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I
I
Littérature allemande
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LIBRAIRIE ARMAND COLIN
Histoires oes Littératures
Chaque volume in-8*écu : relié toile, 6 fr. 50; — broché, 5 francs.
Idtlérature italienne^ par Hbnri Hauvbttb.
Littérature espagnole, par James Fitzhaurice-Kelly
(traduaion Henry-D. Davray).
Littérature anglaise, par Edmund Gosse
(traduction Henry-D. Davray).
Littérature allemande, par Arthur Chuqubt.
Littérature Japonaise, par William George Aston
(traduction Henry-D. Davray).
Littérature russe, par K. Wauszbwski.
Littérature arabe, par Clément Huart.
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HISTOIRES DES LITTÉRATURES
Littérature
allemande
PAR
ARTHUR ^£HUQUET
Membre de Tlnstitut
Professeur au Collège de France.
Librairie Armand Colin
Paris, 5, rue de Mézières
1909
DrviU M r«pro4Deli«« ft de tn4MliM riterrét poar toM pays.
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PnbUtbed Jane sVaioelMa hudMd and ntne.
PrlTlIegn of Copyrif kt in the Unttod Stntet retcrred,
ttnder tlie Aet approved Mareh, S. iflOB,
by Nu Leelere and R. BMit»ll«r. propHêlon ef libnlriè Armand GoHn.
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AVERTISSEMENT
L'auteur sait ce que son livre a d'imparfait. Pour-
tant, — et bien qu'on ne puisse, en si peu de pages,
traiter un si vaste sujet, — ce tableau court et clair
ne sera pas, croyons-nous, inutile. Nos compatriotes
y trouveront, non des détails biographiques et des
citations qu'il a fallu sacrifier, mais des analyses,
des jugements, des portraits, et la suite du dévelop-
pement littéraire de TAIIemagne depuis les premiers
siècles jusqu'à l'heure présente.
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2h / ii^- •
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LITTÉRATURE ALLEMANDE
CHAPITRE I
LES PRBHIBR8 SIÈCLES
Les Germains. — La vieille poésie germanique. — Les Gots. ^-
Vttlfila. — La Heldensage on légende héroîqae. ^ Les Bnrgondes on
Nibelnngen et Etzel. — Sigurd et BrttnhUd, Gudran et AUi. — Dietrieh
de Bem. — Théodoric et Attila.
LeB Germaios — tel est le nom, celtique sans doute,
que les Romains donnèrent aux tribus répandues entre le
Rhin, le Danube et la Yistule — avaient depuis long-
temps une littérature lorsqu'en 98 Tacite traça dans sa
Germanie une esquisse de leurs mœurs. L'historien latin
assure qu'ils glorifiaient leurs dieux et célébraient leurs
héros, notamment Arminius, le vainqueur de Varus. Des
témoignages postérieurs nous apprennent qu'ils chan-
taient dans les circonstances les plus importantes, aux
funérailles, aux noces^ aux fêtes et aux cérémonies reli-
gieuses. Ils avaient des proverbes, des énigmes, des devi-
nettes en vers ainsi que des incantations, des formules
magiques comme celles dites de Mersebourg, trans-
crites au x' siècle. Tune qjai montre Wodan, le dieu tout-
UTTÉBATUM AUbBMAXOR. 1
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2 LITTBBATURB ALLEMANDE
puissant guérissant l'entorse de son cheval et réussissant
là où les déesses ont écbbué, l'autre qui dépeint des
femmes divines, les idisif semblables aux Valkyries nor-
roises^ enchaînant les prisonniers faits^à^ l'ennemi et, par
le prestige de leur chant, arrêtant Télan de Tadversairc
ou bien délivrant les captifs de leur parti.
Ces chants étaient composés en longs vers allitéranls.
Chaque vers comprenait deux moitiés distinctes, et dans
la première moitié deux syllabes accentuées, ou même une
seule, devaient allitérer avec la première syllabe accen-
tuée de la seconde moitié.
Feraheê frâtôro her frâgên giatuont
« Le plas sage d'esprit, il se mit à demander. »
Et de l'allitération venaient les caractères marquants de
cette vieille poésie germanique. Elle variait l'expression ;
elle répétait la même idée sous deux ou trois formes dif-
férentes; elle donnait dans une même phrase divers noms
à un même personnage; elle prodiguait les synonymes,
les appositions, les périphrases; elle usait de formules et
de locutions toutes faites : de là, dans le style, non pas
une allure égale et calme, mais quelque chose de sautil-
lant et de saccadé. lt\r^'^ ^*t* !
Le mouvement qu^on a nommé l'invasion des barbares
ou la migration des peuples eut une considérable influence
sur la littérature des Germains. Les Gots qui s'ébrule-
rent les premiers. Ostrogots et Wisigots, étaient peut-
être les plus intelligents, les plus souples des envahis-
seurs. Ils embrassèrent aussitôt l'arianisme. Même soumis
par les Huns, ils imposèrent leurs coutumes aux vain-
queurs. Tout était gotique à la cour d'Attila; gotique, la
langue qu'on parlait; gotique, le nom d'Attila qui signifie
c( petit père ». Les Gots avaient des chants sur les grands
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LES PRBMIEJIS SIBCLES 3
événements de leur histoire, et «n soir, dans le palais
d'Attila, à la fin du repas, lorsque deux Gots chantèrent
les victoires du conquérant, les auditeurs ne purent con-
tenir leur émotion; les uns, jeunes, ardents, frémissaient
d'enthoasiasme au souvenir de leurs combats ; les autres,
affaiblis par l'âge et condamnés au repos, éclataient en
larmes. C'est un Got, Yulfila ou le petit loup (311-382)
-— Ulfilas en grec — qui traduit la Bible au milieu du
vi* siècle. 11 la traduit d'après le texte grec en sa langue
virisigotique, parfois trop littéralement; mais l'idiome
dont il se sert est déjà rafliné ; on sent, on goûte même
aujourd'hui la douceur nombreuse de ses versets.
Visigots et Ostrogots disparurent et avec eux leur
langue, bien qu'elle ait subsisté jusqu'au ix* siècle en Mésie
et jusqu'au xvi* en Crimée. La légende héroïque, la
HeldensagCy qui se forme après l'inyasion des barbares,
ne les cite pas. Mais cette légende, qu'elle est étrange
dans ce qu'elle ignore et dans ce qu'elle sait ! Transmise
par des rhapsodes qui ne connaissent pas le détail exact
des événements et n'en saisissent pas la liaison, flottant
dans la mémoire sans être encore fixée par l'écriture,
incessamment renouvelée et rajeunie, ajoutant aux héros
de jadis les héros de naguère, accueillant les traditions
IcKsales, imprégnée des idées et des goûts de ses divers
auditoires, la légende brouille et confond tout. Son plus
ancien monument en anglo-saxon, le Chant de Vidsidh,
du VI* siècle, représente un poète qui se vante d'avoir
connu Ermanrich, Attila, Gunther, Alboin ; or Ermanrich
est mort en 375 et Âlboin en 573. Peut-on mieux défier
la chronologie? Pareillement, dans le fragment anglo-
saxon de Yaldere, Gunther possède une épée offerte par
Théodoric à Wittig et ces trois personnages sont séparés
Tnn de l'autre par plus d'un siècle. Mais dans son poème
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4 LITTERATURE ALLEMANDE
de sainte Hélène^ i'Angio-Saxon Cynewult n'a-t-il pas
transporté sur les bords du Danube la victoire de Cons-
tantin au pont Milvius et donné le titre de roi des Huns à
Maxence ? L'épopée du moyen fige ne fait-elle pas d'un
comte de la Marche de Bretagne le neveu de Charle-
magne, de la surprise de Roncevaux une grande bataille,
et des Basques qui tombèrent sur l'arrière-garde des
Francs une armée de Sarrasins? Il ne faut donc pas
s'étonner que la légende héroïque ne parle pas des Gots ^—
pas plus que des Romains — et qu'elle s'attache, non au
peuple got, mais à ses chefs, à Ermanrich et a Théo-
doric.
Les Burgondes et les Huns laissèrent une trace plus
profonde. Les Burgondes s'étaient établis sur la rive
gauche du Rhin qui roule des paillettes d'or, dans le
beau pays de Worms, et leurs souverains avaient un renom
de puissance et de richesse : la légende appela leur pays
le jardin des roses ou la Roseraie, le Rosengarten^ et elle
attribua à leurs rois un immense trésor, le trésor des
mystérieux Nibelungen, le hort qui repose à jamais
enfoui dans le fleuve. Le royaume des Burgondes fut
en 437 détruit par les Huns : la légende s'empara de cet
événement; elle imagina qu'Attila avait massacré les
rois burgondes pour se saisir de leur trésor, et ces rois,
elle les appela les Nibelungen. En 453 mourait Attila; le
lendemain de ses noces avec la belle Hildico ou Hilde dont
il avait égorgé le père, on le trouvait baigné dans son sang ;
il avait eu une hémorragie ; mais on prétendit que Hilde
Pavait tué d'un coup de couteau « et la légende, identi-
fiant Hilde avec Kriemhild, femme de Siegfried et sœur
des rois burgondes, assura que la veuve, remariée à Attila
ou Etzel, avait immolé son second époux pour venger
ses frères.
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LB8 PECMIBRS SIECLES ft
Ainsi formée, la légende passa dans les pays Scandi-
naves. Elle est traitée notamment dans quelqaes^ons des
chants qui composent le recueil de VEdda, Ces chants
racontent qae Signrd on Siegfried toe un dragon et lui
enlère son trésor, puis qu'il réveille une Yalkyrie, Brûn-
hildy d'un sommeil merveilleux et se fiance avec elle,
puis qu'il se rend à la cour de Gkinnar ou Gunther. La
mère de Gunnar -* qui a dans VEdda le nom de Kriem*
hild — verse un philtre à Sigurd. Il oublie BrOnhild,
il tombe amoureux de Gudrun, fille de cette Kriem*
hild et sœur de Gunnar, et il l'épouse; il consent même
h conquérir Brûnhild pour le compte de Gunnar, il
change de figure avec Gunnar, il traverse les flammes
dont s*entoure Brûnhild, il la conquiert et, la traitant
comme sa sœur, il place son épée entre elle et lui. Brûn-
hild devient ainsi la femme de Gunnar, bien qu'elle
aime Sigurd. Un jour qu'elle se querelle avec Gudrnn,
elle apprend que c'est Sigurd qui Ta livrée à Gunnar.
Outrée, elle décide de tuer Sigurd et, k son instigation,
Gunnar fait assassiner le héros. Mais, Signrd mort,
Brûnhild refuse de lui survivre ; elle se tue et, par son
ordre exprès, elle est brûlée sur le même bûcher que
Sigurd ; une épée les sépare, comme naguère, lorsque
tons deux étaient époux et ne Tétaient que de nom.
Quant à la veuve de Sigurd, Gudrun, elle convole en
secondes noces avec le roi des Huns, Atli ou Attila.
Mais Attila convoite le trésor de Gunnar et de ses beaux-
frères les Nibelnngen. II les invite à venir dans son
royaume. Vainement Gudrun essaie de les mettre en
garde; vainement elle les défend et combat a leurs côtés;
ils sont pris, liés, occis, sans qu'Atli ait pu savoir où
était caché leur or. Gudrun les venge; elle tue les deux
fils qu'elle a eus d'Atli, lui fait boire leur sang et
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6 LITTERATURE ALLEMANDE
manger leur cœur, lui révèle la vérité, l'égorgé et 1«
brûle dans son palais avec tous ceux qui s'y trouvent.
Telle est la légende norroise des Nibelungen. La
légende allemande en diffère sensiblement. C'est
Kriemhild — la Gudrun norroise — c'est la veuve de
Siegfried qui attire ses frères au pays des Huns ; c'est elle
qui les tue pour venger sur eux le meurtre de Siegfried.
Par suite, Attila est, non plus un tyran avide et féroce,
mais un prince généreux, aussi généreux qu'il est puis-
sant, et il donne asile a Dietrich de Bern.
Dietrich de Bern ou de Vérone — en réalité, Théo-
doric — est, dans la légende héroïque, non pas un victo-
rieux, un conquérant, mais un exilé qui ne recouvre son
royaume qu'après trente années passées sur le sol étran-
ger. Il fuit devant Odoacre ou, selon une tradition posté-
rieure, devant Ermanrich, et la légende oppose volontiers
au cruel Ermanrich le bon Dietrich ; pour mieux marquer
le contraste, elle fait de Dietrich le neveu d'Ermanrich.
Mais elle aime Dietrich, elle le loue, l'exalte. Réfugié
chez Attila, Dietrich prend part a la lutte des Huns et
des Nibelungen; c'est lui qui décide la victoire et il
devient désormais le plus grand guerrier, le preux
incomparable. Il rentre dans ses états, et autour de cette
reconquête la légende accumule les épisodes; que de
vaillants compagnons elle donne à Dietrich : le vieil Hil-
debrant qui combat malgré lui son (ils Hadubrant, te fou-
gueux Wolfhart et son frère Alphart, le féal Eckehart ou
Eckart, vigilante sentinelle dont la fonction est d'annon-
cer le danger!
Au milieu de ces récits de la légende perce l'histoire
vraie. Dietrich fuit à la cour d'Attila et ressaisit son
royaume grâce à l'aide des Huns : c'est que son père
Théodomir était soumis au « iléau de Dieu ». Il a
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LES PBBMIBBS SlàCLBB 7
souffert et pâti : c^est qu'il a lutté contre Odoacre, pris
et perdu Milan, assiégé Ravenne près de trois années.
Il a nom Dietrich de Vérone : c'est qu'il a remporté
sons les murs de Vérone une victoire décisive. Il est le
type du héros prudent et réfléchi : c'est qu'il fut un sage
législateur.
De même» Etzel ou Attila. Il a des traits historiques.
La légende conserve le nom de son frère Bleda et de sa
première femme Herke. Elle lui donne un immense
empire, de l'Elbe au Rhône, et trente royaumes, Francs,
Bargondes, Aquitains; elle peuple son palais de héros.
Mais l'Attila historique ne trainait-il pas avec lui une
cohue de rois? Ne voyait-on pas a ses côtés les chefs des
diverses nations, timides et tout tremblants, épiant ses
moindres signes? La légende fait d'EtzcI un roi pacifique
et qui craint les coups ; il assiste de loin à la bataille au
lieu de se jeter dans la mêlée a \'a tète des siens, et peu
à peu sa figure s'adoucit; c'est l'inactif et majestueux
Charlemagne de nos chansons de geste; c'est un
patriarche qui répand le bien autour de lui, un roi
« tendre » qui n'a pas au monde un seul ennemi ; il tient
table ouverte et nourrit quotidiennement trois mille
hommes; les portes de sa demeure ne sont jamais fer-
mées. Or, Jordanis écrit qu'Attila, tout en aimant la
guerre, mettait rarement l'épée à la main, recourait sou-
vent à la ruse, faisait le diplomate avant de faire le
guerrier, qu'il écoutait les suppliants et ménageait ceux
qui s'étaient soumis.
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CHAPITRE II
LE IX* SIÈCLE
Les Francs. •«- Le hant-allemand et le bas-allemaBd. — Le latin,
langae littéraire. — Renaissanee carolingienne. — Chant d*Hildebrant.
^ Tradneticms. — Prier» de Wessobninn. — Le Muspiili. — La Gentee. —
L*Heliand. — Le livre des Éyangiles, d*Otfrid de Wissembonrg. — Chant
de Louis. — - Petits poèmes.
Parmi les Germains ou barbares qui conquirent Tempire
romain, les Francs eurent bientôt, sous les Mërovingiens
et les Carolingiens, la prépondérance. lisse convertirent
et à leur tour ils convertirent ariens et païens. Il furent
les champions du christianisme orthodoxe. Leur puis*-
sance était telle qu'une glose du viii* siècle traduit (xér-
manie par pays dès Francs ; « franc » signifiait « alle-
mand » et parler ou écrire l'allemand, c'était parler ou
écrire le francique.
Dès l'époque franque, la langue allemande comprend
le haut-allemand et le bas-allemand, l'un parlé dans la
la Haute-Allemagne, dans les vallées du Rhin et du
Danube, l'autre, dans la Basse-Allemagne sur les bords
de la Baltique et de la mer du Nord. Le haut-alle-
mand a des sons rudes, des consonnes fortes, des
diphtongues; le bas-allemand a des sons mous et étouffés.
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LB IX* SIECLE 9
des yojelleE simples et ferntkées» des consonnes douoes.
Le haut-sllemand devait être un jour la langoe littéraire^
la seule qui fait l'objet de cette étude. Il se diWse en deux
grovpesy le groupe francique et le groupe alassan. Au
groupe francique appartiennent le haat*francique
oriental (Fulda» Wûrcbourg, Bamberg), le haut-fran*
ciqiie rhénan (Mayence, Francfort^ Worma, Spire) ---
o*est la langoe de Cbarlemagne et de son entourage — le
moyen-francique (Cologne et Trêves), le tkoringien et le
saxon. Att groupe alaman ou alamannique appartiennent
le souabe (Stuttgart, Ulm^ Aug^bourg), le bas-alaman-
nique (Bâle, Alsace, Brisgau, Ortenau), le haut-alaman-
nique (Suisse), le bavarois et l'autrichien.
Mais ni Talamannique ni le francique n'est encore la
langue de la littérature : l'allemand est la langue a bar-
bare », la langue « populaire » — comme l'indique son
nom même, diutisk^ dérivé de diotj a peuple », et devenu
plus tard deutsch — - et, longtemps négligé par les
lettrés, il mettra plus de mille ans à s'affranchir. La
langue littéraire, c'est le latin, langue officielle, langue
des capitulaires et des lois, langue de TÉglise, langue
employée sous les Mérovingiens par Grégoire de Tours,
Sidoine Apollinaire et Fortunat.
Lorsqu'une Renaissance des lettres commence à la fin
du viii* siècle sous rimpulsion de Cbarlemagne (742-814),
c'est une Renaissance latine ou mieux latino-chrétienne.
Tous les membres de l'Académie, les savants, les lettrés
que l'empereur réunit autour de lui, écrivent en latin, et
Prudence est à leurs yeux le plus grand des poètes parce
qu'il est le plus chrétien.
Sans doute, ils sont Germains : Paul Diacre cite dans son
HUtoire des Lombards les chants populaires de sa nation,
et à la table impériale Alcuin débite de subtiles énigmes
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10 LITTÉRATURE ALLEMANDS
comme ferait un Anglo-Saxon. De même, Charlemagne.
Malgré les réminiscences latines qui le hantaient, il
aimait sa langue maternelle qu*il parlait, au rapport
d'Einhard, avec une éloquence abondante^ exubérante.
11 fit, dit encore Einhard, transcrire les chants barbares
qui célébraient les actions et les guerres des anciens
rois. Il prescrivit de composer une grammaire allemande.
Il recommanda au clergé de traduire dans la langue
rustique, en roman et en allemand, les homélies latines
que Paul Diacre avait recueillies en deux volumes. Il
projetait d'établir un calendrier uniforme et de donner
aux mois des noms allemands^ des noms expressifs qui
rappelleraient les phases et les travaux de l'année. Mais
les noms allemands des mois ne prévalurent pas sur les
noms latins, les homélies ne furent pas traduites, la
grammaire ne vit jamais le jour et le recueil des vieux
chants s'est perdu.
De l'épopée nationale des Germains ne subsiste qu'un
fragment transcrit à Fulda au commencement du
ix*" siècle sur la première et la dernière page d'un
manuscrit latin en un texte impur, [mélangé de haut
et de bas-alIcmand. C'est le superbe fragment du Citant
JCHildebrant, Il retrace comment Hildebrant et Hadu-
brant, le père et le fils, en vinrent aux prises. Les deux
guerriers s'abordent sans se connaître. Hildebrant
demande le nom de son adversaire; Iladubrant répond
qu'il est le fils de cet Hildebrant qui s'enfuit autrefois vers
Test avec Dietrich. Le père se nomme et il ofircau fils des
bracelets d'or. Hadubrant refuse ces présents ; il ne veut
les recevoir que la lance en main, pointe contre pointe,
et il injurie Hildebrant, le traite d'imposteur. Le combat
s'engage, et le fragment finît Ih; mais on sait que le
père tuait le fils. La scène est simple, rapide, dramatique.
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LE IX* SIÈCLE 11
Iladubrant, ardent et obstiné comme un jouvenceau,
s'exprime tantôt avec fierté, tantôt avec tristesse : il
vante les prouesses d'Hildebrant qu'on voyait toujours
au premier rang, et il déplore le sort de ce glorieux père
qui n'avait plus d'amis et qui dut s'exiler en laissant sa
femme et son enfant dans la misère. Mais Hildebrant
nous émeut davantage. Ira-t-il se mesurer avec son fila,
avec un homme qui le touche de si près, mit sus sippan
man? Le vieux guerrier se révolte contre cette lutte
impie ; son cœur paternel se déchire. Que faire pourtant?
Il pousse un cri de douleur et de colère; il accepte
l'affreux, l'inévitable duel : l'honneur lui ordonne de
combattre.
Ce chant appartenait sans doute au précieux recueil
que Charlemagne fit former. Mais l'Église proscrivait la
poésie nationale qui lui semblait empreinte de paganisme^
Et c'est l'Eglise cependant, ce sont ses couvents, ce sont
les écoles qu'elle a fondées dans les couvents de Saint-
Gall, de Reichenau et de Fulda, qui abritent, qui fixent
la langue allemande. Il faut dresser des glossaires et
des listes de mots, traduire la formule du baptême,
l'oraison dominicale, le Credo et des écrits plus étendus,
des sermons, l'Évangile de Mathieu, VHarmonie des
Evangiles de Tatien, le traité d'Isidore de Séville
contre les juifs, et la traduction d'Isidore est certes
l'œuvre d'un homme intelligent et habile.
Déjà même, sous Charlemagne et les Carolingiens, se
produisent des essais de poèmes originaux.
La prière dite de Wessobrunn s'ouvre par des vers
allitérés qui représentent le Dieu unique et tout-puis-
sant venant créer le monde lorsqu'il n'y a encore ni
terre, ni ciel, ni mer.
Le fragment, en dialecte bavarois, auquel son éditeur
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13 LITTERATUIIB ALLEMANDS
a donné le nom de Muapilli ou ce destruction du inonde d,
offre des endroits remarquables : la peinture de Fenfer
où le méchant est puni des querelles qu'il a faites à ses
proches pour la borne d'un champ, celle du combat que
l'armée des anges livre à l'armée des démons pour con-
quérir l'âme du mourant, et surtout la description du
jugement dernier, l'Antéchrist et le prophète Elie
luttant l'un contre l'autre, la défaite de l'Antéchrist, la
blessure d'Elie dont le sang tombe sur la terre, et aussi-
tôt les montagnes qui s'enflamment, les arbres qui
s'abattent, les eaux qui se tarissent, le ciel qui s'embrase,
la lune qui choit, Dieu rendant la suprême sentence —
et alors, quel que soit l'homme qui sort de la tombe, sa
main, sa tète, tous ses membres, jusqu'à son petit
doigt, témoignent contre lui, s'il a péché et s'il n'a pas
expié.
Mais la nouvelle poésie chrétienne n'a pas toujours ces
sombres accents. Elle entreprend de mettre en vers
l'Ancien Testament, et nous avons trois fragments d'une
Genèse en saxon dont Fauteur rend avec émotion le déses-
poir d'Adam et d'Eve.
Elle entreprend de chanter la vie de Jésus, et nous
avons, dans leur texte complet, deux Messiades, Tune
en saxon, VHeliand ou le Sauveur, l'autre en francique
rhénan, le Ldi^re des Evangiles.
L'auteur de VHeliand était sans doute un laïque et un
homme du métier. Son œuvre rappelle les poèmes bibli-
ques des Anglo-Saxons. Dans ces poèmes Satan parle
du paradis comme du palais d'un roi; les lieux ou il règne
ressemblent a la caverne du dragon qui combat Beovulf
et ainsi qu'un chef germain qui réclame l'hommage, il
somme le Christ de tomber à ses pieds, de mettre sa tète
dans son sein ; pour le Christ, c'est un guerrier invincible.
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LE IX" SIÈCLE n
et les apôtres qa'il envoie dans le inonde sont ses compa*
gnons d'armes. Mêmes images et mêmes tableaux dans
VHeliand. Le Christ, escorté de ses fidèles qui le
défendent au prix de leur sang et qui reçoivent, en
retour, présents et nourriture, est un roi de la terre,
un prince du peuple, et à la fois puissant et bienfaisant,
comme le roi Hrodgâr du Beovulfy il distribue Thydromel
et donne sa protection à ses gens. Peinture curieuse,
piquante, mais qui rabaisse le Christ. Le poète le nomme
le pasteur du pays et il dénomme pareillement Hérode !
Certes, il n'est pas toujours aussi maladroit. Il connaît
ses compatriotes et il évite de leur dire que le souffleté
doit tendre l'autre joue et que Jésus, entrant à Jérusalem,
était monté sur un âne; il excuse la fuite des disciples et
assure qu'ils n^ont pas été lâches; il met dans la bouche
de Thomas de belles paroles sur le devoir envers le
Seigneur : tenir jusqu'au bout avec son maître et
mourir pour lui sans attacher aucun prix à la vie
puisque ce après nous vivra notre gloire ! » Bien qu'il suive
YHarmonie de Tatien et qu'il se serve des commentaires
de Béda, d'Alcuin et de Raban Maur, il essaie de jeter
un peu de mouvement dans son poème, et de prime abord
sa langue parait abondante et riche. En réalité, et parce
qu'il emploie le grand vers allitéré, il abuse des formules
épiques, et il est long, prolixe ; il se répète et il délaie
tellement sa matière qu'il fait dix vers pour nous
apprendre que Pierre fendit l'oreille de Malchus; il dit
textuellement : « ils meurent, terminent leurs jours et
en finissent avec leur vie » ! Ce poème tant vanté n'est,
en somme, qu'une œuvre de prédication.
L'auteur du Livre des Epangiles — terminé vers 868
— le moine Otfrid de Wtssembourg, versifie péniblement
les quatre Évangiles, tantôt l'un, tantôt l'autre, le plus
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14 LITTBBATURB ALLEMANDE
souvent celui de Jean. Il divise son poème en cinq livres
à cause des cinq sens qu*il veut purifier de leurs souillures ;
il donne aux chapitres des titres latins ; il place à la fin
de chaque épisode des réflexions morales ou des allégories
fort longues qu'il emprunte aux commentaires de Béda,
d'Alcuiuy de Raban Maur. Le Lwre des Evangiles est donc
Tœuvre d'un pieux théologien, soutenu par les textes —
c'est l'expression d*Otfrid — et non par le talent poétique.
Le bon moine esquisse parfois de petits tableaux, la
visite de l'ange Gabriel à Marie, les premiers soins que
la Vierge prodigue au .fils de Dieu, le massacre des
Innocents et le désespoir des mères. Lui-même se met
en scène, non sans charme, soit qu'il parle des douleurs
de l'exil, soit qu'il prie Dieu de lui pardonner comme à
la pauvre femme adultère et de le châtier avec douceur
ainsi qu'une mère châtie son enfant, soit qu'il exprime
sa reconnaissance pour l'évèque Salomon. C'est avec une
noble fierté qu'il célèbre la gloire des Francs et les qualités
de leur langue. Il admire l'art des Grecs et des Romains
et ce que cet art a de parfait, d'uni, de poli comme
rivoire, de net et de fin comme le blé mondé. Hélas! la
langue des Francs n'est pas encore formée à la poésie et
contrainte à la règle. Mais n'est-elle pas franche etdroite
et belle en sa simplicité? Les Francs ne sont-ils pas braves
et industrieux? N'habitent-ils pas un bon et fertile pays?
Ne trouvent-ils pas du métal, du cuivre, même du cristal
en fouillant le sol, et de l'or en lavant le sable? Ne sont-
ils pas fidèles à leur roi et à leur Dieu? Il veut donc,
lui, Otfrid, chanter les louanges de Dieu en langue
francique. Comme l'auteur de VHeliand^ il s'accommode
parfois au tempérament et au goût de ses compatriotes.
Il insiste sur la vaillance de Pierre qui se jette sans bouclier
et sans lance dans la foule des ennemis. Il transporte
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LE IX* BIKGLB t5
Jean-Baptiste, non dans le désert, mais dans la solitude
de la forêt. Comme l'auteur de VHeliand^ il use et abuse
des formules épiques et il montre l'ange volant par ce le
sentier du soleil, la route des étoiles, le chemin des
nuages ». Mais lui aussi aime a s'étendre. Que de phrases
insignifiantes, inutiles! Que de chevilles! C'est qu'il faut
attraper la rime, et, à vrai dire, la rime fait la valeur
du poème. Elle existait déjà et, par exemple, en quelques
endroits du Chant (THildebrant; Otfrid l'emploie d'un
bout à l'autre de son poème; il a gardé le grand vers
germanique ; deux vers forment une strophe et les deux
moitiés de chaque vers riment ensemble.
Otfrid dit que les Francs font toute chose avec l'aide de
Dieu et que Dieu les tire du danger. Cette idée que les
Francs étaient le peuple élu de Dieu anime le Chant de
Louisqvti célèbre en francique rhénan la victoire remportée
le 3 août 881 à Saucourt-en-Vimeu par le roi Louis III sur
les Normands. L'auteur est un ecclésiastique. A chaque
instant il cite le nom de Dieu. C'est Dieu qui déchaîne
les païens pour punir les Francs de leurs péchés et les
amener à repentance. C'est Dieu qui, se radoucissant,
envoie le roi Louis contre les envahisseurs, et Louis,
saisissant le gonfanon, court à son armée, la harangue,
lui représente qu'il faut exécuter la volonté de Dieu, que
c'est le Christ qui mesure l'existence. Le combat
s'engage; Louis remercie le Seigneur de lui montrer
l'adversaire qu'il désire et il entonne un chant sacré
auquel ses compagnons répondent par Kyrie eleison. II
est vainqueur et le poète conclut en louant la puissance
de Dieu. Plus religieux que guerrier, inspiré par la piété
plutôt que par l'esprit belliqueux, le Chant de Louis est
donc moins un chant de triomphe qu'un cantique d'actions
de grâces.
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16 LITTERATURE ALLEMANDE
À la fin du IX* siècle appartiennent encore le Chant
de saint PierrCy qui se compose de trois strophes ; le petit
poème le Christ et la Samaritaine^ dont l'auteur, plus
simple et plus concis qn*Otfrid, a rendu la scène de
TEvangile avec une vivacité naïve ; le poème qui raconte -
les miracles et le martyre de saint Georges y mais qui
nous est parvenu dans un état misérable; et on sait
qu'un moine de Saint-Gall, Ratpert, avait fait en l'honneur
de saint Gall un chant barbare, c'est-a-direallemand^que
nous n'avons plus.
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CHAPITRE III
LE X« ET LE XV SIÈCLES
Les jong^lenrs et la latin. — Hrotsvith. — L^Ecbasis. — Le Waltha-
riiis. — La Rndlieb. — Les traductions de Notkér. — Williram. — Le
clergé. — Le Chant d*Ezio.
Le IX* siècle avait été marqué par des œuvres alle-
mandes. Au X* siècle, sous les empereurs saxons, dont
la cour ne parle et n'écrit qu'en latin, la poésie nationale
ne se montre que sur les grands chemins. Les jongleurs
ou ménestrels vont de ch&teau en château, chantant,
jouant d'un instrument, faisant des tours d'adresse,
colportant les nouvelles, célébrant les héros du jour et
les événements, batailles, exploits et aventures de toute
sorte, cherchant k divertir leur auditoire et seyant de
traits plaisants leurs récits, glorifiant par exemple Kurzi-
bold ou Courtaud, aussi brave qu'il est petit, haîsseur
des femmes et des pommes, tueur de lions, le David alle-
mand qui terrasse un géant slave. Mais le latin est leur
langue préférée. La plupart sont clercs; ils mêlent dans
leurs vers le latin a l'allemand, comme dans le poème qui
retrace l'entrevue d'Otton et de son frère Henri
TiiDC surrexit Odo» der unsar Kaisar guoto,
urrfiiATCRB ALumAsmn, ^
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18 LITTÉRATURE ALLEMANDE
et c'est en latin qu'ils content de piquantes historiettes,
Lanifrit et Cohbo^ Alfrâd^ Heriger, en leur donnant la
forme des séquences ou des hymnes d'église.
C'est en latin qu'une nqpne de Gandersheim, Hrotsvith
(née en 930, morte après 968) a pastiché Térence et
composé six drames puérils et niais, mais intéressants
par leur immoralité naïve, par la clarté du style, par
l'aisance du dialogue.
C'est en latin qu'un jeune moine, échappé du couvent
de Saint-Epvre près Tout, puis rattrapé, narre, vers 940,
sous le voile d'une fable, son évasion, son ecbasis, et
dans le cadre de la fable il a placé l'histoire du loup et
du renard; ainsi débute la légende animale.
C'est en latin que, vers 930, un moine de Saint-Gall
écrit le Wahharius et, vers 1030, un moine de Tegernsee,
le RudUebé
Le Walthariua a pour auteur Ekkehard I*' (mort en
973), le premier des quatre moines qui portèrent ce
nom au couvent de Saint-Gall. Il a été corrigé par Gerald,
le maître d'Ekkehard I*', et remanié plus tard au commen-
cement du XI* siècle par Ekkehard IV (980-1060). Le
moine a reproduit ce qu'il avait entendu de la bouche des
chanteurs et il a parfois ajouté du sien. Il imite Virgile,
tout comme Einhard imitait Suétone dans sa Vie de Char-
lemagne, et il emploie et plaque avec intelligence, avec
habileté les expressions de V Enéide^ de la Psychomaehie
de Prudence, de là Bible. Son allure est rapide, entraî-
nante, et a travers son latin circule le souffle âpre et puis»
sant de la légende héroïque.
Une lutte grandiose s'engage dans une gorge des
Vosges. C'est là que Walther, fils du roi d'Aquitaine,
s'arrête un instant avec sa chère Hildegonde, fille du
roi des Burgondes Herrich. Les deux amants, fiancés
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Ll X* BT LB XI* ftIBCLBt f9
dès Fenfanoe et envoyés comme otages au roi des Hans,
96 soDt enfuis de la eour d*Etzel plongée dans le som«
meil et le vin. Le jour, ils restaient cachés dans les bois;
la nuit, montés sur le même cheval, -^ un cheval coura*
geux qui s'appelle Lion, — ils galopaient par monts et
par vaux^ lui, armé de'pied en cap et redoutant à tout
moment une attaque, elle, tremblante, frémissant au
bruit du vent, au chant des oiseaux, au moindre froisse*
ment des branches. Ils ont passé le Rhin; ils sont dans
la Vosge immense, peuplée de bêtes fauves, accoutumée
au son des cors et à l'aboi des chiens. Fatigué par une
coarse de quarante nuits, Walther s'endort, la tète sur
le giron d'Hildegonde. Mais Tavide et couard Gunther,
roi des Francs, et douze de ses meilleurs guerriers pour»
suivent les fugitifs afin de s'emparer du trésor d'EtieK
La jeune fille voit un tourbillon de poussière s'élever au
loin; elle réveille doucement son Walther. En vain le
héros offre cent, puis deux cents bracelets d'or à Gunther.
Il faut combattre. Walther se poste à l'entrée du défilé
où deux hommes ne peuvent pénétrer de front, et onxe
Francs, sur douce, tombent sous ses coups. Le lendemain,
Gantfier et Hagen unissent leurs efforts; Gunther perd
une jambe; Hagen, un œil; Walther, une main; rAqui«
tain sort vainqueur de la lutte.
Le récit de cette lutte est aussi varié qu'émouvant. L'un
après l'autre paraissent Camalo qui jette inutilement sa
pique; Scaramund qui désire venger son oncle Camalo;
Werinhard dont les flèches se brisent contre l'écu de
l'Aquitain ; Eckefried qui brandit une lance de bois de cor-
nouiller, Hadawart qui ne recourt qu'à Tépée; Patafried,
tendre fleur que Walther a bientôt fauchée ; Gerwit armé
de la francisque; Randolf qui se sert à la fois de l'épée et
àe la lance; Heimnod maniant en guise de harpon un
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30 LITTEHATURE ALLEMANDE
trident de fer attaché au bout d'une corde que ses com-
pagnons, Trogus de Strasbourg et Tanast de Spire,
ruisselants de sueur, tirent et traînent de toutes leurs
forces rassemblées, sans pouvoir ébranler Walther ferme
comme un chêne.
De ces guerriers francs le plus sympathique est Hagen ;
vassal de Guntber et ami de Walther, il ne suit qu'à
regret le roi des Francs et il tente de négocier le passage
des deux amants. Guntber l'accuse d'avoir peur. Hagen,
outré, gagne une colline et, assis sur le gazon, de loin
juge les coups. Enfin il cède aux prières de Guntber; il
lui conseille de simuler la retraite, d'attirer l'adversaire
en rase campagne. Le plan réussit, et Walther, sorti des
montagnes, voit soudain Hagen se dresser devant lui. Mais
bientôt les deux hommes renouent amitié et font sur leurs
blessures de grosses plaisanteries.
Il y a dans le poème un beau caractère et une belle
scène.' Le caractère est celui d'Hildegonde, timide et
forte tout ensemble, priant Walther à l'approche des
Francs de la tuer et de la soustraire à l'outrage, jetant
un cri d'épouvante lorsque la lance de Patafried s'enfonce
dans le sol aux pieds de son amant, veillant sur son sei-
gneur endormi et chantant pour chasser le sommeil,
voyant venir Hagen et Guntber et malgré l'efiroi qui la
saisit, avertissant son compagnon et lui conseillant de
fuir, accourant après le combat à l'appel de Walther pour
verser le vin et panser les plaies. La scène, c'est celle qui
termine la première journée ; à la nuit tombante, Walther
remet sur chaque tronc les tètes qu'il avait tranchées
et a genoux, les yeux vers Torient, l'épée en main,
il remercie Dieu de l'avoir sauvé et le supplie de
lui laisser revoir en paradis ceux qu'il vient d'occire. Il
y a moins de chevalerie dans le Waltharius que dans les
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LE X* ET LE XI' SIÈCLES 21
poèmes postérieurs. Les personnages ont quelque chose
de plus fruste. Le vieil esprit germanique les anime et la
sève barbare coule dans leurs veines. Désir de gloire et
de butin, amour des belles armes et des ornements d'or,
ambitieux défis, railleries provocantes, bravoure des
guerriers qui succombent sans proférer une seule plainte,
dévouement du vassal pour son seigneur, tout rappelle
Tancienne épopée. Le Waltharius est un Germain vêtu
à la romaine.
Le Rudlieb, dont nous n'avons que des fragments,
n'offre pas moins d'intérêt. Composé en hexamètres
léonins ou rimes, ce roman, le premier en date de la
littérature allemande, fourmille de détails curieux et de
traits expressifs. En son latin fautif, incorrect et lourd
l'auteur a tracé l'image ressemblante de son époque. Les
dames éprises de parure et tenant un oiseau sur leur
doigt; les hommes buvant autant de coupes qu'il y a de
plats, imitant dans leurs danses le vol du faucon qui
poursuit l'hirondelle, jouant avec passion aux échecs,
ardents à la chasse et à la pèche; le guerrier se piquant
d'être lion au combat et agneau dans la vengeance; le
juge pardonnant aux coupables ; des mœurs qui se cor-
rompent et s'adoucissent ; des jeunes filles sans modestie
ni pudeur; tout cela revit dans le Rudlieb, Il annonce la
poésie du Mlnnesang. C'est dans le Rudlieb qu'une
dame noble envoie à un chevalier ce charmant et amou-
reux salut en quatre hexamètres latins où se trouvent
quatre mots allemands : (c De ma part, dis-lui donc, je te
prie, que, d'un cœur fidèle, je lui souhaite autant de
plaisir, liebeSy qu'il vient maintenant de feuilles, loubesy
autant d'amour, minna, que les oiseaux ont de pâture,
ii'unna, autant d*honneurs qu'il y a de fleurs et de gazon. »
L'allemand se montre donc de nouveau. Si le latin est
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^ LITTBRATURB ALLBMANDB
durant tout le x' siècle la langue littéraire, le peuple
prend alors conscience de lui-même. Il n'y a pas encore
d'Allemands^ de Deutsche : il y a des Bavarois, des
Saxons, des Souabes; mais tous parlent le thiudiscy la
teutonica linguay et les écrivains latins opposent les
Teutones ou Teutonici aux Franci. Du couvent de Saint*
Gally de ce couvent où les moines dans leur studieux
labeur croyaient par instants posséder la félicité des
anges, sortent dans les dernières années du x' siècle et
les premières années du xi* d'utiles traductions. La
plupart sont de ce bon Notkèr, dit le Lippu, qui portait
une chaîne autour des reins et dont le plus grand crime
fut de tuer un loup* Dévoré du démon de la traduction,
traduisant jusque sur son lit de mort, il a mis en alle-
mand avec beaucoup de dextérité nombre de textes
latins, notamment les Psaumes^ les Noces de la Philologie
et de Mercure de Marcien Capella, la Consolation de la
philosophie de Boèce. Sa version tient plutôt du com-
mentaire; il vise avant tout à la clarté, et discrètement,
d'une main légère, il abrège ou amplifie l'original, en
ajoutant les explications d'autrui. Il manie sa langue
maternelle en virtuose et il l'avait étudiée à fond : il
ponctue soigneusement les phrases, il marque les accents
avec scrupule. Les termes techniques, les expressions
abstraites ne l'embarrassent pas. Il excelle à former des
mots composés. Volontiers il insère des vers allemands
brefs, nerveux, qui nous révèlent le trésor des poèmes
perdus, comme ce dicton sur deux héros qui sont aux
prises : « Si un brave rencontre un autre brave, la cour-
roie du bouclier est bientôt tranchée », ou cette descrip-
tion d'un sanglier : « Ses pieds sont comme un foudre,
ses soies aussi hautes que la forêt et ses dents longues
de douze aunes ; il va sur la pente du mont, porte Tépieu
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LE X* BT LB Xl^ 81KCLB5 SI
daas le flanc, et sa vigueur ne le laisse pas abattre. »
Après Notkèr, il faut citer Williram. Cet abbé
d'Ebersberg (de 1048 à 1085) paraphrasa, tout en le
commentant, le Cantique des Cantiques \ il écrit en une
langue mixte, mi-latine mi-allemande, et pour dire que
les femmes sont plus faibles que les hommes, il s'exprime
ainsi : diu wîb sint fragilioria sexus danne die man ; mais
son allemand est clair, coulant et même harmonieux.
Ainsi, Tallemand gagne peu à peu du terrain. Le jon-
gleur qui n'avait jusqu'alors fait que de l'instantané, se
met à composer longuement de longs poèmes. Pour plaire
k la chevalerie naissante, il chante les plaisirs d'ici-bas
et les aventures de guerre. Ce n'est plus un mime et un
bouffon. Vainement, dans la seconde moitié du xi" siècle,
le clergé prêche le renoncement au monde. Vainement
il attaque la chevalerie qu'il regarde comme une école de
mauvaises mœurs, les lettres profanes qu'il qualifie de
poison, la poésie mondaine qu'il accuse de mensonge et
de lubricité. Vainement Guillaume de Hîrschau (mort
en 1091) fait de son abbaye un Cluny allemand et vaine-
ment à sa voix, à l'appel de ses moines, les couvents de
Souabe se peuplent de seigneurs, et des villages entiers
adoptent la discipline claustrale. La poésie laïque finit
par triompher. Mais le clergé lutte avec une vigueur
obstinée, et il compose poèmes sur poèmes, la Genèse de
Vienne, la Somme de théologie^ le Chant £Ezzo. Composé
vers 1060, sur l'ordre de l'évêque Gunther de Bamberg,
parle prêtre Ezzo et mis en musique par le prêtre Wille,
le Chant éCEzzo ou de la Rédemption célèbre la grandeur
de Dieu et le bois de la croix; il produisait, dit-on, une
impression profonde et il fut souvent chanté par les
gens qui suivirent Gunther de Bamberg dans la croisade
de 1064.
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CHAPITRE IV
LE XII- SIECLE
La poésie •cclésiastiqae. — Henri de Mdik. — Les Tarants. —
L'Archipoète. — Poèmes d'aTentares. — Inflaence française. -^ Cour-
toisie — Traductions des liTres welohas. — Le moyen-havi-aUemand
et la langue littéraire. — Le clerc Conrad, sa Chronique impériale et son
Roland» — Le clerc Lamprecht et son Alexandre. — Henri le Gllche-
sàre. — Comte Rodolphe, — Eilhard. — ^ Veldeke et le Roman d^Enéat,
La lutte entre ecclésiastiques et laïques se poursuit au
xii*' siècle. Le clergé combat les jongleurs avec les armes
mêmes des jongleurs. Il emploie leur style, leurs locu-
tions. C'est sur le ton des jongleurs, rapidement et sans
diffusion, qu'à la fin du siècle précédent l'auteur du
Chant iTAnno raconte la vie du saint archevêque de
Cologne et déclare qu'après avoir entendu des récits de
combats et d'assauts^ de ruptures d'amitiés et de morts
des rois, il est temps de penser k notre propre fin.
La Genèse de Vorau, un Exode y des poèmes sur Judith
et Salomon, sur Jean-Baptiste et l'Antéchrist, sur les
légendes d'Alexis, de Tungdalus et de Pilate, sur la
Justice^ la Vérité et le Commencement du monde, les vers
simples et naïfs de la recluse Ava (morte en 1127), une
Vie de Marie où le prêtre Wernher a parfois de tendres
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LE Xll« SIÈCLE 25
accents, le Credo oii le pauvre Hartmann s*élève contre
le monde sur un ton austère et avec une grande variété
d'expressions, la Morale de Wernher d'Elmendorf, des
allégories sur les Noces du Saint-Esprit et de l'âme, sur
le nombre 7 et sur le nombre 4, de curieuses formules
de bénédictions, telles sont quelques-unes des œuvres
poétiques de la littérature ecclésiastique du xii* siècle.
Les plus remarquables, et par l'énergie de la langue
et par le réalisme des détails, sont la Vie des prêtres et
le Souvenir de la Mort. Elles furent composées entre
1153 et 1163 par Henri de Môlk, frère lai du couvent de
Môlk. Dans la Vie des prêtres Henri de Môlk représente
les ecclésiastiques de son temps qui, au lieu de rester
sur la tour et de sonner du cor pour annoncer l'approche
de l'ennemi, ont commerce avec de belles femmes :
a Nul, disent-ils, sinon nous, ne doit jouer avec elles;
laïques, sortez d'ici; nous voulons besogner! » Dans le
Souvenir de la mort il ne se borne pas à dépeindre la
misère des princes qui redoutent sans cesse une trahison.
Il mène une femme devant le cadavre de son mari. Le
voilà, ce cher époux! Ou sont ses œillades et ses belles
paroles et ses chants d'amour et les caresses de ses
mains? Le voilà « gonflé comme une voile »; il faut
l'enlever à cause de la mauvaise odeur qu'il répand! Et
Henri de Môlk termine ce sombre tableau en évoquant
un père qui sort de la tombe pour raconter à son fils les
tourments de la damnation éternelle.
Mais le clergé ne prévaut pas. Ses propres soldats le
combattent. C'est au xu^ siècle que fleurit dans tout son
éclat la poésie des vagants et des goliards, si gaillarde,
si pétulante, si sensuelle. Ces vagants étaient très ins-
truits pour leur temps; ils se destinaient à l'état ecclé-
siastique, mais ils ne dépassaient pas les ordres mineurs.
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26 LITTKBATUaB ALLEMANDE
Ils erraient, comme les jongleurs, sur les grands ohemins
ou servaient de secrétaires à de riches seigneurs. Débi-
tant des facéties et des récits merveilleux, guérissant les
malades, cherchant des trésors enfouis, ils avaient la
faveur du publie. Ils mettaient en vers latins toute sorte
de sujets; ils narraient les événements contemporains;
ils attaquaient le pape et le clei^é; ils chantaient le vin,
les femmes, le jeu, les trois W, comme on a dit plus
tard, Wein^ Weib^ Wûrfel. Le plus notable d'entre eux
est r Archipoète qui vécut dans l'entourage du chancelier
de Barberousse, Reinald de Dassel, et qui célébrait en
1162 la destruction de Milan. Ce bohème assure si gat-
ment que mourir a la taverne est son ferme propos et qu'il
ne sait versifier qu^après boire, po8t calieèm ; il confesse
de si bonne grâce qu'il est jeune et plus avide de son plai-
sir que de son salut; il jure si sincèrement de s'amen-
der; il s'accuse si ingénument! N'est-il pas, comme
l'oiseau, comme la feuille dont les vents font leur jouet,
et peut-il porter une chaîne?
D'autres vagants chantent en langue allemande. Celui-
ci met en scène une jeune fille qui se plaint du départ
de l'amant, du geselle : qui l'aimera maintenant que
verdissent les bois? Celui-là soupire après une femme à
la bouche douce et rose. Un troisième donnerait le monde
entier pour tenir dans ses bras la reine d'Angleterre,
Éléonore.
D'autres, — et ceux-là sont des jongleurs, — récitent h
leurs auditeurs de grands poèmes d'amours et d'aventures.
Ils racontent ou bien un événement historique ou bien la
légende héroïque, et cette légende, cet événement» ils
l'arrangent, l'agrémentent d'épisodes nouveaux soit mer-
veilleux, soit comiques. Toutes leurs œuvres se ressem-
blent : même style, mêmes tours et mêmes formules
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LE XII* 8IBGLB t7
épiques, mêmes motifs ; la fille d'un roi est demandée en
mariage, le roi éconduit les envoyés du prétendant, et,
malgré mille dangers, l'amant enlève la princesse. Pour
plaire à ses auditeurs en ce temps de croisades, le jon-
gleur les transporte dans le monde de Byzance et de
rOrient.
Le roi Rothêr prend, perd, puis reprend la fille du roi
de Constantinople.
Le due Ernesiy parti pour la croisade, rencontre des
pygmées, des géants, des peuples a tète de grue, aux
pieds plats ou aux longues oreilles.
Oswald et Orendel datent de 1180 k 1190 : Oswald a
pour compagnon un corbeau qui le tire du péril ; Oren-
del trouve dahs une baleine la tunique de Jésus-Christ
et la laisse k Trêves où elle est encore.
StdomoH et Marolf représenie dans Marolf Tidéal du
jongleur, un homme plein d'esprit et d'astuce qui sait
toujours sortir d'embarras.
Contre ces poèmes des jongleurs et contre les poèmes
chevaleresques, que pouvait le clergé ? Derechef il (ut trahi
par les siens. Ce sont des clercs, Conrad, Lamprecht,
Veldeke qui, les premiers, imitent ou traduisent les
CBUvres de la France. Au xii* siècle la littérature française
commence k prendre en Allemagne cet ascendant qu'elle
a gardé depuis. Ses chansons, ses romans passent le
Rhin, et Roland est populaire au delk comme en deçk du
fleuve. Français et Allemands fraternisent pendant les
croisades. Des princesses de langue française épousent
des empereurs et des princes d'Allemagne. La vie des
cours est toute française. Une foule de mots français
pénètre dans l'allemand, et le plus grand nombre se rap-
portent aux tournois et aux armes. L'auteur de Maurice
de Craon ne dit-il pas que la chevalerie est venue de
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98 LITTERATURE ALLEMANDE
France en Carlingie, au pays de Charlemagne, d'Olivier
et de Roland, qu'elle y a grand honneur et renom, que
nulle part les dames n'ont de meilleurs servants d'amour?
Comme les héros chantés en Carlingie, comme cet Arthur
à qui la poésie française décerne les deux épithètes de
preux et de courtois, tout chevalier allemand veut unir
courtoisie à prouesse, vent être hôpesch et wolgezogen.
Le roi Marc prie son neveu Tristan d'être « bien élevé et
courtois », et Isolt, avant l'épreuve du fer brûlant, espère
en la courtoisie de Dieu. La courtoisie, telle est la qualité
suprême, et le mot tugendy qui aujourd'hui signifie
<x vertu D, signifiait alors « bienséance ».
On traduit donc des œuvres françaises où revit la cour-
toisie du temps, où brillent la politesse dés manières, le
luxe des châteaux, la richesse des costumes et des
armures, la beauté des chevaux. Elles sont à la mode,
et les lire, les citer, c'est encore être courtois. Cette
poésie nouvelle fleurit notamment chez les archiducs
d'Autriche et les landgraves de Thuringe. Son succès est
tel que le manuscrit d'un poème de Veldeke, prêté à une
comtesse de Clèves, est dérobé par un comte Henri qui
l'envoie en Thuringe, où Yeldeke ne le rattrape que
neuf ans après par Tintercession du landgrave Hermann.
Les traducteurs des « livres v^elches » ne se piquent
pas d'une exactitude littérale. Ils ne sont pas esclaves de
leur texte ; ils l'habillent à leur guise pour qu'il soit mieux
goûté; ils visent à l'élégance et à la grâce. Leur langue
est, par suite, une langue correcte, régulière, propre à
être comprise de tout le public lettré. Non qu'ils renoncent
absolument au parler de leur pays d'origine. Mais s'ils
payent tribut à leur terroir et s'ils sentent leur province,
ils suivent des règles communes, ils bannissent avec soin
ce que leur dialecte offrirait de trop particulier et de
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LB XU* SIÈCLE. 29
ehoquant, ils choisissent leurs mots et leurs rimes, ils
évitent certaines formes. II y a ainsi une sorte de langue
littéraire, le moyen-haut-allemand, le mitteUioehdeutach.
La période de Tancien-haut-allemand se clôt d'ailleurs
après le xi* siècle : les finales se sont assouplies, le phé-
nomène de la métaphonie ou de VUmlaut s'est entière-
ment accompli; le moyen-haut-allemand régnera jusqu'à
la fin du XV* siècle.
Deux clercs composent les premières traductions : le
clerc Conrad, de Bavière, et le cleo: Lamprecht, des envi-
rons de Cologne.
Le clerc Conrad est l'auteur ou plutôt le remanieur et
le compilateur d'une Chronique impériale. Cette Ckro»
niquey où les saints priment les héros, est, selon ses pro-
pres termes, a la fois une chronique et un chant en l'hon-
neur de Dieu. Elle fourmille d'anachronismes inouis et
doreurs fantastiques : on y lit que les Saxons accompa-
gnent Alexandre et que les Bavarois viennent de l'Arménie,
que Tarquin succède à Néron, que Commode combat
Alaric, que l'empereur Gallienest le plus grand médecin
de son époque, et le pape Léon, le frère de Charlemagne.
Mais c'est un vaste tableau de la société chevaleresque;
c'est aussi le répertoite des légendes médiévales, et cette
encyclopédie fut de toutes parts imitée et continuée.
Le même Conrad traduisit vers 1132 la Chanson de
Roland d'après une traduction latine du texte français. Il
cite la Bible, il s'étend sur la piété de Roland et de ses
compagnons qu'il représente comme de fervents chrétiens^
avides de mériter le martyre et de gagner le royaume de
Dieu. Son œuvre respire l'enthousiasme de la croisade et
ses Francs sont en effet, selon son expression, de saints
pèlerins qui prennent la croix. Ses récits de combats ont
même plus de vie et de variété que ceux de notre
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30 LITTÉRATURE ALLEMANDE
Chanson de Roland parce qu'il emploie les formules de
Tépopëe héroïque : le vent que fait Tépée, le ruisseau de
sang qui coule des casques, les fleurs qui se colorent de
rouge.
Le clerc Lamprecht, qui traduisit vers 1138 Y Alexandre
d'Albéricde Besançon, a, lui aussi, l'accent martial. Il est
aise de narrer les prouesses du conquérant qu^il nomme,
comme tout le moyen âge, le merveilleux Alexandre; il
raconte avec vivacité le siège de Tyr et les batailles du
Granique et d'Arbèles. Mais il est prêtre et, lorsqu'il
décrit la douleur des Perses, on sent qu'il compatit au sort
des vaincus.
La poésie française est donc la source où puise la
poésie allemande. En même temps que maître Nivard
écrit a Gand son poème latin à^Ysengrinus où le loup
et le renard jouent le rôle principal, un clerc nomade
d'Alsace, Henri le Glichezâre, versifie, d'après diverses
branches françaises, son Reinhart Fuchs^ qui retrace en
rimes incorrectes, non sans sécheresse, mais non sans
réalisme, les faits et gestes de Renard dans la maison
d'Ysengrin et à la cour du lion, le roi Frevel.
Aux environs de 1170, un poète thuringien met en vers,
dans le Comte Rodolphe^ les aventures d'un chrétien,
Hugues de Puiset, qui passe aux Sarrasins et enlève la
fille de leur roi.
Un autre traduit à la même époque le poème de Floire
et Blanchefleur,
Eilhart d'Oberg compose, vers 1187, un poème de
Tristan et Iseult d'après une version française de la
légende, sans doute celle de La Chèvre. Il est lourd, il
use des formules toutes faites, il a nombre de rimes
grossières et il accumule les épisodes sans les lier for-
tement. Mais le choix heureux du sujet, les expressions
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LB XI1« SIÈCLB 31
welches qu'il emploie, la vivacité de ses dialogues lui
valurent quelque renom.
Henri de Veldeke vint éclipser Eilhart. C'était un
ecclésiastique du petit village de Yeldeke, près de
Maestricht, mais qui savait le monde et qui l'aimait. En
1184 îl assistait à ces fêtes de Mayence où l'empereur
Frédéric Barberousse fit ses deux fils chevaliers. Il n'a
qu'un mince talent. Dans ses poésies lyriques il chante
la nature et l'amour sans nul éclat : il a traduit notre
Roman d'EnéaSf et de quelle façon plate, traînante et
prolixe! Il n'a d*autre souci que d'attraper la rime et il
se répète ; il prodigue les chevilles, les vers de remplis-
sage, et, loin d'ajouter à son texte un trait nouveau, il
supprime des détails nécessaires. Mais il donna le branle
au grand mouvement poétique du xiii" siècle en révélant
k FAUemagne ce Roman d'EnéaSy une des œuvres les plus
remarquables de notre moyen âge français, non seulement
parle soin et la tenue du style, mais par les descriptions
de combats, par la peinture des mœurs chevaleresques,
surtout par le naïf et piquant récit des amours d'Enée,
par la finesse de l'étude psychologique, par l'expression
de sentiments délicats et raffinés. Son Enéide offrait le
modèle d'une versification régulière. Avant lui, la rime
n*était guère qu'une assonance. Yeldeke fut le premier
à rimer purement. Rodolphe d'Ems assure qu'il a le tout
premier, allerérst, trouvé des rimes justes, et Gottfried de
Strasbourg, qu'il a greffé la première branche, impete daz
érstâ rUy sur l'arbre de la langue allemande, et que de
cette branche sont sortis les rameaux dont tous ont
ensuite cueilli les fleurs.
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CHAPITRE V
LE XIII* SIECLE
L'épopée courtoise. — Hartmann d'Ane. •— Gottfried de Strasbourg-.
— Wolfram d'Eschenbach. — Leurs élèyes. — Conrad de Warsbourg',
Rodolphe d'Ems et le Stricker. — Helmbrecbt. — Le Toyage des
Viennois. — Le Weinscbwelg. — Poésie ecclésiastique. — Chroniques
rimées.
Le Minnesang. — Influence française. — Haut amour et bas amour.
^- Hausen. — Morungon et Reinmar le Tieaz. — Walther de la
Vogelweide. — Neifen, Winterstetten et Hobenfels. — Neidbart. — Le
Tannhauser. — Les Suisses» Steinmar, Hadloub. — Maître Alexandre.
— Ulrich de Liechtenstein.
Poésie didactique. — Heriger et Spervogel. — Le Marner. — Frauenlob
et Regenbogen. — Le Winsbeke et la Winsbekin. — Thomasin de
Zirclaerc. — Freidank. — Hugo de Trimberg. — Satire : le prétendu
Seifried Helbling. — Sermon : David d'Augsbourg et Berthold de
Ratisbonne. — Eike de Repkowo.
L'épopée populaire. — Gudrun. — Les Nibclungcn.
Les poètes qui vinrent immédiatement après Yeldekc
semblent constituer son école. Tous, même les plus
célèbres, relèvent de lui; tous riment purement; tous
accentuent le caractère courtois de leur modèle français :
Otte qui traduit vers 1203 VBéracUusde Gautier d'Arras;
Herbort de Fritzlar qui traduit, en l'abrégeant, le roman
de Troie de Benoit de Sainte-More ; Albert d'Halberstadt
qui paraphrase en 1210 les Métamorphoses d'Ovide;
l'auteur de Maurice de Craon. Mais ces noms pâlissent à
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LE XIII* 8IÀCLB 38
c6té de ceux de trois poètes, les trois grands maîtres de
la poésie épique du moyen âge allemand, Hartmann
d'Aue, Gottfried de Strasbourg et Wolfram d'Eschenbach.
S'ils ne sont pas, k vrai dire, originaux^ s'ils n'ont pas
créé leur sujet, ces trois poètes ont créé leur style.
Hartmann d'Aue, Souabe et vassal du seigneur d'Aue
(mort entre 1210 et 1220), est un peu froid dans ses
poésies lyriques et dans son Bûchlein qui contient, sous
forme d'un débat entre le cœur et le corps, une décla-
ration d'amour.
Il doit sa renommée à deux poèmes épiques, VErec et
Vhain. UIçain l'emporte sur VErec, Dans Erec Hart-
mann veut briller, étaler son savoir, et il décrit en cinq
cents vers le palefroi d'Enide que Chrestien de Troyes,
son modèle, décrit en cinquante, hairiy dont il a poli le
style avec un scrupule extrême, est de tous les poèmes
qui traitent la légende d'Arthur le plus régulier et, si
l'on peut dire, le plus proprement fait. Mais hairiy
comme Erec^ est une traduction. Que Hartmann ait avec
raison adouci ou accusé certains traits et pallié heureu-
sement quelques invraisemblances de Chrestien, ce sont
là menus détails; encore, lorsqu'il remanie ainsi le texte
français, commet-il souvent des maladresses, et pour
les réflexions de son cru, bien qu'elles témoignent de
sa sensibilité et d'une ingénieuse observation, elles n'ont
que peu d'importance. Toutefois il est artiste. S'il se
répète fréquemment, s'il développe trop longuement une
pensée qui lui plaît, s'il renchérit sur les antithèses de
Chrestien, il traduit le poète champenois avec tant de
souplesse, il manie le vers avec tant d'habileté, il rime
avec tant de virtuosité !
De même dans le Grégoire : s'il tâche de donner aux
UTT^BATVHB ALLBIUIIOI.
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S4 LITTÉRATURE ALLBMANDB
caractères plus de vérité, s'il marque avec plus de
minutie l'état d'âme des personnages, il n'a pas U
naïveté, la fratcheur, la sobriété du conteur français; la
encore, il allonge et délaie l'original, mais là encore,
en nombre d'endroits, il sait, selon l'expression d'un
contemporain, colorer et orner le récit.
Son œuvre la plus populaire, puisée sans doute à une
source latine, est le Pauçre Henri. Le chevalier Henri
d'Aue, atteint de la lèpre, ne pourra guérir que s*il
trouve une vierge qui consente à lui donner son sang.
Désespéré, il distribue tout son bien, à l'exception d'une
métairie où il vit dans la plus complète solitude. La fille
de son métayer se dévoue; elle part avec lui pour
Salerne; le docteur la couche sur une table, le corps
nu, mains et jambes liées, et déjà il aiguise le cou-
teau. Mais Henri, resté dans une chambre attenante,
voit à travers une fente l'innocente victime, il entre, et
il ramène en Souabe la jeune fille qui le traite de lâche.
Il est assez éprouvé; Dieu le guérit, et le chevalier prend
pour femme celle qu'il nommait plaisamment sa fiancée.
Hartmann se garde de peindre les efiets physiques de la
lèpre. Mais les sentiments de Henri qui négligeait son
salut, sa tristesse, sa résignation, son humiliation, sa
soumission envers Dieu, tout cela, Hartmann l'a décrit
sans trop de longueurs en son style pur et toujours aisé.
L'héroïne excite l'intérêt autant que le « pauvre Henri » :
elle veut échapper aux misères terrestres, sauver son
âme, gagner par son sacrifice la vie éternelle. On ne lui
reprochera que de faire de graves discours à ses parents :
elle a douze ans!
Hartmann est doux, sage, plein de cette mesure, de
cette mâze qu'il regarde comme la première vertu du
chevalier. S'il n'a pas une grande faculté d'invention,
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LB XIII* 81BCLB S6
s'il e8t parfois subtil et recherché, s'il abuse des sen-
tences, il s'exprime gentiment, non sans bonhomie ni
malice, avec autant d'élégance et de finesse que de clarté.
Il n'est pas énergique, pittoresque, puissant comme
Chrestien. Mais il est aimable, enjoué, gracieux, et,
ainsi que disait Gottfried de Strasbourg, son style a la
transparence du cristal.
De même que Hartmann a traduit Chrestien de Troyes,
de même Gottfried a dans le Tristan traduit le poète
anglo-normand Thomas, qu'il nomme Thomas de Bre-
tagne. S'il y a dans l'œuvre allemande une fine psycho-
logie, le mérite en revient d'abord à Thomas. C'est Tho-
mas, et non Gottfried, qui a créé les personnages du
Tristan, pénétré jusqu'au fond de leur cœur, rendu leurs
sentiments intimes.
Du reste, on ne sait rien de ce délicieux Gottfried,
sinon qu'il a composé son poème vers 1215, qu'il était
laïque, qu'il avait une très grande instruction et qu'il
possédait le français. Nos mots, nos expressions foison-
nent dans son Tristan. Il ne se contente pas de faire
un vers comme celui-ci : mit fierer contenanze, <c avec
fière contenance » ; il cite des vers entiers en notre
langue.
II a des défauts et il ne manque pas de copier les sub-
tilités de Thomas. L'allégorie lui jplaft, et il dira que des
vêtements ont été désirés par Fierté, payés par Richesse,
coupés par Raison et cousus par Courtoisie; que le
combat entre Tristan et Morolt avait lieu entre huit
hommes puisque Morolt valait quatre guerriers et que
du côté de Tristan luttaient Dieu, le droit, le courage et
Tristan lui-mèioie. Il prodigue les jeux de mots et les
jeux de rimes, il tombe parfois dans le précieux, et à
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36 LITTERATURE ALLEMANDE
force de développer soit la pensée, soit la description,
il devient diffus.
Mais Gottfried a corrigé son devancier et dissipé ses
obscurités ; il a mieux motivé les actes des personnages
et il a mis en plein relief le caractère de Brangain et celui
du sénéchal Mariadoc; il a souvent ajouté des traits
ingénieux et des détails charmants à son original ; il a
voulu faire ce que Hartmann, selon lui, avait déjà fait,
donner au « livre welche » plus d'éclat et plus de cou-
leur, et il y a réussi. Nul au moyen âge allemand n'a plus
d'esprit, plus de goût, plus de fraîcheur, plus d'har-
monie que Gottfried. Quelle suite d'images brillantes
et variées dans le passage, qui, sûrement, n'appartient
qu'à lui, sur les poètes de son temps ! Il use habilement
de toutes les ressources de la langue; il ne se borne
pas à filer de belles périodes symétriques; par la répéti-
tion, par l'interrogation, par l'exclamation il imprime
à son récit une allure vive, un élan lyrique, et, si sca-
breuses que soient les situations, sa touche est légère,
délicate, décente; pas de plaisanterie, pas d'équivoque.
Aussi, l'œuvre de Gottfried, quoique inachevée, forme
un attrayant ensemble. Elle a conféré l'immortalité à
Iseult et à Tristan. Il regarde les deux amants comme le
modèle des nobles cœurs et il prend parti pour eux
contre le roi Marc. Â qui la faute, sinon au philtre qu'ils
ont bu? Leur passion est fatale, irrésistible, indestruc-
tible, et rien ne prévaut contre elle. Selon Gottfried, ni
Tristan ni Iseult n'ont trompé Marc; ils s'aimaient; ils
avaient et bonheur et honneur; c'est Marc qui menait une
existence déshonorante puisqu'il aimait Iseult et qu'il
savait qu'elle ne l'aimait pas ! L'amour, aux yeux de
Gottfried et de ses contemporains, est donc souverain,
cet amour dont Gottfried célèbre Tempire par toute sorte
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LB XIII* SlàCLB 37
d'épithètes, cette JUinne qui tend des embûches à tous
les hommes, qui les domine tous, les trouble, les enlace
et les enduit de sa glu, cette Minne qui dans a la grotte
des amants » ofire à Tristan et à Iseult la vie idéale, le
WunschUben !
Wolfram d'Eschenbach (1170-1220), chevalier bavarois
qui possédait un petit bien près d'Ansbach, est le plus
original, le plus allemand des poètes du moyen âge. Il
n'a pas la culture classique de Hartmann et de Gottfried
et il assure qu'il ne sait ni lire ni écrire. Mais il n'ignore
pas le français, bien qu'il commette parfois d'amusants
contre-sens ; il a tâché de s'instruire et prêté curieuse-
ment l'oreille à tout ce que chantaient et contaient jon-
gleurs et vagants; il a guerroyé, parcouru le sud et le
centre de l'Allemagne; il connaît les hommes et le
monde chevaleresque.
Il est poète lyrique et, dans ses aubades, il exprime en
images énergiques et hardies l'inquiète tendresse de
l'amant. Dans Titurel il rend avec charme l'ardent
amour de Sigune. Dans Willehalnty inachevé du reste
et composé d'après notre poème d^Aleschans, il montre
de louables sentiments de mansuétude et de tolérance,
relève les païens que son modèle abaissait, ennoblit le
Renouard de la geste française.
Le Parzii^al est son œuvre principale. Lehéros, Parzival,
a pour père Gahmuret, roi d'Anjou, et pour mère Herze-
loyde^ reine de Valois. Gahmuret périt dans un combat;
Herzeloyde, qui veut soustraire son fils aux dangers de
la vie chevaleresque, se retire avec lui dans la solitude
en pleine forêt. Mais un jour Parzival rencontre des
chevaliers aux brillantes armures et, malgré Herzeloyde,
il les suit k la cour d'Arthur où il débute par un coup de
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38 LITTÉRATURB ALLEMANDE
maître. Son oncle Gurnemanz lui enseigne les devoirs d'un
chevalier et l'engage à ne questionner indiscrètement
personne. Fort de ces conseils, Parzivai court le monde. Il
délivre la reine Condwiramur de ses ennemis et l'épouse.
Puis, ressaisi de la soif des aventures, il part à la recherche
de sa mère. Il entre au château de Montsalvat. Par mal-
heur, il n'oublie pas à propos la recommandation de
Gurnemanz : il voit un page porter une lance sanglante
dont la vue afflige les assistants ; il voit la sœur de son
hôte Anfortas apporter le Oral qu'il suffit de placer sur la
table pour qu'elle se couvre de mets; il voit Anfortas
malade et malheureux ; il entrevoit sur un lit un vieillard
plus gris que le brouillard, et il ne fait aucune question. Le
lendemain, lorsqu'il part, le château est vide, et bientôt
il apprend que son silence lui coûte le bonheur. Il regagne
la cour d'Arthur et il aperçoit sur la neige trois gouttes
de sang. A cet aspect il se rappelle Condwiramur au
visage blanc et rose, il se perd dans ses pensées et il ne
revient à lui que lorsque Gauvain jette sur les gouttes de
sang son mouchoir. Le souvenir de Condwiramur a sauvé
Parzivai du désespoir et il est reçu chevalier de la Table
Ronde. Mais Kondrie la sorcière lui reproche dans les
termes les plus cruels sa conduite à Montsalvat et assure
au roi Arthur que l'honneur de la Table Ronde est désor-
mais souillé. Parzivai s'éloigne et, au bout de cinq ans
de prouesses, il rencontre l'ermite Trevrizent qui lui
révèle le mystère du Gral. C'est une pierre précieuse
tombée du ciel; ses gardiens, auxquels elle fournit d'iné-
puisables richesses, sont les Templiers; ils doivent être
pieux et chastes; seul, le roi peut vivre en état de
mariage; le vieillard que Parzivai n'a fait qu'entrevoir
est Titurel, et Titurel a deux petits-fils, Anfortas et Tre-
vrizent; infidèle à son serment, Anfortas a été blessé par
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LB XIII* ilBCLB 19
une lance empoisonnée et il ne gnérira que lorsqu'un
chevalier l'interrogera sur la cause de ses souffrances.
Encouragé par Trevrisent, qui lui remet ses péchés,
transformé, régénéré, Parzival marche dorénavant d'un
pas ferme vers le but qu'il s'est fixé. II triomphe de
l'invincible Gauvain; il combat son frère consanguin
Feirefiz, né de l'union de Gahmuret et de Belakane, reine
des Maures; il entre à Montsalvat; il interroge Anfortas
qui guérit aussitôt; il se fait couronner avec Condwi-
ramvr, et son fils Lohengrin lui succédera comme roi
du Oral.
Ainsi, après de longues épreuves, le héros devient
l'oint du Seigneur. C'est d'abord un simple, tump; puis il
se jette dans le monde et il passe à côté du vrai bonheur;
il sacrifie l'humanité au respect des formes courtoises, il
perd le Oral et, tout en reconnaissant sa faute, il s'aban-
donne au doute et à l'orgueil au lieu de s'amender. Enfin,
à la voix de Trevrizent, il se réconcilie avec Dieu dont
il s'était détourné, et il obtient la plus belle royauté.
A Parzival s'oppose Gauvain. Le poète représente
dans Parzival et Gauvain deux types de chevalier : Par-
zival, sérieux, grave, pensant aux choses du ciel; Gau-
vain, léger, volage et attaché aux choses de la terre.
Autour d'eux se groupent les autres personnages : du
côté de Parzival, Gurnemanz et Trevrizent, sa mère
Herzeloyde, sa femme Condwiramur, sa cousine Sigune
et U sœur d'Anfortas, Repanse de Joie, dont l'âme est si
noble que le païen Feirefiz, pour l'épouser* abjure sa
religion; du côté de Gauvain, de belles dames gracieuses,
fringantes, mais capricieuses, coquettes, altières, amères
dans leur douceur, bi der sueze al sûr.
Ainsi, le Parzival est un tableau de la chevalerie. La
plupart des personnages ressemblent h ce Gahmuret qui
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40 LITTBRATURB ALLEMANDE
sent sa mamelle gauche se gonfler d*an désir de gloire,
et tous souhaitent, comme s'exprime Tun d'eux, qu'on
les loue devant les dames. La vie chevaleresque, voilà
pour Wolfram la seule vie enviable, et il chevalerise
toutes choses. Il voit dans les premières étoiles les
fourriers qui préparent le logement de la nuit et dans la
terre au printemps un faucon qui mue. C'est des tour-
nois et des fêtes qu'il tire ses images, et il dira, par
exemple, non qu'il dicte des règles, mais qu'il dresse
des buts. Mais, s'il décrit avec complaisance le a jouter »
et le a poindre », s'il doue ses héros d'une âme hardie
et belliqueuse qui répudie l'inaction, il ne cesse de
prêcher l'honneur, la werdekeity et, bien qu'il soit quel-
quefois cru, il vante les femmes sages et chastes, il
nomme la pudeur la serrure de toutes les vertus, il
exalte le mariage.
Graves sont les défauts du poème. Wolfram ne marque
pas assez nettement le conflit des passions terrestres et
des aspirations idéales dans le cœur de Parzival et la
métamorphose qui peu à peu s'accomplit en lui. L'histoire
de Gahmuret est trop longue et l'épisode de Parzival
délivrant Condv^iramur ne fait que rappeler l'épisode de
Gahmuret délivrant Belakane. Trop souvent Gauvain est,
pour parler comme l'auteur, le maitre du récit et celui
qui tient l'aventure dans ses mains. Enfin, Wolfram n'a
pas la belle clarté de Hartmann et de Gottfried ; il est fré-
quemment obscur et Gottfried disait déjà qu'on ne pou-
vait le comprendre sans commentaire. Et pourtant, qui
ne rendrait hommage à l'élévation de sa pensée, à l'on-
ginalité de son style, à la force de cet esprit qui sut
traiter d'un bout à l'autre un sujet si vaste, exécuter
habilement la plupart des détails, dominer l'ensemble de
l'ouvrage! Qu'il ait emprunté sa matière à Chrestien de
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L« XIII* SIÂGLB 41
Troyes, puis à cet introuvable Kyot on Guyot qui remanie
et continue Chrestien, il possédait en tout cas une prodi-
gieuse mémoire, une intelligence puissante, Tâme et le
talent d*un grand poète.
Les trois grands maîtres de l'épopée courtoise, élèves
des Français, eurent des élèves à leur tour.
Le lourd Lanzelet d'Ulrich de Zatzikoven ; le Wigalois
de Wirnt de Gravenberg qui imite le Guinglain de
Renaud de Beaujeu; le Wigamur d'un médiocre poète
qui fait de son héros un chevalier à l'aigle comme
Wirnt avait fait de son Wigalois un chevalier à la roue
et Hartmann de son Ivain un chevalier au lion ; le Gauriel
de Conrad de Stoffel qui, lui, fait de son héros un che-
valier au bouc; la Couronne de Henri von dem TOrlin
qui retrace en rimes pures, mais sans aucun plan, les
aventures de Gauvain : voila les disciples de Hartmann
d'Âue.
Wolfram compte le plus d'adeptes. On le regarde
comme le poète par excellence, et Wirnt assure que
jamais bouche de laïque n'a mieux parlé. Ses principaux
imitateurs ont été : le Bavarois Albert, auteur d'un Titu-
rel , dit le « petit Titurel », œuvre lourde et pédantesque
qui paraphrasait le Titurel de Wolfram et qui fut attri-
buée à son grand devancier; le Pleier qui dans trois
romans arthuriens vastes et diffus inséra sans vergogne
des vers et des passages entiers du seigneur d'Eschen-
bach; Ulrich von dem Tûriin qui voulut composer une
introduction au Willehahn et raconter les amours de
Guillaume et de Guibourg; Ulrich de Tûrheim qui conti-
nua le Willehalm; les deux Thuringiens qui firent, l'un,
la Guerre de la Wartbourg en l'honneur du landgrave
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42 LITTÉRATURB ALLBMAKOB
Hermann de Thuringe, Tautre, le Lahengriity qui fut, à la
fin du siècle, longuement développé par un poète bava-
rois ; le plat et prolixe Ulrich d'Eschenbach qui narre la
conversion de Guillaume de Wenden et mot en vers
Y Alexandre latin de Gautier de Châtillon.
Conrad Fleck, Ulrich de Tûrheim, Henri de Freiberg,
Conrad de Wûrzbourg, Rodolphe d'Ems, le Stricker
forment l'école de Gottfried.
Il y a dans le poème de Fleck, Floire et Blanchefleun
de l'agrément et de la fraîcheur.
Ulrich de Tûrheim et Henri de Freiberg continuèrent
le Tristan d'après Eilhart d'Oberg et des rédactions
françaises. Mais le premier est froid et vulgaire; il ne
sent pas avec ses personnages; il donne à Cardin,
compagnon de Tristan, le ton d'un Sancho Pança; il
souhaite que Tristan aille d'enfer en paradis. Le second,
qui composa son œuvre vers 1290, a de l'aisance, de
l'abondance, de la vivacité. Tous deux racontent que le
roi Marc fit enterrer les amants à côté l'un de l'autre et
planter une vigne sur la tombe d'iseult et un rosier sur
la tombe de Tristan, que les deuxarbustes se rejoignirent
et que leur feuillage se confondit ; mais Ulrich de Tûrheim
dit sèchement qu'il ne croit pas k ce miracle; Henri de
Freiberg assure que les arbustes s'entrelacent amoureu-
sement parce qu'ils étaient enracinés dans les cœurs des
deux amants où le breuvage fatal couvait encore.
Conrad de Wûrzbourg, Rodolphe d'Ems et le Stricker
ont des traits communs. Ils se piquent d'être savants; et
pourtant leur talent est habile et souple ; après avoir tenté
de grandes œuvres, ils comprirent peut-être que leurs
visées étaient trop hautes et, incapables de cueillir la
palme épique, ils abordèrent des genres plus humbles oh
ils réussirent.
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LE XIII* SIBCLE 49
Conrad de Wûrzbourg (mort à Bâle en 1287) a inauguré
dans le Tournoi de Nantes la poésie héraldique. Il a tra-
duit notre Parténopeua de Blois ainsi que notre Cheçalier
au cygne et composé d*après Benoît de Sainte-More,
avec force additions d'Ovide et de Stace, une Guerre de
Troie. Il a versifié des légendes latines, entre autres
celle de saint Alexis, ce héros de Dieu, dont il retrace
avec complaisance le glorieux abaissement, et il a fait
dans la Forge d*Or un panégyrique de la Vierge. Son
talent se déploie surtout dans des nouvelles, dans Otion
à la barbcy dans Thistoire de la dame qui mange sans le
savoir le cœur de son amant et le trouve doux comme
sucre, dans Engelhard et Engeltrute qui traite la légende
d'Amis et Âmiles. Son Salaire du Monde représente
Wirnt de Gravenberg qui lit dans sa chambre un récit
d'amour et qui voit soudain apparaître une femme mer-
veilleusement belle : c'est le Monde^ cette dame Monde,
Frau Weltj que Wirnt a louée, désirée, et puisqu'il Ta
si fidèlement servie, elle le récompense, elle se tourne,
elle montre son dos. Quel spectacle! Des ulcères, des
crapauds et des serpents, des mouches et des fourmis,
des vers qui rongent une chair puante, une robe fanée,
usée! Et Wirnt qui ne veut pas se damner, renonce au
Monde et part pour la croisade. La Plainte de l'art offre
pareillement une allégorie : douze Vertus sont assises
dans une clairière; Art, frappé d'une flèche aiguë par
Pauvreté, porte plainte contre Largesse qui le laisse aller
indigent et nu. Mais Conrad ne sait résister à la manie
d'amplifier; sa poésie, facile, gentille, jolie, a trop de
mollesse et de nonchalance; elle ne touche pas, elle
n'émeut pas ; c'est une suite fatigante d'images qui se
pressent sans aucun ordre. Quelle prolixité dans son
Parténopeus où il semble n'avoir d'autre souci que
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44 LITTÉRATURE ALLEMANDE
d'ajouter les vers aux vers, dans sa Forge d'Or où il
entasse litanie sur litanie, dans sa Guerre de Troie où il
range les Allemands sous les drapeaux des Grecs et
envoie contre Ilion païens et musulmans! Conrad est
verbeux, et de tous les poètes du moyen âge, celui peut-
être qui dit le moins de choses avec le plus de mots ; il
accompagne chaque substantif d'une épithëte vague et
banale ; pas un arbre qui ne soit vert, de chant qui ne
soit doux, de feu qui ne soit chaud, de glace qui ne soit
froide, de pierre qui ne soit dure, de douleur qui ne soit
cruelle, de malheur qui ne soit amer, de beauté qui ne
soit impériale. Il a, comme Gottfried, célébré l'amour;
mais où est la flamme, où est le prestige de Gottfried?
Rodolphe d'Ems (1220-1254) a jeté dans son poème
inachevé A^ Alexandre une foule d'épisodes et de détails
tirés de toutes parts, et il commet de singuliers contre-
sens, prenant Lesbos et Halicarnasse pour des noms
d'hommes, transformant en rivière la ville de Memphis.
11 a fait un Barlaam et Josaphaty clair et judicieux
abrégé d'un original latin, un Guillaume JC Orléans dont
le style est parfois aimable et aisé comme celui de Gott-
fried, et une Chronique du Monde qui enseigna aux
laïques l'histoire de l'Ancien Testament. Sa meilleure
œuvre est le Bon Gérard^ récit simple, attachant, com-
parable au Pauvre Henri^ remarquable par le langage
modeste et digne du héros, par le contraste entre
l'empereur et le bourgeois, entre celui qui donne
bruyamment et celui qui donne en secret.
Le Stricker qui écrivit entre 1225 et 1250 est l'auteur
d'un poème arthurien, Daniel de Blumenthaly sec et
dénué d'intérêt. Il a remanié le Roland du clerc Conrad,
et son style, plus agréable et plus net que celui de son
devancier, a moins de vigueur et de nerf. Finit-il par
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LB Xlll^ 81BCLB 45
s'aviser qu'il s'élevait au-dessus de sa sphère et qu'il
devait descendre? Quoi qu'il en soit, il composa des
contes et s'il redit des choses connues, s'il est négligé,
s'il se répète, sa langue a beaucoup de naturel et de
grâce. Un voleur qu'un paysan prend pour saint Martin;
une femme qui persuade à son mari qu'il n'est plus en
vie; une autre qui fait croire qu'elle est morte et que
son brutal époux courtise sans la reconnaître ; le curé
Amis, ce fourbe insigne qui court le monde, dupant et
bafouant grands et petits : tels sont les sujets que le
Stricker a traités.
Le Stricker avait, ainsi que Conrad de Wûrzbourg,
introduit le genre de la nouvelle en vers. Nombre de nou-
vellistes le suivirent, et si Ton ignore l'auteur de YEper^
nery du Levraut^ de la Méchante femmCy on connaît le
Styrien Herrant de Wildonie dont le Mari trompé est
assez plaisant, et un Bavarois, Wernher le Jardinier, qui
Gt après 1250 le poème de Helmbrecht. Fils d'un riche
paysan, orgueilleux, coiffé d'une belle toque de soie,
coquettement attifé, Helmbrecht entre au service d'un
chevalier-brigand. Il a pour compagnons Avale-agneau,
Avale-bélier, Sac d'enfer, Remue-l'armoire, Mange-
vaches, Vole-calice, Gueule de loup, et lui-même prend
et mérite le surnom d' Avale-pays. Au bout d'un an, il
revient au logis paternel ; il a les façons brusques et mêle
à sa conversation des bribes de français et de tchèque ;
il raconte sa vie à son père qui frémit d'horreur; il
emmène sa sœur qui épouse Avale-agneau. Mais au milieu
du repas de noces apparaissent le juge et les archers.
La mariée est dépouillée de ses vêtements. Les bandits
sont envoyés au gibet. Seul Helmbrecht obtient sa grâce
et il eût préféré la mort : le bourreau lui crève les yeux
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46 LITTBRATORB ALLEMANDE
et lui coupe une main et un pied ; son père le chasse et
le maudit ; un paysan Tinsulte, le frappe et le pend à un
arbre. Wernher narre, dit-il, ce qu'il a vu^ et sa brièveté,
sa simplicité, le sérieux qui Tanime, tout fait de ce
poème une attachante et instructive lecture.
 cette sombre histoire s'opposent de vives et spiri-
tuelles descriptions, le Voyage des Viennois et le Wein^
schwelg. L'auteur du Voyage^ le Freudenleere ou le Sans«
Joie, met en vers une anecdote qui lui fut contée à
Vienne par un burgrave ; mais le récit est d*origine plus
ancienne, et Athénée l'attribue k Timée. Une nuit, des
bourgeois de Vienne, échauffés par le vin, s'imaginent
qu'ils sont partis pour la Terre-Sainte et qu'ils naviguent
en pleine mer ; la tète leur tourne, et ils croient qu'une
tempête assaille leur vaisseau; pour apaiser Dieu, ils
jettent par- dessus bord, c'est-à-dire par la fenêtre, un de
leurs compagnons qui git sous un banc.
Le Weinschv^elg est plus invincible au vin que les
Viennois. Possédé d'une soif monstrueuse, il boit, non
dans un gobelet, mais dans un grand pot, et il boit à
outrance, sans se lasser, comme ne burent jamais
l'aurochs et l'élan, avalant rasade sur rasade, prônant à
chaque coup ce breuvage qui « salue son cœur et allonge
sa vie », glorifiant ce « doux flot qui balaie le chagrin »,
assurant qu'il ne pourchasse que ce gibier, faisant craquer
son banc, criant que nul en Allemagne ne rivalise avec
lui et lorsque sa ceinture se rompt, lorsque sa chemise
se déchire, revêtant, pour que le vin ne puisse le forcer
et l'ouvrir, un justaucorps de buffle et, par-dessus, une
cuirasse de fer. C'est le type de la beuverie allemande,
et ses prouesses bachiques, narrées avec verve, sont
bien dignes d'un pays où boire est, comme dit Borne,
une affaire, une étude, un service divin, et où Ton
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LB Xlll** SlàCLB 47
compte par centaines les mots qui signifient boire et
être ipre.
Telles sont au xiii* siècle les principales œuvres de la
poésie chevaleresque qui déjà s'embourgeoise. La poésie
ecclésiastique florissait encore ; mais elle imitait la poésie
courtoise. On ne cite ici que des noms : Conrad de
Fnssesbrunnen qui compose une Enfance de Jésus; Con-
rad de Heimesfurt qui chante Tascension de Marie et la
résurrection du Christ; Reinbot de Durn qui célèbre
saint Georges avec emphase et diffusion; Henri de
Krolewitz qui commente l'oraison dominicale; Lutwin
qui consacre un poème à Adam et Eve; Lamprecht de
Ratisbonne qui fait une vie de saint François ; un ano-
nyme qui, dans des vers contre la cour et les chants
d'amour, essaie vainement d'atteindre l'énergie de Henri
de Môlk; Brun de Schonebeck, riche marchand de
Magdebourg, qui élucubre en plus de douze mille vers
dans un style médiocre une paraphrase du Cantique des
Cantiques (1276).
Même les historiographes du temps imitaient la poésie
chevaleresque, et que de chroniques rimées sur le modèle
de celle de Rodolphe d'Ems : la Chronique du monde où
un bourgmestre de Vienne, Jansen Enikel, recueille
anecdotes et nouvelles, et son LiVre des princes qui
glorifie les archiducs autrichiens ; la Chronique d^ Autriche^
d'Ottocar de Styrie; la Chronique de Cologne j du greffier
Hagen ; la Chronique de Liçonie^ qui retrace les combats
de l'Ordre Teutonique!
La littérature lyrique allait au xiii* siècle de pair avec
la littérature épique, et, sous l'influence de la France,
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48 LITTERATUBB ALLBMANDB
s'était développé le Minnesang ou poésie d'amour. La
forme même de cette poésie était française. Après avoir
employé la strophe dite des Nibelungen avec des rimes
simples, les minnesinger imitèrent les troubadours et les
trouvères : tripartition de la strophe, enlacement des
rimes, répétition de la même rime dans toute la strophe.
Ils n'avaient pas d'abord exprimé les mêmes idées.
Dans les vers attribués à Kûrenberg la femme prie
l'amant d'être fidèle ; elle pense en rougissant au beau
chevalier; elle regrette ce faucon qu'elle élevait et qui
s'est envolé loin d'elle, et l'amant fait seller son cheval
pour échapper à sa maîtresse exigeante. Dans les vers qui
portent le nom de Dietmar d'Eist, dans les strophes de
Meinloh et du burgrave de Ratisbonne, l'amante appelle
celui qu'elle n'a pas vu depuis mille ans au moins, elle
l'exhorte à fuir les autres femmes, elle assure qu'avec
lui est partie toute sa joie. Ces premières poésies du
Minnesang, brèves, énergiques, passionnées, ont un
accent parfois âpre et rude dans sa fierté; l'homme ne se
plie pas encore aux règles de la courtoisie; la femme
s'humilie devant lui comme devant le seigneur de sa
pensée.
Mais bientôt la lyrique allemande subit l'influence
étrangère, et Lessing faisait preuve de sagacité lorsqu'il
disait qu'elle s'était trop formée d'après le siècle français.
Comme nos troubadours et nos trouvères, les minne-
singer taisent le nom de la femme qu'ils aiment ou lui
donnent un nom fictif. Leur « chant du jour » ou
tageliety où le guetteur annonce au chevalier que le jour
vient et qu'il faut s'échapper malgré les larmes de la
dame, n'est autre que 1' <c aubade » des Français et
r a alba » des Provençaux.
Sous cette influence les minnesinger font de la femme
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LB XIII* BIBCLB M
leur Bouveraine. Ils chantent, non leurs inimitiés, leurs
luttes, leurs aventures de guerre et de croisade; ils ne
chantent, comme l'indique leur nom, que Tamour, la
Minne\ ils vantent leur dame, sa beauté, sa grâce — la
beauté, dit Walther, passe après la grâce — et même sa
bonté; ils assurent qu'ils l'aiment éperdument; ils
envient le pré qu'elle touche do ses pieds. Non qu'ils
soient tellement platoniques : ils sollicitent, et quelque-
fois crûment, le prix de leur constance, et lorsque
Clymène les rebute, ils se retournent vers Jeanneton ; ne
pouvant aimer à la cour ou au château, ils aiment au
village. Ils ont deux amours : le haut amour et le bas
amour, la hohe Minne qui s'adresse aux nobles dames
et la niedere Minne qui s'adresse aux jeunes filles de
modeste condition ; ils ne se contentent pas de courtiser
la frouwe\ ils donnent rendez-vous sous le tilleul à la
froweUn plus libre et plus facile ; ils s'entretiennent à la
fontaine avec d'accortes servantes, et, pour parler comme
l'un d'eux, leurs maîtresses labourent et vont à Therbe.
Mais ils célèbrent surtout le haut amour, et ils le
célèbrent froidement. Ils ne détaillent même pas la beauté
de leur dame ; ils disent simplement qu'elle a la bouche
rose et les dents blanches. Ils lui témoignent le plus
profond respect; ils essuient avec patience ses rebuf-
fades; elle est leur reine et ils obéissent à ses caprices.
Leur amour est un amour de convention, un jeu de l'es-
prit, une mode. Aussi, c'est presque toujours un amour
malheureux, élégamment transi. Ils ont beau se plaindre
du «( nenni » de la dame ; on sent que leur douleur n'est
pas sincère et elle dure trop longtemps : l'un soupire
sept ans sans parler k celle qu'il aime, l'autre ne l'entre-
voit que deux fois en un an, un autre grisonne à son
service et ses lecteurs lui demandent malicieusement
UTTéHATCRI ALLKXARDV.
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50 LITTÉRATUBB ALLEMANDS
quel âge elle peut avoir. Pourtant, si le Minnesang
manque de chaleur et de vie, il adoucissait les mœurs
de Tépoque et les ennoblissait : la dame qui résiste à
Johansdorf lui promet qu'il n'en aura que plus d'hon-
neur.
Faut-il énumérer tous ces chanteurs d'amour? Ils
se ressemblent à peu d'exceptions près et leurs pièces
ont un caractère uniforme. Le feuillage qui jaunit, la
tristesse de l'hiver, le mai verdissant, les Merker ou
espions chargés par le mari jaloux de surveiller la dame,
les messagers dont se servent les amants, voilà les
sujets qu'ils traitent, sans éclat d'ailleurs et sans origi-
nalité. Citons les plus intéressants et prenons le dessus
du panier.
Frédéric de Hausen, qui périt en Terre Sainte (1190),
a fondé la lyrique chevaleresque et courtoise. S'il ne
rime pas avec pureté, il use de l'antithèse, il raisonne,
il demande ce que peut bien être l'amour, il imite
Folquet de Marseille et Bernard de Ventadour.
Il fit école et il eut des disciples, Gutenburg, Bligger
de Steinach, Bernger de Horheim. Comme lui, le
comte de Neuchâtel, Rodolphe de Fenis, prend pour
modèles des Provençaux, Folquet et Peire Vidal, et
comme lui, il est subtil et froid. De même, le Souabe
Henri de Rugge.
Le Bavarois Johansdorf a plus de vivacité, plus de
passion.
Le Thuringien Henri de Morungen et l'Alsacien
Reinmar le Vieux sont, avant Walther, les plus grands
des minnesinger. Morungen est né poète, et lui-même dit
qu'il vint au monde pour chanter. Il varie les comparaisons
lorsqu'il célèbre la beauté de sa dame qui, comme l'elfe,
l'a fasciné du regard. II l'invoque et l'évoque; il voit
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LB XIII* SIÈCLE 51
son corps plus blanc que neige briller à travers la
nuit; il se figure qu'elle entre dans sa chambre, qu'elle
le prend par la main, le conduit aux créneaux de la
tour. Il assure que, si Ton ouvrait son cœur, on y verrait
l'image de la belle. Il veut qu'on écrive sur sa tombe
qu'il fut dédaigné de celle qu'il aimait tant, et le passant
saura les torts qu'elle eut envers lui. O
Tout en suivant la voie tracée par Hausen, Reinmar
le Vieux a la rime pure et il passa pour un maître
de la forme. Gottfried de Strasbourg compare sa langue
à celle d'Orphée et le nomme le chef du chœur, le
porte-drapeau. Mais il manque d'aisance, de souplesse,
d'harmonie. Il ne chante guère que les émotions de son
cœur et il les chante longuement, sans nul relief, d'une
façon vague, abstraite. Subtil et entortillé, il est plus
psychologue que poète. La note triste domine dans ses
vers; il ne sait prendre d'autre ton que le ton de
l'élégie, ne sait que pleurer, gémir, soupirer, et il s'en
fait gloire. Mélancolique de parti pris, il dira que le
souci est bon et qu'être sans souci, c'est être sans mérite.
Il fut le poète attitré de la cour d'Autriche, d'une société
déjà raffinée qui goûtait le genre sobre, discret et
mesuré.
Après la mort de Reinmar le Vieux, s'écrie Gottfried de
Strasbourg, celui qui doit porter la bannière et guider
la troupe sacrée, c'est Walther de la Vogelweide! Et
Walther est en effet le plus grand et le plus populaire
des lyriques de son temps. Nul ne s'exprime alors avec
une aussi vigoureuse brièveté. 11 imita dans ses poésies
politiques les sirventes de notre Midi, traitant les
mêmes sujets que les troubadours, usant des mêmes
expressions, les combattant quelquefois, par exemple,
lorsqu'il riposte aux injures que Peire Vidal dit aux
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(S LITTBRATURB ALLEMANDE
Allemands. Mais ces poésies, ces Sprûche ou Proverbes,
courtes, vives, ardentes, portaient sur leurs ailes les cris
douloureux ou triomphants du patriotisme teutonique.
Elles avaient autant de retentissement que certains
articles de nos journaux de jadis, et à cette voix vibrante
répondaient des milliers de voix. Il était de pauvre
noblesse et il alla longtemps de cour en cour jusqu'à ce
que Frédéric II lui fit don d'un petit fief (1215). L'Empire
en lutte avec la papauté n'eut pas de plus ardent, de
plus éloquent champion. Il attaque Innocent III, ce
Judas, ce nécromant, ce suppôt de l'enfer, qui perd la
chrétienté et qui devrait laisser à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est a Dieu, les cardinaux qui
couvrent leur propre chœur tandis que le saint autel
subit une méchante ondée, le clergé qui n'a plus la vie
simple et la pureté d'antan. Walther sait varier l'invective
et la dramatiser* Il montre le pape riant avec ses Welches
des Allemands qui saccagent l'Empire pendant qu'il
remplit ses caisses, de ces fous d'Allemands qui jeûnent
pendant que les prêtres d'Italie mangent du poulet et
boivent du vin. Il apostrophe le tronc, Sire tronc, où les
fidèles déposent le denier de la guerre sainte. Il met en
scène un pieux ermite qui pleure dans sa cellule et prie
Dieu de sauver le monde. Il se représente lui-même
assis sur une pierre, appuyant le coude sur le genou et
la main sur la joue, méditant dans cette attitude sur la
situation de l'Allemagne, ou bien, quand les princes
hésitent à conférer la royauté à Philippe, il entend bruire
un ruisseau et il pense aux poissons qui nagent dans
l'eau, à tout ce qui rampe, vole et marche. Quoi! tous les
êtres ont un seul roi, une seule loi, et la nation alle-
mande n'a pas de souverain, et les princes orgueilleux
tardent à élire Philippe, et de pauvres roitelets — les
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LB XIII* 8IÈCLB 53
rois de France et d'Angleterre — prétendent à TEmpire !
Que la nation allemande les fasse reculer et qu'elle mette
la couronne impériale et son diamant TOrphelin sur la
tète de Philippe!
Les lieds de Walther le placent au premier rang des
minnesinger. Déjà ses Proverbes contiennent d'impo-
sants tableaux, comme l'entrée du roi Philippe dans
l'église de Magdebourg : le monarque, sceptre en main
et couronne au front, avançant avec lenteur, sans se
presser, et derrière lui, glissant sur le sol^ la reine, rose
sans épine et colombe sans fiel. De même, dans ses
lieds. Pour revoir une jeune fille qui lui est apparue dans
un rêve, il court les bals en priant les dames de relever
leur chapeau. Dans une autre pièce, une belle raconte
son rendez-vous : c'était dans une prairie et l'on peut
remarquer près d'un buisson de roses l'endroit où repo-
sait sa tète; mais personne ne saura ce qu'elle faisait,
sinon elle, lui et un oiselet. La joie mutine de l'amou-
reuse, la naïveté de son aveu, l'harmonie du vers et sa
légère allure, le tandaradei qui revient en refrain à la
fin de chaque strophe, tout donne à ce petit poème je ne
sais quoi d'allègre et de tendre. Comme tous les minne-
singer, Walther associe le printemps et l'amour. Il
appelle de ses vœux la venue du seigneur Mai et des
fleurs rouges qui luttent de longueur avec le trèfle;
mais il veut qu'en même temps des jeunes filles lancent
la balle sur le bord du chemin. Une belle femme est
pour lui ce qu'il y a de mieux au monde et il la préfère
à tout l'éclat du renouveau.
L'exemple de Walther entraîna les princes. Un duc
d'Anhalt, un duc de Brabant, un duc de Breslau, un
margrave de Brandebourg, le roi Wenceslas II de Bohème,
Conradin, le dernier des Hohenstaufen, furent minne-
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bk LITTBBATURB ALLEMANDS
singer. Mais le meilleur élève de Walther, c'est Reinmar
le jeune ou Reinmar de Zweter. Lui aussi mania le
Spruch politique. Il n'a pas toutefois la passion, la vio*
lence de son maître; il pratique plutôt Tironie que
l'apostrophe et il est plus réservé, plus froid. Comme
Walther, il chanta Dame Honneur jadis puissante»
aujourd'hui chassée, vagabonde. Il y avait en lui une
veine didactique : il composa des fables, des énigmes,
de petits récits; il vanta l'amour dans le mariage, et,
quand il serait quelque peu philistin et pédant, il a
traité toute sorte de sujets dans une langue simple et
claire, bien qu'un peu gauche et heurtée.
Du milieu de la foule des minnesinger — et nous ne
devons oublier ni Veldeke ni Hartmann d'Aue ni Wol«
fram d'Eschenbach — se détache encore un trio remar-
quable : Neifen, Winterstetten et Hohenfels. S'ils
n'échappent pas aux fadeurs du genre, ils visent parfois
à rendre la réalité.
Gottfried de Neifen se répète et il semble avoir peu
d'idées; mais son style est pur et sa rime raffinée. 11
met en scène de belles paysannes qu*il courtise et il
rappelle ses déconvenues avec un franc sourire.
Ulrich de Winterstetten a le ton rapide et gai. Il fait
parler des jeunes filles avec une attrayante naïveté : l'une
raffole de ses chansons, l'autre traite de « méchant petit
amoureux )> un amant sincère.
Burkart de Hohenfels a composé, de même que Win-
terstetten, des chansons de danse^ et un heureux choix
de mots, un rythme léger, une mélodie riante leur don-
nèrent des ailes. Tantôt il célèbre l'hiver et la danse
dans la chambre, sourires, clignements d'œil, furtifs
regards. Tantôt il peint deux jeunes filles, l'une pauvre
et qui court au bal, l'autre riche et que sa tante enferme.
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LE XIII* SliCLB 65
Ah! si sa tante mourait! Son amie lui propose de venir
le lendemain couper le blé avec elle ; elle accepte et jure
de se venger, de « prendre un homme de peu ».
La poésie villageoise s'annonce. Neidhart de Reuenthal
(mortversi250)la représente avec le plus d*éclat. Il n'a
guère fait que des chansons de danse : celles d'été et celles
d'hiver. Les premières ont l'allure plus dramatique ; elles
invitent les belles à serrer sur la hanche leur chemise
blanche avec une ceinture de soie et à danser sur le pré à
l'ombre du tilleul ; elles se terminent par un dialogue. Les
secondes qui retracent le bal entre quatre murs^ finissent
par une historiette satirique. Neidhart aime à montrer
deux jeunes filles échangeant des confidences. L'une se
plaint des hommes qui sont ou volages ou engourdis, l'autre
lui répond qu'il j en a encore qui servent volontiers les
belles, et elle nomme Neidhart. Ailleurs une autre avoue
que les chants du chevalier de Reuenthal ont touché son
cœur. Souvent le poète introduit dans ses lieds la mère
et la fille : celle-ci veut aller au bal et danser avec
Reuenthal qui soupire pour elle et la tient pour la plus
belle femme qui soit de Bavière en Franconie, et vaine-
ment la mère cache la robe de sa fille dans l'armoire et
refuse la clef, vainement elle s'arme de la quenouille et
du râteau, l'enragée enfonce l'armoire avec un pied de
chaise, met sa robe, et vole au bal. Mais parfois la vieille
désire tâter des mêmes joies; elle s'attife, elle aussi;
elle court à la danse, elle saute comme un cabri. Les
chansons d'été ont le ton libre et licencieux; Neidhart y
parait en don Juan; il est la coqueluche des villageoises.
Celles d'hiver décrivent plutôt les querelles des paysans :
ils se pavanent comme s'ils étaient chevaliers, ils
trépignent, ils crient à pleine gorge, puis l'un jette un
œuf à la tète de l'autre, et les voilà qui prennent un
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5fi LITTÉKATURB ALLEMANDE
fléau OU un bftton et qui frappent en aveugles autour
d'eux. Neidhart raille donc les manants, ces coqs de
clocher qui serrent leur chef dans un bonnet pour ne pas
déranger les boucles de leurs cheveux et qui ne sont,
malgré leur superbe accoutrement, que des lourdauds et
des rustres. On Tapplaudit, on Timita, et, parce qu'il
était le maître du genre, ces pièces satiriques furent
appelées des « neidharts ». Il devint le type de Tennemi
des paysans; il passa pour un bouffon de la cour de
Vienne et au xv* siècle un livre de chansons parut sous
son nom. Mais le vrai Neidhart avait de la grâce et de la
vigueur; on louera toujours le frais coloris de ses
tableaux, sa gaillardise, sa verve maligne, Téléganee et
J'harmonie de sa langue.
Il eut de nombreux élèves en Bavière, en Autriche,
en Suisse. L'un des plus connus, le Tannhftuser, parodie
la pastourelle française et retrace comiquement sa
pauvreté. Il se moque des minnesinger et de leur culte
pour une grande dame hautaine et impérieuse : sa bien-
aimée, à lui, veut, par exemple, qu'il détourne le cours
du Rhin, qu'il vole dans les airs, qu'il lui donne le Gral,
la pomme de Paris, le manteau de Vénus, l'arche de Noé,
que sais-je encore?
Les Suisses forment un groupe à part. Us célèbrent
plutôt l'estomac que le cœur; ils chantent la bonne
chère et les franches lippées ; ils préfèrent aux senteurs
du printemps l'odeur de la cuisine.
Le Thurgovien Steinmar dit bien qu'il croit être maître
du Gral quand il voit sa mie. Mais il est réaliste à la
façon de Neidhart. Il compare son cœur inquiet au porc
qui s'agite et se débat dans un sac. Il parodie l'aubade
et montre un valet dormant sur la paille auprès d'une
fille et réveillé par la voix du berger. Il conte ses liai*
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LE XIII* 8IBCLB 57
sons avec des paysannes. II déclare hautement qu'il
renonce à Tamour, qu'il se jette dans la crapule, et il jure
de faire bombance, de vider les flacons et les plats, d'en-
gloutir une oie. Son style est d'ailleurs très correct et
son vers, aisé.
Le Zurichois Hadloub, lui aussi, est réaliste. Comme
Steinmar, il compare le cœur de l'amant au porc qui se
démène et qui grogne dans un sac. Comme Steinmar,
il chante la moisson propice aux amoureux. Comme
Steinmar, il vante les joies de l'automne où foisonnent
jambons et saucisses. Il se pique d'être goinfre, frdzy et
s'enferme dans une chambre bien chaude pour s'en*
graisser. Pourtant il a célébré une femme de haut
lignage qui restait insensible à ses vœux et il conte avec
grâces les innocentes amours de son enfance : une petite
fille qu'il adore et qui le déteste, qui lui refuse un salut,
lui mord la main et lui jette une boite d'épingles en
guise de cadeau.
Ces tableaux aimables reparaissent dans une charmante
poésie de Maitre Alexandre. Il rappelle ses jeunes années,
le temps où l'on cherchait la violette, où l'on s'asseyait
parmi les fleurs pour les comparer et trouver la plus
belle, où l'on courait les bois pour cueillir les fraises
jusqu'à ce que le gruyer vint au soir crier à travers le
feuillage qu'il était temps de rentrer. Et les enfants
rentraient lentement, et l'un d'eux, marchant dans l'herbe,
croyait voir le serpent, la vilaine, la maudite bète, qui
naguère avait piqué le poulain. Et ils avaient peur d'être
surpris par la nuit, car on leur avait dit que des filles
s'ëtant égarées dans les prés, le roi leur ferma la porte
du palais et les gardes leur ôtèrent leurs vêtements.
Mais déjà la poésie d'amour, dans ce qu'elle a de noble
et de chevaleresque, décline et déchoit. Le Frauendienst
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58 LITTéRATURB ALLEMANDE
OU Service des dames d'Ulrich de Liechtenstein qui fut
achevé en 1255, est l'œuvre où se peint le mieux la
décadence. Ulrich (1200-1276) fut le don Quichotte du
Minnesang. A douze ans il aime la dame dont il est page
et il emporte, pour la boire avec délices, Teau qu'elle a
versée sur ses mains. Plus tard, pour plaire à une
châtelaine qui lui trouve la bouche disgracieuse, il subit
une opération qui l'alite six semaines. Il compose des
vers en son honneur et quelquefois elle lui répond; mais
il ne sait ni lire ni écrire, et il est fort embarrassé
lorsqu'il n'a pas son secrétaire auprès de lui. Pour la
mériter, il court les tournois, risquant sa vie, gaspillant sa
fortune. Un jour, il a le doigt fracassé; il mande
l'accident à sa maîtresse qui ne le croit pas ; afin de la
convaincre, il lui envoie dans une cassette le doigt qu'il
s'est fait couper! Une autre fois, accompagné de deux
amis et d'un cortège de pages et de valets habillés de blanc,
vêtu lui-même d'une robe blanche, coiffé d'un chapeau
blanc orné de perles, deux tresses noires lui tombant à
la ceinture, comme s'il était dame Vénus^ il provoque
tous les chevaliers qu'il rencontre, de Venise à la frontière
de Bohème. En récompense, la belle lui donne un
rendez-vous : il doit, déguisé en lépreux, se mêler aux
malades et aux mendiants qui, le dimanche, se présentent
k la porte du manoir; il vint, il voulut entrer par la
fenêtre en se hissant à l'aide de draps liés ensemble ; il
tomba dans le fossé. Dépité, il quitta celle qu'il avait
servie durant treize années, et, pour une autre dame,
organisa une autre mascarade : le roi Arthur qui reparait
pour rétablir la Table Ronde. Et il avait femme et enfants !
Son livre est mi-prose mi-vers ; la prose a de la rudesse ;
les vers sont faciles et agréables.
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LB XIII* BlACLB M
Il y a peut-être dans le Serçice JCamour autant de
fable que de vérité. Mais ce mélange de fiction et de
réalité annonce la décadence. Bientôt les minnesinger
ne sont plus des chevaliers, ou, s'ils appartiennent a la
chevalerie, ils traitent, comme Neidhart et les Suisses,
des sujets qui n'ont rien de « courtois ». Le Minnesang
tombe entre les mains des bourgeois ; il devient didactique ;
ce n'est plus le Minnesang, c'est le Meistergesang, et, si
cette nouvelle poésie garde scrupuleusement les formes de
l'ancienne, elle manque d'intérêt : les meistersinger ont
beau s'appliquer; ce qu'ils font sent l'effort; rien d'aisé,
d'heureux, d'entraînant.
Cependant, ce genre didactique offre au xui* siècle
des œuvres qui méritent encore l'attention.
Déjà deux poètes, Herger et Spervogel, qui sortaient du
peuple, avaient, sur un ton populaire, dans des proverbes
ou paraboles, prêché la morale, et Spervogel compare au
porc l'homme qui délaisse sa femme; il ne connaît rien
de pire, et il dit, comme Brantôme plus tard, et dans les
mêmes termes, que c'est négliger un beau et clair courant
d'eau pour un sale bourbier.
Un Souabe, le Marner, qui se nomme l'élève de
Walther, compose des proverbes de toute sorte : c'est
un satirique et un moraliste, mais qui fait un trop grand
étalage de sa science.
Kanzler et maître Boppe dans le sud, Rumezland et
Regenbogen dans le nord, Frauenlob dans le centre de
l'Allemagne^ sont, comme le Marner, les représentants
de cette poésie bourgeoise qui vise à la profondeur et
affecte une allure savante.
Frauenlob ou « Louange des dames », de son vrai nom
Henri de Meissen, qui courut toute l'Allemagne et finit
par s'établir en 1312 a Mayence, doit son surnom a ses
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60 LITTERATURE ALLEMANDE
panégyriques du beau sexe et surtout à la dispute qu*il
soutint contre Regenbogen : il mettait le mot Frau
(c dame » au-dessus de Weib <c femme », en opposition à
Walther qui donnait la préférence à Weih. Aussi»
lorsqu'il mourut à Mayence en 1318, les dames, dit--on,
voulurent porter son cercueil. Emphatique, prétentieux,
Frauenlob n'avait pour ses devanciers que du mépris, et
ce ton d'assurance, ainsi que son vaste savoir, imposait
au public.
Regenbogen, lui aussi un bourgeois, rencontra
Frauenlob à Mayence. Il est moins docte, moins obscur que
son rival; mais ses vers ont de la rudesse. II est un des
premiers à parler des trois états, de ce qu*on appela
plus tard le Lehrstandj le Wehrstandj le Nàhrsland^ et il
demande que le prêtre, le chevalier, le paysan soient
compagnons, que Fétole, l'épée, la charrue s'unissent
fidèlement.
Il y a même au xiii* siècle de grands poèmes didac*
tiques, et, tout d'abord, une traduction rimée du recueil
des Distiques latins connus sous le nom de Caton.
Un seigneur de Windesbach en Bavière, le Winsbeke,
fit un poème pour enseigner à son fils sur un ton grave
et quelquefois touchant les devoirs du chevalier : respecter
les femmes, prendre pour ami un homme de basse
condition qui vit avec honneur plutôt qu'un grand seigneur
qui vit sans honneur.
A l'exemple du Winsbeke, un poète, de moindre mérite,
composa dans la même forme strophique renseignement
qu'une mère, la Winsbekin, donne à sa fille.
Un chanoine très instruit, Thomasin de Zirclaere ou de
Cerchiari dans le Frioul, rédigea en 1215, dans l'espace
de dix mois, un code de la courtoisie et des bonnes
manières. Il intitula son œuvre V Hôte italien (Der wdlsehe
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LB Xlll* SIBCLB SI
Gasi) parce qu'elle venait d'Italie et demandait accueil en
Allemagne. Thomasin savait l'allemand moins bien que
ritalien» il rime mal et avec force chevilles, il écrit
lourdement et sans grâce, il est banal. Mais il a l'accent
pénétrant de l'homme qui connaît le monde. Il ne se
borne pas à blâmer les dames qui croisent les jambes
lorsqu'elles sont assises ou les chevaliers qui gesticulent
en parlant. Tout en conseillant aux gens d'un âge mûr
de ne pas lire les romans d'aventures, il exhorte la jeunesse
à prendre pour modèles soit Andromaque, Enite,
Pénélope, Blanchefleur, soit Gauvain, Erec, Ivain,
Arthur, Charlemagne, Alexandre, Tristan. Il met ses
lecteurs en garde contre l'inconstance et Timmodération,
Yunstsete et Vunmdze, C'est un pessimiste ; tout lui semble
sens dessus dessous ; le fou fait taire le sage, le jouvenceau
prend le pas sur le vieillard, les méchants ont tout pouvoir,
les bons sont abaissés, et les arbres de la montagne
descendent dans le marais.
Freidank, qui fit la croisade de 1228, a réuni sans aucun
ordre sous le titre de Bescheidenheit [DUcretio en latin
et <2iicerne;7t«A/ en français) des maximes et des proverbes,
des épigrammes, des fables, des énigmes de sa propre
invention et de celle d'au trui. Pendantplus de quatre siècles
son succès se soutint, et il le méritait, car sa morale est
saine, élevée, sans rien de vulgaire ou de trop tendu, et
son style a de grandes qualités, une forte brièveté, de la
verdeur, de l'esprit.
Hugo de Trimberg, directeur de l'école d'un faubourg
de Bamberg, a composé de 1296 à 1300 et remanié mala-
droitement en 1314 un poème de plus de 24000 vers
qu'il intitula le Rentier ou le Coureur parce que le livre
devait courir partons pays. Il était savant et possédait une
bibliothèque de deux cents volumes. Aussi recueillit-il dans
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62 LITTERATURE ALLEMANDS
son ouvrage sans nul plan et nulle méthode une foule
d'anecdotes et d'extraits de la Bible et des Pères. On
le lit volontiers ; il est clair, facile ; il conte des fables ;
il prodigue les dictons. Mais il fait trop de morale et il
abonde en digressions. Il est bourgeois; s'il aime WaK
ther, il aime davantage Freidank et il condamne les
épopées courtoises, l'idéal chevaleresque, les tournois,
les aventures et le service des dames.
La satire politique fleurit en même temps, surtout chex
les Autrichiens.
Vers 1270, Conrad de Haslau, dans son Jouvenceau,
déplore la décadence et l'attribue à la mauvaise éduca-
tion de la jeunesse qui n'aime que les dés et le vin.
Vers 1290, dans un dialogue entre un chevalier et son
valet, en vers très réguliers, l'auteur du Petit Lueidariuê
qu'on nomme k tort Seifried Helbling, se plaint de tout
et de tous, du duc Albert d'Autriche et de ses avides
entours, de la cour de Vienne où il y a tant d'étrangers
qu'on n'y trouverait pas sept bons Autrichiens, des che-
valiers qu'il ferait tous brûler s'il était prince, du peuple
qui change comme le vent, des femmes oisives, coquettes,
semblables à des poules qui de la fenêtre appellent les
coqs. Il blâme le mélange des conditions et il s'indigne
que les paysans riches épousent des filles de la noblesse,
qu'ils portent Tépée au lieu de gourdin et des gants de
Venise au lieu de moufles, qu'ils mangent du poisson le
vendredi et du gibier les autres jours.
Sermon et satire sont synonymes. C'est au xiii* siècle
que se forme et se déploie, grâce aux sermonnaires, la
prose allemande. Deux franciscains la manient habile-
ment : David d'Augsbourg et Berthold de Ratisbonne,
qui meurent tous deux en 1272. David a fait quelques
traités d'une langue simple, lucide et qui ne manque pas
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LB XIII* SliCLB 6S
de chaleur. Berthold est le plus grand des prédicateurs
du moyeu âge, non seulement par son franc-parler et par
sa connaissance profonde du cœur humain, mais par son
éloquence. 11 combat avec force les vices de ses contem-
porains, surtout la cupidité, et il guerroie implacablement
contre les plaisirs de ce monde. Sa langue a de l'aisance
et de l'ampleur; rien d'abstrait; un développement clair
et abondant ; des expressions vives, familières, saisissantes
qui rappellent le style de l'épopée populaire; des
exemples et des images ; parfois une dramatique mise en
scène, des apostrophes à l'assistance, des objections
que l'orateur réfute après les avoir posées lui-même. On
comprend que certains auditeurs, entraînés par cette
voix puissante, aient avoué leurs péchés, rejeté loin
d^eux leur parure et restitué des biens mal acquis.
Le latin perdait donc de plus en plus du terrain. A la
fin du XIII* siècle les chartes sont fréquemment rédigées
en allemand, et la langue nationale devient la langue de
la justice et du droit. C'est de 1230 que date le Miroir
deê Saxons ou Sachsenspiegel composé par Eike de Rep-
kowe sur le désir du comte Hoyer de Falkenstein, son sei-
gneur. Eike de Repkowe a le style bref et vigoureux. Son
œuvre servit de modèle au Miroir des SouabeSy et c'est
aussi un Repkowe qui, après 1237, écrit la première
Chronique en prose.
Pendant que s'épanouissait l'élégante poésie des con-
teurs épiques et des chanteurs d'amour, la vieille poésie
germanique reparaissait et ses personnages avaient le
costume, le ton et l'allure des chevaliers; remaniée,
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6% LITTERATURE ALLEMANDE
transformée par les jongleurs, remise à la mode et
adaptée au goût du public, la légende héroïque reprenait
une nouvelle vie.
C'est ainsi que renaissent Ortnit, où abondent les
réminiscences des croisades et où le père du héros, le
petit être, der Kleiney qui dirige tout, représente la
victoire de l'adresse et de la ruse sur la force brutale;
WoJfdietrich^ où brille le caractère du fidèle Berchtung ;
la Fuite de Dietrich^ qui retrace surtout sa généalogie ; la
Bataille de Ra^enne et la Mort d^Alphart^ deux poèmes
où il y a de dramatiques épisodes : Dietrich poursuivant
jusque dans la mer le redoutable Wittig qu'une ondine
dérobe à sa vengeance; Helche pleurant ses deux fils,
victimes de Wittig; Alphart, type du preux, exempt de
blâme comme de crainte et qui succombe en écrasant de
son mépris la félonie du vainqueur ; le Biterolf^Xtin de
mêlées et du bruit des armes, de gedranc et de d6z\ le
Jardin des Roses où le ton est souvent comique et où se
détache la figure du moine Ilsan, exigeant de Kriemhild
autant de baisers qu'il a tué d'hommes et prenant plaisir
à déchirer les joues de la capricieuse dame; le Lauririy
légende tyrolienne qui raconte les combats de ce roi des
nains contre Dietrich; Virginal; Goldemar; Sigenot;
Ecke.
Deux grandes épopées ont fait oublier tous ces chants
des jongleurs : Gudrun et les Nibelungen.
Gudrun ne nous a été transmise que par un seul
manuscrit. C'est une légende des Vikings. Elle narre des
événements qui se sont passés très loin de la Haute-
Allemagne et comme dans les brouillards de la mer du
Nord; elle renferme des contradictions de détail; elle a
subi des interpolations; elle comprend trois parties qui
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LB XIII* SlfccLB 05
ae 80Dt pas liées. Mais elle est remarquable d'un bout à
l'autre par la simplicité d*une langue qui trouve tou*
jours le mot juste. Il y a dans la deuxième partie un
admirable endroit, celui qui traite du séjour des trois
envoyés de Hetel à la cour de Hagen, du vieux Wate au
rude langage, a Tépée invincible, et de son neveu Horant
k la voix si merveilleuse qu'elle est la perle de toutes les
joies : chaque matin, lorsque chante Horant, les oiseaux
se taisent dans les buissons, les gens endormis se
réveillent et se lèvent pour l'entendre, Hagen et sa
femme se rendent pour l'écouter sur la plate-forme du
palais, leur fille Hilde assure qu'elle n'a jamais ouï sur
la terre un chant plus beau. Enfin, la troisième partie
contient des passages saisissants. Gudrun est fiancée au
roi Herwig de Seeland; maisHartmut» roi de Normandie,
la capture après un terrible combat et sept ans s'écoulent
avant que les guerriers de Herwig soient mûrs pour
l'épée, awertmaezicy et prêts à la vengeance. Gudrun a
refusé d'épouser Hartmut, et la vieille Gerlinde, mère
du roi, une « louve », une € diablesse », impose k la
jeune fille les travaux les plus durs, l'oblige k laver le
linge sur la grève. Un matin qu'elle est venue pieds nus
k travers la neige sur le rivage, Gudrun voit apparaître,
au milieu des glaces que charrie la mer, une barque
montée par deux hommes. Elle s'enfuit parce qu'elle a
honte de laver le linge comme une vile servante. Les
hommes la hèlent, et la voici debout devant eux^ vêtue
d'une chemise, trempée d'eau, grelottante de froid, les
cheveux épars au vent de mars. Alors se produit une
scène semblable aux scènes les plus émouvantes de la
tragédie grecque. Les deux hommes sont Herwig et
Ortwin, le fiancé et le frère de Gudrun. Herwig la recon-
naît, la nomme, et elle, désirant l'éprouver, répond que
UTTéftATOM ALLBMAirOB. 5
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66 LITTÉRATURE ÀLLBMANDB
Gudrun est morte. Il éclate en larmes et montre son
anneau de fiançailles. A son tour, Gudrun montre avec
un sourire la bague qu'elle a gardée. Herwig voudrait
l'emmener aussitôt. Ortwin déclare qu'il faut la reprendre
comme elle a été prise^ par la force et selon l'honneur,
le glaive en main. Les deux hommes s'éloignent; Gudrun
jette le linge à la mer, elle ne servira plus, elle a reçu
les baisers de deux rois ! Dans la nuit même, Herwig et
Ortwin livrent l'assaut; Hartmut tombe dans leurs
mains; Gerlinde a la tète tranchée. Le charme de l'œuvre^
c'est le mélange de la joie et de la douleur, liebe et leid.
Le poète rapproche sans cesse ces deux sentiments et
ces deux mots. Que de douceur et d'amertume dans
l'amour de Herwig et de Gudrun ! Quand ils se revoient
sur la grève normande, que de mélancolie dans leur
bonheur! Lorsque Gudrun est délivrée, elle ne peut dans
son triomphe s'empêcher de pleurer à la vue des fureurs
de Wate. Et quand elle rentre dans sa patrie, elle
pleure encore, parmi les cris d'allégresse qui s'élèvent
de tous côtés, parce que sa mère refuse d'embrasser
Ortrun, la sœur de Hartmut, qui avait eu compassion de
son infortune. Gudrun est d'ailleurs un des plus beaux
caractères de la poésie allemande. Elle ne pardonne pas à
Gerlinde qui lui demande grâce, et dans sa résignation
elle a quelque chose d'âpre et d'un peu dur. Néanmoins
elle est femme; elle recourt à la ruse; elle ne cache pas
sa joie lorsqu'elle rentre au château après avoir vu ses
sauveurs; elle s'apitoie sur les vaincus. Ce qui fait sa
grandeur, c'est son indomptable fierté, son inébranlable
constance, et surtout sa fidélité : elle garde, comme dit
Geibel, son cœur et son serment.
Le poème de Gudrun^ composé sans doute en Autriche
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LE XIII'' SIÈCLE 67
vers 1220, est postérieur aux Nibelungen dont il imite
la forme strophique avec quelques changements qui
donnent au vers je ne sais quoi de plus doux, de plus
abondant, de plus varié. Mais le poème des Nibelungen
l'emporte sur Gudrun par les énergiques figures qu'il
évoque. Le moyen âge ne le cite pas et ne fait que des
allusions à ses personnages. On ne connaît pas son
auteur. On ignore même ce que signifie Nibelungen :
Siegfried est un Nibelung et règne sur les Nibelungen,
les trois rois burgondes sont aussi des Nibelungen, et il
semble que ce nom s'attache au possesseur du fameux et
fatal trésor. Toutefois l'œuvre fut très répandue puis-
qu'elle nous a été conservée dans de nombreux manu-
scrits — le plus ancien et celui qui s'écarte le moins du
texte primitif, est le manuscrit B — et, probablement,
l'auteur est un jongleur qui, vers 1200, en Autriche,
rassembla et raccorda tant bien que mal les chants de
ses devanciers. La légende avait peu à peu grossi et de
nouveaux personnages y étaient entrés : Hagen de
Tronje, son frère Dancwart, son neveu Ortwin de Metz,
son ami Yolker d'Alzei, célébrés par des jongleurs
rhénans; Irnfried et son compagnon Iring ainsi que les
margraves Gère et Eckewart, célébrés par des jongleurs
thuringiens ; Tévèque Pilgrim de Passau et le margrave
Rûdiger, célébrés par des jongleurs autrichiens. Tous ces
chants ou groupes de chants, remaniés, arrangés déjà
par d'autres, un dernier arrangeur les a réunis, retran-
chant ou ajoutant des strophes, corrigeant, changeant
ça et là. Aussi est-il inconnu : il ne pensait pas à la
gloire, il ne croyait rien faire d'original, il ne voulait
que compiler de « vieilles histoires » et en former un
tout. Quoi qu'il en soit, il eut le mérite de s'effacer
derrière ses personnages : pas d'apprêt; peu de corn-
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68 LITTéRÀTURB ALLBMÀNDB
paraisons; un style simple, sobre, qui ne. vise pas à
l'effet.
Il faut analyser, résumer ce poème que Hebbel a nommé
le poème le plus immortel de TAllemagne.
Kriemhild, sœur de Gunther, roi des Burgondes, qui
règne à Worms, rêve qu'un beau et vigoureux faucon,
qu'elle avait élevé, est déchiré sous ses yeux par deux
aigles. Elle raconte ce songe à sa mère qui l'explique ainsi :
elle sera la femme d'un noble guerrier, mais elle le perdra
bientôt. Ce guerrier, c'est Siegfried, fils du roi Sige-
mund qui règne à Xanten. On lui a dit que Kriemhild
est belle et il se rend à Worms pour la demander en
mariage, après avoir assuré à Sigemund qu'il saura la
conquérir par la force de son bras, s'il ne peut l'obtenir de
bon gré. Nul ne le connaît à Worms et il n'a que douze
hommes avec lui. Hagen le devine; il rappelle ses
prouesses aux rois burgondes et conseille de le recevoir
avec de grands honneurs. Siegfried commence par
déclarer insolemment qu'il vient combattre les plus
braves des Burgondes et ravir leurs terres; mais on le
flatte et l'apaise. Une année se passe en divertissements
et en tournois : Siegfried est celui qui jette le plus loin
la pierre et la lance, celui que les dames regardent avec
le plus de complaisance, et dans une guerre contre
Saxons et Danois, il prend de sa main leurs deux rois.
Au retour de l'expédition, il voit Kriemhild pour la
première fois. Les frères de la jeune fille, Gunther,
Gernot et Giselher, la présentent à Siegfried qui s'incline
en rougissant et Kriemhild le félicite de sa vaillance :
pendant douze jours, au milieu des amusements et des
joutes, Siegfried est constamment auprès d'elle.
De Worms le poète nous mène en Islande, à Isen-
stein^ au château de Briinhild. Aussi robuste que belle,
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LB XIll* 8IBGLB M
habile a se servir de la lance, la reine provoque au
combat tout chevalier qui lui demande son amour :
elle épousera le vainqueur, mais elle fait couper la
tête au vaincu. Gunther ne veut pas d^autre femme
que Brûnhild. Il prie Siegfried de Taccompagner en
Islande et lui promet Kriemhild en récompense. On
part. Dès que Brûnhild aperçoit Siegfried, elle sMmagine
qu'il vient la combattre et l'épouser. Il la détrompe :
c'est Gunther qui la recherche en mariage, et Gunther
est un roi puissant et son propre seigneur. La lutte
s'engage entre Briinhild et Gunther. Mais Siegfried a
revêtu le manteau enchanté qui le rend invisible, la
Tarnkappe, Vainement Briinhild, plus belle que jamais
sous sa cuirasse d'or, tenant d'une main l'écu et de
l'autre le javelot, porte à Gunther des coups terribles;
Siegfried, debout aux côtés du roi, sans que personne
le voie, manie le grand et large bouclier de Gunther,
frappe la reine non avec la pointe, mais avec la hampe
du javelot, Tétourdit, la renverse. Vainement Brûnhild
se redresse aussitôt la colère dans le cœur, et vainement
elle jette une pierre énorme que douze héros auraient
peine à soulever, puis, d'un vigoureux élan, saute et
dépasse la pierre. Siegfried, plus fort et plus agile,
lance la pierre et prenant Gunther dans ses bras, bondit
plus loin encore. Gunther a triomphé; les assistants
se prosternent devant lui; Brûnhild avoue sa défaite;
Siegfried, qui court incontient porter dans son navire le
manteau merveilleux, feint de croire que la lutte n'a
pas commencé. Le récit de ce combat est un des
meilleurs passages de l'œuvre. Gunther fait les mouve-
ments et les gestes, mais Siegfried seul agit; le poète
ne cesse de répéter que, sans Siegfried, Gunther était
perdu, que Siegfried était un plus rude compagnon que
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7Q LITTERATURE ALLEMANDE
Gunther, que les témolos de la scène voyaient Gunther
et non Siegfried.
Un double mariage a lieu. Gunther épouse Brunhild
et Siegfried, Kriemhild. Au repas de noces, Brunhild
pleure et demande à Gunther pourquoi Kriemhild se
mésallie, puisque Siegfried n*est que Thomme lige du
roi; Gunther lui ordonne de se taire. Mais la nuit,
lorsqu'il approche de Brunhild et l'embrasse, elle lui
déclare qu'elle restera vierge tant qu'elle ne saura pas
pourquoi Kriemhild a épousé Siegfried. Il veut recourir
à la force. Brunhild, prenant sa ceinture, lie au roi les
pieds et les mains et l'attache à un clou fixé dans le
mur. A l'aube, elle le décroche et il se couche à côté
d'elle, à distance, sans oser la toucher. Il révèle sa
honte à Siegfried, et, la nuit suivante, les lumières
éteintes, pendant que Gunther ferme et verrouille la
porte, le héros, revêtu du manteau qui le rend invisible,
entre dans la chambre royale : il étreint Brunhild;
repoussé, et avec une telle vigueur qu'il tombe à la
renverse, il revient à la charge; elle le repousse encore,
le presse entre le mur et un bahut, lui serre les mains si
violemment que le sang jaillit des ongles. Enfin il est le
plus fort; il la ramène au bord du lit, épuisée^ domptée,
jetant de grand cris. Gunther prend sa place et Brunhild
cède. Avant de s'éloigner, Siegfried enlève à la reine sa
ceinture et son anneau d'or qu'il donne à Kriemhild.
Est-ce par orgueil, dit le poète, depuis mal lui en arriva.
Bientôt éclate la querelle des deux femmes. Un après-
midi qu'elles regardent un tournoi, Kriemhild loue
étourdimcnt son mari; qui peut s'égaler à lui? Brunhild
répond que Siegfried n'est que l'homme lige du roi
des Burgondes. Kriemhild réplique qu'elle n'aurait pas
épousé le vassal de son frère, et le jour même, en entrant
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LE XIII* 8IECLB 71
à la cathédrale, elle prend le pas sur Brûnhild, lui
montre la ceinture et l'anneau d'or, Tappelle la concu-
bine de Gunther : « Mon Siegfried a été ton amant! »
Brûnhild se plaint à son mari; Gunther demande à
Siegfried s'il s'est jamais vanté d'avoir eu les faveurs de
la reine; le héros jure qu'il n'a pas tenu de semblables
propos, et le roi croit h son innocence.
Mais Hagen promet à Brûnhild de la venger. La mort
de Siegfried est résolue. De faux envoyés des Saxons
viennent défier les Burgondes, et, comme toujours,
Siegfried offre son secours k Gunther. Déjà les guerriers
s'arment et ils attachent les bannières a la hampe. Hagen
prend congé de Kriemhild. L'imprudente lui découvre le
secret de Siegfried : lorsque le héros se baigna dans le
sang du dragon qui le rendit invulnérable, une feuille
tomba d'un tilleul entre ses épaules ; c'est donc à Tomo*
plate que ses ennemis peuvent lui porter le coup mortel
et c'est l'endroit que ses amis doivent préserver de toute
blessure. Sur le perfide conseil de Hagen, Kriemhild
coud à cette partie des vêtements de Siegfried une petite
croix blanche. Dès le lendemain Hagen voit ce signe :
il aposte de nouveaux envoyés des Saxons qui font
des assurances pacifiques, et il propose à Gunther de
changer en une partie de chasse la guerre qui devient
inutile.
Siegfried accompagne les veneurs. En vain Kriemhild
éplorée essaie de le retenir et lui conte qu'elle a vu
dans un rêve deux sangliers lui donner la chasse et les
fleurs se rougir de sang. Siegfried part; il n'a jamais été
plus confiant et plus vaillant; il plaisante, il joue des
tours a ses compagnons, et l'on croit entendre les éclats •
de sa bonne humeur et de sa grosse gaîté. Il prend un
ours tout vivant, l'attache u la selle de son cheval et le
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72 LITTÂRATURB ALLEMANDE
lâche au Heu du rendez-vous. L'animal met en fuite les
cuisiniers et court vers le bois parmi les chaudrons
renversés et les plats gisant dans la cendre. Mais Siegfried
le rattrape et le tue d'un coup d'épée. Il revient au bivouac,
il a soif, et le vin manque : Ne fallait-il pas, dit-il à Hagen,
amener sept bètes de somme chargées d'hydromel et de
clairet, ou du moins camper plus près du Rhin? Hagen
connaît une source non loin de là ; il offre à Siegfried d'y
aller et de lutter de vitesse avec lui. Le héros accepte; il
consent même à rester armé, pendant que Gunther et
Hagen ne garderont que leur chemise : <c en toute
chose il emportait le prix ». Les deux Burgondes courent
comme des panthères à travers le trèfle; Siegfried arrive
avant eux à la source. Il laisse le roi Gunther boire le
premier, puis il se penche. Hagen le frappe à la place où
Kriemhild a cousu la croix. Le guerrier, mortellement
blessé, trouve encore assez de vigueur pour se relever; il
terrasse Hagen; mais, épuisé par ce suprême effort,
pâle, couvert du sang qui sort de la plaie à grands flots,
il tombe et meurt. Les plaintes qu'il exhale sont un peu
longues, mais dignes de lui; il rappelle aux Burgondes
ses loyaux services, il leur reproche leur félonie et leur
prophétise le déshonneur, il envoie ses adieux à Kriem-
hild, à son fils et à son père. On le met sur un bouclier, on
convient de dire que des brigands l'ont tué dans le bois,
et on le dépose de nuit devant son palais. Kriemhild,
sortant pour aller à matines, apprend qu'un chevalier est
couché sans vie sur le seuil. Elle songe aussitôt à Siegfried
et défaille, criant : « C'est Siegfried, mon bien aimé;
Brûnhild a tout conseillé, et Hagen a tout fait! » Revenue
à elle, elle soulève de ses mains blanches la tête du héros
et la reconnaît sous le sang qui la couvre. Le cadavre,
lavé, est porté à l'église, et là, à l'approche de Hagen,
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Ll XIII' 8IBCLB 78
comme pour Taccuser, le sang jaillit des blessures. Guo-
ther proteste que des brigands ont assassiné Siegfried.
« Ces brigands, répond Kriemhild, me sont bien connus;
Gunther et Hagen, c'est vous qui avez commis le crime ! »
Trois jours se passent; avant d'inhumer Siegfried, Kriem-
hildveut le revoir, lui dire adieu; elle ouvre le cercueil,
soulève encore dans ses mains la tète de son mari, baise
une dernière fois le « noble et bon chevalier » ; il faut
l'arracher de la fosse.
Sur les instances de Giselher, elle refuse d'accompa-
gner à Xanten le père deSiegfried et lui laisse son enfant.
Elle demeure à Worms, pleurant, repoussant toute conso-
lation, évitant Hagen et Gunther, allant chaque jour prier
à l'église et sur la tombe de Siegfried. Enfin, au bout de
trois ans et demi, à la sollicitation de Giselher et de
Gernot, elle se réconcilie avec Gunther, mais elle ne
pardonne pas à Hagen. Elle fait venir à Worms le fameux
hort ou trésor des Nibelungen qu'elle avait reçu de
Siegfried; elle distribue de l'or aux pauvres et aux riches;
elle attire auprès d'elle une foule de guerriers. Hagen
conçoit des craintes. Il enlève le trésor et le cache au
fond du Rhin, en un endroit que lui seul connaît.
La première partie du poème est terminée, et la
seconde commence, celle que Bodmer intitula justement
en 1757 la Vengeance de Kriemhild. Etzel^ roi des Huns,
envoie à Worms le margrave Rûdiger de Bechlarn
demander la main de Kriemhild. Seul, Hagen s'oppose au
mariage. Kriemhild a répondu d'abord par un refus. Mais
l'habile Rûdiger lui fait entendre qu'Etzel est assez fort
pour châtier ceux qui l'ont offensée. Elle ne résiste plus;
lorsque Rûdiger a juré qu'il sera le premier à la défendre,
elle part, malgré Hagen, pour ce pays des Huns qu'arrose
le Danube, et le poète décrit complaisamment sa marche
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74 LITTBRATURB ALLEMANDE
à travers son nouvel empire, le magnifique accueil qu'elle
reçoit à Passau, a Bechlarn et à Vienne, le fleuve qui
semble terre ferme tant il est couvert d'hommes et de
chevaux, le cortège d*Etzel où se pressent des guerriers
de races et de croyances diverses, les noces qui durent
dix-sept jours, les divertissements qui ne cessent jamais
à la cour d'un roi généreux. Mais au milieu des banquets
et des tournois, Kriemhild se cache pour pleurer sur
Siegfried, et au sein de sa puissance, elle se rappelle
qu'elle a des ennemis; ah! si elle pouvait leur rendre
mal pour mal! Au bout de sept ans, elle invite les Bur-
gondes et les fait inviter par son mari.
Ils acceptent l'invitation, et la 25° « aventure » — le
poème en compte 39 — retrace leur voyage. Aucune ne
renferme plus de légendes et d'antiques souvenirs,
présages, songes, êtres surnaturels. Vainement Ute, la
mère des trois rois, a rêvé que tous les oiseaux du ciel
étaient morts. Vainement le maitre-queux Rumolt déclare
que rinvitation de Kriemhild cache un piège. Les Bur-
gondes ou, comme le poète les nomme aussi dans cette
seconde partie, les Nibelungen partent avec Hagen, le
ménestrel Volker, 1060 guerriers et 9000 valets. Hagen
est le chef réel de la troupe; il connaît la contrée, il
marche le premier, et son énergie, sa froide résolution,
ce qu'il a de rude, de fier et de provocant donnent à la
chevauchée des Nibelungen quelque chose de sinistre et
de fatal; bien qu'ils aient l'humeur joyeuse et l'allure
superbe, on pressent qu'ils vont à la mort. Au bout de
douze jours, ils arrivent au Danube; le fleuve a débordé,
son courant est très rapide, les barques manquent. Hagen
longe la rive pour trouver des bateliers. Soudain l'eau
s'agite ; il voit des ondines qui se baignent ; il s'approche
doucement. Mais elles le remarquent et elles fuient
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LE XIll^ SIÈCLE 7&
aussitôt en planant sur les flots comme des oiseaux. Il
s'est emparé de leurs vêtements. Une d'elles, Hadeburc,
les réclame en promettant de lui révéler l'avenir, et elle
l'assure quUl sera reçu chez les Huns avec les honneurs
les plus grands. Il rend les habits. Alors une autre ondinc,
Sigelint, l'avertit que Hadeburc a menti : <( Retourne, lui
dit-elle, il est encore temps ; quiconque entrera dans le
pays d'Etzel doit mourir; le chapelain seul échappera. »
Hagen n'a cure de cette prédiction, et il prie les ondines
de lui donner le moyen de gagner le bord opposé. Elles
lui répondent qu'il y a plus loin un passeur; mais cet
homme est d'un caractère sauvage et Hagen fera bien de
l'adoucir par un salaire et en prenant le nom d'Âmelrich.
Il s'incline et se met en quête. Il hèle le passeur, lui
montre au bout de l'épée un bracelet d'or, lui dit que
son nom est Amelrich. Le passeur s'approche; il ne
reconnaît pas Amelrich et il refuse ses services à l'étran-
ger. Hagen saute dans la barque et coupe la tête au
passeur. Au même instant l'esquif est entraîné en
pleine rivière ; Hagen tente de le pousser vers la grève ;
la rame se brise en ses mains; il en rattache les mor-
ceaux avec la courroie de son bouclier et, redoublant
d'efforts, il rejoint ses compagnons. La barque est
pleine de sang; mais il nie hardiment le meurtre, et
c'est lui qui, de son bras infatigable, transporte les Bur-
gondes de l'autre côté. Subitement il se rappelle que le
chapelain seul doit échapper au désastre. Il jette le cha-
pelain dans les flots et défend de le repécher. Le mal-
heureux ne sait pas nager; pourtant il se débat à la sur-
face de l'eau, il atteint avec l'aide de Dieu la rive qu'il
avait quittée, et on le voit de loin prendre terre et
secouer sa robe. Les ondines disaient vrai! Hagen brise
la barque et crie dès que tout son monde s'est ébranlé :
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76 LITTÉRATURB ALLEMANDE
ce Chevaliers et valets, nous ne reviendrons plus au
pays des Burgondes! »
A cette scène d'une sombre poésie succèdent de radieux
tableaux. Les Nibelungen arrivent h Bechlarn où Rûdiger
les défraye et les fête. Ils sont comblés de présents.
Gernot reçoit une épée et Hagen, un bouclier. Giselher
se fiance avec la fille du margrave. Quand ses hôtes
s'éloignent, Rûdiger les accompagne avec cinq cents
hommes.
L'accueil de Kriemhild est bien différent. Dès les pre-
miers instants, elle ne dissimule pas sa haine. Elle
n'embrasse que Giselher, et, comme pour lui répondre,
Hagen serre plus fort la mentonnière de son casque. Elle
demande pourquoi Hagen ne lui apporte pas le trésor
des Nibelungen, et Hagen riposte qu'il a jeté le trésor au
fond du Rhin, qu'il n'apporte que son casque et sa cui-
rasse, son bouclier et son épée. Elle prie les Burgondes
de déposer leurs armes avant d'entrer dans la salle, et
Hagen déclare qu'il veut être son propre camérier. Elle
lance a Hagen un regard de colère, et Hagen, insolent,
hautain, sans se lever de son siège, étale sur ses genoux
l'épée de Siegfried. Elle lui reproche le meurtre du héros,
et Hagen se fait gloire de son crime. Ici se produit un bel
épisode. Au soir, après avoir banqueté dans le palais
d'Etzel, les Burgondes fatigués se couchent. Hagen veille
sur leur repos. Yolker monte la garde avec lui; assis sur
un banc de pierre, le ménestrel tire de sa viole des
accents si tendres qu'il charme ses soucieux compagnons
et les endort doucement; puis, prenant son bouclier, il
se met devant la porte en sentinelle vigilante. Au milieu
de la nuit, il voit briller des heaumes dans les ténèbres :
Kriemhild envoie les siens assaillir les Burgondes. Mais
le casque de Yolker étincelle dans l'obscurité, les Huns
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LB XIII* SIBCLB 77
effrayés s'éloignent et il leur crie qu'ils sont des lâches.
La lutte va s'engager, et de toutes les œuvres du
moyen âge, le poème des Nibelungen est celui qui rend
avec le plus de force et de grandeur Taspect et les péri-
péties d*une bataille acharnée.
Le lendemain de leur arrivée, les Nibelungen et les
hommes d'Etzel vont à Téglise : mais les premiers, sur
Tordre de Hagen, ont gardé leurs armes, et dans le tour-
noi qui suit la messe, Volker transperce de sa lance un
des plus nobles d'entre les Huns. Une clameur s'élève,
les parents de la victime veulent tuer le ménestrel; Etzel
intervient et ses hôtes burgondes l'accompagnent au
palais. Kriemhild tente alors de gagner à sa cause
Dietrich et Hildebrant. Elle essuie un refus; mais son
beau-frère Blôdel lui promet sa vengeance, et pendant que
les Nibelungen s'asseoient à la table d'Etzel, les neuf mille
valets qu'ils menaient avec eux sont attaqués dans leur
logis. Ils se défendent soit avec l'épée soit avec de
lourdes chaises et de longs escabeaux; tous y laissent la
vie. Dancwart, qui fend le crâne à Blôdel, est le seul qui
s'échappe; l'épée à la main, il se fraye un passage à tra-
vers les HuDS, et fuyant comme un sanglier devant les
chiens, marquant sa route par le sang de ceux qui
veulent Tarrèter, il arrive au palais d'Etzel. Aussitôt
Hagen se lève; il frappe le jeune fils d'Etzel et de
Kriemhild, Ortiieb, et la tète de l'enfant vole sur les
genoux de la reine; il frappe le gouverneur d'Ortlieb;
il frappe le ménestrel Werbel. Puis, tandis que Dancwart
et Yoiker se placent sur le seuil l'un au dehors, Tautre
en dedans, Hagen et les trois rois burgondes parcourent
la salle, brandissant leur épée et brisant les casques.
Le combat cesse un instant à la voix de Dietrich. Le
héros obtient une trêve ; il quitte l'édifice avec Rûdiger,
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78 LITTÉRATURE ALLEMANDE
prend à son bras Kriemhild toute tremblante et emmène
Etzel. Mais les Nibelungen interdisent au reste des Huns
de sortir ; la porte fermée, ils recommencent leur mas-
sacre, et <x de tous ceux qui demeuraient dans la salle,
aucun ne fut sauvé ». Les vainqueurs jettent au bas des
degrés sept mille morts et blessés.
Ils sont derechef assaillis par les Huns ; Etzel lui-même
veut combattre; Kriemhild offre à celui qui lui apportera
la tète de Hagen tout Tor que peut contenir le bouclier
du roi, et Iring de Danemark, Irnfried de Thuringe,
Hawart se précipitent à Tenvi. Les Nibelungen triomphent
encore; Iring est tué par Hagen, et Irnfried par Volker;
le silence se fait et de toutes parts le sang ruisselle par
les ouvertures de la salle. Pendant que les Burgondes
s'asseoient sur les cadavres de leurs adversaires et, le
casque délié, se reposent de leur labeur meurtrier, Etzel
et Kriemhild se lamentent.
Sur le soir, la reine ordonne un nouvel assaut que les
Nibelungen repoussent avec la même bravoure. Néan-
moins, ils se sentent las. Les trois rois, souillés de sang
et noircis par l'acier de leur cuirasse, sortent de la salle
et demandent la paix. Etzel répond qu'après regorge-
ment de son fils et de tant de ses proches, il ne peut
entrer en accommodement. Ils proposent de combattre
en rase campagne. Kriemhild réplique vivement que les
Huns sont perdus s'ils laissent ses frères venir au vent
et rafraîchir leur armure; qu'on lui remette Hagen, et
les autres auront la vie sauve. Les Nibelungen se récrient :
plutôt mourir tous que de livrer un seul de leurs hommes
et de trahir leur foi! Exaspérée, Kriemhild fait refouler
les Burgondes dans la salle et allumer le feu aux quatre
coins. L'incendie dure toute la nuit, et les Burgondes,
environnés de flammes, aveuglés par la fumée, presque
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LE XIII'' SIÈCLE 79
étouffés par la chaleur, mourant de soif, souffrent une
torture sans pareille. Sur le conseil de Hagen, ils boivent
le sang des blessés et, de leur bouclier, ils écartent les
brandons ou les écrasent sous leurs pieds. Au jour, ils
sont encore six cents.
Enfin, Rûdiger, après de longues et douloureuses hési-
tations, se jette dans la lutte. Giselher qui le voit s'a-
vancer, pousse un cri de joie; il s'imagine que le mar-
grave, son futur beau-père, vient au secours des Bur-
gondes. Rûdiger vient en ennemi; il s'immole à
l'obéissance féodale, et vainement les trois rois lui
rappellent leur amitié: « Que Dieu, dit*il, aie pitié de
moi ! X» et déjà il lève son bouclier pour s'élancer. Hagen
l'arrête; les Huns ont brisé l'écu qu'il avait reçu de la
margrave pendant son séjour à Bechlarn et il souhaite
de posséder un bouclier aussi bon que celui de Rûdiger.
Le margrave lui donne son bouclier : Hagen, ému, jure
que sa main ne touchera pas Rûdiger, et Volker fait le
même serment. Quelques instants plus tard, Gernot et le
margrave s'entretuent.
Seul, Dietrich de Berne n'a pas encore participé à la
bataille» Lorsqu'il entend les lamentations qu'excite la
mort de Rûdiger, il envoie Hildebrant s'enquérir. Sur le
conseil de son neveu Wolfhart, Hildebrant revêt son
armure, et tous les hommes de Dietrich, épée au côté,
bouclier en main, l'accompagnent jusqu'à la porte de la
salle. Mais Wolfhart reproche aux Nibelungen d'avoir tué
Rûdiger, etVolker lui répond par des paroles offensantes.
Voilà les Burgondes aux prises avec les Gots. C'est le
suprême combat. A l'exception de Gunther et de Hagen,
tous les Burgondes périssent, et Dancwart, et Volker
auquel Hildebrant assène le coup fatal, et Giselher qui
tombe sous l'épée de Wolfhart. Tous les hommes de
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80 LITTÉRATURE ALLEMANDS
Dietrich succombent également; Wolfhart est blessé à
mort par Giselher; un seul échappe, Hildebrant qui le
premier a monté les degrés, Hildebrant qui tente inuti-
lement d'emporter Wolfhart dans ses bras, Hildebrant
que Tépée de Hagen atteint à travers sa cuirasse. Le vieux
guerrier, couvert de son propre sang, annonce à Dietrich
que Rûdiger n'est plus et que tous les Gots sont occis.*
Dietrich s'arme contre les Burgondes; il blesse Hagen,
puis Gunther, les garrotte tous deux et les mène a
Kriemhild qui promet de les épargner. Mais Kriemhild
somme Hagen de lui rendre le trésor des Nibelungen; il
répond qu'il a juré de ne jamais révéler le lieu où le
trésor est enfoui, tant que vivra un de ses maîtres.
Kriemhild fait tuer Gunther et porter sa tête à Hagen.
a Maintenant, s'écrie le guerrier, nul, sinon Dieu et moi,
ne sait l'endroit où git le trésor; femme d'enfer, il te
sera toujours caché! » Hors d'elle-même, Kriemhild
saisit l'épée de Siegfried et, la soulevant des deux mains,
tranche le col de Hagen. A cette scène assistent Etzel
et Hildebrant; Etzel est épouvanté: Hildebrant, indigné,
frappe Kriemhild de son épée; la reine tombe en pous-
sant un cri terrible. Ainsi se termina la fête qu'Etzel
avait donnée, par les larmes, le désespoir et la mort; la
joie ne finit-elle pas, dit le poète, par se changer en
douleur?
Quels sont les mérites de cette épopée? Elle est fon-
cièrement allemande : pas ou peu de noms étrangers;
des aventures qui n'ont rien ou presque rien de fantas-
tique et d'invraisemblable, des personnages qui disent
ce qu'ils doivent dire. L'art n'est pas absent. La destinée
de Kriemhild, voilà le sujet de l'œuvre, et ce sujet, le
poète l'aborde aussitôt sans se perdre en paroles inutiles.
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LB Xin* 8IÈCLB 81
II retrace brièvement la jeunesse de Siegfried et lors-
qu'il lui faut parler du dragon et du trésor, c'est Hagen
qui raconte aux rois burgondes les prouesses du héros.
Il s'arrête à temps ; il se tait, dès que Hildebrand a occis
la reine des Huns; il sent que son œuvre est achevée,
que la mort de Kriemhild forme un digne dénouement.
Il sait marquer des contrastes saisissants. Avant de
narrer la mort de Siegfried, il le montre beau, superbe,
monté sur un cheval rapide, abattant tous les fauves
qu'il rencontre, souriant lorsque ses compagnons le
prient de ménager le gibier et de ne pas faire de la forêt
un désert. Avant de mener les Burgondes à la cour
hostile de Kriemhild, il décrit leur séjour à Bechiarn,
chez l'hospitalier Rûdiger. Dans la première partie, les
plaisirs de la paix, fêtes, tournois, chasses, beauté des
dames; dans la seconde, les défis et les égorgements.
Encore la lutte entre Huns et Burgondes est-elle inter-
rompue par de touchants épisodes, adoucie à certains
instants par des cris de pitié, par un rayon de cheva-
lerie qui perce au milieu des scènes de carnage.
Les caractères, pris en gros, sont vivants, inou-
bliables. Siegfried, calme et souriant, se perd par sa con-
fiance et sa bonté naïve. Il marche à travers la vie sans
crainte des embûches et quand sa femme essaie de le
mettre en garde contre les traîtres, il répond fièrement
qu'il n'a fait de mal à personne.
Hagen offre un curieux mélange de perfidie et de
loyauté. Il diffère trop de Siegfried pour ne pas le haïr,
et il le tue traîtreusement. Mais il venge l'injure de sa
suzeraine et, le crime commis, il l'avoue hautement et
tète levée. Il s'oppose au départ des Burgondes; mais
lorsqu'on l'accuse d'avoir peur, il les accompagne et il
a dès ce moment un sombre et dur héroïsme, une
UTTéHATOm ALLIMAITDI.
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82 LITTéRATtJRB A.LLBMÀNDB
farouche obstination contre le destin. Il sait la mort qui
l'attend et il va la chercher avec un sourire railleur. Jus-
qu'alors armé d'adresse et d'astuce, il ne recourt plus
qu'à la force, égorgeant le passeur, noyant le chapelain ,
révélant aux Burgondes la catastrophe certaine, tâchant
d'entraîner les Huns dans le désastre, précipitant la lutte
par ses sarcasmes, résistant à outrance, bravant
Kriemhild même à l'instant suprême, animé de l'esprit
indomptable de l'Hôgni Scandinave qui rit lorsqu'on lui
arrache le cœur.
A côté de Hagen pâlissent les trois rois burgondes, le
faible et docile Gunther, le belliqueux Gernôt, le jeune
et sensible Giselher. Mais Yolker, le Horant des Nibe-
lungerif est un des plus remarquables personnages de
l'épopée germanique. Il joue de la viole avec un art mer-
veilleux, il a les manières les plus courtoises, il charme
la cour de Bechlarn par ses mots plaisants et lance aux
Huns de mordants brocards, il est h la fois fine lame et
fine langue; ce ménestrel bien disant est aussi un
vaillant chevalier, plus fort encore que Hagen, son insé-
parable compagnon.
Rûdiger est le plus beau caractère du poème. Il a
toutes les qualités, notamment la largesse, la Milde^ et
sa mort nous pénètre d'admiration et de pitié. Vassal
d'Etzel, il a juré de le servir fidèlement; hôte des Bur-
gondes, il les a festoyés et comblés de présents. Que faire
dans la lutte enflammée par Kriemhild? Pour qui prendre
parti? Pour son suzerain Etzel ou pour son futur gendre
Giselher? Défendre sa reine qui lui rappelle le serment
prêté à Worms ou défendre les Burgondes qu'il a suivis
et jetés sans le vouloir dans un guet-apens? Devenir
parjure ou tirer l'épée contre ceux qu'il avait reçus à sa
table et qu'il nomme encore ses amis? Son cœur est
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LB XIII" SIECLB 83
déchiré par ce terrible conflit; il veut rester neutre, il
veut rendre son fief au roi des Huns et partir à pied pour
Texil. Mais Etzel et Kriemhild se mettent à ses genoux;
Rûdiger reconnaît que son premier devoir est son devoir
d*homme lige, il marche contre les Burgondes, et les
Burgondes pleurent en le combattant. Quand il tombe,
les deux camps louent d'une seule voix sa grandeur
d*âme; tous Tappcllent le noble, le loyal Rûdiger, et
ces mots (c noble » et « loyal » semblent attachés à son
nom.
BrOnhild et Kriemhild sont les deux principaux per-
sonnages de femmes.
Brûnhild n'est pas tragique comme dans VEdda; elle
n'a pas la passion profonde qui dans VEdda Tenchaine
à Sigurd et qui la fait errer le soir sur la glace et jeter
au vent cette plainte désespérée : « Je veux revoir Sigurd
ou mourir ». Elle est dans les Nibelungen pleine d'or-
gueil et de basse envie. La -Yalkyrie ordonne de tuer
Sigurd parce qu'il l'a délaissée; elle ne peut souffrir que
Sigurd appartienne à une autre et, Sigurd mort, elle
meurt sans regret. La femme de Gunther arme Hagen
contre Siegfried pour venger une blessure d'amour-
propre.
Kriemhild n'excite l'intérêt que peu à peu. Elle est fière,
querelleuse, indiscrète^ et Siegfried n'a pas tort de la
tancer. Le malheur la transforme. Ce n'est plus la jeune
fille qui refusait de se marier sur la foi d'un rêve, la
femme qui se vantait d'avoir épousé le premier des
héros. Avisée, circonspecte, elle entrevoit les représailles
et déjà les prépare. Elle donne sa main h Etzel, elle
quitte sa patrie pour aller vivre au loin, en un pays
inconnu, mais où elle trouvera l'instrument de cette ven-
geance dont la pensée hante nuit et jour son esprit.
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84 LITTBRATURB ALLEMANDE
Enfin, après onze ans, elle jette le masque. Elle tient
Hagen en son pouvoir; sa haine éclate, ardente, sauvage,
formidable, dévorant tout, semblable à cet incendie qui
s'allume sur son ordre dans le palais où s'entassent les
Burgondes. Que lui importent les guerriers huns qui
succombent sous ses yeux? Elle veut Hagen et elle-
même lui coupe la tète. Le vieil Hîldebrant la tue
aussitôt. Mais n'a-t-elle pas atteint le but de sa vie?
N'a-t-elle pas vengé Siegfried ? Cet amour pour Siegfried
atténue ce qu'elle a d'implacable et d'atroce dans ses
actes. Lorsqu'elle tranche le col à Hagen, l'arme dont
elle se sert est Balmung, l'épée de Siegfried : « Mon
doux bien-aimé, dit-elle, l'avait lorsque je le vis pour la
dernière fois ». Que de tendresse dans ces mots mtn
holder VriedellNoiWk ce qui rend Kriemhild presque aussi
touchante que terrible, ce qui la rend sympathique
même au milieu de son œuvre de feu et de sang : le
tenace, l'inébranlable ampur qu'elle garde à Siegfried.
La Gudrun de VEdda est pour ses frères contre son mari ;
l'héroïne allemande brise tous les liens de parenté, elle
s'arme contre sa famille, elle ne connaît qu'un seul
amour, l'amour conjugal, et venger l'homme de son
choix, venger son époux et seigneur, est pour elle un
devoir sacré. Volker et Dietrich la nomment une femme
d'enfer. L'auteur de la Plainte — qui continue fort
médiocrement les Nibelungen — la déclare innocente;
selon lui, tout ce qu'a fait Kriemhild est légitime, et
quiconque prétend qu'elle est allée en enfer, mérite d'y
aller lui-même.
Toutefois ces personnages ne sont qu'esquissés, et le
poète n'analyse pas les motifs qui les poussent. S'il
montre Rûdiger pris entre deux devoirs contraires, il
n'indique pas comment la timide Kriemhild s'enhardit à
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LE XIII* 8IECLB 86
braver Brûnhild et comment elle finit dans sa rage de ven-
geance par envelopper amis et ennemis dans la même
catastrophe. Nous ne lisons clairement dans Tâme de
Kriemhild qu'en un endroit, lorsqu'elle s'entretient à
Worms avec Rûdiger avant d'épouser Etzel et nous
n'entendons jamais une seule de ces plaintes qu'elle
exhale soir et matin, spdt unde vruoy pendant son veu-
vage et même après son remariage : elle se contente
d'agir. Tel est d'ailleurs Hartmut dans Giidrun, Il aime
Gndrun, l'enlève, la retient prisonnière; mais quels
sentiments agitent son cœur? Il recommande de bien
traiter sa captive; puis il s'irrite des refus qu'elle lui
oppose. Le poète ne s*explique pas davantage.
Faut-il ajouter que la forme ne répond pas toujours
au fond? Cette forme est noble et belle; c'est la strophe
dite des Nibelungen qui compte quatre vers rimes deux
par deux; elle sied à la légende germanique comme
rhexamètre à l'épopée grecque. Mais il y a trop souvent
du remplissage dans cette strophe de quatre vers; le
poète se tire assez bien des trois premiers, mais au qua-
trième, pour ne pas rester court, il introduit un détail
insignifiant, une réflexion oiseuse, ou annonce ce qui
doit se passer : il dira, par exemple, et cela plusieurs
fois, lorsqu'il parle des Burgondes allant chez les Huns,
qu'ils ne soupçonnaient pas leur malheur et qu'ils furent
regrettés plus tard.
Surtout, ce qui fait défaut au poème, c'est l'unité de
composition et l'unité de ton. Il est inégal; il présente
tantôt des scènes belles et dramatiques, tantôt des pas-
sages ternes et languissants; il a l'allure quelquefois
rapide et quelquefois traînante. C'est qu'il se ressent de
son origine, et que, comme on dit, plusieurs cuisiniers
gâtent la sauce : si certaines parties sont adaptées avec
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8« LITTÉRATURE ALLEMANDS
soin les unes aux autres, il y a fréquemment des raccords
maladroits et des épisodes inutiles ou très faiblement liés.
L'arrangeur a fidèlement suivi ses devanciers et, comme
eux, il fait d'Etzel un roi pacifique et de Brûnhild une
femme résignée. Mais la matière était confuse, compli-
quée, chargée d'incidents et de détails, et, partant, les
Nibelungen renferment des redites, des obscurités, des
invraisemblances.
L'œuvre porte la marque du xiii* siècle. Déjà, dans la
poésie des jongleurs, les personnages de la légende
avaient sûrement, sous l'influence des romans chevale-
resques, perdu ce qu'ils avaient de trop âpre et de trop
dur. L'arrangeur n'a pas manqué de les adoucir encore.
Ses héros sont élégants et ils vont k la messe. Avec quelle
abondance et quel sentiment d'aise, il décrit les bûhurt
et les hochzUej les joutes, les lances rompues après
l'office et avant le souper, les princes prodiguant les
cadeaux, les ménestrels profitant de l'aubaine, et le bruit
joyeux, le schal qui se fait entendre dans le palais ! Il ne
cesse de mettre en relief la courtoisie de ses « cheva-
liers », leurs manières agréables, leur bonne grâce, l'éti-
quette qu'ils savent observer. Les dames dans leur plus
belle toilette s'embrassent en s'abordant et leurs révé-
rences et salutations durent une heure entière ; les hommes
cherchent à les divertir. Quel tableau galant que la présen-
tation de Kriemhild aux Burgondes : les guerriers si heu-
reux qu'ils refuseraient un royaume en échange; Kriem-
hild au teint de rose s'avançant « comme l'aurore sort des
sombres nuages » ; Siegfried pâlissant et rougissant tour
à tour lorsqu'il presse la blanche main de la jeune fille!
Tout cela, sentimental, romanesque, plaisait au public
du xiii* siècle ; tout cela nous paraît aujourd'hui fade,
banal, et dans ces descriptions d'armes, de vêtements et
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LE XIII* SIÈCLE 87
de fêtes le poète manque de chaleur et d'essor. Mais, en
revanche, que de récits brillants de couleur et de vie!
Que d'épisodes d'une sombre grandeur! Sous le vernis
du détail moderne perce la crudité des anciens temps.
Ces personnages si aimables et si charmants déploient
quelquefois une énergie brutale et féroce; a certains
instants leurs passions éclatent irrésistibles. Et voilà
Tattrait des Nibelungen, Au milieu des pompes de la cour
de Gunther et d'Etzel subsiste l'esprit rude et violent des
vieux âges. Les héros de la légende sont des Ritter, tout
comme les héros de Hartmann d'Aue et de Wolfram
d'Eschenbach, et leur aspect, leur attitude, leur langage
ont changé, — non pas leur âme. Sous Thomme civilisé
rugit encore le sauvage, et malgré la politesse des formes
se déchaîne Tinstinct primitif.
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CHAPITRE VI
LE XIV ET LE XV SIÈCLES
Décadence. — Saint Grobian. — Remaniements et récits. — Contes
plaisants. — Marolf; le Curé du Kalenberg; Neidhart Fuchs; le Cercle»
— Allégorie : Hadamar; Cersne; Sachsenheim; l'empereur Hazimîlien.
— Le fabuliste Boner. — Henri d'Alkmaer ; Ammenhausen ; le Teichner ;
Suchenwirt: Belieim. — Les maîtres chanteurs. — Montforl et Wolkeus-
tein. — Le chant populaire. — Le drame. — Brame latin. — Brame alle-
mand. — Jeu de Pâques; Jeu de la Passion; Jeu des vierges sages et folle»;
Papesse Jeanne, — Comédie. — Jeux de carnaval. — RosenplQt et Fols.
— Le roman. — Traductions. — Historiographie. — VEulenspiegel. —
Aclcermann. — Théologie : Eckart, Suso, Tauler, Henri de Ndrdlingen,
Merswin. — Geiler de Kaisersberg. — Humanisme. — La comtesse
Mathilde. — Nicolas de Wyl, Steinhdwel, Arigo. — Albert d'Eyb. — Henno,
— Les Universités. — Goltis. — Wimpheling. — Sebastien Brnnt.
Le xfv* et le xv'^ siècles sont une époque de décadence.
Plus de goût, plus de correction, et même peu de décence
et de pudeur; le peuple fête, comme on disait alors, un
nouveau saint, saint Grobian ou saint Rustre.
Pourtant, ça et là, dans ces deux siècles, brillent
quelques étincelles de poésie.
On remanie les vieilles légendes épiques et les légendes
rimées sur la Vierge et les saintes. Claus Wisse et Phi-
lippe Colin de Strasbourg continuent de 1331 a 1336, sur
l'ordre d*Ulrich de Ribeauvillé, le Parzis^al de Wolfram,
et leur œuvre parait en 1477. L'Alsacien Jean de Bûhel
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LB XI V« ET LE XV* SIECLES 89
compose une Fille du roi de France (1401). Le peintre
bavarois Ulrich Fûrtrer écrit vers 1490, dans la strophe du
petit Titurel, son Liçre des aventures où il raconte a nou-
veau Texpédition des Argonautes, la guerre de Troie^
la légende arthurienne.
Il y a encore de petits récits poétiques : Jean de Bûhel
(1412) et un anonyme versifient Thistoire des Sept sages*
Mais ce que le public demande avant tout, c'est un
conte plaisant ou une farce obscène.
Grégoire Haiden, traitant vers 1450 le sujet de Salomon
et Marolf, fait de Marolf un paysan simple et fruste qui
riposte vertement à Salomon.
Le Viennois Philippe Frankfurter narre vers 1470 les
fourberies du ctiré de Kalenberg qui se gausse de ses
paroissiens, de son voisin le curé, de son évoque; mais le
grossier héros de Frankfurter n*a pas la finesse du curé
Amis.
A la fin du xv' siècle parait un recueil où Neidhart
raconte les tours qu'il a joués aux paysans; mais ce
Neidhart que l'auteur nomme Neidhart Fuchs, n'est que
la caricature de l'aimable minnesinger.
Avant Neidhart Fuchs, au xiv* siècle, un poète inconnu
avait, sur un ton comique, célébré les Noces de Metzi, Au
milieu du xv* siècle* le Thurgovien Henri Wittenweiler
reprend ce sujet et le traite avec une verve géniale dans
le poème du Cercle qu'il intitule ainsi parce qu'il prétend
dire tout ce qui se passe dans le cercle du monde. Il est
cru, mais spirituel, mordant, et il parodie agréablement
le Minnesang; on ne peut lire sans gaité le récit du
tournoi des paysans, de leur banquet et de leur bataille.
D'autres genres poétiques, plus sévères, sont a la
mode : allégorie, fable, satire, poème didactique.
L'allégorie avait dès le xiii'^ siècle envahi la poésie.
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90 LITTÉRATURE ALLEMANDS
Elle sévit dans les deux siècles suivants. Le public
aimait les subtilités et, par exemple, donnait un sens
aux couleurs : rouge signifiait amour; bleu, constance;
blanc, espoir; noir, deuil; brun, discrétion; jaune,
bonheur suprême.
Hadamar de Laber, auteur de la Chasse (1340), repré-
sente l'amour sous la forme d'un chasseur : avec son chien
Cœur et d'autres chiens que des valets tiennent en
laisse, Constance, Fidélité, Attente, le veneur poursuit
un noble gibier. Malgré quelques traits aimables,
Hadamar est monotone et maniéré.
Vers 1450 Everard Cersne de Minden expose la Régie de
Vamour^ comme avant lui, à la fin du xiit* siècle, Hein-
zelin de Constance avait disserté dans un roman en vers
assez agréables sur la Doctrine de V amour.
En 1453, le chevalier Hermann de Sachsenheim raconte
dans la Mauresse^ non sans diffusion ni froideur, qu'il
est mené dans la montagne de dame Vénus, traduit
devant un tribunal que le Tannhâuser préside sous les
yeux de Vénus, accusé par la Mauresse Brûnhild et
défendu par le vieil Eckart.
L'empereur Maximilien I" donne, lui aussi, dans
l'allégorie. Le « dernier chevalier » se piquait de belles
lettres et il faisait copier et recueillir les grandes épo-
pées. Avec l'aide de son secrétaire Treizsaurwein il narre
dans le Roi blanc — qui ne fut imprimé qu'en 1775, —
en une prose très sèche, l'histoire de son père et la sienne
propre : le roi blanc, c'est son père, et lui, Maximilien,
il est le (c jeune roi blanc » ; le roi de France est le roi
bleu ; le roi d'Angleterre, le roi rouge. Une autre œuvre
de Maximilien, le Teuerdank^ imprimée en 1517, est en
vers. Il avait eu pour collaborateurs Treizsaurwein et
Siegmund de Dietrichstein et il y retrace longuement,
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LB XIV* ET LE XV* SIÈCLES 01
ennuyeusement son mariage avec Marie de Bourgogne.
Pas de rythme, ni de style, pas de composition, pas
même de naïveté. Ce ne sont qu'aventures, que chasses,
que tournois : Teuerdank ou Maximilien ne conquiert
Ehrcnreich ou Marie qu'après avoir échappé aux
embûches de trois capitaines, Fûrwittig, Unfallo et Nei-
delhart, qui personnifient la témérité, le hasard et
Tenvie.
Le grand fabuliste de cette époque est un dominicain
de Berne, Ulrich Boner, qui, dans la première moitié
du xiw" siècle, composa sous le titre de Diamant^ un
recueil de cent fables très librement traduites du latin,
et la clarté du style, la familiarité du tour, la saveur du
dialecte bernois, la bonhomie de la morale lui valurent
la vogue. Quelques-unes sont de petits récits comiques.
Un curé croit avoir une belle voix et il interroge à ce
sujet une femme qui pleure en l'entendant chanter : elle
songe à l'ânon qu'elle a perdu. La fièvre et la puce
changent de patient : la fièvre entre dans le lit d'une
abbesse qui la reçoit sous des fourrures et avec du lait
d'amandes et de grenades ; la puce passe la nuit sur une
paillasse où couche une blanchisseuse qui dort à poings
fermés et la laisse courir à l'aise en pays conquis.
Henri d'Âlkmaer, Conrad d'Ammenhausen, l'auteur
des Rets du diable, le Teichner, Suchenwirt, Beheim
représentent la poésie satirique et didactique.
Henri d'Alkmaer remanie au xv* siècle le Reinaert
composé par le Flamand Willem au milieu du xm'^ siècle
d'après la vingtième branche du Renart français et con-
tinué au XIV* par un anonyme. C'est ce poème de Henri
d'Alkmaer qui, traduit en bas-allemand, parut dans
Tannée 1498 à Lûbeck sous le titre de Reineke Vos, et le
Reineke Vos, très adroitement fait, fut fort bien accueilli
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92 LITTERATURE ALLEMANDE
et dans le texte original et dans la traduction en haut-
allemand qui parut en 1544.
Le moine suisse Conrad d*Âmmenhausen traduisit en
vingt mille vers dans le Lwre de V échiquier (1337) le
poème latin de Jacques de Cessole sur le jeu d'échecs. H
est lourd et traînant. Mais lorsqu'il s'étend sur les pions,
c'est-à-dire sur les paysans, les médecins et autres «gens
de métier, il abonde en détails curieux.
L'auteur des Rets du diable a sûrement copié le poème
de Conrad : il retrace, sous la forme d'un dialogue entre
le diable et un ermite, la dépravation des mœurs, et il
passe en revue toutes les classes, du pape h l'anachorète
et de l'empereur au marmiton.
Le Teichner (1350-1375) attaque de même la cour et
les chevaliers qui vont en Prusse à la croisade plutôt
que de soulager les misérables ; mais il n'a pas la verve
et l'éclat de l'auteur du Petit Lucidarius,
Suchenwirt — qui meurt après 1395 — se plaint que
l'Honneur dépérisse et que la Foi, devenue boiteuse, ait
besoin de béquilles, que les flatteurs a la langue de
vipère l'emportent sur les bons chevaliers, que certains
chevaliers prêtent de l'argent comme fait le juif. II
déplore le sort du peuple qui a l'estomac creux, et il
annonce la révolte, montre la foule qui menace les
riches, qui veut enfoncer leur porte et manger avec eux,
qui préfère tomber sous leurs coups que de mourir de
misère et de faim. Mais il est héraut d'armes. Il loue les
hommes de cœur qui trouvent, comme il dit, et les
cadeaux du prince et la faveur des dames. Il célèbre,
non sans sécheresse ni monotonie, les ducs et les grands
seigneurs de l'Autriche, et il décrit longtemps leurs
armoiries. Aussi le nommait-on le maître des poètes
héraldiques. Pourtant, il a retracé d'intéressante façon
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LE XIV* BT LB XV* SIECLES 9S
la croisade prussienne d'Albert III, les marches à travers
les marais par la pluie et le froid, le pays mis à feu et à
sang,
Beheim (1416-1474) narra ses nombreuses aventures et
les grands événements mémorables de Tépoque. Mais,
s'il a plus d*humour que Suchenwirt, son style est
diffus, incorrect, rude, plein de chevilles et de méchantes
rimes. Dans sa meilleure œuvre, le Lwre des Viennois^ il
raconte avec force détails le siège que Frédéric III sou-
tint en 1462 contre les rebelles, les Impériaux mangeant
les chiens, les chats et la croûte moisie qui leur semble
douce comme sucre, tous^ grands et petits, concourant à
la défense, l'empereur pilant la poudre dans le mortier.
Ce Beheim était à la fois maitre-chanteur et tisserand.
La poésie^ cultiv<^e par les artisans et les ouvriers,
devenait un métier, une corporation munie de règle-
ments. Il y avait déjà à la fin du xm*^ siècle des sociétés
de chanteurs. A Mayence où étaient nés Frauenlob et
Regenbogen, à Worms, a Strasbourg, à Augsbourg la
bourgeoisie, éprise d'une poésie morale, raisonneuse et
pédantesque, avait fondé des Ecoles de chant. On y
apprenait à faire des vers et à être maître^ selon les
règles, selon la tabulature^ dans des exercices et des con-
cours que jugeaient les Merker. Le poème du maître-
chanteur se nommait lied et plus tard par ou bar. Il se
composait le plus souvent de trois couplets ou Gesàtze^ et
chaque couplet, ordinairement de neuf vers, se divisait
en deux parties : 1^ VAufgesang formé de deux Stolleriy
la strophe et Tanti- strophe, 2^ VAbgesang ou épode.
Mais, de la sorte, le Meistergesang était encore trop
simple; il se compliqua, se raffina; on multiplia les vers,
on les allongea, on les raccourcvt, on varia le mètre, on
combina savamment les rimes, on rechercha les difficul-
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M LITTERATURE ALLEMANDS
tés, et la poésie ne fut plus qu'un tour de force ou
d'adresse. Aussi, de tous les maîtres-chanteurs, bien peu
sont dignes de mention. S'ils ont répandu dans le
peuple de saines et généreuses idées, ils manquent de
goût, de talent, d'originalité. Les seuls qu'il faut citer
sont Beheim, Henri de Mûgeln et Muscatbiût : ils ont du
moins le mérite de n'avoir pas toujours chanté la même
antienne.
C'est avec une sorte de soulagement et de joie qu'on
reporte la vue sur deux poètes, deux Tyroliens, deux
gentilshommes, disciples attardés du Minnesang, qui
vivaient à la fin du xiv** et au commencement du xv* siècle,
Oswald de Wolkenstein et Hugo de Montfort. La poésie
de Wolkenstein est rude, inculte, mais variée, et nul
de ses contemporains n'éprouva plus de vicissitudes,
n'essuya plus d'orages. Celle de Montfort, bien que
négligée, obscure et lourde, a plus d'agrément; il est
sincère, il aime la nature, il traite de graves sujets, et il
sait ses défauts : en mai, dit-il, le coucou chante avec le
rossignol.
Montfort et Wolkenstein ont souvent le ton populaire.
C'est le temps du VolksUed, Au xiv* et au xv* siècles —
ainsi qu'au xvi* — des chanteurs ambulants vont de ville
en ville, de village en village. Ils chantent des chansons
simples, légères, dansantes. On ignore qui les a com-
posées. Les auteurs se nomment fréquemment dans la
dernière strophe, mais d'une façon vague; c'est un libre
cavalier, ou un bel étudiant, ou un homme qui est allé en
France; ce sont deux compagnons ou deux lansquenets,
et ils tirent le lied en tel ou tel endroit à côté de la fille
de l'hôtelier. Le poète anonyme jure un éternel amour
au bon petit vin frais du Neckar qui lui réconforte l'ame
et humecte la barbe. Il dit que la meilleure maîtresse —
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LE XIV* BT LB XV* 81ECLB8 06
c'est le tonneau — porte un surtout de bois et habite la
cave. Mêmes procédés et mêmes motifs que ceux du
Minnesang finissant. II parle du faucon que les femmes
caressent et des méchantes langues; il loue le printemps
ou Tété, il promet de vivre au service de sa belle ou bien
il vante l'automne, ses kermesses, ses gros plats etrepré*
sente des scènes de la vie villageoise : des paysans sau-
tent d'aise dans une salle d'auberge, survient un gentil-
homme et les coups pleuvent; Fritz déclare à Grédel
que l'amour lui détraque l'esprit, et Grédel répond qu'elle
voudrait le manger tout vif. Mais le poète populaire a
Taccent plus tendre, plus original que le Minnesingcr.
Il chante avec plus de chaleur et de sincérité celle qu'il
aime, une jeune fille, non une dame, ses cheveux jaunes
comme l'or et sa robe verte; elle lui semble belle à
peindre, aussi belle qu'une poupée et il la préfère à
tous les trésors de l'empereur. Lorsqu'il la quitte, il lui
fait d'émouvants adieux : c'est le cœur blessé qu'il
s'éloigne d'elle, et elle, pleurant à mourir, prie Dieu de
le protéger. Quelquefois pourtant il se plaint de sa mie :
bâtir sur elle, c'est butir sur la glace; elle lui vide sa
bourse; elle se gausse de lui, elle le trompe; bah! il en
retrouvera d'autres! Quelquefois il pose et résout des
questions, des énigmes. L'été n'est-il pas supérieur à
rhiver, et le saule au buis? Quoi de plus blanc que la
neige? Le soleiL De plus rapide que le chevreuil? Le
vent. De plus haut que la montagne? L'arbre. De plus
noir que la nuit? La suie.
Chaque métier avait ses chansons. Celles du chasseur
expriment l'allégresse de Thomme qui court à la pour-
suite du cerf et qui, rencontrant sa belle sous un arbre,
étend son manteau sur le gazon pour s'asseoir à côté
d'elle. Celles des reitres ont beaucoup de saveur. Eux
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96 LITTERATURB ALLEMANDE
aussi connaissent Tamour et un d'eux dit que, s*il pense
à sa maîtresse, son cheval fait un bond. Mais il leur faut
payer l'hôte en bons et rouges florins, braver givre et
neige, coucher soit en plein air, soit sur la paille où les
poux les dévorent. Les lansquenets se plaignent sur un
ton plus rude et plus grossier; mais eux n'ont pas de scru-
pule; ils prennent au paysan ses poules et ses oies; ils
vivent de la guerre et, sitôt qu'elle éclate, ils partent
avec une belle femme, un valet, un chien, et quand ils
ne se battent pas, ils ont de quoi se distraire et s'ébaudir,
les dés, les cartes et un vin excellent.
Le poète compose aussi des ballades. Il remet en
strophes les récits et les nouvelles de ses devanciers,
comme l'histoire de Pyrame et de Thisbé. Il raconte le
châtiment d'un brigand, le dévouement d'une noble dame
qui délivre son mari prisonnier, le suicide d'un che-
valier qui refuse de survivre a son amante ou la fuite
d'une nonne. 11 évoque des Minnesinger, Brennenberg,
Morungen, Neifen, le Tannhduser. Le Brennenberg est
tué par un mari jaloux et son cœur servi à sa maîtresse.
Morungen, ou Moringer, revient de l'Orient le soir même
où sa femme, qui le croit mort, doit épouser Neifen. Le
Tannhâuser, après un an passé dans la montagne de
Vénus, se confesse au pape Urbain ; le pontife, crosse en
main, répond que le pénitent n'obtiendra la grâce de
Dieu que si la crosse verdoie ; le poète retourne à Venus,
mais au troisième jour la crosse reverdit : il n'y a donc
pas de péché que Dieu ne pardonne au repentir sincère !
Ces chants populaires ont des défauts : langue triviale,
rime inexacte, récit obscur. L'exécution manque. Mais
d'ordinaire le début est alerte, rapide, dramatique.
Chemin faisant, le poète trouve des traits expressifs et
sa brièveté, ses exclamations, certains mots qu'il répète
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LB XIV* ET LB XV* SIÈCLES Ôl
a propos, produisent par instants un grand effet. II
emploie des images saisissantes : Famant qui part est
un pauvre oiselet tombé de la branche et une amante
infidèle, la pomme belle et rouge que rongeait un ver.
Du reste, au xiv*, au xv*, au xvi* siècles, le Volkslicd
s'étendait à tout, à la religion, à la politique. Il célèbre
Dieu, Marie, les fêtes chrétiennes. Mais il a de l'afféterie.
Il fait de Tange Gabriel un chasseur qui sonne du cor. Il
décrit un repas sous l'arbre de la croix : des rameaux de
l'arbre coule le vin, les anges servent les convives, Marie
est sommelière, et l'Esprit saint, Téchanson.
Quant aux chants politiques, ce ne sont et ce ne seront
longtemps que des récits de batailles, bourrés de noms
et de détails, dénués de tout intérêt poétique : rien de
vif, rien d'entraînant; de la prose rimée. Les meilleurs
furent peut-être celui de Halbsuter sur la bataille de Sem-
pach et celui de Veit Weber sur la bataille de Morat.
En même temps que le chant populaire^ se développe
le drame.
II avait d'abord employé le latin. Le Jeu des prophètes^
représenté h Ratisbonne au mois de février 1194, est en
latin. En latin, le Jeu de C Antéchrist^ ce /cm original qui
forme un ensemble et allie la politique avec la religion.
On voit l'empereur, le « roi des Allemands », soumettre
le roi des Français, les rois de Grèce et de Jérusalem,
le roi de Babylone. Puis apparaît l'Antéchrist, flanqué de
l'Hypocrisie et de l'Hérésie; il séduit tous les monarques;
seul l'empereur refuse ses présents. Furieux, l'Anté-
christ lance les rois contre la Germanie; ils sont vaincus,
car le teutonicus furor est irrésistible. Mais l'Antéchrist
fait des miracles et à la vue d'un boiteux qui marche,
LITTiRATDRB ALIIMAHDB. *
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08 LITTKRATURB ALLEMANDE
d'un lépreux qui guérit et d'un mort qui ressuscite,
l'empereur reconnaît le nouveau Dieu. Il est temps que
le Christ se montre, et il foudroie son rival.
Peu à peu la langue vulgaire se mêle au latin. Dans le
Jeu de la Passion de Beuron, Marie-Madeleine chante en
allemand et, dans un Jeu de Pâques de Trêves, les chants
latins, prose ou poésie, sont toujours suivis d'une tra*
duction en vers.
Au XIV" siècle, l'allemand remplace le latin. On n'a
que des fragments du Jeu de Pâques de Mûri; mais les
vers rappellent ceux de la lyrique courtoise, et par la
correction et la clarté de la forme ce fragment l'emporte
sur les œuvres du même genre.
En revanche le Jeu de Pâques d'Innsbruck (1391) est
écrit dans le style des jongleurs et semé d'eflets
comiques : Pilate dit qu'il vient siéger pour faire « suer »
tous les Juifs; les Juifs jargonnent; le domestique d'un
charlatan joue le rôle du bouffon et enlève la femme de son
maître ; le Christ livre au diable un savetier, un boucher
et un prêtre qui confessent piteusement leurs péchés;
saint Jean prie les spectateurs, s'ils veulent aller au ciel,
de gratifier les acteurs qui sont des écoliers, d'un rôti et
d'un gâteau.
Citons aussi le Jeu de la Passion de Vienne, qui repré-
sente l'histoire du salut depuis la chute jusqu'à la
rédemption ; le Jeu de la Passion de Saiut-Gall, où paratt
le juif Rufus, empressé, hâtant l'exécution, donnant un
pourboire aux soldats, frappant le Christ d'une verge et
lui tendant l'éponge; le Jeu des cierges sages et des
cierges folles. Ce dernier drame fut joué en 1322 à
Eisenach devant le landgrave Frédéric a la joue mordue,
et lorsqu'il entendit Jésus dire aux vierges folles malgré
l'intervention de Marie : « Allez, maudites, je vous
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LE XIV* ET LE XV* SIECLES 99
chasse, allez dans le feu qui vous attend », ce prince se
retira courroucé : qu'était-ce que la foi chrétienne,
s'écriait-il, si les prières de la Vierge n'obtenaient pas la
grâce du pécheur!
D'autres drames sont empruntés aux légendes : Jeu de
sainte Catherine^ Jeu de sainte Dorothée^ Théophile, et
une pièce du prêtre thuringien Schernberg sur la papesse
Jeanne ou dame Jutta (1480), pièce naïve où manque la
malice, où abondent chevilles et mauvais vers.
Tel est le drame religieux du moyen uge, grossier,
élémentaire. 11 n'a ni style, ni composition, ni vraisem-
blance. Joué en plein air, sur la place publique^ pour
l'édification et l'amusement de la foule, il exige un jour,
deux jours, même trois jours de représentation, et delà
tant de personnages, tant d'épisodes burlesques et de
pieux discours, tant de scènes insignifiantes et de détails
inutiles, vulgaires qui s'entassent dans la pièce comme
les spectateurs s'entassaient sur les échafauds. Un pareil
drame pouvait-il aboutir?
La comédie, elle aussi, n'offre aucune œuvre mémorable.
On n'a que soixante-deux lignes d'une pièce du xiv' siècle
qui mériterait de s'intituler Sept femmes pour un mari :
rhomme trop aimé opte pour celle qui parle la dernière.
Mais on possède un grand nombre de farces ou de Jeux
de carnaval du xv" siècle. Elles ont été jouées à l'époque
du carnaval par des garçons de métier. Ce ne sont
d'abord que de simples divertissements : des fous, des
pèlerins, des paysans expliquent leur costume et
racontent leurs aventures, leurs péchés grotesques,
leurs exploits bachiques et amoureux; puis ils exécutent
des danses. Mais peu à peu la farce se dramatise; on
réplique et on riposte; on représente une demande en
mariage, des scènes de ménage, des procès comiques,
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100 LlTTliRATURB ALLEMANDE
des épisodes de la Bible, de la légende héroïque, des
contes populaires, et rien de plus grossier, de plus
obscène, de plus ordurier que le langage des personnages
qui sans nulle vergogne nomment parleur nom les choses
les plus secrètes et les plus intimes. Nous ne connaissons
que deux auteurs de Jeux du carnaval : Jean Rosenplût
et Hans Folz. Ils appartiennent à la seconde moitié du
xv^ siècle et ils vivaient à Nuremberg. L'un, Rosenplût,
chaudronnier et artificier, vante la bourgeoisie de la ville,
méprise les chevaliers et déplore la corruption de
l'Empire; l'autre, Folz, barbier et chirurgien, tourne
mieux le vers que Rosenplût et il est plus correct, plus
régulier, plus sérieux : dans le Jeu de Vancien et du
nouveau Testament il fait disputer un docteur et un
rabbin.
Le xiv* et le xv* siècles offrent donc des poésies de
tout genre en grand nombre, mais ce ne sont pas des
siècles poétiques. Par contre, la prose étend alors son
domaine; elle prend pied partout, et bien qu'encore un
peu raide et rigide, elle se fait, elle devient plus maniable,
plus précise.
C'est au XIV* siècle que naît le roman allemand.
Derechef les Français servent de modèles et leurs récits
sont mis en prose comme en vers. Marguerite de Vaude--
mont, femme d'un duc Frédéric de Lorraine, traduit du
latin en français (1405), et sa fille Elisabeth, comtesse de
Nassau-Sarrebruck, du français en allemand Loher et
Maller (1437). Cette même Elisabeth traduit Hug Scha^
plet\ notre Hugues-Capet ou Huon Chapet, ce fils de
boucher qui mérite le trône par ses exploits. Éléonore
d'Ecosse, femme du duc Sigismond d'Autriche, traduit
Pontus et Sidoine, et un margrave de Hochberg fait
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N
(^X;)^.B ^V'^^I^LBS 101
remanier par le Bernois Tûring de Ringoltingen la
légende de Mélusine (1456).
L'invention de Timprimerie multiplie ces traductions.
On met en prose allemande le Directorium humanœ vitœ
de Jean de Capoue, la Disciplina clericaiis du Juif espa-
gnol Pierre- Alphonse, le Roman des sept sages, le recueil
de nouvelles et d'anecdotes connu sous le nom de Faits
des Romains et c'est dans ces traductions que les écri-
vains du siècle suivant iront chercher des sujets de
drames et de nouvelles.
Pourtant, quelques œuvres sont allemandes. On remanie
pour ceux qui n'aiment pas les « livres rimes » quelques
vieux poèmes, le Siegfried corné, Wigalois, le Tristan
d'Eilhard, Guillaume d" Autriche.
L'historiographie continue à fleurir. Jacques Twinger
de Kœnigshofen rédige vers 1390 la première version de
sa Chronique d^ Alsace; Jean Rothe achève en 1421 sa
Chronique de Thuringe; Diebold Schilling décrit dans
sa Chronique de Berne les guerres entre Suisses el Bour-
guignons.
A la fin du xv" siècle parait V EulenspiegeL Le héros de
l'œuvre vécut sans doute au siècle précédent; il serait né h
Kneitlingen, dans le Brunswick, et enterré à MoUn. Son
histoire fut mise par écrit vers 1483 et imprimée vers 1500.
C'est le paysan narquois qui se donne l'air d'un imbécile
et qui n'en fait qu'à sa tète. Son meilleur tour consiste
à exécuter au pied de la lettre et par suite h contre-sens
les ordres qu'il reçoit. Un tailleur lui conseille de coudre
« qu'on ne le voie pas », et il se glisse sous un tonneau
pour n'être pas vu. Le même tailleur lui commande une
de ces blouses qu'on nommait un loup\ il découpe la
blouse et façonne un loup véritable avec une tète, un
corps et des jambes. Un brasseur le prie de faire bouillir
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102 LITTÉRATURE ALLEMANDE
le houblon» et il jette dans Teau chaude un chien qui s'ap-
pelle Houblon. « Va au gibet », lui crie son maître en
colère, et il conduit la voiture à Tendroit où se dresse la
potence. Grossier d'ailleurs, sale, crachant dan s la bouillie
pour être seul à la manger, souillant les lits d*auberge.
Le livre fut bientôt populaire; on le traduisit; on le mit
en vers; espiègle passa dans notre langue pour désigner
un fourbe ingénieux. Le personnage plaisait aux artisans
parce qu'il faisait tous les métiers, aux paysans parce qu'il
mystifiait les citadins, et aux gens de la ville parce qu'il
était indécent et fêtait toujours saint Grobian.
Mais la prose a des textes plus délicats à produire : le
Dialogue d'Ackermann et les œuvres des théologiens.
Jean Ackermann de Saaz compose en 1399, après la
mort de sa femme Marguerite, un dialogue entre un veuf
et la Mort. Ce veuf, c'est lui; il reproche à la Mort de
l'avoir privé de sa compagne, la Mort lui répond, et Dieu
tranche le débat. Ackermann est instruit; son style a de
l'éclat, et il joint h l'abondance des images la gravité de
l'accent.
Quant à la théologie du xiv* et du xv* siècles, elle déploie
de grandes qualités, de la précision, de la vigueur.
Une école mystique s'était formée qui voulait l'union
intime de l'âme avec Dieu et prétendait expliquer le dogme
sans admettre de mystère et de révélation. Le dominicain
Eckart (f 1327), dont quelques propositions furent con-
damnées par le pape, a fondé cette école mystique. Il est
le plus grand prosateur du moyen âge. Son expression,
abstraite et parfois trop élevée pour son auditoire, a sou-
vent de la noblesse et de la poésie. Ce penseur, vraiment
original, profond, audacieux, a créé une langue pour la
philosophie et la théologie.
Les dominicains Suso (f 1366) et Tauler (f 1361) furent
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LE XIV^ ET LE XV*" SIECLES lOS
ses disciples. Suso a revêtu les idées d*Eckart d'une forme
romantique, d'une forme claire, naturelle, mais qui trahit
une vive imagination et une ardente sensibilité. Il person-
nifie par la Vierge ou par le Christ la Sagesse, la belle et
éternelle Sagesse, et cette Sagesse, il Taime, minnet und
meinety il s'incline devant elle, il ne lui demande qu'un oui
d'amour et le « chapeau », cette couronne de fleurs que les
jeunes filles de Souabe donnent à leur ami lorsqu'il vient
dans la première nuit de l'année leur chanter des vers.
Tauler, esprit pratique, n'a pas la témérité de Suso et
d'Eckart : il ne spécule pas et il prêche ce qu'il nomme
la simple vérité, sans appareil scolastique et avec une
chaleur pénétrante.
Sous l'influence de ces dominicains mystiques se fon-
dèrent des associations dites des Amis de Dieu et compo-
sées de personnes de toute condition. Elles existèrent
principalement en Alsace, en Suisse, en Souabe, et plu-
sieurs de leurs membres méritent une mention : un prêtre
de Francfort, auteur d'une Théologie germanique qui fut
publiée par Luther et traduite en français; Henri de
Nôrdlingen, Rulman Merswin.
L'auteur de la Théologie germanique^ composée à la fin
du XIV* siècle, eut une certaine action sur les commence-
ments du protestantisme.
Le prêtre Henri de Nôrdlingen correspondait avec une
religieuse de Medingen, Marguerite Ebner, et les Réçé-
lationsàe Marguerite, bien que très gauchement rédigées,
ainsi que les lettres de Henri, dans leur tendresse et exal-
tation, font connaître la vie mystique des couvents de
femmes au xiv** siècle.
Rulman Merswin, riche marchand de Strasbourg (1308-
1382), composa, non sans longueurs et répétitions, le
Livre des Neuf Rochers (1352), qui montre comment les
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104 LITTéRATURB ALLEMANDB
amis de Dieu seuls surmontent tous les obstacles. Il eut
même la hardiesse de créer de toutes pièces un person-
nage qu'il appela « l'ami de Dieu de TOberland » et à ce
mystérieux laïque il attribua ses propres écrits, des traités
édifiants et notamment une très curieuse autobiographie
pleine de visions et d'extases.
Plus d'un siècle après, dans la ville natale de Rulman
Merswin, paraissait un grand prédicateur, Geiler de
Kaisersberg (1445-1510), qui devait, durant vingt-trois
ans, prêcher du haut de la chaire de la cathédrale. Geiler
abuse des divisions; il s'écarte volontiers de son sujet :
il recherche de quelle couleur étaitle vêtement de l'ànge qui
apparut à Marie et de quel côté se trouve le trône de la
Vierge; il compare le chrétien au lièvre et Dieu au pain
d'épice. Mais sa parole était claire et vivante. 11 veut parler
au peuple, et il veut lui parler en termes simples, grossiers
même, groblich. Il choisit pour thème de ses sermons
des livres écrits par des laïques. Il dépeint l'avare et non
pas l'avarice; au lieu de blâmer la curiosité, il montre la
religieuse qui met le nez h la fenêtre pour voir comment
nichent les oiseaux, ou qui interrompt sa prière pour
écouter un trompette, ou qui va dans la cellule de sa voi-
sine pour demander le moyen de prendre les mouches
égarées dans sa quenouille. Il suppose un dialogue entre
l'auditeur et lui; il cite des fables, des dictons, les bons
mots du curé de Kalenberg; il emploie des images fami-
lières, frappantes. Forçait-il le ton? Jugeait-il ses con-
temporains avec trop de sévérité? Il condamne la société
de son époque et il assure qu'il ne voit dans les couvents
que vauriens et femmes perdues, Huren und Buben, que
le clergé scandalise les laïques et leur donne le mauvais
exemple, que du pape et des cardinaux jusqu'aux der-
niers clercs tous sont corrompus et pourris, que les
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LE XIV^ ET LE XV« SIBGLB8 105
choses ne peuvent durer plus longtemps. II a ainsi, sans
le vouloir, et avec d'autres, provoqué la Réforme, et
Jacques Sturni, le stettraestre de Strasbourg, aurait pu
lui dire comme à Wimpheling : « Si je suis hérétique,
c^està vous que je le dois ».
La Réforme s'annonce donc dans les dernières années
du xv^ siècle. Elle a été précédée par l'humanisme, et les
humanistes allemands ont rendu de grands services.
Ils ont réagi contre la scolastique latine, contre la
harbarie de la langue et la sul)tilité de la pensée. Ils ont
propagé Tesprit critique, l'esprit de libre recherche et de
libre discussion. Ils aimaient Tltalic, cette Italie où les
murs, disait l'un d'eux, sont plus éloquents que les
hommes le sont ailleurs, et plusieurs, Eyb, Reuchlin, y
voyagent, y terminent leurs études, y nouent d'étroites
relations avec les humanistes du pays.
La région rhénane où le roman en prose avait pris
naissance, fut un des principaux foyers de l'humanisme
allemand.
A Rothenbourg, sur le Neckar, la comtesse palatine
Mathilde, la « demoiselle d'Autriche », témoignait un très
vif intérêt aux choses de l'esprit. Elle contribuait à la fon-
dation des Universités de Fribourg et de Tubingue. Deux
poètes, Sachsenheim et Pûterich de Reichertshausen, lui
dédiaient leurs œuvres. Ce fut pour son fils qu'Antoine
de Pforr traduisit Jean de Capoue. Ce fut pour elle que
Nicolas de Wylentreprit quelques-unes de ses Translations
(1461-1478) ou traductions d'Enéas-Silvius Piccolomini,
de Pogge, de Pétrarque et d'autres Italiens; une histoire
d'amour contée par Enéas-Silvius, Euriole et Lucrèce^
est celle qu'on goûta le plus.
A la cour des comtes de Wurtemberg vivait le médecin
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106 LITTERATURE ALLEMANDE
SteinhOwel (1412-1482) qui composa une traduction du
roman d'Apollonius, un Esope qui contenait des fables
et la vie du fabuliste, la Griselidis de Boccace et son
livre sur les femmes célèbres. C'est un Italien, Arigo,
qui traduit, lourdement, servilement, le Décaméron,
Albertd'Eyb (1420-1475) a plus d'importance qu'Arigo,
SteinhOwel et Nicolas de Wyl. Il étudia en Italie, il
reconnaissait Rasînus, le grand commentateur de Plante,
comme son père intellectuel, et il fit en allemand un
Liçretdu mariage^ qui eut de 1472 à 1540 douze éditions,
et un Miroir des mœurs (1474). S'il n'a rien d'original, il
est net, vigoureux^ et dans ses traductions des Ménechmes
et des Bacchides de Plaute, et de la Philogenia d'Ugolîno
(1511), il germanise les lieux et les noms, appelle ses
personnages Heinz, Gôtz et Fritz, recherche l'expression
populaire et crue, les dictons, les épithètes familières.
D'autres mettaient Térence en allemand : Hans
Nydhart traduisait V Eunuque (1486), et un anonyme,
les six comédies (1499).
Reuchlin faisait représenter eu 1497 par les étudiants
une pièce latine Henno, imitée de notre Maître Patheliriy
et cette pièce, qui fut plusieurs fois traduite ou remaniée,
notamment par Hans Sachs, dépasse de beaucoup, grâce
à Térence et au modèle français, les comédies latines
ou allemandes du xiv* et du xv* siècles.
L'amour des lettres se répandait ainsi de proche en
proche. Erasme n'écrit-il pas alors qu'elles sont la vraie
richesse de l'homme, qu'elles ne vieillissent pas comme
la beauté et ne s'aifaiblissent pas comme la force du
corps?
Déjà, depuis 1454, Peuerbach et, depuis 1461, Jean
Mûller deKœnigsberg, ditRegiomontanus, expliquaient à
l'Université de Vienne Virgile et Horace. D'autres
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LB XIV* ET LE XV* SIÈCLES 107
Universités, celles de Fribourg et de Tubingue, celles de
Baie, d'ingolstadt, de Francfort-sur-rOder s'ouvraient
à Tesprit nouveau. Les humanistes ou, comme on les
nommait, les poètes, vont d'Université en Université
commenter les classiques latins.
L'un d'eux, Conrad Celtis (1459-1508), couronné poète
par Frédéric III et chargé par Maximilien I*' de diriger à
l'Université de Vienne un Collège poétique, a publié la pre-
mière édition de Hrotsvith et trouvé la carte de Peutinger.
Mais les humanistes allemands n'ont pas les mêmes
visées que ce brillant et aventureux Celtis. Avant tout,
ils veulent réformer les mœurs. Le plus grand nombre
procèdent de l'institut des Frères de la çie commune que
le mystique hollandais Gérard de Groote avait fondé à
Deventer au xiv* siècle. Groote désire qu'on enseigne le
latin et le grec, non seulement pour cultiver l'intelligence,
mais pour réveiller la vie intérieure, et la tache essen-
tielle qu'il assigne aux écoles, c'est de traduire les
Ecritures en langue vulgaire. De ces écoles sortit
Dringenberg, recteur de l'Ecole latine de Schlestadt,
et le meilleur élève de Dringenberg fut ce savant
Wimpheling (1450-1528) qui traita les sujets les plus
divers et qui mériterait le nom de « prœceptor Alsatiœ »;
mais Wimpheling exclut des études la plupart des poètes
païens, condamne Térence, préfère à Virgile Baptiste de
Mantoue !
De même, Geiler de Kaisersberg, qui met saint
Augustin et saint Jérôme au-dessus de tous les poètes
latins !
De même, un compatriote de Geiler et de Wimpheling,
le Strasbourgeois Sébastien Brant (1457-1521), dont
Geiler avait, dans une série de sermons, paraphrasé le
poème, le Narrenschiff. Cette Nef des FouSy l'ouvrage
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108 LITTÉRATURE ALLEMANDE
principal de Brant, eut un très vif succès : elle paraît,
en 1494 et dès 1497 elle fut traduite en latin et en
français. Mais Brant est trop savant pour être poète.
Ses vers sont lourds, pleins d'irrégularités et de négli-
gences. Pas le moindre souci de la composition. Il fait
monter ses fous sur un vaisseau qui part pour la
Narragonie; le navire étant surchargé, d'autres vaisseaux
viennent recueillir le reste des fous, et plus n'est
question du voyage. L'œuvre est donc décousue; Brant
énumère sans suite aucune les vices et les travers des
hommes; h mesure que tel ou tel se présente à sa
mémoire, vite il l'ajoute à ceux qu'il a précédemment
décrits, et dans ses descriptions il jette au hasard des
passages de la Bible, des anecdotes historiques, des pro-
verbes, des allusions. S'il a parfois l'humeur caustique, il
cherche trop à éblouir le lecteur par son érudition et à
l'édifier par des réflexions morales. C'est le type de ces
humanistes allemands, précurseurs inconscients de la
Réforme. Il met Pétrarque et Baptiste de Mantoue au
même rang que les classiques latins. Prudent, timoré,
il désire le progrès, et il refuse de rompre avec le
catholicisme; il se plaint des abus de l'Eglise, et c'est
un dévot de la Vierge et des saints. Pareillement, son
ami Wimpheling avait attaqué les moines et les prêtres
qui cumulent les bénéfices, avait déploré la misère des
paysans pressurés par le clergé, et il se prononça contre la
Réforme. Mais les humanistes avaient beau faire; ils ne
purent arrêter le mouvement qu'ils avaient imprimé aux
esprits.
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CHAPITRE VII
LB XVP SIECLE
Erasme. — Reuchlin. — Les Epitres des hommes obscurs. — Luther.
— Marner. — Hutten. — Alberus et Waldis. — Hans Sachs. — Ring-
waldt et Rollenhagen. — Fischart. — Pauli, Wîdmann et Wickram. —
Le docteur Faust. — Le drame. — Naogeorg. — Frischlin. — Manuel.
— Les comédiens anglais. — Henri-Jules de Brunswick. — Ayrer.
Le xvi^ siècle est le siècle de la Réforme. Elle domine
les événements comme les esprits et elle lue la Renais-
sance que l'humanisme avait suscitée.
Fut-ce un bien? Fut-ce un mal? Cette Renaissanpe
allemande, si elle eût abouti, n'aurait-elle pas étouffé
toute originalité? N^aurait-elle pas imposé Timitation
exclusive des anciens? Quand on pense qu'au xvi'' siècle
les maîtres des écoles n'inculquent aux élèves que le
latin, que l'enseignement des universités ne se fait qu'en
latin, que les deux tiers des livres imprimés sont en
latin, que les savants ne voient dans l'allemand qu'un
idiome barbare et ne goûtent le Narrenschiff' de Brant
qu'en traduction latine, que, sous leur influence, une
foule de mots tirés du grec et du latin s'introduisent
dans la langue, ne faut-il pas admettre que le triomphe
complet de l'humanisme aurait été d'un grand préju-
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110 LITTERATURE AliLEMANDB
dice au développement de la littérature nationale ?
Quoi quUl en soit, si nombre d'humanistes désapprou-
vèrent la Réforme, ils Tavaient préparée.
Érasme se sépara de Luther avec éclat. Mais il était k
certains égards, et comme a dit Bayle, le Jean-Baptiste
du Réformateur et ses contemporains répétaient volon*
tiers que Luther avait couvé Tœuf qu'Érasme avait pondu.
Le spirituel et prudent érudit n'avait-il pas conseillé de
revenir à la source, au livre sacré, au texte de TÉvangile?
N'avait-il pas publié cette édition gréco-latine du Nouveau
Testament dont Luther se servit pour traduire la Bible
en allemand, cette version qu'il jugeait plus fidèle que la
Vulgate et qui, dans des notes habiles et subtiles, sou-
lignait des obscurités, soulevait des doutes et inquiétait,
menaçait la foi? N'avait-il pas attaqué dans ses Adages
l'Église qui ne fait rien gratis et dans son Éloge de la
Folie le charlatanisme et l'orgueilleuse ignorance des
prêtres et des théologiens, le culte des saints, les indul-
gences, la confession, la pénitence, les moines, les évo-
ques, les cardinaux, le pape?
VÉloge de la Folie date de 1512. Deux années aupa-
ravant, s'était produite l'affaire Reuchlin. Un Juif con-
verti, Pfefferkorn, proposait de brûler tous les livres
hébraïques, à l'exception de l'Ancien Testament. Reuchlin
protesta. Les dominicains de Cologne et l'inquisiteur
Hochstraten lui répondirent. Une longue querelle s'en*
gagea et des pamphlets s'échangèrent. Mais tous les
humanistes, notamment ceux d'Erfurt, se prononcèrent
en faveur de Reuchlin.
Deux de ces humanistes d'Erfurt^ Crotus Rubianus et
Ulrich de Hutten, publièrent une œuvre vraiment
piquante, les Épitres des hommes obscurs. Crotus est
l'auteur de la première partie (1515-1516), el Hutten, de
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LE XVI* SIÈCLE 111
la seconde (1517). On y voit des moines qui racontent
leur existence en leur latin de cuisine sur un ton naïf; ils
ergotent sur des riens avec une logique toute scolastique;
ils demandent si c'est un péché mortel de saluer un juif
par mégarde; ils étalent la plus crasse ignorance de l'an-
tiquité ; ils festinent) ils font l'amour et ils se moquent
du reste. Ces détails sont épars dans les Epitres. Mais
elles se tiennent et se relient, parce qu'elles ont presque
tontes le même destinataire, Ortwin Gratius de Deventer,
amant de dame Pfefferkorn, et l'ancien maître de nos
épistoliers. En outre, elles renferment de fréquentes
allusions à Reuchlin, et c'est un trait qui distingue les
deux parties : Crotus parle peu de Reuchlin, et comme
si la question n'avait pas d'importance; Hutten prend
l'affaire au sérieux et presque au tragique.
C'est ainsi que Reuchlin et Érasme ont été les précur-
seurs de Luther. Aussi, dans une pantomime jouée h
Augsbourg, devant Charles-Quint, le bûcher auquel
Luther mettait le feu était-il préparé par Reuchlin et
dressé par Érasme.
Inégal, extrême, plein de contrastes, passant des ten-
dresses et des élans du mysticisme k de sauvages empor-
tements, trouvant à l'occasion des paroles d'une simpli-
cité charmante ou des accents d'une émotion profonde,
et, toutefois, violent, brutal, grossier, exaspéré par la
contradiction, incapable de garder la mesure, poussant à
l'excès les procédés de sa polémique et les conclusions
de ses principes, disant et faisant souvent — selon le
mot et malgré le conseil d'Érasme — des choses qui
respirent l'arrogance ou la dureté, enivré de son succès
et déclarant, dans son orgueil, qu'il marchera seul contre
tous, soutenant l'infaillibilité du docteur Martin avec
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112 LITTÉRATURE ALLEMANDS
autant d'obstination qu'il combattait celle du Souverain
Pontife, hanté par l'idée du démon, épouvanté dans ses
dernières années par les conséquences de sa prédication
et regrettant par instants son œuvre, mais hardi, impé-
tueux, puissant, remuant les masses et leur imposant par
sa rude grandeur, entraînant les esprits par la force de
sa parole et par l'enthousiasme de son âme comme par
son énergique et superbe vouloir, pensant a son peuple
et non h lui-même, attaquant le papisme au nom de la
nation allemande qui salue en lui son champion et son
héros, tel est Martin Luther.
La Bible avait été mise en allemand par diverses mains
et cette traduction était gauche, raide, obscure. Luther
la remplaça par une traduction claire, aisée, nerveuse,
klar und gewalliglich, La tâche offrait de très grandes
difficultés. Mais, pour disposer d'un vocabulaire étendu ,
Luther n'hésita pas, selon ses propres termes, à con*
sulter la mère à la maison, les enfants dans la rue et
l'homme au marché. Il faisait la chasse aux expressions
familières et vivantes : « Ne me donnez pas, écrivait-il à
un de SCS correspondants, des mots de cour et de châ-
teau! » Il demandait à un boucher qui tuait un mouton
comment s'appelait chaque partie de l'animal, et avant de
traduire certains passages de l'Apocalypse, il priait
Spalatin de lui dénommer et décrire les pierres pré*
cieuses. Souvent, avec ses amis, durant quinze jours,
durant trois, quatre semaines, il chercha le mot juste
sans pouvoir le trouver, et il assurait qu'il avait passé
quatre jours a tracer trois lignes, que, s'il avait fait un
chemin uni, il avait dû bien suer et bien peiner pour
écarter les pierres. Il aimait sa langue, et le mot
(c chère x>, liebe^ lui semblait un mot tendre et joli qui
pénètre et résonne dans le cœur par tous les sens.
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LB XVI' 8IÂCLB lit
En 4522 paraissait le Nouveau Testament et, en 1534,
la Bible entière. Ce Ait Tévénement littéraire le plus
considérable du xvi* siècle : la Bible appartenait à tous ;
elle devenait vraiment le livre par excellence, le livre
populaire; chacun pouvait non seulement s'y édifier, mais
y apprendre à parler et à écrire.
Luther avait pris comme type la langue des chancel-
leries de la Saxe et de la Thuringe. Cette région de
l'Allemagne n'était^lle pas depuis longtemps la plus
instruite? N'avait-elle pas des écoles et des universités
florissantes ? N'avait-elle pas une littérature et une langue
supérieures aux dialectes locaux, une langue répandue
par l'imprimerie, parlée par les savants et les gens
éclairés? Luther se garda bien d'employer son dialecte
natal ou l'allemand de Wittenberg. Il se servit, comme il
dit, de la langue de la Kanzlei saxonne dont usaient
les villes impériales, les princes et les rois. Et cette
langue, cet allemand luthérien, ainsi qu'on la nomma,
cet allemand que Luther s'efforça, d'édition en édition,
de rendre aussi correct et régulier que possible^ fit
autorité. Dans les pays catholiques, en Bavière et en
Autriche, le clergé la combattit. Mais les pays protes-
tants l'adoptèrent; la grammaire que Clajus publia en
1578 était une grammaire de la langue de Luther — de
cette langue, disait Clajus, naguère si lourde et si rebelle
à toutes règles, et maintenant si pure, si fine et si ori-
ginale, grâce aux écrits de Luther, ou plutôt du Saint-
Esprit qui parlait par Luther. — La Bible du Réforma-
teur s'imposa même en Suisse, même dans la basse
Allemagne où le <x platt » disparut bientôt de l'église,
de l'école et de la littérature.
Les écrivains du xvii'et du xviii* siècles surent voir tout
ce que la Bible de Luther contenait de suc et de sève;
LITTiRATUEB ALLBMAHDB. O
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114 LITTERATURE ALLEMANDE
elle fut pour eux un trésor d'expressions, et ils s'impré-
gnèrent de sa vigueur. Leibniz y trouvait une majesté
vraiment héroïque et comme virgilienne. Schupp conseil-
lait de la lire à qui voulait bien parler. Klopstock disait
qu'aucun homme chez aucun peuple n'avait fait autant
pour sa langue que Luther; Herder, que Luther avait
éveillé, délié la langue, ce géant endormi; Yoss, qu'il
fallait sans cesse feuilleter Luther pour avoir un style
original. Schiller n'a-t*il pas, au témoignage de Korner,
étudié l'allemand dans la Bible luthérienne, et que de
réminiscences du livre des livres dans toute l'œuvre de
Gœthe!
La Bible de Luther ouvre ainsi l'ère de l'allemand
moderne, du nouveau-haut-allemand, du neuhochdeuUch,
Non qu'il y ait de profondes dissemblances entre le
moyen-haut-allemand et le nouveau-haut-allemand. Si la
grammaire s'est simplifiée et si nombre de finales ont
disparu, la langue n'a pas changé et Luther ne la renouvelle
pas ; il suit le mouvement sans le diriger, et son deutsch
diffère même du deutsch actuel en quelques points. Mais
sa traduction de la Bible est de si grande importance
qu'elle doit inaugurer la période moderne de la littéra-
ture allemande.
Luther n'est pas seulement le traducteur de la Bible.
Il a été sermonnaire, pamphlétaire, poète. Ses sermons
sont simples. Il disait volontiers qu'il s'était élevé par la
plume; mais il n'a rien du docteur en théologie; il ne
cherche qu'à instruire ses auditeurs et il se soucie peu
qu'un prince ou un Mélanchton l'écoute; lorsqu'il prêche,
il ne pense qu'aux humbles, aux ignorants, et, claire-
ment, familièrement, avec une sorte d'abandon, non sans
anecdotes et dictons, non sans allusions à lui-même^ il
leur commente la Bible.
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LB XVI« SIBCLB 115
En revanche, dans ses pamphlets, il laisse libre cours
a sa passion. C'est avec un accent martial qu*il recom»
mande aux Allemands, à ses chers Allemands, d'être
courageux et libres, de juger hardiment la papauté avec
leur foi et leur intelligence de l'Ecriture. Il saisit les
verges, dit-il lui-même, pour frapper le péché. Il prie
Dieu de lui donner, pour renverser « le honteux et
diabolique gouvernement des Romains », une des trom-
pettes qui jetèrent bas les murs de Jéricho. Il parle haut
et ferme, avec colère, avec cette bonne colère qui rafraî-
chit son sang et aiguise son esprit, déployant toutes les
ressources de l'éloquence populaire, entassant les images,
les proverbes et les mots crus, couvrant l'adversaire
d'in&ultes et d'invectives, l'empoignant, le secouant
d'une main que Zwingli comparait à la patte d'un ours,
et Érasme n'avait pas tort de lui reprocher un penchant
effréné pour l'injure.
Ses cantiques, où Herder admirait la foule des inver-
sions et des rejets, respirent la même vigueur. Mais là,
ce n'est pas lui qui parle ; il fait parler les fidèles assem-
blés, et ils expriment fréquemment, avec une simplicité
grave et une forte concision, la terreur dont les frappe le
malin esprit, le repentir de leurs péchés, leur confiance
en Dieu. Son chant le plus connu, c'est le chant Eine
fesle Burg ist unaer Gottj et il y a mis sa crainte du
diable, qu'il sait puissant et rusé ; il y a mis son espoir
en Jésus-Christ, qui combat pour nous et qui doit gagner
la victoire.
La Réforme, elle aussi, grâce à Luther, gagna la vic-
toire. Mais la poésie céda la place à la polémique. Rien
n'égale la violence des haines religieuses dans ce temps-
là. Catholiques et protestants s'exècrent et, malgré les
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116 LITTERATURE ALLEMANDE
traités, se font, plume en main, une guerre acharnée.
Un catholique déclare que toute luthérienne est une
courtisane, et un protestant riposte en affirmant que
TEglise catholique est une fille de joie, et Rome le séjour
des démons. Des imprécations furibondes se mêlent aux
arguments.
On était pour ou contre Luther et le Réformateur eut
de redoutables adversaires, Eck, Emser, Cochlâus, et
notamment le franciscain alsacien Murner (né et mort à
Obernai, 1475-1537).
Vif, gai, spirituel, exempt de pédantisme, Murner est^
par malheur, trivial, brutal, extravagant, et il versifie
négligemment et à la hâte. Dans sa Conjuration des fous
(1512), il énumère, comme Brant, les vices des hommes;
mais il joint a d'ingénieuses moqueries des sarcasmes
grossiers, des plaisanteries cyniques, et son poème est
confus. Dans sa Corporation des coquins^ il passe en
revue les coquins qui l'ont choisi pour président et qui,
l'un après l'autre, lui tracent leur propre portrait; là
encore, des digressions, des répétitions et pas d'unité.
Toutes ses productions offrent les mêmes défauts : le
Pré des coucous^ satire des efféminés et des femmes dont
les c( coucous » sont les humbles serviteurs; le Bcàn
spirituel, où Jésus-Christ est représenté comme un bai-
gneur qui nous lave, nous frictionne et nous nettoie de
toutes façons; le Moulin de Schwindelsheimy histoire
d'un meunier qui voit, sitôt qu'il est veuf, accourir les
prêtres et les gentilshommes que sa femme avait trop
aimés ; le Grand fou luthérien, l'œuvre capitale de notre
franciscain (1522). Ce <c grand fou luthérien », c'est
l'esprit de la Réforme. Il porte en lui, dans sa tête, dans
sa poche, dans son ventre, tous les fous qui combattent
l'Eglise et il lance une armée, que Luther commande,
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LB^XVI* SIÈGLB 117
contre la citadelle catholique que Muruer défend.
Murner épouse la fille de Luther et la chasse sur-le-
champ; Luther meurt de chagrin et le grand fou expire
peu après!
Mais le Réformateur trouvait à ses côtés de chauds
amis et de vigoureux lieutenants. Le plus remarquable
est le chevalier franconien Ulrich de Hutten (1488-1523).
Il écrit d'abord en latin. C'est en latin qu'il célèbre
Arminius et le met au-dessus des plus grands généraux
de l'antiquité ; c'est en latin qu'il dénonce à l'Allemagne
cette Rome où l'on ne désire qu'or vieux, femme jeune
et courte messe ; c'est en latin qu'il compose la seconde
partie des Epitres des hommes obscurs, et il n'a pas
autant de sel et d'humour comique que Crotus; il déve-
loppe trop les motifs de son devancier, il est plus long,
plus pesant. A la fin de 1520, il emploie sa langue mater-
nelle. 11 ne la manie pas avec la même aisance que le
latin; sa prose est lourde et ses vers sont rudes. Mais il
a de l'invention et il trouve parfois des traits saisissants.
Sa sincérité, sa joie de vivre à l'époque du réveil des
esprits, son tempérament de batailleur, sa généreuse
colère contre l'hypocrisie et le trafic des choses saintes,
son mépris pour sa caste dont il raille l'ignorance et les
mœurs centauresques, le rendent sympathique. Il aime
la vérité nouvelle, il la possède et il jure de ne jamais
l'abandonner; non, personne, pas même sa mère, ne le
détachera de la vérité, et dans le frémissement et la fièvre
de la lutte qu'il entreprend en l'honneur et pour le salut
de la vérité, il appelle les Allemands aux armes. Qu'ils
ne le laissent pas seul ! Qu'ils se lèvent avec lui pour
défendre la vérité; qu'ils se lèvent pour conquérir la
liberté! Il est temps; il faut, comme lui, marcher, aller
en avant : Je Vai osé!
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118 LITTBRATURB ALLEMANDS
La poésie se mettait donc au service de la Réforme.
Spengler, Speratus, Nicolas Hermann, Ringwaldt, Knaust
firent, à l'exemple de Luther, des chants religieux et des
cantiques d^église. La plupart ne sont que des psaumes
versifiés ou des chants catholiques remaniés a la protes-
tante ou même des chants profanes, des chants populaires
dont les paroles ont été modifiées.
Comme auparavant, la poésie doit édifier et instruire ,
doit exposer la morale en la couvrant de fleurs ou, selon
le mot de Fischart, d'une bouillie sucrée.
Aussi la fable fut-elle un des genres favoris du
XVI* siècle. Luther l'avait recommandée et il projetait de
purifier, de « nettoyer » l'Esope allemand et d'en faire
un livre honnête et décent. Il retoucha même quelques-
unes de ces fables ésopiques, évitant toute allusion reli-
gieuse, visant à la concision, terminant le récit par des
proverbes, concluant a la fin du <c Loup et de l'Agneau »
que la force prime le droit, Gewalt gehet fiir Recht.
Les principaux fabulistes sont Erasmus Alberus et
Burkard Waldis.
Alberus qui, parmi les luttes et souffrances de son
existence vagabonde, garda l'humeur gaie, ne cesse de
louer Luther et d'invectiver le papisme. Les adversaires
du docteur Martin sont h ses yeux des Mamelucks et des
monstres; l'empereur, un tyran; Maurice de Saxe, un
Judas. Il guerroie jusque dans ses Fables (1534) et l'une
d'elles compare l'âne que l'homme dépouille de la peau
du lion au pape a qui Luther découvre des oreilles d'àne.
Elles ont en nombre d'endroits une aimable naïveté. Il a
puisé dans Esope et il se souvient du poème de Renart
dont l'auteur lui semble un sage qui connait le monde
et la cour.
Comme Alberus, Burkart Waldis polémise dans les
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LB XVI* SIÈGLB 119
fables qu'il publie sous le titre de Nouvel Esope (1548);
il raille le culte des saints et le trafic des indulgences ;
il assure que sans Luther les hommes seraient pires que
païens.
./
De même que Waldis et qu'Alberus, le Nurembergeois
Hans Sachs (1494-1576) a fait des fables, mais sans y
mettre un grain de satire contre l'Eglise romaine. Pour-
tant il est partisan et admirateur de Luther. Il compose
en rhonneur de la Réforme des hymnes et des dialogues
en prose qui sont pleins de mouvement et de vie. Dans
son poème le Rossignol de Wittenberg, qui compte sept
cents vers, clairement, et non sans vigueur, il explique
la doctrine nouvelle et retrace les méfaits et forfaits de
ce clergé qui « dévore le troupeau » ; mais le rossignol,
ou Luther, d'une voix qui résonne par monts et par vaux,
annonce l'approche du jour et la fin du règne de
TAntechrist.
Hans Sachs est le plus grand des poètes du xvi" siècle.
Après avoir fréquenté l'école latine, il se fit cordonnier,
k rage de quinze ans, et, comme compagnon cordonnier,
il parcourut la Bavière, la Franconie, le pays rhénan. Il
apprit l'art des maîtres-chanteurs et il a été le plus
fécond et le meilleur d'entre eux.
11 a d'ailleurs abordé les genres les plus divers : drame
biblique et profane, comédie, tragédie, pièce de carnaval,
conte plaisant, récit. Ses drames bibliques contiennent
trop d'homélies sur la Rédemption, le péché originel et
la grâce. Ses drames profanes, qui représentent des héros
de l'antiquité et de la légende populaire, suivent rigou-
reusement, ligne par ligne, le texte original : pas un
caractère dans ce théâtre tout primitif, et souvent des
caricatures grotesques. Ses comédies, ses tragédies, ses
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120 LITTÉRATURE ALLEMANDS
pièces de carnaval^ découpées arbitrairement et au
hasard, ne sont que des narrations dialoguées et des
contes dramatisés; les personnages entrent, sortent,
voyagent sans nul motif, sans nulle vraisemblance. Ses
contes plaisants se terminent par un enseignement, et,
si gras et licencieux qu'ils soient, Sachs en tire une
leçon. Ses récits sont confus, chargés de détails, gâtés
de même par la morale. Mais il a de la naïveté, le ton
cordial, une foule de savoureuses expressions, et il
manie dextrement l'iambe. Il nous charme par ses
anachronismes : c'est ainsi que Dieu, dans une pièce
biblique, vient encourager Adam et Eve, les mettre en
garde contre les faux docteurs; les enfants sont exa-
minés sur le catéchisme; Abel sait sa leçon et Caïn
répond mal. Ses contes et ses pièces de carnaval offrent
une fidèle image de la réalité quotidienne. Sachs les a
puisés, comme il dit, autant dans l'expérience journalière
que chez ses devanciers. On y voit non seulement saint
Pierre, présomptueux, indiscret et nigaud, non seule-
ment le diable niais, impuissant, berné par le premier
venu, mais des types de l'époque, le prêtre et sa cuisi-
nière, l'écolier quelque peu fourbe, la femme querelleuse
et portant la culotte, le mari crédule ou jaloux, les pay-
sans badauds, voraces, stupides et, malgré leurs finasse-
ries, bafoués par les citadins, dupés ou exploités par les
soudards, par les curés, par les moines, par toutes sorte»
de parasites ambulants, et ainsi revit devant nous le
Nuremberg du xvi^ siècle et sa banlieue. A ces peintures
de mœurs, Sachs ajoute son propre portrait. Son œuvre
nous le montre attristé par instants, gémissant sur la
méchanceté des hommes, comprenant que la Réforme
n'a pas changé les unies, faisant néanmoins le prédica-
teur, recommandant h ses contemporains le labeur régu-
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LE XV1« SIÈCLE 121
lier, le mariage et Tamour du prochain, leur répétant
que contentement passe richesse, tâchant aussi de les
amuser, riant, gouaillant même, joignant à la solidité du
caractère une robuste gaité, une bonhomie malicieuse et
parfois une fine ironie. Il est bien de Nuremberg, de
cette ville que Mélanchton comparait à Florence et que
Luther appelait l'œil et Toreille de FAUemagne, la ville
où régnait un esprit fait de bon sens et d'humour, la
ville du Muttermtz.
Après Hans Sachs, la littérature poétique cite encore
quelques noms, Ringwaldt, Rollenhagen, Fischart qui
rappellent assez sa manière.
Ringwaldt, pasteur de la Marche (1530-1599), com-
posa, outre des cantiques, deux poèmes didactiques, la
Pure Vérité et la Chrétienne Admonestation du fidèle
EckarL 11 est diffus et plat; mais il parle la langue du
peuple, il retrace les vices de son époque, et il ne
ménage pas les grands de la terre. Sa comédie, Spéculum
mundff contient une vive satire de la noblesse toujours
prise de boisson, un sombre tableau des persécutions
exercées par les catholiques de Moravie contre les pro-
testants et de touchantes scènes de famille.
Rollenhagen a plus d'art et de savoir que Ringwaldt.
11 prétendit refaire la Batrachomyomachie dans son
Froechmeuseler ou « Guerre des souris et des gre-
nouilles » (1595). Son style a du naturel, parfois de la
grâce, et le poème offre de jolies descriptions et des traits
spirituels. Mais l'auteur veut allégoriser l'histoire de la
Réforme; il veut exposer ses pensées sur toutes choses,
sur l'Eglise et l'Etat, sur la guerre et la paix; il veut mon-
trer qu'il faut craindre Dieu, pratiquer le bien et vivre
de peu. Son œuvre est longue, froide, pédantesque.
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1S2 LITTERATURE ALLEMANDE
Fischart (né entre 1545 et 1550, mort en 1590 ou 1591)
était de Strasbourg, à moins qu'il ne soit de Mayence.
Il relève de Gaspard Scheidt, son parent et son maitre.
Scheidt était de Worms; il savait le français et il aimait
la poésie populaire; il avait traduit, non sans Tang-
menter, le Grobianus latin où Dedekind dictait avec une
verve ironique aux rustres et butors du temps des prin-
cipes de conduite. Fischart suivit la voie que Scheidt
lui marquait. II exécutait un projet de Scheidt lorsqu'il
versifiait VEufenspiegel, Comme Scheidt, il traduit du
latin et du français en y mettant du sien : les opuscules
de Canarius et de Pirkheimer sur la goutte, et des
ouvrages de Rabelais, la Prognostication pantagruélique^
le Catalogue des catalogues et le premier livre de Gar-
gantua (1575). Il a su reproduire la verve rabelaisienne;
car il avait, lui aussi, une verve étincelante, entraînante,
exubérante, extravagante; il avait une galté plantureuse
et luxuriante; il avait ce que nous appelons l'esprit gau-
lois. Par une foule d'artifices, par l'emploi de la couleur
locale, par l'heureuse germanisation des noms propres,
par des allusions et des citations, il imprime h son
Gargantua l'aspect et l'ailure d'une œuvre allemande. Il
renchérit même sur l'original, amplifiant le texte de
toutes façons et le délayant, détaillant ce que Rabelais
n'avait qu'esquissé, ajoutant encore aux énumérations
de l'auteur français et allongeant ses catalogues, rendant
un seul verbe par trente verbes, accumulant à plaisir les
digressions, entassant les allitérations et les assonances,
amoncelant les synonymes, amassant les calembours,
forgeant des mots baroques et grotesques, maniant sa
langue et la déformant, la disloquant avec une géniale
hardiesse et un sans-gène inouï. Et d'abord il nous
étourdit, nous fascine. Que d'érudition et que d'esprit!
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LB XVI* 8IBGLB 123
Quelle richesse d'expressions! Quel flux et quel cliquetis
de paroles! Quelle profusion, quelle orgie de vocables!
Que de folles inventions ! Mais bientôt nous remarquons
l'effort. Si brillant et coloré qu'il soit, le développement
languit et traîne. Souvent la facétie est par trop grosse,
et l'exagération par trop burlesque. Tant de singularités,
tant d'exorbitantes bouffonneries obscurcissent la pensée.
Faut-il dire en outre que Fischart fait des contre-sens
et qu'il n'a pas toujours compris le texte français?
Il ne ménage pas dans son Gargantua l'église catïio*
lique, et la plupart de ses œuvres en vers et en prose
sont dirigées contre celle qu'il qualifie de Méduse et de
Circé. Avant tout, il est pamphlétaire et polémiste. Il
attaque le renégat Rabus, l'évèque Nasus, le pape, les
Franciscains, les Dominicains, les Jésuites. Il traduit la
Ruche romaine de Marnix et les brochures protestantes
qui racontent les principaux événements de la guerre de
religion, Saint-Barthélémy, désastre de l'ilr/Tia^/a, journée
des barricades, meurtre de Henri III, bataille d'Ivry. Il
célèbre l'alliance de Strasbourg avec Zurich et Berne, et,
dans le poème la Nef fortunée de Zurich (1576), il chante,
longuement, trop longuement, l'exploit des Zurichois
qui, dans l'espace d'une journée, vinrent en bateau de
Zurich à Strasbourg et, pour montrer qu'ils sauraient
rapidement secourir leurs alliés, apportèrent de leur
ville une bouillie de millet chaude et brûlante encore.
II était donc devenu le publiciste de la cause pro-
testante. Quelquefois il se détournait cependant de la
politique. Il écrivit une Exhortation sur l'éducation des
enfants, un Livret philosophique de morale conjugale,
une Chasse aux puces ou Flôhhatz. Cette Chasse aux
puces est en vers; elle a de l'humour et de la vivacité.
L'auteur suppose qu'elle a été imprimée à Petit-Puce-
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1S4 LITTÉRATURB ALLEMANDE
lange et *il donne aux puces des noms expressifs :
Glisse - au - val, Mords - dur , Pince - la , Pique - derrière,
Rouge-trace, Sans-repos, Saute-en-jupe, Soif-de-sang,
Tâte-doux. Certaines scènes sont vraiment comiques.
Mais le poème, qui comprend deux parties, Tune où les
puces se plaignent, l'autre ou les femmes leur répondent,
manque d'unité.
Fischart a trop fréquemment des phrases embarrassées
et des périodes filandreuses. C'est, en prose, un mer-
veilleux joueur de mots : en transformant les termes,
en les agglomérant, en les faisant allitérer ou rimer, il
leur donne un sens plaisant, un air pittoresque ou drôle.
Son vers, Tiambique de quatre pieds, est alerte, exempt
de chevilles, bien que souvent trop facile. Mais Fischart
n'a pas d'originalité. Le fond de ses récits ne lui appar-
tient pas. Il a besoin d*un modèle qu'il copie ou adapte.
Son pamphlet contre les Jésuites n'est-il pas imité d'un
poème protestant, le Bonnet carré? Enfin la mesure, le
goût lui font défaut. Il a le style redondant, il appuie
au lieu de glisser, il répète à satiété la même idée. Dans
ses additions a la Bûche romaine, qu'il parait vulgaire à
côté de Marnix ! Que de vieilles machines poétiques, que
de fantaisies étymologiques, que de choses puériles et
froides dans la Nef fortunée \ Que de plates allégories
dans V Alliance de i588f où Zurich et Berne, le lion et
l'ours, viennent respirer le parfum de Strasbourg, repré-
senté par une fleur de lys!
D'un bout à l'autre du xvi' siècle règne l'influence de
Luther, chez les prosateurs comme chez les poètes.
La Chronique bavaroise de Turraair d'Abensberg ou
Aventinus, la Chronique de tout le pays allemand de
Sébastien Franck, la Chronique suisse de Tschudi, la
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LE XVI' SIECLE 125
Chronique pomèranienne de Kantzow sont écrites dans
une langue claire, franche et forte.
Les Mémoires du xvi* siècle n*offrent pas les mêmes
mérites de forme. On est aise toutefois de posséder ceux
de Gœtz de Berlichingen qui, malgré leur prolixité»
malgré ce qu'ils ont de rude et de hérissé, plaisent dans
l'ensemble par leur naturel et leur bonhomie; ceux de
Sastrow qui vit de grands événements et trace de curieux
portraits ; ceux de Schweinichen qui conte tant d'histo-
riettes sur ses trois princes silésiens; ceux de Thomas
et de Félix Flatter oii revivent les mœurs de ces vieux
étudiants, de ces Bachanten qui voyageaient d'école en
école et subsistaient d'aumône, de rapine et de magie.
Le genre de la nouvelle et du roman fut représenté
par Pauli, Widmann et Wickram.
Jean Pauli, juif converti qui devint carme, est l'auteur
d'un recueil à! Histoires plaisantes et sérieuses [Schimpf
und Ernst^ 1522). Ce livre, d'un très bon style, con-
tient les anecdotes et les récits que les prédicateurs
employaient comme exemples, et Pauli en a tiré beau-
coup des sermons de Geiler.
Achille-Jason Widmann a tenté de faire de Peter Leu
(1557) un autre curé de Kalenberg; curé, lui aussi, et
fort comme un lion, comme un Leu^ le héros de Wid-
mann dupe, lui aussi, le curé voisin et ses propres
paroissiens.
L'Alsacien Georges Wickram a été le Hans Sachs du
roman. Il a composé deux pièces bibliques, un poème
didactique sur les péchés capitaux, un autre poème, le
Pèlerin errant^ dans lequel il attaque la papauté; il a
fondé à Colmar une école de maîtres-chanteurs. Ses
récits en prose l'emportent sur le reste de son œuvre.
Il a des modèles, notamment Boccace; mais^ parfois, il
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126 LITTÂRATURB ALLBMANDB
invente et il a su peindre la vie intime, la vie bourgeoise
de son époque. Son Rollwagenbûchlein (1555), —
Pour lire en char à bancs ^ — en un style clair et vif, est
peut-être le meilleur de ces recueils de facéties qui
parurent dans la seconde moitié du xvi* siècle et qui
servaient de {^ade-^mecuni aux voyageurs et aux joyeux
compagnons de ce temps-là.
Comme toujours, le public goûtait les romans étran-
gers. Malgré ses 24 volumes (1569-1595), la traduction
de VAmadis de Gaule faisait les délices de la noblesse
allemande. Quant au peuple, il lisait nos romans de che-
valerie et longtemps il les lira, ces Volksbûcher, ces
a livres populaires » que Gœthe dévorait dans son
enfance et que les romantiques ont tant prônés, For^
tunat, Fierabraa^ les Quatre fils Aymon^ la Belle Mague^
lonne, V Empereur Octayien,
Pourtant, à l'exemple de YEulenspiegely en Allemagne
même naissent des romans populaires : le Finkenritter
qui rappelle notre baron de Crac, YHistoire de Jean
Clauert de Trebbin, rédigée par Barthélémy Krûger^ les
Schildbûrger ou les Bourgeois de Schilda qui parlent
comme des sages et agissent comme des enfants, et le
Docteur Faust.
Il avait vécu réellement au commencement du siècle,
ce docteur Faust. C'était un charlatan qui, pour duper
les gens, leur promettait de renouveler les miracles de
Jésus. La légende le métamorphose et le livre, imprimé
h Francfort par Jean Spies, en 1587, le représente comme
un grand savant aveuglé par l'orgueil et semblable aux
géants qui voulaient escalader le ciel, se vantant de
retrouver les comédies de Plante et de Térence, ressus-
citant les héros d'Homère aux yeux de ses élèves d'Erfurt,
parcourant l'Europe sur le cheval ailé ou sur le manteau
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LB XV!** 8IBCLB 127
de Méphisto. Le livre est empreint de l'esprit de la
Réforme; il appartient à cette Teufelliteratur qui person-
nifiait et incarnait les vices dans des diables; il livre
Faust à Satan et il montre qu'un homme qui ne croit
plus au Christ et à la Sainte-Ecriture est perdu sans
retour. On sait qu'il fut remanié, en 1599, par Georges
Widmann, augmenté, en 1674, par le médecin Pfitzer,
abrégé, en 1728, par un anonyme a aux intentions chré-
tiennes ». Mais déjà, dans les mains de Marlowe, la
légende était devenue drame.
Comme les autres genres, le drame avait, pendant le
xvi* siècle, subi l'influence de Luther. Lui aussi était
souvent un pamphlet; il louait la Réforme et injuriait le
pape, il respirait l'âpreté des luttes religieuses. Il traitait
des sujets bibliques : Luther n'avait-il pas dit que les
livres de Judith et deTobie offrent une suite de comédies
juives? Judith tuant Holopherne rappelait les chrétiens
immolant les Turcs. Tobie, de même que Rebecca et les
Noces de Cana, glorifiait le mariage. Daniel combattait
le culte des images. Abraham, Lazare, l'Enfant prodigue,
démontraient la doctrine de la justification. Esther et
Aman mettaient en relief la modestie de la vertu et le
châtiment de l'orgueil. Vingt auteurs au moins ont traité
l'épisode de Suzanne, la femme pure et fidèle, et trente,
celui de Joseph, le chaste jouvenceau.
Ce drame était latin ou allemand, et dans l'une ou
l'autre langue, comme dans les pièces de Hans Sachs, ce
n'est qu'une esquisse aux simples contours ; rien de déve-
loppé; des situations indiquées, brusquées ; pas d'action,
pas de composition et peu de vraisemblance.
Latin, c'est un exercice scolaire taillé sur le patron de
VHenno de Reuchlin, ou des pièces de Hrotsvith, ou des
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128 LITTERATURB ALLEMANDS
comédies de Térence, qui restait le favori des écoles.
Kirchmair ou Naogeorg et Frischlin ont fait les
meilleurs drames latins.
Naogeorg a de la verve et une passion amère dans sa
polémique contre le pape et les ennemis de rÉvangile.
Frischlin, professeur à l'Université de Tubingue, spiri-
tuel, mordant, haï de ses collègues et de la noblesse,
enfermé au château d'Urach par le duc de Wurtemberg
qu'il avait offensé, essaya de s'évader et mourut miséra-
blement en tombant sur les rochers (1590). Ses comédies
furent représentées pour la plupart devant la cour de
Stuttgart (1576-1585), et il y a du mouvement et de la
chaleur dans le dialogue, delà (inesse dans les réflexions,
du naturel dans les personnages comiques. L'Ismaél de
sa Rebecca est la vivante image du grossier gentillâtre de
l'époque, et que de traits Frischlin décoche aux courti*
sans et aux nobles, ces Polyphèmes, ces Satyres toujours
ivres et si cruels envers le paysan ! Il raille l'ignorance
des médecins, Tavidité des avocats, le méchant latin des
professeurs. Il exalte la victoire de Luther et de Brenz,
le réformateur du Wurtemberg. Ce qu'il a fait de mieux,
c'est son Julius redwiçus^ qu'il composa pour montrer
qu'il avait l'âme vraiment allemande : César et Cicéron
reviennent sur la terre, ils admirent la grandeur de
l'Allemagne, ses armes et sa poudre, son imprimerie, ses
savants innombrables, et ils ne voient, ils n'entendent
qu'avec effroi leurs propres compatriotes, un marchand
savoyard et un ramoneur italien !
Les drames allemands sont, de même qu'au xv* siècle,
des mystères, des Jeux de la Passion^ comme celui de
Bozen, des Jeux de Pâques, comme celui de Lucerne, des
Jeux du jugement dernier ou de V Antéchrist comme celui
de Zacharie Bletz (1549), de ces Jeux religieux dont là
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LB XVi« SIÀCLE 1S9
représentation exigeait plusieurs jours. Ou bien ce sont
des drames bibliques, comme ceux de Ilans Sachs,
comme ceux de Frischlin — qui fit en allemand un
Joseph^ une Ruth et des Noces de Cana — comme le Tobie
où Wickram dépeint selon sa coutume les menues réalités
de la vie, comme Y Enfant prodigue de Waldis (1527) et
la Suzanne de Rebhun (1535), remarquables, l'un par
Taisance du vers, par la marche de l'action et par cette
idée que, même sans la foi, les œuvres assurent le salut,
lantre, par sa solide structure, par la simplicité de sa
langue et par Temploi des chœurs à la fin de chaque acte.
Ou bien ce sont des jeux de carnaval, comme ceux de
Hans Sachs ou comme les pièces de Gengenbach et de
Manuel.
L'imprimeur bâlois Gengenbach a fait de petits drames
secs et décharnés; mais sa satire dialoguée lea Mangeurs
de morts (les prêtres catholiques qui vivent de la messe dee
morts) servit de modèle à Manuel.
A la fois poète, peintre, architecte, soldat et adminis-
trateur, le Bernois Nicolas Manuel (1484-1530), qui
rappelle par son universelle activité les grands maîtres
de la Renaissance italienne, a composé des dialogues et
des drames. Deux de ses dialogues, la Maladie de la
messe et le Testament de la messe, célèbrent avec assez
d'humour et d'esprit le triomphe de la Réforme; un
autre, BarbaUy représente une jeune fille qui refuse
d'entrer au couvent. Mêmes mérites dans ses drames :
Le pape et le clergé ; la Différence du pape et du Christ, le
Marchand dUndulgences. Rude, grossier, obscène, Manuel
a de la verdeur, de la verve, et une énergique brièveté;
c'est nn peintre de mœurs, et il esquisse ses personnages,
curés, moines et nonnes, en traits rapides et vigoureux.
Ni Manuel, ni même Hans Sachs n'eurent d'action sur
LITTÎBATOHI ALLIMAKDB. .9
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ISO LITTBRATURB ALLBMANDB
le drame national. Il fallut de nouveau que l'influence
étrangère vînt à la rescousse.
Dans les dernières années du .xvi* siècle — dès 1585
— se montrent en Allemagne des troupes de comédiens
anglais. Peu h peu, des Allemands y entrent. Ils finissent
même par remplacer entièrement les Anglais, et leurs
(c bandes », comme on disait, après avoir joué en anglais,
jouent en allemand. Elles représentent d'abord des
traductions libres, incomplètes, négligées, puis des
pièces originales, et elles gardent ce qui faisait le
succès des comédiens anglais, non seulement le fracas et
les horreurs qui donnaient le frisson au public, assassi-
nats, supplices, combats, mais les divertissements
comiques, chants, danses, tours de force ou d'adresse,
et surtout le rôle d'Arlequin, de Hanswurst ou a Jean
Saucisse », de Pickelhering ou « Hareng salé », de
Schambitasche ou « Jean Potage », de Jean Bouset ou de
a Jean Punsch » ; oublier le bouffon dans une pièce,
c'était oublier dans un repas la salade et le rôti.
Deux de ces troupes se mirent au service du land-
grave Maurice de Hesse et du duc Henri-Jules de Bruns-
wick-Lunebourg qui composèrent eux-mêmes les pièces
qu'elles devaient jouer. On a douze drames de Henri-
Jules (1593-1594). Ils sont en prose, et, de même que
dans les pièces anglaises, les coups et les meurtres n'y
manquent pas, non plus que le bouflbn qui parle en
patois. Suzanne et Vincent Ladislas passent pour les
meilleurs; mais Suzanne n'est qu'un remaniement
malhabile de la Suzanne de Frischlin, et le héros de
Vincent Ladislas^ qu'une pale copie du capitan italien.
Un notaire de Nuremberg, Jacques Ayrer (mort en
1605), entreprit de fondre et d'unir la manière des
Anglais et celle de Hans Sachs. Il écrivit en vers de
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LB XVI* SIÈCLE 131
huit syllabes de nombreuses pièces sur des sujets divers.
Si fécoud et si varié qu'il soit, et bien qu'il puise à toutes
sources, il n'a pas la verve et la facilité de Hans Sachs :
il est lourd et grossier, prolixe et monotone. Mais il
motive l'apparition du bouffon qui devient dans ses
œuvres un messager, un serviteur, un fou de cour; il
introduit comme intermèdes des chants populaires; il a
même créé — dès 1598 — le genre de l'opéra en compo-
sant des piécettes dont les strophes devaient être chan-
tées d'un bout à l'autre sur un air connu.
Peu à peu, bien que péniblement, l'art scéuique du
XVI* siècle a progressé. Le drame latin ou savant imité de
l'antique, se corse et s'étoffe; le développement de ses
situations se prolonge; ses personnages font moins de
soliloques et apprennent à se donner la réplique; son
dialogue s'anime et s'entremêle de sentences; son action
se resserre. Et ces mérites du drame latin, le drame
allemand commence à les acquérir. Mais, latin ou alle-
mand, et si correct qu'il soit, le drame de cette époque
ressemble, comme Agricola disait de son Jean Huss^
autant à un drame qu'un corbeau à un cygne. Les comé^
diens anglais ont montré qu'il faut, pour bien jouer une
pièce, non pas des amateurs, mais des acteurs de profes-
sion. Ils ont enseigné la division en actes et en scènes.
Ils ont éveillé ce théâtre encore dans l'enfance. Leurs
pièces n'étaient pas des leçons de morale; quels que
fussent leurs défauts, elles avaient du mouvement, de la
vie; elles offraient une action et une intrigue. Malheu-
reusement, TAllemagne n'eut ni un Shakespeare ni un
Corneille, et elle n'avait et de longtemps elle ne devait
avoir une capitale, un Londres ou un Paris.
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CHAPITRE VIII
LE XVII* SIÈCLE
La guerre de Trente Ane. — La langue. — Sociétés. — Opîtz. —
Fleming. — Les Silésiens. ^ Gryphins. — Seconde école de Silésie. —
Uotmannswaldau et Lohenstetn. — Poètes : Gerhardt et Spe. — Sati-
riques. — Romanciers : Moscherosch, Grimmelshansen, Weise, Reuter.
— Seyants : Pufendorf, Thomasius, Leibnii, WolIT. — L*Aufklârung.
Le xvii' siècle est un siècle d'imitation, et plus que
tout autre siècle il subit l'influence étrangère. Déjà au
siècle précédent, VAmadUj le Pantagruel, nos romans
populaires, nos chansons, nos pamphlets étaient mis en
allemand, et Paul Schede, dit Melissus (1572), puis un
professeur de Konigsberg, Ambroise Lobwasser (1573),
traduisaient les Psaumes de Clément Marot et de Théo-
dore de Bèze dont Goudimel avait composé la musique.
Déjà Sébastien Franck assurait que les Allemands
reniaient leur langage et leur costume et que l'Empire
était plein de Français, d'Italiens et d'Espagnols.
La guerre de Trente Ans (1618-1648) achève d^établir
en Allemagne la domination de l'esprit français. Elle fait
du pays allemand, comme s'exprime Opitz, son propre
adversaire et la proie des autres peuples. Les princes
copient Louis XIV et les moindres d'entre eux donnent
des fêtes et bâtissent leur Versailles. Partout dans les
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LB XVII* SIECLE 133
cours et les grandes familles, des Français, artistes,
comédiens, aventuriers. Les Allemands deviennent, selon
le mot deLogau, les singes de la France qui vit de leur
folie. La langue se corrompt de plus en plus. Elle est
envahie, inondée par les mots du dehors, livrée, dit un
écrivain du temps, à Monsieur Gaston, à don Antonio et
au signor Bartolomeo, à la France, a l'Espagne et à
ritalie. Un poète déclare que ses compatriotes se
donnent l'air de ne plus la savoir, et il la compare
à un égout qui reçoit les ordures des autres langues
ou à une Ménade qui porte une toilette empruntée
a tous pays, coiffure romaine, mantille espagnole, gaze
italienne, robe française, péplum grec. Quel baragouin,
quel jargon, qael mélange des idiomes dans la corres-
pondance des généraux! Un commandant de forteresse
doit se manutenireriy se defendiren avec Courage et Valor
sans desperiren et a défaut de Suceurs^ ou se retiriren sans
Confusion ou negotiiren^ accordiren avec l'adversaire qui
voudra peut-être le tractiren avec Courtoisie, Un général
en chef ou General capOy avant de risquer son Armada^
avant de rien tentiren^ avant d'a^anciren et A'attaquiren^
doit tout considerireny doit ponderiren la situation, doit
consultiren ses officiers, pour connaître son Avantage et
son Disavantage i s'il a un SuccessuSy s'il réussit dans son
Impresa^ il s'efforcera de continuiren, de prosequiren
sa Victorie; il éveillera la Gehsia des ennemis et empê-
chera leurs Progresse] il saura secundiren ses lieute-
nants s^ils periclitireny saura les succurireny les assistiren^
faire avec eux sa Conjunction, Wallenstein, lorsque les
Intrighi de la cour ne l'ont pas encore disgustirty écrit à
Pappenheim que le commandement lui a été remittirty et
il Vavijsiret d'obéir à ses Ordinanzen^ de sUncaminiren
in continenti et sans Dilation !
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\$% LITTERATURE ALLEMANDE
Pourtant, de généreux esprits travaillaient à régénérer
la langue. En 1618, le Souabe Weckherlin publiait ses
Odes et Chants. Il versifia dans le goût d'Horace et il fut
admiré par un cercle de poètes qui s*était formé à Heidel-
berg et qui compta Zinkgref et Opitz parmi ses princi-»
paux membres. Dans l'appendice de son édition d'Opitz
(1624) Zinkgref a reproduit huit pièces de Weckherlin.
Lui-même a quelque talent; il exhorte ses compatriotes
b « suer » pour l'honneur littéraire de l'Allemagne ; il les
exhorte aussi, non sans vigueur, et à la façon de Tyrtée,
à défendre bravement la patrie et il décrit assez bien le
malheur de l'homme chassé de son. foyer par la guerre.
La guerre chassa pareillement les poètes de Heidel-
berg. Mais ailleurs des sociétés entreprirent de purifier
la langue.
La Société frugifére — ou VOrdre du Palmier parce
qu'elle avait choisi pour symbole le palmier, le plus utile
des arbres — fut fondée à Weimar en 1617 sur le modèle
des Académies italiennes par le prince Louis d'Anhalt,
présidée par lui, puis par Guillaume IV de Saxe- Weimar,
puis par le duc Auguste de Saxe, et dura jusque dans les
premières années du xviii' siècle. Ses membres, princes,
gentilshommes, gens de lettres, avaient des surnoms : le
Nourricier, l'Espérant, le Savoureux, et, selon l'expres-
sion des statuts, ils regardaient comme leur principal
devoir de respecter la langue maternelle et de la
préserver des mots étrangers.
Les autres sociétés n'eurent pas la même importance
et la même durée : la Société du Grand Sapin^ fondée à
Strasbourg (1633); VOrdre des Cygnes de VElbe^ fondé à
Wedel dans le Ilolstein par Rist (1656) ; la Compagnie des
bons Allemands^ fondée à Hambourg par Zesen (1643) ;
la Société des bergers de la Pegnitz, fondée à Nuremberg
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LB XVII" SIECLE Itft
par Harsdôrfery Birken et Klaj (1644), composée de
membres qui s^afftiblèrent de noms de bergers, divisée
en sections dites des roses, des lis, des œillets, ouverte
aux femmes, à des « nymphes » dont la plus remarquable
fat la savante Catherine de Greifenberg.
Ces sociétés rendirent peu de services; elles se
livrèrent à des discussions subtiles; elles inventèrent
des mots qui n'étaient pas viables; elles finirent par
s^accuser réciproquement de corrompre la langue.
Un homme qui joint le vouloir au savoir fait souvent
pins à lui seul que toute une docte Société. Le Silésien
Opitz (1597-1639) poursuivit avec succès la réforme
mollement entamée par les Sociétés. Souple, habile,
anobli par l'empereur qui lui décerna la couronne
poétique, admis dans la Frugif^re sous le nom de « Cou-
ronné », il sut plaire aux grands par ses louanges et
nouer d'utiles relations avec de glorieux étrangers,
Heinsius, Grotius, de Thou.
- Il aborda presque tous les genres sans rien produire
d'original. Ses chansons de société et certains de ses
chants religieux eurent un succès mérité. Mais son
Hercyniej idylle en prose mêlée de vers, est ennuyeuse,
et dans ses autres poèmes il se perd en fastidieux dévelop-
pements. Qu'il ' retrace l'éruption du Vésuve, qu'il
célèbre le dieu Mars ou la naissance de Jésus, qu'il
déroule les horreurs de la guerre et montre que le chré-
tien trouve encore en ce monde assez de consolation,
Opitz est toujours froid et correct, toujours dépourvu
d'inspiration personnelle : nulle grâce^ nulle naïveté,
trop de longueurs, trop de fleurs, trop de parure, trop
de mythologie.
Son influence surpassa son talent. En 1624, après
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it6 MTTéRATURB ALLEMANDE
avoir publié sept années auparavant en latin un Aria-
targue ou du mépris de la langue allemande^ il fit
paraître son Liçre de la poésie allemande. L'ouvrage ne
lui coûta que cinq jours. Mais Opitz a traduit ses devan-
ciersy Horace, Vida et surtout Heinsius, Sealiger, Du
Bellay et Ronsard. Selon lui, la poésie est une théologie
cachée, elle doit instruire, et la lyrique, par exemple,
veut être ornée de belles sentences et doctrines. Il prohibe
les termes étrangers qui « souillent » la langue et il recom-
mande d'employer le haut-allemand, cette langue luthé-
rienne, comme il dit ailleurs, qui ressemble au dialecte
attique chez les Grecs. Pureté, clarté, élégance, noblesse,
telles sont, suivant lui, les qualités du style — et les qua-
lités de son propre style. Le poète, dit«il encore, usera
de belles épithètes et de mots composés; il nommera
l'aquilon, à la façon de Ronsard, chasse-nue^ ébranler-
rocher ou irrite-mer; il étudiera l'antiquité classique
assidûment. Le plus important chapitre concerne la ver-
sification. Opitz en explique nettement les principes.
C'est à l'accent^ c'est au Ton qu'on reconnaît quelle syl-
labe est haute ou basse, forte ou faible. II n'admet d'au-
tres pieds que l'iambe et le trochée, et parmi les vers
iambiques, il donne le premier rang à l'alexandrin qui
représente à ses yeux le vers héroïque des Grecs et des
Latins. Enfin, il tient la rime pour indispensable.
Ces théories faisaient de la littérature une littérature
savante, étrangère à la vie nationale. Opitz et ses
disciples écrivirent en allemand comme ils écrivaient
en latin ; fidèles à la tradition des humanistes, ils tra-
duisirent ou imitèrent autrui; ils portèrent dans leur
langue le style et la pensée des Latins, des Français,
des Italiens. Nul commerce avec la poésie populaire
qu'ils regardent, ces délicats, comme grossière et triviale.
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LB XVII" SikCLB 137
On dédaigne les œuvres du xvi* siècle, a fables vides et
sans art »; on qualifie Hans Sachs de barbare, et Fis-
chart semble, selon le mot de Zinkgref, appartenir aux
temps antiques. On désire plaire, non au profane vulgaire,
mais aux grands et aux savants. Par suite, rien d'origi-
nal, rien de naturel et de simple ; des enfantillages, des
compliments, des épithalames, des poèmes funèbres, des
pièces de vers sur de minces incidents de la vie des
cours ; un style déclamatoire aux longues et solennelles
périodes; pas d'autre mètre que l'alexandrin rimé,
monotone, endormant, redondant, plein d'antithèses.
Mais la littérature pouvait-elle dès cette époque se
développer librement? Ne devait-elle pas apprendre
d'abord le sérieux, la dignité, le sentiment de la forme?
Comme notre Malherbe, Opitz rappelait la poésie aux
règles du devoir.
Son disciple, le Saxon Paul Fleming (1609-1640), est
moins net et moins correct que lui; il a de l'emphase,
de la froideur, de la subtilité. Mais il tire ses sujets du
profond de son cœur. Il dit sans nul apprêt le vin et les
joies de l'existence. Il avoue qu'il aime la gloire et qu'il
n'a dans ses voyages trouvé de cruelles ni à Reval ni
en Russie. Avec quelle tendresse, il évoque les lieux où
s'écoula sa jeunesse, le village de Hartenstein qui lui
offrit le premier baiser, la Mulda où il nageait si gaiement !
11 sait donc composer, pour parler comme lui, des
chants de doux repos et de douce vie, des chants où il y
a du ciel. A l'occasion, il prend le ton vigoureux et viril.
Il gourmande les Allemands, ces lâches qui n'ont plus
leur âme acérée et leur sang guerrier, qui n'ont que
la mine, l'apparence et le plumet, qui portent des cui-
rasses trop lourdes pour leur corps amolli, qui se
coiffent du casque de leurs pères, et ce casque est trop
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138 LITTERATURE ALLEftIANDB
large pour eux! Dans ses chants religieux, lorsqu'il se
soumet k la volonté de Dieu qui le console et le conduit
en toutes choses, il a des accents fermes et pénétrants.
Aussi, comme dit la fière épitaphe qu'il se fit, on le
nommera toujours.
Mais Fleming tremblait devant Opitz qu'il regardait
comme le prince des poètes et THomère de son temps.
L'influence d'Opitz était si grande que ses élèves, bien
qu'appartenant à toutes les régions de l'Allemagne, se
donnèrent la dénomination de Silésiens : l'école d'Opitz,
c'est l'école de Silésie.
Il y avait plusieurs Silésiens dans le nombre : Scultc-
tus que Lessing édita; Tscherning, Titz, Kaldenbach
qui commentaient dans leurs cours à Roslock, k Danzig, à
Tubingue les poésies du maître; Logau qui disait que, si
les Latins avaient Virgile, les Allemands avaient Opitz.
Partout Opitz avait ses admirateurs.
C'étaient k Kœnigsberg, Robertin, Albert, Simon Dach
et autres. Robertin fut leur excitateur et Albert mit leurs
vers en musique. Le plus remarquable, Simon Dach,
(1605-1659), doux et mélancolique, aisé, facile, souvent
trop facile, est l'auteur de cette touchante Armette de
TharaUf cet hymne de l'amour conjugal qui se chante
encore aujourd'hui, et il rappelle Fleming lorsqu'il
retrace la joie de l'homme qui n'a que des amis fidèles
et qui ne craint pas la mort parce qu'il soupire après Dieu
et compte vivre k jamais dans la céleste patrie.
C'étaient k Halle le recteur Gueinz; k Weimar, la
Frugifère et son archiviste et historien Neumark; k
Wittenberg, Auguste Buchner; a Nuremberg, Harsdôr-
fer; k Hambourg, Zesen; k Wedel, Rist.
Harsdôrfer (1607-1658) s'attoche aux Italiens plutôt
qu'aux Français et il a dans son Entonnoir poétique des
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LE XVI r SIBCLB 180
Taes ingénieuses et justes. Mais il est Télèye d'Opitz ; il
▼eut que la poésie instruise et que le drame contienne
force sentences et maximes ; il recommande les artifices
du métier. C*est pourquoi les œuvres de ces poètes de
Nuremberg sont puériles, insignifiantes. Ils peinent, les
malheureux, pour faire des strophes qui commencent
el finissent par les mêmes mots, pour répéter quarante
fois la même consonne dans la même ligne, pour imiter
par la disposition de leurs vers la forme des objets
qu'ils décrivent, un cœur, une coupe, une croix, une
balance !
Rist (1607-1667) est aussi un Opitzien, et ses poésies,
ses drames eurent du succès. Que de vigueur dans son
hymne sur l'effroi que TÉternité lui inspire : a Éternité,
mot de tonnerre^ épée qui transperce Tâme, commence-
ment sans fini » Mais il avait trop de fécondité pour
n'être pas médiocre, et sa pièce V Allemagne qui désire la
paies (1647) n'est qu'une froide allégorie.
Zesen (1619-1689), encore plus fertile que Rist, eut
de rimagination, du savoir et même du style. Son roman,
V Adriatique Rosemonde (1645), est un roman de mœurs
contemporaines. Deux amants sont séparés : la Vénitienne
et catholique Rosemonde demeure à Amsterdam, et celui
qu'elle aime jusqu'à en mourir, le protestant Markhold,
part pour Paris; pendant l'absence du jeune homme,
Rosemonde mène une vie pastorale; elle prend pour
couleur le bleu mourant, le sterbeblau, et tout en elle et
chez elle, vêtement, table, mur, plafond, parquet, est
bleu mourant; Markhold revient et il rompt lorsque le
père de Rosemonde exige qu'elle reste catholique et
élève dans sa religion les filles qu'elle aura. Zesen traite
ainsi la question des mariages mixtes et pour faire de sa
nouvelle un roman, il développe assez habilement la
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140 LITTéRATtJRB ALLEMANDE
matière, prête à ses personnages de longues conversa-
tions, décrit toutes choses, paysages, maisons, meubles,
tableaux et habits. Il prétendait joindre la pureté de
l'expression à la solidité du fond; mais son érudition
étouffe ce qu'il a de talent, et il voulait remplacer tous
les mots d'origine étrangère par des mots allemands,
Jupiter par Erzgotty Pallas par Kluginney Vénus par Lusi--
inney Vulcain par Glutfang, a Cabinet » par Beizimmery
<f Fenster » par Tageleuchtery « Kloster » par Jung^
fernzwingery « Natur » par Zeugemuiter ou GeburUart^
a Theater » par Schauburg, En un langage mystique et
sur un ton d'oracle il affirmait que le latin et le grec
dérivent de l'allemand et il citait à l'appui de sa théorie
le mot Heerkeule^ « massue de guerre », d'où serait venu
le nom d'Hercule!
Un seul homme parut alors balancer Opitz, son com-
patriote André Gryphius (né et mort à Glogau, 1616-
1664). On le nomma le père de la tragédie allemande et
au siècle suivant Elie Schlegel le comparait à Shakespeare.
Il eut longtemps une existence agitée et il vit de très
près les fureurs de la guerre et, comme il dit, l'épée
grasse de sang, les tours en flammes, et chose pire
que mort, pire que peste, incendie et famine, nombre
des siens qui se laissaient ravir jusqu*au trésor de l'âme!
De là sa profonde tristesse. Dans ses poésies d'un style
assez lourd et rude il ne parle que de sa lassitude de la vie
et de l'instabilité du monde. Pour lui, pas de plaisir qui
ne soit empoisonné d'angoisse. Il ne cesse de songer à
la mort et il intitule un de ses recueils Pensées du cime'-
tiére et un autre Poésies du tombeau. Ce qui le soutient et
le réconforte, c'est sa confiance en Dieu, en celui qui reste
toujours roi; il assure que Dieu le console; il croit que
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LB XVII* 81BCLH 141
Dieu lui tend la main et le suit du regard, le protège
contre le prince de l'enfer.
Il a composé cinq tragédies en alexandrins rimes;
Léon l'Arménien : Balbus, chef d'une conspiration, est
arrêté, condamné, délivré, et il fait tuer l'empereur Léon ;
— - Catherine de Géorgie : le roi de Perse Abbas envoie
au supplice Catherine sa prisonnière qui l'a dédaigné; —
Cardenio et Célinde : Cardenio aime Olympia et veut
assassiner son mari; Célinde, délaissée de Cardenio,
recourt au sacrilège; tous deux sont guéris de leur
amour par la vue de la mort; ^ Charles Stuart : le
monarque est exécuté, malgré les ambassadeurs étran-
gers, sur Tordre de Cromwell entraîné par Fairfax; —
Papinien : Bassien ou Caracalla, meurtrier de son frère
Géta, fait décapiter Papinien, qui refuse de justifier le
fratricide. L'intrigue de ces pièces est simple. Mais elles
ont cinq actes, et, pour remplir les cinq actes, Gryphius
attribue un grand rôle aux confidents, évoque des esprits
qui parlent et, marchent, introduit des chœurs lyriques
qui moralisent à la fin de chaque acte sur les événements.
11 est long, languissant, monotone. Ses personnages, qui
ne sont que des êtres de convention, débitent des mono-
logues interminables. Et que de pensées recherchées, que
de phrases prétentieuses ! Les tragédies de Gryphius ne
sont que des exercices de rhétorique; il a subi l'in*
fluence de Yondel et de notre Garnier qui, tous deux,
relèvent de Sénèque le tragique : mêmes procédés;
même style sentencieux, tendu, affecté; même goût de
Texagération, de la déclamation, de l'argumentation.
Ses comédies ont plus d'intérêt. Mais Gryphius
n'avait pas la malice et le léger crayon que le genre
exige; il tombe dans la farce et trace des caricatures.
Le Peter Squenzj imité d'une pièce du Hollandais Grams-
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142 LITTÉRATURE ALLEMANDE
berger^ rappelle l'intermède du Songe £une nuit éCété :
les habitants de Rumpelskirchen et le magister Squenz
donnent à leur roi une représentation coupée de gro-
tesques incidents, et le roi se fatigue plus à rire qu'a
regarder. V Horribilicribrifax n'a pas d'unité, pas
d'action; les scènes se précipitent; le comique est sou-
vent forcé, et les caractères, deux capitans ridicules qui
panachent de français et d'italien tout ce qu'ils disent,
un maître d'école qui parle grec et latin, un juif qui
farcit de termes hébreux ses moindres propos, une vieille
entremetteuse qui rage de ne pas comprendre, sont bien
superficiels. La meilleure production de Gryphius, c'est
une comédie double : le Fantôme amoureux et VEglantine
aimée. Les deux pièces, qui n'ont aucun rapport, se
mêlent l'une à l'autre : dans la première, imitée de Qui-
nault, des gens de haut parage qui se servent de l'alexan-
drin; dans la seconde, imitée de Vondel, des manants
qui s'expriment en prose et en dialecte silésien. Eglantine
offre des qualités rares, naturel, gaieté, connaissance de
la vie populaire, observation des mœurs villageoises.
C'est dans l'œuvre de Gryphius ce qu'est la Cruche cassée
dans l'œuvre de Henri de Kleist, et il a peint de façon
piquante le bailli Guillaume, pédantesque et rude, qui
sait mater les paysans par ses décisions énergiques et les
éblouir en même temps par les mots étrangers qu'il
écorche.
Gryphius se rattache tout ensemble et à Opitz et aux
successeurs d'Opitz, qui forment la seconde école de
Silésie. Ces écrivains reconnaissent l'autorité d'Opitz;
mais ils veulent mettre dans leurs productions plus
d'imagination, de passion et d'élégance; suivant eux,
Opitz n'a pas assez de couleur et de flamme, assez de
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LE XVU* 61BCLE 143
gentillesse et de grâce. Leurs maîtres furent les Italiens,
surtout Marino, et les Français. De là leur emphase, leur
culture, leur boursouflure, leur Scht^ulst — c'est l'expres-
sion consacrée. — De là tout ce qu'ils ont d*-flfl*ecté et
d'affété.
Les chefs de l'école sont des Silésiens, Hofraannswaldau
et Lohenstein, l'un, courant après le bel esprit, frivole et
doucereux, flasque et mou, l'autre visant au sublime,
mais pompeux, pesant et obscur dans son faste brutal.
Hofmannswaldau (1617-1679) a composé des Hérotdes
ou lettres amoureuses de couples célèbres, et il se van*
tait d'avoir introduit l'amour dans la poésie allemande.
Mais l'amour, tel qu'il l'entend, n'est que la volupté,
cette volupté qu'il appelle le sucre de la vie. Il mêle de
lascives allusions aux fades galanteries. Un des person-
nages de ses Hérotdes y Emma, répond à une déclaration
d'Eginhard : « A la poix de tes yeux mon œil reste collé »
et après avoir souhaité que la faveur du ciel la parfume, elle
et lui, de civette et de musc, elle conclut : « Je ferme mon
billet et je t'ouvre ma chambre I » Mais le poète ne dit-il
pas à sa maîtresse qu'elle est le soufflet de ses soupirs,
le papier-brouillard de sa tristesse, le sablier de sa peine,
l'huile de sa douleur, la chaise percée de son repos, le
clystère de sa poésie?
Lohenstein (1635-1683) fit et des romans et des tragé-
dies. S'il a quelque talent, il manque, lui aussi, de goût.
Il dira d'un beau sein que : « sur des globes de marbre
le vermillon couronne le lait ». Son théâtre abonde en
scènes soit hardies, soit cruelles. Dans Cléopdtre la reine,
qui veut séduire Auguste, lui détaille les charmes de son
corps blanc comme neige. Dans Agrippine Othon offre
sa femme à Néron et Agrippine s'offre elle-même à son
fils. Dans Epicharia les conjurés boivent du sang pour
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\kk LITTBBATURB ALLEMAXDB
s'exciter au meurtre de Tempereur, et, lorsqu'ils sont
arrêtés» on leur arrache les yeux et la langue, on leur
ouvre les veines, on les bat jusqu'à la mort. Comme
Hofmannswaldauy Lohenstein, bourgeois respectable et
grave magistrat, croit faire œuvre sérieuse; il se pique
d'être érudit, il annote son texte et joint a chaque pièce
un commentaire. Dans son vaste roman d'Arminius et
Thusnelda^ qui parut en 1689 et compte plus de trois
mille pages, il disserte sur lout^ sur l'origine des croyances
et les usages des peuples anciens, sur les doctrines des
philosophes, sur les vertus et les vices, sur les gouverne-
ments, sur la nature.
Ziegler (1653-1697) nomme Hofmannswaldau et
Lohenstein ses modèles. Il écrivit des Hiroïdes qui
commencent par la correspondance d'Adam et d'Eve, et
un roman, la Baniae d'Asie^ qui l'emporte de beaucoup
sur VArminius. Ziegler a l'enflure de l'école;, une
femme dira, par exemple, à un homme : a Jetez l'ancre
de votre affection dans la mer de mon amour ». Mais il
est court et plein de péripéties ; il mêle le plaisant et le
sombre, le tendre et le terrible; pas de digressions
savantes; pas de morale ennuyeuse; des batailles, des
aventures, les mœurs du Pégou d'après Francisci, une
princesse qui présente l'image de la perfection et qui
défend son honneur le poignard à la main, un «c prince
complet », beau, intrépide et sensible, un valet fidèle et
inventif, un despote buveur de sang. Le public fut ravi,
et si Frédéric II récitait moqueusement à Sulzer le débat
emphatique de BanUcy Gottsched regardait l'œuvre de
Ziegler comme le meilleur de tous les romans allemands,
et le Wilhelm Meister de Gœthe faisait jouer parmi ses
marionnettes le tyran Chaumigrem au cœur de tigre.
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LB XVll« 8IÂCLE US
Toas les poètes de ce temps, même les plus licencieux,
ont célébré le Christ et leurs sentiments chrétiens.
Aussi, la poésie religieuse l'emportait sur la poésie mon«i
daine, et le cantique protestant florissait. De même que
Gryphius, Paul Gerhardt (1606-1676) met en Dieu son
espoir absolu. Gryphius disait que Dieu montre sa gloire
quand la nôtre défaille, qu'on le voit lorsqu'on croit qu'il
s'est caché, qu'il doit prendre soin de nous qui sommes
ses enfants. Pareillement, Gerhardt considère Dieu
comme un père qui le mène et le guide. C'est à Dieu
qu'il faut c< confier sa route » ; c'est Dieu qui trouvera
« les voies où posera notre pied »; Dieu monte la garde
k notre porte; Dieu nous défend de Satan qui nous con-
voite et qui cherche à nous dévorer; Dieu nous aide à
combattre « en chevaliers » et a vaincre le démon, nous
aide à mourir avec joie, à franchir le seuil du ciel, et
Gerhardt ne cesse de louer ce Dieu dont le cœur est sans
fard, ce Dieu qu'il nomme son trésor, sa lumière, la vie
de sa vie, ce Dieu qui pour nous sauver se jeta dans la
gueule de la mort, ce Dieu qui punit avec la verge et non
avec Tépée, ce Dieu indulgent qui prend notre péché et
le lance dans la mer. A Dieu toute gloire et tout hon-
neur! Gerhardt veut, tant qu'il vivra, chanter et magni-
fier Dieu. Il n'est pas très varié ni très original; il para-
phrase la Bible, saint Bernard et Jean Arndt, l'auteur d'un
livre d'édification, le Vrai Christianisme (1605-1609), à
qui son style agréable et clair valut longtemps de nom-
breux lecteurs. C'est à saint Bernard que Gerhardt
emprunte le cantique : « O tête pleine de sang et de
blessures, pleine de douleur et pleine d'opprobre ». Il
est parfois prosaïque, parfois affecté, et il prie Jésus
d'étendre ses deux ailes pour abriter son poussin. Il
manque de force, d'éclat. Mais il est naïf, sincère, tou-
urrÉlUTomB allsmahsi. 10
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146 LITTfiRATURB ALLEMANDE
chant, plein d'onction, et il a de la grâce et de Thar-
monie. Quel charme dans son Chant du soir qui retrace
et le calme de son âme et le calme de la nature I Tout
repose, le monde entier sommeille, plus de soleil, la nuit
a chassé le jour, les étoiles d*or resplendissent dans le
ciel bleu, et lui, il élève sa pensée vers le créateur, et
Jésus, cet autre soleil, vient luire dans son cœur. La
douceur, voilà le trait marquant de Gerhardt, et il dit
lui-même qu'il vise à la douceur, qu'il voudrait orner son
cœur de doux et paisibles sentiments, mit stillem sanfien
Mut.
Gerhardt était inébranlablement orthodoxe. L'Alsacien
Spener (1635-1705) voulut a bâtir une petite église dans
l'église » et il fonda le piétisme. Il n'a pas de talent,
mais son influence fut grande. Sa doctrine régna bientôt
à l'Université de Halle; de là, elle se répandit sur l'Alle-
magne luthérienne, et, comme on lit dans Wilhelm
Meisterf elle gagna non seulement les gens du peuple,
mais des gentilshommes, des comtes, des princes.
Un des élèves les plus connus de Spener est le Saxon
Arnold (1665-1714), auteur d'une Histoire des églises et
des hérésies qui, selon le mot de Gœthe, donne une idée
avantageuse des hérésies. Ses poésies offrent des gau-
cheries et des incorrections ; il manque parfois de goût.
Mais souvent il prend l'essor et, plein de l'amour divin, il
s'élance loin des villes, dans le paradis de la campagne
pour 7 mieux louer Dieu, s'élance loin de la terre, sa
prison, et s'envole vers Dieu, s'attache à Dieu pour ne
plus le lâcher : Dieu est son « unique bien », Dieu l'arra-
che à Tesclavage des sens.
L'église réformée eut aussi ses piétistes. Un d'eux,
Neander (1610-1680), a laissé des chants religieux dont
quelques-uns soutiennent le parallèle avec ceux de
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LB XVII* SliCLB U1
Gerhardt. Comme Gerhardt, il nomme Jésus son désir,
et il compte les jours, souhaite de paraître très prochai-
nement devant le trône de Dieu. Le plus connu de ses
chants. Loue le Seigneur, compare le Tout-Puissant à un
aigle qui porte Tâme sur ses ailes et à une pluie d'amour
«pii tombe du ciel par torrents.
Les catholiques ne restèrent pas en arrière. Il est
dommage que le jésuite alsacien Balde, qui composa de
Bi bons vers latins, ait manié gauchement sa langue
maternelle. Mais un antre jésuite, Frédéric de Spee (1591«
1635) prouva, comme il dit, qu'un Allemand pouvait
louer Dieu avec autant d'art que les étrangers. Il a fait
un livre mi-prose mi-vers, le Lii^re d'or de la vertu, et un
recueil de poésies religieuses qu'il intitula Maigri le
rotêignol parce que l'auteur chante ^ tels sont ses
propres termes ^ malgré tous les rossignols avec une
aimable douceur. Les deux ouvrages parurent en 1649.
Le Lipre d'or est plein des effusions du plus ardent mys-
ticisme : Jésus est le fiancé de Tâme, et l'âme veut lui
Bueer ses blessures, veut s'enfoncer dans l'abfme de son
amour, se consumer, s'anéantir avec lui. De même, le
recueil Maigri le rossignol. Spee, s'inspirant du Cantique
des cantiques, décrit l'union de l'âme avec Jésus et sa
c douce peine ». La fiancée de Jésus brûle d'un feu, d'un
m incendie » que rien ne peut éteindre ; elle désire jouir
de Jésus; elle demande à Jésus s'il aura pitié d'elle; elle
Bupplie Jésus de la prendre, de l'apaiser; elle crie ce Oh
Jésus! », et Técho de la forêt lui répond : « Oh Jésus! »
jour et nuit elle soupire, et pleure, et gémit, et assure
qu'elle est malade d'amour et que son cœur fond comme
une cire molle, qu'elle a soif de Dieu et que la vue de
Dieu lui enflamme le sang. Enfin, elle le trouve, le « beau
héros », le c jeune homme », le « noble » dont les mains
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U8 LITTBRATORB ALLEMANDE
blanches sont a sœurs des cygnes », et il l'embrasse»
Tassied a côté de lui. Spee se complait à ces peintures
d'un divin érotisme. 11 montre également, non sans lon-
gueurs, Marie-Madeleine qui a bu le poison d'amour et
qui se lamente sur Jésus disparu. Il fait parler Dieu le
père et Dieu le fils comme deux amants qui se déclarent
leur passion. La pastorale se mêle à ces pieux raffine*
ments. Les étoiles sont des moutons d'or que la lune
mène paître dans les champs bleus du ciel. Jésus est un
berger qui conduit ses brebis au jardin des Oliviers sur
le bord du Cédron, et il prie ceux qui l'assistent de
laisser aller ses agnelets en paix. Spee le célèbre sous le
nom de Daphnis; et la lune, le pasteur Damon, le Cédron
déplorent le sort de ce Daphnis, le meilleur et le plus
beau et le Dieu des bergers. S'il pouvait, Spee mettrait
tout en églogue : il représente deux pâtres qui, soit durant
la nuit, soit au lever du soleil, exaltent le Seigneur à
l'envi. Il associe ainsi la nature à sa dévotion, et cette
nature, il la représente au printemps et en été, lors-
qu'elle est gaie et folâtre; ce ne sont que rayons d'or
dardés par le soleil, brises légères à travers le tendre
feuillage, prairies revêtues de soie verte, fleurs oà buti-
nent les abeilles bourdonnantes, frais ruisselets qui ser-
pentent en souriant et jouent avec les cailloux, oiselets
tirelirant sur les branches, rossignols chantant à se briser
le cœur, luths et violons se promenant sous bois, et
puisque règne la joie, puisque, avec l'hiver, s'éloigne la
tristesse, Spee convie tous les instruments et toutes les
voix des hommes à louer Dieu. Certes, il enjolive, édul-
core, affadit les choses ; il emploie trop souvent les mêmes
images ; il abuse des diminutifs mignards et de certains
mots comme Pfeil ou ce flèche ». Mais il est ingénieux,
gracieux; il manie assez habilement le vers, et, sans
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LB XVll* SIÀGLB 149
connaître la poétique d'Opitz» il avait, dit-il dans sa
préface, compté pour longues les syllabes sur lesquelles
tombe l'accent, et pour brèves les autres.
Un médecin de Breslau, un protestant qui se convertit
et se fit moine, Jean Scheffler, plus connu sous le nom
d'Angelus Silesius (1624-1677), est plus curieux encore
que le jésuite Spee. Il avait lu Jacques Bôhme, le cordon*
DÎer de Gôrlitz (1575-1624) tourmenté par la pensée de
rinfini et convaincu qu'il av%it reçu l'illumination divine
et qu'il pénétrait jusqu'aux mystères de l'ètrey Bôhme
dont les œuvres sont un singulier assemblage de théo-
logie et de métaphysique, Bôhme, subtil, confus, obscur,
mais dont l'allemand a de la vigueur. Dans une même
année, en 1657, Angélus Silesius publia le Pèlerin angé^
Uque et les Saintes délices de Vdme, La première de ces
productions contient des sentences souvent profondes et
imprégnées d'un panthéisme dont l'expression a quelque
chose de senti. La seconde est un recueil de poésies
mystiques. L'auteur montre Psyché ou l'âme qui soupire
après Jésus comme la tourterelle après le tourtereau^ et
qui le cherche partout; elle veut lui baiser la bouche;
elle veut, s'il est blessé, qu'il repose sur ses seins. Mais
Angélus Silesius touche parfois d'autres cordes et dans
certaines pièces, lorsqu'il invite l'àme à lutter et à vain-
cre, on lorsqu'il représente le Christ entraînant les chré-
tiens et leur frayant la route, il a le ton rapide et mâle.
Un capucin, le père Martin de Cochem, publia dans
l'année 1691 une Vie du Christ en prose. 11 n'épargne pas
les descriptions pittoresques, les détails précis qui font
impression, et son récit, tiré soit des mystiques du moyen
âge, soit de sa propre imagination, est attachant par
l'accent d'une émotion naïve et fervente, par la façon
saisissante d'exposer les choses et de pousser a bout les
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150 LITTÉEATURB ALLEMANDB
situations. Quand il raconte la naissance de Jésus» il dit
que la grotte avait treize pieds de haut, que Marie aux
beaux cheveux d'un blond doré ôta voile et manteau, et
que lorsque Jésus vint au monde < comme un fiancé cou-
ronné », le monde entier fut éclairé comme en plein
jour. 11 peint l'état d'âme de ses personnages : avant sa
délivrance, Marie s'agenouille et s'excuse à Dieu de
n'avoir ni soie ni velours pour envelopper l'enfant divin.
De même que dans la poésie religieuse, de même dans
la satire et le roman plusieurs écrivains offrent les fortes
qualités du xvi* siècle et la veine populaire.
Logau, Rachel, Lauremberg, Schupp, Abraham a
Sancta Clara sont les principaux satiriques de l'époque.
Logau s'élève contre les gallomanes. Ses vers lourds
et négligés renferment des expressions vieillies et des
silésismes. Mais quelques-unes de ses trois mille Epi-^
grammes qui parurent en 1654, une année avant sa mort,
sont de bonne frappe. Il écrit que la France est le maî-
tre et l'Allemagne, le valet; que les Allemands, sembla*
bles aux enfants, imitent ce qu'ils voient de nouveau;
que leurs mœurs sont à la mode comme leurs habits;
que les hommes vont se changer en loups puisque les
Allemands deviennent Français, et il nomme l'Allemagne
le réceptacle du vice, de la honte, de l'infamie et de tout
ce que les autres peuples jettent aux balayures.
Rachel et Lauremberg se sont, comme Logau, moqués
de l'engouement des Allemands pour l'étranger. Rachel,
qui publia ses vers en 1664, assure que si un Français
s'avisait de mettre des éperons à son chapeau et des
souliers à ses mains, un Allemand le copierait sur-le-
champ. Lauremberg qui, malgré Opitz, se sert de son
dialecte bas*allemand dans ses Quatre Satires (1652) et se
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LB XVII* Sl&GLB Ul
pique de faire des vers aussi simples que le bonnet de sa
grand'mëre» a plus d'esprit, plus d'humour et plus d'art
que Rachel : il ne sait, lorsqu'il entend le jargon des
Allemands, s'ils parlent de Pâques ou de la Pentecôte.
Schupp prononça devant le congrès de Munster, en 1648,
ïcSermonpourlapaix. Il combat avec une verve sarcas tique
les vices de l'enseignement, le pédantisme, la tyrannie du
maître qui nuit plus qu'il n'instruit, 7>2ii# nocet quant doest.
Ses prêches, comme ses écrits, entre autres VAmidansle
malheury fourmillent d'anecdotes, et on le surnomma le
fablier.
L'Augustin Abraham a SancU Clara (1642-1709) avait
une vaste mémoire, une imagination féconde, une verve
intarissable, et il sait peindre les passions et les vices, il
Gontespirituellement l'anecdote, il fait d'amusantes com-
paraisons, il a l'expression franche, familière, pittoresque,
et ses sermons jettent un jour éclatant sur le Vienne de
ce temps-là. Il y a en lui du Murner et du Fischart. Mais
son style manque de sérieux; il est trivial, bouffon même ;
ce ne sont que calembours, que jeux de mots, que pointes
et plaisanteries : il dira qu'un soldat ne doit avoir dans
ses cartes que du cœur et il ajoute en vers de son cru
qu'au militaire sied le courage, comme a la dame le page,
comme au chapeau le plumage !
Un roman que les satiriques d'alors condamnent
comme extravagant et immoral est VAmadis de Gaule.
Il était depuis 1560 un guide du bon ton, un manuel
du beau langage, et les dames le lisaient pour apprendre
a faire des compliments. Au xvii* siècle d'autres
romans le remplacèrent. Ce furent, outre YArgenis
de Barclay, outre YAstrée de d'Urfé, les œuvres de Gom-
berville, de La Calprenède et de M"* de Scudéry. A
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152 LITTBRATDRE ALLEMANDE
l'exemple des Français, les Allemands représentèrent U
société de Tépoque sous des noms antiques ou étrangers ;
ils imaginèrent des intrigues surchargées de détails et
enchevêtrées d'incidents de toute sorte; ils voulurent
instruire le lecteur, mêler, comme disait Birken, au
miel de la fiction l'aloès de la vérité, et ils mirent dans
leurs romans tout ce qu'ils savaient, tout ce qu'ils pou*
valent, histoire, politique, religion, morale, géographie,
astrologie.
De là, la Dianea où Diederich von dem Werder fit
entrer les principaux événements de la lutte trentenaire ;
VAramène du duc Antoine-Ulrich de Brunswick et son
OctaçU dont un des innombrables épisodes , V Histoire de la
princesse Solane, retrace l'aventure du comte de Kœnigs-
mark et de la princesse de Celle. De la les romans de
Zesen, Moîse^ Samson et cet Assenai où l'auteur, sous pré*
texte de narrer la vie de Joseph, décrit par le menu les
antiquités égyptiennes. De là, les romans géographiques
de Happel ; de là, les deux romans à^ Hercules et d'Hercu^
liscus où Buchholz, tout en mettant l'action au iii*^ siècle
de l'ère chrétienne, raconte la grande guerre de son
temps et parsème son récit de pieux discours et d'édi-
fiantes dissertations ; delà, l'Ar/ni/tiKadeLohenstein et la
Banise de Ziegler.
Mais à côté de ce roman héroïco-galant et politico*
érudit existait un roman national, un roman qui n'avait
rien ou presque rien de faux et de convenu, un roman qui
faisait revivre sans déguisement et sans fard, sans docte
appareil, la réalité contemporaine. Il était né sous l'in-
fluence espagnole : l'Ebre, dit un poète du temps, en-
voyait aussi son tribut. En 1615 Albertinus publiait une
adaptation de Gusman d'Alfarache et en 1617 Ulenhart,
une traduction de LasariUe de Tormes. Ces romans pica-
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LB XVII* SièCLB IftS
resqoes soscitèreni dans la seconde moitié du siècle les
ceuvres de Moscherosch ot de GrimmelshauseD.
L'Alsacien Moscherosch (1601-1669) traduisit libre*
ment en une prose mêlée de vers, dans les Visions singu-
lières et çéridiquea de Philander de SiUewaldy le satirique,
espagnol Quevedo. Une de ses visions, la Vie des soldats^
les montre cruels, impitoyables, lâchant la bride à leurs
caprices, ne cherchant dans la guerre que leur profit
personnel, ne pensant qu'à boire et à faire l'amour. Une
antre représente Philander comparaissant au château de
Geroldseck, sur une cime des Vosges, devant une cour
présidée par Ariovisteet composée d'Arminius, de Tuisto
et de Witekind. A la mise et au parler de Philander,
Arioviste le prend pour un Français et les vieux héros ger-
maniques s'indignent contre les Allemands du xvii* siècle
qui jettent leur or dans le gouffre de la France. Qu'on
ouvre lenr cœur; on y trouvera que les cinq huitièmes
sont français, un huitième espagnol, un huitième italien,
et à peine un huitième allemand. Ils préfèrent les langues
étrangères à leur langue maternelle. N'est-ce pas une
trahison et une honte? Veulent-ils plaire aux Français?
Quel animal change pour plaire à un autre animal son
langage et sa voix? Allemand et Welche sont comme
chien et chat; est-ce que le chat aboie pour plaire au
chien ? Il y a dans ces Visions de Moscherosch beaucoup
de décousu, et quel amas confus de citations! Mais
quel chaud patriotisme et parfois quelle vigoureuse élo-
quence !
Grimmelshausen (1625-1676) a fait nombre de romans :
Couragey histoire d'une vivandière; Springinsfeld ou
< Saute-en-plaine », histoire d'un soldat qui vagabonde
et mendie ; le Nid d'oiseaux^ histoire d'un talisman qui
rend invisible celui qui le porte; le Fainéant^ histoire
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15'4 LITTÉRATURE ALLEMANDE
d*UQ lansquenet quiconcloi un pacte avec le diable et qui
conquiert femme et fortune parce qu'il n'a dorant
sept ans ni peigné ses cheveux et sa barbe, ni coupé ses
ongleSy ni mouché son nez, ni lavé son visage et ses mains,
ni eu d'autre vêtement et d'autre lit que la peau d'u9
ours. Il a, lui aussi, dans le Michel allemand^ déploré la
corruption de la langue. Son œuvre principale, c'est le
SimplicUsimus (1668). Le plan manque. Après le cinquième
livre, et bien que Simplicissimus, las de ses aventures,
ait dit adieu au monde, Grimmelshausen le promène en
Russie, en Asie, en Egypte. Des dissertations ou d'inu-
tiles épisodes retardent la marche du récit. Mais la
première partie de l'ouvrage, celle qu'on peut appeler la
partie militaire et historique, ofire un saisissant tableau, et
le plus saisissant qui soit, de l'Allemagne pendant la lutte
trentenaire. Simplicissimus a dix ans lorsqu'il assiste à
des scènes affreuses : des soldats pillent et brûlent la
maison de son père, ils maltraitent les femmes, ils tortu-
rent les hommes, et devant ces atrocités, l'enfant se
demande pourquoi les soldats sont si barbares envers les
paysans. Serait-ce qu'il y a deux espèces d'hommes comme
il y a deux espèces d'animaux, ceux qui sont sauvages et
ceux qui sont apprivoisés? Il vit désormais parmi ces
« sauvages »; il les voit s'abandonner à toute sorte
d'excès, s'enivrer, se quereller, se battre, se servir de
dés pipés ; il les entend jurer, sacrer, blasphémer, glori*
fier leurs débauches et leurs crimes; il les montre super-
stitieux et croyant aux sorciers, tendant des embuscades,
rançonnant les voyageurs, cherchant et découvrant des tré-
sors cachés : pas un détail de leur existence, pas un trait de
leur caractère qui soit oublié. Simplicissimus a d'autres
mérites encore. C'est un livre populaire, foncièrement
allemand : pas de pédantisme, pas d'étalage de science, pas
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LB XVII* SiiCLB lu
de grosses invraisemblances^ mais des aventures réelles,
la vérité dans sa hideur, la misère poignante d'une
époque où se déchainent tous les mauvais instincts, ou,
selon le mot du héros, il n'y a rien de plus stable que Tins-*
tabilité. Le style est simple, clair, rapide ; peu de termes
étrangers, mais des expressions tirées du meilleur fonds
indigène ; parfois de longues périodes, mais d^ordinaire
des phrases courtes, nettes, vives; des crudités, des obscé-
nités, mais assez rares et inévitables dans une peinture
de la soldatesque. Enfin, le personnage de Simplicissimus
inspire l'intérêt et la sympathie. D'abord, ses entours lui
paraissent horribles et il avoue avec eflroi qu'il n'est pas
an milieu de chrétiens. Puis, insensiblement, il cède au
vice. Pourtant il garde un reste d'honnêteté et, par un
effort de sa volonté et lorsque le malheur le persuade de
la vanité des choses, il revient à la vertu.
Christian Weise (1642-1708) a été l'élève de Grim-
melshausen et de Moscherosch. Recteur du gymnase de
Zittau, pédagogue et non poète, il veut que la poésie ne
se distingue de la prose que par le rythme et la rime^
Lui-même se vante de n'avoir usé, lorsqu'il versifiait,
que des expressions de la conversation commune et il
emploie la prose dans ses drames parce que les gens ne
causent pas en vers! Ses pièces «— on en compte
cinqnante-cinq ^ avaient pour but d'instruire la jeunesse
scolaire et de l'exercer au maniement de l'idiome
maternel, -de lui délier la langue : de là le grand
nombre de ses personnages. Il est souvent vulgaire et
plat. Ses pièces bibliques ne sont que des histoires
dramatisées, longues et ennuyeuses. Ses pièces histo-
riques et politiques — il traite la chute du maréchal
d'Ancre, celle du maréchal de Biron, celle d'Olivarès et
la révolte de Masaniello — renferment d'heureux
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156 LITT£RATUflB ÀLLBMANOB
dialogues et des scènes animées; mais pas d'action, pas
de physionomies distinctes, rien de préparé, de motivé.
Ses comédies, comme le Machiaifel de çillage^ surchar^
gées toutefois d'épisodes, offrent, avec une donnée ori-
ginale, des traits spirituels et amusants : il avait, ainan de
la délicatesse, du moins de la malice et de la verve. Mêmes
défauts et mômes qualités dans ses romans qui parurent
de 1671 à 1676. Ses héros voyagent pour chercher
les trois plus grands fous ou les trois plus grands sages
de la terre, ou bien pour étudier les effets du Von^iiZy de
la curiosité qui pousse l'homme à courir après des plaisirs
trompeurs ou des honneurs immérités. Là encore, Weise
ne vise qu'à instruire, et, — c'est son mot, — qu'à faire
réfléchir tous les intéressés, qu'à leur insinuer par une
pieuse fraude, perpiam fraudent^ les règles d'une bonne
conduite. Son récit n'est qu'une suite d'esquisses qui
tiennent faiblement ensemble ; mais Weise sait observer,
il ne décrit pas un monde de fantaisie, et le comique de
certains épisodes, la fraîcheur et la vie qu'il répand sur
ces petits tableaux, le tour alerte et humoristique de sa
phrase, la clarté, la familiarité, la popularité de son
expression, tout justifie l'éloge de Grimmelshausen qui
trouvait dans les romans de Weise de l'esprit, de la gaité,
de la couleur. Il était utile qu'un homme pratique, sensé,
un peu étroit, simple et clair, comme il se qualifie lui*
même, einf&kigunddeutlich^ vint s'opposer à la pompeuse
rhétorique des Silésiens : il rampait, a dit Wernicke, mais
Lohenstein se perdait dans la nue.
Christian Reuter rappelle Weise. Il se moque dans le
Schelniuffaky (1696) des mensonges dont foisonnaient les
relations de voyages. Le héros, un Hambourgeois, est un
enfant miraculeux qui rivalise avec Gargantua; il par-
court le monde, il fait naufrage, il tombe entre les
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LE XVII* 81BCLB 157
mains des pirates ; partoat, à Fentendre, on i*admire et
on Taime pour Félégance de ses manières. Ce ne sont
que hâbleries et rodomontades. Mais il s'exprime sur
on ton naturel, aisé, assuré; à chaque instant il jure
qu'il est un brave garçon ; il revient volontiers sur This*
foire de sa naissance ; il parle avec condescendance d'un
sien camarade qui n'a pas eu sa chance; il se fâche
contre un petit cousin qui se gausse de lui ; et tout cela
nous persuade qu'il a existé, qu'il a vu, exécuté les
choses qu'il raconte, bien que le fieffé menteur ait sim-
plement passé quinze jours à s'enivrer dans un village
de la banlieue.
Le XVII* siècle n'est donc pas aussi stérile qu'on l'a
dit. On croirait même que dans la seconde moitié de
ce siècle l'esprit allemand essaie sur tous les domaines
de réparer les maux de la grande guerre. C'est en 1667
que paraît la première édition des chants religieux de
Paul Gerhardt. Quels que soient les défauts de Hofmanns*
waldan et de Lohenstein, ils cherchent l'originalité,
ils veulent faire de l'effet et frapper fortement l'imagi-
nation. Les satiriques ont dans leur style la verdeur du
siècle précédent. Grimmelshausen est un maître de la
langue et nombre de romanciers tentent d'échauffer le
patriotisme allemand soit en louant les prouesses des
Germains, soit en critiquant l'imitation de l'étranger. En
même temps se produisent des savants dont l'Europe
entière connaît les noms : Pufendorf, Thomasius, Leibniz,
Wolff.
Pufendorf (1632-1694) a fait en un allemand gauche
et lourd une histoire des Etats de TEurope; mais ses
ouvrages en latin le rendirent célèbre : il critiqua, non
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15S littéràtcrb allemande
Bans esprit ni colère, la constitution de l'empire germa*
niqae qui lui semblait un monstre, il fut un des fon-
dateurs de la science du droit public, et ne disait-il pas
que mieux vaut ne rien savoir que de savoir la scolastique?
Christian Thomasius (1655-1728), homme indépen-
dant, hostile à tout formalisme, revendiquant les droits
de la raison, résolu à ne se laisser mener par personne
ce comme une bête docile », déclara que la jurisprudence
et la morale devaient se séparer de la théologie. Professeur
à l'Université de Leipzig, il fut le premier — dès 1687
— à faire des conférences en langue allemande. Il fonda
une revue dirigée contre le pédantisme et l'hypocrisie,
les Entretiens mensuels (1688-1689), la première de ces
revues qui mirent tant d'idées à la portée du public et
unirent plus étroitement la littérature et la société. Dans
sa dissertation sur V imitation des Français (1687) il recom*
mande d'imiter les Français, mais de ne leur prendre que
leurs qualités, science, esprit, bon goût, politesse.
Leibniz (1646-1716), qui se servit du latin ou du
français pour répandre sa pensée en Europe, ne dédai-
gnait pas l'idiome maternel et il vante sa richesse, sa
vigueur. Il conseille d'éviter autant que possible les mots
étrangers. Non qu'il soit, dit«>il, un puritain, et qu'il
répudie un terme français avec une crainte supersti*
tieuse et comme péché mortel ; mais il combat le Misch*
masch. Il propose de fonder une académie et, selon les
idées que le grammairien Schottel avait développées en
1663 dans un remarquable ouvrage, de rédiger un dic-
tionnaire de la langue. Lui-même manie l'allemand avec
aisance, son style a de la fraîcheur, de la vivacité, de la
finesse.
Il se plaignait que Tallemand ne sût pas exprimer les
choses qu'on ne peut voir et toucher et qu'on n'atteint
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LE XVII* 81BGLB 159
que par la réQexion. Son disciple Christian WoIfT, pro-
fesseur à l'Université de Halle (1679-1754), terne,
traînant, eut au moins le mérite de donner à sa patrie
cette langue philosophique qu'elle n'avait pas encore. Il
mit en allemand la doctrine de Leibniz et il Taltéra, la
rapetissa : il explique tout par la méthode géométrique ;
il use de l'argument des causes finales pour démontrer
la Providence ; il n'insiste dans l'étude de l'ame que sur
les facultés du raisonnement et dans sa morale il n'oublie
aucun détail, pas même les règles de politesse et de
propreté. Cette philosophie facile, accessible et qui
pourtant imposait par son appareil logique, eut une con-
sidérable influence. C'est d'elle que procède la philo-
sophie de VAufklàrung ou des lumières, le rationa-
lisme, l'effort que fait la raison pour sortir de tutelle,
pour ne recourir qu'à elle-même et pour agir, comme
disait Kant, résolument, courageusement et sans se
laisser diriger par autrui. Le rationalisme régnera sur
l'Allemagne durant le xviii* siècle, et il rendra de grands
services. Il répand le goût de la précision et de la clarté.
Mais, en s'élevant contre les préjugés, il suscite d'autres
préjugés. Lui aussi est intolérant et de lui vient cet
esprit prosaïque, raisonneur, abstrait qui ne connaît
d'autre muse que la muse pédestre, ne voit dans la
poésie que l'auxiliaire de la morale, n'attribue à l'art
d'autre mission que l'utilité. Il n'a que du dédain pour
la lyrique, pour l'imagination et le sentiment, pour
l'idéalisme, pour les choses supérieures à la réalité; il
interdit l'espace à la pensée; aussi ses écrivains devaient-
ils tomber dans le médiocre.
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CHAPITRE IX
LE XVIIP SIÈCLE
Lm antisUésiant et Ganther. — GotUched. — Brookes» Hagedom,
Haller, les SaÎMet. •— Le joarnol de Brème. — Les poètei de Halle.
— Klopitock. — Wieland. — Winckelmann. — Lei lingf. — Le Sturm
and Drang on la période d'Orage. — Herder. — L'Union de Geettingne.
— Lee gttihéeDS on poètes dn Rhin. — Les mysti<ines. — Schiller. —
Gœthe. — Autoar de Schiller et de Gœthe. — Jean-Paul.
I168 antisilésiens et Gûntlier.
L'enflure des Silésiens, tel était le mal dont souffraient
les lettres allemandes. Ce mal qu'elle avait causé, l'in-
fluence française le détruisit.
Un groupe d'hommes du monde et de poètes — qu'on
a nommés les poètes de cour et qu'on devrait plutôt
nommer les antisilésiens — se détournèrent, ouvertement
ou non, de Lohenstein et de son école : Canitz, Neukirch,
Konig, Wernicke. Ce fut presque leur seul mérite. Leurs
poésies ne sont guère que des poésies de circonstance.
Besser et Kônig, maîtres des cérémonies à la cour de
Dresde, ont livré sur commande des vers insipides, et
Kônig, dans son Auguste au camp (1731), a peint les
chevaux mieux que les hommes. Wernicke, qui forge
laborieusement des épigrammes, a le style dur et pénible.
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IM XVIIl* 8IBCLB 161
Mais, tout en se moquant de l'orgueil de Louis XIV qui
veut être un soleil, tout en s^élevant contre Timitation
qui fait de la langue une langue de Babel et contre les
mots comme temoigniren à tète française et à queue
allemande, les antisilésiens estiment les écrivains du
grand siècle; ils envient leur correction, leur élégance,
et ils s'efforcent de la reproduire; Boileau est leur
idole, ce célèbre Boileau, dit Tun d'eux, qui mit obstacle
à la tyrannie du goût corrompu, et c'est au nom de
Boileau, au nom de la raison et du bon sens, qu'ils se
révoltent contre l'école de Lohenstein.
Canitz (1654-1699) a vu la France, ce pays où <x raison
et rime s'assemblent volontiers », et il raille les poètes
trop savants, ceux qui font des vers montés sur des
échasses et ceux qui, pour pleurer les morts, invoquent
tout l'Olympe.
Neukirch (1665-1729) a mis le Télémaque en alexan-
drins. Il s'était rangé d'abord du côté des Silésiens; il
confessa don erreur et déclara qu'il regrettait d'avoir
préféré le fard à la nature.
Konig déplore, dans une dissertation sur le goût, que
l'école de Lohenstein, imprégnée du poison de Marine,
ait à son tour infecté presque toute l'Allemagne,
Wernicke se moque de ces Silésiens qui prodiguent
dans leurs vers les étoiles, les parfums et l'or. Pourquoi
ces mots magnifiques ? Les plus simples ne sont-ils pas
excellents lorsqu'on les emploie bien? Un portrait peint
sur une mauvaise toile par un Européen ne vaut-il pas
mieux qu'un portrait peint par un Chinois sur une fine
porcelaine ?
ftlorhof qui, dans son maigre Enseignement de la
langue et de la poésie allemandes^ osa dire que Fleming
surpassait Opitz ; Pietsch qui fut le maître de Gottsched ;
LITTiftATOHI ALLIMAXttl. 11
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16i LITTBRÀTURB ALLEMANDE
Mencke qui présidait à Leipzig une Société de langue
allemande, appartiennent à ce groupe des antisilésiens.
Un Silésien, Gûnther (1695-1723), les éclipsa tous. Il
est, lui^ poète dans le plein sens du mot, et, s'il n'était
mort à vingt-huit ans, il serait un des plus grands poètes
de r Allemagne. Il a un véritable talent, de la sensibilité,
de la passion, du feu. Les strophes qu*il consacre au
prince Eugène dans son poème sur la paix de Passaro-
witz n'ont pas sans doute la belle et saisissante simpli-
cité du chant populaire composé par un soldat de Bran-
debourg : « Le prince Eugène, le noble chevalier, voulut
reprendre Belgrade ». Mais il célèbre dignement le vain-
queur des Turcs et, sur les bords du Danube, où bruissent
les armes et les cuirasses, il évoque une n armée des
esprits d, les âmes des anciens héros, des légionnaires
romains qui viennent applaudir au courage d'Eugène.
Il rappelle Fleming par la sincérité de l'accent. Que de
naturel et que de tendresse dans certains de ses vers
d'amour ! Quelle émotion lorsque, avant de briser la bague
et d'éprouver l'extrême souffrance, il demande encore un
baiser à l'infidèle ! Quelle douleur, quel repentir lorsque
la plainte succède à son a jeune cri de guerre », lors-
qu'il implore le père implacable qui refuse de pardonner
à ses écarts! Quelle tristesse profonde dans 1' ce aveu
loyal » qu'il fait a Dieu quand il reconnaît qu'il a, en
libertin, prodigué sa force et sa santé ! Il n'a pu se sous-
traire à l'influence de son compatriote Lohenstein, et il
est souvent diffus, souvent lourd et grossier. Mais il
s'inspira du chant populaire, il laissa parler son cœur,
et il fut malheureux.
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LB XYlll*" SIÈCLE 168
Gottsclied.
Gûnther n'eut aucune influence sur le mouvement
littéraire. Il fallait un autre homme pour diriger les
efforts de l'opposition qui se produisait contre Lohen-
stein, pour mener a bonne fin la réforme que Weise,
Neukirchy Wernicke et autres avaient commencée.
Cet homme fut Gottsched (1700-1766).
Professeur k l'Université de Kœnigsberg, il avait dû,
à cause de sa belle prestance, se sauver de Prusse pour
échapper aux racoleurs. 11 vint enseigner à Leipzig, cette
Athènes de la Pleiss, ce « galant » Leipzig qui passait
déjà pour un petit Paris, Leipzig, l'école de la Lôffelei et
le modèle de la polite Conduite^ la ville où florissait le
journalisme, où se centralisait la librairie, où tout le
monde visait a l'esprit et à l'élégance des manières. •
Ambitieux, remuant, laborieux, il présida bientôt la
Société allemande, fonda des revues, publia une Grant"
maire, un Essai de poétique» De 1730 à 1740 il fut le
dictateur littéraire de l'Allemagne.
ggn principal maître, c'est Boileau, et les écrivains du
siècle de Louis XIY lui semblent avoir fourni les meil-
leurs modèles dans tous les genres de poésie. Il recom-
mande d'imiter la nature, non pas servilement, mais
avec réflexion et par une combinaison logique d'idées et
d'images. Du bon sens, nn jugement sain, un raisonne-
ment juste, voilà, selon Gottsched, ce qui fait le poète,
et, pour fabriquer des vers irréprochables, il suffit
d'avoir l'esprit vif, de saisir les ressemblances des
choses et de les comparer entre elles, puis de choisir
une action qui repose sur un principe moral. Suivant
lui, toute fable, ésopique, épique, dramatique, doit cacher
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164 LITT£RATURB ALLEMÀNDB
une vérité utile. Que prouve Vlliade? Que la discorde
est funeste. V Odyssée? Que Tabsence d*un roi entraîne
de fâcheuses conséquences. Œdipe? Qu'il ne faut pas
s'emporter comme Œdipe qui tua Laïus, d'où vinrent
tous ses malheurs.
Et voici les préceptes de Gottsched sur Tart théâtral :
observer les trois unités, surtout Tunité de temps, à con-
dition que l'action se passe dans le jour, puisque la nuit
est destinée au sommeil, et l'unité de lieu, puisque les
acteurs, comme les spectateurs, ne peuvent quitter
l'endroit où ils sont ; représenter des rois dans la tragé-
die et des bourgeois, à la rigueur, des barons, des mar-
quis et des comtes dans la comédie — non que les grands
de ce monde ne fassent pas de folies; mais le respect
qu'on leur doit exige qu'on ne les tourne pas eu ridicule.
Il joignit l'exemple a la leçon. Il (it des tragédies,
entre autres un Caton mourant^ imité du Caton anglais
d'Addison et du Caton français de Deschamps, et fabri-
qué, comme on le dit alors, à grand renfort de colle et
de ciseaux : « Si le Caton romain, s'écriait Gleim, enten-
dait le Caton saxon, il se tuerait encore ».
Il fallait davantage. Derechef Gottsched recommanda
les Français, Corneille, Racine, Molière, Regnard, Vol-
taire, Destouches, — ainsi que le Danois liolbcrg — et
dans le recueil la Scène allemande il inséra des traduc-
tions de plusieurs pièces françaises. Sa femme l'aidait dans
cette tâche ; elle aussi, lourdement, platement, traduisait
ou imitait Molière, Destouches et Holbcrg. Une troupe,
dirigée par une actrice remarquable, Caroline Neuber,
joua le nouveau répertoire et, en 1737, dans une pièce
faite exprès, bannit solennellement Arlequin du théâtre.
Mais Gottsched se brouilla avec la Neuber. Son orgueil
lui suscita des ennemis. Il vit, malgré sa ténacité, sou
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LE XYIII*" SIECLE ICft
influence décroître et il mourut, discrédité, méprisé de
tout Leipzig. On Ta jugé trop sévèrement. Il a réformé le
théâtre, proclamé les droits de la raison et de la vraisem-
blance, porté le coup mortel aux « grands drames d'État »,
aux Haupt=^und Staatsactionen^ pièces incohérentes,
extravagantes, pleines et d'emphase et d'obscénité ; il a
défendu la rime ; il a discipliné la littérature, et s'il lui
imposa l'imitation des Français, c'était pour qu'elle devînt
correcte, sensée, régulière, et plus tard originale à son
tour.
Brockes, Hagedorxi, Haller^ les Suisses.
A la littérature française que Gottsched voulait prendre
pour modèle, s'opposait la littérature anglaise.
Le Robinson Crusoe^ paru en 1719, avait fait naître
nombre de robinsonades allemandes. La plus célèbre
est Vile de FeUenbourg (1731-1743), de Schnabel. Elle
relève et de Defoe et de Grimmelshausen dont le Sim-
pHcissimus termine son existence dans une île déserte :
les hommes qui vivent a Felscnbourg habitent un paradis
terrestre; plus de passions, plus de distinctions de for-
tune et de religion.
Brockes, Drollinger, Ewald de Kleist, Pyra, ZachariiL
traduisent ou imitent Pope et Thomson.
Hagedorn loue les vieilles ballades anglaises.
Haller assure qu'il a compris, comme Hagedorn, à la
lecture des Anglais, qu'on peut dire beaucoup en peu de
mots et que les idées philosophiques se laissent mettre
en rimes.
Bodmer et Breitinger s'enthousiasment pour Addison et
Milton; Elie Schlegel, pour Shakespeare; Rabener, pour
Addison et Steele; Liscow et Lichtenberg, pour Sv\rift.
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166 littéràturb allbnandb
Klopstoek s'inspire du Paradis perdu.
Gellert pleure en lisant Grandison et préfère Richardsun
à Homère. '
Mais la lutte est vive entre l'influence française et
rinfluence anglaise. Uz regrette que TAllemand veuille
se faire Anglais et il raille les poètes qui élucubrent en
Thonneur de Milton des vers ténébreux. Les Anglais ne
l'emportent pas, et, de même que dans l'ode de Klop-
stock, on ne saurait dire laquelle des deux muses a
triomphé. Chez les meilleurs esprits les deux influences
se mêlent, et, selon le mot de Schiller, c'est de l'équi-
libre entre la règle française et l'irrégularité anglaise
que nait la littérature allemande classique.
Il faut suivre ce mouvement homme par homme et
groupe par groupe.
Le Hambourgeois Brockes traduisit V Essai sur F homme
de Pope (1740) et les Saisons de Thomson (1745). Mais
son œuvre principale» c'est son poème en neuf volumes.
Plaisir terrestre en Dieu (1721-1748). 11 admire Dieu
dans sa création, et de la perfection de la nature il
conclut à la perfection de Dieu; la nature lui semble
belle en tout temps, et il ne se lasse pas de répéter
qu'elle est belle et qu'elle est propre à nos besoins et à
nos convenances. Si nous avons un nez, c'est pour
sentir les fleurs! Exact et minutieux comme s'il com-
posait un traité d'histoire naturelle et non un poème» il
est froid, prosaïque, monotone. Il énumère les parties du
corps, les maladies, les choses utiles ou nuisibles, et
certains passages de son œuvre ne sont que des catalogues.
Mais, malgré ses défauts et bien qu'il soit quelquefois
entortillé, obscur et sujet à l'enflure silésienne, il eut ses
mérites. Sa langue a de la souplesse, de l'abondance, et
ses vers ont de l'aisance et de la variété. Cet homme
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LB XVlll^ SIÈCLE 167
pédantesque et borné sortait de son cabinet de travail
pour contempler son jardin et la campagne; il vantait
Todeur du foin coupé; il chantait les rayons qui jouent
dans le feuillage et sur les eaux; il retraçait, non sans
succès, un paysage d'hiver : la neige qui crie sous les
pieds et couvre de sa blancheur les monts et les vaux, le
ciel gris et sombre, le soleil bas et qui ne peut percer la
nuit de l'épais brouillard.
Hagedorn (1708-1754) était, comme Brockes, de Ham-
bourg. Il penche plutôt vers les Français. Dans ses
Fables et contes il imite La Fontaine, et il n'a pas sa
clarté, sa précision, sa naïveté ; il s'attarde à des bagatelles ;
il abuse des traits satiriques, des allusions littéraires, et
pourtant il est spirituel, piquant, enjoué; il a par
instants de la poésie et de la grâce ; bien que son savonnier
Jean ne l'emporte pas sur le savetier Grégoire, la fable où
il figure contient de jolis détails. Dans ses Odes et chants j
il relève pareillement des Anglais, des a libres Bretons »,
de Prior et du « tendre » Waller, mais surtout des
Français, de Chaulieu, de La Fare, de Chapelle. Il
célèbre le vin et l'amour en une langue correcte, facile,
agréable, et il sait varier et le ton et les strophes, parlant
en son nom ou au nom d'autrui, faisant chanter des
chœurs, tantôt railleur et ironique, tantôt plaisant et
comique, souvent lascif et quelquefois jetant une lourde
réflexion au milieu de sa joie. Dans ses Poésies morales
il vante la philosophie d'Horace et la sienne propre, car
il aimait ses aises et le doux nonchaloir.
Le Bernois Haller (1708-1777) contraste avec lui.
Hagedorn est frivole, gai, mondain; il boit volontiers un
verre de vin et goûte toutes les joies de la vie ; il aime
Horace et sa causerie variée, moqueuse, anecdotique; il
préfère, au fond, les Français aux Anglais; il chante
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!68 LITTÉRATURE ALLEMANDE
Hambourg et TAlster et Tallée de tilleuls où les belles
se promènent ; il écrit avec aisance et non sans longueurs ;
il emploie rarement l'alexandrin. Haller est sérieux,
grave, mélancolique; il ne boit que de Teau ou du thé et
ne trouve son plaisir que parmi les livres; il aime Virgile
qu'il tient pour sublime et compare à Taigle; il relève et
des anciens et des Anglais, de Pope, de Thomson ; il chante
les montagnes de la Suisse et leurs habitants aux mœurs
austères ; il écrit péniblement et vise à la brièveté ; il se
sert de l'alexandrin. Ce grand savant a trouvé le temps
de 1725 à 1736 de faire des vers. Il célèbre dans le
poème des Alpes non seulement « le pêle-mêle de
rochers et de lacs », non seulement les hêtres et les
sapins où perce la tremblante lumière du soleil, où ce se
mêle un jour d'or à la nuit de verdure », mais le bonheur
d'un peuple pauvre qui ne connaît pas les désirs, et c'est
ainsi que dans les Mœurs corrompues et l'Homme selon le
monde il déplore la décadence de Berne où il ne voit
plus que des petits maîtres, des hypocrites, des gens qui
n'ont ni science ni vertu. Ses poèmes didactiques. De la
Fausseté des vertus, De Vorigine du maly VEternité,
offrent de beaux passages remarquables par la hauteur
morale et par une sombre grandeur. Son ode sur la mort
de sa femme Marianne excita justement l'admiration des
contemporains par sa simplicité, par sa vérité, par
l'accent d'une mâle et poignante douleur. Ses romans
politiques, composés plus tard, Usongy Alfred, Fabius et
Caton^ et consacrés, le premier, k la monarchie absolue,
le deuxième à la monarchie constitutionnelle, le troisième
à la république furent plus froidement accueillis. Mais
Haller vivra comme poète, non comme romancier. S'il
enseigne plus qu'il ne peint, il a de l'énergie, de l'élé-
vation. Sa langue est un peu rude, un peu gauche et
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LE XVlll^' SIECLB 1G9
lourde; elle contient des helvétismes ; c*était toutefois
ane langue poétique, et Lessing, Wieland, Schiller
Tétudièrent avec profit.
C'est du pays de Ilaller, c*est de Suisse que vint la
réaction contre l'autorité de Gottsched.
Deux professeurs de TUniversité de Zurich^ Bodmeret
Breitinger, avaient, en 1721, fondé, sur le modèle du
Spectator anglais qu'ils se vantaient de savoir par cœur
et d'adorer comme Stace adorait Y Enéide ^ une revue morale
et littéraire, les Discours des peintres^ où chaque article
était signé du nom d'un peintre célèbre. En 1740, ils
publièrent coup sur coup trois ouvrages de critique : une
dissertation de Bodmer Sur le meri^eUJeux^ une disser-
tation de Brcitinger sur VAllégorie, une Poétique de
Breitinger avec préface de Bodmer. Dès qu'il vit Brci-
tinger aller sur ses brisées, Gottsched se fâcha. 11 blâma
sans ménagement Haller; il attaqua Milton que Bodmer
avait traduit ; il déclara que le Jules César de Shakespeare
était un chaos et péchait contre les règles de la scène et
de la raison. Mais les Suisses avaient beau jeu contre
Gottsched : ils se moquèrent de ses recettes poétiques;
ils lui reprochèrent d'introduire la platitude à la place du
naturel et de bannir du style les images. Au fond,
Gottsched et les Suisses n'étaient pas tellement en
désaccord. Les Discours des peintres respirent l'esprit
d'Addison et reproduisent souvent ses expressions;
mais leurs auteurs ont mis à contribution Fontenelle,
La Bruyère et surtout Du Bos. Imbu, de même que
Gottsched, de la philosophie de Wolff, Breitinger regarde
les poètes comme des moralistes et tient pour le premier
des genres la fable ésopique; de même que Gottsched, il
combat au nom du bon sens les disciples de Lohenstein
qu'il accuse de phébus et de galimatias. Mais Bodmer et
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170 LITTBRATUaB ALLEMANDE
Breitinger donnent à l'imagination le rôle principal ;
ils assimilent la poésie K la peinture et non à l'élo-
quence ; ils considèrent le merveilleux comme une par-
tie importante de la poésie; s'ils réprouvent la rime,
ils rejettent l'alexandrin qu'ils jugent monotone; iU
vantent, outre la littérature française, la littérature
anglaise. Ils triomphèrent. Kftstner, — l'amer et incisif
épigrammatiste qui disait à un Français citant Hippo-
crène que ce mot se traduit en allemand par Rossbach
— Kâstner resta fidèle à Gottsched. Quelques-uns,
comme Hagedorn et Liohtwer, demeurèrent neutres.
Mais la plupart des hommes de talent se rangèrent du
côté des Suisses.
Liscow leur prêta son appui. Il s'était fait connaître par
une satire en prose Sur l'excellence et la nicestité dee
méchants écrivains : elle était d'un style pur et clair,
mais elle avait le tort d'être trop longue et d'attaquer de
simples barbouilleurs. En 1742, dans la préface d'une
traduction de Longin, il prit nettement la défense de
Breitinger contre Gottsched.
liOB Contributions de Brdme.
En Saxe même, k Leipzig, des étudiants qui collabo-
raient à une revue dirigée par un partisan de Gottsched
se prononcèrent contre l'orgueilleux professeur. lis
fondèrent leur revue, une revue à eux, les Bremer Beitràge
ou « Contributions de Brème », ainsi nommée parce que
l'éditeur était un libraire de Brème, et l'histoire littéraire,
par suite, les appelle les « Contributeurs de Brème »
ou les (( Brèmois ». Les principaux d'entre eux conquirent
la réputation. C'étaient Rabener, Gellert, Elie Schlegel,
Cramer, Zachariae. Ils ont des traits communs : ils se
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LB XVIII" 8IBGLB 171
piquent de limer leur style et ils veulent b la fois plaire
et instruire.
Rabener (1714-1771) a composé, non sans agrément,
mais sans fiel et d'un crayon un peu mou, des
satires en prose. Il sait prendre divers tons et il varie
ses cadres. Il ne se contente pas de disserter; il raconte
un rêve, reproduit un fragment de chronique ou un
testament» commente un proverbe, imagine une corres-
pondance. Par peur du censeur de Leipzig et de la cour
de Dresde et pour n*ètre pas, comme il l'avoue, martyr
de la vérité, il se garde d'attaquer les fous de palais et
des antichambres ; il ménage pareillement les prêtres et
les professeurs, de crainte d'affaiblir l'autorité de la
religion et d'éveiller la malice des écoliers. Restent
donc à notre satirique les vices et les ridicules, l'homme
qui fut dans sa jeunesse un prodigue insensé et qui,
dans sa vieillesse, exerce la plus vile usure, un hobereau
cherchant un précepteur à bon marché, une veuve de
pasteur offrant et sa personne et la place du défunt à un
candidat en théologie, le juge qui reçoit des plaideurs
une feuillette de vin, une bourriche d'huîtres ou une
corde de bois.
Gellert (1715-1769), qui professait les belles-lettres à
l'Université de Leipzig, est avant toutes choses chrétien.
Il fut pour ses contemporains un père spirituel : on le
consultait sur des cas de conscience; on lui demandait
un gouverneur, une dame de compagnie, un fiancé.
Rabener n'écrit-il pas que de Gellert le public n'attend rien
que d'instructif, devertueuxet de parfait ?I1 ne comprenait
pas la poésie; elle ne devait célébrer, selon lui, que la
raison et la religion. Et pourtant, il tient une grande
place dans la littérature de son temps. Si ses comédies
sont plates et ennuyeuses, si son roman de La Comtesse
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172 LITTERATURE ALLEMANDE
suédoise est bizarre et choquant, ses fables vivent et
vivront : la jeunesse les apprend par cœur. Il n'a pas la
vigueur et l'humour de Lichtwer qui sait peindre les
animaux et les mettre en scène; il n*a pas Tenjouement
du Colmarien Pfeffel, Tauteur de la Pipe turque', mais il
est à la fois correct et familier; il manie le vers avec
aisance, et d'un ton doux, insinuant il glisse la morale;
il mêle à ses récits soit de touchantes exhortations, soit
des portraits, des anecdotes où percent la malice et
l'ironie : le libre-penseur converti par sa pieuse servante,
Marguerite baisant Alain Chartier, un fils tirant son père
de la prison, ennuis d'un maire, querelles de pédants,
avarice de gentillâtre, indiscrétion et coquetterie des
femmes. Certains de ses chants d'église, simples, clairs,
pénétrants, sont encore chantés dans les temples. Il
vaut surtout par la langue et, comme disait Frédéric,
il a quelque chose de coulant. Longuet et un peu fade,
dénué d'éclat et de relief, il a du naturel, de la grâce, de
l'élégance et le gentil bavardage saxon.
Les tragédies et comédies d'Elie Schlegel sont froides
et languissantes. Mais c'est un précurseur. Il imite les
Grecs; il traite des sujets nationaux. Canut et cet
Hermann que Bauvin adapte à notre scène en 1772 sons
le titre Les Chérusques; il défend Gryphius contre les
sottes critiques de Gottsched ; il assure que les Anglais
ne font pas leurs pièces selon des recettes comme les
cuisiniers font les poudings.
Cramer a traduit ou imité les Psaumes et composé
nombre d'odes religieuses et de chants d'église; il
versifie facilement, mais il se répète, son feu n'échauffe
pas et ne fait que briller aux yeux.
La meilleure œuvre de Zachariae (1726-1777) est le
Renommistf le fanfaron, le fier-a-bras. Il introduit dans
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LB XVIII" 8IEGLB 17t
ce poème héroï-comique la Galanterie, la Mode, la
Toilette, l'armée des Compliments. Mais s*il abuse des
divinités allégoriques, il décrit heureusement les façons
rudes, brutales des étudiants d'Iéna, ces sauvages
chasseurs de laSaale, grands buveurs et grands fumeurs,
braillardsytapageursytraine-rapières» ennemis du philistin
et de la police, si différents des étudiants de Leipzig,
ces damereta qui sentent la lavande, prisent du tabac
Tapé et courent par la ville en bas de soie, Tépée enru-
bannée et le chapeau à la main.
lies poètes de Halle.
Non loin de Leipzig, à Halle, s'était formée l'école de
Halle ou école prussienne dont les membres sont Pyra,
Lange-, Gôtz, Uz, Jean- Georges Jacobi, Gleim, Ewald
de Kleist, Ramier, Sulzer. Elle aussi se prononce contre
Gottsched, et elle imite les Anglais autant que les Fran-
çais; mais elle a quelque chose de libre et de gai que
n'ont pas les Brèmois; elle cultive le genre anacréon-
tique, compose des poésies légères dans le goût de Hage-
dorn, chante le vin et les baisers; elle rejette la rime;
elle aime et célèbre Frédéric II.
De son propre aveu, Frédéric parlait l'allemand comme
un cocher; il ignorait et voulait ignorer la littérature de
sa patrie, et il ne regrettait pas d'être un Auguste qui
n'avait pas d'Horace. En 1780, dans un petit écrit qu'il
intitula De la lUiéraiure allemande, il assurait que l'Alle-
magne n'avait qu'un jargon dépourvu d'agrément et que
les belles-lettres n'y avaient jamais prospéré. Mais c'était
un victorieux. Il enthousiasma, il Inspira les poètes, et
ils embouchèrent la trompette en son honneur. Il les
méprisait. Qu'importe? Ils voyaient en lui, selon le mot
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174 LITTÀRATURB ALLEMANDE
de Schiller^ le plus glorieux fils de rAllemagne. Un
Saxoo, un vaincu, Rabener, le nommait le plus brave
des rois et un Invincible monarque. Klopstock qui ne
l'aimait pas, ne peut s'empêcher de dire que la guerre
de Sept Ans, où cet Hercule maniait sa massue contre
toute l'Europe, était le plus grand acte du siècle.
Pyra (1715-1744) regardait la poésie sacrée et biblique
comme la seule et véritable poésie. Il est surtout connu
par un poème imité de Pope, le Temple de la vraie
poésie j ainsi que par les Chanta d^ amitié de Thyrsiaet de
Damon qu'il fit de concert avec Lange, son intime. L'amitié
est un trait du temps et un trait du groupe de Halle : on
n'y a jamais mis tant de mignardise et de sucrerie; on
se baise, on se caresse, on se donne des petits noms, on
s*appelle mutuellement « mon ange » et a mon tout »,
et, si les amis sont auteurs, quels compliments excessifs
de part et d'autre, quelle admiration exaltée!
Gôtz est l'auteur d'une lie des jeunes filles, insigni*
fiante, dont Frédéric jugeait les vers harmonieux et rem-
plis de seiis : l'éloge de Frédéric fait vivre le nom de
Gotz.
Uz imita Pope dans des poèmes didactiques, la Théodi-
cée et VArt d^étre gai^ qui lui valurent des louanges de
Lessing et de Herder plus précieuses que celles du
monarque.
Jean-Georges Jacobi, trop déprécié par les contempo*
rains à cause de ses bagatelles, a composé des vers qui
furent attribués à Gœthe et il trouva de dignes accents
pour pleurer la mort de Lessing.
Gleim (1719-1803), le bon papa Gleim, bienfaisant,
aimable, sensible, se recommande moins par ses innom-
brables vers qui sont froids, négligés et incorrects, que
par son rôle de Mécène ; il fut l'hôte et le patron des
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LB XVIU' SIÈCLE 175
jeunes poètes pauvres. Mais ses Chants d'un grena-
dier prussien furent chantés dans l'armée de Frédéric,
Le style manque souvent de naturel ; il est ou trop fami*
lier ou trop élevé; le patriote, selon la remarque de
Lessing, crie plus fort que le poète. Toutefois Gleim
place à propos des détails frappants : il montre Frédéric
assis sur un tambour et dans la nuit, sous le. pavillon du
ciel, méditant sa bataille; il emploie avec bonheur la
strophe de la chevy-chasey quatre vers terminés chacun
par une rime masculine.
Ewald de Kleist (1715-1759), l'homme que Lessing a
le plus aimé, soldat et poète, versifiant pour oublier les
épines du service, chantant avec un accent sincère
soit la nature, soit un amour malheureux, mêlant dans
ses écrits comme dans sa vie à des accès d'austère
misanthropie les élans d'un chaud patriotisme, mâle
et tendre à la fois, offre un original assemblage de
stoïcisme et de sensibilité. II tomba sur le champ de
bataille et cette mort fit beaucoup pour sa renommée.
Son Printemps^ où il imite Thomson, manque de cohésion
et de suite; mais il tâche de joindre l'éclat à la concision.
Ses idylles et ses élégies ont charmé Hcrder, et sa
Grue blessée a je ne sais quelle grâce mélancolique.
Dans son Ode à V Armée prussienne et dans son petit
poème de Cissidès et Pachès étincelle l'enthousiasme qui
inspirait Frédéric <c saisissant l'étendard d'une main
vaillante et portant avec lui l'éclair et la mort dans les
camps ennemis ».
Ramier (1725-1798) célèbre Frédéric avec plus
d'emphase : versificateur correct et grand peseur de syl-
labesy consulté par Lessing, regardé comme un génie
par ses contemporains qui louaient l'ampleur de sa dic-
tion, le choix de ses mots et, comme dit Mendelssohn,
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re LITTKRATURB ALLEMANDS
la sage hardiesse de ses tours, mais enflé, boursouflé,
abusant de la périphrase et de l'allégorie, masquant la
pauvreté de ses idées sous de savantes périodes et de
pédantesques réminiscences d'Horace, tourmenté par
rincurable manie de corriger l'œuvre d'autrui.
Sulzer publia en 1771 une lourde Théorie des beaux-
arts où il compare Bodmer k Homère, proclame l'ode le
premier des genres et assure que l'art a pour but d'éveil-
ler le sentiment moral : à force de théorie, disait-on
alors, il se ferme la route du véritable plaisir.
Le Zurichois Gessner, compatriote de Sulzer, ami et
disciple de Ramier, de Kleist et de Gleim (1730-1788),
conquit soudainement la gloire par ses idylles. On l'admira
comme un dieu et Sulzer le préférait à Théocrite. Pour-
tant, chez Gessner, tout, paysages, caractères, situa-
tions, est vague, indistinct; tout manque de précision et
de vérité ; rien de vif et de profond; une prose au balan-
cement monotone, aux épithctes incolores. Mais on trou-
vait dans ses idylles ce qu'on nommait la belle nature et
les attraits de la vertu, des bergers galants et philan-
thropes, des bergères coquettes et innocentes, un badi-
nage sentimental et doucereux, les rossignols, le clair de
lune et de riants Amours. Sa prose même, mesurée, poé-
tique, aidait au succès : elle avait, selon le mot du tra-
ducteur français, l'aisance de la prose et une partie des
agréments du vers. De là, l'engouement des contempo-
rains. Seul, Herder eut assez de goût et d'audace pour
dire que Gessner représente toujours le même berger,
un berger idéal, invraisemblable et qui n'est qu'une
poupée.
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LB XYIll** SIBCLR t77
Klopstoek.
Tous ces noms, même celui de Gessner, furent rejetés
dans l'ombre par celui de Klopstock.
KIopstock (né à Quedlinbourg en 1724, mort à Ham-
bourg en 1803)y se rattache à l'école de Halle. Lui aussi
a chanté, comme les anacréontiques, le vin et les
baisers ; lui aussi imite Horace et il disait que le lyrique
latin avait épuisé toutes les beautés de l'ode; lui aussi
voit dans la rime un ornement superflu, et il la quali-
fiait de mauvais esprit, la comparait au roulement mono-
tone du tambour. Il relève également des Brémois et
des Suisses : les trois premiers chants de son Messie ont
paru en 1746 dans les Contributions de Brème; il a subi
l'influence de Bodmer et de Breitlnger, il les a lus sur les
bancs de l'école; sans eux il n'aurait pas connu Milton
et ce fut lui qui décida leur victoire. Mais avant tout
Klopstock est KIopstock. Il tient de son père sa dévo-
tion, sa fierté de caractère, de l'obstination, de l'entête-
ment, de la bizarrerie. Élevé librement à la campagne,
épris des exercices physiques, il se piqua toujours d'être
dispos et robuste, il craignait de paraître pédant et
méprisait les savants de cabinet.
Pourtant il brilla dans ses classes à l'école de Pforta.
De bonne heure il avait résolu de rivaliser avec l'auteur
du Paradis perdu. Il tint parole : k léna, à Leipzig il
n'étudia ni théologie ni philologie, et, grâce à une
pension que lui firent le roi de Danemark et le mar-
grave de Bade, il put, d'abord à Copenhague, puis a
Hambourg, achever son Messie qui compte vingt chants
et qui fut publié en cinq fois de 1748 à 1773.
Ce Messie est manqué; on l'admire de confiance et on
LirrilUTOIIV AILIMAMDB. 12
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178 LlTTBRATUnB ALLEMANDE
ne le lit pas. Lyrique et non épique, KIopstock ne sait
pas créer des figures vivantes. Son Jésus ne parait que
pour souffrir, prier et prononcer de douces et mélanco-
liques paroles. Ses anges flottent, suivant l'expression de
Herder, çà et là par le poème, comme les images d*un
missel. Ses démons rugissent impuissants. Ses apôtres,
pieux, tendres, sensibles, ne font que pleurer et lorsque
Pierre frappe Malchus, le poète ne nomme même pas le
blessé, ne dit même pas que Malchus eut l'oreille fendue.
Ses personnages, jusqu'au pharisien Philon, l'adversaire
haineux de Jésus, jusqu'à Judas au visage troublé,
n'agissent pas. L'œuvre se compose, non de récits, mais
de discours et de méditations, de ravissements et d'effu*
sions. Certains chants, les derniers surtout, sont une
ode sans fin, et les seuls êtres qui nous touchent ont le
charme de l'idylle ou de l'élégie : Sémida et Cidli, les
deux amants unis au ciel comme sur la terre; Portia, la
femme de Pilate ; Abbadona, l'ange rebelle et repentant.
Les poésies lyriques de KIopstock offrent de pareils
défauts : de beaux détails et pas d'ensemble, pas
d'images précises et nettes, des situations inventées. Il
parle de l'avenir plutôt que du prés.ent et sa Fanny aux
formes fuyantes et indécises n'est qu'un nom, un fan-
tôme. KIopstock ne sait peindre que les sentiments, les
« actions de l'âme », et il les peint toujours de la même
manière noble, pure et vague. Il n'échappe pas du reste
k la sensiblerie du temps. Sa passion est assaisonnée de
soupirs et de larmes. II suppose qu'il survit k ses amis
et passe sa vieillesse à pleurer sur leur tombe; il déplore
le sort du vermisseau qui n'est pas immortel; 'il montre,
la murène plaignant le ver qui pend k l'hameçon du
pêcheur et souffrant avec lui !
Ses hymnes et chants d'église ne sont qu'une suite
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LE XVIll" SIÈCLE 179
d'apostrophes et d'interjections; il veut s'éloigner de la
terre, erdefern^ comme il dit, et il se perd dans Tem-
pyrée.
Pas de plan, pas d'action, pas de caractères dans ses
drames bibliques, la Mort éCAdam^ en prose, Salomon et
Daçid^ en vers blancs. De môme, dans ses trois drames
sur Hermann, la Bataille éCHermann (1769), Hermann et
les princes (1784), la Mort JTHermann (1787). Il les
appelait des bardits parce qu'ils étaient entremêlés de
chants et de dithyrambes bardiques; mais ils n'étaient
guère faits « pour la scène ». Schiller, qui tenta de rema-
nier la Bataille £ Hermann^ la jugea froide et grotesque;
Herder ne voyait dans Hermann et les princes que la
plus subtile toile d'araignée, et la Mort d* Hermann^
comme les deux autres bardits, n'est qu'un tableau
confus. Des passions dépeintes sans vérité, d'émouvantes
situations traitées sans chaleur, une langue affectée,
voilà ces trois drames patriotiques.
Il crut trouver dans Hermann-Arminius un héros
national. A l'éloge de Hermann il mêla celui des dieux
de Hermann qui n'étaient, d'après lui, que les dieux de
l'Edda. Ces dieux, le Genevois Mallet les avait révélés a
l'Allemagne dans l'introduction de son Histoire de Dans-
mark (1756), et, à la suite de Mallet, un officier danois,
Gerstenberg, avait, par son poème du Scalde (1766) et
par ses Lettres sur les choses remarquables de la litté*
rature ou Lettres de Stesçig, répandu, selon le mot de
Herder, une sorte de goût scaldique. Dans le même
temps, paraissaient coup sur coup, en 1764 et en 1768,
deux traductions d'Ossian, et la seconde, composée en
hexamètres par le jésuite viennois Denis, obtenait un
grand succès.
Klopstock prit à pleines poignées dans le livre de
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180 LITTinATDRB ALLEMANDS
Mallet des noms de dieux et de déesses. Il ne parla plus
que du dieu de la poésie Braga, des Nornes, des scaldes,
des bardes, de la telyn ou lyre, et de l'art de Tialf, c'est-
à-dire du patinage. Il inventa même des divinités, Teonc
ou la déesse du ton, et il appela la langue allemande
Thuiskone et le spondée Sponda. Il mit Wodan au-
dessus de Zeus, les bardes au-dessus des aèdes oa,
comme il s'exprimait, le bois de chêne au-dessus du
Parnasse, le bocage au-dessus de la colline, le Hain ger-
manique au-dessus du Hugel grec. Mais ce panthéon
klopstockien n'avait ni relief ni couleur. Ces dieux
n'étaient que des images nébuleuses et des vocables
sonores. Le poète eut beau annoter ses vers et leur
joindre un dictionnaire de la fable; c'était un grimoire
pour le public, et quelle poésie que celle qui doit se
commenter elle-même! Encore si le style avait eu quelque
attrait! Mais Klopstock voulut prendre le ton âpre d'Os-
sian, donner à ses nouvelles odes la concision violente
des anciens bardes; il prodigua les phrases courtes et
saccadées; il tomba dans l'obscur et le guindé.
Avec les années ses défauts s'aggravent. Sa République
des lettres (1774) parut une énigme. Certes, il recom-
mande au poète de mépriser les folies contenues dans
le livre des règles, et le jeune Gœthe s'écriait que l'ou-
vrage de Klopstock lui versait une vie nouvelle dans les
veines, que c'était la seule poétique de tous les temps
et de tous les peuples. Mais que d'idées étranges et quelle
singulière république avec ses aldermans, ses corpora*
tiens, ses lois, ses récompenses et ses peines!
Il magnifia, puis maudit la Révolution française, et dans
des vers imprégnés d'amertume et de haine, en un style
tourmenté, outré, plein de baroques personnifications,
il traça de sombres et macabres tableaux de la Terreur.
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LE XVIII^ SIBGLB Iti
Mais il réveilla dans les cœurs la fierté patriotique; il
vanta le sérieux de T Allemagne et sa force guerrière» il
annonça sa grandeur future et bien qu'il ait vainement
essayé d'animer le passé germanique, bien qu'il n'ait
esquissé que des figures incertaines et enveloppées de la
brume du Nord, il réussit k faire de Hermann un héros
national.
Il célébra dignement la nature, non seulement Thiver
et la joie des patineurs volant sur la glace qui résonne
sous leurs pas, mais le ciel semé d'étoiles, la lumière
calmante de la lune, cette « compagne argentée de la
nuit », et surtout le crépuscule, cfe crépuscule qui répand
la fraîcheur sur les hommes fatigués et l'inspiration sur
le poète, le crépuscule où Thuiskon descend dans le bois
sacré des bardes, où a lieu la lutte des deux Muses — et
la poésie vaporeuse de Klopstock n'a-t-elle pas quelque
analogie avec le crépuscule ?
Il chanta l'amitié et cette amitié n'est pas, comme
celle des p^tes de Halle, un commerce de tendres
fadeurs.
Il chanta l'amour, un amour chaste qui rappelle celui
des anges; il voulait, disait-il, imiter Hagedorn, manier
la lyre d'Anacréon; mais Uranie, la muse sage et
sérieuse^ lui a fait signe et, sur l'ordre d'Uranie, il
célèbre la vertu sereine et souriante, non la vertu sévère
et triste.
Sa mélancolie est souvent touchante. Il chante moins
Meta facilement conquise que la cruelle Fanny. Sous la
charmille, il demande à l'ami qui boit avec lui le vin du
Rhin, non une chanson légère, non un joyeux récit, mais
la confidence de ses peines. Au milieu de la splendeur
d'une nuit d'été, il songe aux amis, aux « nobles » qui
jouissaient avec lui de ce beau spectacle.
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182 LITTBRATCRB ALLEMANDE
Son originalité réside dans le sentiment, YEmpfin»
dung; il a osé l'exprimer librement; il lui a prêté uo
nouvel et pathétique accent. Dans le Lac de Zurich il
décrit à peine les montagnes couvertes de vignes, les
cimes alpestres, le frais ombrage du bois, mais il décrit
longuement les charmes de sa compagne, la joie qai
remplit son cœur et Tinfluence du printemps, de *ce
printemps dont le souffle puissant anime la jeunesse ,
enhardit Tamour et assure la victoire au sentiment. Ne
disait-il pas que sa première loi, une loi qu'il gravait
dans lui-même en caractères d'airain, c'est que le cœur
doit être le maître des images?
Sa poésie est trop fréquemment, comme remarquait
Lessing, de la prose artiBcielle^ et l'effort qu'il fait pour
relever par l'énergie et l'éclat des termes le vers privé
de rime, a souvent échoué. Il altère et défigure les
mètres antiques dont il se sert, il forge des rythmes
compliqués. Mais il a de l'élan et de l'harmonie.
Il a créé la langue poétique. Que de mots il a tirés de
la foule et rendus signifiants ! Et quels sont ses mots de
prédilection, ces mots par lesquels se caractérise un
écrivain? Il emploie sans cesse les adjectifs noble, géné^
reux^ fier y grave, hardiy impétueux^ fougueux^ enflammé^
çigoureux, chaud, éleyé, sublime. Il use avec profusion
des substantifs sentimenty raçissement, essor, inspiration,
et c'est lui qui a introduit les doux frissons, les larmes
de plaisir, la volupté de la mélancolie. Certains verbes
lui sont chers : çoler, flotter, planer, frémir, tressaillir,
déborder, s^épandre. Les <c nobles » qu'il aime et repré-*
sente dans ses odes, ont la joue en feu, le regard chargé
d'éclairs et levé vers le ciel, l'attitude majestueuse; leur
cœur palpite et une divine ivresse les transporte; leur
langage « fort et plein de pensées » se dérobe au vul-
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. LE Xyill* SiBCLB 183
gaire; ils s'éveillent la nuit, versant des larmes, hantés
par des rêves de gloire, brûlant du désir d'être utiles à
la patrie.
De là, l'enthousiasme qu'excitèrent les odes. Mais
celles que le public préférait étalent les premières,
celles qui célèbrent l'amour et l'amitié ; devant elles la
critique s'inclinait, se taisait; elles devaient être sur la
toilette de toutes les dames; on mettait au même rang
une figure de Raphaël, un air de Pergolèse et. une
strophe de Klopstock. Dans l'édition de 1771 qui com-
prenait trois livres : Dieu, amour expatrie, Herder louait
particulièrement le livre de l'amour et, comparant l'âme
du poète à une fleur, il disait en termes klopstockiens
que cette fleur frémit plus doucement sur le sein de
Fanny que lorsqu'elle s'agite au souffle de Dieu ou de la
brise qui court dans le bocage des bardes.
Wieland.
Wieland (né à Oberholzheim en 1733, mort à Weimar
en 1813) fut l'adversaire de Klopstock. « Nous sommes
deux antipodes », disait-il^ et il jugeait que le Messie était
une aventure, que Klopstock entraînait la nation dans la
région des météores pour la précipiter ensuite dans les
marais du pathos. 11 avait d'abord klopstockisé; il avait
été, de son aveu, mystique, ascète, prophète; il traitait les
anacréontiques de païens et de vermine. Mais, selon le
mot d'un contemporain, cette jeune fille qui jouait la
bigote, devait devenir bientôt une fringante beauté à la
mode. Sa tragédie de Jeanne Grey, son épopée de Cyrus,
son dialogue d'Araspe et Pantkée prouvèrent, comme il
témoignait lui-même, que son âme avait repris son assiette
ou, comme écrivait Lessing, qu^il avait quitté les sphères
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184 LITTBRATGRB ALLBlfAKDB
éthérées pour vivre de nouveau parmi les enranta dea
hommes. Un séjour k Berne où il connut la spirituelle
Julie de Bondeli et son commerce avec le comte Stadion et
les La Roche lui donnèrent le ton de la bonne société. Ses
auteurs favoris sont désormais Lucien» Ârioste, Cervantes»
Voltaire, Sterne, surtout Shaftesbury qu'il trouve admi*
rable et que Gœthe nommait son frère jumeau. Il raeonta
dans un roman» Don Silçio de. Rosalça^^et tel est le sons*
titre — la victoire de la nature sur Texaltation; dans un
autre roman, Agathon (1766-1767), les aventures d'un
jeune Grec qui finit par comprendre que l'expérience est
la meilleure école de vertu; dans un poème, Musathn^
(1768) — qu'il regardait comme son meilleur ouvrage '^--
l'histoire d'un misanthrope qu'une belle Athénienne con-
vertit au plaisir; dans les Grâces (1770) qui sont mi-prose
mi-vers, que les grâces animent la beauté, émoussent les
angles de la sagesse, ôtent à la vertu sa raideur et son
àpreté. La métamorphose de Wieland indigna nombre
d'esprits ; on blâma ses voluptueux tableaux, on l'appela
un homme immoral, un corrupteur. Et il parut un instant
tomber d'un extrême dans l'autre ; le séraphin tournait au
libertin; ses Contes comiques étaient plutôt des contes
lubriques. Il s'amenda, il voulut être l'Arioste de l'Alle-
magne, il composa des poèmes chevaleresques et roman-
tiques, Idris et Zinidey le Nouvel Amadis^ Geron le cour»
tois, Gandalin, Perçonte. Le satyre y perce encore, les
digressions foisonnent, les caractères n'ont pas de consis-
tance ni les événements, de vraisemblance; mais le style,
bien que fleuri et un peu fade, est facile, souple, élégant.
Nommé professeur à l'Université d'Erfurt, il publia en
1772 le Miroir d'or où il résumait, suivant ses propres
termes, les enseignements les plus utiles que la noblesse
d'un pays civilisé pouvait tirer du spectacle de l'histoire.
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LB XVIIt* 81BGLB 186
Ce roman politique lui valut la faveur de la duchesse
Amélie de Saxe-Weimar, qui lui confia l'éducation de
ses deux fils. Il vécut dès lors à Weimar ob il plut par
sa mesure» par son aménité, par son humeur débonnaire.
Le Mercure allemand qu'il fonda en 1773, et de nouvelles
œuvres accrurent sa réputation. L'Histoire des Abdéritains
(1774), est un amusant persiflage de la bourgeoisie alle-
mande. VObéron (1780) offre une intrigue assez lâche, et la
fin n'a pas le même agrément que le début; mais, au sortir
de la lecture, Goethe envoyait à l'auteur une couronne de
laurier. Les dernières productions de Wieland, romans
grecs et traductions de l'antique, sentent la vieillesse.
L'unique traduction qu'il faut citer, celle de Shakespeare
(1762-1766), une belle infidèle, mais excellente pour son
moment, n'eut aucune influence sur Wieland dont le
talent, au contact du grand Will, aurait pu se tremper
et s'aflfermir; telle quelle, elle fit connaître aux Alle-
mands le tragique anglais. Ce n'est pas le seul mérite de
Wieland. Agathon est ennuyeux, mais c'est un roman
psychologique ; Wieland n'assurait-il pas qu 'Agathon était
un personnage'réel, c'est-à-dire lui-même? Certes, il n'a
guère d'originalité. De son vivant on le qualifiait déjà de
polygraphe, et, bien avant les romantiques, Schubart
et le journaliste Wittenberg l'accusaient de plagiat et de
pillage. Il commet force anachronismes,et Gœthe lui repro**
chait avec raison d'avoir dans son Alceste habillé les héros
grecs à la mode du jour. Il est quelquefois lourd, surtout
dans la prose où sa phrase, modelée sur le latin^
s'allonge et se tratne; il a trop de parenthèses, trop
d'épithètes. Même en vers, il s'exprime, comme le
Cherasmin de son Obéron^ avec un peu de prolixité,
ein ipenig breit; il a une facilité diffuse, et il confessait
que le caractère de son style, c'était la stâmulia^ le babil,
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1S6 LlTTiBATORB ALLEMANDE
le caquet. Mais il remit la rime en honneur et il la manie
avec une aisance que n'avaient pas ses devanciers; il
apprit aux Allemands à écrire avec délicatesse ; il égaya
la langue et la rendit aimable. Après avoir lu AVieland,
la noblesse revint de ses préjugés contre Tidiome national.
Elle goûta ce qu'il avait de frivole et de léger, de libre
et de français. Stadion s'étonnait qu'un Allemand pAt
dire si joliment les choses, et les dames de l'aristocratie
viennoise à qui BoufBers révélait les Grâces j s'enthousias-
maient pour l'auteur de ce charmant badinage ; celui-là
au moins, savait écrire pour le grand monde !
Winckelmaxm.
Klopstock et Wieland avaient goûté l'antiquité, sans
trop la comprendre ; Winckelmann la comprit. Il commit
des erreurs; il recommanda l'allégorie; il assura que
l'imitation des anciens était le seul moyen d'arriver à
la perfection ; il ne voyait dans le beau que la correction
du dessin, la pureté de la forme, et il prétendait que le
vrai beau est un, et non multiple. Mais son Histoire de tart
dans C antiquité (1764), malgré ce qu'elle a d'étroit et d'in-
complet, est une œuvre puissante, et quand Winckelmann
ne serait ni un érudit ni un archéologue, il a été poète; il
a parlé de l'art antique avec un enthousiasme passionné,
avec une émotion pénétrante, en une langue noble,
éloquente. Devant les grandes œuvres grecques il se
croit transporté par la pensée en Grèce même et son
âme pleine de respect semble s'élever et s'étendre. Ne
disait-il pas qu'il suivait l'exemple du beau Belli qui,
lorsqu'il parut pour la première fois sur le théâtre de
Rome, déclara qu'il montrerait aux Romains ce qu'est la
beauté et ce que peut la beauté, et qu'ainsi que Belli,
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LB XVIIi* SIKCLB 187
lui, Winokelmann, désirait montrer eomment on doit
écrire et penser d*une façon digne de soi et de la pos-
térité? Ne disait-il pas qu'il espérait que ses livres
feraient honneur non seulement à la science allemande,
mais à la langue allemande ? On sait qu'il mourut pré-
maturément en 1768, à Trieste, où il fut assassiné par
un Italien qui voulait lui ravir des médailles d'or données
par Marie-Thérèse, et qu'il naquit en 1717 dans cette
petite ville de Stendal qui fournit à Henri Beyle son
pseudonyme romantique et sonore.
lieBBincr.
Épris de l'antiquité comme Winckelmann, mais plus
varié, plus moderne, abordant le théâtre avec succès et
rendant son verdict sur ses contemporains, aussi grand
par le caractère que par le talent^ homme d'action et
d'énergie au milieu d'une génération timide et senti-
mentale, opposant k la mauvaise fortune une virile gaité,
fier, indépendant^ craignant de s'enchainer, toujours
animé d'une batailleuse humeur, trouvant, affermissant
ses propres opinions lorsqu'il s'escrime contre celles
d'autrui, mettant autant de joie que d'ardeur k défendre
les idées qui lui semblent vraies, exerçant en maître cette
critique vigoureuse et pénétrante qui seule pouvait, selon
le mot d'un contemporain, purifier le goût allemand et
devant k la critique, de son propre témoignage, quelque
chose qui approche du génie, ouvrant presque en tous
sens des voies nouvelles, tel a été Lessing.
Il naquit en 1729 dans la petite ville saxonne de
Kamenz, où son père était pasteur, et il fit de très fortes
études k l'école de Meissen dite de Sainte-Afra. Le
directeur de l'établissement assurait que les leçons les
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188 LITTÊnATURB ALLEMANDE
plus difficiles étaient un jeu pour relève et que ce
cheval demandait double ration. Dëjiiy le critique perçait
en même temps que Térudit; ses professeurs le trou»
vaient curieux, railleur, impertinent. Envoyé en 1746 à
rUniversité de Leipzig pour étudier la théologie, il
aima mieux suivre les cours d'antiquité classique»
Honteux de ses façons gauches et de son maintien
embarrassé, il se jeta dans le tourbillon de la vie; il
apprit la danse, l'escrime, l'équitation ; il fréquenta le
théâtre; il écrivit des comédies, et Tune d'elles, le
Jeune Savanty où il se moque de lui-même et du pédan-
tisme de son âge, fut jouée avec succès.
De 1748 à 1755 il est tantôt à Wittenberg où il
prend ses grades académiques, tantôt et le plus souvent
a Berlin, versifiant des odes, chansons et épigrammes
où il y a plus de malice que de poésie, traduisant des
pièces étrangères, publiant un recueil consacré à
l'histoire du théâtre, composant des drames comme le
Libre-penseur et les Juifs y où il défend la cause de U
tolérance, étudiant le Dictionnaire de Bayle, réhabilitant
des théologiens d'autrefois que leur siècle avait à tort
condamnés, rédigeant des articles sur les livres nouveaux.
Bien qu'elle tâtonne encore, sa critique, judicieuse,
prespicace, sévère, inspire déjà la crainte et l'estime. Il
n'est ni pour Gottsched ni pour les Suisses, et il blâme
également les deux partis; il persifle Gottsched; il
reproche aux Suisses leurs alexandrins boiteux et leur
dédain de la rime ; il discerne les défauts du Messie de
Klopstock. Il châtie, en 1754, avec une juste rudesse,
un méchant traducteur d'Horace, le pasteur Lange.
Enfin, il donne, en 1755, Miss Sara Sampson. Dans
cette pièce, il s'inspire des modèles anglais, surtout de
la Clarisse de Richardson et du Marchand de Londres de
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LB XYllI" 8IBCLB 189
Lillo. Mais il n'observe pas les trois unités. 11 montre,
comme on disait alors, que le casque et le diadème ne
font pas le héros tragique; ses personnages, gens de
moyenne condition, parlent en prose, non en alexandrins,
et qnelques-uns sont assez bien tracés : Mellefont,
faible, flottant, inconséquent, et la Marwood, violente,
passionnée, vindicative, <c une nouvelle Médée ». Quelles
que soient ses faiblesses, AlUa Sara Sampaon est, en
date, la première tragédie bourgeoise de TAUemagne.
En cette même année 1755 Leasing regagne Leipzig.
Lb, lorsqu'éclate la guerre, ce Saxon devient Prussien
ou plutôt fritzien, ami du grand Fritz. Entraîné par
Ewald de Kleist et par Gleim, il admire Frédéric et,
dans sa préface aux ChanU de guerre cTun grenadier
prussien f il dit que les sentiments héroïques, le désir du
danger, Torgueil de mourir pour la patrie sont aussi
naturels au Prussien qu'au Spartiate. Son style a
désormais plus de nerf, plus de concision. Il réagit
contre la langue fade etplate de ses contemporains, il vise
au laconisme, et lorsqu'il publie Philotasj en 1759, c'est
dans une prose brève et forte que s'exprime le héros de
ce petit drame, un jeune prince plein d'ambition qui
tombe aux mains des ennemis et qui se donne la mort
pour les priver de l'avantage qu'ils prendraient sur son
père.
Pareillement, les Fables qu'il fait paraître dans cette
même année 1759, sont d'une extraordinaire brièveté.
Leasing croit que les ornements sont contraires au but
de la fable, et il veut qu'elle soit aussi courte et simple
que possible, afin de mieux mettre en lumière la vérité
morale qu'elle porte avec elle. C'est pourquoi ses fables
sont en prose. Il a composé cinq dissertations sur ce
sujet. Le mattre du genre, selon lui, c'est Ésope qui
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190 LITTERATURE ALLEMANDE
n'énonce que le nécessaire. Phèdre est prolixe parce
qu'il écrit en vers. Quant à La Fontaine, c'est un conteur,
non un fabuliste, et parce que le bonhomme dit qu'il a
voulu « égayer » ses fables, Lessing prenant ce mot
c< égayer » dans le sens le plus étroit, assure que le poète
français n'a d'autre mérite qu'un gai bavardage, que ses
fables ne sont que de jolis joujoux. Comme si La Fon-
taine n'entendait pas --> et telles sont ses expressions —
par la « gaité » un certain charme, un air agréable
qu'on peut donner aux sujets les plus sérieux! Comme
si la fable ésopique était la seule forme que la fable pût
revêtir! Vous êtes orfèvre, monsieur Josse. Lessing
demande aux fabulistes ses propres qualités, la conci-
sion, le trait épigrammatique. Mais la fable, ainsi com-
prise, et bien que Lessing y ait mis de l'esprit, de la
finesse, de la profondeur, est vraiment trop sèche et trop
nue ; elle n'a plus rien de naïf, de naturel, de vivant ; elle
instruit et ne plaît pas, et, dès lors, est-ce la peine de
faire une fable?
La même année que Philota^ et les Fablesj parais-
saient les Lettres sur la littérature du Jour. Lessing, de
retour a Berlin, s'était associé, pour les publier, à
Nicolaî et à Mendelssohn. Jamais sa critique n'a été plus
perçante, plus impitoyable et plus salutaire, et quelle
fraîcheur, quelle jeunesse d'accent, quel ton libre et
belliqueux, quelle souplesse de style ! Il rend hommage
à Gleim et à Kleist.Maisil accable les mauvais traducteurs
qu'il nomme des journaliers de lettres. Il accuse Gott-
sched d'avoir gâté le goût du public et compromis
l'avenir du théâtre allemand en cherchant ses modèllss
chez les Français et non chez les Anglais. Il raille le
séraphisme de Klopstock et ses chants religieux qui
sont si pleins de sentiment que le lecteur ne sent rien
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LE XVIII" 8IÈCLB 191
du tout. Il se moque du gentil babillage de Wieland, de
son mysticisme éphémère, de ses Sentiments £un chré^
tien où le jeune auteur fait des débauches d'imagination
et défigure la langue des Saintes Écritures par des sub-
tilités et de profanes allusions, de son Plan d'Académie
qui foisonne d'inexactitudes historiques.
Ces Lettres sur la littérature e^ttyoïir durèrent jusqu'en
1765, et, suivant l'expression d'un des rédacteurs, après
avoir vécu comme l'impétueux Achille, elles s'endor-
mirent comme le pieux Enée. MaisLessing ne collabore
que deux années à ce recueil. A la fin de 1760 il aban-
donne l'entreprise. Il se rend de Berlin à Breslau où il
est secrétaire du général Tauenzien, et là, tout en rédi-
geant des rapports et en jouant avec fureur au pharaon,
il prépare le Laocoon et Minna de Barnhelm.
Le sujet de Minna de Barnhelm y qui fut représentée
pour la première fois en 1767, était tiré des événements
contemporains : la scène se passait a Berlin après la con-
clusion de la paix d'Hubertsbourg, et l'auteur semblait
avoir pris les personnages dans ses propres entours : le
major de Tellheim, homme loyal, généreux, chevale-
resque, délicat à l'excès, donnant dé l'argent à la veuve
d*un camarade bien qu'il soit pauvre, et renonçant h la
main d'une riche héritière parce qu'il est pauvre ; cette
héritière, Minna de Barnhelm, raisonneuse, mais aimable,
franche et finissant, en dépit de lui, par reconquérir ce
Tellheim dont l'humeur un peu austère et misanthro-
pique contraste avec son enjouement; les serviteurs du
major, Just, fidèle comme un chien, et Werner, aussi
dévoué que Just, moins vulgaire pourtant et réellement
épris du métier des armes; Franziska, la soubrette
espiègle et futée; l'hôtelier, curieux et cupide; un che-
valier d'industrie, un Français, le lieutenant Riccaut de
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191 LITTBRATURB ALLBMÀNOB
La Marlinière. Aussi la pièce fut-elle saluée comme la
première comédie originale de rAUemagne. Les sou-
venirs de la guerre, Frédéric rendant justice à Tellheim
parce qu'il est un roi à la fois grand et bon, Tofficier
prussien épousant la baronne saxonne, ce mariage scel-
lant la réconciliation des deux peuples, tout ce que
Touvrage avait d'actuel et de national fit alors le succès
de Minna. Mais Minna a de plus éclatants mérites t la
peinture des caractères, la simplicité du sujet, la struc-
ture savante d'une œuvre qui se déroule et se développe
du premier acte au cinquième sans que faiblisse l'intérêt,
une foule d*ingénieux détails et de piquants épisodes, un
dialogue spirituel, rapide, varié.
Ce fut après son retour à Berlin, en 1766, que Leasing
publia son Laocoon. Ici encore il est délimitateur. De
même qu'il marquait dans ses lettres à Mendelssohn les
différences entre la tragédie et l'épopée, de même qu'il
distinguait dans un mémoire sur Pope métaphysicien la
poésie et la métaphysique» de même dans le Laocoon —
dont le sous-titre est Des limites de la peinture et de la
poésie — il s'efforce d'établir les vrais caractères des
arts plastiques et de la poésie. Il s'imagine, comme
Winckelmann, que l'art grec n'exprimait pas les mouve-
ments violents de l'âme. Mais Winckelmann assurait que
le Laocoon du fameux groupe ne crie point parce qu'un
cri serait contraire à cette grandeur et tranquillité d'âni0
qui se montre dons les œuvres de la sculpture grecque.
Lessing combat l'opinion de Winckelmann. Il rappelle
que les héros et les dieux d'Homère crient toujours
lorsqu'ils sont blessés, et il affirme que l'auteur du
Laocoon a été guidé, non par une idée morale, mais par
le principe même des arts plastiques, par le principe de
la beauté : cet artiste n'a pas voulu représenter la dou*
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LB XVIII* SIBCLB 19S
leur physique dans toute sa vivacité, il Tatténue et, de
crainte d'enlaidir le personnage, il change le cri en sou*
pir. A la vérité, ajoute Leasing, le Laocoon de Virgile
crie. C'est que la poésie a d'autres lois que les arts
plastiques; c'est qu'elle suit le développement d'une
action dans tous ses moments successifs; le peintre et
le sculpteur, par contre, ne peuvent saisir qu'un seul
moment. Lessing montre ainsi que la poésie et la pein-
ture ont chacune leurs procédés et leurs ressources; il
montre que ses contemporains se trompent en prenant
au pied de la lettre les mots d'Horace, utpictura^ poesis;
il montre qu'Homère a fait œuvre de poète, et non œuvre
de peintre, a transformé le coexistant en successif, a
représenté des actions, et, par là, Lessing porte le coup
mortel à la fausse poésie descriptive, « ce festin qui ne se
compose que de sauces »; il fixe le caractère et l'objet
de la poésie. Certes, il a commis des erreurs, et ses
jugements sont parfois tranchants : il n'accorde aucune
importance à la peinture de paysage ; il sacrifie la poésie
lyrique. Mais le Laocoon renfermait d'utiles vérités; il
fut une révélation, et Gœthe témoigne qu'il se sentit, en
le lisant, illuminé d'une soudaine clarté. Ce n'est qu'un
fragment, la première partie inachevée d'un grand
ouvrage, et Lessing avoue qu'il n'a pas composé un traité
systématique, qu'il offre au lecteur les matériaux d'un
livre plutôt que le livre. Néanmoins, malgré ses digres-
sions et ses détours, il ne perd jamais de vue son sujet;
tout ce qu'il dit se lie et se tient solidement, et nous
voyons sa dissertation naître devant nous comme le bou-
clier qu'Homère fait naître sous nos yeux.
En avril 1767, Lessing était à Hambourg où s'orga-
nisait un théâtre que ses fondateurs qualifiaient de
national. H devait rendre compte de chaque représenta-
VmiUMtVKM ALVBMAIVDV. 13
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194 LITTERATURE ALLEMANDS
tion et former les comédiens et le public. Le 1*' mai 1767,
il donnait le premier numéro de la Dramaturgie de
Hambourg,
Mais le directeur ne s'entendit pas avec les acteurs;
les acteurs trouvèrent que Lessing ne les louait pas
assez; le public regimba; à Pâques 1769, l'entreprise
prit fin, et avec elle la Dramaturgie qui, après avoir paru
deux fois par semaine, paraissait quand elle pouvait.
Lessing disait que ses lecteurs étaient joliment attrapés :
au lieu de conter des anecdotes et d'analyser les pièces
en vogue, il dissertait sur la tragédie. Par là même, sa
Dramaturgie devint une sorte d'esthétique tbéâtrale. Ne
projetait-il pas de faire dans la dernière partie de son
Laocoon une théorie de l'art dramatique?
Aristote est dans la Dramaturgie ce qu'est Homère
dans le Laocoon^ et Esope dans les dissertations sur la
fable. Lessing avance que la Poétique du philosophe est
aussi infaillible que les Éléments d'Euclide, et que la
tragédie ne saurait s'éloigner d'un pas de la ligne tracée
par Aristote, sans s'éloigner d'autant de son point de
perfection. Il rappelle la définition qu'Aristote a donnée
de la tragédie, et il prétend que les Français ne l'ont pas
comprise, que, par suite, leur tragédie n'est pas la vraie
tragédie.
Aristote écrit assez obscurément que la tragédie
« opère par la pitié et la crainte, la purgation des passions
de ce genre », en d'autres termes, qu'elle excite la pitié
et la crainte, mais en même tempa les purifie, les rectifie,
les ramène a la juste mesure. Corneille, selon Lessing^
a mal interprété ce passage ; il étend la <( purgation », la
katharêisy à toutes les passions ; donc, il n'a pas fait de
tragédies qui méritent ce nom. Comme si la définition
d'Aristote était un dogme absolu I Comme si ce qui plai-
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LB XVIII* 8IBCLE 195
sait aux Athéniens devait plaire également aux Français!
Comme si le drame ne doit produire d'autre sentiment
que la crainte ou la pitié, comme s'il ne doit pas pro-
duire le plaisir et ne peut pas provoquer l'admiration !
Eu réalité, Lessing en veut à la tragédie française qui
règne sur la scène allemande. Il ne cesse de l'attaquer;
il s'acharne contre elle; il lui reproche le manque
d'action, l'abus des discours, la pompe du langage. Mais
s'il relève justement les faiblesses et les invraisemblances
de Itodoguney a-t-il raison de traiter Polyeucte de fanfa-
ron et de saltimbanque? Et, s'il n'a pas tort de critiquer
les pièces de Voltaire, de railler l'ombre de Ninus qui
dans Sémiramis sort de la tombe en plein jour devant
une nombreuse assemblée, de trouver dans Zaïre moins
de jalousie que dans Othelloy de blâmer le caractère du
Polyphonte de Mérope^ n'est-il pas trop pointilleux, trop
sévère sur certains points? Non qu'il soit ennemi des
Français. Il n'a pas guerroyé contre leur comédie. S'il
met Destouches au-dessus de Molière, il déclare que tout
est action dans VÉcole des femmes^ bien que tout y
paraisse récit, et il défend le Misanthrope contre Rous-
seau, il apprécie délicatement Marivaux; il reconnaît
Diderot comme son mattre et le proclame un génie ori-
ginal qui trace des sentiers dans des contrées inexplorées,
et Fesprit le plus philosophique qui depuis Aristote ait
étudié le théâtre. Mais, dans les Lettres sur la littérature
du jour y Lessing avait dit que le goût des Allemands les
incline plutôt vers le théâtre anglais que vers le théâtre
français, qu'ils veulent voir et penser, qu'ils préfèrent
le grand, le terrible, le mélancolique, au joli, à l'aimable
et au tendre, qu'ils aiment mieux le compliqué que le
simple, que Shakespeare seul pouvait susciter des génies
originaux et donner k l'Allemagne un théâtre national
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196 LITTéRATORB ALLEMANDE
et populaire. II développe ces idées dans la Dramaturgie,
Il assure que la galanterie a inspiré Zaïre^ et Tamour
Roméo et Juliette^ que la tragédie française, comparée à
la tragédie de Shakespeare, fait l'effet d'une petite minia-
ture pour bague à côté d'une vaste peinture à fresque. Il
va plus loin : Shakespeare ignorait Aristote, que
Corneille a si bien étudié, et des deux poètes, c'est
Shakespeare qui a le mieux réalisé les conditions de la
vraie tragédie! Cependant, quelles que soient les exagé-
rations de Lessing, il a dans la Dramaturgie discuté
d'importants problèmes et semé des vues neuves, des
aperçus féconds.
Pendant qu'il composait la Dramaturgie^ il avait
terrassé un nouveau Lange, le jeune Klotz, professeur,
directeur de revues, élégant latiniste, mais superficiel et
outrecuidant. Lessing le convainquit d'ignorance, d'in-
trigue, de mauvaise foi, et les coups qu'il asséna dans
les Lettres archéologiques à ce charlatan d'érudition
furent si rudes que le pauvre Klotz ne s'en releva pas.
Il eut alors l'idée d'aller en Italie et de remplacer à
Rome Winckelmann, qui venait de mourir. Mais presque
au même instant le prince héréditaire de Brunswick lui
offrait la place de bibliothécaire a Wolfenbûttel ; il
accepta cet emploi qui convenait à ses goûts. Au prin*
temps de l'année 1770, il entrait en fonctions.
Deux ans après, en 1772, paraissait Emilie Galotti,
C'est l'histoire de Virginie transportée de la Rome antique
dans une principauté d^Italie. L'héroïne, Emilie, fille
d'Odoardo Galotti et secrètement aimée du prince Hector
de Guastalla, doit le jour même épouser le comte
Appiani. Le confident du prince, Marinelli, fait attaquer
par des bandits la voiture où se trouvent Appiani, Emilie
et la mère d'Emilie, Claudia : le comte périt; Emilie
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LB XVIIl* SIBGLB 197
sauvée est emmenée tout près de là, dans un château du
prince. Une maîtresse d'Hector, la comtesse Orsina,
avertit Odoardo, qui poignarde Emilie. La pièce a de
graves défauts. Quel dénouement singulier ! Odoardo tue
sa fille au lieu de tuer le prince, et c'est Emilie qui prie
son père de la frapper! Et Emilie qui ne hait pas
Appiani, qui le nomme son bon Appiani et son cher
comte, Emilie qui sait qu' Appiani vient de mourir assas-
siné, Emilie que sa mère Claudia regarde comme éner-
gique et résolue, Emilie assure à Odoardo qu'elle craint
la séduction, qu'elle a des sens, qu'elle ne répond de
rien! On loue ordinairement les caractères : Odoardo,
rude et raide en sa vertu; Appiani, mélancolique, simple
et digne; Claudia, vaniteuse et faible; Orsina, brûlée
d'une jalousie et d'un désir de vengeance qui la poussent
au désespoir et au délire; Marinelli, l'âme damnée de
son souverain, courtisan souple et dénué de scrupule ; le
prince, spirituel, aimable, frivole, ne connaissant d'autre
loi que ses caprices et, pour les satisfaire, ne reculant
pas devant un crime. Mais le dialogue est subtil et le
style^ dans sa précision, un peu froid. Les personnages
ne parlent pas la langue de la passion. Se peut-il qu'E-
milie mouraote dise à son père qu'il a cueilli la rose
avant qu'elle soit effeuillée par l'orage? Toutefois, et en
dépit de la Dramaturgie, cette œuvre, où Leasing observe
scrupuleusement la règle des vingt-quatre heures, tient
plus des pièces françaises que des pièces shakespea-
riennes. Elle offre des scènes logiquement liées, une
action rapide, une exposition parfaite qui, selon le mot
de l'acteur Schrôder, annonce tout sans rien trahir, et
elle provoque et provoquera ce que Lessing souhaite à
tout ce qui est grand, une admiration qui doute et un
doute qui admire. •
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198 LITTERATURE ALLEMANDE
La théologie remplit les dernières années de Lessing.
Il avait, en 1773, commencé la publication de travaux et
de documents inédits tirés de sa bibliothèque de Wolfen-
bûttel. De 1774 à 1777, il inséra dans cette collection
les Fragments d'un Anonyme, au nombre de six. L'Ano-
nyme était un professeur de Hambourg, mort récem-
ment, Samuel Reimarus, qui niait la révélation, le
passage de la mer Rouge, le caractère sacré de l'Ancien
Testament et la résurrection du Christ. Cinq des Frag^
ments parurent en 1777. Ils soulevèrent une tempête.
Plusieurs théologiens entreprirent de réfuter l'Anonyme.
Lessing riposta. Il lança contre le plus redoutable de ses
adversaires, le pasteur Goeze, le pape de Hambourg, une
suite de onze pamphlets qu'il intitula Anti-Goeze. Jamais
il n'a été plus véhément et plus caustique; jamais sa
dialectique n'a été plus habile, plus variée; tantôt il
accable Goeze de railleries ironiques et d'invectives,
tantôt il le pousse de questions et d'arguments, le serre
de près, et comme il dit, le rencogne, l'accule. Un
septième fragment de l'Anonyme, qu'il fit imprimer en
1778, déchaîna de nouvelles colères et, cette fois, le duc
de Brunswick intervint. Lessing s'arrêta. Du moins il
avait eu le mérite de distinguer entre l'esprit et la lettre
du christianisme, entre la religion et la Bible, entre la
doctrine de Jésus et les récits des évangélistes, entre
l'enseignement du Christ et l'œuvre des théologiens;
VAnti'Goeze ouvrit la voie à la critique biblique.
Le théâtre lui restait. Il remonta sur son ancienne
chaire. La pièce de Nathan le Sage^ qui parut en 1779,
est le douzième ou dernier numéro de YAnti-Goeze^ un
enfant, comme il s'exprime, que la polémique aida à
mettre au monde.
Boccace conte que le svltan Saladin, ayant besoin
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I«B XT1I1* 8IKCLB 199
d'argent, manda un riche Juif et lui posa une question
captieuse : quelle est la véritable religion, judaïsme,
islamisme ou christianisme? Le Juif répondit par un
apologue. Il y avait jadis dans une famille de TOrient
une bague qui passait de père en fils, et celui qui la
possédait héritait du domaine; elle vint aux mains d'un
homme qui avait trois fils et les aimait également; il ne
voulut léser aucun d'eux et il fit faire deux autres bagues
qu'il pouvait k peine distinguer de la vraie; mais à sa
mort, les trois frères, ayant chacun une bague, préten-
dirent à l'héritage, et personne ne put accommoder le
différend, parce que personne ne reconnaissait l'anneau
véritable. Le juif applique l'apologue aux religions, et
Saladin se déclare content.
Lessittg modifie légèrement le récit de Boccace. Il
ajoute que la bague a la vertu secrète de rendre
agréable à Dieu et aux hommes celui qui la possède, et
le juge devant qui les trois frères se présentent, leur dit
qu'ils doivent prouver par leurs actes qu'ils ont reçu la
vraie bague, montrer par leur vie que ce talisman
produit bonté, amour et sacrifice.
II fallait placer l'apologue. Lessing mit l'action de sa
pièce à Jérusalem au temps des croisades. Il disposait
déjà de deux personnages, le juif qu'il appela Nathan,
et le sultan Saladin. II leur associa le templier Curt de
Filneck. Ce chevalier, prisonnier sur parole^ sauve dans
un incendie la fille adoptive du juif, Récha, et à la fin
du drame il se trouve que le templier et Recha sont les
enfants d'un frère de Saladin et d'une chrétienne.
Musulmans, juifs, chrétiens appartiennent donc à la
même famille, et toutes les religions sont sœurs.
L'auteur a finement dessiné les caractères. Le patriar-
che auquel il prête plusieurs traits de Goeze, le patriar-
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200 LITTBRATURB ALLEMANDE
che au gros ventre, à la mine rubiconde» à Tair bien-
veillant, est intrigant, lâche, fanatique; il propose au
templier d'espionner, d'assassiner Saladin, et s'il pouvait,
il enverrait Nathan au bûcher parce que le juif n'a pas
élevé Récha dans la religion chrétienne. Le brave frère
lai qui porte dignement le nom de Bonafidès, a de la ruae
dans sa candeur et, tout en exécutant les vilaines commis-
sions du patriarche, il les fait échouer. La chrétienne
Daja, qui désire marier sa jeune maîtresse et révèle au
templier l'origine de Récha, est bornée, bigote, bavarde
et pourtant sympathique. Le templier, hautain, ombra-
geux, irascible, irréfléchi, a les défauts de son âge et
s'il est, de son aveu, un grossier Souabe, et si Daja le
nomme un ours allemand, il mêle à sa rudesse quelque
chose de noble et de chevaleresque. Les musulmans de la
pièce, Sittah, Saladin, le derviche Al Hafi, ont aussi leur
caractère : Sittah, bonne, douce, secourable, et toutefois
avisée, malicieuse, conseillant à Saladin de tendre un
piège au juif; Saladin, prodigue, exempt de préjugés,
plein d'affection pour les siens; Âl Hafi naïf, modeste,
dégoûté des hommes, préférant à la charge de trésorier
la solitude du Gange. Mais Récha est manquée. Elle
aime de tout son cœur son père adoptif ; elle a reçu de lui,
dit-elle, la semence de la raison. Comment, dès lors,
prend-elle pour un ange le Templier qui l'a tirée des
flammes? Comment, même après la leçon que lui fait
Nathan, ^e guérit-elle si vite de son exaltation? Comment
ne s'aperçoit-elle pas de Timpression qu'elle produit sur
le Templier ?
Le juif Nathan est en revanche une des plus belles
créations du théâtre allemand. Il a cruellement souffert.
Sa femme et ses sept fils ont été brûlés par les chrétiens
et, après avoir disputé contre Dieu, après avoir juré une
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LB XTIII* SIBGLB 901
haine implacable au christianisme, après avoir pleuré
trois jours et trois nuits dans la poussière et la cendre,
Nathan a fini par entendre la raison qui lui disait douce-
ment qu'il y a un Dieu. Il se relève en criant à Dieu :
<x Je le veux puisque tu le veux ». Et il pardonne, il rend
le bien pour le mal, il reçoit Récha comme un présent
de Dieu, quoiqu'elle soit fille d'un chrétien, et il l'éduque,
il l'aime tendrement. C'est un sage, ainsi le nomme le
peuple, et il est aussi bon que sage, aussi loyal que bon;
Daja dit qu'il est l'honneur même; Al Hafi, qu'il est
ouvert à toutes les vertus; le frère lai, qu'il n'y a pas de
meilleur chrétien; le Templier et Saladin sollicitent son
amitié. Avant tout, il est homme, et il voit dans les
autres, non des chrétiens ou des juifs, mais des hommes.
Qu'ils différent par le teint et le vêtement, par le culte et
la nation, qu'importe s'ils font le bien? Comme Saladin,
il n'a jamais désiré que tous les arbres aient la même
écorce. Il est juif pourtant, et il veut le paraître, il veut
l'être, il rappelle Moïse Mendelssohn, et s'il a des cara-
vanes sur toutes les routes du désert et des vaisseaux
dans tous les ports, ne doit-il pas sa fortune à la ténacité
de sa race? Et Leasing a eu raison de le faire juif. Il
fallait éclairer, désabuser les chrétiens qui s'imaginent
avoir le monopole de la vérité et qui se contentent du
nom de chrétiens sans le justifier par leurs œuvres. Et
comment leur mieux démontrer que toutes les religions
peuvent pratiquer la vertu la plus haute, sinon par
l'exemple d'un Juif persécuté et honni, d'un juif que
le Templier et Saladin commencent par traiter avec
mépris?
Le hasard agit trop dans Nathan : la pièce présente des
invraisemblances, et, là encore, la réflexion domine; là
encore, la couleur manque; là encore trop de subtilité.
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202 LITT^RATURB ALLEMANDE
trop d'argutie. Aussi Leasing intitule Nathan <« poème
dramatique » et non pas « drame ». Mais si Minna et
Emilie Galotti sont en prose, Nathan est en vers;
l'auteur se sert, bien qu'assez gauchement, de cet iambique
de cinq pieds qui devint promptement le vers drama-
tique, et, en dépit des chevilles, des répétitions de mots,
des nombreux enjambements, l'expression a de la simpli-
cité, de la franchise et parfois une agréable familiarité.
C'est en ce sens que Goethe parle de la naïveté du
Nathan; dans cette pièce^ Lessing s'abandonne et se
laisse aller.
Les derniers ouvrages de Lessing — il mourut en
1781 — sont Ernst et Falk et V Education du genre
humain.
Dans Ernst et Falky qui se compose de cinq dialogues,
il s'attache à défendre la franc-maçonnerie, la vraie, non
celle qui est, mais celle qui devrait être, celle que for-
meraient des hommes sages, élevés au-dessus de l'esprit
de secte et de parti, unis dans l'amour et le culte du
bien sous la loi de la raison.
V Education du genre humain forme une série de cent
aphorismes. Lessing y soutient que Dieu éduque les
hommes peu à peu, qu'il leur a donné successivement
plusieurs révélations, d'abord la notion d'un Dieu unique,
puis la religion de Jahveh, puis le christianisme; mais
après l'Ancien Testament et après le Nouveau viendra
l'Evangile éternel, viendra un état meilleur, une époque
de perfection où les mortels feront le bien pour le bien,
où la raison sera maîtresse d'elle-même; ainsi l'édu-
cation du genre humain ne se fait que lentement et par
degrés; il est faux que la ligne droite soit toujours la
plus courte, et la Providence marche, même quand on
croit qu'elle recule.
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LB XVUl' SIÂCLB 308
Leasing n'a, dareste, d'un bout à l'autre de sacarrière,
cessé de philosopher. Quelle était sa doctrine? Après
avoir lu le Prométhée de Goethe, il dit à Jacobi que Spi-
noza était son homme, et, dans plusieurs fragments, il
assure que le monde est Dieu, que toutes choses exis*
tent réellement en Dieu et non h»rs de Dieu; il serait
donc spinoziste. Mais, s'il incline vers Spinoza quand il
spécule sur la nature de Dieu et ses rapports avec l'uni-
vers, il s'inspire de Leibnitz lorsqu'il traite de la vie et
de la destinée de l'homme.
Il n'est pas poète et il avoue qu'il ne sent pas en lui
la source vive et spontanément jaillissante, qu'il a besoin
de pompes et de pistons pour tirer quelque chose de
lui. Il est critique, et k tel point qu'il fait disserter les
personnages de ses pièces au lieu de les faire agir. Mais,
savant jusqu'aux dents, il joint à la science la pénétra-
tration, la sagacité, une dialectique adroite et fertile en
ressources. C'est le prince des polémistes. Nul ne
s'entend mieux k réfuter une erreur, k terrasser un
adversaire par l'invincible puissance d'une argumentation
qui met en œuvre le syllogisme et le dilemme, l'interro-
gation et le dialogue, l'apostrophe, la moquerie, la plai-
santerie, les images, les métaphores, les comparaisons,
tout ce qui peut animer les idées froides et abstraites,
les colorer, leur donner la chaleur et la vie : si le cri-
tique se montre dans ses drames, le dramatiste se
montre dans sa critique. C'est pourquoi ceux qu'il exé-
cuta, Lange, Klotz, Goeze, sont immortels. Il manque
parfois d'équHé : il condamne de parti pris la tragédie
française; il méconnaît les services que Gottsched a
rendus au théâtre allemand ; il jure sur la parole d'Aris-
tote et prétend formuler les règles du goût; il se laisse
entraîner par l'ardeur et par les nécessités de la' lutte.
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S04 LITTiBATURB ÂLLBMÂNDB
Abondant toujours dans son sens, possédé de la déman-
geaison d'objecter^ discutant, distinguant, définissant à
outrance, ergotant^ épluchant^ fort de sa logique, Les-
sing est tout raison et tout réflexion. Mais il fallait à la
littérature allemande un homme comme lui, un homme
franc et sincère qui, selon sa propre expression, dit aux
gens en face ce qu'il avait à leur dire, dussent-ils en
crever de colère; un homme qui, par Tâpreté de sa cri-
tique et par la fermeté de son jugement^ fît triompher
la vérité. Car Lessing a la passion de la vérité; il la
cherche avec zèle, avec persévérance, et il a même plus
de joie à la chercher qu'à la découvrir, comme le chas-
seur qui trouve plus de plaisir à courir le lièvre qu'à le
prendre. N'a«t*il pas écrit que si Dieu lui offrait la
vérité, il refuserait le cadeau, que la vérité n'est que
pour Dieu et qu'il met au-dessus d'elle l'amour inquiet
qu*elle inspire?
S'il n'est avant tout qu'un grand fragmentiste, sa cri-
tique, toute fragmentaire qu'elle est, fut dictée par une
pensée généreuse de réforme et d'émancipation : il a
tenté de créer une scène nationale et d'affranchir
l'esprit allemand. Son style reste un modèle, et ce style,
c'est lui : clarté^ précision, netteté un peu sèche; pas
d'ornements ni de mots à effet; des images qui renfor-
cent le raisonnement et lui ajoutent du relief; une jus-
tesse frappante, une vigueur saisissante, des périodes
ramassées, je ne sais quoi de fier, d'incisif, voir de sar-
castique et d'amer en son laconisme. Lessing est le plus
mâle des écrivains de son pays, et, avec ses défauts, un
de ceux qui nous imposent le plus ; ce rude et inlassable
jouteur a quelque chose de martial, d'héroïque que n'ont
pas les autres.
N'est-il pas d'ailleurs le représentant de VAufklârung
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LB XVIII* SIBCLB S06
dans ce qu'elle a de plus noble et de plus élevé? Â.
Texemple de Lessing qui lui-même s'inspirait des Fran-
çais, les écrivains de la seconde moitié du xviii* siècle se
proposent de marcher en avant, de combattre les vieux
préjugés^ de répandre les a lumières », le bon sens, la
tolérance, l'amour du bien public^ de travailler à l'amé-
lioration de l'homme, à l'avancement de la race, et c'est
une des grandeurs du xviii* siècle allemand que ce désir
da perfectionnement social, cet amour et cet espoir du
progrès, cette foi dans l'avenir de l'espèce, cette idée de
l'humanité planant au-dessus de toutes les distinctions
du peuple et du culte.
Herder fut à cet égard le vrai continuateur de Lessing.
Mais à Berlin même et en Prusse Lessing avait fondé
comme une école. Trois hommes qui collaborèrent,
comme lui^ aux Lettres sur la littérature du jour^
méritent d'être cités avec et après lui : Mendelssohn,
Nicolai et Abbt.
Mendelssohn (1729-1786) a fait un Phédon qui manque
de force; mais il est érudit, sensible, judicieux, élégant.
Nicolai (1733-1811), Berlinois pur-sang, homme de
lettres et homme d'affaires, libraire et auteur tout
ensemble, pédantesque et prétentieux, disputeur et
tranchant, fonda la Bibliothèque allemande et publia des
romans. C'était le plus obstiné des rationalistes, le plus
tenace des champions du bon sens, le plus zélé et le plus
maladroit propagateur des « lumières »; il combattit
tous les novateurs et il eut l'art de soulever contre lui
Gleim, Goethe, les écrivains du Sturm und Drangy Kant
et les romantiques; il mourut sous le ridicule et les
huées.
Abbt (1738-1766), célébré par Herder, est assez lourd
et déclamatoire dans ses études sur la mort pour la
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206 LITTERATURE ALLEMANDE
patrie et sur le mérite^ saccadé, sautillant, obscur à
force d'être concis dans ses articles des Lettres sur la
littérature du jour; mais il avait l'esprit étendu, et,
quoique professeur, il ne regardait pas, selon sa propre
expression, l'Université comme l'univers.
De même qu'Abbt et Mendelssohn, Garve, Eberhard,
Engel se rattachent à Lessing. Ils traitent des questions
de morale et d'esthétique. Garve traduisit les Offices de
Cicéron. Eberhard fit une Nouvelle apologie de Socrate
qui déplut aux orthodoxes. Engel tenta dans ses Idées
sur la mimique de compléter la Dramaturgie, et son
roman Laurent Stark est écrit avec une légèreté de ton
qui, suivant le mot de Schiller, est plus la légèreté du
vide que la légèreté du beau.
Rappelons enfin un ami de Lessing, Weisse (1726-1804),
traducteur de pièces anglaises, qui jugea pendant trente
années, assez platement, les écrivains de l'époque dans
la Bibliothèque des belles-lettres et qui publia VAmi des
enfants que notre Berquin prit pour modèle.
lie « Sturm nnd Drang » ou la période d'orage.
Pendant que Wieland s'opposait à Klopstock et que
Lessing critiquait l'un et l'autre, une nouvelle généra-
tion d'écrivains entrait en scène et faisait une Révo-
lution. C'est la génération du Sturm und Drang ou de la
période d'orage. Son nom vient d'une pièce de Klinger,
intitulée Sturm und Drang (1777), parce que tous les
personnages du drame sont en proie à l'orage, à la
poussée des passions.
Son programme était simple : s'affranchir des règles,
ou, comme on disait, du livre de la règle, du pédantisme
de Mamselle La Règle.
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LE XTIII*' SIKCLB S07
Le mouvement est imprimé par Hamann et Herder qui
se rencontrent k Kœnigsberg. Des groupes se forment
en même temps : le groupe du nord, — Gerstenberg,
Mauvillonet Unzer; — TUnion de Gœttingue ou le Bocage
— Boie, Voss, Hôlty, Miller^ Leisewitz, les deux Stol-
berg et ses correspondants, Bûrger, Claudius, Schubart ;
— les poètes du Rhin^ les gœthéens, Mûller, Heinse,
Wagner, Lenz, Klinger; — les mystiques et les apôtres
du sentiment, Lavater, Frédéric Jacobi, Jung-Stilling.
Les deux plus grands parmi ces novateurs sont Gœthe
et Schiller qui méritent une place à part.
Tous les a Stûrmer », comme on les nomme, défendent
la même cause, et les différences qui les séparent
n'éclatent pas aux yeux du public qui attribue k Gœthe
les œuvres de Lenz. Us se ressemblent, du moins exté-
rieurement, et ils se communiquent leurs plans. Leurs
sujets, leurs héros sont les mêmes. Leur style a les
mêmes caractères : emploi des formes et locutions popu-
laires, élision, images et hyperboles, apostrophes et excla-
mations, répétitions voulues, expressions fortes et crues.
Ils frappent d'anathème les auteurs de leur temps qui
n'ont suivant eux d'autre guide que la froide raison et
que le démon de la poésie n'entraîne pas. Ils respectent
Leasing et ils font grâce k Gleim qui les héberge et
les aide de sa bourse. Mais, comme Mauvillon et Unzer,
ils refusent tout talent k Gellert et l'accusent d'abâtardir
les âmes. Ils méprisent Weisse. Ils méprisent Jean-
Georges Jacobi. Ils méprisent Wieland, et Lenz, dans le
drame aristophanesque des Nuées^ le persifle comme
une sorte de Socrate allemand qui corrompt la jeunesse.
En revanche, ils admirent Klopstock sans réserve et
il peut leur dire
Vous êtes mes sujets et je suis votre roi.
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208 LITTBRÂT0RB ALLEMANDS
Mûller souhaite de rencontrer son regard, Scfaubart lit
publiquement des passages de son Messie^ Gœthe le vénère
comme un oncle, Herder proclame sa gloire et recueille
ses odes. Sa République des Lettrée n'est-elle pas une
vigoureuse protestation contre les règles? N'est-il pas
un génie, et un génie plein d'originalité ?
Ces ïXïOiB génie el originalité reviennent dans les écrits
de Tépoque. Ils forment l'esthétique des novateurs. Le
a génie » n'était jusqu'alors qu'un homme d'esprit et de
bon sens; c'est maintenant, comme Ta dit Young dans
son livre sur les œuvres originales, un homme extraor»
dinaire qui croit en lui-même et dédaigne autrui. Leasing
n'écrivait-il pas que le poète doit avoir l'inspiration et
les dieux dans le cœur et que le génie n'a pas besoin de
savoir mille choses que sait l'écolier? Hamann, Herder»
Gerstenberg, Lavater soutiennent pareillement que les
règles ne sont pas nécessaires au génie et que l'enthou-
siasme lui suffit. Aussi les écrivains de cette période
sont-ils connus sous le nom de <c génies » ou de €< génies
originaux ».
Ils reconnaissent toutefois qu'il y eut d'autres génies
avant eux. Wood leur a révélé Homère, qui doit tout à
lui-même ainsi qu'à la nature, et ils lisent, ils citent, ils
traduisent Homère : Bûrger essaie de mettre VIliade
en vers iambiques et Stolberg la met en hexamètres.
Ils lisent les anciennes poésies anglaises recueillies
par Percy, Bûrger ne cesse de les feuilleter, et Herder,
qui loue leur vigueur, ambitionne l'honneur de devenir
le Percy de l'Allemagne.
Ils lisent Shakespeare dans les extraits de Dodd, dans
les Principes de critique de Hume, dans la traduction de
Wieland et ils l'admirent sur la foi de Young, qui l'égale
aux plus célèbres des anciens et le félicite de ne con-
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LB XVIll* 81BCLB 909
naitre que le livre de la nature et le livre de Thomme.
Gersteoberg assure que ses pièces sont des tableaux
vivants de la nature morale tracés par la main inimi-
table d'un Raphaël; Herder, qu'il n'y a pas d'auteur plus
sublime ; Lenz, qu'il crée de véritables hommes de stature
colossale. Tous ces jeunes gens sont êkakespearefeat ou
versés dans Shakespeare comme d'autres sont bibelfest ou
versés dans la Bible; mais ils imitent gauchement le
grand Will et, sans se soucier des convenances du
théâtre, ils ne font que dérouler un nombre infini d'évé-
nements et que promener leurs personnages d'endroit
en endroit et de contrée en contrée. Vainement Lessing
déclare qu'on passe d'un extrême à l'autre et qu'on doit
respecter certaines règles, au moins celles d'Âristote ; c'est
dans ses lettres et ses conversations qu'il blâme Lenz,
Klinger et Gœthe, qui donne dans son Gœiz^ au lieu d'un
drame, une biographie dialoguée et, au lieu de cordes,
des boyaux remplis de sable.
Pas un jeune homme, dit alors un critique, qui ne
shakespearise et ne sternise. Le « shandysme » se répand
partout; on porte aux nues l'originalité de Sterne et sa
sensibilité qui mêle toujours les larmes au rire. On traduit
plusieurs fois le Village abandonné de Goldsmith ; Herder
lent son vicaire de Wakefield pour un des plus beaux
livres qui soient en aucune langue, et Gœthe, ii Sesen*
heim, compare la famille Brion à la famille du pasteur
Primrose.
La nouvelle école penchait donc vers les Anglais. Elle
n*eutpas les mêmes tendresses pour les Français. Elle
attaqua Voltaire, ce Voltaire que Lessing avait déjà mal*
mené tout en souhaitant de l'égaler; Herder le qualifie
de vaniteux et impudent écrivain; Gœthe l'accuse de
diffamer les majestés et de se conduire envers Shakes*
LITTIRATOBI 4LLIMA1IDB* 14
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SIO LITTÉRATURB ALLEMANDB
peare comme un véritable Thersite ; Wagner le traite de
polygraphe. Seuls, Mercier, Diderot, Rousseau trouvent
grâce devant les « Stûrmer ». Ils s'engouent de Rousseau
autant que de Shakespeare, et il y avait quelque affinité
entre Tâme allemande et Tame de ce rêveur qui donnait
à ses paradoxes l'appareil de la logique, défendait Texis-
tence du Grand Être, retraçait avec chaleur les détails de
la vie bourgeoise et intime. Lenz le nomme le divin.
Klinger le proclame son guide et le guide de la jeunesse.
Heinse se dit un « rousseauiste raffiné ». Herder ne parle
de V Emile et de la Nouvelle Héloïse qu'avec enthou-
siasme. Sans V Héloïse j le Werther de Gœthe aurait-il vu
le jour? Schiller n'écrivait-il pas que Rousseau était trop
noble pour ce monde et qu'après sa mort, après les
indignes persécutions qu'il a subies, il est remonté vers
les anges, ses frères, qu'il avait quittés?
Nature, nature, ce cri poussé par Rousseau se répète
dans les œuvres de cette génération. Cette nature que
Lessing et Winckelmann avaient dédaignée, cette « mère
nature », on la regarde avec amour, sans se lasser, et on
jouit d'elle délicieusement; comme Rousseau, comme
Saint*Preux, on recherche les lieux déserts, les endroits
sauvages des bois où, selon le mot du philosophe, rien
n'annonce la servitude.
Le pastorale renaît. On souhaite de revenir à l'âge
d'or, de goûter les plaisirs purs de l'homme des champs.
Combien de personnages de nos <c Stûrmer » désirent,
comme ceux de Rousseau, vivre heureux et ignorés dans
un coin de la terre !
On ne se borne pas à ces vœux candides. On s'in-
surge contre la société, contre la loi qui, suivant l'ex-
pression de Schiller, force l'aigle à marcher comme une
limace. Liberté est encore un des mots d'ordre de l'épo-
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LB XVIII^ SIÀGLB 211
que, et t;e mot, a dit Goethe, sonne si bien qu'on ne
pourrait s'en passer lors même qu'il exprimerait une
erreur. Klinger se sert d'un cachet qui représente un
oiseau échappé de sa cage avec la devise en français :
La liberté fait mon bonheur. On fronde le pouvoir. On
qualifie de coquins les ministres et les hauts fonctionnaires.
Ou voue les tyrans à la mort. On s'élève contre toutes les
conventions. Le Werther de Gœthe maudit Torgueil de la
noblesse. Le Jules de Leisewitz ne voit dans l'honneur
que la fantaisie de quelques fous. Le Ferdinand de
Schiller assure que le ciel a écrit dans les yeux de
Louise : Cette femme est pour cet homme^ et que ces mots
ont plus de prix que son blason. Avant tout, il faut être
homme. Un personnage du Gœtz, le frère Martin, se
plaint des vœux qu'il a prononcés. Le Jules de Leisewitz
s'écrie qu'on doit obéir aux règles de la nature, non à
celles d'Augustin, et son abbesse de Sainte-Claire parle
des gémissements que les couvents répètent depuis tant
de siècles.
Le cœur est la seule autorité qu'on reconnaisse et
Rousseau ne voulait pas d'autre maître. Frédéric Jacobi
ne veut entendre que la voix du cœur. Gœthe, dans les
Lettres d'un Pasteur de village^ affirme que la religion,
chose du cœur, ne peut se démontrer et se formuler.
On oppose Werther à Albert, l'homme sensible, l'homme
dont l'âme s'émeut et s'épanche à l'homme froid qui n'a
que du bon sens, et ce contraste fait le fond des œuvres
de Klinger, de Lenz et de Gœthe. Les jeunes écrivains
furent donc aux rationnalistes ou Aufklàrer ce que
Rousseau était k Voltaire. Ils préféraient aux lumières de
la raison les révélations du sentiment. De toute parts
fleurissent les belles âmes. Plus que jamais les larmes
sont k la mode. La mélancolie devient une jouissance,
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S12 LITTBRATURB ALLEMANDE
une volupté piquante. L'amour s'empreint d'une douce
tristesse et se mélange de pleurs et d'invocations à la lune.
Pourtant cette génération sentimentale aspire h
l'énergie. Ces faiseurs délivres dédaignent les livres. Ils
se moquent des hommes de plume, des savants en us,
des gratte-papier, des barbouilleurs d'encre. Leurs héros
sont des hommes de main, des personnages tout d'action
auxquels ils prêtent leur fiévreuse ardeur. Herder vou-
drait réformer la Livonie; Lenz, organiser l'armée weî-
marlenne; Klinger, combattre en Amérique. On cultive
avec passion les exercices physiques. On souhaite de
déployer toutes les activités de l'âme et du corps,
d'étendre son être le plus possible. Le « génie » ne doit
pas seulement produire de grandes œuvres; il doit être
robuste, agile, découplé.
Les (( Stûrmer » eurent des ennemis, Kâstner, Nicolaï,
l'ironique Lichtenberg, ce malicieux commentateur des
gravures d'Hogarth, et Merck, auteur de petits récits
spirituels et froids, critique subtil et perçant qui con-
seilla Goethe et dit aux « génies » des choses dures et
vraies. Aujourd'hui encore, il est aisé de railler les
(c Stûrmer», leur orgueil, leurs fougueuses déclamations,
les « monuments » qu'ils s'élevaient les uns aux autres,
leurs extravagances de tout genre. Mais cette génération
de 1770 avait grandi pendant la guerre de Sept Ans; elle
en avait reçu comme un besoin d'indépendance et une
sorte de fierté martiale. Elle sut peindre vivement ses
vives émotions et reproduire avec fraîcheur, avec éclat
les idées qui la travaillaient. Elle goûta le moyen âge et
le xvi* siècle. Herder vante le recueil des Minnesinger
de la période souabe publié par Bodmer; Klopstock
juge qu'il renferme de l'or, et, après l'avoir lu, les bardes
de Gœttingue composent à l'envi des chants d'amour.
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LE XVIII* SIECLE 213
Voss recommande aux poètes d'exprimer dans la langue
de Hans Sachs ce qu'ils sentent. Gœthe remet en
honneur le cordonnier-poète et entreprend de faire
revivre la figure du docteur Faust qui séduit également
Klinger et le peintre Mûller. Dans ses Feuilles éparses
Herder étudiera Ulrich de Hutten. Deutschheit emergi-
rend! a dit Gœthe plus tard : les sentiments allemands
commencent à émerger, et lui-même, au témoignage de
Stolberg, brûle alors d'une flamme patriotique. Ce
Stolberg, voyant une garnison française k Strasbourg
— en 1775! — ne prédisait-il pas que le Rhin redevien-
drait allemand?
Il faut maintenant apprécier plus en détail les prin-
cipaux écrivains qui prirent part à ce beau et grand et
hardi mouvement d'émancipation qu'on appelle le Sturm
und Drang,
Hamann (1730-1788), le mage du Nord, est en ses
« feuilles sibyllines » étrange, confus, obscur; sa science
l'écrase; mais, par instants, des vues grandioses percent,
comme les vives lueurs de l'éclair, les ténèbres mysté-
rieuses dont s'enveloppe sa pensée. Il voit dans les sens
et les passions la source de la vraie poésie ; il oppose h
la froide poésie de la réflexion une poésie fraîche,
colorée, vivante; il recommande la Bible et la littérature
orientale ;^il prédit une révolution des esprits : plus de
règles, mais de l'originalité et du génie, voilà, selon
Hamann, ce qu'il faut désormais.
Herder reproduit les idées de Hamann; mais il
débrouille leur chaos, il leur donne un tour plus alerte
et une expression plus claire. Il fut, avec Klopstock, le
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S14 LITTBRATURB ALLEMANDE
grand excitateur des jeunes écrivains; tout, disait-on,
herderisait en prose ou klopstockisait en vers.
Né en 1744 à Mohrungen, dans la Prusse orientale,
fils d'un maître d'école, familier du diacre Trescho qui
éveilla en lui la première étincelle, Herder montra de
bonne heure le désir de savoir et une ardente sensibi-
lité, une irritabilité maladive, une aigreur de caractère
qui se trahit toujours dans ses écrits comme dans sa con-
duite. Emmené à Kœnigsberg par un chirurgien de l'armée
russe, Schwartz Erla, dont il rédige la thèse latine, il
fait ses études de théologie tout en donnant des leçons
au collège Frédéric; il suit les cours de Kant; il fré*
quente Hamann. Nommé, sur la recommandation de
Hamann, professeur à l'Ecole cathédrale de Riga, il
passe dans cette ville, « sorte de Genève a l'ombre de la
Russie », quatre années, les plus belles de sa vie. Il
prêche comme cet orateur de Dieu dont il trace le por-
trait, simple, grave, enseignant la morale et non le
dogme. Il critique les livres nouveaux. Il publie (1767
et 1768) ses Fragments sur la littérature , et ses œuvres
ne sont, en effet, que des fragments : il n'a pas pris, le
temps de les polir et de les limer; inquiet, impatient,
échauffé, il ne sait, de son propre aveu, unir à l'enthou-
siasme du génie le flegme de l'homme d'esprit.
Les Fragments devaient servir de supplément aux
Lettres sur la littérature du jour. Employer des idio*
tismes et non des expressions rebattues, fouiller dans
les entrailles de la langue, violer la loi et la règle, voilà
ce qu'exige Herder de l'écrivain. II se moque des poètes
de son époque qui copient les Orientaux et les Grecs;
non, c'est l'art qu'on doit ravir aux étrangers, l'art
d'imaginer^ l'art d'habiller sa pensée; il faut, non les
copier, mais les traduire sans ornement ni fard, péné-
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LB XVIU* SlàCLB SIS
trer dans leur âme, connaître leur histoire, leur religion,
leurs préjugés nationaux. Il s'étonne qu'on ' puisse
regarder le latin comme le but suprême de l'éducation
et il l'accuse de former des hommes impropres à la vie
pratique et d'étouffer l'originalité de la pensée. Écrit
en une langue pétillante — c'est le mot de Hamann —
en une langue hachée et remplie de ces idiotismes
chers à Herder, les Fragments eurent une grande
influence. Bûrger, Stolberg, Voss traduisent en vers les
poèmes homériques; Frédéric Schlegel esquisse l'his-
toire de la poésie grecque; les « Stûrmer » jettent à
pleines mains dans leurs œuvres les expressions éner-
giques et colorées; tous répondent à la voix vibrante
de Herder et k ses appels chaleureux.
Les Syhes critiques^ qui parurent en 1769, se rattachent
au Laocoon, Elles se composent, comme les Fragments,
de trois recueils. Dans le premier, Herder soutient que la
poésie est une peinture, une « énergie », et qu'il ne faut
pas condamner la poésie descriptive. Dans les deux autres
recueils il achève la défaite de ce Klotz déjà mis à mal
par Lessing : il objecte à Klotz, qui reprochait à Homère
quelques traits de grossièreté, qu'il faut voir le poète
grec dans le costume de son siècle, Tentendre dans la
langue de sa nation, le sentir dans sa nature grecque.
Une fâcheuse polémique s'engage alors entre Herder
et Klotz. II quitte Riga; il se rend en France par la
Baltique et la Manche; il débarque k Paimbœuf et, après
avoir passé quelques semaines k Nantes, arrive au mois
de novembre 1769 k Paris où il ne remarque que luxe et
que vanité. Une lettre d'un ami le rappelle en Alle-
magne : on lui offre d'accompagner pendant trois ans a
travers l'Europe le fils du prince-évêque d'Eutin. Il
court à Eutin; il suit son élève k Strasbourg. En route,
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216 LITTBRATURB ALLBMANDB
à Darmstadty il se .fiance avec une jolie et sentimentale
Alsacienne de Rique>vihr, Caroline Flachsland. Mais à
Strasbourg, où il reste du 4 septembre 1770 au 4 avril 1771,
il se sépare du jeune prince d'Eutin et se fait inutile-
ment opérer, non sans de cruelles souffrances, d'une
fistule lacrymale à Tœil gauche. Nommé premier pas-
teur de Bûckebourg par le comte de Schaumbourg-Lippe,
il lance en 1773 son étude sur Ossian.
Selon Herder, plus un peuple est sauvage et par suite
vivant et libre, plus ses chants ont de vie et de liberté,
de mouvement et d'action. Il loue doùc la vigueur des
chants sauvages, leur rude et simple grandeur, leur natu-
rel, leur a libre jet », et il se plaint que la poésie des
peuples civilisés ne soit qu'un devoir dV^ve et un exer-
cice d'école. Pourquoi ne pas prendre k la poésie des
sauvages ainsi qu'à la poésie populaire, sa franchise, ses
saillies, ses heureuses audaces? Et le voilà qui cite et
appelle à son aide tous les vieux chants populaires, et
on croirait qu'ils accourent à sa voix de tous les points
du monde, de Laponie, d'Esthonie, de Lithuanie, de
Pologne, d'Ecosse, d'Allemagne. Il montre qu'ils repré-
sentent ce que le peuple a devant les yeux et comme sous
la main, l'existence même de ce peuple et un monde qui
vit. Il conclut qu'on doit simplifier la poésie, la déshabi-
tuer de la manière raffinée d'Horace et, pour la réformer
et la mettre en une meilleure voie, étudier Ossian, la
poésie des scaldes, les chants des sauvages, les lieds
populaires. Herder dépassait la mesure. De même que
Rousseau cherche chez les sauvages le modèle du cod«-
trat social, de même Herder prétend retrouver chez eux
une poésie supérieure à celle des peuples civilisés. Mais
il avait appelé l'attention des contemporains sur la poésie
des âges primitifs et sur le chant populaire. Il leur avait
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LB XVIII* SIÈCLE 217
appris a goûter le simple et le naturel. Le lied fut désor-
mais en honneur. L'ode florissait au milieu du xviii' siècle
et il semblait, dit alors un critique, que les poètes
n'eussent rien à faire ici-^bas qu^à traduire Horace.
Herder ne ruina pas le prestige de Tode, mais il Taffai-
blit. Si les poètes de Gœttingue firent encore des odes,
ils abordèrent le lied et visèrent à toucher le peuple en
lui parlant sa langue, en lui parlant, comme voulait Her*
der, de ce qu'il voit et de ce qu'il sent. Après avoir lu
V Essai sur Ossian^ Bûrger refondait une de ses poésies
parce qu'elle n'avait pas le ton naïf et sincère recom-
mandé par Herder; il assurait que Herder l'avait con-
vaincu, que sa ballade de Lénore répondrait à la doctrine
de Herder, et, dans un article qu'il intitulait Effusion de
cœur sur la poésie populaire, il disait que la muse alle-
mande devait, non faire de savants voyages, mais rester
à la maison et y apprendre le catéchisme de la nature,
qu'il fallait lire et étudier les vieux chants populaires,
que lui-même avait souvent au crépuscule prêté l'oreille
aux accents enchanteurs des ballades et des chansons,
soit sous les tilleuls du village, soit au lavoir, soit aux
veillées des fileuses.
La même année que V Elude sur Ossian paraissait l'étude
sur Shakespeare. Ce qui frappe et attire Herder dans le
poète anglais, c'est l'élément populaire. H assure que tout
théâtre doit être national, que la tragédie française est,
non l'héritière, comme elle prétend, mais la poupée, le
singe de la tragédie grecque et une statue sans vie, qu'un
peuple n'a de drame à lui que si ce drame se conforme à
son histoire, à son esprit, à ses mœurs et à ses traditions.
Herder juge donc que Shakespeare a créé des hommes du
Nord et il le qualifie de créateur; chaque pièce du tra-
gique anglais est un « événement », un monde en petit.
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218 LITTERATURE ALLEMANDE
En 1776, grâce à Gœthe, Herder était nommé premier
prédicateur à Weimar. Il y passa le reste de sa vie et il
y mourut en 1803. Jusqu^au dernier jour,, ses œuvres
témoignent de sa pénétrante et profonde intelligence. Il
développe le plus souvent les idées de sa jeunesse. C'est
ainsi qu'il fait paraître en deux volumes des Chants
populaires qui furent republiés plus tard par Jean dcMûl-
1er sous le titre un peu subtil et précieux de Voix des
peuples^ et ses traductions sont des modèles : il prend
le ton qui sied à chaque peuple et à chaque époque.
Même son poème du Cidy bien que translaté de la prose
françai3l de Tressan, donne l'impression de l'original
espagnol.
Il rêvait une histoire de l'humanité, et il y préluda par
un mémoire sur Vorigine du langage où il soutient que
le langage est inséparable de la raison, par un travail
intitulé Le plus ancien document du genre humain où il
rapproche le premier livre de la Genèse des traditions
cosmogoniques de l'Orient, par une étude sur VEsprit de
la poésie hébraïque. Comme à son ordinaire, il est, dans
ce dernier ouvrage, hardi, précipité; il néglige les
détails et tranche les difficultés avec une superbe désin-
volture ; mais la poésie biblique eut désormais place et
rang dans l'histoire littéraire.
De 1784 à 1791 parurent les Idées sur la philosophie,
de rhistoire de l'humanité. Il s'arrête au milieu du
xiii' siècle et des assertions hasardées se mêlent trop
souvent à des pages d'une grande élévation et d'une
vraie beauté. S'il rend hommage à la Grèce, il juge
Rome avec rigueur, lui reproche d'avoir détruit les
Etrusques et semé partout le ravage et la mort; il
regrette qu'elle ait vaincu Carthage et que la louve ait
dompté le chacal ; il s'indigne que le christianisme soit
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LB XVUI* SliCLB 219
devenu une poupée sans âme ; il traite les croisades de
folie. Mais, avant de parler de Thomme, il décrit l'uni-
vers, expose les éléments de la civilisation, proclame
rinfluence que le lieu, le temps, le caractère des peuples
ont eue sur les événements.
Dans ses Lettres sur rhumanitè et dans VAdrastèe il
passe en revue quelques figures de Thistoire politique et
littéraire.
Mais ses dernières années n'ont pas Téclat et Tattrait
des premières : son humeur s'assombrit; il prend à
l'égard de la poésie contemporaine une attitude rechignée
et hostile; il combat la philosophie kantienne; il se fait
l'avocat d'une morale étroite ; il préfère à Wilhelm Meis-
ter les romans d'Auguste Lafontaine. Toutefois^ ce
grand esprit, cet océan, comme le nomme Jean-Paul,
demeurait inépuisable en réflexions profondes, en aper-
çus ingénieux et en idées généreuses, appréciant avec
sagacité les événements présents et passés, affirmant sa
foi dans le progrès, espérant la victoire de l'humanité,
condamnant toute révolution et louant les principes de
la Révolution française, parlant de la France républicaine
tantôt avec horreur, tantôt avec admiration. Il ne cessa
jamais de fermenter et il fut un ferment pour son époque.
Aujourd'hui encore il exerce une action puissante. Cri-
tique merveilleux, non seulement savant, mais plein
d'imagination, tout à fait propre à éveiller les esprits,
habile à pénétrer le sens des œuvres et à entrer dans la
pensée des auteurs, à se familiariser, à s'identifier avec les
sentiments des peuples et des races, à enchaîner, comme
il disait, ce Protée qu'on appelle le caractère national. Il
fut le premier à comprendre que le meilleur commentaire
des poètes, c'est leur pays et leur ciel ; il fut le premier à
recommander de les situer toujours dans leur temps.
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220 LITTBRATURB ALLEMANDE
L'Union de Gœttingrne.
L'Union de Gœttingue eut pour organe YAlmanach des
Muses de Gœtiinguey fondé par Boie et Gotter. Ecrivain
de mince mérite et amateur plutôt qu'écrivain, Boie
était homme de bon sens, de goût et de cœur. Il ressemble
a son ami Gotter par beaucoup d'endroits. Tous deux
préféraient les littératures étrangères aux littératures
classiques; tous deux regardaient la poésie comme un
léger badinage auquel devaient se mêler les leçons
d'une philosophie mondaine; tous deux prisaient avant
tout un style correct et agréable. Encouragés par Kâstner,
Boie et Gotter publièrent leur Aknanach sur le modèle
de celui de Paris. Le premier volume, celui de 1770,
n'offre rien de saillant. Mais (ïotter quitta Gœttingue et
Boie dirigea seul le recueil. Le volume de 1771 fut
supérieur à celui de 1770, quoique l'ancienne école y
règne en souveraine. De jeunes talents se montrèrent
dans le volume de 1772; on y voyait pourtant à côté
d'eux les partisans des vieilles formules. Le volume
de 1773, auquel collaborèrent Klopstock et ses disciples,
eut un vif succès. Celui de 1774 marque la rupture :
combien la Lénore de Bûrger et les vers de Gœthe, de
Stolberg, de Voss l'emportent par l'originalité, par la
vigueur, par le ton sincère et passionné sur les produc-
tions de Gleim et de Ramier si chétives et pauvres dans
leur pompeuse élégance !
Les pourvoyeurs principaux de VAlmanach étaient des
étudiants de l'Université de Gœttingue que Boie avait
groupés autour de lui. Une fois par semaine ils se
réunissaient pour lire leurs poésies et chacun faisait ses
observations. Un curieux incident transforma ce cénacle.
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LB XTIll* SIÈCLE ttl
Le 12 septembre 1772, par une belle soirée, au clair
de lune, six de ces étudiants, Voss, Hôlty, Hahn, les
deux cousins Miller et Wehrs, se promenaient dans la
campagne. Ils avisèrent un gros chêne et, leur chapeau
couronné de feuilles, les mains entrelacées, ils dansèrent
autour de l'arbre, invoquant la lune et les étoiles comme
témoins de leur union, jurant de s'aimer toujours, de se
juger mutuellement avec la plus grande franchise, de
tenir exactement leurs séances littéraires, de célébrer
chaque année par leurs vers cette solennelle soirée.
Ainsi fut fondée ï Union de Gœttingue. La poésie à
laquelle elle se voue est la poésie klopstockienne. Au
retour de leur excursion, ces jeunes enthousiastes
décernent à Boie le nom de Werdomar, du barde qui
mène le chœur dans \2k Bataille d^Hermann\i\ss^zS\i\AenX
de noms germaniques ; ils appellent leur Union le /fain ou
le Bocage, — cette poésie nationale que Klopstock oppose
à la <c colline », c'est-à-dire à la poésie grecque — ^ et le
chêne sous lequel ils ont prêté serment est pour eux le
chêne de Braga. Klopstock est le dieu de l'Union, et^
comme lui, elle veut chanter la patrie et la religion. Elle
reconnaît tacitement pour son chef, non pas Boie au goût
trop français, mais Yoss, le fervent admirateur de
Klopstock. Elle déclare la guerre a Wieland. Le 3 octobre,
à un repas d'adieu, ses membres portent leur premier
toast à Klopstock comme a leur souverain et conspuent
Wieland, l'empoisonneur public. Quelquesjours plus tard
se présentent dans le cercle poétique les deux frères
Stolberg, Christian et Frédéric, des hommes, dit Voss,
que Klopstock aime et estime, des hommes pleins de feu
et de vertu, pleins de l'Allemagne. Ils sont, le 19 décembre,
reçus en cérémonie. Par eux, le Bocage entre en relations
avec Klopstock qui envoie à ces jeunes patriotes les
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SS3 LITTBaATOaB ALLEMANDS
bonnes feuilles des derniers chants du Messie. En retour,
les jeunes patriotes font remettre à Klopstock par les
Stolberg un volume qui renferme leurs meilleures poésies,
ils le prient d*ètre leur juge, et Klopstock leur répond
qu'il est content. Aussi, le 2 juillet 1773, nouvelle
manifestation en l'honneur de Klopstock : c'est son jour
de naissance ; ils portent sa santé avec celle de Luther,
celle de Hermann-Arminius, et, pour marquer leur haine
de Wieland, ils déchirent un exemplaire de VIdriSy le
piétinent, le jettent au feu^ ainsi que le portrait du frivole
poète qu'ils arrachent de VAlmanach des Muses de Leipzig.
L'année suivante, à la même date, ils vont en pèlerinage
au chêne de TUnion et brûlent derechef l'image de
Wieland.
Mais les deux Stolberg quittèrent Gcettingue. Vaine-
ment un commerce de visites s'établit entre Klopstock
et ses admirateurs. Vainement Boie et Voss allèrent lui
rendre hommage à Hambourg. Vainement il se fit recevoir
dans l'Union et vainement, lorsqu'il passa par Goettingue,
il demeura tout un jour — le 19 septembre 1774 — avec
les bardes et leur exposa de grands et vagues desseins
de réforme littéraire. Les membres du Bocage durent
entrer dans la vie pratique. Peu à peu tous s'éloignèrent
de Gœttingue et le Hain fut dissous. Boie abandonna
VAlmanach des Muses à Voss qui devenait son beau-frère,
et VAlmanach ne servit même pas de rendez-vous aux
amis dispersés. Hôlty mourut en 1775, et Hahn, en 1779.
Leisewitz et Martin Miller semblaient épuisés. Frédéric
Stolberg resta le collaborateur de Voss ; mais la Révolu-
tion française les sépara, et lorsque Stolberg se convertit
au catholicisme, Voss rompit brutalement avec lui.
Jean*Henri Voss (1751-1826), pctit-fils d'un serf du
Mecklembourg, ne cessa pas d'être paysan, et toujours il
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LB XYIU* SliCLB 9i3
eut quelque chose de dur et de sec. La plupart de ses
pièces lyriques sont embarrassées, nuageuses, chargées
de réminiscences klopstockiennes. Son 70* anniçersaire
et sa Louise offrent de jolis traits, de gentils et touchants
épisodes. Voss a découvert la poésie du presbytère. Mais
il a trop de détails oiseux, et ses personnages, qui se
ressemblent tous, ne font que vanter la bonté du Seigneur
et que boire sous la tonnelle le café, « boisson du Maure ».
Avant tout, il est le traducteur d*Homère et on lit, on loue
encore son Odyssée (1781). Il a taché de translater exacte-
ment le texte, vers par vers, phrase par phrase; il a su
fréquemment attraper un ton naïf et vrai, un coloris ori-
ginal; les mots qu'il a créés, non sans hardiesse, des
mots comme waldumschattet et rossnàhrend — on en
compte près de quatre-vingts — rendent très bien les
épithètes grecques, et son hexamètre est très supérieur à
celai de Klopstock.
Frédéric Stolberg (1750-1819) fat le chevalier de
l'Union. Le passé héroïque de TAllemagne, le donjon
couvert de mousse, la châtelaine qui soupire pour un
obscur damoiseau, un vieux guerrier qui donne à son
fils une lance trop lourde pour son bras, un enfant qui
se sent digne de ses aïeux et qui demande à son père
une épée, voilà des sujets que Stolberg a traités dans
ses poésies lyriques avec assez de bonheur en une
langue forte et fière. Il aime la nature et il veut aller sur
sa trace, il veut qu'elle le guide par la main comme s'il
était un enfant à la lisière. 11 célèbre la mer et il écoute
avec ivresse son chant de sirène. Mais il abuse de l'aigle
et du faucon, des effets de lune, des éclairs, du tonnerre
et du frisson poétique. Il subit trop longtemps l'influence
périlleuse de Klopstock. Son talent n'a pas progressé;
ce qu'il a fait de meilleur date de sa jeunesse et l'histoire
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22i LITTBRATURB ALLEMANDS
littéraire néglige le catholique fervent et le gallophobe
qui maudissait la Révolution et nommait les Français les
Huns de TOuest.
Martin Miller (1750-1814) n'a été qu'un fabricant de
romans filandreux et son verbiage sentimental est
aujourd'hui insupportable. Mais son Siegwart (1776) eut
un prodigieux succès et Schubart le regardait comme
un magnifique tableau. Il est plein de larmes, tous les
personnages pleurent^ et avec eux l'Allemagne pleura.
Quelques-unes de ses poésies d'un ton simple et facile
lui ont survécu et Bùrger le tenait pour le meilleur
lyrique du Bocage.
Holty (1748-1776), dégingandé, négligé dans sa mise,
timide, distrait, naïf, avait de bons yeux bleus et un
doux sourire. Il aimait à s'étendre sur l'herbe au fond
d'un bois ou sur une meule de foin et à rêver pares-
seusement. Sa vie fut courte, et le grand attrait de sa
poésie, c'est ce qu'elle a de mélancolique et de résigné.
Sans doute, il parle trop de tombes et de cimetières.
Mais il fait de touchants retours sur lui-même. Il attend
sans effroi cette mort qu'il sait prochaine et il prie ses
amis de suspendre, quand il ne sera plus, sa petite
harpe derrière l'autel, au mur où brillent les couronnes
funéraires des jeunes filles qui, comme lui, ont trop t6t
disparu. Il a chanté les joies innocentes de l'enfance et
ses rêves d'amour avec une grâce délicate et une candeur
charmante : les femmes sont pour lui des anges qui
font de la terre un paradis. Il a chanté la campagne, les
épis qui tombent sous la faucille et les fleurs bleues qui
tremblent aux chapeaux des moissonneuses. Il a chanté
la nature et j^il s'écrie dans des pièces populaires qu'il
faut couronner de fleurs les tonneaux et tirer le vin sans
jamais s'assombrir et se tourmenter de chimères^
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LB XVIll" BIÀCLB ^ 325
c'est que le rossignol vient, c'est que le seigneur Mai
dénoue la chevelure des forêts, c'est que le vallon
verdit, que la prairie s'émaille de muguets,, que les
fleurs germent aux arbres des jardins. Lenau ne dit-il
pas que le printemps pleure encore la mort de Holty,
son poète?
Leisewitz (.1752-1806) est un de ces auteurs qui n'ont
fait qu'un ouvrage. Son drame, Jules de Tarente (1776)
l'épuisa, le vida. Correct, clair, un peu froid, Leisewitz
a pris Emilie Galotti pour 'modèle: peude personnages, de
courts monologues, l'unité de temps. Quelques passages
toutefois sont marqués d'un accent shakespearien. En
somme, et bien que Merck regarde les caractères comme des
squelettes recouverts d'une riche diction, Jules de Tarente
est une œuvre distinguée. Mais on ne s'étonne pas que
les acteurs de Hambourg lui aient préféré les Jumeaux
de Klinger où il y a plus de passion et de fracas.
Bûrger (1748-1794), le grand balladiste, fut l'ami des
poètes de Gœttingue; il assistait parfois à leurs séances;
il leur soumit sa Lénore et accepta leurs corrections;
il se vantait d'être le condor du Bocage, et, en effet,
comparé aux autres, c'est un oiseau de plus haut vol
et de plus large envergure. Il confondit d'abord la
ballade avec la romance qui n'était alors qu'une parodie,
un mélange de terrible et de grivois. Après avoir lu
Herder, il sentit qu'il fallait la « simplifier », la
débarrasser de ce qu'elle avait de bas et de trivial; il
quitta le ton de chanteur des rues et de poète ambulant
qu'il avait pris; il composai Lénore, la meilleure ballade
de l'Allemagne et qui a créé le genre. Le morceau est
long, certaines onomatopées sont bizarres et Burger a
tort de tirer de son sujet, selon la mode du temps, une
leçon morale : Lénore, qui ne devrait exprimer que sa
UTTBBATOai ÂULÊMAMPU, 15
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226 LITTERATURE ALLEMANDE
douleur et que le désir de reposer à côté de son fiaocé^
Lénore a blasphémé Dieu^ et le fantôme de Wilhelm ne
se montre que pour venger le ciel et punir le péché de
la jeune fille. Mais quel beau mouvement, quelle
superbe et entraînante rapidité! Avec quelle vigueur
hardie, inlassable Bûrger déroule cette suite de sinistres
images et soutient trente-deux strophes durant l'effort
de son élan lyrique ! Le récit court, vole. Pas de digression,
pas de faux ornements ni de mots inutiles Quels
saisissants contrastes entre la gaité des soldats qui
reviennent de la guerre et le désespoir de Lénore, entre
les spectres qui surgissent de tous côtés et Léuore qui
semble porter la vie dans cette scène lugubre! Que
d'effets habilement ménagés ! Bûrger trouve toujours un
trait plus fort que le précédent et par une insensible
gradation il produit sur le lecteur l'impression qu'il
produisit dans le cercle de Gœttingue lorsqu'il lut pour
la première fois son poème à ses jeunes amis haletants
et comme terrifiés. C'est Lénore d'abord confiante et
peu à peu saisie d'angoisse et d'épouvante ; c'est Wilhelm
prenant Lénore en croupe, répondant à ses inquiètes
questions par des paroles ambiguës et répétant sur un
ton ironique et sombre que les morts vont vite; c'est le
galop effréné du cheval qui résonne dans la nuit; c'est
l'horreur sans cesse grandissante de cette macabre et
vertigineuse chevauchée au clair de lune, les ponts qui
craquent, les champs et les arbres, les villages et les
villes qui passent et fuient à droite et à gauche, le
ciel qu'on dirait emporté dans ce tourbillon, et
tout ce qui suit cette course fantastique, le convoi
avec le sacristain et le prêtre qui lâchent leur cercueil,
la troupe des pendus qui descend du gibet, jusqu'à
ce que le noir coursier disparaisse dans le cimetière
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LB XVIIl* SIÈCLE 227
parmi les tombeaux, jusqu'à ce que le cavalier se
transformant devienne la Mort même et que Lénore
expire au milieu des esprits qui dansent et qui hurlent!
Bûrger n'a rien fait de supérieur à Lénore, Ses autres
ballades renferment de beaux détails; mais l'ensemble
manque, la composition, l'ordonnance. Le pli était pris;
nombre de ses pièces portent l'empreinte de sa trivia-
lité première. Pourtant quelques-uns de ses sonnets
expriment avec chaleur ses sentiments. Schiller lui
consacra un article impitoyable; il reproche à Biirger
d'être inégal, de gâter la beauté de la pensée par
l'emphase ou la platitude du style, par l'inexactitude de
la rime, par la dureté du vers. Mais Schiller ajoute,
sans insister assez sur ce point, que Bûrger, par suite
des circonstances, n'avait et ne pouvait avoir cette
sérénité qui seule atteint à la perfection.
On peut rattacher à l'Union de Gœttingue Claudius et
Schubart. Ami de Voés et de Hôlty, Claudius (1740-1815)
a traité les mêmes sujets. Sa poésie fut simple comme
son âme, comme sa vie, et si, par instants, cette simpli-
cité a quelque chose de cherché et de voulu, son bon
sens, sa tendre sympathie pour les souffrances du pauvre
et pour le dur labeur du paysan, une langue claire, un
accent naïf> piquant et parfois ému, une saveur rustique,
je ne sais quoi de familier, tout cela l'a rendu populaire.
Faut-il citer ses pièces de vers les plus connues, celle où
sa femme Rebecca, par un matin de mai, appelle ses
enfants pour leur montrer le lever du soleil et leur parler
des faveurs que Dieu répand sur eux, celle où le labou-
reur revenant des champs se dit heureux et riche lorsqu'il
fait mettre la table sous le pommier et voit manger ses
petits tandis que la lune regarde dans le plat et bénit ce
souper qui vaut celui du roi ? Le Chant du soir est la perle
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3S8 LITTÉRATURE ALLEMANDS
de la lyrique de Claudius : il y décrit le charme du cré-
puscule, le monde devenu comme une chambre silen-
cieuse où les hommes oublient les soucis du jour^ la lune
qu'on ne voit q^u'à demi, mais, conclut le poète, que
voyons-nous ici-bas, pauvres pécheurs que nous sommes,
et que savons-nous, et ne faut-il pas, au lieu de raffiner^
nous appliquer à être simples et bons ?
Schubart appartient au Bocage par son enthousiasme
pour Klopstock et son amour du Volkslied. Très intelli-
gent, très souple, habile musicien, fougueux improvisa-
teur, écrivain facile, ardent, entraînant, mais inquiet,
pétulant, exagérant tout, léger, prodigue, dissolu, tel il
était. On trouve de Tenflure dans ses odes et de la trivia-
lité dans ses lieds. Mais le ton de son journal, la CA/*o-
nique aUemandey est vigoureux, résolu. Le chant du
paysan souabe qui célèbre sa Lisel aux yeux noirs comme
la sorbe devint un chant populaire, ainsi que le Chant
du Cap où les soldats, partant pour l'Afrique, s'exhortent
au courage. D'autres poèmes expriment les douleurs et
les haines de Schubart. C'est lui-même qui dans le
Prisonnier pleure et soupire en regardant par les barreaux
le ciel lointain, et dans le Cadeau des princes, lorsqu'il
peint le néant de ces souverains qui regardaient les
hommes comme du bétail, ilpense au duc Charles -Eugène
de Wurtemberg, son persécuteur : durant dix ans, le duc
le tint captif dans la forteresse d'Asperg.
Tels furent les membres du Bocage ou de l'Union de
Gœttingue. Leur poésie a souvent une couleur religieuse;
comme Stolberg, ils entendent dans la nature la voix de
Dieu; mais eux aussi célèbrent l'inspiration et la pléni-
tude du cœur, eux aussi invoquent l'imagination, eux
aussi se croient des génies de feu. Ils relèvent à la fois de
Klopstock et de Herder, et ce qu'ils ont de renommée.
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LE XVIII* SIECLE S39
ils le doivent à Herder, non à Klopstock ; ils vivent, non
parce qu*ils ont moulé leurs odes sur celles de Klopstock,
mais parce qu'ils ont composé des lieds. Ces lieds, d'un
rythme facile et chantant, ont fait d'eux les favoris du
peuple. Jamais peut-être une poésie ne répondit mieux
à l'âme allemande que la poésie du Bocage, naiVe, tendre,
gaie et morale.
IjOB gœthéenB on poètes du Rhin.
Après les poètes de Gœttingue, on peut mettre ensemble
les poètes du Rhin, les Gœthéens, amis ou imitateurs de
Gœthe ou venus des mêmes parages, le peintre Mâller,
Heinse, Wagner, Lenz, Klinger, jeunes auteurs qui fer-
mentent comme le moût rhénan, et sous ce titre de
Moût rhénan^ parait en eflet dans l'année 1775 un recueil
de vers où il y a de la hardiesse et de l'humour.
Egalement doué pour la peinture et la poésie, Mûller
n'a réussi ni dans l'une ni dans l'autre. Bien qu'il affecte
le style de Gessner, ce fut un réaliste. Il fit des chants
populaires et il peignit dans la Tonte des moutons et la
Casse de noixàt% épisodes de la vie rustique. Ses drames
prouvent qu'il avait de l'imagination et de la verve, mais
qu'il manquait de culture et de goût: Niobé et Golo
n'offrent qu'une suite de scènes confuses, et dans Faust
le héros est si vulgaire qu'il ne demande au diable que
richesses et jouissances.
Heinse (1746-1803) a composé plusieurs romans, entre
autres Ardinghelloj œuvre brillante, colorée, pleine de
tableaux sensuels, remarquable par son héros, par cet
Ardinghello beau, brave, passionné, qui raffole de la
nature et de la Grèce et qui déploie toutes les qualités
d'un « génie ». Il fut critique d'art; il avait le goût fin,
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280 LITTÉRATORB ALLEMANDE
et ses descriptions ne sont jamais vagues; il veut qu'une
œuvre sente le terroir; il défend la peinture de paysage;
il applaudit à la réforme musicale de Gluck.
Le Strasbourgeois Henri-Léopold Wagner est l'auteur
d*un drame, YInfanticide (1776), qui par sa rudesse, par
une esquisse vigoureuse de la bourgeoisie strasboar-
geoise, par le personnage du boucher Humbrecht
annonce le drame de Schiller, Kabale und Liebe.
Bizarre, braque, épris d'intrigues et d'aventures, jouant
à ses amis de mauvais tours qu'il regrette ensuite, inca-
pable de diriger sa vie et rêvant la réforme du monde,
dépourvu de raison et plein d'imagination, tantôt timide,
tantôt superbe, doux comme un enfant et parfois méchant
comme un singe, tel a été Lenz (1751-1792). Il finit par
la folie. Peut-être fut-ce son malheur de connaître Gœthe.
Il voulut être le rival de Gœthe qu*il aima et détesta tour
à tour, il s'amouracha de la sœur de Gœthe et de cette
Frédérique Brion que Gœthe avait courtisée. Ses comé-
dies d'après Plante ont du mouvement, de l'humour, et
dans cette adaptation Lenz se montre spirituel, plaisant,
drôle. Ses autres pièces. Le Précepteur^ Le Nouveau
Menozuj Les Soldats^ U Anglais y où il veut, à la Diderot,
représenter des conditions et non des caractères, sont
confuses, désordonnées, mais abondent en traits de nature.
L'œuvre de Lenz, ainsi que sa vie, mêle le bon et le
mauvais ; elle offre des traces de génie ; elle révèle surtout
une âme malade.
Klinger (1752-1831), qui prit pour devise les mots « par
Mars et Vénus», devint général en Russie, et sa carrière est
plus intéressante que ses ouvrages. Il a fait dans sa jeu-
nesse des drames incohérents, illisibles, injouables, et dans
son âge mûr des romans trop vantés qui respirent soit le
découragement et la misanthropie, soit un fier stoïcisme.
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^
LB XVIll' SIÀCLB S31
Ijes mystiqaes.
Lavater, Frédéric Jacobi, Jung^StilIing forment dans
le Sturm und Drang le groupe des mystiques et des apôtres
du sentiment*
Prodigieusement actif, charitable, passant sa vie à
répandre, comme il dit, l'humanité, charmant par sa parole
tous ceux qui le voyaient de près, mais exalté, perdu dans
ses rêves, se regardant comme Tinstrument de la Provi-
dence et rincarnation de Dieu, Lavater (1741-1801) était
un mélange singulier de force et de faiblesse, de profon-
deur et de légèreté, d'orgueil et d'humilité. Ses Frag^
ments phy8iognomoniqueB{Vnb'\n%) sont une des œuvres
les plus caractéristiques du Sturm und Drangy et Gœthe
y collabora; mais Lavater manque de goût, et son style,
qui foisonne d'exclamations, d'interrogations et d'apos-
trophes, est, disait Merck, le style d'un étudiant et d'un
voyant.
Frédéric Jacobi (1743-1819), homme spirituel, aimable,
fier de sa belle âme et de ses succès mondains, philosophe
brillant mais dénué de précision et de vigueur, a repré-
senté dans ses romans Woldemar et il/Zti'iï/ quelques-uns
de ses contemporains, oisifs, curieux, férus de mysticisme,
qui, comme lui, jugeaient leur moi si merveilleux qu'ils
ne cessaient de le contempler.
Jung, dit Stilling (1740-1817), nourri de la Bible,
croyant aux miracles, atteint de la nostalgie du ciel, a
raconté les aventures de sa jeunesse avec une touchante
naïveté.
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Il,
232 LITTÉRATURB ALLBMANDB
Schiller.
Frédéric Schiller, né le 10 novembre 1759 dans une
petite ville du Wurtemberg, à Marbach, a l'enthousiasme
du Souabe ainsi que son esprit circonspect et avisé, son
énergie, sa hardiesse et cette ardeur obstinée que les
Souabes ont mise à conquérir et à défendre leur liberté.
Son père, capitaine au service de Wurtemberg, était an
homme pratique qui eut toutefois des éclairs d'imagina-
tion et une aventureuse existence; il fit des poésies
pieuses; il publia un ouvrage sur la culture des champs,
et son fils tient de lui l'aspiration au mieux, le désir de
progresser et de grandir, et peut-être la passion de la
gloire.
Schiller se destinait à la théologie. Sur l'ordre de son
souverain, le duc Charles-Eugène, il dut en 1773 entrer
à l'Académie militaire^ où il resta jusqu'en 1780, et étu-
dier d'abord le droit, puis la médecine. Cette école,
nommée aussi l'Ecole de Charles et organisée comme
nos anciens lycées, n'était pas aussi noire que Schiller
l'a dépeinte. Il y eut de bons maîtres, il y composa des
vers à la façon de Klopstock et des dissertations, des
harangues dans le goût français que le duc voulait incul«
quer k ses jeunes Souabes, et ce qu'il a de grandiloquent
date de là. Malgré les règlements, il lut les œuvres des
novateurs littéraires et, sous l'impression qu'il avait
reçue non seulement de Plutarque, d'Ossian, de Shake-
speare, de Rousseau, mais de Gœthe, de Leisewitz, de
Klinger, dans sa dernière année de cours, la nuit, à la
dérobée, et en une sorte de fièvre, il écrivit ses Brigands,
Sa pièce renferme des longueurs, des invraisem-
blances, des inconséquences. Elle témoigne néanmoins
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LB XVIir SIBCLB 288
de son instinct dramatique, et d'emblée Schiller a fait
une œuvre de solide contexture. Les scènes s'enchaînent
et l'action ne languit pas. Le vieux Moor montre trop de
faiblesse; Amélie est, malgré ses velléités d'énergie,
pâle et insignifiante; Franz Moor se conduit et s'exprime
comme un scélérat de mélodrame; Charles Moor a trop
souvent les gestes et les paroles d'un frénétique. Mais
ce Charles, ce brigand, ce meurtrier, Schiller a su le
rendre sympathique. Exaspéré, poussé à bout, Charles
se met à la tète d'une bande, se croit le représentant de
la justice divine, s'imagine qu'il use de loyales repré-
sailles et qu'il exerce métier de noble et légitime ven-
geance. Bientôt il frémit d'horreur, doute de sa mission,
comprend qu'il n'est pas homme à diriger le glaive du
tribunal céleste. La pensée d'être enchaîné pour toujours
au vice et au crime le désole, le désespère, et quand il
revoit le pays natal où sa vie fut si sereine et si pure, c'est
avec l'accent de la plus déchirante vérité qu'il compare le
Charles de jadis au Charles de maintenant, l'heureux enfant
h l'homme malheureux. Il aspire à la paix intérieure et ne
la retrouve pas; il ne peut ressaisir le passé et réparer
l'irréparable; c'est le héros du repentir : c'est, selon le
mot de Schiller, un sublime déchu; il se remet à la
justice humaine. Le style des Brigands a parfois une tri-
vialité brutale. Mais qu'il est franc, nerveux et hardi,
soit que Schiller raconte l'ensevelissement du vieux Moor
ou la fuite de Spiegelberg poursuivi par un chien enragé,
soit qu'il décrive la tristesse et Taccablcment de Charles
au bord du Danube! Quelle impression produisit ce cri
de révolte contre la société ! Le Sturm und Drang sembla
renaître dans toute sa violence. Charles ne se contentait
pas d'épandre en belles invectives et dans un langage
tout biblique sa haine du mensonge et de l'hypocrisie.
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23% LITTBRATURB ALLEMANDS
Il exhalait son dégoût et son horreur pour le siècle où
il vivait, ce siècle écrivassier, énervé, qui n'était bon
qu'à remâcher les actions d'autrefois. 11 se moquait des
hommes qui a 1:>arricadent par d'absurdes conventions
la saine nature » et qui a serrent leur Volonté dans des
lois comme leur corps dans un corset »• L'épigraphe de
son œuvre était un mot d'Hippocrate, qu'il faut guérir
par le fer et le feu le mal que les médicaments ne gué-
rissent pas, et dans la deuxième édition du drame, la
vignette du titre représentait un lion furieux qui se
dresse avec cette inscription au-dessous : In iyrannos!
Les Brigands furent représentés en 1781. Schiller,
sorti de l'Ecole de Charles, était alors chirurgien à
Stuttgart dans un régiment. Le duc le mit aux arrêts et
lui défendit d'écrire. Schiller se sauva et, après plusieurs
mois d'une vie errante, s'établit à Mannheim sur le sol
palatin. Il y fit jouer en 1784 sa seconde pièce, la Cbn-
juration de Fiesque.
Les conjurés, dont Fiesque est le chef, sont esquissés
d'un crayon rapide et aussi ferme que les brigands dont
Charles Moor est le capitaine. Le plus notable, Verrina,
est plein d'énergie et de vérité ; ce républicain farouche
a pénétré dans la pensée de Fiesque, il pressent le futur
tyran, il jure de l'abattre, et le conflit entre Fiesque et
Yerrina est presque tout le drame. Gianettino Doria,
avare, orgueilleux, maladroit, contraste absolument avec
Fiesque. Le doge André Doria a, dans sa vieillesse,
quelque chose d'imposant et sans son neveu Gianettino,
il serait le meilleur des maîtres. Le nègre est une figure
originale, gai, plaisant, malicieux, fécond en bons mots
et en drôleries, animant les scènes où il parait par sa verve
et sa vivacité diabolique, propre aux vilaines besognes et
lourd comme une bûche s'il faut faire une action honnête,
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LB XVIII* 8IBCLE 235
heureux de Témeute, pillant et incendiant à cœur joie,
bouffonnant jusqu'au pied du gibet. Mais les femmes qui
se disputent Fiesque, la sensible Léonore et la coquette
Julie, manquent de vie et, au lieu de se picoter spiri-
tuellement et de se donner avec grâce des coups d'épingle,
elles s'injurient et s'invectivent. Si Fiesque montre une
volonté tenace et une merveilleuse force de dissimula-
tion, il déploie envers Julie une cruauté révoltante, et
Ton s'étoni^ qu'au dernier moment il congédie et arme
contre lui le nègre dont il admirait les ruses. Enfin
d'inutiles épisodes, comme le déshonneur de Bertha
Yerrina, ralentissent d'action, et le style a trop souvent
de l'emphase et de la subtilité. Pourtant, la pièce marque
un progrès; s'il y a moins de puissance que dans les
Brigands^ i\ j ^ plus de mesure et plus d'art, un fond
plus solide, une forme plus régulière, et c'est la pre-
mière des tragédies historiques de Schiller.
Fiesque échoua. Trois mois après, le succès à^ Intrigue
et Amour consolait Schiller. La scène se passe dans la
résidence d'un duché d'Allemagne. Le jeune major Fer-
dinand de Walter aime la fille d'un pauvre musicien,
Louise Miller. Son père, le président de Walter, ministre
principal, s'oppose à ce mariage; il veut que Ferdinand
épouse lady Milford, la maîtresse du duc; Louise sera la
femme de son secrétaire Wurm. Le major regimbe et
menace de dévoiler un crime commis autrefois par
M. de Walter. Mais, pour obtenir la liberté de son père
que le président a fait emprisonner, Louise consent a
écrire, sous la dictée de Wurm, une lettre d'amour à
Kalb, maréchal de la cour. Kalb livre le billet à Ferdi-
nand. Le major croit Louise infidèle ; il jette du poison
dans un verre de limonade et il oblige Louise à boire
après lui. Avant de mourir, Louise prouve son innocence;
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236 LITTÉRATURE ALLEMANDE
Ferdinand expire en maudissant son père; le président
et Wurm, présents à la scène, se dénoncent mutuelle-
ment et tous deux àont arrêtés. Mais quel est exacte-
ment le crime de M. de WalterPEt comment le président
eut il l'imprudence de le révéler à son fils? Comment se
peut-il que deux scélérats comme le président et Wurm
soient pris de remords à la fin du drame ? N'est-il pas
invraisemblable que Wurm se perde pour perdre le pré-
sident et que le président se livre à la justice? Les esta-
fiers arrêtent Wurm parce qu'il s'engage à découvrir des
secrets pleins d'horreur! Ils arrêtent leur chef suprême
parce qu'il leur dit : « Je suis votre prisonnier! » Et
quoi de plus impossible et de plus inutile que l'entrevue
de la Milford et de Louise? Les caractères mêmes sont-
ils à l'abri de tout reproche? Kalb est, selon Schiller,
un coquin et le complice du président; nous ne voyons
en lui qu'un sot, un fat et un poltron. Wurm, lui aussi,
est un coquin; pourquoi lui donner un extérieur si rebu-
tant? Comment le président, ce madré personnage,
s'est-il mis dans la dépendance de Wurm? La Milford est
orgueilleuse, elle se pique de générosité, elle joue a la
grandeur d'âme : qui croira néanmoins qu'elle rompe
en un clin d'œil avec une fastueuse opulence et qu'elle
travaille désormais à la journée pour se laver de sa honte?
Enfin, le major Ferdinand n'est-il pas quelquefois
inconséquent? Les Miller, en revanche, sont bien dessinés :
la mère, naïve, bavarde, bornée ; le père, franc du collier,
usant de termes crus et de dictons populaires, rabrouant
sa femme, adorant sa fille, parfaitement honnête, le
Souabe dans toute sa droiture et sa rudesse; Louise
partagée entre sa tendresse filiale et son amour pour
Ferdinand, petite bourgeoise simple, modeste, sentimen-
tale, convaincue, hélas! qu'elle n'épousera pas le major,
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LE XVIII* SliCLB 337
qu'elle ne l'aura que dans un autre monde où il n yaplus
ni distinctions ni barrières. Tel quel, Intrigue et Amour
est le drame bourgeois le plus remarquable du xviii* siècle.
On y trouve, de même que dans les Brigands^ une chaleur,
une sincérité, une passion qui porte et entraine tout
comme d'un élan irrésistible. Ce n'est pas seulement
une satire politique, et Schiller ne se contente pas de
flétrir la corruption des petites cours allemandes, les
exactions des ministres, le scandaleux trafic que les
princes font de leurs soldats. La pièce est une tragédie
sociale et révolutionnaire. Nul n'a plus éloquemment
combattu les préjugés de caste que l'auteur à' Intrigue et
Amour. Quel beau cri de colère jette Ferdinand contre
ses titres de noblesse ! Quelle lutte saisissante de V Amour
contre V Intrigue ! Et qui ne pressent, qui ne déplore son
inévitable, son éternelle défaite?
Au printemps de 1785 Schiller se rendit à Leipzig,
puis à Dresde où l'appelait un de ses admirateurs Gott-
fried Kôrner, qui devint son intime ami et son sur
conseiller. De ce séjour en Saxe date le don Carlos^ si
touchant par certains côtés et si plein d'étrangetés et
d'invraisemblances, si obscur, si incohérent, parce qu'il
fut écrit h bâtons rompus. Le héros et le seul personnage
qu'on n'oublie pas, c'est le marquis de Posa. Non pas
que les autres caractères soient absolument manques. Car-
los est un jeune homme qui va toujours à l'extrême; la reine
Elisabeth, une noble femme qui sacrifie sa passion à son
devoir et montre h Carlos le droit chemin avec une
inflexible douceur; le roi Philippe, un fanatique qui
garde encore des sentiments humains. Mais Posa éclipse
tout. Qu'il oflre des contradictions et des inconséquences ;
que ce gentilhomme du xvi* siècle soit en réalité un
philosophe du xviii'; qu'il use, lorsqu'il est ministre, de
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\
238 LITTâRÀTURB ALLEMANDS
moyeDs subtils et compliqués; qu'il provoque par sa con-
duite mystérieuse les soupçons de Carlos : qu'il paraisse
un instant frappé de folie; qu'il dévoile soudain pour
Elisabeth un amour qu'elle semble partager; qu'il con-
spire contre le souverain qui lui témoignait sa confiance
entière et l'aimait comme un fils; que Philippe le fasse
tuer au lieu de l'interroger, de le juger et de le livrer à
l'Inquisition : qu'importe? Ce Posa, ce magnanime Posa,
le plus beau des portraits où Schiller s'est peint, ce
citoyen des siècles à venir, ce représentant des droits de
l'homme, ce chevalier de la liberté future, ce grand
cosmopolite prêche en si nobles accents l'Évangile du
bonheur dql'humanité! Il annonce avec un si généreux
enthousiasme et une si superbe assurance le printemps
des peuples et l'avènement d'un État où régneront les
lois et où le roi ne sera que l'exécuteur des lois ! Et qui
n'est ému jusqu'au fond du cœur lorsqu'il souhaite que
Carlos, monté sur le trône^ garde du respect pour les
rêves de sa jeunesse !
Ces tirades de Posa, ces images d'un monde nouveau
déroulées avec autant de feu que de hardiesse, la richesse
et l'harmonie de la langue firent le succès de Don Carlos,
Schiller emploie l'iambe de cinq pieds qu'il emploiera
désormais dans tous ses drames, et son style, contraint
par le mètre, a perdu de sa fougue et de sa violence pour
prendre plus de douceur et de noblesse. Comme précé-
demment, il trace un sombre tableau des institutions
humaines, mais il n'a plus d'éclats de colère et de haine
contre la sogiété; il croit au bien et au vrai; il célèbre
l'idéal. Don Carlos marque en Schiller la fin d'une crise.
Nommé conseiller par le duc Charles-Auguste, il vint
en 1787 se fixer à Weimar. Pour sortir de la gêne et obtenir
une place de professeur a l'Université d'Iéna» il entreprit
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LB XVIIl* SIBGLB 389
des travaux historiques. Les principaux sont V Histoire du
soulèvement des Pays-Bas et VHistoire de la Guerre de
Trente Ans. Ils ne valent que par le style, et ce style,
c'est le style que Schiller avait déjà sur les bancs de
l'Ëcole de Charles, le style oratoire, le style de Saint-
Réal, de Yertot, des auteurs français qu'il a consultés.
Un développement ample et légèrement emphatique, des
périodes longues et sonores, Tépithète fréquente, d'étin-
celants portraits, des récits animés, de l'émotion, de
l'abondance, du nombre, peu d'exactitude et de préci-
sion. Mais l'histoire était désormais un art; elle n'avait
plus ni sécheresse ni raideur ; elle prêtait au passé l'ap-
parence de la vie.
Ces études sont d'ailleurs utiles à Schiller : il acquiert
des forces nouvelles et donne à son génie une solide
nourriture, il apprend de plus en plus à connaître les
hommes, il évoque des personnages qui parlent et
agissent, il épanche sa verve dramatique.
Son mariage avec Charlotte de Lengefeld et l'amitié
de Gœthe achevèrent de le mûrir. Gœthe le fit nommer
professeur à l'Université d'Iéna, le conseilla, le stimula,
l'éleva au-dessus de lui-même.
C'est le temps où Schiller étudie Kant avec passion. Le
travail a ruiné sa santé. Mais en 1791, le prince de
Holstein-Augustenbourg et le ministre danois Schimmel-
mann lui offrent pendant trois années consécutives une
pension de mille thalers qui lui permet un repos néces-
saire. 11 profite de ses loisirs pour se livrer a la philo-
sophie et il compose de 1793 à 1796 son traité De la grâce
et de la dignité où il demande, contre Kant, que le devoir
s'accorde avec le penchant et que l'homme aime la loi
morale tout en la respectant ; ses lettres sur V Éducation
esthétique de Vhomme où il plaide, comme il dit, la cause
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240 LITTBRATURB ALLBBIANDB
du beau et subordonne la morale à Testhétique; sonopus*
cule sur l'art tragique^ où il essaie de concilier les vues
d'Âristote avec la théorie kantienne du sublime; son
traité sur la poésie naïve et la poésie sentimentale y celui
de tous ses traités philosophiques qui lui appartient
le plus en propre. Selon Schiller, la poésie est naïve,
lorsqu'elle rend ce qu'elle voit ; sentimentale, lorsqu'elle
imagine au lieu de copier et substitue ses aspirations k
la réalité; la poésie naïve, c'est la poésie antique, réa-
liste, objective; la poésie sentimentale, c'est la poésie
moderne, idéaliste, subjective. Théorie fragile, un peu
subtile et obscure, mais remarquable par une forme bril-
lante, par une argumentation vigoureuse, par de profonds
aperçus, par des jugements durables sur les poètes
allemands.
La poésie lyrique de Schiller est par suile une poésie
philosophique. Déjà, en 1783, dans VAnthologiey parmi
des poèmes de tous les genres et de tous les tons, les
Odes à Laure^ assez étranges et ampoulées, célébraient
l'amour comme le principe de l'univers. Déjà, en 1789,
dans le poème des Artistes, long, décousu, monotone,
Schiller montrait que la civilisation n'avait pu se pro-
duire que par la puissance de l'art qui fit tomber la
barrière de la vie animale. Peu à peu, sous Tinfluence de
Gœthe, il réussit à mettre dans sa poésie plus de variété,
plus de clarté, plus de mesure. Comme auparavant, ce
sont des idées générales, et non des sentiments person-
nels qu'il exprime : il ne chante pas dans la Dignité des
femmes le bonheur que lui donne Charlotte de Lengefeld;
il oppose, en strophes musicales et très bien construites,
l'homme et la femme : l'homme, énergique, fougueux,
inassouvi^ endurci par la lutte, emporté par la passion ;
la femme, douce, gracieuse, sensible, bienfaisante. Et
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LE XVlll^ SIECLE 241
quelle feuite d'images émouvantes, quels accents pathéti-
ques, soit que dans les Idéals l'étude et l'amitié le
consolent de sa jeunesse envolée; soit que dans V Idéal
et la çie il recommande de fuir sur les hauteurs du beau
en ces sereines régions où disparait le souci des choses
terrestres; soit que dans Aspiration et Le Pèlerin il glo-
rifie de nouveau l'idéal et reconnaisse douloureusement
que ce pays des miracles vers lequel il a marché d'un
pas infatigable avec confiance et hardiesse, est toujours
trop haut, toujours trop loin ; soit qu'en un poème aussi
grandiose qu'ingénieux, tout en narrant par le menu la
fonte de la Cloche dont les sonneries accompagnent tant
de nos actes, il retrace l'existence humaine, ses prin-
cipaux épisodes et ses contrastes, d'abord la vie privée,
les espoirs et les désirs du premier amour, le mariage,
le père se jetant dans la mêlée de ce monde, la mère
régnant dans le cercle domestique sans jamais se
reposer, l'incendie qui dévore soudain les fruits d'un
long labeur, l'épouse enlevée par la mort et le foyer
devenu vide, puis la vie publique, concorde, ordre,
patriotisme, et, comme naguère dans la famille, le
malheur succédant au bonheur, la révolte, l'anarchie, les
vices se donnant carrière !
Ses ballades expriment de même une vérité morale :
V Anneau de Polycrate^ l'inconstance de la fortune; la
Cautiony le dévouement d'un ami sincère ; le Dragon^
l'humilité chrétienne; Fridolin et les Grues d'ibycus,
l'inévitable châtiment du crime ; le Comte de Habsbourg,
la récompense de la piété ; le Plongeur ^ la mort réservée
aux téméraires; Toggenbourgy un amour fidèle jusqu'à la
tombe, et dans tous ces morceaux Schiller déploie son
talent dramatique, concentrant l'action, graduant les
événements, préparant de loin le dénouement, tenant le
urriiiATORi AiuMAm>i. 16
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S4S LITTÉRATURE ALLEMANDS
lecteur en suspens. Il s'attache à la forme, entremêlant
les mètres et les rythmes, usant de Tallitération, de
Tassonance, de l'harmonie imitative, et par la chaleur, par
le mouvement, par la vie qu'il donne à son récit, faisant
de la ballade un tableau aux couleurs éclatantes. Quelle
peinture vive et variée des fauves qui paraissent dans
le Gant ! Quelle saisissante description du gouffre dans
le Plongeur] Quelle vigueur dans les strophes d^Jbycus
qui représentent le chœur des Euménides à la marche
lente, au chant terrible !
Schiller est alors de 1796 à 1805 dans le plein épa-
nouissement de son génie littéraire et, selon le mot
d'un contemporain, il remonte des souterrains de la
métaphysique à la lumière du jour. Les drames suivent
les drames : Wallenstein en 1799, Marie Stuart en 1800,
la Pucelîe d^ Orléans en 1801, la Fiancée de Messine en
1803, Guillaume Tell en 1804.
Trois parties, le prologue ou le Camp de Wallenstein^
les Piccolomini en cinq actes, la Mort de Wallenstein en
cinq actes, onze actes en tout, forment le Wallenstein^
et il y a nécessairement des longueurs dans cette œuvre
immense. Mais elle est imposante et elle offre une action
ininterrompue. D'un bout à l'autre le duc de Friedland
domine le drame ; pas une scène qui ne se rapporte à lui ;
on ne le perd pas de vue. Le Camp explique et annonce
son crime : quoique invisible, Wallenstein est présent;
son souvenir hante les esprits; son nom remplit les con-
versations; on comprend, en écoutant ses soldats, que
sa puissance ait séduit son cœur, et, comme ils disent,
qu'il peut tout oser puisqu'il est le premier après l'empe-
reur. Et dans les dix actes suivants, il entre en lutte
avec l'empereur! C'est un grand ambitieux, né pour
mener et manier les hommes, dévoré d'orgueil, plein
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LE XVIII* 8IBCLB 243
d*une foi inébranlable en lui-même, convaincu que son
destin n'aura rien de vulgaire. Il devine que la cour le ^6^
destituera, et il refuse de tomber dans le néant. Non :
il sera prince, lui aussi ; il sera roi ; il s'alliera aux
ennemis pour dicter la paix k l'empereur et lui ravir la
couronne de Bohème. Or il sait l'entreprise difficile : il
s'attaque h la légitimité, à une autorité consacrée par le
droit, par le temps, par l'affection des peuples, et, coûte
que coûte, il doit réussir ; l'échec le fait coupable, et le
succès, innocent. Par suite, il tergiverse, il pèse le pour
et le contre, il réfléchit longuement, il ne veut lever le
masque qu'à l'extrémité. L'arrestation de son émissaire
Sesina l'arrache à ses atermoiements. Il reçoit le Suédois
Wrangel dans son cabinet, et le crime franchit son seuil.
Mais n'avait-il pas admis la pensée de la trahison?
N'avait-il pas, selon ses propres termes, joué avec le
diable? Il faut passer des idées aux actes. Plus de retour
possible. Il est traître^ et ce seul mot prononcé détache
de lui les généraux et les régiments sur lesquels il comp-
tait; il est traître, et les assassins qui tremblaient
naguère devant lui, qui le réputaient invulnérable, ne
balancent plus à le frapper. Quel que soit le prestige de
Wallenstein, l'armée qu'il commande est l'armée de
Tempereur, elle a prêté serment à l'empereur, et ce ser-
ment, elle le tient; elle lâche son général. Fin déplo-
rable et méritée! Wallenstein n'a pas, de l'aveu même
de Schiller, la noblesse de l'âme; il marierait sa fille
Thécla à un roi, et non pas au généreux Max; il ne
regarde les hommes que comme des instruments; il
a indignement desservi Buttler à la cour. Et pourtant,
il inspire sympathie et pitié. Il a des qualités aimables
et quelques-unes de ces moindres vertus dont parle
La Bruyère et que n'avait pas Condé. Il aime tendrement
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244 LITTERATURE ALLEMANDE
Thécla, il pleure la mort de Max, il ne s'engage dans la
voie du crime qu'avec hésitation, sur les instances d'illo
et de la comtesse Terzky, sa belle-sœur et admiratrice
passionnée, qui par un ardent et fébrile discours
triomphe de ses derniers scrupules, et, s'il trahit l'empe-
reur, il est pareillement trahi par Octavio. Pour rendre
le personnage plus humain, et tout en le revêtant d'un
mystérieux attrait, Schiller lui prête une faiblesse com-
mune aux gens de ce temps-là, la croyance à l'astrologie.
C'est parce que Wallenstein a confiance dans les étoiles
qu'il se livre à Octavio; c'est au sortir d'un songe pro-
phétique qu'il fait d'Octavio son ami. Non qu'il s'aban-
donne aveuglément aux planètes : il dit qu'elles sont
chancelantes, trompeuses, et à l'heure où l'attendent les
meurtriers, il s'imagine que le destin lui sera favorable;
mais précisément parce qu'il ne prévoit pas la mort qui
le guette et parce qu'à ce moment il assure qu'avec Max
le beau a disparu de sa vie, il excite en nous une pro-
fonde émotion.
Il n'écrase pas les autres figures. Elles ont des traits
marqués : Illo, grossier et rude; Terzky, rusé et agis-
sant; Isolani, mauvais payeur et faisant la fête malgré
ses dettes; Buttler, couvant sa vengeance; Octavio,
homme très chatoyant, à la fois politique et guerrier,
tendre père, ami perfide, fidèle à l'empereur et usant de
moyens qui jettent de l'odieux sur sa fidélité. De tous,
Max est le plus attachant. Il a le ton sentimental, il
abonde en tirades, et qui ne connaît son couplet sur la
paix, ce couplet que Napoléon III récitait au prince
Albert, ce couplet, si joli, si frais, qui retarde la marche
de l'action comme dans le couplet même le peuple en
son aimable empressement retarde la marche des batail-
lons victorieux? Son rôle contient des longueurs; s'il
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LB XVIII« SIECLB 245
parle bien, il parle trop. Mais le jugement qu'il porte
sur le généralissime est celui du poète et le nôtre. Un
des chefs les plus remarquables de Tarmée malgré son
âge, lié à Wallenstein par l'enthousiasme et non par
l'intérêt, le dernier à le quitter, Max le conjure de ne
pas trahir, parce que la trahison est ce noire comme
l'enfer ». Thécla se montre digne de Max. Comme elle
devine d'emblée que les Terzky ne la caressent que
pour l'exploiter! Avec quelle tranquillité d'âme elle
attend l'orage menaçant et garde son amour, cet amour
qui dans la maison d'un Wallenstein doit se revêtir
d'une armure d'airain et se ceindre pour un combat k
mort! Quelle grandeur lorsqu'elle dicte à Max, qui la
prend pour arbitre, la suprême résolution! Même dans
le prologue, dans le Campy si court qu'il soit, les person-
nages ont chacun leur physionomie : le Croate, crédule
et rapace; le tirailleur, gai et léger comme un Lorrain;
le premier chasseur, insouciant, inconstant, galopant
d'un camp à l'autre ; les arquebusiers, las de la guerre et
qualifiés de courtauds de boutique par le reste de
l'armée; le maréchal des logis qui voit tout et connaît
tout; le premier cuirassier que le sentiment de l'honneur
anime et soutient dans son inquiète existence ; la vivan-
dière qui conte ses aventures avec une si bonne humeur;
le capucin qui mêle dans son sermon — un centon
d'Abraham a Sancta Clara — les citations bibliques, les
burlesques invectives et les jeux de mots.
Le Wallenstein est l'œuvre la plus grandiose de
Schiller et du théâtre allemand. Chacune de ses parties
a son héros : dans le Camp^ les soldats; dans les Picco^
lomini^ les généraux; dans la Mort de Wallenstein^ le
généralissime, et chacune produit son impression
propre : dans le Camp^ de la fougue, de la joie et la
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346 LITTBRATURB ALLEMANDE
verve soldatesque; dans les Piccolominiy quelque chose
de plus paisible, Tallure d'une négociation, les lenteurs
où se plait un amour naissant; dans la Mort de Wallen-
steiriy lorsque le sort en est jeté, du mouvement, de la
rapidité, l'action se précipitant vers son but, et chez les
personnages je ne sais quoi de plus résolu, de plus
sombre, de plus tragique. Schiller avait raison de dire
qu'il alliait dans cette pièce à la chaleur et au feu de ses
premiers drames le calme énergique et la force qui se
commande. Sa langue, devenue plus ferme et plus solide,
a, dans l'ensemble, un coloris poétique, beaucoup d'éclat
et d'harmonie, et néanmoins elle a souvent le ton popu-
laire et franc. Chacun tient le langage qui lui sied : lUo
parle comme un brutal; Isolani, comme un viveur;
Buttler comme un vieux sabreur; Questenberg, comme
un diplomate raffiné; Max, comme un jeune homme
chevaleresque et tout plein de l'idéal ; la Terzky comme
une femme vive et nerveuse; Wallenstein, comme un
général d'armée et un souverain ; le reitre du Camp^
bref et brusque, impérieux et fier, comme le soldat qui
méprise le bourgeois et houspille le paysan. L'œuvre ne
pèche que par son étendue, et Schiller avouait qu'il
avait eu en la composant un accès d'esprit épique.
Serait-il possible toutefois de retrancher, comme on l'a
proposé, l'épisode de Max et de Thécla? La noblesse des
deux amants si beaux, si purs, et qui n'écoutent que la
voix de leur cœur, fait un tel contraste avec la bassesse
de leurs entours ! Et dans la catastrophe où Wallenstein
entraine tous les siens, ne sont-ils pas les principales,
les plus touchantes victimes?
Marie Stuart contient un peu trop de rhétorique et
dans la scène où l'héroïne confesse ses péchés et com-
munie, Schiller abuse peut-être du pathétique. Mais la
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LB XVI 11" SIÈCLE 247
pièce offre une action régulière et vraiment une. Tout
pivote autour de Marie; les personnages sont pour ou
contre elle ; ceux-ci veulent la sauver, ceux-là Timmoler,
et elle, quoique prisonnière, ne demeure pas inerte et
impuissante : c'est elle qui fixe son destin. Dans le parc
de Fotherîngay où elle vient d'exhaler sa joie, de boire
à longs traits Tair du ciel et de saluer les nuages qui
voguent vers la France, voila qu'elle aperçoit soudain sa
rivale ; elle a désiré cette entrevue décisive ; elle souhai-
terait de toucher Elisabeth ; elle craint d'abord de l'offen*
ser ; elle supplie Dieu d'ôter de son discours tout aiguillon
blessant. Elle est provoquée, et à l'ironie insultante
d'Elisabeth elle répond par les reproches les plus san-
glants. Scène superbe où se révèle le caractère de Marie!
La femme qui se réjouit d'avoir enfoncé le couteau dans
le cœur de son ennemi, n'est-ce pas celle qui^ selon
Schiller, commanda l'assassinat de Darnley son époux?
Elle meurt donc parce qu'elle a refusé de s'humilier
devant Elisabeth^ et elle meurt, calme, sereine, triom-
phante, comme si elle avait la couronne sur la tète,
rachetant par cette sorte d'expiation et de martyre son
passé coupable, prouvant qu'elle est meilleure que sa
renommée et qu'elle a failli, entraînée par la jeunesse et
par la fragilité humaine. En revanche, tandis que Marie
est reçue, comme elle dit, dans les bras de la miséri-
corde divine, Elisabeth vit et règne, méprisée de tous,
de Burleigh qu*elle exile, de Shrewsbury qui renonce à
la servir, de Leicester qui l'abandonne. Schiller l'a peinte
hypocrite, jouant sans cesse la comédie de la vertu,
affirmant que ses seuls plaisirs sont les austères devoirs
de la royauté, et, en réalité, galante, dépravée, proposant
a Mortimer de se livrer à lui s'il tue Marie. Rien de sin-
cère en elle, sinon son amour pour Leicester et sa haine
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248 LITTERATURE ALLEMANDE
contre la Stuart, contre cette Stuart qui lui dispute légi-
timement le trône d'Angleterre et qui l'emporte sur elle
en beauté. Quoi, elle a Tâme forte, et Marie, cette faible
femme, a gagné le cœur de tous les hommes! Eh bien,
Marie mourra, et Elisabeth sera libre comme Tair sur
les montagnes! Néanmoins elle veut toujours sauver les
apparences-, elle signe la sentence de mort, puis elle
assure qu'elle n'a signé ce jugement que sous la pressioo
populaire, qu'elle ne Ta pas transmis, que ses ministres
l'ont exécuté de leur propre mouvement. Devant Elisa-
beth et Marie s'efiacent les autres personnages de la
pièce : Leicester, le courtisan lâche, perfide, impudent;
Shrewsbury, l'homme loyal et juste qui conseille l'indul-
gence; Burleigh, le politique impitoyable qui ne connaît
que la raison d'État; Paulet, l'inflexible et hon^nête
geôlier; Mortimer qui présente un singulier mélange
d'ardeur amoureuse et de religieuse exaltation, et qui
confond dans sa suprême prière Marie Stuart et Marie,
mère du Christ.
De même que Marie Stuart, la Pucelle âk Orléans est
une pièce bien ordonnée où tout se lie et s'enchaîne.
Schiller l'intitule « tragédie romantique » parce qu'elle
représente le merveilleux chrétien du moyen âge. A cer-
tains moments, l'héroïne est « pleine de Dieu »; tout son
être respire la divinité qui l'envoie ; elle révèle l'avenir,
elle accomplit des choses incroyables, chasse les Anglais,
conduit à Reims son seigneur et roi. Ce ne sont que
miracles, prodiges, superstitions : Talbot reparaissant
sous la forme du chevalier noir; le tonnerre semblant
témoigner contre Jeanne ; la vierge brisant ses triples
fers et mourant dans son triomphe, le drapeau à la main,
les yeux fixés vers le ciel, où Marie souriante l'attend au
milieu du chœur des anges. Mais cette surhumaine
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LB XVIII" SIÈCLE 249
Pucelle, Schiller veut qu'elle soit tragique, et, par con-
séquenty qu'elle sente et souffre comme nous. Jeanne ne
devait pas faiblir : Dieu lui a dit qu'elle aurait la gloire
des combats par-dessus toutes les femmes de la terre à
condition qu'elle n'aimerait aucun homme. Eh bien,
Jeanne faiblira, Jeanne aimera un homme. Schiller a
soin de montrer que cette guerrière n'est pas dure et
insensible. Elle fait au vallon de Domrémy des adieux
déchirants; elle a la douceur, la pitié, la tendresse, un
aimable visage, les grâces de son sexe, et ainsi, selon
Schiller, nul ne s'étonnera qu'elle ouvre son âme à
l'amour. Soudain, au soir d'une action, dans un coin du
champ de bataille, elle rencontre Lionel, et dès qu'elle
a vu ce bel Anglais, elle l'aime; elle allait le tuer, elle
l'épargne et Tengage à fuir. Elle a donc failli, et le
remords s'empare d'elle. Donner son cœur ii un homme
et à l'ennemi de son pays ! Il lui faut expier sa faute :
lorsqu'à Reims, devant la cathédrale, son père l'accuse
de magie, elle garde le silence et accepte une honte
qu'elle croit mériter. Mais, après avoir erré dans la forêt
des Ardennes au milieu de la tempête, et comme si cet
orage, selon ses propres termes, était son ami et l'avait
purifiée, de même qu'il a purifié le monde, elle redevient
la Jeanne de naguère, résolue et fière d'elle. Elle a
vaincu sa faiblesse. Elle sait qu'elle n'est pas déchue,
qu'elle n'est pas coupable. Quand elle tombe dans les
mains de Lionel, elle lui déclare fièrement qu'elle ne
peut l'aimer, et quand elle meurt, la force d'âme qu'elle
a déployée et la victoire qu'elle a remportée sur elle-
même prouvent qu'elle était digne de sa mission divine.
Telle est la Jeanne de Schiller. A vrai dire, elle agrée
assez peu aux Français. Quoi ! Elle tue Montgomery qui
lui demande quartier! Dunois et La Hire se passionnent
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250 LITTÉRATURE ALLBMANDB
pour elle! Elle s'éprend de rÂDglais Lionel! A la Jeanne
du drame allemand, nous préférons la Jeanne de nos
chroniques, cette Jeanne intrépide et qui pourtant ne
tirait pas Tépée, cette Jeanne qui ne pensait qu'à la
patrie et qui ne souhaitait que de bouter l'Anglais hors
de toute France, cette pure vierge, pour qui, suivant
l'expression même de Schiller, le regard, le désir d'un
homme était un objet d'horreur et une profanation.
Après Jeanne d^ArCy la Fiancée de Messine. Schiller
voulait composer une tragédie dans le goAt antique. De
même que Gœthe, il s'était mis a l'école des Grecs. Dès
1788, dans les Dieux de la Grèce^ il regrettait le monde de
l'Hellade, et les dieux, et la beauté exilée avec eux. II tra-
duisait r//?/ii^^/tie d'Euripide et des fragments des Phéni-
ciennes. La Fiancée \de Messine fut donc un savant pas-
tiche des tragiques grecs : l'action est simple et une;
grâce au chœur, le lyrique et le dramatique se mêlent;
le sujet rappelle VŒdipe roi. Isabelle, princesse de
Messine, a fait secrètement élever dans un couvent sa
fille Béatrice que son mari ordonnait de mettre à mort.
Ses deux fils. Manuel et César, connaissent Béatrice
sans savoir qu'elle est leur sœur; tous deux l'aiment, la
regardent comme leur fiancée. Mais César trouve
Béatrice dans les bras de Manuel; il tue Manuel et se
tue ensuite. Or, un astrologue et un moine avaient
prédit, l'un, que Béatrice ferait périr ses deux frères,
l'autre, qu'elle les réunirait dans l'amour. Là-dessus,
Schiller a bâti sa pièce. Il veut qu'une malédiction pèse
sur la maison princière de Messine, et il déclare expres-
sément que la main omnipotente des dieux trame mysté-
rieusement le destin de cette famille. Mais peut-on s'in-
téresser à des personnages qui ne sont que les instru-
ments passifs d'un pouvoir supérieur? Faut-il qu'ils
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LB XVII1« SISCLB 251
pâtissent des crimes de leurs pères? Ont-ils mérité leur
malheur? Et Schiller ne s'est-il pas démenti? En réalité,
la passion, et non une volonté d'en haut, détermine les
actes de ses héros. Est-ce sous l'empire de la fatalité
que Manuel pourchasse la biche blanche qui le mène à
la porte d'un jardin aux pieds de Béatrice? N'est-ce pas
la curiosité, et non la puissance d'un astre malfaisant,
qui pousse Béatrice a l'église où César l'aperçoit? Lors-
que César accoste la jeune fille, ne dit-il pas qu'il saisit
et fixe le hasard? Et s'il immole Manuel, n'est-ce pas
dans un de ces accès de fureur qui lui sont naturels?
Dès lors, pourquoi tant parler de l'inéluctable destin?
Les caractères sont, au reste, trop faiblement marqués.
Ils n'appartiennent vraiment à aucune époque, et ils
pourraient, comme dans la fille naturelle de Goethe,
porter, au lieu de noms propres, des noms génériques.
Par contre, la langue de Schiller n'a jamais eu plus de
force, plus d'harmonie que dans Isl Fiancée de Messine;
jamais elle n'a été plus achevée, plus classique : un ton
plein de vigueur et de gravité, des figures audacieuses,
des images saisissantes et largement déroulées. C'est
que le chœur qui participe à l'action s'exprime, avec un
incomparable éclat, et, dit Schiller, le langage lyrique
du chœur commandait au poète de donner à son style
plus d'élévation. Quel dommage que, malgré la splendeur
de la forme, malgré l'énergique peinture des passions
et l'intérêt des situations, la vie fasse défaut! Et pour-
tant, qui ne comprend, après avoir lu la pièce, que les
étudiants d'Iéna, au sortir de la première représentation
se soient écriés avec enthousiasme : Viç^e le poète de
l'Allemagne?
On a toujours blâmé dans le Tell cette sombre figure
de Jean le parricide qui se montre au milieu de l'allé-
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252 LITTBRATURB ALLEMANDS
gresse de la délivrance : Schiller oppose très inuti**
lement le meurtre de l'empereur Albert au meurtre de
Gessler ; qui ne sent que Jean est un assassin et que Tell
a protégé son foyer et défendu ce qu'il avait de plus
cher? Mais le peuple suisse est le héros du drame, et
que de personnages vivants! Non pas Rudenz, patriote
attardé qui ne se tourne contre les baillis que parce
qu'il aime Bertha; non pas Bertha, assez effacée, bien
qu'elle dicte à Rudenz son devoir; mais le vieil Atting-
hausen qui recommande l'union en termes touchants et
salue les temps nouveaux avec éloquence; Melchthal,
ardent, téméraire, et qui peu à peu s'assagit; Stauffacher,
courageux et sagace, énergique et avisé, exhortant,
guidant ses compatriotes et proclamant le droit d'insur-
rection contre la tyrannie; Gertrude Stauffacher au lan-
gage si cornélien! Quant à Tell, c'est un montagnard
droit et loyal, calme et résolu, homme d'action et non
homme de conseil. 11 ne fera pas défaut k ses amis au
jour du péril, mais il ne conspire pas, il ne participe
pas k la conjuration du Rûtli; s'il agit, c'est après avoir
longtemps patienté, lorsqu'il est poussé k bout, et il agit
a coup sûr, au moment décisif, avec un ferme vouloir,
non sans mûre réflexion ; il a de la dignité dans sa sim-
plicité, de la grandeur dans son naturel, de l'héroïsme
dans sa naïveté. Il se désespère lorsque Gessler lui com-
mande de percer une pomme placée sur la tète de son
enfant, et on a dit qu'il n'aurait pas dû tirer; mais s'il ne
tire pas, il sera, ainsi que son fils, immolé par Gessler,
et il tire. On a dit aussi qu'il aurait dû lancer sur Gessler
sa première flèche ; mais il respecte encore dans le bailli
le représentant de l'empereur. Il avoue qu'il réservait sa
seconde flèche k Gessler, et on l'a traité d'imprudent et
de philistin; mais il ne ment jamais, et la colère, la
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LB XVIII^ SIECLE 253
douleur qu'il ne peut maîtriser, éclatent irrésistiblement.
On lui reproche d'avoir tué traîtreusement Gessler, on
prétend même qu'il ne tient pas la parole donnée au
bailli et qu'il essaie dans le fameux monologue de jus-
tifier son acte. Mais il n'a rien promis au bailli, et il tue
Gessler parce que Gessler l'a provoqué, l'a jeté hors de
sa paix, l'a forcé à viser la tète de son fils ; il tue Gessler
parce que tant que vivra ce tyran aux cruels caprices, il
n'y aura pas de sécurité et pour Tell et pour ses enfants;
— et il tue Gessler en flagrant délit, à l'instant où le
bailli piétine une femme suppliante et jure de dompter
l'esprit de liberté : Staufiacher ne dit-il pas au Rûtli
qu'il est difficile et presque dangereux d'épargnerGessler?
Le poète décrit dans le Tell à la fois une révolution et
un payi. La révolution, il la veut et il la montre néces-
saire, ^nanime, pure de tout excès et modérée dans la
victoire. Le pays, il ne l'avait jamais vu; mais il avait lu
la chronique de Tschudi et nombre de livres sur la
Suisse; il a très adroitement enchâssé les traits qu'il
avait recueillis au cours de ses lectures et il trace un
fidèle et frappant tableau de la région des Quatre-Can-
tons, de son lac, de ses rocs et de ses glaciers, de ses
coutumes et de ses mœurs. La langue du Tell est d'ail-
leurs simple, naturelle, émaillée de vieilles locutions,
de tours populaires et de dictons qui lui donnent un air
de vigueur et de loyauté, et dans cette langue Schiller a
peint des scènes inoubliables, comme la scène de la
pomme, comme la scène du Rûtli où les meilleurs des
cantons, assemblés dans la nuit sous la voûte étoilée,
jurent de mourir plutôt que de vivre esclaves, comme la
première scène de l'œuvre, ce petit drame qui prépare
et annonce le grand drame, l'idylle alpestre suivie d*un
terrible orage, le lac d'abord souriant et subitement
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254 Lim&RATURB ALLEMANDS
agité jusqu'en ses profondeurs, les gens du pays qui
chantent et devisent, et soudain Baumgarten accourant
hors d'haleine, fuyant les cavaliers du bailli, implorant en
vain Taide d'un batelier et sauvé par Tell qui brave la
fureur des flots.
Le succès du T^s^Z avait enhardi Schiller, et il entreprit
un Démétrius, La diète de Cracovie, rompue par le veto
d'un seul, ouvrait la pièce; on voyait ensuite le faux
Dmitri poussant sa pointe victorieuse, apprenant avec
désespoir qu41 n'est pas le véritable tsar, soutenant son
rôle et, après avoir triomphé, succombant sous les coups
des conjurés aux pieds de Marfa, sa prétendue mère, qui
le reniait. Mais Schiller n'avait pas terminé le deuxième
acte lorsqu'il mourut le 9 mai 1805.
C'est un grand lyrique, bien que l'idée abstraite l'em-
porte souvent dans ses poésies sur l'imagination, et
avant tout, c'est un grand dramatiste. Il sacrifie par
instants la vraisemblance à l'effet; il ne motive pas suffi-
samment les actes de ses personnages; il leur prête un
langage trop fleuri; il fait parler ses paysans comme des
héros d'épopée. Mais il a créé le drame classique alle-
mand. Il était né pour le théâtre. Lessing et Goethe sont
un peu froids et livresques ; Schiller a quelque chose de
plus chaud et de plus vibrant, de plus émouvant et de
plus entraînant. Il ne brille pas seulement dans les dia-
logues, dans les récits, dans les scènes isolées. Une
impression d'ensemble domine ses drames, et un soufifle
puissant d'inspiration morale y circule. Lui-même y vit
et y respire : on le voit d'œuvre en œuvre gagner et
mûrir; on le voit s'acheminer non sans tâtonnements ni
efforts vers la perfection, et grâce à la vigueur de son
esprit et à un superbe déploiement de volonté, dépouiller
peu a peu ce qu'il avait de déclamatoire et de subtil.
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LB XVIII* SIÂCLB S66
acquérir la mesure, la simplicité, la vraie grandeur, et
quoiqu'il dispose d'un vocabulaire restreint, trouver un
style à la fois clair et magnifique, un style qui n'est ni
trivial ni guindé et qui sait s'abaisser au ton de la con-
versation familière ou se hausser au ton du plus noble
enthousiasme. Sérieux, élevé, étranger à toute vulgarité,
un de ces hommes qui, selon le mot de Humboldt, ne
vivent que dans la sphère des idées, Schiller célèbre ce
qu'il nomme les grands objets de l'humanité; il glorifie
la liberté, l'amour de la patrie, l'empire de la volonté sur
les passions; il représente des personnages dont les
actes nous servent de leçon, et sans disserter ni prêcher,
il met toujours dans ses drames une grande pensée qui
vient de son cœur.
Gœthe.
Goethe appartient par sa naissance (28 août 1749) à
une riche famille bourgeoise de Francfort, et il a dit jus-
tement qu'il doit a son père le sérieux de la conduite,
l'amour de l'ordre et de la méthode, la froide raison,
à sa mère l'enjouement, la belle humeur, la vivacité de
l'imagination et le don de conter.
Après avoir fait ses premières études dans la maison
paternelle, il alla suivre, en 1765, à l'Université de
Leipzig les cours de droit. Il y composa deux pièces
dans le goût français, une spirituelle pastorale. Aminé
ou le Caprice de F amant et la comédie de Tous coupables.
Ses vers lyriques n'avaient encore rien d'original et de
profond; mais il peint la nature, et, dès cette époque,
il a résolu de puiser ses inspirations en lui-même, de
fixer sur le papier ses joies et ses tourments, ce qui
le touche et le frappe. Ne dit-il pas que ses œuvres ne
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256 LITTÉRATURE ALLEMANDE
sont que les fragments d'une grande confession et ses
poésies, que des poésies de circonstance?
Malade, il revint a Francfort au bout de trois ans, et,
en 1769, pratiqua les sciences occultes, magie, alchimie,
fréquenta des mystiques, M"' de Klettenberg et le
docteur Metz. En 1770, il est à Strasbourg où il ooi>-
tinue ses études juridiques et obtient le diplôme de
licencié. Mais il suit aussi les cours d'anatomie et il
noue avec Herder d'étroites relations. Herder a beau le
persifler, le traiter d'étourdi, de moineau; Goethe baisM
la tète, subit sans regimber ces méchantes railleries :
c'est que Herder l'instruit tout en le cri^quant; il vante
à son jeune ami le Vicaire de Wakefieldy Homère, Sha-»
kespeare, Ossian, Rousseau, et lui fait savourer le
charme de la poésie populaire, des ballades écossaises^
des chansons alsaciennes.
Goethe apprit donc de Herder à connaître un idéal
nouveau de poésie. C'est à Strasbourg qu'il compose les
lieds qui rendent en images si fraîches et si vives son
amour pour la fille du pasteur de Sesenheim, Frédé-
rique Brion. Quelle ardeur en ses veines et quelle
flamme en son cœur lorsqu'il galope vers le presbytère
dans l'ombre de la nuit! Quelle précision et quel éclat
dans le Chant de mai où l'étudiant célèbre avec une
juvénile ivresse la nature printanière qui se met à l'unis-
son de sa joie! Déjà Goethe est le maître du lied, de ce
lied qui rappelle le chant populaire par la naïveté du
tour, par la pureté du ton, par le vers a la fois rapide et
limpide, de ce lied inimitable, indéfinissable où il y a
tant d'harmonie et une émotion si intense, où une pensée
profonde se cache sous la brièveté de la forme et la sim-
plicité de l'accent, où se fondent avec tant de bonheur
les impressions des sens et les sentiments de Tâme.
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LB XVIII* BIBGLB 367
Rantré à Francfort, Goethe exerça le métier d'avocat
consultant. Mais les souvenirs de Strasbourg et les entre-
tiens de Herder vivaient en lui. Il collaborait aux
Annonces saçantes de Francfort. Il écrivait un brûlant
dithyrambe sur t arclUtecture gothique. Il prononçait
dans un cercle d amis un discours en Thonneur de Sha-
kespeare et affirmait que les hommes créés par le grand
WîU, par le Will de tous les Will, étaient la nature
prise sur le fait. Sous l'influence de Shakespeare, il
publiait, en 1773, son Gœtz de Berlichingen.
Il avait, à son retour de Strasbourg, lu l'autobiogra-
phie de Gottfried de Berlichingen, et il n'avait pu la
lire de sang- froid. Il ne songea pas que Gœts avait
plaidé pour lui-même, que Gœtz s'était souvent battu
sans autre souci que de ferrailler et de butiner; l'aven-
turier lui parut une sorte de Bajard, un loyal chevalier
qui voulait au milieu de l'anarchie établir la justice. La
pièce su de graves défauts. L'action s'éparpille et, dans
les trois derniers actes, elle se précipite vers son terme
avec une vitesse étourdissante. Goethe, comme disait
Herder, avait été gâté par Shakespeare. Il félicitait Sha-
kespeare de rejeter les unités, d'avoir des plans qui ne
sont pas des plans, de faire de ses pièces un kaléido-
scope magnifique. Lui aussi a rejeté les unités, lui aussi
n'a pas de plan, lui aussi a fait de sa pièce un kaléido-
scope. Que de choses défilent sous nos yeux! Que d'épi-
sodes ! Que de monde ! Et les caractères sont-ils creusés
avec profondeur? Gœthe n'explique pas assez comment
Gœts devient chef des paysans révoltés. Il ne montre
pas assez que Weislingen, poursuivant son ancien ami,
est poussé par l'aiguillon de la rancune et de la ven-
geance. Il n'analyse pas assez l'âme ambitieuse d'Adé-
laïde. Il dénature la physionomie du temps où il place
UtriBATOlUt AlUMAIIDI. 17
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258 LITTÉRATURE ALLEMANDE
son drame. Est-ce évoquer la Réforme que d'introduire
le frère Martin? Si ce moine se prénomme comme
Luther, s'il appartient comme Luther au couvent d'Erfurt,
il n'apparaît que pour déplorer le vœu que TEglise lui
impose et pour rendre hommage à la vaillance de Gœtz.
L'empereur Maximilien n'a-t-il pas une attitude trop
piteuse? Enfin, Gœtz est-il vraiment le défenseur du
droit? Ne commet-il pas, selon le mot de sa sœur, plus
d'injustices qu'il n'en répare? N'est-il pas, en dépit de
Gœthe, un chevalier-brigand, puisqu'il ne s'inquiète pas
de l'Empire et ne veut dépendre que d'un empereur
impuissant, puisqu'il préfère k l'empereur la liberté,
c'est-à-dire la liberté de faire ce qui lui plait? C'est que
Gœthe communique à Gœtz quelque chose de lui-même,
son propre désir de ne servir personne. Il prête à Weis-
lingen ses irrésolutions et ses remords : Weislingen
délaisse Marie ainsi que Gœthe avait délaissé Frédé-
rique Brion. Dans son drame, comme ailleurs, Gœthe a
mis ses affections et ses haines. Il donne à un lieutenant
de Gœtz le nom de Lersé, un de ses commensaux de
Strasbourg, et à la femme de Gœtz le prénom de sa
mère, Elisabeth. Mais quelles que soient les faiblesses
du Gœtz, il offre une série de tableaux remarquables piar
la vigueur du dessin et la richesse du coloris. Qui ne se
rappelle la rencontre du chevalier avec le frère Martin,
et la façon dont il s'entretient avec Weislingen, son
prisonnier, sur un ton de si sincère camaraderie et de si
cordiale amitié? Quelle scène à la fois simple et saisis-
sante que celle où il prie sa sœur Marie et son beau-
frère Sickingen de séparer leur destinée de la sienne!
Avec quel superbe mépris il rabroue les conseillers de
Heilbronn et les commissaires impériaux 1 Quelle sobre
et énergique peinture de la jacquerie, de l'acharnement
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LE XVIIl* SIÀCLB 259
et de ia joie diabolique du paysan Metzler, des terreurs
superstitieuses qu'inspire aux rebelles l'aspect d'une
comète! Quoi de plus pathétique que la mort de Weis-
lingen voyant paraître devant lui cette Marie, qu'il a
trahie jadis, et la prenant pour un fantôme! Rien n'a pâli
dans cette galerie de portraits : Gœtz, respectant la foi
jurée, changeant volontiers la cuirasse contre le pour-
point, aimant les siens avec tendresse, adoré des paysans
dont il accommode les querelles et des bohémiens qui
meurent pour lui; Selbitz, le sabreur; Sickingen, le poli-
tique; Lersé, le fidèle compagnon; le petit George, si
charmant dans sa fièvre de guerre, si brave, le meilleur
enfant qui soit sous le soleil; Elisabeth, la femme sensée,
résolue, virile, qui n'aime, n'admire, ne sert que son
mari et qui le suivrait jusque dans la mort; Marie, douce
et sensible; Weislingeu, faible, indécis, inconstant; le
page Frantz, dévoré d'un fol amour pour Adélaïde, et
cette Adélaïde, la coquette et séduisante châtelaine.
Tcnchanteresse dont Gœthe lui-même avait fini par
s*éprendre, rusée, perverse, prête à tous les crimes pour
conquérir le pouvoir. Et tous vivent, parce qu'ils ont le
relief de la réalité, parce qu'ils contrastent entre eux.
Ils forment deux groupes : le groupe des bons, le groupe
de Gœtz, composé de figures nobles ou touchantes qui
représentent l'honnêteté, le dévouement, l'attachement
au foyer et aux vertus domestiques, et le groupe des
méchants, le groupe de ceux qui, comme Weislingen,
Adélaïde et l'évêque de Bamberg, demeurent à la cour,
sur le théâtre du vice et de la cautèle. Enfin, le style du
Gœtz est vif, alerte, naturel. On y trouve des mots, voire
des passages tirés de la Chronique du chevalier, des locu-
tions de la Bible, des formes et des tournures du dialecte
franconien. Mais tout cela a été très habilement mèlc«
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260 LITTBRATURB ALLEMANDS
très adroitement fondu. Les personnages s'expriment
avec brièveté, et ils parlent la langue qui convient à leur
rang et a leur situation : les uns emploient le haut*alle-
mand correct et pur; les autres ont la parole (amilière
et un peu crue. Le ton diffère à Bamberg et à Jaxthau*-
sen : là, esprit, subtilité, affectation; ici, franchise,
naïveté, aimable négligence.
Un an après Gœts, en 1774, parut Werther; après le
drame, le roman. La encore, Gœthe a mis beaucoup de
lui-même; il a, avouait-il, nourri Werther du sang de
son propre cœur. Il avait, pour achever ses études de
droit, passé quatre mois, de mai k septembre 1772, à
Wetzlar, où siégeait le tribunal de la Chambre impé-
riale. Parmi les amis qu'il se fit alors, était un secrétaire
de la légation de Hanovre, Kestner, homme probe,
réfléchi, instruit, qui devait bientôt épouser Charlotte
Buff, fille d'un régisseur des biens de l'Ordre Teutoni-
que. Le jeune Gœthe vit fréquemment Charlotte; il se
prit à l'aimer, quoique sans espoir, et, pour sortir du
péril, s'éloigna brusquement, sans dire adieu. Quelques
semaines plus tard, Kestner lui mandait qu'un secrétaire
de l'envoyé de Brunswick, Jérusalem, s'était brûlé la
cervelle k la suite d'un chagrin d'amour. Ces impres-
sions de Wetzlar ont fourni le fond de l'ouvrage. Non
que Lotte soit Charlotte Buff, qu'Albert soit Kestner^
que Werther soit Gœthe. Le romancier a transformé per-
sonnages et événements. Kestner n'eut jamais la séche-
resse et la dureté que montre Albert dans les dernières
pages. Charlotte n'avait jamais souffleté des hommes
dans une partie de plaisir, ni regardé le ciel après un
orage en murmurant le nom de Klopstock, ni partagé,
fût-ce un instant, la passion de Gœthe. Quant k Gœthe,
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LE XVin* SIECLE 26!
que de difierenees entre lui et son héros! Werther se
tue, Werther ne sait se contenir, Werther revoit Char-
lotte lorsqu'elle est mariée : Gœthe n'a jamais pensé
sérieusement au suicide ; il avait déjà, comme en témoi-
gne Kestner, un grand empire sur lui-même, et il n'a
e4>nnu Charlotte que pendant qu'elle était fiancée.
Il a voulu peindre dans Werther, selon ses propres
termes, un jeune homme d'un esprit pénétrant et d'une
profonde sensibilité qui « se perd dans ses rêves exaltés
et se mine par la réflexion jusqu'au jour où, bouleversé
par un amour malheureux, il se tire un coup de pis-
tolet ». Dès le début, Werther, qui se souvient encore
d'une jeune fille qui l'aimait et qu'il a délaissée, est venu
se distraire dans la solitude. Il admire la magnificence
du printemps où les arbres et les haies sont des buissons
de fleurs; il voudrait être hanneton et flotter dans cette
mer de parfums. Il confesse qu'il est changeant, inégal,
prompt à l'extrême tristesse et à l'extrême gaité, qu'il ne
peut s'empêcher de traiter son cœur comme un enfant
malade et de lui passer toutes ses volontés. L'existence
lui parait froide, monotone. Même quand il prend du
plaisir, il s'avise qu'il a en lui des forces inemployées.
Le tumulte de son âme ne s'apaise que s'il voit une
naïve créature qui parcourt avec tranquillité le cercle
étroit des occupations domestiques et pense tout uni-
ment, lorsque tombent les feuilles, que l'hiver va venir.
Déjà lui échappe ce mot, que l'homme, si limité qu'il
soit, sort de sa prison quand il lui plaît. II connaît Lotte,
il l'aime, et d'autant plus qu'elle a ce qui lui manque :
la raison et le calme. Et dès lors, tout lui est indifférent;
il ignore s'il fait nuit ou s'il fait jour; il songe que le
plus inquiet vagabond soupire après sa patrie et trouve
dans sa cabane sur le sein de sa femme, au milieu de
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262 LITTBRATURB ALLEMANDE
ses enfants et dans les travaux qu'il s'impose pour leur
entretien, la joie qu'il cherchait inutilement dans le vaste
univers. Mais Lotte est promise à Albert, qui lie amitié
avec Werther, et Werther refuse de se résigner à l'iné-
vitable ; il s'assombrit ; il entreprend de longues et folles
promenades; la nature ne lui ofire plus le spectacle de
la vie infinie; il la regarde comme un monstre, comme
une tombe éternellement ouverte. Soudain, il s'éloigne,
et le voilà dans une ambassade. Hélas ! les affaires l'en-
nuient, l'étiquette le rebute, ses entours lui paraissent
mesquins et misérables. Il subit un affront, et les condo-
léances de ses amis, le triomphe de ses envieux, lui
arrachent ce cri, que c'est à s'enfoncer un couteau dans
le cœur. Il part de nouveau. Que sommes-nous sur la
terre, sinon des voyageurs et des pèlerins? Instinc*
tivcment, comme le papillon à la lumière, il revient
à Lotte. Et alors, tout l'attriste et le navre. Ce n'est
plus le printemps, c*est l'automne, puis l'hiver; les
arbres se dépouillent, les nuages gris s'étendent sur
la vallée, la rivière inonde les prés. De beaux noyers
qu'il aimait ont été abattus. Une bonne paysanne, qu'il
affectionnait, a perdu son enfant. Un garçon de ferme,
qui lui faisait des confidences, assassine un rival, et
Werther essaie vainement de le sauver. Il rencontre un
pauvre hère qui cherche des fleurs à la fin de novembre :
c'est un commis du père de Lotte, chassé de sa place
pour avoir déclaré sa passion à la jeune fille et qui
depuis a l'esprit dérangé. Enfin, Lotte n'est pas a lui. Il
la voit sans cesse, et, comme il dit, ces charmes qui
passent et croisent devant lui, il ne peut s'en saisir. Il
croit remarquer qu'elle n'est pas heureuse et qu'Albert
ne sait pas l'apprécier; il en veut à Albert et, de son
côté, Albert se plaint de ses visites répétées. Charlotte
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LE XVIIl* SIBCLE S68
aime Werther; un jour, elle se jette dans ses bras, puis,
frémissante d'amour et de colère, elle jure qu'il ne la
reverra plus. C'en est fait, et dans des pages émouvantes,
les plus émouvantes peut-être qu'il ait écrites, Gœthe
raconte le dénouement : Werther, résolu de quitter ce
monde et demandant, sous prétexte de voyage, les pis-
tolets d'Albert; Albert priant sa femme de les donner et
Lotte prenant les pistolets et lès essuyant, non sans
trembler; Werther baisant l'arme que Lotte a touchée
et prenant avec transport des mains do celle qu'il nomme
sa sainte, le froid et terrible calice où il boit l'ivresse de
la mort.
Gœthe a peint avec un art admirable le caractère de
Werther, rêveur, impatient du joug, avide de délicates
jouissances, fier de sa sensibilité qu'il laisse complai-
samment déborder, incapable de vaincre ses passions
et même de les combattre. 11 a préparé le suicide du
personnage. Quoi de plus habile que la conversation
du 12 août? Werther s'applique un pistolet sur le front
et quand Albert part de la pour réprouver le suicide et
le traiter de faiblesse, il déclare avec vivacité que la
nature humaine a ses bornes et qu'il s'agit de savoir,
non si un homme est faible ou fort, mais s'il peut sou-
tenir le poids de ses souiFrances. Quoi de plus caracté-
ristique que les prédilections littéraires de Werther? Il
aime d'abord Homère et son œuvre pleine de clarté, de
sérénité, d'allégresse. Puis il se tourne vers Ossian,
vers un monde où il voit les esprits flotter dans le brouil-
lard, où il entend au milieu des sifflements de la tempête
et du fracas des torrents le chant du barde qui pleure
sur les héros trépassés. Et Ossian le conduit a la mort.
Cest après une lecture d'Ossian, c'est lorsque Werther
a prononcé d'une voix entrecoupée la plainte mélanco-
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SM LITTEBÂTURB ALLEMANDE
lique : « Demain viendra le voyageur qui m'a vu dans
ma beauté, et il ne me verra plus », que Charlotte
tombe défaillante dans ^ea bras.
Le roman a la forme épiatolaire* Gcathe suit l'exemple
de Riohardson et de Rousseau; mais il ne fait parler
que Werther et il lui donne son propre style, le style
du Sturm und Drang^ un style puissant^ riche, divers,
qoi rappelle quelquefois la prose dithyrambique de
Herder et qui joint à la précision et à Tharmonie la
chaleur, Tédat et l'abondance des images. Werther est
en effet un personnage du Sturm und Drang. H lit,
outre Homère et Ossian, la Bible^ Goldsmith, Klop*
stock. Il goûte les scènes champêtres et idylliques. Il
aide une jeune servante à porter une cruche d'eau. II
aime les enfants. 11 décrit avec grâce des épisodes fami-
liera, et quelle fraîcheur, quel charme dans les pr^
mières lettres où parait Charlotte, soit que la jeune fille,
en robe blanche, coupe du pain à ses frères et soBurs
qui tendent vers elle leurs petites mains impatientes,
soit qu'elle se laisse emporter par son cavalier dans ït
tourbillon de la valse, ou qne, durant l'orage qui sur-
vient, elle s'efforce de distraire ses amies effrayées !
C'est un disciple de Rousseau. II compare les lois à
de froids pédants et il blâme les distinctions sociales.
S'il reconnaît que les hommes ne peuvent être égaux, il
souhaite que les personnages d'un certain rang se rap-
prochent du peuple. Il loue les gens de la basse classe
qu'on tient pour incultes et grossiers, mais qui, selon
lui, gardent la parfaite pureté du sentiment; noua
autres, dit-il à peu près, qui nous croyons formés, nous
sommes déformés, nous ne sommes plus rien.
Quel est au reste le modèle littéraire de Goethe?
N'est-ce pas la Nouçelle Héloïse? Werther ressemble à
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LE XVII 1* SIÈCLE M6
Saint'Preux comme Albert à Wolmar, et, avant Gœthe^
Rousseau avait glorifié le» sentiments du eœur, avait
mêlé le paysage au récita associé la nature aux émotioos
de ses héros. Mais Gœthe, bien qu'il abuse» lui aussi, de
la mélancolie et des larmes, est moins déclamatoire que
Rousseau. Il peint la nature autrement que Rousseau
parce qu'il Taime avec un enthousiasme fébrile, avec
une sorte d'exaltation mystique, comme s'il voulait
s'unir à elle et s'absorber en elle. Enfin, il y a de nom*
breoses et longues digressions dans cette Nouvelle
HàloUe que Rousseau lui-même jugeait touffue et feuillue :
Lenz disait qu'on y voyait toujours un peu de la per-
ruque de Jean-Jacques, et Mendelssohn assurait que les
dissertations étaient ce qu'il y avait de mieux, que Rous*
seau n'aurait dû publier que les morceaux de philoso*
phie et de morale. Dans Werther^ rien d'inutile et
d'étranger au sujet; descriptions, effusions, épisodes,
tout est court, tout tend au but que s'est proposé
l'auteur, tout appartient, pour parler comme Gœthe, à
la destinée de Werther et fait corps avec elle.
On sait le succès prodigieux du roman. Il n'a pas,
ainsi qu'on l'a dit, causé plus de suicides que les plus
belles femmes. Mais il suscita ce qu'on a appelé le
werthérisme. Les jeunes gens se plurent à porter
r « uniforme » du héros, habit bleu, gilet jaune,
culottes jaunes, chapeau noir. Aujourd'hui même, Wer--
ifior n'a pas vieilli; le charme des tableaux, la poésie
qui s'exhale des moindres détails, une passion qui
s'exprime en traits de feu, tout ce que ce petit livre
renferme de pittoresque, de saisissant, de tendre, exerce
encore sa puissance sur les âmes. Et qui de nous n'a eu
sa période werthérienne?
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266 LITTÉRATVIIE ALLEMANDE
Clai^ijo parait la même année qae Werther, Ce drame
est tiré dea Mémoires de Beaumarchais et la meilleure
scène offre une traduction presque littérale de l'œuvre
française. Mais Gœthe a mis dans la pièce des souvenirs
personnels. Qui ne le reconnaît dans Clavijo? M6m«
désir et même don de charmer et d^éblouir autrui»
même prestige séduisant, même résolution et même flot*
tement de Tâme. Et Carlos, l'homme pratique, à la
parole nette et au froid raisonnement, n'est^<:e pas
Merck, le caustique ami de Gœthe? Le grand attrait de
la pièce, c'est qu'elle entraine le lecteur comme le spec-
tateur, et nulle part Gœthe, porté par son modèle, n'a
déployé autant de verve et une telle science du dialogue :
fortement conçu, habilenient conduit, Clavijo est le
drame le plus théâtral qu'il ait composé.
11 avait fait Clavijo par gageure, dans l'espace de huit
jours. Durant cette année 1774 et Tannée suivante, sa
fécondité, son exubérance tiennent du merveilleux. Il
collabore à la Physiognomonique de Lavater. 11 écrit son
drame de Stella et des farces spirituelles, brillantes,
colorées, où il se moque de ses contemporains. Il
ébauche des pièces, dont les héros, Socrate, César,
Mahomet, le Juif Errant, Prométhée, ont, comme lui,
quelque chose d'ardent et de vigoureux, d'élevé, de
titanesque. Il est ce torrent dont il parle dans Werther^
ce torrent du génie qui, malgré les digues, bouillonne à
grands flots et vient secouer les âmes. Mais sou pen-
chant le pousse plutôt vers le genre lyrique, et il chante
sur tous les tons. A la Hans Sachs, en rimes d'une naïve
gaillardise, il raille les connaisseurs et les critiques. A
la Pindare^ d'un bel et impétueux élan, dans un rythme
libre, en vers non rimes ou abondent les métaphores,
les épithètes retentissantes et les mots heureusement
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LB XVIII* SIJSCLE 267
audacieux, il célèbre son génie qui ne l'abandonne pas
au milieu de l'orage, ou la course du Temps, ce postillon
qui nous entraîne sur la cime d'un mont d'où notre
regard plonge au loin dans l'espace et qui bientôt,
descendant la pente, nous amène, éblouis encore par
les derniers rayons du soleil, aux portes de l'Orcus. A
la Théocrite, en un dialogue d'une sobriété tout antique,
il peint un voyageur qui considère avec une admiration
mêlée de regret les débris d'un temple, une architrave
couverte de mousse, une inscription effacée, des colonnes
brisées; mais le voyageur désire se désaltérer et une
femme va lui puiser de l'eau : ce Prends mon enfant »,
lui dit-elle, et il prend l'enfant, il quitte le passé pour
le présent, et la vie qui le frappe de toutes parts, l'enfant
qui s'éveille, la femme qui s'empresse, la cabane bâtie
dans les ruines, le rappellent de l'art à la nature, à cette
nature éternellement féconde qui crée les êtres pour
qu'ils jouissent de l'existence même sur des tombeaux.
Ou bien, dans une ode grandiose, Gœthe nous montre
Prométhée révolté contre les dieux, insultant à leur
impuissance, les accablant de son mépris, et c'est lui
qui parle par la voix de Prométhée : il renonce alors à
ses croyances religieuses, et lui aussi crie à Dieu :
(c Moi, t'honorer! Et pourquoi? » Ou bien, dans Gany^
mèdey il exprime sa pensée philosophique : aimer la
nature, c'est aimer Dieu, et Gœthe voudrait se perdre
dons l'infinie beauté de la nature; il invoque les nuages
qui se penchent vers lui pour qu'ils l'emportent sur le
sein du Père qui est tout amour. Il est donc panthéiste
et il sent en lisant Spinoza comme un soufBe de paix.
Toutefois il n'a pas encore cette sérénité qu'il regar-
dait plus tard comme le bien suprême. En ces années
1774 et 1775, il mène la vie la plus agitée qui soit, rece-
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268 LITTERATURE ALLEMANDE
vant dans la maison paternelle les poètes du Sturm'Wnd^
Drang qui lui rendent hommage comme au premier
d*entre eux, courant de tous côtés, k Darmstadt, k DtU-
seldorf, en Suisse, portant avec lui la fièvre d'une âme
où tout fermente. Il aime et il est aimé; il aime Mau-
milienne de La Roche dont il prête les yeux noirs k la
Charlotte de Werther; il aime la sœur des Stolberg qui
reçoit de lui des lettres pleines de fougueux épanche-
ments; il aime Lili Schœnemann, Lili dont il brigue la
main, Lili qui, durant quelques mois, en 1775, le tient,
selon son expression, captif par un fil magique indéchi-
rable, Lili, la belle et folitre enfant, qui Tenchaine par
sa fleur de jeunesse, par son aimable figure, par son
regard de foi et de bonté. C'est d'elle qu'il rêve la nuit,
dans sa chambre inondée par la mystérieuse lueur du
clair de lune; pour être auprès d'elle il s'assied k la
table de jeu, a l'éclat de mille lumières, en face de
visages insupportables. Loin d'elle, il baise un petit
cœur d'or qu'elle lui donna. S'il revient, c'est pour lui
faire sa cour, et, k la vue des adorateurs que Lili ras-
semble autour d'elle, il se fâche, s'irrite; mais l'ours a
beau grogner; lui aussi, il est de la ménagerie; lui aussi
s'apprivoise et se soumet. Pourtant, non sans effort, il
finit par se détacher. Peut-être croyait-il que Lili était
coquette, frivole, éprise de luxe. Mais, avant tout,
comme son Clavijo, il craignait de s'engager, a Est*il
rien, disait-il dans Stella, qui vaille mieux pour un
homme que sa liberté? » et le héros de cette pièce. Fer-
nando, vit entre Cécile et Stella, entre sa femme légi-
time qu'il a délaissée et une jeune fille qu'il a séduite ;
les deux rivales consentent au partage !
Comme pour les faire contraster avec l'élégante et
mondaine Lili, il dessine alors la figure de deux jeunes
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LB XVlll* SIÈCLB 369
filles d'humble origine et de modeste oonditiou, Mar-
guerite et Claire. Dans Tesquisse de son Faust se déroule
déjà la tragédie de Gretchen depuis la première ren*
contre jusqu^à la scène de la prison. Quant a Claire,
c^est le principal personnage à^EgmonU
Egmont n'a pas été» pour son malheur, fondu d'un
seul jet. Pris^ lâché, repris plusieurs fois, il fut achevé
en 1787; mais il était écrit, en très grande partie, dès
1775. L'Egmont que CkBthe nous présente n'est pas
l'Egmont de l'histoire, homme sérieux, politique, et qui
conspire; c'est un beau cavalier, brillant, irrésistible,
heureux de vivre, fuyant les soucis, menant joyeux train,
jouant aux dés, faisant l'amour, bref, le Gœthe de 1775,
emporté par le tourbillon des plaisirs. Claire, qui se
donne à lui corps et âme, est la fille du peuple, simple,
curieuse, franche, gaie, naïvement tendre; elle admire
son amant; elle l'admire lorsqu'il passe a cheval sous sa
fenêtre; elle l'admire lorsqu'un soir dans la chambrette
où elle le reçoit, il laisse tomber son manteau et
découvre son magnifique costume de velours orné de la
Toison d'or. Fraîche et gracieuse idylle, d'autant plus
touchante qu'autour d'elle retentit le bruit des armes!
Les bourgeois de Bruxelles tremblent devant le seigneur
soldat; le sombre duo d'Albe ne voit partout que des
émeutes et ne songe qu'a de cruelles rjsprésailles ; la
régente, Marguerite de Parme, qui calmait les esprits
par sa patience, est sur le point de quitter les Flandres.
Mais la pièce n'a pas d'unité. Léger> frivole, aveugle,
Egmont n'est nullement tragique. Vainement, Claire,
apprenant son arrestation, appelle à la révolte les pas-
sants qui s'enfuient sans répondre; vainement le fils
du duc d'Albe le regarde comme un héros, le visite
dans sa prison, le nomme sa lumière et son drapeau;
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270 LITTÉRATURE ÂLLBMANDB
vainemeiit Egmont s'écrie en un rêve suprême qu'il
meurt et qu'il a vécu pour la liberté; vainement la
Liberté lui apparaît sous les traits de Claire pour le
couronner au son lointain d'une musique guerrière :
l'œuvre finit en opéra, et c'est moins un drame qu'an
Uibleau historique, plus ample, il est vrai, plus riche
et plus éclatant que le Gœtz.
Egmont dit qu'il n'est à l'aîsc que dans la campagne
où il se sent réellement homme en toutes ses veines*
Gœthe était a Francfort comme Egmont dans la salle du
conseil. Il aspirait à sortir de sa ville natale où, selon
lui, il serait resté dans une éternelle enfance. Le duc
Charles-Auguste de Wéimar le tira de Francfort. Il
invita Goethe a passer quelque temps à sa cour. Le
7 novembre 1775, Gœthe arrivait à Weimar. Il devint
l'ami du jeune souverain. Ce ne furent dans les premiers
mois que bals et mascarades, que chasses, que joyeuses
excursions, que bains au clair de lune. Les bonnes âmes
criaient au scandale. Bientôt prince et poète se ran-
gèrent, s'assagirent. Pour s'attacher Gœthe, Charles-
Auguste le nomma conseiller intime et le mit à la tète
de l'administration : Gœthe, disait-il^ était un homme
de génie qu'il s'estimait heureux de posséder. Et Gœthe
fut administrateur. Durant dix années, il porta le poids
des affaires, et le duché n'eut pas de meilleur ministre.
Pourtant, l'orage de son cœur n'était pas calmé. Il eut
alors le plus violent, le plus durable de ses amours. Il
n'avait pu voir sans l'aimer la femme du grand écuyer,
Charlotte de Stein. Quoique mère de plusieurs enfants
et de sept ans plus âgée, que lui, elle est belle, elle a
l'esprit élevé, l'âme noble. Il lui avoue sa passion en
vers brûlants. Repoussé, il se résigne, il renonce à
l'obtenir; elle est trop loin, trop haut, comme les étoiles,
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LB XVIIl* 81BCLB 271
et cette étoile terrestre, il se contente de la regarder
avec ravissement; c'est son guide, c'est la sûreté de sa
vie. Mais, en 1780, après cinq ans de lutte, elle cède,
et Goethe célèbre avec transport le bonheur de reposer
dans les bras de Charlotte. Il Taima longtemps encore,
et longtemps encore il subit sa bienfaisante influence.
Elle modérait sa fougue ; elle dirigeait, comme il dit, sa
course errante.
Il passa de la sorte dix ans, de 1775 à 1786, sans
pablier une grande œuvre. C'était, assurait-on, Samson
dompté par Dalila. Et sans doute,
qui se donne à la cour, se dérobe à son art.
Mais CCS dix années ne furent pas stériles. Il fit Vlphi-
génie en prose, commença le Tasse, travailla à Wilhelm
Meister. Il produisit de petites pièces de théâtre et des
poésies de tout genre comme la Mort de Mieding qui
résume l'histoire du théâtre de Wcimar, et Ilmenauj qui
rappelle les folies de Charles-Auguste et les progrès que
le prince accomplit sur lui-même. Il porta sur les
sciences, sur l'anatomie, la physique et la botanique
l'infatigable activité de son intelligence. Il amassa dans
la pratique des affaires un trésor d'observations. Peu à
peu, la raison dominait en lui la sensibilité, et il se com-
parait au pilote intrépide dont le navire, non le cœur, est
le jouet du vent et des flots. Enfin, lorsqu'il eut conquis
l'apaisement, il résolut d'aller en Italie où s'achèverait
l'évolution de son génie. Le 3 septembre 1786, avec
l'agrément de Charles-Auguste et sans prévenir per-
sonne, il partait de Carisbad et courait tout droit jusqu'à
Trente. Il ne revint que le 18 juin 1788.
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272 LITTBRATOAB ALLEMANDE
Ses Lettres d'Italie témoignent de son universalité. Il
décrit la constitution géologique du pays, ses volcans,
ses plantes; il décrit les édiflces, les statues et les
tableaux. Après avoir couru Tltalie et la Sicile, il séjourna
longuement à Rome. Mais il ne fréquenta que des artistes^
des compatriotes dont les entretiens complétaient son
éducation esthétique. Il n'était attiré que par les monu-
ments de l'antiquité et de la Renaissance. Plus d'admira-
tion pour l'architecture gothique; il n'aime que le style
classique des anciens et n'a pour le moyen âge que du
dédain. llmetVitruve et Palladio bien au-dessus des archi-
tectes de l'église Saint-Marc. Il ne passe que trois heures
à Florence. Il refuse de voir les fresques de Giotto et, k
Assise, il se détourne avec dégoût de l'église Sant-Fran-
çois pour s'extasier devant le temple de Minerve.
Ce voyage, qu'il nommait son « hégire », eut sur lui
une influence décisive. Il avait, durant deux ans, regardé
l'Italie comme sa vraie patrie, et, lorsqu'il partit de Rome,
ses adieux à la Ville Eternelle furent aussi tendres et
déchirants que ceux d'Ovide et de Rutilius. A son retour
il parut dépaysé, exilé ; personne ne le comprenait plus,
et il s'étonnait que, dans cette prosaïque Allemagne,
dans ce monde germanique sans couleur et sans forme,
un petit nuage de poésie vint encore flotter sur sa tète.
Il n'était plus le même, et il assurait qu'il avait une tout
autre élasticité d'esprit, qu'il ressemblait à l'architecte
qui détruit l'ouvrage commencé et bâtit l'édifice d'après
un nouveau plan et sur un fondement plus sûr. Désor*
mais il s'efforça de donner à ses œuvres la pureté,
l'harmonie, les nobles et imposantes proportions qu'ont
les œuvres des anciens. Le barbare, l'homme du Nord
se fit Grec; il déclara qu'il était dorénavant majeur, qu'il
ne voyait plus que les Grecs, qu'il ne buvait avec volupté
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LE XYIll^ SIECLE 273
que dans une coupe grecque ciselée avec art, que rien ne
tenait contre Homère et Phidias, que la beauté antique
était la seule beauté.
Un autre changement se produit dans son caractère et
dans sa vie. Il devient grave, réservé, froid; il s*isole; il
se lie avec la sœur d'un littérateur de bas étage, Chris-
tiane Vulpius, qu'il installe dans son logis; il se décharge
de ses emplois officiels : l'administration des mines du
duché et bientôt la surveillance des établissements
d*instruction et la direction du théâtre de Weimar, voilà
les seules fonctions qu'il remplit, et il peut suivre ses
groûts, vaquer à ses études favorites, grâce k son prince;
petit, comme il disait, parmi les princes de la! Germanie
mais, ajoutait-il, si chacun agissait comme Charles-
Auguste, ce serait une fête d'être Allemand avec des
Allemands !
Il pjrofita de sa liberté pour publier la première édition
complète de ses œuvres qui parut de 1787 à 1790, en
huit volumes. On y trouvait Iphigénie et Tasse.
Ce fut à Rome qu'il versifia la prose d'Iphigénie, Mais
Touvrage datait de Weimar : Iphigénie arrachant Ores te
aux Euménides, c'est M*"* de Stein apaisant Gœthe et lui
rendant l'équilibre.
Ravie k la mort et transportée en Tauride par Diane
dont elle devient la prétresse, Iphigénie adoucit les
mœurs barbares des habitants, et les étrangers qui
touchent le sol du pays ne sont plus immolés aux pieds
de la déesse. Elle refuse d'épouser le roi Thoas, parce
qu'elle désire retourner dans sa patrie; Thoas, irrité,
rétablit la loi de sang, et voilk Iphigénie obligée de
sacrifier deux Grecs, surpris dans une caverne du rivage.
Elle les reconnaît : l'un est Oreste, son frère, l'autre
Pyiade, ami d'Oreste, et déjk opère le charme bienfai-
LITTilUTOai ALLBIIAIIM. 18
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S74 LITTBRATURB ALLEMANDE
Bant de la jeune fille. Oreste, délirant, criant que le fra-
tricide passe en coutume dans sa race^ s'affaisse, s*endort
et il voit en rêve ses ancêtres maudits, Atrée et Thyeste
qui s'entretiennent avec abandon, et leurs enfants qui
se jouent autour d'eux ; h son réveil il retrouve le calme
et remercie les dieux de sa guérison. Mais comment
échapper i l'arrêt de mort que Thoas a dicté? Comment
fuir avec la statue de Diane que Toracle a prescrit d*en«
lever? Pylade propose de dire au roi qu'il faut laver dans
les flots de la mer le simulacre souillé par la folie
d'Oreste, et ni Thoas ni les siens ne pourront assister à
la cérémonie. Iphigénie fera-t-elle ce mensonge? En vain
Pylade lui remontre que la nécessité est la loi suprême,
qu'on doit parfois mentir pour se soustraire au danger.*
La noble vierge ne peut tromper Thoas, son bienfaiteur,
son second père. Elle sauve, comme elle s'exprime, son
âme de la trahison; elle révèle tout au roi, et le roi, ému,
lui permet de rentrer en Grèce avec Oreste et Pylade :
la sincérité d'un grand cœur, et d'un cœur de femme, a
confondu la force et la ruse des hommes.
Il y a peu de dénouements plus élevés. Oreste, soudai-
nement éclairé, comprend le sens de l'oracle; la sœor
qu'Apollon lui commandait de rapatrier, c'était sa
propre sœur, et non la sœur du dieu, c'était Iphigénie,
et non la statue de Diane. Le roi Thoas résiste enoore.
Mais n'a-t-il pas déclaré qu'Iphigénie pourrait partir lors-
qu'elle aurait l'espoir du retour, lorsqu'elle saurait que
sa race n'est ni dispersée ni éteinte? Elle invoque cette
promesse, et Thoas, brusquement et de mauvaise grftce,
lui dit : a Partez ». Iphigénie ne veut pas s'éloigner ainsi,
comme si Thoas la bannissait; elle demande la bénédiction
du roi, de douces paroles d'adieu, un témoignage d'affec-
tion, et le roi lui tend la main en disant (c Adieu ».
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LB XVIII^ ftIÈGLB 375
L'Iphigéaic de Gœthe n'est donc pas Tlphigénie
d'Euripide, rusée et avide de vengeance. Elle a le coçur
pur et les mains pures; Thoas la qualifie de sainte;
Pylade la salue comme une apparition divine ; Oreste la
compare à une déesse, à une de ces images sacrées
auxquelles était attaché le destin des villes. Elle est
femme pourtant; elle n'a rien de raide, rien de trop
parfait. Elle soupire après la patrie. Elle suit un instant
lea conseils de Pylade, elle essaye de tromper Thoas, elle
avoue que son ftme vacille, puis, se ressaisissant, elle
n'écoute que la voix de la conscience et ne connaît plus
qu'un devoir, le devoir de dire la vérité. Par cette gran-
deur morale, elle n'est pas une Grecque du passé, et,
selon le mot de Godtbe, elle ne prononce jamais aucune
parole que la sainte Agathe de Bologne ne pourrait pro-
noncer. Mais la forme dont Goethe s'est servi, rappelle
l'art antique par sa sérénité, par sa mesure, et l'attrait
original de l'œuvre, c'est la fusion de ce style harmonieux
et digne des anciens avec la délicatesse et la profondeur
du sentiment moderne.
Bien que l'action d'Iphigénie ne s'arrête pas un moment,
c'est une action intérieure, et l'ouvrage semble moins une
pièce qu'un grand et admirable poème. De même, la
tragédie du Tasse; elle aussi n'est qu'une longue suite
de conversations, d'effusions lyriques et d'analyses de
sentiment ; elle aussi manque de force tragique; elle aussi
célèbre l'influence salutaire de la femme, et Gœthe y
exprime par la boqche de ses personnages une partie de
ses souvenirs. Le poète italien^ susceptible, ombrageux,
défiant, entraîné sans cesse loin de la vie réelle par sa
sensibilité inquiète et par son imagination intempérante,
osant serrer la princesse dans ses bras, n'est-ce pas le
malheureux Lenz qui fut un instant choyé, caressé par
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270 LITTÉRATURB ALLBMAtIDB
la haute société de Weimar, mais qui commit une
(( sinerie » et dut s'éloigner? L'adversaire de Tasse,
Antonio, le froid et habile politique, n'est-ce pas un des
rivaux de Gœthe, un de ces ministres dont il eut à
combattre l'opposition? Eléonore d'Esté, si sage et
avisée, qui s'efforce de préserver le poète de tout égare-
ment et de lui enseigner les convenances, n'est-ce pas
M"** de Stein, embellie et idéalisée? Comme Eléonore,
M""' de Stein n'a-t-elle pas remarqué plus d'une fois que
la beauté est passagère et que les femmes ne sont jamais
sûres du cœur de l'homme? Et lorsque Tasse fait une
poétique déclaration a la princesse, ne dit-il pas, comme
aurait dit Gœthe, qu'il doit tout à une seule femme, k une
seule? La Sanvitale, vive, prompte, encline à l'intrigue,
fière de patronner un génie, n'est*ce pas une amie de
Gœthe et une dame de la cour? Le duc Alphonse, intelli-
gent, sincère, chevaleresque et qui accueille les talents,
n'est-ce pas Charles-Auguste? Ferrare, n'est-ce pas
Weimar? Mais Tasse a été composé k bâtons rompus,
Gœthe avait écrit en prose les deux premiers actes lors-
qu'il partit pour l'Italie, et l'œuvre, laissée de côté, ne
fut terminée qu'en juillet 1789. Si elle offre une grande
perfection de forme, elle manque, comme Egmont^
d'unité. Dans les deux premiers actes, Antonio est
injuste, brutal envers Tasse qui se montre sérieux, noble,
modeste, et dans les trois derniers actes tout change :
Tasse n'est plus qu'un malade qui ne sait se maîtriser,
et Antonio, naguère envieux, altier, cassant, devient
calme, réfléchi, impartial ; c'est Antonio qui triomphe, et
Tasse s'attache, se cramponne a lui comme le marin au
rocher.
Les Elégies romaines (1790) sont encore un fruit du
voyage d'Italie. Gœthe les avait d'abord nommées les
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LB XVIIl* SliCLB 377
Erotiques. Elles chantent en effet ses amours, et d*un
bout à Tautre des Elégies y il décrit son bonheur, le
plaisir piquant de compter sur le dos de sa maîtresse
endormie la mesure de rhexamètre, la jouissance de
<r voir d'un œil qui touche » et de « toucher d'une main
qui voit ». Il imite Properce, TibuUe, Ovide, les trium-
virs de Tamonr, et son imitation n'est pas servile. S'il
ajoute des traits tout modernes aux souvenirs antiques,
s'il parle de l'opéra et des prélats aux bas violets, il sait
se faire ancien. Il ressuscite dans ses vers les divinités
de rOlympe, et il ne copie ni les Grecs ni les Romains
parce qu'il joint aux réminiscences de ses lectures la
contemplation des statues qui de tous côtés dans Rome
frappent et ravissent son regard, parce qu'il se sent
païen au milieu des dieux et demi-dieux du paganisme. Il
se sert du mètre éléglaque et la lenteur des distiques
rend bien la joie du barbare qui s'est échappé des
brouillards du nord et qui, sous le ciel pur du midi,
goûte et savoure le charme d'une libre existence, les
voluptés de l'amour, les splendeurs de la nature et,
comme il dit, les formes et les couleurs que suscite
Phébus.
Les épigrammes se mêlaient aux élégies. Déjà, en 1789,
Gœthe avait publié des distiques qu'il intitulait Poésies
se rapprochant de la forme antique. Ils sont imités des
anciens, tantôt de VAnthologiej tantôt de Martial et
inspirés par les circonstances. Gœthe décrit un tableau
ou une statue ; il chante la mort héroïque du duc Léopold
de Brunswick; il fait des rochers du parc de Weimar
les ff monuments de son bonheur ».
Les Épigrammes ^vénitiennes qu'il composa dans les
premiers mois de 1790, à Venise, où il venait à la ren-
contre de la duchesse Amélie, rappellent également et
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278 LITTÉRATURE ALLEMANDE
Martial et VAnthologie. Mais elles ne respirent pas
Tenthousiasme et la joie des Elégies romaines. Il ne voit
dans Venise qu'une ville de boue, un marais, une gre-
nouillère et, lorsqu'il resonge à la société de Weimar
qui blâme sa liaison avec Christiane, il couvre de sar-
casmes ce monde hypocrite, cette bonne compagnie qui
ne fournit pas matière au plus petit poème; il déclare
préférer aux cafards les bateleuses vénitiennes si souples
et agiles, lés belles courtisanes qui trottent d'un pas si
léger. Sa méchante humeur n'épargne pas la Révolution
naissante, et ses coups pleuvent sur tous, sur les parti-
sans et sur les adversaires des réformes, sur les apôtres
de la liberté qui ne veulent au fond que leur bon plaisir,
sur ces fous qui pérorent en France dans les rues et sur
les places.
La Révolution s'imposait donc à son esprit et il la vit
bientôt d'assez près. Il accompagna Charles-Auguste dans
l'expédition de Champagne ainsi qu'au siège de Mayence
et il a raconté ces deux entreprises ; mais son récit date
de 1820, et, comme les Prussiens qu'il nous montre et
qui restent sourds aux cris de vengeance des émigrés,
Gœthe garde dans sa relation un ce calme souverain ». En
réalité, la Révolution troublait son repos et il ne la
comprit pas. Aussi, il la ridiculise et la rapetisse. Dans
la pièce du Grand Copkte, il fait de Cagliostro le prin-
cipal héros, et l'affaire du collier ne lui paratt qu'une
fourberie. Dans la pièce du Citoyen généraly il présente
comme type du révolutionnaire un pauvre diable qui se
met une moustache, s'affuble d'un uniforme et s'arme
d'un sabre pour escroquer un déjeuner. Dans le drame
inachevé des Rés^oUésy il exprime, son opinion par la
bouche de la comtesse : pas d'injustice, et que celui qui
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LB XVII r SIBCLB S79
tient le pouvoir soit généreux. Dans la Fille naturelle, qui
est en vers et dont il n'écrivit que la première partie, il
désigne^ de même que dans le Grand Cophte^ les person-
nages par des noms généraux^ et la pièce révèle chez lui
le goût croissant du symbole, de Tallégorie et de ce qu'il
appelait la grise théorie ; elle a -^ le mot est de Huber
^- le poli et la froideur du marbre.
Mais la FiUe naturelle est de 1803. L'amitié, 1' « éter-
nelle alliance » qjie le poète noue, en 1794, avec Schiller,
loi fait dans les dernières années du xviii* siècle comme
une seconde jeunesse, et il assure avec raison qu'un
nouveau printemps germe alors et s'épanouit en lui. De
1795 à 1800, les œuvres succèdent aux œuvres, Wilheltn
Meister, Hermann et Dorothée, VAchiUéide, les Xéniesj les
ballades, le second livre des Elégies.
Wilhelm Meister date de loin, et les souvenirs person-
nels de Gœthe y foisonnent. Comme son héros, Gœthe a
joué dans son enfance une pièce a marionnettes et il se
rappelle Francfort lorsqu'il loue le commerce avec le
même enthousiasme qu'Addison ou que le Yanderk de
Sedaine. Comme le jeune Gœthe, Wilhelm s'enflamme
aisément; il est mobile et inconstant; il craint de se
lier. Comme le jeune Gœthe, k travers ses égarements, il
tâche de s'instruire, de se développer. Comme le jeune
Gœthe, il s'engoue de Shakespeare et, en dépit de son
père qui voudrait le fixer et lui imposer un métier, il se
destine au théâtre de même que l'avocat francfortois se
voue a la littérature. Comme Gœthe à Weimar, Wilhelm
exhorte, stimule les acteurs, leur conseille d'exercer leur
talent et d'unir leurs efforts. Comme Gœthe, il gémit
sur la frivolité du public.
La première partie de l'ouvrage, avec ses galantes
intrigues et ses tragiques aventures, est une sorte de
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280 LITTÉRATURE ALLEMANDE
Roman comique. Les acteurs, à qui Wilhelm s'associe,
semblent peints d'après nature : Marianne, qui a quel-
ques traits de la Claire d'Egmont ; Mélina qui, sans cesse,
geint, calcule et marchande; M"'' Mélina, qui sait parler
et se taire et, quoique sans malice, trouver le faible d'au-
trui; Laerte, Thomme d'action qui ne réfléchit pas ; Serlo,
spirituel, souple, adroit, pratique ; la sœur de Serlo,
Amélie, inquiète, amère, bizarre, et dévorée, tuée par sa
passion malheureuse ; Philine, « l'aimable pécheresse »»
la coquette charmante, vive et étourdie, espiègle et folle,
qui plait malgré tous ses défauts par ses yeux fripons,
par son minois provocant, par ses saillies piquantes,
singulière créature qui ne connaît d'autre loi que son
caprice et qui divise les hommes en deux classes, ceux
qu'elle aime et ceux dont elle se moque. Mais Wilhelm
s'avoue bientôt qu'il n'est qu'un médiocre comédien et
que ses compagnons, qu'il croyait désintéressés et réelle-»
ment épris de leur métier, n'ont d'autre passion que
l'amour du plaisir ou du gain.
La seconde partie du roman le transporte dans les
hautes classes de la société. Déjà, dans la première, il
avait vu de près la noblesse : un baron qui se pique de
lettres et qui n'est qu'un pauvre sot, un comte mené par
ses entours et qui se regarde comme le plus fin des
hommes, une baronne de mœurs légères. Les aristocrates
qu'il fréquente désormais, ne sont pas tous des parangons
de vertu; mais ils ont su se borner, ils cultivent en eux
les meilleurs instincts de la nature, ils sentent le beau :
Lothario, au coup d'œil sûr; Jarno, froid, malicieux, rude,
mais sincère, sensé, clairvoyant; Thérèse, sagement
active, adroite, vigilante^ vaillante, faite pour le gouver-
nement de la maison; Nathalie, la douce et généreuse et
grave Nathalie qui n'est heureuse que du bonheur des
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LB XVIII* SIBCLB 381
aotreft et que Wilhelm finit par épouser. Ces person-
nages forment une société secrète qui depuis longtemps
ayait des vues sur Wilhelm ; ils rappellent certains per-
sonnages de la cour de Weimar, et leur société, c'est
sans doute l'ordre des francs-maçons auquel apparte-
naient Charles-Auguste, Gœthe et Herder. La Révolution
s'annonce. Lothario a combattu dans les rangs des
insurgents d'Amérique. Nobles et bourgeois travaillent
de concert a la félicité humaine. Les amis de Wilhelm
n'ont pas les préjugés de la naissance et ne balancent
pas à se mésallier.
L'ouvrage est, comme VAgatkon de Wieland, un
roman d'éducation et il représente, de même que VAga^
thcHy l'odyssée d'un jeune homme qui passe du rêve a
l'action. Son grand mérite, c'est d'offrir surtout dans les
premiers livres, des figures vraiment attachantes, et qui
vivent, non parce que Tauteur les décrit, mais parce
qu'il les montre dans la vérité de leurs propos et de
leurs gestes. Deux de ces figures. Mignon et le harpiste,
ont un attrait mystérieux, et les vers que leur prête
Gœthe les rendent plus touchantes encore. C'est le
harpiste qui jette la plainte navrante répétée après léna
par la reine Louise : « Celui qui n'a pas mangé son
puin avec des larmes, qui, durant les tristes nuits, n'est
pas resté assis en pleurant sur sa couche, celui-lb ne
vous connaît point, ô puissances célestes! » C'est
Mignon qui chante le lied du Désir : « Celui-là seul qui
connaît le désir, sait ce que je souffre », et les strophes :
(c Connais-tu le pays... » où s'exprime en images aussi
rapides que variées et avec une si puissante émotion le
regret de Tltalie, de ses arbres aux fruits d'or et de son
ciel bleu.
Mais le roman manque d'ensemble. Gœthe se laisse
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2aS LITTÂHATURB ALLEMANDE
aller trop complaisamment à retracer ses souvenirs et k
développer ce qu'il pense de l'art dramatique. Que de
longues dissertations dans les cinq premiers livres sur
Shakespeare, sur le caractère de Hamlet, sur le rôle
moral du théâtre! Il insère dans le sixième livre ua
manuscrit qui contient, sous le titre de Confessions d^ane
belle dmey le récit de la vie de M'"* de Klettenberg, et
vainement il fait de la pieuse Francfortoise la tante de
Lothario et de Nathalie ; le lecteur oublie son héros. Ce
héros mèiue, au lieu d*agir de son chef, ne suit-il pas
avec trop de docilité, de placidité, Timpulsion d'aatrui?
N'est-il pas le jouet des événements? Et que d'obscurités,
que d'invraisemblances, et, comme dit Gœthe lui-même,
que d'événements merveilleux dans les derniers livres!
C'est que la seconde partie des Années d* apprentissage
a été composée près de vingt ans après la première.
Le poème à^Hermann et Dorothée eut cet avantage sur
Meister qu'il fut écrit tout d'une haleine, du mois de
septembre 1796 au mois d'avril 1797.
Le sujet est simple, Hermann, fils d'un aubergiste
d'une petite ville située sur la rive droite du Rhin, porte
des secours à des habitants de la rive gauche chassés par
l'invasion française. Il rencontre Dorothée et désire
l'épouser. Après quelque résistance, ses parents con-
sentent au mariage, lorsque deux amis, le pasteur et le
pharmacien, ont recueilli sur la jeune fille les meilleurs
renseignements. Mais Hermann, qui va chercher Dorothée,
s'explique si timidement et avec un tel embarras qu'elle
s'imagine qu'il veut la prendre comme servante. Le
malentendu se dissipe bientôt et Dorothée se fiance avec
Hermann. Ce sujet simple, Gœthe l'a rendu poétique. La
foule des fugitifs à laquelle appartient Dorothée a l'aspect
d'une tribu errante, et le vieux maire qui la conduit, l'air
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LE XV11I« 8IÂGLB SS3
et Taliure d'un Josué oo d'un Moïse. Deux groupes de
personnages figurent ainsi dans l'ouvrage : les habitants
de la petite ville et les exilés, leç uns qui demeurent où
ils sont et jouissent du repos, les autres, voués aux
misères d'une existence vagabonde ; ceux-là occupant le
premier plan, ceux-ci qui passent dans le lointain, et,
grâce à ce contraste, Gœthe rassemble dans son poème
les sentiments les plus généreux de l'âme : amour,
pitié, humanité, et, comme il les exprime sous une forme
parfaite, son œuvre est pleine de ces mots frappants et
signifiants, de ces paroles que nos voisins nomment des
paroles dorées ou ailées. En outre ses types sont alle^
mands, et les moindres détails reproduisent les mœurs
nationales : la fontaine près de laquelle il est si agréable
de jaser : les enfants à qui la cigogne vient d'apporter
un petit frère; la dot qui comprend le linge de l'armoire,
les couverts d'argent et les jaunets rares, cadeau du par-
rain et du père. Enfin, Gœthe étend et rehausse sa
matière. Il évoque la Révolution française, qui lui fournit
on fond de paysage grandiose. Hermann rappelle en
frémissant l'impétuosité des armées républicaines et
déplore le destin de Dorothée jetée par l'affreuse fatalité
de la guerre dans le même tourbillon que les princes et
les rois. Dorothée n'avait-^lle pas, avant Hermann, un
fiancé que la Révolution enflamma de son enthousiasme,
sorte d'Adam Lux qui ne trouve à Paris que la prison et
la mort? Le vieux maire ne décrit-il pas avec une saisis-
sante émotion les transports qu'excitèrent les décrets de
la Constituante, Paris méritant plus que jamais le titre de
capitale du monde, les Français recevant sur le Rhin un
accueil empressé, mais démentant trop vite leurs pro-
messes et opprimant les peuples qu'ils juraient d'afTran-
ehir? Par là, Gœthe donne à son idylle je ne sais quoi
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284 LITTÂRÀTUBB ALLEMANDE
d^épique ; il peint en même temps que Famour de Dorothée
et de Hermann, Vu ébranlement universel »; il rattache
à cette mince anecdote, ce que la fin du siècle adWageox
et de terrible. Il faudrait admirer encore l'unité de la
composition et Tingénieuse conduite de l'action que le
poète a su retarder par d'habiles artifices, combinant
avec adresse les péripéties, motivant tous les incidents,
entraînant son lecteur sans violence mais sans relâche
a travers un petit nombre d'événements qu'il tire des
sentiments de ses personnages. Il faudrait admirer les
caractères : l'aubergiste, plein de lui-même, fier de son
aisance, irascible, au reste une bonne pâte d'homme; la
femme de l'aubergiste, clairvoyante, fine, calmant les
colères de son mari et lisant à livre ouvert dans le cœur
de son fils; le pharmacien, égoïste, affairé, bavard,
curieux, poltron, important; le pasteur, indulgent, aima-
ble, doux, relevant la nature humaine que le pharmacien
se plaît à rabaisser; Hermann, transformé, transfiguré
par l'amour, par cette sorte d'ivresse qui vient d'éclater
dans son âme, et voulant à tout prix revoir Dorothée,
revoir cette bouche dont un oui fera son bonheur, dont
un non brisera sa vie k jamais. Mais Dorothée est le
(( héros » du poème : intrépide, énergique, pleine de bon
sens et d'esprit, sensible néanmoins et touchante : avec
quelle superbe indignation elle répond à l'outrage qu'elle
croit avoir reçu de l'hôtelier, et avec quelle noble fran-
chise elle confesse son affection naissante pour cet
Hermann qu'elle pensait mériter plus tard par son
dévouement ! Comme toujours, Gœthe a fixé et poétisé
dans son osuvre ses propres impressions, non seulement
ses souvenirs de la retraite de Champagne, mais les
sentiments que provoqua dans son âme le spectacle de la
Franconie embrasée par la guerre. C'est l'armée de
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LE XVIIl* 81ECLB 285
Sambre-et^Meuse dont parle le vieux maire, au sixième
chant, quand il termine son discours. Les Français,
grands et petits, qui pillent et vivent dans la bombance
et la débauche, les vaincus et les désespérés qui ne
ménagent plus rien, les fuyards au pâle visage et au
regard incertain, ce sont les commissaires et les soldats
du Directoire. Les hommes, naguère résignés, soudain
pris de douleur et de rage, sonnant le tocsin, tombant
avec leur faux et leur fourche sur l'ennemi, ce sont les
paysans franconiens. Â ces réminiscences encore poi-
gnantes de 1796 se mêlent de menus traits empruntés
par Gœthe à son entourage et à son passé. Le père et la
mère de Hermann rappellent le père et la mère du poète.
Dorothée a le costume des Alsaciennes, et lorsque Gœthe
décrit sa toilette, il se souvient peut-être de Frédérique
Brion, svelte, légère, portant un corps de jupe qui lui
serre la taille et une robe courte qui laisse voir les pieds
jusqu*à la cheville. D*un bout à Tautre de l'ouvrage
respire la maturité de Gœthe, sa sagesse sereine. L'amour
qu'il représente écoute la raison. Hermann montre aux
Allemands la conduite qu'ils doivent tenir : persister et
durer, s'ancrer sur le roc de l'amour et de la famille.
Quant au style de l'idylle, il a les lignes nettes, les
formes saillantes, les contours arrêtés. Sobriété et
simplicité, telles sont ses qualités. Très peu d'adjectifs
composés, des expressions précises et vivantes, une
seule comparaison longuement déroulée, pas de portraits,
pas de description du lieu où se passe l'action, et pour-
tant qu'il est aisé de reconstituer le paysage et tous ses
alentours, le pré et la source ombragée de tilleuls, l'au-
berge, les vignes, le champ limité par un poirier! On a
blâmé les homérismes : ils mêlent au sérieux du poème
une agréable ironie. Seul, l'hexamètre mérite la critique.
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286 LITTBRÀTUBB ALLEMANDE
Il boita parfois et aux passages les plus beaux se glisse
un mot rocailleux. Quelques vers sont trainants, inaiilB-
samment polis; Gœthe a dû se créer son instrument.
N*avait-il pas, en 1793, dans son Reineks Fucha^ manié
rhexamètre» lorsqu'il versifiait, pour se soustraire à
Todieuse politique, le poème bas-allemand traduit en
prose par Gottsched? Et, malgré ses gaucheries» son
œuvre n*eut-elle pas pour effet de populariser et de faire
aimer cette spirituelle production du moyen âge?
Dans une élégie qui sert de préface à Hermann el
Dorothée^ Gœthe portait la santé de Wolf qui niait Texis*
tence d'Homère, ce dieu, cet homme unique avec lequel
nul n'osait se mesurer. Il eut pourtant l'idée de continuer
Homère, de raconter dans une Achilléide les derniers
jours d'Achille. Au bout de cinq cents vers, il s'arrêta.
Mais le fragment est vraiment beau. Achille paraît
d'abord, contemplant de loin avec une haine enoore
inassouvie le bûcher d'Hector qui dans la nuit rougit de
sa flamme les murs d'Ilion. Puis s'ouvre rassemblée des
dieux, non des dieux homériques, mais des dieux gœ-
théens, et le poète nous présente le doux et paternel
Zeus, Héphaistos suppliant les Heures de répandre sur
ses ouvrages inanimés les grâces de la vie, Cypris enga-
geant Ares à mener au combat et à la mort les AmaEoaes
qu'elle hait parce qu'elles fuient les hommes, Thétis qui
ne pense qu'au trépas imminent de son fils, Héra jalouse
et implacable, Pallas Athéné qui, sous les traits d'Anti-
loque, vient consoler le Pélide et l'assurer que celui qui
succombe dans la fleur de son âge apparaît aux races
futures comme éternellement jeune et leur inspire un
regret infini.
Gœthe avait entrepris cet heureux pastiche sur les
conseils de Schiller. Les deux amis s'encourageaient, se
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LB XVlll* 8IBCLE S87
Stimulaient mutuellement. Ils s'associèrent pour publier
sous le titre de Xénies plus de six cents épigrammes dans
le goût de Martial, chacune en un seul distique. C'étaient,
comme ils disaient, des renards à la queue allumée qu'ils
lançaient dans les champs des Philistins. Ils passaient en
revue les écrivains du temps et les criblaient de flèches.
Nombre de ces Xénies manquent de finesse et de sel. Les
<c Dioscures » firent pourtant une bonne et utile besogne,
ils combattaient la médiocrité, ils assainissaient la litté*
rature, ils s'efforçaient de ramener le public à l'amour
d'une poésie noble et élevée.
Eux-mêmes prêchaient d'exemple en composant des
pièces lyriques, notamment en l'année 1797, que Schiller,
appelait l'année des ballades. Depuis longtemps Gœthe
avait abordé le genre de la ballade, et, avant le voyagé
d'Italie, il avait fait le Roi de Thulè^ le Roi des Aulnes^
le Pêcheur^ et ces ballades qu'on peut nommer les bal-
lades de la première manière sont les plus connues elles
meilleures.
Quelle netteté, quel relief d'expression dans le Roi de
ThuUÏ Cet amant d'une si touchante constance et d'une
fidélité qui dure jusqu'à la tombe, ne pousse pas une
exclamation de douleur, pas un cri de regret ; mais ses
actes parlent : il met au-dessus de tout la coupe que sa
mie lui donna, il pleure chaque fois qu'il y trempe ses
lèvres, et lorsqu'il se sent mourir, il la jette dans la mer.
La pièce, qui ne compte que six strophes, est grave dans
sa simplicité, saisissante dans sa concision, et, si courte
qu'elle soit, elle a cette flamme de vie, cette Lebenegiut
que le vieux roi buvait dans le gobelet sacré.
Gcethe a tiré le Roi des Aulnes d'un chant danois; mais
il est y dans ses huit strophes, plus bref et plus rapide
que son modèle. Deux strophes, la première et la
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28S LITTÉRATURE ALLEMANDE
dernière, composent le récit; les six autres forment le
dialogue, et toutes, dialogue et récit, sont comme
entraînées dans un tourbillon : serrées, pressées, hachées,
les phrases rendant à merveille ce que le conte a de
fantastique et de sinistre.
Quant au Pécheur^ d*heureux artifices de style, de
belles et neuves épithètes, mêlées sans disparate à des
mots familiers, un rythme qui semble, comme la vague
d'où sort la Nixe perfide, s'élever et s'abaisser par
ondulations, tout exprime dans cette ballade l'invincible
séduction que le miroitement de l'eau exerce sur les
sens.
Les ballades de la seconde manière, les ballades des
années 1797 et 1798, se distinguent des précédentes par
le sujet et par la forme. Gœthe les compose, non plus en
vers simples et chantants, mais en vers savamment
travaillés, et il en emprunte la matière à l'antiquité clas-
sique ou à l'Orient, non plus à la superstition populaire.
C'est un Apprenti sorcier qui, par une formule magique,
commande h un balai d'apporter de l'eau, mais qui ne
sait plus arrêter l'infatigable serviteur prêt k noyer la
maison. C'est une jeune fille, la Fiancée de Corinîke^
vouée à Dieu malgré elle, enfermée dans une cellule o|^
elle meurt de chagrin, et sortant de sa tombe pour cher-
cher son fiancé. C'est la Bayadère que les dieux récom-
pensent et emportent dans le ciel, parce que la péche-
resse s'est repentie, parce qu'un amour véritable et qui
ne craint pas la mort, n'eût-il duré qu'un instant, efface
et rachète toute une vie de souillures.
De la même époque date le second livre des Elégies
qui comprend de charmants morceaux, entre autres
Alexiset DorafleNoui^eauPausias^Euphraeyney Amyntas.
Selon Schiller, il est difficile de cuc^illir d'un sujet la
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LB XVIll* SIÈCLB 289
fleur de poésie avec autant de goût et de succès que
dans Alexis et Dora. Sur le navire qui Temmène loin de
sa belle, Alexis se souvient de l'heure encore riante, de
rheure unique qui lui donna le bonheur. Il retrace la
grâce modeste de Dora et l'harmonie de ses mouvements,
l'innocent plaisir qu'il avait à la voir comme on voit les
étoiles, les adieux qu'il lui fit h la porte du jardin lorsqu'il
descendait au port, Dora lui commandant une chaînette et
lui cueillant des fruits qu'elle range ensuite dans une
corbeille sous la charmille, les regards se rencontrant
soudain, la passion débordant des cœurs, tous deux
tombant dans les bras l'un de l'autre en jurant de s'aimer
éternellement, lui-même appelé par les cris des matelots,
entraîné sur le vaisseau sans savoir comment et semblable
à un homme ivre. Mais cette scène de bonheur et de
désespoir ne suffit pas au poète. Alexis énumère les
cadeaux qu'il doit rapporter, les perles, les couvertures
brodées de pourpre, et voici que l'angoisse le saisit : si
Dora ouvrait a un autre la porte du jardin, cueillait des
fleurs pour un autre, attirait un autre sous la treille?
Schiller mourut en 1805. L'année d'après, les Français
entraient à Weimar, et ce fut alors que le poète épousa
^•iit Vulpius. Mais il n'aimait plus Christiane et
bien qu'il eût cinquante-huit ans, il s'était épris de
Minna Herzlieb, fille adoptive du libraire Frommann. Il
pense à elle lorsqu'il décrit dans le fragment magnifique
de Pandora la douleur d'Epiméthée abandonné de sa
femme, évoquant sans cesse l'image de la fugitive,
gémissant sur son bonheur évanoui sans retour. Il pense
a elle lorsqu'il compose les Affinités électives et c'est
elle qu'il représente dans le roman sous le nom d'Odile.
Deux époux, Edouard et Charlotte, vivent heureux.
UtrélUTOmi ALtSMAirOB. 19
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290 LITTBBATURE ALLEMANOB
Surviennent le meilleur ami d'Edouard, ie capitaine, et
une nièce de Charlotte, Odile. Les affinités se manifestent.
Edouard et Odile, Charlotte et le capitaine se rapprochent
Tun de l'autre. Naïvement et sans penser à mal, tous
quatre se livrent à leur penchant et GkBthe a très
finement marqué les progrès de la passion qui se glisse
insensiblement dans les cœurs. Un jour, à la suite d^uoe
partie de bateau, le capitaine, obligé de porter Charlotte
jusqu'au rivage, la baise sur les lèvres; elle lai ordonne
de partir, et il part. Edouard a moins d'empire sur loi-
même. Lorsqu'un soir, dans des actes qu'Odile loi
copie, il reconnaît sa propre écriture, ce tu m'aimes »,
s'écrie Edouard, et n'écoutant que son amour, ne songeant
plus qu'à s'unir à la jeune fille, il propose à sa femme
de divorcer. Charlotte refuse; elle est enceinte, et la
naissance d'un enfant resserre le lien que son mari
voudrait rompre. Edouard s'éloigne. Odile ne l'oublie
pas; elle ne désire pas, n'espère pas l'épouser; elle
élève Tenfant d'Edouard et de Charlotte, le porte, le
berce. Par malheur, Edouard revient plus épris que
jamais. Impatient, il pénètre dans le parc. Il y trouve
Odile et à côté d'elle l'enfant endormi. Après une longue
conversation, elle regagne la maison; pour abréger le
chemin, elle entre dans une barque; un faux mouvement
précipite l'enfant qu'elle tenait sur son bras, et lors*
qu'elle le retire de l'eau, il n'est plus en vie. Inconsolable,
convaincue que le ciel la châtie, elle jure de n'être
jamais à Edouard. Elle se laisse mourir d'inanition,
Edouard expire de douleur, et sa femme les ensevelit
tous deux dans le même caveau. Charlotte et le capitaine
échappent donc à la catastrophe : ils ont sacrifié la
passion au devoir. Edouard succombe parce qu'il cède
sans résistance à son inclination, et Odile succombe avec
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LB XTIIl* 8IÂCLB )91
lai parce qu'elle ii^a su lui fermer son cœur. Les deux
femmes sent les personnages les plus remarquables du
roman. Chorlotte a l'esprit ferme, sérieux, réfléchi; elle
garde l'équilibre de la raison; elle étouffe résolument
son amoitr dès qu'elle l'a découvert; elle est à la fois
clairvoyante et circonspecte. Mais Goethe s'attache à
mettre en pleine lumière les qualités d'Odile. Il la
montre belle, gracieuse, étrangère à toute coquetterie, à
toute envie de briller, active, vigilante, toujours calme
dans SCS mouvements, allant et venant de son pas léger
et imperceptible sans une apparence d'inquiétude. II
fait une délicate peinture des tourments de cette fille
fière et chaste qui perd peu a peu l'espérance de
posséder Edouard et qui se recueille, se concentre en
elle-même et se résigne à vivre solitaire. Il a peine à se
séparer d'elle et il la suit jusqu'à l'heure où ce corps
charmant est mis dans le cercueil, où le soleil répand
nne dernière fois sa teinte rose sur ce visage céleste. On
regrette que le roman soit si long. Gœthe, pour le grossir,
y a mis des extraits de journal d'Odile, des réflexions,
des maximes qui n'ont rien de commun avec l'état
d'âme de l'héroïne ; il explique comment on fait restaurer
les monuments du passé sans leur 6ter l'empreinte
antique; il expose ses théories sur l'éducation. L'action
finit par languir. Mittler qui passe son temps à raccom*
moder les ménages désunis, la sémillante Lucienne, si
mondaine, si affairée, si différente d'Odile, rarchitecte,
l'instituteur, le voyageur anglais tiennent trop de place
dans l'ouvrage. Enfin, la seconde partie de ce récit trop
sinueux et trop lent est de beaucoup inférieure à la
première; elle offre plus de digressions et elle n'a pas la
même aisance et la même clarté.
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292 LITTBRATDRB ALLEMANDS
Les Affinités électives parurent en 1809. Bientôt
rAllemagne secoua le joug français. Mais Goethe ne
croyait pas à la victoire et il défendit à son fils de
s'enrôler. Il pensait que les Allemands ne briseraient
pas leurs chaînes ; il regardait Napoléon comme un
guerrier irrésistible et le plus grand génie du siècle;
enfin, il aimait la France a laquelle il devait, selon ses
X propres termes, une part considérable de son déve-
loppement intellectuel, et il disait qu'à une certaine
hauteur la haine nationale s'évanouit.
Aussi, pendant les dernières années de la domination
napoléonienne, il se détourne du présent, et, sous le
titre de Fiction et vérité ^ il écrit ses mémoires. L'ouvrage
mérite son titre; c'est moins la vie de Gœthe que la
légende de sa vie, que le roman de son esprit. Mais
l'histoire de l'Allemagne littéraire au temps de sa jeunesse
se réfléchit dans son œuvre comme dans un large miroir;
sa prose ne s'est peut-être jamais déroulée plus ample,
plus gracieusement flottante, et quelques épisodes,
comme les amoureuses idylles de Sesenheim et de
Wetslar, ne se peuvent oublier.
Il vivait ainsi durant la guerre « dans un monde
idéal ». A l'imitation de Hafiz que Hammer venait de
traduire, il composa le Diçan. Le recueil n'est pas sans
défauts. Gœthe a trop d'érudition et de recherche. Il
abuse des mots orientaux et des métaphores. Sa langue
est par instants gauche, bizarre, incertaine. Mais il
chante avec feu, sous le nom de Suleika, un de ses
derniers amours, la belle et spirituelle Marianne de
Willemer, dont il insère des vers dans le Divan même,
et par l'éclat, par la vivacité, par l'énergique brièveté de
l'expression, il obtient fréquemment d'heureux effets.
Le Difan marque toutefois le déclin de son génie
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1^ XVIIl* SIÈCLE 293
poétique. Hanté par les graves problèmes de la vie, par
de grandes idées qui remportent à ses yeux sur la forme,
Gœthe ne se soucie plus de l'ordonnance et du plan; il
ne craint pas d*ètre obscur, mystérieux, et de plus en
plus il affectionne les symboles; le penseur nuit au
poète.
En 1821, paraissent les Années de voyage de Wilhelm
Meister. C'est la suite des Années d'apprentissage, Wilhelm
voyage sur Tordre de la société des « Renonçants » et
il acquiert ainsi la science de la vie. Il apprend qu'on ne
mérite le bonheur que par la résignation, après avoir
vaincu ses passions et conquis l'empire de soi-même.
C'était jusqu'alors un dilettante et sa curiosité se portait
sur toutes choses ; il se consacre à une science déter-
minée, il exerce un métier, il est chirurgien. Mieux
vaut, selon Gœthe, faire bien une chose que de faire
mal une centaine de choses; mieux vaut se concentrer
que se disperser; quiconque excelle en sa profession,
si humble s oit-elle, tient sa place ici-bas, et c'est le
devoir des instituteurs de reconnaître les aptitudes de
l'élève, de discerner sa vocation véritable, de le con-
duire dans la voie qui lui convient. Gœthe disserte sur
l'éducation : il recommande les exercices physiques,
l'étude des langues et le sentiment du respect. Les
idées politiques se joignent aux idées pédagogiques. Les
personnages des Années d^ apprentissage reparaissent :
ils forment une association dont les membres doivent
savoir un métier, et beaucoup sont ouvriers. Pas de
distinction de condition et de rang. Le travail est la
seule noblesse. Les uns, comme Wilhelm et ses amis,
émigrent en Amérique; les autres vont défricher des
terres incultes dans le vieux monde ; d'autres demeurent
où il sont; tous emploient sérieusement leurs forces et
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W% LITTÀRATUne ALLEMANDE
leurs facilités. L^œorre manque de suite et de liaitOD.
GcBthe, fatigué) n*a même pas pris la peine de Tacheyer,
et» pour la gonfler, il y a jeté pèle-mèle des nouvelles et
divers morceaux qui ne se rattachent aucunement au
sujet, des réflexions sur le neptunisme et le volcanisme,
sur les préparations anatomiques, sur la littérature et
l'art. Les nouvelles offrent la même idée que le reste de
Touvrage, l'idée qu'il faut se modérer et se mattriser;
mais, si plusieurs renferment de charmants détails, elles
interrompent le cours du roman. Est-ce même un roman
que cette série d'événements presque toujours exposés
dans des lettres et des journaux? Et la langue, hélas!
n'a-t»elle pas quelque chose de raide et de guindé?
Pourtant, depuis le Z)iVa/i, il y avait en Gœthe une
dernière floraison. 11 n'admirait plus exclusivement ces
Grecs qui, comme il dit, révèrent le mieux le rêve de ta
vie; il louait l'architecture gothique et la peinture
flamande; il allait sur les bords du Rhin visiter les collec-
tions de^ frères Boisserée; il répétait qu'il n'était
enchainé à personne, qu'il ne pouvait se contenter d'une
seule façon de penser. De même qu'il inclinait toujours
vers Spinoza sans repousser les monades de Leibniz et
rimpératifcatégoriquedeKaht,demème il aimait Phidias
sans mépriser Van Eyck. Il devenait éclectique. Il s'eflTor-
çait de démêler dans les grandes œuvres des divers
peuples ce qui présentait un intérêt général et il assurait
que le moment était arrivé de fonder une littérature uni*
verselle qui serait constituée par les esprits éminents de
toutes les nations. Il n'avait plus aucune fonction offi-
cielle et depuis que Charles-Auguste avait permis, en 1817,
qu'un chien habilement dressé (dans le Chien JCAubry)^
parût sur la scène, il ne dirigeait plus le théâtre de
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LB XVII 1*» 61ECLB 295
Weimar. Il lisait Byron, Manzoni, les articles du Globe.
Il «iftivait d'un regard attentif le mouvement littéraire de
la Restauration. Il jugeait dans sa revue, Ari et ArUU
quitéf ainsi que dans ses conversations avec le bon et
fidèle Eckermann, la poésie contemporaine. S'il vieillis-
sait, il conservait sa vivacité d'intelligence et sa fraioheur
de sentiment. En 1822, à l'âge de soixante-quatorxc ans,
aux bains de Marienbad, il tombe éperdûment amoureux
d'Ulrique de Levezow, dont il pourrait être le grand-père ;
il veut l'épouser — Christiane était morte en 1816 — et
lorsqu'il se sépare d'elle pour toujours, VElégie de
Marienbady bien qu'un peu obscure et diffuse et trop
hâtivement composée, témoigne de l'ardeur de sa passion
et de la jeunesse de son cœur.
Gœthe mourut, le 22 mars 1832, a quatre«vingt«trois
ans, dans l'éclat de la gloire et au milieu des regrets de
l'Europe entière qui vénérait en lui le patriarche des lettres.
Il venait de terminer son Faust, l'œuvre de sa vie entière.
Dès 1772, le personnage, dont il connaissait la légende
par la pièce de marionnettes et par le livre populaire,
avait hanté son esprit. Quand il se rend k Weimar,
en 1775, il apporte une esquisse du Fausty VUrfauety le
Fauêt primitif, fragment admirable, la plus belle chose,
avec Werther, que le « Sturm und Drang » ait produite,
mais qui n'est qu'un fragment. Et c'est encore un frag-
ment,.malgré ses additions et corrections, que le Faust
qui voit le jour en 1790; Gœthe l'intitule Faust, Frag-
ment. Mais, en 1808, parait le Faust définitif, le premier
Pauetf le seul qu'on examine ici, et ce Faust, remanié et
achevé sur les conseils de Schiller, doit former un
ensemble, doit, selon l'expression même de Schiller, et de
Gœthe, renfermer une idée.
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LITT£R4TUnE ALLEMANDE
Dans un prologue dont la scène est au ciel, le Seigneur
et Méphisto s'entretiennent de Faust. « Que pariez-vous?
dit Méphisto au Seigneur, vous perdrez Faust, si vous- me
donnez la permission de le mener doucement dans ma
voie. » Le Seigneur accepte la gageure. « Soit, répondit^
i\, détourne cet esprit de sa source première, et, si tu
peux le saisir, fais-lui descendre ta route ; mais tu seras
confondu si tu dois reconnaître qu'un homme bon, dans
l'obscur instinct qui le pousse, a bien conscience du droit
chemin. » Faust est donc l'enjeu d'une lutte entre
Dieu et le diable, et Dieu peut-il perdre son pari?
Après ce prologue, parait Faust au milieu de ses bou-
quins. Dépité, attristé de ne rien savoir, il s'adonne à la
magie; il ouvre un livre mystérieux écrit de la main* même
de Nostradamus; il évoque les esprits. Surgit l'Esprit de
la terre; Faust ne supporte pas la terrible vision, et,
lorsqu'il s'enhardit, lorsqu'il prétend être l'égal de l'Es-
prit, l'Esprit le repousse. Désespéré, Faust conclut un
pacte avec le diable. Au retour d'une promenade, il ren-
contre un barbet qui n'est autre que Méphisto, et il le
laisse échapper. Mais, lorsque Méphisto se présente en
gentilhomme, Faust consent à signer d'une goutte de son
sang un inviolable traité : Méphisto lui obéira au moindre
geste, et lui, Faust, compte désormais ignorer le repos;
il deviendra la proie de Méphisto, s'il dit jamais à l'heure
qui vole : « Arrète-toi, tu es si belle! > Méphisto l'em-
mène. Que Faust cesse de spéculer, de ressembler à l'ani-
mal qui pait dans une bruyère aride sans remarquer aux
alentours la verte prairie ! Les deux compagnon s se rendent
d'abord à Leipzig, dans la taverne d'Auerbach, où Méphiato
mystifie de joyeux étudiants, puis dans la cuisine d'une
sorcière qui fait boire à Faust un breuvage rajeunissant,
et Faust, entraîné par Méphisto, séduit Marguerite.
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LB XVIll^ SIÈCLE S97
Il y a donc dans le premier Faust trois caractères prln-
cipaax, Méphisto, Faust et Marguerite.
Personnage tragi-comique, poli et léché, comme il dit
lui-même, par la civilisation, portant un habit écarlate
galonné d'or, un manteau de soie étoffée, une plume de
coq au chapeau, une longue épée pointue, voire de faux
mollets, se piquant d'être cavalier et se faisant appeler
monsieur le baron, spirituel, gouailleur, amusant, drôle,
sentant son xviii* siècle, mattre dans l'art du persiflage,
s'entretenant avec Dieu sur un ton léger et désinvolte, se
moquant de dame Marthe en paroles plaisantes et bouf-
fonnes, analysant les travers et les vices de l'homme avec
une verve mordante et une intarissable ironie, grossier
toutefois et cynique, mêlant à ses airs de bon enfant je ne
sais quoi de sinistre et de vraiment diabolique, n'ayant
qu'un amer sarcasme pour ce qu'il y a de plus élevé, ne
voyant dans la vie qu'une farce et dans la vertu qu'un
mot, Méphisto est l'implacable réaliste qui raille et traite
de folie tout enthousiasme, toute aspiration généreuse,
tout effort héroïque. Faust ne se plaint-il pas que cet inso-
lent et indispensable compagnon le ravale à ses propres
yeux, qu'un souffle de Méphisto réduit à rien ses meilleures
joies, que ce démon se repait du mal qu'il fait aux hommes
et se délecte de leur perte ? Mais cet esprit négatif — <k je
suis, dit-il, l'esprit qui toujours nie » — travaille contre
lui-même : il pousse Marguerite au désespoir, et par suite
au repentir et ii l'expiation ; il jette Faust dans le plaisir
et l'action, et Faust lui échappe en préférant l'action au
plaisir. Selon sa propre définition, Méphisto fait le bien
en voulant le mal et, selon le mot du Seigneur, il est néces-
saire à l'homme dont l'activité pourrait aisément s'endor-
mir si le diable ne la stimulait. Le monde^ disait Goethe
un jour, est' un orgue dont le diable meut les soufflets.
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298 LITTÉRATURB ALLEMANDE
En revanche, Faust eat ridéaliste. Il poursuit la vérité
et il désire Tétreindre, désire pénétrer jusqa'à l'idée que
les mots lui cachent, désire connaître non Técorce, mais
l'essence des choses, leurs germes, leurs causes, leurs
forces, et c'est pourquoi il se livre à la magie plus pots*'
santé que la science. Le grand Esprit le dédaigne, la
nature se ferme devant lui, et, dans son déoeuragement,
il songe au suicide. Les chants de Pâques qui lui rappel*
lent son heureuse enfance, la venue du printemps, la joie
des promeneurs, les hommages des paysans le renga^pent
dans la vie et le rendent à la terre. Quelle vision sublime
il évoque alors quand il souhaite avoir des ailes pour
suivre le soleil en un divin essor, le jour devant lui et la
nuit derrière lui, le ciel au-dessus de sa tête et le flot sotts
ses pieds ! Même dans le pacte qu'il conclut avec le diable
se révèle l'idéaliste, et il a constamment une élévation,
une noblesse d'âme que Méphisto ne comprend pas. Il
voudrait, non pas seulement jouir, mais épuiser toutes
les émotions, tout le bien et tout le mal ; il voudrait souf*-
frir; il se voue, dit-il, à la jouissance la plus douloureuse.
S'il s'étourdit et se précipite dans le tourbillon des aven-
tures, l'esprit domine en lui la matière, et sa volonté de
vivre pleinement, c'est, quoi qu'il fasse, outre le désir de
jouir, le désir de savoir et le désir d'agir. La taverne
d'Auerbach et la cuisine de la sorcière ne lui inspirent
que du dégoût. Lorsqu'il aime Marguerite, il s'attendrit,
se perd dans de chastes rêves. (1 lui jure un éternel amour
et s'il entraine la pauvre fille à l'abime, il a des remords,
des transports de beau désespoir. Le Seigneur ne dit-il
pas dans le prologue que Faust est son serviteur, est un
homme bon? Faust représente l'humanité dans sa gran-
deur et sa bassesse; c'est le surhomme qui est en chacun
de nous et qui demande à l'existence plus qu'elle n'a.
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LX XVIII* 8IEGLB 2M
quiy êuivant le mot même du docteur, sent toujours la
miaère et Tétroitesee de cette vie et aspire cepeodant à
posséder Tinfini; c'est rhomme inquiet, insatiable, qui
court du désir à la jouissance et qui dans la jouissance
regrette le désir, rhomme aux deux âmes, Tune qui
s'attache à la terre et l'autre qui s'élance vers le ciel.
La touchante figure de Marguerite, coulée d'un seul jet
dès 1775, n'a pas la même complexité que la figure de
Faust et que celle de Méphisto. Simple, ingénue^ candide,
exempte de coquetterie^ Marguerite ignore qu'elle est
belle; elle reste confuse devant Faust, elle ne comprend
pas ce qu'il trouve en elle, elle lui dit qu'elle a les mains
vilaines et rudes, elle lui raconte qu'elle fait le ménage,
elle lui demande naïvement s'il croit en Dieu. Elle devient
eriminelle : sa mère meurt du narcotique qu'elle lui
donne, son frère tombe sous l'épée de Faust, elle noie
0on enfant. Pourtant, elle garde à nos yeux sa grâce et
aa pureté. Goethe a su, dans une succession de scènes
rapides et poignantes qui ne nous laissent pas le loisir de
la juger, la peindre si malheureuse et si repentante ! Nous
la voyons mouillant de ses larmes les fleurs qu'elle oOre
a la Vierge, courbant la tète sous la malédiction frater-
nelle, brisée de douleur quand elle entend le Diea irse
sous les voûtes de la cathédrale, prise de folie dans son
cachot lorsque Faust se présente pour la délivrer, et après
avoir recouvré la raison, refusant de suivre son bien-aimé
qui maintenant lui fait horreur parce qu'elle a conscience
de ses fautes et parce qu'elle voit ce Méphisto dont l'as-
pect lui a toujours serré le cœur ! Aussi ce n'est pas en
vain qu'elle invoque Dieu le père et les anges; elle est
sauvée, arrachée au démon.
Du reste, pas un personnage du premier Faust qui ne
soit vivant : l'étudiant dont Méphisto se moque et qui
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300 LITTÉRATURE ALLEMANDE
dans la seconde partie se moque a son tour de Méphisto;
les buveurs de la taverne d'Auerbach; Valentin, le rude
et bonnète soldat; dame Marthe, l'entremetteuse; le
famulus Wagner, ce pédant h Tesprit sec et borné, déjà
vieux malgré sa jeunesse, qui n'envia jamais l'aile de
Foiseau, qui ne cesse de questionner Faust pour grossir
son bagage de science, qui ne s'attache qu'aux formules,
qui ne trouve que des vers de terre en cherchant des
trésors et que cette trouvaille rend tout aise !
Ces figures si expressives, une foule de passages d'ttne
poésie incomparable, le charme d'une langue originale
que Boie admirait déjà dans VUrfaust^ d'une langue
forte, nerveuse, si forte et si nerveuse qu'aucun vers
n'est faible, voilà ce qui fait du premier Faust comme
la seconde Bible des Allemands et la plus grande œuvre
de leur littérature. Ce serait la perfection s'il formait
un tout bien ordonné. Mais, composé à différents inter-
valles, il a les mêmes défauts qu'f^mo/i^. Tasse et Meiater^
obscurités, contradictions, invraisemblances, et Gœthe
avouait que son poème était un fragment, qu'il n'avait
pas plus d'unité que les Nibelungen, que le hasard et
le caprice y régnaient. Le monologue de la forêt est^il
à sa place véritable? Que la nuit de Walpurgis soit un
chef-d'œuvre que les romantiques n'ont su égaler, que
l'intermède d'Obéron et de Titania soit une piquante
satire littéraire, ces épisodes ne troublent-ils pas l'har-
monie de l'ensemble? Qu'est-ce que l'Esprit de la terre?
Utile dans VUrfaust et dans le Faust de 1790, n'est-il pas
superflu dans le Faust définitif? Comment Méphisto
dépend-il à la fois de l'Esprit de la terre et du Seigneur
qui tous deux le donnent à Faust pour compagnon?
Pourquoi, dans la scène où de barbet il devient écolier, se
plaint-il de n'avoir aucune prise sur la race des hommes,
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LB XVIll* 8ISCLB 801
et pourquoi, bien que Faust le presse de conclure un
pacte, veut-il à tout prix s'éloigner? Pourquoi, dans la
scène suivante, au lieu de a mener Faust tout doucement
dans sa voie », comme il l'avait promis, lui fait-il signer
le pacte? Faust vendant son âme, Faust consentant à
servir Méphisto dans Tautre monde frappe de nullité tous
ses efforts sur cette terre, et dès lors k quoi bon le pari
du Seigneur? La conception des personnages s'était trop
souvent modifiée dans l'esprit de Goethe, et c'est ainsi
que le premier Faiist^ de même que le second, a été
l'objet de tant d'interprétations qui, chacune, ont leur
grain de vérité.
Il ne faut pas oublier, en tout cas, que le premier Faust,
en son noyau et sa substance, date de la période du
f( Sturm und Drang d, que Faust est né dans l'imagina- *
tion de Gœthe à la même heure que Gœtz et Werther,
que Wieland disait en 1796 ; « Méphisto, c*est Merck et
Faust, c'est Gœthe ». Dans ses Mémoires, Gœthe n'écrit-
il pas que Merck et lui étaient toujours ensemble comme
Faust et Méphisto? Il y a, en effet, dans Méphisto quel-
ques traits de ce Merck dont l'ironie âpre et digne de
Swift a souvent refroidi l'enthousiasme de son jeune
ami. Quant à Gœthe, n'était^il pas, en 1775, selon le
mot de Stolberg, un Titan qui s'élevait contre Dieu? 11
a sûrement éprouvé les sentiments qu'il met dans la
bouche de son Faust. Comme Faust, il a tâché de péné-
trer les mystères de l'alchimie ; comme Faust, il a con-
templé avec ravissement le spectacle de l'activité univer-
selle et tenté de saisir la nature infinie; comme Faust, il
a reconnu la vanité de la science; comme Faust, il a
aimé une Marguerite; mais il a su se contenir, se
modérer; il n'a pas, comme Faust, fermé ses oreilles à
l'éternel refrain a Tu dois renoncer! » On peut même
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303 LITTlkBATUBB ALLEMANDE
croire que^ 6*il prdte à Faust la fougue de ses inspirations;
les élans de son orgueil et l'agitation profonde de son
Âme, il prête pareillement a Méphisto oe qu'il a de scep»
ticisme, sa propre pénétration, son regard perçant qui
Yoit Tenvers des choses et devine les lâchetés da cœur,
et aussi cet esprit mordant et incisif, cette vivacité, cette
verve, cette verdeur d'humour qu'il déployait dans les
pièces bouffonnes de sa jeunesse. Comme Werther et
Albert, comme Clavijoct Carlos, comme Tasse et Antonio,
Faust et Méphisto, quoique très différents l'un de l'autre,
ressemblent à celui qui les créa, ils représentent chacun
un côté de Gœthe et, souvent, très souvent, que Faust
ou que Méphisto parle, c'est le poète qu'on entend parler.
Ne voulait-il pas, assure un contemporain en 1780,
« greffer dans le Faust toute sa connaissance des
hommes » ?
Sais-moi! crie Méphisto à Faust dans la prison où
délire Marguerite^ et Faust suit Méphisto. Il faut, en
effet, que le héros voie le grand monde, après le petit;
il faut, comme disait Gœthe, qu'il s'élève dans de plus
hautes régions; il faut qu'il aille à la cour, qu'il aime
Hélène, ainsi que dans la légende « De là le second Faosl*
Dès 1800, Gœthe compose le début de l'épisode d'Hélène;
en 1824, il reprend le poème; en 1831, il écrit les
dernières scènes. Mais il cède alors, et plus que jamais^
k la manie de l'abstraction et du symbolisme ; pas d'action;
pas d'ensemble; des tableaux qui se succèdent sans se
lier ni s'enchaîner ; des personnages qui ne sont que des
allégories; beaucoup de poésie, des morceaux lyriques
du plus vif éclat, des scènes superbes et variées, et toute*
fois trop de philosophie, trop de science. Que d'allusions
à la querelle des neptuniens et des plutoniens! Fanst
même et Méphisto vieillissent, comme leur créateur; ils
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LE X Vil 10 SIBCLE SOS
n aat plus la même vigueur, et Méphieto, l'immortel
démon qui parle êingulièrement de ses « vieux jours »,
(aible, bavard, ridicule, n'est plus le Méphisto de la
première partie. Aussi, un acteur de Weimar qui jouait
les deux Faustf disait*il que le premier était Toeuvre
d'un génie, et le second l'œuvre d'un conseiller intime.
Le second Faust comprend cinq actes. An premier
aete, Faust, guéri du désir de savoir — s'il n'a pu regar-
der le soleil en face, il a pu fixer l'arc-en-ciel qui brille
sur la cascade -*- se rend à la cour de l'empereur : il
crée le papier-monnaie ; il sauve ainsi ce César dont le
trésor est vide; puis, après l'avoir enrichi, il l'amuse.
L'empereur veut voir Hélène, et pour évoquer ce type de
la beauté absolue, Faust descend chez les Mères qui
gardent les Idées, principes des choses. Au retour, il
évoque Hélène ; mais dès qu'il l'aperçoit, il lui voue tout
son être, il se précipite vers elle pour la saisir, une
explosion se produit, Hélène disparait, Faust tombe
défaillant et Méphisto le transporte dans son cabinet
d'étude.
Au deuxième acte, Homunculus, un petit homme
fabriqué par Wagner, devine que Faust n'a plus d'autre
désir que de revoir Hélène et ne guérira que sur le sol
de la Grèce. Ici s'ouvre une seconde nuit de Walpurgis,
cette nuit classique qui devait, disait Gœthe, donner
de l'occupation aux philologues. Homunculus, Faust,
Méphisto, emportés dans l'air sur un manteau magique,
descendent dans les champs de Pharsale où une fois
l'an reviennent tous les personnages, même les plus
étranges, de la mythologie grecque. Homunculus, qui
n'est qu'un pur esprit, n'a pas quitté la fiole lumineuse
où il naquit; cette fiole se brise contre le char de Galathée,
et Homuneulus s'évapore. Méphisto prend la figure d'une
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304 LITT£RATURB ALLEMANDE
Phorkyade. Quant à Faust, il demande lUlène aux
Sphinx, à Chiron et à la devineresse Manto, qui le
conduit chez Proserpine, à Tentrée des enfers, comme
jadis elle conduisit Orphée. Le poète n*a pas osé £ûre la
scène où Faust aurait, par son éloquence, arraché
Hélène à Proserpine touchée jusqu'aux larmes.
Au troisième acte, sans nulle transition, il nous montre
Hélène que les Grecs ont reprise et qui précède à Sparte
Ménélas irrité. Sur le conseil de Méphisto-^Phorkyade,
elle se réfugie chez des hommes du Nord qui sont venus
s*établir au sommet du Taygète ; elle s'unit à Faust, leur
chef, qui l'emmène dans l'idyllique Arcadie; elle lui
donne un fils, Buphorion, enfant merveilleux, hardi,
turbulent, qui veut s'élever vers le ciel et qui, semblable
à Icare, retombe et meurt; Hélène le suit dans les enfers
en ne laissant à Faust que ses vêtements. Cet acte est le
plus étincelant et le plus magnifique du poème ; la langue
de Gœthe n'eut peut-être jamais autant de noblesse et
de majesté; Hélène emploie les trimètres iambiques du
drame grec jusqu'à ce que Faust, dans une scène
gracieuse, lui enseigne la rime. Mais les personnages ne
sont que des fantômes; Hélène, c'est la poésie classique,
et Faust, c'est Gœthe, l'auteur de Gœtz et de Werther;
l'union d'Hélène et de Faust, c'est l'alliance de l'art
antique et de l'esprit moderne ; Euphorion, c'est la poésie
nouvelle, c'est aussi lord Byron!
Au quatrième acte, Faust, éprouvé par cette grande
aventure, a résolu de trouver le bonheur dans l'activité.
Agir, lutter, vaincre, voilà ce qu'il désire, et il voudrait
refouler l'Océan et lui arracher des rivages stériles pour
les féconder. Il retrouve l'empereur, commande ses
armées, leur donne la victoire, grâce à la magie, et, en
récompense, obtient les terres qu'il saura ravir à la mer.
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LB XVIII* SIÈCLE 305
Il réuBdit. Au cinquième acte, il a refoulé rOcéan,
fertilisé le sol que Teau reèouvrait naguère, et conquis
un royaume. Mais il n'est pas satisfait : il lui faut la
hauteur où deux vieillards, Philëmon et Baucis, ont leur
ermitage; Méphisto, outrepassant ses ordres, brûle la
maisonnette, et les deux vieux périssent. Repentant,
Faust rompt avec la magie et abjure tout égoïsme; il
défie le Souci qui Taveugle; il décide d'achever son
labeur, de dessécher un marais pestilentiel, et, en pensant
à la joie qu'il éprouverait s'il voyait de nouveaux espaces
assainis et peuplés, il s'écrie qu'il suspendrait volontiers
le cours du temps, qu'il dirait volontiers à l'heure qui
vole : <c Arrète-toi, tu es si belle ! > De par ces mots, il
appartient à Méphisto, et Méphisto, à bon droit, appelle
aissntAt les démons pour le happer. Le diable a compté
sans le Seigneur. Dieu peut*il abandonner celui qu'il a
promis de c conduire a la lumière »? Faust doit être
sauvé. S'il s'est trompé, il a peiné, il a lutté, il s'est
dévoué à l'humanité, et ses constants efforts ont racheté
ses fautes. Et, pour reprendre les mots du Seigneur
dans le prologue, Méphisto a-t-il pu saisir Faust? Faust
a»t*il descendu jusqu'au bout la pente où Méphisto
l'entraînait? A-t*il, comme Méphisto s'en vantait à
l'avance, mangé, de même que le serpent, la poussière
avec délices? N'a*t-il pas toujours eu conscience du droit
chemin? Méphisto a gagné son pari avec Faust, il l'a
perdu avec Dieu. Quoi qu'il en soit. Dieu fait un coup
d'État. Les anges profitent de l'émoi de Méphisto qui
conçoit à leur vue de grossiers désirs, pour lui souffler
sa proie; ils emportent l'àme de Faust au séjour des
bienheureux; Marguerite intercède pour elle au séjour de
la mère de Dieu : c l'éternel féminin nous élève aux
oieux ».
LirrillATOl» ALLRMAKDB. 20
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a06 LITTéBATORB ALLEMANDE
Ce qui frappe d'abord dans Gœthe, c'est le feu d'ane
grande intelligence qui refuse de se confiner et qui
s'ouvre à toutes les connaissances , c'est l'étendae,
l'universalité de son génie. Il y avait en lui et un artiste
et nn savant. Ce poète s'est fait un nom dans la science :
le premier, il a exposé la théorie de l'unité de composi*
tion organique dans les végétaux; il a prouvé l'existence
de l'os intermaxillaire; il a été le précurseur de Geoffroy
Saint*Hilaire.
< Les artifices du talent importent peu, s'écriait-il en
1827, l'œuvre doit montrer la grande personnalité de
l'auteur. » Cette grande personnalité ressort de tout ce
qu'il a écrit. Napoléon avait raison de lui dire : « Vous
êtes un homme ». Gœthe était un homme complet» un
mattre homme, un homme qui sut développer l'ensemble
de ses facultés, un homme — et ce sont les termes dont il
se sert en jugeant Shakespeare — dont l'esprit comme le
corps fut toujours et entièrement sain et vigoureux. Ne
lit*-on pas dans une lettre de sa jeunesse quMl ne cesse de
travailler et qu'en travaillant il monte un degré de plus?
Le mot, un peu subtil, qu'il adresse dans sa vieillesse k
Hafiz : <( Ce qui fait ta grandeur, c'est que tu ne sais
finir », n'est-ce pas un éloge, l'éloge même de Gœthe,
l'éloge de sa longue et géniale fécondité? Aller en avant,
progresser, s'ennoblir, se perfectionner, se porter plus
loin dans toutes les directions de la pensée, tel fut cons-
tamment, de son propre témoignage, le désir et le des-
sein de Gœthe.
Il a peut-être été le plus grand poète des deux derniers
siècles. Sûrement, il est, comme a dit Grillparzer,
l'incarnation de la poésie allemande. Quel autre que lui
représenterait l'Allemagne dans un congrès littéraire?
Nul n*a fait une œuvre plus diverse et plus vaste; il
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LE XVIIl* SIECLE 307
aborda la plupart des genres et, sans exceller dans tous«
il ne fut médiocre dans aucun.
Romancier, il a composé Werther^ qui seul suffirait à
sa gloire. Dramatiste, il manque de vigueur, il ne noue
pas fortement l'action, et il avait, reconnait-il, la nature
trop conciliante pour être un tragique ; mais il a trouvé
de belles situations, et ses drames offrent une succession
de tableaux attachants et des caractères marqués en
traits justes et fins. Poète épique, il a fait Hermann et
Dorothée j qui reste, selon le mot de Platen, l'orgueil de
l'Allemagne et la perle de l'art. Romancier, dramatiste,
poète épique, il peint surtout les qualités de la femme,
sa beauté, sa grâce, sa tendresse, son dévouement, son
charme apaisant, ce qu'il y a en elle d'attirante puissance.
Ses créations féminines remportent de beaucoup sur ses
caractères d'hommes. Il y mêle l'idéal et la réalité. Les
femmes qu'il peint, grandes dames ou filles du peuple,
rappellent celles qu'il aima. Mais il leur donne le prestige
de la poésie et tout ce que son imagination sait trouver
de délicat et de séduisant. Ne disait-il pas que les femmes
sont le seul vase où puisse aujourd'hui se verser l'idéal?
Sa Marguerite, c'est à la fois la Gretchen de Francfort,
son premier amour, et Frédérique Brion, et Charlotte
BnfT; mais ni Gretchen, ni Frédérique, ni Charlotte
n'avaient cette candeur, cette naïve pureté qu'il a répandue
sur Marguerite.
Tel est son caractère distinctif, et lui-même cite là-
dessus un mot profond de Merck : (c Tu es né pour
transformer la réalité en poésie, et les autres cherchent
à réaliser le prétendu poétique, l'imaginatif ». Il écrit
pour se délivrer des émotions qui le troublent, il chante
sa douleur pour s'en affranchir, et ses vers, ses romans
nous touchent par ce que nous y cherchons et trouvons
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308 LlTTéllATORË ALLEMANDE
du destin et des sentiments de Tanteur ; sa vie y parait
d'un bout à Tautre; ils expriment l'état de son âme. Mais
il fait en même temps œuvre d'art. Ainsi que dans ses
Mémoires^ il amalgame fiction et vérité, il adoucit ce
qui lui semble trop cru^ il écarte ce qui ne répond pas à
son rêve de perfection, il ajoute, il retranche, il medi&e,
et, de la sorte, il trace un harmonieux tableau. Il a,
d'ailleurs, le génie plastique; il a, comme le Hans Sacbs
qu'il glorifie en 1776, ce regard pur et clair qui vent les
choses et les rend siennes — *- l'œil n'est*il pas « l'organe
avec lequel il embrasse le monde »? -~ il a cette sobre
vigueur qui fait jaillir les contours avec une netteté
saisissante et un puissant relief.
Il est surtout poète lyrique^ et, s'il amène parfois, selon
ses propres termes, l'eau des autres à son moulin et si,
comme témoigne un de ses amis, c'était sa manière de se
laisser exciter à la production par ses grands devanciers,
il imite ses modèles sans les copier; il greffe sur leurs
pensées son propre sentiment; jamais il ne se déprend
de lui-même, et sa poésie, fût-elle inspirée par autrui,
porte toujours sa marque. Ce qu'il célèbre de préférence,
c'est l'amour; il le célèbre sur tous les modes, et grâce
a la souplesse de son talent, grâce à la fraîcheur et à la
sincérité de ses impressions, il varie sans cesse cet unique
sujet. C'est qu'il chante non seulement les joies de
l'amour, mais ses souffrances; aux yeux de Gœthe, les
souffrances de l'amour sont aussi des joies : quand il
regrette dans le prologue du Faust ses premières années,
il redemande le douloureux bonheur de la passion, et la
Claire de son Egmont dit que le seul être heureux, c'est
celui qui aime, soit qu'il jette au ciel un cri d'allégresse,
soit qu'il s'afflige jusqu'à la mort.
Il a manié merveilleusement la langue poétique, et la
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LB XVJII* 81KCLB «W
critique loue unanimemeiit, Bans pouvoir la définir, la
oadance de ses vers, la musique de se» rimes, la magie
des sons qu'il emploie. Mais, ainsi que le roi de son
Chanteur j il verse dans une coupe d*or le meilleur des
▼ÎBS, un vin aussi salutaire qu'il est exquis. Il nommait
poésie tyrtéenne la poésie qui nous anime de vaillance et
nous rend propres ii soutenir les luttes de Texistence* Telle
est souvent sa poésie. Il ne se borne pas a demander
que l'homme soit noble, seoourable et bon. Dans ses vers
et dans sa prose, il nous apprend « l'art de se conduire
avec art » ; il nous montre la poésie latente des vertus
domestiques, nous enseigne que le bonheur consiste dans
l'activité quotidienne, dans Taccomplissement journalier
de notre tache. Ne dit-il pas qu'il laisserait aux dieux
leur vaste ciel s'ils donnaient à l'homme courage et
fermeté? Ne dit-^il pas que les lâches pensers ne nous
font pas libres et que tenir bon, ne pas fléchir, c'est
appeler à soi les bras des dieux? Ne dit*il pas encore
que l'homme qui se surmonte lui-même soutient la plus
difficile des épreuves, et que celui-là seul peut régner
<pii fait abnégation de soi; que celui*lk seul mérite la
liberté comme la vie qui doit chaque jour la conquérir;
que vivre, c'est combattre; que l'action est une fête?
Autour de Schiller et de GkBthe.
Après avoir apprécié Schiller et Gœthe, il faut passer
en revue quelques-uns de leurs contemporains qui n'ont
pas» comme eux, appartenu dans leur jeunesse au Sturm
und Drang»
De leur vivant régnait la philosophie de Kant (1724-
1804). Si tortueux qu'il soit et bien que chargé de
parenthèses et d'incidentes, le style de Kant est pur.
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SIO LITTBRATIinB ALLBNANOB
clair, précis. Son influence fut considérable. Il disait
que la seule chose au monde qui ait une valeur absolue
est une bonne volonté, qui subordonne tout au devoir;
que le devoir se présente à notre conscience comme un
ordre absolu, comme un ce impératif catégorique »; mais
que, malgré cette obligation, l'homme est libre puisqu'il
n'y a pas de moralité sans liberté et que l'idée de liberté
est le point d'Archimède où la raison fixe son levier.
De Kœnigsberg où il professait, et de la Prusse Orien-
tale sa doctrine se répandit dans l'Allemagne. Le gendre
de Wieland, Reinhold, l'enseignait a léna, et Schiller
déclarait que le philosophe avait éclairé son esprit d'une
lumière bienfaisante. Fichte fit le pèlerinage de Kœnigs*
berg. Seume (1763-1810), qui rappelle k la fois Haller et
Schiller dans ses poésies lyriques et qui, dans son auto*
biographie et sa Promenade à Syracuse^ a raconté les
curieuses aventures de sa vie, relève de Kant par sa
stoïque énergie. Nombre déjeunes gens qui combattirent
en 1813 pour l'indépendance étaient des disciples de
Kant, et la Prusse Orientale fut dans les années de ser-
vitude et de soulèvement le foyer du patriotisme alle-
mand.
Mais, à la fin du xviii' siècle, les Allemands ne for-
maient pas une nation, et, malgré Lessing, malgré
Schiller et Goethe, il n'y avait pas de théâtre national.
Vainement Gœtz de Berlichingen avait fait école.
Qu'étaient-ce que les drames chevaleresques qu'il sus-
cita? On n'y voyait que manoirs pris d'assaut et des
séances de la Vehme. L'influence française subsista donc.
Gœthe traduisit le Mahomet de Voltaire pour rappeler
ses compatriotes k la mesure, k la décence, k la noblesse
du style, et Schroder, quoiqu*un dévot de Shakespeare,
demandait des pièces françaises k Gotter, k ce Gotter
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LB XVIII' BIBCLB 311
qui défendait obstinémeut les Français et accusait son
siècle d'injustice envers eux.
Le drame bourgeois fut en faveur, et une pièce de
Gemmingen, le Père defamiUe (1782), imitée de Diderot,
obtint un grand succès.
Iffland, acteur et directeur de même que Schrôder,
très fécond, désireux, comme il dit, de mener le public
au bien, plut par des tableaux de mœurs qui représen-
taient la vertu triomphante : les Chasseursy le Joueur ^ les
CèUbatairea,
Kotzebtte (1761-1819) aborda tous les genres, la farce
comme la tragédie, et composa plus de deux cents pièces.
Son œuvre la plus célèbre, parue en 1789, est Misan*
ihropie et Repentir^ que Gottfried Kôrner jugeait avec
raison un misérable produit dans la manière larmoyante
d'Iffland. Ce qu'il a fait de mieux, c'est la Petite ville
allemande où il raille avec esprit la manie des titres et
les travers des habitants d'une petite ville, leurs commé-
rages, leur sot orgueil. 11 n'enfonce pas dans les carac-
tères et ne se soucie pas de la vérité. Ses personnages,
femmes déchues ou demi-vierges, jeunes beaux ou vieux
marcheurs, se ressemblent tous : pas d'émotion sincère,
pas de vraie passion, et, s'ils sont comiques, ils touchent
à la caricature; avec cela, la sensiblerie du xviu^ siècle
et des tirades contre la civilisation qui corrompt les
âmes. Joseph Chénier ne disait-il pas que ces pièces vul-
gaires rappelaient, sans les surpasser, les mélodrames
de nos petits théâtres? Kotzebue fut toutefois un amu-
seur; il avait un sens très aiguisé du ridicule, de la viva-
cité, de la pétulance, du brio, de la malice; il noue
l'intrigue et conduit le dialogue avec dextérité ; il sait
tendre la situation et produire de gros effets.
Pas plus que le théâtre, l'histoire n'avait chômé.
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3U litubaatueb allbiiandb
Uelin décrivit à grands traits l'histoire de Thiiinanité.
Juste MOser (1720-1794) esprit original, défendant
Arlequin contre Gottsched et la littérature allemande
contre Frédéric II, célébrant à la Klopstock les Aile*
mands de jadis, quelquefois paradoxal puisqu'il plaide
pour le droit du plus fort et pour le servage, très con-
servateur puisqu'il s'oppose aux innovations, très avanoé
pourtant puisqu'il combat la centralisation et la bureau*
cratie, souhaite l'instituûon du jury et prophétise les
armées nationales, Juste Môser fit une Histoire iOsna^
bruck qui sort des limites de la ville et déroule les des*
tins de la constitution germanique; il vivra surtout par
les articles ingénieux, solides, vigoureux qu'il a recueîUis
dans ses Fantaisièë patriotiques.
Schlozer (1735*1809) publia un journal qui dénonça
les abus et qui donna de fréquentes alarmes aux tyran-
neaux allemands. Il fit une Histoire universelle*, mais il
n'aimait ni les arts ni les petits Etats, et il avoue ignorer
ce que c'est que le style.
Jean de Mûller (1752-1809) était en revanche un sty-
liste et il se pique de l'être; il imite Tacite; mais son
style, ferme sans doute, est trop bref, trop saccadé, trop
sentencieux. On lui préféra Schiller et un ancien capi-
taine, Archenholtz, qui raconta, d'après Lloyd et Tem-
pelhof, V Histoire de la guerre de Sept Ans; Archenholts
admire Frédéric et sa manière est claire^ rapide et
chaleureuse.
Le révolutionnaire Georges Forster (1754-1794) mérite
une place a la suite des historiens. La relation de son
Voyage autour du monde (1777) a de la fraîcheur et de
l'agrément; il narre avec vivacité ses impressions et
décrit les îles de la mer du Sud en un style chaud et
coloré. Quel tableau que celui des indigènes de Taîti
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LB XVIU* 81ÉCLB M8
accourant sur leurs canots à la rencontre des Européens
en agitant des Teailles vertes et en criant tayo\ Après
avoir lu Porster, l'Europe s'imagina que Taîti était un
paradis terrestre. Un autre récit de Forster, Les Vues du
Rkm inférieur (1791), donne l'idée de son esprit mobile,
brillant, presque universel. Il porte son attention sur
toutes choses, arts et sciences, commerce et industrie,
politique; il entremêle aux détails et aux faits des
réflexions, des considérations générales. S'il a de la
recherche et de l'apprêt*, s'il vise à la distinction et à une
sorte d'élégance académique, s*il a trop travaillé certains
paasages de son œuvre et négligé certains autres, sa
langue a du mouvement, de l'éclat, de la variété.
Comme toujours, les poètes pullulaient. Klopstock
suscita toute une lignée d'imitateurs. Son Messie fut suivi
d'une foule de « patriarchades » : Bodmer fit un Noé;
Widand, un Abraham; Frédéric-Charles de Moser, un
DanieL Pareillement, sa poésie germanique déchaîna le
ce hurlement » ou « rugissement » des bardes. On chanta
la Germanie et les dieux klopstockiens et le clair de lune
et le chêne de Braga : poésie bavarde et creuse, disait
Herder, qui n'a su trouver qu'un vain cérémonial, un
costume d'emprunt et des mots retentissants ! Les plus
connus de ces bardes sont Kretschman, qui prit le nom
de Rhingulph, et le jésuite Denis (1729-1800). Denis fut
en son temps le coryphée de la littérature viennoise et
durant près d'un demi-siècle le panégyriste officiel de
l'Autriche. Disciple de Klopstock qu'il proclamait le plus
grand des bardes de Teut, il se nommait lui-même le
barde de Joseph et se flattait de devenir le Joseph des
bardes.
D'autres relèvent des poètes de Gœttingue et notam-
ment de Holty : Salis, Matthisson, Tiedge.
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314 LITTiRATUBE ALLBNANOB
Salis-Seeipvis (1762-1834) compare Paris, plein de
bruit et de fumée» aux montagnes des Grisons, sa patrie.
Chose curieuse, cet homme qui vit les premières scènes
de la Révolution et Técroulement de la confédération
suisse, n'a guère chanté que la nature. Mais il a de la
grâce et de la douceur. Il dit son village enfoui dans les
buissons, le tilleul planté devant l'église sur la place où
danse la jeunesse, le clocher où perche la cigogne, la
maison paternelle, et ses fenêtres encadrées de vigne, et
son petit toit vers lequel se courbe un poirier; il croit
entendre encore le son des cloches, et en rêve il navigue
sur le lac, secoue les pommiers du verger, caeille les
myrtilles des bois.
Matthisson (1761-1831), trop vanté par Schiller, a bien
décrit le paysage littéraire, le paysage que de grands
poètes ont rendu célèbre par leur séjour ou par leurs
œuvres. Correct, aisé, harmonieux, il manque de force
et d'originalité. Son Elégie sur les ruines d'un vieux
château passa jadis pour une merveille; elle semble
maintenant froide et banale.
Tiedge (1752-1841) n'a qu'une élégance fade dans ses
odes et ses élégies. Son poème philosophique en six
chants, Uranie (1801), traite clairement, mais longue-
ment, ennuyeusement de l'immortalité de Tame.
D^autres ont subi l'influence de Wieland : Thûmmel,
qui dans ses Voyages au midi de la France^ dans l'/zio-
culation de l'amour^ dans WiUielmine fait preuve d'une
grande facilité, d'une certaine verve, d'une observation
assez profonde; Musâus qui, dans ses Contes^ a, sinon
de la naïveté, du moins de la malice et de Thumour;
le Strasbourgeois de Nicolay qui mit en vers des épisodes
d'Ârioste et de Bojardo; deux Autrichiens, Blumauer qui
travestit V Enéide sans égaler notre Scarron, et Âlxinger,
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LB XVIll* SlkCLE Sli
\t plat et fastidieux auteur d'un Doolin de Mayence; le
médecin Kortum dont les étudiants lisent encore Tamu-
santé Jobaiade.
Un compatriote et élève de Schiller mérite une place à
part. C'est le faible et mélancolique HOlderlin (1770-
1843) qui de bonne heure devint fou. Il manie avec sou-
plesse les mètres antiques et il joint la concision à Thar-
monie. Nul n'a mieux chanté la nuit rêveuse et triste qui
brille sans se soucier de nous sur la cime des monts, le
Neckar, ses prairies et les saules de ses rives, Heidel-
berg, son vieux château entouré de lierre, ses rues qui
reposent au milieu des jardins, et, sans les avoir vus, il
a décrit avec une fine précision les paysages de la Grèce.
La Grèce, voilà sa vraie patrie, et il nomme Smyrne,
Ilion et les îles d'Ionie les c charmes de la terre » ; il
regarde les Grecs comme des hommes uniques. Son
roman à^Hyperion^ en forme de lettres et dans une belle
et noble prose, représente un Grec qui combat les
Turcs et prend Sparte d'assaut, mais qui, désespéré de
commander a des brigands, désespéré d*avoir perdu sa
bien-*aimée Diotime et de trouver en Allemagne un
peuple déchiré, se réfugie dans la nature : il rappelle
donc et Ardinghello et Werther. De même, dans La Mort
JCEmpédoclcj le héros, inquiet et orgueilleux, tient h la
fois de Werther et de Prométhée ; il se jette dans l'Etna
et il finit comme Hôlderlin voulait finir. Hyperion n'est-
il pas panthéiste et ne dit-il pas que le comble de la joie,
c'est d'être un avec tout ce qui vit?
Hyperion est un des six h sept mille romans qui paru-
rent de 1773 à 1800. Les uns copiaient les romans anglais,
Richardson, Sterne, Fielding : le Sebaldus Nolhanker de
Nicolaï; le Siegfried de Lindenberg de MQller d'Itzehoe;
le Voyage de Sophie^ de Memel en Saxe où Hermès
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SIG LITTBRATDBB ALLBIIANDB
entasse sermons sur sermons et tâche vainement d*avoir
de Thumoar ; les deux romans de Hippel, les Biographies
en ligne ascendante et les Courses à travers champs du
che9aUer A^Z^ œuvres bizarres, toufiues, décousues ^
qui, de même que son livre Sur le mariage^ renferment
pourtant une foule d'intéressants détails et de tratia
spirituels.
Les autres copient Werther et Siegwart.
D'autres sont des autobiographies sur le modèle des
Confessions de Rousseau. Un ami de Gœthe, auteur d*uae
Pi*osodie allemande et d*un ingénieux traité sur Timita-
tion du beau, Moritz (1757^1793) a retracé sa jeanesae
dans un livre assez long et mal composé, mais trèa atta<*
chant, Antoine Reiser, Des tableaux de la vie bourgeoise,
Finfluence du mysticisme de Mme Guyon sur certains
esprits, le développement d'une âme incertaine encore,
généreuse et tourmentée du besoin de Tidéal, les aveo*
tures de Reiser, les émotions qu*excitent en lui les
œuvres littéraires de l'époque, ses fautes, son repentir,
sa passion du théâtre, ses relations avec de célèbres
acteurs, tout cela fait de ce récit un vrai « roman psycho-
logique » et c'est le sous-titre que Fauteur donne fort
justement k son œuvre.
D'autres romans, ceux de Charles-Gottlob Cramer,
d'Auguste Meissner, de Spiess, de Vulpius, calqués sur
Gœtz ou sur les Brigands et le Visionnaire^ sont des his*
toires de chevaliers, de bandits et de revenants. Les
plus fameux sont le Rinaldo Rinaldini de Vulpius et
VAheUino de Zschokke.
D^autres, comme ceux d'Auguste Lafontaine qui devint,
selon le mot de Heine, plus célèbre que Gœthe parce
qu'il écrivait sans discontinuer, sont fades, doucereux
et démesurément longs.
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LB XVIII* SIECLE 317
Jean-Paul.
De tous les romaDciers de cette fin de siècle, le plus
remarquable est Jean«Paul Richter (1763-1825), que la
plupart des contemporains mettaient à côté de Schiller
et de Goethe. Ses premières œuvres, les Procès groen^-
landais et les Papiers du diable^ sont des satires, et il
n'était alors, comme il dit, que Técho de sa bibliothèque.
La Loge invisible, inachevée, invraisemblable, inaugura
sa véritable manière. Hespérus fit de lui l'écrivain à la
mode : le roman est étrange, obscur, compliqué^ mais
ce qui ravissait le public, c*était la description des clairs
de lune et des parcs anglais, c'était la peinture des
« hommes hauts » qui méprisent la terre et désirent la
mortf c'était le style cadencé, rythmé, musical de
l'auteur, c'était son idéalisme, son naïf enthousiasme
pour les belles âmes, des tirades enflammées sur
l'amour, le tendre hommage qu*il rendait à la femme,
la pitié profonde qu'il portait à tous les êtres, sa sensi*
bilité larmoyante. Puis vinrent des idylles où Jean-Paul
n retracé ses premières années et ce qu'il a goûté ou
cru goûter de poétique et de romanesque dans l'enfance,
ce mai, cet Eden, cet âge d'or de l'homme : Wuz^ Fixlein^
Siebenkds et le Jubelsenior. Il y célèbre la tranquille
existence des pauvres gens avec ses petits événements
et ses joies intenses. Pourtant, le héros de Siebenkds
cherche en vain l'amour dans la société bourgeoise et
juge que les femmes comme les plantes et les fleurs ont
sur les hauteurs plus de suc et de parfum. Mais bientôt
Jean-Paul connut la vie des cours, et son Titan montre
qu'on ne pent réaliser l'idéal dans le grand monde.
Albano voit Liane, son premier amour, renoncera lui;
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318 LITTBRATVRB ALLBMANDB
il voit Linda, la Titanide, son deuxième amour, la femme
énergique, passionnée, géniale, succomber misérable-*
ment; il voit Roquairol, le Titan, si brillant, si auda-
cieux, si éloquent, se démasquer comme un cynique
libertin et se tuer d'un coup de pistolet sur le théâtre ; il
voit Scboppe, son précepteur, l'impitoyable humoriste,
devenir fou : il se contente d'épouser Idoine et de gou-
verner son duché. Le Titan devrait donc s'appeler VAnti--
Titan et il a la même conclusion que WilheUn MetMter
et que Faust. Par malheur, Jean-Paul a trop insisté sur
l'éducation d'Albano, et les personnages qu'il a le mieux
peints, c*est non pas Âlbano, c'est le Titan et la Tita*
nide, c'est Roquairol et Linda. Il revint dans son élé-
ment, et les FlegelfahrCf roman humoristique, bien
qu'inachevé, offre plus de clarté, plus de simplicité que
ses ouvrages antérieurs : les deux héros^ deux frères
jumeaux, Walt et Vult, ont le langage qui leur sied :
l'un, naïf, sentimental, rêveur, gauche, s'exprime longue-
ment et non sans douceur; l'autre, hardi, satirique, iro-
nique, pratique^ a la parole brève et saccadée. Jean»PauI
suivit sa veine. Dans ses derniers romans, quoique avec
moins de succès, il représente des originaux : Schmelzle,
Katzenberg, Fibel, Marggraf. Il a fait, en outre, des
œuvres philosophiques : la VaUée de Campan qui
démontre l'immortalité de l'âme, V Introduction à [esthé-
tique qui renferme de curieux chapitres sur l'esprit ot
l'humour, la Leçana qui contient d'excellents préceptes
sur l'éducation des jeunes filles. Mais son style est
insupportable. Il veut le rendre « phosphorescent », y
« tirer les feux d'artifice les plus variés », et certes il a
ce qu'il nommait le lyrisme de l'esprit, le lyrisme du
WitZj — ce mot qui se rencontre souvent sous sa plume.
— Il est ingénieux, fécond en métaphores, en compa-
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LE XVII I<^ SIÈCLE 319
raisons et en antithèses. Ne disait-il pas, comme Ewald
de Kleisty qu'il faisait la chasse aux images? Est-ce un
style cependant que cet assemblage heurté d'images
ramassées* de toutes parts? Jean-Paul recueillait avec
soin sous des rubriques diverses les traits, les anec*
dotes, ce qu'il trouvait de curieux dans ses lectures, et
de ces recueils qui finirent par remplir une bibliothèque,
de cette vaste collection de cahiers, de ces « carrières »,
il tirait les rapprochements et les analogies, les con-
trastes et les oppositions qu'il «c fourrait », de son propre
aveu, dans ses récits. De là, tant de digressions, tant de
périodes et de phrases entortillées, tant de passages
amphigouriques, tant d'étrangetés et d'obscurités; Jean-
Paul écoule ses fiches. Sans doute il a peint d'une façon
saisissante les petits côtés de la vie réelle; il a peint
dans Wuzy dans Fixlein et Siebenkâs de jolies scènes
d'intérieur, de merveilleux tableaux de genre; il a de la
verve; il a des réflexions piquantes, des remarques pro-
fondes. Mais il lui manque la mesure, l'ordonnance, l'art.
Auerbach le compare justement à un humus où tout
croit, fleurs, buissons, broussailles, et où ne peut naître
un tronc haut et droit, une forêt aux cimes élevées.
Aussi, il n'a terminé que de courts récits et il n'a su
finir ses romans de longue haleine : il manque d'inven-
tion et il a besoin de s'appuyer sur autrui. Il voulut être
le Sterne de l'Allemagne; lourd, pesant, il a de Sterne
l'allure irrégulière, et non la grâce.
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CHAPITRE X
LE XIX* SIÈCI/Ë
Le mooYement natioDaL — Les poètes de 1813. — Les romantiquM. —
Autour du romantisme. — Henri de Kleist. — Rfickert, Platen, Immer-
mann. — Les Souabes. — Les Autriehfens. — > Heine et la Jeam
Allemagne. — La poésie politique. — • Les néo-romanttqves. — Les
Muniebois. — Écrivains de tous pays. — Pe 1870 à 1886. — De 1885 à
nos jours.
Le mouyement natLonal.
Le XVIII* siècle avait été le sièele de rhumanité; ie
XIX* siècle est le siècle de la nationalité.
Divisée en petits états, dépourvue d'une capitale litté*
raire, riche en foyers intellectuels où Toriginalité des
talents se développait en toute liberté, l'Allemagne du
xviii* siècle méritait le nom qu'on lui donnait au moyen
âge : les Allemagnes. Nul ne regardait le particularisme
comme un péril. Les grands écrivains se disaient cosmo-
polites. Lessing jugeait que le patriotisme était une
faiblesse héroïque dont il se passait fort bien; Herder,
que l'humanité était la vraie patrie ; Schiller, que c'est
un pauvre idéal d'écrire pour an seul peuple, qu'il ne
faut même pas traiter de sujets nationaux, qu'un goût
barbare a seul besoin de ce stimulant du patriotisme, que
la poésie doit viser au cœur de l'homme, non du citoyen,
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LE XIX* SIÈCLE 83t
et que le génie n'a d'autre salut que de fuir le domaine
du inonde réel pour se former son propre monde. « Peu
importe qui règne^ s'écriait Guillaume Schlegel, et com-
ment tourneront les événements, pourvu que la science
soit libre ! »
Mais l'unité morale préparait l'unité politique. Créer
une littérature originale, n'était-ce pas créer la nation?
Affranchir les lettres allemandes de l'influence étrangère,
n'était-ce pas donner à l'Allemagne conscience d'elle-
même? Lire et admirer les mêmes auteurs, n'était-ce pas
appartenir à la même communion et reconnaître une
même patrie? Les drames de Schiller, son Camp de
WcUlenstein qui représente une soldatesque de tous pays,
sa Jeanne éHArc qui célèbre la France, n'inspiraient-ils
pas à tous les Allemands un égal enthousiasme? Les mots
de Tell « la puissance des tyrans a une limite... soyez
unis, unis », bien qu'ils s'adressent à des Suisses, n'ont-ils
pas ému le cœur de tous les patriotes d'outre-Rhin? De
sa tombe, Schiller combattait Napoléon.
La Révolution française guérit les écrivains allemands
de leur cosmopolitisme. Ils s'étaient passionnés pour elle.
Klopstock saluait avec allégresse l'aurore des temps nou-
veaux. Schiller — ce Schiller à qui l'Assemblée légis-
lative décernait le titre de citoyen français — écrivait
que tous les regards, pleins d'attente, se fixaient sur la
scène politique où se traitaient les grandes destinées de
l'humanité. Gœthe disait que l'âme s'élevait à ce spec-
tacle, que le cœur avait des pulsations plus libres et
plus pures, que Paris était la capitale du monde et que
les peuples tournaient leurs yeux vers Paris. Guillaume
de Humboldt souhaitait la victoire des Français, et
Herder s'imaginait que la nouvelle république serait une
république athénienne. La Terreur les dégoûta, et ils
LITT^ILATIIIU ALMMAJIOB 21
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322 LITTERATUIIB ALLEMANDE
ne virent bientôt dans les « modernes Francs » que des
conquérants et des oppresseurs. Uerder finit par déclarer
que les liens spirituels ne suffisent pas^ qu'une nation
n'est pas une nation qui ne sait se défendre contre
Tétranger, et il exhorta ses compatriotes à se réunir
sous un même drapeau pour repousser Tenvahisseur.
léna, l'écrasement de la Prusse, la domination napo-
léonienne en Allemagne achevèrent de réveiller dans les
âmes ridée de la patrie allemande. Fichte était resté cos-
mopolite, et rÉtat qui parvenait au plus haut degré de
civilisation, lui semblait en 1805 la véritable patrie. Après
léna, il affirma que les Allemands formaient une nation
distincte et qui se séparait des autres nations par la
langue et le caractère. Sans crainte des Français il pro*
nonça ses Discours à la nation allemande. Il parlait donc
à tous les Allemands, et il disait, comme Herder, que
la langue allemande, originale et pure, ne peut devenir
une langue de vaincus; que TAUemagne est le peuple
par excellence, le peuple en soi, le Peuple; qu'il faut
régénérer ce peuple par une éducation nouvelle, par
l'enseignement de la morale kantienne et par l'applica-
cation des principes pédagogiques de Pestalozzi; que
l'instant est décisif; que les Allemands doivent périr on
combattre; qu'ils ne trouveront de secours qu'en eux-
mêmes.
Schleiermacher secondait Fichte. Lui aussi, après
léna, pensait que l'Allemagne demeurait le cœur de
l'Europe, qu'elle ne passait par ses terribles épreuves
que pour prendre une autre et plus belle forme. Il vint
de Halle où il professait, faire à Berlin des sermons
destinés à réconforter les vaincus. Avec Fichte et sous le
ministère de Guillaume de Humboldt, il coopéra très
efficacement k la fondation de TUniversité de Berlin :
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LE XIX" SIECLE 32S
selon lui, Berlin serait dans TAUemagne du Nord le
centre de Tactivité scientifique, et son Université, un des
meilleurs instruments dont l'État prussien se servirait
pour remplir sa mission.
Tous ces cosmopolites deviennent patriotes. Guil-
laume Schlegel exige des poètes qu'ils fassent des vers
patriotiques et il se demande si la poésie ne doit pas,
tant que l'indépendance est menacée, céder la place à
l'éloquence. Son frère Frédéric assure qu'il est temps
de réunir les forces dispersées de la patrie et de répandre
l'esprit allemand. Adam Millier fonde le Phébus avec
Henri de Kleist pour émouvoir le sentiment national.
Arndt publie dans sa prose ardente et âpre VEsprit du
tempe où il s'élève non seulement contre les valets de
la France, mais contre les écrivains qui vivent comme
des étrangers au milieu de leur peuple, contre les hautes
et déraisonnables idées de cosmopolitisme : sans peuple,
pas d'humanité; sans citoyens libres, pas d'hommes
libres !
Mais le premier écrivain politique de l'Allemagne, le plus
remarquable des publicistes qui combattirent et la Révo-
lution et Napoléon, c'est Frédéric de Gentz (1764-1832).
Frédéric de Gentz joint à l'intelligence, à la sagacité, à
la sûreté du coup d'œil, à la connaissance des choses de
l'Europe la qualité du langage, un style plein de clarté,
de mouvement, de force. Ce sceptique, cet homme avide
d'argent qui vit à la solde des princes, cet effréné jouis-
seur, ce blasé a rédigé le manifeste de l'Autriche en 1813,
il a fait en 1814 un éloquent appel aux Allemands, il a
été le secrétaire des congrès, il a su mieux que personne
l'histoire de son époque.
En même temps, l'Allemagne a sa levée de poètes, et
voici que paraissent les Tyrtées, les chantres de la déli-
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324 LITTBRATUHB ALLEMANDE
vrance. Eichendorff souhaite que rincendie du Tyrol
s'étende sur toute l'Allemagne, et lorsqu'il voit au loin
briller les épées, il s'élance en jurant avec aes nouveaux
camarades de franchir le Rhin et d'entrer à Paris.
Fouqué compose le chant des chasseurs volontaires, le
plus populaire des chants de guerre d'alors : « Allons,
partons pour la chasse joyeuse ! »
ROckert demande que la reine Louise soit la patronne
de Magdebourg reconquis et il écrit ses Sonnets cuirassés^
gravant d'abord en lettres de flamme la honte de son
peuple, puis appelant les Allemands qui parlent la même
langue à resserrer ce lien, le seul qui leur reste, et les
sommant de renoncer à l'argent et à l'or pour manier le
fer, pressant la Prusse de donner l'exemple, évoquant le
vieux Frédéric qui sort de la tombe pour marcher à la
tète de ses Prussiens et reprendre son épéeaux Invalides,
célébrant la victoire de l'Allemagne sur le Corse ce prince
de la moi*t », louant les femmes allemandes qui ont
droit à la moitié de la gloire puisqu'elles ont sacrifié à la
patrie et leurs joyaux et leurs fils. Il représente
Frédéric Barberousse dormant sur son siège d'ivoire dans
le Kyffhftuser; mais l'empereur est toujours jeune ; sa
barbe rouge comme feu a traversé la table sur laquelle il
s'appuie, et il reparaîtra lorsque les corbeaux ne voleront
plus autour de la montagne, lorsque le peuple allemand
aura vaincu tous ses ennemis.
Henri de Kleist meurt en 1811. Mais ce poète qui
désire avoir une voix d'airain pour parler de la cime du
Harz à ses compatriotes, magnifie Palafox et l'archiduc
Charles « vainqueur de l'invaincu ». Dans l'ode Germania
à ses enfantSy il annonce la vengeance, la guerre par le
poignard et le poison, la lutte implacable contre les
Français qui blanchiront de leurs os les plaines aile-
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LB XIX" SIECLE 315
mandes. Dans le Catéchisme des Allemands il fait dire
par un fils à son père que Napoléon est un homme abo-
minable, un esprit échappé de Tenfer. Dans un projet de
proclamation il montre Tempereur François rétablissant
l'Empire et appelant aux armes tous les Allemands de
seize à soixante ans. Une revue qu'il voudrait créer et
qu'il intitula Germania, doit entonner le champ de
guerre, encourager les combattants et verser dans leurs
codufs le mépris de la mort, convier les vierges alle-
mandes à secourir les blessés et à sucer le sang de leurs
plaies.
Arndt, KOrner et Schenkendorf forment le grand
trio des poètes de la délivrance.
Le plus énergique et le plus entraînant est Ernest-
Maurice Arndt (1769-1860), l'auteur de VEspril du
tempSy qui se fit poète aux jours du danger, Arndt qui
s« montre alors tel qu'il fut toujours, rude, colérique,
incapable d'égards et de ménagements, mais fier, vigou-
reux, plein d'un ardent amour pour la vérité, défen-
dant avec obstination la cause qu'il tenait pour sacrée
et frappant à coups redoublés sur l'ennemi. Il parle
sans artifice et sans art, et il semble parler au nom de
la nation : il y a en lui quelque chose de Stein dont il
fut le compagnon de voyage et de propagande. Il glo*
rifiait Schill, Scharnhorst, Gneisenau et Blûcher, le vieux
guerrier à l'œil clair et aux cheveux blancs. Il disait que
la patrie de l'Allemand s'étend aussi loin que résonne la
laugue allemande, et une brochure qu'il lançait à la fin
de 1813 a pour titre ces mots qui sont vrais aujourd'hui :
LeRhirty fleuve de C Allemagne, non pas frontière deVAHe"
magne! Lui aussi fit un Catéchisme pour son peuple; on
y lit que la patrie et la liberté sont le Saint des saints
sur la terre, qu'il n'y a pas de plus saint amour que celui
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8M LITTéRATVIIB ALLEMANDE
de la pntrie et pas de joie plus douce que celle de la
liberté, que TescloTe est une bête rusée et avide, et que
le sans-patrie est le plus infortuné de tous les hommes.
Théodore Kôrner (1791-1813) est le poète-soldat et il
ne s'adresse qu'aux combattants. 11 n'avait été dans ses
drames qu'un élève de Schiller. Ses chants patriotiques,
réunis sous le titre Lyre et épée^ sont bien a lui. Son
talent n'était pas encore assez ferme et sa langue a je ne
sais quoi d'un peu confus et d'incertain. Mais, s'il force
par instants la voix, il ne fait pas de phrases creuses ; il
a de la vivacité, de la chaleur, de l'enthousiasme, et il
tomba pour la patrie. D'autres ont rimé des chants de
guerre à loisir, dans le silence du cabinet, et loin des
coups de fusil. Kôrner a écrit les siens hâtivement, au
bivouac, en vue de l'ennemi, et la mort le guettait pen-
dant qu'il exhortait ses camarades à marcher au-devant
d'elle. Sa figure est une des plus nobles de la littérature
de son pays et son nom seul résume ce que le soulève-
ment de l'Allemagne a produit en 1813 de généreux et
d'héroïque. Il célèbre d'abord le peuple qui s*insurge et
l'orage qui éclate, la lumière de la liberté qui vient du
Nord, la lutte sainte qui s'enflamme. Puis, c'est lui-
même, c'est le corps où il s'engage, le corps des chas-
seurs noirs de LOtzow, les serments prêtés dans la
petite église silésienne, le baptême du feu, la chasse
sauvage de LOtzow qui commence. Grièvement blessé,
le poète ramasse ses forces pour dire adieu k la vie,
pour dire d'une lèvre pile, tandis que sa blessure le
brûle et que son cœur bat plus faible, sa résignation à la
volonté divine. Il est sauvé, il rejoint son corps, et il
succombe après avoir composé son chant du cygne, le
Chant de Tèpée. On l'enterra sous un chêne en chantant
sa Prière pendant le combat : « Père, je t'appelle,
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LE XIX* SIÈCLE 327
et de son nuage m'enveloppe la fumée des canons »•
Sous le même chêne, auprès de Théodore Kôrner, furent
inhumés son père Gottfried, Tami de Schiller, et sa
mère, et sa sœur.
Max de Schenkendorf (1783-1817) est moins connu
que Kôrner et que Arndt. Lui aussi a fait des vers qu'on
lit et cite encore. Il excite, stimule ses compagnons :
a Vous qui dormez, leves-vous de terre, déjà les chevaux
vous hennissent leur bonjour! » Comme Arndt, il célèbre
Schill et Scharnhorst, ce héros de la Prusse qui rompit
la plus belle des lances. Il s'indigne que la cathédrale
de Strasbourg soit au pouvoir des Welches et, comme
Arndt, il déclare que l'Alsace doit être et sera la senti-
nelle avancée de l'Allemagne. Mais il a plus de douceur.
Il chante avec un tendre amour la liberté, cette angé-
lique image qui remplit son cœur, et ce n'est pas sans
une mélancolique émotion qu'il évoque l'antique splen-
deur de l'Empire germanique. Il chante la. candeur et la
pureté de Tâme : après avoir vaincu l'ennemi extérieur,
les Allemands vaincront l'ennemi intérieur, le soupçon,
l'envie et la haine. Il chante le Seigneur : il voudrait
le suivre toujours, il voudrait pénétrer dans le ciel pour
y trouver grâce et pitié sur le sein du Sauveur.
Ainsi s'était réveillé le sentiment national. Une guerre
sacrée, une croisade avait soulevé l'Allemagne contre la
France, et dès lors, toutes les âmes eurent, selon le mot
de Radowitz, la nostalgie d'une Allemagne une et puis-
sante ; ce fut la pensée la plus populaire et qui domina
les partis.
Les romantiques.
Ce réveil du sentiment national était dû, en grande
partie, aux poètes qu'on nomme les romantiques, et
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328 LITTEHATURE ALLBMANOE
Tieck, le frivole et capricieux Tieck, se pique avec rai-
son d'avoir parlé de la patrie lorsque la plupart de ses
concitoyens Tinjuriaient ou n'y pensaient même pas.
Frédéric Schiegel est le théoricien et le hiérophante
du romantisme. Lorsqu'il se rendit de Weimar à Berlin
en 1797, il fréquenta les maisons juives où tous les
élégants et les hommes de talent se faisaient alors pré-
senter, et il régna dans le salon de Mme Herz. C'est à
Berlin qu'il connut Dorothée Veit, Schleier mâcher et
Tieck ; c'est là qu'il fonda sa revue, VAthensBum^ qui
dura deux ans, là qu'il publia sous le titre de Fragments
et à^ Idées et sous la forme d'aphorismes à la Chamfort
la nouvelle doctrine.
C'est la doctrine de l'ironie. Frédéric Schiegel l'a tirée
de la philosophie de Fichte. Selon Fichte, le moi est la
racine unique de nos connaissances, le centre de l'uni-
vers, le principe de toutes choses, et il crée le monde
extérieur, le. non-moi. Frédéric Schiegel adopte le
système de Fichte; mais, ajoute Schiegel, l'artiste doit
montrer qu'il n'est pas gêné, resserré par le monde exté-
rieur, qu'il est supérieur à son œuvre et qu'il plane
souverainement au-dessus d'elle, que le créateur domine
sa création ; il peut <c jouer » avec son œuvre, la former à
son gré, l'interrompre pour suivre son caprice, l'aban-
donner soudain pour prouver qu'il ne dépend pas d'elle.
Son esprit inquiet et mobile n'en resta pas là. Il lut
les Anglais, les Espagnols, les Italiens, et il loua, exalta
Shakespeare, Cervantes, Dante, Pétrarque, Boccace,
Ârioste; il vanta ce qu'ils avaient de subjectif; il leur
compara Jean-Paul qu'il éleva aux nues. Il trouva une
définition du romantique : le romantique, c'était la
fusion du sentiment et de l'imagination, c'était un sujet
sentimental revêtu d'une forme fantastique.
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LE XIX" SIÈCLE 829
Une fois entraîné, il se portait aux extrêmes. Du dua-
lisme de Fichte il passa à l'absolu de Schelling, de la
doctrine de la science à la doctrine de Tidentité, et la
poésie devint à ses yeux toute la philosophie, toute la
religion.
Au fond^ le romantisme était un nouveau Star m und
Drang. Les romantiques, eux aussi, rejetaient les con-
ventions sociales. Eux aussi attaquaient les rationalistes
et les écrivailleurs dont les Xénies s'étaient moqués.
Ils attaquaient et Nicolai et Kotzebue que Schelling
nommait les êtres les plus méprisables du monde litté-
raire. Ils attaquaient Wieland qu'ils regardaient comme
un plagiaire et l'instaurateur d'une fausse antiquité. Ils
attaquaient Schiller, ses rimes souabes et, selon le mot
même de Schiller, sa fièvre chaude de grécomanie.
En revanche, ils professaient pour Oœthe un culte
idolâtre. Frédéric Schlegel proclamait Gœtbe le lieu*
tenant, le représentant de la poésie, et il distinguait
trois périodes dans le développement de Goethe : la pre-
mière, celle du Gœthe subjectif de Gœtz; la deuxième,
celle du Gœthe mi-subjectif mi-objectif de Tasse; la
troisième, celle du Gœthe objectif de Wilhelm Meister,
A son avis, Wilhelm Meister réalisait l'idéal de la
littérature moderne; c'était le roman par excellence,
le chef-d'œuvre de l'esprit humain, et, comme lui,
les romantiques admiraient dans Meister l'indépendance
du poète et le caprice d'une imagination qui se jouait
des obstacles et des règles. Que ne trouvaient-ils pas
dans ce livre merveilleux? La poésie lyrique et le récit
épique, le conte et le drame, la critique littéraire et la
philosophie, toutes les formes, tous les styles s'y mêlaient
en une variété prodigieuse et pourtant se fondaient,
s'harmonisaient en une unité supérieure. De là, d'après
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SSO LITTERATURE ALLEMANDE
Frédéric Sohlegel, Tiinportance du roman; il fit venir
romantique de roman; roman fut pour lui synonyme
de poésie; la poésie n'était poésie qu'à condition d'offrir
les caractères du roman. Novalis ne disait-il pas que le
roman comprend tous les genres et reflète entièrement
l'âme romantique où sentiment et réflexion ne cessent
de se succéder et de se grouper?
Les romantiques avaient de graves défauts. Suivant
eux, le caprice domine dans la poésie et dans l'art, le
génie est une divine paresse et mieux vaut rêver qu'agir.
Leurs œuvres manquent de précision et de fermeté;
elles portent, selon leur propre expression, la marque
de l'arbitraire; ils sont, comme dit Grillparzer de
Tieck, des broyeurs de couleurs et non des peintres. Us
allèrent trop loin dans la guerre qu'ils avaient déclarée
aux tendances de leur époque, k ces tendances qu'ils
qualifiaient de prosaïques et de négatives : ils considé-
raient Bôhme comme un prophète; ils félicitaient Dflrcr
de n'avoir pas vu l'Italie; ils magnifiaient les siècles de
poésie et de foi religieuse où ne soufflait pas encore
l'âpre vent du rationalisme; Frédéric Schlegel finit par
se convertir au catholicisme, et le moyen âge devint pour
plusieurs d'entre eux un idéal de société ; quelques-uns
furent les champions ardents de la suprématie de l'Eglise
et de l'absolutisme politique.
Mais ils rappelèrent aux Allemands leur glorieux
passé; ils éveillèrent le sentiment national; ils firent
« émerger la Deutachheit ». Plus préoccupés du détail
que de l'ensemble, épris de correction et de savante élé-
gance, ilf travaillèrent, ils assouplirent la langue, ils
perfectionnèrent le vers, ils constituèrent la prosodie.
Et n'était-ce pas un mérite d'opposer à la clarté que prê-
chaient les apôtres des v lumières », à l'étroite et vul-
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LB XIX* 8IBCLB 831 -
gaire réalité, le charme mystérieux du demi-jour et le
rayon lointain de l'idéal? Le romantisme recelait des
principes féconds : il libérait l'art, la poésie, la science
des chaînes de la tradition, il donnait à Timagination le
plus vif essor, il élargissait tons les horizons.
Guillaume Schlegel (1767-1845) n'a rien d'original.
II est tel que Heine le vit a son cours, bien attifé, par-
fumé, gracieux. Ses vers, corrects, élégants, sonores,
manquent de mouvement et de chaleur. Il a de la dou-
ceur, de la souplesse; il n'a pas l'élan, l'abondance. S'il
a fait une des meilleures ballades allemandes, Arion^
d'ailleurs imitée de V Anneau de Polycrate, il n'a pas su,
dans son Ion, remanier la pièce d'Euripide. Mais ce fut
un critique sagace et hardi. Dès 1795, il disait dans une
étude sur Dante qu'on ne peut atteindre une œuvre qu'à
travers l'auteur et l'auteur qu'à travers son époque. Cer-
tains de ses articles, où son esprit clair et pénétrant
s'exprime en une prose pleine de mesure et de goût, ont
encore leur valeur. Sa traduction de Shakespeare fit du
grand Will un classique allemand, un auteur national,
tout comme Schiller et Goethe. Il fut aidé dans cette
tâche, ainsi que dans ses autres travaux, par une femme
d'une rare intelligence et d'une merveilleuse finesse,
Caroline Boehmer, qui devait le quitter pour s'unir à
Sohelling. Tant qu'elle vécut avec Schlegel, elle le
pourvut d'idées. Elle a même exercé son influence sur
son beau-frère Frédéric Schlegel : il avait enlevé, puis
épousé une fille de Mendelssohn, Dorothée Veit, qui
composa le meilleur roman de l'école romantique, le
Florentin; mais, durant plusieurs années, Caroline,
énergique, dévouée, infatigable, fut la collaboratrice de
Frédéric comme de Guillaume.
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332 LITTBRATURB ALLEMANDE
Frédéric Schlegel (1772-1829) a joué le principal râle
dans la formation de l'Ecole. C'est par lai, a dit Novalis,
que les romantiques goûtèrent à l'arbre de la con-
naissance. C'est lui qui promulgua leur code. C'est
lui qui, bien que confusément et d'une façon trop
absolue, marqua la différence entre l'art grec et l'art
moderne, l'un qui a le beau, l'autre qui a l'intéressant
pour principe et fin<, l'un, tBuvre du génie spontané,
l'autre, œuvre de l'esprit conscient et réfléchi, l'un
objectif, fait de vérités générales, exprimées d'une
manière impersonnelle et qui s'adressent au sens com-
mun, l'autre, subjectif, fait d'impressions particulières,
exprimées d'une manière personnelle et qui s'adressent
au sens individuel. Mais, avec plus d'imagination, plus
d'ingéniosité et d'originalité que son frère, Frédéric
Schlegel était inquiet, aventureux, téméraire, précipité,
obligé par des besoins d'argent de produire vite, et parce
qu'il voulait être ou paraître profond, emphatique et
obscur. Ses premières œuvres, consacrées surtout a la
poésie grecque, sont des fragments en un style abstrait
et haché; elles ne font qu'exagérer la pensée de ses
devanciers, de Winckelmann, de Herder, de Schiller.
Son roman de Lucinde^ inachevé d'ailleurs et très
ennuyeux, est aussi incohérent qu'indécent : ne se van-
tait-il pas d'y avoir mis un désordre qu'il jugeait char-
mant? Son drame à^Alarcoê où il prétendait concilier
l'antique et le moderne en mêlant tous les mètres, excita
les rires du public de Weimar, et Gœthe, se levant, criait
avec colère : « Qu'on ne rie pas ! » Ses poésies ne sont
que des exercices de versification. Pourtant son travail
Sur la langue et la sagesse des Hindous a frayé la voie
aux études sanscrites, et ses conférences sur Y Histoire de
la littérature ancienne et moderne contiennent des vues
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LB XIX" 81BCLB 838
perçantes. Comme son frère Guillaume, il a tracé des
portraits psychologiques : Guillaume a plus de savoir;
Frédéric, malgré des maladresses et des erreurs^ jette
d'une main prompte et sûre une foule de traits justes.
Louis Tieck (1773-1853) devait être le grand poète
du romantisme, et c'est lui qui, dans des vers célèbres»
évoque le monde merveilleux des contes, la nuit magique
que la lune illumine et qui captive l'âme.
Moodbeglanzte Zaubernacht,
Die den Sinn gefaogen h<,
Wundervolle M&rchenwelt,
Steig' auf in der alten Pracht !
Ce ne fut qu'un talent fécond et facile. II se mit d'abord
à la remorque d'autrui et il imita les romans orientaux de
Klinger dans Abdallah^ le Gœtz de Goethe dans Charles
de Berneckf Werther dans William Lovelly Sterne dans
Pierre Leberecht. Il fit des contes, des drames, des nou-
velles. Plusieurs de ses contes ont la forme dramatique;
mais les personnages du Petit Chaperon rouge^ même le
loup, veulent avoir trop d'esprit; Barbe Bleue, dirigé
contre les romans chevaleresques, finit en mélodrame ; le
Chat botté est une fatigante satire de Kotzebue, d'Iffland
et du critique Bottiger; à côté d'amusants passages,
que de pointes et d'allusions aujourd'hui obscures ! De
même, le Prince Zerbino et le Monde rem^ersé. Il s'avisa
de mettre dans ses drames comme dans ses contes
l'ironie romantique et sa Sainte Geneviève mêle tous les
genres, les tons, les mètres. Mais s'ils s'expriment avec
éclat, voire avec charme, ses héros ne tiennent pas le
langage qui leur sied, l'action flotte au hasard, et Tieck
avoue qu'il n'a tracé qu'une suite de scènes qui se suc-
cèdent comme les images d'un rêve, que les unes sont
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334 LITTERATURE ALLEMANDE
achevées et les autres simplement esquissées, que dessin,
couleur, style manquent d'harmonie. Son roman Stern^
bald, qu'il n'a même pas terminé, présente de semblables
défauts; effusions lyriques sur l'art, la nature et la reli-
gion; levers et couchers de soleil, chants d'oiseaux,
chasseurs sonnant du cor, des vers qui sans cesse inter-
rompent le récit; il prétendait y dérouler la vie d'un
élève de Durer, mais il n'a pas attrapé le coloris da
XVI* siècle; il rappelle Heinse, Jean-Paul et surtout
Wilhelm Meister, On loue d'ordinaire ses nouvelles;
aucune n'est parfaite, aucune n'offre une figure saisis-
sante. Pas d'ensemble et trop de détails, voilà Tieck. Il
a une vive imagination, il écrit clairement et avec grâce;
mais il ne sait se borner et il est long, traînant, bavard;
il ne put jamais dominer un sujet, ni créer un carac-
tère.
Wackenroder publia en 1797 les Effusions d*un frère
lai ami des arts. L'art est à ses yeux une religion ; jouir
des œuvres de l'art, c'est prier, et ces œuvres sont celles
du moyen âge et du xvi* siècle, celles de Durer, celles
de Tart allemand, de l'art national qui florissait dans
ce Nuremberg aux rues tortueuses, aux vieilles maisons,
et qui parle une langue si ferme et si vigoureuse, si ori-
ginale et si vraie.
Frédéric de Hardenberg (1772-1801),qui prit le pseu-
donyme de Novalis, ne fut pas du tout le martyr, le Christ
romantique que ses amis ont dépeint. Maladif, mystique,
analysant son moi avec volupté et, quand il aime une femme,
s'aimant lui-même en cette idole qu'il a créée, croyant
vivre dans le monde que son imagination lui construit,
assurant que la poésie est le réel absolu, faisant de la vérité
avec de l'illusion et proclamant cette illusion préférable a
toute vérité, romantisant l'existence par la pensée du néant
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LS XIX* SIECLE 335
et par l'enthousiasme de la tombe, tel fut Novalis. Il fit
après la mort de sa Sophie un Journal intime où s'exprime
ridée du suicide; mais ce suicide n'est qu'un acte philo-
sophique; Novalis se sert de sa douleur pour provoquer
en lui des extases et développer ses facultés divinatoires.
Ses Hymnes à la nuit reproduisent les motifs du Journal.
Ce sont une série de fragments lyriques, rédigés soit en
prose rythmée, soit surtout en vers libres; mais la
pensée est obscure et la forme, incohérente. En peut-il
être autrement d'une suite de visions? Son roman
Henri d' Oflerdingen devait, comme Lucinde, éclipser
Wilhelm Meistery et le stylC; les longs discours, les
réflexions mêlées au récit, tout rappelle Meister. L'œuvre,
du reste inachevée, est confuse, désordonnée : rien
de vivant et de dramatique; des entretiens, des médi-
tations, des allégories; la carrière d'Ofterdingen se
déroule pareille à un rêve et les personnages qu'il ren-
contre ne sont que des personnages de rêve. Novalis
ne disait-il pas que le rêve a quelque chose de plus vrai
et de plus profond que la réalité ? La langue, voilà son
mérite. Il ne se soucie pas de la liaison; il veut, avant
tout, des mots harmonieux, sonores, et, selon lui, la
poésie doit agir comme la musique, doitévoquer et ensor-
celer. Aussi a-t-il je ne sais quoi de souple, de fuyant,
d'insaisissable. Il tâche de produire, comme il s'exprime,
des émotions indistinctes et des sensations indéfinies,
et il prétendait que la langue est d'autant plus parfaite
qu'elle se rapproche du chant.
Schleiermacher (1768-1834) est le digne théologien des
romantiques. Il n'hésita pas à excuser et à justifier
Lucinde et, dans ses Discoure sur la religion^ il parlait de
Spinoza comme d'un saint persécuté, disait que la reli-
gion consiste dans le sentiment et que le sentiment doit,
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336 LITTBRATUnB ALLBMANOB
ainsi qu'une musique sacrée, accompagner Thomme dans
sa vie active.
Tels furent les représentants du romantisme. Les Schle-
gely les plus remarquables, sont les pères de la critique
moderne. Ils ont fixé le jugement encore incertain et
flottant de leurs contemporains sur la littérature du
xviii^ siècle ; ils ont révélé le génie de Gœthe au public ;
ils ont montré comment il fallait apprécier, caractériser
les écrivains; ils ont donné à l'Allemagne Shakespeare,
Dante, Calderon et Cervantes ; ils ont régénéré la philo-
logie classique; ils ont inauguré l'étude des langues
orientales et des langues germaniques. D'eux et de
Tieck relèvent les frères Grimm, qui commencèrent le
grand Dictionnaire allemand : Jacques, robuste, ardent
au travail et y trouvant son unique plaisir, lisant les
livres d'un bout à l'autre, allant vite en besogne, aventu-
reux, inventif, visant à la force du style et employant
volontiers de vieilles locutions; Guillaume, frêle, labo-
rieux par intermittences, recherchant d'autres joies que
l'étude, ne lisant dans un livre que les passages dont il
avait besoin, lent, prudent, et, dans son style, agréable
et doux. Jacques (1785-1863) publia une Grammaire
allemande ou grammaire des langues germaniques et une
Mythologie allemande où il recueillit précieusement tout
ce qui subsistait de paganisme dans Tancienne poésie
et les superstitions populaires. Guillaume (1786-1859)
fit paraître une histoire de la Légende héroïque et ces
Contes où l'expression, où l'exécution du détail lui appar-
tient, mais où chaque détail est conservé tel que la tradi
tion orale l'a fourni.
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Lfi XIX* SlàCLB 337
Autour du romantisme.
L'influence des romantiques fut grande. Nul écrivain
qui n'ait du sang romantique dans les veines ; nul qui ne
soit, sinon imbu, du moins frotté de romantisme; nul qui
n'ait célébré le moyen âge ou qui n'ait cherché la fleur
bleue, cette fleur bleue que le héros de Novalis, Henri
d'Ofterdingén, voit en rêve et qui fut le but idéal de sa
vie. Mais ceux qu'on nomme les premiers romantiques,
les Schlegely Tieck, Novalis, sont des chefs sans soldats.
Arnim, Brentano, La Motte-Fouqué, Hoffmann, Eichen-
dorff, Chamisso, Henri de Kleist, les auteurs du drame
fataliste, Rûckert, Platen, Immermann, Heine appartien-
nent à l'histoire du romantisme ; ils ne sont pas toutefois
les élèves des Schlegel et de Tieck; s'ils suivent la voie
indiquée par les premiers romantiques, ils sentent et
chantent d'après eux-mêmes. On en peut dire autant des
poètes souabes. Il est d'ailleurs très difficile de retracer,
fût-ce sommairement, le mouvement littéraire du
XIX* siècle si l'on ne distingue des écoles ou des groupes,
et il faut mettre a part ceux qui gravitent autour du
romantisme, mettre à part les Souabes, mettre à part
Borne, Heine et la Jeune Allemagne, mettre à part et
les poètes politiques, et les Autrichiens, et les Muni-
choiê, et les écrivains de tous pays qui n'ont pu trouver
place dans les cadres précédents, arriver ainsi à l'époque
contemporaine.
En 1801 mourait Novalis ; en 1802 Frédéric Schlegel
gagnait Paris et Tieck, Francfort; en 1803, Guillaume
Schlegel s'attachait à Mme de Staël ; eu 1804, Schleier-
mâcher allait enseigner à Halle. Il y eut alors un second
romantisme qui comprend deux groupes : Achim d'Arnim,
LITTiRATUaS ALLBMAHDI. 22
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3J8 LlTTéRATUIlB ALLEMANDE
Clément Brentano et Gôrres qui fondent à Heidelbei^
en 1808 le Journal pour ermites \ Chamisso et Varnhagen
qui fondent à Berlin YAlmanach des Muses ou Y oc Alma-
nach vert » auquel collabora La Motte-Fouqué.
Arnim (1781-1831), franc, mâle, un peu raide et fier,
inégal, aborda tous les genres : dans ses œuvres, la fin
gâte le commencement et Tieck dit justement qu*il n'a
pas souci de Tensemble et ne prend rien au sérieux.
Le même jugement s'applique à Brentano (1778-1842),
homme singulièrement mobile, a la fois gai et morose,
folâtre et sarcastique, qui nota six ans de suite les extases
d'une nonne stigmatisée. Ses drames et son roman de
Godwi sont décousus. Ses contes offrent de jolis détails,
mais des longueurs et des bizarreries. Des poésies, comme
les Joyeux musiciens^ la chanson A Sévilley la ballade de
Lore Layy voilà ce qu'il a fait de mieux.
Le (c Cor merveilleux de l'enfant », Des Knaben Wun-
derhorn (1806), — ainsi nommé parce qu'il s'ouvrait par
une pièce de vers qui célèbre un enfant merveilleux —
sauvera de l'oubli les noms d'Arnim et de Brentano. Le
fils du gentilhomme de la Vieille Ma^he et le fils du
marchand francfortois avaient le même amour du Volks^
lied. Ils firent ce que Herder n'avait pu faire, une coUeo
tion de chants nationaux, et ce que Bûrger avait souhaité,
un Percy allemand. A vrai dire, ils ne s'étaient pas
contentés de recueillir leurs chansons sur la bouche du
peuple ou dans les livres et les manuscrits; ils les
avaient « complétées », et Yoss les accusa justement de
falsifications et d'interpolations. Mais ils avaient attrapé
le ton populaire et leur publication eut une grande
influence sur la lyrique allemande.
Joseph Gôrres (1776-1848) est le digne compagnon de
Brentano et d'Arnim. D'abord révolutionnaire ardent.
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LE XIX* SIECLE SS9
pais ennemi de Napoléon qu'il combattit dans son Mcr^
cure rhénan, puis chef des ultramontains en Bavière, il
a laissé dans son ouvrage sur les Lwres populaires alU"
mands (1807) des pages colorées, étincelantes, pleines
d'images et de métaphores, mais superficielles et aujour-
d'hui très négligeables.
Chamisso, Varnhagen, Fouqué forment le groupe
berlinois du second romantisme. Des trois, le plus
romantique est le baron de La Motte-Fouqué (1777-1843).
On peut le nommer le Don Quichotte du romantisme. Il
ne rêve que de la chevalerie du moyen âge. Mais, disait-
on déjà, la poésie doit-elle, comme un fantôme, monter
la garde sur les ruines de la chevalerie, et que sont les
châtelaines de Fouqué, sinon des poupées? Il écrivait
trop facilement sans rature, sans repos. De toutes ses
productions un conte a survécu : Ondine, dont le sujet
est charmant et la forme maniérée.
Varnhagen d*Ense (1785-1858) aime trop les longues
périodes sonores. Il imite dans ses biographies de géné-
raux le style de Goethe. Dans ses Mémoires il a de la
finesse, de la sagacité, de Tesprit, et il trace de piquants
portraits.
Adalbert de Chamisso (1781-1838), fils d'émigré, s'est
toujours souvenu qu'il était Français et il évoque avec
émotion dans le Château de Boncourt le manoir natal et
la chapelle où reposait son aïeul. Il garda la trace de
son origine : non seulement il ne parlait l'allemand
qu'avec difficulté, non seulement il écrivait d'abord en
prose française le canevas de ses poésies, mais il a les
qualités françaises, le goût, la mesure, la grâce, et son
bon sens français l'a préservé des excès du romantisme.
Il traduisit Béranger et, eomme Béranger, il fut libéral;
il glorifia Byron et Canaris ; il aimait la Révolution et il
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840 LITTEBATURB ALLEMANDE
bénit celui qui mène la charrue sur le sol où s'élevait le
château paternel ; il engage les rois à méditer le sort de
Charles X qui manque de sagesse et qui fuit pour la troi*
sième et dernière fois; il montre la duchesse de Berry
vaincue, punie, < semblable au rocher frappé par
l'éclair ». Mais ce qu'il faut louer surtout, c'est l'habile
emploi qu'il a fait des tercets dans Salas y Gomez^ c'est
le réalisme quelquefois poignant d'une poésie qui, selon
sa propre expression, met toujours l'homme en scène et
dévoile les secrets du cœur, c'est la tendresse et le charme
profond des pièces de vers où il célèbre le mariage, la
famille, le dévouement de la femme. Et combien son
Pierre Schlemihl l'emporte sur les contes d'Arnim, de
Brentano et de Tieck par la brièveté du récit, par la
clarté du style, par la vérité saisissante des détails, par
le dessin net et précis des personnages !
On peut rattacher à ce second groupe des romantiques
Schulze, Eichendorff et Hoffmann : il y a dans Schulze
presque autant de Fouqué que de Wieland, c'est Foaqué
qui a introduit Eichendorff dans la littérature et Hoffmann
fut l'ami de Fouqué et de Chamisso.
La Rose enchantée d'Ernest Schulze (1789-1817), com-
posée en l'honneur de deux sœurs qu'il adora l'une après
l'autre, est un poème de dix-huit chants, ennuyeux,
insupportablement long.
Joseph d'Eichendorff (1788-1857) est bien supérieur
à Schulze. Il aime ardemment la nature et il célèbre
avec ferveur le calme de la nuit où l'âme étend ses ailes
toutes grandes et la solitude des forêts où les arbres
semblent rêver, où les ruisseaux coulent doucement au
clair de lune, où le chevreuil effarouché lève la tête et
redort aussitôt. La forêt est le pieux séjour de ses peines
et de ses joies; c'est là, sous ce vert pavillon, qu'il
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LB XIX* SIECLE 841
échappe au monde aflairé, et, plus tard, au milieu des
hommes, la pensée de la forêt rajeunit son cœur. Il est
un peu monotone et il manque de force; mais c'est le
seul lyrique des romantiques, et combien de ses lieds
sont devenus populaires ! Il a composé des tragédies, des
livres de critique, des romans, dont Tun, Pressentiment
et présenty est, selon son expression, une tranche de sa
vie intime; ses lieds vivront seule, et une nouvelle, La
Vie (fun çaurien (1826), petit chef-d'œuvre, vrai bijou
d'humour et de fantaisie. Le ce vaurien », chassé par son
père, vagabonde et, grâce à son violon, trouve dans un
château le vivre et le couvert. Mais là il s'amourache
d'une comtesse et, désespérant de la posséder, il se met
à courir derechef les aventures. Après mainte erreur, il
revient au château... et il épouse celle qu'il aime et qu'il
prenait pour la comtesse ; c'était la nièce du portier ! Le
récit est, selon la mode romantique, émaillé de chan«
sons, et dans sa prose alerte comme dans ses vers
Eichendorff a su rendre les sentiments du héros, sa gai té
franche, son humeur voyageuse, l'amour qu'il garde en
Italie à la fraîche et verte Allemagne, la divine paresse
de cet étourdi qui se couche sur le dos dans le gazon et
s'amuse à voir les nuages voler au-dessus de sa tète
pendant qu'autour de lui bourdonnent les abeilles et
qu'ondulent les herbes.
Ernest-Théodore-Amédée Hoffmann (1776-1822) a dit
qu'il manquait de flegme, qu'il avait l'âme surexcitée,
l'imagination enflammée. Dessinateur et peintre, engoué
de musique, idolâtre de Mozart dont il prit le prénom,
il débuta par des Tableaux de fantaisie dans la manière
de Calloty et le premier de ces <x tableaux » avait pour titre
Souffrances musicales du maître de chapelle Kreisler. Il
aime h représenter des artistes maladifs, mélancoliques.
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34S LITTÉRATURE ALLEMANDE
inquiets, cherchant en vain à maîtriser le démon qui se
loge en eux, et il a mis beaucoup de lui-même dans
son conseiller Crespel. Longtemps, en Allemagne et en
France, il eut des lecteurs passionnés. Il sait mêler le
merveilleux et le réel, flatter le côté nocturne de notre
esprit, et, par une habile combinaison de circonstances
romanesques et de détails saisissants, caresser notre
amour du mystérieux et du surnaturel. Qui n'a lu sans
frémissement la scène du Majorât où le vieux bailli, se
levant de son fauteuil, crie, le bras étendu vers le mur
derrière lequel se font entendre des sanglots et des
grattements : <( Daniel, Daniel, que fais-tu ici à cette
heure? » Il vise trop souvent au bizarre et à l'excen-
trique. Mais le recueil des Frères Sérapion contient des
nouvelles attachantes. iV"* de Scudèry offre une drama-
tique figure, celle de l'orfèvre Cardillac qui tue ses
clients parce qu'il ne peut se séparer des bijoux qu'il a
forgés, et Maître Martin est un récit aimable, tout plein
d'aisance et d'enjouement.
Le romantisme eut son théâtre, son drame, le drame
fataliste. Zacharie Werner (1768-1823), ce mystique
doublé d'un viveur, est le principal représentant de la
Schicksalstragôdie. Après deux drames obscurs et presque
indéchiffrables, les Fils de la çallée et la Croix de la
Baltique y il avait écrit un Luther qui contient de belles
scènes, entre autres celle de la diète de Worms, et un
Attila^ une Wanda qui sont inférieurs à Luther. Son
24 février qui parut en 1809 inaugura le drame fataliste.
Depuis longtemps, des crimes se commettent dans la
famille Kuruth h la date du 24 février. Kunz Kuruth a
jeté son couteau à la tête de son père et le bonhomme
est mort d'effroi le 24 février. Puis le fils de Kunz, Kurt,
a, en jouant, égorgé sa petite sœur le 24 février; c'est un
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LE XIX' 8IBCLB 343
24 février qu'il s'est sauvé du logis ; c'est ua 24 février
qu'il revient chez ses parents sans se faire connaître,
sans être reconnu, et son père Kunz le tue pour avoir
son argent, le tue avec le couteau d'antan, ce couteau
qui pend au mur et qui tombe au moment décisif comme
pour offrir son service !
MûUner et Honwald imitèrent Werner, le premier dans
Le 29 février et La Faute^le second dans le jPorrraiV et le
Phare f et à leur tour, un Grillparzer, un Heine imitèrent
et Werner et MûUner et Houwald !
Ces pièces, ainsi que celles des Schlegel, de Tieck, de
Brentano, d'Àrnim, de KOrner, ne comptent pas dans
l'histoire du théâtre. Celles d'Œhlenschlâger, de Michel
Béer, de Georges Bûchner, bien qu'ils n'aient pu, de
même que Korner^ échapper à l'influence de Schiller,
ont plus d'importance.
Le Danois Œhlenschlâger a composé plusieurs pièces,
assez 'flasques et médiocres, Aladin, Hakon Jarly le Cor-
rège,
Michel Béer (1800-1833) donne d'abord une tragédie
romantique et presque fataliste, les Fiancés JC Aragon,
Son Pariay en un acte, représente, nop sans relief, le
destin d'un paria vertueux et indignement opprimé. Son
Struenseey en cinq actes, offre une action bien conduite;
mais les caractères, comme le style, manquent de vigueur.
Georges Buchner a fait une Mort de Danton (1835)
mal construite, mais pleine d'idées et de contrastes,
remarquable par l'énergie du dialogue.
Cette Mort de Danton vaut peut-être a elle seule toute
l'œuvre de Grabbe (1801-1836). Un Duc de Gothland
qui n'est qu'un tissu d'horreurs, un Don Juan et Faust
bariolé de métaphores, un Frédéric Barberousse et un
Henri VI où il y a de l'imagination, du feu et trop peu
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8H LITTÉRATURB ALLEMANDE
de vérité) un Napoléon où des scènes de bivouac figurent
les batailles, un Annibal qui renferme de curieux
épisodes, une Bataille (CHermann où les Chérusques
sont de vrais paysans westphaliens, telle est cette œuvre
de Grabbe, souvent hardie, quelquefois poétique, mais
étrange et confuse.
On ne cite ici que pour mémoire le fécond Raupach.
Il a fait une pièce qui tient du drame fataliste, le Meunier
et 9on enfanty une Genenhpe^ une trilogie de CromweU^
une Mort de Tasse et, pour soutenir la bureaucratie
prussienne dans sa lutte contre l'archevêque de Cologne,
tout un cycle de drames sur les Hohenstaufen ! Ce n'était
qu'un pédant; mais sa tragédie des iVi^eZii/i^e/t inspira
Hebbel.
Henri de Eleist.
Henri de Kleist (1776-1811) est le plus grand des
romantiques et il les dépasse tous par ce qu'il a de puis-
sant, de saisissant, d'entraînant, par l'originale beauté
de la forme, par l'art de disposer un ensemble. Il a
fait des nouvelles, une comédie, la Cruche cassée^ et des
drames, la Famille Schroffenstein^ Penthésilée, Catherine
de Heilbronn^ la Bataille d^Hermann et le Prince de
Hombourg.
Ses nouvelles, dans leur manière ferme, sobre, objec-
tive, ont une vie intense. Quelle suite de tableaux dra-
matiques offre le Tremblement de terre du Chili! Quelle
habileté dans le récit de l'aventure de La marquise d'O...,
cette femme si énergique, si digne, si touchante! Et,
bien qu'il y ait dans Michel Kohlhaas trop de phrases
longues et chargées d'incidentes, bien qu'une histoire de
sorcière gâte la fin de la narration, quelle tragique
figure que celle de ce maquignon qui s'érige en justicier!
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LB XIX** SlisCLE 3^5
La Cruche cassée est une des meilleures comédies alle-
mandes tant par l'aisance familière du dialogue que par
la peinture des personnages et notamment du juge
Adam» cet imperturbable et amusant menteur.
La Famille Schroffenstein est une pièce confuse qui
repose sur d'invraisemblables méprises; elle abonde en
maximes, en bizarres métaphores; mais elle court au
dénouement, et Kleist a su varier les caractères.
Penthéailée n'a qu'un acte en vingt-quatre scènes.
L'héroïne est la reine de ces Amazones qui vont au dehors,
lance au poing, conquérir un époux. Vaincue et capturée
par Achille dont elle s'est éprise, elle défaille de douleur
et Achille qui l'aime également, lui fait croire, lors-
qu'elle reprend connaissance, qu'elle a été victorieuse.
Mais, par une attaque subite, les Amazones délivrent
leur souveraine; Achille veut la revoir; il la provoque en
combat singulier, il marche à sa rencontre, il a résolu
de se laisser vaincre. Penthésilée s'imagine qu'il désire
de nouveau la dompter, et délirante, pareille à une
Ménade, elle s'avance, ses chiens aboyant autour d'elle.
L'instant d'après, une Amazone annonce qu'Achille est
tombé, le col traversé par une fièche; les chiens se sont
jetés sur lui et avec eux, et plus furieuse encore, Pen-
thésilée qui le déchirait des mains et des dents! Elle-
même parait bientdt et quand elle revient à la raison,
elle meurt, par le seul effort de sa volonté, en.se for-
geant, comme elle dit, un poignard imbibé du poison de
son repentir!
Catherine de Heilbronn est une jeune fille qui se
dévoue de toute son âme au comte Wetter de Strahl et
se fait sa servante, heureuse de le suivre et de souffrir
pour lui et par lui. Touché, Strahl finit par l'aimer et
l'épouser. Mais pourquoi l'auteur a-t-il supposé que
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946 LITTERATURE ALLEMANDE
Strahl reconnaît dans Catherine la fiancée qu'an rêve
lui avait montrée? Pourquoi introduit-il un chérubin qui
sauve Catherine de l'incendie? Pourquoi soumet-il son
héroïne k une influence magique qui tient de la sorcel*
lerie? Pourquoi Catherine agit-elle parfois en somnam-
bule?
La Bataille cTHermann est un drame tout étoffé de
haine contre les Français. Il renferme des scènes remar-
quables : Marbod recevant comme otages les deux enfants
de Hermann; Teuthold tuant sa fille déshonorée; Vams
égaré dans la nuit noire en pleine forêt de Teutoburg et
voyant apparaître une sorcière qui lui annonce sa perte.
Les caractères ont quelque chose d'outré. Hermann n*a
d'autre pensée que de chasser l'étranger et, pour arriver
à ses fins, il emploie tous les moyens, perfidie, cruauté.
Il fait découper le corps de la fille de Teuthold en quinze
morceaux qu'il répartit entre les quinze tribus ; il encou-
rage sa femme Thusnelda à leurrer le légat Yentidius
par un semblant d'amour ; il dévaste et brûle son propre
pays, puis attribue aux Romains ravages et incendies.
Thusnelda flirte avec Yentidius qui lui ravit une boucle
de cheveux, elle prie Hermann d'épargner ce jeune
diplomate, elle obtient qu'il soit seul exempté du mas-
sacre, et Kleist disait d'elle que c'est une brave petite
Allemande, un peu simple, qui se laisse prendre par les
manières françaises. Mais Hermann intercepte une lettre
de Yentidius qui envoie à l'impératrice Livie les che-
veux de la princesse des Chérusques. Blessée dans son
orgueil, Thusnelda donne un rendez-vous au légat et le
livre à une ourse affamée qui le met en pièces!
Le prince de Hombourg, le héros de la pièce qui
porte son nom, attaque de son propre mouvement
l'adversaire, et sa désobéissance amène la victoire.
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LB XIX* 8IBCLB 847
Condamné par un conseil de guerre, il s'abaisse a
demander grâce, puis se ressaisit, et l'Electeur loi par-
donne. On a blâmé la scène oà le prince a peur de la
mort, et Kleist aurait dû peut-être adoucir le ton. Et
pourquoi mêler le fantastique à l'action? Pourquoi faire
de Hombourg un somnambule? Mais le Grand Electeur
parle et agit en souverain; il impose à ses peuples le
respect de la discipline et de la loi, et toutefois Kott*
witz, le vieux soldat^ porte-parole de l'armée, a raison
de dire que la plus haute des règles est celle qui bat
l'ennemi.
Kleist était né poète. Pour se vouer entièrement à la
poésie il quitte le service, il sacrifie sa fiancée. Il rêve
un grand drame qui s'intitulera Robert Guiscard; il ne
peut Texécuter, et désormais c'en est fait de son repos ;
il change sans cesse de séjour et de métier. Ruiné,
rebuté par la défaveur du public, méprisé des siens,
désespérant du salut de la Prusse, heureux peut-être de
conquérir ainsi celle qu'il aime, heureux que par son
suicide le rêve triomphe enfin de la réalité, il se tue a
trente-quatre ans avec la femme d'un de ses amis, Hen-
riette Yogel. C'est pourquoi son œuvre est sombre. 11 a
composé la Cruche cassée par gageure, non par gaîté. La
plupart de ses personnages subissent de cruelles épreuves
ou une mort affreuse. 11 veut étonner le lecteur et il
recourt assez inutilement à l'extraordinaire, au mer-
veilleux, au surnaturel. Mais il a de la vigueur et de la
pénétration. Ses héros étranges et qu'on ne peut plus
oublier, sont dessinés avec un puissant relief, et presque
tous ont quelque chose de lui-même, entêtés, excessifs,
passant de la plus folle confiance au découragement le
plus profond, doux et terribles, aimables et un peu
extravagants. Son style est par moments incorrect et dur ;
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348 LITTBRATURB ALLEMANDE
il fut d'abord violent et emphatique; puis il devint éner-
gique, nerveux, précis; il eut de la couleur et de Téclat,
il eut de la délicatesse, de la grâce et une tendre émo-
tion. Quoi de plus charmant, de plus exquis que la fête
des roses dans Penthcsiléel
Rûckert, Platen, Immermaiin.
Deux hommes tentèrent alors, a la suite de Goethe,
d'acclimater en Allemagne la poésie orientale : Rûckert et
Platen.
Rûckert (1788-1866) fit de vrais ghasels et il se vantait
d'avoir planté le premier cette nouvelle forme dans le
jardin de l'Allemagne. Il fit tout un volume de makames
qui, de son aveu, est plein de tirets et vide de pensées.
Il fit un long, trop long poème, la Sagesse du brahmane^
laquelle n'est autre que sa propre sagesse, celle qui
consiste à jouir doucement de l'existence. Rûckert impro-
visait toujours, versifiait, dit-il, comme il respirait, comme
il mangeait et buvait. C'est un virtuose plutôt qu'un
poète. Dans le Printemps JC amour où il a de beaux et
sincères accents, il jongle avec les mots et les rimes.
Il eut des élèves : Léopold Schefer, Daumcr, Boden-
stedt.
Schefer est moins connu par son Coran de l'amour
et son Hafiz en Hellade que par le Bréviaire du laïque ( 1834]
qui fut trente années durant le livre de chevet des dames
allemandes : c'est un recueil de maximes et de réflexions
qu'il a rangées par mois et par jours, et qui expriment lon-
guement, solennellement, onctueusement un vague pan-
théisme optimiste.
Daumer, poète bizarre, panégyriste de la Vierge et
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LE XIX*' SIECLE 349
apôtre d'une nouvelle religion, fit un Hafiz qui ravissait
Richard Wagner.
Bodeostedt, dans ses chants de Mirza Schaffy^ met en
petite monnaie Tor de Gœthe et de Heine comme celui
de Rûckert. Mais il avait vu le Caucase et son « turban
de nuages » ; on crut trouver en lui le lyrisme oriental et
il chante avec esprit en images fraîches et non sans har-
monie les ardeurs de la passion et les plaisirs de la vie.
Le comte Auguste de PlatenHallermûnde (1796-1835)
est supérieur à Rûckert; il se contente moins aisément;
il polit et repolit son œuvre et vingt fois la remet sur le
métier. C'est une sorte de Vigny: même idéalisme et
même pessimisme, même passion de la gloire et même
dédain du vulgaire, même fierté sauvage, même farouche
isolement. Ses ghasels expriment, outre ton orgueil et
son désir de savourer les joies de la vie, l'idée mélanco-
lique que le monde s'inquiète peu de nos douleurs et que
chacun n'est rien en voulant être tout. Ses sonnets où il
chante soit les déceptions de l'amour et de l'amitié, soit
Venise et « l'éternel soupir qui sort de ses palais », sont
le fleuron le plus précieux de sa couronne lyrique : la rime
est riche; la langue, harmonieuse; le style, sous un air
d'aimable abandon, sobre, mesuré, précis. Ses odes, qui
reproduisent les mètres antiques, célèbrent ses amis, les
splendeurs de l'Italie, les ruines majestueuses de Rome
et l'héroïsme des insurgés polonais; elles ont plus d'ap-
prêt que les sonnets; Platen, qui. vise à l'ampleur et à
la noblesse, fait souvent enjamber une strophe sur la
strophe suivante et il tombe parfois dans la recherche et
l'obscurité; mais que de périodes sonores, que d'images
éclatantes! Il sut imiter les anciens. Il imite Horace dans
ses odes, il imite Théocrite dans ses Eglogues et Idylles où
il oppose au tapage de Naples le calme de Capri, et si ses
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350 LITTÉRATURE -ALLBMANDB
Hymne» sentent trop Tartifice et le pastiche de Pindare»
ils ont par instants une belle hardiesse et une fière gran*
deur. Il aborda tous les genres. Son poème héroî*
comique, les Abbassides^ n'est qu'un jeu d'esprit qui
témoigne de la souplesse de son talent. Ses pièces de
théâtre, fabriquées selon la recette romantique, sont très
médiocres, et son drame historique, la Ligue de Cambrai^
n'a ni force ni couleur. Ses deux comédies aristopha-
nesques, la Fourchette fatale et YŒdipe romantique^
manquent de vigueur et de sel en trop d'endroits; mais
quelle superbe éloquence, quelle haute inspiration, quelle
perfection de forme dans les parabases de ces comédies,
surtout de la Fourchette fatalel Platen est un délicat, un
raffiné. Il méprise la foule, non seulement parce qu'elle le
méconnaît, mais parce qu'elle n'offre à ses yeux que plati-
tude et bassesse. Il adore les Grecs et il tente de rivaliser
avec eux. S'il est froid, il est ferme et net. Il manie avec
aisance les mètres les plus différents. Tout vaniteux qu'il
soit, il s'incline devant Gœthe, qu'il proclame l'empereur
de l'Allemagne intellectuelle. A l'exemple de Fleming,
il écrivit son épitaphe : il n'a pas, comme il dit, marqué
son empreinte sur la langue et ouvert de nouvelles voies ;
mais il a répandu son esprit en rimes et rythmes dura-
bles.
Immermann, lui aussi (1796-1840), touche à tout, et
presque constamment sans succès. Il fait de mauvais vers.
II fait de mauvaises pièces. Il fait des poèmes, un Merlin^
un Tristan^ mais les personnages de Merlin succombent,
de son aveu, sous le poids de leur armure métaphysique,
et Tristan^ fragment écrit avec hâte, n'a rien de la grâce,
do l'harmonie, de l'abondance de Gottfried. Il fait une
satire contre Platen, Le petit Tulifanty mais l'œuvre est
lourde et obscure. Il fait des romans, et il réussit. Bien
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LB XIX^ SIÀCLE 3»1
que les Epigones rappellent trop souvent Wilhelm Meister,
ils offrent à certains égards une image de l'Alleinagne
entre 1815 et 1830 : Immermann peint ses contemporains,
et il inaugure le roman social, il montre la lutte qui s'en-
gage entre la noblesse et la grande industrie. Munch^
hausen n*a pas d'unité : o*est une satire froide, traînante,
pleine d'allusions souvent insaisissables ; mais on y trouve
une nouvelle villageoise du plus haut prix. Cette fois,
Immermann a, comme son héros Oswald, saisi la
poésie. Au château ruiné où Mûnchhausen raconte ses
aventures à la façon de M. de Crac, il oppose la ferme
de rOberhof ; à la noblesse qui n'est que V « écume du
temps », il oppose le « peuple immortel », la classe
moyenne, le paysan, « granit de la société bourgeoise »,
et il peint la Westphalie, la « terre rouge », non seule-
ment l'antique et silencieuse ville de MOnster avec ses
retraités et les originaux qui l'habitent, mais ses chênaies,
ses longues prairies où verdoient les moissons ; il peint
les fermiers, rudes, attachés à leurs coutumes, entichés
de leurs préjugés, vivant sur leur bien sans souci du reste
du monde; il peint le vieux maire, fier de sou domaine
et de son autorité, digne, puissant, rusé, égoïste, têtu,
vindicatif; il peint les amours du chasseur et de la blonde
Lisbeth, ces touchantes amours où tout est innocence,
candeur et chaste rêverie.
IiOB SonaboB.
Il n'y a pas, à proprement parler, d'école souabe ; le
Souabe n'en fait qu'à sa tête, et les poètes souabes,
Uhland, Kerner, Mayer, Pfizer, Schwab, Hauff, chantent,
assure l'un d'eux, comme ils l'entendent, comme le
cœur leur en dit. Mais ils ont des traits communs;
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352 LITTERATURE ALLEMANDS
ils célèbrent la patrie douabe, ses légendes et ses trad{'>
tions, ses forêts de sapins, ses vignobles, ses plaineé
où ondoie une mer doré^ d'épis, et la vallée du bleu
Neckar; pas de grand poème; de jolis vers, des lieds,
des ballades, et ce qu'ils imitent et ce qu'ils se piquent
d'imiter, c'est la chanson populaire.
Uhland, le principal d'entre eux (1787-1862), a fait
deux drames, Ernest duc de Souabe et Louis le BaparoiSy
qui ne sont qu'une suite d'intéressants épisodes ; il n'avait
pas le don du théâtre. Il est dans ses lieds, doux, mélan-
colique, épris de la nature, et l'un des meilleurs chantres
du printemps, du printemps dont le souffle éveille ses
chansons, du printemps, cette grande fôte qu'il voudrait
célébrer par le repos et la prière, du printemps où tout
change et tourne, où son pauvre cœur oublie ses tour-
ments, et c'est au printemps qu'il souhaite d'être enterré,
dahs le plus épais du gazon. Il fut le maître de la ballade.
Tantôt, il puise dans la poésie populaire et il met en
scène le soldat qui voit tomber à ses côtés le meilleur
des camarades et qui ne peut lui tendre la main, la fille
de l'hôtelier couchée dans le cercueil et l'amour qu'elle
inspire même dans la mort, la fille de l'orfèvre soudai-
nement fiancée au beau chevalier qu'elle aime en secret.
Tantôt il tire ses sujets des légendes et des poèmes du
moyen âge : le vieux ménestrel maudissant, condamnant
à l'éternel oubli le roi jaloux qui a tué son jeune corn-
pagnon; le lord brisant la coupe de la fée et avec elle le
bonheur d'Edenhall; le petit Roland qui triomphe du
géant; Charlemagne qui, sans dire mot et pendant que ses
pairs font d'inutiles discours, guide le navire au milieu de
la tempête; Taillefer qui partout chante et partout attise
le feu. Uhland donna dans la poésie politique : après
1815, il revendiqua le bon vieux droit, la seule chose
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LE XIX^ 8IBCLB 853
qui manquait au paradis du Wurtemberg» et il pria les
États de dire leur dernier mot, pria le roi d'avoir un
cœur pour le peuple, pria Dieu de parler à l'oreille du
roi. Bref, concis, et, avec ses archaïsmes, avec ses
familiarités et nonchalances voulues^ correct et clas-
sique, Uhland excelle dans les petits tableaux simples
et saisissants. C'est le berger qui, le matin du dimanche,
seul, dans la prairie, entend au loin la cloche du village,
et tombe à genoux sous le ciel qui lui semble s'entr'ou*
vrir. C'est le pâtre de la montagne, alerte et fier, heu-
reux de vivre sur les cimes, où son chant couvre le
bruit des orages, résolu de descendre dans la plaine
pour défendre la patrie en danger. Et quel « quadro »
que les trois strophes de la Ckapellel Quel contraste
entre la colline et la vallée ! En haut, une chapelle silen-
cieuse, en bas, le pâtre qui chante dans la prairie près
de la source; en haut, la cloche qui sonne et un cantique
funèbre, en bas, le pâtre qui se tait et qui lève les yeux;
en haut, le mort qu'on porte dans sa tombe, en bas, le
pâtre qui se prend à penser qu'un jour dans la chapelle
on chantera pour lui.
Justin Kerner (1786-1862) fut le mage de 1' « école
souabe ». Naïf, rêveur, croyant aux pressentiments et
aux apparitions, il finit par affirmer qu'il s'entretenait
avec des esprits. Il chante donc l'au-delà, et la mort, et
la douleur : la poésie ne sort, selon lui, que d'un cœur
pénétré par la flamme d'une souffrance profonde. Il a
souvent le ton populaire, et les éditeurs du Cor merveil-
leux ont inséré un de ses lieds dans leur recueil. Mais il
a trop de négligence et de laisser-aller.
Mayer, Pfizer, Schwab sont des dilettantes à l'haleine
courte. Mayer, bien qu'il ait de la finesse, moralise
sèchement, et non moins sèchement décrit les sites
Lirr^RATUM ALLIMAVDI 23
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354 LITTÉRATURE ALLEMANDB
de la Souabe. Lourd, diffus, Pfizer ne s'est pas relevé
des critiques de Gœthe. Schwab fut le Boie de Fécole
souabe. Il encouragea les jeunes talents et il traduisit
Lamartine comme Pfizer traduisit Byron. Elle est de
Schwab, la chanson de Tétudiant à la tète moussue qui^
son diplôme en poche, dit adieu à ses amis et à sa belle,
aux tavernes et aux salles de cours pour rentrer dans sa
ville natale et devenir philistin. Elle est de Schwab^
la ballade du cavalier qui meurt d'épouvante en appre-
nant qu'il a, sans le savoir, franchi sur la glace couverte
de neige le lac de Constance.
Guillaume Hauff (1802-1827), qui fit des vers, des nou-
velles et des romans, n'avait que vingt-cinq ans lorsqu'il
mourut. Il manque de profondeur; des caractères à
peine esquissés, pas d'ordonnance, pas d'ensemble ; assez
peu d'originalité. Mais les Mémoires de Satan offrent une
peinture amusante du monde des étudiants, et les Faniai*
sies du Caîfeau de Brème ont de la grâce et de l'humour.
Lichtenstein est un des meilleurs romans historiques qui
soient tant pour l'agrément et la clarté du style que
pour ses paysages pittoresques et ses tableaux atta*
chants : les Alpes de Souabe, le castel de Lichtenstein
perché sur son roc comme un nid d'oiseau sur la cime
d'un chêne, la grotte mystérieuse qui sert d'asile an
proscrit, les mœurs d'une ville impériale du xvi*^ siècle,
la lutte des seigneurs et des cités contre le duc de
Wurtemberg, la sombre figure d'Ulrich, le dévoue*
ment du ménétrier de Hardt, les amours de Georges
et de Marie. Ajoutez que Hauff a composé deux chants
populaires, le Chant du matin et \ Amour du soldat :
dans le premier^ un brave cavalier, debout dès l'aurore
et prêt à combattre, envisage avec calme le sort qu'il
pressent; dans le second, un soldat montant la garde
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LE XIX* SIÈCLE 355
pense à Tamante tidèle qui s*endort en priant pour lui.
A l'école souabe se rattachent Morlke et Jean-
Georges Fischer.
Edouard Morikc (1804-1875) fut le plus original, le
plus grand des poètes souabcs. Très souple, très divers
d'accent et de ton, il parcourt toute la gamme, le doux et
le grave, le plaisant et le sévère. Il sait faire quelque chose
de rien et il joint à la simplicité l'émotion, la tendresse;
ce qu'il dit, il l'a vécu, et il le dit avec tant de naturel
que ses vers ne sentent pas Teflort. Le chant de la
délaissée qui pleure en allumant le feu et souhaite le
retour de l'infidèle^ la chanson du jeune serviteur qui
exulte de joie pour avoir baisé la bouche de Belle Roth-
raut, le chant du chasseur qui court, après trois jours de
pluie et d'inutile aguet, rejoindre sa boudeuse amie,
n'est-ce pas le chant populaire dans toute sa fraîcheur et
sa naïveté? Et que de grâce, quelle exquise mélancolie
lorsqu'il évoque des souvenirs d'enfance, lorsqu'il raconte
sa course sous la pluie avec Clairette ou lorsqu'il revoit le
val d'Urach ! Que d*humour et de philosophie souriante
dans le Vieux Coq du clocher \ Ses nouvelles et ses romans
en prose ont des longueurs, des bizarreries; mais il est
toujours aimable, toujours clair, et il décrit avec finesse,
avec un charme délicat ce qui se passe dans l'âme de
ses personnages .11 s'était nourri de la moelle des anciens
et on lui appliquera ses propres paroles, qu'il ne peut
rien produire d'étrange ou de malsain, et que la fleur
de l'antiquité mêle son parfum à tout ce qu'il a fait.
C'est le Gœthe de la Souabe.
Jean-Georges Fischer (1816-1897) a, non seulement
de la grâce, mais de la vigueur, de la passion, et, long-
temps avant 1866, il demandait un homme, un seul
parmi des millions, un homme antique, plein de Timmor*
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356 LITTERATURE ALLEMANDE
telle pensée de la grandeur allemande, un homme ao
bras indomptable et au poing de fer» un dictateur qui
vint imposer sans pitié à ses compatriotes le rude joug
de l'unité.
lies AutrichienB.
La poésie autrichienne n'était représentée au xviii* siècle
que par Alxinger, Blumauer et Denis. Au xix* siècle,
ainsi que le théâtre, elle prend l'essor.
CoUin fit avec plus de patriotisme que de talent des
chants de guerre pour l'armée autrichienne (1809) et
il composa de froides tragédies, Régulas ^ Coriolan^
Balboa. Mais la comédie haussa le ton. Si Castelli n'est
qu'un improvisateur, si Nestroy tombe dans la farce,
Bâuerle crée le type de Staberl, fripon, vantard,
moqueur, au demeurant le meilleur fils du monde. Rai-
mund, original, profond, spirituel, sait rendre ses
féeries vraisemblables, sait animer ses sujets, les éclairer
d'un rayon d'aimable et brillante fantaisie, de chaude et
touchante poésie. Bauernfeld joint a la jgaité viennoise
le ton léger de la conversation et une raillerie discrète
des travers et des abus. Un homme de goût, le secré-
taire Schreyvogelj relève de la décadence le théâtre de
la Burg (1814-1832) et il eut une influence décisive sur
le dramatiste qui devait rétablir le prestige littéraire de
l'Autriche, sur François Grillparzer.
Bureaucrate durant nombre d'années et victime de
passe-droits, pauvre, simple, dégoûté de ses entours,
effrayé par les révolutions, ne voyant plus l'Autriche que
dans le camp de Radetzky, Grillparzer (1791-1872)
prêche une morale de renoncement et il exhorte ses
contemporains à garder la paix du cœur, le seul bien
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LS XIX* SIECLE 357
qu^lls aient ici-bas. II aime, il représente volontiers des
personnages fougueux et qui débordent de vie ; mais il
leur inflige la défaite suprême et il donne la victoire aux
plus raisonnables et aux plus bourgeois. II proclame le
triomphe de la tradition, de la « sage nécessité ». Ambi-
tieux, passionné, tourmenté de désirs, n'avait-il pas su
ae maîtriser, se dompter lui-même ?
II a composé des pièces romantiques^ VAteuie; Le
Ri\^e^ une i^ie; Malheur à qui ment; des tragédies
grecques, Sapho^ La Toison âUor^ Les Vagues de la mer
et de V amour \ des drames nationaux, La fortune et la fin
du roi Ottocary Un fidèle sernteur de son maître. Une
discorde entre frères dans la maison de Habsbourg.
U Aïeule est un drame fataliste, mais très supérieur
aux œuvres de Werner et de Mûllner; il fait aujourd'hui
encore une forte impression, et Grillparzer n'a peut-être
rien écrit de plus tragique que la scène ou Jaromir le
brigand s'abandonne au délire, lorsqu'il découvre qu'il
a tué son père et qu'il aimait sa sœur.
Le Réifey une ne nous montre un jeune chasseur, Rous-
tan, qui vit aux environs de Samarcande chez son oncle
Massoud auprès de sa cousine et fiancée Mirza. Excité
par son nègre Zanga, Roustan brûle de conquérir la
gloire, et il part. Il rencontre le roi de Samarcande
menacé par un serpent et vole à son secours ; mais sa
flèche manque le but, et un inconnu, qui disparaît aussi-
tôt, tue le monstre. Roustan se fait passer pour le sau-
veur du monarque et il épouse sa fille Gulnare. Soudain
l'inconnu se présente; Roustan le poignarde, puis
empoisonne le roi qui soupçonne le crime, puis incarcère
le vieux Kaleb qui connaît l'empoisonnement. Le peuple
s'ameute, Roustan fuit, tombe dans un abime... et il
s'éveille. Tout n'était qu'un rêve ! Rêve qui pourtant n'a
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358 littehaturb allemande
rien de fantastique et de trop irréel. Le roi deSamarcande,
c'est h la fois l'oncle de Roustan et le prince dont Zaaga
lui parlait naguère; Gulnare, c'est Mirza; l'inconnuy
c'est le seul homme qu'il hait; Kaleb, c'est un derviche
qu'il a vu avant de s'endormir. La ooncludon s'impose*
Que de crimes et qui naissent les uns des autres ! Rous*
tan renonce aux aventures et il ne veut plus qu'un
modeste bonheur; il épouse sa cousine.
Malheur à qui ment est une anecdote de Grégoire de
Tours mise en comédie : Léon, cuisinier de l'évèque de
ChâlonS) délivre Attale, neveu de son maître. L'action
est rapide, et les caractères sont nettement marqués :
d'une part les Francs, d'autre part les Germains ; l'évèque»
pieux et bon; Attale, égoïste, maladroit, vaniteux; Léon,
gai, souple, fécond en ressources, fidèle à la promesse
qu'il a faite de ne pas mentir et ne mentant pas, ne
disant que la vérité ; Edrita, la fille du barbare, généreuse»
sincère, digne d'être la femme de Léon; le grossier et
voracc Kattwald ; le lourd Galomir, incapable de penser
et presque de parler.
Sapho n'est pas irréprochable. La poétesse se tue
lorsque Phaon la délaisse pour Melitta. Pourquoi, puis*
qu'elle sait la vie, puisqu'elle a déjà souffert et qu'ua
Dieu lui adonné de chanter ce qu'elle souffre? Son servi-
teur Rhamnès joue au dernier acte un rôle trop impor-
tant. Le style est parfois trop familier. Mais l'héroïne
é^prouve et prouve la vérité de ce mot de M'^'de Staël, que
la gloire est pour la femme le deuil éclatant du bonheur.
Ne dit-elle pas que le malheur attend l'ambitieux qui se
laisse attirer hors du cercle des siens? Qui se ressemble^
s'assemble. La grande artiste, la triomphatrice des Jeux
Olympiques est trop supérieure à Phaon; il voit en elle
une déesse; il n*a pour elle que de l'admiration, et celle
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LE XiX* SIÉCI^B 850
qu'il aime, c'est Melitta, étrangère comme lui, char-
mante, simple , jeane.
La Toison d'or qui forme trois parties, YHôtey les
Argonautes^ Médée, contient des longueurs, des redites et
des incertitudes. Elle montre, suivant l'auteur, comment
les hommes deviennent dans la vie dissemblables à eux-
mêmes et, en effet, Jason, le brillant héros qui, selon le
mot du poète, nageait si vigoureusement dans le courant
des aventures, meurt abandonné, misérable, et la fière
Médée, la chaste prêtresse, la puissante magicienne qui
pour l'amour de ce beau Grec a trahi son père et son
pays, succombe, humiliée, déchue, maudissant l'homme
dont elle connaît trop tard l'égoïsme, égorgeant ses
enfants qui préfèrent leur père à leur mère. La toison
d'or, écrivait encore Griilparzer, était le centre symbo*
lique de l'action, le signe de ce qu'on recherche avec
ardeur et de ce qu'on acquiert injustement : elle fait le
malheur de Phryxus qui l'a tirée du temple, d'Aiète qui
la ravit à Phryxus, de Jason qui la reprend et de Médée
qui aide Jason à la reprendre. Mieux vaut croire que
Griilparzer a voulu prouver, comme toujours, qu'un
cœur simple et une âme tranquille font le véritable
bonheur.
L'œuvre qui porte le titre romantique Les Vagues delà
mer et de Famour est l'idylle de Héro et de Léandre mise
en tragédie. Elle compte cinq actes, un de trop, car le
quatrième languit. Mais tous les personnages ont leur
rôle, leur caractère, leur physionomie : Tami de Léandre^
le père et la mère de Héro, sa servante, le prêtre, le
gardien de la tour. Héro est la plus gracieuse, la plus
touchante figure qu'ait peinte Griilparzer : aussi sincère
que belle, riant de l'hyménée, découvrant soudain qu'elle
aime Léandre, tombant dans les bras du jeune homme
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860 LITTERATURE ALLEMANDE
qui, pour la voir, franchit le détroit à la nage et escalade
les rochers, trahissant sa joie par son air et son langage,
et, lorsque meurt son amant, mourant, elle aussi, tout
naturellement, puisque la vie de Léandre était la vie de
Héro.
Dans la Fortune et la fin du fw Ottocar Grillparzer
entreprend de décrire un dramatique conflit entre le
droit et l'orgueil, entre Rodolphe de Habsbourg modeste,
sage, ferme dans sa douceur, plein de confiance en la
justice de sa cause, et Ottocar de Bohème, hautain, vio-
lent, tyrannique, infidèle à la foi jurée. Mais la pièce
contient des scènes superflues ou trop longues. Elle est
gâtée par une intrigue d'amour, les deux Merenberg y
occupent trop de place, et Ottocar, si cruellement puni,
inspire sympathie et pitié.
Ottocar est l'œuvre d'un loyal sujet, d'un Autrichien
attaché passionnément à la maison impériale. De même,
Un fidèle serçiteur de son maître et Une discorde entre
frères dans la maison de Habsbourg. Le Serviteur est un
héros qui sacrifie ses ressentiments privés à son roi, et
Bancban martyr du devoir, Erny, coutumière de la
vertu plutôt que vertueuse, Othon de Meran, fier, impé-
tueux, soudainement brisé, hébété par la mort d'Erny,
la reine trop indulgente pour son frère, tous ces person-
nages sortent de l'imagination de Grillparzer. Dans la
Discorde il peint les Habsbourgs : Rodolphe II rêveur et
irrésolu; Mathias, affairé, suffisant, médiocre, mené par
un intrigant; Maximilien, intelligent et bon, mais non-
chalant ; Ferdinand, fanatique, persécuteur, dirigé par
les jésuites, fléchissant déjà devant le colonel Wallen-
stein. Mais si flottants et si faibles que soient ces Habs-
bourgs, leur maison reste et restera parce qu'elle suit la
même marche, tantôt lente, tantôt rapide, que la nature*
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LB XIX» SIECLE 86t
A ces drames de Grillparzer s'ajoutent le fragment
à^Esther^ la Juive de Tolède et Libuasa,
La belle peintare des personnages d'Esther^ du défiant
Assuérus^ du fier Mardochée, du vaniteux Aman^ d'Esther
devenue reine par sa franchise et qui ment au roi parce
qu'elle Taime, fait regretter que Grillparzer n'ait pas
achevé son œuvre.
La Juive de Tolède retrace l'amour du roi d'Espagne
Alphonse YIII pour la juive Rachel. Tenu de court dans
sa jeunesse, marié à une Anglaise raide et glaciale, le
roi est entraîné vers Rachel par une ardeur irrésistible
des sens et il fuit avec elle au château de Retiro. Bientôt
il remarque ses défauts, sa coquetterie, sa frivolité, ses
caprices. Il s'éloigne, il revoit la reine et, rebuté de
nouveau par la froideur de sa femme, il rejoint sa maî-
tresse. Trop tard; Rachel a péri, condamnée par la reine
et les grands du royaume. Il s'emporte, il crie ven-
geance. Mais, à l'aspect du cadavre et lorsqu'il a vu com-
bien Rachel dans la mort ressemble à son père Isaac, le
charme se rompt.
Libussa consent à succéder au duc de Bohème, son
père, pourvu que ses sujets lui obéissent sans discuter
ses actes. Elle gouverne par la bonté : pas de riches et
de pauvres; les citoyens travaillent à tour de rôle; tandis
que les uns cultivent les champs, les autres se diver-
tissent. Mais, le peuple s'agite. Il veut un gouvernement
plus ferme. Libussa épouse Premislas, et le nouveau
souverain répand les idées de progrès, établit la justice,
fonde une ville. L'idéal fait donc place à la réalité, et
Libussa meurt en prédisant Tâge de fer. Le drame con-
tient de beaux passages ; par instants, il est nuageux et
obscur; il traite trop de questions et soulève trop de
problèmes.
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36S LITTEBATURK ALLEMANDE
Grillparzer eut le mérite de suivre son chemin sans
faire aucune concession au goût du jour. Il relève dn
théâtre populaire viennois dans le domaine de la comédie
et de la fantaisie, de Schiller dans ses drames hislori«>
ques, de Gœthe dans ses tragédies grecques. Mais il y a
dans ses œuvres plus d'action que dans celles de GcBihe
et plus de vérité dramatique que dans celles de Schiller^
Sa langue pourrait être plus châtiée ; elle manque souvent
d'harmonie ; elle offre des vers négligés ou durs ; elle a
toutefois de la couleur, de l'éclat, de l'abondance. Classi*
que et romantique tout ensemble, il étudia les Grecs,
Shakespeare, Lope de Vega, Calderon. Ses personnages
vivent ; il leur prête ses propres sentiments ou les senti-
ments et les gestes de ses entours. Héro, cette nonne qui
s'affranchit des règles du couvent, a les traits de Marie
DafGngcr et elle pose sa lampe à terre pour donner un
baiser à Léandre comme fit un certain soir de 1819
Charlotte Paumgartten au départ du poète.
Grillparzer eut des émules, Mosenthal, dont la Débora
se joue encore, Nissel, l'auteur d'une Agnès de Meran^
Halm. Ce dernier (1806-1871) a fait Griselidis, Y Adepte,
le Fila de la solitude^ le Gladiateur de Rai^nne. Mais s'il
a de l'adresse et de l'esprit, il manque de vigueur. Sen-
timental, déclamatoire, visant h l'effet, il gâte tous les
sujets qu'il traite. Les contemporains louèrent l'élégance
de son style et l'aisance de ses iambes; ils prirent le
clinquant pour de l'or; il y a chez Halm trop de phrases
creuses, trop de fleurs de rhétorique.
Les lyriques se joignent aux dramatistes, et jamais
l'Autriche n'eut autant de poètes remarquables que de
1820 h 1870 : Zedlitz, GrOn, Lenau, Beck, Hartmann,
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LE XIX*" 8IECLB 868
Meissner» Betty Paoli, Feachtersleben^ liamerlîng, Gilm,
Pichler.
On ne lit plus du baron de Zedlitz (1790-1862) ni les
canzoni où TEsprit des tombeaux évoque les grands
hommes, ni le poème où il exhorte les rois à se croiser
pour la Grècei ni l'idylle de la Vierge des boUy jolie et
fraîche, bien qu'un peu affëtée et trop longue. On ne
connaît que sa pièce de vers, la Reifue noclurney où la
Grande Armée, sortie du sépulcre, défile à minuit dans
les Champs-'Elysées devant son empereur.
Anasiasius Grûn, de son vrai nom le comte Antoine-
Alexandre d'Auersperg (1806-1876), fut le chef de
l'opposition qui se manifesta dans la littérature contre la
politique de Metternich. Dans le Dernier chevalier (1830)
Tempereur MaximiKen, que l'amour de son peuple a sauvé
de la mort, tient le langage de Posa ou de Joseph II.
Dans les Promenades d\in poète viennois (1831) le
loyal peuple d'Autriche demande à Metternich s'il peut
prendre la liberté d'être libre. Dans Z)éco/n6ré9 (1835), le
Christ, revenant sur la terre, voit régner partout, comme
en un monde nouveau, le bonheur et la paix. Ces idées
libérales, Grûn les exprime encore dans ses Poésies
(1837). Il est grave; mais sa satire même n'a pas d'amer-
tume. Parfois sa pensée se déroule comme dans le Der^
nier poète^ en une suite d'images ; parfois il recourt à
l'allégorie et le printemps mettant l'hiver en fuite, c'est
le champion de la liberté qui chasse le despote. Grûn
eut un instant de découragement et ses Nibelungen en
habit se moquent de la poésie politique. Mais le Curé
du Kahlenberg respire son espoir inébranlable dans le
triomphe do droit. Par malheur, cet écrivain h l'âme
généreuse et aux sentiments élevés est plutôt un versifi-
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36% LITTERATURE ÂLLBMANDB
cateur qu*un poète ; il fait trop de phrases, il abuse de la
métaphore, il manque par moments de naturel, et trop
souvent il est lourd et dépourvu d'harmonie.
Profondément sensible, inquiet, impatient, mobile,
prompt k s'exalter et plus prompt encore à s'abattre,
faisant projets sur projets, changeant sans cesse d'étude
ou de séjour, passant à une certaine époque de sa vie
la moitié de son temps en chaise de poste, sceptique,
puis croyant, puis panthéiste, errant de système en
système, de pays en pays et de logement en logement,
pareil a son Faust que le brouillard et le doute poursui-
vent jusque sur la cime des monts, ne trouvant à l'orage
de questions qui gronde en son cœur d'antre réponse
que le silence de la mort, malade, nerveux, hypocondre,
agité par de violentes amours, incapable de se résigner et
de se soumettre à une règle, dépourvu d'énergie et de
volonté, malheureux et aimant son malheur et, selon ses
propres termes, le cherchant à son réveil de même
qu'une mère cherche son enfant, hanté par la pensée
du suicide, saisi enfin par le tourbillon de la démence,
Lenau a toujours prêché le pessimisme.
Nicolas Lenau (1802-1850, de son vrai nom Niembsch
de Strehlenau) a composé de grands poèmes : Fausty
SavonaroUy Les AlbigeoiSy Don Juan.
L'idée du Faust est obscure et les longs épisodes qui
le surchargent se lient mal a l'ensemble. Quelle diffé-
rence entre le Faust de Gœthe, fier, inassouvi, infati*
gable à vivre, devenant le bienfaiteur de ceux qui
l'entourent, louant l'effort et l'action, et le Faust de Lenau,
irrésolu, flottant entre Dieu et la nature, tombant dans
le désespoir et finissant par se tuer! Quelle différence
entre le Méphisto de Gœthe, souple, caustique, sinistre,
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LE XIX" SIBCLE 86(
elle Méphisto deLenau, qui n'est qu'une sorte de mauvais
génie et, comme disait le poète, un personnage sur
lequel il s'est déchargé de toutes ses idées infernales ;
entre la Marguerite de Gœthe si vivante, et la Marie de
Lenau, si languissante et pâle; entre l'œuvré de Gœthe
qui constitue un drame véritable et celle de Lenau qui
n'est qu'une série de monologues lyriques! Mais ce
lyrisme fait la beauté du Faust de Lenau : s'il abuse des
images, Lenau exprime les troubles et les tourments de
son âme avec une ardente sincérité, et en variant le ton,
le mètre et la rime ; après et malgré le Faust de Gœthe,
il est original.
Sa^onarole manque de chaleur et d'intérêt. Lenau y
prodigue les symboles et les allégories. Il avait alors une
crise de mysticisme : influencé par son ami Martensen,
persuadé que l'art doit servir la morale, épris de la
théosophie romantique de Baader et désireux de com-
battre à la fois Heine, Gœthe et Hegel, il représente
Savonarole comme un mystique qui recommande de
s'abandonner au Christ, de s'anéantir en un Dieu d'amour
et de pitié. Dans le dernier épisode du poème, le juif
Tubal, jusque-là l'implacable ennemi des chrétiens, se
convertit à la vue du moine qui marche avec calme au
supplice et ses larmes lui fournissent l'eau du baptême.
Les Albigeois fourmillent d'anachronismes et d'invrai*
semblances. Lenau a tourné au panthéisme et il est désor-
mais avec les hégéliens contre les prêtres. Les Albigeois
sont des sceptiques ; les troubadours défendent la liberté
de pensée; le pape Innocent III a des remords. Pas
d'unité, pas de suite. Lenau donne avec raison à son
œuvre le titre de « poèmes libres ». Sans doute il
dessine avec un saisissant relief les personnages princi-
paux; il peint d'une couleur énergique et sombre les
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866 LITTBnATURB ALLEMANDE
combats et les carnages de la croisade; il affirme que
rtiomme se développe sans cesse et s'achemine de lutte
en lutte et de système en système vers un meilleur desUn.
Mais bien qu'un souffle épique circule d'un bout à Taulrc
du poème, Lenau est trop souvent obscur etaffeeté; ea
beaucoup d'endroits il tombe dans l'horrible et lui-même
jugeait ses Albigeois bien sanglants.
Le fragment de Don Juan vaut surtout par ia
langue. Le héros n'obéit qu'a sa passion et chez lui
un amour naît avant que l'autre ne soit mort; las,
dégoûté, il se laisse tuer dans un duel.
Aux grands poèmes de Lenau, à Don JuaUj aux AWi^
geoisy à Suifonarole^ à Faaat^ on préférera toujours ses
poésies lyriques.
Avec quel charme il rend les sentiments du postillon
qui s'arrête devant la tombe d'un camarade pour jouer
au mort son air favori! Avec quelle poignante émotion il
dit ses blessures de cœur, son regret d'avoir perdu sa
mère ou rompu le dernier fil de la foi, la tristesse que
lui inspire la fuite des choses, l'amère volupté d'être
seul, et le désir de mourir! Il a peint la lande hongroise
balayée par le vent et illuminée par les clartés soudaines
de l'éclair, ses hussards, ses brigands qui chantent et
dansent dans l'auberge, ses tsiganes dont il aime le
fatalisme et le rêveur nonchaloir. Il a peint les Alpes
autrichiennes aux lacs noirs, la majesté de la forêt, ses
bruissements mystérieux et les secousses que lui imprime
le vent. Ce qu'il sent surtout et ce qu'il décrit avec
complaisance, c'est la nature sauvage ou bouleversée.
Cette nature, il l'anime, il lui prête nos douleurs, et il
voit, par exemple, une pensée triste passer sur la face du
ciel. Lenau est le poète du désenchantement; son œuvre
entière respire une âpre mélancolie : la source se plaint,
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LB XIX* 8IBCLB 867
le ruisseau empoiie ies feuilles d'automne avec un pleur
à demi étouffé.
Il imite fréquemment Byron; il s'attache trop au
détail; il se livre à des digressions, et il a des strophes
qui sont du pur remplissage. On peut lui reprocher de
l'obscurité, de la subtilité, de la recherche. Si faciles
que semblent ses vers, quelques-utis sentent Thuile.
Mais il a du nerf, de la précision, de la couleur, des
expressions pittoresques, des images fortes, hardies,
originales : il fait des noires nuées un troupeau de
cavales qui galopent par le ciel et de l'ouragan un grand
oiseau de nuit qui bat l'air de ses ailes sombres. Sa
langue est harmonieuse. Il avait l'oreille d'un musicien
et par la cadence du vers, par la souplesse du mètre,
par l'habile emploi des mots et des rimes il obtient des
effets merveilleux.
De Lenau relèvent nombre de poètes autrichiens,
Beok, Hartmann, Meissner.
Ni les Nuits j chants cuirassés^ ni le Poète errant^ ni les
Chants de paix y ni la tragédie de Saûl n'ont fait la réputa-
tion de Charles Beck (1817-1879). Ce furent son roman
de Janko aux rythmes divers et ses Poésies où il évoque
les mœurs des Magyars, ses Chansons de V homme pauçre
où il déplore le sort des misérables et invective les riches
et les juifs, ses vers sur La Patrie où il décrit les scènes
de l'insurrection hongroise. Mais, s'il a de la vivacité,
de l'énergie, de la fougue, il a de l'emphase, il offre des
négligences et des obscurités, il est trop cr Jeune Alle-
magne )>.
Dans son premier recueil qui parut en 1845 et qu'il
intitule en souvenir des Hussites Calice et épée^
Maurice Hartmann (1821-1872) plaide la cause des
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368 LITTBRATUnE ALLEMANDE
opprimés, et pleure la Bohème, ce chevreuil qui meurt
au fond de la forêt silencieuse après avoir perdu tout
son sang en une lente agonie. Il a fait d^autres ve.rs.
Poésies nouvelles^ Colchiques^ la Chronique rimée du
prêtre Maurice on il raille dans le style de Hein^
l'impuissance du parlement de Francfort. Il a fait une
idylle, Adam et Eve^ des nouvelles, un roman sur les
derniers jours de Murât, des impressions de voyages.
Peu original, il est aimable, gracieux, délicat. Dans sa
douleur même il a quelque chose de calme et de résigné.
Il a trouvé de nobles acceuts pour célébrer la liberté
qu^il nomme la plus belle des muses et il a, de façon tou-
chante, chanté sa mère, rappelé les larmes qu'elle ver-
sait sur lui, Tamour^ le saint et grand amour qu'elle
gardait k son fils, et les mots inoubliables dont elle
Taccueillit lorsqu'elle le revit après de longues années :
« O Dieu, que tes joues sont pâles ! »
Alfred Meissner (1822- 1885) est disqualifié comme
romancier. Poète, il a des mérites, du soin, du senti-
ment, du coloris. Sa plus remarquable production est
Ziska, Cet Allemand naïf a chanté le héros des Tchèques
non sans vigueur et avec une verve parfois ardente. Mais
l'œuvre manque de suite et mêle souvent la platitude à
l'emphase.
Betty Paoli (1815-1894) a, de son propre aveu, beau-
coup aimé et beaucoup souffert, et, de son propre aveu,
elle n'a pas eu la force de cueillir la palme, d'atteindre
la perfection; ses vers respirent une émotion sincère,
mais l'art fait défaut.
Ernest de Feuchtersleben (1806-1849), qui fut un célèbre
médecin, est moins connu par ses poésies que par un traité
sur V Hygiène de Vâme\ on doit pourtant citer entre ses
pièces de vers celle qui commence ainsi : Es ist bestimmt
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LE XIX* SIBCLE 869
in Gottes Rat; elle est devenue un chant populaire, et par
sa mélancolie contenue et son accent de doux espoir elle
a consolé plus d'un cœur.
Robert Hamerling (1830-1889) a composé un drame,
Danton et Robespierre^ qui manque de vigueur et un
roman, Aspasie^ long et traînant. Mais AhaB9er à Rome
et Le roi de Sien sont des épopées aux grandes propor-
tions. Ahasçery en vers blancs de cinq pieds, donne
prise à la critique. Que d'images sensuelles, que de
scènes voluptueuses évoque ce malade qui se plaint de
n'avoir pas connu Tamour! Que de longues descriptions!
Que d'interminables discours! Quel personnage obscur
que cet Ahasver qui n'est autre que Caïn, le premier
meurtrier, et qui ne parait que pour annoncer les évé-
nements ou en tirer la morale, qui, par une singulière
inconséquence, reproche à Néron l'incendie de Rome,
après avoir lancé la première torche ! Mais Néron dans sa
monstrueuse folie de jouissances, est peint avec talent,
et nombre de tableaux, la taverne de Locuste, la baccha-
nale, la mort d'Agrippine, l'embrasement de la ville,
sont vivants, éclatants, éblouissants. Le Roi de Sion\ a
les mêmes mérites : même couleur, même flamme, même
fougue entraînante, et les péripéties de l'action se dérou-
lent rapidement, malgré la lenteur des hexamètres.
HomunculuSj en trochées de quatre pieds, est une puis*
santé satire de notre temps. Toutefois Hamerling a trop
d'ampleur et de faste. On l'a, non sans raison, comparé
à Makart. Un effort de réflexion et de combinaison se
fait sentir dans sa poésie : il n'a pas ce quelque chose
d'aisé, de spontané qui jaillit de la source intérieure.
Hieronymus Lorm (de son vrai nom Henri Landes-
mann, 1821-1902), sourd et presque aveugle, optimiste
pourtant, trouva, commme il dit, un rayon de soleil dans
UTTtfBATDR* ALLIMAKOB. 24
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370 LITTBRATURB ALLEMANDE
son cœur et chanta la vie de son âme, son <x ciel inté-
rieur »y envers touchants.
Gilm (1812-1864) a célébré l'amour de la liberté, le
Tyrol, sa haine des jésuites et, s'il s'inspira souvent de
Heine, il avait le tempérament d'un vrai lyrique.
Adolphe Pichler (1819-1900) a moins de mollesse que
Gilm, moins d'élégance, mais ses Journaux fourmillent
d'anecdotes sur les événements auxquels il assista et sur
ses voyages dans la montagne.
Il faut clore cette liste par le nom du nouvelliste et
romancier Adalbert Stifter (1805-1868). Ce contemplatif
manque de force, et il est parfois fade et ennuyeux. Il a
décrit la nature avec soin, avec minutie, non sans
pédantisme et affectation ; mais il l'aime, et il Taime dans
ce qu'elle a de régulier et d'harmonieux. Il préfère à
l'orage et au volcan la brise légère et la verdure riante,
comme il préfbre aux passions, si puissantes qu'elles
soient, la vie tranquille du juste. C'est un sage, un paci-
fique, qui craint* de même que Grillparzer, les boule-
versements et qui veut voir dans le monde, non le grand
ou le grandiose^ mais un beau simple et doux, et^ selon
ses propres termes, l'innocence des choses et leur charme
reposant. Il dit, par exemple, lorsque des jeunes filles
contemplent un cirque de forêts jusqu'alors inexplorées,
que leurs yeux, ces (leurs de leurs cœurs^ regardent tout
brillants ce merveilleux spectacle et que cette nature que
les mains de l'homme n'ont pas encore touchée avait
quelque chose de chaste, de divin et comme l'expression
de la vertu. Son style clair et pur rappelle ce calme et
cette sérénité qu'il admirait dans l'univers.
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LE XIX* SIECLE 57t
Heine et la Jetme Allemagne.
Les poètes autrichiens n'étaient pas seuls a demander
la liberté politique, cette liberté que les gouvernements
avaient promise aux peuples avant la bataille et refusée
après la victoire. Le 17 octobre 1817 eut lieu ia fête de la
Wartbourg : des étudiants, dirigés par le professeur
Massmann, jetèrent dans un bûcher les livres des ennemis
de la bonne cause, le Code Napoléon, les règlements de
la gendarmerie, un corset d*uhlan, une perruque et un
bâton de caporal. Metternich, alarmé, cria qu'il fallait
sévir ef employa de nouveau les cinq métaphores, volcan,
peste, cancer, déluge, incendie, qui lui servaient à
désigner le péril révolutionnaire. Des curateurs furent
attachés aux Universités pour les surveiller; une commis--
sion nommée par la Diète eut charge de réprimer les
menées démagogiques; la censure défendit la réédition
des Discours de Fichte à la nation allemande. Mais
Tesprit de libéralisme ne put être étouffé, la révolution
de 1830 Tencouragea, il venait de la France comme un
vent de révolte, et ce fut alors que parut la Jeune Alle-
magne.
Le mot existait déjà. Le révolutionnaire italien Mazzini
appelait ainsi la société secrète où il enrôlait les réfugiés
allemands. Wienbarg l'ignorait, et il dédia son livre
Campagnes esthétiques (1834), qui n'a rien de politique, à
la Jeune Allemagne : il entendait par la la jeunesse aile*
mande. La Diète, trompée, condamna la Jeune Allemagne,
et les écrivains qu'elle frappa prirent ce nom.
Borne, Heine, Gutzkow, Laube, Wienbarg, Mundt,
KOhne composent la Jeune Allemagne. En réalité. Borne
et Heine ne lui appartiennent pas : ils vivent à l'étranger;
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S7S MTTBRATUnB ALLBMANOR
mais les autres les regardent comme leurs maîtres et leurs
patrons.
Louis Borne (1786-1837) fut un instant le rival de
Heine. Il avait beaucoup d'esprit. Ses parents le nom-
maient le Witzbold et, à son lit de mort, il disait à son
médecin qu'il n'avait plus de goût, de même que la lit*
térature de son pays. Son esprit» c'est l'esprit du jaif
berlinois des premières années du xviu* stëele, un esprit
de dénigrement et de négation moqueuse. Il regarde
l'esprit comme incompatible avec la louange et il n'a, il
ne vent avoir d'esprit que pour blâmer : le blâme sans
esprit, c'est, suivant son expression, la flamme sans
lumière. Or, il blâme oe qui l'ennuie, ce qui lui parait
« bète ». Il ne fut qu'un feuilletoniste, et il n'a pas fait
un ouvrage : un livre, selon lui, c'est du vin en tonneau;
une page, c'est du vin en bouteille; l'essentiel, c'est
qu'il y ait du vin. Mais il sut rédiger un article; il avait
la phrase courte, alerte, résolue; ses contemporains
admirèrent la vivacité et la vigueur de son style. Il
disait qu'il était malade de sa patrie et qu'il guérirait
lorsqu'elle serait libre. Après la révolution de 1830, il
s'établit dans ce Paris où était «c la Convention des
patriotes j», et là, il écrivit ses Lettres de Pari». Il ne
cessait de persifler les Allemands, de les railler amère-
ment : (c Si les Russes sont des esclaves, les Allemands
sont des domestiques ». Mais, tout en leur proposant les
Français pour modèles, il restait deuisch. C'était un
cosmopolite de tète, et non de cœur. Reprocher aux
Allemands de n'être pas une nation, de n'être que le
cabinet des antiquités de l'Europe, n'était-ce pas faire
preuve de patriotisme? Il a blasphémé Gœthe; mais il se
piquait de n'avoir jamais médit de Gœthe en langue fran-
çaise. Il félicitait les Allemands d'avoir le cœur toujours
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LB XIX* SIBGLB 878
jeune. Il louait leur langue, assurait que dans Tamour
de la langue s'unissaient les frères séparés : n Aucune
autre langue, écrit-il une fois, n*est aussi riche et puis-*
santé, aussi forte et gracieuse, aussi belle et aussi
douce ; elle est la fidèle interprète de toutes les langues ;
TAnglais grasseyé, le Français babille, TEspagnol râle,
l'Italien badine, seul T Allemand parle ». Dès 1819 il
prononce ce mot : que la Prusse est Tesprit de TAlle-
magne et que l'esprit gouverne le corps,
Henri Heine (1797-1856) est né à Dûsseldorf, sur la
rive gauche du Rhin, de parents israélites. Son père était
frivole, et sa mère, instruite, musicienne, exempte de
préjugés, ennemie de la sensiblerie. Il fit ses études au
lycée de Dûsseldorf, tâta du commerce et de la banque,
puis suivit des cours de droit à Bonn, à Gœttingue et à
Berlin. Ce fut à Berlin, en 1822, qu'après avoir fréquenté
les romantiques, il publia son premier recueil de vers,
Poésies. En 1827 parut son Lwre des Chants en quatre
parties : Jeunes Souffrances^ qui n'est que le recueil de
1822, Vlntermezsoj le Retour^ la Mer du Nord.
Jeunes Souffrances! Ce sont les soufirances de Heine
au temps où il aimait la fille du bourreau de Dûsseldorf,
la petite rousse Josépha, cette énigme aux yeux noirs et
k la bouche dédaigneuse, où il aimait sa cousine Amélie
qui se moqua de ses vers.
Vlntermezzo retrace une histoire vieille comme le
monde, l'histoire de Tamour trompé. Heine célèbre la
bien-aimée, lui offre des vers pénétrés d'allégresse, par*
fumés comme la rose et purs comme le lys. Mais il
apprend la trahison et il l'apprend sans colère, redisant
son malheur en strophes résignées, associant à sa dou-
leur les choses qui l'entourent, prêt à tomber comme
l'étoile qui tombe du ciel ou comme les fleurs qui tombent
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S74 LITTBRÀTUIIB ALLBMANDB
du pommier, et, dans un carrefour, loin de la ville,
regardant la pauvre petite fleur bleue qui croit seule sur
la tombe du suicidé.
Il y a dans le Retour des pièces où règne encore le déses-
poir. Mais déjà le poète se console, il se fie derechef à la
vie, il se rend au bord de la mer et il commence à recou-
vrer la santé morale, il sent comme une force nouvelle,
il assure qu'il est encore plus puissant que tous les morts.
Dans la Mer du Nord il évoqua de grandes scènes :
les Dix Mille saluant TEuxin, Jésus marchant sur les flots,
une Atlandide qui se dessine dans les profondeurs de
l'eau transparente, les nuages qui rappellent par leur
forme colossale les dieux delà Grèce aujourd'hui détrônés
et si faibles, si malheureux qu'il les prend en pitié et
désire les défendre. Mais fréquemment il revient à lui-
même, et bien qu'il ait encore quelques accents attristés,
on s'aperçoit qu'il a reconquis la paix du cœur, reconquis
l'équilibre. Jamais son génie n'eut un essor plus hardi,
jamais sa langue ne' fut plus admirable. Il emploie des
rythmes libres qui s'allongent ou s'accourcissent, se hâtent
ou se ralentissent comme la vague, et en vers où abonde
l'allitération, il reproduit les couleurs de l'Océan, ses
attitudes, ses mouvements et ses bruits.
Les quatre recueils qui composent le Livre des CharUs
forment un tout. Ce n'est qu'une file de lieds plus ou
moins courts. Mais ces lieds se lient et s'enchaînent. Ils
traitent le même sujet, et leur succession produit une
impression d'ensemble. Heine nous mène insensiblement
de l'ombre à la lumière, des sombres rêveries et des mor-
bides mélancolies à la saine réalité, à la pacifiante et vivi-
fiante nature.
Le style du Liseré des Chants est bref et net. Heine peint,
il ne raconte pas. Il use des procédés du chant populaire :
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LB X1X« SIÈGLB 371
rapide, concis, il se contente de marquer certains traits
et, sans se soucier des transitions, de noter les détails
les plus frappants. Très souvent il n'exprime dans une
pièce de vers qu'une sensation, mais avec quelle vigueur
singulière I C'est qu*il n'a pas la négligence du VotksUed.
Ses nonchalances mêmes sont des artifices et ses airs
d'abandon cachent un soin extrême de toilette. Il varie
adroitement l'expression : ce sont tantôt des termes
simples et des tours familiers ; tantôt, et surtout dans la
Mer du Nordy des mots composés, des images éclatantes,
des métaphores audacieuses.
Les poésies qui suivirent le Lwre des Chant» lui sont
inférieures. Elles furent composées à Paris. Repoussé de
l'Allemagne, où la Diète interdit la vente de ses œuvres,
rivé à la France, où le ministère lui fait une pension
sur les fonds secrets, lié à une femme qui ne le com-
prend pas, torturé par un mal implacable, regrettant la
terre natale, combattant avec un généreux entraînement
pour le libéralisme et le saint*-simonisme qui lui parait
une doctrine de progrès social, finissant par douter de
tout, tel est Heine dans cette dernière partie de son
existence.
Mais le recueil des NouçeUes Poésies^ paru en 1844,
acheva de fonder sa réputation. On y remarque surtout
les Poésies du tempsj on sa verve malicieuse et méchante
se donne pleine carrière. Elles fourmillent d'épigrammes,
de traits moqueurs. Heine excelle a saisir les défauts de
ses adversaires et leurs ridicules. ÏV invente de comiques
détails. Il rapproche, de la manière la plus imprévue, la
plus drôle, les idées et les mots. Il combine des rimes
burlesques, il fait des pointes^ et les allusions grivoises,
les plaisanteries cyniques gâtent nombre de passages déli-
cats. Mais le vers est si coulant et les saillies de Heine
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376 LITTéaATUBB ALLBXAKOB
ont tant de naturel» tant d'éclat» tant d'originale fantaisie
et parfois tant de profondeur!
Deux poèmes» AtUi TroU{i^i3) et L'Allemagne (1844),
peuvent être mis à la suite des Poésies du temps.
Dans Atta Troll Heine attaque les poètes politiques. li
blâmait leurs airs de rodomonts et leur patriotisme tapa-
geur; il leur reprochait de ne rien préciser et de ne Daire
que des vers généraux; il les accusait de préparer
Tavènement d'une poésie qui chanterait la pomme de
terre et non plus la rose. L'ours Atta Troll personnifie
ces ennemis de Heine; il danse lourdement» il bavarde»
il prêche l'égalité» il nie l'idéal» mais il n'agit pas» il
débite des tirades» et bien qu'il ait beaucoup d*esprit,
il intéresse moins que les chasseurs qui le poursuivent»
que le guide Lascaro» que la sorcière Uraka» que les
bateliers et les enfants du village qui chantent giroflino
giroflette. Dans cette ourserie ce n'est pas l'ours qui plait
le plus. Pareillement la satire de Heine n'a pas autant
d'attrait que ses descriptions. Il délaie son ironie et il
raille trop souvent le Roi fiègre de Freiligrath. Mais avec
quelle brièveté pittoresque il dessine les paysages des
Pyrénées» les montagnes, a bayadères somnolentes » qui
frissonnent dans leur peignoir de nuages agité par la
brise matinale» les cimes violettes qui rient sur le fond
d'or du soleil» les villages qui se collent hardiment aux
pentes comme des nids d'oiseaux» les vallées semblables
à des ruelles» le lac aux truites savoureuses» aux eaux
calmes» aux rochers qui l'enveloppent dans un « chaudron
noir » I Avec quelle précision il décrit les champs de
neige et» après nous avoir ouvert la sombre ehaumière
d'Uraka, avec quel art il fait défiler devant nous la chasse
infernale et passer sous nos yeux éblouis Diane ou l'art
grec dont il regrette la froideur» la fée Abonde ou l'art
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LB XIX* SIBCLB S77
du moyen âge, Hérodiade jouant avec la tète de Jean-
Baptiste, Hérodiade qu'il préftre à la déesse hellénique
et à la fée du Nord, Hérodiade, belle, superbe, sédui-
sante, mais passionnée, violente, mêlant la haine et le
sang à son amour, Hérodiade la juive !
Comme Atta Troll, V Allemagne manque de suite et
de oohésion. Par instants, la moquerie de Heine est gros-
sière, et des obscénités déparent la fin de son œuvre.
Mais l'iambe de VAllemagm a plus d'aisance, plus de
vivacité, plus de charme ondoyant que le trochée à^Atta
Troll, Les paysages sont lestement crayonnés et, à ces
croquis, à des souvenirs d'enfance, à de douces strophes
sur sa mère le poète joint d'éloquents couplets. H rit en
voyant les douaniers visiter sa malle, car c'est dans sa
tète qu'il porte sa contrebande. Certes, il n'a plus d'illu-
sions : la liberté s'est « démis le pied », et elle ce ne peut
plus ni sauter ni monter à l'assaut », le drapeau tricolore
« pend tristement du haut des tours de Paris », et au
bord du chemin, Heine jette un regard de pitié sur
l'image de son a pauvre cousin » qui fut crucifié. Pour-
tant, quand il écrit, il voit à ses côtés un homme silen-
cieux qui tient une hache : c'est son licteur, c'est l'acte
de sa pensée, et ce qu'a conçu son esprit, cet homme
l'accomplira, fût-ce dans des années; ses idées, cet
homme les réalisera; ses jugements, fussent-ils injustes,
cet homme les exécutera ; vision terrible et qui, loin d'ef-
frayer le poète, l'encourage!
Le Romanzero (1851) fut, selon le mot même de
Heine, le troisième pilier de son renom lyrique. Il vaut
surtout par les ballades. Elles renferment trop d'effusions
personnelles et d'^illusions au présent; elles offrent de
plus longs développements que les poésies précédentes ;
elles ont moins de relief et de précision : comme sa
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378 LlTTBBÀTUnB ALLEMANDE
reine de Saba, Heine veut trop souvent briller par Tesprit,
durch Esprit brilUren^ et, à la longue, comme elle, il
devient fatigant, fatigant. Cependant, plusieurs de ses
ballades sont réellement belles. Quelle scène inoii*
bliable que celle du Champ de bataille de Haatings :
Edith au cou de cygne, pleine d'une farouche douleur,
cherchant Harald au milieu des cadavres, le retrouvant
enfin et, sans dire un mot ni verser une larme, baisant le
pale visage du mort, son front, sa bouche et sa blessure,
et trois petites cicatrices, trois morsures dont elle marqua
jadis, en un transport de passion, l'épaule de son royal
amant! Quels regrets déchirants dans LazarusX Quelle
émouvante tristesse lorsque le poète évoque le bonheur
de sa vie passée et la gloire de ses vers qui n'étaient
autrefois que plaisir et que feu, lorsqu'il compare la féli-
cité d'antan à la douleur d'aujourd'hni, au mal affreux qui
le mine et le ronge !
Ce grand poète est un des meilleurs prosateurs de son
pays. Soit qu'il conte une anecdote ou qu'il décoche une
épigramme à ses ennemis, sa prose est claire, agile, scin-
tillante ; c'est la prose d'un poète :
Même quand Toiseau marche, on sent qu'il a des ailes.
Sa Correspondance révèle les tourments de son amour-
propre, et dans Luthce^ où il traite de désinvolte façon
toute sorte de sujets, il tâche à être parisien. Mais ses
Reisebïlder ou Tableaux de i^oyages^ où il chante la mon-
tagne après avoir chanté la mer, sont vraiment exquis.
Il vit et vivra comme poète. Il avait, de son aven, le
démon de l'ironie ; il visa trop à dire des bons mots, à jouer
le rossignol allemand qui niche dans la perruque a Vol-
taire ; il se plut trop à mystifier le lecteur, à le surprendre
a la fin d'une effusion sentimentale par une bouffonnerie.
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LB XIX* SIBGLB 379
Mais qae de dissonaaces offrent son caractère et sa vie !
Juif, il est rélève des prêtres catholiques et il se convertit
au protestantisme ; pauvre» il a des parents millionnaires ;
orgueilleux, il vit des cadeaux de son oncle le banquier ;
romantique, il se gausse du romantisme; il conspue
Blûcher après l'avoir acclamé; il adore Napoléon ; il aime
les Français, et il les accuse de frivolité, et il prophétise
qu'un jour viendra où l'Allemagne leur assénera le coup
mortel. II est tout contrastes, et de là, dans l'expression
de son amour, ce mélange d'ardeur et de scepticisme, de
joie et de désespoir, d'accents triomphants et d'invectives
douloureuses; de là, cette raillerie qui se venge de la
passion. Et toutefois ce rire qui, selon ses propres termes,
éclate quand son cœur se déchire, n'est-ce pas l'origina-
lité, n'est-ce pas le charme poignant de sa poésie? S'il n'a
pas la sérénité de Gœthe, il est plus près de nous; il
rend à merveille cette amertume que nous laissent les
choses, fussent-elles les plus belles; il frémit, comme
nous, et du même frémissement aigu, nerveux. Il a parlé
de ses affinités avec Holty. Non, il rappelle plutôt notre
Musset; non seulement il a des sanglots et des chants
désolés; mais certains de ses lieds, certaines de ses bal-
lades sont des tableaux parfaits, et ses vers d'amour ont,
dans leur simplicité, je ne sais quoi de profond et d'in-
time.
Aussi, son influence a été immense. Aucun de ses con«
temporains, aucun de ceux qui l'ont suivi ne put se sous-
traire à son prestige et tous lui sont redevables à divers
degrés. Pas un poète qui ne porte depuis, si légère qu'elle
soit, la marque de Heine ; pas une œuvre poétique où ne
résonne l'écho de Heine.
Cette influence éclate déjà chez les écrivains de la
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MO LITTERATURE ALLEMANDE
Jeune AUemagae, Gutzkow, Laube, Wienbarg» Mtmdt,
Kûhne.
La Jeune Allemagne eat une école factice, et les écri*
vains qu*on associe sous ce nom se critiquent» se com*
battent les uns les autres. Mais Borne et Heine étaient
leurs maîtres, Heine consentit à les patronner, et ils
l'imitèrent : Mundt ne voit dans la WaUy de Gutakow
qu'une copie de Heine. De même que Heine, et tout en
réagissant contre le romantisme, ils relèvent de lui et
ils usent de ses procédés. Comme les romantiques, ils
admirent Gcathe, surtout le jeune Gœthe, l'auteur du
Gôtz et du premier Fauêt, et ils l'appellent le Luther
de son temps. Comme les romantiques, ils refusent de
séparer la poésie et la vie. Mais la Jeune Allemagne va
plus loin que le romantisme. Sans vouloir être homme
d'Etat, Gutzkow revient toujours à la politique; il
déclare que son parti est le parti de la table rase, le
parti du National^ et il souhaite une République démo-
cratique animée des principes de Robespierre et de
Saint-Just. De là, la faiblesse de la Jeune Allemagne.
Ses membres sont moins des artistes que des journa-
listes, des publicistes. Ils agitent le problème social, et
Gutzkow assure qu'il ne suffit pas de traiter la question
constitutionnelle, que les découvertes scientifiques créent
une nouvelle atmosphère morale, qu'il faut unir à l'idéa*
lisme du xviii* siècle le matérialisme du xix^ et à l'esprit
latin l'esprit de machine. Comme Borne, comme Heine,
la Jeune Allemagne subit l'influence du saint-simonisme ;
mais, si Gutzkow ne revendique que les droits de l'âme,
Wienbarg et Mundt revendiquent hautement les droits
des sens. Aux yeux de la Jeune Allemagne, George Sand
est le plus grand des écrivains français contemporains;
nul auteur, selon Mundt, n'a mieux décrit la lutte de
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LE XIX*^ SIECLE S8t
l'individu contre Tordre social ni mieux reproduit la
réalité, et Gutzkow avoue que sa Wally est une Lélia
allemande. Au reste, en Allemagne même, Técole avait
ses déesses : Rahel Levin, la femme de Varnhagen,
Bettina d*Arnim et Charlotte Stieglitz. En 1833, Tannée
de sa mort, et en 1834 parurent le Journal^ puis les
LeUres de Rahel : elle jugeait le mariage odieux et
disait .que la mère doit posséder la fortune et l'autorité ;
elle fut proclamée la mère de la Jeune Allemagne. La
même année, Bettina d'Arnim publiait la Correspondance
de Gœthe avec un enfant : cet enfant — enfant terrible,
s'il en fût — c'était elle, Bettina Brentano, la sœur
de Clément Brentano et la femme d*Achim d'Arnim,
enthousiaste, généreuse, éprise de poésie, mais turbu-
lente et excentrique; bien qu'arrangée et remaniée, la
Correspondance fit grande impression. La même année,
Charlotte Stieglitz se poignardait pour éveiller dans
son mari le génie littéraire : elle donna à Gutzkow
l'idée de Wally^ Mundt lui consacra un livre, et, avec
Gutzkow et Laube, la Jeune Allemagne répéta que trois
femmes avaient attiré sur elles toute Tattention, Tune
par la pensée, l'autre par un poème, la troisième par
un acte.
Telle est la Jeune Allemagne. Ses membres sont,
pour la plupart. Prussiens, plus portés à la réflexion
qu*au sentiment, préférant la prose à la poésie. Mais
leur prose, légère, souple, brillante, n'est pas châtiée;
elle offre trop de négligences. Gutzkow ne reconnait-il
pas que ses compagnons d'armes ne savent donner une
forme à leur pensée?
En réalité, la Jeune Allemagne ne doit existence et
consistance qu'à Menzel et à la Diète. Menzel, ancien
ami et maître de Gutzkow, un des fondateurs de la
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802 LITTBRATCIIB ALLEMANDE
Burschenschaft et son ardent champion, auteur d'une
Littérature allemande qui prêchait le libéralisme et la
gloire de Jean-Paul, dirigeait à Stuttgart le supplément
littéraire du Morgenblatt, Blessé par les critiques de la
Jeune Allemagne, il l'accusa dans le numéro du 11 sep*
tembre 1835 — - tels sont ses propres termes — d'atta-
quer de la façon la plus impudente la religion chré-
tienne, de rabaisser la société, de détruire toute décence
et moralité. Déjà, la censure prussienne avait interdit
les Campagnes esthétiques de Wienbarg, interdit la
Madonna de Mundt, interdit la réimpression, entreprise
par Gutzkow, des Lettres de Schleiermacher sur Lucinde,
Déjà Wienbarg et Mundt avaient dû cesser leurs cours.
Déjà Laube avait été arrêté à Berlin et relâché après huit
mois de détention. Sur l'accusation de Menzel, Gutzkow
fut appréhendé au corps, et son roman de WaUy iTiieràxX,
ainsi que la Revue allemande qu'il voulait publier. Un
décret du 11 décembre, rendu par la Diète sur la pro-
position de l'Autriche, invita les puissances confédérées
à empêcher par toua les moyens légaux la vente et la
propagation des œuvres de la Jeune Allemagne, notam-
ment celles de Heine, de Gutzkow, de Laube, de Wien-
barg et de Mundt. C'est alors que Heine, malgré son
antipathie pour Gutzkow, fait cause commune avec la
Jeune Allemagne et il recommande à Laube de « ne pas
écrire un mot qui puisse nuire à ces jeunes gens ».
Le plus remarquable des membres de la Jeune Alle-
magne était Charles Gutzkow (1811-1878), vif, mobile,
courant après le succès, l'attrapant à diverses reprises,
avide de dominer, se proclamant le missionnaire de la
liberté, s*imposant à TAUemagne qui, durant quelque
temps, le regarda comme son premier écrivain, mais se
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LB XIX^ SIÈCLE 388
consumant, s*usant dans ce long effort^ craignant a tout
instant de perdre cette dictature littéraire dont il s'était
emparé, outré, affecté, pressé de produire et, dans cette
hâte fiévreuse, négligeant son style que lui-même quali-
fiait d'inquiet, reconnaissant ce que ses œuvres ont d'ina*
chevé, alléguant qu'il ne faut pas les considérer du point
de vue esthétique et qu'on doit y chercher les circons-
tances où elles furent composées.
Il publie d'abord des romans. Mais le lecteur de Maha
Giiru est rebuté par la description de l'étrange idolâtrie
du Tibet. Wally (1835), gauche, bizarre, obscur, foisonne
de digressions et ses personnages sont impossibles. Il ya
dans Séraphine ainsi que dans Blasedow et ses fils des
tirades satiriques, des idées spirituelles, des épisodes
comiques, mais Gutzkow parle de tout plutôt que de ses
héros.
Puis il se voue au théâtre. Il avait déjà fait un NéroUy
un Saûly un Hamlet à Wittenherg qui n'est qu'une
esquisse confuse. Ses pièces ultérieures, drames et
comédies, eurent la vogue, et plusieurs émurent ou
amusèrent le public : le dialogue était vif, et l'action,
bien conduite; les allusions à la censure et à la police,
aux courtisans et aux prêtres ne manquaient pas. Mais
que de défauts! Patkul, dansPa^AaZ^ est un songe-creux;
\ École des Riches se compose de scènes décousues; Per-
raque et Epée fourmille d'invraisemblances; V Original
du Tartufe ne présente que des personnages ridicules;
Pugaischeff est un mélodrame; le 13 novembre, un
drame fataliste ; WuUenweber^ un drame historique trop
vaste et compliqué; le Lieutenant de roi n'offre qu'une
suite d'anecdotes et ne vaut que par le rôle du Français
Thorane, chevaleresque, mélancolique, bizarre. Seul,
Uriel Acosta (1846) mérite de rester; l'élévation de la
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S84 LITTBBATURB ALLBMANDB
pensée philosophique, le caractère d^Uriel héroïque dans
sa faiblesse et celui de Judith qui ne défaille cfu'iia ins-
tant) la fermeté de la langue font de cette pièce le chef-
d'œuvre de Gutzkow; « elle est, disait-il, un produit de
mon cœur »•
Il finit par des romans. Ses meilleurs sont les Che^a*
Uert de Vesprit (1850-1852) — qui se liguent contre les
abus de la force physique et qui tâchent de préparer un
notivel ordre de choses en répandant un petit nombre
d'idées simples et grandes — et le Magicien de Rome ou
le pape (1858-1861), dont Gutzkow propose de briser la
puissance. Mais ils rappellent les romans d'Eugène Sue,
et qui les lit aujourd'hui? Gutzkow voulait transformer
le roman : ce devait être, non plus une succession, un
Nacheinander^ mais une juxtaposition, un Nebeneinander.
Il n'y a pas réussi : il développe l'insignifiant aux dépens
de l'essentiel, il multiplie les personnages et les inci-
dents, il se répète, et l'intérêt s'éparpille.
Ses derniers romans sont Hohenschwangau (1867-1868),
qui n'est qu'un fouillis historique, et Les Nouveaux Frères
de Sérapion (1877), peinture du récent empire où Gutz-
kow ne voit que désordre et chaos, qu'esprit de rapine
et désir de jouissances.
Henri Laube (1806-11884) débuta par des Nouvelles de
voyage qui le firent surnommer le cocher de Heine, et
par deux romans : La Guerre allemande ou la guerre de
Trente Ans, qui compte neuf volumes et qui n'est qu'un
fatras, et la Jeune Europe (1834-1837). Il y a trois parties
dans la Jeune Europe : les poètes, les guerriers, les
bourgeois. Dans la première partie, le héros, Valérius,
démocrate, socialiste, ennemi des nationalités, partisan
de la République universelle, demande la liberté en toutes
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LB XIX^ sràCLB 885
ehoses. Dans la deuxième» il combat pour rindépendanco
de la Pologne, mai» son bel enthousiasme se refroidit et
il se résigne à tenir une modeste place dans le mondé
qu'il croyait conquérir. Dans la troisième, il est fonction-
naire et il exerce son métier en conscience : dénouement
caractéristique; comme Yalérius, Laube s'assagrit. Ses
pièces de théâtre, écrites dans le goût de Dumas père et
de Scribe, sont meilleures que ses romans; il y a de
Taisance, de la fraîcheur, de la vivacité ; certaines scènes
font effet. Mais Monaldeschi vaut uniquement par la
description de Fontainebleau, et RococOy par la peinture
de la cour; Struensee n'est qu'une intrigue d'amour et le
Prince Frédéric qu'une anecdote dramatisée ; les Elèves de
TÉcole de Charles (1847) ont eu la vogue, mais Schiller,
le duc Charles-Eugène, la comtesse de Hohenheim tin-
rent-ils jamais un pareil langage? Superficiel, courant sur
toutes choses sans rien approfondir, élégant, agréable,
visant à Tesprit, et trop souvent négligé, Laube serait
peut-être oublié si la censure ne l'avait persécuté.
Les autres membres de la Jeune Allemagne, Gustave
Kûhne, Théodore Mundt, Ludolphe Wienbarg sont sur-
tout des critiques. Mundt effleure les sujets; mais il a
de la justesse et une grande variété de connaissances.
Wienbarg fit le manifeste de l'Ecole; dans ses Cant"
pagnes esthétiques^ en une langue assez nette et vigou-
reusCy il assure que la beauté est l'expression du carao-
tère et que le caractère se traduit par une activité
libre; il regarde Gœthe et Byron comme les hérauts de
leur temps; il voit dans Heine le représentant de l'époque
et il admire sa prose merveilleuse, sa prose hardie, mar-
tiale, animée de cet esprit qui constitue à la fois un élé-
ment de beauté et une arme.
iirréiuTcnB allimavdb. 25
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aSft LITTiRATVRB ALLEMANDE
Deux femmes appartinrent à la Jeune Allemagne : la
comtesse Ida de Hahn-Hahn et Fanny Lewald qui dési-
raient les lauriers de George Sand. L'une, aristocrate
jusqu'au bout des ongles, met en scène des héros iro-
niques et égoïstes et des héroïnes mélancoliques, capri-
cieuses, exaltées comme elle; l'autre, ^vec moins de
chaleur et d'imagination, a le jugement plus ferme et un
talent plus mâle.
lia poésie politiqoe.
Les écrivains de la Jeune Allemagne pensent que la
poésie a ses racines dans le présent, que la littérature
doit se mêler à la lutte des partis, et ils veulent que
l'Allemagne ne soit pas une Université, uoe simple
spectatrice des événements, ils veulent qu'elle vive et
agisse. De là cette poésie politique qui naquit en 1840.
L'attitude du ministère Thiers qui semblait menacer
l'Allemagne, émut, irrita le sentiment national. L'Ouest,
comme disait le roi Louis P' de Bavière, avait tiré le canon
d'alarme et ce coup retentissait dans les cœurs. Le vieil
Arndt s'écria que la danse des lances allait recommencer,
que l'Allemagne entière allait repasser le Rhin et
envahir la France, ail Deutsckland in Franhreich hinein!
Nicolas Becker publia son Rhin allemand qui défiait les
Français et les comparait à d'avides corbeaux : ce Ils ne
l'auront pas, le libre Rhin allemand! » Schneckenburger
composa la Wacht am Rhein. A ces appels contre
« l'ennemi héréditaire » se joignirent les revendications
politiques, et Prutz écrivit qu'il ne suffisait pas d'être Alle-
mands, qu'il fallait être libres, que les princes devaient
rendre la liberté et à la parole et à la presse. Vint la
Révolution de 1848, puis le parlement de Francfort et
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LE XIX* 8IÂCLB 487
l'échec de ceux qui désiraient, qui demandaient une Alle-
magne une et libre. Des poètes jouèrent leur rôle dax»
ce mouvement; Hoffmann de Fallersieben, Freiligratb,
Herwegh, Kinkel, Dingelstedt. On les nomme les poèteê
polàiques.
Hoffmann de Fallersleben (1798-1874) fit des chants
de toute sorte, notamment des chants naïfs et simples
où l'enfance envoie des adieux moqueurs à Thiver et
salue le printemps qui rentre au son de la musique parnû
le joyeux ramage des oiseaux. Très peu original, quelque-
fois plat et prosaïque, il unit la belle humeur au franc-
parler et il a de la bonhomie même dans la satire.
Plusieurs de ses lieds politiques volent et voleront
longtemps sur les lèvres du peuple : le lied où il célèbre
le pays qui s'étend entre la Franconie et la forêt de
Bohème ; le lied où il jure à la patrie un fidèle amour^
lui assure qu'il ne pourrait l'oublier et lui souhaite
l'union et le bonheur ; le lied où il voit l'Allemagne par-
dessus tout dans le monde, Deutschland ûber Ailes in der
Welt.
Il n'est qu'un chansonnier. Ferdinand Freiligrath
(1810-1876) fut un vrai poète. Son premier recueil (1838)
trahit l'influence des Orientales de Hugo; mais nul n'avait
encore évoqué de lointains paysages en une langue aussi
chaude et aussi colorée. Quelle suite de strophes bril-
lantes dans la Chevauchée du lion^ de ce fauve cavalier
poussant k travers son empire du désert la girafe qui
fuit sous l'étreinte de ses griffes et déchirant, dévorant sa
monture! Mais il y avait dans les poésies de Freiligrath
trop de lions et de chameaux, trop d'Indiens et de
moricauds, trop de botanique et de zoologie, trop de
rouge et de jaune. Un autre recueil, Parmi les ger^
besy chante le Rhin, chante sa fiancée, le meilleur et
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388 LITTÉRA.TURB ALLEMANDE
le dernier oiseau qall ait attrapé. Devena libéral, il
publia sa Profession de foi (1844) : il glorifiait la lib^té
et le droit; rAlUmagne serait-elle toujours cet Hamlet
qui rêve et ne sait pas agir? Le Ça ira (1846) fut plm
audacieux; Freiligrath annonçait la Révolution, ce pirate
qoî prendrait la galère de TEtat^ lancerait ses fusées
incendiaires sur le yacht de FEglise et canonneraît les
flottes de la Propriété. Forcé de fuir en 1850» il ne revit
sa patrie qu'en 1868, grâce à un don national, et tout
ému de reconnaissance, il vantait ce suprême bottheiiir
du poète : être aimé de son peuple. Deux ans après il
composait les plus belles pièces de vers que la guerre de
1870 ait inspirées : dans Hurrah Germania il montrait
les Allemands du Nord et du Sud ne faisant qu^une armée
et, dans le Trompette de Graçelotte^ il retraçait avec une
saisissante concisfion un épisode de la bataille du
16 août, la charge furieuse de la brigade Bredov^ qai
perdit la moitié de son monde, la trompette trouée par
une balle et rendant un son douloureux et sourd comme
pour plaindre les morts, et au soir, pendant que tombe
la pluie et que s*aUnnient les feux de bivouac, les survivants
pensant à leurs frères qui gisent là-bas sur le gaxon la
poitrine transpercée et le front entr'ouvert !
Georges Herwegfa (1817-1875), négligé, obscur, empha-
tique, a de la fougue, de la verve, de superbes emporte-
ments juvéniles, et il trouve à ses vers un refrain expressif
et sonore. Dans son Chant de haincy d'allure si rapide
et si vigoureuse, il renonce à l'amour qu'il accuse d'im»
puissance et il invoque la haine qui seule peut briser
les chaînes et regarder la tyrannie en Cofte. Il pousse de
beaux et vivants cris de guerre. Mais, par instants, il a
des accents plus tendres, soit qu'il souhaite de mourir
doucement comme le jour qui finit, ou comme l'étoile, ou
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LB XIX* SIECLE dt9
comme la Heur» soit qa'il offre à sa mie les chants qui
sont toute sa ridiesse, soit qu'il prie Dieu de prolonger
les rêves des humains, puisque le paysan rêve que son
champ se courre d'épis, puisque le prisonnier rêve qu'il
a sur sa tète la couronne du vainqueur, puisque le despote
rêve qu'il fuit et que la terre s'entr'ouvre sous ses pas!
Les aventures de Gottfried Kinkel (1815-1882) ont
peut-être plus fait pour sa renommée que ses poésies et
que son poème à'Othon V archer \ mais ses poésies ont
de la grâce, et Othorij malgré ses longueurs, plaît par la
clarté du style et le charme des descriptions.
Les Chants cTun çeiUeur de nuit cosmopolite de Franz
Diagelstedt (1S14-1881) sont monotones, et il y a dans
cette satire beaucoup de rhétorique. Toutefois le talent de
IKngelstedt était très souple; il avait de l'élégance, de la
vivacité, de l'énei^ie, de la pénétration. Ses nouvelles et
ses romans offrent des traits intéressants, heureusement
observés. On admire le premier acte de son drame des
Barnésfeldt. Mais tout ce qu'il a fait n'est qu'ébauché,
esquissé, indiqué. Il n'a rien mûri, rien porté à per-
fection. Le temps manquait, et le feu sacré. Cet homme
d'esprit qui fut un homme du monde, et du grand monde,
était trop • ironique et trop blasé pour entreprendre et
achever une belle œuvre.
lies néo-romantiqnes.
Pendant que les poètes politiques préparaient Tunité
nationale, se formaient deux écoles, celle des nép-roman-
tiques et celle de Munich, qui toutes deux avaient pour
devise « Tart pour l'art ». Mais l'école de Munich était
libérale, et l'un de ses principaux représentants, Geibel,
souhaite dans un sonnet que l'Allemagne ait ce on
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SM LITTBRATURB ALLBIIANDB
homme seulement» ud descendant des Nibelungen, qui
réalise d'une main de fer ce qu'ont vainement tenté les
feux de tirailleurs des poètes et Tomniscience des JQur-
Balistes ». Le nouveau romantisme célèbre la foi, la
pureté des croyances et chante sur le mode romantique
)a. forêt, les fleurs, le moyen âge. Il compte dans ses
rangs Strachwitz, Bottger, Redwitz, Roquette, Putlitz,
MûUer de Konigswinter, Auguste Becker, Rodenberg;
mais presque tous ont depuis suivi d'autres voies et leurs
débuts seuls les rattachent à ce groupe.
Le comte Maurice de Strachwitz (1822-1847) s'est
formé sur Platen; il a noblesse, éclat, harmonie; mais
il est fumeux. Dans ses Chanté de réyeU (1842) il déplore
la lâcheté de ses contemporains et demande des champs
de bataille où déployer sa force. Puis, lorsque se produit
la crise, il a peur et, en ses Nouvelles Poésies (1848), il se
réfugie dans la légende. Ses derniers vers marquent
pourtant un progrès sur les premiers : il a plus de pré-
cision et de vigueur.
Adolphe Bôttger (1815-1870), pur, mais froid et com-
passé dans ses sonnets, a plus de couleur dans ses poèmes :
Hyacinthe et LiUade^ La Havane, La fiUe de Caïn.
Oscar de Redwitz (1823-1891) n'eut qu'un mince
talent. Mais son Amaranihe (1849) obtint un succèa
inouï. C'est un mélange de poésie et de polémique, d*ef-
fusions lyriques, de descriptions idylliques, de cris de
guerre contre les incrédules : le héros, Walter, préfère
k pieuse Amaranthe à l'impie Ghismonda ! Un peu vague
et vide, parfois emphatique, parfois enflammé^ souvent
harmonieux, voilà ce poème d^ Amaranthe.
Ouo Roquette (18244896) supplanU Redwitx. Son
poème Waldmeisters Brauifahrt, qui parut deux ans après
Amaranthe j eut un succès pjlus grand encore; c'est l'his-
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IB XIX^ SIBCLB 39t
toire da prince Waldmeister ou Aspérule qui réussit à
conquérir la princesse RebenblAte ou fleur de vigne. Ce
qu'il publia par la suite, nouvelles, romans, drames, est
supérieur à cette œuvre de jeunesse.
Gustave de Putlitz (1821-1890) fit en 1850 Ce que se
raconte la forêt. Ses drames qui sont, il est vrai, dénués
de vigueur, des nouvelles intéressantes, ses Souçenirs de
théâtre lui valurent plus tard quelque réputation.
MûUer de Konigswinter (1816-1873) composa des
comédies. Il appartient au néo-romantisme par des
poèmes, Reine de mai, Le prince Minnewin, Jean de
Werth. Le pays rbénan qu'il a chanté prononce son
nom avec gratitude, et ce n'est pas sans raison qu'il inti-
tulait son premier recueil de vers : Mon cœur est sur
le Rhin.
Auguste Becker (1829-1891) composa l'un des meilleurs
poèmes de cette époque, Jung Friedel (iSbi), et il a fait
ultérieurement des nouvelles, des romans, comme le Tes-
tament du rabbin, qui plurent au public.
Jules Rodenberg est surtout connu parce qu'il a fondé
rexcellente revue Deutsche Rundschau , qu'il dirige encore •
Ses poésies (1853 et 1864), ses récits de voyages, ses
romans, ses Soupenirs de jeunesse lui méritent un rang
très distingué dans la littérature contemporaine.
lies Mimicliois.
Les Munichois sont ainsi nommés parce que la plupart
ont fini par s'établir à Munich. Mais leur école fut fondée
k Berlin où plusieurs d'entre eux appartenaient au Tunnel
de la Sprée et fréquentaient la maison du critique Kugler.
Us ont des traits communs; ils vénèrent Platen, ils ont
le culte de la beauté^ ils mettent l'art au-dessus de tout.
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9»2 LITTBRATDRE AI.LBMANOE
De là leur amour pour l'Italie, leur érudition ^ cette
Bcienee immodérée qui chez eux étouffe parfois la poésie.
Ils ne visent guère qu'à la forme , et on leur a reproché de
manquer d'originalité, de n'écrire que pour dames et
fillettes, de n'être que des hommes d'esprit et des poètes
de salon, d'ignorer de parti pris les conditions sociales
de leur époque et les graves questions qu'elle cherchait
à résoudre. Mais ils ont du goAt et de la mesure» de la
finesse et de l'élégance; de 1840 à 1880» ils furent en
vogue et en faveur. Les principaux sont Geibel, Heyse»
Schack, Grosse, Lingg» Greif et Leuthold.
Emmanuel Geibel (1815-1884) a composé des drames
froids et corrects. Fut«il un vrai poète? S'il est pur,
châtié, harmonieux, il n*a rien de très profond, de très
personnel, et dans ses vers passe souvent un reflet des
vers d'autrui. Pourtant, il a de la douceur et de la
tendresse, de la noblesse et de la grandeur. De son
premier recueil jusqu'au dernier, son talent n'a pas
faibli ; d'abord un peu mièvre, il est devenu plus Cerme,
plus maie. On conçoit qu'il ait passé pour le prince des
lyriques de son temps. Il sait prendre tous les tons, dire
à la fois le mois de mai, où le cœur chante avec l'alouette,
et la mort, le plus rapide des cavaliers, la mort qui
galope par le monde et lanee de tous cotés ses flèches
sans jamais manquer le but. On conçoit aussi qu'il ait
été surnommé le héraut de la pensée nationale. Il avait
célébré Gudrun, la fière captive qui cache ses pleurs et
qui jure qu'elle cessera de vivre, et non d'être fidèle. Il
avait célébré Charlemagne sortant de sa crypte d'Aix-la-»
Chapelle pour bénir les vignes de la rive rhénane. Il
avait, comme Rûckert, célébré Frédéric Barberousse;
mais dans la pièce de Rûckert l'empereur dort eneore ;
dans celle de Geibel, il s'éveille avec tous les siens; le
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LB XIX* BIBGLB 393
jour eatre à flots dans le Kyffhauser; Taigle met en fuite
les corbeaux, le tonnerre gronde, Barberousse parait le
casque en tète et la victoire dans la main, ses chevaliers
brandiesent leur épëe, et le^ peuples s'inclinent devant
le vieux César qui ressuscite le Saint-Empire. Il avait
aoubait^ la fondation d'un haut et orgueilleux édifice où
chacun aurait sa place, souhaité des princes qui laisse-
raient chacun parler librement. Ces vers annonçaient
ceux de 1870 et de 1871, où la rhétorique de Geibel se
déploie dans toute sa puissance, et en une sorte d*hymne
qu'il composa, Le 3 septembre 1810^ il chanta la joie des
Allemands et leur reconnaissance envers Dieu, les
cloches sonnant de clocher en clocher pour magnifier le
Seigneur, le dragon précipité dans Tabime, Paris trem*
blant, l'ennemi héréditaire rendant sa proie. Geibel était
optimiste; il oublie les blessures de la vie pour ne se
souvenir que de ses joies^ et, selon lui, une heure de
délices balance une année de douleurs. Une pensée reli-
gieuse anime fréquemment sa poésie. Il assure que c'est
Dieu qui vainquit à Sedan et il prie celui devant qui se
taisent les orages, d'arracher son cœur à la tempête des
désirs. Dans la forêt où règne le silence de l'église, il
sent un souffle.de piété courir par tous ses sens. Il songe,
s'il voit un oiseau émigrer vers le sud, que l'âme, elle
aussi, a des ailes, et quand la terre reverdit après l'hiver,
que l'homme après la mort jouira d'un printemps
éternel. Geibel eut d'ailleurs des disciples, Gerok,
Rittershaus, Sturm, Traeger qui firent de jolis vers et
qu'on a nommé les poètes de la famille.
Paul Heyse (né à Berlin en 1830) a composé des vers
pleins de grâce et d'éclat. Les personnages de ses drames
n'ont pas le « sang théâtral ». Ses romans, habilement
filés, semés de traits spirituels et de charmants détails.
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394 LITTéRÀTURB ALLEMANDE
renferment des contradictions et des invraisemblances.
Mais il a fait des nouvelles — plus de cent — dont
quelques-unes sont exquises. Il est le maître du genre.
Il varie ses sujets, chacun d*eux offre une situation atta-
chante qu'il met en relief, et, dans une langue légère»
limpide, attrayante, il analyse avec une finesse merveil-
leuse les sentiments de ses héros. Peut-être parlent-ils
trop comme parle Heyse, et non comme ils devraient
parler selon leur humeur et leur état. Au cours de la
narration l'écrivain abuse des réflexions, des raisonne-
ments philosophiques. On sent qu'il veut résoudre lin
problème psychologique, révéler un côté inédit de la
nature humaine. Il se plait à rendre possibles les choses
impossibles et le dénouement de sa fable ne résulte pas
toujours du jeu des caractères. Mais il souffle la vie aux
êtres qu'il tire de son imagination; il est le peintre de
l'amour, et il proclame l'empire de la femme. F. U. R. I. A.
Femina unhersi regina in œternum; ainsi s'intitule une
de ses nouvelles.
Le comte Adolphe-Frédéric de Schack (1815-1894),
moins poète qu'homme du monde, est plus connu par
ses traductions et ses travaux sur l'Espagne que par ses
propres vers où il imite Byron et Platen. S'il avait de la
couleur, de l'élévation, de l'harmonie, des rimes rares^
il manquait de force. Dans ses Nuits d'Orient où il y a de
profonds aperçus, d'éclatantes descriptions et d'atta-
chants épisodes, dans ses romances où il y a de l'humour
et une fine satire, la langue, si noble soit-elle, s'allanguit
et se tratne.
Jules Grosse (1828-1902) avait une puissante imagi-
nation, et si ses drames sont froids, si ses romans sont
longs, ses poésies ont parfois la douceur du lied popu-
laire, et sa Godilla qui rappelle les meilleures ballades de
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hB XIX* 8IBCLB 395
Schiller, sa Jeune fille de Capri ont obtenu l'estime des
délicats. Son épopée, le Chant de Volkram^ en douze
livres, retrace les aventures d'un personnage qui parti-
cipe de 1848 à 4871 aux plus mémorables événements
de Thistoire; Tœuvre a de la grandeur, mais trop
d'étendue, et la langue, bien que souple et variée, admet
trop de mots étrangers.
Hermann Lingg (1820-1905) a par instants de la gau-
cherie, mais souvent une vigoureuse brièveté, et il sait
en quelques traits nets et fermes évoquer les souvenirs
du passé, Salamine, le vieux chemin des Romains, la
Yehme, la Peste Noire. Son poème en octaves sur Vlnva'
êion des barbares^ long, décousu, monotone, présente, a
c6té de beaux épisodes pleins de force et d'élan, des
passages d'une grande sécheresse et il a eu tort de
choisir des peuples, et non des hommes, pour héros.
Martin Greif (né à Spire en 1839) n'a pas l'heureuse
concision de Lingg et les images entraînantes de Grosse.
Il manque d'énergie, de chaleur. Et pourtant, c'est un
lyrique original : il chante la nature et l'amour d'une
façon simple et naïve, avec finesse, avec tendresse; s'il
est fréquemment trivial ou affecté, il attrape de temps
en temps le ton populaire, et sa poésie a quelque chose
de sain et de pur et de doux qui ravit et rafraîchit l'âme.
Henri Leuthold^ qui mourut fou (1827-1879), est autant
l'élève des Français que de Geibel, et dans ses deux épo-
pées, dans Hannibal où il s'inspire de la Salammbô de
Flaubert, dans Penthésilée, surtout dans ses poésies
lyriques il a trouvé de belle rimes et un rythme harmo-
nieux : ses odes ont de la puissance, et ses sonnets une
ferme parfaite.
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896 LITTÉRATURE ALLBMANDB
Écrivains de tous pays.
On groupera sous ce titre les écrivains cfui D*onl pas
trouvé place dans les cadres précédents, Annette de
Droste-Hûlshoff, Mosen, Guillaume Moller, Siounock,
Jordan, Richard Wagner, Scheffel, Freytag, et, en les
classant selon les genres, les dramatistes et les roman-
ciers qui s'étaient produits avant 1870.
Après deux récits dont la scène est au Saint-Bernard
et dans les monts de Bohème, Annette de Droste-Hûls-
ho£P (1798-1848) traita un sujet de l'histoire du pays
de Munster, son pays natal, et prit pour héros Christian
de Brunswick : de là cette Bataille du Lœner Bruch qui
compte plus de deux mille vers et offre de beaux
passages pleins de vigueur et d'une frappante vérité : le
duc et son camp, Tilly et ses lieutenants, les fureurs des
partis, le contraste entre de nobles amours et les excès
d'une sauvage soldatesque. Annette a trop aimé les
contes de revenants. Il faut blâmer ce que son expression
a trop souvent de dur, même de défectueux et de
languissant. Mais elle sait décrire le mystère des landes
de Westphalie, les vapeurs légères qui flottent sur la
bruyère comme des fantômes, la nappe des étangs et
leurs plantes ramifiées à l'infini. Elle est originale, elle a
de l'invention et de l'élan, beaucoup de sentiment et de
grâce, beaucoup de passion et de pensée profonde.
Il y a de l'harmonie et de. brillants détails, mais de la
monotonie et de l'obscurité dans les deux poèmes de
Jules Mosen (1803-1867), le Chevalier Wahn et Ahœver.
Il y a de la force et de la flamme dans ses drames histo-
riques. Ses vers lyriques lui valurent le surnom d'Uhland
de la Saxe. On y trouve sincérité, chaleur et tendresse.
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LB XIX* SIBCLI 397
Il aime la nature et il chante l'étroit sentier qui serpente
à traycrs les blés, le lac et son rêve bleu, la nymphe des
bois dont le pâtre défaillant admire la beauté puissante
et. la Toix merveilleuse. Ses ballades ont quelque chose
de simple et d'émouvant : André Hofer qui tombe à
Maataioe sur le rempart en disant adiea au Tyrol ; le
trompette de la Katzbach qui ne vent mourir qu'après
avoir sonné la vietoire ; le tambour saxon qui, la nuit, à
Namur, revient pleurer sur la patrie déchirée; les dix
derniers de ce 4* régiment qui ne combattait qu'à la
boïonnette et qui no put sauver la Pologne.
Les Chants des Grecs de Guillaume Mûller (1794*1827)
le disputent par l'enthousiasme, par l'ardeur superbe de
l'accent à la poésie de 1813. Tantôt il célèbre Byron ou
exhorte les Grecs à lutter jusqu'à leur dernier souffle et
à compter sur eux seuls, non sur l'étranger; tantôt il
représente un vieillard qui regrette de ne pouvoir com-
battre ou de n'avoir pas un fils qui combatte à sa place;
tantdt il met en scène une Maïnotte qui envoie ses sept
fils à la guerre sainte et menace d'accueillir à coups de
pierres le lâche qui reviendra vaincu et sans blessure. Les
lieds de Mûller valent ses Chants des Grées» Avec quelle
sorte d'ivresse il annonce la fuite de l'hiver, le chant du
rossignol qui sonne la charge, le retour du printemps
entrant par les fenêtres et dans les cœurs! Il n'est pas
toujours vrai, par exemple lorsqu'il se fait postillon,
pâtre ou meunier. Mais il a de là chaleur et le ton vif,
le jet hardi du chant populaire. 11 mourut trop tôt, à
trentei-deux ans.
Charles Simrock (1802-1876) a mis en allemand
moderne les poèmes du moyen âge et c*est surtout par
ses traduetiona que l'Allemagne a connu les anciennes
épopées; hû-iiitaia était poète, il «hante les légendes du
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3»8 LITTÉBATURB ALLBMANDB
Rhin y et de quelle façon vive, originale il décrit en cinq
strophes, dans la pièce An den Rhein^ Tattrait que le
Rhin exerce sur les cœurs et le charme de ce beau fleuve
qui fascine les étrangers et les fixe a jamais sur ses
rives !
Guillaume Jordan (1819-1904) eut un succès aussi grand
quUmmérité. Il crut éclipser le Fauêti^vt le Délniarge^p^
n'est qu*un poème didactique très ennuyeux et long. Il
crut éclipser les Nibelungen par le poème allitéré des
Nibelungé : c'était remplacer un géant par un mar-
mouset; Jordan prête aux vieux héros d'emphatiques
tirades sur la philosophie et la science t
Plus que Jordan et autant que Simroeky Richard
Wagner (1813-1883) fit revivre les légendes du passé
germanique. Quand ses livrets ne seraient que de la prose
habilement rimée» cet homme génial sut unir la parole
et la musique, et ses œuvres sont vraiment belles parce
qu'elles sont à la fois allemandes et humaines.
Réaliste, épris du passé germanique comme des sapins
de son pays badois, Joseph de Scheffel (1826*1886) a je
ne sais quoi de plus énergique et de plus frais, de plus
vert que la plupart des poètes de son temps. Il narre dans
le Trompette de Sdckingen (1854) l'histoire impossible
d'un trompette a qui son génie musical vaut la main
d'une noble demoiselle, et son style est aisé, rapide,
relevé d'une pointe d'archaïsme; s'il imite en vers
négligés et souvent rudes le mètre et la manière à^Atim^
Troll, il a de l'humour.; il conte les choses d'nne faço»
aimable et désinvolte ; il saupoudre soa récit de saillies
plaisantes ; il introduit dans son poème un chat philoso-
phe, le matou Hiddigeigei, qui du haut de sa gouttière
disserte sur ce monde avec une comique sagesse; il mêle
aux pures amours de Werner et de Marguerite dépiquants
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LE XIX* 8IBGLB 399
tableaux de mœars et de pittoresques descriptions de la
Forêt Noire ; ne disait-il pas que son Trompette était un
enfant du Schwarzwald? Le roman historique d'Ekkehard
(1857) respire le même sentijnent de la nature et repré*
sente habilement, exactement un monde encore à demi
barbare. Mais après Ekkehard et le Trompette^ Scheffel
décline. Dame Aventure (1863), où il parcourt avec les
minnesinger les sites de rAUemagne, n'a plus cette grâce
moqueuse, cette verve joviale. Pourtant, Scheffel a été et
il est encore le favori de la jeunesse allemande : par
d'ironiques évocations du temps jadis, par de grotesques
parodies, par un divertissant appareil d'érudition, les
chansons qui composent le Gaudeamus (1868) sont bien
laites pour exciter un gros rire retentissant et une gaité
colossale.
Gustave Freytag (1816-1895) réussit à la fois dans le
théâtre et le roman. Si sa tragédie des Fabieng est d'un
élève de Schiller, si ses premières comédies qui trahis-
sent l'influence de Scribe et de la Jeune Allemagne, n'ont
qu'un mérite scénique, sa pièce des Journalistes (1852)
a de la gaité, de l'humour, et la fraîcheur de la jeu-
nesse; la raillerie est fine, douce; les personnages
vivent, et le principal, Bolz, nous séduit comme il séduit
Adélaïde, par sa verve moqueuse et sa grâce cavalière.
Les romans de Freytag, Doit et Avoir (1855) et le Manu*
scrit perdu (1864) montrèrent aux Allemands ce que la vie
de tous les jours recèle de poésie. Doit et Avoir est un
ouvrage bien composé, plein de contrastes, quoicpie un
peu long. Mais les commis et commerçants que l'auteur
nous montre font-ils la force du peuple allemand?
Freytag a, sans le vouloir, poétisé la noblesse plutôt que
la bourgeoisie : Franz de Fink, hardi, aventureux, spi-
rituel, et la vive» la sémillante Léonore de Rothsattel
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400 LITTÉRATORB ALLBMÀNDB
inspirent plus d'intérêt que la sage Sabine et le bon
Antoine; le héros, c'est Fink; il reste sur son domaine
qui pour lut est l'Amériqne et il y fonde une race de
colons et de conquérants. Le Manuscrit perdu est le
roman du professeur comme Doit et Aifoir est le roman
du marchand : toutefois les figures n'ont plas autant de
relief; l'esprit, autant de naturel; la langrae, autant da
simplicité. Les Tableaux du posée aUemand (185d*ld67)
honorent le goût et le sens historique de Freytag : il a
su, dans ces cinq yolumes, choisir et présenter les docu*
ments, dérouler de frappantes images de chaque siècle.
Il entreprit de raconter dans les AUus (1872-1^1) les
destins d'une famille allemande à travers les âges ; mais
trop souvent Thistoire l'emporte sur le roman; la lassi**
tude est venue ; le cycle, commencé par des œuvres fortes
et colorées, se termine par des récits froids, pâles,
dépourvus de grandeur. Silésien et, comme il dit, enfant
de la frontière. Allemand jusqu'à la moelle des os, Freytag
eut toujours la passion de la patrie ; il représente dans
ce qu'elle avait de sain et de robuste cette bourgeoisie
qu'il a glorifiée et qui créa l'Empire.
Deux dramatistes, deux réalistes, Hebbel et Ludwig,
n'eurent pas la même prise qne Freytag sur leur géné-
ration. Mais ils ont gagné depuis. Ils poursuivaient avec
une âpre ferveur la vérité, et leur réalisme fut, selon
leur expression, un réalisme poétique.
Frédéric Hebbel (1813->1863)'a fait des poésies lyriques
où il y a de l'élévation, de la profondeur et même
une tendresse d'accent. Ses épigrammes, Tives et per»
çantes, rappellent souvent les Xéniee. Son idylle en hexa*>
mètres, La mère et Venfant^ ne serait pas indigne
d'un Gœthe ou d'un Morike. Ses comédies sont de très
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LB XISL"^ 81E0LB 401
mince valeur. Ses tragédies le mettent hors de pair.
A rrai dire, peu de drames sont aussi subtils et
aussi bizarres que Judith (1840). Béthulie assiégée offre
un apectacle horrible. Holopherne est le plus ridicule
des capitans et le plus insensé des bravaches. Quant à
Judith, veuve et, a son grand déplaisir, vierge encore,
elle aime et hait Holopherne; elle se laisse éblouir par
ses fanfaronnades et ses airs de matamore; puis, confuse,
humiliée de l'outrage, irritée que ce soudard dorme
tranquille et souriant comme si de rien n'était , elle lui
coupe la tète et, lorsqu'elle rentre à Béthulie, elle obtient
des anciens de la ville qu'ils la tueront si Holopherne Ta
rendue mère ! Mais Hebbel a peint avec vigueur le peuple
juif, ce peuple lâche et fanatique, redoutant le Dieu dans
lequel il a foi et soupçonnant les prophètes qu'il exalte.
Genepîèpe (1843) est une tragédie en vers bien tournés;
mais il n'y a pas d'action, et que de longueurs et de
complications, que d'horreurs, que d'apparitions, que de
personnages impossibles ou dénués de vie et d'intérêt :
Geneviève passive, froide, résignée; Siegfried crédule
et faible; des domestiques bassement coquins; une vieille
sorcière scélérate; Golo finissant par haïr la comtesse
et se crevant les yeux pour se punir !
Il y a dans Hérode et Marianne (1849-1850) une belle
scène, celle des rois mages; mais l'œuvre est obscure,
les personnages s'expriment avec une mesure qui
contredit leur passion, et Hérode nous déconcerte par
un mélange singulier de franchise et de dissimulation,
de grandeur et de vilenie.
Agnès Bernauer, Gygès et Marie-Madeleine sont les
meilleures pièces de Hebbel. On trouve dans Agnès
Bernauer (1852) une langue simple et qui garde un
heureux coloris du xv* siècle, une allure rapide et nombre
UTT^KAWM ALLKMARBC. 26
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%0a UTTÉVATCRE ÀLLBMAKDE
de ftcëaes remarquables : Albert déclarant son amour à
a l'ange d'Âugsbourg d^ le vieux duc déshéritant son fils
mésallié, Agnès prisonnière et préférant la mort au
couvent, Albert accourant pour venger la victime et
relâchant le duo qui tombe entre ses mains. La raison
d'Etat finit par l'emporter : Albert s'humilie, s'ageiu>uille
devant son père. Est*ce possible? Il se soumet trop vite
et mieux valait qu'il périt au milieu de sa victoire et de
la joie des représailles.
Gygès et sa bague (1856) offre des scènes saisissantes,
des vers d'une belle et classique facture^ un sujet ori-
ginal. Candaule veut que Gygès, son intime ami,
contemple en secret Rhodope, la reine des femmes ; il la
possède comme la mer possède les perles et nul ne
connaît sa richesse ; il désire montrer son trésor. Mais la
chaste et fière Rhodope, jusqu'alors soustraite au regard
des hommes, sait que Gygès l'a vue. Elle se tient pour
souillée, profanée. Quoi! Candaule a cédé son droit
d'époux à un autre! Elle ordonne à Gygès de le tuer :
Gygès obéit, il tue Candaule, il reçoit la couronne de
Lydie, il mène Rhodope k l'autel, et, à cet instant, et
puisqu'elle est dès lors purifiée, elle se frappe d'un
poignard. On regrette que les personnages soient un peu
froids. Tous, même Candaule, ont de l'élévation; ils ne
parlent que d'honneur et de devoir; on leur voudrait
plus de chaleur et de sang.
Marie'^Madeleine n'a que trois actes. Mais c'est l'œuvre
la plus vigoureuse et la plus belle de Hebbel, et une des
œuvres maîtresses du théâtre allemand. Un artisan sur
lequel le malheur frappe à coups pressés, le fils faus-
sement accusé de vol, la mère mourant lorsqu'elle voit
entrer les agents de la police dans son logis, la fille
abandonnée par un séducteur et recourant au suicide,
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LB XIX*' SIBCLB <.<iS
tels sont les personnages, et tous, jnsqn^aux sbires, sont
vivants. Léonard est égoïste et naïf dans l'expression de
son cruel égoisme. Clara, faible et vaillante à la fois, eèdè
à Léonard, puis lui avoue qu'elle ne Taime pas, tout en
lui promettant d'être son esclave et sa chose, si elle devient
sa femme. Maître Antoine, loyal, rude, intraitable, trop
fier de son honnêteté^ détermine la catastrophe par son
cn^ueil et sa vertueuse raideur. Il s'est moqué des sergents
et à leur tour les sergents ne le ménagent pas. Il a tenu
son fils de court, et son fils part pour l'Amérique. Il a
juré qu'il se couperait la gorge si jamais on montrait sa
fille au doigt, et Clara, qui se rappelle ce mot, se jette
dans un puits. Ce drame sombre et noir oci ne luit pas
un rayon d'espoir, parut en 1844. Il inaugure le drame
social et on louera toujours le ferme dessin des carae*
tères, la marche rapide et logique de l'action, la langue
qui chez Hebbel ne fut jamais plus serrée et plus forte,
l'art qu'il déploie d'un bout à l'autre de la pièce. Quelle
figure que celle de ce maître Antoine qui « ne pense
qu'aux pharisiens qui secouent la tète et haussent les
épaules, qu'aux langues de serpent qui sifflent derrière
lui ! »
Les Nibelungen (1861) se composent d'un prologue, le
Siegfried cornéy et de deux tragédies en cinq actes, la Mort
de Siegfried et la Vengeance de Kriemkild. Hebbel y met
en relief deux personnages, Dietrich de Bern, le plus fort
des hommes, qui, après Etzel, « traîne le monde sur sou
dos », et Hagen au teint pâle, aux yeux de loup, au sourire
diabolique. Il fait de Brftnhild une Walkyrie éternelle-
ment'jeune qui doit^ si les hommes ne triomphent pas
d'elle, ignorer la mort, et qui serait la dernière des
géautes comme Siegfried est le dernier des géants : de
là, le charme que Siegfried exerce sur elle et^ le crime<
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4(A LITTéft^TQRB ALLBMAlfOI
accompli, la douleur qu'elle éprouve, jetant une coupe de
Tin à la face de Gunther, gardant un sinistre silence
et, lorsque Kriemhild est partie pour le pays des Huns,
demeurant près de la tombe du mort. L'œuvre manque
d^unité; elle n'est, principalement dans la troisième
partie, qu'une suite de morceaux de bravoure; mais si
Hebbel n'a pu maîtriser les difficultés du sujet, il a forte-
ment marqué le contraste entre Siegfried et Hagen, et
le caractère de sa Kriemhild, analysé avec minutie, est
un des plus beaux caractères qu'il ait créés.
Ce qui gâte les pièces de Hebbel, c'est l'idée qu'il pré-
tend y mettre. Il veut k tout prix que ses personnages
représentent une idée. C'est ainsi, selon lui, que Judith
et Holopherne personnifient le judaïsme et le paganisme
ou les deux termes du dualisme qui partage rhumanité.
Mais il a fait deux œuvres immortelles, Gifgès et Marie-
Madeleine,
Otto Ludwig (1813-1865), l'auteur du Forestier et des
Macchabées f a critiqué très sévèrement Hebbel. Toutefois
il vint après Hebbel, et il profita de lui : maître Antoine
a servi de modèle au Forestier et les AMacchabées dérivent
de Judith. S'il a plus d'abondance, plus de chaleur et
de verve, il n'a pas le même art de composer, la même
force, la même profondeur. Il n'eut pas le même vouloir
énergique : il n'a cessé de retoucher et de refondre ses
pièces, de raffiner, de creuser, et, enfin, il s'est attaché
désespérément k Shakespeare. Ses Etudes sur le tra-
gique anglais contiennent des vues perçantes et des
aperçus féconds ; mais les Journaux de Hebbel sont une
mine d'observations et de jugements sur toutes choses.
Il y a dans le Forestier héréditaire (1850) nombre
d'invraisemblances. Que le riche M. Stein consente k
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LB XtX* 8IBCLB «OS
Tunion de son fils Robertavec Marie, fille de son forestier
Ulrich, soit. Qa*Ulrich offense M. Stein et reçoive son
congé; que le mariage se rompe; que le forestier se
refase à partir et se croie mattre du Ddsterwald, soit«
Mais que de sang répandu ! Que de méprises singulières
qui font penser au drame fataliste ! N'est-il pas étrange
qu'André, le fils du forestier, s'endorme dans l'auberge
où se trouve le braconnier Lindenschmied ; que le bracon-
nier lui dérobe son arme; que ce même braconnier soit,
comme André, l'ennemi mortel du chasseur Gottfried, et
qu'après avoir tué Gottfried, il soit à son tour tué par
Robert Stein ; qu'André passe pour l'assassin de Gottfried
et Robert Stein pour celui d'André; que le forestier,
pensant frapper Robert Stein, atteigne sa propre fille?
Tout cela, parce que le braconnier a volé le fusil d'André
et parce que, lorsqu'il tombe sous la balle de Robert
Stein, un témoin voit la bretelle jaune de l'arme briller
dans le crépuscule! Mais le milieu est fidèlement rendu,
on croit durant tout ce drame entendre le bruissement
de la forêt, et les personnages, surtout le forestier
Ulrich, rude, obstiné, têtu, sont des personnages en
chair et en os.
La pièce des Macchabées j jouée en 1852, contient deux
actions : l'intérêt se porte d'abord sur Judas, puis sur sa
mère Lea. La haine deLea pour sa bru n'est pas motivée.
On ne conçoit pas que le frère de Judas, Bléazar, ce Flavius
de l'Arminius juif, se range du côté des Syriens pour
revenir au parti national et subir le martyre; que les
Juifs abandonnent, parce que c'est le jour du sabbat, ce
Judas qui les mena vingt fois h la victoire; que Judas,
ainsi délaissé, n'ait qu'à courir ii Jérusalem pour être
acclamé et qu'après avoir de nouveau triomphé, après
avoir appris le supplice de ses frères et la mort de sa
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400 LITTinATDRB ÀLLSMANDB
•mère désespérée, il renonce à la vengeance. De belles
scènes, il est vrai, comme la mort du vieux Matathias,
rhérotsme tranquille de Judas, les généreux emporte-
ments de Lea, le souffle de vaillance qui circule danc
tout le drame, compensent ces défautA*
Lodvirig était fait pour le roman plutôt que pour le
théâtre. Deux de ses récits, DeCharybie en Seylla et
jiurtout la Heiterethei (1855), sont très louables, et ce
dernier, bien qu'il renferme trop de personnages et d*ia-
cideats, est une idylle attachante : Ludwig y traee avec
amour, et sans omettre aucun trait, une fidèle image de
sa pairie thuringienne. Entre ciel et terre (1856) est sa
meilleure production. La encore, des épisodes inutiles*
Mais que de scènes émouvantes : Apollonius levant sa
lampe, et, sans le vouloir, éclairant son frère qui entaille la
eorde dans la grange et lui tend un piège mortel; Chris-
tiane se jetant avec un rire mêlé de larmes dans les bras
d^Âpollonius; les deux couvreurs se rencontrant sur
le toit de l'église et Fritz tombant dans le vide lorsqu'il
veut précipiter son rival! Une peinture délicate et parfois
subtile des caractères, l'allure calme et grave du récit,
une langue forte, nerveuse, entraînante rehaussent la
valeur de l'œuvre.
Après Hebbel et Ludwig et jusqu'après la grande
guerre, le théfttre offre peu de pièces notables : le iVor-
cUee de Brachvogel (1857) invraisemblable, mais plein
de morceaux à effet; les pièces de Gottschall qui ne
manque ni de goût ni d'esprit ; celles de Benedix et de
ses élèves^ Putlitz, Wichert et autres. La langue de
Benedix est simple ; il trouve des situations comi-
ques qui donnent au dialogue assez de piquant et de
vivacité; mais ses personnages n'ont pas de relief^ et
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LB Xï\^ SlèCLB 407
qui reeonnaîl des paysans dans les deux héros du P/*o»
ce»?
Le roman historique de ce temps-là subit IHnfluence
de Wâlter Scott. Il eut de nombreux représentants : ce
furent, outre Hauff, Spindler, auteur du Bâtard et do
Jiiif^ Willibald Alexis, Konig, Schûcking.
Les œuvres d'Alexis (1798-1871, de son vrai nom
Guillaume H&ring) abondent en digressions, en épisodes
inutiles, en réflexions superflues. Mais il raconte les
grands événements de l'histoire du Brandebourg et sème
ses récits de détails caractéristiques; il décrit la Marche,
la stérilité de son terroir, ses lacs, ses forêts de sapins, la
bruyère de ses clairières, la rudesse, l'orgueilleuse obsti-
nation, la froide et calme résolution de ses habitants.
Henri Konig (1790-1869) composa les Clubistes de
Mayenee ou il y a de la couleur, et le Carnaval du roi
Jérôme que gâtent des longueurs.
Levin Schûcking (1814->1883) fit revivre les aspects et
le passé de la Westphalie, son pays natal.
Le roman exotique fut cultivé par Sealsfield, Ger**
Stacker et MOgge.
On lit encore YAfraja de Mîigge (1854) et ses belles
descriptions de la Norvège, « la véritable patrie des
cascades ».
Frédéric Gerstâcker (1816-1872) excite l'attention et
la tient en éveil jusqu'au bout.
Sealsfield (1793-1864, de son vrai nom Charles Postl),
a plus de talent, plus de profondeur. Ses œuvres ne sont
pas fortement composées et sa langue est trop mêlée île
mots étrangers. Mais il retrace avec le sentiment le plus
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40S LITTBRATURB ALLEMANDE
vif et le plus vrai le$ scèoes et les. mœurs du Nouveau
Monde, Texistence des squatters et les types d'aventu-
riers de toute race qu'il a rencontrés. Il rend rimprea-
sion que font les rives du Mississipt, la Prairie et
rimmense ondoiement de ses herbes. Il peint T Améri-
cain, pratique et i|gnoraat, sensible et sec, simple et
ruséy raide et souple.
Le roman social fut représenté par Frédéric Spielhagen
(né en 1829). C'est un élève de Gotzkovir^ avec plua de
tempérament, et il a les défauts de la Jeune Allemagne.
L'action qu'il imagine est toujours compliquée et sur-
chargée de figurants. Il vise a l'effet; il fait une trop
grande part au hasard et tue trop aisément les person-
nages qui le gênent.; il donne à ses héros toutes les
qualités et, même s'ils sont démocrates, une distinction
aristocratique; il est homme de parti. Mais il écrit avec
vivacité, avec éclat, parfois avec humour; il sait peindre
le décor de ses romans^ Rûgen et les côtes de Pomérauie,
les montagnes de Thuringe, la grande ville, les courants
politiques et les orages populaires. Si certains des êtres
qu'il a créés sont, comme il l'avoue, trop bons et trop
nobles pour la vie, il marque les autres en traits vigou-
reux. On n'oublie pas, après avoir lu ses Natures proHé-
matiques^ l'aimable Oswald Stein^ qui tombe sur une
barricade, comme après avoir lu Dans les rangs^ ce Léo
qui ressemble à Lassalle et qui a la môme fin. Que de
scènes saisissantes dans Marteau et Enclume et que de
puissance en certains endroits de la Tourmente où Spiel*
hagen associe deux tempêtes, celle qui se déchaine sur
les bords de la Baltique et celle qui ruine soudainement
les agioteurs de Berlin ! Ses dernières couvres n'ont pas
autant de mérites : dans Qu^adriendra^t'ilP il assure
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LE XIX* srizGLB 409
qa'uae phase glariease de rhumanité va s'ouvrir; dans
le Nouveau Pharaon il oppose Tidéalisme de 1848 au
régime bîsmarckien qui n'engendre que des arrivistes et
des esielaves*
Dans le roman de mœurs se produisent Hackl&nder,
Storm, Raabe.
Uackiftnder (1816-1877) a décrit tons les mondes et
surtout le monde militaire ; il a de Hiumour, et parfois
de la grâce et une avenante mélancolie.
Théodore Storm (1817-1868) a dignement chanté dans
ses vers le Sehleswig-Holstein, sa terre natale.II peint d'un
doux pinceau les bruyères silencieuses, leurs basses mai-
sons mi-ruinées, ces solitudes où pas un son, pas un bruit
du dehors n'a encore pénétré, et les Iles qui, au loin, sur
les flots» apparaissent dans la brume comme des rêves,
etHusum, sa patrie, Husum,' la ville qui n'a ni forêt ni
oiseaux, la ville où passe dans la nuit d'automne l'oie
sauvage au cri dur, la ville que la mer entoure de son
bruissement monotone, la ville grise sur qui pèse le
brouillard, mais sur qui reposera toujours le charme
S4^uriant de la jeunesse. Il a fait des poésies patriotiques ; .
mais il dit lui-même que s'il sait emboucher la trom-
pette, il aime mieux se promener en rêvant au bord du
ruisseau lorsque fleurissent les primevères et lorsque
chantent les grives. La plupart de ses nouvelles ont la
grftce intime et un peu mystérieuse de ses poésies
lyriques. Dans les dernières il aifecte le genre sombre
et fantastique. Dans les autres il s'attache surtout à
montrer qu'on doit se résigner, que toute faute est châ-
tiée tAt ou tard, et, pour traiter ce motif de l'expiation
ou du renoncement, il sait varier les situations. Une
langue claire, ferme, très souple et très originale, une
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410 LITTBIlATOllà ÀLLEIIANOB
vive sensibiKté souvent assaisonnée d'nn grain d'homour,
l'amoar de la nature^ une tendre mélancolie, de la
finesse, de la profondeur, tels sont les mérites de Storm.
Guillaume Raabe (né en 1831) rappelle Jeatt^Paxd,
non le Jean -Paul qui voulait s*élever au-dessus des brouil-
lards de la vie, mais le Jean-Paul qui faisait son nid dans
le sillon d'un jardinet. Ses héros habitent entre l'Elbe et
le Weser des villettes éloignées ou des villages perdus,
et ce sont des originaux des deux sexes, Kéuze uni
Kàuzinnen^ petites gens, artisans, bontiqniers ou savants,
dont il retrace par le menu les joies et les d«Mileurs,
les ridicules et les singularités. Il sonde volontiers ces
obscures existences pour y trouver de touchantes misères
et de grands dévouements. C'est un ami du bon vieux
temps, et il chante la poésie des antiques bicoques et
des sombres ruelles comme celle des senties solitaires
de la forêt. Mais s'il dessine des personnages vivants et
réels, il tombe fréquemment dans la caricature et il a
tort de nous proposer pour modèles les êtres têtus, capri-
cieux, baroques qu'il nous présente. Son récit, enehe^
vêtré d'arabesques, a l'allure désordonnée. Son style est
souvent bizarre, tourmenté, embroussaillé, et la minutie
des descriptions nuit à l'effet de l'ensemble. Une des
figures les plus curieuses qu'il ait peintes, est celle de
son Pasteur qui a faim : un pauvre et honnête candidat
en théologie, après avoir longtemps souffert, finit par
satisfaire la faim de son âme dans un hameau de pêcheurs
où il vit avec celle qu'il aime. Raabe prêche ainsi la pitié,
et comme Gœthe, comme Storm, la résignation.
 la même époque se développe le roman villageois.
Il fut inauguré par un Suisse, Bitzius, dit Gotthelf (1797-
1854). Il a peint de vrais paysans frustes et rècbes. Par
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LB XIX* SIÂetl 411
malheur, il est long, traînant; il accompagne son récit
de commentaires et d'explications ; ses œuvres valent par
les détails, non par l'ensemble; encore décrit-il trop
flOQTeBt la réalité la pins basse et la plus crasse.
Berthold Auerbach éclipsa Bitzius (1812-1882). Les
Récits HUageois de la Forêt-Noire, qui parurent de 1843
b 1853, firent de lui Tauteur le plus populaire de l'Allé-
magne. Le public, fatigué des romans qui ne lui présen-
taient que des aristocrates blasés et des artistes présomp-
tneox, accueillit avec enthousiasme ces tableaux de genre.
On a nemmé Ânerbach un Tyrolien de salon. Mais il a de
la bonhomie, de la nafveté; il a franchise et fraîcheur; il
a dans sa langue, où il insère discrètement et avec grâce
des mota et tournures du dialecte souabe, beaucoup
d'agrément et de vivacité. S'il n'est pas vraiment paysan-
nesque, s'il fait faire a ses héros un peu de toilette, s'il
ne veut pas que leurs habits et leurs bottes portent des
traces de fumier, s'il leur prête trop de tendresse et de
sensibilité, il les a peints tels qu'ils sont, honnêtes,
laborieux et économes, durs, orgueilleux^ entêtés et que-
relleurs. La perle de ces contes rustiques est Madame la
Profeseeur. Une villageoise épouse un peintre; mais cette
naïve enfant ie la nature ne peut s'acclimater dans la
grande ville et se plier aux usages du monde : c'est
l'alouette qui chante lorsqu'elle est libre et qui dans la
cage se tait et s'attriste; elle regagne son village et rentre
dans son élément. Les NouçeUes Histoires villageoises et
les romans d'Auerbach sont inférieurs aux Histoires
villageoises. Il y a dans les Nouvelles Histoires villageoises
trop de sentimentalité, trop de réflexions et de sentences,
et dans les romans -— bien que le dialogue soit spirituel
et le style, pur et soigné — trop peu d'éclat et de cou-
leur, trop peu de cohésion, et, en revanche, trop de
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41S LITTÉRATURB ALLBMÀlfOB
morale et de philosophie, trop de personnages, et qui
sont dépourvus de relief.
Les dialectes avaient eu déjà leurs poètes, l^oss avait
composé des idylles en son patois de Mecklenbourg,
et Hebel, l'auteur des Poésies alemanniqaes (1803),
employait le dialecte de TOberland badois et da Send-
gau. Ce qui plaît dans Hebel, c'est qu'il anine et person-
nifie tout; c'est qu'il empaysanne la nature. Il montre le
Samedi qui, fatigué, recru, tombe au sein de la nuit et le
Dimanche qui frappe aux volets du Soleil et traverse le
village sans faire de bruit pour ne réveiller personne.
Il peint la rivière de son pays natal, la Wiese, qui sort
pieds nus de sa chambrette de cristal et gagne alerte-
ment la plaine, franchit les digues, lance des cailloux
par les prés, emporte des brassées d'herbe fauchée, pour
se jeter enfin dans les bras du Rhin. Son Ecrin, en haut-
allemand (1811), contient des leçons scientifiques et des
historiettes parues auparavant dans l'almanach VAmi de
la maison : le récit est habilement filé ; l'auteur ne dit
rien d'inutile, il sait graduer les effets, concentrer
l'intérêt sur le trait final et il prête aux paysans quil
met en scène une humeur franche et joviale, la gatté de
leur pays vignoble et parfois une niaiserie très ama-
saute.
Hebel devint classique, même dans le reste de l'Alle*
magne. On l'imita. Le Zurichois Usteri écrivit en son
dialecte un poème du VicaU'ei le Strasbourgeois Arnold,
une comédie, le Lundi de Pentecôte, d'un accent si savou-
reux encore et si narquois ; le Silésien Holtei, ses Poé^
sies silésiennes^ mais Holtei est plus connu par les refrains
de ses vaudevilles et par ses romans.
Reuter et Groth firent pour la Basse-Allemagne ce
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LB XIX* MBCLB 413
que Ilebel avait fait pour l'Oberland badoia ; ils emploient
leur dialecte, le plat allemand.
Trois ouvrages en prose ont fondé la renommée de
Fritz Reuter : Au temps des Français (1860) ; Mon temps
de forteresse (1862) ; Mon temps de formier (1863-1864).
Il ignore Fart de composer ; mais il a de Thumour, une
fraacke galté, une malicieuse bonhomie, un style pitto«
resque, et il a créé l'inspecteur Brfisig qui de sa vie n'a
eu ni honte ni peur ; il voyait de ses yeux ses person-
nages, et si nettement qu'il pouvait, assurait-il, les
saisir.
Si Reuter est romancier, Klaus Groth est poète. Hebel
disait de lui qu'il était, après la mort d'Uhland, monté
sur le trône lyrique, et il est en effet pour les Allemands
du Nord ce qu'Uhland et Môrike sont pour les Souabes.
Ses Rieiis, au nombre de neuf (1855-1859), ont toujours
l'accent du terroir. Mais sa première œuvre, Quickborn
ou Source çiçe (1852), malgré quelques emprunts à
Burns, à Uhland et au chant populaire, est supérieure
aux Récits; elle contient des petits poèmes lyriques, des
ballades, des idylles^ des scènes humoristiques, des
poésies enfantines, et tout cela^ écrit sur un ton simple
et aisé, fait revivre la Basse*Saxe, ses forêts et ses
bruyères, ses marais^ ses rivages et l'âme de son peuple.
De 1870 à 1885.
On a souvent dit que la guerre de 1870 n'eut pas sur la
littérature une influence bienfaisante. Nombre de gens
croyaient que l'âge d'or allait naitre pour elle, et l'âge
d'or ne parut pas. Bismarck personnifiait alors le génie
national, et s'il fut un orateur vigoureux, puissant,
fécond en images pittoresques et en comparaisons origina-
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4kl4 LITTBRATUftB ALLBKANDB
le» y Bismarck ne s'est pas soucié des lettres allemandes.
Mais de 1870 à 1885 où éclata un nouveau Sturm uni
Drang^ la décadence était^Ue si profonde?
Certes, ce n'étaient pas de grands poètes que Grise-
bach qui, dans son Nou^au Tanhduser et dans son 7*a/t-
hduser à Romey imitait Byron et Heine ; que Jules Wolf
qui mettait en rimes les vieilles légendes et dissimulait,
selon le mot de Heyse, sous le masque du temps jadis sa
moderne nullité; que Baumbach qui jetait à pleines poi-
gnées ses chansons et chansonnettes d'étudiant. Pour-
tant, Grisebach écrit avec esprit, et Wolf, ainsi que
Baumbach, ont parfois attrapé le ton du chant populaire.
Geibel, Heyse, Greif, les Munichois versifiaient encore;
avec eux versifiaient Scheffel, Storm, Fontane, Wilden-
bruch, Wilbrandt, les deux Suisses Keller et Meyer, et
d'autres poètes de cette époque comme Dranmor et
Frédéric Vischer, n'étaient pas méprisables.
Dranmor ou Ferdinand de Schmid (1823-1888) n'a rien
de léger ni de gracieux; mais il souffre et il s'efforce, en
vers d'une vigoureuse simplicité, de cacher sa souffrance;
la poésie était, suivant lui, une douleur profonde douce-
ment exprimée.
Frédéric Vischer (1807-1887), humoriste amer, esprit
pénétrant, morose, bizarre, a fait une ingénieuse parodie
du second Faust ^ un singulier et spirituel roman, Encore
fi/i, des études critiques d'un ton très personnel, et des
vers, Lyrische Gdnge, où se répandent sur tous les modes
et d'une façon vive, piquante, âpre par instants et bru-
tale ses idées sur les hommes et les choses.
Certes, il y eut à foison, durant cette période de 1870
à 1885, de médiocres romans, et l'égyptologne Bbers,
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bien que lourd et diffus, eut la faveur du public parce
qu'il était sentimental et instructif tout ensemble; il
éclipsa Georges Taylor, Ernest Eckstein et Félix Dahn.
Les livres de Stinde, La famille Buchholz et Lea Buch-
holz en Italie^ obtinrent un prodigieux succès, et, a vrai
dire» la figure de M"*" Wilhelmine est amusante de vérité.
Mais Freytagy Heyse, Storm, Raabe, Spielhagen, Auor-
bacb étaient encore sur la brèche, et la littérature alle-
mande pouvait à bon droit se glorifier de ses romanciers,
puisqu'elle avait, outre ces glorieux vétérans, Franzos,
Frenzel, Hopfen, Hans Hoffmann, Rodolphe Lindau,
Richard Voss, Fontane, les Suisses Keller et Meyer, le
Styrien Rosegger> et deux femmes, Louise de François
et M"'' d'Ebner*Eschenbach.
Le Gallicien Charles-Emile Franzos (1848*1904) a
trop souvent raconté des épisodes de la vie des Juifs
dans la demi-Asie; mais nul n'a mieux rendu la poésie
de ces contrées si proches de la frontière allemande et
si étrangères k la civilisation de l'Occident.
. Le Berlinois Charles Frenzel (né en 1827) a fait des
romans un peu longs; mais il y a dans les premiers,
Watleau^ Ganganelli^ Sous Vdge d'or^ La Pucelle, de
frappantes esquisses de la société du xviii* siècle, et Dame
Vénus ainsi qu'Après le premier amour sont des tableaux
de mœurs où l'auteur décrit passions et caractères avec
finesse et en un style gracieux, spirituel, étincelant.
Hans Hopfen (1835-1004) publia des Poésies où l'on
remarqua la ballade de la Bataille de Sendlingen et des
vers émouvants sur la mort de sa femme. Ses romans
sont nombreux, et plusieurs, les premiers en date, méri-
tèrent le succès par l'accent aisé et cavalier de la narra-
tion; mais Hopfen n'a pas marqué ses figures en traits
saillants, et la plupart ne vivent pas.
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416 L1TTBIIA.T1IIIB ALLBMANOB
Le Stettinois Hans HoSmann (né en 1848) a de grandes
qualités ; Texactitude de Tobservation» le choix des détails
caractéristiques, une sensibilité délicate, mêlée à de
l'humour, une langue précise et pure, et, qu'il place la
scène sur les bords de la Baltique dans une petite ville
de Poméranie, ou dans le Harz, ou sous le ciel bleu de
Corfou, ses simples histoires ont toujours quelque chose
de touchant et de saisissant.
Rodolphe Lindau (né en 1829) a couru le monde et
il conte ses aventures avec ce sceptique réalisme que
Gœthe recommande au voyageur; peu d'écrivains ont sa
forte sobriété.
Inquiet, ardent, hâtif, composant drame sur drame et
roman sur roman, traitant les sujets les plus divers avec
une fébrile vélocité, fabriquant des œuvres chaudes, vio-
lentes, destinées à secouer le lecteur et à lui donner le
frisson, et, malgré sa souplesse et sa vive intelligence,
et bien qu'il mette de l'esprit et de la poésie dans tout
ce qu'il fait, incapable de créer un caractère et quoi que
ce soit de durable, parce qu'il est a la merci d'une fou-
gueuse imagination, tel est Richard Voss (né en 1851).
Théodore Fontane (1819-1898) a célébré dans ses
ballades les héros de la Prusse, ceux que le peuple
appelle familièrement les vieux, DerfHinger, Dessan,
Frédéric, Schwerin, Zieten. Il a décrit avec une exacti-
tude pittoresque la Marche de Brandebourg, ses bois et
ses lacs, ses villages et ses châteaux, l'espèce d'hommes
qui l'habitent; il a joliment raconté ses traditions et ses
légendes : il a rendu tout ce qu'elle a d'original. Il
composa des romans historiques, et Açant Forage offre un
attachant tableau de la Prusse en 1812. Mais ses meilleurs
romans sont les derniers, ceux oii il reproduit les mœurs
et le ton de la société contemporaine. S'il s'abandonne
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^B XUL* SmChM 417
à des digressions» s'il prMe parfois à ses personnages
des piropos qui ne répondent pas a leur situation et à leur
caraetère, s'il fait trop d'allusions aux événements du
jour, s*il ne met pas dans ses œuvres assez d'ordre et
d'ensemble, il a su dessiner avec finesse des figrnres du
monde berlinois, Stine, Leneet son lieutenant, JennyTrei*
bel. Aisé, gracieux, spirituel^ piquant, ironique, aimant
et prodiguant l'anecdote, incomplet pourtant, négligé,
dépourvu de force et de profondeur, causeur plutôt que
romancier, voilà Fontane.
Deux Suisses, deux Zurichois, Keller et Meyer, ainsi
que le Styrien Rosegger, sont supérieurs au Prussien
Fontane.
Gottfried Keller (1819-1890) a été poète lyrique. Par
instants, son expression est lourde et maladroite ; mais il
a de la couleur, de la force, du mouvement, et, en vers
nets et drus, il a célébré la Suisse, le Rhin à «c l'haleine
lente et fière », la joie de vivre et la vaillance de l'homme
qui sait accepter l'idée de la mort. Son chant il ma pairie
est le chant national des cantons allemands.
Son premier roman, Henri le Vert (1854), retrace sa
propre jeunesse, l'éveil de son intelligence et de ses
mauvais instincts, ses amours, ses déboires, ses études
décousues. Il est touffu et désordonné; il foisonne de
digressions, de scènes inutiles, de dissertations impré-
vues. Toutefois il offre des passages d'une admirable
poésie, des analyses de la plus grande finesse et de la
pénétration la plus aiguë, et une émotion mélancolique
parcourt le récit d'un bout à l'autre.
Les nouvelles de Keller (1856 et 1874) sont sa princi-
pale œuvre. Il y en a dix dans les Gens de Seldwyla.
Elles présentent une action capricieusement enchaînée^
LlTTi«ATDRI ALLBMAKDI. 2/
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418 LITTÉRATURB ALLEMANDE
des développements outrés, des réflexions inopportunes.
Mais que d'humour et quelle intensité de vie I La plus
touchante, Roméo et Juliette au pillage,^ valut à Tauteur
le titre de a Shakespeare de la nouvelle » ; elle mêle à un
réalisme poignant une poésie naïve et Tattrait du fantas-
tique. Si variées qu'elles soient, ces nouvelles ont leur
unité, et ce qui fait cette unité, c'est la gent seldwyloise,
paresseuse, médisante et niaise, c'est la petite ville de
Seldwyla avec ses préjugés et ses idées mesquines, cette
Seldwyla que les héros de Keller se hâtent de quitter dès
qu'ils sont assagis.
Les Sept Légendes (1872) sont des légendes chré-
tiennes que Keller a revêtues d'un coloris profane et
comme laïcisées. Les personnages ne sont plus des
saints; ils aiment et désirent le monde; ils n'étouffent
pas la flamme qui brûle dans leur cœur; ils font leur
devoir d'hommes et la Vierge les patronne. Le ton est
légèrement ironique, mais il n'a rien d'irrévérencieux,
de sarcastique, et Keller a jeté dans ces contes de char-
mants détails.
Dans les Nous^elies zurichoises (1878) -— dont les
meilleures sont le Bailli de Greifonsee et Ursule — il
évoque les épisodes les plus saillants du passé de sa ville
natale. Mais Thistoire n'est là qu'un décor et, comme
dans les Gens de Seldwylay il glorifie le bonheur d'une
existence simple et modeste, active et probe. N'avait-îl
pas accepté la place de secrétaire cantonal et ne fut-il
pas un excellent fonctionnaire qui donna deux cent mille
signatures et rédigea deux cents volumes d'actes offi-
ciels?
VEpigramme (1882) se compose également de nou-
velles. Elles traitent cette piquante matière :que l'époux
doit éduquer et ennoblir, doit comme séduire et recon-
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LE XIX* SliCLB 4tO
quérir la femme qui lui est inférieure par la caste et la
fortune, parce qu'elle ne Ta pas choisi librement.
La dernière œuvre de Keller, Martin Salander (1886),
respire la mauvaise humeur et le pessimisme : il voyait
sa chère Zurich emportée par un esprit de vertige,
dévorée par la fièvre de la spéculation, et il désespérait
de la démocratie.
Il avait quitté le pinceau pour la plume, et son grand
mérite, c'est la faculté qu'il a de faire jaillir du sujet le
plus ingrat une source de poésie, c*est son style aisé,
ample, coloré, pittoresque, plein d'images saisissantes et
de locutions savoureuses ; il choisit et place et entoure si
bien ses expressions que, fussent*elies les plus ordi-
naires du monde, elles prennent un air de nouveauté.
Conrad-Ferdinand Meyer (1825-1898) a fait de beaux
vers. Il a chanté la Suisse et la « grande et silencieuse
clarté x> de ses glaciers. Tout lui est matière à poésie.
Serré, saisissant, il ne dit que ce qu'il faut, n'emploie
que très peu d^adjectifs, ne tire que du verbe la vigueur
de ses vers.
C'est ainsi que dans sa première œuvre. Les derniers
Jours de Hutten (1871), il retrace en distiques iambiques
la carrière de Hutten telle que le chevalier mourant se
la remémore à Ufenau, ses regrets, sa résignation, sa
certitude de vivre dans le souvenir des Allemands pour
avoir osé lutter contre Rome.
Il excelle dans la ballade historique. Quelle simplicité
tragique dans le Page de Conradinl Malade et resté en
arrière, le page demande à un valet si son maître trône
dans sar splendeur, et le valet répond que Conradin a
souffert doucement le coup de la mort et trône consolé
dans l'empire du ciel.
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420 LITTBRATURB ÀLLBMANDB
Mais, avant tout, Meyer est le maître de la nouvelle
historique en prose. II traite toujours un motif origin»!
et il donne à ses personnages une physionomie nette,
précise et qui ne s'oublie plus. Presque tous vivent à des
époques troublées et ils ont l'âme ardente, impétueuse,
passionnée : Georges Jenatsch qui sacrifie à la liberté de
la patrie et ses amis et son amante et l'honnear même;
Thomas Becket qui joint à sa souplesse féminine une
mâle ténacité et le roi Henri d'Angleterre qui ne sait se
maîtriser; le moine Astorre que l'amour fascine et
entraîne à la mort. Mejer connaît le cœur humain ; il
s'observait lui-même et il disait que dans tons les per-
sonnages de sa Tentation dePescaire il y avait du Meyer.
Il tient ses lecteurs en haleine et ils ne savent, lorsqu'ils
lisent PescairCy si le noble guerrier restera fidèle à
l'empereur ou s^il écoutera les conseils de Victoria
Colonna. Il ressuscite les mœurs du passé; il évoque
dans le Mariage du moine la figure de Dante et déroule
dans Angela Borgia de curieuses scènes de la Renais-
sance.
Souvent il lui arrive, non de parler en son nom, mais
de faire narrer les événements par un témoin. C'est ainsi
que Hans l'arbalétrier raconte au chanoine la querelle du
roi Henri et de Becket. Mais, de la sorte, Meyer atténue
l'horreur de certains épisodes; il met son opinion person-
nelle dans la bouche d'autrui, et le léger vernis d'anti-
quité qui couvre le récit semble plus naturel.
Meyer, enfin, attache un grand prix à la forme; il est
préoccupé du nombre et de l'harmonie du style ; il vise à
la concision, et ses nouvelles ont un puissant relief.
Pourtant, il n'a pas la sobre et nerveuse énergie de
Mérimée et de Maupassant. On sent trop qu'il a poli et
repoli son œuvre, qu'il lutte avec elle comme Jacob avec
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LB XIX* «IBCLB 4St
l'ange^ et les traces de l'effort sont visibles. Il aquelque-
fois de la recherche et il est, par instants, bref jusqu'il
l'excès. D'ailleurs, il doit beaucoup aux Français et sa
prose offre presque autant de gallicismes que d'helvé-
tismes. La connaissance de notre langue lui montra
combien l'allemand qu'il écrivait d'abord était gauche
et lourd. « Si vous voulez, écrivait-il à une jeune,
poétesse, que votre expression soit forte et précise,
traduisez-la en français, et voyez l'effet qu'elle produit. »
Pierre Rosegger (né en 1843) décrit les montagnes et
les bois de la Styrie, son pays natal, et ses descriptions
se distinguent par l'éclat du coloris et l'exactitude pitto«.
resque du trait. Il a, dans nombre d'esquisses, retracé soit
les impressions de son enfance, soit des épisodes de la
vie rustique. Aussi viril que délicat, il a traité de grands
sujets sociaux, dépeint le conflit de l'esprit moderne avec
les traditions du passé, et s'il moralise et symbolise trop
— ne dit-il pas qu'il aurait su prêcher et qu'il aurait
fait un brave petit curé? — s'il ne réussit pas toujours à
composer un ensemble, ses romans de longue haleine
renferment des situations tragiques, des scènes émou-
vantes, des caractères nettement dessinés comme celui
du curé Wieser qui aime jusqu'à en mourir ses parois-
siens de Sainte-Marie dont il jure d'être le maître et
l'ami. Bien qu'il ait subi l'influence de Stifter et celle
d'Auerbach, il est original parce qu'il a mené la même
existence que ses personnages, parce qu'il a respiré le
même air; ainsi que les arbres de ses forêts, il s'attache
par ses racines au sol styrien.
Deux femmes d'un remarquable talent, Louise de
François et Marie d'Ebner-Eschenbach , l'une, plus
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429 LirrâRATCRB ALLBXANOB
âpre, plus sévère, plus mâle, Tautre plus douce et plus
tendre, appartiennent à cette période.
Louise de François (1817-1893) a fait un roman clas-
sique, La dernière des Reckenbourg (1871^ ; en un style
simple, ferme, vivant elle retrace dans le cadre d^une
chronique de famille l'histoire de trois générations et
montre qu*ètre juste c'est voir juste.
Elevée parmi les paysans de Moravie et dans le grand
monde de Vienne, la comtesse Marie Dubsky, femme du
baron Ebner d'Eschenbach (née en 1830) a représenté
dans ses romans le peuple des campagnes et l'aristo-
cratie : Histoires de pillage et de château est le titre
d'une de ses œuvres. Mais elle a pareillement étudié la
société bourgeoise. Elle aime et elle excelle à peindre les
enfants, leur grâce, leur naïveté, leurs vices naissants,
leur âme si docile à recevoir l'empreinte du mal comme
du bien. Peut-être veut-elle trop instruire et édifier le
lecteur. Son Enfant de la commune est un pauvre garçon
qui devient honnête homme, quoiqu'il ait pour père un
assassin qui subit le dernier supplice et pour mère une
femme détenue dans une maison de correction. On lui
reproche a tort de peindre tout en beau. Si M"** d'Ebner
critique les pessimistes et ceux qui ne sont nés, sui-
vant son expression, que pour blâmer et qui ne voient
d'Achille que le talon, elle connaît les misères de l'huma-
nité, et elle les déplore. Comme l'héroïne d^Inexpiable^
elle désire soulager les souffrances d'autrui, et comme
son maître d'école Haberecht, elle dirait volontiers qu'il
ne faut remplir son assiette que s'il y a dans le voisinage
aussi peu d'assiettes vides que possible. Elle s'élève contre
l'indifférence, cette ce mort intérieure » ; elle recommande
la bonté et avoue qu'il faut, pour être toujours bon, avoir
conquis la sagesse. Pitié, charité, bienfaisance, justice,
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LB XIX* SIBCLB 438
voilà ses sujets favoris. L'amour, « rinvincible puis-
sance», lui parait une des plus grandes raretés qui soient
au inonde; elle compterait sur ses doigts les héros de
Tamour, et c*est pourquoi sans doute elle a su peindre
dans Inexpiable le repentir de la comtesse Marie» mais
non le coup de folie qui la jette dans les bras de Tessin,
Elle écrit avec soin, avec scrupule. Sa langue est claire»
aisée, calme» semblable à Teau courante et limpide d'un
ruisseau. Elle a de l'humour» humour fin» tout féminin,
assaisonné d'une pointe d'exagération. Chacune de ses
oeuvres se tient» et dans chacune elle est réaliste et idéa-
liste a la fois ; dans chacune elle représente la vérité, et»
selon ses propres termes, la vérité purifiée, au feu de
son âme.
De même» c'est être injuste envers le théâtre de 1870
à 1885 que de le regarder comme absolument indigne
d'attention. On dit d'ordinaire que la France vaincue sur
les champs de bataille vainquit les Allemands dans le
domaine de l'art, qu'elle leur imposa ses pièces, drames,
comédies, opéras. Mais bien avant 1870, la France
régnait déjà sur la scène allemande» et le théâtre clas-
sique» le théâtre de Schiller, de Gœthe» de Kleist» de
Freytag et autres eut la vogue dans les années qui sui-
virent la guerre.
Le dramatiste le plus réputé de ce temps-là, Paul Lin-
dau, rappelle les Français par l'allure et le ton : dialogue
rapide» élégante conversation» traits spirituels» effets
habilement calculés. Mais n'était-ce rien que de mettre
dans la comédie allemande de la finesse» du goût et du
tour?
Les rivaux de Lindau» Oscar Blumenthal» Kadelburg,
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434 LITTERATtJBB ALLEMANDE
Gustave de Moser, Lubliner, L'Arronge, les deox frères
SchOnthan» sont, comme lui, superficiels : leur théâtre
offre un mélange de la farce berlinoise et du drame
d'Iffland; mais ils ont de la verve, du brio, et Blumen-
thal joint a son adresse scénique une veine de malice et
de piquante satire.
Enfin, il y avait alors trois dramatistes qui, à des
titres différents, méritent considération et estime :
TAutrichien Anzengruber, le Prussien Wildenbrucb, le
Mecklenbourgeois Wilbrandt.
Louis Anzengruber (1839-1889) a été, sur les deux
domaines du roman et du drame, un sain et vigoureux
naturaliste. Dans ses histoires villageoises il étudie les
âmes et les analyse avec une impitoyable pénétration.
Ses drames ont des défauts; ils tournent parfois au mélo-
drame et quelques personnages sont dessinés d'une main
incertaine et hésitante. Mais il a décrit dans leur vérité
les mœurs viennoises, ses paysans donnent Tillusion de
vrais paysans et il fut assez avisé pour atténuer le dia-
lecte qu'il leur fait parler et le rendre intelligible à tout
Allemand. Sa première i^\kc%yLecurédeKirchfeld{{S10)^
est une pièce de parti ; le curé qui porte le nom expres-
sif de Hell défend le vieux catholicisme contre l'ultra-
moQtanisme. Les Kreuzelschreiber ou ceux qui écrivent
avec une croix (1872) rappellent Lysistrata; ils ont
envoyé à leur curé une adresse de félicitations et
l'évèque leur inflige une pénitence : un pèlerinage à
Rome; mais leurs femmes s'opposent au voyage. Deux
autres pièces, le Paysan parjure (1871) et le Remords
(1874), traitent le même sujet, Tune tragiquement,
l'autre gaîment : le paysan parjure qui s'enfonce dans
le crime tient tète au destin avec une admirable obsti-
nation; le héros du Remords revoit son amante de jadis
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LE XIX* 81£GLE 425
qu*il croyait tombée dans la misère et le désespoir, heu-
reuse, regorgeant de santé et mère de douze enfants. Le
Double Suicide (1875), pièce aimable, amusante, repose
sur une équivoque : deux amants écrivent h leurs parents,
qui refusent de les marier, qu*ils vont sur la rivière se
réunir à jamais; on les cherche avec anxiété; on les
retrouve vivants et fort satisfaits. La Ferme êans fermier
(1877) a pour personnage principal une jeune fille active,
sensée, qui mène la maison et qui vit entre l'instituteur et
le curé toujours prêts à se chamailler; elle aime un gars
de sa ferme et le prendrait volontiers pour mari; mais il
a séduit une servante et Ta rendue mère; il s'éloigne,
et rhéroïne adopte Tenfant. Le Quatrième Commande^
ment (1877) est la pièce la plus saisissante d*Anzengru-
ber. Non que Tidée soit absolument claire et juste. Parce
que, sur Tordre de son père, Hedwige Hutterer renonce
k son maître de piano pour épouser un riche libertin,
parce que les deux Schalanter sont mal élevés par leurs
parents, parce que la fille devient une gourgandine et
que le fils tue son sergent-major, faut-il ne plus prati-
quer le commandement : Père et mère honoreras? Mais
l'auteur a su peindre la vie des Viennois, leur légèreté
d'esprit, leur goût du plaisir, et les Schalanter sont d'une
vérité frappante. Anzengruber a transformé la pièce
populaire viennoise : plus de musique, plus d'allégorie,
plus de féerie, plus rien de banal et d'invraisemblable;
c'est une œuvre qui traite de hautes questions, qui pré-
sente une action et des caractères. Il eut une influence
réelle sur le drame allemand : le dialecte, le costume,
les paysans, le village entier jouant un rôle, des scènes
purement descriptives, les tics des personnages et leurs
mots favoris, le détail de leur physique, que de choses lui
emprunteront les naturalistes !
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426 LITTERATURE ALLEMANDE
Ernest de Wildenbruch (1845-1909) est poète. Il a
débuté par deux tableaux de batailles, Vionville et Sedan^
qu'on a ridiculement qualifiés d'épopées. Ses ballades
plaisent par leur mouvement et par ce qu'elles ont de
mystérieux et de sombre. Ses nouvelles et ses romans ont
quelque chose de rapide, d'entraînant, et lorsqu'il repré-
sente des enfants ou des adolescents» il entre dans les
replis de leur âme. 11 n'a pas, comme dramatiste, réalisé
les espérances qu'il avait fait concevoir, et à quoi bon
énumérer, apprécier toutes ses pièces? Il a de l'imagina-
tion, de l'enthousiasme, de l'éloquence, un chaud patrio-
tisme, et sa langue a, par suite, de l'éclat et de la force;
il sait trouver des sujets tragiques et détacher ses per-
sonnages sur un fond historique ; il sait peindre l'esprit
et le caractère d'une époque; il sait manier et mouvoir
des masses; il fut longtemps le seul qui tint haut et
ferme le drapeau, de Schiller. Mais il a trop souvent le
style emphatique et pompeux; il est gauche, étourdi; il
commence toujours bien et finit toujours mal; il accu-
mule les invraisemblances, et ses héros ont beau
s'échaufier, s'exalter; malgré leurs grands gestes et
leurs grands mots, on les oublie dès qu'on ne les voit
plus.
Adolphe Wilbrandt (né en 1837 à Rostock), poète,
romancier, dramatiste, très souple et très fécond, a fait
de bons romans, des comédies spirituelles et gracieuses,
des drames qui ne manquent pas de mouvement et de
chaleur, voire de couleur. Il écrit avec soin, avec cor^
rection; c'est un auteur ingénieux, un peintre de jolis
détails. Mais on remarque trop qu'il cherche et qu'il
lutte; il raffine, il subtilise; la pensée gâte chez lui le
sentiment. Son Maître de Palmyre (1889), qui se dis-
tingue par une langue harmonieuse, par la profondeur
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LB XIX*^ SIECLE 427
de ridée, par la variété des scènes, est moins un drame
qu'un poème lyrique. Sa Kriemhild (1877), où il a retranché
tout le merveilleux, a des mérites, une belle brièveté, la
clarté de Faction et des personnages vivants.
De 1886 à nos Jours.
Telle était la littérature avant 1885. Les jeunes gens
d'alors la regardaient comme frappée de décadence. A les
entendre, nul n^avait depuis la guerre rien produit d'im-
posant, nul n'avait mis le feu aux cervelles. Tout ce que
le nouvel empire comptait de talents réels était ignoré,
oublié, rabaissé. On nommait Freytag un bourgeois,
Reuter un Dickens de village, Raabe un peintre de
vieilles bicoques, Storm un miniaturiste affecté, Keller
une gloire de clocher, ScheOel un archéologue, Heyse
un aristocrate.
Les étrangers, Zola, Tourgueniev, Tolstoï, Dostoievsky,
BjOrnson, Ibsen furent donc k la mode. On trouvait chez
eux quelque chose d'original et de personnel, l'intensité
de la vie, des scènes hardies, vigoureuses, brutales, des
êtres de chair et de sang, des caractères saisissants, la
peinture poignante d'un milieu social, une large et
franche allure, et un récit, une fable qui, tout en donnant
une forte impression de réalisme intime, prouvait, expri-
mait une vérité morale.
De là une révolution littéraire qui prit le nom de la
toute jeune Allemagne, Elle opposait à l'antique le
moderne, à YAntike la Moderne, En 1882 les deux frères
Henri et Jules Hart publiaient leurs Passes £armes criti"
ques. Ils attaquaient avec fougue les auteurs du temps,
Paul Lindau, Lubliner, L'Arronge, Spielhagen, etc. ; ils
déclaraient que la littérature allemande n'existait pas et
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428 LITTKRATURB ALLEMANDE
que quelques épis dressés au milieu de l'ivraie ne font pas
un champ de blé, qu'il fallait réagir contre la médiocrité
régnante et revenir au jeune Gœthe. Ils ne prétendaient
pas au rôle de coryphées ; ils défrichaient le sol; d'autres,
disaient-ils, le cultiveraient. Pourtant, ils essayèrent de
cultiver le sol, et si le Chant de F humanité de Henri
Hart est une épopée manquée, il y a de beaux passages
dans le Triomphe de la çie et le Nouveau Dieu de Jules
Hart. Des revues, des clubs se fondèrent pour défendre
les principes de la « Moderne » et en 1889 Jean Schlaf
et Arno Holz lancèrent Papa Hamlet.
L'ouvrage contenait trois petits récits. Papa Hamlet,
Première Classe et Une mort, Schlaf et Holz l'attribuaient
à un Norvégien, du nom de Holmsen, et cet Holmsen
pratiquait le « réalisme conséquent ». Les personnages
bégaient, balbutient, soufflent; pas un de leurs gestes et
de leurs mouvements qui ne soit exprimé, fût-ce par
un simple son ; le bruit de l'eau qui, par un temps de
dégel, tombe dans la gouttière, est ainsi reproduit : tipp...
tipp.
II fallait appliquer au drame le « réalisme conséquent ».
Schlaf et Holz firent représenter au Théâtre Libre à Berlin,
en 1890, la Famille Selicke. La pièce échoua; les auteurs
ont copié trop servilement la réalité; s'ils ont évité le
<c style de papier », ils n'ont pas de style du tout : chacun
parle, gesticule à sa façon; pas d'action; une tranche de
vie telle quelle.
Schlaf et Holz furent éclipsés par un de leurs disciples,
par Gerhart Hauptmann, qui reconnut hautement l'in-
fluence décisive que Papa Hamlet avait exercée sur lui.
La première pièce de Hauptmann, Avant le lei^er du soleil^
jouée le 20 octobre 1889 au Théâtre Libre de Berlin, fut
un orageux triomphe. Une deuxième pièce de Hauptmann,
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LE XIX* SlàCLB 429
la Fête de la Paix, parut en 1890, une troisième, Ames
solitaires, en 1891» une quatrième, les Tisserands^ en
1892. Le Théâtre Libre termine alors son existence; les
c< naturalistes » avaient vaincu.
Ils oubliaient que Fart n'est pas la réalité, et que l'art
ne repose que sur des conventions. Plus de vers dans le
drame, disaient-ils, puisqu'on ne parle pas en vers dans
la vie privée, plus de décors, plus de ciel peint, plus
d*arbres peints ; un drame ne pouvait se passer que dans
une chambre, et dans cette chambre il fallait un lit; plus
de tirades, plus de grands discours; on devait laisser
aux gens les petites négligences qui leur sont familières,
leurs mots de prédilection, leurs tics. Pas d'imagination;
Tobservation suffisait, et des épisodes inutiles à l'action,
mais propres à donner l'illusion du réel, étaient indis»
pensables.
Le naturalisme régna durant quelques années. Il
entraîna tous les esprits. Wildenbruch sacrifia au goût
nouveau. Fontane déclara que dans de pareilles crises
l'originalité doit avoir passagèrement les mêmes droits
et privilèges que le beau, et les naturalistes applaudirent
Fontane, assurèrent qu'il usait de leurs procédés. Ils
affirmèrent que VHonneur de Sudermann était une pièce
naturaliste ou du moins une pièce réaliste.
Mais le réalisme de Sudermann n'était pas le réalisme
a conséquent », intransigeant de Hauptmann; c'était un
réalisme atténué, truqué, superficiel. Bientôt le natura-
lisme déclina. Ses excès mêmes le perdirent. S'il pré-
sentait des images très crues, très noires du monde con*
temporain, n'était-ce pas pour forcer l'attention? Ses
plus fervents adeptes l'abandonnèrent, et Hauptmann,
dans son désir d'attraper le succès, employa d'autres
moyens que ceux du naturalisme. On revint au vers;
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480 LITTÉRATURE ALLEMANDE
on observa l'unité de temps et de lieu; on traita des
sujets antiques; on fit des pièces romantiques, et ceux
qui coquetaient naguère avec la « Moderne », soudain,
comme s'ils voulaient secouer la lourde servitude de la
réalité, s'élancèrent d'un vol libre dans les régions supé-
rieures de la fantaisie ; la légende et l'histoire envahirent
la scène; les pièces françaises reconquirent leur empire,
«t derechef Paris fournit Berlin et Vienne d'esprit et de
galté.
Le naturalisme avait toutefois apporté du nouveau ; on
apprit à « faire vrai », a mettre plus de réalité dans la
peinture des personnages, à nuancer le langage, à rendre
la Stimmung ou la sensation de l'atmosphère morale,
bref à peindre le milieu et à creuser les sujets; le théâtre
allemand avait proclamé son indépendance et par la
variété, par la hardiesse de ses efforts,, égalé le théâtre
des autres nations.
Poètes contemporains.
En même temps que le naturalisme, s'était produit le
symbolisme. Un groupe de « jeunes » avait renié Zola
et juré par Huysmans. D'autres s'étaient faits impres*
sionnistes; ils regardaient le récit comme du reportage
et ils ne voulaient mettre en vers que des impressions,
des « reflets de l'âme ». Mais le symbolisme et l'impres-
sionnisme, pas plus que le naturalisme, ne durèrent.
Richard Dehmel est à la tète des symbolistes. II sait
souvent par des moyens très simples évoquer une vision
intense. Il a chanté l'amour en vers ardents, et qui ne
connaît la Prière de nuit JCune fiancée} Il a tracé de
petits tableaux saisissants, comme celui de la ville silen-
cieuse. Mais il offre bien des négligences^ des bizarre-
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LB XIX« 81ÂCLB 481
ries, des obscurités, et, par instants, il tombe dans une
sécheresse prosaïque.
Stephan George,, qui fut un des chefs de Timpression-
nlsme, réussit à rendre une impression par le choix des
sons et la combinaison des rimes; c'est un artiste, et il
écrit purement; mais il aime à prendre un ton d'oracle
et fréquemment ses vers, dans leur harmonie et leur
solennité, n'ont pas l'ombre de sens commun.
A George se rattachent Dauthendey, qui se platt a
condenser ses émotions en strophes aux rimes raffinées,
et Mombert, qui trouve parfois, pour chanter la nature
et surtout la mer, de profonds et mystérieux accents.
Une figure intéressante est celle de Hermann Conradi,
qui se tua et qui peut passer pour le type de la bohème
littéraire des années 1880-1890 : brutal, fanfaron de
vices, affichant une prédilection de mauvais goût pour
les oubliés et les dédaignés de la littérature, il avait du
talent; certaines de ses pièces prendront place dans les
anthologies et son roman Adam Mensch offre une
remarquable analyse de l'âme d'un « moderne ».
D'autres poètes, qu'ils aient, ou non, appartenu au natu-
ralisme, méritent une très honorable mention : Avena-
rius, BlOthgen, les deux Busse, Evers, Falke, Henckell,
Jacobowski, Lienhart, Lôwenberg, MOser, Mûnchhausen,
Salus, SchOnaich-Carolath, Seidel, Yierordt.
Ferdinand Avenariua a quelque chose de Storm, et il
exprime souvent dans ses vers un sentiment vrai et pro«
fond.
Blûthgen a surtout chanté, non sans charme, les joies
de l'enfance.
Charles Busse, comme son frère Busse-Palma, est
clair, aisé, harmonieux.
Evers a trop de goût pour les symboles ; mais il a des
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433 LITTERATURE ALLEMANDE
accents mélancoliques ou passionnés qui pénètrent.
Falke est un idéaliste et il a la forme pure, belle,
originale. Il prend tous les tons; mais il a peut-être
plus de douceur et de délicatesse que d'énergie et
d'élan ; il crie parfois et il se plaint, mais le plus souvent
il touche légèrement les cordes de la lyre; leis est un de
ses mots favoris, et il aime à songer, a faire des rêves
dorés, b évoquer les jours où il fut heureux, où son âme
avait des ailes.
Les drames de Fitger sont médiocres. Le poète lyrique
l'emporte en lui sur Thomme de théâtre; il a une vive
imagination et, pour parler comme lui, une flamme de
cœur qui ne pâlit pas ; il sait trouver le ton du VolksUed.
Henckell se mêle à la lutte des partis; il est le « hussard
rouge de l'humanité ». Il fait mieux d'être le « ménestrel
au tendre myrte » : il a dans nombre de lieds une grâce
simple, une passion sincère, et il sent et rend à mer-
veille le silencieux attrait de la nuit étoilée.
Jacobowski était juif et, en vers touchants, il ne demande
à l'Allemagne que de l'amour. Il a plus de mollesse que
de vigueur ; mais il maniait en maître la rime et le
rythme. C'est dans une langue d'une noble simplicité
qu'il a dit ses luttes et ses désillusions.
LOwenberg est juif, comme Jacobowski, et il ne
renie pas son origine; il unit à la fermeté du style une
vive sensibilité et il a su décrire la campagne, les épis
menacés par la faux de demain, la moisson qui vide le
village et les enfants qui joignent les mains devant le
soleil du soir.
L'Alsacien Lienhard s'est vainement essayé dans le
drame. Dans ses vers, il reproche avec colère a ses
compatriotes leur cœur welche et dénaturé. Mais il a
chanté la terre d'Alsace et le cor qui sonne au fond de
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LE XIX* 81BCLB 48S
la forêt des Vosges; une forte saveur du pays natal est
répandue dans son œuvre.
Albert Môser (1835-1900) est simple et doux, doux
comme le ruisseau qu'il entend murmurer dans la nuit;
mais il trouve un vigoureux accent pour saluer les che-
vaux qui reviennent seuls des champs de Mars-la-Tour
où gisent leurs cavaliers victorieux.
Le baron BOrries de Munchhausen a le ton viril et
martial.
Salus a de la (inesse, de Télégance, et on lui recon-
naîtra le droit de se mêler, comme il dit, parmi les
artistes; il est médecin à Prague, et l'Autriche actuelle
compte, outre lui, d'autres lyriques distingués : Adler,
Claar, Donath, Hango.
Le prince Emile de Schonaich-Carolath a par instants
le ton d'un blasé et il affecte la mélancolie. Mais c'est
un vrai poète. Il a de l'éclat, de la passion, de l'origi-
nalité; il a rapporté de ses voyages sur les routes de la
vie un copieux butin de sentiments et d'images; dans
ses recueils de vers, dans ses chants A Vamie perdue^
dans le Sphinx^ dans la Mort de don Juan^ il déploie des
qualités différentes de force et de grâce, d'élévation et
de tendresse.
Seidel est un aimable humoriste, un satirique ingé-
nieux, un conteur inventif, parfois exquis, et, notam-
ment dans ses Carillons^ il chante en une très belle forme
les roses, les oiseaux, le soleil; au milieu du Berlin
tumultueux il entend le sifflement du merle et le son des
cloches.
Vierordt décrit en un style pur et presque classique
son bonheur domestique, les sites de l'Italie et de la
Grèce, les espaces célestes.
Mais le plus grand des poètes allemands à l'heure
LITTéSATOaS ALLBMARDa. 28
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43fc LITTERATURE ALLEMANDE
actuelle, c'est Detlev de Liliencron (né à Kiel en 1844).
II a souvent Tallure cavalière et orrogante, le ton leste et
grivois, les airs fringants d'un homme à bonnes fortunes ;
il se moque des convenances; il n'éprouve que mépris
«t que haine pour le bourgeois et le pharisien; il a du
laisser -aller, de la bizarrerie, du mauvais goût; par
intervalles, son style est si simple qu'il devient trivial; il
abuse tantôt des longs mots composés, tantôt des petites
phrases courtes et hachées. Mais il est né poète lyrique
et dans sa prose même court une veine de lyrisme : que
de tableaux saisissants dans ses Chevaucliées £un aide
de camp\ Et, dans ses vers, quelle jolie description de
son Holstein, de ses pâturages coupés de fossés, de ses
forêts qui se baignent dans la mer, de ses bruyères
fouettées par les verges de l'orage ! Il trouve souvent des
accents d'une véritable émotion, soit qu'il regrette la
patrie absente et qu'il souhaite d'entendre encore aa
pays natal le bruit de la faux dans les prés ou celui de
ses pas qui froissent les feuilles sèches à travers les bois;
soit qu'il rentre au foyer et qu'il voie, l'âme palpitante,
les soldats monter la garde, les filles rire bras dessus
bras dessous, et les enfants sortir de l'école en criant
avec joie dans sa langue; soit qu'il célèbre l'étroit sen-
tier où, durant un été, entre un champ de seigle et des
haies, se cacha son amour; soit qu'il demande qu'une
main belle et fidèle se pose sur son cœur lorsqu'il quit-
tera cette terre. Il a de la verve, une âpre énergie, une
sincérité poignante. Que d'images poétiques dans ses
chants de guerre : le soldat mourant qui revoit son vil-
lage en un rêve suprême; l'ami qui tombe et qui rougit
la neige de son sang et qu'il appelle, qu'il secoue en
vain; le bivouac et le cri lointain des avant-postes qui
pénètre sous la tente où il sommeille et songe, la
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I^ XIX* 81KCLB 486
bataille et ses nuées de boulets, le drapeau tourbilloii-
nant dans la fumée, et les vainqueurs baisant Tétrier de
leur roi! Il a, dans le poème de Poggfred^ poème bigarré,
comme il dit, et qui manque d'ensemble, jeté pèle-mèle
ses impressions, ses fantaisies, ses souvenirs de toute
espèce, les saillies de son imagination vagabonde et,
avec une verve inépuisable, avec une incroyable richesse
de rythmes et de rimes, exprimé « Ténlgme indéchiffrable
de l'existence ». C'est un gentilhomme et il fut officier.
Ses héros sont, non des petites gens, mais des gentils-
hommes, des officiers, ou plutôt son héros, c'est lui-
même, c'est Liliencron, et on se le représente volontiers
tel qu'il se décrit dans une pièce de vers, trottant par
une superbe nuit d'été où s'épandent les parfums des
fleurs, cueillant au passage une feuille verte qu'il attache
au chapeau, caressant son vieux cheval de Mecklenbourg
et lui chantant un air, oubliant de la sorte le monde
entier.
Les romanciers.
Les romanciers naturalistes, ne pensant qu'à copier
servilement le réel et qu'à reproduire tous les détails,
grands et petits, ne composèrent que des œuvres longues,
traînantes, superficielles, et beaucoup, de parti pris,
n'ont peint que des laideurs et des vices; aucun ne fit
une belle œuvre : la forme ou l'ordonnance manquait,
et souvent l'une et l'autre.
Il faut pourtant citer quelques-uns d'entre eux :
Alberti qui n'a ni finesse ni profondeur; Bleibtreu qui
n'eut que des saillies et qui brosse aujourd'hui des
tableaux de guerre; Michel-Georges Conrad qui n'a
fait que des esquisses sans suite ni liaison; Heibcrg,
Kretzer, Tovote.
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416 LITTÉBATURB ALLEMAHDB
Heiberg a retracé, non sang art, dans le Pharmacien
Henrij le destin d*ane jeune femme que son mari torture
et pousse a la mort.
Les Déchus de Kretzer exposent les misères d*une
caserne locative, et son Maître Timpe représente avec
vigueur et vérité le combat des grandes fabriques contre
les petits métiers.
Tovote a trompé les espérances qu*il avait données.
Mais Fontane, Rosegger, Wildenbruch, Wilbrandt,
Mme d'Ebner ne cessaient pas d'écrire.
Sudermann publiait des romans.
Jensen, déplorablement fécond, diffus, enclin au fan*
tastique, avait, par instants, de la finesse et de la grâce.
Deux romanciers de Dresde, deux gentilshommes,
Ompteda et Polenz, trouvaient des milliers de lecteurs.
Ompteda manque souvent de goût, mais Eysen et Herze^
loïde sont des œuvres attachantes ; Polenz avait plus de
forme, plus de variété.
Jôrn Uhl (1901) et Hilligerdei (1906) de Frenssen,
eurent un succès prodigieux : la langue est pure, natu-
relle, et Frenssen a tracé d'émouvants tableaux, comme
celui de la bataille de Gravelotte. Mais il a été pasteur,
et dans ses romans il prêche encore : des longueurs, des
redites, pas d'unité d'action, des personnages qui ne
sont pas visibles et palpables.
Le Suisse Walter Siegfried a du talent, et un talent
qui grandit : dans Tino Morall^ dans VÈtranghre il joint
à la finesse de l'observation un style énergique et
simple.
Un compatriote de Siegfried, Ernest Zahn — - qui tient
le buffet de la gare à Goschenen — est assez inégal;
mais, dans une langue claire et robuste, il a décrit It
nature alpestre, la vie du village suisse, le rude et gros-
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LB XIX* SllCLB 4S7
sier paysan alaman, lent et laconique, à la fois inconstant
et obstiné.
L* Autrichien Ferdinand de Saar a fait des drames, des
poésies lyriques, et en très bons hexamètres, un Hermann
et Dorothée autrichien (rAUemand Hermann épouse une
Dorothée tchèque). Dans ses romans et surtout dans ses
nouvelles il a de la simplicité, de Thumour, et il narre
ses « histoires » avec le doux et mélancolique sourire de
l'homme qui comprend les faiblesses humaines.
Les femmes ont brillé et brillent encore dans le roman.
Ida Boy-Ed sait tracer des caractères et décrire les
choses avec vivacité.
Hélène Bohlau est tombée dans le symbolisme; elle
^ fait de la femme un ange et de Thomme un lâche coquin ;
elle a néanmoins de la force et de la pénétration.
Use Frapan, morte naguère, avait, selon sa propre
expression, saisi la réalité avec application, avec téna-
cité, avec ferveur, mit Andachl.
Eugénie délie Grazie a quelque chose de mâle, parfois
de prétentieux et de confus; mais elle répand à pleines
poignées les comparaisons et les images.
Ricarda Huch, spirituelle, originale, unit à la sagacité
de l'observation l'éclat de la diction et à travers le sain
réalisme de ses récits circule un souffle de ce romantisme
dont elle a raconté l'histoire. Son meilleur roman est
Ursleu (1893) ; elle y déploie tout ce que son talent a de
finesse et de fermeté. La Lutte pour Rome (1908) pré«
sente trop de personnages et il y a trop de retours sur
le passé ; mais l'action est dramatique et Garibaldi nous
apparaît dans son plus beau moment avec éclat et relief.
Elle rappelle Gottfried Keller, et, comme lui, elle est poète.
Isolde Kurz, qui fait aussi de très bons vers, analyse
délicatement les impressions de ses héros.
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4S8 LITTBBATORB ALLEMANDE
Gabrielle Reuter écrit avec autant de vigueur que
d'élégance et son histoire d'une jeune fille « de bonne
famille » se lit avec un intérêt poignant.
Ossip Schubin a Gomposé, entre autres romans, un
Gloria 9ietisj obscur, touffu, mais puissant.
Le livre de Bertha de Suttner, Bas lesarmesy vaut sur-
tout par les généreux sentiments qui Taniment et par son
titre sonore.
Les tableaux de Clara Viebig sont curieux et vivants. Elle
a d'abord représenté des petits bourgeois et des paysans de
l'Ëifel. Sa meilleure œuvre, V armée qui dort (1904), son
roman Abaoho te et plusieurs de ses nouvelles ont pour
théâtre cette Pologne prussienne, cette province de Posen
où chaque fermier est un roi, où les fermes sont comme
des îles dans la mer des campagnes.
Le drame.
Il faut insister sur le drame. C'est le genre qui domiae
depuis plusieurs années dans la littérature, et on crut un
instant, tant il faisait de bruit, que la scène allemande se
passerait dorénavant des pièces françaises.
On peut partager les dramatistes en deux groupes :
Sudermann et ceux qui, comme lui, n'étaient naturalistes
que de nom; Hauptmann et ceux qui, comme lui, furent
sincèrement naturalistes et qui ne le sont plus.
Sudermann, né à Matziken (1857), est romancier et
dramatiste.
Le style, l'originalité du sujet, la saisissante vérité
des descriptions, des personnages très vivants, le père
du héros, férocement égoïste, aussi paresseux que pré*
tentieux, joueur, ivrogne, querelleur, et le héros, Paul
Meyhôfcr^ qui sacrifie sa jeunesse à sa famille, qui peine
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LB XIX"^ SlàCLB 439
et psUit pour entretenir et sauver les siens, qui finit
grâce à son incessante énergie par surmonter tous les
obstacles jusqu'au jour où, dans un accès de sublime
désespoir, il brûle sa neuve, sa belle maison, et par là
même bannit à jamais le souci qui s'attachait à lui
depuis le berceau, voilà ce qui fait de Dame Souci (1888)
le meilleur roman de Sudermann et un des meilleurs
romans de rAllemagne.
La deuxième roman de Sudermann, le Sentier des
chais (1889) — c'est le sentier par lequel un traître a.
conduit les Français — n'a pas l'allure franche de Dame
Souci et il contient des invraisemblances. Mais, en une
langue vigoureuse et ardente, Sudermann a conté d'émou-
vants épisodes et des scènes passionnées : l'existence du
trattre dans son domaine semé de pièges, celle de
Boleslas et l'étrange sentiment que lui inspire cette
Régine qui fut la maîtresse de son père, cette belle et
puissante Régine, tout instinct, tout amour, tout dévoue-
ment, heureuse de vivre pour son jeune maître et de
mourir pour lui.
Le Passé (1894) est trop long et l'on ne discerne pas
nettement la figure de cette Félicité qui, pour la seconde
fois, attire Léo de Sellenthin dans ses filets.
Le Cantique des cantiques (1908) est, de même, trop
étendu; mais Sudermann y reste un artiste ardent qui
fait reluire et flamboyer tout ce qu'il décrit, qui présente
les choses d'une manière réelle, forte, poignante, et
l'histoire de Lilly, de ses rêves et de ses désillusions, de
ses joies et de ses misères renferme des pages brillantes,
des chapitres attachants.
Les drames de Sudermann ont eu plus de retentisse-
ment que ses romans. V Honneur (1889) fit une triom*
phale fortune. Sudermann veut y montrer que l'honneur
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440 LITTÉRATURE ALLEMANDE
varie selon les conditions. Robert Heineckey fils d'ou-
vrier, devenu représentant de l'opulent Mûhlingk, s*in-
digne, à son retour des Indes, que sa sœur Aima soit la
maîtresse de Conrad MAhlingk, le fils du patron. Il
s'indigne que ses parents aient accepté quarante mille
marks comme prix du déshonneur d'Âlma. Mais il rend
cet argent aux Mûhlingk et regagne les Indes, grâce au
baron de Trast, le roi des cafés : c'est Trast qui rencontre
Aima et Conrad dans un bal public, qui prête à Robert
le chèque libérateur, qui, en instituant Robert son
associé et héritier, obtient pour le jeune homme la main
d'Éléonore Mûhlingk; il est le deus ex machina et il est
aussi le raisonneur de la pièce ; il expose la théorie de
l'honneur. Mais le rôle de Trast pèche contre la vrai-
semblance. A-t-il raison de voir dans l'honneur un sen-
timent de luxe? Pouvons-nous oublier qu'il fut chassé de
son régiment pour n'avoir pas payé une dette de jeu? II
y a toutefois dans V Honneur de très belles scènes, notam-
ment celles où Robert essaie de rappeler les siens au
devoir et de leur faire comprendre leur infamie. Suder-
mann a su peindre les deux familles logées dans le
même bâtiment, l'une sur le devant, l'autre au fond de
la cour, l'une, riche, élégante, égoïste, n'ayant de la
moralité que l'apparence, l'autre, pauvre, avilie par la
pauvreté, vivant dans la honte comme dans son élément
avec une inconscience absolue.
La Fin de Sodome (1891) n'eut pas le même succès.
Elle représente un monde de jouisseurs où l'on crie :
« Vive l'esprit )>, où l'on regarde l'amour et le devoir
comme des mots, où l'on ne croit qu'aux nerfs. Le héros,
Willy Janikow, que son tableau, La fin de Sodome^ a
rendu célèbre, traite les autres de philistins, et certes un
philistin ne ferait pas ce qu'il fait : il se grise, il
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LE XIX* 81BCLB 441
se dégoûte du travail , il a pour maîtresse la dame
qui lui achète sa toile et pour fiancée la nièce de
la dame, il déshonore sa sœur adoptive qui se jette à
TeaUy enfin il meurt d'une hémorragie. La pièce est
supérieure à V Honneur par la vigueur de la satire, par la
peinture des caractères, par le développement logique
de l'action •
Le Foyer (1893) offre un dialogue éblouissant, de fines
observations, des scènes habilement filées. Les deux
protagonistes sont le père et la fille. Le père, ancien
lieutenant-colonel, chasse Magda parce qu'elle ne veut
pas pour mari un homme qu'elle n'aime pas, et il a une
attaque lorsqu'il apprend qu'elle sera chanteuse. Douze
ans après, quand elle revient dans l'éclat de la renommée,
il exige qu'elle loge chez lui, qu'elle épouse son séduc-
teur, et sur son refus, il braque sur elle un pistolet; à
l'instant même, il meurt d'une seconde attaque. A ce
père du temps jadis Sudermann oppose Magda qui
représente les temps nouveaux, qui revendique ses droits
à l'amour et au bonheur, qui rappelle qu'elle a eu faim,
qu'elle a été abandonnée de la société, qu'elle a joui de
sa jeunesse et usé de sa liberté. Mais quel est le dessein
de Sudermann? La femme doit-elle, comme Magda et
selon ses propres paroles, secouer tous les préjugés, et,
avec celui qu'elle aime, jeter un rire moqueur au monde
entier?
Une comédie, Bataille de papillons (1894), fit une
chute bruyante : le sujet n'est qu'effleuré, l'action traîne,
les caractères n'ont rien d'intéressant.
Le Bonheur dans un eoin^ drame en trois actes (1896),
eut, en revanche, un succès grand et mérité. L'hérofne,
Elisabeth, est une jeune fille noble, mais orpheline et
pauvre, qui, pour échapper aux poursuites du baron
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kh% LITTBRATCRB ALLEMANDE
de Rocknitz, épouse le directeur d'école Wiedemann. Au
bout de trois ans, elle revoit Rockaitz; elle l'aimait,
elle tombe dans ses bras. Mais lorsque le baron pro-
pose de l'emmener et de donner à Wiedemann une
place de régisseur, lorsqu'il joint la menace aux prières,
elle veut se jeter dans Tétang. Wiedemann l'arrête, la con-
sole, lui rend cœur et courage, et Elisabeth, émue, croit
le voir pour la première fois.
Sous le titre de Morituri {IS96) Sudermann a groupé
trois pièces en un acte qui représentent trois hommes
voués à la mort, le Goth Teja, le lieutenant Fritz de
Drosse et un peintre. La troisième, VÉternel masculin^
en vers assez lourds, est le drame satirique qui clôt
cette trilogie. Les deux premières sont remarquables
par leur force tragique : Teja rappelle le Pkilotas de
Lessing et les meilleures œuvres de Kleist et de Hebbel;
Petit Fritz est le plus saisissant de tous les drames dont
l'officier prussien a fourni le sujet.
Dans Jean^Baptiste (1898) Sudermann a réussi à
peindre ce précurseur du Christ, son ascétisme, ses
emportements contre le péché, ses invocations à la
colère divine. Il a fait un beau portrait de l'artificieuse
et sensuelle Salomé qui jette un cri de fureur lorsque
Jean^Baptiste la dédaigne. Il a composé des épisodes
sinistres ou touchants, et il s'exprime en une prose poé-
tique, tantôt pleine de flamme, tantôt douce et tendre,
imprégnée de TEcriture, originale pourtant malgré ce
coloris biblique. Mais les scènes ne sont que faiblement
liées, et qu'est-ce qu'un drame dont le héros annonce
et attend la venue d'un plus grand que lui ? Qu'est-ce
qu'un héros qui maniait une verge de fer et qui soudain
comprend par ouï-dire, par les propos d'autrui, l'Evan*
gile d'amour que prêche Jésus? Si Jésus ne parait pas.
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LB XIX* SIÈCLE kk$
il semble présent, tant on parle de lui, et il efface,
éclipse JeaD*Baptistc.
La pièce Les trois plumes de héron (1899) — trois
plumes qui servent de talisman an héros et lui promettent
l'idéal — est un drame symbolique; elle manque de
cohérence et de clarté.
Le Feu de la Saint-Jean (1900) offre un caractère qui
rappelle le squire Western de Tom Jonesy le bourru
bienfaisant Yogelrenther. Mais Marikke, qui se livre à
George dans la nuit de la Saint-Jean, se résigne trop
aisément à l'abandon et George n'est, malgré ses fiers
discours, qu'un être faible qui tremble, comme jadis,
devant le fouet de son oncle. On accepte de pareils per-
sonnages dans un roman, mais non sur la scène.
Dans Vice la Qie (1902) l'auteur décrit assez bien le
monde parlementaire où se passent les événements. Mais
la pièce est compliquée, obscure. La faute des amants
remonte trop haut pour nous toucher et le rôle de
l'héroïne présente des contradictions : elle est l'Egéric
d'un parti qui proclame la sainteté du mariage et elle
pratique l'amour libre, elle dit qu'elle n'est pas coupable,
qu'elle a le droit de faire ce qu'elle a fait, et elle
s*empoisonne!
Le Conjuré Socrate (1903) est une comédie en quatre
actes. Mais la veine comique manque à Sudermann; sa
pièce est trop longue, sa conjuration invraisemblable,
et son Socrate, trop borné, trop entêté, trop ridicule
pour nous inspirer de la sympathie.
Pierre parmi les pierres (1905) prouve que Sudermann
est homme de théâtre. Pourtant, l'ensemble est froid;
par instants, l'art se subordonne à la philanthropie, et
Sudermann ne démontre rien. Il voudrait prouver que
le criminel doit, sa faute rachetée et sa dette payée,
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4M LITTÉRATUKB ALLEMANDE
reprendre sa place dans la société ; or, son Biegler n'est
pas un véritable criminel, puisqu'il était dans le cas de
légitime défense, et ses compagnons de travail ne
peuvent le traiter comme un paria.
Le Bateau de fleura (1906) rappelle la Fin de Sodome.
Même peinture : des gens qui font la fête et pour qui la
vie doit être un bateau de fleurs, musique, rires, et le
reste. Mais le drame n'a pas le même éclat, le même
sérieux, la même solidité que la Fin de Sodome.
Tel est Sudermann. Quatre œuvres le placent au pre-
mier rang des romanciers, et dans trois d'entre elles il a
mis ses personnages en harmonie avec une nature mélan«
colique et décrit admirablement la Prusse orientale, son
pays natal, monotone et un peu gris. Quant à ses pièces,
elles ne laissent pas toujours une impression nette. Il
abuse des coups de théâtre, des scènes à effet, des
phrases brillantes quv sonnent creux. Mais il a une
grande sûreté de main ; il a de l'imagination et une cer*
taine force créatrice; il rend fidèlement le milieu dans
lequel se développe l'action, il peint avec vigueur les
impressions de ses héros et, s'il n'enfonce pas asses
dans les profondeurs de leur âme, il tire de ses
sujets ce qu'ils contiennent de général et de vraiment
humain.
Fulda, Dreyer, Ernst, Philîppi, Beyerlein observent,
comme Sudermann, la tradition scénique.
Fulda a de l'agrément, de la souplesse. Il a fait de
jolis vers et d'élégantes épigrammes ; il a traduit Molière
et Rostand; on trouve dans ses pièces de la grâce, de la
tendresse, un esprit aimable, l'abondance, la variété, la
facilité des rimes ; mais il manque de force ; il ne pousse
jamais à fond l'analyse d'un caractère, et ses personnages
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LB XIX* 81ÂCLB 44»
n'ont que l'apparence de la vie. Sa meilleure pièce est
le Talisman,
Drever est souvent lourd et puéril; mais il a de la
simplicité, de la fraîcheur, un réalisme qui plait et ses
personnages sentent le terroir; son Candidat offre des
types pris sur le vif et sa comédie romantique en vers Le
Flambeau nuptial a beaucoup de piquant.
Otto Ernst s'entend à faire jouer le ressort de l'actua-
lité; il parodie avec succès les littérateurs et les péda-
gogues de son temps; mais il n'a pas les dons particuliers
à l'homme de théâtre.
Philippi, diligent, adroit, inventif, sait choisir ses
sujets et, par d'habiles allusions au présent^ produire des
effets qui forcent l'émotion et l'applaudissement.
Comme Sudermann, Beyerlein cultive à la fois le
roman et le drame. Dans léna ou Sedan^ tout en prédi-
sant un désastre, il décrit la vie d'un régiment d'artille-
rie et les progrès du socialisme dans l'armée ; il retrace
dans Sémilde Hegewalt la destinée d'une femme malheu-
reuse et, dans Un camp d'hiver^ un épisode de la guerre
de Sept Ans. Son drame La Retraite offre une fidèle
image du monde militaire, une action rapide, des per-
sonnages aux traits nettement marqués, bien que Clara
rappelle la Claire èiEgmont et son père, l'Odoardo
èi Emilie Galotti. Le Maître Valet témoigne d'un sincère
effort, mais n'a pas les mêmes mérites.
Le Silésien Hauptmaon (né a Obersalzbrunn en 1862),
petit-fils d'un tisserand, fils d'un hôtelier, élevé chez
un oncle piétiste, avait suivi des cours de dessin a Bres-
lau et de sciences naturelles a léna lorsque, après des
voyages en Espagne et en Italie, à l'âge de vingt-huit ans,
il se maria. II composa successivement un drame de
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446 LITTBRATURB ALLBUANOB
Tibère^ une épopée. Sort Sun Prométhide^ imitée de
Byron, un recueil de poésies lyriques, Le livre bigarré^
et deux nouvelles. Le garde^harrihre Tkiel et V Apôtre.
En 1889, il fit jouer le drame Avant le lever du
eoleiL II l'intitulait ainsi parce que Faction ne dure que
trente-six heures. La scène est dans un centre minier
de la Silésle au milieu de la famille Krause. Le paysan
enrichi Krause qui passe son temps au cabaret à s^eni-
vrer d'eau-de-vie; M"^* Krause, sa seconde femme, gros-
sière, brutale, vaniteuse, coquette, et qui le trompe avec
Guillaume Kahl; le beau-fils, Tingénienr Hoffmann,
libertin sans scrupules, et sa femme, la fille ainée de
Krause, Marthe, adonnée à l'alcool ; la fille cadette de
Krause^ Hélène, écœurée de son entourage, désespérée,
résolue à se sauver ou à se tuer pour échapper à son
père qui tente de lui faire violence, a sa belle-mère qui
désire la marier à Kahl, et à son beau-frère qui cherche
a la séduire, tels sont les personnages que Hauptmann
nous présente d'abord. Survient un camarade de Hoff-
mann, Alfred Loth, écrivain socialiste, qui recueille les
matériaux d'un travail sur la vie des mineurs. Hélène
Taime aussitôt, le regarde comme un Messie. Mais Loth
apprend qu'elle est fille d'un alcoolique^ et Loth,
buveur d'eau et membre d'une société de tempérance, ne
veut pas d'une femme qui lui donnerait des enfants
dégénérés. 11 s'éloigne et Hélène se poignarde. La pièce
abonde en détails inutiles, en conversations superflues;
Loth déclame trop longuement contre l'alcool. Mais les
caractères ont de la vigueur, et la scène d'amour entre
Hélène et Loth est pleine de fraicheur et de naturel.
On reconnaît dans le premier drame de Hauptmann
l'influence de Nora et des Revenants. La pièce qui suivit,
La fête de la paix (1890), décèle encore l'imitation d'Ibsen.
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LB XIX* SIBCLB 447
Les personnages ont plus ou moîns le délire de la persé-
cation, et quoi que fasse Hauptmann^ l'histoire de ces
cinq Scholz, qui s'étaient séparés et qui se réconcilient
un soir de Noël pour se quitter incontinent, est confuse
et obscure. Deux de ces Scholz sont assez bien peints, le
frère cadet, borné, envieux, cynique, et la sœur, exas-
pérée par la célibat. Le père, la mère, le fils aine
manquent de netteté. Comme Ibsen, Hauptmann révèle
peu à peu le caractère de ses héros, et il croit de la
sorte tenir en haleine notre curiosité; mais il use mala-
droitement du procédé.
Il prit sa revanche dans Ames solitaires (1891). Si ce
drame rappelle Rosmersholm et Hedda Gabier, Tétat
d'âme du principal personnage est finement décrit.
Jean Yockerat voulait être pasteur; il rompt avec
l'Église et devient libre penseur; il vit entre sa femme,
bonne et insignifiante, et son ami Braun, athée con-
vaincu. Mais il est inquiet, nerveux, perdu dans des rêves
philosophiques : homme faible et malgré les théories
qu'il affiche» dépourvu d'énergie et de volfmté. Passe
une émancipée, une ibsénienne, qui n'a ni patrie, ni
famille» ni amis, Anna Mahr. Elle arrache Yockerat à la
mélancolie, le fascine, l'ensorcelle; il croit être au ciel
depuis qu'il la connaît; il passe tout son temps avec elle;
il la retient lorsqu'elle annonce son départ. Le père et
la mère de Jean interviennent et le vieux Yockerat^ pre-
nant le bras de sa femme, déclare qu'il ne restera pas
un instant de plus dans une maison oii l'on méprise
Dieu et ses commandements, Jean cède, il laisse Anna
s'éloigner et va se jeter dans le lac.
La pièce Les Tisserands (1893) manque d'unité. Mais
elle déroule en une suite de scènes saisissantes la
détresse des tisserands silésiens et leur soulèvement. Au
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448 LITTÂRATOBB ALLBMANDB
premier acte l'opposition se manifeste : Bicker jette son
infime salaire à la tète d'nn brutal commis et invective
rhypoGrite Dreissiger, son patron. Le deuxième acte
noas introduit chez les Baumert qui tuent leur chien
pour manger de la viande; mais déjà le hardi Jfiger
prêche la révolte, et Ton ne s'étonne pas, au troisième,
de voir les jeunes tisserands, dirigés par BAcker et
Jfiger, traverser le village en chantant et braver la police.
Le quatrième acte nous mène dans la maison du fabri-
cant : M"^* Dreissiger se plaint que les ouvriers troublent
sa digestion et Dreissiger met à la porte le précepteur
Weinhold qui les excuse. Soudain l'émeute gronde.
Jftger, arrêté, ne se découvre même pas devant le com-
missaire. On le conduit en prison. Ses amis le délivrent,
et la maison de Dreissiger, qui s'esquive avec tous les
siens, est envahie et saccagée. Au cinquième acte nous
sommes à Bielau. L'insurrection se propage. Louise, la
belle-fille du vieux tisserand Hilse, puis le fils de Hilse
se joignent aux mutins. Le bonhomme refuse de les
suivre. Les soldats surviennent, ils tirent, et une balle
tue cet honnête Hilse, le meilleur des ouvriers, le plus
pieux, le plus patient d'entre eux. Tout dans cette pièce
est vrai, rigoureusement exact, conforme à l'histoire;
pas un détail qui soit inventé. Ce qui vaut mieux,
l'auteur a fait un drame social; il a représenté la foule;
il a produit de puissants effets, et nul n'avait encore mis
sur le théâtre en une suite de tableaux aussi pathétiques
et aussi poignants la misère du peuple et sa colère contre
d'indignes exploiteurs.
Après avoir composé quatre drames, Hauptmann
voulut s'essayer dans un autre genre. 11 fit jouer en
1892 et en 1893 deux comédies : le Collègue Crampton
et la Pelisse de castor. La première se recommande par
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LB XIX'^ SIECLE 4%9
son cinquième acte et surtout par le personnage du
peintre et professeur Crampton, l'incorrigible bohème.
La seconde offre des scènes originales, amusantes,
pleines d'humour, et des caractères vivants : la Wolff, la
fine mouche qui vole impunément le bon Krùger et ment
avec un superbe aplomb, son mari qu'elle mène tambour
battant, ses deux filles déjà vicieuses, son acolyte
Wulkow, et Wehrhahn, ce ridicule fonctionnaire de la
banlieue berlinoise, rogne, cassant, infatué de lui-même,
dupe de la Wolff qu'il proclame une honnête créature.
Enhardi par le succès des Tisserands y Hauptmann
aborda le drame historique et traita dans Florian Geyer
(1896) un épisode de la guerre des paysans. Mais l'action
languit et traine. Ce ne sont que discours, que débats
interminables. La langue, mi-archaïque, mi-populaire,
et je ne sais quoi de lourd et de fatigant. Le nombre des
personnages est immense, et la plupart ne paraissent
qu'une fois : il faut les énuméreren tète de chaque acte.
Enfin, le héros, indécis, impuissant, presque toujours
découragé, n'excite l'intérêt qu'au premier acte lorsqu'il
entre dans Wûrzbourg et au dernier lorsqu'il meurt.
Hauptmann avait été plus heureux dans un drame
romantique. V Assomption de Hannele (1893) présente un
curieux et attachant mélange de mysticisme et de réalisme.
Hannele a quatorze ans. C'est la belle-fille de Mattern,
maçon ivrogne qui l'accable de coups. Elle se jette dans
l'étang pour rejoindre Jésus qui l'appelle. Repêchée,
portée à l'hospice, elle a le délire. Son père lui apparaît
pour la menacer ; sa défunte mère lui apparaît pour lui
décrire les joies du paradis et lui donner une prime-
vère, cette fleur que les Allemands nomment clef du
ciel; la diaconnesse qui la soignait lui apparaît sous
les traits d'un ange pour la préparer à la mort. Haupt-
I.ITTilUTOItB ALLIMAIIDfl. 29
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450 LITTBRÂTURB ALLEMANDE
mann a su peindre les visions de cette fillette pieuse^
naîTe et pourtant déjà femme; il a su montrer la peur
que Mattern lui inspire, son affection pour sa mère,
pour sa sœur Marthe et pour le bon instituteur Gottwald,
sa résignation, la joie qu'elle éprouve à revêtir un costume
de mariée, couronne, voile blanc et pantoufles de vair.
Il a mis de beaux vers dans la bouche des anges, et
Tétranger qui passe la main sur le front de Hannele
pour ôter d'elle la terrestre souillure, s'exprime en
une langue pleine d'éclat et de charme.
Après le mysticisme de Hannele vint le symbolisme de
la Cloche engloutie (1896). Un célèbre fondeur, Henri, a
fondu pour la chapelle d'une montagne une cloche que
le méchant sylvain Waldschrat fait rouler dans le lac en
brisant une roue du chariot qui la porte. Henri a suivi la
cloche. Arrêté par une branche d'arbre, il se traîne dans
une prairie où une elfe, Rautendelein, le ranime. Il
est sous le charme de cette sylphide lorsque des amis
le retrouvent et le ramènent au village. Henri a une
femme et deux enfants ; mais il ne pense qu'à sa cloche
engloutie; il croit qu'elle était mauvaise, destinée aux
vallées et non aux hauteurs. Rautendelein, déguisée en
servante, vient le soigner : elle le baise sur les yeux et ce
baiser le rend clairvoyant; il reconnaît la beauté, il brûle
de créer, il accompagne la petite fée dans une cabane de
la montagne et travaille à un carillon qui doit être mer-
veilleux, incomparable. Vainement le pasteur veut le
reprendre à Rautendelein ; Henri déclare qu'il ne se repen-
tira que lorsque sonnera la cloche engloutie. Toutefois
il a des remords, et l'œuvre qu'il médite, n'avance pas.
Un jour, il entend les plaintes de la cloche engloutie,
et ses enfants lui apportent dans une cruche les larmes
de leur mère qui s'est noyée de désespoir. Il mauditRau-
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LB XIX* SIECLE 45t
tendelein et Tabandonne. Repoussé par les habitants du
village, il retourne à elle; elle est devenue la femme de
Tondin Nickelmann, et il meurt. Quelle est Tidée du
drame? Cette cloche engloutie serait-elle le symbole de
Téchec de Florian Geyer? La pièce représenterait-elle la
révolte des forces éternellement vivantes de la nature
contre Thomme qui tente de les asservir? Henri est-il
l*ètre inconstant qui flotte comme dans la Stella de Gœthe
entre Tépouse et Tamante, ou Tartiste orgueilleux et
impuissant qui succombe en cherchant l'idéal, ou le héros
du nouvel Evangile, opposant un panthéisme païen aux
dogmes chrétiens et proclamant que l'amour universel
est la source de tout bien? La pièce est donc obscure. Il
faut louer les personnages, non pas Henri que le poète a
trop mollement dessiné, maisMagda, la femme de Henri,
fière, énergique, dévouée, Rautendelein qui connaitaprès
avoir vu Henri les troubles de la passion, la vieille sor-
cière Wittichen, amie des nains et des bètes. H faut louer
certains tableaux pittoresques, certaines scènes gra-*
cieuses ou grandioses, louer le style et un art qui, sans
trop nous surprendre, sait mêler aux hommes les esprits
surnaturels des eaux et des bois. Mais la clarté manque;
Hauptmann, comme son fondeur, n'a pu faire le chef-
d'œuvre rêvé.
n revint au naturalisme en composant Le Voiturier
Henschel (1898). Le voiturier jure à sa femme mourante
de ne jamais épouser sa servante Hanne Schâl. Malgré
son serment, il épouse Hanne, et le voila malheureux; il
est insulté, bafoué, trompé, et il se pend. Les caractères
sont marqués avec vigueur. Hauptmann a bien montré
comment le faible Henschel se débat en vain dans les
filets de la mégère et comment le pauvre homme, remâ-
chant ses infortunes et convaincu qu'elles résultent de
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453 LITTéRATURE ALLEMANDE
son parjure^ finit par le suicide. Mais il a gâté sa pièce en
développant à l'excès certains épisodes et en donnant à
des personnages secondaires une trop grande importance.
Au Voiturier Henschel succéda la comédie fantastique de
Schluck et Jau (1900). Pour amuser une princesse dévorée
d'ennui, un prince fait sur le colporteur Jau l'expérience
qu'un lord de Shakespeare a faite sur le chaudronnier
Sly devenu pendant son sommeil seigneur du château.
Or, Jau est ivrogne et dans sa fortune nouvelle il reste
ivrogne. Qui pis est, il lâche la bride à tous ses vices ; il
veut pendre le prince, empoisonner sa propre femme,
poignarder Schluck, le dévoué Schluck, l'humble et
résigné Schluck dont la personne lui rappelle son passé
misérable. Pour se débarrasser de Jau, le prince lui
administre un narcotique. Hauptmann désire évidemment
montrer que l'illusion diffère peu de la réalité. Mais la
pièce est trop longue, et le mélange de grossier réalisme
et de fantaisie romantique, l'emploi excessif du dialecte
silésien, le manque complet d'action justifient l'insuccès.
Michel Kramer (1900) échoua pareillement : le caractère
des personnages n'est qu'esquissé, et leurs actes ne
sont pas clairement expliqués.
Le Coq rouge (1901) est la suite de la Pelisse de castor.
La Wolff, devenue veuve, a convolé en secondes noces avec
le cordonnier Fielitz ; elle l'entraîne à mettre le feu au
logis pour toucher l'assurance et elle réussit par ses
manœuvres a détourner les soupçons sur le fils imbécile
de l'ancien gendarme Rauchhaupt; elle fait bâtir; mais
elle tombe malade, elle donne toutes ses économies à
un gredin de beau-fils, elle craint que Rauchhaupt ne
découvre son crime ; elle meurt à l'instant où sa maison
est achevée. La pièce, un peu sèche et ennuyeuse, n'a pas
la même verve, le même humour que la Pelisse de castor.
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LB XIX^ SISCLB 463
Le Pauvre Henri (1902) n'est autre que l'histoire contée
jadis par Hartmann d'Ane; mais Hauptmann escamote la
scène de Salerne, et il n'a pas autant de fraîcheur et de
naïveté que son modèle ; son œuvre offre des longueurs ; c'est
un drame lyrique qui manque de mouvement et d'action.
Rose Bernd (1903) méritait son échec. L'héroïne qui
tue son enfant n'est pas une Marguerite; elle n'éveille
pas la pitié; elle n'a pas d'amour; elle n'a que des sens,
et, d'un bout à l'autre de la pièce, elle craint qu'on ne
découvre sa grossesse.
Elga (1905) n'est qu'un récit de Grillparzer, un rêve
dramatisé; Et Pipa danse (1906), une œuvre puérile, et
presque incompréhensible, en un style bizarrement haché ;
Les demoiselles du Bischofsberg (1907), une histoire
d'amour, mêlée d'épisodes burlesques, banale et faible;
VOtage du roi Charles (1908), malgré de beaux passages
poétiques, une pièce invraisemblable et trop pauvre d'évé-
nements pour être qualifiée de drame; GriséUdis (1909),
une déplaisante et grossière transformation des person-
nages de Boccace.
Hauptmann est souvent trop long. Il s'attarde à décrire
l'accessoire et se perd en menus détails. Il ne sait pas
répartir l'ordre et la lumière. Ses drames sont moins
des drames que des tableaux de genre. Il se pique d'être
un Protée et d'étonner le public par ses métamorphoses.
Mais il n'a pas assez d'invention ni d'imagination pour
produire tous les ans une œuvre vraiment nouvelle; le
souffle lui manque, et il s'appuie presque toujours à
autrui. S'il a une ardente sympathie pour ceux qui
souffrent, l'impression qu'il laisse a quelque chose de
morose et de dur, de pénible et d'accablant. Certes, il a
de la finesse, de la profondeur; il sait camper ses per-
sonnages et les faire parler comme ils parlent tous
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%64 LITTERATUnB ALLBMANDB
les jours; aucun d'eux pourtant ne vivra dans le sou-
venir des hommes. Enfin, il n'a pas son style à lui, et
ni sa prose ni ses vers n'ont cette empreinte personnelle
qui nous ferait crier : <c Voilà du Hauptmann ! »
On doit citer après Gerhart Hauptmann sou frère
Charles qui ne manque pas de talent, Halbe, Hartleben,
Hirschfeld, Flaischlen, Wedekind, Erler.
Max Halbe aime son pays natal, le pays entre Oder et
Vistule, et il s'en inspire; il sent et il rend l'harmonie
entre les hommes et le sol. Son drame Jeunesse (1893)
reste sa meilleure œuvre : le hasard tranche le dénoue-
ment; mais les caractères sont dessinés d'un ferme et
sûr crayon, et la première montée de la sève juvénile,
l'éveil de la passion dans le cœur de Hans et d'Anna, la
lutte d'Anna contre le sentiment qui l'envahit, tout cela
est naïf, vrai, saisissant. La 7err0(1897) offre pareillement,
quoique à un degré moindre, un spectacle dramatique,
Halbe a de la couleur, de Téclat, de l'ingéniosité, et
certains de ses tableaux donnent l'immédiate sensation de
la vie ; mais il rate la fin de ses pièces ; il ne les construit
pas solidement; il fait agir et parler ses personnages
par saccades et par fébriles soubresauts.
Hirschfeld a dans Les Mères ^ Agnès Jordan et PauUne
décrit la petite vie bourgeoise avec une exacte minutie et
un talent d'observation très perçante, bien qu*nn peu
longuement et sans réussir à composer un grand et
vivant tableau. Son drame fantastique Le chemin de la
lumière a quelque chose d'incertain et de flottant. L'ttit à
côté de Vautre manque de vigueur. Il y a dans Misse et
Maria de la finesse et de l'humour. Hirschfeld sait bâtir
une pièce; mais il n'a pas d'imagination et il ne crée pas
de caractères intéressants.
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LB XIX" SIECLE 455
Hartiebeu se moquait de tout, et sa première comédie^
Angèlcy porte cette épigraphe : « Méprise la femme ». Il
avait on style souple, sinon personnel, et un humour réel«
une ironie souriante, une raillerie souvent fine. Dans le
Lundi gras il décrit, à la Sudermanu, un peu longue-
ment, mais avec une saisissante exactitude et une vérité
parfaite le monde des officiers, et il a répandu sur ses
deux amants le charme d'une douce et tendre mélancolie.
Plusieurs de ses poésies lyriques sont d'ailleurs ravis-
santes dans leur simplicité.
Flaischlen a fait de bons vers ; mais dans ses drames
il force la note; pas de finesse, pas d'action, de la
brutalité et de la gaucherie.
Frank Wedekind est bizarre, grotesque, violent, et il
se plait à l'être ; mais par ce qu'il a d'énergique, de hardi
et d'original il a conquis la jeunesse, et il est à la mode.
OttoErlera composé le Tsar Pierre. C'esXy malgré des
faiblesses et des invraisemblances, un grand drame
historique. Les scènes sont fortement liées, et le caractère
du tsar a de la vigueur.
Trois Autrichiens, Bahr, Hofmannsthal et Schnitzler,
font honneur à la scène allemande.
Hermann Bahr se donne des airs de profondeur; ses
pièces ne sont que d'interminables entretiens, non exempts
d'esprit. Mais son Etourneau offre une peinture fraîche
et vive du théâtre viennois.
Hugo de Hofmannsthal a fait une Electre et un Œdipe,
Son Electre qui d'ailleurs exprime en très beaux vers la
rage et la joie de la vengeance, est une furie, une
Ménade. Son Œdipe forge lui-même son destin. Hof-
mannsthal transforme ainsi les personnages de la légende
antique; ce sont des êtres fiévreux, nerVeux, hystériques,
modernes, des êtres qui sortent du cerveau de l'auteur,
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456 LIl^ERATURB ALLEMANDE
et il leur prête une langue éclatante, flamboyante.- Il a
même le style trop continûment magnifique : il pense
plus h présenter les passions qu'à dénouer Faction; il se
complaît aux morceaux de bravoure jusqu^à oublier la
marche du drame; il a l'ivresse de la couleur. Mais
quelle harmonie et que d'images pleines de grâce ou de
grandeur qui charment ou éblouissent! Aussi eat-il plus
lyrique que dramatique.
Arthur Schnitzler représente dans ses drames comme
dans ses romans des personnages qui jouissent de l'exîs*
tence avec délices et parfois avec une sorte de frénésie.
Finement, non sans une aimable ironie, en un style
clair, piquant, scintillant il analyse leur état d'âme, les
montre amoureux, gais, frivoles, uniquement préoccupés
de l'heure présente, profondément égoïstes, attristés un
instant par la pensée de la mort et au sortir de ce fugitif
accès de mélancolie courant derechef au plaisir. Sa
meilleure pièce, bien qu'assez mince, est Amourette qui
joint à la simplicité de l'action et à la vérité des détails
un dénouement tragique. Mais il a peu d'invention et peu
d'haleine ; ses héros ont beau causer avec élégance ; ils
ne vivent pas. Avant tout, dans ses piécettes comme dans
ses nouvelles, Schnitzler est et reste le poète de la susses
Màdely de la mûde Grazie.
Science et histoire.
On ne peut guère, dans ce rapide tableau des lettres
allemandes, étudier les historiens, les philosophes, les
grands savants qu'a produits le xix^ siècle ; encore faut-il
citer quelques noms.
Si les deux frères Grimm se rattachent au romantisme,
les deux frères liumboldt continuent la tradition classique.
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f LE XIX** SIÈCLE 457
Guillaume de Humboldt (1776-1835) tenta de déter-
miner les limites de l'action que l'État doit exercer ; il
composa des Essais esthétiques et, entre autres, une 4ift-
sertation instructive, quoique longue et pédantesque,
sur Hermarm et Dorotliée\ il fit deux volumes sur la phi-
loisophie du langage. Il se piquait d'avoir toujours vaincu
la passion par l'énergie de sa volonté; aussi a-t-il une
froide et raide élégance; rien de vif et de spontané; il
veut tout dire, tout réfuter, et à force d'être complet, il
devient obscur. Mais il est imprégné de l'esprit antique,
il aime ardemment la vérité, il cache avec une sorte de
pudeur la flamme secrète de son âme, et la noblesse de
ses sentiments se reflète dans des sonnets qui sont
d'une beauté classique ainsi que dans ses Lettres à une
amie. Ces Lettres qu'il écrivait à Tinsu de tous par goût
du mystère et parce qu'il se plaisait k diriger une femme
qu'il avait autrefois aimée, offrent un certain attrait,
bien que leur style trop calme et trop grave fasse penser
au soleil d'hiver qui nous éclaire sans nous réchauffer.
Alexandre de Humboldt, l'auteur du Cosmos^ manque,
comme Guillaume, de couleur et de vivacité; ses
ouvrages, pleins de détails et dépourvus d'ensemble,
sont, selon le mot d'Àrago, des portraits sans cadre;
mais, tout en étudiant des groupes isolés de phénomè-
nes, il cherche à généraliser, à trouver les grandes lois
qui régissent le monde, à comprendre l'ordre de la
nature.
Parmi les historiens du xix^ siècle, très peu ont le don
d'évoquer le passé et de lé faire vivre, de rendre forte-
ment la physionomie des événements, et leur trait mar-
quant, c'est la conscience de leurs investigations.
Niebuhr a la phrase longue, lourde, embarrassée; mais
il a fixé les règles de la méthode historique et il voulait,
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46a LITTÉRATURE ALLEMANDE
diaaiWI, montrer les Romains comme des êtres de notre
chair et de notre sang.
L'influence de Wolf fut plus profonde que celle de
Niebuhr. Dans ses Protégomènes le génial critique, en
une langue qui passe pour un modèle, enseigna que la
science de l'antiquité embrasse tout le monde gréco-
romain; qu'il s'agit non seulement d'expliquer les textes,
mais de reconnaître l'homme sous les textes et de
retrouver la beauté, la grandeur des anciens.
Après Wolf vinrent Curtins, Duncker, Droysen,
Mommsen.
VHiêtoire grecqued^Ernesi Curtius est une œuvre d'art
par la chaleur du ton, par la noblesse et la pureté du
style, par le rythme de la phrase.
Duncker n'a pas, dans son Histoire de F antiquité qui
témoigne du savoir le plus vaste, évité ni les longueurs
ni les négligences.
Droysen est concis, souvent tendu; on lui voudrait
plus d'ampleur et il a le ton dogmatique. Mais il a étudié
l'histoire ancienne et l'histoire moderne. S'il prétend
démontrer que la victoire de la force est la victoire d'un
droit supérieur, il sait adroitement saisir les traita gêné*
raux d'une époque, si confuse et embrouillée qu'elle
soit, démêler les idées qui dominent une révolution,
marquer nettement l'influence que la politique et la civi-
lisation exercent l'une sur l'autre.
Mommsen modernise événements et personnages, et
il fait trop de rapprochements, les uns piquants, les
autres bizarres, avec les choses et les personnages de
notre temps. Il aime les grands ambitieux, ceux qui par
leur volonté de fer jettent le monde dans de nouvelles
voies. CaVus Gracçhus, Sylla, César, voilà ses héros. Mais
les vues d'ensemble, le relief des portraits, l'habile
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LE XIX"" 6IKCLB 459
emploi de l'épigraphie et de la linguistique, le savoir de
l'auteur qui veut être complet et qui ne néglige aucun
trait dans ce tableau du passé, font de V Histoire romaine
une des œuvres les plus remarquables de ces dernières
années. Si le style manque parfois d'aisance et de clarté,
il a de la vivacité, de la force, du mordant, et ce style,
c'est rhomme même, c'est Mommsen^ plein de verve, de
pétulance et d'esprit incisif.
Raumer et Schlosser ne font que citer des faits sans
s'élever aux considérations générales.
Gervinus est un homme de parti qui, dans son Histoire
du XJX* siècle écrit à bride abattue; mais ton Histoire
de la littérature allemande est le fruit d'une immense
lecture; on y trouve une foule de jugements solides et
d'aperçus ingénieux.
Hftusser est intéressant et rapide, exact et conscien-
cieux.
Ranke fut peut-être le premier des historiens du
XIX* siècle. Il n'est pas toujours profond; mais il embrasse
dans ses études l'histoire entière ; il soumet ses sources
à une sévère critique; il peint tantôt à grands traits,
tantôt avec minutie les personnages principaux et il dis*
tribae à propos dans leurs portraits l'ombre et la lumière ;
il s'attache à les comprendre, à les expliquer, souvent a
les excuser ; il est sobre, mesuré, fin, et il ne veut être
dupe de rien.
Pertz, Waitz, Giesebrecht sont avant tout des savants.
Fallmerayer prétendit que les Grecs actuels étaient
des Slaves, des Albanais qui n'avaient pas dans les veines
une goutte de sang hellénique et il décrivit les paysages
et les mœurs de l'Orient en un style qui joint la vigueur
à l'élégance.
Gregorovius a fait un ouvrage considérable, V Histoire
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y
460 LITTÉRATURE ALLEMANDE
de la çUle de Rome, et dans une langue claire, aisée,
colorée, un peu diffuse, il expose les aspects et raconte
les destins de la ville éternelle, de la ville sainte et
cosmopolite qui représentait Tidée de la paix et de
Tharmonie au milieu des combats de Thumanité.
Sybel a fait dans son Histoire de l'Europe pendant la
Réffolution française, en un style simple, net et froid,
une œuvre solide. Son Histoire de la fondation de
l'Empire allemand n'a pas la même vigueur et la naème
verdeur; il est Prussien, il se pique d'écrire <x cum ira et
studio » et Bismarck le regardait comme un de ses plus
précieux collaborateurs .
Treitschke, lui aussi, est partial de dessein prémédité;
lui aussi est patriote; lui aussi est Prussien, et il ne
mâche pas les expressions à ses adversaires. Mais il a un
grand talent ; s'il tranche légèrement les questions, s'il
abuse des généralisations aventureuses, s'il dénature les
physionomies, il excelle dans l'histoire des lettres et des
mœurs, il retrace avec vivacité les mouvements popu-
laires, il anime ses récits, il semble lutter encore pour
cette unité allemande dont il expose la genèse, on sent
tressaillir en lui quelque chose de l'âme violente des
combattants et on croit entendre dans son œuvre un bruit
d'épées et Técho des cris de guerre.
Lamprecht tente de présenter en une vaste et puis-
sante synthèse l'histoire de l'Allemagne. L'abondance des
détails ne l'empêche pas d'être clair. Il met en lumière
les personnages de premier rôle; tout en démêlant le
jeu des intérêts politiques, il retrace assez bien l'organi-
sation intérieure et l'évolution sociale, intellectuelle,
artistique du pays; il rapproche et unit étroitement entre
elles toutes les manifestations de l'âme allemande.
Les philosophes sont aussi nombreux que les historiens.
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LE XIX" SIECLE 461
Après Fichte et Schelling, parut Hegel. On ne peut dire
qu'il soit un écrivain; son style est obscur, tourmenté,
disloqué, vraiment barbare; s'il a quelquefois un mot
juste ou une belle image, ces bonheurs d'expression
s'évanouissent sur le champ dans d'épaisses ténèbres : il
n'a pas défini sa terminologie.
Un disciple de Hegel, Louis Feuerbach^ l'auteur de
U Essence du christianisme et de V Essence de la religion y
a par un style clair et entraînant influé sur les esprits et
sa parole résonnait, selon le mot de Ruge, comme une
trompette de Jéricho; Herwegh, AVagner, Gottfried
Keller, George Eliot ont reconnu ce qu'ils lui devaient.
Un autre hégélien, David Strauss, n'a pas fait seule-
ment le célèbre ouvrage (1835) qui réduit à l'état de
mythe la vie de Jésus; il a raconté en très bon style la
vie de Hutten, de Voltaire, de Schubart, de Kerner.
Schopenhauer ruina l'autorité de Hegel qu'il nommait
un sophiste et un bâtard de Kant. Le pessimisme qu'il
prêchait eut, quoique tardivement, du succès. Mais
Schopenhauer est un maître écrivain. Ses idées sont bien
liées, et une fois ses prémices admises, il explique et
déduit son système très logiquement. Il joint à une
érudition prodigieuse un esprit brillant et incisif. Avec
quel éclat et quelle force il combat l'amour, ce grand
coupable, qui perpétue la douleur dans le monde! Quelles
invectives humoristiques et que de mots terribles contre
les femmes et la folie du vouloir-vivre! 'Quelle éloquence
passionnée et quelle abondance singulière d'arguments
et d'exhortations pour amener l'humanité à se supprimer
elle-même !
Son disciple, Edouard de Hartmann, auteur de la
Philosophie de l' inconscient ^ est, lui aussi, ingénieux et
déploie beaucoup de finesse et de vigueur dans sa
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MS LITTERATURE ALLEMANDE
démonstration; lui aussi peint en de sombres tableaux
les illusions et les misères de l'homme; froidement,
impassiblement, sans montrer la moindre pitié» il dé*
pouille Texistence de ses prétendus charmes pour la
conduire au néant.
Les mêmes raisons expliquent la vogue de Nietssche,
et Ton comprend que les romanciers aient subi son
influenoci qu'ils aient mis en scène son « surhomme »,
le privilégié, l'artiste qui vainement aspire à l'idéal. Il
aimait les penseurs de la Grèce et surtout les philo*
sophes présocratiques; il avait lu nos classiques et il
louait» il admirait la précision et la clarté des Français;
ses idées sont celles qu'il a trouvées, non seulement
dans Schopenhauer, mais chez Pascal, La Rochefoucauld
et Chamfort, chez Stendhal» Taine» Renan» Guyau, et
ces idées» il les revêt d'une forme splendide. Il est para-
doxal» outrancier» porté a renchérir sur lui-même,
et il n'a pas eu le temps ou la force d'exposer son
système en un vaste ouvrage d'ensemble. Mais il manie
avec une aisance souveraine les mots et les sons» ces
« arcs en ciel »» ces « ponts entre ce qui est éternelle-
ment séparé »» et nombre de ses pages sont vraiment
enflammées, vraiment lyriques. Quel magnifique éloge
il a fait de la souffrance et quelle satire sanglante des
vices de notre civilisation ! Avec quelle dialectique vigou-
reuse et quelle verve sarcastique il a montré que la voix
de la conscience n'est le plus souvent que celle de l'inté-
rêt! Avec quels accents héroïques il célèbre le courage
et proclame que la vraie culture consiste dans le libre
épanouissement du moi! Avec quelle grandeur il parle
de la vie qui ne Ta pas déçu parce qu'elle est un moyen
de connaissance et parce que la connaissance lui offre un
monde de dangers et de victoires où se déploie la bra-
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LE XIX* SIECLE 463
voure, et, par Buite, la joiel Avec quel enthousiasme il
annonce son Surhomme dans les versets de Zarathoustra !
Il abonde en images. Ne dit-il pas que son Zarathoustra
a jailli de l'inspiration poétique, d'un enchantement,
d'une extase, où la métaphore s'imposait k lui, comme
l'expression la plus naturelle et la plus juste» où s'ou-
vraient à lui tous les trésors du verbe?
Enfin, les plus récents philosophes, Lotze et Eucken,
Wundt et Paulsen^ n'ont-ils pas un style élégant et
précis?
La littérature allemande n'est donc pas sur son déclin.
Elle a produit une très riche poésie lyrique ; elle a tenté
de créer un théâtre original ; ses romanciers, ses philo-
sophes ont l'honneur des traductions étrangères. Sans
doute elle ne possède pas, elle ne possédera pas l'impe-
rium mondial, le WeUimperium que Guillaume II, dans
un de ses discours, attribue à la science de l'Alle-
magne. Mais durant le xix* siècle elle s'est admirable-
ment développée; après la guerre^ après la fondation
de l'Empire, elle n'a pas arrêté sa marche. Et quel
est le domaine où l'Allemagne, une désormais et puis-
sante, convaincue de sa force et toujours désireuse de
l'accroître, hardie comme elle ne le fut jamais, animée
de l'esprit d'entreprise, ne cesse pas de progresser? La
victoire, dit Gœthe dans le Faust, est la déesse de toutes
les activités.
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INDEX
(On trouvera dam cet index, arec les nome d'auteuri, les prénoms et
les dates biographiques qui n*ont pas trouvé place dans le texte; les
chiffres renvoyant aux passages essentiels sur les auteurs sont imprimés
en caractères gras.)
Abbt (Thomas), 205, 206.
Abraham a Sancta Clara (de son
vrai nom Hans-Ulrich Megerlin),
IM, 245.
Ackermann de Saaz, 102.
Addison, 164, 165, 169, 279.
Adler (Frédéric; né en 1857), 433.
Anicola (Jean; 1492-1566), 131.
Albéric de Besançon, 30.
Albert, auteur du Petit Titurel, 41.
Albert d'Halberstadt, 32.
Albert (Henri; 1604-1651), 138.
Albert (prince), 244.
Alberti (Conrad, de son vrai nom
Sittenfeld, né en 1862), 435.
Albertinus (Aegidius), 1560-1620,
152.
Alberas (mort en 1553), 118.
Alboin, 3.
Alevin, 9, 13, 14.
Aleseharu, 37.
Alexandre (maître^, 57.
Alexandre (V) de Lamprecht, 30.
^ de Gautier de Chftttllon et d'Ul-
rich d'Eschenbach, 42.
— de Rodolphe d'Ems, 44.
Alexiêj 24, 43.
Alexis (WiUibald), 407.
UTTimATORS ALUMAirttB.
Alfred, 18.
Allégorie, 35, 43, 89, 90.
Alphart (Mort dl 64.
Alxinger (Jean-Baptiste d*; 1755.
1797), 314.
Amadie, 126, 132, 151.
Amélie de Saxe-Weimar, 185, 277.
Amis de Dieu, 103.
Angélus Silesius, 149.
Anglais (comédiens), 130.
Anglo-Saxons, 4, 10, 12, 13.
Anhalt (Henri I, duc d*), 58.
Anhalt (Louis d*), 134.
Anno {Chant tT), 24.
Antechriêt (Jeux de T), 97, 128.
Antéchrist (poème sur Y), 24.
Anthologie, 277, 278.
Antoine Reiser, 316.
Antoine-Ulrich de Brunswick, 152.
Anxengruber, 424.
Archenholtx (Jean-Guillaume de),
312.
Archi'poète (1'), 26.
Arigo, 106.
Arioste, 184, 314, 328.
Aristophane, 207, 350.
Aristote, 194, 195, 196, 203, 209,
240.
Arminius, 1, 117, 179,222, 346 (voir
Hermann).
30
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466
INDEX
Aradt (Jean), 145.
Arndt (Maurice), 325, 327, 386.
Arnim (Achim d'), 337, 338, 343, 381.
Arnold (Gottfried), 146.
Arnold (Jean-Georgea-Daniel), 412.
Arthur (le roi), 28, 33, 37, 38, 44,
58, 61, 89.
Aiheaaeum, 328.
Athénée, 46.
Attila, 2, 7.
Aubades, 37, 48, 56.
Anerbaeh, 319, 411, 412, 415.
Auersperff (comte d'), voir Grrlin.
Aufklàrung (H, 159, 204, 205, 211.
Auguste, duc ae Saxe, 134.
Ato (la recluse), 24.
Ayenarius (Ferdinand; né en 1856).
432.
Aventinus, 124.
Aymon {Les quatre filé), 126.
Ayrer, 130.
B
Baader, 365.
Bahr (Hermann; né en 1863), 455.
Ballade, 96, 223, 241, 287.
Baptiste de Mantoue, 107, 108.
Barclay, 151.
Barde», 179, 313.
Bataille de Rapenne, 64.
Bftuerle (Adolphe; 1786-1859), 356.
Bauemfeld (Edouard de; 1802-
1890), 356.
Baumbach (Rodolphe; 1840-1905),
414.
Bauyin, 172.
Bayle, 110, 188.
Beaumarchais, 266.
Beck 367.
Becker (Ausruste), 391.
Becker (Nicolas; 1809-1845), 386.
Béda, 13, 14.
Béer (Michel), 343.
Beheim (Michel), 93-96.
Benedix (Roderich; 1811-1873), 406.
Benoit de Sainte-More, 32, 43.
BeoYulf, 12, 13.
Béranger, 339.
Berlin, 188, 328, 190, 191, 192, 205,
323, 873, 382, 428.
Bernard de Ventadour, 50.
Bernard (saint), 145.
Berne, 89, 101, 129, 167, 184.
Bernger de Horheim, 50.
Btirquiii, 20G.
Berrr (duchesse de), 3'i0.
Berthold de Ratisbonne, 62-63.
Besser (Jean de; 165^-1729), 160.
Bettina d'Arnim, 381.
Beyerlein (François -Adam: né en
1871), 445.
Beyle-Stendhal, 187, 462.
Bèze (Théodore de), 132.
Bible (la), 18, 112, 114, 264. 300.
Bîrken (Sigismond de; 1626-1681),
135, 152.
Bismarck, 413, 414.
BiUrolf, 64.
BîOmson (Bidrnstjeme), 427.
Bleibtrett (Charles ; né en 1859). 435.
Blet», 128.
Bligger de Steinach, 50.
Blacher, 325.
Blumauer (Jean-Aloys; 1755-1798),
314.
Blumenihal (Oscar; né en 1853),
423, 424.
Blllthgen (Victor ; né en 1844), 431.
Bocage (le) ou le Hain, 220-229.
Boccace, 198, 328, 453.
Bodenstedt (Frédéric de; 1819-
1892), 349.
Bodmer (Jean-Jacques; 1698-1783),
73, 165, 169, 176, 177, 212, SIS.
Boèce, 22.
Boehmer (Caroline), 331.
BohUn (Hélène, M- Al Raschid
Bey; née en 1859), 437.
Bôhme (Jacques), 149, 330.
Boie (Christian-Uenri; 1744-1806),
207, 220, 221, 222, 300, 354.
Boilean, 161, 163.
Boisserée, 294.
Bojardo, 314.
Bondeli (JuHe de), 184.
Boner (Ulrich), 91.
Bons Allemands (Compagnie des),
Boppe (maître), 59.
Borne, 46, 337, 343, 371 , 37M13, 380.
Bottger, 390.
Bôttxger (Charles-Auguste). 333.
Bouf tiers, 186.
Boy-Ed (Ida; née en 1853), 437.
Brabant (Jean I, duc de), 53.
BrachTogel (Albert -Emile; 1824-
1878), 406.
Brandebourg (Otto IV, margrave
de), 53. .
Brant (Sébastien), 107, 108, 109. >
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INDEX
467
Drantôme, 59.
Bredow, 388.
Breiting^r (Jeau>Jacques ; 1701-
1776), 165, 169. 170, 177.
Brémoifl (le»), 170-173, 177.
Brennenberg (Reinmar de), 96.
Brentano (Clément), 337, 338, 340.
Brenx, 128.
Breslau (Henri IV, duc de), 53.
Breslau, 149, 19 t.
Brion (Prédérique), 209, 230, 256,
285, 307.
Brockes (Bar thold- Henri; 1680-
1747), 165, 166-167.
Brun de Schonebeck, 47.
Bnchholz (André-Henri ; 1607-1671 ),
152.
Buchner (Aug^uste; 1591-1661), 138.
Bachner (Georg^es, 1813-1837), 343.
Buff (Charlotte), 260, 261, 307.
Bahel (Jeon de), 88, 89.
Btirger (Gottfried-Augu9te), 207,
208, 215, 217, 220, 224, 225-227.
Burgondes, ii,
Burkart de Hohenfels, 54.
Bnrns, 413.
Busse ^Charles; né en 1872), ^31.
Busse-ralma (Georges ; né en 1876),
431.
Bypon, 295, 30'i, 339, 354,385,394,
397, 414.
Cagliostro, 278.
Galderon, 336, 362.
Canaris, 339.
CanariuB, 122.
Ganitz ( Frédéric - Rodolphe - Louis
de), 160-161.
Garlingie, 28.
Gasielfi, 356.
Caton (Distiques de), 60.
Geltis (Conrad), 107.
Cercie (le), 89.
Cersne (Eyerard), 90.
Cerrantes, 184, 328, 336.
Chamfort, 328, 462.
Chamisso, 337, 338, 338, 340.
Chant de Louis, 15,
Chant de gaint Pierre, 16,
Chant d^Ezzo, 23.
Chant d'Hitdebrant, 10, 15.
Chapelle, 167.
Gbarlemagne, 4, 7, 9, 10, 11, 18.
Charles (urchiduc), 324.
Charles-Auguste de Weimar, 238.
270. 271, 273, 276, 278, 281, 294.
Charles X, 340.
Charles -Eugène de Wurtemberg,
228, 232, 23/i, 385.
Chartier (Alain), 172.
Chaulieu, 167.
Chénier (Joseph), 311.
Chrestien de Troyes, 33-35, 40-!il.
Christ (te) et la Samaritaine, 16.
Chronii/ue allemande, bavaroise,
noméranicnne, suisse, 12(i-125.
Chronique impériale, 29.
Chronique d'Autriche, de Cologne,
de Livonie, etc., 47,
— d'Alsace, de Berne, de Thu-
ringe, 101.
Claar (Emile; de son vrai nom
Roppoport. né en 1842), 433.
Clajus, 113.
Caudius (Mathias), 207, 227-228.
Clunv, 23.
Cochlâus, 110.
Colin (Pliilippe), 88.
CoUin (Henri-Joseph de; 1772-1811),
356.
Comte Rodolphe, 30.
Condé, 243.
Conrad d'Ammenhausen, 92.
Conrad do Fuss>ebrunnen, 47.
Conrad de Haslau, 69.
Conrad de Heimesfurt, 47.
Conrad de Stoffel, 41.
Conrad de Wurzbourg, 42-45.
Conrad (le clerc), 27, 29, 4'!.
Conrad (Michel- Georges; né en
1846), 435.
Conradi (Uermann; 1862-1890), 431.
Conradin, 53.
Corneille, 131, 164, 194, 195, 916.
Constantin, 4.
Couronne {la) des aventures, 41.
Cramer (Charles-Gottlob), 316.
Cramer (Jean-André; 1 723- 1 788),172.
Croisodes, 27, 29, 30, 49, 50.
Crotus Rubianus, llO-lll, 117.
Curtius (Ernest, 1814-1896), 458.
Cygnes de TElbe (Ordre des), 13'i.
Cynewulf, 4.
Dach (Simon), 138.
Daffîuger (Marie), 362.
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468
INDEX
DahD (Félix; né en 1834), 415.
Dante, 328, 331, 336.
Dassêl (Reinald de), 26.
Daumer (Georra-Frédéric), 348.
Danthendey (Max; né en 1867),
431.
David d'AugBbourg, 62.
Dedekind (Frédéric), 122.
Defoe, 165.
Dehmel (Richard; né en 1863), 430.
Délie Grazie (Marie-Eugénie; née
en 1864), 437.
Denis (Michel), 179, 313.
Deschampe, 164.
Dettouches, 164, 195.
Diderot, 195, 210.
Dietmar d^Bist, 48.
Dietrich de Bern, 6, 7, 10.
Dietrichstein (Siegmund do), 90.
DingeUtedt, 389.
Directorium Aumanae viUie^ 101,
105.
Diêciplina clericalU, 101.
Dodd, 208.
Dominicains, 102-103,
Donath (Adolphe; né en 1876), 433.
Dostoievsky, 427.
Dranmor, 414.
Dreyer (Max; né en 1862), 445.
Dringenberg, 107.
Drolfinger (Gharles-Frédéric ; 1688-
1742), 165.
Droete-Hûlshoff (Annette de), 396.
Droysen (Gustave; 1808-1884), 458.
Du Bellay, 186.
Du Bos, 169.
Dumat (père), 385.
Duncker (Max), 458.
Durer (Albert), 330, 334.
Bberhard (Jean-Auguste), 206.
Ibers (Georges ; 1837-1898), 414-415.
Ebner-Eschenbach (Marie d'), 422-
423, 436.
Ecbasiê Captwi, 18.
Eck, 116.
Bckart (le féal), 6, 90.
Bckart (maître), 102.
Scke, 64.
Eckermann (Jean-Pierre), 295.
Bckstein (Ernest; 1845-1900), 415.
Edda, 5, 83-84.
Eichendorff, 324, 337, 340^1.
Eicke de Rcpgowe, 63.
Eilhart d*Oberg, 30, 42, 101.
Binhart, 10, 18.
Bkkehard I, 18.
Bkkehard IV, 18.
Blëonore d*Angleterre, 26.
Rléonore d^Ecosse, 100.
Elisabeth de Nassau -Sarrebmck,
100.
Eliot (George), 461.
Bmser, 116.
Enéaâ (jRoman d'), 31.
Enéas SrlTius, voir Piccolomini.
En^ (Jean-Jacques), 206.
Epttreê deg homme» obscurs. 110,
117.
Erasme, 106, 110, 111, 115.
Erfurt, 184.
Erler (Otto ; né en 1873), 455.
Ermanrich. 3, 4, 6.
Ernest {le duc), 27.
Ernst (Otto; de son vrai nom
Otto-Emst Schmidt, né en 1862),
445.
Esope, 189, 194.
Etzel, 7, 19.
Eucken, 468.
Bndide, 194.
Euffène (chant sur le prince), 16i.
EuJenspîegelt 101.
Euripide, 250, 275, 331.
Evers (François; né en 1871), 431.
Exo<ie, 24.
Eyb (Albert d*), 106, 106.
Exzo, 23.
Fables, 91, 118, 17S, 189.
Faits des Romains, 101.
Falke (Gusteve; né en 1863), 432.
Fallmerayer (Jacques; 1790-1861),
459.
Faust {U docUurV 126.
Feuchtersleben (Ernest de), 368.
Feuerbach (Louis; 1804-1872), 461.
Fichte (Jean-Gottlieb; 1762-1314),
310, 322, 328, 329, 371.
Fielding, 315, 448.
Fierabras, 126.
Finkenritter, 126.
Fischart, 118, 122-124, 137, 161.
Fischer (Jean-Georges), 855.
Fitger (Arthur; né en 1840), 432.
Flachsland (Caroline), 216.
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INDBX
Flaischlen (César; né en 1864), 455.
Flaubert, 395.
Fleck (Conrad), 42.
Fleming, 137, 138, 161, 162, 860.
Floire et Blanche/leur (traduit Ters
1170), SO.
Floire et Blanche/leur de Conrad
Fleck (Ters 1220), 42.
Polqaet de Marseille, 50.
Foli (Hans), 100.
Fontane, 416, 416-417, 429, 436.
Fontanelle, 169.
formulée de Mersebourg, 1.
Forster (Georges), 312-313.
Fortnnat, 9.
Foriunat, 126.
Fouqné (Frédéric, baron de la
Motte), 324, 337, 338, 338, 340.
France (Influence de la), 27-41, 48-
50, lOO, 122-123, 132-133, 161, 163,
166, 167, 209-210, 220, 310, 839,
372, 375, 879, 380, 386, 395, 421,
423, 430, 438.
Francfort-sur-le-Mein, 103, 255, 256,
270, 337, 368, 886.
Fransciscains, 62.
Francisci, 144.
Franck (SébasUen), 124, 132.
François II (empereur), 325.
François (Louise de), 421-422.
Francs, 8, 14, 15.
Frankfurter (Pbilippe), 89.
Fransos, 415.
Frapan (Use; de son vrai nom
M** Akunian, née Lerien), 1852-
1909, 437.
Franenlob, 59-60.
Frédéric Barberousse, 26, 31, 324.
Frédéric de Qausen, 50.
Frédéric II (empereur), 52.
Frédéric II (roi de Prusse), 144,
172, 173, 174, 175, 189, 192, 312,
324, 416.
Frédéric III (empereur), 93.
Frédéric (le landgrave) à la Joue
mordue, 98.
Freidank, 61, 62.
Freiligrath, 376, 387-388.
Frenssen (Gustave; né en 1868),
436.
Frenzel, 415.
Freudenleere (le), 46.
Frertag (Gustave), 399, 415, 423,
Friscblin (Nicodème), 128, 129,
130.
Frommann (le libraire), 289.
Fmgifère (société), 134, 135, 138.
Fuite de Dielrich, 64.
Fulda (couvent de), 10, 11.
Fulda (Louis; né en 1862), 444.
Fûrtrer (Ulricb), 89.
Gall (saint), 16.
Garnier (Robert), 141.
Garve (Christian), 1742-1798, 206.
Gauriel, 41.
Gautier d'Arras, 32.
Geibel, 66, 389, 392-398, 39ô, 414.
Geiler de Kaisersberg, 104-106,
107.
Gellert (Christian - Fflrchtegott),
166, 171-172, 207.
Gemmingen (Otto-Henri baron de;
1755-1836), 311.
Genèse de Vorau^ 84.
Genèse de Vienne^ 23.
Genèse saxonne, 12.
Gengenbach (Pamphile), 129.
Gentz, 323.
Greoffroy Saint-Hilaire, 306.
George (Stephan; né en 1868), 431.
Gerald, 18.
Gérard de Groote, 107.
Gerhardt, 145-147, 157.
Gerok (Charles, 1815-1890), 393.
Gersacker, 407.
Gerstenberg (Henri-€iuiUaume de ;
1737-1823), 179, 208, 209.
Gervinus (Georges-Gottfried ; 1805-
1871), 459.
Gessner (Salomon; 1730-1785), 176,
229.
Giesebrecht (Guillaume ; 1814-
1889), 459.
Gilm (Hermann de), 870.
Giotto, 272.
Gleim (Jean-Guillaume-Louis), 164,
174-176,176, 189, 190, 205,207,
220.
Globe (le), 295.
Glogau, 140.
Glossaires, 11.
Gneisenau, 325.
Goethe (Jean-Wolfgang), 114, 144,
146, 180, 185, 198, 202, 207, 208,
209, 210, 211, 212, 218, 218, 220,
229, 230, 232, 239, 240, 250, 254,
256-309, 310, 315, 317, 321, 329,
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470
INDEX
331. 332, 336, 330, 348, 349, 350,
355, 362, 364, 365, 372, 379, 380,
385, 400, 410, 423, 428.
Gœihe. Achilleide, 286.
— AffiniiéB électives^ 289-292.
— A mine f 255.
— Annoncée savantes de Francfort,
257.
— Architecture gothique, 257.
— Art et antiquité, 295.
— Jiallades, 287-288.
— Citoffen général {le), 219.
— Clai'ijo, 266, 268.
— Dit^an, 292, 294.
— Drames, 266.
~ Egmont, 269-270, 276, 280, 300,
308, 445.
— Elégie de Marienbad, 295.
— Elégies romaines, 276-277.
— Elégies, second livre, 288-289.
— Epigrammes vénitiennes, 277-
278.
— Faiffi, 269, 295-305, 318, 364, 398.
— Fiction et vérité, 292.
— Fille naturelle. 279.
— Ganymède, 267.
— Gastz, 257-260, 270, 304, 310,
329, 333.
— Grand Cophte, 278.
— Uermann et Dorothée, 282-286,
307.
— Ilmenau, 271.
— Iphigénie, 271, 273-275.
— Utires d:jtalie, 272-i>73.
— Lieds, 256.
— Mort de Miedingj 271.
— Pandora, 289.
— Poésies se rapprochant de la
forme antique, 277.
— Postillon Kronos, 267.
— Prométhée, 203, 266, 267, 315.
— Reineke Fuchs, 280.
— Révoltés, 278.
— Stella, 266, 268,451.
— Tasse, 271, 275-276, 300, 329.
— Tous coupables, 255.
— Voyageur {le), 267.
— WeHher, 260-265, 304, 307, 315,
316, 333.
— Wilhelm Meister, première par-
tie, 144, 146, 219, 271, 279-282,
300, 318, 329, 334, 335, 351.
— — seconde partie, 293-294.
— Xénies, 287, 329.
Goettingue (noètea de), 220-229.
Gœtz de Benichingcn, 125.
Goeze (Jean-Melchior), 198, 199,
203.
Goldemar, 64.
Goldsmith, 209, 256, 264.
Goliards, 25.
Gomberrille, 151.
GOrres, 338, 339.
Gota, 2,3,4.
Gotter (Frédéric-GniUaame; 1746-
1797), 220, 310.
Gotifried de Neifcn, 54, 96.
Gottfried de Strasbourg, 31,35-37,
40, 44, 51, 350.
Gotthelf (Jérémie), de son Trai
nom Albert Bitzius, 410-411.
Gottschall (Rodolphe de; 1823-
1909), 406.
GotUched (Jean-Christophe), 144,
161, 163-165, 169, 170, 172, 173.
188, 203, 286, 312.
Gottsched (M**], Lonise-Adelgonde-
Victoire, née Knlmus, 164.
Gôtz (Jean-Nicolas ; 1721-1781), 174.
Goudimel, 132.
Grabbe (Christian-Dietrich), 343-
344.
Gramsberger, 141.
(ira tins (Ortwin), 111.
Grégoire de Tours, 9, 358.
Gregorovius (Ferdinand ; 1821-
1891), 459-460.
Grcif, 395, 414.
Greifenberg (Catherine- Reine de;
1633-1694), 135.
Grillparzer, 306, 330, 343, 356-362,
370.
— Aieule (1817), 357.
— Discorde, 360.
— Esther, 361.
— Juive, 361.
— Libussa,^%\.
— Malheur à qui ment (1878), 358.
— Ottocar (1825), 360.
— liéve {le) une vie (1834), 357.
— Sapho (1818), 358.
— Serviteur {U) fidèle (1828), 360.
— roiso» (1822), 359.
— Vagues de la mer et de tamour
(1831), 359.
Grimm (les frères), 336, 456.
Grimmelshausen (Jean-Jac<iues-
Christophe de), 153-157, 165.
Grisebach (Edouard; 1845-1906),
414.
Grobian (saint), 88, 103.
Grosse, 394-395.
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INDEX
471
Uroth (Klaus; 1810-1890), 413.
Grotius, 135.
GrQn (AnastasiuB), 363, 364.
GrTphius, 140442, U5, 172.
Guairun (poème de), 64-66, 85.
Gneinz (Uhristiaii; 1592-1650), 138.
Guerre de la Waribour^^ 41.
Guillaume d'Autriche, 101.
Gaillanme de Hirschau, 23.
Gmllanme II, empereur d'Alle-
magne, 463.
Gmllanme IV de Soxe-Weimar, 134.
Gunther de Bamberg, 23.
GOnther (Jean-Christian), 162, 163.
Gusman d'Al/arac/ie^ 152.
Gntenburg (Ulrich de), 50.
Gutakow, 371, 380, 381, 382-384,
408.
Gnyan, 462.
Gnyon (M"), 316.
HacklUnder (FrédérioGuillaume),
409.
Hadamar de Laber, 90.
Hadloub, 57.
Hagedorn (Frédéric de), IGô, 167,
170, 173, Ibl.
Hagen (le greffier GoUfried), 47.
Hohn (Jean-Frédéric), 221, 222.
Hahn-Hohn (Ida comtesse; 1803-
1879), 386.
Haiden (Grégoire), 89.
Halbe (Max; né en 1865), 45'é.
Halbsnter, 97.
HaUe, 138, 146, 159, 173, 174, 177,
337.
naller (Albert de), 165, 167-169,
310.
Halm (Frédéric, de son vrai nom
François-Joseph, baron de
Manch-Bellinghausen), 362.
Hamann (Jean-Georges), 207, 208,
213, 214, 215.
Hambourg, 138, 166, 167, 193, 198,
222.
Hamerling. 369.
— .:lAa«i/«r (1866), 369.
— Roi de Sion nS69), 369.
Hamlet, 282, 388.
Hammer, 292.
Hango (Hermann; n<^en 1861), 433.
Happel (Eberhard-Guerner ; 1648-
1695), 152.
Hardenberg, voir Novalis.
Hâring, voir Alexis.
HarsdOrfcr (Georges- Philippe de;
1607-1 «58), 135, 138-139.
Hart (Henri; 1855-1906), 427, 428.
Hart (Jules ; né en 1859), 427.
Hartleben (Otto-Erich, 1864-1905).
455.
Hartmann d'Aue, 33-35, 41, 44, 54.
Hartmann (Edouard de ; 1842-
1908), 461.
Hartmann (le pauvre), 2.*i.
Hartmann (Maurice), 367-368.
Hauff, 354-355, 407.
Hauptmann (Charles ; né en 1858),
Hauptmann (Gerhart), 428, 429,
Uaupi- und Siaatêactionen, 165.
Hausser (Louis; 1818-1867), 459.
Hebbel, 68, 344, 400-404, 442.
Hebel (Jean-Pierre), 1760-1826,
412-413.
Hegel (Georges-Guillaume-Frédé-
ric; 1770-1831), 365. 461.
Heiberg (Hermann; né en 1840),
436.
Heidelberg (cercle de), 134.
Heine (Henri), 316, 331, 337, 343,
349, 365, 368, 371, 373-379, 380,
382, 385, 398, 414.
Heinse (Jean-Jacques-Guillaume),
207, 210, 229, 315, 334.
Heinsius, 135, 136.
Heinzelin de Constance, 90.
Ileliand, 12-15.
Ileldensagc, 3.
Helmbrecht, 45.
Henckell (Charles ; né en 1864), 432.
Henno, 106 127.
Henri d^Altmacr, 91.
Henri de Bavière (duc), 17.
Henri de Freiberg, 42.
Henri de Krolewitx, 47.
Henri de Mdlk, 25, 47.
Henri de Morungen, 50, 96.
Henri de MUgeln, 94.
Henri de Nônllingen, 103.
Henri de Rugge, 50.
Henri de Yerdeke, 28, 31, 32, 54.
Henri^ules de Brunswick-LUne-
bourg, 130.
Henri le Glichezàre, 30.
Henri von dem Tttrlin, 41.
Ilcracliu» (1*), 32.
Ilerbort de Fritzlar, 32.
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472
INDEX
Herder (Jean-GoUfried), 114, 115,
174, 175, 176, 178, 179, 205, 207,
208, 209, 210, 211, 212, 213-219,
225, 228, 229, 256, 257, 264, 281,
313, 320, 321, 322, 332, 338.
Herser, 59.
Heriger, 18.
Hermann, landgraye de Tharin^,
28, 42.
Hermann (poèmes snr), 117, 172,
179, 181,313, 346.
Hermann (Nicolas), 118.
Hermès (Jean-Timothée ; 1738-
1821), 315^16.
Herrant de Wildonie, 45.
Herwegh, 388, 389, 461.
Heri (Henriette), 328.
Herzlieb (Minna), 289.
Hevse, 383494, 414, 415, 427.
mUebrani {Chant d*), 10.
Hippel (Théodore -Gottlieb de;
1741-1796), 316.
Hippocrate, 234.
Hirschfeld (Georges; né en 1873),
454.
Hochstraten, 110.
Hoffmann (Auguste-Henri), de
Fallersleben, 387.
Hoffmann (Ernest-Théodore-Amé-
dée), 837,340, 341-342.
Hoffmann (Hans), 416.
Hofmannsàial (Hugo de ; né en
1874), 455.
Hofmannswaldan (Christian Hof-
man de), 143-144, 157.
Hogarth, 212.
Hofi>erff, 164.
HOlderhn (Jean-Christophe-Prédé-
ric), 315.
Holmsen, 428.
Holtei (Charles de; 1798-1880), 412,
HoltY (Lonis-Henri-Christophe) ,
207, 221, 222, 224-225, 379.
HoU (Amo; né en 1863), 428.
Homère, 164, 166, 176, 193, 208,
215, 223, 256, 263, 273, 286.
Hopfen (Hans), 415.
Horace, 106, 136, 167, 173, 176,
177, 188, 193, 217, 349.
Honwald (Ernest de), 343.
Hrotsvith de Gandersheim, 18,
107, 127.
Huber (Ferdinand-Louis), 279.
Huch (Ricarda; née en 1867), 437.
Hago de Montfort, 94.
Hugo de Trimberg, 61-62.
Hugo (Victor), 387.
Hugues de Puiset, 30.
Humanisme, 105-109.
Humboldt (Alexandre de; 1769-
1859), 457.
Humboldt (Guillaume de), 225,
321, 322, 457.
Hume, 208.
Huns, 4.
Hutten (Ulrich de), 110, 111, 117,
213, 419.
Huysmans, 430.
Ibsen, 427, 446, 447.
léna, 173, 177, 239, 251, 310.
Iffland (Auguste-Gruillanme ; 1759-
1814), 311, 333.
Immermann (Gharles-Lebrecht),
337, 35(K351.
Innocent III, 52.
Iselin (Isaac), 312.
hengrimuMy 30.
Isidore de SéyiUe, 11.
Italie, 105, 186, 196, 271-273, 276-
277, 330, 349, 392.
Jacobi (Frédéric), 203, 207, 211,
231.
Jacobi (Jean-Georges; 1740-1814),
174, 207.
Jacobowski (Louis; 1868-1900), 432.
Jacques de Cessole, 92.
Jansen Enikel, 47.
Jardin de» Roteê, 64.
Jean-Baptiste (poème sur), 24.
Jean-Paul Richter, 219, 317419,
328, 334, 382, 410.
Jensen (Guillaume; né en 1837),
436.
Jérusalem, 260.
Jeuœ de CarnaptU^ 99-100.
Jeux de la Paation, 98, 128.
Jeux de Pdquet, 98, 128.
Jeux de saiatetf 99.
Jeu des ProphèUê^ 97.
Jeu des Vierges sages et des Vierges
folles, 98.
Johansdorf (Albert de), 50,
Jongleurs, 17, 24, 26, 27,37,64,
67, 86.
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INDRX
473
Jordan, 398.
Jordanis, 7.
Joseph II, 313, 363.
Judith (poème tur), 24.
Jang^StiUing (Jean-Henri), 207,
JuUa,' 99.
Kadelborg (Gustave; né en 1851),
423.
Kaldenbach (Christophe), 138.
Kant (Bmmanoel), 159, 205, 214,
239. 294, 308-310.
Kantsow, 125.
Kansler, 59.
Kftstner (Abraham-Gotthelf : 1719*
1800), 170, 211, 220.
Keller (Gottfried), 414, 417418,
427, 437, 461.
Kerner (Justin), 353.
Kestner, 260-261.
Kinkel, 389.
Kirchmair (Thomas), 128.
Klaj (Jean), 135.
Kleist (Ewald de), 165, 176, 176,
189, 190.
Kleist (Henri de), 142, 319, 323.
324, 337, 344-348, 423, 442.
— Bataille éPHermann (publiée par
Tieck en 1821), 346.
— Catherine de ffeilbronn (1810),
345.
~ Cruche ca$$ée (1808), 345.
— Famille Schrofenêtein (1803),
345.
— Germania à iet enfante (1813),
324.
— youpelhe (1810-1811), 344.
— PenthéêiUe (1808), 345.
— Prince de Uombourg^oxïhlik par
Tieck en 1821), 346.
Kleitenherg (M*** Suzanne-Cathe-
rine de), 256, 282.
Klinger(Frédéric-MazimiHen), 206,
209, 209, 210,211, 212, 213, 225,
229, 230, 232, 333.
Klop8tock(Frédério-GotUieb), 114,
166, 174, 177-188, 188, 190, 206,
207,212, 213, 220, 221, 222, 293,
228, 229, 232, 264, 312, 313, 321.
Klotz (Christian-Adolphe; 1788-
1771), 196, 203, 215.
Knanst (Henri), 118.
K5nig (Henri), 407.
K6nig (Jean-Ulrich de; 1688-
174'i), 160.
Kœnigsberg, 138, 207« 244, 310.
KOrner (Gottfried), 114, 237, 311,
327.
KOrner (Théodore), 325-827, 843.
Kortum (Charles- Arnold ; 1745-
1824), 815.
Kotzebne (Auguste de; 1761-1819),
311, 329, 333.
Kretschman (Charles- Frédéric ;
1738-1809), 313.
KreUer (Max; né en 1854), 436.
Krttger (Barthélémy), 126.
Kugler (François), 391
Kflhne (Gustave; 1806-1888), 371,
880.
Karenberg, 48.
Knn (Isolde; née en 1858), 437.
Kurubold (Kuno, comte de Nie-
derlahngau), 17.
K7oi,41.
La Bruyère, 169, 243.
La Galprenède, 151.
La Fare, 167.
La Fontaine, 167, 190.
Lafontaine (Auguste; 1758-1831),
219, 316.
Lamartine, 354.
Lamprecht (Charles ; né en 1866),
460.
Lamprecht de Ratisbonne, 47.
Lamprecht (le clerc), 27, 30.
Lange(Samuel-Gotthold;1711-1781),
174, 188, 203.
Lanifrit ci Cobbo, 18.
lAxnzelet (vers 1195), 41.
La Roche (les), 184.
La Roche (Maximilienne de), 268,
La Rochefoucauld, 462.
L*Arronge (Adolphe; 1838-1908),
424, 427.
Lassalle, 408.
Laube, 371, 380, 381, 382, 384-386.
Lauremberg (Jean; 1590-1658), 160,
Laurin, 64.
Lavater (Jean-Gaspard), 207, 208,
231, 2b6.
LaeariUe de TormeSy 162.
Leibnis (Gottfried-Guillaume de),
116, 158-159, 294.
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474
INDEX
Leipzig. 158, 163, 165, 170, 171,
173, 177, 188, 189, 222, 237, 256.
Leisewitz (Jean- Antoine), 207, 211,
222, 225, 232.
Lenau, 364-367.
— Albigeoia (1842), 365.
— Don Juan (publié par GrOn en
1851), 366.
— /'acr«<(1836), 364.
^ Poé9U$ (1832 et 1838), 366.
— - SavonaroU (1837), 365.
Lengefeld (Charlotte de), 239, 240.
Lenz (Jacques-Michel), 1751-1792.
207, 209, 210, 211, 212, 230, 265,
275.
Léopold de Brunswick, 277.
Lessing (Gotthold-Ephraîm), 48,
139, 169, 174. 175, 182, 183, lg7-
206, 206, 207, 208, 209» 210, 215,
254, 310, 320.
— Antir<ioete,\^Z,
— Dramaturgie de Hambourg^ 193.
— Education du genre humain,
202.
— Emilie Galotti, 196, 445.
— Erneêt et Falk, 202.
— Fables, 190.
— Fragmenta d'un anonyme, 198.
— Laocoon, 192.
— Lettres archéologique», 196.
— Lettres sur la littérature du
jour, 190.
— Minna de Barnhelm, 191.
— Mias Sara Sampson, 188.
— Nathan le Sage, 198.
— Philotas, 189, 442.
Leuthold, 395.
Leyezow ^Ulrigue de), 295.
Levin, voir Uanel.
Lewald(Fannv; 1811-1889). 386.
Lichtenberg (Georges-Christophe;
1742-1799), 165, 212.
Litchtwer (Magnus-Gottfried ; 1719-
1783), 170, 172.
Lienhard (Frite; né en 1865), 432.
Liliencron, 'i33-435.
Lillo, 189.
Lindau (Paul; né en 1839), 423, 427.
Lindau (Rodolphe), 416.
Lingg, 395.
Liscow (Christian -Louis ; 1701-
1760), 165, 170.
Lloyd, 312.
Lobwasser, 132.
Loewenberg (Jacques ; né en 1856),
432.
Logau (Frédéric de; 1604-1655),
132, 138, 169.
Lohengrin, 42.
Lohenstoin (Daniel - Gaspard de),
143, 144, 152, 156, 157, 160, 161,
162, 163, 169.
Longin, 170.
Lope de Vega, 362.
Lorm (Hieronymus), 369.
Lotze (Hermann; 1817-1880), 463.
Louis d*Anhalt, 134.
Louis I de Bavière, 386.
Louis III, 15.
Louis XIV, 132. 161, 163.
Louise (la reine) de Prusse, 281,
324.
Lubliner (Hugo; né en 1846), 424,
427.
Lucien, 184.
Ludwig (Otto), 404-406.
Luther (Martin; 1483-1546), 109-
127, 222, 258.
Lutwin, 47.
Lateow, 326.
Lux (Adam), 283.
M
Afaguelonne, 126.
Makart (Hans), 369.
Malherbe, 137. •
Mallet, 179, 180.
Manuel (Nicolas), 129.
Manzoni, 296.
Marcien CepeUa, 22.
Marie de Bourgogne, 91.
Marguerite de Vandemont, 100.
Marguerite Ebner, 103.
Marino, 143, 161.
Marivaux, 195.
Mario we, 127.
Marner (le), 59.
Marnix, 123-124.
Marot, 132.
Martensen, 365.
Martial, 277, 278, 286.
Martin de Cochem, 149.
Massmann (Haus-Ferdinand), 371.
Mathieu (Kvangile de), 11.
Mathilde d*Autriche, 106.
Matthisson (Frédéric de), 314.
Maupassant, 420.
Maurice de Craon, 27, 32.
Maurice de Hesse, 130.
Mauvillon et Unzer, 207.
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IXOBX
475
Maxence, 4.
Maximilienl(emperear; 1459-1619),
90.
Mayêr (Charlei ; 1786-1870), 853.
Mauîni, 371.
Meg«rley voir Abraham a Sancta
Clara.
Meier Helmbrecht^ voir ffelmbrecht,
Meînloh de Sevehngen, 48.
Meissner (Alfred), 368.
Meissner (Auguste), 316.
Meistergesang^ 59, 193.
Mélanchton, 114, 121.
Melissus, 132.
Meneka (Jean-Bernhard), 162.
MendeUsohn (Moïse), 175, 190, 192,
201, S05, 206, 265, 331.
Menzel(Wolfgang; 1798-1873), 381-
382.
Mercier, 210.
Merck (Jean-Henri: 1741-1791), 212,
225, 266, 301 y 307.
yfercure allemand ^ 165.
Mercure rhénan ^ 339.
Merker (les), 50, 93.
Mérimée, 420.
Mersebourg (formules de), 1.
Mcrswin (Rulmau), 103.
Metternich, 363, 371.
MoU (docteur), 256.
Me^'cr (Conrad -Ferdinand), 414,
Miller (Martin), 207, 221, 222, 224,
316.
Milton, 165, 166, 169, 177.
Minnesang (le), 21, 48^, 95.
Miroir det Saxonê, 63.
— de$ Souabeêf 63.
MoUère, 164, 195, 444.
Mombert (Alfred; né en 1872), 431.
Mommsen (Théodore; 1817-1902),
458.
Morhof (Daniel-Georges;! (•39-1601),
161.
Marike, 355, 400, 413.
Moringer, 96.
Moritz (Charles - Philippe ; 1 757-
1793), 316.
Moscherosch (Jean-Afichel ; 1601-
1669), 153.
Mesen, 396. .
Mosenthal (Salomon; 1821-1877),
362.
Moser (Frédéric-Charles de), 313.
Moser (Gustave de; né en 1825),
424.
MOser (Albert), 433.
Môser (Juste), 312.
Mozart, 341.
Mttgge (Théodore: 1806-1861), 407.
Mtlller (Adam), 323.
Mûller (Frédéric, ou le peintre
Mttller, 1749-1825), 207, 208, 213,
229.
Muller (Gottwerth) ou Mttller
d'IUehoe, 315.
Maller (Jean de), 218, 312.
Mttller (Guillaume), 397.
Mttller (Wolfgang), de Kônigs-
winter, 391.
Mttllner (Adolphe; 1774-1829), 343,
357.
Manch-Bellinghausen, voir Halm.
Mttnchhausen (BArries baron de;
né en 1874), 433.
Mundt (Théodore; 1808-1861), 371,
380, 381, 382, 385.
Munickois, 291-395.
Murner (Thomas), 116, 151,
MusAus (Jean -Cfharles- Auguste ;
1735-1787), 314.
Muscatblttt, 94.
Mtispilli, 12.
Musset, 379.
Mystiques, 102-104, 231,
N
Naogeorg, 128.
Napoléon I, 292, 306, 321, 323,
32'^, 325, 339, 363, 379.
Napoléon III, 24'!.
Nasus, 123.
National {lé), 380.
Neander (Joachim), 146.
Neidhart de Reucnthal, 55-56, 59.
Neidhart Fuchs, 56, 89.
Nestroy (Jean-Nepomuk ; 1802-
1862), 356.
Neuber (M"* Caroline), 164-165.
Neukirch (Benjamin; 161), 163.
Neumark (Georges), 1619-1681, 138.
Nibelungen (poème des), 66^7, 300.
Nicolai (Christophe-Frédéric), 190,
205, 212, 315, 329.
Nicolay (Louis-Henri de ; 1737-
1820), 314.
Nicolas de Wyl, 105.
Niebuhr (Borthold; 1770-1831), 457.
Niembsch, voir Lennu.
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476
INDEX
Nietzsche (Frédéric; 1844-1900),
462-463.
Nissel (Pr^ncois), 1831-1893, 362.
NiTftrd, 80.
Noeeê de MeUi, 89.
Notlcer Labeo ou Tentonieus,
mort en 1023, 22.
NoTHlis, 380, 332, 334-335, 337.
Normbe», 119-121, 134, 138, 334.
Nydhart (Hans), 106.
Octapien, 126.
Odoacre, 6-7.
Oehlensehlftger (Adam - Gottlob ;
1779-18A0), 343.
Olivier (et Roland), 28.
Ompteda (Georg^es d' ; né en 1863),
OpiU (Martin, de Boberfeld), 182,
134-140, 142, 149, 150, 161.
Orendel, 27.
Ortnit, 64.
Ossian, 179, 180, 216, 217, 232,
256, 263, 264.
Oswald, 27.
Ogwald de Wolkenitein, 94.
Otfrid de WisBembonrg, 13-16.
Otte, 32.
Ottocar de Styrie, 47.
Otton 1, 17.
Ovide, 32, 48, 272, 277.
Palafoz, 324.
PaUadio, 272.
Paoli (Betty), 368.
Pappenheim, 133.
Pans, 131, 215, 314, 321, 215, 824,
337, 393.
Pascal, 462.
Panl Diacre, 9, 10.
Pauli (Jean), 125.
Panlsen (Frédéric; né en 1846),
463.
Panmgartten (Charlotte), 362.
Peffnitx (Bergers de la), 134.
Peire Vidal, 50-51.
Percy, 208, 338.
PerU (Georges; 1795-1876), 469.
Pestaloui, 322.
Petit Lucidarittif 62, 92.
Pétrarque, 105, 328.
Peuerbach, 106.
Peutinger, 107.
Pfeffel (Gottlieb-Gonrad), 172.
Pfefferkom (Jean), 110, 111.
Pfitier Oe médecin), 127.
Pfizer (Gustave; 1807-1890), 354.
Pforr (Antoine de), 105.
Phèdre (le faboliste), 190.
Phidias, 273, 294.
PhilheUénif me, 229, 315, 339, 397.
Philippe de Souabe, 52-53.
Philippi (FéUz; né en 1851), 44&.
Piccolomini (Enéas-Silvins), 105.
Pichler, 370.
Pîétistes, 146.
PieUch (Jean-Valentin; 1690-1733),
161.
Pilate, 24.
Pindare, 286, 350.
Pirkheimer (WiUibald), 122.
Platen, 307, 337, 349-350, 390, 391,
394.
Plattêr (les), 125.
Plante, 106, 230.
Pleier (le), 41.
Plutarqoe, 232.
Pogge, 105.
Pofens (Gnillaame de; 1861-1903),
436.
Pope, 165, 166, 168, 174.
Postel, voir Sealsfield.
Prier, 187.
Properce, 277.
Provençaux, 48-51.
Prudence, 9, 18.
Prutz (Robert; 1816-1872), 386.
Pufendorf (Samuel de), 157.
Paterich (Jacques) de Reicherti-
hausen, 105.
Putlito (Gustave de), 391, 406.
Pyra (Emmanuel-Jacques), 165,174.
Quevedo, 153.
Quinault, 142.
Raabe, 440, 415, 427.
Raban Maur, 13, 14.
Rabelais, 122, 132.
Rabener (Gottlieb-Guîllaume), 165»
170, 171, 174.
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INDEX
477
Rabut, 123.
Rachel (Joaclûm; 1618-1660), 150-
151.
Racine, 164.
RadeUky, 35G.
Radowia, 327.
Rabel Levin, 381.
Raimund (Ferdinand; 1796-1836),
356.
Ramier (Charlefl-Guillaume), 175-
176, 220.
Ranke (Léopold de; 1795-1886), 459.
Ratinus, lOG.
Raiisbonne (Burgrave de), 48.
Ratpert, 16.
Raumer (Frédéric de; 1781-1873),
459.
Raupach (Ernest -Benjamin -Salo-
mon; 1784-1852), 3li4.
Ravenne, 7.
Kebhun (Paul), 129.
RedwiU (Oscar de), 390.
Reg^nbogen (Barthel), 59-60.
Regiomontanus, lOG.
Regard, 164.
Reicbenau, 11.
ReimaruB (Samuel), 108.
Urineke Vos, 91.
Reinbot de Durn, 47.
Reinhold (Gbarles-Léonard), 310.
Reinmar le Jeune ou de Zweter
(mort après 1252), 54.
Reinmar le Vieux, de Haguenau
(mort avant 1210), 51.
Renan, 462.
Repkowe, 63.
Reîê du diabU (les), 92.
Reocblin (Jean), 105, 106, 110-111,
127.
Reuter (Christian; 1665-1710), 156.
Renter (Frite; 1810-1874), 412-413,
427.
Renter ((vabrielle; née en 1859),
438.
Révolution française, 180, 222, 224,
278, 283-285. 314, 321-322, 339.
Richardfon, 166, 188, 264, 315.
Richter (voir Jean-Paul).
Ringwaldt (Barthélémy), 118, 121.
Rist (Jean), 184, 138, 139.
Rittershaus (Emile; 1837.1897), 393.
Robertin (Robert; 1600-1048), 138.
Robespierre, 380.
Robinsonades, 165.
Rodenberg (Jules Lévy; né en 1831
à Rodenberg), 391.
Rodolphe de Fenis, comte de Neu-
chfttel, 50.
Rodolphe d*Ems, 31, 44, 47.
Roi blanc (le), 90.
Roland, 4, 27, 28, 29, 30, 44.
RoUenhagen (Georges), 121.
Roncevaux, 4.
Ronsard, 136.
Roquette, 390-391.
Rosegger, 421, 436.
Rosenplat, 100.
Rossbach, 110.
Rostand, 444.
Rother (le roi), 27.
Rousseau (J..J), 195,210, 211, 216,
232, 256, 264, 265, 316.
Rackert (Frédéric), 324, 337. 348.
Rudlieb (le), 21.
Ruge (Arnold), 461.
Rumezland, 59.
Rutilius, 272.
S
Saar (Ferdinand de; 1833-1906),
437.
Saehs(Hans), 119-121, 127, 129, 131,
137, 266, 308.
Sachsenheim (Hermann de), 90, 105.
SaintrOaU, 11, 18, 22.
Saint Georges (chant de), 16.
SainWust, 880.
Saini-Réal, 239.
Saint-Simonisme, 375, 380.
Salis-Seewis (Jean-Gaudeni de),
314.
Salomon et Marolf, 27.
Salomon I (évéque de Constance),
14.
Salomon (poème sur), 24.
Salas (Hugo ; né en 1866), 433.
Sand (George), 380-381.
Sapin (Société du Grand), 134.
Sarrasins, 4, 30.
Sastrow, 125.
Sancourt (bataille de), 15.
Scaliger, 136.
Scarron, 280, 314.
Schack, 394.
Scharnhorst, 325, 327.
Schede, 132.
Sehefer (Léopold; 1784-1862), 348.
Scheffel, 388-30e, 414, 427.
Scheffler (Jean), 149.
Scheidt, 122.
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478
INDEX
Sckelling (Frédéric-0 uillaume-Jo-
seph; 1775-1854), 329, 331.
Schelmuffsky, 15&-157.
Schenkendorf, 327.
Scheksalstragodie, 342-343.
Schtldbiirger (les), 126.
Schill, 325, 327.
Schiller, 114, 166, 169, 174, 179,
206, 207, 210, 2tl, 227, 230, 232-
255, 279, 286, 287, 289, 295, 309,
310, 314, 315, 317, 320, 321, 326,
327, 329, 331, 332, 362, 385, 399,
423.
— Anthologie, 240.
— Ballades, 241-242.
— Brigands, 231-234.
— Démétrius, 254.
— Don Carlos, 287-238.
— Fiancée de Messine, 250-251.
— Fiesque, 234-235.
— Guitîaume Tell, 251-264, 321.
— Histoire, 239.
— Intrigue et amour, 235-236.
— Marie Stuart, 246-248.
— Philosophie et esthétique, 23U-
240.
— Poésies, 240-241.
— Pucelle d'Orléans, 248-250, 321.
— Wallenstein, 242-246, 321.
— Visionnaire, 316.
— Xénies, 287, 329.
Schimmehnann, 239.
Schlaf (Jean; né en 1862), 428.
SchWel (Elie; 1719-1749), 140,165,
172.
Schlegel (Frédéric), 215, 823, 328,
329, 330, 331, 332-333, 336, 337,
343.
Schlegel (Guillaume), 321, 323, 331-
332, 336, 337, 343.
Schleiermacher (Frédéric-Emesi-
Daniel), 322, 328, 335, 336,387,382.
SchloBser (Frédéric; 1776-1861 ),469.
Schlôzer (Angusta-Lonis), 312.
Schnabel (Jean-Gottfried), 165.
Schneckenburger (Max), 386.
SchniUler (Ar&ur ; né en 1862), 456.
SchOnaich-Carolath (prince Emile
de; 1852-1908), 433.
Schœnemann (Lili), 268.
Schônthan (François de; né en
1849), 424.
Schônthan (Paul de; né en 1853),
424.
Schopcnhnucp (Arthur; 1788-1860),
461, 462.
Schollcl (Jusle-Georges), 158.
Schreyyogel (Joseph; 1768-1832),
356.
Schrôder (Frédéric-Louis; 1744-
1816), 197, 310,311.
Schubart (Christian -Frédéric-Da-
niel; 1739-1791), 185, 207. 208,
224, 228.
Schubin (Ossip; de son Trai nom
Lola Kirschner, née en 1854), 438.
Schdcking (Lerin), 407.
Schulze, 340.
Schupp(Balthazar; 1610-1661), 114,
151.
Schwab (Gustave; 1792-1850), 354.
Schvvartz Erla, 214.
Schweinichen (Hans de; 1552-1616),
125.
Scott (Walter), 407.
Scribe, 385, 399.
Scudérv (M"* de), 151.
Scultetus (André), 139.
Sealsfield, 407.
Sedaine, 279.
Seidel (Henri ; né en 1842), 433.
Seifried Helbling^, 62.
Sénèque le Tragique, 141.
Seume (Jean-Gottfried), 310.
Shoftesbury, 18'i.
Shakespeare, 131, 140, 165, 109,
185,195, 196, 208, 209, 217, 218,
232, 256, 257, 279, 282, 306, 310,
328, 331, 336, 362, 404, 452.
Sidoine (Apollinaire), 9.
Siegfried (Walter; né en 1858), 436.
Sigenot, 64.
Silésie (école de), 138.
— (seconde école de), 142.
Simrock, 397-398.
Sociétés pour la réforme de la
langue, 134-135. .
Somme de théologie, 23.
Sophie (de Kahn), fiancée de No-
Talis, 335.
Spalatin, 112.
Spee (Frédéric de), 147-149.
Spener (Philippe-Jacques), 146.
Spengler (Lasarus; 1479^1534), 118.
Speratus (Paul; ou de Spreitea,
1484-1554), 118.
Spervogel, 59.
Spielhagen, 408-409, 415, 427.
Spies (Jean), 126.
Spiess (Christian-Henri), 316.
Spindler (Charles; 1796-1855), 417.
Spinoza, 267, 294, 335.
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INDEX
479
Suce, 43, 169.
Stadion (comte), 184, 186.
Staël (M-* de), 337, 358.
Steele, 165.
Stein (baron de), 325.
Stein (Charlotte de), 270, 271, 273,
276.
Steinhdwel (Henri), 106.
Steinmar, 56.
Stendhal, 187, 462.
Sterne, 18â, 209, 315, 319, 333.
StiegliU (Charlotte), 381.
Stifter, 370.
Stinde (Jnlei), 1841-1905, &15.
Stolberg {JA^ Augnste de), 268.
Stolberg (Christian de), 207, 221,
Stolbêrg (Frédéric de}, 207, 208,
213, 215, 221, 222, ^824, 228,
301
Ston^, 400-410, 414, 415, 427, 431.
Strachwitz, 390.
Strasbourg, 93, 103, 104, 105, 107,
134, 213, 215, 230, 256, 257, 327.
Slranss (David; 1808-1874), 461.
Stricker (le), 44-45.
Sturm (Jacques), 105.
Sturm (Jnles; 1816-1896), 393.
Sturm und Drajig, 205, 206-231.
Sachenwirt (Pierre), 92-93.
Sndermann (Hermann), 429, 436,
438-444.
Sne (Eugène), 384.
Suétone, 18.
Suhier (Jean-Georges; 1720-1779),
Suso ou Henri Seuse, 102-103.
Snttner (Bertha de; née en 1843),
438.
Swift, 166, 301.
Sybel (Henri de; 1817-1895), 460.
Tacite, 1, 312.
Taine, 462.
Tannhftuser, 56, 90, 96.
Tatien, 11, 13.
Tauensien, 191.
Tauler (Jean), 102-103.
Tajlor ((jeorges ; de son vrai nom
Adolphe Hausrath, né en 1837),
415.
Teichner (Henri le), 92.
Tempelhof, 312.
Térence, 18, 106, 107, 128.
Teuerdankf 90.
TeufellUeratur, 127.
Théocrite, 176, 267, 349.
Théodomir, 6.
Théodoiîc, 4, 6.
Théologie germanique, 103.
Théophile^ 99.
Thiers, 386.
Thomas de Bretagne, 35.
Thomasin de Zirclaere, 60.
Thomasîus, 158.
Thomson, 165, 166, 168, 175.
Thou (de), 135.
Thflmmel (Maurice-Auguste de),
314.
TibuUe, 277.
Tieck, 328, 330, 333-334, 337, 340,
343.
Tiedge (Christophe-Auguste), 314.
Timée, 46.
Titz (Jean-Pierre), ou Titius, 138.
Tourgueniev, 427.
Tovote (Heini; né en 1864), 436.
Traeger (Albert), SUS.
TreiUchke (Henri de; 1834-1896),
460.
Treizsaurvvein (Marx), 90.
Trescho, 214.
Tressan, 218.
Tscherning (André), 138.
Tschudi (Aegidius, 1505-1572), 124,
253.
Tunçdalusy 24.
Tnring de Ringoltingen, 101.
Tyrtée, 134, 309, 323.
U
Uhland (Louis), 362-3S3. 396, 413.
Ulenhart, 152.
Ulfilas, 8.
Ulrich d'Eschenbach, 42.
Ulrich de Liechtenstein, 57-59.
Ulrich de Ribeauvillé, 88.
Ulrich de Ttlrheim, 41, 42.
Ulrich de Winterstetten, 54.
Ulrich de ZaUikoven, 41.
Ulrich von dem Turlin, 41.
Universités, 106.
Urfé (d'), 161.
U8ten(Jean-Martb; 1763-1827),412.
Us (Jean-Pierre), 1720-1796, 166,
174.
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480
INDEX
Vacants, 25, 37.
Valdere, 3.
Van Eyck, 294.
Varnhagen d'Ense, 338, 330, 381.
Veit (Dorothée), 328, 881.
Vcddeke (Henn de), 28, 31, 32, 54.
Vertot, 239.
Vida, 130.
Vidsidh, 3.
Viebig (Glaro; ou M-* Colin, née
en 1860), 438.
Vierordt (Henri; né en 1855), 433.
Vigny, 349.
Virgile, 18, 106. 107, 168, 169.
Virginal^ 64.
Vischer (Frédéric-Théodore), 414.
Vitruve, 272.
Vogel (Henriette), 347.
VoJkibucher, 126.
Voîkêlied, 94h97.
Voltaire, 164, 184, 195, 209, 211,
310.
Vondel, 141-142.
Voss (Jean-Henri), 114, 207, 213,
215, 220, 221, 222-223, 412.
Vo88 (Richard), 416.
Voyage des Viennois^ 46.
Vulfifa, 3.
Valpiufl (Christian-Auguste), 316.
Vulpius (Christiane), 273, 278, 289,
295.
W
Wackenroder ( Guillaume - Henri ;
1773-1798), 334.
Wagner (Henri-Léopold; 1747-1779),
Wagner (Richard), 349, 398, 461.
Waits (Georges; 1813-1886), 459.
Waldis (Burkard), 118, 129.
Wallenstein, 133.
WaUer, 167.
Walthariuê (le), 18-21.
Walther de la Vogelweide, 49, 50,
M-53, 60, 62.
Weber (Veit), 97.
Weckherlin ((Georges - Rodolphe),
134.
Wedekind (Frank ; né en 1864), 455.
Weimar, 134, 188, 183, 185, 218,
238, 270, 273, 277, 279, 289, 328.
Wehrs, 221.
WeiMchwelg (le), 46.
Weise (CSiristian), 155, 163.
Weisse (Christian-Félix), 206, 307.
Wenceslas II, 53.
Werder (Diederich von dem), 152.
Werner (Zacharie), 342, 343, 357.
Wernicke (Christian; né en 1661,
mort entre 1710 et 1720), 156, 161 ,
163.
Wemher d^Blmendorf, 25.
Wernher le jardinier, 45.
Wemher (le prêtre), 24.
Wensobrunn (prière de), 11.
WeUlar, 208, 293.
Wichert (Ernest; 1831-1902), 406.
Wickram, 125, 129.
Widmann (Achille^ason), 126.
Widmann (Georges), 127.
Wieland (Christophe-Martin), 169,
183-186, 191, 206, 207, 208, 221,
222, 281, 301, 310, 313, 314, 329,
340.
Wienbarg (Ludolphe: 1803-1872),
371,380,382,385.
Wijs^aloU (vers 1205), 41, 101.
Wigamur, 41.
WiD>randt, 414, 426427, 4S6.
Wildenbruch, 414, 426, 429, 436.
Wille, 23.
WiUem, 91.
Willemer (Marianne de), 292.
Williram, 23.
Wimpheling (Jaccpxes), 105, 107,
Winckelmann (Jean-Joachîm), 186-
187, 192, 196, 210, 332.
Winsbeke (le), 60.
Winsbekin (la), 61.
Wirnt de Gravenberg, 41, 43.
Wisse (Claus), 88.
Wittenberg, 113, 119, 138, 188.
Wittenberg (journaliste), 185.
Wittenweiler (Henri), 89.
Wodan, 2.
Wolf (Frédéric-Auguste), 286, 458.
Wolf (Jules; né en 1834), 414.
Wolfdietrick, 64.
Wolff (Christian de), 159, 169.
Wolfram d*Eschenbadi, 33, 87-41,
54, 87, 88.
Wood, 208.
Wundt (Cfuillaume; né en 1832),
463.
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INDBX
481
Tonng, 308.
Z a G h a r i ft (Juste- Frédéric - Guil-
laume), 165, 172-173.
Zalui (Ernest; né en 1867), 436.
Zedlitz (Joseph-Christian de), 368.
Zesen (Philippe de; 1619-1680), 134,
138-139, 152.
Ziegler (Henri-Anshelm de), 144,
152.
Zinkgref (Jules-Gruiilaume; 1591-
1635), 134, 137.
Zola, 427, 430.
Zschokke (Henri; 1771-1648), 816.
Zurich, 167, 176, 182, 4l7.
Zwingli, 115.
LITTSIIATURI ALLIMAKDS.
31
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TABLE
CHAPITRE I
LES PREMIERS SIÈCLES
Lm Germaini. — La yieille poésie germanique. — Les Goto, —
Wnlfila. — La Heldensage ou légende héroïque. — Les Burgondee ou
Nibelungen et BUel. — Sigurd et Branhild, Gudrun et AtU. >- Dietrich
de Bem. — Théodoric et Attila 1
CHAPITRE II
LE IX* SIÈCLE
Les Francs. -^ Le haut-allemand et le bas-allemand. — Le latin,
langue littéraire. — Renaissance carolingienne. — Chant d'Hildebrant. —
Traductions. — Prière de Wessobrunn. — Le Muspilli. — La Genèse. —
L'Heliand. — Le lirre des Érangiles, d*Otfrid de Wissembourg. — Chant
de Louis. -— Petits poèmes 8
CHAPITRE III
LE X* ET LE Xr SIÈCLE
Les jongleurs et le latin. — Hrotorith. — L'Ecbasis. ~ Le Waltha-
rius. — Le Rudlieb. — Les traductions de Notkèr. — Williram. — Le
clergé. — Le Chant d*Euo 17
CHAPITRE IV
LE Xlh SIÈCLE
La poésie ecclésiastique. — Henri de Molk. — Les raganto. —
L*Archipoète. — Poèmes d*aventures. — Influence Trançaise. — Cour-
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484 TAHLE
toisie. — Traductions des livres welches. — Le moyen-haut-allemand
et la langfue littéraire. — Le clerc Conrad, sa Chronique impériale et fton
Roland. — Le clerc Lamprecht et son Alexandre. — Henri le Gli-
chesAre. — Comte Rodolphe, — Eilhard. — Yeldeke et le Romtm.
d'Enéaa 24
CHAPITRE V
LE Xllh SIÈCLE
L^épopée courtoise. — Hartmann d'Aue. — Gottfried de Strasbourg*.
— Wolfram d*Eschenbach. — Leurs élèves. — Conrad de Wanbonrg.
Rodolphe d*Ems et le Stricker. — Helmbrecht. — Le voyage des
Viennois. — Le Weinschwelg. — Poésie ecclésiastique. — Chroniques
rimées. — Le Minnesang*. — Influence française. — Haut amour et bas
amour. — Hausen. — Morungen et R«inmar le vieux. — Walther de la
Vogelweide. — Neifen, Winterstetten et Hohenfels. — Neidhart. — Le
TannhAiiser. — Les Suisses, Steinmar, Hadloub. — Maître Alexandre.
^ Ulrich de Liechtenstein. — Poésie didactique. -^ Heriger et Spar-
vogel. — Le Marner. — Frauenlob et Regenbogen. — * Le Winsbek^ et
la Winsbekin. — ^ Thomasin de Zirclaere. — Freidank. — Hugo de
Trimberg. — Satire : le prétendu Seifried Helbling. — Sermon : David
d^Augsbourg et Berthold de Ratisbonne. — Eike de Repkowe. —
L*épopée populaire. — Gudrûn. — Les Nibelungen 32
CHAPITRB VI
LE XIV ET LE XV SIÈCLES
Décadence. — Saint Grobian. — Remaniements et récits. — Contes
plaisants. — Marolf; le Curé du Kalenberg; Neidhart Fuchs ; le Cercle.
— Allégorie : Hadamar ; Cersne ; Sachsenheim ; Tempereur Masumilien.
— Le fabuliste Boner. — Henri d'Alkmaer; Ammenhausen; le
Teichner; Suchenwirt; Beheim. — Lee maîtres chanteurs. — Montfort
et Wolkenstein. — Le chant populaire. — Le drame. — Drame latin.
— Drame allemand. — Jeu de Pâques; Jeu de la Pasiion; Jeu de» vierge*
sages et folles; Papesse Jeanne. — Comédie. — Jeux de carnaval. —
Rosenblat et Fols. — Le roman. — Traductions. -- Historiographie^ —
VEulenspiegeU — Ackermann. — Théologie : Eckart, Suso, Taoiert
Henri de Nôrdlingen, Merswin. — Geiler de^Kaisersberg. — Huma-
nisme. — La comtesse Mathilde. — Nicolas de Wyl, SteinhOwel,
Arigo. — Albert d'Eyb. — Uenno. — Les Universités. — Celtis. —
Wimpheling. — Sébastien Brant 88
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TABLE 486
CHAPITRE VU
LE XVI* SIÈCLE
Erasme. — Reuchlin. — Les Épitres des hommes obscurs. — Luther.
— Humer. — Hatten. — Albems et Waldis. — Hans Sachs. — Ring^
waldt et Rollenhagen. — Fischart. — Panli, Widmann et Wickram, — Le
docteur Faust. — Le drame. — Naogeorg. — Frischlin. — Manuel. —
Les comédiens anglais. — Henri-Jules de Brunswick. — Ayrer . . 109
CHAPITRE VIII
LE XVIi* SIÈCLE
La guerre de Trente Ans. — La langue. — Sociétés. — Opitz. —
Fleming. — Les Silésiens. — Gryphius. — Seconde école de Silésie.
— Hofmannswaldau et Lohenstein. — Poètes : Gerhardt et Spe. —
Satiriques. — Romanciers : Moscherosch, Grimmelshausen, Weise,
Reuter. — Sa^anU : Pufendorf, Thomasius, Leibniz, WolfT. _ L*Auf-
U&rang 132
CHAPITRE IX
LE XVIII* SIÈCLE
Les antisilésiens et Gunther. — Gottsc^ied. — Broches, Hagedom,
Ualler, les Suisses. — Le journal de Brème. — Les poètes de Halle.
— IQopstock. — Wieland. — Winckelmann. — Leasing. — Le Sturm
nnd Drang ou la période d'orage. — Herder. — L'Union de Gœttingue.
— Les gœthéens ou poètes du Rhin. — Les mystiques. — Schiller. —
Gœthe. — Autour de Schiller et de Gœthe. — Jean-Paul 160
CHAPITRE X
LE XIX* SIÈCLE
Le mouTement national. — Les poètes de 1818. — Les romantiques. —
Autour du romantisme. — Henri de Kleist. -^ Rttekert, Platen, Immer-
mann. — Les Souabes. — Les Autrichiens. — Heine et la Jeune
Allemagne. — La poésie politique. — Les néo-romantiques. — Les
Munichois. — Écriyains de tous pays. — De 1870 à 1885. — De 1885 à
nos jours 320
141-09. — Coulommieni. Imp. Paol BRODARD. — 5-0*.
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