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Full text of "Littérature allemande"

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I 

I 

Littérature  allemande 


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LIBRAIRIE   ARMAND    COLIN 


Histoires   oes  Littératures 


Chaque  volume  in-8*écu  :  relié  toile,  6  fr.  50;  —  broché,  5  francs. 


Idtlérature  italienne^  par  Hbnri  Hauvbttb. 

Littérature  espagnole,  par  James  Fitzhaurice-Kelly 
(traduaion  Henry-D.  Davray). 

Littérature     anglaise,     par      Edmund     Gosse 
(traduction  Henry-D.  Davray). 

Littérature  allemande,  par  Arthur  Chuqubt. 

Littérature  Japonaise,  par  William  George  Aston 
(traduction  Henry-D.  Davray). 

Littérature  russe,  par  K.  Wauszbwski. 

Littérature  arabe,  par  Clément  Huart. 


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HISTOIRES  DES  LITTÉRATURES 


Littérature 


allemande 


PAR 

ARTHUR  ^£HUQUET 

Membre  de  Tlnstitut 
Professeur  au  Collège  de  France. 


Librairie  Armand  Colin 

Paris,  5,  rue  de  Mézières 
1909 

DrviU  M  r«pro4Deli««  ft  de  tn4MliM  riterrét  poar  toM  pays. 


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PnbUtbed  Jane  sVaioelMa  hudMd  and  ntne. 

PrlTlIegn  of  Copyrif kt  in  the  Unttod  Stntet  retcrred, 

ttnder  tlie  Aet  approved  Mareh,  S.  iflOB, 

by  Nu  Leelere  and  R.  BMit»ll«r.  propHêlon  ef  libnlriè  Armand  GoHn. 


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AVERTISSEMENT 


L'auteur  sait  ce  que  son  livre  a  d'imparfait.  Pour- 
tant, —  et  bien  qu'on  ne  puisse,  en  si  peu  de  pages, 
traiter  un  si  vaste  sujet,  —  ce  tableau  court  et  clair 
ne  sera  pas,  croyons-nous,  inutile.  Nos  compatriotes 
y  trouveront,  non  des  détails  biographiques  et  des 
citations  qu'il  a  fallu  sacrifier,  mais  des  analyses, 
des  jugements,  des  portraits,  et  la  suite  du  dévelop- 
pement littéraire  de  TAIIemagne  depuis  les  premiers 
siècles  jusqu'à  l'heure  présente. 


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2h  /  ii^- • 


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LITTÉRATURE  ALLEMANDE 


CHAPITRE   I 


LES  PRBHIBR8   SIÈCLES 


Les  Germains.  —  La  vieille  poésie  germanique.  —  Les  Gots.  ^- 
Vttlfila.  —  La  Heldensage  on  légende  héroîqae.  ^  Les  Bnrgondes  on 
Nibelnngen  et  Etzel.  —  Sigurd  et  BrttnhUd,  Gudran  et  AUi.  —  Dietrieh 
de  Bem.  —  Théodoric  et  Attila. 


LeB  Germaios  —  tel  est  le  nom,  celtique  sans  doute, 
que  les  Romains  donnèrent  aux  tribus  répandues  entre  le 
Rhin,  le  Danube  et  la  Yistule  —  avaient  depuis  long- 
temps une  littérature  lorsqu'en  98  Tacite  traça  dans  sa 
Germanie  une  esquisse  de  leurs  mœurs.  L'historien  latin 
assure  qu'ils  glorifiaient  leurs  dieux  et  célébraient  leurs 
héros,  notamment  Arminius,  le  vainqueur  de  Varus.  Des 
témoignages  postérieurs  nous  apprennent  qu'ils  chan- 
taient dans  les  circonstances  les  plus  importantes,  aux 
funérailles,  aux  noces^  aux  fêtes  et  aux  cérémonies  reli- 
gieuses. Ils  avaient  des  proverbes,  des  énigmes,  des  devi- 
nettes en  vers  ainsi  que  des  incantations,  des  formules 
magiques  comme  celles  dites  de  Mersebourg,  trans- 
crites au  x'  siècle.  Tune  qjai  montre  Wodan,  le  dieu  tout- 

UTTÉBATUM    AUbBMAXOR.  1 


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2  LITTBBATURB  ALLEMANDE 

puissant  guérissant  l'entorse  de  son  cheval  et  réussissant 
là  où  les  déesses  ont  écbbué,  l'autre  qui  dépeint  des 
femmes  divines,  les  idisif  semblables  aux  Valkyries  nor- 
roises^  enchaînant  les  prisonniers  faits^à^  l'ennemi  et,  par 
le  prestige  de  leur  chant,  arrêtant  Télan  de  Tadversairc 
ou  bien  délivrant  les  captifs  de  leur  parti. 

Ces  chants  étaient  composés  en  longs  vers  allitéranls. 
Chaque  vers  comprenait  deux  moitiés  distinctes,  et  dans 
la  première  moitié  deux  syllabes  accentuées,  ou  même  une 
seule,  devaient  allitérer  avec  la  première  syllabe  accen- 
tuée de  la  seconde  moitié. 

Feraheê  frâtôro  her  frâgên  giatuont 

«  Le  plas  sage  d'esprit,  il  se  mit  à  demander.  » 

Et  de  l'allitération  venaient  les  caractères  marquants  de 
cette  vieille  poésie  germanique.  Elle  variait  l'expression  ; 
elle  répétait  la  même  idée  sous  deux  ou  trois  formes  dif- 
férentes; elle  donnait  dans  une  même  phrase  divers  noms 
à  un  même  personnage;  elle  prodiguait  les  synonymes, 
les  appositions,  les  périphrases;  elle  usait  de  formules  et 
de  locutions  toutes  faites  :  de  là,  dans  le  style,  non  pas 
une  allure  égale  et  calme,  mais  quelque  chose  de  sautil- 
lant et  de  saccadé.  lt\r^'^  ^*t* ! 
Le  mouvement  qu^on  a  nommé  l'invasion  des  barbares 
ou  la  migration  des  peuples  eut  une  considérable  influence 
sur  la  littérature  des  Germains.  Les  Gots  qui  s'ébrule- 
rent  les  premiers.  Ostrogots  et  Wisigots,  étaient  peut- 
être  les  plus  intelligents,  les  plus  souples  des  envahis- 
seurs. Ils  embrassèrent  aussitôt  l'arianisme.  Même  soumis 
par  les  Huns,  ils  imposèrent  leurs  coutumes  aux  vain- 
queurs. Tout  était  gotique  à  la  cour  d'Attila;  gotique,  la 
langue  qu'on  parlait;  gotique,  le  nom  d'Attila  qui  signifie 
c(  petit  père  ».  Les  Gots  avaient  des  chants  sur  les  grands 


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LES   PRBMIEJIS   SIBCLES  3 

événements  de  leur  histoire,  et  «n  soir,  dans  le  palais 
d'Attila,  à  la  fin  du  repas,  lorsque  deux  Gots  chantèrent 
les  victoires  du  conquérant,  les  auditeurs  ne  purent  con- 
tenir leur  émotion;  les  uns,  jeunes,  ardents,  frémissaient 
d'enthoasiasme  au  souvenir  de  leurs  combats  ;  les  autres, 
affaiblis  par  l'âge  et  condamnés  au  repos,  éclataient  en 
larmes.  C'est  un  Got,  Yulfila  ou  le  petit  loup  (311-382) 
-—  Ulfilas  en  grec  —  qui  traduit  la  Bible  au  milieu  du 
vi*  siècle.  11  la  traduit  d'après  le  texte  grec  en  sa  langue 
virisigotique,  parfois  trop  littéralement;  mais  l'idiome 
dont  il  se  sert  est  déjà  rafliné  ;  on  sent,  on  goûte  même 
aujourd'hui  la  douceur  nombreuse  de  ses  versets. 

Visigots  et  Ostrogots  disparurent  et  avec  eux  leur 
langue,  bien  qu'elle  ait  subsisté  jusqu'au  ix*  siècle  en  Mésie 
et  jusqu'au  xvi*  en  Crimée.  La  légende  héroïque,  la 
HeldensagCy  qui  se  forme  après  l'inyasion  des  barbares, 
ne  les  cite  pas.  Mais  cette  légende,  qu'elle  est  étrange 
dans  ce  qu'elle  ignore  et  dans  ce  qu'elle  sait  !  Transmise 
par  des  rhapsodes  qui  ne  connaissent  pas  le  détail  exact 
des  événements  et  n'en  saisissent  pas  la  liaison,  flottant 
dans  la  mémoire  sans  être  encore  fixée  par  l'écriture, 
incessamment  renouvelée  et  rajeunie,  ajoutant  aux  héros 
de  jadis  les  héros  de  naguère,  accueillant  les  traditions 
IcKsales,  imprégnée  des  idées  et  des  goûts  de  ses  divers 
auditoires,  la  légende  brouille  et  confond  tout.  Son  plus 
ancien  monument  en  anglo-saxon,  le  Chant  de  Vidsidh, 
du  VI*  siècle,  représente  un  poète  qui  se  vante  d'avoir 
connu  Ermanrich,  Attila,  Gunther,  Alboin  ;  or  Ermanrich 
est  mort  en  375  et  Âlboin  en  573.  Peut-on  mieux  défier 
la  chronologie?  Pareillement,  dans  le  fragment  anglo- 
saxon  de  Yaldere,  Gunther  possède  une  épée  offerte  par 
Théodoric  à  Wittig  et  ces  trois  personnages  sont  séparés 
Tnn  de  l'autre  par  plus  d'un  siècle.  Mais  dans  son  poème 


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4  LITTERATURE   ALLEMANDE 

de  sainte  Hélène^  i'Angio-Saxon  Cynewult  n'a-t-il  pas 
transporté  sur  les  bords  du  Danube  la  victoire  de  Cons- 
tantin au  pont  Milvius  et  donné  le  titre  de  roi  des  Huns  à 
Maxence  ?  L'épopée  du  moyen  fige  ne  fait-elle  pas  d'un 
comte  de  la  Marche  de  Bretagne  le  neveu  de  Charle- 
magne,  de  la  surprise  de  Roncevaux  une  grande  bataille, 
et  des  Basques  qui  tombèrent  sur  l'arrière-garde  des 
Francs  une  armée  de  Sarrasins?  Il  ne  faut  donc  pas 
s'étonner  que  la  légende  héroïque  ne  parle  pas  des  Gots  ^— 
pas  plus  que  des  Romains  —  et  qu'elle  s'attache,  non  au 
peuple  got,  mais  à  ses  chefs,  à  Ermanrich  et  a  Théo- 
doric. 

Les  Burgondes  et  les  Huns  laissèrent  une  trace  plus 
profonde.  Les  Burgondes  s'étaient  établis  sur  la  rive 
gauche  du  Rhin  qui  roule  des  paillettes  d'or,  dans  le 
beau  pays  de  Worms,  et  leurs  souverains  avaient  un  renom 
de  puissance  et  de  richesse  :  la  légende  appela  leur  pays 
le  jardin  des  roses  ou  la  Roseraie,  le  Rosengarten^  et  elle 
attribua  à  leurs  rois  un  immense  trésor,  le  trésor  des 
mystérieux  Nibelungen,  le  hort  qui  repose  à  jamais 
enfoui  dans  le  fleuve.  Le  royaume  des  Burgondes  fut 
en  437  détruit  par  les  Huns  :  la  légende  s'empara  de  cet 
événement;  elle  imagina  qu'Attila  avait  massacré  les 
rois  burgondes  pour  se  saisir  de  leur  trésor,  et  ces  rois, 
elle  les  appela  les  Nibelungen.  En  453  mourait  Attila;  le 
lendemain  de  ses  noces  avec  la  belle  Hildico  ou  Hilde  dont 
il  avait  égorgé  le  père,  on  le  trouvait  baigné  dans  son  sang  ; 
il  avait  eu  une  hémorragie  ;  mais  on  prétendit  que  Hilde 
Pavait  tué  d'un  coup  de  couteau  «  et  la  légende,  identi- 
fiant Hilde  avec  Kriemhild,  femme  de  Siegfried  et  sœur 
des  rois  burgondes,  assura  que  la  veuve,  remariée  à  Attila 
ou  Etzel,  avait  immolé  son  second  époux  pour  venger 
ses  frères. 


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LB8  PECMIBRS   SIECLES  ft 

Ainsi  formée,  la  légende  passa  dans  les  pays  Scandi- 
naves. Elle  est  traitée  notamment  dans  quelqaes^ons  des 
chants  qui  composent  le  recueil  de  VEdda,  Ces  chants 
racontent  qae  Signrd  on  Siegfried  toe  un  dragon  et  lui 
enlère  son  trésor,  puis  qu'il  réveille  une  Yalkyrie,  Brûn- 
hildy  d'un  sommeil  merveilleux  et  se  fiance  avec  elle, 
puis  qu'il  se  rend  à  la  cour  de  Gkinnar  ou  Gunther.  La 
mère  de  Gunnar  -*  qui  a  dans  VEdda  le  nom  de  Kriem* 
hild  —  verse  un  philtre  à  Sigurd.  Il  oublie  BrOnhild, 
il  tombe  amoureux  de  Gudrun,  fille  de  cette  Kriem* 
hild  et  sœur  de  Gunnar,  et  il  l'épouse;  il  consent  même 
h  conquérir  Brûnhild  pour  le  compte  de  Gunnar,  il 
change  de  figure  avec  Gunnar,  il  traverse  les  flammes 
dont  s*entoure  Brûnhild,  il  la  conquiert  et,  la  traitant 
comme  sa  sœur,  il  place  son  épée  entre  elle  et  lui.  Brûn- 
hild devient  ainsi  la  femme  de  Gunnar,  bien  qu'elle 
aime  Sigurd.  Un  jour  qu'elle  se  querelle  avec  Gudrnn, 
elle  apprend  que  c'est  Sigurd  qui  Ta  livrée  à  Gunnar. 
Outrée,  elle  décide  de  tuer  Sigurd  et,  k  son  instigation, 
Gunnar  fait  assassiner  le  héros.  Mais,  Signrd  mort, 
Brûnhild  refuse  de  lui  survivre  ;  elle  se  tue  et,  par  son 
ordre  exprès,  elle  est  brûlée  sur  le  même  bûcher  que 
Sigurd  ;  une  épée  les  sépare,  comme  naguère,  lorsque 
tons  deux  étaient  époux  et  ne  Tétaient  que  de  nom. 
Quant  à  la  veuve  de  Sigurd,  Gudrun,  elle  convole  en 
secondes  noces  avec  le  roi  des  Huns,  Atli  ou  Attila. 
Mais  Attila  convoite  le  trésor  de  Gunnar  et  de  ses  beaux- 
frères  les  Nibelnngen.  II  les  invite  à  venir  dans  son 
royaume.  Vainement  Gudrun  essaie  de  les  mettre  en 
garde;  vainement  elle  les  défend  et  combat  a  leurs  côtés; 
ils  sont  pris,  liés,  occis,  sans  qu'Atli  ait  pu  savoir  où 
était  caché  leur  or.  Gudrun  les  venge;  elle  tue  les  deux 
fils   qu'elle    a  eus  d'Atli,   lui    fait   boire    leur  sang  et 


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6  LITTERATURE  ALLEMANDE 

manger  leur  cœur,   lui  révèle  la  vérité,   l'égorgé  et  1« 
brûle  dans  son  palais  avec  tous  ceux  qui  s'y  trouvent. 

Telle  est  la  légende  norroise  des  Nibelungen.  La 
légende  allemande  en  diffère  sensiblement.  C'est 
Kriemhild  —  la  Gudrun  norroise  —  c'est  la  veuve  de 
Siegfried  qui  attire  ses  frères  au  pays  des  Huns  ;  c'est  elle 
qui  les  tue  pour  venger  sur  eux  le  meurtre  de  Siegfried. 
Par  suite,  Attila  est,  non  plus  un  tyran  avide  et  féroce, 
mais  un  prince  généreux,  aussi  généreux  qu'il  est  puis- 
sant, et  il  donne  asile  a  Dietrich  de  Bern. 

Dietrich  de  Bern  ou  de  Vérone  —  en  réalité,  Théo- 
doric  —  est,  dans  la  légende  héroïque,  non  pas  un  victo- 
rieux, un  conquérant,  mais  un  exilé  qui  ne  recouvre  son 
royaume  qu'après  trente  années  passées  sur  le  sol  étran- 
ger. Il  fuit  devant  Odoacre  ou,  selon  une  tradition  posté- 
rieure, devant  Ermanrich,  et  la  légende  oppose  volontiers 
au  cruel  Ermanrich  le  bon  Dietrich  ;  pour  mieux  marquer 
le  contraste,  elle  fait  de  Dietrich  le  neveu  d'Ermanrich. 
Mais  elle  aime  Dietrich,  elle  le  loue,  l'exalte.  Réfugié 
chez  Attila,  Dietrich  prend  part  a  la  lutte  des  Huns  et 
des  Nibelungen;  c'est  lui  qui  décide  la  victoire  et  il 
devient  désormais  le  plus  grand  guerrier,  le  preux 
incomparable.  Il  rentre  dans  ses  états,  et  autour  de  cette 
reconquête  la  légende  accumule  les  épisodes;  que  de 
vaillants  compagnons  elle  donne  à  Dietrich  :  le  vieil  Hil- 
debrant  qui  combat  malgré  lui  son  (ils  Hadubrant,  te  fou- 
gueux Wolfhart  et  son  frère  Alphart,  le  féal  Eckehart  ou 
Eckart,  vigilante  sentinelle  dont  la  fonction  est  d'annon- 
cer le  danger! 

Au  milieu  de  ces  récits  de  la  légende  perce  l'histoire 
vraie.  Dietrich  fuit  à  la  cour  d'Attila  et  ressaisit  son 
royaume  grâce  à  l'aide  des  Huns  :  c'est  que  son  père 
Théodomir    était   soumis    au   «   iléau  de   Dieu   ».   Il    a 


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LES  PBBMIBBS  SlàCLBB  7 

souffert  et  pâti  :  c^est  qu'il  a  lutté  contre  Odoacre,  pris 
et  perdu  Milan,  assiégé  Ravenne  près  de  trois  années. 
Il  a  nom  Dietrich  de  Vérone  :  c'est  qu'il  a  remporté 
sons  les  murs  de  Vérone  une  victoire  décisive.  Il  est  le 
type  du  héros  prudent  et  réfléchi  :  c'est  qu'il  fut  un  sage 
législateur. 

De  même»  Etzel  ou  Attila.  Il  a  des  traits  historiques. 
La  légende  conserve  le  nom  de  son  frère  Bleda  et  de  sa 
première  femme  Herke.  Elle  lui  donne  un  immense 
empire,  de  l'Elbe  au  Rhône,  et  trente  royaumes,  Francs, 
Bargondes,  Aquitains;  elle  peuple  son  palais  de  héros. 
Mais  l'Attila  historique  ne  trainait-il  pas  avec  lui  une 
cohue  de  rois?  Ne  voyait-on  pas  a  ses  côtés  les  chefs  des 
diverses  nations,  timides  et  tout  tremblants,  épiant  ses 
moindres  signes?  La  légende  fait  d'EtzcI  un  roi  pacifique 
et  qui  craint  les  coups  ;  il  assiste  de  loin  à  la  bataille  au 
lieu  de  se  jeter  dans  la  mêlée  a  \'a  tète  des  siens,  et  peu 
à  peu  sa  figure  s'adoucit;  c'est  l'inactif  et  majestueux 
Charlemagne  de  nos  chansons  de  geste;  c'est  un 
patriarche  qui  répand  le  bien  autour  de  lui,  un  roi 
«  tendre  »  qui  n'a  pas  au  monde  un  seul  ennemi  ;  il  tient 
table  ouverte  et  nourrit  quotidiennement  trois  mille 
hommes;  les  portes  de  sa  demeure  ne  sont  jamais  fer- 
mées. Or,  Jordanis  écrit  qu'Attila,  tout  en  aimant  la 
guerre,  mettait  rarement  l'épée  à  la  main,  recourait  sou- 
vent à  la  ruse,  faisait  le  diplomate  avant  de  faire  le 
guerrier,  qu'il  écoutait  les  suppliants  et  ménageait  ceux 
qui  s'étaient  soumis. 


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CHAPITRE  II 


LE   IX*   SIÈCLE 


Les  Francs.  •«-  Le  hant-allemand  et  le  bas-allemaBd.  —  Le  latin, 
langae  littéraire.  —  Renaissanee  carolingienne.  —  Chant  d*Hildebrant. 
^  Tradneticms.  —  Prier»  de  Wessobninn.  —  Le  Muspiili.  —  La  Gentee.  — 
L*Heliand.  —  Le  livre  des  Éyangiles,  d*Otfrid  de  Wissembonrg.  —  Chant 
de  Louis.  — -  Petits  poèmes. 


Parmi  les  Germains  ou  barbares  qui  conquirent  Tempire 
romain,  les  Francs  eurent  bientôt,  sous  les  Mërovingiens 
et  les  Carolingiens,  la  prépondérance.  lisse  convertirent 
et  à  leur  tour  ils  convertirent  ariens  et  païens.  Il  furent 
les  champions  du  christianisme  orthodoxe.  Leur  puis*- 
sance  était  telle  qu'une  glose  du  viii*  siècle  traduit  (xér- 
manie  par  pays  dès  Francs  ;  «  franc  »  signifiait  «  alle- 
mand »  et  parler  ou  écrire  l'allemand,  c'était  parler  ou 
écrire  le  francique. 

Dès  l'époque  franque,  la  langue  allemande  comprend 
le  haut-allemand  et  le  bas-allemand,  l'un  parlé  dans  la 
la  Haute-Allemagne,  dans  les  vallées  du  Rhin  et  du 
Danube,  l'autre,  dans  la  Basse-Allemagne  sur  les  bords 
de  la  Baltique  et  de  la  mer  du  Nord.  Le  haut-alle- 
mand a  des  sons  rudes,  des  consonnes  fortes,  des 
diphtongues;  le  bas-allemand  a  des  sons  mous  et  étouffés. 


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LB   IX*   SIECLE  9 

des  yojelleE  simples  et  ferntkées»  des  consonnes  douoes. 
Le  haut-sllemand  devait  être  un  jour  la  langoe  littéraire^ 
la  seule  qui  fait  l'objet  de  cette  étude.  Il  se  diWse  en  deux 
grovpesy  le  groupe  francique  et  le  groupe  alassan.  Au 
groupe  francique  appartiennent  le  haat*francique 
oriental  (Fulda»  Wûrcbourg,  Bamberg),  le  haut-fran* 
ciqiie  rhénan  (Mayence,  Francfort^  Worma,  Spire)  --- 
o*est  la  langoe  de  Cbarlemagne  et  de  son  entourage  —  le 
moyen-francique  (Cologne  et  Trêves),  le  tkoringien  et  le 
saxon.  Att  groupe  alaman  ou  alamannique  appartiennent 
le  souabe  (Stuttgart,  Ulm^  Aug^bourg),  le  bas-alaman- 
nique  (Bâle,  Alsace,  Brisgau,  Ortenau),  le  haut-alaman- 
nique  (Suisse),  le  bavarois  et  l'autrichien. 

Mais  ni  Talamannique  ni  le  francique  n'est  encore  la 
langue  de  la  littérature  :  l'allemand  est  la  langue  a  bar- 
bare »,  la  langue  «  populaire  »  —  comme  l'indique  son 
nom  même,  diutisk^  dérivé  de  diotj  a  peuple  »,  et  devenu 
plus  tard  deutsch  — -  et,  longtemps  négligé  par  les 
lettrés,  il  mettra  plus  de  mille  ans  à  s'affranchir.  La 
langue  littéraire,  c'est  le  latin,  langue  officielle,  langue 
des  capitulaires  et  des  lois,  langue  de  TÉglise,  langue 
employée  sous  les  Mérovingiens  par  Grégoire  de  Tours, 
Sidoine  Apollinaire  et  Fortunat. 

Lorsqu'une  Renaissance  des  lettres  commence  à  la  fin 
du  viii*  siècle  sous  rimpulsion  de  Cbarlemagne  (742-814), 
c'est  une  Renaissance  latine  ou  mieux  latino-chrétienne. 
Tous  les  membres  de  l'Académie,  les  savants,  les  lettrés 
que  l'empereur  réunit  autour  de  lui,  écrivent  en  latin,  et 
Prudence  est  à  leurs  yeux  le  plus  grand  des  poètes  parce 
qu'il  est  le  plus  chrétien. 

Sans  doute,  ils  sont  Germains  :  Paul  Diacre  cite  dans  son 
HUtoire  des  Lombards  les  chants  populaires  de  sa  nation, 
et  à  la  table  impériale  Alcuin  débite  de  subtiles  énigmes 


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10  LITTÉRATURE   ALLEMANDS 

comme  ferait  un  Anglo-Saxon.  De  même,  Charlemagne. 
Malgré  les  réminiscences  latines  qui  le  hantaient,  il 
aimait  sa  langue  maternelle  qu*il  parlait,  au  rapport 
d'Einhard,  avec  une  éloquence  abondante^  exubérante. 

11  fit,  dit  encore  Einhard,  transcrire  les  chants  barbares 
qui  célébraient  les  actions  et  les  guerres  des  anciens 
rois.  Il  prescrivit  de  composer  une  grammaire  allemande. 
Il  recommanda  au  clergé  de  traduire  dans  la  langue 
rustique,  en  roman  et  en  allemand,  les  homélies  latines 
que  Paul  Diacre  avait  recueillies  en  deux  volumes.  Il 
projetait  d'établir  un  calendrier  uniforme  et  de  donner 
aux  mois  des  noms  allemands^  des  noms  expressifs  qui 
rappelleraient  les  phases  et  les  travaux  de  l'année.  Mais 
les  noms  allemands  des  mois  ne  prévalurent  pas  sur  les 
noms  latins,  les  homélies  ne  furent  pas  traduites,  la 
grammaire  ne  vit  jamais  le  jour  et  le  recueil  des  vieux 
chants  s'est  perdu. 

De  l'épopée  nationale  des  Germains  ne  subsiste  qu'un 
fragment  transcrit  à  Fulda  au  commencement  du 
ix*"  siècle  sur  la  première  et  la  dernière  page  d'un 
manuscrit  latin  en  un  texte  impur,  [mélangé  de  haut 
et  de  bas-alIcmand.  C'est  le  superbe  fragment  du  Citant 
JCHildebrant,  Il  retrace  comment  Hildebrant  et  Hadu- 
brant,  le  père  et  le  fils,  en  vinrent  aux  prises.  Les  deux 
guerriers  s'abordent  sans  se  connaître.  Hildebrant 
demande  le  nom  de  son  adversaire;  Iladubrant  répond 
qu'il  est  le  fils  de  cet  Hildebrant  qui  s'enfuit  autrefois  vers 
Test  avec  Dietrich.  Le  père  se  nomme  et  il  ofircau  fils  des 
bracelets  d'or.  Hadubrant  refuse  ces  présents  ;  il  ne  veut 
les  recevoir  que  la  lance  en  main,  pointe  contre  pointe, 
et  il  injurie  Hildebrant,  le  traite  d'imposteur.  Le  combat 
s'engage,  et  le  fragment  finît  Ih;  mais  on  sait  que  le 
père  tuait  le  fils.  La  scène  est  simple,  rapide,  dramatique. 


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LE    IX*   SIÈCLE  11 

Iladubrant,  ardent  et  obstiné  comme  un  jouvenceau, 
s'exprime  tantôt  avec  fierté,  tantôt  avec  tristesse  :  il 
vante  les  prouesses  d'Hildebrant  qu'on  voyait  toujours 
au  premier  rang,  et  il  déplore  le  sort  de  ce  glorieux  père 
qui  n'avait  plus  d'amis  et  qui  dut  s'exiler  en  laissant  sa 
femme  et  son  enfant  dans  la  misère.  Mais  Hildebrant 
nous  émeut  davantage.  Ira-t-il  se  mesurer  avec  son  fila, 
avec  un  homme  qui  le  touche  de  si  près,  mit  sus  sippan 
man?  Le  vieux  guerrier  se  révolte  contre  cette  lutte 
impie  ;  son  cœur  paternel  se  déchire.  Que  faire  pourtant? 
Il  pousse  un  cri  de  douleur  et  de  colère;  il  accepte 
l'affreux,  l'inévitable  duel  :  l'honneur  lui  ordonne  de 
combattre. 

Ce  chant  appartenait  sans  doute  au  précieux  recueil 
que  Charlemagne  fit  former.  Mais  l'Église  proscrivait  la 
poésie  nationale  qui  lui  semblait  empreinte  de  paganisme^ 
Et  c'est  l'Eglise  cependant,  ce  sont  ses  couvents,  ce  sont 
les  écoles  qu'elle  a  fondées  dans  les  couvents  de  Saint- 
Gall,  de  Reichenau  et  de  Fulda,  qui  abritent,  qui  fixent 
la  langue  allemande.  Il  faut  dresser  des  glossaires  et 
des  listes  de  mots,  traduire  la  formule  du  baptême, 
l'oraison  dominicale,  le  Credo  et  des  écrits  plus  étendus, 
des  sermons,  l'Évangile  de  Mathieu,  VHarmonie  des 
Evangiles  de  Tatien,  le  traité  d'Isidore  de  Séville 
contre  les  juifs,  et  la  traduction  d'Isidore  est  certes 
l'œuvre  d'un  homme  intelligent  et  habile. 

Déjà  même,  sous  Charlemagne  et  les  Carolingiens,  se 
produisent  des  essais  de  poèmes  originaux. 

La  prière  dite  de  Wessobrunn  s'ouvre  par  des  vers 
allitérés  qui  représentent  le  Dieu  unique  et  tout-puis- 
sant venant  créer  le  monde  lorsqu'il  n'y  a  encore  ni 
terre,  ni  ciel,  ni  mer. 

Le  fragment,  en  dialecte  bavarois,  auquel  son  éditeur 


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13  LITTERATUIIB   ALLEMANDS 

a  donné  le  nom  de  Muapilli  ou  ce  destruction  du  inonde  d, 
offre  des  endroits  remarquables  :  la  peinture  de  Fenfer 
où  le  méchant  est  puni  des  querelles  qu'il  a  faites  à  ses 
proches  pour  la  borne  d'un  champ,  celle  du  combat  que 
l'armée  des  anges  livre  à  l'armée  des  démons  pour  con- 
quérir l'âme  du  mourant,  et  surtout  la  description  du 
jugement  dernier,  l'Antéchrist  et  le  prophète  Elie 
luttant  l'un  contre  l'autre,  la  défaite  de  l'Antéchrist,  la 
blessure  d'Elie  dont  le  sang  tombe  sur  la  terre,  et  aussi- 
tôt les  montagnes  qui  s'enflamment,  les  arbres  qui 
s'abattent,  les  eaux  qui  se  tarissent,  le  ciel  qui  s'embrase, 
la  lune  qui  choit,  Dieu  rendant  la  suprême  sentence  — 
et  alors,  quel  que  soit  l'homme  qui  sort  de  la  tombe,  sa 
main,  sa  tète,  tous  ses  membres,  jusqu'à  son  petit 
doigt,  témoignent  contre  lui,  s'il  a  péché  et  s'il  n'a  pas 
expié. 

Mais  la  nouvelle  poésie  chrétienne  n'a  pas  toujours  ces 
sombres  accents.  Elle  entreprend  de  mettre  en  vers 
l'Ancien  Testament,  et  nous  avons  trois  fragments  d'une 
Genèse  en  saxon  dont  Fauteur  rend  avec  émotion  le  déses- 
poir d'Adam  et  d'Eve. 

Elle  entreprend  de  chanter  la  vie  de  Jésus,  et  nous 
avons,  dans  leur  texte  complet,  deux  Messiades,  Tune 
en  saxon,  VHeliand  ou  le  Sauveur,  l'autre  en  francique 
rhénan,  le  Ldi^re  des  Evangiles. 

L'auteur  de  VHeliand  était  sans  doute  un  laïque  et  un 
homme  du  métier.  Son  œuvre  rappelle  les  poèmes  bibli- 
ques des  Anglo-Saxons.  Dans  ces  poèmes  Satan  parle 
du  paradis  comme  du  palais  d'un  roi;  les  lieux  ou  il  règne 
ressemblent  a  la  caverne  du  dragon  qui  combat  Beovulf 
et  ainsi  qu'un  chef  germain  qui  réclame  l'hommage,  il 
somme  le  Christ  de  tomber  à  ses  pieds,  de  mettre  sa  tète 
dans  son  sein  ;  pour  le  Christ,  c'est  un  guerrier  invincible. 


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LE    IX"   SIÈCLE  n 

et  les  apôtres  qa'il  envoie  dans  le  inonde  sont  ses  compa* 
gnons  d'armes.  Mêmes  images  et  mêmes  tableaux  dans 
VHeliand.  Le  Christ,  escorté  de  ses  fidèles  qui  le 
défendent  au  prix  de  leur  sang  et  qui  reçoivent,  en 
retour,  présents  et  nourriture,  est  un  roi  de  la  terre, 
un  prince  du  peuple,  et  à  la  fois  puissant  et  bienfaisant, 
comme  le  roi  Hrodgâr  du  Beovulfy  il  distribue  Thydromel 
et  donne  sa  protection  à  ses  gens.  Peinture  curieuse, 
piquante,  mais  qui  rabaisse  le  Christ.  Le  poète  le  nomme 
le  pasteur  du  pays  et  il  dénomme  pareillement  Hérode  ! 
Certes,  il  n'est  pas  toujours  aussi  maladroit.  Il  connaît 
ses  compatriotes  et  il  évite  de  leur  dire  que  le  souffleté 
doit  tendre  l'autre  joue  et  que  Jésus,  entrant  à  Jérusalem, 
était  monté  sur  un  âne;  il  excuse  la  fuite  des  disciples  et 
assure  qu'ils  n^ont  pas  été  lâches;  il  met  dans  la  bouche 
de  Thomas  de  belles  paroles  sur  le  devoir  envers  le 
Seigneur  :  tenir  jusqu'au  bout  avec  son  maître  et 
mourir  pour  lui  sans  attacher  aucun  prix  à  la  vie 
puisque  ce  après  nous  vivra  notre  gloire  !  »  Bien  qu'il  suive 
YHarmonie  de  Tatien  et  qu'il  se  serve  des  commentaires 
de  Béda,  d'Alcuin  et  de  Raban  Maur,  il  essaie  de  jeter 
un  peu  de  mouvement  dans  son  poème,  et  de  prime  abord 
sa  langue  parait  abondante  et  riche.  En  réalité,  et  parce 
qu'il  emploie  le  grand  vers  allitéré,  il  abuse  des  formules 
épiques,  et  il  est  long,  prolixe  ;  il  se  répète  et  il  délaie 
tellement  sa  matière  qu'il  fait  dix  vers  pour  nous 
apprendre  que  Pierre  fendit  l'oreille  de  Malchus;  il  dit 
textuellement  :  «  ils  meurent,  terminent  leurs  jours  et 
en  finissent  avec  leur  vie  »  !  Ce  poème  tant  vanté  n'est, 
en  somme,  qu'une  œuvre  de  prédication. 

L'auteur  du  Livre  des  Epangiles  —  terminé  vers  868 
—  le  moine  Otfrid  de  Wtssembourg,  versifie  péniblement 
les  quatre  Évangiles,  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre,  le  plus 


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14  LITTBBATURB   ALLEMANDE 

souvent  celui  de  Jean.  Il  divise  son  poème  en  cinq  livres 
à  cause  des  cinq  sens  qu*il  veut  purifier  de  leurs  souillures  ; 
il  donne  aux  chapitres  des  titres  latins  ;  il  place  à  la  fin 
de  chaque  épisode  des  réflexions  morales  ou  des  allégories 
fort  longues  qu'il  emprunte  aux  commentaires  de  Béda, 
d'Alcuiuy  de  Raban  Maur.  Le  Lwre  des  Evangiles  est  donc 
Tœuvre  d'un  pieux  théologien,  soutenu  par  les  textes  — 
c'est  l'expression  d*Otfrid  —  et  non  par  le  talent  poétique. 
Le  bon  moine  esquisse  parfois  de  petits  tableaux,  la 
visite  de  l'ange  Gabriel  à  Marie,  les  premiers  soins  que 
la  Vierge  prodigue  au  .fils  de  Dieu,  le  massacre  des 
Innocents  et  le  désespoir  des  mères.  Lui-même  se  met 
en  scène,  non  sans  charme,  soit  qu'il  parle  des  douleurs 
de  l'exil,  soit  qu'il  prie  Dieu  de  lui  pardonner  comme  à 
la  pauvre  femme  adultère  et  de  le  châtier  avec  douceur 
ainsi  qu'une  mère  châtie  son  enfant,  soit  qu'il  exprime 
sa  reconnaissance  pour  l'évèque  Salomon.  C'est  avec  une 
noble  fierté  qu'il  célèbre  la  gloire  des  Francs  et  les  qualités 
de  leur  langue.  Il  admire  l'art  des  Grecs  et  des  Romains 
et  ce  que  cet  art  a  de  parfait,  d'uni,  de  poli  comme 
rivoire,  de  net  et  de  fin  comme  le  blé  mondé.  Hélas!  la 
langue  des  Francs  n'est  pas  encore  formée  à  la  poésie  et 
contrainte  à  la  règle.  Mais  n'est-elle  pas  franche  etdroite 
et  belle  en  sa  simplicité? Les  Francs  ne  sont-ils  pas  braves 
et  industrieux?  N'habitent-ils  pas  un  bon  et  fertile  pays? 
Ne  trouvent-ils  pas  du  métal,  du  cuivre,  même  du  cristal 
en  fouillant  le  sol,  et  de  l'or  en  lavant  le  sable? Ne  sont- 
ils  pas  fidèles  à  leur  roi  et  à  leur  Dieu?  Il  veut  donc, 
lui,  Otfrid,  chanter  les  louanges  de  Dieu  en  langue 
francique.  Comme  l'auteur  de  VHeliand^  il  s'accommode 
parfois  au  tempérament  et  au  goût  de  ses  compatriotes. 
Il  insiste  sur  la  vaillance  de  Pierre  qui  se  jette  sans  bouclier 
et  sans  lance  dans  la  foule  des  ennemis.  Il  transporte 


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LE  IX*   BIKGLB  t5 

Jean-Baptiste,  non  dans  le  désert,  mais  dans  la  solitude 
de  la  forêt.  Comme  l'auteur  de  VHeliand^  il  use  et  abuse 
des  formules  épiques  et  il  montre  l'ange  volant  par  ce  le 
sentier  du  soleil,  la  route  des  étoiles,  le  chemin  des 
nuages  ».  Mais  lui  aussi  aime  a  s'étendre.  Que  de  phrases 
insignifiantes,  inutiles!  Que  de  chevilles!  C'est  qu'il  faut 
attraper  la  rime,  et,  à  vrai  dire,  la  rime  fait  la  valeur 
du  poème.  Elle  existait  déjà  et,  par  exemple,  en  quelques 
endroits  du  Chant  (THildebrant;  Otfrid  l'emploie  d'un 
bout  à  l'autre  de  son  poème;  il  a  gardé  le  grand  vers 
germanique  ;  deux  vers  forment  une  strophe  et  les  deux 
moitiés  de  chaque  vers  riment  ensemble. 

Otfrid  dit  que  les  Francs  font  toute  chose  avec  l'aide  de 
Dieu  et  que  Dieu  les  tire  du  danger.  Cette  idée  que  les 
Francs  étaient  le  peuple  élu  de  Dieu  anime  le  Chant  de 
Louisqvti  célèbre  en  francique  rhénan  la  victoire  remportée 
le  3  août  881  à  Saucourt-en-Vimeu  par  le  roi  Louis  III  sur 
les  Normands.  L'auteur  est  un  ecclésiastique.  A  chaque 
instant  il  cite  le  nom  de  Dieu.  C'est  Dieu  qui  déchaîne 
les  païens  pour  punir  les  Francs  de  leurs  péchés  et  les 
amener  à  repentance.  C'est  Dieu  qui,  se  radoucissant, 
envoie  le  roi  Louis  contre  les  envahisseurs,  et  Louis, 
saisissant  le  gonfanon,  court  à  son  armée,  la  harangue, 
lui  représente  qu'il  faut  exécuter  la  volonté  de  Dieu,  que 
c'est  le  Christ  qui  mesure  l'existence.  Le  combat 
s'engage;  Louis  remercie  le  Seigneur  de  lui  montrer 
l'adversaire  qu'il  désire  et  il  entonne  un  chant  sacré 
auquel  ses  compagnons  répondent  par  Kyrie  eleison.  II 
est  vainqueur  et  le  poète  conclut  en  louant  la  puissance 
de  Dieu.  Plus  religieux  que  guerrier,  inspiré  par  la  piété 
plutôt  que  par  l'esprit  belliqueux,  le  Chant  de  Louis  est 
donc  moins  un  chant  de  triomphe  qu'un  cantique  d'actions 
de  grâces. 


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16  LITTERATURE  ALLEMANDE 

À  la  fin  du  IX*  siècle  appartiennent  encore  le  Chant 
de  saint  PierrCy  qui  se  compose  de  trois  strophes  ;  le  petit 
poème  le  Christ  et  la  Samaritaine^  dont  l'auteur,  plus 
simple  et  plus  concis  qn*Otfrid,  a  rendu  la  scène  de 
TEvangile  avec  une  vivacité  naïve  ;  le  poème  qui  raconte  - 
les  miracles  et  le  martyre  de  saint  Georges  y  mais  qui 
nous  est  parvenu  dans  un  état  misérable;  et  on  sait 
qu'un  moine  de  Saint-Gall,  Ratpert,  avait  fait  en  l'honneur 
de  saint  Gall  un  chant  barbare,  c'est-a-direallemand^que 
nous  n'avons  plus. 


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CHAPITRE   III 


LE  X«   ET   LE   XV  SIÈCLES 


Les  jong^lenrs  et  la  latin.  —  Hrotsvith.  —  L^Ecbasis.  —  Le  Waltha- 
riiis.  —  La  Rndlieb.  —  Les  traductions  de  Notkér.  —  Williram.  —  Le 
clergé.  —  Le  Chant  d*Ezio. 


Le  IX*  siècle  avait  été  marqué  par  des  œuvres  alle- 
mandes. Au  X*  siècle,  sous  les  empereurs  saxons,  dont 
la  cour  ne  parle  et  n'écrit  qu'en  latin,  la  poésie  nationale 
ne  se  montre  que  sur  les  grands  chemins.  Les  jongleurs 
ou  ménestrels  vont  de  ch&teau  en  château,  chantant, 
jouant  d'un  instrument,  faisant  des  tours  d'adresse, 
colportant  les  nouvelles,  célébrant  les  héros  du  jour  et 
les  événements,  batailles,  exploits  et  aventures  de  toute 
sorte,  cherchant  k  divertir  leur  auditoire  et  seyant  de 
traits  plaisants  leurs  récits,  glorifiant  par  exemple  Kurzi- 
bold  ou  Courtaud,  aussi  brave  qu'il  est  petit,  haîsseur 
des  femmes  et  des  pommes,  tueur  de  lions,  le  David  alle- 
mand qui  terrasse  un  géant  slave.  Mais  le  latin  est  leur 
langue  préférée.  La  plupart  sont  clercs;  ils  mêlent  dans 
leurs  vers  le  latin  a  l'allemand,  comme  dans  le  poème  qui 
retrace  l'entrevue  d'Otton  et  de  son  frère  Henri 

TiiDC  surrexit  Odo»  der  unsar  Kaisar  guoto, 

urrfiiATCRB  ALumAsmn,  ^ 


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18  LITTÉRATURE  ALLEMANDE 

et  c'est  en  latin  qu'ils  content  de  piquantes  historiettes, 
Lanifrit  et  Cohbo^  Alfrâd^  Heriger,  en  leur  donnant  la 
forme  des  séquences  ou  des  hymnes  d'église. 

C'est  en  latin  qu'une  nqpne  de  Gandersheim,  Hrotsvith 
(née  en  930,  morte  après  968)  a  pastiché  Térence  et 
composé  six  drames  puérils  et  niais,  mais  intéressants 
par  leur  immoralité  naïve,  par  la  clarté  du  style,  par 
l'aisance  du  dialogue. 

C'est  en  latin  qu'un  jeune  moine,  échappé  du  couvent 
de  Saint-Epvre  près  Tout,  puis  rattrapé,  narre,  vers  940, 
sous  le  voile  d'une  fable,  son  évasion,  son  ecbasis,  et 
dans  le  cadre  de  la  fable  il  a  placé  l'histoire  du  loup  et 
du  renard;  ainsi  débute  la  légende  animale. 

C'est  en  latin  que,  vers  930,  un  moine  de  Saint-Gall 
écrit  le  Wahharius  et,  vers  1030,  un  moine  de  Tegernsee, 
le  RudUebé 

Le  Walthariua  a  pour  auteur  Ekkehard  I*'  (mort  en 
973),  le  premier  des  quatre  moines  qui  portèrent  ce 
nom  au  couvent  de  Saint-Gall.  Il  a  été  corrigé  par  Gerald, 
le  maître  d'Ekkehard  I*',  et  remanié  plus  tard  au  commen- 
cement du  XI*  siècle  par  Ekkehard  IV  (980-1060).  Le 
moine  a  reproduit  ce  qu'il  avait  entendu  de  la  bouche  des 
chanteurs  et  il  a  parfois  ajouté  du  sien.  Il  imite  Virgile, 
tout  comme  Einhard  imitait  Suétone  dans  sa  Vie  de  Char- 
lemagne,  et  il  emploie  et  plaque  avec  intelligence,  avec 
habileté  les  expressions  de  V Enéide^  de  la  Psychomaehie 
de  Prudence,  de  là  Bible.  Son  allure  est  rapide,  entraî- 
nante, et  a  travers  son  latin  circule  le  souffle  âpre  et  puis» 
sant  de  la  légende  héroïque. 

Une  lutte  grandiose  s'engage  dans  une  gorge  des 
Vosges.  C'est  là  que  Walther,  fils  du  roi  d'Aquitaine, 
s'arrête  un  instant  avec  sa  chère  Hildegonde,  fille  du 
roi  des  Burgondes  Herrich.   Les  deux  amants,  fiancés 


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Ll   X*  BT  LB  XI*  ftIBCLBt  f9 

dès  Fenfanoe  et  envoyés  comme  otages  au  roi  des  Hans, 
96  soDt  enfuis  de  la  eour  d*Etzel  plongée  dans  le  som« 
meil  et  le  vin.  Le  jour,  ils  restaient  cachés  dans  les  bois; 
la  nuit,  montés  sur  le  même  cheval,  -^  un  cheval  coura* 
geux  qui  s'appelle  Lion,  —  ils  galopaient  par  monts  et 
par  vaux^  lui,  armé  de'pied  en  cap  et  redoutant  à  tout 
moment  une  attaque,  elle,  tremblante,  frémissant  au 
bruit  du  vent,  au  chant  des  oiseaux,  au  moindre  froisse* 
ment  des  branches.  Ils  ont  passé  le  Rhin;  ils  sont  dans 
la  Vosge  immense,  peuplée  de  bêtes  fauves,  accoutumée 
au  son  des  cors  et  à  l'aboi  des  chiens.  Fatigué  par  une 
coarse  de  quarante  nuits,  Walther  s'endort,  la  tète  sur 
le  giron  d'Hildegonde.  Mais  Tavide  et  couard  Gunther, 
roi  des  Francs,  et  douze  de  ses  meilleurs  guerriers  pour» 
suivent  les  fugitifs  afin  de  s'emparer  du  trésor  d'EtieK 
La  jeune  fille  voit  un  tourbillon  de  poussière  s'élever  au 
loin;  elle  réveille  doucement  son  Walther.  En  vain  le 
héros  offre  cent,  puis  deux  cents  bracelets  d'or  à  Gunther. 
Il  faut  combattre.  Walther  se  poste  à  l'entrée  du  défilé 
où  deux  hommes  ne  peuvent  pénétrer  de  front,  et  onxe 
Francs,  sur  douce,  tombent  sous  ses  coups.  Le  lendemain, 
Gantfier  et  Hagen  unissent  leurs  efforts;  Gunther  perd 
une  jambe;  Hagen,  un  œil;  Walther,  une  main;  rAqui« 
tain  sort  vainqueur  de  la  lutte. 

Le  récit  de  cette  lutte  est  aussi  varié  qu'émouvant.  L'un 
après  l'autre  paraissent  Camalo  qui  jette  inutilement  sa 
pique;  Scaramund  qui  désire  venger  son  oncle  Camalo; 
Werinhard  dont  les  flèches  se  brisent  contre  l'écu  de 
l'Aquitain  ;  Eckefried  qui  brandit  une  lance  de  bois  de  cor- 
nouiller, Hadawart  qui  ne  recourt  qu'à  Tépée;  Patafried, 
tendre  fleur  que  Walther  a  bientôt  fauchée  ;  Gerwit  armé 
de  la  francisque;  Randolf  qui  se  sert  à  la  fois  de  l'épée  et 
àe  la  lance;  Heimnod  maniant  en  guise  de  harpon  un 


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30  LITTEHATURE   ALLEMANDE 

trident  de  fer  attaché  au  bout  d'une  corde  que  ses  com- 
pagnons, Trogus  de  Strasbourg  et  Tanast  de  Spire, 
ruisselants  de  sueur,  tirent  et  traînent  de  toutes  leurs 
forces  rassemblées,  sans  pouvoir  ébranler  Walther  ferme 
comme  un  chêne. 

De  ces  guerriers  francs  le  plus  sympathique  est  Hagen  ; 
vassal  de  Guntber  et  ami  de  Walther,  il  ne  suit  qu'à 
regret  le  roi  des  Francs  et  il  tente  de  négocier  le  passage 
des  deux  amants.  Guntber  l'accuse  d'avoir  peur.  Hagen, 
outré,  gagne  une  colline  et,  assis  sur  le  gazon,  de  loin 
juge  les  coups.  Enfin  il  cède  aux  prières  de  Guntber;  il 
lui  conseille  de  simuler  la  retraite,  d'attirer  l'adversaire 
en  rase  campagne.  Le  plan  réussit,  et  Walther,  sorti  des 
montagnes,  voit  soudain  Hagen  se  dresser  devant  lui.  Mais 
bientôt  les  deux  hommes  renouent  amitié  et  font  sur  leurs 
blessures  de  grosses  plaisanteries. 

Il  y  a  dans  le  poème  un  beau  caractère  et  une  belle 
scène.'  Le  caractère  est  celui  d'Hildegonde,  timide  et 
forte  tout  ensemble,  priant  Walther  à  l'approche  des 
Francs  de  la  tuer  et  de  la  soustraire  à  l'outrage,  jetant 
un  cri  d'épouvante  lorsque  la  lance  de  Patafried  s'enfonce 
dans  le  sol  aux  pieds  de  son  amant,  veillant  sur  son  sei- 
gneur endormi  et  chantant  pour  chasser  le  sommeil, 
voyant  venir  Hagen  et  Guntber  et  malgré  l'efiroi  qui  la 
saisit,  avertissant  son  compagnon  et  lui  conseillant  de 
fuir,  accourant  après  le  combat  à  l'appel  de  Walther  pour 
verser  le  vin  et  panser  les  plaies.  La  scène,  c'est  celle  qui 
termine  la  première  journée  ;  à  la  nuit  tombante,  Walther 
remet  sur  chaque  tronc  les  tètes  qu'il  avait  tranchées 
et  a  genoux,  les  yeux  vers  Torient,  l'épée  en  main, 
il  remercie  Dieu  de  l'avoir  sauvé  et  le  supplie  de 
lui  laisser  revoir  en  paradis  ceux  qu'il  vient  d'occire.  Il 
y  a  moins  de  chevalerie  dans  le  Waltharius  que  dans  les 


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LE   X*    ET   LE   XI'    SIÈCLES  21 

poèmes  postérieurs.  Les  personnages  ont  quelque  chose 
de  plus  fruste.  Le  vieil  esprit  germanique  les  anime  et  la 
sève  barbare  coule  dans  leurs  veines.  Désir  de  gloire  et 
de  butin,  amour  des  belles  armes  et  des  ornements  d'or, 
ambitieux  défis,  railleries  provocantes,  bravoure  des 
guerriers  qui  succombent  sans  proférer  une  seule  plainte, 
dévouement  du  vassal  pour  son  seigneur,  tout  rappelle 
Tancienne  épopée.  Le  Waltharius  est  un  Germain  vêtu 
à  la  romaine. 

Le  Rudlieb,  dont  nous  n'avons  que  des  fragments, 
n'offre  pas  moins  d'intérêt.  Composé  en  hexamètres 
léonins  ou  rimes,  ce  roman,  le  premier  en  date  de  la 
littérature  allemande,  fourmille  de  détails  curieux  et  de 
traits  expressifs.  En  son  latin  fautif,  incorrect  et  lourd 
l'auteur  a  tracé  l'image  ressemblante  de  son  époque.  Les 
dames  éprises  de  parure  et  tenant  un  oiseau  sur  leur 
doigt;  les  hommes  buvant  autant  de  coupes  qu'il  y  a  de 
plats,  imitant  dans  leurs  danses  le  vol  du  faucon  qui 
poursuit  l'hirondelle,  jouant  avec  passion  aux  échecs, 
ardents  à  la  chasse  et  à  la  pèche;  le  guerrier  se  piquant 
d'être  lion  au  combat  et  agneau  dans  la  vengeance;  le 
juge  pardonnant  aux  coupables  ;  des  mœurs  qui  se  cor- 
rompent et  s'adoucissent  ;  des  jeunes  filles  sans  modestie 
ni  pudeur;  tout  cela  revit  dans  le  Rudlieb,  Il  annonce  la 
poésie  du  Mlnnesang.  C'est  dans  le  Rudlieb  qu'une 
dame  noble  envoie  à  un  chevalier  ce  charmant  et  amou- 
reux salut  en  quatre  hexamètres  latins  où  se  trouvent 
quatre  mots  allemands  :  (c  De  ma  part,  dis-lui  donc,  je  te 
prie,  que,  d'un  cœur  fidèle,  je  lui  souhaite  autant  de 
plaisir,  liebeSy  qu'il  vient  maintenant  de  feuilles,  loubesy 
autant  d'amour,  minna,  que  les  oiseaux  ont  de  pâture, 
ii'unna,  autant  d*honneurs  qu'il  y  a  de  fleurs  et  de  gazon.  » 

L'allemand  se  montre  donc  de  nouveau.  Si  le  latin  est 


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^  LITTBRATURB   ALLBMANDB 

durant  tout  le  x'  siècle  la  langue  littéraire,  le  peuple 
prend  alors  conscience  de  lui-même.  Il  n'y  a  pas  encore 
d'Allemands^  de  Deutsche  :  il  y  a  des  Bavarois,  des 
Saxons,  des  Souabes;  mais  tous  parlent  le  thiudiscy  la 
teutonica  linguay  et  les  écrivains  latins  opposent  les 
Teutones  ou  Teutonici  aux  Franci.  Du  couvent  de  Saint* 
Gally  de  ce  couvent  où  les  moines  dans  leur  studieux 
labeur  croyaient  par  instants  posséder  la  félicité  des 
anges,  sortent  dans  les  dernières  années  du  x'  siècle  et 
les  premières  années  du  xi*  d'utiles  traductions.  La 
plupart  sont  de  ce  bon  Notkèr,  dit  le  Lippu,  qui  portait 
une  chaîne  autour  des  reins  et  dont  le  plus  grand  crime 
fut  de  tuer  un  loup*  Dévoré  du  démon  de  la  traduction, 
traduisant  jusque  sur  son  lit  de  mort,  il  a  mis  en  alle- 
mand avec  beaucoup  de  dextérité  nombre  de  textes 
latins,  notamment  les  Psaumes^  les  Noces  de  la  Philologie 
et  de  Mercure  de  Marcien  Capella,  la  Consolation  de  la 
philosophie  de  Boèce.  Sa  version  tient  plutôt  du  com- 
mentaire; il  vise  avant  tout  à  la  clarté,  et  discrètement, 
d'une  main  légère,  il  abrège  ou  amplifie  l'original,  en 
ajoutant  les  explications  d'autrui.  Il  manie  sa  langue 
maternelle  en  virtuose  et  il  l'avait  étudiée  à  fond  :  il 
ponctue  soigneusement  les  phrases,  il  marque  les  accents 
avec  scrupule.  Les  termes  techniques,  les  expressions 
abstraites  ne  l'embarrassent  pas.  Il  excelle  à  former  des 
mots  composés.  Volontiers  il  insère  des  vers  allemands 
brefs,  nerveux,  qui  nous  révèlent  le  trésor  des  poèmes 
perdus,  comme  ce  dicton  sur  deux  héros  qui  sont  aux 
prises  :  «  Si  un  brave  rencontre  un  autre  brave,  la  cour- 
roie du  bouclier  est  bientôt  tranchée  »,  ou  cette  descrip- 
tion d'un  sanglier  :  «  Ses  pieds  sont  comme  un  foudre, 
ses  soies  aussi  hautes  que  la  forêt  et  ses  dents  longues 
de  douze  aunes  ;  il  va  sur  la  pente  du  mont,  porte  Tépieu 


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LE  X*  BT  LB  Xl^   81KCLB5  SI 

daas  le  flanc,  et  sa  vigueur  ne  le  laisse  pas  abattre.  » 

Après  Notkèr,  il  faut  citer  Williram.  Cet  abbé 
d'Ebersberg  (de  1048  à  1085)  paraphrasa,  tout  en  le 
commentant,  le  Cantique  des  Cantiques  \  il  écrit  en  une 
langue  mixte,  mi-latine  mi-allemande,  et  pour  dire  que 
les  femmes  sont  plus  faibles  que  les  hommes,  il  s'exprime 
ainsi  :  diu  wîb  sint  fragilioria  sexus  danne  die  man  ;  mais 
son  allemand  est  clair,  coulant  et  même  harmonieux. 

Ainsi,  Tallemand  gagne  peu  à  peu  du  terrain.  Le  jon- 
gleur qui  n'avait  jusqu'alors  fait  que  de  l'instantané,  se 
met  à  composer  longuement  de  longs  poèmes.  Pour  plaire 
k  la  chevalerie  naissante,  il  chante  les  plaisirs  d'ici-bas 
et  les  aventures  de  guerre.  Ce  n'est  plus  un  mime  et  un 
bouffon.  Vainement,  dans  la  seconde  moitié  du  xi"  siècle, 
le  clergé  prêche  le  renoncement  au  monde.  Vainement 
il  attaque  la  chevalerie  qu'il  regarde  comme  une  école  de 
mauvaises  mœurs,  les  lettres  profanes  qu'il  qualifie  de 
poison,  la  poésie  mondaine  qu'il  accuse  de  mensonge  et 
de  lubricité.  Vainement  Guillaume  de  Hîrschau  (mort 
en  1091)  fait  de  son  abbaye  un  Cluny  allemand  et  vaine- 
ment à  sa  voix,  à  l'appel  de  ses  moines,  les  couvents  de 
Souabe  se  peuplent  de  seigneurs,  et  des  villages  entiers 
adoptent  la  discipline  claustrale.  La  poésie  laïque  finit 
par  triompher.  Mais  le  clergé  lutte  avec  une  vigueur 
obstinée,  et  il  compose  poèmes  sur  poèmes,  la  Genèse  de 
Vienne,  la  Somme  de  théologie^  le  Chant  £Ezzo.  Composé 
vers  1060,  sur  l'ordre  de  l'évêque  Gunther  de  Bamberg, 
parle  prêtre  Ezzo  et  mis  en  musique  par  le  prêtre  Wille, 
le  Chant  éCEzzo  ou  de  la  Rédemption  célèbre  la  grandeur 
de  Dieu  et  le  bois  de  la  croix;  il  produisait,  dit-on,  une 
impression  profonde  et  il  fut  souvent  chanté  par  les 
gens  qui  suivirent  Gunther  de  Bamberg  dans  la  croisade 
de  1064. 


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CHAPITRE   IV 


LE   XII-  SIECLE 


La  poésie  •cclésiastiqae.  —  Henri  de  Mdik.  —  Les  Tarants.  — 
L'Archipoète.  —  Poèmes  d'aTentares.  —  Inflaence  française.  -^  Cour- 
toisie —  Traductions  des  liTres  welohas.  —  Le  moyen-havi-aUemand 
et  la  langue  littéraire.  —  Le  clerc  Conrad,  sa  Chronique  impériale  et  son 
Roland»  —  Le  clerc  Lamprecht  et  son  Alexandre.  —  Henri  le  Gllche- 
sàre.  —  Comte  Rodolphe,  —  Eilhard.  — ^  Veldeke  et  le  Roman  d^Enéat, 


La  lutte  entre  ecclésiastiques  et  laïques  se  poursuit  au 
xii*'  siècle.  Le  clergé  combat  les  jongleurs  avec  les  armes 
mêmes  des  jongleurs.  Il  emploie  leur  style,  leurs  locu- 
tions. C'est  sur  le  ton  des  jongleurs,  rapidement  et  sans 
diffusion,  qu'à  la  fin  du  siècle  précédent  l'auteur  du 
Chant  iTAnno  raconte  la  vie  du  saint  archevêque  de 
Cologne  et  déclare  qu'après  avoir  entendu  des  récits  de 
combats  et  d'assauts^  de  ruptures  d'amitiés  et  de  morts 
des  rois,  il  est  temps  de  penser  k  notre  propre  fin. 

La  Genèse  de  Vorau,  un  Exode  y  des  poèmes  sur  Judith 
et  Salomon,  sur  Jean-Baptiste  et  l'Antéchrist,  sur  les 
légendes  d'Alexis,  de  Tungdalus  et  de  Pilate,  sur  la 
Justice^  la  Vérité  et  le  Commencement  du  monde,  les  vers 
simples  et  naïfs  de  la  recluse  Ava  (morte  en  1127),  une 
Vie  de  Marie  où  le  prêtre  Wernher  a  parfois  de  tendres 


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LE   Xll«   SIÈCLE  25 

accents,  le  Credo  oii  le  pauvre  Hartmann  s*élève  contre 
le  monde  sur  un  ton  austère  et  avec  une  grande  variété 
d'expressions,  la  Morale  de  Wernher  d'Elmendorf,  des 
allégories  sur  les  Noces  du  Saint-Esprit  et  de  l'âme,  sur 
le  nombre  7  et  sur  le  nombre  4,  de  curieuses  formules 
de  bénédictions,  telles  sont  quelques-unes  des  œuvres 
poétiques  de  la  littérature  ecclésiastique  du  xii*  siècle. 

Les  plus  remarquables,  et  par  l'énergie  de  la  langue 
et  par  le  réalisme  des  détails,  sont  la  Vie  des  prêtres  et 
le  Souvenir  de  la  Mort.  Elles  furent  composées  entre 
1153  et  1163  par  Henri  de  Môlk,  frère  lai  du  couvent  de 
Môlk.  Dans  la  Vie  des  prêtres  Henri  de  Môlk  représente 
les  ecclésiastiques  de  son  temps  qui,  au  lieu  de  rester 
sur  la  tour  et  de  sonner  du  cor  pour  annoncer  l'approche 
de  l'ennemi,  ont  commerce  avec  de  belles  femmes  : 
a  Nul,  disent-ils,  sinon  nous,  ne  doit  jouer  avec  elles; 
laïques,  sortez  d'ici;  nous  voulons  besogner!  »  Dans  le 
Souvenir  de  la  mort  il  ne  se  borne  pas  à  dépeindre  la 
misère  des  princes  qui  redoutent  sans  cesse  une  trahison. 
Il  mène  une  femme  devant  le  cadavre  de  son  mari.  Le 
voilà,  ce  cher  époux!  Ou  sont  ses  œillades  et  ses  belles 
paroles  et  ses  chants  d'amour  et  les  caresses  de  ses 
mains?  Le  voilà  «  gonflé  comme  une  voile  »;  il  faut 
l'enlever  à  cause  de  la  mauvaise  odeur  qu'il  répand!  Et 
Henri  de  Môlk  termine  ce  sombre  tableau  en  évoquant 
un  père  qui  sort  de  la  tombe  pour  raconter  à  son  fils  les 
tourments  de  la  damnation  éternelle. 

Mais  le  clergé  ne  prévaut  pas.  Ses  propres  soldats  le 
combattent.  C'est  au  xu^  siècle  que  fleurit  dans  tout  son 
éclat  la  poésie  des  vagants  et  des  goliards,  si  gaillarde, 
si  pétulante,  si  sensuelle.  Ces  vagants  étaient  très  ins- 
truits pour  leur  temps;  ils  se  destinaient  à  l'état  ecclé- 
siastique, mais  ils  ne  dépassaient  pas  les  ordres  mineurs. 


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26  LITTKBATUaB  ALLEMANDE 

Ils  erraient,  comme  les  jongleurs,  sur  les  grands  ohemins 
ou  servaient  de  secrétaires  à  de  riches  seigneurs.  Débi- 
tant des  facéties  et  des  récits  merveilleux,  guérissant  les 
malades,  cherchant  des  trésors  enfouis,  ils  avaient  la 
faveur  du  publie.  Ils  mettaient  en  vers  latins  toute  sorte 
de  sujets;  ils  narraient  les  événements  contemporains; 
ils  attaquaient  le  pape  et  le  clei^é;  ils  chantaient  le  vin, 
les  femmes,  le  jeu,  les  trois  W,  comme  on  a  dit  plus 
tard,  Wein^  Weib^  Wûrfel.  Le  plus  notable  d'entre  eux 
est  r Archipoète  qui  vécut  dans  l'entourage  du  chancelier 
de  Barberousse,  Reinald  de  Dassel,  et  qui  célébrait  en 
1162  la  destruction  de  Milan.  Ce  bohème  assure  si  gat- 
ment  que  mourir  a  la  taverne  est  son  ferme  propos  et  qu'il 
ne  sait  versifier  qu^après  boire,  po8t  calieèm  ;  il  confesse 
de  si  bonne  grâce  qu'il  est  jeune  et  plus  avide  de  son  plai- 
sir que  de  son  salut;  il  jure  si  sincèrement  de  s'amen- 
der; il  s'accuse  si  ingénument!  N'est-il  pas,  comme 
l'oiseau,  comme  la  feuille  dont  les  vents  font  leur  jouet, 
et  peut-il  porter  une  chaîne? 

D'autres  vagants  chantent  en  langue  allemande.  Celui- 
ci  met  en  scène  une  jeune  fille  qui  se  plaint  du  départ 
de  l'amant,  du  geselle  :  qui  l'aimera  maintenant  que 
verdissent  les  bois?  Celui-là  soupire  après  une  femme  à 
la  bouche  douce  et  rose.  Un  troisième  donnerait  le  monde 
entier  pour  tenir  dans  ses  bras  la  reine  d'Angleterre, 
Éléonore. 

D'autres,  — et  ceux-là  sont  des  jongleurs,  —  récitent  h 
leurs  auditeurs  de  grands  poèmes  d'amours  et  d'aventures. 
Ils  racontent  ou  bien  un  événement  historique  ou  bien  la 
légende  héroïque,  et  cette  légende,  cet  événement»  ils 
l'arrangent,  l'agrémentent  d'épisodes  nouveaux  soit  mer- 
veilleux, soit  comiques.  Toutes  leurs  œuvres  se  ressem- 
blent   :   même  style,  mêmes  tours   et  mêmes  formules 


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LE  XII*  8IBGLB  t7 

épiques,  mêmes  motifs  ;  la  fille  d'un  roi  est  demandée  en 
mariage,  le  roi  éconduit  les  envoyés  du  prétendant,  et, 
malgré  mille  dangers,  l'amant  enlève  la  princesse.  Pour 
plaire  à  ses  auditeurs  en  ce  temps  de  croisades,  le  jon- 
gleur les  transporte  dans  le  monde  de  Byzance  et  de 
rOrient. 

Le  roi  Rothêr  prend,  perd,  puis  reprend  la  fille  du  roi 
de  Constantinople. 

Le  due  Ernesiy  parti  pour  la  croisade,  rencontre  des 
pygmées,  des  géants,  des  peuples  a  tète  de  grue,  aux 
pieds  plats  ou  aux  longues  oreilles. 

Oswald  et  Orendel  datent  de  1180  k  1190  :  Oswald  a 
pour  compagnon  un  corbeau  qui  le  tire  du  péril  ;  Oren- 
del trouve  dahs  une  baleine  la  tunique  de  Jésus-Christ 
et  la  laisse  k  Trêves  où  elle  est  encore. 

StdomoH  et  Marolf  représenie  dans  Marolf  Tidéal  du 
jongleur,  un  homme  plein  d'esprit  et  d'astuce  qui  sait 
toujours  sortir  d'embarras. 

Contre  ces  poèmes  des  jongleurs  et  contre  les  poèmes 
chevaleresques,  que  pouvait  le  clergé  ?  Derechef  il  (ut  trahi 
par  les  siens.  Ce  sont  des  clercs,  Conrad,  Lamprecht, 
Veldeke  qui,  les  premiers,  imitent  ou  traduisent  les 
CBUvres  de  la  France.  Au  xii*  siècle  la  littérature  française 
commence  k  prendre  en  Allemagne  cet  ascendant  qu'elle 
a  gardé  depuis.  Ses  chansons,  ses  romans  passent  le 
Rhin,  et  Roland  est  populaire  au  delk  comme  en  deçk  du 
fleuve.  Français  et  Allemands  fraternisent  pendant  les 
croisades.  Des  princesses  de  langue  française  épousent 
des  empereurs  et  des  princes  d'Allemagne.  La  vie  des 
cours  est  toute  française.  Une  foule  de  mots  français 
pénètre  dans  l'allemand,  et  le  plus  grand  nombre  se  rap- 
portent aux  tournois  et  aux  armes.  L'auteur  de  Maurice 
de  Craon  ne  dit-il  pas   que  la  chevalerie  est  venue  de 


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98  LITTERATURE   ALLEMANDE 

France  en  Carlingie,  au  pays  de  Charlemagne,  d'Olivier 
et  de  Roland,  qu'elle  y  a  grand  honneur  et  renom,  que 
nulle  part  les  dames  n'ont  de  meilleurs  servants  d'amour? 
Comme  les  héros  chantés  en  Carlingie,  comme  cet  Arthur 
à  qui  la  poésie  française  décerne  les  deux  épithètes  de 
preux  et  de  courtois,  tout  chevalier  allemand  veut  unir 
courtoisie  à  prouesse,  vent  être  hôpesch  et  wolgezogen. 
Le  roi  Marc  prie  son  neveu  Tristan  d'être  «  bien  élevé  et 
courtois  »,  et  Isolt,  avant  l'épreuve  du  fer  brûlant,  espère 
en  la  courtoisie  de  Dieu.  La  courtoisie,  telle  est  la  qualité 
suprême,  et  le  mot  tugendy  qui  aujourd'hui  signifie 
<x  vertu  D,  signifiait  alors  «  bienséance  ». 

On  traduit  donc  des  œuvres  françaises  où  revit  la  cour- 
toisie du  temps,  où  brillent  la  politesse  dés  manières,  le 
luxe  des  châteaux,  la  richesse  des  costumes  et  des 
armures,  la  beauté  des  chevaux.  Elles  sont  à  la  mode, 
et  les  lire,  les  citer,  c'est  encore  être  courtois.  Cette 
poésie  nouvelle  fleurit  notamment  chez  les  archiducs 
d'Autriche  et  les  landgraves  de  Thuringe.  Son  succès  est 
tel  que  le  manuscrit  d'un  poème  de  Veldeke,  prêté  à  une 
comtesse  de  Clèves,  est  dérobé  par  un  comte  Henri  qui 
l'envoie  en  Thuringe,  où  Yeldeke  ne  le  rattrape  que 
neuf  ans  après  par  Tintercession  du  landgrave  Hermann. 

Les  traducteurs  des  «  livres  v^elches  »  ne  se  piquent 
pas  d'une  exactitude  littérale.  Ils  ne  sont  pas  esclaves  de 
leur  texte  ;  ils  l'habillent  à  leur  guise  pour  qu'il  soit  mieux 
goûté;  ils  visent  à  l'élégance  et  à  la  grâce.  Leur  langue 
est,  par  suite,  une  langue  correcte,  régulière,  propre  à 
être  comprise  de  tout  le  public  lettré.  Non  qu'ils  renoncent 
absolument  au  parler  de  leur  pays  d'origine.  Mais  s'ils 
payent  tribut  à  leur  terroir  et  s'ils  sentent  leur  province, 
ils  suivent  des  règles  communes,  ils  bannissent  avec  soin 
ce   que  leur  dialecte  offrirait  de   trop  particulier  et  de 


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LB   XU*   SIÈCLE.  29 

ehoquant,  ils  choisissent  leurs  mots  et  leurs  rimes,  ils 
évitent  certaines  formes.  II  y  a  ainsi  une  sorte  de  langue 
littéraire,  le  moyen-haut-allemand,  le  mitteUioehdeutach. 
La  période  de  Tancien-haut-allemand  se  clôt  d'ailleurs 
après  le  xi*  siècle  :  les  finales  se  sont  assouplies,  le  phé- 
nomène de  la  métaphonie  ou  de  VUmlaut  s'est  entière- 
ment accompli;  le  moyen-haut-allemand  régnera  jusqu'à 
la  fin  du  XV*  siècle. 

Deux  clercs  composent  les  premières  traductions  :  le 
clerc  Conrad,  de  Bavière,  et  le  cleo:  Lamprecht,  des  envi- 
rons de  Cologne. 

Le  clerc  Conrad  est  l'auteur  ou  plutôt  le  remanieur  et 
le  compilateur  d'une  Chronique  impériale.  Cette  Ckro» 
niquey  où  les  saints  priment  les  héros,  est,  selon  ses  pro- 
pres termes,  a  la  fois  une  chronique  et  un  chant  en  l'hon- 
neur de  Dieu.  Elle  fourmille  d'anachronismes  inouis  et 
doreurs  fantastiques  :  on  y  lit  que  les  Saxons  accompa- 
gnent Alexandre  et  que  les  Bavarois  viennent  de  l'Arménie, 
que  Tarquin  succède  à  Néron,  que  Commode  combat 
Alaric,  que  l'empereur  Gallienest  le  plus  grand  médecin 
de  son  époque,  et  le  pape  Léon,  le  frère  de  Charlemagne. 
Mais  c'est  un  vaste  tableau  de  la  société  chevaleresque; 
c'est  aussi  le  répertoite  des  légendes  médiévales,  et  cette 
encyclopédie  fut  de  toutes  parts  imitée  et  continuée. 

Le  même  Conrad  traduisit  vers  1132  la  Chanson  de 
Roland  d'après  une  traduction  latine  du  texte  français.  Il 
cite  la  Bible,  il  s'étend  sur  la  piété  de  Roland  et  de  ses 
compagnons  qu'il  représente  comme  de  fervents  chrétiens^ 
avides  de  mériter  le  martyre  et  de  gagner  le  royaume  de 
Dieu.  Son  œuvre  respire  l'enthousiasme  de  la  croisade  et 
ses  Francs  sont  en  effet,  selon  son  expression,  de  saints 
pèlerins  qui  prennent  la  croix.  Ses  récits  de  combats  ont 
même  plus  de  vie    et   de   variété    que    ceux   de   notre 


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30  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

Chanson  de  Roland  parce  qu'il  emploie  les  formules  de 
Tépopëe  héroïque  :  le  vent  que  fait  Tépée,  le  ruisseau  de 
sang  qui  coule  des  casques,  les  fleurs  qui  se  colorent  de 
rouge. 

Le  clerc  Lamprecht,  qui  traduisit  vers  1138  Y  Alexandre 
d'Albéricde  Besançon,  a,  lui  aussi,  l'accent  martial.  Il  est 
aise  de  narrer  les  prouesses  du  conquérant  qu^il  nomme, 
comme  tout  le  moyen  âge,  le  merveilleux  Alexandre;  il 
raconte  avec  vivacité  le  siège  de  Tyr  et  les  batailles  du 
Granique  et  d'Arbèles.  Mais  il  est  prêtre  et,  lorsqu'il 
décrit  la  douleur  des  Perses,  on  sent  qu'il  compatit  au  sort 
des  vaincus. 

La  poésie  française  est  donc  la  source  où  puise  la 
poésie  allemande.  En  même  temps  que  maître  Nivard 
écrit  a  Gand  son  poème  latin  à^Ysengrinus  où  le  loup 
et  le  renard  jouent  le  rôle  principal,  un  clerc  nomade 
d'Alsace,  Henri  le  Glichezâre,  versifie,  d'après  diverses 
branches  françaises,  son  Reinhart  Fuchs^  qui  retrace  en 
rimes  incorrectes,  non  sans  sécheresse,  mais  non  sans 
réalisme,  les  faits  et  gestes  de  Renard  dans  la  maison 
d'Ysengrin  et  à  la  cour  du  lion,  le  roi  Frevel. 

Aux  environs  de  1170,  un  poète  thuringien  met  en  vers, 
dans  le  Comte  Rodolphe^  les  aventures  d'un  chrétien, 
Hugues  de  Puiset,  qui  passe  aux  Sarrasins  et  enlève  la 
fille  de  leur  roi. 

Un  autre  traduit  à  la  même  époque  le  poème  de  Floire 
et  Blanchefleur, 

Eilhart  d'Oberg  compose,  vers  1187,  un  poème  de 
Tristan  et  Iseult  d'après  une  version  française  de  la 
légende,  sans  doute  celle  de  La  Chèvre.  Il  est  lourd,  il 
use  des  formules  toutes  faites,  il  a  nombre  de  rimes 
grossières  et  il  accumule  les  épisodes  sans  les  lier  for- 
tement. Mais  le  choix  heureux  du  sujet,  les  expressions 


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LB  XI1«  SIÈCLB  31 

welches  qu'il  emploie,  la  vivacité  de  ses  dialogues  lui 
valurent  quelque  renom. 

Henri  de  Veldeke  vint  éclipser  Eilhart.  C'était  un 
ecclésiastique  du  petit  village  de  Yeldeke,  près  de 
Maestricht,  mais  qui  savait  le  monde  et  qui  l'aimait.  En 
1184  îl  assistait  à  ces  fêtes  de  Mayence  où  l'empereur 
Frédéric  Barberousse  fit  ses  deux  fils  chevaliers.  Il  n'a 
qu'un  mince  talent.  Dans  ses  poésies  lyriques  il  chante 
la  nature  et  l'amour  sans  nul  éclat  :  il  a  traduit  notre 
Roman  d'EnéaSf  et  de  quelle  façon  plate,  traînante  et 
prolixe!  Il  n'a  d*autre  souci  que  d'attraper  la  rime  et  il 
se  répète  ;  il  prodigue  les  chevilles,  les  vers  de  remplis- 
sage, et,  loin  d'ajouter  à  son  texte  un  trait  nouveau,  il 
supprime  des  détails  nécessaires.  Mais  il  donna  le  branle 
au  grand  mouvement  poétique  du  xiii"  siècle  en  révélant 
k  FAUemagne  ce  Roman  d'EnéaSy  une  des  œuvres  les  plus 
remarquables  de  notre  moyen  âge  français,  non  seulement 
parle  soin  et  la  tenue  du  style,  mais  par  les  descriptions 
de  combats,  par  la  peinture  des  mœurs  chevaleresques, 
surtout  par  le  naïf  et  piquant  récit  des  amours  d'Enée, 
par  la  finesse  de  l'étude  psychologique,  par  l'expression 
de  sentiments  délicats  et  raffinés.  Son  Enéide  offrait  le 
modèle  d'une  versification  régulière.  Avant  lui,  la  rime 
n*était  guère  qu'une  assonance.  Yeldeke  fut  le  premier 
à  rimer  purement.  Rodolphe  d'Ems  assure  qu'il  a  le  tout 
premier,  allerérst,  trouvé  des  rimes  justes,  et  Gottfried  de 
Strasbourg,  qu'il  a  greffé  la  première  branche,  impete  daz 
érstâ  rUy  sur  l'arbre  de  la  langue  allemande,  et  que  de 
cette  branche  sont  sortis  les  rameaux  dont  tous  ont 
ensuite  cueilli  les  fleurs. 


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CHAPITRE   V 


LE    XIII*   SIECLE 

L'épopée  courtoise.  —  Hartmann  d'Ane.  •—   Gottfried  de  Strasbourg-. 

—  Wolfram  d'Eschenbach.  —  Leurs  élèyes.  —  Conrad  de  Warsbourg', 
Rodolphe  d'Ems  et  le  Stricker.  —  Helmbrecbt.  —  Le  Toyage  des 
Viennois.  —  Le  Weinscbwelg.  —  Poésie  ecclésiastique.  —  Chroniques 
rimées. 

Le  Minnesang.  —  Influence  française.  —  Haut  amour  et  bas  amour. 
^-  Hausen.  —  Morungon  et  Reinmar  le  Tieaz.  —  Walther  de  la 
Vogelweide.  —  Neifen,  Winterstetten  et  Hobenfels.  —  Neidbart.  —  Le 
Tannhauser.  —  Les  Suisses»  Steinmar,  Hadloub.  —  Maître  Alexandre. 

—  Ulrich  de  Liechtenstein. 

Poésie  didactique.  —  Heriger  et  Spervogel.  —  Le  Marner.  —  Frauenlob 
et  Regenbogen.  —  Le  Winsbeke  et  la  Winsbekin.  —  Thomasin  de 
Zirclaerc.  —  Freidank.  —  Hugo  de  Trimberg.  —  Satire  :  le  prétendu 
Seifried  Helbling.  —  Sermon  :  David  d'Augsbourg  et  Berthold  de 
Ratisbonne.  —  Eike  de  Repkowo. 

L'épopée  populaire.  —  Gudrun.  —  Les  Nibclungcn. 


Les  poètes  qui  vinrent  immédiatement  après  Yeldekc 
semblent  constituer  son  école.  Tous,  même  les  plus 
célèbres,  relèvent  de  lui;  tous  riment  purement;  tous 
accentuent  le  caractère  courtois  de  leur  modèle  français  : 
Otte  qui  traduit  vers  1203  VBéracUusde  Gautier  d'Arras; 
Herbort  de  Fritzlar  qui  traduit,  en  l'abrégeant,  le  roman 
de  Troie  de  Benoit  de  Sainte-More  ;  Albert  d'Halberstadt 
qui  paraphrase  en  1210  les  Métamorphoses  d'Ovide; 
l'auteur  de  Maurice  de  Craon.  Mais  ces  noms  pâlissent  à 


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LE   XIII*  8IÀCLB  38 

c6té  de  ceux  de  trois  poètes,  les  trois  grands  maîtres  de 
la  poésie  épique  du  moyen  âge  allemand,  Hartmann 
d'Aue,  Gottfried  de  Strasbourg  et  Wolfram  d'Eschenbach. 
S'ils  ne  sont  pas,  k  vrai  dire,  originaux^  s'ils  n'ont  pas 
créé  leur  sujet,  ces  trois  poètes  ont  créé  leur  style. 

Hartmann  d'Aue,  Souabe  et  vassal  du  seigneur  d'Aue 
(mort  entre  1210  et  1220),  est  un  peu  froid  dans  ses 
poésies  lyriques  et  dans  son  Bûchlein  qui  contient,  sous 
forme  d'un  débat  entre  le  cœur  et  le  corps,  une  décla- 
ration d'amour. 

Il  doit  sa  renommée  à  deux  poèmes  épiques,  VErec  et 
Vhain.  UIçain  l'emporte  sur  VErec,  Dans  Erec  Hart- 
mann veut  briller,  étaler  son  savoir,  et  il  décrit  en  cinq 
cents  vers  le  palefroi  d'Enide  que  Chrestien  de  Troyes, 
son  modèle,  décrit  en  cinquante,  hairiy  dont  il  a  poli  le 
style  avec  un  scrupule  extrême,  est  de  tous  les  poèmes 
qui  traitent  la  légende  d'Arthur  le  plus  régulier  et,  si 
l'on  peut  dire,  le  plus  proprement  fait.  Mais  hairiy 
comme  Erec^  est  une  traduction.  Que  Hartmann  ait  avec 
raison  adouci  ou  accusé  certains  traits  et  pallié  heureu- 
sement quelques  invraisemblances  de  Chrestien,  ce  sont 
là  menus  détails;  encore,  lorsqu'il  remanie  ainsi  le  texte 
français,  commet-il  souvent  des  maladresses,  et  pour 
les  réflexions  de  son  cru,  bien  qu'elles  témoignent  de 
sa  sensibilité  et  d'une  ingénieuse  observation,  elles  n'ont 
que  peu  d'importance.  Toutefois  il  est  artiste.  S'il  se 
répète  fréquemment,  s'il  développe  trop  longuement  une 
pensée  qui  lui  plaît,  s'il  renchérit  sur  les  antithèses  de 
Chrestien,  il  traduit  le  poète  champenois  avec  tant  de 
souplesse,  il  manie  le  vers  avec  tant  d'habileté,  il  rime 
avec  tant  de  virtuosité  ! 

De  même  dans  le  Grégoire  :  s'il  tâche  de  donner  aux 


UTT^BATVHB   ALLBIUIIOI. 


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S4  LITTÉRATURE  ALLBMANDB 

caractères  plus  de  vérité,  s'il  marque  avec  plus  de 
minutie  l'état  d'âme  des  personnages,  il  n'a  pas  U 
naïveté,  la  fratcheur,  la  sobriété  du  conteur  français;  la 
encore,  il  allonge  et  délaie  l'original,  mais  là  encore, 
en  nombre  d'endroits,  il  sait,  selon  l'expression  d'un 
contemporain,  colorer  et  orner  le  récit. 

Son  œuvre  la  plus  populaire,  puisée  sans  doute  à  une 
source  latine,  est  le  Pauçre  Henri.  Le  chevalier  Henri 
d'Aue,  atteint  de  la  lèpre,  ne  pourra  guérir  que  s*il 
trouve  une  vierge  qui  consente  à  lui  donner  son  sang. 
Désespéré,  il  distribue  tout  son  bien,  à  l'exception  d'une 
métairie  où  il  vit  dans  la  plus  complète  solitude.  La  fille 
de  son  métayer  se  dévoue;  elle  part  avec  lui  pour 
Salerne;  le  docteur  la  couche  sur  une  table,  le  corps 
nu,  mains  et  jambes  liées,  et  déjà  il  aiguise  le  cou- 
teau. Mais  Henri,  resté  dans  une  chambre  attenante, 
voit  à  travers  une  fente  l'innocente  victime,  il  entre,  et 
il  ramène  en  Souabe  la  jeune  fille  qui  le  traite  de  lâche. 
Il  est  assez  éprouvé;  Dieu  le  guérit,  et  le  chevalier  prend 
pour  femme  celle  qu'il  nommait  plaisamment  sa  fiancée. 
Hartmann  se  garde  de  peindre  les  efiets  physiques  de  la 
lèpre.  Mais  les  sentiments  de  Henri  qui  négligeait  son 
salut,  sa  tristesse,  sa  résignation,  son  humiliation,  sa 
soumission  envers  Dieu,  tout  cela,  Hartmann  l'a  décrit 
sans  trop  de  longueurs  en  son  style  pur  et  toujours  aisé. 
L'héroïne  excite  l'intérêt  autant  que  le  «  pauvre  Henri  »  : 
elle  veut  échapper  aux  misères  terrestres,  sauver  son 
âme,  gagner  par  son  sacrifice  la  vie  éternelle.  On  ne  lui 
reprochera  que  de  faire  de  graves  discours  à  ses  parents  : 
elle  a  douze  ans! 

Hartmann  est  doux,  sage,  plein  de  cette  mesure,  de 
cette  mâze  qu'il  regarde  comme  la  première  vertu  du 
chevalier.  S'il  n'a   pas  une  grande  faculté  d'invention, 


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LB  XIII*  81BCLB  S6 

s'il  e8t  parfois  subtil  et  recherché,  s'il  abuse  des  sen- 
tences, il  s'exprime  gentiment,  non  sans  bonhomie  ni 
malice,  avec  autant  d'élégance  et  de  finesse  que  de  clarté. 
Il  n'est  pas  énergique,  pittoresque,  puissant  comme 
Chrestien.  Mais  il  est  aimable,  enjoué,  gracieux,  et, 
ainsi  que  disait  Gottfried  de  Strasbourg,  son  style  a  la 
transparence  du  cristal. 

De  même  que  Hartmann  a  traduit  Chrestien  de  Troyes, 
de  même  Gottfried  a  dans  le  Tristan  traduit  le  poète 
anglo-normand  Thomas,  qu'il  nomme  Thomas  de  Bre- 
tagne. S'il  y  a  dans  l'œuvre  allemande  une  fine  psycho- 
logie, le  mérite  en  revient  d'abord  à  Thomas.  C'est  Tho- 
mas, et  non  Gottfried,  qui  a  créé  les  personnages  du 
Tristan,  pénétré  jusqu'au  fond  de  leur  cœur,  rendu  leurs 
sentiments  intimes. 

Du  reste,  on  ne  sait  rien  de  ce  délicieux  Gottfried, 
sinon  qu'il  a  composé  son  poème  vers  1215,  qu'il  était 
laïque,  qu'il  avait  une  très  grande  instruction  et  qu'il 
possédait  le  français.  Nos  mots,  nos  expressions  foison- 
nent dans  son  Tristan.  Il  ne  se  contente  pas  de  faire 
un  vers  comme  celui-ci  :  mit  fierer  contenanze,  <c  avec 
fière  contenance  »  ;  il  cite  des  vers  entiers  en  notre 
langue. 

II  a  des  défauts  et  il  ne  manque  pas  de  copier  les  sub- 
tilités de  Thomas.  L'allégorie  lui  jplaft,  et  il  dira  que  des 
vêtements  ont  été  désirés  par  Fierté,  payés  par  Richesse, 
coupés  par  Raison  et  cousus  par  Courtoisie;  que  le 
combat  entre  Tristan  et  Morolt  avait  lieu  entre  huit 
hommes  puisque  Morolt  valait  quatre  guerriers  et  que 
du  côté  de  Tristan  luttaient  Dieu,  le  droit,  le  courage  et 
Tristan  lui-mèioie.  Il  prodigue  les  jeux  de  mots  et  les 
jeux  de  rimes,  il  tombe  parfois  dans  le  précieux,  et  à 


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36  LITTERATURE  ALLEMANDE 

force  de  développer  soit  la  pensée,  soit  la  description, 
il  devient  diffus. 

Mais  Gottfried  a  corrigé  son  devancier  et  dissipé  ses 
obscurités  ;  il  a  mieux  motivé  les  actes  des  personnages 
et  il  a  mis  en  plein  relief  le  caractère  de  Brangain  et  celui 
du  sénéchal  Mariadoc;  il  a  souvent  ajouté  des  traits 
ingénieux  et  des  détails  charmants  à  son  original  ;  il  a 
voulu  faire  ce  que  Hartmann,  selon  lui,  avait  déjà  fait, 
donner  au  «  livre  welche  »  plus  d'éclat  et  plus  de  cou- 
leur,  et  il  y  a  réussi.  Nul  au  moyen  âge  allemand  n'a  plus 
d'esprit,  plus  de  goût,  plus  de  fraîcheur,  plus  d'har- 
monie que  Gottfried.  Quelle  suite  d'images  brillantes 
et  variées  dans  le  passage,  qui,  sûrement,  n'appartient 
qu'à  lui,  sur  les  poètes  de  son  temps  !  Il  use  habilement 
de  toutes  les  ressources  de  la  langue;  il  ne  se  borne 
pas  à  filer  de  belles  périodes  symétriques;  par  la  répéti- 
tion, par  l'interrogation,  par  l'exclamation  il  imprime 
à  son  récit  une  allure  vive,  un  élan  lyrique,  et,  si  sca- 
breuses que  soient  les  situations,  sa  touche  est  légère, 
délicate,  décente;  pas  de  plaisanterie,  pas  d'équivoque. 

Aussi,  l'œuvre  de  Gottfried,  quoique  inachevée,  forme 
un  attrayant  ensemble.  Elle  a  conféré  l'immortalité  à 
Iseult  et  à  Tristan.  Il  regarde  les  deux  amants  comme  le 
modèle  des  nobles  cœurs  et  il  prend  parti  pour  eux 
contre  le  roi  Marc.  Â  qui  la  faute,  sinon  au  philtre  qu'ils 
ont  bu?  Leur  passion  est  fatale,  irrésistible,  indestruc- 
tible, et  rien  ne  prévaut  contre  elle.  Selon  Gottfried,  ni 
Tristan  ni  Iseult  n'ont  trompé  Marc;  ils  s'aimaient;  ils 
avaient  et  bonheur  et  honneur;  c'est  Marc  qui  menait  une 
existence  déshonorante  puisqu'il  aimait  Iseult  et  qu'il 
savait  qu'elle  ne  l'aimait  pas  !  L'amour,  aux  yeux  de 
Gottfried  et  de  ses  contemporains,  est  donc  souverain, 
cet  amour  dont  Gottfried  célèbre  Tempire  par  toute  sorte 


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LB   XIII*  SlàCLB  37 

d'épithètes,  cette  JUinne  qui  tend  des  embûches  à  tous 
les  hommes,  qui  les  domine  tous,  les  trouble,  les  enlace 
et  les  enduit  de  sa  glu,  cette  Minne  qui  dans  a  la  grotte 
des  amants  »  ofire  à  Tristan  et  à  Iseult  la  vie  idéale,  le 
WunschUben  ! 

Wolfram  d'Eschenbach  (1170-1220),  chevalier  bavarois 
qui  possédait  un  petit  bien  près  d'Ansbach,  est  le  plus 
original,  le  plus  allemand  des  poètes  du  moyen  âge.  Il 
n'a  pas  la  culture  classique  de  Hartmann  et  de  Gottfried 
et  il  assure  qu'il  ne  sait  ni  lire  ni  écrire.  Mais  il  n'ignore 
pas  le  français,  bien  qu'il  commette  parfois  d'amusants 
contre-sens  ;  il  a  tâché  de  s'instruire  et  prêté  curieuse- 
ment l'oreille  à  tout  ce  que  chantaient  et  contaient  jon- 
gleurs et  vagants;  il  a  guerroyé,  parcouru  le  sud  et  le 
centre  de  l'Allemagne;  il  connaît  les  hommes  et  le 
monde  chevaleresque. 

Il  est  poète  lyrique  et,  dans  ses  aubades,  il  exprime  en 
images  énergiques  et  hardies  l'inquiète  tendresse  de 
l'amant.  Dans  Titurel  il  rend  avec  charme  l'ardent 
amour  de  Sigune.  Dans  Willehalnty  inachevé  du  reste 
et  composé  d'après  notre  poème  d^Aleschans,  il  montre 
de  louables  sentiments  de  mansuétude  et  de  tolérance, 
relève  les  païens  que  son  modèle  abaissait,  ennoblit  le 
Renouard  de  la  geste  française. 

Le  Parzii^al est  son  œuvre  principale.  Lehéros,  Parzival, 
a  pour  père  Gahmuret,  roi  d'Anjou,  et  pour  mère  Herze- 
loyde^  reine  de  Valois.  Gahmuret  périt  dans  un  combat; 
Herzeloyde,  qui  veut  soustraire  son  fils  aux  dangers  de 
la  vie  chevaleresque,  se  retire  avec  lui  dans  la  solitude 
en  pleine  forêt.  Mais  un  jour  Parzival  rencontre  des 
chevaliers  aux  brillantes  armures  et,  malgré  Herzeloyde, 
il  les  suit  k  la  cour  d'Arthur  où  il  débute  par  un  coup  de 


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38  LITTÉRATURB  ALLEMANDE 

maître.  Son  oncle  Gurnemanz  lui  enseigne  les  devoirs  d'un 
chevalier  et  l'engage  à  ne  questionner  indiscrètement 
personne.  Fort  de  ces  conseils,  Parzivai  court  le  monde.  Il 
délivre  la  reine  Condwiramur  de  ses  ennemis  et  l'épouse. 
Puis,  ressaisi  de  la  soif  des  aventures,  il  part  à  la  recherche 
de  sa  mère.  Il  entre  au  château  de  Montsalvat.  Par  mal- 
heur, il  n'oublie  pas  à  propos  la  recommandation  de 
Gurnemanz  :  il  voit  un  page  porter  une  lance  sanglante 
dont  la  vue  afflige  les  assistants  ;  il  voit  la  sœur  de  son 
hôte  Anfortas  apporter  le  Oral  qu'il  suffit  de  placer  sur  la 
table  pour  qu'elle  se  couvre  de  mets;  il  voit  Anfortas 
malade  et  malheureux  ;  il  entrevoit  sur  un  lit  un  vieillard 
plus  gris  que  le  brouillard,  et  il  ne  fait  aucune  question.  Le 
lendemain,  lorsqu'il  part,  le  château  est  vide,  et  bientôt 
il  apprend  que  son  silence  lui  coûte  le  bonheur.  Il  regagne 
la  cour  d'Arthur  et  il  aperçoit  sur  la  neige  trois  gouttes 
de  sang.  A  cet  aspect  il  se  rappelle  Condwiramur  au 
visage  blanc  et  rose,  il  se  perd  dans  ses  pensées  et  il  ne 
revient  à  lui  que  lorsque  Gauvain  jette  sur  les  gouttes  de 
sang  son  mouchoir.  Le  souvenir  de  Condwiramur  a  sauvé 
Parzivai  du  désespoir  et  il  est  reçu  chevalier  de  la  Table 
Ronde.  Mais  Kondrie  la  sorcière  lui  reproche  dans  les 
termes  les  plus  cruels  sa  conduite  à  Montsalvat  et  assure 
au  roi  Arthur  que  l'honneur  de  la  Table  Ronde  est  désor- 
mais  souillé.  Parzivai  s'éloigne  et,  au  bout  de  cinq  ans 
de  prouesses,  il  rencontre  l'ermite  Trevrizent  qui  lui 
révèle  le  mystère  du  Gral.  C'est  une  pierre  précieuse 
tombée  du  ciel;  ses  gardiens,  auxquels  elle  fournit  d'iné- 
puisables richesses,  sont  les  Templiers;  ils  doivent  être 
pieux  et  chastes;  seul,  le  roi  peut  vivre  en  état  de 
mariage;  le  vieillard  que  Parzivai  n'a  fait  qu'entrevoir 
est  Titurel,  et  Titurel  a  deux  petits-fils,  Anfortas  et  Tre- 
vrizent; infidèle  à  son  serment,  Anfortas  a  été  blessé  par 


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LB  XIII*  ilBCLB  19 

une  lance  empoisonnée  et  il  ne  gnérira  que  lorsqu'un 
chevalier  l'interrogera  sur  la  cause  de  ses  souffrances. 
Encouragé  par  Trevrisent,  qui  lui  remet  ses  péchés, 
transformé,  régénéré,  Parzival  marche  dorénavant  d'un 
pas  ferme  vers  le  but  qu'il  s'est  fixé.  II  triomphe  de 
l'invincible  Gauvain;  il  combat  son  frère  consanguin 
Feirefiz,  né  de  l'union  de  Gahmuret  et  de  Belakane,  reine 
des  Maures;  il  entre  à  Montsalvat;  il  interroge  Anfortas 
qui  guérit  aussitôt;  il  se  fait  couronner  avec  Condwi- 
ramvr,  et  son  fils  Lohengrin  lui  succédera  comme  roi 
du  Oral. 

Ainsi,  après  de  longues  épreuves,  le  héros  devient 
l'oint  du  Seigneur.  C'est  d'abord  un  simple,  tump;  puis  il 
se  jette  dans  le  monde  et  il  passe  à  côté  du  vrai  bonheur; 
il  sacrifie  l'humanité  au  respect  des  formes  courtoises,  il 
perd  le  Oral  et,  tout  en  reconnaissant  sa  faute,  il  s'aban- 
donne au  doute  et  à  l'orgueil  au  lieu  de  s'amender.  Enfin, 
à  la  voix  de  Trevrizent,  il  se  réconcilie  avec  Dieu  dont 
il  s'était  détourné,  et  il  obtient  la  plus  belle  royauté. 

A  Parzival  s'oppose  Gauvain.  Le  poète  représente 
dans  Parzival  et  Gauvain  deux  types  de  chevalier  :  Par- 
zival, sérieux,  grave,  pensant  aux  choses  du  ciel;  Gau- 
vain, léger,  volage  et  attaché  aux  choses  de  la  terre. 
Autour  d'eux  se  groupent  les  autres  personnages  :  du 
côté  de  Parzival,  Gurnemanz  et  Trevrizent,  sa  mère 
Herzeloyde,  sa  femme  Condwiramur,  sa  cousine  Sigune 
et  U  sœur  d'Anfortas,  Repanse  de  Joie,  dont  l'âme  est  si 
noble  que  le  païen  Feirefiz,  pour  l'épouser*  abjure  sa 
religion;  du  côté  de  Gauvain,  de  belles  dames  gracieuses, 
fringantes,  mais  capricieuses,  coquettes,  altières,  amères 
dans  leur  douceur,  bi  der  sueze  al  sûr. 

Ainsi,  le  Parzival  est  un  tableau  de  la  chevalerie.  La 
plupart  des  personnages  ressemblent  h  ce  Gahmuret  qui 


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40  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

sent  sa  mamelle  gauche  se  gonfler  d*an  désir  de  gloire, 
et  tous  souhaitent,  comme  s'exprime  Tun  d'eux,  qu'on 
les  loue  devant  les  dames.  La  vie  chevaleresque,  voilà 
pour  Wolfram  la  seule  vie  enviable,  et  il  chevalerise 
toutes  choses.  Il  voit  dans  les  premières  étoiles  les 
fourriers  qui  préparent  le  logement  de  la  nuit  et  dans  la 
terre  au  printemps  un  faucon  qui  mue.  C'est  des  tour- 
nois et  des  fêtes  qu'il  tire  ses  images,  et  il  dira,  par 
exemple,  non  qu'il  dicte  des  règles,  mais  qu'il  dresse 
des  buts.  Mais,  s'il  décrit  avec  complaisance  le  a  jouter  » 
et  le  a  poindre  »,  s'il  doue  ses  héros  d'une  âme  hardie 
et  belliqueuse  qui  répudie  l'inaction,  il  ne  cesse  de 
prêcher  l'honneur,  la  werdekeity  et,  bien  qu'il  soit  quel- 
quefois cru,  il  vante  les  femmes  sages  et  chastes,  il 
nomme  la  pudeur  la  serrure  de  toutes  les  vertus,  il 
exalte  le  mariage. 

Graves  sont  les  défauts  du  poème.  Wolfram  ne  marque 
pas  assez  nettement  le  conflit  des  passions  terrestres  et 
des  aspirations  idéales  dans  le  cœur  de  Parzival  et  la 
métamorphose  qui  peu  à  peu  s'accomplit  en  lui.  L'histoire 
de  Gahmuret  est  trop  longue  et  l'épisode  de  Parzival 
délivrant  Condv^iramur  ne  fait  que  rappeler  l'épisode  de 
Gahmuret  délivrant  Belakane.  Trop  souvent  Gauvain  est, 
pour  parler  comme  l'auteur,  le  maitre  du  récit  et  celui 
qui  tient  l'aventure  dans  ses  mains.  Enfin,  Wolfram  n'a 
pas  la  belle  clarté  de  Hartmann  et  de  Gottfried  ;  il  est  fré- 
quemment obscur  et  Gottfried  disait  déjà  qu'on  ne  pou- 
vait le  comprendre  sans  commentaire.  Et  pourtant,  qui 
ne  rendrait  hommage  à  l'élévation  de  sa  pensée,  à  l'on- 
ginalité  de  son  style,  à  la  force  de  cet  esprit  qui  sut 
traiter  d'un  bout  à  l'autre  un  sujet  si  vaste,  exécuter 
habilement  la  plupart  des  détails,  dominer  l'ensemble  de 
l'ouvrage!  Qu'il  ait  emprunté  sa  matière  à  Chrestien  de 


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L«  XIII*  SIÂGLB  41 

Troyes,  puis  à  cet  introuvable  Kyot  on  Guyot  qui  remanie 
et  continue  Chrestien,  il  possédait  en  tout  cas  une  prodi- 
gieuse mémoire,  une  intelligence  puissante,  Tâme  et  le 
talent  d*un  grand  poète. 


Les  trois  grands  maîtres  de  l'épopée  courtoise,  élèves 
des  Français,  eurent  des  élèves  à  leur  tour. 

Le  lourd  Lanzelet  d'Ulrich  de  Zatzikoven  ;  le  Wigalois 
de  Wirnt  de  Gravenberg  qui  imite  le  Guinglain  de 
Renaud  de  Beaujeu;  le  Wigamur  d'un  médiocre  poète 
qui  fait  de  son  héros  un  chevalier  à  l'aigle  comme 
Wirnt  avait  fait  de  son  Wigalois  un  chevalier  à  la  roue 
et  Hartmann  de  son  Ivain  un  chevalier  au  lion  ;  le  Gauriel 
de  Conrad  de  Stoffel  qui,  lui,  fait  de  son  héros  un  che- 
valier au  bouc;  la  Couronne  de  Henri  von  dem  TOrlin 
qui  retrace  en  rimes  pures,  mais  sans  aucun  plan,  les 
aventures  de  Gauvain  :  voila  les  disciples  de  Hartmann 
d'Âue. 

Wolfram  compte  le  plus  d'adeptes.  On  le  regarde 
comme  le  poète  par  excellence,  et  Wirnt  assure  que 
jamais  bouche  de  laïque  n'a  mieux  parlé.  Ses  principaux 
imitateurs  ont  été  :  le  Bavarois  Albert,  auteur  d'un  Titu- 
rel ,  dit  le  «  petit  Titurel  »,  œuvre  lourde  et  pédantesque 
qui  paraphrasait  le  Titurel  de  Wolfram  et  qui  fut  attri- 
buée à  son  grand  devancier;  le  Pleier  qui  dans  trois 
romans  arthuriens  vastes  et  diffus  inséra  sans  vergogne 
des  vers  et  des  passages  entiers  du  seigneur  d'Eschen- 
bach;  Ulrich  von  dem  Tûriin  qui  voulut  composer  une 
introduction  au  Willehahn  et  raconter  les  amours  de 
Guillaume  et  de  Guibourg;  Ulrich  de  Tûrheim  qui  conti- 
nua le  Willehalm;  les  deux  Thuringiens  qui  firent,  l'un, 
la  Guerre  de  la  Wartbourg  en  l'honneur  du  landgrave 


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42  LITTÉRATURB   ALLBMAKOB 

Hermann  de  Thuringe,  Tautre,  le  Lahengriity  qui  fut,  à  la 
fin  du  siècle,  longuement  développé  par  un  poète  bava- 
rois ;  le  plat  et  prolixe  Ulrich  d'Eschenbach  qui  narre  la 
conversion  de  Guillaume  de  Wenden  et  mot  en  vers 
Y  Alexandre  latin  de  Gautier  de  Châtillon. 

Conrad  Fleck,  Ulrich  de  Tûrheim,  Henri  de  Freiberg, 
Conrad  de  Wûrzbourg,  Rodolphe  d'Ems,  le  Stricker 
forment  l'école  de  Gottfried. 

Il  y  a  dans  le  poème  de  Fleck,  Floire  et  Blanchefleun 
de  l'agrément  et  de  la  fraîcheur. 

Ulrich  de  Tûrheim  et  Henri  de  Freiberg  continuèrent 
le  Tristan  d'après  Eilhart  d'Oberg  et  des  rédactions 
françaises.  Mais  le  premier  est  froid  et  vulgaire;  il  ne 
sent  pas  avec  ses  personnages;  il  donne  à  Cardin, 
compagnon  de  Tristan,  le  ton  d'un  Sancho  Pança;  il 
souhaite  que  Tristan  aille  d'enfer  en  paradis.  Le  second, 
qui  composa  son  œuvre  vers  1290,  a  de  l'aisance,  de 
l'abondance,  de  la  vivacité.  Tous  deux  racontent  que  le 
roi  Marc  fit  enterrer  les  amants  à  côté  l'un  de  l'autre  et 
planter  une  vigne  sur  la  tombe  d'iseult  et  un  rosier  sur 
la  tombe  de  Tristan,  que  les  deuxarbustes  se  rejoignirent 
et  que  leur  feuillage  se  confondit  ;  mais  Ulrich  de  Tûrheim 
dit  sèchement  qu'il  ne  croit  pas  k  ce  miracle;  Henri  de 
Freiberg  assure  que  les  arbustes  s'entrelacent  amoureu- 
sement parce  qu'ils  étaient  enracinés  dans  les  cœurs  des 
deux  amants  où  le  breuvage  fatal  couvait  encore. 

Conrad  de  Wûrzbourg,  Rodolphe  d'Ems  et  le  Stricker 
ont  des  traits  communs.  Ils  se  piquent  d'être  savants;  et 
pourtant  leur  talent  est  habile  et  souple  ;  après  avoir  tenté 
de  grandes  œuvres,  ils  comprirent  peut-être  que  leurs 
visées  étaient  trop  hautes  et,  incapables  de  cueillir  la 
palme  épique,  ils  abordèrent  des  genres  plus  humbles  oh 
ils  réussirent. 


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LE  XIII*   SIBCLE  49 

Conrad  de  Wûrzbourg  (mort  à  Bâle  en  1287)  a  inauguré 
dans  le  Tournoi  de  Nantes  la  poésie  héraldique.  Il  a  tra- 
duit notre  Parténopeua  de  Blois  ainsi  que  notre  Cheçalier 
au  cygne  et  composé  d*après  Benoît  de  Sainte-More, 
avec  force  additions  d'Ovide  et  de  Stace,  une  Guerre  de 
Troie.  Il  a  versifié  des  légendes  latines,  entre  autres 
celle  de  saint  Alexis,  ce  héros  de  Dieu,  dont  il  retrace 
avec  complaisance  le  glorieux  abaissement,  et  il  a  fait 
dans  la  Forge  d*Or  un  panégyrique  de  la  Vierge.  Son 
talent  se  déploie  surtout  dans  des  nouvelles,  dans  Otion 
à  la  barbcy  dans  Thistoire  de  la  dame  qui  mange  sans  le 
savoir  le  cœur  de  son  amant  et  le  trouve  doux  comme 
sucre,  dans  Engelhard  et  Engeltrute  qui  traite  la  légende 
d'Amis  et  Âmiles.  Son  Salaire  du  Monde  représente 
Wirnt  de  Gravenberg  qui  lit  dans  sa  chambre  un  récit 
d'amour  et  qui  voit  soudain  apparaître  une  femme  mer- 
veilleusement belle  :  c'est  le  Monde^  cette  dame  Monde, 
Frau  Weltj  que  Wirnt  a  louée,  désirée,  et  puisqu'il  Ta 
si  fidèlement  servie,  elle  le  récompense,  elle  se  tourne, 
elle  montre  son  dos.  Quel  spectacle!  Des  ulcères,  des 
crapauds  et  des  serpents,  des  mouches  et  des  fourmis, 
des  vers  qui  rongent  une  chair  puante,  une  robe  fanée, 
usée!  Et  Wirnt  qui  ne  veut  pas  se  damner,  renonce  au 
Monde  et  part  pour  la  croisade.  La  Plainte  de  l'art  offre 
pareillement  une  allégorie  :  douze  Vertus  sont  assises 
dans  une  clairière;  Art,  frappé  d'une  flèche  aiguë  par 
Pauvreté,  porte  plainte  contre  Largesse  qui  le  laisse  aller 
indigent  et  nu.  Mais  Conrad  ne  sait  résister  à  la  manie 
d'amplifier;  sa  poésie,  facile,  gentille,  jolie,  a  trop  de 
mollesse  et  de  nonchalance;  elle  ne  touche  pas,  elle 
n'émeut  pas  ;  c'est  une  suite  fatigante  d'images  qui  se 
pressent  sans  aucun  ordre.  Quelle  prolixité  dans  son 
Parténopeus   où   il    semble    n'avoir  d'autre   souci   que 


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44  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

d'ajouter  les  vers  aux  vers,  dans  sa  Forge  d'Or  où  il 
entasse  litanie  sur  litanie,  dans  sa  Guerre  de  Troie  où  il 
range  les  Allemands  sous  les  drapeaux  des  Grecs  et 
envoie  contre  Ilion  païens  et  musulmans!  Conrad  est 
verbeux,  et  de  tous  les  poètes  du  moyen  âge,  celui  peut- 
être  qui  dit  le  moins  de  choses  avec  le  plus  de  mots  ;  il 
accompagne  chaque  substantif  d'une  épithëte  vague  et 
banale  ;  pas  un  arbre  qui  ne  soit  vert,  de  chant  qui  ne 
soit  doux,  de  feu  qui  ne  soit  chaud,  de  glace  qui  ne  soit 
froide,  de  pierre  qui  ne  soit  dure,  de  douleur  qui  ne  soit 
cruelle,  de  malheur  qui  ne  soit  amer,  de  beauté  qui  ne 
soit  impériale.  Il  a,  comme  Gottfried,  célébré  l'amour; 
mais  où  est  la  flamme,  où  est  le  prestige  de  Gottfried? 

Rodolphe  d'Ems  (1220-1254)  a  jeté  dans  son  poème 
inachevé  A^ Alexandre  une  foule  d'épisodes  et  de  détails 
tirés  de  toutes  parts,  et  il  commet  de  singuliers  contre- 
sens, prenant  Lesbos  et  Halicarnasse  pour  des  noms 
d'hommes,  transformant  en  rivière  la  ville  de  Memphis. 
11  a  fait  un  Barlaam  et  Josaphaty  clair  et  judicieux 
abrégé  d'un  original  latin,  un  Guillaume  JC Orléans  dont 
le  style  est  parfois  aimable  et  aisé  comme  celui  de  Gott- 
fried, et  une  Chronique  du  Monde  qui  enseigna  aux 
laïques  l'histoire  de  l'Ancien  Testament.  Sa  meilleure 
œuvre  est  le  Bon  Gérard^  récit  simple,  attachant,  com- 
parable au  Pauvre  Henri^  remarquable  par  le  langage 
modeste  et  digne  du  héros,  par  le  contraste  entre 
l'empereur  et  le  bourgeois,  entre  celui  qui  donne 
bruyamment  et  celui  qui  donne  en  secret. 

Le  Stricker  qui  écrivit  entre  1225  et  1250  est  l'auteur 
d'un  poème  arthurien,  Daniel  de  Blumenthaly  sec  et 
dénué  d'intérêt.  Il  a  remanié  le  Roland  du  clerc  Conrad, 
et  son  style,  plus  agréable  et  plus  net  que  celui  de  son 
devancier,  a    moins  de  vigueur  et  de  nerf.  Finit-il  par 


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LB  Xlll^  81BCLB  45 

s'aviser  qu'il  s'élevait  au-dessus  de  sa  sphère  et  qu'il 
devait  descendre?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  composa  des 
contes  et  s'il  redit  des  choses  connues,  s'il  est  négligé, 
s'il  se  répète,  sa  langue  a  beaucoup  de  naturel  et  de 
grâce.  Un  voleur  qu'un  paysan  prend  pour  saint  Martin; 
une  femme  qui  persuade  à  son  mari  qu'il  n'est  plus  en 
vie;  une  autre  qui  fait  croire  qu'elle  est  morte  et  que 
son  brutal  époux  courtise  sans  la  reconnaître  ;  le  curé 
Amis,  ce  fourbe  insigne  qui  court  le  monde,  dupant  et 
bafouant  grands  et  petits  :  tels  sont  les  sujets  que  le 
Stricker  a  traités. 

Le  Stricker  avait,  ainsi  que  Conrad  de  Wûrzbourg, 
introduit  le  genre  de  la  nouvelle  en  vers.  Nombre  de  nou- 
vellistes le  suivirent,  et  si  Ton  ignore  l'auteur  de  YEper^ 
nery  du  Levraut^  de  la  Méchante  femmCy  on  connaît  le 
Styrien  Herrant  de  Wildonie  dont  le  Mari  trompé  est 
assez  plaisant,  et  un  Bavarois,  Wernher  le  Jardinier,  qui 
Gt  après  1250  le  poème  de  Helmbrecht.  Fils  d'un  riche 
paysan,  orgueilleux,  coiffé  d'une  belle  toque  de  soie, 
coquettement  attifé,  Helmbrecht  entre  au  service  d'un 
chevalier-brigand.  Il  a  pour  compagnons  Avale-agneau, 
Avale-bélier,  Sac  d'enfer,  Remue-l'armoire,  Mange- 
vaches,  Vole-calice,  Gueule  de  loup,  et  lui-même  prend 
et  mérite  le  surnom  d' Avale-pays.  Au  bout  d'un  an,  il 
revient  au  logis  paternel  ;  il  a  les  façons  brusques  et  mêle 
à  sa  conversation  des  bribes  de  français  et  de  tchèque  ; 
il  raconte  sa  vie  à  son  père  qui  frémit  d'horreur;  il 
emmène  sa  sœur  qui  épouse  Avale-agneau.  Mais  au  milieu 
du  repas  de  noces  apparaissent  le  juge  et  les  archers. 
La  mariée  est  dépouillée  de  ses  vêtements.  Les  bandits 
sont  envoyés  au  gibet.  Seul  Helmbrecht  obtient  sa  grâce 
et  il  eût  préféré  la  mort  :  le  bourreau  lui  crève  les  yeux 


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46  LITTBRATORB  ALLEMANDE 

et  lui  coupe  une  main  et  un  pied  ;  son  père  le  chasse  et 
le  maudit  ;  un  paysan  Tinsulte,  le  frappe  et  le  pend  à  un 
arbre.  Wernher  narre,  dit-il,  ce  qu'il  a  vu^  et  sa  brièveté, 
sa  simplicité,  le  sérieux  qui  Tanime,  tout  fait  de  ce 
poème  une  attachante  et  instructive  lecture. 

  cette  sombre  histoire  s'opposent  de  vives  et  spiri- 
tuelles descriptions,  le  Voyage  des  Viennois  et  le  Wein^ 
schwelg.  L'auteur  du  Voyage^  le  Freudenleere  ou  le  Sans« 
Joie,  met  en  vers  une  anecdote  qui  lui  fut  contée  à 
Vienne  par  un  burgrave  ;  mais  le  récit  est  d*origine  plus 
ancienne,  et  Athénée  l'attribue  k  Timée.  Une  nuit,  des 
bourgeois  de  Vienne,  échauffés  par  le  vin,  s'imaginent 
qu'ils  sont  partis  pour  la  Terre-Sainte  et  qu'ils  naviguent 
en  pleine  mer  ;  la  tète  leur  tourne,  et  ils  croient  qu'une 
tempête  assaille  leur  vaisseau;  pour  apaiser  Dieu,  ils 
jettent  par- dessus  bord,  c'est-à-dire  par  la  fenêtre,  un  de 
leurs  compagnons  qui  git  sous  un  banc. 

Le  Weinschv^elg  est  plus  invincible  au  vin  que  les 
Viennois.  Possédé  d'une  soif  monstrueuse,  il  boit,  non 
dans  un  gobelet,  mais  dans  un  grand  pot,  et  il  boit  à 
outrance,  sans  se  lasser,  comme  ne  burent  jamais 
l'aurochs  et  l'élan,  avalant  rasade  sur  rasade,  prônant  à 
chaque  coup  ce  breuvage  qui  «  salue  son  cœur  et  allonge 
sa  vie  »,  glorifiant  ce  «  doux  flot  qui  balaie  le  chagrin  », 
assurant  qu'il  ne  pourchasse  que  ce  gibier,  faisant  craquer 
son  banc,  criant  que  nul  en  Allemagne  ne  rivalise  avec 
lui  et  lorsque  sa  ceinture  se  rompt,  lorsque  sa  chemise 
se  déchire,  revêtant,  pour  que  le  vin  ne  puisse  le  forcer 
et  l'ouvrir,  un  justaucorps  de  buffle  et,  par-dessus,  une 
cuirasse  de  fer.  C'est  le  type  de  la  beuverie  allemande, 
et  ses  prouesses  bachiques,  narrées  avec  verve,  sont 
bien  dignes  d'un  pays  où  boire  est,  comme  dit  Borne, 
une  affaire,  une  étude,   un  service   divin,   et   où  Ton 


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LB  Xlll**   SlàCLB  47 

compte  par  centaines  les  mots  qui  signifient  boire  et 
être  ipre. 

Telles  sont  au  xiii*  siècle  les  principales  œuvres  de  la 
poésie  chevaleresque  qui  déjà  s'embourgeoise.  La  poésie 
ecclésiastique  florissait  encore  ;  mais  elle  imitait  la  poésie 
courtoise.  On  ne  cite  ici  que  des  noms  :  Conrad  de 
Fnssesbrunnen  qui  compose  une  Enfance  de  Jésus;  Con- 
rad de  Heimesfurt  qui  chante  Tascension  de  Marie  et  la 
résurrection  du  Christ;  Reinbot  de  Durn  qui  célèbre 
saint  Georges  avec  emphase  et  diffusion;  Henri  de 
Krolewitz  qui  commente  l'oraison  dominicale;  Lutwin 
qui  consacre  un  poème  à  Adam  et  Eve;  Lamprecht  de 
Ratisbonne  qui  fait  une  vie  de  saint  François  ;  un  ano- 
nyme qui,  dans  des  vers  contre  la  cour  et  les  chants 
d'amour,  essaie  vainement  d'atteindre  l'énergie  de  Henri 
de  Môlk;  Brun  de  Schonebeck,  riche  marchand  de 
Magdebourg,  qui  élucubre  en  plus  de  douze  mille  vers 
dans  un  style  médiocre  une  paraphrase  du  Cantique  des 
Cantiques  (1276). 

Même  les  historiographes  du  temps  imitaient  la  poésie 
chevaleresque,  et  que  de  chroniques  rimées  sur  le  modèle 
de  celle  de  Rodolphe  d'Ems  :  la  Chronique  du  monde  où 
un  bourgmestre  de  Vienne,  Jansen  Enikel,  recueille 
anecdotes  et  nouvelles,  et  son  LiVre  des  princes  qui 
glorifie  les  archiducs  autrichiens  ;  la  Chronique d^ Autriche^ 
d'Ottocar  de  Styrie;  la  Chronique  de  Cologne j  du  greffier 
Hagen  ;  la  Chronique  de  Liçonie^  qui  retrace  les  combats 
de  l'Ordre  Teutonique! 


La  littérature  lyrique  allait  au  xiii*  siècle  de  pair  avec 
la  littérature  épique,  et,  sous  l'influence  de  la  France, 


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48  LITTERATUBB  ALLBMANDB 

s'était  développé  le  Minnesang  ou  poésie  d'amour.  La 
forme  même  de  cette  poésie  était  française.  Après  avoir 
employé  la  strophe  dite  des  Nibelungen  avec  des  rimes 
simples,  les  minnesinger  imitèrent  les  troubadours  et  les 
trouvères  :  tripartition  de  la  strophe,  enlacement  des 
rimes,  répétition  de  la  même  rime  dans  toute  la  strophe. 

Ils  n'avaient  pas  d'abord  exprimé  les  mêmes  idées. 
Dans  les  vers  attribués  à  Kûrenberg  la  femme  prie 
l'amant  d'être  fidèle  ;  elle  pense  en  rougissant  au  beau 
chevalier;  elle  regrette  ce  faucon  qu'elle  élevait  et  qui 
s'est  envolé  loin  d'elle,  et  l'amant  fait  seller  son  cheval 
pour  échapper  à  sa  maîtresse  exigeante.  Dans  les  vers  qui 
portent  le  nom  de  Dietmar  d'Eist,  dans  les  strophes  de 
Meinloh  et  du  burgrave  de  Ratisbonne,  l'amante  appelle 
celui  qu'elle  n'a  pas  vu  depuis  mille  ans  au  moins,  elle 
l'exhorte  à  fuir  les  autres  femmes,  elle  assure  qu'avec 
lui  est  partie  toute  sa  joie.  Ces  premières  poésies  du 
Minnesang,  brèves,  énergiques,  passionnées,  ont  un 
accent  parfois  âpre  et  rude  dans  sa  fierté;  l'homme  ne  se 
plie  pas  encore  aux  règles  de  la  courtoisie;  la  femme 
s'humilie  devant  lui  comme  devant  le  seigneur  de  sa 
pensée. 

Mais  bientôt  la  lyrique  allemande  subit  l'influence 
étrangère,  et  Lessing  faisait  preuve  de  sagacité  lorsqu'il 
disait  qu'elle  s'était  trop  formée  d'après  le  siècle  français. 
Comme  nos  troubadours  et  nos  trouvères,  les  minne- 
singer taisent  le  nom  de  la  femme  qu'ils  aiment  ou  lui 
donnent  un  nom  fictif.  Leur  «  chant  du  jour  »  ou 
tageliety  où  le  guetteur  annonce  au  chevalier  que  le  jour 
vient  et  qu'il  faut  s'échapper  malgré  les  larmes  de  la 
dame,  n'est  autre  que  1'  <c  aubade  »  des  Français  et 
r  a  alba  »  des  Provençaux. 

Sous  cette  influence  les  minnesinger  font  de  la  femme 


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LB  XIII*  BIBCLB  M 

leur  Bouveraine.  Ils  chantent,  non  leurs  inimitiés,  leurs 
luttes,  leurs  aventures  de  guerre  et  de  croisade;  ils  ne 
chantent,  comme  l'indique  leur  nom,  que  Tamour,  la 
Minne\  ils  vantent  leur  dame,  sa  beauté,  sa  grâce  —  la 
beauté,  dit  Walther,  passe  après  la  grâce  —  et  même  sa 
bonté;  ils  assurent  qu'ils  l'aiment  éperdument;  ils 
envient  le  pré  qu'elle  touche  do  ses  pieds.  Non  qu'ils 
soient  tellement  platoniques  :  ils  sollicitent,  et  quelque- 
fois crûment,  le  prix  de  leur  constance,  et  lorsque 
Clymène  les  rebute,  ils  se  retournent  vers  Jeanneton  ;  ne 
pouvant  aimer  à  la  cour  ou  au  château,  ils  aiment  au 
village.  Ils  ont  deux  amours  :  le  haut  amour  et  le  bas 
amour,  la  hohe  Minne  qui  s'adresse  aux  nobles  dames 
et  la  niedere  Minne  qui  s'adresse  aux  jeunes  filles  de 
modeste  condition  ;  ils  ne  se  contentent  pas  de  courtiser 
la  frouwe\  ils  donnent  rendez-vous  sous  le  tilleul  à  la 
froweUn  plus  libre  et  plus  facile  ;  ils  s'entretiennent  à  la 
fontaine  avec  d'accortes  servantes,  et,  pour  parler  comme 
l'un  d'eux,  leurs  maîtresses  labourent  et  vont  à  Therbe. 
Mais  ils  célèbrent  surtout  le  haut  amour,  et  ils  le 
célèbrent  froidement.  Ils  ne  détaillent  même  pas  la  beauté 
de  leur  dame  ;  ils  disent  simplement  qu'elle  a  la  bouche 
rose  et  les  dents  blanches.  Ils  lui  témoignent  le  plus 
profond  respect;  ils  essuient  avec  patience  ses  rebuf- 
fades; elle  est  leur  reine  et  ils  obéissent  à  ses  caprices. 
Leur  amour  est  un  amour  de  convention,  un  jeu  de  l'es- 
prit, une  mode.  Aussi,  c'est  presque  toujours  un  amour 
malheureux,  élégamment  transi.  Ils  ont  beau  se  plaindre 
du  «(  nenni  »  de  la  dame  ;  on  sent  que  leur  douleur  n'est 
pas  sincère  et  elle  dure  trop  longtemps  :  l'un  soupire 
sept  ans  sans  parler  k  celle  qu'il  aime,  l'autre  ne  l'entre- 
voit que  deux  fois  en  un  an,  un  autre  grisonne  à  son 
service   et  ses  lecteurs  lui  demandent  malicieusement 


UTTéHATCRI    ALLKXARDV. 


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50  LITTÉRATUBB   ALLEMANDS 

quel  âge  elle  peut  avoir.  Pourtant,  si  le  Minnesang 
manque  de  chaleur  et  de  vie,  il  adoucissait  les  mœurs 
de  Tépoque  et  les  ennoblissait  :  la  dame  qui  résiste  à 
Johansdorf  lui  promet  qu'il  n'en  aura  que  plus  d'hon- 
neur. 

Faut-il  énumérer  tous  ces  chanteurs  d'amour?  Ils 
se  ressemblent  à  peu  d'exceptions  près  et  leurs  pièces 
ont  un  caractère  uniforme.  Le  feuillage  qui  jaunit,  la 
tristesse  de  l'hiver,  le  mai  verdissant,  les  Merker  ou 
espions  chargés  par  le  mari  jaloux  de  surveiller  la  dame, 
les  messagers  dont  se  servent  les  amants,  voilà  les 
sujets  qu'ils  traitent,  sans  éclat  d'ailleurs  et  sans  origi- 
nalité. Citons  les  plus  intéressants  et  prenons  le  dessus 
du  panier. 

Frédéric  de  Hausen,  qui  périt  en  Terre  Sainte  (1190), 
a  fondé  la  lyrique  chevaleresque  et  courtoise.  S'il  ne 
rime  pas  avec  pureté,  il  use  de  l'antithèse,  il  raisonne, 
il  demande  ce  que  peut  bien  être  l'amour,  il  imite 
Folquet  de  Marseille  et  Bernard  de  Ventadour. 

Il  fit  école  et  il  eut  des  disciples,  Gutenburg,  Bligger 
de  Steinach,  Bernger  de  Horheim.  Comme  lui,  le 
comte  de  Neuchâtel,  Rodolphe  de  Fenis,  prend  pour 
modèles  des  Provençaux,  Folquet  et  Peire  Vidal,  et 
comme  lui,  il  est  subtil  et  froid.  De  même,  le  Souabe 
Henri  de  Rugge. 

Le  Bavarois  Johansdorf  a  plus  de  vivacité,  plus  de 
passion. 

Le  Thuringien  Henri  de  Morungen  et  l'Alsacien 
Reinmar  le  Vieux  sont,  avant  Walther,  les  plus  grands 
des  minnesinger.  Morungen  est  né  poète,  et  lui-même  dit 
qu'il  vint  au  monde  pour  chanter.  Il  varie  les  comparaisons 
lorsqu'il  célèbre  la  beauté  de  sa  dame  qui,  comme  l'elfe, 
l'a  fasciné  du  regard.  II  l'invoque  et  l'évoque;   il  voit 


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LB  XIII*   SIÈCLE  51 

son  corps  plus  blanc  que  neige  briller  à  travers  la 
nuit;  il  se  figure  qu'elle  entre  dans  sa  chambre,  qu'elle 
le  prend  par  la  main,  le  conduit  aux  créneaux  de  la 
tour.  Il  assure  que,  si  Ton  ouvrait  son  cœur,  on  y  verrait 
l'image  de  la  belle.  Il  veut  qu'on  écrive  sur  sa  tombe 
qu'il  fut  dédaigné  de  celle  qu'il  aimait  tant,  et  le  passant 
saura  les  torts  qu'elle  eut  envers  lui.  O 

Tout  en  suivant  la  voie  tracée  par  Hausen,  Reinmar 
le  Vieux  a  la  rime  pure  et  il  passa  pour  un  maître 
de  la  forme.  Gottfried  de  Strasbourg  compare  sa  langue 
à  celle  d'Orphée  et  le  nomme  le  chef  du  chœur,  le 
porte-drapeau.  Mais  il  manque  d'aisance,  de  souplesse, 
d'harmonie.  Il  ne  chante  guère  que  les  émotions  de  son 
cœur  et  il  les  chante  longuement,  sans  nul  relief,  d'une 
façon  vague,  abstraite.  Subtil  et  entortillé,  il  est  plus 
psychologue  que  poète.  La  note  triste  domine  dans  ses 
vers;  il  ne  sait  prendre  d'autre  ton  que  le  ton  de 
l'élégie,  ne  sait  que  pleurer,  gémir,  soupirer,  et  il  s'en 
fait  gloire.  Mélancolique  de  parti  pris,  il  dira  que  le 
souci  est  bon  et  qu'être  sans  souci,  c'est  être  sans  mérite. 
Il  fut  le  poète  attitré  de  la  cour  d'Autriche,  d'une  société 
déjà  raffinée  qui  goûtait  le  genre  sobre,  discret  et 
mesuré. 

Après  la  mort  de  Reinmar  le  Vieux,  s'écrie  Gottfried  de 
Strasbourg,  celui  qui  doit  porter  la  bannière  et  guider 
la  troupe  sacrée,  c'est  Walther  de  la  Vogelweide!  Et 
Walther  est  en  effet  le  plus  grand  et  le  plus  populaire 
des  lyriques  de  son  temps.  Nul  ne  s'exprime  alors  avec 
une  aussi  vigoureuse  brièveté.  11  imita  dans  ses  poésies 
politiques  les  sirventes  de  notre  Midi,  traitant  les 
mêmes  sujets  que  les  troubadours,  usant  des  mêmes 
expressions,  les  combattant  quelquefois,  par  exemple, 
lorsqu'il   riposte  aux  injures  que  Peire  Vidal  dit  aux 


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(S  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

Allemands.  Mais  ces  poésies,  ces  Sprûche  ou  Proverbes, 
courtes,  vives,  ardentes,  portaient  sur  leurs  ailes  les  cris 
douloureux  ou  triomphants  du  patriotisme  teutonique. 
Elles   avaient   autant    de    retentissement    que   certains 
articles  de  nos  journaux  de  jadis,  et  à  cette  voix  vibrante 
répondaient   des   milliers   de  voix.   Il  était  de  pauvre 
noblesse  et  il  alla  longtemps  de  cour  en  cour  jusqu'à  ce 
que  Frédéric  II  lui  fit  don  d'un  petit  fief  (1215).  L'Empire 
en  lutte  avec  la  papauté  n'eut  pas  de  plus  ardent,  de 
plus    éloquent   champion.   Il   attaque  Innocent  III,   ce 
Judas,  ce  nécromant,  ce  suppôt  de  l'enfer,  qui  perd  la 
chrétienté  et  qui  devrait  laisser  à  César  ce  qui  est  à 
César  et  à  Dieu  ce  qui  est  a  Dieu,  les  cardinaux  qui 
couvrent  leur  propre  chœur  tandis  que  le  saint  autel 
subit  une  méchante  ondée,  le  clergé  qui  n'a  plus  la  vie 
simple  et  la  pureté  d'antan.  Walther  sait  varier  l'invective 
et  la  dramatiser*  Il  montre  le  pape  riant  avec  ses  Welches 
des  Allemands  qui   saccagent  l'Empire   pendant   qu'il 
remplit  ses  caisses,  de  ces  fous  d'Allemands  qui  jeûnent 
pendant  que  les  prêtres  d'Italie  mangent  du  poulet  et 
boivent  du  vin.  Il  apostrophe  le  tronc,  Sire  tronc,  où  les 
fidèles  déposent  le  denier  de  la  guerre  sainte.  Il  met  en 
scène  un  pieux  ermite  qui  pleure  dans  sa  cellule  et  prie 
Dieu  de  sauver  le  monde.  Il  se  représente  lui-même 
assis  sur  une  pierre,  appuyant  le  coude  sur  le  genou  et 
la  main  sur  la  joue,  méditant  dans  cette  attitude  sur  la 
situation  de  l'Allemagne,  ou  bien,  quand  les  princes 
hésitent  à  conférer  la  royauté  à  Philippe,  il  entend  bruire 
un  ruisseau  et  il  pense  aux  poissons  qui  nagent  dans 
l'eau,  à  tout  ce  qui  rampe,  vole  et  marche.  Quoi!  tous  les 
êtres  ont  un  seul  roi,  une  seule  loi,  et  la  nation  alle- 
mande n'a  pas  de  souverain,  et  les  princes  orgueilleux 
tardent  à  élire  Philippe,  et  de  pauvres  roitelets  —  les 


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LB  XIII*  8IÈCLB  53 

rois  de  France  et  d'Angleterre  —  prétendent  à  TEmpire  ! 
Que  la  nation  allemande  les  fasse  reculer  et  qu'elle  mette 
la  couronne  impériale  et  son  diamant  TOrphelin  sur  la 
tète  de  Philippe! 

Les  lieds  de  Walther  le  placent  au  premier  rang  des 
minnesinger.  Déjà  ses  Proverbes  contiennent  d'impo- 
sants tableaux,  comme  l'entrée  du  roi  Philippe  dans 
l'église  de  Magdebourg  :  le  monarque,  sceptre  en  main 
et  couronne  au  front,  avançant  avec  lenteur,  sans  se 
presser,  et  derrière  lui,  glissant  sur  le  sol^  la  reine,  rose 
sans  épine  et  colombe  sans  fiel.  De  même,  dans  ses 
lieds.  Pour  revoir  une  jeune  fille  qui  lui  est  apparue  dans 
un  rêve,  il  court  les  bals  en  priant  les  dames  de  relever 
leur  chapeau.  Dans  une  autre  pièce,  une  belle  raconte 
son  rendez-vous  :  c'était  dans  une  prairie  et  l'on  peut 
remarquer  près  d'un  buisson  de  roses  l'endroit  où  repo- 
sait sa  tète;  mais  personne  ne  saura  ce  qu'elle  faisait, 
sinon  elle,  lui  et  un  oiselet.  La  joie  mutine  de  l'amou- 
reuse, la  naïveté  de  son  aveu,  l'harmonie  du  vers  et  sa 
légère  allure,  le  tandaradei  qui  revient  en  refrain  à  la 
fin  de  chaque  strophe,  tout  donne  à  ce  petit  poème  je  ne 
sais  quoi  d'allègre  et  de  tendre.  Comme  tous  les  minne- 
singer, Walther  associe  le  printemps  et  l'amour.  Il 
appelle  de  ses  vœux  la  venue  du  seigneur  Mai  et  des 
fleurs  rouges  qui  luttent  de  longueur  avec  le  trèfle; 
mais  il  veut  qu'en  même  temps  des  jeunes  filles  lancent 
la  balle  sur  le  bord  du  chemin.  Une  belle  femme  est 
pour  lui  ce  qu'il  y  a  de  mieux  au  monde  et  il  la  préfère 
à  tout  l'éclat  du  renouveau. 

L'exemple  de  Walther  entraîna  les  princes.  Un  duc 
d'Anhalt,  un  duc  de  Brabant,  un  duc  de  Breslau,  un 
margrave  de  Brandebourg,  le  roi  Wenceslas  II  de  Bohème, 
Conradin,  le  dernier  des  Hohenstaufen,  furent  minne- 


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bk  LITTBBATURB  ALLEMANDS 

singer.  Mais  le  meilleur  élève  de  Walther,  c'est  Reinmar 
le  jeune  ou  Reinmar  de  Zweter.  Lui  aussi  mania  le 
Spruch  politique.  Il  n'a  pas  toutefois  la  passion,  la  vio* 
lence  de  son  maître;  il  pratique  plutôt  Tironie  que 
l'apostrophe  et  il  est  plus  réservé,  plus  froid.  Comme 
Walther,  il  chanta  Dame  Honneur  jadis  puissante» 
aujourd'hui  chassée,  vagabonde.  Il  y  avait  en  lui  une 
veine  didactique  :  il  composa  des  fables,  des  énigmes, 
de  petits  récits;  il  vanta  l'amour  dans  le  mariage,  et, 
quand  il  serait  quelque  peu  philistin  et  pédant,  il  a 
traité  toute  sorte  de  sujets  dans  une  langue  simple  et 
claire,  bien  qu'un  peu  gauche  et  heurtée. 

Du  milieu  de  la  foule  des  minnesinger  —  et  nous  ne 
devons  oublier  ni  Veldeke  ni  Hartmann  d'Aue  ni  Wol« 
fram  d'Eschenbach  —  se  détache  encore  un  trio  remar- 
quable :  Neifen,  Winterstetten  et  Hohenfels.  S'ils 
n'échappent  pas  aux  fadeurs  du  genre,  ils  visent  parfois 
à  rendre  la  réalité. 

Gottfried  de  Neifen  se  répète  et  il  semble  avoir  peu 
d'idées;  mais  son  style  est  pur  et  sa  rime  raffinée.  11 
met  en  scène  de  belles  paysannes  qu*il  courtise  et  il 
rappelle  ses  déconvenues  avec  un  franc  sourire. 

Ulrich  de  Winterstetten  a  le  ton  rapide  et  gai.  Il  fait 
parler  des  jeunes  filles  avec  une  attrayante  naïveté  :  l'une 
raffole  de  ses  chansons,  l'autre  traite  de  «  méchant  petit 
amoureux  )>  un  amant  sincère. 

Burkart  de  Hohenfels  a  composé,  de  même  que  Win- 
terstetten, des  chansons  de  danse^  et  un  heureux  choix 
de  mots,  un  rythme  léger,  une  mélodie  riante  leur  don- 
nèrent des  ailes.  Tantôt  il  célèbre  l'hiver  et  la  danse 
dans  la  chambre,  sourires,  clignements  d'œil,  furtifs 
regards.  Tantôt  il  peint  deux  jeunes  filles,  l'une  pauvre 
et  qui  court  au  bal,  l'autre  riche  et  que  sa  tante  enferme. 


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LE  XIII*  SliCLB  65 

Ah!  si  sa  tante  mourait!  Son  amie  lui  propose  de  venir 
le  lendemain  couper  le  blé  avec  elle  ;  elle  accepte  et  jure 
de  se  venger,  de  «  prendre  un  homme  de  peu  ». 

La  poésie  villageoise  s'annonce.  Neidhart  de  Reuenthal 
(mortversi250)la  représente  avec  le  plus  d*éclat.  Il  n'a 
guère  fait  que  des  chansons  de  danse  :  celles  d'été  et  celles 
d'hiver.  Les  premières  ont  l'allure  plus  dramatique  ;  elles 
invitent  les  belles  à  serrer  sur  la  hanche  leur  chemise 
blanche  avec  une  ceinture  de  soie  et  à  danser  sur  le  pré  à 
l'ombre  du  tilleul  ;  elles  se  terminent  par  un  dialogue.  Les 
secondes  qui  retracent  le  bal  entre  quatre  murs^  finissent 
par  une  historiette  satirique.  Neidhart  aime  à  montrer 
deux  jeunes  filles  échangeant  des  confidences.  L'une  se 
plaint  des  hommes  qui  sont  ou  volages  ou  engourdis,  l'autre 
lui  répond  qu'il  j  en  a  encore  qui  servent  volontiers  les 
belles,  et  elle  nomme  Neidhart.  Ailleurs  une  autre  avoue 
que  les  chants  du  chevalier  de  Reuenthal  ont  touché  son 
cœur.  Souvent  le  poète  introduit  dans  ses  lieds  la  mère 
et  la  fille  :  celle-ci  veut  aller  au  bal  et  danser  avec 
Reuenthal  qui  soupire  pour  elle  et  la  tient  pour  la  plus 
belle  femme  qui  soit  de  Bavière  en  Franconie,  et  vaine- 
ment la  mère  cache  la  robe  de  sa  fille  dans  l'armoire  et 
refuse  la  clef,  vainement  elle  s'arme  de  la  quenouille  et 
du  râteau,  l'enragée  enfonce  l'armoire  avec  un  pied  de 
chaise,  met  sa  robe,  et  vole  au  bal.  Mais  parfois  la  vieille 
désire  tâter  des  mêmes  joies;  elle  s'attife,  elle  aussi; 
elle  court  à  la  danse,  elle  saute  comme  un  cabri.  Les 
chansons  d'été  ont  le  ton  libre  et  licencieux;  Neidhart  y 
parait  en  don  Juan;  il  est  la  coqueluche  des  villageoises. 
Celles  d'hiver  décrivent  plutôt  les  querelles  des  paysans  : 
ils  se  pavanent  comme  s'ils  étaient  chevaliers,  ils 
trépignent,  ils  crient  à  pleine  gorge,  puis  l'un  jette  un 
œuf  à  la   tète   de  l'autre,  et  les  voilà  qui  prennent  un 


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5fi  LITTÉKATURB   ALLEMANDE 

fléau  OU  un  bftton  et  qui  frappent  en  aveugles  autour 
d'eux.  Neidhart  raille  donc  les  manants,  ces  coqs  de 
clocher  qui  serrent  leur  chef  dans  un  bonnet  pour  ne  pas 
déranger  les  boucles  de  leurs  cheveux  et  qui  ne  sont, 
malgré  leur  superbe  accoutrement,  que  des  lourdauds  et 
des  rustres.  On  Tapplaudit,  on  Timita,  et,  parce  qu'il 
était  le  maître  du  genre,  ces  pièces  satiriques  furent 
appelées  des  «  neidharts  ».  Il  devint  le  type  de  Tennemi 
des  paysans;  il  passa  pour  un  bouffon  de  la  cour  de 
Vienne  et  au  xv*  siècle  un  livre  de  chansons  parut  sous 
son  nom.  Mais  le  vrai  Neidhart  avait  de  la  grâce  et  de  la 
vigueur;  on  louera  toujours  le  frais  coloris  de  ses 
tableaux,  sa  gaillardise,  sa  verve  maligne,  Téléganee  et 
J'harmonie  de  sa  langue. 

Il  eut  de  nombreux  élèves  en  Bavière,  en  Autriche, 
en  Suisse.  L'un  des  plus  connus,  le  Tannhftuser,  parodie 
la  pastourelle  française  et  retrace  comiquement  sa 
pauvreté.  Il  se  moque  des  minnesinger  et  de  leur  culte 
pour  une  grande  dame  hautaine  et  impérieuse  :  sa  bien- 
aimée,  à  lui,  veut,  par  exemple,  qu'il  détourne  le  cours 
du  Rhin,  qu'il  vole  dans  les  airs,  qu'il  lui  donne  le  Gral, 
la  pomme  de  Paris,  le  manteau  de  Vénus,  l'arche  de  Noé, 
que  sais-je  encore? 

Les  Suisses  forment  un  groupe  à  part.  Us  célèbrent 
plutôt  l'estomac  que  le  cœur;  ils  chantent  la  bonne 
chère  et  les  franches  lippées  ;  ils  préfèrent  aux  senteurs 
du  printemps  l'odeur  de  la  cuisine. 

Le  Thurgovien  Steinmar  dit  bien  qu'il  croit  être  maître 
du  Gral  quand  il  voit  sa  mie.  Mais  il  est  réaliste  à  la 
façon  de  Neidhart.  Il  compare  son  cœur  inquiet  au  porc 
qui  s'agite  et  se  débat  dans  un  sac.  Il  parodie  l'aubade 
et  montre  un  valet  dormant  sur  la  paille  auprès  d'une 
fille  et  réveillé  par  la  voix  du  berger.  Il  conte  ses  liai* 


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LE  XIII*  8IBCLB  57 

sons  avec  des  paysannes.  II  déclare  hautement  qu'il 
renonce  à  Tamour,  qu'il  se  jette  dans  la  crapule,  et  il  jure 
de  faire  bombance,  de  vider  les  flacons  et  les  plats,  d'en- 
gloutir une  oie.  Son  style  est  d'ailleurs  très  correct  et 
son  vers,  aisé. 

Le  Zurichois  Hadloub,  lui  aussi,  est  réaliste.  Comme 
Steinmar,  il  compare  le  cœur  de  l'amant  au  porc  qui  se 
démène  et  qui  grogne  dans  un  sac.  Comme  Steinmar, 
il  chante  la  moisson  propice  aux  amoureux.  Comme 
Steinmar,  il  vante  les  joies  de  l'automne  où  foisonnent 
jambons  et  saucisses.  Il  se  pique  d'être  goinfre,  frdzy  et 
s'enferme  dans  une  chambre  bien  chaude  pour  s'en* 
graisser.  Pourtant  il  a  célébré  une  femme  de  haut 
lignage  qui  restait  insensible  à  ses  vœux  et  il  conte  avec 
grâces  les  innocentes  amours  de  son  enfance  :  une  petite 
fille  qu'il  adore  et  qui  le  déteste,  qui  lui  refuse  un  salut, 
lui  mord  la  main  et  lui  jette  une  boite  d'épingles  en 
guise  de  cadeau. 

Ces  tableaux  aimables  reparaissent  dans  une  charmante 
poésie  de  Maitre  Alexandre.  Il  rappelle  ses  jeunes  années, 
le  temps  où  l'on  cherchait  la  violette,  où  l'on  s'asseyait 
parmi  les  fleurs  pour  les  comparer  et  trouver  la  plus 
belle,  où  l'on  courait  les  bois  pour  cueillir  les  fraises 
jusqu'à  ce  que  le  gruyer  vint  au  soir  crier  à  travers  le 
feuillage  qu'il  était  temps  de  rentrer.  Et  les  enfants 
rentraient  lentement,  et  l'un  d'eux,  marchant  dans  l'herbe, 
croyait  voir  le  serpent,  la  vilaine,  la  maudite  bète,  qui 
naguère  avait  piqué  le  poulain.  Et  ils  avaient  peur  d'être 
surpris  par  la  nuit,  car  on  leur  avait  dit  que  des  filles 
s'ëtant  égarées  dans  les  prés,  le  roi  leur  ferma  la  porte 
du  palais  et  les  gardes  leur  ôtèrent  leurs  vêtements. 

Mais  déjà  la  poésie  d'amour,  dans  ce  qu'elle  a  de  noble 
et  de  chevaleresque,  décline  et  déchoit.  Le  Frauendienst 


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58  LITTéRATURB  ALLEMANDE 

OU  Service  des  dames  d'Ulrich  de  Liechtenstein  qui  fut 
achevé  en  1255,  est  l'œuvre  où  se  peint  le  mieux  la 
décadence.  Ulrich  (1200-1276)  fut  le  don  Quichotte  du 
Minnesang.  A  douze  ans  il  aime  la  dame  dont  il  est  page 
et  il  emporte,  pour  la  boire  avec  délices,  Teau  qu'elle  a 
versée  sur  ses  mains.  Plus  tard,  pour  plaire  à  une 
châtelaine  qui  lui  trouve  la  bouche  disgracieuse,  il  subit 
une  opération  qui  l'alite  six  semaines.  Il  compose  des 
vers  en  son  honneur  et  quelquefois  elle  lui  répond;  mais 
il  ne  sait  ni  lire  ni  écrire,  et  il  est  fort  embarrassé 
lorsqu'il  n'a  pas  son  secrétaire  auprès  de  lui.  Pour  la 
mériter,  il  court  les  tournois,  risquant  sa  vie,  gaspillant  sa 
fortune.  Un  jour,  il  a  le  doigt  fracassé;  il  mande 
l'accident  à  sa  maîtresse  qui  ne  le  croit  pas  ;  afin  de  la 
convaincre,  il  lui  envoie  dans  une  cassette  le  doigt  qu'il 
s'est  fait  couper!  Une  autre  fois,  accompagné  de  deux 
amis  et  d'un  cortège  de  pages  et  de  valets  habillés  de  blanc, 
vêtu  lui-même  d'une  robe  blanche,  coiffé  d'un  chapeau 
blanc  orné  de  perles,  deux  tresses  noires  lui  tombant  à 
la  ceinture,  comme  s'il  était  dame  Vénus^  il  provoque 
tous  les  chevaliers  qu'il  rencontre,  de  Venise  à  la  frontière 
de  Bohème.  En  récompense,  la  belle  lui  donne  un 
rendez-vous  :  il  doit,  déguisé  en  lépreux,  se  mêler  aux 
malades  et  aux  mendiants  qui,  le  dimanche,  se  présentent 
k  la  porte  du  manoir;  il  vint,  il  voulut  entrer  par  la 
fenêtre  en  se  hissant  à  l'aide  de  draps  liés  ensemble  ;  il 
tomba  dans  le  fossé.  Dépité,  il  quitta  celle  qu'il  avait 
servie  durant  treize  années,  et,  pour  une  autre  dame, 
organisa  une  autre  mascarade  :  le  roi  Arthur  qui  reparait 
pour  rétablir  la  Table  Ronde.  Et  il  avait  femme  et  enfants  ! 
Son  livre  est  mi-prose  mi-vers  ;  la  prose  a  de  la  rudesse  ; 
les  vers  sont  faciles  et  agréables. 


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LB  XIII*  BlACLB  M 

Il  y  a  peut-être  dans  le  Serçice  JCamour  autant  de 
fable  que  de  vérité.  Mais  ce  mélange  de  fiction  et  de 
réalité  annonce  la  décadence.  Bientôt  les  minnesinger 
ne  sont  plus  des  chevaliers,  ou,  s'ils  appartiennent  a  la 
chevalerie,  ils  traitent,  comme  Neidhart  et  les  Suisses, 
des  sujets  qui  n'ont  rien  de  «  courtois  ».  Le  Minnesang 
tombe  entre  les  mains  des  bourgeois  ;  il  devient  didactique  ; 
ce  n'est  plus  le  Minnesang,  c'est  le  Meistergesang,  et,  si 
cette  nouvelle  poésie  garde  scrupuleusement  les  formes  de 
l'ancienne,  elle  manque  d'intérêt  :  les  meistersinger  ont 
beau  s'appliquer;  ce  qu'ils  font  sent  l'effort;  rien  d'aisé, 
d'heureux,  d'entraînant. 

Cependant,  ce  genre  didactique  offre  au  xui*  siècle 
des  œuvres  qui  méritent  encore  l'attention. 

Déjà  deux  poètes,  Herger  et  Spervogel,  qui  sortaient  du 
peuple,  avaient,  sur  un  ton  populaire,  dans  des  proverbes 
ou  paraboles,  prêché  la  morale,  et  Spervogel  compare  au 
porc  l'homme  qui  délaisse  sa  femme;  il  ne  connaît  rien 
de  pire,  et  il  dit,  comme  Brantôme  plus  tard,  et  dans  les 
mêmes  termes,  que  c'est  négliger  un  beau  et  clair  courant 
d'eau  pour  un  sale  bourbier. 

Un  Souabe,  le  Marner,  qui  se  nomme  l'élève  de 
Walther,  compose  des  proverbes  de  toute  sorte  :  c'est 
un  satirique  et  un  moraliste,  mais  qui  fait  un  trop  grand 
étalage  de  sa  science. 

Kanzler  et  maître  Boppe  dans  le  sud,  Rumezland  et 
Regenbogen  dans  le  nord,  Frauenlob  dans  le  centre  de 
l'Allemagne^  sont,  comme  le  Marner,  les  représentants 
de  cette  poésie  bourgeoise  qui  vise  à  la  profondeur  et 
affecte  une  allure  savante. 

Frauenlob  ou  «  Louange  des  dames  »,  de  son  vrai  nom 
Henri  de  Meissen,  qui  courut  toute  l'Allemagne  et  finit 
par  s'établir  en  1312  a  Mayence,  doit  son  surnom  a  ses 


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60  LITTERATURE   ALLEMANDE 

panégyriques  du  beau  sexe  et  surtout  à  la  dispute  qu*il 
soutint  contre  Regenbogen  :  il  mettait  le  mot  Frau 
(c  dame  »  au-dessus  de  Weib  <c  femme  »,  en  opposition  à 
Walther  qui  donnait  la  préférence  à  Weih.  Aussi» 
lorsqu'il  mourut  à  Mayence  en  1318,  les  dames,  dit--on, 
voulurent  porter  son  cercueil.  Emphatique,  prétentieux, 
Frauenlob  n'avait  pour  ses  devanciers  que  du  mépris,  et 
ce  ton  d'assurance,  ainsi  que  son  vaste  savoir,  imposait 
au  public. 

Regenbogen,  lui  aussi  un  bourgeois,  rencontra 
Frauenlob  à  Mayence.  Il  est  moins  docte,  moins  obscur  que 
son  rival;  mais  ses  vers  ont  de  la  rudesse.  II  est  un  des 
premiers  à  parler  des  trois  états,  de  ce  qu*on  appela 
plus  tard  le  Lehrstandj  le  Wehrstandj  le  Nàhrsland^  et  il 
demande  que  le  prêtre,  le  chevalier,  le  paysan  soient 
compagnons,  que  Fétole,  l'épée,  la  charrue  s'unissent 
fidèlement. 

Il  y  a  même  au  xiii*  siècle  de  grands  poèmes  didac* 
tiques,  et,  tout  d'abord,  une  traduction  rimée  du  recueil 
des  Distiques  latins  connus  sous  le  nom  de  Caton. 

Un  seigneur  de  Windesbach  en  Bavière,  le  Winsbeke, 
fit  un  poème  pour  enseigner  à  son  fils  sur  un  ton  grave 
et  quelquefois  touchant  les  devoirs  du  chevalier  :  respecter 
les  femmes,  prendre  pour  ami  un  homme  de  basse 
condition  qui  vit  avec  honneur  plutôt  qu'un  grand  seigneur 
qui  vit  sans  honneur. 

A  l'exemple  du  Winsbeke,  un  poète,  de  moindre  mérite, 
composa  dans  la  même  forme  strophique  renseignement 
qu'une  mère,  la  Winsbekin,  donne  à  sa  fille. 

Un  chanoine  très  instruit,  Thomasin  de  Zirclaere  ou  de 
Cerchiari  dans  le  Frioul,  rédigea  en  1215,  dans  l'espace 
de  dix  mois,  un  code  de  la  courtoisie  et  des  bonnes 
manières.  Il  intitula  son  œuvre  V Hôte  italien  (Der  wdlsehe 


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LB  Xlll*  SIBCLB  SI 

Gasi)  parce  qu'elle  venait  d'Italie  et  demandait  accueil  en 
Allemagne.  Thomasin  savait  l'allemand  moins  bien  que 
ritalien»  il  rime  mal  et  avec  force  chevilles,  il  écrit 
lourdement  et  sans  grâce,  il  est  banal.  Mais  il  a  l'accent 
pénétrant  de  l'homme  qui  connaît  le  monde.  Il  ne  se 
borne  pas  à  blâmer  les  dames  qui  croisent  les  jambes 
lorsqu'elles  sont  assises  ou  les  chevaliers  qui  gesticulent 
en  parlant.  Tout  en  conseillant  aux  gens  d'un  âge  mûr 
de  ne  pas  lire  les  romans  d'aventures,  il  exhorte  la  jeunesse 
à  prendre  pour  modèles  soit  Andromaque,  Enite, 
Pénélope,  Blanchefleur,  soit  Gauvain,  Erec,  Ivain, 
Arthur,  Charlemagne,  Alexandre,  Tristan.  Il  met  ses 
lecteurs  en  garde  contre  l'inconstance  et  Timmodération, 
Yunstsete  et  Vunmdze,  C'est  un  pessimiste  ;  tout  lui  semble 
sens  dessus  dessous  ;  le  fou  fait  taire  le  sage,  le  jouvenceau 
prend  le  pas  sur  le  vieillard,  les  méchants  ont  tout  pouvoir, 
les  bons  sont  abaissés,  et  les  arbres  de  la  montagne 
descendent  dans  le  marais. 

Freidank,  qui  fit  la  croisade  de  1228,  a  réuni  sans  aucun 
ordre  sous  le  titre  de  Bescheidenheit  [DUcretio  en  latin 
et  <2iicerne;7t«A/ en  français)  des  maximes  et  des  proverbes, 
des  épigrammes,  des  fables,  des  énigmes  de  sa  propre 
invention  et  de  celle  d'au trui.  Pendantplus  de  quatre  siècles 
son  succès  se  soutint,  et  il  le  méritait,  car  sa  morale  est 
saine,  élevée,  sans  rien  de  vulgaire  ou  de  trop  tendu,  et 
son  style  a  de  grandes  qualités,  une  forte  brièveté,  de  la 
verdeur,  de  l'esprit. 

Hugo  de  Trimberg,  directeur  de  l'école  d'un  faubourg 
de  Bamberg,  a  composé  de  1296  à  1300  et  remanié  mala- 
droitement en  1314  un  poème  de  plus  de  24000  vers 
qu'il  intitula  le  Rentier  ou  le  Coureur  parce  que  le  livre 
devait  courir  partons  pays.  Il  était  savant  et  possédait  une 
bibliothèque  de  deux  cents  volumes.  Aussi  recueillit-il  dans 


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62  LITTERATURE   ALLEMANDS 

son  ouvrage  sans  nul  plan  et  nulle  méthode  une  foule 
d'anecdotes  et  d'extraits  de  la  Bible  et  des  Pères.  On 
le  lit  volontiers  ;  il  est  clair,  facile  ;  il  conte  des  fables  ; 
il  prodigue  les  dictons.  Mais  il  fait  trop  de  morale  et  il 
abonde  en  digressions.  Il  est  bourgeois;  s'il  aime  WaK 
ther,  il  aime  davantage  Freidank  et  il  condamne  les 
épopées  courtoises,  l'idéal  chevaleresque,  les  tournois, 
les  aventures  et  le  service  des  dames. 

La  satire  politique  fleurit  en  même  temps,  surtout  chex 
les  Autrichiens. 

Vers  1270,  Conrad  de  Haslau,  dans  son  Jouvenceau, 
déplore  la  décadence  et  l'attribue  à  la  mauvaise  éduca- 
tion de  la  jeunesse  qui  n'aime  que  les  dés  et  le  vin. 

Vers  1290,  dans  un  dialogue  entre  un  chevalier  et  son 
valet,  en  vers  très  réguliers,  l'auteur  du  Petit  Lueidariuê 
qu'on  nomme  k  tort  Seifried  Helbling,  se  plaint  de  tout 
et  de  tous,  du  duc  Albert  d'Autriche  et  de  ses  avides 
entours,  de  la  cour  de  Vienne  où  il  y  a  tant  d'étrangers 
qu'on  n'y  trouverait  pas  sept  bons  Autrichiens,  des  che- 
valiers qu'il  ferait  tous  brûler  s'il  était  prince,  du  peuple 
qui  change  comme  le  vent,  des  femmes  oisives,  coquettes, 
semblables  à  des  poules  qui  de  la  fenêtre  appellent  les 
coqs.  Il  blâme  le  mélange  des  conditions  et  il  s'indigne 
que  les  paysans  riches  épousent  des  filles  de  la  noblesse, 
qu'ils  portent  Tépée  au  lieu  de  gourdin  et  des  gants  de 
Venise  au  lieu  de  moufles,  qu'ils  mangent  du  poisson  le 
vendredi  et  du  gibier  les  autres  jours. 

Sermon  et  satire  sont  synonymes.  C'est  au  xiii*  siècle 
que  se  forme  et  se  déploie,  grâce  aux  sermonnaires,  la 
prose  allemande.  Deux  franciscains  la  manient  habile- 
ment :  David  d'Augsbourg  et  Berthold  de  Ratisbonne, 
qui  meurent  tous  deux  en  1272.  David  a  fait  quelques 
traités  d'une  langue  simple,  lucide  et  qui  ne  manque  pas 


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LB  XIII*  SliCLB  6S 

de  chaleur.  Berthold  est  le  plus  grand  des  prédicateurs 
du  moyeu  âge,  non  seulement  par  son  franc-parler  et  par 
sa  connaissance  profonde  du  cœur  humain,  mais  par  son 
éloquence.  11  combat  avec  force  les  vices  de  ses  contem- 
porains, surtout  la  cupidité,  et  il  guerroie  implacablement 
contre  les  plaisirs  de  ce  monde.  Sa  langue  a  de  l'aisance 
et  de  l'ampleur;  rien  d'abstrait;  un  développement  clair 
et  abondant  ;  des  expressions  vives,  familières,  saisissantes 
qui  rappellent  le  style  de  l'épopée  populaire;  des 
exemples  et  des  images  ;  parfois  une  dramatique  mise  en 
scène,  des  apostrophes  à  l'assistance,  des  objections 
que  l'orateur  réfute  après  les  avoir  posées  lui-même.  On 
comprend  que  certains  auditeurs,  entraînés  par  cette 
voix  puissante,  aient  avoué  leurs  péchés,  rejeté  loin 
d^eux  leur  parure  et  restitué  des  biens  mal  acquis. 

Le  latin  perdait  donc  de  plus  en  plus  du  terrain.  A  la 
fin  du  XIII*  siècle  les  chartes  sont  fréquemment  rédigées 
en  allemand,  et  la  langue  nationale  devient  la  langue  de 
la  justice  et  du  droit.  C'est  de  1230  que  date  le  Miroir 
deê  Saxons  ou  Sachsenspiegel  composé  par  Eike  de  Rep- 
kowe  sur  le  désir  du  comte  Hoyer  de  Falkenstein,  son  sei- 
gneur. Eike  de  Repkowe  a  le  style  bref  et  vigoureux.  Son 
œuvre  servit  de  modèle  au  Miroir  des  SouabeSy  et  c'est 
aussi  un  Repkowe  qui,  après  1237,  écrit  la  première 
Chronique  en  prose. 


Pendant  que  s'épanouissait  l'élégante  poésie  des  con- 
teurs épiques  et  des  chanteurs  d'amour,  la  vieille  poésie 
germanique  reparaissait  et  ses  personnages  avaient  le 
costume,   le  ton  et   l'allure  des  chevaliers;  remaniée, 


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6%  LITTERATURE  ALLEMANDE 

transformée  par  les  jongleurs,  remise  à  la  mode  et 
adaptée  au  goût  du  public,  la  légende  héroïque  reprenait 
une  nouvelle  vie. 

C'est  ainsi  que  renaissent  Ortnit,  où  abondent  les 
réminiscences  des  croisades  et  où  le  père  du  héros,  le 
petit  être,  der  Kleiney  qui  dirige  tout,  représente  la 
victoire  de  l'adresse  et  de  la  ruse  sur  la  force  brutale; 
WoJfdietrich^  où  brille  le  caractère  du  fidèle  Berchtung  ; 
la  Fuite  de  Dietrich^  qui  retrace  surtout  sa  généalogie  ;  la 
Bataille  de  Ra^enne  et  la  Mort  d^Alphart^  deux  poèmes 
où  il  y  a  de  dramatiques  épisodes  :  Dietrich  poursuivant 
jusque  dans  la  mer  le  redoutable  Wittig  qu'une  ondine 
dérobe  à  sa  vengeance;  Helche  pleurant  ses  deux  fils, 
victimes  de  Wittig;  Alphart,  type  du  preux,  exempt  de 
blâme  comme  de  crainte  et  qui  succombe  en  écrasant  de 
son  mépris  la  félonie  du  vainqueur  ;  le  Biterolf^Xtin  de 
mêlées  et  du  bruit  des  armes,  de  gedranc  et  de  d6z\  le 
Jardin  des  Roses  où  le  ton  est  souvent  comique  et  où  se 
détache  la  figure  du  moine  Ilsan,  exigeant  de  Kriemhild 
autant  de  baisers  qu'il  a  tué  d'hommes  et  prenant  plaisir 
à  déchirer  les  joues  de  la  capricieuse  dame;  le  Lauririy 
légende  tyrolienne  qui  raconte  les  combats  de  ce  roi  des 
nains  contre  Dietrich;  Virginal;  Goldemar;  Sigenot; 
Ecke. 

Deux  grandes  épopées  ont  fait  oublier  tous  ces  chants 
des  jongleurs  :  Gudrun  et  les  Nibelungen. 

Gudrun  ne  nous  a  été  transmise  que  par  un  seul 
manuscrit.  C'est  une  légende  des  Vikings.  Elle  narre  des 
événements  qui  se  sont  passés  très  loin  de  la  Haute- 
Allemagne  et  comme  dans  les  brouillards  de  la  mer  du 
Nord;  elle  renferme  des  contradictions  de  détail;  elle  a 
subi  des  interpolations;  elle  comprend  trois  parties  qui 


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LB  XIII*  SlfccLB  05 

ae  80Dt  pas  liées.  Mais  elle  est  remarquable  d'un  bout  à 
l'autre  par  la  simplicité  d*une  langue  qui  trouve  tou* 
jours  le  mot  juste.  Il  y  a  dans  la  deuxième  partie  un 
admirable  endroit,  celui  qui  traite  du  séjour  des  trois 
envoyés  de  Hetel  à  la  cour  de  Hagen,  du  vieux  Wate  au 
rude  langage,  a  Tépée  invincible,  et  de  son  neveu  Horant 
k  la  voix  si  merveilleuse  qu'elle  est  la  perle  de  toutes  les 
joies  :  chaque  matin,  lorsque  chante  Horant,  les  oiseaux 
se  taisent  dans  les  buissons,  les  gens  endormis  se 
réveillent  et  se  lèvent  pour  l'entendre,  Hagen  et  sa 
femme  se  rendent  pour  l'écouter  sur  la  plate-forme  du 
palais,  leur  fille  Hilde  assure  qu'elle  n'a  jamais  ouï  sur 
la  terre  un  chant  plus  beau.  Enfin,  la  troisième  partie 
contient  des  passages  saisissants.  Gudrun  est  fiancée  au 
roi  Herwig  de  Seeland;  maisHartmut»  roi  de  Normandie, 
la  capture  après  un  terrible  combat  et  sept  ans  s'écoulent 
avant  que  les  guerriers  de  Herwig  soient  mûrs  pour 
l'épée,  awertmaezicy  et  prêts  à  la  vengeance.  Gudrun  a 
refusé  d'épouser  Hartmut,  et  la  vieille  Gerlinde,  mère 
du  roi,  une  «  louve  »,  une  €  diablesse  »,  impose  k  la 
jeune  fille  les  travaux  les  plus  durs,  l'oblige  k  laver  le 
linge  sur  la  grève.  Un  matin  qu'elle  est  venue  pieds  nus 
k  travers  la  neige  sur  le  rivage,  Gudrun  voit  apparaître, 
au  milieu  des  glaces  que  charrie  la  mer,  une  barque 
montée  par  deux  hommes.  Elle  s'enfuit  parce  qu'elle  a 
honte  de  laver  le  linge  comme  une  vile  servante.  Les 
hommes  la  hèlent,  et  la  voici  debout  devant  eux^  vêtue 
d'une  chemise,  trempée  d'eau,  grelottante  de  froid,  les 
cheveux  épars  au  vent  de  mars.  Alors  se  produit  une 
scène  semblable  aux  scènes  les  plus  émouvantes  de  la 
tragédie  grecque.  Les  deux  hommes  sont  Herwig  et 
Ortwin,  le  fiancé  et  le  frère  de  Gudrun.  Herwig  la  recon- 
naît, la  nomme,  et  elle,  désirant  l'éprouver,  répond  que 

UTTéftATOM  ALLBMAirOB.  5 


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66  LITTÉRATURE  ÀLLBMANDB 

Gudrun  est  morte.  Il  éclate  en  larmes  et  montre  son 
anneau  de  fiançailles.  A  son  tour,  Gudrun  montre  avec 
un  sourire  la  bague  qu'elle  a  gardée.  Herwig  voudrait 
l'emmener  aussitôt.  Ortwin  déclare  qu'il  faut  la  reprendre 
comme  elle  a  été  prise^  par  la  force  et  selon  l'honneur, 
le  glaive  en  main.  Les  deux  hommes  s'éloignent;  Gudrun 
jette  le  linge  à  la  mer,  elle  ne  servira  plus,  elle  a  reçu 
les  baisers  de  deux  rois  !  Dans  la  nuit  même,  Herwig  et 
Ortwin  livrent  l'assaut;  Hartmut  tombe  dans  leurs 
mains;  Gerlinde  a  la  tète  tranchée.  Le  charme  de  l'œuvre^ 
c'est  le  mélange  de  la  joie  et  de  la  douleur,  liebe  et  leid. 
Le  poète  rapproche  sans  cesse  ces  deux  sentiments  et 
ces  deux  mots.  Que  de  douceur  et  d'amertume  dans 
l'amour  de  Herwig  et  de  Gudrun  !  Quand  ils  se  revoient 
sur  la  grève  normande,  que  de  mélancolie  dans  leur 
bonheur!  Lorsque  Gudrun  est  délivrée,  elle  ne  peut  dans 
son  triomphe  s'empêcher  de  pleurer  à  la  vue  des  fureurs 
de  Wate.  Et  quand  elle  rentre  dans  sa  patrie,  elle 
pleure  encore,  parmi  les  cris  d'allégresse  qui  s'élèvent 
de  tous  côtés,  parce  que  sa  mère  refuse  d'embrasser 
Ortrun,  la  sœur  de  Hartmut,  qui  avait  eu  compassion  de 
son  infortune.  Gudrun  est  d'ailleurs  un  des  plus  beaux 
caractères  de  la  poésie  allemande.  Elle  ne  pardonne  pas  à 
Gerlinde  qui  lui  demande  grâce,  et  dans  sa  résignation 
elle  a  quelque  chose  d'âpre  et  d'un  peu  dur.  Néanmoins 
elle  est  femme;  elle  recourt  à  la  ruse;  elle  ne  cache  pas 
sa  joie  lorsqu'elle  rentre  au  château  après  avoir  vu  ses 
sauveurs;  elle  s'apitoie  sur  les  vaincus.  Ce  qui  fait  sa 
grandeur,  c'est  son  indomptable  fierté,  son  inébranlable 
constance,  et  surtout  sa  fidélité  :  elle  garde,  comme  dit 
Geibel,  son  cœur  et  son  serment. 

Le  poème  de  Gudrun^  composé  sans  doute  en  Autriche 

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LE   XIII''   SIÈCLE  67 

vers  1220,  est  postérieur  aux  Nibelungen  dont  il  imite 
la  forme  strophique  avec  quelques  changements  qui 
donnent  au  vers  je  ne  sais  quoi  de  plus  doux,  de  plus 
abondant,  de  plus  varié.  Mais  le  poème  des  Nibelungen 
l'emporte  sur  Gudrun  par  les  énergiques  figures  qu'il 
évoque.  Le  moyen  âge  ne  le  cite  pas  et  ne  fait  que  des 
allusions  à  ses  personnages.  On  ne  connaît  pas  son 
auteur.  On  ignore  même  ce  que  signifie  Nibelungen  : 
Siegfried  est  un  Nibelung  et  règne  sur  les  Nibelungen, 
les  trois  rois  burgondes  sont  aussi  des  Nibelungen,  et  il 
semble  que  ce  nom  s'attache  au  possesseur  du  fameux  et 
fatal  trésor.  Toutefois  l'œuvre  fut  très  répandue  puis- 
qu'elle nous  a  été  conservée  dans  de  nombreux  manu- 
scrits —  le  plus  ancien  et  celui  qui  s'écarte  le  moins  du 
texte  primitif,  est  le  manuscrit  B  —  et,  probablement, 
l'auteur  est  un  jongleur  qui,  vers  1200,  en  Autriche, 
rassembla  et  raccorda  tant  bien  que  mal  les  chants  de 
ses  devanciers.  La  légende  avait  peu  à  peu  grossi  et  de 
nouveaux  personnages  y  étaient  entrés  :  Hagen  de 
Tronje,  son  frère  Dancwart,  son  neveu  Ortwin  de  Metz, 
son  ami  Yolker  d'Alzei,  célébrés  par  des  jongleurs 
rhénans;  Irnfried  et  son  compagnon  Iring  ainsi  que  les 
margraves  Gère  et  Eckewart,  célébrés  par  des  jongleurs 
thuringiens  ;  Tévèque  Pilgrim  de  Passau  et  le  margrave 
Rûdiger,  célébrés  par  des  jongleurs  autrichiens.  Tous  ces 
chants  ou  groupes  de  chants,  remaniés,  arrangés  déjà 
par  d'autres,  un  dernier  arrangeur  les  a  réunis,  retran- 
chant ou  ajoutant  des  strophes,  corrigeant,  changeant 
ça  et  là.  Aussi  est-il  inconnu  :  il  ne  pensait  pas  à  la 
gloire,  il  ne  croyait  rien  faire  d'original,  il  ne  voulait 
que  compiler  de  «  vieilles  histoires  »  et  en  former  un 
tout.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  eut  le  mérite  de  s'effacer 
derrière  ses  personnages  :  pas  d'apprêt;  peu  de  corn- 


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68  LITTéRÀTURB   ALLBMÀNDB 

paraisons;  un  style  simple,  sobre,    qui  ne. vise  pas  à 
l'effet. 

Il  faut  analyser,  résumer  ce  poème  que  Hebbel  a  nommé 
le  poème  le  plus  immortel  de  TAllemagne. 

Kriemhild,  sœur  de  Gunther,  roi  des  Burgondes,  qui 
règne  à  Worms,  rêve  qu'un  beau  et  vigoureux  faucon, 
qu'elle  avait  élevé,  est  déchiré  sous  ses  yeux  par  deux 
aigles.  Elle  raconte  ce  songe  à  sa  mère  qui  l'explique  ainsi  : 
elle  sera  la  femme  d'un  noble  guerrier,  mais  elle  le  perdra 
bientôt.  Ce  guerrier,  c'est  Siegfried,  fils  du  roi  Sige- 
mund  qui  règne  à  Xanten.  On  lui  a  dit  que  Kriemhild 
est  belle  et  il  se  rend  à  Worms  pour  la  demander  en 
mariage,  après  avoir  assuré  à  Sigemund  qu'il  saura  la 
conquérir  par  la  force  de  son  bras,  s'il  ne  peut  l'obtenir  de 
bon  gré.  Nul  ne  le  connaît  à  Worms  et  il  n'a  que  douze 
hommes  avec  lui.  Hagen  le  devine;  il  rappelle  ses 
prouesses  aux  rois  burgondes  et  conseille  de  le  recevoir 
avec  de  grands  honneurs.  Siegfried  commence  par 
déclarer  insolemment  qu'il  vient  combattre  les  plus 
braves  des  Burgondes  et  ravir  leurs  terres;  mais  on  le 
flatte  et  l'apaise.  Une  année  se  passe  en  divertissements 
et  en  tournois  :  Siegfried  est  celui  qui  jette  le  plus  loin 
la  pierre  et  la  lance,  celui  que  les  dames  regardent  avec 
le  plus  de  complaisance,  et  dans  une  guerre  contre 
Saxons  et  Danois,  il  prend  de  sa  main  leurs  deux  rois. 
Au  retour  de  l'expédition,  il  voit  Kriemhild  pour  la 
première  fois.  Les  frères  de  la  jeune  fille,  Gunther, 
Gernot  et  Giselher,  la  présentent  à  Siegfried  qui  s'incline 
en  rougissant  et  Kriemhild  le  félicite  de  sa  vaillance  : 
pendant  douze  jours,  au  milieu  des  amusements  et  des 
joutes,  Siegfried  est  constamment  auprès  d'elle. 

De  Worms   le  poète  nous  mène  en  Islande,  à  Isen- 
stein^  au  château  de  Briinhild.  Aussi  robuste  que  belle, 


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LB  XIll*  8IBGLB  M 

habile  a  se  servir  de  la  lance,  la  reine  provoque  au 
combat  tout  chevalier  qui  lui  demande  son  amour  : 
elle  épousera  le  vainqueur,  mais  elle  fait  couper  la 
tête  au  vaincu.  Gunther  ne  veut  pas  d^autre  femme 
que  Brûnhild.  Il  prie  Siegfried  de  Taccompagner  en 
Islande  et  lui  promet  Kriemhild  en  récompense.  On 
part.  Dès  que  Brûnhild  aperçoit  Siegfried,  elle  sMmagine 
qu'il  vient  la  combattre  et  l'épouser.  Il  la  détrompe  : 
c'est  Gunther  qui  la  recherche  en  mariage,  et  Gunther 
est  un  roi  puissant  et  son  propre  seigneur.  La  lutte 
s'engage  entre  Briinhild  et  Gunther.  Mais  Siegfried  a 
revêtu  le  manteau  enchanté  qui  le  rend  invisible,  la 
Tarnkappe,  Vainement  Briinhild,  plus  belle  que  jamais 
sous  sa  cuirasse  d'or,  tenant  d'une  main  l'écu  et  de 
l'autre  le  javelot,  porte  à  Gunther  des  coups  terribles; 
Siegfried,  debout  aux  côtés  du  roi,  sans  que  personne 
le  voie,  manie  le  grand  et  large  bouclier  de  Gunther, 
frappe  la  reine  non  avec  la  pointe,  mais  avec  la  hampe 
du  javelot,  Tétourdit,  la  renverse.  Vainement  Brûnhild 
se  redresse  aussitôt  la  colère  dans  le  cœur,  et  vainement 
elle  jette  une  pierre  énorme  que  douze  héros  auraient 
peine  à  soulever,  puis,  d'un  vigoureux  élan,  saute  et 
dépasse  la  pierre.  Siegfried,  plus  fort  et  plus  agile, 
lance  la  pierre  et  prenant  Gunther  dans  ses  bras,  bondit 
plus  loin  encore.  Gunther  a  triomphé;  les  assistants 
se  prosternent  devant  lui;  Brûnhild  avoue  sa  défaite; 
Siegfried,  qui  court  incontient  porter  dans  son  navire  le 
manteau  merveilleux,  feint  de  croire  que  la  lutte  n'a 
pas  commencé.  Le  récit  de  ce  combat  est  un  des 
meilleurs  passages  de  l'œuvre.  Gunther  fait  les  mouve- 
ments et  les  gestes,  mais  Siegfried  seul  agit;  le  poète 
ne  cesse  de  répéter  que,  sans  Siegfried,  Gunther  était 
perdu,  que  Siegfried  était  un  plus  rude  compagnon  que 


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7Q  LITTERATURE    ALLEMANDE 

Gunther,  que  les  témolos  de  la  scène  voyaient  Gunther 
et  non  Siegfried. 

Un  double  mariage  a  lieu.  Gunther  épouse  Brunhild 
et  Siegfried,  Kriemhild.  Au  repas  de  noces,  Brunhild 
pleure  et  demande  à  Gunther  pourquoi  Kriemhild  se 
mésallie,  puisque  Siegfried  n*est  que  Thomme  lige  du 
roi;  Gunther  lui  ordonne  de  se  taire.  Mais  la  nuit, 
lorsqu'il  approche  de  Brunhild  et  l'embrasse,  elle  lui 
déclare  qu'elle  restera  vierge  tant  qu'elle  ne  saura  pas 
pourquoi  Kriemhild  a  épousé  Siegfried.  Il  veut  recourir 
à  la  force.  Brunhild,  prenant  sa  ceinture,  lie  au  roi  les 
pieds  et  les  mains  et  l'attache  à  un  clou  fixé  dans  le 
mur.  A  l'aube,  elle  le  décroche  et  il  se  couche  à  côté 
d'elle,  à  distance,  sans  oser  la  toucher.  Il  révèle  sa 
honte  à  Siegfried,  et,  la  nuit  suivante,  les  lumières 
éteintes,  pendant  que  Gunther  ferme  et  verrouille  la 
porte,  le  héros,  revêtu  du  manteau  qui  le  rend  invisible, 
entre  dans  la  chambre  royale  :  il  étreint  Brunhild; 
repoussé,  et  avec  une  telle  vigueur  qu'il  tombe  à  la 
renverse,  il  revient  à  la  charge;  elle  le  repousse  encore, 
le  presse  entre  le  mur  et  un  bahut,  lui  serre  les  mains  si 
violemment  que  le  sang  jaillit  des  ongles.  Enfin  il  est  le 
plus  fort;  il  la  ramène  au  bord  du  lit,  épuisée^  domptée, 
jetant  de  grand  cris.  Gunther  prend  sa  place  et  Brunhild 
cède.  Avant  de  s'éloigner,  Siegfried  enlève  à  la  reine  sa 
ceinture  et  son  anneau  d'or  qu'il  donne  à  Kriemhild. 
Est-ce  par  orgueil,  dit  le  poète,  depuis  mal  lui  en  arriva. 

Bientôt  éclate  la  querelle  des  deux  femmes.  Un  après- 
midi  qu'elles  regardent  un  tournoi,  Kriemhild  loue 
étourdimcnt  son  mari;  qui  peut  s'égaler  à  lui?  Brunhild 
répond  que  Siegfried  n'est  que  l'homme  lige  du  roi 
des  Burgondes.  Kriemhild  réplique  qu'elle  n'aurait  pas 
épousé  le  vassal  de  son  frère,  et  le  jour  même,  en  entrant 


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LE  XIII*  8IECLB  71 

à  la  cathédrale,  elle  prend  le  pas  sur  Brûnhild,  lui 
montre  la  ceinture  et  l'anneau  d'or,  Tappelle  la  concu- 
bine de  Gunther  :  «  Mon  Siegfried  a  été  ton  amant!  » 
Brûnhild  se  plaint  à  son  mari;  Gunther  demande  à 
Siegfried  s'il  s'est  jamais  vanté  d'avoir  eu  les  faveurs  de 
la  reine;  le  héros  jure  qu'il  n'a  pas  tenu  de  semblables 
propos,  et  le  roi  croit  h  son  innocence. 

Mais  Hagen  promet  à  Brûnhild  de  la  venger.  La  mort 
de  Siegfried  est  résolue.  De  faux  envoyés  des  Saxons 
viennent  défier  les  Burgondes,  et,  comme  toujours, 
Siegfried  offre  son  secours  k  Gunther.  Déjà  les  guerriers 
s'arment  et  ils  attachent  les  bannières  a  la  hampe.  Hagen 
prend  congé  de  Kriemhild.  L'imprudente  lui  découvre  le 
secret  de  Siegfried  :  lorsque  le  héros  se  baigna  dans  le 
sang  du  dragon  qui  le  rendit  invulnérable,  une  feuille 
tomba  d'un  tilleul  entre  ses  épaules  ;  c'est  donc  à  Tomo* 
plate  que  ses  ennemis  peuvent  lui  porter  le  coup  mortel 
et  c'est  l'endroit  que  ses  amis  doivent  préserver  de  toute 
blessure.  Sur  le  perfide  conseil  de  Hagen,  Kriemhild 
coud  à  cette  partie  des  vêtements  de  Siegfried  une  petite 
croix  blanche.  Dès  le  lendemain  Hagen  voit  ce  signe  : 
il  aposte  de  nouveaux  envoyés  des  Saxons  qui  font 
des  assurances  pacifiques,  et  il  propose  à  Gunther  de 
changer  en  une  partie  de  chasse  la  guerre  qui  devient 
inutile. 

Siegfried  accompagne  les  veneurs.  En  vain  Kriemhild 
éplorée  essaie  de  le  retenir  et  lui  conte  qu'elle  a  vu 
dans  un  rêve  deux  sangliers  lui  donner  la  chasse  et  les 
fleurs  se  rougir  de  sang.  Siegfried  part;  il  n'a  jamais  été 
plus  confiant  et  plus  vaillant;  il  plaisante,  il  joue  des 
tours  a  ses  compagnons,  et  l'on  croit  entendre  les  éclats • 
de  sa  bonne  humeur  et  de  sa  grosse  gaîté.  Il  prend  un 
ours  tout  vivant,  l'attache  u  la  selle  de  son  cheval  et  le 


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72  LITTÂRATURB  ALLEMANDE 

lâche  au  Heu  du  rendez-vous.  L'animal  met  en  fuite  les 
cuisiniers  et  court  vers  le  bois  parmi  les  chaudrons 
renversés  et  les  plats  gisant  dans  la  cendre.  Mais  Siegfried 
le  rattrape  et  le  tue  d'un  coup  d'épée.  Il  revient  au  bivouac, 
il  a  soif,  et  le  vin  manque  :  Ne  fallait-il  pas,  dit-il  à  Hagen, 
amener  sept  bètes  de  somme  chargées  d'hydromel  et  de 
clairet,  ou  du  moins  camper  plus  près  du  Rhin?  Hagen 
connaît  une  source  non  loin  de  là  ;  il  offre  à  Siegfried  d'y 
aller  et  de  lutter  de  vitesse  avec  lui.  Le  héros  accepte;  il 
consent  même  à  rester  armé,  pendant  que  Gunther  et 
Hagen  ne  garderont  que  leur  chemise  :  <c  en  toute 
chose  il  emportait  le  prix  ».  Les  deux  Burgondes  courent 
comme  des  panthères  à  travers  le  trèfle;  Siegfried  arrive 
avant  eux  à  la  source.  Il  laisse  le  roi  Gunther  boire  le 
premier,  puis  il  se  penche.  Hagen  le  frappe  à  la  place  où 
Kriemhild  a  cousu  la  croix.  Le  guerrier,  mortellement 
blessé,  trouve  encore  assez  de  vigueur  pour  se  relever;  il 
terrasse  Hagen;  mais,  épuisé  par  ce  suprême  effort, 
pâle,  couvert  du  sang  qui  sort  de  la  plaie  à  grands  flots, 
il  tombe  et  meurt.  Les  plaintes  qu'il  exhale  sont  un  peu 
longues,  mais  dignes  de  lui;  il  rappelle  aux  Burgondes 
ses  loyaux  services,  il  leur  reproche  leur  félonie  et  leur 
prophétise  le  déshonneur,  il  envoie  ses  adieux  à  Kriem- 
hild, à  son  fils  et  à  son  père.  On  le  met  sur  un  bouclier,  on 
convient  de  dire  que  des  brigands  l'ont  tué  dans  le  bois, 
et  on  le  dépose  de  nuit  devant  son  palais.  Kriemhild, 
sortant  pour  aller  à  matines,  apprend  qu'un  chevalier  est 
couché  sans  vie  sur  le  seuil.  Elle  songe  aussitôt  à  Siegfried 
et  défaille,  criant  :  «  C'est  Siegfried,  mon  bien  aimé; 
Brûnhild  a  tout  conseillé,  et  Hagen  a  tout  fait!  »  Revenue 
à  elle,  elle  soulève  de  ses  mains  blanches  la  tête  du  héros 
et  la  reconnaît  sous  le  sang  qui  la  couvre.  Le  cadavre, 
lavé,  est  porté  à  l'église,  et  là,  à  l'approche  de  Hagen, 


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Ll  XIII'  8IBCLB  78 

comme  pour  Taccuser,  le  sang  jaillit  des  blessures.  Guo- 
ther  proteste  que  des  brigands  ont  assassiné  Siegfried. 
«  Ces  brigands,  répond  Kriemhild,  me  sont  bien  connus; 
Gunther  et  Hagen,  c'est  vous  qui  avez  commis  le  crime  !  » 
Trois  jours  se  passent;  avant  d'inhumer  Siegfried,  Kriem- 
hildveut  le  revoir,  lui  dire  adieu;  elle  ouvre  le  cercueil, 
soulève  encore  dans  ses  mains  la  tète  de  son  mari,  baise 
une  dernière  fois  le  «  noble  et  bon  chevalier  »  ;  il  faut 
l'arracher  de  la  fosse. 

Sur  les  instances  de  Giselher,  elle  refuse  d'accompa- 
gner à  Xanten  le  père  deSiegfried  et  lui  laisse  son  enfant. 
Elle  demeure  à  Worms,  pleurant,  repoussant  toute  conso- 
lation, évitant  Hagen  et  Gunther,  allant  chaque  jour  prier 
à  l'église  et  sur  la  tombe  de  Siegfried.  Enfin,  au  bout  de 
trois  ans  et  demi,  à  la  sollicitation  de  Giselher  et  de 
Gernot,  elle  se  réconcilie  avec  Gunther,  mais  elle  ne 
pardonne  pas  à  Hagen.  Elle  fait  venir  à  Worms  le  fameux 
hort  ou  trésor  des  Nibelungen  qu'elle  avait  reçu  de 
Siegfried;  elle  distribue  de  l'or  aux  pauvres  et  aux  riches; 
elle  attire  auprès  d'elle  une  foule  de  guerriers.  Hagen 
conçoit  des  craintes.  Il  enlève  le  trésor  et  le  cache  au 
fond  du  Rhin,  en  un  endroit  que  lui  seul  connaît. 

La  première  partie  du  poème  est  terminée,  et  la 
seconde  commence,  celle  que  Bodmer  intitula  justement 
en  1757  la  Vengeance  de  Kriemhild.  Etzel^  roi  des  Huns, 
envoie  à  Worms  le  margrave  Rûdiger  de  Bechlarn 
demander  la  main  de  Kriemhild.  Seul,  Hagen  s'oppose  au 
mariage.  Kriemhild  a  répondu  d'abord  par  un  refus.  Mais 
l'habile  Rûdiger  lui  fait  entendre  qu'Etzel  est  assez  fort 
pour  châtier  ceux  qui  l'ont  offensée.  Elle  ne  résiste  plus; 
lorsque  Rûdiger  a  juré  qu'il  sera  le  premier  à  la  défendre, 
elle  part,  malgré  Hagen,  pour  ce  pays  des  Huns  qu'arrose 
le  Danube,  et  le  poète  décrit  complaisamment  sa  marche 


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74  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

à  travers  son  nouvel  empire,  le  magnifique  accueil  qu'elle 
reçoit  à  Passau,  a  Bechlarn  et  à  Vienne,  le  fleuve  qui 
semble  terre  ferme  tant  il  est  couvert  d'hommes  et  de 
chevaux,  le  cortège  d*Etzel  où  se  pressent  des  guerriers 
de  races  et  de  croyances  diverses,  les  noces  qui  durent 
dix-sept  jours,  les  divertissements  qui  ne  cessent  jamais 
à  la  cour  d'un  roi  généreux.  Mais  au  milieu  des  banquets 
et  des  tournois,  Kriemhild  se  cache  pour  pleurer  sur 
Siegfried,  et  au  sein  de  sa  puissance,  elle  se  rappelle 
qu'elle  a  des  ennemis;  ah!  si  elle  pouvait  leur  rendre 
mal  pour  mal!  Au  bout  de  sept  ans,  elle  invite  les  Bur- 
gondes  et  les  fait  inviter  par  son  mari. 

Ils  acceptent  l'invitation,  et  la  25°  «  aventure  »  —  le 
poème  en  compte  39  —  retrace  leur  voyage.  Aucune  ne 
renferme  plus  de  légendes  et  d'antiques  souvenirs, 
présages,  songes,  êtres  surnaturels.  Vainement  Ute,  la 
mère  des  trois  rois,  a  rêvé  que  tous  les  oiseaux  du  ciel 
étaient  morts.  Vainement  le  maitre-queux  Rumolt  déclare 
que  rinvitation  de  Kriemhild  cache  un  piège.  Les  Bur- 
gondes  ou,  comme  le  poète  les  nomme  aussi  dans  cette 
seconde  partie,  les  Nibelungen  partent  avec  Hagen,  le 
ménestrel  Volker,  1060  guerriers  et  9000  valets.  Hagen 
est  le  chef  réel  de  la  troupe;  il  connaît  la  contrée,  il 
marche  le  premier,  et  son  énergie,  sa  froide  résolution, 
ce  qu'il  a  de  rude,  de  fier  et  de  provocant  donnent  à  la 
chevauchée  des  Nibelungen  quelque  chose  de  sinistre  et 
de  fatal;  bien  qu'ils  aient  l'humeur  joyeuse  et  l'allure 
superbe,  on  pressent  qu'ils  vont  à  la  mort.  Au  bout  de 
douze  jours,  ils  arrivent  au  Danube;  le  fleuve  a  débordé, 
son  courant  est  très  rapide,  les  barques  manquent.  Hagen 
longe  la  rive  pour  trouver  des  bateliers.  Soudain  l'eau 
s'agite  ;  il  voit  des  ondines  qui  se  baignent  ;  il  s'approche 
doucement.  Mais    elles    le    remarquent   et  elles    fuient 


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LE   XIll^   SIÈCLE  7& 

aussitôt  en  planant  sur  les  flots  comme  des  oiseaux.  Il 
s'est  emparé  de  leurs  vêtements.  Une  d'elles,  Hadeburc, 
les  réclame  en  promettant  de  lui  révéler  l'avenir,  et  elle 
l'assure  quUl  sera  reçu  chez  les  Huns  avec  les  honneurs 
les  plus  grands.  Il  rend  les  habits.  Alors  une  autre  ondinc, 
Sigelint,  l'avertit  que  Hadeburc  a  menti  :  <(  Retourne,  lui 
dit-elle,  il  est  encore  temps  ;  quiconque  entrera  dans  le 
pays  d'Etzel  doit  mourir;  le  chapelain  seul  échappera.  » 
Hagen  n'a  cure  de  cette  prédiction,  et  il  prie  les  ondines 
de  lui  donner  le  moyen  de  gagner  le  bord  opposé.  Elles 
lui  répondent  qu'il  y  a  plus  loin  un  passeur;  mais  cet 
homme  est  d'un  caractère  sauvage  et  Hagen  fera  bien  de 
l'adoucir  par  un  salaire  et  en  prenant  le  nom  d'Âmelrich. 
Il  s'incline  et  se  met  en  quête.  Il  hèle  le  passeur,  lui 
montre  au  bout  de  l'épée  un  bracelet  d'or,  lui  dit  que 
son  nom  est  Amelrich.  Le  passeur  s'approche;  il  ne 
reconnaît  pas  Amelrich  et  il  refuse  ses  services  à  l'étran- 
ger. Hagen  saute  dans  la  barque  et  coupe  la  tête  au 
passeur.  Au  même  instant  l'esquif  est  entraîné  en 
pleine  rivière  ;  Hagen  tente  de  le  pousser  vers  la  grève  ; 
la  rame  se  brise  en  ses  mains;  il  en  rattache  les  mor- 
ceaux avec  la  courroie  de  son  bouclier  et,  redoublant 
d'efforts,  il  rejoint  ses  compagnons.  La  barque  est 
pleine  de  sang;  mais  il  nie  hardiment  le  meurtre,  et 
c'est  lui  qui,  de  son  bras  infatigable,  transporte  les  Bur- 
gondes  de  l'autre  côté.  Subitement  il  se  rappelle  que  le 
chapelain  seul  doit  échapper  au  désastre.  Il  jette  le  cha- 
pelain dans  les  flots  et  défend  de  le  repécher.  Le  mal- 
heureux ne  sait  pas  nager;  pourtant  il  se  débat  à  la  sur- 
face de  l'eau,  il  atteint  avec  l'aide  de  Dieu  la  rive  qu'il 
avait  quittée,  et  on  le  voit  de  loin  prendre  terre  et 
secouer  sa  robe.  Les  ondines  disaient  vrai!  Hagen  brise 
la  barque  et  crie  dès  que  tout  son  monde  s'est  ébranlé  : 


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76  LITTÉRATURB   ALLEMANDE 

ce  Chevaliers  et  valets,  nous  ne  reviendrons  plus  au 
pays  des  Burgondes!  » 

A  cette  scène  d'une  sombre  poésie  succèdent  de  radieux 
tableaux.  Les  Nibelungen  arrivent  h  Bechlarn  où  Rûdiger 
les  défraye  et  les  fête.  Ils  sont  comblés  de  présents. 
Gernot  reçoit  une  épée  et  Hagen,  un  bouclier.  Giselher 
se  fiance  avec  la  fille  du  margrave.  Quand  ses  hôtes 
s'éloignent,  Rûdiger  les  accompagne  avec  cinq  cents 
hommes. 

L'accueil  de  Kriemhild  est  bien  différent.  Dès  les  pre- 
miers  instants,  elle  ne  dissimule  pas  sa  haine.  Elle 
n'embrasse  que  Giselher,  et,  comme  pour  lui  répondre, 
Hagen  serre  plus  fort  la  mentonnière  de  son  casque.  Elle 
demande  pourquoi  Hagen  ne  lui  apporte  pas  le  trésor 
des  Nibelungen,  et  Hagen  riposte  qu'il  a  jeté  le  trésor  au 
fond  du  Rhin,  qu'il  n'apporte  que  son  casque  et  sa  cui- 
rasse, son  bouclier  et  son  épée.  Elle  prie  les  Burgondes 
de  déposer  leurs  armes  avant  d'entrer  dans  la  salle,  et 
Hagen  déclare  qu'il  veut  être  son  propre  camérier.  Elle 
lance  a  Hagen  un  regard  de  colère,  et  Hagen,  insolent, 
hautain,  sans  se  lever  de  son  siège,  étale  sur  ses  genoux 
l'épée  de  Siegfried.  Elle  lui  reproche  le  meurtre  du  héros, 
et  Hagen  se  fait  gloire  de  son  crime.  Ici  se  produit  un  bel 
épisode.  Au  soir,  après  avoir  banqueté  dans  le  palais 
d'Etzel,  les  Burgondes  fatigués  se  couchent.  Hagen  veille 
sur  leur  repos.  Yolker  monte  la  garde  avec  lui;  assis  sur 
un  banc  de  pierre,  le  ménestrel  tire  de  sa  viole  des 
accents  si  tendres  qu'il  charme  ses  soucieux  compagnons 
et  les  endort  doucement;  puis,  prenant  son  bouclier,  il 
se  met  devant  la  porte  en  sentinelle  vigilante.  Au  milieu 
de  la  nuit,  il  voit  briller  des  heaumes  dans  les  ténèbres  : 
Kriemhild  envoie  les  siens  assaillir  les  Burgondes.  Mais 
le  casque  de  Yolker  étincelle  dans  l'obscurité,  les  Huns 


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LB  XIII*  SIBCLB  77 

effrayés  s'éloignent  et  il  leur  crie  qu'ils  sont  des  lâches. 

La  lutte  va  s'engager,  et  de  toutes  les  œuvres  du 
moyen  âge,  le  poème  des  Nibelungen  est  celui  qui  rend 
avec  le  plus  de  force  et  de  grandeur  Taspect  et  les  péri- 
péties d*une  bataille  acharnée. 

Le  lendemain  de  leur  arrivée,  les  Nibelungen  et  les 
hommes  d'Etzel  vont  à  Téglise  :  mais  les  premiers,  sur 
Tordre  de  Hagen,  ont  gardé  leurs  armes,  et  dans  le  tour- 
noi qui  suit  la  messe,  Volker  transperce  de  sa  lance  un 
des  plus  nobles  d'entre  les  Huns.  Une  clameur  s'élève, 
les  parents  de  la  victime  veulent  tuer  le  ménestrel;  Etzel 
intervient  et  ses  hôtes  burgondes  l'accompagnent  au 
palais.  Kriemhild  tente  alors  de  gagner  à  sa  cause 
Dietrich  et  Hildebrant.  Elle  essuie  un  refus;  mais  son 
beau-frère  Blôdel  lui  promet  sa  vengeance,  et  pendant  que 
les  Nibelungen  s'asseoient  à  la  table  d'Etzel,  les  neuf  mille 
valets  qu'ils  menaient  avec  eux  sont  attaqués  dans  leur 
logis.  Ils  se  défendent  soit  avec  l'épée  soit  avec  de 
lourdes  chaises  et  de  longs  escabeaux;  tous  y  laissent  la 
vie.  Dancwart,  qui  fend  le  crâne  à  Blôdel,  est  le  seul  qui 
s'échappe;  l'épée  à  la  main,  il  se  fraye  un  passage  à  tra- 
vers les  HuDS,  et  fuyant  comme  un  sanglier  devant  les 
chiens,  marquant  sa  route  par  le  sang  de  ceux  qui 
veulent  Tarrèter,  il  arrive  au  palais  d'Etzel.  Aussitôt 
Hagen  se  lève;  il  frappe  le  jeune  fils  d'Etzel  et  de 
Kriemhild,  Ortiieb,  et  la  tète  de  l'enfant  vole  sur  les 
genoux  de  la  reine;  il  frappe  le  gouverneur  d'Ortlieb; 
il  frappe  le  ménestrel  Werbel.  Puis,  tandis  que  Dancwart 
et  Yoiker  se  placent  sur  le  seuil  l'un  au  dehors,  Tautre 
en  dedans,  Hagen  et  les  trois  rois  burgondes  parcourent 
la  salle,  brandissant  leur  épée  et  brisant  les  casques. 
Le  combat  cesse  un  instant  à  la  voix  de  Dietrich.  Le 
héros  obtient  une  trêve  ;  il  quitte  l'édifice  avec  Rûdiger, 


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78  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

prend  à  son  bras  Kriemhild  toute  tremblante  et  emmène 
Etzel.  Mais  les  Nibelungen  interdisent  au  reste  des  Huns 
de  sortir  ;  la  porte  fermée,  ils  recommencent  leur  mas- 
sacre, et  <x  de  tous  ceux  qui  demeuraient  dans  la  salle, 
aucun  ne  fut  sauvé  ».  Les  vainqueurs  jettent  au  bas  des 
degrés  sept  mille  morts  et  blessés. 

Ils  sont  derechef  assaillis  par  les  Huns  ;  Etzel  lui-même 
veut  combattre;  Kriemhild  offre  à  celui  qui  lui  apportera 
la  tète  de  Hagen  tout  Tor  que  peut  contenir  le  bouclier 
du  roi,  et  Iring  de  Danemark,  Irnfried  de  Thuringe, 
Hawart  se  précipitent  à  Tenvi.  Les  Nibelungen  triomphent 
encore;  Iring  est  tué  par  Hagen,  et  Irnfried  par  Volker; 
le  silence  se  fait  et  de  toutes  parts  le  sang  ruisselle  par 
les  ouvertures  de  la  salle.  Pendant  que  les  Burgondes 
s'asseoient  sur  les  cadavres  de  leurs  adversaires  et,  le 
casque  délié,  se  reposent  de  leur  labeur  meurtrier,  Etzel 
et  Kriemhild  se  lamentent. 

Sur  le  soir,  la  reine  ordonne  un  nouvel  assaut  que  les 
Nibelungen  repoussent  avec  la  même  bravoure.  Néan- 
moins, ils  se  sentent  las.  Les  trois  rois,  souillés  de  sang 
et  noircis  par  l'acier  de  leur  cuirasse,  sortent  de  la  salle 
et  demandent  la  paix.  Etzel  répond  qu'après  regorge- 
ment de  son  fils  et  de  tant  de  ses  proches,  il  ne  peut 
entrer  en  accommodement.  Ils  proposent  de  combattre 
en  rase  campagne.  Kriemhild  réplique  vivement  que  les 
Huns  sont  perdus  s'ils  laissent  ses  frères  venir  au  vent 
et  rafraîchir  leur  armure;  qu'on  lui  remette  Hagen,  et 
les  autres  auront  la  vie  sauve.  Les  Nibelungen  se  récrient  : 
plutôt  mourir  tous  que  de  livrer  un  seul  de  leurs  hommes 
et  de  trahir  leur  foi!  Exaspérée,  Kriemhild  fait  refouler 
les  Burgondes  dans  la  salle  et  allumer  le  feu  aux  quatre 
coins.  L'incendie  dure  toute  la  nuit,  et  les  Burgondes, 
environnés  de  flammes,  aveuglés  par  la  fumée,  presque 


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LE   XIII''   SIÈCLE  79 

étouffés  par  la  chaleur,  mourant  de  soif,  souffrent  une 
torture  sans  pareille.  Sur  le  conseil  de  Hagen,  ils  boivent 
le  sang  des  blessés  et,  de  leur  bouclier,  ils  écartent  les 
brandons  ou  les  écrasent  sous  leurs  pieds.  Au  jour,  ils 
sont  encore  six  cents. 

Enfin,  Rûdiger,  après  de  longues  et  douloureuses  hési- 
tations, se  jette  dans  la  lutte.  Giselher  qui  le  voit  s'a- 
vancer, pousse  un  cri  de  joie;  il  s'imagine  que  le  mar- 
grave, son  futur  beau-père,  vient  au  secours  des  Bur- 
gondes.  Rûdiger  vient  en  ennemi;  il  s'immole  à 
l'obéissance  féodale,  et  vainement  les  trois  rois  lui 
rappellent  leur  amitié:  «  Que  Dieu,  dit*il,  aie  pitié  de 
moi  !  X»  et  déjà  il  lève  son  bouclier  pour  s'élancer.  Hagen 
l'arrête;  les  Huns  ont  brisé  l'écu  qu'il  avait  reçu  de  la 
margrave  pendant  son  séjour  à  Bechlarn  et  il  souhaite 
de  posséder  un  bouclier  aussi  bon  que  celui  de  Rûdiger. 
Le  margrave  lui  donne  son  bouclier  :  Hagen,  ému,  jure 
que  sa  main  ne  touchera  pas  Rûdiger,  et  Volker  fait  le 
même  serment.  Quelques  instants  plus  tard,  Gernot  et  le 
margrave  s'entretuent. 

Seul,  Dietrich  de  Berne  n'a  pas  encore  participé  à  la 
bataille»  Lorsqu'il  entend  les  lamentations  qu'excite  la 
mort  de  Rûdiger,  il  envoie  Hildebrant  s'enquérir.  Sur  le 
conseil  de  son  neveu  Wolfhart,  Hildebrant  revêt  son 
armure,  et  tous  les  hommes  de  Dietrich,  épée  au  côté, 
bouclier  en  main,  l'accompagnent  jusqu'à  la  porte  de  la 
salle.  Mais  Wolfhart  reproche  aux  Nibelungen  d'avoir  tué 
Rûdiger,  etVolker  lui  répond  par  des  paroles  offensantes. 
Voilà  les  Burgondes  aux  prises  avec  les  Gots.  C'est  le 
suprême  combat.  A  l'exception  de  Gunther  et  de  Hagen, 
tous  les  Burgondes  périssent,  et  Dancwart,  et  Volker 
auquel  Hildebrant  assène  le  coup  fatal,  et  Giselher  qui 
tombe   sous  l'épée  de  Wolfhart.  Tous  les  hommes  de 


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80  LITTÉRATURE  ALLEMANDS 

Dietrich  succombent  également;  Wolfhart  est  blessé  à 
mort  par  Giselher;  un  seul  échappe,  Hildebrant  qui  le 
premier  a  monté  les  degrés,  Hildebrant  qui  tente  inuti- 
lement d'emporter  Wolfhart  dans  ses  bras,  Hildebrant 
que  Tépée  de  Hagen  atteint  à  travers  sa  cuirasse.  Le  vieux 
guerrier,  couvert  de  son  propre  sang,  annonce  à  Dietrich 
que  Rûdiger  n'est  plus  et  que  tous  les  Gots  sont  occis.* 
Dietrich  s'arme  contre  les  Burgondes;  il  blesse  Hagen, 
puis  Gunther,  les  garrotte  tous  deux  et  les  mène  a 
Kriemhild  qui  promet  de  les  épargner.  Mais  Kriemhild 
somme  Hagen  de  lui  rendre  le  trésor  des  Nibelungen;  il 
répond  qu'il  a  juré  de  ne  jamais  révéler  le  lieu  où  le 
trésor  est  enfoui,  tant  que  vivra  un  de  ses  maîtres. 
Kriemhild  fait  tuer  Gunther  et  porter  sa  tête  à  Hagen. 
a  Maintenant,  s'écrie  le  guerrier,  nul,  sinon  Dieu  et  moi, 
ne  sait  l'endroit  où  git  le  trésor;  femme  d'enfer,  il  te 
sera  toujours  caché!  »  Hors  d'elle-même,  Kriemhild 
saisit  l'épée  de  Siegfried  et,  la  soulevant  des  deux  mains, 
tranche  le  col  de  Hagen.  A  cette  scène  assistent  Etzel 
et  Hildebrant;  Etzel  est  épouvanté:  Hildebrant,  indigné, 
frappe  Kriemhild  de  son  épée;  la  reine  tombe  en  pous- 
sant un  cri  terrible.  Ainsi  se  termina  la  fête  qu'Etzel 
avait  donnée,  par  les  larmes,  le  désespoir  et  la  mort;  la 
joie  ne  finit-elle  pas,  dit  le  poète,  par  se  changer  en 
douleur? 

Quels  sont  les  mérites  de  cette  épopée?  Elle  est  fon- 
cièrement  allemande  :  pas  ou  peu  de  noms  étrangers; 
des  aventures  qui  n'ont  rien  ou  presque  rien  de  fantas- 
tique et  d'invraisemblable,  des  personnages  qui  disent 
ce  qu'ils  doivent  dire.  L'art  n'est  pas  absent.  La  destinée 
de  Kriemhild,  voilà  le  sujet  de  l'œuvre,  et  ce  sujet,  le 
poète  l'aborde  aussitôt  sans  se  perdre  en  paroles  inutiles. 


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LB   Xin*   8IÈCLB  81 

II  retrace  brièvement  la  jeunesse  de  Siegfried  et  lors- 
qu'il lui  faut  parler  du  dragon  et  du  trésor,  c'est  Hagen 
qui  raconte  aux  rois  burgondes  les  prouesses  du  héros. 
Il  s'arrête  à  temps  ;  il  se  tait,  dès  que  Hildebrand  a  occis 
la  reine  des  Huns;  il  sent  que  son  œuvre  est  achevée, 
que  la  mort  de  Kriemhild  forme  un  digne  dénouement. 
Il  sait  marquer  des  contrastes  saisissants.  Avant  de 
narrer  la  mort  de  Siegfried,  il  le  montre  beau,  superbe, 
monté  sur  un  cheval  rapide,  abattant  tous  les  fauves 
qu'il  rencontre,  souriant  lorsque  ses  compagnons  le 
prient  de  ménager  le  gibier  et  de  ne  pas  faire  de  la  forêt 
un  désert.  Avant  de  mener  les  Burgondes  à  la  cour 
hostile  de  Kriemhild,  il  décrit  leur  séjour  à  Bechiarn, 
chez  l'hospitalier  Rûdiger.  Dans  la  première  partie,  les 
plaisirs  de  la  paix,  fêtes,  tournois,  chasses,  beauté  des 
dames;  dans  la  seconde,  les  défis  et  les  égorgements. 
Encore  la  lutte  entre  Huns  et  Burgondes  est-elle  inter- 
rompue par  de  touchants  épisodes,  adoucie  à  certains 
instants  par  des  cris  de  pitié,  par  un  rayon  de  cheva- 
lerie qui  perce  au  milieu  des  scènes  de  carnage. 

Les  caractères,  pris  en  gros,  sont  vivants,  inou- 
bliables. Siegfried,  calme  et  souriant,  se  perd  par  sa  con- 
fiance et  sa  bonté  naïve.  Il  marche  à  travers  la  vie  sans 
crainte  des  embûches  et  quand  sa  femme  essaie  de  le 
mettre  en  garde  contre  les  traîtres,  il  répond  fièrement 
qu'il  n'a  fait  de  mal  à  personne. 

Hagen  offre  un  curieux  mélange  de  perfidie  et  de 
loyauté.  Il  diffère  trop  de  Siegfried  pour  ne  pas  le  haïr, 
et  il  le  tue  traîtreusement.  Mais  il  venge  l'injure  de  sa 
suzeraine  et,  le  crime  commis,  il  l'avoue  hautement  et 
tète  levée.  Il  s'oppose  au  départ  des  Burgondes;  mais 
lorsqu'on  l'accuse  d'avoir  peur,  il  les  accompagne  et  il 
a   dès  ce    moment  un  sombre   et    dur   héroïsme,   une 


UTTéHATOm   ALLIMAITDI. 


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82  LITTéRATtJRB  A.LLBMÀNDB 

farouche  obstination  contre  le  destin.  Il  sait  la  mort  qui 
l'attend  et  il  va  la  chercher  avec  un  sourire  railleur.  Jus- 
qu'alors armé  d'adresse  et  d'astuce,  il  ne  recourt  plus 
qu'à  la  force,  égorgeant  le  passeur,  noyant  le  chapelain , 
révélant  aux  Burgondes  la  catastrophe  certaine,  tâchant 
d'entraîner  les  Huns  dans  le  désastre,  précipitant  la  lutte 
par  ses  sarcasmes,  résistant  à  outrance,  bravant 
Kriemhild  même  à  l'instant  suprême,  animé  de  l'esprit 
indomptable  de  l'Hôgni  Scandinave  qui  rit  lorsqu'on  lui 
arrache  le  cœur. 

A  côté  de  Hagen  pâlissent  les  trois  rois  burgondes,  le 
faible  et  docile  Gunther,  le  belliqueux  Gernôt,  le  jeune 
et  sensible  Giselher.  Mais  Yolker,  le  Horant  des  Nibe- 
lungerif  est  un  des  plus  remarquables  personnages  de 
l'épopée  germanique.  Il  joue  de  la  viole  avec  un  art  mer- 
veilleux, il  a  les  manières  les  plus  courtoises,  il  charme 
la  cour  de  Bechlarn  par  ses  mots  plaisants  et  lance  aux 
Huns  de  mordants  brocards,  il  est  h  la  fois  fine  lame  et 
fine  langue;  ce  ménestrel  bien  disant  est  aussi  un 
vaillant  chevalier,  plus  fort  encore  que  Hagen,  son  insé- 
parable compagnon. 

Rûdiger  est  le  plus  beau  caractère  du  poème.  Il  a 
toutes  les  qualités,  notamment  la  largesse,  la  Milde^  et 
sa  mort  nous  pénètre  d'admiration  et  de  pitié.  Vassal 
d'Etzel,  il  a  juré  de  le  servir  fidèlement;  hôte  des  Bur- 
gondes, il  les  a  festoyés  et  comblés  de  présents.  Que  faire 
dans  la  lutte  enflammée  par  Kriemhild?  Pour  qui  prendre 
parti?  Pour  son  suzerain  Etzel  ou  pour  son  futur  gendre 
Giselher?  Défendre  sa  reine  qui  lui  rappelle  le  serment 
prêté  à  Worms  ou  défendre  les  Burgondes  qu'il  a  suivis 
et  jetés  sans  le  vouloir  dans  un  guet-apens?  Devenir 
parjure  ou  tirer  l'épée  contre  ceux  qu'il  avait  reçus  à  sa 
table   et  qu'il  nomme  encore  ses  amis?    Son  cœur   est 


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LB   XIII"  SIECLB  83 

déchiré  par  ce  terrible  conflit;  il  veut  rester  neutre,  il 
veut  rendre  son  fief  au  roi  des  Huns  et  partir  à  pied  pour 
Texil.  Mais  Etzel  et  Kriemhild  se  mettent  à  ses  genoux; 
Rûdiger  reconnaît  que  son  premier  devoir  est  son  devoir 
d*homme  lige,  il  marche  contre  les  Burgondes,  et  les 
Burgondes  pleurent  en  le  combattant.  Quand  il  tombe, 
les  deux  camps  louent  d'une  seule  voix  sa  grandeur 
d*âme;  tous  Tappcllent  le  noble,  le  loyal  Rûdiger,  et 
ces  mots  (c  noble  »  et  «  loyal  »  semblent  attachés  à  son 
nom. 

BrOnhild  et  Kriemhild  sont  les  deux  principaux  per- 
sonnages de  femmes. 

Brûnhild  n'est  pas  tragique  comme  dans  VEdda;  elle 
n'a  pas  la  passion  profonde  qui  dans  VEdda  Tenchaine 
à  Sigurd  et  qui  la  fait  errer  le  soir  sur  la  glace  et  jeter 
au  vent  cette  plainte  désespérée  :  «  Je  veux  revoir  Sigurd 
ou  mourir  ».  Elle  est  dans  les  Nibelungen  pleine  d'or- 
gueil et  de  basse  envie.  La  -Yalkyrie  ordonne  de  tuer 
Sigurd  parce  qu'il  l'a  délaissée;  elle  ne  peut  souffrir  que 
Sigurd  appartienne  à  une  autre  et,  Sigurd  mort,  elle 
meurt  sans  regret.  La  femme  de  Gunther  arme  Hagen 
contre  Siegfried  pour  venger  une  blessure  d'amour- 
propre. 

Kriemhild  n'excite  l'intérêt  que  peu  à  peu.  Elle  est  fière, 
querelleuse,  indiscrète^  et  Siegfried  n'a  pas  tort  de  la 
tancer.  Le  malheur  la  transforme.  Ce  n'est  plus  la  jeune 
fille  qui  refusait  de  se  marier  sur  la  foi  d'un  rêve,  la 
femme  qui  se  vantait  d'avoir  épousé  le  premier  des 
héros.  Avisée,  circonspecte,  elle  entrevoit  les  représailles 
et  déjà  les  prépare.  Elle  donne  sa  main  h  Etzel,  elle 
quitte  sa  patrie  pour  aller  vivre  au  loin,  en  un  pays 
inconnu,  mais  où  elle  trouvera  l'instrument  de  cette  ven- 
geance  dont  la  pensée  hante  nuit  et  jour  son  esprit. 


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84  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

Enfin,  après  onze  ans,  elle  jette  le  masque.  Elle  tient 
Hagen  en  son  pouvoir;  sa  haine  éclate,  ardente,  sauvage, 
formidable,  dévorant  tout,  semblable  à  cet  incendie  qui 
s'allume  sur  son  ordre  dans  le  palais  où  s'entassent  les 
Burgondes.  Que  lui  importent  les  guerriers  huns  qui 
succombent  sous  ses  yeux?  Elle  veut  Hagen  et  elle- 
même  lui  coupe  la  tète.  Le  vieil  Hîldebrant  la  tue 
aussitôt.  Mais  n'a-t-elle  pas  atteint  le  but  de  sa  vie? 
N'a-t-elle  pas  vengé  Siegfried  ?  Cet  amour  pour  Siegfried 
atténue  ce  qu'elle  a  d'implacable  et  d'atroce  dans  ses 
actes.  Lorsqu'elle  tranche  le  col  à  Hagen,  l'arme  dont 
elle  se  sert  est  Balmung,  l'épée  de  Siegfried  :  «  Mon 
doux  bien-aimé,  dit-elle,  l'avait  lorsque  je  le  vis  pour  la 
dernière  fois  ».  Que  de  tendresse  dans  ces  mots  mtn 
holder  VriedellNoiWk  ce  qui  rend  Kriemhild  presque  aussi 
touchante  que  terrible,  ce  qui  la  rend  sympathique 
même  au  milieu  de  son  œuvre  de  feu  et  de  sang  :  le 
tenace,  l'inébranlable  ampur  qu'elle  garde  à  Siegfried. 
La  Gudrun  de  VEdda  est  pour  ses  frères  contre  son  mari  ; 
l'héroïne  allemande  brise  tous  les  liens  de  parenté,  elle 
s'arme  contre  sa  famille,  elle  ne  connaît  qu'un  seul 
amour,  l'amour  conjugal,  et  venger  l'homme  de  son 
choix,  venger  son  époux  et  seigneur,  est  pour  elle  un 
devoir  sacré.  Volker  et  Dietrich  la  nomment  une  femme 
d'enfer.  L'auteur  de  la  Plainte  —  qui  continue  fort 
médiocrement  les  Nibelungen  —  la  déclare  innocente; 
selon  lui,  tout  ce  qu'a  fait  Kriemhild  est  légitime,  et 
quiconque  prétend  qu'elle  est  allée  en  enfer,  mérite  d'y 
aller  lui-même. 

Toutefois  ces  personnages  ne  sont  qu'esquissés,  et  le 
poète  n'analyse  pas  les  motifs  qui  les  poussent.  S'il 
montre  Rûdiger  pris  entre  deux  devoirs  contraires,  il 
n'indique  pas  comment  la  timide  Kriemhild  s'enhardit  à 


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LE   XIII*  8IECLB  86 

braver  Brûnhild  et  comment  elle  finit  dans  sa  rage  de  ven- 
geance par  envelopper  amis  et  ennemis  dans  la  même 
catastrophe.  Nous  ne  lisons  clairement  dans  Tâme  de 
Kriemhild  qu'en  un  endroit,  lorsqu'elle  s'entretient  à 
Worms  avec  Rûdiger  avant  d'épouser  Etzel  et  nous 
n'entendons  jamais  une  seule  de  ces  plaintes  qu'elle 
exhale  soir  et  matin,  spdt  unde  vruoy  pendant  son  veu- 
vage et  même  après  son  remariage  :  elle  se  contente 
d'agir.  Tel  est  d'ailleurs  Hartmut  dans  Giidrun,  Il  aime 
Gndrun,  l'enlève,  la  retient  prisonnière;  mais  quels 
sentiments  agitent  son  cœur?  Il  recommande  de  bien 
traiter  sa  captive;  puis  il  s'irrite  des  refus  qu'elle  lui 
oppose.  Le  poète  ne  s*explique  pas  davantage. 

Faut-il  ajouter  que  la  forme  ne  répond  pas  toujours 
au  fond?  Cette  forme  est  noble  et  belle;  c'est  la  strophe 
dite  des  Nibelungen  qui  compte  quatre  vers  rimes  deux 
par  deux;  elle  sied  à  la  légende  germanique  comme 
rhexamètre  à  l'épopée  grecque.  Mais  il  y  a  trop  souvent 
du  remplissage  dans  cette  strophe  de  quatre  vers;  le 
poète  se  tire  assez  bien  des  trois  premiers,  mais  au  qua- 
trième, pour  ne  pas  rester  court,  il  introduit  un  détail 
insignifiant,  une  réflexion  oiseuse,  ou  annonce  ce  qui 
doit  se  passer  :  il  dira,  par  exemple,  et  cela  plusieurs 
fois,  lorsqu'il  parle  des  Burgondes  allant  chez  les  Huns, 
qu'ils  ne  soupçonnaient  pas  leur  malheur  et  qu'ils  furent 
regrettés  plus  tard. 

Surtout,  ce  qui  fait  défaut  au  poème,  c'est  l'unité  de 
composition  et  l'unité  de  ton.  Il  est  inégal;  il  présente 
tantôt  des  scènes  belles  et  dramatiques,  tantôt  des  pas- 
sages ternes  et  languissants;  il  a  l'allure  quelquefois 
rapide  et  quelquefois  traînante.  C'est  qu'il  se  ressent  de 
son  origine,  et  que,  comme  on  dit,  plusieurs  cuisiniers 
gâtent  la  sauce  :  si  certaines  parties  sont  adaptées  avec 


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8«  LITTÉRATURE   ALLEMANDS 

soin  les  unes  aux  autres,  il  y  a  fréquemment  des  raccords 
maladroits  et  des  épisodes  inutiles  ou  très  faiblement  liés. 
L'arrangeur  a  fidèlement  suivi  ses  devanciers  et,  comme 
eux,  il  fait  d'Etzel  un  roi  pacifique  et  de  Brûnhild  une 
femme  résignée.  Mais  la  matière  était  confuse,  compli- 
quée, chargée  d'incidents  et  de  détails,  et,  partant,  les 
Nibelungen  renferment  des  redites,  des  obscurités,  des 
invraisemblances. 

L'œuvre  porte  la  marque  du  xiii*  siècle.  Déjà,  dans  la 
poésie  des  jongleurs,  les  personnages  de  la  légende 
avaient  sûrement,  sous  l'influence  des  romans  chevale- 
resques, perdu  ce  qu'ils  avaient  de  trop  âpre  et  de  trop 
dur.  L'arrangeur  n'a  pas  manqué  de  les  adoucir  encore. 
Ses  héros  sont  élégants  et  ils  vont  k  la  messe.  Avec  quelle 
abondance  et  quel  sentiment  d'aise,  il  décrit  les  bûhurt 
et  les  hochzUej  les  joutes,  les  lances  rompues  après 
l'office  et  avant  le  souper,  les  princes  prodiguant  les 
cadeaux,  les  ménestrels  profitant  de  l'aubaine,  et  le  bruit 
joyeux,  le  schal  qui  se  fait  entendre  dans  le  palais  !  Il  ne 
cesse  de  mettre  en  relief  la  courtoisie  de  ses  «  cheva- 
liers »,  leurs  manières  agréables,  leur  bonne  grâce,  l'éti- 
quette qu'ils  savent  observer.  Les  dames  dans  leur  plus 
belle  toilette  s'embrassent  en  s'abordant  et  leurs  révé- 
rences et  salutations  durent  une  heure  entière  ;  les  hommes 
cherchent  à  les  divertir.  Quel  tableau  galant  que  la  présen- 
tation de  Kriemhild  aux  Burgondes  :  les  guerriers  si  heu- 
reux qu'ils  refuseraient  un  royaume  en  échange;  Kriem- 
hild au  teint  de  rose  s'avançant  «  comme  l'aurore  sort  des 
sombres  nuages  »  ;  Siegfried  pâlissant  et  rougissant  tour 
à  tour  lorsqu'il  presse  la  blanche  main  de  la  jeune  fille! 
Tout  cela,  sentimental,  romanesque,  plaisait  au  public 
du  xiii*  siècle  ;  tout  cela  nous  paraît  aujourd'hui  fade, 
banal,  et  dans  ces  descriptions  d'armes,  de  vêtements  et 


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LE  XIII*   SIÈCLE  87 

de  fêtes  le  poète  manque  de  chaleur  et  d'essor.  Mais,  en 
revanche,  que  de  récits  brillants  de  couleur  et  de  vie! 
Que  d'épisodes  d'une  sombre  grandeur!  Sous  le  vernis 
du  détail  moderne  perce  la  crudité  des  anciens  temps. 
Ces  personnages  si  aimables  et  si  charmants  déploient 
quelquefois  une  énergie  brutale  et  féroce;  a  certains 
instants  leurs  passions  éclatent  irrésistibles.  Et  voilà 
Tattrait  des  Nibelungen,  Au  milieu  des  pompes  de  la  cour 
de  Gunther  et  d'Etzel  subsiste  l'esprit  rude  et  violent  des 
vieux  âges.  Les  héros  de  la  légende  sont  des  Ritter,  tout 
comme  les  héros  de  Hartmann  d'Aue  et  de  Wolfram 
d'Eschenbach,  et  leur  aspect,  leur  attitude,  leur  langage 
ont  changé,  — non  pas  leur  âme.  Sous  Thomme  civilisé 
rugit  encore  le  sauvage,  et  malgré  la  politesse  des  formes 
se  déchaîne  Tinstinct  primitif. 


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CHAPITRE    VI 


LE    XIV    ET    LE    XV    SIÈCLES 


Décadence.  —  Saint  Grobian.  —  Remaniements  et  récits.  —  Contes 
plaisants.  —  Marolf;  le  Curé  du  Kalenberg;  Neidhart  Fuchs;  le  Cercle» 

—  Allégorie  :  Hadamar;  Cersne;  Sachsenheim;  l'empereur  Hazimîlien. 

—  Le  fabuliste  Boner.  —  Henri  d'Alkmaer  ;  Ammenhausen  ;  le  Teichner  ; 
Suchenwirt:  Belieim.  — Les  maîtres  chanteurs.  —  Montforl  et  Wolkeus- 
tein. —  Le  chant  populaire.  —  Le  drame.  — Brame  latin.  —  Brame  alle- 
mand. —  Jeu  de  Pâques;  Jeu  de  la  Passion;  Jeu  des  vierges  sages  et  folle»; 
Papesse  Jeanne,  —  Comédie.  —  Jeux  de  carnaval.  —  RosenplQt  et  Fols. 

—  Le  roman.  —  Traductions.  —  Historiographie.  —  VEulenspiegel.  — 
Aclcermann.  —  Théologie  :  Eckart,  Suso,  Tauler,  Henri  de  Ndrdlingen, 
Merswin.  —  Geiler  de  Kaisersberg.  —  Humanisme.  —  La  comtesse 
Mathilde.  — Nicolas  de  Wyl,  Steinhdwel,  Arigo.  —  Albert  d'Eyb.  —  Henno, 

—  Les  Universités.  —  Goltis.  —  Wimpheling.  —  Sebastien  Brnnt. 


Le  xfv*  et  le  xv'^  siècles  sont  une  époque  de  décadence. 
Plus  de  goût,  plus  de  correction,  et  même  peu  de  décence 
et  de  pudeur;  le  peuple  fête,  comme  on  disait  alors,  un 
nouveau  saint,  saint  Grobian  ou  saint  Rustre. 

Pourtant,  ça  et  là,  dans  ces  deux  siècles,  brillent 
quelques  étincelles  de  poésie. 

On  remanie  les  vieilles  légendes  épiques  et  les  légendes 
rimées  sur  la  Vierge  et  les  saintes.  Claus  Wisse  et  Phi- 
lippe Colin  de  Strasbourg  continuent  de  1331  a  1336,  sur 
l'ordre  d*Ulrich  de  Ribeauvillé,  le  Parzis^al  de  Wolfram, 
et  leur  œuvre  parait  en  1477.  L'Alsacien  Jean  de  Bûhel 


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LB   XI V«   ET   LE   XV*    SIECLES  89 

compose  une  Fille  du  roi  de  France  (1401).  Le  peintre 
bavarois  Ulrich  Fûrtrer  écrit  vers  1490,  dans  la  strophe  du 
petit  Titurel,  son  Liçre  des  aventures  où  il  raconte  a  nou- 
veau Texpédition  des  Argonautes,  la  guerre  de  Troie^ 
la  légende  arthurienne. 

Il  y  a  encore  de  petits  récits  poétiques  :  Jean  de  Bûhel 
(1412)  et  un  anonyme  versifient  Thistoire  des  Sept  sages* 

Mais  ce  que  le  public  demande  avant  tout,  c'est  un 
conte  plaisant  ou  une  farce  obscène. 

Grégoire  Haiden,  traitant  vers  1450  le  sujet  de  Salomon 
et  Marolf,  fait  de  Marolf  un  paysan  simple  et  fruste  qui 
riposte  vertement  à  Salomon. 

Le  Viennois  Philippe  Frankfurter  narre  vers  1470  les 
fourberies  du  ctiré  de  Kalenberg  qui  se  gausse  de  ses 
paroissiens,  de  son  voisin  le  curé,  de  son  évoque;  mais  le 
grossier  héros  de  Frankfurter  n*a  pas  la  finesse  du  curé 
Amis. 

A  la  fin  du  xv'  siècle  parait  un  recueil  où  Neidhart 
raconte  les  tours  qu'il  a  joués  aux  paysans;  mais  ce 
Neidhart  que  l'auteur  nomme  Neidhart  Fuchs,  n'est  que 
la  caricature  de  l'aimable  minnesinger. 

Avant  Neidhart  Fuchs,  au  xiv*  siècle,  un  poète  inconnu 
avait,  sur  un  ton  comique,  célébré  les  Noces  de  Metzi,  Au 
milieu  du  xv*  siècle*  le  Thurgovien  Henri  Wittenweiler 
reprend  ce  sujet  et  le  traite  avec  une  verve  géniale  dans 
le  poème  du  Cercle  qu'il  intitule  ainsi  parce  qu'il  prétend 
dire  tout  ce  qui  se  passe  dans  le  cercle  du  monde.  Il  est 
cru,  mais  spirituel,  mordant,  et  il  parodie  agréablement 
le  Minnesang;  on  ne  peut  lire  sans  gaité  le  récit  du 
tournoi  des  paysans,  de  leur  banquet  et  de  leur  bataille. 

D'autres  genres  poétiques,  plus  sévères,  sont  a  la 
mode  :  allégorie,  fable,  satire,  poème  didactique. 

L'allégorie  avait  dès   le  xiii'^  siècle  envahi  la  poésie. 


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90  LITTÉRATURE   ALLEMANDS 

Elle  sévit  dans  les  deux  siècles  suivants.  Le  public 
aimait  les  subtilités  et,  par  exemple,  donnait  un  sens 
aux  couleurs  :  rouge  signifiait  amour;  bleu,  constance; 
blanc,  espoir;  noir,  deuil;  brun,  discrétion;  jaune, 
bonheur  suprême. 

Hadamar  de  Laber,  auteur  de  la  Chasse  (1340),  repré- 
sente l'amour  sous  la  forme  d'un  chasseur  :  avec  son  chien 
Cœur  et  d'autres  chiens  que  des  valets  tiennent  en 
laisse,  Constance,  Fidélité,  Attente,  le  veneur  poursuit 
un  noble  gibier.  Malgré  quelques  traits  aimables, 
Hadamar  est  monotone  et  maniéré. 

Vers  1450  Everard  Cersne  de  Minden  expose  la  Régie  de 
Vamour^  comme  avant  lui,  à  la  fin  du  xiit*  siècle,  Hein- 
zelin  de  Constance  avait  disserté  dans  un  roman  en  vers 
assez  agréables  sur  la  Doctrine  de  V amour. 

En  1453,  le  chevalier  Hermann  de  Sachsenheim  raconte 
dans  la  Mauresse^  non  sans  diffusion  ni  froideur,  qu'il 
est  mené  dans  la  montagne  de  dame  Vénus,  traduit 
devant  un  tribunal  que  le  Tannhâuser  préside  sous  les 
yeux  de  Vénus,  accusé  par  la  Mauresse  Brûnhild  et 
défendu  par  le  vieil  Eckart. 

L'empereur  Maximilien  I"  donne,  lui  aussi,  dans 
l'allégorie.  Le  «  dernier  chevalier  »  se  piquait  de  belles 
lettres  et  il  faisait  copier  et  recueillir  les  grandes  épo- 
pées. Avec  l'aide  de  son  secrétaire  Treizsaurwein  il  narre 
dans  le  Roi  blanc  —  qui  ne  fut  imprimé  qu'en  1775,  — 
en  une  prose  très  sèche,  l'histoire  de  son  père  et  la  sienne 
propre  :  le  roi  blanc,  c'est  son  père,  et  lui,  Maximilien, 
il  est  le  (c  jeune  roi  blanc  »  ;  le  roi  de  France  est  le  roi 
bleu  ;  le  roi  d'Angleterre,  le  roi  rouge.  Une  autre  œuvre 
de  Maximilien,  le  Teuerdank^  imprimée  en  1517,  est  en 
vers.  Il  avait  eu  pour  collaborateurs  Treizsaurwein  et 
Siegmund  de  Dietrichstein  et  il  y  retrace  longuement, 


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LB   XIV*   ET   LE   XV*   SIÈCLES  01 

ennuyeusement  son  mariage  avec  Marie  de  Bourgogne. 
Pas  de  rythme,  ni  de  style,  pas  de  composition,  pas 
même  de  naïveté.  Ce  ne  sont  qu'aventures,  que  chasses, 
que  tournois  :  Teuerdank  ou  Maximilien  ne  conquiert 
Ehrcnreich  ou  Marie  qu'après  avoir  échappé  aux 
embûches  de  trois  capitaines,  Fûrwittig,  Unfallo  et  Nei- 
delhart,  qui  personnifient  la  témérité,  le  hasard  et 
Tenvie. 

Le  grand  fabuliste  de  cette  époque  est  un  dominicain 
de  Berne,  Ulrich  Boner,  qui,  dans  la  première  moitié 
du  xiw"  siècle,  composa  sous  le  titre  de  Diamant^  un 
recueil  de  cent  fables  très  librement  traduites  du  latin, 
et  la  clarté  du  style,  la  familiarité  du  tour,  la  saveur  du 
dialecte  bernois,  la  bonhomie  de  la  morale  lui  valurent 
la  vogue.  Quelques-unes  sont  de  petits  récits  comiques. 
Un  curé  croit  avoir  une  belle  voix  et  il  interroge  à  ce 
sujet  une  femme  qui  pleure  en  l'entendant  chanter  :  elle 
songe  à  l'ânon  qu'elle  a  perdu.  La  fièvre  et  la  puce 
changent  de  patient  :  la  fièvre  entre  dans  le  lit  d'une 
abbesse  qui  la  reçoit  sous  des  fourrures  et  avec  du  lait 
d'amandes  et  de  grenades  ;  la  puce  passe  la  nuit  sur  une 
paillasse  où  couche  une  blanchisseuse  qui  dort  à  poings 
fermés  et  la  laisse  courir  à  l'aise  en  pays  conquis. 

Henri  d'Âlkmaer,  Conrad  d'Ammenhausen,  l'auteur 
des  Rets  du  diable,  le  Teichner,  Suchenwirt,  Beheim 
représentent  la  poésie  satirique  et  didactique. 

Henri  d'Alkmaer  remanie  au  xv*  siècle  le  Reinaert 
composé  par  le  Flamand  Willem  au  milieu  du  xm'^  siècle 
d'après  la  vingtième  branche  du  Renart  français  et  con- 
tinué au  XIV*  par  un  anonyme.  C'est  ce  poème  de  Henri 
d'Alkmaer  qui,  traduit  en  bas-allemand,  parut  dans 
Tannée  1498  à  Lûbeck  sous  le  titre  de  Reineke  Vos,  et  le 
Reineke  Vos,  très  adroitement  fait,  fut  fort  bien  accueilli 


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92  LITTERATURE   ALLEMANDE 

et  dans  le  texte  original  et  dans  la  traduction  en  haut- 
allemand  qui  parut  en  1544. 

Le  moine  suisse  Conrad  d*Âmmenhausen  traduisit  en 
vingt  mille  vers  dans  le  Lwre  de  V échiquier  (1337)  le 
poème  latin  de  Jacques  de  Cessole  sur  le  jeu  d'échecs.  H 
est  lourd  et  traînant.  Mais  lorsqu'il  s'étend  sur  les  pions, 
c'est-à-dire  sur  les  paysans,  les  médecins  et  autres  «gens 
de  métier,  il  abonde  en  détails  curieux. 

L'auteur  des  Rets  du  diable  a  sûrement  copié  le  poème 
de  Conrad  :  il  retrace,  sous  la  forme  d'un  dialogue  entre 
le  diable  et  un  ermite,  la  dépravation  des  mœurs,  et  il 
passe  en  revue  toutes  les  classes,  du  pape  h  l'anachorète 
et  de  l'empereur  au  marmiton. 

Le  Teichner  (1350-1375)  attaque  de  même  la  cour  et 
les  chevaliers  qui  vont  en  Prusse  à  la  croisade  plutôt 
que  de  soulager  les  misérables  ;  mais  il  n'a  pas  la  verve 
et  l'éclat  de  l'auteur  du  Petit  Lucidarius, 

Suchenwirt  —  qui  meurt  après  1395  —  se  plaint  que 
l'Honneur  dépérisse  et  que  la  Foi,  devenue  boiteuse,  ait 
besoin  de  béquilles,  que  les  flatteurs  a  la  langue  de 
vipère  l'emportent  sur  les  bons  chevaliers,  que  certains 
chevaliers  prêtent  de  l'argent  comme  fait  le  juif.  II 
déplore  le  sort  du  peuple  qui  a  l'estomac  creux,  et  il 
annonce  la  révolte,  montre  la  foule  qui  menace  les 
riches,  qui  veut  enfoncer  leur  porte  et  manger  avec  eux, 
qui  préfère  tomber  sous  leurs  coups  que  de  mourir  de 
misère  et  de  faim.  Mais  il  est  héraut  d'armes.  Il  loue  les 
hommes  de  cœur  qui  trouvent,  comme  il  dit,  et  les 
cadeaux  du  prince  et  la  faveur  des  dames.  Il  célèbre, 
non  sans  sécheresse  ni  monotonie,  les  ducs  et  les  grands 
seigneurs  de  l'Autriche,  et  il  décrit  longtemps  leurs 
armoiries.  Aussi  le  nommait-on  le  maître  des  poètes 
héraldiques.  Pourtant,  il  a  retracé  d'intéressante  façon 


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LE  XIV*   BT   LB   XV*   SIECLES  9S 

la  croisade  prussienne  d'Albert  III,  les  marches  à  travers 
les  marais  par  la  pluie  et  le  froid,  le  pays  mis  à  feu  et  à 
sang, 

Beheim  (1416-1474)  narra  ses  nombreuses  aventures  et 
les  grands  événements  mémorables  de  Tépoque.  Mais, 
s'il  a  plus  d*humour  que  Suchenwirt,  son  style  est 
diffus,  incorrect,  rude,  plein  de  chevilles  et  de  méchantes 
rimes.  Dans  sa  meilleure  œuvre,  le  Lwre  des  Viennois^  il 
raconte  avec  force  détails  le  siège  que  Frédéric  III  sou- 
tint en  1462  contre  les  rebelles,  les  Impériaux  mangeant 
les  chiens,  les  chats  et  la  croûte  moisie  qui  leur  semble 
douce  comme  sucre,  tous^  grands  et  petits,  concourant  à 
la  défense,  l'empereur  pilant  la  poudre  dans  le  mortier. 

Ce  Beheim  était  à  la  fois  maitre-chanteur  et  tisserand. 
La  poésie^  cultiv<^e  par  les  artisans  et  les  ouvriers, 
devenait  un  métier,  une  corporation  munie  de  règle- 
ments. Il  y  avait  déjà  à  la  fin  du  xm*^  siècle  des  sociétés 
de  chanteurs.  A  Mayence  où  étaient  nés  Frauenlob  et 
Regenbogen,  à  Worms,  a  Strasbourg,  à  Augsbourg  la 
bourgeoisie,  éprise  d'une  poésie  morale,  raisonneuse  et 
pédantesque,  avait  fondé  des  Ecoles  de  chant.  On  y 
apprenait  à  faire  des  vers  et  à  être  maître^  selon  les 
règles,  selon  la  tabulature^  dans  des  exercices  et  des  con- 
cours que  jugeaient  les  Merker.  Le  poème  du  maître- 
chanteur  se  nommait  lied  et  plus  tard  par  ou  bar.  Il  se 
composait  le  plus  souvent  de  trois  couplets  ou  Gesàtze^  et 
chaque  couplet,  ordinairement  de  neuf  vers,  se  divisait 
en  deux  parties  :  1^  VAufgesang  formé  de  deux  Stolleriy 
la  strophe  et  Tanti- strophe,  2^  VAbgesang  ou  épode. 
Mais,  de  la  sorte,  le  Meistergesang  était  encore  trop 
simple;  il  se  compliqua,  se  raffina;  on  multiplia  les  vers, 
on  les  allongea,  on  les  raccourcvt,  on  varia  le  mètre,  on 
combina  savamment  les  rimes,  on  rechercha  les  difficul- 


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M  LITTERATURE   ALLEMANDS 

tés,  et  la  poésie  ne  fut  plus  qu'un  tour  de  force  ou 
d'adresse.  Aussi,  de  tous  les  maîtres-chanteurs,  bien  peu 
sont  dignes  de  mention.  S'ils  ont  répandu  dans  le 
peuple  de  saines  et  généreuses  idées,  ils  manquent  de 
goût,  de  talent,  d'originalité.  Les  seuls  qu'il  faut  citer 
sont  Beheim,  Henri  de  Mûgeln  et  Muscatbiût  :  ils  ont  du 
moins  le  mérite  de  n'avoir  pas  toujours  chanté  la  même 
antienne. 

C'est  avec  une  sorte  de  soulagement  et  de  joie  qu'on 
reporte  la  vue  sur  deux  poètes,  deux  Tyroliens,  deux 
gentilshommes,  disciples  attardés  du  Minnesang,  qui 
vivaient  à  la  fin  du  xiv**  et  au  commencement  du  xv*  siècle, 
Oswald  de  Wolkenstein  et  Hugo  de  Montfort.  La  poésie 
de  Wolkenstein  est  rude,  inculte,  mais  variée,  et  nul 
de  ses  contemporains  n'éprouva  plus  de  vicissitudes, 
n'essuya  plus  d'orages.  Celle  de  Montfort,  bien  que 
négligée,  obscure  et  lourde,  a  plus  d'agrément;  il  est 
sincère,  il  aime  la  nature,  il  traite  de  graves  sujets,  et  il 
sait  ses  défauts  :  en  mai,  dit-il,  le  coucou  chante  avec  le 
rossignol. 

Montfort  et  Wolkenstein  ont  souvent  le  ton  populaire. 
C'est  le  temps  du  VolksUed,  Au  xiv*  et  au  xv*  siècles  — 
ainsi  qu'au  xvi*  —  des  chanteurs  ambulants  vont  de  ville 
en  ville,  de  village  en  village.  Ils  chantent  des  chansons 
simples,  légères,  dansantes.  On  ignore  qui  les  a  com- 
posées. Les  auteurs  se  nomment  fréquemment  dans  la 
dernière  strophe,  mais  d'une  façon  vague;  c'est  un  libre 
cavalier,  ou  un  bel  étudiant,  ou  un  homme  qui  est  allé  en 
France;  ce  sont  deux  compagnons  ou  deux  lansquenets, 
et  ils  tirent  le  lied  en  tel  ou  tel  endroit  à  côté  de  la  fille 
de  l'hôtelier.  Le  poète  anonyme  jure  un  éternel  amour 
au  bon  petit  vin  frais  du  Neckar  qui  lui  réconforte  l'ame 
et  humecte  la  barbe.  Il  dit  que  la  meilleure  maîtresse  — 


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LE  XIV*   BT  LB  XV*   81ECLB8  06 

c'est  le  tonneau  —  porte  un  surtout  de  bois  et  habite  la 
cave.  Mêmes  procédés  et  mêmes  motifs  que  ceux  du 
Minnesang  finissant.  II  parle  du  faucon  que  les  femmes 
caressent  et  des  méchantes  langues;  il  loue  le  printemps 
ou  Tété,  il  promet  de  vivre  au  service  de  sa  belle  ou  bien 
il  vante  l'automne,  ses  kermesses,  ses  gros  plats  etrepré* 
sente  des  scènes  de  la  vie  villageoise  :  des  paysans  sau- 
tent d'aise  dans  une  salle  d'auberge,  survient  un  gentil- 
homme et  les  coups  pleuvent;  Fritz  déclare  à  Grédel 
que  l'amour  lui  détraque  l'esprit,  et  Grédel  répond  qu'elle 
voudrait  le  manger  tout  vif.  Mais  le  poète  populaire  a 
Taccent  plus  tendre,  plus  original  que  le  Minnesingcr. 
Il  chante  avec  plus  de  chaleur  et  de  sincérité  celle  qu'il 
aime,  une  jeune  fille,  non  une  dame,  ses  cheveux  jaunes 
comme  l'or  et  sa  robe  verte;  elle  lui  semble  belle  à 
peindre,  aussi  belle  qu'une  poupée  et  il  la  préfère  à 
tous  les  trésors  de  l'empereur.  Lorsqu'il  la  quitte,  il  lui 
fait  d'émouvants  adieux  :  c'est  le  cœur  blessé  qu'il 
s'éloigne  d'elle,  et  elle,  pleurant  à  mourir,  prie  Dieu  de 
le  protéger.  Quelquefois  pourtant  il  se  plaint  de  sa  mie  : 
bâtir  sur  elle,  c'est  butir  sur  la  glace;  elle  lui  vide  sa 
bourse;  elle  se  gausse  de  lui,  elle  le  trompe;  bah!  il  en 
retrouvera  d'autres!  Quelquefois  il  pose  et  résout  des 
questions,  des  énigmes.  L'été  n'est-il  pas  supérieur  à 
rhiver,  et  le  saule  au  buis?  Quoi  de  plus  blanc  que  la 
neige?  Le  soleiL  De  plus  rapide  que  le  chevreuil?  Le 
vent.  De  plus  haut  que  la  montagne?  L'arbre.  De  plus 
noir  que  la  nuit?  La  suie. 

Chaque  métier  avait  ses  chansons.  Celles  du  chasseur 
expriment  l'allégresse  de  Thomme  qui  court  à  la  pour- 
suite du  cerf  et  qui,  rencontrant  sa  belle  sous  un  arbre, 
étend  son  manteau  sur  le  gazon  pour  s'asseoir  à  côté 
d'elle.  Celles  des  reitres  ont  beaucoup  de  saveur.   Eux 


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96  LITTERATURB   ALLEMANDE 

aussi  connaissent  Tamour  et  un  d'eux  dit  que,  s*il  pense 
à  sa  maîtresse,  son  cheval  fait  un  bond.  Mais  il  leur  faut 
payer  l'hôte  en  bons  et  rouges  florins,  braver  givre  et 
neige,  coucher  soit  en  plein  air,  soit  sur  la  paille  où  les 
poux  les  dévorent.  Les  lansquenets  se  plaignent  sur  un 
ton  plus  rude  et  plus  grossier;  mais  eux  n'ont  pas  de  scru- 
pule; ils  prennent  au  paysan  ses  poules  et  ses  oies;  ils 
vivent  de  la  guerre  et,  sitôt  qu'elle  éclate,  ils  partent 
avec  une  belle  femme,  un  valet,  un  chien,  et  quand  ils 
ne  se  battent  pas,  ils  ont  de  quoi  se  distraire  et  s'ébaudir, 
les  dés,  les  cartes  et  un  vin  excellent. 

Le  poète  compose  aussi  des  ballades.  Il  remet  en 
strophes  les  récits  et  les  nouvelles  de  ses  devanciers, 
comme  l'histoire  de  Pyrame  et  de  Thisbé.  Il  raconte  le 
châtiment  d'un  brigand,  le  dévouement  d'une  noble  dame 
qui  délivre  son  mari  prisonnier,  le  suicide  d'un  che- 
valier qui  refuse  de  survivre  a  son  amante  ou  la  fuite 
d'une  nonne.  11  évoque  des  Minnesinger,  Brennenberg, 
Morungen,  Neifen,  le  Tannhduser.  Le  Brennenberg  est 
tué  par  un  mari  jaloux  et  son  cœur  servi  à  sa  maîtresse. 
Morungen,  ou  Moringer,  revient  de  l'Orient  le  soir  même 
où  sa  femme,  qui  le  croit  mort,  doit  épouser  Neifen.  Le 
Tannhâuser,  après  un  an  passé  dans  la  montagne  de 
Vénus,  se  confesse  au  pape  Urbain  ;  le  pontife,  crosse  en 
main,  répond  que  le  pénitent  n'obtiendra  la  grâce  de 
Dieu  que  si  la  crosse  verdoie  ;  le  poète  retourne  à  Venus, 
mais  au  troisième  jour  la  crosse  reverdit  :  il  n'y  a  donc 
pas  de  péché  que  Dieu  ne  pardonne  au  repentir  sincère  ! 

Ces  chants  populaires  ont  des  défauts  :  langue  triviale, 
rime  inexacte,  récit  obscur.  L'exécution  manque.  Mais 
d'ordinaire  le  début  est  alerte,  rapide,  dramatique. 
Chemin  faisant,  le  poète  trouve  des  traits  expressifs  et 
sa  brièveté,  ses  exclamations,  certains  mots  qu'il  répète 


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LB  XIV*  ET  LB  XV*  SIÈCLES  Ôl 

a  propos,  produisent  par  instants  un  grand  effet.  II 
emploie  des  images  saisissantes  :  Famant  qui  part  est 
un  pauvre  oiselet  tombé  de  la  branche  et  une  amante 
infidèle,  la  pomme  belle  et  rouge  que  rongeait  un  ver. 

Du  reste,  au  xiv*,  au  xv*,  au  xvi*  siècles,  le  Volkslicd 
s'étendait  à  tout,  à  la  religion,  à  la  politique.  Il  célèbre 
Dieu,  Marie,  les  fêtes  chrétiennes.  Mais  il  a  de  l'afféterie. 
Il  fait  de  Tange  Gabriel  un  chasseur  qui  sonne  du  cor.  Il 
décrit  un  repas  sous  l'arbre  de  la  croix  :  des  rameaux  de 
l'arbre  coule  le  vin,  les  anges  servent  les  convives,  Marie 
est  sommelière,  et  l'Esprit  saint,  Téchanson. 

Quant  aux  chants  politiques,  ce  ne  sont  et  ce  ne  seront 
longtemps  que  des  récits  de  batailles,  bourrés  de  noms 
et  de  détails,  dénués  de  tout  intérêt  poétique  :  rien  de 
vif,  rien  d'entraînant;  de  la  prose  rimée.  Les  meilleurs 
furent  peut-être  celui  de  Halbsuter  sur  la  bataille  de  Sem- 
pach  et  celui  de  Veit  Weber  sur  la  bataille  de  Morat. 


En  même  temps  que  le  chant  populaire^  se  développe 
le  drame. 

II  avait  d'abord  employé  le  latin.  Le  Jeu  des  prophètes^ 
représenté  h  Ratisbonne  au  mois  de  février  1194,  est  en 
latin.  En  latin,  le  Jeu  de  C Antéchrist^  ce  /cm  original  qui 
forme  un  ensemble  et  allie  la  politique  avec  la  religion. 
On  voit  l'empereur,  le  «  roi  des  Allemands  »,  soumettre 
le  roi  des  Français,  les  rois  de  Grèce  et  de  Jérusalem, 
le  roi  de  Babylone.  Puis  apparaît  l'Antéchrist,  flanqué  de 
l'Hypocrisie  et  de  l'Hérésie;  il  séduit  tous  les  monarques; 
seul  l'empereur  refuse  ses  présents.  Furieux,  l'Anté- 
christ lance  les  rois  contre  la  Germanie;  ils  sont  vaincus, 
car  le  teutonicus  furor  est  irrésistible.  Mais  l'Antéchrist 
fait  des  miracles  et  à  la  vue  d'un  boiteux  qui  marche, 

LITTiRATDRB   ALIIMAHDB.  * 


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08  LITTKRATURB   ALLEMANDE 

d'un  lépreux  qui  guérit  et  d'un  mort  qui  ressuscite, 
l'empereur  reconnaît  le  nouveau  Dieu.  Il  est  temps  que 
le  Christ  se  montre,  et  il  foudroie  son  rival. 

Peu  à  peu  la  langue  vulgaire  se  mêle  au  latin.  Dans  le 
Jeu  de  la  Passion  de  Beuron,  Marie-Madeleine  chante  en 
allemand  et,  dans  un  Jeu  de  Pâques  de  Trêves,  les  chants 
latins,  prose  ou  poésie,  sont  toujours  suivis  d'une  tra* 
duction  en  vers. 

Au  XIV"  siècle,  l'allemand  remplace  le  latin.  On  n'a 
que  des  fragments  du  Jeu  de  Pâques  de  Mûri;  mais  les 
vers  rappellent  ceux  de  la  lyrique  courtoise,  et  par  la 
correction  et  la  clarté  de  la  forme  ce  fragment  l'emporte 
sur  les  œuvres  du  même  genre. 

En  revanche  le  Jeu  de  Pâques  d'Innsbruck  (1391)  est 
écrit  dans  le  style  des  jongleurs  et  semé  d'eflets 
comiques  :  Pilate  dit  qu'il  vient  siéger  pour  faire  «  suer  » 
tous  les  Juifs;  les  Juifs  jargonnent;  le  domestique  d'un 
charlatan  joue  le  rôle  du  bouffon  et  enlève  la  femme  de  son 
maître  ;  le  Christ  livre  au  diable  un  savetier,  un  boucher 
et  un  prêtre  qui  confessent  piteusement  leurs  péchés; 
saint  Jean  prie  les  spectateurs,  s'ils  veulent  aller  au  ciel, 
de  gratifier  les  acteurs  qui  sont  des  écoliers,  d'un  rôti  et 
d'un  gâteau. 

Citons  aussi  le  Jeu  de  la  Passion  de  Vienne,  qui  repré- 
sente l'histoire  du  salut  depuis  la  chute  jusqu'à  la 
rédemption  ;  le  Jeu  de  la  Passion  de  Saiut-Gall,  où  paratt 
le  juif  Rufus,  empressé,  hâtant  l'exécution,  donnant  un 
pourboire  aux  soldats,  frappant  le  Christ  d'une  verge  et 
lui  tendant  l'éponge;  le  Jeu  des  cierges  sages  et  des 
cierges  folles.  Ce  dernier  drame  fut  joué  en  1322  à 
Eisenach  devant  le  landgrave  Frédéric  a  la  joue  mordue, 
et  lorsqu'il  entendit  Jésus  dire  aux  vierges  folles  malgré 
l'intervention    de  Marie   :    «    Allez,   maudites,  je  vous 


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LE  XIV*   ET  LE   XV*   SIECLES  99 

chasse,  allez  dans  le  feu  qui  vous  attend  »,  ce  prince  se 
retira  courroucé  :  qu'était-ce  que  la  foi  chrétienne, 
s'écriait-il,  si  les  prières  de  la  Vierge  n'obtenaient  pas  la 
grâce  du  pécheur! 

D'autres  drames  sont  empruntés  aux  légendes  :  Jeu  de 
sainte  Catherine^  Jeu  de  sainte  Dorothée^  Théophile,  et 
une  pièce  du  prêtre  thuringien  Schernberg  sur  la  papesse 
Jeanne  ou  dame  Jutta  (1480),  pièce  naïve  où  manque  la 
malice,  où  abondent  chevilles  et  mauvais  vers. 

Tel  est  le  drame  religieux  du  moyen  uge,  grossier, 
élémentaire.  11  n'a  ni  style,  ni  composition,  ni  vraisem- 
blance. Joué  en  plein  air,  sur  la  place  publique^  pour 
l'édification  et  l'amusement  de  la  foule,  il  exige  un  jour, 
deux  jours,  même  trois  jours  de  représentation,  et  delà 
tant  de  personnages,  tant  d'épisodes  burlesques  et  de 
pieux  discours,  tant  de  scènes  insignifiantes  et  de  détails 
inutiles,  vulgaires  qui  s'entassent  dans  la  pièce  comme 
les  spectateurs  s'entassaient  sur  les  échafauds.  Un  pareil 
drame  pouvait-il  aboutir? 

La  comédie,  elle  aussi,  n'offre  aucune  œuvre  mémorable. 
On  n'a  que  soixante-deux  lignes  d'une  pièce  du  xiv' siècle 
qui  mériterait  de  s'intituler  Sept  femmes  pour  un  mari  : 
rhomme  trop  aimé  opte  pour  celle  qui  parle  la  dernière. 
Mais  on  possède  un  grand  nombre  de  farces  ou  de  Jeux 
de  carnaval  du  xv"  siècle.  Elles  ont  été  jouées  à  l'époque 
du  carnaval  par  des  garçons  de  métier.  Ce  ne  sont 
d'abord  que  de  simples  divertissements  :  des  fous,  des 
pèlerins,  des  paysans  expliquent  leur  costume  et 
racontent  leurs  aventures,  leurs  péchés  grotesques, 
leurs  exploits  bachiques  et  amoureux;  puis  ils  exécutent 
des  danses.  Mais  peu  à  peu  la  farce  se  dramatise;  on 
réplique  et  on  riposte;  on  représente  une  demande  en 
mariage,  des  scènes  de  ménage,  des  procès  comiques, 


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100  LlTTliRATURB   ALLEMANDE 

des  épisodes  de  la  Bible,  de  la  légende  héroïque,  des 
contes  populaires,  et  rien  de  plus  grossier,  de  plus 
obscène,  de  plus  ordurier  que  le  langage  des  personnages 
qui  sans  nulle  vergogne  nomment  parleur  nom  les  choses 
les  plus  secrètes  et  les  plus  intimes.  Nous  ne  connaissons 
que  deux  auteurs  de  Jeux  du  carnaval  :  Jean  Rosenplût 
et  Hans  Folz.  Ils  appartiennent  à  la  seconde  moitié  du 
xv^  siècle  et  ils  vivaient  à  Nuremberg.  L'un,  Rosenplût, 
chaudronnier  et  artificier,  vante  la  bourgeoisie  de  la  ville, 
méprise  les  chevaliers  et  déplore  la  corruption  de 
l'Empire;  l'autre,  Folz,  barbier  et  chirurgien,  tourne 
mieux  le  vers  que  Rosenplût  et  il  est  plus  correct,  plus 
régulier,  plus  sérieux  :  dans  le  Jeu  de  Vancien  et  du 
nouveau  Testament  il  fait  disputer  un  docteur  et  un 
rabbin. 

Le  xiv*  et  le  xv*  siècles  offrent  donc  des  poésies  de 
tout  genre  en  grand  nombre,  mais  ce  ne  sont  pas  des 
siècles  poétiques.  Par  contre,  la  prose  étend  alors  son 
domaine;  elle  prend  pied  partout,  et  bien  qu'encore  un 
peu  raide  et  rigide,  elle  se  fait,  elle  devient  plus  maniable, 
plus  précise. 

C'est  au  XIV*  siècle  que  naît  le  roman  allemand. 
Derechef  les  Français  servent  de  modèles  et  leurs  récits 
sont  mis  en  prose  comme  en  vers.  Marguerite  de  Vaude-- 
mont,  femme  d'un  duc  Frédéric  de  Lorraine,  traduit  du 
latin  en  français  (1405),  et  sa  fille  Elisabeth,  comtesse  de 
Nassau-Sarrebruck,  du  français  en  allemand  Loher  et 
Maller  (1437).  Cette  même  Elisabeth  traduit  Hug  Scha^ 
plet\  notre  Hugues-Capet  ou  Huon  Chapet,  ce  fils  de 
boucher  qui  mérite  le  trône  par  ses  exploits.  Éléonore 
d'Ecosse,  femme  du  duc  Sigismond  d'Autriche,  traduit 
Pontus    et  Sidoine,   et   un   margrave  de  Hochberg   fait 


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N 


(^X;)^.B  ^V'^^I^LBS  101 

remanier   par  le   Bernois    Tûring    de    Ringoltingen  la 
légende  de  Mélusine  (1456). 

L'invention  de  Timprimerie  multiplie  ces  traductions. 
On  met  en  prose  allemande  le  Directorium  humanœ  vitœ 
de  Jean  de  Capoue,  la  Disciplina  clericaiis  du  Juif  espa- 
gnol Pierre- Alphonse,  le  Roman  des  sept  sages,  le  recueil 
de  nouvelles  et  d'anecdotes  connu  sous  le  nom  de  Faits 
des  Romains  et  c'est  dans  ces  traductions  que  les  écri- 
vains du  siècle  suivant  iront  chercher  des  sujets  de 
drames  et  de  nouvelles. 

Pourtant,  quelques  œuvres  sont  allemandes.  On  remanie 
pour  ceux  qui  n'aiment  pas  les  «  livres  rimes  »  quelques 
vieux  poèmes,  le  Siegfried  corné,  Wigalois,  le  Tristan 
d'Eilhard,  Guillaume  d" Autriche. 

L'historiographie  continue  à  fleurir.  Jacques  Twinger 
de  Kœnigshofen  rédige  vers  1390  la  première  version  de 
sa  Chronique  d^ Alsace;  Jean  Rothe  achève  en  1421  sa 
Chronique  de  Thuringe;  Diebold  Schilling  décrit  dans 
sa  Chronique  de  Berne  les  guerres  entre  Suisses  el  Bour- 
guignons. 

A  la  fin  du  xv"  siècle  parait  V EulenspiegeL  Le  héros  de 
l'œuvre  vécut  sans  doute  au  siècle  précédent;  il  serait  né  h 
Kneitlingen,  dans  le  Brunswick,  et  enterré  à  MoUn.  Son 
histoire  fut  mise  par  écrit  vers  1483  et  imprimée  vers  1500. 
C'est  le  paysan  narquois  qui  se  donne  l'air  d'un  imbécile 
et  qui  n'en  fait  qu'à  sa  tète.  Son  meilleur  tour  consiste 
à  exécuter  au  pied  de  la  lettre  et  par  suite  h  contre-sens 
les  ordres  qu'il  reçoit.  Un  tailleur  lui  conseille  de  coudre 
«  qu'on  ne  le  voie  pas  »,  et  il  se  glisse  sous  un  tonneau 
pour  n'être  pas  vu.  Le  même  tailleur  lui  commande  une 
de  ces  blouses  qu'on  nommait  un  loup\  il  découpe  la 
blouse  et  façonne  un  loup  véritable  avec  une  tète,  un 
corps  et  des  jambes.  Un  brasseur  le  prie  de  faire  bouillir 


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102  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

le  houblon»  et  il  jette  dans  Teau  chaude  un  chien  qui  s'ap- 
pelle Houblon.  «  Va  au  gibet  »,  lui  crie  son  maître  en 
colère,  et  il  conduit  la  voiture  à  Tendroit  où  se  dresse  la 
potence.  Grossier  d'ailleurs,  sale,  crachant  dan  s  la  bouillie 
pour  être  seul  à  la  manger,  souillant  les  lits  d*auberge. 
Le  livre  fut  bientôt  populaire;  on  le  traduisit;  on  le  mit 
en  vers;  espiègle  passa  dans  notre  langue  pour  désigner 
un  fourbe  ingénieux.  Le  personnage  plaisait  aux  artisans 
parce  qu'il  faisait  tous  les  métiers,  aux  paysans  parce  qu'il 
mystifiait  les  citadins,  et  aux  gens  de  la  ville  parce  qu'il 
était  indécent  et  fêtait  toujours  saint  Grobian. 

Mais  la  prose  a  des  textes  plus  délicats  à  produire  :  le 
Dialogue  d'Ackermann  et  les  œuvres  des  théologiens. 

Jean  Ackermann  de  Saaz  compose  en  1399,  après  la 
mort  de  sa  femme  Marguerite,  un  dialogue  entre  un  veuf 
et  la  Mort.  Ce  veuf,  c'est  lui;  il  reproche  à  la  Mort  de 
l'avoir  privé  de  sa  compagne,  la  Mort  lui  répond,  et  Dieu 
tranche  le  débat.  Ackermann  est  instruit;  son  style  a  de 
l'éclat,  et  il  joint  h  l'abondance  des  images  la  gravité  de 
l'accent. 

Quant  à  la  théologie  du  xiv*  et  du  xv*  siècles,  elle  déploie 
de  grandes  qualités,  de  la  précision,  de  la  vigueur. 

Une  école  mystique  s'était  formée  qui  voulait  l'union 
intime  de  l'âme  avec  Dieu  et  prétendait  expliquer  le  dogme 
sans  admettre  de  mystère  et  de  révélation.  Le  dominicain 
Eckart  (f  1327),  dont  quelques  propositions  furent  con- 
damnées par  le  pape,  a  fondé  cette  école  mystique.  Il  est 
le  plus  grand  prosateur  du  moyen  âge.  Son  expression, 
abstraite  et  parfois  trop  élevée  pour  son  auditoire,  a  sou- 
vent de  la  noblesse  et  de  la  poésie.  Ce  penseur,  vraiment 
original,  profond,  audacieux,  a  créé  une  langue  pour  la 
philosophie  et  la  théologie. 

Les  dominicains  Suso  (f  1366)  et  Tauler  (f  1361)  furent 


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LE  XIV^   ET   LE   XV*"   SIECLES  lOS 

ses  disciples.  Suso  a  revêtu  les  idées  d*Eckart  d'une  forme 
romantique,  d'une  forme  claire,  naturelle,  mais  qui  trahit 
une  vive  imagination  et  une  ardente  sensibilité.  Il  person- 
nifie par  la  Vierge  ou  par  le  Christ  la  Sagesse,  la  belle  et 
éternelle  Sagesse,  et  cette  Sagesse,  il  Taime,  minnet  und 
meinety  il  s'incline  devant  elle,  il  ne  lui  demande  qu'un  oui 
d'amour  et  le  «  chapeau  »,  cette  couronne  de  fleurs  que  les 
jeunes  filles  de  Souabe  donnent  à  leur  ami  lorsqu'il  vient 
dans  la  première  nuit  de  l'année  leur  chanter  des  vers. 

Tauler,  esprit  pratique,  n'a  pas  la  témérité  de  Suso  et 
d'Eckart  :  il  ne  spécule  pas  et  il  prêche  ce  qu'il  nomme 
la  simple  vérité,  sans  appareil  scolastique  et  avec  une 
chaleur  pénétrante. 

Sous  l'influence  de  ces  dominicains  mystiques  se  fon- 
dèrent des  associations  dites  des  Amis  de  Dieu  et  compo- 
sées de  personnes  de  toute  condition.  Elles  existèrent 
principalement  en  Alsace,  en  Suisse,  en  Souabe,  et  plu- 
sieurs de  leurs  membres  méritent  une  mention  :  un  prêtre 
de  Francfort,  auteur  d'une  Théologie  germanique  qui  fut 
publiée  par  Luther  et  traduite  en  français;  Henri  de 
Nôrdlingen,  Rulman  Merswin. 

L'auteur  de  la  Théologie  germanique^  composée  à  la  fin 
du  XIV*  siècle,  eut  une  certaine  action  sur  les  commence- 
ments du  protestantisme. 

Le  prêtre  Henri  de  Nôrdlingen  correspondait  avec  une 
religieuse  de  Medingen,  Marguerite  Ebner,  et  les  Réçé- 
lationsàe  Marguerite,  bien  que  très  gauchement  rédigées, 
ainsi  que  les  lettres  de  Henri,  dans  leur  tendresse  et  exal- 
tation, font  connaître  la  vie  mystique  des  couvents  de 
femmes  au  xiv**  siècle. 

Rulman  Merswin,  riche  marchand  de  Strasbourg  (1308- 
1382),  composa,  non  sans  longueurs  et  répétitions,  le 
Livre  des  Neuf  Rochers  (1352),  qui  montre  comment  les 


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104  LITTéRATURB   ALLEMANDB 

amis  de  Dieu  seuls  surmontent  tous  les  obstacles.  Il  eut 
même  la  hardiesse  de  créer  de  toutes  pièces  un  person- 
nage qu'il  appela  «  l'ami  de  Dieu  de  TOberland  »  et  à  ce 
mystérieux  laïque  il  attribua  ses  propres  écrits,  des  traités 
édifiants  et  notamment  une  très  curieuse  autobiographie 
pleine  de  visions  et  d'extases. 

Plus  d'un  siècle  après,  dans  la  ville  natale  de  Rulman 
Merswin,  paraissait  un  grand  prédicateur,  Geiler  de 
Kaisersberg  (1445-1510),  qui  devait,  durant  vingt-trois 
ans,  prêcher  du  haut  de  la  chaire  de  la  cathédrale.  Geiler 
abuse  des  divisions;  il  s'écarte  volontiers  de  son  sujet  : 
il  recherche  de  quelle  couleur  étaitle  vêtement  de  l'ànge  qui 
apparut  à  Marie  et  de  quel  côté  se  trouve  le  trône  de  la 
Vierge;  il  compare  le  chrétien  au  lièvre  et  Dieu  au  pain 
d'épice.  Mais  sa  parole  était  claire  et  vivante.  11  veut  parler 
au  peuple,  et  il  veut  lui  parler  en  termes  simples,  grossiers 
même,  groblich.  Il  choisit  pour  thème  de  ses  sermons 
des  livres  écrits  par  des  laïques.  Il  dépeint  l'avare  et  non 
pas  l'avarice;  au  lieu  de  blâmer  la  curiosité,  il  montre  la 
religieuse  qui  met  le  nez  h  la  fenêtre  pour  voir  comment 
nichent  les  oiseaux,  ou  qui  interrompt  sa  prière  pour 
écouter  un  trompette,  ou  qui  va  dans  la  cellule  de  sa  voi- 
sine pour  demander  le  moyen  de  prendre  les  mouches 
égarées  dans  sa  quenouille.  Il  suppose  un  dialogue  entre 
l'auditeur  et  lui;  il  cite  des  fables,  des  dictons,  les  bons 
mots  du  curé  de  Kalenberg;  il  emploie  des  images  fami- 
lières, frappantes.  Forçait-il  le  ton?  Jugeait-il  ses  con- 
temporains avec  trop  de  sévérité?  Il  condamne  la  société 
de  son  époque  et  il  assure  qu'il  ne  voit  dans  les  couvents 
que  vauriens  et  femmes  perdues,  Huren  und  Buben,  que 
le  clergé  scandalise  les  laïques  et  leur  donne  le  mauvais 
exemple,  que  du  pape  et  des  cardinaux  jusqu'aux  der- 
niers clercs  tous   sont  corrompus   et   pourris,   que   les 


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LE  XIV^   ET   LE   XV«   SIBGLB8  105 

choses  ne  peuvent  durer  plus  longtemps.  II  a  ainsi,  sans 
le  vouloir,  et  avec  d'autres,  provoqué  la  Réforme,  et 
Jacques  Sturni,  le  stettraestre  de  Strasbourg,  aurait  pu 
lui  dire  comme  à  Wimpheling  :  «  Si  je  suis  hérétique, 
c^està  vous  que  je  le  dois  ». 

La  Réforme  s'annonce  donc  dans  les  dernières  années 
du  xv^  siècle.  Elle  a  été  précédée  par  l'humanisme,  et  les 
humanistes  allemands  ont  rendu  de  grands  services. 
Ils  ont  réagi  contre  la  scolastique  latine,  contre  la 
harbarie  de  la  langue  et  la  sul)tilité  de  la  pensée.  Ils  ont 
propagé  Tesprit  critique,  l'esprit  de  libre  recherche  et  de 
libre  discussion.  Ils  aimaient  Tltalic,  cette  Italie  où  les 
murs,  disait  l'un  d'eux,  sont  plus  éloquents  que  les 
hommes  le  sont  ailleurs,  et  plusieurs,  Eyb,  Reuchlin,  y 
voyagent,  y  terminent  leurs  études,  y  nouent  d'étroites 
relations  avec  les  humanistes  du  pays. 

La  région  rhénane  où  le  roman  en  prose  avait  pris 
naissance,  fut  un  des  principaux  foyers  de  l'humanisme 
allemand. 

A  Rothenbourg,  sur  le  Neckar,  la  comtesse  palatine 
Mathilde,  la  «  demoiselle  d'Autriche  »,  témoignait  un  très 
vif  intérêt  aux  choses  de  l'esprit.  Elle  contribuait  à  la  fon- 
dation des  Universités  de  Fribourg  et  de  Tubingue.  Deux 
poètes,  Sachsenheim  et  Pûterich  de  Reichertshausen,  lui 
dédiaient  leurs  œuvres.  Ce  fut  pour  son  fils  qu'Antoine 
de  Pforr  traduisit  Jean  de  Capoue.  Ce  fut  pour  elle  que 
Nicolas  de  Wylentreprit  quelques-unes  de  ses  Translations 
(1461-1478)  ou  traductions  d'Enéas-Silvius  Piccolomini, 
de  Pogge,  de  Pétrarque  et  d'autres  Italiens;  une  histoire 
d'amour  contée  par  Enéas-Silvius,  Euriole  et  Lucrèce^ 
est  celle  qu'on  goûta  le  plus. 

A  la  cour  des  comtes  de  Wurtemberg  vivait  le  médecin 


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106  LITTERATURE   ALLEMANDE 

SteinhOwel  (1412-1482)  qui  composa  une  traduction  du 
roman  d'Apollonius,  un  Esope  qui  contenait  des  fables 
et  la  vie  du  fabuliste,  la  Griselidis  de  Boccace  et  son 
livre  sur  les  femmes  célèbres.  C'est  un  Italien,  Arigo, 
qui  traduit,  lourdement,  servilement,  le  Décaméron, 

Albertd'Eyb  (1420-1475)  a  plus  d'importance  qu'Arigo, 
SteinhOwel  et  Nicolas  de  Wyl.  Il  étudia  en  Italie,  il 
reconnaissait  Rasînus,  le  grand  commentateur  de  Plante, 
comme  son  père  intellectuel,  et  il  fit  en  allemand  un 
Liçretdu  mariage^  qui  eut  de  1472  à  1540  douze  éditions, 
et  un  Miroir  des  mœurs  (1474).  S'il  n'a  rien  d'original,  il 
est  net,  vigoureux^  et  dans  ses  traductions  des  Ménechmes 
et  des  Bacchides  de  Plaute,  et  de  la  Philogenia  d'Ugolîno 
(1511),  il  germanise  les  lieux  et  les  noms,  appelle  ses 
personnages  Heinz,  Gôtz  et  Fritz,  recherche  l'expression 
populaire  et  crue,  les  dictons,  les  épithètes  familières. 

D'autres  mettaient  Térence  en  allemand  :  Hans 
Nydhart  traduisait  V Eunuque  (1486),  et  un  anonyme, 
les  six  comédies  (1499). 

Reuchlin  faisait  représenter  eu  1497  par  les  étudiants 
une  pièce  latine  Henno,  imitée  de  notre  Maître  Patheliriy 
et  cette  pièce,  qui  fut  plusieurs  fois  traduite  ou  remaniée, 
notamment  par  Hans  Sachs,  dépasse  de  beaucoup,  grâce 
à  Térence  et  au  modèle  français,  les  comédies  latines 
ou  allemandes  du  xiv*  et  du  xv*  siècles. 

L'amour  des  lettres  se  répandait  ainsi  de  proche  en 
proche.  Erasme  n'écrit-il  pas  alors  qu'elles  sont  la  vraie 
richesse  de  l'homme,  qu'elles  ne  vieillissent  pas  comme 
la  beauté  et  ne  s'aifaiblissent  pas  comme  la  force  du 
corps? 

Déjà,  depuis  1454,  Peuerbach  et,  depuis  1461,  Jean 
Mûller  deKœnigsberg,  ditRegiomontanus,  expliquaient  à 
l'Université     de    Vienne    Virgile    et    Horace.    D'autres 


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LB   XIV*   ET   LE   XV*   SIÈCLES  107 

Universités,  celles  de  Fribourg  et  de  Tubingue,  celles  de 
Baie,  d'ingolstadt,  de  Francfort-sur-rOder  s'ouvraient 
à  Tesprit  nouveau.  Les  humanistes  ou,  comme  on  les 
nommait,  les  poètes,  vont  d'Université  en  Université 
commenter  les  classiques  latins. 

L'un  d'eux,  Conrad  Celtis  (1459-1508),  couronné  poète 
par  Frédéric  III  et  chargé  par  Maximilien  I*'  de  diriger  à 
l'Université  de  Vienne  un  Collège  poétique,  a  publié  la  pre- 
mière édition  de  Hrotsvith  et  trouvé  la  carte  de  Peutinger. 

Mais  les  humanistes  allemands  n'ont  pas  les  mêmes 
visées  que  ce  brillant  et  aventureux  Celtis.  Avant  tout, 
ils  veulent  réformer  les  mœurs.  Le  plus  grand  nombre 
procèdent  de  l'institut  des  Frères  de  la  çie  commune  que 
le  mystique  hollandais  Gérard  de  Groote  avait  fondé  à 
Deventer  au  xiv*  siècle.  Groote  désire  qu'on  enseigne  le 
latin  et  le  grec,  non  seulement  pour  cultiver  l'intelligence, 
mais  pour  réveiller  la  vie  intérieure,  et  la  tache  essen- 
tielle qu'il  assigne  aux  écoles,  c'est  de  traduire  les 
Ecritures  en  langue  vulgaire.  De  ces  écoles  sortit 
Dringenberg,  recteur  de  l'Ecole  latine  de  Schlestadt, 
et  le  meilleur  élève  de  Dringenberg  fut  ce  savant 
Wimpheling  (1450-1528)  qui  traita  les  sujets  les  plus 
divers  et  qui  mériterait  le  nom  de  «  prœceptor  Alsatiœ  »; 
mais  Wimpheling  exclut  des  études  la  plupart  des  poètes 
païens,  condamne  Térence,  préfère  à  Virgile  Baptiste  de 
Mantoue  ! 

De  même,  Geiler  de  Kaisersberg,  qui  met  saint 
Augustin  et  saint  Jérôme  au-dessus  de  tous  les  poètes 
latins  ! 

De  même,  un  compatriote  de  Geiler  et  de  Wimpheling, 
le  Strasbourgeois  Sébastien  Brant  (1457-1521),  dont 
Geiler  avait,  dans  une  série  de  sermons,  paraphrasé  le 
poème,  le  Narrenschiff.  Cette  Nef  des  FouSy  l'ouvrage 


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108  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

principal  de  Brant,  eut  un  très  vif  succès  :  elle  paraît, 
en  1494  et  dès  1497  elle  fut  traduite  en  latin  et  en 
français.  Mais  Brant  est  trop  savant  pour  être  poète. 
Ses  vers  sont  lourds,  pleins  d'irrégularités  et  de  négli- 
gences. Pas  le  moindre  souci  de  la  composition.  Il  fait 
monter  ses  fous  sur  un  vaisseau  qui  part  pour  la 
Narragonie;  le  navire  étant  surchargé,  d'autres  vaisseaux 
viennent  recueillir  le  reste  des  fous,  et  plus  n'est 
question  du  voyage.  L'œuvre  est  donc  décousue;  Brant 
énumère  sans  suite  aucune  les  vices  et  les  travers  des 
hommes;  h  mesure  que  tel  ou  tel  se  présente  à  sa 
mémoire,  vite  il  l'ajoute  à  ceux  qu'il  a  précédemment 
décrits,  et  dans  ses  descriptions  il  jette  au  hasard  des 
passages  de  la  Bible,  des  anecdotes  historiques,  des  pro- 
verbes, des  allusions.  S'il  a  parfois  l'humeur  caustique,  il 
cherche  trop  à  éblouir  le  lecteur  par  son  érudition  et  à 
l'édifier  par  des  réflexions  morales.  C'est  le  type  de  ces 
humanistes  allemands,  précurseurs  inconscients  de  la 
Réforme.  Il  met  Pétrarque  et  Baptiste  de  Mantoue  au 
même  rang  que  les  classiques  latins.  Prudent,  timoré, 
il  désire  le  progrès,  et  il  refuse  de  rompre  avec  le 
catholicisme;  il  se  plaint  des  abus  de  l'Eglise,  et  c'est 
un  dévot  de  la  Vierge  et  des  saints.  Pareillement,  son 
ami  Wimpheling  avait  attaqué  les  moines  et  les  prêtres 
qui  cumulent  les  bénéfices,  avait  déploré  la  misère  des 
paysans  pressurés  par  le  clergé,  et  il  se  prononça  contre  la 
Réforme.  Mais  les  humanistes  avaient  beau  faire;  ils  ne 
purent  arrêter  le  mouvement  qu'ils  avaient  imprimé  aux 
esprits. 


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CHAPITRE    VII 


LB    XVP   SIECLE 

Erasme.  —  Reuchlin.  —  Les  Epitres  des  hommes  obscurs.  —  Luther. 

—  Marner.  —  Hutten.  —  Alberus  et  Waldis.  —  Hans  Sachs.  —  Ring- 
waldt  et  Rollenhagen.  —  Fischart.  —  Pauli,  Wîdmann  et  Wickram.  — 
Le  docteur  Faust.  —  Le  drame.  —  Naogeorg.  —  Frischlin.  —  Manuel. 

—  Les  comédiens  anglais.  —  Henri-Jules  de  Brunswick.  —  Ayrer. 


Le  xvi^  siècle  est  le  siècle  de  la  Réforme.  Elle  domine 
les  événements  comme  les  esprits  et  elle  lue  la  Renais- 
sance que  l'humanisme  avait  suscitée. 

Fut-ce  un  bien?  Fut-ce  un  mal?  Cette  Renaissanpe 
allemande,  si  elle  eût  abouti,  n'aurait-elle  pas  étouffé 
toute  originalité?  N^aurait-elle  pas  imposé  Timitation 
exclusive  des  anciens?  Quand  on  pense  qu'au  xvi''  siècle 
les  maîtres  des  écoles  n'inculquent  aux  élèves  que  le 
latin,  que  l'enseignement  des  universités  ne  se  fait  qu'en 
latin,  que  les  deux  tiers  des  livres  imprimés  sont  en 
latin,  que  les  savants  ne  voient  dans  l'allemand  qu'un 
idiome  barbare  et  ne  goûtent  le  Narrenschiff' de  Brant 
qu'en  traduction  latine,  que,  sous  leur  influence,  une 
foule  de  mots  tirés  du  grec  et  du  latin  s'introduisent 
dans  la  langue,  ne  faut-il  pas  admettre  que  le  triomphe 
complet   de   l'humanisme  aurait  été  d'un  grand  préju- 


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110  LITTERATURE   AliLEMANDB 

dice    au    développement    de    la    littérature  nationale  ? 

Quoi  quUl  en  soit,  si  nombre  d'humanistes  désapprou- 
vèrent la  Réforme,  ils  Tavaient  préparée. 

Érasme  se  sépara  de  Luther  avec  éclat.  Mais  il  était  k 
certains  égards,  et  comme  a  dit  Bayle,  le  Jean-Baptiste 
du  Réformateur  et  ses  contemporains  répétaient  volon* 
tiers  que  Luther  avait  couvé  Tœuf  qu'Érasme  avait  pondu. 
Le  spirituel  et  prudent  érudit  n'avait-il  pas  conseillé  de 
revenir  à  la  source,  au  livre  sacré,  au  texte  de  TÉvangile? 
N'avait-il  pas  publié  cette  édition  gréco-latine  du  Nouveau 
Testament  dont  Luther  se  servit  pour  traduire  la  Bible 
en  allemand,  cette  version  qu'il  jugeait  plus  fidèle  que  la 
Vulgate  et  qui,  dans  des  notes  habiles  et  subtiles,  sou- 
lignait des  obscurités,  soulevait  des  doutes  et  inquiétait, 
menaçait  la  foi?  N'avait-il  pas  attaqué  dans  ses  Adages 
l'Église  qui  ne  fait  rien  gratis  et  dans  son  Éloge  de  la 
Folie  le  charlatanisme  et  l'orgueilleuse  ignorance  des 
prêtres  et  des  théologiens,  le  culte  des  saints,  les  indul- 
gences, la  confession,  la  pénitence,  les  moines,  les  évo- 
ques, les  cardinaux,  le  pape? 

VÉloge  de  la  Folie  date  de  1512.  Deux  années  aupa- 
ravant, s'était  produite  l'affaire  Reuchlin.  Un  Juif  con- 
verti, Pfefferkorn,  proposait  de  brûler  tous  les  livres 
hébraïques,  à  l'exception  de  l'Ancien  Testament.  Reuchlin 
protesta.  Les  dominicains  de  Cologne  et  l'inquisiteur 
Hochstraten  lui  répondirent.  Une  longue  querelle  s'en* 
gagea  et  des  pamphlets  s'échangèrent.  Mais  tous  les 
humanistes,  notamment  ceux  d'Erfurt,  se  prononcèrent 
en  faveur  de  Reuchlin. 

Deux  de  ces  humanistes  d'Erfurt^  Crotus  Rubianus  et 
Ulrich  de  Hutten,  publièrent  une  œuvre  vraiment 
piquante,  les  Épitres  des  hommes  obscurs.  Crotus  est 
l'auteur  de  la  première  partie  (1515-1516),  el  Hutten,  de 


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LE   XVI*   SIÈCLE  111 

la  seconde  (1517).  On  y  voit  des  moines  qui  racontent 
leur  existence  en  leur  latin  de  cuisine  sur  un  ton  naïf;  ils 
ergotent  sur  des  riens  avec  une  logique  toute  scolastique; 
ils  demandent  si  c'est  un  péché  mortel  de  saluer  un  juif 
par  mégarde;  ils  étalent  la  plus  crasse  ignorance  de  l'an- 
tiquité ;  ils  festinent)  ils  font  l'amour  et  ils  se  moquent 
du  reste.  Ces  détails  sont  épars  dans  les  Epitres.  Mais 
elles  se  tiennent  et  se  relient,  parce  qu'elles  ont  presque 
tontes  le  même  destinataire,  Ortwin  Gratius  de  Deventer, 
amant  de  dame  Pfefferkorn,  et  l'ancien  maître  de  nos 
épistoliers.  En  outre,  elles  renferment  de  fréquentes 
allusions  à  Reuchlin,  et  c'est  un  trait  qui  distingue  les 
deux  parties  :  Crotus  parle  peu  de  Reuchlin,  et  comme 
si  la  question  n'avait  pas  d'importance;  Hutten  prend 
l'affaire  au  sérieux  et  presque  au  tragique. 

C'est  ainsi  que  Reuchlin  et  Érasme  ont  été  les  précur- 
seurs de  Luther.  Aussi,  dans  une  pantomime  jouée  h 
Augsbourg,  devant  Charles-Quint,  le  bûcher  auquel 
Luther  mettait  le  feu  était-il  préparé  par  Reuchlin  et 
dressé  par  Érasme. 

Inégal,  extrême,  plein  de  contrastes,  passant  des  ten- 
dresses et  des  élans  du  mysticisme  k  de  sauvages  empor- 
tements, trouvant  à  l'occasion  des  paroles  d'une  simpli- 
cité charmante  ou  des  accents  d'une  émotion  profonde, 
et,  toutefois,  violent,  brutal,  grossier,  exaspéré  par  la 
contradiction,  incapable  de  garder  la  mesure,  poussant  à 
l'excès  les  procédés  de  sa  polémique  et  les  conclusions 
de  ses  principes,  disant  et  faisant  souvent  —  selon  le 
mot  et  malgré  le  conseil  d'Érasme  —  des  choses  qui 
respirent  l'arrogance  ou  la  dureté,  enivré  de  son  succès 
et  déclarant,  dans  son  orgueil,  qu'il  marchera  seul  contre 
tous,   soutenant  l'infaillibilité  du   docteur  Martin  avec 


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112  LITTÉRATURE   ALLEMANDS 

autant  d'obstination  qu'il  combattait  celle  du  Souverain 
Pontife,  hanté  par  l'idée  du  démon,  épouvanté  dans  ses 
dernières  années  par  les  conséquences  de  sa  prédication 
et  regrettant  par  instants  son  œuvre,  mais  hardi,  impé- 
tueux, puissant,  remuant  les  masses  et  leur  imposant  par 
sa  rude  grandeur,  entraînant  les  esprits  par  la  force  de 
sa  parole  et  par  l'enthousiasme  de  son  âme  comme  par 
son  énergique  et  superbe  vouloir,  pensant  a  son  peuple 
et  non  h  lui-même,  attaquant  le  papisme  au  nom  de  la 
nation  allemande  qui  salue  en  lui  son  champion  et  son 
héros,  tel  est  Martin  Luther. 

La  Bible  avait  été  mise  en  allemand  par  diverses  mains 
et  cette  traduction  était  gauche,  raide,  obscure.  Luther 
la  remplaça  par  une  traduction  claire,  aisée,  nerveuse, 
klar  und  gewalliglich,  La  tâche  offrait  de  très  grandes 
difficultés.  Mais,  pour  disposer  d'un  vocabulaire  étendu , 
Luther  n'hésita  pas,  selon  ses  propres  termes,  à  con* 
sulter  la  mère  à  la  maison,  les  enfants  dans  la  rue  et 
l'homme  au  marché.  Il  faisait  la  chasse  aux  expressions 
familières  et  vivantes  :  «  Ne  me  donnez  pas,  écrivait-il  à 
un  de  SCS  correspondants,  des  mots  de  cour  et  de  châ- 
teau! »  Il  demandait  à  un  boucher  qui  tuait  un  mouton 
comment  s'appelait  chaque  partie  de  l'animal,  et  avant  de 
traduire  certains  passages  de  l'Apocalypse,  il  priait 
Spalatin  de  lui  dénommer  et  décrire  les  pierres  pré* 
cieuses.  Souvent,  avec  ses  amis,  durant  quinze  jours, 
durant  trois,  quatre  semaines,  il  chercha  le  mot  juste 
sans  pouvoir  le  trouver,  et  il  assurait  qu'il  avait  passé 
quatre  jours  a  tracer  trois  lignes,  que,  s'il  avait  fait  un 
chemin  uni,  il  avait  dû  bien  suer  et  bien  peiner  pour 
écarter  les  pierres.  Il  aimait  sa  langue,  et  le  mot 
(c  chère  x>,  liebe^  lui  semblait  un  mot  tendre  et  joli  qui 
pénètre  et  résonne  dans  le  cœur  par  tous  les  sens. 


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LB  XVI'  8IÂCLB  lit 

En  4522  paraissait  le  Nouveau  Testament  et,  en  1534, 
la  Bible  entière.  Ce  Ait  Tévénement  littéraire  le  plus 
considérable  du  xvi*  siècle  :  la  Bible  appartenait  à  tous  ; 
elle  devenait  vraiment  le  livre  par  excellence,  le  livre 
populaire;  chacun  pouvait  non  seulement  s'y  édifier,  mais 
y  apprendre  à  parler  et  à  écrire. 

Luther  avait  pris  comme  type  la  langue  des  chancel- 
leries de  la  Saxe  et  de  la  Thuringe.  Cette  région  de 
l'Allemagne  n'était^lle  pas  depuis  longtemps  la  plus 
instruite?  N'avait-elle  pas  des  écoles  et  des  universités 
florissantes  ?  N'avait-elle  pas  une  littérature  et  une  langue 
supérieures  aux  dialectes  locaux,  une  langue  répandue 
par  l'imprimerie,  parlée  par  les  savants  et  les  gens 
éclairés?  Luther  se  garda  bien  d'employer  son  dialecte 
natal  ou  l'allemand  de  Wittenberg.  Il  se  servit,  comme  il 
dit,  de  la  langue  de  la  Kanzlei  saxonne  dont  usaient 
les  villes  impériales,  les  princes  et  les  rois.  Et  cette 
langue,  cet  allemand  luthérien,  ainsi  qu'on  la  nomma, 
cet  allemand  que  Luther  s'efforça,  d'édition  en  édition, 
de  rendre  aussi  correct  et  régulier  que  possible^  fit 
autorité.  Dans  les  pays  catholiques,  en  Bavière  et  en 
Autriche,  le  clergé  la  combattit.  Mais  les  pays  protes- 
tants l'adoptèrent;  la  grammaire  que  Clajus  publia  en 
1578  était  une  grammaire  de  la  langue  de  Luther  —  de 
cette  langue,  disait  Clajus,  naguère  si  lourde  et  si  rebelle 
à  toutes  règles,  et  maintenant  si  pure,  si  fine  et  si  ori- 
ginale, grâce  aux  écrits  de  Luther,  ou  plutôt  du  Saint- 
Esprit  qui  parlait  par  Luther.  —  La  Bible  du  Réforma- 
teur s'imposa  même  en  Suisse,  même  dans  la  basse 
Allemagne  où  le  <x  platt  »  disparut  bientôt  de  l'église, 
de  l'école  et  de  la  littérature. 

Les  écrivains  du  xvii'et  du  xviii*  siècles  surent  voir  tout 
ce  que  la  Bible  de  Luther  contenait  de  suc  et  de  sève; 

LITTiRATUEB   ALLBMAHDB.  O 


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114  LITTERATURE   ALLEMANDE 

elle  fut  pour  eux  un  trésor  d'expressions,  et  ils  s'impré- 
gnèrent de  sa  vigueur.  Leibniz  y  trouvait  une  majesté 
vraiment  héroïque  et  comme  virgilienne.  Schupp  conseil- 
lait de  la  lire  à  qui  voulait  bien  parler.  Klopstock  disait 
qu'aucun  homme  chez  aucun  peuple  n'avait  fait  autant 
pour  sa  langue  que  Luther;  Herder,  que  Luther  avait 
éveillé,  délié  la  langue,  ce  géant  endormi;  Yoss,  qu'il 
fallait  sans  cesse  feuilleter  Luther  pour  avoir  un  style 
original.  Schiller  n'a-t*il  pas,  au  témoignage  de  Korner, 
étudié  l'allemand  dans  la  Bible  luthérienne,  et  que  de 
réminiscences  du  livre  des  livres  dans  toute  l'œuvre  de 
Gœthe! 

La  Bible  de  Luther  ouvre  ainsi  l'ère  de  l'allemand 
moderne,  du  nouveau-haut-allemand,  du  neuhochdeuUch, 
Non  qu'il  y  ait  de  profondes  dissemblances  entre  le 
moyen-haut-allemand  et  le  nouveau-haut-allemand.  Si  la 
grammaire  s'est  simplifiée  et  si  nombre  de  finales  ont 
disparu,  la  langue  n'a  pas  changé  et  Luther  ne  la  renouvelle 
pas  ;  il  suit  le  mouvement  sans  le  diriger,  et  son  deutsch 
diffère  même  du  deutsch  actuel  en  quelques  points.  Mais 
sa  traduction  de  la  Bible  est  de  si  grande  importance 
qu'elle  doit  inaugurer  la  période  moderne  de  la  littéra- 
ture  allemande. 

Luther  n'est  pas  seulement  le  traducteur  de  la  Bible. 
Il  a  été  sermonnaire,  pamphlétaire,  poète.  Ses  sermons 
sont  simples.  Il  disait  volontiers  qu'il  s'était  élevé  par  la 
plume;  mais  il  n'a  rien  du  docteur  en  théologie;  il  ne 
cherche  qu'à  instruire  ses  auditeurs  et  il  se  soucie  peu 
qu'un  prince  ou  un  Mélanchton  l'écoute;  lorsqu'il  prêche, 
il  ne  pense  qu'aux  humbles,  aux  ignorants,  et,  claire- 
ment, familièrement,  avec  une  sorte  d'abandon,  non  sans 
anecdotes  et  dictons,  non  sans  allusions  à  lui-même^  il 
leur  commente  la  Bible. 


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LB  XVI«   SIBCLB  115 

En  revanche,  dans  ses  pamphlets,  il  laisse  libre  cours 
a  sa  passion.  C'est  avec  un  accent  martial  qu*il  recom» 
mande  aux  Allemands,  à  ses  chers  Allemands,  d'être 
courageux  et  libres,  de  juger  hardiment  la  papauté  avec 
leur  foi  et  leur  intelligence  de  l'Ecriture.  Il  saisit  les 
verges,  dit-il  lui-même,  pour  frapper  le  péché.  Il  prie 
Dieu  de  lui  donner,  pour  renverser  «  le  honteux  et 
diabolique  gouvernement  des  Romains  »,  une  des  trom- 
pettes qui  jetèrent  bas  les  murs  de  Jéricho.  Il  parle  haut 
et  ferme,  avec  colère,  avec  cette  bonne  colère  qui  rafraî- 
chit son  sang  et  aiguise  son  esprit,  déployant  toutes  les 
ressources  de  l'éloquence  populaire,  entassant  les  images, 
les  proverbes  et  les  mots  crus,  couvrant  l'adversaire 
d'in&ultes  et  d'invectives,  l'empoignant,  le  secouant 
d'une  main  que  Zwingli  comparait  à  la  patte  d'un  ours, 
et  Érasme  n'avait  pas  tort  de  lui  reprocher  un  penchant 
effréné  pour  l'injure. 

Ses  cantiques,  où  Herder  admirait  la  foule  des  inver- 
sions et  des  rejets,  respirent  la  même  vigueur.  Mais  là, 
ce  n'est  pas  lui  qui  parle  ;  il  fait  parler  les  fidèles  assem- 
blés, et  ils  expriment  fréquemment,  avec  une  simplicité 
grave  et  une  forte  concision,  la  terreur  dont  les  frappe  le 
malin  esprit,  le  repentir  de  leurs  péchés,  leur  confiance 
en  Dieu.  Son  chant  le  plus  connu,  c'est  le  chant  Eine 
fesle  Burg  ist  unaer  Gottj  et  il  y  a  mis  sa  crainte  du 
diable,  qu'il  sait  puissant  et  rusé  ;  il  y  a  mis  son  espoir 
en  Jésus-Christ,  qui  combat  pour  nous  et  qui  doit  gagner 
la  victoire. 

La  Réforme,  elle  aussi,  grâce  à  Luther,  gagna  la  vic- 
toire. Mais  la  poésie  céda  la  place  à  la  polémique.  Rien 
n'égale  la  violence  des  haines  religieuses  dans  ce  temps- 
là.  Catholiques  et  protestants  s'exècrent  et,  malgré  les 


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116  LITTERATURE   ALLEMANDE 

traités,  se  font,  plume  en  main,  une  guerre  acharnée. 
Un  catholique  déclare  que  toute  luthérienne  est  une 
courtisane,  et  un  protestant  riposte  en  affirmant  que 
TEglise  catholique  est  une  fille  de  joie,  et  Rome  le  séjour 
des  démons.  Des  imprécations  furibondes  se  mêlent  aux 
arguments. 

On  était  pour  ou  contre  Luther  et  le  Réformateur  eut 
de  redoutables  adversaires,  Eck,  Emser,  Cochlâus,  et 
notamment  le  franciscain  alsacien  Murner  (né  et  mort  à 
Obernai,  1475-1537). 

Vif,  gai,  spirituel,  exempt  de  pédantisme,  Murner  est^ 
par  malheur,  trivial,  brutal,  extravagant,  et  il  versifie 
négligemment  et  à  la  hâte.  Dans  sa  Conjuration  des  fous 
(1512),  il  énumère,  comme  Brant,  les  vices  des  hommes; 
mais  il  joint  a  d'ingénieuses  moqueries  des  sarcasmes 
grossiers,  des  plaisanteries  cyniques,  et  son  poème  est 
confus.  Dans  sa  Corporation  des  coquins^  il  passe  en 
revue  les  coquins  qui  l'ont  choisi  pour  président  et  qui, 
l'un  après  l'autre,  lui  tracent  leur  propre  portrait;  là 
encore,  des  digressions,  des  répétitions  et  pas  d'unité. 
Toutes  ses  productions  offrent  les  mêmes  défauts  :  le 
Pré  des  coucous^  satire  des  efféminés  et  des  femmes  dont 
les  c(  coucous  »  sont  les  humbles  serviteurs;  le  Bcàn 
spirituel,  où  Jésus-Christ  est  représenté  comme  un  bai- 
gneur qui  nous  lave,  nous  frictionne  et  nous  nettoie  de 
toutes  façons;  le  Moulin  de  Schwindelsheimy  histoire 
d'un  meunier  qui  voit,  sitôt  qu'il  est  veuf,  accourir  les 
prêtres  et  les  gentilshommes  que  sa  femme  avait  trop 
aimés  ;  le  Grand  fou  luthérien,  l'œuvre  capitale  de  notre 
franciscain  (1522).  Ce  <c  grand  fou  luthérien  »,  c'est 
l'esprit  de  la  Réforme.  Il  porte  en  lui,  dans  sa  tête,  dans 
sa  poche,  dans  son  ventre,  tous  les  fous  qui  combattent 
l'Eglise  et  il  lance  une  armée,  que  Luther  commande, 


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LB^XVI*   SIÈGLB  117 

contre  la  citadelle  catholique  que  Muruer  défend. 
Murner  épouse  la  fille  de  Luther  et  la  chasse  sur-le- 
champ;  Luther  meurt  de  chagrin  et  le  grand  fou  expire 
peu  après! 

Mais  le  Réformateur  trouvait  à  ses  côtés  de  chauds 
amis  et  de  vigoureux  lieutenants.  Le  plus  remarquable 
est  le  chevalier  franconien  Ulrich  de  Hutten  (1488-1523). 
Il  écrit  d'abord  en  latin.  C'est  en  latin  qu'il  célèbre 
Arminius  et  le  met  au-dessus  des  plus  grands  généraux 
de  l'antiquité  ;  c'est  en  latin  qu'il  dénonce  à  l'Allemagne 
cette  Rome  où  l'on  ne  désire  qu'or  vieux,  femme  jeune 
et  courte  messe  ;  c'est  en  latin  qu'il  compose  la  seconde 
partie  des  Epitres  des  hommes  obscurs,  et  il  n'a  pas 
autant  de  sel  et  d'humour  comique  que  Crotus;  il  déve- 
loppe trop  les  motifs  de  son  devancier,  il  est  plus  long, 
plus  pesant.  A  la  fin  de  1520,  il  emploie  sa  langue  mater- 
nelle. 11  ne  la  manie  pas  avec  la  même  aisance  que  le 
latin;  sa  prose  est  lourde  et  ses  vers  sont  rudes.  Mais  il 
a  de  l'invention  et  il  trouve  parfois  des  traits  saisissants. 
Sa  sincérité,  sa  joie  de  vivre  à  l'époque  du  réveil  des 
esprits,  son  tempérament  de  batailleur,  sa  généreuse 
colère  contre  l'hypocrisie  et  le  trafic  des  choses  saintes, 
son  mépris  pour  sa  caste  dont  il  raille  l'ignorance  et  les 
mœurs  centauresques,  le  rendent  sympathique.  Il  aime 
la  vérité  nouvelle,  il  la  possède  et  il  jure  de  ne  jamais 
l'abandonner;  non,  personne,  pas  même  sa  mère,  ne  le 
détachera  de  la  vérité,  et  dans  le  frémissement  et  la  fièvre 
de  la  lutte  qu'il  entreprend  en  l'honneur  et  pour  le  salut 
de  la  vérité,  il  appelle  les  Allemands  aux  armes.  Qu'ils 
ne  le  laissent  pas  seul  !  Qu'ils  se  lèvent  avec  lui  pour 
défendre  la  vérité;  qu'ils  se  lèvent  pour  conquérir  la 
liberté!  Il  est  temps;  il  faut,  comme  lui,  marcher,  aller 
en  avant  :  Je  Vai  osé! 


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118  LITTBRATURB  ALLEMANDS 

La  poésie  se  mettait  donc  au  service  de  la  Réforme. 
Spengler,  Speratus,  Nicolas Hermann,  Ringwaldt,  Knaust 
firent,  à  l'exemple  de  Luther,  des  chants  religieux  et  des 
cantiques  d^église.  La  plupart  ne  sont  que  des  psaumes 
versifiés  ou  des  chants  catholiques  remaniés  a  la  protes- 
tante ou  même  des  chants  profanes,  des  chants  populaires 
dont  les  paroles  ont  été  modifiées. 

Comme  auparavant,  la  poésie  doit  édifier  et  instruire , 
doit  exposer  la  morale  en  la  couvrant  de  fleurs  ou,  selon 
le  mot  de  Fischart,  d'une  bouillie  sucrée. 

Aussi  la  fable  fut-elle  un  des  genres  favoris  du 
XVI*  siècle.  Luther  l'avait  recommandée  et  il  projetait  de 
purifier,  de  «  nettoyer  »  l'Esope  allemand  et  d'en  faire 
un  livre  honnête  et  décent.  Il  retoucha  même  quelques- 
unes  de  ces  fables  ésopiques,  évitant  toute  allusion  reli- 
gieuse, visant  à  la  concision,  terminant  le  récit  par  des 
proverbes,  concluant  a  la  fin  du  <c  Loup  et  de  l'Agneau  » 
que  la  force  prime  le  droit,  Gewalt  gehet  fiir  Recht. 

Les  principaux  fabulistes  sont  Erasmus  Alberus  et 
Burkard  Waldis. 

Alberus  qui,  parmi  les  luttes  et  souffrances  de  son 
existence  vagabonde,  garda  l'humeur  gaie,  ne  cesse  de 
louer  Luther  et  d'invectiver  le  papisme.  Les  adversaires 
du  docteur  Martin  sont  h  ses  yeux  des  Mamelucks  et  des 
monstres;  l'empereur,  un  tyran;  Maurice  de  Saxe,  un 
Judas.  Il  guerroie  jusque  dans  ses  Fables  (1534)  et  l'une 
d'elles  compare  l'âne  que  l'homme  dépouille  de  la  peau 
du  lion  au  pape  a  qui  Luther  découvre  des  oreilles  d'àne. 
Elles  ont  en  nombre  d'endroits  une  aimable  naïveté.  Il  a 
puisé  dans  Esope  et  il  se  souvient  du  poème  de  Renart 
dont  l'auteur  lui  semble  un  sage  qui  connait  le  monde 
et  la  cour. 

Comme   Alberus,   Burkart  Waldis  polémise  dans  les 


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LB  XVI*  SIÈGLB  119 

fables  qu'il  publie  sous  le  titre  de  Nouvel  Esope  (1548); 
il  raille  le  culte  des  saints  et  le  trafic  des  indulgences  ; 
il  assure  que  sans  Luther  les  hommes  seraient  pires  que 
païens. 

./ 

De  même  que  Waldis  et  qu'Alberus,  le  Nurembergeois 
Hans  Sachs  (1494-1576)  a  fait  des  fables,  mais  sans  y 
mettre  un  grain  de  satire  contre  l'Eglise  romaine.  Pour- 
tant il  est  partisan  et  admirateur  de  Luther.  Il  compose 
en  rhonneur  de  la  Réforme  des  hymnes  et  des  dialogues 
en  prose  qui  sont  pleins  de  mouvement  et  de  vie.  Dans 
son  poème  le  Rossignol  de  Wittenberg,  qui  compte  sept 
cents  vers,  clairement,  et  non  sans  vigueur,  il  explique 
la  doctrine  nouvelle  et  retrace  les  méfaits  et  forfaits  de 
ce  clergé  qui  «  dévore  le  troupeau  »  ;  mais  le  rossignol, 
ou  Luther,  d'une  voix  qui  résonne  par  monts  et  par  vaux, 
annonce  l'approche  du  jour  et  la  fin  du  règne  de 
TAntechrist. 

Hans  Sachs  est  le  plus  grand  des  poètes  du  xvi"  siècle. 
Après  avoir  fréquenté  l'école  latine,  il  se  fit  cordonnier, 
k  rage  de  quinze  ans,  et,  comme  compagnon  cordonnier, 
il  parcourut  la  Bavière,  la  Franconie,  le  pays  rhénan.  Il 
apprit  l'art  des  maîtres-chanteurs  et  il  a  été  le  plus 
fécond  et  le  meilleur  d'entre  eux. 

11  a  d'ailleurs  abordé  les  genres  les  plus  divers  :  drame 
biblique  et  profane,  comédie,  tragédie,  pièce  de  carnaval, 
conte  plaisant,  récit.  Ses  drames  bibliques  contiennent 
trop  d'homélies  sur  la  Rédemption,  le  péché  originel  et 
la  grâce.  Ses  drames  profanes,  qui  représentent  des  héros 
de  l'antiquité  et  de  la  légende  populaire,  suivent  rigou- 
reusement, ligne  par  ligne,  le  texte  original  :  pas  un 
caractère  dans  ce  théâtre  tout  primitif,  et  souvent  des 
caricatures  grotesques.  Ses  comédies,  ses  tragédies,  ses 


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120  LITTÉRATURE  ALLEMANDS 

pièces  de  carnaval^  découpées  arbitrairement  et  au 
hasard,  ne  sont  que  des  narrations  dialoguées  et  des 
contes  dramatisés;  les  personnages  entrent,  sortent, 
voyagent  sans  nul  motif,  sans  nulle  vraisemblance.  Ses 
contes  plaisants  se  terminent  par  un  enseignement,  et, 
si  gras  et  licencieux  qu'ils  soient,  Sachs  en  tire  une 
leçon.  Ses  récits  sont  confus,  chargés  de  détails,  gâtés 
de  même  par  la  morale.  Mais  il  a  de  la  naïveté,  le  ton 
cordial,  une  foule  de  savoureuses  expressions,  et  il 
manie  dextrement  l'iambe.  Il  nous  charme  par  ses 
anachronismes  :  c'est  ainsi  que  Dieu,  dans  une  pièce 
biblique,  vient  encourager  Adam  et  Eve,  les  mettre  en 
garde  contre  les  faux  docteurs;  les  enfants  sont  exa- 
minés sur  le  catéchisme;  Abel  sait  sa  leçon  et  Caïn 
répond  mal.  Ses  contes  et  ses  pièces  de  carnaval  offrent 
une  fidèle  image  de  la  réalité  quotidienne.  Sachs  les  a 
puisés,  comme  il  dit,  autant  dans  l'expérience  journalière 
que  chez  ses  devanciers.  On  y  voit  non  seulement  saint 
Pierre,  présomptueux,  indiscret  et  nigaud,  non  seule- 
ment le  diable  niais,  impuissant,  berné  par  le  premier 
venu,  mais  des  types  de  l'époque,  le  prêtre  et  sa  cuisi- 
nière, l'écolier  quelque  peu  fourbe,  la  femme  querelleuse 
et  portant  la  culotte,  le  mari  crédule  ou  jaloux,  les  pay- 
sans badauds,  voraces,  stupides  et,  malgré  leurs  finasse- 
ries, bafoués  par  les  citadins,  dupés  ou  exploités  par  les 
soudards,  par  les  curés,  par  les  moines,  par  toutes  sorte» 
de  parasites  ambulants,  et  ainsi  revit  devant  nous  le 
Nuremberg  du  xvi^  siècle  et  sa  banlieue.  A  ces  peintures 
de  mœurs,  Sachs  ajoute  son  propre  portrait.  Son  œuvre 
nous  le  montre  attristé  par  instants,  gémissant  sur  la 
méchanceté  des  hommes,  comprenant  que  la  Réforme 
n'a  pas  changé  les  unies,  faisant  néanmoins  le  prédica- 
teur, recommandant  h  ses  contemporains  le  labeur  régu- 


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LE  XV1«  SIÈCLE  121 

lier,  le  mariage  et  Tamour  du  prochain,  leur  répétant 
que  contentement  passe  richesse,  tâchant  aussi  de  les 
amuser,  riant,  gouaillant  même,  joignant  à  la  solidité  du 
caractère  une  robuste  gaité,  une  bonhomie  malicieuse  et 
parfois  une  fine  ironie.  Il  est  bien  de  Nuremberg,  de 
cette  ville  que  Mélanchton  comparait  à  Florence  et  que 
Luther  appelait  l'œil  et  Toreille  de  FAUemagne,  la  ville 
où  régnait  un  esprit  fait  de  bon  sens  et  d'humour,  la 
ville  du  Muttermtz. 

Après  Hans  Sachs,  la  littérature  poétique  cite  encore 
quelques  noms,  Ringwaldt,  Rollenhagen,  Fischart  qui 
rappellent  assez  sa  manière. 

Ringwaldt,  pasteur  de  la  Marche  (1530-1599),  com- 
posa, outre  des  cantiques,  deux  poèmes  didactiques,  la 
Pure  Vérité  et  la  Chrétienne  Admonestation  du  fidèle 
EckarL  11  est  diffus  et  plat;  mais  il  parle  la  langue  du 
peuple,  il  retrace  les  vices  de  son  époque,  et  il  ne 
ménage  pas  les  grands  de  la  terre.  Sa  comédie,  Spéculum 
mundff  contient  une  vive  satire  de  la  noblesse  toujours 
prise  de  boisson,  un  sombre  tableau  des  persécutions 
exercées  par  les  catholiques  de  Moravie  contre  les  pro- 
testants et  de  touchantes  scènes  de  famille. 

Rollenhagen  a  plus  d'art  et  de  savoir  que  Ringwaldt. 
11  prétendit  refaire  la  Batrachomyomachie  dans  son 
Froechmeuseler  ou  «  Guerre  des  souris  et  des  gre- 
nouilles »  (1595).  Son  style  a  du  naturel,  parfois  de  la 
grâce,  et  le  poème  offre  de  jolies  descriptions  et  des  traits 
spirituels.  Mais  l'auteur  veut  allégoriser  l'histoire  de  la 
Réforme;  il  veut  exposer  ses  pensées  sur  toutes  choses, 
sur  l'Eglise  et  l'Etat,  sur  la  guerre  et  la  paix;  il  veut  mon- 
trer qu'il  faut  craindre  Dieu,  pratiquer  le  bien  et  vivre 
de  peu.  Son  œuvre  est  longue,  froide,  pédantesque. 


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1S2  LITTERATURE   ALLEMANDE 

Fischart  (né  entre  1545  et  1550,  mort  en  1590  ou  1591) 
était  de  Strasbourg,  à  moins  qu'il  ne  soit  de  Mayence. 
Il  relève  de  Gaspard  Scheidt,  son  parent  et  son  maitre. 
Scheidt  était  de  Worms;  il  savait  le  français  et  il  aimait 
la  poésie  populaire;  il  avait  traduit,  non  sans  Tang- 
menter,  le  Grobianus  latin  où  Dedekind  dictait  avec  une 
verve  ironique  aux  rustres  et  butors  du  temps  des  prin- 
cipes de  conduite.  Fischart  suivit  la  voie  que  Scheidt 
lui  marquait.  II  exécutait  un  projet  de  Scheidt  lorsqu'il 
versifiait  VEufenspiegel,  Comme  Scheidt,  il  traduit  du 
latin  et  du  français  en  y  mettant  du  sien  :  les  opuscules 
de  Canarius  et  de  Pirkheimer  sur  la  goutte,  et  des 
ouvrages  de  Rabelais,  la  Prognostication  pantagruélique^ 
le  Catalogue  des  catalogues  et  le  premier  livre  de  Gar- 
gantua (1575).  Il  a  su  reproduire  la  verve  rabelaisienne; 
car  il  avait,  lui  aussi,  une  verve  étincelante,  entraînante, 
exubérante,  extravagante;  il  avait  une  galté  plantureuse 
et  luxuriante;  il  avait  ce  que  nous  appelons  l'esprit  gau- 
lois. Par  une  foule  d'artifices,  par  l'emploi  de  la  couleur 
locale,  par  l'heureuse  germanisation  des  noms  propres, 
par  des  allusions  et  des  citations,  il  imprime  h  son 
Gargantua  l'aspect  et  l'ailure  d'une  œuvre  allemande.  Il 
renchérit  même  sur  l'original,  amplifiant  le  texte  de 
toutes  façons  et  le  délayant,  détaillant  ce  que  Rabelais 
n'avait  qu'esquissé,  ajoutant  encore  aux  énumérations 
de  l'auteur  français  et  allongeant  ses  catalogues,  rendant 
un  seul  verbe  par  trente  verbes,  accumulant  à  plaisir  les 
digressions,  entassant  les  allitérations  et  les  assonances, 
amoncelant  les  synonymes,  amassant  les  calembours, 
forgeant  des  mots  baroques  et  grotesques,  maniant  sa 
langue  et  la  déformant,  la  disloquant  avec  une  géniale 
hardiesse  et  un  sans-gène  inouï.  Et  d'abord  il  nous 
étourdit,  nous  fascine.  Que  d'érudition  et  que  d'esprit! 


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LB  XVI*   8IBGLB  123 

Quelle  richesse  d'expressions!  Quel  flux  et  quel  cliquetis 
de  paroles!  Quelle  profusion,  quelle  orgie  de  vocables! 
Que  de  folles  inventions  !  Mais  bientôt  nous  remarquons 
l'effort.  Si  brillant  et  coloré  qu'il  soit,  le  développement 
languit  et  traîne.  Souvent  la  facétie  est  par  trop  grosse, 
et  l'exagération  par  trop  burlesque.  Tant  de  singularités, 
tant  d'exorbitantes  bouffonneries  obscurcissent  la  pensée. 
Faut-il  dire  en  outre  que  Fischart  fait  des  contre-sens 
et  qu'il  n'a  pas  toujours  compris  le  texte  français? 

Il  ne  ménage  pas  dans  son  Gargantua  l'église  catïio* 
lique,  et  la  plupart  de  ses  œuvres  en  vers  et  en  prose 
sont  dirigées  contre  celle  qu'il  qualifie  de  Méduse  et  de 
Circé.  Avant  tout,  il  est  pamphlétaire  et  polémiste.  Il 
attaque  le  renégat  Rabus,  l'évèque  Nasus,  le  pape,  les 
Franciscains,  les  Dominicains,  les  Jésuites.  Il  traduit  la 
Ruche  romaine  de  Marnix  et  les  brochures  protestantes 
qui  racontent  les  principaux  événements  de  la  guerre  de 
religion,  Saint-Barthélémy,  désastre  de  l'ilr/Tia^/a,  journée 
des  barricades,  meurtre  de  Henri  III,  bataille  d'Ivry.  Il 
célèbre  l'alliance  de  Strasbourg  avec  Zurich  et  Berne,  et, 
dans  le  poème  la  Nef  fortunée  de  Zurich  (1576),  il  chante, 
longuement,  trop  longuement,  l'exploit  des  Zurichois 
qui,  dans  l'espace  d'une  journée,  vinrent  en  bateau  de 
Zurich  à  Strasbourg  et,  pour  montrer  qu'ils  sauraient 
rapidement  secourir  leurs  alliés,  apportèrent  de  leur 
ville  une  bouillie  de  millet  chaude  et  brûlante  encore. 

II  était  donc  devenu  le  publiciste  de  la  cause  pro- 
testante. Quelquefois  il  se  détournait  cependant  de  la 
politique.  Il  écrivit  une  Exhortation  sur  l'éducation  des 
enfants,  un  Livret  philosophique  de  morale  conjugale, 
une  Chasse  aux  puces  ou  Flôhhatz.  Cette  Chasse  aux 
puces  est  en  vers;  elle  a  de  l'humour  et  de  la  vivacité. 
L'auteur  suppose  qu'elle  a  été  imprimée  à  Petit-Puce- 


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1S4  LITTÉRATURB   ALLEMANDE 

lange  et  *il  donne  aux  puces  des  noms  expressifs  : 
Glisse  -  au  -  val,  Mords  -  dur ,  Pince  -  la ,  Pique  -  derrière, 
Rouge-trace,  Sans-repos,  Saute-en-jupe,  Soif-de-sang, 
Tâte-doux.  Certaines  scènes  sont  vraiment  comiques. 
Mais  le  poème,  qui  comprend  deux  parties,  Tune  où  les 
puces  se  plaignent,  l'autre  ou  les  femmes  leur  répondent, 
manque  d'unité. 

Fischart  a  trop  fréquemment  des  phrases  embarrassées 
et  des  périodes  filandreuses.  C'est,  en  prose,  un  mer- 
veilleux joueur  de  mots  :  en  transformant  les  termes, 
en  les  agglomérant,  en  les  faisant  allitérer  ou  rimer,  il 
leur  donne  un  sens  plaisant,  un  air  pittoresque  ou  drôle. 
Son  vers,  Tiambique  de  quatre  pieds,  est  alerte,  exempt 
de  chevilles,  bien  que  souvent  trop  facile.  Mais  Fischart 
n'a  pas  d'originalité.  Le  fond  de  ses  récits  ne  lui  appar- 
tient pas.  Il  a  besoin  d*un  modèle  qu'il  copie  ou  adapte. 
Son  pamphlet  contre  les  Jésuites  n'est-il  pas  imité  d'un 
poème  protestant,  le  Bonnet  carré?  Enfin  la  mesure,  le 
goût  lui  font  défaut.  Il  a  le  style  redondant,  il  appuie 
au  lieu  de  glisser,  il  répète  à  satiété  la  même  idée.  Dans 
ses  additions  a  la  Bûche  romaine,  qu'il  parait  vulgaire  à 
côté  de  Marnix  !  Que  de  vieilles  machines  poétiques,  que 
de  fantaisies  étymologiques,  que  de  choses  puériles  et 
froides  dans  la  Nef  fortunée  \  Que  de  plates  allégories 
dans  V Alliance  de  i588f  où  Zurich  et  Berne,  le  lion  et 
l'ours,  viennent  respirer  le  parfum  de  Strasbourg,  repré- 
senté par  une  fleur  de  lys! 

D'un  bout  à  l'autre  du  xvi'  siècle  règne  l'influence  de 
Luther,  chez  les  prosateurs  comme  chez  les  poètes. 

La  Chronique  bavaroise  de  Turraair  d'Abensberg  ou 
Aventinus,  la  Chronique  de  tout  le  pays  allemand  de 
Sébastien  Franck,  la   Chronique  suisse  de  Tschudi,  la 


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LE  XVI'   SIECLE  125 

Chronique  pomèranienne  de  Kantzow  sont  écrites  dans 
une  langue  claire,  franche  et  forte. 

Les  Mémoires  du  xvi*  siècle  n*offrent  pas  les  mêmes 
mérites  de  forme.  On  est  aise  toutefois  de  posséder  ceux 
de  Gœtz  de  Berlichingen  qui,  malgré  leur  prolixité» 
malgré  ce  qu'ils  ont  de  rude  et  de  hérissé,  plaisent  dans 
l'ensemble  par  leur  naturel  et  leur  bonhomie;  ceux  de 
Sastrow  qui  vit  de  grands  événements  et  trace  de  curieux 
portraits  ;  ceux  de  Schweinichen  qui  conte  tant  d'histo- 
riettes sur  ses  trois  princes  silésiens;  ceux  de  Thomas 
et  de  Félix  Flatter  oii  revivent  les  mœurs  de  ces  vieux 
étudiants,  de  ces  Bachanten  qui  voyageaient  d'école  en 
école  et  subsistaient  d'aumône,  de  rapine  et  de  magie. 

Le  genre  de  la  nouvelle  et  du  roman  fut  représenté 
par  Pauli,  Widmann  et  Wickram. 

Jean  Pauli,  juif  converti  qui  devint  carme,  est  l'auteur 
d'un  recueil  à! Histoires  plaisantes  et  sérieuses  [Schimpf 
und  Ernst^  1522).  Ce  livre,  d'un  très  bon  style,  con- 
tient les  anecdotes  et  les  récits  que  les  prédicateurs 
employaient  comme  exemples,  et  Pauli  en  a  tiré  beau- 
coup des  sermons  de  Geiler. 

Achille-Jason  Widmann  a  tenté  de  faire  de  Peter  Leu 
(1557)  un  autre  curé  de  Kalenberg;  curé,  lui  aussi,  et 
fort  comme  un  lion,  comme  un  Leu^  le  héros  de  Wid- 
mann dupe,  lui  aussi,  le  curé  voisin  et  ses  propres 
paroissiens. 

L'Alsacien  Georges  Wickram  a  été  le  Hans  Sachs  du 
roman.  Il  a  composé  deux  pièces  bibliques,  un  poème 
didactique  sur  les  péchés  capitaux,  un  autre  poème,  le 
Pèlerin  errant^  dans  lequel  il  attaque  la  papauté;  il  a 
fondé  à  Colmar  une  école  de  maîtres-chanteurs.  Ses 
récits  en  prose  l'emportent  sur  le  reste  de  son  œuvre. 
Il  a  des  modèles,  notamment  Boccace;  mais^  parfois,  il 


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126  LITTÂRATURB  ALLBMANDB 

invente  et  il  a  su  peindre  la  vie  intime,  la  vie  bourgeoise 
de  son  époque.  Son  Rollwagenbûchlein  (1555),  — 
Pour  lire  en  char  à  bancs  ^  —  en  un  style  clair  et  vif,  est 
peut-être  le  meilleur  de  ces  recueils  de  facéties  qui 
parurent  dans  la  seconde  moitié  du  xvi*  siècle  et  qui 
servaient  de  {^ade-^mecuni  aux  voyageurs  et  aux  joyeux 
compagnons  de  ce  temps-là. 

Comme  toujours,  le  public  goûtait  les  romans  étran- 
gers. Malgré  ses  24  volumes  (1569-1595),  la  traduction 
de  VAmadis  de  Gaule  faisait  les  délices  de  la  noblesse 
allemande.  Quant  au  peuple,  il  lisait  nos  romans  de  che- 
valerie et  longtemps  il  les  lira,  ces  Volksbûcher,  ces 
a  livres  populaires  »  que  Gœthe  dévorait  dans  son 
enfance  et  que  les  romantiques  ont  tant  prônés,  For^ 
tunat,  Fierabraa^  les  Quatre  fils  Aymon^  la  Belle  Mague^ 
lonne,  V Empereur  Octayien, 

Pourtant,  à  l'exemple  de  YEulenspiegely  en  Allemagne 
même  naissent  des  romans  populaires  :  le  Finkenritter 
qui  rappelle  notre  baron  de  Crac,  YHistoire  de  Jean 
Clauert  de  Trebbin,  rédigée  par  Barthélémy  Krûger^  les 
Schildbûrger  ou  les  Bourgeois  de  Schilda  qui  parlent 
comme  des  sages  et  agissent  comme  des  enfants,  et  le 
Docteur  Faust. 

Il  avait  vécu  réellement  au  commencement  du  siècle, 
ce  docteur  Faust.  C'était  un  charlatan  qui,  pour  duper 
les  gens,  leur  promettait  de  renouveler  les  miracles  de 
Jésus.  La  légende  le  métamorphose  et  le  livre,  imprimé 
h  Francfort  par  Jean  Spies,  en  1587,  le  représente  comme 
un  grand  savant  aveuglé  par  l'orgueil  et  semblable  aux 
géants  qui  voulaient  escalader  le  ciel,  se  vantant  de 
retrouver  les  comédies  de  Plante  et  de  Térence,  ressus- 
citant les  héros  d'Homère  aux  yeux  de  ses  élèves  d'Erfurt, 
parcourant  l'Europe  sur  le  cheval  ailé  ou  sur  le  manteau 


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LB  XV!**  8IBCLB  127 

de  Méphisto.  Le  livre  est  empreint  de  l'esprit  de  la 
Réforme;  il  appartient  à  cette  Teufelliteratur  qui  person- 
nifiait et  incarnait  les  vices  dans  des  diables;  il  livre 
Faust  à  Satan  et  il  montre  qu'un  homme  qui  ne  croit 
plus  au  Christ  et  à  la  Sainte-Ecriture  est  perdu  sans 
retour.  On  sait  qu'il  fut  remanié,  en  1599,  par  Georges 
Widmann,  augmenté,  en  1674,  par  le  médecin  Pfitzer, 
abrégé,  en  1728,  par  un  anonyme  a  aux  intentions  chré- 
tiennes ».  Mais  déjà,  dans  les  mains  de  Marlowe,  la 
légende  était  devenue  drame. 

Comme  les  autres  genres,  le  drame  avait,  pendant  le 
xvi*  siècle,  subi  l'influence  de  Luther.  Lui  aussi  était 
souvent  un  pamphlet;  il  louait  la  Réforme  et  injuriait  le 
pape,  il  respirait  l'âpreté  des  luttes  religieuses.  Il  traitait 
des  sujets  bibliques  :  Luther  n'avait-il  pas  dit  que  les 
livres  de  Judith  et  deTobie  offrent  une  suite  de  comédies 
juives?  Judith  tuant  Holopherne  rappelait  les  chrétiens 
immolant  les  Turcs.  Tobie,  de  même  que  Rebecca  et  les 
Noces  de  Cana,  glorifiait  le  mariage.  Daniel  combattait 
le  culte  des  images.  Abraham,  Lazare,  l'Enfant  prodigue, 
démontraient  la  doctrine  de  la  justification.  Esther  et 
Aman  mettaient  en  relief  la  modestie  de  la  vertu  et  le 
châtiment  de  l'orgueil.  Vingt  auteurs  au  moins  ont  traité 
l'épisode  de  Suzanne,  la  femme  pure  et  fidèle,  et  trente, 
celui  de  Joseph,  le  chaste  jouvenceau. 

Ce  drame  était  latin  ou  allemand,  et  dans  l'une  ou 
l'autre  langue,  comme  dans  les  pièces  de  Hans  Sachs,  ce 
n'est  qu'une  esquisse  aux  simples  contours  ;  rien  de  déve- 
loppé; des  situations  indiquées,  brusquées  ;  pas  d'action, 
pas  de  composition  et  peu  de  vraisemblance. 

Latin,  c'est  un  exercice  scolaire  taillé  sur  le  patron  de 
VHenno  de  Reuchlin,  ou  des  pièces  de  Hrotsvith,  ou  des 


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128  LITTERATURB   ALLEMANDS 

comédies  de  Térence,  qui  restait  le   favori  des  écoles. 

Kirchmair  ou  Naogeorg  et  Frischlin  ont  fait  les 
meilleurs  drames  latins. 

Naogeorg  a  de  la  verve  et  une  passion  amère  dans  sa 
polémique  contre  le  pape  et  les  ennemis  de  rÉvangile. 

Frischlin,  professeur  à  l'Université  de  Tubingue,  spiri- 
tuel, mordant,  haï  de  ses  collègues  et  de  la  noblesse, 
enfermé  au  château  d'Urach  par  le  duc  de  Wurtemberg 
qu'il  avait  offensé,  essaya  de  s'évader  et  mourut  miséra- 
blement en  tombant  sur  les  rochers  (1590).  Ses  comédies 
furent  représentées  pour  la  plupart  devant  la  cour  de 
Stuttgart  (1576-1585),  et  il  y  a  du  mouvement  et  de  la 
chaleur  dans  le  dialogue,  delà  (inesse  dans  les  réflexions, 
du  naturel  dans  les  personnages  comiques.  L'Ismaél  de 
sa  Rebecca  est  la  vivante  image  du  grossier  gentillâtre  de 
l'époque,  et  que  de  traits  Frischlin  décoche  aux  courti* 
sans  et  aux  nobles,  ces  Polyphèmes,  ces  Satyres  toujours 
ivres  et  si  cruels  envers  le  paysan  !  Il  raille  l'ignorance 
des  médecins,  Tavidité  des  avocats,  le  méchant  latin  des 
professeurs.  Il  exalte  la  victoire  de  Luther  et  de  Brenz, 
le  réformateur  du  Wurtemberg.  Ce  qu'il  a  fait  de  mieux, 
c'est  son  Julius  redwiçus^  qu'il  composa  pour  montrer 
qu'il  avait  l'âme  vraiment  allemande  :  César  et  Cicéron 
reviennent  sur  la  terre,  ils  admirent  la  grandeur  de 
l'Allemagne,  ses  armes  et  sa  poudre,  son  imprimerie,  ses 
savants  innombrables,  et  ils  ne  voient,  ils  n'entendent 
qu'avec  effroi  leurs  propres  compatriotes,  un  marchand 
savoyard  et  un  ramoneur  italien  ! 

Les  drames  allemands  sont,  de  même  qu'au  xv*  siècle, 
des  mystères,  des  Jeux  de  la  Passion^  comme  celui  de 
Bozen,  des  Jeux  de  Pâques,  comme  celui  de  Lucerne,  des 
Jeux  du  jugement  dernier  ou  de  V Antéchrist  comme  celui 
de  Zacharie  Bletz  (1549),  de  ces  Jeux  religieux  dont  là 


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LB  XVi«  SIÀCLE  1S9 

représentation  exigeait  plusieurs  jours.  Ou  bien  ce  sont 
des  drames  bibliques,  comme  ceux  de  Ilans  Sachs, 
comme  ceux  de  Frischlin  —  qui  fit  en  allemand  un 
Joseph^  une  Ruth  et  des  Noces  de  Cana  —  comme  le  Tobie 
où  Wickram  dépeint  selon  sa  coutume  les  menues  réalités 
de  la  vie,  comme  Y  Enfant  prodigue  de  Waldis  (1527)  et 
la  Suzanne  de  Rebhun  (1535),  remarquables,  l'un  par 
Taisance  du  vers,  par  la  marche  de  l'action  et  par  cette 
idée  que,  même  sans  la  foi,  les  œuvres  assurent  le  salut, 
lantre,  par  sa  solide  structure,  par  la  simplicité  de  sa 
langue  et  par  Temploi  des  chœurs  à  la  fin  de  chaque  acte. 
Ou  bien  ce  sont  des  jeux  de  carnaval,  comme  ceux  de 
Hans  Sachs  ou  comme  les  pièces  de  Gengenbach  et  de 
Manuel. 

L'imprimeur  bâlois  Gengenbach  a  fait  de  petits  drames 
secs  et  décharnés;  mais  sa  satire  dialoguée  lea  Mangeurs 
de  morts  (les  prêtres  catholiques  qui  vivent  de  la  messe  dee 
morts)  servit  de  modèle  à  Manuel. 

A  la  fois  poète,  peintre,  architecte,  soldat  et  adminis- 
trateur, le  Bernois  Nicolas  Manuel  (1484-1530),  qui 
rappelle  par  son  universelle  activité  les  grands  maîtres 
de  la  Renaissance  italienne,  a  composé  des  dialogues  et 
des  drames.  Deux  de  ses  dialogues,  la  Maladie  de  la 
messe  et  le  Testament  de  la  messe,  célèbrent  avec  assez 
d'humour  et  d'esprit  le  triomphe  de  la  Réforme;  un 
autre,  BarbaUy  représente  une  jeune  fille  qui  refuse 
d'entrer  au  couvent.  Mêmes  mérites  dans  ses  drames  : 
Le  pape  et  le  clergé  ;  la  Différence  du  pape  et  du  Christ,  le 
Marchand dUndulgences.  Rude,  grossier,  obscène,  Manuel 
a  de  la  verdeur,  de  la  verve,  et  une  énergique  brièveté; 
c'est  nn  peintre  de  mœurs,  et  il  esquisse  ses  personnages, 
curés,  moines  et  nonnes,  en  traits  rapides  et  vigoureux. 

Ni  Manuel,  ni  même  Hans  Sachs  n'eurent  d'action  sur 

LITTÎBATOHI   ALLIMAKDB.  .9 


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ISO  LITTBRATURB  ALLBMANDB 

le  drame  national.  Il  fallut  de  nouveau  que  l'influence 
étrangère  vînt  à  la  rescousse. 

Dans  les  dernières  années  du  .xvi*  siècle  —  dès  1585 
—  se  montrent  en  Allemagne  des  troupes  de  comédiens 
anglais.  Peu  h  peu,  des  Allemands  y  entrent.  Ils  finissent 
même  par  remplacer  entièrement  les  Anglais,  et  leurs 
(c  bandes  »,  comme  on  disait,  après  avoir  joué  en  anglais, 
jouent  en  allemand.  Elles  représentent  d'abord  des 
traductions  libres,  incomplètes,  négligées,  puis  des 
pièces  originales,  et  elles  gardent  ce  qui  faisait  le 
succès  des  comédiens  anglais,  non  seulement  le  fracas  et 
les  horreurs  qui  donnaient  le  frisson  au  public,  assassi- 
nats, supplices,  combats,  mais  les  divertissements 
comiques,  chants,  danses,  tours  de  force  ou  d'adresse, 
et  surtout  le  rôle  d'Arlequin,  de  Hanswurst  ou  a  Jean 
Saucisse  »,  de  Pickelhering  ou  «  Hareng  salé  »,  de 
Schambitasche  ou  «  Jean  Potage  »,  de  Jean  Bouset  ou  de 
a  Jean  Punsch  »  ;  oublier  le  bouffon  dans  une  pièce, 
c'était  oublier  dans  un  repas  la  salade  et  le  rôti. 

Deux  de  ces  troupes  se  mirent  au  service  du  land- 
grave Maurice  de  Hesse  et  du  duc  Henri-Jules  de  Bruns- 
wick-Lunebourg  qui  composèrent  eux-mêmes  les  pièces 
qu'elles  devaient  jouer.  On  a  douze  drames  de  Henri- 
Jules  (1593-1594).  Ils  sont  en  prose,  et,  de  même  que 
dans  les  pièces  anglaises,  les  coups  et  les  meurtres  n'y 
manquent  pas,  non  plus  que  le  bouflbn  qui  parle  en 
patois.  Suzanne  et  Vincent  Ladislas  passent  pour  les 
meilleurs;  mais  Suzanne  n'est  qu'un  remaniement 
malhabile  de  la  Suzanne  de  Frischlin,  et  le  héros  de 
Vincent  Ladislas^  qu'une  pale  copie  du  capitan  italien. 

Un  notaire  de  Nuremberg,  Jacques  Ayrer  (mort  en 
1605),  entreprit  de  fondre  et  d'unir  la  manière  des 
Anglais  et  celle  de  Hans  Sachs.   Il  écrivit  en  vers  de 


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LB   XVI*   SIÈCLE  131 

huit  syllabes  de  nombreuses  pièces  sur  des  sujets  divers. 
Si  fécoud  et  si  varié  qu'il  soit,  et  bien  qu'il  puise  à  toutes 
sources,  il  n'a  pas  la  verve  et  la  facilité  de  Hans  Sachs  : 
il  est  lourd  et  grossier,  prolixe  et  monotone.  Mais  il 
motive  l'apparition  du  bouffon  qui  devient  dans  ses 
œuvres  un  messager,  un  serviteur,  un  fou  de  cour;  il 
introduit  comme  intermèdes  des  chants  populaires;  il  a 
même  créé  —  dès  1598  —  le  genre  de  l'opéra  en  compo- 
sant des  piécettes  dont  les  strophes  devaient  être  chan- 
tées d'un  bout  à  l'autre  sur  un  air  connu. 

Peu  à  peu,  bien  que  péniblement,  l'art  scéuique  du 
XVI*  siècle  a  progressé.  Le  drame  latin  ou  savant  imité  de 
l'antique,  se  corse  et  s'étoffe;  le  développement  de  ses 
situations  se  prolonge;  ses  personnages  font  moins  de 
soliloques  et  apprennent  à  se  donner  la  réplique;  son 
dialogue  s'anime  et  s'entremêle  de  sentences;  son  action 
se  resserre.  Et  ces  mérites  du  drame  latin,  le  drame 
allemand  commence  à  les  acquérir.  Mais,  latin  ou  alle- 
mand, et  si  correct  qu'il  soit,  le  drame  de  cette  époque 
ressemble,  comme  Agricola  disait  de  son  Jean  Huss^ 
autant  à  un  drame  qu'un  corbeau  à  un  cygne.  Les  comé^ 
diens  anglais  ont  montré  qu'il  faut,  pour  bien  jouer  une 
pièce,  non  pas  des  amateurs,  mais  des  acteurs  de  profes- 
sion. Ils  ont  enseigné  la  division  en  actes  et  en  scènes. 
Ils  ont  éveillé  ce  théâtre  encore  dans  l'enfance.  Leurs 
pièces  n'étaient  pas  des  leçons  de  morale;  quels  que 
fussent  leurs  défauts,  elles  avaient  du  mouvement,  de  la 
vie;  elles  offraient  une  action  et  une  intrigue.  Malheu- 
reusement, TAllemagne  n'eut  ni  un  Shakespeare  ni  un 
Corneille,  et  elle  n'avait  et  de  longtemps  elle  ne  devait 
avoir  une  capitale,  un  Londres  ou  un  Paris. 


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CHAPITRE    VIII 

LE   XVII*   SIÈCLE 


La  guerre  de  Trente  Ane.  —  La  langue.  —  Sociétés.  —  Opîtz.  — 
Fleming.  —  Les  Silésiens.  ^  Gryphins.  —  Seconde  école  de  Silésie.  — 
Uotmannswaldau  et  Lohenstetn.  —  Poètes  :  Gerhardt  et  Spe.  —  Sati- 
riques. —  Romanciers  :  Moscherosch,  Grimmelshansen,  Weise,  Reuter. 
—  Seyants  :  Pufendorf,  Thomasius,  Leibnii,  WolIT.  —  L*Aufklârung. 


Le  xvii'  siècle  est  un  siècle  d'imitation,  et  plus  que 
tout  autre  siècle  il  subit  l'influence  étrangère.  Déjà  au 
siècle  précédent,  VAmadUj  le  Pantagruel,  nos  romans 
populaires,  nos  chansons,  nos  pamphlets  étaient  mis  en 
allemand,  et  Paul  Schede,  dit  Melissus  (1572),  puis  un 
professeur  de  Konigsberg,  Ambroise  Lobwasser  (1573), 
traduisaient  les  Psaumes  de  Clément  Marot  et  de  Théo- 
dore de  Bèze  dont  Goudimel  avait  composé  la  musique. 
Déjà  Sébastien  Franck  assurait  que  les  Allemands 
reniaient  leur  langage  et  leur  costume  et  que  l'Empire 
était  plein  de  Français,  d'Italiens  et  d'Espagnols. 

La  guerre  de  Trente  Ans  (1618-1648)  achève  d^établir 
en  Allemagne  la  domination  de  l'esprit  français.  Elle  fait 
du  pays  allemand,  comme  s'exprime  Opitz,  son  propre 
adversaire  et  la  proie  des  autres  peuples.  Les  princes 
copient  Louis  XIV  et  les  moindres  d'entre  eux  donnent 
des  fêtes  et  bâtissent  leur  Versailles.  Partout  dans  les 


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LB  XVII*  SIECLE  133 

cours  et  les  grandes  familles,  des  Français,  artistes, 
comédiens,  aventuriers.  Les  Allemands  deviennent,  selon 
le  mot  deLogau,  les  singes  de  la  France  qui  vit  de  leur 
folie.  La  langue  se  corrompt  de  plus  en  plus.  Elle  est 
envahie,  inondée  par  les  mots  du  dehors,  livrée,  dit  un 
écrivain  du  temps,  à  Monsieur  Gaston,  à  don  Antonio  et 
au  signor  Bartolomeo,  à  la  France,  a  l'Espagne  et  à 
ritalie.  Un  poète  déclare  que  ses  compatriotes  se 
donnent  l'air  de  ne  plus  la  savoir,  et  il  la  compare 
à  un  égout  qui  reçoit  les  ordures  des  autres  langues 
ou  à  une  Ménade  qui  porte  une  toilette  empruntée 
a  tous  pays,  coiffure  romaine,  mantille  espagnole,  gaze 
italienne,  robe  française,  péplum  grec.  Quel  baragouin, 
quel  jargon,  qael  mélange  des  idiomes  dans  la  corres- 
pondance des  généraux!  Un  commandant  de  forteresse 
doit  se  manutenireriy  se  defendiren  avec  Courage  et  Valor 
sans  desperiren  et  a  défaut  de  Suceurs^  ou  se  retiriren  sans 
Confusion  ou  negotiiren^  accordiren  avec  l'adversaire  qui 
voudra  peut-être  le  tractiren  avec  Courtoisie,  Un  général 
en  chef  ou  General  capOy  avant  de  risquer  son  Armada^ 
avant  de  rien  tentiren^  avant  d'a^anciren  et  A'attaquiren^ 
doit  tout  considerireny  doit ponderiren  la  situation,  doit 
consultiren  ses  officiers,  pour  connaître  son  Avantage  et 
son  Disavantage  i  s'il  a  un  SuccessuSy  s'il  réussit  dans  son 
Impresa^  il  s'efforcera  de  continuiren,  de  prosequiren 
sa  Victorie;  il  éveillera  la  Gehsia  des  ennemis  et  empê- 
chera leurs  Progresse]  il  saura  secundiren  ses  lieute- 
nants s^ils  periclitireny  saura  les  succurireny  les  assistiren^ 
faire  avec  eux  sa  Conjunction,  Wallenstein,  lorsque  les 
Intrighi  de  la  cour  ne  l'ont  pas  encore  disgustirty  écrit  à 
Pappenheim  que  le  commandement  lui  a  été  remittirty  et 
il  Vavijsiret  d'obéir  à  ses  Ordinanzen^  de  sUncaminiren 
in  continenti  et  sans  Dilation  ! 


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\$%  LITTERATURE   ALLEMANDE 

Pourtant,  de  généreux  esprits  travaillaient  à  régénérer 
la  langue.  En  1618,  le  Souabe  Weckherlin  publiait  ses 
Odes  et  Chants.  Il  versifia  dans  le  goût  d'Horace  et  il  fut 
admiré  par  un  cercle  de  poètes  qui  s*était  formé  à  Heidel- 
berg  et  qui  compta  Zinkgref  et  Opitz  parmi  ses  princi-» 
paux  membres.  Dans  l'appendice  de  son  édition  d'Opitz 
(1624)  Zinkgref  a  reproduit  huit  pièces  de  Weckherlin. 
Lui-même  a  quelque  talent;  il  exhorte  ses  compatriotes 
b  «  suer  »  pour  l'honneur  littéraire  de  l'Allemagne  ;  il  les 
exhorte  aussi,  non  sans  vigueur,  et  à  la  façon  de  Tyrtée, 
à  défendre  bravement  la  patrie  et  il  décrit  assez  bien  le 
malheur  de  l'homme  chassé  de  son. foyer  par  la  guerre. 

La  guerre  chassa  pareillement  les  poètes  de  Heidel- 
berg.  Mais  ailleurs  des  sociétés  entreprirent  de  purifier 
la  langue. 

La  Société  frugifére  —  ou  VOrdre  du  Palmier  parce 
qu'elle  avait  choisi  pour  symbole  le  palmier,  le  plus  utile 
des  arbres  —  fut  fondée  à  Weimar  en  1617  sur  le  modèle 
des  Académies  italiennes  par  le  prince  Louis  d'Anhalt, 
présidée  par  lui,  puis  par  Guillaume  IV  de  Saxe- Weimar, 
puis  par  le  duc  Auguste  de  Saxe,  et  dura  jusque  dans  les 
premières  années  du  xviii'  siècle.  Ses  membres,  princes, 
gentilshommes,  gens  de  lettres,  avaient  des  surnoms  :  le 
Nourricier,  l'Espérant,  le  Savoureux,  et,  selon  l'expres- 
sion des  statuts,  ils  regardaient  comme  leur  principal 
devoir  de  respecter  la  langue  maternelle  et  de  la 
préserver  des  mots  étrangers. 

Les  autres  sociétés  n'eurent  pas  la  même  importance 
et  la  même  durée  :  la  Société  du  Grand  Sapin^  fondée  à 
Strasbourg  (1633);  VOrdre  des  Cygnes  de  VElbe^  fondé  à 
Wedel  dans  le  Ilolstein  par  Rist  (1656)  ;  la  Compagnie  des 
bons  Allemands^  fondée  à  Hambourg  par  Zesen  (1643)  ; 
la  Société  des  bergers  de  la  Pegnitz,  fondée  à  Nuremberg 


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LB  XVII"  SIECLE  Itft 

par  Harsdôrfery  Birken  et  Klaj  (1644),  composée  de 
membres  qui  s^afftiblèrent  de  noms  de  bergers,  divisée 
en  sections  dites  des  roses,  des  lis,  des  œillets,  ouverte 
aux  femmes,  à  des  «  nymphes  »  dont  la  plus  remarquable 
fat  la  savante  Catherine  de  Greifenberg. 

Ces  sociétés  rendirent  peu  de  services;  elles  se 
livrèrent  à  des  discussions  subtiles;  elles  inventèrent 
des  mots  qui  n'étaient  pas  viables;  elles  finirent  par 
s^accuser  réciproquement  de  corrompre  la  langue. 

Un  homme  qui  joint  le  vouloir  au  savoir  fait  souvent 
pins  à  lui  seul  que  toute  une  docte  Société.  Le  Silésien 
Opitz  (1597-1639)  poursuivit  avec  succès  la  réforme 
mollement  entamée  par  les  Sociétés.  Souple,  habile, 
anobli  par  l'empereur  qui  lui  décerna  la  couronne 
poétique,  admis  dans  la  Frugif^re  sous  le  nom  de  «  Cou- 
ronné  »,  il  sut  plaire  aux  grands  par  ses  louanges  et 
nouer  d'utiles  relations  avec  de  glorieux  étrangers, 
Heinsius,  Grotius,  de  Thou. 

-  Il  aborda  presque  tous  les  genres  sans  rien  produire 
d'original.  Ses  chansons  de  société  et  certains  de  ses 
chants  religieux  eurent  un  succès  mérité.  Mais  son 
Hercyniej  idylle  en  prose  mêlée  de  vers,  est  ennuyeuse, 
et  dans  ses  autres  poèmes  il  se  perd  en  fastidieux  dévelop- 
pements. Qu'il  '  retrace  l'éruption  du  Vésuve,  qu'il 
célèbre  le  dieu  Mars  ou  la  naissance  de  Jésus,  qu'il 
déroule  les  horreurs  de  la  guerre  et  montre  que  le  chré- 
tien trouve  encore  en  ce  monde  assez  de  consolation, 
Opitz  est  toujours  froid  et  correct,  toujours  dépourvu 
d'inspiration  personnelle  :  nulle  grâce^  nulle  naïveté, 
trop  de  longueurs,  trop  de  fleurs,  trop  de  parure,  trop 
de  mythologie. 

Son  influence  surpassa    son  talent.  En   1624,  après 


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it6  MTTéRATURB  ALLEMANDE 

avoir  publié  sept  années  auparavant  en  latin  un  Aria- 
targue  ou  du  mépris  de  la  langue  allemande^  il  fit 
paraître  son  Liçre  de  la  poésie  allemande.  L'ouvrage  ne 
lui  coûta  que  cinq  jours.  Mais  Opitz  a  traduit  ses  devan- 
ciersy  Horace,  Vida  et  surtout  Heinsius,  Sealiger,  Du 
Bellay  et  Ronsard.  Selon  lui,  la  poésie  est  une  théologie 
cachée,  elle  doit  instruire,  et  la  lyrique,  par  exemple, 
veut  être  ornée  de  belles  sentences  et  doctrines.  Il  prohibe 
les  termes  étrangers  qui  «  souillent  »  la  langue  et  il  recom- 
mande d'employer  le  haut-allemand,  cette  langue  luthé- 
rienne, comme  il  dit  ailleurs,  qui  ressemble  au  dialecte 
attique  chez  les  Grecs.  Pureté,  clarté,  élégance,  noblesse, 
telles  sont,  suivant  lui,  les  qualités  du  style  —  et  les  qua- 
lités de  son  propre  style.  Le  poète,  dit«il  encore,  usera 
de  belles  épithètes  et  de  mots  composés;  il  nommera 
l'aquilon,  à  la  façon  de  Ronsard,  chasse-nue^  ébranler- 
rocher  ou  irrite-mer;  il  étudiera  l'antiquité  classique 
assidûment.  Le  plus  important  chapitre  concerne  la  ver- 
sification. Opitz  en  explique  nettement  les  principes. 
C'est  à  l'accent^  c'est  au  Ton  qu'on  reconnaît  quelle  syl- 
labe est  haute  ou  basse,  forte  ou  faible.  II  n'admet  d'au- 
tres pieds  que  l'iambe  et  le  trochée,  et  parmi  les  vers 
iambiques,  il  donne  le  premier  rang  à  l'alexandrin  qui 
représente  à  ses  yeux  le  vers  héroïque  des  Grecs  et  des 
Latins.  Enfin,  il  tient  la  rime  pour  indispensable. 

Ces  théories  faisaient  de  la  littérature  une  littérature 
savante,  étrangère  à  la  vie  nationale.  Opitz  et  ses 
disciples  écrivirent  en  allemand  comme  ils  écrivaient 
en  latin  ;  fidèles  à  la  tradition  des  humanistes,  ils  tra- 
duisirent ou  imitèrent  autrui;  ils  portèrent  dans  leur 
langue  le  style  et  la  pensée  des  Latins,  des  Français, 
des  Italiens.  Nul  commerce  avec  la  poésie  populaire 
qu'ils  regardent,  ces  délicats,  comme  grossière  et  triviale. 


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LB   XVII"  SikCLB  137 

On  dédaigne  les  œuvres  du  xvi*  siècle,  a  fables  vides  et 
sans  art  »;  on  qualifie  Hans  Sachs  de  barbare,  et  Fis- 
chart  semble,  selon  le  mot  de  Zinkgref,  appartenir  aux 
temps  antiques.  On  désire  plaire,  non  au  profane  vulgaire, 
mais  aux  grands  et  aux  savants.  Par  suite,  rien  d'origi- 
nal, rien  de  naturel  et  de  simple  ;  des  enfantillages,  des 
compliments,  des  épithalames,  des  poèmes  funèbres,  des 
pièces  de  vers  sur  de  minces  incidents  de  la  vie  des 
cours  ;  un  style  déclamatoire  aux  longues  et  solennelles 
périodes;  pas  d'autre  mètre  que  l'alexandrin  rimé, 
monotone,  endormant,  redondant,  plein  d'antithèses. 
Mais  la  littérature  pouvait-elle  dès  cette  époque  se 
développer  librement?  Ne  devait-elle  pas  apprendre 
d'abord  le  sérieux,  la  dignité,  le  sentiment  de  la  forme? 
Comme  notre  Malherbe,  Opitz  rappelait  la  poésie  aux 
règles  du  devoir. 

Son  disciple,  le  Saxon  Paul  Fleming  (1609-1640),  est 
moins  net  et  moins  correct  que  lui;  il  a  de  l'emphase, 
de  la  froideur,  de  la  subtilité.  Mais  il  tire  ses  sujets  du 
profond  de  son  cœur.  Il  dit  sans  nul  apprêt  le  vin  et  les 
joies  de  l'existence.  Il  avoue  qu'il  aime  la  gloire  et  qu'il 
n'a  dans  ses  voyages  trouvé  de  cruelles  ni  à  Reval  ni 
en  Russie.  Avec  quelle  tendresse,  il  évoque  les  lieux  où 
s'écoula  sa  jeunesse,  le  village  de  Hartenstein  qui  lui 
offrit  le  premier  baiser,  la  Mulda  où  il  nageait  si  gaiement  ! 
11  sait  donc  composer,  pour  parler  comme  lui,  des 
chants  de  doux  repos  et  de  douce  vie,  des  chants  où  il  y 
a  du  ciel.  A  l'occasion,  il  prend  le  ton  vigoureux  et  viril. 
Il  gourmande  les  Allemands,  ces  lâches  qui  n'ont  plus 
leur  âme  acérée  et  leur  sang  guerrier,  qui  n'ont  que 
la  mine,  l'apparence  et  le  plumet,  qui  portent  des  cui- 
rasses trop  lourdes  pour  leur  corps  amolli,  qui  se 
coiffent  du  casque  de  leurs  pères,  et  ce  casque  est  trop 


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138  LITTERATURE  ALLEftIANDB 

large  pour  eux!  Dans  ses  chants  religieux,  lorsqu'il  se 
soumet  k  la  volonté  de  Dieu  qui  le  console  et  le  conduit 
en  toutes  choses,  il  a  des  accents  fermes  et  pénétrants. 
Aussi,  comme  dit  la  fière  épitaphe  qu'il  se  fit,  on  le 
nommera  toujours. 

Mais  Fleming  tremblait  devant  Opitz  qu'il  regardait 
comme  le  prince  des  poètes  et  THomère  de  son  temps. 
L'influence  d'Opitz  était  si  grande  que  ses  élèves,  bien 
qu'appartenant  à  toutes  les  régions  de  l'Allemagne,  se 
donnèrent  la  dénomination  de  Silésiens  :  l'école  d'Opitz, 
c'est  l'école  de  Silésie. 

Il  y  avait  plusieurs  Silésiens  dans  le  nombre  :  Scultc- 
tus  que  Lessing  édita;  Tscherning,  Titz,  Kaldenbach 
qui  commentaient  dans  leurs  cours  à  Roslock,  k  Danzig,  à 
Tubingue  les  poésies  du  maître;  Logau  qui  disait  que,  si 
les  Latins  avaient  Virgile,  les  Allemands  avaient  Opitz. 

Partout  Opitz  avait  ses  admirateurs. 

C'étaient  k  Kœnigsberg,  Robertin,  Albert,  Simon  Dach 
et  autres.  Robertin  fut  leur  excitateur  et  Albert  mit  leurs 
vers  en  musique.  Le  plus  remarquable,  Simon  Dach, 
(1605-1659),  doux  et  mélancolique,  aisé,  facile,  souvent 
trop  facile,  est  l'auteur  de  cette  touchante  Armette  de 
TharaUf  cet  hymne  de  l'amour  conjugal  qui  se  chante 
encore  aujourd'hui,  et  il  rappelle  Fleming  lorsqu'il 
retrace  la  joie  de  l'homme  qui  n'a  que  des  amis  fidèles 
et  qui  ne  craint  pas  la  mort  parce  qu'il  soupire  après  Dieu 
et  compte  vivre  k  jamais  dans  la  céleste  patrie. 

C'étaient  k  Halle  le  recteur  Gueinz;  k  Weimar,  la 
Frugifère  et  son  archiviste  et  historien  Neumark;  k 
Wittenberg,  Auguste  Buchner;  a  Nuremberg,  Harsdôr- 
fer;  k  Hambourg,  Zesen;  k  Wedel,  Rist. 

Harsdôrfer  (1607-1658)  s'attoche  aux  Italiens  plutôt 
qu'aux  Français  et  il  a  dans  son  Entonnoir  poétique  des 


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LE   XVI  r   SIBCLB  180 

Taes  ingénieuses  et  justes.  Mais  il  est  Télèye  d'Opitz  ;  il 
▼eut  que  la  poésie  instruise  et  que  le  drame  contienne 
force  sentences  et  maximes  ;  il  recommande  les  artifices 
du  métier.  C*est  pourquoi  les  œuvres  de  ces  poètes  de 
Nuremberg  sont  puériles,  insignifiantes.  Ils  peinent,  les 
malheureux,  pour  faire  des  strophes  qui  commencent 
el  finissent  par  les  mêmes  mots,  pour  répéter  quarante 
fois  la  même  consonne  dans  la  même  ligne,  pour  imiter 
par  la  disposition  de  leurs  vers  la  forme  des  objets 
qu'ils  décrivent,  un  cœur,  une  coupe,  une  croix,  une 
balance  ! 

Rist  (1607-1667)  est  aussi  un  Opitzien,  et  ses  poésies, 
ses  drames  eurent  du  succès.  Que  de  vigueur  dans  son 
hymne  sur  l'effroi  que  TÉternité  lui  inspire  :  a  Éternité, 
mot  de  tonnerre^  épée  qui  transperce  Tâme,  commence- 
ment sans  fini  »  Mais  il  avait  trop  de  fécondité  pour 
n'être  pas  médiocre,  et  sa  pièce  V Allemagne  qui  désire  la 
paies  (1647)  n'est  qu'une  froide  allégorie. 

Zesen  (1619-1689),  encore  plus  fertile  que  Rist,  eut 
de  rimagination,  du  savoir  et  même  du  style.  Son  roman, 
V Adriatique  Rosemonde  (1645),  est  un  roman  de  mœurs 
contemporaines.  Deux  amants  sont  séparés  :  la  Vénitienne 
et  catholique  Rosemonde  demeure  à  Amsterdam,  et  celui 
qu'elle  aime  jusqu'à  en  mourir,  le  protestant  Markhold, 
part  pour  Paris;  pendant  l'absence  du  jeune  homme, 
Rosemonde  mène  une  vie  pastorale;  elle  prend  pour 
couleur  le  bleu  mourant,  le  sterbeblau,  et  tout  en  elle  et 
chez  elle,  vêtement,  table,  mur,  plafond,  parquet,  est 
bleu  mourant;  Markhold  revient  et  il  rompt  lorsque  le 
père  de  Rosemonde  exige  qu'elle  reste  catholique  et 
élève  dans  sa  religion  les  filles  qu'elle  aura.  Zesen  traite 
ainsi  la  question  des  mariages  mixtes  et  pour  faire  de  sa 
nouvelle  un   roman,  il  développe  assez  habilement  la 


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140  LITTéRATtJRB  ALLEMANDE 

matière,  prête  à  ses  personnages  de  longues  conversa- 
tions, décrit  toutes  choses,  paysages,  maisons,  meubles, 
tableaux  et  habits.  Il  prétendait  joindre  la  pureté  de 
l'expression  à  la  solidité  du  fond;  mais  son  érudition 
étouffe  ce  qu'il  a  de  talent,  et  il  voulait  remplacer  tous 
les  mots  d'origine  étrangère  par  des  mots  allemands, 
Jupiter  par  Erzgotty  Pallas  par  Kluginney  Vénus  par  Lusi-- 
inney  Vulcain  par  Glutfang,  a  Cabinet  »  par  Beizimmery 
<f  Fenster  »  par  Tageleuchtery  «  Kloster  »  par  Jung^ 
fernzwingery  «  Natur  »  par  Zeugemuiter  ou  GeburUart^ 
a  Theater  »  par  Schauburg,  En  un  langage  mystique  et 
sur  un  ton  d'oracle  il  affirmait  que  le  latin  et  le  grec 
dérivent  de  l'allemand  et  il  citait  à  l'appui  de  sa  théorie 
le  mot  Heerkeule^  «  massue  de  guerre  »,  d'où  serait  venu 
le  nom  d'Hercule! 

Un  seul  homme  parut  alors  balancer  Opitz,  son  com- 
patriote André  Gryphius  (né  et  mort  à  Glogau,  1616- 
1664).  On  le  nomma  le  père  de  la  tragédie  allemande  et 
au  siècle  suivant  Elie  Schlegel  le  comparait  à  Shakespeare. 
Il  eut  longtemps  une  existence  agitée  et  il  vit  de  très 
près  les  fureurs  de  la  guerre  et,  comme  il  dit,  l'épée 
grasse  de  sang,  les  tours  en  flammes,  et  chose  pire 
que  mort,  pire  que  peste,  incendie  et  famine,  nombre 
des  siens  qui  se  laissaient  ravir  jusqu*au  trésor  de  l'âme! 
De  là  sa  profonde  tristesse.  Dans  ses  poésies  d'un  style 
assez  lourd  et  rude  il  ne  parle  que  de  sa  lassitude  de  la  vie 
et  de  l'instabilité  du  monde.  Pour  lui,  pas  de  plaisir  qui 
ne  soit  empoisonné  d'angoisse.  Il  ne  cesse  de  songer  à 
la  mort  et  il  intitule  un  de  ses  recueils  Pensées  du  cime'- 
tiére  et  un  autre  Poésies  du  tombeau.  Ce  qui  le  soutient  et 
le  réconforte,  c'est  sa  confiance  en  Dieu,  en  celui  qui  reste 
toujours  roi;  il  assure  que  Dieu  le  console;  il  croit  que 


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LB   XVII*   81BCLH  141 

Dieu  lui  tend  la  main  et  le  suit  du  regard,  le  protège 
contre  le  prince  de  l'enfer. 

Il  a  composé  cinq  tragédies  en  alexandrins  rimes; 
Léon  l'Arménien  :  Balbus,  chef  d'une  conspiration,  est 
arrêté,  condamné,  délivré,  et  il  fait  tuer  l'empereur  Léon  ; 
— -  Catherine  de  Géorgie  :  le  roi  de  Perse  Abbas  envoie 
au  supplice  Catherine  sa  prisonnière  qui  l'a  dédaigné;  — 
Cardenio  et  Célinde  :  Cardenio  aime  Olympia  et  veut 
assassiner  son  mari;  Célinde,  délaissée  de  Cardenio, 
recourt  au  sacrilège;  tous  deux  sont  guéris  de  leur 
amour  par  la  vue  de  la  mort;  ^  Charles  Stuart  :  le 
monarque  est  exécuté,  malgré  les  ambassadeurs  étran- 
gers, sur  Tordre  de  Cromwell  entraîné  par  Fairfax;  — 
Papinien  :  Bassien  ou  Caracalla,  meurtrier  de  son  frère 
Géta,  fait  décapiter  Papinien,  qui  refuse  de  justifier  le 
fratricide.  L'intrigue  de  ces  pièces  est  simple.  Mais  elles 
ont  cinq  actes,  et,  pour  remplir  les  cinq  actes,  Gryphius 
attribue  un  grand  rôle  aux  confidents,  évoque  des  esprits 
qui  parlent  et,  marchent,  introduit  des  chœurs  lyriques 
qui  moralisent  à  la  fin  de  chaque  acte  sur  les  événements. 
11  est  long,  languissant,  monotone.  Ses  personnages,  qui 
ne  sont  que  des  êtres  de  convention,  débitent  des  mono- 
logues interminables.  Et  que  de  pensées  recherchées,  que 
de  phrases  prétentieuses  !  Les  tragédies  de  Gryphius  ne 
sont  que  des  exercices  de  rhétorique;  il  a  subi  l'in* 
fluence  de  Yondel  et  de  notre  Garnier  qui,  tous  deux, 
relèvent  de  Sénèque  le  tragique  :  mêmes  procédés; 
même  style  sentencieux,  tendu,  affecté;  même  goût  de 
Texagération,  de  la  déclamation,  de  l'argumentation. 

Ses  comédies  ont  plus  d'intérêt.  Mais  Gryphius 
n'avait  pas  la  malice  et  le  léger  crayon  que  le  genre 
exige;  il  tombe  dans  la  farce  et  trace  des  caricatures. 
Le  Peter  Squenzj  imité  d'une  pièce  du  Hollandais  Grams- 


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142  LITTÉRATURE    ALLEMANDE 

berger^  rappelle  l'intermède  du  Songe  £une  nuit  éCété  : 
les  habitants  de  Rumpelskirchen  et  le  magister  Squenz 
donnent  à  leur  roi  une  représentation  coupée  de  gro- 
tesques incidents,  et  le  roi  se  fatigue  plus  à  rire  qu'a 
regarder.  V Horribilicribrifax  n'a  pas  d'unité,  pas 
d'action;  les  scènes  se  précipitent;  le  comique  est  sou- 
vent forcé,  et  les  caractères,  deux  capitans  ridicules  qui 
panachent  de  français  et  d'italien  tout  ce  qu'ils  disent, 
un  maître  d'école  qui  parle  grec  et  latin,  un  juif  qui 
farcit  de  termes  hébreux  ses  moindres  propos,  une  vieille 
entremetteuse  qui  rage  de  ne  pas  comprendre,  sont  bien 
superficiels.  La  meilleure  production  de  Gryphius,  c'est 
une  comédie  double  :  le  Fantôme  amoureux  et  VEglantine 
aimée.  Les  deux  pièces,  qui  n'ont  aucun  rapport,  se 
mêlent  l'une  à  l'autre  :  dans  la  première,  imitée  de  Qui- 
nault,  des  gens  de  haut  parage  qui  se  servent  de  l'alexan- 
drin; dans  la  seconde,  imitée  de  Vondel,  des  manants 
qui  s'expriment  en  prose  et  en  dialecte  silésien.  Eglantine 
offre  des  qualités  rares,  naturel,  gaieté,  connaissance  de 
la  vie  populaire,  observation  des  mœurs  villageoises. 
C'est  dans  l'œuvre  de  Gryphius  ce  qu'est  la  Cruche  cassée 
dans  l'œuvre  de  Henri  de  Kleist,  et  il  a  peint  de  façon 
piquante  le  bailli  Guillaume,  pédantesque  et  rude,  qui 
sait  mater  les  paysans  par  ses  décisions  énergiques  et  les 
éblouir  en  même  temps  par  les  mots  étrangers  qu'il 
écorche. 

Gryphius  se  rattache  tout  ensemble  et  à  Opitz  et  aux 
successeurs  d'Opitz,  qui  forment  la  seconde  école  de 
Silésie.  Ces  écrivains  reconnaissent  l'autorité  d'Opitz; 
mais  ils  veulent  mettre  dans  leurs  productions  plus 
d'imagination,  de  passion  et  d'élégance;  suivant  eux, 
Opitz  n'a  pas  assez  de  couleur  et  de  flamme,  assez  de 


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LE   XVU*   61BCLE  143 

gentillesse  et  de  grâce.  Leurs  maîtres  furent  les  Italiens, 
surtout  Marino,  et  les  Français.  De  là  leur  emphase,  leur 
culture,  leur  boursouflure,  leur  Scht^ulst  —  c'est  l'expres- 
sion consacrée.  —  De  là  tout  ce  qu'ils  ont  d*-flfl*ecté  et 
d'affété. 

Les  chefs  de  l'école  sont  des  Silésiens,  Hofraannswaldau 
et  Lohenstein,  l'un,  courant  après  le  bel  esprit,  frivole  et 
doucereux,  flasque  et  mou,  l'autre  visant  au  sublime, 
mais  pompeux,  pesant  et  obscur  dans  son  faste  brutal. 

Hofmannswaldau  (1617-1679)  a  composé  des  Hérotdes 
ou  lettres  amoureuses  de  couples  célèbres,  et  il  se  van* 
tait  d'avoir  introduit  l'amour  dans  la  poésie  allemande. 
Mais  l'amour,  tel  qu'il  l'entend,  n'est  que  la  volupté, 
cette  volupté  qu'il  appelle  le  sucre  de  la  vie.  Il  mêle  de 
lascives  allusions  aux  fades  galanteries.  Un  des  person- 
nages de  ses  Hérotdes  y  Emma,  répond  à  une  déclaration 
d'Eginhard  :  «  A  la  poix  de  tes  yeux  mon  œil  reste  collé  » 
et  après  avoir  souhaité  que  la  faveur  du  ciel  la  parfume,  elle 
et  lui,  de  civette  et  de  musc,  elle  conclut  :  «  Je  ferme  mon 
billet  et  je  t'ouvre  ma  chambre  I  »  Mais  le  poète  ne  dit-il 
pas  à  sa  maîtresse  qu'elle  est  le  soufflet  de  ses  soupirs, 
le  papier-brouillard  de  sa  tristesse,  le  sablier  de  sa  peine, 
l'huile  de  sa  douleur,  la  chaise  percée  de  son  repos,  le 
clystère  de  sa  poésie? 

Lohenstein  (1635-1683)  fit  et  des  romans  et  des  tragé- 
dies. S'il  a  quelque  talent,  il  manque,  lui  aussi,  de  goût. 
Il  dira  d'un  beau  sein  que  :  «  sur  des  globes  de  marbre 
le  vermillon  couronne  le  lait  ».  Son  théâtre  abonde  en 
scènes  soit  hardies,  soit  cruelles.  Dans  Cléopdtre  la  reine, 
qui  veut  séduire  Auguste,  lui  détaille  les  charmes  de  son 
corps  blanc  comme  neige.  Dans  Agrippine  Othon  offre 
sa  femme  à  Néron  et  Agrippine  s'offre  elle-même  à  son 
fils.  Dans  Epicharia  les  conjurés  boivent  du  sang  pour 


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\kk  LITTBBATURB  ALLEMAXDB 

s'exciter  au  meurtre  de  Tempereur,  et,  lorsqu'ils  sont 
arrêtés»  on  leur  arrache  les  yeux  et  la  langue,  on  leur 
ouvre  les  veines,  on  les  bat  jusqu'à  la  mort.  Comme 
Hofmannswaldauy  Lohenstein,  bourgeois  respectable  et 
grave  magistrat,  croit  faire  œuvre  sérieuse;  il  se  pique 
d'être  érudit,  il  annote  son  texte  et  joint  a  chaque  pièce 
un  commentaire.  Dans  son  vaste  roman  d'Arminius  et 
Thusnelda^  qui  parut  en  1689  et  compte  plus  de  trois 
mille  pages,  il  disserte  sur  lout^  sur  l'origine  des  croyances 
et  les  usages  des  peuples  anciens,  sur  les  doctrines  des 
philosophes,  sur  les  vertus  et  les  vices,  sur  les  gouverne- 
ments, sur  la  nature. 

Ziegler  (1653-1697)  nomme  Hofmannswaldau  et 
Lohenstein  ses  modèles.  Il  écrivit  des  Hiroïdes  qui 
commencent  par  la  correspondance  d'Adam  et  d'Eve,  et 
un  roman,  la  Baniae  d'Asie^  qui  l'emporte  de  beaucoup 
sur  VArminius.  Ziegler  a  l'enflure  de  l'école;,  une 
femme  dira,  par  exemple,  à  un  homme  :  a  Jetez  l'ancre 
de  votre  affection  dans  la  mer  de  mon  amour  ».  Mais  il 
est  court  et  plein  de  péripéties  ;  il  mêle  le  plaisant  et  le 
sombre,  le  tendre  et  le  terrible;  pas  de  digressions 
savantes;  pas  de  morale  ennuyeuse;  des  batailles,  des 
aventures,  les  mœurs  du  Pégou  d'après  Francisci,  une 
princesse  qui  présente  l'image  de  la  perfection  et  qui 
défend  son  honneur  le  poignard  à  la  main,  un  «c  prince 
complet  »,  beau,  intrépide  et  sensible,  un  valet  fidèle  et 
inventif,  un  despote  buveur  de  sang.  Le  public  fut  ravi, 
et  si  Frédéric  II  récitait  moqueusement  à  Sulzer  le  débat 
emphatique  de  BanUcy  Gottsched  regardait  l'œuvre  de 
Ziegler  comme  le  meilleur  de  tous  les  romans  allemands, 
et  le  Wilhelm  Meister  de  Gœthe  faisait  jouer  parmi  ses 
marionnettes  le  tyran  Chaumigrem  au  cœur  de  tigre. 


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LB  XVll«   8IÂCLE  US 

Toas  les  poètes  de  ce  temps,  même  les  plus  licencieux, 
ont  célébré  le  Christ  et  leurs  sentiments  chrétiens. 
Aussi,  la  poésie  religieuse  l'emportait  sur  la  poésie  mon«i 
daine,  et  le  cantique  protestant  florissait.  De  même  que 
Gryphius,  Paul  Gerhardt  (1606-1676)  met  en  Dieu  son 
espoir  absolu.  Gryphius  disait  que  Dieu  montre  sa  gloire 
quand  la  nôtre  défaille,  qu'on  le  voit  lorsqu'on  croit  qu'il 
s'est  caché,  qu'il  doit  prendre  soin  de  nous  qui  sommes 
ses  enfants.  Pareillement,  Gerhardt  considère  Dieu 
comme  un  père  qui  le  mène  et  le  guide.  C'est  à  Dieu 
qu'il  faut  c<  confier  sa  route  »  ;  c'est  Dieu  qui  trouvera 
«  les  voies  où  posera  notre  pied  »;  Dieu  monte  la  garde 
k  notre  porte;  Dieu  nous  défend  de  Satan  qui  nous  con- 
voite et  qui  cherche  à  nous  dévorer;  Dieu  nous  aide  à 
combattre  «  en  chevaliers  »  et  a  vaincre  le  démon,  nous 
aide  à  mourir  avec  joie,  à  franchir  le  seuil  du  ciel,  et 
Gerhardt  ne  cesse  de  louer  ce  Dieu  dont  le  cœur  est  sans 
fard,  ce  Dieu  qu'il  nomme  son  trésor,  sa  lumière,  la  vie 
de  sa  vie,  ce  Dieu  qui  pour  nous  sauver  se  jeta  dans  la 
gueule  de  la  mort,  ce  Dieu  qui  punit  avec  la  verge  et  non 
avec  Tépée,  ce  Dieu  indulgent  qui  prend  notre  péché  et 
le  lance  dans  la  mer.  A  Dieu  toute  gloire  et  tout  hon- 
neur! Gerhardt  veut,  tant  qu'il  vivra,  chanter  et  magni- 
fier Dieu.  Il  n'est  pas  très  varié  ni  très  original;  il  para- 
phrase la  Bible,  saint  Bernard  et  Jean  Arndt,  l'auteur  d'un 
livre  d'édification,  le  Vrai  Christianisme  (1605-1609),  à 
qui  son  style  agréable  et  clair  valut  longtemps  de  nom- 
breux lecteurs.  C'est  à  saint  Bernard  que  Gerhardt 
emprunte  le  cantique  :  «  O  tête  pleine  de  sang  et  de 
blessures,  pleine  de  douleur  et  pleine  d'opprobre  ».  Il 
est  parfois  prosaïque,  parfois  affecté,  et  il  prie  Jésus 
d'étendre  ses  deux  ailes  pour  abriter  son  poussin.  Il 
manque  de  force,  d'éclat.  Mais  il  est  naïf,  sincère,  tou- 

urrÉlUTomB  allsmahsi.  10 


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146  LITTfiRATURB   ALLEMANDE 

chant,  plein  d'onction,  et  il  a  de  la  grâce  et  de  Thar- 
monie.  Quel  charme  dans  son  Chant  du  soir  qui  retrace 
et  le  calme  de  son  âme  et  le  calme  de  la  nature  I  Tout 
repose,  le  monde  entier  sommeille,  plus  de  soleil,  la  nuit 
a  chassé  le  jour,  les  étoiles  d*or  resplendissent  dans  le 
ciel  bleu,  et  lui,  il  élève  sa  pensée  vers  le  créateur,  et 
Jésus,  cet  autre  soleil,  vient  luire  dans  son  cœur.  La 
douceur,  voilà  le  trait  marquant  de  Gerhardt,  et  il  dit 
lui-même  qu'il  vise  à  la  douceur,  qu'il  voudrait  orner  son 
cœur  de  doux  et  paisibles  sentiments,  mit  stillem  sanfien 
Mut. 

Gerhardt  était  inébranlablement  orthodoxe.  L'Alsacien 
Spener  (1635-1705)  voulut  a  bâtir  une  petite  église  dans 
l'église  »  et  il  fonda  le  piétisme.  Il  n'a  pas  de  talent, 
mais  son  influence  fut  grande.  Sa  doctrine  régna  bientôt 
à  l'Université  de  Halle;  de  là,  elle  se  répandit  sur  l'Alle- 
magne luthérienne,  et,  comme  on  lit  dans  Wilhelm 
Meisterf  elle  gagna  non  seulement  les  gens  du  peuple, 
mais  des  gentilshommes,  des  comtes,  des  princes. 

Un  des  élèves  les  plus  connus  de  Spener  est  le  Saxon 
Arnold  (1665-1714),  auteur  d'une  Histoire  des  églises  et 
des  hérésies  qui,  selon  le  mot  de  Gœthe,  donne  une  idée 
avantageuse  des  hérésies.  Ses  poésies  offrent  des  gau- 
cheries et  des  incorrections  ;  il  manque  parfois  de  goût. 
Mais  souvent  il  prend  l'essor  et,  plein  de  l'amour  divin,  il 
s'élance  loin  des  villes,  dans  le  paradis  de  la  campagne 
pour  7  mieux  louer  Dieu,  s'élance  loin  de  la  terre,  sa 
prison,  et  s'envole  vers  Dieu,  s'attache  à  Dieu  pour  ne 
plus  le  lâcher  :  Dieu  est  son  «  unique  bien  »,  Dieu  l'arra- 
che à  Tesclavage  des  sens. 

L'église  réformée  eut  aussi  ses  piétistes.  Un  d'eux, 
Neander  (1610-1680),  a  laissé  des  chants  religieux  dont 
quelques-uns    soutiennent    le    parallèle   avec   ceux   de 


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LB  XVII*  SliCLB  U1 

Gerhardt.  Comme  Gerhardt,  il  nomme  Jésus  son  désir, 
et  il  compte  les  jours,  souhaite  de  paraître  très  prochai- 
nement devant  le  trône  de  Dieu.  Le  plus  connu  de  ses 
chants.  Loue  le  Seigneur,  compare  le  Tout-Puissant  à  un 
aigle  qui  porte  Tâme  sur  ses  ailes  et  à  une  pluie  d'amour 
«pii  tombe  du  ciel  par  torrents. 

Les  catholiques  ne  restèrent  pas  en  arrière.  Il  est 
dommage  que  le  jésuite  alsacien  Balde,  qui  composa  de 
Bi  bons  vers  latins,  ait  manié  gauchement  sa  langue 
maternelle.  Mais  un  antre  jésuite,  Frédéric  de  Spee  (1591« 
1635)  prouva,  comme  il  dit,  qu'un  Allemand  pouvait 
louer  Dieu  avec  autant  d'art  que  les  étrangers.  Il  a  fait 
un  livre  mi-prose  mi-vers,  le  Lii^re  d'or  de  la  vertu,  et  un 
recueil  de  poésies  religieuses  qu'il  intitula  Maigri  le 
rotêignol  parce  que  l'auteur  chante  ^  tels  sont  ses 
propres  termes  ^  malgré  tous  les  rossignols  avec  une 
aimable  douceur.  Les  deux  ouvrages  parurent  en  1649. 
Le  Lipre  d'or  est  plein  des  effusions  du  plus  ardent  mys- 
ticisme :  Jésus  est  le  fiancé  de  Tâme,  et  l'âme  veut  lui 
Bueer  ses  blessures,  veut  s'enfoncer  dans  l'abfme  de  son 
amour,  se  consumer,  s'anéantir  avec  lui.  De  même,  le 
recueil  Maigri  le  rossignol.  Spee,  s'inspirant  du  Cantique 
des  cantiques,  décrit  l'union  de  l'âme  avec  Jésus  et  sa 
c  douce  peine  ».  La  fiancée  de  Jésus  brûle  d'un  feu,  d'un 
m  incendie  »  que  rien  ne  peut  éteindre  ;  elle  désire  jouir 
de  Jésus;  elle  demande  à  Jésus  s'il  aura  pitié  d'elle;  elle 
Bupplie  Jésus  de  la  prendre,  de  l'apaiser;  elle  crie  ce  Oh 
Jésus!  »,  et  Técho  de  la  forêt  lui  répond  :  «  Oh  Jésus!  » 
jour  et  nuit  elle  soupire,  et  pleure,  et  gémit,  et  assure 
qu'elle  est  malade  d'amour  et  que  son  cœur  fond  comme 
une  cire  molle,  qu'elle  a  soif  de  Dieu  et  que  la  vue  de 
Dieu  lui  enflamme  le  sang.  Enfin,  elle  le  trouve,  le  «  beau 
héros  »,  le  c  jeune  homme  »,  le  «  noble  »  dont  les  mains 


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U8  LITTBRATORB   ALLEMANDE 

blanches  sont  a  sœurs  des  cygnes  »,  et  il  l'embrasse» 
Tassied  a  côté  de  lui.  Spee  se  complait  à  ces  peintures 
d'un  divin  érotisme.  11  montre  également,  non  sans  lon- 
gueurs, Marie-Madeleine  qui  a  bu  le  poison  d'amour  et 
qui  se  lamente  sur  Jésus  disparu.  Il  fait  parler  Dieu  le 
père  et  Dieu  le  fils  comme  deux  amants  qui  se  déclarent 
leur  passion.  La  pastorale  se  mêle  à  ces  pieux  raffine* 
ments.  Les  étoiles  sont  des  moutons  d'or  que  la  lune 
mène  paître  dans  les  champs  bleus  du  ciel.  Jésus  est  un 
berger  qui  conduit  ses  brebis  au  jardin  des  Oliviers  sur 
le  bord  du  Cédron,  et  il  prie  ceux  qui  l'assistent  de 
laisser  aller  ses  agnelets  en  paix.  Spee  le  célèbre  sous  le 
nom  de  Daphnis;  et  la  lune,  le  pasteur  Damon,  le  Cédron 
déplorent  le  sort  de  ce  Daphnis,  le  meilleur  et  le  plus 
beau  et  le  Dieu  des  bergers.  S'il  pouvait,  Spee  mettrait 
tout  en  églogue  :  il  représente  deux  pâtres  qui,  soit  durant 
la  nuit,  soit  au  lever  du  soleil,  exaltent  le  Seigneur  à 
l'envi.  Il  associe  ainsi  la  nature  à  sa  dévotion,  et  cette 
nature,  il  la  représente  au  printemps  et  en  été,  lors- 
qu'elle est  gaie  et  folâtre;  ce  ne  sont  que  rayons  d'or 
dardés  par  le  soleil,  brises  légères  à  travers  le  tendre 
feuillage,  prairies  revêtues  de  soie  verte,  fleurs  oà  buti- 
nent les  abeilles  bourdonnantes,  frais  ruisselets  qui  ser- 
pentent en  souriant  et  jouent  avec  les  cailloux,  oiselets 
tirelirant  sur  les  branches,  rossignols  chantant  à  se  briser 
le  cœur,  luths  et  violons  se  promenant  sous  bois,  et 
puisque  règne  la  joie,  puisque,  avec  l'hiver,  s'éloigne  la 
tristesse,  Spee  convie  tous  les  instruments  et  toutes  les 
voix  des  hommes  à  louer  Dieu.  Certes,  il  enjolive,  édul- 
core,  affadit  les  choses  ;  il  emploie  trop  souvent  les  mêmes 
images  ;  il  abuse  des  diminutifs  mignards  et  de  certains 
mots  comme  Pfeil  ou  ce  flèche  ».  Mais  il  est  ingénieux, 
gracieux;  il  manie  assez  habilement  le   vers,  et,  sans 


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LB  XVll*  SIÀGLB  149 

connaître  la  poétique  d'Opitz»  il  avait,  dit-il  dans  sa 
préface,  compté  pour  longues  les  syllabes  sur  lesquelles 
tombe  l'accent,  et  pour  brèves  les  autres. 

Un  médecin  de  Breslau,  un  protestant  qui  se  convertit 
et  se  fit  moine,  Jean  Scheffler,  plus  connu  sous  le  nom 
d'Angelus  Silesius  (1624-1677),  est  plus  curieux  encore 
que  le  jésuite  Spee.  Il  avait  lu  Jacques  Bôhme,  le  cordon* 
DÎer  de  Gôrlitz  (1575-1624)  tourmenté  par  la  pensée  de 
rinfini  et  convaincu  qu'il  av%it  reçu  l'illumination  divine 
et  qu'il  pénétrait  jusqu'aux  mystères  de  l'ètrey  Bôhme 
dont  les  œuvres  sont  un  singulier  assemblage  de  théo- 
logie et  de  métaphysique,  Bôhme,  subtil,  confus,  obscur, 
mais  dont  l'allemand  a  de  la  vigueur.  Dans  une  même 
année,  en  1657,  Angélus  Silesius  publia  le  Pèlerin  angé^ 
Uque  et  les  Saintes  délices  de  Vdme,  La  première  de  ces 
productions  contient  des  sentences  souvent  profondes  et 
imprégnées  d'un  panthéisme  dont  l'expression  a  quelque 
chose  de  senti.  La  seconde  est  un  recueil  de  poésies 
mystiques.  L'auteur  montre  Psyché  ou  l'âme  qui  soupire 
après  Jésus  comme  la  tourterelle  après  le  tourtereau^  et 
qui  le  cherche  partout;  elle  veut  lui  baiser  la  bouche; 
elle  veut,  s'il  est  blessé,  qu'il  repose  sur  ses  seins.  Mais 
Angélus  Silesius  touche  parfois  d'autres  cordes  et  dans 
certaines  pièces,  lorsqu'il  invite  l'àme  à  lutter  et  à  vain- 
cre, on  lorsqu'il  représente  le  Christ  entraînant  les  chré- 
tiens et  leur  frayant  la  route,  il  a  le  ton  rapide  et  mâle. 

Un  capucin,  le  père  Martin  de  Cochem,  publia  dans 
l'année  1691  une  Vie  du  Christ  en  prose.  11  n'épargne  pas 
les  descriptions  pittoresques,  les  détails  précis  qui  font 
impression,  et  son  récit,  tiré  soit  des  mystiques  du  moyen 
âge,  soit  de  sa  propre  imagination,  est  attachant  par 
l'accent  d'une  émotion  naïve  et  fervente,  par  la  façon 
saisissante  d'exposer  les  choses  et  de  pousser  a  bout  les 


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150  LITTÉEATURB  ALLEMANDB 

situations.  Quand  il  raconte  la  naissance  de  Jésus»  il  dit 
que  la  grotte  avait  treize  pieds  de  haut,  que  Marie  aux 
beaux  cheveux  d'un  blond  doré  ôta  voile  et  manteau,  et 
que  lorsque  Jésus  vint  au  monde  <  comme  un  fiancé  cou- 
ronné »,  le  monde  entier  fut  éclairé  comme  en  plein 
jour.  11  peint  l'état  d'âme  de  ses  personnages  :  avant  sa 
délivrance,  Marie  s'agenouille  et  s'excuse  à  Dieu  de 
n'avoir  ni  soie  ni  velours  pour  envelopper  l'enfant  divin. 

De  même  que  dans  la  poésie  religieuse,  de  même  dans 
la  satire  et  le  roman  plusieurs  écrivains  offrent  les  fortes 
qualités  du  xvi*  siècle  et  la  veine  populaire. 

Logau,  Rachel,  Lauremberg,  Schupp,  Abraham  a 
Sancta  Clara  sont  les  principaux  satiriques  de  l'époque. 

Logau  s'élève  contre  les  gallomanes.  Ses  vers  lourds 
et  négligés  renferment  des  expressions  vieillies  et  des 
silésismes.  Mais  quelques-unes  de  ses  trois  mille  Epi-^ 
grammes  qui  parurent  en  1654,  une  année  avant  sa  mort, 
sont  de  bonne  frappe.  Il  écrit  que  la  France  est  le  maî- 
tre et  l'Allemagne,  le  valet;  que  les  Allemands,  sembla* 
bles  aux  enfants,  imitent  ce  qu'ils  voient  de  nouveau; 
que  leurs  mœurs  sont  à  la  mode  comme  leurs  habits; 
que  les  hommes  vont  se  changer  en  loups  puisque  les 
Allemands  deviennent  Français,  et  il  nomme  l'Allemagne 
le  réceptacle  du  vice,  de  la  honte,  de  l'infamie  et  de  tout 
ce  que  les  autres  peuples  jettent  aux  balayures. 

Rachel  et  Lauremberg  se  sont,  comme  Logau,  moqués 
de  l'engouement  des  Allemands  pour  l'étranger.  Rachel, 
qui  publia  ses  vers  en  1664,  assure  que  si  un  Français 
s'avisait  de  mettre  des  éperons  à  son  chapeau  et  des 
souliers  à  ses  mains,  un  Allemand  le  copierait  sur-le- 
champ.  Lauremberg  qui,  malgré  Opitz,  se  sert  de  son 
dialecte  bas*allemand  dans  ses  Quatre  Satires  (1652)  et  se 


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LB   XVII*   Sl&GLB  Ul 

pique  de  faire  des  vers  aussi  simples  que  le  bonnet  de  sa 
grand'mëre»  a  plus  d'esprit,  plus  d'humour  et  plus  d'art 
que  Rachel  :  il  ne  sait,  lorsqu'il  entend  le  jargon  des 
Allemands,  s'ils  parlent  de  Pâques  ou  de  la  Pentecôte. 

Schupp  prononça  devant  le  congrès  de  Munster,  en  1648, 
ïcSermonpourlapaix.  Il  combat  avec  une  verve  sarcas tique 
les  vices  de  l'enseignement,  le  pédantisme,  la  tyrannie  du 
maître  qui  nuit  plus  qu'il  n'instruit, 7>2ii#  nocet  quant  doest. 
Ses  prêches,  comme  ses  écrits,  entre  autres  VAmidansle 
malheury  fourmillent  d'anecdotes,  et  on  le  surnomma  le 
fablier. 

L'Augustin  Abraham  a  SancU  Clara  (1642-1709)  avait 
une  vaste  mémoire,  une  imagination  féconde,  une  verve 
intarissable,  et  il  sait  peindre  les  passions  et  les  vices,  il 
Gontespirituellement  l'anecdote,  il  fait  d'amusantes  com- 
paraisons, il  a  l'expression  franche,  familière,  pittoresque, 
et  ses  sermons  jettent  un  jour  éclatant  sur  le  Vienne  de 
ce  temps-là.  Il  y  a  en  lui  du  Murner  et  du  Fischart.  Mais 
son  style  manque  de  sérieux;  il  est  trivial,  bouffon  même  ; 
ce  ne  sont  que  calembours,  que  jeux  de  mots,  que  pointes 
et  plaisanteries  :  il  dira  qu'un  soldat  ne  doit  avoir  dans 
ses  cartes  que  du  cœur  et  il  ajoute  en  vers  de  son  cru 
qu'au  militaire  sied  le  courage,  comme  a  la  dame  le  page, 
comme  au  chapeau  le  plumage  ! 

Un  roman  que  les  satiriques  d'alors  condamnent 
comme  extravagant  et  immoral  est  VAmadis  de  Gaule. 
Il  était  depuis  1560  un  guide  du  bon  ton,  un  manuel 
du  beau  langage,  et  les  dames  le  lisaient  pour  apprendre 
a  faire  des  compliments.  Au  xvii*  siècle  d'autres 
romans  le  remplacèrent.  Ce  furent,  outre  YArgenis 
de  Barclay,  outre  YAstrée  de  d'Urfé,  les  œuvres  de  Gom- 
berville,   de  La  Calprenède  et  de  M"*  de  Scudéry.  A 


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152  LITTBRATDRE   ALLEMANDE 

l'exemple  des  Français,  les  Allemands  représentèrent  U 
société  de  Tépoque  sous  des  noms  antiques  ou  étrangers  ; 
ils  imaginèrent  des  intrigues  surchargées  de  détails  et 
enchevêtrées  d'incidents  de  toute  sorte;  ils  voulurent 
instruire  le  lecteur,  mêler,  comme  disait  Birken,  au 
miel  de  la  fiction  l'aloès  de  la  vérité,  et  ils  mirent  dans 
leurs  romans  tout  ce  qu'ils  savaient,  tout  ce  qu'ils  pou* 
valent,  histoire,  politique,  religion,  morale,  géographie, 
astrologie. 

De  là,  la  Dianea  où  Diederich  von  dem  Werder  fit 
entrer  les  principaux  événements  de  la  lutte  trentenaire  ; 
VAramène  du  duc  Antoine-Ulrich  de  Brunswick  et  son 
OctaçU  dont  un  des  innombrables  épisodes ,  V Histoire  de  la 
princesse  Solane,  retrace  l'aventure  du  comte  de  Kœnigs- 
mark  et  de  la  princesse  de  Celle.  De  la  les  romans  de 
Zesen,  Moîse^  Samson  et  cet  Assenai  où  l'auteur,  sous  pré* 
texte  de  narrer  la  vie  de  Joseph,  décrit  par  le  menu  les 
antiquités  égyptiennes.  De  là,  les  romans  géographiques 
de  Happel  ;  de  là,  les  deux  romans  à^ Hercules  et  d'Hercu^ 
liscus  où  Buchholz,  tout  en  mettant  l'action  au  iii*^  siècle 
de  l'ère  chrétienne,  raconte  la  grande  guerre  de  son 
temps  et  parsème  son  récit  de  pieux  discours  et  d'édi- 
fiantes dissertations  ;  delà,  l'Ar/ni/tiKadeLohenstein  et  la 
Banise  de  Ziegler. 

Mais  à  côté  de  ce  roman  héroïco-galant  et  politico* 
érudit  existait  un  roman  national,  un  roman  qui  n'avait 
rien  ou  presque  rien  de  faux  et  de  convenu,  un  roman  qui 
faisait  revivre  sans  déguisement  et  sans  fard,  sans  docte 
appareil,  la  réalité  contemporaine.  Il  était  né  sous  l'in- 
fluence espagnole  :  l'Ebre,  dit  un  poète  du  temps,  en- 
voyait aussi  son  tribut.  En  1615  Albertinus  publiait  une 
adaptation  de  Gusman  d'Alfarache  et  en  1617  Ulenhart, 
une  traduction  de  LasariUe  de  Tormes.  Ces  romans  pica- 


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LB  XVII*  SièCLB  IftS 

resqoes  soscitèreni  dans  la  seconde  moitié  du  siècle  les 
ceuvres  de  Moscherosch  ot  de  GrimmelshauseD. 

L'Alsacien  Moscherosch  (1601-1669)  traduisit  libre* 
ment  en  une  prose  mêlée  de  vers,  dans  les  Visions  singu- 
lières et  çéridiquea  de  Philander  de  SiUewaldy  le  satirique, 
espagnol  Quevedo.  Une  de  ses  visions,  la  Vie  des  soldats^ 
les  montre  cruels,  impitoyables,  lâchant  la  bride  à  leurs 
caprices,  ne  cherchant  dans  la  guerre  que  leur  profit 
personnel,  ne  pensant  qu'à  boire  et  à  faire  l'amour.  Une 
antre  représente  Philander  comparaissant  au  château  de 
Geroldseck,  sur  une  cime  des  Vosges,  devant  une  cour 
présidée  par  Ariovisteet  composée  d'Arminius,  de  Tuisto 
et  de  Witekind.  A  la  mise  et  au  parler  de  Philander, 
Arioviste  le  prend  pour  un  Français  et  les  vieux  héros  ger- 
maniques s'indignent  contre  les  Allemands  du  xvii*  siècle 
qui  jettent  leur  or  dans  le  gouffre  de  la  France.  Qu'on 
ouvre  lenr  cœur;  on  y  trouvera  que  les  cinq  huitièmes 
sont  français,  un  huitième  espagnol,  un  huitième  italien, 
et  à  peine  un  huitième  allemand.  Ils  préfèrent  les  langues 
étrangères  à  leur  langue  maternelle.  N'est-ce  pas  une 
trahison  et  une  honte?  Veulent-ils  plaire  aux  Français? 
Quel  animal  change  pour  plaire  à  un  autre  animal  son 
langage  et  sa  voix?  Allemand  et  Welche  sont  comme 
chien  et  chat;  est-ce  que  le  chat  aboie  pour  plaire  au 
chien  ?  Il  y  a  dans  ces  Visions  de  Moscherosch  beaucoup 
de  décousu,  et  quel  amas  confus  de  citations!  Mais 
quel  chaud  patriotisme  et  parfois  quelle  vigoureuse  élo- 
quence ! 

Grimmelshausen  (1625-1676)  a  fait  nombre  de  romans  : 
Couragey  histoire  d'une  vivandière;  Springinsfeld  ou 
<  Saute-en-plaine  »,  histoire  d'un  soldat  qui  vagabonde 
et  mendie  ;  le  Nid  d'oiseaux^  histoire  d'un  talisman  qui 
rend  invisible  celui  qui  le  porte;  le  Fainéant^  histoire 


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15'4  LITTÉRATURE  ALLEMANDE 

d*UQ  lansquenet  quiconcloi  un  pacte  avec  le  diable  et  qui 
conquiert  femme  et  fortune  parce  qu'il  n'a  dorant 
sept  ans  ni  peigné  ses  cheveux  et  sa  barbe,  ni  coupé  ses 
ongleSy  ni  mouché  son  nez,  ni  lavé  son  visage  et  ses  mains, 
ni  eu  d'autre  vêtement  et  d'autre  lit  que  la  peau  d'u9 
ours.  Il  a,  lui  aussi,  dans  le  Michel  allemand^  déploré  la 
corruption  de  la  langue.  Son  œuvre  principale,  c'est  le 
SimplicUsimus  (1668).  Le  plan  manque.  Après  le  cinquième 
livre,  et  bien  que  Simplicissimus,  las  de  ses  aventures, 
ait  dit  adieu  au  monde,  Grimmelshausen  le  promène  en 
Russie,  en  Asie,  en  Egypte.  Des  dissertations  ou  d'inu- 
tiles épisodes  retardent  la  marche  du  récit.  Mais  la 
première  partie  de  l'ouvrage,  celle  qu'on  peut  appeler  la 
partie  militaire  et  historique,  ofire  un  saisissant  tableau,  et 
le  plus  saisissant  qui  soit,  de  l'Allemagne  pendant  la  lutte 
trentenaire.  Simplicissimus  a  dix  ans  lorsqu'il  assiste  à 
des  scènes  affreuses  :  des  soldats  pillent  et  brûlent  la 
maison  de  son  père,  ils  maltraitent  les  femmes,  ils  tortu- 
rent les  hommes,  et  devant  ces  atrocités,  l'enfant  se 
demande  pourquoi  les  soldats  sont  si  barbares  envers  les 
paysans.  Serait-ce  qu'il  y  a  deux  espèces  d'hommes  comme 
il  y  a  deux  espèces  d'animaux,  ceux  qui  sont  sauvages  et 
ceux  qui  sont  apprivoisés?  Il  vit  désormais  parmi  ces 
«  sauvages  »;  il  les  voit  s'abandonner  à  toute  sorte 
d'excès,  s'enivrer,  se  quereller,  se  battre,  se  servir  de 
dés  pipés  ;  il  les  entend  jurer,  sacrer,  blasphémer,  glori* 
fier  leurs  débauches  et  leurs  crimes;  il  les  montre  super- 
stitieux et  croyant  aux  sorciers,  tendant  des  embuscades, 
rançonnant  les  voyageurs,  cherchant  et  découvrant  des  tré- 
sors cachés  :  pas  un  détail  de  leur  existence,  pas  un  trait  de 
leur  caractère  qui  soit  oublié.  Simplicissimus  a  d'autres 
mérites  encore.  C'est  un  livre  populaire,  foncièrement 
allemand  :  pas  de  pédantisme,  pas  d'étalage  de  science,  pas 


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LB  XVII*  SiiCLB  lu 

de  grosses  invraisemblances^  mais  des  aventures  réelles, 
la  vérité  dans  sa  hideur,  la  misère  poignante  d'une 
époque  où  se  déchainent  tous  les  mauvais  instincts,  ou, 
selon  le  mot  du  héros,  il  n'y  a  rien  de  plus  stable  que  Tins-* 
tabilité.  Le  style  est  simple,  clair,  rapide  ;  peu  de  termes 
étrangers,  mais  des  expressions  tirées  du  meilleur  fonds 
indigène  ;  parfois  de  longues  périodes,  mais  d^ordinaire 
des  phrases  courtes,  nettes,  vives;  des  crudités,  des  obscé- 
nités, mais  assez  rares  et  inévitables  dans  une  peinture 
de  la  soldatesque.  Enfin,  le  personnage  de  Simplicissimus 
inspire  l'intérêt  et  la  sympathie.  D'abord,  ses  entours  lui 
paraissent  horribles  et  il  avoue  avec  eflroi  qu'il  n'est  pas 
an  milieu  de  chrétiens.  Puis,  insensiblement,  il  cède  au 
vice.  Pourtant  il  garde  un  reste  d'honnêteté  et,  par  un 
effort  de  sa  volonté  et  lorsque  le  malheur  le  persuade  de 
la  vanité  des  choses,  il  revient  à  la  vertu. 

Christian  Weise  (1642-1708)  a  été  l'élève  de  Grim- 
melshausen  et  de  Moscherosch.  Recteur  du  gymnase  de 
Zittau,  pédagogue  et  non  poète,  il  veut  que  la  poésie  ne 
se  distingue  de  la  prose  que  par  le  rythme  et  la  rime^ 
Lui-même  se  vante  de  n'avoir  usé,  lorsqu'il  versifiait, 
que  des  expressions  de  la  conversation  commune  et  il 
emploie  la  prose  dans  ses  drames  parce  que  les  gens  ne 
causent  pas  en  vers!  Ses  pièces  «—  on  en  compte 
cinqnante-cinq  ^  avaient  pour  but  d'instruire  la  jeunesse 
scolaire  et  de  l'exercer  au  maniement  de  l'idiome 
maternel,  -de  lui  délier  la  langue  :  de  là  le  grand 
nombre  de  ses  personnages.  Il  est  souvent  vulgaire  et 
plat.  Ses  pièces  bibliques  ne  sont  que  des  histoires 
dramatisées,  longues  et  ennuyeuses.  Ses  pièces  histo- 
riques et  politiques  —  il  traite  la  chute  du  maréchal 
d'Ancre,  celle  du  maréchal  de  Biron,  celle  d'Olivarès  et 
la    révolte    de    Masaniello    —   renferment    d'heureux 


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156  LITT£RATUflB   ÀLLBMANOB 

dialogues  et  des  scènes  animées;  mais  pas  d'action,  pas 
de  physionomies  distinctes,  rien  de  préparé,  de  motivé. 
Ses  comédies,  comme  le  Machiaifel  de  çillage^  surchar^ 
gées  toutefois  d'épisodes,  offrent,  avec  une  donnée  ori- 
ginale,  des  traits  spirituels  et  amusants  :  il  avait,  ainan  de 
la  délicatesse,  du  moins  de  la  malice  et  de  la  verve.  Mêmes 
défauts  et  mômes  qualités  dans  ses  romans  qui  parurent 
de  1671  à  1676.  Ses  héros  voyagent  pour  chercher 
les  trois  plus  grands  fous  ou  les  trois  plus  grands  sages 
de  la  terre,  ou  bien  pour  étudier  les  effets  du  Von^iiZy  de 
la  curiosité  qui  pousse  l'homme  à  courir  après  des  plaisirs 
trompeurs  ou  des  honneurs  immérités.  Là  encore,  Weise 
ne  vise  qu'à  instruire,  et,  —  c'est  son  mot,  —  qu'à  faire 
réfléchir  tous  les  intéressés,  qu'à  leur  insinuer  par  une 
pieuse  fraude,  perpiam  fraudent^  les  règles  d'une  bonne 
conduite.  Son  récit  n'est  qu'une  suite  d'esquisses  qui 
tiennent  faiblement  ensemble  ;  mais  Weise  sait  observer, 
il  ne  décrit  pas  un  monde  de  fantaisie,  et  le  comique  de 
certains  épisodes,  la  fraîcheur  et  la  vie  qu'il  répand  sur 
ces  petits  tableaux,  le  tour  alerte  et  humoristique  de  sa 
phrase,  la  clarté,  la  familiarité,  la  popularité  de  son 
expression,  tout  justifie  l'éloge  de  Grimmelshausen  qui 
trouvait  dans  les  romans  de  Weise  de  l'esprit,  de  la  gaité, 
de  la  couleur.  Il  était  utile  qu'un  homme  pratique,  sensé, 
un  peu  étroit,  simple  et  clair,  comme  il  se  qualifie  lui* 
même,  einf&kigunddeutlich^  vint  s'opposer  à  la  pompeuse 
rhétorique  des  Silésiens  :  il  rampait,  a  dit  Wernicke,  mais 
Lohenstein  se  perdait  dans  la  nue. 

Christian  Reuter  rappelle  Weise.  Il  se  moque  dans  le 
Schelniuffaky  (1696)  des  mensonges  dont  foisonnaient  les 
relations  de  voyages.  Le  héros,  un  Hambourgeois,  est  un 
enfant  miraculeux  qui  rivalise  avec  Gargantua;  il  par- 
court  le   monde,   il    fait  naufrage,  il  tombe   entre  les 


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LE  XVII*  81BCLB  157 

mains  des  pirates  ;  partoat,  à  Fentendre,  on  i*admire  et 
on  Taime  pour  Félégance  de  ses  manières.  Ce  ne  sont 
que  hâbleries  et  rodomontades.  Mais  il  s'exprime  sur 
on  ton  naturel,  aisé,  assuré;  à  chaque  instant  il  jure 
qu'il  est  un  brave  garçon  ;  il  revient  volontiers  sur  This* 
foire  de  sa  naissance  ;  il  parle  avec  condescendance  d'un 
sien  camarade  qui  n'a  pas  eu  sa  chance;  il  se  fâche 
contre  un  petit  cousin  qui  se  gausse  de  lui  ;  et  tout  cela 
nous  persuade  qu'il  a  existé,  qu'il  a  vu,  exécuté  les 
choses  qu'il  raconte,  bien  que  le  fieffé  menteur  ait  sim- 
plement passé  quinze  jours  à  s'enivrer  dans  un  village 
de  la  banlieue. 


Le  XVII*  siècle  n'est  donc  pas  aussi  stérile  qu'on  l'a 
dit.  On  croirait  même  que  dans  la  seconde  moitié  de 
ce  siècle  l'esprit  allemand  essaie  sur  tous  les  domaines 
de  réparer  les  maux  de  la  grande  guerre.  C'est  en  1667 
que  paraît  la  première  édition  des  chants  religieux  de 
Paul  Gerhardt.  Quels  que  soient  les  défauts  de  Hofmanns* 
waldan  et  de  Lohenstein,  ils  cherchent  l'originalité, 
ils  veulent  faire  de  l'effet  et  frapper  fortement  l'imagi- 
nation. Les  satiriques  ont  dans  leur  style  la  verdeur  du 
siècle  précédent.  Grimmelshausen  est  un  maître  de  la 
langue  et  nombre  de  romanciers  tentent  d'échauffer  le 
patriotisme  allemand  soit  en  louant  les  prouesses  des 
Germains,  soit  en  critiquant  l'imitation  de  l'étranger.  En 
même  temps  se  produisent  des  savants  dont  l'Europe 
entière  connaît  les  noms  :  Pufendorf,  Thomasius,  Leibniz, 
Wolff. 

Pufendorf  (1632-1694)  a  fait  en  un  allemand  gauche 
et  lourd  une  histoire  des  Etats  de  TEurope;  mais  ses 
ouvrages  en  latin  le  rendirent  célèbre  :  il  critiqua,  non 


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15S  littéràtcrb  allemande 

Bans  esprit  ni  colère,  la  constitution  de  l'empire  germa* 
niqae  qui  lui  semblait  un  monstre,  il  fut  un  des  fon- 
dateurs de  la  science  du  droit  public,  et  ne  disait-il  pas 
que  mieux  vaut  ne  rien  savoir  que  de  savoir  la  scolastique? 

Christian  Thomasius  (1655-1728),  homme  indépen- 
dant, hostile  à  tout  formalisme,  revendiquant  les  droits 
de  la  raison,  résolu  à  ne  se  laisser  mener  par  personne 
ce  comme  une  bête  docile  »,  déclara  que  la  jurisprudence 
et  la  morale  devaient  se  séparer  de  la  théologie.  Professeur 
à  l'Université  de  Leipzig,  il  fut  le  premier  —  dès  1687 
—  à  faire  des  conférences  en  langue  allemande.  Il  fonda 
une  revue  dirigée  contre  le  pédantisme  et  l'hypocrisie, 
les  Entretiens  mensuels  (1688-1689),  la  première  de  ces 
revues  qui  mirent  tant  d'idées  à  la  portée  du  public  et 
unirent  plus  étroitement  la  littérature  et  la  société.  Dans 
sa  dissertation  sur  V imitation  des  Français  (1687)  il  recom* 
mande  d'imiter  les  Français,  mais  de  ne  leur  prendre  que 
leurs  qualités,  science,  esprit,  bon  goût,  politesse. 

Leibniz  (1646-1716),  qui  se  servit  du  latin  ou  du 
français  pour  répandre  sa  pensée  en  Europe,  ne  dédai- 
gnait pas  l'idiome  maternel  et  il  vante  sa  richesse,  sa 
vigueur.  Il  conseille  d'éviter  autant  que  possible  les  mots 
étrangers.  Non  qu'il  soit,  dit«>il,  un  puritain,  et  qu'il 
répudie  un  terme  français  avec  une  crainte  supersti* 
tieuse  et  comme  péché  mortel  ;  mais  il  combat  le  Misch* 
masch.  Il  propose  de  fonder  une  académie  et,  selon  les 
idées  que  le  grammairien  Schottel  avait  développées  en 
1663  dans  un  remarquable  ouvrage,  de  rédiger  un  dic- 
tionnaire de  la  langue.  Lui-même  manie  l'allemand  avec 
aisance,  son  style  a  de  la  fraîcheur,  de  la  vivacité,  de  la 
finesse. 

Il  se  plaignait  que  Tallemand  ne  sût  pas  exprimer  les 
choses  qu'on  ne  peut  voir  et  toucher  et  qu'on  n'atteint 


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LE  XVII*  81BGLB  159 

que  par  la  réQexion.  Son  disciple  Christian  WoIfT,  pro- 
fesseur   à   l'Université    de   Halle    (1679-1754),    terne, 
traînant,  eut  au  moins  le  mérite  de  donner  à  sa  patrie 
cette  langue  philosophique  qu'elle  n'avait  pas  encore.  Il 
mit  en  allemand  la  doctrine  de  Leibniz  et  il  Taltéra,  la 
rapetissa  :  il  explique  tout  par  la  méthode  géométrique  ; 
il  use  de  l'argument  des  causes  finales  pour  démontrer 
la  Providence  ;  il  n'insiste  dans  l'étude  de  l'ame  que  sur 
les  facultés  du  raisonnement  et  dans  sa  morale  il  n'oublie 
aucun  détail,   pas  même  les  règles  de  politesse  et  de 
propreté.   Cette   philosophie   facile,    accessible  et   qui 
pourtant  imposait  par  son  appareil  logique,  eut  une  con- 
sidérable influence.   C'est  d'elle  que  procède  la  philo- 
sophie  de  VAufklàrung   ou   des   lumières,  le   rationa- 
lisme, l'effort  que  fait  la  raison  pour  sortir  de  tutelle, 
pour  ne  recourir  qu'à  elle-même  et  pour  agir,  comme 
disait  Kant,   résolument,    courageusement    et   sans   se 
laisser  diriger  par  autrui.  Le  rationalisme  régnera  sur 
l'Allemagne  durant  le  xviii*  siècle,  et  il  rendra  de  grands 
services.  Il  répand  le  goût  de  la  précision  et  de  la  clarté. 
Mais,  en  s'élevant  contre  les  préjugés,  il  suscite  d'autres 
préjugés.   Lui  aussi  est  intolérant  et  de  lui  vient  cet 
esprit  prosaïque,   raisonneur,   abstrait  qui    ne  connaît 
d'autre   muse  que  la  muse  pédestre,  ne  voit  dans  la 
poésie  que  l'auxiliaire  de  la  morale,  n'attribue  à  l'art 
d'autre  mission  que  l'utilité.  Il  n'a  que  du  dédain  pour 
la  lyrique,  pour  l'imagination   et   le   sentiment,   pour 
l'idéalisme,  pour  les  choses  supérieures  à  la  réalité;  il 
interdit  l'espace  à  la  pensée;  aussi  ses  écrivains  devaient- 
ils  tomber  dans  le  médiocre. 


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CHAPITRE   IX 


LE   XVIIP   SIÈCLE 


Lm  antisUésiant  et  Ganther.  —  GotUched.  —  Brookes»  Hagedom, 
Haller,  les  SaÎMet.  •—  Le  joarnol  de  Brème.  —  Les  poètei  de  Halle. 

—  Klopitock.  —  Wieland.  —  Winckelmann.  —  Lei lingf.  —  Le  Sturm 
and  Drang  on  la  période  d'Orage.  —  Herder.  —  L'Union  de  Geettingne. 

—  Lee  gttihéeDS  on  poètes  dn  Rhin.  —  Les  mysti<ines.  —  Schiller.  — 
Gœthe.  —  Autoar  de  Schiller  et  de  Gœthe.  —  Jean-Paul. 


I168  antisilésiens  et  Gûntlier. 

L'enflure  des  Silésiens,  tel  était  le  mal  dont  souffraient 
les  lettres  allemandes.  Ce  mal  qu'elle  avait  causé,  l'in- 
fluence française  le  détruisit. 

Un  groupe  d'hommes  du  monde  et  de  poètes  —  qu'on 
a  nommés  les  poètes  de  cour  et  qu'on  devrait  plutôt 
nommer  les  antisilésiens  — se  détournèrent,  ouvertement 
ou  non,  de  Lohenstein  et  de  son  école  :  Canitz,  Neukirch, 
Konig,  Wernicke.  Ce  fut  presque  leur  seul  mérite.  Leurs 
poésies  ne  sont  guère  que  des  poésies  de  circonstance. 
Besser  et  Kônig,  maîtres  des  cérémonies  à  la  cour  de 
Dresde,  ont  livré  sur  commande  des  vers  insipides,  et 
Kônig,  dans  son  Auguste  au  camp  (1731),  a  peint  les 
chevaux  mieux  que  les  hommes.  Wernicke,  qui  forge 
laborieusement  des  épigrammes,  a  le  style  dur  et  pénible. 


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IM  XVIIl*  8IBCLB  161 

Mais,  tout  en  se  moquant  de  l'orgueil  de  Louis  XIV  qui 
veut  être  un  soleil,  tout  en  s^élevant  contre  Timitation 
qui  fait  de  la  langue  une  langue  de  Babel  et  contre  les 
mots  comme  temoigniren  à  tète  française  et  à  queue 
allemande,  les  antisilésiens  estiment  les  écrivains  du 
grand  siècle;  ils  envient  leur  correction,  leur  élégance, 
et  ils  s'efforcent  de  la  reproduire;  Boileau  est  leur 
idole,  ce  célèbre  Boileau,  dit  Tun  d'eux,  qui  mit  obstacle 
à  la  tyrannie  du  goût  corrompu,  et  c'est  au  nom  de 
Boileau,  au  nom  de  la  raison  et  du  bon  sens,  qu'ils  se 
révoltent  contre  l'école  de  Lohenstein. 

Canitz  (1654-1699)  a  vu  la  France,  ce  pays  où  <x  raison 
et  rime  s'assemblent  volontiers  »,  et  il  raille  les  poètes 
trop  savants,  ceux  qui  font  des  vers  montés  sur  des 
échasses  et  ceux  qui,  pour  pleurer  les  morts,  invoquent 
tout  l'Olympe. 

Neukirch  (1665-1729)  a  mis  le  Télémaque  en  alexan- 
drins. Il  s'était  rangé  d'abord  du  côté  des  Silésiens;  il 
confessa  don  erreur  et  déclara  qu'il  regrettait  d'avoir 
préféré  le  fard  à  la  nature. 

Konig  déplore,  dans  une  dissertation  sur  le  goût,  que 
l'école  de  Lohenstein,  imprégnée  du  poison  de  Marine, 
ait  à  son  tour  infecté  presque  toute  l'Allemagne, 

Wernicke  se  moque  de  ces  Silésiens  qui  prodiguent 
dans  leurs  vers  les  étoiles,  les  parfums  et  l'or.  Pourquoi 
ces  mots  magnifiques  ?  Les  plus  simples  ne  sont-ils  pas 
excellents  lorsqu'on  les  emploie  bien?  Un  portrait  peint 
sur  une  mauvaise  toile  par  un  Européen  ne  vaut-il  pas 
mieux  qu'un  portrait  peint  par  un  Chinois  sur  une  fine 
porcelaine  ? 

ftlorhof  qui,  dans  son  maigre  Enseignement  de  la 
langue  et  de  la  poésie  allemandes^  osa  dire  que  Fleming 
surpassait  Opitz  ;  Pietsch  qui  fut  le  maître  de  Gottsched  ; 

LITTiftATOHI   ALLIMAXttl.  11 


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16i  LITTBRÀTURB   ALLEMANDE 

Mencke  qui  présidait  à  Leipzig  une  Société  de  langue 
allemande,  appartiennent  à  ce  groupe  des  antisilésiens. 
Un  Silésien,  Gûnther  (1695-1723),  les  éclipsa  tous.  Il 
est,  lui^  poète  dans  le  plein  sens  du  mot,  et,  s'il  n'était 
mort  à  vingt-huit  ans,  il  serait  un  des  plus  grands  poètes 
de  r Allemagne.  Il  a  un  véritable  talent,  de  la  sensibilité, 
de  la  passion,  du  feu.  Les  strophes  qu*il  consacre  au 
prince  Eugène  dans  son  poème  sur  la  paix  de  Passaro- 
witz  n'ont  pas  sans  doute  la  belle  et  saisissante  simpli- 
cité du  chant  populaire  composé  par  un  soldat  de  Bran- 
debourg :  «  Le  prince  Eugène,  le  noble  chevalier,  voulut 
reprendre  Belgrade  ».  Mais  il  célèbre  dignement  le  vain- 
queur des  Turcs  et,  sur  les  bords  du  Danube,  où  bruissent 
les  armes  et  les  cuirasses,  il   évoque  une  n  armée  des 
esprits  d,  les  âmes  des  anciens  héros,  des  légionnaires 
romains  qui  viennent  applaudir  au  courage  d'Eugène. 
Il  rappelle  Fleming  par  la  sincérité  de  l'accent.  Que  de 
naturel  et  que  de   tendresse  dans  certains  de  ses  vers 
d'amour  !  Quelle  émotion  lorsque,  avant  de  briser  la  bague 
et  d'éprouver  l'extrême  souffrance,  il  demande  encore  un 
baiser  à  l'infidèle  !  Quelle  douleur,  quel  repentir  lorsque 
la  plainte  succède  à   son  a  jeune  cri  de  guerre  »,  lors- 
qu'il implore  le  père  implacable  qui  refuse  de  pardonner 
à  ses  écarts!  Quelle  tristesse  profonde  dans  1'  ce  aveu 
loyal  »  qu'il  fait  a  Dieu  quand  il  reconnaît  qu'il  a,  en 
libertin,  prodigué  sa  force  et  sa  santé  !  Il  n'a  pu  se  sous- 
traire à  l'influence  de  son  compatriote  Lohenstein,  et  il 
est  souvent  diffus,  souvent  lourd  et  grossier.  Mais  il 
s'inspira  du  chant  populaire,  il  laissa  parler  son  cœur, 
et  il  fut  malheureux. 


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LB   XYlll*"   SIÈCLE  168 


Gottsclied. 

Gûnther  n'eut  aucune  influence  sur  le  mouvement 
littéraire.  Il  fallait  un  autre  homme  pour  diriger  les 
efforts  de  l'opposition  qui  se  produisait  contre  Lohen- 
stein,  pour  mener  a  bonne  fin  la  réforme  que  Weise, 
Neukirchy  Wernicke  et  autres  avaient  commencée. 
Cet  homme  fut  Gottsched  (1700-1766). 

Professeur  k  l'Université  de  Kœnigsberg,  il  avait  dû, 
à  cause  de  sa  belle  prestance,  se  sauver  de  Prusse  pour 
échapper  aux  racoleurs.  11  vint  enseigner  à  Leipzig,  cette 
Athènes  de  la  Pleiss,  ce  «  galant  »  Leipzig  qui  passait 
déjà  pour  un  petit  Paris,  Leipzig,  l'école  de  la  Lôffelei  et 
le  modèle  de  la  polite  Conduite^  la  ville  où  florissait  le 
journalisme,  où  se  centralisait  la  librairie,  où  tout  le 
monde  visait  a  l'esprit  et  à  l'élégance  des  manières.  • 
Ambitieux,  remuant,  laborieux,  il  présida  bientôt  la 
Société  allemande,  fonda  des  revues,  publia  une  Grant" 
maire,  un  Essai  de  poétique»  De  1730  à  1740  il  fut  le 
dictateur  littéraire  de  l'Allemagne. 

ggn  principal  maître,  c'est  Boileau,  et  les  écrivains  du 
siècle  de  Louis  XIY  lui  semblent  avoir  fourni  les  meil- 
leurs modèles  dans  tous  les  genres  de  poésie.  Il  recom- 
mande d'imiter  la  nature,  non  pas  servilement,  mais 
avec  réflexion  et  par  une  combinaison  logique  d'idées  et 
d'images.  Du  bon  sens,  nn  jugement  sain,  un  raisonne- 
ment juste,  voilà,  selon  Gottsched,  ce  qui  fait  le  poète, 
et,  pour  fabriquer  des  vers  irréprochables,  il  suffit 
d'avoir  l'esprit  vif,  de  saisir  les  ressemblances  des 
choses  et  de  les  comparer  entre  elles,  puis  de  choisir 
une  action  qui  repose  sur  un  principe  moral.  Suivant 
lui,  toute  fable,  ésopique,  épique,  dramatique,  doit  cacher 


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164  LITT£RATURB   ALLEMÀNDB 

une  vérité  utile.  Que  prouve  Vlliade?  Que  la  discorde 
est  funeste.  V Odyssée?  Que  Tabsence  d*un  roi  entraîne 
de  fâcheuses  conséquences.  Œdipe?  Qu'il  ne  faut  pas 
s'emporter  comme  Œdipe  qui  tua  Laïus,  d'où  vinrent 
tous  ses  malheurs. 

Et  voici  les  préceptes  de  Gottsched  sur  Tart  théâtral  : 
observer  les  trois  unités,  surtout  Tunité  de  temps,  à  con- 
dition que  l'action  se  passe  dans  le  jour,  puisque  la  nuit 
est  destinée  au  sommeil,  et  l'unité  de  lieu,  puisque  les 
acteurs,  comme  les  spectateurs,  ne  peuvent  quitter 
l'endroit  où  ils  sont  ;  représenter  des  rois  dans  la  tragé- 
die et  des  bourgeois,  à  la  rigueur,  des  barons,  des  mar- 
quis et  des  comtes  dans  la  comédie  — non  que  les  grands 
de  ce  monde  ne  fassent  pas  de  folies;  mais  le  respect 
qu'on  leur  doit  exige  qu'on  ne  les  tourne  pas  eu  ridicule. 

Il  joignit  l'exemple  a  la  leçon.  Il  (it  des  tragédies, 
entre  autres  un  Caton  mourant^  imité  du  Caton  anglais 
d'Addison  et  du  Caton  français  de  Deschamps,  et  fabri- 
qué, comme  on  le  dit  alors,  à  grand  renfort  de  colle  et 
de  ciseaux  :  «  Si  le  Caton  romain,  s'écriait  Gleim,  enten- 
dait le  Caton  saxon,  il  se  tuerait  encore  ». 

Il  fallait  davantage.  Derechef  Gottsched  recommanda 
les  Français,  Corneille,  Racine,  Molière,  Regnard,  Vol- 
taire, Destouches,  —  ainsi  que  le  Danois  liolbcrg  —  et 
dans  le  recueil  la  Scène  allemande  il  inséra  des  traduc- 
tions de  plusieurs  pièces  françaises.  Sa  femme  l'aidait  dans 
cette  tâche  ;  elle  aussi,  lourdement,  platement,  traduisait 
ou  imitait  Molière,  Destouches  et  Holbcrg.  Une  troupe, 
dirigée  par  une  actrice  remarquable,  Caroline  Neuber, 
joua  le  nouveau  répertoire  et,  en  1737,  dans  une  pièce 
faite  exprès,  bannit  solennellement  Arlequin  du  théâtre. 

Mais  Gottsched  se  brouilla  avec  la  Neuber.  Son  orgueil 
lui  suscita  des  ennemis.  Il  vit,  malgré  sa  ténacité,   sou 


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LE   XYIII*"   SIECLE  ICft 

influence  décroître  et  il  mourut,  discrédité,  méprisé  de 
tout  Leipzig.  On  Ta  jugé  trop  sévèrement.  Il  a  réformé  le 
théâtre,  proclamé  les  droits  de  la  raison  et  de  la  vraisem- 
blance, porté  le  coup  mortel  aux  «  grands  drames  d'État  », 
aux  Haupt=^und  Staatsactionen^  pièces  incohérentes, 
extravagantes,  pleines  et  d'emphase  et  d'obscénité  ;  il  a 
défendu  la  rime  ;  il  a  discipliné  la  littérature,  et  s'il  lui 
imposa  l'imitation  des  Français,  c'était  pour  qu'elle  devînt 
correcte,  sensée,  régulière,  et  plus  tard  originale  à  son 
tour. 

Brockes,  Hagedorxi,  Haller^  les  Suisses. 

A  la  littérature  française  que  Gottsched  voulait  prendre 
pour  modèle,  s'opposait  la  littérature  anglaise. 

Le  Robinson  Crusoe^  paru  en  1719,  avait  fait  naître 
nombre  de  robinsonades  allemandes.  La  plus  célèbre 
est  Vile  de  FeUenbourg  (1731-1743),  de  Schnabel.  Elle 
relève  et  de  Defoe  et  de  Grimmelshausen  dont  le  Sim- 
pHcissimus  termine  son  existence  dans  une  île  déserte  : 
les  hommes  qui  vivent  a  Felscnbourg  habitent  un  paradis 
terrestre;  plus  de  passions,  plus  de  distinctions  de  for- 
tune et  de  religion. 

Brockes,  Drollinger,  Ewald  de  Kleist,  Pyra,  ZachariiL 
traduisent  ou  imitent  Pope  et  Thomson. 

Hagedorn  loue  les  vieilles  ballades  anglaises. 

Haller  assure  qu'il  a  compris,  comme  Hagedorn,  à  la 
lecture  des  Anglais,  qu'on  peut  dire  beaucoup  en  peu  de 
mots  et  que  les  idées  philosophiques  se  laissent  mettre 
en  rimes. 

Bodmer  et  Breitinger  s'enthousiasment  pour  Addison  et 
Milton;  Elie  Schlegel,  pour  Shakespeare;  Rabener,  pour 
Addison  et  Steele;  Liscow  et  Lichtenberg,  pour  Sv\rift. 


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166  littéràturb  allbnandb 

Klopstoek  s'inspire  du  Paradis  perdu. 

Gellert  pleure  en  lisant  Grandison  et  préfère  Richardsun 
à  Homère.  ' 

Mais  la  lutte  est  vive  entre  l'influence  française  et 
rinfluence  anglaise.  Uz  regrette  que  TAllemand  veuille 
se  faire  Anglais  et  il  raille  les  poètes  qui  élucubrent  en 
Thonneur  de  Milton  des  vers  ténébreux.  Les  Anglais  ne 
l'emportent  pas,  et,  de  même  que  dans  l'ode  de  Klop- 
stock,  on  ne  saurait  dire  laquelle  des  deux  muses  a 
triomphé.  Chez  les  meilleurs  esprits  les  deux  influences 
se  mêlent,  et,  selon  le  mot  de  Schiller,  c'est  de  l'équi- 
libre entre  la  règle  française  et  l'irrégularité  anglaise 
que  nait  la  littérature  allemande  classique. 

Il  faut  suivre  ce  mouvement  homme  par  homme  et 
groupe  par  groupe. 

Le  Hambourgeois  Brockes  traduisit  V  Essai  sur  F  homme 
de  Pope  (1740)  et  les  Saisons  de  Thomson  (1745).  Mais 
son  œuvre  principale»  c'est  son  poème  en  neuf  volumes. 
Plaisir  terrestre  en  Dieu  (1721-1748).  11  admire  Dieu 
dans  sa  création,  et  de  la  perfection  de  la  nature  il 
conclut  à  la  perfection  de  Dieu;  la  nature  lui  semble 
belle  en  tout  temps,  et  il  ne  se  lasse  pas  de  répéter 
qu'elle  est  belle  et  qu'elle  est  propre  à  nos  besoins  et  à 
nos  convenances.  Si  nous  avons  un  nez,  c'est  pour 
sentir  les  fleurs!  Exact  et  minutieux  comme  s'il  com- 
posait un  traité  d'histoire  naturelle  et  non  un  poème»  il 
est  froid,  prosaïque,  monotone.  Il  énumère  les  parties  du 
corps,  les  maladies,  les  choses  utiles  ou  nuisibles,  et 
certains  passages  de  son  œuvre  ne  sont  que  des  catalogues. 
Mais,  malgré  ses  défauts  et  bien  qu'il  soit  quelquefois 
entortillé,  obscur  et  sujet  à  l'enflure  silésienne,  il  eut  ses 
mérites.  Sa  langue  a  de  la  souplesse,  de  l'abondance,  et 
ses  vers  ont  de  l'aisance  et  de  la  variété.  Cet  homme 


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LB   XVlll^   SIÈCLE  167 

pédantesque  et  borné  sortait  de  son  cabinet  de  travail 
pour  contempler  son  jardin  et  la  campagne;  il  vantait 
Todeur  du  foin  coupé;  il  chantait  les  rayons  qui  jouent 
dans  le  feuillage  et  sur  les  eaux;  il  retraçait,  non  sans 
succès,  un  paysage  d'hiver  :  la  neige  qui  crie  sous  les 
pieds  et  couvre  de  sa  blancheur  les  monts  et  les  vaux,  le 
ciel  gris  et  sombre,  le  soleil  bas  et  qui  ne  peut  percer  la 
nuit  de  l'épais  brouillard. 

Hagedorn  (1708-1754)  était,  comme  Brockes,  de  Ham- 
bourg. Il  penche  plutôt  vers  les  Français.  Dans  ses 
Fables  et  contes  il  imite  La  Fontaine,  et  il  n'a  pas  sa 
clarté,  sa  précision,  sa  naïveté  ;  il  s'attarde  à  des  bagatelles  ; 
il  abuse  des  traits  satiriques,  des  allusions  littéraires,  et 
pourtant  il  est  spirituel,  piquant,  enjoué;  il  a  par 
instants  de  la  poésie  et  de  la  grâce  ;  bien  que  son  savonnier 
Jean  ne  l'emporte  pas  sur  le  savetier  Grégoire,  la  fable  où 
il  figure  contient  de  jolis  détails.  Dans  ses  Odes  et  chants j 
il  relève  pareillement  des  Anglais,  des  a  libres  Bretons  », 
de  Prior  et  du  «  tendre  »  Waller,  mais  surtout  des 
Français,  de  Chaulieu,  de  La  Fare,  de  Chapelle.  Il 
célèbre  le  vin  et  l'amour  en  une  langue  correcte,  facile, 
agréable,  et  il  sait  varier  et  le  ton  et  les  strophes,  parlant 
en  son  nom  ou  au  nom  d'autrui,  faisant  chanter  des 
chœurs,  tantôt  railleur  et  ironique,  tantôt  plaisant  et 
comique,  souvent  lascif  et  quelquefois  jetant  une  lourde 
réflexion  au  milieu  de  sa  joie.  Dans  ses  Poésies  morales 
il  vante  la  philosophie  d'Horace  et  la  sienne  propre,  car 
il  aimait  ses  aises  et  le  doux  nonchaloir. 

Le  Bernois  Haller  (1708-1777)  contraste  avec  lui. 
Hagedorn  est  frivole,  gai,  mondain;  il  boit  volontiers  un 
verre  de  vin  et  goûte  toutes  les  joies  de  la  vie  ;  il  aime 
Horace  et  sa  causerie  variée,  moqueuse,  anecdotique;  il 
préfère,  au  fond,  les  Français  aux  Anglais;  il  chante 


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!68  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

Hambourg  et  TAlster  et  Tallée  de  tilleuls  où  les  belles 
se  promènent  ;  il  écrit  avec  aisance  et  non  sans  longueurs  ; 
il  emploie  rarement  l'alexandrin.  Haller  est  sérieux, 
grave,  mélancolique;  il  ne  boit  que  de  Teau  ou  du  thé  et 
ne  trouve  son  plaisir  que  parmi  les  livres;  il  aime  Virgile 
qu'il  tient  pour  sublime  et  compare  à  Taigle;  il  relève  et 
des  anciens  et  des  Anglais,  de  Pope,  de  Thomson  ;  il  chante 
les  montagnes  de  la  Suisse  et  leurs  habitants  aux  mœurs 
austères  ;  il  écrit  péniblement  et  vise  à  la  brièveté  ;  il  se 
sert  de  l'alexandrin.  Ce  grand  savant  a  trouvé  le  temps 
de  1725  à  1736  de  faire  des  vers.  Il  célèbre  dans  le 
poème  des  Alpes  non  seulement  «  le  pêle-mêle  de 
rochers  et  de  lacs  »,  non  seulement  les  hêtres  et  les 
sapins  où  perce  la  tremblante  lumière  du  soleil,  où  ce  se 
mêle  un  jour  d'or  à  la  nuit  de  verdure  »,  mais  le  bonheur 
d'un  peuple  pauvre  qui  ne  connaît  pas  les  désirs,  et  c'est 
ainsi  que  dans  les  Mœurs  corrompues  et  l'Homme  selon  le 
monde  il  déplore  la  décadence  de  Berne  où  il  ne  voit 
plus  que  des  petits  maîtres,  des  hypocrites,  des  gens  qui 
n'ont  ni  science  ni  vertu.  Ses  poèmes  didactiques.  De  la 
Fausseté  des  vertus,  De  Vorigine  du  maly  VEternité, 
offrent  de  beaux  passages  remarquables  par  la  hauteur 
morale  et  par  une  sombre  grandeur.  Son  ode  sur  la  mort 
de  sa  femme  Marianne  excita  justement  l'admiration  des 
contemporains  par  sa  simplicité,  par  sa  vérité,  par 
l'accent  d'une  mâle  et  poignante  douleur.  Ses  romans 
politiques,  composés  plus  tard,  Usongy  Alfred,  Fabius  et 
Caton^  et  consacrés,  le  premier,  k  la  monarchie  absolue, 
le  deuxième  à  la  monarchie  constitutionnelle,  le  troisième 
à  la  république  furent  plus  froidement  accueillis.  Mais 
Haller  vivra  comme  poète,  non  comme  romancier.  S'il 
enseigne  plus  qu'il  ne  peint,  il  a  de  l'énergie,  de  l'élé- 
vation.  Sa  langue  est  un  peu  rude,  un  peu  gauche  et 


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LE  XVlll^'   SIECLB  1G9 

lourde;  elle  contient  des  helvétismes ;  c*était  toutefois 
ane  langue  poétique,  et  Lessing,  Wieland,  Schiller 
Tétudièrent  avec  profit. 

C'est  du  pays  de  Ilaller,  c*est  de  Suisse  que  vint  la 
réaction  contre  l'autorité  de  Gottsched. 

Deux  professeurs  de  TUniversité  de  Zurich^  Bodmeret 
Breitinger,  avaient,  en  1721,  fondé,  sur  le  modèle  du 
Spectator  anglais  qu'ils  se  vantaient  de  savoir  par  cœur 
et  d'adorer  comme  Stace  adorait  Y  Enéide  ^  une  revue  morale 
et  littéraire,  les  Discours  des  peintres^  où  chaque  article 
était  signé  du  nom  d'un  peintre  célèbre.  En  1740,  ils 
publièrent  coup  sur  coup  trois  ouvrages  de  critique  :  une 
dissertation  de  Bodmer  Sur  le  meri^eUJeux^  une  disser- 
tation de  Brcitinger  sur  VAllégorie,  une  Poétique  de 
Breitinger  avec  préface  de  Bodmer.  Dès  qu'il  vit  Brci- 
tinger aller  sur  ses  brisées,  Gottsched  se  fâcha.  11  blâma 
sans  ménagement  Haller;  il  attaqua  Milton  que  Bodmer 
avait  traduit  ;  il  déclara  que  le  Jules  César  de  Shakespeare 
était  un  chaos  et  péchait  contre  les  règles  de  la  scène  et 
de  la  raison.  Mais  les  Suisses  avaient  beau  jeu  contre 
Gottsched  :  ils  se  moquèrent  de  ses  recettes  poétiques; 
ils  lui  reprochèrent  d'introduire  la  platitude  à  la  place  du 
naturel  et  de  bannir  du  style  les  images.  Au  fond, 
Gottsched  et  les  Suisses  n'étaient  pas  tellement  en 
désaccord.  Les  Discours  des  peintres  respirent  l'esprit 
d'Addison  et  reproduisent  souvent  ses  expressions; 
mais  leurs  auteurs  ont  mis  à  contribution  Fontenelle, 
La  Bruyère  et  surtout  Du  Bos.  Imbu,  de  même  que 
Gottsched,  de  la  philosophie  de  Wolff,  Breitinger  regarde 
les  poètes  comme  des  moralistes  et  tient  pour  le  premier 
des  genres  la  fable  ésopique;  de  même  que  Gottsched,  il 
combat  au  nom  du  bon  sens  les  disciples  de  Lohenstein 
qu'il  accuse  de  phébus  et  de  galimatias.  Mais  Bodmer  et 


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170  LITTBRATUaB  ALLEMANDE 

Breitinger  donnent  à  l'imagination  le  rôle  principal  ; 
ils  assimilent  la  poésie  K  la  peinture  et  non  à  l'élo- 
quence ;  ils  considèrent  le  merveilleux  comme  une  par- 
tie importante  de  la  poésie;  s'ils  réprouvent  la  rime, 
ils  rejettent  l'alexandrin  qu'ils  jugent  monotone;  iU 
vantent,  outre  la  littérature  française,  la  littérature 
anglaise.  Ils  triomphèrent.  Kftstner,  —  l'amer  et  incisif 
épigrammatiste  qui  disait  à  un  Français  citant  Hippo- 
crène  que  ce  mot  se  traduit  en  allemand  par  Rossbach 
—  Kâstner  resta  fidèle  à  Gottsched.  Quelques-uns, 
comme  Hagedorn  et  Liohtwer,  demeurèrent  neutres. 
Mais  la  plupart  des  hommes  de  talent  se  rangèrent  du 
côté  des  Suisses. 

Liscow  leur  prêta  son  appui.  Il  s'était  fait  connaître  par 
une  satire  en  prose  Sur  l'excellence  et  la  nicestité  dee 
méchants  écrivains  :  elle  était  d'un  style  pur  et  clair, 
mais  elle  avait  le  tort  d'être  trop  longue  et  d'attaquer  de 
simples  barbouilleurs.  En  1742,  dans  la  préface  d'une 
traduction  de  Longin,  il  prit  nettement  la  défense  de 
Breitinger  contre  Gottsched. 

liOB  Contributions  de  Brdme. 

En  Saxe  même,  k  Leipzig,  des  étudiants  qui  collabo- 
raient à  une  revue  dirigée  par  un  partisan  de  Gottsched 
se  prononcèrent  contre  l'orgueilleux  professeur.  lis 
fondèrent  leur  revue,  une  revue  à  eux,  les  Bremer  Beitràge 
ou  «  Contributions  de  Brème  »,  ainsi  nommée  parce  que 
l'éditeur  était  un  libraire  de  Brème,  et  l'histoire  littéraire, 
par  suite,  les  appelle  les  «  Contributeurs  de  Brème  » 
ou  les  ((  Brèmois  ».  Les  principaux  d'entre  eux  conquirent 
la  réputation.  C'étaient  Rabener,  Gellert,  Elie  Schlegel, 
Cramer,  Zachariae.  Ils  ont  des  traits  communs  :  ils  se 


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LB  XVIII"   8IBGLB  171 

piquent  de  limer  leur  style  et  ils  veulent  b  la  fois  plaire 
et  instruire. 

Rabener  (1714-1771)  a  composé,  non  sans  agrément, 
mais  sans  fiel  et  d'un  crayon  un  peu  mou,  des 
satires  en  prose.  Il  sait  prendre  divers  tons  et  il  varie 
ses  cadres.  Il  ne  se  contente  pas  de  disserter;  il  raconte 
un  rêve,  reproduit  un  fragment  de  chronique  ou  un 
testament»  commente  un  proverbe,  imagine  une  corres- 
pondance. Par  peur  du  censeur  de  Leipzig  et  de  la  cour 
de  Dresde  et  pour  n*ètre  pas,  comme  il  l'avoue,  martyr 
de  la  vérité,  il  se  garde  d'attaquer  les  fous  de  palais  et 
des  antichambres  ;  il  ménage  pareillement  les  prêtres  et 
les  professeurs,  de  crainte  d'affaiblir  l'autorité  de  la 
religion  et  d'éveiller  la  malice  des  écoliers.  Restent 
donc  à  notre  satirique  les  vices  et  les  ridicules,  l'homme 
qui  fut  dans  sa  jeunesse  un  prodigue  insensé  et  qui, 
dans  sa  vieillesse,  exerce  la  plus  vile  usure,  un  hobereau 
cherchant  un  précepteur  à  bon  marché,  une  veuve  de 
pasteur  offrant  et  sa  personne  et  la  place  du  défunt  à  un 
candidat  en  théologie,  le  juge  qui  reçoit  des  plaideurs 
une  feuillette  de  vin,  une  bourriche  d'huîtres  ou  une 
corde  de  bois. 

Gellert  (1715-1769),  qui  professait  les  belles-lettres  à 
l'Université  de  Leipzig,  est  avant  toutes  choses  chrétien. 
Il  fut  pour  ses  contemporains  un  père  spirituel  :  on  le 
consultait  sur  des  cas  de  conscience;  on  lui  demandait 
un  gouverneur,  une  dame  de  compagnie,  un  fiancé. 
Rabener  n'écrit-il  pas  que  de  Gellert  le  public  n'attend  rien 
que  d'instructif,  devertueuxet  de  parfait  ?I1  ne  comprenait 
pas  la  poésie;  elle  ne  devait  célébrer,  selon  lui,  que  la 
raison  et  la  religion.  Et  pourtant,  il  tient  une  grande 
place  dans  la  littérature  de  son  temps.  Si  ses  comédies 
sont  plates  et  ennuyeuses,  si  son  roman  de  La  Comtesse 


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172  LITTERATURE  ALLEMANDE 

suédoise  est  bizarre  et  choquant,  ses  fables  vivent  et 
vivront  :  la  jeunesse  les  apprend  par  cœur.  Il  n'a  pas  la 
vigueur  et  l'humour  de  Lichtwer  qui  sait  peindre  les 
animaux  et  les  mettre  en  scène;  il  n*a  pas  Tenjouement 
du  Colmarien  Pfeffel,  Tauteur  de  la  Pipe  turque',  mais  il 
est  à  la  fois  correct  et  familier;  il  manie  le  vers  avec 
aisance,  et  d'un  ton  doux,  insinuant  il  glisse  la  morale; 
il  mêle  à  ses  récits  soit  de  touchantes  exhortations,  soit 
des  portraits,  des  anecdotes  où  percent  la  malice  et 
l'ironie  :  le  libre-penseur  converti  par  sa  pieuse  servante, 
Marguerite  baisant  Alain  Chartier,  un  fils  tirant  son  père 
de  la  prison,  ennuis  d'un  maire,  querelles  de  pédants, 
avarice  de  gentillâtre,  indiscrétion  et  coquetterie  des 
femmes.  Certains  de  ses  chants  d'église,  simples,  clairs, 
pénétrants,  sont  encore  chantés  dans  les  temples.  Il 
vaut  surtout  par  la  langue  et,  comme  disait  Frédéric, 
il  a  quelque  chose  de  coulant.  Longuet  et  un  peu  fade, 
dénué  d'éclat  et  de  relief,  il  a  du  naturel,  de  la  grâce,  de 
l'élégance  et  le  gentil  bavardage  saxon. 

Les  tragédies  et  comédies  d'Elie  Schlegel  sont  froides 
et  languissantes.  Mais  c'est  un  précurseur.  Il  imite  les 
Grecs;  il  traite  des  sujets  nationaux.  Canut  et  cet 
Hermann  que  Bauvin  adapte  à  notre  scène  en  1772  sons 
le  titre  Les  Chérusques;  il  défend  Gryphius  contre  les 
sottes  critiques  de  Gottsched  ;  il  assure  que  les  Anglais 
ne  font  pas  leurs  pièces  selon  des  recettes  comme  les 
cuisiniers  font  les  poudings. 

Cramer  a  traduit  ou  imité  les  Psaumes  et  composé 
nombre  d'odes  religieuses  et  de  chants  d'église;  il 
versifie  facilement,  mais  il  se  répète,  son  feu  n'échauffe 
pas  et  ne  fait  que  briller  aux  yeux. 

La  meilleure  œuvre  de  Zachariae  (1726-1777)  est  le 
Renommistf  le  fanfaron,  le  fier-a-bras.  Il  introduit  dans 


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LB  XVIII"  8IEGLB  17t 

ce  poème  héroï-comique  la  Galanterie,  la  Mode,  la 
Toilette,  l'armée  des  Compliments.  Mais  s*il  abuse  des 
divinités  allégoriques,  il  décrit  heureusement  les  façons 
rudes,  brutales  des  étudiants  d'Iéna,  ces  sauvages 
chasseurs  de  laSaale,  grands  buveurs  et  grands  fumeurs, 
braillardsytapageursytraine-rapières»  ennemis  du  philistin 
et  de  la  police,  si  différents  des  étudiants  de  Leipzig, 
ces  damereta  qui  sentent  la  lavande,  prisent  du  tabac 
Tapé  et  courent  par  la  ville  en  bas  de  soie,  Tépée  enru- 
bannée et  le  chapeau  à  la  main. 

lies  poètes  de  Halle. 

Non  loin  de  Leipzig,  à  Halle,  s'était  formée  l'école  de 
Halle  ou  école  prussienne  dont  les  membres  sont  Pyra, 
Lange-,  Gôtz,  Uz,  Jean- Georges  Jacobi,  Gleim,  Ewald 
de  Kleist,  Ramier,  Sulzer.  Elle  aussi  se  prononce  contre 
Gottsched,  et  elle  imite  les  Anglais  autant  que  les  Fran- 
çais; mais  elle  a  quelque  chose  de  libre  et  de  gai  que 
n'ont  pas  les  Brèmois;  elle  cultive  le  genre  anacréon- 
tique,  compose  des  poésies  légères  dans  le  goût  de  Hage- 
dorn,  chante  le  vin  et  les  baisers;  elle  rejette  la  rime; 
elle  aime  et  célèbre  Frédéric  II. 

De  son  propre  aveu,  Frédéric  parlait  l'allemand  comme 
un  cocher;  il  ignorait  et  voulait  ignorer  la  littérature  de 
sa  patrie,  et  il  ne  regrettait  pas  d'être  un  Auguste  qui 
n'avait  pas  d'Horace.  En  1780,  dans  un  petit  écrit  qu'il 
intitula  De  la  lUiéraiure  allemande,  il  assurait  que  l'Alle- 
magne n'avait  qu'un  jargon  dépourvu  d'agrément  et  que 
les  belles-lettres  n'y  avaient  jamais  prospéré.  Mais  c'était 
un  victorieux.  Il  enthousiasma,  il  Inspira  les  poètes,  et 
ils  embouchèrent  la  trompette  en  son  honneur.  Il  les 
méprisait.  Qu'importe?  Ils  voyaient  en  lui,  selon  le  mot 


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174  LITTÀRATURB   ALLEMANDE 

de  Schiller^  le  plus  glorieux  fils  de  rAllemagne.  Un 
Saxoo,  un  vaincu,  Rabener,  le  nommait  le  plus  brave 
des  rois  et  un  Invincible  monarque.  Klopstock  qui  ne 
l'aimait  pas,  ne  peut  s'empêcher  de  dire  que  la  guerre 
de  Sept  Ans,  où  cet  Hercule  maniait  sa  massue  contre 
toute  l'Europe,  était  le  plus  grand  acte  du  siècle. 

Pyra  (1715-1744)  regardait  la  poésie  sacrée  et  biblique 
comme  la  seule  et  véritable  poésie.  Il  est  surtout  connu 
par  un  poème  imité  de  Pope,  le  Temple  de  la  vraie 
poésie j  ainsi  que  par  les  Chanta  d^ amitié  de  Thyrsiaet  de 
Damon  qu'il  fit  de  concert  avec  Lange,  son  intime.  L'amitié 
est  un  trait  du  temps  et  un  trait  du  groupe  de  Halle  :  on 
n'y  a  jamais  mis  tant  de  mignardise  et  de  sucrerie;  on 
se  baise,  on  se  caresse,  on  se  donne  des  petits  noms,  on 
s*appelle  mutuellement  «  mon  ange  »  et  a  mon  tout  », 
et,  si  les  amis  sont  auteurs,  quels  compliments  excessifs 
de  part  et  d'autre,  quelle  admiration  exaltée! 

Gôtz  est  l'auteur  d'une  lie  des  jeunes  filles,  insigni* 
fiante,  dont  Frédéric  jugeait  les  vers  harmonieux  et  rem- 
plis de  seiis  :  l'éloge  de  Frédéric  fait  vivre  le  nom  de 
Gotz. 

Uz  imita  Pope  dans  des  poèmes  didactiques,  la  Théodi- 
cée  et  VArt  d^étre  gai^  qui  lui  valurent  des  louanges  de 
Lessing  et  de  Herder  plus  précieuses  que  celles  du 
monarque. 

Jean-Georges  Jacobi,  trop  déprécié  par  les  contempo* 
rains  à  cause  de  ses  bagatelles,  a  composé  des  vers  qui 
furent  attribués  à  Gœthe  et  il  trouva  de  dignes  accents 
pour  pleurer  la  mort  de  Lessing. 

Gleim  (1719-1803),  le  bon  papa  Gleim,  bienfaisant, 
aimable,  sensible,  se  recommande  moins  par  ses  innom- 
brables vers  qui  sont  froids,  négligés  et  incorrects,  que 
par  son  rôle  de  Mécène  ;  il  fut  l'hôte  et  le  patron  des 


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LB   XVIU'   SIÈCLE  175 

jeunes  poètes  pauvres.  Mais  ses  Chants  d'un  grena- 
dier prussien  furent  chantés  dans  l'armée  de  Frédéric, 
Le  style  manque  souvent  de  naturel  ;  il  est  ou  trop  fami* 
lier  ou  trop  élevé;  le  patriote,  selon  la  remarque  de 
Lessing,  crie  plus  fort  que  le  poète.  Toutefois  Gleim 
place  à  propos  des  détails  frappants  :  il  montre  Frédéric 
assis  sur  un  tambour  et  dans  la  nuit,  sous  le. pavillon  du 
ciel,  méditant  sa  bataille;  il  emploie  avec  bonheur  la 
strophe  de  la  chevy-chasey  quatre  vers  terminés  chacun 
par  une  rime  masculine. 

Ewald  de  Kleist  (1715-1759),  l'homme  que  Lessing  a 
le  plus  aimé,  soldat  et  poète,  versifiant  pour  oublier  les 
épines  du  service,  chantant  avec  un  accent  sincère 
soit  la  nature,  soit  un  amour  malheureux,  mêlant  dans 
ses  écrits  comme  dans  sa  vie  à  des  accès  d'austère 
misanthropie  les  élans  d'un  chaud  patriotisme,  mâle 
et  tendre  à  la  fois,  offre  un  original  assemblage  de 
stoïcisme  et  de  sensibilité.  II  tomba  sur  le  champ  de 
bataille  et  cette  mort  fit  beaucoup  pour  sa  renommée. 
Son  Printemps^  où  il  imite  Thomson,  manque  de  cohésion 
et  de  suite;  mais  il  tâche  de  joindre  l'éclat  à  la  concision. 
Ses  idylles  et  ses  élégies  ont  charmé  Hcrder,  et  sa 
Grue  blessée  a  je  ne  sais  quelle  grâce  mélancolique. 
Dans  son  Ode  à  V Armée  prussienne  et  dans  son  petit 
poème  de  Cissidès  et  Pachès  étincelle  l'enthousiasme  qui 
inspirait  Frédéric  <c  saisissant  l'étendard  d'une  main 
vaillante  et  portant  avec  lui  l'éclair  et  la  mort  dans  les 
camps  ennemis  ». 

Ramier  (1725-1798)  célèbre  Frédéric  avec  plus 
d'emphase  :  versificateur  correct  et  grand  peseur  de  syl- 
labesy  consulté  par  Lessing,  regardé  comme  un  génie 
par  ses  contemporains  qui  louaient  l'ampleur  de  sa  dic- 
tion, le  choix  de  ses  mots  et,  comme  dit  Mendelssohn, 


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re  LITTKRATURB  ALLEMANDS 

la  sage  hardiesse  de  ses  tours,  mais  enflé,  boursouflé, 
abusant  de  la  périphrase  et  de  l'allégorie,  masquant  la 
pauvreté  de  ses  idées  sous  de  savantes  périodes  et  de 
pédantesques  réminiscences  d'Horace,  tourmenté  par 
rincurable  manie  de  corriger  l'œuvre  d'autrui. 

Sulzer  publia  en  1771  une  lourde  Théorie  des  beaux- 
arts  où  il  compare  Bodmer  k  Homère,  proclame  l'ode  le 
premier  des  genres  et  assure  que  l'art  a  pour  but  d'éveil- 
ler le  sentiment  moral  :  à  force  de  théorie,  disait-on 
alors,  il  se  ferme  la  route  du  véritable  plaisir. 

Le  Zurichois  Gessner,  compatriote  de  Sulzer,  ami  et 
disciple  de  Ramier,  de  Kleist  et  de  Gleim  (1730-1788), 
conquit  soudainement  la  gloire  par  ses  idylles.  On  l'admira 
comme  un  dieu  et  Sulzer  le  préférait  à  Théocrite.  Pour- 
tant, chez  Gessner,  tout,  paysages,  caractères,  situa- 
tions, est  vague,  indistinct;  tout  manque  de  précision  et 
de  vérité  ;  rien  de  vif  et  de  profond;  une  prose  au  balan- 
cement monotone,  aux  épithctes  incolores.  Mais  on  trou- 
vait dans  ses  idylles  ce  qu'on  nommait  la  belle  nature  et 
les  attraits  de  la  vertu,  des  bergers  galants  et  philan- 
thropes, des  bergères  coquettes  et  innocentes,  un  badi- 
nage  sentimental  et  doucereux,  les  rossignols,  le  clair  de 
lune  et  de  riants  Amours.  Sa  prose  même,  mesurée,  poé- 
tique, aidait  au  succès  :  elle  avait,  selon  le  mot  du  tra- 
ducteur français,  l'aisance  de  la  prose  et  une  partie  des 
agréments  du  vers.  De  là,  l'engouement  des  contempo- 
rains. Seul,  Herder  eut  assez  de  goût  et  d'audace  pour 
dire  que  Gessner  représente  toujours  le  même  berger, 
un  berger  idéal,  invraisemblable  et  qui  n'est  qu'une 
poupée. 


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LB  XYIll**   SIBCLR  t77 


Klopstoek. 


Tous  ces  noms,  même  celui  de  Gessner,  furent  rejetés 
dans  l'ombre  par  celui  de  Klopstock. 

KIopstock  (né  à  Quedlinbourg  en  1724,  mort  à  Ham- 
bourg en  1803)y  se  rattache  à  l'école  de  Halle.  Lui  aussi 
a  chanté,  comme  les  anacréontiques,  le  vin  et  les 
baisers  ;  lui  aussi  imite  Horace  et  il  disait  que  le  lyrique 
latin  avait  épuisé  toutes  les  beautés  de  l'ode;  lui  aussi 
voit  dans  la  rime  un  ornement  superflu,  et  il  la  quali- 
fiait de  mauvais  esprit,  la  comparait  au  roulement  mono- 
tone du  tambour.  Il  relève  également  des  Brémois  et 
des  Suisses  :  les  trois  premiers  chants  de  son  Messie  ont 
paru  en  1746  dans  les  Contributions  de  Brème;  il  a  subi 
l'influence  de  Bodmer  et  de  Breitlnger,  il  les  a  lus  sur  les 
bancs  de  l'école;  sans  eux  il  n'aurait  pas  connu  Milton 
et  ce  fut  lui  qui  décida  leur  victoire.  Mais  avant  tout 
Klopstock  est  KIopstock.  Il  tient  de  son  père  sa  dévo- 
tion, sa  fierté  de  caractère,  de  l'obstination,  de  l'entête- 
ment,  de  la  bizarrerie.  Élevé  librement  à  la  campagne, 
épris  des  exercices  physiques,  il  se  piqua  toujours  d'être 
dispos  et  robuste,  il  craignait  de  paraître  pédant  et 
méprisait  les  savants  de  cabinet. 

Pourtant  il  brilla  dans  ses  classes  à  l'école  de  Pforta. 
De  bonne  heure  il  avait  résolu  de  rivaliser  avec  l'auteur 
du  Paradis  perdu.  Il  tint  parole  :  k  léna,  à  Leipzig  il 
n'étudia  ni  théologie  ni  philologie,  et,  grâce  à  une 
pension  que  lui  firent  le  roi  de  Danemark  et  le  mar- 
grave de  Bade,  il  put,  d'abord  à  Copenhague,  puis  a 
Hambourg,  achever  son  Messie  qui  compte  vingt  chants 
et  qui  fut  publié  en  cinq  fois  de  1748  à  1773. 

Ce  Messie  est  manqué;  on  l'admire  de  confiance  et  on 

LirrilUTOIIV   AILIMAMDB.  12 


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178  LlTTBRATUnB   ALLEMANDE 

ne  le  lit  pas.  Lyrique  et  non  épique,  KIopstock  ne  sait 
pas  créer  des  figures  vivantes.  Son  Jésus  ne  parait  que 
pour  souffrir,  prier  et  prononcer  de  douces  et  mélanco- 
liques paroles.  Ses  anges  flottent,  suivant  l'expression  de 
Herder,  çà  et  là  par  le  poème,  comme  les  images  d*un 
missel.  Ses  démons  rugissent  impuissants.  Ses  apôtres, 
pieux,  tendres,  sensibles,  ne  font  que  pleurer  et  lorsque 
Pierre  frappe  Malchus,  le  poète  ne  nomme  même  pas  le 
blessé,  ne  dit  même  pas  que  Malchus  eut  l'oreille  fendue. 
Ses  personnages,  jusqu'au  pharisien  Philon,  l'adversaire 
haineux  de  Jésus,  jusqu'à  Judas  au  visage  troublé, 
n'agissent  pas.  L'œuvre  se  compose,  non  de  récits,  mais 
de  discours  et  de  méditations,  de  ravissements  et  d'effu* 
sions.  Certains  chants,  les  derniers  surtout,  sont  une 
ode  sans  fin,  et  les  seuls  êtres  qui  nous  touchent  ont  le 
charme  de  l'idylle  ou  de  l'élégie  :  Sémida  et  Cidli,  les 
deux  amants  unis  au  ciel  comme  sur  la  terre;  Portia,  la 
femme  de  Pilate  ;  Abbadona,  l'ange  rebelle  et  repentant. 

Les  poésies  lyriques  de  KIopstock  offrent  de  pareils 
défauts  :  de  beaux  détails  et  pas  d'ensemble,  pas 
d'images  précises  et  nettes,  des  situations  inventées.  Il 
parle  de  l'avenir  plutôt  que  du  prés.ent  et  sa  Fanny  aux 
formes  fuyantes  et  indécises  n'est  qu'un  nom,  un  fan- 
tôme. KIopstock  ne  sait  peindre  que  les  sentiments,  les 
«  actions  de  l'âme  »,  et  il  les  peint  toujours  de  la  même 
manière  noble,  pure  et  vague.  Il  n'échappe  pas  du  reste 
k  la  sensiblerie  du  temps.  Sa  passion  est  assaisonnée  de 
soupirs  et  de  larmes.  II  suppose  qu'il  survit  k  ses  amis 
et  passe  sa  vieillesse  à  pleurer  sur  leur  tombe;  il  déplore 
le  sort  du  vermisseau  qui  n'est  pas  immortel; 'il  montre, 
la  murène  plaignant  le  ver  qui  pend  k  l'hameçon  du 
pêcheur  et  souffrant  avec  lui  ! 

Ses  hymnes  et  chants  d'église  ne  sont  qu'une  suite 


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LE   XVIll"   SIÈCLE  179 

d'apostrophes  et  d'interjections;  il  veut  s'éloigner  de  la 
terre,  erdefern^  comme  il  dit,  et  il  se  perd  dans  Tem- 
pyrée. 

Pas  de  plan,  pas  d'action,  pas  de  caractères  dans  ses 
drames  bibliques,  la  Mort  éCAdam^  en  prose,  Salomon  et 
Daçid^  en  vers  blancs.  De  môme,  dans  ses  trois  drames 
sur  Hermann,  la  Bataille  éCHermann  (1769),  Hermann  et 
les  princes  (1784),  la  Mort  JTHermann  (1787).  Il  les 
appelait  des  bardits  parce  qu'ils  étaient  entremêlés  de 
chants  et  de  dithyrambes  bardiques;  mais  ils  n'étaient 
guère  faits  «  pour  la  scène  ».  Schiller,  qui  tenta  de  rema- 
nier la  Bataille  £  Hermann^  la  jugea  froide  et  grotesque; 
Herder  ne  voyait  dans  Hermann  et  les  princes  que  la 
plus  subtile  toile  d'araignée,  et  la  Mort  d* Hermann^ 
comme  les  deux  autres  bardits,  n'est  qu'un  tableau 
confus.  Des  passions  dépeintes  sans  vérité,  d'émouvantes 
situations  traitées  sans  chaleur,  une  langue  affectée, 
voilà  ces  trois  drames  patriotiques. 

Il  crut  trouver  dans  Hermann-Arminius  un  héros 
national.  A  l'éloge  de  Hermann  il  mêla  celui  des  dieux 
de  Hermann  qui  n'étaient,  d'après  lui,  que  les  dieux  de 
l'Edda.  Ces  dieux,  le  Genevois  Mallet  les  avait  révélés  a 
l'Allemagne  dans  l'introduction  de  son  Histoire  de  Dans- 
mark  (1756),  et,  à  la  suite  de  Mallet,  un  officier  danois, 
Gerstenberg,  avait,  par  son  poème  du  Scalde  (1766)  et 
par  ses  Lettres  sur  les  choses  remarquables  de  la  litté* 
rature  ou  Lettres  de  Stesçig,  répandu,  selon  le  mot  de 
Herder,  une  sorte  de  goût  scaldique.  Dans  le  même 
temps,  paraissaient  coup  sur  coup,  en  1764  et  en  1768, 
deux  traductions  d'Ossian,  et  la  seconde,  composée  en 
hexamètres  par  le  jésuite  viennois  Denis,  obtenait  un 
grand  succès. 

Klopstock    prit  à    pleines  poignées   dans  le  livre  de 


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180  LITTinATDRB  ALLEMANDS 

Mallet  des  noms  de  dieux  et  de  déesses.  Il  ne  parla  plus 
que  du  dieu  de  la  poésie  Braga,  des  Nornes,  des  scaldes, 
des  bardes,  de  la  telyn  ou  lyre,  et  de  l'art  de  Tialf,  c'est- 
à-dire  du  patinage.  Il  inventa  même  des  divinités,  Teonc 
ou  la  déesse  du  ton,  et  il  appela  la  langue  allemande 
Thuiskone  et  le  spondée  Sponda.  Il  mit  Wodan  au- 
dessus  de  Zeus,  les  bardes  au-dessus  des  aèdes  oa, 
comme  il  s'exprimait,  le  bois  de  chêne  au-dessus  du 
Parnasse,  le  bocage  au-dessus  de  la  colline,  le  Hain  ger- 
manique au-dessus  du  Hugel  grec.  Mais  ce  panthéon 
klopstockien  n'avait  ni  relief  ni  couleur.  Ces  dieux 
n'étaient  que  des  images  nébuleuses  et  des  vocables 
sonores.  Le  poète  eut  beau  annoter  ses  vers  et  leur 
joindre  un  dictionnaire  de  la  fable;  c'était  un  grimoire 
pour  le  public,  et  quelle  poésie  que  celle  qui  doit  se 
commenter  elle-même!  Encore  si  le  style  avait  eu  quelque 
attrait!  Mais  Klopstock  voulut  prendre  le  ton  âpre  d'Os- 
sian,  donner  à  ses  nouvelles  odes  la  concision  violente 
des  anciens  bardes;  il  prodigua  les  phrases  courtes  et 
saccadées;  il  tomba  dans  l'obscur  et  le  guindé. 

Avec  les  années  ses  défauts  s'aggravent.  Sa  République 
des  lettres  (1774)  parut  une  énigme.  Certes,  il  recom- 
mande au  poète  de  mépriser  les  folies  contenues  dans 
le  livre  des  règles,  et  le  jeune  Gœthe  s'écriait  que  l'ou- 
vrage de  Klopstock  lui  versait  une  vie  nouvelle  dans  les 
veines,  que  c'était  la  seule  poétique  de  tous  les  temps 
et  de  tous  les  peuples.  Mais  que  d'idées  étranges  et  quelle 
singulière  république  avec  ses  aldermans,  ses  corpora* 
tiens,  ses  lois,  ses  récompenses  et  ses  peines! 

Il  magnifia,  puis  maudit  la  Révolution  française,  et  dans 
des  vers  imprégnés  d'amertume  et  de  haine,  en  un  style 
tourmenté,  outré,  plein  de  baroques  personnifications, 
il  traça  de  sombres  et  macabres  tableaux  de  la  Terreur. 


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LE  XVIII^  SIBGLB  Iti 

Mais  il  réveilla  dans  les  cœurs  la  fierté  patriotique;  il 
vanta  le  sérieux  de  T Allemagne  et  sa  force  guerrière»  il 
annonça  sa  grandeur  future  et  bien  qu'il  ait  vainement 
essayé  d'animer  le  passé  germanique,  bien  qu'il  n'ait 
esquissé  que  des  figures  incertaines  et  enveloppées  de  la 
brume  du  Nord,  il  réussit  k  faire  de  Hermann  un  héros 
national. 

Il  célébra  dignement  la  nature,  non  seulement  Thiver 
et  la  joie  des  patineurs  volant  sur  la  glace  qui  résonne 
sous  leurs  pas,  mais  le  ciel  semé  d'étoiles,  la  lumière 
calmante  de  la  lune,  cette  «  compagne  argentée  de  la 
nuit  »,  et  surtout  le  crépuscule,  cfe  crépuscule  qui  répand 
la  fraîcheur  sur  les  hommes  fatigués  et  l'inspiration  sur 
le  poète,  le  crépuscule  où  Thuiskon  descend  dans  le  bois 
sacré  des  bardes,  où  a  lieu  la  lutte  des  deux  Muses  —  et 
la  poésie  vaporeuse  de  Klopstock  n'a-t-elle  pas  quelque 
analogie  avec  le  crépuscule  ? 

Il  chanta  l'amitié  et  cette  amitié  n'est  pas,  comme 
celle  des  p^tes  de  Halle,  un  commerce  de  tendres 
fadeurs. 

Il  chanta  l'amour,  un  amour  chaste  qui  rappelle  celui 
des  anges;  il  voulait,  disait-il,  imiter  Hagedorn,  manier 
la  lyre  d'Anacréon;  mais  Uranie,  la  muse  sage  et 
sérieuse^  lui  a  fait  signe  et,  sur  l'ordre  d'Uranie,  il 
célèbre  la  vertu  sereine  et  souriante,  non  la  vertu  sévère 
et  triste. 

Sa  mélancolie  est  souvent  touchante.  Il  chante  moins 
Meta  facilement  conquise  que  la  cruelle  Fanny.  Sous  la 
charmille,  il  demande  à  l'ami  qui  boit  avec  lui  le  vin  du 
Rhin,  non  une  chanson  légère,  non  un  joyeux  récit,  mais 
la  confidence  de  ses  peines.  Au  milieu  de  la  splendeur 
d'une  nuit  d'été,  il  songe  aux  amis,  aux  «  nobles  »  qui 
jouissaient  avec  lui  de  ce  beau  spectacle. 


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182  LITTBRATCRB  ALLEMANDE 

Son  originalité  réside  dans  le  sentiment,  YEmpfin» 
dung;  il  a  osé  l'exprimer  librement;  il  lui  a  prêté  uo 
nouvel  et  pathétique  accent.  Dans  le  Lac  de  Zurich  il 
décrit  à  peine  les  montagnes  couvertes  de  vignes,  les 
cimes  alpestres,  le  frais  ombrage  du  bois,  mais  il  décrit 
longuement  les  charmes  de  sa  compagne,  la  joie  qai 
remplit  son  cœur  et  Tinfluence  du  printemps,  de  *ce 
printemps  dont  le  souffle  puissant  anime  la  jeunesse , 
enhardit  Tamour  et  assure  la  victoire  au  sentiment.  Ne 
disait-il  pas  que  sa  première  loi,  une  loi  qu'il  gravait 
dans  lui-même  en  caractères  d'airain,  c'est  que  le  cœur 
doit  être  le  maître  des  images? 

Sa  poésie  est  trop  fréquemment,  comme  remarquait 
Lessing,  de  la  prose  artiBcielle^  et  l'effort  qu'il  fait  pour 
relever  par  l'énergie  et  l'éclat  des  termes  le  vers  privé 
de  rime,  a  souvent  échoué.  Il  altère  et  défigure  les 
mètres  antiques  dont  il  se  sert,  il  forge  des  rythmes 
compliqués.  Mais  il  a  de  l'élan  et  de  l'harmonie. 

Il  a  créé  la  langue  poétique.  Que  de  mots  il  a  tirés  de 
la  foule  et  rendus  signifiants  !  Et  quels  sont  ses  mots  de 
prédilection,  ces  mots  par  lesquels  se  caractérise  un 
écrivain?  Il  emploie  sans  cesse  les  adjectifs  noble,  géné^ 
reux^  fier  y  grave,  hardiy  impétueux^  fougueux^  enflammé^ 
çigoureux,  chaud,  éleyé,  sublime.  Il  use  avec  profusion 
des  substantifs  sentimenty  raçissement,  essor,  inspiration, 
et  c'est  lui  qui  a  introduit  les  doux  frissons,  les  larmes 
de  plaisir,  la  volupté  de  la  mélancolie.  Certains  verbes 
lui  sont  chers  :  çoler,  flotter,  planer,  frémir,  tressaillir, 
déborder,  s^épandre.  Les  <c  nobles  »  qu'il  aime  et  repré-* 
sente  dans  ses  odes,  ont  la  joue  en  feu,  le  regard  chargé 
d'éclairs  et  levé  vers  le  ciel,  l'attitude  majestueuse;  leur 
cœur  palpite  et  une  divine  ivresse  les  transporte;  leur 
langage  «  fort  et  plein  de  pensées  »  se  dérobe  au  vul- 


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.  LE  Xyill*   SiBCLB  183 

gaire;  ils  s'éveillent  la  nuit,  versant  des  larmes,  hantés 
par  des  rêves  de  gloire,  brûlant  du  désir  d'être  utiles  à 
la  patrie. 

De  là,  l'enthousiasme  qu'excitèrent  les  odes.  Mais 
celles  que  le  public  préférait  étalent  les  premières, 
celles  qui  célèbrent  l'amour  et  l'amitié  ;  devant  elles  la 
critique  s'inclinait,  se  taisait;  elles  devaient  être  sur  la 
toilette  de  toutes  les  dames;  on  mettait  au  même  rang 
une  figure  de  Raphaël,  un  air  de  Pergolèse  et. une 
strophe  de  Klopstock.  Dans  l'édition  de  1771  qui  com- 
prenait trois  livres  :  Dieu,  amour  expatrie,  Herder  louait 
particulièrement  le  livre  de  l'amour  et,  comparant  l'âme 
du  poète  à  une  fleur,  il  disait  en  termes  klopstockiens 
que  cette  fleur  frémit  plus  doucement  sur  le  sein  de 
Fanny  que  lorsqu'elle  s'agite  au  souffle  de  Dieu  ou  de  la 
brise  qui  court  dans  le  bocage  des  bardes. 

Wieland. 

Wieland  (né  à  Oberholzheim  en  1733,  mort  à  Weimar 
en  1813)  fut  l'adversaire  de  Klopstock.  «  Nous  sommes 
deux  antipodes  »,  disait-il^  et  il  jugeait  que  le  Messie  était 
une  aventure,  que  Klopstock  entraînait  la  nation  dans  la 
région  des  météores  pour  la  précipiter  ensuite  dans  les 
marais  du  pathos.  11  avait  d'abord  klopstockisé;  il  avait 
été, de  son  aveu,  mystique,  ascète, prophète;  il  traitait  les 
anacréontiques  de  païens  et  de  vermine.  Mais,  selon  le 
mot  d'un  contemporain,  cette  jeune  fille  qui  jouait  la 
bigote,  devait  devenir  bientôt  une  fringante  beauté  à  la 
mode.  Sa  tragédie  de  Jeanne  Grey,  son  épopée  de  Cyrus, 
son  dialogue  d'Araspe  et  Pantkée  prouvèrent,  comme  il 
témoignait  lui-même,  que  son  âme  avait  repris  son  assiette 
ou,  comme  écrivait  Lessing,  qu^il  avait  quitté  les  sphères 


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184  LITTBRATGRB  ALLBlfAKDB 

éthérées  pour  vivre  de  nouveau  parmi  les  enranta  dea 
hommes.  Un  séjour  k  Berne  où  il  connut  la  spirituelle 
Julie  de  Bondeli  et  son  commerce  avec  le  comte  Stadion  et 
les  La  Roche  lui  donnèrent  le  ton  de  la  bonne  société.  Ses 
auteurs  favoris  sont  désormais  Lucien»  Ârioste,  Cervantes» 
Voltaire,  Sterne,  surtout  Shaftesbury  qu'il  trouve  admi* 
rable  et  que  Gœthe  nommait  son  frère  jumeau.  Il  raeonta 
dans  un  roman»  Don  Silçio  de.  Rosalça^^et  tel  est  le  sons* 
titre —  la  victoire  de  la  nature  sur  Texaltation;  dans  un 
autre  roman,  Agathon  (1766-1767),  les  aventures  d'un 
jeune  Grec  qui  finit  par  comprendre  que  l'expérience  est 
la  meilleure  école  de  vertu;  dans  un  poème,  Musathn^ 
(1768)  —  qu'il  regardait  comme  son  meilleur  ouvrage  '^-- 
l'histoire  d'un  misanthrope  qu'une  belle  Athénienne  con- 
vertit au  plaisir;  dans  les  Grâces  (1770)  qui  sont  mi-prose 
mi-vers,  que  les  grâces  animent  la  beauté,  émoussent  les 
angles  de  la  sagesse,  ôtent  à  la  vertu  sa  raideur  et  son 
àpreté.  La  métamorphose  de  Wieland  indigna  nombre 
d'esprits  ;  on  blâma  ses  voluptueux  tableaux,  on  l'appela 
un  homme  immoral,  un  corrupteur.  Et  il  parut  un  instant 
tomber  d'un  extrême  dans  l'autre  ;  le  séraphin  tournait  au 
libertin;  ses  Contes  comiques  étaient  plutôt  des  contes 
lubriques.  Il  s'amenda,  il  voulut  être  l'Arioste  de  l'Alle- 
magne, il  composa  des  poèmes  chevaleresques  et  roman- 
tiques, Idris  et  Zinidey  le  Nouvel  Amadis^  Geron  le  cour» 
tois,  Gandalin,  Perçonte.  Le  satyre  y  perce  encore,  les 
digressions  foisonnent,  les  caractères  n'ont  pas  de  consis- 
tance ni  les  événements,  de  vraisemblance;  mais  le  style, 
bien  que  fleuri  et  un  peu  fade,  est  facile,  souple,  élégant. 
Nommé  professeur  à  l'Université  d'Erfurt,  il  publia  en 
1772  le  Miroir  d'or  où  il  résumait,  suivant  ses  propres 
termes,  les  enseignements  les  plus  utiles  que  la  noblesse 
d'un  pays  civilisé  pouvait  tirer  du  spectacle  de  l'histoire. 


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LB  XVIIt*  81BGLB  186 

Ce  roman  politique  lui  valut  la  faveur  de  la  duchesse 
Amélie  de  Saxe-Weimar,  qui  lui  confia  l'éducation  de 
ses  deux  fils.  Il  vécut  dès  lors  à  Weimar  ob  il  plut  par 
sa  mesure»  par  son  aménité,  par  son  humeur  débonnaire. 
Le  Mercure  allemand  qu'il  fonda  en  1773,  et  de  nouvelles 
œuvres  accrurent  sa  réputation.  L'Histoire  des  Abdéritains 
(1774),  est  un  amusant  persiflage  de  la  bourgeoisie  alle- 
mande. VObéron  (1780)  offre  une  intrigue  assez  lâche,  et  la 
fin  n'a  pas  le  même  agrément  que  le  début;  mais,  au  sortir 
de  la  lecture,  Goethe  envoyait  à  l'auteur  une  couronne  de 
laurier.  Les  dernières  productions  de  Wieland,  romans 
grecs  et  traductions  de  l'antique,  sentent  la  vieillesse. 
L'unique  traduction  qu'il  faut  citer,  celle  de  Shakespeare 
(1762-1766),  une  belle  infidèle,  mais  excellente  pour  son 
moment,  n'eut  aucune  influence  sur  Wieland  dont  le 
talent,  au  contact  du  grand  Will,  aurait  pu  se  tremper 
et  s'aflfermir;  telle  quelle,  elle  fit  connaître  aux  Alle- 
mands le  tragique  anglais.  Ce  n'est  pas  le  seul  mérite  de 
Wieland.  Agathon  est  ennuyeux,  mais  c'est  un  roman 
psychologique  ;  Wieland  n'assurait-il  pas  qu 'Agathon  était 
un personnage'réel,  c'est-à-dire  lui-même?  Certes,  il  n'a 
guère  d'originalité.  De  son  vivant  on  le  qualifiait  déjà  de 
polygraphe,  et,  bien  avant  les  romantiques,  Schubart 
et  le  journaliste  Wittenberg  l'accusaient  de  plagiat  et  de 
pillage.  Il  commet  force  anachronismes,et  Gœthe  lui  repro** 
chait  avec  raison  d'avoir  dans  son  Alceste  habillé  les  héros 
grecs  à  la  mode  du  jour.  Il  est  quelquefois  lourd,  surtout 
dans  la  prose  où  sa  phrase,  modelée  sur  le  latin^ 
s'allonge  et  se  tratne;  il  a  trop  de  parenthèses,  trop 
d'épithètes.  Même  en  vers,  il  s'exprime,  comme  le 
Cherasmin  de  son  Obéron^  avec  un  peu  de  prolixité, 
ein  ipenig  breit;  il  a  une  facilité  diffuse,  et  il  confessait 
que  le  caractère  de  son  style,  c'était  la  stâmulia^  le  babil, 


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1S6  LlTTiBATORB  ALLEMANDE 

le  caquet.  Mais  il  remit  la  rime  en  honneur  et  il  la  manie 
avec  une  aisance  que  n'avaient  pas  ses  devanciers;  il 
apprit  aux  Allemands  à  écrire  avec  délicatesse  ;  il  égaya 
la  langue  et  la  rendit  aimable.  Après  avoir  lu  AVieland, 
la  noblesse  revint  de  ses  préjugés  contre  Tidiome  national. 
Elle  goûta  ce  qu'il  avait  de  frivole  et  de  léger,  de  libre 
et  de  français.  Stadion  s'étonnait  qu'un  Allemand  pAt 
dire  si  joliment  les  choses,  et  les  dames  de  l'aristocratie 
viennoise  à  qui  BoufBers  révélait  les  Grâces j  s'enthousias- 
maient pour  l'auteur  de  ce  charmant  badinage  ;  celui-là 
au  moins,  savait  écrire  pour  le  grand  monde  ! 

Winckelmaxm. 

Klopstock  et  Wieland  avaient  goûté  l'antiquité,  sans 
trop  la  comprendre  ;  Winckelmann  la  comprit.  Il  commit 
des  erreurs;  il  recommanda  l'allégorie;  il  assura  que 
l'imitation  des  anciens  était  le  seul  moyen  d'arriver  à 
la  perfection  ;  il  ne  voyait  dans  le  beau  que  la  correction 
du  dessin,  la  pureté  de  la  forme,  et  il  prétendait  que  le 
vrai  beau  est  un,  et  non  multiple.  Mais  son  Histoire  de  tart 
dans  C antiquité  (1764),  malgré  ce  qu'elle  a  d'étroit  et  d'in- 
complet, est  une  œuvre  puissante,  et  quand  Winckelmann 
ne  serait  ni  un  érudit  ni  un  archéologue,  il  a  été  poète;  il 
a  parlé  de  l'art  antique  avec  un  enthousiasme  passionné, 
avec  une  émotion  pénétrante,  en  une  langue  noble, 
éloquente.  Devant  les  grandes  œuvres  grecques  il  se 
croit  transporté  par  la  pensée  en  Grèce  même  et  son 
âme  pleine  de  respect  semble  s'élever  et  s'étendre.  Ne 
disait-il  pas  qu'il  suivait  l'exemple  du  beau  Belli  qui, 
lorsqu'il  parut  pour  la  première  fois  sur  le  théâtre  de 
Rome,  déclara  qu'il  montrerait  aux  Romains  ce  qu'est  la 
beauté  et  ce  que  peut  la  beauté,  et  qu'ainsi  que  Belli, 


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LB  XVIIi*  SIKCLB  187 

lui,  Winokelmann,  désirait  montrer  eomment  on  doit 
écrire  et  penser  d*une  façon  digne  de  soi  et  de  la  pos- 
térité? Ne  disait-il  pas  qu'il  espérait  que  ses  livres 
feraient  honneur  non  seulement  à  la  science  allemande, 
mais  à  la  langue  allemande  ?  On  sait  qu'il  mourut  pré- 
maturément en  1768,  à  Trieste,  où  il  fut  assassiné  par 
un  Italien  qui  voulait  lui  ravir  des  médailles  d'or  données 
par  Marie-Thérèse,  et  qu'il  naquit  en  1717  dans  cette 
petite  ville  de  Stendal  qui  fournit  à  Henri  Beyle  son 
pseudonyme  romantique  et  sonore. 

lieBBincr. 

Épris  de  l'antiquité  comme  Winckelmann,  mais  plus 
varié,  plus  moderne,  abordant  le  théâtre  avec  succès  et 
rendant  son  verdict  sur  ses  contemporains,  aussi  grand 
par  le  caractère  que  par  le  talent^  homme  d'action  et 
d'énergie  au  milieu  d'une  génération  timide  et  senti- 
mentale, opposant  k  la  mauvaise  fortune  une  virile  gaité, 
fier,  indépendant^  craignant  de  s'enchainer,  toujours 
animé  d'une  batailleuse  humeur,  trouvant,  affermissant 
ses  propres  opinions  lorsqu'il  s'escrime  contre  celles 
d'autrui,  mettant  autant  de  joie  que  d'ardeur  k  défendre 
les  idées  qui  lui  semblent  vraies,  exerçant  en  maître  cette 
critique  vigoureuse  et  pénétrante  qui  seule  pouvait,  selon 
le  mot  d'un  contemporain,  purifier  le  goût  allemand  et 
devant  k  la  critique,  de  son  propre  témoignage,  quelque 
chose  qui  approche  du  génie,  ouvrant  presque  en  tous 
sens  des  voies  nouvelles,  tel  a  été  Lessing. 

Il  naquit  en  1729  dans  la  petite  ville  saxonne  de 
Kamenz,  où  son  père  était  pasteur,  et  il  fit  de  très  fortes 
études  k  l'école  de  Meissen  dite  de  Sainte-Afra.  Le 
directeur  de  l'établissement  assurait  que  les  leçons  les 


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188  LITTÊnATURB    ALLEMANDE 

plus  difficiles  étaient  un  jeu  pour  relève  et  que  ce 
cheval  demandait  double  ration.  Dëjiiy  le  critique  perçait 
en  même  temps  que  Térudit;  ses  professeurs  le  trou» 
vaient  curieux,  railleur,  impertinent.  Envoyé  en  1746  à 
rUniversité  de  Leipzig  pour  étudier  la  théologie,  il 
aima  mieux  suivre  les  cours  d'antiquité  classique» 
Honteux  de  ses  façons  gauches  et  de  son  maintien 
embarrassé,  il  se  jeta  dans  le  tourbillon  de  la  vie;  il 
apprit  la  danse,  l'escrime,  l'équitation  ;  il  fréquenta  le 
théâtre;  il  écrivit  des  comédies,  et  Tune  d'elles,  le 
Jeune  Savanty  où  il  se  moque  de  lui-même  et  du  pédan- 
tisme  de  son  âge,  fut  jouée  avec  succès. 

De  1748  à  1755  il  est  tantôt  à  Wittenberg  où  il 
prend  ses  grades  académiques,  tantôt  et  le  plus  souvent 
a  Berlin,  versifiant  des  odes,  chansons  et  épigrammes 
où  il  y  a  plus  de  malice  que  de  poésie,  traduisant  des 
pièces  étrangères,  publiant  un  recueil  consacré  à 
l'histoire  du  théâtre,  composant  des  drames  comme  le 
Libre-penseur  et  les  Juifs  y  où  il  défend  la  cause  de  U 
tolérance,  étudiant  le  Dictionnaire  de  Bayle,  réhabilitant 
des  théologiens  d'autrefois  que  leur  siècle  avait  à  tort 
condamnés,  rédigeant  des  articles  sur  les  livres  nouveaux. 
Bien  qu'elle  tâtonne  encore,  sa  critique,  judicieuse, 
prespicace,  sévère,  inspire  déjà  la  crainte  et  l'estime.  Il 
n'est  ni  pour  Gottsched  ni  pour  les  Suisses,  et  il  blâme 
également  les  deux  partis;  il  persifle  Gottsched;  il 
reproche  aux  Suisses  leurs  alexandrins  boiteux  et  leur 
dédain  de  la  rime  ;  il  discerne  les  défauts  du  Messie  de 
Klopstock.  Il  châtie,  en  1754,  avec  une  juste  rudesse, 
un  méchant  traducteur  d'Horace,  le  pasteur  Lange. 
Enfin,  il  donne,  en  1755,  Miss  Sara  Sampson.  Dans 
cette  pièce,  il  s'inspire  des  modèles  anglais,  surtout  de 
la  Clarisse  de  Richardson  et  du  Marchand  de  Londres  de 


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LB  XYllI"  8IBCLB  189 

Lillo.  Mais  il  n'observe  pas  les  trois  unités.  11  montre, 
comme  on  disait  alors,  que  le  casque  et  le  diadème  ne 
font  pas  le  héros  tragique;  ses  personnages,  gens  de 
moyenne  condition,  parlent  en  prose,  non  en  alexandrins, 
et  qnelques-uns  sont  assez  bien  tracés  :  Mellefont, 
faible,  flottant,  inconséquent,  et  la  Marwood,  violente, 
passionnée,  vindicative,  <c  une  nouvelle  Médée  ».  Quelles 
que  soient  ses  faiblesses,  AlUa  Sara  Sampaon  est,  en 
date,  la  première  tragédie  bourgeoise  de  TAUemagne. 

En  cette  même  année  1755  Leasing  regagne  Leipzig. 
Lb,  lorsqu'éclate  la  guerre,  ce  Saxon  devient  Prussien 
ou  plutôt  fritzien,  ami  du  grand  Fritz.  Entraîné  par 
Ewald  de  Kleist  et  par  Gleim,  il  admire  Frédéric  et, 
dans  sa  préface  aux  ChanU  de  guerre  cTun  grenadier 
prussien f  il  dit  que  les  sentiments  héroïques,  le  désir  du 
danger,  Torgueil  de  mourir  pour  la  patrie  sont  aussi 
naturels  au  Prussien  qu'au  Spartiate.  Son  style  a 
désormais  plus  de  nerf,  plus  de  concision.  Il  réagit 
contre  la  langue  fade  etplate  de  ses  contemporains,  il  vise 
au  laconisme,  et  lorsqu'il  publie  Philotasj  en  1759,  c'est 
dans  une  prose  brève  et  forte  que  s'exprime  le  héros  de 
ce  petit  drame,  un  jeune  prince  plein  d'ambition  qui 
tombe  aux  mains  des  ennemis  et  qui  se  donne  la  mort 
pour  les  priver  de  l'avantage  qu'ils  prendraient  sur  son 
père. 

Pareillement,  les  Fables  qu'il  fait  paraître  dans  cette 
même  année  1759,  sont  d'une  extraordinaire  brièveté. 
Leasing  croit  que  les  ornements  sont  contraires  au  but 
de  la  fable,  et  il  veut  qu'elle  soit  aussi  courte  et  simple 
que  possible,  afin  de  mieux  mettre  en  lumière  la  vérité 
morale  qu'elle  porte  avec  elle.  C'est  pourquoi  ses  fables 
sont  en  prose.  Il  a  composé  cinq  dissertations  sur  ce 
sujet.  Le  mattre  du  genre,  selon  lui,  c'est  Ésope  qui 


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190  LITTERATURE   ALLEMANDE 

n'énonce  que  le  nécessaire.  Phèdre  est  prolixe  parce 
qu'il  écrit  en  vers.  Quant  à  La  Fontaine,  c'est  un  conteur, 
non  un  fabuliste,  et  parce  que  le  bonhomme  dit  qu'il  a 
voulu  «  égayer  »  ses  fables,  Lessing  prenant  ce  mot 
c<  égayer  »  dans  le  sens  le  plus  étroit,  assure  que  le  poète 
français  n'a  d'autre  mérite  qu'un  gai  bavardage,  que  ses 
fables  ne  sont  que  de  jolis  joujoux.  Comme  si  La  Fon- 
taine n'entendait  pas  -->  et  telles  sont  ses  expressions  — 
par  la  «  gaité  »  un  certain  charme,  un  air  agréable 
qu'on  peut  donner  aux  sujets  les  plus  sérieux!  Comme 
si  la  fable  ésopique  était  la  seule  forme  que  la  fable  pût 
revêtir!  Vous  êtes  orfèvre,  monsieur  Josse.  Lessing 
demande  aux  fabulistes  ses  propres  qualités,  la  conci- 
sion, le  trait  épigrammatique.  Mais  la  fable,  ainsi  com- 
prise, et  bien  que  Lessing  y  ait  mis  de  l'esprit,  de  la 
finesse,  de  la  profondeur,  est  vraiment  trop  sèche  et  trop 
nue  ;  elle  n'a  plus  rien  de  naïf,  de  naturel,  de  vivant  ;  elle 
instruit  et  ne  plaît  pas,  et,  dès  lors,  est-ce  la  peine  de 
faire  une  fable? 

La  même  année  que  Philota^  et  les  Fablesj  parais- 
saient les  Lettres  sur  la  littérature  du  Jour.  Lessing,  de 
retour  a  Berlin,  s'était  associé,  pour  les  publier,  à 
Nicolaî  et  à  Mendelssohn.  Jamais  sa  critique  n'a  été  plus 
perçante,  plus  impitoyable  et  plus  salutaire,  et  quelle 
fraîcheur,  quelle  jeunesse  d'accent,  quel  ton  libre  et 
belliqueux,  quelle  souplesse  de  style  !  Il  rend  hommage 
à  Gleim  et  à  Kleist.Maisil  accable  les  mauvais  traducteurs 
qu'il  nomme  des  journaliers  de  lettres.  Il  accuse  Gott- 
sched  d'avoir  gâté  le  goût  du  public  et  compromis 
l'avenir  du  théâtre  allemand  en  cherchant  ses  modèllss 
chez  les  Français  et  non  chez  les  Anglais.  Il  raille  le 
séraphisme  de  Klopstock  et  ses  chants  religieux  qui 
sont  si  pleins  de  sentiment  que  le  lecteur  ne  sent  rien 


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LE  XVIII"   8IÈCLB  191 

du  tout.  Il  se  moque  du  gentil  babillage  de  Wieland,  de 
son  mysticisme  éphémère,  de  ses  Sentiments  £un  chré^ 
tien  où  le  jeune  auteur  fait  des  débauches  d'imagination 
et  défigure  la  langue  des  Saintes  Écritures  par  des  sub- 
tilités et  de  profanes  allusions,  de  son  Plan  d'Académie 
qui  foisonne  d'inexactitudes  historiques. 

Ces  Lettres  sur  la  littérature  e^ttyoïir  durèrent  jusqu'en 
1765,  et,  suivant  l'expression  d'un  des  rédacteurs,  après 
avoir  vécu  comme  l'impétueux  Achille,  elles  s'endor- 
mirent comme  le  pieux  Enée.  MaisLessing  ne  collabore 
que  deux  années  à  ce  recueil.  A  la  fin  de  1760  il  aban- 
donne l'entreprise.  Il  se  rend  de  Berlin  à  Breslau  où  il 
est  secrétaire  du  général  Tauenzien,  et  là,  tout  en  rédi- 
geant des  rapports  et  en  jouant  avec  fureur  au  pharaon, 
il  prépare  le  Laocoon  et  Minna  de  Barnhelm. 

Le  sujet  de  Minna  de  Barnhelm  y  qui  fut  représentée 
pour  la  première  fois  en  1767,  était  tiré  des  événements 
contemporains  :  la  scène  se  passait  a  Berlin  après  la  con- 
clusion de  la  paix  d'Hubertsbourg,  et  l'auteur  semblait 
avoir  pris  les  personnages  dans  ses  propres  entours  :  le 
major  de  Tellheim,  homme  loyal,  généreux,  chevale- 
resque, délicat  à  l'excès,  donnant  dé  l'argent  à  la  veuve 
d*un  camarade  bien  qu'il  soit  pauvre,  et  renonçant  h  la 
main  d'une  riche  héritière  parce  qu'il  est  pauvre  ;  cette 
héritière,  Minna  de  Barnhelm,  raisonneuse,  mais  aimable, 
franche  et  finissant,  en  dépit  de  lui,  par  reconquérir  ce 
Tellheim  dont  l'humeur  un  peu  austère  et  misanthro- 
pique  contraste  avec  son  enjouement;  les  serviteurs  du 
major,  Just,  fidèle  comme  un  chien,  et  Werner,  aussi 
dévoué  que  Just,  moins  vulgaire  pourtant  et  réellement 
épris  du  métier  des  armes;  Franziska,  la  soubrette 
espiègle  et  futée;  l'hôtelier,  curieux  et  cupide;  un  che- 
valier d'industrie,  un  Français,  le  lieutenant  Riccaut  de 


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191  LITTBRATURB  ALLBMÀNOB 

La  Marlinière.  Aussi  la  pièce  fut-elle  saluée  comme  la 
première  comédie  originale  de  rAUemagne.  Les  sou- 
venirs de  la  guerre,  Frédéric  rendant  justice  à  Tellheim 
parce  qu'il  est  un  roi  à  la  fois  grand  et  bon,  Tofficier 
prussien  épousant  la  baronne  saxonne,  ce  mariage  scel- 
lant la  réconciliation  des  deux  peuples,  tout  ce  que 
Touvrage  avait  d'actuel  et  de  national  fit  alors  le  succès 
de  Minna.  Mais  Minna  a  de  plus  éclatants  mérites  t  la 
peinture  des  caractères,  la  simplicité  du  sujet,  la  struc- 
ture savante  d'une  œuvre  qui  se  déroule  et  se  développe 
du  premier  acte  au  cinquième  sans  que  faiblisse  l'intérêt, 
une  foule  d*ingénieux  détails  et  de  piquants  épisodes,  un 
dialogue  spirituel,  rapide,  varié. 

Ce  fut  après  son  retour  à  Berlin,  en  1766,  que  Leasing 
publia  son  Laocoon.  Ici  encore  il  est  délimitateur.  De 
même  qu'il  marquait  dans  ses  lettres  à  Mendelssohn  les 
différences  entre  la  tragédie  et  l'épopée,  de  même  qu'il 
distinguait  dans  un  mémoire  sur  Pope  métaphysicien  la 
poésie  et  la  métaphysique»  de  même  dans  le  Laocoon  — 
dont  le  sous-titre  est  Des  limites  de  la  peinture  et  de  la 
poésie  —  il  s'efforce  d'établir  les  vrais  caractères  des 
arts  plastiques  et  de  la  poésie.  Il  s'imagine,  comme 
Winckelmann,  que  l'art  grec  n'exprimait  pas  les  mouve- 
ments violents  de  l'âme.  Mais  Winckelmann  assurait  que 
le  Laocoon  du  fameux  groupe  ne  crie  point  parce  qu'un 
cri  serait  contraire  à  cette  grandeur  et  tranquillité  d'âni0 
qui  se  montre  dons  les  œuvres  de  la  sculpture  grecque. 
Lessing  combat  l'opinion  de  Winckelmann.  Il  rappelle 
que  les  héros  et  les  dieux  d'Homère  crient  toujours 
lorsqu'ils  sont  blessés,  et  il  affirme  que  l'auteur  du 
Laocoon  a  été  guidé,  non  par  une  idée  morale,  mais  par 
le  principe  même  des  arts  plastiques,  par  le  principe  de 
la  beauté  :  cet  artiste  n'a  pas  voulu  représenter  la  dou* 


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LB  XVIII*  SIBCLB  19S 

leur  physique  dans  toute  sa  vivacité,  il  Tatténue  et,  de 
crainte  d'enlaidir  le  personnage,  il  change  le  cri  en  sou* 
pir.  A  la  vérité,  ajoute  Leasing,  le  Laocoon  de  Virgile 
crie.  C'est  que  la  poésie  a  d'autres  lois  que  les  arts 
plastiques;  c'est  qu'elle  suit  le  développement  d'une 
action  dans  tous  ses  moments  successifs;  le  peintre  et 
le  sculpteur,  par  contre,  ne  peuvent  saisir  qu'un  seul 
moment.  Lessing  montre  ainsi  que  la  poésie  et  la  pein- 
ture ont  chacune  leurs  procédés  et  leurs  ressources;  il 
montre  que  ses  contemporains  se  trompent  en  prenant 
au  pied  de  la  lettre  les  mots  d'Horace,  utpictura^  poesis; 
il  montre  qu'Homère  a  fait  œuvre  de  poète,  et  non  œuvre 
de  peintre,  a  transformé  le  coexistant  en  successif,  a 
représenté  des  actions,  et,  par  là,  Lessing  porte  le  coup 
mortel  à  la  fausse  poésie  descriptive,  «  ce  festin  qui  ne  se 
compose  que  de  sauces  »;  il  fixe  le  caractère  et  l'objet 
de  la  poésie.  Certes,  il  a  commis  des  erreurs,  et  ses 
jugements  sont  parfois  tranchants  :  il  n'accorde  aucune 
importance  à  la  peinture  de  paysage  ;  il  sacrifie  la  poésie 
lyrique.  Mais  le  Laocoon  renfermait  d'utiles  vérités;  il 
fut  une  révélation,  et  Gœthe  témoigne  qu'il  se  sentit,  en 
le  lisant,  illuminé  d'une  soudaine  clarté.  Ce  n'est  qu'un 
fragment,  la  première  partie  inachevée  d'un  grand 
ouvrage,  et  Lessing  avoue  qu'il  n'a  pas  composé  un  traité 
systématique,  qu'il  offre  au  lecteur  les  matériaux  d'un 
livre  plutôt  que  le  livre.  Néanmoins,  malgré  ses  digres- 
sions et  ses  détours,  il  ne  perd  jamais  de  vue  son  sujet; 
tout  ce  qu'il  dit  se  lie  et  se  tient  solidement,  et  nous 
voyons  sa  dissertation  naître  devant  nous  comme  le  bou- 
clier qu'Homère  fait  naître  sous  nos  yeux. 

En  avril  1767,  Lessing  était  à  Hambourg  où  s'orga- 
nisait un  théâtre  que  ses  fondateurs  qualifiaient  de 
national.  H  devait  rendre  compte  de  chaque  représenta- 

VmiUMtVKM   ALVBMAIVDV.  13 


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194  LITTERATURE  ALLEMANDS 

tion  et  former  les  comédiens  et  le  public.  Le  1*'  mai  1767, 
il  donnait  le  premier  numéro  de  la  Dramaturgie  de 
Hambourg, 

Mais  le  directeur  ne  s'entendit  pas  avec  les  acteurs; 
les  acteurs  trouvèrent  que  Lessing  ne  les  louait  pas 
assez;  le  public  regimba;  à  Pâques  1769,  l'entreprise 
prit  fin,  et  avec  elle  la  Dramaturgie  qui,  après  avoir  paru 
deux  fois  par  semaine,  paraissait  quand  elle  pouvait. 
Lessing  disait  que  ses  lecteurs  étaient  joliment  attrapés  : 
au  lieu  de  conter  des  anecdotes  et  d'analyser  les  pièces 
en  vogue,  il  dissertait  sur  la  tragédie.  Par  là  même,  sa 
Dramaturgie  devint  une  sorte  d'esthétique  tbéâtrale.  Ne 
projetait-il  pas  de  faire  dans  la  dernière  partie  de  son 
Laocoon  une  théorie  de  l'art  dramatique? 

Aristote  est  dans  la  Dramaturgie  ce  qu'est  Homère 
dans  le  Laocoon^  et  Esope  dans  les  dissertations  sur  la 
fable.  Lessing  avance  que  la  Poétique  du  philosophe  est 
aussi  infaillible  que  les  Éléments  d'Euclide,  et  que  la 
tragédie  ne  saurait  s'éloigner  d'un  pas  de  la  ligne  tracée 
par  Aristote,  sans  s'éloigner  d'autant  de  son  point  de 
perfection.  Il  rappelle  la  définition  qu'Aristote  a  donnée 
de  la  tragédie,  et  il  prétend  que  les  Français  ne  l'ont  pas 
comprise,  que,  par  suite,  leur  tragédie  n'est  pas  la  vraie 
tragédie. 

Aristote  écrit  assez  obscurément  que  la  tragédie 
«  opère  par  la  pitié  et  la  crainte,  la  purgation  des  passions 
de  ce  genre  »,  en  d'autres  termes,  qu'elle  excite  la  pitié 
et  la  crainte,  mais  en  même  tempa  les  purifie,  les  rectifie, 
les  ramène  a  la  juste  mesure.  Corneille,  selon  Lessing^ 
a  mal  interprété  ce  passage  ;  il  étend  la  <(  purgation  »,  la 
katharêisy  à  toutes  les  passions  ;  donc,  il  n'a  pas  fait  de 
tragédies  qui  méritent  ce  nom.  Comme  si  la  définition 
d'Aristote  était  un  dogme  absolu  I  Comme  si  ce  qui  plai- 


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LB   XVIII*  8IBCLE  195 

sait  aux  Athéniens  devait  plaire  également  aux  Français! 
Comme  si  le  drame  ne  doit  produire  d'autre  sentiment 
que  la  crainte  ou  la  pitié,  comme  s'il  ne  doit  pas  pro- 
duire le  plaisir  et  ne  peut  pas  provoquer  l'admiration  ! 
Eu  réalité,  Lessing  en  veut  à  la  tragédie  française  qui 
règne  sur  la  scène  allemande.  Il  ne  cesse  de  l'attaquer; 
il    s'acharne   contre    elle;    il    lui    reproche    le   manque 
d'action,  l'abus  des  discours,  la  pompe  du  langage.  Mais 
s'il  relève  justement  les  faiblesses  et  les  invraisemblances 
de  Itodoguney  a-t-il  raison  de  traiter  Polyeucte  de  fanfa- 
ron et  de  saltimbanque?  Et,  s'il  n'a  pas  tort  de  critiquer 
les   pièces  de  Voltaire,  de  railler  l'ombre  de  Ninus  qui 
dans  Sémiramis  sort  de  la  tombe  en  plein  jour  devant 
une  nombreuse  assemblée,  de  trouver  dans  Zaïre  moins 
de  jalousie  que  dans  Othelloy  de  blâmer  le  caractère  du 
Polyphonte  de  Mérope^  n'est-il  pas  trop  pointilleux,  trop 
sévère   sur  certains  points?  Non  qu'il  soit  ennemi  des 
Français.  Il  n'a  pas  guerroyé  contre  leur  comédie.  S'il 
met  Destouches  au-dessus  de  Molière,  il  déclare  que  tout 
est  action  dans  VÉcole  des  femmes^   bien   que  tout  y 
paraisse  récit,  et  il  défend  le  Misanthrope  contre  Rous- 
seau, il  apprécie  délicatement  Marivaux;   il   reconnaît 
Diderot  comme  son  mattre  et  le  proclame  un  génie  ori- 
ginal qui  trace  des  sentiers  dans  des  contrées  inexplorées, 
et  Fesprit  le  plus  philosophique  qui  depuis  Aristote  ait 
étudié  le  théâtre.  Mais,  dans  les  Lettres  sur  la  littérature 
du  jour  y  Lessing  avait  dit  que  le  goût  des  Allemands  les 
incline  plutôt  vers  le  théâtre  anglais  que  vers  le  théâtre 
français,  qu'ils  veulent  voir  et  penser,  qu'ils  préfèrent 
le  grand,  le  terrible,  le  mélancolique,  au  joli,  à  l'aimable 
et  au  tendre,  qu'ils  aiment  mieux  le  compliqué  que  le 
simple,  que  Shakespeare  seul  pouvait  susciter  des  génies 
originaux  et  donner  k  l'Allemagne  un  théâtre  national 


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196  LITTéRATORB   ALLEMANDE 

et  populaire.  II  développe  ces  idées  dans  la  Dramaturgie, 
Il  assure  que  la  galanterie  a  inspiré  Zaïre^  et  Tamour 
Roméo  et  Juliette^  que  la  tragédie  française,  comparée  à 
la  tragédie  de  Shakespeare,  fait  l'effet  d'une  petite  minia- 
ture pour  bague  à  côté  d'une  vaste  peinture  à  fresque.  Il 
va  plus  loin  :  Shakespeare  ignorait  Aristote,  que 
Corneille  a  si  bien  étudié,  et  des  deux  poètes,  c'est 
Shakespeare  qui  a  le  mieux  réalisé  les  conditions  de  la 
vraie  tragédie!  Cependant,  quelles  que  soient  les  exagé- 
rations de  Lessing,  il  a  dans  la  Dramaturgie  discuté 
d'importants  problèmes  et  semé  des  vues  neuves,  des 
aperçus  féconds. 

Pendant  qu'il  composait  la  Dramaturgie^  il  avait 
terrassé  un  nouveau  Lange,  le  jeune  Klotz,  professeur, 
directeur  de  revues,  élégant  latiniste,  mais  superficiel  et 
outrecuidant.  Lessing  le  convainquit  d'ignorance,  d'in- 
trigue, de  mauvaise  foi,  et  les  coups  qu'il  asséna  dans 
les  Lettres  archéologiques  à  ce  charlatan  d'érudition 
furent  si  rudes  que  le  pauvre  Klotz  ne  s'en  releva  pas. 

Il  eut  alors  l'idée  d'aller  en  Italie  et  de  remplacer  à 
Rome  Winckelmann,  qui  venait  de  mourir.  Mais  presque 
au  même  instant  le  prince  héréditaire  de  Brunswick  lui 
offrait  la  place  de  bibliothécaire  a  Wolfenbûttel  ;  il 
accepta  cet  emploi  qui  convenait  à  ses  goûts.  Au  prin* 
temps  de  l'année  1770,  il  entrait  en  fonctions. 

Deux  ans  après,  en  1772,  paraissait  Emilie  Galotti, 
C'est  l'histoire  de  Virginie  transportée  de  la  Rome  antique 
dans  une  principauté  d^Italie.  L'héroïne,  Emilie,  fille 
d'Odoardo  Galotti  et  secrètement  aimée  du  prince  Hector 
de  Guastalla,  doit  le  jour  même  épouser  le  comte 
Appiani.  Le  confident  du  prince,  Marinelli,  fait  attaquer 
par  des  bandits  la  voiture  où  se  trouvent  Appiani,  Emilie 
et  la  mère  d'Emilie,  Claudia  :  le  comte  périt;  Emilie 


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LB  XVIIl*  SIBGLB  197 

sauvée  est  emmenée  tout  près  de  là,  dans  un  château  du 
prince.  Une  maîtresse  d'Hector,  la  comtesse  Orsina, 
avertit  Odoardo,  qui  poignarde  Emilie.  La  pièce  a  de 
graves  défauts.  Quel  dénouement  singulier  !  Odoardo  tue 
sa  fille  au  lieu  de  tuer  le  prince,  et  c'est  Emilie  qui  prie 
son  père  de  la  frapper!  Et  Emilie  qui  ne  hait  pas 
Appiani,  qui  le  nomme  son  bon  Appiani  et  son  cher 
comte,  Emilie  qui  sait  qu' Appiani  vient  de  mourir  assas- 
siné, Emilie  que  sa  mère  Claudia  regarde  comme  éner- 
gique et  résolue,  Emilie  assure  à  Odoardo  qu'elle  craint 
la  séduction,  qu'elle  a  des  sens,  qu'elle  ne  répond  de 
rien!  On  loue  ordinairement  les  caractères  :  Odoardo, 
rude  et  raide  en  sa  vertu;  Appiani,  mélancolique,  simple 
et  digne;  Claudia,  vaniteuse  et  faible;  Orsina,  brûlée 
d'une  jalousie  et  d'un  désir  de  vengeance  qui  la  poussent 
au  désespoir  et  au  délire;  Marinelli,  l'âme  damnée  de 
son  souverain,  courtisan  souple  et  dénué  de  scrupule  ;  le 
prince,  spirituel,  aimable,  frivole,  ne  connaissant  d'autre 
loi  que  ses  caprices  et,  pour  les  satisfaire,  ne  reculant 
pas  devant  un  crime.  Mais  le  dialogue  est  subtil  et  le 
style^  dans  sa  précision,  un  peu  froid.  Les  personnages 
ne  parlent  pas  la  langue  de  la  passion.  Se  peut-il  qu'E- 
milie mouraote  dise  à  son  père  qu'il  a  cueilli  la  rose 
avant  qu'elle  soit  effeuillée  par  l'orage?  Toutefois,  et  en 
dépit  de  la  Dramaturgie,  cette  œuvre,  où  Leasing  observe 
scrupuleusement  la  règle  des  vingt-quatre  heures,  tient 
plus  des  pièces  françaises  que  des  pièces  shakespea- 
riennes. Elle  offre  des  scènes  logiquement  liées,  une 
action  rapide,  une  exposition  parfaite  qui,  selon  le  mot 
de  l'acteur  Schrôder,  annonce  tout  sans  rien  trahir,  et 
elle  provoque  et  provoquera  ce  que  Lessing  souhaite  à 
tout  ce  qui  est  grand,  une  admiration  qui  doute  et  un 
doute  qui  admire.  • 


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198  LITTERATURE  ALLEMANDE 

La  théologie  remplit  les  dernières  années  de  Lessing. 
Il  avait,  en  1773,  commencé  la  publication  de  travaux  et 
de  documents  inédits  tirés  de  sa  bibliothèque  de  Wolfen- 
bûttel.  De  1774  à  1777,  il  inséra  dans  cette  collection 
les  Fragments  d'un  Anonyme,  au  nombre  de  six.  L'Ano- 
nyme était  un  professeur  de  Hambourg,  mort  récem- 
ment, Samuel  Reimarus,  qui  niait  la  révélation,  le 
passage  de  la  mer  Rouge,  le  caractère  sacré  de  l'Ancien 
Testament  et  la  résurrection  du  Christ.  Cinq  des  Frag^ 
ments  parurent  en  1777.  Ils  soulevèrent  une  tempête. 
Plusieurs  théologiens  entreprirent  de  réfuter  l'Anonyme. 
Lessing  riposta.  Il  lança  contre  le  plus  redoutable  de  ses 
adversaires,  le  pasteur  Goeze,  le  pape  de  Hambourg,  une 
suite  de  onze  pamphlets  qu'il  intitula  Anti-Goeze.  Jamais 
il  n'a  été  plus  véhément  et  plus  caustique;  jamais  sa 
dialectique  n'a  été  plus  habile,  plus  variée;  tantôt  il 
accable  Goeze  de  railleries  ironiques  et  d'invectives, 
tantôt  il  le  pousse  de  questions  et  d'arguments,  le  serre 
de  près,  et  comme  il  dit,  le  rencogne,  l'accule.  Un 
septième  fragment  de  l'Anonyme,  qu'il  fit  imprimer  en 
1778,  déchaîna  de  nouvelles  colères  et,  cette  fois,  le  duc 
de  Brunswick  intervint.  Lessing  s'arrêta.  Du  moins  il 
avait  eu  le  mérite  de  distinguer  entre  l'esprit  et  la  lettre 
du  christianisme,  entre  la  religion  et  la  Bible,  entre  la 
doctrine  de  Jésus  et  les  récits  des  évangélistes,  entre 
l'enseignement  du  Christ  et  l'œuvre  des  théologiens; 
VAnti'Goeze  ouvrit  la  voie  à  la  critique  biblique. 

Le  théâtre  lui  restait.  Il  remonta  sur  son  ancienne 
chaire.  La  pièce  de  Nathan  le  Sage^  qui  parut  en  1779, 
est  le  douzième  ou  dernier  numéro  de  YAnti-Goeze^  un 
enfant,  comme  il  s'exprime,  que  la  polémique  aida  à 
mettre  au  monde. 

Boccace  conte  que   le   svltan    Saladin,   ayant  besoin 


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I«B  XT1I1*   8IKCLB  199 

d'argent,  manda  un  riche  Juif  et  lui  posa  une  question 
captieuse  :  quelle  est  la  véritable  religion,  judaïsme, 
islamisme  ou  christianisme?  Le  Juif  répondit  par  un 
apologue.  Il  y  avait  jadis  dans  une  famille  de  TOrient 
une  bague  qui  passait  de  père  en  fils,  et  celui  qui  la 
possédait  héritait  du  domaine;  elle  vint  aux  mains  d'un 
homme  qui  avait  trois  fils  et  les  aimait  également;  il  ne 
voulut  léser  aucun  d'eux  et  il  fit  faire  deux  autres  bagues 
qu'il  pouvait  k  peine  distinguer  de  la  vraie;  mais  à  sa 
mort,  les  trois  frères,  ayant  chacun  une  bague,  préten- 
dirent à  l'héritage,  et  personne  ne  put  accommoder  le 
différend,  parce  que  personne  ne  reconnaissait  l'anneau 
véritable.  Le  juif  applique  l'apologue  aux  religions,  et 
Saladin  se  déclare  content. 

Lessittg  modifie  légèrement  le  récit  de  Boccace.  Il 
ajoute  que  la  bague  a  la  vertu  secrète  de  rendre 
agréable  à  Dieu  et  aux  hommes  celui  qui  la  possède,  et 
le  juge  devant  qui  les  trois  frères  se  présentent,  leur  dit 
qu'ils  doivent  prouver  par  leurs  actes  qu'ils  ont  reçu  la 
vraie  bague,  montrer  par  leur  vie  que  ce  talisman 
produit  bonté,  amour  et  sacrifice. 

II  fallait  placer  l'apologue.  Lessing  mit  l'action  de  sa 
pièce  à  Jérusalem  au  temps  des  croisades.  Il  disposait 
déjà  de  deux  personnages,  le  juif  qu'il  appela  Nathan, 
et  le  sultan  Saladin.  II  leur  associa  le  templier  Curt  de 
Filneck.  Ce  chevalier,  prisonnier  sur  parole^  sauve  dans 
un  incendie  la  fille  adoptive  du  juif,  Récha,  et  à  la  fin 
du  drame  il  se  trouve  que  le  templier  et  Recha  sont  les 
enfants  d'un  frère  de  Saladin  et  d'une  chrétienne. 
Musulmans,  juifs,  chrétiens  appartiennent  donc  à  la 
même  famille,  et  toutes  les  religions  sont  sœurs. 

L'auteur  a  finement  dessiné  les  caractères.  Le  patriar- 
che auquel  il  prête  plusieurs  traits  de  Goeze,  le  patriar- 


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200  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

che  au  gros  ventre,  à  la  mine  rubiconde»  à  Tair  bien- 
veillant, est  intrigant,  lâche,  fanatique;  il  propose  au 
templier  d'espionner,  d'assassiner  Saladin,  et  s'il  pouvait, 
il  enverrait  Nathan  au  bûcher  parce  que  le  juif  n'a  pas 
élevé  Récha  dans  la  religion  chrétienne.  Le  brave  frère 
lai  qui  porte  dignement  le  nom  de  Bonafidès,  a  de  la  ruae 
dans  sa  candeur  et,  tout  en  exécutant  les  vilaines  commis- 
sions du  patriarche,  il  les  fait  échouer.  La  chrétienne 
Daja,  qui  désire  marier  sa  jeune  maîtresse  et  révèle  au 
templier  l'origine  de  Récha,  est  bornée,  bigote,  bavarde 
et  pourtant  sympathique.  Le  templier,  hautain,  ombra- 
geux, irascible,  irréfléchi,  a  les  défauts  de  son  âge  et 
s'il  est,  de  son  aveu,  un  grossier  Souabe,  et  si  Daja  le 
nomme  un  ours  allemand,  il  mêle  à  sa  rudesse  quelque 
chose  de  noble  et  de  chevaleresque.  Les  musulmans  de  la 
pièce,  Sittah,  Saladin,  le  derviche  Al  Hafi,  ont  aussi  leur 
caractère  :  Sittah,  bonne,  douce,  secourable,  et  toutefois 
avisée,  malicieuse,  conseillant  à  Saladin  de  tendre  un 
piège  au  juif;  Saladin,  prodigue,  exempt  de  préjugés, 
plein  d'affection  pour  les  siens;  Âl  Hafi  naïf,  modeste, 
dégoûté  des  hommes,  préférant  à  la  charge  de  trésorier 
la  solitude  du  Gange.  Mais  Récha  est  manquée.  Elle 
aime  de  tout  son  cœur  son  père  adoptif  ;  elle  a  reçu  de  lui, 
dit-elle,  la  semence  de  la  raison.  Comment,  dès  lors, 
prend-elle  pour  un  ange  le  Templier  qui  l'a  tirée  des 
flammes?  Comment,  même  après  la  leçon  que  lui  fait 
Nathan,  ^e  guérit-elle  si  vite  de  son  exaltation?  Comment 
ne  s'aperçoit-elle  pas  de  Timpression  qu'elle  produit  sur 
le  Templier  ? 

Le  juif  Nathan  est  en  revanche  une  des  plus  belles 
créations  du  théâtre  allemand.  Il  a  cruellement  souffert. 
Sa  femme  et  ses  sept  fils  ont  été  brûlés  par  les  chrétiens 
et,  après  avoir  disputé  contre  Dieu,  après  avoir  juré  une 


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LB   XTIII*   SIBGLB  901 

haine  implacable  au  christianisme,  après  avoir  pleuré 
trois  jours  et  trois  nuits  dans  la  poussière  et  la  cendre, 
Nathan  a  fini  par  entendre  la  raison  qui  lui  disait  douce- 
ment qu'il  y  a  un  Dieu.  Il  se  relève  en  criant  à  Dieu  : 
<x  Je  le  veux  puisque  tu  le  veux  ».  Et  il  pardonne,  il  rend 
le  bien  pour  le  mal,  il  reçoit  Récha  comme  un  présent 
de  Dieu,  quoiqu'elle  soit  fille  d'un  chrétien,  et  il  l'éduque, 
il  l'aime  tendrement.  C'est  un  sage,  ainsi  le  nomme  le 
peuple,  et  il  est  aussi  bon  que  sage,  aussi  loyal  que  bon; 
Daja  dit  qu'il  est  l'honneur  même;  Al  Hafi,  qu'il  est 
ouvert  à  toutes  les  vertus;  le  frère  lai,  qu'il  n'y  a  pas  de 
meilleur  chrétien;  le  Templier  et  Saladin  sollicitent  son 
amitié.  Avant  tout,  il  est  homme,  et  il  voit  dans  les 
autres,  non  des  chrétiens  ou  des  juifs,  mais  des  hommes. 
Qu'ils  différent  par  le  teint  et  le  vêtement,  par  le  culte  et 
la  nation,  qu'importe  s'ils  font  le  bien?  Comme  Saladin, 
il  n'a  jamais  désiré  que  tous  les  arbres  aient  la  même 
écorce.  Il  est  juif  pourtant,  et  il  veut  le  paraître,  il  veut 
l'être,  il  rappelle  Moïse  Mendelssohn,  et  s'il  a  des  cara- 
vanes sur  toutes  les  routes  du  désert  et  des  vaisseaux 
dans  tous  les  ports,  ne  doit-il  pas  sa  fortune  à  la  ténacité 
de  sa  race?  Et  Leasing  a  eu  raison  de  le  faire  juif.  Il 
fallait  éclairer,  désabuser  les  chrétiens  qui  s'imaginent 
avoir  le  monopole  de  la  vérité  et  qui  se  contentent  du 
nom  de  chrétiens  sans  le  justifier  par  leurs  œuvres.  Et 
comment  leur  mieux  démontrer  que  toutes  les  religions 
peuvent  pratiquer  la  vertu  la  plus  haute,  sinon  par 
l'exemple  d'un  Juif  persécuté  et  honni,  d'un  juif  que 
le  Templier  et  Saladin  commencent  par  traiter  avec 
mépris? 

Le  hasard  agit  trop  dans  Nathan  :  la  pièce  présente  des 
invraisemblances,  et,  là  encore,  la  réflexion  domine;  là 
encore,  la  couleur  manque;  là  encore  trop  de  subtilité. 


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202  LITT^RATURB   ALLEMANDE 

trop  d'argutie.  Aussi  Leasing  intitule  Nathan  <«  poème 
dramatique  »  et  non  pas  «  drame  ».  Mais  si  Minna  et 
Emilie  Galotti  sont  en  prose,  Nathan  est  en  vers; 
l'auteur  se  sert,  bien  qu'assez  gauchement,  de  cet  iambique 
de  cinq  pieds  qui  devint  promptement  le  vers  drama- 
tique, et,  en  dépit  des  chevilles,  des  répétitions  de  mots, 
des  nombreux  enjambements,  l'expression  a  de  la  simpli- 
cité, de  la  franchise  et  parfois  une  agréable  familiarité. 
C'est  en  ce  sens  que  Goethe  parle  de  la  naïveté  du 
Nathan;  dans  cette  pièce^  Lessing  s'abandonne  et  se 
laisse  aller. 

Les  derniers  ouvrages  de  Lessing  —  il  mourut  en 
1781  —  sont  Ernst  et  Falk  et  V Education  du  genre 
humain. 

Dans  Ernst  et  Falky  qui  se  compose  de  cinq  dialogues, 
il  s'attache  à  défendre  la  franc-maçonnerie,  la  vraie,  non 
celle  qui  est,  mais  celle  qui  devrait  être,  celle  que  for- 
meraient des  hommes  sages,  élevés  au-dessus  de  l'esprit 
de  secte  et  de  parti,  unis  dans  l'amour  et  le  culte  du 
bien  sous  la  loi  de  la  raison. 

V Education  du  genre  humain  forme  une  série  de  cent 
aphorismes.  Lessing  y  soutient  que  Dieu  éduque  les 
hommes  peu  à  peu,  qu'il  leur  a  donné  successivement 
plusieurs  révélations,  d'abord  la  notion  d'un  Dieu  unique, 
puis  la  religion  de  Jahveh,  puis  le  christianisme;  mais 
après  l'Ancien  Testament  et  après  le  Nouveau  viendra 
l'Evangile  éternel,  viendra  un  état  meilleur,  une  époque 
de  perfection  où  les  mortels  feront  le  bien  pour  le  bien, 
où  la  raison  sera  maîtresse  d'elle-même;  ainsi  l'édu- 
cation du  genre  humain  ne  se  fait  que  lentement  et  par 
degrés;  il  est  faux  que  la  ligne  droite  soit  toujours  la 
plus  courte,  et  la  Providence  marche,  même  quand  on 
croit  qu'elle  recule. 


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LB   XVUl'  SIÂCLB  308 

Leasing  n'a,  dareste,  d'un  bout  à  l'autre  de  sacarrière, 
cessé  de  philosopher.  Quelle  était  sa  doctrine?  Après 
avoir  lu  le  Prométhée  de  Goethe,  il  dit  à  Jacobi  que  Spi- 
noza était  son  homme,  et,  dans  plusieurs  fragments,  il 
assure  que  le  monde  est  Dieu,  que  toutes  choses  exis* 
tent  réellement  en  Dieu  et  non  h»rs  de  Dieu;  il  serait 
donc  spinoziste.  Mais,  s'il  incline  vers  Spinoza  quand  il 
spécule  sur  la  nature  de  Dieu  et  ses  rapports  avec  l'uni- 
vers, il  s'inspire  de  Leibnitz  lorsqu'il  traite  de  la  vie  et 
de  la  destinée  de  l'homme. 

Il  n'est  pas  poète  et  il  avoue  qu'il  ne  sent  pas  en  lui 
la  source  vive  et  spontanément  jaillissante,  qu'il  a  besoin 
de  pompes  et  de  pistons  pour  tirer  quelque  chose  de 
lui.  Il  est  critique,  et  k  tel  point  qu'il  fait  disserter  les 
personnages  de  ses  pièces  au  lieu  de  les  faire  agir.  Mais, 
savant  jusqu'aux  dents,  il  joint  à  la  science  la  pénétra- 
tration,  la  sagacité,  une  dialectique  adroite  et  fertile  en 
ressources.  C'est  le  prince  des  polémistes.  Nul  ne 
s'entend  mieux  k  réfuter  une  erreur,  k  terrasser  un 
adversaire  par  l'invincible  puissance  d'une  argumentation 
qui  met  en  œuvre  le  syllogisme  et  le  dilemme,  l'interro- 
gation et  le  dialogue,  l'apostrophe,  la  moquerie,  la  plai- 
santerie, les  images,  les  métaphores,  les  comparaisons, 
tout  ce  qui  peut  animer  les  idées  froides  et  abstraites, 
les  colorer,  leur  donner  la  chaleur  et  la  vie  :  si  le  cri- 
tique se  montre  dans  ses  drames,  le  dramatiste  se 
montre  dans  sa  critique.  C'est  pourquoi  ceux  qu'il  exé- 
cuta, Lange,  Klotz,  Goeze,  sont  immortels.  Il  manque 
parfois  d'équHé  :  il  condamne  de  parti  pris  la  tragédie 
française;  il  méconnaît  les  services  que  Gottsched  a 
rendus  au  théâtre  allemand  ;  il  jure  sur  la  parole  d'Aris- 
tote  et  prétend  formuler  les  règles  du  goût;  il  se  laisse 
entraîner  par  l'ardeur  et  par  les  nécessités  de  la'  lutte. 


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S04  LITTiBATURB  ÂLLBMÂNDB 

Abondant  toujours  dans  son  sens,  possédé  de  la  déman- 
geaison d'objecter^  discutant,  distinguant,  définissant  à 
outrance,  ergotant^  épluchant^  fort  de  sa  logique,  Les- 
sing  est  tout  raison  et  tout  réflexion.  Mais  il  fallait  à  la 
littérature  allemande  un  homme  comme  lui,  un  homme 
franc  et  sincère  qui,  selon  sa  propre  expression,  dit  aux 
gens  en  face  ce  qu'il  avait  à  leur  dire,  dussent-ils  en 
crever  de  colère;  un  homme  qui,  par  Tâpreté  de  sa  cri- 
tique et  par  la  fermeté  de  son  jugement^  fît  triompher 
la  vérité.  Car  Lessing  a  la  passion  de  la  vérité;  il  la 
cherche  avec  zèle,  avec  persévérance,  et  il  a  même  plus 
de  joie  à  la  chercher  qu'à  la  découvrir,  comme  le  chas- 
seur qui  trouve  plus  de  plaisir  à  courir  le  lièvre  qu'à  le 
prendre.  N'a«t*il  pas  écrit  que  si  Dieu  lui  offrait  la 
vérité,  il  refuserait  le  cadeau,  que  la  vérité  n'est  que 
pour  Dieu  et  qu'il  met  au-dessus  d'elle  l'amour  inquiet 
qu*elle  inspire? 

S'il  n'est  avant  tout  qu'un  grand  fragmentiste,  sa  cri- 
tique, toute  fragmentaire  qu'elle  est,  fut  dictée  par  une 
pensée  généreuse  de  réforme  et  d'émancipation  :  il  a 
tenté  de  créer  une  scène  nationale  et  d'affranchir 
l'esprit  allemand.  Son  style  reste  un  modèle,  et  ce  style, 
c'est  lui  :  clarté^  précision,  netteté  un  peu  sèche;  pas 
d'ornements  ni  de  mots  à  effet;  des  images  qui  renfor- 
cent le  raisonnement  et  lui  ajoutent  du  relief;  une  jus- 
tesse frappante,  une  vigueur  saisissante,  des  périodes 
ramassées,  je  ne  sais  quoi  de  fier,  d'incisif,  voir  de  sar- 
castique  et  d'amer  en  son  laconisme.  Lessing  est  le  plus 
mâle  des  écrivains  de  son  pays,  et,  avec  ses  défauts,  un 
de  ceux  qui  nous  imposent  le  plus  ;  ce  rude  et  inlassable 
jouteur  a  quelque  chose  de  martial,  d'héroïque  que  n'ont 
pas  les  autres. 

N'est-il  pas  d'ailleurs  le  représentant  de  VAufklârung 


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LB  XVIII*  SIBCLB  S06 

dans  ce  qu'elle  a  de  plus  noble  et  de  plus  élevé?  Â. 
Texemple  de  Lessing  qui  lui-même  s'inspirait  des  Fran- 
çais, les  écrivains  de  la  seconde  moitié  du  xviii*  siècle  se 
proposent  de  marcher  en  avant,  de  combattre  les  vieux 
préjugés^  de  répandre  les  a  lumières  »,  le  bon  sens,  la 
tolérance,  l'amour  du  bien  public^  de  travailler  à  l'amé- 
lioration de  l'homme,  à  l'avancement  de  la  race,  et  c'est 
une  des  grandeurs  du  xviii*  siècle  allemand  que  ce  désir 
da  perfectionnement  social,  cet  amour  et  cet  espoir  du 
progrès,  cette  foi  dans  l'avenir  de  l'espèce,  cette  idée  de 
l'humanité  planant  au-dessus  de  toutes  les  distinctions 
du  peuple  et  du  culte. 

Herder  fut  à  cet  égard  le  vrai  continuateur  de  Lessing. 
Mais  à  Berlin  même  et  en  Prusse  Lessing  avait  fondé 
comme  une  école.  Trois  hommes  qui  collaborèrent, 
comme  lui^  aux  Lettres  sur  la  littérature  du  jour^ 
méritent  d'être  cités  avec  et  après  lui  :  Mendelssohn, 
Nicolai  et  Abbt. 

Mendelssohn  (1729-1786)  a  fait  un  Phédon  qui  manque 
de  force;  mais  il  est  érudit,  sensible,  judicieux,  élégant. 

Nicolai  (1733-1811),  Berlinois  pur-sang,  homme  de 
lettres  et  homme  d'affaires,  libraire  et  auteur  tout 
ensemble,  pédantesque  et  prétentieux,  disputeur  et 
tranchant,  fonda  la  Bibliothèque  allemande  et  publia  des 
romans.  C'était  le  plus  obstiné  des  rationalistes,  le  plus 
tenace  des  champions  du  bon  sens,  le  plus  zélé  et  le  plus 
maladroit  propagateur  des  «  lumières  »;  il  combattit 
tous  les  novateurs  et  il  eut  l'art  de  soulever  contre  lui 
Gleim,  Goethe,  les  écrivains  du  Sturm  und  Drangy  Kant 
et  les  romantiques;  il  mourut  sous  le  ridicule  et  les 
huées. 

Abbt  (1738-1766),  célébré  par  Herder,  est  assez  lourd 
et   déclamatoire   dans    ses  études  sur  la  mort  pour  la 


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206  LITTERATURE  ALLEMANDE 

patrie  et  sur  le  mérite^  saccadé,  sautillant,  obscur  à 
force  d'être  concis  dans  ses  articles  des  Lettres  sur  la 
littérature  du  jour;  mais  il  avait  l'esprit  étendu,  et, 
quoique  professeur,  il  ne  regardait  pas,  selon  sa  propre 
expression,  l'Université  comme  l'univers. 

De  même  qu'Abbt  et  Mendelssohn,  Garve,  Eberhard, 
Engel  se  rattachent  à  Lessing.  Ils  traitent  des  questions 
de  morale  et  d'esthétique.  Garve  traduisit  les  Offices  de 
Cicéron.  Eberhard  fit  une  Nouvelle  apologie  de  Socrate 
qui  déplut  aux  orthodoxes.  Engel  tenta  dans  ses  Idées 
sur  la  mimique  de  compléter  la  Dramaturgie,  et  son 
roman  Laurent  Stark  est  écrit  avec  une  légèreté  de  ton 
qui,  suivant  le  mot  de  Schiller,  est  plus  la  légèreté  du 
vide  que  la  légèreté  du  beau. 

Rappelons  enfin  un  ami  de  Lessing,  Weisse  (1726-1804), 
traducteur  de  pièces  anglaises,  qui  jugea  pendant  trente 
années,  assez  platement,  les  écrivains  de  l'époque  dans 
la  Bibliothèque  des  belles-lettres  et  qui  publia  VAmi  des 
enfants  que  notre  Berquin  prit  pour  modèle. 

lie  «  Sturm  nnd  Drang  »  ou  la  période  d'orage. 

Pendant  que  Wieland  s'opposait  à  Klopstock  et  que 
Lessing  critiquait  l'un  et  l'autre,  une  nouvelle  généra- 
tion d'écrivains  entrait  en  scène  et  faisait  une  Révo- 
lution. C'est  la  génération  du  Sturm  und  Drang  ou  de  la 
période  d'orage.  Son  nom  vient  d'une  pièce  de  Klinger, 
intitulée  Sturm  und  Drang  (1777),  parce  que  tous  les 
personnages  du  drame  sont  en  proie  à  l'orage,  à  la 
poussée  des  passions. 

Son  programme  était  simple  :  s'affranchir  des  règles, 
ou,  comme  on  disait,  du  livre  de  la  règle,  du  pédantisme 
de  Mamselle  La  Règle. 


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LE   XTIII*'   SIKCLB  S07 

Le  mouvement  est  imprimé  par  Hamann  et  Herder  qui 
se  rencontrent  k  Kœnigsberg.  Des  groupes  se  forment 
en  même  temps  :  le  groupe  du  nord,  —  Gerstenberg, 
Mauvillonet  Unzer;  —  TUnion  de  Gœttingue  ou  le  Bocage 

—  Boie,  Voss,  Hôlty,  Miller^  Leisewitz,  les  deux  Stol- 
berg  et  ses  correspondants,  Bûrger,  Claudius,  Schubart  ; 

—  les  poètes  du  Rhin^  les  gœthéens,  Mûller,  Heinse, 
Wagner,  Lenz,  Klinger;  —  les  mystiques  et  les  apôtres 
du  sentiment,  Lavater,  Frédéric  Jacobi,  Jung-Stilling. 
Les  deux  plus  grands  parmi  ces  novateurs  sont  Gœthe 
et  Schiller  qui  méritent  une  place  à  part. 

Tous  les  a  Stûrmer  »,  comme  on  les  nomme,  défendent 
la  même  cause,  et  les  différences  qui  les  séparent 
n'éclatent  pas  aux  yeux  du  public  qui  attribue  k  Gœthe 
les  œuvres  de  Lenz.  Us  se  ressemblent,  du  moins  exté- 
rieurement, et  ils  se  communiquent  leurs  plans.  Leurs 
sujets,  leurs  héros  sont  les  mêmes.  Leur  style  a  les 
mêmes  caractères  :  emploi  des  formes  et  locutions  popu- 
laires, élision,  images  et  hyperboles,  apostrophes  et  excla- 
mations, répétitions  voulues,  expressions  fortes  et  crues. 

Ils  frappent  d'anathème  les  auteurs  de  leur  temps  qui 
n'ont  suivant  eux  d'autre  guide  que  la  froide  raison  et 
que  le  démon  de  la  poésie  n'entraîne  pas.  Ils  respectent 
Leasing  et  ils  font  grâce  k  Gleim  qui  les  héberge  et 
les  aide  de  sa  bourse.  Mais,  comme  Mauvillon  et  Unzer, 
ils  refusent  tout  talent  k  Gellert  et  l'accusent  d'abâtardir 
les  âmes.  Ils  méprisent  Weisse.  Ils  méprisent  Jean- 
Georges  Jacobi.  Ils  méprisent  Wieland,  et  Lenz,  dans  le 
drame  aristophanesque  des  Nuées^  le  persifle  comme 
une  sorte  de  Socrate  allemand  qui  corrompt  la  jeunesse. 
En  revanche,  ils  admirent  Klopstock  sans  réserve  et 
il  peut  leur  dire 

Vous  êtes  mes  sujets  et  je  suis  votre  roi. 


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208  LITTBRÂT0RB  ALLEMANDS 

Mûller  souhaite  de  rencontrer  son  regard,  Scfaubart  lit 
publiquement  des  passages  de  son  Messie^  Gœthe  le  vénère 
comme  un  oncle,  Herder  proclame  sa  gloire  et  recueille 
ses  odes.  Sa  République  des  Lettrée  n'est-elle  pas  une 
vigoureuse  protestation  contre  les  règles?  N'est-il  pas 
un  génie,  et  un  génie  plein  d'originalité  ? 

Ces  ïXïOiB  génie  el  originalité  reviennent  dans  les  écrits 
de  Tépoque.  Ils  forment  l'esthétique  des  novateurs.  Le 
a  génie  »  n'était  jusqu'alors  qu'un  homme  d'esprit  et  de 
bon  sens;  c'est  maintenant,  comme  Ta  dit  Young  dans 
son  livre  sur  les  œuvres  originales,  un  homme  extraor» 
dinaire  qui  croit  en  lui-même  et  dédaigne  autrui.  Leasing 
n'écrivait-il  pas  que  le  poète  doit  avoir  l'inspiration  et 
les  dieux  dans  le  cœur  et  que  le  génie  n'a  pas  besoin  de 
savoir  mille  choses  que  sait  l'écolier?  Hamann,  Herder» 
Gerstenberg,  Lavater  soutiennent  pareillement  que  les 
règles  ne  sont  pas  nécessaires  au  génie  et  que  l'enthou- 
siasme lui  suffit.  Aussi  les  écrivains  de  cette  période 
sont-ils  connus  sous  le  nom  de  <c  génies  »  ou  de  €<  génies 
originaux  ». 

Ils  reconnaissent  toutefois  qu'il  y  eut  d'autres  génies 
avant  eux.  Wood  leur  a  révélé  Homère,  qui  doit  tout  à 
lui-même  ainsi  qu'à  la  nature,  et  ils  lisent,  ils  citent,  ils 
traduisent  Homère  :  Bûrger  essaie  de  mettre  VIliade 
en  vers  iambiques  et  Stolberg  la  met  en  hexamètres. 

Ils  lisent  les  anciennes  poésies  anglaises  recueillies 
par  Percy,  Bûrger  ne  cesse  de  les  feuilleter,  et  Herder, 
qui  loue  leur  vigueur,  ambitionne  l'honneur  de  devenir 
le  Percy  de  l'Allemagne. 

Ils  lisent  Shakespeare  dans  les  extraits  de  Dodd,  dans 
les  Principes  de  critique  de  Hume,  dans  la  traduction  de 
Wieland  et  ils  l'admirent  sur  la  foi  de  Young,  qui  l'égale 
aux  plus  célèbres  des  anciens  et  le  félicite  de  ne  con- 


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LB  XVIll*  81BCLB  909 

naitre  que  le  livre  de  la  nature  et  le  livre  de  Thomme. 
Gersteoberg  assure  que  ses  pièces  sont  des  tableaux 
vivants  de  la  nature  morale  tracés  par  la  main  inimi- 
table d'un  Raphaël;  Herder,  qu'il  n'y  a  pas  d'auteur  plus 
sublime  ;  Lenz,  qu'il  crée  de  véritables  hommes  de  stature 
colossale.  Tous  ces  jeunes  gens  sont  êkakespearefeat  ou 
versés  dans  Shakespeare  comme  d'autres  sont  bibelfest  ou 
versés  dans  la  Bible;  mais  ils  imitent  gauchement  le 
grand  Will  et,  sans  se  soucier  des  convenances  du 
théâtre,  ils  ne  font  que  dérouler  un  nombre  infini  d'évé- 
nements et  que  promener  leurs  personnages  d'endroit 
en  endroit  et  de  contrée  en  contrée.  Vainement  Lessing 
déclare  qu'on  passe  d'un  extrême  à  l'autre  et  qu'on  doit 
respecter  certaines  règles,  au  moins  celles  d'Âristote  ;  c'est 
dans  ses  lettres  et  ses  conversations  qu'il  blâme  Lenz, 
Klinger  et  Gœthe,  qui  donne  dans  son  Gœiz^  au  lieu  d'un 
drame,  une  biographie  dialoguée  et,  au  lieu  de  cordes, 
des  boyaux  remplis  de  sable. 

Pas  un  jeune  homme,  dit  alors  un  critique,  qui  ne 
shakespearise  et  ne  sternise.  Le  «  shandysme  »  se  répand 
partout;  on  porte  aux  nues  l'originalité  de  Sterne  et  sa 
sensibilité  qui  mêle  toujours  les  larmes  au  rire.  On  traduit 
plusieurs  fois  le  Village  abandonné  de  Goldsmith  ;  Herder 
lent  son  vicaire  de  Wakefield  pour  un  des  plus  beaux 
livres  qui  soient  en  aucune  langue,  et  Gœthe,  ii  Sesen* 
heim,  compare  la  famille  Brion  à  la  famille  du  pasteur 
Primrose. 

La  nouvelle  école  penchait  donc  vers  les  Anglais.  Elle 
n*eutpas  les  mêmes  tendresses  pour  les  Français.  Elle 
attaqua  Voltaire,  ce  Voltaire  que  Lessing  avait  déjà  mal* 
mené  tout  en  souhaitant  de  l'égaler;  Herder  le  qualifie 
de  vaniteux  et  impudent  écrivain;  Gœthe  l'accuse  de 
diffamer  les  majestés  et  de  se  conduire  envers  Shakes* 

LITTIRATOBI   4LLIMA1IDB*  14 


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SIO  LITTÉRATURB  ALLEMANDB 

peare  comme  un  véritable  Thersite  ;  Wagner  le  traite  de 
polygraphe.  Seuls,  Mercier,  Diderot,  Rousseau  trouvent 
grâce  devant  les  «  Stûrmer  ».  Ils  s'engouent  de  Rousseau 
autant  que  de  Shakespeare,  et  il  y  avait  quelque  affinité 
entre  Tâme  allemande  et  Tame  de  ce  rêveur  qui  donnait 
à  ses  paradoxes  l'appareil  de  la  logique,  défendait  Texis- 
tence  du  Grand  Être,  retraçait  avec  chaleur  les  détails  de 
la  vie  bourgeoise  et  intime.  Lenz  le  nomme  le  divin. 
Klinger  le  proclame  son  guide  et  le  guide  de  la  jeunesse. 
Heinse  se  dit  un  «  rousseauiste  raffiné  ».  Herder  ne  parle 
de  V Emile  et  de  la  Nouvelle  Héloïse  qu'avec  enthou- 
siasme. Sans  V Héloïse j  le  Werther  de  Gœthe  aurait-il  vu 
le  jour?  Schiller  n'écrivait-il  pas  que  Rousseau  était  trop 
noble  pour  ce  monde  et  qu'après  sa  mort,  après  les 
indignes  persécutions  qu'il  a  subies,  il  est  remonté  vers 
les  anges,  ses  frères,  qu'il  avait  quittés? 

Nature,  nature,  ce  cri  poussé  par  Rousseau  se  répète 
dans  les  œuvres  de  cette  génération.  Cette  nature  que 
Lessing  et  Winckelmann  avaient  dédaignée,  cette  «  mère 
nature  »,  on  la  regarde  avec  amour,  sans  se  lasser,  et  on 
jouit  d'elle  délicieusement;  comme  Rousseau,  comme 
Saint*Preux,  on  recherche  les  lieux  déserts,  les  endroits 
sauvages  des  bois  où,  selon  le  mot  du  philosophe,  rien 
n'annonce  la  servitude. 

Le  pastorale  renaît.  On  souhaite  de  revenir  à  l'âge 
d'or,  de  goûter  les  plaisirs  purs  de  l'homme  des  champs. 
Combien  de  personnages  de  nos  <c  Stûrmer  »  désirent, 
comme  ceux  de  Rousseau,  vivre  heureux  et  ignorés  dans 
un  coin  de  la  terre  ! 

On  ne  se  borne  pas  à  ces  vœux  candides.  On  s'in- 
surge contre  la  société,  contre  la  loi  qui,  suivant  l'ex- 
pression de  Schiller,  force  l'aigle  à  marcher  comme  une 
limace.  Liberté  est  encore  un  des  mots  d'ordre  de  l'épo- 


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LB  XVIII^  SIÀGLB  211 

que,  et  t;e  mot,  a  dit  Goethe,  sonne  si  bien  qu'on  ne 
pourrait  s'en  passer  lors  même  qu'il  exprimerait  une 
erreur.  Klinger  se  sert  d'un  cachet  qui  représente  un 
oiseau  échappé  de  sa  cage  avec  la  devise  en  français  : 
La  liberté  fait  mon  bonheur.  On  fronde  le  pouvoir.  On 
qualifie  de  coquins  les  ministres  et  les  hauts  fonctionnaires. 
Ou  voue  les  tyrans  à  la  mort.  On  s'élève  contre  toutes  les 
conventions.  Le  Werther  de  Gœthe  maudit  Torgueil  de  la 
noblesse.  Le  Jules  de  Leisewitz  ne  voit  dans  l'honneur 
que  la  fantaisie  de  quelques  fous.  Le  Ferdinand  de 
Schiller  assure  que  le  ciel  a  écrit  dans  les  yeux  de 
Louise  :  Cette  femme  est  pour  cet  homme^  et  que  ces  mots 
ont  plus  de  prix  que  son  blason.  Avant  tout,  il  faut  être 
homme.  Un  personnage  du  Gœtz,  le  frère  Martin,  se 
plaint  des  vœux  qu'il  a  prononcés.  Le  Jules  de  Leisewitz 
s'écrie  qu'on  doit  obéir  aux  règles  de  la  nature,  non  à 
celles  d'Augustin,  et  son  abbesse  de  Sainte-Claire  parle 
des  gémissements  que  les  couvents  répètent  depuis  tant 
de  siècles. 

Le  cœur  est  la  seule  autorité  qu'on  reconnaisse  et 
Rousseau  ne  voulait  pas  d'autre  maître.  Frédéric  Jacobi 
ne  veut  entendre  que  la  voix  du  cœur.  Gœthe,  dans  les 
Lettres  d'un  Pasteur  de  village^  affirme  que  la  religion, 
chose  du  cœur,  ne  peut  se  démontrer  et  se  formuler. 
On  oppose  Werther  à  Albert,  l'homme  sensible,  l'homme 
dont  l'âme  s'émeut  et  s'épanche  à  l'homme  froid  qui  n'a 
que  du  bon  sens,  et  ce  contraste  fait  le  fond  des  œuvres 
de  Klinger,  de  Lenz  et  de  Gœthe.  Les  jeunes  écrivains 
furent  donc  aux  rationnalistes  ou  Aufklàrer  ce  que 
Rousseau  était  k  Voltaire.  Ils  préféraient  aux  lumières  de 
la  raison  les  révélations  du  sentiment.  De  toute  parts 
fleurissent  les  belles  âmes.  Plus  que  jamais  les  larmes 
sont  k  la  mode.   La  mélancolie  devient  une  jouissance, 


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S12  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

une  volupté  piquante.  L'amour  s'empreint  d'une  douce 
tristesse  et  se  mélange  de  pleurs  et  d'invocations  à  la  lune. 

Pourtant  cette  génération  sentimentale  aspire  h 
l'énergie.  Ces  faiseurs  délivres  dédaignent  les  livres.  Ils 
se  moquent  des  hommes  de  plume,  des  savants  en  us, 
des  gratte-papier,  des  barbouilleurs  d'encre.  Leurs  héros 
sont  des  hommes  de  main,  des  personnages  tout  d'action 
auxquels  ils  prêtent  leur  fiévreuse  ardeur.  Herder  vou- 
drait réformer  la  Livonie;  Lenz,  organiser  l'armée  weî- 
marlenne;  Klinger,  combattre  en  Amérique.  On  cultive 
avec  passion  les  exercices  physiques.  On  souhaite  de 
déployer  toutes  les  activités  de  l'âme  et  du  corps, 
d'étendre  son  être  le  plus  possible.  Le  «  génie  »  ne  doit 
pas  seulement  produire  de  grandes  œuvres;  il  doit  être 
robuste,  agile,  découplé. 

Les  ((  Stûrmer  »  eurent  des  ennemis,  Kâstner,  Nicolaï, 
l'ironique  Lichtenberg,  ce  malicieux  commentateur  des 
gravures  d'Hogarth,  et  Merck,  auteur  de  petits  récits 
spirituels  et  froids,  critique  subtil  et  perçant  qui  con- 
seilla Goethe  et  dit  aux  «  génies  »  des  choses  dures  et 
vraies.  Aujourd'hui  encore,  il  est  aisé  de  railler  les 
(c  Stûrmer»,  leur  orgueil,  leurs  fougueuses  déclamations, 
les  «  monuments  »  qu'ils  s'élevaient  les  uns  aux  autres, 
leurs  extravagances  de  tout  genre.  Mais  cette  génération 
de  1770  avait  grandi  pendant  la  guerre  de  Sept  Ans;  elle 
en  avait  reçu  comme  un  besoin  d'indépendance  et  une 
sorte  de  fierté  martiale.  Elle  sut  peindre  vivement  ses 
vives  émotions  et  reproduire  avec  fraîcheur,  avec  éclat 
les  idées  qui  la  travaillaient.  Elle  goûta  le  moyen  âge  et 
le  xvi*  siècle.  Herder  vante  le  recueil  des  Minnesinger 
de  la  période  souabe  publié  par  Bodmer;  Klopstock 
juge  qu'il  renferme  de  l'or,  et,  après  l'avoir  lu,  les  bardes 
de  Gœttingue  composent  à  l'envi  des  chants  d'amour. 


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LE   XVIII*  SIECLE  213 

Voss  recommande  aux  poètes  d'exprimer  dans  la  langue 
de  Hans  Sachs  ce  qu'ils  sentent.  Gœthe  remet  en 
honneur  le  cordonnier-poète  et  entreprend  de  faire 
revivre  la  figure  du  docteur  Faust  qui  séduit  également 
Klinger  et  le  peintre  Mûller.  Dans  ses  Feuilles  éparses 
Herder  étudiera  Ulrich  de  Hutten.  Deutschheit  emergi- 
rend!  a  dit  Gœthe  plus  tard  :  les  sentiments  allemands 
commencent  à  émerger,  et  lui-même,  au  témoignage  de 
Stolberg,  brûle  alors  d'une  flamme  patriotique.  Ce 
Stolberg,  voyant  une  garnison  française  k  Strasbourg 
—  en  1775!  —  ne  prédisait-il  pas  que  le  Rhin  redevien- 
drait allemand? 

Il  faut  maintenant  apprécier  plus  en  détail  les  prin- 
cipaux écrivains  qui  prirent  part  à  ce  beau  et  grand  et 
hardi  mouvement  d'émancipation  qu'on  appelle  le  Sturm 
und  Drang, 

Hamann  (1730-1788),  le  mage  du  Nord,  est  en  ses 
«  feuilles  sibyllines  »  étrange,  confus,  obscur;  sa  science 
l'écrase;  mais,  par  instants,  des  vues  grandioses  percent, 
comme  les  vives  lueurs  de  l'éclair,  les  ténèbres  mysté- 
rieuses dont  s'enveloppe  sa  pensée.  Il  voit  dans  les  sens 
et  les  passions  la  source  de  la  vraie  poésie  ;  il  oppose  h 
la  froide  poésie  de  la  réflexion  une  poésie  fraîche, 
colorée,  vivante;  il  recommande  la  Bible  et  la  littérature 
orientale  ;^il  prédit  une  révolution  des  esprits  :  plus  de 
règles,  mais  de  l'originalité  et  du  génie,  voilà,  selon 
Hamann,  ce  qu'il  faut  désormais. 

Herder  reproduit  les  idées  de  Hamann;  mais  il 
débrouille  leur  chaos,  il  leur  donne  un  tour  plus  alerte 
et  une  expression  plus  claire.  Il  fut,  avec  Klopstock,  le 


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S14  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

grand  excitateur  des  jeunes  écrivains;  tout,  disait-on, 
herderisait  en  prose  ou  klopstockisait  en  vers. 

Né  en  1744  à  Mohrungen,  dans  la  Prusse  orientale, 
fils  d'un  maître  d'école,  familier  du  diacre  Trescho  qui 
éveilla  en  lui  la  première  étincelle,  Herder  montra  de 
bonne  heure  le  désir  de  savoir  et  une  ardente  sensibi- 
lité, une  irritabilité  maladive,  une  aigreur  de  caractère 
qui  se  trahit  toujours  dans  ses  écrits  comme  dans  sa  con- 
duite. Emmené  à  Kœnigsberg  par  un  chirurgien  de  l'armée 
russe,  Schwartz  Erla,  dont  il  rédige  la  thèse  latine,  il 
fait  ses  études  de  théologie  tout  en  donnant  des  leçons 
au  collège  Frédéric;  il  suit  les  cours  de  Kant;  il  fré* 
quente  Hamann.  Nommé,  sur  la  recommandation  de 
Hamann,  professeur  à  l'Ecole  cathédrale  de  Riga,  il 
passe  dans  cette  ville,  «  sorte  de  Genève  a  l'ombre  de  la 
Russie  »,  quatre  années,  les  plus  belles  de  sa  vie.  Il 
prêche  comme  cet  orateur  de  Dieu  dont  il  trace  le  por- 
trait, simple,  grave,  enseignant  la  morale  et  non  le 
dogme.  Il  critique  les  livres  nouveaux.  Il  publie  (1767 
et  1768)  ses  Fragments  sur  la  littérature ,  et  ses  œuvres 
ne  sont,  en  effet,  que  des  fragments  :  il  n'a  pas  pris,  le 
temps  de  les  polir  et  de  les  limer;  inquiet,  impatient, 
échauffé,  il  ne  sait,  de  son  propre  aveu,  unir  à  l'enthou- 
siasme du  génie  le  flegme  de  l'homme  d'esprit. 

Les  Fragments  devaient  servir  de  supplément  aux 
Lettres  sur  la  littérature  du  jour.  Employer  des  idio* 
tismes  et  non  des  expressions  rebattues,  fouiller  dans 
les  entrailles  de  la  langue,  violer  la  loi  et  la  règle,  voilà 
ce  qu'exige  Herder  de  l'écrivain.  II  se  moque  des  poètes 
de  son  époque  qui  copient  les  Orientaux  et  les  Grecs; 
non,  c'est  l'art  qu'on  doit  ravir  aux  étrangers,  l'art 
d'imaginer^  l'art  d'habiller  sa  pensée;  il  faut,  non  les 
copier,  mais  les  traduire  sans  ornement  ni  fard,  péné- 


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LB  XVIU*  SlàCLB  SIS 

trer  dans  leur  âme,  connaître  leur  histoire,  leur  religion, 
leurs  préjugés  nationaux.  Il  s'étonne  qu'on  '  puisse 
regarder  le  latin  comme  le  but  suprême  de  l'éducation 
et  il  l'accuse  de  former  des  hommes  impropres  à  la  vie 
pratique  et  d'étouffer  l'originalité  de  la  pensée.  Écrit 
en  une  langue  pétillante  —  c'est  le  mot  de  Hamann  — 
en  une  langue  hachée  et  remplie  de  ces  idiotismes 
chers  à  Herder,  les  Fragments  eurent  une  grande 
influence.  Bûrger,  Stolberg,  Voss  traduisent  en  vers  les 
poèmes  homériques;  Frédéric  Schlegel  esquisse  l'his- 
toire de  la  poésie  grecque;  les  «  Stûrmer  »  jettent  à 
pleines  mains  dans  leurs  œuvres  les  expressions  éner- 
giques et  colorées;  tous  répondent  à  la  voix  vibrante 
de  Herder  et  k  ses  appels  chaleureux. 

Les  Syhes  critiques^  qui  parurent  en  1769,  se  rattachent 
au  Laocoon,  Elles  se  composent,  comme  les  Fragments, 
de  trois  recueils.  Dans  le  premier,  Herder  soutient  que  la 
poésie  est  une  peinture,  une  «  énergie  »,  et  qu'il  ne  faut 
pas  condamner  la  poésie  descriptive.  Dans  les  deux  autres 
recueils  il  achève  la  défaite  de  ce  Klotz  déjà  mis  à  mal 
par  Lessing  :  il  objecte  à  Klotz,  qui  reprochait  à  Homère 
quelques  traits  de  grossièreté,  qu'il  faut  voir  le  poète 
grec  dans  le  costume  de  son  siècle,  Tentendre  dans  la 
langue  de  sa  nation,  le  sentir  dans  sa  nature  grecque. 

Une  fâcheuse  polémique  s'engage  alors  entre  Herder 
et  Klotz.  II  quitte  Riga;  il  se  rend  en  France  par  la 
Baltique  et  la  Manche;  il  débarque  k  Paimbœuf  et,  après 
avoir  passé  quelques  semaines  k  Nantes,  arrive  au  mois 
de  novembre  1769  k  Paris  où  il  ne  remarque  que  luxe  et 
que  vanité.  Une  lettre  d'un  ami  le  rappelle  en  Alle- 
magne :  on  lui  offre  d'accompagner  pendant  trois  ans  a 
travers  l'Europe  le  fils  du  prince-évêque  d'Eutin.  Il 
court  à  Eutin;  il  suit  son  élève  k  Strasbourg.  En  route, 


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216  LITTBRATURB  ALLBMANDB 

à  Darmstadty  il  se  .fiance  avec  une  jolie  et  sentimentale 
Alsacienne  de  Rique>vihr,  Caroline  Flachsland.  Mais  à 
Strasbourg,  où  il  reste  du  4  septembre  1770  au  4  avril  1771, 
il  se  sépare  du  jeune  prince  d'Eutin  et  se  fait  inutile- 
ment opérer,  non  sans  de  cruelles  souffrances,  d'une 
fistule  lacrymale  à  Tœil  gauche.  Nommé  premier  pas- 
teur de  Bûckebourg  par  le  comte  de  Schaumbourg-Lippe, 
il  lance  en  1773  son  étude  sur  Ossian. 

Selon  Herder,  plus  un  peuple  est  sauvage  et  par  suite 
vivant  et  libre,  plus  ses  chants  ont  de  vie  et  de  liberté, 
de  mouvement  et  d'action.  Il  loue  doùc  la  vigueur  des 
chants  sauvages,  leur  rude  et  simple  grandeur,  leur  natu- 
rel, leur  a  libre  jet  »,  et  il  se  plaint  que  la  poésie  des 
peuples  civilisés  ne  soit  qu'un  devoir  dV^ve  et  un  exer- 
cice d'école.  Pourquoi  ne  pas  prendre  k  la  poésie  des 
sauvages  ainsi  qu'à  la  poésie  populaire,  sa  franchise,  ses 
saillies,  ses  heureuses  audaces?  Et  le  voilà  qui  cite  et 
appelle  à  son  aide  tous  les  vieux  chants  populaires,  et 
on  croirait  qu'ils  accourent  à  sa  voix  de  tous  les  points 
du  monde,  de  Laponie,  d'Esthonie,  de  Lithuanie,  de 
Pologne,  d'Ecosse,  d'Allemagne.  Il  montre  qu'ils  repré- 
sentent ce  que  le  peuple  a  devant  les  yeux  et  comme  sous 
la  main,  l'existence  même  de  ce  peuple  et  un  monde  qui 
vit.  Il  conclut  qu'on  doit  simplifier  la  poésie,  la  déshabi- 
tuer de  la  manière  raffinée  d'Horace  et,  pour  la  réformer 
et  la  mettre  en  une  meilleure  voie,  étudier  Ossian,  la 
poésie  des  scaldes,  les  chants  des  sauvages,  les  lieds 
populaires.  Herder  dépassait  la  mesure.  De  même  que 
Rousseau  cherche  chez  les  sauvages  le  modèle  du  cod«- 
trat  social,  de  même  Herder  prétend  retrouver  chez  eux 
une  poésie  supérieure  à  celle  des  peuples  civilisés.  Mais 
il  avait  appelé  l'attention  des  contemporains  sur  la  poésie 
des  âges  primitifs  et  sur  le  chant  populaire.  Il  leur  avait 


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LB   XVIII*   SIÈCLE  217 

appris  a  goûter  le  simple  et  le  naturel.  Le  lied  fut  désor- 
mais en  honneur.  L'ode  florissait  au  milieu  du  xviii'  siècle 
et  il  semblait,  dit  alors  un  critique,  que  les  poètes 
n'eussent  rien  à  faire  ici-^bas  qu^à  traduire  Horace. 
Herder  ne  ruina  pas  le  prestige  de  Tode,  mais  il  Taffai- 
blit.  Si  les  poètes  de  Gœttingue  firent  encore  des  odes, 
ils  abordèrent  le  lied  et  visèrent  à  toucher  le  peuple  en 
lui  parlant  sa  langue,  en  lui  parlant,  comme  voulait  Her* 
der,  de  ce  qu'il  voit  et  de  ce  qu'il  sent.  Après  avoir  lu 
V Essai  sur  Ossian^  Bûrger  refondait  une  de  ses  poésies 
parce  qu'elle  n'avait  pas  le  ton  naïf  et  sincère  recom- 
mandé par  Herder;  il  assurait  que  Herder  l'avait  con- 
vaincu, que  sa  ballade  de  Lénore  répondrait  à  la  doctrine 
de  Herder,  et,  dans  un  article  qu'il  intitulait  Effusion  de 
cœur  sur  la  poésie  populaire,  il  disait  que  la  muse  alle- 
mande devait,  non  faire  de  savants  voyages,  mais  rester 
à  la  maison  et  y  apprendre  le  catéchisme  de  la  nature, 
qu'il  fallait  lire  et  étudier  les  vieux  chants  populaires, 
que  lui-même  avait  souvent  au  crépuscule  prêté  l'oreille 
aux  accents  enchanteurs  des  ballades  et  des  chansons, 
soit  sous  les  tilleuls  du  village,  soit  au  lavoir,  soit  aux 
veillées  des  fileuses. 

La  même  année  que  V Elude  sur  Ossian  paraissait  l'étude 
sur  Shakespeare.  Ce  qui  frappe  et  attire  Herder  dans  le 
poète  anglais,  c'est  l'élément  populaire.  H  assure  que  tout 
théâtre  doit  être  national,  que  la  tragédie  française  est, 
non  l'héritière,  comme  elle  prétend,  mais  la  poupée,  le 
singe  de  la  tragédie  grecque  et  une  statue  sans  vie,  qu'un 
peuple  n'a  de  drame  à  lui  que  si  ce  drame  se  conforme  à 
son  histoire,  à  son  esprit,  à  ses  mœurs  et  à  ses  traditions. 
Herder  juge  donc  que  Shakespeare  a  créé  des  hommes  du 
Nord  et  il  le  qualifie  de  créateur;  chaque  pièce  du  tra- 
gique anglais  est  un  «  événement  »,  un  monde  en  petit. 


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218  LITTERATURE  ALLEMANDE 

En  1776,  grâce  à  Gœthe,  Herder  était  nommé  premier 
prédicateur  à  Weimar.  Il  y  passa  le  reste  de  sa  vie  et  il 
y  mourut  en  1803.  Jusqu^au  dernier  jour,,  ses  œuvres 
témoignent  de  sa  pénétrante  et  profonde  intelligence.  Il 
développe  le  plus  souvent  les  idées  de  sa  jeunesse.  C'est 
ainsi  qu'il  fait  paraître  en  deux  volumes  des  Chants 
populaires  qui  furent  republiés  plus  tard  par  Jean  dcMûl- 
1er  sous  le  titre  un  peu  subtil  et  précieux  de  Voix  des 
peuples^  et  ses  traductions  sont  des  modèles  :  il  prend 
le  ton  qui  sied  à  chaque  peuple  et  à  chaque  époque. 
Même  son  poème  du  Cidy  bien  que  translaté  de  la  prose 
françai3l  de  Tressan,  donne  l'impression  de  l'original 
espagnol. 

Il  rêvait  une  histoire  de  l'humanité,  et  il  y  préluda  par 
un  mémoire  sur  Vorigine  du  langage  où  il  soutient  que 
le  langage  est  inséparable  de  la  raison,  par  un  travail 
intitulé  Le  plus  ancien  document  du  genre  humain  où  il 
rapproche  le  premier  livre  de  la  Genèse  des  traditions 
cosmogoniques  de  l'Orient,  par  une  étude  sur  VEsprit  de 
la  poésie  hébraïque.  Comme  à  son  ordinaire,  il  est,  dans 
ce  dernier  ouvrage,  hardi,  précipité;  il  néglige  les 
détails  et  tranche  les  difficultés  avec  une  superbe  désin- 
volture ;  mais  la  poésie  biblique  eut  désormais  place  et 
rang  dans  l'histoire  littéraire. 

De  1784  à  1791  parurent  les  Idées  sur  la  philosophie, 
de  rhistoire  de  l'humanité.  Il  s'arrête  au  milieu  du 
xiii'  siècle  et  des  assertions  hasardées  se  mêlent  trop 
souvent  à  des  pages  d'une  grande  élévation  et  d'une 
vraie  beauté.  S'il  rend  hommage  à  la  Grèce,  il  juge 
Rome  avec  rigueur,  lui  reproche  d'avoir  détruit  les 
Etrusques  et  semé  partout  le  ravage  et  la  mort;  il 
regrette  qu'elle  ait  vaincu  Carthage  et  que  la  louve  ait 
dompté  le  chacal  ;  il  s'indigne  que  le  christianisme  soit 


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LB   XVUI*  SliCLB  219 

devenu  une  poupée  sans  âme  ;  il  traite  les  croisades  de 
folie.  Mais,  avant  de  parler  de  Thomme,  il  décrit  l'uni- 
vers, expose  les  éléments  de  la  civilisation,  proclame 
rinfluence  que  le  lieu,  le  temps,  le  caractère  des  peuples 
ont  eue  sur  les  événements. 

Dans  ses  Lettres  sur  rhumanitè  et  dans  VAdrastèe  il 
passe  en  revue  quelques  figures  de  Thistoire  politique  et 
littéraire. 

Mais  ses  dernières  années  n'ont  pas  Téclat  et  Tattrait 
des  premières  :  son  humeur  s'assombrit;  il  prend  à 
l'égard  de  la  poésie  contemporaine  une  attitude  rechignée 
et  hostile;  il  combat  la  philosophie  kantienne;  il  se  fait 
l'avocat  d'une  morale  étroite  ;  il  préfère  à  Wilhelm  Meis- 
ter  les  romans  d'Auguste  Lafontaine.  Toutefois^  ce 
grand  esprit,  cet  océan,  comme  le  nomme  Jean-Paul, 
demeurait  inépuisable  en  réflexions  profondes,  en  aper- 
çus ingénieux  et  en  idées  généreuses,  appréciant  avec 
sagacité  les  événements  présents  et  passés,  affirmant  sa 
foi  dans  le  progrès,  espérant  la  victoire  de  l'humanité, 
condamnant  toute  révolution  et  louant  les  principes  de 
la  Révolution  française,  parlant  de  la  France  républicaine 
tantôt  avec  horreur,  tantôt  avec  admiration.  Il  ne  cessa 
jamais  de  fermenter  et  il  fut  un  ferment  pour  son  époque. 
Aujourd'hui  encore  il  exerce  une  action  puissante.  Cri- 
tique merveilleux,  non  seulement  savant,  mais  plein 
d'imagination,  tout  à  fait  propre  à  éveiller  les  esprits, 
habile  à  pénétrer  le  sens  des  œuvres  et  à  entrer  dans  la 
pensée  des  auteurs,  à  se  familiariser,  à  s'identifier  avec  les 
sentiments  des  peuples  et  des  races,  à  enchaîner,  comme 
il  disait,  ce  Protée  qu'on  appelle  le  caractère  national.  Il 
fut  le  premier  à  comprendre  que  le  meilleur  commentaire 
des  poètes,  c'est  leur  pays  et  leur  ciel  ;  il  fut  le  premier  à 
recommander  de  les  situer  toujours  dans  leur  temps. 


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220  LITTBRATURB   ALLEMANDE 


L'Union  de  Gœttingrne. 


L'Union  de  Gœttingue  eut  pour  organe  YAlmanach  des 
Muses  de  Gœtiinguey  fondé  par  Boie  et  Gotter.  Ecrivain 
de  mince  mérite  et  amateur  plutôt  qu'écrivain,  Boie 
était  homme  de  bon  sens,  de  goût  et  de  cœur.  Il  ressemble 
a  son  ami  Gotter  par  beaucoup  d'endroits.  Tous  deux 
préféraient  les  littératures  étrangères  aux  littératures 
classiques;  tous  deux  regardaient  la  poésie  comme  un 
léger  badinage  auquel  devaient  se  mêler  les  leçons 
d'une  philosophie  mondaine;  tous  deux  prisaient  avant 
tout  un  style  correct  et  agréable.  Encouragés  par  Kâstner, 
Boie  et  Gotter  publièrent  leur  Aknanach  sur  le  modèle 
de  celui  de  Paris.  Le  premier  volume,  celui  de  1770, 
n'offre  rien  de  saillant.  Mais  (ïotter  quitta  Gœttingue  et 
Boie  dirigea  seul  le  recueil.  Le  volume  de  1771  fut 
supérieur  à  celui  de  1770,  quoique  l'ancienne  école  y 
règne  en  souveraine.  De  jeunes  talents  se  montrèrent 
dans  le  volume  de  1772;  on  y  voyait  pourtant  à  côté 
d'eux  les  partisans  des  vieilles  formules.  Le  volume 
de  1773,  auquel  collaborèrent  Klopstock  et  ses  disciples, 
eut  un  vif  succès.  Celui  de  1774  marque  la  rupture  : 
combien  la  Lénore  de  Bûrger  et  les  vers  de  Gœthe,  de 
Stolberg,  de  Voss  l'emportent  par  l'originalité,  par  la 
vigueur,  par  le  ton  sincère  et  passionné  sur  les  produc- 
tions de  Gleim  et  de  Ramier  si  chétives  et  pauvres  dans 
leur  pompeuse  élégance  ! 

Les  pourvoyeurs  principaux  de  VAlmanach  étaient  des 
étudiants  de  l'Université  de  Gœttingue  que  Boie  avait 
groupés  autour  de  lui.  Une  fois  par  semaine  ils  se 
réunissaient  pour  lire  leurs  poésies  et  chacun  faisait  ses 
observations.  Un  curieux  incident  transforma  ce  cénacle. 


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LB   XTIll*  SIÈCLE  ttl 

Le  12  septembre  1772,  par  une  belle  soirée,  au  clair 
de  lune,  six  de  ces  étudiants,  Voss,  Hôlty,  Hahn,  les 
deux  cousins  Miller  et  Wehrs,  se  promenaient  dans  la 
campagne.  Ils  avisèrent  un  gros  chêne  et,  leur  chapeau 
couronné  de  feuilles,  les  mains  entrelacées,  ils  dansèrent 
autour  de  l'arbre,  invoquant  la  lune  et  les  étoiles  comme 
témoins  de  leur  union,  jurant  de  s'aimer  toujours,  de  se 
juger  mutuellement  avec  la  plus  grande  franchise,  de 
tenir  exactement  leurs  séances  littéraires,  de  célébrer 
chaque  année  par  leurs  vers  cette  solennelle  soirée. 

Ainsi  fut  fondée  ï  Union  de  Gœttingue.  La  poésie  à 
laquelle  elle  se  voue  est  la  poésie  klopstockienne.  Au 
retour  de  leur  excursion,  ces  jeunes  enthousiastes 
décernent  à  Boie  le  nom  de  Werdomar,  du  barde  qui 
mène  le  chœur  dans  \2k  Bataille  d^Hermann\i\ss^zS\i\AenX 
de  noms  germaniques  ;  ils  appellent  leur  Union  le /fain  ou 
le  Bocage,  —  cette  poésie  nationale  que  Klopstock  oppose 
à  la  <c  colline  »,  c'est-à-dire  à  la  poésie  grecque  — ^  et  le 
chêne  sous  lequel  ils  ont  prêté  serment  est  pour  eux  le 
chêne  de  Braga.  Klopstock  est  le  dieu  de  l'Union,  et^ 
comme  lui,  elle  veut  chanter  la  patrie  et  la  religion.  Elle 
reconnaît  tacitement  pour  son  chef,  non  pas  Boie  au  goût 
trop  français,  mais  Yoss,  le  fervent  admirateur  de 
Klopstock.  Elle  déclare  la  guerre  a  Wieland.  Le  3  octobre, 
à  un  repas  d'adieu,  ses  membres  portent  leur  premier 
toast  à  Klopstock  comme  a  leur  souverain  et  conspuent 
Wieland,  l'empoisonneur  public.  Quelquesjours  plus  tard 
se  présentent  dans  le  cercle  poétique  les  deux  frères 
Stolberg,  Christian  et  Frédéric,  des  hommes,  dit  Voss, 
que  Klopstock  aime  et  estime,  des  hommes  pleins  de  feu 
et  de  vertu,  pleins  de  l'Allemagne.  Ils  sont,  le  19  décembre, 
reçus  en  cérémonie.  Par  eux,  le  Bocage  entre  en  relations 
avec    Klopstock   qui  envoie   à   ces  jeunes  patriotes  les 


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SS3  LITTBaATOaB  ALLEMANDS 

bonnes  feuilles  des  derniers  chants  du  Messie.  En  retour, 
les  jeunes  patriotes  font  remettre  à  Klopstock  par  les 
Stolberg  un  volume  qui  renferme  leurs  meilleures  poésies, 
ils  le  prient  d*ètre  leur  juge,  et  Klopstock  leur  répond 
qu'il  est  content.  Aussi,  le  2  juillet  1773,  nouvelle 
manifestation  en  l'honneur  de  Klopstock  :  c'est  son  jour 
de  naissance  ;  ils  portent  sa  santé  avec  celle  de  Luther, 
celle  de  Hermann-Arminius,  et,  pour  marquer  leur  haine 
de  Wieland,  ils  déchirent  un  exemplaire  de  VIdriSy  le 
piétinent,  le  jettent  au  feu^  ainsi  que  le  portrait  du  frivole 
poète  qu'ils  arrachent  de  VAlmanach  des  Muses  de  Leipzig. 
L'année  suivante,  à  la  même  date,  ils  vont  en  pèlerinage 
au  chêne  de  TUnion  et  brûlent  derechef  l'image  de 
Wieland. 

Mais  les  deux  Stolberg  quittèrent  Gcettingue.  Vaine- 
ment un  commerce  de  visites  s'établit  entre  Klopstock 
et  ses  admirateurs.  Vainement  Boie  et  Voss  allèrent  lui 
rendre  hommage  à  Hambourg.  Vainement  il  se  fit  recevoir 
dans  l'Union  et  vainement,  lorsqu'il  passa  par  Goettingue, 
il  demeura  tout  un  jour  —  le  19  septembre  1774  —  avec 
les  bardes  et  leur  exposa  de  grands  et  vagues  desseins 
de  réforme  littéraire.  Les  membres  du  Bocage  durent 
entrer  dans  la  vie  pratique.  Peu  à  peu  tous  s'éloignèrent 
de  Gœttingue  et  le  Hain  fut  dissous.  Boie  abandonna 
VAlmanach  des  Muses  à  Voss  qui  devenait  son  beau-frère, 
et  VAlmanach  ne  servit  même  pas  de  rendez-vous  aux 
amis  dispersés.  Hôlty  mourut  en  1775,  et  Hahn,  en  1779. 
Leisewitz  et  Martin  Miller  semblaient  épuisés.  Frédéric 
Stolberg  resta  le  collaborateur  de  Voss  ;  mais  la  Révolu- 
tion française  les  sépara,  et  lorsque  Stolberg  se  convertit 
au  catholicisme,  Voss  rompit  brutalement  avec  lui. 

Jean*Henri  Voss  (1751-1826),  pctit-fils  d'un  serf  du 
Mecklembourg,  ne  cessa  pas  d'être  paysan,  et  toujours  il 


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LB  XYIU*  SliCLB  9i3 

eut  quelque  chose  de  dur  et  de  sec.  La  plupart  de  ses 
pièces  lyriques  sont  embarrassées,  nuageuses,  chargées 
de  réminiscences  klopstockiennes.  Son  70*  anniçersaire 
et  sa  Louise  offrent  de  jolis  traits,  de  gentils  et  touchants 
épisodes.  Voss  a  découvert  la  poésie  du  presbytère.  Mais 
il  a  trop  de  détails  oiseux,  et  ses  personnages,  qui  se 
ressemblent  tous,  ne  font  que  vanter  la  bonté  du  Seigneur 
et  que  boire  sous  la  tonnelle  le  café,  «  boisson  du  Maure  ». 
Avant  tout,  il  est  le  traducteur  d*Homère  et  on  lit,  on  loue 
encore  son  Odyssée  (1781).  Il  a  taché  de  translater  exacte- 
ment le  texte,  vers  par  vers,  phrase  par  phrase;  il  a  su 
fréquemment  attraper  un  ton  naïf  et  vrai,  un  coloris  ori- 
ginal; les  mots  qu'il  a  créés,  non  sans  hardiesse,  des 
mots  comme  waldumschattet  et  rossnàhrend  —  on  en 
compte  près  de  quatre-vingts  —  rendent  très  bien  les 
épithètes  grecques,  et  son  hexamètre  est  très  supérieur  à 
celai  de  Klopstock. 

Frédéric  Stolberg  (1750-1819)  fat  le  chevalier  de 
l'Union.  Le  passé  héroïque  de  TAllemagne,  le  donjon 
couvert  de  mousse,  la  châtelaine  qui  soupire  pour  un 
obscur  damoiseau,  un  vieux  guerrier  qui  donne  à  son 
fils  une  lance  trop  lourde  pour  son  bras,  un  enfant  qui 
se  sent  digne  de  ses  aïeux  et  qui  demande  à  son  père 
une  épée,  voilà  des  sujets  que  Stolberg  a  traités  dans 
ses  poésies  lyriques  avec  assez  de  bonheur  en  une 
langue  forte  et  fière.  Il  aime  la  nature  et  il  veut  aller  sur 
sa  trace,  il  veut  qu'elle  le  guide  par  la  main  comme  s'il 
était  un  enfant  à  la  lisière.  11  célèbre  la  mer  et  il  écoute 
avec  ivresse  son  chant  de  sirène.  Mais  il  abuse  de  l'aigle 
et  du  faucon,  des  effets  de  lune,  des  éclairs,  du  tonnerre 
et  du  frisson  poétique.  Il  subit  trop  longtemps  l'influence 
périlleuse  de  Klopstock.  Son  talent  n'a  pas  progressé; 
ce  qu'il  a  fait  de  meilleur  date  de  sa  jeunesse  et  l'histoire 


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22i  LITTBRATURB  ALLEMANDS 

littéraire  néglige  le  catholique  fervent  et  le  gallophobe 
qui  maudissait  la  Révolution  et  nommait  les  Français  les 
Huns  de  TOuest. 

Martin  Miller  (1750-1814)  n'a  été  qu'un  fabricant  de 
romans  filandreux  et  son  verbiage  sentimental  est 
aujourd'hui  insupportable.  Mais  son  Siegwart  (1776)  eut 
un  prodigieux  succès  et  Schubart  le  regardait  comme 
un  magnifique  tableau.  Il  est  plein  de  larmes,  tous  les 
personnages  pleurent^  et  avec  eux  l'Allemagne  pleura. 
Quelques-unes  de  ses  poésies  d'un  ton  simple  et  facile 
lui  ont  survécu  et  Bùrger  le  tenait  pour  le  meilleur 
lyrique  du  Bocage. 

Holty  (1748-1776),  dégingandé,  négligé  dans  sa  mise, 
timide,  distrait,  naïf,  avait  de  bons  yeux  bleus  et  un 
doux  sourire.  Il  aimait  à  s'étendre  sur  l'herbe  au  fond 
d'un  bois  ou  sur  une  meule  de  foin  et  à  rêver  pares- 
seusement. Sa  vie  fut  courte,  et  le  grand  attrait  de  sa 
poésie,  c'est  ce  qu'elle  a  de  mélancolique  et  de  résigné. 
Sans  doute,  il  parle  trop  de  tombes  et  de  cimetières. 
Mais  il  fait  de  touchants  retours  sur  lui-même.  Il  attend 
sans  effroi  cette  mort  qu'il  sait  prochaine  et  il  prie  ses 
amis  de  suspendre,  quand  il  ne  sera  plus,  sa  petite 
harpe  derrière  l'autel,  au  mur  où  brillent  les  couronnes 
funéraires  des  jeunes  filles  qui,  comme  lui,  ont  trop  t6t 
disparu.  Il  a  chanté  les  joies  innocentes  de  l'enfance  et 
ses  rêves  d'amour  avec  une  grâce  délicate  et  une  candeur 
charmante  :  les  femmes  sont  pour  lui  des  anges  qui 
font  de  la  terre  un  paradis.  Il  a  chanté  la  campagne,  les 
épis  qui  tombent  sous  la  faucille  et  les  fleurs  bleues  qui 
tremblent  aux  chapeaux  des  moissonneuses.  Il  a  chanté 
la  nature  et  j^il  s'écrie  dans  des  pièces  populaires  qu'il 
faut  couronner  de  fleurs  les  tonneaux  et  tirer  le  vin  sans 
jamais    s'assombrir    et   se    tourmenter    de    chimères^ 


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LB  XVIll"   BIÀCLB  ^  325 

c'est  que  le  rossignol  vient,  c'est  que  le  seigneur  Mai 
dénoue  la  chevelure  des  forêts,  c'est  que  le  vallon 
verdit,  que  la  prairie  s'émaille  de  muguets,,  que  les 
fleurs  germent  aux  arbres  des  jardins.  Lenau  ne  dit-il 
pas  que  le  printemps  pleure  encore  la  mort  de  Holty, 
son  poète? 

Leisewitz  (.1752-1806)  est  un  de  ces  auteurs  qui  n'ont 
fait  qu'un  ouvrage.  Son  drame,  Jules  de  Tarente  (1776) 
l'épuisa,  le  vida.  Correct,  clair,  un  peu  froid,  Leisewitz 
a  pris  Emilie  Galotti  pour 'modèle:  peude  personnages,  de 
courts  monologues,  l'unité  de  temps.  Quelques  passages 
toutefois  sont  marqués  d'un  accent  shakespearien.  En 
somme,  et  bien  que  Merck  regarde  les  caractères  comme  des 
squelettes  recouverts  d'une  riche  diction,  Jules  de  Tarente 
est  une  œuvre  distinguée.  Mais  on  ne  s'étonne  pas  que 
les  acteurs  de  Hambourg  lui  aient  préféré  les  Jumeaux 
de  Klinger  où  il  y  a  plus  de  passion  et  de  fracas. 

Bûrger  (1748-1794),  le  grand  balladiste,  fut  l'ami  des 
poètes  de  Gœttingue;  il  assistait  parfois  à  leurs  séances; 
il  leur  soumit  sa  Lénore  et  accepta  leurs  corrections; 
il  se  vantait  d'être  le  condor  du  Bocage,  et,  en  effet, 
comparé  aux  autres,  c'est  un  oiseau  de  plus  haut  vol 
et  de  plus  large  envergure.  Il  confondit  d'abord  la 
ballade  avec  la  romance  qui  n'était  alors  qu'une  parodie, 
un  mélange  de  terrible  et  de  grivois.  Après  avoir  lu 
Herder,  il  sentit  qu'il  fallait  la  «  simplifier  »,  la 
débarrasser  de  ce  qu'elle  avait  de  bas  et  de  trivial;  il 
quitta  le  ton  de  chanteur  des  rues  et  de  poète  ambulant 
qu'il  avait  pris;  il  composai  Lénore,  la  meilleure  ballade 
de  l'Allemagne  et  qui  a  créé  le  genre.  Le  morceau  est 
long,  certaines  onomatopées  sont  bizarres  et  Burger  a 
tort  de  tirer  de  son  sujet,  selon  la  mode  du  temps,  une 
leçon  morale  :  Lénore,  qui  ne  devrait  exprimer  que  sa 

UTTBBATOai  ÂULÊMAMPU,  15 


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226  LITTERATURE   ALLEMANDE 

douleur  et  que  le  désir  de  reposer  à  côté  de  son  fiaocé^ 
Lénore  a  blasphémé  Dieu^  et  le  fantôme  de  Wilhelm  ne 
se  montre  que  pour  venger  le  ciel  et  punir  le  péché  de 
la  jeune  fille.  Mais  quel  beau  mouvement,  quelle 
superbe  et  entraînante  rapidité!  Avec  quelle  vigueur 
hardie,  inlassable  Bûrger  déroule  cette  suite  de  sinistres 
images  et  soutient  trente-deux  strophes  durant  l'effort 
de  son  élan  lyrique  !  Le  récit  court,  vole.  Pas  de  digression, 
pas  de  faux  ornements  ni  de  mots  inutiles  Quels 
saisissants  contrastes  entre  la  gaité  des  soldats  qui 
reviennent  de  la  guerre  et  le  désespoir  de  Lénore,  entre 
les  spectres  qui  surgissent  de  tous  côtés  et  Léuore  qui 
semble  porter  la  vie  dans  cette  scène  lugubre!  Que 
d'effets  habilement  ménagés  !  Bûrger  trouve  toujours  un 
trait  plus  fort  que  le  précédent  et  par  une  insensible 
gradation  il  produit  sur  le  lecteur  l'impression  qu'il 
produisit  dans  le  cercle  de  Gœttingue  lorsqu'il  lut  pour 
la  première  fois  son  poème  à  ses  jeunes  amis  haletants 
et  comme  terrifiés.  C'est  Lénore  d'abord  confiante  et 
peu  à  peu  saisie  d'angoisse  et  d'épouvante  ;  c'est  Wilhelm 
prenant  Lénore  en  croupe,  répondant  à  ses  inquiètes 
questions  par  des  paroles  ambiguës  et  répétant  sur  un 
ton  ironique  et  sombre  que  les  morts  vont  vite;  c'est  le 
galop  effréné  du  cheval  qui  résonne  dans  la  nuit;  c'est 
l'horreur  sans  cesse  grandissante  de  cette  macabre  et 
vertigineuse  chevauchée  au  clair  de  lune,  les  ponts  qui 
craquent,  les  champs  et  les  arbres,  les  villages  et  les 
villes  qui  passent  et  fuient  à  droite  et  à  gauche,  le 
ciel  qu'on  dirait  emporté  dans  ce  tourbillon,  et 
tout  ce  qui  suit  cette  course  fantastique,  le  convoi 
avec  le  sacristain  et  le  prêtre  qui  lâchent  leur  cercueil, 
la  troupe  des  pendus  qui  descend  du  gibet,  jusqu'à 
ce  que   le  noir  coursier  disparaisse   dans  le  cimetière 


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LB   XVIIl*  SIÈCLE  227 

parmi  les  tombeaux,  jusqu'à  ce  que  le  cavalier  se 
transformant  devienne  la  Mort  même  et  que  Lénore 
expire  au  milieu  des  esprits  qui  dansent  et  qui  hurlent! 
Bûrger  n'a  rien  fait  de  supérieur  à  Lénore,  Ses  autres 
ballades  renferment  de  beaux  détails;  mais  l'ensemble 
manque,  la  composition,  l'ordonnance.  Le  pli  était  pris; 
nombre  de  ses  pièces  portent  l'empreinte  de  sa  trivia- 
lité première.  Pourtant  quelques-uns  de  ses  sonnets 
expriment  avec  chaleur  ses  sentiments.  Schiller  lui 
consacra  un  article  impitoyable;  il  reproche  à  Biirger 
d'être  inégal,  de  gâter  la  beauté  de  la  pensée  par 
l'emphase  ou  la  platitude  du  style,  par  l'inexactitude  de 
la  rime,  par  la  dureté  du  vers.  Mais  Schiller  ajoute, 
sans  insister  assez  sur  ce  point,  que  Bûrger,  par  suite 
des  circonstances,  n'avait  et  ne  pouvait  avoir  cette 
sérénité  qui  seule  atteint  à  la  perfection. 

On  peut  rattacher  à  l'Union  de  Gœttingue  Claudius  et 
Schubart.  Ami  de  Voés  et  de  Hôlty,  Claudius  (1740-1815) 
a  traité  les  mêmes  sujets.  Sa  poésie  fut  simple  comme 
son  âme,  comme  sa  vie,  et  si,  par  instants,  cette  simpli- 
cité a  quelque  chose  de  cherché  et  de  voulu,  son  bon 
sens,  sa  tendre  sympathie  pour  les  souffrances  du  pauvre 
et  pour  le  dur  labeur  du  paysan,  une  langue  claire,  un 
accent  naïf>  piquant  et  parfois  ému,  une  saveur  rustique, 
je  ne  sais  quoi  de  familier,  tout  cela  l'a  rendu  populaire. 
Faut-il  citer  ses  pièces  de  vers  les  plus  connues,  celle  où 
sa  femme  Rebecca,  par  un  matin  de  mai,  appelle  ses 
enfants  pour  leur  montrer  le  lever  du  soleil  et  leur  parler 
des  faveurs  que  Dieu  répand  sur  eux,  celle  où  le  labou- 
reur revenant  des  champs  se  dit  heureux  et  riche  lorsqu'il 
fait  mettre  la  table  sous  le  pommier  et  voit  manger  ses 
petits  tandis  que  la  lune  regarde  dans  le  plat  et  bénit  ce 
souper  qui  vaut  celui  du  roi  ?  Le  Chant  du  soir  est  la  perle 


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3S8  LITTÉRATURE  ALLEMANDS 

de  la  lyrique  de  Claudius  :  il  y  décrit  le  charme  du  cré- 
puscule, le  monde  devenu  comme  une  chambre  silen- 
cieuse où  les  hommes  oublient  les  soucis  du  jour^  la  lune 
qu'on  ne  voit  q^u'à  demi,  mais,  conclut  le  poète,  que 
voyons-nous  ici-bas,  pauvres  pécheurs  que  nous  sommes, 
et  que  savons-nous,  et  ne  faut-il  pas,  au  lieu  de  raffiner^ 
nous  appliquer  à  être  simples  et  bons  ? 

Schubart  appartient  au  Bocage  par  son  enthousiasme 
pour  Klopstock  et  son  amour  du  Volkslied.  Très  intelli- 
gent, très  souple,  habile  musicien,  fougueux  improvisa- 
teur, écrivain  facile,  ardent,  entraînant,  mais  inquiet, 
pétulant,  exagérant  tout,  léger,  prodigue,  dissolu,  tel  il 
était.  On  trouve  de  Tenflure  dans  ses  odes  et  de  la  trivia- 
lité  dans  ses  lieds.  Mais  le  ton  de  son  journal,  la  CA/*o- 
nique  aUemandey  est  vigoureux,  résolu.  Le  chant  du 
paysan  souabe  qui  célèbre  sa  Lisel  aux  yeux  noirs  comme 
la  sorbe  devint  un  chant  populaire,  ainsi  que  le  Chant 
du  Cap  où  les  soldats,  partant  pour  l'Afrique,  s'exhortent 
au  courage.  D'autres  poèmes  expriment  les  douleurs  et 
les  haines  de  Schubart.  C'est  lui-même  qui  dans  le 
Prisonnier  pleure  et  soupire  en  regardant  par  les  barreaux 
le  ciel  lointain,  et  dans  le  Cadeau  des  princes,  lorsqu'il 
peint  le  néant  de  ces  souverains  qui  regardaient  les 
hommes  comme  du  bétail,  ilpense  au  duc  Charles -Eugène 
de  Wurtemberg,  son  persécuteur  :  durant  dix  ans,  le  duc 
le  tint  captif  dans  la  forteresse  d'Asperg. 

Tels  furent  les  membres  du  Bocage  ou  de  l'Union  de 
Gœttingue.  Leur  poésie  a  souvent  une  couleur  religieuse; 
comme  Stolberg,  ils  entendent  dans  la  nature  la  voix  de 
Dieu;  mais  eux  aussi  célèbrent  l'inspiration  et  la  pléni- 
tude du  cœur,  eux  aussi  invoquent  l'imagination,  eux 
aussi  se  croient  des  génies  de  feu.  Ils  relèvent  à  la  fois  de 
Klopstock  et  de  Herder,  et  ce  qu'ils  ont  de  renommée. 


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LE  XVIII*  SIECLE  S39 

ils  le  doivent  à  Herder,  non  à  Klopstock  ;  ils  vivent,  non 
parce  qu*ils  ont  moulé  leurs  odes  sur  celles  de  Klopstock, 
mais  parce  qu'ils  ont  composé  des  lieds.  Ces  lieds,  d'un 
rythme  facile  et  chantant,  ont  fait  d'eux  les  favoris  du 
peuple.  Jamais  peut-être  une  poésie  ne  répondit  mieux 
à  l'âme  allemande  que  la  poésie  du  Bocage,  naiVe,  tendre, 
gaie  et  morale. 

IjOB  gœthéenB  on  poètes  du  Rhin. 

Après  les  poètes  de  Gœttingue,  on  peut  mettre  ensemble 
les  poètes  du  Rhin,  les  Gœthéens,  amis  ou  imitateurs  de 
Gœthe  ou  venus  des  mêmes  parages,  le  peintre  Mâller, 
Heinse,  Wagner,  Lenz,  Klinger,  jeunes  auteurs  qui  fer- 
mentent comme  le  moût  rhénan,  et  sous  ce  titre  de 
Moût  rhénan^  parait  en  eflet  dans  l'année  1775  un  recueil 
de  vers  où  il  y  a  de  la  hardiesse  et  de  l'humour. 

Egalement  doué  pour  la  peinture  et  la  poésie,  Mûller 
n'a  réussi  ni  dans  l'une  ni  dans  l'autre.  Bien  qu'il  affecte 
le  style  de  Gessner,  ce  fut  un  réaliste.  Il  fit  des  chants 
populaires  et  il  peignit  dans  la  Tonte  des  moutons  et  la 
Casse  de  noixàt%  épisodes  de  la  vie  rustique.  Ses  drames 
prouvent  qu'il  avait  de  l'imagination  et  de  la  verve,  mais 
qu'il  manquait  de  culture  et  de  goût:  Niobé  et  Golo 
n'offrent  qu'une  suite  de  scènes  confuses,  et  dans  Faust 
le  héros  est  si  vulgaire  qu'il  ne  demande  au  diable  que 
richesses  et  jouissances. 

Heinse  (1746-1803)  a  composé  plusieurs  romans,  entre 
autres  Ardinghelloj  œuvre  brillante,  colorée,  pleine  de 
tableaux  sensuels,  remarquable  par  son  héros,  par  cet 
Ardinghello  beau,  brave,  passionné,  qui  raffole  de  la 
nature  et  de  la  Grèce  et  qui  déploie  toutes  les  qualités 
d'un  «  génie  ».  Il  fut  critique  d'art;  il  avait  le  goût  fin, 


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280  LITTÉRATORB   ALLEMANDE 

et  ses  descriptions  ne  sont  jamais  vagues;  il  veut  qu'une 
œuvre  sente  le  terroir;  il  défend  la  peinture  de  paysage; 
il  applaudit  à  la  réforme  musicale  de  Gluck. 

Le  Strasbourgeois  Henri-Léopold  Wagner  est  l'auteur 
d*un  drame,  YInfanticide  (1776),  qui  par  sa  rudesse,  par 
une  esquisse  vigoureuse  de  la  bourgeoisie  strasboar- 
geoise,  par  le  personnage  du  boucher  Humbrecht 
annonce  le  drame  de  Schiller,  Kabale  und  Liebe. 

Bizarre,  braque,  épris  d'intrigues  et  d'aventures,  jouant 
à  ses  amis  de  mauvais  tours  qu'il  regrette  ensuite,  inca- 
pable de  diriger  sa  vie  et  rêvant  la  réforme  du  monde, 
dépourvu  de  raison  et  plein  d'imagination,  tantôt  timide, 
tantôt  superbe,  doux  comme  un  enfant  et  parfois  méchant 
comme  un  singe,  tel  a  été  Lenz  (1751-1792).  Il  finit  par 
la  folie.  Peut-être  fut-ce  son  malheur  de  connaître  Gœthe. 
Il  voulut  être  le  rival  de  Gœthe  qu*il  aima  et  détesta  tour 
à  tour,  il  s'amouracha  de  la  sœur  de  Gœthe  et  de  cette 
Frédérique  Brion  que  Gœthe  avait  courtisée.  Ses  comé- 
dies d'après  Plante  ont  du  mouvement,  de  l'humour,  et 
dans  cette  adaptation  Lenz  se  montre  spirituel,  plaisant, 
drôle.  Ses  autres  pièces.  Le  Précepteur^  Le  Nouveau 
Menozuj  Les  Soldats^  U  Anglais  y  où  il  veut,  à  la  Diderot, 
représenter  des  conditions  et  non  des  caractères,  sont 
confuses,  désordonnées,  mais  abondent  en  traits  de  nature. 
L'œuvre  de  Lenz,  ainsi  que  sa  vie,  mêle  le  bon  et  le 
mauvais  ;  elle  offre  des  traces  de  génie  ;  elle  révèle  surtout 
une  âme  malade. 

Klinger  (1752-1831),  qui  prit  pour  devise  les  mots  «  par 
Mars  et  Vénus»,  devint  général  en  Russie,  et  sa  carrière  est 
plus  intéressante  que  ses  ouvrages.  Il  a  fait  dans  sa  jeu- 
nesse des  drames  incohérents,  illisibles,  injouables,  et  dans 
son  âge  mûr  des  romans  trop  vantés  qui  respirent  soit  le 
découragement  et  la  misanthropie,  soit  un  fier  stoïcisme. 


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^ 


LB  XVIll'  SIÀCLB  S31 


Ijes  mystiqaes. 

Lavater,  Frédéric  Jacobi,  Jung^StilIing  forment  dans 
le  Sturm  und  Drang  le  groupe  des  mystiques  et  des  apôtres 
du  sentiment* 

Prodigieusement  actif,  charitable,  passant  sa  vie  à 
répandre,  comme  il  dit,  l'humanité,  charmant  par  sa  parole 
tous  ceux  qui  le  voyaient  de  près,  mais  exalté,  perdu  dans 
ses  rêves,  se  regardant  comme  Tinstrument  de  la  Provi- 
dence et  rincarnation  de  Dieu,  Lavater  (1741-1801)  était 
un  mélange  singulier  de  force  et  de  faiblesse,  de  profon- 
deur et  de  légèreté,  d'orgueil  et  d'humilité.  Ses  Frag^ 
ments phy8iognomoniqueB{Vnb'\n%)  sont  une  des  œuvres 
les  plus  caractéristiques  du  Sturm  und  Drangy  et  Gœthe 
y  collabora;  mais  Lavater  manque  de  goût,  et  son  style, 
qui  foisonne  d'exclamations,  d'interrogations  et  d'apos- 
trophes, est,  disait  Merck,  le  style  d'un  étudiant  et  d'un 
voyant. 

Frédéric  Jacobi  (1743-1819),  homme  spirituel,  aimable, 
fier  de  sa  belle  âme  et  de  ses  succès  mondains,  philosophe 
brillant  mais  dénué  de  précision  et  de  vigueur,  a  repré- 
senté dans  ses  romans  Woldemar  et  il/Zti'iï/ quelques-uns 
de  ses  contemporains,  oisifs,  curieux,  férus  de  mysticisme, 
qui,  comme  lui,  jugeaient  leur  moi  si  merveilleux  qu'ils 
ne  cessaient  de  le  contempler. 

Jung,  dit  Stilling  (1740-1817),  nourri  de  la  Bible, 
croyant  aux  miracles,  atteint  de  la  nostalgie  du  ciel,  a 
raconté  les  aventures  de  sa  jeunesse  avec  une  touchante 
naïveté. 


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Il, 


232  LITTÉRATURB   ALLBMANDB 


Schiller. 


Frédéric  Schiller,  né  le  10  novembre  1759  dans  une 
petite  ville  du  Wurtemberg,  à  Marbach,  a  l'enthousiasme 
du  Souabe  ainsi  que  son  esprit  circonspect  et  avisé,  son 
énergie,  sa  hardiesse  et  cette  ardeur  obstinée  que  les 
Souabes  ont  mise  à  conquérir  et  à  défendre  leur  liberté. 
Son  père,  capitaine  au  service  de  Wurtemberg,  était  an 
homme  pratique  qui  eut  toutefois  des  éclairs  d'imagina- 
tion et  une  aventureuse  existence;  il  fit  des  poésies 
pieuses;  il  publia  un  ouvrage  sur  la  culture  des  champs, 
et  son  fils  tient  de  lui  l'aspiration  au  mieux,  le  désir  de 
progresser  et  de  grandir,  et  peut-être  la  passion  de  la 
gloire. 

Schiller  se  destinait  à  la  théologie.  Sur  l'ordre  de  son 
souverain,  le  duc  Charles-Eugène,  il  dut  en  1773  entrer 
à  l'Académie  militaire^  où  il  resta  jusqu'en  1780,  et  étu- 
dier d'abord  le  droit,  puis  la  médecine.  Cette  école, 
nommée  aussi  l'Ecole  de  Charles  et  organisée  comme 
nos  anciens  lycées,  n'était  pas  aussi  noire  que  Schiller 
l'a  dépeinte.  Il  y  eut  de  bons  maîtres,  il  y  composa  des 
vers  à  la  façon  de  Klopstock  et  des  dissertations,  des 
harangues  dans  le  goût  français  que  le  duc  voulait  incul« 
quer  k  ses  jeunes  Souabes,  et  ce  qu'il  a  de  grandiloquent 
date  de  là.  Malgré  les  règlements,  il  lut  les  œuvres  des 
novateurs  littéraires  et,  sous  l'impression  qu'il  avait 
reçue  non  seulement  de  Plutarque,  d'Ossian,  de  Shake- 
speare, de  Rousseau,  mais  de  Gœthe,  de  Leisewitz,  de 
Klinger,  dans  sa  dernière  année  de  cours,  la  nuit,  à  la 
dérobée,  et  en  une  sorte  de  fièvre,  il  écrivit  ses  Brigands, 

Sa  pièce  renferme  des  longueurs,  des  invraisem- 
blances, des  inconséquences.  Elle  témoigne  néanmoins 


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LB  XVIir  SIBCLB  288 

de  son  instinct  dramatique,  et  d'emblée  Schiller  a  fait 
une  œuvre  de  solide  contexture.  Les  scènes  s'enchaînent 
et  l'action  ne  languit  pas.  Le  vieux  Moor  montre  trop  de 
faiblesse;  Amélie  est,  malgré  ses  velléités  d'énergie, 
pâle  et  insignifiante;  Franz  Moor  se  conduit  et  s'exprime 
comme  un  scélérat  de  mélodrame;  Charles  Moor  a  trop 
souvent  les  gestes  et  les  paroles  d'un  frénétique.  Mais 
ce  Charles,  ce  brigand,  ce  meurtrier,  Schiller  a  su  le 
rendre  sympathique.  Exaspéré,  poussé  à  bout,  Charles 
se  met  à  la  tète  d'une  bande,  se  croit  le  représentant  de 
la  justice  divine,  s'imagine  qu'il  use  de  loyales  repré- 
sailles et  qu'il  exerce  métier  de  noble  et  légitime  ven- 
geance. Bientôt  il  frémit  d'horreur,  doute  de  sa  mission, 
comprend  qu'il  n'est  pas  homme  à  diriger  le  glaive  du 
tribunal  céleste.  La  pensée  d'être  enchaîné  pour  toujours 
au  vice  et  au  crime  le  désole,  le  désespère,  et  quand  il 
revoit  le  pays  natal  où  sa  vie  fut  si  sereine  et  si  pure,  c'est 
avec  l'accent  de  la  plus  déchirante  vérité  qu'il  compare  le 
Charles  de  jadis  au  Charles  de  maintenant,  l'heureux  enfant 
h  l'homme  malheureux.  Il  aspire  à  la  paix  intérieure  et  ne 
la  retrouve  pas;  il  ne  peut  ressaisir  le  passé  et  réparer 
l'irréparable;  c'est  le  héros  du  repentir  :  c'est,  selon  le 
mot  de  Schiller,  un  sublime  déchu;  il  se  remet  à  la 
justice  humaine.  Le  style  des  Brigands  a  parfois  une  tri- 
vialité brutale.  Mais  qu'il  est  franc,  nerveux  et  hardi, 
soit  que  Schiller  raconte  l'ensevelissement  du  vieux  Moor 
ou  la  fuite  de  Spiegelberg  poursuivi  par  un  chien  enragé, 
soit  qu'il  décrive  la  tristesse  et  Taccablcment  de  Charles 
au  bord  du  Danube!  Quelle  impression  produisit  ce  cri 
de  révolte  contre  la  société  !  Le  Sturm  und  Drang  sembla 
renaître  dans  toute  sa  violence.  Charles  ne  se  contentait 
pas  d'épandre  en  belles  invectives  et  dans  un  langage 
tout  biblique  sa  haine  du  mensonge  et  de  l'hypocrisie. 


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23%  LITTBRATURB  ALLEMANDS 

Il  exhalait  son  dégoût  et  son  horreur  pour  le  siècle  où 
il  vivait,  ce  siècle  écrivassier,  énervé,  qui  n'était  bon 
qu'à  remâcher  les  actions  d'autrefois.  11  se  moquait  des 
hommes  qui  a  1:>arricadent  par  d'absurdes  conventions 
la  saine  nature  »  et  qui  a  serrent  leur  Volonté  dans  des 
lois  comme  leur  corps  dans  un  corset  »•  L'épigraphe  de 
son  œuvre  était  un  mot  d'Hippocrate,  qu'il  faut  guérir 
par  le  fer  et  le  feu  le  mal  que  les  médicaments  ne  gué- 
rissent pas,  et  dans  la  deuxième  édition  du  drame,  la 
vignette  du  titre  représentait  un  lion  furieux  qui  se 
dresse  avec  cette  inscription  au-dessous  :  In  iyrannos! 

Les  Brigands  furent  représentés  en  1781.  Schiller, 
sorti  de  l'Ecole  de  Charles,  était  alors  chirurgien  à 
Stuttgart  dans  un  régiment.  Le  duc  le  mit  aux  arrêts  et 
lui  défendit  d'écrire.  Schiller  se  sauva  et,  après  plusieurs 
mois  d'une  vie  errante,  s'établit  à  Mannheim  sur  le  sol 
palatin.  Il  y  fit  jouer  en  1784  sa  seconde  pièce,  la  Cbn- 
juration  de  Fiesque. 

Les  conjurés,  dont  Fiesque  est  le  chef,  sont  esquissés 
d'un  crayon  rapide  et  aussi  ferme  que  les  brigands  dont 
Charles  Moor  est  le  capitaine.  Le  plus  notable,  Verrina, 
est  plein  d'énergie  et  de  vérité  ;  ce  républicain  farouche 
a  pénétré  dans  la  pensée  de  Fiesque,  il  pressent  le  futur 
tyran,  il  jure  de  l'abattre,  et  le  conflit  entre  Fiesque  et 
Yerrina  est  presque  tout  le  drame.  Gianettino  Doria, 
avare,  orgueilleux,  maladroit,  contraste  absolument  avec 
Fiesque.  Le  doge  André  Doria  a,  dans  sa  vieillesse, 
quelque  chose  d'imposant  et  sans  son  neveu  Gianettino, 
il  serait  le  meilleur  des  maîtres.  Le  nègre  est  une  figure 
originale,  gai,  plaisant,  malicieux,  fécond  en  bons  mots 
et  en  drôleries,  animant  les  scènes  où  il  parait  par  sa  verve 
et  sa  vivacité  diabolique,  propre  aux  vilaines  besognes  et 
lourd  comme  une  bûche  s'il  faut  faire  une  action  honnête, 


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LB  XVIII*  8IBCLE  235 

heureux  de  Témeute,  pillant  et  incendiant  à  cœur  joie, 
bouffonnant  jusqu'au  pied  du  gibet.  Mais  les  femmes  qui 
se  disputent  Fiesque,  la  sensible  Léonore  et  la  coquette 
Julie,  manquent  de  vie  et,  au  lieu  de  se  picoter  spiri- 
tuellement et  de  se  donner  avec  grâce  des  coups  d'épingle, 
elles  s'injurient  et  s'invectivent.  Si  Fiesque  montre  une 
volonté  tenace  et  une  merveilleuse  force  de  dissimula- 
tion, il  déploie  envers  Julie  une  cruauté  révoltante,  et 
Ton  s'étoni^  qu'au  dernier  moment  il  congédie  et  arme 
contre  lui  le  nègre  dont  il  admirait  les  ruses.  Enfin 
d'inutiles  épisodes,  comme  le  déshonneur  de  Bertha 
Yerrina,  ralentissent  d'action,  et  le  style  a  trop  souvent 
de  l'emphase  et  de  la  subtilité.  Pourtant,  la  pièce  marque 
un  progrès;  s'il  y  a  moins  de  puissance  que  dans  les 
Brigands^  i\  j  ^  plus  de  mesure  et  plus  d'art,  un  fond 
plus  solide,  une  forme  plus  régulière,  et  c'est  la  pre- 
mière des  tragédies  historiques  de  Schiller. 

Fiesque  échoua.  Trois  mois  après,  le  succès  à^ Intrigue 
et  Amour  consolait  Schiller.  La  scène  se  passe  dans  la 
résidence  d'un  duché  d'Allemagne.  Le  jeune  major  Fer- 
dinand de  Walter  aime  la  fille  d'un  pauvre  musicien, 
Louise  Miller.  Son  père,  le  président  de  Walter,  ministre 
principal,  s'oppose  à  ce  mariage;  il  veut  que  Ferdinand 
épouse  lady  Milford,  la  maîtresse  du  duc;  Louise  sera  la 
femme  de  son  secrétaire  Wurm.  Le  major  regimbe  et 
menace  de  dévoiler  un  crime  commis  autrefois  par 
M.  de  Walter.  Mais,  pour  obtenir  la  liberté  de  son  père 
que  le  président  a  fait  emprisonner,  Louise  consent  a 
écrire,  sous  la  dictée  de  Wurm,  une  lettre  d'amour  à 
Kalb,  maréchal  de  la  cour.  Kalb  livre  le  billet  à  Ferdi- 
nand. Le  major  croit  Louise  infidèle  ;  il  jette  du  poison 
dans  un  verre  de  limonade  et  il  oblige  Louise  à  boire 
après  lui.  Avant  de  mourir,  Louise  prouve  son  innocence; 


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236  LITTÉRATURE  ALLEMANDE 

Ferdinand  expire  en  maudissant  son  père;  le  président 
et  Wurm,  présents  à  la  scène,  se  dénoncent  mutuelle- 
ment et  tous  deux  àont  arrêtés.  Mais  quel  est  exacte- 
ment le  crime  de  M.  de  WalterPEt  comment  le  président 
eut  il  l'imprudence  de  le  révéler  à  son  fils?  Comment  se 
peut-il  que  deux  scélérats  comme  le  président  et  Wurm 
soient  pris  de  remords  à  la  fin  du  drame  ?  N'est-il  pas 
invraisemblable  que  Wurm  se  perde  pour  perdre  le  pré- 
sident et  que  le  président  se  livre  à  la  justice?  Les  esta- 
fiers  arrêtent  Wurm  parce  qu'il  s'engage  à  découvrir  des 
secrets  pleins  d'horreur!  Ils  arrêtent  leur  chef  suprême 
parce  qu'il  leur  dit  :  «  Je  suis  votre  prisonnier!  »  Et 
quoi  de  plus  impossible  et  de  plus  inutile  que  l'entrevue 
de  la  Milford  et  de  Louise?  Les  caractères  mêmes  sont- 
ils  à  l'abri  de  tout  reproche?  Kalb  est,  selon  Schiller, 
un  coquin  et  le  complice  du  président;  nous  ne  voyons 
en  lui  qu'un  sot,  un  fat  et  un  poltron.  Wurm,  lui  aussi, 
est  un  coquin;  pourquoi  lui  donner  un  extérieur  si  rebu- 
tant? Comment  le  président,  ce  madré  personnage, 
s'est-il  mis  dans  la  dépendance  de  Wurm? La  Milford  est 
orgueilleuse,  elle  se  pique  de  générosité,  elle  joue  a  la 
grandeur  d'âme  :  qui  croira  néanmoins  qu'elle  rompe 
en  un  clin  d'œil  avec  une  fastueuse  opulence  et  qu'elle 
travaille  désormais  à  la  journée  pour  se  laver  de  sa  honte? 
Enfin,  le  major  Ferdinand  n'est-il  pas  quelquefois 
inconséquent?  Les  Miller,  en  revanche,  sont  bien  dessinés  : 
la  mère,  naïve,  bavarde,  bornée  ;  le  père,  franc  du  collier, 
usant  de  termes  crus  et  de  dictons  populaires,  rabrouant 
sa  femme,  adorant  sa  fille,  parfaitement  honnête,  le 
Souabe  dans  toute  sa  droiture  et  sa  rudesse;  Louise 
partagée  entre  sa  tendresse  filiale  et  son  amour  pour 
Ferdinand,  petite  bourgeoise  simple,  modeste,  sentimen- 
tale, convaincue,  hélas!  qu'elle  n'épousera  pas  le  major, 


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LE  XVIII*  SliCLB  337 

qu'elle  ne  l'aura  que  dans  un  autre  monde  où  il  n  yaplus 
ni  distinctions  ni  barrières.  Tel  quel,  Intrigue  et  Amour 
est  le  drame  bourgeois  le  plus  remarquable  du  xviii*  siècle. 
On  y  trouve,  de  même  que  dans  les  Brigands^  une  chaleur, 
une  sincérité,  une  passion  qui  porte  et  entraine  tout 
comme  d'un  élan  irrésistible.  Ce  n'est  pas  seulement 
une  satire  politique,  et  Schiller  ne  se  contente  pas  de 
flétrir  la  corruption  des  petites  cours  allemandes,  les 
exactions  des  ministres,  le  scandaleux  trafic  que  les 
princes  font  de  leurs  soldats.  La  pièce  est  une  tragédie 
sociale  et  révolutionnaire.  Nul  n'a  plus  éloquemment 
combattu  les  préjugés  de  caste  que  l'auteur  à' Intrigue  et 
Amour.  Quel  beau  cri  de  colère  jette  Ferdinand  contre 
ses  titres  de  noblesse  !  Quelle  lutte  saisissante  de  V Amour 
contre  V Intrigue  !  Et  qui  ne  pressent,  qui  ne  déplore  son 
inévitable,  son  éternelle  défaite? 

Au  printemps  de  1785  Schiller  se  rendit  à  Leipzig, 
puis  à  Dresde  où  l'appelait  un  de  ses  admirateurs  Gott- 
fried  Kôrner,  qui  devint  son  intime  ami  et  son  sur 
conseiller.  De  ce  séjour  en  Saxe  date  le  don  Carlos^  si 
touchant  par  certains  côtés  et  si  plein  d'étrangetés  et 
d'invraisemblances,  si  obscur,  si  incohérent,  parce  qu'il 
fut  écrit  h  bâtons  rompus.  Le  héros  et  le  seul  personnage 
qu'on  n'oublie  pas,  c'est  le  marquis  de  Posa.  Non  pas 
que  les  autres  caractères  soient  absolument  manques.  Car- 
los est  un  jeune  homme  qui  va  toujours  à  l'extrême;  la  reine 
Elisabeth,  une  noble  femme  qui  sacrifie  sa  passion  à  son 
devoir  et  montre  h  Carlos  le  droit  chemin  avec  une 
inflexible  douceur;  le  roi  Philippe,  un  fanatique  qui 
garde  encore  des  sentiments  humains.  Mais  Posa  éclipse 
tout.  Qu'il  oflre  des  contradictions  et  des  inconséquences  ; 
que  ce  gentilhomme  du  xvi*  siècle  soit  en  réalité  un 
philosophe  du  xviii';  qu'il  use,  lorsqu'il  est  ministre,  de 


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238  LITTâRÀTURB  ALLEMANDS 

moyeDs  subtils  et  compliqués;  qu'il  provoque  par  sa  con- 
duite mystérieuse  les  soupçons  de  Carlos  :  qu'il  paraisse 
un  instant  frappé  de  folie;  qu'il  dévoile  soudain  pour 
Elisabeth  un  amour  qu'elle  semble  partager;  qu'il  con- 
spire contre  le  souverain  qui  lui  témoignait  sa  confiance 
entière  et  l'aimait  comme  un  fils;  que  Philippe  le  fasse 
tuer  au  lieu  de  l'interroger,  de  le  juger  et  de  le  livrer  à 
l'Inquisition  :  qu'importe?  Ce  Posa,  ce  magnanime  Posa, 
le  plus  beau  des  portraits  où  Schiller  s'est  peint,  ce 
citoyen  des  siècles  à  venir,  ce  représentant  des  droits  de 
l'homme,  ce  chevalier  de  la  liberté  future,  ce  grand 
cosmopolite  prêche  en  si  nobles  accents  l'Évangile  du 
bonheur  dql'humanité!  Il  annonce  avec  un  si  généreux 
enthousiasme  et  une  si  superbe  assurance  le  printemps 
des  peuples  et  l'avènement  d'un  État  où  régneront  les 
lois  et  où  le  roi  ne  sera  que  l'exécuteur  des  lois  !  Et  qui 
n'est  ému  jusqu'au  fond  du  cœur  lorsqu'il  souhaite  que 
Carlos,  monté  sur  le  trône^  garde  du  respect  pour  les 
rêves  de  sa  jeunesse  ! 

Ces  tirades  de  Posa,  ces  images  d'un  monde  nouveau 
déroulées  avec  autant  de  feu  que  de  hardiesse,  la  richesse 
et  l'harmonie  de  la  langue  firent  le  succès  de  Don  Carlos, 
Schiller  emploie  l'iambe  de  cinq  pieds  qu'il  emploiera 
désormais  dans  tous  ses  drames,  et  son  style,  contraint 
par  le  mètre,  a  perdu  de  sa  fougue  et  de  sa  violence  pour 
prendre  plus  de  douceur  et  de  noblesse.  Comme  précé- 
demment, il  trace  un  sombre  tableau  des  institutions 
humaines,  mais  il  n'a  plus  d'éclats  de  colère  et  de  haine 
contre  la  sogiété;  il  croit  au  bien  et  au  vrai;  il  célèbre 
l'idéal.  Don  Carlos  marque  en  Schiller  la  fin  d'une  crise. 

Nommé  conseiller  par  le  duc  Charles-Auguste,  il  vint 
en  1787  se  fixer  à  Weimar.  Pour  sortir  de  la  gêne  et  obtenir 
une  place  de  professeur  a  l'Université  d'Iéna»  il  entreprit 


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LB  XVIIl*   SIBGLB  389 

des  travaux  historiques.  Les  principaux  sont  V Histoire  du 
soulèvement  des  Pays-Bas  et  VHistoire  de  la  Guerre  de 
Trente  Ans.  Ils  ne  valent  que  par  le  style,  et  ce  style, 
c'est  le  style  que  Schiller  avait  déjà  sur  les  bancs  de 
l'Ëcole  de  Charles,  le  style  oratoire,  le  style  de  Saint- 
Réal,  de  Yertot,  des  auteurs  français  qu'il  a  consultés. 
Un  développement  ample  et  légèrement  emphatique,  des 
périodes  longues  et  sonores,  Tépithète  fréquente,  d'étin- 
celants  portraits,  des  récits  animés,  de  l'émotion,  de 
l'abondance,  du  nombre,  peu  d'exactitude  et  de  préci- 
sion. Mais  l'histoire  était  désormais  un  art;  elle  n'avait 
plus  ni  sécheresse  ni  raideur  ;  elle  prêtait  au  passé  l'ap- 
parence de  la  vie. 

Ces  études  sont  d'ailleurs  utiles  à  Schiller  :  il  acquiert 
des  forces  nouvelles  et  donne  à  son  génie  une  solide 
nourriture,  il  apprend  de  plus  en  plus  à  connaître  les 
hommes,  il  évoque  des  personnages  qui  parlent  et 
agissent,  il  épanche  sa  verve  dramatique. 

Son  mariage  avec  Charlotte  de  Lengefeld  et  l'amitié 
de  Gœthe  achevèrent  de  le  mûrir.  Gœthe  le  fit  nommer 
professeur  à  l'Université  d'Iéna,  le  conseilla,  le  stimula, 
l'éleva  au-dessus  de  lui-même. 

C'est  le  temps  où  Schiller  étudie  Kant  avec  passion.  Le 
travail  a  ruiné  sa  santé.  Mais  en  1791,  le  prince  de 
Holstein-Augustenbourg  et  le  ministre  danois  Schimmel- 
mann  lui  offrent  pendant  trois  années  consécutives  une 
pension  de  mille  thalers  qui  lui  permet  un  repos  néces- 
saire. 11  profite  de  ses  loisirs  pour  se  livrer  a  la  philo- 
sophie et  il  compose  de  1793  à  1796  son  traité  De  la  grâce 
et  de  la  dignité  où  il  demande,  contre  Kant,  que  le  devoir 
s'accorde  avec  le  penchant  et  que  l'homme  aime  la  loi 
morale  tout  en  la  respectant  ;  ses  lettres  sur  V Éducation 
esthétique  de  Vhomme  où  il  plaide,  comme  il  dit,  la  cause 


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240  LITTBRATURB  ALLBBIANDB 

du  beau  et  subordonne  la  morale  à  Testhétique;  sonopus* 
cule  sur  l'art  tragique^  où  il  essaie  de  concilier  les  vues 
d'Âristote  avec  la  théorie  kantienne  du  sublime;  son 
traité  sur  la  poésie  naïve  et  la  poésie  sentimentale  y  celui 
de  tous  ses  traités  philosophiques  qui  lui  appartient 
le  plus  en  propre.  Selon  Schiller,  la  poésie  est  naïve, 
lorsqu'elle  rend  ce  qu'elle  voit  ;  sentimentale,  lorsqu'elle 
imagine  au  lieu  de  copier  et  substitue  ses  aspirations  k 
la  réalité;  la  poésie  naïve,  c'est  la  poésie  antique,  réa- 
liste, objective;  la  poésie  sentimentale,  c'est  la  poésie 
moderne,  idéaliste,  subjective.  Théorie  fragile,  un  peu 
subtile  et  obscure,  mais  remarquable  par  une  forme  bril- 
lante, par  une  argumentation  vigoureuse,  par  de  profonds 
aperçus,  par  des  jugements  durables  sur  les  poètes 
allemands. 

La  poésie  lyrique  de  Schiller  est  par  suile  une  poésie 
philosophique.  Déjà,  en  1783,  dans  VAnthologiey  parmi 
des  poèmes  de  tous  les  genres  et  de  tous  les  tons,  les 
Odes  à  Laure^  assez  étranges  et  ampoulées,  célébraient 
l'amour  comme  le  principe  de  l'univers.  Déjà,  en  1789, 
dans  le  poème  des  Artistes,  long,  décousu,  monotone, 
Schiller  montrait  que  la  civilisation  n'avait  pu  se  pro- 
duire que  par  la  puissance  de  l'art  qui  fit  tomber  la 
barrière  de  la  vie  animale.  Peu  à  peu,  sous  Tinfluence  de 
Gœthe,  il  réussit  à  mettre  dans  sa  poésie  plus  de  variété, 
plus  de  clarté,  plus  de  mesure.  Comme  auparavant,  ce 
sont  des  idées  générales,  et  non  des  sentiments  person- 
nels qu'il  exprime  :  il  ne  chante  pas  dans  la  Dignité  des 
femmes  le  bonheur  que  lui  donne  Charlotte  de  Lengefeld; 
il  oppose,  en  strophes  musicales  et  très  bien  construites, 
l'homme  et  la  femme  :  l'homme,  énergique,  fougueux, 
inassouvi^  endurci  par  la  lutte,  emporté  par  la  passion  ; 
la  femme,  douce,  gracieuse,  sensible,  bienfaisante.  Et 


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LE  XVlll^   SIECLE  241 

quelle  feuite  d'images  émouvantes,  quels  accents  pathéti- 
ques, soit  que  dans  les  Idéals  l'étude  et  l'amitié  le 
consolent  de  sa  jeunesse  envolée;  soit  que  dans  V Idéal 
et  la  çie  il  recommande  de  fuir  sur  les  hauteurs  du  beau 
en  ces  sereines  régions  où  disparait  le  souci  des  choses 
terrestres;  soit  que  dans  Aspiration  et  Le  Pèlerin  il  glo- 
rifie de  nouveau  l'idéal  et  reconnaisse  douloureusement 
que  ce  pays  des  miracles  vers  lequel  il  a  marché  d'un 
pas  infatigable  avec  confiance  et  hardiesse,  est  toujours 
trop  haut,  toujours  trop  loin  ;  soit  qu'en  un  poème  aussi 
grandiose  qu'ingénieux,  tout  en  narrant  par  le  menu  la 
fonte  de  la  Cloche  dont  les  sonneries  accompagnent  tant 
de  nos  actes,  il  retrace  l'existence  humaine,  ses  prin- 
cipaux épisodes  et  ses  contrastes,  d'abord  la  vie  privée, 
les  espoirs  et  les  désirs  du  premier  amour,  le  mariage, 
le  père  se  jetant  dans  la  mêlée  de  ce  monde,  la  mère 
régnant  dans  le  cercle  domestique  sans  jamais  se 
reposer,  l'incendie  qui  dévore  soudain  les  fruits  d'un 
long  labeur,  l'épouse  enlevée  par  la  mort  et  le  foyer 
devenu  vide,  puis  la  vie  publique,  concorde,  ordre, 
patriotisme,  et,  comme  naguère  dans  la  famille,  le 
malheur  succédant  au  bonheur,  la  révolte,  l'anarchie,  les 
vices  se  donnant  carrière  ! 

Ses  ballades  expriment  de  même  une  vérité  morale  : 
V Anneau  de  Polycrate^  l'inconstance  de  la  fortune;  la 
Cautiony  le  dévouement  d'un  ami  sincère  ;  le  Dragon^ 
l'humilité  chrétienne;  Fridolin  et  les  Grues  d'ibycus, 
l'inévitable  châtiment  du  crime  ;  le  Comte  de  Habsbourg, 
la  récompense  de  la  piété  ;  le  Plongeur ^  la  mort  réservée 
aux  téméraires;  Toggenbourgy  un  amour  fidèle  jusqu'à  la 
tombe,  et  dans  tous  ces  morceaux  Schiller  déploie  son 
talent  dramatique,  concentrant  l'action,  graduant  les 
événements,  préparant  de  loin  le  dénouement,  tenant  le 

urriiiATORi  AiuMAm>i.  16 


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S4S  LITTÉRATURE   ALLEMANDS 

lecteur  en  suspens.  Il  s'attache  à  la  forme,  entremêlant 
les  mètres  et  les  rythmes,  usant  de  Tallitération,  de 
Tassonance,  de  l'harmonie  imitative,  et  par  la  chaleur,  par 
le  mouvement,  par  la  vie  qu'il  donne  à  son  récit,  faisant 
de  la  ballade  un  tableau  aux  couleurs  éclatantes.  Quelle 
peinture  vive  et  variée  des  fauves  qui  paraissent  dans 
le  Gant  !  Quelle  saisissante  description  du  gouffre  dans 
le  Plongeur]  Quelle  vigueur  dans  les  strophes  d^Jbycus 
qui  représentent  le  chœur  des  Euménides  à  la  marche 
lente,  au  chant  terrible  ! 

Schiller  est  alors  de  1796  à  1805  dans  le  plein  épa- 
nouissement de  son  génie  littéraire  et,  selon  le  mot 
d'un  contemporain,  il  remonte  des  souterrains  de  la 
métaphysique  à  la  lumière  du  jour.  Les  drames  suivent 
les  drames  :  Wallenstein  en  1799,  Marie  Stuart  en  1800, 
la  Pucelîe  d^  Orléans  en  1801,  la  Fiancée  de  Messine  en 
1803,  Guillaume  Tell  en  1804. 

Trois  parties,  le  prologue  ou  le  Camp  de  Wallenstein^ 
les  Piccolomini  en  cinq  actes,  la  Mort  de  Wallenstein  en 
cinq  actes,  onze  actes  en  tout,  forment  le  Wallenstein^ 
et  il  y  a  nécessairement  des  longueurs  dans  cette  œuvre 
immense.  Mais  elle  est  imposante  et  elle  offre  une  action 
ininterrompue.  D'un  bout  à  l'autre  le  duc  de  Friedland 
domine  le  drame  ;  pas  une  scène  qui  ne  se  rapporte  à  lui  ; 
on  ne  le  perd  pas  de  vue.  Le  Camp  explique  et  annonce 
son  crime  :  quoique  invisible,  Wallenstein  est  présent; 
son  souvenir  hante  les  esprits;  son  nom  remplit  les  con- 
versations; on  comprend,  en  écoutant  ses  soldats,  que 
sa  puissance  ait  séduit  son  cœur,  et,  comme  ils  disent, 
qu'il  peut  tout  oser  puisqu'il  est  le  premier  après  l'empe- 
reur. Et  dans  les  dix  actes  suivants,  il  entre  en  lutte 
avec  l'empereur!  C'est  un  grand  ambitieux,  né  pour 
mener  et  manier  les  hommes,    dévoré  d'orgueil,  plein 


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LE   XVIII*  8IBCLB  243 

d*une  foi  inébranlable  en  lui-même,  convaincu  que  son 
destin  n'aura  rien  de  vulgaire.  Il  devine  que  la  cour  le  ^6^ 
destituera,  et  il  refuse  de  tomber  dans  le  néant.  Non  : 
il  sera  prince,  lui  aussi  ;  il  sera  roi  ;  il  s'alliera  aux 
ennemis  pour  dicter  la  paix  k  l'empereur  et  lui  ravir  la 
couronne  de  Bohème.  Or  il  sait  l'entreprise  difficile  :  il 
s'attaque  h  la  légitimité,  à  une  autorité  consacrée  par  le 
droit,  par  le  temps,  par  l'affection  des  peuples,  et,  coûte 
que  coûte,  il  doit  réussir  ;  l'échec  le  fait  coupable,  et  le 
succès,  innocent.  Par  suite,  il  tergiverse,  il  pèse  le  pour 
et  le  contre,  il  réfléchit  longuement,  il  ne  veut  lever  le 
masque  qu'à  l'extrémité.  L'arrestation  de  son  émissaire 
Sesina  l'arrache  à  ses  atermoiements.  Il  reçoit  le  Suédois 
Wrangel  dans  son  cabinet,  et  le  crime  franchit  son  seuil. 
Mais  n'avait-il  pas  admis  la  pensée  de  la  trahison? 
N'avait-il  pas,  selon  ses  propres  termes,  joué  avec  le 
diable?  Il  faut  passer  des  idées  aux  actes.  Plus  de  retour 
possible.  Il  est  traître^  et  ce  seul  mot  prononcé  détache 
de  lui  les  généraux  et  les  régiments  sur  lesquels  il  comp- 
tait; il  est  traître,  et  les  assassins  qui  tremblaient 
naguère  devant  lui,  qui  le  réputaient  invulnérable,  ne 
balancent  plus  à  le  frapper.  Quel  que  soit  le  prestige  de 
Wallenstein,  l'armée  qu'il  commande  est  l'armée  de 
Tempereur,  elle  a  prêté  serment  à  l'empereur,  et  ce  ser- 
ment, elle  le  tient;  elle  lâche  son  général.  Fin  déplo- 
rable et  méritée!  Wallenstein  n'a  pas,  de  l'aveu  même 
de  Schiller,  la  noblesse  de  l'âme;  il  marierait  sa  fille 
Thécla  à  un  roi,  et  non  pas  au  généreux  Max;  il  ne 
regarde  les  hommes  que  comme  des  instruments;  il 
a  indignement  desservi  Buttler  à  la  cour.  Et  pourtant, 
il  inspire  sympathie  et  pitié.  Il  a  des  qualités  aimables 
et  quelques-unes  de  ces  moindres  vertus  dont  parle 
La  Bruyère  et  que  n'avait  pas  Condé.  Il  aime  tendrement 


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244  LITTERATURE   ALLEMANDE 

Thécla,  il  pleure  la  mort  de  Max,  il  ne  s'engage  dans  la 
voie  du  crime  qu'avec  hésitation,  sur  les  instances  d'illo 
et  de  la  comtesse  Terzky,  sa  belle-sœur  et  admiratrice 
passionnée,  qui  par  un  ardent  et  fébrile  discours 
triomphe  de  ses  derniers  scrupules,  et,  s'il  trahit  l'empe- 
reur, il  est  pareillement  trahi  par  Octavio.  Pour  rendre 
le  personnage  plus  humain,  et  tout  en  le  revêtant  d'un 
mystérieux  attrait,  Schiller  lui  prête  une  faiblesse  com- 
mune aux  gens  de  ce  temps-là,  la  croyance  à  l'astrologie. 
C'est  parce  que  Wallenstein  a  confiance  dans  les  étoiles 
qu'il  se  livre  à  Octavio;  c'est  au  sortir  d'un  songe  pro- 
phétique qu'il  fait  d'Octavio  son  ami.  Non  qu'il  s'aban- 
donne aveuglément  aux  planètes  :  il  dit  qu'elles  sont 
chancelantes,  trompeuses,  et  à  l'heure  où  l'attendent  les 
meurtriers,  il  s'imagine  que  le  destin  lui  sera  favorable; 
mais  précisément  parce  qu'il  ne  prévoit  pas  la  mort  qui 
le  guette  et  parce  qu'à  ce  moment  il  assure  qu'avec  Max 
le  beau  a  disparu  de  sa  vie,  il  excite  en  nous  une  pro- 
fonde émotion. 

Il  n'écrase  pas  les  autres  figures.  Elles  ont  des  traits 
marqués  :  Illo,  grossier  et  rude;  Terzky,  rusé  et  agis- 
sant; Isolani,  mauvais  payeur  et  faisant  la  fête  malgré 
ses  dettes;  Buttler,  couvant  sa  vengeance;  Octavio, 
homme  très  chatoyant,  à  la  fois  politique  et  guerrier, 
tendre  père,  ami  perfide,  fidèle  à  l'empereur  et  usant  de 
moyens  qui  jettent  de  l'odieux  sur  sa  fidélité.  De  tous, 
Max  est  le  plus  attachant.  Il  a  le  ton  sentimental,  il 
abonde  en  tirades,  et  qui  ne  connaît  son  couplet  sur  la 
paix,  ce  couplet  que  Napoléon  III  récitait  au  prince 
Albert,  ce  couplet,  si  joli,  si  frais,  qui  retarde  la  marche 
de  l'action  comme  dans  le  couplet  même  le  peuple  en 
son  aimable  empressement  retarde  la  marche  des  batail- 
lons victorieux?  Son  rôle   contient   des  longueurs;  s'il 


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LB  XVIII«  SIECLB  245 

parle  bien,  il  parle  trop.  Mais  le  jugement  qu'il  porte 
sur  le  généralissime  est  celui  du  poète  et  le  nôtre.  Un 
des  chefs  les  plus  remarquables  de  Tarmée  malgré  son 
âge,  lié  à  Wallenstein  par  l'enthousiasme  et  non  par 
l'intérêt,  le  dernier  à  le  quitter,  Max  le  conjure  de  ne 
pas  trahir,  parce  que  la  trahison  est  ce  noire  comme 
l'enfer  ».  Thécla  se  montre  digne  de  Max.  Comme  elle 
devine  d'emblée  que  les  Terzky  ne  la  caressent  que 
pour  l'exploiter!  Avec  quelle  tranquillité  d'âme  elle 
attend  l'orage  menaçant  et  garde  son  amour,  cet  amour 
qui  dans  la  maison  d'un  Wallenstein  doit  se  revêtir 
d'une  armure  d'airain  et  se  ceindre  pour  un  combat  k 
mort!  Quelle  grandeur  lorsqu'elle  dicte  à  Max,  qui  la 
prend  pour  arbitre,  la  suprême  résolution!  Même  dans 
le  prologue,  dans  le  Campy  si  court  qu'il  soit,  les  person- 
nages ont  chacun  leur  physionomie  :  le  Croate,  crédule 
et  rapace;  le  tirailleur,  gai  et  léger  comme  un  Lorrain; 
le  premier  chasseur,  insouciant,  inconstant,  galopant 
d'un  camp  à  l'autre  ;  les  arquebusiers,  las  de  la  guerre  et 
qualifiés  de  courtauds  de  boutique  par  le  reste  de 
l'armée;  le  maréchal  des  logis  qui  voit  tout  et  connaît 
tout;  le  premier  cuirassier  que  le  sentiment  de  l'honneur 
anime  et  soutient  dans  son  inquiète  existence  ;  la  vivan- 
dière qui  conte  ses  aventures  avec  une  si  bonne  humeur; 
le  capucin  qui  mêle  dans  son  sermon  —  un  centon 
d'Abraham  a  Sancta  Clara  —  les  citations  bibliques,  les 
burlesques  invectives  et  les  jeux  de  mots. 

Le  Wallenstein  est  l'œuvre  la  plus  grandiose  de 
Schiller  et  du  théâtre  allemand.  Chacune  de  ses  parties 
a  son  héros  :  dans  le  Camp^  les  soldats;  dans  les  Picco^ 
lomini^  les  généraux;  dans  la  Mort  de  Wallenstein^  le 
généralissime,  et  chacune  produit  son  impression 
propre  :  dans  le  Camp^  de  la  fougue,  de  la  joie  et  la 


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346  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

verve  soldatesque;  dans  les  Piccolominiy  quelque  chose 
de  plus  paisible,  Tallure  d'une  négociation,  les  lenteurs 
où  se  plait  un  amour  naissant;  dans  la  Mort  de  Wallen- 
steiriy  lorsque  le  sort  en  est  jeté,  du  mouvement,  de  la 
rapidité,  l'action  se  précipitant  vers  son  but,  et  chez  les 
personnages  je  ne  sais  quoi  de  plus  résolu,  de  plus 
sombre,  de  plus  tragique.  Schiller  avait  raison  de  dire 
qu'il  alliait  dans  cette  pièce  à  la  chaleur  et  au  feu  de  ses 
premiers  drames  le  calme  énergique  et  la  force  qui  se 
commande.  Sa  langue,  devenue  plus  ferme  et  plus  solide, 
a,  dans  l'ensemble,  un  coloris  poétique,  beaucoup  d'éclat 
et  d'harmonie,  et  néanmoins  elle  a  souvent  le  ton  popu- 
laire et  franc.  Chacun  tient  le  langage  qui  lui  sied  :  lUo 
parle  comme  un  brutal;  Isolani,  comme  un  viveur; 
Buttler  comme  un  vieux  sabreur;  Questenberg,  comme 
un  diplomate  raffiné;  Max,  comme  un  jeune  homme 
chevaleresque  et  tout  plein  de  l'idéal  ;  la  Terzky  comme 
une  femme  vive  et  nerveuse;  Wallenstein,  comme  un 
général  d'armée  et  un  souverain  ;  le  reitre  du  Camp^ 
bref  et  brusque,  impérieux  et  fier,  comme  le  soldat  qui 
méprise  le  bourgeois  et  houspille  le  paysan.  L'œuvre  ne 
pèche  que  par  son  étendue,  et  Schiller  avouait  qu'il 
avait  eu  en  la  composant  un  accès  d'esprit  épique. 
Serait-il  possible  toutefois  de  retrancher,  comme  on  l'a 
proposé,  l'épisode  de  Max  et  de  Thécla?  La  noblesse  des 
deux  amants  si  beaux,  si  purs,  et  qui  n'écoutent  que  la 
voix  de  leur  cœur,  fait  un  tel  contraste  avec  la  bassesse 
de  leurs  entours  !  Et  dans  la  catastrophe  où  Wallenstein 
entraine  tous  les  siens,  ne  sont-ils  pas  les  principales, 
les  plus  touchantes  victimes? 

Marie  Stuart  contient  un  peu  trop  de  rhétorique  et 
dans  la  scène  où  l'héroïne  confesse  ses  péchés  et  com- 
munie, Schiller  abuse  peut-être  du  pathétique.  Mais  la 


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LB  XVI 11"  SIÈCLE  247 

pièce  offre  une  action  régulière  et  vraiment  une.  Tout 
pivote  autour  de  Marie;  les  personnages  sont  pour  ou 
contre  elle  ;  ceux-ci  veulent  la  sauver,  ceux-là  Timmoler, 
et  elle,  quoique  prisonnière,  ne  demeure  pas  inerte  et 
impuissante  :  c'est  elle  qui  fixe  son  destin.  Dans  le  parc 
de  Fotherîngay  où  elle  vient  d'exhaler  sa  joie,  de  boire 
à  longs  traits  Tair  du  ciel  et  de  saluer  les  nuages  qui 
voguent  vers  la  France,  voila  qu'elle  aperçoit  soudain  sa 
rivale  ;  elle  a  désiré  cette  entrevue  décisive  ;  elle  souhai- 
terait de  toucher  Elisabeth  ;  elle  craint  d'abord  de  l'offen* 
ser  ;  elle  supplie  Dieu  d'ôter  de  son  discours  tout  aiguillon 
blessant.  Elle  est  provoquée,  et  à  l'ironie  insultante 
d'Elisabeth  elle  répond  par  les  reproches  les  plus  san- 
glants. Scène  superbe  où  se  révèle  le  caractère  de  Marie! 
La  femme  qui  se  réjouit  d'avoir  enfoncé  le  couteau  dans 
le  cœur  de  son  ennemi,  n'est-ce  pas  celle  qui^  selon 
Schiller,  commanda  l'assassinat  de  Darnley  son  époux? 
Elle  meurt  donc  parce  qu'elle  a  refusé  de  s'humilier 
devant  Elisabeth^  et  elle  meurt,  calme,  sereine,  triom- 
phante, comme  si  elle  avait  la  couronne  sur  la  tète, 
rachetant  par  cette  sorte  d'expiation  et  de  martyre  son 
passé  coupable,  prouvant  qu'elle  est  meilleure  que  sa 
renommée  et  qu'elle  a  failli,  entraînée  par  la  jeunesse  et 
par  la  fragilité  humaine.  En  revanche,  tandis  que  Marie 
est  reçue,  comme  elle  dit,  dans  les  bras  de  la  miséri- 
corde divine,  Elisabeth  vit  et  règne,  méprisée  de  tous, 
de  Burleigh  qu*elle  exile,  de  Shrewsbury  qui  renonce  à 
la  servir,  de  Leicester  qui  l'abandonne.  Schiller  l'a  peinte 
hypocrite,  jouant  sans  cesse  la  comédie  de  la  vertu, 
affirmant  que  ses  seuls  plaisirs  sont  les  austères  devoirs 
de  la  royauté,  et,  en  réalité,  galante,  dépravée,  proposant 
a  Mortimer  de  se  livrer  à  lui  s'il  tue  Marie.  Rien  de  sin- 
cère en  elle,  sinon  son  amour  pour  Leicester  et  sa  haine 


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248  LITTERATURE   ALLEMANDE 

contre  la  Stuart,  contre  cette  Stuart  qui  lui  dispute  légi- 
timement le  trône  d'Angleterre  et  qui  l'emporte  sur  elle 
en  beauté.  Quoi,  elle  a  Tâme  forte,  et  Marie,  cette  faible 
femme,  a  gagné  le  cœur  de  tous  les  hommes!  Eh  bien, 
Marie  mourra,  et  Elisabeth  sera  libre  comme  Tair  sur 
les  montagnes!  Néanmoins  elle  veut  toujours  sauver  les 
apparences-,  elle  signe  la  sentence  de  mort,  puis  elle 
assure  qu'elle  n'a  signé  ce  jugement  que  sous  la  pressioo 
populaire,  qu'elle  ne  Ta  pas  transmis,  que  ses  ministres 
l'ont  exécuté  de  leur  propre  mouvement.  Devant  Elisa- 
beth et  Marie  s'efiacent  les  autres  personnages  de  la 
pièce  :  Leicester,  le  courtisan  lâche,  perfide,  impudent; 
Shrewsbury,  l'homme  loyal  et  juste  qui  conseille  l'indul- 
gence; Burleigh,  le  politique  impitoyable  qui  ne  connaît 
que  la  raison  d'État;  Paulet,  l'inflexible  et  hon^nête 
geôlier;  Mortimer  qui  présente  un  singulier  mélange 
d'ardeur  amoureuse  et  de  religieuse  exaltation,  et  qui 
confond  dans  sa  suprême  prière  Marie  Stuart  et  Marie, 
mère  du  Christ. 

De  même  que  Marie  Stuart,  la  Pucelle  âk  Orléans  est 
une  pièce  bien  ordonnée  où  tout  se  lie  et  s'enchaîne. 
Schiller  l'intitule  «  tragédie  romantique  »  parce  qu'elle 
représente  le  merveilleux  chrétien  du  moyen  âge.  A  cer- 
tains moments,  l'héroïne  est  «  pleine  de  Dieu  »;  tout  son 
être  respire  la  divinité  qui  l'envoie  ;  elle  révèle  l'avenir, 
elle  accomplit  des  choses  incroyables,  chasse  les  Anglais, 
conduit  à  Reims  son  seigneur  et  roi.  Ce  ne  sont  que 
miracles,  prodiges,  superstitions  :  Talbot  reparaissant 
sous  la  forme  du  chevalier  noir;  le  tonnerre  semblant 
témoigner  contre  Jeanne  ;  la  vierge  brisant  ses  triples 
fers  et  mourant  dans  son  triomphe,  le  drapeau  à  la  main, 
les  yeux  fixés  vers  le  ciel,  où  Marie  souriante  l'attend  au 
milieu    du    chœur    des  anges.    Mais   cette    surhumaine 


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LB  XVIII"   SIÈCLE  249 

Pucelle,  Schiller  veut  qu'elle  soit  tragique,  et,  par  con- 
séquenty  qu'elle  sente  et  souffre  comme  nous.  Jeanne  ne 
devait  pas  faiblir  :  Dieu  lui  a  dit  qu'elle  aurait  la  gloire 
des  combats  par-dessus  toutes  les  femmes  de  la  terre  à 
condition  qu'elle  n'aimerait  aucun  homme.  Eh  bien, 
Jeanne  faiblira,  Jeanne  aimera  un  homme.  Schiller  a 
soin  de  montrer  que  cette  guerrière  n'est  pas  dure  et 
insensible.  Elle  fait  au  vallon  de  Domrémy  des  adieux 
déchirants;  elle  a  la  douceur,  la  pitié,  la  tendresse,  un 
aimable  visage,  les  grâces  de  son  sexe,  et  ainsi,  selon 
Schiller,  nul  ne  s'étonnera  qu'elle  ouvre  son  âme  à 
l'amour.  Soudain,  au  soir  d'une  action,  dans  un  coin  du 
champ  de  bataille,  elle  rencontre  Lionel,  et  dès  qu'elle 
a  vu  ce  bel  Anglais,  elle  l'aime;  elle  allait  le  tuer,  elle 
l'épargne  et  Tengage  à  fuir.  Elle  a  donc  failli,  et  le 
remords  s'empare  d'elle.  Donner  son  cœur  ii  un  homme 
et  à  l'ennemi  de  son  pays  !  Il  lui  faut  expier  sa  faute  : 
lorsqu'à  Reims,  devant  la  cathédrale,  son  père  l'accuse 
de  magie,  elle  garde  le  silence  et  accepte  une  honte 
qu'elle  croit  mériter.  Mais,  après  avoir  erré  dans  la  forêt 
des  Ardennes  au  milieu  de  la  tempête,  et  comme  si  cet 
orage,  selon  ses  propres  termes,  était  son  ami  et  l'avait 
purifiée,  de  même  qu'il  a  purifié  le  monde,  elle  redevient 
la  Jeanne  de  naguère,  résolue  et  fière  d'elle.  Elle  a 
vaincu  sa  faiblesse.  Elle  sait  qu'elle  n'est  pas  déchue, 
qu'elle  n'est  pas  coupable.  Quand  elle  tombe  dans  les 
mains  de  Lionel,  elle  lui  déclare  fièrement  qu'elle  ne 
peut  l'aimer,  et  quand  elle  meurt,  la  force  d'âme  qu'elle 
a  déployée  et  la  victoire  qu'elle  a  remportée  sur  elle- 
même  prouvent  qu'elle  était  digne  de  sa  mission  divine. 
Telle  est  la  Jeanne  de  Schiller.  A  vrai  dire,  elle  agrée 
assez  peu  aux  Français.  Quoi  !  Elle  tue  Montgomery  qui 
lui  demande  quartier!  Dunois  et  La  Hire  se  passionnent 


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250  LITTÉRATURE  ALLBMANDB 

pour  elle!  Elle  s'éprend  de  rÂDglais  Lionel!  A  la  Jeanne 
du  drame  allemand,  nous  préférons  la  Jeanne  de  nos 
chroniques,  cette  Jeanne  intrépide  et  qui  pourtant  ne 
tirait  pas  Tépée,  cette  Jeanne  qui  ne  pensait  qu'à  la 
patrie  et  qui  ne  souhaitait  que  de  bouter  l'Anglais  hors 
de  toute  France,  cette  pure  vierge,  pour  qui,  suivant 
l'expression  même  de  Schiller,  le  regard,  le  désir  d'un 
homme  était  un  objet  d'horreur  et  une  profanation. 

Après  Jeanne  d^ArCy  la  Fiancée  de  Messine.  Schiller 
voulait  composer  une  tragédie  dans  le  goAt  antique.  De 
même  que  Gœthe,  il  s'était  mis  a  l'école  des  Grecs.  Dès 
1788,  dans  les  Dieux  de  la  Grèce^  il  regrettait  le  monde  de 
l'Hellade,  et  les  dieux,  et  la  beauté  exilée  avec  eux.  II  tra- 
duisait r//?/ii^^/tie  d'Euripide  et  des  fragments  des  Phéni- 
ciennes. La  Fiancée  \de  Messine  fut  donc  un  savant  pas- 
tiche des  tragiques  grecs  :  l'action  est  simple  et  une; 
grâce  au  chœur,  le  lyrique  et  le  dramatique  se  mêlent; 
le  sujet  rappelle  VŒdipe  roi.  Isabelle,  princesse  de 
Messine,  a  fait  secrètement  élever  dans  un  couvent  sa 
fille  Béatrice  que  son  mari  ordonnait  de  mettre  à  mort. 
Ses  deux  fils.  Manuel  et  César,  connaissent  Béatrice 
sans  savoir  qu'elle  est  leur  sœur;  tous  deux  l'aiment,  la 
regardent  comme  leur  fiancée.  Mais  César  trouve 
Béatrice  dans  les  bras  de  Manuel;  il  tue  Manuel  et  se 
tue  ensuite.  Or,  un  astrologue  et  un  moine  avaient 
prédit,  l'un,  que  Béatrice  ferait  périr  ses  deux  frères, 
l'autre,  qu'elle  les  réunirait  dans  l'amour.  Là-dessus, 
Schiller  a  bâti  sa  pièce.  Il  veut  qu'une  malédiction  pèse 
sur  la  maison  princière  de  Messine,  et  il  déclare  expres- 
sément que  la  main  omnipotente  des  dieux  trame  mysté- 
rieusement le  destin  de  cette  famille.  Mais  peut-on  s'in- 
téresser à  des  personnages  qui  ne  sont  que  les  instru- 
ments   passifs    d'un    pouvoir    supérieur?  Faut-il    qu'ils 


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LB  XVII1«  SISCLB  251 

pâtissent  des  crimes  de  leurs  pères?  Ont-ils  mérité  leur 
malheur?  Et  Schiller  ne  s'est-il  pas  démenti?  En  réalité, 
la  passion,  et  non  une  volonté  d'en  haut,  détermine  les 
actes  de  ses  héros.  Est-ce  sous  l'empire  de  la  fatalité 
que  Manuel  pourchasse  la  biche  blanche  qui  le  mène  à 
la  porte  d'un  jardin  aux  pieds  de  Béatrice?  N'est-ce  pas 
la  curiosité,  et  non  la  puissance  d'un  astre  malfaisant, 
qui  pousse  Béatrice  a  l'église  où  César  l'aperçoit?  Lors- 
que César  accoste  la  jeune  fille,  ne  dit-il  pas  qu'il  saisit 
et  fixe  le  hasard?  Et  s'il  immole  Manuel,  n'est-ce  pas 
dans  un  de  ces  accès  de  fureur  qui  lui  sont  naturels? 
Dès  lors,  pourquoi  tant  parler  de  l'inéluctable  destin? 
Les  caractères  sont,  au  reste,  trop  faiblement  marqués. 
Ils  n'appartiennent  vraiment  à  aucune  époque,  et  ils 
pourraient,  comme  dans  la  fille  naturelle  de  Goethe, 
porter,  au  lieu  de  noms  propres,  des  noms  génériques. 
Par  contre,  la  langue  de  Schiller  n'a  jamais  eu  plus  de 
force,  plus  d'harmonie  que  dans  Isl  Fiancée  de  Messine; 
jamais  elle  n'a  été  plus  achevée,  plus  classique  :  un  ton 
plein  de  vigueur  et  de  gravité,  des  figures  audacieuses, 
des  images  saisissantes  et  largement  déroulées.  C'est 
que  le  chœur  qui  participe  à  l'action  s'exprime,  avec  un 
incomparable  éclat,  et,  dit  Schiller,  le  langage  lyrique 
du  chœur  commandait  au  poète  de  donner  à  son  style 
plus  d'élévation.  Quel  dommage  que,  malgré  la  splendeur 
de  la  forme,  malgré  l'énergique  peinture  des  passions 
et  l'intérêt  des  situations,  la  vie  fasse  défaut!  Et  pour- 
tant, qui  ne  comprend,  après  avoir  lu  la  pièce,  que  les 
étudiants  d'Iéna,  au  sortir  de  la  première  représentation 
se  soient  écriés  avec  enthousiasme  :  Viç^e  le  poète  de 
l'Allemagne? 

On  a  toujours  blâmé  dans  le  Tell  cette  sombre  figure 
de  Jean  le  parricide  qui  se  montre  au  milieu  de  l'allé- 


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252  LITTBRATURB   ALLEMANDS 

gresse  de  la  délivrance  :  Schiller  oppose  très  inuti** 
lement  le  meurtre  de  l'empereur  Albert  au  meurtre  de 
Gessler  ;  qui  ne  sent  que  Jean  est  un  assassin  et  que  Tell 
a  protégé  son  foyer  et  défendu  ce  qu'il  avait  de  plus 
cher?  Mais  le  peuple  suisse  est  le  héros  du  drame,  et 
que  de  personnages  vivants!  Non  pas  Rudenz,  patriote 
attardé  qui  ne  se  tourne  contre  les  baillis  que  parce 
qu'il  aime  Bertha;  non  pas  Bertha,  assez  effacée,  bien 
qu'elle  dicte  à  Rudenz  son  devoir;  mais  le  vieil  Atting- 
hausen  qui  recommande  l'union  en  termes  touchants  et 
salue  les  temps  nouveaux  avec  éloquence;  Melchthal, 
ardent,  téméraire,  et  qui  peu  à  peu  s'assagit;  Stauffacher, 
courageux  et  sagace,  énergique  et  avisé,  exhortant, 
guidant  ses  compatriotes  et  proclamant  le  droit  d'insur- 
rection contre  la  tyrannie;  Gertrude  Stauffacher  au  lan- 
gage si  cornélien!  Quant  à  Tell,  c'est  un  montagnard 
droit  et  loyal,  calme  et  résolu,  homme  d'action  et  non 
homme  de  conseil.  11  ne  fera  pas  défaut  k  ses  amis  au 
jour  du  péril,  mais  il  ne  conspire  pas,  il  ne  participe 
pas  k  la  conjuration  du  Rûtli;  s'il  agit,  c'est  après  avoir 
longtemps  patienté,  lorsqu'il  est  poussé  k  bout,  et  il  agit 
a  coup  sûr,  au  moment  décisif,  avec  un  ferme  vouloir, 
non  sans  mûre  réflexion  ;  il  a  de  la  dignité  dans  sa  sim- 
plicité, de  la  grandeur  dans  son  naturel,  de  l'héroïsme 
dans  sa  naïveté.  Il  se  désespère  lorsque  Gessler  lui  com- 
mande de  percer  une  pomme  placée  sur  la  tète  de  son 
enfant,  et  on  a  dit  qu'il  n'aurait  pas  dû  tirer;  mais  s'il  ne 
tire  pas,  il  sera,  ainsi  que  son  fils,  immolé  par  Gessler, 
et  il  tire.  On  a  dit  aussi  qu'il  aurait  dû  lancer  sur  Gessler 
sa  première  flèche  ;  mais  il  respecte  encore  dans  le  bailli 
le  représentant  de  l'empereur.  Il  avoue  qu'il  réservait  sa 
seconde  flèche  k  Gessler,  et  on  l'a  traité  d'imprudent  et 
de    philistin;  mais   il  ne  ment  jamais,   et  la  colère,  la 


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LB   XVIII^  SIECLE  253 

douleur  qu'il  ne  peut  maîtriser,  éclatent  irrésistiblement. 
On  lui  reproche  d'avoir  tué  traîtreusement  Gessler,  on 
prétend  même  qu'il  ne  tient  pas  la  parole  donnée  au 
bailli  et  qu'il  essaie  dans  le  fameux  monologue  de  jus- 
tifier son  acte.  Mais  il  n'a  rien  promis  au  bailli,  et  il  tue 
Gessler  parce  que  Gessler  l'a  provoqué,  l'a  jeté  hors  de 
sa  paix,  l'a  forcé  à  viser  la  tète  de  son  fils  ;  il  tue  Gessler 
parce  que  tant  que  vivra  ce  tyran  aux  cruels  caprices,  il 
n'y  aura  pas  de  sécurité  et  pour  Tell  et  pour  ses  enfants; 
—  et  il  tue  Gessler  en  flagrant  délit,  à  l'instant  où  le 
bailli  piétine  une  femme  suppliante  et  jure  de  dompter 
l'esprit  de  liberté  :  Staufiacher  ne  dit-il  pas  au  Rûtli 
qu'il  est  difficile  et  presque  dangereux d'épargnerGessler? 
Le  poète  décrit  dans  le  Tell  à  la  fois  une  révolution  et 
un  payi.  La  révolution,  il  la  veut  et  il  la  montre  néces- 
saire, ^nanime,  pure  de  tout  excès  et  modérée  dans  la 
victoire.  Le  pays,  il  ne  l'avait  jamais  vu;  mais  il  avait  lu 
la  chronique  de  Tschudi  et  nombre  de  livres  sur  la 
Suisse;  il  a  très  adroitement  enchâssé  les  traits  qu'il 
avait  recueillis  au  cours  de  ses  lectures  et  il  trace  un 
fidèle  et  frappant  tableau  de  la  région  des  Quatre-Can- 
tons,  de  son  lac,  de  ses  rocs  et  de  ses  glaciers,  de  ses 
coutumes  et  de  ses  mœurs.  La  langue  du  Tell  est  d'ail- 
leurs simple,  naturelle,  émaillée  de  vieilles  locutions, 
de  tours  populaires  et  de  dictons  qui  lui  donnent  un  air 
de  vigueur  et  de  loyauté,  et  dans  cette  langue  Schiller  a 
peint  des  scènes  inoubliables,  comme  la  scène  de  la 
pomme,  comme  la  scène  du  Rûtli  où  les  meilleurs  des 
cantons,  assemblés  dans  la  nuit  sous  la  voûte  étoilée, 
jurent  de  mourir  plutôt  que  de  vivre  esclaves,  comme  la 
première  scène  de  l'œuvre,  ce  petit  drame  qui  prépare 
et  annonce  le  grand  drame,  l'idylle  alpestre  suivie  d*un 
terrible  orage,  le   lac  d'abord  souriant  et   subitement 


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254  Lim&RATURB  ALLEMANDS 

agité  jusqu'en  ses  profondeurs,  les  gens  du  pays  qui 
chantent  et  devisent,  et  soudain  Baumgarten  accourant 
hors  d'haleine,  fuyant  les  cavaliers  du  bailli,  implorant  en 
vain  Taide  d'un  batelier  et  sauvé  par  Tell  qui  brave  la 
fureur  des  flots. 

Le  succès  du  T^s^Z  avait  enhardi  Schiller,  et  il  entreprit 
un  Démétrius,  La  diète  de  Cracovie,  rompue  par  le  veto 
d'un  seul,  ouvrait  la  pièce;  on  voyait  ensuite  le  faux 
Dmitri  poussant  sa  pointe  victorieuse,  apprenant  avec 
désespoir  qu41  n'est  pas  le  véritable  tsar,  soutenant  son 
rôle  et,  après  avoir  triomphé,  succombant  sous  les  coups 
des  conjurés  aux  pieds  de  Marfa,  sa  prétendue  mère,  qui 
le  reniait.  Mais  Schiller  n'avait  pas  terminé  le  deuxième 
acte  lorsqu'il  mourut  le  9  mai  1805. 

C'est  un  grand  lyrique,  bien  que  l'idée  abstraite  l'em- 
porte souvent  dans  ses  poésies  sur  l'imagination,  et 
avant  tout,  c'est  un  grand  dramatiste.  Il  sacrifie  par 
instants  la  vraisemblance  à  l'effet;  il  ne  motive  pas  suffi- 
samment les  actes  de  ses  personnages;  il  leur  prête  un 
langage  trop  fleuri;  il  fait  parler  ses  paysans  comme  des 
héros  d'épopée.  Mais  il  a  créé  le  drame  classique  alle- 
mand. Il  était  né  pour  le  théâtre.  Lessing  et  Goethe  sont 
un  peu  froids  et  livresques  ;  Schiller  a  quelque  chose  de 
plus  chaud  et  de  plus  vibrant,  de  plus  émouvant  et  de 
plus  entraînant.  Il  ne  brille  pas  seulement  dans  les  dia- 
logues, dans  les  récits,  dans  les  scènes  isolées.  Une 
impression  d'ensemble  domine  ses  drames,  et  un  soufifle 
puissant  d'inspiration  morale  y  circule.  Lui-même  y  vit 
et  y  respire  :  on  le  voit  d'œuvre  en  œuvre  gagner  et 
mûrir;  on  le  voit  s'acheminer  non  sans  tâtonnements  ni 
efforts  vers  la  perfection,  et  grâce  à  la  vigueur  de  son 
esprit  et  à  un  superbe  déploiement  de  volonté,  dépouiller 
peu  a  peu  ce  qu'il  avait  de  déclamatoire  et  de   subtil. 


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LB  XVIII*  SIÂCLB  S66 

acquérir  la  mesure,  la  simplicité,  la  vraie  grandeur,  et 
quoiqu'il  dispose  d'un  vocabulaire  restreint,  trouver  un 
style  à  la  fois  clair  et  magnifique,  un  style  qui  n'est  ni 
trivial  ni  guindé  et  qui  sait  s'abaisser  au  ton  de  la  con- 
versation familière  ou  se  hausser  au  ton  du  plus  noble 
enthousiasme.  Sérieux,  élevé,  étranger  à  toute  vulgarité, 
un  de  ces  hommes  qui,  selon  le  mot  de  Humboldt,  ne 
vivent  que  dans  la  sphère  des  idées,  Schiller  célèbre  ce 
qu'il  nomme  les  grands  objets  de  l'humanité;  il  glorifie 
la  liberté,  l'amour  de  la  patrie,  l'empire  de  la  volonté  sur 
les  passions;  il  représente  des  personnages  dont  les 
actes  nous  servent  de  leçon,  et  sans  disserter  ni  prêcher, 
il  met  toujours  dans  ses  drames  une  grande  pensée  qui 
vient  de  son  cœur. 

Gœthe. 

Goethe  appartient  par  sa  naissance  (28  août  1749)  à 
une  riche  famille  bourgeoise  de  Francfort,  et  il  a  dit  jus- 
tement qu'il  doit  a  son  père  le  sérieux  de  la  conduite, 
l'amour  de  l'ordre  et  de  la  méthode,  la  froide  raison, 
à  sa  mère  l'enjouement,  la  belle  humeur,  la  vivacité  de 
l'imagination  et  le  don  de  conter. 

Après  avoir  fait  ses  premières  études  dans  la  maison 
paternelle,  il  alla  suivre,  en  1765,  à  l'Université  de 
Leipzig  les  cours  de  droit.  Il  y  composa  deux  pièces 
dans  le  goût  français,  une  spirituelle  pastorale.  Aminé 
ou  le  Caprice  de  F  amant  et  la  comédie  de  Tous  coupables. 
Ses  vers  lyriques  n'avaient  encore  rien  d'original  et  de 
profond;  mais  il  peint  la  nature,  et,  dès  cette  époque, 
il  a  résolu  de  puiser  ses  inspirations  en  lui-même,  de 
fixer  sur  le  papier  ses  joies  et  ses  tourments,  ce  qui 
le  touche  et  le  frappe.  Ne  dit-il  pas  que  ses  œuvres  ne 


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256  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

sont  que  les  fragments  d'une  grande  confession  et  ses 
poésies,  que  des  poésies  de  circonstance? 

Malade,  il  revint  a  Francfort  au  bout  de  trois  ans,  et, 
en  1769,  pratiqua  les  sciences  occultes,  magie,  alchimie, 
fréquenta  des  mystiques,  M"'  de  Klettenberg  et  le 
docteur  Metz.  En  1770,  il  est  à  Strasbourg  où  il  ooi>- 
tinue  ses  études  juridiques  et  obtient  le  diplôme  de 
licencié.  Mais  il  suit  aussi  les  cours  d'anatomie  et  il 
noue  avec  Herder  d'étroites  relations.  Herder  a  beau  le 
persifler,  le  traiter  d'étourdi,  de  moineau;  Goethe  baisM 
la  tète,  subit  sans  regimber  ces  méchantes  railleries  : 
c'est  que  Herder  l'instruit  tout  en  le  cri^quant;  il  vante 
à  son  jeune  ami  le  Vicaire  de  Wakefieldy  Homère,  Sha-» 
kespeare,  Ossian,  Rousseau,  et  lui  fait  savourer  le 
charme  de  la  poésie  populaire,  des  ballades  écossaises^ 
des  chansons  alsaciennes. 

Goethe  apprit  donc  de  Herder  à  connaître  un  idéal 
nouveau  de  poésie.  C'est  à  Strasbourg  qu'il  compose  les 
lieds  qui  rendent  en  images  si  fraîches  et  si  vives  son 
amour  pour  la  fille  du  pasteur  de  Sesenheim,  Frédé- 
rique  Brion.  Quelle  ardeur  en  ses  veines  et  quelle 
flamme  en  son  cœur  lorsqu'il  galope  vers  le  presbytère 
dans  l'ombre  de  la  nuit!  Quelle  précision  et  quel  éclat 
dans  le  Chant  de  mai  où  l'étudiant  célèbre  avec  une 
juvénile  ivresse  la  nature  printanière  qui  se  met  à  l'unis- 
son de  sa  joie!  Déjà  Goethe  est  le  maître  du  lied,  de  ce 
lied  qui  rappelle  le  chant  populaire  par  la  naïveté  du 
tour,  par  la  pureté  du  ton,  par  le  vers  a  la  fois  rapide  et 
limpide,  de  ce  lied  inimitable,  indéfinissable  où  il  y  a 
tant  d'harmonie  et  une  émotion  si  intense,  où  une  pensée 
profonde  se  cache  sous  la  brièveté  de  la  forme  et  la  sim- 
plicité de  l'accent,  où  se  fondent  avec  tant  de  bonheur 
les  impressions  des  sens  et  les  sentiments  de  Tâme. 


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LB   XVIII*   BIBGLB  367 

Rantré  à  Francfort,  Goethe  exerça  le  métier  d'avocat 
consultant.  Mais  les  souvenirs  de  Strasbourg  et  les  entre- 
tiens de  Herder  vivaient  en  lui.  Il  collaborait  aux 
Annonces  saçantes  de  Francfort.  Il  écrivait  un  brûlant 
dithyrambe  sur  t arclUtecture  gothique.  Il  prononçait 
dans  un  cercle  d  amis  un  discours  en  Thonneur  de  Sha- 
kespeare et  affirmait  que  les  hommes  créés  par  le  grand 
WîU,  par  le  Will  de  tous  les  Will,  étaient  la  nature 
prise  sur  le  fait.  Sous  l'influence  de  Shakespeare,  il 
publiait,  en  1773,  son  Gœtz  de  Berlichingen. 

Il  avait,  à  son  retour  de  Strasbourg,  lu  l'autobiogra- 
phie de  Gottfried  de  Berlichingen,  et  il  n'avait  pu  la 
lire  de  sang- froid.  Il  ne  songea  pas  que  Gœts  avait 
plaidé  pour  lui-même,  que  Gœtz  s'était  souvent  battu 
sans  autre  souci  que  de  ferrailler  et  de  butiner;  l'aven- 
turier lui  parut  une  sorte  de  Bajard,  un  loyal  chevalier 
qui  voulait  au  milieu  de  l'anarchie  établir  la  justice.  La 
pièce  su  de  graves  défauts.  L'action  s'éparpille  et,  dans 
les  trois  derniers  actes,  elle  se  précipite  vers  son  terme 
avec  une  vitesse  étourdissante.  Goethe,  comme  disait 
Herder,  avait  été  gâté  par  Shakespeare.  Il  félicitait  Sha- 
kespeare de  rejeter  les  unités,  d'avoir  des  plans  qui  ne 
sont  pas  des  plans,  de  faire  de  ses  pièces  un  kaléido- 
scope magnifique.  Lui  aussi  a  rejeté  les  unités,  lui  aussi 
n'a  pas  de  plan,  lui  aussi  a  fait  de  sa  pièce  un  kaléido- 
scope. Que  de  choses  défilent  sous  nos  yeux!  Que  d'épi- 
sodes !  Que  de  monde  !  Et  les  caractères  sont-ils  creusés 
avec  profondeur?  Gœthe  n'explique  pas  assez  comment 
Gœts  devient  chef  des  paysans  révoltés.  Il  ne  montre 
pas  assez  que  Weislingen,  poursuivant  son  ancien  ami, 
est  poussé  par  l'aiguillon  de  la  rancune  et  de  la  ven- 
geance. Il  n'analyse  pas  assez  l'âme  ambitieuse  d'Adé- 
laïde. Il  dénature  la  physionomie  du  temps  où  il  place 

UtriBATOlUt   AlUMAIIDI.  17 


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258  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

son  drame.  Est-ce  évoquer  la  Réforme  que  d'introduire 
le  frère  Martin?  Si  ce  moine  se  prénomme  comme 
Luther,  s'il  appartient  comme  Luther  au  couvent  d'Erfurt, 
il  n'apparaît  que  pour  déplorer  le  vœu  que  TEglise  lui 
impose  et  pour  rendre  hommage  à  la  vaillance  de  Gœtz. 
L'empereur  Maximilien  n'a-t-il  pas  une  attitude  trop 
piteuse?  Enfin,  Gœtz  est-il  vraiment  le  défenseur  du 
droit?  Ne  commet-il  pas,  selon  le  mot  de  sa  sœur,  plus 
d'injustices  qu'il  n'en  répare?  N'est-il  pas,  en  dépit  de 
Gœthe,  un  chevalier-brigand,  puisqu'il  ne  s'inquiète  pas 
de  l'Empire  et  ne  veut  dépendre  que  d'un  empereur 
impuissant,  puisqu'il  préfère  k  l'empereur  la  liberté, 
c'est-à-dire  la  liberté  de  faire  ce  qui  lui  plait?  C'est  que 
Gœthe  communique  à  Gœtz  quelque  chose  de  lui-même, 
son  propre  désir  de  ne  servir  personne.  Il  prête  à  Weis- 
lingen  ses  irrésolutions  et  ses  remords  :  Weislingen 
délaisse  Marie  ainsi  que  Gœthe  avait  délaissé  Frédé- 
rique  Brion.  Dans  son  drame,  comme  ailleurs,  Gœthe  a 
mis  ses  affections  et  ses  haines.  Il  donne  à  un  lieutenant 
de  Gœtz  le  nom  de  Lersé,  un  de  ses  commensaux  de 
Strasbourg,  et  à  la  femme  de  Gœtz  le  prénom  de  sa 
mère,  Elisabeth.  Mais  quelles  que  soient  les  faiblesses 
du  Gœtz,  il  offre  une  série  de  tableaux  remarquables  piar 
la  vigueur  du  dessin  et  la  richesse  du  coloris.  Qui  ne  se 
rappelle  la  rencontre  du  chevalier  avec  le  frère  Martin, 
et  la  façon  dont  il  s'entretient  avec  Weislingen,  son 
prisonnier,  sur  un  ton  de  si  sincère  camaraderie  et  de  si 
cordiale  amitié?  Quelle  scène  à  la  fois  simple  et  saisis- 
sante que  celle  où  il  prie  sa  sœur  Marie  et  son  beau- 
frère  Sickingen  de  séparer  leur  destinée  de  la  sienne! 
Avec  quel  superbe  mépris  il  rabroue  les  conseillers  de 
Heilbronn  et  les  commissaires  impériaux  1  Quelle  sobre 
et  énergique  peinture  de  la  jacquerie,  de  l'acharnement 


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LE   XVIIl*   SIÀCLB  259 

et  de  ia  joie  diabolique  du  paysan  Metzler,  des  terreurs 
superstitieuses  qu'inspire  aux  rebelles  l'aspect  d'une 
comète!  Quoi  de  plus  pathétique  que  la  mort  de  Weis- 
lingen  voyant  paraître  devant  lui  cette  Marie,  qu'il  a 
trahie  jadis,  et  la  prenant  pour  un  fantôme!  Rien  n'a  pâli 
dans  cette  galerie  de  portraits  :  Gœtz,  respectant  la  foi 
jurée,  changeant  volontiers  la  cuirasse  contre  le  pour- 
point, aimant  les  siens  avec  tendresse,  adoré  des  paysans 
dont  il  accommode  les  querelles  et  des  bohémiens  qui 
meurent  pour  lui;  Selbitz,  le  sabreur;  Sickingen,  le  poli- 
tique; Lersé,  le  fidèle  compagnon;  le  petit  George,  si 
charmant  dans  sa  fièvre  de  guerre,  si  brave,  le  meilleur 
enfant  qui  soit  sous  le  soleil;  Elisabeth,  la  femme  sensée, 
résolue,  virile,  qui  n'aime,  n'admire,  ne  sert  que  son 
mari  et  qui  le  suivrait  jusque  dans  la  mort;  Marie,  douce 
et  sensible;  Weislingeu,  faible,  indécis,  inconstant;  le 
page  Frantz,  dévoré  d'un  fol  amour  pour  Adélaïde,  et 
cette  Adélaïde,  la  coquette  et  séduisante  châtelaine. 
Tcnchanteresse  dont  Gœthe  lui-même  avait  fini  par 
s*éprendre,  rusée,  perverse,  prête  à  tous  les  crimes  pour 
conquérir  le  pouvoir.  Et  tous  vivent,  parce  qu'ils  ont  le 
relief  de  la  réalité,  parce  qu'ils  contrastent  entre  eux. 
Ils  forment  deux  groupes  :  le  groupe  des  bons,  le  groupe 
de  Gœtz,  composé  de  figures  nobles  ou  touchantes  qui 
représentent  l'honnêteté,  le  dévouement,  l'attachement 
au  foyer  et  aux  vertus  domestiques,  et  le  groupe  des 
méchants,  le  groupe  de  ceux  qui,  comme  Weislingen, 
Adélaïde  et  l'évêque  de  Bamberg,  demeurent  à  la  cour, 
sur  le  théâtre  du  vice  et  de  la  cautèle.  Enfin,  le  style  du 
Gœtz  est  vif,  alerte,  naturel.  On  y  trouve  des  mots,  voire 
des  passages  tirés  de  la  Chronique  du  chevalier,  des  locu- 
tions de  la  Bible,  des  formes  et  des  tournures  du  dialecte 
franconien.  Mais  tout  cela  a  été  très  habilement  mèlc« 


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260  LITTBRATURB  ALLEMANDS 

très  adroitement  fondu.  Les  personnages  s'expriment 
avec  brièveté,  et  ils  parlent  la  langue  qui  convient  à  leur 
rang  et  a  leur  situation  :  les  uns  emploient  le  haut*alle- 
mand  correct  et  pur;  les  autres  ont  la  parole  (amilière 
et  un  peu  crue.  Le  ton  diffère  à  Bamberg  et  à  Jaxthau*- 
sen  :  là,  esprit,  subtilité,  affectation;  ici,  franchise, 
naïveté,  aimable  négligence. 

Un  an  après  Gœts,  en  1774,  parut  Werther;  après  le 
drame,  le  roman.  La  encore,  Gœthe  a  mis  beaucoup  de 
lui-même;  il  a,  avouait-il,  nourri  Werther  du  sang  de 
son  propre  cœur.  Il  avait,  pour  achever  ses  études  de 
droit,  passé  quatre  mois,  de  mai  k  septembre  1772,  à 
Wetzlar,  où  siégeait  le  tribunal  de  la  Chambre  impé- 
riale. Parmi  les  amis  qu'il  se  fit  alors,  était  un  secrétaire 
de  la  légation  de  Hanovre,  Kestner,  homme  probe, 
réfléchi,  instruit,  qui  devait  bientôt  épouser  Charlotte 
Buff,  fille  d'un  régisseur  des  biens  de  l'Ordre  Teutoni- 
que.  Le  jeune  Gœthe  vit  fréquemment  Charlotte;  il  se 
prit  à  l'aimer,  quoique  sans  espoir,  et,  pour  sortir  du 
péril,  s'éloigna  brusquement,  sans  dire  adieu.  Quelques 
semaines  plus  tard,  Kestner  lui  mandait  qu'un  secrétaire 
de  l'envoyé  de  Brunswick,  Jérusalem,  s'était  brûlé  la 
cervelle  k  la  suite  d'un  chagrin  d'amour.  Ces  impres- 
sions de  Wetzlar  ont  fourni  le  fond  de  l'ouvrage.  Non 
que  Lotte  soit  Charlotte  Buff,  qu'Albert  soit  Kestner^ 
que  Werther  soit  Gœthe.  Le  romancier  a  transformé  per- 
sonnages et  événements.  Kestner  n'eut  jamais  la  séche- 
resse et  la  dureté  que  montre  Albert  dans  les  dernières 
pages.  Charlotte  n'avait  jamais  souffleté  des  hommes 
dans  une  partie  de  plaisir,  ni  regardé  le  ciel  après  un 
orage  en  murmurant  le  nom  de  Klopstock,  ni  partagé, 
fût-ce  un  instant,  la  passion  de  Gœthe.  Quant  k  Gœthe, 


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LE   XVin*   SIECLE  26! 

que  de  difierenees  entre  lui  et  son  héros!  Werther  se 
tue,  Werther  ne  sait  se  contenir,  Werther  revoit  Char- 
lotte lorsqu'elle  est  mariée  :  Gœthe  n'a  jamais  pensé 
sérieusement  au  suicide  ;  il  avait  déjà,  comme  en  témoi- 
gne  Kestner,  un  grand  empire  sur  lui-même,  et  il  n'a 
e4>nnu  Charlotte  que  pendant  qu'elle  était  fiancée. 

Il  a  voulu  peindre  dans  Werther,  selon  ses  propres 
termes,  un  jeune  homme  d'un  esprit  pénétrant  et  d'une 
profonde  sensibilité  qui  «  se  perd  dans  ses  rêves  exaltés 
et  se  mine  par  la  réflexion  jusqu'au  jour  où,  bouleversé 
par  un  amour  malheureux,  il  se  tire  un  coup  de  pis- 
tolet ».  Dès  le  début,  Werther,  qui  se  souvient  encore 
d'une  jeune  fille  qui  l'aimait  et  qu'il  a  délaissée,  est  venu 
se  distraire  dans  la  solitude.  Il  admire  la  magnificence 
du  printemps  où  les  arbres  et  les  haies  sont  des  buissons 
de  fleurs;  il  voudrait  être  hanneton  et  flotter  dans  cette 
mer  de  parfums.  Il  confesse  qu'il  est  changeant,  inégal, 
prompt  à  l'extrême  tristesse  et  à  l'extrême  gaité,  qu'il  ne 
peut  s'empêcher  de  traiter  son  cœur  comme  un  enfant 
malade  et  de  lui  passer  toutes  ses  volontés.  L'existence 
lui  parait  froide,  monotone.  Même  quand  il  prend  du 
plaisir,  il  s'avise  qu'il  a  en  lui  des  forces  inemployées. 
Le  tumulte  de  son  âme  ne  s'apaise  que  s'il  voit  une 
naïve  créature  qui  parcourt  avec  tranquillité  le  cercle 
étroit  des  occupations  domestiques  et  pense  tout  uni- 
ment, lorsque  tombent  les  feuilles,  que  l'hiver  va  venir. 
Déjà  lui  échappe  ce  mot,  que  l'homme,  si  limité  qu'il 
soit,  sort  de  sa  prison  quand  il  lui  plaît.  II  connaît  Lotte, 
il  l'aime,  et  d'autant  plus  qu'elle  a  ce  qui  lui  manque  : 
la  raison  et  le  calme.  Et  dès  lors,  tout  lui  est  indifférent; 
il  ignore  s'il  fait  nuit  ou  s'il  fait  jour;  il  songe  que  le 
plus  inquiet  vagabond  soupire  après  sa  patrie  et  trouve 
dans  sa  cabane  sur  le  sein  de  sa  femme,  au  milieu  de 


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262  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

ses  enfants  et  dans  les  travaux  qu'il  s'impose  pour  leur 
entretien,  la  joie  qu'il  cherchait  inutilement  dans  le  vaste 
univers.  Mais  Lotte  est  promise  à  Albert,  qui  lie  amitié 
avec  Werther,  et  Werther  refuse  de  se  résigner  à  l'iné- 
vitable ;  il  s'assombrit  ;  il  entreprend  de  longues  et  folles 
promenades;  la  nature  ne  lui  ofire  plus  le  spectacle  de 
la  vie  infinie;  il  la  regarde  comme  un  monstre,  comme 
une  tombe  éternellement  ouverte.  Soudain,  il  s'éloigne, 
et  le  voilà  dans  une  ambassade.  Hélas  !  les  affaires  l'en- 
nuient, l'étiquette  le  rebute,  ses  entours  lui  paraissent 
mesquins  et  misérables.  Il  subit  un  affront,  et  les  condo- 
léances de  ses  amis,  le  triomphe  de  ses  envieux,  lui 
arrachent  ce  cri,  que  c'est  à  s'enfoncer  un  couteau  dans 
le  cœur.  Il  part  de  nouveau.  Que  sommes-nous  sur  la 
terre,  sinon  des  voyageurs  et  des  pèlerins?  Instinc* 
tivcment,  comme  le  papillon  à  la  lumière,  il  revient 
à  Lotte.  Et  alors,  tout  l'attriste  et  le  navre.  Ce  n'est 
plus  le  printemps,  c*est  l'automne,  puis  l'hiver;  les 
arbres  se  dépouillent,  les  nuages  gris  s'étendent  sur 
la  vallée,  la  rivière  inonde  les  prés.  De  beaux  noyers 
qu'il  aimait  ont  été  abattus.  Une  bonne  paysanne,  qu'il 
affectionnait,  a  perdu  son  enfant.  Un  garçon  de  ferme, 
qui  lui  faisait  des  confidences,  assassine  un  rival,  et 
Werther  essaie  vainement  de  le  sauver.  Il  rencontre  un 
pauvre  hère  qui  cherche  des  fleurs  à  la  fin  de  novembre  : 
c'est  un  commis  du  père  de  Lotte,  chassé  de  sa  place 
pour  avoir  déclaré  sa  passion  à  la  jeune  fille  et  qui 
depuis  a  l'esprit  dérangé.  Enfin,  Lotte  n'est  pas  a  lui.  Il 
la  voit  sans  cesse,  et,  comme  il  dit,  ces  charmes  qui 
passent  et  croisent  devant  lui,  il  ne  peut  s'en  saisir.  Il 
croit  remarquer  qu'elle  n'est  pas  heureuse  et  qu'Albert 
ne  sait  pas  l'apprécier;  il  en  veut  à  Albert  et,  de  son 
côté,  Albert  se  plaint  de  ses  visites  répétées.  Charlotte 


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LE  XVIIl*   SIBCLE  S68 

aime  Werther;  un  jour,  elle  se  jette  dans  ses  bras,  puis, 
frémissante  d'amour  et  de  colère,  elle  jure  qu'il  ne  la 
reverra  plus.  C'en  est  fait,  et  dans  des  pages  émouvantes, 
les  plus  émouvantes  peut-être  qu'il  ait  écrites,  Gœthe 
raconte  le  dénouement  :  Werther,  résolu  de  quitter  ce 
monde  et  demandant,  sous  prétexte  de  voyage,  les  pis- 
tolets d'Albert;  Albert  priant  sa  femme  de  les  donner  et 
Lotte  prenant  les  pistolets  et  lès  essuyant,  non  sans 
trembler;  Werther  baisant  l'arme  que  Lotte  a  touchée 
et  prenant  avec  transport  des  mains  do  celle  qu'il  nomme 
sa  sainte,  le  froid  et  terrible  calice  où  il  boit  l'ivresse  de 
la  mort. 

Gœthe  a  peint  avec  un  art  admirable  le  caractère  de 
Werther,  rêveur,  impatient  du  joug,  avide  de  délicates 
jouissances,  fier  de  sa  sensibilité  qu'il  laisse  complai- 
samment  déborder,  incapable  de  vaincre  ses  passions 
et  même  de  les  combattre.  11  a  préparé  le  suicide  du 
personnage.  Quoi  de  plus  habile  que  la  conversation 
du  12  août?  Werther  s'applique  un  pistolet  sur  le  front 
et  quand  Albert  part  de  la  pour  réprouver  le  suicide  et 
le  traiter  de  faiblesse,  il  déclare  avec  vivacité  que  la 
nature  humaine  a  ses  bornes  et  qu'il  s'agit  de  savoir, 
non  si  un  homme  est  faible  ou  fort,  mais  s'il  peut  sou- 
tenir le  poids  de  ses  souiFrances.  Quoi  de  plus  caracté- 
ristique que  les  prédilections  littéraires  de  Werther?  Il 
aime  d'abord  Homère  et  son  œuvre  pleine  de  clarté,  de 
sérénité,  d'allégresse.  Puis  il  se  tourne  vers  Ossian, 
vers  un  monde  où  il  voit  les  esprits  flotter  dans  le  brouil- 
lard, où  il  entend  au  milieu  des  sifflements  de  la  tempête 
et  du  fracas  des  torrents  le  chant  du  barde  qui  pleure 
sur  les  héros  trépassés.  Et  Ossian  le  conduit  a  la  mort. 
Cest  après  une  lecture  d'Ossian,  c'est  lorsque  Werther 
a  prononcé  d'une  voix  entrecoupée  la  plainte  mélanco- 


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SM  LITTEBÂTURB  ALLEMANDE 

lique  :  «  Demain  viendra  le  voyageur  qui  m'a  vu  dans 
ma  beauté,  et  il  ne  me  verra  plus  »,  que  Charlotte 
tombe  défaillante  dans  ^ea  bras. 

Le  roman  a  la  forme  épiatolaire*  Gcathe  suit  l'exemple 
de  Riohardson  et  de  Rousseau;  mais  il  ne  fait  parler 
que  Werther  et  il  lui  donne  son  propre  style,  le  style 
du  Sturm  und  Drang^  un  style  puissant^  riche,  divers, 
qoi  rappelle  quelquefois  la  prose  dithyrambique  de 
Herder  et  qui  joint  à  la  précision  et  à  Tharmonie  la 
chaleur,  Tédat  et  l'abondance  des  images.  Werther  est 
en  effet  un  personnage  du  Sturm  und  Drang.  H  lit, 
outre  Homère  et  Ossian,  la  Bible^  Goldsmith,  Klop* 
stock.  Il  goûte  les  scènes  champêtres  et  idylliques.  Il 
aide  une  jeune  servante  à  porter  une  cruche  d'eau.  II 
aime  les  enfants.  11  décrit  avec  grâce  des  épisodes  fami- 
liera,  et  quelle  fraîcheur,  quel  charme  dans  les  pr^ 
mières  lettres  où  parait  Charlotte,  soit  que  la  jeune  fille, 
en  robe  blanche,  coupe  du  pain  à  ses  frères  et  soBurs 
qui  tendent  vers  elle  leurs  petites  mains  impatientes, 
soit  qu'elle  se  laisse  emporter  par  son  cavalier  dans  ït 
tourbillon  de  la  valse,  ou  qne,  durant  l'orage  qui  sur- 
vient, elle  s'efforce  de  distraire  ses  amies  effrayées  ! 

C'est  un  disciple  de  Rousseau.  II  compare  les  lois  à 
de  froids  pédants  et  il  blâme  les  distinctions  sociales. 
S'il  reconnaît  que  les  hommes  ne  peuvent  être  égaux,  il 
souhaite  que  les  personnages  d'un  certain  rang  se  rap- 
prochent du  peuple.  Il  loue  les  gens  de  la  basse  classe 
qu'on  tient  pour  incultes  et  grossiers,  mais  qui,  selon 
lui,  gardent  la  parfaite  pureté  du  sentiment;  noua 
autres,  dit-il  à  peu  près,  qui  nous  croyons  formés,  nous 
sommes  déformés,  nous  ne  sommes  plus  rien. 

Quel  est  au  reste  le  modèle  littéraire  de  Goethe? 
N'est-ce  pas  la  Nouçelle  Héloïse?  Werther  ressemble  à 


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LE  XVII 1*   SIÈCLE  M6 

Saint'Preux  comme  Albert  à  Wolmar,  et,  avant  Gœthe^ 
Rousseau  avait  glorifié  le»  sentiments  du  eœur,  avait 
mêlé  le  paysage  au  récita  associé  la  nature  aux  émotioos 
de  ses  héros.  Mais  Gœthe,  bien  qu'il  abuse»  lui  aussi,  de 
la  mélancolie  et  des  larmes,  est  moins  déclamatoire  que 
Rousseau.  Il  peint  la  nature  autrement  que  Rousseau 
parce  qu'il  Taime  avec  un  enthousiasme  fébrile,  avec 
une  sorte  d'exaltation  mystique,  comme  s'il  voulait 
s'unir  à  elle  et  s'absorber  en  elle.  Enfin,  il  y  a  de  nom* 
breoses  et  longues  digressions  dans  cette  Nouvelle 
HàloUe  que  Rousseau  lui-même  jugeait  touffue  et  feuillue  : 
Lenz  disait  qu'on  y  voyait  toujours  un  peu  de  la  per- 
ruque de  Jean-Jacques,  et  Mendelssohn  assurait  que  les 
dissertations  étaient  ce  qu'il  y  avait  de  mieux,  que  Rous* 
seau  n'aurait  dû  publier  que  les  morceaux  de  philoso* 
phie  et  de  morale.  Dans  Werther^  rien  d'inutile  et 
d'étranger  au  sujet;  descriptions,  effusions,  épisodes, 
tout  est  court,  tout  tend  au  but  que  s'est  proposé 
l'auteur,  tout  appartient,  pour  parler  comme  Gœthe,  à 
la  destinée  de  Werther  et  fait  corps  avec  elle. 

On  sait  le  succès  prodigieux  du  roman.  Il  n'a  pas, 
ainsi  qu'on  l'a  dit,  causé  plus  de  suicides  que  les  plus 
belles  femmes.  Mais  il  suscita  ce  qu'on  a  appelé  le 
werthérisme.  Les  jeunes  gens  se  plurent  à  porter 
r  «  uniforme  »  du  héros,  habit  bleu,  gilet  jaune, 
culottes  jaunes,  chapeau  noir.  Aujourd'hui  même,  Wer-- 
ifior  n'a  pas  vieilli;  le  charme  des  tableaux,  la  poésie 
qui  s'exhale  des  moindres  détails,  une  passion  qui 
s'exprime  en  traits  de  feu,  tout  ce  que  ce  petit  livre 
renferme  de  pittoresque,  de  saisissant,  de  tendre,  exerce 
encore  sa  puissance  sur  les  âmes.  Et  qui  de  nous  n'a  eu 
sa  période  werthérienne? 


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266  LITTÉRATVIIE  ALLEMANDE 

Clai^ijo  parait  la  même  année  qae  Werther,  Ce  drame 
est  tiré  dea  Mémoires  de  Beaumarchais  et  la  meilleure 
scène  offre  une  traduction  presque  littérale  de  l'œuvre 
française.  Mais  Gœthe  a  mis  dans  la  pièce  des  souvenirs 
personnels.  Qui  ne  le  reconnaît  dans  Clavijo?  M6m« 
désir  et  même  don  de  charmer  et  d^éblouir  autrui» 
même  prestige  séduisant,  même  résolution  et  même  flot* 
tement  de  Tâme.  Et  Carlos,  l'homme  pratique,  à  la 
parole  nette  et  au  froid  raisonnement,  n'est^<:e  pas 
Merck,  le  caustique  ami  de  Gœthe?  Le  grand  attrait  de 
la  pièce,  c'est  qu'elle  entraine  le  lecteur  comme  le  spec- 
tateur, et  nulle  part  Gœthe,  porté  par  son  modèle,  n'a 
déployé  autant  de  verve  et  une  telle  science  du  dialogue  : 
fortement  conçu,  habilenient  conduit,  Clavijo  est  le 
drame  le  plus  théâtral  qu'il  ait  composé. 

11  avait  fait  Clavijo  par  gageure,  dans  l'espace  de  huit 
jours.  Durant  cette  année  1774  et  Tannée  suivante,  sa 
fécondité,  son  exubérance  tiennent  du  merveilleux.  Il 
collabore  à  la  Physiognomonique  de  Lavater.  11  écrit  son 
drame  de  Stella  et  des  farces  spirituelles,  brillantes, 
colorées,  où  il  se  moque  de  ses  contemporains.  Il 
ébauche  des  pièces,  dont  les  héros,  Socrate,  César, 
Mahomet,  le  Juif  Errant,  Prométhée,  ont,  comme  lui, 
quelque  chose  d'ardent  et  de  vigoureux,  d'élevé,  de 
titanesque.  Il  est  ce  torrent  dont  il  parle  dans  Werther^ 
ce  torrent  du  génie  qui,  malgré  les  digues,  bouillonne  à 
grands  flots  et  vient  secouer  les  âmes.  Mais  sou  pen- 
chant le  pousse  plutôt  vers  le  genre  lyrique,  et  il  chante 
sur  tous  les  tons.  A  la  Hans  Sachs,  en  rimes  d'une  naïve 
gaillardise,  il  raille  les  connaisseurs  et  les  critiques.  A 
la  Pindare^  d'un  bel  et  impétueux  élan,  dans  un  rythme 
libre,  en  vers  non  rimes  ou  abondent  les  métaphores, 
les  épithètes  retentissantes  et  les  mots  heureusement 


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LB  XVIII*   SIJSCLE  267 

audacieux,  il  célèbre  son  génie  qui  ne  l'abandonne  pas 
au  milieu  de  l'orage,  ou  la  course  du  Temps,  ce  postillon 
qui  nous  entraîne  sur  la  cime  d'un  mont  d'où  notre 
regard  plonge  au  loin  dans  l'espace  et  qui  bientôt, 
descendant  la  pente,  nous  amène,  éblouis  encore  par 
les  derniers  rayons  du  soleil,  aux  portes  de  l'Orcus.  A 
la  Théocrite,  en  un  dialogue  d'une  sobriété  tout  antique, 
il  peint  un  voyageur  qui  considère  avec  une  admiration 
mêlée  de  regret  les  débris  d'un  temple,  une  architrave 
couverte  de  mousse,  une  inscription  effacée,  des  colonnes 
brisées;  mais  le  voyageur  désire  se  désaltérer  et  une 
femme  va  lui  puiser  de  l'eau  :  ce  Prends  mon  enfant  », 
lui  dit-elle,  et  il  prend  l'enfant,  il  quitte  le  passé  pour 
le  présent,  et  la  vie  qui  le  frappe  de  toutes  parts,  l'enfant 
qui  s'éveille,  la  femme  qui  s'empresse,  la  cabane  bâtie 
dans  les  ruines,  le  rappellent  de  l'art  à  la  nature,  à  cette 
nature  éternellement  féconde  qui  crée  les  êtres  pour 
qu'ils  jouissent  de  l'existence  même  sur  des  tombeaux. 
Ou  bien,  dans  une  ode  grandiose,  Gœthe  nous  montre 
Prométhée  révolté  contre  les  dieux,  insultant  à  leur 
impuissance,  les  accablant  de  son  mépris,  et  c'est  lui 
qui  parle  par  la  voix  de  Prométhée  :  il  renonce  alors  à 
ses  croyances  religieuses,  et  lui  aussi  crie  à  Dieu  : 
(c  Moi,  t'honorer!  Et  pourquoi?  »  Ou  bien,  dans  Gany^ 
mèdey  il  exprime  sa  pensée  philosophique  :  aimer  la 
nature,  c'est  aimer  Dieu,  et  Gœthe  voudrait  se  perdre 
dons  l'infinie  beauté  de  la  nature;  il  invoque  les  nuages 
qui  se  penchent  vers  lui  pour  qu'ils  l'emportent  sur  le 
sein  du  Père  qui  est  tout  amour.  Il  est  donc  panthéiste 
et  il  sent  en  lisant  Spinoza  comme  un  soufBe  de  paix. 
Toutefois  il  n'a  pas  encore  cette  sérénité  qu'il  regar- 
dait plus  tard  comme  le  bien  suprême.  En  ces  années 
1774  et  1775,  il  mène  la  vie  la  plus  agitée  qui  soit,  rece- 


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268  LITTERATURE   ALLEMANDE 

vant  dans  la  maison  paternelle  les  poètes  du  Sturm'Wnd^ 
Drang  qui  lui  rendent  hommage  comme  au  premier 
d*entre  eux,  courant  de  tous  côtés,  k  Darmstadt,  k  DtU- 
seldorf,  en  Suisse,  portant  avec  lui  la  fièvre  d'une  âme 
où  tout  fermente.  Il  aime  et  il  est  aimé;  il  aime  Mau- 
milienne  de  La  Roche  dont  il  prête  les  yeux  noirs  k  la 
Charlotte  de  Werther;  il  aime  la  sœur  des  Stolberg  qui 
reçoit  de  lui  des  lettres  pleines  de  fougueux  épanche- 
ments;  il  aime  Lili  Schœnemann,  Lili  dont  il  brigue  la 
main,  Lili  qui,  durant  quelques  mois,  en  1775,  le  tient, 
selon  son  expression,  captif  par  un  fil  magique  indéchi- 
rable, Lili,  la  belle  et  folitre  enfant,  qui  Tenchaine  par 
sa  fleur  de  jeunesse,  par  son  aimable  figure,  par  son 
regard  de  foi  et  de  bonté.  C'est  d'elle  qu'il  rêve  la  nuit, 
dans  sa  chambre  inondée  par  la  mystérieuse  lueur  du 
clair  de  lune;  pour  être  auprès  d'elle  il  s'assied  k  la 
table  de  jeu,  a  l'éclat  de  mille  lumières,  en  face  de 
visages  insupportables.  Loin  d'elle,  il  baise  un  petit 
cœur  d'or  qu'elle  lui  donna.  S'il  revient,  c'est  pour  lui 
faire  sa  cour,  et,  k  la  vue  des  adorateurs  que  Lili  ras- 
semble autour  d'elle,  il  se  fâche,  s'irrite;  mais  l'ours  a 
beau  grogner;  lui  aussi,  il  est  de  la  ménagerie;  lui  aussi 
s'apprivoise  et  se  soumet.  Pourtant,  non  sans  effort,  il 
finit  par  se  détacher.  Peut-être  croyait-il  que  Lili  était 
coquette,  frivole,  éprise  de  luxe.  Mais,  avant  tout, 
comme  son  Clavijo,  il  craignait  de  s'engager,  a  Est*il 
rien,  disait-il  dans  Stella,  qui  vaille  mieux  pour  un 
homme  que  sa  liberté?  »  et  le  héros  de  cette  pièce.  Fer- 
nando, vit  entre  Cécile  et  Stella,  entre  sa  femme  légi- 
time qu'il  a  délaissée  et  une  jeune  fille  qu'il  a  séduite  ; 
les  deux  rivales  consentent  au  partage  ! 

Comme  pour  les  faire  contraster  avec  l'élégante  et 
mondaine  Lili,  il  dessine  alors  la  figure  de  deux  jeunes 


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LB  XVlll*  SIÈCLB  369 

filles  d'humble  origine  et  de  modeste  oonditiou,  Mar- 
guerite et  Claire.  Dans  Tesquisse  de  son  Faust  se  déroule 
déjà  la  tragédie  de  Gretchen  depuis  la  première  ren* 
contre  jusqu^à  la  scène  de  la  prison.  Quant  a  Claire, 
c^est  le  principal  personnage  à^EgmonU 

Egmont  n'a  pas  été»  pour  son  malheur,  fondu  d'un 
seul  jet.  Pris^  lâché,  repris  plusieurs  fois,  il  fut  achevé 
en  1787;  mais  il  était  écrit,  en  très  grande  partie,  dès 
1775.  L'Egmont  que  CkBthe  nous  présente  n'est  pas 
l'Egmont  de  l'histoire,  homme  sérieux,  politique,  et  qui 
conspire;  c'est  un  beau  cavalier,  brillant,  irrésistible, 
heureux  de  vivre,  fuyant  les  soucis,  menant  joyeux  train, 
jouant  aux  dés,  faisant  l'amour,  bref,  le  Gœthe  de  1775, 
emporté  par  le  tourbillon  des  plaisirs.  Claire,  qui  se 
donne  à  lui  corps  et  âme,  est  la  fille  du  peuple,  simple, 
curieuse,  franche,  gaie,  naïvement  tendre;  elle  admire 
son  amant;  elle  l'admire  lorsqu'il  passe  a  cheval  sous  sa 
fenêtre;  elle  l'admire  lorsqu'un  soir  dans  la  chambrette 
où  elle  le  reçoit,  il  laisse  tomber  son  manteau  et 
découvre  son  magnifique  costume  de  velours  orné  de  la 
Toison  d'or.  Fraîche  et  gracieuse  idylle,  d'autant  plus 
touchante  qu'autour  d'elle  retentit  le  bruit  des  armes! 
Les  bourgeois  de  Bruxelles  tremblent  devant  le  seigneur 
soldat;  le  sombre  duo  d'Albe  ne  voit  partout  que  des 
émeutes  et  ne  songe  qu'a  de  cruelles  rjsprésailles  ;  la 
régente,  Marguerite  de  Parme,  qui  calmait  les  esprits 
par  sa  patience,  est  sur  le  point  de  quitter  les  Flandres. 
Mais  la  pièce  n'a  pas  d'unité.  Léger>  frivole,  aveugle, 
Egmont  n'est  nullement  tragique.  Vainement,  Claire, 
apprenant  son  arrestation,  appelle  à  la  révolte  les  pas- 
sants qui  s'enfuient  sans  répondre;  vainement  le  fils 
du  duc  d'Albe  le  regarde  comme  un  héros,  le  visite 
dans  sa  prison,  le  nomme  sa  lumière  et  son  drapeau; 


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270  LITTÉRATURE  ÂLLBMANDB 

vainemeiit  Egmont  s'écrie  en  un  rêve  suprême  qu'il 
meurt  et  qu'il  a  vécu  pour  la  liberté;  vainement  la 
Liberté  lui  apparaît  sous  les  traits  de  Claire  pour  le 
couronner  au  son  lointain  d'une  musique  guerrière  : 
l'œuvre  finit  en  opéra,  et  c'est  moins  un  drame  qu'an 
Uibleau  historique,  plus  ample,  il  est  vrai,  plus  riche 
et  plus  éclatant  que  le  Gœtz. 

Egmont  dit  qu'il  n'est  à  l'aîsc  que  dans  la  campagne 
où  il  se  sent  réellement  homme  en  toutes  ses  veines* 
Gœthe  était  a  Francfort  comme  Egmont  dans  la  salle  du 
conseil.  Il  aspirait  à  sortir  de  sa  ville  natale  où,  selon 
lui,  il  serait  resté  dans  une  éternelle  enfance.  Le  duc 
Charles-Auguste  de  Wéimar  le  tira  de  Francfort.  Il 
invita  Goethe  a  passer  quelque  temps  à  sa  cour.  Le 
7  novembre  1775,  Gœthe  arrivait  à  Weimar.  Il  devint 
l'ami  du  jeune  souverain.  Ce  ne  furent  dans  les  premiers 
mois  que  bals  et  mascarades,  que  chasses,  que  joyeuses 
excursions,  que  bains  au  clair  de  lune.  Les  bonnes  âmes 
criaient  au  scandale.  Bientôt  prince  et  poète  se  ran- 
gèrent, s'assagirent.  Pour  s'attacher  Gœthe,  Charles- 
Auguste  le  nomma  conseiller  intime  et  le  mit  à  la  tète 
de  l'administration  :  Gœthe,  disait-il^  était  un  homme 
de  génie  qu'il  s'estimait  heureux  de  posséder.  Et  Gœthe 
fut  administrateur.  Durant  dix  années,  il  porta  le  poids 
des  affaires,  et  le  duché  n'eut  pas  de  meilleur  ministre. 
Pourtant,  l'orage  de  son  cœur  n'était  pas  calmé.  Il  eut 
alors  le  plus  violent,  le  plus  durable  de  ses  amours.  Il 
n'avait  pu  voir  sans  l'aimer  la  femme  du  grand  écuyer, 
Charlotte  de  Stein.  Quoique  mère  de  plusieurs  enfants 
et  de  sept  ans  plus  âgée,  que  lui,  elle  est  belle,  elle  a 
l'esprit  élevé,  l'âme  noble.  Il  lui  avoue  sa  passion  en 
vers  brûlants.  Repoussé,  il  se  résigne,  il  renonce  à 
l'obtenir;  elle  est  trop  loin,  trop  haut,  comme  les  étoiles, 


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LB  XVIIl*  81BCLB  271 

et  cette  étoile  terrestre,  il  se  contente  de  la  regarder 
avec  ravissement;  c'est  son  guide,  c'est  la  sûreté  de  sa 
vie.  Mais,  en  1780,  après  cinq  ans  de  lutte,  elle  cède, 
et  Goethe  célèbre  avec  transport  le  bonheur  de  reposer 
dans  les  bras  de  Charlotte.  Il  Taima  longtemps  encore, 
et  longtemps  encore  il  subit  sa  bienfaisante  influence. 
Elle  modérait  sa  fougue  ;  elle  dirigeait,  comme  il  dit,  sa 
course  errante. 

Il  passa  de  la  sorte  dix  ans,  de  1775  à  1786,  sans 
pablier  une  grande  œuvre.  C'était,  assurait-on,  Samson 
dompté  par  Dalila.  Et  sans  doute, 

qui  se  donne  à  la  cour,  se  dérobe  à  son  art. 

Mais  CCS  dix  années  ne  furent  pas  stériles.  Il  fit  Vlphi- 
génie  en  prose,  commença  le  Tasse,  travailla  à  Wilhelm 
Meister.  Il  produisit  de  petites  pièces  de  théâtre  et  des 
poésies  de  tout  genre  comme  la  Mort  de  Mieding  qui 
résume  l'histoire  du  théâtre  de  Wcimar,  et  Ilmenauj  qui 
rappelle  les  folies  de  Charles-Auguste  et  les  progrès  que 
le  prince  accomplit  sur  lui-même.  Il  porta  sur  les 
sciences,  sur  l'anatomie,  la  physique  et  la  botanique 
l'infatigable  activité  de  son  intelligence.  Il  amassa  dans 
la  pratique  des  affaires  un  trésor  d'observations.  Peu  à 
peu,  la  raison  dominait  en  lui  la  sensibilité,  et  il  se  com- 
parait au  pilote  intrépide  dont  le  navire,  non  le  cœur,  est 
le  jouet  du  vent  et  des  flots.  Enfin,  lorsqu'il  eut  conquis 
l'apaisement,  il  résolut  d'aller  en  Italie  où  s'achèverait 
l'évolution  de  son  génie.  Le  3  septembre  1786,  avec 
l'agrément  de  Charles-Auguste  et  sans  prévenir  per- 
sonne, il  partait  de  Carisbad  et  courait  tout  droit  jusqu'à 
Trente.  Il  ne  revint  que  le  18  juin  1788. 


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272  LITTBRATOAB  ALLEMANDE 

Ses  Lettres  d'Italie  témoignent  de  son  universalité.  Il 
décrit  la  constitution  géologique  du  pays,  ses  volcans, 
ses  plantes;  il  décrit  les  édiflces,  les  statues  et  les 
tableaux.  Après  avoir  couru  Tltalie  et  la  Sicile,  il  séjourna 
longuement  à  Rome.  Mais  il  ne  fréquenta  que  des  artistes^ 
des  compatriotes  dont  les  entretiens  complétaient  son 
éducation  esthétique.  Il  n'était  attiré  que  par  les  monu- 
ments de  l'antiquité  et  de  la  Renaissance.  Plus  d'admira- 
tion pour  l'architecture  gothique;  il  n'aime  que  le  style 
classique  des  anciens  et  n'a  pour  le  moyen  âge  que  du 
dédain.  llmetVitruve  et  Palladio  bien  au-dessus  des  archi- 
tectes de  l'église  Saint-Marc.  Il  ne  passe  que  trois  heures 
à  Florence.  Il  refuse  de  voir  les  fresques  de  Giotto  et,  k 
Assise,  il  se  détourne  avec  dégoût  de  l'église  Sant-Fran- 
çois  pour  s'extasier  devant  le  temple  de  Minerve. 

Ce  voyage,  qu'il  nommait  son  «  hégire  »,  eut  sur  lui 
une  influence  décisive.  Il  avait,  durant  deux  ans,  regardé 
l'Italie  comme  sa  vraie  patrie,  et,  lorsqu'il  partit  de  Rome, 
ses  adieux  à  la  Ville  Eternelle  furent  aussi  tendres  et 
déchirants  que  ceux  d'Ovide  et  de  Rutilius.  A  son  retour 
il  parut  dépaysé,  exilé  ;  personne  ne  le  comprenait  plus, 
et  il  s'étonnait  que,  dans  cette  prosaïque  Allemagne, 
dans  ce  monde  germanique  sans  couleur  et  sans  forme, 
un  petit  nuage  de  poésie  vint  encore  flotter  sur  sa  tète. 
Il  n'était  plus  le  même,  et  il  assurait  qu'il  avait  une  tout 
autre  élasticité  d'esprit,  qu'il  ressemblait  à  l'architecte 
qui  détruit  l'ouvrage  commencé  et  bâtit  l'édifice  d'après 
un  nouveau  plan  et  sur  un  fondement  plus  sûr.  Désor* 
mais  il  s'efforça  de  donner  à  ses  œuvres  la  pureté, 
l'harmonie,  les  nobles  et  imposantes  proportions  qu'ont 
les  œuvres  des  anciens.  Le  barbare,  l'homme  du  Nord 
se  fit  Grec;  il  déclara  qu'il  était  dorénavant  majeur,  qu'il 
ne  voyait  plus  que  les  Grecs,  qu'il  ne  buvait  avec  volupté 


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LE   XYIll^   SIECLE  273 

que  dans  une  coupe  grecque  ciselée  avec  art,  que  rien  ne 
tenait  contre  Homère  et  Phidias,  que  la  beauté  antique 
était  la  seule  beauté. 

Un  autre  changement  se  produit  dans  son  caractère  et 
dans  sa  vie.  Il  devient  grave,  réservé,  froid;  il  s*isole;  il 
se  lie  avec  la  sœur  d'un  littérateur  de  bas  étage,  Chris- 
tiane  Vulpius,  qu'il  installe  dans  son  logis;  il  se  décharge 
de  ses  emplois  officiels  :  l'administration  des  mines  du 
duché  et  bientôt  la  surveillance  des  établissements 
d*instruction  et  la  direction  du  théâtre  de  Weimar,  voilà 
les  seules  fonctions  qu'il  remplit,  et  il  peut  suivre  ses 
groûts,  vaquer  à  ses  études  favorites,  grâce  k  son  prince; 
petit,  comme  il  disait,  parmi  les  princes  de  la!  Germanie 
mais,  ajoutait-il,  si  chacun  agissait  comme  Charles- 
Auguste,  ce  serait  une  fête  d'être  Allemand  avec  des 
Allemands  ! 

Il  pjrofita  de  sa  liberté  pour  publier  la  première  édition 
complète  de  ses  œuvres  qui  parut  de  1787  à  1790,  en 
huit  volumes.  On  y  trouvait  Iphigénie  et  Tasse. 

Ce  fut  à  Rome  qu'il  versifia  la  prose  d'Iphigénie,  Mais 
Touvrage  datait  de  Weimar  :  Iphigénie  arrachant  Ores  te 
aux  Euménides,  c'est  M*"*  de  Stein  apaisant  Gœthe  et  lui 
rendant  l'équilibre. 

Ravie  k  la  mort  et  transportée  en  Tauride  par  Diane 
dont  elle  devient  la  prétresse,  Iphigénie  adoucit  les 
mœurs  barbares  des  habitants,  et  les  étrangers  qui 
touchent  le  sol  du  pays  ne  sont  plus  immolés  aux  pieds 
de  la  déesse.  Elle  refuse  d'épouser  le  roi  Thoas,  parce 
qu'elle  désire  retourner  dans  sa  patrie;  Thoas,  irrité, 
rétablit  la  loi  de  sang,  et  voilk  Iphigénie  obligée  de 
sacrifier  deux  Grecs,  surpris  dans  une  caverne  du  rivage. 
Elle  les  reconnaît  :  l'un  est  Oreste,  son  frère,  l'autre 
Pyiade,  ami  d'Oreste,  et  déjk  opère  le  charme  bienfai- 

LITTilUTOai   ALLBIIAIIM.  18 


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S74  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

Bant  de  la  jeune  fille.  Oreste,  délirant,  criant  que  le  fra- 
tricide passe  en  coutume  dans  sa  race^  s'affaisse,  s*endort 
et  il  voit  en  rêve  ses  ancêtres  maudits,  Atrée  et  Thyeste 
qui  s'entretiennent  avec  abandon,  et  leurs  enfants  qui 
se  jouent  autour  d'eux  ;  h  son  réveil  il  retrouve  le  calme 
et  remercie  les  dieux  de  sa  guérison.  Mais  comment 
échapper  i  l'arrêt  de  mort  que  Thoas  a  dicté?  Comment 
fuir  avec  la  statue  de  Diane  que  Toracle  a  prescrit  d*en« 
lever?  Pylade  propose  de  dire  au  roi  qu'il  faut  laver  dans 
les  flots  de  la  mer  le  simulacre  souillé  par  la  folie 
d'Oreste,  et  ni  Thoas  ni  les  siens  ne  pourront  assister  à 
la  cérémonie.  Iphigénie  fera-t-elle  ce  mensonge?  En  vain 
Pylade  lui  remontre  que  la  nécessité  est  la  loi  suprême, 
qu'on  doit  parfois  mentir  pour  se  soustraire  au  danger.* 
La  noble  vierge  ne  peut  tromper  Thoas,  son  bienfaiteur, 
son  second  père.  Elle  sauve,  comme  elle  s'exprime,  son 
âme  de  la  trahison;  elle  révèle  tout  au  roi,  et  le  roi,  ému, 
lui  permet  de  rentrer  en  Grèce  avec  Oreste  et  Pylade  : 
la  sincérité  d'un  grand  cœur,  et  d'un  cœur  de  femme,  a 
confondu  la  force  et  la  ruse  des  hommes. 

Il  y  a  peu  de  dénouements  plus  élevés.  Oreste,  soudai- 
nement éclairé,  comprend  le  sens  de  l'oracle;  la  sœor 
qu'Apollon  lui  commandait  de  rapatrier,  c'était  sa 
propre  sœur,  et  non  la  sœur  du  dieu,  c'était  Iphigénie, 
et  non  la  statue  de  Diane.  Le  roi  Thoas  résiste  enoore. 
Mais  n'a-t-il  pas  déclaré  qu'Iphigénie  pourrait  partir  lors- 
qu'elle aurait  l'espoir  du  retour,  lorsqu'elle  saurait  que 
sa  race  n'est  ni  dispersée  ni  éteinte?  Elle  invoque  cette 
promesse,  et  Thoas,  brusquement  et  de  mauvaise  grftce, 
lui  dit  :  a  Partez  ».  Iphigénie  ne  veut  pas  s'éloigner  ainsi, 
comme  si  Thoas  la  bannissait;  elle  demande  la  bénédiction 
du  roi,  de  douces  paroles  d'adieu,  un  témoignage  d'affec- 
tion, et  le  roi  lui  tend  la  main  en  disant  (c  Adieu  ». 


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LB  XVIII^  ftIÈGLB  375 

L'Iphigéaic  de  Gœthe  n'est  donc  pas  Tlphigénie 
d'Euripide,  rusée  et  avide  de  vengeance.  Elle  a  le  coçur 
pur  et  les  mains  pures;  Thoas  la  qualifie  de  sainte; 
Pylade  la  salue  comme  une  apparition  divine  ;  Oreste  la 
compare  à  une  déesse,  à  une  de  ces  images  sacrées 
auxquelles  était  attaché  le  destin  des  villes.  Elle  est 
femme  pourtant;  elle  n'a  rien  de  raide,  rien  de  trop 
parfait.  Elle  soupire  après  la  patrie.  Elle  suit  un  instant 
lea  conseils  de  Pylade,  elle  essaye  de  tromper  Thoas,  elle 
avoue  que  son  ftme  vacille,  puis,  se  ressaisissant,  elle 
n'écoute  que  la  voix  de  la  conscience  et  ne  connaît  plus 
qu'un  devoir,  le  devoir  de  dire  la  vérité.  Par  cette  gran- 
deur morale,  elle  n'est  pas  une  Grecque  du  passé,  et, 
selon  le  mot  de  Godtbe,  elle  ne  prononce  jamais  aucune 
parole  que  la  sainte  Agathe  de  Bologne  ne  pourrait  pro- 
noncer. Mais  la  forme  dont  Goethe  s'est  servi,  rappelle 
l'art  antique  par  sa  sérénité,  par  sa  mesure,  et  l'attrait 
original  de  l'œuvre,  c'est  la  fusion  de  ce  style  harmonieux 
et  digne  des  anciens  avec  la  délicatesse  et  la  profondeur 
du  sentiment  moderne. 

Bien  que  l'action  d'Iphigénie  ne  s'arrête  pas  un  moment, 
c'est  une  action  intérieure,  et  l'ouvrage  semble  moins  une 
pièce  qu'un  grand  et  admirable  poème.  De  même,  la 
tragédie  du  Tasse;  elle  aussi  n'est  qu'une  longue  suite 
de  conversations,  d'effusions  lyriques  et  d'analyses  de 
sentiment  ;  elle  aussi  manque  de  force  tragique;  elle  aussi 
célèbre  l'influence  salutaire  de  la  femme,  et  Gœthe  y 
exprime  par  la  boqche  de  ses  personnages  une  partie  de 
ses  souvenirs.  Le  poète  italien^  susceptible,  ombrageux, 
défiant,  entraîné  sans  cesse  loin  de  la  vie  réelle  par  sa 
sensibilité  inquiète  et  par  son  imagination  intempérante, 
osant  serrer  la  princesse  dans  ses  bras,  n'est-ce  pas  le 
malheureux  Lenz  qui  fut  un  instant  choyé,  caressé  par 


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270  LITTÉRATURB  ALLBMAtIDB 

la  haute  société  de  Weimar,  mais  qui  commit  une 
((  sinerie  »  et  dut  s'éloigner?  L'adversaire  de  Tasse, 
Antonio,  le  froid  et  habile  politique,  n'est-ce  pas  un  des 
rivaux  de  Gœthe,  un  de  ces  ministres  dont  il  eut  à 
combattre  l'opposition?  Eléonore  d'Esté,  si  sage  et 
avisée,  qui  s'efforce  de  préserver  le  poète  de  tout  égare- 
ment et  de  lui  enseigner  les  convenances,  n'est-ce  pas 
M"**  de  Stein,  embellie  et  idéalisée?  Comme  Eléonore, 
M""'  de  Stein  n'a-t-elle  pas  remarqué  plus  d'une  fois  que 
la  beauté  est  passagère  et  que  les  femmes  ne  sont  jamais 
sûres  du  cœur  de  l'homme?  Et  lorsque  Tasse  fait  une 
poétique  déclaration  a  la  princesse,  ne  dit-il  pas,  comme 
aurait  dit  Gœthe,  qu'il  doit  tout  à  une  seule  femme,  k  une 
seule?  La  Sanvitale,  vive,  prompte,  encline  à  l'intrigue, 
fière  de  patronner  un  génie,  n'est*ce  pas  une  amie  de 
Gœthe  et  une  dame  de  la  cour?  Le  duc  Alphonse,  intelli- 
gent, sincère,  chevaleresque  et  qui  accueille  les  talents, 
n'est-ce  pas  Charles-Auguste?  Ferrare,  n'est-ce  pas 
Weimar?  Mais  Tasse  a  été  composé  k  bâtons  rompus, 
Gœthe  avait  écrit  en  prose  les  deux  premiers  actes  lors- 
qu'il partit  pour  l'Italie,  et  l'œuvre,  laissée  de  côté,  ne 
fut  terminée  qu'en  juillet  1789.  Si  elle  offre  une  grande 
perfection  de  forme,  elle  manque,  comme  Egmont^ 
d'unité.  Dans  les  deux  premiers  actes,  Antonio  est 
injuste,  brutal  envers  Tasse  qui  se  montre  sérieux,  noble, 
modeste,  et  dans  les  trois  derniers  actes  tout  change  : 
Tasse  n'est  plus  qu'un  malade  qui  ne  sait  se  maîtriser, 
et  Antonio,  naguère  envieux,  altier,  cassant,  devient 
calme,  réfléchi,  impartial  ;  c'est  Antonio  qui  triomphe,  et 
Tasse  s'attache,  se  cramponne  a  lui  comme  le  marin  au 
rocher. 

Les  Elégies  romaines  (1790)  sont  encore  un  fruit  du 
voyage   d'Italie.  Gœthe  les  avait  d'abord  nommées  les 


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LB  XVIIl*  SliCLB  377 

Erotiques.  Elles  chantent  en  effet  ses  amours,  et  d*un 
bout  à  Tautre  des  Elégies  y  il  décrit  son  bonheur,  le 
plaisir  piquant  de  compter  sur  le  dos  de  sa  maîtresse 
endormie  la  mesure  de  rhexamètre,  la  jouissance  de 
<r  voir  d'un  œil  qui  touche  »  et  de  «  toucher  d'une  main 
qui  voit  ».  Il  imite  Properce,  TibuUe,  Ovide,  les  trium- 
virs de  Tamonr,  et  son  imitation  n'est  pas  servile.  S'il 
ajoute  des  traits  tout  modernes  aux  souvenirs  antiques, 
s'il  parle  de  l'opéra  et  des  prélats  aux  bas  violets,  il  sait 
se  faire  ancien.  Il  ressuscite  dans  ses  vers  les  divinités 
de  rOlympe,  et  il  ne  copie  ni  les  Grecs  ni  les  Romains 
parce  qu'il  joint  aux  réminiscences  de  ses  lectures  la 
contemplation  des  statues  qui  de  tous  côtés  dans  Rome 
frappent  et  ravissent  son  regard,  parce  qu'il  se  sent 
païen  au  milieu  des  dieux  et  demi-dieux  du  paganisme.  Il 
se  sert  du  mètre  éléglaque  et  la  lenteur  des  distiques 
rend  bien  la  joie  du  barbare  qui  s'est  échappé  des 
brouillards  du  nord  et  qui,  sous  le  ciel  pur  du  midi, 
goûte  et  savoure  le  charme  d'une  libre  existence,  les 
voluptés  de  l'amour,  les  splendeurs  de  la  nature  et, 
comme  il  dit,  les  formes  et  les  couleurs  que  suscite 
Phébus. 

Les  épigrammes  se  mêlaient  aux  élégies.  Déjà,  en  1789, 
Gœthe  avait  publié  des  distiques  qu'il  intitulait  Poésies 
se  rapprochant  de  la  forme  antique.  Ils  sont  imités  des 
anciens,  tantôt  de  VAnthologiej  tantôt  de  Martial  et 
inspirés  par  les  circonstances.  Gœthe  décrit  un  tableau 
ou  une  statue  ;  il  chante  la  mort  héroïque  du  duc  Léopold 
de  Brunswick;  il  fait  des  rochers  du  parc  de  Weimar 
les  ff  monuments  de  son  bonheur  ». 

Les  Épigrammes  ^vénitiennes  qu'il  composa  dans  les 
premiers  mois  de  1790,  à  Venise,  où  il  venait  à  la  ren- 
contre de  la  duchesse  Amélie,  rappellent  également  et 


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278  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

Martial  et  VAnthologie.  Mais  elles  ne  respirent  pas 
Tenthousiasme  et  la  joie  des  Elégies  romaines.  Il  ne  voit 
dans  Venise  qu'une  ville  de  boue,  un  marais,  une  gre- 
nouillère et,  lorsqu'il  resonge  à  la  société  de  Weimar 
qui  blâme  sa  liaison  avec  Christiane,  il  couvre  de  sar- 
casmes ce  monde  hypocrite,  cette  bonne  compagnie  qui 
ne  fournit  pas  matière  au  plus  petit  poème;  il  déclare 
préférer  aux  cafards  les  bateleuses  vénitiennes  si  souples 
et  agiles,  lés  belles  courtisanes  qui  trottent  d'un  pas  si 
léger.  Sa  méchante  humeur  n'épargne  pas  la  Révolution 
naissante,  et  ses  coups  pleuvent  sur  tous,  sur  les  parti- 
sans et  sur  les  adversaires  des  réformes,  sur  les  apôtres 
de  la  liberté  qui  ne  veulent  au  fond  que  leur  bon  plaisir, 
sur  ces  fous  qui  pérorent  en  France  dans  les  rues  et  sur 
les  places. 

La  Révolution  s'imposait  donc  à  son  esprit  et  il  la  vit 
bientôt  d'assez  près.  Il  accompagna  Charles-Auguste  dans 
l'expédition  de  Champagne  ainsi  qu'au  siège  de  Mayence 
et  il  a  raconté  ces  deux  entreprises  ;  mais  son  récit  date 
de  1820,  et,  comme  les  Prussiens  qu'il  nous  montre  et 
qui  restent  sourds  aux  cris  de  vengeance  des  émigrés, 
Gœthe  garde  dans  sa  relation  un  ce  calme  souverain  ».  En 
réalité,  la  Révolution  troublait  son  repos  et  il  ne  la 
comprit  pas.  Aussi,  il  la  ridiculise  et  la  rapetisse.  Dans 
la  pièce  du  Grand  Copkte,  il  fait  de  Cagliostro  le  prin- 
cipal héros,  et  l'affaire  du  collier  ne  lui  paratt  qu'une 
fourberie.  Dans  la  pièce  du  Citoyen  généraly  il  présente 
comme  type  du  révolutionnaire  un  pauvre  diable  qui  se 
met  une  moustache,  s'affuble  d'un  uniforme  et  s'arme 
d'un  sabre  pour  escroquer  un  déjeuner.  Dans  le  drame 
inachevé  des  Rés^oUésy  il  exprime,  son  opinion  par  la 
bouche  de  la  comtesse  :  pas  d'injustice,  et  que  celui  qui 


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LB   XVII  r   SIBCLB  S79 

tient  le  pouvoir  soit  généreux.  Dans  la  Fille  naturelle,  qui 
est  en  vers  et  dont  il  n'écrivit  que  la  première  partie,  il 
désigne^  de  même  que  dans  le  Grand  Cophte^  les  person- 
nages par  des  noms  généraux^  et  la  pièce  révèle  chez  lui 
le  goût  croissant  du  symbole,  de  Tallégorie  et  de  ce  qu'il 
appelait  la  grise  théorie  ;  elle  a  -^  le  mot  est  de  Huber 
^-  le  poli  et  la  froideur  du  marbre. 

Mais  la  FiUe  naturelle  est  de  1803.  L'amitié,  1'  «  éter- 
nelle alliance  »  qjie  le  poète  noue,  en  1794,  avec  Schiller, 
loi  fait  dans  les  dernières  années  du  xviii*  siècle  comme 
une  seconde  jeunesse,  et  il  assure  avec  raison  qu'un 
nouveau  printemps  germe  alors  et  s'épanouit  en  lui.  De 
1795  à  1800,  les  œuvres  succèdent  aux  œuvres,  Wilheltn 
Meister,  Hermann  et  Dorothée,  VAchiUéide,  les  Xéniesj  les 
ballades,  le  second  livre  des  Elégies. 

Wilhelm  Meister  date  de  loin,  et  les  souvenirs  person- 
nels de  Gœthe  y  foisonnent.  Comme  son  héros,  Gœthe  a 
joué  dans  son  enfance  une  pièce  a  marionnettes  et  il  se 
rappelle  Francfort  lorsqu'il  loue  le  commerce  avec  le 
même  enthousiasme  qu'Addison  ou  que  le  Yanderk  de 
Sedaine.  Comme  le  jeune  Gœthe,  Wilhelm  s'enflamme 
aisément;  il  est  mobile  et  inconstant;  il  craint  de  se 
lier.  Comme  le  jeune  Gœthe,  k  travers  ses  égarements,  il 
tâche  de  s'instruire,  de  se  développer.  Comme  le  jeune 
Gœthe,  il  s'engoue  de  Shakespeare  et,  en  dépit  de  son 
père  qui  voudrait  le  fixer  et  lui  imposer  un  métier,  il  se 
destine  au  théâtre  de  même  que  l'avocat  francfortois  se 
voue  a  la  littérature.  Comme  Gœthe  à  Weimar,  Wilhelm 
exhorte,  stimule  les  acteurs,  leur  conseille  d'exercer  leur 
talent  et  d'unir  leurs  efforts.  Comme  Gœthe,  il  gémit 
sur  la  frivolité  du  public. 

La  première  partie  de  l'ouvrage,  avec  ses  galantes 
intrigues  et  ses  tragiques  aventures,  est  une  sorte  de 


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280  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

Roman  comique.  Les  acteurs,  à  qui  Wilhelm  s'associe, 
semblent  peints  d'après  nature  :  Marianne,  qui  a  quel- 
ques traits  de  la  Claire  d'Egmont  ;  Mélina  qui,  sans  cesse, 
geint,  calcule  et  marchande;  M"''  Mélina,  qui  sait  parler 
et  se  taire  et,  quoique  sans  malice,  trouver  le  faible  d'au- 
trui;  Laerte,  Thomme  d'action  qui  ne  réfléchit  pas  ;  Serlo, 
spirituel,  souple,  adroit,  pratique  ;  la  sœur  de  Serlo, 
Amélie,  inquiète,  amère,  bizarre,  et  dévorée,  tuée  par  sa 
passion  malheureuse  ;  Philine,  «  l'aimable  pécheresse  »» 
la  coquette  charmante,  vive  et  étourdie,  espiègle  et  folle, 
qui  plait  malgré  tous  ses  défauts  par  ses  yeux  fripons, 
par  son  minois  provocant,  par  ses  saillies  piquantes, 
singulière  créature  qui  ne  connaît  d'autre  loi  que  son 
caprice  et  qui  divise  les  hommes  en  deux  classes,  ceux 
qu'elle  aime  et  ceux  dont  elle  se  moque.  Mais  Wilhelm 
s'avoue  bientôt  qu'il  n'est  qu'un  médiocre  comédien  et 
que  ses  compagnons,  qu'il  croyait  désintéressés  et  réelle-» 
ment  épris  de  leur  métier,  n'ont  d'autre  passion  que 
l'amour  du  plaisir  ou  du  gain. 

La  seconde  partie  du  roman  le  transporte  dans  les 
hautes  classes  de  la  société.  Déjà,  dans  la  première,  il 
avait  vu  de  près  la  noblesse  :  un  baron  qui  se  pique  de 
lettres  et  qui  n'est  qu'un  pauvre  sot,  un  comte  mené  par 
ses  entours  et  qui  se  regarde  comme  le  plus  fin  des 
hommes,  une  baronne  de  mœurs  légères.  Les  aristocrates 
qu'il  fréquente  désormais,  ne  sont  pas  tous  des  parangons 
de  vertu;  mais  ils  ont  su  se  borner,  ils  cultivent  en  eux 
les  meilleurs  instincts  de  la  nature,  ils  sentent  le  beau  : 
Lothario,  au  coup  d'œil  sûr;  Jarno,  froid,  malicieux,  rude, 
mais  sincère,  sensé,  clairvoyant;  Thérèse,  sagement 
active,  adroite,  vigilante^  vaillante,  faite  pour  le  gouver- 
nement de  la  maison;  Nathalie,  la  douce  et  généreuse  et 
grave  Nathalie  qui  n'est  heureuse  que  du  bonheur  des 


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LB  XVIII*  SIBCLB  381 

aotreft  et  que  Wilhelm  finit  par  épouser.  Ces  person- 
nages forment  une  société  secrète  qui  depuis  longtemps 
ayait  des  vues  sur  Wilhelm  ;  ils  rappellent  certains  per- 
sonnages de  la  cour  de  Weimar,  et  leur  société,  c'est 
sans  doute  l'ordre  des  francs-maçons  auquel  apparte- 
naient Charles-Auguste,  Gœthe  et  Herder.  La  Révolution 
s'annonce.  Lothario  a  combattu  dans  les  rangs  des 
insurgents  d'Amérique.  Nobles  et  bourgeois  travaillent 
de  concert  a  la  félicité  humaine.  Les  amis  de  Wilhelm 
n'ont  pas  les  préjugés  de  la  naissance  et  ne  balancent 
pas  à  se  mésallier. 

L'ouvrage  est,  comme  VAgatkon  de  Wieland,  un 
roman  d'éducation  et  il  représente,  de  même  que  VAga^ 
thcHy  l'odyssée  d'un  jeune  homme  qui  passe  du  rêve  a 
l'action.  Son  grand  mérite,  c'est  d'offrir  surtout  dans  les 
premiers  livres,  des  figures  vraiment  attachantes,  et  qui 
vivent,  non  parce  que  Tauteur  les  décrit,  mais  parce 
qu'il  les  montre  dans  la  vérité  de  leurs  propos  et  de 
leurs  gestes.  Deux  de  ces  figures.  Mignon  et  le  harpiste, 
ont  un  attrait  mystérieux,  et  les  vers  que  leur  prête 
Gœthe  les  rendent  plus  touchantes  encore.  C'est  le 
harpiste  qui  jette  la  plainte  navrante  répétée  après  léna 
par  la  reine  Louise  :  «  Celui  qui  n'a  pas  mangé  son 
puin  avec  des  larmes,  qui,  durant  les  tristes  nuits,  n'est 
pas  resté  assis  en  pleurant  sur  sa  couche,  celui-lb  ne 
vous  connaît  point,  ô  puissances  célestes!  »  C'est 
Mignon  qui  chante  le  lied  du  Désir  :  «  Celui-là  seul  qui 
connaît  le  désir,  sait  ce  que  je  souffre  »,  et  les  strophes  : 
(c  Connais-tu  le  pays...  »  où  s'exprime  en  images  aussi 
rapides  que  variées  et  avec  une  si  puissante  émotion  le 
regret  de  Tltalie,  de  ses  arbres  aux  fruits  d'or  et  de  son 
ciel  bleu. 

Mais  le  roman  manque  d'ensemble.  Gœthe  se  laisse 


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2aS  LITTÂHATURB   ALLEMANDE 

aller  trop  complaisamment  à  retracer  ses  souvenirs  et  k 
développer  ce  qu'il  pense  de  l'art  dramatique.  Que  de 
longues  dissertations  dans  les  cinq  premiers  livres  sur 
Shakespeare,  sur  le  caractère  de  Hamlet,  sur  le  rôle 
moral  du  théâtre!  Il  insère  dans  le  sixième  livre  ua 
manuscrit  qui  contient,  sous  le  titre  de  Confessions  d^ane 
belle  dmey  le  récit  de  la  vie  de  M'"*  de  Klettenberg,  et 
vainement  il  fait  de  la  pieuse  Francfortoise  la  tante  de 
Lothario  et  de  Nathalie  ;  le  lecteur  oublie  son  héros.  Ce 
héros  mèiue,  au  lieu  d*agir  de  son  chef,  ne  suit-il  pas 
avec  trop  de  docilité,  de  placidité,  Timpulsion  d'aatrui? 
N'est-il  pas  le  jouet  des  événements?  Et  que  d'obscurités, 
que  d'invraisemblances,  et,  comme  dit  Gœthe  lui-même, 
que  d'événements  merveilleux  dans  les  derniers  livres! 
C'est  que  la  seconde  partie  des  Années  d* apprentissage 
a  été  composée  près  de  vingt  ans  après  la  première. 

Le  poème  à^Hermann  et  Dorothée  eut  cet  avantage  sur 
Meister  qu'il  fut  écrit  tout  d'une  haleine,  du  mois  de 
septembre  1796  au  mois  d'avril  1797. 

Le  sujet  est  simple,  Hermann,  fils  d'un  aubergiste 
d'une  petite  ville  située  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  porte 
des  secours  à  des  habitants  de  la  rive  gauche  chassés  par 
l'invasion  française.  Il  rencontre  Dorothée  et  désire 
l'épouser.  Après  quelque  résistance,  ses  parents  con- 
sentent au  mariage,  lorsque  deux  amis,  le  pasteur  et  le 
pharmacien,  ont  recueilli  sur  la  jeune  fille  les  meilleurs 
renseignements.  Mais  Hermann,  qui  va  chercher  Dorothée, 
s'explique  si  timidement  et  avec  un  tel  embarras  qu'elle 
s'imagine  qu'il  veut  la  prendre  comme  servante.  Le 
malentendu  se  dissipe  bientôt  et  Dorothée  se  fiance  avec 
Hermann.  Ce  sujet  simple,  Gœthe  l'a  rendu  poétique.  La 
foule  des  fugitifs  à  laquelle  appartient  Dorothée  a  l'aspect 
d'une  tribu  errante,  et  le  vieux  maire  qui  la  conduit,  l'air 


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LE   XV11I«   8IÂGLB  SS3 

et  Taliure  d'un  Josué  oo  d'un  Moïse.  Deux  groupes  de 
personnages  figurent  ainsi  dans  l'ouvrage  :  les  habitants 
de  la  petite  ville  et  les  exilés,  leç  uns  qui  demeurent  où 
ils  sont  et  jouissent  du  repos,  les  autres,  voués  aux 
misères  d'une  existence  vagabonde  ;  ceux-là  occupant  le 
premier  plan,  ceux-ci  qui  passent  dans  le  lointain,  et, 
grâce  à  ce  contraste,  Gœthe  rassemble  dans  son  poème 
les  sentiments  les  plus  généreux  de  l'âme  :  amour, 
pitié,  humanité,  et,  comme  il  les  exprime  sous  une  forme 
parfaite,  son  œuvre  est  pleine  de  ces  mots  frappants  et 
signifiants,  de  ces  paroles  que  nos  voisins  nomment  des 
paroles  dorées  ou  ailées.  En  outre  ses  types  sont  alle^ 
mands,  et  les  moindres  détails  reproduisent  les  mœurs 
nationales  :  la  fontaine  près  de  laquelle  il  est  si  agréable 
de  jaser  :  les  enfants  à  qui  la  cigogne  vient  d'apporter 
un  petit  frère;  la  dot  qui  comprend  le  linge  de  l'armoire, 
les  couverts  d'argent  et  les  jaunets  rares,  cadeau  du  par- 
rain et  du  père.  Enfin,  Gœthe  étend  et  rehausse  sa 
matière.  Il  évoque  la  Révolution  française,  qui  lui  fournit 
on  fond  de  paysage  grandiose.  Hermann  rappelle  en 
frémissant  l'impétuosité  des  armées  républicaines  et 
déplore  le  destin  de  Dorothée  jetée  par  l'affreuse  fatalité 
de  la  guerre  dans  le  même  tourbillon  que  les  princes  et 
les  rois.  Dorothée  n'avait-^lle  pas,  avant  Hermann,  un 
fiancé  que  la  Révolution  enflamma  de  son  enthousiasme, 
sorte  d'Adam  Lux  qui  ne  trouve  à  Paris  que  la  prison  et 
la  mort?  Le  vieux  maire  ne  décrit-il  pas  avec  une  saisis- 
sante émotion  les  transports  qu'excitèrent  les  décrets  de 
la  Constituante,  Paris  méritant  plus  que  jamais  le  titre  de 
capitale  du  monde,  les  Français  recevant  sur  le  Rhin  un 
accueil  empressé,  mais  démentant  trop  vite  leurs  pro- 
messes et  opprimant  les  peuples  qu'ils  juraient  d'afTran- 
ehir?  Par  là,  Gœthe  donne  à  son  idylle  je  ne  sais  quoi 


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284  LITTÂRÀTUBB   ALLEMANDE 

d^épique  ;  il  peint  en  même  temps  que  Famour  de  Dorothée 
et  de  Hermann,  Vu  ébranlement  universel  »;  il  rattache 
à  cette  mince  anecdote, ce  que  la  fin  du  siècle  adWageox 
et  de  terrible.  Il  faudrait  admirer  encore  l'unité  de  la 
composition  et  Tingénieuse  conduite  de  l'action  que  le 
poète  a  su  retarder  par  d'habiles  artifices,  combinant 
avec  adresse  les  péripéties,  motivant  tous  les  incidents, 
entraînant  son  lecteur  sans  violence  mais  sans  relâche 
a  travers  un  petit  nombre  d'événements  qu'il  tire  des 
sentiments  de  ses  personnages.  Il  faudrait  admirer  les 
caractères  :  l'aubergiste,  plein  de  lui-même,  fier  de  son 
aisance,  irascible,  au  reste  une  bonne  pâte  d'homme;  la 
femme  de  l'aubergiste,  clairvoyante,  fine,  calmant  les 
colères  de  son  mari  et  lisant  à  livre  ouvert  dans  le  cœur 
de  son  fils;  le  pharmacien,  égoïste,  affairé,  bavard, 
curieux,  poltron,  important;  le  pasteur,  indulgent,  aima- 
ble, doux,  relevant  la  nature  humaine  que  le  pharmacien 
se  plaît  à  rabaisser;  Hermann,  transformé,  transfiguré 
par  l'amour,  par  cette  sorte  d'ivresse  qui  vient  d'éclater 
dans  son  âme,  et  voulant  à  tout  prix  revoir  Dorothée, 
revoir  cette  bouche  dont  un  oui  fera  son  bonheur,  dont 
un  non  brisera  sa  vie  k  jamais.  Mais  Dorothée  est  le 
((  héros  »  du  poème  :  intrépide,  énergique,  pleine  de  bon 
sens  et  d'esprit,  sensible  néanmoins  et  touchante  :  avec 
quelle  superbe  indignation  elle  répond  à  l'outrage  qu'elle 
croit  avoir  reçu  de  l'hôtelier,  et  avec  quelle  noble  fran- 
chise elle  confesse  son  affection  naissante  pour  cet 
Hermann  qu'elle  pensait  mériter  plus  tard  par  son 
dévouement  !  Comme  toujours,  Gœthe  a  fixé  et  poétisé 
dans  son  osuvre  ses  propres  impressions,  non  seulement 
ses  souvenirs  de  la  retraite  de  Champagne,  mais  les 
sentiments  que  provoqua  dans  son  âme  le  spectacle  de  la 
Franconie    embrasée    par  la  guerre.   C'est  l'armée   de 


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LE   XVIIl*   81ECLB  285 

Sambre-et^Meuse  dont  parle  le  vieux  maire,  au  sixième 
chant,  quand  il  termine  son  discours.  Les  Français, 
grands  et  petits,  qui  pillent  et  vivent  dans  la  bombance 
et  la  débauche,  les  vaincus  et  les  désespérés  qui  ne 
ménagent  plus  rien,  les  fuyards  au  pâle  visage  et  au 
regard  incertain,  ce  sont  les  commissaires  et  les  soldats 
du  Directoire.  Les  hommes,  naguère  résignés,  soudain 
pris  de  douleur  et  de  rage,  sonnant  le  tocsin,  tombant 
avec  leur  faux  et  leur  fourche  sur  l'ennemi,  ce  sont  les 
paysans  franconiens.  Â  ces  réminiscences  encore  poi- 
gnantes de  1796  se  mêlent  de  menus  traits  empruntés 
par  Gœthe  à  son  entourage  et  à  son  passé.  Le  père  et  la 
mère  de  Hermann  rappellent  le  père  et  la  mère  du  poète. 
Dorothée  a  le  costume  des  Alsaciennes,  et  lorsque  Gœthe 
décrit  sa  toilette,  il  se  souvient  peut-être  de  Frédérique 
Brion,  svelte,  légère,  portant  un  corps  de  jupe  qui  lui 
serre  la  taille  et  une  robe  courte  qui  laisse  voir  les  pieds 
jusqu*à  la  cheville.  D*un  bout  à  Tautre  de  l'ouvrage 
respire  la  maturité  de  Gœthe,  sa  sagesse  sereine.  L'amour 
qu'il  représente  écoute  la  raison.  Hermann  montre  aux 
Allemands  la  conduite  qu'ils  doivent  tenir  :  persister  et 
durer,  s'ancrer  sur  le  roc  de  l'amour  et  de  la  famille. 
Quant  au  style  de  l'idylle,  il  a  les  lignes  nettes,  les 
formes  saillantes,  les  contours  arrêtés.  Sobriété  et 
simplicité,  telles  sont  ses  qualités.  Très  peu  d'adjectifs 
composés,  des  expressions  précises  et  vivantes,  une 
seule  comparaison  longuement  déroulée,  pas  de  portraits, 
pas  de  description  du  lieu  où  se  passe  l'action,  et  pour- 
tant qu'il  est  aisé  de  reconstituer  le  paysage  et  tous  ses 
alentours,  le  pré  et  la  source  ombragée  de  tilleuls,  l'au- 
berge, les  vignes,  le  champ  limité  par  un  poirier!  On  a 
blâmé  les  homérismes  :  ils  mêlent  au  sérieux  du  poème 
une  agréable  ironie.  Seul,  l'hexamètre  mérite  la  critique. 


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286  LITTBRÀTUBB   ALLEMANDE 

Il  boita  parfois  et  aux  passages  les  plus  beaux  se  glisse 
un  mot  rocailleux.  Quelques  vers  sont  trainants,  inaiilB- 
samment  polis;  Gœthe  a  dû  se  créer  son  instrument. 
N*avait-il  pas,  en  1793,  dans  son  Reineks  Fucha^  manié 
rhexamètre»  lorsqu'il  versifiait,  pour  se  soustraire  à 
Todieuse  politique,  le  poème  bas-allemand  traduit  en 
prose  par  Gottsched?  Et,  malgré  ses  gaucheries»  son 
œuvre  n*eut-elle  pas  pour  effet  de  populariser  et  de  faire 
aimer  cette  spirituelle  production  du  moyen  âge? 

Dans  une  élégie  qui  sert  de  préface  à  Hermann  el 
Dorothée^  Gœthe  portait  la  santé  de  Wolf  qui  niait  Texis* 
tence  d'Homère,  ce  dieu,  cet  homme  unique  avec  lequel 
nul  n'osait  se  mesurer.  Il  eut  pourtant  l'idée  de  continuer 
Homère,  de  raconter  dans  une  Achilléide  les  derniers 
jours  d'Achille.  Au  bout  de  cinq  cents  vers,  il  s'arrêta. 
Mais  le  fragment  est  vraiment  beau.  Achille  paraît 
d'abord,  contemplant  de  loin  avec  une  haine  enoore 
inassouvie  le  bûcher  d'Hector  qui  dans  la  nuit  rougit  de 
sa  flamme  les  murs  d'Ilion.  Puis  s'ouvre  rassemblée  des 
dieux,  non  des  dieux  homériques,  mais  des  dieux  gœ- 
théens,  et  le  poète  nous  présente  le  doux  et  paternel 
Zeus,  Héphaistos  suppliant  les  Heures  de  répandre  sur 
ses  ouvrages  inanimés  les  grâces  de  la  vie,  Cypris  enga- 
geant Ares  à  mener  au  combat  et  à  la  mort  les  AmaEoaes 
qu'elle  hait  parce  qu'elles  fuient  les  hommes,  Thétis  qui 
ne  pense  qu'au  trépas  imminent  de  son  fils,  Héra  jalouse 
et  implacable,  Pallas  Athéné  qui,  sous  les  traits  d'Anti- 
loque,  vient  consoler  le  Pélide  et  l'assurer  que  celui  qui 
succombe  dans  la  fleur  de  son  âge  apparaît  aux  races 
futures  comme  éternellement  jeune  et  leur  inspire  un 
regret  infini. 

Gœthe  avait  entrepris  cet  heureux  pastiche  sur  les 
conseils  de  Schiller.  Les  deux  amis  s'encourageaient,  se 


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LB  XVlll*  8IBCLE  S87 

Stimulaient  mutuellement.  Ils  s'associèrent  pour  publier 
sous  le  titre  de  Xénies  plus  de  six  cents  épigrammes  dans 
le  goût  de  Martial,  chacune  en  un  seul  distique.  C'étaient, 
comme  ils  disaient,  des  renards  à  la  queue  allumée  qu'ils 
lançaient  dans  les  champs  des  Philistins.  Ils  passaient  en 
revue  les  écrivains  du  temps  et  les  criblaient  de  flèches. 
Nombre  de  ces  Xénies  manquent  de  finesse  et  de  sel.  Les 
<c  Dioscures  »  firent  pourtant  une  bonne  et  utile  besogne, 
ils  combattaient  la  médiocrité,  ils  assainissaient  la  litté* 
rature,  ils  s'efforçaient  de  ramener  le  public  à  l'amour 
d'une  poésie  noble  et  élevée. 

Eux-mêmes  prêchaient  d'exemple  en  composant  des 
pièces  lyriques,  notamment  en  l'année  1797,  que  Schiller, 
appelait  l'année  des  ballades.  Depuis  longtemps  Gœthe 
avait  abordé  le  genre  de  la  ballade,  et,  avant  le  voyagé 
d'Italie,  il  avait  fait  le  Roi  de  Thulè^  le  Roi  des  Aulnes^ 
le  Pêcheur^  et  ces  ballades  qu'on  peut  nommer  les  bal- 
lades de  la  première  manière  sont  les  plus  connues  elles 
meilleures. 

Quelle  netteté,  quel  relief  d'expression  dans  le  Roi  de 
ThuUÏ  Cet  amant  d'une  si  touchante  constance  et  d'une 
fidélité  qui  dure  jusqu'à  la  tombe,  ne  pousse  pas  une 
exclamation  de  douleur,  pas  un  cri  de  regret  ;  mais  ses 
actes  parlent  :  il  met  au-dessus  de  tout  la  coupe  que  sa 
mie  lui  donna,  il  pleure  chaque  fois  qu'il  y  trempe  ses 
lèvres,  et  lorsqu'il  se  sent  mourir,  il  la  jette  dans  la  mer. 
La  pièce,  qui  ne  compte  que  six  strophes,  est  grave  dans 
sa  simplicité,  saisissante  dans  sa  concision,  et,  si  courte 
qu'elle  soit,  elle  a  cette  flamme  de  vie,  cette  Lebenegiut 
que  le  vieux  roi  buvait  dans  le  gobelet  sacré. 

Gcethe  a  tiré  le  Roi  des  Aulnes  d'un  chant  danois;  mais 
il  est  y  dans  ses  huit  strophes,  plus  bref  et  plus  rapide 
que  son    modèle.    Deux   strophes,    la   première    et    la 


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28S  LITTÉRATURE  ALLEMANDE 

dernière,  composent  le  récit;  les  six  autres  forment  le 
dialogue,  et  toutes,  dialogue  et  récit,  sont  comme 
entraînées  dans  un  tourbillon  :  serrées,  pressées,  hachées, 
les  phrases  rendant  à  merveille  ce  que  le  conte  a  de 
fantastique  et  de  sinistre. 

Quant  au  Pécheur^  d*heureux  artifices  de  style,  de 
belles  et  neuves  épithètes,  mêlées  sans  disparate  à  des 
mots  familiers,  un  rythme  qui  semble,  comme  la  vague 
d'où  sort  la  Nixe  perfide,  s'élever  et  s'abaisser  par 
ondulations,  tout  exprime  dans  cette  ballade  l'invincible 
séduction  que  le  miroitement  de  l'eau  exerce  sur  les 
sens. 

Les  ballades  de  la  seconde  manière,  les  ballades  des 
années  1797  et  1798,  se  distinguent  des  précédentes  par 
le  sujet  et  par  la  forme.  Gœthe  les  compose,  non  plus  en 
vers  simples  et  chantants,  mais  en  vers  savamment 
travaillés,  et  il  en  emprunte  la  matière  à  l'antiquité  clas- 
sique ou  à  l'Orient,  non  plus  à  la  superstition  populaire. 
C'est  un  Apprenti  sorcier  qui,  par  une  formule  magique, 
commande  h  un  balai  d'apporter  de  l'eau,  mais  qui  ne 
sait  plus  arrêter  l'infatigable  serviteur  prêt  k  noyer  la 
maison.  C'est  une  jeune  fille,  la  Fiancée  de  Corinîke^ 
vouée  à  Dieu  malgré  elle,  enfermée  dans  une  cellule  o|^ 
elle  meurt  de  chagrin,  et  sortant  de  sa  tombe  pour  cher- 
cher son  fiancé.  C'est  la  Bayadère  que  les  dieux  récom- 
pensent et  emportent  dans  le  ciel,  parce  que  la  péche- 
resse s'est  repentie,  parce  qu'un  amour  véritable  et  qui 
ne  craint  pas  la  mort,  n'eût-il  duré  qu'un  instant,  efface 
et  rachète  toute  une  vie  de  souillures. 

De  la  même  époque  date  le  second  livre  des  Elégies 
qui  comprend  de  charmants  morceaux,  entre  autres 
Alexiset  DorafleNoui^eauPausias^Euphraeyney  Amyntas. 
Selon  Schiller,  il  est  difficile  de   cuc^illir  d'un  sujet  la 


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LB  XVIll*  SIÈCLB  289 

fleur  de  poésie  avec  autant  de  goût  et  de  succès  que 
dans  Alexis  et  Dora.  Sur  le  navire  qui  Temmène  loin  de 
sa  belle,  Alexis  se  souvient  de  l'heure  encore  riante,  de 
rheure  unique  qui  lui  donna  le  bonheur.  Il  retrace  la 
grâce  modeste  de  Dora  et  l'harmonie  de  ses  mouvements, 
l'innocent  plaisir  qu'il  avait  à  la  voir  comme  on  voit  les 
étoiles,  les  adieux  qu'il  lui  fit  h  la  porte  du  jardin  lorsqu'il 
descendait  au  port,  Dora  lui  commandant  une  chaînette  et 
lui  cueillant  des  fruits  qu'elle  range  ensuite  dans  une 
corbeille  sous  la  charmille,  les  regards  se  rencontrant 
soudain,  la  passion   débordant  des  cœurs,   tous  deux 
tombant  dans  les  bras  l'un  de  l'autre  en  jurant  de  s'aimer 
éternellement,  lui-même  appelé  par  les  cris  des  matelots, 
entraîné  sur  le  vaisseau  sans  savoir  comment  et  semblable 
à  un  homme  ivre.  Mais  cette  scène  de  bonheur  et  de 
désespoir  ne    suffit  pas   au  poète.  Alexis  énumère   les 
cadeaux  qu'il  doit  rapporter,  les  perles,  les  couvertures 
brodées  de  pourpre,  et  voici  que  l'angoisse  le  saisit  :  si 
Dora  ouvrait  a  un  autre  la  porte  du  jardin,  cueillait  des 
fleurs  pour  un  autre,  attirait  un  autre  sous  la  treille? 

Schiller  mourut  en  1805.  L'année  d'après,  les  Français 
entraient  à  Weimar,  et  ce  fut  alors  que  le  poète  épousa 
^•iit  Vulpius.  Mais  il  n'aimait  plus  Christiane  et 
bien  qu'il  eût  cinquante-huit  ans,  il  s'était  épris  de 
Minna  Herzlieb,  fille  adoptive  du  libraire  Frommann.  Il 
pense  à  elle  lorsqu'il  décrit  dans  le  fragment  magnifique 
de  Pandora  la  douleur  d'Epiméthée  abandonné  de  sa 
femme,  évoquant  sans  cesse  l'image  de  la  fugitive, 
gémissant  sur  son  bonheur  évanoui  sans  retour.  Il  pense 
a  elle  lorsqu'il  compose  les  Affinités  électives  et  c'est 
elle  qu'il  représente  dans  le  roman  sous  le  nom  d'Odile. 

Deux  époux,  Edouard  et  Charlotte,  vivent   heureux. 

UtrélUTOmi  ALtSMAirOB.  19 


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290  LITTBBATURE  ALLEMANOB 

Surviennent  le  meilleur  ami  d'Edouard,  ie  capitaine,  et 
une  nièce  de  Charlotte,  Odile.  Les  affinités  se  manifestent. 
Edouard  et  Odile,  Charlotte  et  le  capitaine  se  rapprochent 
Tun  de  l'autre.  Naïvement  et  sans  penser  à  mal,  tous 
quatre   se   livrent   à   leur   penchant   et   GkBthe  a   très 
finement  marqué  les  progrès  de  la  passion  qui  se  glisse 
insensiblement  dans  les  cœurs.  Un  jour,  à  la  suite  d^uoe 
partie  de  bateau,  le  capitaine,  obligé  de  porter  Charlotte 
jusqu'au  rivage,  la  baise  sur  les  lèvres;  elle  lai  ordonne 
de  partir,  et  il  part.  Edouard  a  moins  d'empire  sur  loi- 
même.    Lorsqu'un    soir,    dans    des  actes    qu'Odile  loi 
copie,  il  reconnaît  sa  propre  écriture,  ce  tu  m'aimes  », 
s'écrie  Edouard,  et  n'écoutant  que  son  amour,  ne  songeant 
plus  qu'à  s'unir  à  la  jeune  fille,  il  propose  à  sa  femme 
de  divorcer.  Charlotte  refuse;  elle  est  enceinte,  et  la 
naissance   d'un  enfant  resserre   le    lien   que  son  mari 
voudrait  rompre.  Edouard  s'éloigne.   Odile  ne  l'oublie 
pas;  elle  ne  désire  pas,   n'espère  pas  l'épouser;  elle 
élève  Tenfant   d'Edouard  et  de  Charlotte,   le  porte,  le 
berce.   Par  malheur,    Edouard   revient  plus  épris  que 
jamais.   Impatient,  il  pénètre  dans  le  parc.  Il  y  trouve 
Odile  et  à  côté  d'elle  l'enfant  endormi.  Après  une  longue 
conversation,  elle  regagne  la  maison;  pour  abréger  le 
chemin,  elle  entre  dans  une  barque;  un  faux  mouvement 
précipite  l'enfant  qu'elle  tenait  sur  son  bras,  et  lors* 
qu'elle  le  retire  de  l'eau,  il  n'est  plus  en  vie.  Inconsolable, 
convaincue  que  le   ciel   la  châtie,   elle  jure  de  n'être 
jamais   à  Edouard.   Elle   se   laisse  mourir   d'inanition, 
Edouard  expire  de  douleur,  et  sa  femme  les  ensevelit 
tous  deux  dans  le  même  caveau.  Charlotte  et  le  capitaine 
échappent  donc    à   la  catastrophe   :  ils  ont  sacrifié  la 
passion  au  devoir.  Edouard  succombe  parce  qu'il  cède 
sans  résistance  à  son  inclination,  et  Odile  succombe  avec 


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LB   XTIIl*  8IÂCLB  )91 

lai  parce  qu'elle  ii^a  su  lui  fermer  son  cœur.  Les  deux 
femmes  sent  les  personnages  les  plus  remarquables  du 
roman.  Chorlotte  a  l'esprit  ferme,  sérieux,  réfléchi;  elle 
garde  l'équilibre  de  la  raison;  elle  étouffe  résolument 
son  amoitr  dès  qu'elle  l'a  découvert;  elle  est  à  la  fois 
clairvoyante  et  circonspecte.  Mais  Goethe  s'attache  à 
mettre  en  pleine  lumière  les  qualités  d'Odile.  Il  la 
montre  belle,  gracieuse,  étrangère  à  toute  coquetterie,  à 
toute  envie  de  briller,  active,  vigilante,  toujours  calme 
dans  SCS  mouvements,  allant  et  venant  de  son  pas  léger 
et  imperceptible  sans  une  apparence  d'inquiétude.  II 
fait  une  délicate  peinture  des  tourments  de  cette  fille 
fière  et  chaste  qui  perd  peu  a  peu  l'espérance  de 
posséder  Edouard  et  qui  se  recueille,  se  concentre  en 
elle-même  et  se  résigne  à  vivre  solitaire.  Il  a  peine  à  se 
séparer  d'elle  et  il  la  suit  jusqu'à  l'heure  où  ce  corps 
charmant  est  mis  dans  le  cercueil,  où  le  soleil  répand 
nne  dernière  fois  sa  teinte  rose  sur  ce  visage  céleste.  On 
regrette  que  le  roman  soit  si  long.  Gœthe,  pour  le  grossir, 
y  a  mis  des  extraits  de  journal  d'Odile,  des  réflexions, 
des  maximes  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  l'état 
d'âme  de  l'héroïne  ;  il  explique  comment  on  fait  restaurer 
les  monuments  du  passé  sans  leur  6ter  l'empreinte 
antique;  il  expose  ses  théories  sur  l'éducation.  L'action 
finit  par  languir.  Mittler  qui  passe  son  temps  à  raccom* 
moder  les  ménages  désunis,  la  sémillante  Lucienne,  si 
mondaine,  si  affairée,  si  différente  d'Odile,  rarchitecte, 
l'instituteur,  le  voyageur  anglais  tiennent  trop  de  place 
dans  l'ouvrage.  Enfin,  la  seconde  partie  de  ce  récit  trop 
sinueux  et  trop  lent  est  de  beaucoup  inférieure  à  la 
première;  elle  offre  plus  de  digressions  et  elle  n'a  pas  la 
même  aisance  et  la  même  clarté. 


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292  LITTBRATDRB   ALLEMANDS 

Les  Affinités  électives  parurent  en  1809.  Bientôt 
rAllemagne  secoua  le  joug  français.  Mais  Goethe  ne 
croyait  pas  à  la  victoire  et  il  défendit  à  son  fils  de 
s'enrôler.  Il  pensait  que  les  Allemands  ne  briseraient 
pas  leurs  chaînes  ;  il  regardait  Napoléon  comme  un 
guerrier  irrésistible  et  le  plus  grand  génie  du  siècle; 
enfin,  il  aimait  la  France  a  laquelle  il  devait,  selon  ses 

X  propres  termes,  une  part  considérable  de  son  déve- 
loppement intellectuel,  et  il  disait  qu'à  une  certaine 
hauteur  la  haine  nationale  s'évanouit. 

Aussi,  pendant  les  dernières  années  de  la  domination 
napoléonienne,  il  se  détourne  du  présent,  et,  sous  le 
titre  de  Fiction  et  vérité ^  il  écrit  ses  mémoires.  L'ouvrage 
mérite  son  titre;  c'est  moins  la  vie  de  Gœthe  que  la 
légende  de  sa  vie,  que  le  roman  de  son  esprit.  Mais 
l'histoire  de  l'Allemagne  littéraire  au  temps  de  sa  jeunesse 
se  réfléchit  dans  son  œuvre  comme  dans  un  large  miroir; 
sa  prose  ne  s'est  peut-être  jamais  déroulée  plus  ample, 
plus  gracieusement  flottante,  et  quelques  épisodes, 
comme  les  amoureuses  idylles  de  Sesenheim  et  de 
Wetslar,  ne  se  peuvent  oublier. 

Il  vivait  ainsi  durant  la  guerre  «  dans  un  monde 
idéal  ».  A  l'imitation  de  Hafiz  que  Hammer  venait  de 
traduire,  il  composa  le  Diçan.  Le  recueil  n'est  pas  sans 
défauts.  Gœthe  a  trop  d'érudition  et  de  recherche.  Il 
abuse  des  mots  orientaux  et  des  métaphores.  Sa  langue 
est  par  instants  gauche,  bizarre,  incertaine.  Mais  il 
chante  avec  feu,  sous  le  nom  de  Suleika,  un  de  ses 
derniers  amours,  la  belle  et  spirituelle  Marianne  de 
Willemer,  dont  il  insère  des  vers  dans  le  Divan  même, 
et  par  l'éclat,  par  la  vivacité,  par  l'énergique  brièveté  de 
l'expression,  il  obtient  fréquemment  d'heureux  effets. 

Le   Difan  marque    toutefois  le  déclin  de   son   génie 


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1^  XVIIl*  SIÈCLE  293 

poétique.  Hanté  par  les  graves  problèmes  de  la  vie,  par 
de  grandes  idées  qui  remportent  à  ses  yeux  sur  la  forme, 
Gœthe  ne  se  soucie  plus  de  l'ordonnance  et  du  plan;  il 
ne  craint  pas  d*ètre  obscur,  mystérieux,  et  de  plus  en 
plus  il  affectionne  les  symboles;  le  penseur  nuit  au 
poète. 

En  1821,  paraissent  les  Années  de  voyage  de  Wilhelm 
Meister.  C'est  la  suite  des  Années  d'apprentissage,  Wilhelm 
voyage  sur  Tordre  de  la  société  des  «  Renonçants  »  et 
il  acquiert  ainsi  la  science  de  la  vie.  Il  apprend  qu'on  ne 
mérite  le  bonheur  que  par  la  résignation,  après  avoir 
vaincu  ses  passions  et  conquis  l'empire  de  soi-même. 
C'était  jusqu'alors  un  dilettante  et  sa  curiosité  se  portait 
sur  toutes  choses  ;  il  se  consacre  à  une  science  déter- 
minée, il  exerce  un  métier,  il  est  chirurgien.  Mieux 
vaut,  selon  Gœthe,  faire  bien  une  chose  que  de  faire 
mal  une  centaine  de  choses;  mieux  vaut  se  concentrer 
que  se  disperser;  quiconque  excelle  en  sa  profession, 
si  humble  s  oit-elle,  tient  sa  place  ici-bas,  et  c'est  le 
devoir  des  instituteurs  de  reconnaître  les  aptitudes  de 
l'élève,  de  discerner  sa  vocation  véritable,  de  le  con- 
duire dans  la  voie  qui  lui  convient.  Gœthe  disserte  sur 
l'éducation  :  il  recommande  les  exercices  physiques, 
l'étude  des  langues  et  le  sentiment  du  respect.  Les 
idées  politiques  se  joignent  aux  idées  pédagogiques.  Les 
personnages  des  Années  d^ apprentissage  reparaissent  : 
ils  forment  une  association  dont  les  membres  doivent 
savoir  un  métier,  et  beaucoup  sont  ouvriers.  Pas  de 
distinction  de  condition  et  de  rang.  Le  travail  est  la 
seule  noblesse.  Les  uns,  comme  Wilhelm  et  ses  amis, 
émigrent  en  Amérique;  les  autres  vont  défricher  des 
terres  incultes  dans  le  vieux  monde  ;  d'autres  demeurent 
où  il  sont;  tous  emploient  sérieusement  leurs  forces  et 


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W%  LITTÀRATUne   ALLEMANDE 

leurs  facilités.  L^œorre  manque  de  suite  et  de  liaitOD. 
GcBthe,  fatigué)  n*a  même  pas  pris  la  peine  de  Tacheyer, 
et»  pour  la  gonfler,  il  y  a  jeté  pèle-mèle  des  nouvelles  et 
divers  morceaux  qui  ne  se  rattachent  aucunement  au 
sujet,  des  réflexions  sur  le  neptunisme  et  le  volcanisme, 
sur  les  préparations  anatomiques,  sur  la  littérature  et 
l'art.  Les  nouvelles  offrent  la  même  idée  que  le  reste  de 
Touvrage,  l'idée  qu'il  faut  se  modérer  et  se  mattriser; 
mais,  si  plusieurs  renferment  de  charmants  détails,  elles 
interrompent  le  cours  du  roman.  Est-ce  même  un  roman 
que  cette  série  d'événements  presque  toujours  exposés 
dans  des  lettres  et  des  journaux?  Et  la  langue,  hélas! 
n'a-t»elle  pas  quelque  chose  de  raide  et  de  guindé? 

Pourtant,  depuis  le  Z)iVa/i,  il  y  avait  en  Gœthe  une 
dernière  floraison.  11  n'admirait  plus  exclusivement  ces 
Grecs  qui,  comme  il  dit,  révèrent  le  mieux  le  rêve  de  ta 
vie; il  louait  l'architecture  gothique  et  la  peinture 
flamande;  il  allait  sur  les  bords  du  Rhin  visiter  les  collec- 
tions de^  frères  Boisserée;  il  répétait  qu'il  n'était 
enchainé  à  personne,  qu'il  ne  pouvait  se  contenter  d'une 
seule  façon  de  penser.  De  même  qu'il  inclinait  toujours 
vers  Spinoza  sans  repousser  les  monades  de  Leibniz  et 
rimpératifcatégoriquedeKaht,demème  il  aimait  Phidias 
sans  mépriser  Van  Eyck.  Il  devenait  éclectique.  Il  s'eflTor- 
çait  de  démêler  dans  les  grandes  œuvres  des  divers 
peuples  ce  qui  présentait  un  intérêt  général  et  il  assurait 
que  le  moment  était  arrivé  de  fonder  une  littérature  uni* 
verselle  qui  serait  constituée  par  les  esprits  éminents  de 
toutes  les  nations.  Il  n'avait  plus  aucune  fonction  offi- 
cielle et  depuis  que  Charles-Auguste  avait  permis,  en  1817, 
qu'un  chien  habilement  dressé  (dans  le  Chien  JCAubry)^ 
parût  sur  la  scène,  il   ne  dirigeait  plus  le  théâtre  de 


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LB  XVII 1*»  61ECLB  295 

Weimar.  Il  lisait  Byron,  Manzoni,  les  articles  du  Globe. 
Il  «iftivait  d'un  regard  attentif  le  mouvement  littéraire  de 
la  Restauration.  Il  jugeait  dans  sa  revue,  Ari  et  ArUU 
quitéf  ainsi  que  dans  ses  conversations  avec  le  bon  et 
fidèle  Eckermann,  la  poésie  contemporaine.  S'il  vieillis- 
sait, il  conservait  sa  vivacité  d'intelligence  et  sa  fraioheur 
de  sentiment.  En  1822,  à  l'âge  de  soixante-quatorxc  ans, 
aux  bains  de  Marienbad,  il  tombe  éperdûment  amoureux 
d'Ulrique  de  Levezow,  dont  il  pourrait  être  le  grand-père  ; 
il  veut  l'épouser  —  Christiane  était  morte  en  1816  —  et 
lorsqu'il  se  sépare  d'elle  pour  toujours,  VElégie  de 
Marienbady  bien  qu'un  peu  obscure  et  diffuse  et  trop 
hâtivement  composée,  témoigne  de  l'ardeur  de  sa  passion 
et  de  la  jeunesse  de  son  cœur. 

Gœthe  mourut,  le  22  mars  1832,  a  quatre«vingt«trois 
ans,  dans  l'éclat  de  la  gloire  et  au  milieu  des  regrets  de 
l'Europe  entière  qui  vénérait  en  lui  le  patriarche  des  lettres. 
Il  venait  de  terminer  son  Faust,  l'œuvre  de  sa  vie  entière. 

Dès  1772,  le  personnage,  dont  il  connaissait  la  légende 
par  la  pièce  de  marionnettes  et  par  le  livre  populaire, 
avait  hanté  son  esprit.  Quand  il  se  rend  k  Weimar, 
en  1775,  il  apporte  une  esquisse  du  Fausty  VUrfauety  le 
Fauêt  primitif,  fragment  admirable,  la  plus  belle  chose, 
avec  Werther,  que  le  «  Sturm  und  Drang  »  ait  produite, 
mais  qui  n'est  qu'un  fragment.  Et  c'est  encore  un  frag- 
ment,.malgré  ses  additions  et  corrections,  que  le  Faust 
qui  voit  le  jour  en  1790;  Gœthe  l'intitule  Faust,  Frag- 
ment. Mais,  en  1808,  parait  le  Faust  définitif,  le  premier 
Pauetf  le  seul  qu'on  examine  ici,  et  ce  Faust,  remanié  et 
achevé  sur  les  conseils  de  Schiller,  doit  former  un 
ensemble,  doit,  selon  l'expression  même  de  Schiller,  et  de 
Gœthe,  renfermer  une  idée. 


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LITT£R4TUnE  ALLEMANDE 


Dans  un  prologue  dont  la  scène  est  au  ciel,  le  Seigneur 
et  Méphisto  s'entretiennent  de  Faust.  «  Que  pariez-vous? 
dit  Méphisto  au  Seigneur,  vous  perdrez  Faust,  si  vous- me 
donnez  la  permission  de  le  mener  doucement  dans  ma 
voie.  »  Le  Seigneur  accepte  la  gageure.  «  Soit,  répondit^ 
i\,  détourne  cet  esprit  de  sa  source  première,  et,  si  tu 
peux  le  saisir,  fais-lui  descendre  ta  route  ;  mais  tu  seras 
confondu  si  tu  dois  reconnaître  qu'un  homme  bon,  dans 
l'obscur  instinct  qui  le  pousse,  a  bien  conscience  du  droit 
chemin.  »  Faust  est  donc  l'enjeu  d'une  lutte  entre 
Dieu  et  le  diable,  et  Dieu  peut-il  perdre   son  pari? 

Après  ce  prologue,  parait  Faust  au  milieu  de  ses  bou- 
quins. Dépité,  attristé  de  ne  rien  savoir,  il  s'adonne  à  la 
magie;  il  ouvre  un  livre  mystérieux  écrit  de  la  main* même 
de  Nostradamus;  il  évoque  les  esprits.  Surgit  l'Esprit  de 
la  terre;  Faust  ne  supporte  pas  la  terrible  vision,  et, 
lorsqu'il  s'enhardit,  lorsqu'il  prétend  être  l'égal  de  l'Es- 
prit, l'Esprit  le  repousse.  Désespéré,  Faust  conclut  un 
pacte  avec  le  diable.  Au  retour  d'une  promenade,  il  ren- 
contre un  barbet  qui  n'est  autre  que  Méphisto,  et  il  le 
laisse  échapper.  Mais,  lorsque  Méphisto  se  présente  en 
gentilhomme,  Faust  consent  à  signer  d'une  goutte  de  son 
sang  un  inviolable  traité  :  Méphisto  lui  obéira  au  moindre 
geste,  et  lui,  Faust,  compte  désormais  ignorer  le  repos; 
il  deviendra  la  proie  de  Méphisto,  s'il  dit  jamais  à  l'heure 
qui  vole  :  «  Arrète-toi,  tu  es  si  belle!  >  Méphisto  l'em- 
mène. Que  Faust  cesse  de  spéculer,  de  ressembler  à  l'ani- 
mal qui  pait  dans  une  bruyère  aride  sans  remarquer  aux 
alentours  la  verte  prairie  !  Les  deux  compagnon  s  se  rendent 
d'abord  à  Leipzig,  dans  la  taverne  d'Auerbach,  où  Méphiato 
mystifie  de  joyeux  étudiants,  puis  dans  la  cuisine  d'une 
sorcière  qui  fait  boire  à  Faust  un  breuvage  rajeunissant, 
et  Faust,  entraîné  par  Méphisto,  séduit  Marguerite. 


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LB  XVIll^   SIÈCLE  S97 

Il  y  a  donc  dans  le  premier  Faust  trois  caractères  prln- 
cipaax,  Méphisto,  Faust  et  Marguerite. 

Personnage  tragi-comique,  poli  et  léché,  comme  il  dit 
lui-même,  par  la  civilisation,  portant  un  habit  écarlate 
galonné  d'or,  un  manteau  de  soie  étoffée,  une  plume  de 
coq  au  chapeau,  une  longue  épée  pointue,  voire  de  faux 
mollets,  se  piquant  d'être  cavalier  et  se  faisant  appeler 
monsieur  le  baron,  spirituel,  gouailleur,  amusant,  drôle, 
sentant  son  xviii*  siècle,  mattre  dans  l'art  du  persiflage, 
s'entretenant  avec  Dieu  sur  un  ton  léger  et  désinvolte,  se 
moquant  de  dame  Marthe  en  paroles  plaisantes  et  bouf- 
fonnes, analysant  les  travers  et  les  vices  de  l'homme  avec 
une  verve  mordante  et  une  intarissable  ironie,  grossier 
toutefois  et  cynique,  mêlant  à  ses  airs  de  bon  enfant  je  ne 
sais  quoi  de  sinistre  et  de  vraiment  diabolique,  n'ayant 
qu'un  amer  sarcasme  pour  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé,  ne 
voyant  dans  la  vie  qu'une  farce  et  dans  la  vertu  qu'un 
mot,  Méphisto  est  l'implacable  réaliste  qui  raille  et  traite 
de  folie  tout  enthousiasme,  toute  aspiration  généreuse, 
tout  effort  héroïque.  Faust  ne  se  plaint-il  pas  que  cet  inso- 
lent et  indispensable  compagnon  le  ravale  à  ses  propres 
yeux,  qu'un  souffle  de  Méphisto  réduit  à  rien  ses  meilleures 
joies,  que  ce  démon  se  repait  du  mal  qu'il  fait  aux  hommes 
et  se  délecte  de  leur  perte  ?  Mais  cet  esprit  négatif — <k  je 
suis,  dit-il,  l'esprit  qui  toujours  nie  »  —  travaille  contre 
lui-même  :  il  pousse  Marguerite  au  désespoir,  et  par  suite 
au  repentir  et  ii  l'expiation  ;  il  jette  Faust  dans  le  plaisir 
et  l'action,  et  Faust  lui  échappe  en  préférant  l'action  au 
plaisir.  Selon  sa  propre  définition,  Méphisto  fait  le  bien 
en  voulant  le  mal  et,  selon  le  mot  du  Seigneur,  il  est  néces- 
saire à  l'homme  dont  l'activité  pourrait  aisément  s'endor- 
mir si  le  diable  ne  la  stimulait.  Le  monde^  disait  Goethe 
un  jour,  est' un  orgue  dont  le  diable  meut  les  soufflets. 


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298  LITTÉRATURB   ALLEMANDE 

En  revanche,  Faust  eat  ridéaliste.  Il  poursuit  la  vérité 
et  il  désire  Tétreindre,  désire  pénétrer  jusqa'à  l'idée  que 
les  mots  lui  cachent,  désire  connaître  non  Técorce,  mais 
l'essence  des  choses,  leurs  germes,  leurs  causes,  leurs 
forces,  et  c'est  pourquoi  il  se  livre  à  la  magie  plus  pots*' 
santé  que  la  science.  Le  grand  Esprit  le  dédaigne,  la 
nature  se  ferme  devant  lui,  et,  dans  son  déoeuragement, 
il  songe  au  suicide.  Les  chants  de  Pâques  qui  lui  rappel* 
lent  son  heureuse  enfance,  la  venue  du  printemps,  la  joie 
des  promeneurs,  les  hommages  des  paysans  le  renga^pent 
dans  la  vie  et  le  rendent  à  la  terre.  Quelle  vision  sublime 
il  évoque  alors  quand  il  souhaite  avoir  des  ailes  pour 
suivre  le  soleil  en  un  divin  essor,  le  jour  devant  lui  et  la 
nuit  derrière  lui,  le  ciel  au-dessus  de  sa  tête  et  le  flot  sotts 
ses  pieds  !  Même  dans  le  pacte  qu'il  conclut  avec  le  diable 
se  révèle  l'idéaliste,  et  il  a  constamment  une  élévation, 
une  noblesse  d'âme  que  Méphisto  ne  comprend  pas.  Il 
voudrait,  non  pas  seulement  jouir,  mais  épuiser  toutes 
les  émotions,  tout  le  bien  et  tout  le  mal  ;  il  voudrait  souf*- 
frir;  il  se  voue,  dit-il,  à  la  jouissance  la  plus  douloureuse. 
S'il  s'étourdit  et  se  précipite  dans  le  tourbillon  des  aven- 
tures, l'esprit  domine  en  lui  la  matière,  et  sa  volonté  de 
vivre  pleinement,  c'est,  quoi  qu'il  fasse,  outre  le  désir  de 
jouir,  le  désir  de  savoir  et  le  désir  d'agir.  La  taverne 
d'Auerbach  et  la  cuisine  de  la  sorcière  ne  lui  inspirent 
que  du  dégoût.  Lorsqu'il  aime  Marguerite,  il  s'attendrit, 
se  perd  dans  de  chastes  rêves.  (1  lui  jure  un  éternel  amour 
et  s'il  entraine  la  pauvre  fille  à  l'abime,  il  a  des  remords, 
des  transports  de  beau  désespoir.  Le  Seigneur  ne  dit-il 
pas  dans  le  prologue  que  Faust  est  son  serviteur,  est  un 
homme  bon?  Faust  représente  l'humanité  dans  sa  gran- 
deur et  sa  bassesse;  c'est  le  surhomme  qui  est  en  chacun 
de  nous  et  qui  demande  à  l'existence  plus  qu'elle  n'a. 


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LX  XVIII*   8IEGLB  2M 

quiy  êuivant  le  mot  même  du  docteur,  sent  toujours  la 
miaère  et  Tétroitesee  de  cette  vie  et  aspire  cepeodant  à 
posséder  Tinfini;  c'est  rhomme  inquiet,  insatiable,  qui 
court  du  désir  à  la  jouissance  et  qui  dans  la  jouissance 
regrette  le  désir,  rhomme  aux  deux  âmes,  Tune  qui 
s'attache  à  la  terre  et  l'autre  qui  s'élance  vers  le  ciel. 

La  touchante  figure  de  Marguerite,  coulée  d'un  seul  jet 
dès  1775,  n'a  pas  la  même  complexité  que  la  figure  de 
Faust  et  que  celle  de  Méphisto.  Simple,  ingénue^  candide, 
exempte  de  coquetterie^  Marguerite  ignore  qu'elle  est 
belle;  elle  reste  confuse  devant  Faust,  elle  ne  comprend 
pas  ce  qu'il  trouve  en  elle,  elle  lui  dit  qu'elle  a  les  mains 
vilaines  et  rudes,  elle  lui  raconte  qu'elle  fait  le  ménage, 
elle  lui  demande  naïvement  s'il  croit  en  Dieu.  Elle  devient 
eriminelle  :  sa  mère  meurt  du  narcotique  qu'elle  lui 
donne,  son  frère  tombe  sous  l'épée  de  Faust,  elle  noie 
0on  enfant.  Pourtant,  elle  garde  à  nos  yeux  sa  grâce  et 
aa  pureté.  Goethe  a  su,  dans  une  succession  de  scènes 
rapides  et  poignantes  qui  ne  nous  laissent  pas  le  loisir  de 
la  juger,  la  peindre  si  malheureuse  et  si  repentante  !  Nous 
la  voyons  mouillant  de  ses  larmes  les  fleurs  qu'elle  oOre 
a  la  Vierge,  courbant  la  tète  sous  la  malédiction  frater- 
nelle, brisée  de  douleur  quand  elle  entend  le  Diea  irse 
sous  les  voûtes  de  la  cathédrale,  prise  de  folie  dans  son 
cachot  lorsque  Faust  se  présente  pour  la  délivrer,  et  après 
avoir  recouvré  la  raison,  refusant  de  suivre  son  bien-aimé 
qui  maintenant  lui  fait  horreur  parce  qu'elle  a  conscience 
de  ses  fautes  et  parce  qu'elle  voit  ce  Méphisto  dont  l'as- 
pect lui  a  toujours  serré  le  cœur  !  Aussi  ce  n'est  pas  en 
vain  qu'elle  invoque  Dieu  le  père  et  les  anges;  elle  est 
sauvée,  arrachée  au  démon. 

Du  reste,  pas  un  personnage  du  premier  Faust  qui  ne 
soit  vivant  :  l'étudiant  dont  Méphisto  se  moque  et  qui 


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300  LITTÉRATURE  ALLEMANDE 

dans  la  seconde  partie  se  moque  a  son  tour  de  Méphisto; 
les  buveurs  de  la  taverne  d'Auerbach;  Valentin,  le  rude 
et  bonnète  soldat;  dame  Marthe,  l'entremetteuse;  le 
famulus  Wagner,  ce  pédant  h  Tesprit  sec  et  borné,  déjà 
vieux  malgré  sa  jeunesse,  qui  n'envia  jamais  l'aile  de 
Foiseau,  qui  ne  cesse  de  questionner  Faust  pour  grossir 
son  bagage  de  science,  qui  ne  s'attache  qu'aux  formules, 
qui  ne  trouve  que  des  vers  de  terre  en  cherchant  des 
trésors  et  que  cette  trouvaille  rend  tout  aise  ! 

Ces  figures  si  expressives,  une  foule  de  passages  d'ttne 
poésie  incomparable,  le  charme  d'une  langue  originale 
que  Boie  admirait  déjà  dans  VUrfaust^  d'une  langue 
forte,  nerveuse,  si  forte  et  si  nerveuse  qu'aucun  vers 
n'est  faible,  voilà  ce  qui  fait  du  premier  Faust  comme 
la  seconde  Bible  des  Allemands  et  la  plus  grande  œuvre 
de  leur  littérature.  Ce  serait  la  perfection  s'il  formait 
un  tout  bien  ordonné.  Mais,  composé  à  différents  inter- 
valles, il  a  les  mêmes  défauts  qu'f^mo/i^.  Tasse  et  Meiater^ 
obscurités,  contradictions,  invraisemblances,  et  Gœthe 
avouait  que  son  poème  était  un  fragment,  qu'il  n'avait 
pas  plus  d'unité  que  les  Nibelungen,  que  le  hasard  et 
le  caprice  y  régnaient.  Le  monologue  de  la  forêt  est^il 
à  sa  place  véritable?  Que  la  nuit  de  Walpurgis  soit  un 
chef-d'œuvre  que  les  romantiques  n'ont  su  égaler,  que 
l'intermède  d'Obéron  et  de  Titania  soit  une  piquante 
satire  littéraire,  ces  épisodes  ne  troublent-ils  pas  l'har- 
monie de  l'ensemble?  Qu'est-ce  que  l'Esprit  de  la  terre? 
Utile  dans  VUrfaust  et  dans  le  Faust  de  1790,  n'est-il  pas 
superflu  dans  le  Faust  définitif?  Comment  Méphisto 
dépend-il  à  la  fois  de  l'Esprit  de  la  terre  et  du  Seigneur 
qui  tous  deux  le  donnent  à  Faust  pour  compagnon? 
Pourquoi,  dans  la  scène  où  de  barbet  il  devient  écolier,  se 
plaint-il  de  n'avoir  aucune  prise  sur  la  race  des  hommes, 


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LB   XVIll*  8ISCLB  801 

et  pourquoi,  bien  que  Faust  le  presse  de  conclure  un 
pacte,  veut-il  à  tout  prix  s'éloigner?  Pourquoi,  dans  la 
scène  suivante,  au  lieu  de  a  mener  Faust  tout  doucement 
dans  sa  voie  »,  comme  il  l'avait  promis,  lui  fait-il  signer 
le  pacte?  Faust  vendant  son  âme,  Faust  consentant  à 
servir  Méphisto  dans  Tautre  monde  frappe  de  nullité  tous 
ses  efforts  sur  cette  terre,  et  dès  lors  k  quoi  bon  le  pari 
du  Seigneur?  La  conception  des  personnages  s'était  trop 
souvent  modifiée  dans  l'esprit  de  Goethe,  et  c'est  ainsi 
que  le  premier  Faiist^  de  même  que  le  second,  a  été 
l'objet  de  tant  d'interprétations  qui,  chacune,  ont  leur 
grain  de  vérité. 

Il  ne  faut  pas  oublier,  en  tout  cas,  que  le  premier  Faust, 
en  son  noyau  et  sa  substance,  date  de  la  période  du 
f(  Sturm  und  Drang  d,  que  Faust  est  né  dans  l'imagina-  * 
tion  de  Gœthe  à  la  même  heure  que  Gœtz  et  Werther, 
que  Wieland  disait  en  1796  ;  «  Méphisto,  c*est  Merck  et 
Faust,  c'est  Gœthe  ».  Dans  ses  Mémoires,  Gœthe  n'écrit- 
il  pas  que  Merck  et  lui  étaient  toujours  ensemble  comme 
Faust  et  Méphisto?  Il  y  a,  en  effet,  dans  Méphisto  quel- 
ques traits  de  ce  Merck  dont  l'ironie  âpre  et  digne  de 
Swift  a  souvent  refroidi  l'enthousiasme  de  son  jeune 
ami.  Quant  à  Gœthe,  n'était^il  pas,  en  1775,  selon  le 
mot  de  Stolberg,  un  Titan  qui  s'élevait  contre  Dieu?  11 
a  sûrement  éprouvé  les  sentiments  qu'il  met  dans  la 
bouche  de  son  Faust.  Comme  Faust,  il  a  tâché  de  péné- 
trer les  mystères  de  l'alchimie  ;  comme  Faust,  il  a  con- 
templé avec  ravissement  le  spectacle  de  l'activité  univer- 
selle et  tenté  de  saisir  la  nature  infinie;  comme  Faust,  il 
a  reconnu  la  vanité  de  la  science;  comme  Faust,  il  a 
aimé  une  Marguerite;  mais  il  a  su  se  contenir,  se 
modérer;  il  n'a  pas,  comme  Faust,  fermé  ses  oreilles  à 
l'éternel  refrain  a  Tu  dois  renoncer!  »  On  peut  même 


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303  LITTlkBATUBB  ALLEMANDE 

croire  que^  6*il  prdte  à  Faust  la  fougue  de  ses  inspirations; 
les  élans  de  son  orgueil  et  l'agitation  profonde  de  son 
Âme,  il  prête  pareillement  a  Méphisto  oe  qu'il  a  de  scep» 
ticisme,  sa  propre  pénétration,  son  regard  perçant  qui 
Yoit  Tenvers  des  choses  et  devine  les  lâchetés  da  cœur, 
et  aussi  cet  esprit  mordant  et  incisif,  cette  vivacité,  cette 
verve,  cette  verdeur  d'humour  qu'il  déployait  dans  les 
pièces  bouffonnes  de  sa  jeunesse.  Comme  Werther  et 
Albert,  comme  Clavijoct  Carlos,  comme  Tasse  et  Antonio, 
Faust  et  Méphisto,  quoique  très  différents  l'un  de  l'autre, 
ressemblent  à  celui  qui  les  créa,  ils  représentent  chacun 
un  côté  de  Gœthe  et,  souvent,  très  souvent,  que  Faust 
ou  que  Méphisto  parle,  c'est  le  poète  qu'on  entend  parler. 
Ne  voulait-il  pas,  assure  un  contemporain  en  1780, 
«  greffer  dans  le  Faust  toute  sa  connaissance  des 
hommes  »  ? 

Sais-moi!  crie  Méphisto  à  Faust  dans  la  prison  où 
délire  Marguerite^  et  Faust  suit  Méphisto.  Il  faut,  en 
effet,  que  le  héros  voie  le  grand  monde,  après  le  petit; 
il  faut,  comme  disait  Gœthe,  qu'il  s'élève  dans  de  plus 
hautes  régions;  il  faut  qu'il  aille  à  la  cour,  qu'il  aime 
Hélène,  ainsi  que  dans  la  légende  «  De  là  le  second  Faosl* 
Dès  1800,  Gœthe  compose  le  début  de  l'épisode  d'Hélène; 
en  1824,  il  reprend  le  poème;  en  1831,  il  écrit  les 
dernières  scènes.  Mais  il  cède  alors,  et  plus  que  jamais^ 
k  la  manie  de  l'abstraction  et  du  symbolisme  ;  pas  d'action; 
pas  d'ensemble;  des  tableaux  qui  se  succèdent  sans  se 
lier  ni  s'enchaîner  ;  des  personnages  qui  ne  sont  que  des 
allégories;  beaucoup  de  poésie,  des  morceaux  lyriques 
du  plus  vif  éclat,  des  scènes  superbes  et  variées,  et  toute* 
fois  trop  de  philosophie,  trop  de  science.  Que  d'allusions 
à  la  querelle  des  neptuniens  et  des  plutoniens!  Fanst 
même  et  Méphisto  vieillissent,  comme  leur  créateur;  ils 


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LE  X Vil  10  SIBCLE  SOS 

n  aat  plus  la  même  vigueur,  et  Méphieto,  l'immortel 
démon  qui  parle  êingulièrement  de  ses  «  vieux  jours  », 
(aible,  bavard,  ridicule,  n'est  plus  le  Méphisto  de  la 
première  partie.  Aussi,  un  acteur  de  Weimar  qui  jouait 
les  deux  Faustf  disait*il  que  le  premier  était  Toeuvre 
d'un  génie,  et  le  second  l'œuvre  d'un  conseiller  intime. 

Le  second  Faust  comprend  cinq  actes.  An  premier 
aete,  Faust,  guéri  du  désir  de  savoir  —  s'il  n'a  pu  regar- 
der le  soleil  en  face,  il  a  pu  fixer  l'arc-en-ciel  qui  brille 
sur  la  cascade  -*-  se  rend  à  la  cour  de  l'empereur  :  il 
crée  le  papier-monnaie  ;  il  sauve  ainsi  ce  César  dont  le 
trésor  est  vide;  puis,  après  l'avoir  enrichi,  il  l'amuse. 
L'empereur  veut  voir  Hélène,  et  pour  évoquer  ce  type  de 
la  beauté  absolue,  Faust  descend  chez  les  Mères  qui 
gardent  les  Idées,  principes  des  choses.  Au  retour,  il 
évoque  Hélène  ;  mais  dès  qu'il  l'aperçoit,  il  lui  voue  tout 
son  être,  il  se  précipite  vers  elle  pour  la  saisir,  une 
explosion  se  produit,  Hélène  disparait,  Faust  tombe 
défaillant  et  Méphisto  le  transporte  dans  son  cabinet 
d'étude. 

Au  deuxième  acte,  Homunculus,  un  petit  homme 
fabriqué  par  Wagner,  devine  que  Faust  n'a  plus  d'autre 
désir  que  de  revoir  Hélène  et  ne  guérira  que  sur  le  sol 
de  la  Grèce.  Ici  s'ouvre  une  seconde  nuit  de  Walpurgis, 
cette  nuit  classique  qui  devait,  disait  Gœthe,  donner 
de  l'occupation  aux  philologues.  Homunculus,  Faust, 
Méphisto,  emportés  dans  l'air  sur  un  manteau  magique, 
descendent  dans  les  champs  de  Pharsale  où  une  fois 
l'an  reviennent  tous  les  personnages,  même  les  plus 
étranges,  de  la  mythologie  grecque.  Homunculus,  qui 
n'est  qu'un  pur  esprit,  n'a  pas  quitté  la  fiole  lumineuse 
où  il  naquit;  cette  fiole  se  brise  contre  le  char  de  Galathée, 
et  Homuneulus  s'évapore.  Méphisto  prend  la  figure  d'une 


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304  LITT£RATURB  ALLEMANDE 

Phorkyade.  Quant  à  Faust,  il  demande  lUlène  aux 
Sphinx,  à  Chiron  et  à  la  devineresse  Manto,  qui  le 
conduit  chez  Proserpine,  à  Tentrée  des  enfers,  comme 
jadis  elle  conduisit  Orphée.  Le  poète  n*a  pas  osé  £ûre  la 
scène  où  Faust  aurait,  par  son  éloquence,  arraché 
Hélène  à  Proserpine  touchée  jusqu'aux  larmes. 

Au  troisième  acte,  sans  nulle  transition,  il  nous  montre 
Hélène  que  les  Grecs  ont  reprise  et  qui  précède  à  Sparte 
Ménélas  irrité.  Sur  le  conseil  de  Méphisto-^Phorkyade, 
elle  se  réfugie  chez  des  hommes  du  Nord  qui  sont  venus 
s*établir  au  sommet  du  Taygète  ;  elle  s'unit  à  Faust,  leur 
chef,  qui  l'emmène  dans  l'idyllique  Arcadie;  elle  lui 
donne  un  fils,  Buphorion,  enfant  merveilleux,  hardi, 
turbulent,  qui  veut  s'élever  vers  le  ciel  et  qui,  semblable 
à  Icare,  retombe  et  meurt;  Hélène  le  suit  dans  les  enfers 
en  ne  laissant  à  Faust  que  ses  vêtements.  Cet  acte  est  le 
plus  étincelant  et  le  plus  magnifique  du  poème  ;  la  langue 
de  Gœthe  n'eut  peut-être  jamais  autant  de  noblesse  et 
de  majesté;  Hélène  emploie  les  trimètres  iambiques  du 
drame  grec  jusqu'à  ce  que  Faust,  dans  une  scène 
gracieuse,  lui  enseigne  la  rime.  Mais  les  personnages  ne 
sont  que  des  fantômes;  Hélène,  c'est  la  poésie  classique, 
et  Faust,  c'est  Gœthe,  l'auteur  de  Gœtz  et  de  Werther; 
l'union  d'Hélène  et  de  Faust,  c'est  l'alliance  de  l'art 
antique  et  de  l'esprit  moderne  ;  Euphorion,  c'est  la  poésie 
nouvelle,  c'est  aussi  lord  Byron! 

Au  quatrième  acte,  Faust,  éprouvé  par  cette  grande 
aventure,  a  résolu  de  trouver  le  bonheur  dans  l'activité. 
Agir,  lutter,  vaincre,  voilà  ce  qu'il  désire,  et  il  voudrait 
refouler  l'Océan  et  lui  arracher  des  rivages  stériles  pour 
les  féconder.  Il  retrouve  l'empereur,  commande  ses 
armées,  leur  donne  la  victoire,  grâce  à  la  magie,  et,  en 
récompense,  obtient  les  terres  qu'il  saura  ravir  à  la  mer. 


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LB  XVIII*   SIÈCLE  305 

Il  réuBdit.  Au  cinquième  acte,  il  a  refoulé  rOcéan, 
fertilisé  le  sol  que  Teau  reèouvrait  naguère,  et  conquis 
un  royaume.  Mais  il  n'est  pas  satisfait  :  il  lui  faut  la 
hauteur  où  deux  vieillards,  Philëmon  et  Baucis,  ont  leur 
ermitage;  Méphisto,  outrepassant  ses  ordres,  brûle  la 
maisonnette,  et  les  deux  vieux  périssent.  Repentant, 
Faust  rompt  avec  la  magie  et  abjure  tout  égoïsme;  il 
défie  le  Souci  qui  Taveugle;  il  décide  d'achever  son 
labeur,  de  dessécher  un  marais  pestilentiel,  et,  en  pensant 
à  la  joie  qu'il  éprouverait  s'il  voyait  de  nouveaux  espaces 
assainis  et  peuplés,  il  s'écrie  qu'il  suspendrait  volontiers 
le  cours  du  temps,  qu'il  dirait  volontiers  à  l'heure  qui 
vole  :  <c  Arrète-toi,  tu  es  si  belle  !  >  De  par  ces  mots,  il 
appartient  à  Méphisto,  et  Méphisto,  à  bon  droit,  appelle 
aissntAt  les  démons  pour  le  happer.  Le  diable  a  compté 
sans  le  Seigneur.  Dieu  peut*il  abandonner  celui  qu'il  a 
promis  de  c  conduire  a  la  lumière  »?  Faust  doit  être 
sauvé.  S'il  s'est  trompé,  il  a  peiné,  il  a  lutté,  il  s'est 
dévoué  à  l'humanité,  et  ses  constants  efforts  ont  racheté 
ses  fautes.  Et,  pour  reprendre  les  mots  du  Seigneur 
dans  le  prologue,  Méphisto  a-t-il  pu  saisir  Faust?  Faust 
a»t*il  descendu  jusqu'au  bout  la  pente  où  Méphisto 
l'entraînait?  A-t*il,  comme  Méphisto  s'en  vantait  à 
l'avance,  mangé,  de  même  que  le  serpent,  la  poussière 
avec  délices?  N'a*t-il  pas  toujours  eu  conscience  du  droit 
chemin?  Méphisto  a  gagné  son  pari  avec  Faust,  il  l'a 
perdu  avec  Dieu.  Quoi  qu'il  en  soit.  Dieu  fait  un  coup 
d'État.  Les  anges  profitent  de  l'émoi  de  Méphisto  qui 
conçoit  à  leur  vue  de  grossiers  désirs,  pour  lui  souffler 
sa  proie;  ils  emportent  l'àme  de  Faust  au  séjour  des 
bienheureux;  Marguerite  intercède  pour  elle  au  séjour  de 
la  mère  de  Dieu  :  c  l'éternel  féminin  nous  élève  aux 
oieux  ». 

LirrillATOl»   ALLRMAKDB.  20 


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a06  LITTéBATORB  ALLEMANDE 

Ce  qui  frappe  d'abord  dans  Gœthe,  c'est  le  feu  d'ane 
grande  intelligence  qui  refuse  de  se  confiner  et  qui 
s'ouvre  à  toutes  les  connaissances ,  c'est  l'étendae, 
l'universalité  de  son  génie.  Il  y  avait  en  lui  et  un  artiste 
et  nn  savant.  Ce  poète  s'est  fait  un  nom  dans  la  science  : 
le  premier,  il  a  exposé  la  théorie  de  l'unité  de  composi* 
tion  organique  dans  les  végétaux;  il  a  prouvé  l'existence 
de  l'os  intermaxillaire;  il  a  été  le  précurseur  de  Geoffroy 
Saint*Hilaire. 

<  Les  artifices  du  talent  importent  peu,  s'écriait-il  en 
1827,  l'œuvre  doit  montrer  la  grande  personnalité  de 
l'auteur.  »  Cette  grande  personnalité  ressort  de  tout  ce 
qu'il  a  écrit.  Napoléon  avait  raison  de  lui  dire  :  «  Vous 
êtes  un  homme  ».  Gœthe  était  un  homme  complet»  un 
mattre  homme,  un  homme  qui  sut  développer  l'ensemble 
de  ses  facultés,  un  homme  —  et  ce  sont  les  termes  dont  il 
se  sert  en  jugeant  Shakespeare  —  dont  l'esprit  comme  le 
corps  fut  toujours  et  entièrement  sain  et  vigoureux.  Ne 
lit*-on  pas  dans  une  lettre  de  sa  jeunesse  quMl  ne  cesse  de 
travailler  et  qu'en  travaillant  il  monte  un  degré  de  plus? 
Le  mot,  un  peu  subtil,  qu'il  adresse  dans  sa  vieillesse  k 
Hafiz  :  <(  Ce  qui  fait  ta  grandeur,  c'est  que  tu  ne  sais 
finir  »,  n'est-ce  pas  un  éloge,  l'éloge  même  de  Gœthe, 
l'éloge  de  sa  longue  et  géniale  fécondité?  Aller  en  avant, 
progresser,  s'ennoblir,  se  perfectionner,  se  porter  plus 
loin  dans  toutes  les  directions  de  la  pensée,  tel  fut  cons- 
tamment, de  son  propre  témoignage,  le  désir  et  le  des- 
sein de  Gœthe. 

Il  a  peut-être  été  le  plus  grand  poète  des  deux  derniers 
siècles.  Sûrement,  il  est,  comme  a  dit  Grillparzer, 
l'incarnation  de  la  poésie  allemande.  Quel  autre  que  lui 
représenterait  l'Allemagne  dans  un  congrès  littéraire? 
Nul   n*a  fait  une   œuvre  plus  diverse  et  plus  vaste;  il 


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LE   XVIIl*   SIECLE  307 

aborda  la  plupart  des  genres  et,  sans  exceller  dans  tous« 
il  ne  fut  médiocre  dans  aucun. 

Romancier,  il  a  composé  Werther^  qui  seul  suffirait  à 
sa  gloire.  Dramatiste,  il  manque  de  vigueur,  il  ne  noue 
pas  fortement  l'action,  et  il  avait,  reconnait-il,  la  nature 
trop  conciliante  pour  être  un  tragique  ;  mais  il  a  trouvé 
de  belles  situations,  et  ses  drames  offrent  une  succession 
de  tableaux  attachants  et  des  caractères  marqués  en 
traits  justes  et  fins.  Poète  épique,  il  a  fait  Hermann  et 
Dorothée j  qui  reste,  selon  le  mot  de  Platen,  l'orgueil  de 
l'Allemagne  et  la  perle  de  l'art.  Romancier,  dramatiste, 
poète  épique,  il  peint  surtout  les  qualités  de  la  femme, 
sa  beauté,  sa  grâce,  sa  tendresse,  son  dévouement,  son 
charme  apaisant,  ce  qu'il  y  a  en  elle  d'attirante  puissance. 
Ses  créations  féminines  remportent  de  beaucoup  sur  ses 
caractères  d'hommes.  Il  y  mêle  l'idéal  et  la  réalité.  Les 
femmes  qu'il  peint,  grandes  dames  ou  filles  du  peuple, 
rappellent  celles  qu'il  aima.  Mais  il  leur  donne  le  prestige 
de  la  poésie  et  tout  ce  que  son  imagination  sait  trouver 
de  délicat  et  de  séduisant.  Ne  disait-il  pas  que  les  femmes 
sont  le  seul  vase  où  puisse  aujourd'hui  se  verser  l'idéal? 
Sa  Marguerite,  c'est  à  la  fois  la  Gretchen  de  Francfort, 
son  premier  amour,  et  Frédérique  Brion,  et  Charlotte 
BnfT;  mais  ni  Gretchen,  ni  Frédérique,  ni  Charlotte 
n'avaient  cette  candeur,  cette  naïve  pureté  qu'il  a  répandue 
sur  Marguerite. 

Tel  est  son  caractère  distinctif,  et  lui-même  cite  là- 
dessus  un  mot  profond  de  Merck  :  (c  Tu  es  né  pour 
transformer  la  réalité  en  poésie,  et  les  autres  cherchent 
à  réaliser  le  prétendu  poétique,  l'imaginatif  ».  Il  écrit 
pour  se  délivrer  des  émotions  qui  le  troublent,  il  chante 
sa  douleur  pour  s'en  affranchir,  et  ses  vers,  ses  romans 
nous  touchent  par  ce  que  nous  y  cherchons  et  trouvons 


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308  LlTTéllATORË  ALLEMANDE 

du  destin  et  des  sentiments  de  Tanteur  ;  sa  vie  y  parait 
d'un  bout  à  Tautre;  ils  expriment  l'état  de  son  âme.  Mais 
il  fait  en  même  temps  œuvre  d'art.  Ainsi  que  dans  ses 
Mémoires^  il  amalgame  fiction  et  vérité,  il  adoucit  ce 
qui  lui  semble  trop  cru^  il  écarte  ce  qui  ne  répond  pas  à 
son  rêve  de  perfection,  il  ajoute,  il  retranche,  il  medi&e, 
et,  de  la  sorte,  il  trace  un  harmonieux  tableau.  Il  a, 
d'ailleurs,  le  génie  plastique;  il  a,  comme  le  Hans  Sacbs 
qu'il  glorifie  en  1776,  ce  regard  pur  et  clair  qui  vent  les 
choses  et  les  rend  siennes  — *-  l'œil  n'est*il  pas  «  l'organe 
avec  lequel  il  embrasse  le  monde  »?  -~  il  a  cette  sobre 
vigueur  qui  fait  jaillir  les  contours  avec  une  netteté 
saisissante  et  un  puissant  relief. 

Il  est  surtout  poète  lyrique^  et,  s'il  amène  parfois,  selon 
ses  propres  termes,  l'eau  des  autres  à  son  moulin  et  si, 
comme  témoigne  un  de  ses  amis,  c'était  sa  manière  de  se 
laisser  exciter  à  la  production  par  ses  grands  devanciers, 
il  imite  ses  modèles  sans  les  copier;  il  greffe  sur  leurs 
pensées  son  propre  sentiment;  jamais  il  ne  se  déprend 
de  lui-même,  et  sa  poésie,  fût-elle  inspirée  par  autrui, 
porte  toujours  sa  marque.  Ce  qu'il  célèbre  de  préférence, 
c'est  l'amour;  il  le  célèbre  sur  tous  les  modes,  et  grâce 
a  la  souplesse  de  son  talent,  grâce  à  la  fraîcheur  et  à  la 
sincérité  de  ses  impressions,  il  varie  sans  cesse  cet  unique 
sujet.  C'est  qu'il  chante  non  seulement  les  joies  de 
l'amour,  mais  ses  souffrances;  aux  yeux  de  Gœthe,  les 
souffrances  de  l'amour  sont  aussi  des  joies  :  quand  il 
regrette  dans  le  prologue  du  Faust  ses  premières  années, 
il  redemande  le  douloureux  bonheur  de  la  passion,  et  la 
Claire  de  son  Egmont  dit  que  le  seul  être  heureux,  c'est 
celui  qui  aime,  soit  qu'il  jette  au  ciel  un  cri  d'allégresse, 
soit  qu'il  s'afflige  jusqu'à  la  mort. 

Il  a  manié  merveilleusement  la  langue  poétique,  et  la 


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LB  XVJII*  81KCLB  «W 

critique  loue  unanimemeiit,  Bans  pouvoir  la  définir,  la 
oadance  de  ses  vers,  la  musique  de  se»  rimes,  la  magie 
des  sons  qu'il  emploie.  Mais,  ainsi  que  le  roi  de  son 
Chanteur j  il  verse  dans  une  coupe  d*or  le  meilleur  des 
▼ÎBS,  un  vin  aussi  salutaire  qu'il  est  exquis.  Il  nommait 
poésie  tyrtéenne  la  poésie  qui  nous  anime  de  vaillance  et 
nous  rend  propres  ii  soutenir  les  luttes  de  Texistence*  Telle 
est  souvent  sa  poésie.  Il  ne  se  borne  pas  a  demander 
que  l'homme  soit  noble,  seoourable  et  bon.  Dans  ses  vers 
et  dans  sa  prose,  il  nous  apprend  «  l'art  de  se  conduire 
avec  art  »  ;  il  nous  montre  la  poésie  latente  des  vertus 
domestiques,  nous  enseigne  que  le  bonheur  consiste  dans 
l'activité  quotidienne,  dans  Taccomplissement  journalier 
de  notre  tache.  Ne  dit-il  pas  qu'il  laisserait  aux  dieux 
leur  vaste  ciel  s'ils  donnaient  à  l'homme  courage  et 
fermeté?  Ne  dit-^il  pas  que  les  lâches  pensers  ne  nous 
font  pas  libres  et  que  tenir  bon,  ne  pas  fléchir,  c'est 
appeler  à  soi  les  bras  des  dieux?  Ne  dit*il  pas  encore 
que  l'homme  qui  se  surmonte  lui-même  soutient  la  plus 
difficile  des  épreuves,  et  que  celui-là  seul  peut  régner 
<pii  fait  abnégation  de  soi;  que  celui*lk  seul  mérite  la 
liberté  comme  la  vie  qui  doit  chaque  jour  la  conquérir; 
que  vivre,  c'est  combattre;  que  l'action  est  une  fête? 

Autour  de  Schiller  et  de  GkBthe. 

Après  avoir  apprécié  Schiller  et  Gœthe,  il  faut  passer 
en  revue  quelques-uns  de  leurs  contemporains  qui  n'ont 
pas»  comme  eux,  appartenu  dans  leur  jeunesse  au  Sturm 
und  Drang» 

De  leur  vivant  régnait  la  philosophie  de  Kant  (1724- 
1804).  Si  tortueux  qu'il  soit  et  bien  que  chargé  de 
parenthèses  et  d'incidentes,   le  style  de  Kant  est  pur. 


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SIO  LITTBRATIinB  ALLBNANOB 

clair,  précis.  Son  influence  fut  considérable.  Il  disait 
que  la  seule  chose  au  monde  qui  ait  une  valeur  absolue 
est  une  bonne  volonté,  qui  subordonne  tout  au  devoir; 
que  le  devoir  se  présente  à  notre  conscience  comme  un 
ordre  absolu,  comme  un  ce  impératif  catégorique  »;  mais 
que,  malgré  cette  obligation,  l'homme  est  libre  puisqu'il 
n'y  a  pas  de  moralité  sans  liberté  et  que  l'idée  de  liberté 
est  le  point  d'Archimède  où  la  raison  fixe  son  levier. 
De  Kœnigsberg  où  il  professait,  et  de  la  Prusse  Orien- 
tale sa  doctrine  se  répandit  dans  l'Allemagne.  Le  gendre 
de  Wieland,  Reinhold,  l'enseignait  a  léna,  et  Schiller 
déclarait  que  le  philosophe  avait  éclairé  son  esprit  d'une 
lumière  bienfaisante.  Fichte  fit  le  pèlerinage  de  Kœnigs* 
berg.  Seume  (1763-1810),  qui  rappelle  k  la  fois  Haller  et 
Schiller  dans  ses  poésies  lyriques  et  qui,  dans  son  auto* 
biographie  et  sa  Promenade  à  Syracuse^  a  raconté  les 
curieuses  aventures  de  sa  vie,  relève  de  Kant  par  sa 
stoïque  énergie.  Nombre  déjeunes  gens  qui  combattirent 
en  1813  pour  l'indépendance  étaient  des  disciples  de 
Kant,  et  la  Prusse  Orientale  fut  dans  les  années  de  ser- 
vitude et  de  soulèvement  le  foyer  du  patriotisme  alle- 
mand. 

Mais,  à  la  fin  du  xviii'  siècle,  les  Allemands  ne  for- 
maient pas  une  nation,  et,  malgré  Lessing,  malgré 
Schiller  et  Goethe,  il  n'y  avait  pas  de  théâtre  national. 
Vainement  Gœtz  de  Berlichingen  avait  fait  école. 
Qu'étaient-ce  que  les  drames  chevaleresques  qu'il  sus- 
cita? On  n'y  voyait  que  manoirs  pris  d'assaut  et  des 
séances  de  la  Vehme.  L'influence  française  subsista  donc. 
Gœthe  traduisit  le  Mahomet  de  Voltaire  pour  rappeler 
ses  compatriotes  k  la  mesure,  k  la  décence,  k  la  noblesse 
du  style,  et  Schroder,  quoiqu*un  dévot  de  Shakespeare, 
demandait  des  pièces  françaises  k  Gotter,  k  ce  Gotter 


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LB  XVIII'   BIBCLB  311 

qui  défendait  obstinémeut  les  Français  et  accusait  son 
siècle  d'injustice  envers  eux. 

Le  drame  bourgeois  fut  en  faveur,  et  une  pièce  de 
Gemmingen,  le  Père  defamiUe  (1782),  imitée  de  Diderot, 
obtint  un  grand  succès. 

Iffland,  acteur  et  directeur  de  même  que  Schrôder, 
très  fécond,  désireux,  comme  il  dit,  de  mener  le  public 
au  bien,  plut  par  des  tableaux  de  mœurs  qui  représen- 
taient la  vertu  triomphante  :  les  Chasseursy  le  Joueur ^  les 
CèUbatairea, 

Kotzebtte  (1761-1819)  aborda  tous  les  genres,  la  farce 
comme  la  tragédie,  et  composa  plus  de  deux  cents  pièces. 
Son  œuvre  la  plus  célèbre,  parue  en  1789,  est  Misan* 
ihropie  et  Repentir^  que  Gottfried  Kôrner  jugeait  avec 
raison  un  misérable  produit  dans  la  manière  larmoyante 
d'Iffland.  Ce  qu'il  a  fait  de  mieux,  c'est  la  Petite  ville 
allemande  où  il  raille  avec  esprit  la  manie  des  titres  et 
les  travers  des  habitants  d'une  petite  ville,  leurs  commé- 
rages, leur  sot  orgueil.  11  n'enfonce  pas  dans  les  carac- 
tères et  ne  se  soucie  pas  de  la  vérité.  Ses  personnages, 
femmes  déchues  ou  demi-vierges,  jeunes  beaux  ou  vieux 
marcheurs,  se  ressemblent  tous  :  pas  d'émotion  sincère, 
pas  de  vraie  passion,  et,  s'ils  sont  comiques,  ils  touchent 
à  la  caricature;  avec  cela,  la  sensiblerie  du  xviu^  siècle 
et  des  tirades  contre  la  civilisation  qui  corrompt  les 
âmes.  Joseph  Chénier  ne  disait-il  pas  que  ces  pièces  vul- 
gaires rappelaient,  sans  les  surpasser,  les  mélodrames 
de  nos  petits  théâtres?  Kotzebue  fut  toutefois  un  amu- 
seur; il  avait  un  sens  très  aiguisé  du  ridicule,  de  la  viva- 
cité, de  la  pétulance,  du  brio,  de  la  malice;  il  noue 
l'intrigue  et  conduit  le  dialogue  avec  dextérité  ;  il  sait 
tendre  la  situation  et  produire  de  gros  effets. 

Pas  plus   que   le  théâtre,    l'histoire   n'avait   chômé. 


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3U  litubaatueb  allbiiandb 

Uelin  décrivit  à  grands  traits  l'histoire  de  Thiiinanité. 

Juste  MOser  (1720-1794)  esprit  original,  défendant 
Arlequin  contre  Gottsched  et  la  littérature  allemande 
contre  Frédéric  II,  célébrant  à  la  Klopstock  les  Aile* 
mands  de  jadis,  quelquefois  paradoxal  puisqu'il  plaide 
pour  le  droit  du  plus  fort  et  pour  le  servage,  très  con- 
servateur puisqu'il  s'oppose  aux  innovations,  très  avanoé 
pourtant  puisqu'il  combat  la  centralisation  et  la  bureau* 
cratie,  souhaite  l'instituûon  du  jury  et  prophétise  les 
armées  nationales,  Juste  Môser  fit  une  Histoire  iOsna^ 
bruck  qui  sort  des  limites  de  la  ville  et  déroule  les  des* 
tins  de  la  constitution  germanique;  il  vivra  surtout  par 
les  articles  ingénieux,  solides,  vigoureux  qu'il  a  recueîUis 
dans  ses  Fantaisièë  patriotiques. 

Schlozer  (1735*1809)  publia  un  journal  qui  dénonça 
les  abus  et  qui  donna  de  fréquentes  alarmes  aux  tyran- 
neaux allemands.  Il  fit  une  Histoire  universelle*,  mais  il 
n'aimait  ni  les  arts  ni  les  petits  Etats,  et  il  avoue  ignorer 
ce  que  c'est  que  le  style. 

Jean  de  Mûller  (1752-1809)  était  en  revanche  un  sty- 
liste et  il  se  pique  de  l'être;  il  imite  Tacite;  mais  son 
style,  ferme  sans  doute,  est  trop  bref,  trop  saccadé,  trop 
sentencieux.  On  lui  préféra  Schiller  et  un  ancien  capi- 
taine, Archenholtz,  qui  raconta,  d'après  Lloyd  et  Tem- 
pelhof,  V Histoire  de  la  guerre  de  Sept  Ans;  Archenholts 
admire  Frédéric  et  sa  manière  est  claire^  rapide  et 
chaleureuse. 

Le  révolutionnaire  Georges  Forster  (1754-1794)  mérite 
une  place  a  la  suite  des  historiens.  La  relation  de  son 
Voyage  autour  du  monde  (1777)  a  de  la  fraîcheur  et  de 
l'agrément;  il  narre  avec  vivacité  ses  impressions  et 
décrit  les  îles  de  la  mer  du  Sud  en  un  style  chaud  et 
coloré.  Quel  tableau  que  celui  des  indigènes  de   Taîti 


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LB  XVIU*  81ÉCLB  M8 

accourant  sur  leurs  canots  à  la  rencontre  des  Européens 
en  agitant  des  Teailles  vertes  et  en  criant  tayo\  Après 
avoir  lu  Porster,  l'Europe  s'imagina  que  Taîti  était  un 
paradis  terrestre.  Un  autre  récit  de  Forster,  Les  Vues  du 
Rkm  inférieur  (1791),  donne  l'idée  de  son  esprit  mobile, 
brillant,  presque  universel.  Il  porte  son  attention  sur 
toutes  choses,  arts  et  sciences,  commerce  et  industrie, 
politique;  il  entremêle  aux  détails  et  aux  faits  des 
réflexions,  des  considérations  générales.  S'il  a  de  la 
recherche  et  de  l'apprêt*,  s'il  vise  à  la  distinction  et  à  une 
sorte  d'élégance  académique,  s*il  a  trop  travaillé  certains 
paasages  de  son  œuvre  et  négligé  certains  autres,  sa 
langue  a  du  mouvement,  de  l'éclat,  de  la  variété. 

Comme  toujours,  les  poètes  pullulaient.  Klopstock 
suscita  toute  une  lignée  d'imitateurs.  Son  Messie  fut  suivi 
d'une  foule  de  «  patriarchades  »  :  Bodmer  fit  un  Noé; 
Widand,  un  Abraham;  Frédéric-Charles  de  Moser,  un 
DanieL  Pareillement,  sa  poésie  germanique  déchaîna  le 
ce  hurlement  »  ou  «  rugissement  »  des  bardes.  On  chanta 
la  Germanie  et  les  dieux  klopstockiens  et  le  clair  de  lune 
et  le  chêne  de  Braga  :  poésie  bavarde  et  creuse,  disait 
Herder,  qui  n'a  su  trouver  qu'un  vain  cérémonial,  un 
costume  d'emprunt  et  des  mots  retentissants  !  Les  plus 
connus  de  ces  bardes  sont  Kretschman,  qui  prit  le  nom 
de  Rhingulph,  et  le  jésuite  Denis  (1729-1800).  Denis  fut 
en  son  temps  le  coryphée  de  la  littérature  viennoise  et 
durant  près  d'un  demi-siècle  le  panégyriste  officiel  de 
l'Autriche.  Disciple  de  Klopstock  qu'il  proclamait  le  plus 
grand  des  bardes  de  Teut,  il  se  nommait  lui-même  le 
barde  de  Joseph  et  se  flattait  de  devenir  le  Joseph  des 
bardes. 

D'autres  relèvent  des  poètes  de  Gœttingue  et  notam- 
ment de  Holty  :  Salis,  Matthisson,  Tiedge. 


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314  LITTiRATUBE  ALLBNANOB 

Salis-Seeipvis  (1762-1834)  compare  Paris,  plein  de 
bruit  et  de  fumée»  aux  montagnes  des  Grisons,  sa  patrie. 
Chose  curieuse,  cet  homme  qui  vit  les  premières  scènes 
de  la  Révolution  et  Técroulement  de  la  confédération 
suisse,  n'a  guère  chanté  que  la  nature.  Mais  il  a  de  la 
grâce  et  de  la  douceur.  Il  dit  son  village  enfoui  dans  les 
buissons,  le  tilleul  planté  devant  l'église  sur  la  place  où 
danse  la  jeunesse,  le  clocher  où  perche  la  cigogne,  la 
maison  paternelle,  et  ses  fenêtres  encadrées  de  vigne,  et 
son  petit  toit  vers  lequel  se  courbe  un  poirier;  il  croit 
entendre  encore  le  son  des  cloches,  et  en  rêve  il  navigue 
sur  le  lac,  secoue  les  pommiers  du  verger,  caeille  les 
myrtilles  des  bois. 

Matthisson  (1761-1831),  trop  vanté  par  Schiller,  a  bien 
décrit  le  paysage  littéraire,  le  paysage  que  de  grands 
poètes  ont  rendu  célèbre  par  leur  séjour  ou  par  leurs 
œuvres.  Correct,  aisé,  harmonieux,  il  manque  de  force 
et  d'originalité.  Son  Elégie  sur  les  ruines  d'un  vieux 
château  passa  jadis  pour  une  merveille;  elle  semble 
maintenant  froide  et  banale. 

Tiedge  (1752-1841)  n'a  qu'une  élégance  fade  dans  ses 
odes  et  ses  élégies.  Son  poème  philosophique  en  six 
chants,  Uranie  (1801),  traite  clairement,  mais  longue- 
ment, ennuyeusement  de  l'immortalité  de  Tame. 

D^autres  ont  subi  l'influence  de  Wieland  :  Thûmmel, 
qui  dans  ses  Voyages  au  midi  de  la  France^  dans  l'/zio- 
culation  de  l'amour^  dans  WiUielmine  fait  preuve  d'une 
grande  facilité,  d'une  certaine  verve,  d'une  observation 
assez  profonde;  Musâus  qui,  dans  ses  Contes^  a,  sinon 
de  la  naïveté,  du  moins  de  la  malice  et  de  Thumour; 
le  Strasbourgeois  de  Nicolay  qui  mit  en  vers  des  épisodes 
d'Ârioste  et  de  Bojardo;  deux  Autrichiens,  Blumauer  qui 
travestit  V Enéide  sans  égaler  notre  Scarron,  et  Âlxinger, 


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LB   XVIll*   SlkCLE  Sli 

\t  plat  et  fastidieux  auteur  d'un  Doolin  de  Mayence;  le 
médecin  Kortum  dont  les  étudiants  lisent  encore  Tamu- 
santé  Jobaiade. 

Un  compatriote  et  élève  de  Schiller  mérite  une  place  à 
part.  C'est  le  faible  et  mélancolique  HOlderlin  (1770- 
1843)  qui  de  bonne  heure  devint  fou.  Il  manie  avec  sou- 
plesse les  mètres  antiques  et  il  joint  la  concision  à  Thar- 
monie.  Nul  n'a  mieux  chanté  la  nuit  rêveuse  et  triste  qui 
brille  sans  se  soucier  de  nous  sur  la  cime  des  monts,  le 
Neckar,  ses  prairies  et  les  saules  de  ses  rives,  Heidel- 
berg,  son  vieux  château  entouré  de  lierre,  ses  rues  qui 
reposent  au  milieu  des  jardins,  et,  sans  les  avoir  vus,  il 
a  décrit  avec  une  fine  précision  les  paysages  de  la  Grèce. 
La  Grèce,  voilà  sa  vraie  patrie,  et  il  nomme  Smyrne, 
Ilion  et  les  îles  d'Ionie  les  c  charmes  de  la  terre  »  ;  il 
regarde  les  Grecs  comme  des  hommes  uniques.  Son 
roman  à^Hyperion^  en  forme  de  lettres  et  dans  une  belle 
et  noble  prose,  représente  un  Grec  qui  combat  les 
Turcs  et  prend  Sparte  d'assaut,  mais  qui,  désespéré  de 
commander  a  des  brigands,  désespéré  d*avoir  perdu  sa 
bien-*aimée  Diotime  et  de  trouver  en  Allemagne  un 
peuple  déchiré,  se  réfugie  dans  la  nature  :  il  rappelle 
donc  et  Ardinghello  et  Werther.  De  même,  dans  La  Mort 
JCEmpédoclcj  le  héros,  inquiet  et  orgueilleux,  tient  h  la 
fois  de  Werther  et  de  Prométhée  ;  il  se  jette  dans  l'Etna 
et  il  finit  comme  Hôlderlin  voulait  finir.  Hyperion  n'est- 
il  pas  panthéiste  et  ne  dit-il  pas  que  le  comble  de  la  joie, 
c'est  d'être  un  avec  tout  ce  qui  vit? 

Hyperion  est  un  des  six  h  sept  mille  romans  qui  paru- 
rent de  1773  à  1800.  Les  uns  copiaient  les  romans  anglais, 
Richardson,  Sterne,  Fielding  :  le  Sebaldus  Nolhanker  de 
Nicolaï;  le  Siegfried  de  Lindenberg  de  MQller  d'Itzehoe; 
le    Voyage  de  Sophie^  de  Memel  en  Saxe  où  Hermès 


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SIG  LITTBRATDBB  ALLBIIANDB 

entasse  sermons  sur  sermons  et  tâche  vainement  d*avoir 
de  Thumoar  ;  les  deux  romans  de  Hippel,  les  Biographies 
en  ligne  ascendante  et  les  Courses  à  travers  champs  du 
che9aUer  A^Z^  œuvres  bizarres,  toufiues,  décousues ^ 
qui,  de  même  que  son  livre  Sur  le  mariage^  renferment 
pourtant  une  foule  d'intéressants  détails  et  de  tratia 
spirituels. 

Les  autres  copient  Werther  et  Siegwart. 

D'autres  sont  des  autobiographies  sur  le  modèle  des 
Confessions  de  Rousseau.  Un  ami  de  Gœthe,  auteur  d*uae 
Pi*osodie  allemande  et  d*un  ingénieux  traité  sur  Timita- 
tion  du  beau,  Moritz  (1757^1793)  a  retracé  sa  jeanesae 
dans  un  livre  assez  long  et  mal  composé,  mais  trèa  atta<* 
chant,  Antoine  Reiser,  Des  tableaux  de  la  vie  bourgeoise, 
Finfluence  du  mysticisme  de  Mme  Guyon  sur  certains 
esprits,  le  développement  d'une  âme  incertaine  encore, 
généreuse  et  tourmentée  du  besoin  de  Tidéal,  les  aveo* 
tures  de  Reiser,  les  émotions  qu*excitent  en  lui  les 
œuvres  littéraires  de  l'époque,  ses  fautes,  son  repentir, 
sa  passion  du  théâtre,  ses  relations  avec  de  célèbres 
acteurs,  tout  cela  fait  de  ce  récit  un  vrai  «  roman  psycho- 
logique »  et  c'est  le  sous-titre  que  Fauteur  donne  fort 
justement  k  son  œuvre. 

D'autres  romans,  ceux  de  Charles-Gottlob  Cramer, 
d'Auguste  Meissner,  de  Spiess,  de  Vulpius,  calqués  sur 
Gœtz  ou  sur  les  Brigands  et  le  Visionnaire^  sont  des  his* 
toires  de  chevaliers,  de  bandits  et  de  revenants.  Les 
plus  fameux  sont  le  Rinaldo  Rinaldini  de  Vulpius  et 
VAheUino  de  Zschokke. 

D^autres,  comme  ceux  d'Auguste  Lafontaine  qui  devint, 
selon  le  mot  de  Heine,  plus  célèbre  que  Gœthe  parce 
qu'il  écrivait  sans  discontinuer,  sont  fades,  doucereux 
et  démesurément  longs. 


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LB  XVIII*  SIECLE  317 


Jean-Paul. 

De  tous  les  romaDciers  de  cette  fin  de  siècle,  le  plus 
remarquable  est  Jean«Paul  Richter  (1763-1825),  que  la 
plupart  des  contemporains  mettaient  à  côté  de  Schiller 
et  de  Goethe.  Ses  premières  œuvres,  les  Procès  groen^- 
landais  et  les  Papiers  du  diable^  sont  des  satires,  et  il 
n'était  alors,  comme  il  dit,  que  Técho  de  sa  bibliothèque. 
La  Loge  invisible,  inachevée,  invraisemblable,  inaugura 
sa  véritable  manière.  Hespérus  fit  de  lui  l'écrivain  à  la 
mode  :  le  roman  est  étrange,  obscur,  compliqué^  mais 
ce  qui  ravissait  le  public,  c*était  la  description  des  clairs 
de  lune  et  des  parcs  anglais,  c'était  la  peinture  des 
«  hommes  hauts  »  qui  méprisent  la  terre  et  désirent  la 
mortf  c'était  le  style  cadencé,  rythmé,  musical  de 
l'auteur,  c'était  son  idéalisme,  son  naïf  enthousiasme 
pour  les  belles  âmes,  des  tirades  enflammées  sur 
l'amour,  le  tendre  hommage  qu*il  rendait  à  la  femme, 
la  pitié  profonde  qu'il  portait  à  tous  les  êtres,  sa  sensi* 
bilité  larmoyante.  Puis  vinrent  des  idylles  où  Jean-Paul 
n  retracé  ses  premières  années  et  ce  qu'il  a  goûté  ou 
cru  goûter  de  poétique  et  de  romanesque  dans  l'enfance, 
ce  mai,  cet  Eden,  cet  âge  d'or  de  l'homme  :  Wuz^  Fixlein^ 
Siebenkds  et  le  Jubelsenior.  Il  y  célèbre  la  tranquille 
existence  des  pauvres  gens  avec  ses  petits  événements 
et  ses  joies  intenses.  Pourtant,  le  héros  de  Siebenkds 
cherche  en  vain  l'amour  dans  la  société  bourgeoise  et 
juge  que  les  femmes  comme  les  plantes  et  les  fleurs  ont 
sur  les  hauteurs  plus  de  suc  et  de  parfum.  Mais  bientôt 
Jean-Paul  connut  la  vie  des  cours,  et  son  Titan  montre 
qu'on  ne  pent  réaliser  l'idéal  dans  le  grand  monde. 
Albano  voit  Liane,  son  premier  amour,  renoncera  lui; 


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318  LITTBRATVRB  ALLBMANDB 

il  voit  Linda,  la  Titanide,  son  deuxième  amour,  la  femme 
énergique,   passionnée,   géniale,  succomber  misérable-* 
ment;  il  voit  Roquairol,  le  Titan,  si  brillant,  si  auda- 
cieux,  si  éloquent,   se  démasquer  comme  un  cynique 
libertin  et  se  tuer  d'un  coup  de  pistolet  sur  le  théâtre  ;  il 
voit  Scboppe,  son  précepteur,  l'impitoyable  humoriste, 
devenir  fou  :  il  se  contente  d'épouser  Idoine  et  de  gou- 
verner son  duché.  Le  Titan  devrait  donc  s'appeler  VAnti-- 
Titan  et  il  a  la  même  conclusion  que  WilheUn  MetMter 
et  que  Faust.  Par  malheur,  Jean-Paul  a  trop  insisté  sur 
l'éducation  d'Albano,  et  les  personnages  qu'il  a  le  mieux 
peints,  c*est  non  pas  Âlbano,  c'est  le  Titan  et  la  Tita* 
nide,  c'est  Roquairol  et  Linda.  Il  revint  dans  son  élé- 
ment, et   les   FlegelfahrCf    roman   humoristique,   bien 
qu'inachevé,  offre  plus  de  clarté,  plus  de  simplicité  que 
ses  ouvrages   antérieurs  :   les  deux  héros^  deux  frères 
jumeaux,  Walt  et  Vult,  ont  le  langage  qui  leur  sied  : 
l'un,  naïf,  sentimental,  rêveur,  gauche,  s'exprime  longue- 
ment et  non  sans  douceur;  l'autre,  hardi,  satirique,  iro- 
nique, pratique^  a  la  parole  brève  et  saccadée.  Jean»PauI 
suivit  sa  veine.  Dans  ses  derniers  romans,  quoique  avec 
moins  de  succès,  il  représente  des  originaux  :  Schmelzle, 
Katzenberg,  Fibel,  Marggraf.   Il  a  fait,  en  outre,  des 
œuvres    philosophiques    :    la     VaUée    de    Campan   qui 
démontre  l'immortalité  de  l'âme,  V Introduction  à  [esthé- 
tique qui  renferme  de  curieux  chapitres  sur  l'esprit  ot 
l'humour,  la  Leçana  qui  contient  d'excellents  préceptes 
sur  l'éducation    des   jeunes  filles.  Mais    son    style   est 
insupportable.  Il  veut  le  rendre  «  phosphorescent  »,  y 
«  tirer  les  feux  d'artifice  les  plus  variés  »,  et  certes  il  a 
ce  qu'il  nommait  le  lyrisme  de  l'esprit,  le  lyrisme   du 
WitZj  —  ce  mot  qui  se  rencontre  souvent  sous  sa  plume. 
—  Il  est  ingénieux,  fécond  en  métaphores,  en  compa- 


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LE   XVII  I<^   SIÈCLE  319 

raisons  et  en  antithèses.  Ne  disait-il  pas,  comme  Ewald 
de  Kleisty  qu'il  faisait  la  chasse  aux  images?  Est-ce  un 
style  cependant  que  cet  assemblage  heurté  d'images 
ramassées*  de  toutes  parts?  Jean-Paul  recueillait  avec 
soin  sous  des  rubriques  diverses  les  traits,  les  anec* 
dotes,  ce  qu'il  trouvait  de  curieux  dans  ses  lectures,  et 
de  ces  recueils  qui  finirent  par  remplir  une  bibliothèque, 
de  cette  vaste  collection  de  cahiers,  de  ces  «  carrières  », 
il  tirait  les  rapprochements  et  les  analogies,  les  con- 
trastes et  les  oppositions  qu'il  «c  fourrait  »,  de  son  propre 
aveu,  dans  ses  récits.  De  là,  tant  de  digressions,  tant  de 
périodes  et  de  phrases  entortillées,  tant  de  passages 
amphigouriques,  tant  d'étrangetés  et  d'obscurités;  Jean- 
Paul  écoule  ses  fiches.  Sans  doute  il  a  peint  d'une  façon 
saisissante  les  petits  côtés  de  la  vie  réelle;  il  a  peint 
dans  Wuzy  dans  Fixlein  et  Siebenkâs  de  jolies  scènes 
d'intérieur,  de  merveilleux  tableaux  de  genre;  il  a  de  la 
verve;  il  a  des  réflexions  piquantes,  des  remarques  pro- 
fondes. Mais  il  lui  manque  la  mesure,  l'ordonnance,  l'art. 
Auerbach  le  compare  justement  à  un  humus  où  tout 
croit,  fleurs,  buissons,  broussailles,  et  où  ne  peut  naître 
un  tronc  haut  et  droit,  une  forêt  aux  cimes  élevées. 
Aussi,  il  n'a  terminé  que  de  courts  récits  et  il  n'a  su 
finir  ses  romans  de  longue  haleine  :  il  manque  d'inven- 
tion  et  il  a  besoin  de  s'appuyer  sur  autrui.  Il  voulut  être 
le  Sterne  de  l'Allemagne;  lourd,  pesant,  il  a  de  Sterne 
l'allure  irrégulière,  et  non  la  grâce. 


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CHAPITRE   X 


LE   XIX*   SIÈCI/Ë 

Le  mooYement  natioDaL  —  Les  poètes  de  1813.  —  Les  romantiquM.  — 
Autour  du  romantisme.  —  Henri  de  Kleist.  —  Rfickert,  Platen,  Immer- 
mann.  —  Les  Souabes.  —  Les  Autriehfens.  — >  Heine  et  la  Jeam 
Allemagne.  —  La  poésie  politique.  — •  Les  néo-romanttqves.  —  Les 
Muniebois.  —  Écrivains  de  tous  pays.  —  Pe  1870  à  1886.  —  De  1885  à 
nos  jours. 

Le  mouyement  natLonal. 

Le  XVIII*  siècle  avait  été  le  sièele  de  rhumanité;  ie 
XIX*  siècle  est  le  siècle  de  la  nationalité. 

Divisée  en  petits  états,  dépourvue  d'une  capitale  litté* 
raire,  riche  en  foyers  intellectuels  où  Toriginalité  des 
talents  se  développait  en  toute  liberté,  l'Allemagne  du 
xviii*  siècle  méritait  le  nom  qu'on  lui  donnait  au  moyen 
âge  :  les  Allemagnes.  Nul  ne  regardait  le  particularisme 
comme  un  péril.  Les  grands  écrivains  se  disaient  cosmo- 
polites. Lessing  jugeait  que  le  patriotisme  était  une 
faiblesse  héroïque  dont  il  se  passait  fort  bien;  Herder, 
que  l'humanité  était  la  vraie  patrie  ;  Schiller,  que  c'est 
un  pauvre  idéal  d'écrire  pour  an  seul  peuple,  qu'il  ne 
faut  même  pas  traiter  de  sujets  nationaux,  qu'un  goût 
barbare  a  seul  besoin  de  ce  stimulant  du  patriotisme,  que 
la  poésie  doit  viser  au  cœur  de  l'homme,  non  du  citoyen, 


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LE  XIX*   SIÈCLE  83t 

et  que  le  génie  n'a  d'autre  salut  que  de  fuir  le  domaine 
du  inonde  réel  pour  se  former  son  propre  monde.  «  Peu 
importe  qui  règne^  s'écriait  Guillaume  Schlegel,  et  com- 
ment tourneront  les  événements,  pourvu  que  la  science 
soit  libre  !  » 

Mais  l'unité  morale  préparait  l'unité  politique.  Créer 
une  littérature  originale,  n'était-ce  pas  créer  la  nation? 
Affranchir  les  lettres  allemandes  de  l'influence  étrangère, 
n'était-ce  pas  donner  à  l'Allemagne  conscience  d'elle- 
même?  Lire  et  admirer  les  mêmes  auteurs,  n'était-ce  pas 
appartenir  à  la  même  communion  et  reconnaître  une 
même  patrie?  Les  drames  de  Schiller,  son  Camp  de 
WcUlenstein  qui  représente  une  soldatesque  de  tous  pays, 
sa  Jeanne  éHArc  qui  célèbre  la  France,  n'inspiraient-ils 
pas  à  tous  les  Allemands  un  égal  enthousiasme?  Les  mots 
de  Tell  «  la  puissance  des  tyrans  a  une  limite...  soyez 
unis,  unis  »,  bien  qu'ils  s'adressent  à  des  Suisses,  n'ont-ils 
pas  ému  le  cœur  de  tous  les  patriotes  d'outre-Rhin?  De 
sa  tombe,  Schiller  combattait  Napoléon. 

La  Révolution  française  guérit  les  écrivains  allemands 
de  leur  cosmopolitisme.  Ils  s'étaient  passionnés  pour  elle. 
Klopstock  saluait  avec  allégresse  l'aurore  des  temps  nou- 
veaux. Schiller  —  ce  Schiller  à  qui  l'Assemblée  légis- 
lative décernait  le  titre  de  citoyen  français  —  écrivait 
que  tous  les  regards,  pleins  d'attente,  se  fixaient  sur  la 
scène  politique  où  se  traitaient  les  grandes  destinées  de 
l'humanité.  Gœthe  disait  que  l'âme  s'élevait  à  ce  spec- 
tacle, que  le  cœur  avait  des  pulsations  plus  libres  et 
plus  pures,  que  Paris  était  la  capitale  du  monde  et  que 
les  peuples  tournaient  leurs  yeux  vers  Paris.  Guillaume 
de  Humboldt  souhaitait  la  victoire  des  Français,  et 
Herder  s'imaginait  que  la  nouvelle  république  serait  une 
république  athénienne.  La  Terreur  les  dégoûta,  et  ils 

LITT^ILATIIIU   ALMMAJIOB  21 


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322  LITTERATUIIB   ALLEMANDE 

ne  virent  bientôt  dans  les  «  modernes  Francs  »  que  des 
conquérants  et  des  oppresseurs.  Uerder  finit  par  déclarer 
que  les  liens  spirituels  ne  suffisent  pas^  qu'une  nation 
n'est  pas  une  nation  qui  ne  sait  se  défendre  contre 
Tétranger,  et  il  exhorta  ses  compatriotes  à  se  réunir 
sous  un  même  drapeau  pour  repousser  Tenvahisseur. 

léna,  l'écrasement  de  la  Prusse,  la  domination  napo- 
léonienne en  Allemagne  achevèrent  de  réveiller  dans  les 
âmes  ridée  de  la  patrie  allemande.  Fichte  était  resté  cos- 
mopolite, et  rÉtat  qui  parvenait  au  plus  haut  degré  de 
civilisation,  lui  semblait  en  1805  la  véritable  patrie.  Après 
léna,  il  affirma  que  les  Allemands  formaient  une  nation 
distincte  et  qui  se  séparait  des  autres  nations  par  la 
langue  et  le  caractère.  Sans  crainte  des  Français  il  pro* 
nonça  ses  Discours  à  la  nation  allemande.  Il  parlait  donc 
à  tous  les  Allemands,  et  il  disait,  comme  Herder,  que 
la  langue  allemande,  originale  et  pure,  ne  peut  devenir 
une  langue  de  vaincus;  que  TAUemagne  est  le  peuple 
par  excellence,  le  peuple  en  soi,  le  Peuple;  qu'il  faut 
régénérer  ce  peuple  par  une  éducation  nouvelle,  par 
l'enseignement  de  la  morale  kantienne  et  par  l'applica- 
cation  des  principes  pédagogiques  de  Pestalozzi;  que 
l'instant  est  décisif;  que  les  Allemands  doivent  périr  on 
combattre;  qu'ils  ne  trouveront  de  secours  qu'en  eux- 
mêmes. 

Schleiermacher  secondait  Fichte.  Lui  aussi,  après 
léna,  pensait  que  l'Allemagne  demeurait  le  cœur  de 
l'Europe,  qu'elle  ne  passait  par  ses  terribles  épreuves 
que  pour  prendre  une  autre  et  plus  belle  forme.  Il  vint 
de  Halle  où  il  professait,  faire  à  Berlin  des  sermons 
destinés  à  réconforter  les  vaincus.  Avec  Fichte  et  sous  le 
ministère  de  Guillaume  de  Humboldt,  il  coopéra  très 
efficacement  k  la  fondation  de  TUniversité  de  Berlin  : 


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LE  XIX"   SIECLE  32S 

selon  lui,  Berlin  serait  dans  TAUemagne  du  Nord  le 
centre  de  Tactivité  scientifique,  et  son  Université,  un  des 
meilleurs  instruments  dont  l'État  prussien  se  servirait 
pour  remplir  sa  mission. 

Tous  ces  cosmopolites  deviennent  patriotes.  Guil- 
laume  Schlegel  exige  des  poètes  qu'ils  fassent  des  vers 
patriotiques  et  il  se  demande  si  la  poésie  ne  doit  pas, 
tant  que  l'indépendance  est  menacée,  céder  la  place  à 
l'éloquence.  Son  frère  Frédéric  assure  qu'il  est  temps 
de  réunir  les  forces  dispersées  de  la  patrie  et  de  répandre 
l'esprit  allemand.  Adam  Millier  fonde  le  Phébus  avec 
Henri  de  Kleist  pour  émouvoir  le  sentiment  national. 
Arndt  publie  dans  sa  prose  ardente  et  âpre  VEsprit  du 
tempe  où  il  s'élève  non  seulement  contre  les  valets  de 
la  France,  mais  contre  les  écrivains  qui  vivent  comme 
des  étrangers  au  milieu  de  leur  peuple,  contre  les  hautes 
et  déraisonnables  idées  de  cosmopolitisme  :  sans  peuple, 
pas  d'humanité;  sans  citoyens  libres,  pas  d'hommes 
libres  ! 

Mais  le  premier  écrivain  politique  de  l'Allemagne,  le  plus 
remarquable  des  publicistes  qui  combattirent  et  la  Révo- 
lution et  Napoléon,  c'est  Frédéric  de  Gentz  (1764-1832). 
Frédéric  de  Gentz  joint  à  l'intelligence,  à  la  sagacité,  à 
la  sûreté  du  coup  d'œil,  à  la  connaissance  des  choses  de 
l'Europe  la  qualité  du  langage,  un  style  plein  de  clarté, 
de  mouvement,  de  force.  Ce  sceptique,  cet  homme  avide 
d'argent  qui  vit  à  la  solde  des  princes,  cet  effréné  jouis- 
seur, ce  blasé  a  rédigé  le  manifeste  de  l'Autriche  en  1813, 
il  a  fait  en  1814  un  éloquent  appel  aux  Allemands,  il  a 
été  le  secrétaire  des  congrès,  il  a  su  mieux  que  personne 
l'histoire  de  son  époque. 

En  même  temps,  l'Allemagne  a  sa  levée  de  poètes,  et 
voici  que  paraissent  les  Tyrtées,  les  chantres  de  la  déli- 


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324  LITTBRATUHB  ALLEMANDE 

vrance.  Eichendorff  souhaite  que  rincendie  du  Tyrol 
s'étende  sur  toute  l'Allemagne,  et  lorsqu'il  voit  au  loin 
briller  les  épées,  il  s'élance  en  jurant  avec  aes  nouveaux 
camarades  de  franchir  le  Rhin  et  d'entrer  à  Paris. 

Fouqué  compose  le  chant  des  chasseurs  volontaires,  le 
plus  populaire  des  chants  de  guerre  d'alors  :  «  Allons, 
partons  pour  la  chasse  joyeuse  !  » 

ROckert  demande  que  la  reine  Louise  soit  la  patronne 
de  Magdebourg  reconquis  et  il  écrit  ses  Sonnets  cuirassés^ 
gravant  d'abord  en  lettres  de  flamme  la  honte  de  son 
peuple,  puis  appelant  les  Allemands  qui  parlent  la  même 
langue  à  resserrer  ce  lien,  le  seul  qui  leur  reste,  et  les 
sommant  de  renoncer  à  l'argent  et  à  l'or  pour  manier  le 
fer,  pressant  la  Prusse  de  donner  l'exemple,  évoquant  le 
vieux  Frédéric  qui  sort  de  la  tombe  pour  marcher  à  la 
tète  de  ses  Prussiens  et  reprendre  son  épéeaux  Invalides, 
célébrant  la  victoire  de  l'Allemagne  sur  le  Corse  ce  prince 
de  la  moi*t  »,  louant  les  femmes  allemandes  qui  ont 
droit  à  la  moitié  de  la  gloire  puisqu'elles  ont  sacrifié  à  la 
patrie  et  leurs  joyaux  et  leurs  fils.  Il  représente 
Frédéric  Barberousse  dormant  sur  son  siège  d'ivoire  dans 
le  Kyffhftuser;  mais  l'empereur  est  toujours  jeune  ;  sa 
barbe  rouge  comme  feu  a  traversé  la  table  sur  laquelle  il 
s'appuie,  et  il  reparaîtra  lorsque  les  corbeaux  ne  voleront 
plus  autour  de  la  montagne,  lorsque  le  peuple  allemand 
aura  vaincu  tous  ses  ennemis. 

Henri  de  Kleist  meurt  en  1811.  Mais  ce  poète  qui 
désire  avoir  une  voix  d'airain  pour  parler  de  la  cime  du 
Harz  à  ses  compatriotes,  magnifie  Palafox  et  l'archiduc 
Charles  «  vainqueur  de  l'invaincu  ».  Dans  l'ode  Germania 
à  ses  enfantSy  il  annonce  la  vengeance,  la  guerre  par  le 
poignard  et  le  poison,  la  lutte  implacable  contre  les 
Français   qui   blanchiront  de  leurs  os  les  plaines  aile- 


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LB  XIX"   SIECLE  315 

mandes.  Dans  le  Catéchisme  des  Allemands  il  fait  dire 
par  un  fils  à  son  père  que  Napoléon  est  un  homme  abo- 
minable, un  esprit  échappé  de  Tenfer.  Dans  un  projet  de 
proclamation  il  montre  Tempereur  François  rétablissant 
l'Empire  et  appelant  aux  armes  tous  les  Allemands  de 
seize  à  soixante  ans.  Une  revue  qu'il  voudrait  créer  et 
qu'il  intitula  Germania,  doit  entonner  le  champ  de 
guerre,  encourager  les  combattants  et  verser  dans  leurs 
codufs  le  mépris  de  la  mort,  convier  les  vierges  alle- 
mandes à  secourir  les  blessés  et  à  sucer  le  sang  de  leurs 
plaies. 

Arndt,  KOrner  et  Schenkendorf  forment  le  grand 
trio  des  poètes  de  la  délivrance. 

Le  plus  énergique  et  le  plus  entraînant  est  Ernest- 
Maurice  Arndt  (1769-1860),  l'auteur  de  VEspril  du 
tempSy  qui  se  fit  poète  aux  jours  du  danger,  Arndt  qui 
s«  montre  alors  tel  qu'il  fut  toujours,  rude,  colérique, 
incapable  d'égards  et  de  ménagements,  mais  fier,  vigou- 
reux, plein  d'un  ardent  amour  pour  la  vérité,  défen- 
dant avec  obstination  la  cause  qu'il  tenait  pour  sacrée 
et  frappant  à  coups  redoublés  sur  l'ennemi.  Il  parle 
sans  artifice  et  sans  art,  et  il  semble  parler  au  nom  de 
la  nation  :  il  y  a  en  lui  quelque  chose  de  Stein  dont  il 
fut  le  compagnon  de  voyage  et  de  propagande.  Il  glo* 
rifiait  Schill,  Scharnhorst,  Gneisenau  et  Blûcher,  le  vieux 
guerrier  à  l'œil  clair  et  aux  cheveux  blancs.  Il  disait  que 
la  patrie  de  l'Allemand  s'étend  aussi  loin  que  résonne  la 
laugue  allemande,  et  une  brochure  qu'il  lançait  à  la  fin 
de  1813  a  pour  titre  ces  mots  qui  sont  vrais  aujourd'hui  : 
LeRhirty  fleuve  de  C  Allemagne,  non  pas  frontière  deVAHe" 
magne!  Lui  aussi  fit  un  Catéchisme  pour  son  peuple;  on 
y  lit  que  la  patrie  et  la  liberté  sont  le  Saint  des  saints 
sur  la  terre,  qu'il  n'y  a  pas  de  plus  saint  amour  que  celui 


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8M  LITTéRATVIIB   ALLEMANDE 

de  la  pntrie  et  pas  de  joie  plus  douce  que  celle  de  la 
liberté,  que  TescloTe  est  une  bête  rusée  et  avide,  et  que 
le  sans-patrie  est  le  plus  infortuné  de  tous  les  hommes. 
Théodore  Kôrner  (1791-1813)  est  le  poète-soldat  et  il 
ne  s'adresse  qu'aux  combattants.  11  n'avait  été  dans  ses 
drames  qu'un  élève  de  Schiller.  Ses  chants  patriotiques, 
réunis  sous  le  titre  Lyre  et  épée^  sont  bien  a  lui.  Son 
talent  n'était  pas  encore  assez  ferme  et  sa  langue  a  je  ne 
sais  quoi  d'un  peu  confus  et  d'incertain.  Mais,  s'il  force 
par  instants  la  voix,  il  ne  fait  pas  de  phrases  creuses  ;  il 
a  de  la  vivacité,  de  la  chaleur,  de  l'enthousiasme,  et  il 
tomba  pour  la  patrie.  D'autres  ont  rimé  des  chants  de 
guerre  à  loisir,  dans  le  silence  du  cabinet,  et  loin  des 
coups  de  fusil.  Kôrner  a  écrit  les  siens  hâtivement,  au 
bivouac,  en  vue  de  l'ennemi,  et  la  mort  le  guettait  pen- 
dant qu'il  exhortait  ses  camarades  à  marcher  au-devant 
d'elle.  Sa  figure  est  une  des  plus  nobles  de  la  littérature 
de  son  pays  et  son  nom  seul  résume  ce  que  le  soulève- 
ment de  l'Allemagne  a  produit  en  1813  de  généreux  et 
d'héroïque.  Il  célèbre  d'abord  le  peuple  qui  s*insurge  et 
l'orage  qui  éclate,  la  lumière  de  la  liberté  qui  vient  du 
Nord,  la  lutte  sainte  qui  s'enflamme.  Puis,  c'est  lui- 
même,  c'est  le  corps  où  il  s'engage,  le  corps  des  chas- 
seurs noirs  de  LOtzow,  les  serments  prêtés  dans  la 
petite  église  silésienne,  le  baptême  du  feu,  la  chasse 
sauvage  de  LOtzow  qui  commence.  Grièvement  blessé, 
le  poète  ramasse  ses  forces  pour  dire  adieu  k  la  vie, 
pour  dire  d'une  lèvre  pile,  tandis  que  sa  blessure  le 
brûle  et  que  son  cœur  bat  plus  faible,  sa  résignation  à  la 
volonté  divine.  Il  est  sauvé,  il  rejoint  son  corps,  et  il 
succombe  après  avoir  composé  son  chant  du  cygne,  le 
Chant  de  Tèpée.  On  l'enterra  sous  un  chêne  en  chantant 
sa    Prière  pendant   le   combat    :    «  Père,  je  t'appelle, 


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LE  XIX*  SIÈCLE  327 

et  de  son  nuage  m'enveloppe  la  fumée  des  canons  »• 
Sous  le  même  chêne,  auprès  de  Théodore  Kôrner,  furent 
inhumés  son  père  Gottfried,  Tami  de  Schiller,  et  sa 
mère,  et  sa  sœur. 

Max  de  Schenkendorf  (1783-1817)  est  moins  connu 
que  Kôrner  et  que  Arndt.  Lui  aussi  a  fait  des  vers  qu'on 
lit  et  cite  encore.  Il  excite,  stimule  ses  compagnons  : 
a  Vous  qui  dormez,  leves-vous  de  terre,  déjà  les  chevaux 
vous  hennissent  leur  bonjour!  »  Comme  Arndt,  il  célèbre 
Schill  et  Scharnhorst,  ce  héros  de  la  Prusse  qui  rompit 
la  plus  belle  des  lances.  Il  s'indigne  que  la  cathédrale 
de  Strasbourg  soit  au  pouvoir  des  Welches  et,  comme 
Arndt,  il  déclare  que  l'Alsace  doit  être  et  sera  la  senti- 
nelle avancée  de  l'Allemagne.  Mais  il  a  plus  de  douceur. 
Il  chante  avec  un  tendre  amour  la  liberté,  cette  angé- 
lique  image  qui  remplit  son  cœur,  et  ce  n'est  pas  sans 
une  mélancolique  émotion  qu'il  évoque  l'antique  splen- 
deur de  l'Empire  germanique.  Il  chante  la.  candeur  et  la 
pureté  de  Tâme  :  après  avoir  vaincu  l'ennemi  extérieur, 
les  Allemands  vaincront  l'ennemi  intérieur,  le  soupçon, 
l'envie  et  la  haine.  Il  chante  le  Seigneur  :  il  voudrait 
le  suivre  toujours,  il  voudrait  pénétrer  dans  le  ciel  pour 
y  trouver  grâce  et  pitié  sur  le  sein  du  Sauveur. 

Ainsi  s'était  réveillé  le  sentiment  national.  Une  guerre 
sacrée,  une  croisade  avait  soulevé  l'Allemagne  contre  la 
France,  et  dès  lors,  toutes  les  âmes  eurent,  selon  le  mot 
de  Radowitz,  la  nostalgie  d'une  Allemagne  une  et  puis- 
sante ;  ce  fut  la  pensée  la  plus  populaire  et  qui  domina 
les  partis. 

Les  romantiques. 

Ce  réveil  du  sentiment  national  était  dû,  en  grande 
partie,  aux    poètes  qu'on  nomme  les  romantiques,   et 


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328  LITTEHATURE  ALLBMANOE 

Tieck,  le  frivole  et  capricieux  Tieck,  se  pique  avec  rai- 
son d'avoir  parlé  de  la  patrie  lorsque  la  plupart  de  ses 
concitoyens  Tinjuriaient  ou  n'y  pensaient  même  pas. 

Frédéric  Schiegel  est  le  théoricien  et  le  hiérophante 
du  romantisme.  Lorsqu'il  se  rendit  de  Weimar  à  Berlin 
en  1797,  il  fréquenta  les  maisons  juives  où  tous  les 
élégants  et  les  hommes  de  talent  se  faisaient  alors  pré- 
senter, et  il  régna  dans  le  salon  de  Mme  Herz.  C'est  à 
Berlin  qu'il  connut  Dorothée  Veit,  Schleier mâcher  et 
Tieck  ;  c'est  là  qu'il  fonda  sa  revue,  VAthensBum^  qui 
dura  deux  ans,  là  qu'il  publia  sous  le  titre  de  Fragments 
et  à^ Idées  et  sous  la  forme  d'aphorismes  à  la  Chamfort 
la  nouvelle  doctrine. 

C'est  la  doctrine  de  l'ironie.  Frédéric  Schiegel  l'a  tirée 
de  la  philosophie  de  Fichte.  Selon  Fichte,  le  moi  est  la 
racine  unique  de  nos  connaissances,  le  centre  de  l'uni- 
vers, le  principe  de  toutes  choses,  et  il  crée  le  monde 
extérieur,  le.  non-moi.  Frédéric  Schiegel  adopte  le 
système  de  Fichte;  mais,  ajoute  Schiegel,  l'artiste  doit 
montrer  qu'il  n'est  pas  gêné,  resserré  par  le  monde  exté- 
rieur, qu'il  est  supérieur  à  son  œuvre  et  qu'il  plane 
souverainement  au-dessus  d'elle,  que  le  créateur  domine 
sa  création  ;  il  peut  <c  jouer  »  avec  son  œuvre,  la  former  à 
son  gré,  l'interrompre  pour  suivre  son  caprice,  l'aban- 
donner  soudain  pour  prouver  qu'il  ne  dépend  pas  d'elle. 

Son  esprit  inquiet  et  mobile  n'en  resta  pas  là.  Il  lut 
les  Anglais,  les  Espagnols,  les  Italiens,  et  il  loua,  exalta 
Shakespeare,  Cervantes,  Dante,  Pétrarque,  Boccace, 
Ârioste;  il  vanta  ce  qu'ils  avaient  de  subjectif;  il  leur 
compara  Jean-Paul  qu'il  éleva  aux  nues.  Il  trouva  une 
définition  du  romantique  :  le  romantique,  c'était  la 
fusion  du  sentiment  et  de  l'imagination,  c'était  un  sujet 
sentimental  revêtu  d'une  forme  fantastique. 


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LE  XIX"  SIÈCLE  829 

Une  fois  entraîné,  il  se  portait  aux  extrêmes.  Du  dua- 
lisme de  Fichte  il  passa  à  l'absolu  de  Schelling,  de  la 
doctrine  de  la  science  à  la  doctrine  de  Tidentité,  et  la 
poésie  devint  à  ses  yeux  toute  la  philosophie,  toute  la 
religion. 

Au  fond^  le  romantisme  était  un  nouveau  Star  m  und 
Drang.  Les  romantiques,  eux  aussi,  rejetaient  les  con- 
ventions sociales.  Eux  aussi  attaquaient  les  rationalistes 
et  les  écrivailleurs  dont  les  Xénies  s'étaient  moqués. 
Ils  attaquaient  et  Nicolai  et  Kotzebue  que  Schelling 
nommait  les  êtres  les  plus  méprisables  du  monde  litté- 
raire. Ils  attaquaient  Wieland  qu'ils  regardaient  comme 
un  plagiaire  et  l'instaurateur  d'une  fausse  antiquité.  Ils 
attaquaient  Schiller,  ses  rimes  souabes  et,  selon  le  mot 
même  de  Schiller,  sa  fièvre  chaude  de  grécomanie. 

En  revanche,  ils  professaient  pour  Oœthe  un  culte 
idolâtre.  Frédéric  Schlegel  proclamait  Gœtbe  le  lieu* 
tenant,  le  représentant  de  la  poésie,  et  il  distinguait 
trois  périodes  dans  le  développement  de  Goethe  :  la  pre- 
mière, celle  du  Gœthe  subjectif  de  Gœtz;  la  deuxième, 
celle  du  Gœthe  mi-subjectif  mi-objectif  de  Tasse;  la 
troisième,  celle  du  Gœthe  objectif  de  Wilhelm  Meister, 
A  son  avis,  Wilhelm  Meister  réalisait  l'idéal  de  la 
littérature  moderne;  c'était  le  roman  par  excellence, 
le  chef-d'œuvre  de  l'esprit  humain,  et,  comme  lui, 
les  romantiques  admiraient  dans  Meister  l'indépendance 
du  poète  et  le  caprice  d'une  imagination  qui  se  jouait 
des  obstacles  et  des  règles.  Que  ne  trouvaient-ils  pas 
dans  ce  livre  merveilleux?  La  poésie  lyrique  et  le  récit 
épique,  le  conte  et  le  drame,  la  critique  littéraire  et  la 
philosophie,  toutes  les  formes,  tous  les  styles  s'y  mêlaient 
en  une  variété  prodigieuse  et  pourtant  se  fondaient, 
s'harmonisaient  en  une  unité  supérieure.  De  là,  d'après 


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SSO  LITTERATURE  ALLEMANDE 

Frédéric  Sohlegel,  Tiinportance  du  roman;  il  fit  venir 
romantique  de  roman;  roman  fut  pour  lui  synonyme 
de  poésie;  la  poésie  n'était  poésie  qu'à  condition  d'offrir 
les  caractères  du  roman.  Novalis  ne  disait-il  pas  que  le 
roman  comprend  tous  les  genres  et  reflète  entièrement 
l'âme  romantique  où  sentiment  et  réflexion  ne  cessent 
de  se  succéder  et  de  se  grouper? 

Les  romantiques  avaient  de  graves  défauts.  Suivant 
eux,  le  caprice  domine  dans  la  poésie  et  dans  l'art,  le 
génie  est  une  divine  paresse  et  mieux  vaut  rêver  qu'agir. 
Leurs  œuvres  manquent  de  précision  et  de  fermeté; 
elles  portent,  selon  leur  propre  expression,  la  marque 
de  l'arbitraire;  ils  sont,  comme  dit  Grillparzer  de 
Tieck,  des  broyeurs  de  couleurs  et  non  des  peintres.  Us 
allèrent  trop  loin  dans  la  guerre  qu'ils  avaient  déclarée 
aux  tendances  de  leur  époque,  k  ces  tendances  qu'ils 
qualifiaient  de  prosaïques  et  de  négatives  :  ils  considé- 
raient Bôhme  comme  un  prophète;  ils  félicitaient  Dflrcr 
de  n'avoir  pas  vu  l'Italie;  ils  magnifiaient  les  siècles  de 
poésie  et  de  foi  religieuse  où  ne  soufflait  pas  encore 
l'âpre  vent  du  rationalisme;  Frédéric  Schlegel  finit  par 
se  convertir  au  catholicisme,  et  le  moyen  âge  devint  pour 
plusieurs  d'entre  eux  un  idéal  de  société  ;  quelques-uns 
furent  les  champions  ardents  de  la  suprématie  de  l'Eglise 
et  de  l'absolutisme  politique. 

Mais  ils  rappelèrent  aux  Allemands  leur  glorieux 
passé;  ils  éveillèrent  le  sentiment  national;  ils  firent 
«  émerger  la  Deutachheit  ».  Plus  préoccupés  du  détail 
que  de  l'ensemble,  épris  de  correction  et  de  savante  élé- 
gance, ilf  travaillèrent,  ils  assouplirent  la  langue,  ils 
perfectionnèrent  le  vers,  ils  constituèrent  la  prosodie. 
Et  n'était-ce  pas  un  mérite  d'opposer  à  la  clarté  que  prê- 
chaient les  apôtres  des  v  lumières  »,  à  l'étroite  et  vul- 


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LB   XIX*   8IBCLB  831  - 

gaire  réalité,  le  charme  mystérieux  du  demi-jour  et  le 
rayon  lointain  de  l'idéal?  Le  romantisme  recelait  des 
principes  féconds  :  il  libérait  l'art,  la  poésie,  la  science 
des  chaînes  de  la  tradition,  il  donnait  à  Timagination  le 
plus  vif  essor,  il  élargissait  tons  les  horizons. 

Guillaume  Schlegel  (1767-1845)  n'a  rien  d'original. 
II  est  tel  que  Heine  le  vit  a  son  cours,  bien  attifé,  par- 
fumé, gracieux.  Ses  vers,  corrects,  élégants,  sonores, 
manquent  de  mouvement  et  de  chaleur.  Il  a  de  la  dou- 
ceur, de  la  souplesse;  il  n'a  pas  l'élan,  l'abondance.  S'il 
a  fait  une  des  meilleures  ballades  allemandes,  Arion^ 
d'ailleurs  imitée  de  V Anneau  de  Polycrate,  il  n'a  pas  su, 
dans  son  Ion,  remanier  la  pièce  d'Euripide.  Mais  ce  fut 
un  critique  sagace  et  hardi.  Dès  1795,  il  disait  dans  une 
étude  sur  Dante  qu'on  ne  peut  atteindre  une  œuvre  qu'à 
travers  l'auteur  et  l'auteur  qu'à  travers  son  époque.  Cer- 
tains de  ses  articles,  où  son  esprit  clair  et  pénétrant 
s'exprime  en  une  prose  pleine  de  mesure  et  de  goût,  ont 
encore  leur  valeur.  Sa  traduction  de  Shakespeare  fit  du 
grand  Will  un  classique  allemand,  un  auteur  national, 
tout  comme  Schiller  et  Goethe.  Il  fut  aidé  dans  cette 
tâche,  ainsi  que  dans  ses  autres  travaux,  par  une  femme 
d'une  rare  intelligence  et  d'une  merveilleuse  finesse, 
Caroline  Boehmer,  qui  devait  le  quitter  pour  s'unir  à 
Sohelling.  Tant  qu'elle  vécut  avec  Schlegel,  elle  le 
pourvut  d'idées.  Elle  a  même  exercé  son  influence  sur 
son  beau-frère  Frédéric  Schlegel  :  il  avait  enlevé,  puis 
épousé  une  fille  de  Mendelssohn,  Dorothée  Veit,  qui 
composa  le  meilleur  roman  de  l'école  romantique,  le 
Florentin;  mais,  durant  plusieurs  années,  Caroline, 
énergique,  dévouée,  infatigable,  fut  la  collaboratrice  de 
Frédéric  comme  de  Guillaume. 


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332  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

Frédéric  Schlegel  (1772-1829)  a  joué  le  principal  râle 
dans  la  formation  de  l'Ecole.  C'est  par  lai,  a  dit  Novalis, 
que  les  romantiques  goûtèrent  à  l'arbre  de  la  con- 
naissance. C'est  lui  qui  promulgua  leur  code.  C'est 
lui  qui,  bien  que  confusément  et  d'une  façon  trop 
absolue,  marqua  la  différence  entre  l'art  grec  et  l'art 
moderne,  l'un  qui  a  le  beau,  l'autre  qui  a  l'intéressant 
pour  principe  et  fin<,  l'un,  tBuvre  du  génie  spontané, 
l'autre,  œuvre  de  l'esprit  conscient  et  réfléchi,  l'un 
objectif,  fait  de  vérités  générales,  exprimées  d'une 
manière  impersonnelle  et  qui  s'adressent  au  sens  com- 
mun, l'autre,  subjectif,  fait  d'impressions  particulières, 
exprimées  d'une  manière  personnelle  et  qui  s'adressent 
au  sens  individuel.  Mais,  avec  plus  d'imagination,  plus 
d'ingéniosité  et  d'originalité  que  son  frère,  Frédéric 
Schlegel  était  inquiet,  aventureux,  téméraire,  précipité, 
obligé  par  des  besoins  d'argent  de  produire  vite,  et  parce 
qu'il  voulait  être  ou  paraître  profond,  emphatique  et 
obscur.  Ses  premières  œuvres,  consacrées  surtout  a  la 
poésie  grecque,  sont  des  fragments  en  un  style  abstrait 
et  haché;  elles  ne  font  qu'exagérer  la  pensée  de  ses 
devanciers,  de  Winckelmann,  de  Herder,  de  Schiller. 
Son  roman  de  Lucinde^  inachevé  d'ailleurs  et  très 
ennuyeux,  est  aussi  incohérent  qu'indécent  :  ne  se  van- 
tait-il pas  d'y  avoir  mis  un  désordre  qu'il  jugeait  char- 
mant? Son  drame  à^Alarcoê  où  il  prétendait  concilier 
l'antique  et  le  moderne  en  mêlant  tous  les  mètres,  excita 
les  rires  du  public  de  Weimar,  et  Gœthe,  se  levant,  criait 
avec  colère  :  «  Qu'on  ne  rie  pas  !  »  Ses  poésies  ne  sont 
que  des  exercices  de  versification.  Pourtant  son  travail 
Sur  la  langue  et  la  sagesse  des  Hindous  a  frayé  la  voie 
aux  études  sanscrites,  et  ses  conférences  sur  Y  Histoire  de 
la  littérature  ancienne  et  moderne  contiennent  des  vues 


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LB   XIX"  81BCLB  838 

perçantes.  Comme  son  frère  Guillaume,  il  a  tracé  des 
portraits  psychologiques  :  Guillaume  a  plus  de  savoir; 
Frédéric,  malgré  des  maladresses  et  des  erreurs^  jette 
d'une  main  prompte  et  sûre  une  foule  de  traits  justes. 

Louis  Tieck  (1773-1853)  devait  être  le  grand  poète 
du  romantisme,  et  c'est  lui  qui,  dans  des  vers  célèbres» 
évoque  le  monde  merveilleux  des  contes,  la  nuit  magique 
que  la  lune  illumine  et  qui  captive  l'âme. 

Moodbeglanzte  Zaubernacht, 
Die  den  Sinn  gefaogen  h&lt, 
Wundervolle  M&rchenwelt, 
Steig'  auf  in  der  alten  Pracht  ! 

Ce  ne  fut  qu'un  talent  fécond  et  facile.  II  se  mit  d'abord 
à  la  remorque  d'autrui  et  il  imita  les  romans  orientaux  de 
Klinger  dans  Abdallah^  le  Gœtz  de  Goethe  dans  Charles 
de  Berneckf  Werther  dans  William  Lovelly  Sterne  dans 
Pierre  Leberecht.  Il  fit  des  contes,  des  drames,  des  nou- 
velles.  Plusieurs  de  ses  contes  ont  la  forme  dramatique; 
mais  les  personnages  du  Petit  Chaperon  rouge^  même  le 
loup,  veulent  avoir  trop  d'esprit;  Barbe  Bleue,  dirigé 
contre  les  romans  chevaleresques,  finit  en  mélodrame  ;  le 
Chat  botté  est  une  fatigante  satire  de  Kotzebue,  d'Iffland 
et  du  critique  Bottiger;  à  côté  d'amusants  passages, 
que  de  pointes  et  d'allusions  aujourd'hui  obscures  !  De 
même,  le  Prince  Zerbino  et  le  Monde  rem^ersé.  Il  s'avisa 
de  mettre  dans  ses  drames  comme  dans  ses  contes 
l'ironie  romantique  et  sa  Sainte  Geneviève  mêle  tous  les 
genres,  les  tons,  les  mètres.  Mais  s'ils  s'expriment  avec 
éclat,  voire  avec  charme,  ses  héros  ne  tiennent  pas  le 
langage  qui  leur  sied,  l'action  flotte  au  hasard,  et  Tieck 
avoue  qu'il  n'a  tracé  qu'une  suite  de  scènes  qui  se  suc- 
cèdent comme  les  images  d'un  rêve,  que  les  unes  sont 


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334  LITTERATURE   ALLEMANDE 

achevées  et  les  autres  simplement  esquissées,  que  dessin, 
couleur,  style  manquent  d'harmonie.  Son  roman  Stern^ 
bald,  qu'il  n'a  même  pas  terminé,  présente  de  semblables 
défauts;  effusions  lyriques  sur  l'art,  la  nature  et  la  reli- 
gion; levers  et  couchers  de  soleil,  chants  d'oiseaux, 
chasseurs  sonnant  du  cor,  des  vers  qui  sans  cesse  inter- 
rompent le  récit;  il  prétendait  y  dérouler  la  vie  d'un 
élève  de  Durer,  mais  il  n'a  pas  attrapé  le  coloris  da 
XVI*  siècle;  il  rappelle  Heinse,  Jean-Paul  et  surtout 
Wilhelm  Meister,  On  loue  d'ordinaire  ses  nouvelles; 
aucune  n'est  parfaite,  aucune  n'offre  une  figure  saisis- 
sante. Pas  d'ensemble  et  trop  de  détails,  voilà  Tieck.  Il 
a  une  vive  imagination,  il  écrit  clairement  et  avec  grâce; 
mais  il  ne  sait  se  borner  et  il  est  long,  traînant,  bavard; 
il  ne  put  jamais  dominer  un  sujet,  ni  créer  un  carac- 
tère. 

Wackenroder  publia  en  1797  les  Effusions  d*un  frère 
lai  ami  des  arts.  L'art  est  à  ses  yeux  une  religion  ;  jouir 
des  œuvres  de  l'art,  c'est  prier,  et  ces  œuvres  sont  celles 
du  moyen  âge  et  du  xvi*  siècle,  celles  de  Durer,  celles 
de  Tart  allemand,  de  l'art  national  qui  florissait  dans 
ce  Nuremberg  aux  rues  tortueuses,  aux  vieilles  maisons, 
et  qui  parle  une  langue  si  ferme  et  si  vigoureuse,  si  ori- 
ginale et  si  vraie. 

Frédéric  de  Hardenberg  (1772-1801),qui  prit  le  pseu- 
donyme de  Novalis,  ne  fut  pas  du  tout  le  martyr,  le  Christ 
romantique  que  ses  amis  ont  dépeint.  Maladif,  mystique, 
analysant  son  moi  avec  volupté  et,  quand  il  aime  une  femme, 
s'aimant  lui-même  en  cette  idole  qu'il  a  créée,  croyant 
vivre  dans  le  monde  que  son  imagination  lui  construit, 
assurant  que  la  poésie  est  le  réel  absolu,  faisant  de  la  vérité 
avec  de  l'illusion  et  proclamant  cette  illusion  préférable  a 
toute  vérité,  romantisant  l'existence  par  la  pensée  du  néant 


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LS   XIX*   SIECLE  335 

et  par  l'enthousiasme  de  la  tombe,  tel  fut  Novalis.  Il  fit 
après  la  mort  de  sa  Sophie  un  Journal  intime  où  s'exprime 
ridée  du  suicide;  mais  ce  suicide  n'est  qu'un  acte  philo- 
sophique; Novalis  se  sert  de  sa  douleur  pour  provoquer 
en  lui  des  extases  et  développer  ses  facultés  divinatoires. 
Ses  Hymnes  à  la  nuit  reproduisent  les  motifs  du  Journal. 
Ce  sont  une  série  de  fragments  lyriques,  rédigés  soit  en 
prose  rythmée,  soit  surtout  en  vers  libres;  mais  la 
pensée  est  obscure  et  la  forme,  incohérente.  En  peut-il 
être  autrement  d'une  suite  de  visions?  Son  roman 
Henri  d' Oflerdingen  devait,  comme  Lucinde,  éclipser 
Wilhelm  Meistery  et  le  stylC;  les  longs  discours,  les 
réflexions  mêlées  au  récit,  tout  rappelle  Meister.  L'œuvre, 
du  reste  inachevée,  est  confuse,  désordonnée  :  rien 
de  vivant  et  de  dramatique;  des  entretiens,  des  médi- 
tations, des  allégories;  la  carrière  d'Ofterdingen  se 
déroule  pareille  à  un  rêve  et  les  personnages  qu'il  ren- 
contre ne  sont  que  des  personnages  de  rêve.  Novalis 
ne  disait-il  pas  que  le  rêve  a  quelque  chose  de  plus  vrai 
et  de  plus  profond  que  la  réalité  ?  La  langue,  voilà  son 
mérite.  Il  ne  se  soucie  pas  de  la  liaison;  il  veut,  avant 
tout,  des  mots  harmonieux,  sonores,  et,  selon  lui,  la 
poésie  doit  agir  comme  la  musique,  doitévoquer  et  ensor- 
celer. Aussi  a-t-il  je  ne  sais  quoi  de  souple,  de  fuyant, 
d'insaisissable.  Il  tâche  de  produire,  comme  il  s'exprime, 
des  émotions  indistinctes  et  des  sensations  indéfinies, 
et  il  prétendait  que  la  langue  est  d'autant  plus  parfaite 
qu'elle  se  rapproche  du  chant. 

Schleiermacher  (1768-1834)  est  le  digne  théologien  des 
romantiques.  Il  n'hésita  pas  à  excuser  et  à  justifier 
Lucinde  et,  dans  ses  Discoure  sur  la  religion^  il  parlait  de 
Spinoza  comme  d'un  saint  persécuté,  disait  que  la  reli- 
gion consiste  dans  le  sentiment  et  que  le  sentiment  doit, 


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336  LITTBRATUnB  ALLBMANOB 

ainsi  qu'une  musique  sacrée,  accompagner  Thomme  dans 
sa  vie  active. 

Tels  furent  les  représentants  du  romantisme.  Les  Schle- 
gely  les  plus  remarquables,  sont  les  pères  de  la  critique 
moderne.  Ils  ont  fixé  le  jugement  encore  incertain  et 
flottant  de  leurs  contemporains  sur  la  littérature  du 
xviii^  siècle  ;  ils  ont  révélé  le  génie  de  Gœthe  au  public  ; 
ils  ont  montré  comment  il  fallait  apprécier,  caractériser 
les  écrivains;  ils  ont  donné  à  l'Allemagne  Shakespeare, 
Dante,  Calderon  et  Cervantes  ;  ils  ont  régénéré  la  philo- 
logie classique;  ils  ont  inauguré  l'étude  des  langues 
orientales  et  des  langues  germaniques.  D'eux  et  de 
Tieck  relèvent  les  frères  Grimm,  qui  commencèrent  le 
grand  Dictionnaire  allemand  :  Jacques,  robuste,  ardent 
au  travail  et  y  trouvant  son  unique  plaisir,  lisant  les 
livres  d'un  bout  à  l'autre,  allant  vite  en  besogne,  aventu- 
reux,  inventif,  visant  à  la  force  du  style  et  employant 
volontiers  de  vieilles  locutions;  Guillaume,  frêle,  labo- 
rieux par  intermittences,  recherchant  d'autres  joies  que 
l'étude,  ne  lisant  dans  un  livre  que  les  passages  dont  il 
avait  besoin,  lent,  prudent,  et,  dans  son  style,  agréable 
et  doux.  Jacques  (1785-1863)  publia  une  Grammaire 
allemande  ou  grammaire  des  langues  germaniques  et  une 
Mythologie  allemande  où  il  recueillit  précieusement  tout 
ce  qui  subsistait  de  paganisme  dans  Tancienne  poésie 
et  les  superstitions  populaires.  Guillaume  (1786-1859) 
fit  paraître  une  histoire  de  la  Légende  héroïque  et  ces 
Contes  où  l'expression,  où  l'exécution  du  détail  lui  appar- 
tient, mais  où  chaque  détail  est  conservé  tel  que  la  tradi 
tion  orale  l'a  fourni. 


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Lfi  XIX*   SlàCLB  337 


Autour  du  romantisme. 


L'influence  des  romantiques  fut  grande.  Nul  écrivain 
qui  n'ait  du  sang  romantique  dans  les  veines  ;  nul  qui  ne 
soit,  sinon  imbu,  du  moins  frotté  de  romantisme;  nul  qui 
n'ait  célébré  le  moyen  âge  ou  qui  n'ait  cherché  la  fleur 
bleue,  cette  fleur  bleue  que  le  héros  de  Novalis,  Henri 
d'Ofterdingén,  voit  en  rêve  et  qui  fut  le  but  idéal  de  sa 
vie.  Mais  ceux  qu'on  nomme  les  premiers  romantiques, 
les  Schlegely  Tieck,  Novalis,  sont  des  chefs  sans  soldats. 
Arnim,  Brentano,  La  Motte-Fouqué,  Hoffmann,  Eichen- 
dorff,  Chamisso,  Henri  de  Kleist,  les  auteurs  du  drame 
fataliste,  Rûckert,  Platen,  Immermann,  Heine  appartien- 
nent à  l'histoire  du  romantisme  ;  ils  ne  sont  pas  toutefois 
les  élèves  des  Schlegel  et  de  Tieck;  s'ils  suivent  la  voie 
indiquée  par  les  premiers  romantiques,  ils  sentent  et 
chantent  d'après  eux-mêmes.  On  en  peut  dire  autant  des 
poètes  souabes.  Il  est  d'ailleurs  très  difficile  de  retracer, 
fût-ce  sommairement,  le  mouvement  littéraire  du 
XIX*  siècle  si  l'on  ne  distingue  des  écoles  ou  des  groupes, 
et  il  faut  mettre  a  part  ceux  qui  gravitent  autour  du 
romantisme,  mettre  à  part  les  Souabes,  mettre  à  part 
Borne,  Heine  et  la  Jeune  Allemagne,  mettre  à  part  et 
les  poètes  politiques,  et  les  Autrichiens,  et  les  Muni- 
choiê,  et  les  écrivains  de  tous  pays  qui  n'ont  pu  trouver 
place  dans  les  cadres  précédents,  arriver  ainsi  à  l'époque 
contemporaine. 

En  1801  mourait  Novalis  ;  en  1802  Frédéric  Schlegel 
gagnait  Paris  et  Tieck,  Francfort;  en  1803,  Guillaume 
Schlegel  s'attachait  à  Mme  de  Staël  ;  eu  1804,  Schleier- 
mâcher  allait  enseigner  à  Halle.  Il  y  eut  alors  un  second 
romantisme  qui  comprend  deux  groupes  :  Achim  d'Arnim, 

LITTiRATUaS   ALLBMAHDI.  22 


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3J8  LlTTéRATUIlB   ALLEMANDE 

Clément  Brentano  et  Gôrres  qui  fondent  à  Heidelbei^ 
en  1808  le  Journal  pour  ermites  \  Chamisso  et  Varnhagen 
qui  fondent  à  Berlin  YAlmanach  des  Muses  ou  Y  oc  Alma- 
nach  vert  »  auquel  collabora  La  Motte-Fouqué. 

Arnim  (1781-1831),  franc,  mâle,  un  peu  raide  et  fier, 
inégal,  aborda  tous  les  genres  :  dans  ses  œuvres,  la  fin 
gâte  le  commencement  et  Tieck  dit  justement  qu*il  n'a 
pas  souci  de  Tensemble  et  ne  prend  rien  au  sérieux. 

Le  même  jugement  s'applique  à  Brentano  (1778-1842), 
homme  singulièrement  mobile,  a  la  fois  gai  et  morose, 
folâtre  et  sarcastique,  qui  nota  six  ans  de  suite  les  extases 
d'une  nonne  stigmatisée.  Ses  drames  et  son  roman  de 
Godwi  sont  décousus.  Ses  contes  offrent  de  jolis  détails, 
mais  des  longueurs  et  des  bizarreries.  Des  poésies,  comme 
les  Joyeux  musiciens^  la  chanson  A  Sévilley  la  ballade  de 
Lore  Layy  voilà  ce  qu'il  a  fait  de  mieux. 

Le  (c  Cor  merveilleux  de  l'enfant  »,  Des  Knaben  Wun- 
derhorn  (1806),  —  ainsi  nommé  parce  qu'il  s'ouvrait  par 
une  pièce  de  vers  qui  célèbre  un  enfant  merveilleux  — 
sauvera  de  l'oubli  les  noms  d'Arnim  et  de  Brentano.  Le 
fils  du  gentilhomme  de  la  Vieille  Ma^he  et  le  fils  du 
marchand  francfortois  avaient  le  même  amour  du  Volks^ 
lied.  Ils  firent  ce  que  Herder  n'avait  pu  faire,  une  coUeo 
tion  de  chants  nationaux,  et  ce  que  Bûrger  avait  souhaité, 
un  Percy  allemand.  A  vrai  dire,  ils  ne  s'étaient  pas 
contentés  de  recueillir  leurs  chansons  sur  la  bouche  du 
peuple  ou  dans  les  livres  et  les  manuscrits;  ils  les 
avaient  «  complétées  »,  et  Yoss  les  accusa  justement  de 
falsifications  et  d'interpolations.  Mais  ils  avaient  attrapé 
le  ton  populaire  et  leur  publication  eut  une  grande 
influence  sur  la  lyrique  allemande. 

Joseph  Gôrres  (1776-1848)  est  le  digne  compagnon  de 
Brentano  et  d'Arnim.   D'abord  révolutionnaire  ardent. 


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LE  XIX*   SIECLE  SS9 

pais  ennemi  de  Napoléon  qu'il  combattit  dans  son  Mcr^ 
cure  rhénan,  puis  chef  des  ultramontains  en  Bavière,  il 
a  laissé  dans  son  ouvrage  sur  les  Lwres  populaires  alU" 
mands  (1807)  des  pages  colorées,  étincelantes,  pleines 
d'images  et  de  métaphores,  mais  superficielles  et  aujour- 
d'hui très  négligeables. 

Chamisso,  Varnhagen,  Fouqué  forment  le  groupe 
berlinois  du  second  romantisme.  Des  trois,  le  plus 
romantique  est  le  baron  de  La  Motte-Fouqué  (1777-1843). 
On  peut  le  nommer  le  Don  Quichotte  du  romantisme.  Il 
ne  rêve  que  de  la  chevalerie  du  moyen  âge.  Mais,  disait- 
on  déjà,  la  poésie  doit-elle,  comme  un  fantôme,  monter 
la  garde  sur  les  ruines  de  la  chevalerie,  et  que  sont  les 
châtelaines  de  Fouqué,  sinon  des  poupées?  Il  écrivait 
trop  facilement  sans  rature,  sans  repos.  De  toutes  ses 
productions  un  conte  a  survécu  :  Ondine,  dont  le  sujet 
est  charmant  et  la  forme  maniérée. 

Varnhagen  d*Ense  (1785-1858)  aime  trop  les  longues 
périodes  sonores.  Il  imite  dans  ses  biographies  de  géné- 
raux le  style  de  Goethe.  Dans  ses  Mémoires  il  a  de  la 
finesse,  de  la  sagacité,  de  Tesprit,  et  il  trace  de  piquants 
portraits. 

Adalbert  de  Chamisso  (1781-1838),  fils  d'émigré,  s'est 
toujours  souvenu  qu'il  était  Français  et  il  évoque  avec 
émotion  dans  le  Château  de  Boncourt  le  manoir  natal  et 
la  chapelle  où  reposait  son  aïeul.  Il  garda  la  trace  de 
son  origine  :  non  seulement  il  ne  parlait  l'allemand 
qu'avec  difficulté,  non  seulement  il  écrivait  d'abord  en 
prose  française  le  canevas  de  ses  poésies,  mais  il  a  les 
qualités  françaises,  le  goût,  la  mesure,  la  grâce,  et  son 
bon  sens  français  l'a  préservé  des  excès  du  romantisme. 
Il  traduisit  Béranger  et,  eomme  Béranger,  il  fut  libéral; 
il  glorifia  Byron  et  Canaris  ;  il  aimait  la  Révolution  et  il 


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840  LITTEBATURB   ALLEMANDE 

bénit  celui  qui  mène  la  charrue  sur  le  sol  où  s'élevait  le 
château  paternel  ;  il  engage  les  rois  à  méditer  le  sort  de 
Charles  X  qui  manque  de  sagesse  et  qui  fuit  pour  la  troi* 
sième  et  dernière  fois;  il  montre  la  duchesse  de  Berry 
vaincue,  punie,  <  semblable  au  rocher  frappé  par 
l'éclair  ».  Mais  ce  qu'il  faut  louer  surtout,  c'est  l'habile 
emploi  qu'il  a  fait  des  tercets  dans  Salas  y  Gomez^  c'est 
le  réalisme  quelquefois  poignant  d'une  poésie  qui,  selon 
sa  propre  expression,  met  toujours  l'homme  en  scène  et 
dévoile  les  secrets  du  cœur,  c'est  la  tendresse  et  le  charme 
profond  des  pièces  de  vers  où  il  célèbre  le  mariage,  la 
famille,  le  dévouement  de  la  femme.  Et  combien  son 
Pierre  Schlemihl  l'emporte  sur  les  contes  d'Arnim,  de 
Brentano  et  de  Tieck  par  la  brièveté  du  récit,  par  la 
clarté  du  style,  par  la  vérité  saisissante  des  détails,  par 
le  dessin  net  et  précis  des  personnages  ! 

On  peut  rattacher  à  ce  second  groupe  des  romantiques 
Schulze,  Eichendorff  et  Hoffmann  :  il  y  a  dans  Schulze 
presque  autant  de  Fouqué  que  de  Wieland,  c'est  Foaqué 
qui  a  introduit  Eichendorff  dans  la  littérature  et  Hoffmann 
fut  l'ami  de  Fouqué  et  de  Chamisso. 

La  Rose  enchantée  d'Ernest  Schulze  (1789-1817),  com- 
posée en  l'honneur  de  deux  sœurs  qu'il  adora  l'une  après 
l'autre,  est  un  poème  de  dix-huit  chants,  ennuyeux, 
insupportablement  long. 

Joseph  d'Eichendorff  (1788-1857)  est  bien  supérieur 
à  Schulze.  Il  aime  ardemment  la  nature  et  il  célèbre 
avec  ferveur  le  calme  de  la  nuit  où  l'âme  étend  ses  ailes 
toutes  grandes  et  la  solitude  des  forêts  où  les  arbres 
semblent  rêver,  où  les  ruisseaux  coulent  doucement  au 
clair  de  lune,  où  le  chevreuil  effarouché  lève  la  tête  et 
redort  aussitôt.  La  forêt  est  le  pieux  séjour  de  ses  peines 
et  de  ses  joies;  c'est  là,   sous  ce   vert  pavillon,  qu'il 


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LB  XIX*  SIECLE  841 

échappe  au  monde  aflairé,  et,  plus  tard,  au  milieu  des 
hommes,  la  pensée  de  la  forêt  rajeunit  son  cœur.  Il  est 
un  peu  monotone  et  il  manque  de  force;  mais  c'est  le 
seul  lyrique  des  romantiques,  et  combien  de  ses  lieds 
sont  devenus  populaires  !  Il  a  composé  des  tragédies,  des 
livres  de  critique,  des  romans,  dont  Tun,  Pressentiment 
et  présenty  est,  selon  son  expression,  une  tranche  de  sa 
vie  intime;  ses  lieds  vivront  seule,  et  une  nouvelle,  La 
Vie  (fun  çaurien  (1826),  petit  chef-d'œuvre,  vrai  bijou 
d'humour  et  de  fantaisie.  Le  ce  vaurien  »,  chassé  par  son 
père,  vagabonde  et,  grâce  à  son  violon,  trouve  dans  un 
château  le  vivre  et  le  couvert.  Mais  là  il  s'amourache 
d'une  comtesse  et,  désespérant  de  la  posséder,  il  se  met 
à  courir  derechef  les  aventures.  Après  mainte  erreur,  il 
revient  au  château...  et  il  épouse  celle  qu'il  aime  et  qu'il 
prenait  pour  la  comtesse  ;  c'était  la  nièce  du  portier  !  Le 
récit  est,  selon  la  mode  romantique,  émaillé  de  chan« 
sons,  et  dans  sa  prose  alerte  comme  dans  ses  vers 
Eichendorff  a  su  rendre  les  sentiments  du  héros,  sa  gai  té 
franche,  son  humeur  voyageuse,  l'amour  qu'il  garde  en 
Italie  à  la  fraîche  et  verte  Allemagne,  la  divine  paresse 
de  cet  étourdi  qui  se  couche  sur  le  dos  dans  le  gazon  et 
s'amuse  à  voir  les  nuages  voler  au-dessus  de  sa  tète 
pendant  qu'autour  de  lui  bourdonnent  les  abeilles  et 
qu'ondulent  les  herbes. 

Ernest-Théodore-Amédée  Hoffmann  (1776-1822)  a  dit 
qu'il  manquait  de  flegme,  qu'il  avait  l'âme  surexcitée, 
l'imagination  enflammée.  Dessinateur  et  peintre,  engoué 
de  musique,  idolâtre  de  Mozart  dont  il  prit  le  prénom, 
il  débuta  par  des  Tableaux  de  fantaisie  dans  la  manière 
de  Calloty  et  le  premier  de  ces  <x  tableaux  »  avait  pour  titre 
Souffrances  musicales  du  maître  de  chapelle  Kreisler.  Il 
aime  h  représenter  des  artistes  maladifs,  mélancoliques. 


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34S  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

inquiets,  cherchant  en  vain  à  maîtriser  le  démon  qui  se 
loge  en  eux,  et  il  a  mis  beaucoup  de  lui-même  dans 
son  conseiller  Crespel.  Longtemps,  en  Allemagne  et  en 
France,  il  eut  des  lecteurs  passionnés.  Il  sait  mêler  le 
merveilleux  et  le  réel,  flatter  le  côté  nocturne  de  notre 
esprit,  et,  par  une  habile  combinaison  de  circonstances 
romanesques  et  de  détails  saisissants,  caresser  notre 
amour  du  mystérieux  et  du  surnaturel.  Qui  n'a  lu  sans 
frémissement  la  scène  du  Majorât  où  le  vieux  bailli,  se 
levant  de  son  fauteuil,  crie,  le  bras  étendu  vers  le  mur 
derrière  lequel  se  font  entendre  des  sanglots  et  des 
grattements  :  <(  Daniel,  Daniel,  que  fais-tu  ici  à  cette 
heure?  »  Il  vise  trop  souvent  au  bizarre  et  à  l'excen- 
trique.  Mais  le  recueil  des  Frères  Sérapion  contient  des 
nouvelles  attachantes.  iV"*  de  Scudèry  offre  une  drama- 
tique figure,  celle  de  l'orfèvre  Cardillac  qui  tue  ses 
clients  parce  qu'il  ne  peut  se  séparer  des  bijoux  qu'il  a 
forgés,  et  Maître  Martin  est  un  récit  aimable,  tout  plein 
d'aisance  et  d'enjouement. 

Le  romantisme  eut  son  théâtre,  son  drame,  le  drame 
fataliste.  Zacharie  Werner  (1768-1823),  ce  mystique 
doublé  d'un  viveur,  est  le  principal  représentant  de  la 
Schicksalstragôdie.  Après  deux  drames  obscurs  et  presque 
indéchiffrables,  les  Fils  de  la  çallée  et  la  Croix  de  la 
Baltique  y  il  avait  écrit  un  Luther  qui  contient  de  belles 
scènes,  entre  autres  celle  de  la  diète  de  Worms,  et  un 
Attila^  une  Wanda  qui  sont  inférieurs  à  Luther.  Son 
24  février  qui  parut  en  1809  inaugura  le  drame  fataliste. 
Depuis  longtemps,  des  crimes  se  commettent  dans  la 
famille  Kuruth  h  la  date  du  24  février.  Kunz  Kuruth  a 
jeté  son  couteau  à  la  tête  de  son  père  et  le  bonhomme 
est  mort  d'effroi  le  24  février.  Puis  le  fils  de  Kunz,  Kurt, 
a,  en  jouant,  égorgé  sa  petite  sœur  le  24  février;  c'est  un 


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LE  XIX'  8IBCLB  343 

24  février  qu'il  s'est  sauvé  du  logis  ;  c'est  ua  24  février 
qu'il  revient  chez  ses  parents  sans  se  faire  connaître, 
sans  être  reconnu,  et  son  père  Kunz  le  tue  pour  avoir 
son  argent,  le  tue  avec  le  couteau  d'antan,  ce  couteau 
qui  pend  au  mur  et  qui  tombe  au  moment  décisif  comme 
pour  offrir  son  service  ! 

MûUner  et  Honwald  imitèrent  Werner,  le  premier  dans 
Le  29  février  et  La  Faute^le  second  dans  le  jPorrraiV  et  le 
Phare f  et  à  leur  tour,  un  Grillparzer,  un  Heine  imitèrent 
et  Werner  et  MûUner  et  Houwald  ! 

Ces  pièces,  ainsi  que  celles  des  Schlegel,  de  Tieck,  de 
Brentano,  d'Àrnim,  de  KOrner,  ne  comptent  pas  dans 
l'histoire  du  théâtre.  Celles  d'Œhlenschlâger,  de  Michel 
Béer,  de  Georges  Bûchner,  bien  qu'ils  n'aient  pu,  de 
même  que  Korner^  échapper  à  l'influence  de  Schiller, 
ont  plus  d'importance. 

Le  Danois  Œhlenschlâger  a  composé  plusieurs  pièces, 
assez 'flasques  et  médiocres,  Aladin,  Hakon  Jarly  le  Cor- 
rège, 

Michel  Béer  (1800-1833)  donne  d'abord  une  tragédie 
romantique  et  presque  fataliste,  les  Fiancés  JC Aragon, 
Son  Pariay  en  un  acte,  représente,  nop  sans  relief,  le 
destin  d'un  paria  vertueux  et  indignement  opprimé.  Son 
Struenseey  en  cinq  actes,  offre  une  action  bien  conduite; 
mais  les  caractères,  comme  le  style,  manquent  de  vigueur. 

Georges  Buchner  a  fait  une  Mort  de  Danton  (1835) 
mal  construite,  mais  pleine  d'idées  et  de  contrastes, 
remarquable  par  l'énergie  du  dialogue. 

Cette  Mort  de  Danton  vaut  peut-être  a  elle  seule  toute 
l'œuvre  de  Grabbe  (1801-1836).  Un  Duc  de  Gothland 
qui  n'est  qu'un  tissu  d'horreurs,  un  Don  Juan  et  Faust 
bariolé  de  métaphores,  un  Frédéric  Barberousse  et  un 
Henri  VI  où  il  y  a  de  l'imagination,  du  feu  et  trop  peu 


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8H  LITTÉRATURB   ALLEMANDE 

de  vérité)  un  Napoléon  où  des  scènes  de  bivouac  figurent 
les  batailles,  un  Annibal  qui  renferme  de  curieux 
épisodes,  une  Bataille  (CHermann  où  les  Chérusques 
sont  de  vrais  paysans  westphaliens,  telle  est  cette  œuvre 
de  Grabbe,  souvent  hardie,  quelquefois  poétique,  mais 
étrange  et  confuse. 

On  ne  cite  ici  que  pour  mémoire  le  fécond  Raupach. 
Il  a  fait  une  pièce  qui  tient  du  drame  fataliste,  le  Meunier 
et  9on  enfanty  une  Genenhpe^  une  trilogie  de  CromweU^ 
une  Mort  de  Tasse  et,  pour  soutenir  la  bureaucratie 
prussienne  dans  sa  lutte  contre  l'archevêque  de  Cologne, 
tout  un  cycle  de  drames  sur  les  Hohenstaufen  !  Ce  n'était 
qu'un  pédant;  mais  sa  tragédie  des  iVi^eZii/i^e/t  inspira 
Hebbel. 

Henri  de  Eleist. 

Henri  de  Kleist  (1776-1811)  est  le  plus  grand  des 
romantiques  et  il  les  dépasse  tous  par  ce  qu'il  a  de  puis- 
sant, de  saisissant,  d'entraînant,  par  l'originale  beauté 
de  la  forme,  par  l'art  de  disposer  un  ensemble.  Il  a 
fait  des  nouvelles,  une  comédie,  la  Cruche  cassée^  et  des 
drames,  la  Famille  Schroffenstein^  Penthésilée,  Catherine 
de  Heilbronn^  la  Bataille  d^Hermann  et  le  Prince  de 
Hombourg. 

Ses  nouvelles,  dans  leur  manière  ferme,  sobre,  objec- 
tive, ont  une  vie  intense.  Quelle  suite  de  tableaux  dra- 
matiques offre  le  Tremblement  de  terre  du  Chili!  Quelle 
habileté  dans  le  récit  de  l'aventure  de  La  marquise  d'O..., 
cette  femme  si  énergique,  si  digne,  si  touchante!  Et, 
bien  qu'il  y  ait  dans  Michel  Kohlhaas  trop  de  phrases 
longues  et  chargées  d'incidentes,  bien  qu'une  histoire  de 
sorcière  gâte  la  fin  de  la  narration,  quelle  tragique 
figure  que  celle  de  ce  maquignon  qui  s'érige  en  justicier! 


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LB   XIX**   SlisCLE  3^5 

La  Cruche  cassée  est  une  des  meilleures  comédies  alle- 
mandes tant  par  l'aisance  familière  du  dialogue  que  par 
la  peinture  des  personnages  et  notamment  du  juge 
Adam»  cet  imperturbable  et  amusant  menteur. 

La  Famille  Schroffenstein  est  une  pièce  confuse  qui 
repose  sur  d'invraisemblables  méprises;  elle  abonde  en 
maximes,  en  bizarres  métaphores;  mais  elle  court  au 
dénouement,  et  Kleist  a  su  varier  les  caractères. 

Penthéailée  n'a  qu'un  acte  en  vingt-quatre  scènes. 
L'héroïne  est  la  reine  de  ces  Amazones  qui  vont  au  dehors, 
lance  au  poing,  conquérir  un  époux.  Vaincue  et  capturée 
par  Achille  dont  elle  s'est  éprise,  elle  défaille  de  douleur 
et  Achille  qui  l'aime  également,  lui  fait  croire,  lors- 
qu'elle reprend  connaissance,  qu'elle  a  été  victorieuse. 
Mais,  par  une  attaque  subite,  les  Amazones  délivrent 
leur  souveraine;  Achille  veut  la  revoir;  il  la  provoque  en 
combat  singulier,  il  marche  à  sa  rencontre,  il  a  résolu 
de  se  laisser  vaincre.  Penthésilée  s'imagine  qu'il  désire 
de  nouveau  la  dompter,  et  délirante,  pareille  à  une 
Ménade,  elle  s'avance,  ses  chiens  aboyant  autour  d'elle. 
L'instant  d'après,  une  Amazone  annonce  qu'Achille  est 
tombé,  le  col  traversé  par  une  fièche;  les  chiens  se  sont 
jetés  sur  lui  et  avec  eux,  et  plus  furieuse  encore,  Pen- 
thésilée qui  le  déchirait  des  mains  et  des  dents!  Elle- 
même  parait  bientdt  et  quand  elle  revient  à  la  raison, 
elle  meurt,  par  le  seul  effort  de  sa  volonté,  en.se  for- 
geant, comme  elle  dit,  un  poignard  imbibé  du  poison  de 
son  repentir! 

Catherine  de  Heilbronn  est  une  jeune  fille  qui  se 
dévoue  de  toute  son  âme  au  comte  Wetter  de  Strahl  et 
se  fait  sa  servante,  heureuse  de  le  suivre  et  de  souffrir 
pour  lui  et  par  lui.  Touché,  Strahl  finit  par  l'aimer  et 
l'épouser.   Mais   pourquoi   l'auteur   a-t-il   supposé   que 


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946  LITTERATURE   ALLEMANDE 

Strahl  reconnaît  dans  Catherine  la  fiancée  qu'an  rêve 
lui  avait  montrée?  Pourquoi  introduit-il  un  chérubin  qui 
sauve  Catherine  de  l'incendie?  Pourquoi  soumet-il  son 
héroïne  k  une  influence  magique  qui  tient  de  la  sorcel* 
lerie?  Pourquoi  Catherine  agit-elle  parfois  en  somnam- 
bule? 

La  Bataille  cTHermann  est  un  drame  tout  étoffé  de 
haine  contre  les  Français.  Il  renferme  des  scènes  remar- 
quables :  Marbod  recevant  comme  otages  les  deux  enfants 
de  Hermann;  Teuthold  tuant  sa  fille  déshonorée;  Vams 
égaré  dans  la  nuit  noire  en  pleine  forêt  de  Teutoburg  et 
voyant  apparaître  une  sorcière  qui  lui  annonce  sa  perte. 
Les  caractères  ont  quelque  chose  d'outré.  Hermann  n*a 
d'autre  pensée  que  de  chasser  l'étranger  et,  pour  arriver 
à  ses  fins,  il  emploie  tous  les  moyens,  perfidie,  cruauté. 
Il  fait  découper  le  corps  de  la  fille  de  Teuthold  en  quinze 
morceaux  qu'il  répartit  entre  les  quinze  tribus  ;  il  encou- 
rage  sa  femme  Thusnelda  à  leurrer  le  légat  Yentidius 
par  un  semblant  d'amour  ;  il  dévaste  et  brûle  son  propre 
pays,  puis  attribue  aux  Romains  ravages  et  incendies. 
Thusnelda  flirte  avec  Yentidius  qui  lui  ravit  une  boucle 
de  cheveux,  elle  prie  Hermann  d'épargner  ce  jeune 
diplomate,  elle  obtient  qu'il  soit  seul  exempté  du  mas- 
sacre, et  Kleist  disait  d'elle  que  c'est  une  brave  petite 
Allemande,  un  peu  simple,  qui  se  laisse  prendre  par  les 
manières  françaises.  Mais  Hermann  intercepte  une  lettre 
de  Yentidius  qui  envoie  à  l'impératrice  Livie  les  che- 
veux de  la  princesse  des  Chérusques.  Blessée  dans  son 
orgueil,  Thusnelda  donne  un  rendez-vous  au  légat  et  le 
livre  à  une  ourse  affamée  qui  le  met  en  pièces! 

Le  prince  de  Hombourg,  le  héros  de  la  pièce  qui 
porte  son  nom,  attaque  de  son  propre  mouvement 
l'adversaire,    et    sa   désobéissance    amène    la   victoire. 


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LB  XIX*  8IBCLB  847 

Condamné  par  un  conseil  de  guerre,  il  s'abaisse  a 
demander  grâce,  puis  se  ressaisit,  et  l'Electeur  loi  par- 
donne.  On  a  blâmé  la  scène  oà  le  prince  a  peur  de  la 
mort,  et  Kleist  aurait  dû  peut-être  adoucir  le  ton.  Et 
pourquoi  mêler  le  fantastique  à  l'action?  Pourquoi  faire 
de  Hombourg  un  somnambule?  Mais  le  Grand  Electeur 
parle  et  agit  en  souverain;  il  impose  à  ses  peuples  le 
respect  de  la  discipline  et  de  la  loi,  et  toutefois  Kott* 
witz,  le  vieux  soldat^  porte-parole  de  l'armée,  a  raison 
de  dire  que  la  plus  haute  des  règles  est  celle  qui  bat 
l'ennemi. 

Kleist  était  né  poète.  Pour  se  vouer  entièrement  à  la 
poésie  il  quitte  le  service,  il  sacrifie  sa  fiancée.  Il  rêve 
un  grand  drame  qui  s'intitulera  Robert  Guiscard;  il  ne 
peut  Texécuter,  et  désormais  c'en  est  fait  de  son  repos  ; 
il  change  sans  cesse  de  séjour  et  de  métier.  Ruiné, 
rebuté  par  la  défaveur  du  public,  méprisé  des  siens, 
désespérant  du  salut  de  la  Prusse,  heureux  peut-être  de 
conquérir  ainsi  celle  qu'il  aime,  heureux  que  par  son 
suicide  le  rêve  triomphe  enfin  de  la  réalité,  il  se  tue  a 
trente-quatre  ans  avec  la  femme  d'un  de  ses  amis,  Hen- 
riette Yogel.  C'est  pourquoi  son  œuvre  est  sombre.  11  a 
composé  la  Cruche  cassée  par  gageure,  non  par  gaîté.  La 
plupart  de  ses  personnages  subissent  de  cruelles  épreuves 
ou  une  mort  affreuse.  11  veut  étonner  le  lecteur  et  il 
recourt  assez  inutilement  à  l'extraordinaire,  au  mer- 
veilleux, au  surnaturel.  Mais  il  a  de  la  vigueur  et  de  la 
pénétration.  Ses  héros  étranges  et  qu'on  ne  peut  plus 
oublier,  sont  dessinés  avec  un  puissant  relief,  et  presque 
tous  ont  quelque  chose  de  lui-même,  entêtés,  excessifs, 
passant  de  la  plus  folle  confiance  au  découragement  le 
plus  profond,  doux  et  terribles,  aimables  et  un  peu 
extravagants.  Son  style  est  par  moments  incorrect  et  dur  ; 


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348  LITTBRATURB   ALLEMANDE 

il  fut  d'abord  violent  et  emphatique;  puis  il  devint  éner- 
gique, nerveux,  précis;  il  eut  de  la  couleur  et  de  Téclat, 
il  eut  de  la  délicatesse,  de  la  grâce  et  une  tendre  émo- 
tion. Quoi  de  plus  charmant,  de  plus  exquis  que  la  fête 
des  roses  dans  Penthcsiléel 


Rûckert,  Platen,  Immermaiin. 

Deux  hommes  tentèrent  alors,  a  la  suite  de  Goethe, 
d'acclimater  en  Allemagne  la  poésie  orientale  :  Rûckert  et 
Platen. 

Rûckert  (1788-1866)  fit  de  vrais  ghasels  et  il  se  vantait 
d'avoir  planté  le  premier  cette  nouvelle  forme  dans  le 
jardin  de  l'Allemagne.  Il  fit  tout  un  volume  de  makames 
qui,  de  son  aveu,  est  plein  de  tirets  et  vide  de  pensées. 
Il  fit  un  long,  trop  long  poème,  la  Sagesse  du  brahmane^ 
laquelle  n'est  autre  que  sa  propre  sagesse,  celle  qui 
consiste  à  jouir  doucement  de  l'existence.  Rûckert  impro- 
visait toujours,  versifiait,  dit-il,  comme  il  respirait,  comme 
il  mangeait  et  buvait.  C'est  un  virtuose  plutôt  qu'un 
poète.  Dans  le  Printemps  JC amour  où  il  a  de  beaux  et 
sincères  accents,  il  jongle  avec  les  mots  et  les  rimes. 

Il  eut  des  élèves  :  Léopold  Schefer,  Daumcr,  Boden- 
stedt. 

Schefer  est  moins  connu  par  son  Coran  de  l'amour 
et  son  Hafiz  en  Hellade  que  par  le  Bréviaire  du  laïque  (  1834] 
qui  fut  trente  années  durant  le  livre  de  chevet  des  dames 
allemandes  :  c'est  un  recueil  de  maximes  et  de  réflexions 
qu'il  a  rangées  par  mois  et  par  jours,  et  qui  expriment  lon- 
guement, solennellement,  onctueusement  un  vague  pan- 
théisme optimiste. 

Daumer,  poète  bizarre,  panégyriste  de  la  Vierge  et 


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LE   XIX*'   SIECLE  349 

apôtre  d'une  nouvelle  religion,  fit  un  Hafiz  qui  ravissait 
Richard  Wagner. 

Bodeostedt,  dans  ses  chants  de  Mirza  Schaffy^  met  en 
petite  monnaie  Tor  de  Gœthe  et  de  Heine  comme  celui 
de  Rûckert.  Mais  il  avait  vu  le  Caucase  et  son  «  turban 
de  nuages  »  ;  on  crut  trouver  en  lui  le  lyrisme  oriental  et 
il  chante  avec  esprit  en  images  fraîches  et  non  sans  har- 
monie les  ardeurs  de  la  passion  et  les  plaisirs  de  la  vie. 

Le  comte  Auguste  de  PlatenHallermûnde  (1796-1835) 
est  supérieur  à  Rûckert;  il  se  contente  moins  aisément; 
il  polit  et  repolit  son  œuvre  et  vingt  fois  la  remet  sur  le 
métier.  C'est  une  sorte  de  Vigny:  même  idéalisme  et 
même  pessimisme,  même  passion  de  la  gloire  et  même 
dédain  du  vulgaire,  même  fierté  sauvage,  même  farouche 
isolement.  Ses  ghasels  expriment,  outre  ton  orgueil  et 
son  désir  de  savourer  les  joies  de  la  vie,  l'idée  mélanco- 
lique que  le  monde  s'inquiète  peu  de  nos  douleurs  et  que 
chacun  n'est  rien  en  voulant  être  tout.  Ses  sonnets  où  il 
chante  soit  les  déceptions  de  l'amour  et  de  l'amitié,  soit 
Venise  et  «  l'éternel  soupir  qui  sort  de  ses  palais  »,  sont 
le  fleuron  le  plus  précieux  de  sa  couronne  lyrique  :  la  rime 
est  riche;  la  langue,  harmonieuse;  le  style,  sous  un  air 
d'aimable  abandon,  sobre,  mesuré,  précis.  Ses  odes,  qui 
reproduisent  les  mètres  antiques,  célèbrent  ses  amis,  les 
splendeurs  de  l'Italie,  les  ruines  majestueuses  de  Rome 
et  l'héroïsme  des  insurgés  polonais;  elles  ont  plus  d'ap- 
prêt que  les  sonnets;  Platen,  qui. vise  à  l'ampleur  et  à 
la  noblesse,  fait  souvent  enjamber  une  strophe  sur  la 
strophe  suivante  et  il  tombe  parfois  dans  la  recherche  et 
l'obscurité;  mais  que  de  périodes  sonores,  que  d'images 
éclatantes!  Il  sut  imiter  les  anciens.  Il  imite  Horace  dans 
ses  odes,  il  imite  Théocrite  dans  ses  Eglogues  et  Idylles  où 
il  oppose  au  tapage  de  Naples  le  calme  de  Capri,  et  si  ses 


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350  LITTÉRATURE  -ALLBMANDB 

Hymne»  sentent  trop  Tartifice  et  le  pastiche  de  Pindare» 
ils  ont  par  instants  une  belle  hardiesse  et  une  fière  gran* 
deur.  Il  aborda  tous  les  genres.  Son  poème  héroî* 
comique,  les  Abbassides^  n'est  qu'un  jeu  d'esprit  qui 
témoigne  de  la  souplesse  de  son  talent.  Ses  pièces  de 
théâtre,  fabriquées  selon  la  recette  romantique,  sont  très 
médiocres,  et  son  drame  historique,  la  Ligue  de  Cambrai^ 
n'a  ni  force  ni  couleur.  Ses  deux  comédies  aristopha- 
nesques,  la  Fourchette  fatale  et  YŒdipe  romantique^ 
manquent  de  vigueur  et  de  sel  en  trop  d'endroits;  mais 
quelle  superbe  éloquence,  quelle  haute  inspiration,  quelle 
perfection  de  forme  dans  les  parabases  de  ces  comédies, 
surtout  de  la  Fourchette  fatalel  Platen  est  un  délicat,  un 
raffiné.  Il  méprise  la  foule,  non  seulement  parce  qu'elle  le 
méconnaît,  mais  parce  qu'elle  n'offre  à  ses  yeux  que  plati- 
tude et  bassesse.  Il  adore  les  Grecs  et  il  tente  de  rivaliser 
avec  eux.  S'il  est  froid,  il  est  ferme  et  net.  Il  manie  avec 
aisance  les  mètres  les  plus  différents.  Tout  vaniteux  qu'il 
soit,  il  s'incline  devant  Gœthe,  qu'il  proclame  l'empereur 
de  l'Allemagne  intellectuelle.  A  l'exemple  de  Fleming, 
il  écrivit  son  épitaphe  :  il  n'a  pas,  comme  il  dit,  marqué 
son  empreinte  sur  la  langue  et  ouvert  de  nouvelles  voies  ; 
mais  il  a  répandu  son  esprit  en  rimes  et  rythmes  dura- 
bles. 

Immermann,  lui  aussi  (1796-1840),  touche  à  tout,  et 
presque  constamment  sans  succès.  Il  fait  de  mauvais  vers. 
II  fait  de  mauvaises  pièces.  Il  fait  des  poèmes,  un  Merlin^ 
un  Tristan^  mais  les  personnages  de  Merlin  succombent, 
de  son  aveu,  sous  le  poids  de  leur  armure  métaphysique, 
et  Tristan^  fragment  écrit  avec  hâte,  n'a  rien  de  la  grâce, 
do  l'harmonie,  de  l'abondance  de  Gottfried.  Il  fait  une 
satire  contre  Platen,  Le  petit  Tulifanty  mais  l'œuvre  est 
lourde  et  obscure.  Il  fait  des  romans,  et  il  réussit.  Bien 


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LB  XIX^   SIÀCLE  3»1 

que  les  Epigones  rappellent  trop  souvent  Wilhelm  Meister, 
ils  offrent  à  certains  égards  une  image  de  l'Alleinagne 
entre  1815  et  1830  :  Immermann  peint  ses  contemporains, 
et  il  inaugure  le  roman  social,  il  montre  la  lutte  qui  s'en- 
gage entre  la  noblesse  et  la  grande  industrie.  Munch^ 
hausen  n*a  pas  d'unité  :  o*est  une  satire  froide,  traînante, 
pleine  d'allusions  souvent  insaisissables  ;  mais  on  y  trouve 
une  nouvelle  villageoise  du  plus  haut  prix.  Cette  fois, 
Immermann  a,  comme  son  héros  Oswald,  saisi  la 
poésie.  Au  château  ruiné  où  Mûnchhausen  raconte  ses 
aventures  à  la  façon  de  M.  de  Crac,  il  oppose  la  ferme 
de  rOberhof  ;  à  la  noblesse  qui  n'est  que  V  «  écume  du 
temps  »,  il  oppose  le  «  peuple  immortel  »,  la  classe 
moyenne,  le  paysan,  «  granit  de  la  société  bourgeoise  », 
et  il  peint  la  Westphalie,  la  «  terre  rouge  »,  non  seule- 
ment l'antique  et  silencieuse  ville  de  MOnster  avec  ses 
retraités  et  les  originaux  qui  l'habitent,  mais  ses  chênaies, 
ses  longues  prairies  où  verdoient  les  moissons  ;  il  peint 
les  fermiers,  rudes,  attachés  à  leurs  coutumes,  entichés 
de  leurs  préjugés,  vivant  sur  leur  bien  sans  souci  du  reste 
du  monde;  il  peint  le  vieux  maire,  fier  de  sou  domaine 
et  de  son  autorité,  digne,  puissant,  rusé,  égoïste,  têtu, 
vindicatif;  il  peint  les  amours  du  chasseur  et  de  la  blonde 
Lisbeth,  ces  touchantes  amours  où  tout  est  innocence, 
candeur  et  chaste  rêverie. 

IiOB  SonaboB. 

Il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  d'école  souabe  ;  le 
Souabe  n'en  fait  qu'à  sa  tête,  et  les  poètes  souabes, 
Uhland,  Kerner,  Mayer,  Pfizer,  Schwab,  Hauff,  chantent, 
assure  l'un  d'eux,  comme  ils  l'entendent,  comme  le 
cœur    leur  en  dit.    Mais   ils  ont  des  traits  communs; 


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352  LITTERATURE   ALLEMANDS 

ils  célèbrent  la  patrie  douabe,  ses  légendes  et  ses  trad{'> 
tions,  ses  forêts  de  sapins,  ses  vignobles,  ses  plaineé 
où  ondoie  une  mer  doré^  d'épis,  et  la  vallée  du  bleu 
Neckar;  pas  de  grand  poème;  de  jolis  vers,  des  lieds, 
des  ballades,  et  ce  qu'ils  imitent  et  ce  qu'ils  se  piquent 
d'imiter,  c'est  la  chanson  populaire. 

Uhland,  le  principal  d'entre  eux  (1787-1862),  a  fait 
deux  drames,  Ernest  duc  de  Souabe  et  Louis  le  BaparoiSy 
qui  ne  sont  qu'une  suite  d'intéressants  épisodes  ;  il  n'avait 
pas  le  don  du  théâtre.  Il  est  dans  ses  lieds,  doux,  mélan- 
colique, épris  de  la  nature,  et  l'un  des  meilleurs  chantres 
du  printemps,  du  printemps  dont  le  souffle  éveille  ses 
chansons,  du  printemps,  cette  grande  fôte  qu'il  voudrait 
célébrer  par  le  repos  et  la  prière,  du  printemps  où  tout 
change  et  tourne,  où  son  pauvre  cœur  oublie  ses  tour- 
ments, et  c'est  au  printemps  qu'il  souhaite  d'être  enterré, 
dahs  le  plus  épais  du  gazon.  Il  fut  le  maître  de  la  ballade. 
Tantôt,  il  puise  dans  la  poésie  populaire  et  il  met  en 
scène  le  soldat  qui  voit  tomber  à  ses  côtés  le  meilleur 
des  camarades  et  qui  ne  peut  lui  tendre  la  main,  la  fille 
de  l'hôtelier  couchée  dans  le  cercueil  et  l'amour  qu'elle 
inspire  même  dans  la  mort,  la  fille  de  l'orfèvre  soudai- 
nement fiancée  au  beau  chevalier  qu'elle  aime  en  secret. 
Tantôt  il  tire  ses  sujets  des  légendes  et  des  poèmes  du 
moyen  âge  :  le  vieux  ménestrel  maudissant,  condamnant 
à  l'éternel  oubli  le  roi  jaloux  qui  a  tué  son  jeune  corn- 
pagnon;  le  lord  brisant  la  coupe  de  la  fée  et  avec  elle  le 
bonheur  d'Edenhall;  le  petit  Roland  qui  triomphe  du 
géant;  Charlemagne  qui,  sans  dire  mot  et  pendant  que  ses 
pairs  font  d'inutiles  discours,  guide  le  navire  au  milieu  de 
la  tempête;  Taillefer  qui  partout  chante  et  partout  attise 
le  feu.  Uhland  donna  dans  la  poésie  politique  :  après 
1815,  il   revendiqua  le  bon  vieux  droit,  la  seule  chose 


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LE   XIX^   8IBCLB  853 

qui  manquait  au  paradis  du  Wurtemberg»  et  il  pria  les 
États  de  dire  leur  dernier  mot,  pria  le  roi  d'avoir  un 
cœur  pour  le  peuple,  pria  Dieu  de  parler  à  l'oreille  du 
roi.  Bref,  concis,  et,  avec  ses  archaïsmes,  avec  ses 
familiarités  et  nonchalances  voulues^  correct  et  clas- 
sique, Uhland  excelle  dans  les  petits  tableaux  simples 
et  saisissants.  C'est  le  berger  qui,  le  matin  du  dimanche, 
seul,  dans  la  prairie,  entend  au  loin  la  cloche  du  village, 
et  tombe  à  genoux  sous  le  ciel  qui  lui  semble  s'entr'ou* 
vrir.  C'est  le  pâtre  de  la  montagne,  alerte  et  fier,  heu- 
reux de  vivre  sur  les  cimes,  où  son  chant  couvre  le 
bruit  des  orages,  résolu  de  descendre  dans  la  plaine 
pour  défendre  la  patrie  en  danger.  Et  quel  «  quadro  » 
que  les  trois  strophes  de  la  Ckapellel  Quel  contraste 
entre  la  colline  et  la  vallée  !  En  haut,  une  chapelle  silen- 
cieuse, en  bas,  le  pâtre  qui  chante  dans  la  prairie  près 
de  la  source;  en  haut,  la  cloche  qui  sonne  et  un  cantique 
funèbre,  en  bas,  le  pâtre  qui  se  tait  et  qui  lève  les  yeux; 
en  haut,  le  mort  qu'on  porte  dans  sa  tombe,  en  bas,  le 
pâtre  qui  se  prend  à  penser  qu'un  jour  dans  la  chapelle 
on  chantera  pour  lui. 

Justin  Kerner  (1786-1862)  fut  le  mage  de  1'  «  école 
souabe  ».  Naïf,  rêveur,  croyant  aux  pressentiments  et 
aux  apparitions,  il  finit  par  affirmer  qu'il  s'entretenait 
avec  des  esprits.  Il  chante  donc  l'au-delà,  et  la  mort,  et 
la  douleur  :  la  poésie  ne  sort,  selon  lui,  que  d'un  cœur 
pénétré  par  la  flamme  d'une  souffrance  profonde.  Il  a 
souvent  le  ton  populaire,  et  les  éditeurs  du  Cor  merveil- 
leux ont  inséré  un  de  ses  lieds  dans  leur  recueil.  Mais  il 
a  trop  de  négligence  et  de  laisser-aller. 

Mayer,  Pfizer,  Schwab  sont  des  dilettantes  à  l'haleine 
courte.  Mayer,  bien  qu'il  ait  de  la  finesse,  moralise 
sèchement,  et  non    moins  sèchement  décrit  les    sites 

Lirr^RATUM   ALLIMAVDI  23 


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354  LITTÉRATURE   ALLEMANDB 

de  la  Souabe.  Lourd,  diffus,  Pfizer  ne  s'est  pas  relevé 
des  critiques  de  Gœthe.  Schwab  fut  le  Boie  de  Fécole 
souabe.  Il  encouragea  les  jeunes  talents  et  il  traduisit 
Lamartine  comme  Pfizer  traduisit  Byron.  Elle  est  de 
Schwab,  la  chanson  de  Tétudiant  à  la  tète  moussue  qui^ 
son  diplôme  en  poche,  dit  adieu  à  ses  amis  et  à  sa  belle, 
aux  tavernes  et  aux  salles  de  cours  pour  rentrer  dans  sa 
ville  natale  et  devenir  philistin.  Elle  est  de  Schwab^ 
la  ballade  du  cavalier  qui  meurt  d'épouvante  en  appre- 
nant qu'il  a,  sans  le  savoir,  franchi  sur  la  glace  couverte 
de  neige  le  lac  de  Constance. 

Guillaume  Hauff  (1802-1827),  qui  fit  des  vers,  des  nou- 
velles et  des  romans,  n'avait  que  vingt-cinq  ans  lorsqu'il 
mourut.  Il  manque  de  profondeur;  des  caractères  à 
peine  esquissés,  pas  d'ordonnance,  pas  d'ensemble  ;  assez 
peu  d'originalité.  Mais  les  Mémoires  de  Satan  offrent  une 
peinture  amusante  du  monde  des  étudiants,  et  les  Faniai* 
sies  du  Caîfeau  de  Brème  ont  de  la  grâce  et  de  l'humour. 
Lichtenstein  est  un  des  meilleurs  romans  historiques  qui 
soient  tant  pour  l'agrément  et  la  clarté  du  style  que 
pour  ses  paysages  pittoresques  et  ses  tableaux  atta* 
chants  :  les  Alpes  de  Souabe,  le  castel  de  Lichtenstein 
perché  sur  son  roc  comme  un  nid  d'oiseau  sur  la  cime 
d'un  chêne,  la  grotte  mystérieuse  qui  sert  d'asile  an 
proscrit,  les  mœurs  d'une  ville  impériale  du  xvi*^  siècle, 
la  lutte  des  seigneurs  et  des  cités  contre  le  duc  de 
Wurtemberg,  la  sombre  figure  d'Ulrich,  le  dévoue* 
ment  du  ménétrier  de  Hardt,  les  amours  de  Georges 
et  de  Marie.  Ajoutez  que  Hauff  a  composé  deux  chants 
populaires,  le  Chant  du  matin  et  \ Amour  du  soldat  : 
dans  le  premier^  un  brave  cavalier,  debout  dès  l'aurore 
et  prêt  à  combattre,  envisage  avec  calme  le  sort  qu'il 
pressent;  dans  le  second,   un  soldat  montant  la  garde 


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LE   XIX*  SIÈCLE  355 

pense  à  Tamante  tidèle  qui  s*endort  en  priant  pour  lui. 

A  l'école  souabe  se  rattachent  Morlke  et  Jean- 
Georges  Fischer. 

Edouard  Morikc  (1804-1875)  fut  le  plus  original,  le 
plus  grand  des  poètes  souabcs.  Très  souple,  très  divers 
d'accent  et  de  ton,  il  parcourt  toute  la  gamme,  le  doux  et 
le  grave,  le  plaisant  et  le  sévère.  Il  sait  faire  quelque  chose 
de  rien  et  il  joint  à  la  simplicité  l'émotion,  la  tendresse; 
ce  qu'il  dit,  il  l'a  vécu,  et  il  le  dit  avec  tant  de  naturel 
que  ses  vers  ne  sentent  pas  Teflort.  Le  chant  de  la 
délaissée  qui  pleure  en  allumant  le  feu  et  souhaite  le 
retour  de  l'infidèle^  la  chanson  du  jeune  serviteur  qui 
exulte  de  joie  pour  avoir  baisé  la  bouche  de  Belle  Roth- 
raut,  le  chant  du  chasseur  qui  court,  après  trois  jours  de 
pluie  et  d'inutile  aguet,  rejoindre  sa  boudeuse  amie, 
n'est-ce  pas  le  chant  populaire  dans  toute  sa  fraîcheur  et 
sa  naïveté?  Et  que  de  grâce,  quelle  exquise  mélancolie 
lorsqu'il  évoque  des  souvenirs  d'enfance,  lorsqu'il  raconte 
sa  course  sous  la  pluie  avec  Clairette  ou  lorsqu'il  revoit  le 
val  d'Urach  !  Que  d*humour  et  de  philosophie  souriante 
dans  le  Vieux  Coq  du  clocher  \  Ses  nouvelles  et  ses  romans 
en  prose  ont  des  longueurs,  des  bizarreries;  mais  il  est 
toujours  aimable,  toujours  clair,  et  il  décrit  avec  finesse, 
avec  un  charme  délicat  ce  qui  se  passe  dans  l'âme  de 
ses  personnages  .11  s'était  nourri  de  la  moelle  des  anciens 
et  on  lui  appliquera  ses  propres  paroles,  qu'il  ne  peut 
rien  produire  d'étrange  ou  de  malsain,  et  que  la  fleur 
de  l'antiquité  mêle  son  parfum  à  tout  ce  qu'il  a  fait. 
C'est  le  Gœthe  de  la  Souabe. 

Jean-Georges  Fischer  (1816-1897)  a,  non  seulement 
de  la  grâce,  mais  de  la  vigueur,  de  la  passion,  et,  long- 
temps avant  1866,  il  demandait  un  homme,  un  seul 
parmi  des  millions,  un  homme  antique,  plein  de  Timmor* 


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356  LITTERATURE  ALLEMANDE 

telle  pensée  de  la  grandeur  allemande,  un  homme  ao 
bras  indomptable  et  au  poing  de  fer»  un  dictateur  qui 
vint  imposer  sans  pitié  à  ses  compatriotes  le  rude  joug 
de  l'unité. 

lies  AutrichienB. 

La  poésie  autrichienne  n'était  représentée  au  xviii*  siècle 
que  par  Alxinger,  Blumauer  et  Denis.  Au  xix*  siècle, 
ainsi  que  le  théâtre,  elle  prend  l'essor. 

CoUin  fit  avec  plus  de  patriotisme  que  de  talent  des 
chants  de  guerre  pour  l'armée  autrichienne  (1809)  et 
il  composa  de  froides  tragédies,  Régulas ^  Coriolan^ 
Balboa.  Mais  la  comédie  haussa  le  ton.  Si  Castelli  n'est 
qu'un  improvisateur,  si  Nestroy  tombe  dans  la  farce, 
Bâuerle  crée  le  type  de  Staberl,  fripon,  vantard, 
moqueur,  au  demeurant  le  meilleur  fils  du  monde.  Rai- 
mund,  original,  profond,  spirituel,  sait  rendre  ses 
féeries  vraisemblables,  sait  animer  ses  sujets,  les  éclairer 
d'un  rayon  d'aimable  et  brillante  fantaisie,  de  chaude  et 
touchante  poésie.  Bauernfeld  joint  a  la  jgaité  viennoise 
le  ton  léger  de  la  conversation  et  une  raillerie  discrète 
des  travers  et  des  abus.  Un  homme  de  goût,  le  secré- 
taire Schreyvogelj  relève  de  la  décadence  le  théâtre  de 
la  Burg  (1814-1832)  et  il  eut  une  influence  décisive  sur 
le  dramatiste  qui  devait  rétablir  le  prestige  littéraire  de 
l'Autriche,  sur  François  Grillparzer. 

Bureaucrate  durant  nombre  d'années  et  victime  de 
passe-droits,  pauvre,  simple,  dégoûté  de  ses  entours, 
effrayé  par  les  révolutions,  ne  voyant  plus  l'Autriche  que 
dans  le  camp  de  Radetzky,  Grillparzer  (1791-1872) 
prêche  une  morale  de  renoncement  et  il  exhorte  ses 
contemporains  à   garder  la  paix  du  cœur,  le  seul  bien 


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LS  XIX*  SIECLE  357 

qu^lls  aient  ici-bas.  II  aime,  il  représente  volontiers  des 
personnages  fougueux  et  qui  débordent  de  vie  ;  mais  il 
leur  inflige  la  défaite  suprême  et  il  donne  la  victoire  aux 
plus  raisonnables  et  aux  plus  bourgeois.  II  proclame  le 
triomphe  de  la  tradition,  de  la  «  sage  nécessité  ».  Ambi- 
tieux, passionné,  tourmenté  de  désirs,  n'avait-il  pas  su 
ae  maîtriser,  se  dompter  lui-même  ? 

II  a  composé  des  pièces  romantiques^  VAteuie;  Le 
Ri\^e^  une  i^ie;  Malheur  à  qui  ment;  des  tragédies 
grecques,  Sapho^  La  Toison  âUor^  Les  Vagues  de  la  mer 
et  de  V amour  \  des  drames  nationaux,  La  fortune  et  la  fin 
du  roi  Ottocary  Un  fidèle  sernteur  de  son  maître.  Une 
discorde  entre  frères  dans  la  maison  de  Habsbourg. 

U Aïeule  est  un  drame  fataliste,  mais  très  supérieur 
aux  œuvres  de  Werner  et  de  Mûllner;  il  fait  aujourd'hui 
encore  une  forte  impression,  et  Grillparzer  n'a  peut-être 
rien  écrit  de  plus  tragique  que  la  scène  ou  Jaromir  le 
brigand  s'abandonne  au  délire,  lorsqu'il  découvre  qu'il 
a  tué  son  père  et  qu'il  aimait  sa  sœur. 

Le  Réifey  une  ne  nous  montre  un  jeune  chasseur,  Rous- 
tan,  qui  vit  aux  environs  de  Samarcande  chez  son  oncle 
Massoud  auprès  de  sa  cousine  et  fiancée  Mirza.  Excité 
par  son  nègre  Zanga,  Roustan  brûle  de  conquérir  la 
gloire,  et  il  part.  Il  rencontre  le  roi  de  Samarcande 
menacé  par  un  serpent  et  vole  à  son  secours  ;  mais  sa 
flèche  manque  le  but,  et  un  inconnu,  qui  disparaît  aussi- 
tôt, tue  le  monstre.  Roustan  se  fait  passer  pour  le  sau- 
veur du  monarque  et  il  épouse  sa  fille  Gulnare.  Soudain 
l'inconnu  se  présente;  Roustan  le  poignarde,  puis 
empoisonne  le  roi  qui  soupçonne  le  crime,  puis  incarcère 
le  vieux  Kaleb  qui  connaît  l'empoisonnement.  Le  peuple 
s'ameute,  Roustan  fuit,  tombe  dans  un  abime...  et  il 
s'éveille.  Tout  n'était  qu'un  rêve  !  Rêve  qui  pourtant  n'a 


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358  littehaturb  allemande 

rien  de  fantastique  et  de  trop  irréel.  Le  roi  deSamarcande, 
c'est  h  la  fois  l'oncle  de  Roustan  et  le  prince  dont  Zaaga 
lui  parlait  naguère;  Gulnare,  c'est  Mirza;  l'inconnuy 
c'est  le  seul  homme  qu'il  hait;  Kaleb,  c'est  un  derviche 
qu'il  a  vu  avant  de  s'endormir.  La  ooncludon  s'impose* 
Que  de  crimes  et  qui  naissent  les  uns  des  autres  !  Rous* 
tan  renonce  aux  aventures  et  il  ne  veut  plus  qu'un 
modeste  bonheur;  il  épouse  sa  cousine. 

Malheur  à  qui  ment  est  une  anecdote  de  Grégoire  de 
Tours  mise  en  comédie  :  Léon,  cuisinier  de  l'évèque  de 
ChâlonS)  délivre  Attale,  neveu  de  son  maître.  L'action 
est  rapide,  et  les  caractères  sont  nettement  marqués  : 
d'une  part  les  Francs,  d'autre  part  les  Germains  ;  l'évèque» 
pieux  et  bon;  Attale,  égoïste,  maladroit,  vaniteux;  Léon, 
gai,  souple,  fécond  en  ressources,  fidèle  à  la  promesse 
qu'il  a  faite  de  ne  pas  mentir  et  ne  mentant  pas,  ne 
disant  que  la  vérité  ;  Edrita,  la  fille  du  barbare,  généreuse» 
sincère,  digne  d'être  la  femme  de  Léon;  le  grossier  et 
voracc  Kattwald  ;  le  lourd  Galomir,  incapable  de  penser 
et  presque  de  parler. 

Sapho  n'est  pas  irréprochable.  La  poétesse  se  tue 
lorsque  Phaon  la  délaisse  pour  Melitta.  Pourquoi,  puis* 
qu'elle  sait  la  vie,  puisqu'elle  a  déjà  souffert  et  qu'ua 
Dieu  lui  adonné  de  chanter  ce  qu'elle  souffre?  Son  servi- 
teur Rhamnès  joue  au  dernier  acte  un  rôle  trop  impor- 
tant. Le  style  est  parfois  trop  familier.  Mais  l'héroïne 
é^prouve  et  prouve  la  vérité  de  ce  mot  de  M'^'de  Staël,  que 
la  gloire  est  pour  la  femme  le  deuil  éclatant  du  bonheur. 
Ne  dit-elle  pas  que  le  malheur  attend  l'ambitieux  qui  se 
laisse  attirer  hors  du  cercle  des  siens?  Qui  se  ressemble^ 
s'assemble.  La  grande  artiste,  la  triomphatrice  des  Jeux 
Olympiques  est  trop  supérieure  à  Phaon;  il  voit  en  elle 
une  déesse;  il  n*a  pour  elle  que  de  l'admiration,  et  celle 


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LE  XiX*  SIÉCI^B  850 

qu'il  aime,  c'est  Melitta,  étrangère  comme  lui,  char- 
mante, simple ,  jeane. 

La  Toison  d'or  qui  forme  trois  parties,  YHôtey  les 
Argonautes^  Médée,  contient  des  longueurs,  des  redites  et 
des  incertitudes.  Elle  montre,  suivant  l'auteur,  comment 
les  hommes  deviennent  dans  la  vie  dissemblables  à  eux- 
mêmes  et,  en  effet,  Jason,  le  brillant  héros  qui,  selon  le 
mot  du  poète,  nageait  si  vigoureusement  dans  le  courant 
des  aventures,  meurt  abandonné,  misérable,  et  la  fière 
Médée,  la  chaste  prêtresse,  la  puissante  magicienne  qui 
pour  l'amour  de  ce  beau  Grec  a  trahi  son  père  et  son 
pays,  succombe,  humiliée,  déchue,  maudissant  l'homme 
dont  elle  connaît  trop  tard  l'égoïsme,  égorgeant  ses 
enfants  qui  préfèrent  leur  père  à  leur  mère.  La  toison 
d'or,  écrivait  encore  Griilparzer,  était  le  centre  symbo* 
lique  de  l'action,  le  signe  de  ce  qu'on  recherche  avec 
ardeur  et  de  ce  qu'on  acquiert  injustement  :  elle  fait  le 
malheur  de  Phryxus  qui  l'a  tirée  du  temple,  d'Aiète  qui 
la  ravit  à  Phryxus,  de  Jason  qui  la  reprend  et  de  Médée 
qui  aide  Jason  à  la  reprendre.  Mieux  vaut  croire  que 
Griilparzer  a  voulu  prouver,  comme  toujours,  qu'un 
cœur  simple  et  une  âme  tranquille  font  le  véritable 
bonheur. 

L'œuvre  qui  porte  le  titre  romantique  Les  Vagues  delà 
mer  et  de  Famour  est  l'idylle  de  Héro  et  de  Léandre  mise 
en  tragédie.  Elle  compte  cinq  actes,  un  de  trop,  car  le 
quatrième  languit.  Mais  tous  les  personnages  ont  leur 
rôle,  leur  caractère,  leur  physionomie  :  Tami  de  Léandre^ 
le  père  et  la  mère  de  Héro,  sa  servante,  le  prêtre,  le 
gardien  de  la  tour.  Héro  est  la  plus  gracieuse,  la  plus 
touchante  figure  qu'ait  peinte  Griilparzer  :  aussi  sincère 
que  belle,  riant  de  l'hyménée,  découvrant  soudain  qu'elle 
aime  Léandre,  tombant  dans  les  bras  du  jeune  homme 


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860  LITTERATURE   ALLEMANDE 

qui,  pour  la  voir,  franchit  le  détroit  à  la  nage  et  escalade 
les  rochers,  trahissant  sa  joie  par  son  air  et  son  langage, 
et,  lorsque  meurt  son  amant,  mourant,  elle  aussi,  tout 
naturellement,  puisque  la  vie  de  Léandre  était  la  vie  de 
Héro. 

Dans  la  Fortune  et  la  fin  du  fw  Ottocar  Grillparzer 
entreprend  de  décrire  un  dramatique  conflit  entre  le 
droit  et  l'orgueil,  entre  Rodolphe  de  Habsbourg  modeste, 
sage,  ferme  dans  sa  douceur,  plein  de  confiance  en  la 
justice  de  sa  cause,  et  Ottocar  de  Bohème,  hautain,  vio- 
lent, tyrannique,  infidèle  à  la  foi  jurée.  Mais  la  pièce 
contient  des  scènes  superflues  ou  trop  longues.  Elle  est 
gâtée  par  une  intrigue  d'amour,  les  deux  Merenberg  y 
occupent  trop  de  place,  et  Ottocar,  si  cruellement  puni, 
inspire  sympathie  et  pitié. 

Ottocar  est  l'œuvre  d'un  loyal  sujet,  d'un  Autrichien 
attaché  passionnément  à  la  maison  impériale.  De  même, 
Un  fidèle  serçiteur  de  son  maître  et  Une  discorde  entre 
frères  dans  la  maison  de  Habsbourg.  Le  Serviteur  est  un 
héros  qui  sacrifie  ses  ressentiments  privés  à  son  roi,  et 
Bancban  martyr  du  devoir,  Erny,  coutumière  de  la 
vertu  plutôt  que  vertueuse,  Othon  de  Meran,  fier,  impé- 
tueux, soudainement  brisé,  hébété  par  la  mort  d'Erny, 
la  reine  trop  indulgente  pour  son  frère,  tous  ces  person- 
nages sortent  de  l'imagination  de  Grillparzer.  Dans  la 
Discorde  il  peint  les  Habsbourgs  :  Rodolphe  II  rêveur  et 
irrésolu;  Mathias,  affairé,  suffisant,  médiocre,  mené  par 
un  intrigant;  Maximilien,  intelligent  et  bon,  mais  non- 
chalant ;  Ferdinand,  fanatique,  persécuteur,  dirigé  par 
les  jésuites,  fléchissant  déjà  devant  le  colonel  Wallen- 
stein.  Mais  si  flottants  et  si  faibles  que  soient  ces  Habs- 
bourgs, leur  maison  reste  et  restera  parce  qu'elle  suit  la 
même  marche,  tantôt  lente,  tantôt  rapide,  que  la  nature* 


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LB  XIX»  SIECLE  86t 

A  ces  drames  de  Grillparzer  s'ajoutent  le  fragment 
à^Esther^  la  Juive  de  Tolède  et  Libuasa, 

La  belle  peintare  des  personnages  d'Esther^  du  défiant 
Assuérus^  du  fier  Mardochée,  du  vaniteux  Aman^  d'Esther 
devenue  reine  par  sa  franchise  et  qui  ment  au  roi  parce 
qu'elle  Taime,  fait  regretter  que  Grillparzer  n'ait  pas 
achevé  son  œuvre. 

La  Juive  de  Tolède  retrace  l'amour  du  roi  d'Espagne 
Alphonse  YIII  pour  la  juive  Rachel.  Tenu  de  court  dans 
sa  jeunesse,  marié  à  une  Anglaise  raide  et  glaciale,  le 
roi  est  entraîné  vers  Rachel  par  une  ardeur  irrésistible 
des  sens  et  il  fuit  avec  elle  au  château  de  Retiro.  Bientôt 
il  remarque  ses  défauts,  sa  coquetterie,  sa  frivolité,  ses 
caprices.  Il  s'éloigne,  il  revoit  la  reine  et,  rebuté  de 
nouveau  par  la  froideur  de  sa  femme,  il  rejoint  sa  maî- 
tresse. Trop  tard;  Rachel  a  péri,  condamnée  par  la  reine 
et  les  grands  du  royaume.  Il  s'emporte,  il  crie  ven- 
geance. Mais,  à  l'aspect  du  cadavre  et  lorsqu'il  a  vu  com- 
bien Rachel  dans  la  mort  ressemble  à  son  père  Isaac,  le 
charme  se  rompt. 

Libussa  consent  à  succéder  au  duc  de  Bohème,  son 
père,  pourvu  que  ses  sujets  lui  obéissent  sans  discuter 
ses  actes.  Elle  gouverne  par  la  bonté  :  pas  de  riches  et 
de  pauvres;  les  citoyens  travaillent  à  tour  de  rôle; tandis 
que  les  uns  cultivent  les  champs,  les  autres  se  diver- 
tissent. Mais,  le  peuple  s'agite.  Il  veut  un  gouvernement 
plus  ferme.  Libussa  épouse  Premislas,  et  le  nouveau 
souverain  répand  les  idées  de  progrès,  établit  la  justice, 
fonde  une  ville.  L'idéal  fait  donc  place  à  la  réalité,  et 
Libussa  meurt  en  prédisant  Tâge  de  fer.  Le  drame  con- 
tient de  beaux  passages  ;  par  instants,  il  est  nuageux  et 
obscur;  il  traite  trop  de  questions  et  soulève  trop  de 
problèmes. 


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36S  LITTEBATURK  ALLEMANDE 

Grillparzer  eut  le  mérite  de  suivre  son  chemin  sans 
faire  aucune  concession  au  goût  du  jour.  Il  relève  dn 
théâtre  populaire  viennois  dans  le  domaine  de  la  comédie 
et  de  la  fantaisie,  de  Schiller  dans  ses  drames  hislori«> 
ques,  de  Gœthe  dans  ses  tragédies  grecques.  Mais  il  y  a 
dans  ses  œuvres  plus  d'action  que  dans  celles  de  GcBihe 
et  plus  de  vérité  dramatique  que  dans  celles  de  Schiller^ 
Sa  langue  pourrait  être  plus  châtiée  ;  elle  manque  souvent 
d'harmonie  ;  elle  offre  des  vers  négligés  ou  durs  ;  elle  a 
toutefois  de  la  couleur,  de  l'éclat,  de  l'abondance.  Classi* 
que  et  romantique  tout  ensemble,  il  étudia  les  Grecs, 
Shakespeare,  Lope  de  Vega,  Calderon.  Ses  personnages 
vivent  ;  il  leur  prête  ses  propres  sentiments  ou  les  senti- 
ments et  les  gestes  de  ses  entours.  Héro,  cette  nonne  qui 
s'affranchit  des  règles  du  couvent,  a  les  traits  de  Marie 
DafGngcr  et  elle  pose  sa  lampe  à  terre  pour  donner  un 
baiser  à  Léandre  comme  fit  un  certain  soir  de  1819 
Charlotte  Paumgartten  au  départ  du  poète. 

Grillparzer  eut  des  émules,  Mosenthal,  dont  la  Débora 
se  joue  encore,  Nissel,  l'auteur  d'une  Agnès  de  Meran^ 
Halm.  Ce  dernier  (1806-1871)  a  fait  Griselidis,  Y  Adepte, 
le  Fila  de  la  solitude^  le  Gladiateur  de  Rai^nne.  Mais  s'il 
a  de  l'adresse  et  de  l'esprit,  il  manque  de  vigueur.  Sen- 
timental, déclamatoire,  visant  h  l'effet,  il  gâte  tous  les 
sujets  qu'il  traite.  Les  contemporains  louèrent  l'élégance 
de  son  style  et  l'aisance  de  ses  iambes;  ils  prirent  le 
clinquant  pour  de  l'or;  il  y  a  chez  Halm  trop  de  phrases 
creuses,  trop  de  fleurs  de  rhétorique. 

Les  lyriques  se  joignent  aux  dramatistes,  et  jamais 
l'Autriche  n'eut  autant  de  poètes  remarquables  que  de 
1820  h  1870  :  Zedlitz,  GrOn,  Lenau,  Beck,  Hartmann, 


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LE  XIX*"  8IECLB  868 

Meissner»  Betty  Paoli,  Feachtersleben^  liamerlîng,  Gilm, 
Pichler. 

On  ne  lit  plus  du  baron  de  Zedlitz  (1790-1862)  ni  les 
canzoni  où  TEsprit  des  tombeaux  évoque  les  grands 
hommes,  ni  le  poème  où  il  exhorte  les  rois  à  se  croiser 
pour  la  Grècei  ni  l'idylle  de  la  Vierge  des  boUy  jolie  et 
fraîche,  bien  qu'un  peu  affëtée  et  trop  longue.  On  ne 
connaît  que  sa  pièce  de  vers,  la  Reifue  noclurney  où  la 
Grande  Armée,  sortie  du  sépulcre,  défile  à  minuit  dans 
les  Champs-'Elysées  devant  son  empereur. 

Anasiasius  Grûn,  de  son  vrai  nom  le  comte  Antoine- 
Alexandre  d'Auersperg  (1806-1876),  fut  le  chef  de 
l'opposition  qui  se  manifesta  dans  la  littérature  contre  la 
politique  de  Metternich.  Dans  le  Dernier  chevalier  (1830) 
Tempereur  MaximiKen,  que  l'amour  de  son  peuple  a  sauvé 
de  la  mort,  tient  le  langage  de  Posa  ou  de  Joseph  II. 
Dans  les  Promenades  d\in  poète  viennois  (1831)  le 
loyal  peuple  d'Autriche  demande  à  Metternich  s'il  peut 
prendre  la  liberté  d'être  libre.  Dans  Z)éco/n6ré9  (1835),  le 
Christ,  revenant  sur  la  terre,  voit  régner  partout,  comme 
en  un  monde  nouveau,  le  bonheur  et  la  paix.  Ces  idées 
libérales,  Grûn  les  exprime  encore  dans  ses  Poésies 
(1837).  Il  est  grave;  mais  sa  satire  même  n'a  pas  d'amer- 
tume. Parfois  sa  pensée  se  déroule  comme  dans  le  Der^ 
nier  poète^  en  une  suite  d'images  ;  parfois  il  recourt  à 
l'allégorie  et  le  printemps  mettant  l'hiver  en  fuite,  c'est 
le  champion  de  la  liberté  qui  chasse  le  despote.  Grûn 
eut  un  instant  de  découragement  et  ses  Nibelungen  en 
habit  se  moquent  de  la  poésie  politique.  Mais  le  Curé 
du  Kahlenberg  respire  son  espoir  inébranlable  dans  le 
triomphe  do  droit.  Par  malheur,  cet  écrivain  h  l'âme 
généreuse  et  aux  sentiments  élevés  est  plutôt  un  versifi- 


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36%  LITTERATURE  ÂLLBMANDB 

cateur  qu*un  poète  ;  il  fait  trop  de  phrases,  il  abuse  de  la 
métaphore,  il  manque  par  moments  de  naturel,  et  trop 
souvent  il  est  lourd  et  dépourvu  d'harmonie. 

Profondément  sensible,  inquiet,  impatient,  mobile, 
prompt  k  s'exalter  et  plus  prompt  encore  à  s'abattre, 
faisant  projets  sur  projets,  changeant  sans  cesse  d'étude 
ou  de  séjour,  passant  à  une  certaine  époque  de  sa  vie 
la  moitié  de  son  temps  en  chaise  de  poste,  sceptique, 
puis  croyant,  puis  panthéiste,  errant  de  système  en 
système,  de  pays  en  pays  et  de  logement  en  logement, 
pareil  a  son  Faust  que  le  brouillard  et  le  doute  poursui- 
vent jusque  sur  la  cime  des  monts,  ne  trouvant  à  l'orage 
de  questions  qui  gronde  en  son  cœur  d'antre  réponse 
que  le  silence  de  la  mort,  malade,  nerveux,  hypocondre, 
agité  par  de  violentes  amours,  incapable  de  se  résigner  et 
de  se  soumettre  à  une  règle,  dépourvu  d'énergie  et  de 
volonté,  malheureux  et  aimant  son  malheur  et,  selon  ses 
propres  termes,  le  cherchant  à  son  réveil  de  même 
qu'une  mère  cherche  son  enfant,  hanté  par  la  pensée 
du  suicide,  saisi  enfin  par  le  tourbillon  de  la  démence, 
Lenau  a  toujours  prêché  le  pessimisme. 

Nicolas  Lenau  (1802-1850,  de  son  vrai  nom  Niembsch 
de  Strehlenau)  a  composé  de  grands  poèmes  :  Fausty 
SavonaroUy  Les  AlbigeoiSy  Don  Juan. 

L'idée  du  Faust  est  obscure  et  les  longs  épisodes  qui 
le  surchargent  se  lient  mal  a  l'ensemble.  Quelle  diffé- 
rence entre  le  Faust  de  Gœthe,  fier,  inassouvi,  infati* 
gable  à  vivre,  devenant  le  bienfaiteur  de  ceux  qui 
l'entourent,  louant  l'effort  et  l'action,  et  le  Faust  de  Lenau, 
irrésolu,  flottant  entre  Dieu  et  la  nature,  tombant  dans 
le  désespoir  et  finissant  par  se  tuer!  Quelle  différence 
entre  le  Méphisto  de  Gœthe,  souple,  caustique,  sinistre, 


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LE  XIX"   SIBCLE  86( 

elle  Méphisto  deLenau,  qui  n'est  qu'une  sorte  de  mauvais 
génie  et,  comme  disait  le  poète,  un  personnage  sur 
lequel  il  s'est  déchargé  de  toutes  ses  idées  infernales  ; 
entre  la  Marguerite  de  Gœthe  si  vivante,  et  la  Marie  de 
Lenau,  si  languissante  et  pâle;  entre  l'œuvré  de  Gœthe 
qui  constitue  un  drame  véritable  et  celle  de  Lenau  qui 
n'est  qu'une  série  de  monologues  lyriques!  Mais  ce 
lyrisme  fait  la  beauté  du  Faust  de  Lenau  :  s'il  abuse  des 
images,  Lenau  exprime  les  troubles  et  les  tourments  de 
son  âme  avec  une  ardente  sincérité,  et  en  variant  le  ton, 
le  mètre  et  la  rime  ;  après  et  malgré  le  Faust  de  Gœthe, 
il  est  original. 

Sa^onarole  manque  de  chaleur  et  d'intérêt.  Lenau  y 
prodigue  les  symboles  et  les  allégories.  Il  avait  alors  une 
crise  de  mysticisme  :  influencé  par  son  ami  Martensen, 
persuadé  que  l'art  doit  servir  la  morale,  épris  de  la 
théosophie  romantique  de  Baader  et  désireux  de  com- 
battre à  la  fois  Heine,  Gœthe  et  Hegel,  il  représente 
Savonarole  comme  un  mystique  qui  recommande  de 
s'abandonner  au  Christ,  de  s'anéantir  en  un  Dieu  d'amour 
et  de  pitié.  Dans  le  dernier  épisode  du  poème,  le  juif 
Tubal,  jusque-là  l'implacable  ennemi  des  chrétiens,  se 
convertit  à  la  vue  du  moine  qui  marche  avec  calme  au 
supplice  et  ses  larmes  lui  fournissent  l'eau  du  baptême. 

Les  Albigeois  fourmillent  d'anachronismes  et  d'invrai* 
semblances.  Lenau  a  tourné  au  panthéisme  et  il  est  désor- 
mais avec  les  hégéliens  contre  les  prêtres.  Les  Albigeois 
sont  des  sceptiques  ;  les  troubadours  défendent  la  liberté 
de  pensée;  le  pape  Innocent  III  a  des  remords.  Pas 
d'unité,  pas  de  suite.  Lenau  donne  avec  raison  à  son 
œuvre  le  titre  de  «  poèmes  libres  ».  Sans  doute  il 
dessine  avec  un  saisissant  relief  les  personnages  princi- 
paux; il  peint  d'une  couleur  énergique   et  sombre  les 


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866  LITTBnATURB   ALLEMANDE 

combats  et  les  carnages  de  la  croisade;  il  affirme  que 
rtiomme  se  développe  sans  cesse  et  s'achemine  de  lutte 
en  lutte  et  de  système  en  système  vers  un  meilleur  desUn. 
Mais  bien  qu'un  souffle  épique  circule  d'un  bout  à  Taulrc 
du  poème,  Lenau  est  trop  souvent  obscur  etaffeeté;  ea 
beaucoup  d'endroits  il  tombe  dans  l'horrible  et  lui-même 
jugeait  ses  Albigeois  bien  sanglants. 

Le  fragment  de  Don  Juan  vaut  surtout  par  ia 
langue.  Le  héros  n'obéit  qu'a  sa  passion  et  chez  lui 
un  amour  naît  avant  que  l'autre  ne  soit  mort;  las, 
dégoûté,  il  se  laisse  tuer  dans  un  duel. 

Aux  grands  poèmes  de  Lenau,  à  Don  JuaUj  aux  AWi^ 
geoisy  à  Suifonarole^  à  Faaat^  on  préférera  toujours  ses 
poésies  lyriques. 

Avec  quel  charme  il  rend  les  sentiments  du  postillon 
qui  s'arrête  devant  la  tombe  d'un  camarade  pour  jouer 
au  mort  son  air  favori!  Avec  quelle  poignante  émotion  il 
dit  ses  blessures  de  cœur,  son  regret  d'avoir  perdu  sa 
mère  ou  rompu  le  dernier  fil  de  la  foi,  la  tristesse  que 
lui  inspire  la  fuite  des  choses,  l'amère  volupté  d'être 
seul,  et  le  désir  de  mourir!  Il  a  peint  la  lande  hongroise 
balayée  par  le  vent  et  illuminée  par  les  clartés  soudaines 
de  l'éclair,  ses  hussards,  ses  brigands  qui  chantent  et 
dansent  dans  l'auberge,  ses  tsiganes  dont  il  aime  le 
fatalisme  et  le  rêveur  nonchaloir.  Il  a  peint  les  Alpes 
autrichiennes  aux  lacs  noirs,  la  majesté  de  la  forêt,  ses 
bruissements  mystérieux  et  les  secousses  que  lui  imprime 
le  vent.  Ce  qu'il  sent  surtout  et  ce  qu'il  décrit  avec 
complaisance,  c'est  la  nature  sauvage  ou  bouleversée. 
Cette  nature,  il  l'anime,  il  lui  prête  nos  douleurs,  et  il 
voit,  par  exemple,  une  pensée  triste  passer  sur  la  face  du 
ciel.  Lenau  est  le  poète  du  désenchantement;  son  œuvre 
entière  respire  une  âpre  mélancolie  :  la  source  se  plaint, 


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LB   XIX*   8IBCLB  867 

le  ruisseau  empoiie  ies  feuilles  d'automne  avec  un  pleur 
à  demi  étouffé. 

Il  imite  fréquemment  Byron;  il  s'attache  trop  au 
détail;  il  se  livre  à  des  digressions,  et  il  a  des  strophes 
qui  sont  du  pur  remplissage.  On  peut  lui  reprocher  de 
l'obscurité,  de  la  subtilité,  de  la  recherche.  Si  faciles 
que  semblent  ses  vers,  quelques-utis  sentent  Thuile. 
Mais  il  a  du  nerf,  de  la  précision,  de  la  couleur,  des 
expressions  pittoresques,  des  images  fortes,  hardies, 
originales  :  il  fait  des  noires  nuées  un  troupeau  de 
cavales  qui  galopent  par  le  ciel  et  de  l'ouragan  un  grand 
oiseau  de  nuit  qui  bat  l'air  de  ses  ailes  sombres.  Sa 
langue  est  harmonieuse.  Il  avait  l'oreille  d'un  musicien 
et  par  la  cadence  du  vers,  par  la  souplesse  du  mètre, 
par  l'habile  emploi  des  mots  et  des  rimes  il  obtient  des 
effets  merveilleux. 

De  Lenau  relèvent  nombre  de  poètes  autrichiens, 
Beok,  Hartmann,  Meissner. 

Ni  les  Nuits j  chants  cuirassés^  ni  le  Poète  errant^  ni  les 
Chants  de  paix  y  ni  la  tragédie  de  Saûl  n'ont  fait  la  réputa- 
tion de  Charles  Beck  (1817-1879).  Ce  furent  son  roman 
de  Janko  aux  rythmes  divers  et  ses  Poésies  où  il  évoque 
les  mœurs  des  Magyars,  ses  Chansons  de  V homme  pauçre 
où  il  déplore  le  sort  des  misérables  et  invective  les  riches 
et  les  juifs,  ses  vers  sur  La  Patrie  où  il  décrit  les  scènes 
de  l'insurrection  hongroise.  Mais,  s'il  a  de  la  vivacité, 
de  l'énergie,  de  la  fougue,  il  a  de  l'emphase,  il  offre  des 
négligences  et  des  obscurités,  il  est  trop  cr  Jeune  Alle- 
magne )>. 

Dans  son  premier  recueil  qui  parut  en  1845  et  qu'il 
intitule  en  souvenir  des  Hussites  Calice  et  épée^ 
Maurice   Hartmann    (1821-1872)    plaide    la   cause   des 


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368  LITTBRATUnE  ALLEMANDE 

opprimés,  et  pleure  la  Bohème,  ce  chevreuil  qui  meurt 
au  fond  de  la  forêt  silencieuse  après  avoir  perdu  tout 
son  sang  en  une  lente  agonie.  Il  a  fait  d^autres  ve.rs. 
Poésies  nouvelles^  Colchiques^  la  Chronique  rimée  du 
prêtre  Maurice  on  il  raille  dans  le  style  de  Hein^ 
l'impuissance  du  parlement  de  Francfort.  Il  a  fait  une 
idylle,  Adam  et  Eve^  des  nouvelles,  un  roman  sur  les 
derniers  jours  de  Murât,  des  impressions  de  voyages. 
Peu  original,  il  est  aimable,  gracieux,  délicat.  Dans  sa 
douleur  même  il  a  quelque  chose  de  calme  et  de  résigné. 
Il  a  trouvé  de  nobles  acceuts  pour  célébrer  la  liberté 
qu^il  nomme  la  plus  belle  des  muses  et  il  a,  de  façon  tou- 
chante, chanté  sa  mère,  rappelé  les  larmes  qu'elle  ver- 
sait sur  lui,  Tamour^  le  saint  et  grand  amour  qu'elle 
gardait  k  son  fils,  et  les  mots  inoubliables  dont  elle 
Taccueillit  lorsqu'elle  le  revit  après  de  longues  années  : 
«  O  Dieu,  que  tes  joues  sont  pâles  !  » 

Alfred  Meissner  (1822- 1885)  est  disqualifié  comme 
romancier.  Poète,  il  a  des  mérites,  du  soin,  du  senti- 
ment, du  coloris.  Sa  plus  remarquable  production  est 
Ziska,  Cet  Allemand  naïf  a  chanté  le  héros  des  Tchèques 
non  sans  vigueur  et  avec  une  verve  parfois  ardente.  Mais 
l'œuvre  manque  de  suite  et  mêle  souvent  la  platitude  à 
l'emphase. 

Betty  Paoli  (1815-1894)  a,  de  son  propre  aveu,  beau- 
coup aimé  et  beaucoup  souffert,  et,  de  son  propre  aveu, 
elle  n'a  pas  eu  la  force  de  cueillir  la  palme,  d'atteindre 
la  perfection;  ses  vers  respirent  une  émotion  sincère, 
mais  l'art  fait  défaut. 

Ernest  de  Feuchtersleben  (1806-1849),  qui  fut  un  célèbre 
médecin,  est  moins  connu  par  ses  poésies  que  par  un  traité 
sur  V Hygiène  de  Vâme\  on  doit  pourtant  citer  entre  ses 
pièces  de  vers  celle  qui  commence  ainsi  :  Es  ist  bestimmt 


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LE   XIX*   SIBCLE  869 

in  Gottes  Rat;  elle  est  devenue  un  chant  populaire,  et  par 
sa  mélancolie  contenue  et  son  accent  de  doux  espoir  elle 
a  consolé  plus  d'un  cœur. 

Robert  Hamerling  (1830-1889)  a  composé  un  drame, 
Danton  et  Robespierre^  qui  manque  de  vigueur  et  un 
roman,  Aspasie^  long  et  traînant.  Mais  AhaB9er  à  Rome 
et  Le  roi  de  Sien  sont  des  épopées  aux  grandes  propor- 
tions. Ahasçery  en  vers  blancs  de  cinq  pieds,  donne 
prise  à  la  critique.  Que  d'images  sensuelles,  que  de 
scènes  voluptueuses  évoque  ce  malade  qui  se  plaint  de 
n'avoir  pas  connu  Tamour!  Que  de  longues  descriptions! 
Que  d'interminables  discours!  Quel  personnage  obscur 
que  cet  Ahasver  qui  n'est  autre  que  Caïn,  le  premier 
meurtrier,  et  qui  ne  parait  que  pour  annoncer  les  évé- 
nements ou  en  tirer  la  morale,  qui,  par  une  singulière 
inconséquence,  reproche  à  Néron  l'incendie  de  Rome, 
après  avoir  lancé  la  première  torche  !  Mais  Néron  dans  sa 
monstrueuse  folie  de  jouissances,  est  peint  avec  talent, 
et  nombre  de  tableaux,  la  taverne  de  Locuste,  la  baccha- 
nale, la  mort  d'Agrippine,  l'embrasement  de  la  ville, 
sont  vivants,  éclatants,  éblouissants.  Le  Roi  de  Sion\  a 
les  mêmes  mérites  :  même  couleur,  même  flamme,  même 
fougue  entraînante,  et  les  péripéties  de  l'action  se  dérou- 
lent rapidement,  malgré  la  lenteur  des  hexamètres. 
HomunculuSj  en  trochées  de  quatre  pieds,  est  une  puis* 
santé  satire  de  notre  temps.  Toutefois  Hamerling  a  trop 
d'ampleur  et  de  faste.  On  l'a,  non  sans  raison,  comparé 
à  Makart.  Un  effort  de  réflexion  et  de  combinaison  se 
fait  sentir  dans  sa  poésie  :  il  n'a  pas  ce  quelque  chose 
d'aisé,  de  spontané  qui  jaillit  de  la  source  intérieure. 

Hieronymus  Lorm  (de  son  vrai  nom  Henri  Landes- 
mann,  1821-1902),  sourd  et  presque  aveugle,  optimiste 
pourtant,  trouva,  commme  il  dit,  un  rayon  de  soleil  dans 

UTTtfBATDR*   ALLIMAKOB.  24 


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370  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

son  cœur  et  chanta  la  vie  de  son  âme,  son  <x  ciel  inté- 
rieur »y  envers  touchants. 

Gilm  (1812-1864)  a  célébré  l'amour  de  la  liberté,  le 
Tyrol,  sa  haine  des  jésuites  et,  s'il  s'inspira  souvent  de 
Heine,  il  avait  le  tempérament  d'un  vrai  lyrique. 

Adolphe  Pichler  (1819-1900)  a  moins  de  mollesse  que 
Gilm,  moins  d'élégance,  mais  ses  Journaux  fourmillent 
d'anecdotes  sur  les  événements  auxquels  il  assista  et  sur 
ses  voyages  dans  la  montagne. 

Il  faut  clore  cette  liste  par  le  nom  du  nouvelliste  et 
romancier  Adalbert  Stifter  (1805-1868).  Ce  contemplatif 
manque  de  force,  et  il  est  parfois  fade  et  ennuyeux.  Il  a 
décrit  la  nature  avec  soin,  avec  minutie,  non  sans 
pédantisme  et  affectation  ;  mais  il  l'aime,  et  il  Taime  dans 
ce  qu'elle  a  de  régulier  et  d'harmonieux.  Il  préfère  à 
l'orage  et  au  volcan  la  brise  légère  et  la  verdure  riante, 
comme  il  préfbre  aux  passions,  si  puissantes  qu'elles 
soient,  la  vie  tranquille  du  juste.  C'est  un  sage,  un  paci- 
fique, qui  craint*  de  même  que  Grillparzer,  les  boule- 
versements et  qui  veut  voir  dans  le  monde,  non  le  grand 
ou  le  grandiose^  mais  un  beau  simple  et  doux,  et^  selon 
ses  propres  termes,  l'innocence  des  choses  et  leur  charme 
reposant.  Il  dit,  par  exemple,  lorsque  des  jeunes  filles 
contemplent  un  cirque  de  forêts  jusqu'alors  inexplorées, 
que  leurs  yeux,  ces  (leurs  de  leurs  cœurs^  regardent  tout 
brillants  ce  merveilleux  spectacle  et  que  cette  nature  que 
les  mains  de  l'homme  n'ont  pas  encore  touchée  avait 
quelque  chose  de  chaste,  de  divin  et  comme  l'expression 
de  la  vertu.  Son  style  clair  et  pur  rappelle  ce  calme  et 
cette  sérénité  qu'il  admirait  dans  l'univers. 


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LE  XIX*  SIECLE  57t 


Heine  et  la  Jetme  Allemagne. 

Les  poètes  autrichiens  n'étaient  pas  seuls  a  demander 
la  liberté  politique,  cette  liberté  que  les  gouvernements 
avaient  promise  aux  peuples  avant  la  bataille  et  refusée 
après  la  victoire.  Le  17  octobre  1817  eut  lieu  ia  fête  de  la 
Wartbourg  :  des  étudiants,  dirigés  par  le  professeur 
Massmann,  jetèrent  dans  un  bûcher  les  livres  des  ennemis 
de  la  bonne  cause,  le  Code  Napoléon,  les  règlements  de 
la  gendarmerie,  un  corset  d*uhlan,  une  perruque  et  un 
bâton  de  caporal.  Metternich,  alarmé,  cria  qu'il  fallait 
sévir  ef  employa  de  nouveau  les  cinq  métaphores,  volcan, 
peste,  cancer,  déluge,  incendie,  qui  lui  servaient  à 
désigner  le  péril  révolutionnaire.  Des  curateurs  furent 
attachés  aux  Universités  pour  les  surveiller;  une  commis-- 
sion  nommée  par  la  Diète  eut  charge  de  réprimer  les 
menées  démagogiques;  la  censure  défendit  la  réédition 
des  Discours  de  Fichte  à  la  nation  allemande.  Mais 
Tesprit  de  libéralisme  ne  put  être  étouffé,  la  révolution 
de  1830  Tencouragea,  il  venait  de  la  France  comme  un 
vent  de  révolte,  et  ce  fut  alors  que  parut  la  Jeune  Alle- 
magne. 

Le  mot  existait  déjà.  Le  révolutionnaire  italien  Mazzini 
appelait  ainsi  la  société  secrète  où  il  enrôlait  les  réfugiés 
allemands.  Wienbarg  l'ignorait,  et  il  dédia  son  livre 
Campagnes  esthétiques  (1834),  qui  n'a  rien  de  politique,  à 
la  Jeune  Allemagne  :  il  entendait  par  la  la  jeunesse  aile* 
mande.  La  Diète,  trompée,  condamna  la  Jeune  Allemagne, 
et  les  écrivains  qu'elle  frappa  prirent  ce  nom. 

Borne,  Heine,  Gutzkow,  Laube,  Wienbarg,  Mundt, 
KOhne  composent  la  Jeune  Allemagne.  En  réalité.  Borne 
et  Heine  ne  lui  appartiennent  pas  :  ils  vivent  à  l'étranger; 


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S7S  MTTBRATUnB   ALLBMANOR 

mais  les  autres  les  regardent  comme  leurs  maîtres  et  leurs 
patrons. 

Louis  Borne  (1786-1837)  fut  un  instant  le  rival  de 
Heine.  Il  avait  beaucoup  d'esprit.  Ses  parents  le  nom- 
maient le  Witzbold  et,  à  son  lit  de  mort,  il  disait  à  son 
médecin  qu'il  n'avait  plus  de  goût,  de  même  que  la  lit* 
térature  de  son  pays.  Son  esprit»  c'est  l'esprit  du  jaif 
berlinois  des  premières  années  du  xviu*  stëele,  un  esprit 
de  dénigrement  et  de  négation  moqueuse.  Il  regarde 
l'esprit  comme  incompatible  avec  la  louange  et  il  n'a,  il 
ne  vent  avoir  d'esprit  que  pour  blâmer  :  le  blâme  sans 
esprit,  c'est,  suivant  son  expression,  la  flamme  sans 
lumière.  Or,  il  blâme  oe  qui  l'ennuie,  ce  qui  lui  parait 
«  bète  ».  Il  ne  fut  qu'un  feuilletoniste,  et  il  n'a  pas  fait 
un  ouvrage  :  un  livre,  selon  lui,  c'est  du  vin  en  tonneau; 
une  page,  c'est  du  vin  en  bouteille;  l'essentiel,  c'est 
qu'il  y  ait  du  vin.  Mais  il  sut  rédiger  un  article;  il  avait 
la  phrase  courte,  alerte,  résolue;  ses  contemporains 
admirèrent  la  vivacité  et  la  vigueur  de  son  style.  Il 
disait  qu'il  était  malade  de  sa  patrie  et  qu'il  guérirait 
lorsqu'elle  serait  libre.  Après  la  révolution  de  1830,  il 
s'établit  dans  ce  Paris  où  était  «c  la  Convention  des 
patriotes  j»,  et  là,  il  écrivit  ses  Lettres  de  Pari».  Il  ne 
cessait  de  persifler  les  Allemands,  de  les  railler  amère- 
ment :  (c  Si  les  Russes  sont  des  esclaves,  les  Allemands 
sont  des  domestiques  ».  Mais,  tout  en  leur  proposant  les 
Français  pour  modèles,  il  restait  deuisch.  C'était  un 
cosmopolite  de  tète,  et  non  de  cœur.  Reprocher  aux 
Allemands  de  n'être  pas  une  nation,  de  n'être  que  le 
cabinet  des  antiquités  de  l'Europe,  n'était-ce  pas  faire 
preuve  de  patriotisme?  Il  a  blasphémé  Gœthe;  mais  il  se 
piquait  de  n'avoir  jamais  médit  de  Gœthe  en  langue  fran- 
çaise. Il  félicitait  les  Allemands  d'avoir  le  cœur  toujours 


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LB  XIX*  SIBGLB  878 

jeune.  Il  louait  leur  langue,  assurait  que  dans  Tamour 
de  la  langue  s'unissaient  les  frères  séparés  :  n  Aucune 
autre  langue,  écrit-il  une  fois,  n*est  aussi  riche  et  puis-* 
santé,  aussi  forte  et  gracieuse,  aussi  belle  et  aussi 
douce  ;  elle  est  la  fidèle  interprète  de  toutes  les  langues  ; 
TAnglais  grasseyé,  le  Français  babille,  TEspagnol  râle, 
l'Italien  badine,  seul  T Allemand  parle  ».  Dès  1819  il 
prononce  ce  mot  :  que  la  Prusse  est  Tesprit  de  TAlle- 
magne  et  que  l'esprit  gouverne  le  corps, 

Henri  Heine  (1797-1856)  est  né  à  Dûsseldorf,  sur  la 
rive  gauche  du  Rhin,  de  parents  israélites.  Son  père  était 
frivole,  et  sa  mère,  instruite,  musicienne,  exempte  de 
préjugés,  ennemie  de  la  sensiblerie.  Il  fit  ses  études  au 
lycée  de  Dûsseldorf,  tâta  du  commerce  et  de  la  banque, 
puis  suivit  des  cours  de  droit  à  Bonn,  à  Gœttingue  et  à 
Berlin.  Ce  fut  à  Berlin,  en  1822,  qu'après  avoir  fréquenté 
les  romantiques,  il  publia  son  premier  recueil  de  vers, 
Poésies.  En  1827  parut  son  Lwre  des  Chants  en  quatre 
parties  :  Jeunes  Souffrances^  qui  n'est  que  le  recueil  de 
1822,  Vlntermezsoj  le  Retour^  la  Mer  du  Nord. 

Jeunes  Souffrances!  Ce  sont  les  soufirances  de  Heine 
au  temps  où  il  aimait  la  fille  du  bourreau  de  Dûsseldorf, 
la  petite  rousse  Josépha,  cette  énigme  aux  yeux  noirs  et 
k  la  bouche  dédaigneuse,  où  il  aimait  sa  cousine  Amélie 
qui  se  moqua  de  ses  vers. 

Vlntermezzo  retrace  une  histoire  vieille  comme  le 
monde,  l'histoire  de  Tamour  trompé.  Heine  célèbre  la 
bien-aimée,  lui  offre  des  vers  pénétrés  d'allégresse,  par* 
fumés  comme  la  rose  et  purs  comme  le  lys.  Mais  il 
apprend  la  trahison  et  il  l'apprend  sans  colère,  redisant 
son  malheur  en  strophes  résignées,  associant  à  sa  dou- 
leur les  choses  qui  l'entourent,  prêt  à  tomber  comme 
l'étoile  qui  tombe  du  ciel  ou  comme  les  fleurs  qui  tombent 


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S74  LITTBRÀTUIIB   ALLBMANDB 

du  pommier,  et,  dans  un  carrefour,  loin  de  la  ville, 
regardant  la  pauvre  petite  fleur  bleue  qui  croit  seule  sur 
la  tombe  du  suicidé. 

Il  y  a  dans  le  Retour  des  pièces  où  règne  encore  le  déses- 
poir. Mais  déjà  le  poète  se  console,  il  se  fie  derechef  à  la 
vie,  il  se  rend  au  bord  de  la  mer  et  il  commence  à  recou- 
vrer la  santé  morale,  il  sent  comme  une  force  nouvelle, 
il  assure  qu'il  est  encore  plus  puissant  que  tous  les  morts. 

Dans  la  Mer  du  Nord  il  évoqua  de  grandes  scènes  : 
les  Dix  Mille  saluant  TEuxin,  Jésus  marchant  sur  les  flots, 
une  Atlandide  qui  se  dessine  dans  les  profondeurs  de 
l'eau  transparente,  les  nuages  qui  rappellent  par  leur 
forme  colossale  les  dieux  delà  Grèce  aujourd'hui  détrônés 
et  si  faibles,  si  malheureux  qu'il  les  prend  en  pitié  et 
désire  les  défendre.  Mais  fréquemment  il  revient  à  lui- 
même,  et  bien  qu'il  ait  encore  quelques  accents  attristés, 
on  s'aperçoit  qu'il  a  reconquis  la  paix  du  cœur,  reconquis 
l'équilibre.  Jamais  son  génie  n'eut  un  essor  plus  hardi, 
jamais  sa  langue  ne'  fut  plus  admirable.  Il  emploie  des 
rythmes  libres  qui  s'allongent  ou  s'accourcissent,  se  hâtent 
ou  se  ralentissent  comme  la  vague,  et  en  vers  où  abonde 
l'allitération,  il  reproduit  les  couleurs  de  l'Océan,  ses 
attitudes,  ses  mouvements  et  ses  bruits. 

Les  quatre  recueils  qui  composent  le  Livre  des  CharUs 
forment  un  tout.  Ce  n'est  qu'une  file  de  lieds  plus  ou 
moins  courts.  Mais  ces  lieds  se  lient  et  s'enchaînent.  Ils 
traitent  le  même  sujet,  et  leur  succession  produit  une 
impression  d'ensemble.  Heine  nous  mène  insensiblement 
de  l'ombre  à  la  lumière,  des  sombres  rêveries  et  des  mor- 
bides mélancolies  à  la  saine  réalité,  à  la  pacifiante  et  vivi- 
fiante nature. 

Le  style  du  Liseré  des  Chants  est  bref  et  net.  Heine  peint, 
il  ne  raconte  pas.  Il  use  des  procédés  du  chant  populaire  : 


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LB   X1X«  SIÈGLB  371 

rapide,  concis,  il  se  contente  de  marquer  certains  traits 
et,  sans  se  soucier  des  transitions,  de  noter  les  détails 
les  plus  frappants.  Très  souvent  il  n'exprime  dans  une 
pièce  de  vers  qu'une  sensation,  mais  avec  quelle  vigueur 
singulière  I  C'est  qu*il  n'a  pas  la  négligence  du  VotksUed. 
Ses  nonchalances  mêmes  sont  des  artifices  et  ses  airs 
d'abandon  cachent  un  soin  extrême  de  toilette.  Il  varie 
adroitement  l'expression  :  ce  sont  tantôt  des  termes 
simples  et  des  tours  familiers  ;  tantôt,  et  surtout  dans  la 
Mer  du  Nordy  des  mots  composés,  des  images  éclatantes, 
des  métaphores  audacieuses. 

Les  poésies  qui  suivirent  le  Lwre  des  Chant»  lui  sont 
inférieures.  Elles  furent  composées  à  Paris.  Repoussé  de 
l'Allemagne,  où  la  Diète  interdit  la  vente  de  ses  œuvres, 
rivé  à  la  France,  où  le  ministère  lui  fait  une  pension 
sur  les  fonds  secrets,  lié  à  une  femme  qui  ne  le  com- 
prend pas,  torturé  par  un  mal  implacable,  regrettant  la 
terre  natale,  combattant  avec  un  généreux  entraînement 
pour  le  libéralisme  et  le  saint*-simonisme  qui  lui  parait 
une  doctrine  de  progrès  social,  finissant  par  douter  de 
tout,  tel  est  Heine  dans  cette  dernière  partie  de  son 
existence. 

Mais  le  recueil  des  NouçeUes  Poésies^  paru  en  1844, 
acheva  de  fonder  sa  réputation.  On  y  remarque  surtout 
les  Poésies  du  tempsj  on  sa  verve  malicieuse  et  méchante 
se  donne  pleine  carrière.  Elles  fourmillent  d'épigrammes, 
de  traits  moqueurs.  Heine  excelle  a  saisir  les  défauts  de 
ses  adversaires  et  leurs  ridicules.  ÏV  invente  de  comiques 
détails.  Il  rapproche,  de  la  manière  la  plus  imprévue,  la 
plus  drôle,  les  idées  et  les  mots.  Il  combine  des  rimes 
burlesques,  il  fait  des  pointes^  et  les  allusions  grivoises, 
les  plaisanteries  cyniques  gâtent  nombre  de  passages  déli- 
cats.  Mais  le  vers  est  si  coulant  et  les  saillies  de  Heine 


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376  LITTéaATUBB   ALLBXAKOB 

ont  tant  de  naturel»  tant  d'éclat»  tant  d'originale  fantaisie 
et  parfois  tant  de  profondeur! 

Deux  poèmes»  AtUi  TroU{i^i3)  et  L'Allemagne  (1844), 
peuvent  être  mis  à  la  suite  des  Poésies  du  temps. 

Dans  Atta  Troll  Heine  attaque  les  poètes  politiques.  li 
blâmait  leurs  airs  de  rodomonts  et  leur  patriotisme  tapa- 
geur; il  leur  reprochait  de  ne  rien  préciser  et  de  ne  Daire 
que  des  vers  généraux;  il  les  accusait  de  préparer 
Tavènement  d'une  poésie  qui  chanterait  la  pomme  de 
terre  et  non  plus  la  rose.  L'ours  Atta  Troll  personnifie 
ces  ennemis  de  Heine;  il  danse  lourdement»  il  bavarde» 
il  prêche  l'égalité»  il  nie  l'idéal»  mais  il  n'agit  pas»  il 
débite  des  tirades»  et  bien  qu'il  ait  beaucoup  d*esprit, 
il  intéresse  moins  que  les  chasseurs  qui  le  poursuivent» 
que  le  guide  Lascaro»  que  la  sorcière  Uraka»  que  les 
bateliers  et  les  enfants  du  village  qui  chantent  giroflino 
giroflette.  Dans  cette  ourserie  ce  n'est  pas  l'ours  qui  plait 
le  plus.  Pareillement  la  satire  de  Heine  n'a  pas  autant 
d'attrait  que  ses  descriptions.  Il  délaie  son  ironie  et  il 
raille  trop  souvent  le  Roi  fiègre  de  Freiligrath.  Mais  avec 
quelle  brièveté  pittoresque  il  dessine  les  paysages  des 
Pyrénées»  les  montagnes,  a  bayadères  somnolentes  »  qui 
frissonnent  dans  leur  peignoir  de  nuages  agité  par  la 
brise  matinale»  les  cimes  violettes  qui  rient  sur  le  fond 
d'or  du  soleil»  les  villages  qui  se  collent  hardiment  aux 
pentes  comme  des  nids  d'oiseaux»  les  vallées  semblables 
à  des  ruelles»  le  lac  aux  truites  savoureuses»  aux  eaux 
calmes»  aux  rochers  qui  l'enveloppent  dans  un  «  chaudron 
noir  »  I  Avec  quelle  précision  il  décrit  les  champs  de 
neige  et»  après  nous  avoir  ouvert  la  sombre  ehaumière 
d'Uraka,  avec  quel  art  il  fait  défiler  devant  nous  la  chasse 
infernale  et  passer  sous  nos  yeux  éblouis  Diane  ou  l'art 
grec  dont  il  regrette  la  froideur»  la  fée  Abonde  ou  l'art 


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LB  XIX*   SIBCLB  S77 

du  moyen  âge,  Hérodiade  jouant  avec  la  tète  de  Jean- 
Baptiste,  Hérodiade  qu'il  préftre  à  la  déesse  hellénique 
et  à  la  fée  du  Nord,  Hérodiade,  belle,  superbe,  sédui- 
sante, mais  passionnée,  violente,  mêlant  la  haine  et  le 
sang  à  son  amour,  Hérodiade  la  juive  ! 

Comme  Atta  Troll,  V Allemagne  manque  de  suite  et 
de  oohésion.  Par  instants,  la  moquerie  de  Heine  est  gros- 
sière, et  des  obscénités  déparent  la  fin  de  son  œuvre. 
Mais  l'iambe  de  VAllemagm  a  plus  d'aisance,  plus  de 
vivacité,  plus  de  charme  ondoyant  que  le  trochée  à^Atta 
Troll,  Les  paysages  sont  lestement  crayonnés  et,  à  ces 
croquis,  à  des  souvenirs  d'enfance,  à  de  douces  strophes 
sur  sa  mère  le  poète  joint  d'éloquents  couplets.  H  rit  en 
voyant  les  douaniers  visiter  sa  malle,  car  c'est  dans  sa 
tète  qu'il  porte  sa  contrebande.  Certes,  il  n'a  plus  d'illu- 
sions :  la  liberté  s'est  «  démis  le  pied  »,  et  elle  ce  ne  peut 
plus  ni  sauter  ni  monter  à  l'assaut  »,  le  drapeau  tricolore 
«  pend  tristement  du  haut  des  tours  de  Paris  »,  et  au 
bord  du  chemin,  Heine  jette  un  regard  de  pitié  sur 
l'image  de  son  a  pauvre  cousin  »  qui  fut  crucifié.  Pour- 
tant, quand  il  écrit,  il  voit  à  ses  côtés  un  homme  silen- 
cieux qui  tient  une  hache  :  c'est  son  licteur,  c'est  l'acte 
de  sa  pensée,  et  ce  qu'a  conçu  son  esprit,  cet  homme 
l'accomplira,  fût-ce  dans  des  années;  ses  idées,  cet 
homme  les  réalisera;  ses  jugements,  fussent-ils  injustes, 
cet  homme  les  exécutera  ;  vision  terrible  et  qui,  loin  d'ef- 
frayer le  poète,  l'encourage! 

Le  Romanzero  (1851)  fut,  selon  le  mot  même  de 
Heine,  le  troisième  pilier  de  son  renom  lyrique.  Il  vaut 
surtout  par  les  ballades.  Elles  renferment  trop  d'effusions 
personnelles  et  d'^illusions  au  présent;  elles  offrent  de 
plus  longs  développements  que  les  poésies  précédentes  ; 
elles   ont  moins  de  relief  et  de  précision  :  comme   sa 


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378  LlTTBBÀTUnB   ALLEMANDE 

reine  de  Saba,  Heine  veut  trop  souvent  briller  par  Tesprit, 
durch  Esprit  brilUren^  et,  à  la  longue,  comme  elle,  il 
devient  fatigant,  fatigant.  Cependant,  plusieurs  de  ses 
ballades  sont  réellement  belles.  Quelle  scène  inoii* 
bliable  que  celle  du  Champ  de  bataille  de  Haatings  : 
Edith  au  cou  de  cygne,  pleine  d'une  farouche  douleur, 
cherchant  Harald  au  milieu  des  cadavres,  le  retrouvant 
enfin  et,  sans  dire  un  mot  ni  verser  une  larme,  baisant  le 
pale  visage  du  mort,  son  front,  sa  bouche  et  sa  blessure, 
et  trois  petites  cicatrices,  trois  morsures  dont  elle  marqua 
jadis,  en  un  transport  de  passion,  l'épaule  de  son  royal 
amant!  Quels  regrets  déchirants  dans  LazarusX  Quelle 
émouvante  tristesse  lorsque  le  poète  évoque  le  bonheur 
de  sa  vie  passée  et  la  gloire  de  ses  vers  qui  n'étaient 
autrefois  que  plaisir  et  que  feu,  lorsqu'il  compare  la  féli- 
cité d'antan  à  la  douleur  d'aujourd'hni,  au  mal  affreux  qui 
le  mine  et  le  ronge  ! 

Ce  grand  poète  est  un  des  meilleurs  prosateurs  de  son 
pays.  Soit  qu'il  conte  une  anecdote  ou  qu'il  décoche  une 
épigramme  à  ses  ennemis,  sa  prose  est  claire,  agile,  scin- 
tillante ;  c'est  la  prose  d'un  poète  : 

Même  quand  Toiseau  marche,  on  sent  qu'il  a  des  ailes. 

Sa  Correspondance  révèle  les  tourments  de  son  amour- 
propre,  et  dans  Luthce^  où  il  traite  de  désinvolte  façon 
toute  sorte  de  sujets,  il  tâche  à  être  parisien.  Mais  ses 
Reisebïlder  ou  Tableaux  de  i^oyages^  où  il  chante  la  mon- 
tagne après  avoir  chanté  la  mer,  sont  vraiment  exquis. 

Il  vit  et  vivra  comme  poète.  Il  avait,  de  son  aven,  le 
démon  de  l'ironie  ;  il  visa  trop  à  dire  des  bons  mots,  à  jouer 
le  rossignol  allemand  qui  niche  dans  la  perruque  a  Vol- 
taire ;  il  se  plut  trop  à  mystifier  le  lecteur,  à  le  surprendre 
a  la  fin  d'une  effusion  sentimentale  par  une  bouffonnerie. 


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LB   XIX*   SIBGLB  379 

Mais  qae  de  dissonaaces  offrent  son  caractère  et  sa  vie  ! 
Juif,  il  est  rélève  des  prêtres  catholiques  et  il  se  convertit 
au  protestantisme  ;  pauvre»  il  a  des  parents  millionnaires  ; 
orgueilleux,  il  vit  des  cadeaux  de  son  oncle  le  banquier  ; 
romantique,  il  se  gausse  du  romantisme;  il  conspue 
Blûcher  après  l'avoir  acclamé;  il  adore  Napoléon  ;  il  aime 
les  Français,  et  il  les  accuse  de  frivolité,  et  il  prophétise 
qu'un  jour  viendra  où  l'Allemagne  leur  assénera  le  coup 
mortel.  II  est  tout  contrastes,  et  de  là,  dans  l'expression 
de  son  amour,  ce  mélange  d'ardeur  et  de  scepticisme,  de 
joie  et  de  désespoir,  d'accents  triomphants  et  d'invectives 
douloureuses;  de  là,  cette  raillerie  qui  se  venge  de  la 
passion.  Et  toutefois  ce  rire  qui,  selon  ses  propres  termes, 
éclate  quand  son  cœur  se  déchire,  n'est-ce  pas  l'origina- 
lité, n'est-ce  pas  le  charme  poignant  de  sa  poésie?  S'il  n'a 
pas  la  sérénité  de  Gœthe,  il  est  plus  près  de  nous;  il 
rend  à  merveille  cette  amertume  que  nous  laissent  les 
choses,  fussent-elles  les  plus  belles;  il  frémit,  comme 
nous,  et  du  même  frémissement  aigu,  nerveux.  Il  a  parlé 
de  ses  affinités  avec  Holty.  Non,  il  rappelle  plutôt  notre 
Musset;  non  seulement  il  a  des  sanglots  et  des  chants 
désolés;  mais  certains  de  ses  lieds,  certaines  de  ses  bal- 
lades sont  des  tableaux  parfaits,  et  ses  vers  d'amour  ont, 
dans  leur  simplicité,  je  ne  sais  quoi  de  profond  et  d'in- 
time. 

Aussi,  son  influence  a  été  immense.  Aucun  de  ses  con« 
temporains,  aucun  de  ceux  qui  l'ont  suivi  ne  put  se  sous- 
traire à  son  prestige  et  tous  lui  sont  redevables  à  divers 
degrés.  Pas  un  poète  qui  ne  porte  depuis,  si  légère  qu'elle 
soit,  la  marque  de  Heine  ;  pas  une  œuvre  poétique  où  ne 
résonne  l'écho  de  Heine. 

Cette  influence  éclate  déjà  chez  les  écrivains  de  la 

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MO  LITTERATURE  ALLEMANDE 

Jeune  AUemagae,  Gutzkow,  Laube,  Wienbarg»  Mtmdt, 
Kûhne. 

La  Jeune  Allemagne  eat  une  école  factice,  et  les  écri* 
vains  qu*on  associe  sous  ce  nom  se  critiquent»  se  com* 
battent  les  uns  les  autres.  Mais  Borne  et  Heine  étaient 
leurs  maîtres,  Heine  consentit  à  les  patronner,  et  ils 
l'imitèrent  :  Mundt  ne  voit  dans  la  WaUy  de  Gutakow 
qu'une  copie  de  Heine.  De  même  que  Heine,  et  tout  en 
réagissant  contre  le  romantisme,  ils  relèvent  de  lui  et 
ils  usent  de  ses  procédés.  Comme  les  romantiques,  ils 
admirent  Gcathe,  surtout  le  jeune  Gœthe,  l'auteur  du 
Gôtz  et  du  premier  Fauêt,  et  ils  l'appellent  le  Luther 
de  son  temps.  Comme  les  romantiques,  ils  refusent  de 
séparer  la  poésie  et  la  vie.  Mais  la  Jeune  Allemagne  va 
plus  loin  que  le  romantisme.  Sans  vouloir  être  homme 
d'Etat,  Gutzkow  revient  toujours  à  la  politique;  il 
déclare  que  son  parti  est  le  parti  de  la  table  rase,  le 
parti  du  National^  et  il  souhaite  une  République  démo- 
cratique animée  des  principes  de  Robespierre  et  de 
Saint-Just.  De  là,  la  faiblesse  de  la  Jeune  Allemagne. 
Ses  membres  sont  moins  des  artistes  que  des  journa- 
listes, des  publicistes.  Ils  agitent  le  problème  social,  et 
Gutzkow  assure  qu'il  ne  suffit  pas  de  traiter  la  question 
constitutionnelle,  que  les  découvertes  scientifiques  créent 
une  nouvelle  atmosphère  morale,  qu'il  faut  unir  à  l'idéa* 
lisme  du  xviii*  siècle  le  matérialisme  du  xix^  et  à  l'esprit 
latin  l'esprit  de  machine.  Comme  Borne,  comme  Heine, 
la  Jeune  Allemagne  subit  l'influence  du  saint-simonisme  ; 
mais,  si  Gutzkow  ne  revendique  que  les  droits  de  l'âme, 
Wienbarg  et  Mundt  revendiquent  hautement  les  droits 
des  sens.  Aux  yeux  de  la  Jeune  Allemagne,  George  Sand 
est  le  plus  grand  des  écrivains  français  contemporains; 
nul  auteur,  selon  Mundt,  n'a   mieux  décrit  la  lutte  de 


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LE  XIX*^   SIECLE  S8t 

l'individu  contre  Tordre  social  ni  mieux  reproduit  la 
réalité,  et  Gutzkow  avoue  que  sa  Wally  est  une  Lélia 
allemande.  Au  reste,  en  Allemagne  même,  Técole  avait 
ses  déesses  :  Rahel  Levin,  la  femme  de  Varnhagen, 
Bettina  d*Arnim  et  Charlotte  Stieglitz.  En  1833,  Tannée 
de  sa  mort,  et  en  1834  parurent  le  Journal^  puis  les 
LeUres  de  Rahel  :  elle  jugeait  le  mariage  odieux  et 
disait  .que  la  mère  doit  posséder  la  fortune  et  l'autorité  ; 
elle  fut  proclamée  la  mère  de  la  Jeune  Allemagne.  La 
même  année,  Bettina  d'Arnim  publiait  la  Correspondance 
de  Gœthe  avec  un  enfant  :  cet  enfant  —  enfant  terrible, 
s'il  en  fût  —  c'était  elle,  Bettina  Brentano,  la  sœur 
de  Clément  Brentano  et  la  femme  d*Achim  d'Arnim, 
enthousiaste,  généreuse,  éprise  de  poésie,  mais  turbu- 
lente et  excentrique;  bien  qu'arrangée  et  remaniée,  la 
Correspondance  fit  grande  impression.  La  même  année, 
Charlotte  Stieglitz  se  poignardait  pour  éveiller  dans 
son  mari  le  génie  littéraire  :  elle  donna  à  Gutzkow 
l'idée  de  Wally^  Mundt  lui  consacra  un  livre,  et,  avec 
Gutzkow  et  Laube,  la  Jeune  Allemagne  répéta  que  trois 
femmes  avaient  attiré  sur  elles  toute  Tattention,  Tune 
par  la  pensée,  l'autre  par  un  poème,  la  troisième  par 
un  acte. 

Telle  est  la  Jeune  Allemagne.  Ses  membres  sont, 
pour  la  plupart.  Prussiens,  plus  portés  à  la  réflexion 
qu*au  sentiment,  préférant  la  prose  à  la  poésie.  Mais 
leur  prose,  légère,  souple,  brillante,  n'est  pas  châtiée; 
elle  offre  trop  de  négligences.  Gutzkow  ne  reconnait-il 
pas  que  ses  compagnons  d'armes  ne  savent  donner  une 
forme  à  leur  pensée? 

En  réalité,  la  Jeune  Allemagne  ne  doit  existence  et 
consistance  qu'à  Menzel  et  à  la  Diète.  Menzel,  ancien 
ami  et  maître  de  Gutzkow,   un  des   fondateurs  de  la 


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802  LITTBRATCIIB   ALLEMANDE 

Burschenschaft  et  son  ardent  champion,  auteur  d'une 
Littérature  allemande  qui  prêchait  le  libéralisme  et  la 
gloire  de  Jean-Paul,  dirigeait  à  Stuttgart  le  supplément 
littéraire  du  Morgenblatt,  Blessé  par  les  critiques  de  la 
Jeune  Allemagne,  il  l'accusa  dans  le  numéro  du  11  sep* 
tembre  1835  — -  tels  sont  ses  propres  termes  —  d'atta- 
quer de  la  façon  la  plus  impudente  la  religion  chré- 
tienne, de  rabaisser  la  société,  de  détruire  toute  décence 
et  moralité.  Déjà,  la  censure  prussienne  avait  interdit 
les  Campagnes  esthétiques  de  Wienbarg,  interdit  la 
Madonna  de  Mundt,  interdit  la  réimpression,  entreprise 
par  Gutzkow,  des  Lettres  de  Schleiermacher  sur  Lucinde, 
Déjà  Wienbarg  et  Mundt  avaient  dû  cesser  leurs  cours. 
Déjà  Laube  avait  été  arrêté  à  Berlin  et  relâché  après  huit 
mois  de  détention.  Sur  l'accusation  de  Menzel,  Gutzkow 
fut  appréhendé  au  corps,  et  son  roman  de  WaUy  iTiieràxX, 
ainsi  que  la  Revue  allemande  qu'il  voulait  publier.  Un 
décret  du  11  décembre,  rendu  par  la  Diète  sur  la  pro- 
position de  l'Autriche,  invita  les  puissances  confédérées 
à  empêcher  par  toua  les  moyens  légaux  la  vente  et  la 
propagation  des  œuvres  de  la  Jeune  Allemagne,  notam- 
ment celles  de  Heine,  de  Gutzkow,  de  Laube,  de  Wien- 
barg et  de  Mundt.  C'est  alors  que  Heine,  malgré  son 
antipathie  pour  Gutzkow,  fait  cause  commune  avec  la 
Jeune  Allemagne  et  il  recommande  à  Laube  de  «  ne  pas 
écrire  un  mot  qui  puisse  nuire  à  ces  jeunes  gens  ». 

Le  plus  remarquable  des  membres  de  la  Jeune  Alle- 
magne était  Charles  Gutzkow  (1811-1878),  vif,  mobile, 
courant  après  le  succès,  l'attrapant  à  diverses  reprises, 
avide  de  dominer,  se  proclamant  le  missionnaire  de  la 
liberté,  s*imposant  à  TAUemagne  qui,  durant  quelque 
temps,  le  regarda  comme  son  premier  écrivain,  mais  se 


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LB   XIX^  SIÈCLE  388 

consumant,  s*usant  dans  ce  long  effort^  craignant  a  tout 
instant  de  perdre  cette  dictature  littéraire  dont  il  s'était 
emparé,  outré,  affecté,  pressé  de  produire  et,  dans  cette 
hâte  fiévreuse,  négligeant  son  style  que  lui-même  quali- 
fiait d'inquiet,  reconnaissant  ce  que  ses  œuvres  ont  d'ina* 
chevé,  alléguant  qu'il  ne  faut  pas  les  considérer  du  point 
de  vue  esthétique  et  qu'on  doit  y  chercher  les  circons- 
tances où  elles  furent  composées. 

Il  publie  d'abord  des  romans.  Mais  le  lecteur  de  Maha 
Giiru  est  rebuté  par  la  description  de  l'étrange  idolâtrie 
du  Tibet.  Wally  (1835),  gauche,  bizarre,  obscur,  foisonne 
de  digressions  et  ses  personnages  sont  impossibles.  Il  ya 
dans  Séraphine  ainsi  que  dans  Blasedow  et  ses  fils  des 
tirades  satiriques,  des  idées  spirituelles,  des  épisodes 
comiques,  mais  Gutzkow  parle  de  tout  plutôt  que  de  ses 
héros. 

Puis  il  se  voue  au  théâtre.  Il  avait  déjà  fait  un  NéroUy 
un  Saûly  un  Hamlet  à  Wittenherg  qui  n'est  qu'une 
esquisse  confuse.  Ses  pièces  ultérieures,  drames  et 
comédies,  eurent  la  vogue,  et  plusieurs  émurent  ou 
amusèrent  le  public  :  le  dialogue  était  vif,  et  l'action, 
bien  conduite;  les  allusions  à  la  censure  et  à  la  police, 
aux  courtisans  et  aux  prêtres  ne  manquaient  pas.  Mais 
que  de  défauts!  Patkul,  dansPa^AaZ^  est  un  songe-creux; 
\ École  des  Riches  se  compose  de  scènes  décousues;  Per- 
raque  et  Epée  fourmille  d'invraisemblances;  V Original 
du  Tartufe  ne  présente  que  des  personnages  ridicules; 
Pugaischeff  est  un  mélodrame;  le  13  novembre,  un 
drame  fataliste  ;  WuUenweber^  un  drame  historique  trop 
vaste  et  compliqué;  le  Lieutenant  de  roi  n'offre  qu'une 
suite  d'anecdotes  et  ne  vaut  que  par  le  rôle  du  Français 
Thorane,  chevaleresque,  mélancolique,  bizarre.  Seul, 
Uriel  Acosta  (1846)  mérite  de  rester;  l'élévation  de  la 


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S84  LITTBBATURB  ALLBMANDB 

pensée  philosophique,  le  caractère  d^Uriel  héroïque  dans 
sa  faiblesse  et  celui  de  Judith  qui  ne  défaille  cfu'iia  ins- 
tant)  la  fermeté  de  la  langue  font  de  cette  pièce  le  chef- 
d'œuvre  de  Gutzkow;  «  elle  est,  disait-il,  un  produit  de 
mon  cœur  »• 

Il  finit  par  des  romans.  Ses  meilleurs  sont  les  Che^a* 
Uert  de  Vesprit  (1850-1852)  —  qui  se  liguent  contre  les 
abus  de  la  force  physique  et  qui  tâchent  de  préparer  un 
notivel  ordre  de  choses  en  répandant  un  petit  nombre 
d'idées  simples  et  grandes  —  et  le  Magicien  de  Rome  ou 
le  pape  (1858-1861),  dont  Gutzkow  propose  de  briser  la 
puissance.  Mais  ils  rappellent  les  romans  d'Eugène  Sue, 
et  qui  les  lit  aujourd'hui?  Gutzkow  voulait  transformer 
le  roman  :  ce  devait  être,  non  plus  une  succession,  un 
Nacheinander^  mais  une  juxtaposition,  un  Nebeneinander. 
Il  n'y  a  pas  réussi  :  il  développe  l'insignifiant  aux  dépens 
de  l'essentiel,  il  multiplie  les  personnages  et  les  inci- 
dents, il  se  répète,  et  l'intérêt  s'éparpille. 

Ses  derniers  romans  sont  Hohenschwangau  (1867-1868), 
qui  n'est  qu'un  fouillis  historique,  et  Les  Nouveaux  Frères 
de  Sérapion  (1877),  peinture  du  récent  empire  où  Gutz- 
kow ne  voit  que  désordre  et  chaos,  qu'esprit  de  rapine 
et  désir  de  jouissances. 

Henri  Laube  (1806-11884)  débuta  par  des  Nouvelles  de 
voyage  qui  le  firent  surnommer  le  cocher  de  Heine,  et 
par  deux  romans  :  La  Guerre  allemande  ou  la  guerre  de 
Trente  Ans,  qui  compte  neuf  volumes  et  qui  n'est  qu'un 
fatras,  et  la  Jeune  Europe  (1834-1837).  Il  y  a  trois  parties 
dans  la  Jeune  Europe  :  les  poètes,  les  guerriers,  les 
bourgeois.  Dans  la  première  partie,  le  héros,  Valérius, 
démocrate,  socialiste,  ennemi  des  nationalités,  partisan 
de  la  République  universelle,  demande  la  liberté  en  toutes 


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LB  XIX^  sràCLB  885 

ehoses.  Dans  la  deuxième»  il  combat  pour  rindépendanco 
de  la  Pologne,  mai»  son  bel  enthousiasme  se  refroidit  et 
il  se  résigne  à  tenir  une  modeste  place  dans  le  mondé 
qu'il  croyait  conquérir.  Dans  la  troisième,  il  est  fonction- 
naire et  il  exerce  son  métier  en  conscience  :  dénouement 
caractéristique;  comme  Yalérius,  Laube  s'assagrit.  Ses 
pièces  de  théâtre,  écrites  dans  le  goût  de  Dumas  père  et 
de  Scribe,  sont  meilleures  que  ses  romans;  il  y  a  de 
Taisance,  de  la  fraîcheur,  de  la  vivacité  ;  certaines  scènes 
font  effet.  Mais  Monaldeschi  vaut  uniquement  par  la 
description  de  Fontainebleau,  et  RococOy  par  la  peinture 
de  la  cour;  Struensee  n'est  qu'une  intrigue  d'amour  et  le 
Prince  Frédéric  qu'une  anecdote  dramatisée  ;  les  Elèves  de 
TÉcole  de  Charles  (1847)  ont  eu  la  vogue,  mais  Schiller, 
le  duc  Charles-Eugène,  la  comtesse  de  Hohenheim  tin- 
rent-ils jamais  un  pareil  langage?  Superficiel,  courant  sur 
toutes  choses  sans  rien  approfondir,  élégant,  agréable, 
visant  à  Tesprit,  et  trop  souvent  négligé,  Laube  serait 
peut-être  oublié  si  la  censure  ne  l'avait  persécuté. 

Les  autres  membres  de  la  Jeune  Allemagne,  Gustave 
Kûhne,  Théodore  Mundt,  Ludolphe  Wienbarg  sont  sur- 
tout des  critiques.  Mundt  effleure  les  sujets;  mais  il  a 
de  la  justesse  et  une  grande  variété  de  connaissances. 
Wienbarg  fit  le  manifeste  de  l'Ecole;  dans  ses  Cant" 
pagnes  esthétiques^  en  une  langue  assez  nette  et  vigou- 
reusCy  il  assure  que  la  beauté  est  l'expression  du  carao- 
tère  et  que  le  caractère  se  traduit  par  une  activité 
libre;  il  regarde  Gœthe  et  Byron  comme  les  hérauts  de 
leur  temps;  il  voit  dans  Heine  le  représentant  de  l'époque 
et  il  admire  sa  prose  merveilleuse,  sa  prose  hardie,  mar- 
tiale, animée  de  cet  esprit  qui  constitue  à  la  fois  un  élé- 
ment de  beauté  et  une  arme. 

iirréiuTcnB  allimavdb.  25 


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aSft  LITTiRATVRB  ALLEMANDE 

Deux  femmes  appartinrent  à  la  Jeune  Allemagne  :  la 
comtesse  Ida  de  Hahn-Hahn  et  Fanny  Lewald  qui  dési- 
raient les  lauriers  de  George  Sand.  L'une,  aristocrate 
jusqu'au  bout  des  ongles,  met  en  scène  des  héros  iro- 
niques et  égoïstes  et  des  héroïnes  mélancoliques,  capri- 
cieuses, exaltées  comme  elle;  l'autre,  ^vec  moins  de 
chaleur  et  d'imagination,  a  le  jugement  plus  ferme  et  un 
talent  plus  mâle. 

lia  poésie  politiqoe. 

Les  écrivains  de  la  Jeune  Allemagne  pensent  que  la 
poésie  a  ses  racines  dans  le  présent,  que  la  littérature 
doit  se  mêler  à  la  lutte  des  partis,  et  ils  veulent  que 
l'Allemagne  ne  soit  pas  une  Université,  uoe  simple 
spectatrice  des  événements,  ils  veulent  qu'elle  vive  et 
agisse.  De  là  cette  poésie  politique  qui  naquit  en  1840. 
L'attitude  du  ministère  Thiers  qui  semblait  menacer 
l'Allemagne,  émut,  irrita  le  sentiment  national.  L'Ouest, 
comme  disait  le  roi  Louis  P'  de  Bavière,  avait  tiré  le  canon 
d'alarme  et  ce  coup  retentissait  dans  les  cœurs.  Le  vieil 
Arndt  s'écria  que  la  danse  des  lances  allait  recommencer, 
que  l'Allemagne  entière  allait  repasser  le  Rhin  et 
envahir  la  France,  ail  Deutsckland  in  Franhreich  hinein! 
Nicolas  Becker  publia  son  Rhin  allemand  qui  défiait  les 
Français  et  les  comparait  à  d'avides  corbeaux  :  ce  Ils  ne 
l'auront  pas,  le  libre  Rhin  allemand!  »  Schneckenburger 
composa  la  Wacht  am  Rhein.  A  ces  appels  contre 
«  l'ennemi  héréditaire  »  se  joignirent  les  revendications 
politiques,  et  Prutz  écrivit  qu'il  ne  suffisait  pas  d'être  Alle- 
mands, qu'il  fallait  être  libres,  que  les  princes  devaient 
rendre  la  liberté  et  à  la  parole  et  à  la  presse.  Vint  la 
Révolution  de  1848,  puis  le  parlement  de  Francfort  et 


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LE   XIX*  8IÂCLB  487 

l'échec  de  ceux  qui  désiraient,  qui  demandaient  une  Alle- 
magne une  et  libre.  Des  poètes  jouèrent  leur  rôle  dax» 
ce  mouvement;  Hoffmann  de  Fallersieben,  Freiligratb, 
Herwegh,  Kinkel,  Dingelstedt.  On  les  nomme  les  poèteê 
polàiques. 

Hoffmann  de  Fallersleben  (1798-1874)  fit  des  chants 
de  toute  sorte,  notamment  des  chants  naïfs  et  simples 
où  l'enfance  envoie  des  adieux  moqueurs  à  Thiver  et 
salue  le  printemps  qui  rentre  au  son  de  la  musique  parnû 
le  joyeux  ramage  des  oiseaux.  Très  peu  original,  quelque- 
fois plat  et  prosaïque,  il  unit  la  belle  humeur  au  franc- 
parler  et  il  a  de  la  bonhomie  même  dans  la  satire. 
Plusieurs  de  ses  lieds  politiques  volent  et  voleront 
longtemps  sur  les  lèvres  du  peuple  :  le  lied  où  il  célèbre 
le  pays  qui  s'étend  entre  la  Franconie  et  la  forêt  de 
Bohème  ;  le  lied  où  il  jure  à  la  patrie  un  fidèle  amour^ 
lui  assure  qu'il  ne  pourrait  l'oublier  et  lui  souhaite 
l'union  et  le  bonheur  ;  le  lied  où  il  voit  l'Allemagne  par- 
dessus tout  dans  le  monde,  Deutschland  ûber  Ailes  in  der 
Welt. 

Il  n'est  qu'un  chansonnier.  Ferdinand  Freiligrath 
(1810-1876)  fut  un  vrai  poète.  Son  premier  recueil  (1838) 
trahit  l'influence  des  Orientales  de  Hugo;  mais  nul  n'avait 
encore  évoqué  de  lointains  paysages  en  une  langue  aussi 
chaude  et  aussi  colorée.  Quelle  suite  de  strophes  bril- 
lantes dans  la  Chevauchée  du  lion^  de  ce  fauve  cavalier 
poussant  k  travers  son  empire  du  désert  la  girafe  qui 
fuit  sous  l'étreinte  de  ses  griffes  et  déchirant,  dévorant  sa 
monture!  Mais  il  y  avait  dans  les  poésies  de  Freiligrath 
trop  de  lions  et  de  chameaux,  trop  d'Indiens  et  de 
moricauds,  trop  de  botanique  et  de  zoologie,  trop  de 
rouge  et  de  jaune.  Un  autre  recueil,  Parmi  les  ger^ 
besy  chante  le  Rhin,  chante  sa  fiancée,  le  meilleur  et 


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388  LITTÉRA.TURB  ALLEMANDE 

le  dernier  oiseau  qall  ait  attrapé.  Devena  libéral,  il 
publia  sa  Profession  de  foi  (1844)  :  il  glorifiait  la  lib^té 
et  le  droit;  rAlUmagne  serait-elle  toujours  cet  Hamlet 
qui  rêve  et  ne  sait  pas  agir?  Le  Ça  ira  (1846)  fut  plm 
audacieux;  Freiligrath  annonçait  la  Révolution,  ce  pirate 
qoî  prendrait  la  galère  de  TEtat^  lancerait  ses  fusées 
incendiaires  sur  le  yacht  de  FEglise  et  canonneraît  les 
flottes  de  la  Propriété.  Forcé  de  fuir  en  1850»  il  ne  revit 
sa  patrie  qu'en  1868,  grâce  à  un  don  national,  et  tout 
ému  de  reconnaissance,  il  vantait  ce  suprême  bottheiiir 
du  poète  :  être  aimé  de  son  peuple.  Deux  ans  après  il 
composait  les  plus  belles  pièces  de  vers  que  la  guerre  de 
1870  ait  inspirées  :  dans  Hurrah  Germania  il  montrait 
les  Allemands  du  Nord  et  du  Sud  ne  faisant  qu^une  armée 
et,  dans  le  Trompette  de  Graçelotte^  il  retraçait  avec  une 
saisissante  concisfion  un  épisode  de  la  bataille  du 
16  août,  la  charge  furieuse  de  la  brigade  Bredov^  qai 
perdit  la  moitié  de  son  monde,  la  trompette  trouée  par 
une  balle  et  rendant  un  son  douloureux  et  sourd  comme 
pour  plaindre  les  morts,  et  au  soir,  pendant  que  tombe 
la  pluie  et  que  s*aUnnient  les  feux  de  bivouac,  les  survivants 
pensant  à  leurs  frères  qui  gisent  là-bas  sur  le  gaxon  la 
poitrine  transpercée  et  le  front  entr'ouvert  ! 

Georges  Herwegfa  (1817-1875),  négligé,  obscur,  empha- 
tique, a  de  la  fougue,  de  la  verve,  de  superbes  emporte- 
ments juvéniles,  et  il  trouve  à  ses  vers  un  refrain  expressif 
et  sonore.  Dans  son  Chant  de  haincy  d'allure  si  rapide 
et  si  vigoureuse,  il  renonce  à  l'amour  qu'il  accuse  d'im» 
puissance  et  il  invoque  la  haine  qui  seule  peut  briser 
les  chaînes  et  regarder  la  tyrannie  en  Cofte.  Il  pousse  de 
beaux  et  vivants  cris  de  guerre.  Mais,  par  instants,  il  a 
des  accents  plus  tendres,  soit  qu'il  souhaite  de  mourir 
doucement  comme  le  jour  qui  finit,  ou  comme  l'étoile,  ou 


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LB   XIX*   SIECLE  dt9 

comme  la  Heur»  soit  qa'il  offre  à  sa  mie  les  chants  qui 
sont  toute  sa  ridiesse,  soit  qu'il  prie  Dieu  de  prolonger 
les  rêves  des  humains,  puisque  le  paysan  rêve  que  son 
champ  se  courre  d'épis,  puisque  le  prisonnier  rêve  qu'il 
a  sur  sa  tète  la  couronne  du  vainqueur,  puisque  le  despote 
rêve  qu'il  fuit  et  que  la  terre  s'entr'ouvre  sous  ses  pas! 

Les  aventures  de  Gottfried  Kinkel  (1815-1882)  ont 
peut-être  plus  fait  pour  sa  renommée  que  ses  poésies  et 
que  son  poème  à'Othon  V archer \  mais  ses  poésies  ont 
de  la  grâce,  et  Othorij  malgré  ses  longueurs,  plaît  par  la 
clarté  du  style  et  le  charme  des  descriptions. 

Les  Chants  cTun  çeiUeur  de  nuit  cosmopolite  de  Franz 
Diagelstedt  (1S14-1881)  sont  monotones,  et  il  y  a  dans 
cette  satire  beaucoup  de  rhétorique.  Toutefois  le  talent  de 
IKngelstedt  était  très  souple;  il  avait  de  l'élégance,  de  la 
vivacité,  de  l'énei^ie,  de  la  pénétration.  Ses  nouvelles  et 
ses  romans  offrent  des  traits  intéressants,  heureusement 
observés.  On  admire  le  premier  acte  de  son  drame  des 
Barnésfeldt.  Mais  tout  ce  qu'il  a  fait  n'est  qu'ébauché, 
esquissé,  indiqué.  Il  n'a  rien  mûri,  rien  porté  à  per- 
fection. Le  temps  manquait,  et  le  feu  sacré.  Cet  homme 
d'esprit  qui  fut  un  homme  du  monde,  et  du  grand  monde, 
était  trop  •  ironique  et  trop  blasé  pour  entreprendre  et 
achever  une  belle  œuvre. 

lies  néo-romantiqnes. 

Pendant  que  les  poètes  politiques  préparaient  Tunité 
nationale,  se  formaient  deux  écoles,  celle  des  nép-roman- 
tiques  et  celle  de  Munich,  qui  toutes  deux  avaient  pour 
devise  «  Tart  pour  l'art  ».  Mais  l'école  de  Munich  était 
libérale,  et  l'un  de  ses  principaux  représentants,  Geibel, 
souhaite    dans  un   sonnet   que   l'Allemagne  ait   ce    on 


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SM  LITTBRATURB  ALLBIIANDB 

homme  seulement»  ud  descendant  des  Nibelungen,  qui 
réalise  d'une  main  de  fer  ce  qu'ont  vainement  tenté  les 
feux  de  tirailleurs  des  poètes  et  Tomniscience  des  JQur- 
Balistes  ».  Le  nouveau  romantisme  célèbre  la  foi,  la 
pureté  des  croyances  et  chante  sur  le  mode  romantique 
)a.  forêt,  les  fleurs,  le  moyen  âge.  Il  compte  dans  ses 
rangs  Strachwitz,  Bottger,  Redwitz,  Roquette,  Putlitz, 
MûUer  de  Konigswinter,  Auguste  Becker,  Rodenberg; 
mais  presque  tous  ont  depuis  suivi  d'autres  voies  et  leurs 
débuts  seuls  les  rattachent  à  ce  groupe. 

Le  comte  Maurice  de  Strachwitz  (1822-1847)  s'est 
formé  sur  Platen;  il  a  noblesse,  éclat,  harmonie;  mais 
il  est  fumeux.  Dans  ses  Chanté  de  réyeU  (1842)  il  déplore 
la  lâcheté  de  ses  contemporains  et  demande  des  champs 
de  bataille  où  déployer  sa  force.  Puis,  lorsque  se  produit 
la  crise,  il  a  peur  et,  en  ses  Nouvelles  Poésies  (1848),  il  se 
réfugie  dans  la  légende.  Ses  derniers  vers  marquent 
pourtant  un  progrès  sur  les  premiers  :  il  a  plus  de  pré- 
cision et  de  vigueur. 

Adolphe  Bôttger  (1815-1870),  pur,  mais  froid  et  com- 
passé dans  ses  sonnets,  a  plus  de  couleur  dans  ses  poèmes  : 
Hyacinthe  et  LiUade^  La  Havane,  La  fiUe  de  Caïn. 

Oscar  de  Redwitz  (1823-1891)  n'eut  qu'un  mince 
talent.  Mais  son  Amaranihe  (1849)  obtint  un  succèa 
inouï.  C'est  un  mélange  de  poésie  et  de  polémique,  d*ef- 
fusions  lyriques,  de  descriptions  idylliques,  de  cris  de 
guerre  contre  les  incrédules  :  le  héros,  Walter,  préfère 
k  pieuse  Amaranthe  à  l'impie  Ghismonda  !  Un  peu  vague 
et  vide,  parfois  emphatique,  parfois  enflammé^  souvent 
harmonieux,  voilà  ce  poème  d^ Amaranthe. 

Ouo  Roquette  (18244896)  supplanU  Redwitx.  Son 
poème  Waldmeisters  Brauifahrt,  qui  parut  deux  ans  après 
Amaranthe j  eut  un  succès  pjlus  grand  encore;  c'est  l'his- 


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IB   XIX^   SIBCLB  39t 

toire  da  prince  Waldmeister  ou  Aspérule  qui  réussit  à 
conquérir  la  princesse  RebenblAte  ou  fleur  de  vigne.  Ce 
qu'il  publia  par  la  suite,  nouvelles,  romans,  drames,  est 
supérieur  à  cette  œuvre  de  jeunesse. 

Gustave  de  Putlitz  (1821-1890)  fit  en  1850  Ce  que  se 
raconte  la  forêt.  Ses  drames  qui  sont,  il  est  vrai,  dénués 
de  vigueur,  des  nouvelles  intéressantes,  ses  Souçenirs  de 
théâtre  lui  valurent  plus  tard  quelque  réputation. 

MûUer  de  Konigswinter  (1816-1873)  composa  des 
comédies.  Il  appartient  au  néo-romantisme  par  des 
poèmes,  Reine  de  mai,  Le  prince  Minnewin,  Jean  de 
Werth.  Le  pays  rbénan  qu'il  a  chanté  prononce  son 
nom  avec  gratitude,  et  ce  n'est  pas  sans  raison  qu'il  inti- 
tulait son  premier  recueil  de  vers  :  Mon  cœur  est  sur 
le  Rhin. 

Auguste  Becker  (1829-1891)  composa  l'un  des  meilleurs 
poèmes  de  cette  époque,  Jung  Friedel  (iSbi),  et  il  a  fait 
ultérieurement  des  nouvelles,  des  romans,  comme  le  Tes- 
tament du  rabbin,  qui  plurent  au  public. 

Jules  Rodenberg  est  surtout  connu  parce  qu'il  a  fondé 
rexcellente  revue  Deutsche  Rundschau ,  qu'il  dirige  encore • 
Ses  poésies  (1853  et  1864),  ses  récits  de  voyages,  ses 
romans,  ses  Soupenirs  de  jeunesse  lui  méritent  un  rang 
très  distingué  dans  la  littérature  contemporaine. 

lies  Mimicliois. 

Les  Munichois  sont  ainsi  nommés  parce  que  la  plupart 
ont  fini  par  s'établir  à  Munich.  Mais  leur  école  fut  fondée 
k  Berlin  où  plusieurs  d'entre  eux  appartenaient  au  Tunnel 
de  la  Sprée  et  fréquentaient  la  maison  du  critique  Kugler. 
Us  ont  des  traits  communs;  ils  vénèrent  Platen,  ils  ont 
le  culte  de  la  beauté^  ils  mettent  l'art  au-dessus  de  tout. 


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9»2  LITTBRATDRE  AI.LBMANOE 

De  là  leur  amour  pour  l'Italie,  leur  érudition  ^  cette 
Bcienee  immodérée  qui  chez  eux  étouffe  parfois  la  poésie. 
Ils  ne  visent  guère  qu'à  la  forme ,  et  on  leur  a  reproché  de 
manquer  d'originalité,  de  n'écrire  que  pour  dames  et 
fillettes,  de  n'être  que  des  hommes  d'esprit  et  des  poètes 
de  salon,  d'ignorer  de  parti  pris  les  conditions  sociales 
de  leur  époque  et  les  graves  questions  qu'elle  cherchait 
à  résoudre.  Mais  ils  ont  du  goAt  et  de  la  mesure»  de  la 
finesse  et  de  l'élégance;  de  1840  à  1880»  ils  furent  en 
vogue  et  en  faveur.  Les  principaux  sont  Geibel,  Heyse» 
Schack,  Grosse,  Lingg»  Greif  et  Leuthold. 

Emmanuel  Geibel  (1815-1884)  a  composé  des  drames 
froids  et  corrects.  Fut«il  un  vrai  poète?  S'il  est  pur, 
châtié,  harmonieux,  il  n*a  rien  de  très  profond,  de  très 
personnel,  et  dans  ses  vers  passe  souvent  un  reflet  des 
vers  d'autrui.  Pourtant,  il  a  de  la  douceur  et  de  la 
tendresse,  de  la  noblesse  et  de  la  grandeur.  De  son 
premier  recueil  jusqu'au  dernier,  son  talent  n'a  pas 
faibli  ;  d'abord  un  peu  mièvre,  il  est  devenu  plus  Cerme, 
plus  maie.  On  conçoit  qu'il  ait  passé  pour  le  prince  des 
lyriques  de  son  temps.  Il  sait  prendre  tous  les  tons,  dire 
à  la  fois  le  mois  de  mai,  où  le  cœur  chante  avec  l'alouette, 
et  la  mort,  le  plus  rapide  des  cavaliers,  la  mort  qui 
galope  par  le  monde  et  lanee  de  tous  cotés  ses  flèches 
sans  jamais  manquer  le  but.  On  conçoit  aussi  qu'il  ait 
été  surnommé  le  héraut  de  la  pensée  nationale.  Il  avait 
célébré  Gudrun,  la  fière  captive  qui  cache  ses  pleurs  et 
qui  jure  qu'elle  cessera  de  vivre,  et  non  d'être  fidèle.  Il 
avait  célébré  Charlemagne  sortant  de  sa  crypte  d'Aix-la-» 
Chapelle  pour  bénir  les  vignes  de  la  rive  rhénane.  Il 
avait,  comme  Rûckert,  célébré  Frédéric  Barberousse; 
mais  dans  la  pièce  de  Rûckert  l'empereur  dort  eneore  ; 
dans  celle  de  Geibel,  il  s'éveille  avec  tous  les  siens;  le 


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LB  XIX*  BIBGLB  393 

jour  eatre  à  flots  dans  le  Kyffhauser;  Taigle  met  en  fuite 
les  corbeaux,  le  tonnerre  gronde,  Barberousse  parait  le 
casque  en  tète  et  la  victoire  dans  la  main,  ses  chevaliers 
brandiesent  leur  épëe,  et  le^  peuples  s'inclinent  devant 
le  vieux  César  qui  ressuscite  le  Saint-Empire.  Il  avait 
aoubait^  la  fondation  d'un  haut  et  orgueilleux  édifice  où 
chacun  aurait  sa  place,  souhaité  des  princes  qui  laisse- 
raient chacun  parler  librement.  Ces  vers  annonçaient 
ceux  de  1870  et  de  1871,  où  la  rhétorique  de  Geibel  se 
déploie  dans  toute  sa  puissance,  et  en  une  sorte  d*hymne 
qu'il  composa,  Le  3  septembre  1810^  il  chanta  la  joie  des 
Allemands  et  leur  reconnaissance  envers  Dieu,  les 
cloches  sonnant  de  clocher  en  clocher  pour  magnifier  le 
Seigneur,  le  dragon  précipité  dans  Tabime,  Paris  trem* 
blant,  l'ennemi  héréditaire  rendant  sa  proie.  Geibel  était 
optimiste;  il  oublie  les  blessures  de  la  vie  pour  ne  se 
souvenir  que  de  ses  joies^  et,  selon  lui,  une  heure  de 
délices  balance  une  année  de  douleurs.  Une  pensée  reli- 
gieuse anime  fréquemment  sa  poésie.  Il  assure  que  c'est 
Dieu  qui  vainquit  à  Sedan  et  il  prie  celui  devant  qui  se 
taisent  les  orages,  d'arracher  son  cœur  à  la  tempête  des 
désirs.  Dans  la  forêt  où  règne  le  silence  de  l'église,  il 
sent  un  souffle.de  piété  courir  par  tous  ses  sens.  Il  songe, 
s'il  voit  un  oiseau  émigrer  vers  le  sud,  que  l'âme,  elle 
aussi,  a  des  ailes,  et  quand  la  terre  reverdit  après  l'hiver, 
que  l'homme  après  la  mort  jouira  d'un  printemps 
éternel.  Geibel  eut  d'ailleurs  des  disciples,  Gerok, 
Rittershaus,  Sturm,  Traeger  qui  firent  de  jolis  vers  et 
qu'on  a  nommé  les  poètes  de  la  famille. 

Paul  Heyse  (né  à  Berlin  en  1830)  a  composé  des  vers 
pleins  de  grâce  et  d'éclat.  Les  personnages  de  ses  drames 
n'ont  pas  le  «  sang  théâtral  ».  Ses  romans,  habilement 
filés,  semés  de  traits  spirituels  et  de  charmants  détails. 


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394  LITTéRÀTURB  ALLEMANDE 

renferment  des  contradictions  et  des  invraisemblances. 
Mais  il  a  fait  des  nouvelles  —  plus  de  cent  —  dont 
quelques-unes  sont  exquises.  Il  est  le  maître  du  genre. 
Il  varie  ses  sujets,  chacun  d*eux  offre  une  situation  atta- 
chante qu'il  met  en  relief,  et,  dans  une  langue  légère» 
limpide,  attrayante,  il  analyse  avec  une  finesse  merveil- 
leuse les  sentiments  de  ses  héros.  Peut-être  parlent-ils 
trop  comme  parle  Heyse,  et  non  comme  ils  devraient 
parler  selon  leur  humeur  et  leur  état.  Au  cours  de  la 
narration  l'écrivain  abuse  des  réflexions,  des  raisonne- 
ments philosophiques.  On  sent  qu'il  veut  résoudre  lin 
problème  psychologique,  révéler  un  côté  inédit  de  la 
nature  humaine.  Il  se  plait  à  rendre  possibles  les  choses 
impossibles  et  le  dénouement  de  sa  fable  ne  résulte  pas 
toujours  du  jeu  des  caractères.  Mais  il  souffle  la  vie  aux 
êtres  qu'il  tire  de  son  imagination;  il  est  le  peintre  de 
l'amour,  et  il  proclame  l'empire  de  la  femme.  F.  U.  R.  I.  A. 
Femina  unhersi  regina  in  œternum;  ainsi  s'intitule  une 
de  ses  nouvelles. 

Le  comte  Adolphe-Frédéric  de  Schack  (1815-1894), 
moins  poète  qu'homme  du  monde,  est  plus  connu  par 
ses  traductions  et  ses  travaux  sur  l'Espagne  que  par  ses 
propres  vers  où  il  imite  Byron  et  Platen.  S'il  avait  de  la 
couleur,  de  l'élévation,  de  l'harmonie,  des  rimes  rares^ 
il  manquait  de  force.  Dans  ses  Nuits  d'Orient  où  il  y  a  de 
profonds  aperçus,  d'éclatantes  descriptions  et  d'atta- 
chants épisodes,  dans  ses  romances  où  il  y  a  de  l'humour 
et  une  fine  satire,  la  langue,  si  noble  soit-elle,  s'allanguit 
et  se  tratne. 

Jules  Grosse  (1828-1902)  avait  une  puissante  imagi- 
nation, et  si  ses  drames  sont  froids,  si  ses  romans  sont 
longs,  ses  poésies  ont  parfois  la  douceur  du  lied  popu- 
laire, et  sa  Godilla  qui  rappelle  les  meilleures  ballades  de 


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hB  XIX*   8IBCLB  395 

Schiller,  sa  Jeune  fille  de  Capri  ont  obtenu  l'estime  des 
délicats.  Son  épopée,  le  Chant  de  Volkram^  en  douze 
livres,  retrace  les  aventures  d'un  personnage  qui  parti- 
cipe de  1848  à  4871  aux  plus  mémorables  événements 
de  Thistoire;  Tœuvre  a  de  la  grandeur,  mais  trop 
d'étendue,  et  la  langue,  bien  que  souple  et  variée,  admet 
trop  de  mots  étrangers. 

Hermann  Lingg  (1820-1905)  a  par  instants  de  la  gau- 
cherie, mais  souvent  une  vigoureuse  brièveté,  et  il  sait 
en  quelques  traits  nets  et  fermes  évoquer  les  souvenirs 
du  passé,  Salamine,  le  vieux  chemin  des  Romains,  la 
Yehme,  la  Peste  Noire.  Son  poème  en  octaves  sur  Vlnva' 
êion  des  barbares^  long,  décousu,  monotone,  présente,  a 
c6té  de  beaux  épisodes  pleins  de  force  et  d'élan,  des 
passages  d'une  grande  sécheresse  et  il  a  eu  tort  de 
choisir  des  peuples,  et  non  des  hommes,  pour  héros. 

Martin  Greif  (né  à  Spire  en  1839)  n'a  pas  l'heureuse 
concision  de  Lingg  et  les  images  entraînantes  de  Grosse. 
Il  manque  d'énergie,  de  chaleur.  Et  pourtant,  c'est  un 
lyrique  original  :  il  chante  la  nature  et  l'amour  d'une 
façon  simple  et  naïve,  avec  finesse,  avec  tendresse;  s'il 
est  fréquemment  trivial  ou  affecté,  il  attrape  de  temps 
en  temps  le  ton  populaire,  et  sa  poésie  a  quelque  chose 
de  sain  et  de  pur  et  de  doux  qui  ravit  et  rafraîchit  l'âme. 

Henri  Leuthold^  qui  mourut  fou  (1827-1879),  est  autant 
l'élève  des  Français  que  de  Geibel,  et  dans  ses  deux  épo- 
pées, dans  Hannibal  où  il  s'inspire  de  la  Salammbô  de 
Flaubert,  dans  Penthésilée,  surtout  dans  ses  poésies 
lyriques  il  a  trouvé  de  belle  rimes  et  un  rythme  harmo- 
nieux :  ses  odes  ont  de  la  puissance,  et  ses  sonnets  une 
ferme  parfaite. 


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896  LITTÉRATURE  ALLBMANDB 


Écrivains  de  tous  pays. 


On  groupera  sous  ce  titre  les  écrivains  cfui  D*onl  pas 
trouvé  place  dans  les  cadres  précédents,  Annette  de 
Droste-Hûlshoff,  Mosen,  Guillaume  Moller,  Siounock, 
Jordan,  Richard  Wagner,  Scheffel,  Freytag,  et,  en  les 
classant  selon  les  genres,  les  dramatistes  et  les  roman- 
ciers qui  s'étaient  produits  avant  1870. 

Après  deux  récits  dont  la  scène  est  au  Saint-Bernard 
et  dans  les  monts  de  Bohème,  Annette  de  Droste-Hûls- 
ho£P  (1798-1848)  traita  un  sujet  de  l'histoire  du  pays 
de  Munster,  son  pays  natal,  et  prit  pour  héros  Christian 
de  Brunswick  :  de  là  cette  Bataille  du  Lœner  Bruch  qui 
compte  plus  de  deux  mille  vers  et  offre  de  beaux 
passages  pleins  de  vigueur  et  d'une  frappante  vérité  :  le 
duc  et  son  camp,  Tilly  et  ses  lieutenants,  les  fureurs  des 
partis,  le  contraste  entre  de  nobles  amours  et  les  excès 
d'une  sauvage  soldatesque.  Annette  a  trop  aimé  les 
contes  de  revenants.  Il  faut  blâmer  ce  que  son  expression 
a  trop  souvent  de  dur,  même  de  défectueux  et  de 
languissant.  Mais  elle  sait  décrire  le  mystère  des  landes 
de  Westphalie,  les  vapeurs  légères  qui  flottent  sur  la 
bruyère  comme  des  fantômes,  la  nappe  des  étangs  et 
leurs  plantes  ramifiées  à  l'infini.  Elle  est  originale,  elle  a 
de  l'invention  et  de  l'élan,  beaucoup  de  sentiment  et  de 
grâce,  beaucoup  de  passion  et  de  pensée  profonde. 

Il  y  a  de  l'harmonie  et  de.  brillants  détails,  mais  de  la 
monotonie  et  de  l'obscurité  dans  les  deux  poèmes  de 
Jules  Mosen  (1803-1867),  le  Chevalier  Wahn  et  Ahœver. 
Il  y  a  de  la  force  et  de  la  flamme  dans  ses  drames  histo- 
riques. Ses  vers  lyriques  lui  valurent  le  surnom  d'Uhland 
de  la  Saxe.  On  y  trouve  sincérité,  chaleur  et  tendresse. 


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LB  XIX*  SIBCLI  397 

Il  aime  la  nature  et  il  chante  l'étroit  sentier  qui  serpente 
à  traycrs  les  blés,  le  lac  et  son  rêve  bleu,  la  nymphe  des 
bois  dont  le  pâtre  défaillant  admire  la  beauté  puissante 
et.  la  Toix  merveilleuse.  Ses  ballades  ont  quelque  chose 
de  simple  et  d'émouvant  :  André  Hofer  qui  tombe  à 
Maataioe  sur  le  rempart  en  disant  adiea  au  Tyrol  ;  le 
trompette  de  la  Katzbach  qui  ne  vent  mourir  qu'après 
avoir  sonné  la  vietoire  ;  le  tambour  saxon  qui,  la  nuit,  à 
Namur,  revient  pleurer  sur  la  patrie  déchirée;  les  dix 
derniers  de  ce  4*  régiment  qui  ne  combattait  qu'à  la 
boïonnette  et  qui  no  put  sauver  la  Pologne. 

Les  Chants  des  Grecs  de  Guillaume  Mûller  (1794*1827) 
le  disputent  par  l'enthousiasme,  par  l'ardeur  superbe  de 
l'accent  à  la  poésie  de  1813.  Tantôt  il  célèbre  Byron  ou 
exhorte  les  Grecs  à  lutter  jusqu'à  leur  dernier  souffle  et 
à  compter  sur  eux  seuls,  non  sur  l'étranger;  tantôt  il 
représente  un  vieillard  qui  regrette  de  ne  pouvoir  com- 
battre ou  de  n'avoir  pas  un  fils  qui  combatte  à  sa  place; 
tantdt  il  met  en  scène  une  Maïnotte  qui  envoie  ses  sept 
fils  à  la  guerre  sainte  et  menace  d'accueillir  à  coups  de 
pierres  le  lâche  qui  reviendra  vaincu  et  sans  blessure.  Les 
lieds  de  Mûller  valent  ses  Chants  des  Grées»  Avec  quelle 
sorte  d'ivresse  il  annonce  la  fuite  de  l'hiver,  le  chant  du 
rossignol  qui  sonne  la  charge,  le  retour  du  printemps 
entrant  par  les  fenêtres  et  dans  les  cœurs!  Il  n'est  pas 
toujours  vrai,  par  exemple  lorsqu'il  se  fait  postillon, 
pâtre  ou  meunier.  Mais  il  a  de  là  chaleur  et  le  ton  vif, 
le  jet  hardi  du  chant  populaire.  11  mourut  trop  tôt,  à 
trentei-deux  ans. 

Charles  Simrock  (1802-1876)  a  mis  en  allemand 
moderne  les  poèmes  du  moyen  âge  et  c*est  surtout  par 
ses  traduetiona  que  l'Allemagne  a  connu  les  anciennes 
épopées;  hû-iiitaia  était  poète,  il  «hante  les  légendes  du 


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3»8  LITTÉBATURB  ALLBMANDB 

Rhin  y  et  de  quelle  façon  vive,  originale  il  décrit  en  cinq 
strophes,  dans  la  pièce  An  den  Rhein^  Tattrait  que  le 
Rhin  exerce  sur  les  cœurs  et  le  charme  de  ce  beau  fleuve 
qui  fascine  les  étrangers  et  les  fixe  a  jamais  sur  ses 
rives  ! 

Guillaume  Jordan  (1819-1904)  eut  un  succès  aussi  grand 
quUmmérité.  Il  crut  éclipser  le  Fauêti^vt  le  Délniarge^p^ 
n'est  qu*un  poème  didactique  très  ennuyeux  et  long.  Il 
crut  éclipser  les  Nibelungen  par  le  poème  allitéré  des 
Nibelungé  :  c'était  remplacer  un  géant  par  un  mar- 
mouset; Jordan  prête  aux  vieux  héros  d'emphatiques 
tirades  sur  la  philosophie  et  la  science  t 

Plus  que  Jordan  et  autant  que  Simroeky  Richard 
Wagner  (1813-1883)  fit  revivre  les  légendes  du  passé 
germanique.  Quand  ses  livrets  ne  seraient  que  de  la  prose 
habilement  rimée»  cet  homme  génial  sut  unir  la  parole 
et  la  musique,  et  ses  œuvres  sont  vraiment  belles  parce 
qu'elles  sont  à  la  fois  allemandes  et  humaines. 

Réaliste,  épris  du  passé  germanique  comme  des  sapins 
de  son  pays  badois,  Joseph  de  Scheffel  (1826*1886)  a  je 
ne  sais  quoi  de  plus  énergique  et  de  plus  frais,  de  plus 
vert  que  la  plupart  des  poètes  de  son  temps.  Il  narre  dans 
le  Trompette  de  Sdckingen  (1854)  l'histoire  impossible 
d'un  trompette  a  qui  son  génie  musical  vaut  la  main 
d'une  noble  demoiselle,  et  son  style  est  aisé,  rapide, 
relevé  d'une  pointe  d'archaïsme;  s'il  imite  en  vers 
négligés  et  souvent  rudes  le  mètre  et  la  manière  à^Atim^ 
Troll,  il  a  de  l'humour.;  il  conte  les  choses  d'nne  faço» 
aimable  et  désinvolte  ;  il  saupoudre  soa  récit  de  saillies 
plaisantes  ;  il  introduit  dans  son  poème  un  chat  philoso- 
phe, le  matou  Hiddigeigei,  qui  du  haut  de  sa  gouttière 
disserte  sur  ce  monde  avec  une  comique  sagesse;  il  mêle 
aux  pures  amours  de  Werner  et  de  Marguerite  dépiquants 


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LE  XIX*  8IBGLB  399 

tableaux  de  mœars  et  de  pittoresques  descriptions  de  la 
Forêt  Noire  ;  ne  disait-il  pas  que  son  Trompette  était  un 
enfant  du  Schwarzwald?  Le  roman  historique  d'Ekkehard 
(1857)  respire  le  même  sentijnent  de  la  nature  et  repré* 
sente  habilement,  exactement  un  monde  encore  à  demi 
barbare.  Mais  après  Ekkehard  et  le  Trompette^  Scheffel 
décline.  Dame  Aventure  (1863),  où  il  parcourt  avec  les 
minnesinger  les  sites  de  rAUemagne,  n'a  plus  cette  grâce 
moqueuse,  cette  verve  joviale.  Pourtant,  Scheffel  a  été  et 
il  est  encore  le  favori  de  la  jeunesse  allemande  :  par 
d'ironiques  évocations  du  temps  jadis,  par  de  grotesques 
parodies,  par  un  divertissant  appareil  d'érudition,  les 
chansons  qui  composent  le  Gaudeamus  (1868)  sont  bien 
laites  pour  exciter  un  gros  rire  retentissant  et  une  gaité 
colossale. 

Gustave  Freytag  (1816-1895)  réussit  à  la  fois  dans  le 
théâtre  et  le  roman.  Si  sa  tragédie  des  Fabieng  est  d'un 
élève  de  Schiller,  si  ses  premières  comédies  qui  trahis- 
sent l'influence  de  Scribe  et  de  la  Jeune  Allemagne,  n'ont 
qu'un  mérite  scénique,  sa  pièce  des  Journalistes  (1852) 
a  de  la  gaité,  de  l'humour,  et  la  fraîcheur  de  la  jeu- 
nesse; la  raillerie  est  fine,  douce;  les  personnages 
vivent,  et  le  principal,  Bolz,  nous  séduit  comme  il  séduit 
Adélaïde,  par  sa  verve  moqueuse  et  sa  grâce  cavalière. 
Les  romans  de  Freytag,  Doit  et  Avoir  (1855)  et  le  Manu* 
scrit  perdu  (1864)  montrèrent  aux  Allemands  ce  que  la  vie 
de  tous  les  jours  recèle  de  poésie.  Doit  et  Avoir  est  un 
ouvrage  bien  composé,  plein  de  contrastes,  quoicpie  un 
peu  long.  Mais  les  commis  et  commerçants  que  l'auteur 
nous  montre  font-ils  la  force  du  peuple  allemand? 
Freytag  a,  sans  le  vouloir,  poétisé  la  noblesse  plutôt  que 
la  bourgeoisie  :  Franz  de  Fink,  hardi,  aventureux,  spi- 
rituel, et  la  vive»  la  sémillante  Léonore  de  Rothsattel 


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400  LITTÉRATORB  ALLBMÀNDB 

inspirent  plus  d'intérêt  que  la  sage  Sabine  et  le  bon 
Antoine;  le  héros,  c'est  Fink;  il  reste  sur  son  domaine 
qui  pour  lut  est  l'Amériqne  et  il  y  fonde  une  race  de 
colons  et  de  conquérants.  Le  Manuscrit  perdu  est  le 
roman  du  professeur  comme  Doit  et  Aifoir  est  le  roman 
du  marchand  :  toutefois  les  figures  n'ont  plas  autant  de 
relief;  l'esprit,  autant  de  naturel;  la  langrae,  autant  da 
simplicité.  Les  Tableaux  du  posée  aUemand  (185d*ld67) 
honorent  le  goût  et  le  sens  historique  de  Freytag  :  il  a 
su,  dans  ces  cinq  yolumes,  choisir  et  présenter  les  docu* 
ments,  dérouler  de  frappantes  images  de  chaque  siècle. 
Il  entreprit  de  raconter  dans  les  AUus  (1872-1^1)  les 
destins  d'une  famille  allemande  à  travers  les  âges  ;  mais 
trop  souvent  Thistoire  l'emporte  sur  le  roman;  la  lassi** 
tude  est  venue  ;  le  cycle,  commencé  par  des  œuvres  fortes 
et  colorées,  se  termine  par  des  récits  froids,  pâles, 
dépourvus  de  grandeur.  Silésien  et,  comme  il  dit,  enfant 
de  la  frontière.  Allemand  jusqu'à  la  moelle  des  os,  Freytag 
eut  toujours  la  passion  de  la  patrie  ;  il  représente  dans 
ce  qu'elle  avait  de  sain  et  de  robuste  cette  bourgeoisie 
qu'il  a  glorifiée  et  qui  créa  l'Empire. 

Deux  dramatistes,  deux  réalistes,  Hebbel  et  Ludwig, 
n'eurent  pas  la  même  prise  qne  Freytag  sur  leur  géné- 
ration. Mais  ils  ont  gagné  depuis.  Ils  poursuivaient  avec 
une  âpre  ferveur  la  vérité,  et  leur  réalisme  fut,  selon 
leur  expression,  un  réalisme  poétique. 

Frédéric  Hebbel  (1813->1863)'a  fait  des  poésies  lyriques 
où  il  y  a  de  l'élévation,  de  la  profondeur  et  même 
une  tendresse  d'accent.  Ses  épigrammes,  Tives  et  per» 
çantes,  rappellent  souvent  les  Xéniee.  Son  idylle  en  hexa*> 
mètres,  La  mère  et  Venfant^  ne  serait  pas  indigne 
d'un  Gœthe  ou  d'un  Morike.  Ses  comédies  sont  de  très 


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LB  XISL"^   81E0LB  401 

mince  valeur.  Ses  tragédies  le  mettent  hors  de  pair. 

A  rrai  dire,  peu  de  drames  sont  aussi  subtils  et 
aussi  bizarres  que  Judith  (1840).  Béthulie  assiégée  offre 
un  apectacle  horrible.  Holopherne  est  le  plus  ridicule 
des  capitans  et  le  plus  insensé  des  bravaches.  Quant  à 
Judith,  veuve  et,  a  son  grand  déplaisir,  vierge  encore, 
elle  aime  et  hait  Holopherne;  elle  se  laisse  éblouir  par 
ses  fanfaronnades  et  ses  airs  de  matamore;  puis,  confuse, 
humiliée  de  l'outrage,  irritée  que  ce  soudard  dorme 
tranquille  et  souriant  comme  si  de  rien  n'était ,  elle  lui 
coupe  la  tète  et,  lorsqu'elle  rentre  à  Béthulie,  elle  obtient 
des  anciens  de  la  ville  qu'ils  la  tueront  si  Holopherne  Ta 
rendue  mère  !  Mais  Hebbel  a  peint  avec  vigueur  le  peuple 
juif,  ce  peuple  lâche  et  fanatique,  redoutant  le  Dieu  dans 
lequel  il  a  foi  et  soupçonnant  les  prophètes  qu'il  exalte. 

Genepîèpe  (1843)  est  une  tragédie  en  vers  bien  tournés; 
mais  il  n'y  a  pas  d'action,  et  que  de  longueurs  et  de 
complications,  que  d'horreurs,  que  d'apparitions,  que  de 
personnages  impossibles  ou  dénués  de  vie  et  d'intérêt  : 
Geneviève  passive,  froide,  résignée;  Siegfried  crédule 
et  faible;  des  domestiques  bassement  coquins;  une  vieille 
sorcière  scélérate;  Golo  finissant  par  haïr  la  comtesse 
et  se  crevant  les  yeux  pour  se  punir  ! 

Il  y  a  dans  Hérode  et  Marianne  (1849-1850)  une  belle 
scène,  celle  des  rois  mages;  mais  l'œuvre  est  obscure, 
les  personnages  s'expriment  avec  une  mesure  qui 
contredit  leur  passion,  et  Hérode  nous  déconcerte  par 
un  mélange  singulier  de  franchise  et  de  dissimulation, 
de  grandeur  et  de  vilenie. 

Agnès  Bernauer,  Gygès  et  Marie-Madeleine  sont  les 
meilleures  pièces  de  Hebbel.  On  trouve  dans  Agnès 
Bernauer  (1852)  une  langue  simple  et  qui  garde  un 
heureux  coloris  du  xv*  siècle,  une  allure  rapide  et  nombre 

UTT^KAWM  ALLKMARBC.  26 


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%0a  UTTÉVATCRE  ÀLLBMAKDE 

de  ftcëaes  remarquables  :  Albert  déclarant  son  amour  à 
a  l'ange  d'Âugsbourg  d^  le  vieux  duc  déshéritant  son  fils 
mésallié,  Agnès  prisonnière  et  préférant  la  mort  au 
couvent,  Albert  accourant  pour  venger  la  victime  et 
relâchant  le  duo  qui  tombe  entre  ses  mains.  La  raison 
d'Etat  finit  par  l'emporter  :  Albert  s'humilie,  s'ageiu>uille 
devant  son  père.  Est*ce  possible?  Il  se  soumet  trop  vite 
et  mieux  valait  qu'il  périt  au  milieu  de  sa  victoire  et  de 
la  joie  des  représailles. 

Gygès  et  sa  bague  (1856)  offre  des  scènes  saisissantes, 
des  vers  d'une  belle  et  classique  facture^  un  sujet  ori- 
ginal. Candaule  veut  que  Gygès,  son  intime  ami, 
contemple  en  secret  Rhodope,  la  reine  des  femmes  ;  il  la 
possède  comme  la  mer  possède  les  perles  et  nul  ne 
connaît  sa  richesse  ;  il  désire  montrer  son  trésor.  Mais  la 
chaste  et  fière  Rhodope,  jusqu'alors  soustraite  au  regard 
des  hommes,  sait  que  Gygès  l'a  vue.  Elle  se  tient  pour 
souillée,  profanée.  Quoi!  Candaule  a  cédé  son  droit 
d'époux  à  un  autre!  Elle  ordonne  à  Gygès  de  le  tuer  : 
Gygès  obéit,  il  tue  Candaule,  il  reçoit  la  couronne  de 
Lydie,  il  mène  Rhodope  k  l'autel,  et,  à  cet  instant,  et 
puisqu'elle  est  dès  lors  purifiée,  elle  se  frappe  d'un 
poignard.  On  regrette  que  les  personnages  soient  un  peu 
froids.  Tous,  même  Candaule,  ont  de  l'élévation;  ils  ne 
parlent  que  d'honneur  et  de  devoir;  on  leur  voudrait 
plus  de  chaleur  et  de  sang. 

Marie'^Madeleine  n'a  que  trois  actes.  Mais  c'est  l'œuvre 
la  plus  vigoureuse  et  la  plus  belle  de  Hebbel,  et  une  des 
œuvres  maîtresses  du  théâtre  allemand.  Un  artisan  sur 
lequel  le  malheur  frappe  à  coups  pressés,  le  fils  faus- 
sement accusé  de  vol,  la  mère  mourant  lorsqu'elle  voit 
entrer  les  agents  de  la  police  dans  son  logis,  la  fille 
abandonnée  par  un  séducteur  et  recourant  au  suicide, 


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LB  XIX*'   SIBCLB  <.<iS 

tels  sont  les  personnages,  et  tous,  jnsqn^aux  sbires,  sont 
vivants.  Léonard  est  égoïste  et  naïf  dans  l'expression  de 
son  cruel  égoisme.  Clara,  faible  et  vaillante  à  la  fois,  eèdè 
à  Léonard,  puis  lui  avoue  qu'elle  ne  Taime  pas,  tout  en 
lui  promettant  d'être  son  esclave  et  sa  chose,  si  elle  devient 
sa  femme.  Maître  Antoine,  loyal,  rude,  intraitable,  trop 
fier  de  son  honnêteté^  détermine  la  catastrophe  par  son 
cn^ueil  et  sa  vertueuse  raideur.  Il  s'est  moqué  des  sergents 
et  à  leur  tour  les  sergents  ne  le  ménagent  pas.  Il  a  tenu 
son  fils  de  court,  et  son  fils  part  pour  l'Amérique.  Il  a 
juré  qu'il  se  couperait  la  gorge  si  jamais  on  montrait  sa 
fille  au  doigt,  et  Clara,  qui  se  rappelle  ce  mot,  se  jette 
dans  un  puits.  Ce  drame  sombre  et  noir  oci  ne  luit  pas 
un  rayon  d'espoir,  parut  en  1844.  Il  inaugure  le  drame 
social  et  on  louera  toujours  le  ferme  dessin  des  carae* 
tères,  la  marche  rapide  et  logique  de  l'action,  la  langue 
qui  chez  Hebbel  ne  fut  jamais  plus  serrée  et  plus  forte, 
l'art  qu'il  déploie  d'un  bout  à  l'autre  de  la  pièce.  Quelle 
figure  que  celle  de  ce  maître  Antoine  qui  «  ne  pense 
qu'aux  pharisiens  qui  secouent  la  tète  et  haussent  les 
épaules,  qu'aux  langues  de  serpent  qui  sifflent  derrière 
lui  !  » 

Les  Nibelungen  (1861)  se  composent  d'un  prologue,  le 
Siegfried  cornéy  et  de  deux  tragédies  en  cinq  actes,  la  Mort 
de  Siegfried  et  la  Vengeance  de  Kriemkild.  Hebbel  y  met 
en  relief  deux  personnages,  Dietrich  de  Bern,  le  plus  fort 
des  hommes,  qui,  après  Etzel,  «  traîne  le  monde  sur  sou 
dos  »,  et  Hagen  au  teint  pâle,  aux  yeux  de  loup,  au  sourire 
diabolique.  Il  fait  de  Brftnhild  une  Walkyrie  éternelle- 
ment'jeune  qui  doit^  si  les  hommes  ne  triomphent  pas 
d'elle,  ignorer  la  mort,  et  qui  serait  la  dernière  des 
géautes  comme  Siegfried  est  le  dernier  des  géants  :  de 
là,  le  charme  que  Siegfried  exerce  sur  elle  et^  le  crime< 


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4(A  LITTéft^TQRB  ALLBMAlfOI 

accompli,  la  douleur  qu'elle  éprouve,  jetant  une  coupe  de 
Tin  à  la  face  de  Gunther,  gardant  un  sinistre  silence 
et,  lorsque  Kriemhild  est  partie  pour  le  pays  des  Huns, 
demeurant  près  de  la  tombe  du  mort.  L'œuvre  manque 
d^unité;  elle  n'est,  principalement  dans  la  troisième 
partie,  qu'une  suite  de  morceaux  de  bravoure;  mais  si 
Hebbel  n'a  pu  maîtriser  les  difficultés  du  sujet,  il  a  forte- 
ment marqué  le  contraste  entre  Siegfried  et  Hagen,  et 
le  caractère  de  sa  Kriemhild,  analysé  avec  minutie,  est 
un  des  plus  beaux  caractères  qu'il  ait  créés. 

Ce  qui  gâte  les  pièces  de  Hebbel,  c'est  l'idée  qu'il  pré- 
tend y  mettre.  Il  veut  k  tout  prix  que  ses  personnages 
représentent  une  idée.  C'est  ainsi,  selon  lui,  que  Judith 
et  Holopherne  personnifient  le  judaïsme  et  le  paganisme 
ou  les  deux  termes  du  dualisme  qui  partage  rhumanité. 
Mais  il  a  fait  deux  œuvres  immortelles,  Gifgès  et  Marie- 
Madeleine, 

Otto  Ludwig  (1813-1865),  l'auteur  du  Forestier  et  des 
Macchabées f  a  critiqué  très  sévèrement  Hebbel.  Toutefois 
il  vint  après  Hebbel,  et  il  profita  de  lui  :  maître  Antoine 
a  servi  de  modèle  au  Forestier  et  les  AMacchabées  dérivent 
de  Judith.  S'il  a  plus  d'abondance,  plus  de  chaleur  et 
de  verve,  il  n'a  pas  le  même  art  de  composer,  la  même 
force,  la  même  profondeur.  Il  n'eut  pas  le  même  vouloir 
énergique  :  il  n'a  cessé  de  retoucher  et  de  refondre  ses 
pièces,  de  raffiner,  de  creuser,  et,  enfin,  il  s'est  attaché 
désespérément  k  Shakespeare.  Ses  Etudes  sur  le  tra- 
gique anglais  contiennent  des  vues  perçantes  et  des 
aperçus  féconds  ;  mais  les  Journaux  de  Hebbel  sont  une 
mine  d'observations  et  de  jugements  sur  toutes  choses. 

Il  y  a  dans  le  Forestier  héréditaire  (1850)  nombre 
d'invraisemblances.  Que  le  riche  M.  Stein  consente  k 


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LB  XtX*  8IBCLB  «OS 

Tunion  de  son  fils  Robertavec  Marie,  fille  de  son  forestier 
Ulrich,  soit.  Qa*Ulrich  offense  M.  Stein  et  reçoive  son 
congé;  que  le  mariage  se  rompe;  que  le  forestier  se 
refase  à  partir  et  se  croie  mattre  du  Ddsterwald,  soit« 
Mais  que  de  sang  répandu  !  Que  de  méprises  singulières 
qui  font  penser  au  drame  fataliste  !  N'est-il  pas  étrange 
qu'André,  le  fils  du  forestier,  s'endorme  dans  l'auberge 
où  se  trouve  le  braconnier  Lindenschmied  ;  que  le  bracon- 
nier lui  dérobe  son  arme;  que  ce  même  braconnier  soit, 
comme  André,  l'ennemi  mortel  du  chasseur  Gottfried,  et 
qu'après  avoir  tué  Gottfried,  il  soit  à  son  tour  tué  par 
Robert  Stein  ;  qu'André  passe  pour  l'assassin  de  Gottfried 
et  Robert  Stein  pour  celui  d'André;  que  le  forestier, 
pensant  frapper  Robert  Stein,  atteigne  sa  propre  fille? 
Tout  cela,  parce  que  le  braconnier  a  volé  le  fusil  d'André 
et  parce  que,  lorsqu'il  tombe  sous  la  balle  de  Robert 
Stein,  un  témoin  voit  la  bretelle  jaune  de  l'arme  briller 
dans  le  crépuscule!  Mais  le  milieu  est  fidèlement  rendu, 
on  croit  durant  tout  ce  drame  entendre  le  bruissement 
de  la  forêt,  et  les  personnages,  surtout  le  forestier 
Ulrich,  rude,  obstiné,  têtu,  sont  des  personnages  en 
chair  et  en  os. 

La  pièce  des  Macchabées j  jouée  en  1852,  contient  deux 
actions  :  l'intérêt  se  porte  d'abord  sur  Judas,  puis  sur  sa 
mère  Lea.  La  haine  deLea  pour  sa  bru  n'est  pas  motivée. 
On  ne  conçoit  pas  que  le  frère  de  Judas,  Bléazar,  ce  Flavius 
de  l'Arminius  juif,  se  range  du  côté  des  Syriens  pour 
revenir  au  parti  national  et  subir  le  martyre;  que  les 
Juifs  abandonnent,  parce  que  c'est  le  jour  du  sabbat,  ce 
Judas  qui  les  mena  vingt  fois  h  la  victoire;  que  Judas, 
ainsi  délaissé,  n'ait  qu'à  courir  ii  Jérusalem  pour  être 
acclamé  et  qu'après  avoir  de  nouveau  triomphé,  après 
avoir  appris  le  supplice  de  ses  frères  et  la  mort  de  sa 


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400  LITTinATDRB  ÀLLSMANDB 

•mère  désespérée,  il  renonce  à  la  vengeance.  De  belles 
scènes,  il  est  vrai,  comme  la  mort  du  vieux  Matathias, 
rhérotsme  tranquille  de  Judas,  les  généreux  emporte- 
ments de  Lea,  le  souffle  de  vaillance  qui  circule  danc 
tout  le  drame,  compensent  ces  défautA* 

Lodvirig  était  fait  pour  le  roman  plutôt  que  pour  le 
théâtre.  Deux  de  ses  récits,  DeCharybie  en  Seylla  et 
jiurtout  la  Heiterethei  (1855),  sont  très  louables,  et  ce 
dernier,  bien  qu'il  renferme  trop  de  personnages  et  d*ia- 
cideats,  est  une  idylle  attachante  :  Ludwig  y  traee  avec 
amour,  et  sans  omettre  aucun  trait,  une  fidèle  image  de 
sa  pairie  thuringienne.  Entre  ciel  et  terre  (1856)  est  sa 
meilleure  production.  La  encore,  des  épisodes  inutiles* 
Mais  que  de  scènes  émouvantes  :  Apollonius  levant  sa 
lampe,  et,  sans  le  vouloir,  éclairant  son  frère  qui  entaille  la 
eorde  dans  la  grange  et  lui  tend  un  piège  mortel;  Chris- 
tiane  se  jetant  avec  un  rire  mêlé  de  larmes  dans  les  bras 
d^Âpollonius;  les  deux  couvreurs  se  rencontrant  sur 
le  toit  de  l'église  et  Fritz  tombant  dans  le  vide  lorsqu'il 
veut  précipiter  son  rival!  Une  peinture  délicate  et  parfois 
subtile  des  caractères,  l'allure  calme  et  grave  du  récit, 
une  langue  forte,  nerveuse,  entraînante  rehaussent  la 
valeur  de  l'œuvre. 

Après  Hebbel  et  Ludwig  et  jusqu'après  la  grande 
guerre,  le  théfttre  offre  peu  de  pièces  notables  :  le  iVor- 
cUee  de  Brachvogel  (1857)  invraisemblable,  mais  plein 
de  morceaux  à  effet;  les  pièces  de  Gottschall  qui  ne 
manque  ni  de  goût  ni  d'esprit  ;  celles  de  Benedix  et  de 
ses  élèves^  Putlitz,  Wichert  et  autres.  La  langue  de 
Benedix  est  simple  ;  il  trouve  des  situations  comi- 
ques qui  donnent  au  dialogue  assez  de  piquant  et  de 
vivacité;   mais  ses  personnages  n'ont  pas  de  relief^  et 


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LB  Xï\^  SlèCLB  407 

qui  reeonnaîl  des  paysans  dans  les  deux  héros  du  P/*o» 
ce»? 


Le  roman  historique  de  ce  temps-là  subit  IHnfluence 
de  Wâlter  Scott.  Il  eut  de  nombreux  représentants  :  ce 
furent,  outre  Hauff,  Spindler,  auteur  du  Bâtard  et  do 
Jiiif^  Willibald  Alexis,  Konig,  Schûcking. 

Les  œuvres  d'Alexis  (1798-1871,  de  son  vrai  nom 
Guillaume  H&ring)  abondent  en  digressions,  en  épisodes 
inutiles,  en  réflexions  superflues.  Mais  il  raconte  les 
grands  événements  de  l'histoire  du  Brandebourg  et  sème 
ses  récits  de  détails  caractéristiques;  il  décrit  la  Marche, 
la  stérilité  de  son  terroir,  ses  lacs,  ses  forêts  de  sapins,  la 
bruyère  de  ses  clairières,  la  rudesse,  l'orgueilleuse  obsti- 
nation, la  froide  et  calme  résolution  de  ses  habitants. 

Henri  Konig  (1790-1869)  composa  les  Clubistes  de 
Mayenee  ou  il  y  a  de  la  couleur,  et  le  Carnaval  du  roi 
Jérôme  que  gâtent  des  longueurs. 

Levin  Schûcking  (1814->1883)  fit  revivre  les  aspects  et 
le  passé  de  la  Westphalie,  son  pays  natal. 

Le  roman  exotique  fut  cultivé  par  Sealsfield,  Ger** 
Stacker  et  MOgge. 

On  lit  encore  YAfraja  de  Mîigge  (1854)  et  ses  belles 
descriptions  de  la  Norvège,  «  la  véritable  patrie  des 
cascades  ». 

Frédéric  Gerstâcker  (1816-1872)  excite  l'attention  et 
la  tient  en  éveil  jusqu'au  bout. 

Sealsfield  (1793-1864,  de  son  vrai  nom  Charles  Postl), 
a  plus  de  talent,  plus  de  profondeur.  Ses  œuvres  ne  sont 
pas  fortement  composées  et  sa  langue  est  trop  mêlée  île 
mots  étrangers.  Mais  il  retrace  avec  le  sentiment  le  plus 


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40S  LITTBRATURB  ALLEMANDE 

vif  et  le  plus  vrai  le$  scèoes  et  les.  mœurs  du  Nouveau 
Monde,  Texistence  des  squatters  et  les  types  d'aventu- 
riers de  toute  race  qu'il  a  rencontrés.  Il  rend  rimprea- 
sion  que  font  les  rives  du  Mississipt,  la  Prairie  et 
rimmense  ondoiement  de  ses  herbes.  Il  peint  T Améri- 
cain, pratique  et  i|gnoraat,  sensible  et  sec,  simple  et 
ruséy  raide  et  souple. 

Le  roman  social  fut  représenté  par  Frédéric  Spielhagen 
(né  en  1829).  C'est  un  élève  de  Gotzkovir^  avec  plua  de 
tempérament,  et  il  a  les  défauts  de  la  Jeune  Allemagne. 
L'action  qu'il  imagine  est  toujours  compliquée  et  sur- 
chargée de  figurants.  Il  vise  a  l'effet;  il  fait  une  trop 
grande  part  au  hasard  et  tue  trop  aisément  les  person- 
nages qui  le  gênent.;  il  donne  à  ses  héros  toutes  les 
qualités  et,  même  s'ils  sont  démocrates,  une  distinction 
aristocratique;  il  est  homme  de  parti.  Mais  il  écrit  avec 
vivacité,  avec  éclat,  parfois  avec  humour;  il  sait  peindre 
le  décor  de  ses  romans^  Rûgen  et  les  côtes  de  Pomérauie, 
les  montagnes  de  Thuringe,  la  grande  ville,  les  courants 
politiques  et  les  orages  populaires.  Si  certains  des  êtres 
qu'il  a  créés  sont,  comme  il  l'avoue,  trop  bons  et  trop 
nobles  pour  la  vie,  il  marque  les  autres  en  traits  vigou- 
reux. On  n'oublie  pas,  après  avoir  lu  ses  Natures  proHé- 
matiques^  l'aimable  Oswald  Stein^  qui  tombe  sur  une 
barricade,  comme  après  avoir  lu  Dans  les  rangs^  ce  Léo 
qui  ressemble  à  Lassalle  et  qui  a  la  môme  fin.  Que  de 
scènes  saisissantes  dans  Marteau  et  Enclume  et  que  de 
puissance  en  certains  endroits  de  la  Tourmente  où  Spiel* 
hagen  associe  deux  tempêtes,  celle  qui  se  déchaine  sur 
les  bords  de  la  Baltique  et  celle  qui  ruine  soudainement 
les  agioteurs  de  Berlin  !  Ses  dernières  couvres  n'ont  pas 
autant  de  mérites  :  dans    Qu^adriendra^t'ilP  il  assure 


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LE  XIX*  srizGLB  409 

qa'uae  phase  glariease  de  rhumanité  va  s'ouvrir;  dans 
le  Nouveau  Pharaon  il  oppose  Tidéalisme  de  1848  au 
régime  bîsmarckien  qui  n'engendre  que  des  arrivistes  et 
des  esielaves* 

Dans  le  roman  de  mœurs  se  produisent  Hackl&nder, 
Storm,  Raabe. 

Uackiftnder  (1816-1877)  a  décrit  tons  les  mondes  et 
surtout  le  monde  militaire  ;  il  a  de  Hiumour,  et  parfois 
de  la  grâce  et  une  avenante  mélancolie. 

Théodore  Storm  (1817-1868)  a  dignement  chanté  dans 
ses  vers  le  Sehleswig-Holstein,  sa  terre  natale.II  peint  d'un 
doux  pinceau  les  bruyères  silencieuses,  leurs  basses  mai- 
sons mi-ruinées,  ces  solitudes  où  pas  un  son,  pas  un  bruit 
du  dehors  n'a  encore  pénétré,  et  les  Iles  qui,  au  loin,  sur 
les  flots»  apparaissent  dans  la  brume  comme  des  rêves, 
etHusum,  sa  patrie,  Husum,' la  ville  qui  n'a  ni  forêt  ni 
oiseaux,  la  ville  où  passe  dans  la  nuit  d'automne  l'oie 
sauvage  au  cri  dur,  la  ville  que  la  mer  entoure  de  son 
bruissement  monotone,  la  ville  grise  sur  qui  pèse  le 
brouillard,  mais  sur  qui  reposera  toujours  le  charme 
S4^uriant  de  la  jeunesse.  Il  a  fait  des  poésies  patriotiques  ;  . 
mais  il  dit  lui-même  que  s'il  sait  emboucher  la  trom- 
pette, il  aime  mieux  se  promener  en  rêvant  au  bord  du 
ruisseau  lorsque  fleurissent  les  primevères  et  lorsque 
chantent  les  grives.  La  plupart  de  ses  nouvelles  ont  la 
grftce  intime  et  un  peu  mystérieuse  de  ses  poésies 
lyriques.  Dans  les  dernières  il  aifecte  le  genre  sombre 
et  fantastique.  Dans  les  autres  il  s'attache  surtout  à 
montrer  qu'on  doit  se  résigner,  que  toute  faute  est  châ- 
tiée tAt  ou  tard,  et,  pour  traiter  ce  motif  de  l'expiation 
ou  du  renoncement,  il  sait  varier  les  situations.  Une 
langue  claire,  ferme,  très  souple  et  très  originale,  une 


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410  LITTBIlATOllà  ÀLLEIIANOB 

vive  sensibiKté  souvent  assaisonnée  d'nn  grain  d'homour, 
l'amoar  de  la  nature^  une  tendre  mélancolie,  de  la 
finesse,  de  la  profondeur,  tels  sont  les  mérites  de  Storm. 
Guillaume  Raabe  (né  en  1831)  rappelle  Jeatt^Paxd, 
non  le  Jean -Paul  qui  voulait  s*élever  au-dessus  des  brouil- 
lards de  la  vie,  mais  le  Jean-Paul  qui  faisait  son  nid  dans 
le  sillon  d'un  jardinet.  Ses  héros  habitent  entre  l'Elbe  et 
le  Weser  des  villettes  éloignées  ou  des  villages  perdus, 
et  ce  sont  des  originaux  des  deux  sexes,  Kéuze  uni 
Kàuzinnen^  petites  gens,  artisans,  bontiqniers  ou  savants, 
dont  il  retrace  par  le  menu  les  joies  et  les  d«Mileurs, 
les  ridicules  et  les  singularités.  Il  sonde  volontiers  ces 
obscures  existences  pour  y  trouver  de  touchantes  misères 
et  de  grands  dévouements.  C'est  un  ami  du  bon  vieux 
temps,  et  il  chante  la  poésie  des  antiques  bicoques  et 
des  sombres  ruelles  comme  celle  des  senties  solitaires 
de  la  forêt.  Mais  s'il  dessine  des  personnages  vivants  et 
réels,  il  tombe  fréquemment  dans  la  caricature  et  il  a 
tort  de  nous  proposer  pour  modèles  les  êtres  têtus,  capri- 
cieux, baroques  qu'il  nous  présente.  Son  récit,  enehe^ 
vêtré  d'arabesques,  a  l'allure  désordonnée.  Son  style  est 
souvent  bizarre,  tourmenté,  embroussaillé,  et  la  minutie 
des  descriptions  nuit  à  l'effet  de  l'ensemble.  Une  des 
figures  les  plus  curieuses  qu'il  ait  peintes,  est  celle  de 
son  Pasteur  qui  a  faim  :  un  pauvre  et  honnête  candidat 
en  théologie,  après  avoir  longtemps  souffert,  finit  par 
satisfaire  la  faim  de  son  âme  dans  un  hameau  de  pêcheurs 
où  il  vit  avec  celle  qu'il  aime.  Raabe  prêche  ainsi  la  pitié, 
et  comme  Gœthe,  comme  Storm,  la  résignation. 

  la  même  époque  se  développe  le  roman  villageois. 
Il  fut  inauguré  par  un  Suisse,  Bitzius,  dit  Gotthelf  (1797- 
1854).  Il  a  peint  de  vrais  paysans  frustes  et  rècbes.  Par 


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LB  XIX*  SIÂetl  411 

malheur,  il  est  long,  traînant;  il  accompagne  son  récit 
de  commentaires  et  d'explications  ;  ses  œuvres  valent  par 
les  détails,  non  par  l'ensemble;  encore  décrit-il  trop 
flOQTeBt  la  réalité  la  pins  basse  et  la  plus  crasse. 

Berthold  Auerbach  éclipsa  Bitzius  (1812-1882).  Les 
Récits  HUageois  de  la  Forêt-Noire,  qui  parurent  de  1843 
b  1853,  firent  de  lui  Tauteur  le  plus  populaire  de  l'Allé- 
magne.  Le  public,  fatigué  des  romans  qui  ne  lui  présen- 
taient que  des  aristocrates  blasés  et  des  artistes  présomp- 
tneox,  accueillit  avec  enthousiasme  ces  tableaux  de  genre. 
On  a  nemmé  Ânerbach  un  Tyrolien  de  salon.  Mais  il  a  de 
la  bonhomie,  de  la  nafveté;  il  a  franchise  et  fraîcheur;  il 
a  dans  sa  langue,  où  il  insère  discrètement  et  avec  grâce 
des  mota  et  tournures  du  dialecte  souabe,  beaucoup 
d'agrément  et  de  vivacité.  S'il  n'est  pas  vraiment  paysan- 
nesque,  s'il  fait  faire  a  ses  héros  un  peu  de  toilette,  s'il 
ne  veut  pas  que  leurs  habits  et  leurs  bottes  portent  des 
traces  de  fumier,  s'il  leur  prête  trop  de  tendresse  et  de 
sensibilité,  il  les  a  peints  tels  qu'ils  sont,  honnêtes, 
laborieux  et  économes,  durs,  orgueilleux^  entêtés  et  que- 
relleurs. La  perle  de  ces  contes  rustiques  est  Madame  la 
Profeseeur.  Une  villageoise  épouse  un  peintre;  mais  cette 
naïve  enfant  ie  la  nature  ne  peut  s'acclimater  dans  la 
grande  ville  et  se  plier  aux  usages  du  monde  :  c'est 
l'alouette  qui  chante  lorsqu'elle  est  libre  et  qui  dans  la 
cage  se  tait  et  s'attriste;  elle  regagne  son  village  et  rentre 
dans  son  élément.  Les  NouçeUes  Histoires  villageoises  et 
les  romans  d'Auerbach  sont  inférieurs  aux  Histoires 
villageoises.  Il  y  a  dans  les  Nouvelles  Histoires  villageoises 
trop  de  sentimentalité,  trop  de  réflexions  et  de  sentences, 
et  dans  les  romans  -—  bien  que  le  dialogue  soit  spirituel 
et  le  style,  pur  et  soigné  —  trop  peu  d'éclat  et  de  cou- 
leur,  trop  peu  de  cohésion,  et,  en  revanche,  trop  de 


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41S  LITTÉRATURB  ALLBMÀlfOB 

morale  et  de  philosophie,  trop  de  personnages,  et  qui 
sont  dépourvus  de  relief. 

Les  dialectes  avaient  eu  déjà  leurs  poètes,  l^oss  avait 
composé  des  idylles  en  son  patois  de  Mecklenbourg, 
et  Hebel,  l'auteur  des  Poésies  alemanniqaes  (1803), 
employait  le  dialecte  de  TOberland  badois  et  da  Send- 
gau.  Ce  qui  plaît  dans  Hebel,  c'est  qu'il  anine  et  person- 
nifie tout;  c'est  qu'il  empaysanne  la  nature.  Il  montre  le 
Samedi  qui,  fatigué,  recru,  tombe  au  sein  de  la  nuit  et  le 
Dimanche  qui  frappe  aux  volets  du  Soleil  et  traverse  le 
village  sans  faire  de  bruit  pour  ne  réveiller  personne. 
Il  peint  la  rivière  de  son  pays  natal,  la  Wiese,  qui  sort 
pieds  nus  de  sa  chambrette  de  cristal  et  gagne  alerte- 
ment la  plaine,  franchit  les  digues,  lance  des  cailloux 
par  les  prés,  emporte  des  brassées  d'herbe  fauchée,  pour 
se  jeter  enfin  dans  les  bras  du  Rhin.  Son  Ecrin,  en  haut- 
allemand  (1811),  contient  des  leçons  scientifiques  et  des 
historiettes  parues  auparavant  dans  l'almanach  VAmi  de 
la  maison  :  le  récit  est  habilement  filé  ;  l'auteur  ne  dit 
rien  d'inutile,  il  sait  graduer  les  effets,  concentrer 
l'intérêt  sur  le  trait  final  et  il  prête  aux  paysans  quil 
met  en  scène  une  humeur  franche  et  joviale,  la  gatté  de 
leur  pays  vignoble  et  parfois  une  niaiserie  très  ama- 
saute. 

Hebel  devint  classique,  même  dans  le  reste  de  l'Alle* 
magne.  On  l'imita.  Le  Zurichois  Usteri  écrivit  en  son 
dialecte  un  poème  du  VicaU'ei  le  Strasbourgeois  Arnold, 
une  comédie,  le  Lundi  de  Pentecôte,  d'un  accent  si  savou- 
reux encore  et  si  narquois  ;  le  Silésien  Holtei,  ses  Poé^ 
sies  silésiennes^  mais  Holtei  est  plus  connu  par  les  refrains 
de  ses  vaudevilles  et  par  ses  romans. 

Reuter  et  Groth  firent  pour  la  Basse-Allemagne  ce 


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LB  XIX*  MBCLB  413 

que  Ilebel  avait  fait  pour  l'Oberland  badoia  ;  ils  emploient 
leur  dialecte,  le  plat  allemand. 

Trois  ouvrages  en  prose  ont  fondé  la  renommée  de 
Fritz  Reuter  :  Au  temps  des  Français  (1860)  ;  Mon  temps 
de  forteresse  (1862)  ;  Mon  temps  de  formier  (1863-1864). 
Il  ignore  Fart  de  composer  ;  mais  il  a  de  Thumour,  une 
fraacke  galté,  une  malicieuse  bonhomie,  un  style  pitto« 
resque,  et  il  a  créé  l'inspecteur  Brfisig  qui  de  sa  vie  n'a 
eu  ni  honte  ni  peur  ;  il  voyait  de  ses  yeux  ses  person- 
nages, et  si  nettement  qu'il  pouvait,  assurait-il,  les 
saisir. 

Si  Reuter  est  romancier,  Klaus  Groth  est  poète.  Hebel 
disait  de  lui  qu'il  était,  après  la  mort  d'Uhland,  monté 
sur  le  trône  lyrique,  et  il  est  en  effet  pour  les  Allemands 
du  Nord  ce  qu'Uhland  et  Môrike  sont  pour  les  Souabes. 
Ses  Rieiis,  au  nombre  de  neuf  (1855-1859),  ont  toujours 
l'accent  du  terroir.  Mais  sa  première  œuvre,  Quickborn 
ou  Source  çiçe  (1852),  malgré  quelques  emprunts  à 
Burns,  à  Uhland  et  au  chant  populaire,  est  supérieure 
aux  Récits;  elle  contient  des  petits  poèmes  lyriques,  des 
ballades,  des  idylles^  des  scènes  humoristiques,  des 
poésies  enfantines,  et  tout  cela^  écrit  sur  un  ton  simple 
et  aisé,  fait  revivre  la  Basse*Saxe,  ses  forêts  et  ses 
bruyères,  ses  marais^  ses  rivages  et  l'âme  de  son  peuple. 

De  1870  à  1885. 

On  a  souvent  dit  que  la  guerre  de  1870  n'eut  pas  sur  la 
littérature  une  influence  bienfaisante.  Nombre  de  gens 
croyaient  que  l'âge  d'or  allait  naitre  pour  elle,  et  l'âge 
d'or  ne  parut  pas.  Bismarck  personnifiait  alors  le  génie 
national,  et  s'il  fut  un  orateur  vigoureux,  puissant, 
fécond  en  images  pittoresques  et  en  comparaisons  origina- 


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4kl4  LITTBRATUftB  ALLBKANDB 

le»  y  Bismarck  ne  s'est  pas  soucié  des  lettres  allemandes. 

Mais  de  1870  à  1885  où  éclata  un  nouveau  Sturm  uni 
Drang^  la  décadence  était^Ue  si  profonde? 

Certes,  ce  n'étaient  pas  de  grands  poètes  que  Grise- 
bach  qui,  dans  son  Nou^au  Tanhduser  et  dans  son  7*a/t- 
hduser  à  Romey  imitait  Byron  et  Heine  ;  que  Jules  Wolf 
qui  mettait  en  rimes  les  vieilles  légendes  et  dissimulait, 
selon  le  mot  de  Heyse,  sous  le  masque  du  temps  jadis  sa 
moderne  nullité;  que  Baumbach  qui  jetait  à  pleines  poi- 
gnées ses  chansons  et  chansonnettes  d'étudiant.  Pour- 
tant, Grisebach  écrit  avec  esprit,  et  Wolf,  ainsi  que 
Baumbach,  ont  parfois  attrapé  le  ton  du  chant  populaire. 
Geibel,  Heyse,  Greif,  les  Munichois  versifiaient  encore; 
avec  eux  versifiaient  Scheffel,  Storm,  Fontane,  Wilden- 
bruch,  Wilbrandt,  les  deux  Suisses  Keller  et  Meyer,  et 
d'autres  poètes  de  cette  époque  comme  Dranmor  et 
Frédéric  Vischer,  n'étaient  pas  méprisables. 

Dranmor  ou  Ferdinand  de  Schmid  (1823-1888)  n'a  rien 
de  léger  ni  de  gracieux;  mais  il  souffre  et  il  s'efforce,  en 
vers  d'une  vigoureuse  simplicité,  de  cacher  sa  souffrance; 
la  poésie  était,  suivant  lui,  une  douleur  profonde  douce- 
ment exprimée. 

Frédéric  Vischer  (1807-1887),  humoriste  amer,  esprit 
pénétrant,  morose,  bizarre,  a  fait  une  ingénieuse  parodie 
du  second  Faust ^  un  singulier  et  spirituel  roman,  Encore 
fi/i,  des  études  critiques  d'un  ton  très  personnel,  et  des 
vers,  Lyrische  Gdnge,  où  se  répandent  sur  tous  les  modes 
et  d'une  façon  vive,  piquante,  âpre  par  instants  et  bru- 
tale ses  idées  sur  les  hommes  et  les  choses. 


Certes,  il  y  eut  à  foison,  durant  cette  période  de  1870 
à  1885,  de  médiocres  romans,  et  l'égyptologne  Bbers, 


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bien  que  lourd  et  diffus,  eut  la  faveur  du  public  parce 
qu'il  était  sentimental  et  instructif  tout  ensemble;  il 
éclipsa  Georges  Taylor,  Ernest  Eckstein  et  Félix  Dahn. 
Les  livres  de  Stinde,  La  famille  Buchholz  et  Lea  Buch- 
holz  en  Italie^  obtinrent  un  prodigieux  succès,  et,  a  vrai 
dire»  la  figure  de  M"*"  Wilhelmine  est  amusante  de  vérité. 
Mais  Freytagy  Heyse,  Storm,  Raabe,  Spielhagen,  Auor- 
bacb  étaient  encore  sur  la  brèche,  et  la  littérature  alle- 
mande pouvait  à  bon  droit  se  glorifier  de  ses  romanciers, 
puisqu'elle  avait,  outre  ces  glorieux  vétérans,  Franzos, 
Frenzel,  Hopfen,  Hans  Hoffmann,  Rodolphe  Lindau, 
Richard  Voss,  Fontane,  les  Suisses  Keller  et  Meyer,  le 
Styrien  Rosegger>  et  deux  femmes,  Louise  de  François 
et  M"''  d'Ebner*Eschenbach. 

Le  Gallicien  Charles-Emile  Franzos  (1848*1904)  a 
trop  souvent  raconté  des  épisodes  de  la  vie  des  Juifs 
dans  la  demi-Asie;  mais  nul  n'a  mieux  rendu  la  poésie 
de  ces  contrées  si  proches  de  la  frontière  allemande  et 
si  étrangères  k  la  civilisation  de  l'Occident. 
.  Le  Berlinois  Charles  Frenzel  (né  en  1827)  a  fait  des 
romans  un  peu  longs;  mais  il  y  a  dans  les  premiers, 
Watleau^  Ganganelli^  Sous  Vdge  d'or^  La  Pucelle,  de 
frappantes  esquisses  de  la  société  du  xviii*  siècle,  et  Dame 
Vénus  ainsi  qu'Après  le  premier  amour  sont  des  tableaux 
de  mœurs  où  l'auteur  décrit  passions  et  caractères  avec 
finesse  et  en  un  style  gracieux,  spirituel,  étincelant. 

Hans  Hopfen  (1835-1004)  publia  des  Poésies  où  l'on 
remarqua  la  ballade  de  la  Bataille  de  Sendlingen  et  des 
vers  émouvants  sur  la  mort  de  sa  femme.  Ses  romans 
sont  nombreux,  et  plusieurs,  les  premiers  en  date,  méri- 
tèrent le  succès  par  l'accent  aisé  et  cavalier  de  la  narra- 
tion; mais  Hopfen  n'a  pas  marqué  ses  figures  en  traits 
saillants,  et  la  plupart  ne  vivent  pas. 


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416  L1TTBIIA.T1IIIB    ALLBMANOB 

Le  Stettinois  Hans  HoSmann  (né  en  1848)  a  de  grandes 
qualités  ;  Texactitude  de  Tobservation»  le  choix  des  détails 
caractéristiques,  une  sensibilité  délicate,  mêlée  à  de 
l'humour,  une  langue  précise  et  pure,  et,  qu'il  place  la 
scène  sur  les  bords  de  la  Baltique  dans  une  petite  ville 
de  Poméranie,  ou  dans  le  Harz,  ou  sous  le  ciel  bleu  de 
Corfou,  ses  simples  histoires  ont  toujours  quelque  chose 
de  touchant  et  de  saisissant. 

Rodolphe  Lindau  (né  en  1829)  a  couru  le  monde  et 
il  conte  ses  aventures  avec  ce  sceptique  réalisme  que 
Gœthe  recommande  au  voyageur;  peu  d'écrivains  ont  sa 
forte  sobriété. 

Inquiet,  ardent,  hâtif,  composant  drame  sur  drame  et 
roman  sur  roman,  traitant  les  sujets  les  plus  divers  avec 
une  fébrile  vélocité,  fabriquant  des  œuvres  chaudes,  vio- 
lentes, destinées  à  secouer  le  lecteur  et  à  lui  donner  le 
frisson,  et,  malgré  sa  souplesse  et  sa  vive  intelligence, 
et  bien  qu'il  mette  de  l'esprit  et  de  la  poésie  dans  tout 
ce  qu'il  fait,  incapable  de  créer  un  caractère  et  quoi  que 
ce  soit  de  durable,  parce  qu'il  est  a  la  merci  d'une  fou- 
gueuse imagination,  tel  est  Richard  Voss  (né  en  1851). 

Théodore  Fontane  (1819-1898)  a  célébré  dans  ses 
ballades  les  héros  de  la  Prusse,  ceux  que  le  peuple 
appelle  familièrement  les  vieux,  DerfHinger,  Dessan, 
Frédéric,  Schwerin,  Zieten.  Il  a  décrit  avec  une  exacti- 
tude pittoresque  la  Marche  de  Brandebourg,  ses  bois  et 
ses  lacs,  ses  villages  et  ses  châteaux,  l'espèce  d'hommes 
qui  l'habitent;  il  a  joliment  raconté  ses  traditions  et  ses 
légendes  :  il  a  rendu  tout  ce  qu'elle  a  d'original.  Il 
composa  des  romans  historiques,  et  Açant  Forage  offre  un 
attachant  tableau  de  la  Prusse  en  1812.  Mais  ses  meilleurs 
romans  sont  les  derniers,  ceux  oii  il  reproduit  les  mœurs 
et  le  ton  de  la  société  contemporaine.  S'il  s'abandonne 


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^B  XUL*  SmChM  417 

à  des  digressions»  s'il  prMe  parfois  à  ses  personnages 
des  piropos  qui  ne  répondent  pas  a  leur  situation  et  à  leur 
caraetère,  s'il  fait  trop  d'allusions  aux  événements  du 
jour,  s*il  ne  met  pas  dans  ses  œuvres  assez  d'ordre  et 
d'ensemble,  il  a  su  dessiner  avec  finesse  des  figrnres  du 
monde  berlinois,  Stine,  Leneet  son  lieutenant,  JennyTrei* 
bel.  Aisé,  gracieux,  spirituel^  piquant,  ironique,  aimant 
et  prodiguant  l'anecdote,  incomplet  pourtant,  négligé, 
dépourvu  de  force  et  de  profondeur,  causeur  plutôt  que 
romancier,  voilà  Fontane. 

Deux  Suisses,  deux  Zurichois,  Keller  et  Meyer,  ainsi 
que  le  Styrien  Rosegger,  sont  supérieurs  au  Prussien 
Fontane. 

Gottfried  Keller  (1819-1890)  a  été  poète  lyrique.  Par 
instants,  son  expression  est  lourde  et  maladroite  ;  mais  il 
a  de  la  couleur,  de  la  force,  du  mouvement,  et,  en  vers 
nets  et  drus,  il  a  célébré  la  Suisse,  le  Rhin  à  «c  l'haleine 
lente  et  fière  »,  la  joie  de  vivre  et  la  vaillance  de  l'homme 
qui  sait  accepter  l'idée  de  la  mort.  Son  chant  il  ma  pairie 
est  le  chant  national  des  cantons  allemands. 

Son  premier  roman,  Henri  le  Vert  (1854),  retrace  sa 
propre  jeunesse,  l'éveil  de  son  intelligence  et  de  ses 
mauvais  instincts,  ses  amours,  ses  déboires,  ses  études 
décousues.  Il  est  touffu  et  désordonné;  il  foisonne  de 
digressions,  de  scènes  inutiles,  de  dissertations  impré- 
vues. Toutefois  il  offre  des  passages  d'une  admirable 
poésie,  des  analyses  de  la  plus  grande  finesse  et  de  la 
pénétration  la  plus  aiguë,  et  une  émotion  mélancolique 
parcourt  le  récit  d'un  bout  à  l'autre. 

Les  nouvelles  de  Keller  (1856  et  1874)  sont  sa  princi- 
pale œuvre.  Il  y  en  a  dix  dans  les  Gens  de  Seldwyla. 
Elles  présentent  une  action  capricieusement  enchaînée^ 

LlTTi«ATDRI  ALLBMAKDI.  2/ 


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418  LITTÉRATURB  ALLEMANDE 

des  développements  outrés,  des  réflexions  inopportunes. 
Mais  que  d'humour  et  quelle  intensité  de  vie  I  La  plus 
touchante,  Roméo  et  Juliette  au  pillage,^  valut  à  Tauteur 
le  titre  de  a  Shakespeare  de  la  nouvelle  »  ;  elle  mêle  à  un 
réalisme  poignant  une  poésie  naïve  et  Tattrait  du  fantas- 
tique. Si  variées  qu'elles  soient,  ces  nouvelles  ont  leur 
unité,  et  ce  qui  fait  cette  unité,  c'est  la  gent  seldwyloise, 
paresseuse,  médisante  et  niaise,  c'est  la  petite  ville  de 
Seldwyla  avec  ses  préjugés  et  ses  idées  mesquines,  cette 
Seldwyla  que  les  héros  de  Keller  se  hâtent  de  quitter  dès 
qu'ils  sont  assagis. 

Les  Sept  Légendes  (1872)  sont  des  légendes  chré- 
tiennes que  Keller  a  revêtues  d'un  coloris  profane  et 
comme  laïcisées.  Les  personnages  ne  sont  plus  des 
saints;  ils  aiment  et  désirent  le  monde;  ils  n'étouffent 
pas  la  flamme  qui  brûle  dans  leur  cœur;  ils  font  leur 
devoir  d'hommes  et  la  Vierge  les  patronne.  Le  ton  est 
légèrement  ironique,  mais  il  n'a  rien  d'irrévérencieux, 
de  sarcastique,  et  Keller  a  jeté  dans  ces  contes  de  char- 
mants détails. 

Dans  les  Nous^elies  zurichoises  (1878)  -—  dont  les 
meilleures  sont  le  Bailli  de  Greifonsee  et  Ursule  —  il 
évoque  les  épisodes  les  plus  saillants  du  passé  de  sa  ville 
natale.  Mais  Thistoire  n'est  là  qu'un  décor  et,  comme 
dans  les  Gens  de  Seldwylay  il  glorifie  le  bonheur  d'une 
existence  simple  et  modeste,  active  et  probe.  N'avait-îl 
pas  accepté  la  place  de  secrétaire  cantonal  et  ne  fut-il 
pas  un  excellent  fonctionnaire  qui  donna  deux  cent  mille 
signatures  et  rédigea  deux  cents  volumes  d'actes  offi- 
ciels? 

VEpigramme  (1882)  se  compose  également  de  nou- 
velles. Elles  traitent  cette  piquante  matière  :que  l'époux 
doit  éduquer  et  ennoblir,  doit  comme  séduire  et  recon- 


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LE  XIX*  SliCLB  4tO 

quérir  la  femme  qui  lui  est  inférieure  par  la  caste  et  la 
fortune,  parce  qu'elle  ne  Ta  pas  choisi  librement. 

La  dernière  œuvre  de  Keller,  Martin  Salander  (1886), 
respire  la  mauvaise  humeur  et  le  pessimisme  :  il  voyait 
sa  chère  Zurich  emportée  par  un  esprit  de  vertige, 
dévorée  par  la  fièvre  de  la  spéculation,  et  il  désespérait 
de  la  démocratie. 

Il  avait  quitté  le  pinceau  pour  la  plume,  et  son  grand 
mérite,  c'est  la  faculté  qu'il  a  de  faire  jaillir  du  sujet  le 
plus  ingrat  une  source  de  poésie,  c*est  son  style  aisé, 
ample,  coloré,  pittoresque,  plein  d'images  saisissantes  et 
de  locutions  savoureuses  ;  il  choisit  et  place  et  entoure  si 
bien  ses  expressions  que,  fussent*elies  les  plus  ordi- 
naires du  monde,  elles  prennent  un  air  de  nouveauté. 

Conrad-Ferdinand  Meyer  (1825-1898)  a  fait  de  beaux 
vers.  Il  a  chanté  la  Suisse  et  la  «  grande  et  silencieuse 
clarté  x>  de  ses  glaciers.  Tout  lui  est  matière  à  poésie. 
Serré,  saisissant,  il  ne  dit  que  ce  qu'il  faut,  n'emploie 
que  très  peu  d^adjectifs,  ne  tire  que  du  verbe  la  vigueur 
de  ses  vers. 

C'est  ainsi  que  dans  sa  première  œuvre.  Les  derniers 
Jours  de  Hutten  (1871),  il  retrace  en  distiques  iambiques 
la  carrière  de  Hutten  telle  que  le  chevalier  mourant  se 
la  remémore  à  Ufenau,  ses  regrets,  sa  résignation,  sa 
certitude  de  vivre  dans  le  souvenir  des  Allemands  pour 
avoir  osé  lutter  contre  Rome. 

Il  excelle  dans  la  ballade  historique.  Quelle  simplicité 
tragique  dans  le  Page  de  Conradinl  Malade  et  resté  en 
arrière,  le  page  demande  à  un  valet  si  son  maître  trône 
dans  sar  splendeur,  et  le  valet  répond  que  Conradin  a 
souffert  doucement  le  coup  de  la  mort  et  trône  consolé 
dans  l'empire  du  ciel. 


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420  LITTBRATURB   ÀLLBMANDB 

Mais,  avant  tout,  Meyer  est  le  maître  de  la  nouvelle 
historique  en  prose.  II  traite  toujours  un  motif  origin»! 
et  il  donne  à  ses  personnages  une  physionomie  nette, 
précise  et  qui  ne  s'oublie  plus.  Presque  tous  vivent  à  des 
époques  troublées  et  ils  ont  l'âme  ardente,  impétueuse, 
passionnée  :  Georges  Jenatsch  qui  sacrifie  à  la  liberté  de 
la  patrie  et  ses  amis  et  son  amante  et  l'honnear  même; 
Thomas  Becket  qui  joint  à  sa  souplesse  féminine  une 
mâle  ténacité  et  le  roi  Henri  d'Angleterre  qui  ne  sait  se 
maîtriser;  le  moine  Astorre  que  l'amour  fascine  et 
entraîne  à  la  mort.  Mejer  connaît  le  cœur  humain  ;  il 
s'observait  lui-même  et  il  disait  que  dans  tons  les  per- 
sonnages de  sa  Tentation  dePescaire  il  y  avait  du  Meyer. 
Il  tient  ses  lecteurs  en  haleine  et  ils  ne  savent,  lorsqu'ils 
lisent  PescairCy  si  le  noble  guerrier  restera  fidèle  à 
l'empereur  ou  s^il  écoutera  les  conseils  de  Victoria 
Colonna.  Il  ressuscite  les  mœurs  du  passé;  il  évoque 
dans  le  Mariage  du  moine  la  figure  de  Dante  et  déroule 
dans  Angela  Borgia  de  curieuses  scènes  de  la  Renais- 
sance. 

Souvent  il  lui  arrive,  non  de  parler  en  son  nom,  mais 
de  faire  narrer  les  événements  par  un  témoin.  C'est  ainsi 
que  Hans  l'arbalétrier  raconte  au  chanoine  la  querelle  du 
roi  Henri  et  de  Becket.  Mais,  de  la  sorte,  Meyer  atténue 
l'horreur  de  certains  épisodes;  il  met  son  opinion  person- 
nelle dans  la  bouche  d'autrui,  et  le  léger  vernis  d'anti- 
quité qui  couvre  le  récit  semble  plus  naturel. 

Meyer,  enfin,  attache  un  grand  prix  à  la  forme;  il  est 
préoccupé  du  nombre  et  de  l'harmonie  du  style  ;  il  vise  à 
la  concision,  et  ses  nouvelles  ont  un  puissant  relief. 
Pourtant,  il  n'a  pas  la  sobre  et  nerveuse  énergie  de 
Mérimée  et  de  Maupassant.  On  sent  trop  qu'il  a  poli  et 
repoli  son  œuvre,  qu'il  lutte  avec  elle  comme  Jacob  avec 


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LB  XIX*  «IBCLB  4St 

l'ange^  et  les  traces  de  l'effort  sont  visibles.  Il  aquelque- 
fois  de  la  recherche  et  il  est,  par  instants,  bref  jusqu'il 
l'excès.  D'ailleurs,  il  doit  beaucoup  aux  Français  et  sa 
prose  offre  presque  autant  de  gallicismes  que  d'helvé- 
tismes.  La  connaissance  de  notre  langue  lui  montra 
combien  l'allemand  qu'il  écrivait  d'abord  était  gauche 
et  lourd.  «  Si  vous  voulez,  écrivait-il  à  une  jeune, 
poétesse,  que  votre  expression  soit  forte  et  précise, 
traduisez-la  en  français,  et  voyez  l'effet  qu'elle  produit.  » 

Pierre  Rosegger  (né  en  1843)  décrit  les  montagnes  et 
les  bois  de  la  Styrie,  son  pays  natal,  et  ses  descriptions 
se  distinguent  par  l'éclat  du  coloris  et  l'exactitude  pitto«. 
resque  du  trait.  Il  a,  dans  nombre  d'esquisses,  retracé  soit 
les  impressions  de  son  enfance,  soit  des  épisodes  de  la 
vie  rustique.  Aussi  viril  que  délicat,  il  a  traité  de  grands 
sujets  sociaux,  dépeint  le  conflit  de  l'esprit  moderne  avec 
les  traditions  du  passé,  et  s'il  moralise  et  symbolise  trop 
—  ne  dit-il  pas  qu'il  aurait  su  prêcher  et  qu'il  aurait 
fait  un  brave  petit  curé?  —  s'il  ne  réussit  pas  toujours  à 
composer  un  ensemble,  ses  romans  de  longue  haleine 
renferment  des  situations  tragiques,  des  scènes  émou- 
vantes, des  caractères  nettement  dessinés  comme  celui 
du  curé  Wieser  qui  aime  jusqu'à  en  mourir  ses  parois- 
siens de  Sainte-Marie  dont  il  jure  d'être  le  maître  et 
l'ami.  Bien  qu'il  ait  subi  l'influence  de  Stifter  et  celle 
d'Auerbach,  il  est  original  parce  qu'il  a  mené  la  même 
existence  que  ses  personnages,  parce  qu'il  a  respiré  le 
même  air;  ainsi  que  les  arbres  de  ses  forêts,  il  s'attache 
par  ses  racines  au  sol  styrien. 

Deux  femmes   d'un   remarquable   talent,   Louise    de 
François    et   Marie   d'Ebner-Eschenbach ,    l'une,    plus 


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429  LirrâRATCRB  ALLBXANOB 

âpre,  plus  sévère,  plus  mâle,  Tautre  plus  douce  et  plus 
tendre,  appartiennent  à  cette  période. 

Louise  de  François  (1817-1893)  a  fait  un  roman  clas- 
sique, La  dernière  des  Reckenbourg  (1871^  ;  en  un  style 
simple,  ferme,  vivant  elle  retrace  dans  le  cadre  d^une 
chronique  de  famille  l'histoire  de  trois  générations  et 
montre  qu*ètre  juste  c'est  voir  juste. 

Elevée  parmi  les  paysans  de  Moravie  et  dans  le  grand 
monde  de  Vienne,  la  comtesse  Marie  Dubsky,  femme  du 
baron  Ebner  d'Eschenbach  (née  en  1830)  a  représenté 
dans  ses  romans  le  peuple  des  campagnes  et  l'aristo- 
cratie :  Histoires  de  pillage  et  de  château  est  le  titre 
d'une  de  ses  œuvres.  Mais  elle  a  pareillement  étudié  la 
société  bourgeoise.  Elle  aime  et  elle  excelle  à  peindre  les 
enfants,  leur  grâce,  leur  naïveté,  leurs  vices  naissants, 
leur  âme  si  docile  à  recevoir  l'empreinte  du  mal  comme 
du  bien.  Peut-être  veut-elle  trop  instruire  et  édifier  le 
lecteur.  Son  Enfant  de  la  commune  est  un  pauvre  garçon 
qui  devient  honnête  homme,  quoiqu'il  ait  pour  père  un 
assassin  qui  subit  le  dernier  supplice  et  pour  mère  une 
femme  détenue  dans  une  maison  de  correction.  On  lui 
reproche  a  tort  de  peindre  tout  en  beau.  Si  M"**  d'Ebner 
critique  les  pessimistes  et  ceux  qui  ne  sont  nés,  sui- 
vant son  expression,  que  pour  blâmer  et  qui  ne  voient 
d'Achille  que  le  talon,  elle  connaît  les  misères  de  l'huma- 
nité, et  elle  les  déplore.  Comme  l'héroïne  d^Inexpiable^ 
elle  désire  soulager  les  souffrances  d'autrui,  et  comme 
son  maître  d'école  Haberecht,  elle  dirait  volontiers  qu'il 
ne  faut  remplir  son  assiette  que  s'il  y  a  dans  le  voisinage 
aussi  peu  d'assiettes  vides  que  possible.  Elle  s'élève  contre 
l'indifférence,  cette  ce  mort  intérieure  »  ;  elle  recommande 
la  bonté  et  avoue  qu'il  faut,  pour  être  toujours  bon,  avoir 
conquis  la  sagesse.  Pitié,  charité,  bienfaisance,  justice, 


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LB   XIX*  SIBCLB  438 

voilà  ses  sujets  favoris.  L'amour,  «  rinvincible  puis- 
sance»,  lui  parait  une  des  plus  grandes  raretés  qui  soient 
au  inonde;  elle  compterait  sur  ses  doigts  les  héros  de 
Tamour,  et  c*est  pourquoi  sans  doute  elle  a  su  peindre 
dans  Inexpiable  le  repentir  de  la  comtesse  Marie»  mais 
non  le  coup  de  folie  qui  la  jette  dans  les  bras  de  Tessin, 
Elle  écrit  avec  soin,  avec  scrupule.  Sa  langue  est  claire» 
aisée,  calme»  semblable  à  Teau  courante  et  limpide  d'un 
ruisseau.  Elle  a  de  l'humour»  humour  fin»  tout  féminin, 
assaisonné  d'une  pointe  d'exagération.  Chacune  de  ses 
oeuvres  se  tient»  et  dans  chacune  elle  est  réaliste  et  idéa- 
liste a  la  fois  ;  dans  chacune  elle  représente  la  vérité,  et» 
selon  ses  propres  termes,  la  vérité  purifiée,  au  feu  de 
son  âme. 


De  même»  c'est  être  injuste  envers  le  théâtre  de  1870 
à  1885  que  de  le  regarder  comme  absolument  indigne 
d'attention.  On  dit  d'ordinaire  que  la  France  vaincue  sur 
les  champs  de  bataille  vainquit  les  Allemands  dans  le 
domaine  de  l'art,  qu'elle  leur  imposa  ses  pièces,  drames, 
comédies,  opéras.  Mais  bien  avant  1870,  la  France 
régnait  déjà  sur  la  scène  allemande»  et  le  théâtre  clas- 
sique» le  théâtre  de  Schiller,  de  Gœthe»  de  Kleist»  de 
Freytag  et  autres  eut  la  vogue  dans  les  années  qui  sui- 
virent la  guerre. 

Le  dramatiste  le  plus  réputé  de  ce  temps-là,  Paul  Lin- 
dau,  rappelle  les  Français  par  l'allure  et  le  ton  :  dialogue 
rapide»  élégante  conversation»  traits  spirituels»  effets 
habilement  calculés.  Mais  n'était-ce  rien  que  de  mettre 
dans  la  comédie  allemande  de  la  finesse»  du  goût  et  du 
tour? 

Les  rivaux  de  Lindau»  Oscar  Blumenthal»  Kadelburg, 


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434  LITTERATtJBB  ALLEMANDE 

Gustave  de  Moser,  Lubliner,  L'Arronge,  les  deox  frères 
SchOnthan»  sont,  comme  lui,  superficiels  :  leur  théâtre 
offre  un  mélange  de  la  farce  berlinoise  et  du  drame 
d'Iffland;  mais  ils  ont  de  la  verve,  du  brio,  et  Blumen- 
thal  joint  a  son  adresse  scénique  une  veine  de  malice  et 
de  piquante  satire. 

Enfin,  il  y  avait  alors  trois  dramatistes  qui,  à  des 
titres  différents,  méritent  considération  et  estime  : 
TAutrichien  Anzengruber,  le  Prussien  Wildenbrucb,  le 
Mecklenbourgeois  Wilbrandt. 

Louis  Anzengruber  (1839-1889)  a  été,  sur  les  deux 
domaines  du  roman  et  du  drame,  un  sain  et  vigoureux 
naturaliste.  Dans  ses  histoires  villageoises  il  étudie  les 
âmes  et  les  analyse  avec  une  impitoyable  pénétration. 
Ses  drames  ont  des  défauts;  ils  tournent  parfois  au  mélo- 
drame et  quelques  personnages  sont  dessinés  d'une  main 
incertaine  et  hésitante.  Mais  il  a  décrit  dans  leur  vérité 
les  mœurs  viennoises,  ses  paysans  donnent  Tillusion  de 
vrais  paysans  et  il  fut  assez  avisé  pour  atténuer  le  dia- 
lecte qu'il  leur  fait  parler  et  le  rendre  intelligible  à  tout 
Allemand.  Sa  première  i^\kc%yLecurédeKirchfeld{{S10)^ 
est  une  pièce  de  parti  ;  le  curé  qui  porte  le  nom  expres- 
sif de  Hell  défend  le  vieux  catholicisme  contre  l'ultra- 
moQtanisme.  Les  Kreuzelschreiber  ou  ceux  qui  écrivent 
avec  une  croix  (1872)  rappellent  Lysistrata;  ils  ont 
envoyé  à  leur  curé  une  adresse  de  félicitations  et 
l'évèque  leur  inflige  une  pénitence  :  un  pèlerinage  à 
Rome;  mais  leurs  femmes  s'opposent  au  voyage.  Deux 
autres  pièces,  le  Paysan  parjure  (1871)  et  le  Remords 
(1874),  traitent  le  même  sujet,  Tune  tragiquement, 
l'autre  gaîment  :  le  paysan  parjure  qui  s'enfonce  dans 
le  crime  tient  tète  au  destin  avec  une  admirable  obsti- 
nation; le  héros  du  Remords  revoit  son  amante  de  jadis 


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LE  XIX*  81£GLE  425 

qu*il  croyait  tombée  dans  la  misère  et  le  désespoir,  heu- 
reuse, regorgeant  de  santé  et  mère  de  douze  enfants.  Le 
Double  Suicide  (1875),  pièce  aimable,  amusante,  repose 
sur  une  équivoque  :  deux  amants  écrivent  h  leurs  parents, 
qui  refusent  de  les  marier,  qu*ils  vont  sur  la  rivière  se 
réunir  à  jamais;  on  les  cherche  avec  anxiété;  on  les 
retrouve  vivants  et  fort  satisfaits.  La  Ferme  êans  fermier 
(1877)  a  pour  personnage  principal  une  jeune  fille  active, 
sensée,  qui  mène  la  maison  et  qui  vit  entre  l'instituteur  et 
le  curé  toujours  prêts  à  se  chamailler;  elle  aime  un  gars 
de  sa  ferme  et  le  prendrait  volontiers  pour  mari;  mais  il 
a  séduit  une  servante  et  Ta  rendue  mère;  il  s'éloigne, 
et  rhéroïne  adopte  Tenfant.  Le  Quatrième  Commande^ 
ment  (1877)  est  la  pièce  la  plus  saisissante  d*Anzengru- 
ber.  Non  que  Tidée  soit  absolument  claire  et  juste.  Parce 
que,  sur  Tordre  de  son  père,  Hedwige  Hutterer  renonce 
k  son  maître  de  piano  pour  épouser  un  riche  libertin, 
parce  que  les  deux  Schalanter  sont  mal  élevés  par  leurs 
parents,  parce  que  la  fille  devient  une  gourgandine  et 
que  le  fils  tue  son  sergent-major,  faut-il  ne  plus  prati- 
quer le  commandement  :  Père  et  mère  honoreras?  Mais 
l'auteur  a  su  peindre  la  vie  des  Viennois,  leur  légèreté 
d'esprit,  leur  goût  du  plaisir,  et  les  Schalanter  sont  d'une 
vérité  frappante.  Anzengruber  a  transformé  la  pièce 
populaire  viennoise  :  plus  de  musique,  plus  d'allégorie, 
plus  de  féerie,  plus  rien  de  banal  et  d'invraisemblable; 
c'est  une  œuvre  qui  traite  de  hautes  questions,  qui  pré- 
sente une  action  et  des  caractères.  Il  eut  une  influence 
réelle  sur  le  drame  allemand  :  le  dialecte,  le  costume, 
les  paysans,  le  village  entier  jouant  un  rôle,  des  scènes 
purement  descriptives,  les  tics  des  personnages  et  leurs 
mots  favoris,  le  détail  de  leur  physique,  que  de  choses  lui 
emprunteront  les  naturalistes  ! 


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426  LITTERATURE  ALLEMANDE 

Ernest  de  Wildenbruch  (1845-1909)  est  poète.  Il  a 
débuté  par  deux  tableaux  de  batailles,  Vionville  et  Sedan^ 
qu'on  a  ridiculement  qualifiés  d'épopées.  Ses  ballades 
plaisent  par  leur  mouvement  et  par  ce  qu'elles  ont  de 
mystérieux  et  de  sombre.  Ses  nouvelles  et  ses  romans  ont 
quelque  chose  de  rapide,  d'entraînant,  et  lorsqu'il  repré- 
sente des  enfants  ou  des  adolescents»  il  entre  dans  les 
replis  de  leur  âme.  11  n'a  pas,  comme  dramatiste,  réalisé 
les  espérances  qu'il  avait  fait  concevoir,  et  à  quoi  bon 
énumérer,  apprécier  toutes  ses  pièces?  Il  a  de  l'imagina- 
tion, de  l'enthousiasme,  de  l'éloquence,  un  chaud  patrio- 
tisme, et  sa  langue  a,  par  suite,  de  l'éclat  et  de  la  force; 
il  sait  trouver  des  sujets  tragiques  et  détacher  ses  per- 
sonnages sur  un  fond  historique  ;  il  sait  peindre  l'esprit 
et  le  caractère  d'une  époque;  il  sait  manier  et  mouvoir 
des  masses;  il  fut  longtemps  le  seul  qui  tint  haut  et 
ferme  le  drapeau,  de  Schiller.  Mais  il  a  trop  souvent  le 
style  emphatique  et  pompeux;  il  est  gauche,  étourdi;  il 
commence  toujours  bien  et  finit  toujours  mal;  il  accu- 
mule les  invraisemblances,  et  ses  héros  ont  beau 
s'échaufier,  s'exalter;  malgré  leurs  grands  gestes  et 
leurs  grands  mots,  on  les  oublie  dès  qu'on  ne  les  voit 
plus. 

Adolphe  Wilbrandt  (né  en  1837  à  Rostock),  poète, 
romancier,  dramatiste,  très  souple  et  très  fécond,  a  fait 
de  bons  romans,  des  comédies  spirituelles  et  gracieuses, 
des  drames  qui  ne  manquent  pas  de  mouvement  et  de 
chaleur,  voire  de  couleur.  Il  écrit  avec  soin,  avec  cor^ 
rection;  c'est  un  auteur  ingénieux,  un  peintre  de  jolis 
détails.  Mais  on  remarque  trop  qu'il  cherche  et  qu'il 
lutte;  il  raffine,  il  subtilise;  la  pensée  gâte  chez  lui  le 
sentiment.  Son  Maître  de  Palmyre  (1889),  qui  se  dis- 
tingue par  une  langue  harmonieuse,  par  la  profondeur 


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LB  XIX*^  SIECLE  427 

de  ridée,  par  la  variété  des  scènes,  est  moins  un  drame 
qu'un  poème  lyrique.  Sa  Kriemhild  (1877),  où  il  a  retranché 
tout  le  merveilleux,  a  des  mérites,  une  belle  brièveté,  la 
clarté  de  Faction  et  des  personnages  vivants. 

De  1886  à  nos  Jours. 

Telle  était  la  littérature  avant  1885.  Les  jeunes  gens 
d'alors  la  regardaient  comme  frappée  de  décadence.  A  les 
entendre,  nul  n^avait  depuis  la  guerre  rien  produit  d'im- 
posant, nul  n'avait  mis  le  feu  aux  cervelles.  Tout  ce  que 
le  nouvel  empire  comptait  de  talents  réels  était  ignoré, 
oublié,  rabaissé.  On  nommait  Freytag  un  bourgeois, 
Reuter  un  Dickens  de  village,  Raabe  un  peintre  de 
vieilles  bicoques,  Storm  un  miniaturiste  affecté,  Keller 
une  gloire  de  clocher,  ScheOel  un  archéologue,  Heyse 
un  aristocrate. 

Les  étrangers,  Zola,  Tourgueniev,  Tolstoï,  Dostoievsky, 
BjOrnson,  Ibsen  furent  donc  k  la  mode.  On  trouvait  chez 
eux  quelque  chose  d'original  et  de  personnel,  l'intensité 
de  la  vie,  des  scènes  hardies,  vigoureuses,  brutales,  des 
êtres  de  chair  et  de  sang,  des  caractères  saisissants,  la 
peinture  poignante  d'un  milieu  social,  une  large  et 
franche  allure,  et  un  récit,  une  fable  qui,  tout  en  donnant 
une  forte  impression  de  réalisme  intime,  prouvait,  expri- 
mait une  vérité  morale. 

De  là  une  révolution  littéraire  qui  prit  le  nom  de  la 
toute  jeune  Allemagne,  Elle  opposait  à  l'antique  le 
moderne,  à  YAntike  la  Moderne,  En  1882  les  deux  frères 
Henri  et  Jules  Hart  publiaient  leurs  Passes  £armes  criti" 
ques.  Ils  attaquaient  avec  fougue  les  auteurs  du  temps, 
Paul  Lindau,  Lubliner,  L'Arronge,  Spielhagen,  etc.  ;  ils 
déclaraient  que  la  littérature  allemande  n'existait  pas  et 


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428  LITTKRATURB  ALLEMANDE 

que  quelques  épis  dressés  au  milieu  de  l'ivraie  ne  font  pas 
un  champ  de  blé,  qu'il  fallait  réagir  contre  la  médiocrité 
régnante  et  revenir  au  jeune  Gœthe.  Ils  ne  prétendaient 
pas  au  rôle  de  coryphées  ;  ils  défrichaient  le  sol;  d'autres, 
disaient-ils,  le  cultiveraient.  Pourtant,  ils  essayèrent  de 
cultiver  le  sol,  et  si  le  Chant  de  F  humanité  de  Henri 
Hart  est  une  épopée  manquée,  il  y  a  de  beaux  passages 
dans  le  Triomphe  de  la  çie  et  le  Nouveau  Dieu  de  Jules 
Hart.  Des  revues,  des  clubs  se  fondèrent  pour  défendre 
les  principes  de  la  «  Moderne  »  et  en  1889  Jean  Schlaf 
et  Arno  Holz  lancèrent  Papa  Hamlet. 

L'ouvrage  contenait  trois  petits  récits.  Papa  Hamlet, 
Première  Classe  et  Une  mort,  Schlaf  et  Holz  l'attribuaient 
à  un  Norvégien,  du  nom  de  Holmsen,  et  cet  Holmsen 
pratiquait  le  «  réalisme  conséquent  ».  Les  personnages 
bégaient,  balbutient,  soufflent;  pas  un  de  leurs  gestes  et 
de  leurs  mouvements  qui  ne  soit  exprimé,  fût-ce  par 
un  simple  son  ;  le  bruit  de  l'eau  qui,  par  un  temps  de 
dégel,  tombe  dans  la  gouttière,  est  ainsi  reproduit  :  tipp... 
tipp. 

II  fallait  appliquer  au  drame  le  «  réalisme  conséquent  ». 
Schlaf  et  Holz  firent  représenter  au  Théâtre  Libre  à  Berlin, 
en  1890,  la  Famille  Selicke.  La  pièce  échoua;  les  auteurs 
ont  copié  trop  servilement  la  réalité;  s'ils  ont  évité  le 
<c  style  de  papier  »,  ils  n'ont  pas  de  style  du  tout  :  chacun 
parle,  gesticule  à  sa  façon;  pas  d'action;  une  tranche  de 
vie  telle  quelle. 

Schlaf  et  Holz  furent  éclipsés  par  un  de  leurs  disciples, 
par  Gerhart  Hauptmann,  qui  reconnut  hautement  l'in- 
fluence décisive  que  Papa  Hamlet  avait  exercée  sur  lui. 
La  première  pièce  de  Hauptmann,  Avant  le  lei^er  du  soleil^ 
jouée  le  20  octobre  1889  au  Théâtre  Libre  de  Berlin,  fut 
un  orageux  triomphe.  Une  deuxième  pièce  de  Hauptmann, 


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LE   XIX*   SlàCLB  429 

la  Fête  de  la  Paix,  parut  en  1890,  une  troisième,  Ames 
solitaires,  en  1891»  une  quatrième,  les  Tisserands^  en 
1892.  Le  Théâtre  Libre  termine  alors  son  existence;  les 
c<   naturalistes  »  avaient  vaincu. 

Ils  oubliaient  que  Fart  n'est  pas  la  réalité,  et  que  l'art 
ne  repose  que  sur  des  conventions.  Plus  de  vers  dans  le 
drame,  disaient-ils,  puisqu'on  ne  parle  pas  en  vers  dans 
la  vie  privée,  plus  de  décors,  plus  de  ciel  peint,  plus 
d*arbres  peints  ;  un  drame  ne  pouvait  se  passer  que  dans 
une  chambre,  et  dans  cette  chambre  il  fallait  un  lit;  plus 
de  tirades,  plus  de  grands  discours;  on  devait  laisser 
aux  gens  les  petites  négligences  qui  leur  sont  familières, 
leurs  mots  de  prédilection,  leurs  tics.  Pas  d'imagination; 
Tobservation  suffisait,  et  des  épisodes  inutiles  à  l'action, 
mais  propres  à  donner  l'illusion  du  réel,  étaient  indis» 
pensables. 

Le  naturalisme  régna  durant  quelques  années.  Il 
entraîna  tous  les  esprits.  Wildenbruch  sacrifia  au  goût 
nouveau.  Fontane  déclara  que  dans  de  pareilles  crises 
l'originalité  doit  avoir  passagèrement  les  mêmes  droits 
et  privilèges  que  le  beau,  et  les  naturalistes  applaudirent 
Fontane,  assurèrent  qu'il  usait  de  leurs  procédés.  Ils 
affirmèrent  que  VHonneur  de  Sudermann  était  une  pièce 
naturaliste  ou  du  moins  une  pièce  réaliste. 

Mais  le  réalisme  de  Sudermann  n'était  pas  le  réalisme 
a  conséquent  »,  intransigeant  de  Hauptmann;  c'était  un 
réalisme  atténué,  truqué,  superficiel.  Bientôt  le  natura- 
lisme déclina.  Ses  excès  mêmes  le  perdirent.  S'il  pré- 
sentait des  images  très  crues,  très  noires  du  monde  con* 
temporain,  n'était-ce  pas  pour  forcer  l'attention?  Ses 
plus  fervents  adeptes  l'abandonnèrent,  et  Hauptmann, 
dans  son  désir  d'attraper  le  succès,  employa  d'autres 
moyens  que  ceux  du  naturalisme.  On  revint  au  vers; 


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480  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

on  observa  l'unité  de  temps  et  de  lieu;  on  traita  des 
sujets  antiques;  on  fit  des  pièces  romantiques,  et  ceux 
qui  coquetaient  naguère  avec  la  «  Moderne  »,  soudain, 
comme  s'ils  voulaient  secouer  la  lourde  servitude  de  la 
réalité,  s'élancèrent  d'un  vol  libre  dans  les  régions  supé- 
rieures de  la  fantaisie  ;  la  légende  et  l'histoire  envahirent 
la  scène;  les  pièces  françaises  reconquirent  leur  empire, 
«t  derechef  Paris  fournit  Berlin  et  Vienne  d'esprit  et  de 
galté. 

Le  naturalisme  avait  toutefois  apporté  du  nouveau  ;  on 
apprit  à  «  faire  vrai  »,  a  mettre  plus  de  réalité  dans  la 
peinture  des  personnages,  à  nuancer  le  langage,  à  rendre 
la  Stimmung  ou  la  sensation  de  l'atmosphère  morale, 
bref  à  peindre  le  milieu  et  à  creuser  les  sujets;  le  théâtre 
allemand  avait  proclamé  son  indépendance  et  par  la 
variété,  par  la  hardiesse  de  ses  efforts,,  égalé  le  théâtre 
des  autres  nations. 

Poètes  contemporains. 

En  même  temps  que  le  naturalisme,  s'était  produit  le 
symbolisme.  Un  groupe  de  «  jeunes  »  avait  renié  Zola 
et  juré  par  Huysmans.  D'autres  s'étaient  faits  impres* 
sionnistes;  ils  regardaient  le  récit  comme  du  reportage 
et  ils  ne  voulaient  mettre  en  vers  que  des  impressions, 
des  «  reflets  de  l'âme  ».  Mais  le  symbolisme  et  l'impres- 
sionnisme, pas  plus  que  le  naturalisme,  ne  durèrent. 

Richard  Dehmel  est  à  la  tète  des  symbolistes.  II  sait 
souvent  par  des  moyens  très  simples  évoquer  une  vision 
intense.  Il  a  chanté  l'amour  en  vers  ardents,  et  qui  ne 
connaît  la  Prière  de  nuit  JCune  fiancée}  Il  a  tracé  de 
petits  tableaux  saisissants,  comme  celui  de  la  ville  silen- 
cieuse.  Mais  il  offre  bien  des  négligences^  des  bizarre- 


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LB  XIX«  81ÂCLB  481 

ries,  des  obscurités,  et,  par  instants,  il  tombe  dans  une 
sécheresse  prosaïque. 

Stephan  George,,  qui  fut  un  des  chefs  de  Timpression- 
nlsme,  réussit  à  rendre  une  impression  par  le  choix  des 
sons  et  la  combinaison  des  rimes;  c'est  un  artiste,  et  il 
écrit  purement;  mais  il  aime  à  prendre  un  ton  d'oracle 
et  fréquemment  ses  vers,  dans  leur  harmonie  et  leur 
solennité,  n'ont  pas  l'ombre  de  sens  commun. 

A  George  se  rattachent  Dauthendey,  qui  se  platt  a 
condenser  ses  émotions  en  strophes  aux  rimes  raffinées, 
et  Mombert,  qui  trouve  parfois,  pour  chanter  la  nature 
et  surtout  la  mer,  de  profonds  et  mystérieux  accents. 

Une  figure  intéressante  est  celle  de  Hermann  Conradi, 
qui  se  tua  et  qui  peut  passer  pour  le  type  de  la  bohème 
littéraire  des  années  1880-1890  :  brutal,  fanfaron  de 
vices,  affichant  une  prédilection  de  mauvais  goût  pour 
les  oubliés  et  les  dédaignés  de  la  littérature,  il  avait  du 
talent;  certaines  de  ses  pièces  prendront  place  dans  les 
anthologies  et  son  roman  Adam  Mensch  offre  une 
remarquable  analyse  de  l'âme  d'un  «  moderne  ». 

D'autres  poètes,  qu'ils  aient,  ou  non,  appartenu  au  natu- 
ralisme, méritent  une  très  honorable  mention  :  Avena- 
rius,  BlOthgen,  les  deux  Busse,  Evers,  Falke,  Henckell, 
Jacobowski,  Lienhart,  Lôwenberg,  MOser,  Mûnchhausen, 
Salus,  SchOnaich-Carolath,  Seidel,  Yierordt. 

Ferdinand  Avenariua  a  quelque  chose  de  Storm,  et  il 
exprime  souvent  dans  ses  vers  un  sentiment  vrai  et  pro« 
fond. 

Blûthgen  a  surtout  chanté,  non  sans  charme,  les  joies 
de  l'enfance. 

Charles  Busse,  comme  son  frère  Busse-Palma,  est 
clair,  aisé,  harmonieux. 

Evers  a  trop  de  goût  pour  les  symboles  ;  mais  il  a  des 


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433  LITTERATURE  ALLEMANDE 

accents    mélancoliques   ou   passionnés    qui    pénètrent. 

Falke  est  un  idéaliste  et  il  a  la  forme  pure,  belle, 
originale.  Il  prend  tous  les  tons;  mais  il  a  peut-être 
plus  de  douceur  et  de  délicatesse  que  d'énergie  et 
d'élan  ;  il  crie  parfois  et  il  se  plaint,  mais  le  plus  souvent 
il  touche  légèrement  les  cordes  de  la  lyre;  leis  est  un  de 
ses  mots  favoris,  et  il  aime  à  songer,  a  faire  des  rêves 
dorés,  b  évoquer  les  jours  où  il  fut  heureux,  où  son  âme 
avait  des  ailes. 

Les  drames  de  Fitger  sont  médiocres.  Le  poète  lyrique 
l'emporte  en  lui  sur  Thomme  de  théâtre;  il  a  une  vive 
imagination  et,  pour  parler  comme  lui,  une  flamme  de 
cœur  qui  ne  pâlit  pas  ;  il  sait  trouver  le  ton  du  VolksUed. 

Henckell  se  mêle  à  la  lutte  des  partis;  il  est  le  «  hussard 
rouge  de  l'humanité  ».  Il  fait  mieux  d'être  le  «  ménestrel 
au  tendre  myrte  »  :  il  a  dans  nombre  de  lieds  une  grâce 
simple,  une  passion  sincère,  et  il  sent  et  rend  à  mer- 
veille le  silencieux  attrait  de  la  nuit  étoilée. 

Jacobowski  était  juif  et,  en  vers  touchants,  il  ne  demande 
à  l'Allemagne  que  de  l'amour.  Il  a  plus  de  mollesse  que 
de  vigueur  ;  mais  il  maniait  en  maître  la  rime  et  le 
rythme.  C'est  dans  une  langue  d'une  noble  simplicité 
qu'il  a  dit  ses  luttes  et  ses  désillusions. 

LOwenberg  est  juif,  comme  Jacobowski,  et  il  ne 
renie  pas  son  origine;  il  unit  à  la  fermeté  du  style  une 
vive  sensibilité  et  il  a  su  décrire  la  campagne,  les  épis 
menacés  par  la  faux  de  demain,  la  moisson  qui  vide  le 
village  et  les  enfants  qui  joignent  les  mains  devant  le 
soleil  du  soir. 

L'Alsacien  Lienhard  s'est  vainement  essayé  dans  le 
drame.  Dans  ses  vers,  il  reproche  avec  colère  a  ses 
compatriotes  leur  cœur  welche  et  dénaturé.  Mais  il  a 
chanté  la  terre  d'Alsace  et  le  cor  qui  sonne  au  fond  de 


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LE  XIX*  81BCLB  48S 

la  forêt  des  Vosges;  une  forte  saveur  du  pays  natal  est 
répandue  dans  son  œuvre. 

Albert  Môser  (1835-1900)  est  simple  et  doux,  doux 
comme  le  ruisseau  qu'il  entend  murmurer  dans  la  nuit; 
mais  il  trouve  un  vigoureux  accent  pour  saluer  les  che- 
vaux  qui  reviennent  seuls  des  champs  de  Mars-la-Tour 
où  gisent  leurs  cavaliers  victorieux. 

Le  baron  BOrries  de  Munchhausen  a  le  ton  viril  et 
martial. 

Salus  a  de  la  (inesse,  de  Télégance,  et  on  lui  recon- 
naîtra le  droit  de  se  mêler,  comme  il  dit,  parmi  les 
artistes;  il  est  médecin  à  Prague,  et  l'Autriche  actuelle 
compte,  outre  lui,  d'autres  lyriques  distingués  :  Adler, 
Claar,  Donath,  Hango. 

Le  prince  Emile  de  Schonaich-Carolath  a  par  instants 
le  ton  d'un  blasé  et  il  affecte  la  mélancolie.  Mais  c'est 
un  vrai  poète.  Il  a  de  l'éclat,  de  la  passion,  de  l'origi- 
nalité; il  a  rapporté  de  ses  voyages  sur  les  routes  de  la 
vie  un  copieux  butin  de  sentiments  et  d'images;  dans 
ses  recueils  de  vers,  dans  ses  chants  A  Vamie  perdue^ 
dans  le  Sphinx^  dans  la  Mort  de  don  Juan^  il  déploie  des 
qualités  différentes  de  force  et  de  grâce,  d'élévation  et 
de  tendresse. 

Seidel  est  un  aimable  humoriste,  un  satirique  ingé- 
nieux, un  conteur  inventif,  parfois  exquis,  et,  notam- 
ment dans  ses  Carillons^  il  chante  en  une  très  belle  forme 
les  roses,  les  oiseaux,  le  soleil;  au  milieu  du  Berlin 
tumultueux  il  entend  le  sifflement  du  merle  et  le  son  des 
cloches. 

Vierordt  décrit  en  un  style  pur  et  presque  classique 
son  bonheur  domestique,  les  sites  de  l'Italie  et  de  la 
Grèce,  les  espaces  célestes. 

Mais  le  plus  grand  des  poètes  allemands  à  l'heure 

LITTéSATOaS  ALLBMARDa.  28 


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43fc  LITTERATURE  ALLEMANDE 

actuelle,  c'est  Detlev  de  Liliencron  (né  à  Kiel  en  1844). 
II  a  souvent  Tallure  cavalière  et  orrogante,  le  ton  leste  et 
grivois,  les  airs  fringants  d'un  homme  à  bonnes  fortunes  ; 
il  se  moque  des  convenances;  il  n'éprouve  que  mépris 
«t  que  haine  pour  le  bourgeois  et  le  pharisien;  il  a  du 
laisser -aller,  de  la  bizarrerie,  du  mauvais  goût;  par 
intervalles,  son  style  est  si  simple  qu'il  devient  trivial;  il 
abuse  tantôt  des  longs  mots  composés,  tantôt  des  petites 
phrases  courtes  et  hachées.  Mais  il  est  né  poète  lyrique 
et  dans  sa  prose  même  court  une  veine  de  lyrisme  :  que 
de  tableaux  saisissants  dans  ses  Chevaucliées  £un  aide 
de  camp\  Et,  dans  ses  vers,  quelle  jolie  description  de 
son  Holstein,  de  ses  pâturages  coupés  de  fossés,  de  ses 
forêts  qui  se  baignent  dans  la  mer,  de  ses  bruyères 
fouettées  par  les  verges  de  l'orage  !  Il  trouve  souvent  des 
accents  d'une  véritable  émotion,  soit  qu'il  regrette  la 
patrie  absente  et  qu'il  souhaite  d'entendre  encore  aa 
pays  natal  le  bruit  de  la  faux  dans  les  prés  ou  celui  de 
ses  pas  qui  froissent  les  feuilles  sèches  à  travers  les  bois; 
soit  qu'il  rentre  au  foyer  et  qu'il  voie,  l'âme  palpitante, 
les  soldats  monter  la  garde,  les  filles  rire  bras  dessus 
bras  dessous,  et  les  enfants  sortir  de  l'école  en  criant 
avec  joie  dans  sa  langue;  soit  qu'il  célèbre  l'étroit  sen- 
tier où,  durant  un  été,  entre  un  champ  de  seigle  et  des 
haies,  se  cacha  son  amour;  soit  qu'il  demande  qu'une 
main  belle  et  fidèle  se  pose  sur  son  cœur  lorsqu'il  quit- 
tera cette  terre.  Il  a  de  la  verve,  une  âpre  énergie,  une 
sincérité  poignante.  Que  d'images  poétiques  dans  ses 
chants  de  guerre  :  le  soldat  mourant  qui  revoit  son  vil- 
lage en  un  rêve  suprême;  l'ami  qui  tombe  et  qui  rougit 
la  neige  de  son  sang  et  qu'il  appelle,  qu'il  secoue  en 
vain;  le  bivouac  et  le  cri  lointain  des  avant-postes  qui 
pénètre    sous  la  tente    où    il    sommeille   et   songe,  la 


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I^  XIX*   81KCLB  486 

bataille  et  ses  nuées  de  boulets,  le  drapeau  tourbilloii- 
nant  dans  la  fumée,  et  les  vainqueurs  baisant  Tétrier  de 
leur  roi!  Il  a,  dans  le  poème  de  Poggfred^  poème  bigarré, 
comme  il  dit,  et  qui  manque  d'ensemble,  jeté  pèle-mèle 
ses  impressions,  ses  fantaisies,  ses  souvenirs  de  toute 
espèce,  les  saillies  de  son  imagination  vagabonde  et, 
avec  une  verve  inépuisable,  avec  une  incroyable  richesse 
de  rythmes  et  de  rimes,  exprimé  «  Ténlgme  indéchiffrable 
de  l'existence  ».  C'est  un  gentilhomme  et  il  fut  officier. 
Ses  héros  sont,  non  des  petites  gens,  mais  des  gentils- 
hommes, des  officiers,  ou  plutôt  son  héros,  c'est  lui- 
même,  c'est  Liliencron,  et  on  se  le  représente  volontiers 
tel  qu'il  se  décrit  dans  une  pièce  de  vers,  trottant  par 
une  superbe  nuit  d'été  où  s'épandent  les  parfums  des 
fleurs,  cueillant  au  passage  une  feuille  verte  qu'il  attache 
au  chapeau,  caressant  son  vieux  cheval  de  Mecklenbourg 
et  lui  chantant  un  air,  oubliant  de  la  sorte  le  monde 
entier. 

Les  romanciers. 

Les  romanciers  naturalistes,  ne  pensant  qu'à  copier 
servilement  le  réel  et  qu'à  reproduire  tous  les  détails, 
grands  et  petits,  ne  composèrent  que  des  œuvres  longues, 
traînantes,  superficielles,  et  beaucoup,  de  parti  pris, 
n'ont  peint  que  des  laideurs  et  des  vices;  aucun  ne  fit 
une  belle  œuvre  :  la  forme  ou  l'ordonnance  manquait, 
et  souvent  l'une  et  l'autre. 

Il  faut  pourtant  citer  quelques-uns  d'entre  eux  : 
Alberti  qui  n'a  ni  finesse  ni  profondeur;  Bleibtreu  qui 
n'eut  que  des  saillies  et  qui  brosse  aujourd'hui  des 
tableaux  de  guerre;  Michel-Georges  Conrad  qui  n'a 
fait  que  des  esquisses  sans  suite  ni  liaison;  Heibcrg, 
Kretzer,  Tovote. 


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416  LITTÉBATURB  ALLEMAHDB 

Heiberg  a  retracé,  non  sang  art,  dans  le  Pharmacien 
Henrij  le  destin  d*ane  jeune  femme  que  son  mari  torture 
et  pousse  a  la  mort. 

Les  Déchus  de  Kretzer  exposent  les  misères  d*une 
caserne  locative,  et  son  Maître  Timpe  représente  avec 
vigueur  et  vérité  le  combat  des  grandes  fabriques  contre 
les  petits  métiers. 

Tovote  a  trompé  les  espérances  qu*il  avait  données. 

Mais  Fontane,  Rosegger,  Wildenbruch,  Wilbrandt, 
Mme  d'Ebner  ne  cessaient  pas  d'écrire. 

Sudermann  publiait  des  romans. 

Jensen,  déplorablement  fécond,  diffus,  enclin  au  fan* 
tastique,  avait,  par  instants,  de  la  finesse  et  de  la  grâce. 

Deux  romanciers  de  Dresde,  deux  gentilshommes, 
Ompteda  et  Polenz,  trouvaient  des  milliers  de  lecteurs. 
Ompteda  manque  souvent  de  goût,  mais  Eysen  et  Herze^ 
loïde  sont  des  œuvres  attachantes  ;  Polenz  avait  plus  de 
forme,  plus  de  variété. 

Jôrn  Uhl  (1901)  et  Hilligerdei  (1906)  de  Frenssen, 
eurent  un  succès  prodigieux  :  la  langue  est  pure,  natu- 
relle, et  Frenssen  a  tracé  d'émouvants  tableaux,  comme 
celui  de  la  bataille  de  Gravelotte.  Mais  il  a  été  pasteur, 
et  dans  ses  romans  il  prêche  encore  :  des  longueurs,  des 
redites,  pas  d'unité  d'action,  des  personnages  qui  ne 
sont  pas  visibles  et  palpables. 

Le  Suisse  Walter  Siegfried  a  du  talent,  et  un  talent 
qui  grandit  :  dans  Tino  Morall^  dans  VÈtranghre  il  joint 
à  la  finesse  de  l'observation  un  style  énergique  et 
simple. 

Un  compatriote  de  Siegfried,  Ernest  Zahn  — -  qui  tient 
le  buffet  de  la  gare  à  Goschenen  —  est  assez  inégal; 
mais,  dans  une  langue  claire  et  robuste,  il  a  décrit  It 
nature  alpestre,  la  vie  du  village  suisse,  le  rude  et  gros- 


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LB  XIX*  SllCLB  4S7 

sier  paysan  alaman,  lent  et  laconique,  à  la  fois  inconstant 
et  obstiné. 

L* Autrichien  Ferdinand  de  Saar  a  fait  des  drames,  des 
poésies  lyriques,  et  en  très  bons  hexamètres,  un  Hermann 
et  Dorothée  autrichien  (rAUemand  Hermann  épouse  une 
Dorothée  tchèque).  Dans  ses  romans  et  surtout  dans  ses 
nouvelles  il  a  de  la  simplicité,  de  Thumour,  et  il  narre 
ses  «  histoires  »  avec  le  doux  et  mélancolique  sourire  de 
l'homme  qui  comprend  les  faiblesses  humaines. 

Les  femmes  ont  brillé  et  brillent  encore  dans  le  roman. 

Ida  Boy-Ed  sait  tracer  des  caractères  et  décrire  les 
choses  avec  vivacité. 

Hélène  Bohlau  est  tombée  dans  le  symbolisme;  elle 
^  fait  de  la  femme  un  ange  et  de  Thomme  un  lâche  coquin  ; 
elle  a  néanmoins  de  la  force  et  de  la  pénétration. 

Use  Frapan,  morte  naguère,  avait,  selon  sa  propre 
expression,  saisi  la  réalité  avec  application,  avec  téna- 
cité, avec  ferveur,  mit  Andachl. 

Eugénie  délie  Grazie  a  quelque  chose  de  mâle,  parfois 
de  prétentieux  et  de  confus;  mais  elle  répand  à  pleines 
poignées  les  comparaisons  et  les  images. 

Ricarda  Huch,  spirituelle,  originale,  unit  à  la  sagacité 
de  l'observation  l'éclat  de  la  diction  et  à  travers  le  sain 
réalisme  de  ses  récits  circule  un  souffle  de  ce  romantisme 
dont  elle  a  raconté  l'histoire.  Son  meilleur  roman  est 
Ursleu  (1893)  ;  elle  y  déploie  tout  ce  que  son  talent  a  de 
finesse  et  de  fermeté.  La  Lutte  pour  Rome  (1908)  pré« 
sente  trop  de  personnages  et  il  y  a  trop  de  retours  sur 
le  passé  ;  mais  l'action  est  dramatique  et  Garibaldi  nous 
apparaît  dans  son  plus  beau  moment  avec  éclat  et  relief. 
Elle  rappelle  Gottfried  Keller,  et,  comme  lui,  elle  est  poète. 

Isolde  Kurz,  qui  fait  aussi  de  très  bons  vers,  analyse 
délicatement  les  impressions  de  ses  héros. 


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4S8  LITTBBATORB  ALLEMANDE 

Gabrielle  Reuter  écrit  avec  autant  de  vigueur  que 
d'élégance  et  son  histoire  d'une  jeune  fille  «  de  bonne 
famille  »  se  lit  avec  un  intérêt  poignant. 

Ossip  Schubin  a  Gomposé,  entre  autres  romans,  un 
Gloria  9ietisj  obscur,  touffu,  mais  puissant. 

Le  livre  de  Bertha  de  Suttner,  Bas  lesarmesy  vaut  sur- 
tout par  les  généreux  sentiments  qui  Taniment  et  par  son 
titre  sonore. 

Les  tableaux  de  Clara  Viebig  sont  curieux  et  vivants.  Elle 
a  d'abord  représenté  des  petits  bourgeois  et  des  paysans  de 
l'Ëifel.  Sa  meilleure  œuvre,  V armée  qui  dort  (1904),  son 
roman  Abaoho  te  et  plusieurs  de  ses  nouvelles  ont  pour 
théâtre  cette  Pologne  prussienne,  cette  province  de  Posen 
où  chaque  fermier  est  un  roi,  où  les  fermes  sont  comme 
des  îles  dans  la  mer  des  campagnes. 

Le  drame. 

Il  faut  insister  sur  le  drame.  C'est  le  genre  qui  domiae 
depuis  plusieurs  années  dans  la  littérature,  et  on  crut  un 
instant,  tant  il  faisait  de  bruit,  que  la  scène  allemande  se 
passerait  dorénavant  des  pièces  françaises. 

On  peut  partager  les  dramatistes  en  deux  groupes  : 
Sudermann  et  ceux  qui,  comme  lui,  n'étaient  naturalistes 
que  de  nom;  Hauptmann  et  ceux  qui,  comme  lui,  furent 
sincèrement  naturalistes  et  qui  ne  le  sont  plus. 

Sudermann,  né  à  Matziken  (1857),  est  romancier  et 
dramatiste. 

Le  style,  l'originalité  du  sujet,  la  saisissante  vérité 
des  descriptions,  des  personnages  très  vivants,  le  père 
du  héros,  férocement  égoïste,  aussi  paresseux  que  pré* 
tentieux,  joueur,  ivrogne,  querelleur,  et  le  héros,  Paul 
Meyhôfcr^  qui  sacrifie  sa  jeunesse  à  sa  famille,  qui  peine 


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LB  XIX"^  SlàCLB  439 

et  psUit  pour  entretenir  et  sauver  les  siens,  qui  finit 
grâce  à  son  incessante  énergie  par  surmonter  tous  les 
obstacles  jusqu'au  jour  où,  dans  un  accès  de  sublime 
désespoir,  il  brûle  sa  neuve,  sa  belle  maison,  et  par  là 
même  bannit  à  jamais  le  souci  qui  s'attachait  à  lui 
depuis  le  berceau,  voilà  ce  qui  fait  de  Dame  Souci  (1888) 
le  meilleur  roman  de  Sudermann  et  un  des  meilleurs 
romans  de  rAllemagne. 

La  deuxième  roman  de  Sudermann,  le  Sentier  des 
chais  (1889)  —  c'est  le  sentier  par  lequel  un  traître  a. 
conduit  les  Français  —  n'a  pas  l'allure  franche  de  Dame 
Souci  et  il  contient  des  invraisemblances.  Mais,  en  une 
langue  vigoureuse  et  ardente,  Sudermann  a  conté  d'émou- 
vants épisodes  et  des  scènes  passionnées  :  l'existence  du 
trattre  dans  son  domaine  semé  de  pièges,  celle  de 
Boleslas  et  l'étrange  sentiment  que  lui  inspire  cette 
Régine  qui  fut  la  maîtresse  de  son  père,  cette  belle  et 
puissante  Régine,  tout  instinct,  tout  amour,  tout  dévoue- 
ment, heureuse  de  vivre  pour  son  jeune  maître  et  de 
mourir  pour  lui. 

Le  Passé  (1894)  est  trop  long  et  l'on  ne  discerne  pas 
nettement  la  figure  de  cette  Félicité  qui,  pour  la  seconde 
fois,  attire  Léo  de  Sellenthin  dans  ses  filets. 

Le  Cantique  des  cantiques  (1908)  est,  de  même,  trop 
étendu;  mais  Sudermann  y  reste  un  artiste  ardent  qui 
fait  reluire  et  flamboyer  tout  ce  qu'il  décrit,  qui  présente 
les  choses  d'une  manière  réelle,  forte,  poignante,  et 
l'histoire  de  Lilly,  de  ses  rêves  et  de  ses  désillusions,  de 
ses  joies  et  de  ses  misères  renferme  des  pages  brillantes, 
des  chapitres  attachants. 

Les  drames  de  Sudermann  ont  eu  plus  de  retentisse- 
ment que  ses  romans.  V Honneur  (1889)  fit  une  triom* 
phale  fortune.  Sudermann  veut  y  montrer  que  l'honneur 


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440  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

varie  selon  les  conditions.  Robert  Heineckey  fils  d'ou- 
vrier, devenu  représentant  de  l'opulent  Mûhlingk,  s*in- 
digne,  à  son  retour  des  Indes,  que  sa  sœur  Aima  soit  la 
maîtresse  de  Conrad  MAhlingk,  le  fils  du  patron.  Il 
s'indigne  que  ses  parents  aient  accepté  quarante  mille 
marks  comme  prix  du  déshonneur  d'Âlma.  Mais  il  rend 
cet  argent  aux  Mûhlingk  et  regagne  les  Indes,  grâce  au 
baron  de  Trast,  le  roi  des  cafés  :  c'est  Trast  qui  rencontre 
Aima  et  Conrad  dans  un  bal  public,  qui  prête  à  Robert 
le  chèque  libérateur,  qui,  en  instituant  Robert  son 
associé  et  héritier,  obtient  pour  le  jeune  homme  la  main 
d'Éléonore  Mûhlingk;  il  est  le  deus  ex  machina  et  il  est 
aussi  le  raisonneur  de  la  pièce  ;  il  expose  la  théorie  de 
l'honneur.  Mais  le  rôle  de  Trast  pèche  contre  la  vrai- 
semblance. A-t-il  raison  de  voir  dans  l'honneur  un  sen- 
timent de  luxe?  Pouvons-nous  oublier  qu'il  fut  chassé  de 
son  régiment  pour  n'avoir  pas  payé  une  dette  de  jeu?  II 
y  a  toutefois  dans  V Honneur  de  très  belles  scènes,  notam- 
ment celles  où  Robert  essaie  de  rappeler  les  siens  au 
devoir  et  de  leur  faire  comprendre  leur  infamie.  Suder- 
mann  a  su  peindre  les  deux  familles  logées  dans  le 
même  bâtiment,  l'une  sur  le  devant,  l'autre  au  fond  de 
la  cour,  l'une,  riche,  élégante,  égoïste,  n'ayant  de  la 
moralité  que  l'apparence,  l'autre,  pauvre,  avilie  par  la 
pauvreté,  vivant  dans  la  honte  comme  dans  son  élément 
avec  une  inconscience  absolue. 

La  Fin  de  Sodome  (1891)  n'eut  pas  le  même  succès. 
Elle  représente  un  monde  de  jouisseurs  où  l'on  crie  : 
«  Vive  l'esprit  )>,  où  l'on  regarde  l'amour  et  le  devoir 
comme  des  mots,  où  l'on  ne  croit  qu'aux  nerfs.  Le  héros, 
Willy  Janikow,  que  son  tableau,  La  fin  de  Sodome^  a 
rendu  célèbre,  traite  les  autres  de  philistins,  et  certes  un 
philistin   ne  ferait  pas   ce   qu'il  fait   :    il  se  grise,  il 


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LE  XIX*  81BCLB  441 

se  dégoûte  du  travail ,  il  a  pour  maîtresse  la  dame 
qui  lui  achète  sa  toile  et  pour  fiancée  la  nièce  de 
la  dame,  il  déshonore  sa  sœur  adoptive  qui  se  jette  à 
TeaUy  enfin  il  meurt  d'une  hémorragie.  La  pièce  est 
supérieure  à  V Honneur  par  la  vigueur  de  la  satire,  par  la 
peinture  des  caractères,  par  le  développement  logique 
de  l'action  • 

Le  Foyer  (1893)  offre  un  dialogue  éblouissant,  de  fines 
observations,  des  scènes  habilement  filées.  Les  deux 
protagonistes  sont  le  père  et  la  fille.  Le  père,  ancien 
lieutenant-colonel,  chasse  Magda  parce  qu'elle  ne  veut 
pas  pour  mari  un  homme  qu'elle  n'aime  pas,  et  il  a  une 
attaque  lorsqu'il  apprend  qu'elle  sera  chanteuse.  Douze 
ans  après,  quand  elle  revient  dans  l'éclat  de  la  renommée, 
il  exige  qu'elle  loge  chez  lui,  qu'elle  épouse  son  séduc- 
teur,  et  sur  son  refus,  il  braque  sur  elle  un  pistolet;  à 
l'instant  même,  il  meurt  d'une  seconde  attaque.  A  ce 
père  du  temps  jadis  Sudermann  oppose  Magda  qui 
représente  les  temps  nouveaux,  qui  revendique  ses  droits 
à  l'amour  et  au  bonheur,  qui  rappelle  qu'elle  a  eu  faim, 
qu'elle  a  été  abandonnée  de  la  société,  qu'elle  a  joui  de 
sa  jeunesse  et  usé  de  sa  liberté.  Mais  quel  est  le  dessein 
de  Sudermann?  La  femme  doit-elle,  comme  Magda  et 
selon  ses  propres  paroles,  secouer  tous  les  préjugés,  et, 
avec  celui  qu'elle  aime,  jeter  un  rire  moqueur  au  monde 
entier? 

Une  comédie,  Bataille  de  papillons  (1894),  fit  une 
chute  bruyante  :  le  sujet  n'est  qu'effleuré,  l'action  traîne, 
les  caractères  n'ont  rien  d'intéressant. 

Le  Bonheur  dans  un  eoin^  drame  en  trois  actes  (1896), 
eut,  en  revanche,  un  succès  grand  et  mérité.  L'hérofne, 
Elisabeth,  est  une  jeune  fille  noble,  mais  orpheline  et 
pauvre,  qui,  pour   échapper   aux   poursuites  du  baron 


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kh%  LITTBRATCRB   ALLEMANDE 

de  Rocknitz,  épouse  le  directeur  d'école  Wiedemann.  Au 
bout  de  trois  ans,  elle  revoit  Rockaitz;  elle  l'aimait, 
elle  tombe  dans  ses  bras.  Mais  lorsque  le  baron  pro- 
pose de  l'emmener  et  de  donner  à  Wiedemann  une 
place  de  régisseur,  lorsqu'il  joint  la  menace  aux  prières, 
elle  veut  se  jeter  dans  Tétang.  Wiedemann  l'arrête,  la  con- 
sole, lui  rend  cœur  et  courage,  et  Elisabeth,  émue,  croit 
le  voir  pour  la  première  fois. 

Sous  le  titre  de  Morituri  {IS96)  Sudermann  a  groupé 
trois  pièces  en  un  acte  qui  représentent  trois  hommes 
voués  à  la  mort,  le  Goth  Teja,  le  lieutenant  Fritz  de 
Drosse  et  un  peintre.  La  troisième,  VÉternel  masculin^ 
en  vers  assez  lourds,  est  le  drame  satirique  qui  clôt 
cette  trilogie.  Les  deux  premières  sont  remarquables 
par  leur  force  tragique  :  Teja  rappelle  le  Pkilotas  de 
Lessing  et  les  meilleures  œuvres  de  Kleist  et  de  Hebbel; 
Petit  Fritz  est  le  plus  saisissant  de  tous  les  drames  dont 
l'officier  prussien  a  fourni  le  sujet. 

Dans  Jean^Baptiste  (1898)  Sudermann  a  réussi  à 
peindre  ce  précurseur  du  Christ,  son  ascétisme,  ses 
emportements  contre  le  péché,  ses  invocations  à  la 
colère  divine.  Il  a  fait  un  beau  portrait  de  l'artificieuse 
et  sensuelle  Salomé  qui  jette  un  cri  de  fureur  lorsque 
Jean^Baptiste  la  dédaigne.  Il  a  composé  des  épisodes 
sinistres  ou  touchants,  et  il  s'exprime  en  une  prose  poé- 
tique, tantôt  pleine  de  flamme,  tantôt  douce  et  tendre, 
imprégnée  de  TEcriture,  originale  pourtant  malgré  ce 
coloris  biblique.  Mais  les  scènes  ne  sont  que  faiblement 
liées,  et  qu'est-ce  qu'un  drame  dont  le  héros  annonce 
et  attend  la  venue  d'un  plus  grand  que  lui  ?  Qu'est-ce 
qu'un  héros  qui  maniait  une  verge  de  fer  et  qui  soudain 
comprend  par  ouï-dire,  par  les  propos  d'autrui,  l'Evan* 
gile  d'amour  que  prêche  Jésus?  Si  Jésus  ne  parait  pas. 


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LB  XIX*  SIÈCLE  kk$ 

il  semble  présent,  tant  on  parle  de  lui,  et  il  efface, 
éclipse  JeaD*Baptistc. 

La  pièce  Les  trois  plumes  de  héron  (1899)  —  trois 
plumes  qui  servent  de  talisman  an  héros  et  lui  promettent 
l'idéal  —  est  un  drame  symbolique;  elle  manque  de 
cohérence  et  de  clarté. 

Le  Feu  de  la  Saint-Jean  (1900)  offre  un  caractère  qui 
rappelle  le  squire  Western  de  Tom  Jonesy  le  bourru 
bienfaisant  Yogelrenther.  Mais  Marikke,  qui  se  livre  à 
George  dans  la  nuit  de  la  Saint-Jean,  se  résigne  trop 
aisément  à  l'abandon  et  George  n'est,  malgré  ses  fiers 
discours,  qu'un  être  faible  qui  tremble,  comme  jadis, 
devant  le  fouet  de  son  oncle.  On  accepte  de  pareils  per- 
sonnages dans  un  roman,  mais  non  sur  la  scène. 

Dans  Vice  la  Qie  (1902)  l'auteur  décrit  assez  bien  le 
monde  parlementaire  où  se  passent  les  événements.  Mais 
la  pièce  est  compliquée,  obscure.  La  faute  des  amants 
remonte  trop  haut  pour  nous  toucher  et  le  rôle  de 
l'héroïne  présente  des  contradictions  :  elle  est  l'Egéric 
d'un  parti  qui  proclame  la  sainteté  du  mariage  et  elle 
pratique  l'amour  libre,  elle  dit  qu'elle  n'est  pas  coupable, 
qu'elle  a  le  droit  de  faire  ce  qu'elle  a  fait,  et  elle 
s*empoisonne! 

Le  Conjuré  Socrate  (1903)  est  une  comédie  en  quatre 
actes.  Mais  la  veine  comique  manque  à  Sudermann;  sa 
pièce  est  trop  longue,  sa  conjuration  invraisemblable, 
et  son  Socrate,  trop  borné,  trop  entêté,  trop  ridicule 
pour  nous  inspirer  de  la  sympathie. 

Pierre  parmi  les  pierres  (1905)  prouve  que  Sudermann 
est  homme  de  théâtre.  Pourtant,  l'ensemble  est  froid; 
par  instants,  l'art  se  subordonne  à  la  philanthropie,  et 
Sudermann  ne  démontre  rien.  Il  voudrait  prouver  que 
le  criminel  doit,  sa  faute  rachetée  et  sa  dette  payée, 


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4M  LITTÉRATUKB  ALLEMANDE 

reprendre  sa  place  dans  la  société  ;  or,  son  Biegler  n'est 
pas  un  véritable  criminel,  puisqu'il  était  dans  le  cas  de 
légitime  défense,  et  ses  compagnons  de  travail  ne 
peuvent  le  traiter  comme  un  paria. 

Le  Bateau  de  fleura  (1906)  rappelle  la  Fin  de  Sodome. 
Même  peinture  :  des  gens  qui  font  la  fête  et  pour  qui  la 
vie  doit  être  un  bateau  de  fleurs,  musique,  rires,  et  le 
reste.  Mais  le  drame  n'a  pas  le  même  éclat,  le  même 
sérieux,  la  même  solidité  que  la  Fin  de  Sodome. 

Tel  est  Sudermann.  Quatre  œuvres  le  placent  au  pre- 
mier rang  des  romanciers,  et  dans  trois  d'entre  elles  il  a 
mis  ses  personnages  en  harmonie  avec  une  nature  mélan« 
colique  et  décrit  admirablement  la  Prusse  orientale,  son 
pays  natal,  monotone  et  un  peu  gris.  Quant  à  ses  pièces, 
elles  ne  laissent  pas  toujours  une  impression  nette.  Il 
abuse  des  coups  de  théâtre,  des  scènes  à  effet,  des 
phrases  brillantes  quv  sonnent  creux.  Mais  il  a  une 
grande  sûreté  de  main  ;  il  a  de  l'imagination  et  une  cer* 
taine  force  créatrice;  il  rend  fidèlement  le  milieu  dans 
lequel  se  développe  l'action,  il  peint  avec  vigueur  les 
impressions  de  ses  héros  et,  s'il  n'enfonce  pas  asses 
dans  les  profondeurs  de  leur  âme,  il  tire  de  ses 
sujets  ce  qu'ils  contiennent  de  général  et  de  vraiment 
humain. 

Fulda,  Dreyer,  Ernst,  Philîppi,  Beyerlein  observent, 
comme  Sudermann,  la  tradition  scénique. 

Fulda  a  de  l'agrément,  de  la  souplesse.  Il  a  fait  de 
jolis  vers  et  d'élégantes  épigrammes  ;  il  a  traduit  Molière 
et  Rostand;  on  trouve  dans  ses  pièces  de  la  grâce,  de  la 
tendresse,  un  esprit  aimable,  l'abondance,  la  variété,  la 
facilité  des  rimes  ;  mais  il  manque  de  force  ;  il  ne  pousse 
jamais  à  fond  l'analyse  d'un  caractère,  et  ses  personnages 


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LB  XIX*  81ÂCLB  44» 

n'ont  que  l'apparence  de  la  vie.  Sa  meilleure  pièce  est 
le   Talisman, 

Drever  est  souvent  lourd  et  puéril;  mais  il  a  de  la 
simplicité,  de  la  fraîcheur,  un  réalisme  qui  plait  et  ses 
personnages  sentent  le  terroir;  son  Candidat  offre  des 
types  pris  sur  le  vif  et  sa  comédie  romantique  en  vers  Le 
Flambeau  nuptial  a  beaucoup  de  piquant. 

Otto  Ernst  s'entend  à  faire  jouer  le  ressort  de  l'actua- 
lité; il  parodie  avec  succès  les  littérateurs  et  les  péda- 
gogues de  son  temps;  mais  il  n'a  pas  les  dons  particuliers 
à  l'homme  de  théâtre. 

Philippi,  diligent,  adroit,  inventif,  sait  choisir  ses 
sujets  et,  par  d'habiles  allusions  au  présent^  produire  des 
effets  qui  forcent  l'émotion  et  l'applaudissement. 

Comme  Sudermann,  Beyerlein  cultive  à  la  fois  le 
roman  et  le  drame.  Dans  léna  ou  Sedan^  tout  en  prédi- 
sant un  désastre,  il  décrit  la  vie  d'un  régiment  d'artille- 
rie et  les  progrès  du  socialisme  dans  l'armée  ;  il  retrace 
dans  Sémilde  Hegewalt  la  destinée  d'une  femme  malheu- 
reuse et,  dans  Un  camp  d'hiver^  un  épisode  de  la  guerre 
de  Sept  Ans.  Son  drame  La  Retraite  offre  une  fidèle 
image  du  monde  militaire,  une  action  rapide,  des  per- 
sonnages aux  traits  nettement  marqués,  bien  que  Clara 
rappelle  la  Claire  èiEgmont  et  son  père,  l'Odoardo 
èi  Emilie  Galotti.  Le  Maître  Valet  témoigne  d'un  sincère 
effort,  mais  n'a  pas  les  mêmes  mérites. 

Le  Silésien  Hauptmaon  (né  a  Obersalzbrunn  en  1862), 
petit-fils  d'un  tisserand,  fils  d'un  hôtelier,  élevé  chez 
un  oncle  piétiste,  avait  suivi  des  cours  de  dessin  a  Bres- 
lau  et  de  sciences  naturelles  a  léna  lorsque,  après  des 
voyages  en  Espagne  et  en  Italie,  à  l'âge  de  vingt-huit  ans, 
il  se  maria.  II   composa  successivement  un  drame  de 


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446  LITTBRATURB  ALLBUANOB 

Tibère^  une  épopée.  Sort  Sun  Prométhide^  imitée  de 
Byron,  un  recueil  de  poésies  lyriques,  Le  livre  bigarré^ 
et  deux  nouvelles.  Le  garde^harrihre  Tkiel  et  V Apôtre. 

En  1889,  il  fit  jouer  le  drame  Avant  le  lever  du 
eoleiL  II  l'intitulait  ainsi  parce  que  Faction  ne  dure  que 
trente-six  heures.  La  scène  est  dans  un  centre  minier 
de  la  Silésle  au  milieu  de  la  famille  Krause.  Le  paysan 
enrichi  Krause  qui  passe  son  temps  au  cabaret  à  s^eni- 
vrer  d'eau-de-vie;  M"^*  Krause,  sa  seconde  femme,  gros- 
sière,  brutale,  vaniteuse,  coquette,  et  qui  le  trompe  avec 
Guillaume  Kahl;  le  beau-fils,  Tingénienr  Hoffmann, 
libertin  sans  scrupules,  et  sa  femme,  la  fille  ainée  de 
Krause,  Marthe,  adonnée  à  l'alcool  ;  la  fille  cadette  de 
Krause^  Hélène,  écœurée  de  son  entourage,  désespérée, 
résolue  à  se  sauver  ou  à  se  tuer  pour  échapper  à  son 
père  qui  tente  de  lui  faire  violence,  a  sa  belle-mère  qui 
désire  la  marier  à  Kahl,  et  à  son  beau-frère  qui  cherche 
a  la  séduire,  tels  sont  les  personnages  que  Hauptmann 
nous  présente  d'abord.  Survient  un  camarade  de  Hoff- 
mann, Alfred  Loth,  écrivain  socialiste,  qui  recueille  les 
matériaux  d'un  travail  sur  la  vie  des  mineurs.  Hélène 
Taime  aussitôt,  le  regarde  comme  un  Messie.  Mais  Loth 
apprend  qu'elle  est  fille  d'un  alcoolique^  et  Loth, 
buveur  d'eau  et  membre  d'une  société  de  tempérance,  ne 
veut  pas  d'une  femme  qui  lui  donnerait  des  enfants 
dégénérés.  11  s'éloigne  et  Hélène  se  poignarde.  La  pièce 
abonde  en  détails  inutiles,  en  conversations  superflues; 
Loth  déclame  trop  longuement  contre  l'alcool.  Mais  les 
caractères  ont  de  la  vigueur,  et  la  scène  d'amour  entre 
Hélène  et  Loth  est  pleine  de  fraicheur  et  de  naturel. 

On  reconnaît  dans  le  premier  drame  de  Hauptmann 
l'influence  de  Nora  et  des  Revenants.  La  pièce  qui  suivit, 
La  fête  de  la  paix  (1890),  décèle  encore  l'imitation  d'Ibsen. 


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LB  XIX*  SIBCLB  447 

Les  personnages  ont  plus  ou  moîns  le  délire  de  la  persé- 
cation,  et  quoi  que  fasse  Hauptmann^  l'histoire  de  ces 
cinq  Scholz,  qui  s'étaient  séparés  et  qui  se  réconcilient 
un  soir  de  Noël  pour  se  quitter  incontinent,  est  confuse 
et  obscure.  Deux  de  ces  Scholz  sont  assez  bien  peints,  le 
frère  cadet,  borné,  envieux,  cynique,  et  la  sœur,  exas- 
pérée par  la  célibat.  Le  père,  la  mère,  le  fils  aine 
manquent  de  netteté.  Comme  Ibsen,  Hauptmann  révèle 
peu  à  peu  le  caractère  de  ses  héros,  et  il  croit  de  la 
sorte  tenir  en  haleine  notre  curiosité;  mais  il  use  mala- 
droitement du  procédé. 

Il  prit  sa  revanche  dans  Ames  solitaires  (1891).  Si  ce 
drame  rappelle  Rosmersholm  et  Hedda  Gabier,  Tétat 
d'âme  du  principal  personnage  est  finement  décrit. 
Jean  Yockerat  voulait  être  pasteur;  il  rompt  avec 
l'Église  et  devient  libre  penseur;  il  vit  entre  sa  femme, 
bonne  et  insignifiante,  et  son  ami  Braun,  athée  con- 
vaincu. Mais  il  est  inquiet,  nerveux,  perdu  dans  des  rêves 
philosophiques  :  homme  faible  et  malgré  les  théories 
qu'il  affiche»  dépourvu  d'énergie  et  de  volfmté.  Passe 
une  émancipée,  une  ibsénienne,  qui  n'a  ni  patrie,  ni 
famille»  ni  amis,  Anna  Mahr.  Elle  arrache  Yockerat  à  la 
mélancolie,  le  fascine,  l'ensorcelle;  il  croit  être  au  ciel 
depuis  qu'il  la  connaît;  il  passe  tout  son  temps  avec  elle; 
il  la  retient  lorsqu'elle  annonce  son  départ.  Le  père  et 
la  mère  de  Jean  interviennent  et  le  vieux  Yockerat^  pre- 
nant le  bras  de  sa  femme,  déclare  qu'il  ne  restera  pas 
un  instant  de  plus  dans  une  maison  oii  l'on  méprise 
Dieu  et  ses  commandements,  Jean  cède,  il  laisse  Anna 
s'éloigner  et  va  se  jeter  dans  le  lac. 

La  pièce  Les  Tisserands  (1893)  manque  d'unité.  Mais 
elle  déroule  en  une  suite  de  scènes  saisissantes  la 
détresse  des  tisserands  silésiens  et  leur  soulèvement.  Au 


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448  LITTÂRATOBB  ALLBMANDB 

premier  acte  l'opposition  se  manifeste  :  Bicker  jette  son 
infime  salaire  à  la  tète  d'nn  brutal  commis  et  invective 
rhypoGrite  Dreissiger,  son  patron.  Le  deuxième  acte 
noas  introduit  chez  les  Baumert  qui  tuent  leur  chien 
pour  manger  de  la  viande;  mais  déjà  le  hardi  Jfiger 
prêche  la  révolte,  et  Ton  ne  s'étonne  pas,  au  troisième, 
de  voir  les  jeunes  tisserands,  dirigés  par  BAcker  et 
Jfiger,  traverser  le  village  en  chantant  et  braver  la  police. 
Le  quatrième  acte  nous  mène  dans  la  maison  du  fabri- 
cant :  M"^*  Dreissiger  se  plaint  que  les  ouvriers  troublent 
sa  digestion  et  Dreissiger  met  à  la  porte  le  précepteur 
Weinhold  qui  les  excuse.  Soudain  l'émeute  gronde. 
Jftger,  arrêté,  ne  se  découvre  même  pas  devant  le  com- 
missaire. On  le  conduit  en  prison.  Ses  amis  le  délivrent, 
et  la  maison  de  Dreissiger,  qui  s'esquive  avec  tous  les 
siens,  est  envahie  et  saccagée.  Au  cinquième  acte  nous 
sommes  à  Bielau.  L'insurrection  se  propage.  Louise,  la 
belle-fille  du  vieux  tisserand  Hilse,  puis  le  fils  de  Hilse 
se  joignent  aux  mutins.  Le  bonhomme  refuse  de  les 
suivre.  Les  soldats  surviennent,  ils  tirent,  et  une  balle 
tue  cet  honnête  Hilse,  le  meilleur  des  ouvriers,  le  plus 
pieux,  le  plus  patient  d'entre  eux.  Tout  dans  cette  pièce 
est  vrai,  rigoureusement  exact,  conforme  à  l'histoire; 
pas  un  détail  qui  soit  inventé.  Ce  qui  vaut  mieux, 
l'auteur  a  fait  un  drame  social;  il  a  représenté  la  foule; 
il  a  produit  de  puissants  effets,  et  nul  n'avait  encore  mis 
sur  le  théâtre  en  une  suite  de  tableaux  aussi  pathétiques 
et  aussi  poignants  la  misère  du  peuple  et  sa  colère  contre 
d'indignes  exploiteurs. 

Après  avoir  composé  quatre  drames,  Hauptmann 
voulut  s'essayer  dans  un  autre  genre.  11  fit  jouer  en 
1892  et  en  1893  deux  comédies  :  le  Collègue  Crampton 
et  la  Pelisse  de  castor.  La  première  se  recommande  par 


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LB   XIX'^   SIECLE  4%9 

son  cinquième  acte  et  surtout  par  le  personnage  du 
peintre  et  professeur  Crampton,  l'incorrigible  bohème. 
La  seconde  offre  des  scènes  originales,  amusantes, 
pleines  d'humour,  et  des  caractères  vivants  :  la  Wolff,  la 
fine  mouche  qui  vole  impunément  le  bon  Krùger  et  ment 
avec  un  superbe  aplomb,  son  mari  qu'elle  mène  tambour 
battant,  ses  deux  filles  déjà  vicieuses,  son  acolyte 
Wulkow,  et  Wehrhahn,  ce  ridicule  fonctionnaire  de  la 
banlieue  berlinoise,  rogne,  cassant,  infatué  de  lui-même, 
dupe  de  la  Wolff  qu'il  proclame  une  honnête  créature. 

Enhardi  par  le  succès  des  Tisserands  y  Hauptmann 
aborda  le  drame  historique  et  traita  dans  Florian  Geyer 
(1896)  un  épisode  de  la  guerre  des  paysans.  Mais  l'action 
languit  et  traine.  Ce  ne  sont  que  discours,  que  débats 
interminables.  La  langue,  mi-archaïque,  mi-populaire, 
et  je  ne  sais  quoi  de  lourd  et  de  fatigant.  Le  nombre  des 
personnages  est  immense,  et  la  plupart  ne  paraissent 
qu'une  fois  :  il  faut  les  énuméreren  tète  de  chaque  acte. 
Enfin,  le  héros,  indécis,  impuissant,  presque  toujours 
découragé,  n'excite  l'intérêt  qu'au  premier  acte  lorsqu'il 
entre  dans  Wûrzbourg  et  au  dernier  lorsqu'il  meurt. 

Hauptmann  avait  été  plus  heureux  dans  un  drame 
romantique.  V Assomption  de  Hannele  (1893)  présente  un 
curieux  et  attachant  mélange  de  mysticisme  et  de  réalisme. 
Hannele  a  quatorze  ans.  C'est  la  belle-fille  de  Mattern, 
maçon  ivrogne  qui  l'accable  de  coups.  Elle  se  jette  dans 
l'étang  pour  rejoindre  Jésus  qui  l'appelle.  Repêchée, 
portée  à  l'hospice,  elle  a  le  délire.  Son  père  lui  apparaît 
pour  la  menacer  ;  sa  défunte  mère  lui  apparaît  pour  lui 
décrire  les  joies  du  paradis  et  lui  donner  une  prime- 
vère, cette  fleur  que  les  Allemands  nomment  clef  du 
ciel;  la  diaconnesse  qui  la  soignait  lui  apparaît  sous 
les  traits  d'un  ange  pour  la  préparer  à  la  mort.  Haupt- 

I.ITTilUTOItB   ALLIMAIIDfl.  29 


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450  LITTBRÂTURB  ALLEMANDE 

mann  a  su  peindre  les  visions  de  cette  fillette  pieuse^ 
naîTe  et  pourtant  déjà  femme;  il  a  su  montrer  la  peur 
que  Mattern  lui  inspire,  son  affection  pour  sa  mère, 
pour  sa  sœur  Marthe  et  pour  le  bon  instituteur  Gottwald, 
sa  résignation,  la  joie  qu'elle  éprouve  à  revêtir  un  costume 
de  mariée,  couronne,  voile  blanc  et  pantoufles  de  vair. 
Il  a  mis  de  beaux  vers  dans  la  bouche  des  anges,  et 
Tétranger  qui  passe  la  main  sur  le  front  de  Hannele 
pour  ôter  d'elle  la  terrestre  souillure,  s'exprime  en 
une   langue  pleine  d'éclat  et  de  charme. 

Après  le  mysticisme  de  Hannele  vint  le  symbolisme  de 
la  Cloche  engloutie  (1896).  Un  célèbre  fondeur,  Henri,  a 
fondu  pour  la  chapelle  d'une  montagne  une  cloche  que 
le  méchant  sylvain  Waldschrat  fait  rouler  dans  le  lac  en 
brisant  une  roue  du  chariot  qui  la  porte.  Henri  a  suivi  la 
cloche.  Arrêté  par  une  branche  d'arbre,  il  se  traîne  dans 
une  prairie  où  une  elfe,  Rautendelein,   le  ranime.   Il 
est  sous  le  charme  de  cette  sylphide  lorsque  des  amis 
le  retrouvent  et  le   ramènent  au  village.  Henri  a  une 
femme  et  deux  enfants  ;  mais  il  ne  pense  qu'à  sa  cloche 
engloutie;  il  croit  qu'elle  était  mauvaise,  destinée  aux 
vallées  et  non  aux  hauteurs.  Rautendelein,  déguisée  en 
servante,  vient  le  soigner  :  elle  le  baise  sur  les  yeux  et  ce 
baiser  le  rend  clairvoyant;  il  reconnaît  la  beauté,  il  brûle 
de  créer,  il  accompagne  la  petite  fée  dans  une  cabane  de 
la  montagne  et  travaille  à  un  carillon  qui  doit  être  mer- 
veilleux, incomparable.   Vainement   le  pasteur   veut  le 
reprendre  à  Rautendelein  ;  Henri  déclare  qu'il  ne  se  repen- 
tira que  lorsque  sonnera  la  cloche  engloutie.  Toutefois 
il  a  des  remords,  et  l'œuvre  qu'il  médite,  n'avance  pas. 
Un  jour,  il  entend  les  plaintes  de  la  cloche  engloutie, 
et  ses  enfants  lui  apportent  dans  une  cruche  les  larmes 
de  leur  mère  qui  s'est  noyée  de  désespoir.  Il  mauditRau- 


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LB   XIX*  SIECLE  45t 

tendelein  et  Tabandonne.  Repoussé  par  les  habitants  du 
village,  il  retourne  à  elle;  elle  est  devenue  la  femme  de 
Tondin  Nickelmann,  et  il  meurt.  Quelle  est  Tidée  du 
drame?  Cette  cloche  engloutie  serait-elle  le  symbole  de 
Téchec  de  Florian  Geyer?  La  pièce  représenterait-elle  la 
révolte  des  forces  éternellement  vivantes  de  la  nature 
contre  Thomme  qui  tente  de  les  asservir?  Henri  est-il 
l*ètre  inconstant  qui  flotte  comme  dans  la  Stella  de  Gœthe 
entre  Tépouse  et  Tamante,  ou  Tartiste  orgueilleux  et 
impuissant  qui  succombe  en  cherchant  l'idéal,  ou  le  héros 
du  nouvel  Evangile,  opposant  un  panthéisme  païen  aux 
dogmes  chrétiens  et  proclamant  que  l'amour  universel 
est  la  source  de  tout  bien?  La  pièce  est  donc  obscure.  Il 
faut  louer  les  personnages,  non  pas  Henri  que  le  poète  a 
trop  mollement  dessiné,  maisMagda,  la  femme  de  Henri, 
fière,  énergique,  dévouée,  Rautendelein  qui  connaitaprès 
avoir  vu  Henri  les  troubles  de  la  passion,  la  vieille  sor- 
cière Wittichen,  amie  des  nains  et  des  bètes.  H  faut  louer 
certains  tableaux  pittoresques,  certaines  scènes  gra-* 
cieuses  ou  grandioses,  louer  le  style  et  un  art  qui,  sans 
trop  nous  surprendre,  sait  mêler  aux  hommes  les  esprits 
surnaturels  des  eaux  et  des  bois.  Mais  la  clarté  manque; 
Hauptmann,  comme  son  fondeur,  n'a  pu  faire  le  chef- 
d'œuvre  rêvé. 

n  revint  au  naturalisme  en  composant  Le  Voiturier 
Henschel  (1898).  Le  voiturier  jure  à  sa  femme  mourante 
de  ne  jamais  épouser  sa  servante  Hanne  Schâl.  Malgré 
son  serment,  il  épouse  Hanne,  et  le  voila  malheureux;  il 
est  insulté,  bafoué,  trompé,  et  il  se  pend.  Les  caractères 
sont  marqués  avec  vigueur.  Hauptmann  a  bien  montré 
comment  le  faible  Henschel  se  débat  en  vain  dans  les 
filets  de  la  mégère  et  comment  le  pauvre  homme,  remâ- 
chant ses  infortunes  et  convaincu  qu'elles  résultent  de 


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453  LITTéRATURE   ALLEMANDE 

son  parjure^  finit  par  le  suicide.  Mais  il  a  gâté  sa  pièce  en 
développant  à  l'excès  certains  épisodes  et  en  donnant  à 
des  personnages  secondaires  une  trop  grande  importance. 

Au  Voiturier  Henschel  succéda  la  comédie  fantastique  de 
Schluck  et  Jau  (1900).  Pour  amuser  une  princesse  dévorée 
d'ennui,  un  prince  fait  sur  le  colporteur  Jau  l'expérience 
qu'un  lord  de  Shakespeare  a  faite  sur  le  chaudronnier 
Sly  devenu  pendant  son  sommeil  seigneur  du  château. 
Or,  Jau  est  ivrogne  et  dans  sa  fortune  nouvelle  il  reste 
ivrogne.  Qui  pis  est,  il  lâche  la  bride  à  tous  ses  vices  ;  il 
veut  pendre  le  prince,  empoisonner  sa  propre  femme, 
poignarder  Schluck,  le  dévoué  Schluck,  l'humble  et 
résigné  Schluck  dont  la  personne  lui  rappelle  son  passé 
misérable.  Pour  se  débarrasser  de  Jau,  le  prince  lui 
administre  un  narcotique.  Hauptmann  désire  évidemment 
montrer  que  l'illusion  diffère  peu  de  la  réalité.  Mais  la 
pièce  est  trop  longue,  et  le  mélange  de  grossier  réalisme 
et  de  fantaisie  romantique,  l'emploi  excessif  du  dialecte 
silésien,  le  manque  complet  d'action  justifient  l'insuccès. 

Michel  Kramer  (1900)  échoua  pareillement  :  le  caractère 
des  personnages  n'est  qu'esquissé,  et  leurs  actes  ne 
sont  pas  clairement  expliqués. 

Le  Coq  rouge  (1901)  est  la  suite  de  la  Pelisse  de  castor. 
La  Wolff,  devenue  veuve,  a  convolé  en  secondes  noces  avec 
le  cordonnier  Fielitz  ;  elle  l'entraîne  à  mettre  le  feu  au 
logis  pour  toucher  l'assurance  et  elle  réussit  par  ses 
manœuvres  a  détourner  les  soupçons  sur  le  fils  imbécile 
de  l'ancien  gendarme  Rauchhaupt;  elle  fait  bâtir;  mais 
elle  tombe  malade,  elle  donne  toutes  ses  économies  à 
un  gredin  de  beau-fils,  elle  craint  que  Rauchhaupt  ne 
découvre  son  crime  ;  elle  meurt  à  l'instant  où  sa  maison 
est  achevée.  La  pièce,  un  peu  sèche  et  ennuyeuse,  n'a  pas 
la  même  verve,  le  même  humour  que  la  Pelisse  de  castor. 


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LB  XIX^   SISCLB  463 

Le  Pauvre  Henri  (1902)  n'est  autre  que  l'histoire  contée 
jadis  par  Hartmann  d'Ane;  mais  Hauptmann  escamote  la 
scène  de  Salerne,  et  il  n'a  pas  autant  de  fraîcheur  et  de 
naïveté  que  son  modèle  ;  son  œuvre  offre  des  longueurs  ;  c'est 
un  drame  lyrique  qui  manque  de  mouvement  et  d'action. 

Rose  Bernd  (1903)  méritait  son  échec.  L'héroïne  qui 
tue  son  enfant  n'est  pas  une  Marguerite;  elle  n'éveille 
pas  la  pitié;  elle  n'a  pas  d'amour;  elle  n'a  que  des  sens, 
et,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  pièce,  elle  craint  qu'on  ne 
découvre  sa  grossesse. 

Elga  (1905)  n'est  qu'un  récit  de  Grillparzer,  un  rêve 
dramatisé;  Et  Pipa  danse  (1906),  une  œuvre  puérile,  et 
presque  incompréhensible,  en  un  style  bizarrement  haché  ; 
Les  demoiselles  du  Bischofsberg  (1907),  une  histoire 
d'amour,  mêlée  d'épisodes  burlesques,  banale  et  faible; 
VOtage  du  roi  Charles  (1908),  malgré  de  beaux  passages 
poétiques,  une  pièce  invraisemblable  et  trop  pauvre  d'évé- 
nements pour  être  qualifiée  de  drame;  GriséUdis  (1909), 
une  déplaisante  et  grossière  transformation  des  person- 
nages de  Boccace. 

Hauptmann  est  souvent  trop  long.  Il  s'attarde  à  décrire 
l'accessoire  et  se  perd  en  menus  détails.  Il  ne  sait  pas 
répartir  l'ordre  et  la  lumière.  Ses  drames  sont  moins 
des  drames  que  des  tableaux  de  genre.  Il  se  pique  d'être 
un  Protée  et  d'étonner  le  public  par  ses  métamorphoses. 
Mais  il  n'a  pas  assez  d'invention  ni  d'imagination  pour 
produire  tous  les  ans  une  œuvre  vraiment  nouvelle;  le 
souffle  lui  manque,  et  il  s'appuie  presque  toujours  à 
autrui.  S'il  a  une  ardente  sympathie  pour  ceux  qui 
souffrent,  l'impression  qu'il  laisse  a  quelque  chose  de 
morose  et  de  dur,  de  pénible  et  d'accablant.  Certes,  il  a 
de  la  finesse,  de  la  profondeur;  il  sait  camper  ses  per- 
sonnages   et    les  faire  parler  comme   ils   parlent  tous 


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%64  LITTERATUnB   ALLBMANDB 

les  jours;  aucun  d'eux  pourtant  ne  vivra  dans  le  sou- 
venir des  hommes.  Enfin,  il  n'a  pas  son  style  à  lui,  et 
ni  sa  prose  ni  ses  vers  n'ont  cette  empreinte  personnelle 
qui  nous  ferait  crier  :  <c  Voilà  du  Hauptmann  !  » 

On  doit  citer  après  Gerhart  Hauptmann  sou  frère 
Charles  qui  ne  manque  pas  de  talent,  Halbe,  Hartleben, 
Hirschfeld,  Flaischlen,  Wedekind,  Erler. 

Max  Halbe  aime  son  pays  natal,  le  pays  entre  Oder  et 
Vistule,  et  il  s'en  inspire;  il  sent  et  il  rend  l'harmonie 
entre  les  hommes  et  le  sol.  Son  drame  Jeunesse  (1893) 
reste  sa  meilleure  œuvre  :  le  hasard  tranche  le  dénoue- 
ment; mais  les  caractères  sont  dessinés  d'un  ferme  et 
sûr  crayon,  et  la  première  montée  de  la  sève  juvénile, 
l'éveil  de  la  passion  dans  le  cœur  de  Hans  et  d'Anna,  la 
lutte  d'Anna  contre  le  sentiment  qui  l'envahit,  tout  cela 
est  naïf,  vrai,  saisissant.  La  7err0(1897)  offre  pareillement, 
quoique  à  un  degré  moindre,  un  spectacle  dramatique, 
Halbe  a  de  la  couleur,  de  Téclat,  de  l'ingéniosité,  et 
certains  de  ses  tableaux  donnent  l'immédiate  sensation  de 
la  vie  ;  mais  il  rate  la  fin  de  ses  pièces  ;  il  ne  les  construit 
pas  solidement;  il  fait  agir  et  parler  ses  personnages 
par  saccades  et  par  fébriles  soubresauts. 

Hirschfeld  a  dans  Les  Mères ^  Agnès  Jordan  et  PauUne 
décrit  la  petite  vie  bourgeoise  avec  une  exacte  minutie  et 
un  talent  d'observation  très  perçante,  bien  qu*nn  peu 
longuement  et  sans  réussir  à  composer  un  grand  et 
vivant  tableau.  Son  drame  fantastique  Le  chemin  de  la 
lumière  a  quelque  chose  d'incertain  et  de  flottant.  L'ttit  à 
côté  de  Vautre  manque  de  vigueur.  Il  y  a  dans  Misse  et 
Maria  de  la  finesse  et  de  l'humour.  Hirschfeld  sait  bâtir 
une  pièce;  mais  il  n'a  pas  d'imagination  et  il  ne  crée  pas 
de  caractères  intéressants. 


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LB   XIX"   SIECLE  455 

Hartiebeu  se  moquait  de  tout,  et  sa  première  comédie^ 
Angèlcy  porte  cette  épigraphe  :  «  Méprise  la  femme  ».  Il 
avait  on  style  souple,  sinon  personnel,  et  un  humour  réel« 
une  ironie  souriante,  une  raillerie  souvent  fine.  Dans  le 
Lundi  gras  il  décrit,  à  la  Sudermanu,  un  peu  longue- 
ment, mais  avec  une  saisissante  exactitude  et  une  vérité 
parfaite  le  monde  des  officiers,  et  il  a  répandu  sur  ses 
deux  amants  le  charme  d'une  douce  et  tendre  mélancolie. 
Plusieurs  de  ses  poésies  lyriques  sont  d'ailleurs  ravis- 
santes dans  leur  simplicité. 

Flaischlen  a  fait  de  bons  vers  ;  mais  dans  ses  drames 
il  force  la  note;  pas  de  finesse,  pas  d'action,  de  la 
brutalité  et  de  la  gaucherie. 

Frank  Wedekind  est  bizarre,  grotesque,  violent,  et  il 
se  plait  à  l'être  ;  mais  par  ce  qu'il  a  d'énergique,  de  hardi 
et  d'original  il  a  conquis  la  jeunesse,  et  il  est  à  la  mode. 

OttoErlera  composé  le  Tsar  Pierre.  C'esXy  malgré  des 
faiblesses  et  des  invraisemblances,  un  grand  drame 
historique.  Les  scènes  sont  fortement  liées,  et  le  caractère 
du  tsar  a  de  la  vigueur. 

Trois  Autrichiens,  Bahr,  Hofmannsthal  et  Schnitzler, 
font  honneur  à  la  scène  allemande. 

Hermann  Bahr  se  donne  des  airs  de  profondeur;  ses 
pièces  ne  sont  que  d'interminables  entretiens,  non  exempts 
d'esprit.  Mais  son  Etourneau  offre  une  peinture  fraîche 
et  vive  du  théâtre  viennois. 

Hugo  de  Hofmannsthal  a  fait  une  Electre  et  un  Œdipe, 
Son  Electre  qui  d'ailleurs  exprime  en  très  beaux  vers  la 
rage  et  la  joie  de  la  vengeance,  est  une  furie,  une 
Ménade.  Son  Œdipe  forge  lui-même  son  destin.  Hof- 
mannsthal transforme  ainsi  les  personnages  de  la  légende 
antique;  ce  sont  des  êtres  fiévreux,  nerVeux,  hystériques, 
modernes,  des  êtres  qui  sortent  du  cerveau  de  l'auteur, 


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456  LIl^ERATURB   ALLEMANDE 

et  il  leur  prête  une  langue  éclatante,  flamboyante.-  Il  a 
même  le  style  trop  continûment  magnifique  :  il  pense 
plus  h  présenter  les  passions  qu'à  dénouer  Faction;  il  se 
complaît  aux  morceaux  de  bravoure  jusqu^à  oublier  la 
marche  du  drame;  il  a  l'ivresse  de  la  couleur.  Mais 
quelle  harmonie  et  que  d'images  pleines  de  grâce  ou  de 
grandeur  qui  charment  ou  éblouissent!  Aussi  eat-il  plus 
lyrique  que  dramatique. 

Arthur  Schnitzler  représente  dans  ses  drames  comme 
dans  ses  romans  des  personnages  qui  jouissent  de  l'exîs* 
tence  avec  délices  et  parfois  avec  une  sorte  de  frénésie. 
Finement,  non  sans  une  aimable  ironie,  en  un  style 
clair,  piquant,  scintillant  il  analyse  leur  état  d'âme,  les 
montre  amoureux,  gais,  frivoles,  uniquement  préoccupés 
de  l'heure  présente,  profondément  égoïstes,  attristés  un 
instant  par  la  pensée  de  la  mort  et  au  sortir  de  ce  fugitif 
accès  de  mélancolie  courant  derechef  au  plaisir.  Sa 
meilleure  pièce,  bien  qu'assez  mince,  est  Amourette  qui 
joint  à  la  simplicité  de  l'action  et  à  la  vérité  des  détails 
un  dénouement  tragique.  Mais  il  a  peu  d'invention  et  peu 
d'haleine  ;  ses  héros  ont  beau  causer  avec  élégance  ;  ils 
ne  vivent  pas.  Avant  tout,  dans  ses  piécettes  comme  dans 
ses  nouvelles,  Schnitzler  est  et  reste  le  poète  de  la  susses 
Màdely  de  la  mûde  Grazie. 

Science  et  histoire. 

On  ne  peut  guère,  dans  ce  rapide  tableau  des  lettres 
allemandes,  étudier  les  historiens,  les  philosophes,  les 
grands  savants  qu'a  produits  le  xix^  siècle  ;  encore  faut-il 
citer  quelques  noms. 

Si  les  deux  frères  Grimm  se  rattachent  au  romantisme, 
les  deux  frères  liumboldt  continuent  la  tradition  classique. 


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f  LE   XIX**   SIÈCLE  457 

Guillaume  de  Humboldt  (1776-1835)  tenta  de  déter- 
miner les  limites  de  l'action  que  l'État  doit  exercer  ;  il 
composa  des  Essais  esthétiques  et,  entre  autres,  une  4ift- 
sertation  instructive,  quoique  longue  et  pédantesque, 
sur  Hermarm  et  Dorotliée\  il  fit  deux  volumes  sur  la  phi- 
loisophie  du  langage.  Il  se  piquait  d'avoir  toujours  vaincu 
la  passion  par  l'énergie  de  sa  volonté;  aussi  a-t-il  une 
froide  et  raide  élégance;  rien  de  vif  et  de  spontané;  il 
veut  tout  dire,  tout  réfuter,  et  à  force  d'être  complet,  il 
devient  obscur.  Mais  il  est  imprégné  de  l'esprit  antique, 
il  aime  ardemment  la  vérité,  il  cache  avec  une  sorte  de 
pudeur  la  flamme  secrète  de  son  âme,  et  la  noblesse  de 
ses  sentiments  se  reflète  dans  des  sonnets  qui  sont 
d'une  beauté  classique  ainsi  que  dans  ses  Lettres  à  une 
amie.  Ces  Lettres  qu'il  écrivait  à  Tinsu  de  tous  par  goût 
du  mystère  et  parce  qu'il  se  plaisait  k  diriger  une  femme 
qu'il  avait  autrefois  aimée,  offrent  un  certain  attrait, 
bien  que  leur  style  trop  calme  et  trop  grave  fasse  penser 
au  soleil  d'hiver  qui  nous  éclaire  sans  nous  réchauffer. 

Alexandre  de  Humboldt,  l'auteur  du  Cosmos^  manque, 
comme  Guillaume,  de  couleur  et  de  vivacité;  ses 
ouvrages,  pleins  de  détails  et  dépourvus  d'ensemble, 
sont,  selon  le  mot  d'Àrago,  des  portraits  sans  cadre; 
mais,  tout  en  étudiant  des  groupes  isolés  de  phénomè- 
nes, il  cherche  à  généraliser,  à  trouver  les  grandes  lois 
qui  régissent  le  monde,  à  comprendre  l'ordre  de  la 
nature. 

Parmi  les  historiens  du  xix^  siècle,  très  peu  ont  le  don 
d'évoquer  le  passé  et  de  lé  faire  vivre,  de  rendre  forte- 
ment la  physionomie  des  événements,  et  leur  trait  mar- 
quant, c'est  la  conscience  de  leurs  investigations. 

Niebuhr  a  la  phrase  longue,  lourde,  embarrassée;  mais 
il  a  fixé  les  règles  de  la  méthode  historique  et  il  voulait, 


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46a  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

diaaiWI,  montrer  les  Romains  comme  des  êtres  de  notre 
chair  et  de  notre  sang. 

L'influence  de  Wolf  fut  plus  profonde  que  celle  de 
Niebuhr.  Dans  ses  Protégomènes  le  génial  critique,  en 
une  langue  qui  passe  pour  un  modèle,  enseigna  que  la 
science  de  l'antiquité  embrasse  tout  le  monde  gréco- 
romain;  qu'il  s'agit  non  seulement  d'expliquer  les  textes, 
mais  de  reconnaître  l'homme  sous  les  textes  et  de 
retrouver  la  beauté,  la  grandeur  des  anciens. 

Après  Wolf  vinrent  Curtins,  Duncker,  Droysen, 
Mommsen. 

VHiêtoire  grecqued^Ernesi  Curtius  est  une  œuvre  d'art 
par  la  chaleur  du  ton,  par  la  noblesse  et  la  pureté  du 
style,  par  le  rythme  de  la  phrase. 

Duncker  n'a  pas,  dans  son  Histoire  de  F  antiquité  qui 
témoigne  du  savoir  le  plus  vaste,  évité  ni  les  longueurs 
ni  les  négligences. 

Droysen  est  concis,  souvent  tendu;  on  lui  voudrait 
plus  d'ampleur  et  il  a  le  ton  dogmatique.  Mais  il  a  étudié 
l'histoire  ancienne  et  l'histoire  moderne.  S'il  prétend 
démontrer  que  la  victoire  de  la  force  est  la  victoire  d'un 
droit  supérieur,  il  sait  adroitement  saisir  les  traita  gêné* 
raux  d'une  époque,  si  confuse  et  embrouillée  qu'elle 
soit,  démêler  les  idées  qui  dominent  une  révolution, 
marquer  nettement  l'influence  que  la  politique  et  la  civi- 
lisation exercent  l'une  sur  l'autre. 

Mommsen  modernise  événements  et  personnages,  et 
il  fait  trop  de  rapprochements,  les  uns  piquants,  les 
autres  bizarres,  avec  les  choses  et  les  personnages  de 
notre  temps.  Il  aime  les  grands  ambitieux,  ceux  qui  par 
leur  volonté  de  fer  jettent  le  monde  dans  de  nouvelles 
voies.  CaVus  Gracçhus,  Sylla,  César,  voilà  ses  héros.  Mais 
les    vues   d'ensemble,   le   relief  des  portraits,   l'habile 


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LE  XIX""  6IKCLB  459 

emploi  de  l'épigraphie  et  de  la  linguistique,  le  savoir  de 
l'auteur  qui  veut  être  complet  et  qui  ne  néglige  aucun 
trait  dans  ce  tableau  du  passé,  font  de  V Histoire  romaine 
une  des  œuvres  les  plus  remarquables  de  ces  dernières 
années.  Si  le  style  manque  parfois  d'aisance  et  de  clarté, 
il  a  de  la  vivacité,  de  la  force,  du  mordant,  et  ce  style, 
c'est  rhomme  même,  c'est  Mommsen^  plein  de  verve,  de 
pétulance  et  d'esprit  incisif. 

Raumer  et  Schlosser  ne  font  que  citer  des  faits  sans 
s'élever  aux  considérations  générales. 

Gervinus  est  un  homme  de  parti  qui,  dans  son  Histoire 
du  XJX*  siècle  écrit  à  bride  abattue;  mais  ton  Histoire 
de  la  littérature  allemande  est  le  fruit  d'une  immense 
lecture;  on  y  trouve  une  foule  de  jugements  solides  et 
d'aperçus  ingénieux. 

Hftusser  est  intéressant  et  rapide,  exact  et  conscien- 
cieux. 

Ranke  fut  peut-être  le  premier  des  historiens  du 
XIX*  siècle.  Il  n'est  pas  toujours  profond;  mais  il  embrasse 
dans  ses  études  l'histoire  entière  ;  il  soumet  ses  sources 
à  une  sévère  critique;  il  peint  tantôt  à  grands  traits, 
tantôt  avec  minutie  les  personnages  principaux  et  il  dis* 
tribae  à  propos  dans  leurs  portraits  l'ombre  et  la  lumière  ; 
il  s'attache  à  les  comprendre,  à  les  expliquer,  souvent  a 
les  excuser  ;  il  est  sobre,  mesuré,  fin,  et  il  ne  veut  être 
dupe  de  rien. 

Pertz,  Waitz,  Giesebrecht  sont  avant  tout  des  savants. 

Fallmerayer  prétendit  que  les  Grecs  actuels  étaient 
des  Slaves,  des  Albanais  qui  n'avaient  pas  dans  les  veines 
une  goutte  de  sang  hellénique  et  il  décrivit  les  paysages 
et  les  mœurs  de  l'Orient  en  un  style  qui  joint  la  vigueur 
à  l'élégance. 

Gregorovius  a  fait  un  ouvrage  considérable,  V Histoire 


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y 


460  LITTÉRATURE   ALLEMANDE 

de  la  çUle  de  Rome,  et  dans  une  langue  claire,  aisée, 
colorée,  un  peu  diffuse,  il  expose  les  aspects  et  raconte 
les  destins  de  la  ville  éternelle,  de  la  ville  sainte  et 
cosmopolite  qui  représentait  Tidée  de  la  paix  et  de 
Tharmonie  au  milieu  des  combats  de  Thumanité. 

Sybel  a  fait  dans  son  Histoire  de  l'Europe  pendant  la 
Réffolution  française,  en  un  style  simple,  net  et  froid, 
une  œuvre  solide.  Son  Histoire  de  la  fondation  de 
l'Empire  allemand  n'a  pas  la  même  vigueur  et  la  naème 
verdeur;  il  est  Prussien,  il  se  pique  d'écrire  <x  cum  ira  et 
studio  »  et  Bismarck  le  regardait  comme  un  de  ses  plus 
précieux  collaborateurs . 

Treitschke,  lui  aussi,  est  partial  de  dessein  prémédité; 
lui  aussi  est  patriote;  lui  aussi  est  Prussien,  et  il  ne 
mâche  pas  les  expressions  à  ses  adversaires.  Mais  il  a  un 
grand  talent  ;  s'il  tranche  légèrement  les  questions,  s'il 
abuse  des  généralisations  aventureuses,  s'il  dénature  les 
physionomies,  il  excelle  dans  l'histoire  des  lettres  et  des 
mœurs,  il  retrace  avec  vivacité  les  mouvements  popu- 
laires, il  anime  ses  récits,  il  semble  lutter  encore  pour 
cette  unité  allemande  dont  il  expose  la  genèse,  on  sent 
tressaillir  en  lui  quelque  chose  de  l'âme  violente  des 
combattants  et  on  croit  entendre  dans  son  œuvre  un  bruit 
d'épées  et  Técho  des  cris  de  guerre. 

Lamprecht  tente  de  présenter  en  une  vaste  et  puis- 
sante synthèse  l'histoire  de  l'Allemagne.  L'abondance  des 
détails  ne  l'empêche  pas  d'être  clair.  Il  met  en  lumière 
les  personnages  de  premier  rôle;  tout  en  démêlant  le 
jeu  des  intérêts  politiques,  il  retrace  assez  bien  l'organi- 
sation intérieure  et  l'évolution  sociale,  intellectuelle, 
artistique  du  pays;  il  rapproche  et  unit  étroitement  entre 
elles  toutes  les  manifestations  de  l'âme  allemande. 

Les  philosophes  sont  aussi  nombreux  que  les  historiens. 


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LE   XIX"   SIECLE  461 

Après  Fichte  et  Schelling,  parut  Hegel.  On  ne  peut  dire 
qu'il  soit  un  écrivain;  son  style  est  obscur,  tourmenté, 
disloqué,  vraiment  barbare;  s'il  a  quelquefois  un  mot 
juste  ou  une  belle  image,  ces  bonheurs  d'expression 
s'évanouissent  sur  le  champ  dans  d'épaisses  ténèbres  :  il 
n'a  pas  défini  sa  terminologie. 

Un  disciple  de  Hegel,  Louis  Feuerbach^  l'auteur  de 
U Essence  du  christianisme  et  de  V Essence  de  la  religion  y 
a  par  un  style  clair  et  entraînant  influé  sur  les  esprits  et 
sa  parole  résonnait,  selon  le  mot  de  Ruge,  comme  une 
trompette  de  Jéricho;  Herwegh,  AVagner,  Gottfried 
Keller,  George  Eliot  ont  reconnu  ce  qu'ils  lui  devaient. 

Un  autre  hégélien,  David  Strauss,  n'a  pas  fait  seule- 
ment le  célèbre  ouvrage  (1835)  qui  réduit  à  l'état  de 
mythe  la  vie  de  Jésus;  il  a  raconté  en  très  bon  style  la 
vie  de  Hutten,  de  Voltaire,  de  Schubart,  de  Kerner. 

Schopenhauer  ruina  l'autorité  de  Hegel  qu'il  nommait 
un  sophiste  et  un  bâtard  de  Kant.  Le  pessimisme  qu'il 
prêchait  eut,  quoique  tardivement,  du  succès.  Mais 
Schopenhauer  est  un  maître  écrivain.  Ses  idées  sont  bien 
liées,  et  une  fois  ses  prémices  admises,  il  explique  et 
déduit  son  système  très  logiquement.  Il  joint  à  une 
érudition  prodigieuse  un  esprit  brillant  et  incisif.  Avec 
quel  éclat  et  quelle  force  il  combat  l'amour,  ce  grand 
coupable,  qui  perpétue  la  douleur  dans  le  monde!  Quelles 
invectives  humoristiques  et  que  de  mots  terribles  contre 
les  femmes  et  la  folie  du  vouloir-vivre! 'Quelle  éloquence 
passionnée  et  quelle  abondance  singulière  d'arguments 
et  d'exhortations  pour  amener  l'humanité  à  se  supprimer 
elle-même  ! 

Son  disciple,  Edouard  de  Hartmann,  auteur  de  la 
Philosophie  de  l' inconscient ^  est,  lui  aussi,  ingénieux  et 
déploie    beaucoup    de    finesse   et   de    vigueur  dans   sa 


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MS  LITTERATURE   ALLEMANDE 

démonstration;  lui  aussi  peint  en  de  sombres  tableaux 
les  illusions  et  les  misères  de  l'homme;  froidement, 
impassiblement,  sans  montrer  la  moindre  pitié»  il  dé* 
pouille  Texistence  de  ses  prétendus  charmes  pour  la 
conduire  au  néant. 

Les  mêmes  raisons  expliquent  la  vogue  de  Nietssche, 
et  Ton  comprend  que  les  romanciers  aient  subi  son 
influenoci  qu'ils  aient  mis  en  scène  son  «  surhomme  », 
le  privilégié,  l'artiste  qui  vainement  aspire  à  l'idéal.  Il 
aimait  les  penseurs  de  la  Grèce  et  surtout  les  philo* 
sophes  présocratiques;  il  avait  lu  nos  classiques  et  il 
louait»  il  admirait  la  précision  et  la  clarté  des  Français; 
ses  idées  sont  celles  qu'il  a  trouvées,  non  seulement 
dans  Schopenhauer,  mais  chez  Pascal,  La  Rochefoucauld 
et  Chamfort,  chez  Stendhal»  Taine»  Renan»  Guyau,  et 
ces  idées»  il  les  revêt  d'une  forme  splendide.  Il  est  para- 
doxal» outrancier»  porté  a  renchérir  sur  lui-même, 
et  il  n'a  pas  eu  le  temps  ou  la  force  d'exposer  son 
système  en  un  vaste  ouvrage  d'ensemble.  Mais  il  manie 
avec  une  aisance  souveraine  les  mots  et  les  sons»  ces 
«  arcs  en  ciel  »»  ces  «  ponts  entre  ce  qui  est  éternelle- 
ment séparé  »»  et  nombre  de  ses  pages  sont  vraiment 
enflammées,  vraiment  lyriques.  Quel  magnifique  éloge 
il  a  fait  de  la  souffrance  et  quelle  satire  sanglante  des 
vices  de  notre  civilisation  !  Avec  quelle  dialectique  vigou- 
reuse et  quelle  verve  sarcastique  il  a  montré  que  la  voix 
de  la  conscience  n'est  le  plus  souvent  que  celle  de  l'inté- 
rêt! Avec  quels  accents  héroïques  il  célèbre  le  courage 
et  proclame  que  la  vraie  culture  consiste  dans  le  libre 
épanouissement  du  moi!  Avec  quelle  grandeur  il  parle 
de  la  vie  qui  ne  Ta  pas  déçu  parce  qu'elle  est  un  moyen 
de  connaissance  et  parce  que  la  connaissance  lui  offre  un 
monde  de  dangers  et  de  victoires  où  se  déploie  la  bra- 


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LE  XIX*  SIECLE  463 

voure,  et,  par  Buite,  la  joiel  Avec  quel  enthousiasme  il 
annonce  son  Surhomme  dans  les  versets  de  Zarathoustra  ! 
Il  abonde  en  images.  Ne  dit-il  pas  que  son  Zarathoustra 
a  jailli  de  l'inspiration  poétique,  d'un  enchantement, 
d'une  extase,  où  la  métaphore  s'imposait  k  lui,  comme 
l'expression  la  plus  naturelle  et  la  plus  juste»  où  s'ou- 
vraient à  lui  tous  les  trésors  du  verbe? 

Enfin,  les  plus  récents  philosophes,  Lotze  et  Eucken, 
Wundt  et  Paulsen^  n'ont-ils  pas  un  style  élégant  et 
précis? 


La  littérature  allemande  n'est  donc  pas  sur  son  déclin. 
Elle  a  produit  une  très  riche  poésie  lyrique  ;  elle  a  tenté 
de  créer  un  théâtre  original  ;  ses  romanciers,  ses  philo- 
sophes ont  l'honneur  des  traductions  étrangères.  Sans 
doute  elle  ne  possède  pas,  elle  ne  possédera  pas  l'impe- 
rium  mondial,  le  WeUimperium  que  Guillaume  II,  dans 
un  de  ses  discours,  attribue  à  la  science  de  l'Alle- 
magne. Mais  durant  le  xix*  siècle  elle  s'est  admirable- 
ment développée;  après  la  guerre^  après  la  fondation 
de  l'Empire,  elle  n'a  pas  arrêté  sa  marche.  Et  quel 
est  le  domaine  où  l'Allemagne,  une  désormais  et  puis- 
sante, convaincue  de  sa  force  et  toujours  désireuse  de 
l'accroître,  hardie  comme  elle  ne  le  fut  jamais,  animée 
de  l'esprit  d'entreprise,  ne  cesse  pas  de  progresser?  La 
victoire,  dit  Gœthe  dans  le  Faust,  est  la  déesse  de  toutes 
les  activités. 


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INDEX 


(On  trouvera  dam  cet  index,  arec  les  nome  d'auteuri,  les  prénoms  et 
les  dates  biographiques  qui  n*ont  pas  trouvé  place  dans  le  texte;  les 
chiffres  renvoyant  aux  passages  essentiels  sur  les  auteurs  sont  imprimés 
en  caractères  gras.) 


Abbt  (Thomas),  205,  206. 
Abraham  a  Sancta  Clara  (de  son 

vrai  nom  Hans-Ulrich  Megerlin), 

IM,  245. 
Ackermann  de  Saaz,  102. 
Addison,  164,  165,  169,  279. 
Adler  (Frédéric;  né  en  1857),  433. 
Anicola  (Jean;  1492-1566),  131. 
Albéric  de  Besançon,  30. 
Albert,  auteur  du  Petit  Titurel,  41. 
Albert  d'Halberstadt,  32. 
Albert  (Henri;  1604-1651),  138. 
Albert  (prince),  244. 
Alberti  (Conrad,  de  son  vrai  nom 

Sittenfeld,  né  en  1862),  435. 
Albertinus    (Aegidius),    1560-1620, 

152. 
Alberas  (mort  en  1553),  118. 
Alboin,  3. 
Alevin,  9, 13, 14. 
Aleseharu,  37. 
Alexandre  (maître^,  57. 
Alexandre  (V)  de  Lamprecht,  30. 
^  de  Gautier  de  Chftttllon  et  d'Ul- 
rich d'Eschenbach,  42. 
—  de  Rodolphe  d'Ems,  44. 
Alexiêj  24,  43. 
Alexis  (WiUibald),  407. 

UTTimATORS  ALUMAirttB. 


Alfred,  18. 

Allégorie,  35,  43,  89,  90. 

Alphart  (Mort  dl  64. 

Alxinger  (Jean-Baptiste  d*;    1755. 

1797),  314. 
Amadie,  126,  132,  151. 
Amélie  de  Saxe-Weimar,  185,  277. 
Amis  de  Dieu,  103. 
Angélus  Silesius,  149. 
Anglais  (comédiens),  130. 
Anglo-Saxons,  4,  10,  12,  13. 
Anhalt  (Henri  I,  duc  d*),  58. 
Anhalt  (Louis  d*),  134. 
Anno  {Chant  tT),  24. 
Antechriêt  (Jeux  de  T),  97,  128. 
Antéchrist  (poème  sur  Y),  24. 
Anthologie,  277,  278. 
Antoine  Reiser,  316. 
Antoine-Ulrich  de  Brunswick,  152. 
Anxengruber,  424. 
Archenholtx  (Jean-Guillaume  de), 

312. 
Archi'poète  (1'),  26. 
Arigo,  106. 

Arioste,  184,  314,  328. 
Aristophane,  207,  350. 
Aristote,  194,   195,   196,  203,  209, 

240. 
Arminius,  1,  117,  179,222,  346  (voir 

Hermann). 

30 


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466 


INDEX 


Aradt  (Jean),  145. 

Arndt  (Maurice),  325,  327,  386. 

Arnim  (Achim  d'),  337, 338, 343, 381. 

Arnold  (Gottfried),  146. 

Arnold  (Jean-Georgea-Daniel),  412. 

Arthur  (le  roi),  28,  33,  37,  38,  44, 

58,  61,  89. 
Aiheaaeum,  328. 
Athénée,  46. 
Attila,  2,  7. 
Aubades,  37,  48,  56. 
Anerbaeh,  319,  411,  412,  415. 
Auersperff  (comte  d'),  voir   Grrlin. 
Aufklàrung  (H,  159,  204,  205,  211. 
Auguste,  duc  ae  Saxe,  134. 
Ato  (la  recluse),  24. 
Ayenarius  (Ferdinand;  né  en  1856). 

432. 
Aventinus,  124. 
Aymon  {Les  quatre  filé),  126. 
Ayrer,  130. 


B 


Baader,  365. 

Bahr  (Hermann;  né  en  1863),  455. 

Ballade,  96,  223,  241,  287. 

Baptiste  de  Mantoue,  107,  108. 

Barclay,  151. 

Barde»,  179,  313. 

Bataille  de  Rapenne,  64. 

Bftuerle  (Adolphe;  1786-1859),  356. 

Bauemfeld    (Edouard    de;    1802- 

1890),  356. 
Baumbach  (Rodolphe;   1840-1905), 

414. 
Bauyin,  172. 
Bayle,  110,  188. 
Beaumarchais,  266. 
Beck   367. 

Becker  (Ausruste),  391. 
Becker  (Nicolas;  1809-1845),  386. 
Béda,  13,  14. 
Béer  (Michel),  343. 
Beheim  (Michel),  93-96. 
Benedix  (Roderich;  1811-1873),  406. 
Benoit  de  Sainte-More,  32,  43. 
BeoYulf,  12,  13. 
Béranger,  339. 
Berlin,  188,  328,  190,  191, 192,  205, 

323,  873,  382,  428. 
Bernard  de  Ventadour,  50. 
Bernard  (saint),  145. 
Berne,  89,  101,  129,  167,  184. 
Bernger  de  Horheim,  50. 


Btirquiii,  20G. 

Berrr  (duchesse  de),  3'i0. 

Berthold  de  Ratisbonne,  62-63. 

Besser  (Jean de;  165^-1729),  160. 

Bettina  d'Arnim,  381. 

Beyerlein  (François -Adam:  né  en 

1871),  445. 
Beyle-Stendhal,  187,  462. 
Bèze  (Théodore  de),  132. 
Bible  (la),  18,  112,  114,  264.  300. 
Bîrken  (Sigismond  de;  1626-1681), 

135,  152. 
Bismarck,  413,  414. 
BiUrolf,  64. 

BîOmson  (Bidrnstjeme),  427. 
Bleibtrett  (Charles  ;  né  en  1859).  435. 
Blet»,  128. 

Bligger  de  Steinach,  50. 
Blacher,  325. 
Blumauer  (Jean-Aloys;  1755-1798), 

314. 
Blumenihal  (Oscar;  né  en  1853), 

423,  424. 
Blllthgen  (Victor  ;  né  en  1844),  431. 
Bocage  (le)  ou  le  Hain,  220-229. 
Boccace,  198,  328,  453. 
Bodenstedt    (Frédéric     de;     1819- 

1892),  349. 
Bodmer  (Jean-Jacques;  1698-1783), 

73,  165,  169,  176,  177,  212,  SIS. 
Boèce,  22. 

Boehmer  (Caroline),  331. 
BohUn  (Hélène,  M-   Al   Raschid 

Bey;  née  en  1859),  437. 
Bôhme  (Jacques),  149,  330. 
Boie  (Christian-Uenri;  1744-1806), 

207,  220,  221,  222,  300,  354. 
Boilean,  161,  163. 
Boisserée,  294. 
Bojardo,  314. 
Bondeli  (JuHe  de),  184. 
Boner  (Ulrich),  91. 
Bons  Allemands  (Compagnie  des), 

Boppe  (maître),  59. 

Borne,  46, 337, 343, 371 ,  37M13, 380. 

Bottger,  390. 

Bôttxger  (Charles-Auguste).  333. 

Bouf  tiers,  186. 

Boy-Ed  (Ida;  née  en  1853),  437. 

Brabant  (Jean  I,  duc  de),  53. 

BrachTogel   (Albert -Emile;   1824- 

1878),  406. 
Brandebourg  (Otto  IV,  margrave 

de),  53.  . 

Brant  (Sébastien),  107,  108,  109.  > 


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INDEX 


467 


Drantôme,  59. 

Bredow,  388. 

Breiting^r     (Jeau>Jacques  ;     1701- 

1776),  165,  169.  170,  177. 
Brémoifl  (le»),  170-173,  177. 
Brennenberg  (Reinmar  de),  96. 
Brentano  (Clément),  337,  338,  340. 
Brenx,  128. 

Breslau  (Henri  IV,  duc  de),  53. 
Breslau,  149,  19  t. 
Brion  (Prédérique),  209,  230,  256, 

285,  307. 
Brockes     (Bar  thold- Henri;    1680- 

1747),  165, 166-167. 
Brun  de  Schonebeck,  47. 
Bnchholz  (André-Henri  ;  1607-1671  ), 

152. 
Buchner  (Aug^uste;  1591-1661),  138. 
Bachner  (Georg^es,  1813-1837),  343. 
Buff  (Charlotte),  260,  261,  307. 
Bahel  (Jeon  de),  88,  89. 
Btirger    (Gottfried-Augu9te),    207, 

208,  215,  217,  220,  224,  225-227. 
Burgondes,  ii, 
Burkart  de  Hohenfels,  54. 
Bnrns,  413. 

Busse  ^Charles;  né  en  1872),  ^31. 
Busse-ralma  (Georges  ;  né  en  1876), 

431. 
Bypon,  295,  30'i,  339,  354,385,394, 

397,  414. 


Cagliostro,  278. 

Galderon,  336,  362. 

Canaris,  339. 

CanariuB,  122. 

Ganitz   (  Frédéric  -  Rodolphe  -  Louis 

de),  160-161. 
Garlingie,  28. 
Gasielfi,  356. 
Caton  (Distiques  de),  60. 
Geltis  (Conrad),  107. 
Cercie  (le),  89. 
Cersne  (Eyerard),  90. 
Cerrantes,  184,  328,  336. 
Chamfort,  328,  462. 
Chamisso,  337,  338,  338,  340. 
Chant  de  Louis,  15, 
Chant  de  gaint  Pierre,  16, 
Chant  d^Ezzo,  23. 
Chant  d'Hitdebrant,  10,  15. 
Chapelle,  167. 
Gbarlemagne,  4,  7,  9,  10,  11,  18. 


Charles  (urchiduc),  324. 
Charles-Auguste  de  Weimar,  238. 

270.  271,  273,  276,  278,  281,  294. 
Charles  X,  340. 
Charles -Eugène   de  Wurtemberg, 

228,  232,  23/i,  385. 
Chartier  (Alain),  172. 
Chaulieu,  167. 
Chénier  (Joseph),  311. 
Chrestien  de  Troyes,  33-35,  40-!il. 
Christ  (te)  et  la  Samaritaine,  16. 
Chronii/ue    allemande,    bavaroise, 

noméranicnne,  suisse,  12(i-125. 
Chronique  impériale,  29. 
Chronique  d'Autriche,  de  Cologne, 

de  Livonie,  etc.,  47, 
—   d'Alsace,   de    Berne,   de  Thu- 

ringe,  101. 
Claar  (Emile;    de  son    vrai    nom 

Roppoport.  né  en  1842),  433. 
Clajus,  113. 

Caudius  (Mathias),  207,  227-228. 
Clunv,  23. 
Cochlâus,  110. 
Colin  (Pliilippe),  88. 
CoUin  (Henri-Joseph  de;  1772-1811), 

356. 
Comte  Rodolphe,  30. 
Condé,  243. 

Conrad  d'Ammenhausen,  92. 
Conrad  do  Fuss>ebrunnen,  47. 
Conrad  de  Haslau,  69. 
Conrad  de  Heimesfurt,  47. 
Conrad  de  Stoffel,  41. 
Conrad  de  Wurzbourg,  42-45. 
Conrad  (le  clerc),  27,  29,  4'!. 
Conrad    (Michel- Georges;    né    en 

1846),  435. 
Conradi  (Uermann;  1862-1890),  431. 
Conradin,  53. 

Corneille,  131,  164,  194,  195,  916. 
Constantin,  4. 

Couronne  {la)  des  aventures,  41. 
Cramer  (Charles-Gottlob),  316. 
Cramer  (Jean-André;  1 723- 1 788),172. 
Croisodes,  27,  29,  30,  49,  50. 
Crotus  Rubianus,  llO-lll,  117. 
Curtius  (Ernest,  1814-1896),  458. 
Cygnes  de  TElbe  (Ordre  des),  13'i. 
Cynewulf,  4. 


Dach  (Simon),  138. 
Daffîuger  (Marie),  362. 


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468 


INDEX 


DahD  (Félix;  né  en  1834),  415. 
Dante,  328,  331,  336. 
Dassêl  (Reinald  de),  26. 
Daumer  (Georra-Frédéric),  348. 
Danthendey  (Max;   né    en   1867), 

431. 
David  d'AugBbourg,  62. 
Dedekind  (Frédéric),  122. 
Defoe,  165. 

Dehmel  (Richard;  né  en  1863),  430. 
Délie  Grazie  (Marie-Eugénie;  née 

en  1864),  437. 
Denis  (Michel),  179,  313. 
Deschampe,  164. 
Dettouches,  164,  195. 
Diderot,  195,  210. 
Dietmar  d^Bist,  48. 
Dietrich  de  Bern,  6,  7,  10. 
Dietrichstein  (Siegmund  do),  90. 
DingeUtedt,  389. 
Directorium    Aumanae    viUie^    101, 

105. 
Diêciplina  clericalU,  101. 
Dodd,  208. 

Dominicains,  102-103, 
Donath  (Adolphe;  né  en  1876),  433. 
Dostoievsky,  427. 
Dranmor,  414. 

Dreyer  (Max;  né  en  1862),  445. 
Dringenberg,  107. 
Drolfinger  (Gharles-Frédéric  ;  1688- 

1742),  165. 
Droete-Hûlshoff  (Annette  de),  396. 
Droysen  (Gustave;  1808-1884), 458. 
Du  Bellay,  186. 
Du  Bos,  169. 
Dumat  (père),  385. 
Duncker  (Max),  458. 
Durer  (Albert),  330,  334. 


Bberhard  (Jean-Auguste),  206. 
Ibers  (Georges  ;  1837-1898),  414-415. 
Ebner-Eschenbach  (Marie  d'),  422- 

423,  436. 
Ecbasiê  Captwi,  18. 
Eck,  116. 

Bckart  (le  féal),  6,  90. 
Bckart  (maître),  102. 
Scke,  64. 

Eckermann  (Jean-Pierre),  295. 
Bckstein  (Ernest;  1845-1900),  415. 
Edda,  5,  83-84. 
Eichendorff,  324,  337,  340^1. 


Eicke  de  Rcpgowe,  63. 
Eilhart  d*Oberg,  30,  42, 101. 
Binhart,  10,  18. 
Bkkehard  I,  18. 
Bkkehard  IV,  18. 
Blëonore  d*Angleterre,  26. 
Rléonore  d^Ecosse,  100. 
Elisabeth  de  Nassau -Sarrebmck, 

100. 
Eliot  (George),  461. 
Bmser,  116. 
Enéaâ  (jRoman  d'),  31. 
Enéas  SrlTius,  voir  Piccolomini. 
En^  (Jean-Jacques),  206. 
Epttreê  deg  homme»  obscurs.  110, 

117. 
Erasme,  106,  110,  111,  115. 
Erfurt,  184. 

Erler  (Otto  ;  né  en  1873),  455. 
Ermanrich.  3,  4,  6. 
Ernest  {le  duc),  27. 
Ernst    (Otto;    de    son  vrai   nom 

Otto-Emst  Schmidt,  né  en  1862), 

445. 
Esope,  189,  194. 
Etzel,  7,  19. 
Eucken,  468. 
Bndide,  194. 

Euffène  (chant  sur  le  prince),  16i. 
EuJenspîegelt  101. 
Euripide,  250,  275,  331. 
Evers  (François;  né  en  1871),  431. 
Exo<ie,  24. 

Eyb  (Albert  d*),  106,  106. 
Exzo,  23. 


Fables,  91,  118,  17S,  189. 

Faits  des  Romains,  101. 

Falke  (Gusteve;  né  en  1863),  432. 

Fallmerayer  (Jacques;  1790-1861), 

459. 
Faust  {U  docUurV  126. 
Feuchtersleben  (Ernest  de),  368. 
Feuerbach  (Louis;  1804-1872),  461. 
Fichte  (Jean-Gottlieb;   1762-1314), 

310,  322,  328,  329,  371. 
Fielding,  315,  448. 
Fierabras,  126. 
Finkenritter,  126. 
Fischart,  118, 122-124, 137,  161. 
Fischer  (Jean-Georges),  855. 
Fitger  (Arthur;  né  en  1840),  432. 
Flachsland  (Caroline),  216. 


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/ 


INDBX 


Flaischlen  (César;  né  en  1864),  455. 

Flaubert,  395. 

Fleck  (Conrad),  42. 

Fleming,  137,  138,   161,   162,  860. 

Floire  et  Blanche/leur  (traduit  Ters 

1170),  SO. 
Floire  et  Blanche/leur  de  Conrad 

Fleck  (Ters  1220),  42. 
Polqaet  de  Marseille,  50. 
Foli  (Hans),  100. 
Fontane,  416,  416-417,  429,  436. 
Fontanelle,  169. 
formulée  de  Mersebourg,  1. 
Forster  (Georges),  312-313. 
Fortnnat,  9. 
Foriunat,  126. 
Fouqné    (Frédéric,    baron    de    la 

Motte),  324,  337,  338,  338,  340. 
France  (Influence  de  la),  27-41,  48- 
50,  lOO,  122-123, 132-133, 161, 163, 
166,  167,  209-210,  220,  310,  839, 
372,  375,  879,  380,  386,  395,  421, 
423,  430,  438. 
Francfort-sur-le-Mein,  103, 255, 256, 

270,  337,  368,  886. 
Fransciscains,  62. 
Francisci,  144. 
Franck  (SébasUen),  124,  132. 
François  II  (empereur),  325. 
François  (Louise  de),  421-422. 
Francs,  8,  14,  15. 
Frankfurter  (Pbilippe),  89. 
Fransos,  415. 

Frapan    (Use;  de    son  vrai    nom 
M**  Akunian,  née  Lerien),  1852- 
1909,  437. 
Franenlob,  59-60. 

Frédéric  Barberousse,  26,  31,  324. 
Frédéric  de  Qausen,  50. 
Frédéric  II  (empereur),  52. 
Frédéric   II  (roi  de  Prusse),  144, 
172,  173,  174,  175,  189,  192,  312, 
324,  416. 
Frédéric  III  (empereur),  93. 
Frédéric  (le  landgrave)  à  la  Joue 

mordue,  98. 
Freidank,  61,  62. 
Freiligrath,  376,  387-388. 
Frenssen   (Gustave;  né  en   1868), 

436. 
Frenzel,  415. 
Freudenleere  (le),  46. 
Frertag  (Gustave),  399,  415,  423, 

Friscblin    (Nicodème),    128,    129, 
130. 


Frommann  (le  libraire),  289. 
Fmgifère  (société),  134,  135, 138. 
Fuite  de  Dielrich,  64. 
Fulda  (couvent  de),  10,  11. 
Fulda  (Louis;  né  en  1862),  444. 
Fûrtrer  (Ulricb),  89. 


Gall  (saint),  16. 

Garnier  (Robert),  141. 

Garve  (Christian),  1742-1798,  206. 

Gauriel,  41. 

Gautier  d'Arras,  32. 

Geibel,  66,  389,  392-398,  39ô,  414. 

Geiler    de    Kaisersberg,   104-106, 

107. 
Gellert     (Christian  -  Fflrchtegott), 

166, 171-172,  207. 
Gemmingen (Otto-Henri  baron  de; 

1755-1836),  311. 
Genèse  de  Vorau^  84. 
Genèse  de  Vienne^  23. 
Genèse  saxonne,  12. 
Gengenbach  (Pamphile),  129. 
Gentz,  323. 

Greoffroy  Saint-Hilaire,  306. 
George  (Stephan;  né  en  1868),  431. 
Gerald,  18. 

Gérard  de  Groote,  107. 
Gerhardt,  145-147, 157. 
Gerok  (Charles,  1815-1890),  393. 
Gersacker,  407. 
Gerstenberg  (Henri-€iuiUaume  de  ; 

1737-1823),  179,  208,  209. 
Gervinus  (Georges-Gottfried  ;  1805- 

1871),  459. 
Gessner  (Salomon;  1730-1785),  176, 

229. 
Giesebrecht     (Guillaume  ;      1814- 

1889),  459. 
Gilm  (Hermann  de),  870. 
Giotto,  272. 

Gleim  (Jean-Guillaume-Louis),  164, 
174-176,176,  189,  190,  205,207, 
220. 
Globe  (le),  295. 
Glogau,  140. 
Glossaires,  11. 
Gneisenau,  325. 

Goethe  (Jean-Wolfgang),  114,  144, 
146,  180,  185,  198,  202,  207,  208, 
209,  210,  211,  212,  218,  218,  220, 
229,  230,  232,  239,  240,  250,  254, 
256-309,  310,  315,  317,  321,  329, 


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470 


INDEX 


331.  332,  336,  330,  348,  349,  350, 
355,  362,  364,  365,  372,  379,  380, 
385,  400,  410,  423,  428. 
Gœihe.  Achilleide,  286. 

—  AffiniiéB  électives^  289-292. 

—  A  mine f  255. 

—  Annoncée  savantes  de  Francfort, 

257. 

—  Architecture  gothique,  257. 

—  Art  et  antiquité,  295. 

—  Jiallades,  287-288. 

—  Citoffen  général  {le),  219. 

—  Clai'ijo,  266,  268. 

—  Dit^an,  292,  294. 

—  Drames,  266. 

~  Egmont,  269-270,  276,  280,  300, 
308,  445. 

—  Elégie  de  Marienbad,  295. 

—  Elégies  romaines,  276-277. 

—  Elégies,  second  livre,  288-289. 

—  Epigrammes     vénitiennes,     277- 

278. 

—  Faiffi,  269, 295-305, 318, 364, 398. 

—  Fiction  et  vérité,  292. 

—  Fille  naturelle.  279. 

—  Ganymède,  267. 

—  Gastz,    257-260,    270,    304,    310, 

329,  333. 

—  Grand  Cophte,  278. 

—  Uermann  et    Dorothée,  282-286, 

307. 

—  Ilmenau,  271. 

—  Iphigénie,  271,  273-275. 

—  Utires  d:jtalie,  272-i>73. 

—  Lieds,  256. 

—  Mort  de  Miedingj  271. 

—  Pandora,  289. 

—  Poésies   se    rapprochant    de    la 

forme  antique,  277. 

—  Postillon  Kronos,  267. 

—  Prométhée,  203,  266,  267,  315. 

—  Reineke  Fuchs,  280. 

—  Révoltés,  278. 

—  Stella,  266,  268,451. 

—  Tasse,  271,  275-276,  300,  329. 

—  Tous  coupables,  255. 

—  Voyageur  {le),  267. 

—  WeHher,  260-265,  304,  307,  315, 

316,  333. 

—  Wilhelm  Meister,  première  par- 
tie, 144,  146,  219,  271,  279-282, 
300,  318,  329,  334,  335,  351. 

—  —  seconde    partie,  293-294. 

—  Xénies,  287,  329. 
Goettingue  (noètea  de),  220-229. 
Gœtz  de  Benichingcn,  125. 


Goeze    (Jean-Melchior),    198,    199, 

203. 
Goldemar,  64. 
Goldsmith,  209,  256,  264. 
Goliards,  25. 
Gomberrille,  151. 
GOrres,  338,  339. 
Gota,  2,3,4. 
Gotter  (Frédéric-GniUaame;  1746- 

1797),  220,  310. 
Gotifried  de  Neifcn,  54,  96. 
Gottfried  de  Strasbourg,  31,35-37, 

40,  44,  51,  350. 
Gotthelf  (Jérémie),   de    son    Trai 

nom  Albert  Bitzius,  410-411. 
Gottschall    (Rodolphe    de;     1823- 

1909),  406. 
GotUched  (Jean-Christophe),    144, 

161,  163-165,  169,  170,  172,  173. 

188,  203,  286,  312. 
Gottsched  (M**],  Lonise-Adelgonde- 

Victoire,  née  Knlmus,  164. 
Gôtz  (Jean-Nicolas  ;  1721-1781),  174. 
Goudimel,  132. 
Grabbe   (Christian-Dietrich),   343- 

344. 
Gramsberger,  141. 
(ira tins  (Ortwin),  111. 
Grégoire  de  Tours,  9,  358. 
Gregorovius     (Ferdinand  ;      1821- 

1891),  459-460. 
Grcif,  395,  414. 
Greifenberg  (Catherine- Reine  de; 

1633-1694),  135. 
Grillparzer,  306,  330,  343,  356-362, 
370. 

—  Aieule  (1817),  357. 

—  Discorde,  360. 

—  Esther,  361. 

—  Juive,  361. 

—  Libussa,^%\. 

—  Malheur  à  qui  ment  (1878),  358. 

—  Ottocar  (1825),  360. 

—  liéve  {le)  une  vie  (1834),  357. 

—  Sapho  (1818),  358. 

—  Serviteur  {U)  fidèle  (1828),  360. 

—  roiso»  (1822),  359. 

—  Vagues  de  la  mer  et  de  tamour 
(1831),  359. 

Grimm  (les  frères),  336,  456. 
Grimmelshausen       (Jean-Jac<iues- 

Christophe  de),  153-157,  165. 
Grisebach    (Edouard;    1845-1906), 

414. 
Grobian  (saint),  88,   103. 
Grosse,  394-395. 


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INDEX 


471 


Uroth  (Klaus;  1810-1890),  413. 

Grotius,  135. 

GrQn  (AnastasiuB),  363,  364. 

GrTphius,  140442,  U5,  172. 

Guairun  (poème  de),  64-66,  85. 

Gneinz  (Uhristiaii;  1592-1650),  138. 

Guerre  de  la  Waribour^^  41. 

Guillaume  d'Autriche,  101. 

Gaillanme  de  Hirschau,  23. 

Gmllanme  II,  empereur  d'Alle- 
magne, 463. 

Gmllanme  IV  de  Soxe-Weimar,  134. 

Gunther  de  Bamberg,  23. 

GOnther  (Jean-Christian),  162, 163. 

Gusman  d'Al/arac/ie^  152. 

Gntenburg  (Ulrich  de),  50. 

Gutakow,  371,  380,  381,  382-384, 
408. 

Gnyan,  462. 

Gnyon  (M"),  316. 


HacklUnder   (FrédérioGuillaume), 

409. 
Hadamar  de  Laber,  90. 
Hadloub,  57. 
Hagedorn  (Frédéric  de),  IGô,  167, 

170,  173,  Ibl. 
Hagen  (le  greffier  GoUfried),  47. 
Hohn  (Jean-Frédéric),  221,  222. 
Hahn-Hohn  (Ida   comtesse;   1803- 

1879),  386. 
Haiden  (Grégoire),  89. 
Halbe  (Max;  né  en  1865),  45'é. 
Halbsnter,  97. 
HaUe,  138,  146,  159,  173,  174,  177, 

337. 
naller   (Albert  de),    165,  167-169, 

310. 
Halm  (Frédéric,  de  son  vrai  nom 

François-Joseph,       baron       de 

Manch-Bellinghausen),  362. 
Hamann  (Jean-Georges),  207,  208, 

213,  214,  215. 
Hambourg,  138,  166,  167,  193, 198, 

222. 
Hamerling.  369. 

—  .:lAa«i/«r  (1866),  369. 

—  Roi  de  Sion  nS69),  369. 
Hamlet,  282,  388. 
Hammer,  292. 

Hango  (Hermann;  n<^en  1861),  433. 
Happel  (Eberhard-Guerner  ;    1648- 
1695),  152. 


Hardenberg,  voir  Novalis. 

Hâring,  voir  Alexis. 

HarsdOrfcr  (Georges- Philippe  de; 

1607-1  «58),  135,  138-139. 
Hart  (Henri;  1855-1906),  427,  428. 
Hart  (Jules  ;  né  en  1859),  427. 
Hartleben  (Otto-Erich,  1864-1905). 

455. 
Hartmann  d'Aue,  33-35,  41,  44,  54. 
Hartmann    (Edouard    de  ;     1842- 

1908),  461. 
Hartmann  (le  pauvre),  2.*i. 
Hartmann  (Maurice),  367-368. 
Hauff,  354-355, 407. 
Hauptmann  (Charles  ;  né  en  1858), 

Hauptmann    (Gerhart),    428,  429, 

Uaupi-  und  Siaatêactionen,  165. 
Hausser  (Louis;  1818-1867),  459. 
Hebbel,  68,  344,  400-404,  442. 
Hebel     (Jean-Pierre),      1760-1826, 

412-413. 
Hegel    (Georges-Guillaume-Frédé- 
ric; 1770-1831),  365.  461. 
Heiberg  (Hermann;  né  en  1840), 

436. 
Heidelberg  (cercle  de),  134. 
Heine  (Henri),  316,  331,  337,  343, 

349,  365,  368,  371,  373-379,  380, 

382,  385,  398,  414. 
Heinse   (Jean-Jacques-Guillaume), 

207,  210,  229,  315,  334. 
Heinsius,  135,  136. 
Heinzelin  de  Constance,  90. 
Ileliand,  12-15. 
Ileldensagc,  3. 
Helmbrecht,  45. 

Henckell  (Charles  ;  né  en  1864),  432. 
Henno,  106    127. 
Henri  d^Altmacr,  91. 
Henri  de  Bavière  (duc),  17. 
Henri  de  Freiberg,  42. 
Henri  de  Krolewitx,  47. 
Henri  de  Mdlk,  25,  47. 
Henri  de  Morungen,  50,  96. 
Henri  de  MUgeln,  94. 
Henri  de  Nônllingen,  103. 
Henri  de  Rugge,  50. 
Henri  de  Yerdeke,  28,  31,  32,  54. 
Henri^ules   de    Brunswick-LUne- 

bourg,  130. 
Henri  le  Glichezàre,  30. 
Henri  von  dem  Tttrlin,  41. 
Ilcracliu»  (1*),  32. 
Ilerbort  de  Fritzlar,  32. 


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472 


INDEX 


Herder  (Jean-GoUfried),  114,  115, 

174,  175,  176,  178,  179,  205,  207, 

208,  209,  210,  211,   212,  213-219, 

225,  228,  229,  256,  257,  264,  281, 

313,  320,  321,  322,  332,  338. 
Herser,  59. 
Heriger,  18. 
Hermann,  landgraye  de  Tharin^, 

28,  42. 
Hermann  (poèmes  snr),  117, 172, 

179,  181,313,  346. 
Hermann  (Nicolas),  118. 
Hermès     (Jean-Timothée  ;      1738- 

1821),  315^16. 
Herrant  de  Wildonie,  45. 
Herwegh,  388,  389,  461. 
Heri  (Henriette),  328. 
Herzlieb  (Minna),  289. 
Hevse,  383494,  414,  415,  427. 
mUebrani  {Chant  d*),  10. 
Hippel     (Théodore -Gottlieb     de; 

1741-1796),  316. 
Hippocrate,  234. 
Hirschfeld  (Georges;  né  en  1873), 

454. 
Hochstraten,  110. 
Hoffmann      (Auguste-Henri),      de 

Fallersleben,  387. 
Hoffmann  (Ernest-Théodore-Amé- 

dée),  837,340,  341-342. 
Hoffmann  (Hans),  416. 
Hofmannsàial  (Hugo   de  ;    né   en 

1874),  455. 
Hofmannswaldan  (Christian  Hof- 

man  de),  143-144,  157. 
Hogarth,  212. 
Hofi>erff,  164. 
HOlderhn  (Jean-Christophe-Prédé- 

ric),  315. 
Holmsen,  428. 

Holtei  (Charles  de;  1798-1880),  412, 
HoltY      (Lonis-Henri-Christophe) , 

207,  221,  222,  224-225,  379. 
HoU  (Amo;  né  en  1863),  428. 
Homère,  164,  166,  176,  193,    208, 

215,  223,  256,  263,  273,  286. 
Hopfen  (Hans),  415. 
Horace,  106,    136,    167,    173,  176, 

177,  188,  193,  217,  349. 
Honwald  (Ernest  de),  343. 
Hrotsvith     de    Gandersheim,    18, 

107,  127. 
Huber  (Ferdinand-Louis),  279. 
Huch  (Ricarda;  née  en  1867),  437. 
Hago  de  Montfort,  94. 
Hugo  de  Trimberg,  61-62. 


Hugo  (Victor),  387. 
Hugues  de  Puiset,  30. 
Humanisme,  105-109. 
Humboldt    (Alexandre  de;    1769- 

1859),  457. 
Humboldt    (Guillaume   de),    225, 

321,  322,  457. 
Hume,  208. 
Huns,  4. 
Hutten  (Ulrich  de),  110,  111,  117, 

213,  419. 
Huysmans,  430. 


Ibsen,  427,  446,  447. 

léna,  173,  177,  239,  251,  310. 

Iffland  (Auguste-Gruillanme  ;  1759- 

1814),  311,  333. 
Immermann      (Gharles-Lebrecht), 

337,  35(K351. 
Innocent  III,  52. 
Iselin  (Isaac),  312. 
hengrimuMy  30. 
Isidore  de  SéyiUe,  11. 
Italie,  105,  186,  196,  271-273,   276- 

277,  330,  349,  392. 


Jacobi    (Frédéric),  203,  207,   211, 

231. 
Jacobi  (Jean-Georges;   1740-1814), 

174,  207. 
Jacobowski  (Louis;  1868-1900), 432. 
Jacques  de  Cessole,  92. 
Jansen  Enikel,  47. 
Jardin  de»  Roteê,  64. 
Jean-Baptiste  (poème  sur),  24. 
Jean-Paul  Richter,   219,    317419, 

328,  334,  382,  410. 
Jensen  (Guillaume;  né  en  1837), 

436. 
Jérusalem,  260. 
Jeuœ  de  CarnaptU^  99-100. 
Jeux  de  la  Paation,  98, 128. 
Jeux  de  Pdquet,  98,  128. 
Jeux  de  saiatetf  99. 
Jeu  des  ProphèUê^  97. 
Jeu  des  Vierges  sages  et  des  Vierges 

folles,  98. 
Johansdorf  (Albert  de),  50, 
Jongleurs,   17,  24,  26,  27,37,64, 

67,  86. 


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INDRX 


473 


Jordan,  398. 
Jordanis,  7. 
Joseph  II,  313,  363. 
Judith  (poème  tur),  24. 
Jang^StiUing     (Jean-Henri),     207, 

JuUa,'  99. 


Kadelborg  (Gustave;  né  en  1851), 

423. 
Kaldenbach  (Christophe),  138. 
Kant  (Bmmanoel),    159,  205,  214, 

239.  294,  308-310. 
Kantsow,  125. 
Kansler,  59. 
Kftstner  (Abraham-Gotthelf  :  1719* 

1800),  170,  211,  220. 
Keller    (Gottfried),    414,    417418, 

427,  437,  461. 
Kerner  (Justin),  353. 
Kestner,  260-261. 
Kinkel,  389. 

Kirchmair  (Thomas),  128. 
Klaj  (Jean),  135. 
Kleist  (Ewald   de),  165,   176,  176, 

189, 190. 
Kleist  (Henri  de),   142,   319,   323. 
324,  337,  344-348,  423,  442. 

—  Bataille  éPHermann  (publiée  par 

Tieck  en  1821),  346. 

—  Catherine  de  ffeilbronn  (1810), 
345. 

~  Cruche  ca$$ée  (1808),  345. 

—  Famille    Schrofenêtein   (1803), 

345. 

—  Germania  à  iet  enfante  (1813), 

324. 

—  youpelhe  (1810-1811),  344. 

—  PenthéêiUe  (1808),  345. 

—  Prince  de  Uombourg^oxïhlik  par 
Tieck  en  1821),  346. 

Kleitenherg  (M***  Suzanne-Cathe- 
rine de),  256,  282. 

Klinger(Frédéric-MazimiHen),  206, 
209,  209,  210,211,  212,  213,  225, 
229,  230,  232,  333. 

Klop8tock(Frédério-GotUieb),  114, 
166,  174,  177-188,  188,  190,  206, 
207,212,  213,  220,  221,  222,  293, 
228,  229,  232,  264,  312,  313,  321. 

Klotz  (Christian-Adolphe;  1788- 
1771),  196,  203,  215. 

Knanst  (Henri),  118. 


K5nig  (Henri),  407. 

K6nig     (Jean-Ulrich     de;     1688- 

174'i),  160. 
Kœnigsberg,  138,  207«  244,  310. 
KOrner  (Gottfried),  114,  237,  311, 

327. 
KOrner  (Théodore),  325-827, 843. 
Kortum    (Charles- Arnold  ;    1745- 

1824),  815. 
Kotzebne  (Auguste  de;  1761-1819), 

311,  329,  333. 
Kretschman     (Charles- Frédéric  ; 

1738-1809),  313. 
KreUer  (Max;  né  en  1854),  436. 
Krttger  (Barthélémy),  126. 
Kugler  (François),  391 
Kflhne  (Gustave;  1806-1888),  371, 

880. 
Karenberg,  48. 

Knn  (Isolde;  née  en  1858),  437. 
Kurubold   (Kuno,  comte   de  Nie- 

derlahngau),  17. 
K7oi,41. 


La  Bruyère,  169,  243. 

La  Galprenède,  151. 

La  Fare,  167. 

La  Fontaine,  167,  190. 

Lafontaine    (Auguste;   1758-1831), 

219,  316. 
Lamartine,  354. 
Lamprecht  (Charles  ;  né  en  1866), 

460. 
Lamprecht  de  Ratisbonne,  47. 
Lamprecht  (le  clerc),  27,  30. 
Lange(Samuel-Gotthold;1711-1781), 

174,  188,  203. 
Lanifrit  ci  Cobbo,  18. 
lAxnzelet  (vers  1195),  41. 
La  Roche  (les),  184. 
La  Roche  (Maximilienne  de),  268, 
La  Rochefoucauld,  462. 
L*Arronge   (Adolphe;   1838-1908), 

424,  427. 
Lassalle,  408. 

Laube,  371,  380,  381,  382,  384-386. 
Lauremberg  (Jean;  1590-1658),  160, 
Laurin,  64. 
Lavater  (Jean-Gaspard),  207,  208, 

231,  2b6. 
LaeariUe  de  TormeSy  162. 
Leibnis   (Gottfried-Guillaume  de), 

116,  158-159,  294. 


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474 


INDEX 


Leipzig.  158,  163,  165,  170,  171, 
173,  177,  188,  189,  222,  237,  256. 

Leisewitz  (Jean- Antoine),  207,  211, 
222,  225,  232. 

Lenau,  364-367. 

—  Albigeoia  (1842),  365. 

—  Don  Juan  (publié  par  GrOn  en 

1851),  366. 

—  /'acr«<(1836),  364. 

^  Poé9U$  (1832  et  1838),  366. 
— -  SavonaroU  (1837),  365. 
Lengefeld  (Charlotte  de),  239,  240. 
Lenz   (Jacques-Michel),    1751-1792. 

207,  209,  210,  211,  212,  230,  265, 

275. 
Léopold  de  Brunswick,  277. 
Lessing    (Gotthold-Ephraîm),    48, 

139,  169,  174.  175,  182,  183,  lg7- 

206,  206,  207,  208,  209»  210,  215, 

254,  310,  320. 

—  Antir<ioete,\^Z, 

—  Dramaturgie  de  Hambourg^  193. 

—  Education    du    genre    humain, 

202. 

—  Emilie  Galotti,  196,  445. 

—  Erneêt  et  Falk,  202. 

—  Fables,  190. 

—  Fragmenta  d'un  anonyme,  198. 

—  Laocoon,  192. 

—  Lettres  archéologique»,  196. 

—  Lettres    sur    la    littérature    du 

jour,  190. 

—  Minna  de  Barnhelm,  191. 

—  Mias  Sara  Sampson,  188. 

—  Nathan  le  Sage,  198. 

—  Philotas,  189,  442. 
Leuthold,  395. 

Leyezow  ^Ulrigue  de),  295. 
Levin,  voir  Uanel. 
Lewald(Fannv;  1811-1889).  386. 
Lichtenberg  (Georges-Christophe; 

1742-1799),  165,  212. 
Litchtwer  (Magnus-Gottfried  ;  1719- 

1783),  170,  172. 
Lienhard  (Frite;  né  en  1865),  432. 
Liliencron,  'i33-435. 
Lillo,  189. 

Lindau  (Paul;  né  en  1839),  423,  427. 
Lindau  (Rodolphe),  416. 
Lingg,  395. 
Liscow    (Christian -Louis  ;    1701- 

1760),  165,  170. 
Lloyd,  312. 
Lobwasser,  132. 
Loewenberg  (Jacques  ;  né  en  1856), 

432. 


Logau    (Frédéric    de;    1604-1655), 

132,  138,  169. 
Lohengrin,  42. 
Lohenstoin    (Daniel  -  Gaspard  de), 

143,  144,  152,  156,  157,  160,  161, 

162,  163,  169. 
Longin,  170. 
Lope  de  Vega,  362. 
Lorm  (Hieronymus),  369. 
Lotze  (Hermann;  1817-1880),  463. 
Louis  d*Anhalt,  134. 
Louis  I  de  Bavière,  386. 
Louis  III,  15. 
Louis  XIV,  132.  161,  163. 
Louise  (la  reine)  de  Prusse,  281, 

324. 
Lubliner  (Hugo;  né  en  1846),  424, 

427. 
Lucien,  184. 
Ludwig  (Otto),  404-406. 
Luther  (Martin;    1483-1546),    109- 

127,  222,  258. 
Lutwin,  47. 
Lateow,  326. 
Lux  (Adam),  283. 

M 

Afaguelonne,  126. 
Makart  (Hans),  369. 
Malherbe,  137.  • 
Mallet,  179,  180. 
Manuel  (Nicolas),  129. 
Manzoni,  296. 
Marcien  CepeUa,  22. 
Marie  de  Bourgogne,  91. 
Marguerite  de  Vandemont,  100. 
Marguerite  Ebner,  103. 
Marino,  143,   161. 
Marivaux,  195. 
Mario  we,  127. 
Marner  (le),  59. 
Marnix,   123-124. 
Marot,  132. 
Martensen,  365. 
Martial,  277,  278,  286. 
Martin  de  Cochem,  149. 
Massmann  (Haus-Ferdinand),  371. 
Mathieu  (Kvangile  de),  11. 
Mathilde  d*Autriche,  106. 
Matthisson  (Frédéric  de),  314. 
Maupassant,  420. 
Maurice  de  Craon,  27,  32. 
Maurice  de  Hesse,  130. 
Mauvillon  et  Unzer,  207. 


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IXOBX 


475 


Maxence,  4. 
Maximilienl(emperear;  1459-1619), 

90. 
Mayêr  (Charlei  ;  1786-1870),  853. 
Mauîni,  371. 
Meg«rley  voir  Abraham  a  Sancta 

Clara. 
Meier  Helmbrecht^  voir  ffelmbrecht, 
Meînloh  de  Sevehngen,  48. 
Meissner  (Alfred),  368. 
Meissner  (Auguste),  316. 
Meistergesang^  59,  193. 
Mélanchton,  114,  121. 
Melissus,  132. 

Meneka  (Jean-Bernhard),  162. 
MendeUsohn  (Moïse),  175,  190, 192, 

201,  S05,  206,  265,  331. 
Menzel(Wolfgang;  1798-1873),  381- 

382. 
Mercier,  210. 
Merck  (Jean-Henri:  1741-1791), 212, 

225,  266,  301  y  307. 
yfercure  allemand ^  165. 
Mercure  rhénan ^  339. 
Merker  (les),  50,  93. 
Mérimée,  420. 

Mersebourg  (formules  de),  1. 
Mcrswin  (Rulmau),  103. 
Metternich,  363,  371. 
MoU  (docteur),  256. 
Me^'cr    (Conrad -Ferdinand),    414, 

Miller  (Martin),  207,  221,  222,  224, 

316. 
Milton,  165,  166,  169,  177. 
Minnesang  (le),  21,  48^,  95. 
Miroir  det  Saxonê,  63. 
—  de$  Souabeêf  63. 
MoUère,  164,  195,  444. 
Mombert  (Alfred;  né  en  1872),  431. 
Mommsen   (Théodore;   1817-1902), 

458. 
Morhof  (Daniel-Georges;!  (•39-1601), 

161. 
Marike,  355,  400,  413. 
Moringer,  96. 
Moritz    (Charles  -  Philippe  ;     1 757- 

1793),  316. 
Moscherosch    (Jean-Afichel  ;    1601- 

1669),  153. 
Mesen,  396.  . 
Mosenthal    (Salomon;    1821-1877), 

362. 
Moser  (Frédéric-Charles  de),  313. 
Moser   (Gustave  de;  né  en  1825), 

424. 


MOser  (Albert),  433. 

Môser  (Juste),  312. 

Mozart,  341. 

Mttgge  (Théodore:  1806-1861),  407. 

Mtlller  (Adam),  323. 

Mûller    (Frédéric,    ou    le    peintre 

Mttller,  1749-1825),  207,  208,  213, 

229. 
Muller     (Gottwerth)     ou      Mttller 

d'IUehoe,  315. 
Maller  (Jean  de),  218,  312. 
Mttller  (Guillaume),  397. 
Mttller    (Wolfgang),    de     Kônigs- 

winter,  391. 
Mttllner  (Adolphe;  1774-1829),  343, 

357. 
Manch-Bellinghausen,  voir  Halm. 
Mttnchhausen  (BArries  baron   de; 

né  en  1874),  433. 
Mundt  (Théodore;  1808-1861),  371, 

380,  381,  382,  385. 
Munickois,  291-395. 
Murner  (Thomas),  116,  151, 
MusAus    (Jean -Cfharles- Auguste  ; 

1735-1787),  314. 
Muscatblttt,  94. 
Mtispilli,  12. 
Musset,  379. 
Mystiques,  102-104,  231, 


N 


Naogeorg,   128. 

Napoléon    I,    292,    306,   321,    323, 

32'^,  325,  339,  363,  379. 
Napoléon  III,  24'!. 
Nasus,  123. 
National  {lé),  380. 
Neander  (Joachim),  146. 
Neidhart  de  Reucnthal,  55-56,  59. 
Neidhart  Fuchs,  56,  89. 
Nestroy     (Jean-Nepomuk  ;    1802- 

1862),  356. 
Neuber  (M"*  Caroline),  164-165. 
Neukirch  (Benjamin;  161),  163. 
Neumark  (Georges),  1619-1681, 138. 
Nibelungen  (poème  des),  66^7,  300. 
Nicolai  (Christophe-Frédéric),  190, 

205,  212,  315,  329. 
Nicolay    (Louis-Henri     de  ;    1737- 

1820),  314. 
Nicolas  de  Wyl,  105. 
Niebuhr  (Borthold;  1770-1831),  457. 
Niembsch,  voir  Lennu. 


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476 


INDEX 


Nietzsche    (Frédéric;    1844-1900), 

462-463. 
Nissel   (Pr^ncois),  1831-1893,   362. 
NiTftrd,  80. 
Noeeê  de  MeUi,  89. 
Notlcer     Labeo     ou     Tentonieus, 

mort  en  1023,  22. 
NoTHlis,  380,  332,  334-335,  337. 
Normbe»,  119-121, 134,  138,  334. 
Nydhart  (Hans),  106. 


Octapien,  126. 

Odoacre,  6-7. 

Oehlensehlftger    (Adam  -  Gottlob  ; 

1779-18A0),  343. 
Olivier  (et  Roland),  28. 
Ompteda  (Georg^es  d'  ;  né  en  1863), 

OpiU  (Martin,  de  Boberfeld),  182, 
134-140,  142,  149,  150,  161. 

Orendel,  27. 

Ortnit,  64. 

Ossian,  179,  180,  216,  217,  232, 
256,  263,  264. 

Oswald,  27. 

Ogwald  de  Wolkenitein,  94. 

Otfrid  de  WisBembonrg,  13-16. 

Otte,  32. 

Ottocar  de  Styrie,  47. 

Otton  1,  17. 

Ovide,  32,  48,  272,  277. 


Palafoz,  324. 

PaUadio,  272. 

Paoli  (Betty),  368. 

Pappenheim,  133. 

Pans,  131,  215,  314,  321,  215,  824, 

337,  393. 
Pascal,  462. 
Panl  Diacre,  9,  10. 
Pauli  (Jean),  125. 
Panlsen   (Frédéric;   né   en    1846), 

463. 
Panmgartten  (Charlotte),  362. 
Peffnitx  (Bergers  de  la),  134. 
Peire  Vidal,  50-51. 
Percy,  208,  338. 

PerU  (Georges;  1795-1876),  469. 
Pestaloui,  322. 
Petit  Lucidarittif  62,  92. 


Pétrarque,  105,  328. 

Peuerbach,  106. 

Peutinger,  107. 

Pfeffel  (Gottlieb-Gonrad),  172. 

Pfefferkom  (Jean),  110,  111. 

Pfitier  Oe  médecin),  127. 

Pfizer  (Gustave;  1807-1890),  354. 

Pforr  (Antoine  de),  105. 

Phèdre  (le  faboliste),  190. 

Phidias,  273,  294. 

PhilheUénif  me,  229,  315,  339,  397. 

Philippe  de  Souabe,  52-53. 

Philippi  (FéUz;  né  en  1851),  44&. 

Piccolomini    (Enéas-Silvins),   105. 

Pichler,  370. 

Pîétistes,   146. 

PieUch  (Jean-Valentin;  1690-1733), 

161. 
Pilate,  24. 
Pindare,  286,  350. 
Pirkheimer  (WiUibald),  122. 
Platen,  307,  337,  349-350,  390,  391, 

394. 
Plattêr  (les),  125. 
Plante,  106,  230. 
Pleier  (le),  41. 
Plutarqoe,  232. 
Pogge,  105. 
Pofens  (Gnillaame  de;  1861-1903), 

436. 
Pope,  165,  166,  168,  174. 
Postel,  voir  Sealsfield. 
Prier,  187. 
Properce,  277. 
Provençaux,  48-51. 
Prudence,  9, 18. 
Prutz  (Robert;  1816-1872),  386. 
Pufendorf  (Samuel  de),  157. 
Paterich    (Jacques)   de   Reicherti- 

hausen,  105. 
Putlito  (Gustave  de),  391,  406. 
Pyra  (Emmanuel-Jacques),  165,174. 


Quevedo,  153. 
Quinault,  142. 


Raabe,  440,  415,  427. 
Raban  Maur,  13,  14. 
Rabelais,  122,  132. 
Rabener  (Gottlieb-Guîllaume),  165» 
170,  171,  174. 


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INDEX 


477 


Rabut,  123. 

Rachel  (Joaclûm;  1618-1660),  150- 

151. 
Racine,  164. 
RadeUky,  35G. 
Radowia,  327. 
Rabel  Levin,  381. 
Raimund  (Ferdinand;   1796-1836), 

356. 
Ramier  (Charlefl-Guillaume),  175- 

176,  220. 
Ranke  (Léopold  de;  1795-1886),  459. 
Ratinus,  lOG. 

Raiisbonne  (Burgrave  de),  48. 
Ratpert,  16. 
Raumer  (Frédéric  de;  1781-1873), 

459. 
Raupach  (Ernest -Benjamin -Salo- 

mon;  1784-1852),  3li4. 
Ravenne,  7. 
Kebhun  (Paul),  129. 
RedwiU  (Oscar  de),  390. 
Reg^nbogen  (Barthel),  59-60. 
Regiomontanus,  lOG. 
Regard,  164. 
Reicbenau,  11. 
ReimaruB  (Samuel),  108. 
Urineke  Vos,  91. 
Reinbot  de  Durn,  47. 
Reinhold  (Gbarles-Léonard),  310. 
Reinmar  le  Jeune  ou   de  Zweter 

(mort  après  1252),  54. 
Reinmar   le  Vieux,  de  Haguenau 

(mort  avant  1210),  51. 
Renan,  462. 
Repkowe,  63. 
Reîê  du  diabU  (les),  92. 
Reocblin  (Jean),  105,  106,  110-111, 

127. 
Reuter  (Christian;  1665-1710),  156. 
Renter  (Frite;  1810-1874),  412-413, 

427. 
Renter   ((vabrielle;  née  en   1859), 

438. 
Révolution  française,  180,  222,  224, 

278,  283-285.  314,  321-322,  339. 
Richardfon,  166,  188,  264,  315. 
Richter  (voir  Jean-Paul). 
Ringwaldt  (Barthélémy),  118,  121. 
Rist  (Jean),  184,  138,  139. 
Rittershaus  (Emile;  1837.1897),  393. 
Robertin  (Robert;  1600-1048),  138. 
Robespierre,  380. 
Robinsonades,  165. 
Rodenberg  (Jules  Lévy;  né  en  1831 
à  Rodenberg),  391. 


Rodolphe  de  Fenis,  comte  de  Neu- 

chfttel,  50. 
Rodolphe  d*Ems,  31,  44,  47. 
Roi  blanc  (le),  90. 
Roland,  4,  27,  28,  29,  30,  44. 
RoUenhagen  (Georges),  121. 
Roncevaux,  4. 
Ronsard,  136. 
Roquette,  390-391. 
Rosegger,  421,  436. 
Rosenplat,  100. 
Rossbach,  110. 
Rostand,  444. 
Rother  (le  roi),  27. 
Rousseau  (J..J),  195,210,  211,  216, 

232,  256,  264,  265,  316. 
Rackert  (Frédéric),  324,  337.  348. 
Rudlieb  (le),  21. 
Ruge  (Arnold),  461. 
Rumezland,  59. 
Rutilius,  272. 


S 


Saar    (Ferdinand   de;    1833-1906), 

437. 
Saehs(Hans),  119-121, 127, 129, 131, 

137,  266,  308. 
Sachsenheim  (Hermann  de),  90, 105. 
SaintrOaU,  11, 18,  22. 
Saint  Georges  (chant  de),  16. 
SainWust,  880. 
Saini-Réal,  239. 
Saint-Simonisme,  375,  380. 
Salis-Seewis    (Jean-Gaudeni    de), 

314. 
Salomon  et  Marolf,  27. 
Salomon  I  (évéque  de  Constance), 

14. 
Salomon  (poème  sur),  24. 
Salas  (Hugo  ;  né  en  1866),  433. 
Sand  (George),  380-381. 
Sapin  (Société  du  Grand),  134. 
Sarrasins,  4,  30. 
Sastrow,  125. 
Sancourt  (bataille  de),  15. 
Scaliger,  136. 
Scarron,  280,  314. 
Schack,  394. 
Scharnhorst,  325,  327. 
Schede,  132. 

Sehefer  (Léopold;  1784-1862),  348. 
Scheffel,  388-30e,  414,  427. 
Scheffler  (Jean),  149. 
Scheidt,  122. 


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478 


INDEX 


Sckelling  (Frédéric-0  uillaume-Jo- 
seph;  1775-1854),  329,  331. 

Schelmuffsky,  15&-157. 

Schenkendorf,  327. 

Scheksalstragodie,  342-343. 

Schtldbiirger  (les),  126. 

Schill,  325,  327. 

Schiller,  114,  166,  169,  174,  179, 
206,  207,  210,  2tl,  227,  230,  232- 
255,  279,  286,  287,  289,  295,  309, 
310,  314,  315,  317,  320,  321,  326, 
327,  329,  331,  332,  362,  385,  399, 
423. 

—  Anthologie,  240. 

—  Ballades,  241-242. 

—  Brigands,  231-234. 

—  Démétrius,  254. 

—  Don  Carlos,  287-238. 

—  Fiancée  de  Messine,  250-251. 

—  Fiesque,  234-235. 

—  Guitîaume  Tell,  251-264,  321. 

—  Histoire,  239. 

—  Intrigue  et  amour,  235-236. 

—  Marie  Stuart,  246-248. 

—  Philosophie   et   esthétique,   23U- 

240. 

—  Poésies,  240-241. 

—  Pucelle  d'Orléans,  248-250,  321. 

—  Wallenstein,  242-246,  321. 

—  Visionnaire,  316. 

—  Xénies,  287,  329. 
Schimmehnann,  239. 

Schlaf  (Jean;  né  en  1862),  428. 
SchWel  (Elie;  1719-1749),  140,165, 

172. 
Schlegel  (Frédéric),  215,  823,  328, 

329,  330,  331,  332-333,  336,  337, 

343. 
Schlegel  (Guillaume),  321, 323,  331- 

332,  336,  337,  343. 
Schleiermacher    (Frédéric-Emesi- 

Daniel),  322, 328, 335, 336,387,382. 
SchloBser  (Frédéric;  1776-1861  ),469. 
Schlôzer  (Angusta-Lonis),  312. 
Schnabel  (Jean-Gottfried),  165. 
Schneckenburger  (Max),  386. 
SchniUler  (Ar&ur  ;  né  en  1862),  456. 
SchOnaich-Carolath  (prince  Emile 

de;  1852-1908),  433. 
Schœnemann  (Lili),  268. 
Schônthan   (François   de;   né    en 

1849),  424. 
Schônthan  (Paul  de;  né  en  1853), 

424. 
Schopcnhnucp  (Arthur;  1788-1860), 

461,  462. 


Schollcl  (Jusle-Georges),  158. 

Schreyyogel  (Joseph;  1768-1832), 
356. 

Schrôder  (Frédéric-Louis;  1744- 
1816),  197,  310,311. 

Schubart  (Christian -Frédéric-Da- 
niel; 1739-1791),  185,  207.  208, 
224,  228. 

Schubin  (Ossip;  de  son  Trai  nom 
Lola  Kirschner,  née  en  1854),  438. 

Schdcking  (Lerin),  407. 

Schulze,  340. 

Schupp(Balthazar;  1610-1661),  114, 
151. 

Schwab  (Gustave;  1792-1850),  354. 

Schvvartz  Erla,  214. 

Schweinichen  (Hans  de;  1552-1616), 
125. 

Scott  (Walter),  407. 

Scribe,  385,  399. 

Scudérv  (M"*  de),  151. 

Scultetus  (André),  139. 

Sealsfield,  407. 

Sedaine,  279. 

Seidel  (Henri  ;  né  en  1842),  433. 

Seifried  Helbling^,  62. 

Sénèque  le  Tragique,  141. 

Seume  (Jean-Gottfried),  310. 

Shoftesbury,  18'i. 

Shakespeare,  131,  140,  165,  109, 
185,195,  196,  208,  209,  217,  218, 
232,  256,  257,  279,  282,  306,  310, 
328,  331,  336,  362,  404,  452. 

Sidoine  (Apollinaire),  9. 

Siegfried  (Walter;  né  en  1858),  436. 

Sigenot,  64. 

Silésie  (école  de),  138. 

—  (seconde  école  de),  142. 

Simrock,  397-398. 

Sociétés  pour  la  réforme  de  la 
langue,  134-135.       . 

Somme  de  théologie,  23. 

Sophie  (de  Kahn),  fiancée  de  No- 
Talis,  335. 

Spalatin,  112. 

Spee  (Frédéric  de),  147-149. 

Spener  (Philippe-Jacques),  146. 

Spengler  (Lasarus;  1479^1534),  118. 

Speratus  (Paul;  ou  de  Spreitea, 
1484-1554),  118. 

Spervogel,  59. 

Spielhagen,  408-409,  415,  427. 

Spies  (Jean),  126. 

Spiess  (Christian-Henri),  316. 

Spindler  (Charles;  1796-1855),  417. 

Spinoza,  267,  294,  335. 


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INDEX 


479 


Suce,  43,  169. 

Stadion  (comte),  184,  186. 

Staël  (M-*  de),  337,  358. 

Steele,  165. 

Stein  (baron  de),  325. 

Stein  (Charlotte  de),  270,  271,  273, 

276. 
Steinhdwel  (Henri),  106. 
Steinmar,  56. 
Stendhal,  187,  462. 
Sterne,  18â,  209,  315,  319,  333. 
StiegliU  (Charlotte),  381. 
Stifter,  370. 

Stinde  (Jnlei),  1841-1905,  &15. 
Stolberg  {JA^  Augnste  de),  268. 
Stolberg  (Christian  de),  207,  221, 

Stolbêrg  (Frédéric  de},    207,  208, 

213,  215,  221,  222,  ^824,  228, 

301 
Ston^,  400-410,  414,  415,  427,  431. 
Strachwitz,  390. 
Strasbourg,  93,  103,  104,  105, 107, 

134,  213,  215,  230,  256,  257,  327. 
Slranss  (David;  1808-1874),  461. 
Stricker  (le),  44-45. 
Sturm  (Jacques),  105. 
Sturm  (Jnles;  1816-1896),  393. 
Sturm  und  Drajig,  205,  206-231. 
Sachenwirt  (Pierre),  92-93. 
Sndermann  (Hermann),  429,  436, 

438-444. 
Sne  (Eugène),  384. 
Suétone,  18. 
Suhier  (Jean-Georges;  1720-1779), 

Suso  ou  Henri  Seuse,  102-103. 
Snttner  (Bertha  de;  née  en  1843), 

438. 
Swift,  166,  301. 
Sybel (Henri  de;  1817-1895),  460. 


Tacite,  1,  312. 

Taine,  462. 

Tannhftuser,  56,  90,  96. 

Tatien,  11,  13. 

Tauensien,  191. 

Tauler  (Jean),  102-103. 

Tajlor  ((jeorges  ;  de  son  vrai  nom 

Adolphe  Hausrath,  né  en  1837), 

415. 
Teichner  (Henri  le),  92. 
Tempelhof,  312. 


Térence,  18,  106,  107,  128. 

Teuerdankf  90. 

TeufellUeratur,  127. 

Théocrite,  176,  267,  349. 

Théodomir,  6. 

Théodoiîc,  4,  6. 

Théologie  germanique,  103. 

Théophile^  99. 

Thiers,  386. 

Thomas  de  Bretagne,  35. 

Thomasin  de  Zirclaere,  60. 

Thomasîus,  158. 

Thomson,  165,  166, 168,  175. 

Thou  (de),  135. 

Thflmmel    (Maurice-Auguste    de), 

314. 
TibuUe,  277. 
Tieck,  328,  330,  333-334,  337,  340, 

343. 
Tiedge  (Christophe-Auguste),  314. 
Timée,  46. 

Titz  (Jean-Pierre),  ou  Titius,  138. 
Tourgueniev,  427. 
Tovote  (Heini;  né  en  1864),  436. 
Traeger  (Albert),  SUS. 
TreiUchke   (Henri  de;  1834-1896), 

460. 
Treizsaurvvein  (Marx),  90. 
Trescho,  214. 
Tressan,  218. 
Tscherning  (André),  138. 
Tschudi  (Aegidius,  1505-1572),  124, 

253. 
Tunçdalusy  24. 

Tnring  de  Ringoltingen,  101. 
Tyrtée,  134,  309,  323. 


U 

Uhland  (Louis),  362-3S3.  396,  413. 
Ulenhart,  152. 
Ulfilas,  8. 

Ulrich  d'Eschenbach,  42. 
Ulrich  de  Liechtenstein,  57-59. 
Ulrich  de  Ribeauvillé,  88. 
Ulrich  de  Ttlrheim,  41,  42. 
Ulrich  de  Winterstetten,  54. 
Ulrich  de  ZaUikoven,  41. 
Ulrich  von  dem  Turlin,  41. 
Universités,  106. 
Urfé  (d'),  161. 

U8ten(Jean-Martb;  1763-1827),412. 
Us   (Jean-Pierre),   1720-1796,   166, 
174. 


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480 


INDEX 


Vacants,  25,  37. 

Valdere,  3. 

Van  Eyck,  294. 

Varnhagen  d'Ense,  338,  330,  381. 

Veit  (Dorothée),  328,  881. 

Vcddeke  (Henn  de),  28,  31,  32,  54. 

Vertot,  239. 

Vida, 130. 

Vidsidh,  3. 

Viebig  (Glaro;  ou  M-*  Colin,  née 

en  1860),  438. 
Vierordt  (Henri;  né  en  1855),  433. 
Vigny,  349. 

Virgile,  18,  106.  107,  168,  169. 
Virginal^  64. 

Vischer  (Frédéric-Théodore),  414. 
Vitruve,  272. 
Vogel  (Henriette),  347. 
VoJkibucher,  126. 
Voîkêlied,  94h97. 
Voltaire,  164,  184,  195,  209,  211, 

310. 
Vondel,  141-142. 
Voss  (Jean-Henri),  114,  207,   213, 

215,  220,  221,  222-223,  412. 
Vo88  (Richard),  416. 
Voyage  des  Viennois^  46. 
Vulfifa,  3. 

Valpiufl  (Christian-Auguste),   316. 
Vulpius  (Christiane),  273,  278,  289, 

295. 


W 

Wackenroder    (  Guillaume  -  Henri  ; 

1773-1798),  334. 
Wagner  (Henri-Léopold;  1747-1779), 

Wagner  (Richard),  349,  398,  461. 

Waits  (Georges;  1813-1886),  459. 

Waldis  (Burkard),  118,  129. 

Wallenstein,  133. 

WaUer,  167. 

Walthariuê  (le),  18-21. 

Walther  de  la  Vogelweide,  49,  50, 

M-53,  60,  62. 
Weber  (Veit),  97. 
Weckherlin     ((Georges  -  Rodolphe), 

134. 
Wedekind  (Frank  ;  né  en  1864),  455. 
Weimar,  134,  188,   183,  185,  218, 

238,  270,  273,  277,  279,  289,  328. 


Wehrs,  221. 
WeiMchwelg  (le),  46. 
Weise  (CSiristian),  155,  163. 
Weisse  (Christian-Félix),  206,  307. 
Wenceslas  II,  53. 

Werder  (Diederich  von  dem),  152. 
Werner  (Zacharie),  342,  343,  357. 
Wernicke  (Christian;  né  en  1661, 

mort  entre  1710  et  1720),  156, 161 , 

163. 
Wemher  d^Blmendorf,  25. 
Wernher  le  jardinier,  45. 
Wemher  (le  prêtre),  24. 
Wensobrunn  (prière  de),  11. 
WeUlar,  208,  293. 
Wichert  (Ernest;  1831-1902), 406. 
Wickram,  125, 129. 
Widmann  (Achille^ason),  126. 
Widmann  (Georges),  127. 
Wieland  (Christophe-Martin),  169, 

183-186,  191,  206,  207,  208,  221, 

222,  281,  301,  310,  313,  314,  329, 

340. 
Wienbarg  (Ludolphe:   1803-1872), 

371,380,382,385. 
Wijs^aloU  (vers  1205),  41,  101. 
Wigamur,  41. 

WiD>randt,  414,  426427,  4S6. 
Wildenbruch,  414,  426,  429,  436. 
Wille,  23. 
WiUem,  91. 

Willemer  (Marianne  de),  292. 
Williram,  23. 
Wimpheling   (Jaccpxes),    105,  107, 

Winckelmann  (Jean-Joachîm),  186- 

187,  192, 196,  210,  332. 
Winsbeke  (le),  60. 
Winsbekin  (la),  61. 
Wirnt  de  Gravenberg,  41,  43. 
Wisse  (Claus),  88. 
Wittenberg,  113,  119,  138,  188. 
Wittenberg  (journaliste),  185. 
Wittenweiler  (Henri),  89. 
Wodan,  2. 

Wolf  (Frédéric-Auguste),  286,  458. 
Wolf  (Jules;  né  en  1834),  414. 
Wolfdietrick,  64. 
Wolff  (Christian  de),  159,  169. 
Wolfram  d*Eschenbadi,  33,  87-41, 

54,  87,  88. 
Wood,  208. 
Wundt  (Cfuillaume;  né  en  1832), 

463. 


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INDBX 


481 


Tonng,  308. 


Z  a  G  h  a  r  i  ft    (Juste-  Frédéric  -  Guil- 
laume), 165,  172-173. 
Zalui  (Ernest;  né  en  1867),  436. 


Zedlitz  (Joseph-Christian  de),  368. 
Zesen  (Philippe  de;  1619-1680),  134, 

138-139,  152. 
Ziegler  (Henri-Anshelm  de),   144, 

152. 
Zinkgref  (Jules-Gruiilaume;    1591- 

1635),  134,  137. 
Zola,  427,  430. 

Zschokke  (Henri;  1771-1648),  816. 
Zurich,  167,  176, 182,  4l7. 
Zwingli,  115. 


LITTSIIATURI   ALLIMAKDS. 


31 


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TABLE 


CHAPITRE  I 

LES  PREMIERS  SIÈCLES 

Lm  Germaini.  —  La  yieille  poésie  germanique.  —  Les  Goto,  — 
Wnlfila.  —  La  Heldensage  ou  légende  héroïque.  —  Les  Burgondee  ou 
Nibelungen  et  BUel.  —  Sigurd  et  Branhild,  Gudrun  et  AtU.  >-  Dietrich 
de  Bem.  —  Théodoric  et  Attila 1 

CHAPITRE  II 

LE  IX*  SIÈCLE 

Les  Francs.  -^  Le  haut-allemand  et  le  bas-allemand.  —  Le  latin, 
langue  littéraire.  —  Renaissance  carolingienne.  —  Chant  d'Hildebrant.  — 
Traductions.  —  Prière  de  Wessobrunn.  —  Le  Muspilli.  —  La  Genèse.  — 
L'Heliand.  —  Le  lirre  des  Érangiles,  d*Otfrid  de  Wissembourg.  —  Chant 
de  Louis.  -—  Petits  poèmes 8 

CHAPITRE  III 

LE  X*  ET  LE  Xr  SIÈCLE 

Les  jongleurs  et  le  latin.  —  Hrotorith.  —  L'Ecbasis.  ~  Le  Waltha- 
rius.  —  Le  Rudlieb.  —  Les  traductions  de  Notkèr.  —  Williram.  —  Le 
clergé.  —  Le  Chant  d*Euo 17 

CHAPITRE  IV 

LE  Xlh  SIÈCLE 

La  poésie  ecclésiastique.  —  Henri  de  Molk.  —  Les  raganto.  — 
L*Archipoète.  —  Poèmes  d*aventures.  —  Influence  Trançaise.  —  Cour- 


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484  TAHLE 

toisie.  —  Traductions  des  livres  welches.  —  Le  moyen-haut-allemand 
et  la  langfue  littéraire.  —  Le  clerc  Conrad,  sa  Chronique  impériale  et  fton 
Roland.  —  Le  clerc  Lamprecht  et  son  Alexandre.  —  Henri  le  Gli- 
chesAre.  —  Comte  Rodolphe,  —  Eilhard.  —  Yeldeke  et  le  Romtm. 
d'Enéaa 24 


CHAPITRE  V 

LE  Xllh  SIÈCLE 

L^épopée  courtoise.  —  Hartmann  d'Aue.  —  Gottfried  de  Strasbourg*. 
—  Wolfram  d*Eschenbach.  —  Leurs  élèves.  —  Conrad  de  Wanbonrg. 
Rodolphe  d*Ems  et  le  Stricker.  —  Helmbrecht.  —  Le  voyage  des 
Viennois.  —  Le  Weinschwelg.  —  Poésie  ecclésiastique.  —  Chroniques 
rimées.  —  Le  Minnesang*.  —  Influence  française.  —  Haut  amour  et  bas 
amour.  —  Hausen.  —  Morungen  et  R«inmar  le  vieux.  —  Walther  de  la 
Vogelweide.  —  Neifen,  Winterstetten  et  Hohenfels.  —  Neidhart.  —  Le 
TannhAiiser.  —  Les  Suisses,  Steinmar,  Hadloub.  —  Maître  Alexandre. 
^  Ulrich  de  Liechtenstein.  —  Poésie  didactique.  -^  Heriger  et  Spar- 
vogel.  —  Le  Marner.  —  Frauenlob  et  Regenbogen.  — *  Le  Winsbek^  et 
la  Winsbekin.  — ^  Thomasin  de  Zirclaere.  —  Freidank.  —  Hugo  de 
Trimberg.  —  Satire  :  le  prétendu  Seifried  Helbling.  —  Sermon  :  David 
d^Augsbourg  et  Berthold  de  Ratisbonne.  —  Eike  de  Repkowe.  — 
L*épopée  populaire.  —  Gudrûn.  —  Les  Nibelungen 32 


CHAPITRB  VI 

LE  XIV  ET  LE  XV  SIÈCLES 

Décadence.  —  Saint  Grobian.  —  Remaniements  et  récits.  —  Contes 
plaisants.  —  Marolf;  le  Curé  du  Kalenberg;  Neidhart  Fuchs  ;  le  Cercle. 

—  Allégorie  :  Hadamar  ;  Cersne  ;  Sachsenheim  ;  Tempereur  Masumilien. 

—  Le  fabuliste  Boner.  —  Henri  d'Alkmaer;  Ammenhausen;  le 
Teichner;  Suchenwirt;  Beheim.  —  Lee  maîtres  chanteurs.  —  Montfort 
et  Wolkenstein.  —  Le  chant  populaire.  —  Le  drame.  —  Drame  latin. 

—  Drame  allemand.  —  Jeu  de  Pâques;  Jeu  de  la  Pasiion;  Jeu  de»  vierge* 
sages  et  folles;  Papesse  Jeanne.  —  Comédie.  —  Jeux  de  carnaval.  — 
Rosenblat  et  Fols.  —  Le  roman.  —  Traductions.  --  Historiographie^  — 
VEulenspiegeU  —  Ackermann.  —  Théologie  :  Eckart,  Suso,  Taoiert 
Henri  de  Nôrdlingen,  Merswin.  —  Geiler  de^Kaisersberg.  —  Huma- 
nisme. —  La  comtesse  Mathilde.  —  Nicolas  de  Wyl,  SteinhOwel, 
Arigo.  —  Albert  d'Eyb.  —  Uenno.  —  Les  Universités.  —  Celtis.  — 
Wimpheling.  —  Sébastien  Brant 88 


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TABLE  486 

CHAPITRE  VU 
LE  XVI*  SIÈCLE 

Erasme.  —  Reuchlin.  —  Les  Épitres  des  hommes  obscurs.  —  Luther. 

—  Humer.  —  Hatten.  —  Albems  et  Waldis.  —  Hans  Sachs.  —  Ring^ 
waldt  et  Rollenhagen.  —  Fischart.  —  Panli,  Widmann  et  Wickram,  —  Le 
docteur  Faust.  —  Le  drame.  —  Naogeorg.  —  Frischlin.  —  Manuel.  — 
Les  comédiens  anglais.  —  Henri-Jules  de  Brunswick.  —  Ayrer  .   .        109 

CHAPITRE  VIII 

LE  XVIi*  SIÈCLE 

La  guerre  de  Trente  Ans.  —  La  langue.  —  Sociétés.  —  Opitz.  — 
Fleming.  —  Les  Silésiens.  —  Gryphius.  —  Seconde  école  de  Silésie. 

—  Hofmannswaldau  et  Lohenstein.  —  Poètes  :  Gerhardt  et  Spe.  — 
Satiriques.  —  Romanciers  :  Moscherosch,  Grimmelshausen,  Weise, 
Reuter.  —  Sa^anU  :  Pufendorf,  Thomasius,  Leibniz,  WolfT.  _  L*Auf- 
U&rang 132 

CHAPITRE  IX 

LE  XVIII*  SIÈCLE 

Les  antisilésiens  et  Gunther.  —  Gottsc^ied.  —  Broches,  Hagedom, 
Ualler,  les  Suisses.  —  Le  journal  de  Brème.  —  Les  poètes  de  Halle. 

—  IQopstock.  —  Wieland.  —  Winckelmann.  —  Leasing.  —  Le  Sturm 
nnd  Drang  ou  la  période  d'orage.  —  Herder.  —  L'Union  de  Gœttingue. 

—  Les  gœthéens  ou  poètes  du  Rhin.  —  Les  mystiques.  —  Schiller.  — 
Gœthe.  —  Autour  de  Schiller  et  de  Gœthe.  —  Jean-Paul 160 

CHAPITRE  X 

LE  XIX*  SIÈCLE 

Le  mouTement  national.  —  Les  poètes  de  1818.  —  Les  romantiques.  — 
Autour  du  romantisme.  —  Henri  de  Kleist.  -^  Rttekert,  Platen,  Immer- 
mann.  —  Les  Souabes.  —  Les  Autrichiens.  —  Heine  et  la  Jeune 
Allemagne.  —  La  poésie  politique.  —  Les  néo-romantiques.  —  Les 
Munichois.  —  Écriyains  de  tous  pays.  —  De  1870  à  1885.  —  De  1885  à 
nos  jours 320 


141-09.  —  Coulommieni.  Imp.  Paol  BRODARD.  —  5-0*. 


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