- 
mondin,  comme  son  grand- 
père,  le  roi  des  Balmettes. 
Cette  divergence  donna  lieu 
à  d'aigres  discussions  dans 
lesquelles  intervint  le  curé  du 
village.  En  sa  qualité  de  future 
marraine,  Denise  eut  à  ce 
propos  de  secrets  colloques 
avec  le  curé  et  elle  en  profita 
pour  lui  insinuer,  qu'avant 
de  baptiser  l'enfant,  il  serait 
convenable  d'administrer  le 
même  sacrement  à  la  mère, 
qui  était  une  païenne.  Elle 
éveilla  ainsi  cauteleusement 
les  scrupules  du  prêtre  qui 
insista  près  du  mari  pour  que 


6.(.  LILIA 

la  princesse  fit  une  solennelle 
abjuration.  Mauricet  eut  la 
faiblesse  de  le  promettre, 
mais  quand  il  communiqua 
cette  proposition  à  Lilia,  il  se 
heurta  à  un  refus  très  net. 
Elle  répondit  qu'elle  avait  été 
élevée  dans  la  religion  de  son 
père,  le  roi  des  Balmettes,  et 
qu'elle  n'en  changerait  pas.  Sur 
ces  entrefaites,  le  curé,  paré 
de  ses  habits  sacerdotaux 
entra  et  voulut  la  catéchiser. 
Alors,  prise  d'un  violent  accès 
de  colère,  elle  saisit  une 
écuelle  pleine  d'eau  qui  se 
trouvait  à  sa  portée  et  elle 
en  aspergea  brusquement  le 
prêtre  qui  faisait  mine  de 
l'exorciser .  Incontinent ,  le 
visage    de    l'ecclésiastique    se 


I.  1 1. 1  A  ft^ 

couvrit  d'écaillés  de  poisson, 
SCS  yeux  s'arrondirent  et  sa 
bouche  resta  béante  comme 
celle  d'une  carpe.  Cette  espiè- 
glerie fut  considérée  comme 
un  sacrilège,  un  damnable 
maléfice;  tous  les  paroissiens 
.s'en  scandalisèrent  et  Mauri- 
ce! lui-même  ne  put  s'empê- 
cher d'en  être  cruellement 
mortifié.  Cela  commença  de 
l'indisposer  contre  sa  femme 
et,  à  partir  de  cet  esclandre, 
un  indéfinissable  sentiment 
de  méfiance  refroidit  son 
affection. 

L'intimité  devint  entre  eux 
moins  étroite  et  Lilia  constata 
avec  mélancolie  que  Mauricet 
s'absentait  plus  souvent  pour 
s'en    aller,    avec    ses    anciens 


compagnons  de  jeunesse, 
chasser  l'ours  et  le  chamois 
dans  la  montagne.  Livrée  à 
elle-même,  elle  s'attrista  et 
chercha  à  se  consoler  en  se 
consacrant  avec  plus  de  solli- 
citude à  l'éducation  de  son 
fils,  qu'elle  s'obstinait  à  appe- 
ler Raymondin.  tandis  que 
dans  la  famille  on  affectait  de 
lui  donner  le  nom  de  Deniset. 
Elle  le  prenait  dans  ses  bras 
et  le  promenait  à  travers  les 
prairies  qui  dévalent  vers  le 
lac.  Souvent,  elle  s'assevait 
sur  la  berge,  tenant  le  petit 
dans  son  giron  et  elle  le  ber- 
çait en  chantant  des  paroles 
qui  sonnaient  étrangement 
aux  oreilles  des  gens  du 
pnys  : 


6? 


«  Dors,  mon  Raymondin,  dors  près  du  flot  clan 
J'appelle  la  truile  et  d'un  tour  de  queue 
La  voilà  qui  plonge  au  fond  de  l'eau  bleue 
Où  le  Roi  du  lac  a  sàn  palais  vert... 

«  Le  Roi,  Ion  grand'pire,  est  un  roi  très  tendre  ; 
Quand  la  truite  lui  dira  mon  chagrin, 
Ses  poissons-volants  s'en  iront  grand  train  ; 
Dansleur  char  de  nacre  ils  viendront  nous  prendr 

„  Dodo,  Raymondin,  dodo,  mon  tréso--! 
Tu  verras  le  Roi  tout  vêtu  de  moire, 
En  son  palais  vert  il  te  fera  boire 
C'n  vin  enchanté  dans  des  tasses  d'or...  ■> 


Lorsque  Lilia  rentrait  au 
château,  tenant  son  fils  en- 
dormi dans  ses  bras,  la  table 
était  depuis  longtemps  dressée. 
Les  gens  avaient  commencé 
de  souper.  Denise  accueillait 
sa  belle-sœur  avec  de  perfides 
sarcasmes  et  Mauricet,  mis  en 
mauvaise     humeur     par     cet 


68  LILIA 

inexplicable  retard,  remarquait 
que  les  jupes  de  la  princesse, 
plus  mouillées  que  de  cou- 
tume, laissaient  de  suspectes 
traînées  d'eau  sur  le  parquet 
soigneusement  ciré. 


It 


H, 


ils'. 


A  mesure  que  les  mois  pas- 
saient, la  belle  flamme  qui 
avait  embrasé  le  cœur  de 
Mauricet  tombait  peu  à  peu 
et  son  amour  pour  Lilia 
s'attiédissait   quant   et   quant. 


Il  se  détachait  d'elle  visible- 
ment, maintenant  qu'il  repre- 
nait possession  de  tout  son 
sang  froid  et  qu'il  regardait 
plus  attentivement  les  autres 
jeunes  femmes  du  pays.  Il  lui 
trouvait  décidément  des  allures 
trop  étranges  et  l'exquise 
beauté  de  la  princesse  n'avait 
plus  pour  lui  l'irrésistible 
charme  d'autrefois.  Ses  jeu.x 
verts  l'inquiétaient  et  ses 
pâles  joues  glacées  lui  sem- 
blaient médiocrement  attiran- 
tes, quand  il  les  comparait  aux 
joues  roses,  aux  noires  pru- 
nelles, à  la  peau  tiède  et  pul- 
peuse de  Denise. 

Lilia  était  perspicace  ;  il  ne 
lui  fallut  pas  longtemps  pour 
deviner  que  le   cœur  de  son 


mari  se  refroidissait  et  qu'il 
regrettait  tout  bas  de  n'avoir 
pas  épousé  sa  belle-sœur.  Elle 
en  ressentait  un  cruel  chagrin, 
une  épine  de  jalousie  lui  dé- 
chirait le  cœur  et  ces  muettes 
souffrances  influaient  grande- 
ment sur  son  caractère.  Ses 
brusques  accès  de  colère  deve- 
naient plus  fréquents,  et,  plus 
que  jamais,  elle  se  complaisait 
en  de  solitaires  promenades 
au  bord  du  lac.  En  contem- 
plant l'eau  bleue  et  profonde, 
elle  était  en  proie  à  une  dou- 
loureuse nostalgie  et  se  pen- 
chait, invinciblement  attirée 
par  cette  onde  transparente 
où  se  jouaient  des  rayons  de 
soleil.  Elle  voyait  les  rais 
dorés    descendre    en    longues 


spirales  jusqu'au  fond  de 
l'eau  et,  les  enviant  dans  leur 
voyage,  elle  était  tentée  de 
les  suivre  jusqu'au  seuil  des 
grottes  rocheuses  qui  condui- 
saient au  r03-aume  des  Bal- 
mettes... 

Pendant  ce  temps,  l'adroite 
Denise  mettait  à  profit  l'absence 
de  la  princesse,  pour  exercer 
une  maligne  influence  sur  son 
beau-frère.  Elle  se  faisait,  pour 
lui,  câlinement  compatissante 
et  sa  pitié,  mêlée  de  coquet- 
terie, induisait  insensiblement 
Mauricet  en  de  coupables  ten- 
tations. Il  écoutait  plus  com- 
plaisamment  les  insinuations 
de  Denise,  au  sujet  des  pré- 
tendues accointances  de  Lilia 
avec  les  esprits  ténébreux  de 


l'enfer,  et  plus  complaisam- 
ment  aussi,  il  savourait  les 
caresses  faussement  innocentes 
que  l'astucieuse  créature  lui 
prodiguait  sous  couleur  d'affec- 
tion fraternelle.  Lorsqu'elle  lui 
prenait  les  mains,  il  sentait 
une  chaleur  lui  couler  dans 
les  veines,  et  lorsqu'elle  lui 
jetait  en  dessous  de  flambantes 
œillades,  il  éprouvait  le  désir 
de  la  serrer  dans  ses  bras, 
comme  au  temps  où  elle  était 
sa  promise  et  où  ils  se  pro- 
menaient tous  deux,  à  la 
brune,  sous  les  cerisiers  du 
verger.  Ces  périlleux  sou- 
venirs du  passé  revenaient 
souvent  dans  leurs  entre- 
tiens, et  Mauricet  dissimulait 
mal    le  regret   de    n'avoir  pas 


7^  LILIA 

suivi  sa  première   inclination. 

Un  soir,  Lilia  rentrant  d'une 
de  ses  longues  promenades  et 
traversant  le  verger,  entendit 
des  chuchotements  étouffés 
sous  une  tonnelle  de  chèvre- 
feuilles qui  régnait  le  long  de 
la  prairie.  Un  pressentiment 
la  poussa  vers  l'épaisse  feuillèe 
que  formaient  les  brins  entre- 
lacés et  fleuris,  et  soudain, 
elle  reconnut  les  voix  de  son 
mari  et  de  sa  belle- sœur  qui 
alternaient  dans  l'ombre.  A 
pas  de  velours,  elle  s'approcha 
de  la  tonnelle  et  prêta  l'oreille. 

—  Ah  !  murmurait  Mau- 
ricet,  pourquoi  ne  peut-on 
recommencer  sa  vie!...  Tu 
avais  raison,  Denise,  lorsque 
tu    me    suppliais    de    ne    pas 


LILIA  77 

descendre  au  fond  de  l'eau. 
Qiie  ne  t'ai-je  écoutée  !...  Je 
ne  serais  pas  allé  dans  ce 
maudit  royaume  des  Bal- 
mettes,  je  n'aurais  pas  épousé 
cette  fille  du  lac  qui  n'est  pas 
de  notre  race,  et  à  laquelle  je 
suis  maintenant  lié  pour  le 
restant  de  mes  jours... 

—  Je  te  plains  sincèrement, 
mon  pauvre  ami,  répondait 
Denise,  mais  le  mal  est  fait... 
Nous  n'y  saurions  rien  changer. 
Dis-toi  seulement,  si  cela  peut 
te  consoler,  que  mon  affection 
te  reste...  Tu  as  en  moi  une 
fidèle  amie  qui  compatit  à  tes 
peines  et  qui  donnerait  volon- 
tiers tout  le  sang  de  son  cœur 
pour  les  soulager... 

Alors,  il  sembla  à  Lilia  que 


sa  perfide  belle- sœur  serrait 
tendrement  les  mains  de  Mau- 
riceî.  Il  y  eut  un  silence 
coupé  seulement  par  un  long 
soupir  de  ce  dernier,  puis  la 
jeune  femme  perçut  très  nette- 
ment le  susurrement  des  bai- 
sers échangés,  et  de  nouveau, 
Mauricet  reprit  d'une  voix 
étranglée  : 

—  Denise,  je  n"ai  jamais 
aimé  que  toi  !... 

C'en  était  trop.  Lilia  reçut 
une  commotion  telle  qu'elle 
en  fut  affolée.  Une  terrible 
colère  lui  monta  au  cerveau 
comme  une  tempête.  Elle 
écarta  les  brins  tombants  des 
chèvrefeuilles  : 

—  Ingrat  !  cria-t-elle  à  Mau- 
ricet,  je   te    rends  ta    liberté. 


Adieu,  je  ne  te  gênerai  plus!... 
Elle  s'élança  impétueuse- 
ment vers  la  berge.  Les 
paysans  qui  revenaient  des 
vignes  ouïrent  un  mystérieux 
bouillonnement  dans  le  lac. 
En  même  temps,  l'air  fut 
troublé  d'un  grondement  for- 
midable et  une  pluie  dilu- 
vienne, une  véritable  trombe 
d'eau,  s'abattit  sur  le  pays 
d'Angon,  noyant  les  récoltes, 
fracassant  les  arbres  et  inon- 
dant les  maisons.  Depuis  on 
ne  revit  plus  Lilia,  la  prin- 
cesse aux  jupes  mouillées,  aux 
yeux  d'aigue-marine  et  aux 
cheveux  couleur  de  feuille  de 
saule. 

Mauricet,  dit-on,  se  consola 


8o  LIMA 

de  son  veuvage.  On  ajoute, 
néanmoins,  qu'il  était  souvent 
en  proie  à  des  humeurs  noires. 
Des  remords  !e  tourmentaient 
et  lui  causaient  de  cruelles 
insomnies.  Le  remords  est 
une  des  influences  subtiles 
qu'exercent  à  distance  les 
absents  pour  nous  forcer  à 
penser  à  eux.  Mauricet  sentait 
parfois  un  frisson  le  prendre 
au  souvenir  de  la  princesse 
des  Balmettes.  Réveillé  en 
sursaut  dans  son  premier  som- 
meil, il  croyait  alors  aperce- 
voir une  forme  blanche  qui 
frôlait  les  vitres  et  il  enten- 
dait avec  angoisse ,  dans 
la  chambre  voisine,  une 
voix  tendre  qui  murmu- 
rait : 


a  Dodo,  P,(ty,w,„(li,>.  dw.lo,  m<„i  trésor! 
Tu  verras  le  Hoi  loiil  vêtu  de  moire, 
En  son  palais  vert  tl  te  fera  boire 
Un  vin  enchanté  dans  des  tasses  d'or... 


C'était  Lilia  qui,  pendant 
les  nuits  de  lune,  revenait 
bercer  son  fils  dans  sa  berce- 
lonnette  d'osier. 


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PLEASE  DO  NOl 
CARDS  OR  SLIPS  FRO) 

UNIVERSITY  OF  TORC 


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